tQ 1966, by Les Éditions du Cerf. SOURCES CHRÉTIENNES Directeurs-fondateurs : H. de Lubac, s.j., et J. Daniélou, s.j. Directeur : C. Mondiscrl, s.j. Ν’» 115 MANUEL II PALÉOLOGUE ENTRETIENS AVEC UN MUSULMAN 7e Controverse INTRODUCTION, TEXTE CRITIQUE, TRADUCTION ET NOTES PAR Théodore KHOURY LES ÉDITIONS DU CERF 29, Bo de Latour-Maübour d • b t G-· t & th L è gh z * £ dj 9^ h 3 f t kh uî k J d J k s dh J 1 J Γ m j Z f ü gT s A t djj n h sb 3 w s• * y a = a, ou = u, i = i. Voyelles de prolongation : <£, 1 = à, · = u, S M =ï Nous ne transcrivons pas le t final des mots féminins. INTRODUCTION CHAPITRE 1 L’EMPEREUR MANUEL II PALÉOLOGUE (1350-1125) Le texte que nous publions dans le présent ouvrage est tire des Entretiens de l'empereur .Manuel Paléologue aaec un musulman. Ces Entretiens furent tenus à Ancyre, l’actuelle Ankara, durant les loisirs d’un camp d’hiver, en 1390/1 ou 1391/2. La rédaction définitive de l'ouvrage date des toutes dernières années du xiv® siècle. L’histoire politique et littéraire de ce xiv« siècle byzantin est assez mal connue. Beaucoup d'inédits attendent encore le labeur des érudits. Mais, par ce que nous savons déjà, nous pouvons nous rendre compte de l’importance singu­ lière de cette période : l’Empirc vit des moments décisifs pour son sort, des événements graves le menacent dans son existence, et en même temps il est travaillé par la fermentation d’une renaissance culturelle étonnante. La guerre civile n’arrêtait pas scs ravages et épuisait les dernières énergies de Byzance. Commencée sous le règne d’Andronic 11 (1282-1328), la lutte opposa un peu plus Lard, à la mort d’Andronic III (1328-1341), les partisans du régent Jean Cantacuzène et ceux de l'héritier légitime du trône Jean V Paléologue. Elle reprit, après une courte accalmie, sous le règne de ce dernier (1355-1391) : l’on vit 10 INTRODUCTION alors plus d’une fois Andronic, l’aîné — et après lui son fils Jean VII — se soulever contre l'empereur qu’appuyait le fils cadet Manuel. Toutes ces dissensions meurtrières eurent pour effet de rendre encore plus débile un Empire qui se débattait contre des menaces pressantes et de mon­ trer à quelle extrémité il était réduit : il ne se maintenait plus que par le soutien de l'étranger et par la faveur capricieuse de l’ennemi, le sultan turc. Quelques décades plus tôt, Serbes, Bulgares, Albanais avaient tour à tour convoité l’héritage de Byzance, qu’ils jugeaient mourante. Depuis longtemps aussi, Génois et Vénitiens s’acharnaient à grossir leurs bénéfices aux dépens de l’Empire : ils offraient l’aide de leurs deniers et de leurs armes et exigeaient en retour l’octroi de privilèges commerciaux et même des concessions territoriales. Immixtions politiques, voire rixes et émeutes accompa­ gnaient leurs onéreux sendees et signalaient parfois leur présence à Constantinople. Mais l’ennemi le plus redoutable, c’étaient les Turcs. Ils avaient occupé presque toute l’Asie Mineure et avaient réduit l’Empire pratiquement à la capitale et à quelques possessions sans importance. Ils regardaient à présent vers Constantinople et faisaient tout pour hâter l'heure où leur assaut romprait la digue qui les empêchait encore de se jeter sur les régions orientales de l’Europe. En attendant, ils ne manquaient jamais l’occasion de faire peser leur menace et de s’ingérer dans les affaires intérieures de l’Empire. Ils favorisaient les querelles entre les membres de la famille impériale et leur infligeaient, à chacun à son tour, les humiliations qu'ils jugeaient opportunes. Au gré d’une politique faite de rouerie et de capricieuse fantaisie, ils déterminaient le sort de l’un ou de l’autre parti. Seule une action énergique des pays d’Europe pouvait encore sauver Byzance du désastre fatal. Mais les appels réitérés et pressants que Jean V, Manuel et plus tard son fils Jean VI11 allèrent personnellement adresser aux cours d’Occident, se heurtèrent à une indiffé- MANUEL II PALÉOLOGUE 11 rencc courtoise : pour l’Occident, Byzance n’était plus pratiquement que le souvenir d’un prestigieux passe. Ainsi donc, emporté dans une irrémédiable décadence, l’Empire byzantin courait à pas précipités vers la chute. Toute l’intelligence et l’énergie de Jean Cantacuzcne (13471355) et, à partir de 1391, toute la prudence et l’habileté de Manuel Paléologue (1391-1425) ne purent retarder son agonie et l’empêcher de mourir en 1453. ♦♦ ♦ Manuel, qui était né le 27 juin 1350, fut assez tôt mêlé aux douloureuses luttes qui divisaient sa famille et aux graves événements qui agitaient l’Empire. Il écrit lui-même dans un essai rédigé vraisemblablement dans les premières années du xv® siècle : « A peine sorti de l’enfance et n’ayant pas encore atteint l’âge d’homme, je fus jeté dans une vie remplie de maux et de troubles1. » Dans le meme essai il évoque également la situation précaire de l’État et les soucis dont sa vie fut remplie : « Si dans notre jeune âge nous avions savouré les fruits de l’étude, nous y fûmes dès lors presque entièrement arraché, entraîné à d’autres soins, circonvenu de tous côtés par la complication des événe­ ments. Les difficultés des affaires, les vicissitudes des armes, les dangers de toute sorte se succédaient autour de nous comme un tourbillon impétueux qui nous empêchait de respirer1 2. » Dans cette réflexion, on entend une plainte. Manuel en effet aima toujours les lettres et s’intéressa avec passion à la culture de l’esprit. Mais il ne sacrifia jamais à 1. Épttre ά Alexis lagoup. Cette dissertation théologique est encore inédite. On pourra la trouver dans les mss suivants : Paris, gr. 304 7, f. 72v - 85v ; ttarberinus gr. 219. f. 36v - 50. L'extrait cité est tiré d'un passage que l’on peut lire en entier en français dans J. Berger dk Xivrey, Mémoire sur la vie et les ouvrages de l'empereur Manuel Paléologue, Paris 1853, p. 26, η. 1. 2. Ibid., dans Berger de Xivrey, loc. clL 14 INTRODUCTION est tenu pour l’un des écrivains les plus remarquables dans l’histoire de la philosophie byzantine. Quand nous aurons mentionné encore Nicéphore Grégoras (vers 1295-1359/60), élève de Métochite, Grégoire Palamas (1296/7-1359), Jean Cantacuzène (vers 1290-1383), Nicolas Cabasilas (1320 ?apres 1388) et enfin Démétrios Cydonès (vers 1324-1397/8), pour ne citer que les plus célèbres, dont les oeuvres sont en partie éditées, on pourra se faire une idée de l’atmosphère culturelle dans laquelle Manuel reçut son éducation et de la valeur des maîtres en compagnie desquels il se plut à former son esprit. Ajoutons pour clore cette liste imposante les noms fameux de deux contemporains de Manuel, Georges Gémiste Pléthon et Bessarion (entre 1389 et 1395-1472)1. Manuel avait en outre d’illustres devanciers : empereurs lettrés et sages, à la fois auteurs et protecteurs des lettres. Nous avons déjà nommé Cantacuzène, grand-père maternel de Manuel, auquel celui-ci vouait une admiration méritée pour la solidité de sa science théologique et la pureté tout attique de son style. Manuel avait aussi un modèle en Théodore II Lascaris, empereur de Nicée (1254-1258), qui recommandait en d’autres temps également troublés : « Quels que soient les besoins de la guerre et de la défense, il est essentiel de trouver le temps de cultiver le jardin du savoir1 2. » Manuel cultiva avec un soin passionné le jardin de son savoir. Il étudia la grammaire, que Métochite recomman­ dait comme la base de toute science3. Il s’initia ainsi à l’ana­ 1. Sur celte période et scs caractéristiques culturelles on peut lire B. Tatakis, · La Philosophie byzantine ·, dans V Histoire de la Philosophie d'Émile Bréhier, 2e fasc. suppl. (1949), p. 228-911. Cf. également L. Bréhier, Le Monde byzantin, III : La Civilisation byzantine (1950), p. 317-570. 2. Après le sac de Constantinople par la 4« croisade, les empereurs byzantins s’étaient installés dans la ville de Nicée, jusqu'en 1261, date de leur rentrée dans la capitale. Le texte est cité sans référence par .1. M. Hussey, Le Monde byzantin, trad. fr. (1958), p. 175. 3. Métochite, Poésie I (Treu), v. 318-325. MANUEL II PALÉOLOGUE 15 lyse grammaticale, à la morphologie, à la syntaxe, aux méthodes du commentaire linguistique. Il fréquenta les textes littéraires des classiques, dont il lut des commen­ taires mythologiques, philosophiques et stylistiques. C’est à l'école des maîtres de ΓAntiquité qu'il apprit à savourer les belles expressions et découvrit les secrets de l’art de bien dire. Les études de rhétorique lui livrèrent les règles de l’esthétique oratoire. Elles exercèrent sur lui une influence durable. Il aimera toute sa vie à pratiquer les exercices rhétoriques : diverses pièces de sa composition nous ont été conservées1. Il affirmera même en tête de l’un de ses discours moraux, adresses à son fils Jean : « Il n’y a rien de plus utile aux chefs qui ambitionnent d’être bons que de savoir user d’un beau langage1 2. » Dans toutes ses œuvres, Manuel témoigne son affection pour le beau lan­ gage. Il verse rarement dans le mauvais goût qui gâte souvent les écrits de Grégoras, par exemple. Il marque une préférence constante pour le style classique pur et pour les élégances d’un atticisme de bon aloi. Recherche des belles formes du langage et goût pour les finesses stylistiques, mais aussi davantage fierté d’être de la race des maîtres de l’Antiquité classique et héritier de la culture, grecque. Manuel entendait être fidèle, autant que faire se peut, au patrimoine national. S’il lutta jusqu’au bout pour prolonger l’existence politique de Byzance, sym­ bole de l’Hellénisme, il voulut également exprimer dans sa prose l’attachement aux formes du style classique et aux positions doctrinales de la tradition orthodoxe byzantine. 1. Les exercices scolaires comportaient traditionnellement des compositions diverses sous tonne de récits, de fables, de panégyriques, d’oraisons funèbres, de descriptions, d’amplifications fictives, de dissertations sur une maxime donnée, de réfutations, etc. On peut lire de telles pièces, rédigées par Manuel à différentes dates de sa vie, dans Boissoxade, Anecdota graeca, II (1830), p. 274-309, et dans PG 156, 561-564 et 577-582. 2. Discours de morale oratoire, 1 ; PG 156, 385 A. 16 INTRODUCTION Il répugnera en règle générale à user de vocables nouveaux quand il pourra trouver un équivalent chez les anciens. Cela est particulièrement sensible dans l’emploi des noms propres. 11 écrira par exemple Babylone pour designer Bagdad, et satrape pour nommer le sultan turc1. En parlant de certains peuples, il affectera de les désigner par des noms empruntés à la langue des historiens grecs, ou bien il exprimera son horreur pour le son barbare de leurs vrais noms : « Et cette nombreuse armée compo­ sée de Pannoniens, de Celtes, de Gaulois occidentaux, dont les noms seuls faisaient frissonner, tant ils sont tous barbares123, u Aussi profond est son attachement à la pensée officielle de l’Églisc orthodoxe. Malgré toute l’amitié et la déférence qu’il portait à son maître Cydonès, Manuel ne le suivit pas dans son enthousiasme pour la théologie occidentale. 11 ne s'intéressa pas par exemple aux œuvres de saint Thomas, même apres qu’elles eurent été traduites en grec juste­ ment par Cydonès. Ce dernier traduisit aussi l'ouvrage dirigé contre Mahomet et l’Islam du dominicain Ricoldo da Monte Croce et envoya une copie de sa traduction à Manuel, en 1385/68. Cet ouvrage est cité avec éloge dans les Discours polémiques de Cantacuzène4. Or Manuel se réfère à l'œuvre de son grand-père mais se défend de citer Ricoldo et même de lui faire des emprunts directs quelque peu importants5. Plus tard encore, à Paris, il écrit un gros ouvrage sur la Procession du Saint-Esprit, pour soutenir la doctrine orthodoxe contre l’argumentation d’un docteur 1. Entretiens avec un musulman, Dédicace, 1 ; PG 156, 128 B ; Prologue, 2 ; 132 Λ ; 2e Controverse, 5 ; 156 B. 2. Oraison funèbre de son frère Théodore ; PG 156, 261 Λ-Β. 3. Cette traduction est éditée dans PG 154,1037-1152. Manuel était à Thcssaloniquc lorsque Cydonès lui envoya l’ouvrage. Cf. R. .1. Loenertz, Recueils des Lettres de Dimétrius Cydonès, Rome 1947, p. 117. 4. Discours contre Mahomet, 1 ; PG 154, 601 C. 5. Entretiens, Dédicace, 2 ; PG 156, 129 B. MANUEL II PALÉOLOGUE 17 de la Sorbonne1. De même dans son Épilre à Alexis lagoup*, il déclare sa fidelité aux positions officielles relativement au Palamisme. D’aucuns seraient tentés de juger sévèrement cette rigidité intellectuelle de Manuel et d'appeler fanatisme ce manque d’ouverture à la théologie occidentale, surtout lorsqu'il s'agit d'une œuvre comme celle de saint Thomas. Il ne faut pas toutefois oublier que les contacts étaient assez superficiels entre les théologiens de Byzance et ceux d'Occident. Les traductions en grec d'œuvres latines étaient rares et les théologiens byzantins continuaient à se montrer peu convaincus de la valeur et de la solidité d'une pensée qui s’appuyait trop sur la philosophie aristotélicienne en négligeant le platonisme, lequel justement avait regagné en faveur au xiv° siècle. En outre, Manuel était d’abord empereur et ne pouvait se consacrer aux études spécia­ lisées de théologie. Ajoutons enfin que f Hellénisme renais­ sant entendait renforcer sa fidélité à l’héritage classique et sauvegarder les positions de la théologie officielle. La Grèce et Byzance étaient habituées, depuis des siècles, à distribuer la science et à faire rayonner la culture. On comprenait assez difficilement qu’on eût beaucoup à rece­ voir et à gagner. Quoi qu’il en soit, Manuel sut incarner d’une façon si brillante les qualités d’un empereur courageux et prudent à la fois, d’un esprit supérieur, d’un lettré au talent sûr, en un mot d’un humaniste parfait, qu’il passa à divers moments de sa vie1 23, aux yeux des intellectuels de l’Em­ 1. La thèse du docteur de la Sorbonne est un exposé syllogistique de deux pages. La réponse de Manuel comporte 156 chapitres, précédés d’un prologue explicatif. L’ouvrage date des années 1101-1402. Il est encore inédit. On peut le trouver par exemple dans le Vaticanus gr. 1107, f. 1-130 v. 2. Cf. plus haut, p. 11, n. 1. 3. Durant l’exercice de son gouvernement à Thessalonique, et cela de façon intermittente entre 1369 et 1382 ; mais surtout durant les années 1382-1383 où il réussit à régner à Thessalonique avec éclat 2 18 INTRODUCTION pire, pour le symbole et l’espoir de l'Hellénisme, sous son double aspect national et culturel. ♦* ♦ L’une des œuvres les plus originales et les plus intéres-1 santés de Manuel, ce sont scs Entretiens avec un musulman. Les interlocuteurs y abordent l’ensemble des questions dé­ battues depuis des siècles entre controversistes chrétiens et j musulmans. Bien d’autres, et Manuel le sait1, avaient rédigé des ouvrages sur le même sujet. Cependant cette nouvelle! entreprise se justifie par ce qu’elle a d’original. Manuel parle de sa méthode : elle renonce, non sans regret, à Γar­ gument scripturaire si cher à la tradition théologique et apologétique byzantine. Et surtout, en plus de l’argument ad hominem courant, elle pratique le recours constant au | raisonnement sur la base des données rationnelles2. Une autre originalité de l’ouvrage réside dans le fait! qu’il s’agit là de vraies discussions, qui ont réellement eu lieu. Il est rare de rencontrer dans la littérature byzantine relative à l’Islam un compte rendu de discussions réelles qui n’ait pas été trop arrangé et retravaillé après coup. | Quand on lit la Controverse attribuée à saint Jean Damas-j cène3, bon nombre d’opuscules d'Abu-Kurra4, la Con/ro-j et à mener une politique victorieuse contre les Turcs. Cela ne dura pas · et Manuel dut, en 1387, quitter la ville, qui ouvrit ses portes aux armées du sultan turc. Les espoirs reprirent lorsque Manuel prit! en main les destinées de l’Empire byzantin, comme successeur de son père, en 1391. 1. Entretiens, Prologue, 1 ; PG 156, 129 B-C. 2. Manuel sait les limites imposées dans ce domaine par le faitsj que le raisonnement s'applique à des données relevant de la foi. On ne pourra donc pas produire des arguments démonstratifs, mais seulement des preuves de convenance. Cf. Entretiens, Première Co/dro-j verse, 12-13 ; PG 156, 144 C- 145 Λ. 3. PG 91, 1585-1596, et PG 96, 1336-1348. 4. PG 97 ,1469-1609. MANUEL 11 PALÉOLOGUE 19 verse d’Eulhyme sur la foi1, on ne saurait douter d'être en présence de résumés aide-mémoire, arrangés à l'usage des apologistes ou même d’apprentis controversistes. Les Entretiens de Manuel ont été également écrits apres coup, à partir des notes et des souvenirs rapportés des débats. Mais l’auteur a fait un effort pour être le plus loyal possible et pour rapporter dans leur exacte teneur les propos de son interlocuteur12. A l'exception de la Dédicace, du Prologue et des deux premières Controverses3, l’ouvrage est encore inédit. Nous avons choisi, pour l'éditer ici, la 7e Controverse. Ce qui a déterminé notre choix, c’est le fait que le débat y porte sur la valeur comparée des morales musulmane et chré­ tienne. Dans les textes polémiques d’autres auteurs, on constate que les considérations sur la morale servent à un but doctrinal : par l’excellence ou les déficiences de la morale, on entend montrer l’authenticité du message chrétien et la fausseté de la religion musulmane. Dans la 7e Controverse les deux éthiques sont considérées pour elles-mêmes et les deux interlocuteurs tentent d'établir un parallèle par lequel chacun prétend prouver l’excellence de sa propre Loi. Les autres textes nous présentent, en outre, des musulmans qui se défendent ou qui attaquent les mystères chrétiens, mais non point, ou fort rarement, la morale du Christia­ nisme. Encore plus rarement trouve-t-on produits des arguments positifs en faveur de l’excellence de la Loi musulmane et de sa morale par rapport à la morale chré­ tienne. ici le docteur musulman le fait, en reprenant les considérations traditionnelles sur l’Islam religion du juste milieu, telles qu’on les lit chez les commentateurs du Coran. Le lecteur est enfin frappé du ton ironique qui, en général, 1. PG 1.31, 20-.37. 2. Cf. Entretiens. Prologue, 1, 2 ; PG 156, 129 C-D et 132 A-B. 3. Cf. PG 156, 126-173. 20 INTRODUCTION règne dans les Entretiens. Les excès de langage, relativement rares, que l’on peut lire encore dans le texte, proviennent i en majeure partie des liberies que Manuel s’est permises lors de la rédaction définitive. L’auteur en effet discute avec un musulman, dans un pays régi par les Turcs. Malgré le peu d'estime qu’il témoigne pour la doctrine de l’Islam1, il n’a pu, ne fût-ce que par simple prudence, se permettre des réflexions injurieuses. De plus, son entreprise lui dictait un sérieux et une modération incompatibles avec les empor­ tements brutaux. Il y avait enfin une dignité dans le carac­ tère meme de Manuel qui l’empêchait de se livrer aux intempérances de langage qui déparent toute la littérature] polémique de langue grecque. Dernier détail : Manuel, au moins dans le cours du débat, 1 a plus d'une fois sincèrement espéré voir son interlocuteur] musulman se rallier à la doctrine chrétienne et renoncera à Γ Islam. Assez tôt l’expérience lui apprend qu’il ne doit ] pas se faire d'illusions sur l’eflicacité pratique de ses! raisonnements et de sa méthode. Il réfléchit alors sur les raisons de son échec : il découvre des raisons psycho­ logiques, que nous retrouverons plus bas ; parfois même il se rend compte que, plus profondément, des raisons' doctrinales déterminent les diverses attitudes. Cet effort de réflexion est du plus grand intérêt. Même si Manuel! ne parvient pas à définir exactement les limites qui| empêchent le dialogue religieux d’aboutir à son terme, il est néanmoins fort significatif qu’il ait tenté d’opérer une telle analyse. Nous avons voulu ici refaire le chemin en compagnie des | interlocuteurs. Nous donnerons une analyse précise de; la Controverse et surtout un commentaire intentionnel­ lement détaillé sur les diverses considérations apportée» Nous voulons par là d’abord alléger au maximum l’aq[ notation du texte, et surtout permettre au lecteur de 1. Entretiens, Prologue, 1 ; PG 156, 129 B-C. MANUEL II PALÉOLOGUE 21 suivre pas à pas le cheminement de la pensée de chacun. Nous espérons pouvoir montrer combien les attitudes reli­ gieuses de l'un et de l'autre sont semblables et cependant, en raison de leur étroite dépendance des catégories doctri­ nales propres, irrémédiablement divergentes. En relation avec notre travail d’ensemble sur les textes grecs relatifs à l’Islam1, nous avons voulu ici analyser un cas type, un thème-test, et essayer de saisir sur le vif quelques-uns des obstacles qui expliquent l'échec du dia­ logue religieux islamo-chrétien, tel qu'il a été pratiqué pendant des siècles. 1. Voir les deux premiers tomes parus : Les (liMogicns byzantins et l’Islam, t. I : « Textes et Auteurs »; t. II : · Polémique byzantine contre l’Islam ·, Beyrouth 1966. Les trois autres tomes sont en préparation. CHAPITRE II LES ENTRETIENS AVEC UN MUSULMAN Circonstances historiques et date de composition En 1373, Jean V Paléologue, le père de Manuel, avait dû conclure avec le sultan Mourad un traite aux termes duquel l'empereur de Byzance était réduit à l'état de vassal du sultan. Λ son tour, Manuel se vit forcé de se plier aux mêmes conditions. Il avait tenté en vain d’orga­ niser une sorte de royaume indépendant à Thessaloniquéi La ville ne put longtemps supporter les rigueurs du siège : elle obligea Manuel à se retirer et ouvrit ses portes aux armées turques, en avril 1387. Des négociations aboutirent à réconcilier Manuel avec son père et à lui rendre la grâce de Mourad. Il dut en retour accepter de devenir, lui aussi, vassal du sultan. Mourad mourut sur le champ de bataille à Kossovo, le 15 juin 1389. Son fils Bajazet, jeune prince autoritaire et cruel, lui succéda. Vite, il s’engagea dans une action armée en Asie Mineure et exigea la présence au milieu de ses troupes de Manuel et d'un corps expéditionnaire byzan­ tin. Cela se passa en automne 1390 : Manuel prit donc part à la campagne, jusqu'au jour où lui parvint la nouvelle de la mort de son père, survenue le 16 février 1391. Il se hâta alors de s’échapper de la cour de Bajazet et de rentrer à Constantinople. Il y prit en main le pouvoir comme seul empereur, le 8 mars 1391. Bajazet convoqua de nouveau ENTRETIENS AVEC UN MUSULMAN 23 ses vassaux européens à Ankara, l’ancienne Ancyre (hiver de 1391 /2). Manuel s’y rendit, mais il était dès le 7 janvier 1391 de retour dans sa capitale. C’est au cours d'une de ces deux campagnes que doit se placer la halte d’hiver à Ancyre dont Manuel parle dans la dédicace de ses Entretiens. Il raconte en effet à son frère Théodore, Despote de Morée, auquel il dédie l’ouvrage, les circonstances qui l’amenèrent à tenir des conversations religieuses avec un musulman. Un camp d’hiver le retenait, lui et ses hommes, pour un temps « pas tout à fait court », aux quartiers généraux d’Ancyre. Il avait trouvé logement chez un vieillard, récemment arrivé de Babylone, c’est-àdire de Bagdad. Il était fatigué. Il supportait difficilement une situation qui lui semblait cruellement ironique : apporter son concours à celui qui était le pire ennemi de Byzance, satrape roué et impudent1. Loin de Constanti­ nople, la vie ne lui souriait guère, et de plus il avait emporté de ses pérégrinations à travers les régions d’Asie Mienure des impressions qui l’emplissaient de chagrin. Tant de villes autrefois florissantes ne sont plus qu’un souvenir, ruinées et anéanties. D’autres ont perdu leur nom grec et en ont reçu un autre d'origine barbare. « Ancyre, noble autrefois, ne l’est plus à présent, riche qu’elle est d’impiété », écrit-il à son frère1 2. Son âme de chrétien et sa fierté de grec en sont profondément émues. S’il parvient à retenir parfois ses soupirs, il laisse à d’autres moments s’exhaler son chagrin, au risque même de se faire rudoyer par les Turcs3. Outre sa peine morale, Manuel avait aussi à faire face à ses obli­ gations de chef de troupe. C’est lui qui devait assurer l’entre­ tien de ses hommes : leur procurer des vivres et leur trouver 1. Entretiens, Dédicace, 1 ; PG 156, 128 A, 132 A. 2. Ibid., 128 B. 3. Cf. Lettre 16, ù Cydonès. Revoir plus haut, p. 12, n. 2. Les sentiments de Manuel rappellent ceux qu’avant lui l’empereur Théodore II I.asearis éprouva à la vue des ruines de Pergame; cf. Epistulae, LXXX, 107 (N. Festa). 21 INTRODUCTION un logement. Il devait penser à l’approvisionnement en foin et en orge pour les chevaux. Λ travers les Entretiens, il exprime ses soucis. Il se plaint de la pénurie de vivres, de la difficulté de l'approvisionnement en plein hiver, dans un pays désolé et tant de fois saccagé. Il fait même part de ses préoccupations à ses interlocuteurs. Si nous ajoutons à cela les rigueurs de l'hiver en Anatolie, les complications pro­ venant de la vie de cour, avec tout ce qu’elle comporte de mensonge, d’impudence et de jalousie, enfin les vexations diverses renforcées par l'ironie de la situation, nous aurons une idée de l’atmosphère morale dans laquelle vivait Manuel durant ses campagnes en Asie Mineure, mêlé aux troupes du sultan turc1. Au milieu de ces désagréments et de ccs peines, Manuel n’avait même pas le réconfort de l’étude. Il eut du moins la consolation de trouver à loger chez un homme qui n’était pas acariâtre et ignorant. Son hôte, selon la description que donne de lui Manuel lui-même1 2, est un homme de grand savoir, fort vénéré dans son peuple, docteur dont la sentence et le jugement sont reçus avec déférence et sans discusson par scs coreligionnaires. 11 est plein de la sagesse « de chez eux » : Manuel mentionne sa charge de Mudarris3. Or voici que ce Mudarris est un lettré ouvert : il manifeste 1. Cf. C. B. Hase, Notices et Extraits des manuscrits de la Biblio­ thèque royale, VIII (1810), 2* partie, p. 309-382. La notice relative aux Entretiens de Manuel Paléologue est reproduite dans PG 156, 111-126. On trouvera des détails intéressants aux col. 119-122. 2. Entretiens, Dédicace. 1 ; PG 156, 128 B-C. 3. Le vocable Μουτερίζης est sans doute la transcription du mot arabe mudarris, qui signifie professeur, lettré qui donne des leçons, qui fait étudier ses élèves. Le verbe est darasa, étudier. G. MoravcsiK fait dériver le mot de mutardjim, qui signifie interprète, cf. Byzanlinoturcica II*, Berlin 1958, p. 200. II me parait toutefois étonnant qu’un interprète jouisse de toute l’autorité et de la vénération dont jouissait l’interlocuteur de Manuel, au témoignage de ce dernier lui-même. De plus il n’entendait pas le grec, cf. la suite de l’exposé dans le texte. ENTRETIENS AVEC UN MUSULMAN 25 son intention de s’instruire de la foi chrétienne. Il avait certes jusque-là entendu beaucoup de musulmans parler de la religion chrétienne, et nombre d’entre eux prétendaient tenir leurs renseignements d’informateurs chrétiens. Mais il préfère un recours personnel aux sources. Il propose donc à Manuel de tenir des séances où l’on débattrait des ques­ tions relatives à la doctrine religieuse. Qui sait même, insinue-t-il, peut-être Manuel réussirait-il à le convaincre de la vérité du Christianisme... L’empereur lui reconnaît beaucoup de qualités : il loue en particulier sa loyauté intellectuelle et sa pondération. « Il était pareil aux hommes de pensée droite, écrit-il ; il n’affectionnait pas la chicane et, sans être de ceux qui se laissent facilement convaincre par celui qui expose la vérité — les préjugés sont si terri­ blement tenaces chez tous les hommes — il ne laissait pas d’être accessible à la persuasion1. » Prenaient encore part aux entretiens les deux fils du Mudarris. Manuel les juge instruits et intelligents. L’un d’eux était même peut-être juge12. D’autres auditeurs venaient grossir le cercle : habitants d’Ancyre — la ville continuait d’être un centre important — et même étrangers de passage que leur science habilitait à suivre les développements du débat. Il y eut même des curieux, dont l’attention sombrait facilement dans le sommeil3. L’auditoire musulman était composé plutôt de vieillards. Du côté byzantin, Manuel ne note pas avec précision la présence d’auditeurs grecs. La conversation, on le comprend bien, était des plus malaisées. D’abord le sujet n’était pas à la portée de tout le monde. Même pour un auditoire choisi, il était fort diffi­ cile d’exposer et de détailler les multiples précisions doctri1. Entretiens, Dédicace, 1 ; PG 156, 128 B-C. On trouve passim à travers les Controverses bien des notat ions qui aideraient grandement à faire son portrait. 2. Entretiens, /, 1 ; PG 156, 133 B ; /Z, 16 ; PG 156, 168 B. 3. Parisinus gr. 1253, f. -125. Citation dans la Notice de Hask, PG 156, 122, n. 6. 26 INTRODUCTION Dales, que comportait par exemple la doctrine sur la Trinité. La grosse difficulté était surtout que les interlocuteurs ne parlaient pas une langue commune. Les musulmans n’entendaient pas le grec et Manuel ne savait ni le turc, ni le persan, ni l’arabe. On dut recourir aux bons services d’un interprète. Celui-ci était musulman, mais né de parents chrétiens. Manuel dit de lui qu’il demeurait affectivement attache aux choses de ses pères1. Nous n’avons pas de ren­ seignements sur scs connaissances religieuses et sa compé­ tence philosophique. Mais devoir discuter de sujets aussi complexes par le truchement d’un interprète rendait l'entre­ prise singulièrement difficile. Manuel le note avec insistance et explique ainsi comment il a dû renoncer à bien des développements et recourir plu tôt à « des raisonnements et des exemples, tout en essayant de les accommoder encore à la force des auditeurs1 2 ». Mais les difficultés ne semblaient pas lasser l’intérêt des musulmans. Manuel raconte que plus la discussion avançait, plus ses interlocuteurs se montraient avides. La conversa­ tion, plus d'une fois, sc poursuivit jusqu’à une heure bien tardive ; l’on se séparait en se donnant rendez-vous dès la pointe du jour. Il faut faire la part de l’artifice littéraire, mais ces notations prouvent tout de même que l’attention ne se relâchait pas. 11 y aurait encore bien d’autres détails à glaner à travers les réflexions et les descriptions que Manuel a glissées dans son texte. 11 observe, par exemple, que ses interlocuteurs se mettaient parfois à parler arabe ou persan pour cacher leur embarras et se consulter plus commodément entre eux. Manuel ne savait que le grec, et l’interprète que le turc3. 1. Entretiens, Vil. -1, a. p. 146 de Ja présente édition. 2. Entretiens, Prologue, 2; PG 156, 132 D. 3. Entretiens, II. 18; PG 156, 169 CD; VII. 36. a, p. 210. Dans ce dernier passage. Manuel parle de la langue persane et ajouté : « Us avaient coutume de faire cela, toutes les fois qu’ils voulaient dissi­ muler leurs pensées aux interprètes. » ENTRETIENS AVEC UN MUSULMAN 27 Si les Entretiens eurent lieu durant l’hiver de 1390/1 ou de 1391 /2, il n’est point douteux que la rédaction définitive du texte que nous possédons est plus tardive. Manuel affirme en effet qu’il va citer les paroles des uns et des autres aussi fidèlement que sa mémoire le lui permettra. Il promet du moins de ne pas trahir le contenu de leur pensée et de reproduire les divers arguments invoques de part et d’autre1. Il a peut-être utilise aussi des notes rapides prises peu après chacune des séances de discussion. II reconstitue le dialogue en fonction de ses notes et de ses souvenirs, mais il ne s’interdit pas certaines mises en scène, certains artifices littéraires. Quelques outrances de langage et cer­ tains mots désobligeants s'expliqueraient ainsi, que Manuel n’a pu psychologiquement prononcer, en pays musulman, devant un auditoire d’étrangers qui ne partageaient pas scs convictions. Seule la publication de l’ouvrage en entier nous permettra de nous rendre compte dans quelle mesure, outre les par­ ticularités stylistiques et certains arrangements littéraires visibles dans les parties déjà éditées, Manuel a amplifié certains arguments, remanié des parties ou des débats entiers pour avantager ses propres raisonnements. L’ouvrage a une telle importance dans l’histoire des textes grecs relatifs à l’Islam, que nous souhaitons vive­ ment cette édition complète. En attendant, nous ne pour­ rons émettre que des jugements partiels et forcément provisoires. Λ quelle date faut-il situer la rédaction définitive des Entretiens ? Ces conversations furent tenues récemment, déclare Manuel, « alors que je combattais contre les Scythes avec celui qui tourne actuellement contre nous les avantages mêmes que lui ont valus nos peines et les dangers que nous avons courus alors12 ». Il rappelle ailleurs à son frère la mort 1. Entretiens, Prologue, 1 et 2; PG 156, 129 C et 132 Λ-Β. 2. Entretiens, Dédicace. 1 ; PG 156, 128 Λ-Β. 28 INTRODUCTION de leur père et les difficultés qui ont immédiatement suivi cette mort et dont on continue à souffrir*. Or ces maux auxquels Manuel fait allusion ont commencé en 1394, lorsque l’impatient Bajazet ordonna le siège par terre de Constantinople. Le blocus dura jusqu’en 1402. D'autre part. Manuel s’était, dès 1399, embarqué pour l'Europe. Son voyage et scs multiples soucis lui laissaient peu de loisirs : il se dépensa à intéresser les princes occidentaux à la cause de l’Empire et dut de ce fait entretenir une vaste corres­ pondance politique. Dans ses moments libres, il composa quelques pièces littéraires, il rédigea surtout le gros ouvrage mentionné précédemment sur la procession du Saint-Esprit. Tout porte donc à croire que Manuel profita du temps que lui ménageait le repos forcé dans sa capitale assiégée pour écrire ses Entretiens. Il dédiait son livre à son frère Théodore, qu’il chérissait tendrement12. Il le lui lit parvenir, selon toute vraisemblance, lorsque, sur la route de l’Europe, en décembre 1399, il passa par la Morée. ♦ * * L’ouvrage porte le titre complet suivant : Du très pieux Basileus, ami du Christ, Manuel Paléologue, à son très cher frère, le très fortuné Despote Porphyrogénète Théodore Paléo­ logue, Entretien avec un certain Perse, Mudarris de sa charge, tenu à Ancyre de Galalie. Le mot Entretien est la traduction du terme grec Διάλογος, employé au singulier pour désigner l'ouvrage entier. Pour annoncer chacune des conversations, le mot employé est d’habitude διάλεξις, que nous rendons par controverse. Le compte rendu de la 4° séance est annoncé par le terme όμιλία, conversation, entretien. 1. Entretiens, //,·!; PG 156, 153 D cl 156 A. 2. Entretiens, Dédicace, 1 ; 126 A ; Prologue, 2 ; 133 A. ENTRETIENS AVEC UN MUSULMAN 29 C. B. Hase, qui le premier a publié la Dédicace, le Prologue et les deux premières Controverses1, donne au livre le titre abrégé suivant : Entretiens avec un Professeur musulman. Tradition manuscrite L'ouvrage comprend 26 Controverses, qui nous ont été conservées dans 4 codex. Ce sont les seuls manuscrits actuellement connus1 2: — — — — Ambrosianus graecus L 74 sup., xve siècle. Sigle A. Parisinus graecus 1253, xvi° siècle. Sigle P. Coislin 130, xvi· siècle. Sigle C. Parisinus suppl. gr. 169, xvme siècle. Sigle S. 1. Ambrosianus graecus L 74 sup. (= N° 487 du catalogue de Martini et Bassi) Le codex est conservé à la Bibliothèque. Ambrosienne de Milan. Il date du xvc siècle. C’est un in-folio de 25,5 x 18 cm. Il contient ni -|- 248 folios. L'Ambrosianus faisait originairement partie du fonds Sophianos, qui fut acheté pour le compte de l’Ambrosienne par les soins du cardinal Frédéric Borromée et amené à Milan de l’île. de Chios, en 1606. Le fonds Sophianos était constitué de 38 codex : 22 d’entre eux portent l’inscrip­ tion de Michel, 14 celle de Manuel et 2 celle de Théodore Sophianos. Michel Sophianos était un érudit fort réputé. Natif de Chios, il appartenait à une famille originaire de Constan­ 1. Cf. p. 21, n. 1. Le texte.publié par Hase est reproduit dans PG 156, 126-173. Nous en donnerons plus bas une analyse détaillée. 2. Hase croyait à tort que ΓAmbrosianus ne contenait que les six premières controverses; cf. Hase, op. cil., notice sur les Entretiens, PG 156, 111. 30 INTRODUCTION tinople. Apres avoir fait de brillantes études à l’université de Padoue, il revint s'établir dans son île natale. Plus tard, vers 1563, on le retrouve à Padoue, en qualité de professeur. 11 jouit dans les milieux lettrés d’une réputation méritée. 11 est reconnu pour un savant éminent et est lié avec les plus illustres esprits de son temps, entre autres avec JeanVincent Pinelli et l’humaniste florentin Vitlori. Le duc de Savoie, Philibert Emmanuel, le donne pour précepteur à son fils. .Michel Sophianos mourut en 1565. A sa mort, tout ce qu’il possédait, nous apprend Viltori, passa entre les mains d’un parent qui n’habitait pas l’Italie et qui n’était pas proprement un savant. Le fait est que notre codex se trouva un jour entre les mains de Manuel Sophianos. Le cardi­ nal Borromée, préfet de l’Ambrosienne, n’eut pas par la suite trop de difficultés à faire négocier l’achat du fonds entier. Le codex de l’Ambrosienne fut-il copié sur l’original que devait posséder la bibliothèque du Despote de Morée? Fai­ sait-il partie des précieux objets que la famille Sophianos emporta de Constantinople lorsqu’elle quitta la capitale pour venir s'installer à Chios ? On ne saurait à ce sujet faire des conjectures probables1. 2. Parisinus graecus 1253 Ce codex est conservé à la Bibliothèque Nationale de Paris. Il contient 514 folios de format moyen mais plus réduit que celui du Coislin 130. Sur la reliure on peut voir encore les armes et le chiffre d’Henri IV. Hase note à propos de ce codex que l’écriture 1. Sur VAmbrosianus et les Sophianos, cf. A. Martini et D. Bassi, Catalogus codicum graecorum Bibliothecae Ambrosianae, I (1906), p. 588-589 et Introduction, p. xv-xvi. Cf. aussi É. Legrand, Biblio­ graphie Hellénique, Π (1885), p. 168-176 : notice biographique sur Michel Sophianos. ENTRETIENS AVEC UN MUSULMAN 31 en est grande et un peu chargée d’abréviations i». Il aurait été copié a par une main qui me paraît italienne1 ». Il y a des chances que ce codex ait été réalisé d’après la copie de l’actuel Ambrosianus. A-t-il en outre quelque relation avec l’exemplaire que Diassorinos possédait durant son séjour à Venise, l’actuel Coislin 130 ? 