ŒUVRES SPIRITUELLES R û c ../27 Lo S SOURCES CHRÉTIENNES Directeurs-fondateurs : H. de Lubac, s. j., et J. Daniélou, s. j. Directeur ; C. Mondcserl, s. j. N° 127 Série des Textes Monastiques d’Occident, n° XIX GERTRUDE D’HELFTA ŒUVRES SPIRITUELLES TOME I LES EXERCICES TEXTE LATIN INTRODUCTION, TRADUCTION ET NOTES PAR Jacques HOURLIER et Albert SCHMITT moines de P Abbaye S. Pierre de Solesmes LES ÉDITIONS DU CERF, 29 bd de Latour-Maubourg, PARIS 1967 R ο t, ,/>7 IMPRIMI POTEST: SolesniHÿ, le 2 janvier ’966 fr. Joannes PROU Abbe de S. Pierre IMPRIMATUR : Sülesmes, 1·· !l janvier 1 Paul CHEVALIER Évêque du Mans INTRODUCTION Sainte Gertrude figure en bonne place parmi les auteurs spirituels, du moins depuis l’an 1536, où la Chartreuse Sainte-Barbe de Cologne publiait les œuvres de cette moniale. L’éditeur en était Dom Johannes Lanspergius, autre­ ment dit Johann Gerecht, natif de Landsberg en Bavière, l’un des plus grands noms qui ont illustré la célèbre char­ treuse x. Gertrude elle-même vivait dans la seconde moitié du xnic siècle, au monastère d’Heifta, en Saxe. Son nom est demeuré à peu près inconnu durant deux siècles et demi, ce qui ne va pas sans soulever quelques problèmes d’histoire. Nous les rencontrerons en présentant la moniale, en étudiant son succès posthume, en nous arrêtant à celle de ses œuvres qui fait l’objet de la présente édition, les Exercices. 1. Insinuationum divinae pietatis libri quinque totius christianac perfec­ tionis summam complectens, ab opt. quibusque. desiderati jamdiu et commen­ dati. atque tandem post ducentos quinquaginta annos quibus fere latuerunt nunc primum in lucem editi. Colonise, ex officina Melchioris Novesiani, Anno MDXXXVI. — L’édition n’est ni foliotée, ni paginée. Elle comprend Nn cahiers. Sur la dernière page (Nn 8). on lit co colophon : Utens hoc libello oret pro salute domus S. Barbarae ordinis Carthusiensis in Colonia, unde prodiit. — Cf. l’analyse dans (Dom Louis Paqvrlix) Revelationes gertrudianae ac mcchtildianae, t. I. Sanctae Gertrudis Magnae.·· Legatus divinae pietatis, accedunt ejusdem Exercitia spiritualia... Solcsmensium O.B.S. monachorum cura et opere, Poitiers-Paris 1875. — Nous désignons l’édition de 1536 par le simple nom de Lanspergius, celle de 1875 par le nom de Paquelin. — Sur Lanspergius (1489-1539) cf. l’art, de Dom S. Autour (à ce mot) dans Diet Théol. Cath., VIIJ-2, col. 2606-09. — sigle L représentera les 5 livres des Insinuationes, dont le titre plus exact est en effet Legatus divinae pietatis; en français nous dirons, pour abréger : « le Héraut - - Le sigle E désignera les Exercices, publiés par lanspergius et Paquelin, à la suite de L. K ο C I. LA MONIALE D’HELFTA ..P7 Le nom de Gertrude est trop familier en pays germa­ niques pour qu’il ne se rencontre pas plusieurs personnes célèbres l’ayant reçu au baptême *, en particulier plusieurs saintes. La plus connue, et la plus vénérée, est sainte Ger­ trude de Nivelles, dont les liens avec la famille des Pépinides ont fait le succès1 23 4*. Il est curieux qu’on ait pu la confondre avec la moniale d’Helfta8; une confusion plus facile, et par conséquent plus regrettable, consistait à identifier la simple moniale avec sa propre abbesse, Gertrude de Ilackeborn *. 1. Paquclin, II, p. "29 dresse une liste de 39 Gertrude ayant joui de quelque renommée. 2. Décédée le 17 mars 659. 3. Donnons deux exemples. F. Bachelard, Le Portrait Sacré des filles illustres avec les entretiens curieux sur la conduite de leur vie, 2° éd., 1670, 11* partie, p. 1 : sainte Gerirudc de Nivelles; vis-à-vis, une pl. gravée par P. de Loisy se rapporte manifestement à Gertrude d’Helfta, puisque son cœur enferme un Enfant Jésus avec la banderolle « inveniet nie in corde Gertrudis » : c’est le « portrait » type de notre sainte. — U. Chevalier, Repertorium hymnologicum : la table ne mentionne qu’une seule Gertrude; or toutes les pièces antérieures au xvii· siècle se rapportent à la sainte de Nivelles; celles du xvn· siècle au contraire à la sainte d’Helfta. 4. Abbesse de 1251 à 1292. La confusion avait été proposée par le domi­ nicain Marc de Weida, éditant Das Buch geistlicker gnaden... der heiligen iungfrawen Mechtildis und Gertrudis..., Leipzig, Melchior Letter, 1503. p. Ai (prologue) : · Disse zwu Seligon jungfrawen... seindt... vom yrem vater, der ein reicher banner her, der herschaftl von Hackenborn gewest, got und Marie... zu eynen lebenden opffer... gelegen... * Dom Arnold Wion en assure le succès : Lignum vitae... Venise, 1595, p. 797. En mémo temps que Paquclin (1, p. 20), W. Preger l'a définitivement réfutée : Geschichte der deulschen Mystik im Miuelaller, Leipzig 1874, t. I, p. 73. Mais cette légende a longtemps fait fortune. LA MONIALE D’HELFTA 9 La vie. Gertrude, la moniale, est née le jour de l’Épiphanie, 6 janvier 1256 : elle-même nous l’apprend sans nous donner aucune autre précision1; nous ignorons donc le lieu de sa naissance et nous ne savons rien de sa famille. Λ l’àge de cinq ans, elle entre au monastère d’Helfta, où elle passera sa vie, jusqu’au 17 novembre d’une année que nous ne pouvons préciser, mais qui semble bien être postérieure à 1301, quoique assez proche1 2. Un seul événement notable a marqué cette existence de quarante ans et plus, passés dans le cloître; la « conversion » du 27 janvier 1281 divise la vie de sainte Gertrude en deux parties à peu près égales, une phase de « ferveur » succédant à une phase de a tiédeur », la vie mystique pro­ fonde à une vie religieuse un peu superficielle. Dans la première partie de sa vie. Gertrude, tout en grandissant en âge et en science, développe ses dons naturels; dans la seconde, ayant compris, à l’âge de vingt-cinq ans, que Dieu seul peut rassasier pleinement une âme, elle se tourne totalement vers la vie d’union au Christ. La maladie d’ail­ leurs lui réserve de plus en plus le loisir de « vaquer au Seigneur », en attendant la rencontre définitive. Cette vie mystique, et les grâces qui la remplissent, ne constituent pas un repliement égoïste sur soi-même : Gertrude a conscience d’un message à transmettre. Elle est un exem­ ple pour ses sœurs du cloître; bien plus, sur l’injonction de 1. L, H, 23 indique le jour. L, 11,1 précise que le lundi, VI des Kalendes de février, soit le 27 janvier, Gertrude venait depuis peu d’atteindre sa 26· année. D’après une indication des mss du L, Gertrude commence à écrire en 1289 (Paquclin, II, p. 724), qui est « la neuvième année > après sa première « révélation · { L, Prol. général). Celle-ci est donc de 1281, et la naissance de 1256. 2. La fête liturgique laisse présumer lo jour du décès. On déduit l’année de ce que L fut achevé vers 1301 (20 ans après 1281 : L, Prologue), à un moment où Gertrude est mourante (L, V, 32). K ο (ο ../>7 10 INTRODUCTION son Seigneur, elle doit prendre la plume, pour rédiger ce Mémorial· de Vabondance de la divine charité, qui révèle à tous sa vie intime dans le Christ, et en propose ainsi l’imi­ tation \ Gertrude avait rédigé d’autres écrits que ce Mémorial : des exhortations pieuses, des florilèges, des explications spirituelles. De ces œuvres mineures, écrites soit en latin soit en allemand, il ne nous reste que les Exercices; on y joindrait cependant quelques textes qui se trouvent insérés aujourd’hui dans le Héraut. Les cinq livres de cet ouvrage constituent, en effet, autour du Mémorial, le dossier gertrudien, complété par ses compagnes, d’après les notes et les paroles de la sainte1 2. Le milieu. Si précieux que soit pour nous ce dossier, il ne nous livre guère de détails biographiques sur sainte Gertrude; il appa­ raît en revanche très révélateur du milieu où elle vit, ce monastère d’Helfta, situé dans une petite vallée de la Saxe, à un demi mille d’Eisleben. L’origine de la communauté remonte à 1229, lorsque le comte Bourchard et son épouse appellent d’Halberstadt· un essaim de « sœurs grises », moniales qui par l’esprit et les usages se recommandent de Citeaux et de saint Bernard. Établi d’abord au château de Mansfeld, ou dans son voisinage, transporté ensuite à 1. Dont Pierre Doyêre a repris le titre indiqué par le Prologue général au Héraut : Le mémorial spirituel de sainte Gertrude, Paris 1954. 2. Les Sources Chrétiennes publient à nouveau le Héraut. Dans une copieuse introduction, Doni P. Doyère présente sainte Gertrude, son milieu, sa doctrine. Il y a abordé quelques-uns des problèmes que sou­ lèverait la biographie de Gertrude ce qui nous dispense de traiter ici le sujet. Notre Introduction, comme les notes aux Exercices, évite les doubles emplois avec ce travail; les deux volumes ont été préparés dans une collaboration fraternelle où nous sommes plus d’une fois bénéficiaires. LA MONIALE D’HELFTA 11 Rodarsdorf en 1234, finalement à iïelfta en 1258, le couvent conserve son caractère de monastère castrai, en ce sens que les familles des moniales garderont la haute main sur les destinées du couvent, tantôt pour le favoriser de leurs libéralités, tantôt pour l’éprouver de leurs exigences et de leurs vexations. L’anarchie qui règne alors dans l’empire germanique laisse trop souvent libre cours aux cupidités, aux violences, tandis que la maladie visite les religieuses trop facilement1 : ces conditions difficiles imposent des limites à l’activité du monastère. Dans ce cloître on mène surtout une vie intérieure, tonte livrée à la ferveur de la contemplation : telle est bien l’im­ pression que l’on retire à la lecture des écrits d’Helfta, œuvres de celles qu’on appellerait volontiers les chefs de file en ce domaine : la béguine Mechtilde de Magdebourg 123 qui passe les douze dernières années de sa vie sous la crosse de Gertrude de Hackeborn; la sœur de cette dernière, Mechtilde de Hackeborn ®; et notre Gertrude. 1. Les sources de l’histoire d’Helfta sont reproduites dans Max Kbuhxk, Urkundcnbuch dcr Grafschnft Mansfeld (Geschiehtsquellen dcr Provins Sachsen, I. XX), Halle 1888, reprenant F. K. MoSBR, Urkundenbuch des Closters Hclpede, dans Diplomalische und historischc Uelustigungcn, 4 vol., Frankfurt. Leipzig 1753. — Les écrits des moniales d’Helfta (cf. p. 7. η. 1 et infra n. 2) ajoutent quelques détails. L’abbesse Sophie deStolberg rédige, en 1451, uno Narratio des origines du monastère (pu­ bliée : Paquelin, Π, p. 714). Une autre narration, Wio und von tvem das cioster... gestiflt ist, est publiée en fin de l’édition de sainte Mechtilde. à Thierhaupten 1597 (reproduite : Paquelin. II, p. 717). 2. Née en 1207, béguine à Magdebourg à partir de 1230, elle écrit à partir de 1250, se fixe à Helfta en 1270 et y meurt en 1281. Cf. Jeanne Ancclut-Hcstache, Mechtilde de Magdebourg, Élude de psychologie religieuse, Paris 1926. — Paquelin, t. II, publie les 7 livres de cette béguine : Lux divinitatis semper fluens in corda veritatis. 3. Née en 1241, au monastère dès 1248, elle meurt le 19 novembre 1298 (on 1299). Paquelin, t. Il, publie l'ouvre de la moniale : Liber specialis gratiae. a ο G .J>7 12 INTRODUCTION Cette vie contemplative n’empêohe pas le monastère d’assumer un utile rayonnement, dont bénéficie surtout un noyau d’amis fidèles1; elle ne supprime pas non plus les contacts avec les religieux de divers ordres : dominicains et franciscains exercent une action certaine1 2. Les moniales toutefois attestent, par leur habit même, que le climat cistercien du xm® siècle est le leur propre : elles situent d’ailleurs « le très saint Père Bernard » au centre de l’ordre de saint Benoit et de F Église3. Mais elles louent aussi saint Augustin, et se recommandent d’Hugues de SaintVictor 4. Elles se nourrissent aux sources les plus diverses, encore qu’il soit difficile de les reconnaître, car elles ne les indiquent pas volontiers. Seuls les textes liturgiques ont le privilège de citations explicites. Ils reviennent sans cesse, pain quotidien alimentant et informant toute la dévotion du monastère, formant la trame des écrits de cette école 1. V.g. L, V. 11 s. Bien d*autres passages montrent divers personnages qui gravitent autour du monastère. 2. Les dominicains ont introduit Mechtilde de Magdebourg ύ Helf ta; ils y sont confesseurs (£, IV, 50; Liber specialis gratiae V, 7 et 9). Ils dirigent, ou du moins ils s’entretiennent avec les moniales, contrôlent leurs écrits, les approuvent officiellement à la suite des franciscains (ci. le ms. Wien 4224, reproduit : Paquelin, II. p. 724 ; et la fin de Y Epistola apologetica de I.anspergius, reproduite, Paquelin, I, p. 70). Lt IV, 50 parle de la dignité de saint François. — Willibrordus Lamfen, ο. î m., De spiritu S. Francisco in operibus S. Gertrudis Magnae (dans Archivum franciscanum historicum, XIX, 1926, p. 733) insiste sur les indices qui révéleraient Faction des franciscains. En fait, ceux-ci agissent surtout par la spiritualité, par la tournure d’esprit dont ils sont messagers. Cf. Λ, IV, 49; et Liber Iy. . ' ·’ ·τ, I, 28. Mis W W Winkworth! (Londres) étudie les séries do parallèles, qui illustrent bien une dépendance de Gertrude à l’égard do saint Bernard. 4. L, IV, 50 loue longuement saint Augustin. Le Prologue général du L nomme Hugues do Saint-Victor, dont le nom couvre aussi Richard do Saint-Victor. LA MONIALE D’HELFTA 13 adonnée à la << piété liturgique » : c’est dans le contexte de la liturgie que s’épanouit la contemplation d’Hclfta 1. Si l’on peut parler de spiritualité bénédictine, dans un sens très large, cette spiritualité se trouve ici nuancée d’une teinte particulière, fortement marquée. I. Doni Cipriano Vacaggûu, H senso leologico della liturgia, Roma 1958, consacre un chapitre à L'esenipio di una mistica ; santa Gertrude e la spiritiiûlùa liiurgica. Mechtilde de Hackeborn ne difTère en rien de sainte Gertrude à cet égard. R. ο ,.η7 II. SUCCÈS POSTHUME Le Moyen Age. La renommée des moniales d’Helfta semble être demeurée assez limitée durant plusieurs siècles. Dans l’état actuel de nos connaissances. Mechtilde de Hackeborn est la plus lue des trois, et la plus souvent copiée, en Saxe d’abord et en! Allemagne du Nord, puis dans les vallées du Danube, du Rhin, enfin dans les Pays-Bas Le prêtre séculier Henri de Nôrdlingen assure, dans les milieux mystiques du xive siè­ cle, en Suisse et en pays rhénan, le succès de Mechtilde do Magdebourg, tandis que le dominicain Thierry d’Apolda la fait connaître à Dante et à Boccaco; mais l’influence de là béguine ne passe guère la fin du xiv« siècle 2. Nous suivons plus mal la diffusion des écrits de Gertrude; elle est solidaire sans doute d’un courant suivi par le livre de Mechtilde, la moniale, car nous en trouvons trace également dans les vallées du Danube et du Rhin 3. Si discrète que nous apparaisse aujourd’hui la diffusioni 1. Cf. la liste des treize manuscrits et des cinq éditions antérieures 153G : Paquelin, t. II, p. 8. 2. J. Ancelkt-Hvstache (cf. supra, p. U, n. 2) étudie longuement 1 diffusion de l’œuvre et l’influence de Mechtilde de Magdebourg, p. 352 s 3. Cf. les manuscrits, connus directement ou indirectement : Paquelin t. I, p. 44. — Cf. le vol. des Sources Chrétiennes OÙ Dom P. Do Y fini: étudi la tradition manuscrite du L. SUCCÈS POSTHUME 15 des œuvres des moniales, Gertrude surtout, elle émane certainement d’un plan concerté, car, dès l’origine, les prélats du monastère prennent soin de les munir d’appro­ bations, délivrées par les théologiens renommés de l’ordre des Mineurs et de l’ordre des Prêcheurs L Une telle caution garantit l’orthodoxie de ces écrit-s, de leurs expressions, des récits qu’ils contiennent : c’est une sécurité pour le lecteur; c’est aussi, pour le cloître, une sauvegarde contre d’éventuelles critiques, l’indice de ce que le monastère d’Helfta entendait bien appartenir à une école, peut-être discutée. La rédaction des écrits mechtildiens et gertrudiens atteste une véritable entreprise; de même, la révélation des grâces octroyées aux moniales se présente comme une mission; l’ensemble forme un témoignage. Le témoignage reste sans doute réservé à certains milieux; les circonstances générales ne permettent pas une diffusion étendue. Mais un courant transmet le message. Les trans­ criptions ou traductions, et les toutes premières éditions venaient fort à propos, car le monastère allait bientôt dispa­ raître. En 1343 déjà, les bandes d’Otton de Brunswick avaient détruit Ilelfta, lors des luttes engagées pour la possession du siège épiscopal d’Halberstadt, et les moniales, obligées de fuir, avaient construit une Nouvelle-Helfta près des murs d’Eisleben12. En 1525, les Paysans envahissent le cloître, brûlent les archives et la bibliothèque, dispersent les religieuses; une vingtaine d’années plus tard la communauté a cessé d’exister3. Une nouvelle destinée commence déjà pour sainte Gertrude, incomparablement plus illustre, car elle n’avait pas encore dépassé des cercles restreints, tandis que maintenant sa célébrité va devenir universelle. 1 L’approbation de sainte Gertrude publiée par Paquelin (II, p. 724) émane de personnages qui ont connu la moniale, et elle passera dans la tradition manuscrite (cf. D. Doyèrc). 2. Relation publiée par Moser, Urkundenbuch der clusters Hdpeda. H.p. 35. et reprise par Paquelin. t. Il, p. 721, 3. Cf. Paquelin. t. I. p. 32. R ο G ../37 16 INTRODUCTION Un classique de la spiritualité : Les éditions et traductions. Le succès de sainte Gertrude après 1536 se manifeste de bien des façons. Les nombreuses éditions de ses œuvres n’en sont pas le seul témoignage, car bien d’autres livres se pro­ posent de faire connaître la vie de la moniale, on de mettre sa doctrine à la portée des âmes les plus diverses. En même temps le culte de la sainte se généralise, malgré les critiques et les controversistes. Sans prétendre présenter le tableau complet de cette célébrité posthume, il faut en esquisser les traits principaux, afin de reconnaître quelques-unes, au moins, des grandes lignes selon lesquelles s’est diffusé le renom de sainte Gertrude. Aux éditions des œuvres publiées sous le nom de Gertrude, on joindra celles du livre donné à sainte Mechtilde, la moniale. Son homonyme, la béguine, reste hors de cause *, puisque ses écrits ne seront pas imprimés avant 1861. Bien que )o Livre de la grâce spéciale ne nomme pas Gertrude, il inté­ resse notre sujet à un double titre; tout d’abord il fait connaître le monastère d’Helfta; mais il y a plus : les éditeurs habituellement présentent Mechtilde comme étant la sœur de Gertrude 1 2. Et souvent le même auteur s'inté­ resse aux deux moniales à la fois. Λ la suite de Lanspergius, les éditions de sainte Gertrude 1. C. Greith, Dic deuischc Mysiik itn Prediçcr-Orden... Freiburg im B. 1861, cite beaucoup de passages de Mdch tilde de Magdébouig. D. Gallus Morel publie on 1863 le texte allemand du manuscrit d’Einsieddn 277. Paquelin, t. 11, p. 435 publie le texte latin des manuscrits de Bâle {B· IX> 1! et A. VIII, 6). 2. Cf. supra, p 8. n. 4. — Paquelin, t. II, p. 11, indique ces édi­ tions et leurs rapports aux diverses familles de manuscrits. 11 nous suffit ici de noter que le xvie siècle connaît 8 éditions, en latin, on allemand, en italien, publiées à Leipzig, Wurzbourg, Paris. Venise, Cologne, Thier­ haupten. Γ SUCCÈS POSTHUME 17 se succèdent toujours plus nombreuses *. Une seule, croyonsnous, utilise un nouveau manuscrit, mais il s’agit d’un manuscrit donnant le texte allemand 12. Si donc elles pré­ sentent. entre elles quelques menues divergences, celles-ci ne sont que des corrections de style et de ponctuation, imaginées par les responsables de chaque livre nouveau. Quant, aux traductions, elles se répandent au même rythme que le texte latin 3. Utilisations diverses. Une foule d’autres écrits utilisent les œuvres de sainte Gertrude, soit pour composer des biographies, soit pour en extraire des livres d’édification. Le Héraut constitue par lui-même une Vie, ce que le titre de bien des éditions sou­ ligne; mais les auteurs éprouvent le besoin d’un exposé plus systématique : aussi rédigent-ils des notices biographiques, qui le plus souvent accompagnent les œuvres, mais parfois constituent à elles seules un fort volume 4. Des notices plus 1. Paquelin, t. I, p. 46, décrit nombre d’éditions. D. Ursmer BEnT.rfcnr, La dévotion au Sacré-Cœur dans l'Ordrc de saint Benoît, Maredsous-Paris 1923 (Coll. Pax, vol. 10), utilise et complète cotte nomenclature. Comme ii est assez difficile de s’y reconnaître au milieu de toute cette littérature gertrndienno, nous avons jugé utile d’apporter dans un tableau d’ensemble les précisions qui nous ont été possibles. CL p. 52. 2. Un manuscrit do Sainte-Cécile de Cologne, utilisé par Tilmann Bredenbach, chanoine de Saint-Gêréon. 3. Cf. infra p. 52 le tableau des éditions latines et traductions. Dom Dovèar. donne les titres complets et la filiation des éditions du Héraut. 4. Par exemple : Vita... deseriua, de Gasparo Antonio Campacci... divisa in due parti... Venezia, Pozzara 1748. — Un ouvrage connaît une large diffusion : Vida de la gloriosa Virgen... par Alfonso de Andbade, s. J., Madrid 1663, réédité 1734, 1804, traduit en italien 1704 et en Por­ tugais 1708. K ο C ■ 1^7 18 INTRODUCTION succinctes paraissent dans les recueils de Vies des Saints1 et dans les Histoires littéraires, attestant, pour leur part, le succès de sainte Gertrude1 2. Volontiers divers livres s’accom­ pagnent de gravures : une iconographie, habituellement centrée sur le thème de l’union des cœurs, manifeste la popu­ larité de notre moniale 3. Non contents de connaître et de lire sainte Gertrude, les dévots l’utilisent au gré de leur piété. Toute une littérature va du poème héroïque jusqu’aux plus jolies mignardises, en passant par le jardinet, les délices spirituelles, l’épigramme 45. Elle compte des ouvrages sérieux et solides, telles Λ/ζ prac tique spirituelle de Françoise de Beauvilliers, Le maria# spirituel d’Élie Perreule, la Philosophia coelestis de Simo Hübmann s. Beaucoup de petits livres ne contiennent guèr 1. Jacqueline Boubtte de Blkmüh. alors à la Trinité de Caen, donn une notice développée, mais non toujours exacte, dans son Année béni dictine, t. H, Paris 1667 : au 17 mars. — 11 faudrait citer ici Bucklin Menologium benedictinum, Veldkirch 1665, où l’on retrouve toutes te erreurs historiques courantes. 2. Citons simplement l’une des notices tes plus fournies, encore qui les références bibliographiques ne soient pas toujours satisfaisantes M. ZiEGBLBAUBR, Historia rei litterariae Ordinis S. /fcnedicii, t. Ill p. 510, Augsbourg 1754. 3. Renvoyons, pour ce sujet, aux Vies des Sainis... par les Bénédictir de Paris, t. XI, Paris 1954, p. 535. 4. Jacqueün Boudret, Des excès de l'amour divin ou poème hérolqt sur la vie de sainte Gertrude, Lyon 1653. — Fleurs de sainte Gertrud œillets, roses, violettes, sujets pour l'oraison, par un religieux de Citeau: Paris, H. Mignard 1876 et 1884. — Antoine de Balixghbm, s. j., 1 jardinet des délices célestes, ou pratique de quelques nobles exercices de piél la plupart révélés par Noutre Seigneur Jésus-Christ à sainte Gertrude. Douai 1626 {plusieurs rééditions et traductions au xvu· siècle). — Dclii spirituali di santa Gertruda a dilcltazione e profite dell' uomo interior Rome 1664 et 1857. — B. Pfaffexzeller,/!/?^ bénédictines scu de sand benedictinis epigrammata sacra, Augsbourg 1716. 5. La practique spirituelle utile et profitable à Pâme religieuse q désire s'avancer à la perfection, avec plusieurs méditations et enseignemei SUCCÈS POSTHUME 19 que des extraits l, en particulier ces Prières que le capucin Martin de Cochem avait mises à la mode et que le public goûtera trois siècles durant2. Le renouveau de la piété liturgique enfin trouve chez sainte Gertrude un terrain d’élection, sur lequel pousseront ces « années liturgiques » tirées du Héraut 3. A l’opposé des dévots, les critiques contribuent, à leur manière, au succès de sainte Gertrude. Lanspergius sans doute savait quelles réserves soulèveraient les « révélations » de sainte Gertrude, lui qui ouvrait son édition par une épitre apologétique où l’on reconnaît une pensée de contreréforme. La proximité d’Helfta et d’Eislebcn, la présence du « nouveau monastère » aux portes de la ville, le rôle d’une abbesse en face de Luther 4, incitaient les Réformés à poursuivre les Révélations de leurs censures. En sens contraire, le P. Martin del Rio utilise sainte Gertrude comme argument contre les hérétiques, « lesquels ne veulent pas donner crédit tirés pour la plupart des Exercices de saincte Gertrude. Avenay 1622; Paris, Biron, 1623, 1634, 1664; reproduit à Paris, chez Couterot, 1668. — Dom ÉJie Pebrrulr (ou Pércul), de la Congrégation de Saint-Vanne, Le mariage de l'agneau divin Jésus-Christ avec l'admirable vierge Ste Gertrude, tiré de ses livres, Tout 1641 et 1657. — Dom Simon Hvebxaww, (moine d’Admont), Philosophia coelestis tradita ab Aeterna Sapientia, id est doc­ trinae salutares dictatae a Magistro et Sponso coelesti Christo Jesu dilectae suae discipulae et sponsae S. Gertrudi... et in ordinem dispositae, atque... illustratae..., Salsbourg 1673. 1. V. g. Recueil tres utile des plus signalées et remarquables révélations de saincte Gertrude, Lyon 1618. 2. Gertruden-Buch oder Auserlesenes gcislrcichcs Gcbetbuch, darinn neben anddchtigsten Gcbclen auch viele begriffen seynd, welche Christus selbst von wort zu wort denen beyden Sch western Gertrudi und Mcehtildi offenbahrt... Coin 1666 (nombreuses rééditions, traductions, imitations jusqu’à la fin du xix* siècle). 3. L. J. M. Cros, s. j., L'Année de sainte Gertrude, Toulouse 1871. — Dom G. G ve RR Y, Le calendrier de sainte Gertrude, Tournai 1902. — Les moniales de Dourgne, L'année liturgique d'après sainte Gertrude et sainte Mcchtilde..., Paris-Maredsous 1927 (coll. Pax, χχνπ). 4. Paquelin, 1, p. xxxn. K ο G .^7 20 INTRODUCTION aux Révélations ». Et presque tous les livres publiés par le xvnc siècle à l’occasion de sainte Gertrude prennent soin, à la suite de Lanspergius et de Castaniza, de rappeler les approbations données par les théologiens : avec Lansper­ gius se présentent tous les maîtres qui ont connu Gertrude et approuvé les écrits des moniales; Castaniza cite tous les grands docteurs des Universités espagnoles qui, do son temps, autorisent la doctrine de Gertrude; le carme Denys de la Mère de Dieu reprendra ces approbations, les complé­ tera, et les fera suivre d’un Traité théologique x. Le ratio­ nalisme néanmoins n’est pas favorable à sainte Gertrude : Oudin en fournit un indice quand il déclare de telles oeuvres « parfaitement adaptées à la dévotion de femmes qui tra­ vaillent du cerveau 1 2 ». Amort, tout en louant la piété, fait des réserves sur bien des points3. Il n’est pas jusqu’au célèbre Mercurian, le général de la Compagnie de Jésus, qui ne s’en prenne à Gertrude, mais pour un autre motif, l’absence chez elle des « vertus solides4 ». L’hostilité se poursuit longtemps : au début du xx° siècle, si un Ernest Hello esquisse avec beaucoup de justesse la physionomie de 1. Martin del Rio, Disquisitionum magicarum libri VI (Livre IV, ch. I, q. 3, sect. 4). Moguntiae 1606. — La citation, ici rapportée à propos de del Rio, est de Sonnius, éditeur des Insinuations (1629), en tête des· quelles le P. Denys de la Mère de Dieu multiplie les approbations et publie son Traité théologique des divines révélations, visions. locutions et autres grâces semblables. inspiré do la Luz de las Maravillas que Dies ha obrado.-.. por visiones y hablas..., par Leandro de Granado, Valladolid 1607. 2. Casimir Oudin, Commentarius de scriptoribus Ecclesiae antiquis.. t Hl. col. 237, Lîpsiàe 1722. 3. De revelationibus. visionibus, apparitionibus privatis regulae tutae... a R. D. Eusebio Amort, Can. Reg. Lateranensi Pollingae, pars p. 49 s., Aug. VindeL 1744. 4. En 1573, Mercurian fait enlever des bibliothèques les auteurs mys*· tiques, parmi lesquels sainte Gertrude {le P. H. Bernard. Essai λκω-Ι rique sur les Exercices spirituels de saint Ignace. Louvain 1926. p. 208). — I Les Capucins de la province de Gand l'imitent en 1594 (J. Ancelet· I Hustache, Maître Echardt et la mystique rhénane. Paris 1956. p. 1711. SUCCÈS POSTHUME 21 sainte Gertrude1, un Jean Guiraud ne verra chez elle que bizarreries, mièvreries, niaiseries, fadaises, puérilités1 2. Mais en réponse à William James, qui ne parle pas autre­ ment3, Henri Bremond affiche et défend son estime pour « cette incomparable Gertrude, toujours chère à la ferveur catholique 4 ». La ferveur catholique va ici jusqu’au culte liturgique, autre témoignage du grand crédit dont jouit sainte Ger­ trude 56 . IJ ne commence pourtant qu’au début du xvn® siè­ cle e, par des autorisations locales ou régionales, étendues ù tous les moines et moniales de saint Benoit, entre les années 1670-1674. Les Carmes également célèbrent l’office de sainte Gertrude78 . Finalement, la fête est inscrite au Martyrologe Romain (1677), puis étendue à l’Église univer­ selle sur la demande du roi de Pologne, duc-électeur de Saxe. L’Italie, l’Espagne, la France ont successivement obtenu la concession de cette fête, qui d’Espagne gagne le Nouveau Monde, où sainte Gertrude est déclarée patronne des Indes Occidentales9. 1. E. Hello, Physionomies de saints, Paris 1900, p. 363. 2. .1. Guiraud, dans Bulletin Critique, t. VII, 1901, p. 633. 3. W. James, L’expérience religieuse, Paris 1906, p. 298. 4. H. Bremond, Histoire littéraire du sentiment religieux en Prance, Paris 1916-1933, passim, surtout t. IV, p. 358-363; VI, p. 295. 5. Benedicti XIV, Opera omnia, Venetiis 1788, t.I, p. 139, donne les principales dates. 6. On ne rencontre jamais notre sainte dans les catalogues des manus­ crits liturgiques des bibliothèques publiques de Prance dressés par le Ch. Lcroquais. Les livres allemands, manuscrits ou imprimés, réservent le 17 novembre à saint Otmar; mais sainte Gertrude ne figure pas à une date voisine; tous ces livres ont par contre sainte Élisabeth quelques jours plus tard. 7. Il aurait été demandé par Denys de la Mère de Dieu, avant 1619. 8. Les moniales de la Conception, à Mexico, obtiennent la fête dès 1609... Antonio de Heredia, Vidas de santos... de la sagrada religione de N. P. S. Benito..., t. IV, Madrid 1686, p. 250, donne dos détails sur le culte en Espagne et au Pérou. K ο C .M7 22 INTRODUCTION Bilan géographique et courants historiques. En rassemblant ces divers témoignages, il apparaît nette­ ment. que la fortune de sainte Gertrude a grandi progressi­ vement durant la seconde moitié du xvie siècle, pour attein­ dre son maximum de développement pendant tout le cours du xvne siècle. Au xvm® siècle, on vit sur l’acquis plutôt qu’on n’ajoute de nouveaux témoignages d’intérêt, jusqu’au jour, peu après 1850, d’un renouveau où Dom Guéranger joue un rôle central. Tous les pays catholiques concourent dans un même mouvement, de la Germanie à l’Italie, jus­ qu’au Portugal et au Pérou; et la France tient une place de choix. S’adressant, en 1662, aux Pères de la Congrégation de Saint-Maur, l’éditeur Léonard déclare que la Gaule aujourd’hui s’honore d’une nouvelle naissance depuis que Gertrude naît à nouveau parmi les lys de France. Tous les ordres religieux participent d’ailleurs au mouvement, mais de façon inégale : bénédictins et bénédictines des diverses congrégations se placent en tête1, car Gertrude est devenue, en fait, l’une des leurs; carmélites et carmes l’ont depuis longtemps en similaire vénération, et aussi les jésuites, au moins jusqu’au milieu du xvn® siècle. D’autres ordres, et bien des membres du clergé séculier, apportent leur contri­ bution à ces hommages, le plus souvent en faveur de quelque communauté de moniales12. Cette distinction entre les divers ordres suggère qu’au-dessus des résultats fournis par une enquête statistique, il faut placer la recherche des courants 1. Les cisterciens ne paraissent guère ici, bien que certaines de leurs traditions la revendiquent, v. g. Barnabé de Montblvo, Prima parie de la Chronica del Oràen del Cister... Madrid 1602. — D'autres historiens no parlent ni de Gertrude ni de Mechtilde. Cf. A. Gomez, « santa Gertrudis la Majore... en nuestros an ligues historiadores espanolcs » (dans Collect. O. C. R., XI, 1949, p. 237). 2. V. g. le dominicain Fl. Hiacinto Martinelli, L'idea della perfeua religiosa nella vita di santa Gertrude..., Roma 1682, dédié aux bénédic­ tines de Santa-Anna, à Rome. SUCCÈS POSTHUME 23 qui ont guidé la diffusion de cet intérêt pour sainte Ger­ trude. De Cologne à Madrid. On ne doit pas exclure l’existence d’un très ancien courant aboutissant aux imprimés de la première moitié du xvie siè­ cle, encore qu’il concerne plus Mechtilde que Gertrude *. Mais c’est évidemment la chartreuse de Cologne, et l’édition de Lanspergius, qui font la fortune de sainte Gertrude : la plupart des éditions, traductions, adaptations se réfèrent explicitement ou implicitement au chartreux 1 2. Les nom­ breux liens qui unissent le jésuite Pierre Favre avec l’ordre de saint Bruno, en particulier avec le monastère du Vauvert, à Paris, et avec celui de Sainte-Barbe de Cologne, expliquent pourquoi son Mémorial emprunte à Gertrude nombre de thèmes et d’expressions 3. Pierre Favre aura donc pu contri­ buer, au cours de ses nombreux déplacements, à faire connaî­ tre la moniale d’Helfta; mais il n'est certainement pas le principal artisan de sa renommée : cet honneur revient à Louis de Blois, abbé de Liessies. Louis de Blois apparut à ses contemporains, et il demeure pour nous, une des plus grandes figures monastiques du xvie siècle, dont le rayonnement s’exerce en particulier sur 1. Cf. supra. p. 14 et 16. 2. Beaucoup de ces écrits nomment Lanspergius dans leur titre; d’autres copient, phis ou moins complètement, les titres et les « arguments · ou préambules, rédigés par le chartreux. — Sur la chartreuse do Cologne, Cf. Jean Dagexs, Ûérullc et les origines de la restauration catholique, Bruges 1952, p. 79. Cet auteur (p. 84), suit certains historiens pour attri­ buer l’édition de sainte Gertrude à J). Dirck Lœr (Thierry Loher); celui-ci n’est que l’auteur de l’Épltre dédicatoire. 3. Cf. Bx Pierre Favre, Mémorial, traduit et commenté par Michel de Certcau, s. j. {coli. Christus, Textes, 4), Paris 1960. p. 35 et de nom­ breuses notes. Écrit de 1542 à 1544, le Mémorial n’a pas été publié avant le xixe siècle. — La chartreuse de Vauvert se trouve en relation avec celle de Cologne, dont elle prolonge le rayonnement en France. K ο G ,.