© 1962, by Les faillions du Cerf. SOURCES CHRÉTIENNES Directeurs-fondateurs : H. de Lu bac. s. j., el J. Daniclou, s. j. Directeur: C. .Mondèsert, $. j. N° 88 Série des Textes Monastiques d'Occident, N° X LETTRES DES PREMIERS CHARTREUX I S. BRUNO - GUIGUES - S. ANTHELME INTRODUCTIONS, TEXTE CRITIQUE, TRADUCTION ET NOTES PAR UN CHARTREUX LES ÉDITIONS DU CERF, 29, Bd de Latour-Maubourg, PARIS • 1962 IMPRIMI POTEST : Grando Chartreuse, en la fête de saint Bruno, le, 6 octobre 1961 fr. FERDINAND, Prieur de Chartreuse IMPRIMATUR Z Grenoble, le. 21 janvier 1962 André-Jacques FOUGERAT Évêque de Grenoble SAINT BRUNO 5908KVI2Ή INTRODUCTION I. Vie oe saint Bruno Bruno naquit ù Cologne, sans douta peu avant 1030, d'une famille qui avait un certain rang dans la ville, mais dont on ignore le nom Los documents sont muets sur son enfance et ses premières études à Cologne. Du moins esLon assuré que, jeune encore, il vint à Reims pour y suivre les cours de la célèbre école cathédrale de cette ville, naguère illustrée par 1 enseignement do Gcrbert — le futur pape Sylvestre II — et gouvernée alors par un maître de bonne réputation, Hérimann ·. La visite du pape Léon IX à Reims et le concile de réforme tenu à cette occasion le 30 septembre 1049 purent attirer l'attention de Bruno, âgé d'une vingtaine d'années, sur les grands problèmes qui occupaient l'Êglise à ce Cologne el Reims 1. La seule notice biographique sur saint Bruno, rédigée en Chartreuse avant le milieu du xii° siècle, no comporte qu’une a la fin do ce volume (p. 243). Jusqu'è ces dernières années, la vio do saint Bruno n'avait fait l'objet d'aucune étude critique et ses biographes ne présentaient ont été laites depuis lors : elles ont éclairci les points obscurs ou 2. Aucun tondement no soutient les hypothèses de certains Bruno allait passer de longues années mir au chapitre cathédral de celte ville. Les biens attachés habitaient, soit dans des maisons attenantes au cloître paraître a celte époque ; a plus forte raison cette ascèse se situait-elle bien loin des pratiques de la vie monastique. Néanmoins les chroniqueurs du Peu après 1055, sans doute dès 1056, la retraite du maître Hérimann amena l'archevêque Gênais à nommer — il avait 28 ou 29 ans tout au plus — maître Bruno pendant les vingt années au cours desquelles VIE DE SAINT BRUNO se donnait sous formo d'entretiens familiers dans le cloître au pied de la cathédrale. Les Tilret /unibret rassemblée après la mort de saint Bruno constituent un remarquable florilège d'épithètes de louange pour sa science, pour les tude qu’il fut un des premiers maîtres de son temps. Des étudiants formés par lui devinrent illustres et n'oublièrent jamais tout ce qu'ils avaient reçu de lui, tels le pape Urbain II, un évêque de Lucques, un évêque de Langres, des abbés do monastères ou d'abbayes canoniales. Sous les arcades des cloîtres do Reims s'étaient nouées autour de Bruno des amitiés profondes *. L'archevêque Gervais mourut en juillet 1067. Il eut pour successeur Manassès de Gournay, qui no fut consacré qu’en octobre 1069 (ou peut-être 1068). Après quelques années d'une activité normale, Manassès commença il se mit à vexer les moines de l'abbaye do Saint-Rémi de la mort do l’abbé. Les choses empirèrent à ce point que les moines durent se plaindre à Rome. Dans l’été de 1073, Grégoire VII écrivit à Manassès pour le prier de cesser de molester les Bénédictins do Saint-Rémi, lui demandant on outre avec fermeté qu'un abbé régulier fût donné à cette abbayo. Pondant co temps l'archevêque, prévoyant les sanctions qui le menaçaient, avait fini par instituer abbé do SaintRémi un certain Guillaume, déjà abbé de Sainl-Arnoul de Metz, homme excellent. Ainsi se manifestaient les traits de caractère do Manassès : il jouera toujours sur un double INTRODUCTION registre, d’une part emporté de plus en plue par son insatiable cupidité, d’autre part cherchant à donner des gages de bonne conduite par des actes pouvant le justifier. Manassés continua donc scs exactions, et l’abbé, devant la situation intenable qui lui était faite, dut se retirer avec, la permission du pape dans son abbaye de Metz. L’archevêque se tint alors tranquille pendant plus de deux années, participant mémo à dos fondations monas­ tiques hors do Reims et nommant Bruno, que tout le monde honorait dans le diocèse, chancelier do son Église. Cependant l’action du pape en faveur do la réforme s'amplifiait et se rendait présente en France par l'action intransigeante du légat Hugues do Die. On sut bientôt que dans une série do conciles tenus par le légat, les prélats simoniaquos étaient poursuivis, déposés et remplacés par de bons évêques. Cola fit réfléchir bien dos consciences ; dans l’été de 1076, le prévôt du chapitre de Reims, qui s'appelait Manassés comme son archevêque, vint se présenter au concile do Clermont, confessa qu’il avait acheté sa charge et demanda son pardon. En même temps, au nom dos chanoines de Reims, il exposa au légat les difficultés que traversait alors la métropole du fait des exactions de l'archevêque et de sa conduite. Dès lors la lutte entra dans uno phase active : d’un côté, l’archevêque Manassés. do l’autre le prévôt entouré de quelques chanoines parmi lesquels saint Bruno. Ceux qui avaient ainsi osé révéler les charges qui s'accumulaient contre l'archevêque avaient été dépouillés de leurs offices et de leurs biens et depuis la fin do 1076 vivaient exilés auprès du comte Ebal de Roucy. En septembre 1077, Manassés fut cité comme accusé, devant un concile à Aulun : on lui reprochait d'avoir usurpé par simonie le siège do Reims et d’avoir consacré, ' malgré la défense expresse du pape, l'évêque de Sentis, qui avait reçu son siège par investiture laïque. Manassés refusa de comparaître devant ce concile, tandis que les VIE DE SAINT BRUNO chanoines de Reims, parmi lesquels le prévôt et saint Bruno, venaient y soutenir leur cause. L'archevêque tut déposé par le concile, et pendant qu'il exerçait de graves repré­ sailles contre les clercs de Reims qui s'étaient rendus à Autun, le légal Hugues de Die écrivait au pape pour lui recommander le prévôt et saint Bruno, comme conseillers et coopérateurs pour la cause de Dieu en France. De Bruno, le légat déclarait qu'il était « maître en toute honnêteté dans l’église de Reims », éloge remarquable de la part de cet homme intransigeant qui déposait les évêques sur le moindre soupçon et avec la plus grande sévérité, sans égard même pour leur âge et pour leurs services. Aux yeux de Hugues, Bruno était bien à cette heure un des hommes les plus purs de l'Église en France. Grégoire VII ne ratifiait pas sans examen toutes les sentences portées par son bouillant légat ; en toute cette allaire, la modération, la prudence du pape et son souci d’équité furent remarquables ; on est émerveillé de voir en lui une alliance parfaite do bonté miséricordieuse et de fermeté, de prudence et de décision. Il autorisa Manassés à se justifier devant lui, s’il pouvait trouver des témoins en sa faveur. L’archevêque de Reims séjourna trois mois à Rome et fit tant qu'il en revint absous, moyennant la promesse de respecter désormais les biens de son Église. Revenu à Reims, Manassés envoya au pape des plaintes contre les chanoines qui se montraient opposés à lui. La réponse de Grégoire VII, en août 1078, est nuancée, mais très ferme : il assure l’archevêque de sa protection pour les droits légitimes de son siège métropolitain, mais lui déclare qu’il doit l’obéissance à scs légats au-delà des monts ; il lui rappelle l’humilité et lui impose de rendre compte de ses actes devant le légal Hugues de Die et l’abbé de Cluny. En même temps, Grégoire VII envoyait des instructions à ses délégués, les priant d'éclaircir toute cette affaire avec prudence. Il n’avait cependant pas INTRODUCTION d'illusions sur l’archevêque de Reims et conservait peu d’espoir de le voir s’amender. Menasses en elTel ne se corrigea en rien ; il se conduisait en seigneur belliqueux et fastueux, non en évêque.· Convoqué devant un concile à Troyes dans l'été de 1079,, il vint avec une suite nombreuse de partisans et le concile: ne put avoir lieu. Le pape jugea alors le temps venu d'un ultime examen des actes de l'archevêque de Reims et. envoya des instructions dans ce sens ù son légat vers la . fin do l’année 1079. Un concile fut convoqué à Lyon pout les premiers jours do février 1080. Manassés chercha encore! à échapper à cette inéluctable échéance, mais Grégoire VII lui répondit le 11 janvier 1080, en lui déclarant que la: mesure de ses iniquités était comble et que l’heure n'était plus aux subterfuges : il ferait mieux de faire pénitence que de chercher des excuses. L'archevêque de Reims ne vint pas se présenter devant les Pères assemblés à Lyon pour le juger. Il préféra leur envoyer une Apologie, pièce curieuse, qui rassemblait des arguments tendancieux et où l’arrogance du ton alternait avec une visible crainte du légat. Dans cette longue diatribe, deux passages très violents prenaient à partie saint Bruno, auquel Manassés reprochait de n’avoir jamais voulu se réconcilier avec lui, et dont il récusait par avance le témoignage. Il le considérait d’ailleurs comme un étranger à l'Êglise de Reims *. Le concile prononça la déposition de l’archevêque de Reims et, le 17 avril 1080. le pape, informé de vive voix par le légat qui s'était rendu à Rome en mars, écrivit à Manassés pour confirmer la sentence de Lyon, tout en laissant au coupable un dernier délai pour s’amender^ jusqu'à la saint Michel. Méprisant cette ultime possibilité par ailleurs. 11 y a lieu de croire que Bruno avait reçu ce canonical dès son enfance en considération de sa tantille. VIE DE SAINT BRUNO de so corriger accordée par la bonté du pape, Manassés ne garda désormais plus aucune mesure dans ses prévari­ cations. Le 27 décembre 1080, Grégoire VH mit le point final à ce long désordre en déposant définitivement Manassés et en donnant au clergé de Reims l’ordre de le chasser et d'élire un nouvel archevêque. Les chanoines de Reims préféraient saint Bruno à tout autre candidat possible pour le siège de la grande métro­ pole. Mais l'heure était venue pour lui de répondre à un plus haut appel. Il refusa et quitta tout pour le Christ. Les péripéties de la lutte contre VocaUon l'archevêque simoniaque avaient mis do Bruno en lumière l’honnêteté parfaite de saint Bruno dans un milieu que travaillait la simonie et en un temps où même dos hommes droits se laissaient aller à des compromissions. Réputé pour sa science, aimé de ses étudiants, persévérant, de volonté ferme, prenant ses responsabilités à l'heure voulue, il fut qualifié par ses contemporains d'homme excellent, juste et sincère, d'une probité admirable. On le disait ■ simple, pur. rempli de l'amour de Dieu ·, et les chanoines de Reims devaient prononcer à son égard le mot de « saint » dès le lendemain de sa mort. Son existence à Reims s’était donc écoulée tout entière sous le signe d’une préférence donnée à Dieu sans partage. Riche des biens de ce monde, il ne s'était pas attaché à eux, mais à Dieu seul. Un de ses disciples, qui déclarait l’avoir bien connu en celte période et reconnaissait avec émotion lui devoir toute sa formation, résumait en quelques mots son existence, en parlant do « la pureté et de la per­ fection de sa vie». Tous ces traits qui, dés le temps de Reims, le caractérisaient aux yeux de scs contemporains montrent que son âme était prête pour le don total. A une date incertaine, au cours des années d’épreuves dont nous venons de retracer les péripéties, Bruno se INTRODUCTION trouvait un jour en conversation avec deux amis dans le petit jardin d'une maison où il habitait alors. L'entretien se fit peu à peu plus profond et, dans la ferveur du divin amour, les trois amis firent le vœu de quitter le monde pour ne plus rechercher que les choses éternelles et d'embrasser la vie monastique. Bruno devait plus tard faire lui-méme le récit de cette heure de grâce. Ainsi possédons-nous un témoignage sûr au sujet du moment décisif de sa vocation. Mais si cette décision fut soudaine, elle n'était chez Bruno que le terme d'une longue et parfaite préparation. En ce jour s'ouvrait devant notre saint le chemin d'une vie nouvelle qui le conduirait jusqu'à la fondation de Chartreuse ’. Le siège de Reims resta sans titude Sèche-Fontaino laire pendant deux ans et demi, du début de 1081 jusqu’au milieu de 1083. Cette circonstance rond impossible la détermination de la date précise du départ de saint Bruno. Ce fut certaine­ ment au cours de celte période, et sans doute plutôt en 1083. dans sa bière après sa mort pour annoncer qu’il est damné ; Bruno Celle légende doll Sire éliminée déSnilivcmenl. Elle n été le fruit textes tom ft fall étrangers l’un â l’aulre : d'une péri une anecdote Cèsnlrc d’HcIslerbach (et. Histoire littéraire de la France, 1.18, p. 197) ; d'autre part la chronique dos premiers Chartreux, d’un siècle plus l’Unlvcrsitè de Paris n'existait pas ô la date où la légende met en scène un do ses docteurs. VIE DE SAINT BRUNO 11 s’éloigna de Reims et alla embrasser la vio èrémitiquo aux confins de la Champagne cl de la Bourgogne, avec deux compagnons, Pierre et Lambert. Le lieu de leur retraite s’appelait Sècho-Fonlaino et se trouvait caché dans la forêt de Fiel, il 40 kilomètres au sud-est do Troyes. Ce ne devait être qu’une brève étape dans l'itinéraire spirituel de saint Bruno. Au bout do peu de temps, ses deux compagnons décidèrent de renoncer Λ l’érémitisme pour embrasser le cénobitisme cl commencèrent à contraire un petit monastère qui devint, sans doute on 1086, un prieuré relevant do l’abbaye de Molesme, située 6 une dizaine de kilomètres do là. Mais Bruno s'était pondant ce temps séparé do ses compagnons et était parti chercher un lieu plus propre à lu vio éréiniliquo. Il quittait donc Sèche-Fontaine avec une conscience plus nette de l’appel do Dieu à la solitude ; ayant déjà un peu pratiqué cette vio, il pouvait voir se préciser devant lui les traits fonda­ mentaux de l'observance qu’il entendait vivre et il allait veiller à ce que des circonstances extérieures no puissent à l'avenir traverser son dessein comme cela venait d'avoir charlr UB Au mois do juin 1084, vers la a ’ saint Jean-Baptiste, saint Bruno arri­ vait. au désort do Chartreuse avec six compagnons : quatre 1. Le passage do saint Bruno Λ Sècho-Fonloino resta Inconnu des historiens pondant six cents ans ; In decouverte on revient au savant Mabillon. Un siècle plus lard, A la Un du xvill· siècle, uno nouvelle Sècho-Fonlolno. Uno très curieuse erreur do documentation e partir des archives do Molesme avait paru donner consistance a cette hypothèse et avait «gari les haglographes. Les actes concernent risent pas l'addition do col épisode S la vio de notre saint. Seules subsistent, comme possibles et probables, dos relations d'amltlO entre clercs, Landuin de Toscane, les deux Étienne, de Bourg et de Die, qui avaient été chanoines de Saint-Rut et s’étaient joints à saint Bruno par désir de la vie solitaire, et Hugues le Chapelain ; et deux convers, André et Guérin. L'évêque de Grenoble, saint Hugues, guidait leurs pas. Cet évêque était tout jeune encore ; il appartenait au groupe des prélats intègres placés par le légat Hugues do Die à la tête des diocèses de France et il avait été sacré à l’âge de 28 ans, à Rome en 1080, par le pape Grégoire VII. De tout son cœur il aimait les moines et il avait même voulu échapper â sa charge en taisant une fugue à l’abbaye de la Chaise-Dieu dans les premiers temps de son épiscopat. Peu avant l’arrivée de saint Bruno, il avait vu une fois en songe Dieu construisant pour sa gloire une demeuré dans la solitude de Chartreuse et sept étoiles qui lui en indiquaient le chemin. Désormais saint Hugues allait être, pendant un demi-siècle, le protecteur, le conseiller, l’ami des premiers Chartreux ’. Le lieu choisi était à 1175 mètres d'altitude, tout au fond d'une vallée étroite, au cœur du massif de Chartreuse. L'accès de cet endroit vraiment solitaire était protégé par un défilé rocheux où on installa une porte qui défendait parfaitement la clôture, étendue à toute l'enceinte du désert. Les ermitages étaient plus haut dans la vallée, à quatre kilomètres et demi de cette porte. De nos jours le désir ardent de la vie solitaire qui remplissait l’âme des: sept premiers Chartreux. Les cellules des ermites étaient groupées aux abords d’une source qui alimente encore le monastère actuel de Chartreuse. Elles se répartissaient le songe prémonitoire de saint Hugues : toutes les garanties désirables se trouvent réunies on tavour de son authenticité. Cela n'empéche pas d'ailleurs la prudence humaine d'avoir supputé les possibilités' VIE DE SAINT BRUNO autour d'un cloître assez semblable aux cloîtres dos cénobites, mais dont le rôle était différent : les nouveaux solitaires récitaient une partie de leurs offices on cellule, ne se réunissant à l’église que pour les Vêpres et les Matines. G’ost on cellule également qu'ils s'adonnaient à l'oraison, à la lecture et au travail dos mains ; leur activité manuelle consistait surcoût dans la transcription de» manuscrit». Ils n’avaient pas de travaux en commun, ni hors do l'enceinte des ermitages, ni même à l'intérieur. Chaque ermite prenait aussi ses repas seul, à l’exception du dimanche et des principales fêtes : ces jours-là, il y avait office et réfectoire en commun. Les tâches nécessaires à la subsistance de la communauté furent assurées par les convers qui s’installèrent un peu plus bas que les ermitages, à l'intérieur cependant de la clôture du désert. Les terres de Chartreuse étaient fort pauvres ; elles no se composaient que de forêts, pour la plupart inaccessibles et par suite impropres à une bonne exploitation économique, et de quelques pâturages. Les ressources se bornaient donc à l'élevage et à un peu d'agriculture. Encore faut-il ajouter que bien des cultures — celle du blé par exemple — ne pouvaient être envisagées par suite de l'austérité du climat. A cause de l’altitude, on devait s'attendre chaque hiver à d'immenses précipi­ tations de neige : les nuages venant de l'ouest se brisent sur la chaîne du Grand Som au pied de laquelle se blottit la vallée des ermitages, et le site de Chartreuse au sein de ces Préalpes reçoit bien plus de neige que les Alpes à la même altitude : les nuages amincis par ce premier choc n'arrivent plus sur les Alpes que déjà diminués. Un ennei­ gement aussi considérable était une protection très efficace pour la solitude du désert dont il rendait l'accès fort difficile pendant une partie de l’année. Il entraînait aussi quelques conséquences qui allaient influer sur la physio­ nomie même de l'observance cartusienne : c'est pour ne pas être bloqués par les neiges que les ermites furent INTRODUCTION amenés à construire leurs cellules non loin les unes des autres et à les relier à l'église par un cloître commun ; ils purent ainsi se rendre à l'église pour les offices quel Dans ce cadre, saint Bruno établit et organisa la vie érémitique selon les observances dont nous avons décrit les grandes lignes. C'était en Occident une forme de vie toute nouvelle, aux traits bien spécifiques, inspirée pour ses caractères essentiels des anciennes formules vécues jadis par les Pères des déserts d'Orient et des Laures de Palestine. La vie cartusienno a gardé jusqu’à nos jours la même physionomie : vie érémitique tempérée par un peu de vie commune. l’accord était parfait entre les possibilités offertes et les servitudes imposées par le site et le climat de Chartreuse d’une part et l'idéal érémitique d’autre part. Il y avait aussi un excellent équilibre dans l’organisation et la distri bution de ces observances. Un ardent amour de la solitude les animait tous dans la recherche de Dieu et une amitié profonde les groupait autour de saint Bruno, leur père et modèle, sans qu’aucune règle fût alors écrite. Ils n’avaient nulle intention de fonder un Ordre, mais à leur insu touteq choses se disposaient pour que la vio du petit groupe de solitaires pût se perpétuer dans la ligne choisie. Bruno pouvait se croire ancré pour toujours dans le port tranquille et sûr qu'il avait cherché avec tant de soin organisé avec bonheur et où seule l'occupait la conlem plation du Bien parfait qui avait séduit son âme. Mais Dieu en avait dispose autrement ; il ne donna à Bruno que six années de séjour au désert de Chartreuse. En mars 1088, Eudes de Chûtilloi fut élu pape sous le nom d'Urbain II. Il s'entoura peu à peu de conseillers choisis. Ayant fait ses études à Reims et ayant été pendant VIE DE SAINT BRUNO longtemps chanoine de la métropole rémoise avant de devenir Bénédictin à Cluny, il no pouvait oublier le maître auquel il devait sa formation, son ancien confrère du chapitre cathédral, devenu ermite au désert. Un messager arriva un jour en Chartreuse, porteur d’une lettre du pape Urbain II qui appelait Bruno au service du siège apostolique. On était aux premiers mois de l'année 1090. En apprenant que leur père allait partir, les ermites estimèrent qu'il leur était impossible de vivre au désert sans sa direction, et décidèrent de quitter la Chartreuse. Devant cotte résolution, Bruno prit le parti de céder à d’autres mains la propriété du désert de Char­ treuse. L’abbaye do la Chaise-Dieu on Auvergne possédait non loin do Grenoble un prieuré, Saint-Robert-du-MontCornillon, dont les moines avaient ou, avant l’arrivée de saint Bruno, quelques droits sur le désert de Chartreuse ; l'abbé do la Chaise-Dieu, Seguin, avait abandonné tous ces droits dans la charte de donation du désert aux premiers Chartreux. Bruno décida do rétrocéder à Seguin tout ce qui lui avait été concédé par les divers donateurs dans cet acte. Et pendant que le saint s'occupait aux formalités do la rétrocession, tous les ermites s’éloignèrent. L'acte d'obéissanco do saint Bruno à l'appel du pape était sans réserve : >1 renonçait tout ensemble à la vie qu'il aimait et à l’espoir do voir lo petit groupe continuer cette vie. La dispersion fut cependant très brève : avant son départ définitif pour Rome, Bruno put exhorter efficacement ses fils à sc regrouper sous la conduite d’un des compagnons do la première heure, Landuin, qu'il leur donna comme prieur. Si brève qu’eût été celte dispersion, elle fut pour tous une crise salutaire do dépouillement : les ermites avaient, fait dépendre jusque-là leur épanouissement spirituel do la personne de saint Bruno cl de son action ; ! ils comprenaient maintenant qu il leur fallait appartenir davantage à Dieu qu’à l'intermédiaire humain qui leur INTRODUCTION avait montré le chemin. Leur vocation érémitique allait devenir plus pure de toute attache aux affections humaines. Bruno s’effaçait, mais c'est par lui que Dieu faisait renaître la Chartreuse, par lui que les solitaires acceptaient d'être désormais sans lui. Bruno partit pour Borne et, en arrivant auprès du pape, put dire à Urbain II que scs fils s'étaient regroupés après un moment do dispersion. Malheureusement lo désert ne leur appartenait plus : une signature avait été donnée ; par un acta en bonne et due forme, l’abbé do la Chaise-Dieu était maintenant possesseur des terres. Or les ermites no consentaient à demeurer de nouveau en Char­ treuse que sous la condition expresse de voir ce lieu désorJ mais libre do tous droits et entièrement en leur possession. Urbain 11, qui venait de demander à saint Bruno le sacrifici de sa vocation, était tout prêt à accorder aux siens quoique faveur. Il donna ordre à Seguin de rendre aux ermites 1< désert de Chartreuse ; l’instrument de l'acte de rétrocession fut rédigé et signé au chapitre de la Chaise-Dieu, le 17 septembre 1090. Un rôle do premier plan s’offrait à saint Bruno. Ancioi maître d’Urbain II, aimé de lui, devenu son conseiller il pouvait s’il le désirait exercer une grande influence sur la marche de l'Égliso. Pourtant au fond do son flmé demeurait la vocation du désert ; il ne put se faire aux tumultes et aux usages de la curie ; l'amour do la soliludl quittée A regret et de la paix de la vie contemplativi restait vivace en lui. Il ne tarda pas à exposer filialement au pape qu’il se croyait toujours appelé à la vio érémitique Urbain II n’acquiesça pas immédiatement h ses désirs comme il l'avait fait pour les autres conseillera appelél auprès de lui, il offrit à Bruno une dignité ecclésiastique l'archevêché de Boggie de Calabre, qui vaquait h ce moment. Bruno no fut pas tenté par cotte offre ; il saisit l’occasion pour exposer plus complètement au pape sa vocation et la persistance de son dessein de vie contenu· VIE DE SAINT BRUNO plative. Sans doute Urbain 11 fut-il ému de la force d'âme dans l’âme de Bruno le signe d'un appel divin. Car il se son pontificat, passa outre â maintes reprises aux désirs de moines qu’il avait arrachés de leur cloître et leur imposa évêché et cardinalat, autorisa saint Bruno à reprendre la vie érémitique. L'attitude d’Urbain II en cette rencontre est comme un premier sceau apposé de la part de Dieu à l’œuvre commencée par saint Bruno : le pape approuve la conception monastique cartusienne ; ainsi se trouve consacrée la valeur d’une vie contemplativo extérieure. Le séjour de saint Bruno auprès du pape ne dura que quelques mois. Commencé â Rome, il s’acheva dans le sud de l’Italie : au milieu de l’été de 1090, Urbain II dut quitter Rome sous la pression des troupes à la solde de l'empereur Henri IV et de l'antipape Clément III (Guibert de Ravenne). Urbain II se réfugia dans le sud de la péninsule, où il dut demeurer pendant trois ans avant de pouvoir rentrer h Rome. Aucune trace de l’activité de saint Bruno pendant son séjour a la curie pontificale ne subsiste ; comme il n'y eut pas de conciles notables pendant cette brève période, on ne relève même pas sa signature dans des documents officiels. Rien n’avait ébranlé la vocation de saint Bruno. Il avait traversé la cour romaine les yeux fixés sur son idéal de solitude ; il ne s'était pas laissé ressaisir par la vie active ; il avait donné une nouvelle preuve qu’aucune de sa consécration à Dieu dans la vie contemplative. Son . âme était restée vierge de tout contact qui eût été l'occasion INTRODUCTION d'un retour en arrière. La dernière étape de sa vie allait commencer. Le sud de l'Italie appartenait alors aux princes nor­ mands : Roger, duc d'Apulie, et son oncle et vassal le comte Roger de Calabre et de Sicile. Ils étaient è cette date fidèles au pape légitime et leur soutien était même nécessaire à Urbain II dans les circonstances difficiles où se trouvait la papauté. En outre, la politique religieuse de ccs princes était très favorable h une latinisation aux dépens des Grecs, sur lesquels ils avaient conquis leurs fiefs ; cette disposition était vue d'un bon œil par le Saint-Siège, dont elle secondait les désirs dans les posses­ sions normandes. En ce qui concerne la vie monastique, le comte Roger n’accordait aucun soutien aux moines grecs de Calabre et travaillait même à les faire refluer vers ses possessions siciliennes, afin de diminuer la puissance sarrasine : ainsi les protégeait-il, tout en les dépouillant de leurs biens dans la péninsule. En revanche, il montrait beaucoup de sollicitude pour les fondations do moines latins en Calabre. Ccs circonstances préparaient donc en quelque sorte le comte à bien recevoir Bruno. Celui-ci, ayant obtenu du Souverain Pontife la permission de reprendre la vie solitaire, se dirigea tout naturellement vers la Calabre, cette « terre promise » des ermites du Moyen Age. II ne pouvait s'y installer sans la permission du comte Roger, maître do tout le pays. Mais sans nul doute, outre les raisons qui viennent d'être exposées Roger dut accueillir avec bienveillance cet ami personnel du pape, en quête d'un désert. Il lui lit don d’une vaste solitude, dans la partie la plus étroite de l'extrémité de la péninsule, à 850 mètres d'altitude, à égale distance entre les deux mers, entre Stilo el Arena, au diocèse de Squillace. C’était un plateau inhabité, entouré de collines, avec des forêts qui rappelaient, en moins austère, les forêts du massif cartusicn. VIE DE SAINT BRUNO Bruno était accompagné de quelques amis, animés du même idéal que lui. Il instaura une formule identique à celle qu’il avait organisée en Chartreuse : un petit groupe de solitaires menant la vie érémitique avec quelques contacts cénobitiqucs, surtout le dimanche. Et, jusqu'à sa mort, Bruno resta fidèle à son idéal de vie au désert, en cet ermitage de Sainte-Marie-de-La-Tour. Le comte Roger fit de nombreux dons à la fondation. Auprès de saint Bruno, un procureur très actif, le normand Lanuin, s'occupa de toutes les questions d'administration des biens temporels >. Des documents les plus sûrs concernant cette période de la vie de notre saint, et spécialement de ses lettres, se dégage la physionomie d'un Bruno paisiblement consacré tout entier à la pure vie contemplative qu'il était venu chercher dans celte solitude, détaché de toute préoccu­ pation à l’égard des choses qui ne concernaient pas Dieu Le grand pape Urbain II mourut le 29 juillet 1099 ; le comte Roger s'éteignit lui aussi le 22 juin 1101. Bruno était alors tout près d'achever sa course. Après avoir prononcé devant les siens une très belle profession de foi, il mourut le dimanche 6 octobre 1101. Selon les usages du temps, le porteur du /fouteau funèbre partit annoncer cette mort en une longue pérégrination à travers toute 1. D'immenses polémiques se sont déroulées, surtout dons la deuxième moitié du xvnl" siècle, au sujet do l'authenticité des chortes do donation relatives aux débute do colle fondation de Calabre. La thèse de la non-autliontlcilé était soutenue et puissam­ ment orchestrée par les mandataires du Use napolitain qui avalent Intérêt à spolier la Chartreuse do ses antiques possessions. Aujour­ d’hui, une élude plus calme, impartiale et objective, est possible : la plus grande partie des actes nuUefois soumis à discussion est certai­ nement authentique. En revanche, la grande charte qui relate un miracle de saint Bruno en faveur du comte Roger au siège de Capoue, abondamment citée par les biographes de notre saint, est apocryphe. science, les autres la perfection d xteneures : il mentait aussi pour ses lus de VIE DE SAINT BRUNO est revenu. Ainsi oITre-t-il un exemple très pur de la vocation de son Ordre. C’est en toute vérité que le pape pie XI a pu écrire dans la Constitution « Umbratilem ». le 8 juillet 1924 : «Dieu choisit Bruno, homme d’une éminente sainteté, pour rendre à la vie contemplative l'éclat de sa pureté originelle. » Lbs lettres db saint Bruno Il ne subsiste que deux lettres de saint Bruno, toute; deux écrites de Calabre dans les dernières années de sa vie : l’une adressée à un ami de Reims, Raoul le Verd l’autre à la communauté de Chartreuse. Nous y ajouleron la profession de foi prononcée par saint Bruno avant di mourir. 1. La lettre à Raoul le Verd . Le , destinataire . ,, Raoul un des deui, A. . , le. Verd . „ était ................ amis de saint Bruno, qui avaient fait avec lui le vœu de quitter le monde pour embrasser la vit monastique. Au moment où il prit cet engagement, il étai comme Bruno chanoine du chapitre cathédral de Reims Mais, bien des années après, Raoul ne s’était pas encort décidé à accomplir son vœu. Demeuré à Reims, il était devenu prévôt du chapitre quand le prévôt Manassès avait été élu archevêque en 1096. Il n’avait cependant pal oublié Bruno et lui avait adressé une lettre, aujourd’hu disparue. De son ermitage de Calabre, Bruno décide d'écrire à son ami pour lui rappeler l’obligation du vœu qu'ill avaient jadis prononcé ensemble et pour l’inviter à vcnii le rejoindre. L’exhortation est pressante ; Bruno en prend occasion pour célébrer les avantages de l’union à Diet dans la solitude : chemin faisant, il note quelques traits essentiels de la vie contemplative érémitique. L’exhortation de Bruno resta vainc ; Raoul ne prit pas le parti de quitter le monde et resta dans sa charge de prévôt pendant dix ans. En 1106, à la mort de Manassès II, Raoul le Verd fut élu archevêque de Reims ; il s'appliqua LES LETTRES DE SAINT BRUNO à remplir en perfection ses devoirs d’évêque ■· Bien que Bruno tût mort, les circonstances rappelèrent encore à plusieurs reprises à Raoul le Verd son souvenir. Présidant un concile à Beauvais aux côtés du légat apostolique Conon, le 6 décembre 1114, l’archevêque de Reims vit d'un de ses sulfragants, Godefroid, évêque d'Amiens : celui-ci avait quitté son siège et s'était retiré à la GrandeChartreuse. Le concile, déconcerté par l’imprévu de cet événement, ne prit aucune décision au sujet de Godefroid. Un mois plus tard, le 6 janvier 1115, un autre concile réuni à Soissons, nomma deux délégués chargés de se rendre en Chartreuse pour intimer à Godefroid l’ordre de venir reprendre son siège ; l'évêque, désolé, dut obéir et, dès le 28 mars 1115, il se présentait 4 Reims devant son archevêque. Raoul le Verd put se faire décrire de vive voix l’existence menée par les fils de son ami Bruno et entendre Godefroid regretter «do no pouvoir s'adonner en paix pour Dieu seul à la vie contemplative’ « . Quelques années se passèrent encore. L’archevêque de Reims mourut en juillet 1124 ; il fut enterré dans l'église de l'abbaye de Saint-Rémi et inscrit au nécrologe parmi les moines. Il reçut donc probablement l’habit monastique ad succurrendum dans sa dernière maladie ; par cette pratique en usage alors, on satisfaisait in extremis à des vœux et on s’assurait des suffrages après la mort. Le dernier acte de Raoul le Verd est pour nous la preuve qu'il avait toujours gardé au fond de lui-même le désir d'accom­ plir un jour le vœu prononcé avec saint Bruno. Plus de quarante-trois ans s'étaient écoulés depuis lors. La Char­ treuse avait déjà quarante ans d’existence, elle rayonnait comme un foyer de vie spirituelle et étendait déjà ses rameaux depuis des années. 1. GatUa Chrlillana, IX, 81. INTRODUCTION B. Date A deux reprises, dans la lettre à de la lettre Raoul le Verd, Bruno mentionne son titre de prévôt. La lettre est donc postérieure à 1096, date de la nomination de Raoul à la prévôté du Chapitre de Reims. Il n'est pas possible de préciser davantage la date,' dans les cinq dernières années do la vie de notre saint : 1096-1101. C. Aulhentlelté , RnOI,'!i“l 61,1 à •■«•'Chcvêchô de Reims, en 1106, un rival, candidat, du roi de Franco, lui disputa pendant deux ans le siège de la métropole : ce fut un temps de troubles graves entre les factions ennemies qui soutenaient l’un et l’autre candidats *. Au cours de cette période, un clerc opposé à Raoul composa contre lui un pamphlet d'une rare virulence où il exploita d’une plume terriblement méchante tous les arguments qu’il put trouver contre la légitimité des titres il trouva de bonne guerre d'accuser Raoul d’infidélité à son vœu d'entrer en religion. Cette pièce était restée inconnue jusqu'à nos jours. Dom Wilmart a eu la bonne fortune de la rencontrer dans un manuscrit et de la publier en 1939 ·. Or, le clerc de Reims avait eu l’habileté de reprendre dans son argumentation des phrases qu’il empruntait ύ la lettre de saint Bruno, en les enchâssant avec une ironie mordante dans un contexte perfide et sarcastique ; son écrit est tout émaillé des paroles mêmes de notre saint, et à doux reprises le pamphlétaire indique explicitement sa source, disant qu’il « prend appui sur la monition du vrai et saint Israélite’ Bruno », et parlant du s conseil du saint ermite’». A partir de Noël 1108, Raoul le Verd put1 2 1. Co/lia Christiana, IX, 80. 2. · Deux lettres concernant Raoul le Verd ·, dans Home Béni· dieline, tome 1.1, 1939, p. 257-274. LES LETTRES DE SAINT BRUNO jouir en paix do son archevêché. Le pamphlet do son ennemi a donc été écrit entre 1106 et 1108, moins do sept ans après la mort de saint Bruno : c’est lé une preuve éclatante de l'authenticité de la lettre que celui-ci avait écrite de Calabre à Raoul le Verd. et éditions Quatre manuscrits contenant la lettre à Raoul le Verd sont aujourd'hui connus : deux du xn· siècle, un du a) A = xn» siècle : Berlin, Bibliothèque Nationale, Phillipps 1694 (Cat rose 180), fol. 27v«-29. Ce manuscrit provient de l'abbaye de Saint-Arnoul-dcMetz. Il était passé au xixe siècle dans la célèbre collection de Sir Phillipps à Middle Hill. Au cours de l’une des ventes qui ont dispersé cotte collection, il a été racheté par l’Allemagne pour la Bibliothèque de Berlin. C’est un recueil de lettres concernant divers événements religieux du xn· siècle. La lettre de saint Bruno ù Raoul le Verd est précédée d’une correspondance entre Pascal II ot saint Anselme de Cantorbéry après lo retour de celui-ci en Angleterre. Elle est suivie d’une lettre écrite à Raoul le Verd par des prêtres de Reims favorables à sa cause. Ce manuscrit est le meilleur témoin du texte do la lettre On s'explique facilement que les moines de SointArnoul-dc-Mctz aient eu de l'intérêt pour la lettre de saint Bruno à Raoul lo Verd et aient désiré la copier, car ils eurent pendant vingt-cinq ans pour abbé un certain Guillaume, qui avait été abbé de Saint-Rémi-de-Reims en appendice ù lo lin de ce volume, p. U4, On y voit aurai que Raoul avait eu l’intention do faire un pèlerinage à Jérusalem et ne l’avait pas exécutée. C’est un nouvel Indice du tait que Raoul se considéra toute sa vie comme lié par son vœu, car un tel pèlerinage était regardé comme l'équivalent, ou point de vue du mérite, do l’entrée en religion. INTRODUCTION au temps dos luttes contre l'archevêque Mannssès et avai lui-même souffert comme saint Bruno dos agissements di simoniaque, quand ce dernier avait cherché è dévorei les biens de l’abbaye de Saint-Rémi. Guillaume avait saru nul doute connu personnellement Bruno et Raoul le Verd 1 b) P — xn· siècle : Lyon UniomiU, n» 42, fol. 1Ι3ν«· I16v«. Ce manuscrit provient de la Chartreuse de Portes el contient aussi une collection do lettres des premiers moinet de Portes. Comme le précédent, il nous donne un excellent texte. lettre de saint Bruno, nous avons ici un texte qui ne présente que cinq variantes minimes par rapport au manuscrit précédent. c) H = xiu· siècle : Marburg UnioeniU, nu. latin 226, fol. 143v°-146. Ce manuscrit provient de l'abbaye cistercienne d'Himmerod au diocèse de Trêves ; il appartenait avant la dernière guerre au fond Goerres â Berlin {n° 52) ; il est maintenant à Marburg. C’est un tort mauvais témoin du texte. On no relève pas moins do soixante-trois variantes par rapport au meilleur, et plusieurs de ces variantes sont très impor­ tantes ; il est manifeste pour la plupart d'entre elles qu'elles sont des corruptions ; des membres de phrase sont ajoutés, d'autres retranchés. En outre ce manuscril est l'œuvre d'un copiste visiblement très distrait qui a commis de grosses fautes d'inattention. d) C = xv« siècle : Copenhague, Bibliothèque Royale, Ny kgt. S. 2911. 4«, fol. 175-177 contient 181 folios. Sur le premier folio, une main de 1. Cailla CkrUUana, IX, 229 ot XIII, 003. LES LETTRES DE SAINT BRUNO XVe siècle a écrit : · Liber Domus s. Barbare in Colonia Ordinis Carlhusiensis, quibus reddatur. » Au siècle dernier, ce manuscrit était entré dans la collection de Sir Thomas Phillipps. Il a été racheté en 1920 par la Bibliothèque Royale de Copenhague. Chartreux nommé Barthélemy, originaire d’Utrechl, puis les deux lettres do saint Bruno, enfin plusieurs lettres do Guigues. Le texte de la lettre à Raoul lo Verd est ici très défectueux : on peut relever soixante-cinq leçons différentes des fautes — et parmi elles les plus importantes — ne sont pas imputables au scribe de ce manuscrit : on les trouvait déjà dans le manuscrit du xin· siècle que nous venons de recenser. Toutefois celui de Copenhague ne dépend pas entièrement do celui de Marburg : tous deux doivent avoir une source commune dans un modèle déjà fortement contaminé, inconnu aujourd'hui. Par ailleurs ce manuscrit de Copenhague nous donnera, pour d'autres lettres des premiers Chartreux, de fort bons textes. Il faut donc admettre que, dans le cas présent, notre scribe n’a été que lo copiste fidèle d'un mauvais manuscrit. Quelques extraits de la lettre à Raoul le Verd furent pour la première fois imprimés par lo Chartreux Blomevanna à Cologne dans sa Vila sancti Brunonis dans les années qui suivirent immédiatement la béatification équipollente de saint Bruno par Léon X en 1514. Ces extraits furent reproduits par Surins dans sa collection de la Vie des Saints en 1578. La première édition complète de la lettre est de 1611, dans l'édition des œuvres de a été reproduite dans : Annale» Ordini» Carlusiensis, I. 101. — Tromby, Storia crilico-chronologiea-diplomatica del Palriarca S. Bruno e dei suo Online Carlusiano, t. II, app. II, p. lxxviii. — Acia Sanctorum, au 6 octobre, ou INTRODUCTION Hevue Uênédicline, tome Li (1939), p. 257-274. pparat critique éloigner de Chartreuse en 1090, que comme un délégué du saint et toute sa communauté avec lui estimait que le vrai supérieur cl prieur était LES LETTRES DE SAINT BRUNO sse l'attestent clairement ’. Mais il était difficile de recueillir la pensée et les directives de saint Bruno seulement par échange de lettres. Landuin voulut revoir encore une et s’entretenir avec lui. Il lit donc le voyage de Calabre. de la ferveur des pères et des frères de Chartreuse, leur adressa une lettre, la seule qui subsiste aujourd’hui de sa correspondance avec Chartreuse. Dal0 Au retour de ce voyage, Landuin, qui devait traverser dans la péninsule aux mains de l'antipape Guibert de Ravenne. Ni les menaces, ni les promesses, ni les ruses, ni les violences ne purent avoir raison de la fidélité de Landuin au Pontife légitime. Aussi fut-il gardé en captivité dans un camp tenu par les partisans de l’antipape. Ce dernier mourut le 8 septembre 1100. Landuin, très malade, ne put poursuivre son voyage de retour vers la Chartreuse ; il mourut sept jours après son persécuteur et fut enseveli captif. Tous ces détails nous sont connus par la plus ancienne chronique des prieurs do Chartreuse. Il y a lieu put rentrer au désert et rapporter ces nouvelles avec la lettre de saint Bruno. Cette lettre doit donc être datée do 1099 ou 1100. Elle est l'ultime testament spirituel de saint Bruno aux siens. On ne disposer malheureusement , C. Authenticité......................... pas, pour prouver 1 authenticité de cotte lettre, d’arguments externes comme pour la lettre à Raoul le Verd. Nul cependant n'a jamais contesté la tradition qui l’attribue à saint Bruno. Les détails précis 1. V. g. Chronique Laudemui, xiu· ilécle. INTRODUCTION qu'elle contient témoignent en sa faveur : ils constituai) un ensemble d'une spontanéité et d'une sincérité évidente3 En outre, nous verrons plus loin — et c'est la principal preuve d'authenticité — que cette lettre présente au suj« de pensée avec la lettre à Raoul le Verd et des procédé de stylo identiques. Une étude approfondie ne laiss subsister aucun doute sur son authenticité. a) On ne connaît que deux manue D. Manuscrits crits de cette lettre : et éditions C = xv» siècle, Copenhague, N, kgl. S. 2911. 4°, fol. 174-I74v», jadis à la Chartreuse d Cologne, et dont nous avons déjà parlé à propos de II lettre â Raoul le Verd. M = xv® siècle, Milan, Bibl. Nation. Braidense AD IX. 14 ; foi. 28v«-29. En provenance de la chartreuse d< Pavie. La lettre est précédée par le texte du venimeui pamphlet de Pierre Bérenger contre les Chartreux (PL 178 1875) et — chose curieuse — le copiste a attribué cettl diatribe â saint Bruno ! Jamais Bruno n'eût écrit de cettl encre à ses fils. Au reste Bérenger écrivait quarante am après la mort de saint Bruno et ses œuvres sont asseï connues pour qu'il n'y ait pas de confusion possible. Mail le copiste de notre manuscrit était bien peu instruit car après la lettre de Bruno â la communauté de Chartreuse il donna le texte do la lettre do Guignes au Grand-Mattri mort trente ans avant la fondation de la Milice du Temple I Le texte do la lettre à la communauté do Chartreuse est un peu moins bon dans ce manuscrit que celui d» manuscrit C, et le dernier tiers de la lettre manque, sam que soit indiquée la cause de cette omission. b) Éditions : en 1515, le R. P. Dom du Puy, généra, des Chartreux, mentionnait la lettre et en citait une phrase dans sa Vita B. Brunonis imprimée à Bâle. En 1522, â la 1611. dans l’édition des œuvres de saint Bruno publiée eux de la Grande-Chartreuse, p. 43/. — Toutes ces ordinairement reçu et seul pratiquement connu jusqu’à 3. La protession de foi C'était au Moyen Age un usage sa profession de foi ; ils la recueillirent avec soin. Mai laissèrent peu 4 peu s’éteindre la vie érémitique, qui fini par disparaître tout à fait, tandis que prospérait. 4 quelqu distance de l'ermitage Sainte-Marie-do-La-Tour un monas 1ère cénobitiquo fondé par le premier successeur de sain Bruno, Lanuin. En 1192, ce monastère s'affilia 4 l'Ordr cistercien ; puis il dégénéra peu 4 peu et tomba et Chartreux obtinrent du pape Léon X la récupération de lieux où était mort leur fondateur. Ils en repriren possession en 1514. Un lot important d’archives aban par le premier supérieur de la nouvelle Chartreuse mais dans un manuscrit dont le parchemin était mal heureusement rongé et difficile 4 lire en quelques points Il la transcrivit dans un mémoire adressé au Général dci Chartreux en 1522. en recueillait plusieurs autres dans cet ouvrage (PL 71, 195, 2114. 358-359. 400. 493) ; de même dans son ouvrage Libri Miratuiorua hkloriii. Cologne 1576, tome I, au 2 janvier, p. 93). Au temps de saint précédente, est à la Bibliothèque de Grenoble : ms. 630 bis ; Doin Gérard Eloy) publia la profession de foi on 1639 tomus IV, Paris 1685, p. 400). Puis l'annaliste Chartreux Dom Le Couloulx inséra la profession dans ses Annales mémoire de Dom Constantius. C. Authenticity en la Trinité dans un discours détaillé et profond ; il conclut ainsi : « Credo etiam sacramenta... salutis aeternae ». 1101 >.1 INTRODUCTION profession de foi et en soulignaient les principaux élément» citant même une phrase entière. Or le texte retrouvé et 1514 répond bien aux indications du Rouleau funèbre Nous avons donc là une bonne preuve de l'authenticité Mais un problème partiel subsiste. Le bel exposé trini taire qui se trouve dans la profession de foi do saint Brune reproduit, mot pour mol, quelques phrases du magnifiqut symbole du X1« concile de Tolède du 7 novembre 675 1 En outre, dans le texte, tel qu’il nous est parvenu, « développement sur la Trinité vient en conclusion, aprèi la phrase qui concerne les sacrements. Or dans l'encycliqu du Rouleau funèbre, les pères de Calabre écrivaient qui cette dernière phrase était la conclusion. Une question se pose donc : saint Bruno a-t-il récllcmen emprunté les paroles du symbole do Tolède pour exprime sa foi trinitaire, ou s’agit-il d'une addition postérieure En tout état de cause, il est certain que saint Brune a insisté dans son exposé sur le mystère de la Trinit avec des paroles profondes et que ce fait a frappé soi entourage ; mais si on supprimait l’emprunt au symbol do Tolède, rien ne resterait de bien remarquable au suje torum nostrorum et In spo sohills aeternae. ■ Proxima dio Dominici sancio Illa anima came soluta Ml pridie Nonas Octobris anno Domlrr Bile, 1616, lol. 24). P ’P 1. PL 84, 452. Ce symbolo avail toll un apport considérable a I théologie trlnilaire (voir : DTC, art. TriniU et art. Symtota). Un LA PROFESSION DE FOI par le saint d’une formule officielle en celte circonstance convenait tout à fait pour exprimer solennellement son adhésion à la foi catholique et son appartenance à l’Êglise. do préférence à une formule personnelle. L'hypothèse d'une addition postérieure parait donc devoir être rejetée. On peut tenir pour très probable que Bruno a effective­ ment prononcé celte formule telle qu'elle nous a été transmise. Le déplacement des éléments du texte dans la mention fournie par la lettre encyclique s’explique sans doute parce qu'il ne s'agit là que d’un compte rendu sommaire de l'événement, non d'une copie intégrale du Uxte. HI. Lb style de saint Brlno Au temps de saint Bruno, l’art d’écrire était régi par des lois héritées de la rhétorique antique ; tous les auteurs se conformaient à des règles cl à des thèmes littéraires croyait pas devoir s’affranchir de ces cadres Dans la lettre à Raoul le Verd, saint Bruno n'échappe pas à ce défaut de son époque. A première lecture, on et un ton même un peu conventionnels : l’auteur est. resté tributaire d’une formation reçue dans les écoles. Les premiers paragraphes de cette lettre, notamment, ne sont pas exempts de quelque recherche. Si le lecteui s’en tient à un contact rapide, il risque de conservei l’impression d’un écrivain qui sacrifie sa plume Λ des lieux communs. Mais une lecture attentive efface cette impression fâcheuse. Dès que saint Bruno entre dans le vif de son sujet, il exprime ses sentiments avec naturel ; et le billet à la communauté de Chartreuse a la spontanéité — on dirait presque l’abandon — d’un mol entre membres d’une même famille. La forme un peu littéraire des deux let tres n’a pas empêché leur auteur de montrer une vive sensibilité et des qualités de cœur. Le message qu’il veut transmettre est vécu et son lecteur le ressent. Bruno livre une pensée vraiment personnelle sur les questions qu'il traite. Noui verrons qu’en prenant la peine d'étudier son texte de près. chap. V, p. 161. LE STYLE DE SAINT BRUNO ment harmonieux des phrases, l’âme d'un saint. Tel est même l’intérêt principal de ces écrits. dance, il est loin d’êtro aussi diffus que celui de la plupart des auteurs de ce temps. Il n’offre pas ces longs développe­ ments rhétoriques qui nous lassent aujourd'hui, mais dont s'enchantait le goût de ce siècle. Bruno garde une certaine sobriété. Lorsqu'il aborde une question, son exposé est net. La pensée, précise, est exprimée avec des mots qui disent ce qu'il faut, sans longueurs. Il en résulte pour le lecteur une impression de clarté et d'aisance. Les ment entraîne l'adhésion. La phrase se déroule tout naturellement en un rythme harmonieux qui suit sans difficulté le mouvement de la pensée. Au sein de l'exposé, chaque paragraphe est un petit tout consacré à une question et contient vers la fin une phrase forte qui en résume l’idée maîtresse. Ainsi l’enseignement se condense en quelques traits essentiels. L’ancien professeur se laisse révèle chez lui une aptitude à manier la langue pour lui faire rendre les nuances délicates des réalités spirituelles. El il sait rester clair : même en abordant des questions théologiques élevées, il conserve un vocabulaire simple et imagé. La valeur propre du style de saint Bruno ne consiste donc pas dans l'invention de moyens originaux : elle consiste à utiliser des moyens traditionnels pour une expression fidèle, souple, limpide et harmonieuse do la pensée. « Faire quelque chose de rien s, auraient dit nos classiques. De fait la technique littéraire de saint Bruno n’est pas sans ressemblance avec la leur. Un rapproche­ ment avec le style d'un Racine, en particulier, ne serait point tellement déplacé : il serait justifié par la richesse d'expression des sentiments contrastant avec la simplicité INTRODUCTION des moyens, par la phrase coulante et harmonieuse, et aussi par une sensibilité frémissante qui se fait jour malgré l'apprêt littéraire de la forme. L'usage même de motlfla et que nous rencontrerons clics saint Bruno â l'égard do saint Jean Chrysosloine, n’est pas sans analogie avec la manière des classiques. A l’harmonie simple que nous avons signalée se rattache un procédé qui vaut la peine d’être noté, car il est tout à fait caractéristique du style de saint Bruno : c'est le redouble­ ment d’expressions parallèles, complémentaires ou en contraste ; le plus souvent, il s'agit du groupement do deux adjectifs pour affecter un seul substantif. Ce procédé donne à la phrase un peu de solennité, un certain rythme oratoire, et il permet de mettre un accent particulier sur certains points de la pensée *. Saint Bruno affectionne aussi l’usage des images el des symboles, mais il use de ce procédé avec une certaine 1. Exemples dans la lettre A Raoul Io Vord : veleris approbataeque — praeclarior el laudo dignior — ampla et grata — virentia prata ol florida pascua — gratiora et utiliora — utilitatis jucundltullsque — mundo et puro — foveret et calefaceret — illecebrosa et blanda — Insonae ol praecipitatae — pessimus et Inutilis — tutam ol quietam — pulchrum et ulllo — omnipotens et terribilis — gratum el accep­ table — falsis ... perituris — fugitiva ... aeterna — refriguit ... evanuit — gravi et diuturno — aestimationis et pretii — odiosum Justa vel utilia — Insitum et congruum — exoratum ol Impetratum — — doleo el erubesco — Inertem et socordem — pericula et naufragia — cautela et studio — castus emor et vera Charlies — suavissimum et vitalem — graves et crebras — sanum el jucundum — vitale LE STYLE DE SAINT BRUNO sur lesquels la pensée prend rapidement la langue de saint Bruno se montre apte Λ exprimer claire­ ment les richesses d’une pensée profonde. Physionomie spirituelle de saint Bruno d'après ses lettres Saint Bruno n'a pas cherché à enseigner sa doctrine monastique ou à en transmettre la formule par des écrits rédigés dans ce dessein. Les observances qu'il adopta furent codifiées seulement quarante ans après les débuts de Chartreuse. Les deux lettres qui nous restent de lui sont dos écrits d’occasion, qui n’ont eu dans la pensée de leur auteur qu'une portée restreinte. En écrivant à Raoul le Verd, Bruno n'avait en effet d'autre but que d'entratner Raoul à exécuter son vœu : du commencement â la Un de la lettre, cette pensée suscite* les arguments, fait le lion entre tous les paragraphes, assure l'unité de l'ensemble. Bruno n'a donc pas songé à composer un éloge de la vie solitaire ou un traité ■ du mépris du monde s ; il voulait seulement émouvoir Raoul, l’obliger à réfléchir et ή changer d'orientation. De même la lettre à la communauté de Chartreuse n’est à première vue qu'un mot d’affection provoqué par la visite do Landuin en Calabre. En écrivant ce bref message, Bruno ne devait avoir nulle intention do lui donner la portée d'un enseignement de doctrine spirituelle. Cependant, au cours de ces lettres, saint Bruno a touché à maintes reprises à des thèmes importants regardant la vio religieuse et plus particulièrement la vie contempla­ tive en solitude. Or le peu que nous connaissons do sa vie et de sa personne autorise A reconnaître on lui une âme profonde ; la fécondité surnaturelle de sa vie, la postérité spirituelle qu'il a laissée en sont aussi une preuve. Au moment où il écrit ces lettres, Bruno est un fondateur parvenu aux dernières années de sa vio, riche de l’expérience PHYSIONOMIE SPIRITUELLE DE SAINT BRUNO 47 elle mérite une étude attentive. Nous savons par ailleurs sciences se rapportant à la vie spirituelle, était doué d’une aptitude à exprimer par des mots le monde si mystérieux cette même quand ils se présentaient dans leur rédaction comme trop préparé. Une comparaison facile à faire met ce point plusieurs ; elles ont leurs qualités propres, mais dans un rencontre un exemple célébré : la lettre écrite par saint Jérôme à Héliodore pour l’attirer au désert1 ; la langue en est très belle, riche de mots étincelants, mais on sent chaque ligne la recherche et l’apprêt. Entre saint Bruno toute sa vérité. Le clerc de Reims qui écrivit à Raoul le Verd INTRODUCTION en citant la lettre de saint Bruno, et qui ne manquait certes pas de perspicacité, avait très bien ressenti cola : il caractérise Bruno comme « le vrai Israélite 1 », faisant ainsi allusion il la droiture simple de ses paroles. L’étude d’une brève lettre do circonstance soulève cependant uno difflculté : l’auteur a pu être conduit par son sujet et par la connaissance de son correspondant à insister fortement sur un point particulier sans que sa manière d'agir à propos de ce détail précis correspondit à une attitude habituelle chez lui. C'est bien le cas, semblet-il, en ce qui concerne la sévérité de saint Bruno à l'égard de Raoul le Verd, quand il lui rappelle l'obligation de son vœu. Le ton de cette lettre est en effet pressant, dur parfois ; la vie dans le monde est jugée avec pessimisme ; si Raoul a été infidèle A son vœu, la crainte de la punition devrait au moins le pousser à l'accomplir ; les excuses qu'il pourrait invoquer ne sont pas légitimes... Ce ton sévère, qui entend réduire toute tentative de subterfuge, correspond-il A un trait du tempérament do saint Bruno ? En y regardant de plus près, l’impression de sévérité se nuanco beaucoup. Cotte lettre respire la paix, et son analyse révèle en fin de compte chez son auteur un grand tact et uno douceur surnaturelle. Saint Jérôme avait écrit sa lettre à Héliodore sur un ton véhément, adressant à son correspondant une véritable sommation. Bruno'] n’aborde son sujet —- l’invitation Λ se faire moine — qu'après une sorte de préparation psychologique de son correspondant, par une description de la beauté du désert (1» é-5), suivie d’un éloge captivant de la vie contemplative ■ en solitude (1, 6). Il en arrive au cas personnel de Raoul ' par une transition spontanée, en lui appliquant le symbole i de la Sunamite (1, 7). Le même art do ménager les transi­ tions apparaît dans la conclusion : Bruno ne propose pas directement ù Raoul d’entrer dans l’ermitage de Calabre, PHYSIONOMIE SPIRITUELLE DE SAINT BRUNO 49 niais simplement de faire un pèlerinage à Saint-Nicolasdc-Bari et è celte occasion de venir parler avec lui (1, 18). On pressent en saint Bruno une vive sensibilité : clic se manifeste par les lignes où il évoque rapidement la tristesse qu'il éprouverait à voir mourir Baoul sans que celui-ci ait accompli son vœu (1, 17). Elle se montre plus encore dans le passage de la lettre à la communauté de Chartreuse qui concerne Landuin (55, ô) ; il y a là tout un jeu de sentiments d’une admirable délicatesse : le désir qu’aurait Bruno d’épargner à Landuin la fatigue d'un voyage, avec la joie de le garder si c’eût été possible, mais la crainte de lui faire violence et de peiner les solitaires de Chartreuse ; puis celte habileté affectueuse avec laquelle Bruno charge ses sujets de la santé de Landuin pour être sûr qu’elle ne sera pas négligée, et celle formulation délicate do la mission qu’il leur confie : « reverenter cogere ». Bruno avait une âme toute de bonté : plusieurs titres funèbres évoquent ce trait chez lui ’. » La renommée nous avait fait connaître la bonté de Bruno », écrivent les chanoines d'York 8. » Nous le préférions à juste titre à tous, car il était bon », disent ceux de Reims 8. A toutes les époques de sa vie, Bruno fut très aimé des siens et la conquête de ces amitiés fut le fruit de sa bonté. Il faut voir sans nul doute dans la délicatesse et la bonté de saint Bruno la source de l'esprit de modération qui se manifeste dans ses lettres au sujet des observances de la vie religieuse. Cette modération s’exprime surtout en deux passages : l’un expose à l’aide d’images expressives la nécessité de la détente dans l’application aux choses spirituelles (1, 4-5) ; l'autre contient tout un enseignement sur la modération à garder dans l’ascèse matérielle, condamnant avec fermeté les pénitences qui seraient 1. Titres runlim, n· 82, 112, 14S, 178, dans PL 152, 555. 