3. Coislin 130 Le codex se trouve actuellement à la Bibliothèque Natio­ nale de Paris. Il contient 216 folios de format moyen. Le Coislin 130 a été copié par Jacques Diassorinos. Celui-ci naquit à Rhodes, mais son père vint s’établir à Chios peut-être dès 1522. En juin 1543, Jacques Diasso­ rinos est à Venise, sans ressources, dans un état voisin de la misère. Avant de s'embarquer pour Venise, il avait passé tout un temps à Chios à copier des manuscrits. C’est là qu’il réalisa par exemple la copie du Coislin 163, en 1541. A Venise, il se remit également à copier des livres : entre 1545 et 1555, il copia 6 beaux manuscrits grecs, dont 4 dédiés au futur Philippe 11, roi d’Espagne. Après cette période, la vie de Diassorinos devint celle d'un aventurier. Il tenta, en usurpant des titres de noblesse imaginaires, d’organiser des expéditions et de reconquérir pour son propre avantage certains territoires de l'ancien Empire byzantin. Le Coislin 130 fut-il réalisé à Chios, vers l’année 1541 ? Dans ce cas, Diassorinos l’aurait peut-être copié sur le manuscrit des Sophianos, l’actuel Ambrosianus. Peut-être fut-il copié sur le Par. grace. 1253 ? Encore ici. on en est réduit à formuler de pures hypothèses1 2. 1. PG 156, 111-112. On trouvera là les informations que Hase donne sur les codex qu’il a étudiés. 2. Sur Jacques Diassorinos, cf. É. Legrand, op. cil., I (1885), p. 297-302. 32 INTRODUCTION -1. Parisinus suppl. gr. 169 Conservé lui aussi à la Bibliothèque Nationale de Paris, ce codex est assez tardif. 11 contient 693 folios de petit format. C'est une copie du Coislin 130 collationnée sur le Parisinus gr. 1253. Le copiste, Claude Capperonnicr (17161775), évite les abréviations qui chargent le texte dans les autres codex. Toutefois quand la lecture de ces abréviations s'avère quelque peu difficile, il reproduit, comme un dessin, les formes des mots telles qu’elles sont dans l'original. On trouve en marge certains relevés de variantes, cer­ taines corrections, et même des annotations en latin. Les corrections sont parfois de la main du copiste lui-même. D’autres corrections, avec les variantes et les annotations latines, sont le fait d’un lecteur, Hase peut-être. Certaines pages sont noires de ratures. Le copiste s’est parfois visi­ blement relâché de son attention : c'est ce qui explique les multiples leçons incorrectes du codex. ** * L'Ambrosianus, le Parisinus 1253 et le Coislin présentent en général relativement peu de variantes. Toutefois l’Aznbrosianus offre le texte le meilleur. Mais disons tout de suite que les variantes se réduisent dans la majorité des cas à des distractions de copistes, à de omissions de certaines lettres ou de particules sans grande importance. Ainsi donc le texte présenté par les divers manuscrits est loin d’offrir des complications particulières : cela a le mérite de faciliter le travail de l'éditeur, mais sur­ tout de prouver la valeur des codex, dont un, VAmbrosianus, est par sa date tout proche de l'original. CHAPITRE III LES ENTRETIENS : ANALYSE ET OBSERVATIONS GÉNÉRALES Nous donnerons dans ce chapitre une analyse fort sommaire des parties encore inédites des Entretiens. La Dédicace, le Prologue, les deux premières Controverses seront analysés en détail au chapitre suivant. La 7e Controverse, qui nous occupe particulièrement dans cet ouvrage, fera l’objet d’une étude à part. Les réferences renvoient aux folios de Γ Ambrosianus (sigle A). 3e Controverse (A, 20 v-30) A la fin de la deuxième controverse, on avait amorcé le débat sur le paradis de Mahomet et renvoyé la suite au lendemain. On reprend ici le sujet et on traite de la conception du paradis dans la doctrine de l'Islam. Inc. Εσπέρας δέ μοι προσελΟών... Des. ... εύθύς ό σύλλογος διελύετο. 4® Controverse (A, 31 ν-ίΐ ν) Les interlocuteurs discutent l’opinion de certains musul­ mans qui prétendent que les animaux auraient une âme assez proche de celle des hommes1. 1. Nous nous abstenons intentionnellement de tout commentaire. Nous réservons à la 7* Controverse notre intérêt et notre étude dans le présent ouvrage. Renvoyons toutefois pour les opinions sur les animaux à ce que dit, 3 31 INTRODUCTION Manuel rappelle que l’âme humaine est caractérisée par l’intelligence et la raison, dont le rôle est de mener l’homme à la connaissance de Dieu et de sa providence. La volonté libre est la seconde faculté caractéristique de l’âme humaine. L'empereur essaye d’expliquer aussi pourquoi, psycholo­ giquement, il y a des hommes qui ne réalisent pas la lin de ces facultés et ne parviennent pas au but assigné à toute vie humaine, pourquoi ils n'arrivent pas à la vraie connais­ sance de Dieu et n’embrassent pas la foi. Inc. Έωθεν δ' αύΟις συναθροισθέντων... Des. ... καί ειχον ή μας αί κλίναι. 5e Controverse (A, 41 ν-54) Les preuves de Mahomet et la prospérité politique comme critères de la vérité de l’Islam : tel est le thème de cette controverse. Le débat s’anime à présent, car désormai on aborde les grands thèmes qui occupaient à la fois pen­ seurs byzantins et musulmans. On renonce ici à traiter de détails que l’on pourrait nommer périphériques et on s’installe au centre du pro­ blème : comment montrer la vérité d’une religion et sur quels critères juger de son authenticité divine. Dans la mentalité antique, il y a une catégorie qui est demeurée longtemps celle de la pensée religieuse d'Israël cl qui a colore la pensée byzantine aux jours de prospérité : Dieu accorde le succès des armes et le bonheur à ses fidèles et combat avec eux contre leurs ennemis. A leur tour mainpar exemple al-Baghdâdï : > La science des hommes et des animauxest triple... » Cf. Horten, Die philosophischen Système der spekula liven Theologen itn Islam, Bonn 1912, p. 2. 11 serait intéressant d’autre part de comparer la pensée de Manuel sur les animaux avec rensei­ gnement philosophique traditionnel et les opinions de divers auteurs, telles qu’on les trouve réunies dans certains recueils publiés ou encore Inédits. Cf. entre autres le ms. Vallicellanius gr. 44 (C 81). Le codex est du xv* siècle et contient des Excerpta de natura animalium ; il est conservé à la Bibliothèque Vallicellana de Rome. ANALYSE ET OBSERVATIONS 35 tenant, les musulmans estiment comme une faveur de Dieu et une preuve de la vérité de l’Islam leurs succès militaires, succès prédits d'ailleurs, disent-ils, plus d’une fois par Mahomet. En face de la misère à laquelle est réduit l’Empire chrétien, la prospérité des musulmans témoigne en faveur de leur religion. Manuel convient des faits : ii est vrai que l’Empire vit des jours mauvais. Manuel, vassal du sultan turc, ne pouvait plus garder d’illusions sur la bonne santé de l’Empire. Mais s’il admet les faits sans trop de mauvaise grâce, il ne renonce pas à réfléchir sur leur signification, à la lumière de sa foi chrétienne. Tout peuple, réplique-t-il en substance, passe par des alternatives de bonheur et de malheur, de succès et d’échec. Les musulmans sont eux aussi soumis à la même loi : la victoire ne leur appartient pas comme un héritage permanent1. D’autres peuples plus puissants ont subi, avant eux, le même sort et ont fini dans la ruine. D'ailleurs il ne faut pas oublier que Dieu punit parfois ses amis pour les purifier et les rendre meilleurs. Enfin, il se trouve en Occident des princes qui ne le cèdent en rien aux Turcs et sont même plus puissants qu’eux’. Quant aux prédictions de Mahomet, elles ne sauraient valoir comme critère de vérité : il y a en effet tant d’oracles païens qui se sont réalisés. Ce qu’il faut plutôt considérer, c’est la sainteté du fondateur d’une religion, la valeur de sa doctrine et la qualité de scs préceptes. Inc. Ν'.φετοΰ δέ εξαίσιου γεγονότος... Des. ... συν τοις έταίροις άπήει.1 2 1. Ούτε νικάν ύμΐν συγκεκλήρωται πάντως. Cf. Ambrosianus (A), f. 49. 2. Il faut rapprocher cette Controverse de VÉpItre à Cabasilas, sur la Providence. Manuel a écrit ccltc Épitre après son départ de Thcssalonique et durant son séjour à Lesbos (été 1387). On a aussi longtemps attribué, à Manuel 4 Discours adressés : A ceux que scanda­ lisent les succès des impies. L’ouvrage, dont l’authenticité est insuffi­ samment établie, est encore inédit : on le trouve dans le ms. Vati­ canus 1107, f. 168-199 v. 36 INTRODUCTION 6e Controverse (A, 54-64 v) Comme suite à la précédente controverse, les interlo cutcurs tentent ici d’établir un parallele entre Moïse Mahomet, tous deux fondateurs de religion. Moïse, affirme Manuel, est de loin supérieur à Mahomet sa modestie, son humilité, sa sincérité, son désintéressemen sa haine de la flatterie, toutes vertus authentiques q confirment sa mission prophétique, contrastent étrang ment avec la vantardise et les défauts qui marquent caractère et la vie de Mahomet. Inc. Και τοίνυν ακριβώς τηρήσας... Des. ... οΐ δ’ ευθύς άπηλλάγησαν. 7e Controverse (Λ, 64 ν-79 ν) (Nous éditons dans la deuxième partie du présent ouvra le texte complet de cette controverse. Nous en donnero plus loin une analyse détaillée.) 8e Controverse (A, 79 v-87 v) On entame ici le débat sur le thème du Paraclet (Jn 26) que les musulmans identifient avec leur propl Mahomet. Inc. Άνέστη μέν οΰν της κλίνης... Des. ... εδοξε δε πασι ταύτη γενέσΟαι. 9° Controverse (A, 87 v-100) On discute du doute et de la foi. Manuel disserte sur notion de science divine. Il reprend la distinction, de utilisée par lui dans la 4e Controverse, de la science et la foi. Il essaye par là d’expliquer, encore une fois, pourqu les hommes, en fait, ne parviennent pas tous à trou^ ANALYSE ET OBSERVATIONS 37 Dieu et à se mettre dans les conditions qui assurent le salut éternel. Inc. Καί τοίνυν συνελΟούσι... Des. ... εύθύς άπήεσαν ο’ίκαδε. 10e Controverse (A, 100-105) Cet entretien, relativement court, est une espèce d’intro­ duction au débat sur la Christologie et la doctrine de la Trinité. Manuel expose la méthode de réflexion sur Dieu et résume l’enseignement chrétien touchant le mystère de la sainte Trinité. Inc. Τη δ’ ύστεραία... Des. ... κα*. δή ξυνέβημεν τό τάχος οσον οϊόν τε συνελΟεϊν. 11e Controverse (A, 105 ν-120) Jésus-Christ est la Parole substantielle et le Fils éternel de Dieu. Manuel défend cette thèse à grands renforts de citations scripturaires, de développements exégétiques et de considérations explicatives. 11 sort ici manifestement des limites méthodologiques qu’il s’était assignées. Inc. '0 δέ γε φθάνει τον καιρόν... Des. ... άπήεσαν οί'καδε. 12e Controverse (Λ, 120 ν-129 ν) Toujours à l’aide de l’Écriture, Manuel explique la doc­ trine sur l’incarnation divine selon la chair, l’origine humaine de Jésus descendant de David, sa naissance virgi­ nale et sa vie consacrée à procurer le salut aux hommes. On remet à plus lard la discussion sur la réalité de la cruci­ fixion de Jésus. Manuel fait aussi un récit de la vie de Jean-Baptiste le Précurseur. Comme ses devanciers, Manuel a recours à beaucoup de 38 INTRODUCTION détails, de termes techniques et de subtilités exégétiques surtout : tout cela devait paraître assez obscur à l’auditoire musulman. Inc. ΈπεΙ δέ πάλιν άφίκοιντο... Des. ... πρδ των άκτίνων έλΟεΐν. 13® Controverse (Λ, 129 ν-142) D’autres explications sur l’incarnation, suivies de réponses aux diverses questions et objections des musul­ mans, constituent la trame de cet entretien. Désormais la conversation ne comporte plus une confron­ tation directe des deux doctrines, chrétienne et musulmane. C’est Manuel qui a l’initiative : il expose la pensée religieuse du Christianisme et répond aux réflexions de scs auditeurs. La polémique cède le pas à l’apologétique positive. Inc. Και γεγονότος αύτω... Des. ... οίκαδε έκαστος έπορεύοντο. 14e Controverse (A, 142 ν-157 ν) Dans ce long entretien, Manuel aborde enfin le mystère central du Christianisme et celui qui, tout au long des siècles, a etc le plus discute par les musulmans : le mystère de la sainte Trinité. Inc. Κάπειδή συναΟροισΟειεν... Des. ... και τήν πρδς ώραν αναβολήν. En plus de la 14e Controverse, Manuel eut besoin de cinq autres séances pour justifier les divers aspects de la doctrine chrétienne relativement à la Trinité et laver le Christianisme* du reproche séculaire de polythéisme. Une foule d’objec­ tions fusent. Patiemment, Manuel se met en devoir de répondre, d’ajouter les précisions opportunes, d’amener les distinctions nécessaires. On s’imagine la peine que cela ' ANALYSE ET OBSERVATIONS 39 dut lui coûter, en raison de l’opposition du monothéisme farouche de l'Islam, et aussi en raison de la grosse difficulté qu’il y avait à faire entendre les délicatesses du langage théo­ logique trinitaire par le moyen d’interprètes musulmans. Le compte rendu des cinq séances est contenu dans les textes suivants : 15e Controverse (A, 157 v-164 v) Inc. Προ δέ των της αΰλης Ουρών... Des. ... κατά 'ρώμην αύτω τδ πράγμα. αίτΗ· 16e Controverse (A, 165-171) Inc. Και συνελΟούσι... Des. ... και άναστάς έπορεύετο. 17e Controverse (A, 171 ν-185) Inc. Προ δέ του όψέ... Des. ... εις την των λόγων άκρόασιν. 18« Controverse (A. 185 ν-189 ν) Inc. Καί δή πληΟούσης αγοράς... Des. ... εις τήν ύστεραίαν έλθόντες. 19e Controverse (A, 189 ν-198 ν) Inc. Παραγενόμενοι τοίνυν... Des. ... καί διελύΟη τδ Οέατρον. 20e Controverse (Λ, 198 ν-205 ν) Dans cet entretien l’empereur Manuel s'attache à défendre contre les objections de son partenaire musulman 40 INTRODUCTION les manifestations extérieures du culte chrétien. Il justifie le culte des images. Il reprend pour son propre compte les arguments traditionnels et explique à ses auditeurs qu’ils'agit là d’une forme de vénération tout à fait différente du culte d’adoration réservé à Dieu seul. Inc. Και περί ορθρον... Des. ... οϊκαδε πορευθείς. 21e Controverse (A, 205 v-213 v) Dans cette controverse et les trois suivantes, Manue s’efforce d’exposer la doctrine chrétienne concernant l mystère de la Rédemption et de la Satisfaction. Il s’étem assez longuement sur le sujet, devant un auditoire qu ne partageait pas ses convictions, surtout relativemen à la réalité de la passion et de la mort du Christ sur 1 croix. Inc. Τάς δέ του ήλιου φθάσας αύγάς... Des. ..· αναγκαίος παρέπεται. 22e Controverso (Λ, 211-220 ν) Inc. Ό Θεός, φιλάνθρωπος ών... Des. ··· αύτοϊς έβουλεύετο. 23e Controverse (Λ, 220 ν-228 ν) Inc. Έλθών δέ ώσπερ ειώθη... Des. ··· επιεικώς ικανά. 24® Controverse (Λ, 229-231 ν) Inc. δή πρέπειν... , Des. ··· ^άλα ταχέως άψόμεθα. ANALYSE ET OBSERVATIONS 41 25e Controverse (A, 234 v-241) Manuel parle ici de la mission des Apôtres, qui fui à l’origine de la constitution visible de l'Église et de la diffusion du Christianisme. Inc. Ό θεάνθρωπος εφην Λόγος... Des. ... καί εδει γε δειχθηναι καί δέδεικται. 26e Controverse (Λ, 241-248) Suite de l’entretien précédent. Un bref exposé consacré à l'institution de l’eucharistie clôt l’ouvrage. Inc. ’Ανακωχήν τινά μου... Des. ... συμπεραίνει έΟέλει +++ ** * Tel est, bien sommairement indiqué, le contenu des Entretiens. Avant, la publication du texte intégral de l'ouvrage, on ne saurait sc flatter d’en faire une étude appropriée et satisfaisante. Aussi n'avons-nous pas l’inten­ tion d'entreprendre ici d’écrire un commentaire détaillé. Nous nous contenterons plutôt de quelques observations d’ordre général. On est frappé avant tout par le volume de l’ouvrage. Les Entretiens se rangent sans conteste parmi les oeuvres les plus significatives qui jalonnent l’histoire littéraire du dialogue islamo-chrétien. Seuls peuvent lui être comparés, en langue grecque, les écrits de Nicétas de Byzance, de Jean Cantacuzène, enfin la traduction effectuée par Cydonès de l’ouvrage latin de Ricoldo da Monte Croce. Il serait vain de chercher un plan précis dans un compte rendu de conversations. On peut toutefois noter que la démarche polémique domine dans les premières contro­ verses. A partir de la 13* Controverse, nous l'avons dit, •12 INTRODUCTION c’est plutôt le rôle d’apologiste que Manuel assume : désormais c’est l’expose et l’illustration de la foi chrétienne qui occupe les interlocuteurs ; la doctrine musulmane; n’intervient généralement plus que sous la forme indirecte de questions ou d’objections. Mais si la composition interne de l’ouvrage est assez lâche, le style en est par contre fort soigné. Manuel écrit avec distinction et élégance1. Son éloquence se manifeste parfois dans des morceaux brillants, d’une réelle chaleur. Il sait rendre, avec un talent exquis, des notations psycho­ logiques sur les personnages et rapporter des détails sur les us et coutumes des Turcs. Dans le cours de la conver­ sation, sa conviction anime ses reparties et sa science solide illustre son exposé. Sa noblesse et son amabilité lui font éviter la fierté mal placée qui dépare les ouvrages grecs similaires. Il prend, bien sûr. la liberté de discuter ouver­ tement et d’attaquer la doctrine du Coran, mais sans s’em­ porter. Il s’étonne parfois de l’attitude de. ses interlocuteurs, mais il ne se laisse pas aller à une indignation prodigue de paroles injurieuses, il a au contraire des mots d’une cour­ toisie charmante et il ne cache pas son estime pour le docteur musulman. A le comparer avec ses devanciers, on constate que Manuel emprunte un ton plus spontané, moins rigide et surtout moins sentencieux. S’il fait preuve de moins d'assurance hautaine et de dédaigneuse vanité, il manifeste par contre la même fermeté de conviction et la même soli1. Manuel écrivait à Gabriel de Thessalonique : · Si l’on posait, en règle que le respect des esprits supérieurs doit faire garder le silence aux autres, je crois qu’aucun moderne n’oserait ouvrir la bouche, vu l’immense supériorité des anciens. » (Lettre 52 (Legrand), p. 78-79.) Sur ce, Berger de Xivrky, Mémoire..., p. 146, η. 1, observe : « Ce culte de l’antiquité de la part d’un esprit aussi cultivé et si éminemment littéraire élève le style de Manuel Paléologue à une perfection dont M. Doissonade a dit : ‘ Cujus opera et litterae’ stilo ac sono tam hellenica facta sunt, ut vix credere sil ad aetatem adeo rcccnten pertinere ’ (Anecdota Nova, praefatio). » ANALYSE ET OBSERVATIONS 43 dite dans la foi. Pour la qualité et la profondeur de la pensée, pour la précision de l’expression théologique, pour la rigueur de l’argumentation, Manuel est le digne émule des meilleurs théologiens et des dialecticiens les plus expérimentés de Byzance. Il a en plus une habileté et une intelligence des lois psychologiques des disputes religieuses qui rehaussent l’intérêt de ses Entretiens. Ce n’est pas un dialecticien qui discute de loin avec un adversaire inconnu, qu’il est toujours facile de pourfendre à distance ; il a affaire à des interlocuteurs réels, à des hommes intelligents dont il ne faut pas mésestimer la compétence. Manuel est tributaire pour sa pensée de ceux qui, avant lui, ont exposé et transmis la doctrine chrétienne. Il sait que d’autres ont déjà écrit sur le même sujet. Cependant, même quand ses idées ne sont pas originales, sa manière de les exprimer, de les reprendre pour son propre compte, demeure profondément sienne. Ce qu’il a pu glaner chez ses devanciers, ce que ses contacts avec la cour et les troupes du sultan turc ont pu lui apprendre, enfin les informations directes qu’il a recueillies auprès du Docteur musulman, son hôte et son principal interlocuteur, Manuel l'utilise suivant son propre génie et l’ordonne selon sa propre méthode. Cette méthode fera l'objet de considérations spéciales, à l’occasion du commentaire que nous ferons bientôt de la 7e Controverse. Disons ici seulement que Manuel, modes­ tement, place dans les caractéristiques de sa méthode le principal mérite de son ouvrage et la justification d’une entreprise, qui vient après bien d’autres1. 1. Nous apprenons qu’une édition intégrale des Entretiens sortira bientôt des presses, publiée par les soins d’E. Trapp, Dialoge mit einem Perser, Wiener byzantinische Studien 2, Vienne (Autriche). CHAPITRE IV LES ENTRETIENS : ANALYSE DES TEXTES DÉJÀ ÉDITÉS Des textes déjà édités des Entretiens, nous donnerons dans ce chapitre une analyse détaillée, qui permettra de se faire une idée de l’ouvrage. Idée assez inexacte, hâtonsnous de le dire, car les deux premières Controverses ne sont pas les plus intéressantes et les plus animées. Les parte­ naires n’avaient pas encore, pour ainsi dire, pris leur élan. Pour se rendre compte de la qualité de l’ouvrage et du talent de l’auteur, on devrait lire les controverses cen­ trales : la 5e, la 12e, celles aussi qui traitent du mystère de la Trinité (14e-19c). Nous espérons également que la 7e Controverse, que nous éditons ci-après, aidera à apprécier un peu mieux cette œuvre magistrale. Nous aurions beaucoup de remarques à faire sur le contenu des textes analysés ici. Cela nous entraînerait dans des études de théologie comparée, qui donneraient à notre présent travail un volume sans proportion avec le but qu’il s’est assigné : présenter surtout la 7e Controverse. ♦♦ * Dédicace (PG 156, 126 A-129 B) Présenter un traité sur la fausse religion des Turcs· semblerait une entreprise vaine, presque une «sottise». Nul LES TEXTES DÉJÀ ÉDITÉS 45 n’en profitera, ni les fidèles ni les impies : les uns et les autres demeureront attachés à leurs croyances propres. J’en ai fait moi-même récemment l'expérience, durant la campagne contre les Scythes menée par « celui qui tourne actuellement contre nous les avantages mêmes que lui ont valus nos peines et les dangers que nous avons courus alors (= le sultan turc Bajazel) ». Cela a eu lieu à Ancyre, pendant les loisirs forcés d’une assez longue halte d’hiver. J’étais l’hôte d’un vieillard qui venait d’arriver de Babylone, docteur vénéré et écouté de tous. Celui-ci donc a exprimé un jour son désir de s’informer de la religion chrétienne ; il n’aimait pas la chicane, il se montrait au contraire disposé, malgré une certaine résistance, à se laisser convaincre. Toutefois il refusait d’aller plus loin. Plein de la joie d’apprendre et d’admiration pour la doctrine chrétienne, il ne se décidait néanmoins pas à se rallier à la religion qu’il prisait plus que la sienne propre. Il s’en trouvait empêché par son âge avancé, et aussi par la difficulté de renoncer à la richesse, aux plaisirs et aux honneurs. S'y ajoutaient également des motifs de respect humain. Enfin le retenait la considération de la prospérité de son peuple et de la misère du nôtre. Ainsi donc, « n’ayant pas goûté à la vraie liberté, il n’était pas près de la désirer autant qu’il était normal ». Prologue (PG 156, 129 B - 133 A) 1. Les devanciers. Entreprise superflue que la nôtre : de nombreux auteurs l’ont déjà ac­ complie avant nous, notre admirable grand-père, par exemple (= Jean Cantacuzcne). Ce que les autres ont réalisé au mieux et avec compétence, je ne le referai pas. Je préfère pour ma part — malgré ma répugnance à aborder de telles inepties — rapporter les opinions des Turcs et ce qui, dans les propos du vieillard, se trouve de meilleur et de plus 46 INTRODUCTION approprié : cela t’amusera bien, « ô tête la plus chère ». Je redonnerai aussi, autant que je m’en souviendrai, mes propres réponses. Notre vieillard est de loin meilleur que l’odieux satrape, qui parlait devant ses convives d’un paradis plein de chiens1 et de lilies sans nombre et qui proférait d'autres radotages. Nous rapporterons donc les paroles du vieillard par souci de probité, pour obéir aux règles littéraires du dialogue, et aussi pour fournir à l’usage des intéressés une espèce d'exposé complet de la doctrine musulmane12. Durant les entretiens, je répondais aux nombreuses objections du vieil­ lard ; je me servais parfois contre lui de ses propres armes. Quant au recours aux arguments scripturaires, il ne me servait que dans la mesure où l’admettait l’interlocuteui et « non autant qu’il était permis et qu’il l'aurait fallu ». Cet argument est fort commun chez les auteurs : « Tout a étéi trouvé, disposé et exprimé d'une façon fort belle. » Nous y renonçons cependant, par égard pour l’ignorance et les dispositions de l’auditoire : « Nous ne parlons pas comme il aurait fallu, mais dans la mesure où celui-ci est capable de recevoir ce qui se dit. » Ce qui complique la chose, c’est la nécessité de parler par recours à des interprètes. Cela nous amenait à présenter plutôt « des raisonnements et des exemples, tout en essayant encore de les accommoda à la capacité des auditeurs » (cf. 132 B-D). Il y a à cela un avantage : nous pourrons rappeler plus aisément les positions des uns et des autres. 2. La méthode. 1. Ce détail sur le paradis s’explique par le fait que Bajazct était un passionné de la chasse. Cf. Entretiens, VU, 37,a ; p. 213. 2. Manuel avait écrit plus haut qu’il avait l'intention de faire un exposé détaillé, διά πάντων (129 C). Mais les Entretiens sont beau coup moins un exposé complet de la doctrine musulmane qu’une défense de la doctrine chrétienne contre les nombreuses conjections des musulmans. LES TEXTES DÉJÀ ÉDITÉS 47 Première Controverse : des anges et des âmes (PG 156, 133 B-149 B) Nous sommes assis autour de Pâtre, moi, le vieillard et ses deux fils, hommes « doués de sens et de sagesse » ; ils intervenaient quelquefois dans le débat. Le Mudarris exprime son désir d’entendre expliquer la doctrine chrétienne par un chrétien compétent. Beau­ coup de Persans, d’Arabes et de Turcs en ont disserté. Mais il ne faut pas, estime-t-il, se fier à eux, et cela pour deux raisons : ils sont d’abord des étrangers qui parlent d'une religion qui n’est pas la leur ; ensuite ils se contredisent dans leurs affirmations tout en prétendant rapporter ce qu’ils ont entendu dire par des chrétiens. Le vieillard laisse entendre que s’il était convaincu par la doctrine chrétienne, il pourrait se décider à embrasser le Christianisme. Son désir de la vérité est sincère : ne s’esl-il pas déjà affranchi de l’interdiction musulmane, qui défend de discuter avec les chrétiens, gens trop bien armés pour la dispute religieuse ? Je lui réponds : Toi, tu es maître en religion ; moi et mes compagnons ne sommes que des soldats. Tu devrais t’adresser aux théologiens de profession. Toutefois pour nous, notre loi nous recommande d’être toujours prêts à répondre à quiconque nous demande raison de l’espérance qui est en nous (cf. I Pierre 3, 15). Et s’il n’est pas permis d’exposer à tous inconsidérément les mystères de la foi, à toi nous le ferons, vu le désir de la vérité que tu manifestes. 1. Présentation des personnages et entrée en matière. θη ProPose donc de parler de la nat ure des anges, du ciel et de la terre, de la constitution du monde et des fins dernières... ou bien de Dieu. 2. Sujet. INTRODUCTION •18 Manuel préfère parler d’abord des créatures : elles sont pour nous le chemin qui conduit au Créateur. Tel a été du reste le cas d’Abraham de la foi de son interlocuteur en l’Écri turc : Moïse, les Prophètes, l’Évangile. Ces textes, affirme le vieillard, sont considérés comme divins et ont pleine valeur. Toutefois la croyance commune' est que ces livres ont été « traités sans ménagement pan les traducteurs grecs, qui en ont supprimé ce qui confirmait la religion musulmane » (137 A). Manuel raconte donc comment la traduction des Septante sous Ptolémée a été réalisée. Il conclut que les circonstances réelles de l’entreprise ôtaient toute possibilité de falsifi­ cation. D’autre part, ajoute-t-il, quels seraient les respon­ sables d’une version arabe manipulée ? En fait, c’est le Coran qui a rapporté les textes de la Bible scion son bon plaisir. Mais comme, en somme, nous ne sommes pas d’accord sur la valeur démonstrative des textes scripturaires, nous préférons renoncer à y avoir recours. Nous nous servirons plutôt de raisonnements et d’arguments de convenance (τω είκότι, 140 A). Le vieillard propose alors que Manuel fasse l’exposé de la doctrine chrétienne. Quant à lui, il relèvera les points contraires à la doctrine musulmane et fera part de ses réllexions là-dessus. Les anges, explique Manuel, sont des créatures, œuvre de la bonté de Dieu. Leur nature est simple. Ils possèdent tous la même nature, mais diffèrent entre eu? par le rang, le genre de service et la proximité de Dieu Lumineux, désormais à l’abri de l’apostasie de Satan e' confirmés dans la fidélité à Dieu, ils l’emportent en bonti sur les autres créatures, dans la mesure même de leur plu: 4. Exposé doctrinal. LES TEXTES DÉJÀ ÉDITÉS 49 grande ressemblance avec Dieu. Ils sont enfin immortels et incorporels. a) Le Mudarris : c Tout ce qui a été dit est bon. » Mais comment est-il possible que les anges soient immortels ? Car tout ce qui commence doit finir, pour renaître, et ainsi de suite, de manière que le cycle de la génération, de la corruption et de la renaissance s’achève en un état qui soit au-dessus de toute corruption. Les anges sont donc mortels. Manuel exprime d'abord son regret de ne pouvoir apporter des arguments scripturaires et de devoir, de plus, discuter avec un interlocuteur qui ignore sa langue : ce qui le force à raisonner d’une manière plus humble que ne le comporte le sujet contesté. Mais qu’importe, il faut essayer tout de même de trouver la vérité. Toute âme est créée dans le temps, répond donc l’empe­ reur. Les anges sont les premières créatures et sont de fait les plus semblables au Premier*. Si donc les anges étaient mortels, ton âme aussi devrait mourir, qui est inférieure aux anges. Mais si les âmes, comme tu le dis toi aussi, sont immortelles, il doit en être de même des anges. b) Objection du Mudarris : L’âme est immortelle parce que l’homme est composé de deux éléments : le corps et l’âme. Quand l’homme meurt, l’âme participe en quelque sorte à la mort avec le corps. Ce n’est pas le corps seul qui meurt, c’est l’homme qui meurt et donc, en quelque sorte, l'âme aussi. C'est ainsi qu’elle se trouve transformée dans la mort du corps et devient désormais immortelle. Manuel analyse dans sa réponse les notions de vie et de mort. Suit une courte digression assez étendue et du reste fort intéressante. c) Digression sur la résurrection des morts : Le Mudarris fait allusion à la pensée de certains philosophes, armés de raisonnements et non de foi, qui soutiennent que les corps ne ressusciteront point. Mais le Coran impose la foi en la 1. Notons les emprunts à la terminologie néo-platonicienne. 4 50 INTRODUCTION résurrection des corps. 11 est difficile de s’entendre ave< eux : le Mudarris et Manuel en demeurent tous les dem d’accord. Cette croyance est solidement établie sur la foi plutôt que sur la méthode, l'art et le raisonnement. Toutefois il est permis d’avoir recours aux argument; probables de convenance. Démonstration et foi s’opposen l’une à l’autre, mais la foi peut trouver un appui dans le; arguments probables. (/) Manuel résume ensuite la pensée du vieillard, telli qu’elle a été exprimée plus haut, et distingue deux sen: du mot mort : au sens propre, mort signifie la séparatioi entre l’âme et le corps ; au sens ligure, est appelée mor la corruption définitive, corruption suivie de revie : c’es dans ce sens abusif que l’on parle de mort des âmes. La mort des anges, interroge-t-il, doit-elle être compri» au sens propre ou au sens figuré ? Le Mudarris répond : Rien d’autre dans 1* Écriture n dans l’enseignement traditionnel que l’affirma Lion de h mort des anges. Mais elle ne doit pas être prise, semble-t-il au sens propre. e) Nos corps, reprend l’empereur, constitués d'élément; contraires et qui devraient donc se détruire mutuellement durent et vivent par l’effet de la puissance et de l’ordre di Dieu. Que dire des anges, êtres simples, non constitués d’été ments ? Ils ne sont évidemment pas sujets à la corruption De même en est-il des âmes : elles sont simples et spiri tuclles (mol-à-mot rationnelles λογ-.καί), elles subsister par l’effet de la seule participation à la nature de l’Incréé Si tu insistes et entends à tout prix parler d’une transfor mation des anges en un état meilleur et appeler cela mort ajoute Manuel à l’adresse du vieillard, tu te mets dans le cal d’appeler une chose très belle par un nom qui ne l’es1 guère. On devrait l’appeler plutôt vie. Mais ne discutons point sur des vocables. Le Mudarris exprime son accord : anges et âmes soû’ immortels. Mais leurs natures ne sont pas immuables. LES TEXTES DÉJÀ ÉDITÉS 51 Certes, (lit Manuel, l’immuabilité est une propriété de la nature divine, éternelle et créatrice. Le vieillard réaffirme son accord et. garantit le consen­ tement de tout l'auditoire : o Car, dit-il, nul n’est assez téméraire, sot et insensé, pour s’opposer à nos paroles. » Ainsi s’achève la première contro­ verse. Dès le lendemain matin, au lever du soleil, on se réunit de nouveau pour le deuxième entretien. 5 Fln Deuxième Controverse : du ciel, de la terre, de la chute d'Adam, du jugement du Christ et du paradis de Mahomet (PG 156, 140 C - 173 C) On hésite sur le choix du sujet : parlera-t-on de la constitution du monde physique ? (Manuel donne de la question un bref aperçu de couleur aristotélicienne teintée de néo-plato­ nisme.) S’engagera-t-on plutôt dans la considération théologique de la création et du dessein du Créateur ? Ou enfin parlera-t-on de la genèse du monde ? Ce dernier aspect du problème est estimé le plus abor­ dable : les deux premiers entraîneraient trop loin la discus­ sion ; de plus, l’un n’est bon que pour les philosophes et l'autre n’est pas accessible aux hommes, son obscurité ne se lève que pour le seul Créateur. Tel est l’avis de Manuel, qui rallie l’accord des autres. 1. Choix du sujet. Manuel rappelle ce qu’en a écrit Moïse. Nulle différence doctrinale sur ce point entre juifs et chrétiens. Les musulmans, de leur côté, admettent tout cela. Mais Manuel fait remarquer que leur connaissance de toutes ces choses n’est pas exempte de confusion. 2. Genèse du monde. INTRODUCTION 52 Chute d Adam, mort d Abel, de.. luge, arche de Noc, séjour d Israel en Égypte, exode, passage de la Mer Rouge, marche dans le désert, œuvres de Dieu, tout cela, déclare Manuel, les musulmans a le savent, mais dans une version falsifiée ». Ils connaissent aussi l’enlèvement d'Énoch, le char d’Elie, et reconnaissent Abraham, David et leur descendant Jésus. Inutile de produire les détails. Seulement, observe-t-il, ils pensent qu'Énoch et Élie ont! été conservés vivants, pour « coudre les manteaux de toils ceux qui doivent obtenir le paradis, à savoir les adeptes des lois de Mahomet ». i 3. Chute d Adam. Le destin imposé à Enoch et à Élit rappelle à Manuel une réflexion qu’i faite à ce sujet son père Jean V. Après avoir fait de son pèn un éloge dont l’excès ne s’explique que par la piété filiale Manuel raconte comment Jean V, un jour qu’il était l’invité de Mourad, père de Bajazet, a répliqué : Recoudre encore les habits au ciel, c’est plus un châtiment qu’uni récompense ou un honneur. Le Mudarris exprime son accord ; scs fils renchérissent même et déclarent injurieux de penser que Dieu ait besoù de tisserands et de matériel pour la confection et la répara tion des habits, lui le Tout-Puissant. 4. Digression. $ur 'c Para<1’s· Manuel pose de nom­ breuses questions. 11 interroge sur les élus, la nature et le degré de la récompense, l'importance quant à leur rétribution des actes de la foi. 5 Paradis 1) Exposé du Mudarris : a) Les élus et le paradis : Les élus seront peu nombreu: Le Christ est le Juge universel. Mais Mahomet intercède) pour ses adeptes et de la sorte presque tous les musulmai seront sauves. LES TEXTES DÉJÀ ÉDITÉS 53 Le paradis est entoure d'un fossé de poix enflammée, qui fail entendre un bruit sinistre et offre une vue effrayante. Une unique porte et un seul pont y donnent accès : le pont est un glaive affilé que les élus doivent franchir les pieds nus. Les pécheurs, appesantis par le fardeau de leur péché, en seront meurtris, et ils seront précipités. Jésus donnera le choix à Mahomet, et celui-ci sauvera du fossé ses adeptes, même ceux qui ne sont pas de race arabe. Ceux-Là, il les préférera aux Arabes demeurés infidèles. Accrochés aux cheveux de Mahomet, des myriades à chaque cheveu, les pécheurs parmi les musulmans réussiront à se tirer du fossé. b) Le bonheur du paradis : Variété des fleurs, abondance des fruits, beauté de la verdure, limpidité de l’eau, senteur des parfums, absence de chagrin, libre jouissance de deux fleuves de miel et de lait en compensation du vin dont on s’est abstenu, enfin délices de toutes sortes comblent les désirs des élus : car ils ont réussi à triompher des illusions éphémères d’ici-bas. 2) Objection de Manuel : Il serait interminable de tout discuter. Il suffira d’attaquer les fondements sur lesquels repose l’ensemble. a) Si le Christ doit siéger en Juge très juste, il n’y a plus alors place pour la grâce accordée ensuite par l’intercession de Mahomet. D’ailleurs accorder le salut à ceux-là seuls qui ont réussi à s’accrocher aux cheveux de Mahomet, à l’exclusion des autres, n'est point le propre de la justice. Il faudrait du reste admettre encore la possibilité du recours à l’inter­ cession de ’Ali, de Fâtima (Manuel écrit Fatouma) et de tous les prophètes, au nom meme de leur amitié avec Dieu. Quelle ne pourrait être enfin l’action, en faveur des leurs, des prophètes de l'Ancienne Loi : Moïse, David et les autres, dont le Christ est le descendant selon la chair ? Que dire 54 INTRODUCTION surtout de la Mère de Dieu, dont l’intercession suffirait à elle seule, si la chose était vraisemblable ! b) Si vraiment tous, en fin de compte, devaient jouir des biens éternels, vaine serait la lutte en vue du bien... Et inutile le tribunal du Christ. 3) Aux assertions de Manuel qui lui semblent fort correctes, le Mudarris n’a à opposer que les affirmations de la doctrine musulmane traditionnelle. Toutefois l’un de ses fils essaye de justifier cette doctrine par l’invocation de la bonté de Dieu, lequel après tout n’est justiciable de ses actes devant personne. 4) L’essentiel, réplique Manuel, est de ne pas introduire de contradiction en Dieu, ^’argumentation emprunte ici la méthode de l’interrogation maïeutique.) Il est juste et conforme à la raison que soient châties tous ceux, fidèles ou infidèles, qui ne vivent pas selon le bien. En outre Dieu doit dans l'au-delà rétablir la justice, qui ne semble pas bien distribuée ici-bas, bien que certains châtiments s’attachent à certains péchés en guise d'avertissements. Mais alors où placer l’amour de Dieu pour les hommes ? En ce monde : Dieu s’y montre en effet d’une libéralité admirable. Mais il réserve pour le jugement à venir l’exer­ cice de sa justice. 5) Ici se place un échange en langue arabe entre le plus jeune des deux fils du vieillard et son père. Le résultat est transmis en turc, afin que l’interprète le traduise à Manuel. 6) Manuel explique ensuite que le jugement du Christ ne ressemble pas au nôtre. Dans ce monde, on dresse un tri­ bunal, on produit des charges et des documents, afin de, fonder la sentence sur la réalité des faits. Pour le Christ, rien de tel : les témoins et les preuves sont la conscience de chacun. Le Christ juge donc bien moins les infidèles, LES TEXTES DÉJÀ ÉDITÉS 55 dont le crime est évident, que les fidèles, pour les rétribuer selon leurs actions bonnes ou mauvaises. On se sépare en échangeant des for­ mules de courtoisie, avec des décla­ rations mutuelles d’estime pour la sincérité et la franchise de chacun. Dans l'entretien suivant, on traitera du bonheur du paradis. Ainsi, a avant l’aurore, les propos de notre deuxième controverse prirent fin ». 