Ρ 24 INTRODUCTION la Congrégation bénédictine d’Espagne et sur la Compagnie de Jésus1. Ses relations avec la famille royale et impériale, comme avec plusieurs de ses conseillers, expliquent comment Charles-Quint et Philippe II comptent parmi ses lecteurs. Or l’abbé admire sainte Gertrude : il en recommande la lecture, et la défend contre ses détracteurs12, il la nomme ou l’imite dans ses propres traités 34 5, il la cite longuement dans le Miroir spirituel*. Par son intermédiaire, l’Espagne connaît sainte Gertrude; dès 1593 l’édition de Lanspergius se trouve à l’Escurial 6 : un autre exemplaire vient en la cellule d’un cistercien, où Juan de Castaniza, bénédictin de Saint-Martin à Madrid et prédicateur de Philippe II, le découvre, après l’avoir longtemps cherché sur la recom­ mandation de Louis de Bloise. A la même époque Diego Yepez, évêque de Tarragone et confesseur du roi, s’est vu également attiré à sainte Gertrude par l’abbé de Liessies. Yepez et Castaniza se mettent alors en tête de publier à Madrid les œuvres de la moniale, mais ils doivent auparavant surmonter l’opposition du Conseil du roi; les notes de Casta­ niza garantissent l'orthodoxie des révélations, les appro­ bations de docteurs en théologie ont raison des obstacles. Et bientôt l’édition latine sera suivie de la traduction castil­ lane, par le bénédictin Leandro de Granada, de la congré1. Louis de Blois, abbé coadjuteur de Liessies (15*28), abbé en titre (1530), décédé en 1566. Ses œuvres complètes sont publiées des 1568, après avoir circulé en volumes séparés. 2. Cf- en particulier Ep. ad. Florentium a Monte, IV, en tôle de l’Zns· titutio spiritualis. I.ui-ménie aurait pris l'habitude de lire sainte Gertrude douze fois par an, au dire de Tilmann Bredenbach (Ep. nuncupatoria en tête de son éd. du L, 1579). 3. Le Scriniolum spirituale et le Cimeliarchion piarum prectdarum imitent assez le genre de sainte Gertrude, tout en différant par le style. 4. Monde spirituale ; d'après Mechtildc, Gertrude, Brigitte, Cathe­ rine de Sienne. Un Appendix justifie l’autorité dos Révélations. Cf. aussi Instructio vitae ascclicae, c. 8, sur la doctrine de sainte Gertrude. 5. D’après Yepez (cf. infra, p. 25, n. 1). 6. Préface de l’éd. do Castaniza, 1599. SUCCÈS POSTHUME 25 galion de Valladolid. Pour se consoler d’avoir été devancé dans son rôle de traducteur, Yepez distribue aux carmélites, et à d’autres, les exemplaires castillans du Héraut. Il répand en même temps le portrait qu’il a fait graver de sainte Ger­ trude : une peinture de sainte Thérèse lui a servi de modèle, mais il a pris soin de représenter l’Enfant Jésus dans le cœur de la sainte, thème qui désormais va devenir classique. Quant au traducteur, et annotateur, il collabore à une entre­ prise qui tend tout simplement à substituer une doctrine de la lumière, à la mystique de la nuit si bien définie par saint Jean de la Croix; contre celui-ci il concourt à l’œuvre des Carmes de Salamanque, Francisco de Granada, son aide, et Thomas de Jésus : il exploite les .n7 26 INTRODUCTION déchaux traduit· en français les Insinuations, travail qui st place entièrement dans la dépendance des éditions espagnoles et que Sonnhis, l’éditeur français, dédie à la Mère /Inné di Saint-Barthélemy. Or, à cette date de 1619, Anne de Saint Barthélemy a quitté Paris pour Bruxelles : la dédicaci traduit donc une intention, d’autant plus significative qui le livre est également offert « à toutes les religieuses carmé lites déchaussées qui sont avec elle (la Mère Anne) er l’obéissance de l’ordre ». Sainte Gertrude serait-elle appelé à la rescousse contre Bérulle? Une autre réforme affiche une grande dévotion à sainte Ger trude, celle des bénédictines. Si les carmélites n’ont pas éti le modèle certain, elles n’auront pu que favoriser ce mouve ment, qui semble d’abord graviter autour de Marie de Beau villiers, abbesse de Montmartre. En 1611, la sœur de Marie Françoise de Beauvilliers, permute l’abbaye Sainl-Piern de Lyon contre Avcnay, mais avant de gagner la Champagm elle fait un séjour à Montmartre. Marguerite d’Arbouze qu l’accompagne, reste à Montmartre et y prend le nom di sœur Gertrude x. Bientôt elle deviendra abbesse de ce Va de-Grâce, auprès duquel Ferraigé se dépense avec zèle. Noi contente de porter le nom de la moniale d’IIelfta, elli ressemble, dit Ferraige, trait pour trait, à sainte Gertrude2 Cette fidélité à la tradition monastique donne une physio nomie propre à tout ce qu’apportent à l’abbesse ses autre amis, les maîtres spirituels de la contre-réforme 3. Mm d’Avenay de son côté, rédige sa Praclique spirituelle tirée d< sainte Gertrude, ouvrage qui connaît un certain succès puisque l’édition d’Avenay 1622 sera suivie de quatre édition î. Claude Fleury, ?\bbé de Loc-Dieu, La Vie de la Vèn. Mère Mat guérite d'Arbouze, Paris 1684, p. 14. 2. Jacques Fkbratce, La Vie admirable... de la B. Mère Marguen d'Arbouze, Paris 1628. p. 36. 3. La remarque est de Brkmond, Histoire littéraire du sentiment reh gieuz... t. II, p. 488. SUCCÈS POSTHUME 27 parisiennes. Une nièce des abbesses, Henriette-Catherine de Beauvilliers, est âgée de sept ans et demi, et déjà reli­ gieuse à Montmartre, quand le Conseiller d’État·, R. Gaul­ tier, lui dédiant sa traduction des Exercices, la compare elle aussi à la sainte d’Helfta1. Et Ferraige ne cesse de fournir les moniales en traductions de Mechtilde et de Gertrude 1 2. Un autre courant se manifeste bientôt parmi les reli­ gieuses bénédictines : il prend source en Lorraine, sous l’influence très probable des bénédictins de la Congrégation de Saint-Vanne. En entrant à Rambervilliers, le 2 juillet 1639, Catherine de Bar reçoit le norn de sœur Catherine de sainte Mechtilde. Par elle la dévotion aux deux moniales d’Helfta se répandra dans la congrégation du Très-Sain tSacreinent3. Dans les Pays-Bas, Dom Martin GoufTart, le zélé continuateur de la a réforme de Lorraine » à Sâint-Denisen-Brocqueroie, apprécie sainte Gertrude. On ne s’étonne donc pas de voir sa dirigée, sœur Saint-Matthieu Jeanne Deleloë, marcher sur les traces de la moniale saxonne, en particulier dans sa dévotion au Sacré Cœur 4. Congrégation. de Saint-Maur. Les Vannistes auront encore introduit sainte Gertrude dans la congrégation de Saint-Maur qui, dans ses commen- 1. Éd. Paris 1621. 2. Toutes deux imprimées à Paris 1623 (et rééd.J. 3. Hervin et Dovrlrks, Vie de... Mechtilde du Saint Sacrement... Paris 1883, p. 104. Ce sont les religieux vannistes qui dirigent Catherine de Bar. 4. Cf. lettre de Dom M. Gouffart on 1646, dans (B. Sodar) La Mère Jeanne DeleloX, vie, correspondance cl communications spirituelles (Coll. Paz, XIX), Lille-Paris 1925, p. 193; et p. 199 : les Communications 16451648. t ο c >./*7 28 INTRODUCTION cements, lui est très attachée *. Cette dévotion s’étant refroi die, Dom Claude Martin entreprend de la réchauffer. Sur I désir de sa mère, l’ursuline Marie de l’incarnation, il profil de sa nomination à la charge d’assistant général, en Î66i pour faire exécuter un dessein qu’il caressait depuis ui quinzaine d’années. Déjà les Révélations et les Exercia venaient d’être publiés en latin par les soins de la Congn gation2; il ne reste plus qu’à les faire traduire. Dom Josep Mège s’en charge, avec l’aide de Louis-Henri de Loméni de Brienne et de Monsieur Bull-eau. Dom Bernard Audobei consacre ce retour de fortune en instituant dans la Congn gation une fête de sainte Gertrude, pour laquelle Dom Hugn< Vaillant compose un office. Et Dom Jean Mabillon donr place aux deux moniales d’Helfta parmi les meilleurs livri devant entrer dans une bibliothèque ecclésiastique3. Il ne suffit pas de constater le crédit dont jouit sainte Gel trude dans la Congrégation, il faut aussi en connaître 1 raison. Le rôle d’un Claude Martin oriente la recherche, 1. Dont Edme Martènc, La Vie du Venir. Pire Dom Claude M tin... Tours 1697, p. 131. — On sait qu’à scs origines la Congrégation < Saint-Maur dépend entièrement deSaint-Vnnne. — En 1629» Dom Hugu Mkxard, Martyrologium Sanctorum Ordinis divi Benedicti, p. 743, est ' exemple de cette ferveur initiale, lorsqu’il fait réloge de sainte Gertrtf< 2. Editions de 1662 et 1665. 3. Editions de 1671 et 1672. L’oratorien Loménie de Brienne rési à Saint-Germain-des-Prês, d’ordre du roi, avant d’être enfermé à Sai: Lazare (cf. le P. Batterel, Mémoires domestiques pour servir à Vhisto\ de rOratoire, Paris 1904, t. III, p. 273). Bultcau, donné do Saint-Gerrnai dcs-Prés, traduit le livre V des Insinuationes et rédige la Préface (ib — Sur la fête de sainte Gertrude, cf. Histoire littéraire de la Congrégati de Saint-Maur, Bruxelles 1770. p. 91. La fête se célèbre le 17 mars. Cf. I projets d’office : Paris, Bibliothèque Nationale, ms. Int. 12076 (f° 59; 13· 148). Mège avait déjà publié un office à la suite de la traduction do 167 — Mabillon (Catalogue des meilleurs livres..., dans Traité des études mena tiques, Paris 1691, p. 425) avait été précédé par les Supérieurs Majeurs df la Congrégation, dès 1653 (liste des livres conseillés : Cf Revue Mabillon Vl p. 437). SUCCÈS POSTHUME 29 bien que l’histoire de la spiritualité dans la Congrégation nous soit, encore insuflisamment connue, on peut remarquer le lien que Dom Claude Martin établit entre Gertrude et son propre mariage avec la Divine Sagesse. Il justifie cette union par une note où figurent, entre autres, sainte Ger­ trude et Suso Le mariage spirituel est de 1661 ; or, vingt ans plus tôt, le vanniste Perreule a publié son livre sur le mariage do l’agneau divin avec l'admirable vierge Gertrude; bien avant- lui, dans sa Practique spirituelle., Françoise de Beauvilliers représente et explique le « sacré mariage du Verbe et de l’âme », que réalise la profession religieuse; après Claude Martin, mais alors qu’il ignore la vie du mauriste, le bénédictin autrichien Hübmann puise sa philosophie céleste auprès de l’éternelle sapience, l’époux céleste de Gertrude 1 2. On devine donc un courant où sainte Gertrude est considérée, non pas comme un représentant d’une piété quelconque, mais comme un témoin de l’union la plus intime de l’âme avec Dieu. Autres courants. Tous ne vont pas aussi loin, préférant s’arrêter à des leçons plus simples : l’esprit de liberté et d’obéissance par exemple 3, ou l’humanité et l’esprit d’enfance joints à la plus vive dévotion envers l’humanité sainte de Jésus4. D’autres encore, ne voyant que l’écorce, réalisent un plat démarquage ou même une franche caricature5. Les uns 1. Martène, La Vie..., p. 91. 2. Cf. supra, p. 18, note 5. 3. S. François de Sales, Jsntreiien spirituel XV {Œuvres complètes, t. VJ, Annecy 1895, p. 273), de 1610-1612. 4. J. B. Olieii, Lettre 420 (ύ<1. E. Levesquo, Paris 1935, t. II, p. 422), de 1642-1657. 5. V. g. Duguetet Jacques de Jésus : cf. Brbmond, Histoire... du senti­ ment religieux..., t. X, p. 288 et 312. « ο C u>7 30 INTRODUCTION comme les autres attestent combien Gertrude est lue dar les milieux de spirituels les plus divers, tout au long d xviic siècle. Les diverses influences d’ailleurs se croisent nous n’avons pu qu’esquisser seulement les quelques ligni de force qui apparaissent plus clairement. Mais il ne faudra pas oublier les échanges continuels. Alors que les paj germaniques attestent une certaine autonomie de let tradition « gertrudienne », d’autres pays, l’Italie par exen pie, se montrent avides de recevoir1. Si la littérature gertrudienne cesse de s’amplifier pendai le xvuic siècle, au cours duquel on ne compta qu’un pet nombre de témoignages nouveaux de la dévotion, cellepeut vivre sur l’acquis. 11 circule suffisamment de livre pour faire le pont jusqu’aux premières décades du xix« si­ cle. On imprime alors, pour l’usage des âmes pieuses, 1 Prières et la Vie. Celle-ci n’est autre que la traduction ( Héraut par Dom Mège. Lorsque Gertrude connaît, après 1850, une célébri nouvelle, elle intéresse ses lecteurs à des titres très diver Certains y trouvent l’aliment d’une piété extrêmemei simple, pour ne pas dire d’une sensibilité superficielle d’autres reconnaissent en elle une saveur romantique à le» convenance 123. L’abbé de Solesmes vante sa familiarité av< le Fils de Dieu et cette simplicité d’âme qui s’exprime en u lyrisme continuel, comme naturel; il voit en elle un maît très sûr de la vie unitive, de cette fruition que réalise ; 1. L'Italie emprunte à l’Allemagne, à l'Espagne, à la France, po traduire, abréger, exploiter. Ses publications peu originales connaisse une large diffusion en tous pays. L’habileté des libraires correspond ai goûts d’un large public. 2. Cf. supra, p. 18, note 4. 3. Les Bénédictins de Paris se sont amusés à évoquer des rapprocli ments entre sainte Gertrude et Ossian ou Larmarline, Pindare ou Calden {Vie des Saints, t. XI, p. 525). Cette préromantique alimente des roma tiques seconde manière, un lluysmans par exemple (En route, passim SUCCÈS POSTHUME 3> pleine dilection *. Toute une école découvre chez les moniales d’Helfta des précurseurs de la dévotion au Sacré Cœur et trouve en leurs écrits de quoi alimenter cette dévotion 2. La découverte, à la vérité, n’est pas si nouvelle qu'on le croit, car xvn® et xvin® siècles avaient préludé à ce mouve­ ment : il n’est, pour s’en convaincre, que de considérer les gravures ornant· plusieurs éditions de sainte Gertrude3 : aussi bien, les textes sont-ils explicites et abondants où Gertrude célèbre la gloire et les bienfaits de ce Cœur, siège de l’amour du Christ. Enfin le développement des études ecclésiastiques en vient à revaloriser la valeur théologique du témoignage que les moniales d’Helfta nous ont laissé sur leur vie spirituelle 4. 1. Cf. Préface aux Exercices, Poitiers 1683, et Enchiridion benedic· tinum, Angers 1862, p. 28-36. 2. La bibliographie du sujet est vaste. Cf. Behlièhe, La dévotion au Sacré-Cœur... (1923); A. Hamon, Histoire de la dévotion au Sacré-Cœur (t. U, 1925); L'amour du Cœur de Jésus contemplé avec les mystiques de rOrdre de saint Benoît... par les moniales de Sainte-Croix do Poitiers (coli. Pax. XXVI, Paris 1927); le P. Pierre Debokgkie présente le témoi­ gnage de Gertrude dans Éludes Carmélitaines, t. 29, 1950, p. 162. 3. Cf. supra, p. 18, n. 3. Voici quelques thèmes : le Cœur de Jésus blesse Gertrude; les deux cœurs s’unissent; Gertrude monte vers le Cœur de Jésus; Jésus réside dans le cœur de Gertrude. — Ce serait Je lieu de considérer les rapports de saint Jean Eudes avec les écrits d’Helfta. Les PP. Dauphin et Lebrun {Œuvres complètes..., Paris, s. d., t. I, p. 64) estiment possible une influence des Exercices sur /-, absolument impensable de son temps. 42 INTRODUCTION elle s’arrête *. Bien plus : les passages du livre II les plu proches des Exercices pour la forme sont précisément ceu: qui s’en rapprochent aussi le plus pour le fond, par opposi tion aux chapitres d’allure plus narrative, où la similitud verbale apparaît avec moins d’évidence. Le genre « exercice spirituel » est en effet familier aux moniales saxonnes. Le Héraut en contient plusieurs : ui long chapitre montre comment offrir sa volonté et son cœu en maintes circonstances, tandis que quelques lignes suffi sent à esquisser une méthode pour rénover l’effet des sacre monts; les « sept heures de la Vierge » ressemblent beau cou] aux élans d’amour distribués selon les heures canoniques 2 Personnellement, sainte Gertrude introduit dans sonMémorû un exercice des cinq plaies et un exercice d’action de grâce où s’insère la pensée des fins dernières3, thème qui 1 est cher en tous les Exercices. La question d’auteur ne souffre donc aucune difficult réelle. 11 reste plus délicat d’assurer en quelle langue h Exercices ont été écrits, en latin ou en allemand. Les éditeu: et les historiens ont exprimé à ce sujet les opinions les pli contradictoires. Pour la béguine Mechtilde de Magdebouq il n’y a pas de doute : elle rédigeait en bas-allemand; poi les deux moniales Mechtilde de Hackeborn et Gertrude, il semble bien qu’elles usaient habituellement du latin : elle l’avaient d’ailleurs appris au monastère dès leur plus jeun· âge. C’est du latin que Marc et Paul de Weida traduisen leurs œuvres en allemand (1503-1505). Quand les autre moniales parlent des ouvrages de leur sœur, elles ne préci t. V. g. l'action de grâces, la «supplétion » divine. les Ans dcrniêrel — Les parallèles, de fond et de forme, entre Ex. et A, Il mériteraient un élude plus poussée pour qui veut étudier la pensée gertrudienne. 2. A, III, 30; 60; 46 (cf. Et V). - A, V, 29 contient de petits Exer ciccs que Paquelin public en note, d’après l’édition allemande de 1505 Le troisième a pour refrain Jesu nostra redemptio, ce qui trahit sa relatioi à V Exercice VII. 3. A, II, 4; 23. — Ce chap. 23 est à comparer aux Exercices VI et Vil LES EXERCICES 43 sent pas la langue dont elle usait, si ce n’est, peut-être, pour ces explications des passages difficiles de l’Écriture, « qu’elle donnait d’un style plus simple 1 ». Lanspergius ne fournit aucune indication sur la façon dont il a procédé pour publier le texte des Exercices. Et il compli­ que notre enquête en insérant dans le latin trois passages en allemand, qu’il fait suivre de la mention : « Hæc ita latine ob gratiam lectoris versa sunt12 ». Il n’apporte aucune explication complémentaire, de sorte que nous pouvons en tirer argument dans un sens ou dans l’autre : ou bien Lans­ pergius conserve ici, à titre exceptionnel, des passages en la langue de son manuscrit, ou bien il transcrit, en passant, le texte d’un manuscrit allemand, alors qu’il suit habituelle­ ment un manuscrit latin. La première hypothèse paraît la plus simple, d’autant plus que Lanspergius semble faire une faveur au lecteur en traduisant. Mais le style des Exer­ cices s’avère être plus d’un médiéval que d’un humaniste; celui-ci n’aurait pas si bien su jouer des balancements et des rimes, des assonances et des allitérations, user de la termi­ nologie et de l’imagerie ebères au Moyen Age, manier le trope et la séquence, citer sans cesse la Bible et la liturgie, exposer en termes précis des notions qui rappellent le xne siè­ cle et n’annoncent guère le xvi°. Nous tenons d’ailleurs la contre-épreuve dans les « arguments » placés par Lanspergius en tête de son édition : le chartreux de la Renaissance use 1. L9 I, 7 : latino mutato stylo describebat planiori. I! semble qu’on doive comprendre : Gertrude abandonnait le latin pour une langue plus facile. Si tel est bien le sons, et on l’entend généralement ainsi, la remar­ que prouve qu’habituellement elle use du latin. On pourrait aussi entendre : Gertrude usait d’un latin plus facile que celui du passage de l’Êcriture à expliquer : dans ce cas, qui semble moins probable, il ne s’agit toujours que du latin. 2. E% Π, au début : les prières à Jésus (Eia Jesu cordis mei dilec­ tissime) et à Notre-Dame (Eia candidum lilium); Et IV, vers le milieu : chirographo de la profession (Jesu mi dilectissime). INTRODUCTION d’une tout autre plume, et l’indice vaut autant pour 1 question de langue que pour la question d’auteur. Gertrud a rédigé en latin ses Exercices, comme le Héraut. Quelque lectures de Lanspergius en fourniraient un indice : il aur mal vu certaines graphies, ou mal résolu certaines abri viations x. Sujet du livre. Les Exercices de sainte Gertrude sont au nombre de sept sous l’ciïet certainement d’une intention mystique. La chos apparaît d’autant plus évidente que d’une part plusieur de ces Exercices traitent des sujets similaires, le troisièm et le quatrième surtout, d’autre part sainte Gertrude a rédig d’autres écrits qui auraient fort bien pu venir grossir 1; collection au lieu d’aller s’insérer dans le Héraut. 11 s’agi donc ici de cette plénitude exprimée par le nombre sept; 1 collection pourrait s’intituler : « les Exercices de la perfec tion spirituelle », ou mieux « les Instruments de la perfectio; spirituelle ». Dans la préface à son Enchiridion benediclimur Dom Gucranger marquait ainsi la progression durant cett « semaine sacrée : après une introduction à la vie spirituelle l’âme quitte le monde, s’unit à Dieu, consolide ses liens puis elle désire la consommation dans le plein amour, remer cie et glorifie, répare ce qui pourrait encore séparer de Dieu » Les titres attribués à chacun des exercices par les éditeur suggèrent assez mal cette idée. Le premier chapitre neproposi 1. V. g. E, I, 232 : facies pour salies ; malgré l’intérêt d’une lecti difficilior, conservée par presque tous les éditeurs, le contexto ferai préférer la seconde lecturo. — E, III, 211 : quando, pour quomodo qu est la leçon du Pontifical, cité ici. — Dans le mémo E, II! nous relevons ; viduarum pour nuptarum (237), iniisti pour emisti (300); dans E, IV : afflictum probablement pour affectum (189). hic pour hoc (212), hic pour sic (295), abyssus pour abyssi (336), toutes fautes dont le typographe partage peut-être la responsabilité avec l’auteur, mais qui s’expliquent si bien par un manuscrit latin. LES EXERCICES 45 pas de recouvrer la grâce baptismale, mais d’en approfondir la perfection, d’en conserver la sainteté. Un court chapitre commémore l’anniversaire de la prise d’habit, tandis que le troisième médite plus longuement les richesses de la consé­ cration des vierges, sujet auquel revient le quatrième exer­ cice, sous l’angle de la donation à Dieu. Les titres de conver­ sion spirituelle, de consécration et do profession religieuses conviennent à ces trois exercices; mais, au-delà des mots, il faut penser à la perfection de l’état religieux, nouveau baptême pour l’âme consacrée. Certes, le cinquième chapitre excite bien l’amour divin dans l’âme; le titre pourtant recouvre assez mal la richesse de ces pages où l’âme, du matin au soir, en suivant la courbe du jour, s’adonne à la plénitude de l’amour avec son Dieu. De même, exercice sans doute do louange et d’action de graces, le sixième est un long jubilus, dans l’abandon à la miséricorde infinie. Le septième, réparation des péchés et préparation à la mort, s’applique surtout, d’heure en heure, à goûter le sabbat de l’union parfaite. La richesse des sept chapitres rend difficile le choix d’un titre exact; leur analyse elle-même ne saurait donner qu’un vague aperçu des idées qui se pressent, si variées, souvent évoquées en quelques mots. Pour guider le lecteur dans sa méditation il faut pourtant chercher les articulations de chaque exercice, en esquisser la progression. Bien que le premier exercice médite le rituel du baptême, on n’y cherchera pas la description du rite : non seulement nous ignorons quel rituel aura guidé Gertrude, mais il semble bien que celle-ci ne s’astreint nullement à rédiger un commentaire. Si elle suit l’ensemble des cérémonies du haptême, elle le fait très librement, se permettant des omis­ sions ou des adjonctions; les passages sont rares qui appa­ raissent comme une glose, ou un trope, du texte liturgique. Outre cette liberté dans sa méditation, elle atteste sa person­ nalité dans le fait que, malgré le rôle qu’elle reconnaît à la Sainte Trinité dans le baptême, elle adresse presque toutes 46 INTRODUCTION ses prières au Christ Jésus, prières où elle établit un parai· lèle entre le rite et l’une des perfections du Sauveur : ainsi en recevant le sel dans la bouche elle s’adresse au très doux Jésus; Jésus est pasteur quand elle est signée sur les oreilles et les narines; il est très aimant quand elle reçoit la croix; il est lumière quand elle reçoit le cierge; son vêtement blano correspond à la Justice du Christ. Aussi bien, tout cet exer­ cice tend-il à demander au Rédempteur les dispositions et les grâces nécessaires pour que chaque rite produise en ell· tout son effet et porte son fruit, moins d’ailleurs par un effor personnel que par Faction, supplétoire au besoin, de celu qui est cause de toute sanctification et de toute actio; bonne. Il s’agit en définitive de recevoir la grâce sancti fiante et d’en user, en fonction de la Pin éternelle. Dca « conclusions » divisent l’exercice : la première partie, qu s’achève sur une prière à Notre Dame, concerne les rite préparatoires au baptême; la seconde l’immersion, complété par F Eucharistie et le Confirmation; ainsi se réalise l’unioi des cœurs, celui de Jésus et celui de Gertrude, autremen dit la vie en Dieu. Pour la moniale, les sacrements de l’initiation chrétienne trouvent leur accomplissement dans la consécration reli gieuse. Avant d’aborder celle-ci, Gertrude s’arrête un instan à ce qui, de son temps, en forme le prelude, l’entrée au monastère et la prise d’habit. Elle l’intitule du nom de « conversion », c’est-à-dire de cette décision que prend une âme de se donner tout entière à Dieu. Oblate à cinq ans, Gertrude avait connu une conversion d’un autre genre1 celle du 27 janvier 1281; elle n’y fait pas allusion ici, pas sant rapidement sur cette entrée dans « l’école de l’amour » Un trope d’introduction précède la cérémonie de la consé cration : c’est un jeu liturgique où le Christ, FAmour, FAmi empruntent volontiers les images, les termes du Canliqw et de V Apocalypse. Après ce jour, qui constitue les épou LES EXERCICES '.7 sailles si nous nous référons au titre de l’Exercice, Ger­ trude s’arrête à quelques-uns des moments les plus impor­ tants de la consécration des vierges : l’appel, la litanie, le chant du Suscipe, la préface consécratoire, l’imposition du voile, de la couronne et de l’anneau, la bénédiction de l’évêque, la remise à l’abbesse, et le chant d’action de grâces. Suivant toujours très librement le texte du Sacrament-aire, elle exprime ses sentiments, ses aspirations; elle demande l’accomplissement parfait du rite, usant des notions que le rite lui-même, ou le formulaire, lui suggèrent. Les litanies, glosées en fonction du mariage spirituel, en fournissent l’exemple le plus simple et le plus évident; en d’autres circonstances, la corrélation est plus subtile, plus profonde aussi. Le quatrième exercice s’arrête à l'un des rites essentiels de la consécration pour une fille de saint Benoît, la profession monastique. 11 renouvelle l’âme, chaque fois qu’elle le désire, dans la ferveur de cette profession, afin d’atteindre, au dernier jour, la perfection de sa vie. Reprenant en partie l’exercice précédent, il le fait sous un jour nouveau, et il ajoute d’autres éléments. Après un court préambule, il développe les appels que les ministres adressent à la postu­ lante au nom du Seigneur; et Gertrude y trouve l’occasion de prières, comme à la récitation des Psaumes qui suivent. Une litanie prolixe offre un caractère plus pratique que la précédente, non seulement dans ses demandes, mais aussi dans les invocations aux saints. Au passage, saint Benoît est salué avec dévotion; ne lui doit-on pas les rites qui vont être ici rappelés : signature de la charte, réception de la règle, veetition sous l’habit monastique? Ces trois étapes s'accompagnent de prières, où Gertrude exprime son abandon à l’amour de Jésus, son union à lui, son appartenance à lui seul. Sa première obédience consiste d’ailleurs à aimer, â s’abîmer dans l’amour, où elle se plonge symboliquement par la prostration. L’Eucharistie parachève cette union, 48 INTRODUCTION et l’action de grâces se traduit dans les deux cantiques, du Magnificat et du Nune dimittis. Gertrude insiste sur des thèmes effleurés jusqu’ici, la sépulture avec Jésus, et en Jésus, la plénitude de l’heure dernière : cette idée de consonfl mation achemine ainsi vers les exercices suivants. Dès le cinquième exercice il est en effet question de goûter l’amour divin dans sa plénitude. Le plan apparaît très simple : deux chapitres orchestrent des idées similaires : l’un dans le cadre des trois moments de la journée, matin, midi et soir; l’autre sur le plan des sept heures canoniques, de matines, ou laudes, à complies. Dans le premier, la lumière évoque naturellement la contemplation; le banquet; invite à la jouissance, faite de ferveur et de repos partiel; le repos définitif arrive à l’heure de la consommation, de la possession. Trois fois les mêmes mouvements développent le thème de la « charité-reine », en progression vers un avenir qui peu à peu devient un présent. La même progression conduit les sept oblations de l’âme, à l’école de l’amour de son Dieu, comme une élève monte de l’ignorance la plus complète à la sagesse pratique la plus parfaite. Le terme est toujours le même, l’union, où les cinq sens spirituels ruminent les béatitudes de l’amour, dans l’éternel « aujourd’hui ». Ces deux chapitres se résument donc en ce sous-titres de la foi à la vision par l’amour; ils constituent bien, comme Gertrude le dit incidemment, un ars amoris, un traité de l’amour, mais un traité très libre. Si volontiers l’art d’amour s’inspire du Cantique, 1’Apoca­ lypse est un guide pour se présenter devant le trône de l’agneau, pour pénétrer dans le tabernacle éternel et y chanter un « jubilus » interminable. L’âme de Gertrude s’y essaye, non sans mêler les soupirs de ses aspirations aux accents de sa louange et de son action de grâces, car elle en est encore à la simple prélibation du bonheur céleste. Ici encore l’exercice commence par un jeu : ΓAmour, J’Arne, et Gertrude se préparent à entendre la voix de Jésus venant LES EXERCICES 49 pour les noces éternelles. Suivent trois séries d’effusions laudatives, composées chacune de bénédictions et de jubi­ lations : consciente de son inutilité, Gertrude demande à Dieu qu’il soit à lui-même sa propre gloire, son rôle propre, à elle, restant celui du petit grain d’encens jeté dans cet encensoir d’or, où s’effectue la fusion des deux cœurs, l’inclusion de deux amours l’un dans l’autre, l'unité de deux êtres. Avant la dernière série d’effusions, une longue supplication implore cette faveur; elle se poursuit après la troisième jubilation. Pour prendre place auprès des quatre animaux qui soutiennent la gloire de Dieu, l’humble colombe implore l’Amour : le thème s’amplifie progressive­ ment du désir, de la tension vers la vie éternelle; aussi le chapitre s’achève-t-il sur la recommandation à Jésus du dernier jour de Gertrude, et sur la demande d’une béné­ diction assurant la persévérance finale, jusqu’à l’amour qui unit définitivement. Malgré son élan vers le ciel, Gertrude se trouve encore en terre. Dans un dernier chapitre, sachant tout co qui lui manque, elle supplie l’amour divin de suppléer à ses défauts. Au long des heures liturgiques elle décrit une véritable « horloge de la Passion », comme les aimait la piété médié­ vale, avec cette différence toutefois qu’elle s’arrête peu aux supplices de Jésus; bien plus volontiers elle développe les perfections de l’amour divin et sa bonté infinie. Successi­ vement elle voit en cet amour, la miséricorde, la vérité, la paix, la sagesse, la dilection, la piété ou tendresse, la per­ sévérance constante. Tout en soulignant la convenance de chacune des qualités de l’amour au mystère des heures successives, elle compose en fait une longue hymne à la charité, dont l’éloge s’avère particulièrement dense le soir, à complies; en cette hymne s’introduisent parfois d’autres thèmes, ces strophes par exemple qui font l’éloge de la mort bien chère, puis du cœur de Jésus. Avant que le cœur de Gertrude ne goûte la vraie joie, il lui faut se purifier sept fois : c’est l’heure de midi, dans le verger. En sept strophes, une 50 INTRODUCTION véritable ballade chante, onction par onction, les ultimes purifications qui permettent l’appartenance totale à Jésus.Et quand vient, au soir, l’instant de cueillir les fleurs du jardin, à la bénédiction de l’homme-dieu correspond la gerbe des vertus monastiques : en l’offrant, l’àme pour toujours s’abandonne au repos. Si imparfaite que reste cette présentation des « instruments de la perfection spirituelle », elle suggère déjà la complète liberté que se reconnaît l’auteur. Gertrude n’écrit pas un exposé méthodique, elle ne se soucie pas d’une construe·, tion logique; poète, elle chante son amour, écho à l’amour divin; elle possède le sens du drame, personnifie des attributs, campe des personnages, les fait entrer dans un jeu; musi­ cienne par-dessus tout, tantôt elle multiplie les variations sur un même thème, tantôt elle combine entre eux quelques thèmes, qu’on retrouve en chacun de ses chapitres : maniante les divers tours de l’art du tropaire, elle connaît aussi les ressources de l’orchestre et annonce parfois la symphonie,; dans le cinquième exercice par exemple. Le style des Exercices mériterait une étude. La doctrine aussi. Comme elle n’offre aucune difficulté particulière nous n’avons pas ici à l’esquisser : il suffira de lire, en s’aidant] au besoin des notes qui attireront l’attention sur certain» détails. Ces notes pourraient servir de premier guide dans la recherche des sources, travail assez délicat du fait de la liberté des Exercices à l’égard de tout système comme dé' toute « autorité ». Lanspergius a fourni le texte, à très peu de variantes près. 11 n’y avait pas à tenir compte des leçons propres à quelque» éditeurs, et qui ne sont que des conjectures personnelles^ Paquelin s’est permis d’en introduire quelques-unes; nous? l’avons parfois suivi. Λ sa suite nous avons multiplié les; paragraphes dans les pages extrêmement compactes du chais treux. Pour la ponctuation comme pour l’orthographe, il a fallu s’inspirer au mieux des éditions, faute de manuscrit permettant de dirirner certains détails. Au total, noi)B] LES EXERCICES 51 croyons que depuis Lanspergius le texte qui circule des Exercices peut être considéré comme satisfaisant : il ne sou­ lève en tous cas aucun problème, ni pour l’intelligence de l’œuvre, ni pour la philologie médiévale. On n’en conclura pas que la traduction de cet ouvrage s’avère toujours facile, surtout lorsqu’on désire allier une élégance élémentaire au souci de rester exact et précis. 