SERMONS *A* SO U R C ES C [ IR ÉTI EN N ES Directeurs·fondateurs : II, de Lubac^ S. Z, et J. Daniélou^ S. J. Directeur : C. Mondé$ertf S. J. No 74 LÉON LE GRAND SERMONS TOME III TRADUCTION ET NOTES DK Dom René DOLLE MOI NK l>K CLBRVAUX EES EDITIONS DU CERF, 29, bd de 1961 Latour-Maubourg, PARIS Nihil obstat Imprimi potest : Rome, le 22 septembre 1959 Fr. H. de SAINTE MARIE Abbas SS. Mauritii & Mauri de Cl ara valle Imprimatur : Paris, le 2 octobre 1959 J. HOTTOT vie. gén. £ l'Jbl. i>.y Les Édilion * du Cerf. AVERTISSEMENT En 1957, le volume 49 des Sources Chrétiennes a donné les Sermons de saint Léon le Grand pour les Collectes et pour le Carême *. Le présent volume lui fait suite. Il contient les sermons sur la Passion (19 sermons), sur la Résurrection (2 sermons), sur l’Ascension (2 sermons) et sur la Pentecôte (3 sermons), tout ce que saint Léon ap­ pelle le sacramentum pascale. l’œuvre de notre rédemption par le Christ humilié et triomphant. Ces sermons sont ainsi la suite et comme la contre-partie de ceux consacrés au carême, car si celui-ci est la préparation de l’homme à la réception de la grâce divine, le temps de la Rédemp­ tion est la réponse gratuite de Dieu à son désir et à son effort. On a placé, en outre, en tête de cette série, le sermon sur la Transfiguration prononcé le samedi avant le second dimanche de carême. Par sa place, en effet, il fait partie du carême ; il sert donc de transition entre les sermons de ce temps et ceux du temps pascal ; de plus il préparc ceux-ci, de même que la manifestation divine du Christ transfiguré avait pour dessein de prémunir les Apôtres contre le scandale de la croix et de les confirmer dans cette foi en la divinité du Seigneur que Pierre avait con­ fessée quelques jours plus tôt. Les réflexions de saint Léon 1. Los sonnons pour Noël et ΓÉpiphanie avaient fait antérieurement l'objet du volume 22 de la même collection, paru en 1049. On voudra bien se reporter à l'introduction générale de Dom Jean Leclercq pincée en tête de ce livre et qui commande l'édition entière des Sermons, répartie en quatre volumes. 8 AVERTISSEMENT à propos de ce mystère peuvent encore avoir pour nous cette double utilité. Comme pour les deux volumes précédents consacrés aux Sermons, le texte latin adopté pour celui-ci reprend celui, établi par les frères Ballerini, que donne la Patrologie latine de Aligne. Nos sermons y portent les numéros LI à LXXVH. On trouvera à la fin du volume une table de concordance entre les deux numérotations, celle de Aligne et la nôtre. L’influence de modèles antérieurs, saint Ambroise et saint Augustin surtout, est assez sensible dans les sermons sur la Passion. On trouvera des références en note. C’est particulièrement dans les sermons où il suit pas à pas le déroulement historique de la Passion (12 sermons sur 1.9) que saint Léon dépend de ses devanciers, lesquels avaient, eux aussi, commenté le récit évangélique des événements de la semaine-sainte. Cependant son imitation n’est pas servile : s’il prend son bien chez les autres, c’est toujours en choisissant ce qui répond à son propre esprit et à ses préoccupations doctrinales. Or cet esprit est positif et le détourne des développements trop subtils ou allégoriques auxquels cèdent parfois scs modèles ; ses préoccupations, elles, l’orientent vers le dogme christologique de l’unité de personne en deux natures, dogme qu’il n’a cessé de défendre contre les hérétiques Manichéens, Apollinaristes, Eutychicns, et qui reste toujours au centre de sa pensée et de sa contemplation. A cet égard, la Passion du Sei­ gneur, manifestation de faiblesse humaine et de force di­ vine, est pour lui un sujet d’élection : il n'est presque pas de sermon consacré à ce mystère d’abaissement et de grandeur où il n’insiste sur la réalité des deux natures en l’unique Personne, et sur le fait que l’humiliation de la nature humaine n’a pas causé de préjudice à la nature divine à elle associée ; chacune, en effet, gardc dans l’unité AVERTISSEMENT 9 scs propriétés inaltérées qui se manifestent en des actions distinctes et communes à la fois, posées dans un but com­ mun. celui de notre salut, « dispensation de miséricorde et œuvre de compassion 1 », sans que, jamais, « l’unité amène la confusion ni que la propriété rompe l’unité 12 ». C’est pour réfuter les fausses interprétations de l’hérésie que saint Léon était, ainsi amené à préciser la position de l’or­ thodoxie, et à le faire avec cette netteté et cette sûreté doctrinale dont il devait, donner un exemple éclatant, acclamé par l’Église universelle rassemblée à Chalcédoinc. Pour les Manichéens, en effet, la matière étant intrinsè­ quement mauvaise, Dieu n’avait pu s’unir à elle : le corps du Christ n’était qu’une apparence et sa Passion qu’une feinte. Pour les Apollinaristes, l’homme en Jésus était incomplet, sans âme, la divinité du Verbe en tenant lieu : on pouvait donc soutenir que celle-ci avait souffert dans la Passion. Enfin les Eutychiens, renouvelant, selon l’expression de l’évêque Flavien, l’erreur d’Apollinaire, n’admettaient plus qu’une nature dans le Christ après Γ In­ carnation, nature sur laquelle Eutychès lui-même, se cou­ vrant, sans le comprendre, de saint Cyrille d’Alexandrie, ne s’est pas expliqué clairement : ici encore, cette nature divino-humaine aurait souffert dans la Passion. A cette anarchic doctrinale de l’Orient, saint Léon opposait la fermeté de la foi romaine, dont il serait, le témoin et l’in­ terprète. En face des tentatives d’explication humaine, il affirmait la rigueur et la transcendance du mystère, qui, en même temps qu’il force l’esprit à s’élever par la foi jusqu’à l’absolu divin, assure seul le salut par la rédemp­ tion ; car si l’homme en Jésus est mutilé et incomplet, l’homme n’est pas entièrement sauvé, et, si la Divinité 1. 1·’ sermon sur la Passton, 2. 2. 3* .wmon < 5. Philip. II, 6. 6. Jean XIV, 6. 7. I Cor. I, 24. SUR LA TRANSFIGURATION 20 est mon Fils, par qui tout a été fait et sans qui rien n’a été fait1 », car tout ce que je fais, il le fait pareil­ lement 2, ct tout ce que j’opère, il l’opère avec moi inséparablement ct sans différence 3. Le Fils, en effet, est dans le Père, ct le Père dans le Fils 4, et notre unité jamais ne se divise. Et bien que je sois, moi qui ai engendré, autre que celui que j’ai engendré, il ne vous est cependant pas permis d’avoir à son sujet une opinion différente de ce qu’il vous est possible de penser de moi. « Celui-ci est mon Fils », qui n’a pas convoité de prendre par rapine cette égalité qu’il a avec moi s, ni ne s’en est emparé par usurpation ; mais, demeurant dans la condition de ma gloire, et pour exécuter notre commun dessein de restauration du genre humain, il a abaissé jusqu’à la condition d’esclave l’immuable Divinité. 7. Celui-là donc, en qui je prends en tout ma com­ plaisance, et dont l’enseignement me manifeste, dont l’humilité me glorifie, écoutez-le sans hésitation : car il est, lui, vérité et vie e, il est ma puissance et ma sa­ gesse S. *7. « Écoutez-le », lui que les mystères de la loi ont annoncé, que la voix des prophètes a chanté. « Écoutez-le », lui qui rachète le monde par son sang, qui enchaîne le diable et lui ravit ses armes s, qui déchire la cédule de la dette ° et le pacte de la préva­ rication ’°. « Écoutez-le », lui qui ouvre le chemin du ciel et, par le supplice de la croix, vous prépare des degrés pour monter au royaume. Pourquoi redoutezvous d’être rachetés ? Pourquoi craignez-vous, bles­ sés, d’être guéris ? Que se fasse ce que, comme je le veux, veut le Christ. Rejetez la crainte charnelle et armez-vous de la constance qu’inspire la foi : car il S. Ct. Mat th. XII. 29 ; sur le sens à donner au mot uasa, ct. 2· sermon sur le Carême, 2 ; S. C. 49, p. 34, n. 3. 9. Colos. II, 14. 10. Rappel d’un thème cher à S. Léon : le premier homme, en prévarlquant, s’est livré au diable et a conclu avec lui un véritable paeto consa­ crant le droit du démon sur toute sa descendance. Le Christ, en subissant dims sa chair innocente la souffrance et la mort qui n’étaient dues qu’au péché, a miné le droit du démon et déchiré le pacte. Cf. en particulier le 2e sermon pour Nofl, 3-4, S. C. 22. p. 81-83 ; de mémo au vol. 49, p. 32, h. 5. 21 SABB. ANTE II DOM. QUADR. vos armate constantia : indignum est enim, ut in Sal­ vatoris passione timeatis, quod ipsius munere nec in vestro fine metuetis. 8. Haec, dilectissimi, non ad illorum tantum utili­ tatem dicta sunt, qui ea propriis auribus audierunt, sed in illis tribus apostolis universa Ecclesia didicit quidquid eorum et aspectus vidit et auditus accepit. Confirmetur ergo secundum praedicationem sacratis­ simi Evarigelii omnium fides, et nemo de Christi cruce, per quam mundus redemptus est, erubescat. Nec ideo quisquam aut pati pro justitia timeat \ aut de pro­ missorum retributione diffidat, quia per laborem ad requiem, et per mortem transitur ad vitam : cum omnem humilitatis nostrae infirmitatem ille suscepe­ rit, in quo si in confessione et in dilectione ipsius per­ maneamus 2, et quod vicit vincimus, et quod promisit accipimus. Quia sive ad facienda mandata, sive ad toleranda adversa, praemissa Patris vox debet semper auribus nostris insonare dicentis : Hic est Filius meus dilectus, in quo mihi bene complacui : ipsum audite : qui vivit et regnat cum Patre et Spiritu sancto in saecula saeculorum. Arnen 3. 1. I Pierro III, 14. 2. C(. Jcrd XV, 9. Le mot permaneamus pourrait être aussi rendu par persévérons. 3. On peut s’étonner que ce sermon, prononcé en carême, ne contienne aucune allusion aux pratiques propres à ce temps comme les sermons de sa citation de Jean, XII. 32, est un témoin de la version plus courte attestée par nombre de Pères. SERMON I SUR LA PASSION 22 39 (LU) PREMIER SERMON SLR LA PASSION DU SEIGNEUR (prononcé le dimanche ’). Sommaire:. — 1. Le salut du monde par la Passion de Jésus-Christ. — ‘2. Dieu et l’homme dans cc mystère. — 3. Les manifestations de la Divinité dans la Passion du Fils de l'homme. — 4. Son carac­ tère humain voulu pour notre salut. — 5. Apostrophe aux Juifs et à Judas. Renvoi au mercredi suivant. 1. Bien-aimés, le mystère de la Passion que le Sei­ gneur Jésus, Fils de Dieu, a embrassée pour le salut du genre humain et par laquelle, selon sa promesse, il a, une fois élevé 2, tout attire à lui, ce mystère a été dévoilé d’une manière si claire et si lumineuse par la parole de i’Évangile que, pour des cœurs religieux et pieux, il n’y a pas de différence entre entendre ce qui vient d’être lu et voir ce qui s’est passé. Aussi, le récit sacré jouissant d’une indubitable autorité, nous devons nous efforcer, avec l’aide du Seigneur, de faire en sorte que l’intelligence ait une vue claire de ce que l’histoire a fait connaître. Il faut rappeler cette première et universelle ruine causée par l’humaine prévarication, qui fit que « par un seul homme le péché entra dans le monde et par le péché la mort, et qu’ainsi la mort passa en tous les hommes, du fait que tous ont péché 3 » ; depuis lors, personne ne pouvait échapper à l’effroyable do­ mination du diable, ni personne se libérer des chaînes d’une dure captivité ; nul ne pouvait voir s’ouvrir devant lui soit le pardon pour la réconciliation, soit Cf. Μ. E. Boismard, Critique textuelle et cifcUions palristîques, Revue BibL 1950, p. 391. Cf. de mime infra, pp. 47,87,96. 3. Rom. V, 12. 23 DE PASSIONE SERMO I vitam, nisi coaeternus et coaequalis Patri Deo Filius Dei etiam hominis filius esse dignaretur, veniens quae­ rere et salvare quod perierat1 : ut sicut per Adam mors, ita per Dominum nostrum Jesum Christum esset resurrectio mortuorum 12. Non enim quia secundum inscrutabile propositum sapientiae Dei novissimis diebus3 Verbum caro factum est4, ideo salutiferae Vir­ ginis partus, extremi tantum temporis generationibus profuit, et non se etiam in praeteritas refudit aetates 56. Omnis prorsus antiquitas colentium Deum verum, om­ nis numerus apud saecula priora sanctorum, in hac fide vixit et placuit ; et neque patriarchis, neque pro­ phetis, neque cuiquam omnino sanctorum, nisi ir redemptione Domini nostri Jesu Christi salus et justifi­ catio fuit : quae sicut exspectabatur multis propheta rum oraculis signisque promissa, ita est etiam ips< munere atque opere praesentata. 2. Unde nunc, dilectissimi, in toto ordine dominica· passionis, non ita infirmitatem consideremus huma nam, ut arbitremur illic potentiam defuisse divinam neque illam ita coaeternam et aequalem Patri formam Unigeniti cogitemus, ut putemus non fuisse vera qua· Deo videntur indigna. Prorsus utraque natura unu est Christus : nec Verbum ibi ad homine disjunctum nec homo est dissociatus a Verbo. Non est fastiditi humilitas, quia nec imminuta majestas. Nihil nocui naturae inviolabili, quod passibili oportebat inferri totumque illud sacramentum, quod simul et human: 1. CL Luc XIX, ίο. 2. Cf. I Cor. XV» 21 : · Per hominem mors» et per hominem resurreci mortuorum. · 3. Cf. I Jean, ÏI, 18 : « Novissima hora est >. 4. Jean I, 14. 5. S. Léon o déjà développé ce thème en répondant à l'objection tt des délais de Γ Incarnation ; ci. Serm. J de Nai.9 4. ; S. C. 22, p. 95 et s. 6. Comme M. Ostv, nous traduisons pur < condition · le mot · form SERMON I SUR LA PASSION 23 le retour vers la vie, à moins que le Fils de Dieu, co­ éternel et égal à Dieu le Père, ne daignât devenir aussi fils de l’homme et ne vînt « chercher et sauver ce qui était perdu * » ; ainsi, comme la mort était venue par Adam, la résurrection des morts viendrait par notre Seigneur Jésus-Christ2. Si, en effet, par l’impénétrable jugement de la sagesse de Dieu, le Verbe s’est fait chair 1 dans les derniers jours 8, il n’en résulte pas que l’enfantement de la Vierge salutaire n’ait profité qu’aux générations de la fin des temps, et ne se soit pas propagé aussi aux âges passés fi. Non, c’est dans cette foi qu’ont vécu et plu à Dieu tous ceux sans ex­ ception qui ont autrefois adoré le vrai Dieu, tout l’en­ semble des saints des siècles antérieurs, et ni pour les patriarches, ni pour les prophètes, ni pour n’importe quel saint, il n’y a eu de salut et de justification si ce n’est dans la rédemption de notre Seigneur JésusChrist : comme celle-ci était attendue parce que pro­ mise par de nombreux oracles prophétiques et des signes, ainsi a-t-elle été rendue présente par le don lui-même et par l’accomplissement. 2. Aussi maintenant, bien-aimés, dans tout le dé­ roulement de la Passion du Seigneur, gardons-nous de considérer l’infirmité humaine comme si nous ju­ gions que la puissance divine ait pu y faire défaut : n’imaginons pas davantage cette condition 6 du Fils unique qui le rend coéternel et égal au Père, comme si nous pensions que ne s’est pas vraiment passé tout ce qui paraît indigne de Dieu. L’une et l’autre nature absolument sont un seul Christ : le Verbe ici n’est pas plus séparé de l'homme que l’homme n’est disso­ cié du Verbe. L’abaissement ne répugne pas parce que la majesté n’en est pas diminuée. Bien n’a été dommageable à la nature inviolable de ce qu’il fallait que souffrît la nature passible : toute cette action sa­ crée que consommèrent ensemble et l’humanité et la emprunté à Phil., ΙΓ, 6. Celte phrase vise, entre autres, les Manichéens qui prétendaient que le Christ n’avait pas vraiment souffert dans la Passion : seule une apparence de corps aurait subi les supplices et la mort. On les retrouvera plus loin. Léon le Grand. HT. 3 24 DE PASSIONE SERMO I tas consummavit et Deitas, dispensatio fuit miseri­ cordiae, et actio pietatis *. Talibus enim vinculis tene­ bamur obstricti, ut nisi per hanc opem non possemus absolvi. Humilitas igitur Divinitatis nostra provectio est 12. Nos tanto redimimur pretio 3, nos tanto cura-j mur impendio. Quis enim ab impietate ad justitiam, a miseria ad beatitudinem esset recursus, nisi et justus ad impios, et beatus inclinaretur ad miseros ? 3. Non est ergo nobis, dilectissimi, erubescenda crux Christi, quae de virtute est divini consilii, non de conditione peccati. Quamvis enim ex infirmitate rios-i tra vere passus Dominus Jesus, vereque sit mortuus,' non tamen ita se abstinuit a gloria sua, ut inter coni tumclias passionis nihil divinae operationis exerceret] Nam cum impius Judas, non jam ovina pelle velatus! sed lupino lurore 4 manifestus, vim sceleris per spei cicm pacis incipiens, signum traditionis saeviore omnil bus telis osculo praebuisset, et multitudo furibunda quae ad comprehendendum Dominum cum armata militum cohorte confluxerat, inter faces atque lateri nas, lumen verum tenebris suis obcaecata non cernei ret5, Dominus, qui exspectare potius turbas quam del clinare delegerat, sicut Joannes Evangelista testaturi quem quaerant necdum inventus interrogat : illisqud dicentibus, quod Jcsum quaererent, Ego sum, inquit eJ Quod verbum ita illam manum ex ferocissimis congre gatam, quasi quodam fulmineo ictu stravit et perculit] ut omnes illi atroces, minaces atque terribiles, rei 1. Pour le sens du mot pietas dans S. Léon, nous renvoyons â l'analysl qu’en a faite Μ. Γη1>1>£ Guillaume dans son livre Jeûne et charité, Ëditl S. O. S. Paris 1954, p. 06 et suiv., ainsi qu’à W. Durig» Pictas litaroicdl Regensburg 1958. 2. S. Léon a dit de même, au S9 sermon pour Noèl, 4, & G. 22, p. 119-1201 • Creatoris ad creaturam descensio credentium est ad aeterna proved io.; i 3. Cf. I Cor. VI, 20 ; VII, 23 : «Empti enim estis pretio magno... Pretid empti estis. » SERMON I SUR LA PASSION 24 divinité, fut une dispensation de miséricorde et une œuvre de compassion \ Tels étaient, en effet, les liens qui nous tenaient attaches que, sans ce secours, nous ne pouvions être délivrés. L’abaissement de la divi­ nité est donc notre relèvement 2. C’est à un prix aussi élevé que nous sommes rachetés 3, c’est à de si grands frais que nous sommes guéris. Quel moyen, en effet, serait donné à l’impiété pour revenir à la justice, à la misère pour retrouver le bonheur, si le juste lui-même ne se penchait vers les impies et le bienheureux vers les misérables ? 3. Ne rougissons donc pas, bicn-aimés, de la croix du Christ : elle relève de la force du conseil divin, non de la condition du péché. Car, encore que le Seigneur Jésus ait vraiment souffert et soit vraiment mort en raison de l’infirmité qui est nôtre, il ne se priva pour­ tant pas de sa gloire au point de ne rien exercer de I l’action divine parmi les outrages de la Passion. L’im­ pie Judas, en effet, non plus couvert d’une peau de brebis, mais se dévoilant dans sa fureur de loup 4, inaugura sa violence criminelle sous les apparences de la paix et donna le signal de la trahison par un baiser plus meurtrier que tous les traits ; la multitude furieuse qui, pour se saisir du Seigneur, était accou­ rue se joindre à la cohorte armée des soldats, ne voyait pas, parmi les torches et les lanternes, la vraie lu­ mière, aveuglée qu’elle était par ses propres ténèbres 5; le Seigneur, comme l’atteste l’évangéliste Jean, ayant préféré attendre la foule plutôt que la fuir, demande alors à ceux qui ne l’ont pas encore découvert, qui ils cherchent : comme ils répondent qu’ils cherchent Jésus : « C’est moi », dit-ilc ; et cette parole, telle la - foudre, abattit et renversa cette troupe composée des hommes les plus féroces, en sorte que tous ces gens farouches, menaçants et terribles, reculèrent et torn- . •1. Ci. Mat th. VII, 15. Même rapprochement chez S. Augustin : < Ibl ergo lupus ovina pelle contectus et inter oves alto Patrisfamlitas consilio toleratus» (Tract, in Joannix Ewtngcl. CXII, 2. P. L. XXXV, 1930). 5. De même S. Augustin : · Dies ille, illi vero tenebrae permanserunt » 1932). G. Jean XVIII, 5. - ----- 25 DE PASSIONE SERMO I troacti corruerent. Ubi fuit saevitiae conspiratio ? ub ardor irarum ? ubi instructus armorum ? Dominai dicit, Ego sum : et ad vocem ejus turba prostcrnitui impiorum. Quid jam poterit majestas ejus judicatura, cujus hoc potuit humilitas judicanda 1 ? 4. Veruintamen Dominus sciens quid magis mys­ terio suscepto conveniret, in hac potestate non per­ stitit ; sed persecutores suos in facultatem dispositi sce­ leris redire permisit. Nam si teneri nollet, non utique teneretur. Sed quis hominum posset salvari, si ille s( non sineret comprehendi 1 2 ? Nam et beatus Petrus] qui animosiore constantia Domino cohaerebat, et con tra violentorum impetus, fervore sanctae caritati] exarserat, in servum principis sacerdotum usus esi gladio, et aurem viri ferocius instantis abscidit 3. Sed hunc zelantis apostoli pium motum progredi Dominui ultra non patitur : recondi gladium jubet, nec sinit si adversus impios manu ferroque defendi. Contra sacra] mentum enim erat redemptionis nostrae, ut qui mon pro omnibus venerat, capi nollet : ne dilato gloriosae Crucis triumpho et dominatio diabolica iicret longioj et captivitas humana diuturnior. Dat ergo in se fure™ tibus licentiam saeviendi, nec tamen etiam talibus dej dignatur se indicare Divinitas. Aurem servi jam ipsa sectione demortuam, et a compage viventis corpora alienam, in sedem dehonestati capitis revocat manu· Christi. Reformat quod ipse formaverat : nec tardi 1. Même mouvement chez S. Augustin : < Ut ergo dixit eis. Ego sun abierunt retrorsum et ceciderunt In terram. Ubi nunc militum cohors, d ministri princlpum ct Phariacorum ? Ubi terror ct munimen annorum]! Nempe una vox dicentis, Ego sum, tantam turbam odiis ferocem armisqia terribilem, sine telo ullo percussit, repulit, stravit... Quid Judicaturus facice qui judicandus hoc fecit ? » (Ibid. 1931). 2. S. Augustin dit aussi : · Verum si nunquam sc ab ois permittere! apprehendi, non quidem illi facerent propter quod venerant, sed nec ipM SERMON I SUR LA PASSION 25 bèrent à la renverse. Où donc était cette conspiration de violence ? Où cette ardeur dans la colère ? Où ce déploiement d’armes ? Le Seigneur dit : « C’est moi », et â sa voix la troupe des impies est jetée à terre. Que pourra dès lors sa majesté quand elle viendra juger, si son humilité a pu cela lorqu’on allait ellemême la juger1 ? 4. Cependant le Seigneur, sachant ce qui convenait mieux au mystère qu’il avait embrassé, ne persista pas dans cette manifestation de puissance, mais laissa ses persécuteurs retrouver le pouvoir de commettre le crime qu’ils avaient décidé. Car s’il n’avait pas voulu se laisser prendre, il n’aurait certainement pas été pris. Mais qui d’entre les hommes aurait pu être sauvé, si lui n’avait pas permis qu’on le saisît2 ? Saint Pierre lui-même, en effet, attaché au Seigneur par une fidélité plus intrépide ct brùlant de l’ardeur d’un saint amour pour repousser l’assaut de ceux qui usaient de violence, prit le glaive pour frapper un serviteur du prince des prêtres, et coupa l’oreille de cet homme qui attaquait plus farouchement 3. Mais le Seigneur ne souffre pas que le bouillant apôtre pour­ suive son généreux mouvement : il ordonne de ren­ trer l’épée et ne permet pas qu’on le défende contre les impies par la main et par le fer. Il eût été contraire au mystère de notre rédemption que celui qui était venu mourir pour tous refusât de se laisser prendre : en différant le triomphe de sa glorieuse croix, il eût prolongé la tyrannie du diable et fait durer l’escla­ vage des hommes. Il donne donc à ceux qui s’acharnent sur lui licence d’exercer leur fureur, sans que pour­ tant sa divinité dédaigne de se révéler même à eux. La main du Christ remet en place sur la tête défigurée l’oreille du serviteur, déjà morte puisque coupée, et séparée du corps vivant : elle répare ce qu’elle-même avait créé ; ct la chair ne tarde pas à suivre le cornfacere» propter quod venerat > (JôûL). Et S. Ambroise : · Dominum om­ nium mysteria, non arma tenuerunt > (In Lucam X, 55. CSEL 32-4» 480 ; S. C. 52, p. 178). 3. CL Matth. XXVI, 51. 26 DE PASSIONE SERMO I caro sequitur ejus imperium cujus erat ipsa figmen· tum 5. Habent ergo divinam hacc opera virtutem. See quod Dominus majestatis suae potentiam comprimit et vim in se persecutoris admittit, ex illa est volun­ tate qua dilexit nos, ct tradidit semetipsum pro nobis 1 2: coopérante in hoc ipsum Patre, qui Filio proprio nor pepercit, sed pro nobis omnibus tradidit illum 3. Una est enim Patris ct Filii voluntas, ut est una Divinitas : de cujus dispositionis effectu, nihil vobis gratiae, Ju­ daei, nihil tibi, Juda, debemus. Salvationi quidem nostrae, non hoc vobis volentibus, impietas vestra servivit, et per vos factum est quidquid manus Dei d consilium decreverunt fieri 4. Mors igitur Christi nos liberat, vos accusat. Merito soli non habetis quod omnibus perire voluistis. Et tamen tanta est nostri bonitas Redemptoris, ut etiam vos possitis consequi veniam, si Christum Dei Filium confitendo, illam pari ricidalcm malitiam relinquatis. Non enim Dominus in cruce frustra oravit, dicens : Pater dimitte illis, quia nesciunt quid faciunt 5. Quod remedium nec te, JudaJ transiret, si ad cam pacnitentiam confugisses quae te revocaret ad Christum, non quae instigaret ad la4 queum. Dicendo enim : Peccavi, tradens sanguinem jus-l tum °, in impietatis tuae perfidia perstitisti : quia Je-j sum non Deum Dei Filium, sed nostrae tantummodo] conditionis hominem inter extrema mortis tuae peri-] 1. De même S- Aawroisr (/n Lucam X, 70. Ibid. 483 ; 5. C. 52» p. 180) :J « Operatorem suum limus agnoscit (In Mulcho) ct operatricem suam Do-1 mini manum sequitur caro ; quomodo vult enim, opus suum Creator Ins-I taurat. » Il est intéressant de noter que» si les $ 3 et 4 de cc sermon dépendent! d’assez prés du traité CXII de S. Augustin sur l’évangile de S. Jean, 2; et 3» S. Léon» avec son esprit positif, s’écarte de son modèle dès que celui-cïl s’engage dans des considérations plus subtiles, ù lu façon d’Origène» au sujet* de Malchus. C’est à S. Ambroise que notre docteur emprunte alors des’ Idées. La dépendance assez étroite de S. Léon ù l’égard des modèles an té·’ SERMON I SUR LA PASSION 26 mandement de celui par qui elle avait elle-même été créée ’. 5. Ces actions ont donc une vertu divine. Mais si le Seigneur a contenu le pouvoir de sa majesté ct souffert sur lui la violence du persécuteur, c’est par un effet de cette volonté selon laquelle «il nous a aimés et s’est livré pour nous 2 », et avec la coopéra­ tion du Père lui-même, « qui n’a pas épargné son propre Fils, mais l’a livré pour nous tous 3 ». Il n’y a, en effet, qu’une volonté du Père et du Fils, comme il n’y a qu’une divinité ; et du résultat d’un tel des­ sein, nous ne vous devons nul remerciement, ô Juifs, nul non plus à toi, Judas. Votre impiété en vérité a servi à notre salut, sans que vous l’ayez voulu, ct par vous s’est réalisé tout ce que « la main de Dieu et son conseil avaient déterminé d’avance 4 ». La mort du Christ nous libère donc et vous accuse. A juste titre vous êtes les seuls à ne pas avoir ce qui, par votre volonté, a péri pour tous. Et pourtant si grande est la bonté de notre Rédempteur que vous pourriez vous aussi obtenir le pardon si, en confessant le Christ Fils de Dieu, vous renonciez à cette méchanceté parricide. Car ce n’est pas en vain que, sur la croix, le Seigneur a prié en ces termes : « Père, pardonne-leur, ils ne savent ce qu’ils font *. » Un tel remède ne t’aurait pas été refusé même à toi, Judas, si tu avais cherché re­ fuge dans une pénitence qui t’aurait ramené au Christ et non poussé au suicide. Car lorsque tu disais : « J'ai péché en livrant un sang innocente », tu persistais dans ta perfidie impie, parce que, au moment du péril suprême de ta mort, tu croyais Jésus non pas Dieu et Fils de Dieu, mais seulement homme de notre conrieurs, que nous avons remarquée dans ce sermon, pourrait indiquer qu’il date des débuts de sa carrière oratoire. Dans les sermons suivants, il se montrera plus libre. 2. tëph. V. 2. 3. Rom. Vf II. 32. 4. Actes IV, 28. 5. Luc XXIII· 34. 6. Mattb. XXVII, 4. 27 DE PASSIONE SERMO II cula credidisti; cujus flexisses misericordiam, si ejus non negasses omnipotentiam. Haec hodie, dilectissimi, piis auribus vestris insi­ nuata sufficiant, ne fastidium de prolixitate subrepat. Quae autem desunt plenitudini, quarta feria auxiliante Domini reddenda promittimus : quoniam qui dedit quod locuti sumus, dabit, sicut credimus, quod loquamur : per Dominum nostrum Jesum Christum, cui est honor et gloria in saecula saeculorum. Arnen. 40 (LIII) DE PASSIONE DOMINI SERMO II habitus feria quarta. 1. Exigit fides, dilectissimi, ut partem sermonis quam de Domini Passione promisimus, eodem nobis auxiliante reddamus : in quo nos orationibus vestris non ambigimus adjuvari. Ad commune enim pertinet ucrum, si potueritis me habere devotum : quia ves­ trae impenditur aedificationi quidquid nostrae tribuiur facultati. Post illud ergo impium Judae detestandumque commercium, quo ab eo, Judaeis persequentibus, mundi Redemptor est traditus, post illas sacrilegas illusiones, inter quas usque ad locum paenae ejus man­ suetudo perducta est, crucifixi cum eo sunt, statutis utrinque patibulis, latrones duo : quorum unus ad id usque temporis par similisque consorti, insidiator via- SERMON II SUR LA PASSION 27 dition : de ce Jésus, tu aurais fléchi la clémence, si tu n’avais pas nié la toute-puissance. Que ces pensées, bien-aimés, suggérées à votre pieuse attention, suffisent pour aujourd’hui, de peur 2ne l’ennui ne s’insinue à la faveur de la prolixité, e qui manque encore pour que tout soit complet, nous vous promettons de vous le donner mercredi, le Seigneur aidant : car lui qui nous a donné ce dont nous avons parlé, nous donnera, nous le croyons, de quoi vous parler encore ; par notre Seigneur JésusChrist, à qui appartiennent honneur et gloire dans les siècles des siècles. Amen. 40 (LUI) DEUXIÈME SERMON SUR LA PASSION DU SEIGNEUR (prononcé le mercredi). SoxMAUiB. — 1. Suite du récit de la Passion ; conversion du bon larron. — 2. Le témoignage des éléments contre les Juifs. — 3. Devoirs des fidèles. 1. La fidélité à la parole donnée réclame, bienaimés, que nous vous donnions, avec l’aide du Sei­ gneur, la partie du sermon sur sa Passion que nous vous avons promise: nous ne doutons pas d’y être aidé par vos prières. Il importe, en effet, au bien de tous que vous puissiez m’obtenir la dévotion, car c’est à votre édification que sera employé tout ce qui sera accordé à nos moyens. Donc après cet impie et détestable marché par le­ quel Judas livra le Rédempteur du monde aux Juifs persécuteurs, après ces moqueries sacrilèges qui firent cortège à sa mansuétude jusqu’au lieu du supplice, on crucifia avec lui deux larrons à des gibets disposés 28 DE PASSIONE SERMO II rum et saluti hominum semper infestus, usque ad cru­ cem reus, fit Christi repente confessor ; et inter illos acerrimos corporis animique cruciatus, quos simul et instantia et difficultas mortis augebat, mira conver­ sione mutatus, Memento, inquit, mei, Domine, dum veneris in regnum tuum 1. Quae istam fidem exhortatio persuasit ? quae doctrina imbuit ? quis praedica­ tor accendit ? Non viderat prius acta miracula, ces­ saverat tunc languentium curalio, caecorum illumina­ tio, vivificatio mortuorum, ea ipsa quae mox erant gerenda, non aderant ; et tamen Dominum confitetur et Regem, quem videt supplicii sui esse consortem. Inde ergo oriebatur hoc donum, unde accepit fides ipsa responsum ; ait enim ei Jésus : Arnen dico (ibi, hodie mecum eris in paradiso. Excedit humanam con­ ditionem ista promissio ; nec tam de ligno crucis quam de throno editur potestatis 1 2. Ab illa altitudine prae­ mium fidei datur, in qua chirographum 34humanae transgressionis aboletur : quia se a forma servi Dei forma 1 non dirimit, dum etiam inter ipsa supplicia proprietatem unitatemque suam servavit et Deitas inviolabilis, et natura passibilis 5. 2. Adjicitur ad confirmationem spei nostrae totius attestatio creaturae. Emittente spiritum Christo om­ nia elementa tremuerunt, densis tenebris splendor solis obductus, extraordinarie nocti subdidit diem; stabi-J litatem suam terra profundis concussionibus labefac-j 1. Luc XXIII, 42. 2. Ainsi S. Augustin (foe. ctt. CXTX, 2; ibid. 1950): «Thnquam Ii-' gnmn illud ubi erant fixa membra morion Us, etiam cathedra fuerit magistri i docentis. » 3. CL Col. II. 14 : < Delens quod adversus nos erat chirographum decreti» 1 quod erat contrarium nobis. · 4. Ct. Phil. Il, 6. 5. On a essayé de rendre le mieux possible la concision, littéralement 1 Intraduisible, du latin, qui, pour exprimer funité de personne dans la dua- SERMON II SUR LA PASSION 28 de part et d’autre; l’un d’entre eux, jusque là sem­ blable en tout point à son compagnon, bandit de grand chemin et s’attaquant sans cesse à la sécurité des hommes, coupable jusqu’à mériter la croix, de­ vient tout à coup confesseur du Christ ; au milieu de ces atroces tourments du corps et de l’âme, tourments qu’aggravaient à la fois et la proximité de la mort et sa difficulté, il est transformé par l’effet d’une mer­ veilleuse conversion, et dit : « Souviens-toi de moi, Seigneur, quand tu viendras dans ton royaume 1 ». Quelle exhortation a convaincu une telle foi ? Quel enseignement l’a inculquée ? Quel prédicateur l’a en­ flammée ? 11 n’avait pas commencé par voir des mi­ racles : c’en était alors fini des guérisons de malades, de la vue rendue aux aveugles, des morts rappelés à la vie, toutes choses qui bientôt auraient lieu, mais qui pour lors étaient absentes ; et pourtant, il confesse Seigneur et roi celui qu’il voit partager son supplice. Ce don venait donc de la source d’où sa foi elle-mcmc reçut une réponse ; car Jésus lui dit : « En vérité, je te le dis, dès aujourd’hui lu seras avec moi dans le Paradis. » Une telle promesse dépasse l’humaine con­ dition ; c’est moins du bois de la croix que du haut d’un trône de puissance qu’elle est promulguée 2. De ce sommet, la foi reçoit sa récompense, en même temps qu’est supprimée la cédule 3 de l’humaine transgres­ sion : car la condition servile ne se séparait pas de la condition de Dieu 4, lorsqu’au milieu même des sup­ plices. l’inviolable Divinité et la nature passible gar­ daient chacune sa propriété dans l’unité 5. 2. La création entière ajoute sou témoignage pour confirmer notre espérance. Lorsque le Christ rendit l’esprit, tous les cléments tremblèrent et le voile d’épaisses ténèbres qui obscurcit l’éclat du soleil im­ posa d’une manière inattendue la nuit au jour; la terre, ébranlée par de profondes secousses, perdit sa lité des natures» met le verbe au singulier (servavit) bien qu’il ait deux sujets (Deitas et nû/ura) : à ces deux sujets qui tfen font qu’un» s’ap­ pliquent deux attributs: la propriété qui les distingue et l’unité qui les fond. 29 DE PASSIONE SERMO II tata non tenuit, et petrarum firmitas, confracta soli­ ditate, dissiluit. Velum templi, quo priorum mysteria ulterius non erant obumbranda, discissum est ; et multorum sanctorum corporibus excitatis, ad prae­ muniendam resurrectionis fidem, monumenta patue­ runt ». In vos ergo, Judaei, caelum et terra sententiam tulit, vobis sol servitutem suam diemque subtraxit, vobis famulatum suum elementorum ordines dene­ garunt ; et recedente a legibus suis ministerio crea­ turae, vestra obcaecatio, vestra est significata confu­ sio. Vobis enim dicentibus : Sanguis ejus super nos et super filios nostros 12 ; merito hoc retributum est, ut quod vestri generis impia perdidit portio, assequatur hoc fidelis gentium plenitudo 3. 3. Nos ergo, dilectissimi, quibus Dominus noster Jesus Christus crucifixus, non scandalum, neque stul­ titia, sed Dei virtus Deiquc sapientia est 4 ; nos, inquam, spiritale semen Abrahae, non in prolc servi­ tutis geniti, sed in familia libertatis renati 56; pro qui­ bus in manu forti et brachio extento c de oppressione Aegyptiae dominationis eductis verus et immacula­ tus agnus immolatus est Christus ’ ; amplectamur sa­ lutaris Paschae mirabile sacramentum, et ad ejus ima­ ginem, qui deformitati nostrae conformis factus est, reformemur e. Erigamur ad eum qui pulverem abjec­ tionis nostrae, corpus fecit gloriae suae ; et ut resur­ rectionis ejus mereamur esse consortes, humilitati et 1. Cf. Mattb. XXVII. 51-53. 2. Ibid. 25. 3. Même idée exprimée dans le 3· sermon pour l'Épiphanie, 3 (S. C. 22, | p. 207). S. Léon se référé, en employant l’expression «plenitudo gentium » à Rom. XT, 25 : la défection d’Israël ouvre la porte do 1r foi aux nations qui y sont appelées sans restriction. 4 Cf. I Cor. I. 23-24. 5. Cf. Gal. IV, 31. 6. Cf. Deut. V, 15. SERMON II SUR LA PASSION 29 stabilité, et, leur masse se brisant, les pierres, natu­ rellement si solides, volèrent en éclats. Le voile du temple, qui n’avait plus désormais à couvrir de son ombre les anciens mystères, se déchira ; les corps de beaucoup de saints se réveillèrent, et leurs tombeaux s'ouvrirent pour fortifier d’avance la foi en la résur­ rection \ C’est contre vous, ô Juifs, que le ciel et la terre portèrent donc une sentence, c’est à vous que le soleil retira son service avec sa lumière, à vous que les divers éléments refusèrent l’obéissance ; et lorsque la création faite pour servir s’écartait de ses propres lois, c’est votre aveuglement, c'est votre confusion qui ont alors été signifiés. Vous aviez dit, en effet : « Que son sang soit sur nous et sur nos enfants 2 ! » C’est à bon droit que cela vous a été accordé, en sorte que ce qu’a perdu cette fraction qu’était votre race impie devienne le bien de cette plénitude que sont les nations venues à la foi 3. 3. Pour nous donc, bien-aimés, qui ne trouvons pas en notre Seigneur Jésus-Christ crucifié un motif de scandale ni une folie, mais la force de Dieu et la sa­ gesse de Dieu 4 ; pour nous, dis-je, race spirituelle d’Abraham, non pas engendrés dans une descendance esclave, mais régénérés dans une famille libre 5 ; nous pour qui a été immolé7 l’agneau véritable et immaculé, le Christ, après que nous eussions été retirés de l’oppres­ sion et de la tyrannie de l’Égypte par une main puis­ sante et un bras étendu ΰ ; étreignons cet admirable sacrement de la Pâque salutaire, et réformons-nous à l’image de celui qui s’est rendu conforme à notre dif­ formité 8. Élevons-nous jusqu’à celui qui, de la pous­ sière de notre abjection, a fait un corps à sa gloire ; et, afin de mériter d’avoir part à sa résurrection, met­ tons-nous en tout en accord avec son humilité et avec 7. Cf. I Cor. V, 7. S. S. Léon joue, d'une manière difficilement traduisible» sur le mot < forma · dans ses dérivés · deformis », « conformis », « reformare ». C’est toujours parce que le ChrLM a pris la forme de l’esclave qui était devenue en nous, par suite du péché, une difformité, qu’il nous a rendus capables de retrouver lu forme, authentique celle-là, de son image, de l'imago de Dieu dam» l'homme. 30 DE PASSIONE SERMO III patientiae ipsius per omnia congruamus. Magni nomi­ nis militiam, magnae professionis suscepimus discipli­ nam. Sectatores Christi discedere a regia non licet via sed dignum est temporalibus non occupari, ad aeterna tendentes. Et quia pretioso sanguine Christi redempti sumus, glorificemus et portemus Deum in corpore nostro 1 2 : ut ad ea quae fidelibus praeparata sunt pervenire mereamur, per Dominum nostrum Jesum Christum, cui est honor et gloria in saecula sae­ culorum. Arnen. 41 (LIV) DE PASSIONE DOMINI SERMO III habitus dominico die. 1. Inter omnia, dilectissimi, opera misericordiae Dei quae ab initio saluti sunt impensa mortalium, nihil est mirabilius, nihilque sublimius, quam quod pro mundo crucifixus est Christus. Huic enim sacra­ mento universa praecedentium saeculorum mysteria servierunt, et quidquid in hostiarum differentiis, in propheticis signis et legalibus institutis sacra dispen­ satione variatum est, hoc praenuntiavit dispositum, hoc promisit implendum : ut nunc imaginibus figu­ risque cessantibus hoc prosit credere jam effectum, quod antea profuit credidisse faciendum 3. 1. CL Nombres XXI, 22. 2. I Cor. VI, 20. 3. Pas do différence dans la toi et dans le mérite avant et après la réali­ sation du plan de salut par le Christ. Lu même idée est exprimée au .ter· SERMON III SUR LA PASSION 30 sa patience. Grand est le nom de celui au service duquel nous nous sommes enrôlés, grand l’étal dont nous avons assumé la règle. Ceux qui suivent le Christ n’ont pas le droit de s’écarter de la voie royale 1 ; mais il est juste que, tendus vers les réalités éternelles, ils ne soient pas absorbés par les temporelles. Et, puisque nous sommes rachetés par le sang précieux du Christ, glorifions et portons Dieu dans notre corps 2; ainsi mériterons-nous de parvenir aux biens tpii ont été préparés pour les fidèles ; par notre Sei­ gneur Jésus-Christ, à qui appartiennent honneur et gloire dans les siècles des siècles. Amen. 41 (IJV) TROISIÈME SERMON SUR LA PASSION DU SEIGNEUR (prononcé le dimanche). Sommaire. — 1. L’union des deux natures en Jésus-Christ. — 2. L’activité propre à chacune. — 3. Apostrophe a Judas. — 4. La faiblesse de Jésus est notre force. — 5. Exemple de Pierre. Suite du récit de la Passion. Renvoi. 1. Parmi toutes les œuvres auxquelles, depuis l’ori­ gine des choses, la miséricorde de Dieu s’est dépensée pour le salut des mortels, la plus admirable, la plus sublime est que le Christ ait été crucifié pour le monde. A cette action sacrée ont servi tous les mystères des siècles anterieurs ; si un ordre divin a mis une infinie variété dans la diversité des victimes, dans les an­ nonces prophétiques et les institutions légales, ce fut pour en prédire la disposition, pour en promettre la réalisation : ainsi, maintenant que les images et les figures ont cessé, il est salutaire de croire désormais accompli ce dont il fut autrefois salutaire de croire qu’il devait s’accomplir 3 31 DE PASSIONE SERMO III In omnibus igitur, dilectissimi, quae ad Domini nos­ tri Jesu Christi pertinent passionem, hoc catholica fides tradit x, hoc exigit, ut in Redemptorem nostrum duas noverimus convenisse naturas, et manentibus proprietatibus suis, tantam factam unitatem utriusque substantiae, ut ab illo tempore quo sicut humani ge­ neris causa poscebat, in beatae Virginis utero Verbum, caro facium est, nec Deum illum sine hoc quod homo est, nec hominem sine hoc liceat cogitare quod Deus est. Exprimit quidem sub distinctis actionibus verita-? tem suam utraque natura, sed neutra se ab alterius connexione disjungit. Nihil ibi ab invicem 2 vacat,J tota est in majestate humilitas, tota in humilitate ma< jestas ; nec infert unitas confusionem, nec dirimit proprietas 3 unitatem. Aliud est passibile, aliud invio-j labile ; et tamen ejusdem est contumelia, cujus et glo-i ria. Ipse est in infirmitate qui et in virtute ; idem mortis capax, et idem victor est mortis. Suscepit ergo mon pour Noti, 4 (S. C. 22, p. 9C) : «Hoc magnae pietatis sacramentum quo totus mundus impletus est, tam potens etiam in suis significationibus fuit, ut non minus adepti sint qui illud credidere promissum quam qui. suscepere donatum. > Nous In retrouverons plus loin, au sermon 50, 1. 1. Le mot tradit employé par S. Léon pour caractériser l’enseignement de la fol comporte l’idée de la ■ tradition », dont rtâgllsc est l’organe in *fail ; lîble, dépositaire ersonne en deux natures. D’un côté les deux personnes sont entièrement l’une à l’autre dans la nature unique et ne se distinguent entre elles que par leurs relations mutuelles, elles sont « réciproquement » *1 l’on peut traduire ainsi; de 1’autre côté, les deux natures sont entièrement communiquées l’une à l’autre, appartenant à une personne unique ; clics ne se distinguent que par leurs propriétés. Chaque nature se trouve duns l’autre, comme le Père et le Fils se trouvent l’un dans l’autre par la clrcumincession. A propos de celle-ci, S. Hilairr dit encore : · Pater in Fillo, quia ex eo Filius ; Filius in Patre, quia non aliunde quod Filius; unigenitus in ingenito, quia ab ingenito unigenitus. Ita In se intricem ; quia ut omnia in Ingenito patre perfecta sunt, ita omnia in filio unigenito perfecta sunt · (Ibid. HI, ·1. 73). 3. Ce qui appartient en propre ù chaque nature : la parfaite union des deux natures dans l’unité de la Personne réalise co que la théologie appel­ lera la · communication des idiomes », ceux-ci, les propriétés de chaque nature, restant distincts sans confusion dans l'imité. La personne unique du Verbe jouit également des propriétés des deux natures qu’elle possède, et, par suite de l’unité qu’elle réalise entre clics, celles-ci se communiquent mutuellement ce i). p. 122-123, Λ propos de l’ouvrage de Μ. Herz, Sacrum Commc'crum. Eine begrîfjsge&chiçhtliehc Studie zur Théologie des Rûmischtr Liturgicsprachc. (Münchener Theologixchv. Sludicnt il» 15. 1958). 3. Ci. Jean XV, 20 : · Non est servus majordondno suo»; et Matth. X, 2-1 : · Non est discipulus super magistrum, nec servus super dominum suum. » 4. Cf. Luc ΧΧΠ, 61. 5. Ci. Jean XXL 23. 35 DE PASSIONE SERMO III plicii. Quid metuis, quod etiam ipse superabis ? Non te confundat infirmitas quam recepi. Ego de tuo fuu trepidus \ tu de meo esto securus. Mane autem facto, consilium inierunt omnes prin­ cipes sacerdotum et seniores populi adversum Jesum, ut eum morti traderent 2. Hoc mane, Judaei, non ortus; vobis lucis contigit, sed occasus, nec vestris oculis soli-j tus dies prodiit, sed impiis mentibus nox tetrae caeci­ tatis incubuit. Hoc mane vobis templum et altaria diruit, legem et prophetas ademit, regnum et sacerdo-, tium sustulit, in luctum aeternum omnia vobis festa convertit. Inistis enim insanum cruentumque consw lium, tauri pingues, vituli multi, frementes bestiae, canes rabidi 3, ut morti auctorem vitae et Dominum’ gloriae traderetis : et tamquam extenuanda esset fu-’ roris vestri immanitas, si ejus sententia qui provin­ ciae vestrae praesidebat uteremini, vinctum Jesum ad Pilati judicium deduxistis ; ut clamoribus improbis trepido cognitore superato, interfectorem hominum eligeretis ad veniam, et Salvatorem mundi peteretis ad paenam. Post hanc damnationem Christi, quam exsecuta est Pilati praesidis magis ignavia quam po-: testas, qui lotis manibus et ore polluto, iisdem labiis Jesum misit ad crucem, quibus eum pronuntiaverat innocentem, multas illusiones Domino, sacerdotalibus serviens oculis, licentia popularis ingessit : et in man­ suetudinem ejus qui haec sponte tolerabat, furensturba saevivit. Sed quia multum est, dilectissimi, ut omnia hodier-. mis sermo percurrat, in quartam feriam, qua lectio Dominicae Passionis iterabitur, residua differantur. Praestabit enim Dominus, orantibus vobis, ut ipsius.·1 1. «Do tuo ■ : en raison de ta nature humaine que fai prise; et plus SERMON III SUR LA PASSION 35 te laisse pas déconcerter par la faiblesse que j’ai prise. Si moi j’ai tremblé, c’est en raison de ce que j'ai de toi l, mais toi, sois sans crainte en raison de ce que tu tiens de moi. » « Le matin venu, tous les grands prêtres et anciens du peuple tinrent conseil contre Jésus pour le faire mourir 2. » Ce matin-là, ô Juifs, la lumière ne se leva pas pour vous, mais plutôt se coucha, vos yeux ne virent pas s’avancer le jour accoutumé, mais sur vos cœurs impies la nuit d’une effroyable cécité s’abattit. Ce matin-là renversa votre temple et vos autels, vous enleva la loi et les prophètes, anéantit votre royaume et votre sacerdoce, changea toutes vos fêtes en un deuil éternel. Vous avez, en effet, tenu un conseil in­ sensé et sanguinaire, comme des taureaux repus, des veaux sans nombre, des bêtes frémissantes, des chiens enragés 3, pour faire mourir l’auteur de la vie et le Seigneur de la gloire : et comme pour atténuer la dé­ mence de votre cruauté en ayant recours au jugement de celui qui gouvernait votre province, vous avez con­ duit Jésus enchaîné au tribunal de Pilate ; ainsi, une fois ce juge tremblant vaincu par vos cris impies, vous choisissiez un assassin pour qu’on lui fît grâce et récla­ miez pour le Sauveur du monde qu’on le livrât au supplice. Après cette condamnation du Christ, duc à la lâcheté du procurateur Pilate plutôt qu’à son pou­ voir, de ce Pilate qui, les mains lavées, mais la bouche souillée, envoya Jésus à la croix des mêmes lèvres qui l’avaient déclaré innocent, la licence populaire, obéis­ sant aux moindres signes des prêtres, se répandit contre le Seigneur en mille moqueries : sur la douceur de celui qui volontairement supportait tout cela, la populace déchaînée s’acharna. Mais ce serait beaucoup, bicn-aimés, si le sermon d’aujourd’hui voulait tout raconter ; aussi remettons la suite à mercredi, jour auquel on recommencera la lecture de la Passion. Le Seigneur accordera sûrement loin, · de meo · : à cause de nia nature divine, et de la force qu’elle com­ porte, que je te donne en Échange. 2. Mat th. XXVII, 1. 3. CT. Ps. XXI, 13, 17. 36 DE PASSIONE SEHMO IV dono, quod promittimus impleamus : per Dominum j nostrum Jesum Christum, qui vivit et regnat in sae- j cula saeculorum. Arnen. 42 (LV) DE PASSIONE DOMINI SERMO IV ferla quarta. 1. Exspectationi vestrae, dilectissimi, quod debe-1 tur, Domino largiente reddendum est, promerentibus orationibus vestris, ut nos ad solvendum faciat ido- j neos, qui vos ad exigendum fecit intentos. Loquentes I enim proxime de Domini Passione, usque ad evangelicae historiae venimus locum, in quo Pilatus impiis I Judaeorum clamoribus, ut Jesus crucifigeretur, ces- j sisse narratur. Peractis itaque omnibus quae Divinitas l fieri carnis velamine temperata 1 permisit, Jesus Chris- 1 tus Filius Dei cruci quam etiam ipse gestarat, affixus est, duobus latronibus, uno ad dexteram ipsius, alio ' ad sinistram, similiter crucifixis : ut etiam in ipsa pati­ buli specie monstraretur illa quae in judicio ipsius omnium hominum est facienda discretio ; cum et sal­ vandorum figuram fides credentis latronis exprimeret, j ct damnandorum formam blasphemantis impietas 1- Le verbe < temperare» exprime l'action d'adoucir; ainsi on tempèrafl le vin par de l’eau pour le rendre moins fort. Par son union à la nature humaine, la divinité a volontairement suspendu sa puissance, l'a modérée, pour permettre aux hommes d’accomplir vis-h-vis de l’humanité qu’elle avait prise tout ce qu'ils ont voulu ct qu’cllc-mémc permettait pour leur rédemption. Même expression au Sermon pour Notl. 2 : < Ad dependen­ dum nostrae conditionis debitum, natum inviolabilis naturae est unita SERMON IV SUR LA PASSION 36 â vos prières que, par sa grâce, nous puissions tenir notre promesse ; par le même Seigneur Jésus-Christ qui vil et règne dans les siècles des sièc’es. Amen. 42 (LV) QUATRIÈME SERMON SUR LA PASSION DU SEIGNEUR (prononcé le mercredi). Sommaire. — 1. Suite du récit de la Passion ; la crucifixion du Christ. — 2. Les blasphèmes des Juifs. — 3. Conversion du bon larron. — 4. Mort du Seigneur. — 5. Exhortation morale. 1. Il nous faut, le Seigneur aidant, payer notre dette à votre attente, bien-aimés, et vos prières nous méri­ teront d’etre rendu capable de nous en acquitter par celui qui vous a rendus attentifs à nous la réclamer. Parlant la dernière fois de la Passion du Seigneur, nous en étions venus à cet endroit du récit évangé­ lique où il est raconté que Pilate, cédant aux clameurs impies des Juifs, leur livra Jésus pour être crucifié. Tontes choses étant donc accomplies que la Divinité, dont le voile de la chair modérait 1 la puissance, avait permises, Jésus-Christ, Fils de Dieu, fut attaché à la croix qu’il avait encore portée lui-même ; deux lar­ rons furent pareillement crucifiés, l’un à sa droite, l’autre à sa gauche : ainsi, même dans le spectacle qu’offrait son gibet, était montrée la séparation qui sera opérée entre tous les hommes lors de son juge­ ment ; la foi du larron qui croit offrait, en effet, une image de ceux qui seront sauvés, tandis que l’impiété de celui qui blasphème préfigurait la condition des passibili» Deusque verus et homo verus in unitatem Domini temperatur » (S. C. 22, p. 72.) 37 DE PASSIONE SERMO IV praenotaret. Passio igitur Christi salutis nostrae con- i tinet sacramentum, et de instrumento quod iniquitas Judaeorum paravit ad pœnam, potentia Redemptoris gradum nobis fecit ad gloriam : quam Dominus Jesus ita ad omnium hominum suscepit salutem, ut inter ] clavos quibus ligno tenebatur affixus, pro interfecto- j ribus suis paternae clementiae supplicaret et diceret: j Pater, ignosce illis, quia nesciunt quid faciunt\ 2. Principes autem sacerdotum, quibus indulgen- , tiam Salvator petebat, supplicium crucis irrisionum j aculeis exasperabant ; et in quem manibus amplius Bj saevire non poterant, linguarum tela jaciebant, di- I centes : Alios salvos fecit, seipsum non potest salvum ; facere. Si rex Israel est, descendat nunc de cruce, et ere- j dimus ei12. De quo erroris fonte, Judaei, de quo invidiae | lacu, talium blasphemiarum venena potastis ? Quis vobis magister tradidit, quae doctrina persuasit, quod illum regem Israel, illum Dei Filium credere deberetis, qui se aut crucifigi non sineret, aut a confixione clavo- . rum liberum excuteret ? Non hoc vobis legis mysteria, non paschalis observantiae sacramenta, nec ulla umI quam prophetarum ora cecinerunt ; sed illud vere abundeque legistis, quod ad detestabilem vestri sce­ leris impietatem et ad voluntariam Domini pertinet passionem. Ipse enim per Isaiam loquitur : Dorsum meum dedi ad flagella, maxillas meas ad palmas, faciem autem meam non averti a confusione sputorum 3. Ipse per David, Dederunt, inquit, in escam meam fel, et in siti mea potaverunt me aceto 4. Et iterum : Circumdede- I runt me canes mulli, concilium malignantium obsedit me. Foderunt manus meas et pedes meos, dinumerave­ runt omnia ossa mea. Ipsi vero consideraverunt et con1, Luc XXIII, 34. 2. Matth. XXVII, 42. SERMON IV SUR LA PASSION 37 damnés. La Passion du Christ contient donc la grâce de notre salut, et, de l’instrument du supplice que lui avait préparé l’iniquité des Juifs, la puissance du Ré­ dempteur a fait un degré pour nous élever vers la gloire ; cette Passion, le Seigneur Jésus l’a embrassée pour le salut de tous les hommes, au point que, fixé au bois par les clous, il suppliait la clémence du Père en faveur de ses meurtriers et disait : « Mon Père, par­ donne-leur : ils ne savent ce qu’ils font L » 2. Mais les princes des prêtres, pour qui le Sauveur demandait l’indulgence, renchérissaient sur le sup­ plice de la croix par l’aiguillon de leurs moqueries ; sur celui que leurs mains ne pouvaient plus meurtrir, leurs langues lançaient des traits : « Il en a sauvé d’autres, disaient-ils, et il ne peut se sauver lui-même ! Il est roi d’Israël : qu’il descende maintenant de la croix, et nous croirons en lui2.» O Juifs, à quelle source d’erreur, à quelle citerne d’envie, avez-vous bu le poi­ son de pareils blasphèmes ? Quel maître vous a appris, quelle doctrine vous a persuadés qu’il vous fallait croire celui-là roi d’Israël et Fils de Dieu, qui ne se laisserait pas crucifier ou se libérerait en s’arrachant à la transfixion des clous ? Cela, ni les mystères de la loi, ni les rites sacrés de l’observance pascale, ni jamais aucun oracle d’un prophète ne l’ont annoncé; mais vous avez lu en toute vérité et abondamment ce qui concerne la détestable impiété de votre crime et la Passion que le Seigneur a volontairement accep­ tée. Lui-même, en effet, parle ainsi par la bouche d’Isaïe : « J’ai tendu mon dos aux coups, mes joues aux soufflets, je n’ai pas soustrait ma face aux outrages et aux crachats ·. » Lui-même encore par l’organe de David : « Pour nourriture ils m’ont donné du fiel, dans ma soif ils m’abreuvaient de vinaigre 3 4. » Et encore : « Des chiens nombreux m'ont cerné, le conseil des méchants m’a assailli. Ils ont percé mes mains et mes pieds, ils ont compté tous mes os. Ils m’ont toisé et surveillé attentivement ; ils se sont partagé mes vête3. Is. L. e. •1. Ps. LXVIIÏ, 22. 38 DE PASSIONE SERMO IV spexerunt me, diviserunt sibi vestimenta mea, et super vestem meam miserunt sortem *. Et ne sceleris tantum vestri videatur ordo praedictus, nulla autem potentia praenuntiata crucifixi, non quidem legistis : Dominus descendit de cruce ; sed legistis : Dominus regnavit a ligno 12. 3. Crux ergo Christi sacramentum veri et pracnun- « tiati habet altaris, ubi per hostiam salutarem, naturae Æ humanae celebraretur oblatio. Ibi sanguis immaculati l agni antiquae praevaricationis pacta 3 delebat : ibi I tota diabolicae dominationis conterebatur adversi­ tas, et de elatione superbiae victrix humilitas trium-J phabat ; cum tam velox fidei esset effectus, ut de cru- | cifixis cum Christo latronibus, qui in Christum Filium 1 Dei credidit, paradisum justificatus intraverit. Quis?! tanti muneris explicet sacramentum ? quis potentiam j tam mirae commutationis enarret ? Exiguo temporis ; puncto, longorum scelerum reatus aboletur ; inter lue- j tantis animae dura tormenta, haerens patibulo transit ad Christum; et cui propria impietas intulit paenam, I Christi gratia dat coronam. 4. Hinc jam degustato aceto, Dominus, quod illa Ij dabat vinea, quae ab auctoris sui plantatione degene- | rans, conversa fuerat in amaritudinem vitis alienae 4, Consummatum est5, ait ; hoc est, completae sunt Scrip­ turae : non est amplius quod de insania populi furentis 1. Ps. XXI, 17-19. 2. Ps. XC.V, 10, suivant la version du Psautier romain dont s'inspire 1* liturgie des tètes de la Sainte Croix (hymne · Vexilla regis · par exempta· S- Léon est un des témoins latins de la glose < a ligno · introduite dans le psaume par une main chrétienne. On sait que S. Justin, l’un des rare», témoins grecs, reprochait aux Juifs d'avoir ôté ces mots du texte authen· j tique (Dialogue awe Tryp/ιαη. P. G. VII, (>45). C’est un peu le même re­ proche que leur adresse ici S. Léon. Sur la question de la glose, ci. Podeguard, Le Psautier, II, p. 157; J. Daniélou, Thtotogie du Judto-ChrU* tianisme, p. 111. SERMON IV SUR LA PASSION 38 merits et ont tire ma robe au sort *. » Et pour que le détail de voire crime ne parût pas seul prédit sans que la puissance du crucifié ne fût aussi annoncée, si vous n’avez certes pas lu : « Le Seigneur est des­ cendu de la croix », vous avez bien lu : « Le Seigneur a régné par le bois a. » 3. La croix du Christ comporte donc le mystère de l’autel véritable et prédit d’avance, sur lequel, par le moyen d’une hostie salutaire, serait célébrée l’offrande de la nature humaine. Là le sang de l’agneau imma­ culé annulait le pacte de l’ancienne prévarication 3; là était entièrement anéantie l’hostilité d’une tyran­ nie diabolique, et l’humilité victorieuse triomphait de l’arrogance de l’orgueil ; si prompt était l’effet de la foi que, des larrons crucifiés avec le Christ, celui qui crut au Christ Fils de Dieu entra justifié dans le para­ dis. Qui expliquera le mystère d’un si grand don ? Qui dira la puissance que suppose un si admirable changement ? En un bref instant est détruite la cul­ pabilité attachée à une longue série de crimes ; au milieu des cruels tourments de l’agonie, celui-là, fixé au gibet, passe au Christ; à lui dont l’impiété person­ nelle avait causé le châtiment, la grâce du Christ donne la couronne. 4. Ensuite, ayant goûté au vinaigre que lui donnait cette vigne dégénérée du plant de son auteur et chan­ gée en l’amertume d’une vigne étrangère le Seigneur dit : a Tout est consommé $. » C’est-à-dire : « Les Écri­ tures sont accomplies ; je n’ai plus rien d’autre à at3. Cf. Col. IL 14 ; il s’agit pour S. Mon du pacte de servitude par lequel Je premier homme s'était lié au diable en lui obéissant contre l’ordre de Dieu ; dans la pensée du saint (cf. surtout 2« Sermon pour Soil, S. C. 22, p. Si), le demon pouvait l’opposer à Dieu pour revendiquer son droit sur l'humanité. Dans le passage de Col. lî, 14 dont S. Léon sc souvient ici, S. Paul a cependant en vue l’acte de lu condamnation portée par Dieu contre l’homme désobéissant. 4. Ci. Jérémie IL 21 ; Matth. XXI, 33-40. Le même rapprochement avec Jérémie IL 21 se trouve chez S. Jérôme (In Evany. Matth. IV, xxvn ; P. L. XXVI, 210) ; S. Augustin dit un peu différemment : « Judaei quippe ipsi erant acetum, degenerantes a vino Patriarcharum ct Prophetarum » (Tract, in Joan. Evang. CXIX, 4 ; F. b. XXXV, 1952). 5. Jean XIX, 30. 39 DE PASSIONE SERMO IV exspectem ; nihil minus pertuli quam me passurum esse·, praedixi. Peracta sunt mysteria infirmitatis, proman­ tur documenta virtutis. Inclinato itaque capite, emisit spiritum, et in corpus die tertio suscitandum, quietefl placidi soporis admisit. Cui sacramento cum se vitae auctor impenderet, et ad tantam divinae majestatis inclinationem totius mundi compago quateretur, cum facinus impium om-., nis sui confusione creatura damnaret, ct manifestam in reos sententiam ipsa mundi elementa proferrent : qui vobis animus, Judaei, quae conscientia fuit : quando et vos judicium universitatis urgebat, et revo­ cari ad se consummato scelere impietas vestra non poterat ? Qualis confusio vos operuit ? quae cor ves­ trum poena suscepit 1 ? 5. Cum igitur, dilectissimi, tanta sit misericordia Dei, ut etiam de tali populo multos per fidem justifi­ care dignatus sit, nosque sub veteris quondam igno­ rantiae profunda nocte pereuntes, in patriarcharum societatem, et in sortem electi generis adoptant : ad altitudinem spei nostrae non segniter neque cum tor­ pore curramus : sed prudenter ac fideliter cogitantes, de quali captivitate et quam misera servitute, quo pretio redempti 12, et quo brachio 3 sumus educti, glo­ rificemus Deum in corpore nostro 4, ut habitare cum in nobis, ex ipsa conversationis nostrae probitate 1. On pourrait aussi traduire : quelle confusion vous a couverts, qui s’est emparée de votre cœur pour votre châtiment ? 2. Cf. I Cor. VI, 20. 3. Cf. Ex. XV, 16. Ce bras puissant du Très-Haut qui a opéré pour la délivrance de son peuple Israël les prodiges que S. Léon rappellera quelque lignes plus bas. plaies d’Égypte, extermination des premiers-nés. passage de la mer Rouge, est encore celui qui, par Je · paschale sacramentum délivre le nouvel Israël de la servitude du démon dont celle de Pharaon n’était que la figure : le sang du véritable Agneau, répandu sur la crolxi, est ettlcace pour protéger de l’Ange de la colère ceux qui, au baptême, en SERMON IV SLR LA PASSION 39 tendre de la folie d’un peuple furieux ; je n’ai rien enduré de moins que ce que j’avais prédit devoir souf­ frir. Les mystères de la faiblesse sont achevés, que paraissent maintenant les marques de la puissance. » Aussi, inclinant la tête, il rendit l’esprit et laissa le sommeil entrer, pour un repos tranquille, dans le corps qu’il devait ressusciter le troisième jour. Ainsi l’auteur de la vie se donnait tout entier à ce mystère, et, en présence d’un tel abaissement de la majesté divine, tout l’édifice du monde était secoué ; toute la création, par sa confusion, condamnait le for­ fait impie, ct les éléments du monde portaient euxmêmes un verdict évident contre les coupables : quelle âme fut donc la vôtre, ô Juifs, ct quelle conscience, alors que le jugement porté par l’univers vous pres­ sait et que, le crime consommé, votre impiété ne pou­ vait revenir à elle-même ? Quelle confusion vous a donc couverts ? Quel châtiment s’est donc emparé de votre cœur 1 ? 5. Bien-aimés, qu’elle est donc grande, la miséri­ corde de Dieu ! Même dans un tel peuple, il a daigné en justifier beaucoup par la foi, ct nous, autrefois condamnés à périr dans la profonde nuit de l’antique ignorance, il nous a adoptés pour nous admettre à la société des Patriarches et nous faire partager la condi­ tion de la race élue ; ne courons donc pas mollement et paresseusement vers les sommets de notre espé­ rance ; mais rappelons-nous, suivant en cela la sagesse ct la foi, de quelle captivité, de quel misérable escla­ vage, à quel prix *, nous avons été rachetés, quel bras 3 ■ nous a conduits, et glorifions Dieu dans notre corps 4 : nous montrerons ainsi, par la dignité même de notre ont été marqués : de ce baptême. les eaux de la mer Houge étaient la figure ; par elles, le peuple des rachetés est sauvé tandis qu'elles engloutissent les ennemis qui le poursuivaient. Au-delà du drame sanglant de la Passion, dont il vient de commenter le récit, S. Léon voit déjà la nuit pascale, au cours de laquelle les catéchumènes vont traverser les eaux du baptême et recueillir le fruit de grâce acquis par la croix du Christ et le sang de l'Agncau. Le contexte pascal ne doit jamais être perdu de vue quand on lit les Sermons sur la Passion. I) est la clef qui donne leur sens aux souf­ frances du Sauveur. 4- Cf.f Cor. VI, 20. Léon le Grand. III. 5 40 DE PASSIONE SERMO IV monstremus. Et quia nihil est in omnium virtutum dignitate praestantius quam pietas misericordiae et puritas castitatis, his nos praesidiis specialius instrüamus, ut caritatis opere ac nitore pudicitiae, tamquam duabus elevati alis, de terrenis mereamur esse cae­ lestes x. Quo desiderio quisquis gratia Dei adjutus im­ pletur, et de profectu suo non in se, sed in Domino gloriatur 12, hic legitime honorat paschale sacramen­ tum. Hujus limina vastator angelus sanguine agni et signo crucis praenotata non intrat. Is plagas Aegyp­ tias non pavescit, et iisdem aquis hostes suos relinquit exstinctos quibus est ipse salvatus. Amplectamur itaque, dilectissimi, purificatis mentibus atque corpo­ ribus, salutis nostrae mirabile sacramentum, et ab omni fermento malitiae veteris emundati 3, Pascha Domini cum digna observantia celebremus : ut re­ gente nos Spiritu sancto, a caritate Christi nullis tentationibus separemur 4, qui in sanguine suo pacificans omnia 6, et in altitudinem paternae gloriae se recepit, et humilitatem sibi servientium non reliquit, cui est honor et gloria in saecula saeculorum. Arnen. 1. Cf. ï Cor. XV, 49. On a rencontré ailleurs (7· Sermon sur le Carême, 2 ; S. C. 49, p. 61) l’image des ailes qui soulèvent l’Ame ; dans ce passage/ il s’agissait do la charité et de la foi (ci. note 2, ad lacum). 