6 Fin CHAPITRE V LA 7' CONTROVERSE : ANALYSE Les références renvoient désormais à Γédition de la Contre verse dans le présent volume. 1. Introduction (1,a) Cette Controverse se présente comme la suite de la dis cussion tenue le jour précédent. On y va reprendre les point qui n’ont pas encore été traités et essayer donc d’établir ui ordre de précellence entre les Lois de Moïse, de Jésus e de Mahomet. 2. Argumentation de Manuel (l.b-3,g) a) La Loi de Moïse a une origine divine, prouvée par le miracles surnaturels constants qui en ont précédé, accom pagne et suivi la promulgation. Dieu a attesté de la sort l’authenticité de cette Loi (l,b). • b) La Loi de Mahomet est tenue par les hommes dans leu ensemble pour la moins bonne de toutes (2,a,b). 1) Ce qu’il y a d'important dans cette Loi est emprunt à la Loi de Moïse, lequel à son tour le tient de la ira dition abrahamique : monothéisme, circoncision, etc (2,c). LA 7* CONTROVERSE 57 2) Ce qu’il y a de propre dans la Loi de Mahomet est mauvais et inhumain. Voici en effet le choix qu’elle offre aux hommes : — ou ils embrassent l’Islam ; — ou ils payent tribut et sont réduits en esclavage ; — ou ils périssent par le fer (3,a). Or cela est absurde : - car Dieu ne saurait se plaire dans le sang ; — car il est absurde de pouvoir acheter à prix d'argent la liberté de vivre dans l’impiété (3,b) ; — car la foi est un fruit de l’âme et on y amène les hommes par la persuasion, non par la violence (3.c) ; — enfin, si Dieu voulait vraiment imposer la foi par l’épée, il faudrait tuer tous les infidèles, ne pas accepter d’eux un tribut ni leur permettre de vivre dans l’infidélité (3,d). 3) Conclusion : La Loi de Mahomet, qui n’a rien de bon en propre et qui a tout emprunté, ne saurait à bon droit être appelée Loi, ni à plus forte raison être préférée aux autres. Elle ressemble au geai de la fable, qui se retrouve geai comme devant, dès qu’on lui ôte son plumage d’emprunt (3,c,f). Ainsi donc la Loi de Mahomet est inferieure à celle de Moïse, et par conséquent â la Loi du Christ, laquelle est de loin supérieure à celle des juifs (3,g). 3. Argumentation du Mudarris (4,a - 6,b) Après une intervention de l’interprète (4,a), le Perse répond (5,a - 6,b) : «) La Loi du Christ est « belle et bonne, », elle est meilleure que celle de Moïse. Mais clic est d’autre part très dure et 58 INTRODUCTION bien lourde. Elle est très élevée, mais par ses excès elle est impraticable pour les hommes (5,a). La Loi de Mahomet est supérieure aux deux autres, parce qu’elle tient la voie moyenne entre les déficiences de la Loi de Moïse et les excès de celle du Christ. La modéra­ tion, synonyme de vertu : voilà sa caractéristique propre (5,b,c,d). à) Excès de la Loi chrétienne : 1) « Est-ce rester dans le juste milieu que d’aimer ses ennemis, de prier pour eux, de leur fournir lorsqu’ils ont faim des vivres pour leur nourriture ; et voici qui est plaisant — passe-moi cette franchise — de haïr ses parents et scs frères et même sa propre âme; à qui a pris la tunique, de laisser même le manteau de donner sans distinction à qui demande... ; à qui frappe sur une joue de tendre l’autre; de ne jamais tenir tête au méchant ? 2) u De n’avoir ni bâton, ni besace, ni monnaie, ni deux tuniques; de ne pas s’inquiéter du lendemain? Quel est l'homme de fer, de diamant, plus insensible que pierre, qui supportera toutes ccs choses, qui supportera l’offense et chérira l’insulleur, qui fera du bien à qui est mal dispose à son égard ? » (5,e). 3) La virginité chrétienne : a. La virginité est contraire à la raison, à notre nature d’êtres corporels. Elle est a un lourd fardeau et une grande violence » (5,f). b. Ne point procréer détruit le monde. Cela est contraire à la sagesse de Dieu et à son antique précepte. Dieu ne peut créer l’être humain mâle et femelle et, après lui avoir prescrit de multi­ plier, promulguer une loi contraire destinée à faire disparaître le genre humain. LA 7e CONTROVERSE 59 — Qu’on n’objecte pas le déluge, ni le châtiment des prévaricateurs au désert au temps de Moïse, ni le feu de Sodome. Tous ces châtiments, appelés par la grandeur de la transgression, n’ont point fait disparaître l’humanité. - De plus le Christ n'est pas venu en ministre de la colère pour le châtiment. Or si la virginité chré­ tienne est une loi et qu’elle doive donc être observée par tous, elle va à l’encontre du précepte divin qui enjoint aux hommes de se multiplier. Donc cette loi est mauvaise (5,g,h). 4) Comme il y a bien des points semblables dans la Loi chrétienne, force est de la tenir pour imparfaite. Elle est certes supérieure à la Loi de Moïse, mais elle est inférieure à celle de Mahomet (5,i). c) Il en va comme pour un édifice : la Loi juive est en bas, la Loi chrétienne au milieu et la Loi musulmane tout en haut. Pour accéder à la Loi de Mahomet, le juif doit passer par la Loi du Christ. Il ne faut pas en effet brûler les étapes, « mais, comme par degrés, monter à travers l'intermédiaire vers le dernier » (6,a). En résumé, les adeptes de la vraie religion sont ceux qui, — au temps de Moïse, ont suivi sa Loi ; — au temps du Christ, ont marché à sa suite ; — au temps de Mahomet enfin, se sont rangés sous sa Loi (6,b). 4. Réponse de Manuel (8,a - 13,b) Il y a contradiction dans la pensée du Mudarris : il affirme que les Lois de Moïse et du Christ sont bonnes et divines et, en même temps, en raison de déficiences suppo­ sées, qu’elles sont mauvaises (8,b,c). q) 60 INTRODUCTION b) Les préceptes de la Loi chrétienne sont à peine au-dessus de l’homme : elles sont en réalité aisément praticables pour qui le veut. Dieu en effet accomplit invisiblement avec les hommes leurs actions ; de plus, il a promis pour récompense le royaume des cieux. « 11 faut donc que ceux qui nourrissent cette espérance supportent tout »1 (9,b,c). c) Distinction capitale : Mais il faut surtout distinguer, panni les dispositions de la Loi, entre les préceptes imposés! à tous les hommes, que tous doivent observer pour le salut, et les exhortations ou conseils proposes aux plus parfaits et auxquels est attachée la promesse de la filiation divina mystique, par l'effet de la grâce (10,a,b). 1) Observer les préceptes est une nécessité générale et indispensable. Mais se hausser au niveau des conseils est le propre des vertueux qui sont prêts à souffrir et sont persévérants dans leur sainte ardeur. Le Seigneur a bien dit : « Comprenne qui pourra ! » Par là il invite la liberté au labeur de la perfection, mais sans la forcer (11, b,c). 2) De plus, Dieu donne aux hommes le secours approprié et leur promet pour récompense finale le Royaume (ll,d). 3) Cette distinction s’applique à la virginité et aux exigences extrêmes de. la charité. Ne pas aller au-delà du strict précepte, c’est demeurer en-deçà « des meilleures d'entre les bonnes choses » (13,a,b). 5. Explication détaillée (15,a-21,d) Sur une objection du musulman (14,a,b), Manuel reprend certaines explications précédentes en s'appuyant sur la distinction entre préceptes et conseils (15,a - 16,b), i LA 7« CONTROVERSE 61 a) En somme, résume-t-il, les hommes se partagent en trois groupes : 1) Les mauvais dédaignent les commandements du Maître. Ils méritent châtiment. 2) Les serviteurs sages et fidèles les observent et par là se concilient la faveur de Dieu. Ils obtiendront une récompense, non par droit strict, mais par grâce. 3) Les parfaits aspirent en outre à la filiation, et cela par la pratique des conseils (17,b,c). b) Ces conseils sont plus élevés que les prescriptions antiques, car ils les mènent à leur achèvement. C’est pour­ quoi le chemin par lequel ils mènent les hommes est plus pénible (17,e). Le chemin opposé, celui de la facilité et de la jouissance, mène à la perdition. Et le Sauveur nous en a détournés (17,f). Les œuvres de la vertu sont pénibles et requièrent une volonté généreuse qui n’est pas le fait de tous. Mais tous les hommes normalement aspirent aux valeurs supérieures et affirment par là la qualité de ces valeurs (18,a,b). c) D’ailleurs ces conseils, jugés plus pesants, sont en réalité plus faciles à pratiquer que la Loi de Moïse. Cela tient à la puissance du secours divin et à l’espérance des grandes promesses qui y sont attachées (19,a,b-e). De toute façon la pratique des saints est là pour attester la chose (19,f). (Plus haut, 10,b, Manuel faisait allusion à la confirmation de cette sainteté par les miracles.) (I) En bref, il y a beaucoup de genres de vie, comme il y a de nombreuses demeures et couronnes, toutes differentes, auprès du Père (20,a). Il y a lieu de distinguer les mauvais serviteurs, qui agissent uniquement par crainte du châ­ timent (20,b) ; les bons serviteurs, qui sont poussés par INTRODUCTION 62 l'espoir du salaire (20,c) ; en lin les fils, qui sont les disciples et amis du Maître (20,d). Dans le paragraphe 21,a~c, Manuel reprend encore une fois le développement. Le Perse estime que toute cette longue explication ne répond pas précisément à la question fondamentale. Il voudrait ramener le débat au sujet : établir un ordre de précellence entre les diverses Lois considérées (22). 6. Développement de la critique contre la Loi musulmane (23-35) Λ la Loi chrétienne, excellente de l’aveu même du musulman, la Loi de Mahomet, loin de s’apparenter, s'oppose. Elle se rapproche plutôt de la Loi de Moïse. Elle ne parachève donc pas la Loi du Christ et par conséquent ne lui est pas supérieure (23,b-d). Manuel affirme qu’il ne veut pas ici passer en revue les événements de la vie de Mahomet et en faire la critiquer (26,a), puis il formule sa thèse. u) Thèse : — Si la Loi de Mahomet a vraiment parfait la Loi du Christ, comme celle-ci a parfait la Loi de Moïse;] alors Mahomet est un grand prophète. — Mais si, après avoir proclamé le Christ « esprit et verba et âme de Dieu », il porte des lois opposées à celles du Christ,, alors force est de tirer les conclusions qui s’imposent (26, a). ' b) Preuve : 1) Les articles de l’ancienne Loi que le Seigneur a abroges en les transformant et en les spiritualisant, Mahomet les retient pour son propre compte. Telles sont l’interdiction des aliments impurs, surtout du porc, la polygamie et la loi du lévirat, la répudiation J la loi du talion, etc. (27,a-b). De là il faut conclure que c’est l’un ou l’autre, le Christ ou Mahomet, qui est mauvais législateur ; que LA 7® CONTROVERSE 63 la Loi la plus récente suit la plus ancienne et ne saurait donc être appelée Loi ; enfin que la Loi de Mahomet s'oppose à celle du Christ et lui est inferieure, au même titre que la Loi de Moïse (27,c - 28,a). Manuel de conclure : « Si donc Mahomet est convaincu d’avoir détruit à sa guise la Loi qu’il admire en paroles, et d’etre d'accord avec celle dont il recommande de s’éloigner, est-il besoin de te fournir plus de preuves encore pour t'apprendre que c’est un imposteur ? » (28,d). 2) Au demeurant, Mahomet n’arrête pas d’outrager la Loi de Moïse et de lui préférer sa propre législation. Et cela tout en s'appropriant la plupart de ses prescrip­ tions et en en corrompant d’autres (28,d). 3) Enfin il n’a retenu de la Loi de Moïse et de celle du Christ à laquelle il a fait encore des emprunts — que les choses les plus légères, et non point « les choses vraiment élevées qui transforment l’âme et l’élèvent vers sa place propre » (29,b-e). 7. Reprise du développement (31,a-35,d) Le Mudarris reconnaît la solidité de l’argumentation, mais insiste de nouveau sur l’excellence de sa Loi en tant que voie moyenne entre les deux autres (31,a). Manuel marque sa surprise devant une telle déclaration (32,a). Il adresse donc une série de questions à son inter­ locuteur, le pressant de justifier son opinion et de répondre aux arguments présentés (32,b-d). Sur l'invitation du vieillard (32,e), Manuel redonne un résumé de son argumentation : a) Mahomet, qui loue la Loi du Christ mais reprend les articles de la Loi de Moïse que le Christ a abrogés, est ou un égaré qui déraisonne, ou un trompeur (33,a-b). 61 INTRODUCTION b) Si la Loi de Moïse est imparfaite, la Loi du Sauveur est parfaite, elle qui accomplit la Loi tie Moïse. Supprimer ces améliorations est donc mauvais (34,a). Or c’est ce que fait Mahomet (34,b). c) Revenir de nouveau aux dispositions anciennes ne signifie pas s’élever plus haut que la Loi du Christ, mais, bien au contraire redescendre : car enfin le musulman avoue lui-même que la Loi du Christ est meilleure que celle de Moïse (35,a-c). 8. Fin (36,a-37,b) Les interlocuteurs musulmans sont décontenancés et discutent entre eux en langue persane (36,a). Ils décident de lever la séance et de renvoyer le débat au lendemain (36,b). On fait part à Manuel de la décision : il se déclare polia ment d’accord (37,a,b). CHAPITRE VI COMMENTAIRE : LA THÈSE DU MUSULMAN Ce chapitre et le suivant seront consacrés au commen­ taire, intentionnellement détaillé, de la 7e Controverse. Nous n’entendons pas redonner sous une forme diluée ce qui a été déjà présenté dans l’analyse du texte. H s'agit de montrer comment la pensée du Mudarris et de Manuel Paléologue s’inscrit dans les perspectives de leur attitude religieuse fondamentale. Nous tenterons de retrouver à tra­ vers les assertions de l’un et de l’autre les catégories reli­ gieuses admises par eux avant toute entrée en matière, qui commandent leur attitude et leurs diverses réactions. *♦ * Précisons en premier lieu ce que les interlocuteurs entendent par le mot Loi. Ce terme est employé à la fois pour Moïse, Jésus et Mahomet1. Le sens n’en est pas strictement déterminé. Mais de l’ensemble du débat, on peut conclure qu’il désigne ce que les Byzantins ont cou­ tume de nommer l’économie du salut. Dans ce complexe, 1. Manuel ne reconnaît évidemment pas l'authenticité de la mission de Mahomet. C’est pourquoi il fera des difficultés pour admettre l’emploi du même mot pour Moïse, Jésus et Mahomet. S’il y consent toutefois, c’est par courtoisie et souci de simplification du vocabulaire. Cf. 2,c; 3,e,f,g; 27,c; 32,b... Manuel affecte souvent aussi de l'appeler « ta Loi ». 5 66 INTRODUCTION plutôt que sur les côtés juridiques et cultuels, l’accent est j mis sur les valeurs éthiques. La Loi est donc comprise ici surtout dans son rapport avec l’ordre moral et le style de vie que la religion détermine dans la communauté de.· ses fidèles. La considération de cet ordre moral, cela va sans dire, est inséparable des positions doctrinales. Plus d'une fois , au cours de l’entretien, Manuel en fera la remarque’. Il suffit d’ailleurs de réfléchir quelque peu sur les atti­ tudes des interlocuteurs, pour se rendre compte qu'elles; sont commandées par les divergences doctrinales et ins-: pirées essentiellement par les convictions dogmatiques qui i les opposent. La Loi de Moïse Mais avant que se déclarent les divergences, les deuxpartenaires affirment leur accord sur une double donnéeinitiale : l’origine divine et en même temps le caractère ; imparfait et provisoire de la Loi de Moïse. Pour un chrétien, l’origine divine de cette Loi ne pouvait] être douteuse12. Tout l’Ancien Testament l’atteste, et Jésua déclare qu’il n’est pas venu abolir la Loi, mais l'accomplir 1 (Matlh. 5, 17). Les textes de saint Paul sont encore plus] nets : la Loi de Moïse est « Loi de Dieu » (Rom. 7, 22.25 ; Héb. 9, 19-20); elle est sainte, juste et bonne (Rom. 7, 12.16; I Tim. 1, 8); elle exprime la volonté de Dieu et permet de discerner le meilleur (Rom. 2, 17-18). Toutefois cette Loi n’était destinée, dans le plan de Dieu, qu’à valoir 1. 18,c ; 32,a. 2. Manuel le déclare nettement tout au début de la controverse : « La Loi de Moïse vient de Dieu. Ce qui le prouve, c’est la multitude · des miracles surnaturels » opérés par Moïse et les constantes œuvres et déclarations de Dieu avant, pendant et après la promulgation de la Loi (l,b). LA THÈSE DU MUSULMAN 67 pour un temps. Dieu la tient pour imparfaite, puisqu’il entend lui substituer une nouvelle Alliance (Héb. 8, 7-8). Elle est lourde (cf. Act. 15, 10) et surtout incapable de donner le moyen d’accomplir les préceptes qu’elle impose (Gai. 3, 21 ; Rom. 8, 3 ; Héb. 9, 9 ; 10, 1). Sa vraie valeur tient en ce qu’elle a été comme un pédagogue chargé de conduire le peuple au Christ (Gai. 3, 24). Le Christ inet donc un terme au régime de la Loi (Rom. 10, 4). Λ l’impasse de la Loi qui n’est que « lettre « et purs préceptes, Jésus ouvre l’issue par sa grâce et par 1’ « esprit » (II Cor. 3, 6). Après Moïse qui n’a apporte que la Loi, Jésus-Christ est venu avec la grâce et la vérité (cf. Jn 1, 17). 11 est la réalité préfigurée dans l’ancienne Alliance. C’est lui qui nous introduit dans le vrai sanctuaire (Héb. 10, 1.19) et lève le voile qui nous couvre les yeux (II Cor. 3, 14). Il nous fait accéder à la liberté des enfants de Dieu (Gai. 5, 1.13; Rom. 8, 21), qui sont guidés par l’Esprit (Rom. 8, 14) vers une perfection à l’imitation de Dieu (Êphés. 5, 1). Cette perfection est une transfiguration selon l'image de la gloire du Père, qui resplendit sur la face de Jésus-Christ (II Cor. 3, 17-18; 4, G). Le Christ est donc venu mener la Loi à sa perfection. Tout ce qui en elle était provisoire est condamné à disparaître. Mais ce qui va dans le sens de l’amour de Dieu et des hommes sera confirmé et accompli. La Loi sera purifiée de tous les compromis avec la « dureté de cœur » (cf. Aie 10, 5), revivifiée, intériorisée. Elle trouvera sa meilleure forme, la plus parfaite, dans l’idéal de sainteté proposé par Jésus aux âmes désireuses de l’imiter et de se modeler sur l’image de Dieu. C’est un appel au dépassement généreux, pour participer, selon la mesure de la grâce et de l’amour de chacun, à la filiation divine, et atteindre ainsi à « l’état d’homme parfait, à la taille qui convient à la plé­ nitude du Christ » (f'.phés. 4, 13). Pour la doctrine chrétienne, le message de Moïse marque donc une étape dans l’histoire de la révélation divine. Parallèlement, l’Islam pense que Moïse est un moment 68 INTRODUCTION dans la série discontinue des interventions divines dans le monde1. Sa mission a été authentifiée par des prodiges; le Coran les qualifie de preuves (Coran 2, 92). Moïse en effet, selon le Coran, a reçu son message et son Écriture de Dieu (2, 55.87; 6, 91.154; 7, 141-115; 21, 48; 23, 49; 28, 43; 32, 23 ; 37, 117 ; 40, 53 ; 41, 45 ; etc.). Il est celui à qui Dieu parle, comme à un confident (4, 164 ; 19, 52). Par lui Dieu a sauvé son peuple de la servitude d’Égypte (28, 29-32 s. ; cf. aussi de nombreux textes parallèles12) et proclamé son pacte avec Israël (2, 51.63.93; 20, 80; etc.), «comme appel à la clairvoyance, direction et grâce pour les hommes n (28, 43). C’est cette image de Moïse législateur que l'Islam, après le Coran, a surtout retenue. Mahomet devait certesj aimer à retrouver dans l'illustre conducteur d'Israël comme un modèle et un prédécesseur3. Néanmoins la Loi promul­ guée par Moïse demeure imparfaite : le Mudarris parle souvent dans le texte des déficiences de cette Loi. Le Coran rappelle certaines restrictions contenues dans ses ordon­ nances, lesquelles sont un signe de la rigueur de Dieu (4, 160 ; 6, 146-147). Dans un second moment de la révélation, cette Loi de Moïse a reçu des compléments. Avec Jésus, Dieu s’est relâché de sa rigueur et a apporté les éclaircissements necessaires relatifs aux points contestés entre les juifs (3, 50 ; 43. 63). De la sorte, la Loi de Moïse est pratiquement 1. Le Christianisme parle d’une histoire du salut et d’étapes de la révélation divine, qui conduisent toutes au Christ. L’Islam considère les différentes révélations plutôt comme des moments discontinus où l’intervention d’Allah réaffirme constamment le même fonds doctrinal et opère des changements dans les dispositions dé la Loi, expression de sa Volonté absolue et transcendante. Le donner moment est celui de la mission de Mahomet, « sceau des prophètes I (Coran 33, 40 ; cf. aussi 61 /B 1(M», 6 version B, et la note de Bi-achère, Le Coran, p. 009-910). 2. Voir par exemple les textes signalés dans l’index de R. Blachère, Ia Coran, sous le nom de Moïse. 3. Cf. Coran, 4, 153 ; 40, 23. LA THÈSE DU MUSULMAN 69 abrogée : le Mudarris déclare qu’à la venue du Christ, seuls les adeples de celui-ci devaient être estimes comme les tenants de la vraie religion (7e Controverse, 6,b. Cf. Coran 61, 14). La Loi du Christ Après Moïse, c’est donc .Jésus qui est chargé du message de Dieu. Le Mudarris déclare plus d’une fois que la Loi du Christ est bonne (7e Controverse, 5,a,b). Jésus, affirme-t-il, n’est pas venu en ministre de la colère, mais bien plutôt, pour « apporter bienfait et secours aux hommes » (id. 5,g). Le Coran considère la mission de Jésus comme une grâce de Dieu. L’Évangile apporte aux hommes lumière et bonne direction (5, 46 ; etc.). C’est un témoignage de la miséri­ corde de Dieu (19, 21), miséricorde qui s’est établie dans les cœurs des fidèles du Christ (57, 27). Il comble les défi­ ciences de la Loi mosaïque et commence à rendre la religion plus facile, ce qui doit manifester la bienveillance de Dieu à l’égard des croyants. Cette Loi est supérieure à celle de Moïse : le Coran reproche aux juifs d'avoir rejeté la mission du Christ (3, 52-58 ; 5, 110 ; 61, 14) et déclare par la voix d’Allah : « O Jésus ! je vais... te purifier de ceux qui sont incrédules et, jusqu’au jour de la résurrection, mettre ceux qui t'ont suivi au-dessus de ceux qui ont été incré­ dules >· (3, 55). Toutefois la Loi de Jésus souffre encore de. certaines imperfections. Elle n’a pas mené jusqu’au bout l’adapta­ tion des obligations morales et légales à la faiblesse humaine. Elle s’est contentée de déclarer « licite une partie de ce qui était illicite » (3, 50). Mais surtout cette Loi s’est laissée aller à des excès dans ses prescriptions, ce qui la rend impraticable pour les hommes. Le Christ a présumé des forces humaines : il a imposé à scs fidèles un idéal de vie incompatible avec la faiblesse humaine congénitale. Ses pré- 70 INTRODUCTION coptes, assure le Mudarris, sont « lourds et durs »; ils sont faits pour décourager «les hommes jusqu'à présent»; ils préten­ dent ambitieusement « forcer, pour ainsi dire, notre nature terrestre à monter vers le ciel » (7e Controverse, 5, a,b,c). C’est que Dieu voulait réserver à Mahomet d’être l’annonciateur de ses dernières bontés. Comme celle de Jésus, la mission de Mahomet est une grâce (21, 107) et une nouvelle lumière sur les questions disputées (16, 64).._ Mais elle apporte en outre la forme définitive de la vraie' religion (3, 19; 5, 3; 48, *29). Avec lui, Dieu revient défi-, nitivement de toute rigueur contre les hommes. (4, 26), il entend alléger leurs devoirs en considération de leur faiblesse (4, 28), délier leurs entraves (7, 157) et ainsi enlever toute gêne dans la religion (5, 9 ; 22, 78). Dieu en a décidé ainsi : il fera de l’Islam une religion du juste milieu (2, 143), caractérisée par la bonne modération, qui retrouve la forme pure de la religion d’Abraham le I.Ianïf, au-delà des gauchissements des juifs et des chrétiens (2, 124-141 ; 3, 65-68) et au-delà des égarements des Arabes associationnistes (3, 164). L’Islam abolit donc les obliga­ tions antérieures (5, 15 ; 7, 157), et ainsi les musulmans pourront jouir des bontés de Dieu ici-bas, dans l'attente des délices célestes au paradis (16, 97). La Loi de Mahomet est donc la plus parfaite, l’expression, définitive de la volonté de Dieu et de son ordre, exempte à la fois de «la médiocrité et de l’imperfection de la Loi des juifs » et des excès de celle des chrétiens (7e Controverse, 5, c)4 Ces excès, que le Mudarris mentionne pêle-mêle, sont les suivants. 1. Haïr ses parents Le musulman trouve étrange et « plaisante » l'obligation, imposée selon lui aux chrétiens, de « haïr scs parents et ses frères et même sa propre âme » (5,e). Le texte incriminé sc lit dans Le 14, 26. Rappelons LA THÈSE DU MUSULMAN 71 d’abord combien le Seigneur recommande ailleurs la pieté à l’égard des parents, dans la ligne de la meilleure tradition de ΓAncien Testament. Il rappelle le quatrième comman­ dement au jeune homme riche, parmi les conditions néces­ saires pour hériter la vie éternelle (Matth. 19,19). Il reproche aux pharisiens d’avoir par leur casuistique gauchi le sens de certaines ordonnances pour sauvegarder leurs propres élucubrations, et d’avoir de la sorte annulé, par exemple, le devoir de la piété filiale au profit des offrandes libres faites à Dieu (Matth. 15, 3-7 ; Mc 7, 8-13). Saint Paul rappelle aussi plus d'une fois les obligations qui découlent du quatrième commandement (Éphés. 6, 1-3; cf. Col. 3, 20). La Loi chrétienne reprend donc pour son propre compte ce qu'il y a de positif dans renseignement biblique relatif à la piété filiale, tel qu'on peut le lire dans les versets sui­ vants, par exemple : Gen. 2, 2-1; Ex. 20, 12; 21, 15.17; Deut. 21, 18-21 ; 27, 16 ; Prou. 1, 8 ; 15, 5 ; 19, 26 ; 30, 17 ; Sag. Sir. 3. 1-16 ; 7, 27-28 ; Tob. 4, 3-4. On trouve dans le Coran un enseignement équivalent. Ün écho des versets de Tobie 4, 3-4 s’entend même dans les sourates 31, 14 ; 46, 15. Le Coran recommande fort la bonté à l’égard des parents : pendant leur vieillesse, il faut user avec eux de douceur dans le langage, de ménagement et de respect (17, 23) ; on devra se souvenir des peines endu­ rées par la mère (46, 15) et se dépenser pour eux en service et bienfait (2, 83.215 ; 1, 36 ; 6, 151 ; 29, 8 ; 31, 14). On le voit, l’accord est clair entre les trois Lois. Mais ce devoir de la piété filiale n'est pas absolu. Il peut parfois entrer en conflit avec un devoir strict à l’égard de Dieu. L’enseignement traditionnel juif considère, par exemple, le cas où un père ordonnerait ce qui est contraire à la Loi. La réponse affirme nettement qu'il faut plutôt obéir à Dieu1. 1. La réponse se rattache au commentaire du verset suivant : « Cha­ cun de vous craindra son père cl sa mère. El vous garderez mes sabbats. Je suis Yahvé votre Dieu » (/.&». 19, 3). Cf. Jebâmôt 6,a ; Bàbümefi’S 72 INTRODUCTION C’est en des termes pareils que les Apôtres ont répliqué aux grands prêtres, qui leur défendaient de prêcher le nom de Jésus (Ad. 5, 29). Le Seigneur apporte la même solution au conflit entre la foi, la fidélité à Dieu, et les obligations de la piété filiale. Le texte de Le 14, 26 attaqué par le Mudarris est en effet à rapprocher de celui qu’on lit dans Malth. 10, 35-39. Ce dernier passage explique la pensée de Jésus : « Qui aime ses parents... plus que moi ». jusqu’à se détourner de moi à cause d’eux, n’est pas digne de moi et ne saurait prétendre être mon disciple. Dans un autre texte, nous trouvons une explication encore plus nette Toujours dans le même contexte de pensée, en Mailh. 10 21-22, le Seigneur prédit à ses disciples les persécution qui les frapperont à cause de son nom. Ces persécution: opposeront les membres d’une même famille : « On aun pour ennemis ceux de sa propre maison », redit le Seigneu: après Miellée 7, 6. Ce mot du prophète est repris également dans le Coran . η O vous qui croyez ! en vos épouses, en vos enfants est un ennemi pour vous. Prenez garde à eux ! » (64, 14). Si les parents sont un obstacle à la foi des musulmans, ceux-ci sont tenus de ne pas leur obéir (9, 23-24 ; 29, 8 ; 31, 15 ; 58, 22). Ce fut le cas d'Ahraham avec son père idolâtré (9, 114 ; 19, 41-50). On devra aussi exercer l’équité, même contre ses parents (4, 135). Encore ici, l’accord sur la doctrine ne fait pas de doute. Toutefois l’expression du Coran est moins violente que celle de l’Évangile. S’il dit de se méfier, de ne pas s’associer, de ne pas obéir, il n’emploie jamais le verbe haïr. On comprendra aisément que le musulmaf se soit étonné de la véhémence du langage volontairemen 32,a ; Kidddshin 32,a : Piiilon, De specialibus legibus, 11, 236 ; .Si'j Lev. 19, 3 ; Josèphf., Contra Apionem, II, 27. On trouvera d’auti citations et éclaircissements dans H. Speyrr, Die biblischen Erzühlu gen im Qoran* (1961), p. 315-316. LA THÈSE DU MUSULMAN 73 paradoxal du verset évangélique, et qu’il l’ait comprise comme un des excès qui caractérisent à ses yeux la Loi chrétienne. 2. Amour des ennemis Dans une tirade (5,e) dont Manuel a souligné la chaleur et l’emportement (8,a), le Mudarris attaque un point qui a toujours provoqué l’admiration respectueuse et soulevé l'étonnement des musulmans : l’amour des ennemis. Pour les juifs, les hommes se divisaient en deux parties : les juifs de race et de religion (auxquels on joignit plus tard les prosélytes non juifs de race), et les gens du dehors, les gentils. Ces derniers étaient tenus à l’écart de la fraternité qui réglait les rapports entre les membres de la commu­ nauté. Pour les Arabes préislamiques, c’est la tribu qui consti­ tuait l’unité vitale. Tout contribule était normalement un frère, et tout étranger une personne dont il fallait au moins se méfier. En effet, dans le désert, où sévissait le droit du plus fort et où l'hostilité était la loi. l’Arabe devait user de grande prudence et de ferme énergie pour défendre scs intérêts et ceux des siens. Tout étranger est normale­ ment un ennemi possible. La méfiance à son égard ne pouvait disparaître que si l’on était lié avec sa tribu par un pacte d’alliance. De plus, des droits coutumiers assu­ raient un traitement de faveur aux étrangers devenus voisins (djâr) — voisinage d’alliance ou d’intérêts — ou plus fréquemment hôtes (dayf), et cela tant qu’ils habi­ taient sous le toit de leur hôte. Mahomet a longuement lutté contre cette 'asabiyya, ou affinité tribale. Il entendait opérer l’unité des Arabes, sur la base non point de la race, mais de la religion. Non plus une fraternité de sang, mais bien une fraternité dans la foi. Le frère du musulman est désormais tout autre musulman (3, 103; 4, 25; 49, 10). On devra même se désolidariser 74 INTRODUCTION d'avec sa parenté si elle persévère dans l'infidélité (9, 23 ; 58, 22 ; cf. plus haut). Les croyants forment donc seuls la communauté des frères. Les infidèles sont les ennemis, à la fois de l'Islam et des croyants. Il ne faut point se compromettre, avec eux, ni leur faire confiance, ni les prendre pour affiliés. Ceux parmi eux qui ne déclarent pas leur hostilité à l’égard des croyants, il convient de les traiter avec justice et équité, mais les ennemis déclarés, on les traitera durement, en ennemis, de telle manière que leur présence ne cause nul dommage aux intérêts religieux et civils des musulmans (cf. entre autres nombreux textes 3, 28.118; 5, 51.57; 60, 1.8-9 ; etc.). C’est la loi de la guerre sainte, pour; faire prévaloir le droit d’Allah à l’obéissance de tous les hommes. Nous reviendrons plus loin sur cette question. Faisons remarquer seulement que si l'Islam a dépassé les bornes étroites du Judaïsme en établissant la fraternité non plus sur la base de la race et de la foi, mais de la foi seule, il n'a pas su aller encore plus loin et retrouver l’universalité totale de la fraternité humaine, telle que la conçoit le Christianisme. Ce n’est que quand tous les hommes seront devenus musulmans, que l’Islam connaîtra les dimensions quanti­ tatives de la fraternité chrétienne. En attendant, le nonmusulman ne saurait être, honnis ses droits à la justice;: objet de vrai amour. Il n'est pas un frère. Mahomet luimême s’élève contre les incroyants : il les combat, il ne peut rien pour eux, il ne prie pas en leur faveur et se désintéresse! de leur sort (cf. entre autres 9,80 ; 4, 117 ; 6, 107 ; 10, 108). Le fait est que Mahomet, par cette attitude, imite la conduite de Dieu envers les infidèles. Dieu en effet n’aime' pas tous les hommes : ceux qu’il aime, il les guide vers la foi ; les autres sont les infidèles : il les voue au châtiment et les prend dans leurs propres subterfuges et dans les ruses de leur incrédulité (cf., entre autres innombrables textes» 2. 161-162 ; 4, 168 ; 8, 30 ; 22, 38...). LA THÈSE DU MUSULMAN 75 On le voit, aux yeux de. Dieu, de Mahomet et des musul­ mans, la charité ne saurait englober pareillement les membres de la communauté et les infidèles ; ces derniers sont normalement les ennemis de Dieu et des croyants. Pour le chrétien, la perspective est toute différente. D’abord il n’y a point de collusion entre le religieux et le social, et un ennemi de la nation n’est pas automatiquement un ennemi de la foi. En outre, la communauté chrétienne n’est pas chargée d’exercer des rigueurs contre les infidèles, la vengeance est laissée à la justice de Dieu, et surtout à sa miséricorde. Car Dieu n’est pas le justicier qui égare et puis punit. Dieu est le Père, le bienfaiteur universel, qui distribue à tous ses faveurs, aux bons et aux méchants (Matlh. 5, 45). Et c’est parce que Dieu embrasse dans son amour tous les hommes que le chrétien devra les aimer également tous (Matlh. 5, 44). Saint Jean écrit fort clai­ rement : « Si Dieu nous a tant aimés, nous devons à notre tour nous aimer les uns les autres » (/ Jn 4, 11). La frater­ nité s’étend donc à tous les hommes sans exception, même à ceux que l'on considère comme des ennemis (parabole du bon Samaritain, Le 10, 25-37). Dans le cœur d’un chré­ tien, la haine ne doit pas avoir de place, puisque dans l’amour du Christ s’est opérée la réconciliation universelle de l’humanité avec Dieu et des hommes entre eux. Cette divergence bien soulignée, reprenons le détail des relations entre les hommes et montrons pourquoi les exigences pratiques de la charité chrétienne semblent aussi pesantes au Docteur musulman. A 1'intérieur même de la communauté musulmane, les relations entre croyants sont régies par la loi du talion, héritée des coutumes arabes préislamiques et retrouvée par Mahomet dans la législation juive. Qui pour œil, dent pour dent, proclamait la Loi mosaïque (Ex. 21, 24; Lcd. 24, 20; Dent. 19, 21 ; Matlh. 5, 38. Coran 5, 45). Ainsi se rétablit l’équilibre de la justice natu­ relle stricte, car il s’agit de se défendre contre les méchants 76 INTRODUCTION et les rapaces, de mater les violents, d’extirper le mal (Deui. 17, 7 ; 19, 19 ; 21, 21 ; 22, 21.24 ; 21, 7). Le Judaïsme tardif a assoupli quelques-unes des exigences de celle justice rigoureuse : la Mishna (VIII, 1) admet par exemple l’indemnité1. Les écrits sapientiaux et les prophètes ont également mis l’accent sur le bon traitement de l’ennemi personnel (Prou. 25, 21 ; déjà Ex. 23, 4 s.), le pardon (Sag. Sir. 28, 2.7), l’imitation de la miséricorde divine à l’égard de son peuple (Sag. Sir. 12, 19-22), la réponse au mal par le bien (Prou. 25, 21-22. Cf. Hom. 12, 20), etc. De même Mahomet adopte comme base de la justice la loi du talion. II admet cependant qu’un musulman pardonne à son frère : c’est là une bienveillance et une « facilitation » parmi d’autres (Coran, 2, 178). 11 retiendra certaines manifestations des vertus arabes qui tempéraient la rigueur du talion. Il recommande la bonté et le pardon (— Ijilm arabe), la patience et une certaine constance (= sabr) (2, 219 ; 16, 126). qui font maîtriser la colere (3, 134) et même répondre au mal par le bien (16, 126; 28, 54). Il a appartenu à Jésus seul d’avoir mené ces germes à leur épanouissement et d’avoir définitivement dépassé le plan de la justice stricte pour instituer le règne de la charité. Il faut aimer et non point juger. Aimer tous les hommes, parce qu’ils sont tous frères et enfants d’un meme Père. Les aimer à l’imitation de la bonté et de l’amour que le Père leur témoigne. Mais cette attitude chrétienne faite de non-violence, de patience infatigable, de pardon illimité, de bienveillance toujours offerte, de bienfaisance distribuée à tous, d’amour embrassant tous les hommes, amis ou ennemis, à l’exemple 1. Tous les juifs n’ont pas admis celle concession : Speyer, op. cit., p. 317-318, signale que les saddticéens, R. Eli'ézer et Philon (Dt specialibus legibus. III) tiennent pour l’application stricte de la loi du talion. LA THESE DU MUSULMAN 77 de Jésus Sauveur qui a su, non point déclarer aux pécheurs et aux incroyants une guerre justicière, mais mourir pour eux en signe de son amour indescriptible, cette altitude est jugée excessive et insupportable par le Docteur musulman. Elle va contre notre nature de chair ; il y faudrait un être de fer. de diamant (5,e). Outre son idéalisme exagéré, elle présente des inconvénients pratiques qui la recomman­ dent peu : elle est faite pour encourager les méchants à persévérer dans leur malice, et les cupides à profiter de la bienveillance du chrétien en feignant l’indigence ; elle réduit de la sorte le chrétien à être une proie facile et fait de lui un être « plus nu qu'un pilon » (5,c). Ces conséquences sont d’autant plus graves aux yeux du musulman, que la pauvreté volontaire lui est étrangère et qu’il la condamne meme chez les chrétiens. 3. Pauvreté volontaire C’est le propre de Jésus-Christ d'avoir fait de la pauvreté une béatitude. Dans le Judaïsme, la pauvreté est considérée comme un malheur, voire une punition divine (cf. Peut. 23, 16-19 s. ; Ps. 109 (108), 10). Parfois, elle est une épreuve de la fidélité à Dieu (cas de Job), mais en règle générale elle est surtout le châtiment des impies. La pauvreté est la conséquence aussi de la paresse (Prov. 13. 18; 21, 17; 24, 33-34). 11 s’agit donc de la combattre d’abord par le travail (Prov. 14, 23) et, au besoin, par la bienfaisance des riches (Lév. 25, 35 ; Dent. 15, 7-8). Car il faut extirper la pauvreté (Peut. 15, 11) pour éviter scs fâcheuses suites : raillerie des méchants (Prov. 17, 5), domination du riche (Prov. 22, 7), délaisse­ ment et même haine des frères (Prov. 19, 7), enfin danger moral de la tentation du vol (Prov. 30, 9). C'est cette situation humiliée du pauvre qui a coloré la réaction du Judaïsme à l’égard de la pauvreté. « Un homme pauvre est 78 INTRODUCTION comme un homme mort », dit le Talmud (Ned 64,b). Mais d’autre part la richesse n’est pas louée inconditionnellement. Si elle est normalement considérée comme un don de Dieu (/ Sam. 2, 7 ; Eccl. 5, 18), elle ne constitue pas néanmoins la suprême bénédiction : la justice est bien plus importante (Ps. 37 (36), 16). Comme la pauvreté, la richesse a ses dan­ gers : orgueil devant Yahvé (Prou. 30. 8), cupidité (Eccl. 5, 9), et son triste cortège : « le noir, le chagrin, la maladie et la rage » (Eccl. 5, 16). C’est en considération des dangers de la richesse, et surtout de la libération qu’apporte le renoncement aux biens de ce monde, que le Seigneur Jésus-Christ a béatifié la pauvreté (Mallh. 