53 APPENDICE 1 Date Lieu 1609 1612 1614 Mayence Fribourg (B) Madrid 1614 1616 Munich Séville 1619 Paris 1619 1621 1621 <621 1623 1625 1633 1633 1634 1635 1655 1657 1660 1662 1662 (664 1670 1670 1671 1671 1671 1671 1652 1674 1686 1687 1690 1710 1715 1726 1730 Munich Munster Paris Cologne Paris Munster Paris Paris Lyon Anvers Cologne Venise Salzbourg Paris Paris Salzbourg Woons Fri essem Pezzana Mayr Léonard Léonard Paris Paris Paris Paris Paris Cologne Paris Paris Venise Venise Bruxelles Munich Constance Blllalne Billaine Hénaut Dehors Michallet Frtcssem Warln de Bats Pczzana 1748 Venise Pczzana L 1842 1862 Avignon Angers L 1 l. L L L 1863 1863 Poitiers Londres 1854 1864 1865 1866 etc. 1875 1877 1919 Lyon Schalïhousc Londres Paris à noter : Poitiers Poitiers Paris Séguin Cosnicr, Lachèsc Oudin Burns and Oatcs Périsse 1923 <924 1944 Praglia id. Paris APPENDICE I DIFFUSION DES ŒUVRES DE SAINTE GERTRUDE Le nombre des éditions est le meilleur témoin du succès pos thume de sainte Gertrude. Il est malheureusement assez difHcil de s’y reconnaître au milieu de cette littérature. Ces deux raison nous invitent à dresser un inventaire aussi exact que possible Le lecteur y distinguera les livres sur lesquels nous avons Irouv des indications précises, ceux pour lesquels nous ne possédon qu’une simple mention. La liste n’est certainement pas exhaus tive : trop d’éditions ont aujourd’hui disparu, surtout de ces petits livres de piété qui, à certaines époques, constituaient des succès de librairie. La liste ne montre pas non plus les imitations et démarquages; tout au plus les laisse-t-elle parfois supposer : pour plus de détail à leur sujet il faudrait se reporter à no introduction et à celle de Dom P. Doyère (tome II). L = Le Héraut. E — Les Exercices. imprimeur Date Lieu 1505 1536 1560 1562 1563 1564 1578 157» 1580 1585 1588 158» 1601 Leipzig Cologne Venise Venise Cologne Venise Paris Cologne Paris Venise Madrid Salamanque Giollttt Lcqucrlca 1607 1607 Valladolid Anvers Verdussen Lotter Noveslan Pczzana Ferrari Chaudière Alectortus Chaudière Editeur Langue Marc de Welda Lansperglus Buondl Buondi Bredcnbach Buondi (Lanspergius) Bredenbacb Dom J. Jarry Buondl Buondi Castantza D. Leandro Man­ rique D. Leandro C. de Witte allemand latin italien italien allemand italien latin latin français italien italien latin espagnol L L L L (1-3) espagnol flamand L (4-5) L L J imprimeur Impreta Real Sonnius Heuoiievllle Henning Sonnius Vaugon Dehors Rigaud Neyer Ruffet Oudin Oudin Art catholi­ que Badla di P. id. Plon Éditeur Ganse Ganss D. Leandro (révisé) Ganss D. Leandro (révisé) Dcnys de la Mère de Dieu Ganss Ganss Gaultier (Lansperglus) Ferraige Ganss Fcrraigc Ferraigc Buondl C. de Witte Buondl Dom L. Clément Dom N. Canteleu Dom J. Mège Ganss Buondi Dom N. Canteleu Dom J. Mège (une moniale) (un MaurlRte) (.anonyme) Dom J. Mège Dom N. Canteleu Buondi Buondi Langue allemand allemand espagnol L E L E allemand espagnol L français L allemand allemand français latin français allemand français français français italien flamand allemand italien latin latin latin allemand italien latin français français français français allemand français latin italien italien Ganss moine de Peterhausen Campacci allemand latin (Dom Mège) Dom Guéranger français latin Dom Guéranger le P. T.A. Pope français anglais (Dom Mège) Dom M. Wolter Mère M.F. Cusak (Dom Mège) Dom Paquelin (Dom Paquelin) Rme D. Emma­ nuel (Dom Huyben) Med ici Dom Schmitt français allemand anglais français Italien latin français français latin italien français E L L L L L L L L L L E E E r·· E E E λ E E K* E E L L L L L L L L L T9 E E E E9^ E Ef,· L (extraits) L E E E L L L L L E E E E E E APPENDICE II PASSAGES DONNÉS EN ALLEMAND PAR LANSPERGIUS Exercice II, 1. 5 : ...aedificet monasterium. Eya Jesu myn herze lief, ich hab vernomen, das kein geistlich frucht nie mach wol bckomen, sy en werde mit dynem gcist beghossenn, und in dyner bloiender minnen beflossen. Eya woldeslu dich nun also over mich erbarmen, das ich in dynen armen warlichen begunde von liebe erwarmen, Myn lyb und rnyn sole sal dyn eigen syn. Trout myn, trout myn, giÎ mich dinen segen, fluss uiT und laiss mich in. Von herzen, von herzen beger ich din, und bittes dich myn herze lief, das ich mois dyn eigen syn. Eia das ich in dyner lebendiger minnen in neuwer geistlicheit mois uss spricssen, als die lilicn die das wassers und des dales geniessen. Haec ita latine ob gratiam lectoris versa sunt. Eia lesu cordis... Ib., 1. 18: ...effloream. Hic ora virginem matrem ut ipsa roget prote. Eya du blancke lilie nae got myn oberste trost Maria, thu du myne rede zo dyme lieben Kynde, sprich myn wort wol, erwerff myn sache truwelichen und muterlichen, als ich mich gutes zo dich vorsehe, das ich van got werde untfanghen in das mynonn cloester, in die schole des heiligen geistes, wenn du vermacltsdas bouen al, allerbest mit dyme lieuen sone. Trouwe muter beraet wol dyne dochter, das ich in der lebendigher mynnen frucht ya wol bekome, und in aller geistlicheit bedone. Arnen. Haec latine... Exercice IV, I. 233 : ...chirographum tuae professionis, di­ cens : Trout myn Jhesu Christ, Ich begere mit dich tzo treten in einen lieben regel, das ich myn leben in dich muge vernuwen APPENDICE H 55 und verwandelen. Eya seize myn leben in dyns heiligen geistes hutte, das ich dyr tzo allen tzeytten stehe tzo gebote. Myne sede maich dyr bequaem in einer lieben frede. Myne synne befluyss in dyner liechter mynnen, das du mich alleine lerest, leidest, und radest van bynnen. Sencke mynen geyst so vaste in deynem geiste tzo grund in einem haste, das ich werlichen in dich werde begraben, unnd uss mich yn dyne eynunge so gentzlichcn gedraghen, das myn graft in dich nyemant wysse, dan dyn lebendighe mynno alleine, die yren ingesegel dar uff seize. Amen Hæc ita sunt latine reddita... I EXERCITIUM PRO RECUPERANDA INNOCENTIA BAPTISMALI I t. in fine vitæ tuae1 immaculatam baptismalis inn< centiae tunicam, et fidei Christianae sigillum integrum et illaesum domino valeas praesentare, stude certo tempore praesertim in Pascha et Pentecoste2, memoriam baptism 5 celebrare. Itaque desidera renasci in deo per novae vita sanctitatem, et restitui in novam infantiam 3, et dic : « Deus misereatur mei, et benedicat mihi; illuminet vultui suum super me, et misereatur mei4. Benedicat eum in omi sinceritate et veritate cor5 meum. A facie domini movet 10 tur terra cordis meie, in spiritu oris eius recreetur et rem 1. Dès la première ligne des Exercices, Gertrude se place dans une pci pective qu’elle ne perdra jamais de vue, celle de la mort, terme de la vie sur terre, heure où il faudra rendre ses comptes, c’est-à-dire restituer à Dieu ce dépôt d'innocence et de foi qu’au baptême il nous confie pour le faire fructifier. Le double dépôt se trouve ici représenté sous la flgui d’une tunique et d’un sceau : c’est parfaitement traditionnel : la tuniqi d’innocence et le sceau de la foi. 2. Pâques est la grande date du baptême chrétien, avec, pour le réaliser la bénédiction des fonts. Une tradition postérieure accorde le même carao tère à la vigile de la Pentecôte. C’est pourquoi Gertrude propose l’une 01 l’autre fête pour rappeler le souvenir de son baptême; plutôt qu’à l’anni versaire même de celui-ci, elle s’arrête à la date liturgique du baptême En choisissant une telle date, elle n’est donc pas guidée par la pâqw annotine, fête qui commémore l’anniversaire de la pâque précédente elle ne pensait pas non plus à l’anniversaire de son propre baptême L’individualisme ne l’emporte pas encore. En parlant du mémorial du baptême, Gertrude a sans doute présent à l’esprit l’Offertoire du vendre I EXERCICE POUR RECOUVRER L’INNOCENCE BAPTISMALE Pour que tu puisses, à la fin de ta vie \ présenter au Sei­ gneur immaculée la tunique de l’innocence baptismale, le sceau de la foi chrétienne intact et inviolé, applique-toi, en des temps déterminés, spécialement à Pâques et à la Pente­ côte2, à célébrer le mémorial du baptême. Ainsi donc, désire renaître en Dieu par la sainteté de la vie nouvelle et retourner à une nouvelle enfance 3, et dis : « Que Dieu aie pitié de moi et me bénisse; qu’il fasse luire son visage sur moi et qu’il aie pitié de moi4. Qu’en toute sincérité et vérité mon cœur 5 le bénisse. Devant la face du Seigneur que s’émeuve la terre de mon cœur0. Qu’en après Pâques : Erit vobis haec dira memorialis et diem celebrabitis... (Er. 12. 14, dans une version antique). 3. Le baptême fait entrer le chrétien dans une vie nouvelle, sainte, la rie même de Dieu; il constitue le chrétien enfant de Dieu. Dans cette perspective, Gertrude parle d’une enfance nouvelle, sans allusion, semblet-il, au thème de l'enfance spirituelle, assez estompé dans la doctrine spirituelle de son temps. Elle envisage le baptême comme un début, une naissance et une enfance dans une vie qui doit se développer jusqu’à cette plénitude vers laquelle conduisent les Exercices suivants. Cf. Jn 3, 3-5. '·. Ps. 66, 2. 5. Dès cette première prière apparaissent quelques thèmes chers à Gertrude : la miséricorde divine, sa bienfaisante bénédiction, la lumière de son visage, et lo cœur de la créature qui bénit et aussi ce besoin de vérité, de sincérité dans les attitudes de l’âme envers Dieu. 6. Ps. 113, 7. 58 GERTRUDE D’HELFTA vetur spiritus meus, ut in terram rectam 1 deducat me spiritus eius bonus. » Deinde legas symbolum fidei scilicet : Credo in deum * orans dominum, ut faciat te perfecte abrenuntiare satanae 15 et conservet te in fide recta, viva et integra, usque in finem vitae tuae. Oratio : Domine deus, pius et verus, creator et redcmptoi meus, qui me signasti sancto lumine vultus tui 1 23, qui mt redemisti charo pretio sanguinis unigeniti tui, et regene­ 20 rasti me in spem vitae per baptismum in virtute spiritus tui 45 : fac me, vero, perfecto et integro corde, efficacité! abrenuntiare satanae et omnibus pompis et operibus eiua et in te deum creatorem meum per lesum Christum filiun tuum, qui est via, veritas et vita f', in spiritus sancti effi 25 cacia 67, fide recta ac fervida, vivis operibus redimita, fide liter credere, tibi adhærere, et usque in finem tecum immo biliter perseverare. Arnen. Pro signaculo fidei tuae, dic : Trinitas sancta, pater et filius et spiritus sanctus 1. Cf. P.«. 142, 10. Un peu plus loin, Gertrude nous fera comprow comment elle entend cette « terre droite », quand elle parlera de < foi droite ». Cette terre de la foi s’oppose à la « terre de son cœur » : c’est toute la distinction entre nature et grâce. 2. La profession de foi, témoignée par le Credo, la renonciation à Satan, réalisée par les exorcismes, préludant au baptême. 3. Cf. Ps. 4, 7. On retrouve ici l’idée du sceau, dans le contexte d’un spiritualité de lumière. 4. Cf. I Pierre 1, 3. 5. Jn 14, 6. 6. L’idée do puissance, d’action efficace est chère à Gertrude. El emploiera mémo le superlatif efficacissimus (VII, 340). L’expression in virtute, qui revient plus souvent, a même signification et même por Les deux termes se trouvent facilement réunis (infra : 41-42). 7. Dès ce premier[£wrace, onj pourrait extraire la doctrine triniti EXERCICE 1,11- 29 59 Γ Esprit de sa bouche soit à nouveau créé et renouvelé mon esprit, et qu’en une terre droite 1 me conduise son Esprit bon. » Ensuite tu liras le Symbole de la foi : a Je crois en Dieu 2 », priant le Seigneur de te faire renoncer parfaitement à Satan, et de te conserver dans une foi droite, vive et intègre, jus­ qu’à la fin de ta vie. Oraison : Seigneur Dieu, miséricordieux et vrai, Créateur et Rédempteur, qui m’as marquée de la lumière sacrée de ton visage a, qui m’as rachetée au précieux prix du sang de ton Fils unique, et m’as régénérée, me donnant l’espoir de la vie, par le baptême, en la vertu de ton Esprit4; fais-moi d’un cœur vrai, parfait et intègre, renoncer efficacement à Satan et à toutes ses vanités, et à toutes ses œuvres. Et en toi, Dieu mon créateur par Jésus-Christ ton Fils qui est la voie, la vérité et la vie 6, sous l’action efficace 6 de l’EspritSaint, d’une foi droite et fervente, couronnée des œuvres de vie, fais-moi fidèlement croire, à toi adhérer, et jusqu’à la fin avec toi immuablement persévérer. Amen. Pour le signe de ta foi, dis : Trinité Sainte, Père, Fils et Saint-Esprit que ta divine de Gertrude. Un peu plus haut (17), elle reconnaît aux trois personnes le rôle de créateur et de rédempteur; puis (23) elle attribue plus préci­ sément la création au Père par le Fils dans J’Esprit. De même (17) elle voit le Père dans ce visage d’où procède la lumière ; le Fils rédempteur se présente comme l'intermédiaire entre Dieu et l'âme; à Γ Esprit appar­ tient la régénération dans les sacrements. A bien lire le texte, il ne semble pas qu’ici (29) elle attribue la toute-puissance au Père, la sagesse au Fils, la bonté à l’Esprit; mais elle le fait très nettement un peu plus loin (110), où la charité remplace la bonté. La suite des Exercices préciserait ces notions trinitaires, assez souples quant à leur utilisation. Dorn P. Doyère remarque pourtant que, dans le Héraut, cette attribution de puissance, sagesse, bonté, respectivement au Père, au Fils, à l’Esprit-Saint, est constante. GO GERTRUDE D’HELFTA 30 tua divina omnipotentia regat et confirmet, tua divina sa­ pientia instruat et illuminet, tua divina bonitas adiuvel et perficiat fidem meam; ut eam immaculatam et integram reconsignem ante faciem tuam in mortis hora, cum omniuiS virtutum multo focnore et usura. Pro exorcizatione, ora dominum, ut in virtute nominis sui faciat te prudenter vincere et intelligere omnes versutia» satanae, ne unquam praevalendo de te, gaudeat inimicus I sed in omni tentatione recedat superatus, et in prima con­ gressione confusus. 40 Oratio : Domine Icsu Christe, pontifex magne, qui in tui pretiosa morte vivificasti me, exsuffla a me, in virtute spiri­ tus tui, ornnes insidias inimici efficacia tuae praesentiae, Disrumpe in me omnes laqueos satanae, et respectu1 miserationis tuae omnem caecitatem cordis longe fac a ma 45 Perfecta charitas tua, Christe, faciat me in omni tentatione viriliter triumphare. Sancta humilitas tua doceat me omne· laqueos inimici prudenter devitare. Luminosa veritas tua deducat me, et faciat me corde perfecto sincere ambulare coram te 1 2. Et benedictio indulgentissimae misericordiae tuae 50 praeveniat, et subsequatur, et custodiat me usque in finem vitae meae. Arnen. 35 His verbis3 signabis te signo sanctae crucis in fronte et in pectore : In nomine patris et filii et spiritus sancti. Λ te, o cruci· 55 fixe amor meus, lesu dulcissime, accipiam signum sanctae crucis tuae, tam in fronte, quam in corde, ut in aeternunl· vivam sub tua protectione. Da mihi vivam fidem coeles- 1. Mol rare quo l’on trouve trois fois dans les Exercice» (ici; IV, 3' V, 242), ot dans le Héraut. 2. C’esl toute la sainteté des Patriarches et le résumé do lour vie. EXERCICE I. 30 · 57 61 toute-puissance gouverne et confirme, que ta divine sagesse instruise et illumine, que ta divine bonté apporte aide et perfection à ma foi, afin que, dans sa pureté et son intégrité, devant ta face à l’heure de ma mort je la puisse restituer enrichie du produit et des intérêts de toutes les vertus. Pour l’exorcisme, prie le Seigneur que par la vertu de son nom, il te fasse avec prudence vaincre et découvrir tous les artifices de Satan, afin que jamais l’ennemi ne se réjouisse de l’avoir emporté sur toi; mais qu’en toute tentation il se retire vaincu et, dès la première rencontre, confondu. Oraison : Seigneur Jésus-Christ, Pontife souverain qui dans ta précieuse mort m’as donné la vie, souffle et chasse loin de moi, dans la puissance de ton Esprit, toutes les embûches de l’ennemi, par l’efficacité de la présence. Brise en moi tous les liens de Satan et, en considération1 de ta miséricorde, chasse tout aveuglement du coeur, loin de moi. Que ton parfait amour, ô Christ, m’assure en toute tentation un mâle triomphe. Que ta sainte humilité m’enseigne à éviter avec prudence tous les pièges de l’ennemi. Que ta lumineuse vérité me conduise et me fasse marcher devant toi dans la sincérité d’un cœur parfait2. Et que la bénédic­ tion de ta miséricorde très indulgente me prévienne et m'accompagne et me garde jusqu’à la fin de ma vie. Amen. Aux paroles suivantes3, signe-toi du signe de la sainte croix, sur le front et sur la poitrine : Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Que de toi, ô mon amour crucifié, très doux Jésus, je reçoive le signe de ta sainte croix, tant sur le front que sur le cœur, afin qu’éternellement je vive sous ta protection. Donne-moi une foi 3. Gertrude glose ici un texte du Rituel : Accipe signum erucis tam in fronte quam in corde, sume fidem coelestium praeceptorum, et talis esto moribus ut templum Dei jam esse possis. Elle y ajoute la pensée de Jésus crucifié et aussi une référence plus précise à l’Esprit-Saint. GERTRUDE D’HELFTA tium praeceptorum, ut dilatato corde curram viam mai datorum tuorum ’. Per te talis sim in moribus, ut effici im 60 rear templum dei, et habitaculum spiritus sancti. Arnen, Hic expostula, ut ipse summus sacerdos dominus Icsi imponat tibi manum 1 2, ut in aeternum habites in adiutori altissimi, et in protectione dei coeli commoreris3. Sub umbra manus tuae, amantissime lesu, protege me 4 65 dextera tua suscipiat me. Aperi mihi ianuam pietatis tua ut imbuta signo sapientiae, caream in veritate omni terrei cupiditate, et ad suavem odorem praeceptorum tuoru laeta tibi in Ecclesia 5 tua sancta deserviam, et de dio in diem, de virtute in virtutem proficiam. Arnen. Ut Dominus det tibi angelum 6 ducem itineris tui : Eia lesu, princeps pacis, magni consilii angele 7, tu ipi semper sis mihi a dextris dux et custos meae peregrina tionis, ne commovear, et errem abs te; et mittere dignai angelum tuum sanctum de coelis8, qui sub tua pia cura so 75 licitus sit de me, et in tuo beneplacito dirigat me, atqi in via tua perfectam ad te ipsum reducat me °. A mei 70 Ad salutandum et suscipiendum angelum : 1. Cf. A«. 118, 32; cf. Regula S. Benedicti : prologue : processu cwi conversationis et fidei, dilatato corde curritur via mandatorum Dei. 2. On notera celte prière au Souverain Prêtre, la dévotion à sa main. E1U n’offre rien de commun avec la prière do Jean de Fécamp, connue sous le nom d'Oraiio sancti Ambrosii (cf. Praeparatio ad missam au Missel S. Pie V). 3. Ps. 90, 1. 4. Cf. 1s. 49. 2. 5. Cf. Ps. 83, 5. 6. Il semble que pour Gertrude l’ange gardien est donné à l’homme au moment du baptême (cf. infra 78). Il n’y a pas unanimité chez les Péri pour déterminer à quel moment l’ange gardien est attribué à l'ami Nous ne voyons pas par quel cheminement Gertrude suit une opinio qui pourrait se rattacher à Origène (cf. DTC I, c. 1216); l’essentiel est EXERCICE I. 58 - 77 63 vive dans les célestes préceptes, afin que, le cœur dilaté, je coure dans la voie de tes commandements l. Que par toi je sois toile dans ma conduite que je mérite de devenir le temple de Dieu et la demeure de l’Esprit-Saint. Amen. Ici, demande avec ferveur que lui-même le Souverain Prêtre, le Seigneur Jésus, impose sur toi sa main 2, afin qu'à jamais tu habiles sous la garde du Très-Haut et que tu de­ meures sous la protection du Dieu du ciel 3 : Sous l’ombre de ta main, très aimant Jésus, protège-moi4; que la droite me reçoive. Ouvre-moi la porte de ta miséri­ corde, afin que marquée du signe pénétrant de la sagesse, je sois en vérité exempte de toute convoitise terrestre, et qu’à la suave odeur de tes préceptes, joyeuse, je te serve dans ton Église 6 sainte et que, de jour en jour, de vertu en vertu, je progresse. Amen. Pour que le Seigneur te donne un Ange 6 comme guide de ta route : Ahl Jésus, Prince de la paix, Ange du grand conseil7, sois toujours A ma droite comme guide et gardien de mon pèlerinage, afin de n’être pas ébranlée et de ne pas errer loin de toi. Daigne envoyer du ciel ton saint Ange8 qui, sous la garde aimante, prenne soin de moi, et me dirige selon ton bon plaisir, et sur ta voie, parfaite, me ramène à toi °. Amen. Pour saluer et recevoir l’Ange : remarquer cette trace, parmi tant d’autres, do l’influenco d’Origène sur la spiritualité médiévale. 7. Cf. h. 9, 6, d’après une version conservée par la liturgie (Introït de la 3· messe de Noël). Gertrude combine les versions en rapprochant princeps pacis et magni consilii angelus. 8. Cf. Or. Exaudi nos... et mittere digneris sanctum angelum tuum de coelis de Γ Aspersion, au dimanche. 9. Cf. Ex. 23, 20 : Ecce ego mittam angelum meum qui praecedat te et custodiat in via et introducat in locum quem paravi. 64 GERTRUDE D’HELETA Salve, angele dei sancte, custos animae et corporis mei, per dulcissimum cor lesu Christi filii dei, pro amore eius 80 que te creavit et me, pro amore eius qui me tibi commen­ davit in baptismate, in curam tuae fidelissimae paterni­ tatis suscipe me : ut adiula a te, immaculato calle trana*· eam huius vitae torrentem \ quousque tecum laeta perveniam ad videndam illam mellifluam 2, quam tn vides, faciem, et 85 illam jucundissimam imperialis divinitatis 3 speciem, quae exsuperat omnis suavitatis dulcedinem. Hic orabis, ut os tuum repleatur sale sapientiae, ut possis gustum fidei in spiritu sancto sapere : Accipiam a te, lesu dulcissime, salem sapientiae4 et 90 spiritum intelligentiae propitiatus in vitam aeternam. Arnen. Oralio : Fac me tui spiritus degustare suavitatem, fac me tuam esurire voluntatem, fac me tuum scire benepla­ citum, ut tibi meum semper sit acceptum servitium. AmèÀ» 95 Signans itaque aures tuas et nares signo sanctae crucis orabis dominum, ut ipse adaperiat aures cordis tui in lege sua 3, et repleat odore notitiae suae e omnia tua inte­ riora 7. Eia lesu pastor mi praecordialissime 8, fac me indignar® t. Cf. Office de sainte Agnès : Ream Agna... immaculato calle transivi, ei ccce venio ad tc quem amavi. 2. Gertrude aime ce mot de « melliflue >, sans doute emprunté à saint Bernard. 3. L’idée de la majesté impériale revient sans cesse chez Gertrnd En pays germanique elle évoque la plus haute puissance, la majes souveraine, meme si la réalité est tout autre à l’époque de Gertrud l’image demeure, alors que l’empire fait l’objet de compétitions où triomp! surtout l’anarchie des féodaux. 4. Gertrude revient au rituel du baptême, après ce salut à l’angé-l gardien. EXERCICE 1, 78-99 65 Salut, saint Ange de Dieu, gardien de mon âme et de mon corps. Par le très doux cœur de Jésus-Christ, Fils de Dieu, pour l’amour de Celui qui nous a créés, toi et moi, pour l’amour de Celui qui, au baptême, m’a confiée à toi, reçoismoi en la garde de ta très fidèle paternité. Puissé-je, aidée par toi, traverser sur une chaussée immaculée le torrent de cette vie1, jusqu’au jour où, avec toi dans la joie, je serai admise à contempler cette face melliflue2 que tu vois, cette exquise beauté de la Divinité impériale3, dont la douceur surpasse toute suavité. Demande ici que ta bouche soit remplie du sel de la sagesse, pour pouvoir goûter dans l’Esprit-Saint la saveur de la foi : Que je reçoive de ta bienveillance, ô très doux Jésus, le sel de la sagesse 4 et l’esprit d’intelligence, pour la vie éter­ nelle. Amen. Oraison : Fais-moi goûter la suavité de ton esprit; donne-moi d’avoir la faim de ta volonté, fais-moi connaître ton bon plaisir, afin que toujours mon service soit agréé de toi. Amen. Signe-toi du signe de la sainte croix sur tes oreilles et les narines, et prie le Seigneur d’ouvrir lui-même les oreilles de ton cœur à sa loi 567, et de remplir du parfum de sa connaissance 6 tout ton intérieur ’. Ah! Jésus, mon Pasteur très cordialement aimé8, fais 5. II Macc. t, 4 : adaperiat e.or vestrum in tegc sua; Regula Benedicti. Prologue : inclina aurem cordis lui. 6. II Cor. 2, 14. 7. Gertrude emploie interiora sans doute à Ia suito do Guillaume de Saixt-Thierry, qu’elle connaît sous le nom de S. Bernard (De contem­ plando Deo, en particulier 3, 2 dans SC 61). 8. Gertrude qui affectionne les superlatifs, les renforce à l’occasion; dans ce sens elle emploie volontiers le préfixe prae,elen particulier quand 1! s'agit du cœur (1, 99; 132; 189; il, 68; V, 526; VU, 57; 364; 734). 66 GERTRUDE D’HELFTA 100 oviculam, tuam dulcissimam vocem semper sequi et agnos­ cere \ et in vivae fidei suavissimo odore currere ad pascua vitae aeternae, quo possim in aeternum vacare et videre, quoniam tu vere suavis es, mi domine a. Accipiens in dexteram tuam vexillum crucis salutiferae, 105 ut hostem possis vincere, dicas : Pone, lesu amantissime, signum sanctae crucis tuae in manurn dexteram meam : ut hoc signo contra onm® insidias inimici armata manu semper incedam, tuo auxilio circumvallata. Arnen. 110 Conclusio : Benedicat me dei patris omnipotentia. Bene­ dicat me filii sapientia. Benedicat me spiritus sancti beni­ gnissima charitas, et custodiat me in vitam aeternam. Arnen. Deinde orabis virgineam matrem, ut ipsa tibi obtineat per­ 115 fectam vitae innovationem, et ipsa venerabilis rosa fiat sic in hac gratia mater et commater tua. ut tu sis ei in moribus vera filia, et ipsa gemma3 pudicitiæ animam tuam involutam pallio suae munditiae, in tuitione sua dul­ cissima, filio suo regi Domino servet absque macula : et 120 faciat nomen tuum annumerari in Israel sorte electissima, 1. Allusion à J η 10, 27 : oves meae vocem meam audiunt. 2. /<«. 33, 9 : et videte quoniam suavis est Dominus; Ps. 45, 11 : vaco et videte quoniam ego sum Deus. 3. On pourrait composer un opuscule sur la piété mariale de Ge trude, dont elle nous donnera un témoignage tout au long des Excreta Elle prend la Mère de Dieu pour marraine et mère, pour modèle cl pr tectrice; sa vie mystique est une vie d’union à -Marie en même teœ] qu’à Jésus. Il est difficile d'on déterminer l’originalité commo d’en rotrouv les sources. Parmi celles-ci on devrait faire une large place à la littératu des proses, car beaucoup de mots l’évoquent; v. g. icirosa, gemma, regii EXERCICE I, 100 - 120 07 que moi, ton indigne petite brebis, toujours je suive et reconnaisse ta très douce voix x, et répandant l’odeur très suave d’une foi vive, que je coure vers les pâturages de la vie éternelle, où je pourrai éternellement goûter le loisir et voir que toi vraiment tu es suave, ô mon Maître a. Prends en ta main droite l’étendard de la croix de notre salut, afin de pouvoir vaincre l’ennerni, et dis : Place, ô très aimant Jésus, le signe de ta sainte croix dans ma main droite, afin que toujours je m’avance la main armée de cette enseigne contre les embûches de l’ennemi, environnée de ta protection comme d’un rempart. Conclusion : Que me bénisse la toute-puissance de Dieu le Père! Me bénisse la sagesse du Fils! Me bénisse la très bénigne charité de l’Espril-Saint et qu’elle me garde pour la vie éternelle. Amen. Tu prieras ensuite la Mère virginale de t’obtenir le parfait renouvellement de ta vie. Elle, la rose vénérable, qu’elle soit tellement, en cette grâce, ta mère et marraine que tu lui sois dans tes mœurs une véritable fille. Elle, la perle 3 do pudeur, qu’elle couvre ton âme du manteau de sa pureté et, sous sa très douce protection, qu’elle la conserve sans tache à son Fils le Seigneur Roi. Qu’elle fasse inscrire ton nom en Israël, héritage élu, afin que ta part soit avec ceux qui dementiae, oliva misericordiae, vitae medicina, etc. La prière Salve Regina (123) sonne comme une séquence. La doctrine mariale de Gertrude méri­ terait d’être étudiée systématiquement. On constaterait combien elle s'intégre dans la doctrine de la Rédemption : c’est pourquoi la dévotion mariale n’est pas un accident, quelque chose d’indépendant, mais bien un élément essentiel dans la vie d’union à Jésus, car Jésus est inséparable do sa Mère. Parce que Gertrude l’a senti profondément, Marie revient sans cesse dans son itinéraire vers le Christ glorieux. 68 GERTRUDE D’HELFTA ut pare tua sit cum iis qui ambulant in cordis innocentia, providentes dominum seniper in omni via sua x. Salve Maria, Regina clementiae, oliva misericordiae, per quam nobis venit vitae medicina, clementiae Regina, virgo 125 mater divini germinis, per quam nobis venit genus superni luminis, germen odoris Israel. Eia, sicut per filium tuum facta es omnium vera mater, quorum ipse unicus tuus non est dedignatus fieri frater : sic nunc pro eius amore me indignam in curam tuae maternitatis suscipe; tu fidem 130 meam adiuva, conserva et instrue, et sic nunc fias meae innovationis et fidei coramater, ut in aeternum sis rnea singularis et praecordialissima mater, pie semper pro me curando in hac vita, et in tuam plenam maternitateni suscipiendo in mortis hora. Arnen. Pro impositione nominis : Nomen meum, lesu dulcissime, mellifluo nomini tuo subs cribe in libro vitae. Dic animae meae : Mea es tu, ego salui tua recognovi te : iam non vocaberis ultra derelicta, sed vocaberis voluntas mea in ea 1 2, ut portio mea sit tecum in 140 perpetuum in terra viventium 3. 135 Pro immersione fontis : In nomine patris et filii et spiritus sancti. Eia lesu fo vitae, ex teipso fac me bibere poculum aquae vivae, ut gustato te, in aeternum nihil sitiam praeter te d. Immerge 145 me totam in profundum tuae misericordiae. Baptiza me in 1. Cf. Ps. 15, 5 : Dominus pars haercditalis meae... 15, 8 : Prooideba Dominum in conspectu meo semper. 2. Is. 62, 4. 3. Ps. 141, 6. •i. Gertrude utilise assez librement le thème johunnique de l’eau cf. Jn 4, 10 {épisode de la Samaritaine); 7, 37 (fleuves d’eau vive); Jn 5, 6 EXERCICE I, 121 -145 G9 marchent dans l’innocence du cœur et se proposent tou­ jours le Seigneur comme but en toutes leurs voies x. Salut, Marie, Reine de clémence, olivier de miséricorde, toi par qui nous est venu le remède de vie; Reine de clé­ mence, Vierge et Mère du divin rejeton, toi par qui nous est venu le Fils de l’éternelle lumière, l’odorant rejeton d’Israël. Ah! puisque, par ton Fils, tu es devenue la véritable mère de tous les hommes dont lui, ton unique, n’a pas dédaigné devenir le frère; ainsi maintenant, pour son amour, reçoismoi, malgré mon indignité, en ton amour de mère : toi, aide ma foi, conserve-la et forti fie-la. Et ainsi maintenant, sois pour moi la marraine de mon renouvellement et de ma foi, afin d’être pour l’éternité mon unique et très aimante mère toujours affectueuse; accorde-moi tes soins en cette vie, et reçois-moi à la plénitude de ta maternité à l’heure de ma mort. Amen. Pour l’imposition du nom : Inscris mon nom, très doux Jésus, au-dessous de ton nom melliflue, dans le livre de vie. Dis à mon âme : Tu es mienne; moi, ton salut, je t’ai reconnue; tu ne t’appelleras plus désormais « l’Abandonnéo », mais tu t’appelleras « Mon amour est en elle 2 », afin que ma part soit avec toi pour toujours dans la terre des vivants 3. Pour l’immersion dans la fontaine : Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Ah! Jésus, fontaine de vie, à ta source même fais-moi boire la coupe d’eau vive, afin que t’ayant goûté éternellement je n’aie plus d’autre soif que toi4! Immerge-moi tout entière au plus profond de ta miséricorde. Baptise-moi et rends-moi sans (l'eau et le sang); 19. 34 (l’eau du cdt4). Un pou plus loin (151) elle utili­ sera I Jn 2, 27. 70 GERTRUDE D’HELFTA immaculatione pretiosae mortis tuae. Rénova me in sanguine tuo, quo redemisti me. In aqua sanctissimi lateris tui ablue omnem maculam, qua unquam maculavi baptismalem innocentiam. Reple me spiritu tuo, et totam posside 150 in puritate corporis et animae. Arnen. Pro chrismate ora Dominum, ut unctio sui spiritus doceat te de omnibus : Pater sancte, qui per filium tuum dominum nostrum lesum Christum me regenerasti ex aqua et spiritu sancto : 155 da mihi hodie plenam omnium peccatorum meorum remis­ sionem, et dignare me linire chrismate spiritus tui in vitam aeternam. Arnen. Pax tua mecum in aeternum *. Arnen. Hic facias signum sanctae crucis in pectore et in humeris, dicens : 160 Fac me, amore amoris tui12, praeceptorum tuorum iugunfl suave et onus leve3 semper in humeris meis portare, et sacramentum fidei sacrae tamquam fasciculum myrrhae4 in pectore meo in perpetuum gestare, ut tu pro me cruci­ fixus maneas, cordi meo semper infixus. Amen. Pro candida veste, dicas : Eia lesu. sol iustitiae, fac me te induere, ut secundum te possim vivere; fac me te duce vestem baptismatis inno­ centiae, candidam, sanctam et immaculatam servare, et illaesam ante tribunal tuum praesentare, ut habeam eam 170 in vitam aeternam 5. Amen. 165 1. Gertrude suit d’assez près lo Rituel du baptême : Deus Omnipotens, Pater Dmni N. Jesu Christi qui te regeneravit ex aqua et Spiritu Sancto quique dedit tibi remissionem omnium peccatorum, ipse te liniat chrismate salutis in eodem Christo Jesu Dnn Nostro in vitam aeternam. A men.Pax tecum. Il u*on est que plus intéressant de constater comment ollo insiste sur le rôle du Christ et de l’Esprit-Saint. EXERCICE 1, 146-170 71 tache dans ta précieuse mort. Renouvelle-moi dans ton sang, par lequel tu m’as rachetée. Dans l’eau de ton très saint côté lave toutes les taches dont j’ai pu souiller l’inno­ cence baptismale. Remplis-moi de ton Esprit et possèdemoi tout entière, en pureté de corps et d’âme. Amen. Pour l’onction du chrême, prie le Seigneur, afin que Fonction de son Esprit t’enseigne toute chose : Père Saint, qui, par ton Fils, Notre Seigneur Jésus-Christ, m’as régénérée de l’eau et de l’Esprit-Saint, accorde-moi aujourd’hui la pleine rémission do tous mes péchés, et daigne m’oindre du chrême de ton Esprit pour la vie éter­ nelle. Ta paix soit avec moi éternellementx. Amen. Ici, fais le signe de la sainte croix sur la poitrine et sur les épaules, et dis : Fais-moi, par amour de ton amour2, porter toujours sur mes épaules le joug suave et le fardeau léger de tes pré­ ceptes3, et conserver à jamais sur ma poitrine, en guise de bouquet de myrrhe45*, la marque de la sainte foi. Ainsi, toi, tu demeureras crucifié pour moi et toujours cloué à mon cœur. Amen. Pour la robe blanche, dis : Ahl Jésus, soleil de justice, fais que je me revête de toimême, afin de pouvoir vivre selon toi. Fais que, sous ta conduite, je conserve blanche, sainte et immaculée la robe de l'innocence baptismale, et que je la présente sans tache devant ton tribunal, afin de l’avoir pour la vie éternelle8. Amen. 2. Expression familière à Guillaume de Saint-Thierry. 3. Mauh. 11, 30. 4. Cant. 1, 12. 5. Cf. Rom. 13, 14 : induimini Dominum Jexum Christum : tonte la tra­ dition conservo cette idée; Gertrude y ajoute un souhait do persévérance finale, comme au début de l’exorcisme. 