2. Titre n» 13S, de la Cathédrale d'York. 3. Tilre n> 52, de la Métropole de Reims. INTRODUCTION déraisonnables, , et le paragraphe 1, 16 peut 4 première vu sembler bien égoïste dans le motif initial proposé pa saint Bruno, préférant l’utilité propre au service d'autrui Mais ici comme chez, saint Augustin, on pressent que 1 désir, en s'approfondissant, doit conduire à la charit parfaite. En effet, à mesure même que ce désir fai approcher de Dieu et le mieux connaître, on découvr que Dieu est infiniment plus grand et plus désirabl qu’aucune créature n'est capable de le désirer ’ : il no reste plus alors qu’à laisser notre désir se perdre en Dieu C’est ce mouvement que décrit la fin du paragraph! (1, 16), l’expression ex parie sentiens faisant pressenti! l'excédent infini de la splendeur divine sur notre désir*, Ainsi donc ce paragraphe, qui commençait par une réflexion de tournure philosophique, s’achève dans la charité surnaturelle : en un très beau mouvement, Bruno' dépasse le plan initial de sa pensée, quitte l’ordre de l'utile pour passer dans l’ordre de la charité — anima sancta amoris flamma succensa — et couronne ce développement en citant un des plus beaux cris d'amour de Dieu que contienne l'Écriture. Ce qui commençait dans la nature s’achève en plein dans la grâce : continuité dont le sens est fort profond... Ce paragraphe est un sommet dans la lettre à Raoul3. %. Cf. BpHs. 3, 20. A voir dans colle-ci, non une destruction, mois un accomplissement? PHYSIONOMIE SPIRITUELLE DE SAINT BRUNO 59 Quand saint Bruno décrit la vie contemplative, on observe une conjonction constante de l’aspect intellectuel avec un élément plus vital, de l’ordre de l'amour. L'élément cognitif, impliqué dans le mot même de contemplation, est présent : cette vie est un regard (1,6) ; elle est comparée h une école, où l’on reçoit l’enseignement du Saint-Esprit (1, 10). Le terme même de philosophia, qui a un sens particulier dans la littérature monastique *, semble utilisé par saint Bruno en jouant sur son double sens (1, 10) : il s'agit bien d’apprendre une philosophie, mais ce n'est plus la même que colle de Reims... De mémo l’objet transcenla discipline pénllentleUe ; tes pénitences, «elon sa perspective, sont destinées, non ή violenter ou détruire la nature, mais a l'acheminer doucement et fermement vers une lin à laquelle elle était sponta­ nément occordéo... Bruno est aux antipodes d’une ascèse étroite et corrompue et rebelle a la grâce. — En résumé, 10 texte relativement court do la lettre à Raoul le Verd offre un tout complet et équilibré. l'bomme avec Dieu : vertu de religion (sentiments des droits de Dieu, notion do Juste et d'injuste), désir de Dieu commoélanlle bien propre de l'homme (notion de l'aille), el enfln amour de pure charité. Saint aller Jusqu'au fond de la réalité. « Homme au cœur profond », dira les Grecs aimaient désigner par le mol Pères du désert et d'une façon générale . Antoine ; il emploie constamment le compte l'exposé de Sozomèno {Hlslorla tripartita, lib. I, cap. XI, PL 60, 806-0011- Il est à remarquer que saint Jean Ckrysostomb emploie souvent le termo philosophia au sujet do la vie des solitaires. Or saint Bruno, comme nous le dirons plus loin, avait dû fréquenter les écrits de saint Jean Chrysostomb. Le R. P. Dont .loan Leclercq a donné un bon exposé sur l’usago du mot philosophia ô propos de la vio monastique dans L'amour des Mires el le désir de Dieu, Paris 1957, p. 99-100. INTRODUCTION dant de la contemplation est désigné par dos termes qu appartiennent au registre cognitif : splendorem, pulchri tudinem (1, 16). Mais il est facile do voir qu'il s'agit d’uni connaissance d'un type tout Λ fait particulier, qui ne saurai rester d’ordre purement spéculatif. Ce regard en quo consiste la contemplation doit être conquis de hauU lutte (conquiritur, L 6) : donc il engage plus que i'intellecl l'homme tout entier. Et c’est le même regard qui fait voi transformation, une purification de l'être même ; autant dire que c’est un regard do tout l'être foncièrement fourni vers Dieu. On parvient à ce regard par la pleine possessio- et par la pratique des vertus (1, 6) ; même réalisme dan l'expression si saisissante, aeterna captare (1, 13) : Bruni cherche une vraie possession, une étreinte de la réalité connaissance toute surnaturelle. Dans celte école qu'est sagesse éternelle : il s’agit d’une philosophie divine (1,10). Les mêmes remarques se dégagent de la lettre à la communauté de Chartreuse. Saint Bruno insiste d'une manière qui attire l’attention sur le fait, que les convera illettrés n’ont pas seulement l’amour, mais aussi une vraie connaissance de s la Loi sainte » 12, 3). La connais sancc ici ne peut être rien d’autre que l'amour même i l'identification est cette fois complète. Comme dans la première lettre, il s’agit d’une connaissance réalisle affectant l’être : inscribit in cordibus oestris; et elle oat tout entière surnaturelle, puisque c est Dieu qui inscrit. L'élément cognitif — bien que de type très particulier — n'est pas éliminé, puisque saint Bruno parle do recueillir sapienter le fruit des Écritures : les frères convers pratiquent une vraie sagesse. Il est remarquable que l'ancien Mettre PHYSIONOMIE SPIRITUELLE DE SAINT BRUNO 61 do Reims, célèbre pour sa science du Psautier, ait pensé devoir caractériser des frères laïcs et illettrés par la connais­ sance vitale de la sainte Écriture. Mais le fruit de ('Écriture est qualifié do « suave et vivifiant > : c'est que, pour saint Bruno, la fin de l'Écrilure est de communiquer la vio... Et plus particulièrement ce fruit consiste dans l'exercice vécu do la vertu d'obéissance, conçu comme récapitulant toute la perfection surnaturelle. De même encore, Bruno évoque en contraste avec les frères ces gyrovagues qui ne sans doute bonne on soi d'après le contexte — parce qu'ils no la pratiquent pas et no l'aiment pas. Lo récit de l'épisode du jardin d'Adam fait du reste entrevoir qu’à l’époque même où Bruno était dans le monde, sa conversation s'orientait spontanément vers les questions vitales et leurs conséquon as pratiques (1, 13) ’. En définitive, il apparaît très nettement dans les doux lettres, dont l'unité de pensée fondée sur l'amour et s'achève dans l’amour. Nous avons vu comment pour Bruno lo Saint-Esprit, est le maître de l'âme dans l'école de la solitude (1, 10). est un trait caractéristique, qu'il importe de noter dans sa physionomie de contemplatif. A plusieurs reprises, Bruno redit à Raoul en termes pressants que l’EspritSaint s'adresse à l’âme ot attend d’elle une réponse person­ nelle (1, lé. 17). vaut la peine d'être noté (S, 1) : le plan de la première 1. C'est lel le Heu de rappeler la pénétrante rétlaxlun de Lecodre, 1921, II, 466). or, dons un toi symbolo, le Saint-Esprit est mentionn seulement tout ft la fin, après les mystères du Chris) Saint Bruno l'insère dès le début, intentionnellement Il montre par Ift que son attention est fixée sur le myslôrl trinitairo. Lui qui ouvre dans ses lettres les perspectiva d'un idéal si élevé et si pur, achève sa vie, devant loua ses frères rassemblés, on s'étendant avec une sorte do complaisance sur le mystère de la Trinité qui a captiv son âme. Los ermites de Calabre en ont été émus et ont! noté avec soin quo cet exposé insistant et profond sur la Dans ce texte où saint Bruno reprend les termes d'un symbole peu répandu se trouvent des expressions intéres­ santes, où l’on respire comme un parfum de l’âge pétris tique : v. g. « un seul Dieu naturel » ; de même la notion du Père qualifié de ■ saura de toute la divinité ·. Dans la contemplation du Père . plus peritura quam aeterna, plus terrena quam caelestia sectari »? 9. Quid igitur agendum censes, carissime? Quid, nisi 4. prudentia tua : tua prudentia P 1. Λ RAOUL LE VERD, β-0 SAINT BRUNO credere consiliis divinis, credere veritati ·, quae fallere noni potest? Consulit namque in commune, dicens : Venite ad me omne» qui laboratis et onerati estis, et ego reficiam oos \ Nonne pessimus et inutilis labor · est concupiscentia distendi *, sollicitudinibus et anxietatibus, timore et dolore pro concupitis incessanter affligi? Quod vero onus est gravius quam quod mentem a sublimi dignitatis suae arce in infima deprimit, quod est injustitia omnis? Fuge ergo,! frater mi, has molestias et miserias omnes, et transfer te stationem. 10. Novit etiam prudentia tua quid nobis Sapientia quam sil utile quamque jucundum in schola ejus sub disciplina Spiritus Sancti manere, divinamque addiscere philosophiam quae sola dat beatiludinem veram, quis non videat? prudentiam luam perpendere quod, si amor Dei te non 12. Scis namque qua sponsione obligatus es, et cui*. Omnipotens est et terribilis, cui tcipsum munus gratum et omnino acceptable devovisti ; cui nec mentiri licet nec expedit ; nec enim patitur se inulto · > irrideri «. 13. Reminiscitur quippe dilectio tua quod, cum ego et L Λ RAOUL LE VERD »-13 Quoi donc, sinon croire aux conseils divins, croire à la vérité · qui no peut tromper? Car elle donne ce conseil à tous : ■ Venez ù moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau, et moi je vous soulagerai *. ■ N'est-ce pas une la concupiscence, affligé sans cesse par les soucis, les anxiétés, les craintes et les douleurs engendrés par ces désirs? Quel fardeau plus lourd que celui qui fait descendre l'âme du faite de sa sublime dignité jusque dans les basfonds, au mépris de toute justice? Fuis donc, mon frère, de ce monde au repos tranquille et sûr du port *. 10. Ta prudence connaît ce que noua dit la Sagesse elle-même : « Si quelqu'un ne renonce pas â tout ce qu'il possède, il ne peut être mon disciple ·. » Qui no voit combien il est beau, utile et doux de demeurer à son école sous la conduite du Saint-Esprit, pour y apprendre la divine philosophie, qui seule peut donner la vraie béali- 11. Il est donc important pour toi de considérer ton devoir avec un soin diligent. Si l’invitation do l’amour ne te suint, pas, si la perspective de biens aussi utiles ne te stimule point, que du moins la nécessité et la crainte des peines te contraignent. 12. Tu sais en effet quelle promesse tu a» faite, ot à qui. 11 est tout-puissant et terrible, le Seigneur auquel tu t'es consacré loi-même en oblation toute agréable ; ce n’est ni permis, ni avantageux de lui mentir, car il ne soulfre pas qu'on se joue de lui1 impunément a. 13. Ton affection se souvient de ce jour où nous nous comme symbole do la solitude où vivent les moines. Snlnl Grégoire lui le port n’ètall plus la solitude, mais la eommunoutè moimsUque. 1 Λ RAOUL LE VERO, 13-14 trouvions ensemble, toi, Foulcoio le Borgne 1 et moi, dans le petit jardin attenant à la maison d'Adam où j’étais alors reçu. Nous avons parlé pendant quelque temps, monde et des joies de la gloire éternelle. Alors, brûlant d'amour divin, nous avons promis *, (ait vœu, décidé de quitter prochainement les ombres fugitives du siècle pour nous mettre en quête des biens éternels · et recevoir l'habit monastique. Nous eussions bientôt accompli ce projet si Foulcoie n'était alors parti pour Rome ; mais nous en avons différé l'exécution jusqu'à son retour. Il tarda et d’autres motifs intervinrent ; le courage sc refroidit *. la ferveur s'évanouit. 14. Que le reste-t-il donc à faire, mon ami très cher, sinon de te libérer au plus tôt d’une telle dette? Autre­ ment, coupable d'un mensonge aussi grave et prolongé, tu encourrais la colère du Tout-Puissant et, par suite, de terribles tourments. Quel est en effet le souverain qui se laisserait frustrer par n'importe lequel do ses sujets d'un service promis, sans le punir, surtout si ce service était à ses yeux d'un très grand prix? Aussi crois, non pas à mes paroles, mais à celle du prophète, bien plus à celles du Saint-Esprit disant : > Faites des vœux au Seigneur votre Dieu et acquittez-les, vous qui l'entourez et lui présentez vos offrandes : au Dieu terrible, à celui qui éteint le souffle des princes et qui est terrible aux rois de la terre °. » Entends, c'est la voix du Soigneur, la voix de ton Dieu, la voix de celui qui est terrible ot qui éteint le souffle des princes, la voix do celui qui est terrible aux SalnbBspril, mais e'esl l'Eaprll-Salnl qui engage l’Sme à être lldUo au vœu lail Δ Dieu, comme le dit plus loin Mini Bruno. En toll la partir do la lettre du pamphlétaire do Reims qui avait tait colle addition a la citation de la lettre de saint Bruno donnée dans son SAINT BRUNO omnia inculcat Spiritus Dei, nisi ut te voventem perurgeo reddere promissa? Quid vero reddere gravaris quod nullas bonorum tuorum facit jacturam vel imminutionen quodque tua potius quam illius cui persolveris accumula 15. Quocirca non te detineant divitiae fallaces, quia inopiam expellere nequeunt, nec dignitas praepositurae Aliena namque, quorum minister sis cl ·· non possessor, i proprios usus convertere, ut pace tua dicam, tam esi odiosum quam iniquum. Quodsi splendoris et gloriat appetens fueris multamque retinere familiam ·, nonno cum tua quae ex justo habeas11 non suppetunt, necesse esi non est esse beneficum aut liberalem. Nihil est enim liberali quod non idem justum. 16. Verum et hoc dilectioni tuae persuasum cupio, ne pro domni archiepiscopi necessitudine, qui plurimum con­ siliis tuis credit ct nititur, quae non omnia justa vel uti­ lia facile dantur>·, a divina revoceris caritate, quae quanto est justior, tanto et utilior. Quid autem tam justum tamque utile, quidve humanae naturae1* sic insitum el congruum quam diligere bonum? Et quid aliud tam bonum quam Deus? Imo, quid aliud bonum nisi solus Deus*? Unde anima sancta, hujus boni incomparabilem decorem, splendorem, pulchritudinem ", ex parte sentiens, amoris flamma succensa, dicit : Siliuit anima mea ad Deum /artem oivum; quando veniam el apparebo ante faciem Dei*? c. a. Judith 10, 4. 1. Λ RAOUL LE VERD, M-lé rois de la terre. Pourquoi l'Espril do Dieu enseignc-t-il d'acquitter les promesses do ton vœu ? Pourquoi cola te pèse-t-il d'accomplir un vœu qui ne te fera perdre aucun de tes biens et ne les diminuera mémo pas, et te procurera de plus grands profits qu'à celui envers lequel tu t’en acquitteras? penses : elles no peuvent supprimer notre misère ; ni par la dignité de prévôt : elle no peut être exercée sans un grand péril pour l’âme. Car, permets-moi do le dire, co serait un acte aussi odieux qu'injuste de détourner pour ton propre usage les biens dont lu es seulement l'admi­ nistrateur, non le propriétaire. Si le désir do l'éclat et do la gloire te porto à entretenir un grand train do maison ■, à défaut de tes biens légitimes qui ne suturaient pas 11 celle dépense, ne te faudra-t-il pas d'une manière ou d'uno autre dérober aux uns ce que tu distribueras aux autres? Ce n'osl pas là un acte do bienfaisance ou do libéralité. Nul acte n'est charitable, en effet, s'il n'est juste. 16. Mais je désire persuader & ton affection de ne pas se laisser éloigner do la divine charité pour le service du seigneur archevêque qui a grande confiance en tes conseils et s'appuie sur eux. Il n'est pas facile de donner toujours des conseils justes et utiles. L’amour divin est d'autant plus utile qu'il est plus juste. Or quoi do plus juste et do plus utile, quoi do plus inné et convenable à la nature humaine que d'aimer le bien? Et qu'y a-t-il d’aussi bon que Dieu? Plus encore, y a-t-il un autre bien que Dieu seuls? Aussi l'Amo sainte qui a quoique sentiment de co bien, de son incomparable éclat, do sa splendeur, de sa beauté ·, brûle do la flamme du céleste amour et s'écrie : ■ J'ai soif du Dieu fort et vivant, quand irai-je voir la face de Dieu4?· SAINT BRUNO 17. Utinam, frater, non aspernaris amicum monen Utinam non surda audias auro verba Spiritus Sane Utinam desiderio longaeque exspectationi meae satisfeci dilectissime, no diutius pro to crucietur anima mea c sollicitudinibus atque timore. Nam si evenerit, < Deus avertat, te, priusquam debitum voti solvoris hac recedere vita, me continua tristitia sine aliqua consolatione tabescentem relinques. 18. Quapropter a te exoratum et impetratum cupii vel causa orationis ad sanctum Nicolaum et indo usque ad nos14 venire digneris, quatenus videas15 qui te unice diligit et statum rerum nostrarum ac religionis ordinem neo-** quae ad communem utilitatem spectant mutuo viva tractare possimus. Et confido in Domino quod non 19. Epistolaris brevitatis excessi modum quia, dui corpore praesentem habere non possum, saltem diutius' sermocinando tecum morabor1’. Fraternitatem tuam diu incolumem, memorem consilii nostri18 vigere sedulo19 exopto. partibus nostris nunquam rcperitur ··. Vale. au moins par dévotion venir en pèlerinage è Saint-Nicolas, tout autre, et nous pourrons traiter ensemble de vive voix de l'état de nos affaires, de notre observance religieuse i d'avoir entrepris 19. J'ai dépassé les bornes d’une lettre ordinaire car, Je te souhaite de tout cœur, mon frère, de rester longtemps en bonne santé et de ta souvenir do mon conseil. AD FILIOS SUOS OARTUS1ENSES Incipit epistola Venerabilis Patris nostri Bru nonis quam epistolam in quadam Calabriae heremo cui nomen Turris est scripsit et inde ad filios suos Cartusienses trans- 1. Fratribus suis unice dilectis in Christo, Frater Brand salutem in Domino. Cognito rationabilis et vere laudandae disciplinae vestrae inflexibili rigore, ex crebra ac dulci relatione beatissimi1 fratris nostri Landowini : necnon audito sancto·, amore vestro et incessenti studio erga ea quae integritatis' et honestatis ’ * sunt, exsultat spiritus meus in Domino^ Vere exsulto et feror in laudem et gratiarum actionem^ Domino, et tamen4 amare suspiro. Exsulto quidem, üt ; justum est, pro incremento frugum vestrarum virtutum0;, me autem doleo et erubesco, inertem et socordem 4 jacere in sorde peccatorum 4 meorum. 2. Gaudete ergo, fratres mei carissimi, pro sorte beatitudinis vestrae et pro larga manu gratiae Dei in vos. Gaudete, quia evasistis fluctuantis mundi multimoda pericula et naufragia. Gaudete, quia quietam et lutam fll stationem portus secretioris obtinuistis, ad quem cum B I. beatissimi : karissiml M || 2. Integritatis at honestatis: hones- j tatis et Integritatis M j| 3. aeltonom : aetlones M || 4. tamen : 1 tamen frequenter Μ | B. socordem : secortem M | 6. peccatorum a. Cf. Sag. Sir. 24, 23. b. Cf. Le 1,47. o. Cf. 11 Car. 0, >0. A SES FILS CHARTREUX Lettre écrite par notre Vénérable Père Bruno dans l'ermitage de La Tour on Calabre et envoyée par lui è ses fils Chartreux, 1. Frère Bruno â ses frères aimés plus que tout au monde dans lo Christ : salut dans lo Seigneur. J'ai appris, par les récits détaillés et si consolants de notre heureux frère Landuin, avec quelle inflexible rigueur vous suivez une observance sage et vraiment digne d'éloges ; il m’a parlé do votre saint amour, de votre zèle infatigable pour tout ce qui touche la pureté du cœur et la vertu · : mon esprit en exulte dans le Soigneur°. Oui, vraiment j'oxulto et je me sens porté à la louange et aux actions do grâces envers lo Soigneur, et cependant je soupire amèrement, J'oxulto certes — cela est juste — à voir croître les fruits do vos vertus0, mais je déplore et je rougis de rester inerte et négligent dans la misère de mes péchés. 2. Réjouissez-vous donc, mes frères très chers, pour votre bienheureux sort et pour les largesses de grâce divine répandues sur vous. Réjouissez-vous d'avoir échappé aux flots agités de ce monde, où se multiplient les périls et les naufrages. Réjouissez-vous d’avoir gagné le repos tranquille et la sécurité d’un port caché : beaucoup duction ρ. 36. SAINT BRUNO multi venire7 deriderent, multi quoque nonnullo conati contendant, non perveniunt tamen ·. Mulli vero, postquan potili fuere, exclusi aunt, quoniam nulli eorum d< supe concessum est4. Ideo, fratres mei, certum ac probatum sil vobis quod, quicumque hoc optabili usus est bono, si quocumque modo id amiserit14, usque in finem dolebit, si quis respectus, vel cura salutis animae suae sibi fuerit, 3. De vobis, dilectissimis fratribus meis11 laicis, dioo: Magnificat anima mea Dominum4, quia magnihconliafl misericordiae suae super vos intueor secundum inlima lionem prioris vestri et patris amanlissimi, qui multum gloriatur pro vobis et gaudet ». Gaudemus et nos quoniam, cum scientiae litterarum expertes silis, potens Deus digito suo inscribit14 in cordibus vestris ·, non solum amorem, sed et notitiam sanctae legis suae. Opere enim ostenditis14 quid amatis, quidve nostis. Nam cum obedienliam veram cum omni cautela et studio observatis — quae est exsecutio mandatorum Dei, et clavis ac signaculum lotius spiritualis disciplinae, quae nunquam est sine multa humilitate et egregia patientia, quam semper comitatur castus amor et vitalem 14 Scripturae nistis, et morbidum gregem quorumdam vanissimorum 7. venire om. M J| 8. non perveniunt tamen : at tamen non perveniunt M || 9. desuper concessum est : concessum est desuper M ii 10. amiserit : admiserit M J ii. fratribus meis : mole fratribus a. Ct Le 1, SO. b. a. II Cor. 7, 13-16. e, Ct. II Cor. 3, 3. t. A LA COMMUNAUTÉ DE CHARTREUSE, S-4 désirent s'y rendre, beaucoup font même un eiTort pour Aussi, mes frères, tenez-lo pour certain et prouvé : , car je considère la magniticenco et lo zèle possibles la véritable obéissance, qui est l'ac grande humilité et une patience insigne, et toujours authentique charité. Il est par lé évident que vous i 4. Demeurez donc, mes frères, dans l'état auquel vous SAINT BRUNO mussitante* quae non intelligent· nec amant, quibus verbis et factis contradicunt. Qui otiosi et gyrovagi) quotquot bonis et religiosis detrahunt, et se in hoc lauda­ biles putant, si laudandos infamaverint, quibus ohedientii et omnis disciplina odio est1*. 5. Fratrem vero Landowinum nobiscum detinere volui propter graves et crebras infirmitates suas : sed quia sibi nihil sanum, nihil jucundum, nihil vitale el utile esse sine vobis reputat, non acquievit, protestans mihi in lacrimarum fonte pro vobis emanante, el suspiriis multis, quanti apud eum sitis ot quam perfecta caritate vos omnes diligat. Unde coactionem nullam facere volui, ne laederem eum, aut vos, quos carissimos pro merito virtutum vestrarum habeo. Quapropter fraternitatem vestram sedulo moneoi gestatis exsecutione operis in ipsum, utpote in priorem et patrem vestrum carissimum, ostendatis, benigne el provida subministrando quae sibi pro multimoda valetudine sua necessaria sunt. Quod si vobis in hoc humanitatis ufilcio non consenserit, malens periclitari de salute et vita, quam aliquid de disciplinae corporalis rigore omittere, quod prorsus improbandum est —- forsitan erubescet ut, qui metuens ne occasione sui aliquis ex vobis remissior vel lepidior fiat, quod nullatenus formidandum puto — ne hujus gratiae expertes sitis, nostrum vicem in hoc tantum 1 Λ LA COMMUNAUTE DE CHARTREUSE, 4-5 par leurs paroles et leurs actes. Oisifs et gyrovagues ’, détracteurs de tout être bon et religieux, ils estiment avoir droit â dos éloges s'ils ont diffamé ceux qui en méritent : toute règle ou obéissance leur est odieuse. 5. Je voulais garder avec moi le frère Landuin, à cause de scs graves et fréquentes infirmités. Mais comme il estime ne pouvoir trouver sans vous ni santé, ni joie, ni vie, ni aucun profil, il n'a pas accepté ; ses larmes abon­ dantes et ses nombreux soupirs â votre endroit m'ont prouvé tout ce que vous êtes pour lui et â quel point il voua aime tous d'une parfaite charité. Aussi n’ai-jo voulu exercer aucune contrainte, pour ne blesser ni lui, ni vous, qui m'êtes si chers â cause du mérite do vos vertus. C'est vous prie humblement, mais avec force, do manifester en actes la charité que vous nourrissez, on vos cœurs pour lui, qui est votre pèro et prieur très aimé, et do lui procurer avec délicatesse et attention tout ce qu'exigent ses nom­ breuses infirmités. Peut-être rcfusora-l-il cos services affectueux, préférant mettre on danger sa santé et sa vie, plutôt que de manquer en quelque chose â la rigueur de l’observance extérieure : ce qu'on no peut évidemment pas admettre ; mais ce sera sans doute parce qu'il rougit, lui qui est le premier dans la communauté, do se trouver le dernier sur ce point, et parce qu’il redoute de voir l’un d’entre vous devenir plus lâche el plus tiède à cause de lui, ce qui, â mon avis, n'est nullement à craindre. Pour que vous ne soyez pas privés de celte grâce, je vous autorise â tenir ma place sur ce seul point : il vous sera 1- Gyrovogues : nwlees vagabonda qui habitaient las premiers «ontretorU du mowlt do Chartreuse, d'où Ils allaient mendier Ici ou la. Leur vio oglIAo u parfois SU une gène pour les premiers solitaires de Chartreuse, Jusqu'à ce que l'Sviqu· do Oronoble, saint Hugues, les SAINT BRUNO 2 A LA COMMUNAUTÉ DE CHARTREUSE, 5-β vestrae caritati concedimus, ut liceat vobis reverenter eum permis de l'obliger respectueusement à prendre tout ce que vous lui donnerez pour sa santé. 6. Quant à moi, mes frères, sachez que mon principal désir après Dieu est d'aller vous voir. Et dés que je le pourrai, je le réaliserai, avec l’aide de Dieu. 6. De me, fratres, scitote quoniam mihi unicum post Deum est desiderium veniendi ad vos et videndi vos. Et quando potero, opere adimplebo, Deo adjuvante. Valete. 89 CONFESSIO FIDEI MAGISTRI BRUNONIS flogellatus, mortuus, sepultus, Descendit ad inieros, ut PROFESSION DE FOI DE MAITRE BRUNO 1 Nous avons pris soin de garder la profession de foi do Maître Bruno, prononcée devant tous ses frères réunis, quand il sentit approcher pour lui l'heure d'entrer dans très pressante d’être les témoins de sa foi devant Dieu. Fin du Prologue. Je crois fermement au Père, et au Fils, et au SaintEsprit : le Père non engendré, le Fils seul engendré, le que ces trois Personnes sont un seul Dieu. 2. Je crois que ce même Fils de Dieu a été conçu du la Vierge était très chaste avant l'enfantement, qu'elle est demeurée vierge dans l'enfantement cl éternellement vierge ensuite. Je crois que ce même Fils de Dieu a été conçu parmi les hommes comme un homme véritable sans péché. Je crois que ce même Fils de Dieu a été pris par la haine des Juifs parjures, injurieusement traité, injustement lié, couvert de crachats, flagellé ; je crois enfers pour en libérer les siens qui s'y trouvaient captifs ·. voir l'introduoUon p. 39. SAINT BRUNO tionem nostram, et resurrexit, ascendit ad coelos, inde venturus judicare vivos et mortuos. 3. Credo sacramenta quae catholica credit et veneratu Ecclesia, et nominatim quod consecratur in altari verum; corpus esse, veram carnem et verum sanguinem Domini, nostri Jesu Christi, quem et nos accipimus in remissionem peccatorum nostrorum, in spem salutis aeternae. Credo.: carnis resurrectionem, vitam aeternam. Arnen. 4. Confiteor ct credo sanctam atque ineffabilem Trini-·' tatem, Patrem et Filium et Spiritum Sanctum, unum Deum naturalem, unius substantiae, unius naturae, unius majes­ tatis atque virtutis. Et Patrem quidem non genitum, non creatum, sed ingenitum profitemur. Ipse Pater a nullo originem ducit, ex quo et Filius nativitatem, et Spiritus Sanctus processionem accepit. Fons ipse igitur et origo est totius Divinitatis. Ipse quoque Pater, essentia quidem ineffabilis, substantia sua Filium genuit ineffabiliter, nec tamen aliud quam quod ipse est genuit, Deus Deum, lux lucem ; ab Ipso ergo est omnis paternitas in coelo et in terra. Arnen. 3. PROFESSION DE FOt, 2-4 Il est descendu pour notre rédemption, est ressuscité, est monté aux dieux d'où il viendra juger les vivants et les 3. Je crois aux sacrements que croit et vénère l'Église catholique, et expressément que ce qui est consacré à l'autel est le vrai corps, la vraie chair et le vrai sang de notre Seigneur Jésus-Christ, que nous recevons aussi pour la rémission de nos péchés et en espérance du salut étemel. Je crois à la résurrection de la chair et à la vie éternelle. Amen. 4. Je confesse et je crois la sainte et ineffable Trinité, Père, Fils et Saint-Esprit, un seul Dieu naturel, d’une seule substance, d'une seule nature, d'une seule majesté et puissance. Nous professons 1 que le Père n'a pas été engendré ni créé, mais qu’il est inengendré. Le Père luimême ne lire son origine de personne ; de lui, le Fils reçoit la naissance et le Saint-Esprit la procession ’. Il est donc source et origine de toute la Divinité. Et le Père, ineffable par essence, a engendré le Fils inclfablement, de sa substance ; mais il n'a pas engendré autre chose que ce qu’il est lui-même : Dieu a engendré Dieu, la lumière a engendré la lumière ; c'est donc de lui que découle toute Paternité dans le ciel et sur la terre. Amen.12 1. Λ partir de cet endroit, la saint < rtcllc * la profession de loi du pluriel : le Credo du concile est on effet rédigé a la première personne du pluriel. 2. L'absence de la précision du Ι·'ίΙίο^υ« s’explique par la date GUIGUES INTRODUCTION I. Vie de Guigues Guigues, cinquième prieur de la Grande-Chartreuse, naquit en 1083, un an avant l'arrivée de saint Bruno au désert de Chartreuse. Il était Dauphinois, · d'un château du diocèse de Valence qui s’appelle Saint-Komain >, dit une chronique contemporaine : ce peut être le village de Saint-Homain, aujourd'hui Sainl-Romain-d’Albon dans la Drôme, au nord de Valence, près de Saint-Vallier-surHhône. Do son enfance et do ses études, on ne sait rien ; mais il montre dans ses écrits une culture exceptionnelle. Chartreuse. Trois ans seulement plus tard, il fut appelé se trouvaient encore trois des premiers compagnons de saint Bruno, dont l'un au moins était très capable de devenir prieur, puisqu'il le fut plus tard dans une autre maison. On considérait sans doute déjà Guigues comme un religieux hors do pair, pour le préférer à tous à l’âge treuse, jusqu'à sa mort. En 1115. deux moines de l’abbaye bénédictine d’Ambrorelevés de leurs vœux afin de pouvoir embrasser la vie cartusienne sur la montagne de Portes, non loin de Belley, un peu â l'est do Lyon. Guigues envoya quelques religieux aux nouveaux ermites sur leur demande, pour les former aux observances de Chartreuse. Ce fut la première fondation qui préludait à la naissance de l'Ordrc cartusien. Sept maisons furent ainsi fondées sous le priorat de Guigues Portes, Les Écouges, Durbon, Sylvc-Bénite, Meyriat, Arriéres, Le Mont-Dieu. Mais plus encore que l'essor des fondations temporelle» l’œuvre qui acquit à Guigues un titre de reconnaissant impérissable parmi les Chartreux fut la rédaction de leurs premières règles, les Coutumes de Chartreuse, travail effectué entre 1121 et 1127 à la demande de quelques prieurs des maisons déjà fondées. Il y fit preuve d’un très grande expérience de la vio contemplative en solitudt ot d’une profonde connaissance des anciennes observance monastiques et des diverses règles dont il sut adapter l< textes au genre de vie mené par les Chartreux. 