5, 3) et qu’il a proposé le dépouillement total aux âmes généreuses qui aspirent à la perfection à sa suite (Matth. 19, 21). 11 ne s'agit certes pas de se dépouil­ ler et de vivre paresseusement à la charge des autres : saint Paul recommande énergiquement de manger le pain du labeur personnel (II Thess. 3, 6-12). Il s’agit de chercher le royaume de Dieu et sa justice (Mallh. 6, 33-34), de se libérer de tout obstacle qui empêche le cœur de se retrouver en pleine liberté occupé de Dieu (cf. Mallh. 6, 19-21). Le Docteur musulman juge tout cela fort excessif. Se détacher des biens de ce monde jusqu’à vouloir abandonne! tout souci de son lendemain lui semble une négligence ou au moins une outrance inadmissible. Pire encore, le renoncement devient inhumain et impraticable quand il requiert de ne pas posséder les moyens de s’assurer une vie honorable (7e Controverse, 5,e, relativement à .Mallh. 6, 34; 10, 9-10). La réaction du musulman se comprend mieux si l'on considère qu’il lient la pratique de la pauvreté? pour un précepte obligatoire pour tous les fidèles. Dans sa première prédication à la Mckke, Mahomet avait proclamé un message d'inspiration profondément religieuse, où l’influence de l’ascétisme chrétien est manifeste. La richesse, répliquait-il aux juifs, n’est pas une bénédiction céleste, ni la pauvreté un châtiment divin (Coran 89, 15-16). LA THÈSE DU MUSULMAN 79 Aux Arabes matérialistes et incroyants, il reprochait de s’être laissé accaparer par le désir intempérant des biens d’ici-bas, jusqu’à en oublier l’au-delà (87, 16-17 ; 102, 1-2). C'est que richesse et nombreux enfants sont une tentation et un grand danger (61, 15), une épreuve de la piété (18, 7). Or l'homme succombe aisément à l’épreuve de la richesse, il s'enorgueillit et pense avoir tout trouvé dans sa fortune (104, 1-1 ; 92, 8-11 ; 96, 6-7). Mahomet recommandait donc fortement l’ascétisme et la pieté, qui ont les promesses de la bienveillance divine et de la récompense (92, 5-7.17-21). Mais bientôt les circonstances politiques et le cours de la vie de Mahomet et de ses premiers adeptes engagèrent l’Islam dans une série fatale de compromis avec les soins de ce monde et les jouissances terrestres. D’aucuns ont parlé d'une sorte de conversion du religieux pur au social et au politique, de l’ascétisme dépouillé à la jouissance des agréments de cc monde, de la perspective eschatologique à l’installation dans le présent, ou au moins à l’aména­ gement confortable de la cité terrestre. Mais meme dans la période où il se transforme en chef politique, luttant pour le triomphe de la cité théocra tique, Mahomet continue à s’élever contre la poursuite acharnée et intempérante des biens de la terre au détriment de la récompense céleste (16, 95-96 à rapprocher de Matth. 6,19-20 — Coran 2,86 ; 4, 94 ; 8, 67). Toutefois l'accent est mis désormais davan­ tage sur les o succès profitables » que les fidèles trouveront en suivant le chemin d’Allah. On devra conserver, bien sûr, quelques pratiques de pénitence (25, 70). comme de jeûner en réparation de trans­ gressions rituelles ou légales (2, 196 ; 4, 92 ; 5, 89 ; 58, 4). Mais on pourra surtout apprécier la bienveillance de Dieu à l'égard de ceux qui ont été constants dans la foi. Car désormais Allah veut alléger les obligations des musul­ mans, accommoder son ordre (amr) à leurs faiblesses : il revient de sa rigueur exercée jadis contre les juifs, il permet désormais la jouissance des agréments de la vie. II ne faudra 80 INTRODUCTION donc plus s’abstenir des bonnes choses que Dieu a permises (4, 26-28 ; 5, 4.5.89 ; 7, 157). Dans le butin de IludaybiyyA, Mahomet voit un échantillon des profils que Dieu réservai à ses fidèles qui combattent à la suite du Prophète pour l’établissement de l’Islam (48, 19-20). Ce goût du butin a puissamment aidé les croyants à se lancer à la conquête [ du monde. Les promesses faites aux martyrs de la guerre sainte venaient ôter tout motif d’hésitation : quiconque ne jouit pas assez ici-bas retrouvera là-haut des délices du même ordre mais plus intenses et désormais ininterrompues. Peu de temps après la mort de Mahomet, le succès des; armes avait amené les musulmans en Syrie. La riche et verdoyante ville de Damas fut une tentation que les Umayyades ne surent pas surmonter : ils voulurent établir un équilibre entre les exigences de la politique et les droits de la théocratie ; ils avantagèrent surtout l’installation dans ce monde au détriment de la recherche de l’autre. Nawawî pourra écrire : « Ce n’est plus de l’au-delà que nous nous soucions comme jadis, mais c’esL la dunyâ (l’intérêt d'ici-bas) qui nous attire. » (Tahdhïb 362, 6). La doctrine officielle de l’Islam condamnera désormais elle aussi l’as­ cétisme et invitera à profiler de ce monde. L'orthodoxie musulmane considérera l’ascétisme comme étranger à l’es­ sence de l’Islam. Les partisans de cette tendance exploite* ront cette veine à fond, avec un entrain singulier. Le mot caractéristique qui trahit cette tendance et donne le ton à l’offensive anti-ascétique est le suivant : toute forme de renoncement est à stigmatiser comme a venant de Satan ». Pour justifier cette position, on rappelle les versets co niques relatifs aux allégements apportés par Dieu, et surtout on souligne dans la vie de Mahomet les Irai qui condamnent la pratique ascétique. Nawawî écrit de Mahomet qu’ « il ne s’abstenait pas des biens que Dieu | a permis » (Tahdhïb, 39). Diverses traditions (hadititM authentiques ou forgées de toutes pièces, rapportent des détails sur sa manière de jouir de la vie. On répè LA THÈSE DU MUSULMAN SI combien il aimait le miel, les douceurs, les parfums et les femmes. Cela n'alla pas sans provoquer des résistances. Un tel appétit de jouissance, canonisé par la théologie officielle, provoqua la réaction des hommes pieux demeurés fidèles à l'inspiration religieuse des débuts. Ils rappelaient les textes du Coran et les traditions qui, en sens opposé, mon­ traient en Mahomet le modèle des hommes pieux dont le souci se porte aux choses célestes. Ces opposants vivaient généralement en conformité avec leur doctrine et faisaient preuve d'un grand détachement. Leur ascétisme parut fort suspect à l’orthodoxie officielle. De là est né le différend qui opposa longtemps la théologie et le sufisme issu de ce mouvement ascétique. Il est permis de le regretter, car cette opposition inflexible amena le sufisme à se lancer sur des voies de plus en plus hétérodoxes et à chercher l'aliment nécessaire dans des sources étrangères, allant jusqu’aux formes les plus excentriques d'un ésotérisme d’emprunt. Malgré les elTorts de réconciliation, tels ceux de Ghazzâlï. la théologie officielle n’adopta jamais complètement les aspirations mystiques. Et cela sc comprend : l’Islam n’est pas essentiellement une spiritualité, une relation person­ nelle de l’homme à Dieu. 11 est essentiellement une loi, un contrat accordé unilatéralement par Allah aux croyants. Le musulman est tenu d’obéir aux dispositions de ce contrat, seule expression de la volonté transcendante de Dieu. Mais il n'a pas à chercher au-delà. Or cette loi de Dieu ne recommande pas l'ascétisme, au contraire. Dans l’attente des délices du paradis, ne cherchons donc pas à ajouter à nos maux (cf. 7e Controverse, 5,f) et jouissons tranquil­ lement des agréments que Dieu nous accorde dans sa bien­ veillance (Coran 7, 31-32)1. 1. I. Madkour, La philosophie musulmane (en arabe), p. 66, écrit : • L’Islam a fréquemment invité (les croyants) à travailler en vue de la dunyâ et de la jouissance permise des plaisirs de la vie. » Cf. égale6 82 INTRODUCTION 4. Virginité, ou célibat volontaire Le célibat volontaire est l’un des points que l'Islam, à un moment donne, a attaqué avec application. Le Mudar­ ris lui adresse à son tour une critique violente (5,g,h). L’Islam officiel n’a jamais réussi â apprécier la valeur religieuse de la virginité. Par là, il rejoint les positions du .Judaïsme, auxquelles il n’a apporté que certaines atté­ nuations relatives au statut familial de la femme. Nous reviendrons plus loin sur ces détails. Le Judaïsme a ignoré le célibat en vertu du précepte qui ordonne aux hommes de se multiplier (G'cn. 1, 28). Ce pré­ cepte est considéré comme valable sans exception pour tous les temps et pour tous. Les docteurs insistent sur la nécessité du mariage, qui empêche que diminuent sur terre, et surtout en Israël, les êtres humains qui portent en eux l’image de Dieu. Le mariage assure la descendance et la pérennité du genre humain. De plus, il est le moyen efficace d’apaiser la concupiscence, d’éloigner du cœur les penséesperverses et les désirs peccamineux. Les gens mariés sont moins exposés à la fornication, et donc à la mort, qui est le châtiment legal du pécheur (cf. Deut. 22, 22.25). Le mariage est un grand bien, et le célibat un état anti-naturel. On admettra bien une continence temporaire, surtout durant les catastrophes nationales, ou dans les temps de pénitence et d’adoration (Ex. 19, 15). Mais cela est l’exception1. Mêmement des textes caractéristiques dans l’ouvrage arabe du shaykh Muhammad Yflsuf Müsâ, La philosophie, morale en Islam (Falsafà al-akhlâk fi Ί-Islam), p. 208-20Ô. 1. D’après la tradition juive, Moïse cesse toute relation conjugale pour pouvoir se tenir constamment prêt à recevoir la révélation divine. Ci. Philon, Vie de Moise, III, 2. Le célibat des Esséniens sera tenu pour une exagération dans l’imitation de Moïse : les Essé­ niens auraient désiré être en état de pureté légale constante, pureté nécessaire pour approcher de Dieu et écouter sa révélation. LA THÈSE DU MUSULMAN 83 pour celui qui veut vaquer à l’élude de la Thora, le mariage est préférable, car il n’aura pas de la sorte à lutter constam­ ment contre des distractions dangereuses et à fournir de continuels efforts héroïques1. En règle générale, on tiendra donc qu' « un homme n’est pas un homme, et une femme une femme1 2, à moins qu’ils ne soient mariés » (Midrash Gen. 8. 8). Les Rabbis déclarent que quiconque n’a pas de femme est sans joie, sans benediction, sans bien ; il ne saurait être considéré comme un homme complet. Dans le Christianisme, le mariage est demeuré comme la pratique générale. Jésus l’a même élevé au rang d’un sacrement et lui a rendu sa dignité primitive : plus de poly­ gamie et point de divorce. Le mariage de l’homme et de la femme doit se faire dans un don d’amour mutuel et de dévouement, à l’image de l’amour qui unit le Christ à son Église (Épilés. 5, 22-33). Le mariage est donc saint et bon. Saint Paul, qui a recommandé avec force la virginité, condamne les extrémistes qui prohibent le mariage (7 T'un. 4, 3) : car le mariage est bon (1 Cor. 7, 38), et le célibat n’est pas la vocation de tout le monde (7 Cor. 7, 7). Dans ce même chapitre 7 de 7 Cor., saint Paul donne des conseils de prudence, car il faut éviter les tentations et les défaillances : qui a besoin de se marier, qu’il se marie, et cela est bien. Dans 7 Tim. 5, 11-14, on lit des conseils simi­ laires : l’apôlre refuse la vocation au célibat des jeunes veuves et demande qu’elles se marient, aient des enfants et soignent leur maison. Toutefois si le mariage est bon, le célibat volontaire est 1. Le mariage assure donc à l’étudiant de la Thora la tranquillité d’esprit et aussi la pureté de cœur nécessaires pour la compréhension et l'étude de la Loi. 2. En soi, la femme n'a pas dans la Loi l'obligation stricte de contracter mariage, puisque la démarche doit venir de l’homme. Toutefois on insistera pour que toute femme soit pourvue d’un mari, car le texte de Gen. 2, 18 : c 11 n’est pas bon que l’homme soit seul », doit être entendu également de la femme. 84 INTRODUCTION meilleur (/ Cor. 7, 38) : saint Paul souhaiterait que tous soient comme lui (7 Cor. 7, 7), à condition qu’on en ait la vocation, la grâce et la volonté. En effet, le Seigneur, qui célèbre, le célibat choisi en vue du royaume de Dieu, ajoute que c'est un fruit de la grâce et fait appel à la générosité de chacun : a Comprenne qui pourra ! » (Matth. 19, 11.12), Saint Paul, pour sa part, montre combien le célibat s'accorde avec les exigences des temps messianiques. Il s’agit de regarder vers la cité céleste et de n’user de ce monde qu'autant que cela est nécessaire. Aux enfants de Dieu, le célibat apporte une libération supplémentaire; : libération des tribulations de la chair inhérentes à l'état conjugal (/ Cor. 7, 26.28) et des soucis des biens terrestres (ibid., 29). De la sorte, on peut se livrer sans partage au service de Dieu : l’on n'est plus divisé entre les soucis de la terre, l’amour de sa femme et le don total à Dieu (ibid., 32.35). Enfin une récompense spéciale au ciel viendra couronner les vierges, qui seront toujours en compagnie de l’Agneau (Apoc. 14, 4). A la suite du Christ, nombreuses furent les âmes qui, dans le Christianisme, se dépouillèrent de tout et prati­ quèrent le célibat volontaire. Les moines chrétiens remplis­ saient les déserts. Mahomet en a rencontré : il nomme avec respect et considération ces anachorètes pénitents (Coran 9, 113 ; 66, 5). La pratique monastique est pour lui, avec la mansuétude et la pitié, une caractéristique des fidèles du Christ (57, 27). Ce dernier verset du Coran a été diver­ sement interprété, selon les différentes lectures que le texte permet1. Le musulman de la 7e Controverse adopte pour sa part l’interprétation devenue traditionnelle de son temps, qui comprend le verset comme une condamnation du mona­ 1. Voir les deux versions dans Blachèrk, Le Coran, p. 921 : sourate 101, 27. On lira aussi la note de Blachère. Pour une interpré­ tation contraire, à l’exégèse commune depuis longtemps traditionnelle, ci. L. Massignon, Essai sur les origines du lexique technique de la mystique musulmane1 (1954), p. 145-153. LA THÈSE DU MUSULMAN 85 chisme chrétien. De là est venu le slogan célèbre : pas de monachisme en Islam (là rahbâniyya fî Ί-Islâm), ou dans une autre formule ; pas de célibat en Islam (là sarûra fî Ί-Islânï). (cf. Sunan Abî Dâwûd, p. 89.) Mahomet avait expérimenté en lui-même la violence du désir et la grande difficulté de la continence (33, 28-62). La prudence lui dicta, pour lui-même et pour les siens, les règles prévues par saint Paul. 11 recommanda de marier les hommes et les femmes en Islam (24, 32). Mais le Coran, qui se montre si complaisant pour les inclinations de Maho­ met et quelquefois ses mariages politiques (33, 50-62), impose certaines limites au désir des musulmans. Le musulman ne peut avoir à la fois que quatre femmes légitimes, et cela à condition qu’il observe entre elles l’égalité et la justice (4, 3). On sait par la tradition que Mahomet, dont le harem groupait un nombre plus grand d'épouses, eut à souffrir des tribulations conjugales dont parle saint Paul. Peut-être a-t-il entendu aussi, tout en avantageant les hommes, ne point rendre trop injuste la situation de la femme musulmane. Il ne faut donc pas renoncer au mariage, à cette « bonne chose » que Dieu a accordée aux hommes (5, 87). Sinon, on court le danger de « s’égarer à la suite de Satan « (cf. I Tint. 5, 15). Selon le Iladïth ou Tradition musulmane, Mahomet condamne non seulement le célibat sans vocation, mais toute espèce de célibat comme un égarement à la suite de Satan. Ce parti-pris contre l’abstention du mariage est directement dirigé contre la pratique chrétienne1. On met sur les lèvres de Mahomet des déclarations comme celles-ci : 1. 11 est toutefois remarquable que, dans son développement sur la modération de la Loi musulmane, Râz! parle de l'abstention du mariage sans mentionner les moines chrétiens parmi les gens dont il condamne les excès. Il attaque nommément les manichéens et leur reproche, entre autres détails, la pratique de la castration. CL Fakbr al-DIn al-Râzï, al-Tafsïr al-kabîr, Mafall h al-ghayb, V, Le Caire 1301 IL, p. 350. 86 INTRODUCTION a Un homme aisé qui ne se marie, pas ne m’appartient pas. » — uO combien pauvre est l’homme qui n’a pas de femme ! » (Ibn Hadjjâr, IV, 370). Le shï'ite Tabarsî rapporte de son côté ces traditions significatives : » Deux génuflexions d’un homme marié sont plus agréables que soixante-dix d’un célibataire », — ou « que la veillée pendant toute une. nuit ou le jeûne prolongé de la part d’un célibataire » (Makârim al-Akhlâk, 80 s.). On rapporte aussi cette tranquille assertion : « De votre monde (dunya) j’ai aimé les femmes et les parfums. » On ajoutera cepen­ dant : « Et mon délice est dans la prière1. » A un ascètèqui avait résolu de vivre dans le célibat, Mahomet aurait adressé cette verte semonce : « Tu as donc résolu d'appar­ tenir aux frères de Satan I Ou bien tu veux être un moine chrétien et alors joins-toi ouvertement à eux, ou bien tu es des nôtres et alors tu dois suivre notre sunna (voie). Or notre sunna, c’est la vie conjugale. » (Usd al-ghûba, IV, 3.) On le voit, la réaction contre le célibat chrétien est claire. Elle ira très loin. La tradition musulmane, qui a essayé de polir le portrait de Mahomet de manière à en faire la réplique de celui de .Jésus, n’a pas cependant hésité à insister sur l’activité sexuelle de Mahomet face à la vir­ ginité du Christ. GhazzSlï tente même de prouver que l'exemple de Mahomet l’emporte sur celui de .Jésus1 2. I-a tradition ose aussi un effort de rapprochement entre Jésus et Mahomet, en conformant le Christ à la loi qui veut que Dieu ait donné à tous les prophètes des épouses (Coran 13, 38) : Jésus donc se mariera et il aura une descendance, lors de son second avènement3. 1. Cf. GhazzalI, Iliya’ 'ulüm al-din. II, 2, 1, Le Caire 1346 H., p. 28. On lira la note de al-’Irâkî sur les sources de cette tradition, ibid. 2. Ihyâ', ibid., p. 33. 3. Cf. M. Gaudephoy-Demombynes, Mahomet, p. 433, qui renvoie à al-'Ay.xI, 'Umdat al-kârî ft tijarh al-Bulihârï, Le Caire 1308 H., LA THÈSE DU MUSULMAN 87 Il serait aisé de multiplier les citations de traditions qui recommandent le mariage. Cela nous semble inutile, car il est reconnu par tous que l’Islam ne découvre dans le célibat aucune valeur morale ou religieuse. La désapprobation du célibat est si unanime en Islam que même les ascètes ne songent pas, sauf de très rarcfc exceptions, à le pratiquer. Théoriquement — et cela est remarquable on discutera entre ascètes la question de savoir s’il faut ranger le mariage parmi les choses de ce bas-monde (dunyâ) auxquelles il est bon de renoncer. Seuls les mystiques ont pu apprécier la libération qu’apporte le célibat pratiqué pour l’amour de Dieu. Mais c’est là une doctrine hétérodoxe condamnée par la théologie officielle1. C’est de cette théologie orthodoxe que le Mudarris se fait l’écho. 11 attaque avec quelque insistance la pratique chré­ tienne. 11 produit les raisons qui permettent de condamner ce précepte anti-naturel et déraisonnable : car pour lui, il s’agit d’un précepte obligatoire : « Ne faudrait-il pas que tous l’observent ? », explique-t-il (7e Controverse, 5,h). Nous sommes des êtres charnels ; vouloir donc imiter les êtres incorporels est une entreprise déraisonnable, « c’est un lourd fardeau et une grande violence » (5,f). D’autre part, s’abstenir du mariage ôte la possibilité de la pro­ création et mène à la destruction du monde. C’est à la fois déraisonnable et contraire à la sagesse divine qui a créé l'être humain mâle et femelle. Cela est aussi contraire auVI. VI. p. 147; VU, p. 453, et à TababI, Tafslr al-ÇurOn, XV, 5.12. Ajoutons que GhazzâlI y fait aussi allusion dans son IhyS', ibid., p. 20. 1. Cf. A. S. TRITTON, art. Dunyâ, dans NEIs, II, Leiden 1961, p. 642 ;cf. ShEl, art. Zuhd, Leiden 1953, p. 661. Pour justifier les pra­ tiques du çüiisme, les fabricants de traditions affirmèrent que Maho­ met avait déclaré : « Quand 380 ans (200, dans une autre recension) auront passé sur ma communauté, le célibat et la vie anachorétique sur les sommets des montagnes seront permis » (dans al-Qhaiiab!, Mt:ân al i'lidâl, I, p. 377: AbQ-Tûlib al-MakkI, Küt al-kulûb. Le Caire 1310 H., H, p. 239). La théologie officielle n’a guère pris au sérieux de telles traditions. 88 INTRODUCTION précepte divin qui a commandé à l’homme de multiplier : prescrire de remplir la terre et ensuite imposer un célibat propre justement à la dépeupler, c’est là un comportement a absurde et indigne de Dieu » (5,g). Qu’on n’allègue pas le déluge et les autres châtiments par lesquels Dieu a fait disparaître les prévaricateurs. Ces mesures « n’ont pas fait disparaître entièrement le monde ». En outre, le Christ n’est point venu en « ministre de la colère » pour la destruetion de l’humanité (5,g)1. Le musulman ne pousse pas plus loin sa réflexion et se hâte de conclure que le comman­ dement de la virginité est mauvais (5,h)2. La Loi de Mahomet Le Mudarris conclut son réquisitoire contre les excès de la Loi chrétienne en affirmant qu'elle contient beaucoup de points semblables. De ce fait, bien que supérieure à la Loi de Moïse, elle le cède à la Loi parfaite de l’Islam. Il en va comme pour un édifice : d’étage en étage, on monte vers la perfection. Tout en bas est la Loi juive ; plus haut, la Loi chrétienne; au sommet enfin se situe la Loi musulmane. Telles sont les étapes, ou mieux les différentes expressions de la volonté de Dieu, dont chacune confirme le message doctrinal de la précédente et apporte les perfectionnements que la bienveillance d’Allah a jugés opportuns (6,a,b). Le musulman n’explicite pas davantage ses griefs. Nous 1. Jésus, d’après le Coran, est venu lever une partie des rigueurs de l'ancienne Loi (3, 50) et sa mission est un bienfait cl une miséri­ corde d’Allah (5, -16 ; 43, 63). 2. Le Mudarris abandonne la question en chemin. Il aurait dû ou bien nier l'authenticité du précepte du célibat attribué par les chrétiens à Jésus et rejoindre de la sorte le reproche fait aux moines par le Coran (57, 27) ou même celui de falsification des Écriture# adressé traditionnellement aux chrétiens, ou bien se montrer disposé à admettre la thèse de Manuel. LA THÈSE DU MUSULMAN 89 essayerons toutefois de donner quelques exemples, et cela en étudiant à présent la forme positive de son argument en faveur de la Loi musulmane1. La Loi de Moïse est déficiente. La Loi du Christ est excessive. Seule la Loi de Mahomet tient le juste milieu, qui est le caractère reconnu de la vertu et de la perfection : sa modération, son culte de la mesure en tout sont la preuve de son incontestable supériorité. L’Islam est décrit dans le Coran comme la religion du juste milieu : « Ainsi nous avons fait de vous une communauté éloignée des extrêmes (médiale = ummatan ivasatan), pour que vous soyez, témoins à l'encontre des hommes et que l’Apôtrc soit témoin à votre encontre » (2, 143). C’est de la sorte que Mahomet entend caractériser le Hanifisme d’Abraham, cette forme pure et excellente de la vraie religion qu’il est venu restaurer (2, 135 ; 3, 110 ; 4, 125). Les commentateurs du Coran expliquent tous que, si par son origine linguistique le vocable wasat signifie central, médial, et donc le meilleur, le plus parfait, il est communément compris comme équi­ valent d’éloigné des extrêmes, tenant le juste milieu12. Cette interprétation est vite devenue commune, confirmée par la théorie aristotélicienne de la vertu comme juste milieu. Il est inutile de citer des noms, toutes les écoles théologiques s’accordent sur ce point. Un proverbe dit egalement : la meilleure des choses est celle qui tient le juste milieu (khayr al-umür autsâluhS)3. 1. En fait il a allégué cet argument bien avant. Nous en avons remis l'étude jusqu’ici pour des raisons d’ordre pratique. 2. Cf. par exemple TababI, Tafstr nl-Knr’ân, Le Caire, III, p. 142; Ràz!, al-Tafsir al-kabtr, V. Le Caire 1304 H., p. 6-7. On trouve les mêmes explications linguistiques chez tous les autres commen­ tateurs. 3. Ce dicton d’usage courant, même aujourd’hui, peut se lire dans al-MayoânI, Afadpna* al-amlhâl, éd. Freytag, I, p. 214 ; éd. Ahdab, Beyrouth 1312 H., I, p. 200 ; C. de Landbero, Proverbes et dictons, I, p. ix ; Snouck HcnoaoNjE, Mekkanische Sprichtvûrter und Redensarten, p. 5. 90 INTRODUCTION Le Mudarris rappelle à Manuel que le juste milieu est « ce qu’on appelle et ce qui est vertu... C’est la doctrine 1 de tous les anciens... » (5,d). Or l’Islam est le juste milieu entre le .Judaïsme et le Christianisme. Nous n’avons pas l’intention de donner ici tous les cas qui vérifient cette caractéristique aux yeux des musulmans. Nous en avons déjà mentionné quelques-uns à propos de la Loi chrétienne. Nous ajouterons ici d’autres points relatifs à la morale, au culte ou à la simple législation. 1. La prière A scs débuts, Mahomet donna l’exemple d’un orant qui rivalisait de ferveur avec les moines chrétiens. Il pratiquait et recommandait la prière nocturne : elle est « plus efficace et plus correcte de forme » (Coran 73, 6). Peu à peu des allègements furent introduits, dont on peut, lire un exemple exceptionnellement frappant dans la même sourate (73, 20). De même en fut-il de la recommandation faite à Mahomet de prier avant le lever du soleil, et avant son coucher, et durant la nuit, enfin même durant la journée (20, 130). La recommandation valait aussi pour ses adeptes (20, 132). L'allègement, d’après Râzï1, se lit dans 20, 1 : a Nous n’avons point fait descendre sur toi la prédication (le Kur'âri) pour que tu pâtisses. » « Mais, continue RSzî, quelques-uns s’étant livrés au relâchement, il dit ; * Croyezvous (pie nous vous avons créés sans but ? ’ Il entend par là qu'on observe la justice et le juste milieu » (Le verset cité est 23, 115). Le résultat de cette évolution fut (pie la prière légale fut imposée non point trois fois, comme chez les .Juifs, ni sept, comme dans le bréviaire des moines chrétiens, mais cinq fois selon les précisions canoniques qui commentent le verset 5, 238. 1. RÂzI, op. cit., V. p. 356. LA THÈSE DU MUSULMAN 91 2. Le jeûne 11 ne s’agit pas ici du jeûne pénitentiel recommande dont nous avons parlé plus haut (cf. Coran 2, 196 ; 4, 92 ; 5, 89 ; 58, 4). Il s'agit du jeûne officiel légalement obliga­ toire. Après des hésitations, le Coran l’a fixé au seul mois de ramadan. Le jeûne musulman a une durée plus longue que celui, fort réduit, des juifs. Mais il ne comporte pas non plus le caractère pénitentiel sévère du jeûne chrétien. 11 est au contraire l’occasion traditionnelle, en même temps que de manifestations pieuses et charitables, de festivités et de réjouissances nocturnes. Le jeûne pénible du jour est compensé par les « mets excellents » du soir, et la gêne du jour disparaît dans les agréments de la nuit (cf. 2, 183-187). 3. Le pèlerinage, à la Mekke Le pèlerinage à Jérusalem était obligatoire pour tout juif. 11 est facultatif pour les chrétiens. Pour les musulmans, le pèlerinage à la Mekke est obligatoire, mais seulement pour ceux qui le peuvent (3, 97). Le Mudarris parle constamment de la facilite de la Loi juive et de la difficulté de la Loi chrétienne. En termes équivalents, Râzï parle de la rigueur juive et de l’indulgence chrétienne. Comprenons bien : il s’agit des déterminations législatives relatives à certains délits et à leurs châtiments canoniques. La Loi musulmane tiendrait le juste milieu entre la rigueur inexorable de la Thora et l’indulgence excessive de l’Évangile. Citons les deux exemples men­ tionnés par Râzï1. 5. RÂzI, op. cil., V, p. 356. 92 INTRODUCTION 4. Sandion légale du meurtre La Loi juive condamne le meurtrier à une mort inexo­ rable (Ex. 21, 14; Deut. 19, 11-12.21 ; cf. Coran 5, 32), tandis que le chrétien est exhorté à un pardon indéfini. L’islam, pour sa part, permet d'exercer le droit de châ­ timent sans l’imposer ; il insinue même le pardon : la per­ mission de pardonner est un allégement, dit le Coran (2, 178 ; 4, 92). 5. Traitement de la femme durant ses menstrues La Loi juive considérait la femme durant ses mens­ trues comme impure et communicatrice d’impureté légale (Lév. 15, 19-30.33). Elle défendait donc les relations conju­ gales durant toute la période menstruelle (Léo. 18, 19 ; 20, 18; Éz. 18, 6). La Loi chrétienne n’a pas de prescriptions relatives à ce cas : elle a aboli toutes les dispositions de la Thora touchant les catégories de pur et de l'impur. L’Islam prohibe les relations sexuelles, sans exiger, selon les habitudes juives et arabes préislamiques, la séparation totale d'avec la femme (2, 222). 6. Sanction de l'inconduite Aux deux exemples précédents donnés par Râzî et qu’on trouve sous diverses formes chez les autres commenta­ teurs, ajoutons encore la législation concernant l’adultère. La sanction de l’adultère est la lapidation chez les juifs (Lév. 20, 10 ; Deut. 22, 22). Dans l’Évangile, le Christa par­ donné à la femme prise en flagrant délit d’adultère (Jn 8, 1-11). Le Coran adopta d’abord les rigueurs de la Loi juive (4, 15). Il prescrivit ensuite, comme châtiment de la fornication dûment prouvée (zinâ), la flagellation : le coupable recevra cent coups, sans « nulle indulgence » (24,2). LA THÈSE DU MUSULMAN 93 Les exemples qui suivent relevent des dispositions juri­ diques de la loi, de l’éthique ou même de la doctrine de ΓIslam. 7. Statut de la famille La Loi musulmane prétend tenir le juste milieu sur les points suivants : 1) Ni monogamie stricte, comme chez les chrétiens, ni polygamie indéterminée, comme chez les juifs. Mais seu­ lement quatre femmes à la fois, et cela quand on peut sauvegarder entre elles la justice et les traiter avec éga­ lité (4, 3). Mais le Coran avertit que cette condition est difficile à tenir et qu’il faudra donc en règle ordinaire s’en tenir à une femme à la fois (4, 129). Cependant pour ôter toute gène en la religion, l’homme pourra avoir autant de concubines esclaves qu’il en pourra entre­ tenir (4, 3). Certains doctrinaires musulmans, en dépit de la violente réaction des modernistes, admettent aussi comme légitime la pratique de la mut'a, ou mariage temporaire à titre de jouissance. On peut rompre ce mariage à volonté, sans autre obligation que de dédommager la femme, dont on a joui (cf. Coran 4, 24). On comprend que les modernes réagissent contre cette pratique, admise par les shi’ites : c’est une espèce de prostitution légalisée1. 2) Répudiation : L’Islam n'admet ni l'indissolubilité du mariage telle qu’elle est déterminée par la Loi chrétienne, ni le droit de répudiation conféré sans restriction à l’homme, comme dans le Judaïsme. Il met à la disposition de l’homme 1. Cf. M. Gaudefroy-Demombynes, Mahomet, p. 628-632. Lire aussi ia note de Blaciièke sur le verset 4, 24/B 102, 28, Le Coran, p. 931-932. 94 INTRODUCTION le pouvoir d’user de la répudiation, mais dans certaines limites précises (2, 226-242). 3) Vie conjugale : La femme mariée était, dans le Judaïsme, réduite à un état de sujétion absolue : à part la nourriture, le vêtement et le droit conjugal (cf. Ex. 21, 10), elle n’avait pas d’autres droits. Le mariage chrétien fait de la femme la compagne de l’homme dans un foyer stable qui est, sous la direction de l’homme, le sien également. Elle a droit à un traitement de faveur : l’homme quit­ tera son père et sa mère pour s’attacher ù sa femme (Gen. 2, 24 ; Matth. 19, 4), qu’il traitera avec amour, égard, ména­ gement et sollicitude (Éphés. 5, 22-32; Col. 3, 11.19; I Pierre 3, 7). L’Islam consacre la sujétion de la femme et la met en condition de grande infériorité : soumise à l'homme et à son bon plaisir, toujours menacée d'une répudiation que la jurisprudence a parfois facilitée à l’ex­ trême, ayant même dans l'exercice des relations conjugales beaucoup moins de droits que l’homme. Toutefois cette infériorité est compensée par des assurances matérielles solides1. Ajoutons pour finir que la pratique des relations sexuelles en Islam ne semble pas soumise à ce que le Judaïsme et le Christianisme considèrent comme des lois naturelles (cf. Coran 2, 222-223). La licence contenue dans ce verset a suscité les réactions les plus vives et les plus indignées chez les polémistes de toute provenance. Elle est présentée par le Coran comme une facilitation1 2. 1. Cf. M. Gaudkfkoy-Demomuynes, Mahomet, p. 612-628 et 632643 ; G.-H. Bousquet, La morale de l'Islam cl son éthique sexuelle, p. 89-122. 2. On peut lire chez SüYÜTl, AsMfr al-nuzül, le récit des circons­ tances historiques qui ont déterminé ccttc facilitation. I.c texte de Suyüti se trouve aussi cité dans J. I;Iaddâd, Le Coran et ΓÉcriture, (en arabe), II, p. "73, n. 5. LA THÈSE DU MUSULMAN 95 8. Mauvais désirs Les mauvais désirs avaient été condamnes par le Déca­ logue (Ex. 20, 17 ; De.ul. 5, 21). Jésus recommande encore plus de délicatesse de conscience et une grande pru­ dence. Il exprime la nécessité de se défendre contre les entraînements de la concupiscence dans des termes durs jusqu'au paradoxe : couper la main, crever l'oeil, causes de scandale et de chute (Matth. 5, 27-30. Cf. 1 Cor. 7, 7.32-34, etc.). Le Coran avait lui aussi commence par condamner les mauvaises pensées (2, 284). Mais cela parut si dur aux compagnons de Mahomet qu'ils s’en plaignirent à lui. La révélation vint alors lever encore une fois cette rigueur (2, 286)1. Cela s’inscrit dans la tactique générale qui consiste à faciliter la pratique de l’Islam : « Sur vous, il n'a place nulle gêne en la religion » (22, 78). Mais cela ne veut pas dire que les mauvaises pensées sont entièrement absoutes. Si les formalistes de la Loi n'y voient pas de mal, d'aucuns par contre s'en défendent1 2. 9. L’au-delà et le salut Ce n'est qu’à l’époque des prophètes que l’on voit poindre dans le Judaïsme l'idée d’un au-delà éternel, dans lequel Dieu rétribue chacun selon ses actes. La Loi mosaïque ne prévoit que récompense ou châtiment terrestres (I.év. 26, 3-46; Deal. Il, 13-17; 28, 1-63). Le Christianisme et l’Islam, eux, enseignent avec force la rétribution dans l’au-delà. Mais si pour la doctrine chrétienne et pour 1. Circonstances historiques chez SuyûtI, op. cil., ou J. Haddâd, op. cil., p. 784, n. 2. 2. Ci. G.-H. Bousquet, op. cit., p. 58. 148 (et n. 3), 150, n. 2. 96 INTRODUCTION Γ Islam, au moins au début — la foi sans les œuvres est insuffisante à sauver l’homme (cf. Coran 2, 62. 111-112) et, au contraire, les péchés graves (appelés kabâ'ir en Islam) mènent à l’enfer éternel (cf. 4, 1-30, passim), la Loi musul­ mane adoucit encore une fois cette a rigueur » : elle ferme les yeux d’abord sur les petits péchés de ceux qui évi­ tent les kabâ'ir, mais surtout elle déclare que la foi suffit seule au salut ; le gros pécheur subira un châtiment tempo­ raire dans l’enfer éternel, et finira par entrer au paradis (1, 31.115-116; 3, 85)1. Il nous semble inutile de pousser plus avant l'investi­ gation. La tendance législative de l’Islam s’est fixée selon une ligne de facilitation et de compromis, nettement favorable à ce que le Christianisme considère comme les faiblesses humaines. Ainsi ce que le chrétien qualifie de mollesse et d’amour immodéré «le la jouissance (cf. 7e Contro­ verse, entre autres 11,a ; 17,f) n’est pour le musulman que modération, juste milieu de la vertu et de la perfection. Ce que le chrétien, engagé dans la lutte contre le mal et tendu dans sa volonté de participation personnelle au mystère de la rédemption, condamne comme un relâ­ chement pour le moins périlleux, est considéré par le 1. Cf. dans BckuârI, Les Traditions islamiques (trad. Hondas, 1903-1914), le chapitre consacré à la foi. !.. Gardet, « Les noms et les statuts. Le problème de la foi cl des œuvres en Islam », dans Studia islamica, V (1956), p. 61-124. Il est curieux de constater que Mahomet reprend, en faveur de ses adeptes, les affirmations qu'il reprochait aux juifs et aux chrétiens (cf. Coran 2, 111-112). La Tradition affirme encore plus nettement que « personne n’entrera en enfer qui ait dans le cœur un atome de foi », et que « ceux dont le cœur ne contiendrait qu’un atome de foi, sortiront de l’enfer » (Bukuâk!, ch. imân, 33). RÂzI écrit : » Dire que Dieu ne châtie son serviteur pour aucun péché est un grand laxisme, et dire qu’il condamne au feu éternel son serviteur conscient d'un seul péché est un grand rigorisme. Le juste milieu est que Dieu fait sortir du feu quiconque dit et croit qu’il n’y a de Dieu qu’Allah · (al-Tafsîr al-kabir, V, Le Caire 1304 H., p. 355). LA THÈSE DU MUSULMAN 97 musulman comme une manifestation de la bienveillance divine à l’égard des hommes, mystère de la volonté trans­ cendante d’Allah. La morale du Coran, que les polémistes chrétiens regardaient traditionnellement comme une preuve de la fausseté de l'Islam, constitue pour le musulman un signe de plus en faveur de cette religion, dernière forme et expression définitive du message divin. 7 CHAPITRE VII LA THÈSE DE MANUEL PALÉOLOGUE Contre la thèse du docteur musulman. Manuel entend montrer l’excellence irréprochable de la morale chrétienne et l’infériorité de la Loi musulmane. La Loi chrétienne Manuel découvre d’abord dans la position de son parted naire une contradiction : comment, en effet, la Loi du Christ serait-elle bonne et divine et en même temps a telle qu’elle puisse recevoir de justes reproches » ? Comment le Mudarris a-t-il pu la ranger, avec celle de Moïse. « parmi les lois mauvaises » (8,b) ? L'observation est digne d’intérêt. Ibn llazm de Cordoue (994-1061) avait, plus de trois cents ans auparavant, reproché aux chrétiens de tenir la même attitude relativement à la Loi de Moïse1. Et de fait, il y a quelque difficulté à concilier l’affirmation de l'origine divine de la Loi mosaïque et les critiques parfois radicales qui lui sont adressées par Jésus et surtout par saint Paul12. La 1. Cf. R. Arnaldez, Grammaire et théologie chez Ibn llazm de Cordoue, p. 309-311. 2. Dans l’article Geselz du Lexikon fûr Théologie und Kirehe, IV (I960), p. 820, P. BiAsf.r écrit : « Die schwere Problcmatik der Gesetzcsfragc iin NT 1st allein darin bcgründet, dass cincrscits die güttliche Autoritât des ganzen Gesetzes voll anerkannt wird, ander- LA THÈSE DE MANUEL PALÉOLOGUE 99 solution est à chercher dans le caractère historique de la révélation : la révélation mosaïque dut accepter des compromis avec la dureté de cœur d’un peuple encore assez primitif; puis elle gagna en profondeur spirituelle grâce à l’effort d’intériorisation des prophètes ; mais ce n’est qu’avec Jésus qu’elle parvint à sa forme parfaite. La Loi chrétienne prend donc tout naturellement la place de l'ancienne, pour toujours. Après le Christ et le Nouveau Testament, la révélation est close. Telle est la doctrine professée par le chrétien. Or, pour le musulman, Allah est intervenu encore une fois pour abroger toutes les formes antérieures de la religion et promulguer l’Islam. Le mouvement qui, pour le chrétien, va du Judaïsme au Christianisme, se poursuit, pour le musulman, et ne s’achève qu’avec l'Islam. Il y a cependant une nuance dans les attitudes qui justifie l’observation de Manuel. Jamais la doctrine chrétienne n’a qualifie la Loi de Moïse de mauvaise. Or le Mudarris a déclaré mauvaise la Loi qui prescrit la pratique du célibat (5,h). Outre cette réplique négative, Manuel fournit une réponse directe, destinée à laver la Loi chrétienne de l’accu­ sation de dureté inaccessible aux hommes. 