72 GERTRUDE D’HELFTA Ad accipiendum lumen orabis pro illuminatione interiori : Eia, lesu, lumen inexlinguibile, charitatis tuae lampada® ardentem in me inextinguibiliter accende, et doce me bap­ tismum meum irreprehensibiliter custodire : ut cum vocata 175 ad tuas venero nuptias, parata ingredi merear aeternae vitae delicias, visura te verum lumen, el tuae divinitatis mellifluam faciem x. Arnen. Pro susceptione communionis vivifici corporis et sangui­ nis agni immaculati lesu Christi1 2 : 180 Corpus tuum venerabile, et sanguis tuus pretiosus, Domine mi lesu Christe, corpus et animam meam custodiat in vitam aeternam. Arnen. Pax tua mecum. In te, o lesu pax vera, in aeternum habeam pacem super pacem, ut per te ad illam per­ veniam pacem, quae exsuperat omnem sensum, ubi te in te 185 laeta videam in aeternum. Arnen. In illa communione desidera, ut tota vita tua absconda­ tur cum Christo in Deo, et in mortis hora plene invenia­ ris consummata. O animae meae hospes dulcissime 3, lesu mi praecordia190 lissime, tua suavis incorporatio4 sit mihi hodie omnium peccatorum meorum remissio, et omnium negligentiarura. 1. Gertrude glose encore le Rituel dont la formule est Accipe lampadem, et irreprehensibilis custodi baptismum tuum : serva Dei mandata, ut cum Dominus venerit ad nuptias possis occurrere ei una cum omnibus sanctis in aula coelesti ct vivere in saecula saeculorum. 2. Il y a peut-être ici une allusion à un rite ancien de communion sous les deux espèces, suivi du baiser do paix. Le sacrement réalise déjà,, ct prépare dans sa perfection, l'union à Dieu, présentée dans les pers­ pectives pauliniennes do la paix (Phil. 4, 7) et de l’absorption en Dieu (Col. 3, 3), l’une et l'autre no devant trouver leur plénitude que dans l’au-delà, dans la vision béatiflque où il n’y a plus que Dieu, à la fois source et terme de la connaissance. Le te in le vidcam traduit cette dernière notion, faisant écho au in lumine luo videbimus lumen (Ps. 35, 10}. 3. La liturgie applique à l’Esprit-Saint (v. g. Prose l'eni sancte Spiri· EXERCICE I, 171- 191 73 En recevant le cierge, tu demanderas l’illumination inté­ rieure : Ah! Jésus, lumière qui ne s’éteint jamais, allume en moi, sans qu’elle puisse s’éteindre, la lampe ardente de ta charité, et enseigne-moi à garder mon baptême de façon irrépro­ chable afin que, appelée à venir à tes noces, toute prête, je mérite d’entrer dans les délices de l’éternelle vie, pour te voir, toi, vraie lumière, et la face melliflue de ta divinité x. Amen. Pour la réception de la communion au corps et au sang vivifiant de l’Agneau immaculé Jésus-Christ2 : Que ton corps vénérable et ton sang précieux, mon Seigneur Jésus-Christ, gardent mon corps et mon âme pour la vie éternelle. Amen. Que ta paix soit avec moi. En toi, ô Jésus, paix véritable, à jamais que je reçoive paix sur paix, afin que par toi je parvienne à cette paix qui sur­ passe tout sentiment; où joyeuse, je te verrai en toi, pour l’éternité. Amen. Dans cette communion, désire que toute ta vie soit cachée avec le Christ en Dieu, et que l’heure de ta mort te trouve pleinement consommée en lui : O très doux hôte de mon âme 3, mon Jésus très cordiale­ ment aimé, que ta suave réception 4 soit pour moi aujour­ d’hui de tous mes péchés la rémission, de toutes mes négli- tus) l’expression : « dulcis hospes animae ». Gertrude la transpose sur la personne de Jésus, donnant ici un exemple d’un procédé courant chez elle. Gertrude emploie, ou forge, le mot incorporatio. Plutôt que l’in­ carnation, d'après lo contexte, il indique la venue de Jésus dans le corps de Gertrude par la communion. Il en résulte une unité do leurs doux ôtros qui réalisera, entre autres bienfaits, la suppletio par laquelle Jésus se substitue à Gertrude en toutes ses défaillances, ou ses déficiences. Ger­ trude reviendra plus longuement sur cette idée do « supplétion ». 74 195 200 205 210 GERTRUDE D’HELFTA mearum suppletio, atque totius deperditae vitae meae recu­ peratio. Sit mihi aeterna salvatio, animae et corporis repa­ ratio, amoris inflammatio, virtutis instauratio et vitae meae in te sempiterna conclusio. Sit mihi spiritus libertas, vitae sanitas, morum honestas. Sit mihi scutum patientiae, humilitatis insigne, baculus confi­ dentiae, solamen tristitiae, iuvamen perseverantiae. Sit mihi armatura fidei\ robur spei, charitatis perfectio, manda­ torum tuorum adimpletio, spiritus innovatio, in veri­ tate sanctificatio1 2 et totius religionis3 consummatio. Sit mihi origo virtutum, finis vitiorum, totius boni incre­ mentum, et tui amoris perenne testamentum, ut in hacperegrinatione 4 solo corpore constituta, cogitatione avida, ibi mea semper versetur memoria, ubi tu es pars mea optima, ut in termino vitae meae, abiecto corporis huius? amarissimo cortice, perveniam ad illam dulcissimam nucem, ubi in glorificatae humanitatis tuae novo sidere, videam tuae praestantissimae divinitatis praeclarissiman lucem, ubi tuae mellifluae faciei pulcherrima rosa me reficiat specie sna imperiosa, ubi exuta huius vitae molestiis, in aeternum laetabunda epuler, et exsultem in tuae charitatis divitiis, sicut sponsa gaudet sui regis in deliciis. Amen. 1. L’expression armatura fidei so retrouve dans la prière attribuée à saint Thomas d'Aquin (missel romain) : Gratias tibi ago. Tout lo passage offre une grando similitudo avec cette prière, sans que l’on puisse affirmer une dépendance. Ce serait ici l'occasion do poser lo problème de la dif­ fusion éventuelle, jusqu’en Saxe, des écrits do Joan de Fécainp; nous y reviendrons plus loin. 2. Cf. Jn 17, 17 : sanctifica eos in veritate. 3. Lo sens de « religion » n'est pas évident. On penserait d’abord à la dévotion, la piété; mais l’Exercicc sur lo baptême invite à y voir le lien de l'âmo à Dieu, peut-être mémo plus précisément la vio monastique, comme lo suggère l’ensomblo dos Exercices, ordonnés justement à par­ faire en l’dmo consacrée son union à Dieu. 4. A la suite des Pères, les auteurs médiévaux font de la peregrinatio un thème essentiel de leur spiritualité. Par ce mot ils désignent le lieu de EXERCICE I. 192-213 75 gences la réparation, et do tonte ma vie perdue le recou­ vrement. Qu’elle soit pour moi éternel salut, guérison de J’àme et du corps, embrasement de l’amour, renouvellement de vertu et inclusion de ma vie en toi pour l’éternité. Qu’elle opère en moi la liberté de l’esprit, la santé de la vie, la dignité des mœurs; qu’elle soit pour moi le bouclier de la patience, l’enseigne de l’humilité, l’appui de la confiance, la consolation dans la tristesse, le secours pour la persévérance. Qu’elle soit pour moi l’armure de la foi \ la fermeté de l’espérance, la perfection de la charité, l'accom­ plissement de tes commandements, le renouvellement de l’esprit, la sanctification dans la vérité 2 et la consommation de toute la religion 3. Qu’elle soit pour moi la source des vertus, la fin des vices, 1’accroissement de tout bien, et le témoignage éternel de ton amour, afin que, demeurant par le corps seul en cette terre étrangère «, mais avide de toute ma pensée, toujours ma mémoire se fixe là où tu es, mon précieux héritage. Ainsi, au terme de ma vie, rejetant l’écorce très amère de ce corps, que je parvienne à cette très douce amande où, dans le nouvel éclat de ton humanité glorifiée, je contemplerai la lumière étincelante de ta sublime divinité. Là, la rose très belle de ton visage melliflue me rassasiera de son irré­ sistible beauté; là, affranchie des misères de cette vie, toute joyeuse je prendrai place pour l’éternité à ton festin, et je tressaillirai au sein des richesses de ton amour, comme l’épouse se réjouit dans les délices de son roi. Amen. l’âme séparée de Dieu par le péché, étrangère au royaume des cieux, ou tout ou moins éloignée encore de l’union parfaite par les suites du péché. On en vient au sens de marche, do retour vers la patrie : le Bas Moyen Age ainsi s’attachera à l’idée de pèlerinage. Gertrude annonce cette nou­ velle idée en distinguant lo corps do l’âme : le premier reste en exil, tandis que la seconde touche au but grâce à sa ressemblance avec Dieu (que suggère ici le terme auguslinien de « mémoire ·) et à son élan. 76 GERTRUDE D’HELFTA Pro confirmatione : 215 0 rex victoriosissime, lesu sacerdos altissime, tu confirma me tua omnipotenti virtute, gladio spiritus accingens me potentissime \ ut mille fraudes satanae semper vincent vincam in te. 220 225 230 235 Conclusio : Domino Deus, qui ita meus es conditor, ut etiam sis reformator : eia Spiritum tuum sanctum innova hodie in visceribus meis, et adscribe me populo adoptionis tamquam sobolem novae prolis; ut cum filiis promissionis me gaudeam accepisse per gratiam, quod non habeo per naturam. Fac me fide grandem, spe gaudentem, in tribulatione patientem, in tua laude delectantem, spiritu ferventem^ tibi domino deo vero regi meo fideliter servientem, et usque in finem vitae meae tecurn vigilanter perseverantem; ut hoc quod nunc credo in spe, tunc oculis meis laeta videam in re; videam te sicuti es. videam te facie ad faciem1. Ibi me, lesu chare, de teipso saties1 23, ibi in fruitione tui melliflui vultus sit mihi perpetua requies. Amen. Am en. Arnen. Deus fidelis, amen4* verum, qui non deficit, faciat me ferventer sitire amen charum, quo ipse afficit6; suaviter gustare amen dulce, quo ipse reficit; feliciter consumma» 1. Gertrude combine deux textes : Êphis. 6, 17 : gladium spiritus; et Ps. 44, 4 : accinge gladio tuo... potentissime. 2. I Cor. 13, 12. 3. Lanspergius donne la leçon saties qui s’accorde au contexte. Lee autres éditeurs écrivent généralement faciès, faute évidente, mais facile. 4. La répétition des Amen indique une dévotion particulière à ce mot. Elle semble propre à Gertrude qui nous en montre ici le fondement. L’/lmen est équivalent du Fiat, et Jésus peut-être dit « Amen » à un double titre, en tant que consentement à la volonté du Père, et en tant que fin de la créature. L’Apocalypse a sans doute fourni un modèle, par ses doxo- EXERCICE 1. 214 -23G 77 Pour la confirmation : O Roi toujours victorieux, J ésus prêtre souverain, confirmemoi par ta vertu toute-puissante, me ceignant du glaive de l'Esprit, ô très puissant\ afin que triomphant toujours des mille embûches de Satan, je triomphe en toi. Conclusion : Seigneur Dieu qui es si bien mon Créateur, que tu es aussi mon Réparateur, ahl renouvelle aujourd’hui ton Esprit-Saint en mon cœur. Inscris-moi parmi ton peuple d’adoption comme enfant d’une nouvelle race, afin qu’avec les fils de la promesse, je me réjouisse d’avoir reçu par grâce ce que je n’ai pas par nature. Fais-moi grande par la foi, joyeuse par l’espérance, patiente dans la tribulation, prenant mes délices à ta louange, remplie de la ferveur de l’Esprit, fidèlement attachée à ton service, Seigneur Dieu, mon vrai Roi, et jusqu’au dernier jour de ma vie, persévérant avec toi dans la vigilance; ainsi, ce que maintenant je crois et espère, alors mes yeux le contempleront dans la réalité; je te verrai tel que tu es, je te verrai face à face *. Là, cher Jésus, tu me rassasieras 3 de toi-même; là, dans la jouissance de ton visage melliflue, tu seras mon perpétuel repos. Amen. Amen. Amen. Puisse le Dieu fidèle, le vrai Amen 4, qui jamais ne fait défaut, me faire sentir la soif ardente du cher Amen par quoi lui-même fait impression5, le goût suave du doux Amen par quoi lui-même refait, la consommation bienheu- logies scandées à'Amen ; peut-être l’office de ΓAlleluia a-t-il suggéré cette personnification de VAmen. 5. Guillaume de Saint-Thierry utilise beaucoup le verbo afficere, par lequel il indique l’action de Dieu sur l’âme. Le rapprochement, dans ce passage, des mots deficit, sitire, afficit, gustare, reficit, consummari, perficit, etc., laisse penser, avec d’autres passages, que Gertrude a lu le De contem­ plando Deo connu par elle sous le titre de De amore et le patronnage de saint Bernard : les idées contenues dans ce paragraphe se retrouvent dans le traité de Guillaume. 78 GERTRUDE D’HELFTA illo amen salutari, quo ipse perficit; ut in perpetuum effica­ citer merear experiri amen aeternum et praesuavc, quo me credo visuram post hoc exilium ipsum verum amen, lesum 240 dei filium, qui solus amanti sufficit, et una cum patre et sancto spiritu omnia bona tribuit, nec despicit quod condidit. Amen. Amen. Amen. Cum hac oratione committe domino fidem tuam et innocentiam baptismalem 1 : lesu mi dulcissime, tu serva mihi in conclavi benignissimi 245 cordis tui immaculationem baptismalis innocentiae, et chirographum fidei meae 12, ut sub tua fideli custodia, ea tibi illaesa repraesentem in mortis hora. Eia et sigillum cordis tui cordi meo imprime, ut secundum te possim 250 vivere, et post hoc exilium lacta sine impedimento ad te pervenire. Amen. 1. Pour flnir Gertrude revient aux idées exprimées au début de cet Exercice. Elle insiste sur le rôle du cœur de Jésus, développant le corde meo semper infixus (supra 164); la suite des Exercices amplifiera le thème. 2. En parlant de chirographo du baptême, Gertrude transpose une notion propre à la profession monastique, à moins qu’elle n’ait connu S. Jean Chrysostoms (Catéchèse baptismale II, 17, 21-22; PC 61; SC 50, p. 143, 145) qui présente le baptême comme un contrat avec le Christ, contrat certifié par le sceau du Christ, d’après Clément d’Alexandrie (PG 9, 648). EXERCICE I, 237 - 251 79 reuse dans cet Amen salutaire par quoi lui-même parfait : ainsi je mériterai de goûter effectivement à jamais l’Amen éternel et délicieux qui me procurera, j’en ai la confiance, après cet exil, la vue de cet Amen véritable, Jésus, Fils de Dieu, qui seul suffit à celui qui aime et qui, avec le Père et le Saint-Esprit, accorde tous les biens et ne méprise pas ce qu’il a créé. Amen. Amen. Amen. Par cette oraison, mets sous la garde du Seigneur ta foi et ton innocence baptismale 1 : Mon très doux Jésus, conserve dans le sanctuaire intime de ton cœur si bon, la pureté de mon innocence baptis­ male et la charte de ma foi 2, afin que sous ta garde fidèle, je puisse te les représenter, intactes, à l’heure de ma mort. De grâce, imprime en mon cœur le sceau de ton cœur, afin que je puisse vivre selon toi et, après cet exil, dans l’allé­ gresse parvenir sans obstacle jusqu’à toi. Amen. II EXERCITIUM CONVERSIONIS SPIRITUALIS Quoties renovato bono proposito memoriam primat conversionis tuae ’, qua mundo abrenuntiasti, celebrare, et cor tuum cum omnibus viribus suis ad deum convertere volueris : utere hoc exercitio, orans deum, ut te sibi in 5 amoris12 omniumque virtutum aedificet monasterium3. Eia lesu, cordis mei dilectissime, quum constet nullun spiritualem fructum posse coalescere, nisi tui spiritui perfundatur rore, nisi tui amoris foveatur vigore : utinatt igitur ita miserearis mei, ut inter amoris tui brachia me 10 recipias, moque totam tuo spiritu calefacias. En corpus et animam meam : haec tibi trado, ut possideas. Dilecte mi, dilecte mi, infunde mihi tuam benedictionem. Aperi mihi, et introduc mc in suavitatis tuae plenitudinem4. 1. Paquelin ajoute : · In dic anniversaria susceptionis sacri habitus » Il sera en effet question do vétiire au cours de ΓExercice, mais aussi d’une consécration do la virginité. Au fond, ce que Gertrude envisage ici, c’est essentiellement la « conversion », « Pacte par lequel l’âme se détermine à renoncer à la vie ordinaire pour so donner à Dieu dans le cloître. Les grâces qui déterminent co premier pas sont si grandes qu’elles méritent un souvenir spécial dans tout le cours do la vie » (Dom Guéranger). 2. Toute une littérature, au xn* siècle, décrit le cloître de Pâmo. Le plus souvent les auteurs décrivent le monastère proprement dit, inter­ prétant chacun de scs lieux réguliers en fonction de son utilité pour l’âme. Parfois, ce que fait Gertrude, ils envisagent l’âme elle-même II EXERCICE DE LA CONVERSION SPIRITUELLE Quand, renouvelant ton bon propos, tu voudras célébrer la mémoire de la première conversion 1, par laquelle tu as renoncé au inonde, et tourner ton cœur avec toutes ses énergies vers Dieu, utilise le présent exercice, priant Dieu de te façonner pour lui comme un monastère d’amour2 et de toutes les vertus3. Ah! Jésus, de mon cœur le bien-aimé, il est constant qu’aucun fruit spirituel ne peut se nouer s’il n’est trempé de la rosée de ton Esprit, et si la vigueur de ton amour ne le nourrit. Qu’il te plaise donc avoir si bien pitié de moi, que tu me reçoives dans les bras de ton amour et me réchauffes tout entière par ton Esprit. Vois mon corps et mon âme : je te les livre, pour que tu les possèdes. Mon bien-aimé, mon bien-aimé, répands sur moi ta béné­ diction. Ouvre-moi et introduis-moi dans la plénitude de ta suavité4. C’est en effet de coeur et d’âme que je te désire et comme un cloître, non do pierre, mais d’amour, au milieu duquel réside Jésus. Ailleurs, Gertrude développe lo thème (Λ, III, 28) en considérant Jésus comme un monastère loin du monde (cf. ici : II, 25 et 37). 3. Ici Lanspergius transcrit quelques lignes en allemand (cf. appendice), qui sont ensuite traduites en latin. ·». On reconnaîtra dans ce paragraphe les allusions au Cantique des Cantiques {1, 3; 5, 2; 2, 1). Cette dernière référence se combine avec Eeel. 50, 8. 82 GERTRUDE D’HELFTA Ex corde cnim et ex animo desidero te; oroque te, ut tu 15 solus possideas me. Eia, ego tua et tu meus; fac ut novo semper fervore spiritus in amore tuo vivido crescam, tuaque gratia, quomodo lilia convallium juxta fluenta aquarum, effloream. Hic ora virginem matrem, ut ipsa roget pro te1 : 20 Eia candidum lilium, post deum spes mea maxima, o Maria dulcissima, loquere pro me bona coram tuo dilecto filio, fac verbum pro me efficaciter. Age causam meam fide­ liter. Vota mea impetra misericorditer; quoniam tibi confido, post Christum spes unica. Te benignam mihi matrem com­ 25 monstra. Fac ut in claustrum amoris, ut in scholam12 spiritus sancti suscipiar a domino, quia tu prae omnibus praevales id obtinere a tuo dilecto filio. Fidelis mater, provide tuae filiae, ut amoris semper viventis efficiar fructus, et in omni sanctitate crescam, perseveremque rigata coeli30 tus. Hic invoca gratiam spiritus sancti, ut faciat te proficere in religione : Veni sancte spiritus, veni o amor deus, reple cor meum, heu l omni bono vacuum. Accende me ad amandum te. 35 Illumina me ad cognoscendum tc. Attrahe me ad delectan­ dum in te. Affice 3 me ad perfruendum te. 1. A partir du XVIIe siècle les éditions portent ut ipsa dignetur rogare pro te. Celte ligne est suivie chez Lanspergius, d’un passage en allemand, correspondant au texte latin : Eia candidum... 2. Gertrude reprend les idées exprimées durant les dix premières lignes : par Notre Dame elle deviendra ce cloître d’amour où réside Γ Esprit» Saint. Elle transpose sans doute le Prologue de la Règle bénédictine où le monastère est présenté comme la dominici schola servitii, le terrain d’exercice où l’on sert le Seigneur. Nous traduisons schola par école EXERCICE II, 14-36 83 que je te prie de me posséder, toi seul. Ah! je suis tienne et toi mien! fais qu’avec une ferveur d’esprit toujours nouvelle, je croisse dans ton vivant amour et que, par ta grâce, comme les lis des vallons au bord des eaux courantes, je fleurisse. Ici prie la Vierge Mère d’intercéder elle-même pour toi1: Ah I blanc lis, après Dieu ma plus grande espérance, ô très douce Vierge Marie ! dans ta bonté, parle en ma faveur devant ton cher Fils; dis pour moi une parole efficace. Plaide ma cause avec dévouement; dans ta miséricorde obtiens-moi l’objet de mes vœux; car je me confie en toi qui es, après le Christ, mon unique espérance ! Montre-toi envers moi une mère pleine de bonté; fais que je sois reçue par le Seigneur dans le cloître de l’amour, dans l’école2 de l’EspritSaint. Car toi plus que tout autre, tu peux l’obtenir de ton Fils chéri. Mère fidèle, veille sur ta fille, afin que je devienne le fruit d’un amour toujours vivant et que je croisse en toute sainteté, et persévère sous la rosée du ciel. Implore ici la grâce de l’Esprit-Saint, pour qu’il te fasse progresser dans la religion : Viens, Esprit-Saint, viens, ô Dieu qui es amour! Remplis mon cœur qui est, hélas! vide de tout bien. Enflamme-moi, afin que je t’aime; éclaire-moi, afin que je te connaisse; attire-moi, afin que je trouve en toi mes délices; possèdemoi 3 afin que je jouisse de toi. (cf. infra 54), mais il s'agit avant tout d’un local, non d’une méthode d’enseignement. 3. Possède-moi : affice. Guillaume do Saint-Thierry emploie les mots afficere, affectus, pour marquer l’action de l’Espril-Saint sur l'âme afin de la rendre capable d'aimer Dieu, donc do jouir de son union avec lui. Comme pour Gertrude, il y voit lo terme d’une progression, marquée ici par les verbes accende, illumina, attrahe, auxquels correspondent amandum, agnoscendum, delectandum, perfruendum. 84 GERTRUDE D’HELFTA Hic exi de mundo, et de omni quod non est dulcis lesus, amor tuus x. Quis dabit mihi, amantissime lesu, pennas sicut colum­ 2, et volabo in desiderio, cupiens requiescere in te? 40 bae1 Hic abscondere in Christo lesu : Eia, eia lesu clare, per amorem in quo Deus homo factus, venisti quod perierat quaerere et salvum facere3, in me nunc, o mi dilecte, ingredere, et introduc me vicissim in 45 te. In petra firmissima paternae defensionis tuae absconde me 4. In caverna benignissimi cordis tui reconde me ab omni quod tu non est ®, o omnium charorum charissime : et da mihi sortem in populo Israel, ut pars mea tecum sit inter filias Jerusalem. Amen. Hic prosternere ad pedes lesu : Benedic mihi, lesu amantissime, benedic mihi, et miserere mihi secundum pietatem benignissimi cordis tui. Eia ut anima mea nihil scire eligat praeter te, et sub disciplina gratiae tuae, unctione magistrae, in schola amoris tui 55 proficiam bene, vehementer, valde. 50 Ad induendum habitum spiritualem : Eia pater sancte, in amore quo lumine vultus tui signasti 1. Sortir du monde, se cacher dans le cloître : c’est l’instant décisif de le conversion. Ici Gertrude assimile Jésus, plus précisément son cœur, au cloître lui-même. Comme à propos de l’Esprit-Saint. un jeu perpétuel d’échanges fait du cloître l’image tantôt de Gertrude, tantôt de Dieu. 2. Ps. 54, 7. 3. Le 19, 10. 4. Cf. Cant. 2,14 : columba mea in foraminibuspetraejn caverna maceriae· EXERCICE II, 37-57 85 Ici, sors du monde et, de tout ce qui n’est pas le doux Jésus, ton amour1 : Qui me donnera, très aimant· Jésus, des ailes comme à la colombe 2, et je volerai dans l’ardeur de mon désir, avide de reposer en toi. Ici, cache-toi dans le Christ-Jésus : Ah! de grâce, beau Jésus, par cet amour en vertu duquel, Dieu fait homme, tu es venu chercher ce qui avait péri et le sauver 3, entre maintenant en moi, ô mon bien-aimé, et fais-moi «à mon tour pénétrer en toi. Dans le rocher inébran­ lable de ta paternelle protection, cache-moi 4. Dans la caverne de ton cœur si bienveillant, enfouis-moi, loin de tout ce qui n’est pas toi 56, ô le plus cher de tous les êtres chers. Et attribue-moi une place dans le peuple d’Israël, afin que mon partage soit d’être avec toi parmi les filles de Jérusa­ lem. Amen. Ici prosterne-toi aux pieds de Jésus : Bénis-moi, Jésus très aimant! Bénis-moi et fais-moi miséri­ corde selon la tendresse do ton cœur si bienveillant. Ah! que mon âme choisisse de ne rien savoir en dehors de toi, et que sous la discipline de ta grâce, instruite par ton onction e, dans l’école de ton amour mes progrès soient grands, rapides, intenses. Pour revêtir l’habit spirituel : Ah! Père saint! en cet amour par lequel tu m’as marquée 5. Nous croyons pouvoir corriger les autres éditions qui portent : quod tu non es. 6. Il s’agit do l'onction reçue au baptême, c’est-à-dire lo Saint-Esprit : unctio ejus docet vos de omnibus (I Jn 2, 27). 86 me *, da mihi in omni sanctitate et virtute proficere in te. Christe lesu, in amore quo sanguine proprio redemisti me, 60 innocentissimae vitae tuae puritate indue me. Omnipotens sancte paraclite1 2, in amore, quo nomine spirituali tibi assignasti me, da mihi toto corde amare te, tota anima tibi adhaerere, omnes vires meas in tuo amore et servitio expen­ dere, secundum cor tuum vivere, et in mortis hora, te prae­ 65 parante, sine macula tuas nuptias introire. Ora virginem matrem, ut ipsa sit ductrix tua in religione, aut alio statu tuo 3. 0 Maria, mater dei et mea praecordialis, tu indue me vel­ lere agni lesu substantialis, ut per te me suscipiat, nutriat, 70 possideat, regat et perficiat amor principalis 4. Amen. Hic offer votum castitatis sponso tuo coelesti. Eia lesu dulcissime, te solum praeclegi animae meae fidum amatorem, vitae meae comitem meliorem. Propter te animi patior languorem. Tibi cordis mei offero amorem, te 75 eligens in socium et ductorem. Corpus meum et animam tibi offero ad serviendum, quia ego tua propria sum, et tu proprie meus. 1. Cf. Ps. 4, 7 : signatum est super nos lumen vultus lui. Dans ces trois invocations, Gertrude fait rapidement allusion au symbolisme de l’habit religieux : le recevoir est vêtir à la fois la lumière de Dieu et le sang du Christ. Le nom spirituel dont il est ici parlé, est peut-être le nom du baptême : nous ne pensons pas que la pratique du « nom de religion > ait existé au xiv® siècle. Ce nom spirituel pourrait aussi bien être celui d'enfant do Dieu, finalement le nom de Dieu (Apoc. 2, 17; 3, 12). Nous avons d’ailleurs une citation implicite de l’Apocalypse (5, 9) : redemisti nos Deo in sanguine tuo. ®1 2. Après deux Oraisons, l’uno adressée au Père, l’autre au Christ, on en attend une troisième au Saint-Esprit. De fait, Gertrude s’adresse au Paraclet, parle d’amour et d’esprit; en réalité, elle pense encore au Christ, comme l’indique la fin do l'Oraison, avec la mention du cœur et EXERCICE Π, 58 ■ 77 87 de la lumière de ton visage *, donne-moi de progresser en toi en toute sainteté et vertu. Christ-Jésus, en cet amour par lequel tu m'as rachetée de ton propre sang, revêts-moi de la pureté de ta vie très inno­ cente. Tout-puissant et saint Paraclet2, en cet amour par lequel tu m’as marquée pour toi, me donnant un nom spiri­ tuel, donne-moi de t’aimer de tout mon cœur, d’adhérer à toi de toute mon âme, d’épuiser toutes mes forces à t’aimer et à te servir, de vivre selon ton cœur, et, à l’heure de ma mort, disposée par toi, d’entrer sans tache à tes noces. Prie la Vierge .Mère d’etre elle-même ton guide dans la religion ou dans tout autre état3 : O Marie, Mère de Dieu, et la mienne très cordialement aimée, couvre-moi de la toison de Jésus, l’Agnoau par excellence. Que par toi me reçoive, me nourrisse, me possède, me gouverne et me rende parfaite, celui qui est l’amour par principe 4. Amen. Ici offre le vœu de chasteté à ton Époux céleste : Ah! très doux Jésus, c’est toi seul que j’ai choisi pour l’amant fidèle de mon âme, pour le compagnon préféré de ma vie; à cause de toi mon âme souffre langueur. A toi j’offre l’amour de mon cœur, te choisissant pour compagnon et pour guide. Je t’offre mon corps et mon âme pour te servir, car moi, je suis à toi en propre, et tu es proprement mien. 3. A ut alto statu tuo semble bien être une addition do Lanspergius ou une glose sur son manuscrit : l’expression s’oppose au mot de < religion », l’autro état à la vie cloîtrée. On no doit pourtant pas exclure la possibilité d’une glose do Gertrude elle-même à son propre texte. 4. Souvent Gertrude donne au Fils des qualifications attribuées ordinairement à l’Esprit, et réciproquement. Nous en avons un exemple ici : on dit plus souvent amor substantialis. Mais elle semble bien penser à l’Esprit en parlant de Vomor principalis, mis pour spiritus principalis. 88 80 85 90 95 100 GERTRUDE D’HELFTA Eia me tibi conglutina, o amor verus : tibi castitatem meam offero, quia tu es totus dulcis et amoenus, sponsus deliciis plenus. Tibi voveo obedientiam, quia tua paterna charitas me allicit, tua pietas et dulcedo me attrahit. Tibi me obligo ad observandum tuam voluntatem, quia tibi adhaerere super omnia amabile, te diligere dulce nimis et optabile. Ego tibi me offero, o cordis mei unice, ut posthac tibi soli vivam, quia nihil inveni dulcius, nihil iudicavi uti­ lius, quam tibi, dilecte mi, uniri intimius. Eia forma cor meum secundum cor tuum, ut totus conversari merear iuxta tuum beneplacitum. Responsorium1 : Regnum mundi et omnem ornatum saeculi contempsi, propter amorem domini mei lesu Christi. Quem vidi, quem amavi, in quem credidi, quem dilexi. ËersMS .· Eructavit cor meum verbum bonum, dico ego opera mea regi. Quem vidi, quem amavi, in quem credidi, quem dilexi. Responsorium 12 ; Verus pudicitiae auctor et custos, qui ex virgine natus, cunctos excitasti ad sanctum amorem casti­ tatis; Christe, forma34 , spes et corona virginum, beatissimae virginis matris Mariae intercessione, mente et corpore me castam conserva. Persiw .· Fons vitae et origo lucis perpetuae, atque omnis bonitatis auctor beatissime *. Oratio r· ; Omnipotens sempiterne deus, respice propitius ad preces nostras, et da nobis famulis tuis, qui in tui nominis honore in unius charitatis singularitatem convenimus, fidem 1. Répons pour la fête de sainte Agnès, utilisé par le rituel de la consécration des vierges. 2. Ce répons ne serait-il pas do la composition de Gertrude, car il a toute l’allure d’un centon combinant des mots cl expressions liturgiques? 3. Forma : modèle idéal, cause de la virginité. 4. Ps. 35, 10. EXERCICE il, 78-104 89 Ah! attache-moi à toi, ô amour véritable; je t’offre ma chasteté, parce que tu es tout entier douceur et charme, époux plein de délices. A toi je voue obéissance, parce que la paternelle charité me séduit, ta bonté et ta douceur m’attirent. Envers toi je m’engage à accomplir ta volonté, parce que adhérer à toi est chose aimable par-dessus tout, te chérir est infiniment doux et souhaitable. Moi, je m’offre à toi, ô l’unique de mon cœur, afin que désormais je vive pour toi seul; car je n’ai rien trouvé de plus doux, je n’ai rien estimé de plus avantageux que d’être unie à toi, mon bicnaimé, au plus intime. Ah! façonne mon cœur selon ton cœur, afin que je mérite de vivre totalement selon ton bon plaisir. Répons1 ; La royauté du monde, la gloire d’ici-bas, j’ai tout méprisé pour l’amour de mon Seigneur Jésus-Christ : sur lui s’est fixé mon regard, sur lui mon désir, sur lui ma foi, sur lui mon amour. Verset : Mon cœur a proféré une bonne parole : je consacre mes œuvres au Roi. Sur lui s’est porté mon regard, sur lui mon désir, sur lui ma foi, sur lui mon amour. Répons2 .· Véritable auteur et gardien de la pureté qui, né de la Vierge, nous as tous enflammés du saint amour de la chasteté; Christ, forme3, espérance et couronne des vierges, par l’intercession de la bienheureuse Vierge Marie, ta Mère, conserve-moi chaste d’esprit et de corps. Verset : Source de la vie, principe de la lumière sans fin et auteur très saint de toute bonté 4. Oraison * : Dieu tout-puissant et éternel, regarde favora­ blement nos prières et accorde, à nous tes serviteurs qui, pour l’honneur de ton nom, sommes réunis dans l’unité 5. Celte prière, manifestement inspirée par la liturgie de la consécra­ tion dos vierges et par celle de la profession monastique, utilise très librement les thèmes et les expressions de ses sources. 90 GERTRUDE D’HELFTA 105 rectam, spem inconcussam, humilitatem veram, devotionem sanctam, charitatem perfectam, boni operis sedulitatem et constantiam atque perseverantiam. Et per merita et inter­ cessiones omnium sanctorum concede nobis, ut sit in cordibus nostris simplex affectus, patientia fortis, religio munda et 110 immaculata \ obedientia placita, pax perpetua, mens pura, conscientia sancta, compunctio spiritualis, virtus animae, vita immaculata, consummatio irreprehensibilis, ut viriliter currentes, tuum mereamur regnum feliciter introire. Arnen. 1. Jac. 1, 27. EXERCICE Π. 105-113 91 d’une même charité, une foi droite, une espérance inébran­ lable, une humilité vraio, une dévotion sainte, une charité parfaite, et dans nos œuvres bonnes, assiduité, et constance et persévérance. Par les mérites et l’intercession de tous les Saints, accorde-nous que s’établisse dans nos cœurs un sentiment simple, une patience forte, une religion pure et immaculée *, une obéissance paisible, une paix perpétuelle, un esprit pur, une conscience sainte, la componction de l'esprit, la force de l’âme, une vie sans souillure, qui se consomme d’une façon irrépréhensible, afin que courant avec vigueur, nous méritions en ton royaume d’entrer heureusement. Amen. ni EXERCITIUM DESPONSATIONIS ET CONSECRATIONIS » Hoc modo celebrabis spirituale matrimonium 12, connubium amoris, desponsationem et. copulationem animae tuae castae, cum lesu sponso coelesti, inseparabili dilectionis vinculo. Vox Christi ad animam: 5 Respice in me quis sim, columba mea3 : ego sum lesus amicus tuus dulcis. Aperi mihi penetralia tui cordis. Ego quippe sum de terra angelorum, forma speciosus4. Ego ipse sum splendor divini solis. Ego fulgidissima dies vernalis, quae sola semper clarescit et occumbere nescit. Superes10 sentialis4 gloriae meae maiestas coelum implet et terram,.· cuius latitudinem sola metitur aeternitas. Ego solus in capite meo gloriosae deitatis meae imperiale diadema porto. Ego sertum de sanguine meo, quem pro te fudi roseum, 1. Paquelin ajoute : · In dic anniversaria sanctae professionis. » 2. Toute la tradition chrétienne considère la consécration des vierges comme un mariago céleste, spirituel. Nul peut-être n’a poussé plus loin que Gertrude l'assimilation, insisté sur la réalité do cette union spirituelle de l’âme avec Jésus. Les premiers mots l’indiquent déjà. Bientôt (I. 24) la • Voix de Jésus · expliquera clairement que cette union permet en réalité à l'âme do participer à la nature divine, l'amour do la créature répondant à l’amour du créateur. 3. Les allusions sont évidentes an Cant. 2, 10; 5. 2. 