2. Cf. II Cor. X, 17 : « Qui gloriatur, in Domino glorietur. » SERMON IV SUR LA PASSION 40 conduite, que c’est lui qui habite en nous. Or, dans l'échelle des vertus, rien ne dépasse la bonté de la miséricorde et la pureté de la chasteté ; munissonsnous donc plus spécialement de ces secours, afin que, nous élevant par l’activité de la charité et le rayonne­ ment de la pureté comme sur deux ailes, nous méritions, de terrestres que nous sommes, de devenir célestes x. Quiconque, aidé de la grâce de Dieu, est rempli de ce désir, et se glorifie de son progrès non en lui-même, mais dans le Seigneur 2, celui-là honore comme il convient le mystère pascal. L’ange dévasta­ teur ne franchit pas son seuil que marquent le sang de ΓAgneau et le signe de la croix. Il ne redoute pas les plaies de l’Égypte et il laisse ses ennemis anéantis dans les eaux dont lui-même est sauvé. L’esprit et le corps purifiés, embrassons donc, bien-aimés, le sacre­ ment admirable de notre salut ; purifiés de tout le levain de notre ancienne méchanceté 3, célébrons la Pâque du Seigneur avec la perfection qui convient : alors, sous la conduite de l’Esprit-Saint, aucune ten­ tation ne nous séparera de la charité du Christ45,lequel pacifiant toutes choses en son sang «, est remonté dans les hauteurs de la gloire de son Père sans pourtant délaisser l’humble condition de ceux qui le servent ; à lui honneur et gloire dans les siècles des siècles. Amen. 3. Cf. I Cor. V. 7. 4. Cf. Rom. VIH. 35 : · Quis nos separabit a curitate Christi?... ■ 5. CL Col. J, 20. 41 DE PASSIONE SERMO V 43 (LVI) DE PASSIONE DOMINI SERMO V die dominica habitus. 1. Creator et Dominus omnium rerum Christus post inusitatum sacrae Virginis partum, post adorata ma­ gorum confessione cunabula, et post multiplicem doc­ trinam caelestis eloquii et variarum curationum me­ delas imperio verbi potentis effectas, dispensationem omnium sacramentorum 1 omniumque virtutum salu­ tifera passione consummat. Christianae igitur spei, di­ lectissimi, vera ratio et principalis causa crux Christi est : quae licet Judaeis sit scandalum, gentibus autem stultitia, nobis tamen Dei virtus est, Deique sapientia 1 2. Unde summum hoc et potentissimum divinae miseri­ cordiae sacramentum semper quidem in cordibus nos­ tris cum tota sui dignitate retinendum est, sed nunc vivaciorem animi sensum et puriorem exigit mentis intuitum, quando nobis non solum recursu temporis, sed etiam textu evangelicae lectionis omne opus nos­ trae salutis ingeritur. Nihil ergo apud nos loci cogi­ tationes habeant impiorum, nec integritatem sanae intelligentiae, aut Judaica offensio, aut gentilis cor­ rumpat irrisio : ut quod pro nobis non solum humiliter, 1. sacramenta désignent ici les figures de Γ ancienne alliance : annon­ çant et falsant espérer le salut de l’hunuinité par le Christ» clics n’avaient pourtant pas le pouvoir de donner ce «dut lui-même. Seule la Passion# tout en couronnant et réalisant ccs figures, u pu nous apporter ce salut. 2. Cf. I Cor. I» 23-24. SERMON V SUR LA PASSION 41 43 (LVI) CINQUIÈME SERMON SUR LA PASSION DU SEIGNEUR (prononcé le dimanche). Sommaire. ·— 1. L’homme et Dieu associés dans l’œuvre de notre rédemption. — 2. La double prière du Seigneur. — 3. L’arresta­ tion du Seigneur. Renvoi. 1. Créateur et Seigneur de toutes choses, le Christ, après l'enfantement miraculeux de la Vierge sainte, après l’hommage rendu à son berceau par la foi des mages, après une abondante prédication de la parole divine et la grâce de multiples guérisons opérées au commandement d’un verbe puissant, le Christ con­ somme l’économie de tous les mystères 1 et de tous les miracles par une Passion qui apporte le salut. La raison véritable et la cause première de l’espérance chrétienne, bien-aimés, est donc la croix du Christ : encore qu’elle soit pour les Juifs un scandale et pour les païens une folie, pour nous cependant elle est puis­ sance de Dieu et sagesse de Dieu 2. Aussi est-ce conti­ nuellement que nous devons vénérer dans nos cœurs, a-zec tout l’honneur qui lui revient, ce mystère de la divine miséricorde, le plus grand et le plus puissant qui soit ; cependant il nous faut en ce moment y appli­ quer un sentiment plus vif de l’âme et un regard plus pur de l’esprit, car ce n’est pas seulement le retour du temps, mais aussi la lecture du texte, évangélique qui nous présente toute l’œuvre de nôtres alut. Qu’il n’y ait donc pas place chez nous pour les inventions des impies ; que ni le scandale des Juifs, ni la moquerie des païens ne viennent contaminer l’intégrité d’une saine intelligence, pour nous faire paraître ou impos- 42 DE PASSIONE SERMO V sed etiam sublimiter gestum est, aut secundum ho­ minem impossibile, aut secundum Deum videatur indi­ gnum. Utrumque autem recipi, utrumque convenit credi : quia nemo hominum potest, nisi in utroque, salvari. Justus enim et misericors Deus, non sic jure suae voluntatis est usus, ut ad reparationem nostram, so­ lam potentiam benignitatis exereret : sed quia conse­ quens fuerat ut homo faciens peccatum, servus esset peccati l, sic medicina aegris, sic reconciliatio reis, sic redemptio est impensa captivis, ut condemnationis justa sententia justo liberatoris opere solveretur. Nam si pro peccatoribus sola se opponeret Deitas, non tam ratio diabolum vinceret quam potestas. Et rursum, si causam lapsorum sola ageret natura mortalium, non exueretur a conditione, quae libera non esset a genere ?. Unde oportuit in unum Dominum nostrum Jesum Christum et divinam et humanam convenire substantiam, ut mortalitati nostrae per Verbum carnem fac­ tum et origo novi hominis subveniret et passio 3. 2. Cum igitur in Christo Jesn Judaeorum caecitas quae sunt divina non videat, gentilium sapientia quae sunt humana contemnat ; illis adversus gloriam Do­ mini calumniantibus, istis contra humilitatem super­ bientibus : nos Dei Filium, et in suis virtutibus, et in nostris infirmitatibus adoramus ; nec erubescimus cru1. Cf. Jean VIH, 34: < Omnis qui facit peccatum servus est peccati» * 2. Ce passage est ù rapprocher du célébré texte du *2 Strmon pour 1 : < Deus omnipotens et clemens, cujus natura bonitas, cujus voluntas potentia, cujus opus misericordia est », etc. (S. C. 22. p. 76>. L'idée exposée dans co dernier texto avec beaucoup d’ampleur est reprise et complétée ici. Ce qui est au centre des deux passages, c’est l’idée que, dans l’œuvre de notre rédemption, la justice a été observée par Dieu lui-même : dans le sermon de Noël, celte justice exigeait que Je Rédempteur se mesurât avec le démon, détenteur d'un droit sur l'homme, ù armes égales, donc dans la condition même de l'homme ; ici elle exige une réparation adéquate, que n’eût pas fournie la seule bonté de Dieu accordant gratuitement le pardon ; SERMON V SUR LA PASSION 42 sible scion l’homme ou indigne selon Dieu ce qui a été réalisé pour nous suivant un mode humble et su­ blime à la fois. Il convient au contraire d’accueillir ces deux aspects, de croire l’un et l’autre, car nul homme ne peut être sauvé que dans l’un et l’autre. Dieu, en effet, juste autant que miséricordieux, n’a pas usé, comme c’était son droit, d’un acte de sa vo­ lonté, en sorte que, pour nous restaurer dans notre état, il n’eût qu’à manifester sa puissance et sa bonté ; mais, puisqu’il était dans l’ordre des choses que l’homme, coupable de péché, soit esclave du péché \ voici comment la guérison fut acquise aux malades, le pardon aux coupables, la rançon aux prisonniers : la sentence de condamnation portée en toute justice fut acquittée par l’œuvre d’un libérateur accomplis­ sant toute justice. Car si la divinité était seule entrée en lice pour les pécheurs, le diable aurait été vaincu plus par puissance que par raison. Et si au contraire la seule nature mortelle avait plaidé la cause des hommes tombés, elle n'aurait pu s’affranchir de leur condition, n’étant pas sans attache avec leur race 2. Aussi fallut-il qu’en notre unique Seigneur JésusChrist se rencontrassent et la divine et l’humaine es­ sence, afin que, par le Verbe fait chair, l’homme nou­ veau vînt an secours de notre condition mortelle et par la grâce de son origine 3 et par celle de sa Passion. 2. L’aveuglement des Juifs ne voit donc pas ce qui est divin dans le Christ Jésus et la sagesse des païens y méprise ce qui est humain : ceux-là profèrent des calomnies contre la gloire du Seigneur, ceux-ci s’élèvent orgueilleusement contre son humiliation ; pour nous, nous adorons le Fils de Dieu et dans sa puissance et dans nos infirmités ; nous ne rougissons or qui pourra la fournir, ccttc réparation» sinon k Christ» Dieu et homme» en satisfaisant ainsi et la justice et la miséricorde» attributs divins appa­ remment antinomiques et que Dieu seul peut concilier ? C’est déjà la doc­ trine de la · satisfaction vicaire » que S. Anselme reprendra et développera xi fortement dans le Car Deus homo. 3. C’est grâce à son origine divine et à ses souffrances humaines offertes pour nous que le Christ, homme nouveau» homme divin» a pu nous relever de notre déchéance. Ce sont là les composantes de sa victoire. L 43 DE PASSIONE SERMO V cem Christi, et inter contradicentium linguas nec de morte ipsius, nec de resurrectione dubitamus. Quo­ niam quod superbos ad infidelitatem trahit, hoc nos ad fidem dirigit ; et quod apud illos est materia con­ fusionis, hoc apud nos est causa pietatis. Admonitis igitur discipulis Dominus, ut contra vim tcntationis instantis vigilanti oratione certarent, ipse Patri supplicans, ait : Paler, si possibile esi, transeat a me calix isle. Verumtamen non sicut ego volo, sed sicut tu x. Prima petitio infirmitatis est, secunda virtu­ tis : illud optavit ex nostro, hoc elegit ex proprio : nec enim aequalis Patri Filius omnia esse Deo possibilia nesciebat, aut ad suscipiendam crucem sine sua in hunc mundum voluntate descenderat, ut hanc diver­ sarum affectionum compugnantiam perturbata quo­ dammodo ratione pateretur. Sed ut suscipientis sus-1 ceptacque naturae esset manifesta distinctio, quod erat hominis, divinam desideravit potentiam ; quod erat Dei, ad causam respexit humanam. Superiori igi­ tur voluntati voluntas cessit inferior, et cito demon­ stratum est quid possit a trepidante orari, et quid non debeat a medente concedi. Quia enim nos quid oremus, sicut oportet, nescimus *, et utile nobis est ne fiat ple­ rumque quod volumus, Deus justus et bonus, quando ea quae nocitura sunt, petuntur, negando miseretur. Voluntatis ergo nostrae correctionem Dominus cum trina oratione firmasset, gravatis adhuc maerore disci­ pulis, Dormite jam, inquit, et requiescite. Ecce appro­ pinquavit hora, et Filius hominis tradetur in manus peccatorum. Surgite, eamus. Ecce appropinquavit qui me tradet 3. ; Inter ipsa autem verba Domini, qui praedicti1 3. 2 1. Milt th. XXVI. 89. 2. Rom. VU J, 26. SERMON V SUR LA PASSION 43 pas de la croix du Christ, et, au milieu des voix re­ belles, nous ne doutons ni de sa mort ni de sa résur­ rection. Car ce qui entraîne les orgueilleux à nier la foi, c’est ce qui nous mène à la foi, et ce qui pour eux est matière à confusion est pour nous principe de piété. Le Seigneur, ayant donc averti ses disciples d’avoir à combattre par la veille et la prière contre la violence de la tentation toute proche, pria lui-même son Père avec supplications, disant : « Père, s’il est possible, que cette coupe passe loin de moi I Cependant non pas comme je veux, mais comme tu veux \ » La pre­ mière demande relève de sa faiblesse, la seconde de sa force : la première est un souhait qui vient de notre condition, la seconde un choix qui vient de sa condi­ tion propre ; le Fils égal au Père, en effet, n’ignorait pas que tout est possible à Dieu, et n’était pas des­ cendu en ce monde pour y prendre la croix sans l’avoir voulu, en sorte que sa raison aurait été comme trou­ blée et qu’il aurait été victime d’un conflit de senti­ ments contraires. Mais afin de rendre manifeste la distinction entre la nature assumée et celle qui assu­ mait, ce qui était de l’homme en lui en appela à la puissance divine, et ce qui était de Dieu eut égard aux besoins des hommes. La volonté inférieure céda donc à la supérieure ; alors apparut aussitôt et quelle prière peut former celui qui a peur et quel remède ne doit pas accorder celui qui vient guérir. « Nous ne savons, en effet, que demander pour prier comme il faut 2 », et il nous est utile que ce que nous voulons, souvent ne se réalise pas : Dieu, juste et bon, a donc pitié de nous en nous refusant l’objet de nos demandes lorsque celui-ci doit nous nuire. Le Seigneur ayant ainsi, par sa prière trois fois répétée, corrigé et affermi notre volonté, dit à scs disciples encore accablés de tristesse : « Désormais vous pouvez dormir et vous reposer, voici venue l’heure où le Fils de l’homme va être livré aux mains des pécheurs. Levez-vous ! Allons 1 Voici tout proche celui qui me livre 3 ! » 3. Comme le Seigneur parlait encore, ceux qu’il 3. MillIh. XXV], 45-56. 44 DE PASSIONE SERMO V fuerant, irruerunt, et cum gladiis et fustibus compre-: hensura Christum turba confluxit, ducem sequens Judam Iscariot, qui privilegio perfidiae obtinuerat in facinore principatum. Huic ne criminis causam ali­ qua praeberet offensio, nulla est negata dignatio ; sed illius spiritu inflammatus exarsit, cui ministerium sponte praebuit ; et qualem habuit mentem, talem invenit et praesidem. Merito, sicut et propheta prae * dixerat, oratio ejus facta est in peccatum 1 : quoniam consummato scelere, tam perversa ipsius conversio fuit, ut etiam paenitendo peccaret. Admittit ergo in se Filius Dei impias manus, et quod saevientium furore agitur, patientis potestate comple­ tur. Hoc enim erat illud magnae pietatis sacramentum, quod Christus consectabatur injuriis : quas si aperta potentia et manifesta virtute propelleret, divina tan­ tum exerceret, non humana curaret. In omnibus au­ tem quae illi popularis et sacerdotalis insania contu­ meliose et procaciter inferebat, nostrae diluebantur maculae, nostrae expiabantur offensae 2 : quia natura, quae in nobis rea semper fuerat atque captiva, in illo innocens patiebatur et libera ; ut ad auferendum pec­ catum mundi, ille hostiam se Agnus offeret, quem et omnibus corporalis substantia jungeret, et ab omnibus spiritalis origo discerneret. Haec hodie, dilectissimi, auribus vestris insinuata sufficiant. Caetera in quartam feriam differantur, auxiliante Domino orationibus vestris, qui praestare di­ gnabitur, ut quod promittimus impleamus : per eumdem Dominum nostrum, cui est honor et gloria in saecula saeculorum. Arnen. 1. Cf. Ps. CVIII, 7. SERMON V SUR LA PASSION 44 avait annoncés firent irruption, et la troupe année de glaives et de bâtons accourut pour se saisir de lui ; elle suivait son chef Judas Iscariote qui, par le privi­ lège de la trahison, avait obtenu le premier rang dans le crime. De peur qu’un déplaisir quelconque ne four­ nit prétexte à son forfait, aucun égard ne lui fut re­ fusé ; mais voici qu’il s’enflamma, brûle par l’esprit de celui auquel il offrit de lui-même son concours : tel était son cœur, tel fut le maître qu’il trouva. Il avait mérité, comme l’avait prédit le Prophète, que sa prière devînt péché \ car, le crime consommé, sa conversion fut à ce point perverse que, même en se repentant, il pécha. Le Fils de Dieu permet donc à des mains impies de se porter sur lui, et la puissance de celui qui les souffre mène à leur terme les actes de ceux qui se déchaînent furieusement contre lui. C’était, en effet, ce grand mystère de bonté que le Christ poursuivait en subissant les injures : s’il les avait repoussées en dévoilant sa puissance et manifestant son pouvoir, il aurait seulement exercé ses attributs divins, il n’aurait pas guéri les maladies humaines. Mais, dans tout ce que lui infligeait ignominieusement et insolemment la folie du peuple et des prêtres, c’étaient nos souillures qui étaient lavées, nos offenses qui étaient expiées 2 ; car la nature, en nous toujours coupable et captive, en lui souffrait innocente et libre : pour enlever le péché du monde, cet Agneau s’offrait en victime, lui que sa substance corporelle unissait à tous et que son origine spirituelle distinguait de tous. Qu’il nous suffise pour aujourd’hui, bien-aimés, d’avoir entendu ces enseignements. Pour la suite, nous la renverrons à mercredi ; le Seigneur, grâce à vos prières, nous aidera et daignera nous accorder de tenir notre promesse ; par le même Seigneur, à qui appar­ tiennent honneur et gloire dans les siècles des siècles. Amen. 2. Cf. Is. LUI, 5. 45 DE PASSIONE SËRMO VI 44 (LVII) 1 DE PASSIONE DOMINI SERMO VI feria quarta. 1. Sponsionis nostrae memores, dilectissimi, sancti­ tati vestrae reddimus quod debemus, affuturam spe­ rantes gratiam Dei, ut inde nobis proveniat devotio, unde est incitata promissio. Comprehensus Christus Dominus a turbis quas prin­ cipes sacerdotum ct doctores legis armaverant, ut im­ pleret dispensationem \ cohibuit potestatem; ct bea­ tum apostolum Petrum humana adversum irruentes animositate commotum, gladio abstinere praecepit 1 2. Superfluum enim erat ut qui nolebat praesidio angeli­ carum legionum juvari, vellet se unius discipuli oppo­ sitione defendi. Perpetraverit licet ferox turba quod voluit, ct de sceleris sui cxsultarit effectu : major ta­ men comprehensi virtus, quam comprehendentium fuit 3. Judaeorum enim caecitas nihil obtinuit, nisi ut sua impietate se perderet ; Christi vero patientia hoc egit, ut omnes sua Passione salvaret. 2. Perducto autem Jesu ad Caipham principem sa­ cerdotum, quo scribae et omnis sacerdotalis ordo con­ venerat, falsa adversum Dominum testimonia quae­ rebantur ; sed inter inconditas et dissonas voces hoc 1. Λ savoir I’ · économie » (dfcpensa fo) du plan divin de la rédemption2. Cf. Mat th. XXVI, 52. 3. Cf, I Jean IV, 4 : · Major est q ii in vobis est quam qui in mundo. » SERMON Vi SUR LA PASSION 45 44 (LVII) SIXIÈME SERMON SUR LA PASSION DU SEIGNEUR (prononcé le mercredi). Sommaire. — 1. Suite du récit de la Passion. Arrestation du Sei­ gneur. — 2. Jésus devant le tribunal de Caïphc. — 3. Devant Pilate. — 4. Jésus crucifié. — 5. Exhortation morale : prendre garde aux tromperies du démon et de ses agents. 1. Nous rappelant, bien-aimés, l’engagement que nous avons pris, nous venons nous acquitter envers votre sainteté (le ce que nous lui devons, espérant que la grâce de Dieu nous assistera, en sorte que la dévo­ tion nous vienne de celui qui nous a inspiré la pro­ messe. Le Christ Seigneur, appréhendé par la foule qu’avaient armée les princes des prêtres ct les docteurs de la loi, retint sa puissance afin d’accomplir son des­ sein 1 ; au bienheureux apôtre Pierre, entraîné par un ressentiment humain contre les assaillants, il com­ manda de renoncer à son épée 2. Il était, en effet, su­ perflu pour celui qui refusait le secours des légions angéliques, de vouloir être défendu par l’intervention d’un unique disciple. Que la troupe des furieux accom­ plisse donc ce qu’elle a décidé, et qu’elle se réjouisse du succès de son crime : la force de celui qui est saisi est néanmoins plus grande que celle des hommes qui le saisissent 3. L’aveuglement des Juifs, en effet, n’a rien obtenu, sinon de se perdre lui-même par son im­ piété ; la patience du Christ au contraire a fait que tous les hommes soient sauvés par sa Passion. 2. Jésus est ensuite conduit chez Caïphe, le prince des prêtres ; là s’étaient rassemblés les scribes et tout l’ordre sacerdotal ; on cherchait de faux témoignages 46 DE PASSIONE SERMO VI Jesus mirabiliter elegerat, ut taceret. Caiphae tamen dicenti : Adjuro te. per Deum vivum, ut dicas nobis si tu es Christus Filius Dei1 : ita veraci ac provida auc­ toritate respondit, ut iisdem verbis et infidelium con­ scientias caecaret, et credentium corda firmaret, ad omnem interrogationem ejus referens, Tu dixisti ; addensque quod sequitur : Verumtamen dico vobis, amodo videbitis Filium hominis sedentem a dextris virtutis Dei, et venientem in nubibus caeli. Caiphas autem ad exag­ gerandam auditi sermonis invidiam, scidil vestimenta sua : et nesciens quid hac significaret insania, sacer­ dotali se honore privavit. Ubi est, Caipha, rationale pectoris tui 2 ? ubi continentiae cingulum ? ubi super­ humerale virtutum ? Mystico illo sacratoque amictu ipse te spolias, et propriis manibus pontificalia indu­ menta discerpis, oblitus praecepti illius, quod legeras de principe sacerdotum : De capite suo cidarim non deponet, et vestimenta sua non disrumpet 3. Tu vero, a quo jam alienabatur haec dignitas, ipse es exsecutor opprobrii ; et ad manifestandum finem veteris insti­ tuti, eadem disruptio sacerdotalem aufert ornatum, quae mox et templi discidit velum 4. 3. Hinc jam, dilectissimi, inter multiplicatas illu­ siones nocte transacta, vinctum Jesum Pilato praesidi tradiderunt. Principes enim sacerdotum et seniores po­ puli hoc consilio rem gerebant, ut ab actione sceleris sui viderentur immunes, subtrahentes opera manuum, et exerentes tela linguarum 5, nolentes interficere, et 1. Matth. XXVI. 63. 2· Ct Exode XXVIII, 4, où so trouvent énumérés. presque dans l’ordre qu’emprunte S. Léon, les ornements du Grand Prêtre : « Rationale et super» humerale..., Cidarim ct balteum (*· cingulum). · Scion le v. 30 du mémo chapitre, le Grand Prêtre devait toujours porter le «rational · quand il so présentait devant Yahvé; sans doute S- Léon exftgêre-t-ll ici ccttc obli­ gation par souci oratoire ; mais peut-être veut-il donner à entendre que le Grand Prêtre y était tenu en présence du Fils de Dieu. SERMON VI SUR LA PASSION 46 contre le Seigneur, mais, parmi les voix confuses et discordantes. Jésus avait pris le parti admirable de se taire. A Caïphe cependant qui lui disait : « Je t’ad­ jure par le Dieu vivant de nous dire si tu es le Christ, le Fils de Dieu 1 », il répondit avec une autorité si vraie et si prudente que les mêmes paroles aveuglèrent les consciences des incrédules et fortifièrent les cœurs des croyants ; il dit, se référant à tout l’interrogatoire : «Tu l’as dit », et il ajouta : « Oui, je vous le déclare ; désormais vous verrez le Fils de l’homme siéger à droite de la puissance de Dieu ct venir sur les nuées du ciel. » Mais Caïphe, pour rendre plus odieuses les paroles qu’il avait entendues, déchira ses vêtements, et, ignorant la signification de ce geste insensé, se priva ainsi de l’honneur du sacerdoce. Où est, Caïphe, le rational qui ornait ta poitrine 2 ? Où la ceinture, symbole de continence ? Où l'huméral, image des ver­ tus ? Tu te dépouilles toi-même de ce vêtement mys­ tique et sacré ct, de tes propres mains, tu lacères les ornements pontificaux, oublieux du précepte que tu avais lu au sujet du prince des prêtres : « Il ne dépo­ sera pas la tiare et ne déchirera pas ses vêtements3. » Mais toi, de qui cette dignité déjà s’est écartée, tu te fais toi-même l’exécuteur de ton humiliation ; et, pour que soit manifestée la fin de l’ancienne loi, c’est la meme rupture qui te dépouille de l’ornement sacerdotal et qui bientôt va déchirer aussi le voile du temple 45. 3. De là, bien-aimés, après une nuit passée au milieu de moqueries sans nombre, Jésus est livré enchaîné au gouverneur Pilate. Les princes des prêtres, en effet, et les anciens du peuple menaient l’affaire suivant un plan tel qu’ils paraîtraient, eux, innocents de la mise à exécution de leur crime : ils soustrayaient le con­ cours de leurs mains, mais lançaient les traits de leurs langues 6 ; ils ne voulaient pas mettre à mort, mais 3. Lôvit. XXI. 10. •1. S. Jérôme (Enarr, in Ps, P. L. XXXVI. 763). 1. En déférant Jésus à Pilate, les Juifs ont prétendu ne pas vouloir exercer sur lui le droit de mort : cependant ils avaient l'intention de faire mourir leur prisonnier ct ils ont empêché par leurs menaces le Procurateur de prononcer un verdict de clémence. 47 SERMON VI SUR LA PASSION criaient : « Crucifie-le ! crucifie-le ! » Quoi de plus in­ juste que cette apparence de religion ? Quoi de plus cruel que cette caricature de clémence ? Selon quelle loi, ô Juifs, ce qu’il ne vous est pas permis de faire, vous est-il permis de le vouloir ? Selon quel raisonne­ ment ce qui souille les corps ne blesse pas les âmes ? Vous craignez de vous rendre impurs en tuant celui dont vous avez demande que son sang soit répandu sur vous et sur vos enfants. Si votre impiété ne con­ somme pas un si grand crime, laissez le gouverneur juger selon ses sentiments. Mais, en vous montrant pressants et violents même envers lui, vous ne tolérez pas qu’il se rallie à la solution que vous-même refusez, tout en disant mensongèrement le contraire Admettons que Pilate ait péché en faisant cc qu’il n'a pas voulu ; cc n’en est pas moins sur votre cons­ cience que reflue tout ce que votre fureur lui a arra­ ché. 'relie a même été ici le scrupule de voire obser­ vance que vous n’avez pas voulu qu’on mît dans le trésor du temple ce que vous rendit celui qui avait vendu le Christ, car vous veilliez à ce que cet argent taché de sang ne vînt pas souiller les deniers sacrés. De quel cœur sort une pareille hypocrisie ? C’est dans la conscience des prêtres que tombe ce qui ne tombe pas dans la caisse du temple. On refuse le prix de ce sang qu’on ne craint pas de répandre. Mais vous pou­ vez vous abriter à l’ombre du mensonge, le marché que vous avez conclu avec le traître ne vous permet­ tait pas plus de vendre le sang du juste qu’il ne vous aurait permis de le verser. 4. Pilate cédant donc aux cris séditieux des Juifs, le Christ est crucifié au lieu appelé Golgotha. Celui qui est tombé par le bois est relevé par le bois, et l’amertume du fiel ct du vinaigre acceptés répare pour l’aliment cause du péché. A juste titre, avant d’être livré, le Seigneur avait dit : « Une fois élevé, j’attire­ rai tout à moi 2 », c’est-à-dire je prendrai sur moi toute la cause du genre humain et je rétablirai dans son intégrité la nature autrefois perdue. En moi toute 2. Jean ΧίΓ. 32, selon la leçon brève; cf. supnr, p. 22, n. 2. Mon le Grand. III. 0 48 DE PASSIONE SERMO VI naturam. In me omnis infirmitas abolebitur, in me omnis plaga sanabitur. Exaltatum autem Jesum ad se traxisse omnia, non solum nostrae substantiae pas­ sione, sed etiam totius mundi commotione monstra­ tum est. Pendente enim in patibulo creatore, universa creatura congemuit, et Crucis clavos omnia simul ele­ menta senserunt. Nihil ab illo supplicio liberum fuit. Hoc in communionem sui ct terram traxit ct caelum» hoc petras rupit, monumenta aperuit, inferna resera­ vit, et densarum horrore tenebrarum radios solis abs^ condit. Debebat enim hoc testimonium suo mundirç auctori, ut in occasu conditoris sui vellent universi finiri. Sed patientia Dei servat rebus atque tempori· bus ordinem suum, nosque in illum potius invitat affec tum, ut eorum salutem petamus, quorum crimei horremus. 5. Tanto igitur pretio 1, tantoque sacramento crut de potestate tenebrarum 1 2, et ab antiquae captivita tis vinculis absoluti, date operam, dilectissimi, ut in tegritatem mentium vestrarum nulla diabolus art corrumpat. Quidquid vobis contra Christianam fider ingeritur, quidquid contra mandata Dei suadetur, d illius deceptionibus venit, qui vos innumeris dolis a) aeterna vita conatur avertere, captando quasdam oc casiones infirmitatis humanae, per quas incautas nt gligentesque animas in laqueos iterum suae mortis ir ducat. Omnes ergo per aquam et Spiritum sanetur renati, recolant cui renuntiaverint, et qua profession jugum a se tyrannicae dominationis excusserint : n< in secundis quisquam, nec in adversis, ad mortifera diaboli currat auxilium. Ille enim mendax est ab in tio 8, et in sola viget arte fallendi, ut humanam ign 1. Ct I Cor. VI. 20. 2. ct. Colos. I, 13. SERMON VI SUR LA PASSION 48 faiblesse sera détruite, en moi toute blessure guérie. Or non seulement sa Passion subie dans notre nature, mais aussi l’ébranlement de tout l’univers ont montré que Jésus, une fois élevé, avait tout attiré à lui. Tan­ dis que le Créateur pendait au gibet, la création en­ tière, en effet, gémit et tous les éléments ressentirent avec lui les clous de sa croix. Nulle chose ne demeura étrangère à ce supplice : c’est par lui qu’il attira le ciel et la terre à s’unir à ses souffrances, par lui qu’il brisa les rochers, qu’il ouvrit les tombeaux, qu’il délia les enfers, qu’il cacha les rayons du soleil sous l’hor­ reur d’épaisses ténèbres. Car le monde devait ce té­ moignage à son auteur, à savoir qu’à la mort de leur Créateur toutes choses auraient voulu finir. Mais la patience de Dieu garde aux choses et aux temps leur ordre et excite plutôt en nous le désir de demander le salut de ceux dont nous détestons le crime. 5. Arrachés ainsi à si grands frais 1 et par un si grand mystère à la puissance des ténèbres 2 et déli­ vrés des liens de l’ancien esclavage, mettez vos soins, bicn-aimés, à ne laisser le diable corrompre l’intégrité de vos âmes par aucun artifice. Tout ce qu’on vous propose de contraire à la foi chrétienne, tout ce qu’on veut vous persuader d’opposé aux commandements de Dieu, tout cela vient de scs tromperies : c’est lui qui par d’innombrables mensonges s’efforce de vous dé­ tourner de la vie éternelle, saisissant toutes les occa­ sions que fournit la faiblesse humaine pour faire re­ tomber dans les filets de sa propre mort les âmes étour­ dies et négligentes. Que tous ceux, donc, qui ont été régénérés par l’eau et FEsprit-Saint se rappellent à qui ils ont renoncé et par quel engagement ils ont secoué le joug d’une domination tyrannique ; que nul n’ait recours au secours mortel du démon, ni dans la prospérité, ni dans l’adversité. Car il est menteur dès le commencement 3, uniquement fort dans l’art de tromper, bernant l’ignorance humaine en faisant 3. Cf. Jean VIU, 44 : < Cum loquitur (diabolus) mendacium, ex propriis loquitur, quia mendax est. ct pater ejus. > S. Lion combine ce texte avec le début du mémo verset de Jean : « IJ le homicida erat ab initio. > 49 DE PASSIONE SERMO V» rantiam falsa scientiae ostentatione decipiat, sitque eorum nunc malignus impulsor, quorum post futurus est improbus accusator. Anni vitae nostrae et actio­ num temporalium qualitates nec in natura elemento­ rum, nec in stellarum effectibus \ sed in summi et veri Dei potestate consistunt, cujus auxilium et misericor­ diam in omnibus quae recte cupimus, implorare debe­ mus. Sicut enim illo, quod absit, offenso, nihil est prae­ ter ipsum, quod nobis valeat suffragari ; ita eodem propitio, nulla nobis nocebit adversitas. Quoniam si Deus pro nobis, quis contra nos ? qui filio suo proprio non pepercit, sed pro nobis omnibus tradidit eum, quo- 1 modo non etiam cum illo omnia nobis donabit -? Qui vivit et regnat in saecula sacculorum. Arnen. (LVIII) 1 1 DE PASSIONE DOMINI SERMO VII | habitus die dominico. 1. Scio quidem, dilectissimi, paschale festum tara sublimis esse mysterii, ut non solum humilitatis meae tenuissimum sensum, sed etiam magnorum ingenio­ rum superet facultatem. Sed non ita mihi divini ope-1 ris consideranda est magnitudo, ut vel diffidam, vel 1. I-es astrologues (les < mathematici >) ont été très en vogue pendant] toute l’antiquité. S. Augustin met souvent les chrétiens en garde contre : eux; cf. entre autres, De Civitate Dei, V, 1-7 (CSEL 40-1, 209-221), pas·', sage oii II montre l'inanité de leurs prédictions par l’exemple célèbre des deux jumeaux Èsaü et Jacob qui, nés apparemment sous la mémo conjonc * tion astrale, eurent cependant des destinées bien différentes. SERMON VII SUR LA PASSION 49 montre d’une fausse science, aujourd’hui perfide con­ seiller de ceux dont il sera un jour l’accusateur ef­ fronté. Les années de notre vie et les circonstances des événements temporels ne reposent ni sur la nature des éléments ni sur l’influence des astres \ mais sur le pouvoir du Dieu suprême et véritable dont nous devons implorer le secours et la miséricorde dans tout ce que nous désirons honnêtement. Si, en effet, nous venions par malheur à l’offenser, il n’est rien en dehors de lui qui puisse nous secourir ; de même, s’il nous est favorable, aucune adversité ne pourra nous nuire. « Car si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? Lui qui n’a pas épargné son propre Fils, mais l’a livré pour nous tous, comment avec lui ne nous accordera-t-il pas toute faveur 12 ? » Lui qui vit et règne dans les siècles des siècles. Amen. 45 (LVIII) SEPTIÈME SERMON SUR LA PASSION DU SEIGNEUR (prononcé le dimanche). Sommaire. — 1. Le déroulement de la Passion, fruit d’une dispo­ sition divine. — 2. Duplicité des prêtres juifs. — 3. Perfidie de Judas. — 4. Dessein rédempteur de Jésus. — 5. La prière de Jésus. Renvoi. 1. Je n’ignore certes pas, bien-aimés, que la fête pascale a pour objet un mystère si sublime qu’il dé­ passe non seulement la chétive compréhension de ma bassesse, mais meme la capacité des plus grands génies. Pourtant la considération de la grandeur de l’œuvre divine ne doit pas me faire tomber dans la défiance 2. Rom. VIII, 31-32. 50 DE PASSIONE SERMO VII erubescam de servitute quam debeo ; cum sacramen­ tum salutis humanae non liceat taceri, etiamsi ne< queat explicari. Auxiliantibus autem orationibus vestris, affuturam credimus gratiam Dei, quae inspira­ tionis suae rore sterilitatem nostri cordis aspergat, ut linguae pastoralis officio, quae sancti gregis auribus sint utilia, proferantur. Dicente enim Domino bono­ rum omnium largitore : Aperi os tuum, et ego adim­ plebo illud audemus eidem verbis propheticis dicere : Domine, labia mea aperies, et os meum annuntiabit lau­ dem tuam 2. Incipientes igitur, dilectissimi, evangelicam de Pas­ sione Domini historiam retractare, divino intelligimus dispositum fuisse consilio, ut sacrilegi Judaeorum principes et impii sacerdotes, qui saeviendi in Chris­ tum occasiones saepe quaesiverant, non nisi in so-· lemnitate paschali exercendi furoris sui acciperent potestatem. Oportebat enim ut manifesto implerentur effectu, quae diu fuerant figurato promissa mysterio : ut ovem significativam ovis vera removeret, et ut uno expleretur sacrificio variarum differentia victimarum, j Nam omnia illa quae de immolatione agni divinitus per Mosen fucrant praestituta, Christum prophetave-1 rant, et Christi occisionem proprie nuntiaverant. Uti ergo umbrae cederent corpori, et cessarent imagines? sub praesentia veritatis, antiqua observantia novo tollitur sacramento, hostia in hostiam transit, sanguine sanguis aufertur, et legalis festivitas dum mutatur,, impletur. 2. Unde cum scribas et seniores populi ad impiumj consilium pontifices congregarent, omniumque ani4 mos sacerdotum cura admittendi in Jesum sceleris] 1. Ps. LXXX· 11. SERMON VII SUR LA PASSION 50 ni me faire rougir du ministère que je vous dois : il n'est pas permis, en effet, de passer sous silence le mystère du salut des hommes, même si on ne peut l’expliquer. Mais nous croyons qu’avec le secours de vos prières, la grâce de Dieu nous sera secourable et répandra sur la terre stérile de notre cœur la rosée de son inspiration ; alors, quand nous remplirons notre fonction en parlant en tant que pasteur, des paroles nous viendront qui seront utiles à entendre pour votre saint troupeau. Si le Seigneur, dispensateur de tous biens, a dit : « Ouvre la bouche et je l’emplirai1 », nous osons lui dire à notre tour, empruntant les paroles du prophète : « Seigneur, ouvre mes lèvres, et ma bouche publiera ta louange 2. » Commençons donc, bien-aimés, à retracer d’après l’évangile l’histoire de la Passion du Seigneur ; nous comprenons de suite que ce fut par une disposition du plan de Dieu que les princes sacrilèges des Juifs et leurs prêtres impies, après avoir souvent cherché les occasions de nuire au Christ, ne reçurent pouvoir d’exercer leur fureur que lors de la solennité pascale. Il fallait, en effet, que l’événement manifestât par son accomplissement ce qui depuis longtemps avait été promis sous le voile des figures : il fallait que l’agneau véritable prît la place de l’agneau symbolique et que, par un seul sacrifice, un terme fut mis à la multipli­ cité et à la variété des victimes. En effet, tout ce que Moïse, divinement inspiré, avait décrété au sujet de l’immolation de l’agneau, tout cela prédisait le Christ et annonçait proprement l’immolation du Christ. Pour que l’ombre cède la place à la réalité et que les images disparaissent en présence de la vérité, l’ancien rite est donc aboli par un nouveau sacrement, la victime se change en une autre victime, le sang est enlevé par un autre sang et la solennité de la Loi, en se trans­ formant, trouve son accomplissement. 2. Aussi, lorsque les pontifes rassemblèrent les scribes et les anciens du peuple pour un conseil impie et que l’esprit de tous les prêtres n’eut plus qu’un 2. PS. L, 17. 51 DE PASSIONE SERMO Vil occupasse!;, ipsi se doctores legis lege privarunt, et spontaneo defectu ritus sibi patrios sustulerunt. Inci­ piente enim festivitate paschali, qui ornare templum, mundare vasa, victimas providere, et legitimis puri­ ficationibus sacratiorem diligentiam adhibere debue­ rant, parricidalis odii furore concepto, ad unum opus vacant, et in unum facinus simili crudelitate conju­ rant, nil assecuturi supplicio innocentiae et condem­ natione justitiae, nisi ut et nova mysteria non appre­ henderent, et antiqua violarent. Providentibus ergo principibus, ne in die sancto tumultus oriretur, non festivitati, sed facinori studebatur ; nec religioni ser­ viebat haec cura, sed crimini. Diligentes enim ponti­ fices et solliciti sacerdotes, seditiones turbarum fieri in praecipua solemnitate metuebant, non ut populus non peccaret, sed ne Christus evaderet. 3. At Jesus consilii sui certus, et in opere paternae dispositionis intrepidus, vetus Testamentum consum­ mabat, et novum Pascha condebat. Discumbentibus enim secum discipulis ad edendam mysticam cenam, cum in Caiphae atrio tractaretur quomodo Christus posset occidi, ille corporis et sanguinis sui ordinans sacramentum, docebat qualis Deo hostia deberet of­ ferri, ne ab hoc quidem mysterio traditore submoto ; ut ostenderetur nulla injuria exasperatus, qui in vo­ luntaria erat impietate praescitus. Ipse enim sibi fuit materia ruinae et causa perfidiae, sequens diabolum ducem, et nolens Christum habere rectorem. Dicens itaque Dominus : Arnen dico vobis, quod unus vestrum me traditurus est l, notam sibi proditoris sui conscien­ tiam demonstravit : non aspera nec aperta impium increpatione confundens, sed leni ac tacita admonitione i. Matth. xxvi, ai. SERMON VII SUR LA PASSION 51 souci, trouver un grief contre Jésus, eux, les docteurs de la Loi, se privèrent de la Loi, et, par une démission volontaire, s’enlevèrent à eux-mêmes les rites an­ cestraux. En ce début de fête pascale, en effet, ils auraient dû orner le temple, purifier les vases sacrés, pourvoir aux victimes, et apporter un soin plus reli­ gieux aux purifications légales ; or, remplis d’une haine farouche et parricide, ils ne s’occupent que d’une chose et ne se conjurent, animés d’une égale cruauté, qu’en vue d’un unique forfait ; en condamnant l’in­ nocence au supplice et en portant condamnation contre la justice, tout ce qu’ils gagneront sera de res­ ter étrangers aux nouveaux mystères et de violer les anciens. En prenant leurs précautions pour éviter le tumulte au jour saint, ce n’est pas de la fête, mais de leur forfait que les princes des prêtres se préoccu­ paient ; et ce n’est pas au service de la religion, mais â celui du crime que tendait ce souci. Si ces pontifes diligents et ces prêtres consciencieux craignaient qu’une sédition populaire n’ait lieu en cette fête prin­ cipale, ce n’était pas pour que le peuple ne péchât point, mais pour que le Christ ne s’échappât point. 3. Mais Jésus, sûr de sa résolution et intrépide dans l’accomplissement du plan de son Père, mettait un tenue à l’ancienne alliance et fondait la nouvelle Pâque. En effet, ses disciples assis à table avec lui pour manger le repas mystique, et tandis que, dans la cour de Caïphe, on délibérait de la manière de le faire périr, le Christ, lui, posait les règles du sacre­ ment de son corps et de son sang et enseignait quelle victime il faudrait offrir à Dieu, n’écartant même pas le traître de ce mystère ; il montrait ainsi que ce n’est pas sous l’exaspération d’une injustice qu’agit celui dont l’impiété volontaire était connue d’avance. Car il trouva en lui-même la matière de sa ruine et la cause de sa perfidie, en prenant le diable comme chef et en refusant d’être conduit par le Christ. Aussi lorsque le Seigneur dit : « En vérité, je vous le dis, l’un de vous me livrera 1 », il montra que la conscience du traître lui était connue ; il ne confondit pas l’impie par une réprimande sévère et publique, niais chercha à l’at- 52 DE PASSIONE SERMO VII conveniens ; ut facilius corrigeret paenitudo, quem 1 nulla deformasset abjectio. Cur, infelix Juda, tanta e| benignitate non uteris ? Ecce parcit ausibus tuis | Dominus, et nulli te, nisi tibi, indicat Christus : nec ? nomen tuum, nec persona detegitur, sed veritatis et I misericordiae verbo, cordis tantum tui arcana tangun- ·■ tur. Non apostolici ordinis honor, non sacramentorum tibi communio denegatur. Redi in integrumx, et depo- | sito furore resipisce. Clementia invitat, salus pulsat, * ad vitam vita te revocat. Ecce immaculati et inno- I centes condiscipuli tui ad significationem facinoris expavescunt, et omnes sibi, non edito impietatis auc- J tore, formidant. Contristati enim sunt, non de con- J scientiae reatu, sed de humanae mutabilitatis incerto, fl timentes ne minus verum esset quod in se quisque r noverat, quam quod ipsa Veritas praevidebat 2. Tu I autem in hac trepidatione sanctorum abuteris Domini | patientia, et abscondi te tua credis audacia. Addis i impudentiam sceleri, nec signo evidentiore terreris. 1 Cumque se a cibo alii, in quo indicium 3 Dominus po- a| suerat, continerent, tu manum non retrahis a parop- j , side, quia animum non avertis a crimine. 4. Secutum est itaque, dilectissimi, sicut Joannes4 Evangelista narravit, ut cum traditori suo Dominus J 1. ; au *l r sermon sur le Carême, 2 (S. C. 49, p. 28) : «Tun# SERMON VII SUR LA PASSION 52 teindre par un avertissement doux et muet, afin que le repentir pût le corriger plus facilement, alors qu’au­ cune exclusive ne l’aurait aigri. Pourquoi, ô malheu­ reux Judas, n’uses-tu pas d’une telle mansuétude ? Voici que le Seigneur pardonne tes entreprises, et que le Christ ne te révèle à personne, sinon à toi-même : ni ton nom ni ta personne n’est découvert, mais la parole de vérité et de miséricorde atteint seulement les replis de ton cœur. On ne te refuse ni l’honneur dû au titre d’apôtre, ni la communion aux sacrements. Retourne en arrière laisse-là ta fureur et viens à résipiscence. La clémence t’invite, le salut te presse, la vie te rappelle à la vie. Vois, les autres disciples, purs et innocents, s’épouvantent à l’annonce du crime et craignent tous pour eux-mêmes, puisque l’auteur de cette impiété n’a pas été révélé. Car, s’ils sont at­ tristés, ce n’est pas que leur conscience leur reproche quelque chose, mais c’est à cause de cette incertitude que provoque l’humaine versatilité ; ils redoutent que ce que chacun sait de soi-même soit moins vrai que ce que la Vérité même voit à l’avance 2. Mais toi, Judas, au milieu de cette inquiétude des saints, tu abuses de la patience du Seigneur, et tu crois que ton audace te cache. Tu ajoutes l’impudence au crime, et un signe plus évident ne t’effraye pas. Alors que les autres n’osent pas toucher à l’aliment dont le Sei­ gneur fait un indice 3, toi tu ne retires pas ta main du plat, parce que tu ne détournes pas ton âme du crime ! 4. En conséquence, bien-aimes, lorsque le Seigneur, comme le raconte l’évangéliste Jean, eut tendu au (et vera pax homini et vera libertas, quando et caro animo judice regitur et animus praeside gubernatur. > Cet usage des termes du droit par S. Léon est la marque d'une tournure d'esprit que confirme le fait qu'il s'attache volontiers à l'aspect juridique des problèmes : que l'on songe à la « théorie des droits du démon » dans l'incarnation, déjà rencontrée plus d’une fols. 2. De même S. Jérôme : · Plus credunt magistro (Apostoli) quam sibi : pertimescentes fragilitatem suam, tristes Interrogant do peccato cujus conscientiam non iiabebant . (2n Evang. Maith. V.', χχνι ; F. L. XXVI, 194). 3. Cf. Matth. XXVI, 23. 53 DE PASSIONE SERMO VII manifestius designando panem porrexisset intinctum, totum Judam diabolus occuparet ; et quem malignis cogitationibus obligarat, jam ipso impietatis opere possideret b Corpore enim tantum cum cenantibus re- ' cumbebat, mente autem sacerdotum invidiam, tes- ; tium falsitatem, et furorem imperitae plebis armabat. Denique videns Dominus cui flagitio Judas esset inten­ tus, Quod facis, inquit, fac citius 8. Vox haec non juben­ tis est, sed silentis3, nec trepidi, sed parati : qui habens omnium temporum potestatem ostendit se et moram non facere traditori, et sic ad redemptionem mundi paternam exsequi voluntatem, ut facinus quod a per­ sequentibus parabatur nec impelleret, nec timeret. Postquam igitur Judas persuasus a diabolo disces- j sit a Christo, seque a corpore apostolicae unitatis ab­ scidit, nullo Dominus pavore turbatus, sed de sola redimendorum salute sollicitus, omne temporis spa­ tium quod a persequentiumv acabat incursu, mysticis sermonibus sacrataeque doctrinae, sicut Joannis Evangelio declaratur, impendit : elevans ad caelum oculos, et pro universa Ecclesia supplicans Patri, ut omnes quos dedisset, daturusque esset Filio Pater, unum fierent, et in gloria Redemptoris individui per­ manerent ; adjiciens postremo illam orationem qua ait : Pater, si fieri potest, transeat a me calix iste. Ubi non existimandum est quod Dominus Jesus passio­ nem et mortem, cujus jam discipulis sacramenta tra­ diderat, voluerit declinare ; cum ipse beatum aposto- J lum Petrum devota fide et caritate ferventem, uti adversum persecutores gladio vetet, dicens : Calicem quem dedit mihi Pater, non vis ut bibam illum cer1. Cf. Jean XIII, 27 : (LIV, 11 ; ëdit. B. H. Beeson, p. 80). 4. Is LUI, 4, 5. 55 DE PASSIONE SERMO VII tia roboretur, et formido pellatur. Denique cessans hoc ipsum petere, excusato quodammodo nostrae infirmi­ tatis metu, in quo nobis remanere non expedit, in alium affectum transit, et dicit : Verumtamen non sicut ego volo, sed sicut tu ; et iterum : Si non potest, inquit, calix iste transire a me, nisi bibam illum, flat voluntas tua. Haec vox capitis salus est totius corporis : haec vox omnes fideles instruxit, omnes confessores accen­ dit, omnes martyres coronavit. Nam quis mundi odia, quis tentationum turbines, quis posset persecutorum superare terrores, nisi Christus in omnibus et pro om­ nibus diceret Patri : Fiat voluntas tua ? Discant igitur hanc vocem omnes, Ecclesiae filii magno pretio re­ dempti \ gratis justificati 2 ; et cum adversitas vio­ lentae alicujus tentationis incubuerit, praesidio potentissimae orationis utantur : ut superato tremore formidinis, accipiant tolerantiam passionis. Hinc jam, dilectissimi, ad perstringendum ordinem Dominicae passionis sermo est dirigendus, quem ne vos cumulo prolixitatis oneremus, in quartam sabbati, di­ viso communi labore, differamus. Aderit precantibus vobis gratia Dei, quae mihi solvendi debiti tribuat facultatem. Per Dominum nostrum Jesum Christum, viventem et regnantem cum Patre et Spiritu sancto in saecula saeculorum. Arnen. 1. Ct. I Cor. VI, 20. 55 SERMON VII SUR LA PASSION cessant de demander cela, après avoir en quelque sorte excusé la crainte propre à notre faiblesse, crainte dans laquelle il ne nous est pas bon de rester, il passe à un autre sentiment, et dit : « Cependant non pas comme je veux, mais comme tu veux », et encore : « Si cette coupe ne peut passer sans que je la boive, que ta vo­ lonté soit faite ». Cette parole du chef est le salut de tout le corps ; cette parole a instruit tous les fidèles, a enflammé tous les confesseurs, a couronné tous les martyrs. Qui, en effet, pourrait surmonter les haines du monde, les tempêtes des tentations, les terreurs des persécutions, si le Christ, en nous tous et en notre nom à tous, n’avait dit à son Père : « Que ta volonté soit faite»? Que tous l’entendent donc, cette parole, tous les fils de l’Église, rachetés à grand prix \ justi­ fiés gratuitement 2; et lorsque fondra sur eux l’assaut de quelque furieuse tentation, qu’ils aient recours à la prière la plus puissante : alors, ayant surmonté la peur et le tremblement, ils sauront supporter la souf­ france. Il faudrait maintenant, bicn-aimés, que notre entre­ tien cherche à suivre de près le déroulement de la Passion du Seigneur ; cependant, pour ne pas vous fatiguer du poids de notre prolixité, nous remettons la suite à mercredi, divisant ainsi notre commun tra­ vail. La grâce de Dieu, répondant à vos prières, vien­ dra à mon aide pour me donner la possibilité d’acquit­ ter ma dette. Par notre Seigneur Jésus-Christ, qui vit ct règne avec le Père et l’Esprit-Saint dans les siècles des siècles. Amen. 2. Cf. Rom. III, 24 : · Justificati gratis per gratiam ipsius. » Léon le Grand. III. 7 56 DE PASSIONE SERMO VIII 46 (LIX) DE PASSIONE DOMINI SERMO VIII feria quarta habitus. 1. Decursis, dilectissimi, sermone proximo iis quae comprehensionem Domini praecesserunt, superest j nunc ut auxiliante Dei gratia, de ipso jam passionis ] ordine, sicut promisimus, disseramus. Nam cum ver- | bis sacrae orationis 1 suae Dominus dcclarasset veris* :* sime sibi atque plenissime et humanam et divinam 1 i inesse naturam, ostendens unde esset quod pati nollet, ! et unde quod vellet ; depulsa trepidatione infirmitatis, ’ et confirmata magnanimitate virtutis, rediit in sen­ tentiam suae dispositionis aeternae, et saevienti dia- i bolo per ministeria Judaeorum, formam servi 1 2 nihil l peccati habentis objecit : ut per eum ageretur omnium ( causa, in quo solo erat omnium natura sine culpa. Ir- 1 ruerunt ergo in lumen verum filii tenebrarum, et J utentes faculis atque laternis 3 non evaserunt infideli- ■( tatis suae noctem, quia non intellexerunt lucis aucto- Jj rem 45. Occupant paratum teneri, et trahunt volentem î trahi δ : qui si vellet obniti, nihil quidem in injuriam J ; 1. J! s’agit de Ia prière de l'agonie, commentée dans le dernier para- '1 graphe du sermon précédent. 2. CL Philip. II. 7. W 3. CL Jean XVIII. 3. 4. Mémo idée dans le Ier sermon sur la Passion. 3, supra, p. 21. 5. De même S. AmdROISB : « Volenti ergo injecit manus turba, ncctun- ί tur vincula · (In Lucam, X, 65 ; CSliL 32·4, 430 ; S. C. 52. p. 178) : la suite J du texte de S. Léon semble Inspirée encore du même autour, qui écrit les mots J déjà cités : · Dominum omnium mysteria, non arma tenuerunt ■ (Ibid.). 1 SERMON VHI SUR LA PASSION 56 46 (LIX) HUITIÈME SERMON SUR LA PASSION DU SEIGNEUR (prononcé le mercredi). Sommaire. — 1. Rappel du Sermon précédent. Arrestation de Jésus. — 2. Jésus devant Pilate ; lâcheté de celui-ci. — 3. Fureur des Juifs. — 4. Jésus porto sa croix. —- 5. Simon chargé de la croix de Jésus. — 6. Comprendre le sens de la Croix. — 7. Gloire de la croix. — 8. La mort de Jésus nous rend In vie. 1. Dans notre dernier sermon, bien-aixnés, nous avons parcouru les événements qui précédèrent l’ar­ restation du Seigneur ; il nous reste maintenant, la grâce de Dieu aidant, à vous exposer, selon notre pro­ messe, le déroulement même de la Passion. Or, le Seigneur avait manifesté par les termes de sa sainte prière 1 que la nature humaine aussi bien que la na­ ture divine existaient en lui très réellement et très pleinement, montrant d’où lui venait le désir de ne pas souffrir et d’où celui de souffrir. Mais, une fois chassé le tremblement propre à la faiblesse et confir­ mée la grandeur d’âme propre à la puissance, il reprit la décision de son plan éternel ; à la fureur du diable qui s’exerçait par les mains des Juifs, il jeta en proie sa condition d’esclave 2, totalement exempte de pé­ ché ; ainsi la cause de tous serait défendue par celui-là qui seul possédait sans faute la nature de tous. Les fils de ténèbre se ruèrent donc sur la vraie lumière, et, bien qu’ils se servissent de torches et de lanternes 3, ils n’échappèrent pas à la nuit de leur infidélité, parce qu'ils ne discernèrent pas l’auteur de la lumière 4. Ils s'emparent de quelqu’un qui est prôt à se laisser prendre et ils entraînent quelqu’un qui veut être entraîné 5 ; s’il avait voulu résister, les mains impies 57 DE PASSIONE SERMO VIII '■ ejus impiae manus possent, sed mundi redemptio tar­ daretur, et nullum salvaret illaesus, qui pro omnium salute erat moriturus. 2. Sinens igitur inferri sibi quidquid sacerdotum incitamentis furor popularis audebat, ad Annam Cai- I phae socerum, ac deinde ad Caipham ex Annae trans­ missione perducitur : et post insanas calumnianlium objectiones, post commentitias subornatorum testium falsitates, ad audientiam Pilati pontificum delegatione •■11 transfertur. Qui, divino jure neglecto, clamantes sc re- I gem non habere nisi Caesarem \ tamquam Romanis Ϊ devoti legibus, omne judicium potestati praesidis re- j servassent, expetierunt exsecutorem magis saevitiae I quam arbitrum causae. Offerebant enim Jesum duris n j nexibus vinctum, colaphis et alapis frequentibus cae- E? sum, sputis oblitum, clamoribus praedamnatum, ut I inter tot praejudicia, quem omnes vellent perire, non auderet Pilatus absolvere. Denique nec in accusato eum reperisse culpam, nec in sententia sua tenuisse con- | stantiam, docet ipsa cognitio : in qua judex, quem in- ( nocentem pronuntiat, damnat, addicens iniquo populo H sanguinem justi1 2, a quo abstinendum sibi, et intellec-® tu proprio senserat, et somnio uxoris noverat3. Non 11 purgant contaminatum animum manus lotae, nec in j aspersis aqua digitis expiatur quod famulante impia | mente committitur. Excessit quidem Pilati culpam I facinus Judaeorum, qui illum nomine Caesaris terri- 11 tum ct invidiosis vocibus increpatum, ad effectum sui sceleris impulerunt. Sed nec ipse evasit reatum, qui cooperatus seditiosis, reliquit judicium proprium, et in crimen transivit alienum. 3. Quod ergo Pilatus, dilectissimi, implacabilis po-1i 1. Cf. Jean XIX, 15. 2. Cf. Matth. XXVII, 24. SERMON VIII SUR LA PASSION 57 n’eussent certes pu lui faire aucun mal, mais la rédemption du monde en eût été retardée ; indemne, il n’eût sauvé personne, lui qui devait mourir pour le salut de tous. 2. Souffrant donc qu’on lui fasse subir tout ce qu’osait la fureur populaire excitée par les prêtres, il est conduit chez Anne, beau-père de Caïphe, ct ensuite chez Caïphe, renvoyé Là par Anne ; puis, après les calomnies insensées qu’on dresse contre lui, après les inventions mensongères de témoins subornés, il est amené au tribunal de Pilate par une délégation de prêtres. Ceux-ci, tenant pour rien le droit divin, crient qu’ils n’ont de roi que César \ comme si, respectueux des lois romaines, ils avaient réservé tout jugement au pouvoir du procurateur : en réalité ils réclamaient un exécuteur de leur violence bien plutôt qu’un arbitre de leur différend. Ils présentaient, en effet, Jésus en­ chaîné de durs liens, meurtri par les coups et les souf­ flets multiples, couvert de crachats, condamné d’avance par les cris : en face de tant de préventions, Pilate, pensaient-ils, n’oserait pas absoudre celui dont tous voulaient la mort. L’instruction de l’affaire même montre enfin tout <à la fois que celui-ci n’a pas trouvé de faute chez l’accusé, et qu'il n’est pas resté ferme dans son jugement : le juge, en effet, dans cette audience, condamne celui qu’il déclare innocent et livre au peuple inique le sang du juste 2, ce sang dont il a compris par sa propre réflexion, et su par le songe de sa femme 3, qu’il devait s’abstenir. L’ablution de ses mains ne lave pas la souillure de son âme, ct ce n’est pas en faisant couler l’eau sur ses doigts qu’il expie l’acte commis avec la complicité de son cœur impie. 11 est vrai, la faute de Pilate est encore dépassée par le crime des Juifs, qui, en le terrorisant par le nom de César ct en l’assourdissant de leurs cris haineux, l’ont poussé â accomplir son forfait. Pourtant lui non plus n’est pas exempt de culpabilité, car il a donné la main «à l’émeute, renoncé à son propre jugement et participé au crime des autres. 3. Ci. IMd. 19. 58 DE PASSIONE SERMO VIII puli victus insania, multis Jesum dehonestari ludi­ briis, et immodicis vexari permisit injuriis, quodque eum flagellis caesum, spinis coronatum, et amictu irrisoriae vestis indutum, scribarum et sacerdotum osten­ tavit aspectui, mitigandos proculdubio inimicorum animos existimavit : ut exsaturatis invidiae odiis, non ultra jam crederent persequendum, quem tot modis intuebantur afflictum. Sed cum inardesceret ira cla­ mantium, ut Barabbam indulgentia relaxaret, et Je­ sum crucis poena susciperet ; cum consono fremitu diceretur a turbis : Sanguis ejus super nos et super filios nostros 1 ; obtinuerunt iniqui in damnationem suam quod pertinaciter exigebant : quorum dentes, sicut propheta testatus est, arma erant et sagittae, et lingua eorum gladius acutus 1 2. Frustra enim a crucifigendo majestatis Domino manus proprias continebant, in quem lethalia vocum spicula, et venenata verborum tela jaciebant. Vobis, vobis, falsi Judaei, et sacrilegi principes populi, totum facinoris istius pondus incum­ bit : et licet immanitas sceleris et praesidem obligarit, et milites, omnis tamen facti summa vos arguit. Et quidquid in supplicio Christi vel Pilati peccavit judi­ cium, vel cohortis obsequium, hoc vos facit humani generis odio digniores : quia vestri furoris impulsu nec illis innocentes esse licuit, quibus iniquitas vestra non placuit. 4. Traditus itaque Dominus saevientium voluntati, ad irrisionem regiae dignitatis, supplicii sui jussus est esse gestator ; ut impleretur quod Isaias propheta praeviderat, dicens : Ecce natus est puer, et datus est nobis filius, cujus imperium super humeros ejus 3. Cum 1. Matth. XXVII, 25. 2. Ps. LVI, 5. 3. 1». IX, 6. SERMON VIH SUR LA PASSION 58 3. Si donc, bien-aimés, Pilate, vaincu par la fureur d'un peuple implacable, permit qu’on déshonorât Jé­ sus par de multiples outrages et qu’on le tourmentât d'insultes sans mesure, s’il l’exposa aux regards des scribes et des prêtres, flagellé, couronné d’épines et revêtu d’une robe de dérision, c’est sans doute dans la pensée d’apaiser ainsi l’esprit de ses ennemis : leur haine et leur jalousie satisfaites au-delà de toute me­ sure, ils ne croiraient pas devoir poursuivre davantage celui qu’ils voyaient maltraité de tant de façons. Mais la colère brûlait encore plus chez ceux qui réclamaient avec des cris la grâce de rélargissement pour Barab­ bas et la peine de la croix pour Jésus ; et la foule fré­ missante disait d’une seule voix : «Que son sang soit sur nous ct sur nos enfants1 ! » Alors les méchants ob­ tinrent pour leur perte ce qu’ils réclamaient obstiné­ ment : le prophète l’avait attesté, « leurs dents étaient des armes et des flèches, et leur langue un glaive acéré 2. » C’est bien en vain qu’ils tenaient leurs mains étrangères à la crucifixion du Seigneur de majesté, car ils lançaient contre lui les dards mortels de leurs cris et les traits empoisonnés de leurs paroles. C’est sur vous, sur vous, Juifs menteurs et princes d’un peuple sacrilège, que retombe tout le poids de ce crime : encore que la cruauté du forfait engage et le procura­ teur et les soldats, pourtant tout l’ensemble de l’ac­ tion vous accuse. Quelque péché qu’aient commis dans le supplice du Christ, et Pilate par son jugement, et la cohorte par son obéissance, vous vous êtes rendus plus dignes encore de la haine du genre humain, car la contrainte exercée par votre démence n’a pas per­ mis que demeurent innocents ceux mêmes qui n’ap­ prouvaient pas votre injustice. 4. Le Seigneur est donc livré au bon plaisir des fu­ rieux, et, pour insulter à sa dignité royale, on l’oblige à porter lui-même l’instrument de son supplice ; ainsi s'accomplissait ce que le prophète Isaïe avait connu d'avance lorsqu’il avait dit : « Voici qu’un enfant nous est né ct qu’un fils nous a été donné ; il a reçu l’empire sur les épaules 3. » Lors donc que le Seigneur se char­ geait ainsi du bois de la croix, de ce bois qu’il allait 59 DE PASSIONE SERMO VIII ergo Dominus lignum portaret crucis, quod in scep- | trum sibi converteret potestatis, erat quidem hoc apud impiorum oculos grande ludibrium, sed manifestaba- ; tur fidelibus grande mysterium 1 : quia gloriosissimus 1 diaboli victor, et inimicarum virtutum potentissimus debellator, pulchra specie triumphi sui portabat tro- ·. phaeum 2 ; et invictae patientiae humeris, signum salu­ tis, adorandum regnis omnibus inferebat ; tamquam j et tunc ipsa operis sui imagine omnes imitatores suos confirmaret et diceret : Qui non accipit crucem suam, et sequitur me, non est me dignus 3. 5. Euntibus autem cum Jesu turbis ad locum ■ poenae, Simon quidam Cyrenaeus inventus est, in quem lignum crucis transferretur a Domino : ut etiam 1 tali facto praesignaretur gentium fides, quibus crux I Christi non confusio erat futura, sed gloria. Non ergo ? l fortuitum, sed figuratum et mysticum fuit, ut Judaeis in Christum saevientibus, ad compatiendum ci pere- I grinus occurreret, dicente Apostolo : Si compatimur, et conrcgnabimus 4 : ut sacratissimo Salvatoris oppro- ] brio, non Hebraeus quisquam, nec Israeli ta, sed alie- j nigena subderetur. Per hanc enim translationem, a ! circumcisione ad praeputium, a filiis carnalibus ad filios spiritales, immaculati agni propitiatio, et om­ nium sacramentorum plenitudo transibat. Siquidem Pascha nostrum, ut ait Apostolus, immolatus est Chris­ tus 5 : qui se novum et verum reconciliationis sacrifi­ cium offerens Patri, non in templo, cujus jam erat finita reverentia, nec intra septa civitatis ob meritum 1. Ce passage est à rapprocher de S. Augustin» 7’racL in Joon. Evang. ï CXVII, 3 (P. L. XXXV, 1945) : « Ibat ergo ad locum ubl fucrut cruel- | Agendus, portans crucem suam Jesus. Grande spectaculum : sed sJ spectet 1 impietas, grande ludibrium ; si pietas, grande mysterium. » (Rapproche* J ment signalé par Y.-M. Duval dans Mélanges de Science religieuse, Lille 1 1958, Quelques emprunts de S. £4on d S. Aupusftn, p. $7.) V SERMON VIII SUR LA PASSION 59 transformer en sceptre de puissance, c’était certes aux yeux des impies un grand sujet de dérision ; mais pour les fidèles un grand mystère s’y manifestait 1 : car ce très glorieux vainqueur du diable et ce tout-puissant triomphateur des forces adverses portait dans un bril­ lant appareil le trophée de sa victoire et, sur ses épaules, avec une invincible patience, présentait le signe du salut à l’adoration de tous les royaumes 2 ; on eût dit qu’alors, par le spectacle même de son ac­ tion, il fortifiait tous ses imitateurs et leur disait : « Qui ne prend pas sa croix et ne vient pas à ma suite n’est pas digne de moi 3. » 5. Comme la foule allait avec Jésus au lieu du sup­ plice, on rencontra un certain Simon de Cyrène, et on fit passer le bois de la croix des épaules du Seigneur sur les siennes : par ce geste était aussi préfigurée la foi des nations pour qui la croix du Christ devait deve­ nir une gloire et non un opprobre. Ce ne fut donc pas effet du hasard, mais signe mystique si, en face des Juifs acharnés contre le Christ, il se trouva un étran­ ger pour compatir à ses souffrances, selon le mot de ΓApôtre : «Si nous souffrons avec lui, nous serons aussi glorifiés avec lui 45. » Car ce ne fut pas quelque hébreu, ni quelque israélite, mais un homme d’une autre race qui fut soumis à la très sainte ignominie du Sauveur. Par ce transfert de la croix, en effet, la propitiation procurée par l’agneau sans tache et la plénitude de tous les rites figuratifs passaient de la circoncision aux incirconcis, des fils selon la chair aux fils selon l’esprit. En vérité, comme le dit l’Apôtre, « notre pâque, le Christ, a été immolée 6. » il s’est offert au Père en sacrifice nouveau et véritable de réconciliation, non dans le temple, dont la dignité 2. Ainsi S. Ambroise : « Sed jam tropaeum suum victor adtollat. Crux supra umeros imponitur ut tropaeum» quod sive Simon sive ipse portave­ rit» et Christus in homine et horno portavit in Christo » (Zn Lucam X» 107. CSEL 32-1. 195 ; S. C. 52» p. 191). CL Col. II» 15 : < Et expolians principatus et potestates traduxit confidenter, palam triumphans Illos in semctlpso. · 3. Matth. X, 38. 4. Rom. VIII, 17. 5. 1 Cor. V, 7. 60 DE PASSIONE SERMO VIII sui sceleris diruendae, sed foris et extra castra cruci- w fixus est \ ut veterum victimarum cessante mysterio, | nova hostia, novo imponeretur altari, et crux Christi non templi esset ara, sed mundi. 6. Exaltato igitur, dilectissimi, per Crucem Christo,j non illa tantum species aspectui mentis occurrat, quae fuit in oculis impiorum, quibus per Mosen dictum est : Et erit pendens vita tua ante oculos tuos et timebis die ac nocte, et non credes vitae tuae 12. Isti enim nihil in crucifixo Domino praeter facinus suum cogitare po- I tuerunt, habentes timorem, non quo fides vera justifi- 5 ’ catur, sed quo conscientia iniqua torquetur. Nostéfl vero intellectus, quem Spiritus veritatis illuminat, glo­ riam Crucis caelo terraque radiantem puro ac libero corde suscipiat, ct interiore acie videat, quale sit, quod , Dominus cum de passionis suae loqueretur instantia, j dixit : Venit hora, ut clarificetur Filius hominis 3; et ? infra : Nunc, inquit, turbata est anima mea, ct quid dicam ? Pater, salva me ex hac hora. Sed proplerea veni in hanc horam. Pater, clarifica Filium tuum 1 ; et cum vox Patris venisset e caelo dicens : Et clarificavi, et iterum clarificabo : respondens Jésus circumstantibus, dixit : Non propter me vox haec facta est, sed propter ■ vos. Nunc judicium mundi est, nunc princeps hujus ■ mundi ejicietur foras. Et ego si exaltatus fuero a terra, J omnia traham ad me ipsum °. 7. 0 admirabilis potentia Crucis ! o ineffabilis glo­ ria Passionis ! in qua et tribunal Domini, et judicium 1 mundi, et potestas est crucifixi. Traxisti enim, Domine, I 1. Cf. Hébr. XIII. 12 : «Propter quod ot Josus... extra portam passui est. » 2. Dcut. XXVIII, 66. S. Léon accommode ù son sujet un texte dont le sens est tout diiTérent : Dieu menace les Israélites infidèles de châtiments tels que. sous Pellet de la crainte. Us douteront de leur vie même. 3. Jean XII, 23. fl . SERMON VIH SUR LA PASSION 60 avait déjà pris fin, non dans l’enceinte de la ville qui, en punition de son crime, allait être détruite, mais à l’extérieur et hors du camp \ pour qu’à la place du mystère aboli des anciennes victimes, une nouvelle hostie fût présentée sur un nouvel autel et que la croix du Christ fût cet autel, non plus du temple, mais du monde. 