11 Guigues est aussi l’auteur d'un recueil de Pensées, lés deur et d'une perfection achevées, l'établissent maître en ce genre et lui assignent un rang à part au milieu dés auteurs de son siècle. Cet ouvrage est loin d’être connS autant qu’il le mérite. Enseveli pendant des siècles sous | une rédaction mutilée qui le défigurait complètemont'et qui fut publiée dans la Patrologie, il a été reconstitué dans toute sa pureté sur la foi des meilleurs manuscrits par Dom Wilmart ; mais ce dernier l’a malheureusement accompagne d une traduction défectueuse et d'une présen-i talion qui en fausse les admirables perspectives ’. Une' nouvelle édition est aujourd’hui en préparation pour la' collection Sources chrétiennes. Elle permettra d’assurer! celte œuvre l’audience qu’elle mérite. Guigues écrivit dans les dernières années de sa vie, sur 1 l’ordre du pape Innocent II, la vie de saint Hugues des ’ Grenoble, mort on 1132. On a conservé aussi de lui quelque! lettres qui sont l’objet du présent volume. Enfin on lui' qui vient d’être retrouvée. VIE DB OUIGUBS Pour réaliser celle dernière œuvre et pour les besoins du travail de copie des manuscrits qui était la principale occupation manuelle assignée aux Chartreux dans leurs cellules, Guigues montra toulo sa vio uno infatigable application à rechercher des manuscrits authentiques, à les purger de leurs erreurs et à les recopier. La bibliothèque de la Grande-Chartreuse, déjà remarquable dès les premières années do son priorat, s'enrichit continuellement et fit en son siècle l’admiration des connaisseurs. Quand une avalanche détruisit do fond en comble la première Chartreuse au mois do janvier 1132, causant la mort de sept moines ensevelis sous les neiges, Guigues montra autant d'aptitudes dans la construction d'un nouveau monastère un peu plus bas dans la montagne, vela entièrement aussi les bâtiments du monastère dos convers. Il réalisa de remarquables travaux d’adduction d’eau par le moyen d’ingénieux canaux de pierre, taillés avec un grand labeur. Accablé de bonne heure do graves infirmités, Guigues mourut vers l’àge do 53 ans, lo 27 juillet 1136. Il avait été l’âme de la Grando-Chartrouse pondant trente années décisives pour l’Ordre cartusien ot il imprima pour toujours à l’esprit des Chartreux quelque chose de lui-même. On no montrerait pas suffisamment la vraie physionomie de Guigues si l’on ne disait un mot des grandes amitiés que lui valurent ses dons exceptionnels cl de l'intérêt suscité dans le monde monastique do son temps par lo genre de vie dont il avait été lo législateur au désert de Chartreuse. Pierro le Vénérable, le grand abbé de Cluny, avait fait la connaissance do Guigues et des Chartreux avant son abbatial, quand il était tout jeune encore prieur de Domène aux portes do Grenoble (1120-1122). Ce fut le début d’une indéfectible amitié dont il témoigna en toute occasion jusqu’à sa mort. On ne pourrait en rappeler ici toutes les manifestations, mais il convient de INTRODUCTION Chartreuse Dom Basile — de renoua Thérouanne. il écrivait : Saint Bernard de son cote, recevant un jour une lettre J’ai lu votre lettre et void de telle» méditations d’où s'échappent de pareilles éUn- 5. ■ La Chronique des premiers Chartreux ·, LIrurO 102e, p. 50. VIE DE GUIOUES Un autre éloge précieux, qui se trouve dans la Vie de saint Anlhelme, est l’écho do la tradition primitive de l'Ordre au sujet do l'impression laissée par Guignes : « Guigues avait été prieur do Chartreuse, digne d'une mémoire éternelle ; cet homme vénérable mérita d'être appelé le bon prieur par ceux qui ont parlé de lui, on raison de la grâce qu’il avait reçue du ciel, d'une doctrine pleine de douceur. C'est lui qui délimita pour l'Ordro carlusion les lois et les observances précises, car il écrivit lui-même la Règle, qu'il appela par humilité les Coutume». Il forma ses ills, les instruisant avec prudence et vigilance, par la parole et par l'exemple. Il disposa tout ce dont il avait à s'occuper avec mesure, droiture ot piété. Ses avis étaient utiles pour tous ceux qui le consultaient. Il était en effet prudent et d'uno admirable vivacité d'intelligence *. · 1. Xrle Sanetomm, Juin, tome V, 230. A Pierre le Vénérable, Abbé de Cluny. LA CORRESPONDANCE DE Gl.IOUES d appuyer sea tentatives rient renforcer cotte hypothèse : la lettre aux chevaliers INTRODUCTION personnages de son temps une correspondance plus Mzèlo infatigable crits entre la Chartreuse et Cluny, et on l'impression, Par bonheur, les lettres de Guigues abordent un éven- LA CORRESPONDANCE DE ODIOUES quelques lacettes de sa rien d'une progression logique, tout en essayant de suivre les divisions habituelles x. III. Physionomie spirituelle db Guigues Nous possédons do Guigues, commo do saint Bruno, uno «invitation au désert ». La première lettre do ce recueil est en effet destinée Λ engager un ami ft embrasser la vie contemplai o ot solitaire, tout comme la lettre à Raoul i lo Vord : coïncidence heureuse, qui nous permettra de saisir los points do ressemblance ot do différence entro cos deux grandes âmes, précisément à propos do ce qui leur, tient le plus profondément ft cœur : la vio consacrée ή Dieu dans la solitude. Ce qui frappo d’abord dans la lettre de Guigues, c’est son ton de franchise directo, ot cola, paradoxalementif.1 malgré un stylo étudié. Tout ft l’invorso de saint Bruno, Guigues ne so met guère en peine d'introductions et de transitions. L'argumentation de Bruno écrivant à Raoul le Verd se construisait comme un enveloppement ; celle de Guigues est toute rectiligne ; aucune digression ne le re­ tient au passage, rion no ralentit son élan. Les raisons s'enchaînent rigoureusement l’une ft l'autre pour mener droit au but : après uno partie critique rejetant la vie mondaine, il expose la valeur et en même temps l'austé- : rité de la vio au désert ; puis il justifie l’exigence de renon­ cement par l'exemple et l'appel du Christ, et enfin il passe à la conclusion pratique : toi aussi choisis cette vie. La même brusque franchise apparaît dans cette manière d'in­ viter le correspondant ft la vie solitaire : · Prudenti dis­ cretioni tuae breviter significo (1, 8). » On croirait presque une mise en demeure. Cette façon abrupte de présenter les choses semble traduire uno âme véhémente, passion­ née, absolue ; l'expression « quo totius sermonis impetus vergat (1, 8) » est révélatrice ft cet égard ; l’exposé dense, PHYSIONOMIE SPIRITUELLE DE GUIGUES 107 concis, nerveux, qui précédait était tout entier commandé par ce désir impétueux d’amener au Christ un ami très chei, comme une nouvelle recrue. Et la lettre se termine de façon aussi abrupte qu’elle avait commencé. Cotte ardeur est cependant contenue ; elle reste singu­ lièrement maîtresse d’clle-mêmo. On ne sait pas trop, quand Guigues commence, où il va aboutir. Mais lui lo sait : les idées s’enchaînent dans son esprit avec une cohérence cl une clarté parfaites ; seulement il se retient d'on avertir tout de suite son lecteur ; cotte tournure d’esprit est tout à fait caractéristique chez lui. Uno telle manière de faire respecte la liberté do l'interlocuteur, on mont» développés. Elle dénote aussi un esprit qui s’est longtemps exercé à la rigueur do la pensée. Et quelle sagesse, quelle réserve se manifestent encore do la part do Guigues, sous la brusquerie apparento do son invitation ; il so contento de proposer ; son correspondant jugera selon sa propre prudence, répondra seulement si la grûco l'y pousse, gardera la liberté de choisir lo lieu et le moment de sa donation 5 Dieu A'oilà donc un premier trait du tem­ pérament de Guigues : une ardeur contenue qui se cache derrière le laconisme et la rigueur do l'expression. Los pro­ cédés de son style — comme nous lo verrons plus loin — lui offraient un instrument merveilleusement accordé à exprimer simultanément ces deux faces do son caractère, impétuosité ot réserve. l'expression · quatenus ordinis nostri propositum nggroillnris » (1, 8) par lu formule « entre dans notre Ordre ». Ce serait un anachronisme. INTRODUCTION Au point de vue do la conception de la vie monastique Bruno insiste davantage sur la fin sublime de la vie érémitique, Guigues sur les moyens nécessaires pour atteindre. ■ fruits du paradis·, et demeure à ce niveau. Guigues semble voir dans la vertu un bien désirable pour luimôme : le tableau de la vie solitaire qu’il met en contraste avec celui do la vio mondaine est avant tout un tableau1 do vertus (1, 4) : il a visiblement savouré cotte vie ver­ tueuse en la décrivant. Chose frappante aussi : pour Bruno, la joie do la vio solitaire est donnée comme présente; dés maintenant on y expérimente la « paix que le monde ignore s, dès maintenant on ■ se nourrit des fruits du para­ dis » ; la /ocundiias est un do ses maîtres-mots. Guigues au contraire insiste presque uniquement sur la joie comme future : · in futuro regnaro cum Deo ·. La mention de la suscription de la lettre, il s'intitule « servus crucis · (1, I) ; évocatrice d’uno belle fidélité dans la pratique de Γascèse; vaut d'être relevée. Nul no peut éviter do passer par la croix, « volis, nolis » (1, β), pour régner avec le Christ. On a l'impression que Guigues, tout en engageant avec une véhémence laconique son correspondant à embrasse! la vie érémitique, tient malgré tout Λ ne pas lui laisser d’illusions sur la physionomie concrète de cette vie et sur son cachet d’austériU. Il dit en toutes lettres que le lot de cette terre, c’est l’amertume (fin do 1. 6) ; il mentionne des «adversités·, des «doutes·, il appuie sur l’idée do persévérance tenace que requiert l’ascèse «jejuniis in­ sistit...crucis consuetudinem » (1, 4), etc. La notation «in principio gravis · (1, 4), relative A la vie en solitude, est le fait d'un solitaire expérimenté. Dans toute cotte am­ biance où l'ascèse occupe le premier plan, les images de PHYSIONOMIE SPIRITUELLE DE GUIGUES 109 type militaire (1, 8) no «ont pas un placage artificiel et peu combative qui anime cette lettre. Le climat de Guigues est donc assez différent de celui de saint Bruno. Comparé è Bruno, Guigues semble un esprit plus pratique, plus attentif aux exigences concrètes de l'idéal. Faut-il en conclure que Guigues est plus « mo­ raliste » et « ascétique >, Bruno plus ■ théocentrique » et a mystique · description de la vio contemplative no peut être faite que do nuances. C’est le fond qui importe et qu’il faut tâcher d’atteindre. L'élément contemplatif est bien présent chez Guigues : la vio on solitude, d’abord austère, devient facile, puis débouche sur une vie céleste (1, 4) ; la milice des ermites est une milice céleste (1, 8). L'âme du solitaire doit s'ouvrir toute grande aux réalités du ciel, selon la forte expression si chère à Guigues : a coelestibus inhiat > (1, 4). N’avait-il pas écrit dans ses Pensées : ■ Nil omnino desiderandum est, aut solis inhiandum aeternis 2. » Un autre mot très fort est è signaler, appliqué ici à la vie solitaire, < appetere s (1, 2); il implique dans l’esprit de Guigues un ardent désir de Dieu : < superiorum appetitio ■, disait-il dans les Consuetudines Cartusiae · ; et le mot se retrouve à maintes leur acception moderne, spécialisée et contrastée. Il n'en allait paa 2. Pensée n» 445. L'emploi de ce mol peut être une réminiscence INTRODUCTION le beau passage sur le « sacrifice du soir » témoigne d'un amour théocentrique ; il y a U une réminiscence biblique. sait du feu matériel d'un bûcher qui consumait l'holo­ causte pour en faire une oblation do honno odour à Dieu ; pour Guigues, c'est le feu do la charité qui consume le sacrifico (1, 7) : le contemplatif doit être tout entier amour, adoration et louange. Enfin et surtout, l’élément essentiel que Guigues met en regard de tout le tableau do vertus assez austères par lequel il dépeint la vie érémilique, c’est le Christ. Ce mo­ bile de la vie solitaire prend dans la lettre une très grande vie sévère ; l'exemple du Christ et son appel suffisent à équilibrer tous les renoncements résumés par le mot « is­ ta > (1, 6). Et quand, en une phrase d'une beauté attirantes Guigues invite son ami au sacrifice total animé par la charité, c'est afin « d'être comme le Christ, en même temps prêtre et hosties (1, 7). Il convient de souligner à quel point la place du Christ dans la spiritualité do Guigues, est de toute première importance. La sentence choisie au début pour énoncer tout le thème do la lettre précise déjà qu’il va s'agir d'une vie d'intime union avec le Christ : «Christo vivoro et rnori· (1, 1). Tout le paragraphe 1, 6 développe la même pensée ; doux textes do saint Paul sont cités à l'appui, pour rappeler qu'il faut souffrir et mourir, avec le Christ pour revivre avec lui dans la gloire et—. chose remarquable — ces mêmes textes avaient déjà été utilisés par Guigues dans les Comuetudinn CaHusiae à* 1. V. g. PinUa, n" 71, 73, 99, 179, 331, 461. S. Csa». Carl. XXII, 1. 11 Ttm. 2, 11-12. Hom. 8, 17. PHYSIONOMIE SPIRITUELLE DE GUIGUES III l'imitation du Christ faisant oraison dans la solitudo *. Ailleurs il montre l'âme du contemplatif, < Christi vestigiis inhaerentem 1 ». Et la conclusion des Meditationes est une page admirable sur le Christ Médiateur. Détail digno d'être noté : le mot do Médiateur se trouve seul employé é un endroit de la lettre pour désigner lo Christ (1, 6). En étudiant les textes de près, on s'aperçoit donc que l’âme de Guigues est bien une âme contemplative, toute orientée comme colle do Bruno vers Dieu et les réalités célestes. Si un promior coup d'œi.l les faisait paraître dis­ semblables et montrait Guigues plus porté à mettre l’accent sur l'ascèse, c'est sans doute parce qu'il appartient à celte famille d'esprit* qui éprouvent une sorte do pudeur â exprimer complètement lo côté le plus élevé do leur idéal : tel est souvent le fait des hommes trempés pour l'action ; l’histoire offre maint* exemples de grands contemplatifs, consacrés par un authentique appel divin â une vie de nomment doué* pour les tâches actives : tempérament* très bien équilibrés. Un même amour do la vie solitaire rapproche intimement Bruno et Guigues : avec quelle ferveur n'en parlent-ils pas l'un el l'autre. Sur ce terrain leurs esprit* se rejoignent en bion dos point* dans une communion de pensée sai­ sissante. Les textes, ici encore, sont riches on traits si­ gnificatifs. C'est d’abord la grande place tenue chez Guigues par l’idée du repos contemplatif, do folium, notion familière à tous les moines qui écrivent en ce siècle. Dès lo début de la lettre, il montre à quel point il aimo co saint loisir do l'ôinc devant Dieu : · studiosus philosophari diligit in1 2 1. Cons. Cort. LXXX, 10. 2. Cone. Cart. XX, 2. INTRODUCTION otio » (1,2). La phrase suivante vient tout de suite préciser la pensée : « sedere appetit in silentio » (1,2) : il y a là une réminiscence du verset des Lamentations dont Guigues; exposé sur la vie contemplative en solitude : a II s'assiéra solitaire et gardera le silence, et il s’élèvera au-dessus de lui-même. » Le législateur y trouvait exprimé le résumé de « presque tout ce qu'il y a de meilleur dans l’institut car­ tusien : le repos, la solitude, le silence et le désir ardent des réalités célestes 1 ». Plus loin dans la lettre, il revient sur l'olium pour insister sur la permanence de ce loisir dans l'âme contemplative : «sic est continua in otiosi (1, 4) ; il introduit alors la notion courante chez les auteurs de cette époque, de l'olium negotiosum ; mais ce n'est pas chez lui comme souvent chez d'autres un cliché habituel I utilisé en passant. Avec son sens pratique, il en donne un petit commentaire qui va montrer à merveille l'union du calme nécessaire à l’oraison et de l'application sans dé­ faillance requise par uno telle vie ; les expressions « officia;', multiplicat... variae actionis negotium» foraient penser à des tâches actives au sens où les entendent les esprits: de notre temps ; il n’en est rien cependant : Guigues à; pris soin de définir ailleurs ce que sont pour lui les < offices », les « charges », les « actions » du contemplatif ; en une belle pensco où il vient de parler des actions spirituelles, il ajoute : « Or les oeuvres de la divine dévotion sont les suivantes : contemplation, oraison, méditation, lecture, psalmodie, célébration des saints mystères. Toutes ont pour fin de connaître et d'aimer Dieu ·. · On rejoint ici exactement la réflexion de saint Bruno écrivant au sujet du solitaire ; «in quieta pausatur actione » (B 1, 6). Plus 2. ■ Opera auUm divinae devotioni» bate sunt : contemplatio, PHYSIONOMIE SPIRITUELLE DE GUIGUES loin dans la lettre à l’inconnu est évoqué une fois encore le calme de l'fime qui reste en repos pour so donner pleinement Λ Dieu : « Christo quietus η (1, 5} ; lo mot quietus prend ici uno valeur spéciale, car il n’était pas appelé par le contexte ; il est visiblement intentionnel de la part do l’auteur. Celui-ci n'avait-il pas écrit ailleurs un admirable commen­ taire do l’évangile do Marthe et Mario, dans lequel il appliquait au Chartreux l'imago do « Marie, attachée aux pas du Christ et vouée au loisir où elle contemple sa Divi­ nité, purifiant son esprit et le recueillant dons l'oraison pour écouter en elle-même sa parole 1 »? Et son chapitre « De l’éloge de la vie solitaire » dans les Coutumes de Char­ treuse n'était-il pas tout entier une profession do foi dans la valeur de la vie contemplative pure ? L'amour do cette saint Bruno. Enfin, si le combattant do Guigues domouro armé, ce n’est pas tant pour une bataille active que pour uno « veille divine dans les camps do la milice céleste » (1. 8), comme les compagnons do saint Bruno veillaient dans l’attente du Seigneur afin d'étro prêts ù lui ouvrir quand il frapperait à la porte (B 1, 4). Dans la personne do Guigues, l'ascète et le mystique s’équilibrent parfai­ tement l’un l’autre, mais c’est assurément lo contemplatif qui prédomine. L’ardeur d’esprit de Guigues est accompagnée d’un sens profond de la sagesse monastique. Dans la description do la vie solitaire (1, 4), chaque élément so trouve modéré par la mention de son contraire ou do son antidote né­ cessaire, l’adversité par la constance, lo doute par la confiance. la prospérité par la modestie, etc. : on retrouve là le « fuit aequalis vitae » do saint Bruno. Une phrase qui prescrit de garder le juste milieu entre l’excès du jeûne et la gourmandise, « summo utrumque modera- INTRODUCTION mino dispensans ·, rejoint elle aussi de point on point l'esprit d'équilibre et de modération de saint Bruno. Le fondateur des Chartreux se plaisait à évoquer la courageux : « viris strenuis, tam redire in se licet quam écrit dans un sens tout semblable que la vio en solitude est le propre de l'âme ■ sui juris ·, asses maîtresse d’ellemémo pour ne pas se mêler des événements du monde qui ne la concernent point (1, 5). Il avait déjà exprimé cette , pensée ailleurs : « Que votre cœur ne sa trouble pas et n’éprouve pas do crainte : c’est lo vrai repos. Celui-là en lui-même on son propre pouvoir ■. ■ Λ trois reprises dans la lettre à l'inconnu revient le mot mais quand le traducteur en cherche une interprétation adéquate, il se trouve désarmé. On peut résoudre ce doute felix dans l'esprit de leur auteur : < Felix est omnis qui du bonheur, do la félicité au sens actuel du mot ; la notion implique en outre une considération objective, l’idée d’un choix ou d’un état avantageux. En d’autres termes, l’homme qui recherche la solitude y trouvera son propre ' avantage avec le bonheur d’une vio céleste pour finir.' Nous rejoignons ainsi la notion d’u/rïe que nous avions rencontrée chez saint Bruno : rien n’est plus utile à l'homme que d’ordonner à Dieu son existence en la lui consacrant ; la grâce viendra perfectionner la nature et conduira au vrai bonheur. Guigues n'a-t-il pas, de même, une concep­ tion de la vie intellectuelle tout aussi rtaliele que celle de 1. Penses n· 205 : · Hic habet so In potestate ·. 2, Pensée η· 338. PHYSIONOMIE SPIRITUELLE DE OUIOUES saint Bruno, tout aussi tournée vers une connaissance vitale? Il veut en effet que l'on s'applique aux études et celui do saint Bruno sont de la même famille. Après cette étude de la physionomie spirituelle de écrites dans un registre de préoccupations tout différent. Elles sont on partie des documents d'histoire, mais leur témoignage spirituel est important pour la connaissance de leur auteur. La première impression du lecteur est encore ici celle de se trouver en présence d’une âme ardente. En face d'Anaclet, le meurtre du prieur de Saint-Victor, la nais­ sance de ('Ordre des Templiers — Guigues ne craint pas do dire fortement ce qu’il pense. Qu’il s'adresse au pape, à un cardinal, è des évêques réunis en concile, à un duc très franchise. Λ tous, il dit une même parole : ■ Ne vous confiez que dans les armes spirituelles. » Cette affirmation est en effet la raison d'être de ces divers messages. Il engage le pape ù n'user que des armes invincibles du Seigneur, dos richesses surnaturelles, et avant tout de la foi (3, 3). Dans la lettre au cardinal, il critique sévèrement, même avec violence, l’emploi par l'Ëglise des armes humaines dans les discordes entre chrétiens ; il exclut tout moyen matériel de coercition (5, 6. 8). La liberté du ton do cos critiques nous étonne ; mais il faut les situer à leur époque : à l'arrière-plan se perçoit un écho des luttes encore récentes du sacerdoce et do l’empire ainsi que de la réforme si difficile do (’Église ; saint Bernard n’usait-il pas d’une franchise de langage bien plus virulente et ne se permettaitil pas de reprendre Λ plusieurs reprises le pape lui-même? INTRODUCTION La condamnation des armes matérielles n'a pas d'ailleurs chez Guigues le caractère d’une thèse théologique absolue ; il garde l'équilibre et ne perd pas de vue les nécessités du bien commun dans l'ordre temporel : ainsi les chevaliers dans les guerres matérielles contre les infidèles, puisque réformer personnellement et triompher de leurs défautspar les luttes spirituelles : « faisons d’abord notre propre conquête » — spiritualité énergique (2, 2. 7). Guigues ne dit pas précisément que le combat armé est inefficace! sans la purification intérieure, mais que celle-ci est plus urgente et plus importante, de telle sorte que sans elle le combat extérieur est mauvais pour l'âme ; les mots frustra, secure, soulignent cette idée (2, 2). Autrement dit, bien que la purification intérieure doive précéder les succès militaires, elle ne leur est pas ordonnée, mais c'est plutôt l’inverse. Avec beaucoup de perspicacité, la lettre aux Templiers met en lumière le point vulnérable par où leur perfection religieuse peut être menacée. Un parallèle entre les réactions de saint Bernard et celles de Guigues en face des mêmes événements serait très intéressant à esquisser. Tous deux ont une âme de feu : en ce qui concerne Bernard, chacun le sait ; pour Guigues, quiconque l’a un peu fréquenté n’en saurait douter, et nous en avons pour garantie une affirmation de l'abbé de Glairvaux lui-même ’. lui offre l'événement, il a toujours son mot â dire, ses directives à donner, répéter, commenter ; aucun aspect des choses n'est étranger à son intervention ; il tient â réduit à merci. Guigues au contraire attire son correspon1. Bp. Il, PL 182, 108. PHYSIONOMIE SPIRITUELLE DE GUIGUES dont sur le terrain spirituel qu'il choisit et il s'y tient (2,2 est typique à cet égard) ; il n’envisage que les données ou les conséquences spirituelles de l'événement, non certes qu’il manque d’ardeur, mais il garde toujours la maîtrise de lui-même et ne se laisse jamais prendre à la griserie de son propre verbe. Il conduit son interlocuteur jusqu'au point où il a décidé de l’amener, mais il lo laisse conclure lui-même. Il est fort, mais d’une force aussi tranquille que puissante. Peut-être est-ce téméraire d'avoir institué une comparaison entre saint Bernard, ce géant, et l’humble Guigues, mais l'abbé de Clairvaux ne nous y invitait-il pas lui-même, lui qui fut fasciné et subjugué par la profonUne fois cependant, Guigues a accepté de donner son avis sur le terrain des faits : il a réclamé des sanctions contre les responsables du meurtre de Thomas de SaintVictor. Mais il tenait la plume ce jour-là au nom de l'évêque de Grenoble qui, en vertu de sa charge épiscopale, était l'égal des Pères réunis au concile do Jouarre pour juger prit soin de distinguer nettement deux pointa de vue, l’un mystique, l’autre social. Le point de vue mystique est conforme aux passages des autres lettres concernant la non-violence ; selon cotte perspective, les Pères doivent éviter toute, idée de vengeance humaine, car la cause qu’ils défendent n'en a point besoin, le prieur de Saint-Victor étant mort pour la pureté de l’Égliso (β, 3). Le point de vue social: les évêques ont le droit et le devoir de punir les coupables, car il faut do l'ordre et do la discipline dans l'Êglisc en raison du bien commun (6, 2. 3). Guigues garde donc ainsi l'équilibre de la pensée, entre l'erreur des politiques qui voudraient tout résoudre par les seules réformes extérieures, et l’erreur des spirituels qui perdraient le contact avec les réalités contingentas de ce monde. En cette affaire, saint Bernard défendit les mêmes points de vue, mais quelle différence do ton entre la modération INTRODUCTION temporels. Mais il le lait uniquement pour rappeler la primauté du spirituel ; il agit en pur témoin de Dieu, en Quelles sont les armes qu’il préconise? Pour le pape, la foi, lo glaive do l'esprit (8, 3), la force d'âme dans los luttes et les persécutions que doit endurer la sainte Église (8, 5), la lumière de la doctrine et l'exemple d’une irrépréhensible innocence (3, 7). Pour les évêques, la foi, lo zèle, la justice (6, 3). Pour les chevaliers du Temple, la vérité, le zèle, la foi (2, 3). Au cardinal el au duc. il est rappelé que la grâce est la première chose à demander. l'humilité et la sobriété, il ne resta non notre elfort ne se disperse donc pas sur une multitude d'objets... » (5, 3). Cette sorte do concentration de la spiritualité est tout à fait caractéristique de Guigues : on la retrouve dans la lettre aux Tompliors el dans lo recueil dos Pensées, où les multiples ot subtiles analyses reviennent toujours Λ l’approfondissement d'un petit nombre de thèmes essentiels. C’est le signe d'une Ômc contemplative^ portée ù celte simplification des buts secondaires par l'attirance de l'unique nécessaire. Il faut s'arrêter un 1. Bp. 158, PL 182, 315 et Ep. 1S1, PL 182, 320. PHYSIONOMIE SPIRITUELLE DE CUIGUES l'humilité ou la patience. Ceci, en effet, c'est pour toi recueil des Meditationes prend un singulier relief, si l'on croisades. Elle évoque sous une vivante image une préoccu­ pation fondamentale de son auteur. La pierre angulaire de l'édifice spirituel est aux yeux de Guigues l’humilité ; on pourrait fonder un traité do cette vertu sur les textes de lui qui s'y rapportent. Parlant de la vie solitaire, il la voyait et il la voulait humble, rustique et pauvre (1, 2.4) ; l'humilité était aussi pour lui un des plus beaux fruits de la vie contemplative on solitude ·. La lettre aux Templiers dresse un tableau entraînant des bienfaits que procure cette vertu : remède pour le présent (2, 5), source de récompense pour la vio future par l'imitation du Christ |2. 6). La lettre au cardinal décrit toute l'économie de la pratique de l'humilité (5, 3. 4). La lettre à Pierre le Véné­ rable contient une humble protestation de Guigues lui- années après la mort du prieur de Chartreuse ·. D’ailleurs celle humilité dont parle si bien Guigues est profondément vécue par lui, comme le montrent maints exemples de sa vie : instamment prié par les prieurs des premières Chartreuses do rédiger les Coutumes de Chartreuse, il s'y refuse pendant longtemps, car il ne so croit pas capable i la ■ vocation d'humilité · du Chartreux ; il no s’y décide INTRODUCTION Instamment prié λ deux reprises par des réformateurs monastiques do recevoir leurs communautés jeunes et ferventes dans l'observance cartusienno, il les adresse à l'Ordre de Cltcaux on faisant un chaleureux éloge de l'observance cistercienne, comme chaque fois que cela lui est possible ’. Dans ses Coiuueludines, il établit pour le prieur de Chartreuse des règles strictes d'humilité : aucun signe extérieur de préséance ne doit le distinguer des autres moines, ■ afin qu'il ne s’enorgueillisse pas et ne célèbre pas son propre nom 1 *. Enfin, quiconque a lu le l'application à cotte vertu dans son ascèse personnelle. I Guigués a deux grands amours : le Christ et l'Êglise, A quoi s’ajoute une intense vénération pour le pape. Dans ce groupe de lettres, on retrouve sans cesse la mention du exemples pour régner avec Lui (2, 6) ; de Lui seul viennent toutes les vraies victoires (3, 7) et toutes les œuvres bonnes (5, 10), car il est l'unique Médiateur (3, 6) ; les évêques ne doivent pas avoir d’autre zèle que celui du Christ lui-même. Notre Seigneur tient la première place dans l'ême de Guigues ; plusieurs de ses pensées font sentir combien le Christ était présent à sa vie intérieure. Et, avec le Christ, le rappel de la Croix s'impose ή toute étno consacrée (7, 2). Pour convaincre le duc d'Aquitaine de rejoindre le bercail du pape Innocent II, la lettre 4 offre une brève exégèse de textes de psaumes se rapportant au Christ et Λ l'Eglise. Ces interprétations sont toutes dans la plus pure tradition patristique. Ce qui lait ici l'originalité, c'est le 1. Saint itlienne d'Obailne : Vila, dans Baluik, Mieeellanea, ed, Mansi, Lacques 1761,1,156. — Ponce de l.araie, ibidem, p. 183. — ' Cons. Carl. LV, 1. PHYSIONOMIE SPIRITUELLE DE GUIGUES de parcourir en quelques lignes toute l’économie du plan divin par rapport aux hommes : la génération éternelle du Verbe, l'incarnation, la Passion, la beauté captivante du Christ, l'infusion de la grées dans les Ames ; et à chacun de ces mystères correspond, signifié par un autre verset du mémo psaume, un retentissement sur le genre humain : c'est l'expansion de l'Église une sur toute la terre ; celle Église n'est ainsi que la forme visible de la domination du Christ sur l'humanité. Telle est la manière où Guigues excelle comme exégète : un commentaire très bref, tout juste amorcé, un raccourci saisissant, qui laisse le lecteur poursuivre sa méditation on lui ouvrant des perspectives immenses. Los textes scripturaires expliqués dans le recueil des Pensées montrent que leur auteur eût été un commen­ tateur singulièrement pénétrant, s'il avait voulu se consa­ crer à ce genre d'études. l'esprit du Christ (4, 3), Guigues a ressenti profondément l’exigence d'unité, au spectacle du schisme qui la déchire entre deux papes. Il la voudrait pure de toute compro­ mission avec les faiblesses du siècle, et c'est à cause do ce zélé de la maison do Dieu qu’il ne craint pas de faire une critique violento dos abus de la cour romaine, des vêtements précieux, dos banquets, do l'emploi des armes humaines (5,5.6.7.8. ), plaçant on regard un éloge do l’austérité (5,8). Mais il garde la mesure ; il n'est pas, en effet, un révolution­ naire. 11 ne descend pas sur le terrain de la politique ; il commence et finit toujours par des considérations de morale individuelle ; les conclusions pratiques auxquelles il arrive on fin de compte ne concernent pas la solution temporelle des problèmes, elles restent sur le plan spirituel de chaque âme on particulier. Dans la lettre au cardinal, après la grande critique des abus, Guigues achève par une émouvante exhortation au renoncement et à la sainteté personnelle (5. 9) ; il recommande à son correspondant INTRODUCTION de s’adonner à la prière et aux œuvres saintes (S, 10). Il ne demande pas de « réformes de structures », mais il souhaite que chacun réforme ses propres mœurs, assuré, s’il en est ainsi, que l’Église retrouvera sa pureté et les -, difficultés temporelles, leur solution. Il a la plus haute idée de la mission pontificale : le pape porte spirituellement l’Église dont il est le chef, sa vertu doit être un exemple pour tous et, appuyé sur le Christ, seul il remportera la victoire : «Ab uno vincitur unus.à’ Le rôle du pape est analogue à celui du Christ Médiateur, dont il est le Vicaire (3, 6. 7) Les honneurs dans l’Église ne sont donnés que pour remplir des devoirs (6,2). La lettre ■ à Innocent II montre une profonde vénération pour sa personne et pour sa fonction. Quand ce même pape ; demanda au prieur de Chartreuse d'écrire la vie de . saint Hugues de Grenoble qui venait d'être canonisé au concile de Piso deux ans après sa mort, Guigucs répondit par une belle parole d’obéissance : « Au Seigneur et Père très cher, au Pontife très vénéré du Siège Apostolique, Innocent : Guigucs, serviteur inutile des pauvres Chartreux^ souhaite le salut éternel et la paix dans le Seigneur, si les prières d'un tel pécheur peuvent quelque chose auprès de s Dieu... Mon manque d'habileté, la réserve à garder, et plus encore l’empêchement causé par mes infirmités pouvaient m'être une excuse suffisante ; mais devant le poids d'une i si grande autorité, je n'ai plus osé garder le silence, de ’· du inonde entier, je n'offense l'auteur de ce monde, et en évitant la contusion auprès des hommes pour mon igno»| rance, je n'encoure condamnation de la part do Dieu ’. » entre le Christ et ses religieux pour leur MUcUncaUoa : - Sois tel t'a soutenu et aime pour te rendre meilleur, soullens-los et aimo-les PHYSIONOMIE SPIRITUELLE DE OUIGUES 183 Nous n'aurions pas achevé de présenter la physionomie de Guigucs, si nous ne disions un mot du don d'amitié do son ôme ardente. Il aime et vénère l'évêque do Grenoble, qui fut pendant un demi-siècle le protecteur do la Char­ treuse naissante (3, 2) '. Pour exprimer son amitié au destinataire de la lettre sur la vie solitaire, il n’emploie pas une phrase attendue et de convention au début de la lettre ; mais vers le milieu, brusquement, explose une déclaration d'affection fervente, qui contraste avec le ton réservé du reste de l’épître (1, 7). Cola est bien dans la manière de Guigucs, conformément à ce mélange do passion et de retenue si caractéristique chez lui. Au passage se glisse cette réflexion délicate et profonde : · puisque l'amitié nourrit en elle-même la confiance ». Il en est de même pour le cardinal Aimeric : au début un premier rappel amical de sa visite en Chartreuse (5, 2), mais surtout une fervente manifestation intervient au milieu do la lettre, au moment où l'auteur va faire à son corres­ pondant une application personnelle des principes généraux qu’il vient de formuler ; et, sur ce thème de l’amitié, le paragraphe (5, 6) est d'une beauté presque lyrique. Ce cardinal avait sans doute une âme élevée : Guigues ne craint pas de lui parler d'un idéal sublime, la vision de Dieu et la société divine (5, 2) ; et à la fin de la lettre, il l'engage à se réformer, fermement, mais avec une intimité confiante (5, 9). Avec Pierre le Vénérable et les siens, le Ion est plus familier, car Guigues connaît de longue date l'abbé de Cluny qui est venu plusieurs fois en Chartreuse (7, 2. 