4. Ps. 44, 3. Éprise de beauté, Gertrude insiste sur la beauté du Christ Ce thème mériterait une étude particulière, qui montrerait combien ni EXERCICE DES ÉPOUSAILLES ET DE LA CONSÉCRATION» Tu célébreras en cette manière le mariage spirituel3, l’union d’amour, les épousailles de ton âme chaste, et leur consommation avec Jésus, l’Époux céleste, par le lien indis­ soluble de la dileclion. Voix du Christ à l'âme ; Regarde vers moi et me reconnais, ô ma colombe3. C’est moi, Jésus, ton doux ami. Ouvre-moi le plus profond de ton cœur. Oui. moi, qui suis venu de la terre qu’habitent les Anges, la beauté incomparable4. C’est moi-même la splendeur du divin soleil. Moi, je suis cette très éclatante journée printanière, qui seule luit toujours et ne connaît pas de couchant. La majesté de ma gloire surpasse toute essence ·, remplit le ciel et la terre : l’éternité seule peut en mesurer l’étendue. Moi, seul je porte sur ma tête le dia­ dème impérial de ma glorieuse déité. Moi, je porte la cou­ ronne sertie de mon sang, de ce sang vermeil que pour Gertrude possède une imagination plastique, accompagnant un talent musical. 5. Superessentialis : ce mot (et quelques autres similaires) pose le problème de savoir si Gertrude a connu, directement ou indirectement, 1« écrits de Denys. Jusqu'à plus ample informé, il ne s’agit que d'un vocabulaire, attesté dans ce passage par une série de mots caractéristiques du corpus dionysien : forma, speciosus, splendor, superessentialis; peutêtre aussi penetralia, fulgidissima, clarescit. GERTRUDE D’HELFTA circumforo. Non altior est solo neque inferior, qui mihi sit 15 similis >. Ad manum meam liliosi egrediuntur virginum chori123. Et ego eas praecedo in choro vitae aeternae, in deliciis meae divinitatis. Ego reficio eas amoena fruition vernantis iucunditatis. Nihilominus oculos meos ad valler non dedignor inclinare, ex qua violas queam sine macul 20 congregare. Quaecumque igitur voluerit me diligere, han volo mihi desponsare, ipsamque diligere et vehemente amare. Ego virginum canticum eam docebo quod canat tau dulciter e gutture meo, quo mihi cogatur uniri suavissim amoris vinculo. Quod ego sum ex natura, hoc ipsa fiet ex 25 gratia 8. Amplectar eam amoris brachiis, adslringens deitatie meae praecordiis, ut ex virtute mei ardentis amoris, liquefiat velut cera a facie ignis4. Dilecta columba mea, si mea esse velis, necesse est· ut me dulciter, sapienter et fortiter diligas, ut haec in te suaviter experiri valeas. 30 Amor excitat animam: Eia expergiscere, o anima; quamdiu dormitabis? Aw verbum quod tibi nuntio. Supra coelum est rex qui tui tenetur desiderio. Ex corde integro amat te, et supra modum amat. Ipse te tam amat dulciter, ipse tam diligit fideliter, ut 35 propter te dimiserit regnum suum humiliter. Quaerendo te, patiebatur ut furem apprehendi se. Ipse te tam amat cordialiter, tam diligit vehementer, tam aemulatur dulciter, tara zelatur efficaciter, ut floridum corpus suum pro te in mor­ tem traderet hilariter. Hic est qui suo te sanguine lavit, qui 40 sua te morte liberavit. Quamdiu to expcctabit ut redam* 1. Ex. 15, 11. 2. Tout ce passage s’inspire de l'Apocalypse, chap. 14. 3. On voudrait identifier la source de celte formule. Serait-ce Elnu le Psoudo-Anselme, Meditatio I {PL, t. CLVI1I, col. '13 D) : « Sum ego filius tuus per naturam; sint cl illi filii tui el fratres mei per gratiam. · La formule dérive de saint Augustin, Traite 75 sur saint Jean, η. 1 : « eundem patrem nos voluerit habere per gratiam qui ejus palerest per naturam. » Cf. supra, I, 223. 4. Ps. 67. 3. EXERCICE III, 14-40 95 loi j’ai versé. Ni au-dessus du soleil, ni au-dessous, nul n’est semblable à moi*. Au geste de ma main, purs comme des lis s’avancent les chœurs des vierges 2, et moi, je les précède dans le chœur de l’éternelle vie, dans les délices de rua divinité. Moi, je les nourris de l’exquise jouissance d’une allégresse toujours printanière. En même temps, je ne dédaigne pas d’abaisser mes regards vers cette vallée où je puis recueillir des violettes sans tache. Celle-là donc qui voudra m’aimer, je veux en faire mon épouse, je veux la chérir et l’aimer d’un ardent amour. Moi, je lui appren­ drai le cantique des vierges, qui résonne avec tant de douceur de ma gorge qu’elle sera contrainte de s’unir à moi par le plus suave lien d’amour. Ce que moi je suis par nature, elle le deviendra par grace3. Je l’étreindrai dans les bras de mon amour, la pressant sur le cœur de ma déité, pour que par la vertu de mon ardent amour, elle fonde comme la cire à la face du feu 4. Ma colombe bien-aimée, si tu veux être mienne, il est nécessaire que tu me chérisses avec tendresse, avec sagesse, avec force; afin de pouvoir suave­ ment expérimenter en toi tout cela. L'amour éveille l'âme : Réveille-toi donc, ô âme. Jusqu’à quand dormiras-tu? Entends la parole que je t’apporte. Par delà les cieux, habite un Roi que captive le désir de te posséder. De plein cœur il t’aime, et il t’aime au-delà de toute mesure. Lui, il t’aime si tendrement; lui, il te chérit si fidèlement que, pour toi, il a délaissé son royaume humblement. Te cher­ chant, il a souffert qu’on l’arrêtât comme un voleur. Lui, il t’aime avec tant de cœur, il te chérit avec tant d’ardeur il t’envie avec tant de douceur, il te jalouse avec tant d’efficace vigueur, que pour toi il a livré à la mort son corps plein de charmes, avec bonheur. C’est lui qui dans son sang t’a lavée, qui par sa mort t’a délivrée. Jusques à quand attendra-t-il que tu l’aimes en retour? Lui, il t’a « desponsare. Et ideo festina quid eligas illi renuntiare. 50 animae meae potest satiare. Ipse est praeeloctus amicus. 55 quicquid suae pietati placuerit. O quis mihi tribuat, ut 60 s. Hoc solum me mei, dulcis amator, dilecte, dilecte, dilecte supra omne 65 cordis. O utinam mihi contingat, ut tibi efficiar unita vicinius. me sicut turtur ad suam consortem. Vulnerasti penetralia cordis mei specie tua, et pulchritudine tua *. Dilecte mi, : passage mystérieux où Gertrude tait allusion â sa famille. BXBRC1CB ΠΙ, 4t - 60 97 achetée d'un très grand prix, toi et ton amour. Lui, il t’a chérie plus que son honneur; lui, il t'a aimée plus que son noble corps, qu’il n’a pas épargné pour toi. C'est pour­ quoi ce doux amour, cette suave charité, cet amant fidèle exige de toi un amour réciproque. Si tu veux accepter sans retard ses avances, il est disposé à faire de toi son épouse; aussi hâto-toi de lui déclarer ton choix. Voix de l'âme s'offrant à Dieu : Je suis une orpheline sans mère ·, je suis indigente et pauvre. Hors Jésus, je n'ai nulle consolation. Lui seul peut satisfaire la soif de mon âme. C'est lui l’ami préféré et unique de mon cœur. C’est lui le itoi des rois et le Seigneur des seigneurs *. Si lui, le souverain empereur, il veut mani­ fester sa clémence envers moi misérable, envers moi qui suis 1a plus vile, si lui il veut agir à mon égard selon sa miséricorde, selon son infinie bonté, cela est l’effet de son moi, je lui appartiens en propre; il a mon corps et mon âme en sa main ; lui, qu’il fasse de moi tout ce qui plaira à sa bonté. Ohl qui me donnera de devenir un être selon son cœur, afin qu'en moi il trouve ce qu’il désire, selon l'excellence de son bon plaisir*. Cela seul serait capable de me réjouir et me consoler. De grâce, ô Jésus, unique aimé de mon cœur, doux amant, aimé, aimé, aimé au-dessus plein de vie et de fleurs, soupire et languit l’amoureux désir do mon cœur. Oh, puisse-t-il m’arriver ce jour où je te deviendrai si étroitement unie que, alors, toi, Soleil véritable, tu feras naître les fleurs et les fruits de mon pro­ grès spirituel; avec persévérance je t'attends4. Viens donc à moi comme le tourtereau à sa compagne. Tu as blessé le plus profond de mon cœur par ta grâce et par ta beauté *. 98 GERTRUDE D’HELFTA 70 dilecte mi, si tibi unita non fuero, in aeternum laeta esse non potero. Eia tuum et meum desiderium, amice, amice, amice, adimple per effectum. Vox Christi: In spiritu sancto meo desponsabo te, inseparabili unione 75 mea adstringam te. Tu eris hospes mea, et ego te recludam in mea vivida dilectione. Vestiam te nobili purpura mei pretiosi sanguinis; coronabo te auro electo meae amarae mortis. Per meipsum implebo tuum desiderium, sicque te laetificabo in perpetuum. Sequitur consecratio qua anima Christi fidelis sese totam consecrat, offert, despondetque uni viro, virginem castam, exhibere Christo \ sub virginitatis aut castitatis observantia fideliter adhaesura eidem sponso suo coelesti, puro corde, casto corpore, et amore unitivo, qui nullins creatae rei 85 inquinetur dilectione. Et primo ad commendationem sponsi, decanta : Quis sicut tu, domine mi lesu Christe, dulcis amor meus, excelsus et immensus, et humilia respicis3? Quis similis tui in fortibus domine3, qui infirma mundi eligis? Quis 90 talis qualis tu, qui fundasti coelum et terram, cui throni et dominationes serviunt4, et delicias tuas vis esse cum filiis hominum? Quantus es tu, rex regum et dominus dominantium 6, qui imperas astris et apponis erga hominem cor tuum 6? Qualis es tu in cuius dextera divitiae et gloria ’? 95 Tu deliciis plenus, et habes sponsam de terra? 0 amor, quo 80 1. II Cor. 11, 2. 2. Ps. 92, 6. 3. Ex. 15,11; I Cor. 1,27. 4. Prov. 8, 31. Co passage fait penser à l’antienne des Rameaux : Cum audissel... quantus est iste cui throni et dominationes occurrunt. 5.1 Tim. 6,15. EXERCICE Ill, 70-95 99 Mon bien-aimê, mon bien-aimé, si je ne te suis pas unie à jamais, je ne pourrai être heureuse. De grâce, ô ami, ami, accomplis effectivement ton désir et le mien. Voie du Christ : Dans mon Esprit-Saint je te prendrai pour épouse; je t’attacherai à moi par une inséparable union. Tu seras mon hôte et moi je t’envelopperai de ma vivante dilection. Je te vêtirai de la noble pourpre de mon précieux sang; je te couronnerai de l’or pur de ma mort amère. Par moimême je comblerai ton désir, et ainsi je te rendrai heureuse pour l’éternité. Suit la consécration dans laquelle l’âme fidèle au Christ se consacre tout entière, s’offre et se lie à Tunique époux, pour présenter au Christ une vierge chaste *. En observant la virginité et la chasteté, elle adhérera fidè­ lement à cet Époux céleste qui est le sien, d’un amour pur, d’un corps chaste et d’un amour unissant qui ne sera jamais profané par l’affection à un objet créé. Et d’abord, pour louer l’Époux, chante : Qui est semblable à toi, ô mon Seigneur Jésus-Christ, mon doux amour, très haut et immense, et qui regarde les choses les plus humbles2? Qui est semblable à toi parmi les puissants, Seigneur3, toi qui choisis les choses les plus faibles dans le monde? Qui est tel que toi, qui as formé le ciel et la terre, toi que les Trônes et les Dominations servent *, et qui veux trouver tes délices avec les enfants des hommes? Quelle est ta grandeur, ô Roi des rois et Sei­ gneur des seigneurs5? Toi qui commandes aux astres et approches ton cœur de l’homme e? Qui es-tu, toi qui liens dans ta droite les richesses et la gloire 67? Tu es rempli de délices, et tu as une épouse de la terre. O amour, jusqu’où 6. Job 7, 17. 7. Prop. 3,16 : in sinistra illius divitiae et gloria. 100 GERTRUDE D’HELFTA inclinas maiestatem? Eia o amor, quo ducis fontem sapien­ tiae l? certe usque ad abyssum miseriae. O amor, tibi soli, tibi soli, est hoc praecipuum abundans vinum a, quo vincitur el debriatur cor divinum. 100 Probatio amoris. Hic est Deus noster qui dilexit nos1 23 amore invincibili, charitate inaestimabili, dilectione inseparabili; qui ad hoc assumpsit sibi substantiam corporis de terra nostra, unde fieret ipse sponsus, et unde esset illi sponsa; qui 105 dilexit nos ex se toto, quem amare est illi nupsisse. Venite, venite, venite4. Venio, venio, venio ad te, Icsu amantissime, quem amavi, quem quaesivi, quem optavi : propter tuam dulcedinem, pietatem et charitalem, toto corde, tota anima, tota virtute 110 amando, sequor te vocantem me : ne confundas me, sed fac mecurn iuxta mansuetudinem tuam, et secundum multitu­ dinem misericordiae tuae. Per istam litaniam invoca omnium sanctorum auxilium : O fons sempiternorum luminum, sancta Trinitas deus, tua 115 divina omnipotentia confirma me, tua divina sapientia rege me, tua divina bonitate secundum cor tum effice me. 1. Prop. 18, 4. 2. Cf. Esther 1,7: vinum... abundans el praecipuum- Et allusion à Judith 11. 47 s. La plupart des éditions portent inebriatur car mcum9 oe qui fausse le texte lu par Lanspergius. La pensée de Gertrude est certaine, car on la retrouve, v.g. Lt II, 8. 3. Le passage développe lu thème johaunique prior dilexit no» (I Jn 4, 10) dans le sens de l'uuion do l'âme au Christ, d’où cette conclusion : aimer est épouser, peut-être transposition de Guillaume de SaintThierry (De contemplando Deo 3. 46) : quem amare hoc est vere vitort. Toute celte page de Gertrude (87 s.) n’est pas sans analogie avec saint EXERCICE III, SG- 116 101 inclines-tu ta majesté? De grâce, ô amour, où conduis-tu la source de la sagesse 1 ? assurément jusqu’à l’ablme de la misère. O amour, à toi seul, à toi seul ce vin supérieur et abon­ dant 3 par quoi est vaincu et enivré le cœur de Dieu. Preuve de l'amour : Tel est notre Dieu, qu’il nous a aimés3 d’un amour invincible, d’une charité inestimable, d’une dilectiori qui ne souffre pas de séparation; qu’il a pris de notre terre la substance de son corps, afin d’être lui-même ΓÉpoux et d’avoir ainsi pour soi une épouse; qu’il nous a chéris de tout son être : l’aimer, c’est être devenue son épouse. « Venez, venez, venez 4 » : Je viens, je viens, je viens à toi, Jésus très aimant, toi que j’ai aimé, que j’ai recherché, que j’ai désiré. Λ cause de ta douceur, de ta compassion et de ta charité, t’aimant de tout mon cœur, de toute mon âme, de toute ma force, je me rends à ton appel. Ne me confonds pas, mais agis avec moi selon ta mansuétude et selon l’immensité de ta miséricorde. Par cette litanie, invoque le secours de tous les saints : O source des lumières éternelles, Sainte Trinité, qui es Dieu, par ta divine toute puissance, soutiens-moi; par ta divine sagesse gouverne-moi, et par ta divine bonté rendsmoi conforme à ton cœur. Bernard (Scrmo 2 in Dom. 1 post Epiph.}, mais on ne relève aucune coïncidence verbale. 4. Ce triple appel est celui du prélat, au début de la consécration des vierges. Gertrude cite librement la réponse : Et nunc sequor in toto corde : te timeo et quaero faciem tuam videre; Domine, ne confundas me, sed fac mihi juxta mansuetudinem tuam et secundum multitudinem misericordiae tuae(cL Dan. 3, 41-42). Elle ajoute, dès maintenant, une phrase du répons Regnum mundi (cf. infra 303). Après l’appel, suit la litanie. 102 120 125 130 135 140 145 GERTRUDE D’HELFTA Pater de coelis, rex regum, eia filio tuo regi nuptiae facere digneris in me. lesu Christe, fili dei vivi, eia tibi nubat amor meus, quia tu es ipse rex meus et deus meus. Spiritus sancte paraclite, eia illo amoris glutino quo unis patrem et filium, cor meum cum lesu couni in perpe­ tuum. Sancta Maria, mater regis agni, sponsi virginum, eia introduc me mundo corde et corpore ad filii tui lesu contu­ bernium. Omnes sancti angeli et archangeli, eia obtinete mihi puritate angelica introire thalamum lesu sponsi mei. Omnes sancti patriarchae et prophetae, eia obtinete mihi charitatem tantam ac talem, sponsus meus lesus a me exi­ git qualem. Omnes sancti apostoli, eia orate me experiri osculum oris melliflui illius, quod vos attrectastis vivi verbi deil. Omnes sancti martyres, eia obtinete mihi tantam vim desiderii, ut cum palma martyrii merear exire obviam ei, qui fert sertum rosae et lilii. Omnes sancti confessores, eia obtinete mihi in omni perfectione et sanctitate imitari sponsi mei lesu mores. Omnes sanctae virgines, orale pro me, eia ut casto amore merear ut turtur nidificare in lesu sponsi mei amoris vulnere*. Omnes sancti, eia obtinete mihi tam digno preaparatam: introire nuptias agni*, sicut unusquisque vestrum introivit ad videndum faciem dei. Propitius esto, et secundum cor tuum effice me, domine. Propitius esto, et ab omni quod me a te impedit libera me domine.123 1. Cant. 1 ; I Jn 1, 1. 2. Cf. Jcr. 48, 28 : quasi columba nidificans in summo orc foraminis. 3. Apoc. 19, 9. EXERCICE HI, 117-146 103 Père céleste, Roi des rois, de grâce daigne célébrer en moi les noces du Roi ton Fils. Jésus-Christ, Fils du Dieu vivant, de grâce, que mon amour s’unisse à toi, car tu es, toi, mon Roi et mon Dieu. Esprit-Saint Paraclet, de grâce, par ce lien d’amour dont tu unis le Père et le Fils, unis pour jamais mon cœur à Jésus. Sainte Marie, Mère du Roi Agneau, de l’Époux des Vierges, de grâce, introduis-moi, pure de cœur et de corps à l’alliance de ton Fils Jésus. Tous les saints Anges et Archanges, de grâce, obtenezmoi d’entrer avec une pureté angélique dans la chambre nuptiale de Jésus, mon époux. Tous les saints Patriarches et Prophètes, de grâce, obte­ nez-moi une charité aussi grande et aussi pure que mon époux Jésus l’exige de moi. Tous les saints Apôtres, de grâce, priez pour que je goûte d’expérience le baiser de la bouche melliflue de Celui que vous avez touché de vos mains, le Verbo du Dieu vivantx. Tous les saints Martyrs, de grâce, obtenez-moi une si grande force du désir que je mérite d’aller, avec la palme du martyre, au devant de Celui qui porto une couronne de roses et de lis. Tous les saints Confesseurs, de grâce, obtenez-moi d’imiter en toute perfection et sainteté la vie de mon époux Jésus. Toutes les saintes Vierges, priez pour moi, de grâce, afin que, par mon amour chaste, je mérite de faire, comme la tourterelle, mon nid dans la blesssure d’amour de Jésus, mon époux 2. Tous les Saints, de grâce, obtenez-moi d’être si dignement préparée que j'entre aux noces de l’Agneau 3 comme chacun de vous est entré pour contempler la face de Dieu. Sois propice et rends-moi conforme à ton cœur, Seigneur. Sois propice et délivre-moi de tout ce qui me tient éloignée de toi, Seigneur. GERTRUDE D’HELFTA 104 Per incarnationem tuam : fac me toto corde dulciter, sapienter et fortiter te diligere. Per passionem et mortem tuam : fac me mori mihi et 150 tibi soli vivere. Per gloriosam resurrectionem et admirabilem ascensionem tuam : fac me do die in diem, de virtute in virtutem pro­ ficere x. In hora mortis per omnia viscera misericordiae tuae 155 succure mihi, et laetifica me in gaudio cum vultu tuo 12, domine. In die iudicii ab auditione mala non timeat anima mea3 : sed fac rne audire gloriam tuae vocis : Venite, benedicti patris mei 4. 160 Per genitricem tuam, fac me ut veram sponsam experiri tui casti amoris connubium. Peccatores : te rogamus audi nos. Ut propositum castitatis quod tibi offero, integrum et illibatum ut pupillam oculi in me tibirnetipsi conservare 165 digneris : te rogamus audi nos. Ut facias me experiri in amore sponsali et amplexu nup­ tiali quantus sis et qualis : te rogamus audi nos. Ut arrham tui spiritus cum dotalitio integerrimi amoris mihi concedas : te rogamus audi nos. 170 Ut cum veste nuptiali, accensa lampade, inter prudentes virgines in mortis hora, ut sponsam sponso me tibi facias obviare 5 : te rogamus audi nos. Ut in osculo tui melliflui6 oris, velut tuam propiam me introducas in thalamum tui festivi amoris : te rogamus 175 audi nos. 1. 2. 3. 4. 5. Ps. S3, 8. Ps. 20. 7. Ps. 91, 7. Λίβ«Λ. 25, 34. Malth. 25, 6. EXERCICE III, 1'>7 - 175 105 Par ton Incarnation, fais-moi, de tout cœur, avec ten­ dresse, sagesse et force, te chérir. Par ta Passion et ta Mort, fais-moi mourir à moi-même et vivre pour toi seul. Par ta glorieuse Résurrection et ton admirable Ascension, fais-moi de jour en jour avancer de vertu en vertu A l’heure de ma mort, secoure-moi par toutes les entrailles de ta miséricorde, et réjouis-moi d’une grande joie, en me montrant ton visage *, Seigneur. Au jour du jugement, que mon âme n’ait pas à redouter une parole de reproche3; mais fais-moi entendre ta voix glorieuse : « Venez, les bénis de mon Père 4. » Par celle qui t’a donné le jour, fais-moi goûter d’expé­ rience, comme à une véritable épouse, l’union de ton chaste ainour. Pécheurs, nous t’en supplions, écoute-nous. Ce propos de chasteté que je t’offre, daigne le conserver entier et sans tache, en moi pour toi-même, comme la prunelle de l’œil : nous t’en supplions, écoute-nous. Dans l’amour d’épouse et l’embrassement nuptial, fais-moi expérimenter qui tu es et quelle est ta grandeur : nous t’en supplions, écoute-nous. Accorde-moi les arrhes de ton Esprit, avec la dot du plus total amour : nous t’en supplions, écoute-nous. Parée de la robe nuptiale et tenant la lampe allumée, au milieu des vierges prudentes, fais qu’à l’heure de ma mort., comme l’épouse au-devant de l’Époux, j’aille audevant de toi 5 : nous t’en supplions, écoute-nous. Par le baiser de ta bouche melliflue e, introduis-moi comme ta propre épouse, dans la chambre nuptiale de ton amour source de joie; nous t’en supplions, écoute-nous. 6. Cant. 1,1. Λ la suile do saint Bernard, Gertrude affectionne l’adjectif mellifluus qui évoque le miel coulant doucement. 106 GERTRUDE D’HELFTA Ut omnes nos in loco isto tibi servientes, facias to loto corde diligere, tibi inseparabiliter adhaerere, et in per­ petua sinceritate mentis et corporis tibi placere : te rogamus audi nos. 180 Ut facias nos illud petere, quod te delectat exaudire : te rogamus audi nos. lesu fili dei vivi, exaudi nos in efficacia amoris tui divini. Agne dei, qui tollis peccata mundi x, dele omnia peccata mea secundum multitudinem misericordiae tuae1 2. Agne dei, qui tollis peccata mundi, omnia neglecta mea 185 supple tua inexlinguibili charitate. Agne dei, qui tollis peccata mundi, in mortis hora sic in pace dimitte me, ut facie ad faciem videam te34 . Kyrie eleison. Christe eleison. Kyrie eleison. Oratio: Eia lesu, sponse floride ·’, sicut mors transponit animam a corpore, sic amor tuus cor meum transponat in te, ut glutino inseparabili adhaeream in te. Versus: Suscipe me56*, lesu mi, in abyssum misericordiae tuae, et ab omni macula lava me in profundo tuae clementiae. Suscipe me, lesu 195 mi, in amplexum tuae cooperationis8, ut tibi copulari merear foedere perfectae unionis. Suscipe me, lesu mi, in 190 1. Jn 1, 29. 2. P$. 50, 3. 3. I Cor. 13, 12. 4. Floridus : autre adjectif cher à Gertrude. Il qualifie l'époux portant, selon la modo médiévale, une vaste couronne de fleurs. Par extension, il désigne ce qui est joli, charmant. Doit-on ici voir une nouvelle allusion à la Couronne d'épines? 5. Cf. Regula Benedicti, chap, lvih : incipiat ipse mox hunc versum: Suspice me Domine... quem versum omnis congregatio tertio respondeat. 6. Il est très difficile do rendre ce mot « cooperatio », par lequel Gertrude désigne l’action de Dieu, Jésus (ici) ou l’Esprit-Saint (V, 349), provoquant en retour l'action de la créature, et réalisant ainsi un amour véritable EXERCICE III, 176-196 107 Nous toutes qui te servons en ce lieu, accorde-nous de te chérir de tout cœur, d’adhérer à toi sans pouvoir être séparées, et de te plaire par une perpétuelle intégrité d’âme et de corps : nous t’en supplions, écoute-nous. Fais que nous te demandions ce que tu aimes exaucer : nous t’en supplions, écoute-nous. Jésus, Fils du Dieu vivant, exauce-nous dans la puissance efficace de ton amour divin. Agneau de Dieu qui ôtes les péchés du monde \ efface tous mes péchés dans l’abondance de ta miséricorde 2. Agneau de Dieu qui ôtes les péchés du monde, supplée à toutes mes négligences par ton inextinguible charité. Agneau de Dieu qui ôtes les péchés du monde, à l’heure de ma mort, laisse-moi partir en paix, de telle façon que je te voie face à face 3. Seigneur, aie pitié. Christ, aie pitié. Seigneur, aie pitié. Prière : Ah! Jésus, Époux couronné de fleurs’, comme la mort emporte l’âme loin du corps, de même fais que ton amour emporte mon cœur en toi, en sorte que par un ciment indissoluble j’adhère à toi. Verset : Reçois-moi5, mon Jésus, dans l’abîme de ta miséricorde; et lave-moi de toute tache au plus profond de ta clémence. Reçois-moi, mon Jésus, dans l’étreinte de ta a coopération 6 », afin que je mérite de t’être unie par le lien d’une parfaite union. Reçois-moi, mon Jésus, (IV, 392; VII, 640). Elle emploie dans le même sens le mot cooperator et le verbe cooperarc. Ce vocabulaire montre combien sa doctrine est théolo­ gique, malgré l'imagerie du style : l’union nuptiale est bien, dans la pensée de Gertrude, chose uniquement spirituelle en ce qui la concerne, les unions charnelles fournissant les mois et les symboles (cf. l’introduction au Héraut). Malgré tout le réalisme de cette pensée, et même à cause du réalisme de la comparaison entre les deux unions, on ne doit rien chercher de maladif cher. Gertrude : il s'agit d’une doctrine mystique solide. 108 GERTRUDE D’HELFTA praesuave connubium tui amoris; ibi fac me experiri osculum tui melliflui orisx. 200 205 210 215 Oratio pro perfecta castitate animae et corporis : α Deus12 castorum corporum et incorruptarum animarum benignus inhabitator, deus qui humanam substantiam in primis hominibus diabolica fraude vitiatam, ita in verbo tuo, per quod omnia facta sunt, reparas, ut eam non solum ad primae originis innocentiam revoces, sed etiam ad experien­ tiam quorumdam bonorum quae in novo saeculo sunt habenda perducas, et obstrictos adhuc conditione mortalium, iam ad similitudinem provehas angelorum : respice super me indignam famulam tuam, quae in manu tua continentiae meae propositum colloco, tibi devotionem ineam offero, a quo et idem votum sumpsi quod oifero. Quando3 enim animus mortali carne circumdatus, legem naturae, libertatem licentiae4, vim consuetudinis et stimu­ los aetatis vinceret; nisi tu per liberum arbitrium hunc amorem castitatis accenderes, tu hanc cupiditatem in nostris cordibus aleres, fortitudinemquo ministrares? Effu­ sa namque in omnes gentes gratia tua, ex omni natione quae est sub coelo, in stellarum innumerabilem numerum, novi testamenti haeredibus adoptatis : inter caeteras virtu· 1. Cant. i, 1. 2. Dans les pages suivantes, Gertrude utilise presque mot par mot la Préface de la consécration des vierges. Nous mettons entre guillemets la citation pure et simple, sans tenir compte ni de quelques variantes ni du fait que Gertrude, s'attribuant les paroles du Pontifical, parle à la première personne. 11 est inutile d’indiquer ici les sources auxquelles puise ce texte liturgique. On remarquera, en revanche, la longueur de la citation, alors que Gertrude se contento habituellement d’utiliser «e sources très librement. Elle no note pourtant pas, en abordant ce texte capital pour elle, l’idée de consécration à Dieu, mais un effet de colle-d, offet tout personnel à elle-même, la parfaite chasteté do corps et d’esprit (I. 200). Il n’en reste pas moins qu'en tout cet Exerciez, dès le titre, la consécration est assimilée au mariage spirituel. EXERCICE III. 197-218 109 dans la très suave alliance de ton amour; là, fais-moi expé­ rimenter le baiser de ta bouche melliflue1. Prière pour obtenir la parfaite chasteté d’âme et de corps : α O Dieu 2 qui, dans ta bonté, habites les corps chastes et les âmes intègres; Dieu qui en ton Verbe, par lequel toutes choses ont été faites, restaures l’humaine nature, viciée dans les premiers hommes par la ruse du diable; qui non seulement la rappelles ainsi à l'innocence de sa première origine, mais encore la conduis dès ici-bas à l’expé­ rience de certains biens, apanage du siècle futur, et qui élèves jusqu’à la ressemblance des Anges des êtres encore retenus dans la condition mortelle, jette un regard sur moi ton indigne servante, qui dépose en ta main mon propos de chasteté. Je t’offre ma consécration, à toi de qui j’ai reçu le vœu même que je t’offre. « Quand 34 , en effet, l’esprit revêtu d’une chair mortelle pourrait-il vaincre la loi de la nature, la licence * de la liberté, la force de la coutume, et les aiguillons de l’âge, si toi-même n’avais, par le libre arbitre, allumé cet amour de la chasteté, si toi-mème ne nourissais ce désir dans nos cœurs et n’en procurais la force? En effet, après avoir répandu ta grâce sur toutes les races, et de toute nation qui est sous le ciel après avoir adopté, en nombre infini comme celui «les étoiles, les héritiers du Nouveau Testament, 3. Les éditions portent quando, àl a suite de Lanspergius, contraire­ ment au Pontiûca), qui donne : quomodo. Mémo si Lanspergius a commis une erreur de lecture, nous gardons sa leçon, plus subtile mais exacte quant au sens. 4. La « licence » indique ici la chose permise. 1-e mariage est bon. conforme à la loi naturelle, à la liberté de la créature, à la nécessité sociale, à la force do l’âge. Pour toutes ccs raisons, l’état de chasteté exige uno grâce particulière. 110 GERTRUDE D’HELFTA tes, quas filiis tuis, non ex sanguinibus, neque ex voluntate 220 carnis, sed de Spiritu tuo genitis, indidisti; etiam hoc donum in quasdam mentes de largitatis tuae fonte defluxit, ut cum honorem nuptiarum nulla interdicta minuissent, ac super sanctum coniugium initialis benedictio permaneret, existeront tamen sublimiores animae, quae in viri ac mulieris 225 copula fastidirent connubium, concupiscerent sacramentum, nec imitarentur quod nuptiis agitur, sed diligerent quod praenotatur. Agnovit auctorem suum beata virginitas, et aemula inte­ gritatis angelicae, illius thalamo, illius cubiculo se devovit, 230 qui sic perpetuae virginitatis est filius, quemadmodum perpetuae virginitatis est sponsus x. Imploranti ergo mihi auxilium tuum, domine, et confirmari benedictionis tuae sacramento cupienti, da protectionis munimen et regimen, ne hostis antiquus, qui excellentiora studia subtilioribus 235 infestat insidiis, ad obscurandam perfectae continentiae palmam, per aliquam mentis serpat incuriam, et rapiat de proposito castitatis, quod etiam decet moribus viduarum inesse 12. Sit in me, domine, per donum spiritus Lui prudens modes240 tia, sapiens benignitas, gravis lenitas, casta libertas. In charitate ferveam, nihil extra te diligam, laudabiliter vivam, laudari non appetam. Te in sanctitate corporis, te in animae puritate glorificem, amore te diligam 3, amore tibi serviam. Tu sis mihi honor, tu gaudium, tu voluptas, 245 tu in moerore solatium, tu in ambiguitate consilium. Tu in iniuria defensio, in tribulatione patientia, in paupertate abun- 1. Au Pontifical: virginitatis est sponsus quemadmodum... : Gertrude montre, uno fois de plus, sa dévotion mariale intervertissant les termes du Pontifical. 2. Au Pontifical : inesse nuptarum. 1! y a peut-être là une erreur du premier éditeur de sainte Gertrude. Nous conservons pourtant Ia lectio difficilior, quoique moins satisfaisante. EXERCICE III, 219-246 111 parmi les autres vertus que tu as données à tes fils, engendrés non du sang ni de la volonté de la chair, mais de ton Esprit, ce don aussi s’est répandu en certaines âmes coulant de la source de ta largesse : en sorte que, sans d’aucune interdic­ tion avoir diminué l’honneur des noces, et tout en maintenant la bénédiction accordée dès le commencement à cette sainte union, il existe des âmes plus élevées qui, méprisant le lien que tu as formé entre l’homme et la femme, désireraient réaliser le mystère que ce lien représente; et qui, sans imiter ce qui s’accomplit dans le mariage, porteraient tout leur amour à ce qu’il symbolise. « Elle a reconnu son auteur, la bienheureuse virginité; et jalouse de l’intégrité angélique, elle s’est vouée à la chambre, à la couche, de Celui qui est le fils de la virginité perpé­ tuelle, comme il est l’époux de la perpétuelle virginité *. Λ moi donc qui implore ton secours, Seigneur, à moi qui désire être fortifiée par le mystère de ta bénédiction, accorde* moi le secours de ta protection et ta direction : ainsi l'antique ennemi, qui infeste les plus excellents desseins de ses embûches subtiles, ne pourra s’insinuer à la faveur d’une négligence de mon esprit, pour souiller la palme de la parfaite chasteté, ni rien ravir du propos de la continence, à laquelle la veuve elle-même est astreinte en sa conduite 2. 0 Qu’il y ait en moi, Seigneur, par le don de ton Esprit, une prudente modestie, une sage bonté, une grave douceur, une chaste liberté. Fervente dans la charité, que je n’aime rien en dehors de toi; que ma vie soit digne d’être louée; que je ne désire pas la louange. Que je te glorifie dans la sainteté de mon corps et la pureté de mon âme; que par amour je t’aime3, que par amour je te serve. Toi, sois ma gloire, toi ma joie, toi mes délices, toi ma consolation dans la peine, toi mon conseil dans l’incertitude. Sois ma défense contre l’injustice, ma patience dans la tribulation, 3. Le Pontifical dit : amore te timeat. L’afTection, chez Gertrude, l’emporte sur la crainte. 112 GERTRUDE D’HELFTA dantia, in ieiunio cibus, in vigilantia somnus, in infirmitate medicina. In te habeam omnia, quem amare appeto super omnia, et 250 quod professa sum, custodiam. Tibi scrutatori pectorum non corpore placitura, sed mente, transeam in numerum sapien­ tium puellarum, ut coelestem sponsum accensa lampade, cum oleo praeparationis cxpectem, nec turbata improviso regis adventu, sed secura cum lumine, praecedentium virgi­ 255 num choro laetanter occurram, et non excludar cum stultis, sed regalem aulam cum sapientibus virginibus licenter introeam, et in agni tui comitatu perpetuo probabilis mansura in castitate permaneam. Per eundem dominum. » Ad accipiendum spiritualité? velum 1 dicas : 260 Responsorium : Induita me dominus vestimento salutis, et indumento laetitiae circumdedit me. Et tamquam sponsam decoravit me corona. Persns.· Induit me dominus cyclade auro texta, eL immensis monilibus ornavit me. Et tanquam sponsam decoravit me corona. 265 Oratio: Eia o mi dilecte, ex millibus electe, fac me sub umbra charitatis tuae quiescere, circumtegens me tuae immaculatiouis vellere. Ibi accipiam de manu tua velum munditiae, quod te rectore, te duce3, illibatum perferam ante tribunal tuae gloriae, cum centuplicato fructu castitatis 270 inuocentissimac. 