(g) 1060, by Les Editions du Cerf. SOURCES CHRÉTIENNES Collection dirigée par H. de Luhac, S. J., et J. Daniêlou, S. JSecrétariat de Direction : C. Mondêserl, S. J. N° 66 Série des Textes Monastiques d’Occidenl, N° IV ADAM de PERSEIGNE LETTRES TEXTE LATIN INTRODUCTION, TRADUCTION ET NOTES Ι'ΛΙΙ Le Chanoine Jean BOUVET snruniBUR nu must» LES ÉDITIONS DU CERF, 29, sbmi.nairs ou maxs bd de la I960 Toür-Maubocrg, PARIS NJHIJ. OBSTAT : Abbaye de Bellefontaine, le 15 décembre 1958 fr. Placide DESE1LLE, o. c. s. o. IMPIUMATVH Z Le Mans, le 17 janvier 1959 J. GOUET vie. gen. INTRODUCTION I. Vie d'Adam de PerseigiNE. 1. Avant Perseigne. Vers le temps où Guillaume Talvas )r ή nés d’At am fonjajt> au diocfcse (|U Mans, l’abbaye e erse gne. Perseigne (1145), naissait à l’humble foyer d’un serf du comte de Champagne un enfant, destiné à gouverner un jour le lointain monastère du Saosnois. L’obscurité la plus complète s’étend sur l’enfance d’Adam, et ce n’est que par une déduction, mais impérieuse, qu’on peut assigner une origine rurale et champenoise à l’écrivain qui nous occupe x. Lorsqu’il veut, par une modestie quelque peu convenue, expliquer la rudesse de son langage, il invoque sa condition première et rappelle à son correspon1. En ce qui concerne les rapports d’Adiun de Perseigne avec la Maison de Champagne, nous nous rallions ordinairement aux positions adoptées par Atkinson Jenkins dans sa thèse « Eructavit ·, «nd oM french metrical para­ phrase. of psalm XLl F... attributed to Adam de Perseigne, Dresde, 1909. Contre l’identité d’Adam, abbé de Perseigne, et d’Adam, chapelain de la comtesse Mario, on pourrait objecter la présence de ce dernier comme témoin au lias d’une charte de Mario de Champagne en faveur de l’abbaye de Notrc-Dameatix-Nonnalns de Troyes, datée de 1191 (ci. Laloiie, Documents sur l'Abbaye de Xotre-Dame-auæ-Nonnains, dans Mémoires de. la Société académique... de i'Aube, t. XXXVIII, 1871, n” 9). Mais il n’est pas inadmissible que Mario ait gardé l’habitude do considérer Adam, devenu abbé de Perseigne. commo son chapelain et l’ait invité h signer en cette qualité au iras d’une charte ü l’occasion d’un voyage en Champagne. D’autre part, nous avons constaté que rObltiinirc de Notre-Dame-aux-Nonnains mentionne uno Commemo­ ratio fratrum et sororum ecclesiae Sanctae Mariae de Persignia (cf. Biblio­ thèque Nationale, Recueil des Historiens de France, Obituaires, t. IV, au 3 décembre). l.e lien entre les deux monastères ne s’expliquerait-il pas par l’identité du chapelain de In comtesse Marie et de l’abbé de Perseigne ? 8 INTRODUCTION dant qu’il est un rusticanus, un homme de la campagne. Renseignement bien vague encore ; mais voici qu’une charte 1 d’Henri II, comte de Champagne, jette sur la famille d’Adam une précieuse clarté ; elle nous apprend vraisemblablement le nom et le rang social de sa inère. L'année même où Adam devenait Adam de Perscigne (1188), le comte « donne » à la léproserie de Deux-Eaux, à Troyes, Aceline, mère d’Adam, < chapelain de la comtesse Marie » Si Accline est « donnée » par le comte de Champagne, c’est qu’elle lui appartient : elle est de condition serve. A l’époque elle est veuve sans doute, et puisqu’elle est donnée à un établissement de Troyes tout porte à croire qu’elle habi­ tait dans la région. Aceline est d’ailleurs un nom du pays’. L’hypothèse d’une origine champenoise se renforce de toute la suite de la vie d’Adam. El même si ce n’était pas la Champagne qui lui avait donné le jour, il resterait que sa destinée a été constamment influencée par les seigneurs et les dames de Champagne. 11 faudrait alors trouver la raison de ce dernier fait, et ce serait plus difficile que d’admettre l’interprétation naturelle de la charte de donation d*Aceline. Adam n’acquit certainement pas sans faire d'études la belle culture littéraire et théologique qui transparaît par­ tout dans scs œuvres. Mais nous ignorons absolument avec quels maîtres il parcourut les étapes du trivium et du quadrivium. 11 est vraisemblable que l’une ou l’autre des brillantes écoles épiscopales de la région accueillit scs jeunes années : Troyes, Sens ou Reims par exemple. Il connaît les saints patrons de Sens et leur fait une place dans le poème roman 1234 qu’on lui attribue. Mais l’indice ne suffit pas à con­ clure. Nous ne savons ni où il reçut la clérical tire, ni où il fut ordonné prêtre ; mais la suite de sa vie montre clairc1. Cf. d’Arbois de JuiiAiNvii.r.it, Histoire des Ducs et Comtes de Citampagne, t. III, p. 390, n" 367. L’acte a été rédigé à Meaux. 2. Cette comtesse .Marie, mère du comte · donateur », a joué un rôle de premier plan dans la vie d’Adam, en particulier dans sa jeunesse. Cf. infra, p. 10 et 20. 3. Cf. sainte Aceline. vierge, t vers 1195 (CamczaT, Promptuarium sacra­ rum antiquitatum tricassinoa diocesis, fol. 349). 4. Cf. A. Jenkins, op. cil., p. xn. VIE D ADAM DE PERSEIGNE 9 ment qu’assez têt il avait attiré l’attention des seigneurs de Champagne, puis gagné leur confiance. Deux indices, l’un assez vague, l’autre beaucoup plus précis, donnent à croire qu Adam passa comme clerc séculier un certain nombre d’années à la cour de Champagne. Le premier est une lettre 1 du cistercien Gillebert de Holland, mort en 1172 près de Troyes, à l’abbaye de Larivour. La lettre est adressée à un certain Adam. Elle l’exhorte vivement à renoncer à la vie mondaine et à la littérature pour embrasser la vie religieuse. On y trouve un portrait du destinataire qui correspond bien à ce que nous connaissons d’Adam de Perscigne : « Vous avez, cher ami, l'intelligence vive et cul­ tivée, vous possédez quantité de connaissances bien éla­ borées. » Plus loin il est question d’« une nature ardente et bien disciplinée « ; qu’Adam ne s’excuse pas sur l’intérêt des études littéraires; il poursuivrait l’ombre et se priverait de la lumière. Une vaine dialectique à la mode d'Aristote ne doit pas lui faire condamner le silence et la simplicité de celte vie monastique, dont l’atmosphère est seule capable de le transformer en un nouvel Adam. Qu’il ne soit pas ingrat, lui qui a tant reçu du Seigneur. Il n’y a pas lieu d’attendre, mais de coopérer à la grâce. Déjà, lors de la dernière lettre (ou rencontre), Adam semblait sur le point de quitter le siècle. Puisse-t-il cette fois prendre la décision salvatrice ! Gillebert est prêt à l’aider : il attend une visite de préférence à une lettre. Si rien n’impose de façon absolue que le correspondant de Gillebert soit notre Adam, la chronologie et le contexte his­ torique ne sont pas sans inviter à cette identification. Nous le verrons en étudiant le second indice — lui, très fortement appuyé — de la présence à la cour de Champagne d’un jeune clerc séculier, ami de la littérature, qui pourrait, bien être le fils <Γ Aceline. Il est un long poème en langue romane (plus de deux mille vers) intitulé Eructavit *, dont l'auteur ne se nomme pas.1 2 A a cour 1. Cf. P. L., 181, 291-293. 2. Vide V. g., B. N. Ms. fr. n* 2091. 10 INTRODUCTION Les recherches les plus sérieuses, entreprises pour lever cet anonymat, ont abouti à Adam de Perseigne. C’est la thèse consciencieusement soutenue — et démontrée, semble-t-il — par le second éditeur de YEructavitl, Atkinson Jenkins. Le poème est dédié à Marie de Champagne, la protectrice bien connue d’Adam de Perseigne. Et si l’auteur cache son nom sous la formule impersonnelle : « Cil qui a fait (ccste chançon) », sa dédicace prouve de toute évidence qu'il con­ naît trop bien la noble dame pour n’être pas de son entou­ rage. Or la correspondance d’Adam nous le montre ami très intime de la grande famille de Champagne, dont une dizaine de membres reçoivent des lettres de lui. Les conseils fermes et précis qu’il y donne avec aisance supposent un prestige acquis par une longue familiarité. On voit assez bien le cha­ pelain d’une comtesse désireuse de comprendre quelque chose aux psaumes en latin de son beau psautier enluminé, lui commentant, dans le goût et le style de l'époque, l’épithalame du Christ et de l’Èglise qui fait précisément le sujet de l’u Eructavit ». Ainsi donc se seraient fondues en un poème unique la théologie et la gentillesse courtoise, la littérature et l’ensei­ gnement religieux, le film de la vie des cours et les mystiques évocations de la Jérusalem céleste. Et l’auteur en aurait été précisément un moine ou un futur moine, poète de naissance, et devenu théologien, très informé de la vie des cours et doué pour la direction spirituelle. La suite de la vie d’Adam nous le montre tel : même après avoir sacrifié le monde à Dieu, la littérature à la contemplation, il garde son âme de poète et sait par ailleurs recourir, pour illustrer ses conseils, aux souvenirs qu’il a gardés des années passées à la cour. La date de composition du poème roman est fixée par A. Jenkins entre 1181 et 1187. A cette époque Adam était certainement moine. Même si ces dates sont exactes, il reste que le choix des images et la connaissance de la vie de cour qui caractérisent le poème supposent une vie antérieure dif1. · Eruclavit » «n oW french metrical paraphrase o/ psalm XLIV... attri­ buted to Adam de Perseigne, Dresde, 1999. Lc premier éditeur d'Eructault était Mac Kibbrx (Chicago, 1907). VIE d'adam oe perseigne 11 férenle de celle des cloîtres, celle d’un clerc à qui avait pu jadis s’adresser, de la façon la plus plausible, la lettre de Gillebert de Holland. Quoi qu’il en soit de cette dernière hypothèse, notons que les conclusions d'Atkinson Jenkins ont été adoptées par Dont Camille Hontoir, dans son article du Dictionnaire des Lettres Françaises intitulé : < Adam de Perseigne »x. , , , En même temps que dans la vie rcligieuse, Adam entre dans. une , presque, totale obscurité. Les seuls points de repère, en cette partie de sa vie qui précède son élévation au siège abba­ tial de Perseigne, nous sont fournis par un court passage d’une lettre 12 adressée par lui à un certain G..., moine de Ponligny. Voici donc ce que, vers 1198, Adam, abbé depuis une dizaine d’années, écrit à son correspondant : π Au cours de ma conversion, je n’ai jamais été novice... Moi qui un jour devais, par un fatal échange, troquer pour la noirceur du moine la pure blancheur du chanoine, et qui maintenant, grâce à Dieu, suis revenu de cette intégrale et aberrante noirceur, au lilial éclat de la Vierge, je n'ai en effet, malgré l’accueil qu'elle voulut bien faire à ma péni­ tence, pas été reçu en qualité de novice. » Le cheminement est clair : d’abord chanoine régulier, puis bénédictin, Adam ne trouva sa voie définitive qu’à l’ombre pure de Marie, chez les cisterciens. 11 pouvait, sans manquer aux règles canoniques en usage, passer ainsi d’un ordre à l’autre, du moment qu’il ne quittait une forme de vie reli­ gieuse que pour une autre plus stricte 3. Les lieux et les dates de cette période de recherche sont difficiles à déterminer ; 1 lauréau 45ne signale guère que pour la repousser, l’hypothèse émise par les auteurs de 1’« His­ toire littéraire de la France » 6, d’un séjour chez les chanoines Itinér'iire ., λ monastique. 1. 2. 3. 4. 5. Cf. S. E. Mgr Grente, Diet, des Lettres Franç., fasc. I, Paris, 1939, p. 7. Cf. Lettre xvn. Sur la question, voir D. IL G. E., article Chanoines réguliers. Hist. lilt, du Maine, t. I. p. 22. T. XVI. p. -137. 12 INTRODUCTIO?* réguliers de Sainte-Barbe-en-Auge. Elle ne reposerait, que sur le seul emploi du mot confamiliarem, employé par Geof­ froy, sous-prieur de ce prieuré, à propos d’Adam. Geoffroy écrit 1 à l’archidiacre de 'fours, qui est censé être familier (familiarem) du bibliothécaire de Marmoutier nommé Adam. Il est prié de le saluer de la part du sous-prieur : « Veuillez rappeler au bon souvenir de votre familier (familiarem) Adam, bibliothécaire de Marmoutier, le chanoine et intime compagnon (confamiliarem) que je suis (pour lui). » Il est évident que Geoffroy n’emploie pas au hasard les deux termes par lesquels, dans la même phrase, il désigne Adam. Celui-ci n’est, pour l’archidiacre de 'fours, qu’une relation habituelle ; pour Geoffroy de Sainte-Barbe, il est davantage : une relation plus étroite, de tousles jours sans doute; et c'est en tant que chanoine régulier que Geoffroy peut donner à Adam cette appellation. On est obligé de penser qu'une assez longue période passée dans la même maison justifie seule l’épithète décernée par Geoffroy à Adam. A cela s'ajoute que des relations leur sont communes : André, l'archidiacre de Tours ; Simon 1 2, abbé de Saint-André en Goufîern, puis de Savigny ; enfin, Marmoutier. L’hypothèse d’un séjour comme chanoine à Sainte-Barbe-en-Auge, si elle n’est pas démontrée, demeure du moins intéressante. On voudrait savoir autre chose de la vie d’Adam à Mar­ moutier. Notre curiosité ne saurait être satisfaite. Les rela­ tions avec Fontevrault, Turpcnay, Le Loroux, monastères de la région avoisinante, dans lesquels Adam compte plus d’un ami, datent sans doute de cette époque, ou du moins ont pu s’y développer. La bonne réputation d'Adam était déjà établie, car dans la lettre citée plus haut Geoffroy note que si, par le nom, « Adam » est terrestre, par les goûts il est au contraire céleste. On trouve dans plusieurs manuscrits, à la suite de sermons nommément attribués à Adam, d’autres sermons, anonymes ceux-là ; l’un d’eux contient un petit passage satirique sur le déclin des goûts intellectuels dans les monastères bénédictins, avec des précisions amusantes qui 1. Cf. lettre 1. de Gboffîioy, P. /··, 205, 884. 2. Cf. Lettre XXI. VIE d’aDAM DE PERSEIGNE 13 conviendraient parfaitement à un ancien bibliothécaire ; mais il n'est pas certain que le sermon soit d’Adam. Comment se fait-il que les deux premiers essais de vie reli­ gieuse aient été un échec ? Adam ne s’en explique pas ; il proclame seulement qu’il a commis une erreur en se faisant moine noir. Peut-être avait-il trouvé chez les chanoines trop de celle littérature profane que, jadis, Gillebert lui recomman­ dait de fuir, et que Geoffroy de Sainte-Barbe pratiquait si volontiers ; peut-être les bénédictins, et spécialement dans leurs prieurés, lui avaient-ils trop donné le spectacle de l’in­ dépendance et de la vie facile qu'il fustige en telle de scs lettres x. Sans doute, l’Ordrc de Cîteaux n’était pas parfait : Adam le critique sans partialité à l’occasion ; mais il y fut attiré — nous avons lu son témoignage explicite à ce sujet — par la dévotion spéciale des cisterciens à la Sainte Vierge. Il espérait, en entrant dans l’Ordre de saint Bernard, parti­ ciper à une ferveur qui n’avait pas eu le temps de s’alanguir, au cours des trente années écoulées depuis la mort del’Abbé de Clairvaux. Nous ne savons pas avec certitude dans quel monastère Adam commença sa vie cistercienne. On a supposé que ce fut il Pontigny *, parce que Charles De Visch cite un manuscrit de cette abbaye intitulé : Adami, Pontiniacensis monachi, conciones el meditationes ’. Il s’agit peut-être d’instructions adressées aux novices, au temps où Adam, sans avoir fait lui-même de noviciat, les formait à la vie religieuse. Il fallait qu’il eût des aptitudes bien particulières à la pédagogie monastique, pour qu’on lui ait ainsi confié d’emblée la charge de maître des novices. On attacha toujours un grand prix à ses avis, en matière de formation â la vie religieuse ; nous en avons pour preuve les demandes instantes auxquelles répondent deux de scs principales lettres *. Ce ministère le séduisait ; scs lettres aux moines du Loroux montrent l’in­ térêt qu’il portail à la jeunesse monastique. 1. 2. 3. •1. CL Lettre XLIX. Hist. lUt. du Maine, t. 1, p. 22. Gall. Christ, p. 191 v. ; Hauréav, loe. ci(„ p. 23. Cf. Lettre» V et XVII. 1» INTHODfCTlOX Celui qui devait succéder à Adam comme abbé de Per­ seigne, et qui, avant celte succession, apparaît en plus d’une occasion comme son homme de confiance, venait lui aussi de Ponligny ; c’est cc qu’affirme Fleury ’, repris par A. Jen­ kins. Gauthier (c’était son nom) aurait été prieur de Per­ seigne avant d’en être l’abbé. Tel aurait été aussi le cas d’Adam, d’après ce qu’insinue Fleury. Le même auteur date du 10 avril 1183 3 une charte de Jean d’Alençon, qui men­ tionne Adam Abbas Perseniae, confessor noster. Cotte date est-elle exacte *? Elle serait en tout cas le seul témoin d’une période antérieure à 1188, durant laquelle Adam eût été abbé de Perseigne. Arrêtons-nous donc à la date tradition­ nelle et attestée : 1188; nous sommes sûrs qu’alors Adam agissait comme abbé 3. 2. L’Abbé de Perseigne. Jouissant de l’estime affectueuse de ses supérieurs et des princes séculiers, Adam fut l’un de ces moines cisterciens qui, au xiie siècle et au début du xm% à l’exemple de saint Ber­ nard, furent souvent appelés à quitter leur solitude pour répondre à l’appel de l’obéissance. Ses missions constituent le plus clair de ce qu’on peut appeler son histoire. Les lettres des papes, les statuts des chapitres généraux de l’Ordre de Cîteaux, quelques rares documents constituent, ici, des sources précieuses. Pour les autres faits de la vie d’Adam, ; on trouve quelques renseignements encore dans les statuts de Cîteaux, dans la correspondance et dans le cartulaire de l’abbaye de Perseigne ; mais comme aucun de ces écrits 4 ne se proposait de renseigner la postérité sur la personne du second abbé de Perseigne, on n’en peut tirer que d’assezI faibles lumières. Il semble même qu’en plus d’une occasion 1. Flbury. Carlul. de Perseigne, Introduction, ch. ΙΠ. 2. Ibid., p. 15, n. G. Il s’agit du 10 avril 1186 en style moderno. 3. lin'd., p. 192, n° CCCXLIII. — Charte de donation, praesente ΑάαιΛ Abbate, datée IIIe Kid. Dec. 1188. •1. Il faut excepter l'introduction du Cartulaire publié par M. Fleury à Mamers. VIE d'adam de perseigne 15 les copistes aient reproduit les lettres en négligeant les parties qui n’étaient pas de stricte édification. Sous l’abbatial d’Adam ont été signées, en faveur de Per­ seigne, quelques chartes importantes dont plusieurs portent le nom de notre Abbé. Le Saosnois, administrativement, appartenait au Maine : son Soigneur était le comte du Maine. 11 suffisait que l’autorité dont relevait lui-même ce comte vienne à changer pour que l’abbaye de Perseigne voie sou­ dain s’intéresser à son sort un nouveau grand suzerain. Fon­ dée sous les Plantagenets, il était normal qu’elle jouisse de leur protection car, en même temps qu’ils étaient ducs de Normandie et rois d’Angleterre, les Plantagenets portaient le litre de comtes du Maine. Henri II, Richard Ier ont, en effet, octroyé des chartes à Perseigne, soit pour approuver les bienfaits de leur vassal, le comte du Perche, envers le grand monastère de sa baronnie du Saosnois, soit pour en ajouter de nouveaux. Mais, après Richard, le Maine reconnaît comme suzerain Arthus de Bretagne. Presque simultané­ ment Arthus, puis Jean-sans-Terre, son oncle, octroient à l’abbaye de Perseigne des chartes destinées à se la concilier. C’est ici l’un des premiers indices de cette rivalité entre Plantagenêts qui servira si bien les desseins de PhilippeAuguste, et aboutira à l’annexion définitive du Maine, comme d’ailleurs de la Normandie, de l’Anjou et de la Tou­ raine. On sait en effet comment Jean-sans-Terre, en suppri­ mant son rival, fournit au roi de France la plus belle des occasions d’agrandir son royaume ; au vengeur du sang inno­ cent, qui se serait permis de demander raison de sa conduite ? _ 4 La première mission confiée ù l’Abbé JoacMmedeeFtore. de Pcrsci«nc P" Siège Apostolique est peut-être la plus connue : en 1195, sous le règne du pape Célestin III, s’était répandue en Italie, et hors d’Italie, une réputation équivoque, celle de l’abbé cistercien Joachim de Flore. Prophète hasardeux autant que théologien téméraire et exégète fantaisiste, il influença suf­ fisamment son époque pour que les historiens contemporains se soient donné la peine de rapporter, jusque dans le détail, les impressionnants délires de son imagination. Pour le 16 INTRODUCTION réduire au silence, ou du moins l’obliger à contrôler ses assertions, Adam de Perscignc fut mandé à Rome. Nous ignorons le résultat de la controverse entre les deux abbés cisterciens; nous savons seulement, par Raoul de Coggcshall *, que le subtil abbé de Flore se tirait toujours, au moyen d’habiles faux-fuyants, des difficultés opposées à ses thèses par son collègue de Pcrseigne. Il continua pendant des années encore à répandre ses doctrines cl à jouir d’une assez large réputation de saint et de prophète ; il fonda même un ordre particulier qui dura plus de trois siècles. L’honneur d’avoir été appelé à combattre un tel adversaire ne pouvait que faire croître la renommée d’Adam *. Quand revint-il de Rome ? Nous l’igno­ rons. L’année 1196 ne nous apporte qu’un document incontestable : la lettre 1 234qu’il envoie à Eudes de Sully, chantre de Bourges, évêque nommé de Paris. Elle peut être envoyée de Rome ; cependant, dès 1195, le chapitre général de Cîtcaux avait désigné Adam pour traiter avec le roi d’Angleterre, qui était alors Richard Cœur de Lion, les affaires des abbayes quae sunt in confinio terrarum, ce qui sans doute désigne celles qui, situées aux frontières, se trouvaient avoir des biens et des privilèges sur les territoires de l'un et l'autre royaume. La décision du chapitre comportait un complément qui faisait d’Adam un véritable délégué ad universalitatem causarum, car il était chargé aussi auprès de Richard « des autres affaires de l’Ordre ». Une pareille confiance ne doit, pas surprendre ; elle s’explique sans doute par la valeur personnelle d’Adam, mais aussi par les entrées qu’il possède auprès du Planta­ genet, dont il est le confesseur *. Les affaires de l’Ordre. 1. RaOUI. ub Coggbshali.» Chronicon, dans Jlreueif Historiens de France, t. XVIII, p, 76. 2. Plusieurs personnes ont essayé, ces dernières années, de trouver ά la Bibliothèque Vaticane des documents nouveaux sur Joachim de Flore. Ces recherches n’ont pas abouti. Voir une étude sur Joachim do Flore dan» D. T. C., t. VIII, 2, col. 1425 à 1-158. 3. Lettre XI. 4. Cf. Carlul. de Perseigne, p. 43. vie d’adam de perseigne 17 Il ne faudrait pas cependant surfaire cette mission d’Adam; il la partageait avec deux autres abbés cisterciens : ceux du Pin et de Bon-Port ; le second au moins de ces abbés était vraisemblablement connu d’Adam : en effet, exerçant dès 1190 ou 1191, avec l'abbé de N.-D. du Val *, diocèse de Paris, une mission particulière du genre de celles que lui confiait en bloc la décision de 1195, Adam avait eu à prospecter dans le diocèse d’Évreux, à la demande du roi d’Angleterre, les lieux où l’on projetait de fonder l’abbaye de Bon-Port. En 1195, durant le voyage d’Adam à Rome, les affaires cou­ rantes de Cîtcaux avec le roi d’Angleterre furent sans doute réglées par les seuls abbés du Pin et de Bon-Port. Le manque de discrétion de certains moines, durant les guerres entre rois, créait, parfois aux abbés de graves ennuis. C’est ainsi qu’en 1197 le chapitre de Cîtcaux dut obliger les abbés de Bon-Port et de Perseigne à expulser, hors des royaumes de France et d’Angleterre, deux moines (celui de Perseigne s’appelait Robert) trop entreprenants qui, « à l’encontre des directives cl de l’esprit de l’Ordre, s’étaient immiscés dans les affaires touchant la guerre entre les rois · ; expulsion qui devait durer tout le temps que le chapitre général jugerait bon, se doubler d'une discipline par semaine jusqu’au prochain chapitre générai, c’est-à-dire pendant un an, et s’accompagner encore d’une mise au ban de l’Ordre et de la suspense a divinis. Les abbés ne sortaient pas tout à fait impunis de celte affaire ; ils seraient six jours « en légère coulpe », dont un jour au pain et à l’eau et quarante jours hors de leur stalle. Quand la politique était en jeu, Cîtcaux sanctionnait sévèrement les initiatives intempes­ tives de scs moines ; aux termes du décret dont nous citons les clauses *, un chacun était averti que désormais les faits du même genre entraîneraient purement et simplement l’exclusion définitive des coupables. Les peines du genre de celle que nous venons de voir appli­ quée à Adam et à son collègue de Bon-Port n’entachaient pas la réputation ; le chapitre, désireux de désapprouver 1. Cette nbbnyc devait devenir Ja · mère * de Bon-Port. 2. S/atulu Cap. Gcn. Ont. Cisl. Ed. J. Canivrz, t. I, non. 1197, ti° 46, Lettres. I. 18 INTRODUCTION solennellement une certaine manière de faire ou un incident regrettable, appliquait aux abbés responsables quelque sanc­ tion visible, qui fixerait dans les mémoires le point de vue de l’autorité suprême. En 1191 *, Adam s’était déjà vu infliger par le chapitre général une peine semblablement « exemplaire o : six jours de jeûne au pain et à l’eau pour avoir laissé servir, à des hôtes de Pcrseigne, du fromage et des œufs un vendredi ; au contraire, l’année précédente Adam avait bénéficié, avec l’abbé de Mortemer, de la clémence des capitulants qui avaient daigné, en l'honneur du sacre récent du roi Richard, fermer les yeux sur un acte présomptueux qui n’est pas autrement précisé, mais que les délinquants sont instam­ ment priés de ne pas renouveler. Trop souvent, à cette époque, la famine, même en bordure de la riche Normandie, mettait en difficulté particuliers et communautés. En 1197 la détresse fut générale ; c’est peutêtre à cette année qu’il faut rapporter une réponse * d’Adam à un ami très cher qui lui demandait l’hospitalité, et à qui il dut la refuser parce qu’il avait lui-même été obligé de dis­ perser ses moines, sous la pression de la disette. En ce temps, fleurissait à Paris un des Foulquùte”. «r,0UpC <»« PrtO‘«‘e»» » l’esprit apostohque, réunis et formés par Foulques de Neuilly et Pierre le Chantre. Le zèle ardent du curé de Neuilly-sur-Marne, secondé par l'humble et intelligente col­ laboration du maître de (’Université parisienne, avait sou­ levé un mouvement d’une incroyable vigueur ; Innocent III et Philippe-Auguste, la suprême autorité de F Église et la suprême autorité séculière, surent utiliser cet élan providen­ tiel né du sein même de la détresse des peuples. Successive­ ment, au cours des cinq dernières années du siècle qui som­ brait, ils le mirent au service des pauvres, affamés par des disettes répétées, des pécheurs, en particulier des usuriers, de la croisade devenue une fois encore nécessaire. 1. Statuta Cap. Gen. Ord. Cist. Ed. J. Canivrz, t. I. nnn. 1191, n· 38. 2. Cf. Lettre XII. VIE D ADAM DE PERSEIGNE 19 On vit alors de nombreux maîtres de l’Université de Paris, des cisterciens, des prédicateurs populaires, mettre en com­ mun leurs dons naturels et acquis pour mieux servir la cause du Christ. Dans leurs auditoires se coudoyaient étu­ diants, prêteurs malhonnêtes, filles publiques, bourgeois et serfs, riches et pauvres. Galvanisés par l’ardeur communi­ cative de Foulques, qu’ils s’efforçaient d’imiter, les prédi­ cateurs arrachaient à leurs auditeurs, avec des larmes de componction, le pain des affamés, le changement de vie, la résolution de participer à la croisade. Il n'est pas possible de distinguer la part exacte qui revient à chacun dans ce travail d'apostolat ; contentons-nous de constater que le nom d’Adam de Perseignc figure dans la liste de ccs apôtres auxquels l’histoire garde à juste litre le nom de « foulquistes ». Les manuscrits ne nous ont rien con­ servé des sermons en langue vulgaire que dut, comme tous ses confrères, prononcer l'Abbé de Perseignc. Cependant se posait le problème des Juifs. Sans doute, suivant l’opinion courante, il n’était pas possible de les faire participer au mouvement de conversion entrepris par les foulquistes. Du moins pouvait-on se proposer de les com­ battre, en particulier sur le terrain de l’usure où ils étaient passés maîtres. Nous possédons la réponse qu’adressait Adam à un correspondant plus zélé que vertueux qui, dans son désir de s’illustrer contre les Juifs, lui demandait de lui fournir des arguments valables. Une réponse ad hominem déboute de sa demande le va-t-en-guerre incirconcis. Peut-être aussi Adam éprouvait-il un malaise à penser que l’on traquait, chez les vassaux du roi de France, ces mêmes Juifs qu’au début de son règne Philippe-Auguste avait lui-même chassés de son royaume, mais qu’il accueil­ lait maintenant. L’appartenance d’Adam au groupe des prédicateurs foulquistes, ses lettres ù Eudes de Sully, évêque de Paris, et à un chanoine du même diocèse, nous laissent sur notre soif de savoir quelle influence put avoir, sur sa formation théolo­ gique et oratoire, le rayonnement de cette ville, alors capi­ tale de la science théologique comme, en tout temps, de la charité et des belles relations. 11 nous faut seulement rete- 20 INTRODUCTION nir que la ferveur de son admiration pour Pierre le Chantre, dont l’influence sur lui transparaît parfois jusque dans le choix des expressions, ne s’explique guère si Adam n'eut jamais l'occasion de l’entendre enseigner. L’année 1198 est un des sommets de la vie d’Adam. C’est aussi une de celles sur lesquelles nous avons le plus de renseigne­ ments ; elle débute (mars) par la mort tragique de sa protectrice, la comtesse Marie de Champagne à Troyes. Lorsque la noble dame se vil perdue, elle fit appe­ ler en hâte son chapelain de jadis (qui en avait toujours le titre), son poète religieux, le bon conseiller et l’ami de toute la famille ; Adam accourut : malgré son empressement, il ne put arriver assez tôt pour assister Marie à son dernier sou­ pir. Mais il aurait dû larder davantage J II n’aurait pas alors été témoin de la scène lugubre et révoltante décrite par . Thomas de Canlimpré 1 : le pillage éhonté de la chambre [ mortuaire, la profanation du cadavre par l’entourage ar- | radient à notre Abbé des accents émus. Dans leur brièveté ils évoquent les cris de Bossuet devant les grands morts qui lui avaient été chers : cris de douleur et de stupéfaction jaillis d’un cœur vibrant, atteint à l’improviste ; cris de « prophète » aussi, convoquant les mortels à contempler le spectacle horrifique pennis par Dieu pour leur instruction. Le choix que, dès longtemps, Marie de Champagne avait fait d’Adam pour son confesseur, avait été une indication pour d’autres personnages. Richard, nous le savons par de brèves mentions contenues dans plusieurs chartes *, avait remis à Adam ses propres intérêts spirituels. Ainsi donc, le confesseur de Marie de Champagne, de Jean d’Alençon et de son fils Robert III (f le 2-1 février 1191) était, aussi devenu, dans les années suivantes, celui du roi d’Angleterre. Cependant le lundi de Pâques, 19 avril, Hugues d’Avalon évêque de Lincoln, se rendait â Pcrseigne ; il avait entendu1 2 Confesseur et conseiller des grands. 1. Cf. Oudin, Commentarius de scriptoribus Ecclesiae antiquis, t. H: col. 1665. 2. Cf. Carluhtire de Pcrseigne, chartes XIV, XV. VIE ÜADAM DE PERSEIGNE 21 dire de l’Abbé tant de bien qu’il n’hésita pas à risquer de sc perdre par les « chemins presque inconnus », et combien impraticables ! du Saosnois septentrional, pour le seul avan­ tage de le visiter. Il ne put que célébrer sa messe à Perseigne et repartir avec sa déception ; mais la démarche de ce saint homme demeure, aux yeux de la postérité, un précieux témoi­ gnage de la réputation d’Adam *, en même temps qu’une vision de paix et de piété au milieu de tant de bruits de guerres cl de querelles. Au printemps 1199, la guerre fut fatale à Richard d’An­ gleterre ; blessé le 6 avril par l’archer Bertrand de Gourdon, il mourait devant le château de Chalus qu’il aurait voulu prendre. Du Limousin à Rome les nouvelles ne cheminaient que lentement ; ignorant la mort du roi, Innocent III, le 28 de ce même mois d’avril, désignait 1 23Adam pour régler avec l’archevêque de Rouen, Gautier de Goutances, la brouille survenue entre Richard et son frère Geoffroy, archevêque d’York : les émissaires du pape n’eurent que l’honneur sans la peine. La prédication de la croisade battait p|ejn jçu|je trace, au cours de l’année 1200, d’une activité de l’Abbé de Per­ seigne autre que cette occupation apostolique, sauf toute­ fois la signature d’une charte de Guillaume des Roches, sénéchal d’Anjou, qui fonde, en faveur de Perseigne, une rente de soixante sous angevins *. Quelle fut au juste la par­ ticipation d’Adam à l’expédition de 1201 ? Il est certain que l’Abbé de Cîteaux 4, sollicité par le pape, qui attendait de certains do scs prédicateurs plus que des discours, désigna au chapitre général les quatre abbés des Vaux-de-Ccrnay, de Perseigne, de Loos, et de Cercanccaux, pour accompagner a quatrième 1. Cf. Gall. Christ., I. XIV, col. 520 et Ex libro quinto cap. 12 vitaemanu· scriptae S" Hagonis d'Avalon... cité par Inventaire général... de Perseigne..., fol. 16 ν’, Archiv. Dép.. Le Mans, p. 926. mss xvn· s. 2. Lettre d’Jnnoccnt III. — P. L., 211. col. 596 et 597. 3. Cf. Fi-Ri iiY, Carlul. de Perseigne, Int rod. p. xxxm. 4. Cf. .Statuta Cap. Cen. Ord. Cist., ann. 1201. n’ 37. 22 INTRODUCTION les croisés. Nous ne serons pas surpris que ce soit « à la demande du comte de Blois » qu’Adam ail été choisi ; les seigneurs de la maison de Champagne appréciaient trop le conseiller spécial de la famille pour négliger, au moment où ils allaient exposer leur vie, de s’assurer le bienfait de sa compagnie et, au besoin, de son assistance religieuse. Ni Thibaut de Champagne, ni Geoffroy du Perche, d’ailleurs, ne devaient revenir de celte croisade. Le narrateur 1 bien connu de la quatrième croisade met en scène, à maintes reprises l’abbé des Vaux-dc-Ccrnay et une fois celui de Loos. Les deux autres abbés cisterciens do l’expédition ne peuvent se flatter d’avoir été nommément désignés par lui; mais ils font certainement partie des « autres» abbés, qu’en plusieurs circonstances Villehardouin mentionne à la suite de celui qu'il nomme de préférence, soit qu’il le connaisse mieux, soit qu’il le considère comme le chef de la délégation monastique. Dans le différend qui opposa Guy des Vaux-de-Cernay à l’abbé de Loos, quel parti suivit Adam ? Il ne semble pas qu’il ait poursuivi la croisade jusqu’au bout; Hauréau pense qu’il ne s’embarqua même pas. Mais le plus probable est qu’après l’affaire de Zara, il revint avec Guy vers la France. Liés d’étroite amitié partageant les] mêmes manières de voir, les deux abbés ne durent pas faci-1 lement se séparer ; quoi qu’il en soit de ce point, qui reste à éclaircir, la lettre 123 qu’une douzaine d’années plus tard Adam devait envoyer ù l’évêque du Mans, pour l’inciter à retenir à leur poste les curés trop pressés de partir pour la croisade, bien que relative à une expédition postérieure, ne! laisse aucun doute sur la lucidité modératrice avec laquelle: Adam jugeait l’enthousiasme équivoque de certains croisés.' . .. Son esprit de sagesse valut sans1 Missions diverses. , . . ' . doute à Adam d être envoyé en mis- ■ sion spéciale à la collégiale Saint-Martin de Tours, avec 1. Cf. G. db Viî.t.nnAnDoviN, Conquête de Constantinople, passim. 2. Cf. Lettre XX ; sur Guy des Vuux-do-Ccrnay et lu croisade, cf. doux lettres d’i'atenne do Toumay, P. I.., 210, -1-15 et 453. 3. Cf. Lettre LUI. vie d'adam de perseigne 23 Hamelin, l’évêque du Mans, son ami. L’un et l’autre avaient d’anciennes relations en Touraine ; Hamelin avait été écolâtre Λ Tours et Adam, s’il n’avait pas rempli le meme poste — ce qui a pourtant été affirmé 1 — avait très probablement, nous l’avons vu, porté ù Marmouticr l’habit bénédictin a. Les chanoines de Saint-Martin, en 1194, avaient été malme­ nés par Richard Cœur de Lion, dont ils avaient refusé de seconder le dessein de conquérir la Touraine. Expulsés, ils n’étaient rentrés qu’au bout de trois ans ; il paraît que cette séparation avait compromis l’esprit d’union, nui à la bonne entente et mis la discipline en difficulté. Les envoyés d’inno­ cent III avaient pour mission de découvrir les causes de la mésentente survenue entre les chanoines, et de mettre au point une règle plus stricte. N’eurent-ils pas aussi à réprou­ ver leur négligence à observer la sentence d’interdit portée par le pape sur les territoires du roi de France, coupable d’adultère public ? Le doyen de Saint-Martin était un Thi­ baut! du Perche ; c’était sans doute une raison de plus pour le Saint-Père d’avoir choisi Adam pour régler les affaires de sa collégiale. Le moine et le doyen devaient sc retrouver, au surplus, et bientôt, sur un autre terrain, plus épineux encore. L’année 1202 avait vu la mort de plusieurs personnages ayant tenu une place dans la vie d’Adam, et dont le dernier devait, par le fait même de sa disparition, lui susciter bien des difficultés. Les deux premiers étaient Joachim de Flore (t le 30 mars) et Foulques de Neuilly (·;· en mai) ; le troi­ sième, l’illustre Guillaume de Champagne (Guillaume aux blanches mains), archevêque de Reims, était mort le 7 sep­ tembre ; pour le remplacer, les chanoines avaient fait choix de Philippe de Dreux, évêque de Beauvais. Mais l’archi­ diacre, encore Thibaut! du Perche, attaqua l’élection devant le pape : Philippe, ancien chevalier, avait versé le sang, il était donc irrégulier. En 1203, Innocent III avait nommé,12 1. Cf. Vavcblle. Les maîtres des écoles épisc. et monastiques en Occident avant les Universités dans Archives de la /’rance monastique, XXVI, 1024, p. 85-108. 2. Cf. Gall. Christ, (éd. de 1856), t. XIV, col. 158. 24 INTRODUCTION pour arbitrer le conflit, I fugues des Noyers, évêque d'Auxerre, Adam de Perseigne et Robert de Courçon, alors chanoine de Noyon. Les chanoines les plus pondérés avaient alors élu leur confrère Beaudoin, mais il fut contesté par Thibaud et ses partisans, comme naguère Philippe. Refusant de rece­ voir les mandataires du pape, les chanoines préférèrent porter le débat devant le Saint-Père lui-même. Au bout de deux ans, donc en 1205, devant l’impossibilité de les mettre d’accord, Innocent III, d’autorité, nomma archevêque de Reims son légat, Guy de Préncstc ’. Le chapitre général de Cîlcaux qui se tient, comme on le sait, en septembre, porte en 1205 un décret * dont la teneur, assez extraordinaire, pose un problème au biographe d’Adam de Perseigne : « L'abbé de Jouy (diocèse de Sens) qui, avec une «simplicité excessive», a reçu la profession de l’Abbé de Perseigne sans consulter l’Abbé de Cîteaux, restera vingt jours hors de sa stalle abbatiale et sera en coulpe légère durant trois jours, dont un au pain et à l’eau. » Il n’est pas question de sanction prise contre Adam; et, pourtant,cette « profession » d’un abbé dans une abbaye autre que la sienne a quelque chose d’assez insolite pour que celui qui l’a reçue en ait été puni. Nous n’avons pu déterminer la portée de ce fait ; Adam avait-il donc voulu quitter Perseigne ? Les dif­ ficultés qu’il avait rencontrées avec Thibaud du Perche, dans ses deux dernières missions, l’auraient-elles rempli d’un tel chagrin qu'il aurait songé à s’éloigner du Saosnois ? L’abbaye de Jouy où il cherchait refuge était, nolons-le, une fondation des comtes de Champagne, donc une maison amie. Ce qui est certain, c’est que 1206 sera une année de silence absolu : aucun document n’y parle d’Adam, aucune lettre n’est attribuable à cette année-là. Tantôt couronnés de succès, tantôt contrariés par la mau­ vaise volonté des hommes, les efforts consciencieux d’Adam pour accomplir les missions qui lui étaient confiées furent toujours reconnus par le Saint-Père. La meilleure preuve de satisfaction qu'il donna à son envoyé fut de lui confier sans 1. Cf. Gall. Christ, t. I, p. 020-522. 2. Cf. Staluta Cap. Gen. Ord. Cist., ami. 1205, n· 24. vie d’adam de perseigne 25 cesse de nouvelles difficultés à résoudre. En 1208 il s’agissait de réconcilier Philippe-Auguste et Jean-sans-Terre, opposés par leurs ambitions territoriales. Dans le Midi de la France, en effet, s’étendait comme une lèpre, l’hérésie albigeoise ; à la tête des ennemis de la foi Raymond VI, comte de Tou­ louse, n’avait pas su empêcher ses chevaliers d'assassiner Pierre de Castelnau, légal du pape. Le Saint-Siège avait donc décidé une croisade contre les albigeois ; il lui fallait au préalable réaliser l’unité des princes catholiques, sur les­ quels il comptait. La trêve fut conclue entre Philippe et Jean ; il s’ensuivit contre les hérétiques une guerre de repré­ sailles sans fin : le fanatisme des albigeois s’exaspérait de la violence qui lui était faite, tandis que les catholiques trou­ vaient en celte exaspération même la justification d’un impitoyable durcissement. Adam n’avait pas l’âme d’un Simon de Montfort ; la satisfaction d’avoir mené â bien sa mission ne devait que médiocrement le consoler des suites sanglantes que lui donna le déchaînement des passions l. Cette même année 1208, Adam eut à déplorer la mort d’un ami très cher, dont il avait été le conseiller, Eudes de Sully, évêque de Paris, étroitement apparenté à l’illustre et omniprésente maison de Champagne. A deux reprises, en 1207 et en 1210, Adam dut se rendre au Mont-Saint-Michel 1 23*; le mauvais gouvernement de l’abbé «lu Mont avait obligé l’évêque d'Avranchcs à signaler à Rome la déchéance spirituelle cl temporelle de l’antique monastère, jadis honneur de son diocèse. Décidé à prendre sus responsabilités, Innocent III envoya l’évêque de Lisieux et les abbés de Savigny et de Perseigne, avec mission d'en­ quêter par eux-mêmes sur la situation et d’y remédier par des décisions sans appel ; les envoyés du pape notifièrent 8 à Jordan, l’abbé coupable, la volonté du pontife et s’annon­ cèrent pour le lendemain de la fête de saint Marc (26 avril). 1. Cf. Gall. Christ., t. I, col. 520. — Voir lettre du Pape dan» P. L., 215, col. 1360. 2. Cf. Haukéav, toc. cil., p. -10-11. — Gall. Christ., col. 521. 3. Cf. Martênk, Thcs. rtw. anted., t. I, col. 807-S0S (cite la lettre de l’évCquc de Lisieux et des deux abbés à Jordan). 26 INTRODUCTION Jordan fut cité à comparaître devant eux et dut répondre sur quinze chefs d’accusation. Quels qu’aient été les résul­ tats de la première démarche, une seconde avait été néces­ saire ; la mort de Jordan vint tout arranger l. Avec lui finit l’incurie qui avait troublé la vie du Mont-Saint-Michel. Notons qu’entre les deux missions le cardinal Paul *, légat du Saint-Siège, avait approuvé (1208) la réforme opérée par Hamelin et Adam en 1204, à Saint-Martin de J ours. _ . Les dix dernières années de la vie Dernières années. .... ...... d Adam ne comportent plus de missions importantes ni lointaines. L’Abbé de Perseigne vieillit; il ne se déplace plus guère. Vers la lin de cette période on l’en­ tendra supplier l’Abbé de Cîteaux, ainsi que le cardinal de Courçon, légal du Saint-Siège, de bien vouloir lui épargner les missions, en particulier les arbitrages entre plaideurs ’. Il se déclare fatigué, traîne la jambe, réside à l’infirmerie * ; il doit même renoncer à se rendre au chapitre général de l’Ordrc et s’en excuse b. Nous relevons neanmoins encore quelques manifestations de son activité : en 1211, à Marmoulier, il est juge entre le comte Robert du Perche et le prieur de Bellême ; en 1212, à Sées, Innocent III le charge de véri­ fier les accusations portées contre l’évêque Silvtstre ·. La même année, le chapitre général lui confie le soin d’arbitrer 7, conjointement avec l'abbé du l.oroux, un différend survenu entre l'abbé cistercien de Tironneau (en Saosnois) et le seigneur Patrice de Sourches 8 (dont la famille avait fondé Tironneau). Une grande joie attendait Adam en 1213. Cette année-là, en effet, fut fondée, au diocèse de Chartres, une abbaye de 1. Cf. Hauréaü, loc. cit., p. 41. 