3) ; le prieur de Chartreuse apprécie la sainteté des Clunisicns et goûte leur amitié, comme il apprécie et aime les Ordres qui viennent de prendre naissance dans l’Église Prologus, èd. critique per C. Bellet, Montreuil 1889, p. 4, 5. De Jouerre (8, 4). I. Voir aussi : Cone. Carl,, Prologue, ot Vila S. Hugnnis. INTRODUCTION et qu’il recommande au pape (3. 6). Sa dernière lettre; écrite très pou do temps avant sa mort, contient un délicat hommage à l’Église de Reims, qui est un peu la mère do la Grande-Chartreuse : allusion au fait que saint Bruno avait reçu à Keims toute sa formation ot y avait longtemps vécu ; il s'en était éloigné pour vivre au désert de Chais treuse, d'où un groupe do scs Ois allait repartir en 1136 pour faire au diocèse de Reims une nouvelle fondation Pour conclure, comment définir Guigues? La tâche est difficile. Il a connu un genre de gloire qu'il eût aimé : l'oubli ; il n'a pas été étudié à l'égal des autres grands moines de son siècle ; la solitude du désert de ChartreuSli l'a protégé d’une trop grande célébrité. Déjà saint Bernard s’interrogeait à son sujet : «Quel est ce feu?» Pierre· le Vénérable s'enflammait lui aussi à l’entendre. Et, de nos jours, Dom Wilmart écrivait : « Il avait un rare génie, ce dont les contemporains et la génération suivante ne doutèrent pas >. » Qu'cst-ee donc en définitive qui rend si attachante la figure du prieur do Chartreuse pour celui qui pénètre dans son intimité ? On no saurait mieux répondre à cette question qu’en reprenant l’image dont se sont servis à son endroit les saints moines du xn» siècle. GuigueSj c’est un fou contenu d’où s’échappent des étincelles ; c'est l’union, si rare dans un même homme, d'une âme ardents et d'une parfaite maîtrise do soi : c est l'union, si rare aussi, de la réserve et d’une franche simplicité qui ne fait jamais défaut. C'est un homme remarquablement équilibré, aux dons exceptionnels et variés. Par grâce, par conviction et par goût, il s'est consacré au service d’un idéal qui l’a captivé ; il a une toi profonde ot un grand amour pour sa 1, Recueil dea Peneiae, p. 40. — co mot do Qinlo est légitima, moli pour lo Justifier lo bref groupe dos lettres est une base d'approclallon trop restreinte. Il faudrait une éluda dos puiaiu dans lo grand recueil PHYSIONOMIE SPIRITUELLE DE GUIGUES 125 vocation. Bien plus encore qu’une intelligence vaste et pénétrante, Guigues, c'est l’âme humble d un contemplatif pour qui ne compte plus que Dieu soul. Il a mis on pratique dans sa vie lo programme qu’il s'était proposé dans sa méditation solitaire : « Ce n'est pas pour être vu, connu, aimé, admiré, loué, que tu as été fait, mais pour voir, con­ naître, aimer, admirer, louer Dieu >. » • Aime ce qui ne peut taire défaut à ton amour : Dieu ·. » 1. Pensée n° 2BS. 2. Pensée n" ISé. Si jamais il a été vrai de dire que le style est un des ' traita les plus personnels d’un homme, celte formule se i vérifie pour Guigues è un degré remarquable. Maintes fois* au cours des siècles, ce style a fasciné ceux qui ont pris < contact avec les écrits du législateur dos Chartreux, Dom Innocent Le Masson, Général dos Chartreux è la Un du xvue siècle, écrivait : « Los étincelles d'uno éloquence: céleste et humaine, dont il jouissait, commo d’un métal incandescent ont souvent jailli de su plumo... '. » De nos I jours, M. Étienne Gilson, publiant on 193*1 un fragment des Medilalionei, en parlait ainsi : « Ce qui frappe d’abord Dans un style simple et pur, avec une maîtrise parfaite de Dom Wilmart n'a pas non plus caché son admiration dans In bonne étude qu'il a consacrée au style de l'auteur des: Medilaliones, en tète de l'édilion critique do cet ouvrage », Dés que l'on aborde Guigues, on est tout do suite frappé par la densité de l'expression, la force, la netteté, la , concision. Ce dernier point, déjà caractéristique en luimême, prend un singulier relief en ce xn® siècle : nulle trace chez notre auteur de celle prolixité diffuse, de ces: STYLE ET ART DE GUIGUES 127 lassantes pour nous. Il a le goût des formules lapidaires, des sentences brèves, frappées comme dans du métal. Doux lignes peuvent lui suflire pour mettre en jeu plusieurs thèmes fondamentaux de la vio religieuse *. Il est maître on l’art do bien dire, et sa maîtrise consiste A dire en pou do mots, d’une manière saisissante, des vérités profondes. De brusques raccourcis jettent une vivo lumière sur les profondeurs de la vie, avec la soudaineté de l'éclair. Son talent d’expression est au service d’un esprit vigoureux, fin et pénétrant ; il s'exprime d'une façon très personnelle, mais sûre. Saint Bruno, nous l'avons vu, utilisait les adjectifs et obtenait ainsi des effets plutôt adoucis et mesurés. Guigues manie les verbes et en lire des effete très puissante, parce que la substance mémo do l’idée est atteinte. Lo génie du latin est très propre A servir la concentration de la pensée sur lo verbe : il supprime en effet le sujet IA où notre français requiert un pronom. Guigues a usé en maître de la S'il utilise aussi dos adjectifs, c'est souvent d'une manière assez personnelle. Le voici, par exemple, qui cherche Λ caractériser la vie solitaire ; il accumule les adjectifs, mais chacun est employé comme attribut, non comme épithète, et enrichi d’un complément : ainsi l’adjectif se détache avec un relief plus net, et on se chargeant d’un sons mieux déterminé devient ft son tour le maître d'une section do la phrase : ■ Vitu solitaria, in principio gravie... in dubiis fida, in propriis modesta... sobria in victu, simplex in habitu... casta in moribus... » (1, 4). Un autre procédé vient renforcer ces moyens d'exprès· vanité do cotte vie (pauxillum quod non est consumptum), do la caritatis supposito adolere), de la générosité (non différas). INTRODUCTION sion : l'emploi fréquent d'antithèses, de contrastes, de séries parallèles dans lesquelles les membres de phrase se répondent les uns aux autres suivant le déroulement d’un certain rythme. Cette manière de faire est le plus souvent complétée par l'emploi d’assonances verbales et d’une sorte de rime entre les diverses parties de la phrase. Voici vie de l'ambitieux dans un palais et celle de l’ermite en son désert ; les termes se correspondent avec un dévelop­ pement ternaire en ce qui concerne la vie érémitique et l’emploi voulu de mots contrastés ·. Non Sed humilis rusticari superbus extolli honoribus studiosus philosophari solus sedere ambit in palatio appetit in heromo in olio in silentio Parfois Guigues réussit même Λ combiner plusieurs séries rythmiques, en reprenant il quelque distance la suite des mêmes idées, afin d'en pousser les conséquences: plus haut et plus loin. La lettre aux Templiers en fournils un bel exemple : 1. Nous empruntons eolto remarque ù M. l'Abbé Uocovenn ,qul a bien mis on valeur en procédé et étudié avec pénétration le vocabu­ laire do Guigues et le sens exact des mots dont il se sert : < La vie, carlusicnno d'après lo prieur Guigues I., dans limit det Science»: flellpieusea, tome 31, octobre 1867, p. 364-382. STYLE ET ART DE GUIGUES Première série: Utamur exemplo, si simili cupimus uti remedio ; faciamus quod fecit, si desi­ deramus quod accepit ; humiliemur ut a malis libe­ remur (2, 5). Deuxième série: Sumamus exemplum, si ardemus ad praemium ; faciamus quod fecit ut sequamur quo praecessit ; sectemur viam tantae humilitatis, ut pervenia­ mus ad gloriam Dei Patris (2, 6). Comme on le voit, chacune de ces deux périodes a son rythme intérieur, et il y a aussi une certaine correspondance rythmique de l’une à l'autre : les mêmes mots sont repris, mais dans le premier cas l’humilité est envisagée dans l’ordre de l'ascéso, pour la libération du mal, dans le second elle conduit jusqu'à la gloire du Père. La grande méditation par laquelle Guigues achève le recueil des Pensées offre des séries analogues avec une gradation ascendante des idées admirablement construite ; à partir de quelques remarques simples, les notions s’approfondissent dans les séries successives ; la conclusion embrasse toute l’économie des mystères de l'incarnation et de la Rédemption. En utilisant ces procédés de style, Guigues était en accord avec les goûts do son temps qui aimait de tels jeux do mots. C'est un genre difficile, où il n’est que trop aisé de tomber dans l'affectation ; ce siècle nous en offre des exemples : combien artificiels et lourds sont parfois les essais d’un Adam Scot dans cotte voie. Mais chez Guigues le balancement des antithèses n’est pas recherché pour lo seul plaisir d’une habileté verbale ; la phrase reste nerveuse, vive et spontanée. Cola tient sans doute à ce que sa pensée est toujours personnelle et profonde ; il a quelque chose à dire : la pensée précède la recherche des procédés de style, celle-ci est au service de celle-là, alors que dans la rhétorique, au sens péjoratif du mot, les procédés de style tiennent lieu de pensée. Pour les rimes, c'est la INTRODUCTION pensée elle-même de notre auteur qui marche par opposi­ tion ou par distribution des idées, classées on petites périodes de trois ou quatre membres ; Guigues n'est pas d'idées fortes. l'expression un tour sentencieux, on un genre littéraire analogue A celui dos Livres Sapientiaux. Guigues se plaît A s’en servir quand il résume un enseignement A la fin d’un exposé au caractère plus narratif, ou quand il vew faire entendre quelques vérités qui n'intéressent pas la seule personne d'un correspondant occasionnel. On le voit alors faire produire A ces divers moyens de style tous lourd’ effets en dos séries de sentences qui retiennent l'attention; profonde avec la formule heureuse qui l’exprime. C’est la première moitié de la lettre sur la vie solitaire : la densité de pensée atteint alors un maximum. Mais, A d'autres instants, Guigues abandonne les pro­ cédés : dans cette mémo lettre, le style change de façon· nullement A son ami. Et l'on pourrait remarquer la même'! chose dans les autres épitres. Guigues a deux styles, qui ' ont une parenté entre eux, mais dont l’un est plus ciselé;! lapidaire, l'autre plus narratif et affectif ; le dosage en serait intéressant A étudier dans les lettres, en relatio^! Du seul point de vue littéraire, la lettre 5 au cardinal; Aimcric est un document remarquable, digne de figurer parmi les œuvres célèbres du Moyen Age, comme le pensait déjA son premier éditeur Horstius, au xvn® siècle. Elle mérite une petite analyse qui mettra en évidence sur La construction est rectiligne, comme dans la lettre STYLE ET ART DE GUIGUES l'inconnu. Dés le début, on sent que Guigues a un plan prémédité, qu’il sait parfaitement où il veut en venir : à propos d’un rappel de politesse sur la récente visite d’Aimeric, il pose le premier chaînon de son développe­ ment : « le seul vrai bien est la vision de Dieu » (5, 2). Puis il enchaîne rigoureusement les idées l’une à l'autre : de ce seul bien, les péchés nous séparent (5, 2) ; tous les péchés viennent de l'orgueil ou de la volupté (5, 3) ; le remède se trouve donc dans l’humilité et le renoncement au luxe (5, 4. 5). La ludique de Guigues consiste à faire apparaître au lecteur cette conclusion à la fois comme imprévue et comme se déduisant irrésistiblement des prémisses dont la vérité et la force se sont imposées l'une après l’autre ; ce procédé lui est familier : nous l’avons déjà noté dans la lettre sur la vie solitaire et on le retrouve dans la lettre 6 au concile de Jouarre et dans plusieurs pensées. Après ces préambules viennent un tableau de la situation de fait dans l’Église (8, 6), la réfutation de ceux qui voudraient faire l'éloge de cet état de choses (5, 7. 8), et enfin les conséquences personnelles pour le cardinal L'ne progression semblable apparaît dans le Ion: calme et didactique tout d'abord dans l'exposé des principes (6, 2. 3. 4), il se fait ensuite plus pressant ; quand Guigues en vient à narrer les abus, sa passion se fait jour dans un mouvement plus rapide, un style heurté, des formules plus dures (5, 6). Son indignation et sa véhémence atteignent leur sommet quand il se met à supposer une apologie de ce luxe qu'il doit condamner : le rythme est haché, les affirmations violentes (5, 7. 8). Après cela, Guigues se calme brusquement, en se tournant vers son correspondant qu’il semblait avoir oublié dans l'emporte­ ment de son émotion ; et avee une douceur qui contraste avee la violence qui précédait, il lui dit : « En vous du moins... » (5, 9). Il y a là presque un jeu de seine d'une vérité dramatique : comme si Guigues se repentait, lui si INTRODUCTION réservé d’ordinaire, d’avoir laissé éclater tant de passion^ silence. Le même procédé se retrouve ailleurs chez notre On pourrait aussi parler de l’ironie dans cette lettre, car elle en est un élément caractéristique, du point de vue littéraire. Bien qu'elle porte la marque d’un grand art, elle n’est pas forgée à froid : sa force vient de ce que Guigues est réellement passionné, il souffre dans ce qui lui tient le plus à cœur, son amour pour l'Église. Un des procédés de celle ironie consiste il reprendre un texte ou une donnée de l’Écriture pour l’appliquer à la situation présente : mais cette situation est tellement < le monde renversé a que l'application conduit à l'absurde. L'émotion a donné à Guigues une conscience aiguë et intense du mal qui atteint l'Église. La conclusion qui se dégage, c'est l'alliance tout i fait originale dans cette lettre d'un art qu’on peut bien dire consommé et d'une passion intense, et profondément sincère. Comment cela peut*il se faire? Précisément à cause de la maîtrise littéraire de notre auteur : il domine son art et lo plie spontanément à une expression fidèle de son émotion. Inversement la passion n'est pas chez lui une effervescence désordonnée ; elle se fait jour dans une âme essentiellement volontaire, réglée par une puissante intelligence et informée par un élément surnaturel, foi et charité. Une dernière remarque complétera cette étude sur le style de Guigues. Son vocabulaire n’est pas très étendu. Pour exprimer les aspects les plus sublimes de la vie solitaire dans la lettre & l'inconnu, il n'a que trois ou quatre mots, toujours les mêmes : coelestia (3 lois), felix (3 fois), facilis (2 fois). Il joue plus sur la puissance des mots et leur mise en valeur individuelle que sur leur abondance. Chaque mot est choisi avec le plus grand soin, 1. V. g. Cens. Carl., Cap. XX. STYLE ET ART DE GUIGUES il a toujours une grande justesse et il est chargé do sens. Maints exemples pourraient servir à illustrer cette affirma­ tion ; la phrase présentée plus haut en un petit tableau peut constituer un remarquable sujet d'étude sur ce point ; pour nous y limiter aux verbes seuls, nous voyons que lo désert et la vio humble sont d'abord l’objet d’un choix : eligit; l'application à la philosophie divine, lo repos contemplatif y sont pour l'flme l'objet d'un amour : diligit; quant au silence intérieur, il no peut être que le couronne­ ment. lu réussite do la vio solitaire, c’est pourquoi il est seulement ddsirt au départ, mais il l'est ardemment... appétit. En définitive, la maîtrise de Guigues réside dans l'union d’une pensée toujours personnelle, riche et profonde, avec l'habitude longuement affinée d'un emploi attentif et très judicieux des moyens d’expression. La lettre sur la vie solitaire est, pour le fond comme pour la formo, le fruit d’une parfaite maturité ; la lettre au cardinal également. Leur auteur n'avait pas on vain travaillé autrefois dans lo recueil des Meditationes à cristalliser sa pensée en formules concises et pénétrantes. Son style on avait acquis un cachet particulier, devenu spontané chez lui, et qui fait reconnaître sa personne en quelques phrases. SUR LA VIE SOLITAIRE A UN AMI INCONNU Introduction La plus belle lettre de Guigues est un éloge de la vie solitaire, dans lequel ce grand législateur de l'érémitisme révèle quelque chose de sa pensée sur la vie contemplative au désert. A Manuscrit Cette lettre était restée inconnue jusqu’à nos jours. Dom Wilmart a eu la bonne fortune de la retrouver en 1933 dans un ancien manuscrit de la Grande Chartreuse, aujourd'hui à la Bibliothèque de Grenoble. Ce manuscrit, coté 241 (460), format 20 x29, renferme une collection rare des lettres d'Hildcbcrt de Lavardin, successivement évéque du Mans et archevêque de Tours (t 1133). Il contient 38 feuillets et remonte au milieu du xne siècle. La lettre de Guigues se trouve sur une des dernières pages restées blanches à la fin du manuscrit, au folio 37 verso. Après elle une autre main a transcrit sur le dernier folio un texte qui n’est autre que le Liber de Bealiludùie d'Ephrem latin *. L’écriture du copiste se retrouve dans d’autres travaux exécutés en Chartreuse au xn« siècle. Son travail a été fait avec le plus grand soin. Il a réparé lui-même quelques minimes omissions en portant les corrections au-dessus de la ligne aux endroits voulus ; il s’est donc relu et corrigé 1. S. ÉFBRSM, Opiueula, Cologne 1547, toi. 52 v®. INTRODUCTION attentivement selon le modèle qu’il avait sous les yeux. On peut être raisonnablement assuré de sa fidélité. I La suscription donne Guigues, ut enucite ppjeur je chartreuse, comme auteur de cette lettre. On ne saurait mettre en doute cette attribu­ tion. Le style si caractéristique du prieur suffirait à révéler sa plume ; les thèmes qui font le sujet de la lettre lui sont très chers ; cette épilre se présente comme intimement liée à ses autres œuvres. Par ailleurs, la copie étant du XIIe siècle et faite à l’endroit même où vécut Guigues, ce dernier point renforce encore la certitude de l’authenticité. c 11 est difficile d'assigner une date à cette lettre dont lo thème ne se rapporte ù aucun fait historique précis. On peut seulement; penser qu’elle appartient aux dernières années du priorat? de Guigues, è cause de la grande expérience dont elle témoigne. Son auteur y parle avec la même maîtrise que dans les autres lettres écrites dans les années 1130 h 113(3 D Le destinataire l-e ^es^na^a’re 1“ lettre est malheureusement inconnu. Son nom' figurait en tête de la copie que nous utilisons, mais il al été soigneusement gratté ; l’espace vide correspond à une largeur de 14 ou 15 lettres. Nous avons voulu lever cet anonymat, mais aucun des procédés modernes, lampe au sodium, photographie aux rayons ultra-violets, ni même' photographie aux rayons infra-rouges n’a donné de résultat ; le grattage a été trop bien fait et sans doute peu après que le mot fut écrit ; le destinataire inconnu a gardé son mystère. M. Vaillant, conservateur de la Bibliothèque de Grenoble, dont la 1. SUR LA VIE SOLITAIRE On ne peut que se livrer à des conjeelures. Π s'agissait en frais de composition pour lui et affirme explicitement à la fin que son correspondant est un fin lettré. Quelques détails nous font comprendre qu'il était élevé en dignité, vivait à la cour et dans un palais, n'était plus jeune. On a émis l’hypothèse qu'il pouvait s'agir du cardinal Aimeric, chancelier de la sainte Église de 1130 & 1141, correspondant de Guigues connu par une autre lettre. Cependant, si l'on étudie les suscriplions de tous les écrits de Guigues, on constate que chaque fois qu'il s'est adressé directement à des personnes d'Êglise, il a employé des épithètes au superlatif et des formules dans le genre de « Domino et Patri in Christo Reverendissimo », ou quand il écrit aux Chartreux, « Amicis et fratribus in Christo dilectissimis ». Il en est ainsi des lettres 2,3, 5, 6. 7, 8, de la lettre-préface à la vie de saint Hugues, de la suscription des Consuetudines Carlusiae et de la mention de l'évêque de Grenoble dans le prologue des Consuetudines ou dans la préface de l’Antiphonaire cartusien. En groupant en un tableau toutes ces formules, on voit avec évidence que le destinataire de notre lettre n’est pas d'Êglise ; en face de dix cas du type que nous venons de décrire se trouve une lettre à un laïc, le duc d’Aquitaine : elle commence par le seul qualificatif < Illustri ». A cela s'ajoute que Guigues a coutume d'énumérer les titres de ses correspondants ; si cette lettre avait été adressée au cardinal Aimeric, chancelier de la Sainte Église, le prieur aurait mentionné cette dignité, comme dans la lettre n° 5, et cela ne pouvait se faire en l’espace de 15 lettres. Enfin notre auteur avait l’habitude de faire dans ses lettres quelques allusions à l’état de vie de ses correspondants ; or les indications fournies par notre lettre conviendraient mieux à un seigneur temporel qu'à un prélat. On serait tenté de proposer le nom du comte de Nevers, qui avait visité la Chartreuse vers 1114, était resté lié d’amitié avec les INTRODUCTION Chartreux ■, et finit par entrer en Chartreuse onze ans mol · Reverendus », qui figure avant le nom gratté en tête; contre l'hypothèse de l’attribution au comte de Nevers;·: dans la lettre, Guigues fait envisager ft son correspondant; la perspective du sacerdoce : or Guillaume do Nevers se i fil convcrs ; cependant il esl possible que le prieur dé. Chartreuse ait souhaité le voir religieux do chœur cl que· le comte ait préféré, comme tant d’autres ft son époque;·; l'humble vocation de convora. Quoi qu’il en soit, en ; l'absence d’indices précis, celte lettre restera sans doute. « toujours destinée « ft un ami inconnu ». „ „ Comme maints auteurs de son temps, Guigues aimait utiliser des sources. La substance de quelques idées et le schéma du mouvement de la phrase ont été sans doute ,, empruntés au chapitre XII de la Regula solitariorum de Gnmlaicus *, écrit qui date du ix°-x« siècle, et que Guigues : a utilisé aussi ailleurs, dans les Consuetudines Carlusiaea Par dolft Grimlalc, on retrouve la source do celui-ci,. Je ï traité De vita contemplativa de Julien Pomère 8. Co dernieip autour tenait vers 498 une école de rhétorique dans la ville d'Arles, où il reçut le sacerdoce. Le prêtre Gonnadï a célébré sa sainteté et ses écrits. Son De vita contemplativi a été longtemps attribué à saint Prosper d'Aquitaine or, nous savons par une lettre de Pierre le Vénérable à Guigues que ce dernier s'intéressait aux œuvres do 2. Par» 1653, ou PL 103, 575. 1. SUR LA VIE SOLITAIRE Prosper d'Aquitaine *. Mais Guigues garde toujours toute son indépendance vis-à-vis de scs sources ; il emprunte une idée, puis il la repense à nouveau et l’exprime dans son style très personnel ; celte source n’a servi tout ou plus que de point de départ au travail de sa pensée. Les premiers mots du paragraphe 2 de la lettre, s Aliquis aliquem, ego illum praecipue », sont empruntés textuelle­ ment à une lettre de Sidoine Apollinaire, évêque de Clermont, mort en 482 ·. En citant ce célèbre et brillant épistolicr, Guigues rendait un hommage implicite à la culture de son correspondant et laissait apercevoir que lui-même allait se mettre en frais pour soigner le style de sa lettre. La phrase < summo utrumque moderamine dispen­ sans », etc., au paragraphe 4, où s'exprime si bien l’équilibre sage, plein de mesure, de Guigues, peut être inspirée de Cassien8 ; à sa manière, Guigues a transformé en une sentence lapidaire un exposé qui. dans son modèle, avait une certaine longueur. -F. Editions __ Wilmart, heureux à bon , Dom ,, d„avoir ... droit découvert. un si. ,beau texte, en a donné une édition dans la Revue d’Ascélique et Mystique 4, sous le titre : « L’appel à la vie cartusienne suivant Guigues l'Ancien ». Malheureusement son travail a été un peu hâtif. Il a laissé passer quelques inexactitudes dans le texte critique et la présentation qu’il en a donnée contient des erreurs notables. Une traduction française a paru pour la première fois 1. PL 189, 106. 2. Lettre A l'Svtque de Lyon, Patient, EpiMarum Lib. VI, Ep. XII, PL 58, 560. 3. CMallo XXI, n· 22, dans SC 64, p. 96. Voir aussi Collolio VIII, n· 1, dans SC S4,p. 10. 4. N· 66, octobre 1933, p. 337-348. en 1957 sous la plume de M. l'abbé Hocquard, avec une bonne introduction J. Mais cette traduction a été faite sur le texte qu’avait donné Dom Wilmart. Notre édition est faite sur le manuscrit de Grenoble, et nous donnons une traduction entièrement nouvelle. ■ des Sciences Religieuses, l. 31, octobre 1957, p. 364-382. Texte et traduction DE VITA SOLITARIA AD IGNOTUM AMICUM 1. Reverendo IHHIIIIIIIHI G- servorum Crucis qui sunt Gartusiae minimus : Christo vivere et mori ·. 2. Aliquis aliquem, ego illum praecipue reor osso felicem, ·( non qui superbis extolli honoribus ambit In palatio, sed , qui humilis rusticari eligit in heremo, studiosus philosophari diligit in otio, solus sedere appetit in silentio ·. 3. Nam fulgere honoribus, celsum esse dignitatibus, res est meo judicio minus quieta, subjecta periculis, obnoxia curis, mullis suspecta, nullis secura. Laeta in exordio, perplexa in usu, tristis in fine. Indignis applaudens, bonis indignans, utrosque plerumque deludens. Et cum miseros ' faciat multos, neminem reddit beatum sive felicem. ii 4. At vita pauper et solitaria, in principio gravis, in provectu facilis, in exitu efficitur coelestis, in adversis constans, in dubiis fida, in prosperis modesta. Sobria in victu, simplex in habitu, pudica in verbis, casta in moribus. Maxime ambienda, quia minime est ambitiosa. Pro com­ missis saepe compungitur malis, instantia vitat, cavelquo futura. Praesumit de misericordia, dididit de meritis, coelestibus inhiat, terrena fastidit, probatos mores enixe a. a. PMI. I, SI. b. Cf. Um. 3, 38. SUR LA VIE SOLITAIRE A UN AMI INCONNU 1. Au Révérend N........... Guigues, le moindre des ser­ viteurs de la Croix qui sont en Chartreuse, s Vivre ot mou­ rir pour lo Christ ·. » 2. Tel homme estime heureux loi autre ; pour moi, celui qui l'est vraiment n'est point l'ambitieux on quête des honneurs du palais, mais celui qui choisit de vivre humble et pauvre dans le désert, qui aime s'appliquer â méditer sagement dans le repos, qui désire ardemment demeurer assis solitaire dans le silence ». 3. En effet, briller dans les honneurs, être élevé en dignité, est chose λ mon avis peu tranquille, exposée aux périls, sujette aux soucis, dangereuse pour beaucoup, sûre pour personne. Joyeuse en ses débuts, équivoque en son cours, triste en son terme. Favorisant les indignes, s'indi­ gnant contre les bons, généralement elle se joue dos uns et des autres, et tout en faisant nombre do malheureux, elle ne donne à personne bonheur ou contentement. 4. Au contraire la vie pauvre et solitaire, austère au début, facile en cours de roule, devient è la fin céleste. Elle est ferme dans les épreuves, confiante dans les incer­ titudes, modeste dans le succès ; sobre dans lo vivre, simple dans le vêlement, réservée dans son langage, chaste dans ses mœurs ; digne des plus grands désirs, car elle ne désire rien. Elle ressent souvent l'aiguillon du repentir pour scs pour l'avenir. Elle espère en la miséricorde et ne compte pas sur ses mérites ; affamée des biens célestes, elle dédaigne GUIGUES expetit, constanter retinet, perenniter servat. Jejuniis insistit propter crucis consuetudinem, eduliis acquiescit propter carnis necessitatem. Summo utrumque moderamine ’ dispensans, quia comprimit quoties prandere studuit gulam, quoties abstinere jactantiam. Intendit litteris, sed maxime canonicis et religiosis, in quibus enm magis occupat medulla sensuum, quam spuma verborum. Quodque magis mireris vel laudos, sic est continua in otio, quod nunquam est otiosa. Sua namque officia ita multi­ plicat, ut ei frequentius temporis desit spatium, quam variae actionis negotium. Et saepius de temporis fraudé conqueritur, quam de operis fastidio. 5. Sed quid plura? Felix quidem materia est suadere ' otium, sed haec adhortatio animum sui juris requirit, qui sui sollicitus, alienis vel publicis implicari negotiis con­ temnat. Qui Christo quietus sic militet, ut nolit esse simul Dei miles, et mundi satelles. Qui Gxum teneat se non posse hic gaudere cum saeculo, et in futuro regnare cum Domino. 6. Sed parva sunt ista et his similia, si recorderis quid biberit ad patibulum, qui te invitat ad regnum. Velis nolis, oportet ut Christi pauperis sequaris exemplum, si Christi divitis volueris habere consortium. Si compatimur, dicit Apostolus, et conregnabimus ·, si commorimur et convivemus ». Ipse etiam Mediator duobus discipulis postulantibus ut alter eorum ad dexteram ejus sederet, et alter ad sinistram, respondit : Potestis bibere calicem quem a. Hom. 8,17. b. II Tim. 2,11-12. 1. SUB LA VIB S0L1TAIBE, 4·β ceux d’ici-bas ; elle s'efforce d’acquérir des habitudes vertueuses, de s’y tenir avec persévérance, de les garder pour toujours. Elle s’adonne aux jeûnes par fidélité à la Croix, elle consent aux repas par nécessité corporelle, réglant les uns et les autres avec la plus parfaite mesure, car elle maîtrise la gourmandise quand elle a décidé de se nourrir, et l'orgueil quand elle a jeûné. Elle s'applique à la lecture ’, mais préféré les livres religieux et d'autorité reconnue, et elle est bien plus attentive à la moelle du sons qu'à l’écume des mots. Mais voici plus étonnant et plus admirable : elle persévère dans le repos tout en n’étant jamais oisive. Elle s’assigne en effet des téches assez nombreuses pour se trouver plus fréquemment à court de temps que d'occupations variées, pour se plaindre plus souvent do l'heure qui la trompe que de l’ennui du travail. 5. Pourquoi insister? Exhorter au repos est certes un beau sujet. Mais pareille invitation requiert un esprit maî­ tre do soi qui, attentif à son propre bien, dédaigne de se mêler des affaires des autres ou de la ehoso publique ; un esprit qui, servant sous le Christ dans la paix, ne veut être à la fois soldat do Dieu et du monde, et tient pour assuré qu'on ne peut jouir de ce siècle et régner dans l'autre avec le Seigneur. 6. Mais ces renoncements et d'autres semblables sont bien peu de chose, si tu te souviens quel calice a bu sur le gibet celui qui t’invite à partager sa royauté. Bon gré mal gré, il te faut suivre l'exemple du Christ pauvre, si tu veux avoir part à scs richesses. « Si nous partageons sa souffrance, dit l'Apûtrc, nous régnerons aussi avec lui · ; si nous mourons avec le Christ, nous vivrons aussi avec lui s. a Notre Médiateur lui-même répondit aux dis­ ciples qui lui demandaient d'être admis à siéger, l’un à sa droite et l’autre à sa gauche : « Pouvez-vous boire le solitaires pratiquaient la copie des livres. GUIGUES ego bibiturus sum ·? Ubi significavit quod ad promissa convivia patriarcharum et ad nectar coelestium pocu­ lorum, per terrenarum calices amaritudinum perveniretur. 