1. La remise du voile est un des rites les plus caractéristiques et les plus traditionnels de la consécration des vierges. Le Pontifical en donne le sens : < 11 sera pour tous la preuve de votre complet renoncement au monde et la marque officielle de votre union au Christ Jésus, à qui vouî vous êtes donnée à jamais comme épouse fidèle. * Dans une prière ori­ ginale, Gertmde se confie à son époux, non sans songer au jour de h mort. Pour elle, l’innocence de la vie du cloître est, comme l'innocenW baptismale, un dépôt dont elle devra rendre compte avant de recevoir le centuple promis à ceux qui ont tout quitté pour le Christ. EXERCICE Ill, 247 - 270 113 mon abondance dane la pauvreté, nia nourriture dans le jeûne, mon repos dans les veilles, mon remède dans l’in­ firmité. « Qu’en toi je possède toute chose, toi que je désire aimer par-dessus toute chose; et qu’en toi je garde ce dont j’ai fait profession. A toi qui sondes les cœurs, je ne plairai pas par le corps, mais par l’âme : fais que je passe au nombre des vierges sages : la lampe allumée, avec l’huile que j’aurai préparée, j’attendrai le céleste Époux; sans trouble à l’arrivée soudaine du Roi, mais en sûreté avec ma lumière, j’irai joyeusement à la rencontre du chœur des vierges qui marchent devant lui; et je ne serai par rejetée avec les vierges folles, mais librement j’entrerai dans le royal palais avec les vierges sages, pour habiter, demeurant pure en chasteté, dans la perpétuelle compagnie de ton Agneau. Par ce même Seigneur, o Pour recevoir spirituellement le voile *, dis : Répons : Le Seigneur m’a couverte2 du vêtement de salut; il m’a enveloppée du voile d’allégresse; et comme une épouse, il m’a parée d’une couronne. — Verset : Le Seigneur m’a revêtue d’une robe tissée d’or, et de bijoux sans nombre il a fait ma parure. — Et comme une épouse, il m’a parée d’une couronne. Prière : O mon bien-aimé, choisi entre mille, fais-moi reposer sous l’ombre de ton amour, couvre-moi do la toison de ton innocence. Ici je recevrai de ta main le voile de la pureté; t’ayant pour guide, pour chef3, je le rapporterai sans tache au tribunal de ta gloire, avec le fruit centuplé d’une très innocente chasteté. 2. Gertrude cite le répons Induit de l’ofllce de sainte Agnès, avec le verset qu’on trouve habituellement en pays germaniques. 3. Cf. collecte du 3* dim. après la Pentecôte. 114 GERTRUDE D’HELFTA Ad impositionem coronae1 : Antiphona: Posuit signum in facie mea, ut nullum praeter ipsum amatorem admittam. Responsorium : Amo Christum, in cuius thalamum introivi, 275 cuius mater virgo est, et cuius pater foeminam nescit, cuius mihi organum modulatis vocibus cantat. Quem cum ama­ vero casta sum, cum tetigero munda sum, cum accepero I virgo sum. Versus: Mei et lac eius ex ore suscepi, et sanguis eius ornavit genas meas. Quem cum amavero casta sum, 'ISO cum tetigero munda sum, cum accepero virgo sum. Oratio: Eia o mi frater et sponse lesu, rex magne, deus et agne, pone, pone signum tale in faciem animae meae8, quod sub sole nihil eligam, nihil cupiam, nihil diligam praeter te; et tu ipse, o omnium charorum charissime, sacramentaH· 285 matrimonii foedere sic mihi copulari dignare, ut efficiar tibi vera sponsa et uxor per amorem inseparabilem qui est morte fortior 3. Ad annulum : Antiphona: Annulo suo subarrhavit me, omnibus homi­ 290 nibus longe nobilior et genere et dignitate. Responsorium: lam corpus eius corpori meo sociatum est,. et sanguis eius ornavit genas meas, cuius mater virgo cst,j cuius pater foeminam nescit. Versus : Ipsi sum desponsata, cui angeli serviunt, cuius pulchritudinem sol et luna mirantur. 295 Oratio : Eia lesu mi, virginalis pudicitiae fructus et flos, 1. Gertrude continue à suivre le Pontifical, coupant le rituel d’oraisons qui lui sont propres. La tradition du voile « nuptial » suffisait aux yeux des anciens à symboliser les noces spirituelles de l’âme avec Dieu. Le Moyen-Age a renchéri en y ajoutant la tradition de la couronne et de l’anneau, et le Pontifical a adopté ces usages, ainsi que les antiennes chantées alors en France et en Allemagne : · Posuit signum... Annuto suo... Induit me... » (Dorn nu PVNJET, te Pont. Rom., p. 174). Antiennes et répons sont empruntés à l’office de sainte Agnès. Resterait à savoir si la Passion, qui inspire l’office, n’utilise pas des chants accompagnant une consécration. Remarquons que le Pontifical place ΓAntienne Posuit à la EXERCICE III, 271-295 115 A l’imposition de la couronne1 : Antienne : 11 a placé sa marque sur mon visage, afin que je n’admette pas d’autre amant que lui. Répons : J’aime le Christ : je suis entrée dans sa chambre nuptiale; sa Mère est Vierge, son Père ne connaît pas d’épouse, sa voix fait retentir pour moi des chants mélodieux. Si je l’aime, je suis chaste; si je le touche, je suis pure; si je le possède, je suis vierge. — Verset : J’ai recueilli sur ses lèvres, le miel et le lait, et son sang a coloré mes joues. — Si je l’aime, je suis chaste; si je le touche, je suis pure; si je le possède je suis vierge. Prière : De grâce, ô mon frère et mon époux, Jésus, Roi suprême, Dieu et Agneau, place, place une telle marque sur la face de mon âme 2, que sous le soleil, je ne choisisse rien, je ne désire rien, je n’aime rien hors de toi. Et toi-même, ô le plus cher de tous ceux qui sont chers, daigne t’unir à moi par le lien du mariage spirituel, de telle sorte que je devienne pour toi épouse véritable et femme, par cet amour indissoluble qui est plus fort que la mort3. Pour l’anneau : Antienne : 11 m’a donné son anneau comme gage, celui qui est de beaucoup plus noble que tous les hommes par sa naissance et sa grandeur. Répons : Déjà sa chair s’est unie à la mienne et son sang a coloré mes joues, lui dont la Mère est vierge, dont le Père ne connaît pas d’épouse. — Verset : J’ai été unie comme épouse, à celui-là même que servent les Anges, et dont le soleil et la lune admirent la beauté. Prière : Ah, mon Jésus, fruit et fleur de la pureté vir- remise du voile, et non, comme ici, de la couronne, où le texte convient moins bien. 2. Cf. Cant. 8, 1. Gertrude s'inspire également de VApocalypte pour parler de ΓAgneau, et du signe marquant ceux qui lui appartiennent. 3. Cant. 8, 6. 116 300 305 310 315 GERTRUDE D’HELFTA optima pars haereditatis mcae et regalis dos, qui me subar· rhasti annulo fidei, signaculo spiritus tuil, fac me aptam tibi meo vivo lilio, amoenissimo flori : fac mc tam indissolu· biliter coniungi tuo ardentissime amori 12, ut prae vi dilectionis tecum essendi, sitiam mori : et foedus quod tu iniisti mecum 3, a me transferat cor meum, ut iam non ultra sit mecum, sed amore individuo cohabitet tecum. Responsorium : Regnum mundi et omnem ornatum saeculi contempsi, propter amorem Domini mei Icsu Christi : quem vidi, quem amavi, in quem credidi, quem dilexi. Versus : Eructavit cor meum verbum bonum : dico ego opera mea Regi. Quem vidi, quem amavi, in quem credidi, quem dilexi. Oratio : Da quaesumus 4, omnipotens deus, ut ego indigna famula tua, quae pro spe retributionis aeternae tibi domino desidero consecrari, plena fide, animoque constanti in sancto proposito permaneam. Tu me omnipotens pater, sanctificare et benedicere, et in perpetum consecrare digneris. Tribue mihi humilitatem, castitatem, obedientiam, charitatem, et omnium bonorum operum quantitatem. Da mihi, domine, pro operibus gloriam, pro pudore reverentiam, pro pudicitia sanctitatem, ut cum sanctis angelis tuis in aeternum laudare valeam Luam gloriosissimam dignitatem. Amen. Pro benedictione episcopali, postula te benedici a tota Trinitate imperiali 5. 1. Plus d’une fois Gertrude a montré qu’ollo pense uniquement à un mariage spirituel; elle lo rappelait encore un peu plus haut (1. 28·'·); elle indique ici, et plus bas (I. 310), le sens symbolique de la cérémonie. 2. La leçon recenlissimo amori que donnent plusieurs éditions (1578, etc...) ne semble pas devoir être préférée à celle do Lanspergius. 3. Paquelin rectifie la leçon emisti mecum donnée par toutes les éditions antérieures, à la suito do Lanspergius. 4. Gertrude cite la première phrase d’une oraison du Pontifical, puis la glose ensuite. 5. Primitivement la cérémonie s’achevait là, par la bénédiction du Pontife : Benedicat te Deus Pater et Filins et Spiritus Sanctus omni benedictione spirituali, ut maneas semper immaculata sub vestimento EXERCICE III, 296-319 117 ginale, précieuse part de mon héritage, et ma dot royale, toi qui m’as donné pour arrhes l’anneau de la foi, le sceau de ton Esprit1; rends-moi telle que je dois être pour toi, mon lis vivant, ma très gracieuse fleur. Unis-moi si indisso­ lublement à toi par un très ardent amour 2 que, dans la violence du désir amoureux d’être avec toi, j’aie soif de mourir; et que l’alliance que tu as formée avec moi 3 m’enlève mon cœur, afin que désormais il ne soit plus en moi, mais qu’il demeure en loi par un indivisible amour. Répons : La royauté du monde, la gloire d’ici-bas, j'ai tout méprisé pour l’amour de mon Seigneur, J ésus-Christ : sur lui s’est fixé mon regard, sur lui mon désir, sur lui ma foi, sur lui mon amour. — Verset : Mon cœur a proféré une bonne parole; je consacre mes œuvres au Roi. — Sur lui s’est fixé mon regard, sur lui mon désir, sur lui ma foi, sur lui mon amour. Prière : Nous t’en prions4, ô Dieu tout-puissant, fais que moi ton indigne servante, qui dans l’espérance de la récompense éternelle désire être consacrée à toi, Seigneur, je persévère avec une pleine foi et d’un esprit constant en mon saint propos. Toi, ô Père tout-puissant, daigne me sanctifier et me bénir, et me consacrer pour jamais. Accordemoi l’humilité, la chasteté, l’obéissance, la charité et la somme de toutes les bonnes œuvres. Donne-moi, Seigneur, pour mes œuvres la gloire; pour ma modestie la révérence; pour ma pureté la sainteté, afin qu’avec tes saints Anges, éternellement je puisse louer ta très glorieuse majesté. Amen. Pour la bénédiction de l’évêque, demande d’être bénie par l’impériale Trinité tout entière 5. •anctae Matris Domini. » Le Moyen Age a largement amplifié. Sans trahir quels modèles elle suit, Gertrude a connu un texte prolixe : on remarque en effet un certain parallélisme des idées entre cette page et la formule actuelle du Pontifical. 118 GERTRUDE D’HELFTA 320 Benedicat et cooperetur mihi dei patris dulcis paternitas, maieetatisque divinitas. Benedicat et copulet me dei lesu Christi dulcis affinitas1 et humanae propinquitatis consan­ guinitas. Benedicat et foecundct me spiritus sancti dulcis benignitas, et eius ignita charitas. Benedicat, confirmet et 325 corroboret me tota imperialis Trinitas. Benedicat et couniat me dei lesu Christi gloriosa huma­ nitas, qui me sibi de mundo dignatus est eligere, morte sua demonstrans se multum me diligere, meque fecit suo amori nubere, ut per eius salutarem, vivam et dulcissimam bene­ 330 dictionem, apprehendam omnium virtutum perfectionem, integram et immaculatam castitatem, quam professa sum, custodiam, propositum teneam, humilitatem exhibeam, castitatem diligam, patientiam conservem, et in omni sanc­ titate usque in finem perseverem, et post hanc vitam merear 335 accipere castitatis coronam in stola candida inter liliosa agmina, sequens te agnum sine macula, filium Mariae vir­ ginis, quocumque tu, virginum flos, ieris 123. Arnen. Hic ora ut pius dominus loco abbatissae reconsignet te liliosae matri suae virgini Mariae custodiendam, et de 300 manu eius recipiendam *. 0 dilecte votorum meorum, o lesu charissime omnium charissimorum, reconsigna et recommanda me nunc matri tuae, virgineae imperiali rosae, quae pro tuo amore sit in perpetuum dux et custos virginitatis meae. Consigna me illis 1. Gertrude s'inspire peut-être de Guillaume υκ Saint-Thieert (De contemplando Deo, 11, 48) qui, dans une pensée similaire, rapproche 1W mots do cognatio ot d'aflinilas. Eo même autour (chap, x) développe les idées résumées par Gertrude un pou plus bas (I. 326). 2. Apoe. 14, 4-5. 3. A la fin do la cérémonie, l’évêque conduit la moniale à la porte de clôture et la confie à l’abbesse du monastère. Sainte Gertrude demande à Jésus d’étre confiée à la garde de Notre Dame, pour que celle-ci la EXERCICE ΠΙ, 320-344 119 Que me bénisse et coopère avec moi la douce paternité et la divine majesté de Dieu le Père. Me bénisse et m’unisse de Jésus-Christ, mon Dieu, la douce affinité1 et la parenté humaine fondée sur la communauté de sang. Mc bénisse et me rende féconde la douce tendresse du Saint-Esprit et son ardent amour. Me bénisse, me confirme et me fortifie l’impériale Trinité tout entière. Que me bénisse et m’unisse à lui la glorieuse humanité de Jésus-Christ, mon Dieu, qui a daigné me choisir pour lui du milieu du monde, me montrant par sa mort qu’il m’a beaucoup aimée, et qui m’a unie comme épouse à son amour. Ainsi, par cette salutaire, vivante et très douce bénédiction, je pourrai atteindre la perfection de toutes les vertus, conserver parfaite et sans tache la chasteté que j’ai vouée, garder mon propos, faire preuve d’humilité, aimer la chasteté, conserver la patience et persévérer en toute sainteté jusqu’à la fin; et après cette vie, je mériterai de recevoir la couronne de la chasteté, vêtue de la robe blanche, parmi les troupes semblables à des lis, te suivant, toi, l'Agneau sans tache, fils de la Vierge Marie, partout où toi, fleur des vierges, tu iras2. Amen. Prie maintenant le Seigneur miséricordieux de te confier, comme à une Abbesse, à la garde de sa Mère, la Vierge Marie, pure comme le lis, pour que de sa main il te reçoive un jour 3. O le bicn-aimé de mes vœux, ô Jésus le plus aimé de tous ceux qui sont le plus aimés, remets-moi et recommandemoi maintenant à la garde de ta Mère, la rose virginale et impériale : qu’elle soit à jamais, par amour pour toi, le guide et la gardienne de ma virginité. Mets-moi entre ces restitue à son Fils, sans tache, au dernier jour. Nous retrouvons sans cesse, depuis lo premier Exercice, la pensée do la mort, mais transfi­ gurée par lu rencontre do l'âme pure avec l’Epoux; nous retrouvons aussi cette note d’intense piété mariale. 120 GERTRUDE D’HELFTA 345 manibus delicatis, quae nutriorunt et educaverunt te filium dei patris, ut ipsae defendant et adiuvent propositum meae castitatis, ducentes me sine macula per viam virginalis munditiae, seu castimonialis continentiae. Eia, eia, dicito de me illi rosae virgineae : α Suscipe hanc in curam tuae 350 maternitatis : ego eam tibi commendo in tota virtute meae divinae charitatis. Vide, mater, quomodo mihi eam immsl culatam repraesentes, et secundum cor meum educatam reconsignes. » Arnen. 355 360 365 370 Per Hymnum Te deum laudamus, dic laudes semper venerandae Trinitati, cum oratione : Tibi, Trinitas sancta, de qua splendet deitas viva, exstil­ lat vita, amor et sophia *, emanat virtus nativa, sapientia coessentiva, suavitas eflluxiva, charitas ignitiva, sanctitas extenti va, bonitas omnium iinpletiva; tibi laus, honor et gloria, tibi gratiarum actio, potestas et claritas votiva, pro eo quod tu cedrus alta Libani, extenta super cherubim divinitatis maiestate regali, in hac miseriae valle abyssali delectaris coniungi calamo hyssopi, amplexu nuptiali, amore sponsali. Et tu, o amor deus1 2, sanctae Trinitatis nexus et amicitia, recubans pausaris et deliciaris inter filios hominum, in sancta pudicitia, quae in virtute tua amorosa in sanctis deliciis tuis flagrat, ut collecta inter spinas rosa. O amor, amor, quo itur in haec amoena? quo pervenitur ad haec spiritus pinguia. Ubi, ubi vitae via, ducens ad prata Deum rorantia, sitibunda corda reficientia? O amor, tu solus noscis ea vitae et veritatis itinera. In te 3 peraguntur 1. Comme diverses Proses, depuis Ιο χιι· siècle, Gertrude multiplie les noms do ramour-sagesse. usant à l’occasion du vocabulaire grec. 2. Tout le paragraphe révèle une pensée théologique soustendue à l’œuvre de Gortrudo. Celle-ci, après avoir parlé do rarnour sagesseJ qu’elle semble bien attribuer au Verbo, on vient à l’amour-amitié, ΓEspritSaint. 3. On remarquera l’insistance : in Je, per tet de te, ex te, a te. L’artiftcs EXERCICE III, 345 -371 121 mains délicates qui te nourrirent et t’éduquèrent, toi Fils de Dieu le Père, afin qu’elles défendent et secondent mon propos de chasteté, qu’elles me conduisent sans tache dans la voie de la pureté virginale et de la continence virginale. Ah! de grace, dis de moi à cette rose virginale : a Reçois-la sous ta garde maternelle; moi, je te la confie avec toute la force de ma divine charité. Vois, Mère, à me la rendre sans tache, et à me la remettre éduquée selon mon cœur ». Amen. Pour l’hymne « Te Deum laudamus », adresse tes louanges à la toujours adorable Trinité, par cette prière : Λ toi, Trinité sainte, d’où resplendit la Déité vivante, découle la vie et la sainte sophie \ d’où émane la puissance première, la sagesse coesscntielle, la suavité sans cesse jaillissante, la charité ardente comme le feu, la sainteté qui se répand, la bonté qui remplit tous les êtres; à toi, louange, honneur et gloire. A toi, action de grâces, gloire éclatante, puissance. Car toi qui es le haut cèdre du Liban, divinité dont la majesté royale plane au-dessus des Chéru­ bins, en l’abime de cette vallée de misère tu t’es complu à t’unir au brin d’hysope, par une étreinte nuptiale, par un amour d’époux. Et toi, ô Dieu amour2, nœud et amitié de la Sainte Trinité, tu descends te reposer et prendre tes délices parmi les enfants des hommes, dans la sainte pudeur, qui, par ta puissance pleine d’amour et pour tes saintes délices, répand son parfum comme la rose enfermée au milieu des épines. O amour, amour, par où va-t-on à ces charmes? par où parvient-on à ces richesses de l’esprit? où, où donc est le sentier de la vie conduisant aux prairies dont Dieu est la rosée, et qui réconfortent les cœurs altérés? O amour, toi seul connais ces chemins de la vie et de la vérité. En toi 5 littéraire suppose que les Exercice» ont été pensés en latin, et non traduits de l’allemand. 122 375 380 385 390 GERTRUDE D’HELFTA sanctae Trinitatis chara foedera1. Per te administrantur spiritus charismata meliora. De te redundant fructuum vitae semina uberiora. Ex te emanant deliciarum dei mella dulciora. A te effluunt benedictionum domini sabaoth stil­ licidia pinguiora, spiritus pignora chara, in finibus nostris, heu, heu, nimis rara. 0 amor, o amor, in pulchra dilectione, mihi ad te viam para : in casta charitate in perpetuum sequar te quocumque ieris, amore nuptialis foederis, ubi tu regnans et imperans divinitatis maiestate plenissima, in vivi amoris tui copula­ tione dulcissima et igneae divinitatis tuae viva amicitia, ducis tecum in coelesti chorea beatissima, virginum millena millia praeclarissima, quas tecum una ornat vestis nivea, iubilantes perennis connubii dulcia cantica. Eia o amor, in hac miseria sic custodi me tuae charitatis sub umbra, ut post hoc exilium, sanctuarium tuum te duce intrans sine macula, inter illa virginea agmina, una me reficiat divinae amicitiae venula, unaque satiet fruitio melliflua. Amen, amen dicant omnia 12. 1. Le contexte suggère que l’Esprit-Sainl est ici le lien entre l’âme et la Trinité, plutôt que le lien entre personnes divines. 2. Cette formule conclut nombre de Proses médiévales. EXERCICE ΠΙ. 372 - 390 123 se réalise la précieuse alliance avec la Sainte Trinité Par toi sont répandus les dons supérieurs de Γ Esprit. Avec toi abondent les semences fécondes des fruits de vie. De toi émane le doux miel des délices divines. Venant de toi s'écoulent en riches gouttelettes les bénédictions du Sei­ gneur des armées, gages précieux de l’Esprit, mais trop rares, hélas, hélas, en nos contrées. 0 amour, amour, en la belle dilection prépare pour moi le sentier qui mène à toi : en la chaste charité à jamais je te suivrai partout où tu iras, par l’amour de l'alliance nuptiale, là où tu règnes et gouvernes par la majesté sou­ veraine de la divinité, là où, dans l’union très douce de ton vivant amour et dans la vive amitié de ta brûlante divinité, tu conduis avec toi, en une bienheureuse armée céleste, les milliers de milliers de vierges resplendissantes, qui parées, ainsi que toi, de vêtements blancs comme la neige, et dans la joie, répètent les doux cantiques de l’éter­ nelle union. De grâce, ô amour, au sein de cette misère, garde-moi sous l’ombre de ta charité, de telle sorte qu’après cet exil, sous ta conduite, pénétrant sans tache dans ton sanctuaire, parmi cette multitude de vierges, me réconforte un simple petit ruisseau do ta divine amitié et me rassasie une simple jouissance,'douce comme le miel. Amen, amen. Tel soit le cri de tous les êtres 2. IV EXERCITIUM PROFESSIONIS ANIMAE ERGA DEUM1 Professionem seu votum 12 novi fervoris innovatione spiritualiter celebrabis, his ignitissimis desideriis et orationibus, te totum offerens holocaustum et hostiam deo, in odorem suavitatis : 5 Peto misericordiam tuam multam nimis, pater omnipo­ tens, misericors, clemens, pius, benignus et praestabilis super malitia3, ut me aridum ramusculum4 — quae tempus putationis meae, quo complantasti, me huic reli­ gioni sanctissimae, heu, heu, non observavi, sed totum 10 tempus vitae meae in sterilitate multa transegi — per tuiipsius ingenitam bonitatem, per amorem praedilectae matris tuae gloriosissimae patronae nostrae, virginis Mariae, et per intercessionem beatissimi Benedicti, venerabilis legislatoris nostri, visu tuae misericordiae et charitatis hodie 15 digneris respicere : ut in te tota convalescens reviream, et in veritate 5 sanctificata refloream : vera sanctae religionis cultrix, vera spiritualis vitae observatrix fiam, tibique amatori meo totius virtutis et sanctitatis fructus feram, ut 1. Paquelin ajoute : · Quando vult anima religiosa in se ressusedare gratiam suae donationis. » 2. On remarquera l’équivalence entre vœu et profession : question de vocabulaire et de droit ù la fois. Sans aborder ici l’histoire de la profession religieuse, rappelons que la notion de vœu s’ajoute peu à peu à la notion de consécration, au point que l'on fera consister l’essentiel de la profession dans l’émission des trois vœux. Gertrude no parle que du vœu, au singulier IV EXERCICE DE L’AME FAISANT PROFESSION A DIEU1 Tu célébreras spirituellement ta profession, tes vœux2, par le renouvellement d’une nouvelle ferveur, par ces désirs enflammés et ces prières t’offrant comme un parfait holo­ causte et une hostie à Dieu, en odeur de suavité : Je supplie ta miséricorde immense, Père tout-puissant, miséricordieux, clément, bon, compatissant, qui l’emportes par ta bonté sur la malice a, pour moi, petit rameau desséché4, qui n’ai pas profité, hélas, hélas! du temps de la taille, alors que tu me plantais en cette très sainte Religion, mais qui ai passé dans une totale stérilité tout le temps de ma vie; je te supplie, au nom de cette bonté qui est innée en toi, au nom de l’amour de ta très chère Mère, notre très glorieuse patronne la Vierge Marie, au nom et par l’intercession du bienheureux Benoît, notre vénérable législateur : daigne diriger aujour­ d’hui sur moi ton regard de miséricorde et de charité, afin que, prenant toute ma force en toi, je reverdisse, et que, sanctifiée dans la vérité 6 je refleurisse. Donne-moi d’avoir le vrai culte de la sainte Religion, d’être vraiment fidèle aux devoirs de la vie spirituelle; et que pour toi, qui m’aimes, je marquant ainsi une étape dans l'évolution, étape que moralistes et canonistes ont en général dépassée à la fin du xin· siècle. 3. Joël 2, 13. 4. Cant. 2, 12. 5. Jn 17, 17. 126 GERTRUDE D’HELFTA in tempore vindemiae, hoc est, in obitus mei die, in omni 20 religionis perfectione, plene matura et consummata inveniar coram te. Amen. Pro benedictione 1 : Tua divina omnipotentia, sapientia, et bonitas, deus meus, dulcis amor meus, benedicat mihi, et faciat me voluntate 25 promptissima venire post te, veraciter abnegare memetipsam, et corde intentissimo, spiritu et anima, modo perfectissimo sequi te. Amen. Hic invoca gratiam spiritus sancti : O dulcedo et dilectio mea deus meus, misericordia mea. 30 Eia spiritum tuum sanctum iam de excelsis emitte, et cor novum ct spiritum novum crea in me 1 2. Unctio tua doceat me de omnibus, quia te elegi prae millibus3, et te super arnorem omnem, et super amorem animae meae diligo charius. Pin­ guescat virtus animae meae illo quam tu concupiscis cha35 ritatis decore et pulchritudine, quia te desidero vehemen­ ter. Eia fac me coram te apparere decenter. Amen. [Anliphona} .■Venite1. Et ecce venio ad te quem amavi, in quem credidi, quem dilexi. 40 Oratio : Tu exhilaratio spiritus mei, tu laus cordis et oris mei, lesu mi : sequar te quocumque ieris. Quum cor meum 1. II est difficile de préciser les rites auxquels Gertrude se rôfërc avant l'appel des vierges. Son texte no semble pas faire allusion au formulaire du Pontifical composé par le moine de Saint-Alban do Mayence, mais pas davantage au Pontifical de Durand de Mende, encore que celui-ci insiste sur la notion de desponsatio chère à Gertrude. (Sur ces Pontificaux, et. René Metz, La consécration des vierges dans ΓÉglise romaine, Bihl. de l'Inst. de Droit canonique de Strasbourg, IV, Paris, 1954). 2. Cf. Éz. 18, 31 ; / Jn 2, 27. 3. Cf. Cunl. 5, 10 : dilectus ex millibus. EXERCICE IV, 19-41 127 porte les fruits do toute vertu et de toute sainteté, afin qu’au moment de la vendange, je veux dire, au jour de ma mort, je sois trouvée dans la pleine maturité et la consom­ mation de toute la perfection religieuse, en paraissant devant toi. Amen. Pour la bénédiction 1 : Que ta divine toute-puissance, ta sagesse et ta bonté, mon Dieu, mon doux amour, me bénisse; qu’elle me fasse marcher à ta suite avec une volonté empressée, me renoncer moi-même sincèrement, et d’un cœur, d’un esprit et d’une âme très zélés, te suivre en la manière la plus parfaite. Amen. Implore ici la grâce de l’Esprit-Saint : O douceur et dilection, mon Dieu, ma miséricorde, ah, envoie maintenant des cieux ton Esprit-Saint, et crée en moi un cœur nouveau et un esprit nouveau2. Que ton onction m’enseigne sur toutes choses; car je t’ai choisi entre mille3, et je t’aime plus chèrement que tout autre amour, phis que l’amour de ma propre vie. Que la vertu de mon âme abonde de l’éclat et de la beauté de cette charité que tu convoites, car je te désire ardemment. Ah, fais-moi paraître en ta présence d’une façon digne de toi. Amen. Antienne : Venez 4. Oui, me voici, je viens à toi que j’ai aimé, en qui j’ai cru, à qui j’ai donné mon cœur. Prière : Toi, la joie débordante de mon esprit, toi, la louange de mon cœur et de ma bouche, mon Jésus : je te suivrai partout où tu iras. Quand tu auras revendiqué pour ·'«. Comme au Pontifical, nous trouvons ici les trois appels, mais avec une réponse différente de celle que donnait VExercite précédent. On reconnaîtra néanmoins une penséo commune, s’appuyant sur lo Cantique el VApocalypse. 128 GERTRUDE D’HELFTA tibi vindicaveris, et proprium possederis, in asternum mihi auferri non potoris. Antiphona : Venite. 45 Et ccce venio, etc. Oratio : Dilecte mi, charilatis amplexu inseparabili ad cor meum stringo te, lesu mi. Ecce iam apprehensum toto cordis mei amore teneo te 1 : etiam si millies benedixeris mihi, nunquam ultra dimittam te 2. 50 [Antiphona] : Venite, filiae. Et ecce venio ad te (ut supra). Oratio : Tota efficacia et virtus divinitatis tuao laudet te pro me, tota amicitia et affectus humanitatis tuae satisfa­ ciat Libi pro me, tota magnificentia et maiestas imperialis 55 Trinitatis glorificet, magnificet et honorificet teipsum, in teipso pro me, illa laude altissima, qua tu ipse solus tibi sufficis, et omnium creaturarum defectum tibimetipsi supplens in te perficis ’. Arnen. Antiphona : Audite me, timorem Domini docebo vos. 60 Oratio : Eia lesu, pastor bone, fac me audire et agnoscere vocem tuam ab omni quod mo impedit a te. In brachio tuo leva me. Fac me ovem tuam spiritu tuo foetam in sinu tuo quiescere 4. Ibi doce me quomodo timeam te. Ibi ostende mihi qualiter diligam te. Ibi instrue me quemadmodum sequar te. 65 Arnen. Antiphona : Accedite ad cum et illuminamini, et facies vestrae non confundentur5. Oratio : Ecce accedo ad te, o ignis consumens, deus meus. Î. Passage inspiré du Cantique^ surtout 8, 2 et 3, 4. 2. Gen. 32, 26. 3. Gertrude définit nettement l’un des thèmes majeurs de sa pensée, celui du la suppléance par laquelle Dieu comble, pour les Ames de bonne volonté, l’abîme qui existe entre elles et sa perfection infinie. Ce théine parachève la doctrine de la grâce chez Gertrude. EXERCICE IV, 42-68 129 toi mon cœur et que tu l’auras possédé en propre, jamais au monde tu ne pourras m’être enlevé. Antienne : Venez. Oui, me voici, etc. Prière : Mon bien-aimé. je te presse contre mon cœur dans l’inséparable embrassement de la charité, ô mon Jésus. Voici que t’ayant saisi, je te retiens par tout l’amour de mon cœur1; quand bien même tu m’aurais bénie mille fois, jamais plus je ne te laisserai partir2. Antienne : Venez, mes filles. Oui, me voici... (comme ci-dessus). Prière : Que toute la puissance et la vertu de ta divinité te louent pour moi; que toute l’amitié et la tendresse de ton humanité te fassent réparation pour moi; que toute la magnificence et la majesté impériale de la Trinité te glori­ fient, te magnifient et t’honorent toi-même, en toi-même pour moi, de cette louange suprême par laquelle toi seul, tu te suilis à toi-même, et par laquelle, suppléant à l’égard de toi-même au défaut de toutes les créatures, tu leur donnes en toi leur achèvement3. Amen. Antienne : Écoutez-moi, je vous enseignerai la crainte du Seigneur. Prière : Ah, Jésus, bon Pasteur, fais que j’entende et que je reconnaisse ta voix, me délivrant de tout ce qui m’empêche d’être à toi; relève-moi de ton bras; fais-moi reposer dans ton sein, moi ta brebis rendue féconde par ton Esprit·45. Là, enseigne-moi comment te craindre; là, montre-moi comment t’aimer; là, apprends-moi comment te suivre. Amen. Antienne : Approchez-vous de lui, et vous serez baignées de lumière et vos visages n’éprouveront aucune confusion s. Prière : Voici que j’approche de toi, ô feu consumant, 4. 1$. 40, 11; Jn 10, 11. 5. Ps. 33, 5. 130 GERTRUDE D’HELFTA Eia in ignea vi amoris tui me pulvisculum vorans, penitus 70 consume et absorbe in te. Ecce accedo ad te, o dulce lumen meum. Eia illumina faciem tuam super me x, ut fiant tene­ brae meae sicut meridies coram te. Ecce accedo ad te, o bea­ tissima unio. Eia me tccum unum effice in vivi amoris glu­ tino. Psalmus1 2 : Domini est terra. Antiphona : Haec est generatio quaerentium dominum, quaerentium faciem dei lacob 3. Oratio : Fac me, dulcis lesu, adscribi et annumerari in generatione scientium te, deus Israel, in generatione quae­ 80 rentium faciem tuam, deus lacob, in generatione diligentium te, deus sabaoth. Eia ut innocens manibus et mundo corde accipiam benedictionem et misericordiam a te deo salutari meo. 75 Psalmus4 : Miserere mei deus. Antiphona : Cor mundum crea in me deus, spiritum rec­ 85 tum innova in visceribus meis. Oratio : In abyssum charilatis tuae me immissam merge satis. Eia o amor, da gratis, lavacro gratiae ab omni macula mundans me; in te, o vita mea vera, innova me. Psalmus 5 : Qui habitat in adiutorio. Antiphona : Qui habitat in adiutorio altissimi, in protec­ tione dei coeli commorabitur. Oratio : Susceptor animae meae et refugium meum in dio malorum, scapulis tuae defensionis in omni tentationo 95 obumbra me, scuto veritatis circumda mc. Tu ipse sis mecum 90 1. P». 118, 135. 2. Ps. 33. 3. Ps. 33, 6. EXERCICE IV, 69-95 131 mon Dieu. De grâce, dans l’ardeur embrasée de ton amour, me dévorant, petit grain de poussière, consume-moi entiè­ rement et absorbe-moi en toi. Voici que j’approche de toi, ô ma douce lumière. De grâce, fais briller sur moi ton visage 1 afin que mes ténèbres deviennent comme le midi devant loi. Voici que j’approche de toi, ô bienheureuse union; de grâce, fais de moi un seul être avec toi, par le lien du vivant amour. Psaume 2 ; Domini est terra. Antienne : Voilà la race de ceux qui cherchent le Seigneur, qui cherchent la face du Dieu de Jacob 8. Prière : Fais-moi, doux Jésus, inscrire et compter dans la race de ceux qui te connaissent, Dieu d’Israël; dans la race de ceux qui cherchent ta face, Dieu de Jacob; dans la race de ceux qui t’aiment, Dieu des armées. De grâce, fais que, les mains innocentes et le cœur pur, je reçoive béné­ diction et miséricorde, de toi, ô Dieu mon Salut. Psaume45; Miscrere mei Deus. Antienne : Crée en moi un cœur pur, ô Dieu; renouvelle l’esprit de droiture au fond de mon être. Prière : Plonge-moi et submerge-moi dans l’abîme de ta charité. De grâce, ô amour, donne gratuitement, me puri­ fiant de toute tache dans le bain de la grâce; en toi, ô ma vraie vie, renouvelle-moi. Psaume 6 : Qui habitat in adiutorio. Antienne : Celui qui habite sous la garde du Très-Haut, demeurera dans la protection du Dieu du ciel. Prière : Protecteur de mon âme et mon refuge au jour de malheur, couvre-moi sous tes ailes et défends-moi en toute tentation; entoure-moi du bouclier de la vérité. Toi-même, 4. Ps. 50. 5. Ps. 90. 132 GERTRUDE D’HELFTA in omni tribulatione mea; spes mea, ab omni periculo cor­ poris et animae semper defende et protege me. Eia, et post hoc exilium ostendo mihi teipsum dulce salutare meum. Amen. 100 105 no 115 120 125 Litania : Kyrie eleison. Christe eleison. Kyrie eleison. Sancta Trinitas unus deus : da ut cor meum tc timeat, to diligat, tc sequatur, quia tu es verus amor meus. Sancta Maria, paradisus sanctitatis, lilium puritatis, tu sis dux et custos meae castitatis, quia in te est omnie gratia vitae et veritatis. Omnes sancti angeli et archangeli, obtinete mihi corpore et anima gratum servilium impendere illi regi, cui servire est regnare, cui vos ministrando assistitis sine omni taedio, cum ineffabili iubilo *. Sancte loannes Baptista, obtine mihi illo vero illustrari lumine, cui tu venisti testimonium perhibere 1 2. 0 mi pater Abraham, illam mihi obtine fidem et obedientiarn, quae te perduxit, ad dei viventis amicitiam 3. 0 dei chare Moses, obtine mihi illum spiritum mansuetu­ dinis, pacis et charitatis, quae te dignum fecit facie ad faciem colloqui cum domino majestatis 4. O David rex et propheta venerabilis, obtine mihi integri­ tatem fidelitatis, promptitudinis et humilitatis, quae te fecit hominem secundum cor dei 5, ut vere placitus et charus esses deo regi. Omnes sancti patriarchae et prophetae, obtinete mihi spiritum capacitatis et intelligentiae. Sancte Petre, princeps apostolorum, auctoritate tua me solve a vinculis omnium meorum peccatorum. 1. Cf. Oraison de Angelis et Poste, de la messe pro pace. 2. Cf. Jn i, 7. 