6. Voici donc, bien-aimés, le Christ exalté par la croix ; le regard de notre âme ne doit pas être frappé seulement par l’aspect extérieur qui se présenta aux yeux des impies, de ceux à qui Moïse avait dit : « Et votre vie sera suspendue devant vos yeux et vous craindrez jour ct nuit et ne croirez pas à votre vie 2. » Ces hommes, en effet, ne purent voir dans le Seigneur crucifié autre chose que leur forfait ; et s’ils avaient de la crainte, ce n’était pas celle qui justifie la vraie foi, mais celle qui tourmente la mauvaise conscience. Quant à nous, faisons en sorte que notre intelligence, illuminée de l’Esprit de vérité, accueille d’un cœur pur ct libre la gloire de la croix qui irradie au ciel et sur la terre ; que son regard intérieur contemple le sens de ces paroles du Seigneur faisant allusion à l’im­ minence de la Passion : « Elle est venue l’heure où le Fils de l’homme doit être glorifié 3 » ; et ensuite : « Maintenant mon âme est troublée. Et que dire ? Père, sauve-moi de cette heure ? Mais c’est pour cela que je suis arrivé à cette heure. Père, glorifie ton Fils 4. » La voix du Père vint alors du ciel et dit : « Je l’ai glorifié et je le glorifierai encore. » Sur quoi Jésus, s’adressant aux assistants, continua : « Ce n’est pas pour moi que cette voix s’est fait entendre, mais pour vous. C’est maintenant le jugement de ce monde ; maintenant le Prince de ce monde va être jeté dehors ; ct moi, une fois élevé de terre, j’attirerai tout à moi 5. » 7. O puissance admirable de la Croix ! O gloire inef­ fable de la Passion ! Là se trouve le tribunal du Sei­ gneur, là le jugement du monde, là le pouvoir du cru•1. Ibid. 27, 28. I-e texte authentique do cc passage, suivi par la Vulgate, lit : « Clarifica nomen tuum. » 5. Ibid. 30-32. 61 DE PASSIONE SERMO VIII omnia ad te, et cum expandisses tota dic manus tuas ad populum non credentem ct contradicentem tibi l, confitendae majestatis tuae sensum totus mundus accepit. Traxisti, Domine, omnia ad te, cum in exse-1 crationcm Judaici sceleris, unam protulerunt omnia elementa sententiam, cum obscuratis luminaribus caeli, et converso in noctem die, terra quoque motibus quateretur insolitis, universaque creatura impiorum usui sc negaret. Traxisti, Domine, omnia ad te, quo­ niam scisso templi velo, sancta sanctorum ab indignis pontificibus recesserunt : ut figura in veritatem, pro­ phetia in manifestationem, et lex in Evangelium ver­ teretur. Traxisti, Domine, omnia ad te, ut quod in uno Judaeae templo obumbratis significationibus agebatur, pleno apertoque sacramento, universarum ubique nationum devotio celebraret. Nunc etenim et ordo clarior levitarum, et dignitas amplior seniorum, et sacratior est unctio sacerdotum : quia crux tua omnium fons benedictionum, omnium est causa gra­ tiarum : per quam credentibus datur virtus de infir­ mitate, gloria de opprobrio, vita de morte. Nunc etiam carnalium sacrificiorum varietate cessante, omnes dif­ ferentias hostiarum, una corporis et sanguinis tui implet oblatio 12 : quoniam tu es verus Agnus Dei, qui tollis peccata mundi 3 ; et ita in te universa perficis mysteria, ut sicut unum est pro omni victima sacrifi­ cium, ita unum de omni gente sit regnum 4. 1. Is. LXV» 2. 2. Reprise d’un thème développé au sermon précédent, 1 ; le Sacrifice du Christ consomme tous les rites anciens. 3. Cf. Jean I, 29. Cette phrase de S. Léon et la suivante font penser à la secrète de la messe du VII· dimanche après la Pentecôte : ■ J>eu$ qui legalium differeniia/n hostiarum unius sacrificii perfectione sanxisti... · 4. Le lyrisme de cette hymne à la Croix, oü S. Léon atteint aux sommet· de la poésie, l’apparente aux plus grands mystiques chrétiens, ct not ment à S. Paul dans ses hymnes à l’espénincc (Rom. VJ II, 35-39) ct à SERMON VIII SUR LA PASSION 61 cilié ! Vous avez tiré tout à vous, Seigneur, et, lorsque vous étendiez tout le jour vos mains vers un peuple incrédule et obstiné à vous contredire \ le inonde en­ tier reçut l’intelligence pour confesser votre majesté ! Vous avez tire tout à vous, Seigneur, lorsque, pour maudire le crime des Juifs, tous les éléments pronon­ cèrent une sentence unanime, lorsque les luminaires célestes s’obscurcirent et que le jour se changea en nuit, lorsque la terre elle-même fut secouée de mou­ vements inaccoutumés ct que la création entière se refusa à servir les impies ! Vous avez tiré tout «à vous, Seigneur, parce que, le voile du temple déchiré, le Saint des Saints s’est retiré loin de pontifes indignes : la figure se changea alors en vérité, la prophétie en manifestation, la Loi en l’Évangilc. Vous avez tiré tout à vous, Seigneur, afin que le culte de toutes les nations de l'univers célébrât par un sacrement plénier et mani­ feste ce qui ne se faisait que dans le seul temple de Judée et sous l’ombre des figures. Maintenant, en effet, et l’ordre des lévites est plus illustre et la dignité des anciens plus élevée et l’onction des prêtres plus sainte : car votre croix est la source de toutes les béné­ dictions, la cause de toutes les grâces ; par elle, de la faiblesse les croyants reçoivent la force, de l’opprobre, la gloire, de la mort, la vie. Maintenant aussi la diver­ sité des sacrifices charnels prend fin et l’offrande unique de votre corps et de votre sang consomme toutes les différentes victimes 2 : car vous êtes le véri­ table Agneau de Dieu qui ôtez les péchés du monde 3, ct vous achevez en vous tous les mystères, afin que tous les peuples ne fassent plus qu’un seul royaume comme toutes les victimes font place à un seul sacri­ fice 4. charité (I Cor. XIII). L’Eglise ne pouvait trouver mieux à faire lire à ses prêtres en la fête de l’Exaltation de la Sainte Croix. On y distingue aisé­ ment des strophes signalées par le retour de certains mots, ct, à l’intérieur de ces strophes, une alternance de rythmes binaires et ternaires. On peut ainsi reconnaître le schéma 14 4 + 2+1 (conclusion). La phrase ini­ tiale constitue In première strophe qui contient un groupe binaire (o reve­ nant deux fols) et un groupe ternaire (et répété trois fois) ; puis viennent quatre strophes commençant chacune par le mot traxisti ; dans la première le mot cum vient une fols, dans la seconde deux fois ; dans la troisième, 62 DE PASSIONE SERMO VIII 8. Confiteamur igitur, dilectissimi, quod beatus ma- $ gister gentium Paulus apostolus gloriosa voce confes- 3 sus est, dicens : Fidelis sermo et omni acceptione dignus, I quia Christus Jesus venit in hunc mundum peccatores salvos facere Hinc enim mirabilior est erga nos mi­ sericordia Dei, quod non pro justis, neque pro sanctis, sed pro iniquis et impiis Christus est mortuus 2 : et cum mortis aculeum recipere non posset natura dei­ tatis, suscepit tamen, nascendo ex nobis, quod posset,.,] offerre pro nobis. Olim enim morti nostrae mortis suae potentia minabatur, dicens per Oseam prophetam : 0 mors, ero mors tua, et ero morsus tuus, inferne 3. Leges enim inferni moriendo subiit, sed resurgendo dissolvit : et ita perpetuitatem mortis incidit, ut eam I de aeterna faceret temporalem 4. Sicut enim omnes in Adam moriuntur, ita et in Christo omnes vivificabun· : tur 6. Fiat itaque, dilectissimi, quod apostolus Paulus ait: Ut qui vivunt, jam non sibi vivant, sed ei qui pro omni­ bus mortuus est et resurrexit 8 ; et quia vetera transie- I runt, et facta sunt omnia nova ’, nemo in carnalis vitae vetustate 8 remaneat, sed omnes de die in diem [ la phrase principale est suivie d’une conséquente en trois termes common- | dée par le mot uf; après la quatrième strophe, plus calme, où le mot ut I revient comme un rappel, en viennent deux autres coninuuidées par le mot nunc, dans la première desquelles on distingue aisément le schéma 3 + 2 · + 3, tandis que la seconde» apaisée, unifie le mouvement comme la pensée, f (una corporis et sanguinis tui implet oblatio) et amène à la conclusion qui I accentue encore l’unité et la paix (sicut unum sacrificium. ita unum regnum)· I i’ Il faut ajouter à cette harmonie interne de tout le passage le retour périoS dique des assonances qui. ponctuant les membres de phrase d’une sorte d· rime, ajoute au balancement des périodes. L’inspiration chrétienne do S. Léon, en se coulant dans le moule de la rhétorique classique, a produit ici I un chef-d’œuvre· On pourrait faire une étude analogue, entre autres. sur le paragraphe 0 «lu sermon 38 (supra p. 19). oü cinq phrases se succèdent, | commençant par les mots » Hic est Filius meus ». Les figures de rhétorique ont été étud.ées chez S. Augustin et Sidoine Apollinaire : M. Comp.au»J La rhétorique de S. Augustin d’après les Tractatus in Johannem, Paris 1930,d pp. 46-70 ; A. Loyen, Sidoine Apollinaire et l'esprit précieux en Gaule aux der· ■ SERMON VIII SUR LA PASSION 62 8. Confessons donc, bien-aimés, ce que la voix du bienheureux docteur des nations, l’apôtre Paul, a con­ fessé glorieusement : « Elle est sûre, cette parole, et digne d’une absolue creance : le Christ Jésus est venu dans le monde pour sauver les pécheurs l. » D’autant plus admirable est, en effet, la miséricorde de Dieu pour nous, que le Christ n’est pas mort pour les justes, ni pour les saints, mais pour les méchants et les im­ pies 2. Et comme la nature divine ne pouvait recevoir le trait de la mort, il a pourtant pris, en naissant de nous, ce qu’il pourrait offrir pour nous. Autrefois il menaçait notre mort du pouvoir de sa mort, disant par la bouche du prophète Osée : .« O mort, je serai ta mort ; enfer, je te mordrai 3. » I) s’est, en effet, sou­ mis en mourant aux lois du tombeau, mais il les a brisées en ressuscitant ; en tombant sous le coup d’une mort qui ne fait pas d’exception, il a rendu tempo­ relle celle qui était éternelle 4. « De même, en effet, que tous meurent en Adam, tous aussi revivront dans le Christ 5. » Faisons donc en sorte que se réalise, bien-aimés, la parole de l’apôtre Paul : « Que les vivants ne vivent plus pour eux-mêmes, mais pour celui qui est mort et ressuscité pour eux β. n Ce qui est ancien a passé et toutes choses sont renouvelées 7 ; que personne donc ne demeure dans la vétusté de sa vie charnelle 8, mais nlm jours de ΓEmpire.Paris 1943, pp. Vil I,133-134 ; cités pur H. I. Marrou, Histoire de l'Mucalion dans Vantlquilé, Paris 1948. pp. 88-90 et 434. 1. ï Tim. I, 15. 2. Ci. Boni. V, 0. «Ut quid Christus... secundum tempus pro impiis mortuus est ? · 3. Osée, ΧΠΙ. 14, d'après la version latine, differente de celle des Sep­ tante que cite S. Paul en Γ Cor. XV. 55. 4. La mort est présentée ici sous un double aspect : d’une part, elle est perpetua, en ce sens que. depuis Adam, elle frappe tous les hommes sans exception jusqu’à la fin des temps ; d’autre part, elle était, jusqu’au Christ. aeterna. En se soumettant à la mort et à la loi de sa · perpétuité ·, le Christ l’a rendue, d’éternelle qu’elle était, temporelle, c’est-à-dire liée au temps et susceptible d'un terme. 5. I Cor. XV. 22. 6. Il Cor. V» 15. 7. Ibid. 17. 8. Cf. Rom. VI» 4-C, et passages parallèles de S. Paul, chez qui l’expres- 63 DE PASSIONE SERMO IX proficiendo, per pietatis augmenta renovemur *. Quan- I tumlibet enim quisque justificatus sit, habet tamen, 1 dum in hac vita est, quo probatior esse possit ct me­ lior. Qui autem non proficit, deficit ; ct qui nihil acqui­ rit, nonnihil perdit. Currendum ergo nobis est fidei gressibus, misericordiae operibus, amore justitiae, ut diem redemptionis nostrae spiritaliter celebrantes, non in fermento veteri malitiae et nequitiae, sed in azymis sinceritatis et veritatis 2, resurrectionis Christi merea­ mur esse participes, qui cum Patre ct Spiritu sancto, vivit et regnat in saecula saeculorum. A men. 47 (LX) X DE PASSIONE DOMINI SERMO IX 1 I 1. Sacramentum, dilectissimi, Dominicae passio­ nis in salutem humani generis ante tempora aeterna 3 dispositum, et per multas significationes omnibus retro saeculis nuntiatum, non adhuc exspectamus manifes­ tandum, sed jam adoramus impletum. Concurrentibus igitur ad eruditionem nostram et novis testimoniis et antiquis, dum quod prophetica cecinit tuba, evangelica pandit historia, et sicut scriptum est : Abyssus abyssum invocat, in voce cataractarum tuarum 4; quoslon est fréquente ; suivant son habitude, S. Mon combine librement le verset 4 : · In novitate ullae ambulante », avec lo verset 6 : · uetus homo; noster cructflxus est. > 1. Ci. II Cor. IV, 16 : « Is (homo) qui Intus est» renovatur de die in diera. > 2. I Cor. V. 8. 3. CI. II Tlm. I. 9; Tito I, 2 : · In spem vitae aetemao quam promisit qui non mentitur Deus ante tempora saccularia. · 4. P$. XIJ· 8. 63 SERMON IX SUR LA PASSION renouvelons-nous tous par les progrès de la piété en avançant de jour en jour Tout justifié que l’on soit, il y a matière, tant qu’on est en cette vie, à devenir plus pur et meilleur. Or qui n’avance pas lâche pied ; et qui ne gagne rien perd quelque chose. Il nous faut donc courir par les pas de la foi, par les œuvres de la miséricorde, par l’amour de la justice, afin que, célé­ brant selon l’esprit le jour de notre rédemption, « non avec du vieux levain de malice et de perversité, mais avec des azymes de pureté et de vérité 12 », nous mé­ ritions d’avoir part à la résurrection du Christ, qui, avec le Père et l’Esprit-Saint, vit et règne dans les siècles des siècles. Amen. 47 (LX) NEUVIÈME SERMON SUR LA PASSION DU SEIGNEUR Sommaire. — 1. Los doux Testaments s’accordent sur la Passion du Seigneur. —■ 2. Invitation à la joie. — 3. La Passion du .Seigneur réalise les figures de l’ancien Testament. — 6. La faute de Judas et. celle de Pierre. 1. Nous n’en sommes plus, bien-aimés, à attendre que se réalise la Passion du Seigneur, ce mystère de grâce qui fut décidé pour le salut du genre humain avant l’éternité 3 et annoncé par de multiples figures au cours des siècles révolus : non, nous l’adorons main­ tenant dans son accomplissement. Les témoignages nouveaux autant que les anciens concordent donc entre eux pour nous instruire, puisque le récit évan­ gélique déroule pour nous ce qu’avait clame la voix retentissante des prophètes, et que, ainsi qu’il est écrit, « un abîme appelle un autre abîme dans le fracas de vos cataractes 4. » Pour raconter la gloire de la Léon le Grand. III. 8 64 DE PASSIONE SERMO IX niam ad enarrandam gloriam gratiae Dei1 paribus sibi vocibus, utri usque Testamenti altitudo respondet ; et quod erat sub velamine figurarum profundum, iit re­ velata luce perspicuum. Si tamen inter illa miracula Salvatoris, quae sub populorum gerebantur aspectu, pauci Veritatis praesentiam sentiebant, ipsique disci­ puli voluntaria Domini passione turbati, non evase­ runt scandalum crucis sine tentatione formidinis ; unde fides nostra intelligentiam sumeret, unde con­ scientia robur acciperet, nisi quae facta cognoscimus, praedicta legeremus ? 2. Peracto igitur, dilectissimi, Salvatoris triumpho, et consummatis dispensationibus quas omnia 2 veteris Testamenti eloquia nuntiarunt, lugeat carnalis Ju­ daeus, sed spiritalis gaudeat Christianus : et festivitas, quae illis conversa est in noctem, nobis coruscet in lucem ; quoniam crux Christi eadem est et credentium gloria, et non credentium poena. Quamvis enim perse­ quentium furor nihil aliud in Dominum majestatis operatus sit, quam atrocem crudelitatem et immite supplicium ; redemptis tamen hac Domini passione verior justiorque laetandi est ratio quam dolendi Fuerit tunc discipulorum excusabilis pavor, nec diffi­ dentiae culpam apostolicus maeror inciderit, quando concurrentibus ad unum scelus Judaeis Judaeorumque principibus, superbus taurorum pinguium tumor, et proterva vitulorum petulantia saeviebat4 ; quando sub oculis ovium, pastoris justi sanguinem’ frementium bestiarum rabies expetebat ; quando de­ nique etiam ipse, qui pati venerat, de nostrae naturae communione dicebat : Tristis csl anima mea usque ad 1. Cf. Éph. I, 6 : « In laudem gloriae gratiae suae. · 2. S. Léon entend que toutes les paroles de ΓAncien Testament annon­ çaient le Christ» selon le mot de S. Paul (I Cor. X, 11) : ■ Omnia in figure contingebant Ulis. > Ces paroles exprimaient des mystères et des ügure» SERMON IX SUR LA PASSION 64 grâce de Dieu \ en effet, les profondeurs de l’un et de l'autre Testament se font écho d’une voix égale, et ce qui était caché sous le voile des figures devient clair dans la lumière qui le révèle. Si pourtant au milieu même des miracles que le Sauveur accomplissait sous le regard des foules, bien peu sentaient la présence de la Vérité, et si les disciples mêmes, troublés par la Passion volontaire du Seigneur, n’évitèrent ni la ten­ tation de crainte, ni le scandale de la croix, d’où notre foi prendrait-elle l'intelligence, d’où notre conscience recevrait-elle la force, si nous ne lisions qu’avaient été prédits les faits dont nous savons qu’ils ont eu lieu ? 2. Le triomphe du Sauveur, bien-aimés, étant donc achevé, et consommées les dispositions qu’avaient an­ noncées toutes 2 les paroles de ΓAncien Testament, le Juif charnel peut pleurer, mais le chrétien spirituel doit se réjouir : la fête qui, pour celui-là, s’est changée en nuit, pour nous doit éclater en lumière : la croix du Christ, en effet, est en même temps la gloire des croyants et le châtiment des incroyants. Car, bien que la fureur des persécuteurs n’ait perpétré contre le Seigneur de majesté qu’un acte d’atroce cruauté et un supplice inhumain, les rachetés ont cependant une plus réelle et plus juste raison de se réjouir que de se lamenter de cette Passion du Seigneur 3. Sachons excu­ ser le désarroi des disciples et ne faisons pas tomber sur l’abattement des apôtres une accusation de dé­ fiance, lorsque les Juifs et leurs princes s’unissaient pour un meme crime et qu’ainsi se déchaînaient la su­ perbe arrogance de ces « taureaux repus » et la fougue impudente de ces «veaux» 4, lorsque, sous les yeux des brebis, la rage des bêtes rugissantes exigeait le sang du juste pasteur, lorsque enfin lui-même, qui était venu pour souffrir, disait, communiant à notre nature : qui ne devaient trouver leur réalisation et leur explicitation que dans le Christ : ce n’est qu’en lui qu’elles deviendraient intelligibles. Aussi la fête de Pâques» va dire S. Léon, qui. pour les Juifs incrédules, se change en une obscurité définitive, pour les chrétiens, éclate en lumière. 3. Dans lo même sens, le Canon de la messe romaine parle de la « tam b(Xi ta passio Domini ·. •1. Expressions empruntées nu Ps. XXI, 13. 65 DE PASSIONE SERMO IX mortem *. Nunc autem postquam per susceptionem in­ firmitatis potentia est clarificata virtutis, nulla fide­ lium maestitudine paschalis est obscuranda solemni-· tas ; nec cum tristitia nobis gestorum ordo recolendus est, cum ita Dominus usus sit malitia Judaeorum, ut de intentione facinoris, voluntas sit impleta miseren­ tis. Si autem in exitu Israel de Ægypto 1 2 agni sanguis fuit restitutio libertatis, et sacratissima est facta fes­ tivitas, quae per hostiam pecudis iram averteret vas­ tatoris ; quanta populis Christianis concipienda sunt gaudia, pro quibus omnipotens Pater Filio suo uni­ genito non pepercit, sed pro nobis omnibus tradidit il­ lum 3 ; ut in occisione Christi, Pascha esset verum et singulare sacrificium, quo non cx dominatione Pharaonis unus populus, sed ex diaboli captivitate totus mundus eruitur. 3. Hoc igitur illud est, dilectissimi, sacramentum, cui ab initio omnia sunt famulata mysteria 4. Nunc sanguis justi Abel 5 mortem summi Pastoris eloquitur, et in parricidio Judaeorum Cain interfector fratris agnoscitur. Nunc diluvium et Noe arca manifestat, quid sit renovationis in baptismo, et quid salutis in ligno 6. Nunc Abraham gentium pater promissos ac­ quirit haeredes ; ct in semine ejus, non germen carnis, sed fidei propago benedicitur. Nunc ad praenuntia1. Matth. XXVI, 38. 2. Ce sont les premiers mots du Ps. CXIII. 3. Rom. VIII, 32. •1. S. Léon va montrer que les figures de Γ Ancien Testament trouvent, leur réalisation dons le mystère pascal. 5. Cf. Mallii. XXIII, 35 : · Ut veniat super vos omnis sanguis justus* qui effusus est super terrain, a sanguine Abc! justi usque ad sanguineo Zachartae... » En nommant ici le « Juste ■ Abel» et, quelques lignes plus bas,. Abniham, · père des peuples ·, à propos du sacrifice de la croix, S. Léon ne s'est-il pas souvenu de ld mention qu’eu fait le canon de la messe romaine à propos du sacrifice eucharistique : « Sicutl accepta habere dignatus e« munera pueri tui jiisfi Abd ct sacrificium Patriarchae noslri Abrahae»'? SERMON IX SUR LA PASSION 65 « Mon âme est triste à en mourir l. » Mais, maintenant que la puissance de sa force a été manifestée par le moyen de la faiblesse qu’il avait assumée, les fidèles ne sauraient laisser obscurcir d’aucune mélancolie la solennité pascale ; et c’est sans tristesse qu’il nous faut rappeler le déroulement des faits, puisque le Seigneur s'cst servi de la méchanceté des Juifs pour faire tour­ ner leur criminel dessein à l'accomplissement de sa volonté de miséricorde. Si, lorsque Israël sortit d’Égypte 2, le sang d’un agneau servit à lui rendre la liberté et si cette fête devint la plus sainte de toutes, elle qui avait, par le sacrifice d’un animal, écarté la colère du dévastateur, combien grande doit être la joie ressentie par les foules chrétiennes, alors que, pour elles, le Père tout-puissant « n’a pas épargné son propre Fils, mais l’a livré pour nous tous 3 ? » Ainsi, dans l’immolation du Christ, la Pâque est devenue le vrai et unique sacrifice qui arrache non plus un seul peuple à la tyrannie de Pharaon, mais le monde entier à l’esclavage du diable. 3. Tel est donc, bien-aimés, ce sacrement auquel, depuis le commencement, servirent tous les mystères 4. C’est à présent que le sang du juste Abel 5 prend son sens dans la mort du suprême Pasteur et que, dans le parricide commis par les Juifs, on reconnaît Caïn, meurtrier de son frère. C’est à présent que le déluge et l’arche de Noé font comprendre quelle rénovation se trouve dans le baptême et quel salut dans le bois c. C’est à présent qu’Abraham, père des peuples, acquiert les héritiers promis ct que sont bénis dans sa descen­ dance non les enfants de la chair, mais la race de la D’autre part la mention du sang d’Abel comme d’un mystère ■ du commen­ cement » ayant servi à celui du Christ, n’est sans doute pas sans référence avec l’idée fortement illustrée par S. Augustin, ù savoir que (’Église a com­ mencé dès Γ Ancien Testament, Abel étant le type de la cité de Dieu, commo Caïn fut celui do la cité du diable ou de la Synagogue, Idée appelée à une longue fortune jusqu’à Fôge scolastique ; nous y reviendrons plus loin. Cf. sur la question Y. Congap, ficdesia ab AMt dans Abhandlg. über Theol. u. Kirchc, Fcsfsch. K. Adam, p. 79-108, DüSSéldorf 1953 (l’allusion expresse faite à Abel par S. Léon a cependant échappé à l’auteur : cf. p. 87). 6. Cf. 1 Pierre 111,20-21 ; commentaire de ce passage dans J. Daniélou, Déhtpe, hripFnrr, jugement; Dieu vivant, 8, p. 100 et s. 66 DE PASSIONE SERMO IX tum festis omnibus festum sacer novorum mensis eni- ’ tuit, ut in quo accepit mundus exordium, in eodem I haberet Christiana creatura principium x. Quamvis igitur furentes Judaei fecerunt in Domi­ num Jesum quaecumque voluerunt, et suscepti homi­ nis veritatem nullis eorum ausibus potestas divina subtraxerit ; patientia tamen Domini consilii sui mu­ nus implevit, et pertinacia sacrilegae crudelitatis pro­ fecit operi Salvatoris : quod non Scribae, non Pharisaei, nec summi intellexere pontifices : Si enim cognovissent, numquam Dominum majestatis crucifixissent12. Nec ipse itaque diabolus intellexit, quod saeviendo in Chris- Ί tum, suum destrueret principatum, quia antiquae fraudis 3 jura non perderet, si se a Domini Jcsu san- 1 guine contineret. Sed malitia nocendi avida, dum ir­ ruit, ruit ; dum capit, capta est ; dum persequitur mortalem, incidit in Salvatorem. Invenit sane in illo I molimine imprudentis audaciae dignum cooperatorem, dignumque consortem, cum impius Judas maluit mi­ nister esse diaboli quam apostolus Christi, quem non j timoris perturbatione deseruit, sed pecuniae cupidi­ tate distraxit. 4. Videte, dilectissimi, et prudenter inspicite quae germina et quales fructus de avaritiae stirpe nascan- ' tur, quam merito Apostolus radicem omnium malo- -.J rum esse definivit 4, quia nullum peccatum sine cupi­ ditate committitur, et omnis illicitus appetitus, istius 4 aviditatis est morbus. Amori pecuniae vilis est omnis allectio, et anima lucri cupida etiam pro exiguo perire I 1. Idée familière aux Pères, après Philon, que le monde fut créé au printemps ; cf. entre autres, S. Ambroise· In Hcxacmcrvn l, 4· 13 (CSEL 32-1. 11); Eusèbr, Traité sur la Pâque, 3 (P. G. XXIII, G98). Ainsi la nouvelle I création par la mort et la résurrection du Christ place aussi au printemps. * Sur cette tradition pascale, cf. J. Daniéï.ou, Bible et liturgie, p. 389 et 3» 2. I Cor. II, 8. SERMON IX SUR LA PASSION 66 foi. C’est à présent que, pour cette fête annoncée par toutes les fêtes, le mois sacré des renouveaux a lui : comme le monde y avait reçu son commencement, ainsi la création chrétienne y trouve aussi son prin­ cipe S’il est donc vrai que les Juifs furieux firent subir au Seigneur Jésus tout ce qu’ils voulurent, sans que la puissance divine cherchât à soustraire à aucune de leurs entreprises l’homme qu’elle avait vraiment re­ vêtu, la patience du Seigneur cependant réalisa son bienfait comme il l’avait décidé et l’obstination de leur cruauté sacrilège profita à l'œuvre du Sauveur. Cela, ni les Scribes, ni les Pharisiens ni les grands prêtres ne le comprirent : « car, s’ils l’avaient connu, ils n'auraient pas crucifié le Seigneur de la gloire 2». C'est pourquoi le diable lui-même ne comprit pas da­ vantage qu’en se déchaînant contre le Christ, il détrui­ sait son propre empire : il n’aurait pas, en effet, perdu les droits qu’il tenait de son ancien mensonge 3 s’il s’était abstenu du sang du Seigneur Jésus. Mais sa perversité, avide de nuire, en s’élançant, s’écroula, en voulant prendre, fut prise, en poursuivant un mortel, rencontra le Sauveur. Il est vrai, il trouva dans ce grand effort de son imprudente audace, un digne col­ laborateur et un digne complice, lorsque l’impie Judas préféra être serviteur du diable plutôt qu’apôtre du Christ, ne quittant pas celui-ci sous l’effet de la peur, mais s’écartant de lui par désir de l’argent. 4. Voyez, bien-aimés, et examinez en toute sagesse quels rejetons et quels fruits naissent de la souche de l’avarice, de ce vice que l’Apôtrc a justement appelé la racine de tous les maux 4. Nul péché, en effet, ne se commet sans qu’intervienne la cupidité, et tout désir illicite est une maladie causée par cette avidité. Pour l’amour de l’argent toute affection est vile, et une âme avide de lucre n’a pas craint de périr même 3. H s’agit de sa promesse mensongère à Adam et Êve en Êden : ■ Vous serez comme des dieux » ; en l’écoutant jusqu'à désobéir à Dieu, nos premiers parents s'étaient livrés à lui, lui conférant un véritable droit sur l'huma­ nité ; cf. S. Léon, 2' sermon pour Noël» 1 et 3, S. C. 22» p. 77 et 81. 4- Cf. 1 Tbn VI, 10 : · Radix omnium malorum est cupiditas. » 67 DE PASSIONE SERMO IX non metuit ; nullumque est in illo corde justitiae vesti­ gium, in quo sibi avaritia fecit habitaculum. Hoc per­ fidus Judas inebriatus veneno, dum sitit lucrum, per­ venit ad laqueum : et tam stulte impius fuit, ut triginta argenteis et Dominum venderet et Magistrum. Cum autem se ad excipiendum iniquitatis judicium Dei Filius praebuisset, beatus apostolus Petrus, cujus fides ea devotione fervebat, ut Domino ct compati paratus esset et commori, ancilla sacerdotis calumniante perterritus, ex infirmitate periculum negatio­ nis incurrit : ob hoc, sicut apparet, haesitare permis­ sus, ut in Ecclesiae principe remedium paenitentiae conderetur ; et nemo auderet de sua virtute confidere, quando mutabilitatis periculum nec beatus Petrus po- i tuisset evadere x. Dominus autem Jesus, qui intra , pontificale concilium solo corpore tenebatur, trepida- I tionem discipuli foris positi divino vidit intuitu ; et Ί paventis animum, mox ut respexit, erexit, et in fletus i paenidutinis incitavit. Felices, sancte apostole, lacry- j maetuae, quae ad diluendam culpam negationis, virtu- j tem sacri habuere baptismatis 1 2. Affuit enim dextera S 1. On remarquera le souci, commun chez les Pères (cf. en particulier 1 S. Jean Cluysostomo) d’atténuer les fautes ct les imperfect ions des apôtres ; I le reniement de S. Pierre n’est qu’une simple « hésitation ». Dû même I S. Ambroise s’ingénie à supposer des restrictions mentales dans les réponses de Pierre à lu servante, pour conclure : · Scd nos excusamus, ipse non I excusavit ; non enim sat est involuta responsio condientis Jcsum, sed . L. XXVf, 203). 2. Ces paroles de S. Léon évoquent celles do S. Ambroise : «Bonne la- crimac (Petri) quae lavant culpam. » (In Lucani» X» 89 ; CSEL 32-1» 489; J 5. C. 52, p. 186), mais plus encore celles des Pères qui ont assimilé la péni· ί tence ù un second baptême. Pour S. Jérôme, elle est · la seconde planche ■ d-ï salut après le naufrage > (L'pisf. CXXX, 9; P. L. XXII, 1115); avant 4 lui. Tertullien avait employé la même image : < Eam tu peccator, met : similis, ita invade, ita amplexare, ut naufragus alicujus tabulae fidem*' t fl SERMON IX SUR LA PASSION 67 pour un faible gain ; aucune trace de justice ne sub­ siste dans un cœur où l’avarice a fait sa demeure. C’est enivré de ce poison que le perfide Judas, dans sa soif de gain, est arrivé jusqu’à la corde fatale ; et son impiété fut assez insensée pour lui faire vendre pour trente deniers son Seigneur et son Maître. Mais tandis que le Fils de Dieu s’offrait pour subir un jugement inique, le bienheureux apôtre Pierre, dont la foi brûlait, d’un tel attachement qu’il était prêt à souffrir et à mourir avec le Seigneur, Pierre se laissa effrayer par la calomnie ‘d’une servante du Grand Prêtre et, par faiblesse, tomba dans le danger du reniement : hésitation permise, semble-t-il, pour que, dans le chef de l’Êglise, fût fondé le remède de la pénitence, et pour que nul n’osât se fier en sa vertu, alors que saint Pierre lui-même n’avait pu échapper au péril de l’inconstance x. Mais le Seigneur, dont seul le corps était retenu au milieu du conseil des pontifes, de son regard divin, vit au dehors le trouble de son disciple ; dès qu’il l’eut regardé, il releva le cœur de celui qui tremblait et le poussa aux larmes du repen­ tir. Heureuses larmes que les vôtres, ô saint apôtre, qui, pour effacer la faute du reniement, curent la vertu du saint baptême 2. Alors que vous glissiez, la main Ilacc te peccatorum fluctibus mensum prolevabit et in portum divinae clementiae protelabit » (De Poenitentia IV; édit. Hemmcr-Lejay, p. 1C). Ce texte évoque à la fob le déluge, symbole du baptême, ct l'arche. Pour S. AwimoiSE, Veau du Jourdain a assuré le premier baptême; « si autem jam baptiza tus errasti, mitto aquam lacrimarum, non mendacem, sed veram ... Misisti aquam Jordanis, aquam gratiae, hoc primum bibe ; mi­ sisti aquam lacrimarum, aquam paonltcnttae : hoc secundum est poculum, ut primum repares» (In Ps. XXXVII Enar.. 10-11; P. L. XIV, 10131014). Le même dit encore : < In baptismo utique remissio peccatorum omnium est : quid interest utrum per pacnitentiam an per lavacrum hoc jus sibi datum sacerdotes vindicent ? Unum in utroque ministerium est. Scd dicis quia In lavacro operatur mysteriorum gratia. Quid in poeniten­ tia ? Nonne Del nomen operatur ? · (De pacmï. I. 8, 36-37 ; CSEL 73. 137). Dans la mémo ligne est la valeur de second baptême reconnue à la profession monastique ; lire à ce sujet Dom Jean Leclercq, La vie parfaite. Points de pue sur ressente de l'état religieux. 1048 ; 3· partie, 2 : Le baptême * pénitents. p. 133 ct s., avec références in loco ; ct, apportant d'utiles de précisions sur le sens à donner aux mots, E. Dekkers, Profession-second baptême dans Historisches Jahrbnch. Hommage à Joh. Sptirl, Freiburg 1958. p. 91-97. 11 faut reconnaître qu’à l’époque ancienne, l'assimilation de la I 68 DE PASSIONE SERMO X Domini Jesti Christi, quae tabentem te, priusquam deji­ cereris, exciperet, et firmitatem standi in ipso cadendi periculo recepisti. Vidit in te Dominus non fidem vic- Ί tam, non dilectionem aversam, sed constantiam fuisse turbatam. Abundavit fletus, ubi non defecit affectus, et fons caritatis lavil verba formidinis : nec tardatum est remedium abolitionis, ubi non fuit judicium volun­ tatis. Cito itaque in soliditatem suam rediit petra, tan- 1 tam recipiens fortitudinem, ut quod tunc in Christi expaverat passione, in suo post supplicio non timeret. Per Jesum Christum Dominum nostrum, cui est honor et gloria in saecula saeculorum. Arnen. (LXI) I 1 DE PASSIONE DOMINI SERMO X J 48 1. Cum multis modis, dilectissimi, Judaica impietas laboraret, ut causam aliquam perpetrandi in Domi­ num Jesum sceleris inveniret, et mendacia, quae falsi testes injustis sacerdotibus famulando protulerant, nihil quod morte dignum esset afferrent ; hoc quasi in­ superabile repererunt, ut Dominum mundi, affectati regni invidia perurgerent. Cumque Pilatus Jesum, quem frustra videbat argui, vellet absolvi, calumniose et minaciter conclamarunt : Si hunc dimittis, non es amicus Caesaris : omnis enim qui se regem facit, con­ tradicit Caesari x. pénitence à un second baptême sc trouve plus fréquemment dans la litté­ rature de Portent que dans celle de l'Occidcnt. I. Jean XIX» 12. SERMON X SUR LA PASSION 68 du Seigneur Jésus-Christ, en effet, fut là pour vous saisir avant que vous ne fussiez à terre, et vous reçûtes la force de rester debout au sein meme du péril où vous étiez de tomber. Le Seigneur vit en vous non une foi vaincue, non un amour qui se détournait, mais une fermeté ébranlée. Les larmes abondèrent, là où l'amour n’avait pas manqué, et la source de la charité lava les paroles de la crainte : le remède du pardon fut donné sans retard, là où la volonté n’avait pas acquiescé. Aussi la pierre retrouva vite sa solidité et reçut une si grande force qu’elle ne devait pas redou­ ter plus tard, dans son propre supplice, ce qui l'avait alors fait trembler dans la Passion du Christ. Par Jésus-Christ notre Seigneur, à qui appartiennent hon­ neur et gloire dans les siècles des siècles. Amen. 48 (LXI) DIXIÈME SERMON SUR LA PASSION DU SEIGNEUR Sommaire. — 1. Accusation des Juifs contre Jésus devant Pilate ; sa réfutation. — 2. Lâcheté de Pilate. — 3. Lamentation des filles de Jérusalem. — ·>. Victoire du Christ et des croyants en lui. — 5. Endurcissement des Juifs. 1. Les Juifs impies, bien-aimés, s’ingéniaient de mille manières à trouver quelque prétexte pour per­ pétrer leur crime contre le Seigneur Jésus ; les men­ songes allégués par de faux témoins au service de prêtres iniques n’apportant rien qui méritât la mort, voilà ce qu’ils trouvèrent comme un argument en ap­ parence irréfutable : accabler le Maître du monde sous l’odieux de prétendre à la royauté. Et comme Pilate voulait déclarer absous celui qu’il voyait accusé sans motif, ils crièrent tous ensemble, joignant la menace à la calomnie : « Si tu le relâches, tu n’es pas ami de César : qui se fait roi s’oppose à César 11 » 69 DE passione SERMO X Stultam insimulationem imprudenter, Pilate, ti­ muisti. Sed formidabile fuerit nomen regium, ut pro imperio Caesaris opprimi debuerit novae molitio po­ testatis, si dominandi consilium tyrannicus tibi pro­ didit apparatus, si provisio armorum, si congregatio divitiarum, si praesidia detecta sunt militum. Quid eum gravari sinis de affectata potentia, cujus specialis fuit de humilitate doctrina ? Romanis legibus non contradixit, censum subiit, didrachma solvit \ vecti­ galia non inhibuit, quae Dei sunt Deo, et quae sunt Caesaris Caesari reddenda constituit 2 ; paupertatem elegit, obedientiam suasit, mansuetudinem praedica- . vit : hoc est vere, non Caesarem impugnare, sed juvare, 2. Verumtamen ne in totum inanis videatur Ju­ daeorum objectio, discute diligentius, praeses, quid de Domini Jesu operibus notum sit, quid de potestate compertum. Caecis visum, surdis auditum, claudis gressum, mutis donavit eloquium, febres abegit, dolo­ res resolvit, daemonia ejecit, mortuos vivificavit, mari et ventis, ut quiescerent, imperavit. Magnum prorsus regem ista demonstrant, qui non humana excellit po­ tentia, sed virtute divina. Hanc ergo Judaei objiciant potestatem, commutent actionem suam, et hoc profe- I rant ore, quod tenent corde. Quare de terrenis calum­ niantur, qui caelestia persequuntur ? Quamvis ergo Pilatus onerosum sibi invidiosumque sentiret, quod eum Judaei de neglectu amicitiae Caesaris impetebant, aliquamdiu tamen furorem ipsorum mitigare conatus est : et ideo Dominum Jesum diversis contumeliis affici aut permisit, aut jussit, ut satiata iniquitas de inno­ centis injuriis ulterius non saeviret. Sed pertinax mali­ tia propriis crescebat augmentis, et in quem obtinuerat 1. Cf. Matth. XVII, 21-25. 2. et. ibid, xxrr. 21. SERMON X SUR LA PASSION 69 C’est sans réfléchir, Pilate, que lu as conçu de la crainte de cette stupide accusation ! Le nom de roi n’aurait été redoutable — au point d’exiger pour la défense de Γempire de César la répression de toute machination tendant à un nouveau pouvoir — que si une pompe comme celle des tyrans t’avait dévoilé le dessein de régner, si on avait découvert une réserve d’armes, une collecte de fonds, des formations mili­ taires. Pourquoi laisses-tu charger du grief de pré­ tendre au pouvoir quelqu’un dont la doctrine fut spé­ cialement d’humilité ? Il ne s’est pas opposé aux lois romaines, il s’est soumis au cens, il a payé le didrachme 1, il n’a pas combattu les impôts, il a établi qu’il fallait rendre à Dieu ce qui est à Dieu et à César ce qui est à César 2; il a choisi la pauvreté, conseillé l’obéissance, prêché la douceur : vraiment ce n’est pas là combattre César, mais le seconder ! 2. Cependant, pour que l’accusation mise en avant par les Juifs ne paraisse pas totalement vainc, exa­ mine plus soigneusement, Procurateur, ce que l’on sait des œuvres du Seigneur Jésus, ce que l’on a appris de son pouvoir. Il a donné la vue aux aveugles, l’ouïe aux sourds, la marche aux boiteux, la parole aux muets, il a chassé les fièvres, supprimé les douleurs, expulsé les témoins, rendu la vie aux morts, imposé le calme à la mer et aux vents. Voilà, certes, qui ma­ nifeste un grand roi, un roi qui ne l’emporte pas par un pouvoir humain, mais par une vertu divine. Que les Juifs objectent donc cette puissance-là, qu’ils changent leur accusation, proférant ainsi de bouche ce qu’ils cachent dans leur cœur ! Pourquoi leurs ca­ lomnies portent-elles sur des actions terrestres, alors qu'ils en ont à des actions célestes ? Aussi, bien que Pilate sentît le poids et l’odieux du reproche que lui lançaient les Juifs de négliger l’amitié de César, il s’efforça cependant quelque temps de calmer leur fu­ reur : il permit donc ou ordonna qu’on infligeât divers outrages au Seigneur Jésus, afin que, rassasiée des injustices subies par un innocent, l’iniquité n’en vînt pas à d’autres cruautés. Mais cette méchanceté achar­ née ne faisait que croître de ce qui lui était accordé, 70 DE PASSIONE SERMO X jus illusionis, exigebat et mortis. Unde cum et summi sacerdotes, et principes Judaeorum, omnisque multi­ tudo crebris vocibus acclamarent : Crucifige, crucifige, tradidit Jesum persequentium voluntati, Barabba illis latrone dimisso, ut qui in die festo auctorem interfi­ ciebant vitae, impunitas eis praestaretur homicidae \ 3. Euntc itaque, dilectissimi, ad locum clarificatio­ nis suae Domino, et misericordia ab impiorum taber­ naculis exeunte 12, ut adimpleretur quod scriptum est : Longe a peccatoribus salus 3, sequebatur eum multi­ tudo populi, et mulierum plangentium et lamentan­ tium eum 4. Solet enim sexus infirmior, etiam pro iis qui morte sunt digni, in lacrymas commoveri, et dam­ natorum exitus, pro naturae communis consideratione misereri. Sed istum sibi planctum Dominus Jesus dedi­ gnatur impendi, quia non decebat luctus triumphum, nec lamenta victoriam. Denique conversus ad eas, Filiae, inquit, Jerusalem, nolite flere super me, sed su­ per vosmeiipsas, et super filios oestros flete. Quia venient dies, in quibus dicent : Beatae steriles, et ventres qui non genuerunt, et ubera quae non nutrierunt δ. Ubi est tristitia crucifigendi ‘? Ubi formido morituri ? Non ter­ ret passuri animum hora supplicii, et docens nullam pro se flendi esse rationem, indicit paenitentiam, de­ nuntiando vindictam. Non est, inquit, quod dolere in me, Jerusalem filiae, debeatis ; pro vobis plangite, et pro vestris filiis ejulate. Super illos fundatur iste plo­ ratus, quos tales viscera vestra pepererunt. Lugendum plane vobis est, non de Salvatore credentium, sed de 1. Cf. Actes III, 15. 2. L'expression qu’emploie S. Léon pourrait être un rappel de Nombres XVI, 26 : Moïse enjoint au peuple de s’éloigner des tentes de Coré, Dathan et Ablron pour ne pas être englobé dans le châtiment céleste qui va s’abattre sur eux : ■ Rcccditc a tabernaculis honikuun hnplorum. » 3. Ps. CXVIIL 155. SERMON X SUR LA PASSION 70 cl, contre celui de qui elle avait obtenu le droit de se moquer, elle exigeait aussi celui de le faire mourir. Aussi, quand les souverains prêtres et les princes des Juifs, avec toute la multitude, vociférèrent à cris re­ doubles : « Crucifie-le ! crucifie-le ! », il livra Jésus au bon plaisir de ses persécuteurs après leur avoir relâ­ ché le bandit Barabbas : l’impunité d’un homicide était ainsi accordée à ceux qui, en ce jour de fête, fai­ saient mourir l’auteur de la vie l. 3. Le Seigneur s’en allait donc, bien-aimés, au lieu de sa glorification ; la miséricorde sortait des demeures des impies 2, afin que s’accomplît ce qui est écrit : « 11 est loin des pécheurs, le salut 3 » ; et le peuple en foule le suivait, avec des femmes qui pleuraient et se lamentaient sur lui 4. Il est, en effet, habituel au sexe faible d’être ému jusqu’aux larmes, même envers ceux qui sont dignes de mort, et de prendre en pitié la fin des condamnés, par considération pour la nature qui est commune avec la leur. Mais le Seigneur Jésus ne voulut pas qu’on se livrât pour lui à celte lamentation, car il ne convenait pas de pleurer un triomphe, ni de déplorer une victoire. Se tournant enfin vers elles, il dit : « Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi ; pleurez plutôt sur vous-mêmes et sur vos enfants ! Car voici venir des jours où l’on dira : Heureuses les stériles, heureuses les entrailles qui n’ont pas enfanté, et les seins qui n’ont pas nourri 5 ! » Où donc est la tristesse de celui qui doit être crucifié ? Où la peur de celui qui va mourir ? L’heure du supplice n’effraie pas l’âme de celui qui va souffrir, et, en enseignant qu’il n’y a aucune raison de pleurer sur lui, il invite à la pénitence par l’annonce du châtiment. Il n’y a rien, dit-il, filles de Jérusalem, dont vous deviez vous affli­ ger à mon propos ; pleurez pour vous, lamentez-vous pour vos fils. Que ces pleurs se répandent sur de tels rejetons de vos entrailles. S’il vous faut pleurer, ce n’est pas sur le Sauveur de ceux qui croient, mais sur l’impiété de ceux qui se perdent. Quant à moi, je 4. Cf. Luc XXRI, 27. 5. Ibid. 28-29. 71 DE PASSIONE SERMO X impietate pereuntium. Ego crucem volens patior, et mortem in me, quam sum perempturus, admitto. No­ lite flere pro mundi redemptione morientem, quem in majestate Patris videbitis judicantem. 4. Exaltatus ergo Christus Jesus in ligno retorsit mortem in mortis auctorem, et omnes principatus, adversasque virtutes ’, per objectionem passibilis carnis elisit, admittens in se antiqui hostis audaciam, qui in obnoxiam sibi saeviendo naturam, etiam ibi exactor ausus est esse debiti, ubi nullum potuit vestigium in­ venire peccati. Evacuatum est igitur generale illud venditionis nostrae et lethale chirographum 1 2, et pac­ tum captivitatis in jus transiit Redemptoris. Clavi illi, qui manus Domini pedesque transfoderant, perpetuis diabolum fixere vulneribus, et sanctorum poena mem­ brorum inimicarum fuit interfectio potestatum : sic suam Christo consummante victoriam, ut in ipso et cum ipso omnes, qui in eum crederent, triumpharent. 5. Cum ergo Dominus crucifixi corporis elevatione sublimis, reconciliationem mundi exsequeretur in qua­ dam arce supplicii, latronemque conversum ad para­ disi vocaret habitaculum; vos, principes Judaeorum, legisque doctores, nec conscientiae impietate compunc­ ti, nec effectu sceleris mitigati, fixuris clavorum adde­ batis tela linguarum, dicentes : Alios saluos fecit, se~ ipsum non potest saluum facere. Si rex Israel est, descendat nunc de cruce, et credimus ei 3. Sed his vocibus vestris stultis atque blasphemis reddunt omnia elementa res­ ponsum, et unam simul in vos sententiam ferunt cae­ lum, terra, sol, sidera, quae indignos vos suo minis­ terio protestantur terribili motu, insolitoque defectu tenebras mundo vestrae caecitatis ostentant. Quod si 1. Cf. Coi. II, 15. 2. a. Ibid. 14. 71 SERMON X SUR LA PASSION souffre la croix volontairement, et j’accepte pour moi cette mort que je vais vaincre. Ne pleurez pas celui qui meurt pour la rédemption du monde et que vous verrez revenir en juge dans la majesté du Père. 4. Le Christ Jésus, exalté sur le bois, fit donc re­ tomber la mort sur l’auteur de la mort et brisa toutes les Principautés et les Puissances adverses 1 en leur jetant en pâture une chair passible ; il permit à l’an­ tique ennemi d’exercer sur lui son audace, lequel, en déployant sa fureur contre une nature à lui soumise, osa exiger un dû là même où il ne put trouver aucune trace de péché. Ce mortel acte de vente 2 qui nous concernait tous, se trouva donc privé de sens et le contrat de servitude fut désormais au pouvoir du Ré­ dempteur. Ces clous qui avaient percé les mains et les pieds du Seigneur s’enfoncèrent dans le diable pour d’éternelles blessures, et le supplice des membres sa­ crés causa la mort des Puissances ennemies. Ainsi le Christ consomma sa victoire, en sorte que, en lui et par lui, tous ceux qui croiraient en lui triompheraient. 5. Tandis que le Seigneur, glorifié par l’élévation de son corps crucifié, accomplissait la réconciliation du monde comme du haut lieu de son supplice, et ap­ pelait le larron converti au séjour du paradis, vous, princes des Juifs et docteurs de la loi, sans vous laisser ni toucher par l’impiété de votre conscience, ni adou­ cir par l’accomplissement de votre crime, vous ajou­ tiez aux blessures des clous les traits de vos langues, et vous disiez : « 11 en a sauvé d’autres et il ne peut se sauver lui-même 1 II est roi d’Israël : qu’il descende maintenant de la croix, et nous croirons en lui 3. » Mais à vos paroles insensées et à vos blasphèmes tous les éléments répondent, et une même sentence est por­ tée contre vous par le ciel, la terre, le soleil, les astres : en un terrible ébranlement, tous proclament que vous êtes indignes de leur service, et, en se dérobant d’une manière insolite, ils manifestent au monde les ténèbres de votre aveuglement. Que si, pour vous convaincre, ni les cieux ni les enfers ne suffisent, et si les pierres 3. Matth. XXVII, 42. /xfon le Grand. III. 9 72 DE PASSIONE SERMO X ad arguendum vos nec caelestia, nec inferna suffi- 1 ciunt, et crucem Christi magis potuerunt petrae atque I monumenta, quam corda vestra sentire 1 ; saltem quod in templo actum est, scienter advertite. Velum, cujus ? objectu intercludebantur sancta sanctorum, a summo j usque ad ima diruptum est, ct sacrum illud mysticumque secretum quo solus summus pontifex jussus fuerat intrare, reseratum est, ut nihil jam esset dis-γ cretionis, ubi nihil resederat sanctitatis. Repudiatos itaque vos debuistis agnoscere, et omne jus sacerdotii perdidisse, quia verum erat quod Veritas vobis dixe- t rat : Si crederetis Mosi, crederetis et mihi 12. Merito ergo ! vos Testamentum utrumque condemnat, et gratia vacuatos, et lege privatos, qui ideo resistitis novis, quia | non credidistis antiquis. Nos autem, dilectissimi, qui ab ignorantiae tenebris j liberati, fidei lumen accepimus, et in novi Testamenti I haereditatem per electionem adoptionis intravimus, 5 in festivitate, quam carnalis Israel perdidit, gaudea-j mus : quoniam Pascha nostrum immolatus est Chris··: tus 3; per cujus ineffabilem gratiam omnium charis-l matum benedictione ditamur, ct ita in novitatem a· vetustate transferimur, ut non solum paradisi resti-', tuamur habitaculo, sed etiam regni caelestis gloriae praeparemur, adjuvante Domino nostro Jesu Christo,! qui cum Patre et sancto Spiritu vivit et regnat ii» saecula saeculorum. Arnen4. 1. S. Ambkoise dit do même : *O duriora saxis pectora Judaeorum!# Finduntur petrae, sed horum corda durantur » (In Lucam X» 123; CSEL I 32-4, 501 ; S. C. 52, p. 199). 2. Jean V, 46. SERMON X SUR LA PASSION 72 et les tombeaux furent, plus sensibles que vos cœurs à la croix du Christ \ observez du moins en gens aver­ tis ce qui s’est passé dans le temple. Le voile qui, comme une barrière, fermait le Saint des Saints, a été déchiré du haut en bas, et ce lieu secret, saint et mys­ térieux, où seul le Grand Prêtre avait ordre d’entrer, a été ouvert : car il n’y avait plus de distinction à maintenir là où n’habitait plus de sainteté. Vous deviez donc reconnaître que vous étiez répudiés et que vous aviez perdu tous les droits du sacerdoce, car elle était vraie cette parole que la Vérité vous avait dite : « Si vous croyiez Moïse, vous me croiriez aussi 2. » C’est donc justement que les deux Testaments vous con­ damnent, vous qui êtes à la fois vides de la grâce et privés de la Loi, et qui avez résisté à l’ordre nouveau pour n’avoir pas cru à l’ancien. Pour nous, bicn-aimés, délivrés des ténèbres de l’ignorance, nous avons reçu la lumière de la foi et sommes entrés par l’élection adoptive dans l’héritage du Testament nouveau ; réjouissons-nous donc, en cette fête qu’a perdue l’Israël charnel, de ce que « notre pàque, le Christ, a été immolée 34*8. » Sa grâce ineffable nous enrichit de la bénédiction de tous les dons spiri­ tuels et nous fait passer de la vétusté à la nouveauté, non seulement pour nous rendre notre place au séjour du paradis, mais encore pour nous préparer à la gloire du royaume des deux, par le secours de notre Seigneur Jésus-Christ, qui avec le Père et le Saint-Esprit vit et règne dans les siècles des siècles. Amen ♦. 3. I Cor. V. 7. 4. Les sermons 47 ct 48. comme tes précédents, peuvent être unis l'un à l’autre, te premier ayant été prononcé le dimanche et le second te mercredi, bien que la mention du renvoi manque à la fin du sermon 47. Les sonnons qui s'achèvent avec celui-ci ont tous suivi, sauf Favant-dcrnicr, 1c récit de la Passion, lu à FOflice. pour te commenter. Dans tes suivants, S. Léon adoptera un autre plan. Il reviendra cependant au récit de la Passion dans tes sermons 5-1 ct 55. 73 DE PASSIONE SERMO XI 49 (LX 11) DE PASSIONE DOMINI SERMO XI dominico die habitus. 1. Desiderata nobis, dilectissimi, ct universo opta­ bilis mundo adest festivitas Dominicae passionis, quae nos inter exsultationes spiritualium gaudiorum silere non patitur : quia etsi difficile est de eadem re saepius digne apteque disserere, non est tamen liberum sacer­ doti \ in tanto divinae misericordiae sacramento fide­ lis populi auribus subtrahere sermonis officium, cum ipsa materia, ex eo quod est ineffabilis, fandi tribuat facultatem ; nec possit deficere quod dicatur, de qua numquam potest satis esse quod dicitur. Succumbat ergo humana infirmitas gloriae Dei, et in explicandis operibus misericordiae ejus, imparem se semper inve­ niat. Laboremus sensu, haereamus ingenio, deficiamus eloquio : bonum est ut nobis parum sit quod etiam recte de Domini majestate sentimus. Dicente enim pro­ pheta : Quaerite Dominum et confirmamini, quaerite fa­ ciem ejus semper 12, nemini praesumendum est quod totum quod quaerit invenerit, ne desinat propinquare qui cessarit accedere. Quid autem inter omnia opera Dei, in quibus huma1. Λ l’époque de S- Léon, le mot sacerdos sert encore à designer févéque. Son o/Jccûun ne 10 laisse pas libre de se taire lorsqu’on célébré la Pftquo» mais il doit remplir le devoir d’enseigner qui lui revient en propre. CL art· SaCirdos dans DACL, XV, 240. 2. Ps. CIV, 4. SERMON XI SUR LA PASSION 73 49 (LXII) ONZIÈME SERMON SUR LA PASSION DU SEIGNEUR (prononcé le dimanche). Sommaire. — 1. Impossibilité de parler dignement de ce mystère ; surprise qu'il cause à la raison humaine. — 2. Le Christ vrai Dieu et vrai homme. — 3. Folie du démon et charité du Christ. — 6. Judas. — 5. Grandeur de la Croix. Renvoi. 1. Objet de nos désirs, bien-aimés, objet des sou­ haits de l’univers entier, voici que la fête de la Passion du Seigneur est arrivée, et elle ne souffre pas que nous nous taisions parmi les transports de la joie spirituelle ; car, tout malaise qu’il soit de parler souvent sur le même sujet d’une manière digne et convenable, il n’est pourtant pas loisible à l’évêque \ en un si grand mys­ tère, qui est celui de la miséricorde divine, de frustrer l’attention du peuple fidèle du ministère de la parole : la matière, puisqu’elle est inexprimable en mots hu­ mains, fera elle-même trouver les mots et l’on ne peut rester court là où l’on ne peut jamais assez dire. Que l’humaine faiblesse soit donc vaincue par la gloire de Dieu, et, en voulant développer les œuvres de sa mi­ séricorde, se sache toujours inégale à sa tâche. Appli­ quons-)' notre esprit, attachons-y notre talent, pour défaillir quand il nous faut parler : il est bon que nous estimions peu de chose ce que nous pensons, même correctement, de la majesté du Seigneur. Le Prophète dit en effet : « Cherchez le Seigneur et vous trouverez force, cherchez sa face sans relâche 2. » Personne ne doit donc présumer avoir jamais trouve tout ce qu’il cherchait, de peur qu’en cessant d’approcher, il ne finisse d’avancer. Or, parmi toutes les œuvres de Dieu dans lesquelles 74 DE PASSIONE SERMO XI nae admirationis fatigatur intentio, ita contemplatio- : nem mentis nostrae et oblectat et superat, sicut passio I I Salvatoris ? De cujus omnipotentia, quae ei cum Patre i unius et aequalis essentiae est, quoties, ut possumus, I cogitamus, mirabilior nobis fit in Deo humilitas quant I ' potestas ; et difficilius capitur divinae majestatis exina- j nitio, quam servilis formae 1 in summa provectio. ; Sed multum nos ad intellectum juvat, quod licet aliud ■ sit Creator, aliud creatura, aliud Deitas inviolabilis, ’ aliud caro passibilis ; in unam tamen personam con- ' currat proprietas utriusque substantiae, ut sive in infirmatitabus, sive in virtutibus, ejusdem sit coutume- | lia, cujus et gloria. 2. Hac fidei regula, dilectissimi, quam in ipso exor- 11 dio Symboli per auctoritatem apostolicae institutio- , nis accepimus, Dominum nostrum Jesum Christum, j quem Filium Dei Patris omnipotentis unicum dicimus, j eumdem quoque de Spiritu sancto natum ex Maria ] virgine confitemur ; nec ab ejusdem majestate disce- ! dimus, cum ipsum crucifixum et mortuum, et die ter- 1 tia credimus suscitatum. Omnia enim quae Dei sunt, | j et quae hominis, simul et humanitas explevit et dei- i tas : ut dum passibili impassibilis inest, nec virtus in ] infirmitate affici, ncc infirmitas possit in virtute super- , ari. Merito beatus Petrus apostolus in hujus unitatis confessione laudatus est : qui, cum Dominus quid de . ipso intelligerent discipuli, scrutaretur, omnium celer- . rimo ora praeveniens, Tu es, inquit, Christus Filius | Dei vivi. Quod utique non revelante vidit carne nec sanguine, quorum objectu interiores oculi poterant · impediri, sed ipso Spiritu Patris in corde operante credentis, ut ad regimen totius Ecclesiae praeparatus, 1 j 1. Notre condition qu’il a volontairement assumée selon le texte bien connu de Phil. 11» 7 que S. Léon a Ici on vue, une fois de plus. 9, > r SERMON XI SUR LA PASSION 74 s’épuise l’admiration attentive de l’homme, en est-il une qui charme et dépasse en même temps la contem­ plation de notre esprit comme la Passion du Sauveur ? Chaque fois que, selon nos moyens, nous pensons à sa toute-puissance, qui est en lui comme dans le Père dont il partage l’unique et égale essence, l’humilité nous paraît en Dieu plus étonnante que la force, et nous comprenons plus difficilement l’anéantissement de la majesté divine que l’élévation sublime de la condition servile \ Cependant, pour en avoir l’intelli­ gence, nous sommes grandement aides par le fait que, en dépit de la totale différence séparant Créateur et créature, divinité inviolable et chair passible, les pro­ priétés de l’une et de l’autre nature s’unissent sur une seule personne, si bien que, dans les manifestations de faiblesse comme dans les œuvres de puissance, c’est le même qui subit l’abaissement et qui possède la gloire. 2. Par cette règle de foi, bicn-aimés, qui se trouve exprimée dans les premiers mots mêmes du Symbole, et que nous avons reçue revêtue de l’autorité que donne une origine apostolique, nous confessons que notre Seigneur Jésus-Christ, Fils unique de Dieu le Père tout-puissant, ainsi que nous l’affirmons, est le même qui est né de la Vierge Marie par l’Esprit-Saint ; et nous ne répudions pas sa majesté lorsque nous croyons qu’il a été crucifié, qu’il est mort et, le troi­ sième jour, ressuscité. Tout ce qui, en effet, relève de Dieu et tout ce qui relève de l’homme, et l’humanité et la divinité ensemble l’ont accompli ; en sorte que, la nature impassible habitant la nature passible, ni la débilité de la seconde n’a pu affecter la puissance de la première, ni cette puissance absorber la faiblesse de celle-là. C’est à bon droit que le bienheureux apôtre Pierre fut félicité pour avoir confessé cette unité ; comme le Seigneur s’enquérait de ce que pensaient les disciples à son sujet, Pierre, devançant avec empres­ sement la réponse de tous : « Tu es le Christ, dit-il, le Fils du Dieu vivant. » Certes il ne vit point cela par l’effet d’une révélation de la chair et du sang, qui, en s’interposant, auraient pu voiler son regard inté- L 75 DE PASSIONE SERMO XI primum disceret quod doceret, et pro soliditate fidei, quam erat praedicaturus, audiret : Tu es Petrus, et super hanc peiram aedificabo Ecclesiam meam, et portae inferi non praevalebunt adversus eam Christianae igitur fidei fortitudo, quae portas mor­ tis super inexpugnabilem petram aedificata non me­ tuit, unum Dominum Jesum Christum, et verum Deum, et verum hominem confitetur ; cumdcm cre­ dens filium Virginis, qui auctor est matris ; eumdem natum in fine saeculorum, qui creator est temporum ; eumdem Dominum omnium virtutum, et unum de stirpe mortalium ; cumdcm peccati nescium, et in si­ militudine carnis peccati pro peccatoribus immola­ tum 1 2. 3. Qui ut humanum genus vinculis mortiferae prae­ varicationis absolveret, ct saevienti diabolo potentiam suae majestatis occuluit, et infirmitatem nostrae humi litatis objecit. Si enim crudelis et superbus inimicus consilium misericordiae Dei nosse potuisset, Judaeo­ rum animos mansuetudine potius temperare, quam injustis odiis studuisset acccnderc ; nc omnium capti­ vorum amitteret servitutem, dum nihil sibi debentis persequitur libertatem. Fefellit ergo illum malignitas sua : intulit supplicium Filio Dei, quod cunctis filiis hominum in remedium verteretur. Fudit sanguinem justum, qui reconciliando mundo et pretium esset et poculum. Suscepit Dominus, quod secundum proposi­ tum suae voluntatis elegit. Admisit in se impias ma­ nus furentium, quae dum proprio incumbunt sceleri, famulatae sunt Redemptori. Cujus etiam circa inter­ fectores suos tanta erat pietatis affectio, ut de cruce 1. Mullh. XVJ, 1C. 2. (X Boin. VJII, 3 ’:· Deus Alium suum mittens in similitudinem camis peccati. » SERMON XI SUR LA PASSION 75 rieur, mais par l’opération de l’Esprit même du Père dans son cœur de croyant, afin que, destine comme il l’était à gouverner toute l’Église, il commençât par apprendre ce qu’il enseignerait et par s’entendre ré­ pondre, pour la solidité de la foi qu’il était appelé à prêcher : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les portes de l’Enfer ne tiendront pas contre elle x. » La ferme foi chrétienne, qui, fondée sur ce roc inex­ pugnable, n’a pas craint d’affronter les portes de la mort, confesse donc que l’unique Seigneur Jésus-Christ est à la fois vrai Dieu et vrai homme; elle croit que le même est fils de la Vierge et auteur de sa mère ; que le même est né à la fin des siècles et a créé tous les temps ; que le même est Seigneur de toutes les puissances cé­ lestes, et l’un de ceux issus de la souche des mortels ; que le meme n’a pas connu le péché, et a été immolé pour les pécheurs dans une chair semblable à celle du péché 2. 3. C’est lui qui, voulant, délivrer le genre humain des liens de la prévarication mortelle, cacha à la fureur du diable la puissance de sa majesté et en même temps lui opposa la faiblesse de notre humilité. Si, en effet, cet ennemi cruel et superbe avait pu connaître le des­ sein de miséricorde de Dieu, il se serait appliqué à tempérer par la douceur les âmes des Juifs plutôt qu’à allumer en elles d’injustes haines; et il aurait ainsi évité de perdre l’esclavage de tous ses captifs en s’attaquant à la liberté du seul homme qui ne lui dût rien. Sa méchanceté le trompa : il infligea au Fils de Dieu un supplice qui devait se changer en remède pour tous les fils des hommes. Il répandit le sang in­ nocent qui serait pour le monde en attente de sa ré­ conciliation, et une rançon et un breuvage. Le Seigneur accepta ce que le dessein de sa volonté avait choisi. 11 permit à des mains furieuses et impies de sc porter sur lui, et celles-ci, en s’appliquant à commettre leur crime à elles, étaient en fait au service du Rédemp­ teur. La tendresse de son amour était même si grande envers scs bourreaux, que, du haut de la croix, il sup­ pliait son Pêro et lui demandait non pas de le venger, 76 DE PASSIONE SERMO XI supplicans Patri, non se vindicari, sed illis postularet I ignosci, dicens : Paler, dimitte illis, quia nesciunt quid I faciunt ’. De cujus utique orationis potentia fuit, ut praedicatio Petri apostoli, ex iis qui dixerunt : Sanguis illius super nos et super filios nostros 12, multorum ad paenitentiam corda converteret, et uno die baptiza­ rentur tria fere millia Judaeorum 3; iicrctque omnium I I cor unum et anima una 4, paratorum jam pro eo mori quem poposcerant crucifigi. 4. Ad hanc indulgentiam traditor Judas pervenire I non potuit : quoniam perditionis filius 5, cui diabolus stabat a dextris e, prius in desperationem transiit, >* quam sacramentum generalis redemptionis Christus impleret. Nam mortuo pro omnibus impiis Domino, i potuisset etiam forte hic consequi remedium, si non < festinasset ad laqueum. Sed maligno cordi, et nunc i furti fraudibus dedito, nunc parricidalibus commerciis I occupato, nihil umquain documentorum misericordiae Salvatoris insederat. Impiis acceptaverat auribus Do- i mini verba dicentis : Non veni vocare justos, sed pecca- I tores7; et : Filius hominis venit quaerere et salvare ; quod perierat8 ; nec intellexerat clementiam Christi! J qui non solum corporeis infirmitatibus medebatur, sed 3 etiam vulnera debilium curabat animarum, dicens pa­ ralytico : Constans esto, fili, remissa sunt tibi peccata .· j tua 9 ; dicens et oblatae sibi adulterae : Nec ego te I condemnabo, vade et amplius noli peccare10 ; ut per om-d nia opera sua ostenderet, in illo adventu suo salva- 4 torem mundi se venisse, non judicem. A quo intellectu alienatus impius traditor, insurrexit in semetipsum,-îj 1. 2. 3. 4. Luc XXIII, 34. Matth. XXVII, 25. Cf- Actes II. 1. CL Ibid. IV. 32. -I SERMON XI SUR LA PASSION 76 mais de leur pardonner, disant : « Père, pardonneleur : ils ne savent ce qu’ils font A » Et si forte fut la vertu de cette prière que la prédication de l’apôtre Pierre convertit à la pénitence les cœurs de beaucoup de ceux qui avaient dit : « Que son sang soit sur nous et sur nos enfants 2», et qu’en un seul jour trois mille Juifs environ furent baptisés 3 : il n’y avait plus dès lors en eux tous qu’un cœur et qu’une âme 4, et ils étaient prêts désormais à mourir pour celui dont ils avaient demandé le supplice. ■1. A ce pardon le traître Judas ne put parvenir, parce que ce fils de perdition 56 789, à la droite de qui se tenait le diable °, tomba dans le désespoir avant que le Christ n’eût accompli le sacrement de l’universelle rédemption. Car, le Seigneur étant mort pour tous les impies, celui-là aussi aurait peut-être pu profiter du remède, s’il ne s’était hâté vers la corde fatale. Mais dans son cœur pervers, tantôt adonné à des vols frau­ duleux, tantôt occupé à des marchés parricides, rien n'était jamais demeuré des témoignages de la miséri­ corde du Sauveur. C’est d’une oreille impie qu’il avait entendu les paroles du Seigneur : « Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs et encore : « Le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu e. » Il n’avait pas davantage compris la clémence du Christ, lequel ne guérissait pas seule­ ment les misères des corps, mais soignait aussi les bles­ sures des âmes faibles, disant au paralytique : « Con­ fiance, mon fils, tes péchés te sont remis °»; et à la femme adultère qu’on lui avait amenée : « Moi non plus je ne te condamne pas. Va ; désormais ne pèche plus10»; il montrait ainsi par toutes ses œuvres que, lors de son avènement, il était venu en sauveur du inonde, et non en juge. Bien loin de le comprendre, 5. C.t. Jean XVII, 12 : < Quos dedisti ndhl, custodivi, et nemo ex cis periit, nisi illius perditionis, ut scriptura Impleatur. · 6. Cf. Ps. CVIII, 0. 7. Matth. IX, 13. 8. Luc XIX, 10. 9. Matth. IX, 2. 10. Jean Vili, 11. 