2. Cf. Gall. Christ., t. XIV. col. 196. 3. Cf. Lettre LX1V. 4. Cf. v. g. Lettre» LVIII-LIX. 5. Cf. Lettre LXV. 6. Gall. Christ., t. XIV, col. 521 (éd. do 185Û). 7. Cf. Statuta Cap. Gen. Ord. Cisl., nnn. 1212. n·51658. 234 S. Sur Patrice de Sourches, cf. Ιλ château de Sourches et ses Seigneurs par le duc des Cars et l'abbé Ledru. 1887, p. 32-33. VIE D*ADAM DE PERSEIGXE 27 cisterciennes nommée « Les Clairets ». Or, la première abbesse des Clairets fut une certaine Agnès, jusqu’à présent connue seulement de nom, mais que les lettres d’Adam, en particu­ lier scs lettres inédites, nous découvrent quelque peu. 11 n’est aucun des correspondants d'Adam qui reçoive des lettres plus chargées d’effusions que ccttc Agnès ; personne dont Adam ait parlé avec plus de considération, et même d’admiration. Sans aucun doute elle lui était très chère. Il l’avait préparée, en la faisant monter dans la perfection reli­ gieuse, au rôle qui lui fut dévolu par la suite. Tout porte à croire qu’il ne fut pas étranger à sa désignation comme abbesse. La fondation des Clairets fut donc la grande joie de la vieillesse de l’Abbé de Perseignc; peut-être vit-il la béné­ diction de l’abbesse, qui eut lieu en 1220 ou 1221. Les der­ nières lettres à Agnès et le « Traité de l’amour mutuel », adressé aux religieuses des Clairets, nous montrent à l’évi­ dence tout le réconfort qu’il éprouvait à mener vers les som­ mets de l'amour mystique celles qui s’étaient, groupées autour d'Agnès, leur modèle. Une grande lumière se pro­ jette sur l’intérêt porté par Adam à la fondation des Clairets, comme sur le choix de la première abbesse, lorsque l’on consi­ dère que c’est à la générosité de Mathilde, veuve de Geoffroi, comte du Perche ’, et dirigée d’Adam, à la générosité aussi de son tils Thomas, qu’est due l’existence de cette abbaye de cisterciennes. En 1214, tandis que Philippe-Auguste assurait l’avenir de la France par la victoire de Bouvines, Innocent III, sur un plan plus large et plus élevé, travaillait à assurer l’avenir de l’Eglisc. Moins par l’écrasement des albigeois, qui en effet se produisit cette année-là, que par la préparation d’un concile général. Adam prit sa modeste part à cette prépara­ tion en écrivant au pape une lettre, qui montre à quel point il était dominé par l’idée de la sainteté du sacerdoce. Le concile eut lieu en 1215 et le pape mourut l’année d’après. Cette perte était pour Adam de celles qu’on ne peut combler ; Adam était lié à Innocent III par toute la belle époque de sa vie : confiance d’une part, généreuse collaboration de 1. Cf. Lettre XLIX. 28 INTRODUCTION l’autre, afîection mutuelle les avaient longuement unis. Le successeur, Honorius 111, confia sans doute aussi quelques missions à l’Abbé de Perseigne, mais rarement et de petite importance. Le temps de la gloire était passé. En 1217, Adam et l’abbé de Saint-Calais garantissent, de leur signature, l'authenticité d’une lettre qui intéresse au plus haut point l’histoire de la cathédrale du Mans. Bérengère, veuve de lîichard, avait bien voulu s’entremettre auprès de Philippe-Auguste pour obtenir l’autorisation, dé­ sirée par les chanoines, d’agrandir leur cathédrale en fai­ sant passer le chœur par-dessus le mur d’enceinte de la ville ; l’autorisation avait été accordée. Il est loisible à quiconque d’aller aujourd’hui vérifier que le chœur de la cathédrale passe bien par dessus la muraille du iv® siècle, laquelle entoure encore le « vieux ;· Mans, et d’admirer le chef-d’œuvre de tout premier plan qu’Adam ne devait jamais voir, mais dont il avait authentiqué la promesse l. Celui qui avait si souvent jugé les autres devait, un jour, être appelé lui-même devant un tribunal ; en 1218, le cha­ pitre général de Cîteaux remet aux trois abbés de la CourDieu (diocèse d’Orléans), de l’AumÔne (diocèse de Chartres, aujourd’hui Blois) et du Loroux (diocèse d’Angers), le soin d’enquêter sur le différend qui oppose Juhel de Mayenne et Adam de Perseigne, au sujet d’un dépôt ; les trois commis­ saires devront faire un rapport au prochain chapitre sur les dispositions qu’ils auront cru bon de prendre. On notera la déférence du chapitre à l’égard des plaideurs a. La dernière fois que le chapitre général eut à s’occuper d’Adam, ce fut — comme la première — pour lui infliger une légère puni­ tion 1 234; lui et l’abbé du Miroir (diocèse de Lyon, aujourd’hui Autun), coupables d’avoir — contrairement aux statuts de l’Ordre — admis des sépultures de séculiers dans leurs églises *, furent mis trois jours en coulpe légère, dont un au 1. Livre blanc du chapitre du Mans, p. 7, n’ 12 ab anno 1217 ad 1221. 2. Statuta Cap. Gen. Ord. C.ist., nnn. 1216, n’ 65. 3. Ibid., ann. 1219. ηΛ 20. 4. En effet, plusieurs membres de la famille des comtes du Perche repo­ saient à Perseigne. D'apres Γ/npcnfaire de Perseigne cité dans l'inlrod. du Carlul., p. ch à cx, · devant et à côté du grand autel sont douze tombeaux vie d’adam de perseigne 29 pain et à l’eau, et invités à transférer les corps en un lieu approprié. Nous n’avons plus ensuite de documents sur Adam de Perseigne. La Callia Christiana le fait mourir en 1221. II eut pour successeur le prieur de ΓAbbaye, Gautier, depuis long­ temps son homme de confiance, qu’une charte de 1222 cite explicitement comme abbé de Perseigne. La mort d'Adam de Perseigne fut obscure et simple, comme sa naissance ; né serf d’un grand de la terre, il mou­ rut serf du Seigneur des Seigneurs ; ce fut sans doute bien modestement à l'infirmerie de son abbaye de Perseigne, comme jadis sa mère au lazaret des Deux-Eaux. Affligé dans son corps, il fut soutenu par l’espérance de ce ciel qu’il s’efforça si souvent de faire désirer ù ses correspondants au cours de son existence de moine-apôtre. L’inventaire de Perseigne suppose qu’il fut inhumé « dans le chapitre «· de l’abbaye. « Quoi qu'il en soit, conclut-il, il décéda en odeur de sainteté environ l’an 1221. » des princes et princesses, fondateurs de cette abbaye....... Sept d'entre eux y étaient du temps d'Adam. 30 INTRODUCTION II. La correspondance. 1. Manuscrits et Éditions. A. Manuscrits du XIIIe siècle. 1) M = Montpellier, École de Médecine lat. 312. Scriptorium de Ctteaux. Ce manuscrit est ia principale source utilisée par Dom Mar­ tine. Il contient des sermons d’Adam et vingt-quatre lettres, dont une seule n’a pas été éditée par Dom Marlène. 2) D «=> Douai, Bibliothèque municipale 374. Abbaye de Marchiennes. C’est le meilleur témoin du texte ; cependant il ne semble pas avoir été utilisé par les éditeurs. Les vingt-neuf lettres, dont cinq inédites, qu’il contient sont placées sous le nom de « Maître Adam de Saint-Victor », mais clics peuvent être attribuées avec certitude à Adam de Perseignc. 3) T = Troyes, Bibliothèque municipale 757. Clair vaux. Sept lettres, dont la dernière incomplète. 4) N - Paris, B. N. lai. 10634. Sept lettres. Analysé par Hauréau, Notices et extraits de quelques manuscrits latins de la B. N., tome II, p. 10. 5) A = Paris, B. N. lat. 1998. Quatre lettres (à Osmond). 6) S Home, nus 115. Six lettres. Bibliothèque Victor-Emmanuel ms. Sessoria- 7) P = Padoue, Bibliothèque de l’Université lat. 1400. Fin XIIIe ou début xive siècle. La partie du manuscrit correspondant aux col. 129 ù 289 est perdue, mais la table des matières (inachevée) permet d'en connaître au moins partiellement le contenu. Aucune LA CORRESPONDANTE 31 des lettres mentionnées dans cette table n’est propre à P. Ce qui reste du manuscrit contient treize sermons, quatre lettres et deux fragments de lettres. Les manuscrits suivants ne contiennent qu’une seule lettre : 8) d = Douai, Bibliothèque municipale lat. 49, f. 174. 9) K = Bruxelles, Bibliothèque royale lat. 3169, f. 54-56”. Gembloux. 10) F = Paris, B. N. lat. 17282, f. 101M03C 11) C = Paris, B. N. lat. 2905, f. 125. .Manuscrit présentant, mêlés, des extraits de lettres et de sermons : 12) Z = Paris, Bibliothèque Mazarine 179. Chaîne biblique, donnant des extraits de différents auteurs, parmi lesquels Adam de Perscigne. Les quatre manuscrits suivants donnent les mêmes extraits que le ms. Paris Mazarine 179 : 13) Troyes, Bibliothèque municipale 1696. 14) Arras, Bibliothèque municipale 96. 15) Arras, Bibliothèque municipale 566. 16) Reims, Bibliothèque municipale 168. 17) Troyes, Bibliothèque municipale 1916. Excerptiones de passione Christi. Textes d’Adam en très petit nombre, parfois résumés, toujours très fragmentaires. B. Manuscrit du XIVe siècle. 18) B = Besançon, Bibliothèque municipale 188. Première moitié du xive siècle. Manuscrit assez médiocre, rempli de fautes matérielles, mais qui fournit deux textes inédits : une lettre, et un traité De mutuo amore. C. Manuscrits du XVe siècle. 19) t = Troyes, Bibliothèque municipale 987. Clairvaux. 32 INTRODUCTIO* Manuscrit tres important, malgré sa date tardive. Il ren­ ferme trente-quatre lettres, dont vingt-neuf inédites. 20) B = Reims 580. Chapitre cathédral de Reims. Vingt-trois lettres, dont trois inédites. 21) G = Bruxelles, Bibliothèque royale 1197, f. 150-162’J Chartreuse Sainte-Marie d*Angie. Trois lettres. 22) 7/ Bruxelles, Bibliothèque royale 314·"». P· 629-632. Une lettre. D. Éditions imprimées. 1) Dom Martène, Thésaurus nouas anecdotorum, Paris, 1717, t. I, p. 669-761. Vingt-trois lettres, d’après Montpellier 312, et, pour la lettre XVI (lettre 22 de la présente édition), ex. ms. B. Mariae de Misericordia Dei et Clarevallensi. Ce manuscrit de la Mercy-Dieu n’a pu être retrouvé. 2) Dom Maktène, Amplissima collectio, Paris, 1724, t. I, col. 1014-1025. Ajoute à la collection précédente une lettre tirée d'un manuscrit inconnu de Saint-Vaast (lettre 13 de la présente édition), et une autre empruntée à un manuscrit de Marchiennes, qui pourrait être le ms. Douai 374 (lettre 30). 3) Baluze, Miscellanea novo ordine digesta... opera ac studio J. D. Mansi, Lucqucs, 1761, t. Il, col. 236-240. Cinq lettres, différentes de celles de la collection Martène, d’après B. A’, lut. 1998 et 2905. 4) Migne, P. L., t. CCXI, col. 583-694. Trente lettres, empruntées à Marlène et à Baluze. 5) Tilmann, Allegoriae simul et tropologiae in locos utriusque Testamenti selectiores, Paris, 1550. Nouvelle édition augmentée par Tilmann d’un ouvrage publié à Paris chez Josse Bade en 1502, reproduisant les extraits contenus dans le ms. Paris Mazarine 179. LA CORRESPONDANCE 33 6) Dominique Mathieu, Une lettre inédite d’Adam de Per­ seigne, dans Collectanea O. C. P., III (1936), p. 200-203. Lettre 39 de la présente édition. 7) J. Bouvet, Correspondance d’Adam, Abbé de Perseigne (1188-1221), dans Archives Historiques du Maine, t. XIII, Le Mans, 1951 et ss. Huit fascicules parus; la collection complète doit com­ prendre dix fascicules. 2. Chronologie. Dans le cours des trente-trois années fi110 dura l’abbatial d’Adam de Perseigne, les lettres qui nous ont été conservées se répartissent de manière inégale. Une période creuse, entre 1202 et 1209, sépare assez nettement en deux séries diffé­ rentes l'ensemble des lettres. La grande majorité des lettres de la première période étant représentées par un ensemble de manuscrits, tandis que presque toutes celles de la seconde série se trouvent dans un seul, nous sommes fondés à appeler « classique « la première série, et <> récentes » les lettres de la seconde. Cette dernière appellation se justifie du fait que toutes les lettres qu’elle recouvre sont inédites, en même temps qu’elles sont postérieures à celles de la première série. On compte trente-deux lettres de la série « classique » et trente-quatre de l’époque « récente ». Il semble que dans chaque série les lettres se groupent autour d’une année cen­ trale qui, pour la première, serait 1198, et pour la seconde 1215. Γ eS Quelques lettres sont communes aux apports entre nianuscrits (|es deux séries. Les mss les deux series. _ . . ... . ... Douai 374, Padoue 1400, Montpellier 312 et Reims 580 ont des lettres de l’époque «récente». Par ailleurs le ms. Troyes 987, d’où est tirée la quasi-totalité des lettres récentes, possède aussi cinq lettres de la série classique. On notera enfin que les cinq lettres à Osmond, placées par Migne en tête de son édition, ne figurent pas Lettres. I. 3 34 INTRODUCTION 35 LA CORRESPONDANCE 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13. 14. 15. 16. 17. 18. 19. 20. 21. 22. 23. 24. 25. 26. 27. 28. 29. 30. 31. 32. Guillaume d’Ély................. André, chan. de Tours ... Abbé de Turpenay............. Vierge Marguerite.............. Osmond, moine de Mortemer.... . ....................... Id......................................... Id......................................... Id......................................... Id......................................... (Sur saint .Martin).............. Eudes, chantre de Bourges. Un ami (l’évêque du Mans·). Eudes, évêque de Paris .... B., chanoine de Paris.......... Comtesse du Perche.......... Nicolas, jeune moine......... G., moine de Pontigny....... Ses Frères ( = deux moines). Un ami (moine)................... Étienne, prieur de Portes .. Simon de Savigny............... Vierge Agnès...................... Id......................................... André de Vitré.................... Ph., son ami........................ Philippe de Balon.............. (Sur les Juifs)...................... J., archidiacre de Bellêmc.· Comtesse de Chartres......... Blanche,cMe de Champagne. Guillaume du Perche...... Abbé de la Vernusse........... DATE v. v. v. v. 1190 1190(?) 1190 1190 1190/1196 Id. Id. Id. Id. 1194/1206 1196 1197 (?) 1198 v. 1199 1191/1202 1197/1199 Id. Id. Id. Id. Id. Id. Id. Id. Id. Id. 1198 (?) 1199 (?) apr. 1190 apr. 1201 apr. 1201 1197/1205 XIII XVII XVI XII I II III IV V XIX I VIII III IX V XII XIII II XVI XXII XIV XVII XVIII XV XXIII XXI IV XX »n Cl O CS > c X a Vi I XI X VI so ■o azm va DESTINATAIRE M ARTÈNE 1 7 1 7 TABLEAU.rIE classique. a es o a O •Λ X' CS K CO O 30 Cl co d Z c. X a O X »Q 3 Z X e a s + + i +J 4- 4- 4· 4- CO z □ £ 4- I II III IV V XXV vu _ xiv I VI IX XV J XI XVIII xix 1 VIII ] 4- 44- 4- 4· 4- XXV II XX 4ΧΧΙΠ xxiv 4XXI XXIX 4XXVII 44- 44- Les lettres mentionnées dans la table des matières du oue 1400, mais dont le texte ne ligure plus dans ce manuscrit (cf. supra, p. 21), ont été indiquées entre crochets : [ -·]. x s 36 INTRODUCTION TABLEAU II SÉRIE RÉCENTE. DESTINATAIRE 33. Hervé, abbé de Tiron............... 1201.'1209 34. Robert, archevêque de Rouen . 1208,.'1210 35. Official de Rouen..................... v. 1210 36. Hugues de M., év. de Coutances. 1208/1214 37. O., moine de Sécs...................... V. 1210 38. Trésorier de la cath. de Rouen. . v. 1210 39. Philippe, moine du Loroux .... v. 1210 40. Guillaume, moine du Loroux. .. v. 1210 41. Un moine du Loroux................. v. 1210 42. GeofTroi de L.,abbé deChaloché. v. 1210 43. R., moine du Loroux................. v. 1210 44. Vierge Agnès.............................. v. 1210 45. Vierge Agnès.............................. v. 1210 46. Vierges consacrées..................... v. 1213 47. Vierge Agnès............................ v. 1213 48. Chevecier de l’Église de Chartres. v. 1213 1214 49. Pape Innocent 111.................... 50. Un chevalier............................. v. 1215 51. Évêque du Mans........................ v. 1216 52. Id................................................ v. 1216 53. Id................................................ v. 1216 1218 54. Hamelin, évêque du Mans......... 1218 55. Guillaume du Perche................ 1218 56. Jean, abbé «le la Coulure........... 1218 57. Abbé de Tironncau.................... 58. Un prêtre de Chartres................ 1218/1221 59. Païen, doyen de S.-André de Id. Chartres.................................. Id. 60. Id................................................ Id. 61. Id................................................ 62. Barthélémy, doyen de la cathé­ Id. drale de Chartres.................... Id. 63. Id................................................ Id. 64. Robert de Courçon..................... Id. 65. Conrad, abbé de Cîteaux........... Id. 66. Sous-prieur de Saint-Satur....... 8 30 31 32 33 34 40 41 42 43 44 57 58 59 60 15 17 66 4 5 6 7 65 2 3 9 10 11 12 13 14 18 19 20 + + + + + + + 4+ LA CORRESPONDANCE 37 dans les manuscrits qui possèdent l’ensemble de la série clas­ sique. Elles proviennent d’additions aux deux mss Paris B. X. lut. 1998 et 2905. Deux d’entre elles se trouvent aussi dans le ms. Troyes 987, source de la collection récente. Les cinq ont été recueillies par Baluze dans les diverses éditions de ses Miscellanea. Dom Martène, dans la table qui Essai de classement ouvre son Thesaurus novus anecdochronologique. torum, date des années 1197-1199 les vingt-trois lettres d’Adam qu’il présente. Ce renseigne­ ment est vérifiable pour la plupart des lettres de la série. Baluze place les cinq lettres qu’il édite dans scs Miscellanea, entre des lettres datées par lui de 1196 d’une part, et 1221 d’antre part. Dom Ceillier essaie également de dater quelques lettres dans son Histoire générale des Auteurs sacrés et ecclé­ siastiques, t. XIV, ch. LXXVIII, p. 881-886. La conclusion d’ensemble de l’étude chronologique de la correspondance est qu’une demi-douzaine seulement de lettres peuvent être datées avec précision et certitude ; mais pour toutes, on peut arriver à une approximation intéres­ sante. La marge d’hésitation se tient souvent entre deux cl cinq années. Les tableaux ci-contre fourniront pour chaque lettre une date, tantôt ferme, tantôt approximative, suivant qu’il a été possible de serrer plus ou moins la chro­ nologie. 3. Adam de Perseigne épistolier. La biographie d’Adam nous l’a montré comme un person­ nage officiel, chargé en mainte occasion de missions impor­ tantes. Sa correspondance ne renferme que de rares allusions à ces fonctions extra-abbatiales. Les lettres parvenues jus­ qu’à nous elles sont loin de représenter l’ensemble de la correspondance — nous montrent l'Abbé de Perseigne dans un rôle tout différent. Il fut, pour quelques cercles pieux et instruits, dans le siècle comme dans le cloître, le conseiller recherché et l’écrivain goûté ès choses spirituelles. Le centre 38 INTRODUCTION de ccs cercles concentriques, qui allèrent s’élargissant avec les années, fut et resta la Maison de Champagne. Que contient donc cette correspon­ Contenu de la dance ? Ce que pouvait inspirer à l’écri­ correspondance. vain le seul but qu’il poursuivait : servir l’Églisc. Quand il saisit la plume pour conseiller les âmes délicates ou pour mettre les pécheurs en demeure de changer de vie, ou encore pour rappeler aux évêques leurs devoirs essentiels, même lorsqu'il fait simplement valoir les droits de Perseigne calomniée ou pillée, c’est toujours l’Église qu’il entend défendre, étendre, perfectionner. Sans doute donne-t-il parfois l'impression de chercher à plaire : ce n'est que par scrupule de clerc formé dès l’enfance au bien écrire, qu'on ne se séparait pas alors de certaines exigences aca­ démiques. L’objet le plus habituel de la correspondance d'Adam est la vie spirituelle. Rarement elle donne naissance à des trai­ tés et, en tout cas, jamais à des écrits systématiques, rigou­ reusement conçus, soucieux de ne pas empiéter sur ce que nous appellerions aujourd'hui une discipline voisine. Écri­ ture sainte, dogme, morale, réflexion personnelle, travaillent dans la plus inextricable intimité à l'élaboration de la pen­ sée. Aucune de ces sources d’inspiration ne semble souf­ frir de mêler ses eaux à celles de ses voisines : l’ensemble au contraire revêt un charme inconnu aux traités didactiques, tout en demeurant solide et parfaitement clair. I.c même procédé de recours simultané à toutes les branches du divin savoir en leur expression affective se retrouve dans les lettres de conseil et d’amitié. Plus soucieux d’intéresser que de réussir une composition scolaire, Adam se permet de brusquer sa conclusion s’il est pressé ou si son effort est arrivé à son terme. Mais dans l’état où il la laisse, sa lettre contient toujours une substance suffisante pour apporter un profit au destinataire. Avant toute autre source, Adam puise es sources. (lans pgcrjjurc sa|ntc ct dans |a liturgie. Contrairement à l’affirmation répétée par plusieurs auteurs, 1.Λ CORRESPONDANCE 39 il n'a pas fait de commentaire particulier de la Bible. Il la commente sans cesse, à tout propos, comme les vieux écri­ vains chrétiens, et spécialement monastiques. 1! aime la retrouver et la méditer dans le cadre de la liturgie, surtout s’il s’agit des mystères de l’enfance cl de la passion du Christ. Elle est présente A tous ses festins mystiques, comme aux repas des hommes le pain et le vin. 11 n’a point à l’aller cher­ cher en quelque obscure cachette des palais de la mémoire, pas plus qu’il n'a besoin de redonner vie à la liturgie. Comme le psalmisle, il pourrait dire de sa spontanéité à citer la parole sainte : Eructavit cor meurn ver bum bonum. Quant à l’aisance avec laquelle il aborde les mystères de la liturgie, elle vient de celle foi profonde, aujourd’hui, grâce à Dieu, en train de renaître, que les mystères chrétiens sont des réa­ lités actuelles et actives de l’Église des vivants. Il suffît de ne pas se soustraire à l’action de l’Esprit-Saint. Un spécialiste de la patristique découvrirait sans peine quels Pères de l’Église ont inspiré Adam. Au premier rang s’avanceraient sans doute saint Augustin, son contemporain Cassien, et saint Grégoire le Grand. La Règle de saint Benoît aurait sa place, ainsi que saint Bernard, Guillaume de SaintThierry, Aelrcd de Rievaulx. Il est plus difficile de démêler dans quelle mesure Adam dépend de scs contemporains. Entcndit-il, à une certaine époque de sa vie, les enseignements de Pierre le Chantre ? Du moins connaissait-il l’œuvre de ce maître pour lequel il a exprimé sa profonde admiration. Les idées d’Adam sur la psychologie, certaines habitudes de langage, font penser qu'ancien chanoine régulier, il s’était formé au contact des grandes œuvres des Victorins. Le vocabulaire et la grammaire de la correspondance, non plus que le plan des lettres, ne suffiraient sans doute à les faire reconnaître parmi d’autres de la même époque. Il en va autrement de leur style. Tributaire de l’Écriturc sainte et des Pères de l’Église, il est naturel qu’Adam ait employé leur vocabulaire. Suivant la tradition de son époque, il recourt aux mots créés au cours des siècles par les écrivains chrétiens, ainsi qu’aux acceptions La langue et le style. 40 INTRODUCTION nouvelles données par eux à beaucoup de termes classiques. Il n’en reste pas moins vrai que, formé au latin sur les bons auteurs de l'antiquité, il respecte leur grammaire. Sa syn­ taxe use cependant de quelques-unes des libertés prises par le Moyen Age, comme de laisser à l’indicatif les propositions relatives de valeur circonstancielle. Son goût pour les éty­ mologies mérite d’être signalé. Tantôt exactes, tantôt ris­ quées — peut-être Adam avait-il lu Isidore de Séville — elles témoignent d’un désir de recherche, mais surtout elles sont employées à introduire quelque explication, ou à l’étayer. Les métaphores tirées de l’Écriture, et à ce titre considé­ rées par l’homme du Moyen Age comme sacrées, nous appa­ raissent parfois audacieuses ; Adam n’hésite pas à les déve­ lopper, à les « filer », assez longtemps pour nous les rendre, ici ou là, un peu pénibles. Sans doute voit-il en ce procédé une certaine virtuosité, fort appréciée de ses contempo­ rains. Le goût du temps explique également l’usage un peu abusif des anaphores, des « échelles », des jeux de mots, ou des présentations pédagogiques basées sur une arithmétique nécessairement raide et assez arbitraire. En quelques en­ droits, on soutire aussi d'une certaine propension à établir des proportions (non seulement, mais encore...) entre les idées émises, et à multiplier les suites de mots abstraits. Il est vrai qu’il est bien difficile de toucher les mystères de la religion ou la réflexion philosophique en employant exclusi­ vement un style concret. Beaucoup de lettres peuvent se ramener à un plan iden­ tique. Après une salutation, faite d’un pieux et aimable souhait suggéré par le nom du destinataire, ou celui de son abbaye, ou encore par le sujet qui va être abordé, Adam s’excuse d’oser, lui pauvre ignorant, se lancer dans une étude qui le dépasse : le destinataire, par son insistance, porte la responsabilité de cette imprudence. Le protocole étant sauf, Adam s’exécute sans discuter davantage. Il lui arrivera de recourir, outre les sources déjà mention­ nées, à ses propres sermons. Il en détache des passages, même assez longs, qu’il introduit à la bonne place dans son développement. Parfois une sorte de mise en scène vient piquer la curiosité du lecteur et encourager son attention au LA CORRESPONDANCE •11 moment d’aborder un sujet austère (voir par exemple la lettre 32 sur la pénitence). Quand la lettre est exceptionnel­ lement longue, Adam s’accorde le loisir de respirer et par là même de reposer son lecteur. Il marque la pose en termes très explicites, d’une simplicité souriante. Puis il repart, avec un nouveau courage. Il arrive qu’on le sente pressé par le temps : alors il abrège, il suggère sans développer ; finalement il s’excuse d’avoir composé une œuvre si impar­ faite. Même s’il convenait de cette imperfection, le lecteur avait lieu de s’estimer satisfait : il avait en main des conseils sûrs, appuyés sur la plus orthodoxe des doctrines, qu'il se faisait une joie de transmettre aux amis impatients d’en profiter. Sauf en de rares passages où le texte apparaît schématique (ainsi quelques alinéas de la longue lettre 34 à l’archevêque de Rouen), les écrits d’Adam ne rappellent jamais la séche­ resse d’un manuel scolaire. Il n’est ni ne veut être un savant. Il préfère n’êtrc qu’un homme. La communication de ses connaissances demeure toujours un épanchement, une sorte de douce confidence. Il est impossible d’entrer dans la par­ ticipation de ce qu’il sait sans apprendre du même coup ce qu’il en ressent. Ce n’est pas le moindre charme de ses lettres. Elles révèlent un homme doué d’une exceptionnelle faculté de sympathie. Jamais Adam n’est intemporel, abs­ trait, pédant, ni même longuement spéculatif. 11 a besoin de contact avec le vivant : Dieu, l’humanité, les classes sociales, ou telle personne, ou tel groupe auquel il s’adresse. Il aime s’adresser à une âme en marche, il a la passion de la guider vers la plénitude de sa destinée. Et donc, lors même que la lettre s’attache, à la demande du destinataire, à étudier un sujet général, qui de ce fait pourrait demeurer tout à fait étranger à la personnalité des deux correspon­ dants, elle demeure une vraie lettre. La formation classique d’Adam l’a certainement aidé à discipliner sa pensée : il suffit de comparer à son œuvre en latin son œuvre en langage roman. Peut-être cependant la romana severitas nous a-t-elle privés d’une expression plus fraîche et plus simple de pensées et de sentiments qui n’étaient pas, eux, dépourvus de spontanéité. Du moins, à 1 42 INTRODUCTION l’intérieur même de cette rhétorique, Adam trouve-t-il le moyen de garder sa sincérité. Les « mouvements oratoires », pour conformes qu’ils soient aux lois du discours éloquent, viennent ordinairement assez à point pour sembler vraiment naturels. I.a nécessité de demeurer object if et le besoin d’épan­ cher ses impressions déterminent chez l’écrivain une tension grandissante. Celle-ci se résout, suivant les cas, en satire ou en invective, en élégie ou en contemplation attendrie. A travers l’écorce des idées, la sève des facultés affectives jaillit impérieusement. C’est alors qu’Adam, étant le plus lui-même, est aussi le plus émouvant. Malgré les défauts qu’il partage avec son époque, Adam demeure donc un très bon écrivain : clair, maître de son expression, plein de ressources, et, quand la passion s’empare de lui, vigoureux et original. Sa probité n’apparaît jamais en defaut, car, s’il recourt à quelque source sans la citer, il se contente presque toujours de s’en inspirer librement. 11 n’a l’habitude de citer littéralement que lui-même, ou des textes si connus qu’on en retrouve aisément l’auteur. Autant que de sa vie, les traits domi­ nants de la personnalité d’Adam de Pcrseigne se dégagent de sa correspon­ dance. Impétueux et raisonnable, exi­ geant et dévoué, psychologue et homme d’action, Adam aurait pu se laisser entraîner par l’une ou l’autre de ces tendances opposées. Son bel équilibre le préservait des outrances. Malgré la lutte permanente qu’il soutient contre les vices du siècle, il ne perd point confiance dans les hommes. Il entre dans la vie monastique sans s’y enfermer ; s’il sou­ pire après la solitude, il n’afllche cependant aucune préoccu­ pation de ne pas laisser sur terre de trace de son passage. Honorant au contraire en lui-même tous les dons de Dieu, y compris la sociabilité, il a accepté d’être aimé de ses contemporains, et il leur a rendu leur affection. On comptait sur lui, non pas seulement en raison de sa compétence ou de ses relations, mais parce qu’il était bon. Ceci explique la variété des services qu’il a rendus, aussi bien à des pauvres sans feu ni lieu qu’au chef suprême de l’Église, en La personnalité d’Adam de Perseignc. LA CORRESPONDANCE 43 passant par toute la gamme des clercs et des laïcs. Humble sans être pusillanime, il ne se dérobait qu’en cas de véri­ table impossibilité. Il servit jusqu’au bout, dans la con­ viction qu'il remplissait, sous la garantie de l’obéissance ou de la vérité, de véritables missions de par Dieu. Adam fut un ami fidèle et délicat, mais jamais il ne se compromit avec le mal. Décidé à obtenir d’un ami rebelle à la grâce un changement de vie, il jette son amitié dans la balance : elle ne subsistera que si le bien l’emporte. Il pense que l’on fait de lui assez de cas pour ne pas renoncer sans réfléchir au bienfait de son amitié. Cette attitude à l’égard de puissants de la terre, comme le chancelier d’Angleterre ou l’évêque de Paris, ne va pas sans grandeur. Seul pouvait sc la permettre un homme jouissant d’un prestige indiscuté. Adam de Perseignc avait l’âme d’un contemplatif, d'un missionnaire et d’un prophète. Moine, il cherche Dieu, pour le connaître, l’aimer, le posséder. Il serait intéressant de poursuivre, à travers son œuvre, les diverses phases de cette quête, avec ses succès et ses difficultés. Mais, soucieux de transmettre au prochain ce que lui apprend sa contem­ plation, Adam n’aurait pas été satisfait s’il n’avait pu dis­ poser de la parole, parlée ou écrite. Voix de Dieu, sonore et péremptoire, il exhorte et il menace, il dit le ciel et l’enfer, l'Évangilc et le Royaume, et il les dit excellemment. A la charnière du xnc et du xin° siècle, Adam présente un bel exemple de ce que pouvaient être alors l’idéal cister­ cien et, osons le dire, l’humanisme cistercien : la joie suprême dans la contemplation, une science théologique solide, basée sur l’Écriture et sur la tradition, un sentiment impérieux d’etre envoyé au monde pour lui apprendre sa destinée véri­ table et les voies qui l'y conduiront, enfin au service du domi­ nant « désir de Dieu », un sincère « amour des lettres » l, sinon théorique, du moins pratique. Dans la pure tradition de son Père en Dieu saint Bernard, Adam, peut-être, n’aurait pas été un aussi grand moine s'il n'avait été pourvu de belles qualités humaines. Mais il est I. Cf. Dom Jean Leclercq. L'amour des lettres et le disir de Dieu, Initia tion aux auteurs monastiques du moyen âge, Paris, 1957. 44 INTRODUCTION évident que son idéal cistercien, généreusement vécu, a contribué à faire de lui un grand homme. 4. Note sur la présente édition. Il ne sera possible de présenter une édition critique des lettres d’Adam de Pcrseignc que lorsque les difficiles pro­ blèmes que posent l’histoire du texte et la constitution des recueils auront reçu une solution. L’étude de l'histoire du texte . Andrcac : B. M om.T || c. com­ mendata. Prae M 1. D'aprtx les deux manuscrits de Douai, lo destinataire de cotte lettre serait « Maître André ». Scion Dom Ceillier, Histoire yinérale des Auteurs sacrés, t. XIV, p. 881, Il y avait ù Tours vers 1173 un archidiacre nommé André. Cet archidiacre correxpnnduit avec GcoiTroy, sous-prlcur de Sainte* II A ANDRÉ, CHANOINE DE TOURS Le Magnificat. 9. A son ami, Maître André, chanoine de Tours *, frère Adam, la charité venant d’un cœur pur *. Je me disposais bien à obéir aux injonctions de votre amitié, mais me voyant tout à fait inférieur à la tâche que vous m’imposez, je suis tenté de rejeter le fardeau que j’ai assumé : mes modestes moyens, en effet, ne cor­ respondent pas au sublime sujet que vous me proposez, et ma conscience, blessée par la brûlure du péché, n’en­ visage pas sans appréhension de traiter des louanges magnifiques de la magnifique Mère de Dieu. Mon âme, entraînée par le poids des pensées terrestres vers de très bas sujets, s’effraie d’une certaine magnificence majes­ tueuse que, malgré mes yeux malades, il me faut pour­ tant regarder en face chez la très excellente Mère de Dieu quand, saluée par l’ange, enceinte du Saint-Esprit, élevée sur la montagne de toutes les vertus, honorée des tressaillements de Jean-Baptiste encore à naître, louée par les paroles prophétiques d’Elisabeth, elle s’écrie, le cœur débordant d’une irrésistible exultation : « Mon âme magnifie le Seigneur 3 ! ». Aussi, j’éprouve une Barbe-en-Auge, qui le priait , 20-22 73 pas sans lumière, il ne trouve pas sans douceur, il ne jouit pas sans être comblé, et il ne finit pas. Parce que, la foi nous l'aUirme, il est suprême, ce bien n’est dépassé par rien, pas plus qu’au-dessous de lui il n’est rien qui puisse satisfaire. 21. Le bien suprême, en effet, c’est le Dieu Trinité : suprême par cette raison qu'il existe dc soi, suffit par soi. jouit d’une pleine puissance, possède toute sagesse et une inépuisable plénitude de bonté. Invincible est sa puissance, qui a donné l’existence à l'univers ; inconfusible sa sagesse, qui a donné aux êtres créés leur place et leur forme ; incorruptible sa bonté, qui, dans sa libre volonté, a fixé à chaque créature son degré d’utilité1. Connaître ce bien vous rend bon, l’aimer vous rend heu­ reux. et en persévérant dans son amour, vous trouverez la béatitude que donne sa jouissance. 22. Mais à la splendeur d’une telle grâce, aux délices d'une si grande gloire, l’âme s'élève par certains degrés, et en progressant, elle prend son vol vers les hauteurs. Le premier degré est de s’abstenir de toutes les choses défendues ; on atteint le second en les méprisant si bien qu’elles ne se présentent même plus à notre désir ; le troisième consiste â se déprendre, dans la mesure du possible, même des choses permises ; le quatrième est une persévérante et fervente observation des comman­ dements ; le cinquième est une diligente et perpétuelle vigilance de Pâme pour garder la pureté ; le sixième est la recherche des vertus et la faim dc progrès spirituel ; le septième est de choisir, parmi les vertus elles-mêmes, la poursuite des plus hautes grâces ; le huitième est l'humble et dévote action de grâces et la parole de louange pour les faveurs reçues ; on accède au neuvième quand le désir du bien suprême arrête tout le sensible au seuil du désir ; le dixième consiste à châtier sa mémoire et â chasser les imaginations corporelles, en sorte que l’acariâtre Bala n’aille pas affecter la douceur de Rachel la désirée 2. Il arrive en effet souvent au contemplatif, Quand Jésus eul douze ans (é. amico: amicum M || c. diversor: dotessorD 1. Ps. 118, 43. 2. Cf. Ps. 144, 7. LETTRE HI, 22-23 75 tout désireux de la beauté de Rachel, c’est-à-dire de la pureté de la contemplation, que Bala, servante de Rachel, c’est-à-dire l’imagination matérielle, se glisse à contre­ temps dans les désirs de ce Jacob. Du reste, pour finir, Jacob étreint Rachel, et Assuérus, défaillant d’amour, épouse la belle Esther. Une fois montés ces degrés, l’âme, parvenue à la consommation d’une pureté aussi décantée que le permet la condition mortelle, se liquéfie en éprouvant une merveilleuse suavité ; elle pousse alors ce cri : « Ma vie défaille en mon Sauveur, et votre parole me donne plus qu’espoir b» Rappelant l’expérience de cette débordante félicité s, elle éclate en louanges, elle crie son admiration : « Qu’elle est grande, Seigneur, l'abondance de votre douceur, celle que vous avez réservée à ceux qui vous craignent ’. » 23. Je vous en prie, très cher, si l’impulsion de l’EspritSaint vous fait un jour parvenir à ce point, n’allez pas, au milieu de pareilles délices, négliger le souvenir de votre ami. Oui, souvenez-vous de moi quand il vous arrivera du bien ·. Sans aller jusqu’à introduire un convive privé de la robe nuptiale 5, n’ayez pas honte de demander pour votre ami au moins le pardon de scs péchés. Je suis en effet le plus malheureux des hommes, moi dont la témé­ raire audace disserte sur de si hauts sujets, tandis que je ne sais pas mériter d’atteindre même le premier degré. Je séjourne, hélas, tout entier dans la désobéissance : car en commettant si souvent ce qui est défendu, j’ai mérité que les choses permises elles-mêmes me soient, à moi, interdites. Comment osé-je bien parler de sujets célestes et disserter de la nature et de la gloire du sou­ verain bien, alors que l’amas de mes misères m’étouffe et me sépare presque de tout bien ? En quoi convient-il à un miserable de s’occuper de ce qui a trait à la béati­ tude ? A un vicieux de disserter des vertus ? A quel­ qu’un qui s’écroule à terre, d’enseigner ce qui est d’en haut ? Hélas ! de quel front un homme misérable et 3. Ps. 30, 20. 4. G*n., 40, 14. 5. Cf. Mt„ 22. 11-12. 76 ADAM DE PERSEIGNE miser cl moriens, pauper atque ignobilis, iacens in ster­ quilinio criminum, qua fronte de sanci itate proloquitur et peroral ? Novo praesumendi genere dc studiis sapientiae philosophatur insipiens, ct inexpertus non confunditur quae non didicit edocere. Factus sum quidem insipiens, sed amor tuus me compulit, cl mea sponsio cui tenebar. Si excessi, da veniam, quia in magnis ct in mirabilibus super se meae parvitatis tenuitas ambulavit. Amodo mihi utendum est voce mediocri, et de his potius quae ad curam vulnerum perlinent, sermo fiat. 24. Igitur cum infirmis oculis sil caelestium splendor difficilis, ad columnam nubis et caliginis lippientes oculos reflectamus. Columna sane nubis et caliginis est firma sublimitas nostrae Virginis, ex qua quamdam1 sibi caliginem claritas deitatis obduxit. Dum enim Verbi omnipotentis splendor per conceptum Virginis obvol­ vitur nube carnis, quid aliud fuit in illa carne peccati similitudo nisi quaedam in nube caligo ? Nubes, inquit, et caligo in circuitu eius ; quia Verbi splendor et puris­ simae carnis nube est obvolutus, et in eadem carne est infirmitate circumdatus. Sed in columnam quam prae­ misimus intendamus. 25. Attendamus quam firma, quam recta est, quam erecta. Attendamus, inquam, quam firma, quam fortis, quam recta, quam lenis, quam porrecta est, quam su­ blimis. Quam firma est cui et caelum et terra innititur. Quam fortis est quae contra universas hacreses et spiri­ tales nequitias invincibiliter proeliatur. Quam recta est quae peccati maculam nescit. Quam lenis est quae nul­ lam duplicitatis rugam admittit’. Quam erecta est quae meritorum altitudine omnem creaturam transcendit. n. qumndwn : quidem Af l| b. quam recta est... n»gam admittit: quam fortis, qumn recta. quam porrecta est. quam snlilimi». quam firma est cui caelum ut terra Innititur : quam recta quae peccati maculam nescit : quam levis est quae nullam duplicitatis fugam admittit Af LETTRE III, 23-25 , 1 ■ 77 mourant, pauvre ct méprisable, gisant sur le fumier de ses crimes, peut-il prendre la parole et tenir des discours sur la sainteté ? Nouveau genre de présomption : un insensé s’en va tenir des raisons sur l’étude de la sagesse, ct un homme sans expérience n’a pas honte d'enseigner ce qu’il n’a pas appris. Oui, je suis devenu insensé, mais c’est votre amitié qui m’y a contraint », et ma promesse par laquelle j’étais tenu. Si j’ai dépassé les bornes, par­ donnez à mon insignifiance cl à ma médiocrité d’avoir pris un chemin trop élevé pour elle, par merveilles et grandeurs 12. H me faut désormais baisser le Ion et parler plutôt de ce qui touche la guérison des blessures. 24. Donc, puisque la splendeur des objets célestc.blesse les vues faibles, détournons nos yeux malades vers la colonne de nuée ct d’obscurité 3. La colonne de nuée obscure, c’est bien la ferme élévation de noire Vierge, de qui la divine lumière se fit comme un voile de nuée. Tandis en effet que, par la conception de la Vierge, la splendeur du Verbe tout-puissant s’enveloppe du nuage de la chair, que fut en cette sainte chair la ressemblance du péché 4, sinon comme l’obscurité dans le nuage ? «Nuage, dit l’Écriture, et obscurité l’entourent5», parce que la splendeur du Verbe fut à la fois enveloppée du nuage d’une chair très pure, et, dans cette même chair, cernée de faiblesse. Mais jetons un regard sur cette colonne dont nous avons parlé tout à l’heure. 25. Remarquons combien clic est solide, droite, élevée ; remarquons, dis-je, combien clic csl solide, forte, droite, polie, élancée, élevée. Combien solide celle sur qui s’ap­ puient le ciel et la terre ; combien forte celle qui combat sans défaite toutes les hérésies ct les fourberies des esprits (mauvais) ; combien droite celle qui ignore la tache du péché ; Combien polie celle qui ne présente pas une strie de duplicité ; combien élancée celle qui, par l'élévation de ses mérites, dépasse toute créature ; combien élevée 1. 2. 3. 4. 5. Cf. Cf. Cf. Cf. !»$. 2 Cor.. 12. IL Ps. 130. 1. EX., 13. 2t. Roin., «, 3. UC, 2. 78 ADAM DK PERSEIGNE Quam sublimis est quam Altissimi Filius in dignissimam sibi matrem ab aeterno praevidit. Quam felix est quae Dei est et mater et sponsa, porta caeli, amoenitas para­ disi, angelorum domina, regina mundi, sanctorum lae­ titia, advocata credentium, fortitudo pugnantium, er­ rantium revocatio, poenitentiam medicina. 0 certa salus ! o compendium vitae ! o spes veniae unica ! o sua­ vitas singularis! Mihi totum" es, Domina. Penes te bonorum omnium est mihi reposita plenitudo. Recon­ diti sunt apud te thesauri indeficientes veritatis et gratiae, pacis ct misericordiae, salutis et sapientiae, gloriae et honoris. Tu mihi es in fluctuatione anchora, in naufragio b portus, in tribulatione subsidium, consolatio in dolore. Tu luis e es in oppressione subventio, in opportunitate auxilium, in prosperitate moderantia, in exspectatione laetitia, recreatio in labore. Quidquid de laudibus luis garrire possum, tua est laude minus, omni laude dignis­ sima. Sed tamen teneor te laudare. 