7. Quia in se amicitia fiduciam nutrit, et tu o unice in Christo dilecte, mihi carus ex quo notus semper fuisti, hortor, moneo, rogo, ut cum sis providus, prudens, doctus. et ingeniosissimus, illud pauxillum aetatis tuae quod nondum est consumptum, mundo subtrahas, et ipsum Deo sacrificium vespertinum » igne caritatis supposito adolere · non differas, ut exemplo Christi ipse sacerdos sis pariter· et hostia, in odorem suavitatis Domino Λ et hominibus. W 8. Ut autem plenius accipias quo totius sermonis quod animi mei votum simul est et consilium, quatenus sicut vir generosi animi ac magnifici, ordinis nostri propo­ situm aeternae salutis intuitu aggrediaris, et Christi novus tyro effectus, divinis excubiis · in castris coelestis militiae accinctus gladio tuo super femur tuum 1 propter timores nocturnos «, invigiles. 9. Cum itaque res incepto honesta, effectu facilis, consummatione felix moveatur, postuletur, quaeso, ut in prosequendo tam justo negotio, quantum divinae gratiae tibi favor annuerit, adhibeas industriam. Ubi autem vel quando id facere debeas, sollertiae Luae eligendum relinquo. Inducias inire1 vel moras expedire tibi minime credo. 1. Inire: la lecture do ce mot présentait une dimculU : c'est Ιο Dom Wllmart avait proposé de lire, Inde; Il n'en résultait pas un a. Mallh. 20, 21-22. b. Pe. 140, 2. d. Ephés. 5, 2. e. Cf. Nambr. », 19. g. Cam. 3, 8. 1. SUR LA VIE SOLITAIRE, 6-0 calice que je vais boire »? » Il nous montrait là que, pour obtenir, selon la promesse, de partager le testin des pa­ triarches et de goûter au nectar des coupes célestes, il taut boire le calice des amertumes terrestres. 7. Et puisque l'amitié nourrit en elle-même la confiance, et que toi, mon ami do prédilection dans le Christ, tu m'as toujours été cher depuis le jour où je t’ai connu, je t’ex­ horte, je t'engage, je te supplie : écoule ta prudence, ton jugement, ta science, et ta grando intelligence ; soustrais au monde ce peu de vie qui n’est pas encore consumé *. Ne tarde pas à l'offrir à Dieu en un sacrifice du soir ", consumé par le feu de la charité ·, afin qu'à l’exemple du Christ, tu sois toi-même prêtre et hostie, en agréable odeur au Seigneur» et aux hommes. 8. Mais pour que tu comprennes mieux encore où tend l'ardeur de ce discours, je propose en peu de mots à la prudence de ton jugement ce qui est de ma part un désir et un conseil : en homme au cœur généreux et grand, pense au salut éternel, ombrasse notre genre de vie et, nouvelle recrue du Christ, tu monteras une garde sainte et vigilante · dans le camp de la milice céleste, armé do ton épée au côté f, pour parer aux surprises de la nuit ■. 9. Voici donc que je te sollicite pour une entreprise bonne, facile à réaliser et dont l’achèvement te fera heu­ reux : efforce-toi, je t’en prie, avec tout ton zèle, de mener à bien une affaire aussi juste, autant que la grâce divine te le donnera. Je laisse à ta sagesse le soin de déterminer le lieu et le moment. Mais je crois qu'une trêve ou un délai te seraient très désavantageux. 1. Ce passage fuit particulièrement regretter notre ignorance du i lui des aptitudes remarquables pour la vocation contemplative i solitude, pour qu'il rengageât à l'embrasser bien qu'il ne tût plue >us avons embrassé cotte vocation dès notre Jeunesse · (Cons. Carl. LXXX, 7). 1. SUR LA VIE SOLITAIRE, 10 GUIGUES 10. Je ne m'étendrai pas davantage sur ce sujet, de crainte de te heurter par mes discours grossiers et sans élégance, loi l'habitué du palais et de la cour. Que celte lettre ail donc un lermc et une mesure, ce que n'aura jamais mon affection pour toi. 10. Sed de his non ibo longius, ne sermo rudis et incultus le palatinum et curialem offendat. Finem igitur et modum habeat epistola, quem nunquam circa te caritatis habebit affectio. II procuro une assonance rythmique aveo expedire, en plein accord aveo le stylo de toute la lettre et aveo les habitudes de Guigues. L AU GRAND MAITRE DES TEMPLIERS Introduction Hugues de Payns, seigneur originaire de Champagne, avait commencé à la fin de 1119, la fondation en Terre Sainte d'une milice consacrée à Dieu, pour la protection des pèlerins sur les routes de Palestine. En 1127, il vint chercher en France l'approbation de son œuvre. Il en expo­ sa les principes devant le concile de Troyes du 13 janvier 1128. Ce concile et le célèbre ouvrage de saint Bernard, De laude novae militiae, assurèrent à l’Ordre du Temple la notoriété et la prospérité du recrutement. Au début de la lettre au Grand Maître des Templiers, Guigues men­ de la lettre tionne qu'il n’a pas eu l’occasion de le voir, ni à l’aller ni au retour do son voyage en France, et c’est pour cela qu'il lui écrit. On doit donc assigner à la lettre de Guigues une date de peu postérieure au concile de Troyes ; elle fut sans doute écrite en 1128. On connaît deux manuscrits de Manuscrit. lettr0 . C = xve siècle, Copenhague, Ng kgt. S.iOll.dP, fol. 180181 v°. C'est cet ancien manuscrit de la Chartreuse de Cologne où nous avons déjà rencontré les deux lettres de saint Bruno. M = xv« siècle, Milan, Bibl. Nal. Braidense AD.IX.14, fol. 29-30. Le dernier paragraphe de la 152 INTRODUCTION lettre a été entièrement omis par le copiste qui n’a pas signalé cette omission. Nous avons déjà utilisé ce manus­ crit pour la lettre de saint Bruno à la communauté de Chartreuse. ^c^trc de Guigues au Grand Maître des Templiers a été publiée pour la première fois par Horstius dans son édition des Oeuvres de saint Bernard en 1641 \ Horstius en avait eu le texte par la Chartreuse de Cologne, dans le manus­ crit C dont nous venons de parler. Mais il l'avait transcrit avec plusieurs fautes notables. Mabillon en a donné une seconde édition qui reproduit simplement celle d’Hors­ tius 2. De là elle est passée dans la Patrologie 3. Éditions Nous utilisons les deux manus­ crits ; ils se rectifient mutuellement sur plusieurs points. Nous pourrons ainsi améliorer le texte des éditions d’IIorstius et de Mabillon. La présente édition 1. Plusieurs éditions de 1641 à 1685. 2. Mabillon : Sancli Bernardi Opera omnia. Paris, Moetle, 1690, vol. 11, tome VI, col. 1051. 3. PL 153, 598. Texte et traduction AD HUGONEM SANCTAE MILITIAE PRIOREM 1. Dominis et amicis in Christo carissimis ac reveren dissimis, Hugoni, sanctae militiae priori, et omnibus qu reguntur ejus consilio, servi et amici Cartusiae frateres spiritualium simul et corporalium Christianae religioni hostium victoriam plenariam et pacem per Christun Dominum nostrum. 2. Quoniam in revertendo, sicut in veniendo, praesentiat vestrae gratissima allocutione frui nequivimus, visum es nobis ut per litteras vobiscum saltem pauca colloqueremur* Ad corporea quidem bella pugnasque visibiles dilectionem vestram exhortari nequaquam novimus ; ad spiritualis voro in quibus et quotidie versamur, etsi * excitare idone non sumus, admonere saltem desideramus. Frustra quippe exteriores hostes impetimus, si non prius intimos supe ramus. Et pudendum nimis est et indignum quorumlibe' hominum velle ditioni nostrae subjicere agmina, si non prius nostra nobis subjecta fuerint corpora. Quis enim ferat exterius in amplas terras extendere velle nos domina tionem, et exiguis cespitibus, id est carnibus nostris ignominiosam perpeti vitiorum servitutem? Acquiramu itaque, dilectissimi, prius nosmetipsos, ut secure deinceps ad exteros pugnemus inimicos ; mentes nostras prius a vitiis, dehinc terras purgemus a barbaris. 3. Non igitur regnet peccatum in nostro mortali corpori 1. colloqueremur : loqueremur Μ |; 2. etsi : ex se M 2 AU GRAND MAITRE DES TEMPLIERS Christ, frèr nours et amis très chers et vénérés dans le prieur de la sainte milice, et tous ceux qui Chertreuse, souhaitent une complète victoire sur et la paix dans le Christ Notre Seigneur. aurait procurées votre présence, il nous a paru bon de nous entretenir du moins un peu avec vous par lettre. Nous ne saurions en vérité vous exhorter aux guerres matérielles et aux combats visibles ; nous ne sommes pas non plus aptes à vous enflammer pour les luttes de l'esprit, notre occupation de chaque jour, mais nous désirons du moins vous avertir d’y songer. Il est vain en effet d'attaquer les ennemis extérieurs, si l’on ne domine pas d'abord ceux de l’intérieur. C'est une honte, une indignité, de vouloir com­ mander à une armée quelconque, si nous ne nous sou­ mettons en premier lieu nos propres corps. Qui supporte­ rait notre prétention d'étendre notre domination au dehors sur de vastes territoires, alors que nous tolérons la dégra­ dante servitude des vices dans de minuscules mottes de terre, c'est-à-dire dans nos corps? Faisons d'abord notre propre conquête, amis très chers, et nous pourrons ensuite combattre avec sécurité nos ennemis du dehors. Purifions nos âmes de leurs vices, et nous pourrons ensuite purger la terre des barbares. 3. Que le péché ne règne donc plus dans notre corps OUIOUES confortemur in Domino et in potentia virtutis eju»< et emundabimur a delicui 4. Stemus ergo succincti lumbos nostros in veritate et dexteram gladio spiritus >· munitam habentes ». Cur DES TEMPLIERS, 3-4 157 nous plier Dieu comme des vivante nous avons à lutter, est-il écrit au même endroit, mais mal qui habitent les espaces célestes ' ·, c’est-à-dire contre nous serons irréprochables el purs des plus grands péchés s. recevoir l'évangile de la paix ; verberantes : sed nostrum, et subji ad Dei imaginem conditi », status ordinalissimus, cum e caro servii spiritui, et spiritus subditur Conditori '. 1 5. in hoc bello tanto erit quisque robustior, tanloqua; regente el11 protegente Deo, numerosis prostratis hostibug triumpho gloriosiori sublimior, quanto per omnia satagerit esse humilior ; tantoque e contra ad omnia bona infirmioi el inconslanlior, quanto voluerit esse superbior. Deus' enimIS resistit superbis ». Non ergo opus est ut ad debellans dos19 eos aliunde quaeratur pugnatorquibus omnipotent Deus* 16141resistit praeliator·. Quos contra David dicit: Cus­ todiens parvulos Dominus; atque idipsum expertus ia , seipso subjunxit : Humiliatus sum el liberavit me ’. Utamui exemplo, si simili cupimus uti remedio. Faciamus quod fecit, si desideramus quod accepit. Humiliemur, ut a malis 6. Apostolus etiam de Domino Jcsu Christo 16 : Humilia* mortem autem crucis «. Nec incassum. Propter hoc enim, · ait : et Deus exaltavit illum, ei donavit illi nomen, quod est super omne nomen, ut in nomine Jesu omne genu fleclalur< coelestium, terrestrium el infernorum; el omnis lingua confiteatur quod Dominus1T Jesus Christus in gloria estIe Dei Patris ». Et hinc quoque vel maxime sumamus exeme pium, si ardemus ad praemium. Faciamus quod fecit, ut sequamur quo praecessit. Sectemur viam tantae humilis latis, ut perveniamus ad gloriam Dei Patris. Omnis enim19 11. et : atque .M J 12. enim om. M [| 13. debellandos : debellant Christo, nil M’| 17. Dominus: Dominus noster Mg 18. in gloria est: est In gloria C || 19. enim om. M Cor. 9, 26-27. 2. AU GRAND MAITRE DES TEMPLIERS, 4-é 159 tiens noire corps cl réduisons-le en servitude · ; car tel est l’étal le mieux réglé de l’homme, ce vivant créé à l'image de Dieu · : que la chair soit au service de l’esprit, el l’esprit soumis au Créateur ·. 5. Dans cette guerre, chacun sera d’autant plus fort et jouira d'un triomphe d'autant plus glorieux sur la multi· lude de ses ennemis abattus — sous la conduite et la pro­ tection de Dieu — qu'il se sera cflorcé en tout d’élre le plus humble ; et chacun à l'inverse sera d’autant plus faible et plus inconstant pour tout bien qu'il aura voulu être plus orgueilleux. « Car Dieu résiste aux orgueilleux ° ■ : point n’est donc besoin de chercher ailleurs un combattant pour les vaincre, puisque le Tout-Puissant lui-méme est le guerrier qui leur résiste ·. N’cst-cc pas contre eux que David a déclaré : « Dieu prend la défense des petits. < Et après on avoir fait lui-même l'expérience, il ajoutait : • Je me suis humilié et il m'a sauvé f. » Servons-nous de cet exemple, si nous voulons bénéficier du même remède. Faisons ce qu'il fll, si nous désirons recevoir ce qu'il re­ çut ; humilions-nous, et nous serons libérés de tous nos 6. L’Apôtre a dit de notre Seigneur Jésus-Christ : « Il s'humilia lui-même, obéissant jusqu’à la mort, et à la mort sur une croix «. » Ce ne fut pas en vain. Car, à cause de cela, « Dieu l'a exalté cl lui a donné le Nom qui est au-dessus de tout nom, pour qu'à ce nom de Jésus, tout genou fléchisse, au plus haut des cieux, sur la terre et dans les enfers, el que toute langue confesse que le Seigneur Jésus-Christ est dans la gloire de Dieu le Pèreh *. Là encore, là surtout, prenons exemple, si nous brûlons le suivre là ou il nous a précédés. Suivons un chemin de si grande humilité, afin de parvenir à la gloire du Père. ISO GUIGUES F 8. AU GRAND MAITRE DES TEMPLIERS, 0-7 Ιβί qui se exaltai humiliabitur, et qui se humiliat exaltabitur ‘i rf y Car « tout homme qui s'élève sera abaissé, et celui qui testante eodem Domino nostro Jesu Christo, qui cum I .s'abaisse sera élevé · », nu témoignage de ce même JésusPatre et Spiritu Sancto vivit et regnat Deus, per omnia , Christ notre Soigneur, qui vit et règne, Dieu, avec le Père saecula sacculorum. Amenao. et l’Esprit-Saint, dans tous les siècles des siècles. Amen. 7. Que la miséricorde toute-puissante de Dieu et sa tou­ omnipotentia Dei, tam in spiritualibus quam etiam corpo- j .’ te-puissance miséricordieuse vous fasse toujours combattre ralibus praeliis, faciat vos semper et felicissime pugnare et avec succès et triompher avec gloire dans les luttes spiri­ gloriosissimo triumpharo. Optamus vos bene valere, et in | tuelles comme dans les guerres temporelles. Frères très sacris quae tuemini locis, nostri, cum oratis, memoriani® chers et excellents, frères illustres par vos mérites, nous vous souhaitons le bien de la santé ; dans les lieux saints fratres. Has litterae per duos diversos nuntios transini- j que vous protèges, souvenez-vous do nous au cours de simus, ne quo impedimento — quod absit — non quireii votre prière. Nous vous envoyons cette lettre par deux pervenire, quas potimus ut cunctis fratribus exponi' messagers différents, do crainte qu'un obstacle ne l’em­ faciatis. pêche de vous atteindre, ce qu'à Dieu ne plaise. Nous vous demandons do la faire lire à tous les frères. AU PAPE INNOCENT II Introduction Le 14 février 1130, doux papes avaient été élus, chacun par un groupe de cardinaux : Innocent II et Anaclet II. La plus grande confusion à leur sujet régnait dans la chré­ tienté. A l’automne de 1130, la France prit parti pour Innocent II au concile d’Étampes, sur l’intervention de saint Bernard. Innocent avait débarqué à Saint-Gilles le 11 septembre et il allait rester en France jusqu’au mois d'avril 1132, tandis que sa cause prenait pou il peu l'avan­ tage dans la plus grande partie de la chrétienté. La lettre de Guigues à Innocent II de Ja°îetuv panant S ce dernier pondant le concile de Reims d'octobre 1131. L'auteur de la Chronique de Morigny, contemporain de ce concile, rapporte à ce propos une anecdote : « On entendit avec beaucoup de joie et d'admiration la lettre concernant l’aflaire du schisme, envoyée par les excellents ermites de Chartreuse. Cette lettre fut apportée par un vénérable abbé de l’Ordre de Cileaux et lue devant le concile par Geoffroy, evéque de Chartres. Les Chartreux menaient une vie angélique dans les montagnes des Alpes ; ils étaient des hommes d’une piété éminente et d’une autorité in­ comparable. El puisque nous travaillons pour rendre ser­ vice h la postérité, nous jugeons bon d'insérer leur lettre INTRODUCTION dans notre opuscule *. La lettre fut donc écrite à l’auton de 1131. La lettre do Guigues à Innocent II, Λ conservée au χιιβ siècle dans la Chrg* nique de Morigny, fut publiée pour· lai première fois en 1641 avec cette chronique par Fran ois Duchesne dans l’édition dos œuvres de son père André Duchesne *, puis de nouveau par Mabillon ·. Le texte ainsi publié paraissait assez défectueux. Nous avons trouvé la ; lettre en un texte meilleur dans l'ancien manuscrit de la Chartreuse de Cologne que nous avons déjà utilisé. Nous· disposait pour les lettres do Guigues d’une meilleure source que pour la lettre de Bruno à Raoul le Verd. C'est ce texte· de Cologne que nous publions, rectifiant seulement un mot douteux en nous servant do Duchesne 4. ad annum MCXLV1I, ÇHO Rex Ludaidcul Vil in Trrram Sandam Bibliotheca vin clarissimi Alexandri Polavll Senatoris Parisiensls, 1 tome IV publié par François Duchesne, Pari· 1011, p. 379. I. .Ml. Copenhague Ng kgl. S. S911. 4·, lol. 177-178. Texte et traduction AD INNOCENTEM PAPAM 1. Domino et Patri carissimo et reverendissimo Aposto licao Sedis Summo Pontifici Innocontio, servi et fili Cartusiae pauperes, illam quam mundus dare non potes pacem suaequo parvitatis devotam servitutem, et noi necessarium licet obsequium. 2. Multas ad vestri Apostolatus sacras aures precoi multas pro Ecclesia Gratianopohtana disponebamus offerr supplicationes, cogentibus ejusdem Ecclesiae clericis,^ praecipue carissimo et omni veneratione dignissimo pati et episcopo nostro Hugone qui, quod sine lacrymis nor scribimus, dissolutus morbis et senio inter defunctOi quantum ad episcopale spectat ofiicium, potest adnume rari. Sed divina, ut credimus, miseratione provenit a viri venerabili et circa vestram obedientiam valde devob abbate Pontiniacensi Hugone nostram exiguitatem interiii visitari. Cujus auribus cuncta quae conceperamus infu dimus, efficacius et plenius viva voce vestris conspectibu interenda. 3. Et quia semel cum nihil simus, forte non sine praesumptionis periculo, coepimus loqui ad dominum nostrum · rogamus et obsecramus, admonere vel exhortari minui idonei, quatenus in omnibus quae Romana vestris diebus vel patitur vel facit Ecclesia, nequaquam terreamini Sed magis confortamini in Domino, el in potentia oirluli ejus ·, insuperabilibus armis munitus, quae suis commilii a. Ct. Jn 14, 27. t>. CI. Oui. 18, 27. c. 6, io. AU PAPE INNOCENT II 1. Au Seigneur et Père très cher et très vénéré, le Sou­ verain Pontife Innocent, ses serviteurs et ses fils les pau­ vres de Chartreuse souhaitent cette paix que lo monde ne peut donner · ; ils lui adressent la fidèle soumission de leur petitesse et, bien que superflu, leur hommage. 2. Nous avions l'intention de faire parvenir à votre Sainteté beaucoup de prières, beaucoup de supplications pour l’Église de Grenoble ; nous y étions conduits par les clercs de cette Église et surtout par notre très cher père et évêque, Hugues, si digne de toute vénération ; car — nous ne pouvons l'écrire sans larmes — celui-ci est entière­ ment affaibli par les maladies et la vieillesse et, en ce qui défunts. Mais entre temps et par une faveur, croyons-nous, de la miséricorde divine, notre humble communauté a reçu la visite d’un homme vénérable et très dévoué à votre obédience, Hugues, abbé de Pontigny. Nous lui avons fait entendre tout ce que nous avions à l’esprit, pour qu'il le mît avec plus d'efficacité et plus complètement sous vos yeux de vive voix. 3. Et puisque, non sans risque de présomption, nous avons commencé, nous qui ne sommes rien, à parler à notre seigneur s, nous vous supplions instamment —étant indignes d'avertir et d'exhorter — de ne point vous laisser effrayer au milieu de toutes les souffrances et de tous les travaux que l'Église romaine rencontre sous votre ponti­ fical. Mais fortifiez-vous plutôt dans le Seigneur et dans la vigueur de sa force*, protégé par les armes invincibles Ionibus ex copiis universalis Imperatoris beatus offert Apostolus, scuto scilicet fidei, et galea salutis, et qui non membra, sed errores et vicia trucidat, gladio spiritus 1 4. Nunc enim revera non adversus tantum carnem | sanguinem, quae regnum Dei non possidebunt, sed adversu rectores tenebrarum et spirituales nequitiae pugnandun est el pugnatum b. Nam quid aliud petrinam duritiam i leoniam rabiem, quae adversatur et extollitur adversus Principis Apostolorum Vicarium, nisi diabolica nequitia, inspiratio viperea tam atrociter concitavit? Quid aliud inveteratum dierum malorume, Engolismenscm videlice Gerardum, nisi veternosa cupiditas et ambitio diabolice immissa suggestionibus, contra catholicam pacem et veritatem tam impudenter tamque pertinaciter ire coegit? Quid nisi serpentina calliditas per humanam mutabilitatem aditum nocendi reperiens. tam detestandi schismatis flendis auctoribus, ex his quoque de quorum scientia praesumebatur et fide plurimos copulavit? 5. Sed haec religiosos animos et in catholica veritate fundatos, tanto minus movere, tantoque minus terrei debent, quanto sunt et ab ipso Domino longius ante prae­ dicta et a ministris iniquitatis crebrius tentata et a veritati sectatoribus numerosius et felicius superata. Quis enim annumerare sufficiat, quoties apostolica fides atque constantia, ipso qui eam dedit praedicente et praedicendo maturad : quis, inquam, numerare sufficiat quoties potestatum scculi crudelitatibus sit impugnata, el sch a. a. 6/We. β, Ιβ-17. . CI. Lf 99 .39 b. Cf. Bphee. e, 12. c. Don. 13, 51 3. AU PAPE INNOCENT II, 3-5 olfertes par le saint Apôtre à ses compagnons de lutte et puisées dans les richesses du Roi de l'univers : le bouclier de la toi el le casque du salut, ainsi que le glaive de l'esprit qui tait périr non point les membres du corps, mais les erreurs et les vices ·. 4. Car maintenant, c’est en toute vérité que nous avons lutté et qu'il faut lutter, non pas seulement contre la chair et le sang, qui ne posséderont pas le royaume de Dieu, mais contre les princes dos ténèbres et contre les esprits du mal ». En effet, qu’est-ce qui a excité si atrocement la dureté de la pierre et la rage du lion 1 à combattre et à la malice du diable et le souffic de la vipère? Qu'est-ce qui a poussé Gérard d'Angoulême, vieilli dans l'iniquité », à se dresser avec tant d'audace el d'entêtement contre la paix et la vérité catholiques, si ce n'est une cupidité in­ vétérée et une ambition insuffiéc par les suggestions du démon? Qu'est-cc qui a joint aux déplorables auteurs d'un si détestable schisme un grand nombre de ceux-là même dont on escomptait la science et la foi, si ce n'est la ruse du serpent, trouvant un chemin pour nuire dans l'incons­ tance de l'homme? 5. Mais ces choses doivent d’autant moins ébranler les esprits religieux fondés dans la vérité catholique et d’au­ tant moins les effrayer qu’elles ont été prédites plus long­ temps à l’avance par le Seigneur lui-même, qu'elles ont été plus fréquemment tentées par les ministres de l’inidisciples de la vérité. Qui pourrait en effet dénombrer les occasions où la foi et la constance apostoliques, qui sont destinées, de par la prédiction du Christ, efficace par ellemême, à ne jamais défaillir et ù confirmer les autres a, qui, dis-je, pourrait dénombrer les occasions où cotte foi a été 1. L'antipape Anaclet était de la famille des Pierleone, d'où GUIGUES matieorum atque hereticorum insidiis et fraudibus impi cuncta fiunt, aliquid aliquando posse permissi sunt, ni ut infirmi quaterentur, fortes exercerentur, imperi erudirentur, sapientes ostenderentur, et universaliter boi coronarentur, mali condemnarentur? et divinioribus avocatam, diutius forte quam decu nostris tenuimus ineptiis occupatam, vestrae Majestat pedibus advoluti, pro cunctis quidem, sed maxime pi novellis Religionibus, Cistereiensi scilicet ac Fontebraldem necnon pro universo mundo preces offerimus. Non enii pars una, sed totus potius est orbis vestra diocesis. Nai sicut Deus est unus, Mediator unus, mundus unus, sol unu et ut minora inseramus, in animalibus cunctis caput unun ita beati Petri Vicarius, id est Papa, non potest esse ni 7. Universo itaque mundo rigorem disciplinae, rectiti dinem justitiae, lumen doctrinae, ct ipsius quam nomii quoque praefertis irreprehensibilis debetis ‘ exemplar inm centiae. Nam sicut in hoc mundo visibili lux est tenebr innocentia, erroribus sapientia, luxuriis temperanti adversitatibus tolerantia, el vitiis est objecta justitia, i dum ab uno vincitur unus, id est a beati Petri Vicar mundus, quo sine multitudinis viribus fuerit parta victori eo major Deo cujus est totum, honor reddatur et glori Per Dominum nostrum Jesum Christum, qui cum Deo i Spiritu Sancio vivit el regnat Deus, per infinita sccu secutorum. Arnen. 3. AU PAPE INNOCENT H, 5-7 attaquée par la cruauté des puissances de ce monde, assaillie par les machinations el les ruses des schismatiques et des hérétiques? Mais pourquoi celui qui permet el or­ donne toutes choses a-t-il parfois concédé quelque pouvoir aux méchants, si ce n'est pour la chute des faibles et la probation des forts, pour l'instruction des ignorants et la . manifestation des sages, et d’une façon générale pour le couronnement des bons et la condamnation des méchants? 6- Et maintenant, puisque nous avons retenu plus long­ temps peut-être qu’il ne convenait par nos propos inutiles l'attention de votre Sainteté, la détournant d'occupations meilleures et plus saintes, nous nous prosternons aux pieds de votre Majesté et nous lui adressons des prières, pour tous les Ordres religieux certes, mais surtout pour les nou­ veaux, Qleaux el Fontevraull, ainsi que pour le monde entier. Car votre diocèse n'en est pas une partie, mais il s'étend à toute la terre. En effet, de même que Dieu est un, le Médiateur un, le monde un, le soleil un, cl pour citer un exemple plus humble, dans tous les vivants la tête une, de même le Vicaire du bienheureux Pierre, c'est-à-dire le Pape, est nécessairement unique. 7. Vous devez au monde entier la rigueur de la discipli­ ne, la rectitude de la justice, la lumière de la doctrine et le modèle de l'innocence irréprochable dont vous portez le nom devant les hommes. Car, de même que dans cet univers visible la lumière est contraire aux ténèbres et le chaud au froid, ainsi votre innocence s’oppose aux péchés du monde entier, votre sagesse à ses erreurs, votre tempérance à ses débauches, votre constance à ses assauts et votre justice à ses vices ; ainsi, grâce au triomphe d'un seul sur un seul, c’est-à-dire du Vicaire du bienheureux Pierre sur le monde, l’honneur cl la gloire rendus au Dieu, à qui tout appartient, seront d’autant plus grands que la victoire aura été obtenue sans les forces de la multitude. Par notre Seigneur Jésus Christ, qui vit et règne Dieu, avec le Père et le Saint-Esprit, dans tous les siècles des siècles.· Amen. A GUILLAUME DUG D’AQUITAINE Introduction puis 1127, avait été gagné au parti du pape Anaclet par le de l’année 1131, restèrent sans résultat. Saint Bernard fit sion définitive du duc Guillaume, On ne peut le savoir en toute certitude, mais il nous parait tentatives de Pierre le Vénérable et de saint Bernard tétement du prince ou & sa rechute ; Guigucs semble au contraire avoir appris récemment qu’il n’adhérait pas à lontiers que la lettre de Guigues fut suscitée par une ini- INTRODUCTION tiative de son ami saint Bernard. Nous datons donc cett lettre de 1131. La lettre de Guigues au duc d’Aqui sunt tantum adversus quae nobis tolis est viribus dirais candum : elatio in monte, voluptas in corpore. His superi ratis, nil remanebit vincendum, nil supererit metuendûtâ Cupiditas enim rerum exteriorum non ob aliud inflam- matur, nisi ut his modis omnibus serviatur. 4. Contra quae, si nostrum sentimus non satis esse ; conatum, divinum imploremus auxilium ; sed imploremtd humiliter, imploremus devote, corde, ore, actu, habitue Dictum quippe Israelitico, cum peccasset, est populo. : Jam nunc depone ornatum tuum. Deposuerunt ergo omaiunt, suum de monte Oreb a. Itemque alias luxit populus et nullus eorum indutus est ex cullu suo*. Sed el Ninivitarum rex,' descendit de solio suo el abjecit vestimentum suum a se, et indutus esi sacco, el sedit in pulvere, el clamavit ad Domi­ num eamdem austeritatem non solum omnis actatis.et sexus homines, sed ct jumenta subire compellens. 5. El nos itaque dominici corporis, quod est Ecclesia cruentam scissionem, quam nonnisi nostris evenisse credendum est meritis, nec immotis visceribus, nec siccis aspi- a. te. 50,1. b. te 21, 34. e. Ex. 33,4. (. Jonas 3, 6. c. Maith. 11, 29. d. Ex. 33, S 5. AU CARDINAL AIMERIC, 2-5 entendre. Mais vos iniquités ont creusé une séparation entre vous et votre Dieu ·. * 3. Et puisque presque tous nos péchés viennent do les apostats — ou de la volupté de la chair qui nous est commune avec les bêtes, nous devons travailler de toutes nos forces à réprimer l'orgueil de l’esprit par l’humilité et la luxure de la chair par la sobriété. C’est pourquoi Notre Seigneur dit : s Veillez à ce que vos cœurs no s’appesan­ tissent pas dans la débauche, l’ivrognerie et les soucis do la vie ». ■ Et de même : « Apprenez de moi que jo suis doux et humble de cœur °. » Que notre effort ne se disperse donc pas sur beaucoup d’objets. 11 n’y a que deux ennemis contre qui il nous faut combattre de toutes nos forces : l’orgueil dans l’esprit, la volupté dans le corps. Ces ennemis une fois vaincus, il ne nous restera plus rien à vaincre, plus rien à craindre. En effet, quel que soit l’objet extérieur pour lequel s’enflamme notre désir, c’est toujours pour le service de la sensualité et de la superbe. 4. Si nous nous apercevons que notre effort est insuffisant contre elles, implorons le secours divin ; mais implorons-lc humblement, implorons-le avec piété, de cœur, de bouche, par nos actes et par notre train de vie. Quand le peuple d’Israël eut péché, il lui fut dit : « Otez désormais vos parures. Et iis se dépouillèrent de leurs parures, au pied du mont Horcb °. » De même une autre fois, le peuple prit le deuil et nul ne se revêtit de ses parures ·. Et le roi de Ninive, un païen, sur la parole d’un seul homme, un naufragé inconnu. « descendit de son trône, quitta ses vêtements, se couvrit d’un sac et s’assit sur la cendre ; puis il cria vers Dieu ' ». Et il contraignit à la même austérité, non seulement les hommes et les femmes do tout âge, mais aussi les animaux. 