1 77 DE PASSIONE SERMO XI non judicio paenitentis, sed furore pereuntis: ut qui vitae auctorem 1 interfectoribus vendidisset, in aug­ mentum damnationis suae etiam moriendo peccaret. <5. Quod ergo falsi testes, quod cruenti principes, quod impii sacerdotes in Dominum Jesum Christum ministerio ignavi praesidis et famulatu imperitae co­ hortis egerunt, et detestandum universis saeculis, et amplectendum fuit. Crux enim Domini, sicut in Ju­ daeorum erat mente crudelis, ita est in Crucifixi vir­ tute mirabilis. F'urit in unum populus, et miseretur omnium Christus. Quod saevitia infertur, voluntate suscipitur : ut licentia facinoris aeternae opus impleat voluntatis. Unde omnis ordo rerum gestarum, quem plenissime evangelica narratio percurrit, ita fidelium est accipien­ dus auditu, ut salva fide actionum, quae tempore Do­ minicae passionis impletae sunt, intelligamus non so­ lum remissionem peccatorum in Christo completam, sed etiam formam justitiae esse propositam. Verum, ut hoc diligentius, juvante Domino, disseratur, haec sermonis portio in quartam sabbati reservetur. Aderit, ut speramus, gratia Dei, quae nos orantibus vobis fa­ ciat promissa complere : per Dominum nostrum Je- j sum Christum, qui cum Patre et Spiritu sancto regnat in saecula saeculorum. Arnen. w \ * 4 | , i J à i 1. Cf. Actes III. 15 : « Auctorem vero vitae interfecistis. » I I * I . Iλ SERMON XI SUR LA PASSION 77 le traître impie s’éleva contre lui-même, non comme un pénitent qui se juge, mais comme un furieux qui court à sa pertc : après avoir vendu aux assassins ΓAuteur de la vie *, il ajouta à sa condamnation et pécha encore en mourant. 5. Ce que de faux témoins, ce que des princes san­ guinaires, ce que des prêtres impies infligèrent au Sei­ gneur Jésus-Christ avec le concours d’un lâche pro­ curateur et le service d’une cohorte inexpérimentée, tout cela lut une œuvre que tous les siècles doivent à la fois maudire et embrasser. La croix du Seigneur en effet, cruelle dans l’intention des Juifs, est admirable dans la puissance du crucifié. Le peuple se déchaîne contre un seul, et c’est de tous que le Christ a pitié. Il reçoit volontairement ce que la fureur lui inflige, et la permission qu’il accorde au crime accomplit l’œuvre de son éternel vouloir. Aussi, en entendant la suite des faits, tels que le récit évangélique les déroule intégralement, les fidèles doivent certes donner leur créance aux actions qui ont été accomplies au temps de la Passion du Seigneur, mais également comprendre que le Christ non seule­ ment réalise le pardon des péchés, mais encore propose un modèle de justice. Cependant, pour pouvoir, avec l’aide du Seigneur, traiter ce sujet plus soigneusement, réservons à mercredi cette partie de notre discours. La grâce de Dieu, nous l’espérons, nous secondera, et, avec le secours de vos prières, nous permettra de tenir notre promesse ; par notre Seigneur Jésus-Christ, qui règne avec le Père et le Saint-Esprit dans les siècles des siècles. Amen. 78 DE PASSIONE SERMO XII (LX I Π) I DE PASSIONE DOMINI SERMO XII habitus feria quarta. 1. Gloria, dilectissimi, Dominicae passionis, de qua nos etiam hodie locuturos esse promisimus, humilita­ tis maxime est miranda mysterio ; quae omnes nos et redemit et docuit : ut unde daturn est pretium, inde justitia sumeretur. Omnipotentia enim Filii Dei, qua per eamdem essen­ tiam aequalis est Patri, potuisset humanum genus a dominatu diaboli solo imperio suae voluntatis eruere, nisi divinis operibus maxime congruisset, ut nequitiae hostilis adversitas de eo quod vicerat vinceretur \ et per ipsam naturam naturalis repararetur libertas, per quam generalis fuerat illata captivitas 1 2. Dicente au­ tem evangelista quod Verbum caro facium est, et habi­ tavit in nobis 3 ; et dicente Apostolo quod Deus erat in Christo mundum reconcilians sibi 4 : ostensum est, quia Unigenitus summi Patris tale iniit cum humana humi­ litate consortium, ut suscepta nostrae carnis ani-; maeque substantia unus atque idem Dei Filius perma1. On retrouve la même formule au /· Sermon sur le Carême, 3 (S. C. 49 p. 47) : «Ut superbus hostis de eo quod quondam ligaverat ligaretur·» Voir sur cette tournure le commentaire do J. H. Wasztnk dans VigiliM Christianae XII. 2. Juil. 58. p. 109. 2. C’est la forme de justice que Dieu a voulu observer jusqu’en la répres­ sion du démon ; doctrine chèro à S. Léon et déjà rencontrée bien souvent. 3. Jean I, 14. 4. H Cor. V. 19. SERMON XII SUR LA PASSION 78 50 (LXIII) DOUZIÈME SERMON SUR LA PASSION DU SEIGNEUR (prononcé le mercredi). Sommaire. — 1. L’économie générale de la Rédemption. — 2. Une meme foi a justifié Ica saints de l’Ancien Testament et nous justifie maintenant. — 3. Le Christ vivant dans son Église. — 4. Il nous a laissé un secours et un exemple. — 5. Il est la fin de la loi ancienne. — 6. Son action incessante dans son Église. — 7. Son action en chacun de nous. 1. La glorieuse Passion du Seigneur, bien-aimés, dont nous avons promis de parler encore aujourd’hui, est surtout admirable par son mystère d’humilité ; elle nous a tous rachetés en même temps qu’instruits, et en elle par qui a été payée notre rançon, nous pui­ sons aussi la justice. La toute-puissance du Fils de Dieu, source de son égalité avec le Père dans l’unité d’essence, aurait pu, en effet, arracher le genre humain à l’esclavage du diable par le seul commandement de sa volonté ; mais il était éminemment conforme aux œuvres divines que l’hostilité et la malice de l’ennemi fussent vaincues par cela même qu’elles avaient vaincu 1 et que la li­ berté de notre nature fût restaurée par la nature même qui nous avait tous jetés dans la servitude 2. Or l’Évangéliste dit que « le Verbe s’est fait chair et qu’il a habité parmi nous 3 », et l’Apôtre que « Dieu était dans le Christ, se réconciliant le monde4 » ; ils montrent par ces paroles que le Fils unique du Père céleste a contracté une telle union avec notre humble humanité que, prenant la substance de notre chair et de notre àme, il demeura l’unique et même Fils de Dieu, enrichissant ce qui nous appartient, non ce qui 79 DE PASSIONE SERMO XII neret, nostra augendo, non propria : quia infirmitas erat provehenda, non virtus : ut cum suo Creatori crea­ tura esset unita, nihil assumpto divinum, nihil assu­ menti deesset humanum. 2. Hoc consilium misericordiae ct justitiae Dei, licet in praeteritis saeculis quibusdam velaminibus fuerit obruinbatum, non tamen ita obtectum est ut sancto­ rum, qui ab initio usque ad adventum Domini lauda­ biles exstiterunt, intellectui negaretur : cum et prophe­ ticis verbis, et rerum gestarum significationibus, salus quae in Christo erat ventura, promissa sit : quam non solum qui praedicabant adepti sunt, sed omnes etiam qui praedicantibus crediderunt. Una enim fides jus­ tificat universorum temporum sanctos, et ad eamdem spem fidelium pertinet, quidquid per mediatorem Dei et hominum Jesum Christum *, vel nos confitemur factum, vel patres nostri adoravere faciendum 1 2. Nec inter Judaeos atque gentiles ulla distinctio est 3. Si­ quidem, sicut ait Apostolus, circumcisio nihil est, et praeputium nihil esi, sed observatio mandatorum Dei 4S. ; quae si cum integritate fidei serventur, veros Abrahae filios, id est perfectos faciunt Christianos, dicente eodem Apostolo : Quicumque enim in Christo Jesu baplizati estis, Christum induistis. Non est Judaeus, neque Graecus : non est servus, neque liber ; non est mascu­ lus, neque femina. Omnes enim unum estis in Christo. 1. Cf. I Tim. II. 5. 2. Cette idée que la foi en Jésus-Christ a justifié les saints de ΓAncien Testament comme die fait ceux du Nouveau a déjà été exprimée au ser­ mon 39, 1 (vide supra p. 23) et au 3· Sermon pour Noél9 4 (.$. C. 22, p. 96). S. Léon est, avec S. Augustin, le représentant de la position occidentale en face du problème du salut «les saints de l’Anciennc Alliance, position qu’adopteront les grands scolastiques et que synthétisera S. Thomas. Pour eux il n’y a pour ainsi dire pas de différence qualitative entre les étapes successives de l’économie du salut — avant le Christ, après le Christ— en ce qui concerne la vie religieuse personnelle de ces justes ; les différences SERMON XII SUR LA PASSION 79 lui est propre : c’était, en effet, la faiblesse qui devait être élevée, non la puissance ; ainsi, dans cette union de la créature à son Créateur, rien de divin ne man­ qua à la nature assumée, rien d’humain à celle qui l’assumait. 2. Ce dessein de la miséricorde et de la justice de Dieu, bien que couvert d’un certain voile dans les siècles passés, ne fut pourtant pas tellement caché que la connaissance en fût refusée à l’intelligence des saints qui se rendirent dignes de louanges depuis les origines jusqu’à l’avènement du Seigneur ; le salut à venir dans le Christ avait été, en effet, promis et par des paroles prophétiques et par des faits ayant valeur de signes ; non seulement ceux qui prêchaient ce salut l’obtinrent, mais encore tous ceux qui crurent à leur prédication. Car c’est la meme foi qui justifie les saints de tous les temps, et c’est à la même espérance des croyants que (end toute l'œuvre du médiateur de Dieu et des hommes, Jésus-Christ \ soit que nous la confessions comme réalisée, soit que nos pères l’aient adorée comme encore à venir λ Nulle distinction non plus entre juifs et gentils 3. En vérité, comme le dit l’Apôtre, « la circoncision n’est rien, rien non plus l’incirconci­ sion ; ce qui compte, c'est d’observer les commande­ ments de Dieu 4 » ; gardés d’une foi intègre, ils font de vrais fils cl’Abraham, c’est-à-dire de parfaits chré­ tiens, selon la parole du même Apôtre : «Vous tous, en effet, baptisés dans le Christ Jésus, vous avez re­ vêtu le Christ : il n’y a ni Juif ni Grec, il n’y a ni esclave ni homme libre, il n’y a ni homme ni femme ; car tous vous ne faites qu’un dans le Christ. Mais si vous apqui ont en fait existé dans Fabomlance et l’universalilé de FciTusion de la grâce ne doivent être regardées que comme accidentelles. La position orien­ tale» nu contraire, insiste beaucoup plus sur les faits rapportés par l’Écrllure — missions du Fils et du Saint-Esprit — et les considère avec plus de réalisme comme ayant» à un moment donné de l'histoire du salut, ins­ taure un régime vraiment nouveau de don et de présence de Dieu. Lire sur la question les belles pages de Y. Congak dans Le mystère du Temple, Appen­ dice III, p. 310 ss, Paris 1958. Pour la position de S. Augustin, du même auteur, Ecclesia ab Abel, déjà cité . 3. Cf. Rom. X, 12. 4. I Cor. VII, 19. Lé>n le Grand. HL 80 DE PASSIONE SERMO XII Si autem vos Christi : ergo A brahae semen estis, secun- ' dum promissionem haeredes \ 3. Non ergo est dubium, dilectissimi, naturam hu- | manam in tantam connexionem a Filio Dei esse sus- ' ceptam, ut non solum in illo homine qui est primoge-· nitus totius creaturae 123*, sed etiam in omnibus sanctis suis unus idemque sit Christus ; et sicut a membris caput, ita a capite membra dividi non possint. Quam- I vis enim non istius vitae sit, sed aeternae, ut sit Deus omnia in omnibus 8; tamen etiam modo templi sui, · quod est Ecclesia, indivisus habitator est, secundum quod ipse promisit, dicens : Ecce ego vobiscum sum' I omnibus diebus usque ad consummationem saeculi ♦. Quibus Apostolus consonans ait : Ipse est caput corpo-.· ris Ecclesiae, qui est principium, primogenitus ex mor­ tuis : ut sit in omnibus ipse primatum tenens, quia in ipso complacuit omnem plenitudinem habitare, et per eum reconciliari omnia in ipso 5. 4. His autem et aliis pluribus testimoniis quid insi­ nuatur cordibus nostris, nisi ut per omnia ad imagi-f | nem ejus renovemur °, qui permanens in forma Dei7, carnis peccati forma esse dignatus est 8 ? Omnes enim infirmitates nostras, quae veniunt de peccato, absque peccati communione suscepit, ut famis et sitis, somni et lassitudinis, maeroris ac fictus affectionibus non ca­ reret, doloresque saevissimos usque ad mortis extrema, pateretur : quia nemo posset laqueis mortalitatis ab­ solvi, nisi ille, in quo solo innocens erat natura om­ nium, sineret se interfici inanibus impiorum. Unde Salvator noster Dei Filius universis in se credentibus,^ 1. 2. 3. •i. 5. Gnl. III, 27-29. Colos. I, 15. Ct. 1 Cor. XV. 28. Matth. XXVIH, 20. Colos. I, 18-20. SERMON XII SUR LA PASSION 80 partenez au Christ, vous êtes donc la descendance d’Abraham, héritiers selon la promesse *. » 3. Il n’est donc pas douteux, bicn-aimés, que le Fils de Dieu, ayant pris la nature humaine, se l’est unie si intimement que non seulement dans cet homme qui est « le premier-né de toute créature 2 », mais aussi dans tous les saints, il n’y a qu’un seul et même Christ ; et, comme on ne peut séparer la tête des membres, on ne peut pas davantage séparer les membres de la tête. Sans doute il n’appartient pas à la vie présente, mais à l’éternelle, que Dieu soit tout en tous 3; pour­ tant, même * il maintenant. habite inséparablement son temple, qui est l’Église, selon qu’il l’a promis lui-même par ces paroles : « Et moi je suis avec vous pour tou­ jours jusqu’à la fin du monde 4. » A quoi ΓApôtre fait écho en ces termes : « Il est la 'fête du corps, c’est-àdire de l’Église ; il est le Principe, le Premier-né d’entre les morts ; il fallait qu’il obtînt en tout la primauté, car Dieu s’est plu à faire habiter en lui toute la Plé­ nitude, et par lui à réconcilier tous les êtres pour lui 5. » 4. Ces témoignages, et bien d’autres encore, que font-ils entendre à nos cœurs, sinon que nous ayons à nous renouveler au moyen de toutes choses, à l’image 8 de Celui qui, demeurant dans la condition de Dieu 7, a daigné être par sa ressemblance chair du péché 8 ? Toutes nos infirmités, issues du péché, il les a prises, en effet, sans avoir part au péché : il a connu la faim et la soif, le sommeil et la lassitude, la tristesse ct les larmes ; il a souffert les douleurs les plus vives jusqu’aux souffrances ultimes de la mort : personne, en effet, n’aurait pu être délivré des liens de la condi­ tion mortelle si lui, en qui seul la nature de tous était innocente, n’avait accepté d’être tué de la main des impies. Ainsi notre Sauveur, Fils de Dieu, a laissé à tous ceux qui croient en lui un secours efficace en G. Ci. Ibid. 1ΙΓ, 10 : « Induentes novum cum qui renovatur in agnitio­ nem secundum imaginem ejus qui creavit illum. > 7. Cf. Philip. Il, G. 8- Cf. Rom. VIII, 3. On a traduit le mot /or/no, qui revient à quelques mots d'intervalle, la première fois par «condition ·, qui fait allusion à Phi­ lip. II, 6, la seconde par «ressemblance ·, qui s’inspire de Rom. VIII, 3. 81 DE PASSIONE SERMO XII et sacramentum condidit, et exemplum : ut unum ap­ prehenderent renascendo, alterum sequerentur imi­ tando *. Hoc enim docet beatus Petrus apostolus di­ cens : Christus passus est pro nobis, vobis relinquens exemplum, ut sequamini vestigia ejus. Qui peccatum non fecit, nec inventus est dolus in ore. ejus. Qui cum malediceretur, non maledicebat; cum pateretur, non comminabatur : tradebat autem judicanti se injuste. Qui peccata nostra ipse pertulit in corpore suo super lignum, ut peccatis mortui, justitiae vivamus 12. 5. Sicut ergo nemo est credentium, dilectissimi, cui dona neganda sint gratiae, ita nemo est qui non sit Christianae debitor disciplinae : quia etsi remota est mysticae legis asperitas, voluntariae tamen obser­ vantiae 3 crevit utilitas, dicente evangelista Joanne : Quia lex per Mosen data est, gratia autem et veritas per Jesum Christum facta est 4. Omnia enim quae secun­ dum legem, sive in circumcisione carnis, sive in diver­ sitatibus hostiarum, sive in sabbati observantia prae­ cesserunt, Christum testificata, Christi sunt gratiam praelocuta. Et ipse est finis legis non evacuando significationes ipsius, sed implendo. Qui licet idem sit auctor veterum qui novorum, figuratarum tamen promissionum sacramenta mutavit, quia promissa per­ fecit : et denuntiationibus cessationem imposuit, quo­ niam denuntiatus advenit. In praeceptis autem mora­ libus nulla prioris Testamenti decreta reprobata, sed evangelico magisterio multa sunt aucta : ut perfec1. La Passion du Christ est pour nous un sar.ramenlufti qui procure la grâce et un exemptam qui montre la voie à suivre pour imiter le divin mo­ dèle. Du terme renoscendo employé par S. Mon, et de l'allusion qu’il fera au g G à l'enfantement des nouveaux chrétiens par l'Église-mère, on peut conclure qu’il pense ici plus particulièrement au sacrement de Baptême. Ainsi» Dom M. B. de Soos qui commente ce passage, op. cil. p. 87 ct s.» 93 ct s. SERMON XII SUR LA PASSION 81 même temps qu’un exemple : ils obtiennent le pre­ mier en renaissant, ils suivent le second en imitant L C’est ce qu’enseigne le bienheureux apôtre Pierre par ces paroles : « Le Christ a souffert pour vous, vous laissant un modèle afin que vous suiviez ses traces, lui qui n’a pas commis de faute — et il ne s’est pas trouvé de fourberie dans sa bouche — lui qui, insulté, ne rendait pas l’insulte, souffrant, ne menaçait pas, mais s’en remettait à Celui qui juge avec justice ; lui qui, sur le bois, a porté lui-même nos fautes dans son corps, afin que, morts à nos fautes, nous vivions pour la justice 2. » 5. S’il n’y a donc personne panni les croyants, bienaimés, à qui soient refusés les dons de la grâce, il n’y a non plus personne qui ne doive s’acquitter de la dis­ cipline chrétienne : car si la rigueur propre à la loi figurative a été écartée, l’utilité d’une obéissance volontaire 3 s’est pourtant accrue, selon la parole de l’évangéliste Jean : « La loi fut donnée par l’intermé­ diaire de Moïse, la grâce et la vérité nous sont venues par Jésus-Christ 4. » Tout ce qui se faisait autrefois conformément à la loi, circoncision de la chair, diver­ sité des victimes ou observation du sabbat, témoignait, en effet, en faveur du Christ, annonçait la grâce du Christ. Et lui, il est la fin de la loi 5, non qu’il vide les figures de leur sens, mais il les réalise. Bien qu’il soit, lui, l’auteur de l’ancien ordre aussi bien que du nouveau, il a pourtant changé les mystères que ren­ fermaient les promesses figuratives, car il a accom­ pli ce qui était promis ; et il a mis un terme aux annonces, car lui qui était annoncé est arrivé. Cepen­ dant, parmi les préceptes moraux, aucun des décrets de ΓAncien Testament n’a été réprouvé, mais beau­ coup d’entre eux ont été renforcés par l’enseigne­ ment évangélique : ainsi ce qui donne le salut serait 2. I Pierre II, 21-24. 3. La loi ancienne, · mystique \ figurative, était rigoureuse, parce que motivée par la crainte; la loi nouvelle est volontaire, inspirée par l’amour. 4. Jean I. 17. 5. Rom. X» 4. 82 DE PASSIONE SERMO ΧΠ SERMON XII SUR LA PASSION tiora et lucidiora essent dantia salutem quam promit-] tentia Salvatorem. 6. Omnia igitur quae Dei Filius ad reconciliationem I mundi et fecit, et docuit \ non in historia tantumI praeteritarum novimus, sed etiam in praesentium ope- ' rum virtute sentimus 1 2. Ipse est qui de Spiritu sancto? ex matre editus virgine incontaminatam Ecclesiam j suam eadem inspiratione fecundat, ut per baptisma-J tis partum innumerabilis filiorum Dei multitudo gi-j gnatur 3, de quibus dicitur : Qui non ex sanguinibusA neque ex voluntate carnis, neque ex voluntate viri, sed ' ex Deo nati sunt 4. Ipse est in quo semen Abrahac to- | tius mundi adoptione benedicitur 5 ; et fit patriarchal gentium pater, dum promissionis filii fide, non carne nascuntur. Ipse est qui nullius gentis exceptionem fa- j ciens, de omni natione quae sub caelo este unum sanctarum ovium efficit gregem, et quotidie implet quod promiserat, dicens : Habeo et alias oves, quae non sunt ex hoc ovili, et illas oportet me adducere, et vocem meam audient ; et erit unus grex et unus pastor Ί. Quam- I vis enim beato Petro principaliter dicat, Pasce oves meas 8, ab uno tamen Domino ipsa omnium regitur cura pastorum, et venientes ad petrain ® tam laetis . tamque irriguis pascuis alit, ut innumerae oves dilcc1. Cf. Actes I, 1 : < De omnibus... quae coepit Jesus facere et docere. » 2. Il s’agit des « sacrements ■ de son Église vivante, comme S. Léon va le développer. 3. S. Léon a fait le même rapprochement entre la naissance virginale de Jésus et l'enfantement du chrétien au baptême dans deux sermons pour Noël ; le 4*· 3 : < Omni homlnl renascent! aqua baptismatis instar est uteri virginalis. eodem Spiritu sancto replente fontem, qui replevit et virginem » (5. C. 22, p. 101) et le 5% 5 : · Originem quam sumpsit in utero Virgini», posuit in fonte baptismatis; dedit aquae quod dedit matri; virtus enim AltJssimi et obumbratio Spiritus sancti, quae fecit ut Maria pareret Salva· torem, eadem fecit ut regeneret unda credentem > (Ibid., p. 120). 4. Jean I. 13. 5. Cf. Gen. XX Π» 18. 4 I ! j : 82 plus parfait et plus clair que cc qui promettait le Sauveur. 6. Tout ce donc que le Fils de Dieu a fait aussi bien qu’enseigné 1 en vue de la réconciliation du monde, nous ne le connaissons pas seulement par le récit de scs actions passées, mais nous en ressentons aussi l’effet par la vertu de ses œuvres présentes 2. C’est lui-même qui, né d’une mère vierge par l’opération du Saint-Esprit, féconde du même Esprit son Église incontaminée, afin que par l’enfantement du baptême une multitude innombrable de fils soit engendrée à Dieu 8, dont il est dit qu’ils ne sont pas nés du sang, ni du vouloir de la chair, ni du vouloir de l’homme, mais de Dieu 4. C’est en lui-même qu’est bénie la des­ cendance d’Abraham 5 par l’adoption du monde en­ tier, et que le patriarche, devient père des nations lorsque des fils de la promesse naissent non de la chair, mais de la foi. C’est lui-même qui, ne faisant excep­ tion d’aucun peuple, forme de toutes les nations qui sont sous le ciel 6 un seul troupeau de brebis saintes, accomplissant ainsi chaque jour ce qu’il avait promis : « J'ai d’autres brebis encore qui ne sont pas de cet enclos ; celles-là aussi je dois les mener, elles écoute­ ront ma voix ; et il y aura un seul troupeau, un seul pasteur 7. » Sans doute a-t-il dit à saint Pierre comme au chef : « Pais mes brebis 8 », mais c’est lui seul, le Seigneur, qui gouverne tous les pasteurs, et il nourrit quiconque vient à la pierre 9 dans des pâturages si gras et si bien arrosés qu’un nombre infini de brebis, fortifiées de l’abondance de son amour, n’hésitent pas 6. Cf. Actes If, 5. < Emnt in Jerusalem... vlrl religiosi ex omni natione quae sub caelo est. » 7. Jean X, 16. 8. Jbid. XXL 17. 9. Allusion au rocher, petra, dont Moïse fit jaillir de l’eau dans lo désert pour abreuver le peuple et scs troupeaux : < Cum eduxeris aquam de petra· bibet omnts multitudo et jumenta ejus» (Nombres XX, 8). De même Ex. XVII. 6 : < Percuties petram, et exibit ex ea aqua, ut bibat populus. » Il y a un jeu de mots sur le nom de Pierre : en venant à celui-ci, les fidèles reçoivent cc rafraîchissement des sources abondantes qui, sortant de la petra, le Christ, sont un don du Pasteur suprême ; car « petra erat Christus » (I Cor. X, 4). 83 DE PASSIONE SERMO XII tionis pinguedine roboratae, sicut bonus pastor digna-4 tus est pro ovibus suis animam suam ponere 1, ita et ipsae non dubitent pro nomine pastoris occumbere. Ipse est cui non solum gloriosa martyrum fortitudo, sed etiam omnium renascentium fides in ipsa regene­ ratione compatitur. Dum enim renuntiatur diabolo, et creditur Deo, dum in novitatem a vetustate trans­ itor 1 2, dum terreni hominis imago deponitur, et cae­ lestis forma 3 suscipitur, quaedam species mortis et quaedam similitudo resurrectionis intervenit, ut sus­ ceptus a Christo Christumque suscipiens non idem sit post lavacrum qui ante baptismum fuit, sed corpus regenerati fiat caro Crucifixi. 7. Haec commutatio, dilectissimi, dextrae est Ex­ celsi 4, qui operatur omnia in omnibus 5 : ut in singu­ lis fidelibus per bonae conversationis qualitatem ipsum piorum operum intelligamus auctorem ; gratias agentes misericordiae Dei, qui innumeris charismatum donis ita universum Ecclesiae corpus exornat, ut per multos unius luminis radios idem ubique splendor ap­ pareat, nec possit nisi gloria esse Christi, cujuslibet meritum Christiani. Hoc est illud verum lumen, quod omnem hominem justificat ct illustrat 6. Hoc est quod eruit de potestate tenebrarum, ct transfert in regnum Filii Dei7. Hoc est quod per novitatem vitae 8 de­ sideria animae provehit, et concupiscentias carnis exstinguit. Hoc est quo Pascha Domini in azymis sin­ ceritatis et veritatis ° legitime 10 celebratur : dum fer­ mento veteris malitiae abjecto, nova creatura de ipso 1. Ct Jean X,15 : « Et animam meam pono pro ovibus meis. > 2. Les expressions novitas et uttustas. intraduisibles en français sont reprises de S. Paul» v. q. de Rom. Vlï, 6. 3. CL 1 Cor. XV, 49 : < Sicut portavimus imaginem terreni, portemus et imaginem caelestis. · 4. Ps. LXXVI, 11. SERMON XII SUR LA PASSION 83 à mourir elles-mêmes pour le nom de leur pasteur, comme lui, le bon Pasteur, a daigné donner sa vie pour ses brebis *. C’est à ses souffrances qu’ont part non seulement les forts et glorieux martyrs, mais aussi, dans leur régénération meme, tous les fidèles qui re­ naissent. Lorsqu’en effet, on renonce au diable pour croire à Dieu, lorsqu’on passe de la vétusté à la nou­ veauté de vie 2, lorsqu’on dépose l'image de l'homme terrestre pour prendre la forme de l’homme céleste 3, il se produit comme une espèce de mort et comme une sorte de résurrection : celui qui est accueilli par le Christ et qui accueille le Christ n’est plus, après le bain baptismal, ce qu’il était avant, mais le corps du régénéré devient la chair du Crucifié. 7. Un tel changement, bien-aimés, vient de la droite du Très-Haut4, qui opère tout en tous 5*: aussi discer­ nons-nous en chaque fidèle, à travers la valeur de sa sainte vie, l’auteur même des bonnes œuvres ; nous remercions la miséricorde de Dieu qui orne tout le corps de l’Église des dons innombrables de ses grâces : les rayons multiples émanés d’un foyer unique font ainsi apparaître partout la même lumière, et le mérite du chrétien, quel qu’il soit, ne peut être que la gloire du Christ. C’est là la vraie lumière qui justifie et éclaire tout homme c ; c’est là ce qui arrache au pouvoir des ténèbres et fait passer dans le royaume du Fils de Dieu 7. C’est là ce qui, par une vie nouvelle 89 , élève les désirs de l’âme ct éteint les concupiscences de la chair. C’est par là que nous célébrons comme il convient10 la Pâque du Seigneur avec des azymes de pureté et de vérité °, lorsque, une fois rejeté le levain de l’ancienne 5. I Cor. XII. G. G. Cf. Jc«n I, 9. 7. Cf. Colos. I, 13. 8. Cf. Rom. V(, 4 : · J ta ct nos in novitate vitae ambulemus. · 9. Cf. I Cor. V, 8. 10. · Legitime celebrare ne signifie pas principalement célébrer une fête au temps et dans le lieu voulus» en y accomplissant tous les rites prescrits ; c’est surtout mener une vio conforme au mystère célébré ct participer au mystère du Christ, non plus seulement dans leur sacramentum, mais dans leur ezempfam »(Dom J. M. de Soos» op.cîf.. p. 94). L’expression se retrou­ vera nu 29· Sermon sur la Passion, 6. 84 DE PASSIONE SERMO XIII Domino inebriatur et pascitur Non enim aliud agit participatio corporis et sanguinis Christi, quam ut in id quod sumimus transeamus : et in quo commortui, et conscpulti, et conresuscitati sumus, ipsum per om­ nia et spiritu et carne gestemus, dicente Apostolo Mortui enim estis, et vita uestra abscondita est cum Christo in Deo. Cum enim Christus apparuerit uita ues­ tra, tunc et uos apparebitis cum ipso in gloria 1 2 : qui cum Patre et sancto Spiritu vivit et regnat in saecula saeculorum. Arnen 3. 51 (LXIV) DE PASSIONE DOMINI SERMO XIII habitus die dominico. 1. Omnia quidem tempora, dilectissimi, Christia­ norum animos sacramento Dominicae passionis et re­ surrectionis exercent, neque ullum nostrae religionis officium 4 est quo non tam mundi reconciliatio quam humanae in Christo naturae assumptio celebretur. Sed nunc universam Ecclesiam majori intelligentia instrui, et spe ferventiore oportet accendi, quando ipsa rerum 1. Nous avons trouvé plus haut (4) uno allusion au Baptême ; ici c’est à (’Eucharistie que pense S. Léon : ainsi est détaillé le sacramentum dont le Christ nous dote dans son Église. 2. Colos. Ill, 3. F* 3. Dans ce sermon, ainsi que dans le suivant, S. Léon fait à peine allu­ sion aux soallranccs du Sauveur, bien qu’ils aient été prononcés à l’occasion' de la mémoire de la Passion. Le discours roule presque uniquement sur la régénération du chrétien, dont la grâco découle du sacrifice de la Croix» avec un accent triomphal qui anticipe sur la victoire de Pâques. La passion du Christ est, on effet, inséparable de sa résurrection : c'cst le sacramentum paschale. SERMON XIII SUR LA PASSION 84 malice, la créature nouvelle s’enivre et se nourrit du Seigneur lui-même \ La participation au corps et au sang du Christ, en effet, ne fait rien d’autre que nous faire passer dans ce que nous prenons et nous faire porter en tout, et par l’esprit et par la chair, celui en qui nous sommes morts, en qui nous avons été ense­ velis, en qui nous sommes ressuscités, selon la parole de 1’Apôtre : « Vous êtes morts, et votre vie est désor­ mais cachée avec le Christ en Dieu : quand le Christ sera manifesté, lui qui est votre vie, alors vous aussi serez manifestés avec lui pleins de gloire 2 » ; lui qui, avec le Père et le Saint-Esprit, vit et règne dans les siècles des siècles, Amen 3. 51 (LXIV) TREIZIÈME SERMON SUR LA PASSION DU SEIGNEUR (prononcé le dimanche). T· Sommaire. — 1. Exhortation à la piété et à une foi intègre. — 2. L’économie de l’incarnation et de la Rédemption. — 3. JésusChrist unique médiateur entre Dieu et les hommes. — 4. Les deux natures de Jésus-Christ manifestées par ses actions. 1. C’est en tout temps, bien-aimés, que le mystère de la Passion et de la résurrection du Christ occupe l’esprit des chrétiens, et il n’est pas de fonction 1 de notre religion qui ne célèbre non seulement la récon­ ciliation du monde, mais plus encore l’élévation de la nature humaine dans le Christ. Mais l’Église entière doit maintenant s’appliquer à plus d’intelligence et 4. Lo mot officium a Ici lo sens d'ofllce liturgique. On lo retrouvera encore avec le môme sens, par exemple au J· Sermon pour le jeûne du *7 mois, 4 (P.L. L1V, 442). 85 DE PASSIONE SERMO XIII dignitas, ita sacratorum dierum recursu, et paginis evangelicae veritatis exprimitur, ut Pascha Domini | non tam praeteritum recoli quam praesens debeat | honorari. In nullo igitur ab iis quae ad crucem Jesu Christi pertinent, fidei nostrae peregrinetur intuitus, et nihil eorum quae narratione Evangelii retexuntur, otioso accipiamus auditu : ut quia non defuerunt nec | adhuc desunt qui veritatem Dominicae incarnationis impugnent, et quod in utero Virginis matris Mariae Verbum caro facium est, quod infans editus per incre­ menta corporea ad perfectae virilitatis profecit aeta­ tem, quodque crucifixus, mortuus, ac sepultus die ter­ tia resurrexit in nostrae quidem imaginis forma, sed non in nostrae carnis asserant gestum esse natura 1 : l nos ab evangelicis et apostolicis testimoniis nullate- · nus recedentes, eorum intelligentia roboremur, quo­ rum nos certissima experimenta docuerunt : ut pie atque constanter possimus dicere quoniam in illis et J nos eruditi sumus, ct quod viderunt vidimus, et quod I didicerunt didicimus, et quod contrectaverunt palpa- ] vimus 2; et ideo in passione Domini non conturbamur, quia in generatione non fallimur. 2. Scimus etenim, dilectissimi, et toto corde profitemur, Patris, et Filii, et Spiritus sancti unam esse ' Deitatem, et consubstantialem sempiternae Trinitatis 1 essentiam, in nullo a se divisam, in nullo esse diver- ’ sam, quia simul est intemporalis, simul est incommu­ tabilis, simul quod est, esse non desinens. In hac I autem ineffabili unitate Trinitatis, cujus in omnibus I communia sunt opera atque judicia, reparationem ■ 1. Ce pourrait être l’opinion des manichéens que S. Léon rapporte ici I (cf. 4· Sermon sur les collectes dans S. C. -19, p. 19, η. 1 ct 2) ; c’est plutôt ; celle des eutychlens, qu’il combattra dans les paragraphes 3 ct 4 de ce I | sermon (cf. infra, p. 89, n. 1, rn fine). SERMON XIII SUR LA PASSION 85 s’enflammer d’une plus vive espérance, alors que le retour des jours saints et la lecture de l’évangile de vérité font si bien ressortir la noblesse des choses, et qu’ils nous font honorer la Pâque du Seigneur comme une réalité présente plutôt que la rappeler comme un événement passé. Que le regard de notre foi ne soit donc en rien étranger à ce qui concerne la croix de Jésus-Christ, et que notre oreille n’accueille distraite­ ment aucun des détails du récit évangélique : il n’a pas manqué d’hommes, en effet, et aujourd’hui encore il n’en manque pas, pour combattre la vérité de l’in­ carnation du Seigneur : à les entendre, lorsque le Verbe est devenu chair dans le sein de Marie, sa mère vierge, lorsque, né enfant, il s’est développé corporellement jusqu’à l’âge d’homme parfait, lorsque, crucifié, mort et enseveli, il est ressuscité le troisième jour, tout cela se serait accompli dans une forme certes à notre res­ semblance, mais non dans la nature de notre chair l. Nous, au contraire, ne nous écartant en rien du té­ moignage des évangiles et des apôtres, nous trouvons notre force dans l’intelligence de ceux qui nous ont enseigné ce qu’ils ont indubitablement expérimenté ; aussi pouvons-nous dire avec foi et assurance qu’en eux c’est nous qui avons été instruits, nous qui avons vu ce qu’ils ont vu, nous qui avons appris ce qu’ils ont appris, nous qui avons touché ce qu’ils ont tou­ ché 2 ; ct la Passion du Seigneur ne nous trouble pas, parce que nous n’errons pas sur sa génération. 2. Nous savons, en effet, bien-aimés, ct professons de tout notre cœur qu’une est la divinité du Père et du Fils et du Saint-Esprit, ct que l’essence consubs­ tantielle de l’éternelle Trinité n’est en rien divisée en elle-même, en rien diversifiée, car elle est toute ensemble intemporelle, toute ensemble immuable et toute ensemble ne cessant d’être ce qu’elle est. Mais, dans cette unité ineffable de la Trinité, dont les actes ct les décrets sont absolument communs, la Personne du Fils a assumé en propre la restauration du genre 2. Cf. I Jean I, 1 : « Quod... manus nostrae contrectaverunt de verbo vitae. > 86 DE PASSIONE SERMO XIII humani generis proprie Filii persona suscepit : ut I quoniam ipse est, per quem omnia facta sunt, et sine I quo factum est nihil1, quique plasmatum de limo terrae hominem flatu vitae rationalis animavit, idem natu-:· ram nostram ab aeternitatis arce dejectam amissae restitueret dignitati, et cujus erat conditor, esset etiam reformator : sic consilium suum dirigens in effectum, ut ad dominationem diaboli destruendam magis uteretur justitia rationis quam potestate virtu­ tis. Quia ergo primi hominis universa posteritas uno simul vulnere sauciata corruerat, nec ulla sanctorum i merita conditionem poterant illatae mortis evincere, ? venit c caelo medicus singularis, multis saepe signifi­ cationibus nuntiatus, et prophetica diu pollicitatione 11 promissus, qui manens in forma Dei1 2, ct nihil propriae majestatis amittens, in carnis nostrae animaeque na­ tura, sine contagione antiquae praevaricationis orire­ tur. Solus enim beatae Virginis natus est filius absque delicto, non extraneus ab hominum genere, sed alie- , nus a crimine, in quo illius ad imaginem et similitu­ dinem Dei conditi, et perfecta esset innocentia et vera | natura, cum de Adae propagine unus cxistcrct in quo diabolus quod suum diceret non haberet. Qui dum in eum saevit quem sub peccati lege non tenuit, jus impiae dominationis amisit. 3. Effusio enim pro injustis sanguinis justi tam po­ tens fuit ad privilegium, tam dives ad pretium, ut si universitas captivorum in Redemptorem suum crede­ ret, nullum tyrannica vincula retinerent. Quoniam, si­ cut Apostolus ait, ubi abundavit peccatum, superabunt.· davit et gratia 3. Et cum sub peccati praejudicio nati potestatem acceperint ad justitiam renascendi 4, vali1. Jean I» 3. 2. Ct. Philip. Π, 6. SERMON XIII SUR LA PASSION 86 humain : étant lui-même celui « par qui tout a été fait et sans qui rien n’a été faitI», et qui a animé du souille de la vie raisonnable l’homme façonné du limon de la terre, il a voulu être aussi celui qui restituât sa di­ gnité perdue à notre nature précipitée des hauteurs de l’éternité, celui qui réformât ce qu’il avait créé ; et, dans cette intention, il a mis son dessein à exécu­ tion de telle sorte que, pour détruire l’empire du diable, il usât davantage de la justice et de la raison que de la puissance et de la force. Donc, comme toute la pos­ térité du premier homme était tombée, frappée par une seule ct même blessure, et que tous les mérites des saints n’avaient pu vaincre la mort, châtiment de la faute, l’unique médecin vint du ciel, après avoir été fréquemment annoncé par des signes nombreux et longtemps promis par la voix des prophètes ; demeu­ rant dans la condition de Dieu 2, et ne perdant rien de sa majesté propre, il parut dans notre nature, faite d’un corps et d’une âme, sans subir l’atteinte de l’an­ tique prévarication. Seul, en effet, le fils de la bien­ heureuse Vierge est né sans péché, non qu’il fût en dehors du genre humain, mais il fut étranger à la faute : en lui se trouvèrent et la parfaite innocence et la vraie nature de celui qui fut créé à l’image et ressemblance de Dieu ; de la descendance d’Adam, il fut le seul en qui le diable n’eût rien qu’il pût pré­ tendre sien ; celui-ci, en exerçant sa fureur contre un homme qu’il ne tenait pas sous la loi du péché, perdit le droit qui fondait son pouvoir sacrilège. 3. Le sang innocent versé pour les coupables fut, en effet, si puissant pour leur obtenir grâce, si riche pour payer leur rançon, que, si tous les captifs croyaient en leur Rédempteur, les chaînes du tyran n’en retien­ draient aucun. Car, selon les paroles de l’Apôtre, « où le péché a abondé, la grâce a surabondé 34». Ceux qui sont nés chargés de la condamnation préalable du péché recevant le pouvoir de renaître pour la justice 3. Rom. V, 20. 4. Cf. .Jean I, 12 : < Quotquot au tern receperunt eum, dedit cis potes­ tatum fllios Del fleri. · 1 87 DE PASSIONE SERMO XIII dius donum factum est libertatis quam debitum servii tutis. Quam itaque sibi in hujus sacramenti praesidio spem relinquunt, qui in Salvatoris nostri corpore ne­ gant humanae substantiae veritatem ? Dicant quo sa­ crificio reconciliati, quo sanguine sint redempti. Quis est qui tradidit semetipsum pro nobis oblationem et hos­ tiam Deo in odorem suavitatis 1 ? Aut quod umquam sacrificium sacratius fuit quam quod verus Pontifex altari crucis per immolationem suae carnis imposuit ? Quamvis enim in conspectu Domini multorum sancto- J rum pretiosa mors fuerit 1 2, nullius tamen insontis occi­ sio, propitiatio fuit mundi. Acceperunt justi, non de- ; derunt coronas ; et de fidelium fortitudine exempla nata sunt patientiae, non dona justitiae. Singulares quippe in singulis mortes fuerunt, nec alterius quis­ quam debitum suo fine persolvit, cum inter filios ho­ minum unus solus Dominus noster Jesus exstiterit, in quo omnes crucifixi, omnes mortui, omnes sepulti, omnes etiam sint suscitati ; de quibus ipse dicebat : Cum exaltatus fuero, omnia traham ad meipsum 34.Fides enim vera justificans impios *, et creans justos 5* , ad naturae suae tracta participem, in illo acquirit salu­ tem, in quo solo homo se invenit innocentem c; et quia unus est mediator Dei et hominum homo Chris­ tus Jesus 7, per communionem sui generis 3, ad pace: 1. Eph. V, 2. 2. Cf. Ps. CXV, 15. 3. Jean XII, 32. 4. Cf. Hom. IV, 5 : · Ei vero qui non operatur, credenti autem In eum qui justificat impium... » 5. Cf. Éph. II, 10 ; IV, 24 : « Ipsius sumus factura, creati in Christo Jcsu ' in operibus bonis... Induite novum hominem qui secundum Deum creatus est in Justitia · et Rom. I, 17 : « Justus autem ex fide vivit. » G. Nous respectons la tournure de phrase de S. Léon : la vraie foi doit être Interprétée de l'homme qui la possède, mais, en même temps, est <16·. cri te sa démarche dans l'homme. Celui qui la possède est attiré vers celuilà qui a partagé la nature humaine, et, en lui, en qui seul l'homme se dé· ' SERMON XIII SUR LA PASSION 87 le don de la liberté a été plus fort que la dette de l’es­ clavage. Dès lors, quelle espérance gardent-ils pour eux dans le secours de ce mystère, ceux qui nient que la réalité de notre substance humaine se trouve dans le corps de notre Sauveur ? Qu’ils disent par quel sa­ crifice ils ont été réconciliés, par quel sang rachetés. Quel est donc celui «qui s’est livré pour nous, s’of­ frant à Dieu en sacrifice d’agréable odeur 1 » ? Ou quel sacrifice fut jamais plus sacré que celui que l’au­ thentique Pontife plaça sur l’autel de la croix en im­ molant sur elle sa propre chair ? Bien qu’en effet, la mort de nombreux saints ait été précieuse aux re­ gards du Seigneur 2, jamais pourtant le meurtre d’un innocent ne fut la rançon du monde. Les justes ont reçu des couronnes, ils n’en ont pas donné ; la force d'âme des fidèles a produit des exemples de patience, non les dons de la justice. Leur mort à chacun leur resta propre et aucun n’acquitta par son trépas la dette d’un autre ; notre Seigneur Jésus-Christ, lui, a été, parmi les fils des hommes, le seul en qui tous ont été crucifiés, tous sont morts, tous ont été ensevelis, tous aussi sont ressuscités ; c’est d’eux que luimême disait : « Élevé, j’attirerai tout à moi 3. » En effet, la vraie foi qui justifie les impies 4 et crée les justes 5, attirée à celui qui partage sa nature, acquiert le salut en lui, en qui seul l’homme s’est trouvé inno­ cent 6 ; parce qu’il n’y a qu’un seul médiateur entre Dieu et les hommes, le Christ homme Jésus 7, c’est par la communion 8 en sa race que l’homme a retrouvé la paix avec Dieu ; il peut alors, en toute liberté, se couvre innocent, il entre en possession du salut ; c’est pourquoi il est vrai de dire que la foi · justifie les impies > et 7. I Tim. II. 5. 8. Communion du Christ et de l’homme dans la même nature humaine. Léon le Grand. ΠΙ. 11 <88 DE passione sermo χπι pervenit deitatis, liberum habens de ejus potentia gio- I riari \ qui contra hostem superbum in carnis nostrae infirmitate congressus, iis victoriam suam tribuit, in quorum corpore triumphavit. 4. Cum ergo in uno Domino nostro Jesu Christo vero Dei atque hominis Filio, confitemur divinam de Patre naturam, humanam de matre substantiam, licet Dei Verbi et carnis una persona sit, et utraque essentia communes habeat actiones, intelligendae tamen sunt ipsorum operum qualitates, et sincerae fidei contem­ platione cernendum est ad quae provehatur humilitas infirmitatis, et ad quae inclinetur altitudo virtutis; quid sit quod caro sine Verbo non agit, et quid sit quod Verbum sine carne non efficit. Sine Verbi enim potentia nec conciperet Virgo nec pareret, et sine veri­ tate carnis obvoluta pannis infantia non jaceret. Sine Verbi potentia non adorarent magi puerum novo si­ dere declaratum, et sine veritate carnis non juberetur puer in Aegyptum transferri, quem Herodes cupiebat occidi. Sine Verbi potentia non diceret vox Patris missa de caelo : Hic est Filius meus dilectus, in quo mihi bene complacui ~ et sine veritate carnis non protesta­ retur Joannes : Ecce Agnus Dei, ecce qui lollil peccata I mundi ®. Sine Verbi potentia non fieret redintegratio debilium et vivificatio mortuorum, et sine veritate carnis nec cibus jejuno, nec somnus esset necessarius fatigato. Postremo sine Verbi potentia non se Domi­ nus Patri profiteretur aequalem 4, et sine veritate car-1 nis non idem diceret Patrem sc esse majorem 5 : cum I catholica fides utrumque suscipiat, utrumque defen­ dat, quae secundum proprietatem divinae huma1. Cf. I Cor. ΙΙΓ, 21; Philip, Ili, 3 : «Nemo glorlclur In *hominibus.. Gloriamur in Christo Jesu. · 1 Cor. I» 31 ; Il Cor. X, 17 : < Qni gloriatur. In Domino glorletur. » SERMON XIII SUR LA PASSION 88 glorifier 1 de la puissance de celui qui a, dans l'infir­ mité de notre chair, affronte un ennemi superbe et qui a fait don de sa victoire à ceux dans le corps de qui il a triomphé. 4. Nous confessons donc en notre unique Seigneur Jésus-Christ, vrai fils de Dieu et de l’homme, la nature divine reçue de son Père, la nature humaine reçue de sa mère, encore que le Verbe de Dieu et la chair ne forment en lui qu'une seule personne et que l’une et l’autre essences aient des actions communes ; il nous faut cependant comprendre d’une foi sincère jusqu’où est élevée la basse condition de notre faiblesse, et jus­ qu'où s’abaisse la sublimité de sa vertu, en quoi con­ siste le fait que la chair n'agit pas sans le Verbe, en quoi consiste le fait que le Verbe ne réalise rien sans la chair. Sans la puissance du Verbe, en effet, la Vierge ne concevrait ni n’enfanterait et, sans la vérité de la chair, le nouveau-né ne serait pas couché là, enveloppe de langes. Sans la puissance du Verbe, les mages n’adoreraient pas l’enfant manifesté par une nouvelle étoile, et, sans la vérité de la chair, cet enfant ne serait pas, sur l’ordre d’en haut, transporté en Égypte lors­ que Hérode vent le faire mourir. Sans la puissance du Verbe, la voix du Père ne dirait pas du haut du ciel : « Celui-ci est mon Fils bicn-aimé, qui a toute ma fa­ veur 2 », et, sans la vérité de la chair, Jean n’affirme­ rait pas : « Voici Γ Agneau de Dieu qui ôte les péchés du monde 3 ». Sans la puissance du Verbe, les infirmes ne retrouveraient pas leurs forces par lui, ni les morts la vie; sans la vérité de la chair,la nourriture ne lui serait pas nécessaire quand il est à jeûn ni le sommeil quand il est las. Enfin, sans la puissance du Verbe, le Seigneur ne se déclarerait pas égal au Père 4 et, sans la vérité de la chair, il ne dirait pas que le Père est plus grand que lui 5. La foi catholique, en accep­ tant l’un et l’autre, en défendant l'un et l’autre, ce qui est propre à la substance divine et ce qui l’est à 23. 1. 5. Matth. III, 17. Jean I, 29. Jdicf. X» 30. Ibid. XIV, 28. 89 DE PASSIONE SERMO XIV naeque substantiae, unum Dei Filium et hominem cre­ dit et Verbum. Multa sunt, dilectissimi, quae ad expositionem hujus quam praedicamus fidei de toto Scripturarum corpore possemus assumere, quia nihil saepius divinis com­ mendatur eloquiis, quam Dei Filius secundum Deita­ tem sempiternus ex Patre, et idem secundum carnem temporalis ex matre. Sed ne caritatis vestrae fatigetur auditus, hodierno sermoni adhibendus est modus, ut quarta sabbati quae sunt adjicienda servemus, auxiliante Domino nostro Jesu Christo, qui cum Patre et Spiritu sancto vivit ct regnat in saecula saeculorum. Arnen x. 52 (LXV) .1 DE PASSIONE DOMINI SERMO XIV habitus feria quarta. 1. Sermonem, dilectissimi, de gloriosa Domini nos­ tri Jesu Christi passione promissum, ita exspectationi vestrae intelligo esse reddendum, ut officium disserendi et festo paschali serviat, ct ausibus impii erroris occui^ rat. Qui enim Dei Filium veram nostrae carnis negant 1. Les paragraphes 3 ct 4 de ce sermon ont été repris par S. Léon dan· les lettres CXXIV, 3-5 ct CLXV. 4-6 qu’il écrivit, la première vers juin 453 aux moines de Palestine pour les prévenir contre les erreurs d’Eutychè^ la seconde en 458 à l'empereur Léon !♦» pour l’instruire au sujet de la même hérésie (P. L. LIV, 1064-1065 et 1162-1163). Il devrait donc être daté de· années 450 à 453 ; c’est, en effet, en juin 449 que S. Léon adressa Λ l’évêqi de Constantinople, Flavlen, son célèbre < tome · oû il dénonçait solenn< lenient l’hérésiarque (Ibid. s.). Le sermon expose ct défend la duali des natures en Jésus-Christ, que niait Eutychès. Ix sermon suivant trs SERMON XIV SUR LA PASSION 89 la substance humaine, croit que l’unique Fils de Dieu est à la fois homme ct Verbe. Nous pourrions, bien-aimés, apporter de nombreux témoignages tirés du corps entier des Écritures pour appuyer l’exposé de la foi que nous prêchons ; car rien n’est plus souvent présenté par les divines paroles que cette vérité que le Fils de Dieu est éternel selon la divinité par son Père, et en même temps lie à la durée selon la chair par sa mère. Mais, pour ne pas fatiguer l’attention de votre charité, mettons un terme au ser­ mon d’aujourd’hui et gardons pour mercredi ce qui nous reste à ajouter, avec l’aide de notre Seigneur Jésus-Christ qui, avec le Père et l’Esprit-Saint, vit et règne dans les siècles des siècles. Amen *. 52 (LXV) QUATORZIÈME SERMON SUR LA PASSION DU SEIGNEUR (prononcé le mercredi). Sommaire. — 1. Erreurs touchant la Passion du Christ; se garder de confondre les deux natures en Jésus-Christ. — 2. Lo Christ a souffert dans une chair véritable. — 3. Ce n’est pas le Verbe de Dieu qui a souffert ; lès Juifs n’ont pas reconnu la Divinité en lui et s’assimilent aux hérétiques. — 4. Pas de rédemption sans une véritable incarnation. — 5. Garder une foi intègre. 1. Nous vous avons promis, bien-aimés, un sermon sur la glorieuse Passion de notre Seigneur Jésus-Christ. Ce discours, que notre charge doit à votre attente, nous comprenons qu’il doit à la fois concourir à la fête pascale et répondre aux audaces d’une erreur im­ pie. Ceux, en effet, qui nient que le Fils de Dieu ait tera du même Sujet ct cherchera do mime à combattre l'hérésie, que con­ damnera Je concile de Chalcédoinc. 90 DE PASSIONE SERMO XIV suscepisse naturam, inimici sunt fidei Christianae, et ’ evangelicam praedicationem nimis impudenter impu­ gnant : ut secundum ipsos crux Christi aut simulatio fuerit phantasmatis aut supplicium Deitatis 12. Quod a cordibus piorum longe est repellendum, quia catho­ lica integritas nec maculam perfidiae, nec rugam 3 po­ test habere mendacii ; quae unum Christum, sicut Deum, sic hominem confitetur, ut nec falsum homi­ nem, nec Deum dicat fuisse passibilem. Quamvis ergo ab illo initio, quo in utero Virginis Verbum caro /ac­ tum esi. nihil umquam inter divinam humanamque substantiam divisionis exstiterit, et per omnia incre- ‘ menta corporea unius personae fuerint totius temporis /| actiones, ea ipsa tamen quae inseparabiliter facta sunt, nulla permixtione confundimus : sed quid cujus ’ naturae sit ex operum qualitate sentimus ; nec divina | enim humanis praejudicant, nec humana divinis, cum | ita in idipsum utraque concurrant, ut in eis·nee pro- I prietas absumatur, nec persona geminetur. ' 2. Transcursis igitur iis quae passionem Domini | praecesserunt, quid documentorum habeat sacra..icn- i tum paschale tractemus 4. Nam exardescente ad effec- 1 tum sui sceleris saevitia Judaeorum, cum Deus esset in j Christo mundum reconcilians sibi 5, nulla vis templo corporis ejus 6, nisi ipse permitteret, potuisset inferri. Siquidem terribilis illa militum cohors, et a principi1. C’est encore l’opinion des ituinichécns ct des docùtes, déjà rencontrée plus haut, selon laquelle, le corps humain 93 DE PASSIONE SERMO XIV dormientium 1, quia non sunt primitiae hominum, si non sunt de humanae stirpe naturae. Qui enim primus hominum resurrexit, ejus plenitudinis est portio quam praecessit : et pie creditur, hoc quod est in capite inchoatum, in membris quoque esse complendum : Quia sicut in Adam omnes moriuntur, ita et in Christo omnes vivificabuntur 12. 5. Amplcctentes igitur, dilectissimi, Christianae spei unicum pignus, non divellamur a compage corporis Christi : In quo habitat, sicut Apostolus ait, omnis ple­ nitudo Divinitatis corporaliter ; et estis in illo repleti 3. Nam cum incorporea sit substantia Dei, quomodo cor­ poraliter in Christo habitat, nisi quia caro nostri gene­ ris facta est caro Deitatis ? Et in illo sumus Deo repleti, in quo crucifixi, in quo sepulti, in quo sumus etiam suscitati ; ut possimus cum Apostolo dicere : Nostra autem conversatio in caelis est : unde etiam Salvatorem exspectamus Dominum nostrum Jesum Christum, qui reformabit corpus humilitatis nostrae conforme fieri corpori gloriae suae 4, vivens et regnans cum Patre et cum Spiritu sancto in saecula saeculorum. Arnen 5. \ 1 1 1 , > j j 1. I Cor. XV, 20. 2. Ibid. 22. 3. Colos. II. 0-10. 4. Phil. IU, 20-21. 5. Comme le précédent, ce sermon a été repris en partie dans les lettres . CXXIV et CLXV aux moines de Palestine et Λ l'empereur Léon I ». Une j partio du paragraphe 1 est reproduite dans ies deux lettres (Ep. CXXIV, SERMON XIV SUR LA PASSION 93 prémices de ceux qui se sont endormis 1 », car il n’y a pas prémices des hommes dans ce qui ne sort pas de la souche humaine. Celui, en effet, qui est ressuscité le premier des hommes, fait partie de la totalité qu’il a précédée : et c’est piété de croire que ce qui a été inauguré dans la tête sera aussi achevé dans les membres ; car « de même que tous meurent en Adam, tous aussi revivront dans le Christ 2». 5. Étreignons donc, bien-aimés, le gage unique de l’espérance chrétienne, et ne nous laissons pas arra­ cher à ce tout qui constitue le corps du Christ. « En lui, dit l’Apôtre, habite corporellement toute la pléni­ tude de la Divinité ; et vous vous trouvez comblés en lui 3. » Car la substance de Dieu étant incorporelle, comment peut-elle habiter corporellement dans le Christ, sinon parce que la chair de notre race est de­ venue la chair de la Divinité ? Et nous sommes com­ blés de Dieu en celui en qui nous avons été crucifiés, en qui nous avons été ensevelis, en qui nous avons également été ressuscités ; en sorte que nous pouvons dire avec l’Apôtre : « Notre société est dans les cieux, d’où nous attendons, comme sauveur, le Seigneur Jésus Christ, qui transfigurera notre corps de misère pour le conformer à son corps de gloire 4. » Lui qui vit et règne avec le Père et avec l’Esprit-Saint dans les siècles des siècles. Amen s. G et Ep. CLXV, G; P. L. LIV, 10054060 et 1165), et une partie du paragraphe 1 dans ta lettre CXXIV, 6, tandis que la lettre CLXV, 7 s’en inspire sans le reproduire exactement. Dans ces deux textes, les fragments du présent sermon sont mis à la suite de ceux empruntés au précédent, ce qui prouve l’unité des deux sermons, dont la thèse est la même. 94 DE PASSIONE SERMO XV 53 (LX VI) DE PASSIONE DOMINI SERMO XV 1. Evangelica lectio, dilectissimi, quae sacratissi­ mam Dominicae passionis reseravit historiam, ita uni­ versae Ecclesiae nota est de communi frequenter auditu, ut rerum gestarum ordinem, tamquam sub vestris habitum oculis, singuli quique recolatis. Nec parum aestimandi sunt profecisse, qui de iis quae au­ diere non dubitant, ut etiamsi nondum liquide aliquod valeant Scripturarum capere sacramentum, firmissime tamen credant in divinis libris nullum esse menda­ cium. Quia ergo sincerae fidei promissa est intclligcntiae plenitudo \ erigat se ad promerendam sancti Spi­ ritus eruditionem, illuminatarum mentium vigor ; et non contentus sit facti ordinem nosse, nisi etiam ipsam rationem impensae sibi pietatis inspiciat : ut auctorem suum humana natura, sciendo quantum ab eo sit di­ lecta, plus diligat. Miserendi enim nostri causam Dens nisi in sua boni­ tate non habuit ; et mirabilior est secunda hominum generatio quam conditio : quia plus est in novissimis saeculis2 reparasse Deum quod perierat, quam a principio fecisse quod non erat 3. Libertatem itaque 1. Cf. Jean XX, 29. S. Léon songo-t-il en outre au texte d'Isaïe VII, 9, tel que le lisait S. Augustin : ? 2. 1 Pierre L 20 ; I Jean II, 18. 3. L’Oraison de l’OITcrloIre de l'Ordlnalre de ta messe romaine s’exprime de même. : < Deus qui humanae substantiae dignitatem mirabiliter condi­ disti et mirabilius reformasti... » et l’Oraison après la première prophétie du Samedi saint : · Deus qui mirabiliter creasti hominem et mirabilius redemisti... > SERMON XV SUR LA PASSION 94 53 (LXVI) QUINZIÈME SERMON SUR LA PASSION DU SEIGNEUR Sommaire. - 1. Invitation à la réflexion. Bonté de Dieu manifestée dans notre rédemption. Les justes de l’ancienne loi sauvés par la foi. — 2. Les annonces prophétiques réalisées. — 3. Bienfaits de la croix. — 4. S'identifier au Christ homme et. souffrant pour avoir part à sa gloire. — 5. Joie de la résurrection. 1. La lecture de l’évangile, bien-aimes, qui nous a raconté l’histoire sacrée de la Passion du Seigneur, est assez connue de l’Église entière, qui l'entend fré­ quemment lire en public, pour que vous vous rappe­ liez tous le déroulement des faits comme si vous les aviez eus sous les yeux. Croyons-Ie, ce n’est pas avoir peu profité que de ne pas douter de ce qu’on a entendu, et même s’il est encore quelque mystère de l’Écriture que l’on ne soit pas capable de saisir clai­ rement, de croire pourtant très fermement que les Livres divins ne contiennent aucun mensonge. Cepen­ dant la pleine intelligence a été promise à la foi sin­ cère 1 ; dressons-nous- donc dans la vigueur de nos es­ prits illuminés pour mériter d’être enseignés par le Saint-Esprit ; ne nous contentons pas de connaître l’ordre des faits sans arrêter notre attention à la rai­ son de l’amour mis en œuvre pour nous : la nature humaine, sachant combien son auteur l’a aimée, l’en aimera dès lors davantage. C’est dans sa seule bonté, en effet, que Dieu a trouvé un motif de nous faire miséricorde et la seconde nais­ sance des hommes est plus admirable que leur pre­ mière création ; car la restauration par Dieu dans les derniers temps 2 de ce qui avait péri est une plus grande chose que la création au début de ce qui n’était pas 3. Aussi la liberté que comportait l’innocence na- 95 DE PASSIONE SERMO XV innocentiae naturalis, quam primorum parentum praevaricatione perdidimus, nulla per se sanctorum praecedentium merita receperunt, quia lata in trans­ gressores sententia, omnem progeniem captivae pos­ teritatis obstrinxit, et nemo exstitit exsors a damna­ tione, quia nullus fuit liber a crimine. Sed redemptio Salvatoris destruens opus diaboli, et rumpens vincula peccati, ita magnae pietatis suae disposuit sacramen­ tum, ut usque ad consummationem quidem mundi praefinita generationum plenitudo decurreret, sed re­ novatio originis per justificationem indiscretae fidei omnia retro saecula pertineret. Incarnatio quippe Verbi et occisio ac resurrectio Christi, universorum fidelium salus facta est, ct sanguis unius justi hoc nobis donavit, qui eum pro reconciliatione mundi credimus fusum, quod contulit patribus, qui similiter credidere fundendum. 2. Nihil ergo, dilectissimi, ab antiquis significatio­ nibus in Christiana religione diversum est, nec umquam a praecedentibus justis, nisi in Domino Jesu Christo, salvatio sperata est, dispensationibus quidenl pro divinae voluntatis ratione variatis, sed in idipsum coruscantibus et legis testimoniis, et prophetiae ora­ culis, et oblationibus hostiarum : quia sic congruebat illos populos erudiri, ut quae revelata non caperent, obumbrata susciperent, et major Evangelii esset auc­ toritas, cui tot signis totque mysteriis, veteris TesJ tamenti paginae deservissent ; de quibus Dominus profitebatur, quod non venerat legem solvere, sed adimplere Ne itaque aestimet sibi prodesse Judaeus, quod in litterae carnaliter superficie demoratur, et iis Scripturis convincitur repugnare, quae apud nos v 1. Ct. Matth. V, 17. 95 SERMON XV SUR LA PASSION turcllc et qui fut perdue par la faute de nos premiers parents, nul des saints d’autrefois n’a pu la recouvrer par ses propres mérites ; car la sentence portée contre les transgresseurs a tenu dans les chaînes toute la lignée d’une postérité d’esclaves, et personne ne na­ quit exempt de la condamnation, puisque nul ne fut libre de la faute. Mais la rédemption opérée par le Sauveur, en détruisant l’œuvre du diable et en bri­ sant les liens du péché, ordonna de telle façon le don de son grand amour que la plénitude des générations, dont le nombre a été déterminé d’avance, continuât certes de se dérouler jusqu’à la consommation du monde, mais que la restauration de notre origine s’étendît rétroactivement à tous les siècles passés, la justification étant accordée à la foi sans distinction. L’incarnation du Verbe, en effet, ainsi que la mort et la résurrection du Christ, sont devenues salut pour tous les fidèles et le sang du juste unique nous a donné, à nous qui le croyons répandu pour la réconciliation du monde, ce qu’il a accordé à nos pères qui ont cru pareillement qu’il serait répandu. 2. 11 n'y a donc, bien-aimés, dans la religion chré­ tienne rien qui s’écarte des anciennes promesses, et les justes d’autrefois n’ont jamais espéré le salut que dans le Seigneur Jésus-Christ : l'économie certes a varie selon que l’a disposé la divine volonté, mais c’est sur lui que projetaient leur lumière et les témoi­ gnages de la loi et les oracles des prophètes et les sacri­ fices des victimes : il convenait, en effet, que ces peuples fussent instruits de telle manière que ce qu’ils ne pouvaient saisir dans la pleine lumière, ils le re­ çussent sous le voile des figures, et que l’autorité de Γ Évangile fût accrue du fait que les pages de l’Ancien Testament avaient mis à son service tant de symboles et de mystères : de ceux-ci le Seigneur dé­ clarait qu’il n’était pas venu détruire la loi, mais l’ac­ complir L Que le Juif se garde donc de penser qu’il lui est bon de demeurer charnellement à l’écorce de la lettre ; il est convaincu d’être en contradiction avec ses Écritures qui trouvent chez nous leur vraie dignité, car nous nous instruisons de leurs annonces et nous Léon le Grand. III. 12 96 DE PASSIONE SERMO XV ram sui obtinent dignitatem, dum et erudimur prae­ dictis, et ditamur impletis. Dicente enim Domino : Cum exaltatus fuero, omnia traham ad me 1, nihil legalium institutionum, nihil propheticarum resedit figurarum, quod non totum in Christi sacramenta transierit. Nobiscum est signaculum circumcisionis 1 2, sanctificatio chrismatum, consecratio sacerdotum ; nobiscum puritas sacrificii, baptismi veritas, honor templi, ut merito cessari nt nuntii, postquam nuntiata venerunt ; nec vacuatur reverentia promissionum, quia plenitudo manifestata est gratiarum. Verum quia, si­ cut ait Apostolus : Caecitas ex parte in Israel facta est, nec qui filii carnis, ii filii sunt promissionis 3, ineffa­ bilis misericordia Dei Isracliticum sibi populum de I omnibus nationibus fecit, et saxeo illo gentilium cordium rigore mollito, veros Abrahae filios de lapidibus I( excitavit 4 : ut conclusis omnibus sub peccato s, qui i carne nati sunt, spiritu renascantur6, nec intersit quo I patre sit quisque genitus, cum per indiscretam unius I fidei confessionem et fons baptismatis faciat inno- ( centes, et electio adoptionis confirmet haeredes 7. 3. Quid enim aliud egit agitque crux Christi, quam® ut destructis inimicitiis 8, et reconcilietur mundus Deo, | et per sacrificium immolati Agni veram in pacem? cuncta revocentur ? Non autem concordat Deo, qui ab ea quam in regeneratione sua edidit professione dissentit, et divini immemor pacti, inhaerere ostendi­ tur renuntiatis, dum resilire invenitur a creditis. Frus1. Jean XH, 32. 2. Cf. Gen. XVII, 11 ; Rom. IV. 11 : < Et signum accepit (Abraham) clr* cumcixioni-s signaculum justitiae fidoi. · 3. S. Mon combine librement Rom. XI, 25 et IX» 8 : « Quia caecitas eï parte contigit in Israel... Non qui filii carnis bi tilii Pci; xed qui filii sont promissionis aestimantur in semine. » 4. Cf. Matth. III» 9. 1 > SERMON XV SUR LA PASSION 96 enrichissons de leurs réalisations. Selon cette parole du Seigneur : « Élevé, j’attirerai tout à moi 1», rien n’est demeuré des institutions de la loi, rien des figures prophétiques, qui n’ait passé intégralement dans les mystères du Christ. C’est chez nous que sont le signe de la circoncision2, la sanctification du chrême, la consécration des prêtres ; chez nous la pureté du sacrifice, la vérité du baptême, l’honneur du temple ; les annonces peuvent donc cesser après qu’est venu ce qu’elles annonçaient, et le respect dû aux promesses n'est pas sans objet puisque s’est manifestée la plé­ nitude des grâces. Mais, comme le dit l’Apôtre, « une partie d’Israël a été frappée d’aveuglement, et les en­ fants de la chair ne sont pas enfants de la promesse 3 ». Aussi Dieu, dans son ineffable miséricorde, s’est-il fait de toutes les nations un seul peuple d’Israël et, ayant amolli cette raideur et cette dureté de roche des cœurs païens, a-t-il fait naître des pierres de vrais fils d’Abra­ ham 4 ; ainsi, bien que tous soient enfermés dans le péché ô, ceux qui sont nés de la chair renaissent de l’Esprit 567, et il n’importe plus de savoir par quel père on a été engendré, puisque, en confessant, sans accep­ tion de personnes, une seule et même foi, tous sont faits innocents par la fontaine baptismale et confir­ més dans l’héritage par l’adoption à laquelle ils sont appelés 3. Qu’a donc fait et que fait encore, en effet, la croix du Christ, sinon réconcilier le monde avec Dieu après avoir détruit ce qui les opposait l’un à l’autre 8 et rappeler toutes choses à la vraie paix par le sacri­ fice de l’Agneau immolé ? Mais celui-là ne saurait s’ac­ corder avec Dieu, qui s’écarte de sentiment de la pro­ fession de foi émise au jour de sa régénération et qui, oublieux de l’alliance divine, montre son attachement â ce à quoi il a renoncé, en laissant découvrir qu’il 5. Cf. Bom. XI, 32; Gai. III, 22 : «Conclusit... Deus omnia in incre­ dulitate... conclusit scriptura omnia sub pcccato. · 6. Cf. Jean HI. 5. 7. Cf. Roni. VIII» 17 ; GaL IV, 7 : < Si nutem Πΐϋ, ct heredes; heredes quidem Dei, coheredes autem Christi. » 8. Ci. Êph. Π» 10 : « Interficiens inimicitias in semel ipso. » 97 DE PASSIONE SERMO XV tra enim Christianum sibi nomen usurpat, et nequa­ quam aestimet se Pascha Domini celebrare, qui Jesum Christum in ea qua natus, et passus, et mortuus, ac sepultus est carne, resurrexisse non credit, et nostrae in illo naturae resuscitatas primitias non fatetur. Verus itaque venerator Dominicae passionis sic cru­ cifixum Jesum oculis cordis aspiciat, ut illius carnem suam esse cognoscat. Contremiscat in Redemptoris sui supplicio terrena substantia, rumpantur infidelium mentium petrae, et qui mortalitatis gravabantur sepulcris, discussa obstaculorum mole prosiliant. Appareant nunc quoque in civitate sancta l, id est in Ecclesia Dei, futurae resurrectionis indicia, ct quod gerendum est in corporibus, fiat in cordibus. Nulli infirmorum crucis est negata victoria ; nec quisquam est cui non Christi auxilietur oratio. Quae si multis in ipsum saevientibus profuit, quanto magis eos qui ad ipsum convertuntur adjuvat ? Sublata est ignorantia, temperata est difficultas, et igneam illam qua vitae regio erat inclusa romphaeam 12 sacer Christi sanguis exstinxit. Verae luci, antiquae noctis cessit obscuritas. Invitatur ad paradisi divitias populus Christianus, et cunctis regeneratis ad amissam patriam patefactus est reditus, si nemo sibi illam viam facit claudi, quae fidei latronis potuit aperiri. 