26. Si linguis hominum ct angelorum te eloquar, cum me totum effudero, parum erit. Ad illam potius tui laudem me transfero, quae in amoris carmine sic can­ tatur : Quae est ista quae progreditur quasi aurora con­ surgens, pulchra ut luna, electa ut sol, terribilis ut cas­ trorum acies ordinata ? His verbis breviter ct subti­ liter, veraciter ct sublimiter, laus exprimitur tuae gloriae quadriformis. Cum enim nasceris, quasi rutilans aurora consurgis. Ortus nimirum tuus vicem aurorae tenuit, in quo dies gratiae coepit; nox vero infidelitatis ct ignorantiae finem fecit. Cum Solem iustitiae concipis, more lunae etiam fulgentis solis beneficio illustraris. Luna enim a sole lumen mutuat quod ei natura spis- DGMS[lrag.]T a. totum : tota M || b. naufragio '· navigio T |! c. tuis om- M lettre ni, 25-26 79 celle que le Fils du Très-Haut, de toute éternité, a prévue pour être sa très digne Mère ; combien heureuse celle qui est la Mère et l’épouse de Dieu, la porte du ciel, le charme du paradis, la souveraine des anges, la reine du monde, la joie des saints, l’avocate des croyants, la iorce des combattants, le rappel des égarés, le remède des pénitents. O salut assuré, ô chemin abrégé de la vie, ô espérance unique du pardon, ô suavité singulière ! Vous m'êtes tout, o souveraine. Chez vous je trouve en dépôt la plénitude de tous les biens. Chez vous sont cachés d’inépuisables trésors de vérité et de grâce, de paix et de miséricorde, de salut ct de sagesse, de gloire ct d'honneur. Vous êtes mon ancre dans la tempête, mon port dans le naufrage, mon secours dans la tribu­ lation, ma consolation dans la douleur. Pour les vôtres, vous êtes le secours dans la persécution, l’assistance dans le besoin, la modération dans la prospérité, la joie dans l’attente, le repos dans la fatigue. Tous les mots que je puis accumuler pour vous louer resteront au-dessous de voire louange, ô très digne de toute louange. Et pour­ tant il faut que je vous loue. 26. Si j’employais à vous célébrer les langues des hommes et des anges *, quand j’aurais épuisé toutes mes ressources, ce serait encore bien peu. Je me tourne de préférence vers la belle louange que l’on trouve dans le cantique de l’amour : « Quelle est celle-ci qui s’avance, comme l’aurore à son lever, belle comme la lune, écla­ tante comme le soleil, terrible comme une armée rangée en bataille 1 2 ? » Avec brièveté et finesse, avec vérité et grandeur, ces paroles expriment la louange aux quatre formes de votre gloire. Λ votre naissance, en effet, vous vous levez comme une aurore rutilante. Car c’était bien une aurore que votre naissance, avec laquelle com­ mençait le jour de la grâce, prenait fin la nuit de l’infi­ délité ct de l’ignorance. Lorsque vous concevez le Soleil de justice, comme la lune, vous êtes éclairée par la bien­ faisante action du soleil. La lune emprunte en effet au 1. Cf. 1 Cor., 13. 1. 2. Cnnt.» 6. 9. 80 Λ 1>AM DE PE IIS EIGNE si oris corporis negat, unde quidquid habet pulchritu­ dinis, habet ex beneficio mutuati splendoris. Cum Solem iustitiae paris, soli congrua similitudine compararis. Sicut enim de prolato radio non corrumpitur aut mi­ nuitur solis corpus, sic te parientem non violat prolatio sacri partus. Et quid, o electa ut sol, quiri est partus tuus, nisi solis cuiusdam splendor aeternus ? Splendor hic ubique lucet etiam in tenebris, etsi tenebrae eum comprehendere non merentur. Denique splendor hic illuminat omnem hominem venientem in hunc mundum; sed homines magis tenebras dilexere quam lucem. libi autem, mater misericordiae, competit electio solis, quae splendoris aeterni radios exhibes universis. 27. Celerum cum de saeculo nequam assumpta es ad caelestia, facta es omni nequitiae spiritali terribilis quasi castrorum acies ordinata. Fuisti itaque quasi aurora con­ surgens in ortu, lunae plenae pulchritudinem habuisti dum gratia plena facta es tu in Verbi incarnati conceptu. Soli merito comparata cs manens illibata in partu, ter­ ribilis ut castrorum acies ordinata in transitu, quo caelis laetantibus, angelis obsequentibus, sanctis exsultan­ tibus, vexillis virtutum coruscantibus, terribilis daemo­ nibus apparuisti. 28. Igitur, carissime, lota est nobis fiducia in partu nos­ trae Virginis, et licet existant indignus, laudibus tamen eius insistere non desistam. Si indiges misericordia, apud viscera Virginis copiosior invenitur ; si veritatis cultor cs, age gratias Virgini, queniam de terra virgineae carnis Ve­ ritas orta est, quam tu colis. Si pacis sectator cs, nihilo1. Adam reprend ici mu· uiëtapimnc de saint Bernard. Hom. 11 super Mis­ sus est, 17 ; P. 183, 7(1 ('.. mais Je Jeu des allusions bibliques l'amène à substituer l'image du soleil Λ celle de l'étoile, l.'n peu plus loin cependant (n. 2S), dans un passage imite de la suite du mime texte de saint Bernard (■ Bespice stellam, voca Mariam... ■ ibitl, ; 70 D), le th me Mariu-stella maris apparaît. Sur l'emploi de ce thème par les auteurs médiévaux, cf. An­ dré Louf, Marie dans ta Parole, de Dieu selon S. Am&He G.\IS\lra0.]T a. inuni licentiam : magnificentiam T || b. plenitudine: pulchritudine I) || c. quia positus : ad hoc quod positus «juin repositus T 1. Cf. Phil., i, 7. 2. Cf. Ps. 84, 12. LETTRE Hl, 28-29 83 parce que d’elle naît pour vous la paix qui dépasse tout sentiment ’. Êtes-vous en quête dc justice, prenez garde d’être ingrat envers la Vierge que, par la médiation de son propre sein, la justice, du ciel, a regardée *. Si la poussée de l’ennemi a ébranlé votre foi, regardez la Vierge ; ct ce qui était vacillant devient d’une stabilité inébranlable. Si vous ressentez les attraits de la concu­ piscence de la chair, regardez la Vierge, ct votre chasteté cesse d’etre en péril. Si l’orgueil enfle votre esprit, tour­ nez vers la Vierge votre attention, et par le mérite de l’humilité de la Vierge sc dégonflera l’enflure de votre esprit. Si vous êtes enflammé par les torches de la colère, levez les yeux vers la Vierge, cl sa sérénité vous donnera la douceur. Si l’ignorance ou l’erreur vous a détourné du chemin de la vie, regardez vers la Vierge, l’étoile de la mer, et dans sa lumière vous serez ramené au sentier de la vérité. Si le vice de l’avarice vous a imposé son culte idolâtrique, rappelez-vous la munificence de la Vierge, ct avec l’amour de la pauvreté vous viendra la bonté qui rend généreux. Tout péril trouve secours dans la bonté de la Vierge, cl elle est puissante dans son secours. Rendez grâces à sa maternité : c’est de sa plé­ nitude qu’a découlé tout l’ensemble des faveurs divines. C'est pour nous que la Vierge a enfanté, nôtre est sa maternité ; c’est pour nous qu’un enfant est né, à nous qu’un fils a été donné. 29. Qu’il est agréable et innocent de partager les jeux de l’Enfant, dc se fixer près dc son berceau, de vagir avec lui! Oh! qu’elle est heureuse l’enfance qui mêle ses balbutiements à ceux d’un pareil enfant et s’enveloppe de ses langes ! Oui, par les langes dont s’enveloppe le Verbe enfant, les souillures de nos crimes sont lavées, par ses vagissements sont rachetés les gémissements éternels mérités par ceux qui ont fait fi de l’innocence. Les bandelettes dont il est attaché dans son berceau sont le lien de la sainte profession religieuse, cette institution qui nous « relie » (nous attache) au cloître. Le foin sur lequel on le couche et qu’il foule, représente la chair désormais soumise à l’esprit. Qu’cst-ce à dire qu’il a été déposé dans la crèche, sinon qu’il est placé sur l’autel 84 ADAM DE PEliSElGNE nisi quia animarum cibus positus est in altari ? Praesepium quippe illud altare exprimit, quod sacrosancto Christi corpore pia animalia pascit. Haec sunt quibus erga nos Dei amor ostenditur. Haec sunt quibus amor noster accenditur et nutritur. Horum consideratio timorem incutit, ad pietatem movet, erudit ad scien­ tiam, ad fortitudinem roborat, acuit ad consilium, illustrat ad intellectum, inflammat ad sapientiam, prae­ parat ad coronam. Ideo nimirum Verbum omnipotens se abbreviavit in parvulum, ut infantibus infans con­ grueret, et sc humilis humilibus coaptaret. 30, Tola inierim nostra sit philosophia de Verbi incar­ nati infantia, et. qui ex ea aliquatenus metimur erga nos amorem Dei, studeamus pro viribus ei ct fideliter reme­ tiri. Eamdem dicere mensuram non audeo, quia sicut bonitatis eius et sapientiae non est numerus, sic amor cius immensus est et aeternus. Et toto sc amat, qui totus essentialiter est amor, cui non est aliud amare quam esse. Quam differenter amant, amor et amans, affectus et alliciens, qui amor est et qui particeps est amoris ! Tota sc deitas effudit in hominem, totam sc anima exhibuit ad obedientiam, totum sc exposuit corpus ad mortem, mortem autem crucis. Sic toto se nos amavit Omni­ potens, cl parum est si totum quod sumus, si totum nostrum modicum rependamus. Nos pro illo mori nolu­ mus, et ipse pro nobisn maluit mori quam nostro deesset amori. 31. Sed praematurum est iam de morte parvuli agere, DGMS[lrag.]T a. pro nobis orn. GMT 1. L'expression VVrhuni abbrcoiatuin reviendra souvent sous la plume d’Adam, qui la doit 6 saint Bernard. Celui-ci l’a empruntée à Horn., 9, 2728. pour designer, au prix d’une accommodation hardie «le Verbe incarné ri/noindn', réduit â la condition huniidnc, se contractant pour assumer l’cxi- LETTRE III, 29-31 85 comme nourriture des âmes ? La crèche symbolise en elFcl l’autel, en ce qu’il offre aux animaux spirituels le corps sacro-saint du Christ pour les nourrir. Tels sont les signes par lesquels Dieu nous montre son amour à notre égard. Tels sont les signes auxquels s’enflamme et se nourrit notre amour. Leur contemplation inculque la crainte, elle excite à la piété, elle procure la science par ses enseignements, la force par ses encouragements, la prudence en affinant l’esprit, l’intelligence par sa lumière, la sagesse par ses feux ; elle prépare à la cou­ ronne. Et ce qui poussait le Verbe tout-puissant à s’a abréger 1 » jusqu’à devenir petit, enfant, c’était, le désir de pouvoir, enfant, convenir aux enfants, humble, s’accorder aux humbles. 30. Que toute notre philosophie s’attache donc pour l'instant à l’enfance du Verbe incarne : et puisqu’elle nous fait, en quelque sorte, mesurer l’amour de Dieu à notre égard, appliquons-nous à le lui rendre selon la mesure de nos forces et. avec fidélité, de n’ose pas dire dans la même mesure, puisque, comme sa bonté et sa sagesse n'ont pas de mesure, ainsi son amour est im­ mense et éternel. Celui qui tout entier et par essence est amour, pour qui « aimer» n’est pas autre chose qu’« exis­ ter », s’aime lui-même totalement. Qu’ils aiment diffé­ remment, ΓAmour cl l’amant, la Passion et celui qui se passionne, celui qui est ΓAmour et celui qui participe à l'amour ! Toute la divinité s’est déversée dans un homme, l’àme s’est tout entière présentée pour obéir, le corps s’est tout, entier livré à la mort, et à la mort de la croix. Ainsi, de tout lui-même, le Tout-Puissant nous a-t-il aimés, et si nous livrons en retour tout ce que nous sommes, toute notre indigence, c’est encore bien peu. Nous refusons, nous, de mourir pour lui quand luimême a choisi la mort plutôt que de manquer à son amour pour nous. 31. Mais il est prématuré de parler déjà de la mort de ce petit enfant, près du berceau de qui nous prenions à gulté de la nature criée » (V. Losskv. Éludes sur la Terminologie de saint Bernard, dans Bulletin du Cange, 17 11943], p. 70-96). 86 ADAM DE PERSEIGNE cuius paulo ante adiocabamus cunabulis, felici eius infantiae colludentes. Obsecro te adhuc revertamus ad cunas, adhuc infantizemus cum parvulo, nostrae nutri­ mentum infantiae de cius sorbitiunculis insumentes. Adiungamus nos sugenti ubera, si forte de praedulcis­ simo illo lacte nobis aliquid instilletur. Mihi crede, col­ lactaneis suis pectus matris non invidet, dat cis locum ut et ipsi inter ubera commorentur. Ubera illa de caelo plena sunt, indeficienti suavitate reficiunt, nec lacten­ tium multitudine vacuantur. Sed nec mater ipsa mi­ sericors se negare solet lactentibus, licet totam illi unico se conservet. O ubertas indeficiens ! 0 magna mul­ titudo dulcedinis, quam de visccrosac Virginis uberibus sugit esuries parvulorum ! Si vis, bonum est nos hic esse, bonum est nos hic immorari diutius, nusquam alibi melius interim possumus quam hic esse. Mira haec novitas solis nota parvulis, ut angelorum nutrix Sapientia lacte Virginis indigeat·* enutriri. Quid mirum si nostrae paupertas infantiae edulium lactis huius desideret, cum illo lacte se refici Dei Virtus et Sapientia gloriclur ? Isto quidem lacte matris esuries nostra pascitur, si ex pueri vagientis lacrymulis flammae inferi restinguuntur. In magnis proinde cordium agentes gaudia1· solemniis, auscultemus ipsos pastores quid referant de novie splen­ doribus Orientis. Orienti nosiro nec pastorum testi­ monia nec desunt praeconia angelorum : Testimonia tua, Domine, credibilia facta sunt nimis. Mirabilia tes­ timonia tua, Domine, ideo scrutata est ea anima mea. Quid teneri sanctius ? Quid sentiri suavius ? Quid saluDGMT a. Indigeat : indulgent D | b. gaudia om. GMT '| c. novi : novis GAf 1. Cf. Brcv. cist.. antienne .Vcsctcns Mater (infra oclnv. Nntlv. Domini, ad vesp.). Pour comprendre l'aisance cistercienne en ce jeu d'imagination, ins­ piré par l'Écrilurc sainte (v. g. Canl., I, 12) et la Liturgie, mais quo nous trou­ verions aujourd'hui peu discret, il faut se souvenir que la lactation mariale LETTRE III, 31 87 l’instant nos ébats, en partageant, les jeux de son heu­ reuse enfance. Je vous en prie revenons encore à son berceau, faisons encore les enfants avec ce petit, en par­ tageant, pour nourrir notre enfance, scs aliments légers. Joignons-nous h lui tandis qu’il suce la mamelle, pour voir si par hasard nous ne pourrions profiter de quelque goutte de ce lait si doux. Croyez-moi, il n’interdit pas jalousement à scs frères de lait la poitrine maternelle, il leur fait place pour qu’eux aussi demeurent entre ses mamelles. Ces mamelles sont remplies du ciel 1 et elles réconfortent avec une indicible suavité ; la multitude des nourrissons ne les épuise pas. Et bien qu elle se garde tout entière à Celui qui est son unique, cette mère miséricordieuse n'a pas non plus coutume de se refuser à ses nourrissons. O fécondité inépuisable ! O surabondance de douceur que suce la faim des petits enfants au sein de la Vierge très tendre ! Si vous y con­ sentez, il nous est. bon d’être là, bon de nous y attarder longuement ; nulle part nous ne pourrions être mieux que là. Voici une nouveauté connue des seuls petits enfants : la Sagesse qui nourrit les anges a besoin d’etre nourrie du lait de la Vierge. Quoi d'étonnant si la pau­ vreté de notre enfance désire cire nourrie de ce lait, quand la Force et la Sagesse de Dieu se glorifient d’en tirer réconfort ? Λ la vérité notre faim peut bien être apaisée par ce lait maternel, si, par les petites larmes de l’enfant qui vagit, sont éteintes les flammes de l’enfer. Tandis que nos cœurs débordent de joie en ces grandes solennités, écoutons ce que les bergers ra­ content des splendeurs du nouvel Orient. A notre " Orient » ne manquent ni les témoignages des bergers, ni les proclamations des anges : « Vos témoignages, Seigneur, débordent d’évidence *. » « Merveilleux sont vos témoignages, Soigneur, aussi mon âme les a-t-elle scrutés 3. » Quelle plus sainte adhésion, quelle plus élnit un thème hagiographique populaire au moyen Age, et qui devait être appliqué un Jour à saint Bernard. Cf. P. L., 211. col. 776-778 et Bernard d? Clairuaur, Paris, 1953, p. 21, n. 3t. 2. l’s. 92. 5. 3. P». 118. 129. 88 ADAM DE PERSEIGNE brius credi potest ? Quid audiri utilius ? Quid cogitari sublimius ? Quid verius praedicari ? 32. Et bene quidem in lania cordis solemnitate iucundas agimus ferias : sed tamen octavi dici instans ’ austeritas est horrori, nec immerito splendorem nostrae «» sollem­ nitatis obnubilat quod incontaminatae carnis teneritu­ dinem circumcisionis duritia martyrizet. Quis sine com­ passione vel audiat carnem teneram incidi durius, quae cum culpam omnino nescierit, finem criminibus dare venit ? lure in legem invehimur, quae suis putat egere remediis Agnum innocentiae singularis. Dura nimis est circumcisio, quae littera celebratur non spiritu, quae carnem incidit, non vitium. Ad illam potius quae cordis est transeamus. Sine tamen obsecro, sine puerum cir­ cumcidi, sine legislatorem legi dispensatorie subici, et quod dedit ipse suscipiat, ut ibi lex unde coeperat finiatur. Lex Christi amoris est veritas, quae omne vitium circumcidit. Lex est amor, quia ligat et obligat, et cum excidat omne quod malum est, vix unquam exci­ dere ipse potest. Caritas quippe nunquam excidit, hic amor nos unit, hic amor solemnizat in cordibus quae Christi cunabula non dimittunt. 33. Ilie amor in Magis visitat puerum triumque munerum mysteriis veneratur. Ecce interim festivitas nostra resplenduit, et mundi oriente splendidior ad verum orientem nos fidei stella perduxit : non bene dixi per­ duxit, nisi forte aliquid abduxerit nos ab1 illo. Penes illum immorari est melius, nusquam salus est alibi, nusquam securitas sine illo. Semper teneamus quod nostrum est, nostra protendatur solemnitas usque ad gaudia Simeonis. Sine nobis sua eum mater non offerat; in templo’ inveniat solemnis eius praesentatio nos praesentes. Ctinam casti amoris paritas unum par DGMT a. instans : Infantiae D | b. nostrae : tantae ΜΓ | c. quod : quando D |J d. abduxerit nnx ub : wtiiiinxerit nos in D2 | c. in templo om. D LETTRE III, 31-33 89 suave pensée, quelle plus salutaire croyance? Que peuton entendre de plus profitable, imaginer de plus élevé, prêcher de plus vrai ? 32. Et sans doute nous avons raison, quand les cœurs sont à ce point en fête, de couler des jours de liesse : pourtant la sévérité toute proche du jour octave nous effraie. et ce n’est pas sans mot if que se voile la splendeur de notre solennité, quand la brutale circoncision s’ap­ prête à martyriser une chair délicate autant qu’inno­ cente. Qui ne s’apitoierait rien qu’à entendre parler d’inciser sans pitié cette tendre chair qui, pour avoir ignoré la faute, est venue mettre fin à nos péchés ? Nous nous élevons à juste titre contre cette loi qui croit, que Γ Agneau de singulière innocence a besoin de ces re­ mèdes. Trop dure est la circoncision qui ne se célèbre que selon la lettre, non selon l’esprit, qui incise la chair, non le vice. Passons plutôt à celle du cœur. Laissez pour­ tant, je vous prie, laissez circoncire cet enfant, laissez le Législateur se soumettre à une disposition légale ; que lui-même subisse ce qu’il a prescrit, pour que la Loi prenne lin là-même où elle avait eu son origine. La loi du Christ, c’est la sincérité de l’amour qui circoncit tout vice. C’est une loi que l’amour, qui lie et oblige, et qui, détruisant tout mal, est lui-même quasi indestruc­ tible. Car «la charité ne péril jamais» : c’est cet amour qui nous unit, cct amour qui festoie dans les cœurs établis à demeure au berceau du Christ. 33. C’est cet amour qui, dans la personne des Mages, vient visiter l’enfant, le vénérer par le mystère des trois présents. Voici maintenant resplendir notre festivité, voici que l’étoile de la foi, plus brillante que l’orient d'ici-bas, nous a amenés au véritable Orient ; j’ai tort de dire « amenés », sauf le cas où quelque chose nous aurait détournés de lui. Le mieux pour nous est de rester près de lui ; nulle part ailleurs ne se trouve de salut, sans lui nulle part il n’est de sécurité. Tenons toujours ferme ce qui nous appartient : que notre fête rejoigne les joies de Simeon. Que sa mère n’offre pas Jésus sans nous ; que sa solennelle présentation nous trouve présents an temple. Plaise à Dieu que la parité d’une chaste amitié ' 90 ADAM DE PERSEIGNE turturum in illa oblatione nos faciat ! Utinam quasi duos pullos columbarum nos sanctae exhibeat simpli­ citas caritatis ! His enim virtutibus, his avibus figu­ ratis, nostrum nobis poterimus redimere Redemptorem. Nondum sane ad mortem est haec ipsius oblatio, nec­ dum congruit passio tempori vel aetati. Castitatis amore, simplicitatis desiderio, si neutri defuerit geminae cari­ tatis binarius, lesum nobis possumus retinere. 34. Nutriatur in nobis Icsus, proficiat apud nos aetate et sapientia, ut opportuno in tempore suae sit idoneus passioni. Interim parvulus est, de passione non cogi­ tat, potius apud eum de uberibus est. agendum. Quod si Herodis gladios devitans aufugerit, Aegyptus eum non suscipiat sine nobis. Beatius est cum illo fovere latebram, quam in oculis hominum praesumendo de viribus grandia actitare·*. Quod si ipse voluerit, aut mater cius consu­ luerit, nos remanere ad gladios, pium est pro innocentia trucidari. Cum de Aegypto redierit, cum eo habitemus in Nazareth, ut vernantis vitae floribus valeamus sua­ viter redolcre. Nazareth quippe flos dicitur, et eum convenit florere virtutibus, qui Filio Virginis solet familiare contubernium exhibere. Quod si duodennis iam factus, parentibus inconsultis, in lerusalem rema­ nere voluerit, felices nos si esse voluerit consocios facti huius. O felix triduum ' O totius festum laetitiae ! toto illo triduo vacare illi \ illi intendere, verbis gratiae refici, quae de eius ore procedunt : alibi eum quaeri non convenit, in his quae Patris sui sunt vult semper esse, nec nos ab illo utinam dividamur ! Si ad fluenta Iordanis accesserit, loannis intingendus baptismate, oportet nos ipsum vitae fontem illuc prosequi, qui in DG.M7" a. actitare : agitare actitare |( b. illi ozn. M 1. Sur cette interprétation du nom de Nazareth, mise en relation avec l’idée do progrès dans la vertu, cf. Aei.ked de Rif.vaulx, Quand Jésus eul douze ans (éd. Sources Chrétienne»), p. 72, 74, 93. LETTKE in, 33-3+ 91 fasse de nous clans cette offrande un seul couple de colombes ! Plaise à Dieu que la simplicité d’une sainte charité nous fasse paraître comme deux petits de co­ lombes ! Car au moyen de ces vertus, figurées par ces oiseaux, nous pourrons racheter notre Rédempteur. Certes, celte offrande de lui-même n’a pas aujourd’hui son terme dans la mort, et la Passion ne convient pas encore h la circonstance ni à son age. Si l’amour de la chasteté, le désir de la simplicité, nous assurent à l’un et à l’autre la jouissance du double (trésor) de la charité (envers Dieu et envers le prochain), nous pouvons retenir Jésus parmi nous. 34. Que Jésus soit, élevé chez nous, qu’il progresse près de nous en âge et en sagesse pour être, au temps voulu, prêt à la Passion. En attendant, c’cst un petit enfant, il ne pense pas à la Passion, il lui faut plutôt s’occuper de prendre le sein. Que si, pour éviter le glaive d’Hérode, il vient à s’enfuir, que l’Egypte ne le reçoive pas sans nous. Il y a plus de bonheur à cultiver avec lui la retraite qu’à étaler des exploits devant les hommes. Que si sa volonté ou les conseils de sa mère devaient nous proposer de demeurer pour subir le glaive, il est. bon de souffrir la mort pour l’innocence. Quand il sera revenu d'Égypte, habitons avec lui à Nazareth, afin de pouvoir exhaler le suave parfum des fleurs de la vie en son prin­ temps. Car Nazareth signifie «fleur», et il convient que fleurisse en vertus 1 celui qui a coutume de montrer au fils de la Vierge une intimité familière. Que si, ayant désormais atteint l’âge de douze ans, il voulait sans consulter ses parents, rester à Jérusalem, heureux se­ rons-nous s’il nous prend pour compagnons de son séjour. O l’heureux triduum! O fête de joie totale! Ne s’occuper que de lui pendant ccs trois jours com­ plets, l’ecouter attentivement, être réconfortés des paroles de grâce qui procèdent de sa bouche ! Il n’y a point à le chercher ailleurs : toujours il veut être aux affaires de son Père, et plaise à Dieu que nous non plus ne soyons pas séparés de lui ! S’il approche des eaux du Jourdain pour recevoir le baptême de Jean, il nous faut y suivre la Source de vie : nous avons tant et tellement 92 ADAM DK PERSEIGNE tot. ct tantis ab ipso ablui indigemus. Abluti ab ipso, in Christo4 proficiemus multipliciter, ut apertione cae­ lorum, paternae vocis testimonio, descensu sancti Spi­ ritus in columba, ipsius loannis praeconio, ipsum per­ fectius agnitum plus amemus. 35. Hucusque Icsum prosecuti sumus. Quomodo deinceps, aut in desertum a Spiritu ductum, aut Len­ tatum a diabolo deseremus ? alioquin qua fronte aude­ bimus nuptiis intéresse, aut insipidam aquam in vina transire probabimus, aut quomodo communicare pote­ rimus nuptiarum11 gaudiis, si noluerimus' communicare pressuris ? Vos, inquit Dominus, estis qui perman­ sistis mecnm in tentationibus meis, ct ego dispono vobis, sicut disposuit mihi Paler meus regnum. Quam felix est voluntaria tenlationum perpessio, cui regni caelestis dispositio praeparatur ! Ceterum, ad fidei ro­ bur, ad augmentum spei, ad incentivum amoris, qui de infantis innocentia coaluimus ■*, necesse est iam ut in virum perfectum de virtute invenis occurramus. Iam puer excrevit in iuvenem, dicentem mira, mirabilia facientem. Iam curat paralyticos, leprosos mundat, caecos illuminat : surdis auditum, claudis gressum, mutis officium linguae reformat; suscitat mortuos, siccis pedibus mare calcat, daemones fugat, ventis et pelago imperat, omnem infirmitatem solo imperio curat, pec­ catores cx misericordia suscipit, mentium cogitationes intclligil, de quinque panibus quinque millia hominum reficit, superbiam Pharisacorum et Scribarum scien­ tiam c ad omne verbum mira responsione confundit. His omnibus mirabilius est, quod omnimodam satagit patientiam ad omnem exhibere iniuriam ; ct cum in summa innocentia sil ei summa potentia, nihilominus DGAL$(/ra/).] T a. Christo : ipso GMT ,| b. nuptiarum om. Ai | c. noluerimus : nolumus M |l d. coaluimus : convaluimus Af | c. superbiam scribarum ct pharlseorum scientiam DGT LETTRE III, 34-35 93 besoin qu’elle nous lave ! Une fois lavés par le Christ, nous progresserons en lui de bien des façons : le ciel ouvert,, le témoignage de la voix du Père, la descente du Saint-Esprit sous la forme d’une colombe, la procla­ mation de .Jean en personne, nous feront aimer davan­ tage Jésus plus parfaitement reconnu. 35. Nous avons suivi Jésus jusque-là. Comment par la suite le quitterions-nous, conduit par Γ Esprit dans le désert ou tenté par le diable ? De quel front, autrement, oserions-nous assister aux noces ou bénéfi­ cier du changement de l’eau insipide en vin ? Comment encore pourrions-nous avoir part aux joies de ses noces si nous refusions de partager ses épreuves ? « Vous êtes, dit le Seigneur, ceux (pii êtes demeurés avec moi dans mes épreuves, ct moi je vous prépare mon royaume comme mon Père me l'a prépare *. » Combien précieuses les épreuves volontairement supportées, puisque la pos­ session du royaume céleste les récompense ’ Mais, pour affermir notre foi, augmenter noire espérance, enflammer notre amour, nous qui avons grandi ensemble à partir de l’innocence de Γ Enfant, nous devons désormais nous hâter de passer de la force de la jeunesse à l’étal d’homme fait. Ι/enfant a grandi : le voici devenu homme ; il dit des choses étonnantes, il accomplit des merveilles. Main­ tenant il guérit les paralytiques, il purifie les lépreux, rend la vue aux aveugles, l’ouïe aux sourds, la marche aux estropiés, l’usage de la langue aux muets ; il ressus­ cite les morts, marche à pied sec sur la mer, met en fuite les démons, commande aux vents et à la mer, guérit toute maladie par son seul commandement, et, cédant à sa miséricorde, il accueille les pécheurs ; il pénètre les pensées, de cinq pains rassasie cinq mille hommes ; par ses admirables réponses à toute objection, il confond la superbe des pharisiens et la science des scribes. Plus étonnant encore : il oppose énergiquement à toute injus­ tice une indéfectible patience ; lui qui allie à la suprême innocence la supreme puissance, il n’en observe pas moins 1. Le. 22. 28. 94 ADAM DE PERSEIGNE servat obedientiam summam : et in his omnibus noster est, et quos procul dubio ad ubera matris collactaneos habere voluit, a suae obedientiae fructibus non excludit. Obsecro te, cum pavere et taedere, et maestus esse, instante morte, coeperit, manibusque tradi nocentium innocens ipse voluerit, ne relicto eo fugerimus ; sed ven­ ditum, traditum, tractum ad contumelias corde coniunctissimo comitemur. Kteniin sua venditione nos redimit, sua traditione custodit, sua nuditate nos operit ; et quod indebite caedi, conspui, deludi non respuit, debitam nobis ignominiam sempiternam excludit ; quod facies eius velatur et caeditur, quod genu flexo irrisorie salu­ tatur, quod spinea ei corona plectitur, aeternum a nobis opprobrium amputatur ; quod sua crux ei ad baiulandum imponitur, quod extra civitatem eicitur, quod toto corpore in ligno crucis extenditur, quod totum corpus lancea clavisque configitur, aeternae per hoc maledictionis sententia revocatur. 36. Jam attende de corpore Agni quinque perneces­ sarios fontes produci4. Habemus geminos in totidem pedibus, totidem in geminis manibus ; et de apertione lateris profluit quintus. Veni, dulcissime, hauriamus aquas in gaudio dc fontibus Salvatoris. 37. Sed forte dicis : De vulneribus Domini mei video sanguinem manare nonb aquam. Ad quod ego : De latere Christi creduntur fluxisse sanguis et aqua. Quanquam sanguis Christi, qui sui pretio sanat, redimit et coronat, in eo aqua est, quod lavat, reficit et refrigerat. Lavat a peccato, reficit spe, refrigerat ab aestu carnalis DGMS[!rag.\T n. produci: perduci MD | l>. non : et MT 1. Cf. Cant., 8, 1. LETTRE ni, 35-37 95 la suprême obéissance : or en tout cela il est nôtre et il n’exclut pas des fruits de son obéissance ceux qu’il n’a pas hésité à avoir connue frères de lait aux mamelles de sa Mère ». Je vous en prie, lorsqu’aux approches de la mort il commencera d’éprouver peur, dégoût et tristesse et qu’il voudra, lui l’innocent, être livré aux mains des méchants *, n’allons pas l’aban­ donner et. nous enfuir ; mais d’un cœur à lui étroi­ tement uni, accompagnons-lc, vendu, livré, traîné aux outrages. Car, vendu, il nous rachète, trahi il nous garde, nu il nous couvre ; et pour n’avoir pas refusé d’être indûment frappé, conspué Cl tourné en ridicule, il a forclos l’éternelle ignominie qui nous était due ; parce que sa face est voilée et frappée, parce qu’il est salué d’ironiques génuflexions, parce qu’on lui tresse une couronne d’épines, nous sommes dispensés de l’op­ probre éternel ; parce qu’on met sur ses épaules la croix h porter, parce qu’on le rejette hors de la cité, parce que de tout son long il est étendu sur le bois de la croix, parce que son corps est percé par la lance et les clous, à cause de tout cela est rapportée la sentence d’éternelle malédiction. 36. Remarquez maintenant que du corps de l’Agneau coulent cinq sources dont nous ne pouvons nous passer. Nous en trouvons deux aux pieds, autant aux deux mains ; de l’ouverture du côté jaillit la cinquième. Venez, très doux ami, puisons joyeusement les eaux aux sources du Sauveur *. 37. Mais, allez-vous me dire, des blessures de mon Sei­ gneur je vois couler du sang, non de l’eau *. Λ cela je réponds : la foi nous apprend que du côté du Seigneur jail­ lirent du sang et de l’eau. D'ailleurs le sang du Christ qui, par sa valeur, guérit, rachète et couronne, en ccci cepen­ dant est eau, qu’il lave, refait et rafraîchit. Il lave du péché, il refait par l’espérance, il rafraîchit des feux de la 2. Oraison Respice quaesumus, in fine liorar. maior, hclxl. ; c!. infra, Lettre XIV, n. 153, p. 229. 3. Js.,12, 3. •i. Cf. Jn. 19. 34. 96 ADAM DE PERSEIGNE concupiscentiae. Verum aquae de Salvatoris fontibus hauriuntur, cum fluenta gratiae fidei labiis de Christi vulneribus extrahuntur. Itaque vulnera pedum lontes sunt, sed fontes olei, vulnera manuum fontes balsami, vulnus lateris fons est vini. Quomodo, inquis, cum de locis huiusmodi non videatur fluere nisi sanguis ? Audi quomodo. Oleum sanat, balsamum fragrat, vinum de­ briat. Oleum est. misericordia, quam ad pedes lesu reus accipit, cum humiliter veniam petit. Ecce vides oleum manarc de pedibus. Balsamum, eo quod de fontibus manuum profluit, est pretiosa virtutum opinio, quam iustus de Christi munificentia sumit. Reo satis est si veniam consequatur ; i usto non sufficit, nisi virtutum gloriam mereatur. Illam praestat misericordia humi­ liter pedibus provoluto, hanc largitur magnificentia ad manuum munificentiam animi virtute erecto. Ceterum de cella vinaria confossi lateris exuberat vinum' vivi­ ficae caritatis. Et certe si Christus est vitis vera, si caro eius est vitis uvab, quomodo vinum non erit sanguis qui de carne decurrit ? aut quomodo sponsa Ecclesia in suis nuptiis sponso complaceret, si hoc ab ipso vinum in sacrosanctis mysteriis non haberet ? hoc est vinum quod laetificat cor hominis, dum sanguis Christi in anima generat sobrii ebrietateme amoris. Sed ecce quid, dilectissime, facimus? Cur non ruimus in3 amplexum pendentis, cum nos ipse ad hoc brachiis invitet extensis ? Cur non ad deosculandum accedimus, qui placidissimam illam faciem nobis exponi et coaptari videmus ? Cur non iugiter ubera vulnerum sugimus, pedum maxime ad quos prostrati iacemus ? Ecce conso­ lator noster ad Patrem rediit, et lanquam verus obediens, capite inclinato, licentiam redeundi accepit : quasi enim DGMS'Jrag.] T a. ptwf vinum add· inirifinie vel M b. uva : viva D | c. generat sobrii ebrietatem : sobrii ebrietatem confert D generat sobrietatem .MT d. in : ad AfT 97 I.ETTKE ill, 37 concupiscence charnelle. Mais les eaux se puisent aux sources du Sauveur quand, des blessures du Christ, les lèvres de la foi tirent des ruisseaux de grace. Aussi les blessures des pieds sont-elles des sources, mais des sources d’huile ; les plaies des mains des sources de liaume, la plaie du côté une source de vin. Comment cela, me dites-vous, puisque de toutes ces plaies on ne voit couler que du sang ? Voici comment : l’huile guérit, le baume parfume, le vin enivre. L'huile est la miséri­ corde qui reçoit le coupable aux pieds de Jésus, lorsqu’il demande humblement, pardon : voici, vous le voyez, l'huile qui coule des pieds. Comme le baume coule des sources des mains, il est la précieuse réputation de jus­ tice que reçoit le juste de la munificence du Christ. Le coupable se contente de recevoir son pardon ; le juste n'est pas satisfait s’il n’obtient aussi la gloire des vertus. La miséricorde concède le pardon à celui qui s’est hum­ blement prosterné aux pieds du Christ ; sa munificence accorde la gloire des vertus à celui qui, dans la force de son âme, se tient debout pour bénéficier de la munifi­ cence des mains du Christ. Enfin du cellier à vin 1 de son côte percé jaillit le vin de la merveilleuse et vivi­ fiante charité. El certes, si le Christ est. la vraie vigne, si sa chair est le raisin de la vigne, comment le sang qui s'échappe de la chair ne serait-il pas le vin ? Comment l'Eglise, son épouse, pourrait-elle dans scs noces plaire à son Époux si elle ne possédait ce vin, de la part du Christ lui-même, dans ses saints mystères? Voilà le vin qui réjouit le cœur de l'homme, lorsque le sang du Christ apporte à l’âme l’ivresse du sobre amour. Mais, très cher, qu’attendons-nous? Pourquoi ne nous empressons-nous pas d’embrasser le crucifié qui, de ses bras étendus, luimême nous invite? Pourquoi ne nous approchons-nous pas pour le baiser, quand nous voyons cette sainte face s’y prêter sans résistance? Pourquoi ne suçons-nous pas avec ardeur les mamelles de scs blessures, cri particulier celles des pieds, près desquelles nous gisons prosternés? Voici que notre consolateur est retourné au Père ; en inclinant 1. Cf. Cant., 2, 4. Lettres. I. 7 98 ADAM DE PERSEIGNE licentiam redeundi accipit, dum, inclinato capite, spiri­ tum tradit. 38. Recedit pastor bonus, magister sapiens, suavis Dominus, amicus dulcis, pater pius ; et nos orphan), quid agemus ? Vides quia ab cessum cius a corpore cor­ porea natura non patitur ; sed tota vertitur in lamentum? Sol obscuratus est, quia occasui veri luminis morem exhibuit lamentantis: quod terrae motus agitur, quod petrae scinduntur, quod templi velum disrumpitur, quaedam elementorum de morte auctoris·* impatientia demonstratur. Heu '. quam inconsolabilis esset nostra desolatio, nisi de resurrectionis instantia fideremus! Cito resurget a mortuis. Bonum est sepulcrum non b deserere, sed cum beatis mulieribus emamus aromata, ut corpus mortui perungamus. Ulinam revertens ab inferis, nos lesiis aromatizantes inveniat, ut corpus cius, id est membra Ecclesiae, maxime abiectos et pau­ peres, pietatis et misericordiae aromatibus condiamus! 0 si quando illi suae dilectrici Magdalenae se redivivus amor reddiderit, nos illius laetitiae participes licri non refutet ! 0 felices nos, si cordibus nostris ille resurrec­ tionis splendor infulgeat ; si, fermento malitiae et nequi­ tiae expurgato, sinceritatis azyma carnem Christi pia aviditate voremus ! 39. Cavendum est tamen ne huic nostro convivio lactuca desit agrestis, quia illi laetitiae quam minime, aut amaritudo mortis, aut metus peccati sollicitat, est de periculo insolentiae formidandum. Si igitur in hac nostra festivitate exsultaverimus cum tremore, et nihilc de fermento superbiae moribus nostris ingratitudo misDGNT a. auctoris : actoris M redemptoris vel auctoris G ,| b. est o:n- M i| c. nihil : nisi Ai 1. Cf. Répons lleeessll Pastor noster... ad citius transitum sol obscuratus est (Sabbato sancio, tid vigil.. Rcsp. IV). LETTRE 11«, 37-39 99 la tête, comme un véritable obéissant, il a accueilli sa permission ; car il reçoit une sorte de permission de revenir à lui lorsque, ayant incliné la tetc, il rend l’esprit. 38. Il s’en va, le bon pasteur *, le maître sage, le suave Seigneur, le doux ami, le tendre père ; ct nous autres orphelins, qu’allons-nous devenir? Le voyez-vous ? La nature inanimée ne souffre pas qu'il quitte son corps, mais tout, entière elle s’adonne aux lamentations. Le soleil s’est obscurci, parce qu’au coucher de la véritable lumière il a pris l’attitude de la lamentation; la terre tremble, les rochers sc fendent, le voile du temple se déchire, manifestant la protestatum des éléments devant la mort de celui qui les créa. Ah ! quelle serait incon­ solable, notre désolation, si nous n’avions confiance dans la proximité de la résurrection ! Tout de suite il va ressusciter des morts. Nous ferons bien de ne pas aban­ donner son tombeau, mais avec les saintes femmes ache­ tons des aromates pour oindre le corps de ce mort. Plaise à Dieu que Jésus, à son retour des enfers, nous trouve occupés . ad virile robur morum A/ c. collactanea . collactaneo Mil || <1. crucis on. D | e. penitus : penie (?) D || f- post peni­ tus add- ct dolori» A/. LETTRE IV, 42-43 109 impureté, où nulle corruption n’a de place ! O heureuse descendance, issue d’une telle union, conçue du SaintEsprit, et nourrie aux mamelles de la sainte Eglise ! Remplies du ciel, ces mamelles ' distillent le lait de la sainte doctrine 2, qui donne aux cœurs candides et aux mœurs innocentes d’atteindre à l’âge viril du divin amour ct. à la pleine maturité de l’intelligence ! 43. .Je pense que, par la grâce de Dieu, vous êtes par­ venue â cet âge, et que désormais vous n’en êtes plus à jouer avec le Christ au berceau, comme sa sœur de lait, mais que, prête à être crucifiée avec le Christ3, vous pouvez manger une nourriture plus solide. Vous désirez en effet, à cause des paroles de scs lèvres, parcourir de rudes chemins *. et vous vous en sentez la force, vous qui, à l’exemple du crucifié, mettez votre gloire dans les mérites de la croix D. Que si vous ne refusez pas de vous unir sur un tel lit à votre époux, vous parviendrez un jour «î la gloire du lit nuptial, qui ignore entièrement croix et peine. .Je vous en prie, très chère, quand « il vous arrivera du bien *» en votre Jésus, intercédez auprès de lui pour mes péchés. Lorsque plus abondamment encore qu’à l’accoutumée vous sourira cette incomparable lumière de fête, recommandez plus spécialement à votre bicnainié quelqu’un qui vous aime, pour que je puisse, grâce à vos soins et à vos prières, posséder avec vous celui qu’en vous j’aime et j’adore. Amen. Portez-vous bien. 1. Brev. CisL, antienne Vcsp.). 2. Cf. 1 Pctr.. 2. 2. 3. Cf. Cal.. 2. l'J. 4. Ps. 16. 4. Cf. Gnl., 6. 14. 6. Cf. Gen.» 40,14. Mater (infra octav. Nativ. Domini, a Celui qui ne croit pas, en effet, ne perçoit pas la lumière de la divine connaissance, et. par suite, il n’csl l.eilre». J. s 114 A PAM DE PERSEIGNE percipit ; ac per hoc illius timore vel amore non affi­ citur cuius intelligentiam non meretur. 49. Divini timoris duplex est effectus ; quia ct ter­ minat malitiam, Ct sapientiam inchoat. Dc primo effectu scriptum est : Timor Domini expellit peccatum. Et iterum : Timor Domini malum non operatur. De secundo timoris effectu Psalmista dicit : Sanctum et terribile nomen cius. Initium sapientiae timor Domini, licete ubi sapientia incipit, malitia facit finem, quia sapientia vincit malitiam. Quam felix est sapientiae initium, quod lotius est negligentiae et insipientiae expulsivum ! quia sicut scriptum est : Qui limet Dominum, nihil negligit ac per hoc malitiae non segniter se opponit. 50. Amor sapientiae, qui tertio loco ponitur, dum his quae scienda vel facienda sunt ex affectu diligentiam impendit, alacriter iuslitiam consummat ct perficit. Animi nimirum innocentiam, quam timor reparat, amor conservat : cui dum iustitiam addit operum, etiam ad contemplationem provehit aeternorum. Dc cetero amator sapientiae huius recte potest ct debet appellari philo­ sophus, quia, dum ei splendor illuminat veritatis, etiam oblectat amor virtutis. 51. Quarto loco ponitur religiosa magistri conversatio, quae quasi in speculum est adhibenda novitio ; quia, dum ei exemplum honestatis e vicino proponitur, ad imitationis studium efficacius provocatur. In monte quippe Moysi est exemplar ostensum cuius instar debuit componere tabernaculum, quia tam sublimis debet esse vita praesidentium ut. ad exemplum ipsorum* formetur conversatio subditorum. 52. Quinto ponitur loco pia magistri circa novitium AI a. Ipsorum : ipsius .4 1. Eccli., 1. 27. LETTRE v, 48-52 115 pas touché de la crainte ou de l’amour de Celui qu’il ne mérite pas dc comprendre. 49. L’effet de la crainte de Dieu est double : elle met un terme à la malice et initie à la sagesse. Du premier de ces effets, il est écrit : « La crainte de Dieu chasse le pêché » Et encore : « La crainte de Dieu ne commet pus le mal 2. » Du second effet de la crainte, le Psalmiste dit : « Saint et terrible est le nom du Seigneur. Le commencement dc la sagesse est la crainte du Seigneur 34. » Normalement, 15 où commence la sagesse, la malice prend lin, car la sagesse triomphe de la malice. Qu’il est précieux, le commencement de la sagesse, qui a la vertu de chasser toute négligence et toute folie ! Comme il est écrit, en effet : « Celui qui craint le Seigneur ne néglige rien·» ct donc il s’oppose énergiquement à la malice. 50. Vient en troisième lieu l’amour de la sagesse ; tandis qu’il se dépense passionnément en faveur dc ce qu’il faut savoir ou faire, il achève et parfait allègrement la justice. L’amour, en effet, conserve l’innocence de l’âme restaurée par la crainte, et lui confère en outre la justice des œuvres, l’entraînant ainsi à la contemplation des choses éternelles. Au reste, celui qui aime cette sagesse peut et doit être, h juste titre, appelé « philo­ sophe », puisqu’il est tout à la fois éclairé de l’éclat de la vérité, et charmé par l’amour dc la vertu. 51. Quatrièmement : le comportement religieux du maître des novices. Le novice y doit recourir comme à un miroir ; l’exemple du bien qui lui est proposé de près l'invite en effet avec une particulière efficacité à une imitation attentive. Sur la montagne, Moïse ne se vit-il pas proposer un modèle, d’après lequel il dut fabriquer le Tabernacle5? Et en effet, si haute doit être la vie des chefs, que la conduite de leurs subordonnés n’ait qu’à se modeler sur leurs exemples. 