1) Tout dans la Loi chrétienne n’est pas préceptes et commandements obligatoires pour tous. « Respecter les préceptes est une nécessité générale et indispensable » (11 ,b). Sans cela nul ne peut se sauver et prouver au Seigneur son amour. Mais il y a lieu de distinguer en outre les conseils ou exhortations. Les conseils ne s’imposent pas incondi­ tionnellement à tous. Ils sont proposés aux plus parfaits : ils sont un appel à la libre volonté des âmes généreuses seits aber dieses selbe Gesetz seine Geltung verllert... » Et un peu plus bas : « Es ist bisher noch nicht gelungen, aile Einzclhcltcn, die die Evv. zu dieseni Thema bieten, zu einem cinhcitlichen Bild zusanmicnzufügen. » 100 INTRODUCTION prêtes, dans leur aspiration vers un plus grand amour de Dieu et leur désir d’une plus ressemblante identification avec Jésus, à souffrir de pénibles labeurs et à persévérer dans leur effort. C’est parmi de tels conseils qu'il faut ranger tous les points que le musulman a jugés excessifs dans la Loi chrétienne. Donc la Loi du Christ, dans ses préceptes, ne présente rien d'excessif. Cette notion de conseil a son équivalent en Islam, quoique dans un contexte différent. Les docteurs de la Loi musul­ mane ont fixé diverses catégories d'actes moraux et légaux, dont celle des actes recommandés (mustafyabb, mandüby. L’omission de ces actes recommandés n’entraîne aucune punition, mais leur accomplissement mérite par contre rétribution. Le pardon, pour citer un exemple entre bien d’autres, est permis et même recommandé au lieu de l'exercice strict du droit de vengeance (cf. Coran 2, 178; 16, 126 ; 12, 40.43; 64, 14). On trouvera d’autres cas dans 4, 114 (bienfait et concorde), 13, 22 (patience et disposition à rendre le bien pour le mal) ; cf. 23, 96 et 41, 34. 2) Non seulement dans ses préceptes, mais même dans ses conseils, la Loi du Christ n’est pas excessive. Elle est u à peine au-dessus de l’homme, accessible et vraiment très facile » pour ceux qui le veulent (9,b). Manuel en appelle, au cours de son très long exposé, à une constatation de fait : il y a eu une légion de saints qui ont pratiqué ces conseils évangéliques (19,f) et dont la sainteté a été authen­ tifiée par « les opérations et la puissance de l’Esprit divin qui se révèlent en eux d (10,b). 1. Les autres catégories légales sont les suivantes : — Les actions prohibées (harâm ou mahzür) ; — les actions obligatoires (ford ou wâdjib) ; — les actions permises (djd'iz ou mubûh) : ce sont les actions indiffé' rentes, qui ne. sont point objet de punition ni de récompense ; — les actions désapprouvées (makrûh) : elles n’entratnent cependant pas de châtiment. LA THÈSE DE MANUEL PALÉOLOGUE 101 Mais Manuel appuie son affirmation sur deux considé­ rations principales. Les conseils sont relativement « plus légers à porter et plus aisés à accomplir » (19,a), en raison : — premièrement de la grâce que Dieu prête aux hommes, — et aussi de l’espérance des grandes promesses de Dieu : contemplation et filiation divine, source des jouissances célestes. 1. La grâce Le mystère de la grâce, tel qu’il est conçu dans le Christia­ nisme, nous semble étranger aux perspectives musulmanes. Les relations de l’homme avec Dieu ne s'insèrent point en Islam dans un contexte de grâce sanctifiante. Dieu ne se rend point présent dans l’homme par sa grâce, de manière à le transformer, à l’élever du plan purement naturel au plan surnaturel. Il est inconcevable que l’homme puisse parti­ ciper mystiquement à la nature divine (cf. Il Pierre 1, 4), que la foi soit, une confidence de Dieu sur sa vie intime, enfin qu’une relation d’amour puisse s’établir entre l’homme et Dieu. Dieu n’est pas le Père, dont la volonté salvifique embrasse tous les hommes. Dieu est essentiellement le Transcendant, le mystère impénétrable. Vers ce mystère aucun chemin ne peut conduire, et nulle confidence ne peut lever le voile sur ces arcanes. La foi n’ajoute rien à la nature de l’homme, elle n’est qu’une remise totale à Allah. Il n’y a pas lieu de parler, ne fût-ce que symboliquement, d’une transformation qui alïecterait ontologiquement le croyant. La transcendance de Dieu ne concerne pas seulement son être, mais aussi sa volonté. Aucun amour ne peut lier cette volonté transcendante à la créature. Et si le Coran parle, dans de rares versets, de l’amour de Dieu (3, 31 ; 5,54...)*, il 1. Cf. L. Gardet, · La connaissance et l’amour de Dieu scion quelques textes sufls des premiers siècles de l’Hégire », dans Revue Thomiste (1946), I. p. 120-151. Sur les versets du Coran, p. 137. 102 INTRODUCTION faut comprendre cela, assurent les commentateurs, non d’une relation d'amitié entre Allah et les hommes, ce qui serait indigne de Dieu et impensable du Transcendant, mais d’une manifestation de bienveillance divine, de condes­ cendance absolument gratuite, et de la part de l’homme d’un amour s’adressant au seul ordre de Dieu, à sa Loi seule111 . Or cette Loi n’a rien de l’intériorité de la Loi de l’esprit qui guide les enfants de Dieu dans l’exercice de leur liberté, selon le mode d’expression de saint Paul. Elle est tout extérieure à l’homme. Elle exprime les termes d’un pacte accordé par Dieu : contrat unilatéral par lequel Dieu s’engage à rétribuer le croyant, et essentiellement à le sauver moyennant sa foi. Le chrétien, par contre, aspire à l’imitation de JésusChrist et à la ressemblance avec le Père céleste. Son effort vers la perfection tente un dépassement dont les horizons s’élargissent indéfiniment. Il lutte pour que sa condition charnelle se fasse toujours plus transparente et se trans­ figure spirituellement dans le Christ : que le Christ vive désormais en lui (Gai. 2, 20) et qu’il soit appelé et soit en vérité un fils de Dieu (I Jn 3, 1). Pour le musulman orthodoxe il s’agit purement et sim- j plement de demeurer dans les limites du pacte dont les termes ont été fixés par Dieu et communiques aux croyants dans le. Coran et la Tradition authentique. Tout désir de dépasser ces limites est suspect et considéré comme une ambition présomptueuse. Que si l’Islam demande de lutter contre le mal et de faire le bien, c’est dans le but non point de se rapprocher d’un Père que l'on aime, mais d'éviter , le châtiment d’un Juge qui a décidé de rétribuer les bonnes œuvres — à savoir celles qui sont conformes aux termes de la Loi mais qui entend aussi ne pas laisser impunies 1. Cf. Ibn Taymiyya, Madjmil'a abrasd’il iva Ί-masû'il, Le Caire, 11, p. 162-165; H. I.aokst, Essai sur les doctrines d'ibn Taynùyya, Le Caire 1939, p. 171. r LA THÈSE DE MANUEL PALÉOLOGUE 103 les transgressions. 11 s’agit, on le voit, d’une justice de type juridique. Seul le sufisme a essayé d’exploiter la veine spirituelle contenue dans l'élan religieux des premiers temps de ΓIslam et de Mahomet. On connaît son histoire dramatique1. Les compromis avec les valeurs terrestres ont exercé une influence déterminante sur la pensée officielle, et la théo­ cratie musulmane a vite menacé de dégénérer en une nomocratie passablement raide. Ce qui sauve l’âme et le sentiment religieux profond dans l'Islam, c'est la foi, l'adhésion inconditionnelle à la parole de Dieu, l’abandon, la remise de soi à Allah. Cela est frap­ pant. A force de foi nue, le musulman parvient à surmonter les écueils d'un légalisme desséchant. 11 observe les minuties des prescriptions canoniques, sans ennui, avec une soumis­ sion si profonde et si sincère qu’elle ne peut être qu’une forme d'amour. L’ordre surnaturel chrétien est constamment à l'horizon de la pensée de Manuel. Il parle egalement de la grâce comme d'un secours accordé en vue d’accomplir le bien (9,b ; 19,c). La réalité de la grâce-secours est un dogme du Chris­ tianisme. « Hors de moi, dit le Seigneur, vous ne pouvez rien faire » (Jn 15, 5). « C’est Dieu qui produit en vous le vouloir et le faire, au gré de ses bienveillants desseins », enseigne saint Paul (Phil. 2, 13). C’est là une conséquence de l'ordre surnaturel. Si Dieu a voulu élever l’homme à l'ordre surnaturel, et si par ailleurs il veut sauver tous les hommes, il s’ensuit que Dieu leur fournit aussi le secours necessaire pour qu’ils agissent conformément aux exigences de cet ordre surnaturel. C’est le pendant théolo­ gique de ce que les philosophes nomment la motion divine, ou secours naturel de Dieu. Le même problème se pose donc, en philosophie et en théologie, de concilier théoriquement 1. Cf. G.-C. Axawati et L. Gardf.t, Mystique musulmane, 1961. 104 INTRODUCTION l’action toute-puissante de Dieu et la liberté de l’homme. La théologie musulmane a connu les difficultés de ce problème. Le Coran enseigne nettement à la fois la toutepuissance de Dieu et la responsabilité de l’homme, sans se soucier de donner la solution théorique du problème. C’est le cas de tous les livres religieux, de toutes les Écritures, qui ne sc présentent pas comme des traités de philosophie. Le problème a suscité une longue et douloureuse querelle entre les diverses écoles du kalâm musulman (théologie). L'orthodoxie ash'arite a abouti à une espèce d’occasionalismc atomiste, aux formules verbalement habiles et conciliatrices, en ce qui touche les textes sacrés de l'Islam, mais en réalité peu convaincantes. Peut-être est-ce le sort des grands problèmes relatifs à Dieu de ne recevoir que des solutions philosophiques verbales, où l’habileté de la for­ mule consiste à éviter la contradiction1. L’Islam, pour en revenir à la grâce, parle de secours divin. Le Coran dit fréquemment que Dieu accorde aux hommes bonne direction, qu'il guide qui il veut. La théolo­ gie en a tire la théorie du tawfïk divin : le mot signifie action de rendre possible une action, de donner le succès. Cette assistance, divine est un signe de la bienveillance (luff) d'Allah, qui par là accorde au croyant de persévérer dans la bonne direction et dans l'obéissance de la foi. Mais comme pendant du tawfïk, il y a aussi en Islam la notion de khidhlân ou abandon. On ne peut la rapprocher de la grâce simplement suffisante, en théologie chrétienne : il s’agit positivement de « la création en l’homme du pouvoir de désobéir12 ». Cette theorie de. l’abandon divin se rattach aux versets coraniques qui affirment, avec une insistance inquiétante, que Dieu guide qui il veut, mais égare aussi 1. Sur cc problème et les diverses positions des écoles musulmanes, on lira L. Gardkt, art. Allûh, dans NE/s, I, surtout p. 424-426; M. Gaudefroy-Demombynes, .Mahomet, p. 352-368. 2. TaftazânI, Makûÿtd al-fàlibln (Ί uxûl al-dlrt, Istanbul, p. 118. LA THÈSE DE MANUEL PALÉOLOGUE 105 qui il veut (cf. entre autres 4, 88 ; 13, 27.31.33 ; 14, 4.27 ; 16, 93...). On débouche là sur le problème de la prédesti­ nation avec la rigidité que lui prête l’Islam. Il ne s’agit pas toujours de simples formules stylistiques paradoxales, qui tiennent de la mentalité sémitique. L’insistance du Coran semble vouloir exprimer l’existence d’une prédes­ tination sévère, dont l'explication dernière réside dans la volonté souveraine, transcendante et absolue de Dieu. La volonté d’Allah se joue de la raison humaine et demeure impénétrable dans ses décisions : « Allah fait ce qu’il veut... » (14, 27). « Si Allah avait voulu, il aurait fait de vous une communauté unique. Mais il égare qui il veut et il dirige qui il veut, et il vous sera demandé compte de ce que vous faisiez » (16, 93). Ainsi donc le secours divin ne correspond pas à une volonté salvi tique universelle de Dieu, niais bien «à une bienveillance imprévisible issue de la décision d'Allah. Et pourtant le Coran retient la réalité du Jugement et de la rétribution. Dieu promet en effet le paradis à ses fidèles, et. voue au châtiment les incroyants. 2. Les promesses de l'au-delà La grâce agit dans la liberté de l’homme et ainsi, conclut Manuel, les conseils de perfection deviennent-ils tout à fait accessibles à l’homme. Il y a en outre l’espérance des promesses merveilleuses que Dieu a faites à ceux qui l’aiment. Il y a la récompense des bons serviteurs, fidèles aux préceptes, mais il y a aussi la gloire des fils, réservée aux parfaits. Le ciel des parfaits, la jouissance à laquelle ils aspirent, c’est la contemplation amoureuse de Dieu dans un élan qui les rapproche de lui et fait resplendir leur ressemblance de fils avec lui, le Pore. C’est cela qui occupe constamment leur pensée et leur cœur (20,d). Ce ciel chrétien, promis à tous ceux qui aiment Dieu, selon le degré de leur amour, est différent du paradis 106 INTRODUCTION musulman. L'Islam ignore le mystère de l’élévation surna­ turelle par la grâce. Il ne peut donc pas être question pour l’homme de devenir psychologiquement ce que la grâce fait de lui ontologiquement. Nul ne peut être fils de Dieu, et il ne s’agit, pas d'aimer. Il s’agit d’obéir à l’ordre d’Allah j pour la récompense ou, au mieux, par foi pure et remise totale à la bienveillance divine. Mais c'est tout. 11 n’y a aucune identification d'amour à espérer ou ressemblance par filiation mystique avec Dieu. Cela serait proprement blasphématoire. Au terme de la vie, la persévérance dans la foi assurera aux croyants pieux l'entrée au paradis et aux croyants pécheurs la délivrance de l’enfer éternel, après une période de peine et de châtiment. Le paradis est le lieu où les croyants pourront sc livrer à la jouissance ininterrompue, sous toutes ses formes : sensuelle, sensible, intellectuelle, imaginative. Tout ce qui, sur terre, constitue l’ornement et l’agrément de la vie sera à la disposition des élus : ils pourront en jouir ; toute restriction est levée. Mais — et c’est là la différence essentielle — la vision de Dieu ne constitue pas la réalité primordiale du paradis et la récompense accordée à tous les élus. La théologie musulmane a mis beaucoup de temps pour conclure de certains versets du Coran (9, 72 ; 10, 26 ; 89, 27-30) que la vision de Dieu sera accordée aux élus à titre de surcroît (ziyâdd). On ne parvenait pas à admettre que Dieu pùt être accessible à la vision de l’homme. Un effort parallèle amènera de meme à dépasser l’opinion selon laquelle la vision de Dieu ne peut être pour l’homme une joie, une « liesse », d’après l’expression de Massignon. L’assertion d’al-Ash'arï, au xe siècle, qui appelle la vision de Dieu « la jouissance la plus élevée1», accuse des influences étrangères à l’Islam, en partie chrétiennes. Ce sont aussi de telles influences qui expliquent que les 1. Dans Ibtïna 'an u$ül al-diâna, Le Caire 1348 H., p. 15. LA THÈSE DE MANUEL PALÉOLOGUE 107 süfis aient pu parler avec autant de chaleur et de conviction du primat de l’amour de Dieu, ici-bas et dans le ciel. Mais même les süfis ne rejoindront pas exactement les positions de la doctrine chrétienne sur l'amour de Dieu, principe premier de la béatitude et de la jouissance des saints1. La Loi de Mahomet A la Loi de Mahomet Manuel adresse deux reproches principaux : son retour pour l'essentiel aux prescriptions mosaïques et le caractère déraisonnable de la loi du djihâd ou guerre sainte, par exemple (2,c). 1) Le djihâd est le moyen préconisé par le Coran pour assurer l’expansion de la religion d'Allah. Nul droit ne peut prévaloir contre le droit d’Allah à l’obéissance des hommes. Un appel à l’Islam sera donc adressé à tous. De la réponse à cet appel dépendra l’attitude de la communauté musul­ mane en face des non-croyants. Ceux qui se convertissent à l’Islam seront intégrés dans la communauté, « la meilleure qui ait paru parmi les hommes » (Coran 3, 110) ; ils acquer­ ront de ce fait tous les droits et privilèges des croyants, mais seront aussi soumis aux mêmes devoirs de la guerre sainte e dans la voie d’Allah ». Mais si les infidèles ne se convertissent pas ? Dans ce cas, il faut distinguer entre les Détenteurs de l’Écriture, juifs et chrétiens, et les Madjüs (= Zoroastriens) d’un côté, et de l’autre les simples infidèles. Les Détenteurs de l’Écriture, en considération de la révélation qu’ils ont reçue, bénéficieront d’un traitement de faveur. Non qu’ils soient traités à égalité avec les musul1. Cf. L. Gaudet, « Les fins dernières selon la théologie musul­ mane », dans Revue Thomiste (1957), II, p. 291-298 ; L. Massionon, • L’aridité spirituelle selon les auteurs musulmans », dans Études Carmêlitaines, octobre 1957, surtout p. 177. 108 INTRODUCTION mans, mais ils auront un meilleur sort que celui des infidèles. S’ils viennent donc à conclure un pacte d’allégeance avec la communauté, ils passeront sous sa « protection tuté­ laire n (dhimmd). Ils auront le droit de garder leur foi, partiellement vraie aux yeux de l’Islam, d’être régis par un statut personnel s’inspirant des dispositions de leur propre Loi, d’exercer enfin leur culte. Mais en regard de cela, ils devront payer tribut et se contenter au sein de l’État d’une condition inférieure à celle des croyants, sou­ lignée parfois par des marques extérieures. En outre, s’ils ont commencé par combattre contre les musulmans, ils subiront certaines restrictions à leur liberté politique et aux manifestations publiques de leur culte. Les infidèles, eux. n’ont droit à aucun ménagement. Ils devront ou embrasser simplement l’Islam ou devenir le butin de la communauté : les hommes seront tués ou réduits en esclavage, les femmes et les enfants iront, comme esclaves, grossir les effectifs des croyants. Ainsi donc, la loi du djihâd doit assurer la prédominance de la religion d'Allah et empêcher les incroyants de porter atteinte aux droits universels de l’Islam. C’est « dans la voie d’Allah », assure Mahomet, que le musulman mène la guerre sainte. Le verset du Coran : * Nulle contrainte en la religion » (2, 25G) date de la période qui précède les grandes luttes de Mahomet. On pourra trouver les déterminations relatives au djihâd dans la sourate 9 : c'est l’expression de la dernière volonté de Mahomet sur le sujet. Cette loi de la guerre sainte est jugée déraisonnable par Manuel et même blasphématoire. La foi, argumente-t-il, est un fruit de l’âme ; seule la persuasion peut y amener et non point la contrainte et la violence corporelle. Une loi qui ferait du fer et de la guerre l’instrument de la pro­ pagation de la foi. ne saurait donc être bonne ; elle est contraire à la sagesse divine. De plus, il est blasphématoire de pouvoir acheter à prix d’argent, en payant le tribut, la liberté de vivre dans l'incroyance (3,a - d). Manuel ne tient LA THÈSE DE MANUEL PALÉOLOGUE 109 pas compte des nuances : il semble ignorer la distinction faite par l’Islam entre détenteurs de l’Écriture et infidèles. I>e Mudarris ne relève pas ces inexactitudes ; il ne répond même pas du tout à cette accusation, ou du moins Manuel ne rapporte pas sa réponse1. 2) Manuel n’a pas beaucoup insisté sur le djihâd. L'at­ taque dirigée par lui contre la Loi de Mahomet entend être radicale. La Loi de Mahomet est un retour au Judaïsme, que le Mudarris a jugé inférieur au Christianisme; de plus, elle n’a retenu des Lois juive et chrétienne que ce qui est facile, et cela même, elle l’a défiguré. Manuel ne fait allu­ sion, explicitement, qu’à certains points : nous les étudie­ rons de façon assez sommaire (cf. 3,e-g ; 23,c-d ; 27,a-c ; 28,c-e ; 29,a-e ; 33,a-b ; 34,a-b ; 35,a-c). — A la Loi chrétienne, assure Manuel, Mahomet a peu emprunté, en somme certains adoucissements de la Loi mosaïque. — Λ la Loi juive, Mahomet a emprunté l’essentiel île sa législation, mais il a pris surtout ce qui est le plus facile. Par là, la Loi musulmane s’oppose à la Loi chrétienne et s’apparente à celle des juifs, malgré les outrages que Mahomet n’arrête pas de lancer contre cette dernière. Parmi les emprunts de l'Islam à la Loi juive, Manuel cite les points suivants : loi du talion, interdictions alimentaires, poly­ gamie, répudiation et lévirat, circoncision... 1. Ιλι du talion Mahomet connaît la loi juive du talion (Coran 5, 32.45). Elle sévissait également dans les mœurs des Arabes avant l'Islam. Mahomet la reprend en y apportant certains 1. Pour plus de détails sur les djihâd, cf. E. Tyan, art. Djihâd, dans NE/s, II, p. 551-553 ; M. Gaudefroy-Demombynes, .Mahomet, p. 578-596 ; !.. Gardht, La cité musulmane (195-1), passim, surtout p. 57-77 et 95-96. no INTRODUCTION adoucissements, parfois à titre facultatif : ccs allégements rappellent quelquefois le pardon chrétien (cf. 2, 178; 4, 92; cf. aussi plus haut, p. 92). 2. Interdictions alimentaires Le Seigneur Jésus avait déclaré tous les aliments purs (Λ/c 7, 14-15.19 ; cf. également Ac/. 10, 12-15). Ce principe n’est pas atteint par les décisions prises, par souci de conciliation et pour des raisons de simple opportunité, par le concile des Apôtres à Jérusalem : abstention des viandes étouffées et du sang (Ad. 15, 20.29). La Loi de Mahomet reprend nombre des interdictions alimentaires juives. Elle en supprime quelques-unes, car il ne s’agit pas de s’abstenir des bonnes choses que Dieu dispense à ses fidèles. Il y a là, en plus de la considération exprimée par saint Paul dans I Tim. 4, 3, un appel à tirer parti de ce monde (Coran 5, 4-5.87-88 ; etc.). Mahomet supprime les notions de licite et d’illicite : tout est licite des bonnes nourritures que Dieu a créées. Tou­ tefois il faudra s’abstenir du sang (2, 173; 5, 3; 16, 115. Cf. Léo. 1, 5 ; 19, 36 ; Deut. 12, 23), de la viande de porc (Coran, ibid, 6, 145. Cf. Léo. 11,7; Deut. 14, 8), de la bête morte (Coran, ibid. Cf. Deut. 14, 21 ; Ad. 15, 20.29). En plus des prohibitions juives. Mahomet défend l’usage du vin. A la vérité, le Coran accuse sur ce point — comme sur bien d’autres — une évolution assez nette. C'est l’une des rares fois où il opte pour la sévérité. Dans la période mekkoise, le vin est présenté comme « une boisson enivrante et un aliment excellent » (16, 67). Puis Mahomet y voit une cause de péché et à la fois une source d’utilités, « mais le péché qui est en (lui) est plus grand » (2, 219). Après cela vient la première défense claire et expresse : « N’approchez point de la prière, alors que vous êtes ivres, avant de savoir ce que vous dites » (4, 43). Enfin la prohibition absolue : « C’est une souillure (procédant) de l’œuvre de Satan. LA THÈSE DE MANUEL PALÉOLOGL’E 111 Êvitez-la » (5, 90). Les croyants ne seront dédommagés qu’au paradis, où coule pour eux, entre autres, un fleuve de vin (47, 15). D’autre part, Mahomet ne prolübe pas, contrairement à la Loi juive, la chair de lièvre et de chameau (cf. Leu. 11, 4.7 ; Dcul. 14, 7). Il s’accorde toutefois avec les usages arabes et juifs pour prohiber « la bête étouffée, la bête tombée sous des coups, la bête morte d’une chute ou d’un coup de corne, ce que les fauves ont dévoré » (5, 3)1. L’in­ terdiction atteint enlin toute viande sacrifiée aux idoles (2, 173; 5, 3; 16, 115)«. 3. Polygamie et repudiation Nous avons dit plus haut combien l’Islam est favorable au mariage et à la satisfaction sexuelle. Il en est resté à la polygamie pratiquée également chez les Arabes et dans le Judaïsme. Cependant il l’a quelque peu réglementée en fixant à quatre le nombre des épouses légitimes qu’un homme peut avoir à la fois. Le nombre des concubines esclaves n’est pas limité. La loi sur la répudiation met à la disposition de l'homme une arme redoutable qui menace ce qui peut encore rester de stabilité dans la famille musulmane. La jurisprudence a tan­ tôt élargi et tantôt rétréci les limites de cette disposition de la loi, connue et pratiquée depuis les temps de Mahomet1 23. Manuel affirme aussi que l’Islam « permet que la même femme soit épousée successivement par plusieurs frères, si son mari meurt sans avoir d’enfants » (27,b). C’est la pratique juive du levirat (cf. Gen. 38, 8 ; Deut. 25, 5-6 ; 1. Cf. Deal. 14, 21 : mais ce texte ne détaille pas les différents cas qui doivent faire considérer une bêle comme crevée. 2. Cf., parallèlement, la solution théorique et pratique apportée au problème des idolothytos par saint Paul, I Cor. 8, 1-10.33. 3. Cf. G.-H. Bousquet, La morale de l'Islam et son ilhiquc sexuelle (1953), p. 103-113. Voir aussi plus haut, p. 93-94. 112 INTRODUCTION Ruth 4, 5.10 ; Maith. 22, 24). 11 y a là une erreur. L’Islam ne reconnaît pas la pratique du lévirat. On pourrait peutêtre rapprocher cette pratique de la coutume arabe d’après laquelle un parent héritait, entre autres, des femmes de ses proches ; il pouvait les épouser sans leur donner de dot, ou les donner en mariage et percevoir leur dot, ou enfin les retenir jusqu’à ce qu’elles se rachètent en apportant une dot convenable prélevée sur leurs patrimoines propres, ou jusqu’à ce qu’elles meurent, laissant leur héritage à la disposition du maître. Le Coran a abrogé le droit de recevoir les femmes par héritage contre leur gré et celui de les empêcher de se marier par motif de cupidité (4, 19)1. Mais entre la coutume arabe préislamique et le lévirat juif, la différence est sensible. Le lévirat était une obligation qui incombait au frère juif du défunt; sa transgression déshonorait le coupable et donnait à la femme le droit de le frapper de sa sandale publiquement (cf. Deal. 25, 5-6). Chez les Arabes, l’héritier avait le choix d’épouser la femme héritée ou de la donner à d'autres moyennant dot. Dans le chapitre consacré à l'Islam que l’on peut lire dans le De Haeresibus de S. Jean Damascène, il est dit qu'une femme répudiée pouvait être épousée même par le frère de l’ancien mari (PG 94, 769 B). Manuel a-t-il lu ce texte et s’est-il hâté de conclure qu’il s’agissait d’une reprise par le Coran du lévirat juif? Quoi qu’il en soit, il est remarquable que son interlocuteur musulman, encore ici, ne relève pas l’inexactitude de son information. Peut-être Manuel n'a-t-il ajouté ce détail que lors de la rédaction définitive des Entretiens. 4. Circoncision La circoncision n’est pas mentionnée dans le Coran. Elle est attestée par la seule Tradition. Toutefois elle est loin 1. Lire également 4. 22-23. Cf. note de Blachère sur le verset 4,19/ B 102,23. dans Le. Coran, p. 929. LA THÈSE DE MANUEL PALÉOLOGUE 113 d’avoir, au moins dans la théorie, l’importance que semble lui accorder Manuel. Celui-ci la prend en effet pour un signe distinctif de l’Islam, au même titre que la circoncision juive. Or les manuels de la loi musulmane n’attachent à cette pratique aucune importance. Pour les théoriciens de la loi en Islam, ce rite est d’origine préislamique. Il n’a pas de signification spéciale, et aucune date n’est fixée pour l'accomplir. Il n’est d'ailleurs pas strictement obligatoire, mais simplement recommandé. C’est une sorte de puri­ fication. Razî a cherché à y trouver en outre un moyen d’atténuer l’intensité de l’émoi sexuel : c'est un juste milieu entre l’incirconcision et la mutilation manichéenne1. Mais nulle part, on ne trouve que la circoncision a l’importance d’un rite d'initiation, ou, comme dans le Judaïsme, qu'elle est un signe d’appartenance au peuple de Dieu, et donc qu’elle est nécessaire pour tout juif, depuis Abraham (cf. Gen. 17, 9-14). Cette interprétation est étrangère à la théologie musulmane. Néanmoins, dans la pratique et dans la croyance populaire, la circoncision fait partie de rites sociaux indispensables en Islam, et elle est célébrée par une fête de famille plus ou moins importante. L'excision des filles, inconnue chez les juifs, se pratique dans certaines régions de l'Islam. Elle a encore bien moins d’importance et d’intérêt que la circoncision des garçons. C’est aussi un reste des usages préislamiques. Les points que nous venons de passer en revue sont les seuls que Manuel mentionne expressément en vue de mon­ trer combien la Loi musulmane est tributaire de celle de Moïse. Plus donc qu’avec La Loi chrétienne, à laquelle elle s'oppose plutôt, la Loi de Mahomet accuse une ressemblance nette avec celle de Moïse. Si donc, de l’avis du Mudarris, la Loi du Christ est supérieure à celle de Moïse, force est de conclure qu'elle l’emporte aussi sur celle de Mahomet. 1. RÂzl, Mafatlh al-(jhayb, V, Le Caire 1308 I L, p. 356. 8 114 INTRODUCTION Il y a plus : l’effort de Mahomet pour trouver un compromis entre les prescriptions chrétiennes et juives semble à Manuel une plaisanterie. Mahomet n’a pu se hausser au niveau de la sublimité de la Loi chrétienne ; il a donc recueilli ce qu'il y trouvait de plus léger, en défigurant parfois cer­ taines données. D’une Loi qui a une telle origine, nul homme de sens n’osera dire qu’elle est supérieure à celle du Christ. Les points de contact entre l'Islam et le Christianisme sont assez nombreux pour avoir attiré l’attention de bien des chercheurs. Tor Andrae, entre autres, insiste sur ce que l’Islam doit à 1-Êglise syriaque1. D’autre part, les ressemblances de l’Islam avec le .Judaïsme ont inspiré à l’un ou à l'autre des positions allant parfois jusqu’au paradoxe : pour les extrémistes, l’Islam ne serait qu’un sous-produit du Judaïsme, tel qu’il était enseigné et pratiqué en Arabie au temps fie Mahomet. Mahomet aurait même tout appris auprès des juifs installés à Médine ou à la Mekke12. Les polémistes chrétiens de langue grecque avaient traditionnellement considéré l’Islam comme une religion composite, faite d’éléments empruntés. Avec son insistance sur l’inspiration juive de la Loi de l’Islam, Manuel reprend en partie pour son propre compte les positions de ses devanciers. 1. Tor Andrae, Les origines de l'Islam et le Christianisme, trad. fr. Paris 1955, et Mahomet, sa vie. et sa doctrine, trad. fr. Paris 1945. 2. La thèse extrémiste est soutenue par II. Zacharias, L'Islam, entreprise juive. (1955). Pour l’étude des emprunts de l'Islam au Judaïsme, on trouvera une bibliographie suffisante dans A. I. Katsii, Judaism in Islam, New-York 1954. CHAPITRE VIII MÉTHODE DE MANUEL ET CONDITIONS DU DIALOGUE RELIGIEUX Pour rédiger son ouvrage, Manuel Paléologue a utilisé les renseignements que ses séjours à la cour du sultan lui permettaient de recueillir cl les informations directes reçues auprès de son hôte et interlocuteur, le vieillard musulman. 11 s’est aussi documenté chez ses devanciers : il déclare, dans le prologue, que bien d’autres ont traité le même sujet, et il mentionne surtout avec admiration l’œuvre de son grand-père Jean Cantacuzène1. Manuel ne semble pas avoir eu besoin, pour la 7e Controverse, de faire des recherches particulières dans les œuvres d’auteurs plus anciens. Il trouvait l’essentiel de la doctrine sur la morale musulmane dans les Apologies et les Discours de Cantacuzène12. Cantacuzcnc, à son tour, reconnaît sa dette partielle à l’égard de la réfutation du Coran écrite par le dominicain Ricoldo da Monte Croce3. Nous savons que cette œuvre a été traduite en grec par Démétrios Cydonès, qui envoya une copie du texte grec à Manuel en 1385/6. Nous aurons soin de signaler dans l’annotation du texte les emprunts 1. Entretiens, Prologue, 1 ; PG 156, 129 B. 2. On trouve publiés dans PG 154, les quatre Apologies, col. 372584, et les quatre Discours, col. 581-692, de Jean Cantacuzène. 3. La traduction grecque par Cydonès de l'œuvre de Rtc.oi.Do peut se lire dans PG 154, 1037-1152. Pour la mention de cette œuvre par Cantacuzène, cf. Premier Discours, 4 ; PG 154, 601 C. 116 INTRODUCTION faits par Manuel à ces deux œuvres, ou du moins les idées parallèles contenues à la fois dans notre Controverse et dans les œuvres mentionnées. Mais Manuel n’est pas un simple pillard intelligent. C’est un esprit brillant et un auteur de classe. Il sc documente mais ne compile pas. Son originalité et sa puissance intel­ lectuelle paraissent justement dans la mise en œuvre des matériaux dont il dispose. Il faut user d’érudition pour aller découvrir parallèles et emprunts. Λ aucun moment on ne sent qu’il est prisonnier d’un texte ou d’un document. Sa pensée évolue dans son propre domaine avec une aisance et une maîtrise remarquables. Son soin premier est mani­ festement voué à l’ordonnance habile des arguments et à la mise au point d’une méthode efficace. Il refuse d’avoir raison à bon marché et d’écrire un compte rendu de ses Entretiens où il aurait le beau rôle et triompherait d’un adversaire absent qui n’en peut mais. Il entend rédiger son texte avec une grande loyauté. Il rapporte les arguments et les objections de ses interlo­ cuteurs musulmans. Il ne redira pas tout, bien entendu : ce serait fastidieux et ridicule, d'ailleurs il cite de mémoire : « J’essayerai de rapporter ce qui, dans les propos du Mudarris, s’est dit de plus opportun et de meilleur et je reproduirai ceux de ses discours dont je me souviendrai1.! A cela il y a deux raisons : « D’abord parce qu’il n’est pas normal ni permis qu’un dialogue ne contienne pas les thèses des deux parties », et ensuite parce qu'il importe de donner un résumé des principales objections et positions doctrinales des musulmans, telles qu’elles ont été exposées par un de leurs docteurs éminents12. De ces Entretiens avec le Mudarris, Manuel avait attendu des résultats plus positifs. Il avait nourri ouvertement l’espoir de convaincre son interlocuteur 1. Entretiens, Prologue, 1 ; PG 156, 129 C. Cf. aussi 7* Contre· iwse, 5,b. 2. Entretiens, Prologue, 2 ; PG 156, 132 A-B. MÉTHODE DE MANUEL 117 et de l’amener â embrasser la religion chrétienne. Il avait trouvé tant de bonnes qualités de sagesse, de modération cl d’ouverture dans son hôte, qu’il avait cru que la vérité chrétienne emporterait sans grands obstacles l’adhésion du musulman1. Manuel s’était donc engagé dans la conversa­ tion avec entrain. Sa méthode se caractérise par les points suivants : 1. Rareté de l'argument scripturaire On sait (pie l'argument scripturaire est celui qui a la faveur des théologiens et des apologistes byzantins. Depuis les Pères de l’Église, la théologie byzantine est essentiel­ lement scripturaire. Manuel en avait un exemple typique dans l’œuvre de Jean Cantaçuzène et justement dans les Apologies adressées à un musulman1 2. Manuel lui aussi exprime sa prédilection pour cet argu­ ment et en souligne la valeur exceptionnelle. Il dit son regret de n’avoir pu y recourir « autant qu’il était permis et qu’il aurait fallu3 n. Mais, lorsque l’interlocuteur est un musulman, se pose alors un problème délicat et le recours aux textes de l’Écriturc doit être effectué dans des limites bien précises, celles exactement que détermine la foi du musulman dans le contenu de ces Écritures. a) Or cet argument, ajoute Manuel, n’est pas toujours admis par le musulman, soit par ignorance, soit pour d’autres raisons. Il ne précise pas davantage quelles sont les considérations qui empêcheraient un recours normal 1. Sur le portrait moral du vieillard, cf. les quelques traits réunis par nous au chap, n de V Introduction, p. 2-1-25. On trouvera d’autres notations dans les Entretiens, par exemple : Première Controverse. 1-3 ; PG 156, 133 B-D, 136 A-C. On peut lire aussi la 7« Controverse, 8,b.c. Sur les espoirs de Manuel de convertir son interlocuteur, cf. entre autres, Première Controverse, 1-3; PG 156, 133 B-D, 136 A-C; 7e Contro­ verse, 8,a.b ; 11,a ; 21,d ; 29,a ; 30,a ; 32,a ; 35,d. 2. Surtout les trois premières Apologies; PG 154, 372-532. 3. Entretiens, Prologue, 2 ; PG 156, 132 B. Cf. aussi ibid. C. 118 INTRODUCTION à l'argument scripturaire. Nous trouvons cependant dans la Première Controverse l’explication désirée. En effet Manuel s’y enquiert au sujet de la foi du Mudarris en Moïse, aux Prophètes et à l’Évangile. Le musulman répond que ces Écritures sont tenues pour valides et divines. Toutefois, ajoute-t-il, la croyance commune veut que ces livres aient été « traités sans ménagement par les traducteurs grecs, qui en ont supprimé ce qui confirmait la religion musul­ mane «. Manuel répond à l’objection, mais conclut : « Comme, en somme, nous ne sommes pas d’accord sur la valeur des textes scripturaires, nous préférons renoncer à y avoir recours. Nous userons donc plutôt de raisonne­ ments et d’arguments de convenance1. » b) De plus, les interlocuteurs n’entendaient pas le grec, et Manuel ignorait leur langue. On avait donc recours à des interprètes. Ceux-ci n’étaient pas forcément de bons théologiens ou des personnes compétentes en matière reli­ gieuse. Cela ajoutait une difficulté supplémentaire et n’était pas fait pour rendre aisée l’utilisation de textes dont le maniement théologique est assez délicat. Le recours aux arguments de raison présentait bien moins de difficultés. c) Enfin, tous les devanciers avaient abondamment exploité l'argument scripturaire : « Tout a été trouvé, disposé et exprimé d’une façon fort belle12, n Le recours à d’autres formes d’arguments pour l’illustration et la défense de la religion chrétienne était la meilleure justi­ fication du travail de Manuel. 2. Argument ad hominem Manuel aura parfois l’occasion de tirer des propres assertions de son interlocuteur des arguments susceptibles 1. Le texte cité se lit dans PG 156, 140 Λ. Voir tout le passage 137 A-140 B. 2. Entretiens, Prologue. 2 ; PG 156, 132 C. MÉTHODE DE MANUEL 119 de le confondre1. C’est ce qu’on appelle l’argument ad hominem. Cet argument est évidemment de valeur ration­ nelle fort limitée, mais son efficacité immédiate est parfois singulière. On lira un exemple de l’emploi de cet argument dans la réplique de Manuel au raisonnement de son parte­ naire sur les excès de la Loi chrétienne. Le musulman avait admis l’origine divine de la Loi du Christ, mais il s’était emporte contre le célibat chrétien à tel point qu’il a qualifié une telle prescription de mauvaise. Manuel relève la contradiction : une Loi à la fois divine et contenant des prescriptions mauvaises1 2! 3. Argument de raison Mais l’argument le plus indiqué sera l’argument de raison. Nous ne saurions ici produire tous les exemples qui à travers les Entretiens, ou même la 7e Controverse attestent le recours aux arguments rationnels. Rappelons comment Manuel attaque la Loi de Mahomet au nom de la raison : cette Loi argumente-t-il, n’a rien d’original qui soit bon ; son appel, par exemple, à la guerre sainte est à la fois déraisonnable puisqu’elle entend par là imposer par le glaive la foi qui n’est que conviction de l’âme, et blasphématoire, puis­ qu’elle verse le sang au nom de Dieu et que, toujours au nom de Dieu, elle accepte, moyennant tribut, de tolérer l’impiété3 Parfois l’argument de raison se conjugue avec l’argu­ ment ad hominem. Le musulman affirme constamment, comme le fait remarquer par exemple Manuel, que la Loi du Christ l’emporte sur celle de Moïse en excellence et en perfection. Or la Loi de Mahomet accuse un retour aux différentes dispositions de la Loi mosaïque. 