3. Cf. Gen. 15, 6; 22, 18; 26, 5. EXERCICE IV. 96-125 133 sois avec moi en toutes mes tribulations : toi qui es mon espérance, de tout péril du corps et de l’âme défends-moi toujours, et protège-moi. De grâce, après cet exil, enfin montre-toi à moi, mon doux Sauveur. Amen. Litanie : Seigneur, aie pitié. Christ, aie pitié. Seigneur, aie pitié. Sainte Trinité qui es un seul Dieu, fais que mon cœur te craigne, qu’il t’aime, qu’il te suive; car tu es mon véritable amour. Sainte Marie, paradis de sainteté, lis de pureté, sois le guide et la gardienne de ma chasteté; car en toi se trouve toute la beauté de la vie et de la vérité. Tous les saints Anges et Archanges, obtenez-moi d’offrir, de corps et d’âme, un service agréable à ce Roi : le servir c’est régner, et par votre ministère vous vous tenez près de lui sans ennui aucun, avec une ineffable allégresse x. Saint Jean-Baptiste, obtiens-moi d’étre éclairée de cette vraie lumière à laquelle tu es venu porter témoignage2. O mon Père Abraham, obtiens-moi cette foi et cette obéissance qui t’ont conduit à l’amitié du Dieu vivant3. O Moïse, cher à Dieu, obtiens-moi cet esprit de mansué­ tude, de paix et de charité qui t'a rendu digne de t’entre­ tenir face à face avec le Seigneur de majesté4. O David, Roi et Prophète vénérable, obtiens-moi la perfection de la fidélité, de la docilité et de l’humilité qui ont fait de toi un homme selon le cœur de Dieu 5, pour être vraiment agréable et cher au Dieu Roi. Tous les saints Patriarches et Prophètes, obtenez-moi l’esprit de pénétration et d’intelligence. Saint Pierre, prince des Apôtres, par ton autorité, délivremoi des liens de tous mes péchés. 4. Ex. 33, 11. 5. Cf. I Sam. 2, 35. 134 130 135 140 145 150 155 GERTRUDE D’HELFTA Sancte Paule, vas electionis, obtine mihi donum verae dilectionis *. 0 mi chare loannes, discipule quem diligebat lesus1 2, obtine mihi illam pietatem, immaculationcm et sanctitatem spiritus quam in me concupiscit flos et filius lilii illius cuius tu eras custos delicatus. Omnes sancti apostoli, lesu Christi sponsi mei fratres et amici 3, obtinete mihi ut ipsi uniar charitate inseparabili. Sancte Stephane, protomartyr electe, obtine mihi pro amore Christi sitire martyrium, ut et ipse fiat mihi in auxi­ lium, qui tibi suum impendit in morte solatium 45 . Sancte Laurenti, miles invicte, obtine mihi amorem morte fortiorem, quo superasti incendium et tortorem. Sancte Georgi, flos martyrum, obtine mihi in dei servitio invictum spiritum. Omnes sancti martyres, obtinete mihi dulcem patientiam, . ut pro amore lesu parata sim exponere corpus et animam. | Sancte Gregori, pastor apostolicc, obtine mihi in sanctae religionis proposito usque in finem vitae meae perseveranter vigilare. Sancte Augustine, speculum ecclesiae, obtine mihi ut tota vivam deo et ecclesiae. 0 totius religionis fundamentum praenobile, pater mi Benedicte, deo dilecte, obtine mihi in rigore spiritualis vitae tantam animi constantiam, ut tecum bravium vitae aeternae accipiam. Omnes sancti confessores, obtinete mihi indui confessione et pulchritudine s, ut omnis vita mea et actio confiteatur domino miserationes eius in omni opere. Sancta Katharina, vulnerata charitate divina, obtine mihi omnia terrena despicere, et lesuin solum concupiscere.! 1. 2. 3. 4. 5. Aa. 9, 15. Jn 13. 23. Allusion à Jn 15, 15 et à Ps. 138, 17, inspirée par la Liturgie. Cf. Act. 7, 55 s. Cf. Ps. 95. G. EXERCICE IV. 126-156 135 Saint Paul, vase d’élection, obtiens-moi le don de la véritable dilection l. O Jean, qui m’es cher, disciple que Jésus aimait2, obtiensinoi cette piété, cette innocence et cette sainteté de l’esprit que souhaite en moi avec ardeur la fleur, et le fils, de ce lis dont tu étais le gardien délicat. Tous les saints Apôtres, frères et amis de Jésus-Christ mon époux 3, obtenez-moi de lui être unie par une charité indissoluble. Saint Étienne, élu pour être premier martyr, obtiensmoi d’avoir soif du martyre pour l’amour du Christ, afin que lui-même me vienne aussi en aide, lui qui t’envoya sa consolation au moment de ta mort *. Saint Laurent, guerrier invincible, obtiens-moi cet amour plus fort que la mort, qui t’a fait vaincre le feu et le bourreau. Saint Georges, fleur des martyrs, obtiens-moi dans le service de Dieu un invincible élan. Tous les saints martyrs, obtenez-moi une douce patience, afin que pour l’amour de Jésus, je sois prête à exposer mon corps et ma vie. Saint Grégoire, pasteur apostolique, obtiens-moi de per­ sévérer avec vigilance dans le propos de la sainte Religion jusqu’à la fin de ma vie. Saint Augustin, miroir de Γ Église, obtiens-moi de vivre tout entière pour Dieu et pour ΓÉglise. Fondement très noble de toute la Religion, mon père, Benoît, aimé de Dieu, obtiens-moi une si grande fermeté d’âme dans l’austérité de la vie spirituelle, que je reçoive avec toi la récompense de la vie éternelle. Tous les saints confesseurs, obtenez-moi d’être revêtue de gloire et de beauté °, en sorte que toute ma vie et mes actions célèbrent le Seigneur pour ses miséricordes en toutes ses œuvres. Sainte Catherine, blessée par la divine charité, obtiensmoi de mépriser toutes les choses de la terre et de ne con­ voiter que Jésus seul. 136 160 165 170 175 180 185 GERTRUDE D’HELFTA Sancta Agnes, delicata agni pedissequa, obtine mihi charitate ignea sponsum meum lesum diligere, cuius tu te glo­ riaris constrictam amore, subarrhatam fide, et eius thala­ mum introisse1. Sancta Maria Magdalena, ferventissima lesu Christi amatrix, obtine mihi ut fiam sanctae religionis diligentissima observatrix. Omnes sanctae virgines et viduae, obtinete mihi sic in omni spiritualis vitae sanctitate proficere, ut ad fructum centesimum possim pervenire 12. Omnes sancti et electi dei, obtinete mihi talem et tantam sanctae religionis 3 observantiam, per quam vobiscum perve­ niam ad illam vitae aeternae patriam, quae nescit nisi gaudia, ubi deus est omnia. Propitius esto peccatis et negligentiis meis, domine, et omnes ruinas deperditae conversationis4* meae tua perfec­ tissima conversatione supplere dignare. A pusillanimitate spiritus et tempestate, ab omni cor­ dis perversitate et carnalitate, ab omni mentis caecitate et sterilitate, et ab omni morum negligentia et pravitate : libera me domine. Per omnia viscera paternae misericordiae tuae 6, da mihi intellectum, et instrue me in proposito huius religionis — quam nunc profiteor coram te — quia fateor me nihil esse, nec scire, nec posse absque te. Per genitricem tuam, deduc me in semita immaculata, ut tibi placita fiam corpore et anima. Ego indigna et prodiga filia tua, quae heu exigentibus peccatis meis, amisi nomen filiae, de paterna pietate tua 1. Expression» prises à diverses pièces de l’Oflico do sainte Agnès. 2. Cf. Le 8, 8. La finale de la Préface de la consécration des vierges fait allusion à ce fruit centuple. 3. La Religion est évidemment la vie religieuse, monastique. 4. Si l’usage est constant de conversatio pour désigner la vie de l'homme, spécialement la vie dans le cloître, le mot n’est pas habituellement utilisé EXERCICE IV. 157-185 137 Sainte Agnès, délicate petite suivante de l’Agneau, obtiens-moi d’aimer d’un amour embrasé Jésus, mon époux, toi qui te glorifies d’etre enchaînée par son amour, d’avoir reçu les arrhes de sa foi, et d’être entrée dans sa chambre nuptiale x. Sainte Marie-Madeleine, amante passionnée de JésusChrist, obtiens-moi d’être une très diligente observatrice de la sainte Religion. Toutes les saintes vierges et veuves, ohtenez-moi de si bien progresser dans toute la sainteté de la vie spirituelle, que je puisse arriver à produire cent pour un 2. Tous les saints et les élus de Dieu, obtenez-moi un si grand et si complet respect de la sainte Religion 3, que, par elle, je parvienne avec vous à cette patrie de la vie éternelle qui no connaît rien que les joies, là où Dieu est tout. Pardonne mes péchés et mes négligences, Seigneur, et daigne suppléer par ton existence très parfaite à toutes les ruines de mon existence perdue4. De la pusillanimité d’esprit et du trouble, de toute perver­ sité du cœur et de toute sensualité, de tout aveuglement de l’âme et de toute stérilité, de toute négligence et perversité de conduite, délivre-moi Seigneur. Par toutes les entrailles de ta paternelle miséricorde 5, donne-moi l'intelligence et, toi, fortifie-moi dans le propos de cette Religion que je professe en ce moment en ta présence; car je reconnais ne rien être, ni savoir, ni pouvoir, sans toi. Par ta Mère, conduis-moi dans la voie immaculée, afin que je te devienne agréable de corps et d’àmc. Moi, ta fille indigne et prodigue, qui, par la suite fatale de mes péchés, hélas, ai perdu le nom de fille, me confiant en ta pour désigner la vio du Christ parmi nous. Cette originalité do Gertrude rend difficile la traduction du mot par un même terme, qui convienne à Jésus ot à sa servante. 5. Cf. Le 1, 78. 138 19Ό 195 200 205 210 GERTRUDE D’HELFTA confisa, rogo te, secundum multitudinem miserationum tuarum respice in me \ et omnes impietates meas delens, i exaudi me. Ut in sancta religione mihi spiritum invictum, cor afflic­ tum, animum promptum, et corpus 12 aptum donare digneris : te rogamus, audi nos. Ut gratiam, saporem et amorem spiritualis vitae mihi infundere digneris : te rogamus, audi nos. Ut me saeculo perfecte abrenuntiare, et tibi tota devotione facias adhaerere : te rogamus, audi nos. Ut me huius sanctae religionis fidelem executricem facias, et in hoc proposito perseverare concedas : te rogamus, audi nos. Ut omnibus nobis in loco isto tibi servientibus, unitatem spiritus in vinculo charitatis et pacis donare digneris3, et post hanc vitam ad promissum gloriae tuae praemium· nos perducere digneris : te rogamus, audi nos. Ut ex tota auctoritate divinitatis tuae me ab omnibus peccatis absolvere, et in sancto proposito confirmare, et ex toto affectu humanitatis tuae te mihi placabilem exhi­ bere, et in iis omnibus plene exaudire digneris : te roga­ mus, audi nos. lesu, fili dei vivi, tibi soli nota est tota causa desiderii mei; fac me secundum cor tuum fieri : te rogamus, audi nos. Agne dei, in via hac qua ambulo, tene manum dexteram meam, ne deficiam. Agne dei, hoc quod 4 in tuo coepi nomine, fac me, te coo­ pérante, fideliter adimplere. 1. Ps. 68,17. 2. On remarquera la série : corpus, animus, cor, spiritus, où l’on retrouve à la (ois la dichotonomie corpus-anima, et la trichotonoinie anima, animus, spiritus. 11 semble bien que Gertrude s'inspire de la Lettre d'or de Guii.i.a u me dr Saint-Thierry, dans laquelle précisément Guillaume réalise la synthèse corpus-anima, animus-spiritus (cf. Dom J. M. DkchaneT, Lettre d'or aur Frères du Mont-Dieu, Introduction, p. 12-16). Dans ces EXERCICE IV, 186-213 139 compassion paternelle, je t’en supplie : selon la multitude de tes miséricordes, jette un regard sur moi1 et, en effaçant toutes mes impiétés, exauce-moi. Daigne me donner dans la sainte Religion un esprit invin­ cible, un cœur rempli de componction, une àme décidée, et un corps 2 apte à servir; nous t’en supplions, exauce-nous. Daigne verser en moi la grâce, la saveur et l’amour de la vie spirituelle; nous t’en supplions, exauce-nous. Fais-moi renoncer complètement au siècle, et m’attacher à toi dans un total dévouement; nous t’en supplions, exaucenous. Fais-moi accomplir fidèlement tous les devoirs de cette sainte Religion, et accorde-moi de persévérer dans ce saint propos; nous t’en supplions, exauce-nous. A nous toutes, qui te servons en ce lieu, daigne donner l’unité d’esprit dans le lien de la charité et de la paix 3, et après cette vie nous conduire à la récompense promise, à ta gloire; nous t’en supplions, exauce-nous. Daigne, par toute la puissance de ta divinité, m’absoudre de tous mes péchés et me confirmer dans mon saint propos, et par toute l’affection de ton humanité te montrer clé­ ment envers moi et m’exaucer pleinement dans toutes ces demandes; nous t’en supplions, exauce-nous. Jésus, Fils du Dieu vivant, toi seul connais tout l’objet de mon désir; fais que je sois transformée selon ton cœur; nous t’en supplions, exauce-nous. Agneau do Dieu, en cette voie où je marche, tiens ma main droite, de peur que je ne défaille. Agneau de Dieu, ce que 4 j’ai commencé en ton Nom, fais que fidèlement je l’accomplisse moyennant ton secours. conditions on se demandera si le manuscrit, nu lieu de cor afflictum ne portait pas afjccium, qui conviendrait parfaitement au contexte comme à la source d'inspiration, source que Gertrude modifie légèrement. 3. Cf. Éphé*. 8.. 4. Lanspergius et la plupart des autres éditeurs : hic quod. 140 GERTRUDE D’HELFTA Agne dei, ne impediant me peccata mea, sed in his omni215 bus promoveat me miseratio tua. Christe audi me, et in hora mortis laetifica me in salutari tuo. Kyrie eleison. Christe eleison. Kyrie eleison. Oratio : Virtutum omnium deus artificiosissime plantator 220 et custos, fac me indignam, velut aliquod minimum de vero semine tuo granum, in sanctae religionis proposito convales­ cere, et ad millesimum fructum perfectioris vitae accrescere, et usque in finem vitae meae fideliter et indefesse in tuo sancto servitio perseverare. 225 Invoca divinam sapientiam ut auxilietur tibi, cum res­ ponsorio : Responsorium : Emitte, domine, sapientiam de sede magni­ tudinis tuae, ut mecum sit et mecum laboret : ut sciam quid acceptum sit coram te omni tempore l. 230 Versus : Da mihi domine, sedium tuarum assistricem sapientiam1 2. Ut sciam quid acceptum sit coram te omni tempore. Hic dabis domino chirographum tuae professionis, dicens3: lesu mi dilectissime, opto amoris regulam tecum assumere, 235 quo vitam meam in te renovare valeam et transigere. Eia pone vitam meam sub sancti spiritus tui custodia, ut omni tempore ad mandata tua inveniar promptissima. Mores meos tibi assimila : in tui amore et pace me consolida. Sensus meos conclude luce tuae charitatis, ut solus tu doceas, ducas 240 et instruas me in penetralibus cordis 4. Absorbe spiritum 1. Sag. 9. to. 2. Sag. 9, 4. 3. Ici un passage on allemand d'abord, puis en latin (cf. appendice). 4. Le contexte et la précision in penetralibus cordis semblent indiquer quo Gertrude ne pense pas ici aux sens corporels, mais aux cinq sens spirituels; il la tin de l’Exercice (t. 410) l’allusion est évidente. EXERCICE IV, 214-240 141 Agneau de Dieu, que mes péchés ne me soient pas un obstacle, mais qu’en toutes ces demandes, ta miséricorde me fasse progresser. 0 Christ, écoute-moi; et à l’heure de ma mort, réjouismoi dans ton salut. Seigneur, aie pitié. Christ, aie pitié. Seigneur, aie pitié. Prière : Dieu qui avec un art consommé plantes et gardes toutes les vertus, fais-moi, malgré mon indignité, comme un tout petit grain pris de ta vraie semence, pousser vigou­ reusement dans le propos de la sainte Religion, et produire jusqu’à mille le fruit de la vie parfaite, et persévérer jusqu’à la fin de ma vie, fidèlement et courageusement, dans ton saint service. Invoque la divine Sagesse, et demande-lui son secours, par le répons : Répons : Envoie, Seigneur, la Sagesse, du trône de ta majesté, afin qu’elle demeure avec moi et partage mes tra­ vaux. Afin que je connaisse ce qui t’est agréable en tout temps x. Verset : Donne-moi, Seigneur, la Sagesse qui est assise près de ton trône2, afin que je connaisse ce qui t’est agréable en tout temps. Présente ici la cédule de ta profession, en disant3 : Mon très aimé Jésus, je désire suivre avec toi la règle d’amour, grâce à laquelle je pourrai renouveler ma vie et la passer en toi. Oh, place ma vie sous la garde de ton EspritSaint afin qu’en tout temps je sois trouvée très empressée à tes commandements. Rends ma conduite conforme à la tienne; consolide-moi dans ton amour et dans la paix. Enferme mes sens dans la lumière de ta charité, afin que toi seul tu m’enseignes, me diriges et me formes, au plus intime de mon cœur4. Absorbe mon esprit dans ton esprit, si puissam- GERTRUDE D’HELFTA 142 meum tuo spiritu tam valide, tarnque profunde, ut vere tota sepeliar in te, et in tui unione deficiam a me, sepulturamque meam praeter amorem tuum nemo alius sciat in te. Hic amor suo me claudat sigillo, ct consignet tibi nexu individuo. 245 Arnen. Hic convertaris ad Dominum, perspiciens quae sit prima quam tibi amor eius iniungit obedientia : Dilectus meus clamat ad me : Pone me ut signaculum super cor tuum, et super brachium tuum : quia fortis est ut mors 250 dilectio ’. Para te tota promptitudine ad ingrediendum cum Domino viam pulchrae dilectionis 1 2, cum responsorio : Responsorium. : Diligam te, domine virtus mea : dominus firmamentum et refugium meum et liberator meus. VerettS .· Laudans invocabo dominum, et ab inimicis meis 255 salvus ero, Dominus firmamentum meum, et refugium meum, ct liberator meus. Ad suscipiendum iugum sanctae regulae : Suscipe me, pater sancte, in tuam clementissimam pater­ 260 nitatem, ut in stadio huius sancti propositi, quo pro tuo amore currere inchoavi, temetipsum accipiam in bravium et aeternam haeredilatcm 3. Suscipe me, lesu amantissime, in tuam benignissimam fraternitatem : ut tu portes mecum totum pondus diei et 265 aestus 4, et te habeam in totius laboris mei solatium, et iti­ neris mei comitem, ductorem et socium. Suscipe me, spiritus sancte, amor deus, in tuam piissimam misericordiam ct charitatem : ut te habeam in totius vitae meae magistrum et praeceptorem, et cordis mei dulcissimum 270 amatorem. Arnen. 1. 2. 3. 4. Cani. 8, 6. Cf. Ecd. 24, 24. Cf. I Cor. ·.», 24. Matlh. 20, 12. EXERCICE.IV, 241 -270 143 ment et si profondément que vraiment je sois tout entière ensevelie en toi, et que dans cette union avec toi je me quitte moi-même, et que nul, si ce n’est, ton amour, ne connaisse ma sépulture en toi. Là, que l’amour m’enferme sous son sceau et m’enchaîne à toi par un lien indivisible. Amen. Ici, tourne-toi vers le Seigneur, et considère quelle est la première obédience que t’enjoint son amour. Mon bien-aimé me crie : « Pose-moi comme un sceau sur ton cœur et sur ton bras; car l’amour est fort comme la mort ’ ». Prépare-toi en tout empressement à marcher de grand cœur avec le Seigneur dans la voie du bel amour 3, par ce répons : Répons : Que je t’aime, ô Seigneur, ô ma force. Tu es, Seigneur, mon appui et mon refuge et mon libérateur. Verset : Je louerai et j’invoquerai le Seigneur, et je serai délivré de mes ennemis. Tu es, Seigneur, mon appui et mon refuge et mon libérateur. Pour recevoir le joug de la sainte Règle : Reçois-moi, Père saint, dans ta très clémente paternité, afin que dans le stade de ce saint propos où, par ton amour, j’ai commencé à courir, je te reçoive toi-même comme récompense et éternel héritage 3. Reçois-moi, Jésus très aimant, dans ta très douce frater­ nité : toi, porte avec moi tout le poids du jour et de la cha­ leur 1 et sois ma consolation dans tout mon labeur, compa­ gnon de mon voyage, guide et associé. Reçois-moi, Esprit-Saint, Dieu-amour, dans ta très aimante miséricorde et charité : sois le maître et le précep­ teur de toute ma vie et le plus tendre ami de mon cœur. Amen. 144 GERTRUDE D’HELFTA Hic prosternere coram domino : Kyrie eleison. Christe eleison. Kyrie eleison. Psalmus : Miserere mei deus. Dicas : Ad pedes tuos venio, pater amantissime. Ecce 275 peccata mea diviserunt inter te et me. Eia secundum mul­ titudinem misericordiae tuae mei miserere, et rumpe mace­ riam antiquae conversationis meae, quae impedit me a te1 ; et tam violenter trahe me ad te, ut inextinguibilis dilec­ tionis tuae dulcedine sapienter amando sequar te. 280 Oratio : Eia pie lesu, quia velle adiacet mihi, perficere autem non invenio : ex fragilitate conditionis hurnanae, tua gratia coopérante ·, sic animam meam ad te per legem immaculatam tui amoris converte, ut viam mandatorum tuorum infatigabiliter currens 123, et tibi inseparabiliter adhae­ 285 rens, tu mecum sis, domine mi, adiuvans rne semper et confortans in opere quod suscepi amore amoris tui 45 . Pro impositione sancti habitus, dicas hanc orationem : 0 amor veni nobilis, quo ego calamus ignobilis, ex tuo florido aspectu lilio similis4, praestantissimae divinitatis 290 tuae dextera plantata, in sanctae humilitatis valle profun­ dissima, in transitu aquae supereffluentis charitatis tuae, in transitu aquae magnae indulgentiae tuae et pietatis : ut ego aridum foenum plantationis tuae, quae in me sum tota nihilum et inane, ex spiritus tui pinguedine revirescam* 1. Cf. Is. 5, 5. Gertrudo semble bien faire allusion à sa « conversion *. Cf. Héraut II, 16. où il est question, non pas d’un mur, mais d’une haie; or le texte d'Isaïe rapproche les doux mots. Les lignes suivantes confirment l'allusion. 2. Ram. 7, 18 : Prologue de la Règle de saint Benoît. Pour la ponctua­ tion do ce passage (280-283) nous suivons la leçon de Lanspergius, l'-ctio difficilior, mais qui convient parfaitement. 3. Ps. 118, 32 cité par le Prologue de la Règle. 4. Guillaume dp. Saint-Thierry : De contemplando Dca, 2 : amort amoris tui hoc facio. 5. Cant. 2,1 et Sag. Sir. 50, 8 inspirent co passage où il est question EXERCICE IV, 271 - 294 145 Ici, prosterne-toi devant le Seigneur : Seigneur, aie pitié. Christ, aie pitié. Seigneur, aie pitié. Psaume : Miserere mei : Dis : A les pieds, je viens, Père très aimant. Voici que mes péchés avaient mis la division entre toi et moi; de grâce, aie pitié de moi selon la grandeur de ta miséricorde. Renverse le mur de mon existence passée, ce mur qui m’isolait de toi *. Attire-moi à toi avec tant de violence que, ravie par la douceur de ton inextinguible tendresse, je te suive avec amour et sagesse. Prière : O miséricordieux Jésus, vouloir est à ma portée mais parfaire je n’en trouve pas le moyen : tire-moi donc de la fragilité de la condition humaine par l’aide de ta grâce2, et tourne mon âme vers toi par la loi immaculée de ton amour. Alors je courrai sans me lasser dans la voie de tes commandements3; je m’attacherai à toi d’une manière inséparable, et tu seras avec moi, ô mon Soigneur, m’aidant sans cesse et me fortifiant dans l’œuvre que j’ai entreprise par amour de ton amour 4. Pour l’imposition du saint habit, dis cette prière : O amour, viens, toi qui es noble, afin que moi, roseau sans noblesse, sous ta livrée brillante je sois semblable au lis5; la droite de ta souveraine divinité l’a planté dans la vallée très profonde de la sainte humilité, au bord des eaux de la débordante charité, au bord des eaux de ta grande indulgence et de ta compassion. De la sorte, moi, herbe dessé­ chée sur tes plantations, qui de moi-mème ne suis que néant el vanité, grâce à la richesse de ton Esprit, je reverdirai pleinement et refleurirai en toi, ô mon très doux matin. Et de lis, do vallée, de ruisseau, de jardin. Il est difficile de saisir la pensée exacte de Gertrude. Elle parle certainement du cloître, de l’habit monaslique, de la profession ; sans doute envisage-t-elle celle-ci comme un anoblis­ sement, peut-être comme l'adoubement d'un chevalier; on devine, sous-jacente à tout ce passage, la formule < revêtir le Christ ». 146 GERTRUDE D’HELFTA 295 plene, et refloream in te, o meum dulcissimum mane, et sic1 in te exuam veterem hominem cum actibus suis, ut possirn indui novo homine qui secundum Deum creatus est in jus­ titia et. sanctitate veritatis 1 2. Amen. Responsorium. : Regnum mundi (ut supra). 300 Quid mihi iam ultra cum mundo, o lesu chare mi? Ecce nec in coelis quicquam praeter te volui : te solum amo, te desidero, te diligo, te cupio, te sitio, te amo3. In te tota deficio, dilecte mi, dilecte mi. Eia transfer me in flammam tui vivi incendii, et fac me nunc tam integre adhaerere super 305 te, ut in mortis hora relicto corpore, in aeternum mihi bene sit in te : quia anima mea amat te, cor meum desiderat te, virtus mea diligit te, et omnis vita mea a me transiens iam abiit post te. O lesu omnium charorum charissime, tibi dicit cor meum : Tu es charissimum charum meum, totum verum 310 et securum gaudium meum, optima pars mea, quem solum arnat et diligit anima mea. Accedens ad communionem, proiice te totaliter in deum, ut ei soli vivas : Quid sum ego, deus meus, vita animae meae? Heu, heu, 315 quam longe a te. Ecce ego quasi pulvis exiguus, quem pro­ jicit ventus a facie terrae4. Eia, eia, in virtute charitatis tuae dignare africum 5 omnipotentis amoris tui tam valide producere, et in turbine spiritus Lui tanto impetu me in te 1. 677 contre Lanspergius et autres qui écrivent nie-, et. Col. 3, 9. 2. Éphcs. 4, 24. 3. La succession amo, desidero, diligo, se trouve chez Guillaume dû Saint-Thierry; Gertrude la reprend sur un ton supérieur : cupio, sitio, amo. Aux deux termes de la gradation se trouve un amour, l'un initial, naturel, l'autre final, de charité. Plutôt que le De diligendo Deo de saint Bernard, Gertrude suit le De contemplando Dco et le De natura et digni­ tate amoris de Guillaume (les deux autres traités de la trilogie De amore mis sous le nom de Bernard). Le mol deficio venant après le suprême1 degré d’amour rappelle De contemplando n*4 5 et 6. C'est dans le n° 5 que l’on trouve aussi le bene mihi sit in te, reproduit un peu plus has, EXERCICE IV, 295-318 V.7 ainsi1 en toi je dépouillerai le vieil homme avec ses œuvres, afin de pouvoir être revêtue de l’homme nouveau, qui a été créé selon Dieu, dans la justice et la sainteté de la véritéI. 2. Amen. Répons : La royauté de ce monde... (comme ci-dessus). Qu’ai-je désormais de commun avec le monde, ô mon cher Jésus? Voici que dans le ciel même, je ne prétends plus à autre chose qu’à toi; c’est toi seul que j’aime, que je désire, que je chéris, vers qui j’aspire, dont j’ai soif, que j’aime34. En toi je m’évanouis tout entière, mon bien-aimé, mon bienaimé. Emporte-moi, de grâce, en la flamme de ton vif incendie, et fais-moi maintenant adhérer si étroitement à toi qu’à l’heure de la mort, ayant laissé mon corps, je trouve éternellement en toi mon bonheur. Car mon âme t’aime, mon cœur le désire, tout mon être te chérit et ma vie entière est sortie de moi pour aller après toi. O Jésus, le plus aimé de tons les bien-aimés, mon cœur te dit : « Tu es mon bienaimé, le plus aime, toute ma joie véritable et assurée, ma part de choix, le seul objet qu’aime et chérit mon âme. » Approchant de la sainte Communion, jette-toi tout entière en Dieu afin de vivre pour lui seul : Que suis-je moi, ô mon Dieu, vie de mon âme. Hélas, hélas, que je suis loin de loi! Me voici, comme le grain de poussière que le vent soulève de la face de la terre Oh, de grâce, par la vertu de ta charité, daigne faire lever si violemment le vent brûlant5 de ton amour tout-puissant, et dans le tourbillon de ton Esprit me jeter en toi avec tant I. 305. Do plus, la distinction anima, cor, virtus, se situe également dans la ligne willelmionne (cf. supra 189). Ajoutons quo la formule tibi dicit cor mcum (1. 309) est chère à Guilaume; elle annonce, comme dans le Pu. 26 le désir de la face de Dieu. Une comparaison plus poussée montre­ rait In liberté de Gertrude dans l’utilisation de ses sources : on l’entrevoit dans le vocabulaire. 4. P*. 1, 5. Cf. Is. 21, 1 : sicid turbinas ab africo. 148 GERTRUDE D’HELFTA proiiccre, atque in sinu tuae piae curae me excipere : ut 320 incipiam veraciter a memetipsa deficere, et in te. o dulcis amor meus, mente excedere *. Ibi, ibi da mihi memetipsam in te amittere, memetipsam in te tam integraliter relinquere, ut nullum mihi de me in me remaneat vestigium, sicut pul­ veris granum eiect.nm nullum ibi ostendit suae cinctionis 325 defectum. Eia, eia, transfer me sic totaliter in tui amoris affectum, ut in te adnihiletur omne meum imperfectum, et extra te non habeam ultra spiritum : eia da mihi sic me perdere in te, ut in aeternum nusquam inveniam me nisi in te. Arnen. Hic desidera in domino consummari : Quid sum ego, deus meus, amor cordis mei. Heu, heu, quam dissimilis tibi. Ecce ego quasi minima guttula bonitatis tuae, et tu totius dulcedinis plenum mare. Eia o amor, amor, aperi, aperi super me tantillam viscera tuae pietatis. Stilla 335 super me omnes cataractas tuae benignissimae paternitatis. Rumpe super me omnes fontes magnae abyssi 1 2 tuae infinitae misericordiae. Absorbeat me profundum tuae charitatis. Demergar in abyssum maris tuae indulgentissimae pietatis. Peream in tui vivi amoris diluvio, sicut perit stilla maris 340 in suae plenitudinis profundo. Moriar, moriar in tuae immensae miserationis profluvio, sicut moritur scintilla ignis in fluminis impetu validissimo. Involvat me tuae dilectionis stillicidium. Vitam mihi auferat tui amoris poculum. Occultum consilium tui sapientissimi amoris ope­ 345 retur, et perficiat in me gloriosam mortem vitalis amoris. Ibi, ibi amittam vitam meam in te, ubi tu vivis aeternaliter, o amor meus, Deus vitae meae. Arnen. 330 1. Dans ce passage et les suivants, Gertrude décrit un exce/sns menue? qu’elle envisage moins comme un transport en Dieu et davantage comme une absorption de sa vie par celle de Dieu. Cette notion, fondamentale dans tous les Exercices, se trouve ici assez bien définie; il reste difficile pourtant d’en préciser la source. 2. Gen. 7, 11. Lanspergius, etc. : abyssus. EXERCICE IV, 319-347 149 d'impétuosité, et me recevoir dans le sein de ta tendre sollicitude, que je commence vraiment à m’évanouir à moimême, et à vivre en toi, ô mon doux amour, dans le transport de mon esprit ’. Là, là, donne-moi de me perdre moi-même en toi; si radicalement de m’abandonner moi-mème en toi, que de moi il ne me reste plus en moi aucun vestige, comme le grain de poussière soulevé au vent ne laisse là aucune trace de sa disparition. Ah, de grâce, transfère-moi si complètement dans l’affection de ton amour, qu’en toi tout mon être imparfait s’anéantisse et que hors de toi je n’aie plus de vie. Oui, donne-moi de me perdre en toi si complè­ tement, que, pour l’éternité, jamais je ne puisse me retrouver si ce n’est en toi. Amen. Ici, forme le désir d’être consommée dans le Seigneur : Que suis-je, ô mon Dieu, amour de mon cœur? Hélas, hélas, que je te suis dissemblable. Voici que moi, je suis comme une infime gouttelette de ta bonté, et toi, tu es l’océan rempli de toute douceur. O amour, amour, ouvre, ouvre sur moi si petite les entrailles de ta bonté; fais jaillir sur moi toutes les cataractes de ta très bénigne paternité; fais sourdre sur moi toutes les sources du grand abîme 2 de ton infinie miséricorde. Que m’engloutisse le gouffre de ta charité. Que je sois immergée dans l’abîme et l’océan de ta très miséricordieuse bonté. Que je disparaisse dans le déluge de ton vivant amour, comme disparaît une goutte d’eau de la mer, dans la profondeur de son immensité. Que je meure, que je meure dans le torrent de ton immense pitié, comme meurt l’étincelle du feu dans le courant impétueux du fleuve. Que la rosée de ton amour m’enveloppe. Que la coupe de ton amour m’enlève la vie. Que le secret dessein de ton très sage amour opère et achève en moi la glorieuse mort· d’amour, cet amour qui donne la vie. Là, je perdrai ma vie en toi, là où tu vis éternellement, ô mon amour, Dieu de ma vie. Amen. 150 350 355 360 365 370 GERTRUDE D’HELFTA Hic desidera sepeliri in dco vivo : Quid ego sum, deus meus, dulcedo mea sancta? Heu, heu, omnium creaturarum tuarum facta sum peripsema; sed tu mea fiducia magna, quia in te est mihi reposita totiu» deperditionis meae supplementum et abundantia. Eia o amor, amor, amor, congrega nunc super me acervum tuae immensae bonitatis et. indulgentiae. Opprime me sarcina tuae infinitae pietatis et clementiae. Fac me expirare in tui spiritus dulci spiramento, obdormire in tui amoris vela­ mento ’. In degustatione tuae suavitatis vivens tradam spiritum, ut in te, o dulcis amoenitas mea, a memetipsa transiens, suaviter vadam, in amplexus tuos cadam, et in melliflui amoris tui osculo veraciter sepeliar. Involve me syndone charae redemptionis. Condito me aro­ mate tuae pretiosae mortis. Repone me in marmoream tum­ bam tui translanceati cordis: abscondens me sub lapide dul­ cissimi respectus tuae mellifluae faciei, ut in aeternum sit tibi cura mei. Ibi, ibi dilecte mi, sepeliar in tuae paternae dilectionis praedulci umbra. Requiescam. Requiescam. Requiescam in tuae pretiosae et vivae amicitiae sempiterna rnemoria. Eia, eia, in te, o fortis amor, exarescat caro mea. In te, o vitalis amor, expiret vita mea. In te, o dulcis amor, incineretur tota substantia mea. Et in mellifluo lumine vultus tui, requiescat in aeternum anima mea. Arnen. Deinde dicas canticum Magnificat pro gratiarum actione, cum hac oratione : Tibi deus vitae meae, vivificatori animae meae, tibi dul­ 375 cissimo amatori meo, patri, sponso et provisori meo, prae­ sento totalem thesaurum amoris mei, in cremium spiritus i. Plutôt qu'à unjrôphir banal et à une tente, où Dieu adoucirait la mort de Gertrude, celle-ci pense unir son trépas à celui do Jésus, son dernier soupir au sien; en parlant de l’ombre de l’amour, elle penso à la croix. Sans doute transpose-t-elle Ps. 62, 8 : in velamento alarum tuarum exultabo. EXERCICE IV, 3i8 - 376 151 Ici désire être ensevelie dans le Dieu vivant : Que suis-je, ô mon Dieu, ma douceur sainte? Hélas, hélas, je suis devenue le rebut de toutes tes créatures; mais tu es ma grande confiance, car c’est, en toi que repose pour moi ce qui supplée, en abondance, à toute ma ruine. De grâce, ô arnour, amour, amour, accumule main­ tenant sur moi le monceau de ton immense bonté et indulgence. Accable-moi sous le fardeau de ton infinie bonté et de ta clémence. Fais-moi expirer dans le doux soupir de ton esprit, m’endormir sous l’ombre de ton amour >. Goûter ta suavité est toute ma vie : puisséje rendre l’esprit de telle sorte que, passant de moi-môme en toi, ô mon doux et aimable amour, je m’en aille avec suavité, je succombe dans tes embrassements, et je sois vraiment ensevelie dans le baiser de ton amour melliflue. Enveloppe-moi du linceul de ta chère rédemption. Embau­ me-moi dans les parfums de ta précieuse mort. Dépose-moi dans le tombeau de marbre de ton cœur traversé par la lance, me cachant sous la pierre du très doux regard de ta face melliflue, afin que pour l’éternité tu prennes soin de moi. Là, là, mon bien-aimé, que je sois ensevelie à l’ombre si douce de ta paternelle dilection. Que je repose. Que je repose. Que je repose dans l’éternel mémorial de ta précieuse et vivante amitié. Ah, de grâce, qu’en toi, ô amour fort, ma chair se dessèche. Qu’en toi, ô amour vital, ma vie expire. Qu’en toi, ô doux amour, tout mon être tombe en cendres. Et que dans la lumière melliflue de ton visage mon âme repose à jamais. Amen. Récite ensuite en action de grâces le cantique Magni­ ficat avec cette oraison : A toi, Dieu de ma vie, principe vivifiant de mon âme, à toi le plus tendre de mes amis, mon père, mon époux et ma providence, je présente le trésor entier de mon amour dans le brasier de ton Esprit de feu, dans la fournaise embrasée 152 380 385 390 395 GERTRUDE D’HELFTA ardoris tui, in candentem caminum vivi amoris tui, propter te, propter te, o omnium charorum charissime, in hac hora aggrediens vias duras, sciens quia melior est misericordia tua super vitas. Eia o mi dilecte, tua divina virtute, me praesumentem de tua pietate, tui spiritus armatura praecinge ad bellum, ut omnes insidias inimicorum meorum ponas mihi dorsum1, et omne quod tibi soli totaliter non vivit in me, tu ipse supplanta sub me tua inextinguibili charitale, ut tui vivi amoris dulci juvamine, tuae dilectionis vitali suavitate attracta et refecta, diligam te. Diligam te, o dulcis virtus mea, iugum amoris tui suave et onus leve *, hilariter portans, te duce, ut omnis labor servitii quod tibi, dilecto mi, impendo, videantur dies pauci prae amoris tui magnitudine. Dulcis temperies spiritus tui abbreviet et alleviet mihi totum pondus et aestum diei 1 23, et tu ipse omnem operatio­ nem et exercitium vitae meae intricare dignare cooperationi4 vitae vivae dilectionis tuae, ut in aeternum te magnificet anima mea, tibi infatigabiliter serviat omnis vita mea, et exsultet spiritus meus in te 5 Deo salutari meo, oinnisque mea cogitatio et actio tibi sit laus et gratiarum actio. -Arnen. Finitis omnibus, commenda te domino, cum cantico .Nunc dimittis : 400 Eia nunc o amor, rex meus et deus meus, nunc o lesu mi, chare meus, in benignissimam curam tui divini cordis suscipe me. Ibi, ibi, ut tota vivam tibi, amore tuo conglutina me. Eia nunc in magnum mare abyssalis misericordiae tuae dimitte me. 1. Ps. 17, ’«0. 