5. Nous donc, ne regardons pas d’un cœur insensible et d’un œil sec la sanglante division du corps du Seigneur, qui est l’Êglise, car nous devons croire que ce malheur GUIGUES et griseis confoti pellibus, numerosis et exquisitis refecti immersi mollibus, divinam indignationem quomodo nostris, putamus placandam precibus, et non magis metuimus no tunc prophetica contra nos dirigatur invectio, dicalurqlw. Vae qui opulenti estis in Sion, et confiditis in monte' ■, Samariae, optimates, capita populorum, ingredienles pompai lice domum Israel! qui comeditis agnum de grege et vitulos de medio armenti, qui dormitis in tectis eburneis, et lascioili in stratis vestris de quibus et subditur : et nihil paliebardii 6. Erubescamus ad hoc, dulcissime, sero cognite, brevi conspecte, cito rapte, et corporalibus oculis nunquan deinceps forte conspiciende ; ab amoris tamen nostri complexibus, nullis casibus, nullis avellende temporibti Erubescamus ad hoc, nosque ipsos, si possumus, deflearmi quod et Judaicam et gentilem videamur superasse duritiam,' dum illi divinam severitatem inedia ciborum et vilitate simul atque asperitate mitigant vestium, nos in peccati· multis atque periculis, nec gloriae modum damus, neque deliciis. Neque enim agnum jam de grege, aut vitulos tantum de medio armenti, sed greges integros et armenU tota consumimus. In modum quippe Amalech cum innu­ mera multitudine hominum et jumentorum supervenienti ecclesiis cuncta complemus, quidquid tetigerimus deva·* tantese ; nec his contenti, tabulas, cruces, calices, I sacras spoliamus imagines. Et ut quid hoc? forte ut 5. AU CARDINAL AIMERIC, 5-6 n’a pu arriver que par ne» fautes. Autrement, si nous demeurons vêtus d'habits précieux, confortablement réchauffés dans des pelisses d’hermine et do zibeline, repus dans des banquets nombreux et exquis, plonges plutôt que reposant dans des lits do mollesse à l'instar de Sarda­ napale, comment pensons-nous apaiser la colère divine par nos prières? Ne craignons-nous pas plutôt que soit dirigée contre nous l’invective du prophète et que l’on dise : u Malheur à vous qui vivez, dans l’opulence à Sien, et qui vous estimez en sécurité sur la montagne do Samarie, vous, notables et chefs des peuples, qui entrez en grande pompe dans la maison d'Israel I Malheur à vous qui mangez un agneau excellent préleva au nercail. et ues veaux choisis dans le troupeau, qui êtes couchés sur des lits d'ivoire et vautrés sur dos divans · ! » Et l'Écrituro ajoute à leur sujet : « Ils restaient impassibles on voyant l'afllicUon de Joseph h. » 6. Rougissons do ces choses, ô ami très doux, ami connu bien tard, entrevu peu do temps, trop vile enlevé, et que jamais peuMtre nous no reverrons dos yeux du corps ; ami cependant que nul temps, nulle circonstance no pourra enlever a l’étreinte do notre amour. Rougissons do ces choses et pleurons sur nous-mêmes, si nous pouvons, car nous paraissons avoir excédé la dureté des Juifs et celle des païens ; ils adoucissaient on effet la sévérité divine par la privation de nourriture jointe :ï la pauvreté et à l'austé­ rité du vêtement, tandis que nous, au milieu de tous nos péchés et périls, nous ne mettons aucune borne é la vaine gloire et aux délices. Car ce n’est plus seulement un agneau prélevé au bercail ou des veaux choisis dans le troupeau que nous consommons, mais ce sont dos bergeries et des troupeaux entiers. Et survenant dans les domaines ecclé­ siastiques avec une multitude d’hommes et d'animaux à la façon d'Amalec ·, nous envahissons tout, dévastant tout ce que nous touchons ; puis, non contents de cela, nous pillons tableaux, croix, calices et statues. Et pourquoi GUIGUES pauperes sustententur, monasteria construantur, capti* redimantur? Non ita : sed potius ut ad interficiendi Christianos, et sagittarii, balislarii, equites et lanceari conducantur, et his eripiant res el animas, pro quibu debuerunt ponere suas. Proh dolor ! Λ summis hodie pontificibus, et per lotum peno orbem, exemplo Sedis apostoheae, frater in fratrem, id est Christianus in Chris tianum, sacra pecunia conducitur et armatur ; el talibus triumphis Ecclesia mater gratulatur, et post haec totiit manibus cruenta conscientia divina pergitur ad sacrificii Si hoe terendum, quid est reprehendendum ? 7. At regalia, aiunt, haec sunt, et de imperatoris sumpta palatio. Non negamus. Atque utinam in palatiis mansisseD semper, non in sacrariis, imo magis nec in palatiis unquàj fuissent, nec in ecclesiis I Quanto enim melius ecclesia palatiis leges, quam palatia darent ecclesiis ! Numquii enim ecclesiae palatiis, et non potius palatia docendi commissa sunt ecclesiis? aut palatia Christum ecclesiis non ecclesiae dedere palatiis? Quanto ergo rectius a nobi reges cilicia, quam nos ab eis purpuras sumeremus? Quanto utilius ipsi nostram paupertatem, nostra jejunia delicias, atque elationem? 8. Quod si quis in ecclesiis vel ecclesiasticis tentaveri quid horum arguere personis, nonne stalim respondebitd hoc agentibus : Quid agis? Quid me meis, contra evangelicani sententiam, meliorem vis facere magistris ■ ? Nun quid non Ecclesia romana variis, griseis, herminiis, marts a. a. Mol». 10, Μ. 5. AU CARDINAL A1MER1C, 6-8 tout cela? Peut-être pour nourrir les pauvres, construire des monastères, racheter des captifs? Non point : mais plutôt pour engager des archers, des balistiers, des cavaliers et des lanciers, afin qu’ils tuent des chrétiens et arrachent les biens et la vie à ceux pour lesquels ils auraient dû donner el leurs biens et leurs vies, û douleur ! Aujourd’hui les Souverains Pontifes el presque toute la terre à leur exemple prennent â gages el arment le frère contre le frère, c’est-à-dire le chrétien contre le chrétien, avec l'argent destiné aux choses saintes. El l'Église leur mère se réjouit de tels triomphes, et après cela, la conscience inondée de sang, elle se rend au divin sacrifice. S’il faut accepter cela, y aura-t-il jamais quelque chose de répréhensible? 7. Mais ee sont là, dit-on, des pratiques qui conviennent à des souverains et qui sont adoptées à l’imitation du palais des empereurs. C'est vrai. Cependant, plût à Dieu qu'elles fussent restées pour toujours dans les palais, non dans les sanctuaires, et bien plutôt, qu'elles n'eussent jamais existé, ni dans les palais, ni dans les églises ! Comme il vaudrait mieux que les églises fissent la loi aux palais, plutôt que les palais aux églises ! Les églises doivent-elles être enseignées par les palais? Ne sont-elles pas plutôt chargées de les instruire? Les palais ont-ils donné le Christ aux églises? Ou n'est-cc pas plutôt l’inverse? Combien donc ne serait-il pas plus juste, si les rois nous empruntaient l'usage du ciliee, plutôt que de nous voir adopter leur pourpre ! Combien plus utile, s'ils assumaient notre pauvreté, nos jeûnes, notre humilité, plutôt que nous leur avidité, leurs délices et leur orgueil ! 8. El si quelqu'un tente de reprendre des communautés ou des personnes d'Église sur l'un de ces points, ne lui répondra-t-on pas aussitôt : que faites-vous? Pourquoi voulez-vous me faire meilleur que mes maîtres ·, contre la parole de l’Évangilc? L'Église romaine n'use-t-elle pas abondamment de fourrures de vair, de zibeline, d'hermine. GUIGUES rinis, jugulatis et lumbatis, necnon et sericis abutitui indumentis? Numquid Ecclesia romana convivia respuit,' discipulus supra magistrum ·, aeque apostolus major eo qui misil illum »; sed potius perfectus omnis erit, si sil sicut arcto constituti sumus. Aut enim quod malum est, bonum dicere — quod Deo regente prorsus non faciemus — aut· apostolicam Sedem — quod quis audeat ? — reprehendere aut — quod forte tutius est — omnino tacere compellimur; 0 viros illos ignorantiae tenebris involutos, et o aposto lorum tempora infelicissima, in quibus ad Dei regnum, nisi per famem et sitim, frigus et nuditatem ·, aditus non patebat ! O viros illos ignorantiae tenebris involutos, et omni miseratione dignissimos, qui ut ad vitam quoque? pertingerent, propter verba labiorum Dei, tam duras vias· custodiebant s, et haec nostra compendia nesciebant. ■ 9. Haec non docloris aut reprehensoris auctoritate, sed dolentis et lamentantis affectu fuderimus, scio domue Dei ·, cujus diligimus decorem f. rodente viscera nostra,', rogantes et obsecrantes ut, si non in caeteris, in vobis saltem nonnihil proferant fructus. Si, inquam, hi cum quibus conversamini, saluti suae, aut nullam, aut parvam aut non sufficientem adhibent curam, vos tamen, vestri! non immemor, animam vestram nolite négligera. Scriptum est enim : Custodi temetipsum et animam luam solticile « et iterum : Miserere animae tuae, placens Deo & ; itemque :< prodest, ait, homini, si mundum universum lucretur, animas vero suae detrimentum patiatur? Aut quam commulationen dabit homo pro anima sua >? Non igitur ejus vobis curam e. Ct.II Cor. 11, 27. La main de l'archidiacre de Paris avait armé les meurtriers. Effrayé, l’évêque de Paris n'osa poursuivre sa roule et se réfugia Λ Clairvaux auprès do saint Bernard. De lé il adressa une relation détaillée do I événement au légat Geoffroy de Chartres ot au Papo Innocent II lui-mémo. On décida de réunir un conoilo à Jouarre pour délibérer sur les peines encourues par les coupables. Une lettre fut INTRODUCTION adressée ù co concile par l’évêque Hugues II do Grenoble,, le prieur do Chartreuse Guigues et sa communauté. On reconnaît avec évidence dans cette lettre la plume do Guigues lui-même ; il en lut certainement l'inspirateur et trouse, s'en remit sans doute au prieur du soin de cette f? rédaction. Le concile ayant eu lieu vers la fin de l'année 1133, c'est celte date qu'il faut assigner également à la lettre. Guigues estimait qu'il convenait de punir lés 1 tiques ; saint Bernard proposait de son côté la même X mesure *. Mais les Pères du concile n’édictèrent que des peines assez légères, peut-être par crainte de mécontenter ’ le roi de France Louis VI le Gros. Cependant Innocent IIj| reprocha aux prélats leur tiédeur et, trouvant leur sentence nimis remissa, exigea que les coupables lussent dépouillés de leurs bénéfices *. Ainsi prévalait l’opinion do Bernard et de Guigues. La lettre de Guigues au concile] Editions de Jouarre parut au jour pour la première fois en 1615, à la fin de l'édition des Œuvres complètes de saint Bernard publiée celte année-lè à Paris, dans les notes d’explication relatives,]! aux lettres du saint ·. Ces notes avaient été rédigées par Jean Picard, chanoine de Saint-Victor de Paris ; il avait trouvé la lettre de Guigues dans un manuscrit conservé àI Saint-Victor. Mabillon reproduisit la lettre dans son édition des Œuvres de saint Bernard en 1690, avec note rectificative d'une erreur de date de Jean Picard *. Labbe 1. Bp. 158 el 181, PL 182, 315 el 320. 4. Madillox, S. Bernardi Optra omnia, Perle, Moelle, 1890, tomo I, Nolae fusiores, In aplat 158, ool. LIX-LX. AU CONCILE DE JOUARRE donna également la lettre dans sa collection des conciles *. Enfin Mignc, d'après l'édition de Mabillon ’. De nos jours, cette lettre a été trouvée dans le manuscrit 1357 de la Bibliothèque Vaticane, du xue siècle, à la suite de la lettre fol. 246. C’est d’après ce manuscrit que nous l’éditons, mais le texte que l’on possédait jusqu’à présent était déjà me. 482 do lo Bibliothèque de Valenciennes (xii*-xm* siècle) 1. AmpUuima Collalto, édit, de 1776, tome 21, vol. 440. 2. PI. 163, 600. AD JOTRENSE CONCILIUM 1. Dominis et Patribus in Christo reverendissimis, archiepiscopis, episcopis, abbatibus ot ceteris religiosis per­ sonis in praesentem locum defendendae justitiae gratia | congregatis, Hugo, Gralianopolilanae Ecclesiae vocatus episcopus, ot lilii ejus, Cartusionsium pauperum servus inutilis Guigo el qui secum sunt fratres, agenda cognoscere, cognita viriliter adimplere per Christum Dominum nos2. Quod homines sumus ad naturam ; quod justi ad meritum ; quod episcopi, vel presbyteri, vel archidiaconi, vel aliquid hujusmodi, ad ccclcsisaticum spectat officium. In primo exislimus. in secundo salvamur, in tertio pro­ videndi aliis quae utiliora sunt potestatem accepimus. Duo manifestum fuerit, juxta illud evangelieae fie.ulneae exem­ plar. quae tamdiu exspectata fructum non attulit ·, offi­ cium nos inutiliter habere susceptum, nulla justa cur in oo relinquamur remanebit occasio. Quid ergo si non solum' inutiles Ecclesiae, verum etiam perniciosi, vel verbis exs­ titerimus, vel exemplis? Nonne non solum dejici, sed etiam digni sumus puniri? 3. Etsi igitur beati Thomae et ceterorum qui recenter lotia in Sanguine Agni stelis suis e ad coelestia demigra­ runt, in conspectu Domini mors pretiosa · mundana ul­ tione non egeat, tamen, quia periculosum est si Ecclesia a. Cl. Le 13, S. b. Ct. Apec. 7, H. e. Ct. Pe. IIS, 15. AU CONCILE DE JOUARRE 1. A nos Seigneur* el Révérends Père» den* le Christ, en ce lieu pour défendre la justice, Hugues par la grâce inutile des pauvres Chartreux ainsi que les frères qui sont o montre l'exemple du figuier do l'Evangile qui n’apporta pas lo fruit qu'on GUIGUES Dei, sine qua nec publicae res salvae sunt, nec privatae; utilitate tamen careat disciplinae, rogamus supplices e obsecramus, quatenus armatura fidei protecti ·, et recti­ tudinis zelo succensi, et sanctorum Moysib, Pbinees ·, Mathathiae ·, beatorum quoque apostolorum Petri et Pauli adversus Simonem ·, Ananiam r et Barjesu « pie desae­ vientium, maximeque ipsius Domini venditores de templo, caedendo perturbantis **, exemplis animati, in sacrilegosi homicidas ecclesiastici rigoris intrepide gladium produ­ catis, cosque, si fieri potest, omnibus sacrorum officiis perpetuo privetis ac beneficiis, quatenus omnis Israel au­ diens timeat *, et nequaquam ultra quippiam faciat simile. Ipsi enim magis quam homicidae, in quorum cruentae delicias, vota complenda et odia satianda sanctorum sunt corpora laniata. Qui nisi tantae nequitiae non solum fruc- 110» justitiae defensoribus similia sunt metuenda. Valete. 4. Orate pro nobis et, sacris elevatis dextris super par­ tem mundi in qua siti sumus, benedictionem cum obsecra­ tione profundite. Iterum valete. Participes nos faciat Deus sanctorum operum vestrorum gestorum et gerendorumValete tertio cum reverendis principibus Blesensi et Nivernensi. «. Ct. BpUi.i, 11-16. b. •11. d. CI. 1 Maa. 2, 24. s. Ct. Nombr. 26, «. AU CONCILE DE JOUARRE, 3-4 203 cependant il y a péril si l'Êglise de Dieu, sans laquelle ni le bien public ni celui des particuliers, ne peut demeurer sauf, vient à manquer de l'indispensable discipline ; c'est pourquoi, nous vous en supplions instamment, vous devez, couverts de l'armure de la foi · et enflammés du zèle de la justice, encouragés par l'exemple des saints Moïse», Phinées», Mathnl.hias", comme aussi des bienheu­ reux apôtres Pierre et Paul sévissant légitimement contre Simon ■, Ananie ' et Barjosu «, et surtout du Soigneur lui-même chassant les vendeurs du temple et les dispersant à coups de fouet ", vous devez user sans crainte du glaive de la rigueur ecclésiastique contre les homicides sacrilèges et, si cela est possible, les priver pour toujours do leurs offices sacrés et do leurs bénéfices, afin que tout Israël l’apprenne en tremblant1 et ne commette plus jamais rien do semblable. Car ils sont plus que dos homicides, puisque pour leurs jeux sanguinaires, pour l’accomplissement do leurs désirs et pour la satisfaction do leur haine, ils ont déchiré les corps des saints. S’ils no sont pas privés du fruit d'un pareil crime, et s’ils no reçoivent pas, outre cela, leur châtiment, tous ceux qui parmi nous défendent la justice ont è craindre un sort semblable. Adieu. 4. Priez pour nous et, élevant vos mains consacrées vers la région dans laquelle nous nous trouvons, donneznous une bénédiction et une prière. Adieu encore. Que Dieu nous donne part à vos oeuvres saintes, passées et futures. Adieu une troisième fois. Saluez les révérends princes de Blois et de Nevera. A PIERRE LE VÉNÉRABLE Introduction dans la Bibliotheca Cluniacentû ·; c'est une édition faite Cette petite lettre Vénérable lui-méme en cite mol pour mol quelque* expressions avec un éloge de Guigues dans une lettre 3 PL 1S3, 591. AD PETRUM ABBATEM CLUNIACENSEM gaudere per Christum. gratias itaque reddimus pro qualitate muneris caritati Ita de propria cogitetis aedificatione, ut infirmi-, tatem nostram periculosa non infletis elatione. Et illud nominc dignus habetur. Valete. 8. Salutate reverendos patres et dominos nostros, quibus precibus nostram illuminari caecitatem, roborari infirmi- A PIERRE LE VÉNÉRABLE, ABBÉ DE CLUNY 1. A son seigneur et père dans le Christ, le révérendissime Pierre, abbé do Cluny, Guigues serviteur inutile des pauvres Chartreux, humble Ills et serviteur de son Excel­ lence, souhaite de jouir par le Christ de la paix perpétuelle. 2. Vous qui îles crucifié avec le Christ, vous avez envoyé un crucifix è des hommes eux aussi voués à la Croix. Aussi je remercie la charité du donateur à raison do la qualité du présent. Mais bien que la charité qui nia faiblesse, votre humilité impose une confusion non moins grande it ma bassesse. Je vous le demande, au nom égard malgré mon indignité, quand votre grandeur daigne écrire à ma petitesse, n'ayez pas le souci de votre propre édification au point d'inspirer à ma faiblesse un périlleux orgueil. Avant tout et par-dessus tout, je vous le demande et je vous en supplie ίι genoux, ne croyez plus & l'avenir que ma petite personne soit digne du nom de père. C'est assez, c’est trop déjà, si vous appelez frère, ami ou (Ils, celui qui n’est même pas digne du nom de serviteur. Adieu. 3. Saluez de ma part nos révérends pères et seigneurs auxquels vous donnez vos soins paternels : je demande leurs prières et les vôtres en même temps, alln que mon aveuglement reçoive do la lumière, ma faiblesse de la force, et afin que disparaisse mon iniquité. Je compatis avec douleur aux infirmités de Dom Arbert, le grand prieur, mon ancien et intime ami. Je salue spécialement aussi Dom Pierre, que vous avez nommé en particulier dans 1. A PIERRE LE VÉNÉRABLE, 3 209 votre lettre. Je remercie votre Révérence pour la visite que nous fît naguère le prieur claustral, cct homme éminent, cl Dom Hugues de Creceio. Que la bonté divine vous conserve en bonne santé, avec un progrès continuel dans la vertu, pour notre joie et celle do toute l'Église. Vous n’avos pas besoin de ma recommandation auprès de mes frères, car vos mérites et vos lettres ont enraciné pour toujours votre souvenir dans leurs cœurs. AUX CHARTREUX DE DURBON dans ses Veterum Analectorum *, maie l’érudit Mauriste des siècles, les érudits répètent que ce travail de Guigues P = Paris, Bibliothèque Mazarine ms. n° 577, xn· siècle, 171 folios, 2 colonnes, format 46x31 cm. Le manuscrit ne folio 130, on lit cette inscription : 1. Paris 1675, 1, 331. — Mabillon l'avait rééditée dans son édition 213 INTRODUCTION 8. AUX CHARTREUX DE DURBON a été coupé tout en bas : 8 x8 cm. ; y avait-il là un ex-libris qui nous eût éclairé sur l'origine du manuscrit avant son appartenance à ce collège d’Autun? Nous ne pouvons lêj elle parut, Mabillon avait fait connaître la lettre de Guigues depuis une soixantaine d'années et elle retint l'attention de l’érudit italien qui aboutissait lui aussi aux mêmes conclusions au sujet des lettres dont avait parlé Guigues. Vallarsi admira la perspicacité de Guigues et inséra une note dans son édition, disant : « L’auteur vécut presque au début du xn" siècle : ceei dit afin que vous admiriez davantage l'intelligence de cet homme et l’acuité de son jugement en des temps si barbares '. · On n'a que trop répété depuis la Renaissance jusqu'à nos jours cette allîrmation fausse sur la barbarie du Moyen Age et les auteurs ont trop souvent cru de bon ton do s'étonner quand il leur était donné d’y rencontrer un écrivain qui avait manifesté de vraies préoccupations de critique scientifique. Il convenait néanmoins que nous signalions cette apprécia­ tion d’un connaisseur en travaux d’érudition de ce genre sur l'intelligence et le jugement de Guigues. Nous utilisons pour notre édition les deux manuscrits décrits ci-dessus, ce qui nous permet d’améliorer le texte ornées ont été découpées et ont disparu. De ce fait les premières lignes de l'épître dédicatoire de Guigues aux Chartreux de Durbon sont incomplètes : elles se trouvent/, en effet dos à dos avec le début de l'épître ad Heliodorum monachum, dont la première lettre enluminée Q {Quanta studio et amore, fol. 2V>) a été découpée. Nous avons, néanmoins la lettre presque entière, à l’exception de quelques mots. B = Berlin, Bibliothèque de l'État, Catalogue Rose ‘ n° 18. Appartenait auparavant à la collection Phillipps sous le n° 1675. xne siècle, 309 folios, format 28 x 15 cm. Ce manuscrit ne porte aucune indication de provenance, d'origine, mais seulement un ex-libris du Collège des ' Jésuites de Paris. Aucune date précise ne peut être assignée à la lettre; mais les travaux critiques auxquels Guigues fait allusion supposent de longues années de recherche de manuscrits et une grande expérience. Il est donc probable que la lettre date de la fin du prierai de Guigues. Au xvie siècle Érasme, qui s’était pris d’admiration pour saint Jérôme, donna une édition de ses lettres, avec quelques indications sur les raisons qui le faisaient rejeter 1 telle ou telle épître comme apocryphe *. Il est intéressant do voir que toutes celles que Guigues avait refusées à'1 saint Jérôme se retrouvent parmi celles que n'accepta1 pas le grand humaniste. La première édition critique vraiment soignée de saint Jérôme est l'œuvre de Vallarsi au xvni® siècle a. Quand,; 2. S. Hieronymi Opera omnia, Vérone (1734-1742); 2* édition :: 1766-1771. Cotte dernière édition h été reprise par Mlgno. AD DURBONENSES FRATRES 1. Amicis et fratribus in Christo dilectissimis *, Lazaro Durhonensi priori et ceteris in eadem eremo Deo lamulantibus, Gartusiae prior vocatus Guigo, aeternam3 a Domino salutem. Inter cetera catholicorum virorum, quae ad eruditio­ nem fldelium elaboraverunt3 opera, quae nostra quoque: parvitas congregare studuit vel emendaro, etiam epistolas, beati Hieronymi quotquot potuimus, undecumque quae­ sitas et pro concessa a deo facultate mendaciis expurgatas,: in unum grande volumen redegimus. Abscidimus autem ab cis quasdam, quas vel ex aliorum doctorum scriptis, vel ex styli sententiarumque distantia, titulo tanti viri com-. perimus indignas. Ex quibus illa est cujus est titulus ad Demetriadem, hujusmodi habens initium : Si summo inge· in opere contra Pelagium De gratia Christi et de peccato originali, ejusdem Pelagii dicit esse 3, quaedam ipsius frusta tractatui3 suo interserens atque redarguens. Huic adduntur et istae ad Tirasium de morte filiae, cujus initium tale est : Caritatis tuae scripta percepi. Ad Oceanum eonsola- tratrlbua B.|| 2. aeternam : perpetuam Bj 3. elaboraverunt : labo­ raverunt P|| 4. dicit esse : esse dicit BJ 5. tractatui : tractui B AUX CHARTREUX DE DURBON Notre petitesse s'est appliquée à rassembler et à corriger des œuvres élaborées par des auteurs catholiques pour Pélage, l'attribue à ce dernier et en cite quelques passages dans son traité pour les réfuter ». A cette lettre, on doit La lettre consolatoire à Oceanum, qui commence ainsi : 1. Déjft reconnue fausse depuis longtemps GUIGUES loria, tale habens initium : Diversorum opprobria, tribu­ lationes multiplices. Ad Marceilam viduam ·, quae sic inci-. pit : Magnam humilitati nostrae fiduciam scribendi. Ad Virginem sive ad filiam Mauricii— dupliciter quippe titu­ lata reperitur — exordium istud habens9: Quantam in coe­ lestibus bealiludinem. Item de lapsu virginis, sive de poeni­ tentia ad Susannam ; uterque enim titulus in diversis codi­ cibus invenitur ; quae tam diversis titulatur auctoribus, ut eorum nullius sit decoranda vocabulo ; cujus hoc est : aliis istud : Quid agis anima? Quid cogitationibus aestuas? Ad Desiderium de XII Lectoribus, a nescio quo in irri­ sione Doctorum composita. Ad Celantiam sic incipiens :! Veteris Scripturae celebrata sententia est; haec stylo quidem, est nobiliori* conscripta, sed nec sic beato Hieronymo: digna. Postrema est de origine animae disputatio quasi inter beatos Hieronymum et Augustinum ; ubi licet multa ex eorum scriptis ponantur, talsa tamen est : tum * quia praelati doctores nunquam inter se praesentialiter sunt loculi, tum quia eadem questio nec apud eosle, nec apud 4. Erasmb signale aussi les deux litres, IV, 139. Vallarsi l'attribue saint Ambroise, PL 30, 217 el 16, 383. 6. Erasus, I, 107 ; PL 22, 1204. BU 8. quidem eat nobiliori : quidem nobiliori P|j 9. tum : tunc B| 8. AUX CHARTREUX DE DURBON, 1 217 Diversorum opprobria. Iribulationes multiplices *. A Marcella fiduciam scribendi a. A une vierge ou â la fille de Maurice — on la trouve on effet sous ces deux titres — commençant par ces mots : Quantam in coelestibus bealiludinem ·. De même la lettre qui traite de la chute d'une vierge, ou de la pénitence à Susanne ; car on trouve l’un ou l'autre de ces titres selon les différents manuscrits ; elle est attribuée à des auteurs si divers qu’on ne peut l'inscrire avec sûreté au nom d'aucun d'entre eux ; son incipit est lo suivant dans plusieurs manuscrits : Puto levius esse crimen, et dans d'autres : Quid agis anima? Quid cogitalionibus aestuas *? La lettre à Desiderium au sujet des douze Lecteurs, écrite par je no sais qui en mépris des docteurs ·, La lettre à Celantia qui commence ainsi : Veleris scriplurae celebrata sententia est; elle est écrite dans un style assez noble, mais n'est pourtant pas digne de saint Jérôme ·. La dernière lettre supprimée est celle De l'origine de l'âme; elle se présente comme une contro­ verse entre saint Jérôme et saint Augustin ; bien qu’elle contienne beaucoup de passages de leurs écrits, elle est cependant apocrypho, parce que ces doux docteurs ne se sont jamais rencontrés en personne pour sc parler, el aussi parce que la question traitée n'a jamais pu être clairement tranchée jusqu'à nos jours 7, ni dans leurs écrits, ni dans laissé tenter par l'hypothèse de la préexistence ; d'autres croyaient a une transmission par les parents. Saint Jérôme s'opposa à ce Occident que beaucoup d’auteurs, par respect pour sa mémoire. 8. AUX CHARTREUX DE DURBON, 1 ceteros catholicae fidei sectatores adhuc usque potuit liqui-j do definiri. Hujus disputationis tale reperitur principium Cum apud oos coelestis eloquentia purissimi fontis. Ne autem praedicti doctoris epistolae sine rationabili causa, apud imperitos suo videantur numero diminutae, has nos­ trae parvitatis litteras in earum principio collocate. Valete, Orato pro nobis. 219 ceux des autres fidèles de la foi catholique ; cette discussion commence par ces mots : Cum apud oos coelestis eloquentia purissimi fontis. Pour que le nombre des lettres ne paraisse pas auprès de ceux qui ne sont pas spécialistes avoir été diminué sans cause raisonnable, vous voudrez bien placer en tète du volume cette lettre de notre petitesse. Adieu. Priez pour nous. la doctrine de la création Immédiate s’affirmera définitivement ; A L'ARCHEVÊQUE DE REIMS Introduction La dernière Chartreuse fondée sous le priorat de Guigues fut celle du Mont-Dieu, près de Reims, Odon, abbé de la célèbre abbaye de SainLRémi è Reims, avait visité la Grande-Chartreuse en revenant d'un voyage en Italie et avait reçu de saint Hugues de Grenoble le conseil de fonder une Chartreuse dans la région de Reims. L'arche­ vêque de Reims, Rainaud do Martigny — 1124 A 1138 — qui lui-même avait visité la Grande-Chartreuse, sans doute au retour du concile de Piso do 1134, prit A cœur cette fondation et demanda à Guigues dos religieux pour la commencer. La lettre de Guigues A l’archevêque traite do l’envoi de ces religieux ; il y fait délicatement allusion A la maternité de l’Église de Reims A l'égard de la Char­ treuse : c'était rappeler le souvenir do saint Bruno qui avait appartenu pendant de longues années au chapitre cathédral de Reims. Le nom du Mont-Dieu fut choisi par Guigues lui-même pour la nouvelle Chartreuse. La date de la lettre, d'après ce que l'on sait par ailleurs des commencements du Mont-Dieu, est A fixer on 1136, peu do temps avant la mort de Guigues, qui y fait d'ailleurs mention de ses infirmités. Le texte de celte lettre est venu jusqu'A nous par deux voies différentes. En 1639, Dom François Ganneron, de la Chartreuse du MonUDieu, a recopié la lettre A partir d'un manuscrit ancien du Mont-Dieu dans un de ses ouvrages : Cenluries du Pays des Essuros. Le manuscrit INTRODUCTION de Dom Ganneron est aujourd’hui aux Archives des teulx a donné la lettre dans ses Annales Ordinis Carlu-j siensis h la fin du xvn· siècle, non sans quelques fautes ; il en avait reçu copie de la Chartreuse de Cologne à partir; d'un manuscrit du xve siècle, qui est aujourd’hui le i Copenhague Ny kgl. S. 2911. 4°, fol. 181 v». Les deux! nissent un texte identique à l'exception de deux ou trois, petites négligences de copistes ; c’est ce texte que nous publions. 1. Sous la cote H SOI. — En 1894, Paul Laurent, archiviste des Ardennes, a publié celle œuvre de Dom Οαννενον : Centuries du Texte et traduction AD REMENSEM ARCHIEP1SC0PUM 1. Sanctae Remensis Ecclesiae Matris suae Rainaldo Dei gratia archiepiscopo, paupercula filia Cartusiensis ecclesia. perpetuam salutem et pacem a Domino. 2. Laetificavit nos praesentia vestrae Caritatis, primum* persona, deinde litteris ; laetificet eam Deus verbis et auc­ tibus suis, dicens : Euge, euge, serve bone ei fidelis, quia super pauca fuisti fidelis, super mulla le constituam, inlra in gaudium Domini lui ·, Nos itaque, bonis respondentes: initiis, sanctam Matrem nostram in sanctis suis desideriis adjuvamus mittimusque dignationi vestrae, qui, quod:, desideratis de nostris exsequantur instruantque consuetu­ dinibus ; precamurque quatenus eos benigne suscipiatis) benignius foveatis, et in nostro proposito aedificando ac: conservando pro possibilitate juvetis. Longas litteras, nec nostris infirmitatibus, nec sacris vestris occupationibus utiles esse credimus. Valete et orate pro nobis. A L'ARCHEVÊQUE DE REIMS 1. A Rainaud, par la grâce de Dieu archevêque de l'église sainte de Reims sa mère, son humble fille l’église de Chartreuse souhaite le salut éternel et la paix dans le Soigneur. 2. La présence de votre Charité, d’abord en personne, puis par lettres, nous a grandement réjouis. Que Dieu vous réjouisse en vous donnant accroissement par ces paroles : < Très bien, très bien, serviteur bon et fidèle ; parce que lu as été fidèle en peu de choses, je t'établirai sur beaucoup. Entre dans la joie do ton Seigneur ·. d Pour répondre à votre heureuse initiative (do la fondation projetée du Mont-Dieu), nous secondons notre mère dans ses saints désirs et nous envoyons ù votre Excellence des religieux qui mettront à exécution ce que vous désirez de nous et enseigneront nos coutumes. Nous vous prions de les recevoir avec bonté, do les protéger avec plus de bonté encore et de les aider dans la mesure du possible à établir notre genre de vio et à le conserver. Je ne pense pas qu'une longue lettre soit utile, étant donné nos infirmités et vos saintes occupations. Adieu, et priez pour nous. SAINT ANTHELME INTRODUCTION Originaire do Savoie, né en 1107, Genève, se fil Chartreux à Portes en 1136. Dès l'année Guigues il lut élu prieur de Chartreuse, en 1139. H démis­ sionna de cette charge en 1151 et revint & la Chartreuse vant son culte. INTRODUCTION La première lettre a été découverte par Dom Jean Leclercq dans le manuscrit 1840-48 de la Bibliothèque^ Royale do Bruxelles, folio 77 verso. On no sait d'où pro­ vient ce manuscrit, peut-être de l’abbaye cistercienne d'Eborbach. L'écriture est de la fin du xue siècle ou du commencement du xme. Ce volume contient d'autres lettres dont les destinataires appartiennent à diverses ré­ gions d’Allemagne ; il y a lieu de croire sans doute que le correspondant inconnu de saint Anthelme se trouvait;.! lui aussi dans ce pays. Le R.P. Dom Jean Leclercq a édité cette lettre en 1951 ·. Le prieur de Chartreuse refuse à son correspondant de lui envoyer une copie des Consuetudines Carlusiae. Il ne faut pas voir là une mystérieuse discipline du secret, selon laquelle les Chartreux n’auraient jamais prêté à personne le texte de leurs Coutumes, comme l’ont cru quelques auteurs ·. Dès les premiers temps de leur Ordre, . en effet, les Chartreux ont donné à leurs amis un exem­ plaire do ces Coutumes : les deux plus anciens manuscrits aujourd’hui connus proviennent d’abbayes cisterciennes auxquelles ils ont appartenu dès le milieu du xn* siècle : le manuscrit de Signy, qui fut sans doute donné par les Chartreux du Mont-Dieu à leur ami Guillaume de SaintThierry ·, l’auteur de la Lettre d‘Or, et un manuscrit de Citeaux ·. Par ailleurs, lo législateur de Grandmont, I tout à fait Impossible do proposer un nom pour l'autour de celte 1. Dans Sludien und Mitleilungen sur GesehieMe des BenediMiner- . Ordens und seiner Zmlge, LXIII, 1951, p. S. 2. V. g. on Mavaa ol na Smbt : «Note sur les sources littéraires relatives a Gulguo Ie»·, dans Revue d'Hieloire eertisiastique, vol. XLVIII ( 1953,'. η" 1 et 2, p. ISO, note 1. Do mime dans Suipo’e Consuetudines, Bruxelles 1051, p. 15. 