1. Entretiens, Prologue, 2; P G 156, 132 B. 2. 7e Controverse, 8,b-c. 3. Ibid., 3,a-d. 120 INTRODUCTION Donc elle aussi est de loin inférieure à la Loi du Christ1. Toutefois le recours à l’argument de raison est soumis à des limites. Il ne peut s’agir d’arguments démonstratifs ou apodictiques. Manuel parle toujours d’arguments de convenance. Il se rend nettement compte de la vanité du raisonnement, quand il s’agit de certains domaines assez peu accessibles à la lumière de la raison naturelle. Il n’y a pas lieu de s'escrimer à établir des arguments démonstratifs en matière de foi. « car la foi et la démonstration s’opposent l’une à l'autre et elles ne se rencontrent jamais sur le même point12 ». L'argument de convenance par le probable est seul possible alors, et, s'il n’est pas apodictique et n’a pas la vigueur de l’évidence, il apporte neanmoins un appui à la foi et aide à maintenir la paix dans l’âme des fideles3. On le voit, l’argument de raison est rarement indépendant de la doctrine déjà admise antérieurement dans l’adhésion à une foi. C’est cela qui explique que tout l’effort déployé par Manuel pour amener son interlocuteur à se rallier aux positions chrétiennes n’ait pas obtenu le résultat escompté. ♦« ♦ Manuel a essayé d’analyser les raisons qui expliquent l’échec de son entreprise apologétique. Il fait part à son frère Théodore des résultats de ses réflexions : ce sont des motifs d’ordre psychologique qu’il découvre : l’âge du Mudarris, la difficulté de renoncer à la richesse, aux plaisirs et aux honneurs, le respect humain... Une excuse de couleur doctrinale réside dans la considération de la prospérité des musulmans en face de la misère des chrétiens. Et Manuel 1. Toute la dernière partie de la 7* Controverse est consacrée à cette démonstration. On trouvera l’argument campé en forme au passage suivant : 26,a. 2. Entretiens, Première Controverse, 13 ; PG 156. 145 A. 3. Sur la relation entre la raison et la foi, cf. Entretiens, Première Controverse, 7 ; PG 156, 140 A-B ; 12-13 ; 114 C-145 A. MÉTHODE DE MANUEL 121 de conclure : « Ce qu’il louait, ce à quoi il vouait son admi­ ration et qui lui semblait être le vrai partage de tous les hommes, il n’était pas capable, le malheureux vieillard, d’y venir. Il était devenu de toute évidence totalement prisonnier de l’erreur et n’était plus maître d’agir en pleine liberté. N’ayant pas, si tu veux, goûté à la vraie liberté, il n’était pas près de la désirer autant qu’il eût été normal1. » Manuel, qui ne doutait nullement de la vérité de sa foi, ni de la force convaincante de son exposé et de son argu­ mentation, a cru de bonne foi que les motifs mentionnés suffisaient à expliquer son échec. La médiocrité des résultats ne répondait nullement aux espoirs nourris. Et Manuel, tout au début de son ouvrage, laisse s’exhaler sa désillu­ sion : toute entreprise apologétique paraît inutile ; les croyants n’en retireront aucun profit, car ils n’y trouveront rien de neuf, et les impies n’en seront point convaincus ; chacun demeurera ainsi sur ses positions ; telle est la conclu­ sion que lui permet de tirer sa récente expérience à Ancyre12. Cette réflexion nous introduit plus avant dans le cœur du problème. Manuel rencontre au hasard de la conversa­ tion d’autres difficultés qui empêchent les musulmans de se rallier à ses thèses. Il est plus d’une fois tout près de découvrir le nœud de la question, ce qui, à notre sens, constitue la difficulté majeure et fournit l’explication dernière des attitudes diverses tenues par les deux interlo­ cuteurs. Il expose, par exemple, la distinction dans la Loi du Christ entre préceptes et conseils. Il utilise certes fort peu le texte de l’Évangile, mais tout son vocabulaire est strictement chrétien et condense une longue tradition théologique chrétienne. Cette tradition ne se confond pas nécessairement avec les perspectives de l’Islam. Aussi, à la fin du développement, les auditeurs musulmans 1. Entretiens, Dédicace, 1-2 ; PG 156, 128-129 A. Le passage cité se lit dans 129 A. 2. Entretiens. Dédicace, 1 ; PG 156, 128 A-B. 122 INTRODUCTION avouent-ils : « Nous voyons que. tu dis des mystères et des doctrines plus élevées que nos connaissances1. >· Manuel se contente de rapporter la reflexion, sans aller plus loin. Il en éprouverait même une certaine fierté : il parle plus d’une fois de l’ignorance de ses partenaires12. Mais il ne se rend pas compte qu'à partir de là son entreprise est menacée d'un échec inévitable. Comment pourrait-il en effet espérer rallier au Christianisme ses interlocuteurs, s'il ne parvient pas à les rencontrer et si le malentendu persiste entre eux et lui. On ne saurait trop insister là-dessus. Lorsqu’il croit avoir définitivement réduit les objections et victorieusement développé les positions chrétiennes, il entend les musulmans répliquer dans des termes qui le surprennent. Il ne le cache pas, il marque son étonnement : « Pourquoi te semble-t-il que ce qui a été dit ne concerne pas les deux Lois3 ? n Et plus loin : « Ces paroles me remplirent de surprise... Je ne mettrai jamais un terme à mes peines, si tu retournes constamment aux mêmes choses4. » Mais dans certaines réflexions faites comme en passant, Manuel a approché nettement du fond de la question. « Nous voilà, déclarc-t-il une fois, ramenés de nouveau, en quelque sorte malgré nous, aux discussions de doctrine56. » Et encore : « Je pense qu’il Le faut reconnaître tes prises de position dès le début. Si tu tentes d’échapper à toute force aux réfutations, il convient simplement de ne pas discuter du tout®. » On le voit, chaque fois qu’il est sur le point de mettre le doigt sur le nœud, Manuel est aussi tenté de réduire à un simple phénomène de psychologie la résis­ tance de son interlocuteur. 1. 7* Controverse, 12,a. 2. Prologue. 2; PG 156, 132 C. Il serait facile d’accumuler ici les références, mais il nous semble inutile d'insister. 3. 7e Controverse, 23,a. 4. Ibid., 32,a. 5. Ibid., 19,c. 6. Ibid., 32,a. Cf. aussi une réflexion fort significative : 34,b. MÉTHODE DE MANUEL 123 Essayons de montrer à présent comment les positions doctrinales de l’un et de l’autre ont condamné cette contro­ verse à être, encore une fois, non point un vrai dialogue mais une espèce de double monologue. ♦♦ * Il y avait certes des points sur lesquels les deux parties pouvaient se rencontrer. Mais, même là, les divergences profondes de la doctrine d’ensemble empêchaient que Ton se comprît tout à fait. 1) Les deux prétendent appuyer sur la raison leurs asser­ tions et leurs objections. Nous avons vu comment Manuel condamne au nom de cette raison le précepte islamique du djihâd. Mais nous avons vu aussi dans quelles perspec­ tives bien differentes l’Islam place l’appel à la guerre sainte : il s’agit simplement de soutenir contre les infidèles, dont la présence est toujours dangereuse pour la communauté, les droits de la religion d’Allah à l’obéissance de tous les hommes. De son côté, le musulman réplique que les pratiques de l’ascétisme chrétien sont déraisonnables : clics forcent notre nature, il semble que nos maux ne leur suffisent pas ; le célibat est surtout une. grande violence et « contraire à la raison ». C’est donc au nom de la même raison que le Mudarris réagit1. Autre point : le juste milieu est reconnu par la raison comme étant le caractère propre de la vertu et de la perfection. Or la Loi de l’Islam, déclare le vieillard, est celle qui tient le juste milieu... Manuel est d’accord sur le principe, mais non point sur son application. Ce que le musulman juge comme juste milieu, Manuel le nomme " mollesse » et le déprécie comme l’égal de jouissances 1. 7e Controverse, 5,a-i. 124 INTRODUCTION épaissement terrestres, qui sont de loin inférieures aux a meilleures choses1 ». C’est l’excellence de la Loi chrétienne, estime Manuel, que la raison prouve, puisque cette Loi propose un idéal sublime et donne le moyen de l’atteindre. 2) La notion de conseil évangélique, nous l'avons noté, pouvait être rapprochée de celle d’acte recommandé en Islam. Cependant les contextes généraux sont bien diffé­ rents. Le Christianisme et l’Islam ne conçoivent pas de la même façon les rapports entre Dieu et l’homme. .Jamais ΓIslam ne se permettrait d’écrire comme le fait saint Paul : <> Tu n’es donc plus esclave mais (ils12 » (cf. notre commen­ taire sur ce point, p. 101-102). 3) Moïse n’est qu’une étape, pour Manuel ; un moment, pour le Mudarris. Jésus est reconnu comme un grand prophète par le musulman, mais pas plus (7e Controverse, 8,c). C’est un moment exceptionnel de la révélation, mais Jésus n’est pas Fils de Dieu et il n’est pas la parole défini­ tive de Dieu adressée aux hommes. Ainsi donc, à l'intérieur meme des quelques points sur lesquels les deux parties sont d’accord, s’installe déjà la divergence. Mais l’opposition essentielle qui, selon nous, commande toutes les autres est évidemment la foi totale du Mudarris en la mission de Mahomet et le refus catégo­ rique de Manuel d’y voir autre chose qu’imposture3. Entre deux champions de deux causes aussi diamétralement opposées, on ne pourrait s’attendre à rencontrer beaucoup d’accord. Chacun est installé à l’intérieur de sa doctrine propre et essaye d’amener son partenaire à admettre cette doctrine. Tant de détails d’importance plus ou moins 1. Cf. 7« Controverse, 11,a : 13,b : 17.f,g : 18,a,b. 2. Gai. 4, 7. 3. 7e Controverse, 28,d ; 33,h. MÉTHODE DE MANUEL 125 décisive séparent les deux ensembles doctrinaux qu'on ne saurait prétendre ici les mentionner tous. Rappelons-en pourtant quelques-uns qui ont trait plus directement à notre propos. Nous renvoyons aussi à notre commentaire précédent. 1) La notion de péché est bien extérieure et plutôt légale en Islam. Le Christianisme a mis en vive lumière la tension entre la loi de la grâce et celle du péché qui œuvrent dans l’homme (Rom. 7,14-24). Pour jouir donc de la pleine liberté des enfants de Dieu, être de plus en plus vrais fils, persévérer dans la fidélité à notre vocation et entrer plus profon­ dément dans l’intimité de la famille de Dieu, il importe de purifier notre intérieur et de lutter jusqu’au sang contre le péché (Mc 7, 18-23 ; Héb. 12, 4). C’est cela qui domine l’attitude chrétienne relative à l’ascétisme. Réagir contre l’œuvre du mal, contre les jouissances terrestres, qui deviennent facilement un écran entre nous et les valeurs authentiques. Car l’essentiel pour le chrétien est de se réaliser pleinement sur le modèle du Christ, le Fils bien-aimé du Père. La terre n’est donc point pour lui une cité perma­ nente ; il ne faut pas qu’il songe à s’y installer définiti­ vement, car l’étape est si courte. Nulle collusion avec les valeurs matérielles, qui feraient perdre l’aspiration vers les « choses meilleures », les vertus des saints. On ne saurait vivre en communion simultanée avec le Seigneur et avec Satan, ni vouloir à la fois courir apres les appâts meurtriers de ce monde et s’assurer l’épanouissement spirituel. 11 y a un ordre à conserver. La synthèse de la vie chrétienne est faite non de compromis avec le monde, mais de subordi­ nation décidée de ce monde au Royaume. C'est une synthèse ouverte essentiellement sur les valeurs surnaturelles. La synthèse musulmane ne connaît pas cette tension entre le monde et le royaume de Dieu, depuis que l’inspi­ ration cschatologique des débuts a sombré dans les soucis 12G INTRODUCTION de la victoire terrestre. L’Islam s’est développé à la faveur de compromis entre la foi et les nécessités sociales, et entre les exigences religieuses et les faiblesses des premiers musulmans. C’est là le point de vue. de Manuel sur l’Islam. Pour le musulman croyant, il faut plutôt parler de l'inter­ vention en faveur des fidèles de la bienveillance transcen­ dante de Dieu : facilitation de la religion et abolition de toute rigueur. Or si Dieu en a décidé ainsi, et s’il a voulu promettre à ses fidèles, même ici-bas, une vie pleine d'agréments (Coran 16, 97), on serait mal venu de s’imposer des renoncements qui ont perdu tout sens. Il ne s’agit pas tie remettre sur scs épaules le fardeau que Dieu a bien voulu ôter. Le paradis musulman ne. se gagne pas plus sûrement par le renoncement aux plaisirs de cette vie. D’ailleurs le paradis est à l’image de la vie agréable d’icibas. On y retrouvera les mêmes jouissances. Certains ont cherché à suivre une inspiration moins épaisse et plus spiri­ tuelle, mais la doctrine officielle et la croyance courante sont demeurées fidèles à la perspective décrite plus haut. 2) L’Islam, qui ignore pratiquement les suites du péché originel n’engage donc pas le croyant sur une voie où le champ est ouvert, d’une façon illimitée, aux initiatives de la grâce et de la liberté. La perfection ne consiste pas à chercher au-delà des limites déterminées par la loi. Celle-ci est l’expression idéale et parfaite de la volonté d’Allah. La perfection consiste à l’accomplir strictement. La générosité n’est pas sollicitée d’aller plus avant, car la loi ne conseille point les pratiques de l’ascétisme, au contraire. Le tout est d’être fidèle à la loi, dans son contenu explicite et même dans sa lettre. De là à un juridisme formaliste, il n’y a qu’un pas. Il a été malheureusement franchi par plus d’un représentant de la théologie et de la jurisprudence officielles. On verra même se développer une casuistique effrénée, toute une littérature qui expose les expédients juridiques (iiiyal) destinés à permettre aux MÉTHODE DE MANUEL 127 fidèles de tourner les exigences de la loi, sans perdre le mérite de son observance littérale et formelle. Il serait injuste de laisser penser que l'Islam voit dans cette litté­ rature un signe de santé religieuse. Néanmoins l’aspiration vers un idéal de sainteté, fondé sur le renoncement, est vite suspecte. L’âme de l’Islam réside foncièrement dans la qualité de sa foi nue : écrasement impressionnant devant l’absolu d'Allah, qui peut devenir, chez les meilleurs, une forme d’élan magnifique vers Dieu. 3) Dans la doctrine de l’Islam, la foi occupe à elle seule toute la place. Pour le chrétien aussi la foi est essentielle, mais elle est insuffisante à sauver l’homme. Si elle n’agit pas par la charité, la foi demeure morte, elle ne porte pas les fruits de la grâce, et l’homme ne participe pas effec­ tivement à la rédemption. En Islam la foi nue, indépen­ damment de toute œuvre, suffit à donner le salut définitif. Il ne s’agit évidemment pas d’une foi hypocrite. Une for­ mule prononcée sans l'adhésion du cœur n'est pas la foi. Mais à part la sincérité de l’adhésion à l'Islam, rien n’est jugé absolument nécessaire au salut définitif. Nous avons dit plus haut que la théologie musulmane assure le salut éternel, après une peine plus ou moins longue purgée en enfer, même aux grands pécheurs, pourvu qu’ils aient persévéré dans la foi. On voit aisément comment une telle doctrine influe encore sur la position musulmane à l’égard de la pratique ascétique. La crainte de l’enfer éternel, qui agit avec autant d’efficacité sur la psychologie humaine que l’espérance du ciel, en est très fortement émoussée. 4) Il y a encore à noter qu’en Islam le problème de la prédestination a une forme assez rigide qui donne à la doctrine musulmane une couleur troublante. Le croyant musulman sera pris entre deux courants : il aura crainte de Dieu, il accomplira les bonnes œuvres prescrites par la loi pour mieux persévérer dans la foi et éviter de s’attirer 128 INTRODUCTION une de ces decisions fatales de la libre et absolue prédesti­ nation divine... Mais il aura surtout plus normalement le sentiment intérieur d'une supériorité tranquille, du fait que la bienveillance divine l’a gratifié de la foi et a fait de lui un membre de la communauté des croyants promis aux jouissances paradisiaques. 11 creusera profondément ce sentiment de la remise totale à Dieu, mais il ne se fera, bien sûr, aucun scrupule à jouir des agréments de la vie dispensés par Dieu. 11 n’ira pas plus loin pour se rapprocher davantage d’Allah, pour se dépasser dans un élan qui lui parait simplement présomptueux et même blasphématoire. Pour le musulman, la foi ne fait pas accéder à un ordre sur­ naturel, et il n’y a pas de charité qui soit un lien entre Dieu et l'homme. La morale chrétienne ne pourra donc paraître au Mudarris, qui la regarde avec les yeux de l’homme naturel et qui la mesure aux tendances de la nature, qu’une ambition déraisonnable et toute faite d'excès. Manuel, au contraire, installe tout son exposé dans des perspectives surnaturelles. Même s’il a soin d’éviter le recours direct à l’Écriture et à la théologie chrétienne, il ne laisse pas d'être strictement fidèle à l’optique de l’ordre surnaturel. Tout le laisse voir jusque dans la terminologie. Nous débouchons ici de nouveau sur le problème central de tout dialogue religieux. Les deux interlocuteurs, le chré­ tien et le musulman, sont demeurés en fait chacun à l’intérieur de son système doctrinal propre. Nul n’a essayé de comprendre une bonne fois comment s’imbriquent les différentes notions à l’intérieur des perspectives religieuses de son partenaire. Chacun a réfléchi pour soi, et non point en fonction de l’autre. De la sorte l'entretien se présente comme un ensemble de réflexions parallèles sur certains points disputés, mais qui ne se rencontrent pratiquement jamais. Les moments où la jonction semble s'opérer sont rares et ne donnent pas du tout sa vraie couleur à la conver­ sation. Objections et réponses sont faites en fonction d’une MÉTHODE DE MANUEL 129 vision religieuse déterminée. Et l’autre interlocuteur repousse l’objection et réfute la réponse au nom de sa vision propre. Tant que l’entretien reste enfermé dans ces bar­ rières, il n’y a aucun espoir de s'entendre, non point seule­ ment sur les diverses positions, mais plus radicalement sur le sens à prêter à l'objection ou à l’exposé. En réalité, le seul moyen qui eût pu opérer cette entente est l'effort d’ouverture sur l’autre. Et le seul champ libre où les interlocuteurs eussent pu se rejoindre est celui de la raison. Or l’argument de raison, tel qu’il est pratiqué dans cette controverse est l’argument de raison théologique. On retombe forcément dans les limites mentionnées et la difficulté n’est pas levée. On peut se demander, après tout, si la difficulté peut vraiment être levée de quelque façon. La pensée humaine est tellement façonnée par le milieu intellectuel, social et religieux dans lequel elle s’est déve­ loppée I C’est une entreprise des plus compliquées et des moins promises au succès, que de se rendre étranger à soimême pour aborder le monde de l’autre. Car il ne s’agit pas de faire semblant ; il s’agit de trouver un plan commun d’entente, et si possible un langage commun. Sinon le recours à la raison demeure une illusion et seulement une possibilité tout abstraite. En fait, c'est l'écueil contre lequel s’est brisé l’effort de Manuel. Il est resté, tout aussi bien que le Mudarris, prisonnier d’une doctrine et même d’une terminologie, dans ses concepts, scs jugements et meme parfois dans les formes de son raisonnement. Ce n’est pas déloyauté ni dédain, c’est seulement manque de réflexion plus approfondie sur les conditions du dialogue religieux. La raison peut-elle en fait se dégager de la vision reli­ gieuse qui commande ses réactions habituelles ? Cela nous paraît fort malaisé. Le phénomène n’est pas propre au domaine religieux : il se retrouve toutes les fois qu’il s'agit de valeurs tenues pour essentielles ou d’intérêts particulièrement vitaux. La raison dégagée de tout préjugé 9 130 INTRODUCTION ne s'exerce librement que lorsqu’il s’agit de discuter la religion de l’adversaire, à laquelle on n’accorde aucune créance. 11 arrive même fréquemment que le polémiste s’emporte et se mette à trancher les questions sans ména­ gement, au gré d’une espèce de rationalisme intempérant, énervé et sans frein. Faut-il donc croire que tout dialogue religieux soit pratiquement une gageure ? Tout dialogue réel, entendons-nous, où les deux parties essayent de mener le débat dans la conscience claire des limites et des chances possibles ? Peut-être un tel dialogue devra-t-il se contenter, modestement, de déblayer les avenues (pii conduisent à la religion, sans recourir à des notions tirées d’une vision religieuse déterminée et sans trancher les questions pro­ prement religieuses. Nous croyons certes à la légitimité et à la valeur d’une théologie lucide, mais nous croyons surtout aux limites de toute théologie et aux impasses de l’apologétique tradi­ tionnelle. Si toute bonne théologie doit partir du Dieu de la révélation, peut-être toute bonne préparation à rece­ voir sa Parole doit-elle partir de l’homme, pour ouvrir son intelligence et son cœur à l'accueil de la lumière et de l’énergie divines. INDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUES Nous ne saurions ici donner une bibliographie exhaustive. Nous ne citerons que les principales études que nous avons consultées pour notre travail. Le texte central est évidemment la 7f Controverse, éditée ici pour la première fois. Nous avons consulté un certain nombre d’articles divers dans le Dictionnaire de Théologie Catholique (DTC), le Dictionnaire de Spiritualité, le Lcxikon fur Théologie und Kirche, VEncyclopaedia of Religion and Ethics (Hastings), la Jewish Encyclopaedia, ΓEncyclopédie de l'Islam (EIs), la nouvelle édition en cours de l'EIs (NEIs), la Shorter Encyclopaedia of Islam de Gibb-Kramcrs (ShEI). Nous avons lu aussi les textes relatifs à l’Islam publics dans la Patrologie grecque de Migne (PG). Parmi les ouvrages et articles de revue consultés, nous citerons seulement les suivants : Anawati (G.-C.) et Gardet (L.), Mystique musulmane, Paris 1961. Beck (H.), Vorsehung und Vorherbeslimmung in der theologischen Literal ur der Byzantiner, Orient. Christ. Ana­ lecta 111, Rome 1937, p. 58-63, 145-147, 228-230. Berger de Xivrey (.1.), « Mémoire sur la vie et les ouvrages de l’empereur Manuel Paléologue », Mémoires de VInstitut de France, Académie des Inscriptions et Belles Lettres, t. XIX, 2, Paris 1833. p. 1-201. Bi.acuère (R.), Le Coran, traduction française en 2 vol., Paris 1949 et 1951. 132 bibliographie Bousquet (G.-II.), La morale de l'Islam et son éthique sexuelle, Paris 1953. Bréhier (L.), Le monde byzantin : I. Vie et mort de Byzance, Paris 1918. III. La civilisation byzantine, Paris 1950. Gardet (L.), La cité musulmane, Paris 1954. — « Les noms et les statuts. Le problème de la foi et des œuvres en Islam », dans Studia Islamica, V (1956), p. 61-124. — « Allah », dans NEIs, I, p. 418-129. Gaudefroy-Demombynes (M.), Mahomet, Paris 1957. Gijazzall Ihytl' *ulQm al-dtn, 4 t., Le Caire, I et II (1346 H.). III et IV (1347 H.). Il existe aussi une édition de 1352 H./1933. Goldziher (I.), Le dogme et la loi de l'Islam, trad, fr., Paris 1920, nouveau tirage en 1958. — « Influences chrétiennes dans la littérature religieuse de Γ Islam », dans Revue de l’Histoire des Religions, t. XVIII (1888), p. 180-199. — « De l’ascétisme aux premiers temps de l’Islam », ibid., t. XXVII (1898), p. 314-324. Guilland (R.), Essai sur Nicéphore Grégoras, Paris 1926. IIaddâd (J.), Le Coran et Γ Écriture (en arabe) - Al-Kur'an wa Ί-Kitab : I. Le milieu biblique du Coran, Beyrouth 1961. II. Les étapes du message coranique, Beyrouth 1962. Hase (C. B.), Notices et extraits des manuscrits de la Biblio­ thèque royale, VIII, 2e partie, p. 309-382, Paris 1739. La notice consacrée à Manuel Paléologue est repro­ duite dans PG 156, 111-126. Khoury (Th.), Les théologiens byzantins et l'Islam, t. I : Textes et Auteurs; t. II, Polémique byzantine contre VIslam, Beyrouth 1966. BIBLIOGRAPHIE 133 Khoury (Th.), « I/empereur Manuel II Palcologue (13501425). Esquisse bibliographique», dans Proche-Orient chrétien 15 (1065), p. 127-144. Legband (E.), Bibliographie hellénique, I, p. 297-302; 11, p. 168-176, Paris 1885. Levy (Reuben), The social structure of Islam, Cambridge 1962. Martini (A.) et Bassi (D.) Catalogus codicum graecorum Bibliothecae Ambrosianae, I, p. xv-xvi, 588-589, Milan 1906. Massignon (L.), Essai sur les origines du lexique technique de la mystique musulmane-, Paris 1954. Petit (L.), Manuel Palcologue, dans DTC, IX, 2e partie, col. 1925-1932, Paris 1926. al-Râzî (Fakhr al-dm), al-Tafsir al-kablr, Mafatih al-ghayb. Le Caire 1304 II. ’ Speyer (H.), Die biblischen Erzahlungen im Qoran, 1931 ; nouveau tirage, Hildesheim 1961. Tatakis (B.), La philosophie byzantine, dans Histoire de la philosophie d’É. Bréhier, 2e fasc. suppl., Paris Note : Pour la Bible, nous avons utilisé la traduction française de la Bible de Jérusalem. Pour le Coran, c’est la Vulgate arabe que nous utilisons. Pour la traduction française, nous avons en général recours à celle de Blachère, signalée par le sigle B ; on trouvera au début du premier volume de cette traduction une concor­ dance des sourates coraniques dans la Vulgate et dans l’édition de Blachère. Remarques sur le texte, la traduction et les notes Le texte 1) Le texte est établi sur la base des quatre codex sui­ vants. seuls actuellement connus : — — — Ambrosianus graecus L 74 sup., xve siècle. Parisinus graecus 1253, xvic siècle. Coislin 130, xvi® siècle. Parisinus suppl. graecus 169, xvni® siècle. Sigle A Sigle P Sigle C Sigle S 2) La préférence est accordée en général aux leçons de A, qui est le codex le plus ancien et le plus correct. 3) Le cod. S n'étant qu’une copie de C collationnée sur P, il n’a pas de valeur critique propre. Les variantes qu’il contient reprennent les leçons des codd. C et P ou sont des fautes de copiste. Nous les signalerons à simple titre de renseignement. Certaines corrections sont notées en marge soit par le copiste lui-même, soit par un lecteur (Hase ?). Nous n’en signalerons que les plus intéressantes. Nous retiendrons à chaque fois celles qui sont clairement de la main du copiste. 4) Les signes de ponctuation ont un usage flottant dans les codd. Nous ne nous occuperons point de cette divergence. Nous ponctuons le texte selon les règles actuelles. REMARQUES 135 5) L’indication des personnages qui parlent vient des codd. eux-mêmes. 6) Les divisions avec leurs chiffres et leurs lettres sont de nous. La traduction 1) Nous avons visé d’abord à la précision. Toutefois nous avons évité un mot à mot servile qui aurait eu le grave désavantage de trop trahir la qualité littéraire d'un texte comme celui de Manuel : nous savons combien celui-ci prisait le beau langage. 2) Les citations scripturaires sont rendues généralement selon la traduction de la Bible de Jérusalem. Manuel utilise fréquemment le texte du Nouveau Testa­ ment, mais non point sous forme de citations explicites. Il l’insère plus volontiers dans son texte ; le langage de l’Écriturc fait partie de son vocabulaire habituel. Nous ne traiterons pas ces textes comme des citations proprement dites. Les références en seront données dans les notes ordinaires. 3) Nous avons transcrit les mots grecs : Μουτερίζης, en Mudarris, qui signifie professeur, voir p. 24, n. 3. Βασιλεύς, en Basileus. Μωάμεθ, en Mahomet, et cela pour ne pas sortir de l’usage encore courant. La forme grecque est cependant plus proche de la prononciation arabe correcte du nom Muhammad. 4) Nous écrivons en général Loi avec une majuscule : le terme signifie alors religion ou désigne un ensemble d’ordon­ nances et non point une disposition législative particulière. 136 REMARQUES 5) Nous traduisons généralement le mot δούλος par ser­ viteur, selon l’usage du Nouveau Testament et des Pères. Toutefois quand ce terme est mis en rapport avec le mot maître, seigneur, nous le rendons parfois par esclave. Les notes 1) Les notes sont intentionnellement réduites au mini­ mum. Nous avons préféré donner dans l’introduction le commentaire essentiel qui nous a semblé utile pour la bonne compréhension du texte. 2) Nous n’avons pas l’intention de montrer dans les notes tous les emprunts faits par Manuel, ou du moins ce qui apparente sa pensée à celle de ses devanciers. Nous avons fait certains renvois fort limités à la source directe qu’il mentionne expressément, l’œuvre de Jean Canta­ cuzène. Nous nous permettons de renvoyer le lecteur désireux de plus amples détails à notre ouvrage d’ensemble, Les théologiens byzantins et l'Islam, voir les indications biblio­ graphiques. Abréviations cod. = codd. — i. mg. = om. = codex codices in margine omisit, omiserunt. TEXTE ET TRADUCTION Του Ευσεβέστατου καί ΦιλοχριστοΟ Βασιλέως ΜΑΝΟΥΗΛ ΤΟΥ ΠΑΛΑΙΟΛΟΓΟΥ ■π-ρός τον περνττόθητον αυτού αδελφόν, ιτανευτυχέστατον Δεσπότην Πορφυρογεννητον, Θεώδορον τον ΓΙαλαιόλογον ΔΙΑΛΟΓΟΣ δν έττονησατο μετά τίνος Πέρσου, την αξίαν Μουτερίζη, εν Άγκύρφ τής Γαλατίας ’Αρχή τής έβδομης Διαλεξεως 1. α. ‘Ημέρας δέ αύγαζούσης, ό Μουτερίζης έπί τάς Ούρας καί ημάς, ώς έθος ήν αύτω, προσειπών « Των χθες ήμίν επίλοιπων, έφη, εϊ τι σοί φίλον, έχώμεθα. » Και καθεσθέντων περί ημάς ώς είώθεσαν, ήρξάμην ώδε του προκειμένου* b. « Ώς μέν ουν ό του Μωσέως νόμος έκ του Θεού, τό τε πλήθος των θαυμάτων ύπερφυών οντων δείκνυσιν* ούδέ γάρ αν Μωσης έδύνατο τά υπέρ φύσιν ποιεΐν, νομοθετών τά μή τω Θεω δεδογμένα. Λύτόν τε τούτον ό Θεός φαίνεται τόν νόμον τετιμηκώς έ'ργοις τε καί λόγοις συχνοΐς, ού μόνον οις 1. Manuel souligne l’intérêt que ses auditeurs musulmans prennent au débat. Il y a là plus qu’un artifice littéraire : l'hiver en Orient est une saison morte, où le travail chôme ; les hommes s'occupent alors à tenir de longues conversations. Ce fait s'observe encore de nos jours dans plus d'une contrée. Les Contrwerses II, VIII, X, XI, XII, XVII, XX, XXI commen­ cent également à une heure malinale. Du très pieux Basileus, ami du Christ, MANUEL PALÉOLOGUE, à son très cher frère, le très fortuné Despote Porphyrogénète Théodore Paléologue ENTRETIEN avec un certain Perse, Mudarris de sa charge, tenu à Ancyre de Galatie Début de la septième Controverse 1. a. Au lever du jour1, le Mudarris nous accueillit sur le pas de la porte. S’adressant à nous, selon son habitude : « Attachons-nous, dit-il, si cela te plaît, aux points qui nous restent d’hier2. » Quand ils se furent assis tout autour de nous, comme à l’accoutumée, j’entamai le sujet de la sorte : b. v. La Loi de Moïse vient de Dieu. Ce qui le montre, c’est la multitude des miracles surnaturels. Car Moïse n’aurait pu opérer des prodiges qui dépassent la nature, s’il avait porté des lois que Dieu ne lui aurait pas communi­ quées. Or Dieu, manifestement, a honoré cetLe Loi par des œuvres et par des déclarations constantes, non seulement 2. Rappelons que, dans la Controverse VI, ou avait essayé d’établir un parallèle entre Moïse et Mahomet. 110 7°CONTROVERSE 10 τον νομοθέτην έδόξασε καί πρό τού δούναι τον νόμον καί έν τω διδόναι καί μετά τούτο, άλλ* ότι καί τούς μή φυλάττοντας ώσπερ έμίσει καί άπεστρέφετο, καί εϊ τίς γε τούτου κατωλιγώρει, κατωλιγωρεϊτο παρ’ αύτοϋ καί δίκην γε την γιγνομένην έδίδου. 15 C. « Βούλομαι δέ σε τό διάφορον έκατέροιν τοιν νόμοιν σαφώς τε καί συντόμως διδάξαι. Πάντων σχεδόν των ανθρώ­ πων τριχή διαμερισύέντων εις Μωσεα, καί Χριστόν, καί δν αυτός ού δέδοικας έκείνω τώ θεόπτη παραβαλεϊν, μόνος ό ύμέτερος νόμος άπασι πάντων ένεκα ούδέν ύγιές δοκεΐ. 2. α. « Καί σκόπει ταύτη· υμείς τον τού Μωσέως νόμον θεόθεν κατεληλυΟέναι φατέ, τόν τε ήμετερον δήπουθεν πολλοί γε τούδε βελτίω, ώστ’ άμφω τώδ’ άγαθώ δοξάζετε, εί καί τον ύμέτερον τούδε προτίΟετε μήΟ’ ύφ* ότουούν έπαινούμενον καί 5 παρά πάντων διαβαλλόμενον. b. « Καί δείκνυσιν έκεΐνο' ει τις γάρ αν τούς σύμπαντας ήρετο, τίς μεν ό κρείττων πάντων των νόμων, τίς δ* αύ 0 χείριστος, ταύτην άν άφήκεν έκαστος φωνήν, ώς ό μέν εαυτού κρείττων, τού δέ Μωάμεθ ό χείριστος. Καίτοι ταύτα νύν 10 ήμϊν ώς έκ ύποθέσεως εϊρηται- αύτός δέ πάντως ούκ αγνοείς ώς καί τάληθές ούτως έχει, εί καί τής πάντων δόξης όλιγωρεις, τουτοισί παραγραφόμενος ώς έχθρούς, κακώς τουτί λογιζόμενος' δει γάρ αμελεί την μέν έκάστου μαρτυρίαν την υπέρ αύτού μή βεβαίαν τίθεσθαι, μηδέ την ψήφον κυροΰν, 15 τάς δέ τών συμπάντων υπέρ παντός ούτινοσουν δέχεσθαι είς ταύτόν γε δήπου συνερχομένας. 1 18 δέδοιδας Ρ. 2 11 όγωρεΐς S 12 έχΟρός C S. 1. Cf. Cantacuzène, Apologia IV, .3 ; PG 154, 541 B : Discours I, 3 ; PG 154, 596 C. Tous les renvois à Cantacuzène et à Ricoldo da Monte Crocc se réfèrent à PG 154. Nous ne signalerons plus désor­ mais que le chiffre qui renvoie aux colonnes de ce tome. 2. Moïse a vu Dieu, cf. Ex. 3, 6.16 ; 4, 1 ; 24, 10.11 ; 33, 11.18-23. Pour le Coran. Moïse est. celui à qui Allah a parlé : 4, 164 ; 19, 52 ; 7, 143, et non celui qui a vu Dieu. Λ ceux qui demandent de le voir, 1 b -2 b 141 par celles dont il a glorifié le législateur avant, pendant et après la promulgation de la Loi1, mais aussi par le fait qu'il haïssait, pour ainsi dire, et repoussait ceux qui ne l’observaient pas, et que si quelqu’un la méprisait, lui-même le méprisait et lui infligeait le châtiment convenable. c. « Mais je prétends t'apprendre d’une façon claire et brève la différence entre les deux Lois. « Presque tous les hommes se partagent en trois groupes : pour Moïse, pour le Christ et pour celui que tu n’as pas craint de comparer à celui-là qui a vu Dieu2. Or seule votre Loi n’a, aux yeux de tous, à tous points de vue, rien de sain. 2. a. « Considère ceci : Vous-mêmes dites que la Loi de Moïse est descendue de Dieu3 et que la nôtre est sans nul doute bien meilleure qu’elle. Vous les jugez donc bonnes toutes les deux, bien que vous préfériez la vôtre, qui n'est louée par personne mais décriée par tous. b. « En voici la preuve : Si l’on demandait à l’ensemble des hommes quelle est la meilleure de toutes les Lois et quelle est au contraire la pire, chacun émettrait cette affir­ mation : la sienne est la meilleure, mais celle de Mahomet est la pire. Nous, maintenant, nous disons cela sous forme de supposition, mais toi tu n’ignores pas que c’cst bien la vérité. Tu as beau dédaigner l’opinion de tous les hommes, les prenant à partie comme des ennemis, tu raisonnes mal. Il faut assurément considérer le témoignage de chacun sur lui-même comme non avenu, et comme non valide son suffrage ; ceux de l'ensemble des hommes au contraire, quand ils sont convergents, doivent être admis, quel que soit le sujet considéré4. Allah répond en écrasant la montagne du SinaT, pour leur montrer que nul homme ne peut le voir (Coran 7, 143). Pour la division des hommes en trois groupes, cf. Cantacuzîïnk, Apologies IV, 3, 504 B-C. 3. Voir notre commentaire Introd., chap, vi. Loi de Moise, p. 68. Le mot grec κατέρχομαι traduit exactement le terme technique arabe nazala, descendre. 4. Les polémistes byzantins ont traditionnellement reproché à 142 20 25 30 35 7’ CONTROVERSE c. « rtO δέ καί τον νόμον τόν σόν άφαιρεϊ το κυρίως καλείσθαι νόμον καί τόν τούτον τεθεικότα τοΐς νομοθέταις έγκρίνεσθαι, τούτ’ άν εϊη, &τ·. τά καιριώτερα τού νέου τουτουί νόμου καί της τού Μωσέως νομοθεσίας παλαιότερα- πόρρωθεν άρα τήν αρχήν ταύτα εϊληφεν, ούχ ό Μωάμεθ νενομοθέτηκε. Πλάνης τε γάρ ειδώλων άπαλλαγηναι, καί πολυθείαν φυγειν, καί εις Θεόν πιστεύειν ενα δημιουργόν, καί σημεϊον πίστεως δέξασΟαι τήν περιτομήν, καί τάλλα τά τοιαύτα Αβραάμ άγράφως ύπέθετο, έπειΟ’ ό Μωσής γράψας δέδωκε, προσθείς καί άπερ ό Θεός έκείνφ χρηματίζων προσέταττεν. *Ώσθ’ ό νεώτερος ούτοσί νόμος τώ παλαιώ παρεπόμενος έκεΐθεν εχων δήλός έστι τάς ύποθέσεις καί τάς άρχάς, ού μην δ’ εκείνος ένθένδε· πώς γάρ έκ τού προσφάτου τό παλαιότερον ; Ταύτα δ’ οσον δίδωσι προΰχειν, ούδέ λόγου δειται δεικνύναι. Καίτοι τί τάς ύποθέσεις λέγω καί τάς άρχάς, ότε δή καί τά δοκοΰντα πάντων εύτελέστατα, καί πάντα οίς άν είποι τις τον σόν δοκεϊν συνίστασθαι νόμον, έκ τού παλαιού σαφώς είληπται, ώστ’ ούδέν έξεύρηται καινόν, άλλά τά αύτά δίς εϊρηται, μάλλον δ’ άναίδην ταύτα σεσύληται ; Δεϊξον γάρ εΐ τι καινόν έκείνω νενομοθέτητα·/ άλλ’ ούκ άν εχοις εί μή χεΐρόν τι καί άπανθρωπότατον, οΐον δή ποιεί νομοθετών διά ξίφους χωρεϊν τήν ήν αυτός έκήρυττε πίστιν. 3. α. « Δεϊν δέ οϊμαι φράζειν σαφέστερου. Τριών εν γέ τι κατηνάγκαζε γίγνεσθαι- ή προσέρχεσθαι τώ νόμω τούς έκασταχοΰ γης άνθρώπους, ή διδόναι φόρους καί που καί τά 2 17 δδε C S β 21 ταυτ* S νενομοΟέτηκεν S || 22 γάρ καί S. |] 26 ώς θ’ό P II 37 άπανΟρωπότερον C S : άπανΟρωπότατον i. mg. S. Mahomet que l'authenticité de son message ne s'appuyait ni sur des miracles, ni sur le témoignage valable de personnes autorisées : Mahomet se contente d'affirmer l’origine divine de sa mission et de se rendre témoignage à lui-même. Cf. notre ouvrage, Polémique byzantine contre l'Islam, Iro partie, chap, t, Beyrouth 1966. 1. Cf. Gen. 12, 1-3. Le monothéisme d’Abraham est très fortement souligné par le Coran : 2, 133 ; 3, 77.95 ; 6, 71.161 ; 16, 123 ; 19, 49 ; 21, 66-67 ; 26, 75-77 ; 29, 16-17 ; 37, 85-86 ; 60, 4. 2c-3 a 143 c. « Ainsi on ne saurait plus appeler ta Loi proprement Loi, ni ranger celui qui l’a établie au nombre des légis­ lateurs. Et cela parce que les articles les plus importants de cette nouvelle Loi sont plus anciens même que la légis­ lation de Moïse. Car ils ont une origine lointaine, et ce n'est pas Mahomet qui les a institués. En effet, se défaire de l'égarement des idoles, fuir le polythéisme1, croire en un seul Dieu créateur, recevoir comme signe de la foi la circoncision2, et les autres points semblables, Abraham les a établis sans écriture3. Moïse ensuite les a consignés par écrit et promulgués, en y ajoutant ce que Dieu, dans scs entretiens avec lui, lui a ordonné. Ainsi donc cette Loi plus récente, venant après l’ancienne, lui a emprunté - cela est clair — ses fondements et ses principes ; et non point l’ancienne à celle-ci. Comment en effet l’ancien serait-il tributaire du plus récent ? Or combien une telle condition donne de précellence, point n’est besoin de discours pour le montrer. Et que parlé-jc de fondements et de principes, quand ce qui paraît le plus parfait de tout et tout ce en quoi, pourrait-on dire, ta Loi semble consister, est pris manifestement dans l’ancienne Loi? Ainsi rien de neuf ne s’y rencontre, mais les mêmes choses ont été dites deux fois, ou plutôt elles ont été impudemment pillées. Car montre-moi que Mahomet ait rien institué de neuf : tu ne trouverais rien que de mauvais et d’inhumain, tel ce qu’il statue en décré­ tant de faire progresser par l’épée la croyance qu’il prêchait4. 3. a. « Mais il faut, je pense, m’expliquer là-dessus plus clairement. De trois choses, l'une devait nécessairement arriver aux hommes sur la terre : — ou se ranger sous la Loi, — ou payer des tributs et de plus être réduits en esclavage, 2. Cf. Gen. 17, 9-14 : Rom. 4, 10.12. 