52. Vient en cinquième lieu la tendre sollicitude du 2. 3. 4. 5. Prov., 8. 13 et nom.. 13, 10. Ps. 110, 9-10. Eccle., 7, 19. Cf. Ex., 20. 116 ADAM DK PERSEIGNE sollicitudo, per quam probet, et. experiatur utrum ad opus Dei, ad perferendum opprobrium, ad obedientiac bonum potens et voluntarius habeatur. Certe si ad illa tria ipsum magister paratum invenerit, si in opere Dei ipsum fervere cognoverit, si bono et laeto animo bonum obedientiac superioribus, coaequalibus, inferioribus exhi­ bentem ; si ad perferenda opprobria patientem, potest intclJigcre quod vere Deum quaerit, si tamen felici perseverantia felix initium claudere non omittit. 53. Doceat cum magister ferventer insistere divino operi, ut sibi caveat ab illius sententia maledicti quam Spiritus sanctus omnibus imprecatur qui fraudulenter et desidiose Dei opera exsequuntur. Nonne est in Dei opere fraudulentus in quo a sono linguae dissonat animus, et cum videatur Deum labiis honorare, non veretur ab ipso otiosis aut voluptuosis seu etiam malitiosis cogi­ tationibus elongare ? De huiusmodi improbis laudato­ ribus conqueritur Spiritus sanctus per prophetam, sic dicens : Populus hic labiis me honorat : cor autem eorum longe est a me. Unde sine causa colunt me. Laudantis Deum labia debent esse cymbala bene sonantia. Sed cymbala non bene sonant quando cordis intentio et affectio labiis laudantibus non concordant. Laudator est etiam desidiosus qui negligenler se agit in Dei lau­ dibus. Nec mirum si adest illi torpor desidiae qui a corde mortuus Dei laudes solo prosequitur sono linguae. Qui sic se in Dei laudibus agit, promulgatum a Spiritu sancto maledictum incurrit. Lnde et novilii sunt vehementius admonendi, nc qui ad percipiendam Dei benedictionem venerunt, recidant in huius foveam maledicti. 54. Debet etiam pia magistri sollicitudo instituere novilios de obedientiac bono, quod et maioribus lanquam 1. 2. 3. 1. Cf. Recula S. IScneditll. c. I.VIII M LXX I. Cf. c. LVI1I. Cf. .fer.. -18. 10. Cf. .Mt., I.'». 8. licite E V. 52-54 117 maître envers le novice : son rôle est tic juger sur expé­ rience la force et la détermination du novice face à 1’« œuvre de Dieu», aux u humiliations », au «bien de l’obéissance 1 ». A coup sûr. si le maître le trouve prêt à ces trois choses, s'il constate qu’il est plein de ferveur pour l’œuvre «le Dieu, adonné de bon cœur et joyeu­ sement à la pratique du bien de l'obéissance, envers scs supérieurs, ses égaux, scs inférieurs, patient enfin dans le support des humiliations, il peut en déduire que le novice cherche vraiment Dieu s. à condition toutefois qu'il ne néglige pas «le couronner d’une heureuse persé­ vérance cet heureux début. 53. Que le maître lui apprenne à s’appliquer avec fer­ veur à l’œuvre de Dieu, cl à se garder ainsi de la sentence de malédiction proférée par l’Esprit-Saint contre tous «'eux «pii trichent et paressent dans l’accomplissement de Γ œuvre de Dieu3. Ne triche-t-il pas flans Γaccomplis­ sement de l’œuvre de Dieu, celui dont l’esprit n’est pas en accord avec ses paroles, et «pii ne craint pas, tandis que ses lèvres paraissent honorer Dieu, de s’éloigner de lui par «les pensées oiseuses, voluptueuses, ou même méchantes ? I.’Esprit-Saint se plaint «le ces gâcheurs de louanges, en disant par la bouche du Prophète : « Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi. Aussi, vain est-il, le culte qu’ils me rendent * ! » Les lèvres qui Jouent Dieu doivent être des cymbales qui résonnent juste. Or précisément, les cymbales ne résonnent pas juste lorsque le regard du cœur et sa préoc­ cupation ne s’accordent pas avec la louange des lèvres. En outre, «pii se comporte avec négligence dans la louange de Dieu, est un paresseux ouvrier de louange. \’c nous étonnons pas de trouver la torpeur de la paresse chez l’homme dont le cœur est mort, et qui ne poursuit «pic du bout de la langue sa louange de Dieu. Qui se comporte ainsi, encourt la malédiction portée par l’Esprit de Dieu. Il faut donc mettre les novices, venus pour recevoir la bénédiction «le Dieu, vigoureusement en garde contre la chute dans l’abîme de sa malédiction. 54. La tendre sollicitude du maître doit encore ins­ truire les novices du bien de l’obéissance, qu’il faut 118 ADAM DE PERSEIGNE Deo de iure regulae, et coaequalibus ex fraterna cari­ tate. cl inferioribus ex humilitatis virtute est exhibendum. Iain qui fratres diligit ex caritate, et seipsum abnegat ex humilitate, non mullum curat se illatis opprobriis affici; quin potius crucifigens se Christo, gaudet se crucis cius ignominiae sociari. Itaque in fervore divini operis ostendit se diligere Dei cultum ; in exhibendo obcdicntiain, ostendit se diligere proximum ; in patienti opprobriorum perpessione, ostendit se abnegasse seipsum. 55. Sexto loco ponitur amica et frequens de spiritu­ alibus aut de observantiis regularibus collocutio. Novitcr conversi de sacculo, quanlalibcl devotione polleant, accdiae tamen vitio saepe laborant, ac per hoc amica et frequens de spiritualibus collocutio magistri, fastidio quod ex acedia nasci solet, debet opponi. 56. Interdum de spiritualibus debet esse colloquium scilicet aut de mysteriis Scripturarum, aut dc exemplis sanctorum, seu de caelestibus praemiis, quomodo acqui­ runtur operibus bonis, vel certe de tormentis gehennae, quae divinae iustitiac nimis formidenda severitas his qui immunditiae et iniustitiac servientb se minatur inferre. De his frequenter colloqui, ista iugiter meditari, multum movet animum et accendit, ut. et. vitiis et. pec­ catis supersedeat, et virtutum operibus inhianter intendat. 57. Nascitur etiam ex amica frequenti et honesta collocutione commendabilis quaedam familiaritas, per quam magister efficitur ad corripiendum audacior, cor­ reptus ad disciplinam patientior, ulerque ad intelligentiam Scripturarum eruditior, novitius exercitatior in observantia regulari. Ex hoc iam magister secundum regulam debet ei, non inferre quidem, sed praedicare dura et aspera per quae itur ad Deum. Hoc ei praedicare At u. dc spiritualibus otn. .4 |[ b. servient : deserviunt A. I. Errbe v, 54-51 119 témoigner aux supérieurs comme à Dieu, en vertu de la règle, aux égaux, en fraternelle charité, aux infé­ rieurs enfin, par humilité. Qui est parvenu à aimer scs frères par charité, et à se renoncer par humilité, ne sc soucie guère désormais d’avoir à subir l’assaut des humi­ liations; bien mieux, se crucifiant avec le Christ, il se réjouit d’être associé à l’ignominie de la croix. Ainsi donc, la ferveur avec laquelle le novice accomplit l'œuvre de Dieu, manifeste son amour du culte divin ; en sc montrant obéissant, il prouve qu'il aime son prochain ; en souffrant patiemment les humiliations, il fait voir qu’il s’est renoncé lui-même. 55. En sixième lieu, les fréquentes conversations ami­ cales sur les choses spirituelles ou sur les observances régulières. Les convertis de fraîche date, si grande que soit la dévotion dont ils jouissent, sont néanmoins souvent victimes du mal de l’acédie. Aussi importe-t-il d’opposer au dégoût que produit habituellement l’acédie, d’ami­ cales et fréquentes conversations avec le maître sur des sujets spirituels. 56. De temps h autre, il doit y avoir des entretiens spi­ rituels, soit sur les mystères des Ecritures, soit, sur les exemples des saints, soit sur les récompenses célestes et la manière de les acquérir par les bonnes œuvres ; ou encore — n’y manquons pas sur les tourments de l’en­ fer, que la sévérité de la si redoutable justice de Dieu menace d’appliquer aux esclaves de l’impureté et de l’injustice. S’entretenir souvent de ces sujets, les méditer sans cesse, remue l’âme profondément, l’encourage à rompre le cours de scs vices et de scs péchés, et à désirer ardemment pratiquer la vertu. 57. L’habitude des conversations de bon aloi, sur le mode amical, engendre une sorte d’honnête familiarité qui donne au maître plus d’assurance â reprendre, au novice repris plus de patience à se laisser former, à l’un et à l’autre plus d’aisance à saisir les Ecritures, au novice, plus de souplesse dans l’observation de la règle. Alors le maître doit, selon la règle, en profiter, non pas, bien sûr, pour lui imposer, mais pour lui faire connaître par avance les durs et âpres chemins par lesquels on va à 120 ADAM DE PERSEIGNE non est aliud quam ex Scripturis aut ex propriis exemplis Ostendere arctam et arduam esse viam quae ducit, ad vitam, quam viam procul dubio non incedit qui intrare per angustam portum iuxla praeceptum Domini non contendit. Contendite, ait Dominus, intrare per angustam portam. Et idem alibi : Ardua et. arcta est via quae ducit ad vitam. Et David sanctus : Propter verba labiorum tuorum ego custodivi vias duras. Quid, obsecro, durius esse potest in via Domini quam scipsum abnegare, crucem suam tollere, totam voluntatem suam volun­ tati subicere alienae ? Quid, inquam, asperius esse potest, in via qua itur ad Deum quam carnem suam cum vitiis ct concupiscentiis affligere, quam sibi mundum et mundo scipsum crucifixum exhibere ? quod sine dubio cuncti faciunt qui esse veraciter Christi volunt. Qui autem sunt Christi, ait Apostolus, carnem suam cruci­ fixerunt cum vitiis et concupiscentiis. 58. Igitur magister novitio dura et aspera per quae itur ad Deum praedicat, cum ei viam salutis arctam ct arduam esse et exemplo operis cl verbo praedicationis demonstrat. Haec siquidem salutis via tam arcta, tam ardua. Dominus Christus est : arcta, propter assumptae carnis humilitatem, ardua, propter peccati immuni­ tatem. Peccatum quippe non fecit, nec inventus est dolus in ore eius. Hanc viam penitus non incedit, qui ad humilitatis cius imitationem parvulus non exstiterit; ncc poterit ad arduum istud * ascendere qui se peccato­ rum oneribus aut visibilium rerum amoribus voluerit sarcinare. Hinc est quod hominibus subsareinatis huiusΛΙ a. Kind : vitae Istius A Datuse 1. lx„ 23. 21. 2. Ml.. 7. II. 3. Ps. 16,4. LETTRE V. 57-58 121 Dieu. Prêcher cela au novice consiste tout simplement., pour le maître, à lui montrer d’après les Ecritures, ou encore d’après scs propres exemples, Γétroitesse ct la rudesse de la voie qui conduit à la vie, et que celui-là ne saurait en aucune manière prétendre y marcher, qui ne s'efforce pas d’entrer, selon le précepte du Seigneur, par la porte étroite : « Efforcez-vous, dit le Seigneur, d’entrer par la porte étroite 1 » ; et ailleurs : «Ardue et étroite est la voie qui conduit, à la vie *. » Et le saint roi David : « A cause des paroles de vos lèvres, je me suis tenu dans de durs chemins 3. » Que peut-on trouver de plus dur. dans la route du Seigneur, je vous le demande, que de se renoncer soi-mème, de porter sa croix, de sou­ mettre sa volonté tout entière à une volonté étrangère? Que peut-il y avoir de plus «âpre, dis-je, dans la voie qui conduit à Dieu, que de mortifier sa chair avec ses vices et ses concupiscences? que de témoigner que l’on estime le monde crucifié pour soi, et soi pour le monde ? C’est précisément là ce que font tous ceux qui veulent être véritable ment «du Christ». «Or, ceux qui sont, du Christ, dit l’Apôtre, ont crucifié leur chair avec scs vices et ses concupiscences *. » 58. Donc, le maître prêche au novice les durs et âpres chemins qui mènent, à Dieu, lorsqu’il lui démontre, tant par l’exemple de sa conduite que par la parole de son enseignement, qu'étroite ct raide est la voie du salut. C’est que, cette voie du salut, si étroite et si ardue, c’est Xolrc-Seigneur Jésus-Christ : étroite en raison de l'hu­ milité de la chair qu’il a prise, ardue en raison de l’im­ munité du péché. « Car il n’a point commis le péché, et la ruse ne s’est pas trouvée dans sa bouche 4 5. » Qui­ conque ne se montre pas, à l’imitation de son Christ humilié, petit enfant, ne marche absolument pas dans cette voie : et nul ne pourra parvenir jusqu’au point cul­ minant de cette voie, s'il veut se charger du poids des péchés ou de l’amour des liions visibles. De là vient que l’Esprit-Saint crie par la bouche du prophète, aux 4. Oui.. 5, 2-1 ; et. û l’Ame, rejetant tout autre soin, ne s’occupe que do Dieu. Cette interprétai iou du mol feria s’inspire des leçons des vigiles de la fête de saint Silvestre (31 décembre) : «...reliquos hebdomadae dies feriarum nomine distinctos... appellari voluit, quo significaretur quotidie clericos, abiccta ceterarum rerum cura, uni Deo prorsus vacare debere. · 134 ADAM DE PERSEIGNE 68. Septem igitur sunt solemnes feriae, in quibus Deo vacatur, ct in quibus anima, ut Deo liberius vacet, ab omni servili opere feriatur. Prima foria est spiritus timoris Domini, quae, dum peccatis ct vitiis finem ponit, quasi servili operi spirituale otium anteponit, 'limor quippe Dei nihil negligit ; ct dum lutum ct lateres Pharaonis et Ægypti paleas exsecratur, iam ad feriandum et vacandum Domino praeparatur. 69. Secunda feria est spiritus pietatis, in qua Deus tanto sincerius ct affectuosius colilur quanto longius a mente excluditur laboriosae tumultuatio pravitatis. Pietas nimirum est Dei cultus et compassio proximi, in qua feria illa quies, illud silentium inchoatur quod per prophetam cultus iustitiae appellatur. Nota quia in hoc silentio quod cultus iustitiae dicitur, quod in caelo, hoc est in anima iusti custoditur, eum dracone Michael prae­ liator. Quanto enim cor quietius fuerit ab intentione servilis operis, tanto acrius infestat eum nequitia spiri­ talis. Unde merito quaeritur quomodo factum est silen­ tium in caelo, cum praelium et tantum praelium exer­ ceatur in illo. Factum est, inquit, praelium in caelo ; Michael et angeli eius proeliabantur cum dracone. Attende quia caelum est anima iusti ; in quo caelo silentium agitur cum anima quieta a mundi strepitu, et a peccati libera actu, tota in cultu ct amore iustitiae delectatur. Verumtamen propter istam quietem, in qua ad Dei se reparat similitudinem, non omittitur quin contra potestates aerias eam oportet habere certamen. Michael quippe Quis ut Deus interpretatur ; quo nomine Dei similitudo, quam sola retinet iuslitia, designatur. Certe Paulus in hoc mentis silentio degebat, in his amoris 1. Cf. Eccle., 7, 19. 2. Cf. Ex.. 1. 11 et 5, 7 ss. 3. Is.. 32. 17. •I. Apoc., 8, 1. Cf. saint GnCooiRE le Grand, ffomit. in Erech., it. m, 11 ; P. 76, 957 A : · Caelum quippe est anima lusti... cum ergo quies çontemplulivac vitae agitur in mente, silentium fit in caelo. ♦ LETTRE VI, 68-69 135 68. Ilya donc sept fériés solennelles, durant lesquelles on cesse, au profil de Dieu, toute activité ; l’âme, pour être plus librement h Dieu, s’y abstient de toute œuvre servile. La première férié est l’csprii de crainte du Seigneur; mettant un terme aux péchés et aux vices, elle donne, en quelque sorte, au repos spirituel le pas sur l’œuvre servile. Car « la crainte du Seigneur ne néglige rien 1 », ct tandis qu’elle maudit Ja boue cl les briques du Pha­ raon, et les pailles de l’Egypte *, déjà elle se prépare à se rendre libre et disponible pour le Seigneur. 69. La seconde férié est l’esprit dc piété ; l’âme s’y occupe de Dieu avec un élan d’autant plus sincère qu’elle relègue plus loin d’elle l’agitation et le poids du mal. La piété, en effet, est le culte de Dieu et la compassion envers le prochain ; en celte férie commence ce repos, ce silence que le prophète appelle « culte de la justice ’. » Remarqucz-le : dans ce silence qui a nom « culte de la justice », et qui s’observe dans le ciel *, c’csl-à-dirc dans l’âme du juste, Michel livre combat au dragon s. Plus en effet le cœur se repose de l’application à l’œuvre servile, plus âprement la malice spirituelle le harcèle. Aussi est-ce à juste titre qu’on se demande comment le silence s’est établi dans le ciel, alors que s’y livre un combat, et un tel combat ! « Il se fit, dit l’auteur sacré, un combat dans le ciel : Michel et ses anges combattaient avec le dra­ gon. » Remarquez que le ciel est l’âme du juste ; et que dans ce ciel règne le silence, lorsque l’âme, quitte des bruits dc ce monde, et libérée de la tyrannie du péché, se délecte tout entière dans la recherche et l’amour dc la justice. Cependant Fame n’oublie pas, sous le prétexte de ce repos dans lequel elle se remet en état de ressem­ blance avec Dieu, qu’il lui faut pourtant soutenir un combat contre les puissances de l’air. Michel s’interprète en effet : « qui est comme Dieu ?» ; ce nom exprime donc la ressemblance divine, apanage de la seule justice. Il est certain que Paul demeurait dans ce silence dc l’âme, 5. Cf. Apoc.. 12, 13G ADAM DE PBRSE1GXE feriis solemnizabat, cum de sc Suisque similibus sic dicebat : Non est nobis colluctatio adversus carnem et sanguinem, sed adversus rectores tenebrarum barum contra spiritualia nequitiae in caelestibus. 70. Tertia feria est spiritus scientiae, quae videlicet piam mentem cognitione veritatis illuminat et ad doc­ trinam proximo impendendam informat. Ille enim debet bona foris dicere et docere qui illa intus meruit didicisse. Cui Deum scire datum est et seipsum, non debet in docendo négligera profectus proximorum. Qui scilicet spiritus scientiae non incongrue feria dicitur, quia, qui consecutus eam fuerit, ab universis erroribus et per­ versis dogmatibus feriatur. Nec intelligendum est haec scientia illa quae secundum Apostolum inflat, quia haec semper ex consortio adiunctac sibi pietatis aedi­ ficat. 71. Quarta feria est spiritus fortitudinis, in qua iam fortis ut mors dilectio esse incipit : quae cum in varias inciderit tentationes, etiam hoc omne existimare gau­ dium consuevit. Istam agebant feriam quibus Apos­ tolus lacobus hoc dicebat : Omne gaudium existimate, fratres carissimi, cum in tentationes varias incideritis. Qui enim in spiritu fortitudinis agit, quidquid acciderit ei contrarium, aut non sentit, aut facillime indefessa virtute revincit. 72. Quinta feria est spiritus consilii, cui parum est mandata Dei perficere, sed magna animi alacritate ad sectanda Dei consilia satagii aspirare. Postquam enim Dei mandata perfeceris, si iuxta exhortationem Apos­ toli meliora charismata aemularis, sursum te extendis ad perficienda consilia quae sunt aemulatoribus perfec- 15Eph..%512. *2. ”Cf. l’Cor./8, 1. S.-Cf. Cani., 8, <5. 4. Jac., 1. 2. L15TTRK V!, 69-72 137 qu’il festoyait en ces fériés de l’amour, lorsqu’il disait de lui-même ct de scs semblables : « Nous n’avons pas à lutter contre la chair et. le sang, mais contre ceux qui régissent ce monde de ténèbres, contre les forces spiri­ tuelles de la malice, répandues dans les airs ». » 70. La troisième férié est Γ esprit de science ; la science, illumine l’âme pieuse en lui faisant connaître la vérité, ct la rend apte à enseigner le prochain. Le devoir de parler ct d’enseigner le bien au dehors incombe en clïet à celui qui a eu l’avantage d’en être intérieurement instruit. Qui a reçu la science de Dieu ct de soi-même, ne doit pas négliger de faire, en l’instruisant, progresser son prochain. 11 va de soi que notre esprit de science n’est pas appelé mal à propos « férié » : quiconque le possède se trouve en effet, à l’égard de toutes les erreurs et de tous les principes vicieux, «en vacances». N’allons pas ici entendre par « science », celle qui, à en croire l’Apôtre, «gonfle2», car la science dont nous parlons, compagne inséparable de la piété, édifie toujours. 71. La quatrième férié est l’esprit de force ; en elle, l’amour commence déjà à être fort comme la mort a. Tombe-t-il en diverses épreuves ? il a pris l’habitude de considérer cela même comme une joie sans mélange. Ceux-là jouissaient de ce jour de vacances, à qui l’Apôtre Jacques adressait cette parole : « Tenez pour joie sans mélange, frères très chers, les diverses épreuves que vous rencontrerez 1». Quiconque, en effet, agit dans l’esprit de force, ou bien ne sent pas ce qui lui arrive de con­ traire, ou bien en triomphe sans aucune difficulté grâce à son courage inlassable. 72. La cinquième férié est l’esprit de conseil. C’est peu pour lui que d'accomplir les commandements de Dieu : avec une grande allégresse d’âme, il s’efforce d’aspirer à la pratique des conseils. En effet, si, une fois accomplis les commandements de Dieu, vous ambitionnez encore, selon l’exhortation de l’apôtre, des formes de grâce plus élevées s, vous aspirez à monter pour pratiquer exac­ tement les conseils proposés par le Sauveur aux zélateurs 5. Cf. 1 Cor.. 12. 31. 138 ADAM DE I'KRSEIGM·: tionis a Salvatore proposita. Unde illi qui a iuvcntute sua asserebat, se Dei mandata omnia custodisse dicit Dominus in Evangclio : Unum, inquit, libi dccst. Si I vis perfectus esse, vade, vende omnia quae habes, et da pauperibus, et veni, sequere me. Qui itaque in hac feria, I hoc est in spiritu consilii, agit, nihil sine consilio facit, omni neccsse habenti bonum consilium dare intendit; quippe qui et Spiritum consilii in se habet, et quem magni consilii angelus Christi doecl. 73. Sexta feria est spiritus intelligentiae, in qua iam mens ex observantia praecedentium feriarum satis docta est in invisibilibus figere cogitatum. Defaecata quidem et purificata, ut dictum est, ex praecedentium feriarum observantiis, idonea est per meditationem caelestibus intéressé substantiis, et amotis ab animo imaginibus rcrurn visibilium, inferre in invisibilibus essentiis intel­ lectum. Intellectus enim est uniuscuiusque rei invisibilis nuda et manifesta notitia. 74. Septima feria, id est Sabbatum, est spiritus sa­ pientiae, ubi iam anima splendoribus illustrata divinis, etiam degustare incipit interim quoddam condimentum saporis. Hic iam anima quae sursum sunt sapore, quae sursum sunt quaerere divinitus edocetur, dum quanta sit, quam mirifica sit interni suavitas saporis expc- 1 ritur. 75. Nola quod feria illa, quae dicitur intellectus, tota est in splendore, ut qui ad eam pervenerit, nihil minus quam cherubim, id est plenitudo scientiae fiat. Illa vero feria, quae spiritus sapientiae nominatur, tota est in sapore, ut qui ad eam pervenire meruerit, nihil minus quam seraphim, id est ardens vel incendens existât. Quem enim divini amoris ardor incenderit, alios utique 1. MU, 19. 21. 2. Cf. Introit do In troisième messo de Noël. 3. Cf. saint Grécoihu le Grano, llomll. In fivang., II, xxxv, 10 ; P. L., LETTRR VI, 72-75 139 de la perfection. Dans ce sens, le Seigneur dans l’évangile a dit. à celui qui affirmait avoir, depuis sa jeunesse, gardé tous les commandements de Dieu : « Une seule chose vous manque : si vous voulez être parfait, allez, vendez tout ce que vous avez et donncz-le aux pauvres ; puis venez et suivez-moi *. » Celui donc qui vit ce jour de vacances, je veux dire l’esprit de conseil, ne fait rien sans conseil, pense il donner un bon conseil à quiconque en a besoin ; il a en effet en lui l’Esprit de conseil, et l’Ange du grand conseil *, le Christ, est son maître. 73. La sixième férié est l’esprit d’intelligence. L’âme qui a observé les fériés qui précèdent y atteint main­ tenant, suffisamment entraînée qu’elle est à fixer sa pensée sur les réalités invisibles elles-mêmes. Décantée, en effet, et purifiée, comme nous l’avons dit, par l’obser­ vation des précédentes feries, elle est apte à vivre, par la méditation, avec les réalités célestes, et, délivrée des représentations du visible, à plonger son intelligence parmi les essences invisibles. L’« intelligence » est en effet une connaissance nue et claire de tout le domaine de l’invisible. 74. La septième férié, c’est-à-dire le Sabbat, est l’esprit de sagesse ; illuminée désormais des splendeurs divines, l’âme, par intervalles, se met à goûter comme une saveur bien relevée. A ce degré, elle apprend de Dieu à goûter ce qui est d’en haut, à chercher ce qui est d’en haut, tandis qu’elle expérimente combien est grande et mer­ veilleuse la suavité de l’intcrncllc saveur '. 75. Notez que la férié dite « esprit d’intelligence », est toute en lumière, au point que celui qui y atteint n’est plus, désormais, inférieur aux chérubins euxmêmes, c’est-à-dire à la plénitude de la science. Au con­ traire. la férié qui se nomme « esprit de sagesse », est toute en saveur : qui a mérité d’y parvenir, n’est pas inférieur aux séraphins : il est tout ardeur et tout flamme 3. Car l’homme enflammé de l’ardeur du divin amour, liquéfié par cette ardeur, communique réellement sa flamme 76, 1232 A-B : < Cherubim quoque plenitudo scientiae dicitur... Seraphim panique ardentes vel Incendentes vocantur. · 140 ADAM DE PERSElGNE hoc ardore liquefactus incendit. Ad hunc pervenerat ardorem feriata illa anima quae dicebat : Anima mea liquefacta est, ut dilectus locutus est. Mens certe quam huius amoris incendium liquefacit, incendit alios, dum quantum eos diligat ex suis liquefactionibus innotescit. 76. Sunt autem plurimae liquefactiones animae cae­ lesti desiderio ardentis et ad ardoris huius desiderium alios incendentis. Primo resolvitur in lacrymas compunc­ tionis, per officium ct instantiam timoris initialis. Huic enim timori, cum sit initium sapientiae, mixtus est amor iustitiae. Secundo resolvitur anima in lacrymas devo­ tionis, quae nasci solet ex recordatione beneficii spiri­ talis. Cum enim recordatur Dei beneficia, quae indigna accepit, movetur ad lacrymas, dum gratias agit. Tertio liquefacta resolvitur in lacrymas amoris, quae prodeunt de spe et ardenti desiderio videndi aliquando faciem Conditoris. Quarto liquefacta resolvitur in lacrymas pietatis, quas erga fraternam miseriam producit affectus compassionis. Quinta liquefactio est, cum ardenti cari­ tate totam se expendit et erogat in piis activae vitae exercitiis. Sexta liquefactio est, cum anima tota liquescit et subtiliatur in delicias supernae contemplationis. Unde de eiusmodi anima scriptum est : Quae est ista quae ascendit de deserto, deliciis allluens ? Septima liquefaclio est. cum anima huiusmodi lota defluit et resol­ vitur in fragrantiam boni nominis et ad consolationem multorum spargit in aromaticam suavitatem odoriferae opinionis, ut de ipsa dici possit : Unguentum effusum nomen tuum. Unde ct talis anima in Cantico canticorum appellatur virgula fumi ex aromatibus myrrhae ct thu­ ris et universi pulveris pigmentarii. Talis siquidem anima odoris sui fragrantia alios attrahit, et ad Dei dilectionem 1. Cnnt., 5. C. 2. Cant., S. 5. 3. Cani., t, 2. LETTRE VI, 75-76 141 aux autres. A celle ardeur était parvenue celte âme en vacances, qui disait : « Mon âme s’est liquéfiée dès qu’a parlé mon bien-aimé ’. » Oui, l’âme que liquéfie l’ardeur de cet amour, enflamme les autres, cl révèle, par ses propres liquéfactions, combien elle les aime. 76. Or, nombreuses sont les liquéfactions de l’âme qui brûle du désir céleste et enflamme les autres à désirer cette ardeur. D’abord, sous la vive action de la crainte initiale, elle fond en larmes dc componction. A cette crainte qui est le commencement de la sagesse, se trouve en effet mêlé l’amour de la justice. En second lieu, l’âme se fond en larmes de dévotion, que provoque habituel* lemcnl le souvenir d’un bienfait spirituel. Lorsqu'on effet elle se remémore les bienfaits de Dieu, reçus malgré son indignité, son action de grâces l’émeut aux larmes. Liquéfiée une troisième fois, elle se fond en larmes d’amour qui proviennent de l’espérance et de l’ardent désir de voir un jour la face du Créateur. Quatrième li­ quéfaction : l’âme émue de compassion envers la misère de scs frères, se fond en larmes de pitié. La cinquième liquefaction se produit lorsque, sous l’empire d’une ardente charité, l’âme dépense sans compter sa per­ sonne et ses biens dans les œuvres pies de la vie active. Sixième liquéfaction : l'âme tout entière s’écoule et se sublime dans les délices de la contemplation céleste. Aussi est-il écrit de l’âme en cet état : « Quelle est celle-ci qui monte du désert, ruisselante de délices2?» Sep­ tième liquéfaction : l’âme à ce degré s’écoule et se résoud tout entière dans la suave odeur de sa bonne réputation, ct, pour la consolation d'un grand nombre, s’exhale en l’aromatique suavité d'un renom odoriférant, au point qu’on peut dire d’elle : « C’est un parfum répandu que votre nom 8 » Aussi, dans le Cantique des Cantiques, une telle âme est-elle appelée « une colonne de fumée (s’élevant) des aromates de la myrrhe et dc l’encens, et dc toute sorte de poudre parfumée 4 ». A n’en pas douter, une telle âme attire les autres par la bonne odeur de son parfum, et les entraîne à sa suite vers l’amour de Dieu, 4. Cant., 3. 6. 142 ADAM DE PEKSKIGNE post se currere facit exsultantes et dicentes: Post te in odore unguentorum tuorum curremus. Huiusmodi liquefacliones sunt illae emissiones de quibus sponsa laudatur, cum ei voce sponsi in Cantico dicilur : Emissiones tuae paradisus malorum punicorum cum pomorum fruc­ tibus. 77. Verum ad bona ista, mi dilecte, nunquam per­ veniunt qui a timore Dei innocentiam non concipiunt. Certe nec illi possunt gaudere partu iustitiac in quibus Dei timor non procreat conceptum innocentiae. Sed nec illos conceptu huiusmodi timor impraegnat quos splendor rectae fidei non illustrat. Crede mihi, ut verba Dei cum affectu audias, audi ut timeas, time ut diligas, dilige ut mandata perficias. Nam ex perfectione mandatorum sequitur felix adeptio praemiorum. Deum igitur time, et mandata eius observa. IIoc est omnis homo. Vale in Domino semper, et sic vive ut ct conscientia tua libi interius perhibeat testimonium, et exterius valeas esse fratribus in exemplum. LETTRE VI, 70-77 143 proclamant dans leur course joyeuse : « Après vous nous courrons dans l’odeur de vos parfums 1 » Les liqué­ factions telles que je viens de les décrire sont les exha­ laisons dont l'époux fait compliment à l’épouse, lorsque dans le Cantique il lui dit : «Vos exhalaisons sont un verger de pommiers d’amour garnis de leurs fruits 1 23. » 77. Mais, mon cher ami, ceux en qui la crainte de Dieu n’engendre pas l’innocence, jamais ne parviendront à ces biens. Qu’ils renoncent à la joie de voir naître en eux la justice, ceux qui ne conçoivent pas, de la crainte de Dieu, le germe de l’innocence. Mais la crainte ne féconde pas non plus de germes de cette sorte ceux que n’illu­ mine pas la lumière d’une foi intègre. Croyez-moi, pour que votre cœur entende les divines paroles, que timo­ rée soit votre écoute, amoureuse votre crainte, tout obéis­ sant votre amour. Car du parfait accomplissement des commandements, résulte l’heureuse acquisition de la ré­ compense. « Craignez donc Dieu et observez ses com­ mandements : c’est là tout l’homme ’ ! » Portez-vous bien toujours dans le Seigneur, et vivez de telle sorte que votre conscience vous rende témoignage au-dedans, et qu’au-dehors vos frères puissent trouver en vous un modèle. 1. Cant., 1, 3. 2. Cnnt., 4. 13. 3. Eccle., 12. 13. vu AD EUMDEM 78. Dilecto suo in Christo fratri 0. monacho Mortuimaris, frater A., servus servorum Dei, qui apud Personiam militant, salutem in Spiritu sancto. Importunitas est taedii mater, ubi eam ardentior dilectionis sinceritas non excusat. Verum nihil est vera dilectione fidentius, nec aliquid opportunius esse exis­ timat quam importune illi insistere de quo fidit. Haec fiducia dilectoribus Dei praestat orandi constantiam ; nec ideo ab instantia orationis deficiunt, quia in eo quem amant confidere se cognoscunt. Tu videris erga me hanc habere amoris fiduciam. Et ideo de taedio notari non metuis, quia tribuit libi confidentiam internae cons­ cientia caritatis. 79. Sed quid est. obsecro, quod tantum de teipso mihi conquereris, et varias mentis tuae aegritudines mihi proponis quasi ad remedium et exponis ? Aut quid potest habere commodi morbum suum ostendere eadem invalitudinc laboranti ? Annon quodam modo dolorem aegrotanti exaggerat qui dc sc illi planctus et lacrymas exhibet quem potius consolari deberet ? Infirmitates tuas illi potius debueras revelare cui praestita est virtus sanitas animae, et cui cum sanitate animi data est etiam /l vu AU MÊME La crainte de Dieu ct le repos sabbatique. i 1 I . 78. A son cher frère dans le Christ, Osmond, moine de Morte mer, frère Adam, serviteur des serviteurs de Dieu qui combattent à Perseigne, salut dans l’EspritSaint. L’importunité est mère du dégoût, lorsqu’elle n’a pas l'excuse d’une amitié particulièrement pure cl ardente. Mais il n’est rien de plus confiant que l’amitié ! et rien ne lui semble plus opportun que d’importuner celui en qui elle a placé sa confiance. C’est cette confiance qui donne aux amis de Dieu la constance dans la prière ; et s’ils ne cessent d’insister dans leur prière, c’est qu’ils savent leur confiance placée en quelqu’un qu’ils aiment. Il semble que vous ayez à mon égard cette confiance de l’amour. Et voilà pourquoi vous ne redoutez pas d’être taxé d’indiscrétion : conscient de l'amour qui vous habite, vous en recevez la confiance ! 79. Mais que signifie, dites-moi, que vous m’adressiez tant de plaintes sur vous-même, et que vous mettiez devant mes yeux, me les exposant comme pour en recevoir le remède, les différents malaises de votre âme ? Vous êtes-vous demandé quel avantage il peut bien y avoir à montrer son mal à quelqu’un qui souffre de la même incommodité ? N’est-cc pas en quelque sorte aviver la souffrance du patient, que de présenter ses propres gémissements et ses propres larmes à celui qu’on devrait plutôt consoler ? Vous auriez dû, de préférence, découvrir vos faiblesses à un homme qui possédât en partage la vertu, santé de l’âme, et qui, outre cette Lettres. I. 10 116 ADAM DE PERSEIGNE peritia medicandi. Non enim statim qui mentis sani­ tatem, id est virtutem obtinet, ideo medendi peritiam habet. Sed qui utrumque a Deo consequitur, feliciter male habentibus praesto est cl medetur. Nam ridiculum est quemquam medicinalis artis exercere officium, et quibus curam impendit exhibere se languidum. Et vix efficaciam potest habere in exhibendis remediis, quem reddunt contemptibilem evidentis signa languoris. 80. Cum igitur virtus sit animi sanitas, cuius aegri­ tudo est vitium, aegritudini tuae remedium non exhibeo, qui in infirmitorio mundanae miseriae hoc morbo sau­ cius usquequaque decumbo. Sic sic propter neglectam custodiam cordis abundat et superabundat vita vitiis, et ex languoribus abundantiam vitiorum consensu adhi­ bito viperea soboles nascitur peccatorum. Agit siquidem intestina viliorum inhaesio ut pene continua sit in nobis peccati recordatio : quae tamen si delectationem sccum non habuerit vel consensum, nihil per hoc agitur in Deum timentibus nisi bellum. Dc bello autem, si mens in constantiae virtute perstiterit, victoria provenit, et vic­ toria ad coronam provehitur, quam nisi qui legitime certaverit non meretur. Satagit itaque animus virtutis ut quia contraire non potest motibus primis, saltem usque ad delectationis vel consensionis periculum non labatur, ne etiam c vicino quandoque ad perversitatem operis pertrahatur. 81. Verum infelix animus meus et ex more primis motibus assidue quatitur, et ex cogitationibus ab eis orientibus periculose illicitur, et tantum ex morbo huiusmodi invalescunt delectatio et consensus, ut me saepissime ad consensionis illicitae trahant opus. 0 si, quemadmodum praecipit sapientia, cor omni custodia 1. Ct. 2 Tim., 2. 5. LETTRE Vil, 79-81 147 santé de l’âme, ait reçu l’art de guérir. Dites-vous bien que celui qui tient la santé de lame, c’est-à-dire la vertu, ne possède pas du fait même, 1'art dc guérir. Mais celui qui reçoit de Dieu l’une et l’autre, secourt avec succès les malades cl les guérit. Il est incontestablement ridi­ cule qu’un homme exerce les fonctions de l’art médical, sans pouvoir cacher à ceux qu’il soigne des défaillances dc santé. Déconsidéré par les symptômes évidents de sa maladie, il n’aura guère de succès lorsqu’il proposera scs remèdes ! 80. Puis donc que la vertu est. la santé de l’âme — dont le vice est la maladie —, je n’ai pas à offrir de remèdes à vos malaises : vous me voyez indéfiniment gisant dans l’infirmerie dc la misère de cc monde, atteint préci­ sément de vos maux. Voilà, voilà comment la négligence dans la garde du cœur aboutit à donner aux vices une vitalité qui coule à pleins bords et par-dessus les bords, et comment, le consentement (au mal) s’introduisant dans l’âme affaiblie par l’abondance des vices, la race vipérine des péchés vient au jour. Il faut bien le recon­ naître, l’enracinement intime de nos vices fait que le souvenir du péché se réveille presque continuellement en nous : si cc souvenir n’apporte pas avec lui délec­ tation ou consentement, il ne produit autre chose, pour ceux qui craignent Dieu, que la guerre. Et si l’âme a su demeurer dans une vertueuse constance, de la guerre sort la victoire, et la victoire conduit à la couronne, que seul mérite celui qui a combattu selon les régies *. Aussi l’âme vertueuse prend-elle garde, puisqu’elle ne peut s’opposer aux premiers mouvements, de ne pas se laisser glisser, du moins, jusqu’au péril dc la délectation ou du consentement, de peur de se laisser entraîner, de proche en proche, à commettre finalement l’acte mauvais. 81. Mais ma pauvre âme, victime de l’habitude, res­ sent toujours les secousses des premiers mouvements ; les pensées qui en résultent lui sont aussi de dangereuses tentations ; et ce genre de faiblesse donne à la délec­ tation et au consentement tant dc force, que très souvent je suis entraîné à consentir à une action défendue. Oh 1 si, comme le prescrit la Sagesse, mon cœur était gardé 148 ADAM DE PERSEIGNE servaretur, nec animus ex peccati delectatione iniqui­ tatem conciperet, nec ex conceptu huiusmodi partus nequitiae proveniret ! 82. Certe si Dei limor sollicitas exerceret excubias, ad cordis aditum omni prorsus nequitiae negaret introitum, ct, sicut ab ingressu animae per vigilantiam peccatum “, ita quod per negligentiam male intrare potuit, per poenitentiam ab interioribus propulsaret. Est enim Dei timor amator innocentiae, ct nihilominus justitiae aemulator, assuetus damna innocentiae per justitiae rectitudinem restaurare. Dum enim anima, quae ad Creatoris injuriam innocentiam perdidit, per poenitentiam de seipsa justitiam Deo facit, nonne videtur libi per poenitentiam reparare innocentiam, cui sane mullo gratius erat illam non descendisse dc Hie­ rusalem in lericho, non in latrones incidisse, quam vul­ neratae a latronibus salutis remedia procurasse ? Beatus tamen est qui prius amissam innocentiam poenitendo resurgit ad justitiam. Sed felicior est qui sic divini timoris custodia communitur ut contra innocentiam quidquam agere dedignetur. 83. Nihil igitur est divino timore beatius, cuius pon­ dere dum animus figitur, non per varia vanis cogitatio­ nibus agitatur. Dum enim officii sui stimulo cor assidue tangit et pungit, aliud aliquid quam ipsam punctionem vel punctionis causam in memoriam venire vix sinit. Qui dum ad ostium cordis salubriter et feliciter solli­ citus custos excubat, amori ad solemnizandum interius locum praestat. Timor siquidem sanctus facillime cogi­ tationes otiosas a conspectibus cordis, dum Deo intendit, exsufflat, voluptuosas desiderio propositae honestatis persequitur, malitiosas oppositione simplicitatis et pic- a. arceret : marceret .4 lialu'c. r.r:iTAE vu, 81-83 149 par la vigilance sous toutes ses formes, l’attrait du péché n’amènerait pas l’âme à concevoir l’iniquité, et pas davantage le mal ne naîtrait de cette conception ! 82. Certes, si la crainte de Dieu montait une garde attentive, elle interdirait absolument à tout mal l'accès des avenues du cœur, ct de même que par sa vigilance elle tiendrait le péché loin des abords de l’âme, de même elle saurait, par la pénitence, expulser de l’âme ce que, fâcheusement, la negligence aurait pu laisser s’intro­ duire. Amie de l’innocence, la crainte de Dieu n’a pas moins Je zèle de la justice, accoutumée qu’elle est à réparer, par la rectitude de la justice, les dommages causés à l’innocence. Lorsqu’on effet l’âme qui, au mépris de son Créateur, a perdu l’innocence, rend à Dieu justice d’cllc-mème par la pénitence, ne vous semble-t-elle pas, en faisant pénitence, réparer son innocence? Elle aurait néanmoins bien préféré que cette innocence ne fût pas descendue de Jérusalem à Jéricho, et tombée dans les mains des voleurs >, pour n’avoir pas à lui procurer les remèdes nécessaires à la guérison des blessures faites par les voleurs. Bienheureux pourtant, qui, par la pénitence, fait revivre à la justice l’innocence perdue Mais plus heureux l’homme si bien gardé par la crainte de Dieu, qu'il ne s’abaisse pas à faire quoi que ce soit de contraire à l’innocence ! 83. Il n’y a donc rien de plus avantageux que la crainte de Dieu ; tant que l'âme est lestée de son poids, elle n’est point ballottée en tout sens par les vaines pensées. Tandis qu’elle touche le cœur, en effet, et le pique de l’aiguillon qu’elle a mission de manier, elle ne permet guère à quoi que ce soit d’autre qu’à sa piqûre, ou à ce qui la cause, d’occuper le champ de la conscience. En montant à la porte du cœur sa garde salutaire, cette sentinelle vigilante assure à l’amour une place où célébrer sa fête intérieure. De son souille, en effet, la sainte crainte de Dieu n’a nulle peine à chasser loin des horizons du cœur attentif à Dieu les pensées oiseuses ; elle combat les pensées voluptueuses en faisant désirer la pureté qu’elle 1. Cf. !λ. ίο, no. 150 ADAM DE PI'.nSEIGNE latis exturbat. Per piam igitur sancti timoris sollicitu­ dinem compressis incursibus vitiorum, sedatis cogita­ tionum tumultibus, sabbatizante iam conscientia, amor soleinnizat interius, et tanto iucundiores ferias agit quanto mentem liberam ad caelestia allectanda cognoscit. 84. Tu igitur, carissime, cum festivitas huiusmodi ex amoris infusi beneficio laetificaverit libi mentem, habe me solemnitatis internae consortem, nec bonum collatum tibi facias singulare, sed amici adhuc exterius mendicantis in tuis deliciis recordare. Frange, inquam, panem tuum mendicanti et esurienti amico ; quia in hoc te vere amicum probaveris, si amici esuriem refeceris pane tuo. Panis tuus Christus est, panis tuus caritas tua est, panis tuus oratio tua est, panis tuus cst compunctio lacrymarum, quibus non modo tua sed etiam peccata diluis amicorum. His utique panibus se die ac nocte refici asserit Propheta sanctus : Fuerunt mihi, inquiens, lacrymac meae panes die ac nocte. Certe quanto his panibus avidius reficiebatur, tanto ad portanda aliorum onera fortior reddebatur. Caelestis siquidem panis refectio ita confirmat cor hominis ut et ipse in laboribus possit subsistere el se fortem comportandis oneribus fraternis velit et valeat exhibere. 85. Certe qui panibus huiusmodi vescitur, tam fortis efficitur, tanto figitur pondere, ut non dico evertere, sed vix eum vanae cogitationes et inutiles valeant com­ movere. Dum enim vel ex Scripturarum vel ex lacryinarnm panibus dulciter et avide reficitur animus in vinea Domini Sabaoth laborantis, non impellitur, non agitatur cogitationum llatibus variis, quia ipsae cogita­ tiones, eo ipso quod vanae sunt, solidatam consueti cibi fortitudine mentem a suae stabilitatis rectitudine non 1. Ps. 41, 4. 