3. Aujourd'hui A la Bibliothèque Nationale, Latin 4342. 4. Aujourd'hui A la Bibliothèque de Dijon, ms. 616. Etienne de Liciac (1139-1163), avait certainement sous les grandmontaine. Pierre le Vénérable a parlé aussi de cer­ tains détails des observances cartusiennes d’une manière telle que son information ne peut avoir été fondée sur ses seuls souvenirs personnels, mais sur une source écrite *· Cependant, même si les Chartreux prêtaient quelque­ fois lo texte de leurs Coutumes, il est exact de dire qu’ils ont préféré ne pas lo communiquer habituellement ; bien des textes et bien des faits pourraient le prouver ; qu’il suffise de citer cette décision de l’autorité suprême de (’Or­ dre en 1509, au moment où étaient imprimées pour la première fois les règles cartusiennes : « Nous voulons et ordonnons que ces Statuts no soient vendus, donnés ou communiqués à personne sans une permission spéciale du Chapitre Général ou du Révérend Père ·. ■ Et cette déci­ sion fut imprimée avec l'édition même des Statuts, afin que tous les sujets de ('Ordre en fussent bien informés. Saint Anthelme exprimait donc dans sa lettre une atti­ tude ordinaire, mais non point l’expression sans appel d’une imaginaire discipline du secret. Cette manière de faire a une signification plus profonde, mais aussi plus nuancée. L'esprit d'un Ordre est quelque chose de difficile à exprimer, et il est plus difficile encore de le faire saisir à d’autres ; toute vie religieuse, en ce qu’elle a de plus in­ time et de meilleur, de plus spécifique, reste même pour les proches les plus chers qui n'ont pas fait semblable expé­ rience une réalité incommunicable. Ceux même qui ont longtemps désiré telle vie religieuse et qui en connaissent parfaitement la formule découvrent, quand enfin elle leur est donnée, que toutes choses, épreuves et joies, y sont 1. Pisane i.e Vênûhablb, ne Miraculis, II, 28, PL 189, 043. 2. Decision du Chapitre général do 1509 : Slalula Ordinis Carluslensis, Bflle 1510, folio 49 des Privilégia. SAINT ANTHELME INTRODUCTION d’une qualité qu’ils ne pressentaient pas ; et cela est bien ainsi Le sens des observances n'apparatt dans sa vraie lumière que pour ceux qui ont reçu une formation ô cette vie et l’ont pratiquée comme leur : saint Bruno écrivait à Raoul le Verd que seuls ceux qui ont l’expérience de 1 1 j I l'aiment. De plus la lettre seule, sans un magistère vivant * qui en indique l’esprit, peut être interprétée de manière 1 tout à fait fausse. Combien de fois des auteurs, pourtant *4 très bienveillants, n’ont-ils pas altéré les traits de la vie fl monastique ou de telle ou telle autre forme de vie reli- I gieuse dans des ouvrages où ils se croyaient de bonne ] foi des interprètes fidèles? Et combien de fois la littérà- 11 ture, ou aujourd'hui l’écran, n’ont-ils pas déformé le vi­ sage du prêtre ou du religieux en cherchant à le présenter? ‘ Cela arrive même Λ des spécialistes ; nous pourrions en citer un exemple célèbre : quand au xvn· siècle l’abbé do i Rancé, après avoir bataillé contre Mabillon au sujet des ' études monastiques, appliqua l'ardeur de sa plume polé- i mique à des réflexions sur les observances des Chartreux, 1 il fit preuve à leur égard d'une totale incompréhension; 1 Pour comprendre, au sens le plus profond de ce mot, -1 l’esprit qui anime une vie religieuse, il faut avoir une ■ certaine communion d'âme avec l’idéal qui informe cette T vie. C'est pourquoi les Chartreux du XIIe siècle prêtèrent 1 volontiers le texte de leurs Coutumes aux Cisterciens qui 1 s'appliquaient comme eux à une pure vie contemplative 1 à l’écart du monde, comme aussi â d'autres moines, mais s n’acceptèrent pas de les communiquer à des correspondants',1 qui risquaient do ne pas être en situation de les bien com­ prendre. La lettre de saint Anthelme exprime à sa manière un aspect du mystère de l’appel de Dieu à la vie religieuse,’ a et en ce sens elle est toujours actuelle. Notre Seigneur rappe-1 Spirituelle de décembre 1927. lait à ceux-là même qu’il allait envoyer prêcher partout et se mêler au monde comme le levain dans la pèle, qu'ils n'étaient pas de ce monde *. Toute âme consacrée est dans ce qu’elle a de plus intime une âme séparée : c’est une condition nécessaire de l'efficacité de son intercession auprès de Dieu pour les hommes. La seconde lettre de saint Anthelme a moins d’intérêt que la première ; elle n'est qu’un simple mot de circons­ tance adressé au roi de France Louis VII le Jeune, qui régna de 1137 â 1180. Saint Anthelme, au moment où il écrivit ce billet, était depuis peu évêque de Bcllcy ; on se trouvait donc peu après 1163. Le roi avait la réputation, malheureusement trop méritée, de suivre souvent de mau­ vais conseillers ; le saint lui donne quelques avis et exprime ses sentiments avec la même délicatesse aflcctueuse que dans l’autre lettre : cette délicatesse semble donc bien être un trait de son caractère. Il rappelle le souvenir d’une visite de Louis VII à la Grande-Chartreuse ; on ne connaît pas celte visite par ailleurs, mais un événement qui avait touché le roi de près avait pu attirer son attention sur la Chartreuse et motiver un jour sa visite. Le comte Guillaume de Nevers était un des plus fidèles serviteurs de la couronne de France ; guerrier valeureux et d’une admirable intégrité de vie, il était devenu par sa vertu un grand du royaume vénéré par le roi. 11 avait par­ ticipé à maintes actions au service des Capétiens et siégé dans des assemblées importantes ; on l’avait vu aussi aux côtés des évêques en des circonstances notables, par exem- pliers, au concile de Jouarre qui jugea les meurtriers de Thomas de Saint-Victor. En 1146, le roi Louis VII décida de partir pour la deuxième croisade et prit ses dispositions pour le gouvernement du royaume à l'assemblée d’Étampes. Il voulut nommer régents l’abbé de Saint-Denis, Suger, INTRODUCTION et le comte do Nevers. Mais ce dernier déclara qu’il ne "■ pouvait accepter, car il allait entrer en religion ; Sugor fut seul régent pendant l'absence du roi. En 1147, tandis que 1 le roi parlait pour la croisade, Guillaume de Nevers se i faisait convors à la Grande-Chartreuse J. Il connaissait1 les Chartreux do longue date : il les avait visités du temps;· de Guigues et leur avait envoyé ensuite en cadeau dos vases de prix que les Chartreux n’avaient pas acceptés· ' pour ne pas enfreindre leurs régies de pauvreté ; le comte avait remplacé ce cadeau par un important envoi de peaux ■ dont les Chartreux avaient grand besoin pour la prépa­ ration des parchemins nécessaires Λ la copie des manus­ crits s. Guillaume de Nevers mourut au bout d’une année de Chartreuse, au mois d'août 1148®, avant que le roi fût revenu de Terre Sainte. C’est probablement après la croisade que Louis VII vint à la Grande-Chartreuse où avait vécu l’ami qui avait préféré la vocation de convers au gouvernement du royaume de France. La lettre de saint Anthelme a été publiée pour la pro- ‘ mière fois dans les œuvres d'André Duchesne au xvu· siècle ·, puis dans les Acta Sanctorum ·. Nous empruntons , le texte de Duchesne. Ordinis Carhisiensls, Montreuil 1891, III, 96.^ P 3. Vincent ob Beauvais, Speculum Historiale, Lib. XXVII,: cap. 85, édition de Douai 1624, p. 1126. 4. Historiae Francorum Scriptores, Paria 1641, IV, 650. Texte et traduction AD IGNOTUM Gartusiensium Christi pauperum servus inutilis vocatus N..., C..., ignoto quidem corpore atque remoto, sed tamen in fide et caritate dilecto, sancti desiderii mercedem a Domino sempiternam. Rem difficilem, imo fere impossibilem, ardens in te caritas Dei requisivit a nobis. Poscis namque ut scripta nostrae professionis, auctorem nostrae institutionis, usum et consuetudinem conversationis tibi transcribamus ; ves­ titus nostri, cibi potusque qualitatem, quo tempore vel quibus feriis jejunium teneamus quibusve relaxemus, qua hora operi manuum, qua orationi sive lectioni vacemus tibi designari petisti. Cum haec igitur universa, non scripto quolibet, sed libro aliquantulo contineantur quem non passim quibuslibet, sed nostrae instituta religionis tenere incipientibus tantum tradere consuevimus, non nostris famulantibus litteris tibi absenti rescribere vel insinuaro tanta valemus quae anima tua religiose desiderat. Desi­ derium tamen tuum non sine Sancti Spiritus inspiratione nostrum non modicum laetificasse pro certo cognoveris, frater sancte et venerabilis. Dominus tribuat tibi secun­ dum cor tuum et omne desiderium tuum confirmet · in bono Ora pro nobis. b. Ct. II These. 2, 1β. Λ UN INCONNU Anthelme, par la grâce do Dieu serviteur inutile des pauvres du Christ, les Chartreux, à C..., inconnu et absent de corps, mais aimé selon la foi et la charité : que votre saint désir reçoive du Seigneur une récompense éternelle. C'est une chose difficile, mémo h peu près impossible que la charité dont vous brûlez veut obtenir de nous. Vous demandez que nous vous mettions par écrit nos règles de vie, (des renseignements sur) l'initiateur de notre formule, les usages et les coutumes que nous suivons ; vous voulez que nous vous indiquions la qualité de nos vêtements, de notre nourriture, de notre boisson, les époques et les jours où nous observons le jeûne, ceux où nous le relâchons, les heures consacrées au travail manuel, à la prière ou à la lecture- Or tout cela ne se trouve pas dans n’importe quel écrit, mais dans un volume assez considé­ rable, que nous avons coutume de ne pas livrer indiffé­ remment à tout le monde, mais seulement à ceux qui entre­ prennent de suivre notre règle ; nous ne pouvons donc, dans cette lettre que vous envoie notre amitié dévouée, vous communiquer par écrit, à vous qui êtes loin, les ren­ seignements si nombreux que votre âme désire saintement connaître. El pourtant ce désir, qui ne fut pas conçu sans une inspiration du Saint-Esprit, nous a été très agréable et nous en avons éprouvé une grande joie : soyez-en sûr, frère saint et vénérable. Daigne le Seigneur vous accorder les demandes de votre cœur et affermir dans le bien > tous vos désirs ·. Priez pour nous. AD REGEM LUDOVICUM Excellentissimo Domino suo Ludovico, Dei providentia Regi Francorum, N... Bellicensis Ecclesiae humilis minis- AU ROI LOUIS VII A Son Excellentissime Soigneur Louis, par la grâce de Dieu roi des Francs, Anlhelme, humble ministre de l'Eglise de Belley : gouvernez votre royaume sur cette terre de manière à pouvoir régner avec les saints dans Depuis le jour, ô roi très illustre, où votre grandeur a daigné nous honorer de sa présence et visiter la pauvre maison do Chartreuse, nous vous avons gardé avec toute cœur. Car, si nous pouvons nous exprimer ainsi, vous nous avez été incorporé à ce moment, et vraiment il ne sera pas facile de vous arracher do nous. Voici que mainte­ nant — Dieu l’a-t-il voulu. Dieu Γa-t-il permis, nous l'igno­ rons — nous avons été nommé, vaille que vaille, évêque de Belley. Gardant votre souvenir dans nos prières, nous offrons Λ Dieu nos demandes pour vous et pour la stabilité deur de ne pas croire aux applaudissements des hommes tice, la bonté et la mansuétude, ainsi que les autres vertus semblables, qui sont les insignes de la dignité royale. Pour Unir, nous supplions votre Majesté de daigner, par amour pour Dieu et pour nous, protéger notre neveu selon la chair, étudiant é Paris, afin qu’il puisse avoir de quoi vivre et s’appliquer è la sagesse. Adieu. APPENDICES APPENDICE I NOTICE BIOGRAPHIQUE SUR SAINT BRUNO 1 Magister Bruno, natione TeutoDBrûnôn«ro nicus cx PMeel’r“ “Η» Colonia, pa­ rentibus non obscuris natus, litte­ ris tam saecularibus quam divinis valde munitus, eccle­ siae Remensis quae nulli inter Gallicanas secunda est canonicus, et scholarum magister, relicto saeculo heremum Cartusiao fundavit et rexit sex annis. Qui cogente Papa Urbano cujus quondam praeceptor fuerat Romanam por­ rexit ad curiam, eumdem Popam solatio et consilio in ecclesiasticis negotiis juvaturus. Sed cum tumultus et mores curiae ferre non posset, relictae solitudinis et quietia amore flagrans, relicta curia, contempto etiam archiepiscopatu Regiensis ecclesiae ad quem ipso Papa volente electus fuerat, in Calabriae heremum cui Turris nomen est secessit, ibique laicis et clericis quamplurimis adunatis, solitariae vitae propositum quamdiu vixit exercuit, ibique defunctus humatus est, post egressum Cartusiao undecimo plus minus anno. dans HfLut Mabillon, Liguge 1026, lomo XVI, 77-142. APPENDICE H LETTRE-PAMPHLET D'UN CLERC DE REIMS CONTRE RAOUL LE VERD1 Cum perendie invalescente morbo tabescerem et salutis momentanoa desperatione gravarer, ut amicum, ut fratrem non fictum, dicebas nostro languori, nostro defectui non solum condoluisse, ut relatum est ; sed et cura propensiore animae periclitanti consultum ire conabaris, scribens me confessione, viatico sepulturaque privandum, nisi, quibus­ dam quasi acceptis illicite, renuntians, haec mendicitati diffunderem ot, ecclesia cui nutritus, cui ordinatus, cui ab infantiae rudimentis adseriptus postposita, in mona­ chum transirem. Fateor plane — nec diffiteri fas est — deliberationis hujus iter sectari non parvae commoditati accedere ; sed edicti severitas de fonte videtur hostilitatis Oriri, non de rioo curitatis manare. Necessario quidem et quasi inevitabili opinionis tuae argumento acquiescendum fuerat, si Rachel pulchram, sed infecundam ad amplexus Jacob solam pervenire con­ tingeret, et Lia penitus excluderetur, quae, lippis licet oculis, spirituales ei filios propinaret. Sed et Loth, incendia libidinum fugiens, cum ab angelo ut ad montem conscen­ deret moneretur, ad humilem tamen Segor descendere maluit, posteritati relinquens satius esse mediocri bono el CONTRE RAOUL LE VERD abrupta vitiorum ad infima praecipitari. Quia ergo non solos speculationis, sed et actionis filios bcatitudinis ornari veste non ambigimus, cur ad ordinem monachicum quis cogi debeat, nisi constet obligari voto, necessarium non videmus. An me hac obligatum sponsione existimas? Mene illum credis qui Spiritui Sancto promisisse, vovisse divul­ gatus est in proximo fugitiva mundi relinquere, aeterna captare, necnon monachicum habitum recipere ? Mone illum putas qui stipem peregrinationi necessariam jam parave­ rat, jam vectigalia conduxerat, jam cum ejulatu, ab omnibus accepta exsulandi licentia, Jerusalem iturum se proposuerat? Hac prorsus existimatione deceptum te noveris. Ne autem diutius inani fluctues opinione, inte­ riorem hominem consule, domesticos fode parietes : in­ venies profecto cui pro tam sancti transgressione propositi confessionem, viaticum, sepulturam, si cui mortalium ne­ ganda est, contradicere debeas. Et quidem inhumanum, crudele nimis et impium sen­ tio quemquam mortalium hominis sepulturae non favere, miseriam communiter attinere. Quodsi qua sunt jura, si leges, si decreta, quae obstent, quae sanciant, quae dene­ gent damnatos quosque sepeliri, alicui tamen angustus debet esse aditus per quem ingrediatur humanitas, et viventis pietatem in abjecti corporis sepultura spiritus experiatur. Ut enim cujusdam rethoris utar indicio, ad operiendam foeditatem subtrahendamque dolori mate­ riam mortui viventium causa sepeliendi sunt. 0 exeerabilis et detestanda hominis immanitas, o livor intolera­ bilis, o quam graves inimicitiae quibus non sufficit vivos persequi, nisi etiam exanimes sub divo jaceant insepultos. Sed fortasse, quia te nobis patrem existimas, legis calamitate patrem deseruerit insepultus abjiciatur. Non nos latet, Radulphe, quod te nobis in patrem promotum arbitraris, quod te pro libertate rei publicae in calamitate UN CLERC DE REIMS positum a filiis desori conqueraris, quod ligandi nos solvendique potestatem tibi a Spiritu Sancto concessam praedicas, ut inde, accepta occasione, filios quasi patris contemptores abjiciendos denunties. Sed cum te graviter et perniciose Spiritui Sancto, quod pace tua dicam, mentitum esse, noverimus, ab ejus gratia, ab ejus patrocinio te peni­ tus derelictum, Augustino testante, nequaquam diffidimus. In libro enim contra Donatistas sic scribitur : « Ab inter­ cessore derelinquitur qui intercessori denegat quod vove­ tur. a Ut enim sancti et veri Israelitae Brunonis monitioni insidam, scis qua sponsione obligatus es et cui. Omnipotens est et terribilis, cui te monachum devovisti, cui nec mentiri licet, nec expedit : nec enim patitur se inulte irrideri. Chris­ tianae autem religionis est Spiritum Sanctum intercesso­ rem credere, cum eum constet gemitibus inenarrabilibus ad Deum indesinenter postulare. Audi etiam quanta ani­ madversione Petrus apostolus in Anania et tibi loquitur, et diligenter collige quod pari te complexum crimine supplicium non dissimile comitetur, s Cur, inquit, tentavit Satanas cor tuum mentiri in te Spiritui Sancto? Non es hominibus mentitus, sed Deo. » Scias itaque in illius casum te pariter concidisse, te in ejus praesentia cui te devoveras, licet foris vivere videaris, interius exspirasse. Quis tam astutus, quis adeo perspicax ut tuam, Radulphe, simplicitatem, imo, ut verius fatear, simulationem per­ versam ad tantam ambitionem progredi, prosilire, pro­ rumpere, crederet? Nil agis, nil proficis. Sanctus enim Spiritus disciplinae effugiet fictum et auferet se a cogitationibus perversis. Plane te cogitationibus perversis incumbere dixerim, cum et apud homines figmento disciplinae tamdiu palliavcris et judicem tam terribilem tot mendaciis exasperare non timueris. Cum ergo constet, ut praclibatum est, a Sancto Spiritu te deseri, necessario subinfertur in eo quod usur­ pasti officio te per eum nec posse nec debere quidquam CONTRE RAOUL LE VERD Ï47 operari, et idcirco ut patrem non volumus, non debemus aut cognoscere aut revereri. Sed et probabile est et evidens te, immoderata, infreni, impia cupiditate caecatum, agitari a tenebrarum spiritu atque in ruina pauperum, in civium mortibus et in totius provinciae delectari interitu. Cum enim haec omnia ponan­ tur te posito, consequenter inferimus : removerentur, te si adhuc ullius pietatis cogitatio tota non excidit, respice jam patriae casum, respice nostrae rei publicae lugubrem in­ teritum. Hanc enim tantis immersam calamitatibus li­ quet, ut pone recuperandae incolumitatis portus desperari debeat. Fuge ergo, fuge, ne tantorum diutius habearis causa malorum et, juxta illud sancli heremitae consilium a tempestate mundi hujus transfer te in tutam et quietam portus stationem. Accipe Sunamilidem quam tuis beatus ille obtulerat amplexibus, quae te divina faciat dilectione calere, et ab hac qua nos premis, impugnas, affligis, sugge­ rat temeritate desistere. Ille etenim quern libi in dominum natura peperit, cujus majorum benignitas circa te tuosque plurima exlitil, quem modo tam impie persequeris, quem rei publicae dignitatem occupasse detestaris, ut credimus, ut speramus, te recedente cederet, te miserante misere­ retur, sicquc sepeliretur seditio, concordia pullularet et rei publicae pristinae libertatis redderetur conditio. Duo sunt, Radulphe, quae prius te vovisse cognovimus; quae proreus irrita faciens, et tertium quod nos latebat ad­ didisti, forsitan in ultimo solvere ambiens quod in ante­ cedentibus deliquisti. Primo te monachum fieri proposue­ ras, secundo Hicrosolymam profecturum, tertio onus epis­ copale te suscepturum voveras. 0 religiosi hominis magna perfectio, o laudanda instan­ tia, o sancta sollicitudo. Hoc solum votum est quod sol­ vere contendit ; hoc omnibus prosequitur studiis. Hic stipes extenditur peregrinationi debita ; hic accumulatum venalitato linguae aerarium reseratur. Hoc sitit, hoc anhelat UN CLERC DE REIMS animus ; in hoc etiam se mori deliberavit obedientia. Considerate juvenes, senes attendite quanta sit hominis hujus temeritas, quanta ambitio, quantaque improbitas : qui, nisi civium defatigationibus insudet, nisi ad animarum interitum laxet retia, ut omnibus praesideat, ut dignitatis quae refugit, quae dedignatur attingat apicem, Deum voretur offendere ; sed Hierosolymam proficisci, mona­ chum fieri — quod promisit, quod vovit, quod disposuit — nefas est cogitare ; et quod primam irritam fidem aeterna secundum Apostolum sequatur damnatio, aut nescit aut negligit attendere. Nil agis, nil proficis. Omnis enim civitas asseruit, omnis patria proposuit, sanxere principes se potius cuilibet deputari exsilio quam tua vel infici cohabitations vel subjugari dominio. Ad reprimendum quoque tam stoli­ dae opinionis strepitum, ipsius Caesaris accedit severi­ tas, qui, te immutabiliter abjurans, regia promulgavit assertione eo se tempore renuntiaturum sceptro et diade­ mati, quo te in qualibet imperii urbe praesse concederet tam populo quam senatui. Desiste ergo, desiste tam inauinquam, illius reverendae matris quae te suscepit, quae aluit el provexit, tam impie, tam feraliter praecordia dissecare. APPENDICE m FULCUIUS Jusqu'à nos jours, sur la foi d’un mauvais texte, on lisait : Fulcius ; mais ce nom ne se rencontre pas à l'époque. Il y a dans les manuscrits les plus anciens : Fulcuius, que nous traduisons en français par Foulcoie. Si Fulcuus, Foulque, est fréquent au xi· siècle, Fulcuius est rare. Dom A. Wilmart, dans son édition de la lettre à Raoul le Verd en 1939. a proposé d'identifier Fulcuius avec un poète du xie siècle : Foulcoie de Beauoais. Foulcoie, né à Beauvais vers 1020, étudia à Reims sous Hérimann, comme saint Bruno. Il fut plus tard élevé au sous-diaconat dans l'Église de Meaux. Il s'adonna à la poésie et devint l'un des plus féconds poètes de son temps. Il adressa des poésies aux papes Alexandre II, Grégoire VII, au légat Hugues do Die, à Gervais archevêque de Reims ; il flatta un peu trop l'archevêque Manassès, car celui-ci fut pour lui un généreux mécène, mais c’était avant 1073, donc avant les prévarications de Manassès. Il mourut à Meaux vers l’an 1100 et son nom tomba dans l'oubli jusqu'à Mabillon. Il a retenu l’attention de l’historien Le Beuf, en 1740, dans ses Dissertations sur l'Histoire civile d ecclésiastique de Paris, suivies de plusieurs éclair­ cissements sur rilisloire de France. Les Bénédictins de Saint-Maur, à la Un du xvill· siècle, ont donné dans leur Histoire Littéraire de la France (VIII, 113-120) des ren­ seignements sur les écrits de Foulcoie. Le Dictionnaire His­ torique de Moreri lui a consacré un article. Son œuvre était divisée en 10 livres, réunis en trois volumes ; le prin- FULCUIUS cipal ouvrage comprend 7 livres et traite des noces de l’Église, vierge pure, avec le Christ. Les œuvres do Foulcoie étaient restées inédites jusqu’à notre époque. Le Bollandiste A. Poncelet publia en 1888, dans les Analecta Bollandiana (p. 143), un ouvrage du poète, la vio do saint Blandin, ermite de Meaux. Depuis.; lors quelques autres fragments furent édités. Enfin le grand ouvrage De nuptiis vient d’être publié dans une thèse de doctoral aux États-Unis : Fulcoii Behiacensis Utriusque de Nuptiis Christi et Ecclesiae Libri septem, by Sister Mary Isaac dogues Rousseau (Washington, The Catholic University Press, 1960 : Studies in Mediaeval, and Renaissance Latin Language and Literature, 22). Recension dans les Analecta Bollandiana, tome LXXIX, La suggestion de Dom Wilmarl sur l'identité de Foulcoie. de Beauvais avec l’ami de saint Bruno a été depuis lors acceptée par Boutemy : « Autour de Godefroid de Reims b, dans Latomus, t. 6 (1947), p. 237 ; par Williams : «Arch­ bishop Manasses I of Rheims and Pope Gregory Vila, dans American Historical Review, t. 54 (1949), p. 822 ; par Coûter : « Fulcoii Bolvacensis epistulae », dans Tradilio, t. 10 (1954), p. 192. A son tour, Sister Μ. I. J. Rousseau fait sienne celte hypothèse à la page 6 de son travail. Nous remercions le R. P. Maurice Coens, s. j-, Bollandiste, qui nous a aimablement fourni ces derniers renseignements. Nous tenons nous aussi pour vraisemblable l’idée de Dom Wilmart, tout en constatant que les éléments manquent pour la vérifier. Il y a lieu de noter que Foulcoie avait un frère nommé Adam (Did. de Moreri). S'agirait-il de cet Adam chez qui fut prononcé le vœu des trois amis? Mais, quoi qu'il en soit de l’ami de saint Bruno du nom de Foulcoie, il n’avait pas plus que Raoul le Verd donné suite au vœu du jardin d’Adam, sinon le saint eût certainement) mentionné le fait comme argument pour achever de décider- TABLES le numéro do la lettre et le numéro du paragraphe. Exemple : G 5, B : Guignes, lettre 5, paragraphe 6. Lee référances aux introductions no donnent qu’un chiffre isolé, sans lettre : elles renvoient simplement aux pages du volume. I. — INDEX SCRIPTURAIRE Los rOtOroncos aux citations textuelles sont en italiques IMaecaMes is! 11 β, 37-38 Οβ’ 3 G4 2 Π Chroniques 28, 10 B1, 8 Judith I Timothée Π Timothée Cantique des Cantiques Hébreux Jacques Ecclésiastique G 2, 4 G3, 3 S6, 3 Pbilippiens Lamentations Actes des Apôtres 5, 3-4 SS, 3 Matthieu I Corinthiens 9, 26-27 20, 21-22 Π Corinthiens B 2, 1 Π Thessalomciens Apocalypse — INDEX DES AUTEURS ET OUVRAGES CITÉS Acta Sanctorum: Vita S. AnlMmi. Juin. I. V, 2ZI s P.Ueaoe dObeuaa. done MtrceUanoa 166 Vila do Ponce do Lorue. lord. l>o lauOe noooa mlllllac. Pl 182. 921 l Otrci a· 11 . 126. 122 ; 168 ; 161 . dent ■ 103 116 118198· BiUlofAcca Clunlaconrlr. Parla 1614. Blomwinm*. Vito Sancti Brunonle, Cologne 1636 Boutkmv (Al · Autoor de Oodotronl do Réuni ■ latum. I 6 (1947). p. 237. Cuiie. CoOnlIo XXIV. o· 21. don* SC 64. CoUatlo XXI. ■· 22. dtru SC 64. et i C*wooone : ntuorio Tripartita. PL 69 Cannkon Morlgnlacceulf, doue Htorariae Pronaram Scrip· Irene, Ligugé 1926. troua, l · Pur* 1926 H» U H 241 I I Kulcoll BeluoMWt Rpwutoe ·. detu Troalllo, 10(19641 . Annater Oralnle Canualonale. Ducnann· (André; Ittaorw Pronwom Sertproru II. INDEX DES AUTEURS ET OUVRAGES CITÉS 2.2 210217 <1* Gulinse I le IJurUenX UM Mirooiinrum, '1 109.119.111.119. 113.119.120.123.132.147 87.98.109.110.111.112.114. MwMionea, v. wilmart 119.122.125 Vila B. Humnii, Montreuil 1889. 98.122.123 Juan XXIII (S. S.) : Ldln à I'Abbi g«n«ral des Cis ma Cnlleelto... 1778 II. INDEX DES AUTEURS ET OUVRAGES CITes I 11. INDEX DES AUTEURS ET OUVRAGES CITÉS Lb Brui· : DiueHalione ear t'Hielolre civile el eeeUelaeliyie de Lkclbbco, o. s. b. (Dorn Jean) : Saint Pierre Damien, ermite el homme d'Egliee, Romo 1960. Statute Ordinle Carluetenete, Bale 1610. de Dieu. Paris 1957. Geechichle dre Henedtkliner I.X11I. 1951 line, LI, 1939. S7.98.124.129 vol. ΛΙ.Υ1ΙΙ (1963). n dans Hevue Mabillon, mars 1929. 100.104.243 troux », dans Hevue Bénédictine, XLIII (1931).................................... 103,174 Pmstw S Hrananle Opera. cologne 1911 twlres, PL 199 I ■■ i .·. II·..21’6 Vlriueqiie De Nuptiia Chrieli el Beeleilae l.ibri Literature, Washington D. C. 1960............................... INDEX DES PRINCIPAUX NOMS PROPRES AlMnitlc, cardinal, chancelier de la sainte Eglise (f 1141), Ami do saint Bernard, 181. Reçoit une lettre do Guigues G 6. Style et . art do celte lettre, 130. La lettre sur la vie solitaire lui est-elle'J AneCLBT, antipape au temps d'innocent II, 103 ; 169. Aktuslmk (Saint), (1107-1178), prieur de la Grande Chartreuse, Αντνη (Concile n'J, on 1077,12. Br.i.i.av (Ain). Saint Antholme lut évéquo do Bolloy de 1103 à 1178, monta, 103. Dédie au cardinal Aimorlc son traité do l'amour do Dieu, 181. Saint Bernard et le duc d'Aquilaino, 173. Saint Bernard Bnuxo (Saint). Né 0 Cologne, 9. Etudiant ft Reims, 9. Chanoine do Reims, 10. Maître aux écoles de Reims, 10. Chancellor, 12. Lullo i 11,22. Pondo en Calabro, 23-25. Sa notice’biographique au xn· siècle, 243. Chartreux. 18-20. CrrBAux. Guigues fait l’éloge des Cisterciens, 120 ; G 3, 6. I CoKMLtoN (Saint-Roborl-du-.Monl), prieuré relevent do la Chaise·) 111. INDEX DES PRINCIPAUX NOMS PROPRES 261 Coutumes de Chartreuse, ru xn’ slftelo, on n'en communiquait le texts qu’à quelques amis, 231 ; A 1. Durbon, Chartreuse nu diocèse do Gnp. Guigues écrit aux Chartreux de Durbon, 211 ; G 8. ÉrnnBM (Saint), (t 373), 135. Érasme (1467-1536). éditeur do saint Jérémo, 212. Foulcoib on Beauvais, poète du xi’siécle. Ami de saint Bruno? 77. Notice biographique sur lui. Appendice III, 249. Gbrbbrt, futur pape Sylvestre II, maître à Reims, 9. Gervais, archevêque do Reims de 1055 à 1067, 10. Gilson (Étienne), son opinion sur le style de Guigues, 126. Godberoid, évêque d'Amiens, quitte son siège pour la Chartreuse on 1114,29. Grégoire VII, pape (1073-1085). Intervient au sujet do Manassas I" do Reims, 13-15, Sacre Hugues do Grenoble, 18. Guibbrt on Noorïit, abbé bénédictin au début du χιι· siècle. Parle dos Chartreux, 138. Guirbrt du Ravbnnb, antipape : v. Clément III. Coneueiudlnee Corlueiae, 98, des Medilatlonee, 98, do la Vie de eainl Huguee, 98. Éloges do Guigues, 100-101. Parallèle entre Guigues et Guillaumb X, comte do Poitiers et duc d'Aquitaine (1127-1137). Partisan do l'antipape Anaclet, 173. Reçoit une lettre do Guigues, Guillaume, comte de Nevers et convins chartreux (t 1148). Sn biographie, 233. La lettre sur la vio solitaire lui est-ollo adressée? Henri IV, empereur (1050-1106), 23. Hérimann, maître do saint Bruno Λ Reims, 9. Se retire en 1056, 10. Tours (t 1133), 135. Hocçuahd (Abbé G.), édite la lettre de Guigues sur la vie soli­ taire, 140. Analyse le style do Guignes, 128. Prance (t 1106), 12. Fait l'éloge de saint Bruno, 13. Son action cou- Wl HI. INDEX DES PRINCIPAUX NOMS PROPRES Reims en IU49, 9. Léon X, pape (1S13-1521). Rend aux Chartreux la Chartreuse do des CoHlumet de Chartreiue dans sa législation, 231. Louis VI un Gros, rot de France (1108-1137), 198. 137-1180), reçoit une lettre de I-voN (Concile do), en 1080, oh tut déposé Manassès I·» do Reims, H. Maxamès I", archevêque do Reims (1068-1081), 11. Ses prévarlca- puls archevêque de Reims, 12 ; 28. HI. INDEX DES PRINCIPAUX NOMS PROPRES 263 264 HI. INDEX DES PRINCIPAUX NOMS PROPRES Toténu (Concile do) on 675, 40. pliers, 151. Umoratiurm, Constitution Apostolique du 8 juillet 1924 sur la vie contemplative, 27. UnaalN II, pape (1088-1099). Elève do saint Bruno, 11. Appelle' Bruno Λ Rome, 21. Approuve sa vocation, 22-23. Wilmaut o. s. b. (Dom André). Pali l'éloge < : Centuries sur la charité. J. Pégon S. J., prof, a la Pac. do Théo), do Fourvièra (trad, seule) (1945)............................................................... Épuisé POLvesare on Smvukk. P.-Th. Camelot, O. P., prof. aux Pac. dominio, du Saulcboir (3· édition, 1938)................ 12.00 , Llguge HMD S. J tired seule) (1961) ................... ru Jean CiteveoeTowe Sor la Proeldeoee de Dise ilngrey (1961)....... 55 55 O. C. S. O., a Seourmont (1961).. non. P Voulu. S. J 11961) " : 3v:llavm· oe Sai.vs*Tu