4. Celebrantes igitur, dilectissimi, paschalis festi ineffabile sacramentum, agnoscamus, docente Spiritu Dei, ad cujus gloriae participationem vocati et ad quam spem simus ingressi. Nec ita nos nunc anxie, nunc superbe praesentis vitae occupent actiones, ut non toto cordis affectu conformari Redemptori nostro 1. Cf. Matth. XXVII, 53. 2. Cf. Gen. ΙΠ. 21. Le glaive flamboyant de l’ange interdisait rentrée du Paradis et l’accès à l’arbre de vie après ht faute de nos premiers parents ; SERMON XV SUR LA PASSION 97 s’éloigne de ce à quoi il a cru. Il s’arroge, en effet, inutilement le nom de chrétien et il ne doit à aucun prix penser qu’il fête la Pâque du Seigneur, celui qui ne croit pas que Jésus-Christ soit ressuscité dans cette chair même en laquelle il est né, a souffert, est mort et a été enseveli, et qui ne confesse pas en lui les pré­ mices ressuscitées de notre nature. C’est pourquoi celui qui vénère en vérité la Passion du Seigneur doit si bien regarder des yeux de son cœur Jésus crucifié qu’il reconnaisse en sa chair la sienne propre. Que la terrestre substance tremble au supplice de son Rédempteur, que se brisent les pierres que sont les cœurs des infidèles, et que se dressent, écartant le poids des obstacles, ceux sur qui pesait le tombeau de la mortalité. Qu’eux aussi se montrent maintenant dans la Ville sainte \ c’est-à-dire dans l’Église de Dieu, comme des gages de la résurrection future, et que se réalise dans les cœurs ce qui doit se produire un jour dans les corps. Il n’est pas de malade à qui soit refusée la victoire de la croix, et il n’est personne à qui ne vienne en aide la prière du Christ. Si elle a été utile à beaucoup de ceux qui le persécutaient, combien plus aidera-t-elle ceux qui se convertissent à lui ? L’ignorance est abolie, la difficulté tempérée, et le sang sacré du Christ a éteint le glaive de feu qui gardait les frontières de la vie 2. L’obscurité de l'an­ tique nuit a fait place à la vraie lumière. Le peuple chrétien est invité à partager les richesses du Paradis, et la voie du retour à la patrie perdue est libre pour tous les régénérés, à condition que nul ne se ferme à lui-même le chemin qui a pu s’ouvrir à la foi d’un bandit. 4. En célébrant, bien-aimes, la fête pascale et son ineffable mystère, apprenons donc, à l’école de l’Esprit de Dieu, quelle gloire nous sommes appelés à par­ tager et à quelle espérance nous avons accès. Que les activités de la vie présente ne nous plongent ni dans l’anxiété, ni dans l’orgueil, tellement que nous ne nous le sacrifice du Christ nous rouvre le Paradis ct nous permet d’approcher des sources de la gràcc. 98 DE PASSIONE SERMO XV per illius exempla nitamur. Nihil enim non ad nostram salutem aut egit aut pertulit, ut virtus quae inerat capiti in esset etiam et corpori. Nam primum ipsa illa substantiae nostrae in Deitate susceptio qua Verbum caro /actum est, et habitavit in nobis \ quem hominum misericordiae suae, nisi infidelem, reliquit exsortem ? Et cui non communis natura cum Christo est, si as­ sumentem recepit, et eo spiritu est regeneratus quo ille progenitus ? Deinde quis in illo suas non agnoscat infirmitates 12 ? Quis perceptionem cibi, requietionem somni, sollicitudinem maestitudinis, lacrymas pietatis, non videat formae fuisse servilis 3 ? Quae quoniam ab antiquis sananda vulneribus, et a colluvione erat pur­ ganda peccati, ita Unigenitus Dei etiam hominis factus est filius, ut et omni humanitatis veritate, et Divinitatis plenitudine non careret. Sicut itaque nostrum est quod cum unione Deitatis peperit materna virginitas, ita nostrum est quod Judaica crucifixit impietas. Nos­ trum est quod examine in sepulcro jacuit, et quod die tertia resurrexit, quodque super omnes altitudines cae­ lorum ad dexteram paternae majestatis ascendit : ut si per viam mandatorum ejus incedimus, et si quae in humilitate corporea nostrae impendit saluti non eru­ bescimus confiteri, nos quoque in gloriae ejus consor­ tium provehamur : quoniam manifeste quod denun­ tiavit implebitur : Omnis qui confitebitur me coram hominibus, et ego confitebor eum coram Patre meo, qui in caelis est l. 1. Jean I» 14. 2. S. Léon développe en deux termes l'aHinnation qu’il a posée quelques lignes plus haut : « Virtus quao inest capiti Inest etlam et corpori. » Tout cHibord (nam primum), par suite do l'assomption de la choir par le Verbe» tout homme revêtu de la même chair a droit à sa miséricorde s’il embrasse la foi ; bien mieux il devient participant de la nature divine du Christ s’il est régénéré par le même esprit qui a été principe de sa naissance charnelle. Ensuite (cfefnde) les faits rapportés par l’Évaugile prouvent que le Christ SERMON XV SUR LA PASSION 98 efforcions pas de tout l’amour de nos cœurs de nous modeler sur notre Rédempteur en imitant ses exemples. Il n’a rien fait, en effet, rien souffert que pour notre salut afin que la vertu qui se trouve dans la tête se trouvât aussi dans le corps. Et tout d’abord cette assumption de notre nature dans la Divinité, par quoi « le Verbe s’est fait chair et a demeuré parmi nous 1 », quel homme, hormis l’infidèle, a-t-elle laissé étranger à sa miséricorde ? Et qui donc n’a pas une nature commune avec le Christ, s’il a reçu celui qui le prend lui-même, et s’il a été régénéré par l’Esprit par qui celui-là a été engendré ? Enfin qui ne reconnaît en lui scs propres faiblesses 2 ? Qui ne voit que le fait d’avoir pris de la nourriture, d’avoir goûté le repos du sommeil, d’avoir éprouvé l’angoisse et la tristesse, d’avoir connu les larmes et l’amour, ne relève de la condition du serviteur 3 ? 11 fallait, en effet, que celleci lût guérie de ses antiques blessures et purifiée de la souillure du péché ; c’est pourquoi le Fils unique de Dieu devint aussi fils d’homme, afin que ne lui fissent défaut ni l’humanité dans toute sa réalité ni la divi­ nité dans sa plénitude. Nôtre est donc ce qu’a enfanté la Vierge mère dans son union à la Divinité, comme est nôtre cc qu'ont crucifié les Juifs dans leur impiété. Nôtre est ce qui a été couché sans vie dans le tom­ beau et est ressuscité le troisième jour, et ce qui est monté au-delà de toutes les hauteurs célestes jusqu’à la droite de la majesté du Père : de la sorte, si nous marchons dans la voie de ses commandements sans avoir honte de confesser ce qu’il a fait pour notre salut dans l’abaissement de sa chair, nous serons aussi promus au partage de sa gloire ; car ce qu’il a annoncé s’accomplira au grand jour : «Quiconque me confes­ sera devant les hommes, à mon tour je le confesserai devant mon Père qui est dans les cieux 4. » a vraiment pris noire nature intégrale puisqu’il en a subi toutes les fai­ blesses comme nous. Finalement il les a dépassées en élevant notre huma­ nité à la droite du Père dans la gloire céleste dont nous sommes appelés à jouir avec lui si nous marchons & sa suite et ne rougissons pas de lui. 3. Philip. JJ, 7. •t. Mat th. X, 32. 99 DE PASSIONE SERMO XV 5. Huic autem cohortationi nostrae adest atque auxiliatur gratia Dei, quae incarnationis Christi et mortis ac resurrectionis ejus inimicos, revelata per omnes Ecclesias veritate, destruxit; ut totius mundi fideles, cum apostolicae fidei auctoritate concordes, una nobiscum exsultatione gauderent, dicente beato Paulo apostolo : An ignoratis, quia quicumque baptizati sumus in Christo Jesu, in morte ipsius baptizati' sumus ? Copsepulii enim sumus cum illo per baptismum in morte, ut quomodo surrex.it Christus a mortuis per gloriam Patris, ita et nos in novitate vitae ambulemus. Si enim complantati facti sumus similitudini mortis ejus, simul et resurrectionis erimus. Hoc scientes quia vetus homo noster simul crucifixus est, ut destruatur cor­ pus peccati, et ultra non serviamus peccato. Qui enim mortuus est, justificatus est a peccato. Si autem mortui sumus cum Christo, credimus quia simul etiam vivemus cum illo l, qui vivit et regnat cum Patre et Spiritu sancto in saecula saeculorum. Anien 12. 1. Rom. VI. 3-S. 2. Ce sermon qui ne se termine pus pur un renvoi» ni ne se présente comme ]a suite d’un autre, qui, d’autre part, exalte la croix ct déjà la résurrection» aura pu être prononcé, comme te 57· (oidt infra), le Vendredi saint. On pourrait en dire autant du 56· sur la Passion) et peut-être, ft cause de la similitude des thèmes, du 47· ($' sur la Passion), bien qu’on puisse aussi. SERMON XV SUR LA PASSION 99 5. La grâce de Dieu vient appuyer notre exhorta­ tion, elle qui a détruit les ennemis de Γ Incarnation du Christ, de sa mort et de sa résurrection, en révé­ lant la vérité à travers toutes les églises ; car les fidèles du monde entier, d’accord avec l’autorité de la foi apostolique, peuvent se réjouir avec nous d’une com­ mune allégresse, selon la parole du bienheureux apôtre Paul : « Ignorez-vous que, baptisés dans le Christ Jésus, c’est dans sa mort que tous nous avons été baptisés ? Nous avons donc été ensevelis avec lui par le baptême dans la mort, afin que, comme le Christ est ressuscite des morts par la gloire du Père, nous vivions nous aussi dans une vie nouvelle. Car si c’est un même être avec le Christ que nous sommes deve­ nus par une mort semblable à la sienne, nous le serons aussi par une résurrection semblable ; comprenons-le, notre vieil homme a été crucifié avec lui, pour que fût détruit ce corps de péché, afin que nous cessions d’être asservis au péché. Car celui qui est mort est quitte du péché. Mais si nous sommes morts avec le Christ, nous croyons que nous vivrons aussi avec lui 1 », qui vit et règne avec le Père et l’Esprit-Saint dans les siècles des siècles. Amen 2. connue il a été dit. placer cc dentier au Dimanche «de Passione· ct le joindre an 48· qui aurait été prononcé le mercredi. Les mêmes thèmes, en effet, reviennent dans les sermons 47, 53 ct 56, à savoir la réalisation des prophéties dans ct par la Passion, et le triomphe du Christ qui est en même temps le nôtre. 100 DE PASSIONE SERMO XVI 54 ' (LX Vil) ■ DE PASSIONE DOMINI SERMO XVI die dominica habitus. ! 9* 1. Semper quidem, dilectissimi, fidelium mentes in divinorum operum decet admiratione versari, ct ratio­ nales animos iis maxime cogitationibus inhaerere, per quas incrementum fidei consequantur. Cum enim pii cordis intentio, vel ad generalia beneficia, vel ad spe­ cialia ipsius gratiae dona dirigitur, multas a sc vani­ tates abigit, et a corporalibus curis in quoddam secre­ tum spiritale secedit. Sed hoc in tempore Dominicae passionis multo avidius excellentiusque faciendum est, | ut ea quae sacris sunt lectionibus recensita, sanae intelligentiae suscipiantur auditu, ct quae magna sunt verbis, appareant majora mysteriis. Prima namque erigendi sursum nostri cordis est ra- : tio quod ea quae etiam evangclica veritas enarravit, voces propheticae non tamquam gerenda, sed tam­ quam gesta cecinerunt ; et quod humanae aures non­ dum cognoverant faciendum, jam Spiritus sanctus praedicabat impletum. Nam rex David, cujus secun­ dum hominem semen est Christus, diem crucis Domini mille et plus quam centum annorum aetate praeces­ sit \ ct nihil eorum suppliciorum quae sibi memorat 1. S. Léon suit la chronologic de son ami ct secrétaire Prosper d’Aquitidnc, elle-même inspirée d'Eusébe, selon laquelle le début du régne de Da­ vid se placerait 1146 ans avant la naissance du Christ (cf. Prosperi Chro· nicon dans Afonum. Germ. Hi$l.9 A uct. antiquis. IX); aujourd’hui les dates retenues pour le régne de David sont 1010-970 env. Les supplices auxquels il va Cire fait allusion et que David décrit sans les avoir subis lui-même sont ceux du Christ dans le Psaume XXL SERMON XVI SUR LA PASSION 100 54 (LXVII) SEIZIÈME SERMON SUR LA PASSION DU SEIGNEUR (prononcé le dimanche). Sommaire. — 1, Invitation à la méditation des œuvres de Dieu. Les prophéties de la Passion. — 2. La Passion du Christ dans les décrets éternels de Dieu. — 3. Le Christ a permis le crime des Juifs, il ne l’a pas voulu. — 4. Judas. — 5. Le Verbe s’est incarné pour souffrir ct nous sauver ainsi. — 6. Suivre scs exemples.^—· Ί. La plainte de Jésus sur la croix. Renvoi. 1. 11 convient certes, bien-aimés, que les cœurs des fidèles vivent continuellement dans l’admiration des œuvres divines, et que des âmes raisonnables s’at­ tachent par-dessus tout à des pensées qui produisent en elles un accroissement de foi. Lorsqu'on effet, le regard d’un cœur religieux se tourne soit vers les bienfaits généraux soit vers les dons particuliers de la grâce, il écarte de soi bien des vanités xet quitte les soucis corporels pour se retirer en une sorte de soli­ tude spirituelle. Mais c’est au temps de la Passion du Seigneur qu’il faut se mettre encore beaucoup plus avidement ct plus parfaitement dans une telle disposi­ tion : ce qui est narré par les leçons tirées de l’Ecriture sera alors pleinement entendu par une saine intelligence et ce qui est déjà grand dans les mots apparaîtra plus grand encore dans son sens cache. Une première raison, en effet, d’élever nos cœurs est que ces faits racontés par Γ Évangile de vérité, la voix des prophètes les avait annonces, et non pas comme devant venir, mais comme déjà accomplis : ce dont les oreilles humaines n’avaient pas même en­ tendu parler comme devant arriver, déjà l’EspritSaint le proclamait réalisé. Car le roi David, dont le Christ descend selon la chair, a précédé de plus de onze cents ans le jour où fut crucifié le Seigneur \ et 101 DE PASSIONE SERMO XVI illata perpessus est. Sed quia per os ejus ille loqueba-^ tur qui carnem passibilem ex ipsius erat stirpe sump­ turus, merito sub ipsius persona praemittitur historia crucis, qui in se gerebat corpoream originem Salva* toris. Vere enim David in Christo est passus, quia vere Jesus in David est carne crucifixus. 2. Cum ergo omnia quae in Dominum majestatis Judaica admisit impietas, tanto ante praedicta sint, et non tam de futuris quam de praeteritis propheticus sit sermo contextus, quid aliud nobis quam sempiter­ narum dispositionum Dei incommutabilis ordo rese-Î ratur, apud quem et discernenda jam dijudicata, et futura jam facta sunt ? Cum enim et qualitates actio­ num nostrarum, et effectus omnium voluntatum scien­ tia divina praeveniat, quanto magis nota Deo sunt opera sua ? Et recte placuit quasi facta recoli, quae non poterant omnino non fieri. Unde et apostoli Spi­ ritu Dei pleni, cum inimicorum Christi minas saevi­ tiamque paterentur, concordi ad Deum voce dixerunt : Convenerunt enim vere in civitate ista adversus sanctum ■ puerum tuum Jesum, quem unxisti, Herodes et Pontius Pilatus cum gentibus et populis Israel facere, quae ma· nus tua et consilium tuum decreverunt fieri ‘. Numquid . iniquitas persequentium Christum ex Dei est orta con­ silio, et illud facinus quod omni majus est crimine manus divinae praeparationis armavit ? Non hoc plane de summa justitia sentiendum est, quia multum diversum multumque contrarium est id quod in mali­ gnitate .Judaeorum est praecognitum, et quod in Christi est passione dispositum. Non inde processit voluntas interficiendi, unde moriendi ; nec de uno ex­ stitit spiritu atrocitas sceleris, et tolerantia Redempto· 1. Actes IV. 27-28. SERMON XVI SUR LA PASSION 101 n’a souffert lui-même aucun des supplices dont il ra­ conte avoir été la victime. Mais celui qui devait prendre de sa race une chair passible parlait par sa bouche, et c’est à bon droit que le récit de la croix est attribué d’avance à l’ancêtre qui portait en lui l’origine humaine du Sauveur. David a vraiment souf­ fert dans le Christ, parce que Jésus a vraiment été crucifié dans la chair de David. 2. Tout ce que l’impiété des Juifs s’est permis sur le Seigneur de majesté a donc été prédit bien long­ temps à l’avance, et le texte prophétique n’est pas tant fait d’événements à venir que d’événements pas­ sés : que nous révèle une telle disposition sinon l’ordre immuable des décrets éternels de Dieu, auprès de qui est déjà déterminé ce qui est encore obscur, et déjà réalisé ce qui est futur ? Si, en effet, la science divine prévient et le caractère de nos actions et le résultat de tous nos vouloirs, combien plus Dieu connaît-il ses propres œuvres ? Il lui a donc plu justement que soit raconté comme passé ce qui ne pouvait absolument pas manquer d’arriver. Aussi lorsque les Apôtres, rem­ plis de Γ Esprit de Dieu, étaient en butte aux menaces et aux violences des ennemis du Christ, ils disaient à Dieu d’une voix unanime : « C’est une ligue, en vérité, qu’Hérode et Ponce Pilate avec les nations païennes et les peuples d’Israël ont formée dans cette ville contre ton saint serviteur Jésus, que tu as oint ; ils n’ont fait ainsi qu’accomplir tout ce que, dans la puis­ sance de ta main et dans ton conseil, tu avais déter­ miné d’avance *. » Est-ce à dire que l'iniquité de ceux qui se sont acharnés contre le Christ soit sortie du conseil de Dieu, et que la main divine ait préparé et armé ce forfait qui dépasse tous les crimes ? Gardonsnous certes de penser rien de semblable de la souve­ raine justice : bien différent, en effet, et tout opposé ce qui, dans la méchanceté des Juifs, a été connu d’avance, et ce qui a été décrété dans la Passion du Christ. La volonté de tuer d’une part, celle de mourir de l’autre ne procèdent pas de la même source ; et ce n’est pas un même esprit qui a animé l’atrocité du crime et la patience du Rédempteur. Le Seigneur n’a 102 DE PASSIONE SERMO XVI ris. Impias furentium manus non immisit in se Domi-1 nus, sed admisit; nec praesciendo quod faciendum] esset, coegit ut fieret, cum tamen ad hoc carnem sus- . cepisset ut fieret. 3. Denique inter crucifixum ct crucifigentes tam dispares causae sunt, ut quod a Christo susceptum est, non possit resolvi ; quod ab illis commissum, possit aboleri. Qui enim venit peccatores salvos facere, nec ipsis quidem interfectoribus suis misericordiam dene­ gavit, sed impiorum malum in bonum credentium commutavit : ut mirabilior fieret gratia Dei, non secundum merita hominum, sed secundum multitu- I di nem divitiarum sapientiae et scientiae Dei 1 mise­ ricorditer praeparata, quando et ipsos qui fuderant I sanguinem Salvatoris, reciperet unda baptismatis. Nam, sicut Scriptura, quae apostolorum actus continet, | loquitur, cum praedicatio beati Petri apostoli Judaeo­ rum corda compungeret, et agnita impietate sui scele­ ris dicerent : Quid faciemus, viri fratres ? idem Aposto- I ' lus ait : Poenitentiam agile, et baptizetur unusquisque | vestrum in nomine Jesu Christi, in remissionem pecca- - it torum vestrorum ; et accipietis donum Spiritus sancti. V Vobis est enim repromissio, et filiis vestris, et omnibus i qui longe sunt, quoscumque advocaverit Dominus Deus I f noster ; moxque addidit Scriptura, et dixit : Qui ergo receperunt sermonem ejus baptizati sunt, et appositae sunt in illo die animae circiter tria millia 2. Quod itaque Dominus Jesus Christus furorem fre­ mentium pati voluit, in nullo auctor eorum criminum , fuit ; nec egit ut haec vellent, sed cessit ut possent ; et sic usus est obcaecatac plebis insania, quomodo et perfidia traditoris, quem ab immanitate concepti 1. CL Rom. XI, 33. SERMON XVI SUR LA PASSION 102 pas envoyé sur lui-même les mains impies des force­ nés, mais il les a permises ; et ce n’est pas parce qu’il savait d’avance ce qu’on allait faire qu’il a contraint à le faire, bien qu’il ait pris une chair pour que cela fût fait. 3. Enfin la cause du crucifié et celle de ses bour­ reaux diffèrent si profondément que ce que le Christ acceptait de subir ne pouvait être supprimé ; par contre ce qu’ils ont commis pouvait être effacé. Celui qui, en effet, est venu sauver les pécheurs, n’a pas meme refusé la miséricorde à ses propres meurtriers, mais il a fait tourner au bien des croyants le mal com­ mis par les impies ; aussi, lorsque l'eau du baptême reçut dans son sein ceux-là même qui avaient répandu le sang du Sauveur, la grâce divine n’en devint que plus admirable, elle que Dieu avait miséricordieuse­ ment préparée, non selon les mérites des hommes, mais scion les innombrables richesses de sa sagesse et de sa science *. En effet, l’Écriture qui renferme les actes des Apôtres, raconte que la prédication de saint Pierre frappa les cœurs des Juifs, et que ceux-ci di­ saient, reconnaissant l’impictc de leur crime : « Frères, que devons-nous faire ? » Alors l’Apôtrc : « Repentezvous, répondit-il, et que chacun de vous se fasse bap­ tiser au nom de Jésus-Christ, pour la rémission de ses péchés, et vous recevrez alors le don du Saint-Esprit. Car c’est pour vous qu’est la promesse, ainsi que pour vos enfants et pour tous ceux qui sont loin, en aussi grand nombre que le Seigneur notre Dieu les appel­ lera. » Et l’Écriture ajoute aussitôt : « Eux donc, ac­ cueillant sa parole, se firent baptiser. Il s’adjoignit ce jour-là environ trois mille âmes 2. » Si donc le Seigneur Jésus-Christ a voulu subir la fureur des forcenés, il n’a pourtant nullement été l’au­ teur de leur crime ; il n’a pas fait qu’ils le voulussent, mais il a cédé pour qu’ils le pussent ; il s’est servi de la folie d’un peuple aveuglé ; il s’est, de même, servi de la perfidie du traître, que, ct par des bienfaits et par des paroles, il avait bien voulu essayer de détour2. Actes II, 37-39, 41. 103 DE PASSIONE SERMO XVI sceleris, et beneficiis revocare est dignatus et verbis, 1 assumendo in discipulum, provehendo in apostolum, monendo signis, consecrando mysteriis, ut cui nihil 1 benevolentiae deesset ad correctionem, nihil occasionis j superesset ad crimen. 4. Sed tu, impiissime homo, semen Chanaan, et non Juda x, nec jam vas electionis 12, sed filius perditionis 9 et mortis, utiliora tibi diaboli incitamenta credebas : ut facibus inflammatus avaritiae, ad triginta argenteo- j rum lucrum inardesceres, et quid divitiarum amitteres 1 non videres. Nam etsi non putabas credendum csseJ promissis, quae fuit ratio ut tantillus pecuniae modus praeponeretur acceptis ‘? Imperabas daemoniis, mede- I baris infirmis, honorabaris cum apostolis, et ut famem tuae cupiditatis expleres, patebant tibi furta de loeu- I lis. Sed animum interdictorum avidum, quod minus I licuit, amplius incitavit ; nec tam placuit quantitas I pretii quam magnitudo peccati. Unde facinus com- -j mercii tui non ideo detestandum est quia Dominum 1 viliter aestimasti, sed quia Redemptorem etiam tuum, ne tibi parceres, vendidisti. Et merito tibi tua paena commissa est, quia in supplicium tuum nemo te sae- I vior potuit inveniri. 5. Quod igitur in tempore praestituto, secundum < propositum voluntatis suae Jesus Christus crucifixus et mortuus et sepultus est, non propriae conditionis necessitas, sed nostrae captivitatis redemptio fuit. Ideo enim Verbum caro factum est, ut de utero Virgi- J nis sumeretur natura passibilis, et quod in Filium Dei non poterat perpetrari, in filium hominis posset ad­ mitti. Nam licet in ipso ortu coruscarent in eo signa Deitatis, et omnia incrementa corporalium provec- ' 1. Cf. Daniel XIII» 56 ; jeu de mots sur k nom de Judas. 2. Cf. Actes IX, 15. 103 SERMON XVI SUR LA PASSION ner de l’énormité du forfait qu’il avait conçu, le prenant pour disciple, l’élevant au rang d'apôtre, l’avertissant par des miracles, le consacrant par les mystères, afin qu’aucune marque de bonté ne lui fût refusée pour l’aider à se corriger, et qu’il ne lui restât ainsi aucun prétexte pour justifier son crime. 4. Mais toi, le plus impie des hommes, race de Chanaan et non de Juda *, qui n’es plus désormais vase d’élection 2, mais fils de perdition 3 et de mort, tu croyais plus utiles pour toi les suggestions du diable : consumé par le feu de l’avarice, tu t’enflammais pour un gain de trente pièces d’argent, et tu ne voyais pas quel trésor tu perdais. Car même si tu ne pensais pas pouvoir ajouter foi aux promesses du Seigneur, pour quelle raison as-tu préféré une si médiocre somme à ce que tu avais reçu ? Tu commandais aux démons, tu guérissais les malades, tu étais honoré avec les apôtres, et, pour que tu puisses rassasier ta cupidité vorace, les larcins t’étaient faciles sur la bourse com­ mune. Mais moins une chose était licite, plus elle en­ flamma cette âme avide du fruit défendu ; la grandeur du péché l’attira plus encore que le poids du salaire. Aussi ce qui rend odieux ton marché criminel, ce n’est pas tant d’avoir estimé le Seigneur à vil prix, que d’avoir vendu le Rédempteur, le tien aussi, de peur d’avoir pitié de toi. Et il fut juste que ton châtiment te fût confié, car on n’eût pu trouver plus cruel que toi comme exécuteur de ton supplice. 5. Si donc, au temps fixé d’avance, Jésus-Christ a été crucifié selon sa libre décision, s’il est mort et a été enseveli, ce ne fut pas nécessité tenant à sa con­ dition propre, mais rédemption de notre esclavage. Car le Verbe s’est fait chair afin de prendre du sein de la Vierge une nature passible, et pour que pût être permis sur le fils de l’homme ce qui ne pouvait être perpétré sur le fils de Dieu. Malgré les signes de la divinité qui brillaient en lui lors de sa naissance meme, et les miracles divins dont furent remplies toutes les étapes de ses progrès corporels, il avait cependant pris 3. Cf. Jean XVII. 12. Lton le Grand. ΙΠ. 13 104 DE PASSIONE SERMO XVI tuum divinis essent plena miraculis, infirmitatum J tamen nostrarum susceperat veritatem, et excepta.. communione peccati, nihil a se humanae infirmitatis excluserat, ut et sua nobis inferret, et in se nostra cura­ ret. Ab omnipotenti enim medico duplex nobis miseris remedium praeparatum est, cujus aliud est in sacra­ mento, aliud in exemplo ; ut per unum conferantur di­ vina, per aliud exigantur humana. Quia sicut Deus jus­ tificationis est auctor, ita homo devotionis est debitor. 6. Per hanc ergo, dilectissimi, salutis nostrae inef­ fabilem reparationem, nec superbiae nobis, nec desi- t diae locus relinquitur : quia et nihil habemus nisi quod accepimus l, et jugiter admonemur ut dona gratiae Dei non negligenter habeamus 12. Juste enim nobis in­ stat praecepto qui praecurrit auxilio, et benigne incitat ad obedientiam qui ducit ad gloriam. Unde meritç Dominus ipse nobis factus est via 3, quia nisi per ( Christum non itur ad Christum. Per ipsum autem ad ipsum tendit qui per semitam patientiae et humilitatis ejus incedit : in quo plane itinere nec aestus deest ,'| laboris, nec nubes tristitiae, nec procella formidinis, V Ibi sunt insidiae iniquorum, persecutiones infidelium, I minae potentium, contumeliae superborum : quae Dominus virtutum et Rex gloriae 1 ideo omnia in infirmitatis nostrae forma, et in carnis peccati simili- 1 tudine 5 percurrit, ut inter praesentis vitae pericula non tam optandum sit nobis declinando ista effugere, quam tolerando superare. 7. Inde est quod caput nostrum Dominus Jesus R· Christus omnia in se corporis sui membra transformans, quod olimin psalmo eructaverat6, id in supplicio cru1. Cf. I Cor. TV, 7 : « Quid .autem babe* quod non accepted ? » 2. Cf. I Tim. TV. 14 : < Noli négliger* gratiam quae in te est, quao data e$t tibl... » SERMON XVI SUR LA PASSION 104 nos infirmités dans toute leur vérité, et, sauf la com­ munauté dans le péché, il ne s’était soustrait à rien de l’humaine faiblesse, voulant nous donner ce qui était à lui et guérir en lui ce qui était à nous. Ce toutpuissant médecin nous prépara un double remède, dont l’un fut sa grâce et l’autre son exemple : par le premier, il nous conférait le secours divin, par le se­ cond, il nous demandait notre concours humain. Car, si Dieu est l’auteur de notre justification, l’homme lui doit sa dévotion. 6. Cette restauration ineffable de notre salut, bienaimés, ne laisse donc place en nous ni à l’orgueil ni à la paresse. Car d’une part nous n’avons non que nous n’ayons reçu ’, et de l’autre nous sommes sans cesse avertis de ne pas traiter avec négligence les dons de la grâce de Dieu 2. Celui, en effet, qui nous pré­ vient de son secours nous presse à juste titre de scs commandements, et nous pousse avec bonté à une obéissance qui nous mène à la gloire. C’est pourquoi le Seigneur lui-même a pu se faire notre voie 34 5, car ce n’est que par le Christ que l’on va au Christ. Il est en marche vers lui et par lui, celui qui s’avance par le sentier de sa patience et de son humilité ; en un tel voyage ne manquent certes ni le soleil brûlant du la­ beur ni les nuages de la tristesse, ni les tempêtes de la crainte. On y rencontre les pièges des méchants, les persécutions des infidèles, les menaces des puissants, les outrages des superbes : le Seigneur des armées et le Roi de gloire 1 a parcouru tout cela dans la condi­ tion de notre faiblesse et dans une chair semblable à celle du péché 6, afin que, placés au milieu des dangers de la vie présente, nous désirions plutôt les surmonter par la patience que les éviter par la fuite. 7. De là vient que le Seigneur Jésus-Christ, notre tête, transformant en lui tous les membres de son corps, reprenait, pendant son supplice sur la croix, les paroles qu’il avait autrefois proférées dans le psaume e, 3. 4. 5. G. Cf. Jean XIV, G. : «Ego wm via, et veritas, et vita. > Cf. Psaume XXIII, toê Cf. Rom. VIII, S, Psaume XXI, 1. 105 DE PASSIONE SERMO XVI cis sub redemptorum suorum voce clamabat : Deus, Deus meus, respice in me : quare me dereliquisti ?Vox ista, dilectissimi, doctrina est, non querela. Nam cum in Christo Dei et hominis una persona sit, nec ab eo potuerit relinqui a quo non poterat separari, pro nobis trepidis et infirmis interrogat cur caro pati metuens exaudita non fuerit. Instante enim passione ad sanan­ dum et corrigendum nostrae fragilitatis dixerat : Pater, si possibile esi, transeat a me calix iste; verumtamen non sicut ego volo, sed sicut tu, et iterum : Pater, si non potest hic calix transire, nisi bibam illum, fiat voluntas tua Qui ergo trepidatione carnis evicta, jam in pa­ ternam transierat voluntatem, ct toto mortis terrore calcato, opus suae constitutionis implebat, cur in ipso tantae victoriae exaltatus triumpho 1 2, causam et ra­ tionem qua sit relictus, id est non exauditus, inquirit, nisi ut ostendat alium esse illum affectum, quem ad humanae formidinis excusationem recepit, alium illum quem ex aeterno placito Patris pro mundi reconcilia­ tione praeelegit ? Unde ipsa vox non exauditi, magni est expositio sacramenti, quod nihil humano generi conferret Redemptoris potestas, si quod petebat nos­ tra obtineret infirmitas. Haec hodie, dilectissimi, ne vos prolixitate sermo­ nis oneremus, dicta sufficiant : caetera in quartam sabbati differamus. Aderit Dominus orantibus vobis, ut quae solvenda promittimus, ipso largiente redda­ mus, qui vivit et regnat in saecula saeculorum. Arnen. 1. Matth. XXVI, 39, 42. 2. Le triomphe de la croix» scion Jean XII» 32, ct XIII» 31. SERMON XVI SUR LA PASSION 105 et s’écriait au nom de tous ceux qu’il avait rachetés : « Mon Dieu, mon Dieu, regarde vers moi : pourquoi m’as-tu abandonné ? » Ces mots, bien-aimés, ne sont pas une plainte, mais un enseignement. Car, puisque dans le Christ il n’y a qu’une personne, qui est de Dieu et de l’homme, et qu’il n’a pu être abandonné de Celui dont il ne pouvait être séparé, c’est donc pour nous, inquiets et faibles, qu’il demande pourquoi n’a pas été exaucée la chair qui craint de souffrir. En effet, devant l’imminence de sa Passion, il avait dit, voulant guérir et corriger la crainte qui vient de notre fragilité : « Père, s’il est possible, que cette coupe passe loin de moi ; cependant non pas comme je veux, mais comme tu veux » ; ct encore : « Père, si cette coupe ne peut passer sans que je la boive, que ta volonté soit faite *. » Lui donc qui, ayant vaincu les hésita­ tions de la chair, avait fait sien le vouloir paternel, qui, foulant aux pieds toute crainte de la mort, ac­ complissait l’œuvre conforme à son plan, pourquoi, lorsqu’il est élevé dans le triomphe même d’une si grande victoire 2, demande-t-il la cause et la raison pour lesquelles il a été abandonné, c’est-à-dire pour lesquelles il n’a pas été écouté ? Pourquoi, sinon pour montrer qu’autres étaient les sentiments qu’il accep­ tait d’éprouver pour excuser la crainte humaine, autres ceux qu’il choisissait de ressentir selon le bon plaisir éternel du Père pour la réconciliation du monde ? Aussi sa parole même, lorsqu’il se plaint de n’être pas écouté, énonce un grand mystère, à savoir que la puissance du Rédempteur n’eût rien apporté au genre humain, si notre infirmité humaine en lui avait obtenu ce qu’elle sollicitait. Mais ceci suffira pour aujourd’hui, bien-aimés, car nous craindrions de vous fatiguer par la longueur du discours : remettons donc la suite à mercredi. Vos prières obtiendront que le Seigneur nous assiste, afin que nous puissions avec son secours, nous acquitter envers vous de notre promesse ; lui qui vit et règne dans les siècles des siècles. Amen. 106 DE PASSIONE SERMO XVII 55 (LXVIII) DE PASSIONE DOMINI SERMO XVII 1 feria quarta habitus. 1. Sermo proximus, dilectissimi, cujus vobis pro­ missam restituere cupimus portionem, in id disserendi ratione processerat, ut de illa clamantis ad Patrem crucifixi Domini voce loqueremur : ne simplex et in­ curiosus auditor ita acciperet verba dicentis : Deus meus, Deus meus, quare me dereliquisti 1 ? tamquam fixo Jesu in crucis ligno, paternae ab eo Deitatis om- I nipotentia recessisset ; cum in tantam unitatem Dei et hominis natura convenerit, ut nec supplicio potue- I rit dirimi, nec morte disjungi. Manente enim in sua proprietate utraque substantia, nec Deus dereliquit sui corporis passionem, nec Deum fecit caro passibi­ lem, quia Divinitas quae erat in dolente non erat in dolore. Unde secundum Verbi hominisque personam, 1 idem est qui factus est inter omnia, et per quem facta sunt omnia 12. Idem est qui impiorum manibus com­ prehenditur, et qui nullo fine concluditur. Idem est I qui clavis transfigitur, et qui nullo vulnere sauciatur. Idem postremo est qui mortem subiit, et sempiternus esse non desiit, ut utrumque signis non dubiis mani­ festetur quod vera sit in Christo humilitas, et vera 1. Ps. XXI, l ; Mattii. XXVII, 4G. 2. CI- Jean I. 3. .Jésus a été créé en tant qu’homme et a créé toutes choses en tant que Dieu, la Personne étant unique en Lui» et cotte Personne étant divine. S. Léon va faire diverses applications de ce principe. SERMON XVII SUR LA PASSION K [ 106 55 (LXVIII) DIX-SEPTIÈME SERMON SUR LA PASSION DU SEIGNEUR (prononcé le mercredi). Sommaire. — 1. La plainte do Jésus en croix ne signifie pas que la divinité se fût. retirée do lui. — 2. 11 importait à notre salut que Jésus fût abandonné au pouvoir des impies. Apostrophe aux Juifs. — 3. Effets de la mort du Christ. — 4. Exhortation morale. 1. Notre dernier sermon, bien-aimés, que nous dési­ rons compléter comme nous l’avons promis, en était arrivé à l’explication du cri poussé par le Seigneur crucifié vers son Père, et nous disions qu’il ne faudrait pas, tels des auditeurs simples et distraits, entendre ces paroles : «Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné 1 ? » comme si la toute-puissance divine du Père s’était retirée de Jésus attaché au bois de la croix ; la nature de Dieu et la nature de l’homme, en effet, se sont en lui unies d’une telle union que ni le supplice ne pouvait supprimer celle-ci ni la mort la disjoindre. Chaque substance gardant ses propriétés, Dieu n’a pas abandonné le corps dans sa Passion, pas plus que la chair n’a rendu Dieu passible, parce que la Divinité qui était en celui qui souffrait n’était pas dans la souffrance. C’est pourquoi si nous considé­ rons l’unique Personne du Verbe et de l’homme, c’est le même qui a été fait parmi toutes choses et par qui ont été faites toutes choses 2 ; c’est le même dont s’em­ parent des mains impies et que n’enserre pourtant au­ cune limite ; c’est le même qui est percé de clous et que nulle blessure ne meurtrit ; c’est le même enfin qui subit la mort et qui ne cesse d’être éternel, afin que des signes non équivoques rendent manifeste dans le Christ la double condition d’un vrai abaissement et 107 DE PASSIONE SERMO XVII majestas : quia ideo se humanae infirmitati virtus di­ vina conseruit, ut dum Deus sua facit esse quae nos­ tra sunt, nostra faceret esse quae sua sunt. Non ergo aberat a Patre Filius, nec a Filio Pater : et illa Deitas incommutabilis, et inseparabilis Trinitas nihil sui po­ terat a se habere discretum. Quamvis enim susceptae incarnationis dispensatio ad unigenitum Dei Filium proprie pertineret, sic tamen Pater non abjungebatur a Filio, quemadmodum caro non dividebatur a Verbo. 2. Ideo ergo Jesus voce magna clamabat, dicens : Quare me dereliquisti ? ut notum omnibus faceret quam oportuerit eum non erui, non defendi, sed sae­ vientium manibus derelinqui, hoc est Salvatorem mundi fieri, et omnium hominum Redemptorem ; non per miseriam, sed per misericordiam ; nec amissione auxilii, sed definitione moriendi. Quae vero illic vitae intercessio sentienda est, ubi anima et potestate est emissa, et potestate revocata 1 ? Dicit enim beatus Apostolus quod Paler Filio suo proprio non pepercit, sed pro nobis omnibus tradidit eum 2 ; et iterum dicit : Quoniam Christus dilexil Ecclesiam, ct semetipsum tra­ didit pro ea, ut eam sanctificaret 3. Unde tradi Domi­ num passioni, tam fuit paternae quam ipsius volun­ tatis : ut eum non solum Pater relinqueret, sed etiam ipse se quadam ratione desereret, non trepida disces­ sione, sed voluntaria cessione. Continuit enim se ab impiis Crucifixi potestas, ct ut dispositione uteretur occulta, uti noluit virtute manifesta. Nam qui mortem et mortis auctorem sua venerat passione destruere, quomodo peccatores salvos faceret, si persecutoribus repugnaret ? Judaeorum igitur hoc fuerat, dilectissimi, ut Jesum 1. CL Jean X, 18 : < Et potestatem habeo ponendi eam (animam)» ct potestatem habeo iterum sumendi eam. » SERMON XVII SUR LA PASSION t I i < i t li 1 I' i’I p I ij I s f· 107 d’une vraie majesté : la vertu divine, en effet, a épousé la faiblesse humaine de telle façon que Dieu fît sien ce qui est nôtre, tandis qu’il faisait nôtre ce qui est sien. Le Fils n’était donc pas absent du Père, ni le Père du Fils ; cette immuable Divinité et inséparable Trinité ne pouvait rien avoir de soi qui fût distinct d’elle-même. Bien que l’économie de l’incarnation con­ cernât proprement le Fils unique de Dieu, pourtant le Père ne cessait pas d’ètre uni au Fils, de même que la chair n’était pas séparée du Verbe. 2. Lors donc que Jésus s’écriait d’une voix forte : « Pourquoi m’as-tu abandonné ? », c’était pour nous apprendre combien il importait qu’il ne fût ni délivré ni défendu, mais qu’il fût abandonné aux mains des furieux, en un mot qu’il devînt le Sauveur du monde et le Rédempteur de tous les hommes ; il le disait non par misère humaine, mais par miséricorde ; non par manque de secours, mais par décision de mourir. Λ vrai dire quelle intervention aurait pu être utile à sa vie alors qu’il usa de son pouvoir pour rendre l’âme ct de son pouvoir pour la reprendre 1 ? Le bienheureux Apôtre dit, en effet, que le « Père n’a pas épargné son propre fils, mais l’a livré pour nous tous 2 », ct encore, que « le Christ a aimé l’Église et s’est livré pour elle, afin de la sanctifier 3 ». Aussi ce fut la volonté pater­ nelle autant que la sienne propre, qui firent que le Seigneur fut livré à sa passion : non seulement le Père l’abandonna, mais encore lui-même en quelque sorte se délaissa, non par un éloignement inspiré par la crainte, mais par une cession volontaire. La puissance du Crucifié se contint, en effet, pour ne pas résister aux impies, et, voulant agir suivant une disposition secrète, il ne voulut pas user d’un pouvoir manifeste. Car puisqu’il était venu détruire par sa Passion la mort et l’auteur de la mort, comment aurait-il sauvé les pêcheurs s’il s’était opposé aux persécuteurs ? Ce fut donc le lot des Juifs, bien-aimés, de croire abandonné de Dieu ce Jésus contre qui ils avaient pu 2- Rom. VIil, 32. 3. Êph. V. 25, 26. 108 DE PASSIONE SERMO XVII a Deo crederent relictum, in quem tanto scelere sae­ vire potuissent : quia sacramentum mirabilis patien­ tiae nescientes, sacrilega illusione dicebant : Alios sal­ vos fecit, seipsum non potest salvum facere. Si rex Israel est, descendat nunc de cruce, ct credimus ei l. Non ves­ trae caecitatis arbitrio, o stulti scribae et impii sacer­ dotes, ostendenda erat potentia Salvatoris, nec secun­ dum pravas blasphemantium linguas humani generis redemptio debebat intermitti : cum si Deitatem Filii Dei voluissetis agnoscere, innumera opera ejus vide­ retis, quae vos ad eam quam fallaciter promittitis fidem confirmare debuerint. Si autem, ut ipsi profite­ mini, verum est quod alios salvos fecit, cur illa tot et tanta miracula, quae sub publico facta sunt conspectu, in nullo cordis vestri duritiam mollierunt, nisi quia ita semper sancto Spiritui restitistis 12, ut omnia vobis be­ neficia Dei in perniciem verteretis ? Nam etiamsi de­ scenderet Christus de cruce, vos tamen haereretis in crimine. 3. Spreta ergo sunt vanae insultationis opprobria, ct misericordiam Domini perdita et collapsa reparan­ tem nullae contumeliae, nulla convicia a sui via pro­ positi removerunt. Offerebatur enim Deo pro salute mundi hostia singularis, et occisio Christi veri Agni per tot saecula praedicata promissionis filios in liber­ tatem fidei transferebat. Confirmabatur quoque Testamentum novum, ct Christi sanguine aeterni regni scribebantur haeredes. Ingrediebatur summus ponti­ fex Sancta sanctorum, et ad exorandum Deum imma­ culatus sacerdos per velum suae carnis intrabat 3. De­ nique adeo tunc a lege ad Evangelium, a Synagoga ad Ecclesiam, a multis sacrificiis ad unam hostiam evi1. Matth. XXVII, 42. 2. CI. Actes VII» 51 (discours d'Étienne). ( f · SERMON XVII SUR LA PASSION ! 108 sc déchaîner en un si grand crime : ignorants du secret de son admirable patience, ils disaient, en effet, dans leur illusion sacrilège : « Il en a sauve d’autres, et il ne peut se sauver lui-même ! Il est roi d’Israël : qu’il descende maintenant de la croix, ct nous croirons en lui 1 !» O scribes insensés et prêtres impies, le Sau­ veur n’avait pas à montrer sa puissance au gré de votre aveuglement, et la rédemption du genre hu­ main n’avait pas à être interrompue à cause des langues méchantes de blasphémateurs : si vous aviez voulu reconnaître la divinité du Fils de Dieu, vous eussiez vu scs œuvres sans nombre, qui eussent dû vous confirmer dans cette foi que vous promettez faus­ sement. Mais s’il est vrai, comme vous le reconnaissez, qu’il a sauvé les autres, pourquoi ces prodiges si nom­ breux et si grands, accomplis au grand jour, n’ont-ils aucunement amolli la dureté de vos cœurs ? N’est-ce pas que vous avez toujours résisté au Saint-Esprit 2, et avez fait tourner à votre perte tous les bienfaits de Dieu ? Car même si le Christ était descendu de la croix, vous n’en seriez pas moins restés fixés dans votre crime ! 3. Méprisant donc les ignominies que lui infligeaient de vains outrages, le Seigneur, dont la miséricorde .réparait ce qui était perdu et renversé, ne se laissa détourner par aucun opprobre, par aucune invective, du chemin qu’il s’était tracé, One victime unique était, en effet, offerte à Dieu pour le salut du monde, et l’immolation du véritable agneau, le Christ, annon­ cée depuis tant de siècles, faisait passer les fils de la promesse à la liberté de la foi. La nouvelle alliance aussi était confirmée et les noms des héritiers du royaume éternel s’inscrivaient avec le sang du Christ. Le Pontife souverain entrait dans le Saint des Saints ct le prêtre sans tache pénétrait à travers le voile de sa chair pour supplier Dieu 3. Enfin le passage de la Loi à l’Evangile, de la Synagogue à l’Eglise, de la multitude des sacrifices A l’unique hostie devint alors si évident que ce voile mystique, qui fermait le sanc3. Cf. IRbr. IX, 7 ct X, 20. 109 DE PASSIONE SERMO XVII dens est facta translatio, ut emittente Spiritum Do­ mino, velum illud mysticum quod templi penetralia sanctumque secretum suo intercludebat objectu, a summo ad imum vi subita scinderetur : quoniam figu­ ras veritas auferebat, et superflui erant nuntii sub prae­ sentia nuntiati \ Adjiciebatur iis elementorum omnium tremenda commotio, et auctoribus Crucis Christi ipsa se naturae officia subtrahebant. Cumque custos supplicii centurio, territus iis quae viderat, diceret : Vere Filius Dei erat homo iste : impietatem tamen Judaicam mo­ numentis et petris omnibus duriorem, nulla proditur mitigasse compunctio : ut appareat paratiores ad intelligendum Filium Dei tunc fuisse Romanos milites, quam Israeliticos sacerdotes. 4. Quia ergo Judaei omnium sacramentorum sanc­ tificatione privati, lucem sibi in tenebras et in luctum festa verterunt, nos, dilectissimi, effusam super omnes gentes gratiam Dei prociduis corporibus atque animis adoremus ; obsecrantes misericordem Patrem et di­ vitem 12 Redemptorem, ut de die in diem, auxilio ejus adjuti, omnia vitae hujus pericula possimus effugere. Adest enim callidus ubique tcnt.at.or, et nihil vacuum a suis relinquit insidiis. Cui, auxiliante misericordia Dei, quae nobis inter omnia adversa praetenditur, fideli 1. On a déjà rencontré plusieurs fois dans les sermon» précédents Fallu· slon à la déchirure du voile du Temple et son explication mystique (voir Senn. 40, 2 ; p. 29 ; 40, 7 ; p. Cl ; 4«, 5 ; p. 72). Cette dernière $e résume en ceci : le Saint des Saints est retiré ù d’indignes pontifes (Senn. 46), il n’y a plus rien à cacher là où la sainteté ne réside plus (Senn. 48), car les mystères sont révélés à tous, dès lors que la figure foil place à la vérité, 1« loi à {’Évangile, la Synagogue à Γ Église, la prophétie à la manifestation, la multitude des sacrifices à l'unique hostie (Serm. 46 et 55). C’est dans le même sens que les Pères ont Interprété ce signe. Par exemple S. AvGUSlW : « Ut significaretur tempus tunc (i. e. sub lego) fuisse occultandae gratiae quae novo testamento fuerat per Christi passionem tamquam scissione veli revelanda. · (De spir. ct Utt. XV, 27 ; CO, ISI) ; ct encore : < 'Poliatur velum ot appareat quod erat secretum. Omnia quae dicta sunt antiquo populo Israel in multiplici scriptura... umbrae fuerunt futurorum. Quo· SERMON XVII SUR LA PASSION 109 tuaire du temple et son mystère sacré, se déchira du haut en bas sous l'action d’une force soudaine lorsque le Christ rendit l’esprit : la réalité, en effet, abolissait alors les figures et les messagers étaient superflus en présence de Celui qu’ils annonçaientL A cela s’ajou­ tait l’ébranlement effrayant de tous les éléments, et la nature elle-même retirait ses services à ceux qui avaient dressé la croix du Christ. Lorsqu’enfin le cen­ turion de garde sur le lieu du supplice disait, épou­ vanté de ce qu’il avait vu : « Vraiment cet homme était Fils de Dieu », nul repentir pourtant, à ce que l’on rapporte, ne vint réduire l’impiété des Juifs, plus dure que les tombeaux et que tous les rochers ; ainsi les soldats romains paraissent avoir été mieux prépa­ rés que les prêtres Israélites à comprendre le Fils de Dieu. •1. Donc, puisque les Juifs, privés de la sanctifica­ tion de tous les mystères, ont changé pour eux-mêmes la lumière en ténèbres et les fêtes en deuils, nous autres, bien-aimés, adorons, prosternés de corps et d’âme, la grâce de Dieu répandue sur toutes les na­ tions ; prions le Père miséricordieux et le Rédempteur riche en bienfaits 2 de faire qu’avec leur secours nous puissions, jour après jour, échapper à tous les dangers de cette vie. Le rusé tentateur est, en effet, partout présent, ct ne permet que rien demeure exempt de ses pièges. Il faut lui résister fidèlement et persévéramment, avec l’aide de la miséricorde divine qui nous est offerte au milieu de toutes nos adversités : ainsi, min futurorum? Quae implentur in Christo.· (Trace in Joan. Ewmg. XXVIII»?» 8-9 ; P. L. XXXV» 1026). S. Ambroise ajoute l’idée que Ia déchirure du voile dlgniflait la division des deux peuples opérée par la mort du Christ : · Etiam velum scinditur, quo vel duorum populorum divisio vel mysteriorum synagogae profanatio declaratur. Scinditur ergo velum vetus ut ecclesia nova lidci suae vela suspendat ; synagogae velamen aufertur, ut religionis internae mysteria revelato mentis cernamus obtutu. » (In Lucam X» 128 ; CSEL 32-4. 503-504 ; S. C. 52. 198-199) ; dans ce texte où l'allusion au voile du Temple interfère avec II Cor. III. 13-16, le mot profanatio s’entendra dans le sens de mise au rang de ce qui est profane, de ce qui a cessé d’être sacré, divulgation ; c’est l’idée rencontrée chez S. Léon. Cf. sur le sujet Y. Conga R» Le mystère du Temple, p. 173, n. 2. 2. Cf. Eph. II» 4 : · Deus, qui dives est in misericordia... » 110 DE PASSIONE SERMO XVIII semper est constantia resistendum : ut quamvis im­ pugnare non desinat, neminem tamen quem expugnet inveniat x. Prosint omnibus, dilectissimi, religiose ce­ lebrata jejunia, et continentiae utilitas, quam ct ani­ mis ct corporibus probavimus congruentem, nullis cor­ rumpatur excessibus. Quae enim ad sobrietatem et parcimoniam pertinent, ideo diligentius in his sunt celebrata diebus, ut de brevi studio in longam consue­ tudinem mitterentur ; et sive in operibus misericor­ diae, sive in studio parcimoniae, nullum a fidelibus vacuum tempus habeatur, quoniam utique in accessu dierum et cursu temporum lucra debemus facere ope­ rum, non damna meritorum. Piis autem studiis et reli­ giosis animis aderit misericordia Dei, ut quod fecit concupisci, faciat obtineri : qui vivit et regnat cum Domino nostro Jesu Christo Eilio suo, et cum sancto Spiritu in saecula saeculorum. Arnen. 56 (LXIX) DE PASSIONE DOMINI SERMO XVIII 1. Magnitudo quidem, dilectissimi, ineffabilis sacra­ menti, ita humanae intclligentiae altitudinem, ct to­ tius vincit eloquii facultatem, ut et excellentissimis ingeniis, et facundissimis linguis sublimior sit trium­ phus Dominicae passionis. Sed gaudendum nobis po1. Noter l'opposition do mota intraduisible entre impugnare et expugnet. SERMON XVIII SUR LA PASSION 110 bien qu’il ne cesse jamais ses attaques, il ne trouvera personne qu’il puisse vaincre L Faisons tous notre profit, bien-aimés, des jeûnes pieusement célébrés et que la bienfaisante abstinence, utile, comme nous l’avons éprouve, et pour l’âme et pour le corps, ne soit viciée par aucun excès. Nous célébrons, en effet, avec plus d’application en ces jours tout ce qui con­ cerne la sobriété et l’abstinence, afin qu’une courte pratique les lasse passer en une longue habitude ; que l’on se consacre aux œuvres de la miséricorde, ou que l’on s’applique à la modération dans la nourriture, qu’il n’y ait pas de temps perdu pour les fidèles ; car, tandis que les jours s’ajoutent aux jours et que le temps s’écoule, nous devons accumuler les gains de nos bonnes œuvres, et non pas perdre nos mérites. Puisse la miséricorde de Dieu seconder nos pieux ef­ forts et nos religieux désirs en nous faisant obtenir ce qu’il nous a fait convoiter; lui qui vit et règne avec notre Seigneur Jésus-Christ son Fils ct avec le SaintEsprit dans les siècles des siècles. Amen. 56 (LXIX) DIX-HUITIÈME SERMON SUR LA PASSION DU SEIGNEUR Sommaire. — 1. Impossibilité de bien parler d’un tel sujet. — 2. La Passion du Christ réalise les prophéties de l’Ancicn Testa­ ment. — 3. Le Verbe incarné se soumet humblement aux exi­ gences injustes du diable et détruit ainsi son droit sur les hommes. — 4. I.e supplice du Christ devient son triomphe et le nôtre. — 5. Se garder des pièges du démon. 1. La grandeur de ce mystère ineffable, bien-aimés, dépasse en vérité tellement l’intelligence humaine et les possibilités de tout discours que le triomphe du Christ dans sa Passion est bien au-dessus des génies les plus éminents et des paroles les plus éloquentes. Ill DE PASSIONE SERMO XVIII tins quam erubescendum est, quod tantae superamur materiae dignitate ; de qua nemo humilius sensit quam qui putavit suffecisse quae dixit. Non ergo superfluo quae praedicavimus praedicamus, nec de rebus divi­ nis loquenti carnalium aurium sunt timenda fastidia, tamquam despectui sint futura, quia crebro cognos­ cuntur iterata : cum hoc maxime ad Christianae fidei pertineat soliditatem, ut secundum apostolicam doc­ trinam, idipsum dicamus omnes, et simus perfecti in eodem sensu et in eadem scientia *. Infidelitas quippe, quae omnium est mater errorum, in multas opiniones, quas arte dicendi nccessc habeat colorare, distrahitur. Veritatis autem testificatio numquam a sua luce disce­ dit, et quod aliis minus, aliis amplius micat, non va­ rietas facit luminis, sed infirmitas contemplationis. Cui secundum supernae illuminationis auxilium, etiam meo sermone famulandum est : ut quoniam Dei agri­ cultura, Dei aedificatio estis 12, ipse et dispensanti et accipienti tribuat sufficientiam, qui largitionum sua­ rum justam exigere novit usuram. 2. Decurso igitur, dilectissimi, textu evangelicae lectionis, quam de gloria crucis Christi intento acce­ pistis auditu, omnia vobis divinorum eloquiorum mysteria patefacta sentite ; et quidquid sub prophe­ ticis testificationibus umbra veteris Testamenti vela­ bat, in sacramento passionis Dominicae manifestum esse gaudete. Ideo enim sacrificiorum varietates et purificationum differentiae destiterunt, ideo manda­ tum circumcisionis, ciborum discretio, otium sabbati, et paschalis agni cessavit occisio, quia lex per Mosen data est, gratia autem et veritas per Jesum Christum 1. i Cor. I, 10; la Vulgate porto : « Ut Idipsum dicatis omnes... : sitii autem pertecti in eodem sensu et in eadem scientia. > 2. CL Ibid. Ili, 9. 111 SERMON XVIII SUR LA PASSION Mais, plutôt que d’en rougir, il faut se réjouir de se voir surpassé par la dignité d’un si grand objet ; il n’y aurait pas de sentiment plus lamentable à son sujet que de penser en avoir assez dit. Il n’est donc pas superflu de vous prêcher encore ce que nous vous avons déjà prêché ; et celui qui parle des réalités di­ vines n’a pas à craindre d’en fatiguer les oreilles char­ nelles, comme si l’on devait arriver à les mépriser parce que ce sont choses connues et souvent répétées : il importe extrêmement, au contraire, à la fermeté de la foi chrétienne que, selon l’enseignement aposto­ lique, « nous ayons tous le même sentiment et soyons parfaits dans le même esprit et dans la même connais­ sance 1 ». Mais l’infidélité, mère de toutes les erreurs, est écartelée en de multiples opinions, qu’il lui faut colorer par l’art de la parole. Le témoignage porté par la vérité, au contraire, ne s’écarte jamais de la lumière qui lui appartient en propre, et s’il est moins éclatant pour les uns, plus éclatant pour les autres, ce n’est pas de la lumière que vient la différence, mais du regard de la contemplation qui est trop faible. Je dois, moi aussi, lui prêter l’office de ma parole, pour autant que je recevrai l’illumination d’en haut : vous êtes, en effet, le champ de Dieu, vous êtes l’édifice de Dieu 2 ; qu’il accorde donc lui-même le nécessaire et à celui qui dispense, et à celui qui reçoit, car il sait exiger le juste retour de scs dons. 2. Une fois achevée la lecture du texte tiré de l’évan­ gile, lecture dont vous avez compris, en l’écoutant attentivement, qu’elle traitait de la gloire de la croix du Christ, sachez, bien-aimés, que tous les mystères des divines paroles vous sont désormais· dévoilés ; réjouis­ sez-vous de ce que le sacrement de la Passion du Sei­ gneur manifeste tout ce que l’Ancien Testament ca­ chait sous l’ombre des témoignages prophétiques. Si, en effet, la variété des sacrifices et la multiplicité des purifications ont cessé, si le commandement de la cir­ concision, si la distinction des aliments, si le repos du sabbat, si l’occision de l’agneau pascal, ont pris fin, c’est parce que « la loi fut donnée par l’intermédiaire de Moïse, mais la grâce et la vérité nous sont venues Léon !c Grand. III. 14 112 DE PASSIONE SERMO XVIII facta estl. Praecesserunt figurae, ut sequerentur effec­ tus, et adventu rerum nuntiatarum finita sunt officia nuntiorum, sic reconciliatione humani generis tempe­ rata, ut salus quae in Christo est, nullis saeculis sub eadem justificatione defuerit ; et ad hoc dilationum profecerit ratio ut, quae diu credita sunt antequam fierent, incunctanter honorarentur. Nam cum virtus fidei in iis quae visui non subjacent constituta sit ’, indulgentius nobiscum egit doctrina caelestis, quos in haec mundi tempora distulit, ut ad intelligcntiae facilitatem, multo pluribus quam priores et vatibus uteremur et testibus. 3. Quod ergo nobis de passione Domini Jcsu Christi sacra ct digito Dei 3 scripta Evangelia protestantur, sine nubilo haesitationis accipite ; ct rerum gestarum ordinem tam habetote manifestum, quam si omnia corporeo et visu attingeretis et tactu. Vera in Christo Deitas et vera credatur humanitas. Ipse est caro qui Verbum, et sicut unius cum Patre substantiae, ita unius cum matre naturae. Non geminatus persona, non confusus essentia ; potestate impassibilis, humili­ tate mortalis ; sed utraque sic utens, ut et virtus glo­ rificare posset infirmitatem, et infirmitas non valeret obscurare virtutem. Comprehendi se a persecutoribus patitur, qui continet mundum, et eorum manibus nec­ titur, quorum corde non capitur. Justitia non resistit injustis, et cedit veritas testimoniis falsitatis : ut manens in forma Dei, formam impleret servi, et ve­ ritatem corporeae nativitatis confirmaret saevitia corporeae passionis. Sed hanc Unigenito Dei subire et perpeti, non conditio necessitatis, sed misericordiae 1. Jean I» 17. 2. CL Hébr. XI, 1 : · Est Odes... argumentum non apparentium. > 3. Ci. Exode XXXI, 18, où 11 s’agit des deux tables de la Loi, écrites du doigt de Dieu, que le Seigneur remet à Moïse. SERMON XVIII SUR LA PASSION 112 par Jésus-Christ1 ». Les figures ont paru les premières, afin que suivissent les réalités, et par l’avènement du message a pris fin la mission des messagers ; la récon­ ciliation du genre humain a été pourtant si bien ordon­ née que le salut dans le Christ n’a manqué à aucune époque, mais a apporté à chacune la même justifica­ tion ; les délais ont eu seulement ce résultat que l’on n’a mis aucune hésitation à honorer ce que l’on avait cru longtemps avant de le voir paraître : la vertu de foi, en effet, ayant pour objet les choses qui ne tombent pas sous la vue 2, l’enseignement céleste s’est montré plus indulgent envers nous qui avons été différés jus­ qu’à ce moment du monde, car, pour nous faciliter l’intelligence, nous pouvons nous aider de prophètes ct de témoins bien plus nombreux que ceux qu’ont connus nos ancêtres. 3. Recevez donc sans ombre d’hésitation ce que les saints évangiles, écrits du doigt de Dieu 3, nous dé­ clarent touchant la Passion du Seigneur Jésus-Christ, et tenez la suite des faits pour aussi évidente que si vous les aviez tous vus des yeux de votre corps et touchés de vos mains. Croyez que le Christ possède vraie divinité ct vraie humanité. Lui-même est chair, qui est Verbe, et, substance unique avec son Père, il n’a qu’une nature avec sa mère. Il n’y a en lui ni dédoublement de personne, ni confusion d’essences. Il est impassible dans la toute-puissance, mortel dans l'infirmité ; mais il se sert de l’une et de l’autre en sorte que la puissance puisse glorifier l’infirmité, sans que l’infirmité ait le pouvoir de porter atteinte à la puissance. Lui qui contient le monde, il permet que ses persécuteurs le saisissent, et il est lié par leurs mains sans qu’il soit prisonnier de leur cœur. La Jus­ tice ne résiste pas aux injustes et la Vérité cède aux faux témoignages : ainsi, lui qui demeure dans la con­ dition de Dieu, il va jusqu’au bout de la condition du serviteur, ct la cruauté de la Passion qu’il subit dans son corps confirme la vérité de sa naissance cor­ porelle. Cependant s’y soumettre jusqu’au bout n’était pas pour le Fils de Dieu condition nécessaire, mais vouloir de miséricorde, car il voulait condamner le 113 DE PASSIONE SERMO XVIII fuit ratio : ut de peccato damnaret peccatum 1, et diaboli opus de opere diaboli solveretur. Inimicus enim humani generis mortificandae in ipsa origine universitati lethale vulnus intulerat, nec pote­ rat declinare jus ferreum dedititii seminis captiva pro­ genies. Unde cum in tot generationibus mortali sibi lege subjectis, unum videret inter hominum filios, cujus virtutes super omnes totius temporis sanctos miraretur excellere, securum se fore credidit de perpetuitate sui juris, si nulla justitiae merita mortis jura super­ are potuissent. Famulis itaque suis et stipendiariis vehementius incitatis, in praejudicium suum 1 2 saevit, et dum putat aliquid sibi debere quem potuisset occi­ dere, non vidit libertatem singularis innocentiae, similitudincin persequendo naturae. Non autem errabat in genere, sed fallebatur in crimine. Adam enim primus et Adam secundus, unum erant carne, non opere : et in illo omnes moriuntur, in isto omnes vivi­ ficabuntur 3. Ille per superbiae cupiditatem iter fecit ad miseriam, hic per humilitatis fortitudinem viam paravit ad gloriam. Unde ipse dicit : Ego sum via, et veritas, el vita 4. Via scilicet, in forma conversationis justae; veritas, in exspectatione rei certae; vita in perceptione felicitatis aeternae. 4. Hoc magnae pietatis sacramentum, dilectissimi, sicut Judaica impietas, ita diabolica superbia nescie­ bat. Si enim cognovissent, numquam Dominum majes­ tatis crucifixissent s. Sed quia hostem generis humani 1. Cf. Rom. VI fi, 3. S. Léon utilise ce texte difficile à l'appui de sa théo­ rie» souvent exprimée, que le démon a perdu les droits qu’il avait acquis sur l’humanité du fait du premier péché, en voulant les exercer sur le Christ innocent ct en les outrepassant ainsi. Cf. surtout 2* sermon pour Nofb .S. C. 22, p. 77-83, dont le paragraphe qui va suivre est en quelque sorte le résumé. 2. On pourrait aussi comprendre le mot praejudicium d’un jugement porté d’avance sur Jésus par le diable ct suivant lequel il l’estimait son ' | SERMON XVIII SUR LA PASSION 113 péché par le moyen du péché 1 et détruire par ellemême l’œuvre du diable. L’ennemi du genre humain, en effet, voulant don­ ner la mort à toute l’humanité en s’attaquant à son origine, nous avait blessés d’une blessure mortelle, et, l’ancêtre commun ayant ainsi fait sa soumission, toute sa descendance était prisonnière et incapable d’échap­ per à cette loi de fer. Aussi, lorsqu’il vit, parmi tant de générations qui lui étaient soumises en vertu d’un pacte mortel, un homme, unique entre les enfants des hommes, dont, les vertus dépassaient, à son étonne­ ment, celles des saints de tous les temps, il crut pou­ voir se promettre la perpétuité de son droit, si les mérites de la justice se montraient incapables de vaincre les droits de la mort. Excitant donc plus âprement ses serviteurs ct ses mercenaires, il exerça ses fureurs pour son propre malheur 2 ; pensant que celui qu’il avait pu tuer avait une dette à lui payer et pour­ suivant une nature humaine semblable à celle des coupables, il ne vit pas que le seul qui fût innocent était libre vis-à-vis de lui. Il ne se trompait certes pas quant à la race, mais il se trompait quant au grief. Le premier et le second Adam partageaient bien la même chair, non les mêmes œuvres : dans celui-là tous meurent, dans celui-ci tous revivront 3. Celui-là, par son orgueilleuse ambition, prit le chemin de la misère, celui-ci, par la force de son humilité, nous a ouvert la route vers la gloire. Aussi peut-il dire : « Je suis la Route, la Vérité et la Vie 4. » La Route par l’exemple d’une vie juste ; la Vérité par l’espérance d’une réalité certaine ; la Vie par l’acquisition d’une éternelle félicité. 4. Ce mystère d’un grand amour, bien-aimés, l’or­ gueil du démon, comme l’impiété des Juifs, l’igno­ rait. « S’ils l’avaient connu, ils n’auraient pas crucifié le Seigneur de la Gloire 5. » Mais le décret de la misédébiteur comme les autres hommes, et traduire ainsi : · IJ exerça ses fu­ reurs dans le sens du jugement qu'il avait porté d'avance. · 3. Cf. I Cor. XV. 22. 4. Jean XIV, 6. 5. I Cor. II, S. 114 DE PASSIONE SERMO XVIII latebat consilium misericordiae Dei, et opposito car- j| nis velamine Deus in Christo mundum sibi reconcilians1 tegebatur: perstitit in eum furere, in quo nihil suum poterat invenire. Nam et malignitati ejus hoc magis potuisset prodesse si parceret, et se ab effusione ejus sanguinis abstineret, per quem omnium erat solvenda captivitas, et reparanda libertas. Sed lucem tenebrae non comprehenderunt 12, nec mendax caecitas sapien­ tiam potuit veritatis inspicere. Tenuit itaque disposi­ tam mansuetudo patientiam, et cohibita famulantium sibi angelicarum virtute legionum, hausit calicem do­ loris et mortis, totumque supplicium transtulit in triumphum. Victi sunt errores, subactae sunt potes­ tates 3, accepit novum mundus exordium 4 : ut dam­ nata generatio non obesset, quibus salvandis regene­ ratio subveniret. Transierunt vetera, et ecce facta sunt omnia nova 6 ; universorum enim in Christo cre­ dentium et in sancto Spiritu renatorum, per ipsum et cum ipso una est et passionis societas et resurrectio- J nis aeternitas, dicente Apostolo : Mortui enim estis, et vita vestra abscondita est cum Christo in Deo. Cum au­ tem Christus apparuerit vita vestra, tunc et vos appare­ bitis cum ipso in gloria °. 5. In hac igitur spe, dilectissimi, constituti, omnes diaboli cavete versutias, qui non solum per carnis con­ cupiscentias, nec per corporeas tantum insidiatur ille­ cebras, sed inter ipsa quoque semina fidei spargens zizania falsitatum, veritatis studet violare culturam, ut quos non potuerit corrumpere malis actibus, impiis subvertat erroribus. Fugite ergo mundanae argumenta 1. II Cor. V. 19. 2. Cf. Jean T. 5. 