2. Cf. Gal., 6, 2. t LETTRE VII, 83-85 151 propose ; elle met. en déroute les pensées malveillantes en leur opposant la simplicité et la bonté. Donc, lorsque la pieuse sollicitude de la sainte crainte a réprime les incursions des vices, et apaisé le tumulte des pensées, la conscience entre dans le repos sabbatique ; l’amour, au fond de l’âme, célèbre sa solennité, cl passe des jours de vacances d’autant plus heureux qu’il sent l’âme désormais libre dc s’adonner aux choses du ciel. 84. Vous donc, mon très cher, lorsqu’une festivité de ce genre, bienfait de l’amour infus, sera venue réjouir votre âme, faites-moi le compagnon de votre solennité intérieure ; n’accaparez pas le bien qui vous est dispensé, mais, dans vos délices, souvenez-vous dc l’ami qui mendie encore à votre porte. Rompez, vous dis-je, votre pain, à votre ami qui mendie affamé ; ce serait une preuve d’amitié sincère que de rassasier de votre pain la faim de votre ami. Votre pain, c’est le Christ, voire pain, c’est voire charité, votre pain, c’est voire prière, votre pain, c’est la componction des larmes dont vous lavez non seu­ lement vos péchés, mais encore ceux de vos amis. Jour et nuit le saint Prophète se rassasiait de ces pains-là ; il l’aflirmc lorsqu'il dit : « Mes larmes furent mon pain, le jour et la nuit *. » Assurément, plus était grand son appétit de se rassasier de ces pains, plus il devenait fort pour porter les fardeaux des autres. La réfection de pain céleste fortifie si bien le cœur dc l’homme, que d’une part, il devient capable, en ce qui le concerne, de tenir bon dans l’épreuve, et que par ailleurs, il décide de s’em­ ployer à aider ses frères à porter leurs fardeaux 3 cl en a la force. 85. Certes, celui qui mange de ces pains devient si fort, esl lesté d’un tel poids, que les pensées vaines et inutiles ne peuvent plus, je ne dis pas le renverser, mais simplement l’émouvoir. Tandis, en effet, qu’avec ap­ pétit, l’âme au travail dans la vigne du Seigneur des armées se réconforte et sc délecte du pain de l’Écriturc ou dc celui des larmes, les pensées ne lui font pas sentir les chocs ni les secousses de leurs brises capricieuses. Car ces pensées, vaines qu’elles sont, ne suffisent pas à faire dévier de sa ferme rectitude une âme fortifiée par un 152 ADAM DE PERSEIGN'E inflectunt. Cum panibus huiusmodi saturatus fueris, saltem serva mihi aliquid de reliquiis, ut. ex eis refectus possim et ipse in laboribus meis subsistere, quos supra modum et. ultra vires noveris excrevisse. 86. Ceterum de animae tuae aegritudinibus, dc quibus mihi in litteris tuis conquereris, ad illius opem et curam festina confugere qui, iuxta verbum suum, non sanis sed male habentibus venit remedium exhibere. Ipse enim dicitur Christus, qui et sauciati vulneribus saluti­ feram unctionem apponit. Ipse dicitur lesus, qui unctos a $e plenae saluti restituit. Medicinae ipsius efficaciae volo te commendatum esse ; cui tu devote et humiliter supplica ut meae quoque invalitudini adsit ipsius gra­ tiae efficax medicina. De cetero, fili, noli mihi molestus esse, nec a me aliquid amplius quaeras ; quia, licet res­ pondere petitionibus tuis deinceps non proponam, te tamen in veritate diligere, quamdiu in veritate steteris, non desistam. Vale in Domino semper. LETTRE VU, 85-86 153 régime substantiel fidèlement observé. Quand vous vous serez rassasié de ces pains, gardez-moi au moins quelque chose de vos restes, pour que je puisse m’en nourrir, et. tenir bon, moi aussi, dans mes épreuves : vous savez qu’elles se sont accrues démesurément et dépassent mes forces. S6. Au reste, pour ce qui est des malaises de votre âme, dont vous vous plaignez à moi dans votre lettre, hâtezvous de recourir au secours et aux soins de celui qui, selon sa parole, est venu révéler un remède, non aux bien portants, mais aux malades ». Son nom est en effet l’« Oint » : il applique aux plaies du blessé une onction salutaire. Son nom est aussi « Jésus » : il rend la pleine santé à ceux qu’il a oints. Je veux que vous vous confiiez à l’efficacité de son remède ; suppliez-le avec dévotion et humilité d’envoyer aussi au secours de ma maladie le remède efficace de sa grâce. Au surplus, mon fils, ne m’importunez plus12 cl ne me demandez plus rien, puisque, tout résolu que je sois de ne plus répondre à vos demandes, je ne cesserai pas. pourtant, de vous aimer en vérité, aussi longtemps que vous vous tiendrez dans la vérité. Portez-vous bien dans le Seigneur, toujours. 1. Cf. Mt.. Û. 12. 2. Cf. Le. 11. 7. VIII AD EUMDEM 87. Fratri Osmundo frater Adam. Astulus es, et callide agis, qui quod per te posse obti­ nere diffidis, per personam interpositam a me quaeris. Et revera talem personam interposuisti cui, quod per eam postulabas, hac vice negare non potui. Sed forte alias aliud facerem, si tantam ab ea pro te instantiam sustinerem. 88. Nunc igitur habes epistolam quam quaesisti. Habes ct cor meum in visceribus lesu Christi. Et licet mc gaudeam a necessitate scribendi quiescere, tamen nunquam in Spiritu sancto desinam te amare. 89. Utinam humilitatis meae litterulas apud te recon­ ditas detineres, nec tenuitatis meae inopiam ceterorum auribus intimares. Si enim per Scripturam prohiberis laudare hominem in vita sua, quomodo eniteris efferre laudibus meae rusticitatis opuscula, praesertim cum secreti amoris nostri secreta colloquia deberent saecu­ laribus quibusque celari ? Semper consuevit sancta dilectio collocutionibus secretis gaudere. Eo facilius haec A 1. Simple billet de reproche ainica). qui. originairement encadrait peutêtre entre son premier alinéa ct les suivants une lettre substant telle, de­ mandée à Adam pour Osmond par une tierce personne demeurée inconnue. Nous savons seulement que l'abbé dc Perseigne no pouvait rien refuser à cette personne. Le ton est plein d’aisance : gronderle badine au début, il reprend le ton de la plus sereine amitié. VIII AU MÊME L'amitié veut la discrétion. Ü7. A. frère Osmond, frère Adam *. Vous êtes plein d'astuce et de ruse : ce que vous crai­ gnez de ne pas obtenir directement, vous me le demandez par personne interposée ! Et, bien entendu, vous avez interposé telle personne à qui, cette fois, je ne pouvais refuser ce que vous me demandiez par son intermédiaire. Mais une autre fois, j’agirais peut-être autrement, si je devais subir de sa part une aussi vive insistance en votre faveur. 88. Vous avez donc maintenant la lettre que vous avez cherché à obtenir. Vous avez aussi mon cœur, dans les entrailles dc Jésus-Christ. Et, bien que je sois heureux d’être déchargé de l’obligation de vous écrire, je ne ces­ serai cependant jamais de vous aimer dans le SaintEsprit. 89. Plût à Dieu que vous gardiez cachées chez vous les pauvres lettres de mon insignifiante personne, et. que vous n’alliez pas imposer aux oreilles des autres l’indi­ gence dc ma médiocrité ! Si, en effet, F Écriture Sainte vous défend de louer un homme durant sa vie 2, de quel droit vous efforcez-vous d’exalter par la louange les pauvres productions de ma rusticité, quand, plus que d’antres, les entretiens secrets dc notre secrète amitié devraient rester cachés à tous les gens du siècle ? Le secret des entretiens a toujours été parmi les habitudes 2. Eccli., 11, 30. 156 ADAM DE PERSEIGNE flamma restinguitur cum ventis exposita inconsultius proponatur. 90. Quod igitur tibi ex magno amore secret ius dico vel scribo, vide ne per te fiat in propatulo. Quia, ut dixi, saepe flatibus ventosae laudis tepescit aut exstinguitur vis amoris. Vale in Domino semper. LETTRE VIII, 89-0(1 I57 chères à la sainte dilection. Inconsidérément exposée au vent, elle s’en éteint d’autant plus facilement. 90. Donc, lorsqu’on raison de ma grande amitié, je vous dis ou vous écris quelque secret, veillez à ne pas prendre l’initiative de sa divulgation. Comme je le disais, souvent les brises d’une louange frivole attiédissent, l’amitié ou en éteignent la vigueur. Portez-vous bien dans le Seigneur, toujours. IX AD EüMDEM 91. Dilecto suo in Christo fratri Osmundo monacho Mortuimaris, frater Atiam, humilis servus fratrum Perseniae, in Mortuomari mori vitiis et virtutibus vivere. U tinam, fili mi, sit tibi Mare Mortuum quod fuit Israeli Mare Rubrum, ut, dum tibi per illud liber tran­ situs, duce gratia, datur, in eo cum suo Pharaone perse­ quentes te Aegyptii submergantur 1 Gloriose enim sub manu Moysi triumphans de illis, per illud festinas ad solitudinem. Quippe qui didicisti experimento quod divino amori sit amicissima solitudo. Qui enim amori caelestium vacat, fugit turbam, strepitus vitat, et fre­ quens Marlhae ministerium cum Maria fastidit, ut audire et videre eo securius quo secretius Christum possit. Nihil certe tam facit ad amoris negotium quam solitarium esse, id est monachum. Nam religiosa et. quieta monachi conversatio ipsa est quam sanctus amor desiderat soli­ tudo. Nec tamen amoris huius pietas in tantae solitu­ dinis otio constituitur ut piae sollicitudinis timore pri­ vetur. Sed timorata et timida est semper amans anima, ne in amoris sui periculum sit a bono opere per negligentiam otiosa. Et talis quidem est amor divinus. Sed nihilominus pia plenus est sollicitudine amor fraternus; IX AU MÊME Anxiétés et renoncements de l'amour. 91. Λ son cher frère dans le Christ, Osmond, moine de Mortemer, frère Adam, humble serviteur des moines de Perseigne : mourir, dans la Mortemer, aux vices, ct vivre aux vertus. Plaise à Dieu, mon fils, que Mortemer soit pour vous ce que pour Israël fut la mer Rouge; ainsi, tandis que vous y trouverez, vous, libre passage, sous la conduite de la grâce, avec leur Pharaon les Égyptiens qui vous poursuivent y seront engloutis ! Sous la conduite de Moïse vous triomphez glorieusement de vos ennemis, et à travers cette mer, vous courez à la solitude. Vous avez en effet appris par l’expérience que la solitude est fort, amie du divin amour. Qui s’adonne à l’amour céleste, fuit la foule, évite le bruit, et avec Marie, dédaigne le service trop empressé de Marthe, sachant que plus pro­ fonde sera sa retraite, plus sûrement il pourra écouler et voir le Christ. Rien, certes, n’avance plus les affaires de l’amour, que d’être solitaire, c’est-à-dire moine. En effet, l’existence religieuse et. tranquille d’un moine est précisément cette solitude que désire le divin amour. Et pourtant, cet amour dévoué ne s’établit pas dans la quiétude d'une retraite si profonde qu’il ignore les anxiétés d'une dévouée sollicitude. Au contraire, l’âme aimante, toujours timorée ct. craintive, redoute de demeurer, au péril de son amour et par négligence, dans un coupable désœuvrement. El tel est bien l’amour divin. Mais il est tout aussi vrai que l’amour fraternel est plein d’une tendre sollicitude ; et celui qui aime son 160 ADAM DE PEHSEIGNH et qui sinceriter alterum diligit, a dilecto respectus sui oculum vix reflectit. 92. Ecce, fili, dilectionis tuae suscepi litteras, et mihi lectae sunt, ct ex earum lectione cognovi apertius quod revera amor nunquam est otiosus. Ubi enim infigit ■ affectum, illuc dirigit oculum, nec insatiabili oculo patitur non videre quod affectu tenaci et avido delectat amare. Vidclur hoc sapere poetae sententia, licet loquaquatur de dilectione contraria, in quodam versiculo ita inquiens : Res est. solliciti plena timoris amor. Quemadmodum enim natura ignis non quiescit in sui nutrimentum sorbere materiam quae ei supposita fuerit, sic mens, nimirum amantis desiderio amoris ignita, totam rem quam diligit in sui attrahit gaudii incrementa, sollicite de illa cogitat, laetanter de illa loquitur, et ubi­ cumque thesaurum reposuerit, suae dilectionis, ibi nimi­ rum et affectum et aspectum delectabiliter collocat, suae mentis. Ubi enim amor, ibi oculus, et iuxta evangclicam sententiam : Ubi est thesaurus tuus, ibi est cl cor tuum. 93. Habet quilibet in amore suo gaudium suum, et de re circa quam magis afficitur plenius gaudet et delecta­ bilius meditatur. Et quid mirum, fili ? Certe inter poten­ tias animae nulla est amore liberior, nulla liberalior, nulla dulcior, nulla est aeque fortis. Cum materiam sibi accommodam flamma illa invenerit, ignescit vehementer, aestuat dulciter, ardet suaviter ; ct cum fortiter accensa fuerit, vix eam res aliqua intercidit. 94. Verum tibi considerandum est. quae igni luo fomenta adhibeas. Nam facillime potes decipi, dum fortiter amas quod amore tuo dignum esse minime certius comprobasti. Virtuti impendendus est. amor. Sola animi virtus diligenda est in hominibus. Sed sola animi virtus, cum sil appetenda, specialiter cl inhianter imitanda est; 1. Ovide, Héroldes, 1. v. 12. 2. MI., 6, 21. I | i LETTRE IX, 91-94 161 prochain avec sincérité, détourne à peine sa vue de son bien-aimé. 92. Voici, fils, que j’ai reçu la lettre de votre amitié; je l’ai lue, et sa lecture m’a appris bien clairement, qu’en vérité, l'amour n’est jamais oisif. Car, là où il a fixé son affection, là il dirige son regard, ct son œil insatiable ne tolère pas de ne pas voir ce que, d'un attachement âpre et avide, il met son plaisir à aimer. C’est le son que semble rendre la maxime du poète, bien qu’appliquée à un tout autre amour, lorsqu’on un petit vers, il dit : « L’amour est une passion remplie d’anxiété l. » En effet, de même que par sa nature, le feu ne cesse, pour se nourrir, de consumer l’aliment qu’on y jette, ainsi l’es­ prit, je veux dire l’esprit de qui aime, enflammé par le désir d’amour, attire tout entière la chose qu’il aime pour accroître sa joie, il y pense avec sollicitude, en parle avec bonheur, cl, où qu’il ait placé sa dilcction, qui est son trésor, c’est à cela qu’il s’attache, c’est là qu’avec délices il installe sa contemplation. Car, où est l’amour, là est l’œil, et, d’après la maxime évangélique : « là où est votre trésor, là aussi est votre cœur s. » 93. Chacun met sa joie dans son amour, cl ce qui occupe le plus son affection lui procure les joies les plus complètes et les méditations les plus délectables. Et quoi d’étonnant, mon fils ? Certes, parmi les puissances de l’âme, il n’en existe aucune qui soit plus libre que 1’amour, aucune plus généreuse, aucune plus douce, aucune aussi forte. Lorsque cette flamme a trouvé l’aliment qui lui convient, elle chauffe doucement, elle brûle avec sua­ vité, cl quand elle est. solidement éprise, c'est à peine s'il est une force capable de l’éteindre. 94. Mais il vous faut considérer de quels aliments vous nourrissez votre feu. Car vous pouvez être très facilement trompé, aussi longtemps que vous aimez avec passion des objets dont une irrécusable expérience vous a montré qu’ils ne sont nullement dignes de votre amour. C’est à la vertu qu’il faut consacrer son amour. Seule la vertu de l’âme doit être aimée dans les hommes. Mais puisque seule la vertu de l’âme doit être désirée, seule aussi elle doit être imitée spécialement, et avec passion ; elle doit ellrcs. i. I. >· 162 ADAM DE PÊBSEIGNE est etiam, in quocumque fuerit, singulariter diligenda. 95. Haec idcirco dixerim, amantissime, quia nimium cito caperis, et me videris diligere quasi de sanctitate mea conscius sis. Sed licet me quamvis indignum gau­ deam diligi, nollem tc tamen in amore cuiuspiam frau­ dem pati. Dilige Deum fontem sapientiae, auctorem virtulis, datorem gratiae, promissorem gloriae, beatitudinis largitorem. Servire illi, regnare est; diligere, virtus ; inhaerere, sanctitas ; pervenire ad illum, salus ; illum tenere, honor et gloria ; cum illo esse, beatitudo et felicitas sempiterna. 96. Ceterum, sicut asseris in litteris tuis quod nihil a me requiras, prohibitionem meam bene servare vide­ ris. Sed quid est, obsecro, mihi scribere, nisi alicuius responsi rescriptum requirere, ut, dum quasi compellor respondere litteris, indirecte litteras expetere videaris. Vcrumtamen propter hoc non irascar tibi, si volueris et potueris saepius rescribere mihi ; quia revera ex froquentibus litteris est amoris quaedam probatio permanentis. 97. Ego autem nihil aliud a tc quaero nisi ut pro peccatis meis ad Deum tua perseveret oratio, et sic per eius gratiam vivas ut dignus sis qui quod petis obtineas ; quia nulla mihi de meis meritis est fiducia, nisi me oratio adiuvet et sublevet aliena. Vale in Domino semper. I I I I · LETTR8 IX, 94-97 163 être enfin, en qui que- ce soit qu’on la trouve, singuliè­ rement aimée. 95. Il se pourrait bien, mon très aimé, que je dise cela parce que vous vous laissez prendre trop vite ct scinblez m’aimer comme si vous aviez conscience d’une mienne sainteté ! Certes, je me réjouis d’être aimé malgré mon indignité, et pourtant, je ne voudrais pas vous faire subir une déception en l’amour d’un de vos amis. Aimez Dieu, source de sagesse, auteur de verlu, Dieu qui donne la grâce, promet la gloire, distribue la béatitude. Le servir, c’est régner ; l’aimer, c’est verlu ; adhérer à lui, sainteté ; parvenir à lui, salut ; le tenir, honneur et gloire ; être avec lui, béatitude et félicité éternelles. 96. Au reste, comme vous affirmez dans votre lettre que vous ne me demandez rien, on pourrait croire que vous observez ma défense. Mais, je vous prie, qu’csl-ce que m’écrire, sinon requérir en retour une réponse ? Ainsi, me mettant, pour ainsi dire, dans l’obligation de répondre à votre lettre, il est évident que vous exigez indirectement une lettre. Je ne vous en tiendrai pas rigueur cependant si vous voulez et pouvez me répondre plus souvent ; car un fréquent échange de correspon­ dance fournit une bonne preuve de la persévérance d’une amitié. 97. Pour moi, je ne vous demande rien que de prier Dieu avec persévérance pour mes péchés, ct de vivre avec sa grâce, de façon à mériter d’obtenir ce que vous de­ mandez ; car mes propres mérites ne m’inspirent nulle confiance ; il me faut l’aide et le soulagement de la prière d’autrui. Portez-vous bien dans le Seigneur, toujours. X AD SANCTI MARTINI CULTORES 98. Omnibus beati Martini memoriam pic venerantibus, Adam inter veneratores cius exiguus, patris eiusdem vestigiis inhaerere. Plerosque scandalizari audio, quod Marlinum nostrum parem apostolis cantet et glorictur Ecclesia; quae Martini laus fere ubique terrarum in ore ecclesiae resonat, maxime in illis locis, ubi celebrius et devotius eius sanctitas hono­ ratur : unde propositi mei est Martini confutare aemulos, obtrectatores persequi, ab eo utique implorans auxilii gratiam, a quo ille accipere meruit ut par apostolis dice­ retur et esset. Specialis * quippe gratiae virum singu­ lari donatum gloria apostolis purificare potuit, et procul dubio parem fecit qui solus existensb incomparabilis sine comparatione summus est, cuius pax exsuperat omnem sensum. Ceterum ea quae infra eum sunt quan­ tumlibet ea naturae suae dignitas vel bonitas Crea­ toris extulerit, non refugiunt, paritatis consortium, et DHKM a. specialis : spiritualis M || b. /jo.tf existens acto. omnino K 1. Scion Georges Goyac. Histoire religieuse delà France, Paris, 1912. p. 57, cette lettre aurait été demandée à Adam, encore bibliothécaire de Marniouticr, par Gnlliert de Gcmbloux. Mais quand Guibcrt fui nommé abbé de Gcmbloux (1191), Adam clail abbé dc Pcrscignc depuis six ans déjà. Seule la présence dc cette let In· dans le ms.Bruxelles 3169, provenant île Gcm­ bloux, pourrait fournir un argument en faveur de l'hypothèse qui en fait dc X AUX DÉVOTS DE SAINT MARTIN 98. A tous ceux qui vénèrent pieusement la mémoire du Bienheureux Martin *, Adam, le moindre de ses dévôts : marcher sur les traces de ce père. J’entends dire que bien des gens se scandalisent de ce que J’Église chante et glorifie notre Martin comme l'égal des apôtres Or, cette louange de Martin résonne sur les lèvres dc J’Église presque dans le monde entier, surtout en ces lieux où sa sainteté reçoit des honneurs particulièrement fréquents ct fervents. C’est pourquoi je me propose de confondre ceux qui jalousent Martin, de combattre scs détracteurs, non sans implorer la grâce d’être aidé de celui qui fit mériter à Martin d’être l’égal des apôtres et vénéré comme tel. Et, en effet, égaler aux apôtres un homme favorisé dc grâces exceptionnelles et gratifié d’une gloire singulière, était réalisable et fut sans doute réalisé par celui qui, étant le seul incompa­ rable, dépasse sans comparaison tous les êtres, lui dont la paix dépasse tout sentimenta. Au reste, les êtres qui sont au-dessous de lui, si haut que les ait élevés la dignité de leur propre nature ou la bonté de leur créa­ teur, n’échappent pas au sort commun d’avoir des égaux ; Guibcrt l'instigateur. Une note du ms. Bruxelles 3115 dit seulement que cette lettre est un réquisitoire contre ceux qui sc plaignent de ce que plusieurs églises chantent une hymne dans laquelle saint Martin est appelé « égal mix Apôtres ». 2. Gf. Hymne Ilex Christe, Martini decus, de saint Odon dc Cluny; la cinquième, strophe contient l'expression : · Martine, par Apostolis ». Cf. éga­ lement l'hymne d'Adam de Saint-Victor : « Gaude Sion, quae diem recolis — Qua Martinus, compar Apostolis... » 3. Cf. Phil., 1, 7. 166 ADAM DE PERSEIGNE quia instituit Conditoris auctoritas, non invidet communio caritatis ·*. Quid igitur ? Ut Martinus par apostolis esset fieri potuit, an non potuit? Si non potuit, ct limitibus quibusdam coangustatur Dei omnipotentia, ubi est quod in Scripturis Deus omnipotens appellatur ? An fortasse Deus omnipotens est, sed gratiae privilegium quo donavit apostolos, perfectis eorum sequacibus non voluit elar­ giri? Si autem, quod verum est. potuit, facere omni­ potens, ut qui perfectionem apostolicam '=· bene vivendo tenuerunt c, aequalitatem quoque d sortianture, quid impedit Martinurn ne gradus apostolici sublimitate donetur ? An quia ad promerendum gratiae sufficientiam non accepit ? An accepit quidem, sed apostolorum invidia, quod nefas est dicere, ei gloriae consortium denegavit ? Quis hoc vel cogitare audeat ? Et dicit fortasse aliquis, ideo Martinurn non esse parem apos­ tolis in gloria, quia eis fuerit inferior sanctitate. Unde hoc probas, quicunque hoc dicis ? An inde sumis argu­ mentum, quod apostoli prius electi, quod a Domino praesente per carnem vocati, quod apostoli anlonomasice ab eo sunt appellati ? Si hac dc causa eis est Martinus inferior, quod nil horum habueritf, ergo inferior et Paulus, quia ct posterius ad fidem venit, ct Dominum in carne mortali non vidit e, nec ab eo apostolici nominis impositione honorari meruit sicut alii, de quibus scriptum est, quia cos apostolos nominavit. 99. Quod si ideo apostolos praeferas, quia Dominum, antequam pateretur in carne, praesentem, ct post resur­ rectionem sibi apparentem et colloquentem videre meruerunt, quod et multis aliis datum est, quia, teste h Paulo, visus est plus quam quingentis fratribus simul ; DJ1KM a. communio caritatis : omnino unitas caritatis IIK || b. apostolicam : cvancclicam M || c. tenuerunt : -rant IIKM || d post quoque add. gloriae KH I! c. sortiantur: -rentur AI | f. habuerit : habuit Af | g. mortali non vidit : est secutus HK |’ h. post teste add. apostolo Af LETTRE X, 98-90 167 et puisque c’est l’autorité du créateur qui l’a établi, ceux qu’unit la charité n’en éprouvent pas de jalousie. Quoi donc ? était-il oui ou non possible que Martin devînt l’égal des apôtres? Si cc n’était pas possible, si la tontepuissance de Dieu se trouve bornée par de certaines limites, pourquoi donc alors, dans l’Écriturc, Dieu est-il appelé le Tout-Puissant ? On bien peut-être pensez-vous que Dieu est. tout puissant, mais n’a pas voulu étendre à leurs parfaits imitateurs, les graces privilégiées dont il a enrichi les apôtres ? Mais si — et c’est la vérité — le Tout-Puissant a pu faire que ceux qui, en vivant bien, avaient été fidèles à la perfection évangélique, reçussent aussi un même degré de gloire, quelle dilliculté à ce que Martin reçoive le rang sublime d’apôtre ? Est-ce parce qu'il n’a pas reçu assez de grâces pour le mériter ? Ou bien, s’il les a reçues, s’est-il vu refuser — affirmation sacrilège — par la jalousie des apôtres, de partager leur gloire ? Qui oserait même Je penser ? Mais quelqu’un dira peut-être que Martin n’est pas, en gloire, l’égal des apôtres parce qu’il leur est inférieur en sainteté ? Vos preuves, beau parleur? Tirez-vous argument de ce que les apôtres ont été choisis avant tous, appelés qu’ils ont été par le Seigneur corporellement présent ? de ce qu’il les a appelés «apôtres» par antonomase? Si Mar­ tin ne leur est inférieur que pour n’avoir eu aucun de ces avantages, alors Paul, lui aussi, leur est inférieur, car il n’est venu qn’aprcs eux à la foi, il n’a pas vu le Sei­ gneur dans sa chair mortelle, il n’a pas eu l’avantage de se voir imposer le nom d’apôtre, comme les autres dont il est écrit qu’« il les appela apôtres 1 ». 99. Que si vous donnez un meilleur rang aux apôtres, parce qu’ils eurent l’avantage de voir le Seigneur présent dans sa chair mortelle, avant sa passion, puis après sa résurrection, leur apparaissant ct conversant avec eux — ce qui a été donné à beaucoup d’autres, puisque au témoi­ gnage de l’apôtre Paul 1 2 plus de cinq cents frères à la 1. Cf. Le, 6, 13. 2. Cf. 1 Cor.. 15, 6. 1G8 ADAM DE PERSEIfiXE eerie el hoc Martinus assecutus est, quod nulli alii con­ cessum legitur ut nondum renatus videre Christum Dominum mereretur. O gloriosam catechumeni nostri chlamydem, qua sc tegi Christus non inglorium* reputat, Kj sed longe renali fides gloriosior, cui Christus nil quod peteret denegavit ! VI 100. Nam si quis contendat de miraculis, praeferrique apostolos inb virtutibus velit, totus exclamat orbis Mar­ tino testimonium perhibens, plura cum, imo in eo Chris­ tum signa fecisse, quam de aliquo unquam aliqua scrip­ tura authentica protestetur. Denique si quis obiciat, quod in umbra Petri ponebantur infirmi, et sanabantur; et nos de stramine in quo Martinus iacuil legimus fre­ quenter factas fuisse virtutes. Plus est sane vile stramen, absente Martino, operari virtutem, quam umbram Petri, quod sine Petri praesentia non potuit fieri, praestare remedium infirmanti. Verum sine Christo, nec Petrus praesens potuit, nec Martinus absens virtutis aliquid fecit. Mira quidem sunt haec, et digna omni admira­ tione miracula, vel umbram Petri sub eius praesentia, vel in absentia Martini paleas in quibus i acuerat Mar­ tinus operari mirabilia. 101. Sed longe mirabiliora, et in solo Martino eminentia ( repetimus. Contigit nonnunquam ut. eo festinante ad visitandum infirmum aliquem, priusquam medietatem confecisset itineris, advenientis virtutem sensisse aegro­ tum, obviam venienti processisse incolumem. Satis esse languenti, ad recuperandam salutem, non solum perve­ nisse, sed vel iter veniendi inchoasse Martinum. Hoc de Evantio avunculo suo Severus Sulpilius protestatur. 102. In apostolis fortasse aliquis praerogativam mar­ tyrii anteponit ? Martinus autem per effusionem sanDHKM a. non inglorium : gloriam UK 1. Cf. Act., 5. 15. b. post in aüd. miraculis et K I LETTRE X, 99-102 169 fois l’ont vu : c’est là un avantage que Martin, lui aussi, a reçu; à nui autre, en effet, on ne lit. qu’ait été accordée la faveur de voir le Christ Seigneur avant même d’être « rené ». O la glorieuse chlamyde de notre catéchumène, dont le Christ n’cslimc pas sans gloire de sc revêtir ! Mais bien plus glorieuse fut la foi du « rené », à qui Je Christ ne refusa rien de ce qu'il lui demandait ! 100. Car, si Ton porte la discussion sur le terrain des miracles et si l'on veut, en fait de puissance miraculeuse, lui préférer les apôtres, le monde entier cric sa protestation et produit son témoignage en faveur de Martin, affirmant qu’il a fait, — disons mieux : que le Christ en lui a fait ■— plus de miracles que jamais aucun écrit authentique n’en aura mis au compte de personne. Enfin, si l’on objectait que l’on déposait les malades à l’ombre de Pierre et qu’ils étaient guéris ’, nous lisons aussi que de fréquents prodiges ont eu pour origine le grabat sur lequel couchait Martin. Qu’un vil grabat, en l’absence de Martin, produise par Martin un miracle, c’est plus fort, que de voir l’ombre de Pierre apporter un soulagement, à un malade, puisque, sans la présence de Pierre, il ne pouvait arriver que son ombre soulageât un malade. Mais sans le Christ, ni Pierre présent, ni Martin absent, n’au­ rait. rien pu de miraculeux. Voilà, à vrai dire, des faits étonnants et dignes de toute notre admiration ; et qu’en la présence de Pierre, son ombre, et qu’en l’absence de Martin, la paille sur laquelle il avait couché, aient pro­ duit des miracles. 101. Mais nous trouvons chez Marlin des faits bien plus surprenants, et. qui n’apparaissent que chez lui. Parfois, tandis qu’il s’en allait en hâte visiter un malade, avant qu’il ait accompli la moitié du parcours, le malade éprouvait la puissance de son visiteur, et c’était un homme guéri qui venait à la rencontre (du saint). Il pouvait donc suffire, pour qu’un malade recouvrât la santé, non pas même que .Martin fût arrivé jusqu’à lui, mais qu’il se fût mis en roule. Sulpice Sévère l'atteste au sujet de son propre oncle Evanlius. 102. En faveur des apôtres, peut-être mettra-t-on en avant la prérogative du martyre ? Martin, sans doute, 170 ADAM DK PERSEIGNE guinis martyr non fuit, nisi quod tota vita cius mar­ tyrium fuit. Apostolos certe, et voluntas ct temporis necessitas martyres fecit, sed quid propter hoc gloriae Martinus perdere debuit, cui et si temporis necessitas non obtulit gladium persecutoris, a corde tamen eius voluntas non defuit passionis. Ergo caret gloria mar­ tyris, quem constat desiderio martyrem exiit isse : alioquin loanni apostolo, quia vitam supplicium non extorsit, martyris negatur gloria, cum tamen testetur Veritas quod sit suum calicem bibiturus. 103. Hunc procul dubio Martinus calicem passionis bibit, qui per innumeras incredibilis abstinentiae cruces seipsum voluntarie inaccrans, in cinere et cilicio testis lesu invictissimus spiritum exhalavit. Si ergo Martinus, quantum in ipso erat, martyr fuit, apud eum qui de voluntatibus iudicat, non habebit facti pondus sanctis­ simae efficacia voluntatis, praesertim cum omne hominis meritum in bona voluntate consistat ? Non enim opera hominis merita eius sunt, sed signa meritorum ; quanquam et si perfectionem colligamus ex operibus, nemo Martino praefertur. 104. Sed·* forte ideo quis inferiorem iudiccl apostolis Martinum, quod illi fuerunt principes populorum, doctores orbis, fundatores et fundamenta Ecclesiae, primi eruditores fidelium, tanquam qui in schola Christi teneant magistralis cathedrae dignitatem : unde nec ratio patitur magistris aequari discipulos, maxime cum magister et Dominus omnium dicat : Non est discipulus supra magistrum, nec servus supra dominum suum. Quid igitur ? Quia summi Magistri prohibet auctoritas maDHKXi a. sed : si XI 1. Cf. Office de la fête n». Af | d. etsi... cis : licet... el KH 1. C’est-à-dire évêque. LETTRE X, 104-106 173 suprême n’affirme-t-elle pas qu’il ne peut lui être égalé ? Prenez garde à la suite : « Il suffit au disciple, dit-elle, d'être comme son maître. » Voici que l’égalité avec le maître n’est pas refusée au disciple, à condition tou­ tefois que le disciple, par son zèle à l’imiter, s’efforce d’atteindre la perfection du maître. 105. Voici donc Martin le parfait disciple des apôtres et, par son ordination, prêtre apostolique ·, orné aussi des œuvres apostoliques cl, en fait de miracles, presque supérieur aux apôtres. Qu’cst-ce qui s’oppose à ce qu’on lui décerne la parité en gloire quand, sur tous les points, la ressemblance de vie le recommande ? Quoi donc ? 'fandis que nous croyons ou affirmons tout cela au sujet de Martin, manquons-nous d’égards envers la sublime dignité des apôtres ? Loin de nous ! Nous grandissons autant que nous le pouvons les apôtres, en admettant que c’est leur imitation qui a fait la perfection de Martin. Bien qu’il n’y ait pas de différence entre leur gloire, parce qu’il n’y en eut pas entre leur vie, cependant, à un certain point de vue, la sublimité des apôtres est supérieure : elle prime la gloire de Martin comme la cause l’effet, comme la matière ce qui en est constitué, et comme le principe est antérieur à cc qui prend de lui son existence. Aussi, parce que la doctrine des apôtres est la cause ct la matière et le principe de la foi et. de la formation religieuse de nos pères, il y a là une raison qui doit — et donc peut — la faire mettre avant tout le reste. Il n’en ressort pourtant pas qu’elle l'emporte, soit en mérite, soit en gloire, sur tout le reste. 106. Comment, en effet, ne sont-ils pas les égaux des apôtres, ceux qui mènent une vie semblable à celle des apôtres, l’ont des miracles égaux aux leurs, qui jugeront comme eux, toucheront comme eux un même denier pour un même travail à une même vigne 2? Une seule chose importe : que dans le paiement de ce denier le père de famille ne fasse pas acception de personnes ; mais des premiers deviennent derniers et des derniers, premiers. Et entre ceux qui reçoivent, il n’y a ni jalousie, 2. Cf. Mt., 20, 1-16. 174 ADAM DE PEBSE1GNE Quomodo ergo Martinum apostolis parem esse * invides, cum tanta sit dispensatoris veritas, tanta accipientium caritas, ut qui fuit in labore novissimus, inveniatur in acceptione denarii primus ? Erunt, inquit, novissimi primi, et primi novissimi. An oculus tuus nequam est, quia bonus est dispensator praemii, quia tale est remu­ neratoris beneplacitum, ut cum omnes eiusdem pacifi­ centur acceptione denarii, primo tamen remunerentur novissimi, quam primi ? Quae potest inter eos esse disparitas, quibus par idcinque denarius erogatur ? Certe quamvis sit inter electos dispar claritas, quia stella a stella differt in claritate ; est tamen in dispari claritate par gaudium, cum sit Deus omnia in omnibus. Quod si omnium electorum, quantumlibct meritis differant, ea est paritas, ut unum idemque sit omnibus in consummatione caritatis, in visione Conditoris, in aeternitate immortalitatis gaudium, quid putas gloriae prae ceteris Martinus obtinuit, quem apostolorum vestigiis inbaerentem perfectio aposlolica, virtutum praerogativa, signorum potentia, prae celeris illustravit ? 107. Quod si ea quae prosecutus sum assertioni meae non sufficiunt, iam demum proponatur aliquid ex quo manifestum sit perfectioni apostolicac non imparem esse Martinum. Certe Spiritus sanctus apostolis et. aposto­ lorum imitatoribus datus est ; sed eo modo quo super apostolos venit, nunquam vel raro in aliquem sanc­ torum descendit. At qui super apostolos visibiliter in igne apparuit : se quoque consimili specie et potentia in globo igneo super Martini caput, dum sacramenta offerret, ostendit : qui, etsi variis loqui linguis quia DHK.M a. apostolis parem esse : tu apostolis esse parem K ' 1. Mt., 19, 30; 20, 16 el Me. 11), 31. 2. 1 Cor., 15, 41. · J I fl I I i ' LETTRE X, 406-107 175 ni étalage de mérites. Comment donc osez-vous, vous, refuser jalousement à Martin l’égalité avec les apôtres, alors que la loyauté de celui qui l’accorde, comme la charité de ceux qui la reçoivent, sont telles que le dernier au travail se trouve le premier pour recevoir le denier? — « Il y aura, est-il dit, des derniers qui seront les pre­ miers ct des premiers qui seront les derniers. Est-ce que votre œil est mauvais1», parce que le dispensateur de la récompense est bon, parce que le bon plaisir du rému­ nérateur est d’aligner tout le monde sur la base d’un denier à recevoir, ct de telle sorte que les derniers soient payés avant les premiers ? Quelle différence peut-il y avoir entre eux, quand on leur paie également et pareillement un denier à tous ? Assurément, si les élus diffèrent en clarté — puisqu’une étoile diffère d’une autre en clarté 2 —, il y a tout de même dans des clartés dif­ férentes une joie égale, Dieu étant tout en tous 3. Que si tous les élus, si différents qu’ils soient en mérite, sont néanmoins égaux en ce qu’ils éprouvent une seule et même joie dans la consommation de la charité, dans la vision du Créateur, dans l’éternité de l’immortalité, quelle gloire suréminente a dû obtenir Martin qui, s’attachant aux traces des apôtres, s’est plus que tous les autres illustré par sa perfection apostolique, par le privilège des vertus, par la puissance des miracles ? 107. Que si ce que je viens d’exposer ne suffît pas à justifier mon assertion, apportons alors pour finir de quoi montrer à l’évidence que la perfection de Martin ne le cède en rien à celle des apôtres. Certes ΓEspritSaint a été donné aux apôtres et à leurs imitateurs. Mais jamais — ou du moins pas souvent — il n’est descendu sur l’un des saints en la manière dont il est venu sur les apôtres. Or, celui qui est apparu visiblement dans le feu sur les apôtres, s’est aussi montré dans une forme et avec une puissance toutes semblables, en un globe de feu, au dessus de la tète de Martin, tandis qu’il célébrait la messe. Sans doute il n’a pas été accordé à Martin, puisque ce n’était pas nécessaire, de parler diverses 3. 1 Cor.. 15. 28. ADAM DE PERSKIGNE 176 necesse non erat, Martino non contulit ; ita tamen sin­ gulari flamma divini amoris ignivit cum. ut et vivens in corpore, per cordis caritatem totus igneus esset ; et postquam migravit a corpore, aliquoties visibiliter totus igneus appareret. Hinc est quod Troiano sancto Sanetonensi episcopo in igne ostensus est, et ad exsequias Pelagiae matris Aredii abbatis globus igneus lotam illus­ trans ecclesiam de caelo venit, clamantibus energumenis, ad defunctae exsequias venisse Murtinum. Non dissi­ militer Gregorio Turonensis eius reliquias in novam basi­ licam inferenti apparuit. Brachio etiam vir·· quidam ora­ torium b ingrediens, globum igneum per ecclesiae supe­ riora discurrere saepius videre consuevit. 108. Non est igitur haereticum vel frivolum c confiteri virum per omnia apostolicum ad apostolicae paritatis consortium sublimari. Qui ergo cx ignorantia Martini meritis detrahit, intueaturd, legat et discat Dominum non solum de apostolis, sed et de apostolorum imita­ toribus dixisse : Volo, Pater, ut ubi ego sum, illic sit et minister meus. Quid est ubi ego sum, nisi qualis ego sum ? ac si dicat : Volo ut ad similitudinem e gloriae, quam ego habeo per naturam, perveniant ministri mei per gratiam. Inde scriptum cst : Cum apparuerit, similes ei erimus, quia videbimus eum siculi cst. Quid igitur ? An soli apostoli ministri Christi sunt ? An non Christi minister et Marlinus, et ipse inter perfectos perfectis­ simus ? Si ergo ministri Christi Christo in gloria similes sunt, et per hoc pares suntf, quo pacto inter Christi DHKM a. etiam vir : quoque abbas KH '| b. post oratorium add. eius nocturnis horis KH I c. vel frivolum ont. DM | <1. intueatur: instruatur Kll || c. similitudi­ nem : aequalitatem KH || f. et per hoc (in aliquo add. K) pares sunt om. D. 1. C.t. Giuioonu·: 871 H. de Touns, De gloria confessorum, l.iX; i*, b., 71, 87011- LETTRE X, <07-108 177 langues; cependant, l’amour divin le consuma d’une flamme si exceptionnelle que, même dans sa vie corpo­ relle, la charité de son cœur le mettait tout en feu ; et quand il eut quitté son corps, il apparut parfois visi­ blement tout de feu. Ainsi s’explique son apparition dans le feu à Trojanus, évêque de Saintes *, et, aux obsèques dc Pélagie, mère de l'abbé Arédius, la venue du ciel d’un globe dc feu éclairant toute l’église, tandis que des possédés criaient que Martin était venu aux obsèques de la défunte De la meme manière il apparut à Gré­ goire de Tours, qui introduisait ses reliques dans la nou­ velle basilique s. Un certain Brachio egalement fut souvent témoin, en entrant dans l’oratoire, de l’appa­ rition d’un globe de feu qui parcourait, à plusieurs reprises, les parties hautes de l’église 4. 108. Il n’est donc ni hérétique, ni téméraire, de pro­ fesser qu’un homme, que tout assimile aux apôtres, ait été élevé à la sublime dignité de pair des apôtres. Que celui donc qui, par ignorance, diminue les mérites dc Martin, regarde, lise et. apprenne que non seulement des apôtres, mais aussi des imitateurs des apôtres, le Sei­ gneur a dit : « Je veux, Père, que là où je suis, là aussi soit mon ministre 5. » Que signifie « où je suis », sinon «tel que je suis», comme s’il disait: « Je veux que mes ministres parviennent, par grâce, à la ressemblance de la gloire que j’ai par nature. » Aussi est-il écrit : « Quand il aura paru, nous lui serons semblables, car nous le ver­ rons tel qu’il est®.» Quoi donc? Les apôtres sont-ils seuls ministres du Christ? Est-ce que Martin, lui aussi, n’est pas ministre du Christ, et bien le plus parfait entre les parfaits ? Si donc les ministres du Christ lui sont sem­ blables en gloire, et par là lui sont égaux en quelque chose, comment ne peut-il y avoir égalité entre les mi2. Cf. GRltaoiRE DK Tocns, Dr gloria can/essorum. CIV; 903 C-904U. U s’ngit de sîiIuI Arcdius ou Yricix, personnage limousin dont Grégoire de Tours parle à plusieurs reprises (v. g. Vila S· Aridii Abbatis. 1119 A-1150 B). 3. Ibid.. XX ; 812 Λ-S I I A. 4. Ibid., XXXIX ; 858B. et Vitae Patrum, XU, 3 ; I0G1 Λ. 5. .In, 17, 24. 6. 1 Jn, 3, 2. Lettres. 1. 12 178 ADAM DE PEHSBIGNE ministros paritas esse non potest ? Quod si aliquis ex invi­ dia Martini titulos derogat, corrigatur®; alioquin potens est Martini Deus, in Martino mirabilia faciens, ulcisci sanctum suum, ct temerariae assertioni11 finem imponere, praesertim cum sit tibi melior pia dubitatio de occultis, quam litigiosa contentio de incertis. 109. Venerare itaque de cetero Murtinum, qui ei hac­ tenus, aut ignorando, aut invidendo detraxeras : et ne diffitearis apostolis parem, quem etiam Christo esse non dubitas in gloria similem, si tamen verum tibi dixisse videtur, qui ait : Similes ei erimus, quoniam videbimus eum sicuti est. Hic interventu Martini opus est, ut qui Christo similis, ac per hoc non dispar esse apostolis, apostolice vivendo, Christum imitando, Christo donante, promeruit, nobis* adhuc in dissimilitudinis regione viven­ tibus impetret veniam, reducat ad gratiam, repraesentet in gloriam, quam cum Christo habet, a Christo qui vivit et regnat in saecula sacculorum. Arnen d. DHKM a. quod... derogat, corrigatur : quid ergo... derogat? Corrigatur. II | b. assertioni : praesumptioni IIK |l c. nobis : ipse nobis HK | in saecula saeculorum. Amen. otn. D per omnia saecula saeculorum. Amen. II. LETTRE X, 108-109 179 nistrcs du Christ ? Et si quelqu’un, par jalousie, retranche les titres de gloire de Martin, qu’on le corrige ; autrement le Dieu de Martin, auteur des merveilles accomplies en Martin, serait capable de venger son saint, cl d’imposer un terme à une assertion téméraire, d’autant qu’une pieuse réserve sur ce qui nous échappe vaut mieux qu’une âpre discussion sur ce dont on n’est pas certain. 109. Au reste, vénérez donc Martin, vous qui jusqu’à présent, soit ignorance, soit envie, vous étiez fait son détracteur; et ne doutez pas que soit égal aux apôtres celui dont vous ne douiez pas qu’en gloire il ne res­ semble au Christ lui-même, si toutefois vous admettez la vérité de celle affirmation : « Nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu’il est1.» Nous avons ici besoin de l’intervention dc Martin : que ce saint, semblable au Christ, et qui par là même mérite, par le don du Christ, de ne pas différer des apôtres, nous ob­ tienne, à nous qui vivons encore dans la région dc la dissemblance *, le pardon ; qu’il nous ramène à la grâce, et nous rende participants de la gloire qu’il possède avec le Christ, dc par le Christ, qui vit et règne dans les siècles des siècles. Amen.1 2 1. IJn, 3. 2. 2. L'expression · dissimilitudinis regio · est fréquente chez les auteurs cis­ terciens ; clic désigne tantôt l’état dc l'âme privée de la grâce qui rend sem­ blable Λ Dieu, tantôt le monde présent, en opposition avec la Patrie céleste. Cf. Ablrrd i>8 Rievaui.x, Quand Jésus eut douze ans (éd. Sources Chré· tiennes), p. »3 et la note. XI AI) ODONEM CANTOREM B1TURICENSEM 110, Odoni venerabili cantori Biluricensi quem in Spiritu sancto diligit, Frater A. peccator, salutem. In mentem mihi saepius venit, ut tibi, amantissime, scribam aliquid, unde et quem affectum habeam erga te, tibi aliquatenus innotescat, et tuae erga me dilectionis affectio recalescat.b. Utinam sermo meus apud te olei vicem exhibeat, quod dum in amoris lui flammam mit­ titur, ex hoc flamma eadem nutriri valeat et augeri ! nutriri dico £ ct augeri erga me, qui etsi non sum dignus quem diligas, quaccunque tamen digna sunt non ambigo te amare. 