3. Sur la place d'Abraham en Islam, cf. Y. Moubarac, Abraham dans le Coran, Paris 1957 ; M. Hayek, Le mystère (VIsmail, Paris, 1964. •I. Cf. Coran 9, ultimes dispositions touchant la guerre sainte. Ill 5 10 15 20 -5 7« CONTROVERSE δούλων προσεργάζεσθαι, ή μηδέτερον ποιοΰντας αφειδώς σιδήρω κατατέμνεσΟαι. ύ. « ’Γούτο δέ άτοπώτατον. Διά τί ; οτι τε Θεός ούκ οίδεν αίμασι χαίρειν, καί τδ μή σύν λόγο» ποιείν άλλότριον Θεού. ”0 δέ σύ φής, μικρού καί άλογίαν ύπερήλασε- πρώτον μεν γάρ πώς ού λίαν άτοπον, προϊεμένους άργύριον ώνείσθαι τδ κακώς καί άνόμως ζην ; C. « Έπειθ’ ή πίστις ψυχής ού σώματός έστι καρπός· καί δει γε γλώττης αγαθής καί διανοίας ορθής τω πρδς την πίστιν ένάγοντι, ού βίας, ούκ απειλής, ού δάκνοντός τίνος ή φρικώδους. 'Ώσπερ γάρ δεήσαν βιάζεσΟαι φύσιν άλογον, ού πειθούς εργον αν γένοιτο τούτο, ούτω καί το πείΟειν ψυχήν λογικήν, ού χειρός, ού μάστιγος, ούδ’ ούτινοσούν έτέρου των καί θάνατον άπειλούντων. (I. « Ούκ άρα τίς ποτ’ αν φαίη έθελοκακείν μή βουλόμενος, έπίταγμα ταύτα είναι Θεού* εί γάρ καλόν τδ διά ξίφους χωρεϊν επί τούς παντάπασιν άπειθοΰντας, καί νόμος ήν τούτο Θεού ούρανόΟεν κατελθών, ώς ό Μωάμεθ ίσχυρίζετο, έδει δήπου πάντας κτείνειν, όσοι μή προσέρχονται τούτω τώ νόμω καί τω κηρύγματι* έπιεικώς γάρ ασεβές χρήμασι την εύσέβειαν πιπράσκειν. "II σοί γε άλλως δοκεϊ ; άλλ’ ούκ άν οϊμαι* πώς γάρ ; "Ωσπερ οδν τούτο ούκ αγαθόν, ούδέ τδ φονεύειν πολλω γε μάλλον. e. « Ού μην άλλ’ εί τι καί προσπαρέγραψε τω νόμω τού Μωσέως, νόμον τε εύθύς καλείς, καί ούκ άγαπας εί τίς σοι 3 13 ένάγοντχ C S . 16 όντινοσοΰν ετερον C 21 σύ S || ÎoxcïçCS. — 1. Pour un Byzantin, nourri de la philosophie grecque, ce principe est évident. Pour la doctrine musulmane, Dieu est absolument transcendant, sa volonté n’est liée par aucune de nos catégories, fût-elle celle du raisonnable, c Ibn Hazm ira jusqu’à soutenir que Dieu n’est pas tenu par sa propre parole, cl que rien ne l’oblige à nous révéler la vérité : s'il le voulait, l’homme devrait être idolâtre » (R. Arnaldez, (irtunmairc et théologie chez Ibn Hazm de Cordoue, Paris 1956, p. 13). 3a-3e 145 — ou, à défaut de l’un et de l’autre, être taillés par le fer sans ménagement. b. « Or cela est fort absurde. Pourquoi ? Parce que Dieu ne saurait se plaire dans le sang, et que ne pas agir raison­ nablement est étranger à Dieu1. Ce que tu dis a donc franchi, ou presque, les bornes de la déraison. D'abord en effet, comment n’est-il pas très absurde de payer de l’argent et d’acheter ainsi la faculté de mener une vie impie et contraire à la Loi2* 5? c. « Ensuite, la foi est un fruit de l'âme, non du corps. Celui donc qui entend amener quelqu'un à la foi a besoin d'une langue habile et d’une pensée juste, non de violence, ni de menace, ni de quelque instrument blessant ou effrayant. Car de même que, quand il est besoin de forcer une nature non raisonnable, on n’aurait pas recours à la persuasion, de même pour persuader une àme raisonnable, on ne saurait recourir à la force du bras, ni au fouet, ni à aucune autre menace de mort. d. « Nul ne saurait jamais prétendre que, s’il use de violence, c’est malgré soi, car c’est un ordre de Dieu. Car s’il était bon d’attaquer avec l’épée ceux qui sont, totale­ ment incroyants et que ce fût là une loi de Dieu descendue du ciel comme Mahomet le soutient il faudrait sans doute tuer tous ceux qui n’embrasseraient pas cette Loi et cette prédication. Il est en effet bien impie d’acheter la piété à prix d’argent. En opines-tu autrement ? Je ne le pense pas. Comment le ferais-tu ? Or si cela n’est pas bon, tuer est encore bien pire. e. a Cependant s’il se trouve que Mahomet ait ajouté quelque chose à la Loi de Moïse, aussitôt tu appelles cela 2. Pour les nuances nécessaires, ci. notre commentaire, Inlrod., chap, vu, .sur le djihâd, p. 107-109. Ajoutons que le Coran reconnaît la validité pour les juifs et les chrétiens de leurs Lois respectives, cf. 5, -13-45.46-47. Sur foi et djihâd, et. Cantacuzènb, Apologies IV, 5, 541 D - 545 Λ ; Discours 1, 13, 612 A ; Ric.oi.do, Contre le Coran, VIII, 1080 G-l>. Cf. aussi Abv-Kubka, Opuscule 20; PG 97, 1545 C. 10 116 30 35 40 δ 10 7· CONTROVERSE συγχωρεϊ τούτο λέγειν, άλλ* άξιοΐς και ύπερθεΐναι των προ αύτού. ΙΙόθεν ; όστις ούδέ δίκαιός έστιν ονομάζεσθαι νόμος. [■ « Οις γάρ εχει τδ δοκειν νόμος είναι, τούτοις αδθις άπόλλυσι τδ νόμος είναι δοκειν. Νόμου γάρ άρετή καινόν τι προστάξαι θεοφιλές· ούτος δ’ άλλοτρίοις έγκαλλωπίζεται διατάγμασι, καν άφέλη τις έκειθεν τά παλαιότερα, ούδέν διοίσει του κολοιοΰ, ω πτερά ό μύθος δανείσας παυτοδαπά, έπειτ’ ευθύς άφελόμενος μένειν αύθις είασε κολοιόν. (J. « Καί εί ταύτα τούτον έχει τον τρόπον, ούκ οϊδα τίς αν τδν ύμέτερον νόμου — τέως γάρ καλείσΟω νόμος σην χάριν — τού των Ιουδαίων ούκ έλάττω νομίσειεν εί δέ τούτου γε έλάττων, πολλω γε μάλλον τού νόμου τού Χριστού, δς μετά πολλής τής περιουσίας έκείνου προέχειν καί ύμΐν καί πάσιν άνωμολόγηται. » 4. α. Εΐπον ταύτα. Καί σιγής έφ’ ικανού γενομένης,' δ τηνικαύτα έρμηνεύς — Χριστιανών δέ ήν βλάστη, καί τά γονέων ήγάπα καί τή γνώμη τούτοις προσέκειτο, εί καί μή καθόσον προσήκε — τοις ήμετέροϊς λόγοις ώς έοικε πτερωΟείς. γεγηθότι τώ προσώπω λέγει τω Πέρση τοιάδε, καθαπτόμενος μεν αύτού, ού φανερώς δέ' « Μέχρι τίνος άνδριασιυ έοικότες ούκ άμυνούμεΟα ; Δει γάρ γενναϊόν τι δρασαι την σήν άνδρίαν, εί γε μέλλοιμεν ένθένδε μή κατησχυμμένοι πορεύεσθαι, των τής νίκης στεφάνων έτέροις παραχωρήσαντες. » ά. Και δς άγέρωχόν τι καί σοβαρόν έπάρας την κεφαλήν, πρώτον μέν εις τούς αύτού βλέψας, ε’ίτ’ έπιστραφείς εις ήμάς, ώδέ πως έ'φη· ( ν 3 35 δανείσας ό μύθος C S || ΊΟ έλάτων P C || ΊI έκεινον C : έκεινον sic S. 4 9 τόν... στέφανον S : των στεφάνοιν i. mg. S. 1. Sinon il n’y aurait pas lieu de distinguer une nouvelle Loi et une forme religieuse vraiment nouvelle. 2. Noter le goût de Manuel pour les allusions littéraires. On peut lire chez Lucien, Apologues, 4 : < Le geai se réjouit d’un plumage emprunté, κολοιός άλλοτρίοις πτεροϊς άγάλλεται. · Le thème est. traité par Ésope (Fables, 101, 18S) et par le fabuliste 3e-4 b 147 Loi. Et lu ne le contentés pas qu'on te passe de parler ainsi, mais tu exiges qu'on préfère cette Loi à celles qui l'ont précédée. En vertu de quoi ? elle qu’il n’est même pas juste d'appeler Loi. f. « Ce qui en elïet la fait considérer comme Loi, cela même lui ôte d'un autre côté ce caractère de Loi. Une des propriétés de la Loi, c'est d'établir des prescriptions nou­ velles1 agréables à Dieu. La vôtre se vante de prescriptions empruntées. Que si l’on en élaguait les articles plus anciens, elle ne différerait en rien du geai de la fable : on lui prêta des plumes de toute sorte, on les lui ôta ensuite, et le voilà redevenu geai2. g. a S’il en est ainsi, tout le monde jugera inférieure à celle des juifs votre Loi — appelons-la Loi, en attendant, pour te faire plaisir. Et si elle lui est inférieure, elle l’est bien plus à la Loi du Christ, laquelle, de votre aveu et de l'aveu de tous, l'emporte surabondamment sur celle des juifs. » 4. a. Je parlai ainsi. Il se fit un silence assez long. Alors l'interprète — il était issu de chrétiens, aimait les croyances de ses parents et s’opposait à nos interlocuteurs par la pensée, pas autant toutefois qu’il eût convenu — l’inter­ prète donc, transporté comme de juste par nos paroles, le visage joyeux, s’en prit au Perse, mais non ouvertement. Il lui dit à peu près ceci : « Jusqu’à quand, telles des statues, resterons-nous sans riposter ? Il faut que ton cou­ rage accomplisse quelque action généreuse, si nous ne voulons pas sortir d’ici couverts de confusion, cédant à d’autres les couronnes de la victoire. » b. Lui donc, ayant levé la tête avec une fierté hautaine, regarda les siens, puis, se tournant vers nous, il parla à peu près de la sorte3 : PiiÈoiiK (I, 3 ou 4, selon les éditions) ; il a été repris par La Fontaine (IV, 9). 3. Cf. un peu plus haut : « à peu près ceci ». Manuel cite de mémoire, il le dit lui-même au Prologue, des Entretiens (1 ; PG 156, 129 C). 118 7· CONTROVERSE ΓΙέοσης 5 10 15 20 25 5. a. « Είπόν τε καί λέγω καί έρώ καλόν μέν είναι καί αγαθόν τον νόμον του Χρίστου καί του πρεσβυτέρου πολλφ βελτίω, κρείττω δέ καί άμφοτέρων τον έμόν. Σκόπει δ’ όπερ άν εϊποιμΐ’ τάχα γάρ άν άκούσαις, ού μή παντελώς καταγνώση. Τόν ύμέτερον νόμον καλόν μέν όντα καί αγαθόν, διά δέ τό τραχύτερον είναι καί φορτικώτερον μή δυνάμενον ραδίως ώφελεΐν, ώσπερ ουδέ τά έπιεικώς αύστηρότερα των φαρμάκων, ού πάνυ τέλειόν τις είπών ούκ άν άμάρτοι. b. « Ό δέ τού Μωάμεθ νόμος μέσην τε βαδίσας, καί άνυστά τινα διατάγματα παραδούς καί ολως ήμερώτερα καί φιλανΟρωπότερα, νίκα τούς άλλους νόμους αύτός τοϊς ολοις μέτριος · ών. Τα μέν γάρ υστερήματα τού παλαιού νόμου ταϊς παρ’ εαυτού προσθήκαις άναπληροΐ, τάς δ’ ύπερβολάς κολάζει τού νόμου του Χριστού. Έστι δ’ ά καί έξ άμφοϊν άφελόμενος φαίνεται καί τούτη γε καθάπαξ νικών. c. « Φεύγων γάρ οίμαι επίσης τού των ’Ιουδαίων νόμου τό ταπεινόν τε καί έλλιπές, καί των τού Χριστού παραγγελμάτων τό υψηλόν τε καί άναντες, καί βαρύ καί ύπερβάλλον καί άβατον άχρι νυν τοίς άνθρώποις την γάρ χοϊκήν ημών τήνδε φύσιν εις ουρανόν, ώς έπος ειπειν, άναβιβάσαι πως βιάζεται —, ταυτί δή φεύγων έκάτερα, τιμήσας δέ τό μετρον έν άπασι, των πρό αύτού πάντων νόμων κρείττωνέστί καίδοκεϊ. (I. « Οίσθα γάρ που πάντως τάς άρετάς, ώς τω τά μέν άκρα φεύγειν άεί, την δέ μέσην χώραν κατέχειν ακριβώς, τοϋθ’ δ καλούνται καί είσίν άρεταί. ΛΟ γάρ αρετή, τούτο μεσάτης, καί δ μή τούτο, ούδ’ αρετή. Ιίάσι τούτο δέδοκται τοϊς άρχαίοις’ καί σύ γε προλαβών εϊρηκας. 1. Pour le Mudarris, la Loi de l’Islam est le remède parfait qui apporte le salut sans exiger de sacrifice, le remède plein d’agrément. 2. Cette définition grecque de la vertu comme juste milieu a été retenue par les philosophes et les exégètes musulmans. Citons parmi les philosophes al-FâR&b!, Épllrc sur les voies du bonheur (édit, arabe de Haidar-Abad), p. 10 ; Chazzâi.1, Ihyû' (édit, de 1933, 5 a - 5 <1 149 Le Perse 5. a. — « J’ai dit, je dis et je dirai que belle et bonne est la Loi du Christ et bien meilleure que la Loi plus ancienne, niais que supérieure aux deux est la mienne. Considère donc ce que je vais dire, tu entendras peut-être quelque chose que tu ne condamnerais pas tout à fait. Votre Loi, dis-je, est belle et bonne, mais elle est très dure et très lourde et ne saurait donc facilement être utile. Tels sont les remèdes trop âpres de goût. 11 n’y a donc pas erreur à ne pas la tenir pour totalement parfaite1. b. « La Loi de Mahomet suit la voie moyenne et proclame des ordonnances abordables et en somme plus douces et plus humaines. Par là elle est en tous points modérée et l’em­ porte sur les autres Lois. En effet, les insuffisances de l’an­ cienne Loi, elle les comble par les compléments qu’elle y a apportés; d'autre part elle réduit les exagérations delà Loi du Christ. Il y a aussi ce qu’elle élague visiblement de l’une et de l’autre Loi, et du coup elle l'emporte tout à fait sur elles. c. « Elle évite également, je pense, la médiocrité et l’imperfection de la Loi des juifs d’une part, et d'autre part l’élévation et la hauteur des préceptes du Christ, leur dureté, ce qu’ils ont d’excessif et d’impraticable jusqu’à présent pour les hommes, car ils forcent, pour ainsi dire, notre nature terrestre à monter vers le ciel. Elle évite donc les uns et les autres défauts et s’attache à la modération en tout. Elle est par là et elle apparaît meilleure que toutes les Lois qui l’ont précédée. (/. « Les vertus, tu le sais bien, consistent à éviter les excès et à tenir exactement le juste milieu. C’est cela qu’on appelle et qu’est la vertu. Ce qui est vertu est le juste milieu, et ce qui n’est pas tel n’est pas non plus vertu. C’est la doc­ trine de tous les anciens, et toi-même l’as dit précédemment2. Le Caire), III, p. 95; Ibn Miskawayh, Tahdhïb al-akhlûk (1298 H), p. 15, etc. 150 30 35 10 45 60 7» CONTROVERSE e. « Που γουν, είπέ μοι, μεσότητος 1 τδ τούς εχθρούς αγαπάν, καί τούτων ύπερεύχεσθαι καί πεινώσιν αύτοΐς Z0PTiï£^' τ« προς τροφήν επιτήδεια ; τδ δέ δή χάριεν εκείνο — καί μοι παρρησίαν χαρίζου — ‘ το τούς γονέας τε μισειν καί τούς άδελφούς, καί δή καί τήν ιδίαν ψυχήν' ’ ‘ τδ δέ τω τδν χιτώνα λαβόντι προσαφιέναι καί τδ ίμάτιον ’ ‘ τδ δέ χωρίς διαστολής παντί τω ά&τοΰντι διδόναι ’, γυμνότερου ύπέρου καί γέλωτα τούτοις δφΟησόμενον, οΐ δή λείαν τήν Μυσών τάκείνου ποιήσαιεν αν τω προσποιεισθα,ι δεισΟαΐ' ‘ τδ δέ τω πατάξαντι επί κόρρης καί τήν έτέραν παρέχειν τδ δέ μηδαμώς άντιστήναι τω πονηρω* * ‘ τδ δέ μηδέ ράβδον έχειν, μηδέ πήραν, η χαλκόν, ή χιτώνα δεύτερον ’· ‘ μηδέ τα της αύριον μεριμνάν. ’ Τίς σίδηρους, τίς άδάμας, τίς άναλγητότερος λίθων, δς άπαντα ταύτα οισοι, τήν τε επήρειαν φέρων καί τδν ύβριστήν φιλών, καί τον εις αύτδν κακώς διακείμενον εύ ποιών, καί τοίς παρ’ εαυτού προστεΟείσι παρακαλών τούς γε τοιούτους επ’ αύτδν έρχεσΟαι, όισπερ οί γύπες έπί τα νεκρών πτώματα ; [. « Τίς ακοή ταυτί παραδέξαιτο, εΐ μή καί μακράν τινα χάριν άπαιτηΟείημεν έχειν τοϊς πάντα τρόπον ΙπιτιΟεμένοις καί κόρον ού λαμβάνουσι των ήμετέρων κακών ; καί μήν κάκεϊνο πάντως αφόρηταν καί τού Θεού τω πάλαι προστάγματι πολεμούν, τήν παρθενίαν φημί. Δήλον δέ. 1 ό τε γάρ σάρκα περικειμένους τήν των άσωμάτων μιμεισθαι φύσιν, καί ώσπερ άν εί γυμνή τή ψυχή διεζώμεν, γυναικδς μή 5 32 τφ οιπ. P C S || 35 ύφλησόμενον S || 37 παντάξανπ P C | κόρης S || 17 άπαιτηΟείη μέν P S.1 23*5 1. Mallh. 5, 44 ; Le ί>, 27.28.35. 2. Le 14, 2G. 3. Mallh. 5, 10 ; Le 6, 29. I. Matlh. 5, 12 ; Le G, 30. 5. Les Mysiens étaient connus pour leur faiblesse et leur caractère efféminé. On disait butin de Mysiens pour désigner une proie facile, et, pour un homme sans valeur, le dernier des Mysiens (cf. pour les références littéraires, LlonEb-ScoTT, Greek-Eitylish Lexicon9, IJ. 5 e- 5 ί 151 e, a Or, dis-moi, cst-cc rester dans le juste milieu — que ‘ d’aimer ses ennemis, de prier pour eux1 de leur fournir, lorsqu'ils ont faim, des vivres pour leur nourriture; — et cela qui est plaisant passe-moi cette franchise — de ‘ haïr ses parents et ses frères et même sa propre âme* ’ ; - ‘ à qui a pris la tunique, de laisser même le manteau3 ’ ; — · de donner sans distinction à qui demande* ', jusqu’à apparaître plus nu qu’un pilon et ridicule aux yeux de ceux qui feraient alors de vos biens un butin de Mysicns5, en feignant d’être dans la nécessite ; — à qui frappe ‘ sur une joue, de tendre l’autre; de ne jamais tenir tête au méchant· ’ ; — de n’avoir ‘ ni bâton, ni besace, ni monnaie, ni deux tuniques7 ’ ; — ‘ de ne pas s’inquiéter du lendemain8 ’ ? « Quel est l’homme de fer, de diamant, plus insensible que pierre, qui supportera toutes ces choses, — qui supportera l’offense et chérira l’insulteur ; — qui fera du bien à qui est mal disposé à son égard ; — qui par ses bontés supplémentaires invitera les gens de cette espèce à s'acharner sur lui comme les vautours sur les cadavres des morts ? f. « Quelle oreille admettrait cela, à moins qu'on n’exige de nous une grande complaisance à l'égard de prescriptions de toute sorte, même de celles à qui ne suffisent pas nos misères ? Et cela qui est tout à fait insupportable et qui s’oppose au précepte de Dieu édicté jadis, je veux dire la virginité, faut-il l'admettre ? La réponse est évidente. Car vivre dans un corps et vouloir imiter la nature des incor­ porels et, comme si l’on vivait en pur esprit, ne pas approOxford 1948, p. 1157 A). Manuel emploie la même expression dans Controverse II, 16 ; PG 156, 168 D. 6. Mallh. 5, 39 ; Le 6, 29. 7. Le 9, 3 ; Mallh. 10, 9-10. 8. Mallh. 6, 34. 152 65 60 60 70 75 7e CONTROVERSE άπτεσθαι, έξω τε λόγου, καί φορτικόν και βαρύ καί βιαιό­ τατον. g. « Τό τε μή παΐδας ποιεϊσΟαι εις διαδοχήν, έκ του αγάμους όντας διατελεϊν, σαφώς τον κόσμον άπόλλυσί. Πάντη δέ άτοπιότατον καί Θεού άνάξιον ποιήσαι μέν τδν άνθρωπον άρρεν καί θήλυ τδ κατ’ άρχάς καί προστεταχέναι πληθύνεσθαι, ειτα τέλος έσχηκότος του έπιτάγματος καί τής γης ανθρώπων άνάπλεω γενομένης, νόμον τοις άνθρώποις διδόναι τον άφανιειν μέλλοντα τούς ανθρώπους. Καί μή μοι τον κατακλυσμόν εϊπγς, μή τούς έν έρήμω καταστρωθέντας έπί Μωσέως, μή τό καινότατου πυρ, τδ των Σοδόμων φημί. Ταυτί γάρ δήπου καί τα τοίαΰτα ούτε τδν κόσμον άρδην ήφάνισε, καί παρανομίας μέγιστης άπεξελήλυθε τοις ήμαρτικόσιν. Ό δέ Χριστός ούκ οργής διάκονος, ούδ’ ήκε δίκην οϊμαι ληύόμενος, et τις Θεω προσκέκρουκε των άνθρώπων, άλλ* εύεργετήσων καί βοηθήσων άνθρώποις τοις τε άλλοις άπασι, καί δή καί κρείττονι νόμω. Λ. « Σκοπώμεν δή. Αγαθόν ‘ τδ καί πατέρα καί μητέρα καταλιπειν καί προσκολλάσθαι τή γυναικί καί ταύτη των άνθρώπων τδ γένος έπιδιδόναι, ώς δή τδ πάλαι πρόσταγμα γέγονεν, άλλ’ ούδ’ άποκρίσεώς οίμαι δείν. Μή τοίνυν τούτο λύειν πειρώ, δ προσταχΟέν παρά Θεού τοις προπάτορσιν έπί συστάσει τού γένους, τόνδε τον κόσμον άνθρώπων έπλήρωσεν. ’Αλλά τουτί τδ δεύτερον τδ παρθενίαν νομοθετούν πολλω γε προύχειν τοΰγε προτέρου εϊποις άν αυτός. Πώς γάρ ού ; Ούκούν άπαντας έδει τούτο τηρεΐν' απάντων δέ τούτο τηρούντων, εις ούδέν αν πάντως κατήντησε τδ σόμπαν γένος άνθρώ5 56 άπόλλυσιν S || 59 πλυθήνεσΟαι C 67 ε( τις εί τις Ρ || 71 προσκολάσΟαι A P C. 1. Gen. 1. 28. 2. Le déluge, châtiment des transgresseurs (cf. Gen. 6. 5 - 7, 24), est souvent rappelé par le Coran : 7, 64 ; 10, 73 ; 11, 37 ; 21, 77 ; 25, 37 ; 26. 120 ; 29, 14 ; 37, 82 ; 40, 5 ; 54, 16 ; etc. 3. Cf. Ex. 32, 28.35; Nombr. 14, 16.27 s; Dent. 9, 7 s. Ces évé­ nements sont rappelés aussi dans PS. 95 (94). 7-11 ; / Cor. 10, 5-10 ; Héb. 3, 7-19. Cf. aussi dans le Coran : 4, 153 ; 2, 51-52.65 ; 7, 165 ; 5f-5 h 153 cher de la femme, est contraire à la raison : c’est un lourd fardeau et une grande violence. g. « De plus, ne pas procréer d'enfants pour assurer sa postérité, du fait de vivre sans se marier, détruit manifes­ tement le monde. Or il est entièrement absurde et indigne de Dieu de faire l’être humain mâle et femelle au com­ mencement, de lui prescrire de multiplier1, et ensuite, la prescription ayant atteint sa fin et la terre s’étant remplie d'hommes, de donner aux hommes une loi qui doit faire disparaître les hommes. Ne m’allègue pas le déluge2, ni le cas de ceux qui ont été abattus au désert au temps de Moïse3, ni ce feu si extraordinaire, à savoir celui de Sodome4. Ces cas et les châtiments pareils n’ont, pas fait disparaître entièrement le monde ; et c’est en raison de la grandeur de la transgression qu'ils ont été infligés aux coupables. Le Christ, lui, n’est pas ministre de la colère. Il n’est pas venu, je pense, tirer vengeance de ceux des hommes qui auraient offensé Dieu, mais plutôt apporter bienfait et secours aux hommes, principalement par une Loi meilleure. h. « Considérons ceci : Il est bon de ‘ quitter son père et sa mère et de s’attacher à sa femme5 ' et par là d'accroître le genre humain, comme le statuait l’ancien précepte. Cela, je pense, ne souffre pas de réplique. Λ Dieu ne plaise que je tente de détruire ce qui a été prescrit par Dieu à nos premiers parents pour la constitution de notre espèce et qui a peuplé d’humains ce monde I Mais la seconde Loi qui établit la virginité, toi lu voudrais la considérer comme l’emportant de beaucoup sur la précédente ! Eh quoi ? Ne faudrait-il pas que tous l’observent ? Que si tous l’obser­ vaient, tout le genre humain serait réduit absolument 22, 44 ; etc. Le Coran est plein ν καί πενήτων καί σμικρών μυρίων έμπλήση τών άγαθών, χρέος άπέδωκεν, ού χάριν τινά κατέθετο. Χρέος δέ μή δόντα 14 1 μετριάσουσι C. 15 5 δέ S [I 8 χρέος... κατέθετο ο ni. C. 1. Expression qui signifie faire de son mieux, essayer un autre moyen quand le premier manque. Manuel explique dans quel sens il entend ici ce proverbe. Pour les références littéraires, cf. I.inDEhScott, Greek-English Lexikon*, II, p. 1422 B. 13 b - 15 a 169 mité de l’esprit. Ce n’est point pour nous une acquisition de nature, loin de là ! Car même si nous n’avons pu donner encore ce qui a échappé à la férocité des injustes, même si nous n’avons pas pratiqué toutes les vertus plus élevées et ne sommes pas de la sorte parvenus au terme de la perfection, si nous n’avons su accomplir, comme on dit, la seconde traversée’, à savoir de supporter avec douceur que qui que ce soit empiète sur nous, néanmoins nous gardons la mesure, tout en sachant combien nous sommes en défaut relativement aux meilleures d’entre les bonnes choses2. » Le Perse 14. a. — « Comment, est-il évident, dit le Perse, que garderont la mesure ceux qui sont en defaut relativement aux choses plus élevées, mais pratiquent la bienfaisance, la justice et les vertus semblables ? b. « Car tu as dit, je pense, que ceux-là auront en partage des biens éternels. Vivre dans de telles espérances ne permet pas de garder la mesure. » Le Basileus 15. a. — « Mais, mon cher, cela est possible de toute nécessité pour ceux du moins qui ont de l’esprit et rai­ sonnent à partir des principes convenables. Si des hommes observent avec soin les commandements bons pour des serviteurs mercenaires, comment les estimerait-on autant que les fils ? 11 n’y a rien qui puisse engager un serviteur à s'enorgueillir, si tant est qu'il soit sensé. Si en effet il accomplit les œuvres des serviteurs, même si par son service il a comblé son maître de milliers de biens, faits d'éléments obscurs, indigents et modestes, il a accompli son devoir et n’a pas rendu un service gracieux. Celui qui 2. L’appel à la perfection est adressé ù tons. Cf. aussi plus haut : U.c,Λοντα S || 11 καταβαλλών P C || 17 μόνης S || 20 ώφεΟτται C. 16 11 μεμπταϊοι C S. 1. Cf. Le 17. 7-10. 15 a - 16 b 171 n’accomplit pas son devoir est passible de coups, de la prison et d’autres châtiments. Celui au contraire qui s'acquitte bien de tout, nul ne l’en admirera ; il ne s’admi­ rera pas non plus lui-même, je pense. Y a-t-il lieu de le faire ? Il s’en faut de beaucoup1. b. ·> Toutefois l’exemple, certes, n’est pas heureux. Car pour nous, nous avons besoin du serviteur, et nombreux sont ceux qui, par leurs serviteurs, ont échappé à bien des malheurs et acquis beaucoup de biens. Mais Dieu, quel besoin aurait-il de nos services, lui à qui absolument rien ne manque et qui a tout créé uniquement par bonté ? Ainsi nul homme doue d’intelligence ne pourrait, du fait qu’il observe les commandements du maître, lever le front. Il aura pourtant son salaire, lequel est accordé par grâce. Car il n’est pas dû de salaire à des esclaves. Il obtiendra néan­ moins celui qui convient à sa conduite modérée, et il enviera ceux qui ont pratiqué les points que lui-même a délaissés. 16. a. a En voilà assez là-dessus. Mais il fallait que le discours, qui s’est écarté du sujet à cause de vos questions, ait donné réponse à celles qui en exigeaient une. Il arrive parfois même que, dans le courant de la discussion, le discours nous ramène dans le droit chemin, afin qu’il achève sa course et aboutisse au terme qui lui convient. b. a II n’est certes pas vrai que tous ceux qui n’ont point réussi à se hausser au niveau des conseils et des exhortations se soient du fait perdus eux-mêmes. Si, sans avoir fait de tort à personne, sans vouloir non plus en subir, nous supportons ensuite avec peine d’être maltraités et recourons au maître du jugement pour accuser le malfaiteur, nous ne serions pas pour cela passibles de. blâme. Non certes, pas plus que si nous circulions tout chaussés, endossions deux tuniques, portions bâton, besace et monnaie à la ceinture. 11 est aussi permis à ceux qui le veulent de contracter mariage et d’acquérir par des moyens justes de l’or à dépen­ ser de façon raisonnable, bien que ce soit une acquisition meilleure de ne pas vouloir acquérir dans le siècle présent et 172 5 15 7’ CONTROVERSE Χριστώ σύντροφον έξ αρχής πενίαν φιλτέραν εύπορίας ηγούμενον πάσης. Καί ολως δέ το πάντα ποιεϊν μετά του προσήκοντος λόγου ά τόν βίον ήμϊν συνίστησιν, ούθ’ υπό τής φύσεως, ώς είπεϊν, διαβάλλεται, ούτε νόμω ειργεται. 17. α. « Ού μην άλλ* εί τι δει διελεϊν ή κεφαλαιώσασθαι τούς περί τούτων λόγους" b. « Φαύλων μέν ανθρώπων έστί, καί μηδέ γοΰν δούλων άξιων είναι, τό τών έντολών όλιγωρειν του δεσπότου. Τό δέ φυλάττειν αύτάς, εύγνωμόνωυ καί πιστών. Τό δ* ασμένως δέξασθαι τάς θαυμάσιους συμβουλάς και κληροϋν εις δύναμίν, άνδρός έπιθυμοϋντος μεγάλων καί μή δουλεύειν έθέλοντος, εξόν υιοθεσίας τυχεϊν. ο. « 'Ρητέον δ* άν είη καί πήδε" τών μέν ούν άκρων έστί, λέγω δή τών τοϊς παροΰσι χαίρειν είπόντων. άγγελο ις άμιλλασθαι καί όμοδιαίτους, ώς άν τις εϊποι, έκείνοις γίγνεσθαι. Τών δέ τούτων καταδεεστέρων καί μέσων άγαπάν τηροΰντας τά σώζοντα καί διαλλάττοντα Θεόν άνθρώποις ήμαρτικόσιν. 'Η μέντοι τρίτη μοίρα, λέγω τούς καί άμφοϊν τοϊν είρημένοιν έκόντας όντας έκτός, χοιρώδεις καί ούδέν ύγιές. d. « Ού τοίνυν μοι δοκεϊς τής προτέρας έ’τι έ’χεσθαι δόξης, ταυτί μαθών, φιλ* εταίρε, ούδέ βιαιότατου καί βρόχον άντικρυς λέγειν, ούχ όπως τόν νόμον ήμϊν, άλλ’ ούδέ τάς παραι­ νέσεις καί συμβουλάς, άς γε έ’φης ύπερβαίνειν τήν άνθρώπω\ αρετήν, ούδαμώς δν άληθές. Πώς γάρ άν εκείνος ήξίου παραινεϊν άδύνατα ; e. « Εί δέ καί δοκεϊ σοι ταΰτα βαρύτερα τών πάλαι εντολών, ού πάνυ θαυμαστόν, έπεί τοι καί σαφώς υψηλότερα, έκεϊνα γάρ ταυτί τελειοϊ, ώς καί αύτός φθάσας εϊρηκας. Τό γοΰν 16 18 συνίστησι S. 17 21 τβλοιει Ρ. 1. L'appel à la perfection ne rend pas mauvais ce qui n’est que moins parfait. 2. Cf. Ix 12, 47. 3. Cf. Le 12. 42-14. 16 b 17 e 173 d’aimer la pauvreté adoptée dès le début par le Christ plus que toute abondance. Bref, accomplir pour un motif raisonnable tout ce qui constitue pour nous la vie, n’est ni condamné par la nature, pour ainsi dire, ni interdit par la Loi1. 17. a. « Disons donc ceci, s’il faut établir des distinctions et résumer ce qui a été dit à ce sujet : b. a C'est le fait d’hommes mauvais, indignes même d’être des serviteurs, de dédaigner les commandements du maître2. Les observer est le propre de serviteurs sages et fidèles3. Mais accueillir avec plaisir les conseils admirables et les accomplir selon son pouvoir, c’est le propre d’un homme désireux des grandes valeurs, qui ne se contente pas d’etre serviteur, lorsqu’il est loisible d’accéder à la filiation*. c. « Il faut donc parler ainsi : c’est le propre des hommes supérieurs, j’entends de ceux qui disent se plaire aux valeurs susdites, de fréquenter les anges et de devenir, pour ainsi dire, leurs compagnons de vie. Le propre des hommes inférieurs à ceux-ci, des hommes moyens, est de se contenter d’observer les préceptes qui sauvent et réconcilient Dieu avec les hommes pécheurs. Le troisième groupe, j’entends ceux qui, de leur propre gré, se sont placés en dehors des deux autres groupes mentionnés, c’est le troupeau des pourceaux qui n’ont rien de bon. d. « Il me semble, n’est-ce pas, cher ami, que tu ne tiens plus à La première opinion, après avoir appris cela, et que tu ne déclares plus ouvertement très dure et pareille à un piège notre Loi, ni non plus les exhortations et conseils que tu as dit dépasser la vertu des hommes, contre toute vérité. Car comment cette Loi aurait-elle jugé bon de recommander des choses impossibles ? e. « Que ces conseils te semblent plus pesants que les com­ mandements d’autrefois, cela n’a rien d’étonnant : ils sont manifestement plus élèves qu’eux — car ils les mènent à leur 4. Cf. Jn 15, 15 ; Mallh. 5, 48. 174 7'CONTROVERSE 25 τελειοΰν έπί πάντων ύψηλότερόν έστι του τήν τελείωσιν ύπ αύτοΰ δεχόμενον, τδ δ’ ύψηλότερόν τε καί άναντες, τούτ’ αυτό πως χαλεπότερου καί έπιπονωτέραυ ποιούν τήν εις αυτό φέρουσαν. 'Ως γάρ αληθώς στενή καί τεθλιμμένη καί άνάντης οδός έστι καθ’ αυτήν θεωρουμένη, ήν ό κατελθών 30 Θεός, τούς ούραυούς μή λιπών, άνθρωπος γενόμενος έπί σωτηρία του γένους, άπασιν έτεμεν άγνωστον καί άβατου καί άνεπιχείρητον ούσαν τό καταρχάς. Ταυτί δέ δήπου τά δύσκολα εικότως ταύτη πρόσεστιν- άνάντης μέν γάρ τω πρός τόν άνωτάτω χώρον φέρειν, ούκ εύρεϊα δέ τις ούσα, 35 ούδ’ όμαλή, ούδέ ραδία τυγχάνει τω υπό μηδενός πρότερον πεπατήσθαι. f « Ταύτης τάναντία κτάται, ήν οί προπάτορες ετεμον, ή προς τό βάραθρον φέρουσα καί πολλούς τούς έπ’ αύτής βαδίζοντας έξ αρχής έσχηκεϊα τω τε πρανής καί εύχερής 40 είναι, τω τε δέλεαρ ραστώνης ύποδεικνύναι* ώστ’ ούδαμώς θαυμαστόν, ει τών ήδονών ό Σωτήρ άποτρέπει, άτε πρός τό βάραθρον φερουσών, βαδίζειν δέ εκείνην προτρέπει, ή τό σώζειν τούς όδίτας συγκεκλήρωτο. Εκείνο μέυτ’ αν ήν θαυμάσαι, εί τάναντία συνεβούλευεν, άναγκαίως μάλιστα μέν 45 καί ώς ούκ ον ούδέν κοινόν αύτω τε καί τρυφή, έπειθ’ ότι καί πάσιν, ώς έπος είπεϊν, τό τρυφάυ διαβάλλεται, καί αύτοΐς τοϊς τούτο διώκουσι. g. « Καί γάρ τοι καί ύμϊν τοϊς μάλιστα πάντων άνθρώπων, καί δείκυυσιν εκείνο. Τούς γάρ έν ύμϊν δοκούντας είναι 30 τροφίμους τής αρετής καί τών μακρα περιφανεία κομώντων καί τών κομιδή πλουτούντων βελτίους άγετε. Καί 'Έλληνες 17 28 τεΟλιμένη P C | 40 8έαρ ραστώνης C : δέ ά^αστώνης S. 1. Cf. un beau développement sur ce sujet dans Cantacüzène, Apologie IV, 8 ; PG 154, 558 B - 560 C ; id., 12, 651 D - 565 D. 2. Sur les deux voies : Maith. 7, 13-14 : Le 13. 24. Cf. aussi Dent. 30, 15-19 ; Ps. 1 en entier; et peut-être Coran 90, 11-18. 3. Cf. entre antres ΛΜ//Λ. 5, 29-30; 10. 38-39 ; 16, 24-26; 19, I 1 I ί | I I 17 c - 17 g 175 achèvement — comme toi-même en as déjà convenu*. Or la chose qui achève est de tous points plus élevée que ce qui reçoit d’elle son achèvement. D’autre part, ce qui est plus élevé et qui va en montant est de soi en quelque sorte plus difficile et rend plus pénible le chemin qui y mène. Car en vérité, étroit, resserré et montant, à le considérer en lui-même, est le chemin frayé à tous par le Dieu qui, sans quitter les cicux, est descendu et s'est fait homme pour le salut de notre espèce. Ce chemin était au commencement inconnu, non pratiqué et malaisé. Ces difficultés lui sont inhérentes, car il est montant : il conduit à l’endroit le plus élevé ; il n’est ni large, ni uni, ni aisé, pour la raison que personne ne l'a parcouru avant. f. « Opposés sont les caractères du chemin que nos pre­ miers parents ont emprunté. Il mène à l’abîme, et nombreux sont les hommes qui dès le début s'y sont engagés, attires par sa pente inclinée et aisée et par l’appât de la faci­ lité. Bien d’étonnant donc que le Sauveur détourne les hommes des plaisirs qui mènent à l’abîme, et qu’il encou­ rage à s'engager dans la voie susceptible de sauver les voyageurs2. Il y aurait eu lieu de s’étonner s’il avait recommandé le contraire. La raison principale en est que nécessairement il n’y a rien de commun entre lui et la jouissance et qu'ensuite il a stigmatisé la vie molle3, pour ainsi dire, aux yeux de tous et de ceux mêmes qui la recherchent. g. u En effet, parmi tous les humains, c’est à vous aussi et surtout qu’il montre cela. Car ceux qui chez vous semblent être les nourrissons de la vertu, vous les estimez meilleurs que ceux qui s'enorgueillissent d'une large renommée et que les gros richards4. Les Grecs, de toute évidence, pen23-30 ; et les passages parallèles dans Mc et Le. Cf. aussi la parabole de Lazare et du mauvais riche, Le 16, 19-31. 4. Dans plusieurs passages, le Coran affirme que la qualité du croyant se mesure à sa pieté : 2, 197 ; 18, 47 ; 28, 79-82 ; 49, 13 ; etc. 17G w 5 10 15 20 7" CONTROVERSE δέ ταύτα φρονοΰντες έφαίνοντο. Καί όλως ή μ£ν άρετή πασι τίμιον, ή δέ κακία άτιμον. Καίτοι πως άν κάλλιον έδειξε τις εύ έπιτάττων, ή παραινών, ή τω πάντας ίχειν συμφθεγγομένους. 18. a. «El δέ και τοϊς εργοις ού πάντες τήν αύτήν τοϊς φιλοπόνοις βαδίζουσιν, ού τούτο γε σκοπεϊν χρή. Ίο γάρ σαρκίον κα'ι ό πηλός, καίτοι καρακαλούμενόν τε καί συνωΟούμενον καί πάντα τρόπον προς αρετήν έναγόμενον ύπδ του λογικού της ψηχής μέρους, τόδ’ αφηνιάζει, πώς οϊει, καί άπαναίνεται φύσει τα κρείττω καί φθοράς άπαλλάττοντα* εί γάρ καί γλυκείς οί της άρετης καρποί, άλλ’ ή γε ρίζα πικρά. ‘Ότε τοίνυν τάληΟές ούτως έχει, καί τά τής άρετης έργα έπίπονά τε έστί καί ού κατ’ ανάγκην φύσεως ένεργούμένα, άλλα γενναιότητι προαιρέσεως· ή δέ προαίρεσις ούχ όμοια πάσιν άνθρώποις, τούναντίον θάυμάζειν έχρήν, εΐ πάντες ομοίως ειχον πρδς άρετήν καί μή τούς τρόπους άλλήλων διενηνοχότες ήσαν. ύ. « "Ωστε το μέν μή πάντας τήν αύτήν τοϊς φιλοπόνοις βαδίζειν, τω τήν αρετήν άγαθον είναι λέγοντι ούδαμώς μάχεται. Τδ δέ πάντας αν εύξασθαι τής των σπουδαίων είναι μέριδος, ή των άνειμένω βίω σφάς γε αυτούς έκδιδόντων, τούτο δέ ταύτην συνίστησιν άγαθον έξαίρετον είναι. Οϊμαι γάρ ώς αίρέσεως προκειμένης καί αύτοϊς τοϊς ραθυμίφ προσηλωμένοις εύρεθήναι τδν αύτδν επί τά κρείττω μεταβαλεϊν δυνησόμενον πάσι τρόποις. ή ζήν αύτούς ώσπερ’J είώΟασιν έν φαυλοτέροις ήΟεσιν, τής προτέρας άν μερίδος έγένοντο, τήν έτεραν διαπτύσαντες, σχεδόν καί προ του σκέψασθαι. 18 15 λέγοντα S [| 18 δέ ο in. S | εξαίρετα». S 20-21 με βαλεΐν P C S. 1. Manuel pense à tous les moralistes non matérialistes de la Grèce»: depuis Socrate et Platon... 2. Le passage est obscur. Manuel oppose la Loi du Christ, qui contient des préceptes et, pour les fervents, des conseils de perfection, 17 g - 18 b 177 saient de même1. Bref, pour tous la vertu est objet d’es­ time, et le vice de mépris. Cependant on a sans doute, en donnant des préceptes on des conseils en bonne et due forme, mieux agi qu’en cherchant à gagner l'assentiment de tous2. 18. a. « Mais qu’en fait tous n'empruntent pas la même voie que les (disciples) fervents, ce n’est pas cela qu'il importe d’examiner. La partie qui est chair et bouc a beau être exhortée et poussée et portée de toute manière à la vertu par la partie rationnelle de l’âme, elle résiste, tu penses bien, et refuse de par sa nature les avantages qui soustraient à la corruption3. Car s'il est vrai que les fruits de la vertu sont doux, la racine en est amère. Si telle est la vérité, les œuvres de la vertu sont pénibles et ne sont pas accomplies par nécessite de nature mais par générosité de la volonté. Or la volonté n'est pas la même chez tout le monde. Il y aurait lieu, au contraire, de s’étonner si tous nourrissaient les mêmes dispositions à l’égard de la vertu et ne différaient point les uns des autres par la conduite. b. « Ainsi donc le fait que tous ne suivent pas le meme chemin que les fervents, ne fait nullement échec à l’affir­ mation que la vertu est un bien. Au contraire, le fait (pie tous souhaitent d’être du nombre des vertueux plutôt que de ceux qui s’abandonnent à la vie relâchée, c’est cela qui l’élève à la valeur d'un bien supérieur. Je pense que si l’on offrait, même à ceux qui sont attaches à la noncha­ lance, le choix d’être capables, dans toute leur conduite, de se tourner vers les valeurs meilleures, ou de vivre dans leurs mauvaises mœurs habituelles, ils opteraient pour la première voie et rejetteraient l’autre, presque avant même de l’avoir considérée. ù la Loi de Mahomet, qui cherche par scs compromis et scs facilités a sc concilier la faveur de tout le monde. 3. Dans Rom. 7, 14-24, saint Paul a donne à cc thème une expres­ sion saisissante. Cf. aussi Gai. 5, 16-17. 12 178 ° 10 25 20 7* CONTROVERSE 19. a. « Ουτω σαφής ή διάκρισις, και αί των απάντων δόξαι ές ταύτό συνέρχονται τοις τού Χριστού διατάγμασιν. 'Έχει μέν ούν ούτω ταύτα, καί δόξειεν άν τισιν ώς και σοι τά τού Χριστού παραγγέλματα των τού Μωσέως βαρύτερα, δν γε δή τρόπον είρηται, τρόπον δ’ αύθις έτερον κουφότερά τε έστί φέρειν, καί ευχερέστερα πράττειν, δυοϊν ένεκα’ b. « Των τε έλπίδων φημί’ ούδέ γάρ ισα τά επαγγέλματα, άλλα τά μέν ταπεινά, γήϊνα γάρ, ‘ έν αύτοϊς, φησί, ζήσεται ο ποιήσας αύτά τά δ’ υψηλά, ούράνια γάρ καί αθάνατα. c. « Καί τού συμμαχίαν έξ ούρανού τινα δέχεσΟαι τούς τω νομοΟέτη Χριστώ προαιρούμενους κατ’ ίχνος επεσθαι- άφανώς γάρ τουτοισίν αυτός των έργων συνεφάπτεται καί πρός τούς αγώνας τούτους άλείφει καί καρτερίαν αυτούς, ώς καί εφθην ειπών, παρέχει προς τούς ίδρωτας. d. « Ταύτα τήν στενήν καί τεΟλιμμένην οδόν ού χαλεπήν ώς πέφυκε δείκνυσι τοϊς γενναιοτέροις’ νουν γάρ έ'χουσιν άνδράσιν οδός ή πρός πατρίδα λαμπράν φέρουσα κουφά τά βαρέα, καί φορητά τά άφόρητα ποιεί φαίνεσθαι, ού μόνον οτι τάς της όδού δυσχερείας ούτε συνεχώς έχομεν καί ταχέως διαπερώμεν, άλλ’ οτι καί τήν οδόν διανύσαντες, τών έν αυτή 19 2 τοΰ Θεοΰ S. 1. Cf. plus haut 2,a,b. 2. Dans le texte de la Bible, il s’agit des lois et coutumes de Dieu. Manuel éLcnd le sens aux promesses faites à ceux qui demeurent fidèles à ces lois. 3. Lia. 18, 5 ; Gai. 3, 12. •1. Cf. entre autres, Matth. 25, 31 ; Jn 17, 2-3.24; I Cor. 9, 25; II Cor. I, 17-18 ; Éphés. 1, 18 ; Col. 3, 24 ; Héb. 10, 23.32-39. 5. On trouve 1Λ, exprimé d'un mot, un des fondements traditionnels de l'appel à la sainteté : l’imitation du Christ. Les textes sont ici fort nombreux, citons-en quelques-uns : Mallh. 8, 20-22 ; 10, 36-40 ; 12, 29; 16, 24-26; 19, 11.27; Mc 8, 34; 10, 28; l.c 9, 57-62; 14, 27-34 ; 19, 23 ; Jn 12, 3 ; Rom. G, 3-23 ; 8, 17.29 ; Gai. 3, 17 ; Éphés. 4, 24-32; Col. 3, 10.12; 1 Thess. 1, 6 ; Héb. 12, 2-3; 1 Pierre 2, 21... Sur le thème parallèle de l’imitation de Mahomet, lire Coran 3, 31 ; 33, 21. Toutefois d’autres versets sont loin de proposer Mahomet pour 19 a - 19 d 179 19. a. a De la sorte, la distinction est claire. Les opinions de tous s’accordent avec les préceptes du Christ1. Tels sont les termes du problème. Pour certains comme loi, les prescriptions du Christ seraient plus lourdes que celles de Moïse, du point de vue exprimé plus haut. D’un autre point de vue, au contraire, elles sont plus légères à porter et plus aisées à accomplir. Et cela pour deux raisons : b. « — D'abord les espérances. Les promesses ne sont pas égales ; mais les unes sont humbles, parce que terrestres : ‘ En elles2, dit-il, vivra celui qui les aura accomplies3 ' ; les autres sont élevées, parce que célestes et immortelles4. c. « — Ensuite l’assistance que reçoivent du ciel ceux qui ont préféré suivre les traces du Christ législateur5. Lui-même en effet, invisiblement, accomplit avec eux leurs œuvres®. 11 les oint pour les luttes et il les arme, comme je l’ai dit précédemment, de constance pour supporter les sueurs7. d. « C’est cela qui fait que le chemin étroit et resserré n’est pas pénible, comme il l’est de sa nature, pour les plus généreux. Pour les hommes doués d’intelligence, le chemin qui conduit ù une patrie resplendissante fait que paraissent légères les choses lourdes, et supportables les choses insupportables, non seulement parce que nous ne butons pas constamment aux aspérités du chemin et que nous les traversons vite, mais encore parce que, parvenus au terme du voyage, nous sommes debarrassés de scs peines modèle : il n’est qu’un homme comme les autres. Cf. M. GaudefroyDemombynes, Mahomet, p. 236-241 ; J. Haddâd, Le Coran et 1‘Écri­ ture (en arabe), II, p. 1015-1025; 1. Goldziher, Le dogme et la loi del’Islam, p. 19, 252 n. 21. 6. Cf. Phil. 1, 6 ; 2, 13. Manuel applique ici au Christ ce qu’il avait plus haut attribué à Dieu : 10,b. 7. Images traditionnelles de la lutte et des armes spirituelles, Cf. I Cor. 9, 24-27 ; II Cor. G, 4-8 ; 11, 23-33 ; 12, 10 ; Éphés. (>, 10-17 ; Phil. 1, 28-30 ; Col. 1, 11 ; II Thess. 