3. (X Colos. II. 15 : < Et expolians principatus ot potestates traduxit confidenter» palam triumphans illos in semetipso » Id. I Cor. XV, 24. SERMON XVIII SUR LA PASSION 114 ricorde de Dieu était caché à l’ennemi du genre hu­ main, et, sous le voile de la chair, Dieu se dissimulait « se réconciliant le monde dans le Christ 1 ». C’est pourquoi le diable persista dans sa fureur contre celui en qui il ne pouvait rien découvrir qui fût sien. Il eût certes pu être plus avantageux à sa méchanceté de l’épargner et de s’abstenir de répandre son sang, ce sang grâce auquel allait cesser notre captivité et être restaurée notre liberté. Mais les ténèbres ne com­ prirent pas la lumière 2, et le mensonge aveugle ne put regarder la sagesse de la vérité. Celui qui était la douceur même garda donc la patience selon le des­ sein qu’il s’était proposé, il retint la puissance des légions angéliques prêtes à le servir, il but le calice de douleur et de mort, et de tout son supplice fit un triomphe. Vaincues furent les erreurs, soumises les puissances 3, et le monde reçut un nouveau commen­ cement 456: une naissance sous le signe de la condam­ nation n’est plus d’aucune conséquence pour ceux que la nouvelle naissance vient secourir et sauver. « L’ordre ancien a disparu, toutes choses sont renou­ velées δ. » Tous ceux qui croient au Christ et sont ré­ générés dans le Saint-Esprit partagent, en effet, avec lui et grâce à lui, et sa Passion et son éternelle résur­ rection, selon la parole de ΓApôtre : « Vous êtes morts et votre vie est désormais cachée avec le Christ en Dieu. Quand le Christ sera manifesté, lui qui est votre vie, alors vous aussi vous serez manifestés avec lui, pleins de gloire e. » 5. Établis dans cette espérance, bien-aimés, gardezvous donc de tous les artifices du diable qui non seu­ lement cherche à surprendre par les convoitises de la chair et par les délices corporelles, mais encore sème la zizanie du mensonge au milieu même du bon grain de la foi, et s’applique ainsi à profaner le champ de la vérité, afin de faire tomber par des erreurs impies ceux qu’il n’a pu corrompre par de mauvaises actions. 4. Ct Colos. I, 18 : · Et ipse est caput corporis Ecclesiae qui est princi­ pium, primogenitus ex mortuis, ut sit in omnibus ipse primatum tenens. » 5. II Cor. V, 17. 6. Colos. III, 3-4. 115 DE PASSIONE SERMO XVIII doctrinae et viperea haereticorum vitate colloquia. Nihil vobis commune sit cum eis qui catholicae ad­ versantes fidei solo sunt nomine Christiani. Non enim templum Spiritus Dei, nec membra sunt Christi ; sed falsis opinionibus implicati, tot species habent diaboli, quot simulacra mendacii. Λ quibus malis per Domi­ num Jesum Christum, qui et via, et veritas, et vita est, liberati, omnes vitae istius tentationes et omnia praelia cum fidei exsultatione toleremus. Si enim com­ patimur, et conregnabimus x. Quod praemium non eis tantum paratum est qui pro nomine Domini impio­ rum saevitia sunt perempti, quoniam universitas Deo servientium Deoque viventium, sicut in Christo est crucifixa, ita est in Christo coronanda ; illis quidem in omni gloria praecellentibus, qui terribiles mortes et saeva tormenta usque ad exhalationem spiritus tole­ rando superaverunt, sed etiam iis subsequentibus qui avaritiae cupiditatem, superbiae elationem, deside­ riaque luxuriae, carnis suae mortificatione vicerunt. Unde merito Apostolus ait quod omnes, qui pie volunt vivere in Christo, persecutionem patiuntur *. Cujus utique non est extraneus, qui non est pietatis alienus : paschalem enim festivitatem solemniter agit 3, qui non in fermento veteris malitiae, sed in azymis sinceritatis et veritatis 4 operatur ; nec jam in Adam primo, sed in Adam vivit secundo, membrum scilicet factus corporis Christi : qui cum esset in forma Dei, forma servi dignatus est fieri 5, ut in uno mediatore Dei et hominum, homine Jesu Christo e, et plenitudo majes­ tatis divinae, et veritas naturae esset humanae. Quam 1. Rora. VIII, 17. 2. II Tim. III, 12. 3. Le sens de Fcxpresslon salemnilrr agere est le mémo que celui de l’expression légitimé celebrare déjà rencontrée et expliquée à propos du sermon 50, 7 ; vide supra p. 83. n. 10. SERMON XVIII SUR LA PASSION 115 Fuyez donc les arguties de la doctrine du monde et évitez les entretiens empoisonnés des hérétiques. N’ayez rien de commun avec ceux qui, ennemis de la foi catholique, ne sont chrétiens que de nom. Ils ne sont, en effet, ni le temple de l’Esprit de Dieu, ni les membres du Christ ; mais ils sont embarrassés au sein de fausses opinions, et toutes les formes que prend chez eux le mensonge sont autant d’apparences que prend le diable. Délivres de ces périls par le Sei­ gneur Jésus-Christ qui est la voie et la vérité et la vie, supportons avec une foi joyeuse toutes les épreuves et tous les combats de la vie présente. « Si nous souf­ frons avec lui, nous serons aussi glorifiés avec lui x. » Cette récompense n’est pas seulement préparée à ceux que la cruauté des impies a fait périr pour le nom du Seigneur, car la totalité de ceux qui servent Dieu et qui vivent pour lui sera couronnée dans le Christ comme elle a été crucifiée dans le Christ. Sans doute ceux-là l’emportent en toute gloire qui ont triomphé en supportant jusqu’au dernier soupir une mort ter­ rible et de crucis tourments ; mais viennent aussi derrière eux ceux qui, en mortifiant leur chair, ont vaincu la cupidité de l’avarice, l’élèvement de l’or­ gueil, et les désirs de la luxure. Aussi l’Apôtre peutil dire que « tous ceux qui veulent vivre dans le Christ avec pieté seront persécutés 2 ». Nul n’y échappe en vérité, qui n’est pas etranger à la piété : car il célèbre avec la solennité voulue 3 la fête pascale, celui qui n'opère pas « avec le vieux levain de malice, mais avec des azymes de pureté et de vérité 45 6» ; il ne vit plus dans le premier Adam, mais dans le second Adam, devenu membre du corps du Christ, de ce Christ qui, étant dans la condition de Dieu, a daigné se faire delà condition de l’esclave s, afin que la plénitude de la majesté divine et la vérité de la nature humaine s’unissent dans l’unique médiateur de Dieu et des hommes, Jésus-Christ homme e. Si la divinité du Verbe 4. I Cor. V, 8. 5. Cf. Philip. II, G. 6. Cf. I Tiin. II, 5. 116 DE PASSIONE SERMO XIX nisi Verbi Deitas in suae personae assumpsisset uni-‘J.1 tatem, ncc regeneratio esset in aqua baptismatis, nec ' | redemptio in sanguine passionis. Sed quia in sacra­ mento incarnationis Christi nihil falsum, nihil accepi­ mus figuratum, non frustra nos ct cum morientc mor­ tuos, et cum resurgente credimus suscitatos : manente ipso in nobis qui operatur omnia in omnibus *, vivens et regnans cum Patre et Spiritu sancto Deus in sae­ cula sacculorum. Arnen. 57 ( (LXX) DE PASSIONE DOMINI SERMO XIX 1. Sacram, dilectissimi, Dominicae passionis histo­ riam, evangelica, ut moris est, narratione decursam, ita omnium vestrum arbitror inhaesisse pectoribus, ut unicuique audientium ipsa lectio quaedam facta sit visio. Habet enim hanc potentiam fides vera, ut ab iis mente non desit, quibus corporalis praesentia intér­ essé non potuit 1 2 ; et sive in praeteritum redeat, sive in futurum se cor credentis extendat, nullas sentiat moras temporis cognitio veritatis. Adest ergo sensibus nostris imago rerum pro nostra salute gestarum, et quidquid tunc discipulorum per- I ' * ( 1. Cf. I Cor. XII, 6. ■»> 2. Parce quo la loi est, selon KÉpître aux Hébreux (XI, 1), « la garantie des biens que Ton espère, la preuve des réalités qu’on ne volt pas », elle . donne une consistance aux choses qui sont racontées touchant l’histoire du | salut ct les rend présentes à la pensée des auditeurs ; telle semble être la * marche logique de la pensée do S. Léon : la lecture du récit évangélique j rappelle les faits et la foi les rend présents. Dans le sermon précédent (2), 1 SERMON XIX SUR LA PASSION 116 n’avait pas assumé cette nature dans l’unité de sa personne, il n’y aurait ni régénération dans l’eau du baptême, ni rédemption dans le sang de la Passion. Mais, comme nous n’admettons rien de faux, rien de simulé dans le sacrement de l’incarnation du Christ, ce n’est pas en vain que nous nous croyons morts avec Celui qui meurt, et ressuscités avec Celui qui ressuscite ; Lui qui demeure en nous, opère tout en tous \ et, étant Dieu, vit et règne avec le Père et l’Esprit-Saint dans les siècles des siècles. Amen. 57 (LXX) DIX-NEUVIÈME SERMON SUR LA PASSION DU SEIGNEUR Sommaire. — 1. Notre émotion en entendant lire lo récit de la Pas­ sion. — 2. Endurcissement des Juifs. — 3. La folie de la croix contient notre salut. — 4. S’associer activement à la croix du Sauveur. — 5. La vie chrétienne est un combat et une passion. — 6. Le Christ vainqueur dans scs membres. Renvoi. 1. Le récit évangélique a retracé comme de cou­ tume, bien-aimés, l’histoire sacrée de la Passion du Seigneur; je pense que celle-ci s’est si bien fixée en tous vos cœurs, que la lecture en est devenue comme une vision pour chacun des auditeurs. La vraie foi, en effet, a ce pouvoir de ne pas être absente en esprit des faits auxquels le corps n’a pu être présent 2 ; que le cœur du croyant se reporte vers le passé ou qu’il se tourne vers l’avenir, la connaissance qu’il a de la vérité, grâce à elle, n’est limitée par aucun écart de temps. L’image de ce qui a été opéré pour notre salut est S. Léon s’est souvenu du mémo texte pour en conclure que les incroyants de son temps sont favorisés par le grand nombre des témoignages. 117 DE PASSIONE SERMO XIX strinxit animos, nostros quoque tangit affectus ; non quod aut tristitia deprimamur, aut saevitia furentium Judaeorum terreamur, cum etiam eos quos illius tem­ pestatis magnitudo concussit, ad invictam constan­ tiam resurrectio Domini ascensioque provexerit ; sed quia cum in cogitationem venit quales tunc Jerusalem populi et quales fuerint sacerdotes, magno accipiamus cum tremore mentium tantum facinus impiorum. Quamvis enim ad salutem humani generis pertineret passio Salvatoris, et aeternae mortis vincula tempo­ rali sint Domini morte dirupta, aliud tamen Crucifixi patientia, aliud crucifigentium egit insania, nec ad eosdem rerum exitus misericordia et ira tendebat : cum per ejusdem sanguinis effusionem Christus solve­ ret mundi captivitatem, Judaei interficerent omnium Redemptorem. 2. Obduravit ergo carnalem Israel malignitas sua, et nihil ei legis testificatio, nihil mysteriorum imagines, nihil prophetarum oracula profuerunt, cum Pascha Domini tot saeculis celebratum in eo Joannes doceret impletum, de quo publica protestatione dicebat : Ecce Agnus Dei, ecce qui tollit peccata mundi \ Repugnat iniquitas justitiae, caecitas luci, mendacium veritati ; sed de saevitia obluctantium, de scelere crudelium ob­ tinuit Jesus aeternae dispositionis effectum ; et ita humano generi sua morte consuluit, ut sacramentum salutis etiam ipsis persecutoribus non negaret. Qui enim venerat universis credentibus omnia peccata di­ mittere, a generali indulgentia nec Judaicum voluit crimen excludere. Quorum itaque perfidiam detesta­ mur, corumdem fidem, si convertantur, amplectimur ; et imitantes misericordiam Domini, qui pro eis a qui­ bus erat crucifixus orabat, nos quoque cum beato Paulo apostolo nostras jungimus preces, et ut ille po- SERMON XIX SUR LA PASSION 117 donc présente à nos sens, et tout ce qui frappa alors l’âme des disciples affecte aussi nos sentiments : non que la tristesse nous accable ou que nous effraie la violence des Juifs furieux, puisque la résurrection du Seigneur et son ascension ont entraîné jusqu’à une invincible fermeté ceux-là même qu’avait ébranlés la violence de la tempête ; mais, en pensant à ce que furent alors les foules de Jérusalem et les prêtres, nous tremblons en nous-mêmes de nous laisser aller à ce crime énorme qu’ont commis les impies. Bien qu’en effet, la Passion du Sauveur importât au salut du genre humain et que la mort temporelle du Sei­ gneur dût briser les liens de la mort éternelle, la pa­ tience du Crucifié et la folie de ses bourreaux n’accom­ plirent pourtant pas la même chose, et la miséricorde de l’un et la colère des autres ne tendaient pas aux mêmes fins : car, par l’effusion d’un même sang, le Christ dénouait l’esclavage du monde et les Juifs mettaient à mort le Rédempteur de tous. 2. Sa malice endurcit donc l’Israël charnel; le té­ moignage de la loi ne lui servit à rien, à rien les figures des mystères, à rien les oracles des prophètes ; Jean cependant enseignait que la Pâque du Seigneur célé­ brée durant tant de siècles était accomplie en celui dont il attestait publiquement : « Voici Γ Agneau de Dieu, voici celui qui ôte les péchés du monde x. » L’iniquité se refuse à la justice, l’aveuglement à la lumière, le mensonge à la vérité ; mais de la violence de ses ennemis, du crime de ces hommes cruels, Jésus tira l’accomplissement du dessein éternel ; et, par sa mort, il pourvut au bien du genre humain, sans refu­ ser même à ses persécuteurs la grâce du salut. Celui, en effet, qui était venu remettre les péchés à tous ceux qui croiraient, ne voulut même pas exclure le crime des Juifs du pardon qu’il accordait à tous. Aussi, tout en détestant leur perfidie, nous embrassons leur foi, s’ils se convertissent ; et, imitant la miséricorde du Seigneur qui priait pour ceux qui le crucifiaient, nous aussi nous unissons nos prières à celles du bienheu1. Jeun I, 20. 118 DE PASSIONE SERMO XIX pulus misericordiam consequatur optamus \ ob cujus offensionem gratiam reconciliationis accepimus 12 : quoniam, sicut ait idem magister gentium, conclusit Deus omnia in incredulitate, ut omnium misereatur 3. 3. Quid autem illud fuit quod et Judaeis intcllec- I tum abstulit, et sapientium mundi corda turbavit 4, nisi crux Filii Dei, quae et philosophicam evanescere prudentiam, et Isracliticam fecit caligare doctrinam ? Omnem namque sensum humanae mentis excessit di­ vini altitudo consilii, cum placuit Deo per stultitiam praedicationis, saluos facere credentes 6, ut mirabilior fieret constantia fidei ex difficultate credendi. Incon­ sequens enim et irrationabile videbatur recipere animo quod creatorem omnium naturarum in substantia veri hominis Virgo intemerata peperisset ; quod aequalis Patri Filius Dei, qui impleret omnia et contineret uni­ versa, furentium manibus comprehendi, iniquorum judicio condemnari, ct post dedecora illusionum, cruci se permisisset affigi. Sed in iis omnibus simul sunt et humilitas hominis, et celsitudo Deitatis ; nec miseri­ cordiae ratio majestatem miserentis obscurat, quia de ineffabili potentia factum est, ut dum homo verus est in Deo inviolabili, et Deus verus est in carne passibili, conferretur homini gloria per contumeliam, incorruptio per supplicium, vita per mortem. Nisi enim Ver­ bum caro fieret, et tam solida consisteret unitas in utraque natura, ut a suscipiente susceptam, nec ipsum breve mortis tempus abjungeret, numquam valeret ad aeternitatem redire mortalitas. Sed adfuit nobis in Christo singulare praesidium, ut in natura passibili 1. Cf. Rom. IX· 3 : « Optabam ego ipse anathema e$$e a Christo pro (ratibus meis. » 2. Cf. Ibid. XI, 11 : « Illorum delicto, salus est gentilius ut illos aemu­ lentur. · SERMON XIX SUR LA PASSION 118 reux apôtre Paul, et nous souhaitons 1 que ce peuple reçoive miséricorde, puisque c’est à cause de son péché que nous avons obtenu la grâce de la réconciliation 2 : car, ainsi que le dit encore le Docteur des nations, « Dieu a enfermé toutes choses dans l’incrédulité, pour faire à tous miséricorde 3. » 3. Qu’est-ce donc qui, à la fois, enleva l’intelligence aux Juifs et troubla le cœur des sages de ce monde 45, sinon la croix du Fils de Dieu, cette croix qui fit s’éva­ nouir la prudence des philosophes et se couvrir d’ob­ scurité la science d’Israël ? Car la sublimité du con­ seil divin dépassa toute compréhension de l’esprit humain lorsqu’il plut à Dieu de sauver les croyants par la folie du message *, pour que la difficulté à croire rendît plus admirable la fermeté de la foi. Il parais­ sait, en effet, inconséquent et déraisonnable d’accep­ ter qu’une vierge inviolée enfantât dans la substance d’un homme véritable le Créateur de toutes les natures, que le Fils de Dieu égal à son Père, remplissant tout et contenant tout, se laissât saisir par les mains des furieux, condamner par un jugement inique, et, après des moqueries déshonorantes, clouer à une croix. Mais en tout cela s’unissent et la bassesse de l’homme et la grandeur de Dieu ; l’intention de miséricorde n’obscurcit pas la majesté de Celui qui fait miséri­ corde, car seule une indicible puissance a pu faire que, un homme véritable étant en un Dieu inviolable et le Dieu véritable en une chair passible, la gloire soit conférée à l’homme par l’ignominie, l’incorruption par le supplice, la vie par la mort. Si, en effet, le Verbe ne s’était pas fait chair et s’il n’y avait pas eu entre les deux natures une union si solide que la mort même, pour un bref laps de temps, ne put disjoindre celle qui était assumée de celle qui l’assumait, jamais notre mortalité n’aurait pu retourner à l’éternité. Mais dans le Christ nous advint ce secours singulier : sa nature 3. Jbid.Kî. Λ. Ct. I Cor. I, 19-20 : «Nonne stultam fecit Deus sapientiam hujus mundi ? · 5. Ci. Ibid. 21. 119 DE PASSIONE SERMO XIX mortis conditio non maneret, quam impassibilis essen­ tia recepisset, ct per id quod non poterat mori, posset is quod erat mortuum suscitari. 4. Huic sacramento, dilectissimi, ut inseparabiliter congruamus, magna nobis et animi et corporis inten­ tione nitendum est ut cum gravissimi sit piaculi fes­ tum paschale negligere, periculosius sit ecclesiasticis quidem conventibus jungi, sed in Dominicae passionis consortio non haberi. Nam dicente Domino : Qui non accipit crucem suam, et non sequitur me, non est me dignus1 ; et dicente Apostolo : Si compatimur, ct conregnabimus 1 2 ; quis vere Christum passum, mortuum et resuscitatum colit, nisi qui cum ipso et patitur, et moritur, et resurgit ? Et haec quidem in omnibus Ecclesiae filiis, ipso jam regenerationis sunt inchoata mysterio, ubi peccati interitus, vita est renoscentis, et triduanam Domini mortem imitatur trina demersio; ut dimoto quodam aggere sepulturae, quos veteres 8 sus­ cepit sinus fontis, eosdem novos edat unda baptimastis ; sed implendum est nihilominus opere quod cele­ bratum est sacramento, et natis de Spiritu sancto quantumcumque superest mundani corporis, non sine crucis susceptione ducendum est. Quamvis enim forti et crudeli tyranno per potentiam crucis Christi vasa antiquae depraedationis erepta sint4, et dominatio principis mundi a redemptorum si ejecta corporibus, insidiari tamen etiam justificatis eadem malignitas perseverat, et multis modis eos in quibus non regnat impugnat : ut si quas animas négligentes imprudentesque repererit, saevioribus eas laqueis rursum innec­ tat, et a paradiso Ecclesiae rapias in consortium suae damnationis inducat. Unde cum quispiam observan1. Mattii. X, 38. 2. Rom. VIII, 17. 119 SERMON XIX SLR LA PASSION passible s’affranchit de la condition mortelle, elle que l’Essence impassible avait assumée, et, par ce qui ne pouvait mourir, ce qui était mort put ressusciter. 4. Il nous faut, bien-aimés, pour adhérer insépara­ blement à ce mystère, faire les plus grands efforts ct de l’âme ct du corps, car, si c’cst une très grave im­ piété de négliger la fête pascale, il est plus dangereux encore de se joindre aux assemblées de l’Église sans avoir part à la Passion du Seigneur. Lui-même dit, en effet : « Qui ne prend pas sa croix et ne vient pas à ma suite, n’est pas digne de moi 1 » ; et ΓApôtre : « Si nous souffrons avec lui, nous serons aussi glori­ fiés avec lui 2. » Qui dès lors honore vraiment le Christ souffrant, mort et ressuscité, sinon celui qui, avec lui, souffre, meurt et ressuscite ? Et cela, pour tous les enfants de l’Église, commence dès le mystère même de la régénération, où la mort du péché est vie pour celui qui renaît, et où la triple immersion est l’image des trois jours de la mort du Seigneur ; après que le tertre de la sépulture a été en quelque sorte enlevé, ceux que la fontaine a dans son sein reçus vieillis 3, l’onde baptismale les met au monde comme des êtres nouveaux ; cependant il n’en reste pas moins à réali­ ser en oeuvres ce qui a été célébré sacramentellement, et, sans prendre la croix, ceux qui sont nés de l’EspritSaint ne sauraient gouverner tout ce qui reste de ce monde en leur corps. Sans doute, en effet, la puissance de la Croix du Christ a arraché au tyran fort et cruel les fruits de ses anciennes rapines 4, et la domination du prince de ce monde a été rejetée du corps des ra­ chetés ; mais la même méchanceté en lui continue à dresser des pièges à ceux même qui sont justifiés ct attaque de multiples façons ceux sur qui il ne règne plus ; s’il rencontre quelques âmes négligentes ou im­ prudentes, il les enchaîne à nouveau de liens plus cruels que les premiers, et, les ayant ravies au Paradis de l’Église, il les emmène partager sa damnation. Aussi lorsque quelqu’un se rend compte qu’il outrepasse les 3. C’est-à-dire dans l’état du < vieil homme ». 4. CL Mat th. XII, 29. Léon te Grand. III. 15 120 DE PASSIONE SERMO XIX tiae Christianae se limites sentit excedere, et in id eu- I piditates suas tendere, quod eum a recto itinere faciat deviare, recurrat ad crucem Domini, ct ligno vitae motus noxiae voluntatis affigat ; ac voce prophetica ad Dominum clamet ct dicat : Confige clavis a timore tuo carnes meas ; a judiciis enim tuis timui A 5. Quid autem est clavis timoris Dei carnes habere confixas, nisi corporeos sensus ab illecebra illiciti desi­ derii sub metu divini continere judicii ? ut qui resistit peccato, et concupiscentias suas, ne quid morte di­ gnum operetur, interficit, audeat cum Apostolo dicere : Mihi autem absit gloriari, nisi in cruce Domini nostri Jesu Christi, per quem mihi mundus crucifixus est, et ego mundo 1 2. Ibi ergo se constituat Christianus, quo g eum secum sustulit Christus ; et ad id dirigat omnem 1 viam suam, ubi scit humanam salvatam esse natu­ ram. Passio enim Domini usque ad finem producitur mundi 3; et sicut in sanctis suis ipse honoratur, ipse diligitur, et in pauperibus ipse pascitur, ipse vestitur ; ita in omnibus qui pro justitia adversa tolerant, ipse compatitur : nisi forte aestimandum est, multiplicata per orbem fide, et rarescente impiorum numero, omnes persecutiones, et omnia quae adversus beatos mar­ tyres saevierunt finita esse certamina, tamquam sus­ cipiendae crucis illis tantum necessitas incubuerit, qui­ bus ad expugnandam Christi dilectionem atrocissima sunt illata supplicia. Sed aliud servientium Deo pietas experitur, aliud etiam Apostoli praedicatio protestatur, qui dicit : Omnes qui pie volunt vivere in Christo Jesu, per­ secutionem patiuntur 4. Qua sententia nimis tepidus et ; 1. Ps. cxvin, 120. J·] 2. Gai. VI, 14. Ili 3. Origtac avait déjà dit : < Tous les jours je vois Jésus présenter son j dos aux coups... et Jusqu'aujourd'hui il ne détourne pas su face do l'outrage i des crachats. » (JnJtr. hom, XVIII» 12; P. G. XIII» 487). Pensée qui r SERMON XIX SUR LA PASSION 120 limites de la discipline chrétienne, et que ses désirs l'entraînent vers ce qui le ferait dévier du droit che­ min, qu’il recourre à la croix du Seigneur ct qu’il cloue à l’arbre de vie les mouvements de la volonté mauvaise : qu’il emprunte alors la voix du prophète pour crier au Seigneur : « Perce ma chair des clous de ta crainte ; je redoute tes jugements L » 5. Mais avoir sa chair transpercée des clous de la crainte de Dieu, qu’est-ce donc sinon garder ses sens de l’attrait des désirs illicites, dans l'appréhension du jugement divin ? Celui qui résiste au péché et fait mourir ses convoitises pour ne rien faire qui mérite la mort, celui-là osera dire avec l’Apôtre : « Pour moi, que jamais je ne me glorifie, sinon dans la croix de notre Seigneur Jésus-Christ qui a fait du monde un crucifié pour moi et de moi un crucifié pour le monde 2. » Que le chrétien s’établisse donc là où le Christ l’a élevé avec lui ; qu’il dirige tous ses pas vers ce lieu où il sait qu’a été sauvée la nature humaine. La Passion du Seigneur, en effet, se continue jusqu’à la fin du monde 3; comme c’est lui qui est honoré, lui qui est aimé dans scs saints, lui aussi qui est nourri, lui qui est vêtu dans ses pauvres, c’est lui encore qui souffre en tous ceux qui supportent l’adversité pour la justice : à moins que l’on ne doive peut-être penser que, la foi s’étant multipliée par le monde et les im­ pies devenant moins nombreux, toutes les persécu­ tions et tous les combats suscités autrefois contre les bienheureux martyrs ont pris fin ; mais alors la né­ cessité de prendre sa croix n’aurait incombé qu’à ceux à qui les plus atroces supplices furent infligés pour tenter de leur enlever l’amour du Christ. Mais c’est bien autre chose qu’expérimente la piété des servi­ teurs de Dieu, bien autre chose que proclame aussi la prédication de l’Apôtre, lorsqu’il dit : « Oui, tous ceux qui veulent vivre avec piété dans le Christ Jésus se­ ront persécutés 4. » Cette parole accuse de tiédeur et sera chère à )a piété chrétienne jusqu'à Pascal : · Jésus sera en ngonlo jusqu’A la fin du monde. > (Afys/ére de Jétua). 4. il Tim. III, 12. 121 DE PASSIONE SERMO XIX segnis ostenditur, qui nulla persecutione pulsatur. Pa­ cem enim cum hoc mundo nisi amatores mundi habere non possunt, el nulla umquam iniquitati cum aequitate communio, nulla mendacio cum veritate concordia, nullus est tenebris cum luce consensus x. Quia etiamsi pietas bonorum cupiat malos corrigi, conversionemque multorum per gratiam Dei miserentis obtineat, mali­ gnorum tamen spirituum adversus sanctos insidiae non quiescunt, et sive occulto dolo, sive aperto praelio, in omnibus fidelibus propositum bonae voluntatis infes­ tant. Inimicum namque est illis omne quod rectum, omne quod sanctum est ; et cum eis nihil in quem­ quam amplius liceat, quam justitia divina permiserit, quae dignatur suos aut corripere disciplina, aut exer­ cere patientia, agunt tamen versutissima arte falla­ ciae, ut ex arbitrio propriae potestatis, aut laedere videantur, aut parcere ; et multis, quod dolendum est, ita per nequitiam simulationis illudunt, ut qui­ dam illos et timeant pati infensos, et velint habere placatos : cum beneficia daemonum omnibus sint nocentiora vulneribus, quia tutius est. homini inimicitiam diaboli meruisse quam pacem. Sapientes itaque ani­ mae, quae unum timere, unum diligere, et in unum Dominum sperare didicerunt, mortificatis cupiditati­ bus et crucifixis corporis sensibus, ad nullum hostium metum, ad nullum inclinantur obsequium. Voluntatem enim Dei etiam sibi praeferunt, et tanto amplius se amant quanto amplius pro Dei amore sc non amant *. Cumque audiunt sibi divinitus dici : Post concupiscen­ tias tuas non eas, et a voluntate tua avertere 3 : dividunt 1. Ct II Cor. VJ, 14 : · Quae eniin participatio justitiae cum Iniquitate? aut quae societas luci ad tenebras ? · 2. CL Jean XIJ, 25 : « Qui amat animam suam» perdet eam. · Texto <1 ne S. Augustin commente ainsi en des termes voisins de ceux de S. L^oa : < Non ametis In hoc saeculo animas vestras; nolite amare si amatis, ut SERMON XIX SUR LA PASSION 121 de lâcheté quiconque n’est soumis à aucune persécu­ tion. Il n’y a que les amis de ce monde à pouvoir être en paix avec ce monde ; nulle communion n’a jamais existé de l'iniquité avec la justice, nul accord du men­ songe avec la vérité, nulle union des ténèbres avec la lumière 1. Meme si la pieté des bons désire l’amende­ ment des méchants et obtient la conversion d’un grand nombre par la grâce du Dieu de miséricorde, jamais pourtant ne cessent les pièges que tendent aux saints les esprits mauvais, et, que ce soit par des ruses ca­ chées ou par des luttes à découvert, ceux-ci s’at­ taquent à tous les fidèles et à leur bon propos. Ce qui leur est ennemi, en effet, c’est tout ce qui est droit, tout ce qui est saint ; sans doute ils n’ont licence d’exercer contre quiconque rien de plus que ce que per­ met la divine justice, elle qui daigne on corriger les siens par la discipline ou les exercer par la patience ; mais ils agissent avec un art si consommé dans la trompe­ rie qu’ils semblent décider par leur propre pouvoir quand ils blessent ou quand ils épargnent ; ils en trompent ainsi beaucoup, chose lamentable à dire, par la perversité de leurs artifices et font que certains redoutent de subir les conséquences de leur mécon­ tentement et cherchent à les apaiser : en réalité les bienfaits des démons sont plus nocifs que toutes leurs blessures, car un homme est plus en sécurité quand il a mérité l’inimitié du diable que quand il a obtenu sa paix. Aussi les âmes sages, qui ont appris à ne craindre que le Seigneur, à n’aimer que lui, à n’espérer qu’en lui, mortifiant leurs convoitises et crucifiant leurs sens, ne s’abaissent-elles nullement à craindre ces enne­ mis ou à leur rendre quelque hommage. Elles vont, en effet, jusqu’à préférer à elles-mêmes la volonté de Dieu, et elles s’aiment d’autant plus qu’elles cessent davantage pour 1’amour de Dieu de s’aimer 2. S’enten­ dant dire de la part de Dieu : « Ne te laisse pas entraî­ ner par tes convoitises et refrène tes désirs 3», elles non amando senetis; quia non amando plus amatis. » (Sermo CCCV, 2; P. L. XXXVIII, I39S). 3. Safi. Sir. XVIII, 30. 122 DE PASSIONE SERMO XIX affectus suos, et legem mentis a corporis lege discer­ nunt : ut ex quadam se parte sibi denegent, perdentes se in iis quae carnaliter cupiunt, et invenientes se in iis quae spiritaliter concupiscunt. 6. Sanctum igitur Pascha, dilectissimi, in talibus membris corporis Christi legitime celebratur et nihil illis deest triumphis, quos passio Salvatoris obtinuit. Quoniam in iis qui apostolico exemplo castigant cor­ pus suum et servituti subjiciunt x, iidem hostes eadem fortitudine conteruntur, et nunc a Christo vincitur mundus 2. Cum enim a servis suis quorumcumque vi­ tiorum incentiva superantur, ipsius virtus est, ipsiusque victoria. Haec, dilectissimi, quae ad participationem crucis pertinent, sufficienter, ut arbitror, vestris sunt hodie auribus intimata : ut paschale sacramentum etiam in membris corporis Christi legitime celebretur. Superest ut de obtinendo resurrectionis consortio disseramus. Quod ne, continuato sermone, et mihi et vobis fiat onerosum, in diem sabbati3 promissa differemus. Ade­ rit, ut credimus, gratia Dei, ut debitum nostrum ip­ sius auxilio compleatur, qui vivit et regnat cum Patre et Spiritu sancto in saecula saeculorum. Arnen. 1. ct I Cor. IX, 27. 2. Ci. Jean XVI» 33 : < Confidite, ego vici mundum. · 3. Le Samedi saint, en la vigile de PAques. Cotto mention, s’ajoutant au fait que le présent sermon est consacré tout entier à célébrer la Croix, est un argument valable pour avancer qu'il a été prononcé le Vendredi E L ■ I 1 ( SERMON XIX SUR LA PASSION 122 font le partage de leurs affections et établissent une distinction entre la loi de l’esprit et la loi du corps ; ainsi se refusent-elles elles-mêmes à elles-mêmes pour une part, se perdant dans tout ce qu’elles convoitent charnellement, et se trouvant dans tout ce qu’elles désirent spirituellement. 6. La sainte Pâque, bien-aimés, est donc célébrée comme il convient en de tels membres du corps du Christ, et rien ne leur manque des triomphes qu'a remportés la Passion du Sauveur. En ceux qui, à l’exemple de Γ Apôtre, châtient leur corps et le ré­ duisent en esclavage \ les mêmes ennemis sont terras­ sés par le meme courage, et c’est aujourd’hui que le monde est vaincu par le Christ 2. Lorsque ses servi­ teurs, en effet, viennent à vaincre les sollicitations de tel ou tel vice, pareille force est sa force, pareille vic­ toire est sa victoire. Je pense, bien-aimés, que vous en avez assez en­ tendu aujourd’hui concernant la participation à la croix, pour que le sacrement pascal soit célébré comme il faut dans les membres du corps du Christ. Il reste à parler des moyens d’avoir part à la résurrection. Mais, pour n’être à charge ni à vous ni à nous-même en prolon­ geant ce discours, nous renverrons la suite à samedi 3. Dieu, par sa grâce, nous le croyons, nous assistera, pour que, avec son aide, nous achevions ce que nous vous devons, lui qui vit ct règne avec le Père et l’Esprit-Saint dans les siècles des siècles. Amen. saint. Cf. dans ce sens A. Chavasse dans Mémorial Chaîne, La préparation de la Pâque ά Rome avant le V * stàrte. p. 62, n. 3. On avait lu, au cours de la Synaxc, le récit évangélique de la Passion, sans doute selon S. Jean; S. Léon y a fait allusion en commençant son discours. 123 DE RESURRECTIONE SERMO I 58 (LXXI) DE RESURRECTIONE DOMINI SERMO I habitus sabbato sancto in pervigiliis Paschae. 1. Sermone proximo, dilectissimi, non incongrue vobis, quantum arbitror, participationem crucis Christi insinuavimus, ut paschale sacramentum ipsa in se habeat vita credentium, et quod festo honoratur moribus celebretur. Quam autem hoc utile sit ipsi probastis, et ex vestra devotione didicistis quantum prosint animis atque corporibus prolixiora jejunia, frequentiores preces et eleemosynae largiores *. Nemo enim fere est qui non hac exercitatione profecerit, et in abdito conscientiae suae aliquid quo recte possit gaudere condiderit. Sed haec lucra perseveranti sunt servanda custodia, ne in desidiam, resoluto labore, quod donavit Dei gratia, diaboli furetur invidia. Cum igitur quadraginta dierum observantia 1 2 hoc vo­ luerimus operari, ut aliquid sentiremus crucis in tem­ pore Dominicae passionis, adnitendum nobis est ut etiam resurrectionis Christi inveniamur esse consortes, et de morte ad vitam, dum in isto sumus corpore, trans­ eamus. Unicuique enim homini, qui ex alio in aliud aliqua conversione mutatur, finis est, non esse quod fuit, et ortus, esse quod non fuit. Sed interest cui quis 1. 2. dans avr. S. Léon fait allusion aux pratiques du Carême qui vient de terminer. CL Fartlcle d’Ign. Carton, Notes sur remploi du mot « observantia · les homélies de S. Léon, dans Vigiliae Christianae, VIH, 1-2, junv.· 1954, p. 104-114. SERMON I SUR LA RÉSURRECTION 123 58 (LXXI) PREMIER SERMON SUR LA RÉSURRECTION DU SEIGNEUR (prononcé le Samedi saint en la vigile de Pâques) Sommaire. — 1. La conversion doit, être le fruit de la pénitence du Carême. — 2. Passion et résurrection du Christ. — 3. Les preuves do cotto résurrection. — 4. Qualités nouvelles du corps du Christ ressuscité. — 5. Conclusion morale : nécessité de la tempérance. — 6. Sanctifier toute notre vie par la pratique pascale. 1. Dans notre dernier sermon, bien-aimés, nous vous avons enseigné — non hors de propos, croyonsnous — la participation à la croix du Christ, afin que la vie meme des fidèles soit pénétrée du sacrement pascal et célèbre dans les mœurs ce qu’elle honore dans la fête. Vous-mêmes certainement avez éprouvé combien cela est utile, et votre dévotion vous a ap­ pris l’avantage que retirent les âmes et les corps des jeûnes plus prolongés, des prières plus fréquentes, des aumônes plus larges *. Il n’est, en effet, presque per­ sonne qui n’ait profité de cette ascèse et qui n’ait serré dans le secret de sa conscience quelque chose dont il puisse à bon droit se réjouir. Mais ces profits, il faut les conserver au prix d’une vigilance constante, de peur que, le travail se relâchant, la haine du démon ne dérobe ce qu’a donné la grâce de Dieu. Puisque nous avons voulu travailler par l’obser­ vance 2 des quarante jours, pour ressentir quelque chose de la croix pendant le temps de la Passion du Seigneur, efforçons-nous aussi d’être trouvés associés à la résurrection du Christ et de passer de la mort à la vie tandis que nous sommes encore en ce corps. Car, pour tout homme, passer par une conversion, de quelque nature qu’elle soit, d’un état à un autre, signi- 124 DE RESURRECTIONE SERMO 1 aut moriatur aut vivat : quia est mors quae causa est vivendi, et est vita quae causa est moriendi. Nec alibi quam in hoc transitorio saeculo utrumque conquiri­ tur ; et ex qualitate temporalium actionum differen­ tiae retributionum pendent aeternarum. Moriendum ergo est diabolo et vivendum Deo ; deficiendum ini­ quitati, ut justitiae resurgatur. Occumbant vetera, ut oriantur nova. Et quoniam, sicut ait Veritas, nemo potest duobus dominis servire *, dominus sit non ille qui stantes impulit in ruinam, sed ille qui dejectos erexit in gloriam. 2. Dicente ergo Apostolo : Primus homo de terra terrenus, secundus homo de caelo caelestis. Qualis terre­ nus, tales et terreni ; et qualis caelestis, talcs et caelestes. Sicut portavimus imaginem terreni, portemus et imagi­ nem ejus qui est de caelo 1 2 ; multum nobis de hac com­ mutatione gaudendum est, qua de ignobilitate terrena ad caelestem transferimur dignitatem per illius ineffa­ bilem misericordiam qui ut nos in sua proveheret, in nostra descendit ; ut non solum substantiam, sed etiam conditionem naturae peccatricis assumeret, et ea sibi pateretur inferri divina impassibilités, quae miserrime experitur humana mortalitas. Unde, ne turbatos disci­ pulorum animos longa maestitudo cruciaret, denun­ tiatam tridui moram tam mira celeritate breviavit, ut dum ad integrum secundum diem pars primi novis­ sima et pars tertii prima concurrit, et aliquantum temporis spatio decideret, et nihil dierum numero de­ periret. Resurrectio igitur Salvatoris nec animam in inferno, nec carnem diu morata est in sepulcro ; et tam velox incorruptae carnis vivificatio fuit, ut major ibi esset soporis similitudo quam mortis : quoniam 1. Matth. VI, 24. 2. I Cor. XV, 47-19. SERMON I SUR LA RÉSURRECTION 124 fie la fin de quelque chose : n’être plus ce qu’il était, et le commencement d’une autre : être ce qu’il n’était pas. Mais il est important de savoir à qui l’on meurt et pour qui l’on vit : car il y a une mort qui fait vivre et une vie qui fait mourir ; or ce n’est pas ailleurs que dans ce siècle éphémère que l’on recherche l’une et l’autre ; et c’est de la qualité de nos actions tempo­ relles que dépendra la différence des rétributions éter­ nelles. Mourons donc au diable et vivons pour Dieu ; mourons à l’iniquité pour ressusciter à la justice ; que disparaisse l’état ancien pour que se lève le nouveau ; et puisque, selon la parole de la Vérité, « nul ne peut servir deux maîtres 1 », prenons pour maître non celui qui ébranle ceux qui sont debout pour les mener à la ruine, mais celui qui relève les tombés pour les con­ duire à la gloire. 2. « Le premier homme, issu du sol, est terrestre, dit ΓApôtre ; le second homme, lui, vient du ciel. Tel a été le terrestre, tels seront aussi les terrestres ; tel le céleste, tels seront aussi les célestes. Et de même que nous avons revêtu l’image du terrestre, il nous faut revêtir aussi l’image du céleste 2. » Nous devons grandement nous réjouir de ce changement qui nous fait passer de l’obscurité terrestre à la dignité céleste par un effet de l’ineffable miséricorde de Celui qui, pour nous élever jusqu’à son domaine, est descendu dans le nôtre : car il a pris non seulement la substance, mais encore la condition de la nature pécheresse, et il a permis que son impassible divinité subît tout ce que, dans son extrême misère, expérimente l’humaine mortalité. C’est par un effet de cette bonté que, crai­ gnant qu’une longue tristesse ne fût une torture pour les âmes déjà troublées des disciples, il sut si bien abréger le délai prédit des trois jours, qu’ajoutant au second jour entier la toute dernière partie du premier et le début du troisième, il écourta quelque peu l’in­ tervalle prévu sans que le nombre des jours fût dimi­ nué. La résurrection du Sauveur n’a donc pas retenu longtemps son âme aux enfers, ni son corps dans la tombe : la vie revint si vite en sa chair incorrompue qu’il sembla davantage s’être endormi qu’avoir cessé 125 DE RESURRECTIONE SERMO I Deitas quae ab utraque suscepti hominis substantia non recessit, quod potestate divisit, potestate con­ junxit. 3. Subsecuta sunt itaque multa documenta quibus praedicandae per universum mundum fidei auctoritas conderetur. Et licet revolutio lapidis, evacuatio mo­ numenti, depositio linteorum, ct totius facti angeli narratores copiose veritatem Dominicae resurrectionis astruerent ; ct mulierum tamen visui, et apostolorum frequenter oculis manifestus apparuit1 : non solum loquens cum eis, sed etiam habitans atque convescens, et pertractari se diligenti curiosoque contactu ab eis quos dubitatio perstringebat, admittens 1 2. Ideo enim et clausis ad discipulos ostiis introibats, et flatu suo dabat Spiritum sanctum, et dato intelligentiae lumine, sanctarum Scripturarum occulta pandebat 4, et rur­ sus idem vulnus lateris, fixuras clavorum, et omnia recentissimae passionis signa monstrabat5, ut agnosce­ retur in eo proprietas divinae humanaeque naturae individua permanere, et ita sciremus Verbum non hoc esse quod carnem, ut unum Dei Filium et Verbum confiteremur et carnem. 4. Non dissonat, dilectissimi, ab hac fide magister gentium apostolus Paulus, cum dicit : Etsi cognovi­ mus secundum carnem Christum, sed nunc jam non novimus c. Resurrectio enim Domini non finis carnis, sed commutatio fuit, nec virtutis augmento con­ sumpta substantia est. Qualitas transiit, non natura defecit ; et factum est corpus impassibile, quod potuit crucifigi ; factum est immortale, quod potuit occidi ; 1. Ct. Actes L 3; Matth. XXVIII. 9. La même expression, absente de l’Écriturc, se trouve dans ia Préface do ΓAscension au Missel romain : • Qui post resurrectionem suam omnibus discipulis suis manifestus appa* ruit... · ; sans doute sous l’influence do S. Léon. 2. Ct. Luc XXIV, 39. SERMON I SUR LA RÉSURRECTION 125 de vivre. La divinité, en effet, qui ne s’était pas reti­ rée des deux substances composantes de l’homme qu’elle avait pris, réunit par sa puissance ce que sa puissance avait séparé. 3. Bien des preuves ont suivi destinées à fonder l’autorité de la foi qui devait être prêchée à travers le monde : la pierre roulée, le tombeau vide, les lin­ ceuls mis à part, les anges racontant tout l’événement, établissaient assez largement la vérité de la résurrec­ tion du Seigneur ; cependant il se manifesta et apparut aux femmes ct plusieurs fois aux apôtres 1 : non seu­ lement il s’entretenait avec eux, mais encore il s’at­ tardait au milieu d’eux, mangeait en leur compagnie, et se laissait examiner de près ct toucher curieusement par ceux que retenait le doute 2. Il entrait, en effet, au milieu de scs disciples, toutes portes fermées 3, et il leur donnait le Saint-Esprit en soufflant sur eux ; éclairant leur intelligence, il leur ouvrait les secrets des Saintes Écritures4; il leur montrait encore la plaie de son côté, les trous faits par les clous, et toutes les marques de sa Passion encore récente 5 ; tout cela pour faire connaître que les propriétés de la nature divine et celles de la nature humaine demeuraient en lui bien séparées, et pour que nous sachions que le Verbe n’est pas identique â la chair, et confessions que le Fils de Dieu est à la fois Verbe et chair. 4. Paul, ΓApôtre des nations, ne contredit pas cette foi, bien-aimés, quand il dit : «Même si nous avons connu le Christ selon la chair, nous ne le connaissons plus ainsi à présent 6. » La résurrection du Seigneur, en effet, n’a pas mis fin à sa chair, mais l’a transfor­ mée, et sa substance corporelle n’a pas été consom­ mée par l’accroissement de sa puissance. Les proprié­ tés ont changé, la nature n’a pas passé. Ce corps est devenu impassible, qui avait été crucifié ; il est devenu immortel, lui qui avait pu être mis à mort ; il est 3. 4. 5. 6. Cf. Jean XX, 19. Cf. Luc XXIV, 27. Cf. Jean XX, 27. II Cor. V, 16. 126 DE RESURRECTIONE SERMO I factum est incorruptibile, quod potuit vulnerari. Et merito dicitur caro Christi in co statu quo fuerat nota, nesciri, quia nihil in ea passibile, nihil remansit infir­ mum, ut et ipsa sit per essentiam, et non sit ipsa per gloriam. Quid autem mirum, si hoc dc corpore Christi profitetur, qui de omnibus Christianis spiritalibus di­ cit : Itaque nos ex hoc neminem novimus secundum car­ nem 1 ? Ex hoc, inquit, initium nobis factum est resur­ rectionis in Christo, ex quo in eo qui pro omnibus mortuus est, totius spei nostrae forma praecessit. Non haesitamus diffidentia, nec incerta exspectatione sus­ pendimur, sed accepto promissionis exordio, fidei ocu­ lis quae sunt futura, jam cernimus ; et naturae pro­ vectione gaudentes, quod credimus jam tenemus. 5. Non ergo nos rerum temporalium occupent spe­ cies, nec ad se contemplationem nostram a caelestibus terrena deflectant. Pro transactis habeantur quae ex maxima parte jam non sunt ; ct mens intenta mansu­ ris, ibi desiderium suum figat, ubi quod offertur aeter­ num est. Quamvis enim spe salvi facti simus -, ct cor­ ruptibilem adhuc carnem mortalemque gestemus, recte tamen dicimur in carne non esse, si carnales no­ bis non dominentur affectus ; et merito ejus rei depo­ nimus nuncupationem, cujus non sequimur volunta­ tem. Cum itaque Apostolus dicat : Carnis curam ne feceritis in desideriis 123, non ea nobis interdicta intelligimus quae saluti congruunt et quae humana poscit infirmitas. Sed quia non omnibus desideriis servien­ dum, nec quidquid caro concupiscit implendum est, de adhibendo temperantiae modo admonitos nos esse cognoscimus, ut carni, quae sub animi est constituta 1. II Cor. V, 16. 2. Cf. Hom. VIII, 24. 3. Ibid. XIII, 14. SERMON I SUR LA RÉSURRECTION 126 devenu incorruptible, lui qui avait pu être meurtri. Aussi l’Apôtre dit-il avec raison qu’il ignore la chair du Christ dans l’état où elle était connue, car il n’est plus rien resté en elle de passible, plus rien d’infirme ; tout en étant elle-même en son essence, clic n’est plus elle-même en sa gloire. Est-il d’ailleurs surprenant que l’Apôtre s’exprime ainsi à propos du corps du Christ, puisque, parlant, des chrétiens qui vivent selon l’esprit, il dit : « Aussi ne connaissons-nous plus dé­ sormais personne selon la chair 1 » ? Oui, peut-il dire, notre résurrection a commencé dans le Christ du fait que, en Celui qui est mort pour tous, la forme même de toute notre espérance nous a précédés. Nous n’hési­ tons pas sous l’effet du doute, nous ne flottons pas dans une attente incertaine, mais, le début de ce qui nous a été promis nous ayant été donné, nous aper­ cevons déjà des yeux de la foi ce qui viendra plus tard ; remplis de' la joie que suscite l'élévation de notre nature, nous tenons déjà ce que nous croyons. 5. Ne nous laissons donc pas envahir par les choses temporelles qui ne sont qu’apparence, et que les biens de la terre ne détournent pas de ceux du ciel vers eux, notre contemplation. Tenons pour dépassé ce qui n’est déjà presque plus rien, ct que l’esprit, attaché à ce qui doit demeurer, fixe son désir là où ce qu’on lui offre est éternel. Bien qu’en effet, nous ne soyons sauvés qu’en espérance 2 et que nous portions encore une chair corruptible et mortelle, on peut dire pour­ tant avec raison que nous ne sommes pas dans la chair si les passions charnelles ne dominent pas sur nous ; et c’est à bon droit que nous ne portons plus le nom de ce dont nous ne suivons pas les désirs. Aussi, lorsque l’Apôtre dit : « Ne vous souciez pas de la chair pour en satisfaire les convoitises 3 », nous n’en­ tendons pas qu’il nous interdise l’usage des choses qui conviennent au salut ct que nécessite la faiblesse hu­ maine. Mais, comme il ne faut pas se plier à toutes les convoitises ni satisfaire à tout ce que désire la chair, nous comprenons qu’il nous avertit d’adopter une cer­ taine mesure de tempérance : à ce corps, qui doit être gouverné par l'âme, n’accordons pas de superflu, ne 127 DE RESURRECTIONE SERMO I judicio, nec superflua concedamus, nec necessaria de­ negemus. Unde idem Apostolus alibi ait : Nemo enim umquam carnem suam odio habuit, sed nutrit et fovet eam 1 : cum utique non ad vitia, non ad luxuriam, sed ad debitum sit alenda et fovenda famulatum : ut teneat ordinem suum renovata natura, nec perverse ac turpiter superioribus inferiora praevaleant, aut inferioribus superiora succumbant, et vitiis animum su­ perantibus, ibi fiat servitus ubi debet esse dominatus. 6. Agnoscat igitur populus Dei novam se esse in Christo creaturam 1 2, et a quo suscepta sit quemve susceperit vigilanter intelligat. Quae nova facta sunt, non redeant ad instabilem vetustatem ; et non omittat opus suum, qui manum misit ad aratrum 3 ; sed ad hoc attendat quod serit, non ad id respiciat quod reliquit 4. Nemo in id recidat unde surrexit, sed etiamsi pro infirmitate corporea in aliquibus adhuc languori­ bus jacet, sanari instanter desideret ac levari. Haec est enim salutis via, et caeptae in Christo resurrectio­ nis imitatio : ut quia in lubrico istius vitae diversi casus lapsusque non desunt, vestigia gradientium a fluidis ad solida transferantur : quoniam, sicut scriptum est, a Domino gressus hominis diriguntur, et viam ejus volet. Cum ceciderit justus, non collidetur, quia Dominus sup­ ponet manum suam 5. Haec meditatio, dilectissimi, non pro sola solcmnitate paschali, sed pro totius vitae sanctificatione reti­ nenda est, et ad hoc praesens exercitatio debet intendi, ut quae animum fidelium experimento brevis obser1. Eph. V. 29. 2. Cf. II Cor. V, 17 : « Si qua ergo in Christo» nova creatura. » 3. (X Luc IX» 62 : 4 .Cf.PhÜ. III, 13 : « Quae quidem retro sunt obliviscens, ad ea vero quae sunt priora extendens mcipsum. · j j I I I | ‘ SERMON I SUR LA RÉSURRECTION 127 refusons pas le nécessaire. Aussi le même Apôtre dit-il ailleurs : « Nul n’a jamais haï sa propre chair ; on la nourrit au contraire et on en prend bien soin *. » Il faut, en effet, la nourrir et en prendre soin non pour favoriser les vices ni la luxure, mais pour le service qu’elle doit fournir : ainsi notre nature rénovée se tiendra dans l’ordre, ses parties inferieures ne prévau­ dront pas criminellement et honteusement sur les su­ périeures, ni les supérieures ne se laisseront vaincre par les inférieures, tellement que, les vices triomphant de l’âme, on ne trouverait plus qu’esclavage là où devait régner l’autorité. 6. Que le peuple de Dieu reconnaisse donc qu’il est devenu une nouvelle créature 2 dans le Christ et qu’il soit attentif à comprendre qui l’a adopté et quel est celui qu’il a lui-même adopté. Que ce qui a été renou­ velé ne retourne pas à l’inconstance de son état ancien et que celui-là ne renonce pas à son labeur, qui a mis la main à la charrue 3 ; mais qu’il regarde à ce qu’il sème, et ne se retourne pas vers ce qu’il a aban­ donné 4. Que nul ne retombe dans les vices dont il s’est relevé, et, même si, par suite de la faiblesse de sa chair, il gît encore en proie à quelques maladies, qu’il désire instamment être guéri et rétabli. Telle est la voie du salut, telle est la manière d’imiter la résurrection commencée dans le Christ ; puisqu’on ne manque pas de tomber ou de broncher sur le chemin glissant de cette vie, que nos pas quittent donc les sols mouvants pour la terre ferme, car, selon qu’il est écrit, « le Seigneur mène les pas de l’homme, ils sont fermes et sa marche lui plaît. Quand le juste tombe, il ne reste pas terrassé, car le Seigneur lui soutient la main 5 6». Cette méditation, bien-aimés, ne convient pas seu­ lement à la fête pascale, mais nous devons encore la retenir pour sanctifier toute notre vie. Les exercices actuels doivent tendre à transformer en habitude les pratiques dont la courte expérience a fait la joie des âmes fidèles, à en conserver la pureté, et à détruire 5. Ps. XXXVI. 23. J.ton le Grand. III. 16 128 DE RESURRECTIONE SERMO II vantiae delectarunt, in consuetudinem transeant, in- 1 temerata permaneant, ac si aliquid delicti irrepserit, j celeri paenitudine deleatur. Et quia antiquorum mor-1 borum difficilis et tarda curatio est, tanto velocius ' i adhibeantur remedia, quanto recentiora sunt vulnera : I ut semper ab omnibus offensionibus in integrum re- ■ surgentes, ad illam incorruptibilem glorificandae car- l nis resurrectionem pervenire mereamur in Christo ’ Jcsu Domino nostro, qui vivit et regnat cum Patre et Spiritu sancto in saecula saeculorum. Anien. I (LXXII) DE RESURRECTIONE DOMINI SERMO II I 1. Totum quidem, dilectissimi, paschale sacramen-1 j tum 1 evangelica nobis narratio praesentavit, et ita per aurem carnis penetratus est mentis auditus, ut j 1. Ce rappel do S. Léon montre quo Je récit de la Passion et de Ja résur· 1 rection, totum paschale sacramentum, avait été lu au cours de Ia Vigilo pus- S | cale ; la phrase suivante qui détaille les faits évoqués par cotte lecture, I trahison, jugement, mise en croix, résurrection, ne permet aucun doute à j j cc sujet. C’est la conclusion qu'adopte BaVMSTark dans Liturgie comparée, 1 Chevetogne 1953, p. 100-191 ct n. 1. Les Ballerini relèvent un passage do l’homélie 87 do S. Jean Chrysostom* sur S. Matthieu, 1, d’oh il ressort η qu’il en était de même h Antioche (P. L, LFV, 385-386, 4 ; P. G, LVIÏ, 770). Faudra it-il d'ailleurs conclure des paroles de S. Léon que le récit de la Passion était habituellement lu à Rome de son temps à la vigile pascale ? Il ne le semble pas. On sait, en effet, que le choix dos oraisons ct des lectures J | de l'Onice, loin d’être alors fixé rigoureusement, était encore laissé souvent I y ù l’initiative de l’évêque. M. A. Chavasse écrit : · Adopté à Rome avant la fln du quatrième siècle, le Carême s’y organisa peu ù peu. On fixa d’abord les lectures des synaxes fériales, travail qui est achevé dès la première mot· | tié du sixième siècle ; les oraisons de la messe demeurèrent plus longtemps Λ livrées à l’improvisation > (Les messes quadragéslmalee du Sacramtnlaire J Gélasien. dans Ephem. liturg. 1949, p. 257). De ces dernières, S. AugustinJ SERMON II SUR LA RÉSURRECTION 128 par une prompte pénitence tout péché qui pourrait nous surprendre. La guérison de maladies anciennes est difficile et longue : qu’on applique donc les remèdes d’autant plus vite que les blessures sont plus récentes, afin que, nous relevant toujours totalement de toutes nos chutes, nous méritions de parvenir dans le Christ Jésus notre Seigneur à cette incorruptible résurrec­ tion de la chair appelée à la glorification ; en lui qui vit et règne avec le Père et le Saint-Esprit dans les siècles des siècles. Amen. 59 (LXXII) DEUXIÈME SERMON SUR LA RÉSURRECTION DU SEIGNEUR Sommaire. — 1. La Croix du Christ mystère de salut ct exemple. — 2. Merveilles de la bonté de Dieu dans son œuvre rédemptrice. — 3. Le Christ glorifié continue à nous assister dans nos com­ bats. — 4. S’armer pour cette lutte de la croix du Christ. — 5. Prendre la croix, c’est lutter contre les vices et contre l'erreur. — 6. La Pâque nouvelle est un passage où notre nature est glori­ fiée en Jésus. — 7. Garder la vraie foi en l’incarnation du Verbe. 1. Le récit évangélique, bien-aimés, vient de nous présenter tout le mystère pascal \ et notre intelli­ gence a si bien entendu les mots parvenus jusqu’à elle par les oreilles de notre corps qu’il n’est personne quelque décades avant S. Léon, plaignait qu’elles fussent trop souvent * incorrectes, soit dans ta forme, soit lions Je fond : · Multorum preces emen­ dantur quotidie si doctioribus fuerint recitatae ct multa in eis reperiuntur contra catholicam fidem ■ (De Baptismo contra Donastistas, V], 47 ; P. L. XLIII» 213 ; de même, Dc calcchizandis rudibus, IX, 13 ; P. L. XL» 320). En tenant compte de cc contexte d'élaboration liturgique encore inachevée, on peut donc raisonnablement supposer que, dans le cas qui nous occupe, S. Léon avait fait lire a lOOlee de Ja veillée pascale, cette année-tà, le récit de la Passion. lai 129 χ- DE RESURRECTIONE SERMO II nemini nostrum rerum gestarum imago defuerit ; cum ,! divinitus inspiratae textus historiae evidenter osten- I derit qua Dominus Jesus Christus impietate traditus, 1 quo judicio addictus, qua saevitia crucifixus, ct qua i ( sit gloria suscitatus. Sed adjiciendum est etiam nostri sermonis officium, ut sicut pia exspectatione repos- j cere vos consuetudinis debitum sentio, ita solemnitati sacratissimae lectionis 1 subjungatur exhortatio sacer­ dotis. Quia igitur apud fideles aures ignorantiae locus I non est, semen verbi, quod est in praedicatione Evan- | gelii, debet in terra vestri cordis augeri, ut remotis | suffocationibus spinarum ac tribulorum, libera in fruc- | tus suos exeant plantaria piorum sensuum, et recta- 1 rum germina voluntatum 1 2. B Crux enim Christi, quae salvandis est impensa mor- I talibus, ct sacramentum est et exemplum : sacramen-Ί tum, quo virtus impletur divina ; exemplum, quo de- l votio incitatur humana : quoniam captivitatis jugo erutis, etiam hoc praestat redemptio, ut eam sequi V possit imitatio. Nam si mundana sapientia ita in suis gloriatur erroribus, ut quem sibi quisque duceni ele- I gerit, ejus opiniones ct mores atque omnia instituta j sectetur, quae nobis erit communio nominis Christi, j nisi ut ei inseparabiliter uniamur, qui est, ut ipse insi­ nuavit, Via, et Veritas, ct Vita 3 2 Via scilicet conver­ sationis sanctae, Veritas doctrinae divinae, et Vita W beatitudinis sempiternae. 2. Collapsa enim in parentibus primis humani ge­ neris plenitudine, ita misericors Deus creaturae ad 1. Noter l’expression $1 riche de signification sacrée · solemnity sacra- J tissimae tectionis ·. La lecture du Livre Saint faite au cours de la solen- Et nité liturgique est un rite en soi parce que le texte en est divinement I inspiré, comme S. Léon vient de le dire, et que la foi des auditeurs, en 1’cntcndanti le fait revivre et suscite une présence du mystère. 2. Cette phrase s’inspire tout entière de la parabole du semeur. Mat th· 1 SERMON II SUR LA RÉSURRECTION 129 parmi nous qui n’ait eu devant soi une image des événements passés : le texte de l’histoire divinement inspirée nous a clairement fait voir par quelle im­ piété a été trahi le Seigneur Jésus-Christ, par quel jugement il a été condamné, par quelle cruauté crucilié et dans quelle gloire il est ressuscité. Mais nous avons le devoir de joindre aussi à cela le ministère de notre parole, car si, de votre côté, vous réclamez avec une sainte impatience, je le sais, ce qui vous est dû scion la coutume, de l’autre, l’instruction du Pontife doit être liée à la lecture solennelle de la sainte Écriture h Aussi, puisqu’il n’y a pas place pour l’ignorance en ceux qui écoutent d’une oreille fidèle, la semence de la parole, qui est la prédication de l'Évangile, doit grandir dans le sol de vos cœurs; que soient donc arrachées les épines et les ronces qui risque­ raient de 1’étoufïer, et que les jeunes plants des bons sentiments et les jeunes pousses des bons désirs donnent librement leurs fruits 2. En effet, la croix par laquelle le Christ s’est sacrifié pour le salut des hommes est à la fois signe sacré et exemple : signe sacré par lequel s’accomplit la puis­ sance divine ; exemple qui excite la dévotion humaine, car, à ceux qu’elle a arrachés au joug de l’esclavage, la rédemption apporte encore ce bienfait de pouvoir être imitée. Si la sagesse du monde, en effet, se glorifie au sein de ses erreurs de ce que chacun puisse suivre les opinions, les mœurs et toutes les règles de celui qu’il a choisi pour chef, qu’aurons-nous de commun avec le nom du Christ si nous ne sommes pas unis inséparablement à lui, qui est, selon sa propre parole, la Voie, la Vérité et la Vie 3 ? A savoir la voie d’un saint comportement, la vérité d’une doctrine divine, et la vie d’une béatitude éternelle. 2. L’ensemble du genre humain, en effet, était tombé dans la personne de nos premiers parents ; XIII, 4, 23 et s., que Je Seigneur conclut ainsi (49) : « Qui habet aures audiendi. audiat. » Ce sont ces oreilles fidèles que S. Léon suppose chez ses auditeurs ; il ne leur reste donc qu’ù se disposer par leur labeur intelligent à recueillir les fruits promis à ceux qui savent écouter. 3. Cf. Jean XIV. G. 130 DE RESURRECTIONE SERMO Π imaginem suam factae per unigenitum suum Jesum Christum voluit subvenire, ut nec extra naturam esset naturae reparatio, et ultra propriae originis dignita­ tem proficeret secunda conditio. Felix si ab eo non decideret quod Deus fecit, sed felicior si in eo maneat quod refecit. Multum fuit a Christo recepisse formam, sed plus est in Christo habere substantiam *. Suscepit enim nos in suam proprietatem illa natura quae se in quas voluerit mensuras benignitatis inflectit, nec us­ quam conversionem mutabilitatis incurrit. Suscepit nos illa natura quae nec nostris sua, nec suis nostra consumeret : quae ita unam in se fecit Deitatis humanitatisque personam 1 2, ut sub dispensatione infirmitatum atque virtutum nec caro per Divinitatem invio­ labilis, nec Divinitas per carnem posset esse passibilis. Suscepit nos illa natura quae et propaginem nostri generis a communi tramite non abrumperet, et conta­ gium peccati in omnes homines transeuntis exclude­ ret. Infirmitas sane atque mortalitas, quae non pecca­ tum erant, sed poena peccati, a Redemptore mundi recepta sunt ad supplicium, ut impenderentur ad pre­ tium. Quod ergo in omnibus hominibus transfusio erat damnationis, hoc in Christo sacramentum est pietatis. Praebuit enim se crudelissimo exactori liber a debito, et ministras diaboli Judaicas manus in cruciatum im­ maculatae carnis admisit. Quam ideo usque ad resur­ rectionem voluit esse mortalem, ut credentibus in eum nec persecutio insuperabilis, nec mors posset esse ter­ ribilis : cum ita dubitandum non esset de consortio 1. Dan* le Christ créateur, la créature raisonnable a reçu la nature humaine; dans le Christ rédempteur, elle est unie ù lui par la participa­ tion de cette même nature qu’il assume, ct, par 1’effet de cette union, elle reçoit la nature divine. 2. La personne divine du Verbe est devenue, par l'incarnation, personne d’un homme-Dieu : S. Léon peut donc dire que, tout en demeurant « en I I : ■ 'i ■ '< < I SERMON II SUR LA RÉSURRECTION 130 mais Dieu, qui est miséricordieux, voulut secourir par son Fils unique Jésus-Christ la créature faite à son image, de telle manière que la restauration de la na­ ture ne se fît pas hors de la nature et qu’en même temps sa condition nouvelle dépassât la dignité de sa propre origine. Heureuse eût-elle été si elle n’avait déchu de l’état dans lequel Dieu l’avait créée, mais plus heureuse est-elle si elle demeure en celui dans lequel il l’a recréée. C’était déjà beaucoup d’avoir reçu du Christ sa condition, mais c’est plus encore d’avoir dans le Christ sa substance L Car elle nous a assumés en nous admettant à partager ce qui lui est propre, cette nature qui se laisse infléchir à tous les degrés de bonté qui lui plaisent sans jamais encourir le changement et l’inconstance. Elle nous a assumes, cette nature, sans détruire ses attributs au contact des nôtres ni les nôtres au contact des siens, et elle a fait en elle une Personne unique qui est de la Divi­ nité et de l’humanité 2, de telle manière que, dans cette économie de faiblesse et de force, ni la chair ne pût être inviolable du fait de son union à la Divinité, ni la Divinité passible du fait de son union à la chair. Elle nous a assumés, cette nature, sans séparer de la souche commune le rejeton de notre race et tout en excluant de lui la contagion du péché qui passe en tous les hommes. La faiblesse, oui, et la mortalité, qui n’étaient pas le péché, mais seulement la peine du péché, le Rédempteur du monde les a prises pour son supplice, afin de payer par elles notre rançon. Ce qui, chez tous les hommes, était l’héritage d’une condam­ nation est donc, dans le Christ, un moyen sacré aux mains de sa bonté. Libre de toute dette, il s’est, en effet, livré au plus cruel des créanciers et a permis aux mains des Juifs, mises au service du diable, de torturer sa chair innocente. Il a voulu que celle-ci fût mortelle jusqu’à sa résurrection, afin que, pour ceux qui croiraient en lui, ni la persécution ne puisse pa­ raître intolérable, ni la mort redoutable : car, comme elle », c’est-à-dire dans Γessence divine, elle a été « faite » personne unique de cet hontnxc-Dlcu. 131 DE RESURRECTIONE SERMO II gloriae, sicut dubitandum non erat de communione naturae 3. Si incunctanter itaque, dilectissimi, credimus corde quod ore profitemur, nos in Christo crucifixi, nos sumus mortui, nos sepulti, nos etiam in ipso die tertio suscitati. Unde Apostolus dicit : Si consurrexis­ tis cum Christo, quae sursum sunt quaerite, ubi Christus est in dextera Dei sedens ; quae sursum sunt sapite, non quae super terram. Mortui enim estis, et vita vestra abs­ condita est cum Christo in Deo. Cum enim Christus ap­ paruerit vita vestra, tunc et vos apparebitis cum ipso in gloria 12. Ut autem noverint corda fidelium habere se, unde ad supernam sapientiam spretis mundi cupidi­ tatibus valeant elevari, spondet nobis Dominus prae­ sentiam suam, dicens : Ecce ego vobiscum sum omnibus diebus usque ad consummationem saeculi 3. Non enim frustra per Isaiam dixerat Spiritus sanctus : Ecce virgo in utero accipiet et pariet filium ; et vocabunt nomen ejus Emmanuel, quod est interpretatum nobiscum Deus *. Implet ergo Jésus proprietatem nominis sui, et qui ascendit in caelos, non deserit adoptatos ; qui sedet ad dexteram Patris, idem totius habitator est corpo­ ris ; et ipse deorsum confortat ad patientiam, qui sur­ sum invitat ad gloriam. 