111. Verum alio bono non indiget interim·* animae incae mendicitas, nec aliud de negotiis amicitiae emo­ lumentum desiderat, quam ut amare feliciter* et amari fideliter’ merealur. lloc mihi totum est ad amicos negotium. Hoc mihi sola in scribendo « materies, nec aliud possum in eis laudare vel diligere, quam quod ita sufficit tenaciter nos unire. 0 felix unio, a cuius compage sanctus amor praecidit el separat quidquid se a mundana non dividit vanitate ! 0 felix amor qui, sicut trahit de D.W.Vrt n. cantori biluricensi : episcopo parisiens! A/ parislensis ccclrxtae Dei pracordinationc ministro .X' || b. recalescat : incalescat AZ | c. dico : digna sunt D I d. interim om. M | c. feliciter ont. Af || Γ. fideliter: feliciter Λ1 || r. haec mihi in scribendo sola Af.V XI A EUDES, CHANTRE DE BOURGES Fériés et Sabbat ; les nourritures de l'enfance spirituelle. 110. A Eudes, le vénérable chantre de Bourges », qu’il chérit en l’Esprit-Saint, frère Adam le pécheur, salut. Je pense bien souvent à vous écrire, mon bon ami, pour vous faire tant bien que mal savoir à quel point vous m’êtes cher, et pour réchauffer l’ardeur de votre amitié à mon égard. Puissent mes paroles jouer auprès de vous le rôle de l’huile, d’une huile répandue sur la flamme de votre amour, dans l’espoir qu’elle en sera nourrie ct. attisée. Je dis nourrie ct attisée en ma faveur, moi qui sans doute ne suis pas digne de votre amitié, ct néanmoins n’hésite pas à vous aimer, selon toute l’étendue de vos merites. 111. En vérité, ma mendiante d'âme n’a besoin pré­ sentement d’aucun autre bien, ni ne désire retirer des échanges amicaux d’autre profit, que d’aimer avec bonheur Cl d’être aimée fidèlement. C’est là tout mon commerce avec mes amis. C’est tout le sujet de ma cor­ respondance, et je ne puis approuver ou aimer en eux autre chose que ce qui peut, nous unir solidement. Heu­ reuse est l’union que le saint amour ne soude qu’en retranchant et rejetant tout ce qui garde des attaches avec la vanité du monde ! Heureux l’amour qui ne prend 1. Eudes (ou Odon) de Sully, né vers 1170, d'abord chantre de Bourges, puis évêque de Pnrl* (1196)· Son frère Henri était archevêque de Bourges. Sa ftunille était étroitement apparentée ü celle de Champagne. La inscrip­ tion des manuscrits montre que la présente lettre a dû être écrite l'année on Odon fut élu évêque de Paris. 182 ADAM DE PEHSEIGNE animi virtute originem, sic non habet aliunde quam de veritatis operibus incentivum ! felix, inquam, amor, cui est inimica saeculi spes, cui est tota ambitio in desideriis aeternorum : amor nimirum sanctus quanto est cor­ ruptionis impatiens, tanto ei suspectum est quidquid noverit subditum vanitati. Denique sicut non deest ei meliorum aemulatio vehemens, sic non deest ei appe­ tendorum cognitio, ne fallatur. Itaque dc splendore veri­ tatis instruitur, ne eum multiplex vanitas tenebrosae varietatis obscuret. Satagente autem virtute, ad desi­ derium incorruptionis accenditur ct extenditur, ne eum concupiscentia carnis emolliat ct enervet. 112. 0 si processibus huiusmodi·1 perseverantia non defuerit, quid in perfectione sanctus amor praemii obtinebit ? Quid illi gloriae erit, cum in pleno splendore veritas infulgebit ? Quid illi suavitatis et dulcedinis erit, cum perseverantis virtutis desiderio ad pleni amoris meridiem effervebit ? 0 beata exspectatio ! o votis omnibus remuneratio appetenda ’. o felix anima quae, cum hanc margaritam invenerit, pro comparatione ipsius quidquid est aliud distrahere non cunctatur ! Corporis itaque et animae incunctanter est distrahenda possessio, ut thesaurum in agro absconditum valeas fideliusb quaerere, effodere fortius, certius invenire, retinere firmius, iucundius possidere. Abicienda sunt onera saeculi, honores computandi in nihilum, nequitia omnis repellenda ab animo, ut possit aliquatenus sancti amoris primitias praegustare. Sicut enim puris mentibus dignanter influit, sic ct liberas invenire desiderat, quas non exturbet aut occupet terrenae strepitus actionis. 113. Ubi enim Spiritui sancto solemne Sabbatum agitur, feriata mente opus est, quae aliquatenus servilis operis deformitate non obnubilet spiritualium laetitiam feriarum. In timoris feria de initio sapientiae amor DA/NK a. huiusmodi : cius Ai || b. fidelius : felicius Ai LETTRE XI, 1U-H3 183 sa source que dans la vertu, et n’a non plus de stimulant que les œuvres de vérité ! Heureux, dis-je, l’amour ennemi de l'espérance mondaine, uniquement, ambitieux de désirs éternels ! Le saint amour, assurément, dans la mesure où la corruption lui est insupportable, tient en suspicion tout ce qui paye tribut à la vanité. Enfin, le zèle de son avancement ne lui manque pas plus que la science de ce qu’il doit désirer pour éviter les déceptions. Aussi demande-l-il ses leçons à la lumière de la vérité, de crainte d’être aveuglé par les innombrables vanités d'une ténébreuse inconstance. La vertu s’emploie acti­ vement à ce qu’il s’enflamme pour le désir de l’incorruption et se porte vers lui, pour n’être ni amolli ni énervé par la concupiscence de la chair. 112. Oh! si de tels progrès s’accompagnent de persévé­ rance, quelle récompense n’obtiendra pas le saint amour arrivé à sa perfection ! Quel sera son degré de gloire lorsqu’il rayonnera du plein éclat de la vérité ! Quelle suavité, quelle douceur il goûtera, lorsque le désir d’une vertu persévérante l’enflammera de ferveur, au midi du plein amour ! O heureuse attente, ô récompense que doivent désirer les vœux de tous ! Heureuse l’âme qui, ayant trouvé cette perle, n’hésite pas, pour l’acquérir, à rejeter tout ce qui n’est pas elle ! Il faut donc sans hésiter arracher de l’âme et du corps toute propriété, pour être capable de chercher plus efficacement le trésor caché dans le champ, de fouiller plus vigoureusement, de le saisir plus fermement, de le posséder plus joyeu­ sement. Il faut donc rejeter les fardeaux du siècle, compter pour rien les honneurs, chasser de l’âme toute malice, afin de pouvoir, en une certaine mesure, goûter à l’avance les prémices du saint amour. De même en effet qu’il s’insinue avec délicatesse dans les âmes pures, ainsi désire-t-il encore les trouver libres et point, troublées ni accaparées par le tumulte des occupations terrestres. 113. Lorsqu'en effet on célèbre en l'honneur du SaintEsprit. le Sabbat solennel, il faut une âme de loisir, qui n’aille pas projeter sur la joie des vacances spirituelles l’ombre disgracieuse des œuvres serviles. Dans la férié de la crainte, le commencement de la sagesse donne 18Ί ADAM DE PERSEIGNE sumit exordium, peccatorum tumultibus finem ponens. In feria pietatis id agitur, ut cultui divino intendatur sinceriter et oppressorum miseriis compassione sollicita succurratur. In feria quae spiritus scientiae nuncupatur, animus ad interiora se retrahens, suae pensat subtiliter rationis indicium, ne ipsius caligante vel frigescente igniculo, in his quae agenda sunt, obscuretur. In feria fortitudinis providetur, ut, cum tempus tentationis ingruerit ", necessariis munita praesidiis, viriliter anima reluctetur. In spiritu consilii felix feria celebratur, dum animus ad omne quod intendit, nihil de se fidens, Spi­ ritus sancti consilium quaerit, seque aliis in eodem Spi­ ritu consiliarium per omnia fidelem impendit. In feria intelligentiac tantae puritatis festivitas agitur, ut non modo terrenae affectiones animum onerent, sed etiam corporum imaginationes non subeant, ut tanto clarius caelestia contemplentur, quanto felicius quae terrena sunt inierim in memoria non habentur. Quid de illa extrema et summab feria dixerim, quae spiritus sa­ pientiae appellatur ? Non mihi datum est experiri quam magna est multitudo dulcedinis huius Sabbati ; quippe qui necdum praecedentes ferias merui celebrare. Si necdum in spiritu timoris Domini servituti criminum et vitiorum tumultibus valefeci, quo pacto de caeleris feriis sapientiae, aut de ipso sapientiae Sabbato audeam commentari ? 114. Ex hac ipsa praesumptione facile est intclligcrc, me necdum intelligentiac vel sapientiae spiritum per­ cepisse, qui de rebus tam abditis inexpertus ausus sum disputare. Confido tamen quia apud dilectoris animum amor excusabit excessum. Id nimirum habet sanctus amor officii, ut sicut delictum nullatenus in dilecto dis­ simulat, ita et. confitenti dare veniam benigna facilitate DMNJi u. ingruerit : advenerit AZ | b. summa : suprema Af.X’ LETTRE XI, 113-H4 185 naissance à l’amour, qui met fin aux désordres du péché. Dans la féric de la piété, on s’applique sincèrement au culte divin, et l'on secourt, avec une compassion em­ pressée les misères des affligés. Dans la férié dite esprit de science, l’âme se retire en elle-même et peso soi­ gneusement ce que lui propose la raison, pour éviter que son humble feu venant à s’obscurcir ou à se refroidir, son devoir ne lui apparaisse moins clairement. Dans la féric de la force, on veille à ce qu’au temps de la ten­ tation, l’âme munie des secours nécessaires mène viri­ lement son combat. Dans la férié du conseil, se célèbre une heureuse fêle, tandis que l’esprit, dépouillé de toute confiance en lui-même, cherche pour tous ses projets le conseil de l’Esprit-Saint, et se dépense en toute occasion, et dans le même Esprit, comme conseiller fidèle de son prochain. Dans la férié de l’intelligence, se célèbre une festivité si pure, que non seulement les sentiments ter­ restres sont, à charge à l’âme, mais encore les imagi­ nations matérielles ne s’y glissent pas, et les réalités célestes sont d’autant plus clairement contemplées que plus opportunément, celles de la terre, pendant ce temps, ne se présentent, pas à la mémoire. Que dire de cette der­ nière et suprême férié, que l’on appelle esprit de sagesse? Il ne m’a pas été donné d’expérimenter combien est grande la multitude des douceurs de ce Sabbat, puisque la célébration des précédentes fériés n’est pas même encore mon partage! Si je n’ai pas encore, dans l’esprit de crainte du Seigneur, dit adieu à la servitude du péché et aux embarras des vices, comment oserais-je discourir des autres fériés de la sagesse ou du Sabbat de la sagesse lui-même ? 114. La présomption dans laquelle je viens de tomber fait voir à l’évidence que je n'ai pas encore reçu l’esprit d’intelligence ou celui de sagesse, puisque j’ai osé dis­ courir sur des sujets aussi abscons sans y avoir goûté par expérience. .J’ose espérer néanmoins qu'auprès d’un ami, l’amitié fera passer la témérité. La sainte amitié, si elle ne dissimule en rien la faute de l’ami très cher, ne refuse pas plus d’accorder avec une facilité débon­ naire, son pardon à l’aveu : c’est son rôle. En vérité si 186 ADAM DE PERSEIGNE non negat. Revera si inesset mihi timoris Domini spi­ ritus, timuissem esse aut videri magniloquum, et me potius sub modio humilitatis absconderem, quam in magnis et mirabilibus super me ambularem. 115. Humilitati sanctae omnis fere est odiosa prae­ sumptio, et quantumlibet in sublimi excreverit, nihil sibi tutius esse reputat quam celari prudenter·1. Caelo inhiat, dum se iuxta sui nominis rationem ab humo non dividit, ct quo se in sui aestimatione inclinat inferius, eo caeles­ tium illib acclinis est altitudo. Nescio quo pacto etiam inclinare caelos potens est spontanea humilitatis deieetio, ct mira facilitate caelestem exaltationem adipiscitur, dum humi lacta residens, et de humo nihil appetens, de solo conscientiae testimonio gloriatur. Non sic illa, non sic natione caelestis superbia, quae dum iuxta sui nomi­ nis rationem super se ire, et seipsam supergredi nititur, suo ipso pondere praecipitata inferius confractione insa­ nabili dequassatur. 116, Humilitati proinde omnis altitudo suspecta est, quam esse amicam superbiae non ignorat. Quidquid caro gloriam reputat, odit et exsecratur humilitas, licet ita in sua se simplicitate contineat, ut dc re nulla velit vel audeat indicare. Amans quippe silentii, secreti'’ appetens, ita suae mediocritatis sc coarctat limitibus, ut nihil aliud appetat, quam se scire. Scire alia esse credit, super­ fluum, sciri ab aliis existimat vanitatem. Tam super­ fluitatis expers est, quam iactantiae, in altero tempe­ rantia utens, in altero iuslitiae desiderio inardescens. Magnam hic advertere potes humilitatis prudentiam, quae dum municipium mentis his communit obstaculis, ad omne certamen inexpugnabilis ei est fortitudo. 0ΜΝΊΙ a. celari prudenter : latere prudenter Af celari. Prudenter D '| b. eo caelestium Illi : eo ci caelestium DR eo caelestium A/ j c. silentii, secreti: secreti silentia et Λ’ ι.βττηι·: χι, H4-116 187 l'esprit de crainte du Seigneur habitait en moi, j’aurais craint d’être ou de paraître prétentieux, et, plutôt que de porter très haut mes pas, parmi monts ct merveilles *, je me cacherais sous le boisseau de l’humilité. 115. Toute présomption est odieuse à la sainte humilité ; si haut qu’elle ait porté ses progrès, elle ne pense pas qu'il y ail rien de plus sûr que de demeurer cachée avec prudence. Elle aspire au ciel, tandis que, fidèle au sens de son nom 12, elle ne se sépare pas de la terre ; et plus profondément elle s’abaisse dans l’estime de soi, plus aussi s’abaisse vers elle la grandeur des cieux. Je ne sais comment l’abjection spontanée de l’humilité possède la vertu d’abaisser les cieux, ni comment, avec une sur­ prenante facilité, elle conquiert les hauteurs célestes, dans le temps qu’installée joyeusement à terre, mais exempte dc tout désir terrestre, elle ne se glorifie que du témoignage de sa conscience. Il en va tout autrement de ce prince des vices, né au ciel, l’orgueil. Tandis que fidèle à son nom, il cherche à s’élever au-dessus de luimême, à se surpasser lui-même, son propre poids le pré­ cipite à l’abîme, broyé dans un irréparable écrasement. 116. Aussi toute élévation est-elle suspecte à l’humi­ lité ; elle n’ignore pas que l’élévation est amie de l’or­ gueil. Tout ce que la chair appelle gloire, l’humilité le hait et l’exècre, encore que sa simplicité la retienne de vouloir risquer un jugement sur quoi que ce soit. Amie de la discrétion ct cherchant le silence, elle se restreint si bien dans les limites dc sa médiocrité, qu’elle n’a d’autre désir que HuinHls, quasi liumo accli­ nis ·, ct Ibid., 2-18 : · Superbus dictus, quia super vult videri quam est ; «pii enim vult supergredi quoti est. superbus est · (P. L.. 82, 379 B ; 393 C). 188 ADAM DE PERSEIGNE 117. O felix, o vere necessaria virtus humilitas, quae, dum nihil aliud quam se scire appetit, se minime ab cius scientia sapientiae caelestis thesaurus abscondit ! Ignem quippe secreti amoris sub consideratione propriae vilitatis, quasi sub quodam cinere humilis animus con­ tegit, unde se devoti cordis officina ad illustrationem et. fervorem accendii. Quam libenter humilis Christus ad diversorium tale se colligit, ubi amoris ignem eius semper paratum adventui humilitatis sollicitudo cus­ todit ! Ut enim dicit Psalmista : Ignis ante ipsum prae­ cedet ; et anima illa idonea est ipsum recipere, quam a non oportet ignem aut. oleum apud extraneos b mendi­ care. De intus et de caelo haec veniunt, et qui ignem semel accensum in se voluerit perdurare, omnes sollicite obstruat, aditus, per quos ventosae vanitatis levitas ad exstinctionem ignis valeat insufflare. Verum etsi ignis qui vehementer efferbuerit vento flante non exstinguitur, sed accenditur magis, adeo tamen est formidolosa humi­ litas, ut nunquam de humilis conscientiae diversorio progredi tutum putet. Ibi stellam maris Mariani libere cogitat, ibi feliciter assistit, partui Virginis, ibi beatae illi infantiae delectabiliter adioeatur, ibi se lotum Verbi coaptat cunabulis, morum innocentia felici colludit infantiaec, et in cordis iubilo piis vagitibus combalbutit. Pretiosissimis habet pro sericis illis adornari panniculis, quibus obvolvitur Verbum infans. Deinceps ad divinum illud pectoris sacrosancti sacrarium tota aviditate se convehit, et quantum vacat, plena de caelo ubera sugit. 118. Talibus interim nutrimentis tenera deliciatur infantia, ut, cum in virum perfectum provectiori a aetate profecerit, portare et. peragere negotium crucis n.vxn a- ipsum... quam: illum... quem Λ/Λ || b. apud extraneos «ai. .V/ finem epistolae X || <1. provectiori : perfectiori l< c. ont. LETTRE XI, 117-118 189 117. 0 heureuse, ô vraiment nécessaire la vertu d’hu­ milité, qui ne désirant d’autre science que celle de soimême, fait que le trésor de la céleste sagesse ne se dérobe en aucune façon à sa connaissance ! Sous la considération de son propre néant l’âme humble cache comme sous la cendre le feu d'un amour secret, où s’allume, pour distribuer lumière et chaleur, le brasier du cœur épris de Dieu. Avec quel élan le Christ humble se réfugie dans l’asile où la vigilante humilité tient toujours prêt pour son arrivée le feu de son amour l Comme dit le Psalmistc : « Un feu marche devant lui 1 » ; et cette âme est apte à le recevoir, qui n’a pas à mendier au dehors le feu ou l’huile. De l’intérieur et du ciel viennent ces biens ; et qui voudra voir le feu une fois allumé en lui continuer de brûler, qu'il bouche hermétiquement toutes les entrées par lesquelles, mobile et gonflée de vent, la vanité pour­ rait souiller jusqu’à l’éteindre. Mais alors même qu’un feu bien allumé n’est pas éteint mais excité par le souille du vent, si craintive est cependant l’humilité, que jamais elle n’estime prudent de s’aventurer hors de l’humble asile de son intérieur. Là, elle pense librement à Marie, l’étoile de la mer. là elle sc place joyeusement près du (ils de la Vierge, là elle badine délicieusement avec la bienheureuse enfance du Christ ; là elle s’attache étroi­ tement au berceau du Verbe ; grâce à Tinnoccnce de ses mœurs, elle partage les jeux de l’enfance, et, dans la joie du cœur, elle joint ses vagissements à ceux du divin enfant. Elle considère comme une parure de soie très précieuse les humbles langes dont est enveloppé le Verbe enfant. Puis, elle se porte de toute son avidité, vers ce divin sanctuaire de la très sainte poitrine (de Marie), cl autant que le loisir lui en est laissé, elle suce ces ma­ melles remplies du ciel *. 118. Tels sont les mets qui font les délices de l’âme, cl, en attendant qu’elle soit arrivée à l’âge de l’homme parfait et fortifiée par les années, la préparent à assumer f. J’s. 96, 3. 2. Cf. Brev. Cist.. antienne Nesciens Mater (infra oclav. Nativ. Domini, ad Vcsp.). 190 ADAM DK PERSEIGNE possit. Grandium “ sane hoc opus est b quos actas vir­ tutis provectior exercitatos pro consuetudine sensus habens de sapientiae studiis imharbavit. Mecum optime agitur % si inter collactaneos suos me lesus meus con­ numeret, si suscepto interdum ad matris ubera suae delinitionis sorbitiunculas partiatur. Ad hoc quippe Patris Verbum vitae panis comminui voluit in lacte carnis, ut qui in forma Dei cibus erat solidus angelorum, per abbreviationem carnis exinaniret sc in sorbitiunculam parvulorum. 119. Obsecro tc, carissime, cum tibi convivium escae fortioris sapuerit, cum tc grandium cibus oblectaverit, in deliciis tuis ne sis meae immemor parvitatis. Si ad celebrandum sapientiae Sabbatum, interdum Spiritu sancto te promovente, perveneris, vel id saltem mihi impetra, ut de diversorio non eiciar Verbi infantis. Hic inierim lota philosophiae meae est ratio, alibi quam hic non possem esse suavius, hinc tota pendet exspectatio spei meae. Parvulus sum. cui opus est lacteo cibo, non solido, quanquam in incrementa rnea transire non dubi­ tem, quidquid amicorum meorum beata esuries de cibo devorat fortiori. 120. Ceterum, amantissime, videbo faciem tuam, cum vacuum fuerit, quoniam interimd nondum vacat. Anni praesentis sterilitas, et totius mundi communis interitus me domi relinent, cl quasi cuidam funeri assisDMR a. grandium : gratia Af j| li. est ont. M ]| c. agitur: agit Af | d. interim orn. A/ 1. Ct. Hcb., 5, 14. Comme saint Bernard (V. g. Serm. super Cani., I, 1). Adam utilise souvent ce texte pour évoquer la succession des âges spirituels : aux commençants convient le · lait · de la contemplation affective des mys­ tères de l'humanité du Christ, de l'enfance surtout, tandis que les · parfaits · dont les facultés spirituelles ont été affinées par les exercices de l’ascèse (exercitalos habcnl sensus), peuvent bénéficier de nourritures plus substan- LKTTRE XI, H S-120 191 et à mener jusqu’au bout le labeur de la croix : labeur d’hommes faits, certes, dont le temps a développé nor­ malement les capacités 1 ct, dans l’étude assidue de la sagesse, épaissi la barbe. Pour ma part, mon Jésus me traite excellemment s’il veut bien me compter au nombre de ses frères de lait, et si, m'ayant adopté aux mamelles de sa mère, il partage avec moi l’humble breuvage qui fait scs délices. L’intention du Verbe du Père, pain de vie. en voulant être émietté dans le lait de la chair, fut en effet que sa personne, en sa forme divine, aliment solide des anges, s’abaissât ct s’« abrégeât. 2 » par son incarnation jusqu’à se faire la bouillie des petits enfants ! 119. Je vous en prie, très cher, lorsque vous goûterez du banquet aux nourritures plus substantielles, lorsque vous vous délecterez de la nourriture des adultes, dans vos délices, n’oubliez pas mon bas âge. Si quelquefois mû par l’Esprit-Sainl vous en arrivez à célébrer le Sabbat de la sagesse, demandez pour moi la grâce de ne pas être expulsé de l’asile du Verbe enfant. C’est de là, pour l’instant, que vient toute ma philosophie ; nulle part ailleurs je ne puis me plaire mieux que là ; mon espérance n’attend rien que de là. Je suis un petit enfant, j’ai besoin d’aliments lactés, non d’aliments solides ; néanmoins, je ne doute pas pour autant que tous les aliments plus forts offerts à la bienheureuse faim de mes amis ne me soient eux aussi profitables. 120. Par ailleurs, très cher, j’irai vous voir quand j’aurai du temps : ce n’est pas encore pour tout de suite. La stérilité de cette année cl la mort que partage le monde entier, me retiennent à la maison, et m’obligent à tieltes. Ces développements rappellent, mais avec une moindre densité théo­ logique peut-être, ceux de saint Bernard et de Guillaume de Saint-Thierry sur la double connaissance du Christ. « charnelle · d’abord, puis . spirituelle », qui correspond aux deux moments principaux du progrès spirituel (ci. Guir.lavme de Saixt-Tiuehry. De la contemplation de Dieu [éd. Sources Chré­ tiennes), p. 64 et 126). D'autre part, selon Adam, c'est par la vertu de la croissance corporelle du Christ que se réalise notre croissance spirituelle (Lettre ill, 35; c(. Aelrri» »k Ribvaoi.x, Quand Jésus eut douze ans |éd. Sources Chrétiennes). p. 56 et 72). 2. Cf. Rom., 9, 27-28. 192 ADAM DE l'EKSEIGNE tcrc me compellunt. Egrediar tamen, Deo volente, ali­ quando de sepultura-1 huiusmodi, et in amicorum visita­ tionibus ct colloquiis suscitabor. Tu eos inierim meo salutabis ex nomine, quos me caritate non ficta diligere comperisti. 121. Pro duabus illis pauperculis mulieribus, Deum, ut credo, timentibus, liberalitati tuae grates refero, quibus apud Balneolum hoc famis tempore misericor­ diter ex parte maxima providisti. Ne retrahat-’, obsecro, ab illis pietas manum, a quibus nondum famis neces­ sitas se retraxit. Vale. DAfR a. sepultura : sepulcra AJ | l». retraitai : trahat Ai. LETTRE XI. 1’0-121 193 assister à une manière dc funérailles. Je sortirai pourtant, s’il plaît à Dieu, d’un pareil sépulcre, cl retrouverai vie en revoyant, mes amis et en conversant avec eux. Vous, en attendant, saluez-les de ma part ; vous savez bien la sincérité de mon attachement à leur égard. 121. Pour ces deux pauvres femmes qui, me semblet-il, ont la crainte dc Dieu, je rends grâce à votre libé­ ralité ; votre miséricorde, dans ce temps dc famine, a su pourvoir, à Bagneux, à l’essentiel de leurs besoins. Que votre pitié je vous en prie, ne retire pas sa main de ces pauvres gens, de qui ne se sont pas encore retirées les exigences de la faim. Portez-vous bien. l.ellrti. I XII AD H. AMICUM SUUM 122. Patri ct amico in Christo carissimo II.4 frater A. humilis eius filius, a desideriis carnis Christi carcero coerceri. Totum, Pater, humilitati vestrae me debeo : ct utinam tanta esset facultasb obsequii, quanta mihi voluntas est obsequendi Nunc autem impossibilitas quae volun­ tati meae facit verecundiam, facit etiam amicum in sua pati petitione repulsam. Inconsueta nimirum praesentis anni'·' sterilitas, et parvulos meos ablactare mc com­ pulit, ct ad aliarum domorum ubera transmittere non sine magno dolore cordis mei coegit. Unde interim, absente conventu, neminem licet recipere, praesertim cum sine fratrum nostrorum consilio minime tale quid aliquando ,! praesumamus. Facile recipiet excusationem discretio, et inter veros amicos defectum quem facit impossibilitas, vera dilectio non causatur. 123. Ceterum de sanctitatis vestrae statu, nos inqui­ rere amor filialis sollicitat : ct utinam quae circa vos aguntur possem saepius agnovisse '. felicem plane vos dixerim, cui solitudo Christi tam dulcis est, ut quidquid a. Η. ο.·η. ΜΛ || b. facultas: voluntas Af || c. until : temporis .If | d. post aliquando »'!·!. promittamus vel ΛΧ 1. Le ms. Douai 371 donne l'initiale H. au correspondant qui a demandé à Adam d’éhe reçu à Perseigne. Les titres de · Père » et de « Votre Sain- XII A H., SON AMI Une invitation à rester chez soi. 122. A H., mon Père ct ami très cher dans le Christ1, frère Adam, son humide fils : que la prison du Christ le protège des désirs de la chair. Mon Père, je me dois tout entier à votre détresse, et plût, à Dieu que j’aie la faculté de vous venir en aide autant que j’en ai la volonté ! Mais hélas ! cette impossi­ bilité qui fait honte à ma volonté fait aussi qu’un ami, dans sa requête, essuie un refus ! La stérilité exception­ nelle qui règne cette année m’a obligé, en effet, à sevrer mes propres petits enfants et clic m’a forcé, non sans me causer une grande peine, à les mettre en nourrice en des maisons étrangères. Donc, pour le moment, en l’absence de la communauté, il est impossible de recevoir personne, étant, donné surtout que nous ne nous permet­ tons jamais, sans l’avis de nos frères, de prendre une décision de ce genre. Votre sagesse admettra facilement cette excuse ; ct puis, entre amis véritables, la sincérité de la dilection empêche de faire grief d’une carence duc à une impossibilité (matérielle). 123. Par ailleurs, notre amour filial nous presse de nous informer de l’étal de votre Sainteté : plût à Dieu, d’ailleurs, que je puisse plus souvent savoir ce qui vous concerne ! Je suis tente de vous proclamer tout à fait heureux, vous à qui la solitude avec le Christ est si douce qu’elle vous fait prendre en dégoût ce qu’il y a de bon tclë · auxquels a droit cct «ami très cher · semblent indiquer qu'il s’nglt d‘un évêque, peut-être J Inmclin. ôvêqne du Mnns (cf. lettre LIV). 196 ADAM DE PERSEIGNE i» Aegypto est sapidum ·, faciat fastidire. Beatus plane cui oblectatio saeculi venit in taedium, qui lutum Pharaonis contempsit et lateres, et prae auro Jerusalem ster­ quilinium Babyloniae conculcavit. Quam felix est cius exspectatio, qui ad studium virtutum se transtulit, cui solus est in desiderio Christus, cui iam splendor beatae immortalitatis illuxit! Non diffido de vobis quin vos b tenax Christi amor retineat, et quantaslibet tabentium ruinas cognoveritis, vos stabile mentis propositum in amore permanentium solidabit. Arcta quidem est via virtutis et ardua, sed contemptoribus saeculi levigat eam suavis unctio quae de Spiritus sancti dulcedine cordibus influit mansuetis. Facile me, obsecro, experientiae illius vestrae participem, qui, etsi petitioni vestrae cITcctum prae difficultate non tribuo, amare tamen vinctum Christi sinceriter non desistam. Vale. I/MR a. pusi sapidum add. nobis Af |. b. vos: vox MD1 LETTRE XII, 123 197 en Égypte. Heureux sans restriction celui que dégoûte la séduction du siècle, qui a méprisé la boue Cl les briques du Pharaon, et foulé aux pieds le fumier de Babylone pour (lui préférer) l'or de Jérusalem ! Qu’heureuse est l’attente de celui qui s’est consacré ù la recherche de la vertu, qui ne désire que le Christ et qu'illumine désor­ mais la splendeur de la bienheureuse immortalité ! Je n’ai aucun doute à votre sujet : l’amour du Christ, ce lien si fort, vous retiendra et, si grandes que puissent être les ruines temporelles que vous avez connues, la ferme résolution de votre âme d’aimer ce qui demeure vous réconfortera. Étroite, assurément, ct, ardue est la voie de la vertu, mais pour qui méprise le siècle, elle s’adoucit de la suave onction que la douceur du SaintEsprit verse aux cœurs dociles. Faites-moi, je vous prie, participer à cette belle expérience que vous faites, moi qui, sans doute, repousse une demande trop difficile à satisfaire, mais ne cesserai pas néanmoins d’aimer sin­ cèrement le prisonnier du Christ. Portez-vous bien. XIII AD ODONEM EPISCOPUM PARISIENSEM 124. Patri in Christo carissimo 0. Dei gratia Pari­ siens) episcopo, frater Λ., omnium monachorum mini­ mus. salutem in spiritu scientiae ct pietatis. Quoties scribit amicus incus, amicitiae ratio et amoris pristini usus ad memoriam redit : non ita, fateor, vene­ rabilis Pater, affectio mea te sibi sentit accommodum, sicut ante consuevit aliquoties experiri. Verum non hoc amici vitio, sed affectioni potius vitiosae ascripserim, licet occurrat mihi aliquid unde non immerito alterari dilectio videatur. 125. Pro vario sane rerum statu amoris natura se variat, et erga causas dissimiles, dissimilcsquc materias solet dissimiliter aestuare. Cum igitur in uno codemque homine amicum attendo et episcopum, et alterum fami­ liari gaudeat diligentia, alterum vero pro dignitate sibi et exigat reverentiam, amor reverentiae nescius domi­ niique impatiens, tantae dissidentiae non consentit. Ubi nimirum in amoris negotio intervenit necessitas reverentiae, amor patitur dc inaequalitate dispendium, seque suo iurc caritas spoliari conqueritur, ubi exsulat a contubernio unitatis. Dum igitur honori impenditur debitum reverentiae, nescia necessitatis dilectio, dum Martine, Amplissima collectio, coi. 1014 ss. (ex, mi. nunc amisso). 1. Cf. Lettre XI. XIII A EUDES, ÉVÊQUE DE PARIS Reproches pour avoir levé des tailles sur les clercs. 124. A son Père 1res aimé dans le Christ, Eudes1, par la grâce du Dieu tout-puissant, évêque de Paris, frère Adam, le moindre de tous les moines, salut dans l’esprit, de science et dc piété. 11 suffit que je reçoive une lettre d’ami pour que me reviennent en mémoire les lois dc l’amitié cl les bonnes vieilles habitudes de notre commerce amical. Mais cette fois, Père Vénérable, je dois avouer que mon cœur ne vous sent pas, avec lui, en celte harmonie jadis si sou­ vent goûtée ’ Je ne voudrais pas attribuer cela à un tort dc mon ami, mais plutôt à une imperfection dc mon amitié. Et pourtant, un grief se présente à moi, qui semble de nature à justifier l’altération de mon amitié à voire égard. 125. L’amour prend, suivant les conjonctures, des attitudes différentes : devant des circonstances diverses et. des objets divers, diverses aussi sont ses réactions. Et donc, voyant dans un seul et même homme, l’ami et l’évêque, dont le premier apprécie une dilcction fami­ lière, tandis que l’autre, conformement à sa dignité, exige au surplus le respect, mon amour, qui ignore le respect ct ne supporte pas la prééminence, ne se résigne pas à pareille distinction. Là où intervient, en effet, en matière de sentiment, l’obligation du respect, l’inégalité nuit à l’amour, cl la charité se plaint qu’on la dépouille de son droit, s’il lui faut demeurer étrangère à la fami­ liarité dc ceux qui ne font qu’un. Donc, tandis qu’elle paye à la dignité sa dette de respect, la dilection. qui 200 ADAM BE PERSEIGNE egredi terminos vicariae connectionis compellitur, in allectu procul dubio minoratur. Ex hoc efficitur ad visi­ tandum tardior, verecundior ad colloquium, ad salu­ tandum timoratior, ad petendum timidior, tenacior ad praestandum. Cum ego itaque sim inter modicos minimus, tu magnus inter maximos, quae, obsecro, rerum tam dissidentium potest esse conventio, ut in rebus tam disparibus, amica sibi paritate dilectio delec­ tetur ? 126. Non haec idcirco. Pater venerande, dixerim, quod te desistam aliquando venerari et diligere, dummodo apud te conversari virtus et veritas non desistant. Illas enim diligere ad quamcunque se officinam contulerint, mei est omnino. Icsu opitulante, propositi ; nec illi potero per allectum deesse, quem gratia voluerit tantis splendo­ ribus illustrare. Et certe licet amor gratuitus omnem pene habeat necessitatem reverentiae suspectam, non potest amator virtutis istam affectuose non diligere etiam in episcopis, licet satagat castigare affectum, ne se per effectum prodat foris. 127. Applausus quippe contemptibilium erga specta­ biles facillime de conventu arguitur, unde consultius intra affectum puritas amoris se continet, quam se foris aliquibus indiciis manifestet. Ego proinde incola claustri dulcius et securius elegi frequentare Cistcrciensis philo­ sophiae tugurium, quain amicum sequi et per urbes invisere, quem me lugeo pene in episcopo perdidisse. Verumtamcn damni huius in hoc idoneam recompen­ sationem recipio, si per venerationem tuam misericordia et veritas apud alios et maxime subditos faciunt quid faciendum tibi per sacerdotii ministerium iniunxerunt. Statua salis es, pastui ct profectui animalium communem LETTRE XIII, 125-127 201 ignore la contrainte, obligée de quitter le pays de la réci­ procité qui unit, voit nécessairement, diminuer son ardeur. La voici qui devient moins empressée aux visites, plus retenue dans les conversations, moins hardie à souhaiter le bonjour, plus timide en ses demandes, moins prompte à donner. Ceci pose, et moi-même étant le moindre parmi les gens de peu, vous au contraire, grand parmi les plus grands, quel rapport, je vous le demande, peut-il exister entre des situations aussi éloignées l’une de l’autre, qui puisse, au milieu de pareilles inégalités, procurer à la diiection la joie de sa chère égalité ? 126. Je ne voudrais pas dire par là, Père Vénérable, que j'ai l'intention de mettre, quelque jour, un terme à ma vénération et à mon amitié : il suffit que la vertu et la vérité ne cessent pas d’habiter chez vous. Les aimer, en effet, à quelque entreprise qu’elles se portent, est tout à fait, Jésus aidant, mon dessein ; et ce n’est pas dans le domaine de l’affection que je pourrai manquer à celui que la grâce aura voulu illustrer d’un si vif éclat. S’il est vrai que le caractère gratuit de l’amour tient pour suspecte toute obligation de déférence, néanmoins, l’ami de la vertu ne peut pas ne pas aimer celle-ci, fûtce dans la personne d’un évêque, malgré son souci d’em­ pêcher son attachement de se trahir par des effets ex­ térieurs. 127. Les compliments des gens sans conséquence à l'adresse de ceux qui sont en vue, risquent fort d’en­ courir le reproche de convention. Aussi l’amour agit-il mieux en gardant sa pureté au-dedans du cœur, qu’en sc manifestant par des marques extérieures. Pour moi, habitant du cloître, j’ai mieux aimé le charme et la sécu­ rité qu'on trouve à fréquenter la cabane de la philo­ sophie cistercienne, que suivre et visiter de ville en ville l’ami que je déplore d’avoir pour ainsi dire perdu dans l’évêque. Pourtant, ce dommage ne va pas sans une compensation appropriée, si par l’intermédiaire de Votre Vénération, la miséricorde cl la vérité accom­ plissent dans le prochain, cl en particulier en vos subor­ donnés, ce que, par le ministère sacerdotal, elles vous ont enjoint de faire. Vous êtes une statue de sel : soyez à 202 ADAM DE PERSEIGNE te exhibe, ut qui dc modio erectus es super candelabri eminentiam, universis ardeas in lucernam. 128. Venit tempus ut, si quae est, gloriae tuae magis splendor elucescat, dum de firmamento Ecclesiae ille Lucifer occidit, qui vitae suae radiis et doctrinae splen­ doribus turn toties hemisphaerium illustravit. Te arbi­ tror intclligcre, sapienti enim loquor, quia de piae memoriae cantore Parisiensi id dixerim, et utinarn dc tanti viri morte doleas, qui, secundum quorumdam opi­ nionem, minime de eius dolebas absentia, cui tamen rei fidem non potui adhibere ! 129. Omittenda sunt interim alia quae famae tuae imputat communis vulgi opinio duriori quidem invec­ tione dignissima, si esset qui te vere diligeret, et vera esse illa inveniens, tc vere accessibilem amicis correc­ tionibus inveniret. 130. Sed forte causaris me irreverentius loqui, nec omnino humilitatem id sapere, quod invehor in epis­ copum tarn audacter. Sed hoc est revera quod dixeram, quia amor reverentiam nescit; imo, sicut sibi animus, sic secure loquitur cum amico. Oblitus sum, fateor, epis­ copalis reverentiae, de antiquo amore adhuc quid reti­ nens, nec absens potero unquam parcere libi : quanta­ libet debeatur reverentia dignitati, zelus vitiis, amor debetur virtutibus, et utinarn aemulatio nostra in amico non inveniat, unde vulnus ferat vel inferat, sed quod potius ipsum laetificet, se delectet! 131. Ceterum cum paternitatem tuam videre per memetipsum meruero, exprimam tibi viva voce quae nunc melius arbitratus sum reticere. Silentio tamen praetereundum non censeo, quod fere omnium opinione LETTRE XIII, 127-131 203 la disposition dc tous les « animaux » pour les nourrir et les faire croître, et pour être ainsi, après avoir été élevé de sous le boisseau sur le chandelier, la lampe qui se consume au profit dc tous. 128. Le temps est venu pour votre éclatante gloire, de briller plus vivement, lorsque se couche, au ciel de l’Église, ce Porte-Lumière qui par le rayonnement de sa vie ct les reflets de sa doctrine, a tant de fois, en notre temps, illuminé noire hémisphère. Vous comprenez, je pense — car je parle à un homme avisé — que j’ai voulu nommer le Chantre dc Paris, de pieuse mémoire. Plaise à Dieu que la mort d’un si grand homme vous affecte, vous qui, au dire de plusieurs, n’éprouviez pas la moindre peine de son absence, affirmation à laquelle cependant, je n’ai pu ajouter foi ! 129. Laissons de côté, pour l’instant, d’autres accu­ sations, que l’opinion publique fait peser sur votre répu­ tation, et qui, au vrai, mériteraient une vigoureuse réprimande, s’il se trouvait un homme qui vous aimât vraiment, cl qui les ayant bien vérifiées, rencontrât, dc surcroît, en vous, un sujet accessible aux corrections amicales. 130. Peut-être reprocherez-vous à mon langage une insolence inouïe, ct à ce téméraire emportement contre un évêque, une saveur entièrement étrangère h l’humi­ lité ? Mais c’est justement ce que je disais : l’amour ignore le respect ; bien plus, l’esprit porte, dans le dia­ logue avec l'ami, l’assurance du soliloque. J’ai oublié, je l’avoue, le respect dû à l’évêque, parce que je garde encore quelque chose de notre vieille amitié, et je ne pourrai jamais, malgré ce qui nous sépare, vous épargner. Quel que soit le respect dû à la dignité, les vices doivent être repris, la vertu aimée. Et plût à Dieu que notre zèle ne rencontre pas chez un ami, matière à porter ou à recevoir quelque blessure, mais plutôt à le réjouir et à se délecter ! 131. Par ailleurs, lorsqu’il me sera donné dc rencontrer Votre Paternité, je vous exprimerai dc vive voix ce que pour l’instant j’ai jugé préférable de ne pas dire. Je ne pense pourtant pas pouvoir passer sous silence, car c’est 204 Λ DAM DE PEUSEIGNE vulgatissimum, te videlicet, dioecesis tuae lalliasse pres­ byteros, quod non modo a perfectione, verum etiam a pietate et iustilia videtur esse penitus alienum. In hoc, venerande Pater, grave fecisti scandalum te amantibus, et qui de lucerna super candelabrum posita flammam potius exspectabant quam fumum, te mirantur et dolent in hac parte potius fumare quam flammare. Fumus quippe oculis molestus esse solet et naribus, et qui de te exempla lucis videre, et olfactum bonae spei concipere se sperabant, in utroque de contrariis molestiam patiun­ tur. 132. O quid vera dilectione fidelius ? Quid sincerius caritate quae firma est ? Quae dum ex modico fermenti totam massam corrumpi non dubitat, aliquo malo quod evitari valeat cauteriari conscientiam non permittit. Utinam malum istud nec tu in consuetudinem ducas, nec exemplo tuo miser mundus ad consecutionem trahatur, quin potius remediis manifestae poenitentiae non esse faciendum dedoceas, quod exemplo tui operis minus esse culpabile docuisti ' Tantus quippe episcopus, tan­ tum desideratus ab omnibus, tantis sanctorum omnium votis a Domino expetitus, tantis fidelium lacrymis ad proferenda germina perfectionis irrigatus, non debet habere in conscientia, multorninus agere debet in evi­ dentia, unde sua laedatur opinio, unde tam devota omnium exspectatio defraudetur. 133. Quod si, ut dicitur ab aliquibus, te multis debitis obligatum necessitas aliquid agere compulit, ubi tamen tyrannica non intervenit extorsio aut potestativa exactio, sed humilis ac supplex necessitatis insinuatio aliquid benigne rogaverit, certe non hoc tam talliationcm dixerim quam collectam. Licet enim et hoe perfectionem non redoleat, satius tamen fuit hoc semel in vita agere, quam praepediente incertae mortis articulo, multa LETTRE Xlll, 131-133 205 de notoriété on ne peut plus publique, la taille que vous avez levée sur les prêtres de votre diocèse. Ceci me semble fort éloigné, je ne dis pas de la perfection, mais même de la bonté et de la justice. Là, mon Vénérable Père, vous avez cruellement heurté vos amis ; et ceux qui attendaient de la lampe placée sur le chandelier flamme plutôt que fumée, sont douloureusement surpris de vous voir en l’occurrence donner fumée plutôt que flamme. La fumée ne saurait que gêner les yeux ct l’odorat, ct voici ceux qui rêvaient de contempler vos bons exemples et de respirer un parfum prometteur, péniblement heurtés, en l’une et l’autre attente, par une réalité contraire. 132. Oh ! qu’y a-t-il de plus fidèle qu’une véritable amitié ? de plus sincère qu’une ferme charité ? Per­ suadée qu’il suffit d’un peu de ferment pour corrompre toute la masse, elle ne permet pas à un mal qui se peut éviter, d’endurcir une conscience. Plaise à Dieu que votre mauvaise action ne passe pas chez vous en l’habitude, et qu’elle ne soit pas pour ce misérable monde un exemple trop suivi ' Puissiez-vous, au contraire, recourir au remède d’une salutaire pénitence, pour faire désapprendre ce dont l’exemple de votre conduite enseignait la légi­ timité. Un évêque comme vous, si unanimement désiré, demandé à Dieu par les vœux si ardents de tous les chrétiens, que ses fidèles ont si abondamment arrosé de leurs larmes pour que germe en lui la perfection, ne doit pas avoir sur la conscience, encore moins commettre publiquement, des actions capables de léser sa répu­ tation, ct de tromper la si confiante attente de tous ! 