1, 4. Manuel avait aussi plus haut évoqué le combat spirituel des parfaits : 10,b ; ll,c. Cf. également 18,f... 180 30 35 40 45 7«· CONTROVERSE δεινών άπαλλάττομεν, καί τήν πατρίδα οίκοΰμεν, καί τών έν αυτή καλών διηνεκώς άπολαύομεν. Γό δή ταΰτα προσδοκάν όαδίως φέρειν δίδωσι τά τής οδοδ δυσχερή, ώνπερ ούτω ραδίως άπαλλαττόμβθα ώς μηδέ τόν τοϋ πάθους χρόνον καταμανθάνειν. e. « Εύλογον δ’ οϊμαι πρό τούτων τίΟεσθαι τά μόνιμά τε καί σταθερά, καί οις τό συμβιούν άκρως εύδαιμον. Άλλα γάρ πάλιν άκοντί άμηγέπη τών δογμάτων έφαπτόμεθα. Ούδέ γάρ ώς έοικε όαστον τοϊς ύπέρ τής αλήθειας άγωνιζομένοις επικουρίας τοιαύτης άπαλλάττεσΟαι, άνθ’ ών καί δεδιέναι μοι έπεισι μή καί ές αύθίς γε τυχόν ταϋτα πάθοιμι λόγου λόγω παραπέμποντος ημάς, προς βίαν μέν κομιδή, ούκ εξω δέ λόγου εϊ τις ού λήθην έλαβε τών ήμϊν άρτι ρηθέντων. f. « Ώς δ’ ούκ αδύνατα παραινεί, ώ μηδέν άδύνατον, αύτίκα δείξω* καί δή μοι συνιστώσι τόν λόγον όσοι τόν άγώνα τούτον διήνυσαν, πολλοί δέ άρα διήνυσαν, εί δέ καί μή πάντες πάντα καθ’ έκαστον, άλλ’ αδ τοΐς πασι πάντα μεμερισμενως διήνυσται, ούτω γε μέντοι καλώς ώς μηδέν αύτοϊς έγκαλεϊν έ'χειν μηδ’ όντινοΰν τών απάντων* ού μόνον δέ λέγω τάς έντολάς, άλλά καί τάς παραινέσεις έξης άπάσας* g. « Ώστ* οΰτ’ αδύνατα συνεβούλευσεν, ούτε τοϊς άδυνάτως έχουσι προς αυτά, ούτε μή κατά καιρόν, ούτε φορτικώς, άλλ’ ά τε καί οις καί οτε προσήκε, καί ώς είκός ήν έκεϊνόν τε δήπου διδόναι καί τούς δεχομένους λαμβάνειν. Ού γάρ άν τά πάντα τοϊς πάσιν άρμόσειε παντί καιρώ τε καί πασι τρόποις, άλλ’ άλλα μέν τούτοις, άλλα δ’ έκείνοις, καί χΟές τω δεϊνι, νυνί δ’ έτέρω, μυρίων αίτιων ένεκα. 19 2G πρδς P S || 28 άκοντα C S [] 29 της C S , 32 παραπέμποντα C S ί ύμάς C S || 33 ού S [j λόγον P C S || -18 δέ έτέρω S. 1. Cf. Rom. 8, 18 ; Π Cor. 4, 17-18. 2. Dieu, ou aussi, pour Manuel, Jésus en tant que Dieu. Cette dernière interpretation est évidemment exclue pour le musulman. 19 d - 19 g 181 el habitons la patrie et jouissons sans interruption des biens qu'elle contient. Espérer ces biens donne de supporter avec facilite les aspérités du chemin1 : nous en sommes d'ailleurs débarrassés avec une telle facilité que nous ne nous apercevons point du temps de la peine. e. « Il est raisonnable, je pense, de préférer les biens immuables et stables, même pour ceux qui font du mariage le suprême bonheur. Mais nous voilà ramenés de nouveau en quelque sorte, malgré nous, aux discussions de doctrine. 11 n'est pas, semble-t-il, bien facile à ceux qui mènent la lutte pour la vérité, de se désister d’un tel appoint. C’est pourquoi j'ai lieu de craindre de subir peut-être encore la même chose à l’avenir, c'est-à-dire que le discours ne nous renvoie à un autre discours, par force certes et non sans raison, si l’on n'a point perdu de vue ce que nous avons déjà dit. f. « Mais je vais vous montrer, sans tarder, que Celui à qui il n’est rien d'impossible2 ne recommande pas des choses impossibles. Appuieront certes mon discours tous ceux qui ont mené jusqu’au bout cette lutte, et ils sont nombreux à l’avoir fait, même si tous n’accomplissent pas tout chaque jour mais accomplissent tous fragmentairement ce tout : ils le font d'ailleurs si bien qu’on ne saurait rien reprocher à aucun d’entre eux. .Je parle non seulement des commandements, mais aussi bien de tous les conseils3. g. « Ainsi donc il n’a point conseillé des choses impos­ sibles, il ne les a pas imposées à ceux qui en sont incapables, ni d'une façon intempestive ou pesante. Il a donné à qui et quand il convenait les conseils qu'il lui convenait à lui de donner et qu’il convenait aux bénéficiaires de recevoir. Car tout ne convient pas à tous, en tout temps et de toutes façons. Mais certaines choses conviennent à ceux-ci, d’autres à ceux-là, hier à un tel, aujourd'hui à tel autre, et. cela pour des milliers de raisons. 3. Manuel n’exploite pas assez, â notre sens, cet. argument de fait, dont l’utilisation est d’ailleurs méthodologiquement très délicate. 182 5 10 15 20 7· CONTROVERSE 20. a. « Διά ταυτα καί πολλαί μέν βίων αιρέσεις εις σωτηρίαν ψυχών έξεύρηνταί τε καί δέδονται, * πολλαί δέ αύθις μοναί παρά τώ Πατρί. ’ Ουτω γάρ ό Σωτήρ ήμϊν εϊρηκε, δηλών ώς ούχ όμοιας χορηγήσει τάς άμοιβάς τοϊς άγαθοϊς άνδράσι, τοϊς τε κατ’ εντολήν μόνον ζήσασι, τοϊς τε περαιτέρω προβάσι τη των παραινέσεων φυλακή, άλλ’ έκατέροις μέν έξης στεφάνους αθανάτους παρέξει καί γέρα μακαρίοις προσήκοντα, πολύ δέ διαφέροντα έτερον ετέρου τη λαμπρότητι, ού μόνον γε τά των υιών πρύς τα δούλων, άλλα καί τά έκατέρων άλλήλοις παραβαλλόμενα. b. « Έπεί δέ βίους εφην είναι πολλούς, δοκώ μοι δεϊν τι περί τούτων είπεϊν. Πάντας μέν οΰν διελεϊν ώσπερ άτομα καί είδη καί γένη ταυτί τα ύπάλληλα ούκ άν εϊη σύν τώ καίριο, αλλά μάλλον διαιρετέον αύτούς ώς ύλον εις μέρη, καί τάξιν ώδε τριττήν, οπερ δοκεϊ τοϊς σοφοϊς. Των τοίνυν τόν Θεόν σεβομένων οί μέν φόβο) κολάσεως άπέχεσθαι των κακών αίροΰνται· οί έπειδάν καί των παθών καΟαρεύωσι, χαλεπώς διάκεινται, δέον αύτοϊς ραον τάς ψυχσ,ς διακεϊσθαι, ώστε άτοπώτατόν τι τούτοις συμβαίνειν, καί νωθρών καί φαύλων δούλων ούδέν τι το παράπαν διενηνόχασί, μήτε διά την τών άγαθών έργων άντίδοσιν πολύ νικώσαν τούς τήδε πόνους, μή χαιρούση τη ψυχή τούτων α.πτόμενοι, άλλα. τώ δέει τών πληγών εαυτούς σωφρονίζοντες καί μή βουλομένους, ώς άν τις είποι. C. « Ένίοις δ’ ό βίος ρυθμίζεται ταϊς τών χρηστοτέρων έλπίσι καί μισθωτών είκόνος ετυχον παρά Οειοτέροις άνδράσι. Τούς γάρ αγαθούς ού χρή ποιεϊν τάγαθον άλλου του ένεκα, άλλ’ υπέρ αύτοϋ μόνου. 20 8 ττολλύ C || 15 Ίησοϋν C S 26 άνδράσιν S. 21-22 5’ αδθις S | 22 μήτι Ρ || 1. Jn 14. 2. 2. Cf. I Cor. 3. 10-15 ; 15, 39-42 ; et en général tons les textes où 11 est dit que le juste Juge rendra à chacun selon ses œuvres. 3. Cf. parabole des talents et conduite du serviteur paresseux, Matlh. 25, 24-30 ; Rom. 8, 15. 20 a - 20 c 183 20. a. « C’est pourquoi nombreux sont les choix de vie qui ont été aménagés et donnés pour assurer le salut des âmes. ‘ nombreuses aussi sont les demeures chez le Père1 C’est ainsi, en effet, que le Sauveur s'exprime, montrant qu’il n’accordera pas des rétributions égales aux hommes vertueux, c’est-à-dire à ceux qui ont vécu conformément aux seuls commandements et à ceux qui sont allés plus avant par l'observation des conseils. Mais aux uns et aux autres, par ordre de mérite, il offrira des couronnes immor­ telles et des récompenses dignes des bienheureux, mais différant grandement l’une de l'autre par la splendeur2. Elles différeront, non seulement celles des fils de celles des serviteurs, mais aussi celles des uns et des autres entre elles dans le même groupe. b. a II y a, dis-je, beaucoup de genres de vie. Il me semble qu’il faut en parler. Les distinguer tous les uns après les autres en unités, espèces et genres, ne serait pas à propos. Ce qu’il faut, c’est les distinguer plutôt en parties d’un même tout. Il y aura ainsi, selon les sages, un triple groupe. Parmi ceux qui rendent un culte à Dieu, les uns choisissent de s’abstenir du mal par crainte du châtiment. Ceux-ci. lorsqu'ils sont amenés à se purifier de leurs passions, se trouvent dans une situation pénible : ils souhaiteraient assurer à leurs âmes une condition plus facile. De la sorte leur situation est fort absurde, et ils ne diffèrent abso­ lument en rien de serviteurs paresseux et mauvais3. Ils n’offrent pas une somme de bonnes œuvres qui l’emporte de beaucoup sur les peines d'ici-bas, car ils n’entrepren­ nent pas ces œuvres avec une âme joyeuse. Ils se retien­ nent eux-mêmes malgré eux, pour ainsi dire, par peur des coups. c. « D'autres règlent leur vie par l'espoir du profit. Ils offrent l’image de mercenaires à les comparer aux hommes qui sont plus près de Dieu. Car les bons ne doivent pas faire le bien pour quelque autre raison, mais pour le seul bien lui-même. 184 30 35 40 45 7· CONTROVERSE d. « Ή τρίτη μέντοί μοίρα νυν έκ του παρήκοντος γενομένη τω λόγω, τη δέ ποιότητι καί τη φύσει πρώτη διαμείνασα, αυτή δ’ έστίν ή τελεωτάτη· ούτε γάρ φόβω δεινών, ούτε έλπίδι χρηστών τάγαθδν διώκουσιν, άλλ* εί καί κακώς γε προΰκειτο πράττειν αυτούς — θαυμάσεις δ’ εύ οίδ <5τι ταληΟες άκούσας — μάλλον άν έλοιντο τούτο πάσχειν ή εύ παθεϊν ύφ* ύτουοΰν τά μή τω Θεω φίλα διαπραττόμενοι. Ταΰτα την υιοθεσίαν τούτοις χαρίζεται. Ίων μέν γηίνων, ώς είπεϊν, μηδέν φροντίζειν άξιον κρίνουσιν, δτι μή πασα ανάγκη, τδν δ’ ούρανδν όνειροπολεΐν καί τά εκεί πράγματα, ταΰτα του σώματος έτι ζώντος νεκρά τά πάθη δείκνυσι τοϊς προαιρουμενοις, οΐ δή τον τρώσαντα Θεόν αίεί προ τών ύφθαλμών έχουσι, πόθω μανικώ προς αύτοΰ τετρωμένοι, τούτον άεί φαντάζονται, καί καταφρονοΰσι τών έν τη γη, καί πρδς αύτδν αυτούς μεθαρμόττουσιν, όσον οϊόν τε, δπως, οίμαι, τω δμοίω τδ ομοιον έφελκύσωνται, εί καί απαθές τδ Θειον καί σμικρά καί άμυδρά ή τών άριστων άνθρώπων όμοίωσις πρδς αύτδ κατά μεγίστην γίγνεται χάριν. 21. α. « Φαίνεται τοίνυν, συντόμως δέ νυν έρώ, ώς ot pxv φόβω τοΐς δεδομένοις οροις έμμένουσι, δούλοι καί πλέον ούδέν, ot δέ τά δούλων μέν ποιεϊν ούκ άπαξιούσι, μισθού δ* 20 30 τηδε S || 31 8έ έστιν C S σοντα; P C. 41 τετρωμένον PC S || 14 έφε/κύ- 1. Cf. Maith. 6. 19-21.25-33 ; Le 12, 22-32.33-34 ; Phil. 3, 7-8.19-20. 2. Cf. Rom. 6, 6-23 ; 8, 5-13 ; 13, 14 ; Gal. 6, 16-21.24 ; Col. 3, 1-5. 3. Expression fréquente chez les mystiques. On peut relever de telles phrases dans les prières de l'Officc divin, dans l'Église byzantine. L’invocation finale qui termine l’heure de Sexte, par exemple,, s’exprime de la sorte : « Blesse nos Ames par l’aspiration vers Toi, afin que nous fixions sur Toi nos regards en tout temps, que nous nous laissions conduire par la lumière qui vient de Toi, et qu’en voyant ainsi la lumière éternelle inaccessible, nous fassions monter l’action de grâces... · •1. Cf. 11 Cor. 3. 18 ; 4, 4-5 ; / Jn 3, 2. Manuel reprend là une idée chère à la philosophie platonicienne : cf. Platon, TiétHe, 176 B ; République, 613 A ; S. Jean Damascene la retient dans ses Chapitres 20 d - 21 a 185 d. a Le troisième groupe, dont il nous arrive de ne parler que maintenant se place en fait au premier rang par la qualité et la nature. C’est le groupe le plus parfait. Ces hommes ne poursuivent le bien ni par crainte des peines, ni par espoir du profit. Mais, quelque mal qu’ils éprouvent à se conduire de la sorte - tu t’étonneras, je le sais bien, de m’entendre dire la vérité ils aiment mieux le subir que de gagner les faveurs de qui que ce soit au prix d’une conduite non agréable à Dieu. C’est ce qui leur vaut leur filiation. Les biens terrestres, ils ne les estiment pas dignes de souci1, sauf en cas d’extrême nécessité. Mais songer au ciel et aux affaires de là-bas, tout en vivant dans un corps, montre que chez ceux qui choisissent d’agir ainsi, les jjassions sont mortes2. Ils ont toujours devant leurs yeux le Dieu qui les a blessés3 : blessés d'un amour à la folie pour lui, ils pensent à lui toujours et méprisent les choses de la terre. Ils se façonnent sur lui autant qu’il leur est possible, afin, je. pense, d’attirer à eux le modèle par leur ressemblance avec lui4, bien que le Divin soit impassible et que petite et ténue soit la ressemblance avec lui des hommes les meilleurs, par l’opération de la grâce la plus grande. 21. a. « Il apparaît donc — je parlerai maintenant brièvement que les uns, par crainte, demeurent dans les limites déterminées : ce sont des serviteurs et rien de plus. Les autres ne refusent pas d’accomplir les œuvres des serviteurs ; ils s’en acquittent donc, poussés par l’espoir philosophiques, surtout HT, LXVïl ; PG 9-1, 533 B (cl notet), 669 C. Attirer le modèle : cf. Platon, Gorgias, 510 B ; Aristotb, Éthique à Nicomaque, 1155 A, 34 ; 1165 B 17. Lire aussi R. Arnou, Le désir de Dieu dans la philosophie de Plolin, Paris 1921, p. 246-248. La mime Idée est reprise par les philosophes de langue arabe, et. par exemple al-Fâkâb!, Philosophischc Abhandlungen (Dielerici), Lcyde 1890, p. 53, 15. Maimonide, Le guide des égarés (Munk), 1 (185G), p. 224. Voir I. Goldziher, Le dogme cl la loi de l'Islam, p. 253, n. 21. Cf. Cantacuzène, Discours II, 11 ; PG 154, 624 C. 186 6 10 15 20 25 7« CONTROVERSE ούν όμως έλπίσι τρεφόμενοι ταυτ’ έργάζονται,. χρηστοί τε πάντως καί νουν έχοντες, αιώνια φθαρτών άνταλλαττόμενοι, υιοί δ’ οΰπω, όθεν ούδέ υιοθεσίας άξιοι. ΟΙστισι μέντοι φιλο­ τιμία τις πρόσεστι τοϊς ολοις εκείνους παρενεγκεϊν, τω προς ταις έντολαϊς καί τάς παραινέσεις ακριβώς πειρασθαι φυλάττειν, καί απλώς ώς πρός παράδειγμα εις τόν του Διδασκάλου βίον όράν, οΰτοι μόνοι φοιτηταί καί φίλοι σαφείς άν εϊεν και εις τον τών υίέων χορόν έγγεγράψονται θεία χάριτι. Τούς δή τοσαύτην μέν προθυμίαν ένδειξαμένους, τοιαΰτα δέ έργα, καί τόν μέν Θεόν ώς αληθώς έγνωκότας, ολην δ’ εις αυτόν έχοντας την ψυχήν τετραμμένην, είκός γε δήπου τούτου τυγχάνειν καί τών εύχών άμεινον. b. « Καί μέντοι πολλώ τινι μέτρω την τών άνθρώπων επιθυμίαν παρέρχεται τάκεϊθεν άγαθά, απόρρητος ή δόξα καί ή τρυφή καί τό φώς, ά τοϊς άγαπώσιν αύτόν δίδωσι, νυν μέν όσον οίόν τε, εις δέ τό μέλλον τρανότερόν τε και καθαρώτερον. Τούτων γάρ τό μέγεθος, όσον τε καί οϊον εστίν, ‘ ούτε ούς άκήκοεν, οΰτ’ οφθαλμός είδε ’, καί νους ήττάται πρός τούτο σπεύδων έκτίνεσθαι- μόνοις γε τοϊς τηνικαυτα μεθέξουσιν έσται γνώριμον. Ώς τών νυν ανθρώπων οί άμείνους, ‘ ώσπερ έν έσόπτρω ’ φαντάζονται τάγαθόν, ‘ καί ώς έν αίνίγματι φησί τις θειος άνήρ* καί τό εύγενές της τρυφής εκείνης ολίγον τοϊς παρούσι τεκμαίρονται, καί πτερούνται τήν ψυχήν, κατά τό μέτρον έκαστος του πρός τόν Διδάσκα­ λον φίλτρου* αύτω γάρ δήπου τω πάΟει άντιμετρεϊται τά θεία δώρα. 21 14 εικότως PCS 17 τά’ κεϊΟεν S 28 φίλτρον C. 1. Cf. Jn 15, 14-15. Pour les mêmes idées, cf. Cantacvzè.kb, Discours II, 25, 652 A. 2. Cf. Éphés. 3, 10. 3. Pour une comparaison entre le ciel chrétien et le paradis musul­ man, cf. Cantacuzène, Apologie IV, 6, 548 Λ-Β. 552 D ; Discours II, 9, 620 B ; 11, 621 B ; 624 C. Le Coran aussi affirme que la récompense sera plus grande que les bonnes œuvres des croyants : 4, 40.173 ; 10,26. 21 a - 21 b 187 du salaire : ils sont assurément bons et raisonnables, ils échangent les biens périssables contre les biens éternels ; mais ils ne sont point des fils et ne sont donc pas dignes non plus de la filiation. Les autres enfin nourrissent en outre l’ambition de dépasser tous ceux-là en tout ; ils essayent, en plus des commandements, de garder avec soin les conseils et de tourner les regards vers la vie du Maître, absolument comme vers un modèle : ceux-là seuls seront les véritables disciples et amis1 ; ils seront inscrits par la grâce divine dans le chœur des fils. Ceux qui ont fait preuve d’une telle ardeur, accompli de telles œuvres, qui ont connu Dieu vraiment et tenu leur âme toujours tournée vers lui tout entière, obtiennent naturellement cette faveur et au-delà de leur attente2. b. « Certes les biens d’en-haut dépassent dans une large mesure le désir des hommes3. Ineffables sont la gloire, la jouissance et la lumière que (Dieu) donne à ceux qui l’aiment, à présent dans la mesure du possible, mais dans le siècle à venir avec plus d’éclat et de pureté. Quelles sont la grandeur et la qualité de cette félicité, ' nulle oreille ne l’a entendu, nul œil ne l’a vu ’, l’esprit est incapable d'y tendre même en s’y efforçant4. Seuls le comprendront ceux qui y participeront alors. Quant aux meilleurs parmi les hommes ici-bas, ils se représentent la béatitude ‘ comme dans un miroir, d’une manière confuse5 ’, dit un homme de Dieu6 ; l’excellence de cette jouissance, ils la conjec­ turent d’après les choses présentes ; ils y volent par l’âme, chacun selon la mesure de. son amour pour le Maître. Car c’est à la mesure de l'amour que seront répartis les dons divins. •I. / Cor. 2, 9; cf. Is. 64, 3. 5. I Cor. 13, 12. 6. Noter combien Manuel aime et admire saint Paul. Nos citations précédentes ont essayé de montrer combien la pensée religieuse de Manuel est pénétrée de la doctrine paullnicnno et se meut, dans les perspectives théologiques de saint Paul. 188 7« CONTROVERSE C. « Τί δ’ άν ειη τούτό γε πρδς Θεού, $περ άμυδρώς θεωρούμενου έλκει τοσαΰτα πρδς εαυτό, όσα πείσα ι καί ζωής δεήσαν άλογησαι καί τά καλά τε καί ήδέα καί ζηλωτά λήρον πρδς έκεϊνο λογίζεσθαι : Καί ήν μοι £αστόν τήν απο­ λογίαν έκτείναντι δούναι κρατήσαι τά κρείττω καί μετά 3& μείζονος τής περιουσίας* άρκειν δ’ ηγούμαι καί τά ρηθέντα. Έπεί τοι καί κναφεϊ περίεργον άτεχνώς ζητεΐν Εύφράτας καί Τίγρητας μετά τδ χρήσασΟαι πηγαις άρκούσαις αύτώ πρδς τδ βούλημα* άλλως τε καί τδ μετρίως κρατούν πολλών γε δειται λόγων τών συνιστώντων καί φανερούντων αύτφ •ίο τήν υπεροχήν, τδ δέ τοϊς δλοις νικών, ολίγων, καί τούτων πρδς σκαιούς τινας, ή μή καλώς έθέλοντας συνοραν τήν τών άστραπτόντων λαμπρότητα. (I. « Εί μέν ούν καί ύμϊν ξυνδοκεΐ, τοΰθ’ οπερ εδει καί γέγονεν, εί δέ μή, πρδς έπος όπως άποκρινεΐσΟε. » Πέρσης 22. α. « Μακρδν άν ειη, έ’φη ό Πέρσης, πρδς έπος άποκρίνασθαι. ’Αλλά καλά μέν έ'δοξεν άπασι τά Ρηθέντα, εί δή καθ’ αυτά τήν βάσανον δέξαιτο, έτέροις δέ παραβεβλημένα, ούκ οϊδα εί τοιαΰτα φανήσεται. b. « Λείπεται τοίνυν εκείνο, αύτούς τούς νόμους ήμϊν συνεξετασθήναι, ώς δή συνέβημεν έξ αρχής. Οϊμαι γάρ φανήσεσθαι τά ύπέρ τού ήμετέρου νόμου λεχθέντα μοι ούκ αλαζόνας ρήματα. » 21 34 έκτείνατα PCS ε 39 γε ont. C || 10 τοισόλοις A || 41 πρόσ­ καιρους S I 44 άποκρινεΐσθαι sic Ρ. 22 1 ό Πέρης C S || 2 δέ S 5 λείπεται λείπεται C. 1. Cf. Hom. 8, 18 ; Phil. 3, 8. 2. Les développements de Manuel, malgré la beauté de certains passages, sont trop longs : la force incisive de son argumentation —— 21 c - 22 b 189 c. « Quel peut donc être ce don de Dieu qui, même entrevu obscurément, nous attire à lui assez fortement pour nous persuader de faire peu de cas de la vie et de tenir ses biens, ses agréments et ses côtés enviables pour simple bagatelle au regard de lui1 ? Il me serait fort aisé, si je le désirais, d'allonger encore cette apologie, de présenter des dévelop­ pements meilleurs et en plus grande abondance. Mais c’est assez, je pense, de ce qui a été dit. Il est franchement superflu pour un foulon de venir jusqu’à l’Euphrate et au Tigre, quand il s'est servi de fontaines qui suffi­ sent à son dessein ; d’autant plus que ce dont la précel­ lence est médiocre requiert beaucoup de discours pour la confirmation et l’illustration dé sa supériorité. Au contraire ce dont le triomphe est total en requiert peu, si ce n’est (pour convaincre) certaines personnes grossières ou qui ne veulent pas bien voir la splendeur des choses éclatantes. d. « Si vous demeurez d'accord, nous sommes arrivés au but recherché ; sinon, voyez comment vous répondrez à mon développement. » Le Perse 22. a. — « Il serait trop long, dit le Perse, de répondre à ce développement. Ce que tu as dit a été estimé bon par tous, à n’examiner que le discours seul ; mais confronté avec d’autres considérations, je ne sais s’il paraîtrait tel. b. « Il nous reste encore à examiner les Lois elles-mêmes, comme il a été convenu entre nous dès le début2. Ce que j'ai dit de notre Loi ne paraîtra pas, je pense, paroles de vantard. » s'est perdue dans un texte trop dilué. On comprend que le Mudarris ait l'impression qu’on est déjà assez loin du sujet. 190 7·CONTROVERSE Βασιλεύς 6 10 15 20 25 23. a. « Τί δέ γε, έφην εγώ, ού περί τοϊν νόμοιν είναί σοι δοκεϊ τά είρημένα ; ούχ έκατέρου νόμου τήν δύναμιν φανεράν έντεΰΟεν γεγενήσθαι ; μάλλον δέ τοϋ μέν ήμετέρου τδ κράτος, θατέρου δέ τδ ασθενές καί μάταιου καί σαθρόν ; Έπεί δ’ ώς έοικεν, £τι βούλει τδν σδν έξελέγχεσθαι νόμον ούδέν ύγιές δντα. Ταυτί γάρ άναγκαίως αύτώ συμβήσεται, όταν εκείνον πρδς φως έξαγαγών παραβάλης, ώ μηδέν παραπλήσιου, Λυδδν εις πεδίου φασί. b. « Φράζε τοίνυν πρώτος αύτός, πώς τε άληθές, όπερ έφης, ώς ό τού Μωάμεθ νόμος τώ ήμετέρω ομολογεί, καί κατά τί κοινωνών τούτο) φαίνεται, καί τίνι τρόπω τούτον άναπληροϊ, καί πώς τήν μέσην χώραν κατέχων τούτου γε βελτίων έστί, καθάπερ οΰτος τού παλαιού ; Ώς εγο>γε τούναντίον άπαν δρώ, καί σέ σαυτω περιπίπτοντα, τδν σδν γάρ δήπουθεν νόμον τώ ήμετέρω μαχόμενον, τώ δέ Μωσέως προσκείμενον. Ταύτα δέ πάσχεις άκων, ύπδ της ανωμαλίας τών λόγων παρεκφερόμενος. C. « Είπέ ταυτί δίδαξον ήδιστα άκουσόμενόν τε καί μαθησόμενον. Ταύτη καί τών έγκλημάτων σαυτδν απολύσεις και τών επαίνων ού σμικρών επίτευξη. Ενταύθα γάρ δή σχεδόν τδ τού λόγου κεφάλαιον άπαν εστηκευ. (I. « ’Αλλ’ ούκ άν έχοις" εί γάρ καί πού τι μικρόν ό Μωάμεθ συνείπε τώ νόμω τού Χριστού, άλλ* ού διά τούτό γε εύθδς εκείνος τουτωί τώ νόμω βοηθών ώς άληΟώς φαίνετοΛ Συλλήπτωρ γάρ εκείνος καί βοηθός ώς άληΟώς, ούχ οστις γε πρδς μέν τούτο τδ μέρος ροπήν τινα συνεισφέρει, πρδς δέ έκειυο διατελεΐ μαχόμενας, άλλ' ώ βουλή τοΐς βλοις άποφήναι στεφανίτην αθλητήν, ω συλλαμβάνει, καί τών εις τούτο 23 8 φησίν S : φα- i. nig. S || 1Ô προκείμενον C S || άνω καλΙας S |, 20 σμικρδν C S || 27 τοισόλοις Α. 1. Expression qui désigne sans doute l’invitation à la lutte, et l’acceptation du combat proposé. 23 a - 23 d 191 Le Basileus • 23. a. — n Pourquoi, dis-je, le semble-t-il que ce qui a été dit ne concerne pas les deux Lois ? Est-ce que la puis­ sance de l’une et de l’autre Loi n’est pas devenue par là manifeste ? Ou plutôt la force de la nôtre et la débilité, la vanité et l'infirmité de l’autre ? Tu veux encore, à ce qu’il paraît, entendre prouver que ta Loi n’a rien de bon. Cela se produira nécessairement lorsque, l’ayant tirée au clair, tu l’auras comparée à celle qui ne lui est semblable en rien. — Λ la plaine lydienne I comme on dit1. b. « C’est donc à loi d’expliquer le premier ceci : comment est-il vrai, à ce (pie tu affirmes, que la Loi de Mahomet s’accorde avec la nôtre ? Qu’a-t-clle de commun avec elle ? De quelle manière la complète-t-elle ? Comment, en occupant le juste milieu, est-elle meilleure qu’elle, comme celle-ci est meilleure que l’ancienne ? Pour moi, c'est tout le contraire que je vois. Tu t’abuses : ta Loi s’oppose indubitablement à la nôtre et se rapproche de celle de Moïse. Tu as donné dans ces erreurs malgré toi, emporté par la difficulté du discours. c. « Parle, explique-moi, j’écouterai et apprendrai avec beaucoup de plaisir. Ce faisant, tu te libéreras des blâmes et tu recueilleras des louanges non négligeables. C’est là en effet que se situe presque tout le nœud de l’ar­ gument. d. - Mais tu n’y réussiras pas. Même si Mahomet s’accorde quelque peu avec la Loi du Christ, il n’en résulte pas immédiatement qu’il porte vraiment cl clairement secours à celte Loi. Celui qui vient en aide et porte vraiment secours, c'est non point celui qui, tout en favorisant telle partie, ne cesse pas de combattre telle autre, mais c’est celui qui a le dessein de faire pleinement de l'homme qu’il aide un athlète couronné, et de ne rien négliger, si pos- 192 7* CONTROVERSE φερόντων, εί οϊόν τε, μηδέν παραδραμεϊν. Καν έπαινέση σε 30 τις, είτ’ αυΟις πλύνη ταϊς ύβρεσιν, ούκ άν εκείνον έγγράψαις, οϊμαι, τοϊς τά σά βουλομένοίς εύδοκιμεϊν μάλλον μέν ούν εχθρόν ήγήση καί τω τών πολεμίων εντάξεις καταλόγω. Πέοσης 24. α. « Καί πώς μάλα συνηγορεί καί συναντιλαμβάνεται, εφη δ Πέρσης, εί ώσπερεί τήν χεϊρα έκεϊνος υποβολών άνέχει τδ φορτίον τού καθ’ ύμάς νόμου ; » Βασιλεύς b. « Εί άνέχει, βοηΟεϊ πάντως, έφην. Τουτί δέ λέγεις 5 αεί, δεικνύεις δέ ούδέπω. » Πέρσαι C. Καί δή τινες τών συγκαθημένων, μέρος οντες τού Πέρσου· « Δεϊξον, έφασαν, αύτός τούναντίον. » Βασιλεύς 25. α. « Ύπέρευγε, δέον γάρ ύμάς, έφην, δεικνύναι τάς ύποσχέσεις ώς αληθείς συλλογισμούς ίσχύν έχουσιν, ύμεϊς δέ, τού Μουτερίζη μόνον προτείναντος, τήν τάξιν παρ’ ούδέν άγοντες, άνω ποταμών εμέ κελεύετε συμπεραίνειν, αύτδν τδν 5 ενεχόμενου παρατρέχοντες. "Οσον δέ τούτο χάριεν, φανερόν. Έχρήν μέν ούν με μηδαμώς εϊκειν, ά>Α’ ύμάς γε βιασάμενον πρδς τδ γινόμενον άγαγεϊν. ’Επειδή δ’ ού χαλεπόν ήμϊν αγώνα προτίθετε, άσμενος αύτδν άναδέξομαι. 23 29 καί S. 1. La facilité, l’allégement, tel est le caractère de la Loi musulmane. 23 <1 - 25 a 1Ô3 ' siblc, des moyens qui mènent à ce but. Si quelqu’un te louait et qu’aussitôt il te couvrît d’outrages, tu ne l’ins­ crirais pas parmi ceux qui veulent ta prospérité, je pense. Tu le considérerais plutôt comme hostile à toi et le range­ rais dans la liste de tes ennemis. » Le Perse 24. a. — a Eh bien ! dit le Perse, Mahomet ne prodiguet-il pas défense et soutien à votre Loi, si, la prenant pour ainsi dire par la main, il soulève le fardeau (de votre Loi)1 ? » Le Basileus b. — a S’il le soulève, dis-je. il apporte tout à fait de l’aide. .Mais lu le dis toujours et ne le prouves jamais. » Les Perses c. Alors quelques-uns parmi les assistants, qui étaient du parti du Perse, dirent : « Montre toi-même le contraire. » Le Basileus 25. a. — a Fort bien! m’exclamai-je. Ainsi donc, quand vous devriez vous-mêmes prouver la vérité de vos décla­ rations par des syllogismes valides, voilà que, à peine le Mudarris s’est-il avancé, vous m’ordonnez à moi, au mépris de l’ordre, de remonter le courant et épargnez par là celui qui y est engagé. Combien cela est plaisant, c’est clair. Je ne devrais donc nullement céder, mais vous amener par force au comportement normal. Toutefois puisque la joute que vous me proposez n’est pas pénible, je l’accepterai avec joie2. 2. Il est plus aisé d’objecter que d’apporter une preuve positive. Manuel se charge du rôle le plus difficile. 11 ne trouve cependant pas la joute pénible. 13 1 191 10 5 10 15 20 7· CONTROVERSE b. « Καί δείξω τόν ύμέτερον νόμον, πρδς τώ μηδαμώς βοηθεϊν τώ νόμω του Χριστού, καί φανερώς πολεμούντα. Πρώτον δ’ έκ περιουσίας όλίγοις λόγοις δείξας τδ παν, έπειτα κατασκευάσαι πειράσομαι τδ προκείμενον. 26. α. « Μωάμεθ οστις ποτ ήν - ούδέ γάρ ενταύθα βασάνφ δώσω τδν τούδε βίον, ούδέ πολυπραγμονήσω τδν νόμον, ούμενούν ούδέ τούς τρόπους έξετάσαι θελήσω — εί μέν δι’ ών καί είπε καί πεπολίτευται, καί τδν τελεώτατόν σοι νόμον έδίδου, άναπληρών φανειται τδν τού Χριστού, τάς γάρ ύμετέρας λέγω φωνάς, ώσπερ τδν Μωσέως ό Χριστός, και τούτο γάρ εδ γε ποιών, αύτδς έφησθα, πάντα καλός, πάντα χρηστός, πάντα άγαθδς δ Μωάμεθ, καί τής άληθείας λεγέσθω διάκονος- έστω καί προφήτης εί βούλει, καί 6 τι δή σοι φίλον καί χάριεν τούτον άποκαλειν τών μή την κτίσιν ύπερβαινόντων. EÎ δέ λέγει μέν τά κράτιστα περί Χριστού, πάντων •χτισμάτων τιθείς αύτδν επέκεινα, άτε δή πνοήν καί λόγον καί ψυχήν Θεού δοξάζειν ίσχυριζόμενος, έπί δέ τών έργων — τδν νόμον καί τά δόγματα λέγω — πάντα φύρει, πάντ’ άνατρέπει, άντινομοθετών έκείνφ μάλα σαφώς, καί τάναντία πράττων ών ελεγεν, έγώ μέν σιωπήσομαι τηνικαύτα. b. « Ούδέ γάρ άναγκαιον ηγούμαι διατρίβειν, ένθα δή τά πράγματα μονονουχί φωνήν άφιέντα, λαμπρώς συνίστησί μοι τούς λόγους* σύ δ’ άν είδείης ό τι καί πράξεις· πράξαις δ’ δ τη σή συνέσει πρέπον καί πολιά. Σοφού γάρ οϊμαι πρδς άνδρός, 25 11 έν C S Q 1'2 είτα S. 26 17 δέ S. 1. Manne) renonce là à un argument favori des polémistes de langue grecque : il évite ainsi à la fois une digression et une diatribe fort désobligeante pour scs interlocuteurs. Sur la place de cet argument dans la polémique grecque, ci. notre ouvrage Polémique byzantine contre VIslam, lre partie, chap, n, Beyrouth 1966. 2. Cf. Coran 3, 55 ; 19, 20.31.33 ; 21, 91 ; 23, 50 ; 43, 57. Ci. plus haut p. 156-157, n. 1. 3. Cf. Coran : esprit et parole : 4, 171 ; esprit de Dieu : 21, 91; 66, 12 ; parole de Dieu : 3, 45. Mais le Christ n'est pas dit dans le Coran 25 b»- 26 b 195 b. a Je montrerai que votre Loi, outre qu’elle n’apporte aucune aide à la Loi du Christ, la combat clairement. D’abord j’exposerai le tout en quelques mots choisis entre beaucoup ; ensuite j’essayerai de démontrer la thèse. 26. a. u Si vraiment Mahomet, quel qu’il ait etc jadis — je ne soumettrai pas ici sa vie à l’examen, ni ne m’occu­ perai de sa Loi, ni non plus ne désire passer au crible sa conduite1 — par ce qu’il a dit et réglementé, a donné la Loi selon toi la plus parfaite et parait porter à son accom­ plissement la Loi du Christ — je reprends vos mots — comme le Christ a porté à son accomplissement celle de Moïse et cela avec raison c’est encore Loi qui l’as dit — alors Mahomet (dis-je), est tout bon, tout utile et tout parfait. On doit le proclamer ministre de la vérité, pro­ phète aussi, si tu veux, et tout ce qu’il te paraîtrait bon et agréable de lui décerner en fait de titres qui ne dépassent pas la créature. Si, d’autre part, il décerne au Christ les meilleurs éloges et le place au-delà de toute créature2, déclarant fortement le glorifier comme esprit et verbe et âme de Dieu3, mais que, en fait, à savoir dans sa Loi et ses enseignements, il brouille tout et renverse tout, portant sans aucun doute des lois opposées à celles du Christ et accomplissant des actions contraires à ses déclarations, moi alors je me tairai. b. « Il n’est pas nécessaire, je pense, de s’attarder là où les choses parlent presque d’ellcs-mèmes et confir­ ment avec éclat mes paroles. Tu sauras ce que tu as à faire, tu feras ce qui convient à ton intelligence et à ta vieillesse. C’est le propre, je pense, d’un homme sage, âme de Dieu (nafs). L’erreur de Manuel est directement prise chez Cantacuzùne, Discours 111, 3; PG 154, 652 ü, 656 B-D. Pourtant Ricoldo avait donné le contenu exact du texte coranique, cf. Ricoldo, Contre le Coran, XV, 1 ; PG 151, 1128 A-C ; 2, 1128 C - 1133 D ; 6, 1137 C-D ; 1140 passim. Ajoutons que ces versets du Coran sont fort exploités par les apologistes clirétiens. 196 δ 10 ,Λ 20 25 7"CONTROVERSE οΐος ών τυγχάνεις αύτός, τοϊς μέν αύτφ καί τη άληθεία συμβαίνουσι συμφωνεϊν, τοϊς πολεμούσι δέ πολεμεϊν. 'Εξής δ* άν ειη σκοπεϊν. 27. α. « Καί τοίνυν άπερ ό Σωτήρ του νόμου του παλαιού άπδ τών παχυτέρων καί σωματικών έπί τα Οειότερα καί πνευματικά μεταβολών ώς είπεϊν κατηργηκε, ταύτ’ άνακαινίζει Μωάμεθ, καί ταύτη γε πάνυ σαφώς τδν νόμον τον ήμέτερον άναιρεϊ. Καίτοι εί μέν κακώς άνανεοϊς, ώ Μωάμεθ, αυτός ούκ άγαθός, εί δέ καλώς, πώς άγαΟδς ό Χριστός δν έπαινών διατελεϊς, ει γε κακώς κατήργηκεν ; ’Αλλά Μωάμεθ μέν έγκαλυπτόμενος ήμών ύπαναχωρείτοΓ ύμϊν δέ τέως διαλεκτέον. b. « 'Ως ούν άνηβάν αύθις δίδωσ·. τό γε εις αυτόν ήκον τα οίονεί γεγηρακότα τού πάλαι νόμου, ρόδιον συνιδεϊν. 'Ρητέον δέ εντεύθεν βρωμάτων μέν ούν ό τού Μωσέως κελεύει νόμος άπέχεσθαι, άπερ ακάθαρτα λέγω, καί ύειων ώς μάλιστα κρεών δίδωσί τε κατά τδν αυτόν χρόνον πολλαϊς όμού ξυνοικεϊν, καί τήν αύτήν διαδέχεσθαι πολλούς αδελφούς, εί γε τελευτησειεν ό έχων έν άπαιδία, καί μην καί έκβάλλειν έπιτρέπει βουλομένοις- καί εί δδόντα άφέλοιτό τις, ταυτδ πάσχειν κελεύει, καί οφθαλμόν έκκόπτειν άντ’ οφθαλμού’ καί έτερα τοιάδε. C. « Ταύτα τοίνυν καί Μωάμεθ νόμον ύμϊν δίδωσι. Μάλλον δ’ έκεϊΟεν αίσχρώς συλήσας, ώς οικεία δήθεν παρέχει. Καί ίνα μή μακρδν αποτείνω λόγον, ολως δ νεότατος τώ πρεσβυτάτφ νόμω παρέπεται. Καί εί ώδέ πη ταύτ’ έχει, ούδέ νόμον έξεστιν άκριβώς καλεϊν τδν ύμέτερον, μήτοι γε παρατιΟέναι τοϊς πρδ αύτού. Έμοιγ’ ούν φρίττειν επεισιν, έπειδ’ άν άνάγκη συμπέση άμφοτέροις αύτδν παρατεθήναι τοϊς νόμοις, καί μάλισΟ’ όταν τώ ήμετέρφ. Συγγνώσεται δέ μοι πάντως, άνεχομένφ τουτί τό φρικτδν γίνεσΟαι υπέρ άγαΟοΰ πάντως τέλους, οστις καί ληστών έσταυρώΟη μέσος, 27 3-4 άναγκάζει C S ; 8 μέν ο in. C £ 16 έκβάλειν C Ρ : έκβαλβΤν S || 18 δφΟαλμών C || 21 <ρ>λλήσας A P C || 28 φριττδν S. 26 b - 27 c 197 tel que toi, d’appuyer ceux qui s’accordent avec lui sur la vérité et de combattre ceux qui la combattent. Mais il convient de poursuivre l’examen de la question. 27. a. « Les articles de l’ancienne Loi que le Sauveur a pour ainsi dire abrogés en les transformant de fort épais et de corporels en plus divins et en spirituels, Mahomet, lui, les a retenus. Ainsi, fort clairement, il abolit notre Loi. Or donc, ô Mahomet, si tu fais mal de les reprendre, tu n’es pas bon : si tu fais bien, comment alors le Christ, que tu n'arrêtés pas de louer, serait-il bon, s’il a mal fait de les abolir ? Que Mahomet, pris de honte, se retire de devant nous ! Mais c’est avec vous qu’il faut discuter. b. o II est facile de constater qu’il fait donc revivre à sa guise les prescriptions de l’ancienne Loi qui avaient pour ainsi dire vieilli. Il faut citer ces prescriptions. La Loi de Moïse ordonne de s’abstenir de certains aliments — je veux parler des aliments impurs — et surtout de la viande de porc. Elle permet d'épouser à la fois plusieurs femmes; elle permet aussi que la même femme soit épousée successivement par plusieurs frères1, si son mari meurt sans avoir d’enfants. Elle accorde même à ceux qui le veulent de répudier leurs femmes. A qui ar­ rache une dent, elle impose de subir le même tort ; elle ordonne de crever œil pour œil, et d’autres pratiques semblables. c. « Ces prescriptions, Mahomet vous les donne en guise de Loi. Ou plutôt les ayant honteusement dérobées, il les présente comme étant les siennes. Bref, pour ne pas trop prolonger le discours, la Loi la plus récente suit totalement la plus vieille. S'il en est ainsi, on ne saurait en toute rigueur appeler Loi la vôtre, ni du moins la comparer à celles qui l'ont précédée. Je vais donc me mettre à craindre, puisque la nécessité s’impose de la comparer avec les deux autres Lois et surtout avec la nôtre. 11 me pardonnera bien, à moi qui supporte, en vue d’une fin tout à fait bonne, qu’ait lieu 1. Sur l’erreur F. Lausanne. Huit homélie* mariales : 72. Anselme de Cantoruéry. Pourquoi Dieu s’est fait homme : 9J. Lettre «I’Arïstér : 89. Athanase d’Alexandrie. De l’Incarnation du Verbe : 18. Deux apologies : 66. Discours contre les païens : 18. Lettres à Sérapion : 16. Athénagore. Supplique au sujet des chrétiens : J. Augustin. Commentaire de la première Épilrc de saint Jean : 7o. Basile de Césarée. Homélies sur l'Hexaéméron : 26. Traité du Saint-Esprit : 17. Baudouin de Ford. Le sacrement de l’autel : 93 et 94. Cassi en, oo/r Jean Casslen. Chartreux. Lettres des premiers Chartreux. I : Clément d*Alexandrie. Le Pédagogue, I : 70. — 11:108. Protreptlque : 2. Stromate ! : 30. Stromate II : 38. Extraits de Théodote : 23. Constance de Lyon. Vie de S. Germain d’Auxerre : 112. CvRlLLR d’Alexandrie. Deux dialogues cbristologiques : 97. Defensor de Ligugê. Livre d’étincelles, 1-32 : 77. — 33-81 : 86. Denys l’Aréopagite. 3 hiérarchie céleste : 68. 1. Diadoque de Photicé. Œuvres spirituelles : 6. Didyme l’Aveuglb. Sur Zacharie, 1 : S3. II-III : 84. — 1V-V : 86. A Diognète : 33. Dorothée de Gaza. Œuvres spirituelles : 92. Éthérie. Journal de voyage : 21. Eusébe de Césarée. Histoire ecclésiastique. I-IV : 31. — V-VII : 41. VIII-X : 66. Introduction et Index : 73. Gélasb 1·'. lettre contre les lupercalcs et dixhuit messes : 66. Grégoire de Nahek. Le livre de Prières : 78. Grégoire de Nyssb. I^a création de l’homme : 6. Vie de Moïse : 1. Grégoire le grand. Morales sur Job : 32. Guillaume de Saint-Thierry. Exposé sur le Cantique : 82. Traité de la contemplation de Dieu: 61. Hermas. lx· Pasteur : I Ii lai he dr Poitiers. Traité des Mystères : 19. Hippolyte de Rome. Commentaire sur Daniel : 14. La Tradition apostolique : 77. Homélies Pascales. Tome I : 27. — Π : 36. — ΠΙ : 48. Ignace d'Antioche. Lettres : 10. Irénée de Lyon. Contre les Hérésies, III : 34. IV : 100. Démonstration de la prédication apostolique : 62. Jean Cassibn. Conférences. I-VI1 : 42. VIH-XVII : 64. — XVHI-XX1V : 64. Institutions : 109. Jean Chrysostoms. Huit catéchèses baptismales : 50. Lettre d’exil : 193. Lettres a Olympias : 13. Sur rincompréhensibilité de Dieu : Sur la providence de Dieu : 79. Jean Damascene. Homélies sur la Nativité et la Dor­ mition : 80. Jean Moschus. Le Pré spirituel : 12. JÉRÔME. Sur Jonas : 43. Lactancr. De la mort des percccuteurs : 39 (2 vol.). Léon le Grand. Sermons, 1-19 : 22. — 20-37 : 49. — 38-64 : 74. Marius Victorinus. Traités théologiques sur la Trinité : 68 et 69. Maxime le Confesseur. Centuries sur la Charité : 9. Mélanie, noir Vie. Méthode d’Olympe. Le banquet : 96. Nicêtas Stéthatos. Opuscules et Lettres : 81. Nicolas Cabasilas. Explication de la divine liturgie : 4. Ouigéne. Entretien avec HéracHde : 67. I lomélies sur la Genèse : 7. Homélies sur Γ Exode : 16. Homélies sur les Nombres : 29. Homélies sur Josué : 71. Homélies sur le Cantique : 37. Homélies sur saint Luc : 87. Philon d’Alexandrie. La migration d'Abraham : 47. PlHLOXÉNB DE MaUBOUG. Homélies : 44. Polycarpe de Smvrne. Lettre ri Martyre : 10. PTOLÉMÉIL lettre à Flora : 24. Quodvultdhus. Livre des promesses : 101 et 102. RÈGLE DU MaITÏIB. Tome 1 : 106. H : 106. III : 107. Richard de Saint-Victor. Ιλ Trinité : 63. Rituels. Trois antiques rituels <1u Baptême : 39. Romanos le Mélode. I lymnes. I : 99. — II : 110. — III : 114. SvméON le Nouveau Théologien. Catéchèses, 1-5 : 96. 6-22 : 104. 23-24 : 113. Chapitres t biologiques, gnostiques et pratiques : ·»/. Tertullien. De la prescription contre les héré­ tiques : 46. Traité du baptême : 36. TlliÔDORRT de Cyr. Correspondance,lettres I-LII : 40. — lettres 1-95 : 98. — lettres 96-117 : 7/7. Thérapeutique des maladies hellé­ niques : '7 (2 vol.). Théojdotr. Extraits (Clement d'Alex.) : 23. Théophile d’Antioche. Trois lettres à Autolycus : 20. Vif. de sainte Mélanie : 90. Egalement aux Éditions du Cerf : LES ŒUVRES DE PHILON D'ALEXANDRIE publiées sous la direction de K. Arnaldez, C. MondÔsert, J. Pouilloux. Texte grec et traduction française. Volumes déjà parus : F 1. Introduction générale, De opificio mundi. K. Arnaldez(1961)............................................................................. 2. Legum allegoriae. C. Mondcscrl (1962)........................ 3. De cherubim. J. Garez (1963).......................................... 5. Quod deterius potiori insidiari soloat. I. Feuer (1965). 7-6. De gigantibus. Quod Dous sit immutabilis. A. Moses (1963) ................................................................................... 9. Do agricultura. J. Pouilloux (1961)................................ 10. De plantatione. ,1. Pouilloux (1963)................................ 11-12. De ebrietate. De sobrietate. J. Gorez (1962).......... 13. De confusione linguarum. J.-G. Kahn (1963) ............ I I. Do migratione Abrahami. J. Cazcaux (1965) ............ 18. Do mutatione nominum. R. Arnaldez (1964)............. 19. De somniis. P. Savinel (1962).......................................... 21. De losepho. J. Laporte (1964).......................................... 23. De Decalogo. V. Nlklprowctzky (1965)............................ 26. Do virtutibus. B. Arnaldez, A.-.M. Vérilhac, M.-R. Ser­ ve! et P. Dclobre (1962)...................................................... 27. Do praemiis et poenis. De exsecrationibus. A. Beckaert (1961) .......................................................................... 29. Do vita contemplativa. F. Damnas et P. Miquel (1964) . Sons presse : 4. Do sacrificiis Abolis et Caini. Λ. Méasson. 15. Quis rorum divinarum heres sit. M. Harl. 20. De Abrahamo. J. Gorez. 15,60 24,60 7,80 12,00 15,00 9,60 11,70 14,70 15,00 21,00 12,90 21,00 12,60 12,90 15,00 12,60 12,00 ACHEVÉ D’IMPRIMER SUR I.ES PRESSES DE L’iMPRIMERIE DARANTIERE A DIJON, LE I» R E Μ I E R M A R S M C Μ I. X V l Numéro d’édition 5507 Dépôt légal 1« trimestre 19G6