4. Nec inter vana igitur nobis desipiendum est, nec inter adversa trepidandum. Ibi quidem blandiuntur deceptiones, et hic graves sunt labores. Sed quia mi­ sericordia Domini plena est terra s, adest nobis Christi ubique victoria, ut impleatur quod ait : Nolite timere, quia ego vici mundum e. Sive ergo contra ambitionem 1. Ce paragraphe entier est un commentaire théologlqne de l'· Exsul­ tet · que l’Église citante en la vigile de Pâques pour la bénédiction du cierge pascal : ■ Nihil enim nobis nasci profuit nisi redimi profuisset... », etc. 2. Colos. HI, 1-ί. 3. Mattii. XXVIΠ, 20. SERMON II SUR LA RÉSURRECTION 131 ils ne devraient pas douter qu’ils communiaient à sa nature, ils ne devraient pas non plus douter qu’ils partageraient sa gloire 3. C’est pourquoi, bien-aimés, si nos cœurs croient sans hésitation ce que confesse notre bouche, c’est nous qui dans le Christ avons été crucifiés, nous qui sommes morts, nous qui avons été ensevelis, nous qui sommes également ressuscités le troisième jour. Aussi ΓApôtre dit-il : « Du moment que vous êtes ressusci­ tés avec le Christ, recherchez les choses d’en haut, là où se trouve le Christ, assis à la droite de Dieu ; son­ gez aux choses d’en-haut, non à celles de la terre. Car vous êtes morts, et votre vie est désormais cachée avec le Christ en Dieu : quand le Christ sera manifesté, lui qui est votre vie, alors vous aussi vous serez mani­ festés avec lui pleins de gloire 2. » Mais pour que les fidèles sachent que leurs cœurs ont en eux ce qui leur donnera la force de s’élever à la sagesse d’en haut en méprisant les convoitises du monde, le Seigneur nous promet sa présence en ces termes : « Voici que je suis avec vous pour toujours jusqu’à la fin du monde 3. » Ce n’est pas en vain, en effet, que l’Esprit-Saint avait dit par la bouche d’Isaïe : « Voici que la vierge conce­ vra et enfantera un fils auquel on donnera le nom d’Emmanuel, nom qui se traduit Dieu avec nous 4. » Jésus réalise donc le sens de son nom, et, s’il monte aux cieux, il n’abandonne pas ceux qu’il a adoptés ; lui qui siège à la droite du Père, il continue à habiter lui-même tout son corps ; et ici-bas il donne la force de souffrir, tandis que là-haut il invite à la gloire. 4. Ne nous laissons donc pas aller à la démence parmi les choses vaines ni à la frayeur parmi celles qui sont contraires. Oui, là les illusions nous flattent, et ici les travaux nous pèsent. Mais « de la miséricorde du Seigneur la terre est pleine 6»; aussi la victoire du Christ nous est partout secourablc, afin que s’ac­ complisse ce qu’il a dit : « Ne craignez pas, j’ai vaincu le monde 6. » Que nous combattions donc soit contre 4. r». vu, μ. 5. Ps. ΧΧΧΠ, 5. 6. Jean XVI, 33. 132 DE RESURRECTIONE SERMO II saeculi, sive contra concupiscentias carnis, sive con­ tra haereticorum jacula dimicemus, Dominica cruce semper armemur. Nec enim umquam a paschali festo recedimus, si a fermento malitiae veteris veritatis sin­ ceritate abstinemus \ Inter omnes namque vitae hu­ jus varietates, quae diversarum plenae sunt passio­ num, apostolicae exhortationis meminisse debemus, qua nos instruit, dicens : Hoc sentite in uobis, quod ct in Christo Jesu : qui cum in forma Dei esset, non rapi­ nam arbitratus est esse se aequalem Deo, sed semet ipsum exinanivit, formam serui accipiens, in similitudinem hominum factus, et habitu inventus ut homo. Humilia­ vit semetipsum factus oboediens usque ad mortem, mor­ tem autem crucis. Propter quod et Deus exaltavit illum ct donavit illi nomen quod est super omne nomen, ut in nomine Jesu omne genu flectatur, caelestium, terrestrium et infernorum ; et omnis lingua confiteatur, quia Domi­ nus Jesus Christus in gloria est Dei Patris 2. Si magnae, inquit, pietatis sacramentum intelligitis, et quod pro salute humani generis unigenitus Dei Filius gessit ad­ vertitis, hoc sentite in vobis quod et in Christo Jesu, cujus humilitas nulli aspernenda divitum, nulli est erubescenda nobilium. Nec enim in tantum provehi potest quaelibet felicitas humana fastigium, ut aesti­ met sibi pudendum quod manens Deus in forma Dei formam servi suscipere non est arbitratus indignum. 5. Imitamini quod operatus est ; diligite quod dilexit, et invenientes in vobis Dei gratiam, vestram in illo redamate naturam. Quoniam sicut ille paupertate divitias non amisit, gloriam humilitate non minuit, aeternitatem morte non perdidit, ita et vos eisdem gradibus eisdemque vestigiis, ut caelestia apprehen­ datis, terrena despicite. Susceptio enim crucis est inI. Cf. I Cor. v, s. SERMON II SUR LA RÉSURRECTION I i 132 l’ambition du siècle, soit contre les désirs de la chair, soit contre les traits des hérétiques, armons-nous tou­ jours delà croix du Seigneur. Nous ne nous éloignons, en effet, jamais de la fête pascale si nous nous abstenons du vieux levain de malice 1 par la sincérité et la vé­ rité. Car parmi toutes les vicissitudes de la vie pré­ sente, remplie d’épreuves diverses, il nous faut nous souvenir de l’exhortation del’Apôtre qui nous instruit en ces termes : « Ayez en vous les memes sentiments qui furent dans le Christ Jésus : lui, de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l’éga­ lait à Dieu. Mais il s’anéantit lui-même, prenant con­ dition d’esclave, et devenant semblable aux hommes. S’étant comporté comme un homme, il s’humilia plus encore, obéissant jusqu’à la mort, et à la mort sur une croix ! Aussi Dieu l’a-t-il exalté et lui a-t-il donné le Nom qui est au-dessus de tout nom, pour que tout, au nom de Jésus, s’agenouille, au plus haut des cieux, sur la terre et dans les enfers, et que toute langue proclame de Jésus-Christ qu’il est Seigneur, à la gloire de Dieu son Père 2. » Si, veut dire ΓApôtre, vous com­ prenez le mystère d’un si grand amour, et prenez garde à ce qu’a fait le Fils unique de Dieu pour le salut du genre humain, ayez en vous les mêmes sen­ timents qui furent dans le Christ Jésus, dont nul riche ne doit mépriser l’humilité, ni aucun noble en rougir. A quelque sommet, en effet, que s’élève le bonheur humain, on ne doit jamais trouver honteux que Dieu, demeurant dans la condition de Dieu, n’ait pas jugé indigne de lui de prendre la condition de l’esclave. 5. Imitez ce qu’il a fait ; aimez ce qu’il a aimé et, trouvant en vous la grâce de Dieu, aimez en retour votre nature en lui. Sa pauvreté ne lui a pas fait perdre ses richesses, son humilité n’a pas réduit sa gloire, sa mort n’a pas anéanti son éternité ; de même vous aussi, marchant sur ses traces ct mettant vos pas dans les siens, méprisez les biens de la terre pour sai­ sir ceux du ciel. Prendre la croix, c’est, en effet, exter­ miner la convoitise, faire mourir les vices, fuir la 2. Philip. Il, 5-11. 133 DE RESURRECTIONE SERMO Π terfectio cupiditatum, occisio vitiorum, declinatio va­ nitatis, ct abdicatio omnis erroris. Nam cum Pascha Domini non impudicus, non luxuriosus, non superbus celebret, non avarus, nulli tamen ab hac festivitate longius quam haeretici separantur, maximeque illi qui de Verbi incarnatione male sentiunt, aut minuendo quod est Deitatis, aut evacuando quod est carnis. Ve- . rus enim Deus est Filius Dei, totum habens ex Patre quod Paler est, nullo exordio temporalis, nulla varie­ tate mutabilis ; nec ab uno divisus, nec ab omnipo­ tente diversus, sempiterni genitoris unigenitus sempi­ ternus : ut mens fidelis credens in Patrem, et Filium, ct Spiritum sanctum, in eadem unius Deitatis essen­ tia nec unitatem gradibus dividat, nec Trinitatem sin­ gularitate confundat l. Non autem sufficit Dei Filium in sola Patris nosse natura, nisi eum non recedentem a propriis, agnoscamus in nostris. Exinanitio enim illa quam reparationi impendit humanae, dispensatio fuit miserationis, non privatio potestatis. Nam cum et ex aeterno consilio Dei non esset aliud nomen sub caelo datum hominibus, in quo oporteat salvos fieri 2; invisibilis visibilem, intemporalis temporalem, impas­ sibilis passibilem substantiam suam fecit : non ut vir­ tus deficeret in infirmitate, sed ut infirmitas in incortuptibilem posset transire virtutem. 6. Propter quod ipsa festivitas quae a nobis Pas­ cha nominatur apud Hebraeos Phase, id est transitus, dicitur, attestante evangelista atque dicente : Ante diem festum Paschae sciens Jésus quia venit hora ejus, ut transeat ex hoc mundo ad Patrem 3. Cujus autem Î. Arius, en voyant dans le Fils un être divin inférieur au Père, mettait en Dieu des degrés qui divisaient l’imité ; Sabcllîus, en voyant dans le Fils ct l’Esprit-Saint des « modes », des façons d’être d’une personne unique, y mettait une singularité do I^ersonno qui confondait les Trois de la Trinité. Ce passage de S. Léon pourrait avoir constitue une brève instruction ù SERMON II SUR LA RÉSURRECTION 133 vanité, et renoncer à toute erreur. Car s’il est vrai que l’impudique, que le débauche, que l’orgueilleux, que l’avare, ne célèbrent pas la Pâque du Seigneur, nul cependant n’est plus en dehors et plus éloigné de cette fête que l’hérétique, et surtout celui qui se trompe au sujet de l’incarnation du Verbe, soit qu’il diminue en Jésus ce qui est de la Divinité, soit qu’il supprime en lui ce qui est de la chair. Le Fils de Dieu est, en effet, vrai Dieu, tenant du Père et possédant entiè­ rement ce qu’est le Père ; nul commencement ne le fait temporel, nulle vicissitude ne le rend changeant ; ni séparé de l'Un, ni différent du Tout-Puissant, fils unique éternel du Père éternel : l’âme fidèle qui croit au Père, au Fils et au Saint-Esprit ne doit donc, dans l’unique essence d’une seule Divinité, ni mettre des degrés qui divisent l’unité, ni voir une singularité qui confonde la Trinité T Cependant il ne suffît pas de connaître le Fils de Dieu comme existant dans l’unique nature du Père si on ne le reconnaît pas comme étant dans notre condition tout en ne quittant pas la sienne. Cet anéantissement, en effet, qu’il subit pour le relè­ vement de l’homme fut de sa part un geste de miséri­ corde, non une diminution de puissance. Car, par le décret éternel de Dieu, « il n’y a pas sous le ciel d’autre nom donné aux hommes, par lequel il nous faille être sauvés 2 » ; l’invisible rendit donc son essence visible, l’intemporel l’impliqua dans le temps, l’impassible la fit passible, non pour que sa force disparût dans la faiblesse, mais pour que la faiblesse pût être transfor­ mée et revêtir une force incorruptible. 6. C’est pourquoi cette fête que nous appelons Pâques, les Hébreux la nomment Phasé, c’est-à-dire passage, comme en témoigne l’évangéliste, lorsqu’il dit : « Avant la fête de Pâque, Jésus, sachant que son heure était venue de passer de ce monde au Père 8. » l’adresse des catéchumènes qui allaient recevoir le Baptême au cours do la vigile pascale, instruction venant après le commentaire de la liturgie de l’Exsultct du § 2 ct l'exhortation morale et ascétique à tous les (idèles des §§ 3 et 4. 2. Actes IA’, 12. 3. Jean XIII, 1. 134 DE RESURRECTIONE SERMO II naturae futurus erat transitus iste, nisi nostrae, cum inseparabiliter et Pater in Filio, et Filius esset in Patre ? Sed quia Verbum et caro una persona est, non dividitur a suscipiente susceptus, et honor pro­ vehendi provehentis nominatur augmentum, dicente Apostolo, quod jam commemoravimus : Propter quod et Deus exaltavit illum, et donavit illi nomen quod est super omne nomen In quo utique assumpti hominis exaltatio commendatur : ut in cujus passionibus ma­ net Deitas indivisibilis, idem coaeternus sit in gloria Deitatis. Ad hanc participationem ineffabilis muneris, beatum transitum fidelibus suis ipse Dominus prae­ parabat, cum instanti jam proximus passioni, non so­ lum pro apostolis suis atque discipulis, sed etiam pro universa Ecclesia supplicaret et diceret : Non pro his autem rogo tantum, sed pro iis etiam qui credituri sunt per verbum ipsorum in me : ut omnes unum sint, sicut et tu Pater in me, et ego in te, ut et ipsi in nobis unum sint12. 7. Cujus unitatis nullum poterunt habere consor­ tium, qui in Dei Filio Deo vero humanam negant ma­ nere naturam, impugnatores salutiferi sacramenti, et paschalis exsules festi ; quod, quia ab Evangelic dis­ sentiunt et Symbolo contradicunt, nobiscum celebrare non possunt : quia etsi audent sibi Christianum no­ men assumere, ab omni tamen creatura, cui Christus caput est, repelluntur 3, vobis in hac solemnitate me­ rito exsultantibus, pieque gaudentibus, qui nullum re­ cipientes in veritate mendacium, nec de nativitate Christi secundum carnem, nec de passione ac morte, nec de corporali resurrectione ejus ambigitis : quo­ niam sine ulla separatione Deitatis, verum Christum 1. Philip. II, 9. 2. Jean xvir, 20-21. SERMON II SUR LA RÉSURRECTION 134 Mais à laquelle de ses deux natures était réservé ce passage, sinon A la nôtre, puisque le Père était insé­ parablement dans le Fils, et le Fils dans le Père ? Cependant le Verbe avec sa chair n’étant qu’une seule personne, la nature assumée n’est pas séparée de celui qui l'assume, et l’honneur donné à celui qui va être élevé est dit un accroissement pour celui qui l’élève, selon la parole de l’Apôtre déjà rappelée : « Aussi Dieu l’a-t-il exalté ct lui a-t-il donné le Nom qui est au-dessus de tout nom » C’est bien l’exaltation de l’homme assumé par le Verbe qui est ainsi enseignée : comme la divinité reste inséparable de lui dans ses souffrances, ainsi lui-même lui est coétcrnel dans la gloire divine. Le Seigneur préparait lui-même à ses fidèles un bienheureux passage pour les faire partici­ per à ce don ineffable, lorsque, aux approches immé­ diates de sa Passion, il suppliait son Père non seule­ ment pour ses apôtres et ses disciples, mais encore pour toute l’Église, en ces termes : « Je ne prie pas pour eux seulement, mais pour ceux-là aussi qui, grâce à leur parole, croiront en moi. Que tous soient un. Comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi, qu’eux aussi soient un en nous 2. » 7. Ils ne pourront avoir aucune part à cette unité, ceux qui nient que la nature humaine demeure dans le Fils de Dieu qui est vrai Dieu ; par cette négation, ils se font les adversaires du mystère du salut et s’ex­ cluent de la fête pascale ; ils ne peuvent la célébrer avec nous, parce qu’ils s’écartent de l’Évangile et contredisent le Symbole ; même s’ils osent s’attribuer le nom de chrétien, ils n’en sont pas moins rejetés de toute la création dont le Christ est le chef 3. Vous, par contre, vous vous réjouissez à bon droit en cette solennité, et votre joie est sainte, car vous n’acceptez qu’aucun mensonge se mêle à la vérité, et vous n’éprouvez aucune hésitation ni au sujet de la naissance du Christ selon la chair, ni au sujet de sa Passion et de sa mort, ni au sujet de sa résurrection corporelle ; car celui que vous reconnaissez, c’est, sans 3. Il s'uglt de la * nouvelle création · de 11 Cor. V, 17. 135 DE ASCENSIONE SERMO Γ ab utero Virginis, verum in ligno crucis, verum in se­ pulcro carnis, verum in gloria resurrectionis, verum in dextera paternae majestatis agnoscitis. Unde etiam, sicut Apostolus ait, exspectamus Salvatorem Dominum nostrum Jesum Christum, qui reformabit corpus nostrae humilitatis, conforme fieri corpori gloriae suae *, qui vivit et regnat cum Patre et Spiritu sancto in saecula saeculorum. Arnen. 60 (LXXIII) DE ASCENSIONE DOMINI SERMO I * 1. Post beatam et gloriosam resurrectionem Do­ mini nostri Jesu Christi, qua verum Dei templum Judaica impietate resolutum divina in triduo poten­ tia suscitavita, quadragenarius hodie 3, dilectissimi, sanctorum dierum expletus est numerus, sacratissima ordinatione dispositus, ct ad utilitatem nostrae eru­ ditionis impensus : ut dum a Domino in hoc spatium mora praesentiae corporalis extenditur, fides resurrec­ tionis documentis necessariis muniretur. Mors enim Christi multum discipulorum corda tur­ baverat, et de supplicio crucis, de emissione spiritus, de exanimati corporis sepultura gravatis maestitu­ dine mentibus quidam diffidentiae torpor obrepserat. 1. Philip. III, 20-21. 2. Cf. Jean II» 19 : « Solvite templum hoc» et in tribus diebus excitabo illud. » 3. Dom M. B. de Soos (Op. cit., p. 2-1) a mis en lumière toute la valeur de cet < hodie », qui signifie « à la fols mémorial d’un événement passé et renouvellement du don divin découlant de l’événement commémoré · (p. 26), renouvellement qui est lo fruit du mystère liturgique. 9 ”3118 135 SERMON’· I SUR L’ASCENSION le séparer aucunement de sa Divinité, le Christ, véri­ table en sa naissance du sein de la Vierge, véritable sur le bois de la croix, véritable dans le sépulcre où sa chair repose, véritable dans la gloire de sa résur­ rection, véritable à la droite de la majesté paternelle. Aussi, comme le dit ΓApôtre, « nous attendons comme Sauveur le Seigneur Jésus-Christ, qui transfigurera notre corps de misère pour le conformer à son corps de gloire 1 » ; lui qui vit et règne avec le Père et l’Esprit-Saint dans les siècles des siècles. Amen. 60 (LXXITT) PREMIER SERMON SUR L’ASCENSION DU SEIGNEUR Sommaire. — 1. Le doute des apôtres apres la resurrection du Sei­ gneur a servi à affermir notre foi. — 2. Utilité des jours qui précé­ dèrent l’Ascension. — 3. Même sujet. — 4. L’ascension du Sei­ gneur est notre propre élévation. 1. Aujourd’hui 3, bien-aimés, se clôt la sainte qua­ rantaine des jours qui ont suivi la bienheureuse et glorieuse résurrection de notre Seigneur Jésus-Christ, lorsqu’il releva en trois jours par la puissance divine le vrai temple de Dieu que l’impiété des Juifs avait détruit2 ; quarante jours ordonnés par une économie sacrée et employés utilement à notre instruction : car, en prolongeant sa présence corporelle durant cet es­ pace de temps, le Seigneur renforce des preuves né­ cessaires la foi en sa résurrection. La mort du Christ, en effet, avait profondément troublé le cœur des disciples, et, tandis que leurs es­ prits étaient appesantis de tristesse par le supplice de la croix, le dernier soupir rendu, la mise au tombeau du corps inanimé, je ne sais quelle torpeur née d’un Lion le Grand. 111. 17 136 DE ASCENSIONE SERMO I Nam cum sanctae mulieres, sicut evangelica patefecit historia x, revolutum a monumento lapidem, sepul­ crum corpore vacuum, et viventis Domini testes an­ gelos nuntiarent, verba caruni apostolis aliisque disci­ pulis deliramentis similia videbantur 12. Quam utique haesitationem humana infirmitate nutantem, nequa­ quam permisisset Spiritus veritatis praedicatorum suo­ rum inesse pectoribus, nisi illa trepida sollicitudo et curiosa cunctatio nostrae fidei fundamenta jecisset. Nostris igitur perturbationibus, nostrisque periculis in apostolis consulebatur : nos in illis viris contra calum­ nias impiorum, et contra terrenae argumenta sapien­ tiae docebamur. Nos illorum instruxit aspectus, nos erudivit auditus, nos confirmavit attactus 3. Gratias agamus divinae dispensationi et sanctorum Patrum necessariae tarditati. Dubitatum est ab illis, ne dubi­ taretur a nobis 4. 2. Non ergo ii dies, dilectissimi, qui inter resurrec­ tionem Domini ascensionemquefluxerunt, otioso trans­ iere decursu ; sed magna in his confirmata sacramenta, magna sunt revelata mysteria. In his metus dirae mortis aufertur, et non solum animae, sed etiam carnis immortalitas declaratur. In his per insufflationem Domini infunditur apostolis omnibus Spiritus sanc­ tus 5 ; et beato apostolo. Petro supra cacteros, post regni claves, ovilis Dominici cura mandatur e. In his diebus, duobus discipulis tertius in via Dominus comes 1. C’est la lecture faite avant l'homélie : il s’agit de Luc XXIV. le cha­ pitre étant lu en entier ; la fin de ce paragraphe fera» en effet» allusion au v. 39. ct le récit de l’Ascension clôt le sermon. 2. Cf. Luc XXIV, 11. 3. Cf. Ibid. 39. 4. S. Grégoire le Grand dira de même : < Quod resurrectionem Domi­ nicain discipuli tarde crediderunt, non tam illorum infirmitas quam nostra* ut Ita dicam, futura firmitas fuit. Ipsa namque resurrectio illis dubitari· tibus per multa argumenta monstrata est ; quae dum nos legentes agnos· SERMON I SUR L’ASCENSION 136 manque de foi les avait envahis. La preuve en est que, lorsque les saintes femmes étaient venues annoncer — le récit évangélique l’a rappelé 1 — que la pierre avait été roulée du tombeau, que le sépulcre ne con­ tenait plus le corps et que des anges attestaient que le Seigneur était vivant, leurs paroles avaient paru pur radotage 2 aux apôtres ct aux autres disciples. Jamais Γ Es prit de vérité n'aurait permis qu’une telle hésitation entrât dans le cœur de ses hérauts et les fît chanceler, victimes de la faiblesse humaine, si cette agitation craintive et cette circonspection pleine d’in­ terrogation n’avaient jeté les bases de notre foi. Dans les Apôtres donc, il pourvoyait à nos troubles et à nos périls : en ces hommes, c’est nous qui recevions l’instruction pour pouvoir faire front aux calomnies des impies et aux sophismes de la sagesse terrestre. C’est nous qui avons appris lorsqu’ils regardaient, nous qui avons été instruits lorsqu’ils écoutaient, nous qui avons été fortifiés dans la foi lorsqu’ils touchaient 3. Rendons grâce à la divine économie et à la lenteur nécessaire de nos saints Pères. Ils ont douté afin que nous ne doutions pas *. 2. Ces jours qui s’écoulèrent, bien-aimés, entre la résurrection du Seigneur et son ascension ne se pas­ sèrent donc pas dans l’oisiveté ; mais de grands mys­ tères y ont été confirmés, de grandes vérités révélées. C’est en ces jours-là qu’est abolie la crainte d’une mort redoutée ct qu’est proclamée non seulement l’immor­ talité de l’âme, mais même celle de la chair. C’est en ces jours-là que le Saint-Esprit est infusé à tous les apôtres par l’insuftiation du Seigneur 5 et que, après avoir déjà reçu les clefs du royaume, le bienheureux apôtre Pierre se voit confier, de préférence aux autres, le soin du bercail du Seigneur e. C’est en ces jours-là que le Seigneur s’adjoint en tiers à deux disciples en cimus, quid aliud quamde illorum dubitatione solidamur ? Minus enim mihi Maria Magdelcnu praestitit quae citius credidit, quam Thomas qui diu dubitavit » (Horn. 29 in Evang. 1 ; P. L. LXXVL 1213). 5. Cf. Jean XX, 22. 6. CL Ibid. XXL 15-17. 137 DE ASCENSIONE SERMO I jungitur \ et ad omnem nostrae ambiguitatis caligi­ nem detergendam, paventium ac trepidantium tardi­ tas increpatur. Flammam fidei illuminata corda con­ cipiunt ; et quae erant tepida, reserante Scripturas Domino, efficiuntur ardentia. In fractione quoque pa­ nis convescentium aperiuntur obtutus ; multo felicius horum oculis patefactis, quibus naturae suae manifes­ tata est glorificatio, quam illorum generis nostri principum, quibus praevaricationis suae est ingesta con­ fusio. 3. Inter haec autem aliaque miracula, cum discipuli trepidis cogitationibus aestuarent, et apparuisset in medio eorum Dominus dixissetque, Pax vobis 1 2 : ne hoc remaneret in eorum opinionibus quod volvebatur in cordibus (putabant enim se spiritum videre, non carnem), redarguit cogitationes a veritate discordes, ingerit dubitantium oculis manentia in manibus suis et pedibus crucis signa, et ut diligentius pertractetur invitat : quia ad sananda infidelium cordium vulnera, clavorum et lanceae erant servata vestigia : ut non dubia fide, sed constantissima scientia teneretur, eam naturam in Dei Patris consessuram throno, quae jacue­ rat in sepulcro. 4. Per omne ergo hoc tempus, dilectissimi, quod inter resurrectionem Domini et ascensionem ejus exac­ tum est, hoc providentia Dei curavit, hoc docuit, hoc suorum et oculis insinuavit et cordibus, ut Dominus Jesus Christus vere agnosceretur resuscitatus, qui vere erat natus, et passus, et mortuus. Unde beatissimi apostoli omnesque discipuli, qui et de exitu crucis fue­ rant trepidi, et de fide resurrectionis ambigui, ita sunt veritate perspicua roborati, ut Domino in caelorum 1. Cf. Hic. XXIV, 13-35. 2. Ibid. 36; Jean XX, 26. SERMON I SUR L’ASCENSION 137 chemin 1 et que, pour nous débarrasser entièrement des ténèbres du doute, il reproche à ceux qui s’ef­ fraient et qui tremblent leur lenteur à croire. Les cœurs qu’il illumine sentent s’allumer la flamme de la foi, et ceux qui étaient tièdes deviennent brûlants lorsque le Seigneur ouvre les Écritures. Lors de la fraction du pain, les regards aussi s’éclairent de ceux qui sont assis à table ; leurs yeux s’ouvrent pour voir manifestée la gloire de sa nature, bien plus heureuse­ ment que ceux de ces princes de notre race à qui leur crime apporte la confusion. 3. Cependant, parmi ces merveilles et d’autres en­ core, les esprits des disciples continuaient à s’échauf­ fer en pensées inquiètes ; le Seigneur apparut au mi­ lieu d’eux et leur dit : « La paix soit avec vous 2. » Et pour que ne demeurât pas en eux la pensée qu’ils retournaient en leurs cœurs (ils croyaient, en effet, voir un esprit et non un corps), il leur reprocha leurs pensées contraires à la vérité et mit sous les yeux des hésitants les marques de la croix que gardaient scs mains et ses pieds, les invitant à le toucher attentive­ ment; il avait, en effet, voulu conserver les traces des clous et de la lance pour guérir les blessures des cœurs infidèles. Ainsi, ce ne serait pas d’une foi hésitante, mais d’une connaissance très assurée qu’ils tien­ draient que la nature qui allait siéger sur le trône de Dieu le Père, était celle qui avait reposé dans le tombeau. 4. Pendant tout ce temps, bien-aimés, qui s’écoula entre la résurrection du Seigneur et son ascension, voilà donc à quoi la Providence de Dieu donna scs soins, voilà ce qu’elle enseigna, voilà ce qu’elle mon­ tra aux yeux et aux cœurs des siens : ainsi reconnaî­ trait-on qu’était vraiment ressuscité le Seigneur .JésusChrist qui vraiment était né, et avait souffert et était mort. Aussi les bienheureux Apôtres et tous les dis­ ciples, que sa mort sur la croix avait rendus trem­ blants, et qui avaient hésité à croire à sa résurrection, furent-ils à ce point raffermis par l’évidence de la vé­ rité que, lorsque le Seigneur partit pour les hauteurs des cieux, ils ne furent affectés d’aucune tristesse, 138 DE ASCENSIONE SERMO I eunte sublimia, non solum nulla afficerentur tristitia, sed etiam magno gaudio replerentur A Et revera ma­ gna et ineffabilis erat causa gaudendi, cum in con­ spectu sanctae multitudinis super omnium creatura­ rum caelestium dignitatem humani generis natura conscenderet, supergressura angelicos ordines, et ultra archangelorum altitudines elevanda 2 nec ullis subli­ mitatibus modum suae provectionis habitura, nisi aeterni Patris recepta consessu, illius gloriae sociare­ tur in throno, cujus naturae copulabatur in Filio. Quia igitur Christi ascensio, nostra provectio est, et quo praecessit gloria capitis, eo spes vocatur et corporis, dignis, dilectissimi, exsultemus gaudiis, et pia gratia­ rum actione laetemur. Hodie enim non solum paradisi possessores firmati sumus, sed etiam caelorum in Christo superna penetravimus : ampliora adepti per ineffabilem Christi gratiam quam per diaboli amisera­ mus invidiam. Nam quos virulentus inimicus primi habitaculi felicitate dejecit, eos sibi concorporatos Dei Filius ad dexteram Patris collocavit : cum quo vivit ct regnat in unitate Spiritus sancti Deus per omnia saecula saeculorum. Arnen. 1. Cf. I.uc XXIV, 52. SERMON I SUR L’ASCENSION 138 mais plutôt remplis d’une grande joie x. Et, en vérité, quelle grande et ineffable cause de joie lorsqu’on présence d’une sainte multitude, la nature humaine montait plus haut que les créatures célestes de tout rang, qu’elle s’en allait dépasser les ordres angéliques et s’élever au-delà de la sublimité des archanges 2, ne pouvant trouver à aucun niveau, si haut fût-il, la mesure de son exaltation jusqu’à ce qu’elle fût ad­ mise à prendre place auprès du Père éternel, qui l’as­ sociait sur son trône à sa gloire après l’avoir unie dans son Fils à sa propre nature. L’ascension du Christ est donc notre propre élévation et, là où a précédé la gloire de la tête, là aussi est appelée l’espérance du corps: laissons donc éclater notre joie comme il sied, bien-aimes, ct réjouissons-nous dans une pieuse action de grâces. Aujourd’hui, en effet, non seulement nous sommes confirmes dans la possession du paradis, mais même nous avons pénétré avec le Christ dans les hau­ teurs des cieux ; nous avons reçu davantage par la grâce ineffable du Christ que nous n’avions perdu par la haine du diable. Car ceux que cet ennemi venimeux avait chassés du premier séjour de bonheur, le Fils de Dieu se les est incorporés pour les placer ensuite à la droite du Père : avec qui il vit et règne dans l’unité du Saint-Esprit, Dieu dans les siècles des siècles. Amen. 2. Cf. Éph. I» 21 : « Constituens (Christ mn)... supra omnem principa­ tum ct potestatem et virtutem ct dominationem... » 139 DE ASCENSIONE SERMO II 61 (LXXIV) DE ASCENSIONE DOMINI SERMO II 1. Sacramentum, dilectissimi, salutis nostrae, quam pretio sanguinis sui universitatis conditor aestimavit, a dic corporalis ortus usque ad exitum passionis, per dispensationem humilitatis impletum est. Et licet multa etiam in forma servi Divinitatis signa radiave­ rint, proprie tamen illius temporis actio ad demon­ strandam suscepti hominis pertinuit veritatem. Post passionem vero, ruptis mortis vinculis, quae vim suam in eum qui peccati erat nescius incedendo pandiderat, infirmitas in virtutem, mortalitas in aeternitatem, con­ tumelia transivit in gloriam : quam Dominus Jesus Christus in multis manifestisque documentis \ multo­ rum declaravit aspectibus, donec triumphum victo­ riae, quem reporlarat a mortuis, inferret et caelis a. Sicut ergo in solemnitate paschali resurrectio Do­ mini fuit nobis causa laetandi, ita ascensio ejus in caelos praesentium nobis est materia gaudiorum, re­ colentibus illum diem et rite 3 venerantibus, quo na­ tura nostrae humilitatis in Christo super omnem caeli militiam, supra omnes ordines angelorum, et ultra 1. Cf. Actes I, 3. 2. Jésus est monté au ciel en triomphateur comme un imperator victo­ rieux des ennemis de son peuple. Cette image est en continuation de celle do la croix trophée de victoire rencontrée au Sermon 40, 4 (supra. p. 59). CL II Cor. H, 14 : < Deo autem gratias, qui semper triumphat nos in Christo Josu»; Col. II, 15 : < Et expolians principatus et potestates tra­ duxit confidenter, palam triumphans illos in semetipso. · 3. Par le culte liturgique accordé^ lu jnémoirc de l'événement historique. SERMON II SUR L’ASCENSION 139 61 (LXXIV) DEUXIÈME SERMON SUR L’ASCENSION DU SEIGNEUR Sommaire. — 1. Objet de cette fête ; béatitude promise à la foi. — 2. Les rites sacrés et l’instruction remplacent désormais la pré­ sence corporelle du Seigneur. — 3. Merveilleuse vigueur que reçut ki foi des disciples après l'ascension du Seigneur. — 4. Jésus se dérobe à nos regards pour que nous le cherchions par l’esprit, lui que servent les esprits célestes. — 5. Conclusion morale. 1. L’économie sacrée de notre salut, bien-aimés, de ce salut que le Créateur de l’univers a estime à un prix égal à celui de son sang, c’est suivant un plan repo­ sant sur l'humilité qu’elle a été réalisée, depuis le jour de la naissance corporelle du Christ jusqu’au terme de sa vie dans sa Passion. Bien des signes de la Divi­ nité avaient, sans doute, brillé même au travers de la condition servile dont il s’était revêtu ; cependant tout ce qui fut fait au cours de cette période visa essentiellement à montrer la réalité de l’humanité qu’il avait assumée. Mais, après sa Passion, lorsqu’il eut rompu les liens de cette mort qui avait déployé sa violence en s’attaquant à celui qui ignorait le péché, la faiblesse en lui se changea en puissance, la morta­ lité en éternité, l’abjection en gloire ; et cette gloire, le Seigneur Jésus-Christ la proclama au moyen de preuves nombreuses et claires 1 sous les yeux de mul­ tiples témoins, jusqu’au moment où il conduisit au ciel ce triomphe qu’il avait rapporté d’entre les morts2. Dans la solennité pascale, la résurrection du Sei­ gneur était la cause de notre joie ; aujourd’hui c’est son ascension au ciel qui nous fournit matière à nous réjouir, puisque nous commémorons et vénérons comme il convient3 le jour où l’humilité de notre na­ ture a été élevée dans le Christ plus haut que toute 140 DE ASCENSIONE SERMO II omnium altitudinem potestatum 1 ad Dei Patris est provecta consessum. Quo ordine operum divinorum nos fundati, nos aedificati sumus : ut mirabilior fieret gratia Dei, cum remotis a conspectu hominum, quae merito reverentiam sui sentiebantur indicere, fides non diffideret, spes non fluctuaret, caritas non tepes­ ceret. Magnarum enim hic vigor est mentium, et valde fidelium hoc lumen est animarum, incunctanter cre­ dere quae corporeo non videntur intuiti, et ibi figere desiderium, quo nequeas inferre conspectum. Haec autem pictas unde in nostris cordibus nasceretur, aut quomodo quisquam justificaretur per fidem, si in iis tantum salus nostra consisteret, quae obtutibus sub­ jacerent ? Unde et illi viro qui de resurrectione Christi videbatur ambigere, nisi in ipsius carne vestigia pas­ sionis et visu explorasset et tactu : Quia vidisti me, inquit Dominus, credidisti : beati qui non viderunt, et crediderunt 2. 2. Ut igitur hujus beatitudinis, dilectissimi, capaces esse possemus, expletis omnibus quae evangelicae praedicationi et novi Testamenti mysteriis congrue­ bant, Dominus noster Jésus Christus, quadragesimo post resurrectionem die coram discipulis elevatus in caelum, corporalis praesentiae modum fecit, mansu­ rus in Patris dextera, donec tempora multiplicandis Ecclesiae filiis divinitus praestituta peragantur, et ad judicandos vivos et mortuos in eadem carne in qua ascendit adveniat. Quod itaque Redemptoris nostri conspicuum fuit, in sacramenta transivit ; et ut fides excellentior esset ac firmior, visioni doctrina successit, cujus auctoritatem supernis illuminata radiis creden­ tium corda sequerentur. 1. Cf. Eph. I, 21. SERMON II SUR L’ASCENSION 140 Farinée du Ciel, plus haut que tous les ordres angé­ liques, et au-delà de la sublimité de toutes les puis­ sances \ jusqu’à partager le trône de Dieu le Père. C’est sur cette disposition des œuvres divines que nous sommes établis, que nous sommes édifiés : la grâce de Dieu devient, en effet, plus admirable lorsqu’elle fait que la foi ne doute pas, que l’espérance ne vacille pas, que la charité ne tiédit pas alors qu’a disparu de la vue des hommes ce qui devait à bon droit leur inspirer le respect. Telle est, en effet, la force propre aux grands esprits, telle est la lumière propre aux âmes spécialement fidèles : elle consiste à croire inébranlablement ce que ne voient pas les yeux du corps et à fixer son désir là où ne peut arriver le regard. Mais une telle piété, comment pourrait-elle naître en nos cœurs ou comment serions-nous justifiés par la foi, si notre salut ne se trouvait qu’en ce qui tombe sous les yeux ? De là cette parole du Seigneur à cet homme qui paraissait douter de la résurrection du Christ, à moins qu’il n’eût examiné de ses yeux et de ses mains dans sa chair meme les marques de la Passion : « Parce que tu m’as vu, tu as cru ; heureux ceux qui croiront sans avoir vu 2. » 2. Pour nous rendre capables de cette béatitude, bicn-aimés, notre Seigneur Jésus-Christ, ayant réalisé tout ce qui était conforme à la prédication de l’évan­ gile et aux mystères de la nouvelle alliance, quarante jours après sa résurrection, s’éleva au Ciel en présence des disciples ; il mit ainsi un terme à sa présence cor­ porelle, pour rester à la droite de son Père jusqu’à ce que soient achevés les temps divinement prévus pour que se multiplient les fils de l’Église, et qu’il revienne juger les vivants et les morts dans la même chair dans laquelle il s’est élevé. Ce qu’on avait pu voir de notre Rédempteur est donc passé dans les rites sacrés ; et, pour que la foi fût plus excellente et plus ferme, l’instruction a succédé à la vision : c’est sur son auto­ rité que les cœurs des croyants, illuminés parles rayons d’en haut, s’appuieront désormais. 2. Jean XX, 2i>. 141 DE ASCENSIONE SERMO Π 3. Hanc fidem ascensione Domini auctam, et Spi­ ritus sancti munere roboratam, non vincula, non car­ ceres, non exsilia, non fames, non ignis, non laniatus ferarum, nec exquisita persequentium crudelitatibus supplicia terruerunt. Pro hac fide per universum mun­ dum, non solum viri, sed etiam feminae, nec tantum impubes pueri, sed etiam tenerae virgines, usque ad effusionem sui sanguinis decertarunt. Haec fides dae­ monia ejecit, aegritudines depulit, mortuos suscitavit. Unde et ipsi beati apostoli, qui tot miraculis confir­ mati, tot sermonibus eruditi, atrocitate tamen Domi­ nicae passionis expaverant, et veritatem resurrectio­ nis ejus non sine haesitatione susceperant, tantum de ascensione Domini profecerunt, ut quidquid illis prius intulerat metum, verteretur in gaudium. Totam enim contemplationem animi in Divinitatem ad Patris dex­ teram consedentis erexerant, nec jam corporeae visio­ nis tardabantur objectu, quominus in id aciem mentis intenderent, quod nec a Patre descendendo abfuerat, nec a discipulis ascendendo discesserat. 4. Tunc igitur, dilectissimi, filius hominis Dei Filius excellentius sacrati usque innotuit, cum in paternae majestatis gloriam se recepit et ineffabili modo coepit esse Divinitate praesentior, qui factus est humanitate longinquior. Tunc ad aequalem Patri Filium eruditior fides gressu mentis coepit accedere, et contrectatione corporeae in Christo substantiae, qua Patre minor est *, non egere : quoniam glorificati corporis manente natura, eo fides credentium vocabatur, ubi non car­ nali manu, sed spiritali intellectu, par Genitori Uni­ genitus tangeretur. Hinc illud est quod post resurrec­ tionem suam Dominus, cum Maria Magdalene perso1. Cf. Jean XIV,28: · Si diligeretis me. gauderetis utique quia vado ad Patrem ; quia Pater major inc est. » SERMON II SUR L’ASCENSION 141 3. Cette foi que l’ascension du Seigneur avait aug­ mentée, et que le don de l’Esprit-Saint avait fortifiée, ni les chaînes, ni les prisons, ni l’exil, ni la faim, ni le feu, ni les bêtes, ni les supplices raffinés de cruels per­ sécuteurs ne purent en venir à bout par la peur. Pour cette foi, dans le monde entier, non seulement, des hommes, mais des femmes, non seulement de jeunes enfants, mais même de tendres vierges, luttèrent jus­ qu’à l’effusion du sang. Cette foi mit les démons en fuite, chassa les maladies, ressuscita les morts. Aussi les saints Apôtres eux-mêmes, qui, bien que fortifiés par tant de miracles, instruits par tant de discours, s’étaient pourtant laissés effrayer par l'atroce Passion du Seigneur et n’avaient pas accepté sans hésitation la vérité de sa résurrection, retirèrent un tel profit de son ascension que tout leur devenait sujet de joie, qui auparavant leur avait inspiré la crainte. Toute la con­ templation de leur âme, en effet, ils l’avaient élevée vers la divinité de Celui qui siégeait à la droite du Père ; la vue de son corps n’était plus désormais un obstacle qui pût les retarder et les empêcher de fixer le regard de leur esprit sur cette vérité qu’en descendant vers eux, il n’avait pas quitté son Père, et qu’en remon­ tant vers celui-ci, il ne s’était pas éloigné de scs dis­ ciples. 4. C’est donc alors, bien-aimés, que le fils de l’homme fut connu plus excellemment et plus sainte­ ment comme Fils de Dieu : car s’étant retiré dans la gloire de la majesté paternelle, il commença d’une manière ineffable à être plus présent par sa divinité, bien qu'il fût plus loin par son humanité. C’est alors que la foi mieux instruite se mit spirituellement en marche pour s’approcher du Fils égal au Père ; elle n’eut plus besoin de toucher dans le Christ cette subs­ tance corporelle par laquelle il est inférieur au Père 1 : la nature du corps glorifié demeurant la même, la foi des croyants, en effet, fut appelée là où elle pourrait toucher le Fils unique égal à celui qui l’engendre, non d’une main charnelle, mais d’une intelligence spiri­ tuelle. De là vient que le Seigneur, après sa résurrec­ tion, dit à Marie-Madeleine, figure de l’Église, alors 142 DE ASCENSIONE SERMO Π nam Ecclesiae gerens, ad contactum ipsius properaret accedere, dicit ei : Noli me tangere, nondum enim ascen­ di ad Patrem meum 1 : hoc est, nolo ut ad mc cor­ poraliter venias, nec ut me sensu carnis agnoscas ; ad sublimiora te differo, majora tibi praeparo. Cum ad Patrem meum ascendero, tunc me perfectius veriusque palpabis, apprehensura quod non tangis, et creditura quos non cernis. Cum autem ascendentem ad caelos Dominum sequaces discipulorum oculi intenta admi­ ratione suspicerent, astiterunt coram ipsis angeli duo mirabili vestium candore fulgentes, qui et dixerunt : Viri Galilaei, quid statis aspicientes in caelum ? Ilie Jesus qui assumptus est a vobis in caelum, sic veniet, quemadmodum vidistis eum euntem in caelum 1 2. Quibus verbis omnes Ecclesiae filii docebantur ut Jesus Christus in eadem qua ascenderat carne ventu­ rus visibilis crederetur ; nec posset ambigi omnia illi esse subjecta, cui ab ipso corporeae nativitatis exor­ dio famulatus servisset angelicus. Sicut enim conci­ piendum Christum de Spiritu sancto beatae Virgini angelus nuntiavit, sic et editum de Virgine vox caelestium pastoribus cecinit : sicut resurrexisse a mortuis, supernorum nuntiorum prima testimonia docuerunt, sic ad judicandum mundum in ipsa carne venturum, angelorum officia praedicarunt: utintelligeremus quantae potestates sint adfuturae cum judica­ turo cui tantae ministraverunt etiam judicando. 5. Exsultemus itaque, dilectissimi, gaudio spiritali, et digna apud Deum gratiarum actione laetantes, libe­ ros cordis oculos ad illam altitudinem in qua Christus est erigamus. Sursum vocatos animos desideria ter­ rena non deprimant ; ad aeterna praeelectos peritura 1. Jean XX. 17. 2. Acies I, 11. SERMON II SUR L’ASCENSION 142 qu’elle accourait pour le toucher : « Ne me touche pas, car je ne suis pas encore monté vers le Père 1 » : c’està-dire, je ne veux pas que tu viennes à moi corporel­ lement ni que tu me connaisses par le sens de la chair ; mais je te réserve des réalités plus hautes, je te pré­ pare de plus grandes choses. Lorsque je serai monté vers mon Père, alors tu me toucheras plus parfaite­ ment et plus réellement, tu saisiras ce que tu ne touches pas, et tu croiras ce que tu ne vois pas. De même lorsque les yeux des disciples, ravis d’éton­ nement, suivaient le Seigneur montant aux cieux, deux anges resplendissants de l’admirable blancheur de leurs vêtements, se tinrent devant eux et leur dirent : « Hommes de Galilée, pourquoi restez-vous ainsi à regarder le ciel ? Celui qui vous a été enlevé, ce même Jésus, viendra comme cela, de la même ma­ nière que vous l’avez vu partir vers le ciel2. » De telles paroles enseignaient à tous les enfants de l’Église qu’il fallait croire que Jésus-Christ revien­ drait visiblement dans la même chair dans laquelle il s’était élevé ; et on ne pouvait douter que toutes choses ne lui fussent soumises, puisque, dès les premiers instants de sa naissance corporelle, les anges l’avaient servi. Un ange, en effet, avait annoncé à la bienheu­ reuse Vierge que le Christ serait conçu du Saint-Esprit; la voix dés habitants du ciel chanta de même aux bergers qu’il était né de la Vierge ; de même, comme cc furent des messagers d’en haut qui, les premiers, portèrent témoignage de sa résurrection d’entre les morts, ce furent encore des anges qui prêtèrent leur office pour proclamer qu’il reviendrait dans sa propre chair pour juger le monde : comprenons donc quelles puissances l’assisteront quand il viendra en juge, si elles l’ont déjà servi si nombreuses lorsqu’il venait en justiciable. 5. Exultons donc, bien-aimés, d’une joie spirituelle et, nous réjouissant devant Dieu en une digne action de grâce, élevons librement les regards de nos cœurs vers ces hauteurs où se trouve le Christ. Nos âmes sont appelées en haut : que les désirs terrestres ne les appesantissent pas ; elles sont prédestinées à Péter- 143 DE ASCENSIONE SERMO II non occupent ; viam veritatis ingressos fallaces ille­ cebrae non retardent ; et ita a fidelibus haec temporalia decurrantur, ut peregrinari se in hac mundi valle co­ gnoscant, in qua etiamsi quaedam commoda blan­ diantur, non amplectenda nequiter, sed transeunda sunt fortiter \ Ad hanc enim nos devotionem beatissi­ mus apostolus Petrus incitat; et secundum illam dilec­ tionem quam pascendis Christi ovibus trina Dominici amoris professione concepit2, obsecrans dicit : Caris­ simi, obsecro vos tamquam advenas et peregrinos, abstinere vos a carnalibus desideriis, quae militant adversus animam 3. Cui autem nisi diabolo carnales militant voluptates, qui animas ad superna tendentes corruptibilium bonorum delectationibus obligare et ab illis sedibus de quibus ipse excidit gaudet abducere ? Contra cujus insidias sapienter debet fidelis quisque vigilare, ut inimicum suum de eo quod tentatur 4 pos­ sit elidere. Nihil autem est validius, dilectissimi, contra dia­ boli dolos, quam benignitas misericordiae et largitas caritatis, per quam omne peccatum aut declinatur aut vincitur. Sed hujus virtutis sublimitas non prius ap­ prehenditur quam illud quod ei adversarium est sub­ ruatur. Quid autem tam inimicum misericordiae et operibus caritatis, quam avaritia, de cujus radice om­ nium malorum germen emergit5 ? Quae nisi in suis fomitibus enecetur, necesse est ut in agro cordis illius, in quo hujus mali planta convaluit, spinae potius tri1. Dans cette phrase, la vie humaine est comparée h un chemin et les mots sont choisis en fonction de cette image : c’est le chemin de la vérité dans lequel on entre (pïam uerllatis ingrc&sos), mais on risque de s’y laisser retarder par des charmes trompeurs (fallaces illecebrae non retardent) ; on doit le parcourir (decurrantur), mais comme des voyageurs on terre étran­ gère (peregrinari se in mundi valle cognoscant), sans se laisser attirer par le charme de certains avantages (quaedam commoda blandiantur); s’y SERMON II SUR I,’ASCENSION 143 nitc : que les choses appelées à périr ne les accaparant pas ; elles sont entrées clans le chemin de la vérité : que des charmes trompeurs ne les retardent pas ; et qu’ainsi les fidèles parcourent le temps de la vie pré­ sente en sc sachant des étrangers en voyage dans cette vallée du monde où, même si quelques avantages les flattent, ils ne doivent pas s’y attacher d’une manière coupable, mais les dépasser avec énergie C’est à une telle dévotion, en effet, que nous excite le bien­ heureux apôtre Pierre : animé de cette tendresse qu’il conçut pour paître les brebis du Christ lorsqu’il fit au Seigneur sa triple profession d’amour 2, il nous dit comme en nous suppliant : « Bien-aimés, je vous exhorte, comme étrangers et voyageurs, à vous abs­ tenir des désirs charnels qui font la guerre à l’âme 3. » Pour le compte de qui les voluptés charnelles luttentelles, sinon du diable qui met sa joie à enchaîner dans les délices des biens corruptibles les âmes qui font effort pour atteindre à ceux d’en haut, et à les éloi­ gner de ces trônes dont lui-même est tombé ? Tout fidèle doit sagement se garder de ses pièges, afin d’ar­ river à briser son ennemi en se servant de sa tenta­ tion même 4. Or rien n’est plus efficace, bien-aimés, contre les ruses du diable que la bienveillance de la miséricorde et la générosité de la charité : elles nous font ou évi­ ter ou vaincre tout péché. Mais on n’atteint pas les hauteurs de cette vertu avant d’avoir renversé ce qui lui est contraire. Or quoi de plus opposé à la miséri­ corde et aux œuvres de la charité que l’avarice, racine d’où sortent et poussent tous les maux 5 ? Si celle-ci n’est pas anéantie jusqu’au plus profond, il est iné­ vitable que, dans le champ qu’est ce cœur où la plante d’un tel mal a pris toute sa force, ce soit les épines laisser retenir est coupable (nequiter) ; il faut donc avoir le courage (Jartiter) <10 passer outre (transeunda) et de poursuivre sa rente. 2. Cf. Jean xxI. 15-17. 3. I *lierre Π, 11. •1. Même tournure rencontrée plus haut (Sermon 50, 1) : «De co quod vicerat vinceretur », et nu <· serman sur le Carême, 3 ; cf. supra p. 78, n. 1. 5. Cf. I Tim. VI, 10.: < Radix omnium nudorum est cupiditas. » Léon le Grand. III. 18 144 DE PENTECOSTE SERMO I bulique vitiorum, quam ullum verae virtutis semen oriatur. Resistamus ergo, dilectissimi, huic tam pesti­ fero malo, et caritatem, sine qua nulla virtus potest nitere \ sectemur : ut per hanc, qua ad nos Christus descendit, dilectionis viam, etiam nos ad ipsum pos­ simus ascendere, cui est cum Deo Patre et Spiritu sancto honor et gloria in saecula saeculorum. Arnen. 62 (LXXV) DE PENTECOSTE SERMO I 1. Hodiernam solemnitatem, dilectissimi, in prae­ cipuis festis esse venerandam, omnium catholicorum corda cognoscunt : nec dubium est quanta huic diei reverentia debeatur, quem Spiritus sanctus excellen­ tissimo sui muneris miraculo consecravit. Nam ab illo die quo Dominus super omnem caelorum altitudinem ad dexteram Dei Patris consessurus ascendit, decimus iste est qui ab ejusdem resurrectione quinquagesimus nobis in eo a quo coepit illuxit12, magna mysteria in se ct veterum sacramentorum continens et novorum : quibus manifestissime declaratur, et gratiam praenun­ tiatam fuisse per legem, ct legem impletam esse per gratiam. Sicut enim Hebraeo quondam populo ab 1. Ct I Cor. XIII. 2. Le Seigneur est la vraie lumière (cl. Jean I, 9 ; VIII, 12 ; IX, 5) ; en ressuscitant, il inaugure un jour nouveau, Père du règne eschatologique de Dieu : il y a alors un nouveau commencement de la création ct du temps, une nouvelle suite de jours dont celui do la Pentecôte, renouvelé dans ΓÉglise par sa commémoration liturgique, est le cinquantième. Lire sur cc nouveau < centre » du temps : O. Cullmann, C/irisf ei le temps, KeuctuUel· Paris 1947. SERMON I SUR LA PENTECÔTE 144 et les ronces des vices qui lèvent, bien plutôt que la semence de la vraie vertu. Résistons donc, bien-aimés, à ce mal empoisonné, et aimons la charité, sans quoi aucune vertu ne peut avoir d’éclat 1 ; c’est par cette voie de l’amour, que le Christ a prise pour descendre à nous, que nous pourrons à notre tour monter à lui, à qui appartiennent l’honneur et la gloire avec Dieu le Père et l’Esprit-Saint dans les siècles des siècles. Amen. 62 (LXXV) PREMIER SERMON SUR LA PENTECOTE Sommaire. — 1. Objet de cette fête ; merveilles du plan divin de notre salut. — 2. Le miracle des langues. — 3. L’essence divine du Saint-Esprit ne s’est pas montrée aux yeux dans les langues de feu ; unité d’essence dans la triuité des Personnes divines. — 4. Erreur des Macédoniens touchant le Saint-Esprit. — 5. Invi­ tation à glorifier l’Esprit-Saint. 1. Il n’échappe à nul cœur catholique, bien-aimés, que la solennité d’aujourd’hui mérite entre toutes d’être honorée ; ct on ne saurait exagérer l’estime due à un tel jour que le Saint-Esprit a consacré par le prodige incomparable du don de lui-même. Ce jour est, en effet, le dixième depuis celui où le Seigneur est monté plus haut que les cieux les plus élevés pour aller prendre place à la droite de Dieu son Père, et il est aussi, depuis sa résurrection, le cinquantième à briller pour nous en Celui par qui il a commencé 2; ce jour contient en lui-même les grands mystères de l’économie sacrée ancienne et nouvelle, car il y est très clairement montré et que la grâce avait été annon­ cée à l’avance par la loi, et que la loi trouvait son accomplissement par la grâce. Ce fut, en effet, cin­ quante jours après l’immolation de l’agneau que, sur le mont Sinaï, la loi fut autrefois donnée au peuple 145 DE PENTECOSTE SERMO I Aegyptiis liberato, quinquagesimo die post immola­ tionem agni lex data est in monte Sina \ ita post passionem Christi, qua verus Dei Agnus occisus est, quinquagesimo a resurrectione ipsius die in apostolos plebemque credentium Spiritus sanctus illapsus est : ut facile diligens Christianus agnoscat initia veteris Testamenti evangelicis ministrasse principiis, et ab eodem Spiritu conditum foedus secundum, a quo pri­ mum fuerat institutum. 2. Nam, sicut apostolica testatur historia 1 23, dum complerentur dies Pentecostes, essenlque omnes discipuli pariter in eodem loco, /actus est repente de caelo sonus tamquam advenientis spiritus vehementis, et replevit to­ tam domum, ubi erant sedentes. Et apparuerunt illis ■ dispertitae linguae tamquam ignis, seditque supra sin- 1 gulos eorum. Et repleti sunt, omnes Spiritu sancto, et I coeperunt loqui aliis linguis, prout Spiritus sanctus da­ bat eloqui illis 8. 0 quam velox est sermo sapientiae, et ubi Deus magister est, quam cito discitur quod docetur ! Non est adhibita interpretatio ad audien­ dum, non consuetudo ad usum, non tempus ad stu­ dium, sed spirante ubi voluit Spiritu veritatis 4, propriae singularum gentium voces factae sunt in Ecclesiae ore communes. Ab hoc igitur die tuba evangelicae praedicationis intonuit ; ab hoc dic imbres cha­ rismatum, flumina benedictionum, omne desertum et universam aridam rigaverunt5 : quoniam ad reno­ vandam faciem terrae 6, Spiritus Dei ferebatur super aquas ’, et ad veteres tenebras abigendas, novae lucis fulgura coruscabant, cum micantium splendore lingua­ rum, ct verbum Domini lucidum 8 et eloquium con1. CL Exode XIX, 17 ct s, 2. Le livre; des Ades des Apô/rw. 3. Actes Π, 1-4. SERMON I SUR LA PENTECÔTE 145 hébreu délivré du joug des Égyptiens 1 ; de même, après la Passion du Christ et la mise à mort du véri­ table Agneau de Dieu, le cinquantième jour qui sui­ vit sa résurrection, l’Esprit-Saint fondit sur les Apôtres et sur la foule des croyants : le chrétien atten­ tif reconnaîtra donc aisément que les débuts de l’Ancien Testament étaient au service des commencements de l’Evangile ct que la seconde alliance fut fondée par le meme Esprit qui avait institué la première. 2. Que lisons-nous, en effet, dans l’histoire des Apôtres 2 ? « Le jour de la Pentecôte étant arrivé, les disciples se trouvaient tous ensemble dans un meme lieu quand, tout à coup, vint du ciel un bruit tel que celui d’un violent coup de vent, qui remplit toute la maison où ils se tenaient. Ils virent apparaître des langues que l’on eût dites de feu ; elles se divisaient ct il s’en posa une sur chacun d’eux. Tous furent alors remplis de l’Esprit-Saint et commencèrent à parler en d’autres langues, selon que l’Esprit leur donnait de s’exprimer 3. » Oh ! qu’elle est rapide la parole de la Sagesse, et, lorsque le maître d’école est Dieu même, qu’on apprend vite ce qu’il enseigne ! Point ne fut besoin de traduction pour comprendre, ni d’exercice pour acquérir l’usage, ni de temps pour étudier, mais, l’Esprit de vérité soufflant où il voulait 4, les mots qui étaient particuliers à chaque peuple devinrent communs à tous dans la bouche de Γ Église. A dater donc de ce jour, la trompette de la prédication évan­ gélique se mit à retentir ; à dater de ce jour, la pluie des charismes, les fleuves des bénédictions, arrosèrent tout désert et toute terre aride 56 78: car, pour renouveler la face de la terre c, l’Esprit de Dieu planait sur les eaux ’, ct pour écarter les anciennes ténèbres, une lumière nouvelle faisait briller ses éclairs : de l’éclat des langues étincelantes naissaient et le Verbe du Seigneur qui illumine e, et la parole enflammée qui, 4. 5. 6. 7. 8. Cf. -Jean Ill, 8 : « Spiritus ubi vult spirat. * Cf. Is. XXXV. 6 ct passim. Cf. Fs. CIH, 30. Cf. Gen. I, 2. Cf. Ps. XVIII, 9. 146 DE PENTECOSTE SERMO I ciperetur ignitum, cui ad creandum intellectum, consumendumque peccatum, et efficacia illuminandi, ct vis i nesse t urendi. 3. Quamvis autem, dilectissimi, valde fuerit ipsa rei gestae forma mirabilis, nec dubium sit, in illo omnium humanarum vocum exsultante concentu, majestatem Spiritus sancti fuisse praesentem, nemo tamen aesti­ met in iis quae corporeis visa sunt oculis divinam ejus apparuisse substantiam. Natura enim invisibilis, et Patri Filioque communis, qualitatem muneris atque operis sui, qua voluit significatione monstravit, pro­ prietatem vero essentiae suae in sua Deitate continuit : quia sicut nec Patrem nec Filium, ita nec Spiritum sanctum humanus potest visus attingere. In Trinitate enim divina nihil dissimile, nihil impar est ; ct omnia quae de illa possunt substantia cogitari, nec virtute, nec gloria, nec aeternitate discreta sunt. Cumque in personarum proprietatibus alius sit Pater, alius sit Fi­ lius, alius Spiritus sanctus, non tamen alia Deitas nec diversa natura est. Siquidem cum et de Patre sit Filius unigenitus, ct Spiritus sanctus Patris Filiique sit spi­ ritus, non sicut quaecumque creatura, quae et Patris et Filii est, sed sicut cum utroque vivens ct potens, et sempiterne ex eo quod est Pater Filiusque subsis­ tens. Unde, cum Dominus ante passionis suae diem discipulis suis sancti Spiritus sponderet adventum, Adhuc, inquit, multa habeo vobis dicere, sed non potes­ tis illa portare modo. Cum autem venerit ille Spiritus veritatis, ille diriget vos in omnem veritatem. Non enim loquclur a semel ipso, sed quaecumque audierit loquclur, ct futura annuntiabit vobis. Omnia quae habet Pater mea sunt : propterea dixi, quia demeo accipiet et annun­ tiabit vobis *. Non ergo alia sunt Patris, alia Filii, alia Spiritus sancti ; sed omnia quaecumque habet Pater, SERMON I SUR LA PENTECÔTE 146 pour créer l’intelligence ct consumer le péché, a le pouvoir d’éclairer et la force de brûler. 3. Mais, bien que l’éclat extérieur de l’événement, bien-aimés, fût tout à fait admirable, et qu’on ne pût douter que la majesté de l'Esprit-Saint ne fût pré­ sente dans ce joyeux accord de toutes les langues hu­ maines, gardons-nous pourtant de penser que l’es­ sence divine ait apparu dans ce qui s’est alors montré à des yeux de chair. La nature divine invisible et commune au Père et au Fils, a, en effet, montré sous tel signe qu’elle a voulu le caractère de son don et de son œuvre, mais elle a gardé dans l’intime de sa Divi­ nité ce qui est propre à son essence : car le regard de l’homme, pas plus qu’il ne peut atteindre le Père ou le Fils, ne peut davantage voir le Saint-Esprit. Dans la Trinité divine, rien, en effet, n’est dissemblable, rien n’est inégal ; tout ce qu’on peut imaginer de cette essence ne se distingue ni en puissance, ni en gloire, ni en éternité. Encore que, dans les propriétés des Personnes, autre soit le Père, autre le Fils, autre l’Esprit-Saint, autre cependant n’est pas la divinité, ni diverse la nature. S’il est vrai que le Fils unique soit du Père et que l’Esprit-Saint soit l’esprit du Père et du Fils, il ne l’est pas à la manière d’une créature qui serait du Père et du Fils, mais il l’est comme ayant vie ct pouvoir avec l’un et avec l’autre, ct sub­ sistant éternellement à partir de ce qui est le Père et le Fils. Aussi, lorsque le Seigneur, la veille de sa Passion, promettait à ses disciples l'avènement du Saint-Esprit, il leur disait : « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez pas les porter maintenant. Quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous conduira vers la vérité tout entière ; car il ne parlera pas de lui-même ; mais tout ce qu’il entendra, il le dira, et il vous annoncera les choses à venir, 'lout ce qu’a le Père est à moi. Voilà pourquoi j’ai dit : c’est de mon bien qu’il prendra pour vous en faire part *. » Il n’est donc pas vrai qu’autres soient les biens du Père, autres ceux du Fils, autres ceux de 1. Jean XVI, 13. 15. S- Léon omet le v. 14. 147 DE PENTECOSTE SERMO I habet et Filius, habet et Spiritus sanctus ; nec uniquam in illa Trinitate non fuit ista communio, quia hoc est ibi omnia habere, quod semper existere. Nulla ibi tempora, nulli gradus, nullae differentiae cogiten­ tur : et si nemo de Deo potest explicare quod est, nemo audeat affirmare quod non est. Excusabilius enim est de natura ineffabili non eloqui digna, quam definire contraria. Quidquid itaque de sempiterna et incom­ mutabili gloria Patris pia possunt corda concipere, hoc simul et de Filio, et de Spiritu sancto inseparabiliter atque indifferenter intelligant. Ideo enim hanc bea­ tam Trinitatem unum confitemur Deum, quia in his tribus personis nec substantiae, nec potentiae, nec vo­ luntatis, nec operationis est ulla diversitas. 4. Sicut ergo detestamur Arianos, qui inter Patrem et Filium aliquam volunt esse distantiam, ita etiam Macedonia nos pariter detestamur, qui licet Patri et Filio tribuant aequalitatem, Spiritum tamen sanctum inferioris putant esse naturae 1 : non considerantes eam blaphemiam se incidere, quae neque in praesenti saeculo, neque in futuro sit remittenda judicio, dicente Domino : Quicumquc dixerit verbum contra Filium ho­ minis, remittetur ei ; qui autem dixerit contra Spiritum sanctum, non remittetur ei neque in hoc saeculo, neque in futuro 2. Permanens itaque in hac impietate sine venia est, quia exclusit eum a se per quem poterat confiteri ; nec umquam perveniet ad indulgentiae re­ medium, qui patrocinaturum sibi non habet advoca­ tum. Ab ipso enim est invocatio Patris, ab ipso sunt lacrymae paenitentium, ab ipso sunt gemitus suppli1. Les Macédoniens. connus d'abord sous lo nom de pneurnatomaques (ainsi S- Épiphane dans son Panarion, Hams. LXXIV9 P. G, XLII. 473 s.), ont été mis ensuite sous le patronage de Macidonins. évêque de Constantinople de 342 à 359. bien qu'il n’ait pas réellement, semble-t-il, été fondateur d’une secte hérétique. Beaucoup d’entre eux rcconnaissaicn t SERMON I SUR LA PENTECÔTE 147 l’Esprit-Saint ; non, tout ce qu’a le Père, le Fils l’a pareillement, et pareillement l’Esprit-Saint ; jamais, clans cette Trinité, une telle communion n’a fait dé­ faut, car là avoir tout, c’est exister toujours. Gardonsnous donc d’imaginer là nul temps, nul degré, nulle différence ; et si personne ne peut expliquer de Dieu ce qu’il est, que personne n’ose affirmer ce qu’il n’est pas. Il est plus excusable, en effet, de ne pas parler dignement de l’ineffable nature que d’en définir ce qui lui est contraire. Aussi tout ce que les cœurs fervents peuvent concevoir de l’éternelle et immuable gloire du Père, qu’ils le comprennent en même temps insé­ parablement et indifféremment et du Fils et de Γ Es­ prit-Saint. Nous confessons, en effet, que cette bien­ heureuse Trinité est un seul Dieu, parce que, dans ces trois Personnes, il n’y a aucune différence ni de subs­ tance, ni de puissance, ni de volonté, ni d’opération. 4. Nous maudissons donc les Ariens qui veulent mettre une certaine distance entre le Père et le Fils ; et nous n’exécrons pas moins les Macédoniens qui, tout en accordant Γ égalité au Père et au Fils, pensent néanmoins que l’Esprit-Saint est d’une nature infé­ rieure 1 : ils ne prennent pas garde qu’ils tombent dans un blasphème qui ne sera pardonné ni dans le siècle présent, ni lors du jugement futur, selon cette parole du Seigneur : « Si quelqu’un dit une parole contre le Fils de l’homme, cela lui sera remis ; mais s’il parle contre l’Esprit-Saint, cela ne lui sera remis ni en ce monde, ni dans l’autre 2. » Qui demeure dans cette impiété est donc sans rémission, parce qu’il chasse de lui-même celui qui pourrait le reconnaître pour sien ; et il ne saurait jamais obtenir l’indulgence qui sauve, celui qui n’a pas d’avocat qui puisse le pa­ tronner. Car c’est cet Esprit qui donne d’invoquer le Père, c’est lui qui donne les larmes de la pénitence, lui qui donne les gémissements de la supplication ; et la divinité au Fils bien que certains autres la niassent, mais tous s’accor­ daient pour la refuser au Saint-Esprit, lui attribuant seulement une posi­ tion interniédinire, d’ailleurs assez vague» entre Dieu et la creature. Cf. G. Bakdy dans D. T. C. IX» 2. 14M-1478. 2. Matth. XII, 32. 148 DE PENTECOSTE SERMO ί cautium; e.t nemo potest dicere Dominum Jesum, nisi in Spiritu sancto x; cujus aequalem cum Patre et Filio omnipotentiam, unamque Deitatem evidentissime praedicat Apostolus, dicens : Divisiones quidem gra­ tiarum sunt, idem autem Spiritus. Et divisiones ministrationum sunt, idem autem Dominus. Et divisiones ope­ rationum sunt, idem vero Deus, qui operatur omnia in omnibus 12. 5. Ilis, dilectissimi, aliisque documentis, quibus in­ numerabiliter divinorum eloquiorum coruscat aucto­ ritas, ad venerationem Pentecostes unanimiter incite­ mur, exsultantes in honorem sancti Spiritus, per quem omnis Ecclesia catholica sanctificatur, omnis anima rationalis imbuitur ; qui inspirator fidei, doctor scien­ tiae, fons dilectionis, signaculum castitatis, et totius est causa virtutis. Gaudeant fidelium mentes, quod in toto mundo unus Deus, Pater, ct Filius, et Spiritus sanctus, omnium linguarum confessione laudatur ; quodque illa significatio, quae in specie ignis apparuit, et opere perseverat et munere. Ipse enim Spiritus ve­ ritatis facit domum gloriae suae luminis sui nitore ful­ gere, et in templo suo nec tenebrosum vult esse, nec tepidum. De qua ope atque doctrina etiam jejunio­ rum nobis atque eleemosynarum est collata purgatio. Nam hunc venerabilem diem sequitur saluberrimae observantiae consuetudo, quam utilissimam sibi omnes sancti semper experti sunt, et ad quam sedulo celebrandam, pastorali vos sollicitudine cohortamur : ut si quid macularum proximis diebus negligentia incauta contraxit, id et jejunii censura castiget, et devotio pietatis emendet3. Quarta igitur et sexta feria 1. I Cor. XII, 3. 2. Ibid. 4-6. 3. Sur ccs deux pratiques complémentaires de perfection, le jeûne ct l’au- SERMON I SUR LA PENTECÔTE 148 « nul ne peut dire : Jésus est Seigneur, que sous l’ac­ tion de Γ Esprit-Saint1 ». C’est sa toute-puissance commune avec le Père et le Fils, et son unique divi­ nité, que prêche clairement ΓApôtre lorsqu’il dit : « Il y a certes diversité de dons spirituels, mais c’est le même Esprit ; diversité de ministères, mais c’est le même Seigneur ; diversité d’opérations, mais c’est le même Dieu, qui opère tout en tous 2. » 5. Que ces témoignages, bien-aimés, joints à d’autres sans nombre qui resplendissent dans les di­ vines paroles, autorité suprême, nous incitent unani­ mement à vénérer la Pentecôte et à nous réjouir en l’honneur du Saint-Esprit qui sanctifie toute l’Église catholique et qui instruit toute âme raisonnable ; il est l’inspirateur de la foi, le docteur de la science, la source de l’amour, le sceau de la chasteté, et le prin­ cipe de toute vertu. Que les cœurs fidèles se réjouissent de ce que, dans le monde entier, un seul Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit, soit loué et confessé dans toutes les langues ; de ce que le signe qui apparut sous la forme du feu, continue à agir et à se donner. C'est le même Esprit de vérité, en effet, qui fait briller de l’éclat de sa lumière la demeure où habite sa gloire, et qui ne souffre dans son temple rien d’obscur, rien de tiède. Sa force ct son enseignement donnent même à nos jeûnes et à nos aumônes le pouvoir de nous pu­ rifier. Car ce jour vénérable va être suivi, comme de coutume, de ces très salutaires pratiques, dont tous les saints ont toujours éprouvé l’extrême utilité, et que nous vous exhortons avec une pastorale sollici­ tude à célébrer avec zèle : de la sorte, si, au cours de ces derniers jours, nous avons contracté quelque souil­ lure par l’effet de la négligence ou de l’insouciance, la rigueur du jeûne la châtiera, ct la piété qui anime la bienfaisance l’effacera 3. Nous jeûnerons donc mermône, S. Won s’étendra avec prédilection dans les sermons pour les QuatreTemps ; par exemple, au 9* sermon pour le jeûne du X9 mot *, 3 (F. L. L1V, 190) : « Fiat abstinentia fidelium cibus pauperum, et quod quisque sub­ trahit sibi, proficiat indigeni i »; au 2· sermon (idem, 171) : · Impendamus virtuti quod subtrahimus voluptati; fiat refectio pauperum abstinentia jejunantis · ; de même au Jrt * sermon pour le Cartme, 5 (S. C. 49, p. 79) : 149 DE PENTECOSTE SERMO II jejunemus ; sabbato autem in idipsum consueta devo­ tione vigilias celebremus. Per Jcsum Christum Domi­ num nostrum, qui cum Patre et Spiritu sancto unus Deus vivit et regnat in saecula saeculorum. Arnen. 