133. Que si, comme d’aucun le prétendent, une néces­ sité, née de vos lourdes dettes, vous a, dans une certaine mesure, obligé d’agir, alors, dans le cas où vous auriez évité les extorsions tyranniques ou les exactions par abus de pouvoir, dans le cas où, au contraire, pressé par la nécessité, humble ct suppliant, vous auriez formulé une modeste demande, je n’appellerai pas tant cette opé­ ration une taille qu’une collecte. Et alors, bien que le procédé ne fleure pas la perfection, mieux valait encore remployer une fois dans votre existence, que d’être 206 ADAM DE PEBSEIGXE debita impersoluta dimittere in grave debitoris peri­ culum et damnum irreparabile creditoris. Saepissime enim, imo fere semper istud solet evenire episcopis, illis obeuntibus, sic a potestate terrena bona eorum diripi, ut quod debuerint vel ordinaverint non patiatur exsolvi. 134. In meliorem partem caritas interpretari solet ambigua. Quam conscientiam habueris in facto tu videris, ne forte, quod absit ! idolorum servitus avaritia, de Christianorum episcopo cultorem fecerit idolorum. 135. Verumtamen etsi tc non reprehendat cor tuum, species tamen mala facta est universis in scandalum, dum et malis insultandi praestatur occasio, et boni sc dolent in te perdere quod sperabant. De cetero, Pater, aliqua in corde habeo, quae longum et forte indignum erat scribere, quae cum nuntius noster vel nuntii vivae vocis ministerio venerationi tuae expresserint, si exau­ ditione digna indicaveris, humiliter et obnixe postulo adimplere. LETTRE Kill, 133-13Γ. 207 su pris au dernier moment par l’imprévisible mort, lais­ sant quantité de dettes impayées, au grand péril du débiteur, et à l’irréparable dommage du créancier. Très souvent en effet, ou plutôt presque toujours, voici ce qui arrive à la mort des évêques : leurs biens sont à ce point pillés par la puissance séculière, que celle-ci ne souffre pas qu’on paye leurs dettes ni qu’on exécute leurs dernières volontés. 134. La charité interprète toujours au mieux les cas douteux. Pour vous, voyez bien quelle conscience vous vous étiez formée en celle affaire, et si — ce qu’à Dieu ne plaise ! — l’avarice, cet esclavage des idoles, n’a point transformé un évêque du Christ en sectateur des idoles. 135. Cependant, même si votre conscience ne vous fait pas dc reproches, l’apparence du mal n’en a pas moins scandalisé tout le monde, puisque les mauvais y ont trouvé occasion de critique, tandis que les bons souffrent dc voir sombrer en vous leurs espérances. Par ailleurs, Père, j’ai au cœur quelques désirs qu’il serait long et. peut-être indiscret d’écrire ici. Lorsque notre mes­ sager ou nos messagers les auront exposés de vive voix à Votre Vénération, si vous les jugez dignes d’être écoulés, je vous demande humblement et instamment dc les combler. XIV AD B. CANONICUM PARISIENSEM 136. Amico in Christo carissimo magistro B. canonico Parisiens), his dare operam quae opus est experiri : multi enim aliter agunt, et illis pleno corde intenti sunt studiis quae nec exposcit necessitas, nec exigit ratio veritatis. Illa sane sectanda sunt, illa bonorum approbatione dignissima, quae commendat animi virtus, quae puritas elimat conscientiae, quae splendor veritatis illuminat, quae sincerae eminentia caritatis insignit. 137. In his omnibus, fdi carissime, tuam supramodum miror prudentiam, quod tanto opere collaudes et efferas meae parvitatis opuscula, quae, certe, iudicio meo, tantis digna praeconiis non videntur. Cuiusdam siqui­ dem monachi nostri, cui apud Parisios tua se insinuavit ·* affectio, mihi relatio satis liquidum fecit, te litteras meas magnificentius quam oporteat approbare. Verum, licet non dubitem teb ex nimia dilectione id facere, vellem tamen ut castigatius ea extolleres quae rusticana simplicitas ad aliquorum instantiam ausa est promulgare. 138. Putabam me rusticanum esse et simplicem, nec adhuc ista excidit mihi a mente opinio, sed iam, pene DR a. insinuavit : insignivit R | b. licet non dubitem te: siquidem non dubi­ tante (uel dubitant te) R 1. Non identifié. On peut seulement conclure de cette lettre que le desti­ nataire avait une bonne culture, était grand amateur des écrits d'Adam, ct XIV Λ B., CHANOINE DE PARIS Un Ira île des vices. 136. A son très cher ami dans le Christ, Maître B., chanoine de Paris 1 : s’appliquer à ce qui en vaut la peine, car beaucoup en agissent autrement, ct mettent tout leur cœur à des travaux qui ne sont ni réclamés par la nécessité, ni exigés par l’intérêt de la vérité. Les travaux à poursuivre, ct entièrement dignes de l’ap­ probation des gens de bien, sont ceux que recommande la vertu, qu'une conscience pure amène à leur perfection, qu’éclaire la lumière de la vérité, qu’illustre l’excellence d’une sincère charité. 137. Autant de motifs, fils très cher, de ma surprise extrême, quand je vois votre sagesse se donner tant de mal pour vanter cl exalter les chétives productions de mon insignifiance : à mon sens, elles ne paraissent certes pas mériter pareille réclame. Eh oui ! le récit d’un de nos moines, qui, b Paris, s’est laissé prendre à votre amitié, m’a montré avec assez d’évidence que vous faisiez à mes lettres une trop pompeuse recommandation. En vérité, j’ai beau être persuadé que votre conduite ne vous est inspirée que par un excès d’amitié, je voudrais néanmoins que vous mettiez plus de retenue à faire valoir ce que ma simplicité paysanne, sur les instances de certaines per­ sonnes, s’csl risquée à publier. 138. Je pensais n’êlre qu’un rustre, un simple — c’est d’ailleurs toujours mon opinion — mais pour un peu, recevait les moines de Perseigne de passage à Paris. Il semble qu’il a contri­ bué sï faire connaître ct ù conserver les écrits de l’abbé de Perseigne. Lettres. I. u 210 ADAM DE PERS EIGNE aliud de me credere quam mihi conscius sim, aliorum sententia me compellet. Nunc, itaque, in ancipiti positus, non satis habeo certum quid eligam : an de me ipso reci­ pere propriae conscientiae testimonium, an reprobato interiori testimonio, me credere attestationibus exte­ rorum. Durum enim est et indoctum, credere tantos tamque prudentes viros in sua aestimatione posse decipi; sed nihilominus absurdum est me aliud de me quam mea mihi conscientia loquitur, opinari. Verumtamen, tutius est omni homini de seipso proprii cordis indicium sequi, quam extolli vanissime ad oris testimonium alieni. 139. Ceterum, amantissime, ut te praebes manifestius affectare quae scripta sunt, adhuc pergis inquirere et instare non desinis, ut tibi aliqua scribam de vitiis quibus est fere omne genus hominum et publice et pene incorrigibilitcr irretitum. Et hoc quidem petens, egisti4 ut ille tractet et agat de vitiis qui pene nil aliud quam agi a vitiis et agere vitia consuevit. 140. Docuit me de vitiis agere vitiorum experientia, utpote quem vitiosum semper exhibuit corruptae per­ versitas actionis. O si vitiosum pelisses ut ageret de vir­ tutibus, risum posses et angelis et hominibus incurrisse! Cum enim sit virtus animi sanitas, cuius languor est vitium, quo pacto de sanitate aegrotus, de virtute phi­ losophabitur vitiosus ? Non dico tamen quin mihi vir­ tutis acquirendae propositum, de gratia opitulante inful­ serit : sed longus languor de experientia vitiorum inolitus, nondum sinit mihi sapore quid sit virtus. Febris quidem insitae fervor, Christo medente, detepuitb, cum per ipsius gratiae medicinam, peccandi cessavit propositum ; sed, adhuc quasi lecto discumbens, nondum plane con­ valui, nec plene recuperare potui cibi qui necessarius DP(frag.)n n. po»l cgkll add. coiimi Ilius R |, b. detepuit : spatium vacuum reliquit D LETTRE XIV, 138-140 211 l’avis des autres m’obligerait h me faire, de moi-même une idée différente de la mienne ’ Me voici donc bien embarrassé, mal assuré sur le choix qu’il me faut faire : ou accept ci· le t émoignage de mu propre conscience, ou, refoulant mon témoignage intime, me fier aux affir­ mations des autres. C’est, en effet, une choquante balour­ dise de croire que tant d’hommes sages peuvent se tromper dans leur jugement ; et néanmoins, il serait absurde que je me fasse de moi-même une opinion con­ traire au témoignage de ma propre conscience. Mais en definitive, il y a plus de sécurité pour chacun à suivre le jugement, sur soi-même, de sa propre conscience, qu’à se gonfler d'un sol orgueil, sur un témoignage extérieur. 139. Au reste, très cher ami, preuve manifeste de votre goût prononcé pour mes écrits, vous continuez de de­ mander encore, vous ne cessez d’insister pour que je vous envoie quelques lignes sur les vices dont le genre humain presque tout entier, au grand jour cl quasi sans remède, est prisonnier. C’est précisément mettre au travail, sur un traité des vices, l'homme qui n’a pour ainsi dire nulle autre habitude que de se laisser conduire par les vices, et de mener une existence vicieuse. 140. Ce qui m’a appris à traiter des vices, c’est l’expcrience du vice, car le dérèglement d’une conduite cor­ rompue a toujours montré que j’étais un vicieux. Oh ! si vous aviez demandé à ce vicieux de traiter des vertus, vous auriez sans doute provoqué le rire des anges et des hommes La vertu étant eu effet la santé de l’âme, tandis que le vice en est la maladie, comment un malade pourrait-il disserter de la santé, entendez un vicieux de la vertu ? Je ne dis pas, il est vrai, que. la grâce aidant, le dessein d’acquérir la vertu n’ait pas vivement brillé devant mes yeux : mais la longue maladie que la pra­ tique des vices a développée en moi ne me permet pas encore de goûter ce qu’est la vertu. Certes, l’ardeur de ma fièvre chronique, grâce aux soins du Christ, a cessé lorsque le remède de la grâce même mit fin en moi à la volonté de pécher ; mais toujours alité, si je puis dire, je ne suis pas encore tout à fait guéri ; je n’ai pu retrouver 212 ADAM DE PERSEIGNE est appetitum. Cibum quippe qui necessarius est dixerim virtutis desiderium, esuriem sitimque iustitiae ; quo cibo qui esuriunt refici, de infirmitate convaluisse vi­ dentur. Qui vero iacent in vitiis, in periculum aegrotant salutis ; et non solum carnis desideria in se moveri sen­ tiunt, sed et consentiunt et quod erat in sensu vitium, ex consensu perficitur in peccatum. Ex hoc iam languor naturae dum supra mensuram ct contra rationem men­ tem afficit, per consensum in actum erumpit. 141. Consensus enim est nutus voluntatis spontaneus qui, dum fomiti vitiorum vires tribuit, iniquae seminarium actionis exislit. Hinc iam in sacculi amatoribus, in tene­ brarum filiis, manifesta fiunt opera " carnis, quae sunt fornicatio, immunditia, idolorum servitus, et similia quae in Apostolo nominantur. 142. Inter celeras autem horum criminum pestes, eminet quae magis imminet luxuria carnis, quae, dum quasi natura est corrupto corpori, potest difficilius evi­ tari. Potest tamen per adiulorium gratiae, dum aut infirmitas incontinentiae quae est in carne per peccatum mortua, ne cadat in ruinam flagitiorum, excipitur hones­ tate nuptiarum, aut ita continentiae laboribus caro subicitur, ut ipsa mortificatione victa, infirmitas sopiatur. Verum, qui b neutrum faciunt, impudentiae et impudi­ citiae dediti sunt, nec modo carnis spurcitias per corpus explicant, sed iuxta veritatis sententiam in proprium corpus peccant. Omne enim peccatum, ait Veritas, quod* cumque fecerit homo, extra corpus est ; qui autem for­ nicatur, in corpus suum peccat. In ceteris peccatis, utitur adminiculo corporis; in opere vero fornicationis, de cor­ pore et in corpore totum agitur, ut sola, de vili opere, ΒΛ a. opt-ru ont. D I1 b. qui : quiu K1 2 1. Gal.. 5. 19. 2. 1 Cor.. 0. 18. r LETTRE XIV, 140-142 213 entièrement le goût, de la nourriture indispensable. J’en­ tends par goût de la nourriture indispensable, le désir de la vertu, la faim et la soif de la justice : ceux qui, en effet, brûlent du désir de se rassasier de cette nourriture, montrent qu’ils sont définitivement guéris de leur ma­ ladie. Au contraire, ceux qui demeurent couchés dans leurs vices, sont malades à compromettre leur salut ; et non seulement ils sentent bouger en eux les désirs de la chair, mais ils y consentent, et ce qui dans la sensibibilité était vice, complété par le consentement, tourne au péché. Ainsi donc, la maladie de la nature, affectant l’esprit de façon excessive et contraire à la raison, aboutit à l’acte, moyennant le consentement. 141. Le consentement, en effet, est un mouvement spontané de la volonté qui attise le foyer de la concu­ piscence ct devient ainsi une pépinière d’actions pcccainineuses. Alors se manifeste, chez les amis du siècle, chez les fils de ténèbres, la floraison des œuvres de la chair, qui sont la fornication, l’impureté, l’esclavage des idoles et autres misères de ce genre, énumérées par l’Apôtre *. 142. Or, parmi toutes ces pestes de vices, se distingue la plus menaçante de toutes, la luxure. Devenue, pour le corps corrompu, comme sa nature même, il est parti­ culièrement difficile de l’éviter. On le peut néanmoins avec le secours de la grâce, soit que l’état légitime du mariage accueille, pour la sauver des ignominies perni­ cieuses, la faiblesse de l’incontinence installée dans la chair, victime du péché, soit que les efforts de la conti­ nence aient si bien raison de la chair, que la victoire de la mortification guérisse sa faiblesse. Mais ceux qui n’adoptent ni l’un ni l’autre, se vouent à l'impudence ct à l’impudicité ; non seulement leur corps étale les hontes de la chair, mais, d’après la parole de la Vérité, « ils pèchent contre leur propre corps». Tout péché commis par un homme, dit en effet la Vérité, réside hors de son corps; mais le fornicateur pèche contre son propre corps *. Dans les autres péchés, il recoud à l’aide de son corps ; l’œuvre de fornication, au contraire, s’exerce entiè­ rement à partir du corps et dans le corps, si bien que la 214 ADAM DE PERSEIGNE corporis substantia sordidetur. Verumtamen, non ita dico solam corporis inquinari substantiam, ut excipere velim animam, ad quam potius pertinere omne peccatum cognoscitur, sed actualise peris foeditatem intellige, cuius iniuriac corpus in llagitiis subiugatur. 143. 0 quam longe est vilitas tam foedi operis, a mun­ ditia et gloria nostrae Virginis’ Imo, quam omnino extraneus est a fructu ct utilitate parius virginei qui se tantae obnoxial vilitati ! Cum enim nostrae Virginis partus se solis exhibeat continentibus, possunt plane qui carnis sunt illecebris dediti, alieni a tantae gloriae splen­ doribus reputari ! Quid enim mundum possunt angelicae puritati offerre, quos huius leprae contagio foedos ct foetidos constat esse : iumenta quae in suis stercoribus computrescunt, quomodo ad humanas actiones vel ad divinas laudes adsurgunt ? 144. Rationabilis quippe est humana actio Ct irratio­ nabilia agere non homini attribuitur, sed iumento. lumcntum nimirum insipiens non habet agere quae sunt hominis, quia cum homini sit insita ratio, iumentum est expers rationis. Hoc idcirco dixerim quia qui ratione non utitur, vel insita ratione abutitur, non homo sed iumen­ tum Scripturae sacrae iudicio appellatur. Hinc est quod homines qui in foetore luxuriae vitam ducunt ct finiunt, iumenta appellat, quae4 in suis stercoribus compu­ trescunt; alibi quoque Spiritus sanctus dum petulantiam bcstialem interdicit hominibus : Nolite, inquit, fieri, sicut equus et mulus, quibus non est intellectus. Exper­ tem plane se ostendit rationis et intelligentiae, qui, lege postposita divinae iuslitiac, potius pecudum more Dl< a. Hine... quae ozn. I) 1. Joci, 1, 17. LETTRE XIV, 142-144 215 seule substance du corps se trouve souillée dc cette œuvre vile. Je ne veux toutefois pas dire que seule soit souillée la substance du corps, comme si je voulais excepter l’âme. On sait au contraire que tout péché est impu­ table à l’âme ; mais comprenez l’abjection du péché externe qui dans les actes scandaleux, asservit le corps à son injuste loi. 143. Oh! quel abîme entre la vilenie d'une action aussi ignominieuse cl la glorieuse pureté de notre Vierge ! Disons plus : il n’a absolument aucune part au fruit précieux de l’enfantement virginal, celui qui est asservi à une si grande vilenie. Le fils dc notre Vierge ne se révèle en cifet qu’aux seuls chastes. On peut sans crainte se le dire : ceux qui sont adonnés aux plaisirs de la chair demeurent étrangers aux splendeurs d’une telle gloire. Que peuvent en effet olfrir de pur à l’angé­ lique pureté, ceux qui, contaminés de cette lèpre, ne pré­ sentent plus que saleté et puanteur ? Bêtes de somme qui pourrissent sur leur fumier *, comment peuvent-ils s’élever aux actes humains ou à la divine louange ? 144. L’acte humain est bien en effet raisonnable, et poser des actes insensés n’est pas le fait de l’homme, mais de la bête. La bête sans intelligence, ne peut, c’est évident, agir humainement ; tandis en effet que la rai­ son est innée dans l’homme, la bête en est dépourvue. Si je me permets le rapprochement, c’est à la suite de Γ Écriture Sainte. Elle estime en effet que celui qui n’use pas de la raison, ou encore abuse de la raison natu­ relle, doit être appelé non pas « homme », mais « bête ». D’où il suit que ceux qui vivent cl meurent dans l'in­ fection de la luxure sont appelés par l’Écriture, « bêtes de somme qui pourrissent sur leur fumier *. » Ailleurs encore, l’Esprit-Saint interdisant aux hommes la fougue des brutes : « N’allez pas, leur dit-il. devenir comme le cheval ou le mulet, qui n’ont pas l’intelligence2. » L’homme se montre tout à fait étranger à la raison ct à l’intelligence, qui, laissant derrière lui la loi de la jus­ tice divine, choisit dc se faire l’esclave du désir â la 2. Ps. 31, 9. 21G ADAM DK PERSEIGNE inservit libidini, quam honeste vivens praestet reve­ rentiam praesentissimae deitati. Plane, ubi auctor et amator munditiae, fide non dubia creditur esse pracscntissimus, non exerceret turpia nisi bestia fieret Chris­ tianus. 145. Verumtamen bcslialia agens, per naturam bestia non existit, sed quodammodo exuit hominem dum in opere suo usum rationis amittit. Cum enim insitae sibi rationis praecellit, et tamen, a quo et qualis sit conditus non attendit, nec ad quem usum acceperit donum rationis intelligit, sed illa aut non utitur aut abutitur, non immerito comparatur iurnentis insipien­ tibus, similisque illis efficitur, nisi quod plerumque illis deterior invenitur. lumenla quippe caeco instinctu natu­ rae se agunt, nec ab eo quod illis ordinatum est a natura aliquo pacto resiliunt. Homo vero, cui natura est ratio­ nal·! et inlclligere, insita sibi ratione abutitur, divinae legis mandata transgreditur, et proposito ordine divinis ordinationibus quamvis miser et impotens reluctatur. Homo, itaque, licet bestiis naturae dignitate praee­ mineat, est tamen operis foeditate vilior, usu corruptior, actu nequior, ferocior spiritu, invalidior corporeo sensu, naturae inimicitior, malignitate noccntior, peccatis infelicior, a ternae mortis expectatione miserior. Et mirum in modum malitiae suae merito sibi pene superat omnia, cui creatoris bonitas subiecit sub pedibus universa : Omnia, inquit, subiecisti sub pedibus cius ; nunc autem gemit etiam culicibus se subiectum qui dum irrationabi­ lia agit, hominis honore sc exspolians non natura sed moribus degenerat in iumentum. 1. Ps. -18, 13, 21. La réduction du pécheur à une condition animale est un thème traditionnel dans la patristique. Cf, saint Beknaiu», Sermo J in An­ num. 13. V. M., 7 ; P. f-. 183, 386 C : « Si peccaverit anima, mutatur misera­ biliter, iurnentis insipientibus similato ·, cl Aki.hi.i» dr IUrvaulx, Quand Jésus eul douze ans (cd- Sources Chrétiennes), p. 53. note 2. 2. Ps. 8, 8. LETTRE XIV, 1U-I45 217 façon des bêles, plutôt que de vivre dans l’honnêteté et de rendre hommage à la très présente divinité. Assu­ rément, puisque le chrétien croit d’une foi sans hési­ tation que l'auteur et l’amant de la pureté lui est très présent, il ne se livrerait pas à des actions honteuses s’il ne devenait une bêle. 145. Pourtant, s’il se conduit comme une brute, ce n’est pas par nature que l’homme est une bêle : mais, pour ainsi dire, il dépouille l’homme, lorsque dans son agir il perd l’usage de la raison. Il est ennobli par le don connaturcl de la raison, mais, sans considérer par qui et en quelle condition il a été créé, sans comprendre davan­ tage pour quel usage il a reçu ce don de la raison, il n’en use pas ou en abuse; alors on le compare à juste titre aux animaux sans raison, auxquels il devient sem­ blable >, encore que généralement il se montre pire qu’eux. Les bêtes, en effet, agissent d’après l’aveugle tyrannie de l’instinct ; elles ne se détournent, en aucune manière de ce que leur prescrit la nature, tandis que l’homme, dont c’est le propre de raisonner et de com­ prendre, abuse de sa raison naturelle, transgresse les commandements de la loi divine, Cl, délibérément, malgré sa misère et son impuissance, lutte contre l’ordre établi par Dieu. El donc, cet être qui par la dignité de sa nature dépasse les animaux n’en est pas moins, par l’ignominie de ses œuvres, plus vil qu’eux; par scs habi­ tudes, plus corrompu ; par ses actes, plus méchant ; par sa nature spirituelle, plus orgueilleux ; par ses sens, plus faible ; il est plus ennemi de sa propre nature ; plus dangereux par sa méchanceté ; plus malheureux, puis­ qu’il pèche ; plus misérable, car une mort éternelle l’attend. O surprise ! c’est en méchanceté qu’il dépasse presque tous les autres êtres, quand la bonté du Créa­ teur a tout mis sous ses pieds ! « Vous avez, est-il écrit, mis toutes choses sous scs pieds 2. » Mais le voilà qui gémit d’être assujetti aux moucherons eux-mêmes, cet être qui, en sc conduisant au rebours de la raison, en sc dépouillant de sa dignité d’homme, sc ravale, non par sa nature, mais par ses mœurs, au rang des bêtes de somme ! 218 ADAM DE PERSEIGNE 146. An non iumenta sunt, non tam insipientia quam insania, quos rabies libidinis publicis foedat adulteriis, qui pro eo quod in campis feralis licentiae ad uxorem proximi sui hinniunt, equi emissarii vocabulum, in di­ vinis litteris acceperunt ? Unusquisque, ait. propheta, ad uxorem proximi sui hinniebat. 0 adulterantium detes­ tanda pernicies, qui nisi proprias animas cum quibus Christus in Ecclesiae thalamo et in crucis lecto incor­ rupti coniugii foedus inierat, ab immaculato cius toro infeliciter abstraxissent, nequaquam cas corruptoris animarum diaboli lupanaribus tradidissent ! An non sunt diaboli lupanaria fornicantium corpora, in quibus insatiabilis libido omnem simplicitatem et honestatem quasi lupa ovem depascit, quae tamen corpora Christus sibi in templa per proprii corporis sacrificium dedicavit? Estnc levis iniuria aut culpa facilis, in meretricem verti animam pro qua virginitatis aeternae filius tanta egit ut eam habere mereretur in sponsam ? 0 mira zelantis dignatio, qui dum nimium zelatus est amorem perditae, nec scipsum perdere dubitavit ! Perdidit animam suam propter me, quasi invenire meam non posset nisi suam dignatione ineffabili pro me indignissimo perdidisset ! Quid igitur agis, impudens meretrix, qua fronte Christi templum, sponsi lui thalamum, in Priapi prostibulum convertisti ? Quid, lupa rapacissima habitaculum cor­ poris tui, quod sibi in templum fecerat et consecraverat passio Christi, per exsecrationem libidinis, in lupanar Veneris dedicasti ? Certe Christi templum non erat obscenis usibus mancipandum, et quod erat caelestibus aptatum obsequiis, profanare non debuit impudentia meretricis ! 147. Meretrix plane impudens est peccatrix anima, quae dum incorrupti sponsi sui amplexus et oscula intus fastidit, ad voluptatum illecebras, per portas sensuum 1. Jcr., 5. s. LETTRE XIV, 146-147 219 146. Ne sont-ils pas des bêtes, moins par stupidité que par démence, ces hommes qu’une rage luxurieuse souille d’adultères aux yeux de tous, cl que les divines lettres, considérant les hennissements qu’ils lancent, dans la carrière de la licence animale, vers la femme de leur prochain, appellent du nom d’étalons. « Chacun, dit le prophète, hennissait après la femme de son pro­ chain ». » 0 adultères ! détestable fléau ! S’ils n’avaient commencé misérablement par arracher leur âme à l'im­ maculé lit nuptial du Christ qui, avec elle, avait conclu sur la couche de 1* Eglise ct. le lit de la croix, l’alliance d’un mariage sans tache, jamais ils ne l’eussent livrée aux lupanars du diable, corrupteur des âmes ! Ne sont· ce pas les lupanars du diable que les corps des fornicatcurs ? En eux, comme une louve fait d’une brebis, l’insatiable désir dévore toute innocence et toute sain­ teté. Et pourtant, ces corps, le Christ, par le sacrifice du sien propre, se les était consacrés pour être scs temples ! Est-ce une légère offense ou une faute vénielle que de transformer en prostituée une âme pour laquelle le Fils de l’Éternclle Virginité a tant, fait, dans le désir de l’ac­ quérir pour épouse ? O admirable condescendance dc ce jaloux, qui, sous l’empire de sa jalousie sans borne pour cette âme perdue, n’a pas hésité à se perdre luimême! Il a perdu sa vie pour moi, comme s’il ne pouvait trouver la mienne si, par une condescendance ineffable, il n’avait d’abord perdu la sienne pour le très indigne que je suis ! Que fais-tu donc, impudente prostituée ? De quel front as-tu changé en « maison » de Priape, la chambre de ton époux ? Pourquoi, louve très rapace, avoir dédié à Vénus comme maison de débauche, l’habi­ tacle de ton corps, dont la passion du Christ s’était fait un temple qu’elle s’était consacré ? Ah, non ! tu n’avais pas le droit d’afTectcr à un usage obscène le temple du Christ, et l’impudence d’une courtisane n’avait pas à profaner ce qui était destiné au service du ciel ! 147. L’âme pécheresse n’est autre chose qu’une impu­ dente courtisane, lorsque fatiguée intérieurement des embrassements et des baisers de son époux sans tache, clic s’enfuit au dehors par les portes des sens, vers les 220 ADAM DE PKRSBIGNE foras prosilit. Et dum se concupiscentiae carnis, concu­ piscentiae oculorum et superbiae vitae lascivia incrctricali prostituit, quid aliud quam corpus suum in prostibulum fornicationis exponit? Hinc iam quid de cri­ minibus, quid de flagitiis dubitet agere, quae primum adulterium, hoc est caelo inferre iniuriam, et a Christi evelli amplexibus, non timuit interius perpetrare ? Ex hoc iam meretrix in flagitium omne devolvitur, corrum­ pere ct corrumpi accelerat, nec tenet modum in malis, sed plus etiam luxuriae appetit quam subiecta ei suffi­ cere possit caro. Quaerunt miseri homines incentiva libidinum; ct quod damnata natura per se implere non sufficit, eam ct artificiosa curiositas et ciborum potuumque superfluitas ad hoc provocat et accendit. 148. 0 infelicissima tempora nostra in quibus se pene totum mundi corpus luxuria fcedasse cognoscitur, ut omnis pene sexus et actas ct ordo fœdari huius mali maculis videatur ! Verumtamen, huic communi morbo, poterat adhuc congrua medicina succurrere, nisi et “ in venenum mortiferum, commercio infelici, transisset. Nam quid cst quod et in ipsis angelis depre­ hendimus pravitatem ? An non sunt angeli qui se dicunt clericos, qui se ministros Ecclesiae profitentur ? An non sunt angeli, qui ex officio habent regi angelorum assis­ tere, ct populis deorsum astantibus, caelestia nuntiare ? Si angeli dicuntur nuntii, ct Ecclesia caelum dicitur, quid sunt qui in Ecclesia, aut sacramenta ministrant, aut caelestia nuntiant populis, nisi angeli ministrantes in caelo ? Hinc est quod, iuxla M alae hia m, sacerdos dicitur angelus Domini exercituum. Et Apostolus praeDR a. : ipsam i) ipsum R 1. Job. 4, 18. LETTRE XIV, 147-148 221 caprices de la volupté; ct quand elle sc prostitue, avec la licence d’une fille perdue, à la concupiscence de la chair, à la concupiscence des yeux et à l’orgueil de la vie, que fait-elle autre chose que d’aller proposer son corps dans un lieu de débauche? A partir dc ce momentlà, quel crime, quel scandale hésiterait-elle à com­ mettre ? N’a-t-clle pas commencé par oser perpétrer en elle-même cet adultère qu’est l’insulte au ciel et l’arra­ chement aux bras du Christ ? Désormais, la courtisane sc roule dans tous les scandales, elle sc hâte de corrompre ct d’etre corrompue. Loin d’observer dans le mal la moindre modération, elle aspire après plus de luxure encore que la chair son esclave ne lui en peut procurer ! Les hommes misérables cherchent des excitants à leurs convoitises ; à cc que la nature maudite n’arrive pas à consommer d’clle-mêine, l’excès du manger el du boire les provoque et les enflamme. 148. Oh ! temps malheureux que les nôtres ! Nul n’ignore que la luxure y a souillé l’univers pour ainsi dire tout entier, au point que tout sexe, tout âge, toute condition apparaît contaminé de ce mal. Pourtant un remède spécifique aurait encore pu venir au secours de ce mal universel, n’était que le remède lui-même, par une déplorable métamorphose, est devenu un poison mortel. Que veut dire en effet : « Dans les anges eux-mêmes, nous avons trouvé le mal 1 ? » Les anges ne sont-ils pas ceux qui se prétendent clercs, et qui font profession d’être ministres de Γ Eglise ? Les anges ne sont-ils pas les créatures dont le rôle est de se tenir auprès du Roi des anges, et d’annoncer les vérités éternelles aux peu­ ples qui se tiennent au-dessous d’eux? S’il est entendu que les messagers sont appelés «anges» et l’itglisc «ciel», que sont donc ceux qui, dans l’Église, ont pour rôle, soit d’administrer les sacrements, soit d’annoncer au peuple les vérités célestes, sinon des anges exerçant leur fonction dans le ciel ? Dc là vient que d’après Malachic, le prêtre est appelé « ange du Seigneur des armées *. » Ajoutons que Γ Apôtre veut que les femmes, 2. CL Mal., 2. 7. 222 ADAM DE PERSEIGNE cepit mulieribus velato capite in ecclesia orare propter angelos, videlicet ne tentet Satanas de ipsarum nudi­ tate ministros. Ibi enim angeli appellantur Ecclesiae ministri, quibus ex hoc innuitur intueri feminas non debere, quae propter angelos in ecclesia iubentur capita velata habere. Quod si non licet eis mulieres videre, quanto magis appetere vel appeti velle est illis illicitum, quibus et excellentia ministerii, ct praerogativa nuntii confert vocabulum angelorum. Sed heu aliter est, quia non tantum mirabili, sed et miserabili modo, angeli lucis in angelos Satanae versi sunt. Et cum in contrarium, secundum Apostolum, fieri soleat ut se angelus Satanae in lucis angelum transfiguret, cccc ministri Ecclesiae, qui in omni sanctitate et iustitia esse debuerant, praeces­ sores, non erubescunt hodie fieri ceteris saecularibus in flagitiis fortiores. Non verentur concessa libertate in velamen malitiae uti, nec pudet eos se vitiorum subicere servituti. Famosissimi facti sunt hodie in criminibus, qui de caelestibus philosophari debuerant, et facta est in eorum exemplis schola scelerum, quae esse debebat ex officio schola virtutum. 149. Si consideratio tua percurrere vitium omne vo­ luerit, nullum prorsus invenies cuius non sunt perfec­ tissime clerici, non dico tantum experientiam, sed magis­ terium consecuti. Si de superbia agitur, adeo fastu ct arrogantia pleni sunt, ut, spreto summo bono, peren­ nibus bonis postpositis, in sola divitiarum iactantia, in cultu vestium, in dignitatum adeptionibus, gloriantur. Si de invidia agitur, ncccsse est eos invidiae livore tabes­ cere quod concupiscentia oculorum ct superbia vitae reddit caritatis expertes. Si ad iracundiae furorem intui­ tum verteris, cognosces apertius quod est in cis animus 1. 1 Cor.. 11. 10 et 7, 5. 2. Ct. 2 Cor.. 11. 11. I j '■ j LETTRE XIV, 148-149 223 à l’église, prient la tête voilée, « à cause des anges 1 », c’est-à-dire pour que Satan ne prenne pas occasion de leur nudité pour tenter les ministres de Dieu. Ici, en effet, les ministres de l’Église sont appelés «anges», titre qui insinue qu’ils ne doivent pas porter leurs regards sur les femmes, celles-ci recevant l’ordre de se voiler la tête à l’église « à cause des anges ». Que s’il n’est pas permis aux prêtres de regarder les femmes, combien moins encore de les convoiter ou de vouloir en être convoités, puisque leurs fonctions ct leur dignité de messagers leur vaut le titre d’« anges ». Mais hélas ! il en va autrement ’ les anges de lumière, en effet, par une conduite qui détonne autant qu’elle étonne, se sont transformés en anges de Satan. D’après l’Apôtre, c’est, pourtant, au contraire, l’ange de Satan qui se change en ange de lumière 2 ; mais voici que les ministres de l’Église, qui dans tout le domaine de la sainteté cl de la justice auraient dû être à l’avant-garde, ne rougissent pas, aujourd'hui, de dépasser les séculiers dans le domaine du scandale, ils n’ont pas honte d’abu­ ser de la liberté qu’on leur laisse, pour camoufler leur malice, et se font sans rougir les esclaves du vice. Ils ont aujourd’hui acquis une immense réputation dans le domaine du mal, ceux dont l’application devait, porter sur la connaissance des choses du ciel, et leurs exemples ont transformé en école du vice, celle qui eut dû, par nature, être l’école de la vertu. 149. Si votre critique désirait passer en revue toutes les sortes de vices, vous seriez certain de n’en trouver aucun cs-quels les clercs ne soient, je ne dis pas «versés», mais «passés maîtres». S’agil-il de l’orgueil? Voyezles si remplis de faste et d’arrogance, qu’ils méprisent le bien suprême, rejettent les biens éternels, et ne met­ tent leur gloire que dans des richesses ostentatoires, dans la recherche des vêtements, dans la conquête des di­ gnités. S’agit-il de l’envie ? Il est inévitable que la pâle envie dessèche ces hommes que la concupiscence des yeux et l’orgueil de la vie privent de toute charité. Tour­ nez-vous votre examen vers leur colère frénétique ? Vous en aurez l'évidence : la frénésie qui couve en leur 224 ADAM DE PEHSE1GNK tanto furentior quanto ferocior redditur de eminentia tumidae prioritatis. Immites enim et turbidos facit tumoris asperitas, quos benignitas misericordiae non pungit. Vide utrum ct de acedia sint notabiles, qui ad omne infortunium pene inconsolabilitcr contristantur, nec ad modicum mollioris vitae dispendia sustinentes. 150. Quid dc avaritia dixerim, quae idolorum servitus ab Apostolo nominatur, per quam paganismum potius quam Christum videntur huiusmodi homines profiteri? Nam, si avaritia, iuxta sententiam Pauli, est idolatria, quid illos nisi idolorum cultores dixerimus, quos paupertati Christi et cultui, divitias et honores praetulisse videmus? Quid non apud eos dc patrimonio Crucifixi venale cons­ tituitur, apud quos quaestus pietas reputatur ? An non paganismus est, id esi. idolatria, aut villam emere aut quinque iuga boum parare ·' et ita se a caelestibus nuptiis excusare ? Nam si pagus villa dicitur, Ct qui paganus est idolis servire paratur, quomodo qui per avaritiam id est idolorum servitutem fiunt pagani, non perdunt liber­ tatem et gloriam nominis christiani ? Obsecro te, quo iure cultores idolorum sibi vindicant Crucifixi patri­ monium ? Et quos idolorum servitus, id est avaritia, a divinis retrahit nuptiis, quid i uris habent in ecclesias­ ticis sacramentis ? Annon sunt Ecclesiae sacramenta nuptiarum caelestium fercula, quibus uti ct refici illi solum sunt digni, qui ad nuptias veniunt, et cum veste introeunt nuptiali ? Ecce constituit avaritia intercessores hominum Giezi et Simonem magum, qui certe nec bap­ tizant parvulos, nec sepeliunt mortuos, nec per eos pro defunctis hostia salutaris offertur, nisi taxato prelio con­ ducantur. Hinc est quod tricennaria exigunt, reposcunt DR n. parare : probare R 1. 5. 20 ct Epii., 5, 5. 2. Ct. 1Λ. 14. 225 LETTRE XIV, 149-150 cœur s’accroît de toute l’enflure de leur hautaine pré­ éminence. Une grosse tumeur rend, en effet, durs et violents ceux que n’a pas percés la bénignité de la misé­ ricorde. Voyez s’ils ne se signalent pas aussi par leur acédie ces clercs qui, à tout revers dc fortune, éprouvent un chagrin quasi inconsolable, ne sachant supporter, même pour un peu dc temps, quelque restriction au confort excessif de leur existence. 150. Que dire de leur avarice, — ce service des idoles, comme la nomme l’Apôtre x, — qui fait de ces gens là plutôt des sectateurs du paganisme que du Christ ? Car si, d’après la maxime de Paul, l'avarice est idolâtrie, comment donc les nommer, sinon sectateurs des idoles, quand nous les voyons préférer les richesses et les hon­ neurs à la pauvreté et au service du Christ ? Chez eux, que reste-t-il du patrimoine du Crucifié, qui ne soit mis à prix, quand les taxes sont jugées pieuse pratique ? N’est-cc pas acte de païen, et donc idolâtrie, que d’acheter une ferme ou d’acquérir cinq paires de bœufs, et de s’ex­ cuser là-dessus d’assister aux noces célestes 2 ? Car si l’on donne le nom dc pagus à une ferme ct que le « païen » est prêt à servir les idoles, comment donc ceux qui par l’avarice, c’est-à-dire par le service des idoles, deviennent « païens », ne perdraient-ils pas la liberté glorieuse de leur titre dc chrétiens ? De grâce, de quel droit les ser­ viteurs des idoles revendiquent-ils le patrimoine du Cru­ cifié ? ct ceux que le culte des idoles, autrement dit l’avarice, lient à l’écart des noces célestes, quelle sorte de droit ont-ils sur les sacrements de l’Eglise ? Ceux-ci ne sont-ils pas les mets des noces célestes, dont seuls ont le droit d'user pour se refaire ceux qui viennent aux noces et y entrent avec la robe nuptiale ? Voici que l'avarice a promu intercesseurs des hommes Giézi et Simon le magicien 3, qui, bien entendu, ne baptisent les enfants, n’enterrent les morts, et n’offrent pour eux l’hostie du salut que si on les a engagés pour un prix convenu. Voilà pourquoi ils exigent les « trentains », réclament les « annales », ct n’exercent à peu près pas 3. Cf. 2 Bois, 5, 20-26 ct Act., 8. 18-19. Lettres. I. 15 226 ADAM DE PERSEIGSE annalia, et pene nihil de officio suo gratis conferunt qui nihil gratis a suis praecessoribus acceperunt. 151. Velint nolint, Ecclesiae fideles compelluntur eos sibi facere apud Deum intercessores, quos ct apertius sciunt esse1 idolatriae deditos, ct per exeerabilem vitam Dei constitui inimicos. Quid est. autem fidelium obla­ tiones suscipere, nisi ’ se cis pro impetranda indulgentia obligare ? Qui vero in maiestatis iniuriam suscipit obla­ tiones vel exigit, quomodo apud maieslatcm fidelibus veniam ipse perfidus obtinebit ? Quomodo, inquam, eius intercessio Deum redderet propinquum* pocnitenti, cuius est praesentia divinae molestissima pietati ? Et cum extenderitis, dicit Isaïas, manus vestras, avertam faciem meam a vobis, ct cum multiplicaveritis orationem, non exaudiam ; kalendas vestras et solemnitates vestras odivit anima mea ; facta sunt mihi molesta, laboravi sustinens. Si igitur praesentia talium tam gravis est divino conspectui, quomodo possunt qui rei sunt, per­ ditorum precibus expiari ? Numquid reconciliare mihi poterit Dominum meum, qui sibi ipsi eum non meretur habere placatum ? 152. Plane de sacrificio mediatoris est aliter sen­ tiendum, ne sua privatur efficientia hostia salutaris. Quoties offertur, etiam manibus quantumlibel indi­ gnissimi sacerdotis, hostia merito salutaris dicitur, quia alibi quam in ipsa non est salus, ct licet nullum sit con­ ficientis meritum, per verbum tamen Dei sacramentum perficitur, cuius efficitur ille qui conficit instrumentum. Sed nunquid mihi poterii eum Domino meo pacem facere, qui pene nihil aliud agit quam ipsum ad iracundiam provocare ? Vivere de sacrilegio, de rapina vivere, in­ cumbere exactionibus, devorare plebem Dei, non pasDR a. esse : iam R || b. nisi ont. D | c. propinquum : propitium R LETTRE XIV, 150-152 227 leur ministère dans la gratuité : ils n’ont rien reçu gra­ tuitement de leurs prédécesseurs. 151. Bon gré mal gré, les fidèles de l'Églisc sont obligés de les constituer leurs intercesseurs auprès du Seigneur, alors qu’ils les savent pertinemment voués au service des idoles, cl, par leur existence exécrable, établis dans l’inimitié de Dieu. Car ce geste île recevoir les offrandes des fidèles, que signifie-t-il, sinon l’engagement de leur obtenir le pardon ? Mais celui qui reçoit ou exige ces offrandes au mépris de la divine majesté, comment, alors qu’il est lui-même un hypocrite, pourra-t-il obtenir en faveur des fidèles, le pardon de la divine majesté ? Comment, je vous le demande, pourrait-elle rapprocher Dieu, l’intercession d’un homme dont la présence est intolérable à la divine bonté ? « Lorsque vous aurez étendu vos mains, dit le prophète Isaïe, je détournerai ma face de vous ; et lorsque vous aurez multiplie les prières, je ne les exaucerai point ; mon âme hait vos kalendes cl vos assemblées ; elles me sont maintenant à charge ; j’ai peiné h les tolérer » Si donc l’existence d’un tel culte offense à ce point le regard de Dieu, com­ ment des coupables peuvent-ils être purifiés par les prières de clercs maudits? Pourrait-on supposer qu’un homme incapable d’apaiser Dieu pour son propre compte, pourra le réconcilier avec moi ? 152. Tout autre doit être notre avis sur le sacrifice du Médiateur, car l’hostie du salut ne doit pas être privée de son efficacité. Chaque fois qu’elle est offerte, fût-ce par les mains du plus indigne des prêtres, elle justifie son nom d’hostie du salut, parce qu’il n’y a point de salut ailleurs qu’en elle. Et bien que celui qui la consacre soit sans aucun mérite, cependant, par la parole de Dieu, le sacrement s’accomplit, et celui qui le fait en est cons­ titué l’instrument. Mais est-ce que par hasard il pourra me mettre en paix avec mon Dieu, cet homme dont, pour ainsi dire, la seule occupation est de le pousser à la colère ? Vivre de sacrilèges, vivre de rapines, s’ap­ pliquer aux exactions, dévorer le peuple de Dieu au 1. Is., 1. 14-15. 228 ADAM DE PERSEIGXE cere, no» aedificare animas, sed destruere, non corri­ gere mores, sed corrumpere, non honorem ministerio sacro, sed vitupcrium quaerere, sub praetextu sacri ordinis, et ecclesiasticae orationis, carnalibus emolu­ mentis intendere, umbram libertatis velamen malitiae et illiciti4 operis facere, quid est aliud quam Deum ad iracundiam provocare ? 153. Aliqua dixi, sed praetermisi plurima quae in clericis nostri temporis luce clarius cognoscuntur, ct mirum in modum qui pereunti saeculo esse debuerant in medicinam, facti sunt potius in ruinam. Quid de ingluvie ipsorum dixerim, qui sicut idolis videntur servire per avaritiam, ita sibi fecerunt, per gulae vitium, deum ventrem. Hinc est quod Apostolus de talibus loquens ait: Quorum deus venter est, ct gloria, inquit, in con­ fusione ipsorum, qui terrena sapiunt. Hunc certe deum miro studio colunt, tot illi offerentes sacrificia quot comessationibus suis fercula apponentes. Hi cerie fer­ culis effrenatiores et polentiores sunt in opere Veneris, quippe qui otiis vacantes et abundantes divitiis, tanto indulgentius mitiunt corpus, quanto locupletius patri­ monium pauperum eis credidit crucifixus : ceteros sane homines aut tenuitas facultatum, aut labor sedulus operum occupat et affligit, et ab illecebris lenocinantium voluptatum aliquatenus retrahunt : sed in his qui in labore hominum non sunt, videtur ut ex adipe iniquitas prodeat, quibus rerum omnium copiam, Christi paupe­ ries deb crucis proventibus administrat. Sed c non ad dissipandum sed ad dispensandum fideliter suum cis patrocinium Pater pauperum dere­ liquit, protinus acquisitionem manibus tradi nocentium non refugit. O si Ecclesiae dispensatores attenderent dr a. Illiciti operis : illicitis R |[ b. finem epist. oin. R |. c. : heu D 1. Cf. I Pctr., 2, 16. LETTRE XIV, 152-153 229 lieu de le nourrir, ruiner les âmes au lieu de les édifier, corrompre les mœurs au lieu de les corriger, faire mépriser le saint ministère au lieu de le faire respecter, viser, sous prétexte de saints ordres cl de prières de ΓEglise, des bénéfices matériels, sous le couvert de la liberté, jeter un voile sur sa malice 1 et ses actions déshonnêtes, qu’est-ce autre chose que pousser Dieu à la colère ? 153. Voici quelques idées. Cependant j’ai laissé de côté la plus grande partie de ce que l’on sait plus clairement que le jour sur les clercs de notre temps, et c’est une chose stupéfiante, que ceux qui auraient dû servir de remède à notre époque expirante, soient plutôt devenus sa perle. Que dirais-je de leur gourmandise, quand la vicieuse goinfrerie de ces serviteurs avoués des idoles (par leur avarice), leur a fait un dieu de leur ventre ? D’où la parole de l’Apôtre au sujet de leurs semblables : « Gens dont le dieu est leur ventre, et qui placent, dit-il, leur gloire dans leur honte ; ils ont. le goût du terrestre *. » Certes, ils déploient au service de leur dieu un zèle sur­ prenant, lui offrant autant de sacrifices qu’ils font servir de plats dans leurs banquets. Ces mets ne manquent pas de les rendre plus débridés et plus vigoureux dans l’œuvre de Vénus. Car, jouissant de loisirs, comblés de richesses, ils dorlotent leur corps avec d’autant plus de condescendance, que le crucifié leur a plus largement départi le patrimoine des pauvres. Le reste de l’humanité subit les inévitables limites de ressources modiques ou d’un travail astreignant, et elles les détournent des caprices de la volupté charnelle ; mais chez ces gens qui ne partagent pas le labeur des hommes 2345, les iniquités semblent naître de leur graisse «, enrichis qu’ils sont par la pauvreté du Christ, par les ressources de la croix. Cependant, si le Père des pauvres leur a légué son patrimoine non pour le dissiper, mais pour l’administrer fidèlement, il ne s’ensuit pas qu’il ait empêché que son bien ne fût livré aux mains des méchants ·. Oh ! si les 2. 3. 4. 5. Phil., 3, 19. CL Ps. 72, 5. Ct. Ps. 72. 7. CL Oraison Respice quaesumus (in tine horarum maior, hebd.). 230 ADAM DE PERSEIGNE quibus, quantum Cl quomodo Agnus restitutor inno­ centiae laboravit ! Quibus autem laboravit, nisi paupe­ ribus, cui non suffecit ut ipsos diligeret nisi scipsum exinaniens eorum se inopiae per carnis similitudinem coap­ taretur ? In tantum sane de suae exinanitionis contu­ bernio suorum pauperum inopiam honoravit ut cum vulpes foveas habeant ct volucres caeli nidos, ubi caput reclinaret ipse caeli et terrae Dominus inter homines non haberet. De hac re testimonium sibi ipse perhibuit dicens : Vulpes foveas habent et volucres caeli nidos, Filius autem hominis non habet ubi caput rcclinct. Quantum non laboraverit, omnes qui transeunt per viam attenderent, si in ipsum intentae mentis intuitum ver­ terent, si ipsum non transeunter aut supcrficietenus in suis doloribus providerent. : certe, a planta pedis usque ad verticem, non fuit in Agni corporc quod remaneret vacuum a dolore. Ubi enim totum corpus occupat mors, et mors omni morte crudelior, quid potest constare in sensibus vel in membris quod maneat expers doloris ? Attende in corpore morientis crudelitatem mortis, genus crudelitatis, quam gratis perferat omnia, quam ab indignis sustineat universa! Sane verticem innocentis quem Baptista contingere contremiscit, corona spinea a cordibus spinosis probata configit. Sed heu ! spinetum peccatorum nostrorum has spinas protulit, ct unde pungeretur innocentia, reatus4 nostrae malitiae procu­ ravit. 154. Beata illa facies palmis caeditur, sputis confi­ citur in quam prospicere puritas angelica delectatur. Illos misericordes ct pleni luminis oculos tenebrarum DIVrag.] ii. hic incipit /rag. ex ms. P 1. (X Phil., 2, 7. 2. Mt., 8, 20 ; Lc, 9, 58. 3. Cf. Thren., 1, 12. LETTRE XIV, 153-15* 231 intendants de l’Eglise consentaient à considérer pour qui, combien et comment a peiné l’Agneau qui rétablit le pardon ' Pour qui done a-t-il travaillé, sinon pour les pauvres ? Car il ne lui a pas suffi de les aimer, il lui fallut encore s’anéantir », s’adapter à leur misère en prenant leur condition charnelle. Certes, il a honoré la misère de ses pauvres, en venant habiter avec eux par son anéan­ tissement, à tel point que les renards peuvent avoir leur tanière et les oiseaux du ciel leur nid : le Seigneur du ciel et de la terre n’avait pas, lui, parmi les hommes, où reposer sa tète. Il s’en est à lui-même rendu le témoignage en disant : « Les renards ont leur tanière et les oiseaux du ciel leur nid, mais le fils de l’homme n’a pas où reposer sa tête 2. » Combien n’a-t-il pas peiné ! Tous ceux qui passent par le chemin y prendraient garde ’, s’ils dai­ gnaient tourner vers lui le regard d’une âme attentive, s’ils ne jetaient pas, sur le Christ en ses douleurs, un coup d’œil si léger, si superficiel. Certes, de la plante des pieds jusqu’au sommet de la tète 4, il n’y eut rien dans le corps de l’Agneau, qui demeurât exempt de douleur. Tandis en effet que la mort, et une mort plus cruelle que toute mort, s’est emparée de son corps tout entier, que peut-on voir, dans ses sens et dans ses membres, qui demeure à l’abri de la douleur? Considérez dans le corps du (Christ) mourant, la cruauté de sa mort ; le genre de cette cruauté ; combien est injustifié tout ce qu’il supporte ; combien indignes ceux qui lui font tant subir ! Oui, la tète de l’innocent que le Baptiste redoute de toucher *, la voici percée par une couronne d’épines avec l’appro­ bation de nos cœurs hérissés d’épines. Mais, ô malheur, c’est le hallier de nos péchés qui a produit ces épines, c’est notre coupable malice qui a fourni de quoi déchirer l’innocence. 154. Voici frappée de soufflets, accablée de crachats, cette bienheureuse face dont la contemplation réjouit la pureté des anges. Ces yeux miséricordieux et tout 4. Is.. i. o. 3. Cf. Brcv. cist., antienne Baptista contremit (In octava Eplpti., nd Ter­ tium). 232 ADAM DE PERSEIGXE filii velant et ad prophetandum a quo percussus sit irrisorie salutatum invitant. Aceto et folle suae amaritu­ dinis in sua siti potare non metuunt, de cuius torrente voluptatis, haurire fluenta salutis avide debuerant. Munificas 4 illas manus quae liberalitate magnifica im­ plent omne animal benedictione, clavis ad ligni stipem confixere. Sed numquid illae manus ita ligari aut teneri a filiis avaritiae poterant, quominus b affluentiam boni­ tatis et gratiae universae creaturae valeant elargiri, praesertim cum omnia ab eo expectent sibi escam in tempore exhiberi ? Absit hoc. Suavis est Dominus universis, nec se alicui eius bonitas negat, qui etiam crucifixoribus suis implorat veniam et eorum apud Patrem excusat ignorantiam dicens : Pater, ignosce illis, quia nesciunt quid faciunt. 0 mira pietas, o immensa suavitas, o caritas infinita ! Omnem patitur iniuriam divina innocentia, et in omni patientia non solum ma­ litiam persequentium vincit sed immeritis et plenitu­ dinem miserationis impendit ! Beati illi pedes qui lapsi non sunt nec cucurrerunt ad malum, fixuram suscipere clavorum. Sed nunquid his compedibus sermo Dei ‘ vivus et efficax et tam velociter currens, poterit prae­ pediri, quominus propositae ab eo obedienliac cursus valeat consummari ? Absit et hoc. Se magis, se miseri illi crucifixores praepediunt, sibi potius compedes suae damnationis iniciunt, dum illius qui via cl vita est ves­ tigia configentes, eum usque ad se pervenire non sinunt. Denique lancea militis latus aperuit innocentis, ut de visceribus innocentiae, misericordiae diluvium inunDF|fnig.| a. immineas : vivificas |[ b. qominus : quomodo I) || c. Dei ont. D 1. Cf. Ps. 111. 16. 2. CL Ps. 103. 27. 3. Cf. Ps. 111. 0. 4. Saint Augustin, Homil. in Ps. 1.1V (cf. Brcv. cist., Feria Va in Cocna Domini, ad Vigilias, loci. VI a); cf. Lc, 23, 34.. LETTRE XIV, 154 233 de lumière, les fils des ténèbres les voilent, et ils invitent Jésus, en le saluant ironiquement, à deviner qui l’a frappé. Dans sa soif, ils ne craignent pas de l’abreuver du vinaigre et du fiel de leur amertume, alors qu’ils auraient dû puiser à son torrent de volupté, les îlots du salut. Ces mains munificentes qui avec une libéralité magnifique remplissent de bénédiction tout ce qui vit *, ils les ont clouées au poteau de bois. Mais, je vous le demande, ces mains peuvent-elles être attachées ou liées par les enfants de l’avarice, au point de voir diminuer leur pouvoir d'épandre sur toutes les créatures un déluge de grâce et de bonté, quand surtout a toutes choses attendent de lui que la nourriture leur soit donnée en temps favorable 2 ? » Loin de nous cette pensée ! Le maître est suave pour tous 3, et sa bonté ne se refuse à personne ; même pour ceux qui le crucifient, il implore le pardon, et auprès de son Père, il excuse leur ignorance, en disant : a Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font *. « O merveilleuse tendresse, ô incommen­ surable douceur! ô charité infinie ! La divine innocence supporte tous les affronts, et, en toute patience, non seulement elle triomphe de la malice de ses persécuteurs, mais clic leur accorde aussi, tout indignes, la plénitude de sa miséricorde. Ces pieds bienheureux qui n’ont point failli ni couru vers le mal, ont accueilli les clous qui les immobilisent. Mais la vivante parole de Dieu, efficace et si rapide en sa course 6, pourrait-elle, par ces entraves, être empêchée d’achever sa carrière, que lui a tracée l’obéissance ? Arrière encore cette supposition ! C’est bien plutôt eux, eux-mêmes qu’ils embarrassent, ces malheureux bourreaux ; ils s’attachent à eux-mêmes les entraves de leur propre damnation, lorsque, clouant les pas de Celui qui est la vérité et la vie, ils ne lui per­ mettent pas d’arriver jusqu’à eux. Enfin, la lance du soldat a ouvert le côté de l’innocent, pour que, des entrailles de l’innocence, débordât un déluge de miséricorde, et que la face de la terre en étant 5. CL Hebr.» 4, 12 ; Ps. 147, 15. 231 ADAM DE PERSEIGXE daret, quo irrigata facies terrae se ad ubertatem fruc­ tuum innovaret. Emitte, ait, spiritum tuum et crea­ buntur, et renovabis faciem terrae. Certe dum auctor vitae in cruce emitteret spiritum, de mortui lanceato latere prorupit diluvium totius gratiae, quo innovata facies terrae, id est. Ecclesiae fides, flores rosarurn et lilia convallium et hortos aromatum germinavit. Effusio nimirum incontaminati sanguinis Christi, dum mun­ dum redimeret et dilueret a peccatis, et flores rosarum protulit in martyribus, ct lilia convallium in sanctis virginibus, et in perfectis praedicatoribus hortos aro­ matum procuravit. Christi, inquiunt, bonus odor sumus Deo in omni loco. Quid igitur miseri dicturi sumus ? Quid Patri misericordiarum pro tantis beneficiis retri­ buemus ? Nos quidem Unigenito cius occasionem moriendi praestitimus et quod exsolveret quod non rapuit, nostra iniquitas causa fuit. Si igitur ea agere non desistimus pro quibus cum crucifixum fuisse non ambi­ gimus, nonne iterum totiens, quoad nos spectat, eum crucifigimus, quotiens ea pro quibus cum crucifigi opor­ tuit perpetramus ? Teneamus itaque fidem, imitemus viscera *, sectemur iustitiam, et quaecumque in aliis iure reprehendimus, longe a nobis per Christi gratiam faciamus. Tu fortassis, carissime, expectation! tuae scribib meliora speraveras, sed interim mihi non adfuit gratia qua libi possem porrigere grossiora f. Vale. £»P[frag.J n. viscera : vitam P b. scribi om. P [| c. grossiora : gratiora P. LETTRE XIV, 154 235 irriguée, produisît en abondance des fruits nouveaux. « Envoyez, dit Γ Ecriture, votre esprit, et (tout) sera créé, et vous renouvellerez la face de la terre l. » Oui, lorsque sur la croix, l’auteur de la vie rendit le dernier soupir, du côté percé de ce mort jaillit le déluge de toute grâce ; ainsi renouvelée, la face de la terre, c’est-à-dire la foi de Γ Eglise, lit. éclore les fleurs du rosier, le lis des vallées et les jardins des aromates *. Car en rachetant Je monde et en le purifiant de ses péchés, l'effusion du sang immaculé du Christ a fait du même coup éclore les roses chez les martyrs, chez les vierges les lis des vallées, et crée chez les prédicateurs parfaits, les jardins d’aro­ mates. « Soyons, disent-ils, pour Dieu, la bonne odeur du Christ, en tout lieu 123. » Que pourrons-nous dire, pauvres que nous sommes ? Qu’aurons-nous à rendre au Père des miséricordes pour tant, de bienfaits ? Nous ne pouvons le nier, nous avons suscité l’occasion qui entraîna la mort de son Unique, et si ce dernier a dû rendre ce qu’il n’avait pas pris 45, notre iniquité en est la cause. Si donc nous ne cessons pas de faire les actions qui, nous n’en doutons pas, l’ont mené à la croix, est-ce que, du fait même, nous ne le crucifions pas à nouveau, autant qu’il est en nous, chaque fois que nous commettons ce qui a rendu nécessaire son crucifiement? Soyons donc fidèles, imitons sa miséricorde, cherchons la justice ®, et tout ce qu’à juste titre nous reprenons chez les autres, par la grâce du Christ tenons-lc éloigné de nous. Peut-être, très cher, aviez-vous espéré une réponse qui répondrait, mieux à votre attente : mais pour l’ins­ tant, je n’ai pas reçu la grâce qui m’aurait permis de vous offrir davantage. Portez-vous bien. 1. 2. 3. L 5. CL Cf. Cf. Cf. Cf. Ps. 103, 30. Cant., 2, 1 ct 6, 1. 2 Cor.. 2, 15. Ps. 115, 12. 2 Tim., 2. 22. XV AD COMITISSAM PERTICENSEM 155. Dilectae suae in Christo illustri comitissae Perticensi, frater A. peccator, salutem in Spiritu sancto. Deposcit a me tuae devotionis instantia, ut te ali­ quibus litteris de animi virtute commoneam, ct incitem ad desiderium aeternorum. Felix plane ct laudanda petitio, ct utinam esset apud me unde felicem sortiretur effectum ! Verum magna est animae illius tenuitas ·, cui non se unctio Spiritus sancti infuderit, nec habere potest aliunde unde sibi vel alii profectus materiam sub­ ministret. Ad Spiritum proinde sanctum corde conver­ tamur et animo, et tu audiendo illi inhaereas, et ego de illo hauriam, quo salubriter tu docearis. 156. 0 quam illi opus est munda mente et humili, qui se in Spiritus sancti dedicat officinam ! Officiosa nimirum humilitas, dum omnem fastum elongat super­ biae, et per vitae munditiam Spiritui sancio satagit complacere. Cum enim sit initium omnis peccati superbia, et e diverso sit initium sapientiae timor Domini, sol­ licite providet prudens humilitas, ut illi incommodo hoc DALVB a. tenuitas : temeritas I< 1. Vraisemblablement Mathilde, fille d’Henri le Lion, duc de Saxe et de Brunswick, nièce par sa mère de Richard Cœur-de-Lion, sœurd'Othon IV de Brunswick, empereur d'Allemagne en 1189. Elle épousa en 1189 Geoflroi II comte de Perche, fils do Mahaut de Champagne. Veuve en 1202, elle se re- XV A LA COMTESSE DU PERCHE La sanctification dans le mariage. 155. A sa chère (fille) dans le Christ, l’illustre Comtesse du Perche 1, frère Adam le pécheur, salut dans l’EspritSaint. Votre dévotion me requiert avec instance de vous adresser une lettre d’avis sur la vertu, ct d’encoura­ gement à désirer l’éternel. Voilà bien une demande louable et de bon augure, et plût à Dieu qu’il y eût en moi de quoi la combler ! Mais bien chétive est l’âme en qui ne s’est pas déversée fonction de l’Esprit-Saint, ct qui ne peut pourtant tenir d’aillcurs ce qui pourrait procurer, à elle-même ou à un autre, un principe de progrès. Tour­ nons donc vers l'Esprit nos cœurs et nos âmes. Vous lui demeurerez unie en l’écoutant, tandis que pour vous, je puiserai en lui des instructions salutaires. 156. Oh ! combien sont nécessaires la pureté et l’humilité de l’âme, à qui sc consacre à devenir la demeure du Saint-Esprit ! L’humilité, certes, est une servante dévouée : elle écarte tout le faste de l’orgueil, et, par la pureté de la vie, s’efforce de plaire à l’EspritSaint. L’orgueil étant, en effet, l’origine de tout péché, et la crainte de Dieu, au contraire, Je com­ mencement de la sagesse *, la sage humilité veille soimarin avec Engucrrand JH, sire dc Coucy, ct mourut avant 1210. l.’abbaye dc Perseigne In comptait parmi scs bienfaitrices (cf. Cariiilairc, p. 96, 98, 205). La lettre d'Adam doit avoir été écrite entre 1191, date à laquelle Gcoffroi devint comte du Perche par la mort dc son père Rotrou III, ct 1202. 2. Cf. Ps. 110. 10. 238 ADAM UE PERSEIGNE remedium opponatur. Dum itaque motibus elati tumoris* opponit se timor humilis, animam non patitur sordere peccatis. Ceterum qui sine timore est, non iustilicabitur ; quia, dum ncgligitur aditus cordis, a penetralibus animae superbia non arcetur. 157. Virtus humilitatis ct per timoris spiritum extun­ dit1' superbiam cordis, et nihilominus carnis terit super­ biam sanctae remedio parcitatis. Amica sane est Spiritui sancto humilitas et mundum semper ei praeparat habi­ taculum, cui displicere non ambigit cor immundum. Super quem, ait Dominus, requiescet Spiritus meus, nisi super humilem et quietum et trementem verba mea ? Ubi certe humilitas, ibi quies, ibi timor ct reverentia manda­ torum. 158. Humilitas te tibi homo ostendit quid sis, quid fueris, quid postmodum sis futurus. Paulo ante nihil eras ; incipiens esse vile semen eras, nunc vivis vile vas stercoris, paulo post vermium esca eris. 159. Quid superbis, terra et cinis ? Quid conditionis propriae oblivisceris ? Quid non te citius moriturum potius assidue recordaris? Quid intendis mundo qui labitur, qui in concussionis0 suae fragoribus ruinam suis amatoribus minitatur ? Fallax plane est cius gratia et vana est pulchritudo, quae non modo non faciunt longum gaudium, sed evanescunt citius in lamentationis aeternae tormentum. Non sunt amanda quae transeunt, non sunt amplectenda quae fugiunt. Illis potius insistendum quae feliciter permanent in aeternum. Obstruenda est via vitiis, peccatis praefigendus est. terminus ; ad lucem respirandum est gratiae, ut nobis infulgeat, dies gloriae et honoris. Fugitivi mundi abicicnda est vanitas, morti­ ficanda est voluptas lubrici corporis, resecandum est D.VIATl a. tumoris : timoris Λ1ΝΛ | b. extundit : extendit M exstinguit Mar­ tine I c. concussionis : percussionis Λ/.V LETTRE XV, 156-159 239 gncusement à opposer ce remède à cc mal. Et donc, en s’opposant aux mouvements d’un ambitieux orgueil, une humble crainte empêche le péché de souiller l'âme. Du reste, qui n'a pas la crainte ne sera pas justifié ; car, tandis qu’on néglige les avenues du cœur, on ne tient pas l’orgueil éloigné du sanctuaire de l’âme. 157. La vertu d'humilité, qui déjà, grâce à l’esprit dc crainte, brise l'orgueil intérieur, écrase aussi l’orgueil de la chair par le remède d’une sainte modération. L’hu­ milité, n’en doutons point, est amie du Saint-Esprit, et prépare toujours une demeure pure à Celui que le cœur impur n’hésite pas à offenser. « Sur qui, dit le Sei­ gneur, reposera mon esprit, sinon sur Γhomme humble, paisible, et qui craint mes paroles 1 ? » Là donc où se trouve l’humilité, là aussi la paix, la crainte et le respect des commandements. 158. L’humilité, ô homme, te montre ce que tu es, cc que tu as été, ce que lu as à devenir. Il y a peu dc temps, tu n’étais rien ; lu n’as été, pour commencer, qu’une vile semence ; tu n’es, en la présente vie, qu’un misé­ rable réceptacle d’ordures ; dans peu de temps, lu seras la pâture des vers. 159. Pourquoi t’enorgueillir, terre ct cendre * ? Pour­ quoi oublier ta propre condition ? Pourquoi ne pas plutôt te rappeler sans cesse que tu dois bientôt mourir? Pourquoi prêter attention à un monde qui passe, et qui, craquant sous les coups, menace, sans cesse de s’écrouler sur ses adorateurs ? Bien vaine est la grâce, et trompeuse la beauté, qui, loin de procurer une longue joie, s’éva­ nouissent encore si vite, dans le tourment de l’éternelle lamentation! Il ne faut pas aimer cc qui passe, ni étreindre ce qui s’enfuit. Mieux vaut s’appliquer à ce qui, pour notre bonheur, demeure éternellement. 11 faut barrer la route aux vices, fixer solidement un terme aux péchés ; il nous faut aspirer à la lumière de la grâce, pour voir luire le jour de la gloire et dc l’honneur. Rejetez la vanité d’un monde qui s’enfuit, mortifiez la volupté1 2 1. i$., 56, 2. 2. CL IScell., 17, 33. 210 ADAM DE PERSEIGNE omne superfluum, ut sancta frugalitas in Dei filiam te adoptet. 160. Sobrius est Spiritus vitae, intemperantiae nihil admittit. Non divertit ad animum, a quo frugalitatem viderit exsulare. Non interest ludis aleae, non ei est cordi scacchorurn otiosa subtilitas ■*, ipsius puritatib non congruit lasciva c scurrilitas histrionum. Non affectat divina puritas longos vestium tractus, ad nihil aliud necessarios, quam ad concitandos pulveres, et ad gressus festinantium retardandos. 0 superflua vanitas ! o inu­ tilis ostentatio non sulliccrc pretioso cultu adornare sterquilinium corporis, nisi etiam longiori tractu con­ citati pulveres attrahantur Ad iniuriam oculorum et narium hoc perfecit cordi um effeminatio, quia et oculos claudere et nares obstruere, ct avertere faciem solemus, ab huiusmodi pulveribus tali artificio concitatis. O infelix et prioribus saeculis11 incognita prorsus adin­ ventio ", quae iter impedit et visum offendit’ Iter, inquam, impedit, quia superfluae vanitatis ostentatio a vcrilatc sectanda cor avertit ; visum confundit, quia, dum per intuitum effeminatae consuetudinis lentatio spectantibus sc ingerit, ab intuenda caelesti pulchri­ tudine oculos rationis abducit. O consuetudo immise­ ricors, ut unde debuit contegi nuditas pauperum, contegas et contrahas { pulveres platearum. Non erubescunt feminae nostri temporis probrosae assimilari vulpeculis, ut sicut bestiolae illae pollent longioribus caudis, sic istae gloriantur in longis tractibus fluxae vestis. 161. O quam saepe, quod peius est, de praedis pau­ perum, de spoliationibus viduarum, de exactionibus pupillorum vestes huiusmodi conquiruntur! Hinc haben- dmnr o. subtilitas : sedulitas DMN (c/. Ep. XXVII, 316: schaccorum subtilitas omnes codices) ]| b. puritati : pietati A' | c. lasciva ont. Λ/A' j| d. sacculis LETTRE XV, 159-161 241 d’un corps lubrique, retranchez tout superflu, pour qu’une sainte modération vous fasse adopter par Dieu comme sa fille. 160. Sobre est l’Esprit de vie : il n’admet aucun excès. 11 ne loge pas dans l’âme d’où il voit qu'on a banni la modération. Point de place pour lui aux jeux de dés ; l’oiseuse subtilité des échecs ne l’intéresse nullement ; sa pureté ne s’accorde pas avec la grivoiserie des his­ trions. La divine pureté n’a point non plus la passion des longues traînes, qui ne servent qu’à soulever la poussière ct à retarder les pas des gens pressés. O vanité superflue ! ô inutile étalage ! Ne pas s’estimer satisfait des grosses dépenses consacrées à l’ornementation du corps, cette pourriture, si, derrière lui, une traîne bien longue ne soulève encore un sillage de poussière ! La veulerie des cœurs a élaboré cc chef-d’œuvre au grand dam des yeux et des narines : chacun en effet ferme les yeux, se bouche le nez, et détourne le visage de ces poussières qu’on s’ingénie si bien à soulever ! Malheureuse invention, totalement inconnue des siècles précédents, qui entrave la marche ct blesse la vue ! Entrave la marche, dis-je, parce que l’étalage d’une vanité superflue détourne le cœur de suivre la vérité; blesse la vue, car, en exposant à la vue une mode inventée par la mol­ lesse, elle introduit la tentation dans le cœur de ceux qui la contemplent, et détourne les yeux de la raison, de prêter attention à la céleste beauté. O mode sans en­ trailles, qui emploie ce qui aurait dû servir à couvrir la nudité des pauvres, à couvrir et à traîner la pous­ sière des places ! Dépourvues de fierté, les femmes de notre temps n’ont pas honte de ressembler à des re­ nards. Comme ces vils animaux sont, dotés de queues remarquablement longues, ainsi ces pécores mettent leur gloire dans la longue traîne de leur robe ondoyante ! 161. Que de fois — circonstance aggravante — les habits de cette façon s’acquièrent en rançonnant les pauvres, en dépouillant les veuves, en volant les orom. Af.V 'I c. adinventio : abusio N | f. contegasct contrahas: inde contrahas et abstergas N Lettres. I. 16 242 ADAM DE PEtlSElGNE tur mutatoria extensa in perticis, hinc sumuntur expensae in sumptuosis aedificiis “, hinc saginantur ventres in con­ viviis accuratis, ct ab illis habet nobilitas saeculi cibos lautiores, et quaeque pretiosa, qui pene assidue vivunt in paupertate summa. 162. Ulinain, tu, (ilia, ista saepe recogites, nec iuxta exigentiam alti sanguinis tam ailcctes huic sacculo conformari, quam placere illi studeas, qui Altissimi Patris Filius pro te b voluit humiliter humanari . Pensa quid illi debeas, qui et te de nihilo fecit, et sua signavit imagine, similitudine insignivit, visitavit incarnatione, conversatione docuit, redemit, passione, resurrectione glorificavit. sublimavit, ascensione, Spiritus Paraclilic gratia confortavit. Totam te illi debes qui se totum tibi contulit d ; licet te carnali e marito placere oporteat ; ille nihilominus ius suum in te repetere non desistitf. 163. Certe licet animam et corpus creaverit, licet utrumque iuris ipsius sit, ius tamen tui corporis interim pro lege coniugii viro cedit; sed animam luam e sibi vin­ dicans, in ius alterius transire non sinit. Carnalis maritus sponsus cst carnis tuae, Deus tuus sponsus cst animae : neutrum tamen eorum nulla commovet zelotypia, dum utrique11 permaneas fidelis et casta. Caelesti sponso debes animae pudicitiam, sicut carnali viro carnem exhibere pudicam. Ille pudicitiam animae tuae dotavit splendo­ ribus angelorum, quam dotem in fidei mysterio et spei certitudine recepisti '. 0 si dotem hanc diligas, nec spon­ sum hunc quasi parum tibi dederit asperneris! Nobilibus es orta natalibus, et secundum carnem regio procreata ex seminek ; sed incomparabiliter es ex dote ista nobilior, DMNR a. aedificiis : beneficiis DAf ] b. pro tc om. Af.V |' c. Paracliti : sancti Λ/N I d. pos/ contulit. ad/< || b. tribus his bonis c. n. c. defenden­ tibus : triplici huic bono c. n. c. defendenti | c. pietatis : caritatis ΝΛ || <1. finem cpisl. om. .V LEFTRB XV, 165-167 247 gale, un visage réservé, un langage pudique, des mains généreuses, prêtes à s’ouvrir largement aux pauvres, selon vos moyens et leurs nécessités. Autrement, le mariage n’aurait pas d’excuse. N’oublions pas qu’il est. une concession faite par indulgence, non un pré­ cepte. Notez que l’indulgence, en n’imposant pas le choix du mieux, apporte bien avec elle un remède, mais non une récompense. 166. Donc le mariage, concédé par l’indulgence (di­ vine) à la faiblesse (humaine), est institué à titre de remède, mais de remède inefficace s’il n’est préservé par trois biens. Le premier est la fidélité ; le second, l’espoir d’une descendance ; le troisième s’appelle le sacrement. La fidélité est assurée lorsque les époux se rendent mutuellement leur devoir de telle sorte que, d’une part, ni l’un ni l’autre ne se trouve frustré de son dû, et que, d’autre part, ils ne recherchent pas, du vivant du conjoint, une union étrangère. L’espoir d’une descendance consiste en ce que les époux s’unissent dans l’ardent désir d’instruire des mystères de la foi, et de former selon la connaissance de Dieu, les enfants qu’ils engendrent. Le « sacrement » existe lorsque les époux vivant deux en une seule chair, reflètent si bien par leur bonne entente l’image du Christ ct de l’Église *, qu’ils ne cherchent en aucune manière à rompre une union si indissoluble. 167. Si, à ces trois biens qui préservent le mariage de toute faute, vous ajoutez les œuvres de miséricorde et de piété ; si dans l’acte conjugal légitime lui-même, vous observez la manière et la mesure, si vous ne détournez pas au profit de la chair les jours solennels ct les fériés jeùnécs, destinées au progrès de l’âme, vous ne serez pas éloignée du salut. Notre mère l’Église a institué ces jours et assigné des époques à l’observance du jeûne, précisément pour que tout ce qui sc commet de fautes dans le commerce charnel soit lavé par la confession, la prière, les aumônes, en ces jours-là. C’est pour l’âme le temps opportun de se reposer et de voir combien le 1. Cf. Eph. 5, 32. 248 ADAM DE PERSEIGNE suavis est Dominus, quae abunde experitur in aliis tem­ poribus, quam foeda est caro, quam vilis est mundus. 168. Ecce, amanlissima mea, formulam hanc me tibi depingere coegisti, ad quam si vitam * tuam correxcrisj et tibi gloriam, et mihi laetitiam adaugebis. Ille tibi vires tribuat, ille te, sponsu inque tuum, sobolemquc tuam, in omni pace ct salute custodiat, qui corda se diligentium custodit?, semper prospicit, et felici perse­ verantiae in praemium sc exponit. Vale DMH a. vitam tuam : viam tuam ct vitam Λί || b. corda se diligentium custodit : se diligentium vota Λί | c. Vale : Amen D Amen. Vale. K. LETTRE XV, 107-168 219 Seigneur est doux 1 ; elle expérimente assez abon­ damment dans les autres temps combien laide est la chair ct vil le monde ! 168. Voici, ma très chère (dame), le modèle de vie que vous m’avez pressé dc vous tracer. Si vous redressez, d’après ce modèle, votre vie, vous en augmenterez ct votre gloire et ma joie. Qu’il vous en accorde la force, qu'il garde en toute paix et salut votre personne, les personnes dc votre mari et de vos enfants, celui qui garde les cœurs de ceux qui l'aiment, veille sans cesse sur eux, cl se propose lui-même en récompense à l’heu­ reuse persévérance. Bonne santé. 1. Cf. P». 33. 9 ct 45. 11. Les tables des Lettres d'Adam de Perseigne seront publiées à la fin du troisième volume. Une introduction doctrinale à l'ensemble de l'œuvre d'Adam de Perseigne figurera dans l'introduction du volume des Sermons. TABLE DES MATIÈRES Pages INTRODUCTION................................................................................................. I. Vie d'Adam de Perseigne................................................................. 7 7 1. Avant Perseigne.............................................................................. 2. L'abbé de Perseigne....................................................................... 7 14 II. La Correspondance................................................................................ 30 Manuscrits et éditions...................................................................... Chronologie............................................................................................ Adam de Perseigne épistolier......................................................... Note sur la présente édition....................................................... 30 33 37 44 SlGLBS.......................................................................................................................... 46 1. 2. 3. 4. TEXTE LATIN ET TRADUCTION.................................................... 47 I. A Guillaume, évêque d’Ély. ·— Les devoirs d'un évêque. 48 IL A André, chanoine de Tours. — Le Magnificat............... 58 III. A l’abbé de Turpenay. — L’amour de Dieu et les mys­ tères du Christ................................. IV. A la vierge Marguerite. — La chasteté des vierges............ V. VI. A Osmond, moine de Mortcmer. — La formation des novices....................................................................................... 110 Au mime. — Les sept fériés et les sept liquéfactions........ 130 VIL Au meme. — La crainte de Dieu cl le repos sabbatique... VIII. Au même. — L’amitié veut la discrétion............................ IX. X. 68 10G Au même. — Anxiétés et renoncements de l’amour........ Aux dévots do saint Martin.— Martin, égal des Apôtres. 144 154 158 164 XL A Odon, chantre de Bourges. — Fériés ct Sabbat ; les nourritures de l’enfance spirituelle......................... 180 XII. A IL, son ami. — Une invitation à rester chez soi.............. 194 XIII. A Odon, évêque de Paris. — Reproches pour avoir levé des tailles sur les clercs.............................................................. 198 XIV. Λ B., chanoine de Paris. — Un traité des vices......... 208 XV. A la Comtesse du Perche. — Lo sanctification dans le mariage....................................... 236 ACHEVÉ LE SL’R DE d’îMPBIMER 13 JANVIER LES 1960 PRESSES P R O f A T FRÈRES, A MACON numéros ο'οηηηκ : imprimeur. 5870 ; ériteur, -Î9S6. ι>κρότ légal: 1" trimestre I960. SOURCES CHRÉTIENNES LISTE COMPLÈTE DE TOUS LES VOLUMES PARUS ;V. B. — L'ordre suivant est celui de la date de parution (η· I en 1942), et il n’est pas tenu comple ici du classement en séries : grecque, latine, byzantine, orientale, textes monastiques d'Occidenl; et série annexe : textes para-chrétiens. Sauf indication contraire, chaque volume comporte le texte original, grec ou latin, souvent avec un apparat critique inédit. La mention bis indique une seconde édition. NF 1 bis. Grbgoirb db Nvssb : Vie de Moïse. .L Daniélou, S. J., prof, à l’In-t. calh. de Paris (1956)............................................... 14,10 2bis. Ci.BMHjtT η'Αι.κχΛ.Μίκικ : Protreptique. C. Mondcscrl, S. .L. prof, aux Fac. catb. de Lyon, avec la collaboration d'A. Pliissart. prof, à la Sorbonne (Ρ.Ί9)................................. 12,GO ». Atiik.vagoiik : Supplique au sujet des chrétiens. G. Hardy (trad, seule) (1943).................................................................................. Épuisé 4. Nicolas Cauasilas : Explication de la divine Liturgie. S. Salaville, A. A. de l'insl. fr. des Èt. byz. (trad, seule) (1913)............................................................................................................ Épuisé 5bis. Diaooouiî ok PiioriCB : Œuvres spirituelles. E. des Places, S. J., prof. Λ Tlnsl. biblique de Home (1955).... 6. 14,10 GmtooinK i»h Nyssb : La création de l'homme. J. Laplace, S. J., cl .1. Daniélou, S. J. (trad, seule) (I·.·Il)..................... Épuisé ". OniGÜxB : Homélies sur la Genèse. U. de Lubac, S. J., prof, ά la Fac. dcThéol. de Lyon, cl L. Doutrcieau, S. J., prof, au Caire (trad, seule) (1944).................................................. Épuisé 5. Nicbtas Stbthatos : Le paradis spirituel. M. Chalendard, duel, és lettres (1915)............................................................................ Épuisé 9. Maxime i.b Confbssbvr : Centuries sur la charité. J. Pégon, S. J., prof, à lu Fac. de Thcol. de Fourrière (trad. seule) (1945)...............................................................................................Épuisé 10. Igxacr d'Axtiochr : Lettres. — Lettre et Martyre de Poi.vcaiu»k nu Smyhnb. P.-Th. Camelot. O. P., prof, aux Fac. dominie, du Saulchuir (3* édition, 1958).......................... 12,00 11. IIippolytr nu Home : La Tradition apostolique. B. Botte, O. S. B., au Mont-César (1916)........................................................ Épuisé 12. Jean Moschus : Le Pré spirituel. M. J. Bouël de Journel, S. J., prof, à Tlnst. culh. de Paris (trad, seule) (1916).... Épuisé 1». Jkax Ciiiiysostomi’. : Lettres à Olympias. A. M. Malingrey, agr. de (‘Université (1947)................................................................. Trad, seule .... 14,10 8,70 NF 14. Ηιιτοιλτβ : Commentaire sur Daniel. G. Bardy et M. Le­ fèvre (1947)............................................................................................ Trad, seule .... 15.30 9,60 15. Atiianasr d'Alexandrie : Lettres à Sérapion. J. Lebon, prof, A l’Univ. de Louvain(lrad. seule)(19«7)............................. 8.10 16. Oriokxb : Homélies sur l'Exodo. II. de Lubac, S. J., et J. Fortier, S. J. (trad, seule) (19 47).............................................. 10,SO 17. Basile pb CSsarAe : Traité du Saint-Esprit. B. Proche, O. P (1917)............................................................................................... /'puisé Trad, seule.... 10,50 18. Atiïaxasb d'Alexanduir : Discours contre les païens. De l’incarnation du Verbe. P.-Th. Cutnelol. O. P. ( 1917).. 12,30 19. llti.Aïua on Poitibhs Traité des Mystères. P. Brisson, agr. de rUnivcrsilé (1947)......................................................................... 7,50 20. TiiKOPHti.il d'Antiociiu Trois livres à Autolycus J. Sender (1948)........................................................................................................... 10.80 Trail, seule.............................. 7.20 21. ÉTiiéuiB : Journal de voyage. U. Pétrc, prof, A SainteMarie de Neuilly (réimpression 1957)......................................... 11,70 22. Léon i.u Grand : Sermons. I I. J. Leclercq, O. S. B., et R. Dolle, O. S. B., Λ Clervaux(1919)............................................. Épuisé 23. Clément d'Aluxandrir : Extraits de Théodote. F. Sugnard, O. P., prof, aux Fac. du Saulchoir(1948)...................................... Épuisé 24. Ptolêmée : Lettre à Flora. G. Quispel, prof, à l’Univ. d’Utrcchl (1949)......................................................................................Épuisé 25 bis. Axbroish t>r Milan : Dos sacrements. Des mystères. B. Botte, O. S. B........................................................ Sous presse 26. Basile un Cksaiikr : Homélies sur l'Hcxaeméron. S. Gict, prof, à l'Univ. de Strasbourg (1950)........................................... 19,50 27. Homélies Pascales · t. I. P. Naulin, chargé de recherches au G.N.R.S. (1951)............................................................................... 8,40 28. Jean Ciirvsostonb : Sur l’incompréhensibililé de Dieu. F. Cavallcra, S. J., prof, à l'Inst. Calh. de Toulouse, J. Danièlou, S. J., ct R. Flacelière. prof. A la Sorbonne (1951)......................................................................................................... 12,90 29. ÛRKiùxn : Homélies sur les Nombres. J. Méhat, agr. de l'Univ. (trad, seule) (1951)................................................................ 21,00 30. Clrmbnt d'Alrxandrie : Stromate I C. Mondcscrl, S. J., ct M. Casier, prof, à l'Univ. de Toulouse (1951) ................ 14.40 31. Ευ$κηκ de Césauûk : Histoire ecclésiastique, t. I. G. Bardy (1952).......................................................................................................... 17.40 32. Giuiooiiiii le Grand : Morales sur Job. R. Gillet, O.S.B., et A. de Gaudcinaris, O.S.B., A Paris (1952)...................... 14,40 33. A Diogtléle. H.-l. Marrou, prof. A la Sorbonne (1952).............. 11.70 NF 34. Irenes t»8 Lyon : Contre les hérésies, livre III. 1·'. Sagnard, Û. P. (1953)............................................................................................ 35. Tkhtüi-mbn : Traité du baptême. F. Refoulé. O. P................. 36. Homélies Pascales. I. II. P. Nautin (1953)................................. 37. Origenb : Homélies sur le Cantique. O. Rousseau, O.S.IL, à Clièvclognc (1954;............................................................................ 38. Clément «’Alexandrie : Stromate Π. P. Camelot, O. P., ct C. Moudcserl, S. J. (1954)............................................................... 19.20 5,70 5,85 6.30 10,80 39. LaCtanck : De la mort des persécuteurs. 2 volumes. J. Moreau, prof, à l'Universilé de la Sarre (1954)..................... ίΰ. Thbodourt: Correspondance, t. I. Y. Azéma, agr. de l’Univ. (1955)........................................................................................................... 41. Eusêdr i»b Chsaiihe : Histoire ecclésiastique, t. 11. G. Bardy (1953)............ 19.20 42. Jean CasSibn : Conférences, l. 1. E. Pichery, O.S.IL, à Wisques (1955)...................................................................................... 19,50 43. S. Jérôme : Sur Jonas. P. Anlin, O.S.IL, â Ligugé (1956).. 8,10 44. Philoxene i»b Maddoug : Homélies. E. Lemoine (trad, seule) (1956)............................................................................................. 45. Amukoisk dk Milan : Sur S. Luc, I. I. G. Tissot, O.S.IL, à Quarr Abbey (1957).......................................................................... 46. Tbrtullibn : De la prescription contre les hérétiques. P.de Labriollcct F. Refoulé, O. P. (1937).................................. 47. Ph:lon d’Alkxandiuh : La migration d Abraham R. Gadiou, prof, à Final. calhol. de Paris (1957)..................................... 25.80 7,80 21,00 21,00 9,60 6,00 48. Homélies Pascales, t. III. P. Nautin ct F. Flocri (1951). .. 7.80 Grano : Sermons, t. II. R. Dollc, O.S.IL (1957) . 7,20 50. Jean Chuysostomb : Huit Catéchèses baptismales inédites. A. Wenger, A. A., de l’Inst. fr. des Et. byz. (1957).......... 16,50 49. Léon le 51. Syméon le nouveau Théologien : Chapitres théologiques, gnostiqnes et pratiques. J. Darrouzès, AA. (1957).............. 52. Ambhoise de Milan : Sur S. Luc, t. II. G. Tissot, O.S.B. (1958)...................................................................................... 53. Hkumas : Le Pasteur. R. Joly (11'58).............................................. 51. Jean Cassiez : Conférences, t IL E. Pichery, O.S.B. (1958).. 55. Eusùbp. rm Cesarée : Histoire ecclésiastique, t. III. G. Bardy (195«)..................................................................................... 56. Atiianasb d'Alexandrie : Deux apologies. J. Szymusiak, S. J. (1938)............................................................................ 57. TiutmxiuKT me Cru : niques. 2 volumes, 58. Denys i.’Aiiéopac.itb R. Roques, prof, à Gandillac, prof, il Thérapeutique des maladies hellé­ P. Canivet, S. ,1. (1958).............................. : La hiérarchie céleste. G. Heil, la Fac. de Thêol. de Lille, ct M. de lu Sorbonne (1958)...................................... 9,60 18,00 19,50 21,00 17,50 12,90 48,00 24,00 NF 59. Trois antiques rituels du baptême. A. Salles, de l'Oratoirc(H&8)............................................................................................... 3.60 60. Ani.iten nr< lliHVAi i.x : Quand Jésus eut douze ans .. Dnm Ansclm llostc, O.S.B., à Stecnbruggc et J. Dubois (1958).......................................................................................................... 6,60 61. Gi'ii.bAtt.MR uh Saist-Tuii.iihy : Traité delà contemplation do Dieu. Dom Jacques llourlier, O S. B., A Solesmcs ... 8,40 62. Iurxhk i>k I.Yu.s : Démonstration de la prédication aposto­ lique L. Froidevaux. prof. A l'Institut rat ludique de Paris. Nouvelle traduction sur l’arménien (trail, seule) .. 9.60 63. IIichakd db Saist-Victoh : La Trinité. G. Salel, S. J., prof, à la Fac.dc Théo). de Lyon-Fourrière............................. 24.00 61. Jean Gassihn : Conférences, t HI. E. Pichery, O.S.B. 15,00 65. Gklxsk 1·’. Lettre contre les Lupercales et dix huit messes du sacramentairo léouien. G. Pomaiès, )>’ en Lhcol......................................................................................................... 13,80 66. Adam ηκ PiiusiiiuMt Lettres. L L J· Bouvet, sup' du grand séminaire du Mans............................................................................. 10,50 SOUS PRESSE : Mahius Victoiunus : Œuvres théologiques. P. Henry. S. J., prof. A l'institut catholique de Paris, et P. Uadot, atta­ che au G. N. K. S. CmBiunt ο’Λι.κχλνιιιιικ : Le Pédagogue, l. L Il.-l. Marrou et M. Harl, prof, à la Sorbonne. OitioéNB : Entretien avec Héraclide. J. Scherer, prof. A l’L'niv. de Besançon. Amhokk i»k Laisan.nk : Huit homélies mariales. G. Bavaud, prof. A Fribourg, J. Desbusses et A. Dumas, O.S.B. à Haulecoinbe. I.éoN up. Ghani· ; Sermons, t. HI, B· Dolle, O.S.B. X