63 (LXXVI) DE PENTECOSTE SERMO II 1. Plenissime quidem nobis, dilectissimi, causam atque rationem solemnitatis hodiernae divinorum elo­ quiorum textus ostendit, quo sanctum Spiritum quin­ quagesimo post Domini resurrectionem die, qui ab ascensione ejus est decimus, infusum Christi discipu­ lis, sicut promissus sperabatur, agnovimus. Sed ad novos Ecclesiae filios instruendos *, addendum est etiam nostri sermonis obsequium. Non enim timemus ne spirituales et eruditi nota fastidiant, ad quorum fructum pertinet ut quam plurimis insinuari velint quod ipsi cum magna sui utilitate didicerunt. Fiat ergo per corda omnium dispensatio munerum divino­ rum, et servitutem oris nostri docti indoctique non spernant : illi ut probent se amare quod norunt, isti ut ostendant se desiderare quod nesciunt. Huic enim praeparationi vestrae aderit ipsius largitas, de cujus • Jejuniis nostris egentium refectio suffragetur · ; et au 11· sermon idem. β (p. 85) : < In distributione eleemosynarum ct pauperum cura, pingues­ cant Christiana jejunia ». Cf. sur ce sujet : K. Dolle, Les idées morales de S. Léon le Grand. dans Mélanges de Science religieuse. Lille 1953, p. 68-69, et Λ. Guillaume, Jeûne et charité, Paris 1934. 1. Les nouveaux baptisas de la vigile de la Pentecôte. SERMON II SUR LA PENTECÔTE 149 credi et vendredi ; et nous nous réunirons de nouveau samedi pour célébrer les vigiles avec la dévotion ac­ coutumée. Par Jésus-Christ notre Seigneur, qui, étant un seul Dieu avec le Père et l’Ésprit-Saint, vit et règne dans les siècles des siècles. Amen. 63 (LXXVI) DEUXIÈME SERMON SUR LA PENTECOTE Sommaire. — 1. Appel à Γattention. — 2. Trinité et unité en Dieu. — 3. Le don de la Pentecôte est une nouvelle effusion de grâce, non un commencement. — 4. Les œuvres de salut ne peuvent se faire sans l’assistance du Saint-Esprit.— 5. Les Apôtres devaient être affermis avant de recevoir renseignement de l’Esprit-Saint. —· 6. Réfutation des manichéens. — 7. Mensonges de leur fonda­ teur. — 8. Rejeter ces faussetés. — 9. Ajouter à noire dévotion la pratique du jeûne. 1. La raison et le sens de la solennité d’aujourd’hui, bien-aimés, la lecture de la parole divine les a très clai­ rement montrés ; nous y avons appris que, le cinquan­ tième jour après la résurrection du Seigneur, dixième après son ascension, le Saint-Esprit promis et espéré fut répandu sur les disciples du Christ. Cependant, pour l’instruction des nouveaux enfants de l’Église ’, il nous faut y ajouter le ministère de notre parole. Nous ne craignons pas, en effet, que les spirituels et les âmes instruites se fatiguent de vérités déjà con­ nues, car c’est un fruit de ces dernières que le désir de voir expliquer au plus grand nombre possible ce que l’on a soi-même appris avec grand profit. Que les dons divins se répandent donc dans tous les cœurs et que ni les savants ni les ignorants ne méprisent notre parole mise à leur service : les premiers prouveront ainsi qu’ils aiment ce qu’ils connaissent, les seconds montreront qu’ils sont avides de ce qu’ils ignorent. Celui de la majesté de qui nous essayons de parler 150 DE PENTECOSTE SERMO II loqui majestate lentamus, ut ad profectum totius Ec­ clesiae et vos capaces, et nos faciat abundantes. 2. Cum igitur ad intelligendam dignitatem Spiritus sancti oculos mentis intendimus, nihil diversum ab excellentia Patris et Filii cogitemus : quia in nullo ab unitate sua discrepat divinae Trinitatis essentia. Sem­ piternum est Patri, coaeterni sibi Filii sui esse geni­ torem. Sempiternum est Filio, intemporaliter esse a Patre progenitum. Sempiternum quoque est Spiritui sancto, Spiritum esse Patris et Filii : ut numquam Pater sine Filio, numquam Filius sine Patre, num­ quam Pater et Filius fuerint sine Spiritu sancto ; et omnibus existentiae gradibus exclusis, nulla ibi per­ sona sit anterior, nulla posterior. Hujus enim beatae Trinitatis incommutabilis Deitas una est in substan­ tia, indivisa in opere, concors in voluntate, par in potentia, aequalis in gloria. De qua cum sancta Scrip­ tura sic loquitur, ut aut in factis aut in verbis aliquid assignet quod singulis videatur convenire personis, non perturbatur fides catholica, sed docetur : ut per proprietatem aut vocis aut operis insinuetur nobis veritas Trinitatis, et non dividat intellectus quod dis­ tinguit auditus \ Ob hoc enim quaedam sive sub Pa­ tris, sive sub Filii, sive sub Spiritus sancti appellatione promuntur, ut confessio fidelium in Trinitate non er­ ret ; quae cum sit inseparabilis, numquam intelligerctur esse Trinitas, si semper inseparabiliter diceretur. Bene ergo ipsa difficultas loquendi cor nostrum ad intelligentiam trahit, et. per infirmitatem nostram cae­ lestis doctrina nos adjuvat : ut quia in Deitate Patris, et Filii, et Spiritus sancti nec singularitas est, nec di­ versitas cogitanda, vera unitas et vera Trinitas possit 1. Il y a entre les Personnes divines « distinction », non « division », SERMON II SUR LA PENTECÔTE 150 concourra de ses largesses à la préparation de vos âmes et, pour le bien de toute l’Eglise, vous rendra capables de recevoir, comme il nous enrichira nousmême pour vous donner. 2. Lors donc que nous appliquons le regard de notre âme pour comprendre la dignité de ΓEspritSaint, gardons-nous de rien penser en lui qui dif­ fère en excellence du Père et du Fils, car l’essence de la divine Trinité coïncide en tout avec son unité. Il appartient éternellement au Père d’engendrer son Fils coéternel à lui ; il appartient, éternellement au Fils d’etre engendré intemporellement par le Père ; il appartient de meme éternellement à l’Esprit-Saint d’être l’Esprit du Père et du Fils : ainsi jamais le Père n’a été sans le Fils, jamais le Fils sans le Père, et jamais le Père et le Fils sans l’Esprit-Saint ; tout pro­ grès dans l’existence étant exclu, nulle Personne ici qui soit antérieure, nulle qui soit postérieure. L’im­ muable divinité de cette bienheureuse Trinité est, en effet, une dans sa substance, sans partage dans son action, unanime dans sa volonté, pareille dans sa puissance, égale dans sa gloire. Lorsque la sainte Écriture parle d’elle de telle sorte que, soit dans les faits, soit dans les paroles, elle attribue quelque chose qui paraisse convenir aux Personnes prises en parti­ culier, la foi catholique ne s’en trouble pas, mais plu­ tôt en tire instruction : car la propriété du mot ou de l’action doit nous faire comprendre qu’il y a vraiment trinité, mais l’intelligence ne doit pas diviser ce que l’oreille a distingué l. Certaines choses, en effet, sont présentées sous le nom du Père, d’autres sous le nom du Fils, d’autres sous celui du Saint-Esprit, pour que les fidèles ne se trompent pas en confessant la Trinité : puisqu’elle est inséparable, on ne la concevrait jamais comme une trinité si on l’exprimait toujours insépa­ rablement. Il est donc bon que la difficulté même où nous sommes d’en parler force notre cœur à com­ prendre ; et l’enseignement céleste se sert de notre infirmité même pour nous venir en aide : puisque notre pensée ne doit mettre dans la Divinité du Père et du Fils et de l’Esprit-Saint ni singularité ni diversité, 151 DE PENTECOSTE SERMO II quidem simul mente aliquatenus sentiri, sed non pos­ sit simul ore proferri. 3. Fundata igitur, dilectissimi, hac fide in cordibus nostris, qua salubriter credimus quod simul tota Tri­ nitas una virtus est, una majestas, una substantia, indiscreta opere, inseparabilis dilectione, indifferens potestate, simul implens omnia, simul continens uni­ versa : quod enim Pater est, hoc est ct Filius, hoc est et Spiritus sanctus ; et vera Deitas in nullo esse aut major aut minor potest, quae sic in tribus est confi­ tenda personis, ut et solitudinem non recipiat Trini­ tas, et unitatem servet aequalitas. Hac, inquam, dilec­ tissimi, fide firmiter apprehensa, non ambigamus quod cum in die Pentecostes discipulos Domini Spiritus sanctus implevit, non fuit inchoatio muneris, sed ad­ jectio largitatis : quoniam et patriarchae, et prophe­ tae, et sacerdotes, omnesque sancti qui prioribus fuere temporibus, ejusdem sunt Spiritus sanctificatione ve­ getati ; et sine hac gratia nulla umquam instituta sa­ cramenta, nulla sunt celebrata mysteria : ut eadem semper fuerit virtus charismatum, quamvis non eadem fuerit mensura donorum. 4. Ipsi quoque beati apostoli ante passionem Do­ mini sancto Spiritu non carebant, nec potentia hujus virtutis aberat ab operibus Salvatoris. Et cum disci­ pulis daret infirmitatum curationem, et ejiciendorum daemonum potestatem \ ejus utique Spiritus largie­ batur effectus, in quo ipsum immundis spiritibus im­ perantem Judaeorum negabat impietas, et divina beneficia diabolo deputabat12. Unde taliter blasphe­ mantes merito illam Domini excepere sententiam, qua ait : Omne peccatum et blasphemia remittetur homini1. Cf. Luc X, 19 : · Eccc dedi vobis potestatem calcandi super serpentes ct scorpiones ct super omnem virtutem inimici. · I I i Ί SERMON II SUR LA PENTECÔTE 151 notre esprit peut bien d’une certaine manière sentir à la fois et la vérité de l’unité et la vérité de la trinité, mais le langage est incapable de les exprimer en même temps. 3. Cette foi, bien-aimés, est donc enracinée dans nos cœurs, qui nous fait croire pour notre salut que toute la Trinité prise ensemble est une seule puissance, une seule majesté, une seule substance, indistincte en son action, inséparable en son amour, sans différence en son pouvoir, toute en même temps remplissant tout, toute en même temps contenant tout : ce qu’est, en effet, le Père, le Fils l’est aussi, et ΓEsprit-Saint l’est également ; la parfaite divinité ne peut être en nul d’entre eux ou plus grande ou plus petite, mais il faut la reconnaître dans les trois Personnes en sorte que la Trinité soit incompatible avec la solitude ct que leur égalité sauvegarde l’unité. Tenant ferme cette foi, bien-aimés, ne doutons pas que, lorsque l’Esprit-Saint, au jour de la Pentecôte, remplit les disciples du Seigneur, ce ne fut pas un début dans le don, mais une largesse qui s’ajouta à d’autres : les patriarches et les prophètes, et les prêtres et tous les saints qui vécurent dans les temps anciens ont été, en effet, nourris du même Esprit sanc­ tifiant : sans cette grâce, aucun rite sacré n’a jamais été institué, aucun mystère célébré : la vertu des cha­ rismes a toujours été la même, encore que la mesure des dons ait été différente. 4. Les bienheureux apôtres eux-mêmes, avant la Passion du Seigneur, n’étaient pas davantage privés du Saint-Esprit, pas plus que la vertu de cette puis­ sance n’était absente des œuvres du Sauveur. Et lors­ qu’il donnait aux disciples le pouvoir de guérir les maladies ct celui de chasser les démons *, il leur ac­ cordait certes la force de cet Esprit dont l’impiété des Juifs, attribuant au diable les bienfaits divins, niait qu’il usât pour commander aux esprits immondes2. Aussi méritaient-ils de s’attirer pour de tels blas­ phèmes cette sentence du Seigneur : «Tout péché et 2. Ct. Ibid. XI, 15. LA>n le Grand. III. 10 152 DE PENTECOSTE SERMO II bus ; Spiritus autem blasphemia non remittetur homi­ nibus. Et quicumque dixerit verbum contra Filium ho­ minis, remittetur ei ; qui autem dixerit contra Spiritum sanctum, non remittetur ei neque in hoc saeculo, neque in futuro L. Unde manifestum est peccatorum remis­ sionem sine Spiritus sancti advocatione non fieri, nec quemquam sine illo, sicut expedit, ingemiscere, aut sicut oportet, orare, dicente Apostolo : Quid enim orc­ inus sicut oportet, nescimus ; sed ipse Spiritus postulat pro nobis gemitibus inenarrabilibus 1 2 ; et : Nemo potest dicere Dominum Jesum, nisi in Spiritu sancio 3 : quo vacuari nimis exitiabile est nimisque mortiferum, quia numquam veniam meretur, qui ab intercessore dese­ ritur. Omnes igitur, dilectissimi, qui in Dominum Jesum crediderant, infusum sibi habebant Spiritum sanctum, et remittendorum peccatorum etiam tunc apostoli ac­ ceperant potestatem, quando post resurrectionem suam Dominus insufflavit, et dixit : Accipite Spiri­ tum sanctum : quorum remiseritis peccata, remittentur eis ; et quorum retinueritis, retinebuntur 4. Sed illi per­ fectioni, quae erat discipulis conferenda, major gratia et abundantior inspiratio servabatur, per quam ct quae nondum acceperant sumerent, et excellentius possent habere quae sumpserant. Propter quod Do­ minus dicebat : Adhuc multa habeo vobis dicere, sed non potestis illa portare modo. Cum autem venerit Spi­ ritus veritatis, ille diriget vos in omnem veritatem. Non enim loquetur a semetipso, sed quae audierit loquetur, ct futura annuntiabit vobis. Ille me clarificabit, quia de meo accipiet et annuntiabit vobis 5. 5. Quid ergo est quod Dominus promittens disci1. Mattb. XII, 31-32. 2. Rom. VIII, 26. SERMON II SUR LA PENTECÔTE 152 blasphème sera remis aux hommes, mais le blasphème contre l’Esprit ne sera pas remis. Et si quelqu’un dit une parole contre le Fils de l’homme, cela lui sera remis ; mais s’il parle contre l’Esprit-Saint, cela ne lui sera remis ni en ce monde ni en l’autre » D’où il ressort manifestement que le pardon des péchés ne se fait pas sans l’assistance de l’Esprit-Saint et que personne ne peut sans lui gémir comme il convient ni prier comme il faut, ainsi que le dit l’Apôtre : « Nous ne savons que demander pour prier comme il faut ; mais l’Esprit lui-même, intercède pour nous en des gémissements ineffables 2»; et encore : «Nul ne peut dire : Jésus est Seigneur, que sous l’action de l’EspritSaint 3. » Être sans lui est ce qu’il y a de plus mortel et de plus funeste, car celui-là ne saurait jamais obte­ nir le pardon, que son avocat abandonne. Tous ceux donc, bien-aimés, qui avaient cru dans le Seigneur Jésus avaient l’Esprit-Saint répandu en eux, et les Apôtres avaient encore reçu le pouvoir de remettre les péchés lorsque, après sa résurrection, le Seigneur avait souillé sur eux en disant : « Recevez l’Esprit-Saint : ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis ; ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus 45.» Mais la perfection qui de­ vait être conférée aux disciples appelait une grâce plus haute et une effusion plus abondante, pour qu’ils pussent recevoir ce qui ne leur avait pas encore été donné et avoir plus excellemment ce qu’ils avaient déjà reçu. Aussi le Seigneur leur disait-il : « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez pas les porter maintenant. Quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous conduira vers la vérité tout entière ; car il ne parlera pas de lui-même ; mais tout ce qu’il entendra, il le dira et il vous annoncera les choses à venir. Il me glorifiera, car c’est de mon bien qu’il prendra pour vous en faire part s. » 5. Mais si le Seigneur avait déjà dit à ses disciples : 3. I Cor. XII, 3. 4. Jean XX, 22. 5. Ibid. XVI, 12-14. 153 DE PENTECOSTE SERMO II pulis Spiritum sanctum, qui jam dixerat : Omnia quae audivi a Patre, meo, nola feci vobis 1 : Adhuc inquit, mulla habeo vobis dicere, sed non potestis illa portare modo. Cum autem venerit Spiritus ille veritatis, ille vos diriget in omnem veritatem 2 ? Numquid sese Domi­ nus inferioris scientiae volebat intclligi, aut minus ali­ quid quam Spiritum sanctum a Patre didicisse ? cum ipse sit Veritas, et nihil Pater dicere, nihil Spiritus possit docere sine Verbo, ideoque dictum sit : De meo accipiet : quoniam quod accipit Spiritus, Patre dante, dat Filius. Non itaque aha insinuanda erat veritas, nec alia praedicanda doctrina ; sed oportebat capaci­ tatem eorum qui docebantur augeri, et multiplicari constantiam illius caritatis quae omnem formidinem foras mitteret 3, et furorem persequentium non time­ ret. Quod utique apostoli, posteaquam Spiritus sancti nova abundantia sunt repleti, ardentius velle ct effi­ cacius posse coeperunt, proficientes a praeceptorum scientia ad tolerantiam passionum : ut sub nulla jam tempestate trepidantes, fluctus saeculi ct elationes mundi fide supergrediente calcarent, et morte con­ tempta, omnibus gentibus Evangelium veritatis infer­ rent. 6. Quod vero addidit Dominus, dicens : Quaecumque audierit loquetur, et futura annuntiabit vobis, non segni intellectu, dilectissimi, nec transitorio accipiamus au1. Jean XV, 15. 2· S. Augustin pose la mime question pour y répondre d’une manière analogue : · Num ct mori pro Christo nondum erant idonei tunc Apostoli, quibus dicebat : Non potestis me sequi modo... Et tamen postea et viri ct mulieres, pueri et puellae* juvenes ot virgines, seniores cum junioribus innumerabiles martyrio coronati sunt · (Traci, in Jaannis Evang. XCVI, 1 ; P. L. XXXV, 1£74). Puis, après avoir recommandé la pratique de la charité pour pouvoir connaître cette vérité tout entière que l’Esprit-Saint révèle, il met ses auditeurs en garde contre les hérétiques qui prétendent en être les dépositaires ; sans les nommer, il vise les Manichéens, car il ter­ mine ainsi, en des tenues qui font penser a S. Léon : « Quae cum ita slnt. SERMON II SUR LA PENTECÔTE 153 « Tout ce que j’ai appris de mon Père, je vous l’ai fait connaître 1 », d’où vient donc qu’il leur dit mainte­ nant, en leur promettant l’Esprit-Saint : « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez pas les porter maintenant. Quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous conduira vers la vérité tout entière 2 » ? Le Seigneur voulait-il donner à entendre que sa science à lui était inferieure, ou qu’il avait appris du Père moins que l’Esprit-Saint ? Et cepen­ dant il est lui-même la Vérité, et le Père ne peut rien dire, l’Esprit rien enseigner sans le Verbe, et c’est pourquoi il est dit : « 11 prendra de mon bien. » Ce que reçoit l’Esprit, en effet, le Père le donne, ct le Fils le donne à son tour. Aussi bien ne s’agissait-il pas d’en­ seigner une autre vérité, de prêcher une autre doc­ trine ; mais il fallait que fût augmentée la capacité de ceux qui allaient être instruits, et que fût décuplée la fermeté de cette charité qui devrait bannir toute crainte 3 et ne pas redouter la fureur des persécuteurs. Cela, les apôtres, une fois remplis de nouveau et avec abondance de l’Esprit-Saint, commencèrent à le vou­ loir avec plus d’ardeur et à le pouvoir plus efficace­ ment, passant de la connaissance des préceptes au support effectif des tourments : sans trembler devant aucune tempête, ils devinrent capables de fouler d’un pied affermi par la foi, les flots du siècle et les remous du monde, et, méprisant la mort, d’apporter à toutes les nations l’évangile de la vérité. 6. Cependant les mots que le Seigneur ajouta : « Tout ce qu’il entendra, il le dira et il vous annoncera les choses à venir », gardons-nous, bien-aimés, de les entendre sans chercher à les comprendre et comme dilectissimi» moneo vos in caritate Christi, ut seductores caveatis impuros et obscenae turpitudinis sectas, de quibus ait Apostolus : Quae autem occulte ilunt ab Istis, turpe est ct dicere ; nc cum horrendas immunditias docere coeperint, quas humanae aures qualescumque sint portare non possunt, dicunt ipsa esse quae Dominus ait : Adhuc multa habeo vobis dicere, sed non potestis portaro modo; ct per Spiritum sanctum asserant fleri ut possint illa immunda ct nefanda portari · (Ibid, 1876). On volt que le mouvement dc la pensée est le même chez S. Léon, qui s’est certainement inspiré de cc traité pour composer le présent sermon. 3. Cf. I Jean IV, 18 : « Perfecta caritas foras mittit timorem. » 154 DE PENTECOSTE SERMO II ditu. Praeter alias enim Veritatis locutiones quibus Manichaeorum confutatur impietas, hac apertissime sententia totum sacrilegae falsitatis dogma prosterni­ tur. Nam ut magnum quemdam atque sublimem sequi viderentur auctorem, in magistro suo Mane sanctum apparuisse Spiritum crediderunt, promissumque a Do­ mino Paracletum non prius venisse quam hic infelicium deceptor oriretur : in quo ita Spiritus Dei man­ serit, ut non aliud fuerit Manes ipse quam spiritus qui per ministerium corporeae vocis et linguae discipulos suos in omnem induceret veritatem, et numquam co­ gnita praeteritorum secreta saeculorum reseraret Quod quam falsum quamque sit vanum, ipsa evangelicae praedicationis declarat auctoritas. Manes ergo minister falsitatis diabolicae, et conditor superstitio­ nis obscenae eo tempore damnandus innotuit, quo post resurrectionem Domini ducentesimus et sexage­ simus annus impletus est, Probo imperatore Paulinoque consulibus 12, cum octava jam in Christianos persecutio desaeviret, et innumera martyrum millia ipsis suis victoriis probavissent impletum esse quod Dominus promiserat, dicens : Cum autem tradent vos, nolite, cogitare quomodo aut quid loquamini. Dabitur enim vobis in illa hora quid loquamini. Non enim vos estis qui loquimini, sed spiritus Patris vestri qui loqui­ tur in vobis 3. 7. Non ergo potuit promissio Domini per tot aeta1. Cette prétention est confirmée par les Acta Archelai, écrit manichéen du début du ιν· siècle ; on y lit ces propos mis dans la bouche de Maid : ■ Sum quidem ego Paracletus qui ab Je$u mitti praedictus sum ad arguen­ dum mundum dc peccato et dc judicio et dc justitia, sicut et qui ante me missus est Paulus «ex parte scire ct ex parte prophetare» se dixit, milii reservans quod perfectum est » (XV, 3-1, édit. C. it. Beeson, p. 23). Dans le môme sens. S· Augustin, Centra Faustum, XXXif, 16-19; CSEL 25, p. 775 et s. 2. S. Léon suit ;i peu près la chronologie de Prosper d’Aquitaine qui SERMON II SUR LA PENTECÔTE H Γ' I II * I 154 en passant. Car, outre d’autres paroles de la Vérité qui réfutent l’impiété des Manichéens, cette déclaration met très évidemment à bas toute leur doctrine fausse et sacrilège. Voulant, en effet, se donner l’air de suivre un chef grand et sublime, ils ont cru que le SaintEsprit était apparu dans leur maître Mânes, et que le Paraclct promis par le Seigneur n’était pas venu tant que n’avait pas paru cet homme fait pour abuser les malheureux : ΓEsprit de Dieu aurait si bien habité en lui que Manès lui-même n’aurait été rien d’autre que l’Esprit conduisant ses disciples vers la vérité tout entière par le moyen d’une voix et d’une langue corporelles, et leur découvrant des secrets que les siècles passés n’avaient jamais connus x. L’autorité même dc la prédication évangélique manifeste com­ bien cela est faux et vain. Manès, instrument de men­ songe au service du diable et auteur d’une supersti­ tion obscène, se fit donc connaître, digne objet de condamnation, deux cent soixante ans après la résur­ rection du Seigneur, sous le consulat de l’empereur Probe et de Paqlin 2, alors que la huitième persécu­ tion sévissait déjà contre les chrétiens et que des mil­ liers et des milliers de martyrs avaient rendu mani­ feste par leurs victoires mêmes l’accomplissement de cette promesse du Seigneur : « Quand on vous livrera, ne cherchez pas avec inquiétude comment parler ou que dire : ce que vous aurez à dire vous sera donné sur le moment, car ce n’est pas vous qui parlerez, mais l’Esprit de votre Père qui parlera en vous 3. » 7. La réalisation de la promesse du Seigneur n’a place le consulat de Probe et Paulin (277) deux cent cinquante ans après la Passion (au Heu dc deux cent soixunte chex S. Léon» qu’un manuscrit d’Oxford a d’ailleurs cru devoir corriger en écrivant en marge CCL ; ct. P. L. LIV, 409, note a). En celte même année. Prosper mentionne : < Insana Manichaeorum hcrcsls orta », par l’œuvre do < Manis, Manichaeis quidam auctor dementissiml dogmatis » (Prosperi Chroniam, Monum. Germ. Histor. Auct. antiquis. IX). Pas plus que S. Léon» il ne distingue entre la persé­ cution de Valérlen (256) et celle d’Aurélien (270-276). d’ailleurs rapide­ ment interrompue par la mort de cet empereur. Pour lui. c’est la huitième persécution» ct celle dc Dioclétien sera lu neuvième et dernière. S. Augustin et Orosc distinguent les deux persécutions et arrivent ainsi au total dc dix. 3. Matth. X, 19-20. 155 DE PENTECOSTE SERMO II tum intervalla differri, nec ille Spiritus veritatis, quem mundus non accepit impiorum \ ita septiformem illam donorum suorum continuit largitatem, ut tot Eccle­ siae generationes sua inspiratione fraudaret, donec prodigiosus turpium mendaciorum signifer nasceretur, cui nec hoc quidem tribui potest, quod vel exiguam divinae inspirationis acceperit portionem : quoniam et hic de illa mundi exstitit parte, quae non potest Spiritum veritatis accipere. Repletus enim spiritu dia­ boli, Spiritui restitit Christi2; et cum sanctis Dei hoc Paracleti doctrina contulerit, ut futura praedicerent, hic ne falsitates ejus ipse rerum processus argueret, sacrilegarum impudentiam fabularum in praeteritas retorsit aetates. Et quasi nihil nos de sempiternitate Creatoris, nihil de ordine creaturae 3 lex sancta ct di­ vinitus inspirata prophetia docuisset, in contumeliam Dei et in omnium bene conditarum 1 injuriam natu­ rarum, compugnantia mendaciorum monstra con­ texuit. Quibus tandem suas insinuaturus erat insanias, nisi multum insipientibus ct nimium a lumine verita­ tis aversis, qui sive per ignorantiae caecitatem, sive per turpitudinis appetitum, ad illa non sacra, sed exsecramenta 5 perveniunt, quae propter communem verecundiam non sunt nostro sermone promenda, cum jam abundantissime ipsorum sint confessione pate­ facta 6 ? 8. Nulli ergo vestrum, dilectissimi, suadeatur quod tantae impietatis auctorem Spiritus sanctus aliqua ex parte dignatus sit. Nihil ad istum prorsus de illa vir1. CL Jean XIV, 17 : < Spiritum veritatis, quem mundus non potest accipere. » 2. Cf. Actes VIT, 51, où il s'agit des Juifs dans le discours d’Étienne. 3. Les manichéens rejetaient l’autorité de la Loi et des Prophètes, les attribuant à l’inspiration du diable. Dans les Acia Archelai, déjà cités (XV. 9-10 ; édit. C. H. Becson, p. 21-25). Mani est censé dire : · En quae tn pro­ phetis et lege scripta sunt ipsi (Satanae) ascribenda sunt ; ipse est enim qui SERMON II SUR LA PENTECÔTE 155 donc pu être différée pendant une si longue période, et cet Esprit de vérité, que n’a pas reçu le monde des impies \ n’a pas retenu l’abondance septiforme de ses dons, privant ainsi de son inspiration tant de généra­ tions de l’Église, jusqu’à ce que naquît le héraut montrueux de ces mensonges éhontés : on ne peut même pas accorder à celui-ci qu’il ait reçu la plus petite part d’inspiration divine, car lui aussi appar­ tenait à cette portion du monde qui ne peut recevoir l’Esprit de vérité. Rempli, en effet, de l’esprit du diable, il résista à l’Esprit du Christ2 ; ct, tandis que l’enseignement du Paraclct donne aux saints de Dieu de prédire l’avenir, lui, de peur que le cours même des événements ne témoignât de ses mensonges, retourna sur les Ages passés l’impudence de ses inventions sacri­ lèges. Et, comme si la loi sainte et la prophétie divi­ nement inspirée ne nous avaient rien appris de l’éter­ nité du Créateur, rien de l’ordre de la création 3, il tissa les énormités contradictoires de ses mensonges, faisant injure à Dieu et à toutes les natures créées selon le bien 4. A qui enfin allait-il enseigner ses insa­ nités, sinon à des gens remplis de folie et tournant le dos à la lumière de la vérité, qui, aveuglés par l’igno­ rance, ou assoiffés d’ignominie, en viennent à des choses non pas sacrées, mais exécrables s, à des choses dont la pudeur générale nous empêche de parler, d’au­ tant que leur propre confession les a surabondam­ ment fait connaître e? 8. Qu’on ne fasse donc accroire à personne d’entre vous, bien-aimés, que l’Esprit-Saint ait honoré d’une manière quelconque l’auteur d’une telle impiété. Rien assurément n’est parvenu à cet homme de cette puisin prophetis tunc locutus est. plurimas eh de Deo ignorantias suggerens ct tentationes ct concupiscentias. · <1. Cf. Gen. J, 31. 5. S. Augustin écrit de même à propos des Manichéens et de leurs pra­ tiques avouées par eux : « Hoc non sacramentum, sed exsecramentum... confessi sunt. ■ (De hwestbas ad QuodüuUdeiun, XJLVI ; P. L. XLII, 36). G. Le procès des manichéens de Home sc place en octobre 443. S. Mon fait ici allusion à leurs aveux récents, ce qui permet de dater ce sermon de la Pentecôte 4-14. C’est dans le sermon XVI (5· pour le jeûne de décembre) que S. Léon a fait le récit du procès (P. L. L1V, 178-179). 156 DE PENTECOSTE SERMO Π tute pervenit, quam Ecclesiae suae Christus et pro­ misit et misit. Dicente enim beato apostolo Joanne : Spiritus nondum erat datus, quia Jesus nondum erat clarificalus 1 : Domini ascensio dandi Spiritus fuit ratio, quem ille necesse est ut neget datum, qui ad consessum paternae dexterae verum in Christo homi­ nem negat esse provectum. Nos autem, dilectissimi, ad beatam aeternitatem et animae et carnis per rege­ nerationem sancti Spiritus adoptati, sacratissimum diei istius festum rationabili obsequio 1 2 et casta laeti­ tia celebremus, confidentes cum beato Paulo apostolo, quod Dominus Jesus Christus ascendens in altum, cap­ tivam duxit captivitatem, dedit dona hominibus 3 : ut Evangelium Dei per omne humanae vocis eloquium praedicetur, et omnis lingua confiteatur quia Dominus Jesus Christus in gloria est Dei Patris 45 . 9. Ad praesentem autem solemnitatem, dilectissimi, etiam illa nobis est adjicienda devotio, ut jejunium quod ex apostolica traditione 6 subsequitur celebre­ mus, quia et hoc inter magna sancti Spiritus dona numerandum est, quod nobis adversum illecebras car­ nis et insidias diaboli jejuniorum sunt collata praesi­ dia, quibus omnes tentationes Deo adjuvante vinca­ mus. Quarta igitur et sexta feria jejunemus ; sabbato autem apud beatum Petrum apostolum vigilias cele­ bremus, patrocinante eodem orationibus nostris, ut in omnibus misericordiam Dei obtinere mereamur, per Dominum nostrum Jesum Christum viventem et re­ gnantem cum Patre ct Spiritu sancto in saecula sae­ culorum. Arnen. 1. 2. 3. 4. 5. Jean VH, 39. Cf. Boni. XII» 1 ; réminiscence du «rationabile obsequium vestrum ·. Éph. IV» 8, Philip. II, 11. S. Léon avait déjà rattaché aux Apôtres le Jeûne quadragésimal (et. SERMON II SUR LA PENTECÔTE 156 sance que le Christ a promise et envoyée à son Église. Si le bienheureux apôtre Jean a dit : « L’Esprit n’avait pas encore été donné, parce que Jésus n’avait pas encore été glorifié 1 », l’ascension du Seigneur fut la raison du don de Γ Esprit ; or il faut bien que celuilà nie un tel don, qui nie que soit monté s’asseoir à la droite-du Père l'homme véritable qui était dans le Christ. Pour nous, bien-aimés, qui avons reçu la grâce de l’adoption par la régénération dans l’Esprit-Saint, en vue de la bienheureuse éternité ct de l’âme et du corps, célébrons par un hommage spirituel 2 ct par une pieuse allégresse la très sainte fête de ce jour ; proclamons avec le bienheureux apôtre Paul que le Seigneur Jésus-Christ, « montant dans les hauteurs, a emmené captive notre captivité et a donné des dons aux hommes 3 » ; afin que toute voix humaine annonce Γ Évangile de Dieu et que « toute langue proclame que le Seigneur Jésus-Christ est dans la gloire de Dieu le Père ‘ ». 9. Mais, à la solennité d’aujourd’hui, bien-aimés, il faut ajouter aussi une pratique de dévotion qui nous vient de la tradition apostolique 5, à savoir la célébra­ tion d’un jeûne; parmi les grands dons du Saint-Es­ prit, il faut, en effet, compter le secours des jeûnes qui nous est accordé pour combattre les séductions de la chair et les pièges du diable, et pour vaincre ainsi, Dieu aidant, toutes les tentations. Jeûnons donc mer­ credi et vendredi ; et samedi, célébrons les vigiles au­ près du bienheureux apôtre Pierre qui donnera son patronage à nos prières, afin qu’en toutes choses nous méritions d’obtenir la miséricorde de Dieu, par notre Seigneur Jésus-Christ qui vit et règne avec le Père et l’Esprit-Saint dans les siècles des siècles. Amen. 6· sermon sur le Carême, 2 ; S. C. 49, p. 57 ; 9* sermon, idem, 1, p. 70) ; il fait aussi remonter à eux l'institution du jeûne des Quatre-Temps de Pen­ tecôte (ci. les 2·Γ» 2e et <· sermons sur le jeûne de Pentecôte; P. L. L1V, 415 $s). Mais il est curieux de noter qu’il considère les jeûnes des QuatreTemps do septembre ct de décembre comme une pratique do l’Anden Testament reprise par le nouveau, sans faire mention d’une initiative apos­ tolique (ci. par exemple sermon XV, 2, 4· pour le jeûne de décembre, ibid. 175 ; sermon XC, 1, 5· pour le jeûne de septembre, ibid. 447). 157 DE PENTECOSTE SERMO III 64 (LXXVH) DE PENTECOSTE SERMO III 1. Hodiernam, dilectissimi, festivitatem toto terra­ rum orbe venerabilem \ ille sancti Spiritus consecra­ vit adventus, qui post resurrectionem Domini quin­ quagesimo dic in apostolos populumque credentium, sicut sperabatur, influxit. Sperabatur autem, quia il­ lum Dominus Jesus spoponderat affuturum, non ut tunc primum esse sanctorum habitator inciperet, sed ut sacrata sibi pectora et ferventius accenderet, et copiosus inundaret ; cumulans sua dona, non inchoans, nec ideo novus opere, quia ditior largitate. Numquam enim ab omnipotentia Patris et Filii, Spiritus sancti est discreta majestas ; et quidquid in dispositione om­ nium rerum agit divina moderatio, ex totius venit providentia Trinitatis. Una est ibi benignitas miseri­ cordiae, una censura justitiae ; nec aliquid est in ac­ tione divisum, ubi nihil est in voluntate diversum. Quae ergo illuminat Pater, illuminat Filius, illuminat Spiritus sanctus ; cumque alia sit persona missi, alia mittentis, alia promittentis 1 2, simul nobis et unitas manifestatur et Trinitas : ut essentia habens aequali1. Ce début n’est pas sans rappeler la Préface de la Pentecôte au Missel romain ; < Quapropter profusis gaudiis foins in orbe terrarum mundus exsul· tat. > 2. La traduction française ne peut rendre le jeu de mots latin sur le verbe mttto : rEsprit-Salnt est mtasusjo Père mittens, le Fils est pro-mil· tens. SERMON III SUR LA PENTECÔTE 157 64 (LXXVII) TROISIÈME SERMON SUR LA PENTECOTE Sommaire. — 1. La Pentecôte inaugure une nouvelle présence du Saint-Esprit dans le monde. Unité et trinité en Dieu. — 2. Les trois Personnes divines se sont partagé l’oeuvre de notre rédemp­ tion. — 3. Sauvegarder cependant l'unité dans notre conception de la Trinité. — 4. Ne penser de Dieu rien de matériel. — 5. Le Christ est un avec le Père et en même temps inférieur au Père. — 6. Égalité des trois Personnes dans la Trinité. 1. La fête d’aujourd’hui, bien-aimés, digne que toute la terre l'entoure de vénération \ a été consacrée par la venue du Saint-Esprit, de cet Esprit qui, cinquante jours après la résurrection du Seigneur, envahit, comme ils l’espéraient, les apôtres et la foule des fidèles. Ils l’espéraient, car le Seigneur Jésus avait promis sa venue : non pas qu’il dût commencer alors d’habiter pour la première fois dans les saints, mais il allait embraser plus ardemment et inonder plus abon­ damment les cœurs à lui consacrés ; il allait mettre le comble à ses dons, bien loin de les inaugurer, et s’il se montrait plus prodigue de ses biens, il ne com­ mençait pas pour autant son œuvre. Jamais, en effet, la majesté du Saint-Esprit n’a été séparée de la toutepuissance du Père et du Fils ; tout ce que fait le gou­ vernement divin dans la conduite de l’univers, vient de la providence de toute la Trinité. Une seule misé­ ricorde y exerce la bonté, une seule justice la correc­ tion ; nulle division ne sépare l’action là où il n’y a pas de distinction dans la volonté. Ce qu’illumine le Père, le Fils donc l'illumine, l’Esprit-Saint l’illumine ; la personne de l’envoyé étant autre, autre celle de Celui qui envoie, autre celle de Celui qui promet2, l’unité et la trinité nous sont ainsi manifestées en­ semble et nous comprenons que l’essence divine pos- 158 DE PENTECOSTE SERMO III tatem, et non recipiens solitudinem, et ejusdem sub­ stantiae, et non ejusdem intelligatur esse personae. 2. Quod ergo salva cooperatione inseparabilis Dei­ tatis, quaedam Pater, quaedam Filius, quaedam pro­ prie Spiritus sanctus exequitur, nostrae redemptionis dispositio, nostrae salutis est ratio. Si enim homo ad imaginem et similitudinem Dei factus in suae honore naturae mansisset, nec diabolica fraude deceptus a lege sibi posita per concupiscentiam deviasset x, Crea­ tor mundi creatura non fieret ; neque aut sempiternus temporalitatem subiret, aut aequalis Deo Patri Filius Deus formam servi et similitudinem carnis peccati 1 2 assumeret. Sed quia invidia diaboli mors introivit in orbem terrarum 3, et aliter solvi captivitas humana non potuit, nisi causam nostram ille susciperet, qui sine majestatis suae damno et verus homo fieret, et solus peccati contagium non haberet ; divisit sibi opus nostrae reparationis misericordia Trinitatis ; ut Pater propitiaretur, Filius propitiaret, Spiritus sanctus igni­ ret. Oportebat enim ut etiam salvandi aliquid pro se agerent, et conversis ad Redemptorem cordibus, ab inimici dominatione discederent : quoniam, sicut Apos­ tolus ait, misit Deus Spiritum Filii sui in corda nostra clamantem, Abba Pater 45 . Ubi autem Spiritus Domini, ibi libertas 6. Et, Nemo potest dicere Dominum desum, nisi in Spiritu sancto e. 3. Si ergo duce gratia, dilectissimi, fideliter sapienterque noscamus quid Patri, quid Filio, quid Spiritui sancto in reparatione nostra proprium quidve com­ mune sit, ea quae pro nobis humiliter et corporaliter 1. 2. 3. 4. 5. CL Sag. Sir. XVIII, 30 : · Post concupiscentias tuas non eas. · Cf. Ro>». VIII, 3. Sagesse II, 24. Gal. IV, 6. II Cor. III. 17. I SERMON III SUR LA PENTECÔTE 158 sède l’égalité sans admettre la solitude et qu’elle est d’une même substance sans être d’une même personne. 2. L’activité commune de l’inséparable Divinité étant donc sauve, s’il y a des œuvres que le Père, d’autres que le Fils, d’autres que l’Esprit-Saint exé­ cutent en propre, c’est là une disposition en vue de notre rédemption, un dessein pour notre salut. Si, en effet, l'homme créé à l’image et ressemblance de Dieu était demeuré dans la condition glorieuse de sa nature, s’il ne s’était pas laissé tromper par la fourberie du diable pour s’égarer à la suite de sa convoitise \ loin de la loi qui lui avait été imposée, le Créateur du monde ne se serait pas fait créature et ΓÉternel ne se serait pas soumis au temps, pas plus que le Fils, égal à Dieu son Père et Dieu lui-même, n’aurait as­ sumé la condition de l’esclave ct la ressemblance de la chair du péché 2. Mais, « par l'envie du diable, la mort est entrée dans le monde 3 » : l’humanité ne pou­ vait être libérée de l’esclavage que si notre cause était prise en main par Celui qui, sans détriment pour sa majesté, deviendrait homme en toute vérité en même temps qu’il échapperait à la contagion du péché. C’est pourquoi la miséricordieuse Trinité se partagea l’œuvre de notre restauration : le Père en agréant le sacrifice, le Fils en l’offrant, l’Esprit-Saint en y por­ tant le feu. Il fallait, en effet, que ceux qui devaient être sauves fissent aussi quelque chose pour euxmêmes, et, tournant leur cœur vers le Rédempteur, brisassent avec la tyrannie de l’ennemi : car, selon ces paroles de ΓApôtre, « Dieu a envoyé dans nos cœurs l’Esprit de son Fils qui crie : Abba, Père4 ! ». « Où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté 5» ; et « nul ne peut dire : Jésus est le Seigneur, que sous l’action de l’Esprit-Saint °. » 3. Si donc, bien-aimés, conduits par la grâce, nous savons d’après la foi et la raison ce qui, dans l’œuvre de notre restauration, revient en propre au Père, ce qui revient au Fils, ce qui revient à l’Esprit-Saint, ct 6. I Cor. ΧΙΪ, 3. 159 DE PENTECOSTE SERMO III gesta sunt ita procul dubio suscipiemus, ut nihil indi­ gnum de una atque eadem Trinitatis gloria sentiamus. Quamvis enim nulla mens ad cogitandum de Deo, nulla ad loquendum lingua sufficiat, tamen quantumcumque illud est quod humano intellectu dc essentia paternae Deitatis attingitur, nisi unum atque idem est, cum vel de Unigenito ejus, vel de Spiritu sancto cogi­ tatur, non pic sapitur, sed nimis carnalitcr caligatur, et ipsum quod de Patre congruenter sentiri videbatur, amittitur : quia de tota Trinitate receditur, si in ea unitas non tenetur. Nulla autem ratione vere est unum quod aliqua est inaequalitate diversum. 4. Cum igitur ad confitendum Patrem, et Filium, et Spiritum sanctum aciem mentis intendimus, procul ab animo formas visibilium rerum et aetates tempo­ ralium naturarum, procul corpora locorum et loca corporum repellamus. Discedat a corde quod spatio extenditur, quod line concluditur, et quidquid nec semper ubique, nec totum est. Cogitatio de Deitate Trinitatis concepta nihil per distantiam intclligat, nihil per gradus quaerat : ac si quid dignum de Deo sense­ rit, nulli hoc ibi audeat negare personae, tamquam honorificentius Patri ascribat, quod Filio Spirituique non tribuat. Non est pietas Unigenito praeferre Geni­ torem ; Filii contumelia Patris injuria est; quod uni demitur utrique detrahitur. Nam cum illis et sempi­ ternitas sit communis et Deitas, nec omnipotens Pater, nec incommutabilis aestimatur, si aut minorem se ge­ nuit, aut quem non habuit, habendo profecit x. 5. Dicit quidem Dominus Jesus discipulis suis, sicut evangelica lectione recitatum est : Si diligeretis nie, gauderetis utique, quia ad Patrem vado, quia Pater ιηα1. C’était la positio» *dArius. SERMON III SLR LA PENTECÔTE 159 ce qui leur est commun, admettons sans l’ombre d’un doute ce qui a été accompli pour nous dans l’humilité et dans la chair, mais sans pour autant penser rien qui soit indigne de la gloire de l’unique et indivisible Trinité. Il est vrai, aucune intelligence n’est en me­ sure de bien penser de Dieu, aucune langue d’en bien parler ; pourtant, quelque haute que soit la notion à laquelle puisse atteindre l’esprit humain concernant l’essence de Dieu le Père, celle-ci doit être pensée identiquement et indistinctement tant de son Fils unique que de l’Esprit-Saint ; sinon, loin d’avoir des sentiments conformes à la piété, on serait aveuglé par des vues trop charnelles ct on perdrait cela même qu’on avait paru juger convenablement du Père : on s’éloigne, en effet, de toute la Trinité si l’on n’y main­ tient pas l’unité; or, en aucune façon, n’est vraiment un ce que diversifie quelque inégalité. 4. Lors donc que la pointe de notre esprit s’applique à reconnaître le Père, le Fils et l’Esprit-Saint, rejetons loin de notre âme les formes des choses visibles et la caducité des natures soumises au temps, rejetons l’idée de corps lies à des lieux et de lieux nécessaires aux corps. Éloignons de notre cœur ce qui s’étend dans l’espace, ce qu’un terme bornerait, ct tout ce qui n’est pas toujours et tout entier partout. Que notre conception touchant la divine Trinité ne com­ porte rien qui fasse appel à la distance, n’aille pas y chercher des degrés, et, si elle a quelque sentiment digne de Dieu, qu’elle n’ait pas la présomption de le refuser â l’une des Personnes, comme si elle jugeait plus honorable d’inscrire au compte du Père ce qu’elle n’attribuerait pas au Fils et à l’Esprit. Ce n’est pas de la piété que de faire passer celui qui engendre avant l’unique engendré ; tout déshonneur infligé au Fils est une injure faite au Père ; ce qu’on supprime à l’un, on l’enlève à tous deux. Car, l’éternité ct la divinité leur étant communes, on n’estime pas le Père toutpuissant ni immuable si on pense qu’il engendre un être inférieur à lui ou qu'il gagne quelque chose en ayant ce qu’il n’avait pas L 5. Il est vrai, le Seigneur Jésus disait à ses disciples, le Grand. 11!. 20 160 DE PENTECOSTE SERMO III jor me. est1 ; sed hoc illae aures, quae saepius audie­ runt : Ego cl Pater unum sumus 2 ; et qui me videt, videt et Patrem 3 ; sine Deitatis accipiunt differentia, nec de illa hoc essentia intelligunt, quam sempiternam cum Patre et ejusdem naturae esse noverunt. Commenda­ tur ergo etiam sanctis apostolis in incarnatione X'erbi humana provectio, et qui denuntiato sibi Domini tur­ babantur abscessu, ad aeterna gaudia honoris sui inci­ tantur augmento : Si diligeretis me, inquit, gauderetis utique, quia vado ad Patrem ; hoc est, si perfecta scien­ tia videretis quid vobis gloriae confertur per hoc quod ex Deo Patre genitus etiam ex homine matre sum natus, quod Dominus aeternorum, unus volui esse mortalium, quod visibilem me invisibilis praebui, quod formam servi in forma Dei sempiternus accepi, Gau­ deretis, quia vado ad Patrem. Vobis enim haec prae­ statur ascensio, et super omnes caelos ad Patris dex­ teram collocanda vestra in me humilitas elevatur. Ego autem, qui hoc sum cum Patre quod Pater est, indi­ viduus cum genitore permaneo, et sic ab illo ad vos veniens non recedo, quemadmodum et vos ad illum rediens non relinquo. Gaudete ergo, quia vado ad Pa­ trem, quia Paler major me est. Univi enim vos mihi, et factus sum filius hominis, ut vos filii Dei esse pos­ sitis. Unde licet unus in utroque sim, tamen quo vobis conformor, Patre sum minor ; quo autem a Patre non dividor, etiam meipso sum major. Natura itaque quae minor est Patre, vadat ad Patrem, ut ibi sit caro ubi semper est Verbum ; et una Ecclesiae catholicae fides, quem secundum humanitatem non diffitetur mino­ rem, secundum Deitatem credat aequalem. 1. Jean XIV, 28. Noter la mention de la péricopc évangélique lue au cours de rOlTice. 2. Ibid. X. 30. 3. Ibid. XIV, O. SERMON ΙΠ SUR LA PENTECÔTE [ I I 1 160 comme nous l’avons entendu lire à l’Évangile : «Si vous m’aimiez, vous vous réjouiriez de ce que je vais à mon Père, parce que le Père est plus grand que moi x. » Mais ceux qui ont souvent entendu celte autre parole : « Le Père et moi nous somme un 2 », ou bien celle-ci : «Qui m’a vu a vu le Père 3», reçoivent la première sans conclure à une différence dans la Divinité et ne la comprennent pas de cette essence qu’ils savent être coéternelle au Père et de même nature que lui. C’est donc l’élévation de l’homme dans l’incarnation du Verbe qui est enseignée meme aux saints apôtres : alors qu’ils étaient troublés par l’annonce du départ du Seigneur, celui-ci veut les élever aux joies éternelles en leur montrant l’accroissement de sa gloire : « Si vous m’aimiez, leur dit-il, vous vous ré­ jouiriez de ce que je vais à mon Père. » C’est-à-dire si, par une parfaite connaissance, vous pouviez voir ce Suc vous confère de gloire le fait que, engendré de 'ieu le Père, je suis aussi ne d’une mère de votre race, que, Seigneur de l'éternité, j’ai voulu être l’un des mortels, que, invisible, je me suis montré visible, que, dans la condition de Dieu, j’ai pris la condition d’es­ clave, « vous vous réjouiriez de ce que je vais à mon Père ». C’est pour vous, en effet, que s’accomplit cette montée, et c’est votre bassesse qui en moi est élevée plus haut que tous les cieux jusqu’à être placée à la droite du Père. Quant à moi, qui suis avec le Père ce que le Père est lui-même, je reste inséparable de celui qui m’a engendré ; en venant jusqu’à vous, je ne m’éloigne pas de lui, de même qu’en retournant à lui, je ne vous quitte pas. Réjouissez-vous donc « de ce que je vais à mon Père, parce que le Père est plus grand que moi ». Je vous ai unis à moi et je suis de­ venu Tils d’homme pour que vous puissiez être fils de Dieu. C’est pourquoi, tout en étant un dans l’un et l’autre, je suis pourtant inférieur au Père dans la me­ sure où je prends votre condition ; mais, dans celle où je ne me sépare pas du Père, je suis même supé­ rieur à moi. Que la nature donc qui est inférieure au Père aille au Père, afin que la chair soit là où toujours est le Verbe; et que l’unique foi de l’Église catho- 161 DE PENTECOSTE SERMO III 6. Contemnatur igitur, dilectissimi, vana et caeca versutia haereticae impietatis, quae sibi hujus senten­ tiae scaeva interpretatione blanditur : ac dicente Do­ mino : Omnia quae habet Pater mea sunt l, non intclligit se Patri demere quidquid Filio audet denegare, et ita in his quae humana sunt desipit, ut putet quod ideo Unigenito paterna defuerint, quia nostra sus­ cepit. Non minuit in Deo misericordia potestatem, ncc dilectae reconciliatio creaturae, sempiternae defectus est gloriae. Quae habet Pater, habet, et Filius, et quae habet Pater et Filius, habet et Spiritus sanctus, quia tota simul Trinitas est unus Deus. Hanc autem fidem non terrena sapientia reperit, nec opinio humana per­ suasit, sed ipse unigenitus Filius docuit, ipse Spiritus sanctus instituit ; de quo nihil est aliter quam de Patre et Filio sentiendum. Quia licet non sit Pater, non sit Filius, non tamen est a Patre Filioque divisus ; et sicut propriam habet in Trinitate personam 1 2, ita unain habet in Patris et Filii Deitate substantiam, omnia implentem, omnia continentem, et cum Patre et Filio universa moderantem, cui est honor et gloria in saecula saeculorum. Arnen 3. 1. Jean XVI. 15. 2. H faut noter fex pression : « habet personam », que nous traduisons imparfaitement : · i! esi une personne », et qui signifie proprement tenir un rôle au théâtre; le sens primitif de persona est celui de personnage de théâtre, comme est celui de son équivalent grec ποόσωπον» employé lui aussi pour désigner les personnes dans la Trinité. 3. Ce sermon constitue un véritable · Compendium de Trinitate ·. Tout y est dit, mais uniquement à partir du donné révélé, sans les développe­ ments spéculatifs auxquels un saint Augustin s’est livré. C est d’abord l’unité d’action dans les opérations ad exlra> bien que les < missions » dilfércntes y spécifient les personnes (§ 1). Ces missions ont eu pour motif l'œuvre de notre salut, et pour raison In miséricorde de la Trinité qui s’en est partagé l’exécution (J 2). Si. dans celle-ci· une des Per- SERMON III SUR LA PENTECÔTE 161 liquc, sans nier qu’il soit inférieur selon l’humanité, le croie égal selon la divinité. 6. Méprisons donc, bien-aimés, la vaine et aveugle subtilité de l’hérésie, qui, dans son impiété, se flatte d’une interprétation maladroite de cette phrase ; le Seigneur ayant dit : « Tout ce qu’a le Père est à moi 1 », elle ne comprend pas qu’elle enlève au Père tout ce qu’elle ose refuser au Fils, et elle s’égare en ce qui H touche à son humanité en pensant que les perfections paternelles aient manqué au Fils unique du fait qu’il a pris ce qui est de nous. La miséricorde n’a pas dimi­ nué en Dieu la puissance, et la réconciliation d’une créature aimée n’entraîne pas une éclipse de sa gloire éternelle. Ce qu’a le Père, le Fils l’a pareillement, et ce qu’a le Père et le Fils, l’Esprit-Saint aussi le pos­ sède, car toute la Trinité ensemble est un Dieu unique. Or, cette foi, ce n’est pas la sagesse terrestre qui l’a découverte, ni une opinion humaine qui l’a fait accep­ ter, mais c’est le Fils unique en personne qui l’a ensei­ gnée, c’est l’Esprit-Saint lui-même qui l’a établie, cet Esprit dont on ne doit pas penser autrement que du Père et du Fils. Encore qu’il ne soit pas le Père, qu’il ne soit pas le Fils, il n’est pourtant pas séparé du Père et du Fils ; et de même qu'il est dans la Trinité une personne distincte 2, ainsi possède-t-il la subs­ tance unique qui est dans la divinité du Père et du Fils, substance qui remplit tout, qui contient tout et qui, avec le Père et le Fils, gouverne tout ; à qui appar­ tiennent honneur et gloire dans les siècles des siècles. Amen 3. 1I j 1 Ç sonnes a paru abaissée, rien de cette humiliation volontaire ne rejaillit sur l’essence unique (§ 3), car cette tswnce divine échappe à toute * condi­ tions de temps et d’espace, autant à l’égard de ce qui n’est pas elle qu’en elle-même, dans les rapports des Personnes entre elles (§ 4). Cependant une des Personnes est désormais unie h jamais à toute l’humanité, ayant inséparablement assumé une nature humaine intégrale (S 5), sans avoir rien perdu pour cela de la nature unique qu’elle partage de toute éternité avec les deux autres Personnes dans l’unité de l’essence divine (§ 6). TABLE DE CONCORDANCE DE L'ÉDITION BALLERINI-MIGNE (BM) AVEC LA PRÉSENTE ÉDITION (PE) (I/astérisquû · indique les sermons qui figurent dans ce troisième volume.) BM PE I tl III IV V VI VII VIII IX X XI XII XIII XIV XV XVI XVII XV III XIX XX XXI XXII XXIII XXIV XXV XXVI XXVII XXVIII XXIX XXX XXXI XXXII 82 S3 84 85 86 20 21 22 23 24 25 87 88 89 90 91 92 93 94 95 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 12 13 DM XXXIII XXXIV XXXV XXXVI XXXVII XXXV III XXXIX XL XLI XL1I XLIII XLIV XLV XLVI LXV1I XLVIU XLIX L I.I· LU· LUI· L1V· LV LVI· LVII· LVIII· * LIX LX· * I.XI LX1I· LXIII· LXIV PE 11 15 10 17 18 19 26 27 2S 29 30 31 32 33 31 35 36 37 38 39 40 41 42 43 14 15 40 47 48 49 50 51 DM LXV LXVI· LXVII· LXVIIl· LX1X· * LXX LXXI· LXXII· LXXI1I· LXX IV· * LXXV LXXV1· JLXXVII· LXXVII1 LXX1X LXXX LXXXI I.XXX1I LXXXIII LXXXJV LXXXV LXXXV1 LXXXVII LXX XVIII LXXXIX xc XCI XCII xcin XCIV xcv XCVI PE 52 53 54 55 56 57 58 59 60 61 62 63 64 65 66 67 68 69 70 71 72 73 74 75 76 77 78 79 80 81 96 11 TABLE DES MATIÈRES Avertissement................................................. : la Transfiguration, 1 sermon (38).. la Passion, 19 sermons (39-57)...· la Résurrection, 2 sermons (58-59). l’Ascension, 2 sermons (60-61).... la Pentecôte. 3 sermons (62-64)... 22 123 135 144 Table de concordance de l’édition BalleriniMigne avec la présente édition..................... 163 Texte des sermons Sur Sur Sur Sur Sur Une (able des citations scripturaires sera publiée à la /in du tonie IV. ACHEVÉ D’IMPRIMER LE 7 FÉVRIER 1961 SUR LES PRESSES DE PROTAT FRÈRES, A MACON mîméiws n’onnriR : (mprimruii, 5905 : rdïtrcr, 5052 1»|JPOT LÉGAL: 1” ThlMESTBB 1961 SOURCES CHRÉTIENNES LISTE COMPLÈTE DE TOUS LES VOLUMES PARUS iV. ZL — L’ordre suivant est celui do la date de parution (η® 1 en 1942), et il n’est pas tenu compte ici du classement en séries : grecque, latine, byzantine, orientale, textes monastiques d’Occidcnt; et série annexe : textes para-chrétiens. Sauf indication contraire, chaque volume comporte le texte original, grec ou latin, souvent avec un apparat critique inédit. La mention bis indique une seconde édition. NF 1 bis. Θηκοοιπη ne Nyssb : Vie do Moïse. J. Daniélou, S. J., prof, à l'insl. cath. de Paris (1956)................................ 14,10 2bis. Clkmbnt dAmocaxokik : Protreptiquo. C. Mondésert. S. J., prof, aux Fac. cath. de Lyon, avec la collaboration d’A. Plassart. prof, à la Sorbonne (1949)............................. 12,00 3. Athknagoiir : Supplique au sujet dos chrétiens. G. Bardy (trad, seule) (1943)........................................................................ Épuisé 4. Nicolas Cabamuas : Explication de la divine Liturgie. S. Salaville, Λ. A., de l'insl. fr. des Ét. byz. (trad, seule) (1913) ............................................................................................. Épuisé 5 bis. Diaooqur pk Piiuticb : Œuvres spirituelles. E. des Places, S. J., prof. A l'Inst. biblique de Borne (1955). ... 14.10 6. Gkbooire nu Nyssb : La création de l'homme. J. Laplacc, S. J-, ct .1. Daniélou, S. J. (trad, seule) (1941)................... Épuisé Ί. Oiuckxb : Homélies sur la Genèse. IJ. de Lubne, S. J., prof, à la Eac. deThéol. de Lyon, ct L. Doutrcicau, S. J. (trad, seule) (1944)....................................................................... Épuisé 5. Nicktas Stbtjiatos : Le paradis spirituel. M. Chalcndard, duct è$ lettres (1945)................................................................... Épuisé 9. Maxcmb iæ Confbssbür : Centuries sur la charité. J. Pégon, S. J.% prof, à la Fac. île Théol. de Fourvière (trad. seule) (1915).......................................................................... Épuisé 10. Igx . ack d’Antiochb : Lettres. — Lettre et Martyre de Polycaupi? i>« Smvhnb. P.-Th. Camelot, O. P., prof, aux Fac. dominie, du Saulclmir (3· édition, 1958)....................... 12,00 11. ΙΙιιτουνΓΒ hr Homr : La Tradition apostolique. B. Botte, O. S. B., au Mont-César (19i6)................................................. Épuisé 12. Jran Moschus : Le Pre spirituel. M. J. Rouet de Journel, S. J., prof. A rin.xt. cath. de Paris (trad, seule) (1946).... Épuisé 13. Jkax Curysostoxx : Lettres à Olympias. A. M. Malingrcy, agr. de TUniversité (1947)........................................................... É'puisé Trad, seule .... 8,70 14. Hippclytr : Commentaire sur Daniel. G. Bardy et M. Le­ fèvre (1947)................................................................................. 15,30 Trad, seule .... 9,60 15. Athanasr d'Alexandiub : Lettres à Sérapion. J. Lebon, prof, à l’Univ. de Louvain (trad, seule) (19i7)......................... NF 8,10 16. Oriokxk : Homélies sur l’Exode. 11. de Lubac, S. ct J. Fortier, S. J. (trad, seule) (1917)......................................... 10,50 17. Basils i>k Cbsarer : Traité du Saint-Esprit. B. Proche, O. P {1917).................................................................................... Épuisé Trad, seule.... 10.50 18. Athanask d'Alrxandiub : Discours contre les païens. De l’incarnation du Verbe. P.-TJ). Camelot, O. P. (1947).. 12.30 19. Hilaihb im Poitiers : Traité des Mystères. P. Brisson, prof. à lUniv. de Poitiers (19À7)....................................................... 7,50 20. Tkkopiiilb n’AxTiociiK : Trois livres à Autolycus. J. Sender (1948)............................................................................................... 10.80 Trad, seule...........................7,20 21. ÉTHéitiK : Journal de voyage. IL Pet ré, prof, à SainteMario de Neuilly(réimpression 1957)..................................... 11,70 22. Léon le Grand : Sermons, t. I. J. Leclercq, O. S. B., et R. Dollc, O. S.B., Λ Clervaux(1949)........................................Épuisé 23. ClAmrnt d’Albxandiur : Extraits de Théodote. F. Sagnard, O. P., prof, aux Fac. du Saulchoir (1948).................................Épuisé 24. Ptolrmkr : Lettre à Flora. G. Quispcl, prof, A l’Univ. d’Ulrccbt (1949)................................................. Épuisé 25 bis. AximoisB db Milan : Des sacrements. Des mystères. B. Botte, O. S. B........................................................................ 13,20 26. Basile i>h Crsarbb : Homélies sur l'Hexaéméron. S. Gict, prof, A l’Univ. de Strasbourg (1950)..................................... 19,50 27. Homélies Pascales : t. 1. P. Nautin, chargé de recherches au G.N.R.S. (1951)......................................... 8,40 28. Jean Ciirysostomr : Sur rincomprehensibilité de Dieu. F. Cavalière, S. J., prof, â l’Inst. cath. de Toulouse, J. Daniélou, S. J., ct R. Flaceliëre. prof, à la Sorbonne (1951)............................................................................................. 12,90 29. Oriohnb : Homélies sur les Nombres. J. Mchat, agr. de l’Univ. (trad, seule) (1951)................................ r...................... 21,00 30. Clbmknt d’Alrxandrik : Stromate I. C. Mondcsert, S. J., et M. Caster, prof. A l’Univ. de Toulouse (1951)................ 14.40 31. Eusrbk dk CAsarbb : Histoire ecclésiastique, t. I. G. Bardy (1052).............................................................................................. 17,40 32. Grbgoirr i.r Grand : Morales sur Job. R. Gillet, O.S.B., et A. de Gaudemaris, O.S.B., A Paris (1952)................... 14,40 33. A Diognéte. II.-I. Marrou, prof, à la Sorbonne (1952)............ 11,70 34. IaAnAk hr Lyon: Contre les hérésies, livre 1(1. F.Sagnard, O. P. (1952)................................................................................... Épuisé 35. Tbrtvlijrn : Traité du baptême. F. Refoulé, O. P. (1952).. 5,70 36. Homélies Pascales, t. IL P. Nautin (1953)............................. 5,85 37. Origénb : Homélie» sur le Cantique. O. Rousseau, O.S.B., à Chèvetogne (1954;................................................................... 38. Clémk.xt d'Ai.nxammub : Stromate II. P. Camelot, O. P., et C. Mûiidcscrt, S. J. (1951)........................................................ 39. Lactaxck : De la mort des persécuteurs. 2 volumes. J. Moreau, prof, à PUni versi té de la Sarre (1954).................. 40. Τιιήοοοηκτ : Correspondance, t. I. Y. Azéma, agr. do l’Univ. (l^5).............................................................................................. 41. Ecsèuk i»b Cksaiikb : Histoire ecclésiastique, t. II. G. Bardy (1055)............................................................................................. 42. J ran Ca>sikn : Conferences. I. 1. E. Pichèry, O.S.B., ù Wisques (1955)........................................................................... 43. S. Jérôme : Sur Jonas. P. Antin, O.S.B., à Ligugé (1956).. 44. Phu.oxkx . h de Mauibovo : Homélies. E. Lemoine (trad. seule) (1956).................................................................................. 45. Amiiroisr dk Milan : Sur *S Luc, t. I. G. Tissot, O.S.B., à Quarr Abbey (1957)................................................................. 46. Tkhtullibn : De la prescription contre les hérétiques. P. de Labriollc et P. Refoulé, Ο. P. (1957).............................. 47. Philon d'Alexandrie: La migration d’Abraham. R. Gadiou, prof, à l’Inst. cathol. de Paris (1957)....................................... 18. Homélies Pascales, t. III. P. Nautin et F. Flocri (1957). .. 49. Léon le Grand : Sermons, t. II. R. Dollc. O.S.B. (1957) . 50. Jean Chhysostonk : Huit Catéchèses baptismales inédites. A. Wengcr, A. A., de l’Inst. fr. des Et. byz. (1957)......... 51. Symkon lr nouveau Théologien : Chapitres théologiques. gnostiques et pratiques. J. Darrouzés, A. A. (1957).......... 52. Ambhoisk de Milan : Sur S. Luc, t. IL G. Tissot, O.S.B. (1958)............................................................................................. 53. Hrrmas : Le Pasteur. R. Joly (1958)......................................... 54. JranCassien: Conférences, t. ILE. Pichery, O.S.B. (1956).. 55. Eusébb ηκ Cbsahhb : Histoire ecclésiastique, t. III. G. Bardy (1958)........................................................................... 56. .Athanask d'Albxandkib : Deux apologies. J. Szymusiak, S. J. (1958).................................................................................... 57. Τιιβοηοηκτ de Cyr : Thérapeutique des maladies hellé­ niques. 2 volumes. P. Canivet, S. J. (1958)........................... 58. Denys i/Aréopaoite : La hiérarchie céleste. G. Ilcil, R. Roques, prof, à la Fac. de Théol. de Lille, et M. de Gandillac, prof- A la Sorbonne (1958)..................·.............. 59. Trois antiques rituels du baptême. A. Salles, de lOratoire (1958)................................................................................... 60. Ablrbd dk Rkevaulx : Quand Jésus eut douze ans... Dom Anselm Hoste, O.S. B.» A Steenbrugge et J. Dubois (1958). 61. Guillaume dk Saint-Thierry : Traite de la contemplation de Dieu. Dom J. Hourlicr, O.S.B., à Solesmcs (1959)... θ,30 10,80 25,80 7,80 19,20 19,50 8,10 21,00 21.00 9,60 6,00 7,80 7,20 16,50 9,60 18,00 19,50 21,00 17.50 12,90 48,00 24,00 3.60 6,60 8,40 NF 62. Irenbb dr Lyon : Démonstration de la prédication aposto­ lique L. Froidcvaux, prof, à l'institut catholique de Paris. Nouvelle trad, sur l'arménien (trad, seule) (1959).. 63. Rickard DK Saint-Victor : La Trinité. G. Satet, S. J., prof, à la Fac. dcTbeol. de Lyon-Fourvicrc. (1959)............ 64. Jimn Cassibn : Conférences, t. 111. E. Pichcry, O.S.B. (1959). 65. Gklase Pr : Lettre contre les Lupercales et dix-huit messes du sacramentaire léonien. G. Pomarês, l)r en théol. (i960)................................................................................. 66. Adam dk Pbrsbignk : Lettres, t. 1. .1. Bouvet, sup'du grand séminaire du Mans (i960).......................................................... 67. OhioAnk : Entretien avec Heraclide. J. Scherer, prof, à rUntv. de Besançon (1960;........................................................ 68. Marius Victorinvs : Traités théologiques sur la Trinité. P. Henry, S. J., prof, à l'institut catholique de Paris, et P. iladot, attaché au C.N.R.S. Tome 1. Introd., texte critique, traduction (1960). 69. Id. — Tome 11. Commentaire ct tables (I960). Les 2 vol. 70. Clbmrnt d’Ai.kxandhik : Le Pédagogue, t. 1. ll.-I. Marron ct M. llarl, prof, à la Sorbonne (1960).................................. 71. Origknr : Homélies sur Josué. A.Jauberl,agrégée de lUniversité (1960)................................................................................ 72. AxAdér dh Lausannb : Huit homélies mariales G. Bavaud. prof, é Fribourg, J. Dcshusscs ct Λ. Dumas, O.S. B. â Hautccombe (1960).................................................................... 73. Edskdh dk Cksahkh Histoire ecclésiastique, t. IV. Introd. générale de G. Barely ct tables de P. Périchon \1960)........ 74. Lîon i.K Grand : Sermons, t. III. R. Dolle, O.S.B. (1961). SOL’S PRESSE : Dbprnsor m< Ligugb : Le livre d’étincelles, t. L H. Rochais, O. S. B., à Ligugc. Didymk i/Avki gle : Sur Zacharie. Texte inédit. 3 volumes. L. Doulrclcau. S. J. S. Augustin : Commentaire de la Ire Épitre de S. Jean. P. Agacssc, S. J., Prof, à la Fac. de Philos, de Valsprès-Lc-Puy (1960). Aelrkd dr Rie va ut-x : La vie de recluse. Ch. Dumont. O. C. S. O., à Scourmont. Gnûoomu dr Narbk : Le livre de Prières. I. Kcchichian, S. J. Nicetas Sththatos : Opuscules et lettres. J. Darrouzfcs, A. A. 9.60 24,00 15,00 13,80 10,50 9,60 49,50 16,80 30,00 15.00 24,00 15,60