2. Mauh. II, 30. 3. Maith. 20. 12. 4. La doctrine de la grâce chez Gertrude fait souvent place à la < coopé­ ration » divine (cf. III, 195 et 320; IV. 212, 282; V, 344; VI, 701; VII, 641). Ici le rapprochement avec Γ · operatio » humaine met bien en relief sa pensée. EXERCICE IV, 377 - 404 153 do Ion vivant amour. Pour toi, pour toi, ô le plus cher de tous ceux qui sont chers, j’entre à cette heure dans de dures voies, mais je sais que ta miséricorde est au-dessus de toutes les vies. De grâce, ô mon bien-aimé, par ta divine force, moi qui présume de ta bonté, revêts-moi, pour le combat, de l’armure de ton Esprit, afin que toutes les embûches de mes ennemis tu les rejettes derrière mon dos ’. Tout ce qui, en moi, ne vil pas totalement pour toi seul, couche-le sous mes pieds par ton inextinguible charité, afin que par le doux secours de ton vivant amour, attirée et renouvelée par la vivifiante douceur de ta dilection, je t’aime. Je t’aimerai, toi qui es ma douce force, portant avec joie, sous ta conduite, le joug suave et le fardeau léger de ton amour2; afin que tout le labeur du service dont je m’acquitte envers toi, ô mon bienaimé, ne paraisse que de quelques jours, au prix de l’immen­ sité de ton amour. Que la douce fraîcheur de ton Esprit abrège et allège pour moi tout le poids du jour et de la chaleur3. Toi-même, daigne insérer toute l’œuvre et tout le travail do ma vie dans l’œuvre4 de vie de ta vivante dilection, afin que toute l'éternité mon âme te glorifie, que toute ma vie te serve infatigablement, que mon esprit tressaille en toi5, mon Dieu et mon salut, que toutes mes pensées et mes œuvres te soient louange et action de grâces. Amen. Tout ceci achevé, recommande-toi au Seigneur, par le cantique Nune dimittis : Maintenant donc, ô amour, mon Roi et mon Dieu, main­ tenant, ό Jésus mon bien-aimé, reçois-moi sous la garde très miséricordieuse de ton divin cœur. Là, là, afin que je vive à toi tout entière, attache-moi à ton amour. Maintenant donc, plonge-moi dans la vaste mer de ta profonde miséricorde. 5. Le 1, 46-47. 154 GERTRUDE D’HELFTA 405 Ibi, ibi visceribus superereflluentis pietatis tuae committe me. Eia nunc voranti flammae vivi amoris tui immitte me. Ibi, ibi usque ad incendium incinerationis animae et spiritus mei in te transmitte me. Eia et in hora exitus mei, provi­ dentiae tuae paternae charitatis committe me. 410 Ibi, ibi, dulce salutare meum, visu mellifluae praesen­ tiae tuae consolare me. Ibi gustu charae acquisitionis, quo redemisti me, recrea me. Ibi viva voce tuae pulchrae dilec­ tionis ad temetipsum voca me. Ibi in amplexum indulgentissimae placabilitatis tuae suscipe me. Ibi in dulci spira415 mento suaviflui spiritus tui tibimetipsi attrahe, intrahe et imbibe me. Ibi in osculo perfectae unionis perpetuae fruitioni tuae immerge me, et da mihi tunc ut videam te, ut habeam te, et aeternaliter felicissime friiar te, quia anima mea concupivit te, o lesu omnium charorum charissime x. .Amen. 1. Sur ce passage, cf. Dom P. Doybre, « Sainte Gertrude et les sens spirituels ·, dans Br.v. d'Asc. et Mystique, 144 (i960), p. 437, où il montre comment Gertrude a utilisé ce thème, fréquent, chez les spirituels médié­ vaux à la suite des Pères, Origène en tête. Ils décrivent l’expérience mystique en transposant aux relations de l’âme avec Dieu le processus de la connaissance sensible : les diverses activités procurant la < sensation du divin · se voient ainsi, par quelque analogie, assimilées aux cinq sens corporels. EXERCICE IV, 405-419 155 Là, là, confie-moi aux entrailles de ta surabondante bonté. Oh, maintenant, jette-moi dans la flamme dévorante de ton vivant amour. Là, là, fais-moi passer en toi jusqu’à brûler et à réduire en cendres mon âme et mon esprit. Et à l’heure de mon trépas, ah, remets-moi à la providence de ta paternelle charité. Là, là, ô mon doux Sauveur, console-moi par la vue de ta présence melliflue. Là, réconforte-moi par le goût de cette précieuse rançon dont tu m’as rachetée. Là, là, appelle-moi à loi par la voix vivante de ton bel amour. Là, reçois-moi dans l’embrassement de ton pardon infiniment miséricor­ dieux. Là, par le souffle de douceur de ton Esprit, effluve de suavité, attire-moi à toi-même, tire-moi en toi, et attiremoi. Là, dans le baiser de l’union parfaite, plonge-moi dans la jouissance éternelle de toi, et donne-moi alors de te voir, de te posséder, de jouir à jamais de toi dans le plus grand bonheur, car mon âme est éprise de toi, ô Jésus, le plus cher de tous ceux qui sont chers >. Amen. V EXERCITIUM DIVINI AMORIS Quoties vacare vis amori1 abstrahe cor tuum a cunctis inordinatis affectibus, impedimentis et phantasmatibus1 2, eligens ad hoc diem et tempus opporlunuum, saltem tribus horis in die, scilicet mane, meridie et vespere : in supplemen5 tum3 quod dominum deum tuum nunquam dilexisti loto corde, tota anima, totaque virtute4. Et nunc toto affectu, tota devotione, et intentione, coniungaris Deo in oratione, quasi ipsum sponsum lesum videres praesentem, qui utique praesens est in anima tua. 10 Et primo mane, quasi occurrens Deo tuo, dicas hanc ora­ tionem cum his tribus versibus 5 : 1. La spiritualité du xti· siècle exploite volontiers le thème de la vacatio, loisir pour Dieu, repos en Dieu. On dit habituellement vacare Deo. mais toujours il s’agit de goûter son amour : d’où, ici. l’expression vacare amori. Dans ces premières pages du Ve Exercice, Gertrude accumule les allusions aux thèmes classiques de la spiritualité médiévale, en fonc­ tion surtout de la contemplation. Nous signalerons au passage les prin­ cipaux de ces thèmes, ceux où l'allusion paraît le plus évidente. 2. Les affections désordonnées, les embarras, les phantasmes semblent former ici une progression dans la série des obstacles, de plus en plus subtils, qui contrarient l’amour de Dieu. On pourrait donc envisager pour le dernier terme de la série un sens technique, peut-être même philosophique, encore que Gertrude ne s’embarrasse guère de philosophie, comme le montrerait l’étude de son vocabulaire. Les obstacles au divin amour viennent donc d’inclinations à des biens extérieurs, de tout ce qui en nous s’oppose à la dévotion du cœur, spécialement des conditions V EXERCICE DU DIVIN AMOUR Toutes les fois que tu voudras vaquer à l’amour1, retire Ion cœur de toutes les affections désordonnées, des embarras, et des phantasmes8; choisis pour cela le jour et le temps opportuns, au moins trois heures en ce jour, à savoir : le matin, au milieu du jour et le soir, pour suppléer3 au fait de n’avoir jamais aimé le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force4. Et alors, en toute affection, en toute dévotion et intention, tiensloi unie à Dieu dans la prière, comme si tu voyais l’époux lui-même, Jésus, présent, qui, de fait, est présent dans ton âme. Et de bon matin, allant pour ainsi dire au-devant de Ion Dieu, dis cette prière avec ces trois versets 5 : dans lesquelles l’intelligence exerce son activité : aux trois termes de In I. 2 correspondent les trois termes de la 1. G : affectus, devotio, inten­ tio. — Sur les · affectiones animae · cf. l’édition du Héraut, appendice. 3. Au fur cl à mesure que nous avançons dans les Exercices, le thème de suppletio, à la fois réparation et complément, se développe. Il trouvera sa plénitude dans le dernier Exercice. Mauh. 22. 37. Gertrude ensuite reprend le premier commandement : à la série : cor, anima, virtus, correspondent affectus, devotio, intentio. Elle donne donc la prééminence à l’amour, dans l’union à Dieu qui résulte de la présence do celui-ci dans l’âme, présence qui entraîne une connais­ sance, une vue. 5. Invitatoire des Matines du 2 février. 158 GERTRUDE D’HELFTA Deus Deus meus, ad te de iuce vigilo. Sitivit in te anima mea; quam multipliciter tibi caro mea. In terra deserta et invia, et inaquosa, sic in Sancto apparui tibi, ut viderem 15 virtutem tuam et gloriam tuam *. 20 25 30 35 Eia o amor Deus, tu solus es totus et verus amor meus. Tu es charissimum salutare meum. Tota spes et gaudium meum. Summum et optimum bonum meum. Tibi deo meo. charissimo amori meo, mane adstabo et videbo, quia tu es ipsa perennis suavitas et dulcedo1 2. Tu es sitis cordis mei. Tu es tota sufficientia spiritus mei. Quo te plus gusto, plus esurio. Quo plus bibo, plus sitio. O amor deus, tua visio est mihi dies praeclarissima : illa dies una, quae in atriis Domini melior est super millia3, cui soli suspirat mea unica quam tibi redemisti anima. Eia quando me satiabis tuae mellifluae faciei dulcedine? Concu­ piscit et deficit anima mea 4 super tuae suavitatis pinguedine. Ecce elegi et praelegi abiecta esse in domo dei mei, ut pos­ sim aspirare ad refectionem tuae dulcissimae faciei. O amor, te videre, est in deum mente excedere 56 . Tibi adhaerere, est deo coniungi nuptiali foedere. O animae meae lumen serenissimum, et mane praeclarissimum, eia iam in me diesce, et sic mihi illucesce, ut in tuo lumine videam lumen °, et per te nox mea convertatur in diem. O meum charissimum mane, omne quod tu non es, amore amoris7 tui quasi nihilum reputem et inane. Eia visita me iam mane diluculo, ut in te tota immuter subito 8. 1. Ps. G2, i s. 2. Ps. 5. 5. 3. Ps. 83, 11. 4. Ibid. 3. 5. A qui Gertrude omprunte-t-elle cetto définition eirfere - in Deum mente excedere : à saint Bernard ou à Hugues de Saint-Victor? 6. A. 35, 10. 7. Amore amori* : Guillaume de Saixt-Thierry, De contemplando Deo. 2, 22, déjà utilisé : Exercice IV, 286. EXERCICE V, 12-37 159 0 Dieu, rnon Dieu, près de toi dès l’aurore je suis éveillé. Mon âme a soif de toi, et combien ma chair languit après toi. Sur cette terre déserte, sans voie et sans eau, je inc présente devant toi, dans le Sanctuaire, afin de contempler la puissance et ta gloire \ » h Oui, ô Dieu d’amour, toi seul es mon complet et véri­ table amour. Tu es mon très cher Salut, toute mon espé­ rance et ma joie. Mon suprême et souverain bien. Devant toi, mon Dieu, mon très cher amour, dès le matin, je me tiendrai et je verrai que tu es à jamais la suavité même et la douceur2. Tu es la soif de mon cœur. Tu es le rassa­ siement parfait de mon esprit. Plus je te goûte, plus j’ai faim. Plus je te bois, plus j’ai soif. O Dieu amour, te voir est pour moi comme un jour étincelant, ce jour unique, passé dans la maison du Seigneur, qui l’emporte sur mille autres 3, ce jour vers lequel seul soupire mon âme. cette chose unique que tu as rachetée pour toi. Oh, quand me rassasieras-tu de la douceur de ta face melliflue? Mon âme te désire et défaille 4 à la pensée de tes abondantes délices. J’ai choisi et préféré d’être la dernière dans la maison de mon Dieu, afin de pouvoir aspirer à goûter ton très doux visage. 0 amour, te voir, c’est être hors de soi pour s’abîmer en Dieu λ S’attacher à toi, c’est s’unir à Dieu par une alliance nuptiale. O lumière très sereine de mon âme, et malin resplendissant, ah, deviens enfin en moi le point du jour, luis sur moi avec tant de clarté que dans ta lumière je contemple la lumière e, et que par toi ma nuit soit changée en jour. O mon très aimé Matin, tout ce qui n’est pas toi, (pie par amour de ton amour je le réputé pour rien et vanité. Oh. visite-moi dès le point du jour, pour me trans­ former soudain en toi tout entière 8. 8. /.V. 40, 17; Job 7, 18. 160 40 45 50 55 60 GERTRUDE D’HELFTA 0 amor non lucifer, sed deifer, iam nunc venias mihi largiter, ut per te liquescam dulciter : a me annihilata in te fluam intcgraliter, ut amodo nunquam in me recolligi valeam temporaliter, sed tibi conglutinata maneam aeter­ naliter. 0 amor, tu es illa forma singularis, ille decor principalis, quae in hoc saeculo non videtur nisi seraphim sub alis1. O quando me reficiet pulchritudo tanta et talis? O imperialis stella matutina a, praefulgens claritate divina. 0 quando tua me illustrabit praesentia? 0 amabilissima species, de te me quando saties? L tinam tuae venustatis tenues radios hic percipiam parumper, ut liceat mihi tuam dulcedinem saltem praelibare 1 23 paulisper, et te partem meam optimam praegustare suaviter. Eia con­ vertere nunc aliquantulum, ut in te, flos florum, meum figam intuitum. Tu es praeclarum sanctae Trinitatis speculum, quod ibi facie ad faciom, hic autem in aenigmate solum4, licet intueri per mundi cordis oculum. Eia resperge me tua puritate et mundabor. Tango tua munditia cordis mei intima, et super nivem dealbabor 5. Praevaleat quaeso tuae charitatis magnitudo, et involvat me meritorum tuorum copiosa sanctitudo, ne impediat me a te meae venustatis dissimi­ litudo. Respice in me et vide, et fac me agnoscere le et scire. I Tu prior dilexisti me6. Tu elegisti me, quum non elegerim 1. Allusion au propitiatoire dans le Saint des Saints (et. Er. 37, 6, tuais ici les séraphins remplacent les chérubins); la gloiro du Seigneur trône au-dessus du propitiatoire : sur terre donc on ne l’entrevoit que sous les ailes des séraphins. 2. Apec. 22, 16 : ego sum radix et genus David. stella splendida et. matu­ tina. 3. On remarquera, en passant, le thème de la prélibation. 4. I Cor. 13, 12. 5. Adaptation très libre de Pi. 50, 9. On notera la liberté de Gertrude dans ses allusions : ici elle envisage moins la nature que la beauté. Nous EXERCICE V, 38-63 161 0 amour, qui portes non la lumière, mais Dieu, viens maintenant à moi avec libéralité, afin que par toi je me fonde avec suavité. Détruite pour ce qui est de moi, fais qu’en toi je passe en totalité, en sorte que jamais plus je ne puisse me retrouver en moi pour ce temps limité, mais que je te demeure étroitement unie pour l’éternité. O amour, tu es cette beauté particulière, cet éclat premier qui ne peut être contemplé, en ce monde, que sous les ailes des Séraphins *. Oh, quand serai-je rassasiée par une beauté si grande et si éclatante? O impériale Étoile du matin *, resplendissante de la clarté divine. Oh, quand serai-je illu­ minée par ta présence? O très aimable splendeur, quand me rassasieras-tu de toi? Oh, si seulement je percevais tant soit peu ici-bas les délicats rayons de ta beauté pour qu’il me soit permis d’avoir au moins un avant-goût de ta douceur, et de te savourer par avance3, toi qui es mon héritage de choix. De grâce! tourne-toi maintenant quelque peu vers moi, afin que sur toi, ô fleur des fleurs, je fixe mon regard. Tu es le miroir resplendissant de la sainte Trinité que, là-haut face à face, ici-bas dans un reflet seulement4, il est permis de contempler de l’œil d’un coeur pur. Ah, inondemoi de ta pureté, et je serai purifiée; touche de ta pureté l’intime de mon cœur, et je deviendrai plus blanche que la neige s. Que la grandeur de ta charité, je t’en supplie, l’em­ porte sur tout, et que m’enveloppe l’immense sainteté de tes mérites, afin que ne me sépare pas de toi une beauté trop dissemblable de la tienne. Jette sur moi un regard et vois, et fais-moi te connaître et te comprendre. C’est toi, le premier, qui m’as aimée ®. C’est toi qui m’as choisie, alors que je n’avais pas fait choix entrevoyons dans ce passage, le thème do la dissemblance, ce que le dernier mot du paragraphe confirmo : « dissimilitudo ». 6. I Jn '-i. 10.19; ci. Jn 15, 16. Encore un theme volontiers développe par la spiritualité médiévale. 162 65 70 75 80 85 90 GERTRUDE P’HELFTA te. Tu omni sitienti te occurris sponte : candor lucis aeternae in tua nitet fronte1. Eia ostende mihi faciem tuam, et fac me contemplari speciem Luam12. En facies tua suavis et decora3, quain irradiat pulcherrima divinitatis aurora. In genis tuis mira­ biliter rubet Omega et Alpha4. In oculis tuis inextinguibiliter ardet praeclara aeternitas. Ibi salutare dei mihi rutilat ut lampas. Ibi luminosae veritati iucunde alludit speciosa charitas. Odor vitae mihi spirat ex te. Mei et lac stillat mihi Luo ex ore56. Quam pulchra es, o deus charitas, et quam amcena, quam admirabilis, ct quam spectabilis charissima in deliciis. Tu regina divino in solio resides prima, imperialis Tri­ nitatis plena divitiis. Tu semper uxor et sponsa summi dei gaudes contubernio, dilectione inseparabili coniuncta dei filio. O amor, in occasu vitae meae, tu mihi valde mane oriri dignare, et cum me videris ab hoc incolatu deperire, fac me vitam aeternam in te haurire : et da mihi hoc exilium sic finire, ut tecum agni nuptias absque impedimento pos­ sim introire e, et te duce verum sponsum et amicum invenire, eique inter brachia tua tam chare copulari, ut in aeternum ultra nunquam valeam a complexu eius separari. O amor, o clavis David, tu mihi tunc resera et aperi sanc­ ta sanctorum 7, ut te intromittente sine mora lacta videam in Sion deum deorum8, cuius mellifluum vultum anima mea nunc desiderat, et concupiscit multum. 1. Sag. ", 25. 2. Ps. 79, 3. Cant. 6, 3. 4. Apoc. 1, S. Selon l'usage, Gertrude écrit un O majuscule (omega, par opposition à Γο minuscule (omicron). 5. Cant, i, 11, 6. Apoc. 19, 7-10; Rituel du baptême. EXERCICE V, 64 · 90 163 de toi.) C’est toi qui accours de toi-même vers quiconque a soif de toi : l’éclat de la lumière éternelle brille sur ton front *. De grâce, montre-moi ton visage, et fais-moi contempler la beauté2. Il est doux et plein d’attraits3, ton visage, qu’irradie la glorieuse aurore de la divinité. Sur tes joues rougeoient merveilleusement ΓOméga et ΓAlpha4. Dans tes yeux brille d’un éclat inextinguible la radieuse éternité. Là, le Dieu Sauveur rayonne pour moi comme un flambeau. Là, à la vérité lumineuse sourit joyeusement l’éclatante charité. Une odeur de vie émane de toi en ma faveur. Le lait et le miel coulent pour moi de ta bouche 5. Que tu es belle, ô charité qui es Dieu, et que tu es gracieuse; que tu es digne d’admiration et douce à voir, très chère en tes délices. Toi comme une Reine, tu occupes la première place sur le trône divin, comblée des richesses de l’impériale Trinité. Toi, à jamais, compagne et épouse du Dieu souverain, tu te réjouis de son intimité, unie par un amour indissoluble au Fils de Dieu. O amour, au déclin de ma vie, daigne te lever pour moi de grand matin, et lorsque tu me verras au moment de quitter cette terre étrangère, fais-moi puiser en toi l’éter­ nelle vie. Donne-moi de terminer cet exil, de telle sorte que je puisse entrer avec toi sans obstacle aux noces de ΓAgneaue et sous ta conduite trouver l’Époux et l’ami véritable, et m’unir à lui si tendrement entre tes bras, que jamais je ne puisse plus, de l’éternité, être séparée de son embrassement. O amour, ô clef de David, ouvre-moi. et découvre-moi alors le Saint des Saints7. Introduite par toi, que j’aie le bonheur de voir sans retard le Dieu des dieux dans Sion 8, celui que mon âme désire maintenant et dont elle brûle de contempler le visage melliflue. 7. Ibid. 3. 7. S. P.S-. S3, 8. 164 GERTUDE D’HELFTA in meridie ad sponsum amore lui flagrantem accede, ut ipse sol iustitiae tepiditatem tuam accendat suae dilectionis fervore, ut carbo amoris divini ardeat inextinguibiliter in ara cordis tui, dicens hanc orationem cum his versibus : 95 Diligam te Domine fortitudo mea. Deus meus adiutor meus. Protector meus et cornu salutis meae x. Oratio : Eia o amor, amoris mei primitivus flos, tu mea charissima sponsalis arrha et nuptialis dos. Ecce propter te fastidivi saeculum, et ut lutum pedum reputavi omne mundi 100 gaudium12, ut ad tuum possim aspirare connubium. Eia admitte me ad tuae charitatis secretum. En cor meum iam ardet tui amoris ad osculum 3. Aperi mihi tuae pulchrae dilectionis familiare cubiculum. En anima mea sitit tuae intimae unionis ad amplexum. 105 Eia nunc para tuae uberis misericordiae convivium, invitans me ad mensam tuarum dulcedinum. Appone mihi tuae sempiternae propitiationis praedulce ferculum, quod solum potest meum confirmare spiritum. Eia nunc epulemur pariter, o charissimum et summum 110 bonum meum. Tu in teipso omnibus bonis abundas et superabundas inaestimabiKter, et te ipsum creaturae tuae communicas mirabiliter. Eia teipso me refice largiter. Quomodo enim vivet scin­ tilla nisi in suo igne? Aut quomodo esse potest gutta nisi 115 in suo fonte? Eia me totam, spiritum simul et animam, voret iam et involvat tua chara ignitas, secundum quod praevalet in exiguo pulvere tua omnipotens liberalitas. O amor, o dulcis- 1. Ps. 17, 2-4. 2. Cette phrase est comme une transposition du répons Regnum mundi, en un style purement gertrudion. 3. Cant. 1,1. EXERCICE V, 91-118 1G5 Λ l’heure de midi, approche ton Époux tout brûlant d’amour pour toi, afin que lui, le Soleil do justice, il réchauffe ta tiédeur par l’ardeur de sa dilection, en sorte que le char­ bon du divin amour brûle sans jamais s’éteindre sur l’autel de ton cœur. Dis cette oraison avec ces versets : « Que je L’aime, ô Seigneur, ô ma force. O mon Dieu, mon secours, mon protecteur et l’auteur de mon salut x. o Oraison : O amour, tu es la toute première fleur de mon amour, l’arrhe précieuse de mes fiançailles, et ma dot nuptiale. Voici : à cause de toi, j’ai méprisé le siècle et j’ai estimé toutes les joies du monde comme la boue de mes pieds2, afin de pouvoir aspirer à ton alliance. Oh, admets-moi dans le secret de ta charité. Voici que mon cœur aspire désormais ardemment au baiser de ton amour3. Ouvre-moi la chambre secrète de ta belle dilection; voici que mon âme a soif des embrassements de ton intime union. Ah! prépare maintenant le festin de ton abondante miséricorde, m’invitant à la table de tes douceurs. Sers-moi le mets ineffable de ton éternel pardon, qui seul peut rassurer mon âme. Ah! prenons maintenant ensemble le repas, ô mon très cher et souverain bien. En toi-même, d’une manière ines­ timable, tu abondes et surabondes de tous les biens, et tu te communiques loi-même d’une manière admirable à ta créature. Ah! nourris-moi de toi-même avec largesse. Comment en effet l’étincelle pourra-t-elle subsister si ce n’est en son feu? Et comment, la goutte d’eau peut-elle exister si ce n’est en sa source? Ah! que ton cher embrasement me dévore et m’enve­ loppe tout entière, esprit et âme à la fois, dans la mesure où l’emporte ta libéralité toute-puissante envers un petit I6G 120 125 130 135 140 GERTRUDE D’HELFTA simus meridianus fervor1, tua plena pace sancta otia me delectant super omnia. Tua votiva sabbata sunt strata dei praesentia, et serenissimae faciei sponsae redundant gratia. Eia o mi dilecte, super omnem creaturam electe et praeelecte1 2, declara mihi nunc in te, et ostende ubi pascas, ubi cubes in meridie. En aestuat3 et ardet spiritus meus super tuae feriationis dulcedine. O amor, hic tuae charitatis melliflua sub umbra, tota spes mea pausat et fiducia. In tuae pacis gremio, Israel habitat confidenter4. Huius votivi sabbati solemnia anima mea concupiscit vehementer. O amor, tui fruitio est verbi et animae dignantissime copulatio, quam efficit perfecta dei unio. Te uti, est deo intricari. Te frui, est cum deo unum effici. Tu es illa pax quae exsuperat omnem sensum 5, et illic iter quo pervenitur ad thalamum. O si et mihi miserae vel ad momentum contingat pausare tuo charissimo dilectionis sub amictu, ut confirmetur cor meum vel uno vivi verbi tui consolatorio dictu, ut audiat anima mea ex ore tuo hoc bonum, et suave verbume : Salus tua ego sum; ecce iam patet tibi cordis mei cubiculum. Ut quid enim, o amor praestabilis, tam foedam, tam turpem adamasti, nisi ut pulchram faceres in te? Tua pia 1. Fervor meridianus : inspirée de Cant. 1, 6, l’expression SO trouve chez Guillaume de Saint-Thierry, Oratio. mais Gertrude a-t-elle connu ce texte qui n’a pas eu une grande diffusion? Encore un theme souvent développé au xit· siècle quo celui des loisirs, du repos, de la contempla» lion : le repos étant volontiers désigné comme un sabbat, un jour de repos (Gertrude dit : Tuac feriationis). Cf. Dom J. Leclercq, Otia monas­ tica........ Rome 1963 (Studia Anselmianu 51). Lo vocabulaire de Gertrude enrichirait l’index dressé par D. l/xdercq. 2. Ci. Hugues de Saint-Victor, De arrha animae {PL· 176,956 (’) : unicc electuni. Plus loin, Gertrude dira : electe unice (VI, 658). 3. Le mot aestuat revient trois fois dans cet Exercice et le suivant (V, 181 ; VI, 364). 11 indique la soif de l’âme, à la suite peut-être d’JIucuES EXERCICE V, 119 - Ùl 1Γ>7 dans la plénitude de ta paix, ton saint repos me charme par-dessus tout. Tes sabbats tant désirés sont remplis de la présence de Dieu, et pour la face parfaitement sereine de l’épouse, ils débordent de grâce. Ah! mon bien-aimé, élu et choisi au-dessus de toute créature 2, fais-moi connaître maintenant, en toi, et montremoi le lieu où tu pais, où tu prends ton repos à l’heure de midi. Voici que mon esprit s’enflamme3 et brûle à la pensée de la douceur des jours de repos en toi. O amour, ici, sous l’ombre melliflue de ta charité, repose tout mon espoir et toute ma confiance. Dans le sein de ta paix, Israël habite avec confiance4. A la solennité de ce Sabbat désiré, mon âme aspire avec véhémence. O amour, jouir de toi, c’est l’alliance très miséricordieuse du Verbe et. de l’âme, opérée par la parfaite union de Dieu. Vivre de toi, c’est être engagé en Dieu; jouir de toi. c'est devenir une seule chose avec Dieu. Tu es cette paix qui surpasse tout sentiment5, et là est le chemin qui conduit, à la chambre nuptiale. Oh, s’il m’arrivait, à moi misérable, de me reposer, ne fût-ce qu’un instant sous le voile très cher de ta dilection, afin que mon cœur soit affermi au moins par un seul mot consolant de ton verbe vivant, et que mon âme entende de ta bouche cette bonne et suave nouvelle ° : « Ton salut, c’est moi; voici que désormais la chambre de mon cœur est ouverte pour toi. » Pourquoi, en effet, ô amour excellent, t’es-tu épris d’une créature si souillée, si honteuse, sinon pour la rendre DK Saint-Victor, De arrha animae (col 9.56 Λ). Le rapprochement est d’antanl plus légitime qu’il complète celui qu’on a pu faire deux lignes plus haut. 4. Jér. 23. 6, 5. Phil. 4, 7. 6. Cf. Hymne Verbum bonum et suave. pour Notre Dame. — Pu. 34, 3. 168 145 150 155 160 165 GERTRUDE D’HELFTA charitas attrahit et allicit me, o virginis Mariae flos deli­ cate. Ab exspectatione mea ne confundas me, sed da mihi animae meae requiem invenire in te *. Nil inveni deside­ rabilius, nil iudicavi amabilius, nil optavi charius, quam stringi, o amor, tuis amplexibus, requiescere lesu mei sub alis, et habitare divinae charitatis in tabernaculis12. O amor, o speciosa meridies, mori vellem millies, ut in te mihi esset requies. Utinam tantam ac talem tuae pul­ chrae dilectionis faciem, o charissime, ad me inclines. O si detur mihi venire tibi nimis prope, ut inveniam iam me non iuxta, sed intra te; ut de te sole iustitiae, in me pulvere et cinere, oriantur omnium virtutum flores, et te marito, mi domine, talis foecunditas accedat animae meae, ut nascatur in me totius perfectionis inclyta proles, quatenus erepta de valle huius miseriae, coram tua deside­ rabili facie, in perpetuum possim gloriari, quod tu specu­ lum sine macula, mihi tali ac tantae peccatrici in veritate non sis dedignatus copulari. Eia o charitas. in mortis hora, tua me reficiant verba super vinum meliora, et consolentur me labia tua super mei et favum dulciora3 : et tu ipse sis mihi via, ne tunc errem per devia, sed per te adiuta, o regina, absque impedimento perveniam ad divini deserti speciosa et pinguia, ubi in aeternum laetabunde perfrui merear sponsi mei Dei et Agni melliflua praesentia. Amen dicant omnia. In vespere tota liquescens, et deficiens super expectatione fruitionis sempiternae visionis mellifluae faciei dei 1. Ps. 118. tie. utilisé par le rituel de la profession monastique : Renedicti Regula 58. 2. Gertrude utilise l'hymne Dulcis Jesu memoria, dont on trouvera le texte dans Wilmart,* Le J ubi lus sur le nom do Jésus, dit de saint Bernard», Ephem. Liturg. 57 (1943), p. 146, en particulier les strophes 2 et 8. 3. Cam. I, 1; 4, 1t. EXERCICE V. 142-169 169 belle on toi? Ta tendre charité m’attire et me séduit, ô fleur délicate de la Vierge Marie. Ne me confonds pas dans mon attente, mais accordemoi de trouver en toi le repos de mon âme1. Je n’ai rien rencontré de plus désirable, rien estimé de plus aimable, rien plus chèrement souhaité que d’être pressée, ô amour, dans tes embrassements, que de reposer sous les ailes de mon Jésus et d’habiter dans les tabernacles de la divine charité 2. O amour, ô splendide Midi, je voudrais mourir mille fois pour que mon repos soit en toi. Puisses-tu incliner vers moi, ô mon bien-aimé, la face si belle et si attrayante de ta belle dilection. Oh! s’il m’était donné de venir si proche de toi, que je me trouve non plus à côté de toi, mais en toi. Par toi, ô Soleil de justice, pourraient alors, en moi qui suis cendre et poussière, éclore les fleurs de toutes les vertus. Te possé­ dant pour époux, ô mon Seigneur, une telle fécondité surviendrait à mon âme, que naîtraient en moi les nobles fruits de toute perfection. Ainsi arrachée à cette vallée de misère, venue devant ta face désirable, mon éternelle gloire sera que toi, ô Miroir sans tache, tu n’as pas dédaigné t’unir, en vérité, à une telle et si grande pécheresse. O Charité, à l’heure de la mort, ah! soutiens-moi par tes paroles meilleures que le vin ; et que tes lèvres plus douces que le miel et son rayon, me consolent3. Et toi-même, sois pour moi la voie, afin que désormais je ne m’égare pas en des chemins détournés, mais aidée par toi, ô Reine, que je par­ vienne sans obstacle jusqu’à ces charmants et gras pâtu­ rages du divin désert, où pour l’éternité, je mériterai dans l’allégresse de jouir de la présence melliflue de mon Époux, Dieu et Agneau. Que tous les êtres disent : Amen. Le soir, tout anéantie et défaillante dans l’attente do goûter et voir éternellement la face mellifluo du Dieu Agneau, précipite-toi dans les embrassements de Jésus, 170 GERTRUDE D’HELFTA 170 et agni, irruas in amplexus sponsi lesu amatoris tui, ut apis negotiosa, osculo tota adhaerens amatorio cordi eius, expostula ab eo tam efficax osculum, unde morions tibi ipsi nunc et in morte tua transeas in deum, unusque spiri­ tus1 fias cum eo1 2, clamans in siti : 175 Quemadmodum desiderat cervus ad fontes aquarum, ita desiderat anima mea ad te, deus. Sitivit anima mea ad deurn fortem, vivum; quando veniam et apparebo ante faciem dei ? Fuerunt mihi lacrymae meae panes die ac nocte, dum dicitur mihi quotidie : Ubi est deus tuus 3 ? Eia o amor, dulcis osculo, tu es fons ille quem sitio. 180 Ecce ad te cor meum aestuat; utinam, utinam o plenum mare me stillam modicam in te absorbeas. Tu es animae meae vivus et dulcissimus introitus, ut a me in te mihi fiat exitus. Eia aperiatur mihi charissimi cordis tui salutaris introitus. 185 Ecce cor meum iam non habeo mecum, sed tu o charissime thesaurus meus, tuo in conclavi servas illud tecum. Tu es unica tota et charissima cordis mei substantiola. Tibi soli mea ferventer adhaesit animula4. O qualis tua societas. Vere, vere tua familiaritas longé 190 melior est super vitas. Odor tuus, sicut divinae pacis et propitiationis intima balsama. Tu es divinae consolationis superabundans et dives nimis apotheca. Utinam; o regina charilas, in tua me introducas cellaria, ut degustem sua- 1. 1 Cor. 6, 17. 2. Gertrude décrit à sa façon le thème très classique dp l’uni d’esprit avec Dieu, terme de la vie mystique chez saint Bernard, corn π chez la plupart des auteurs spirituels du χιι· siècle. Pour elle aussi, l'unité se réalise par le baiser; ce qui semble propre, c’est In place faite au cœur dans l'union mystique. 3. Ar. 41. 1 s. 4. Passage un peu précieux pour décrire l'union des cœurs. Celui de Gertrude est passé dans le cœur de Jésus. En revanche. Jésus est darts lo EXERCICE V, 170-194 171 ton Époux qui t’aime; comme une abeille diligente, adhère tout entière par un baiser à son cœur qui t’aime; demandelui le baiser dont lu vertu est si grande que, mourant à toi-même, maintenant comme à ta mort, tu passes en Dieu, et deviennes avec lui2 un seul esprit x, criant dans ta soif : ·: Comme le cerf aspire aux sources d’eaux, ainsi, mon âme te désire, ô Dieu. Mon âme a soif du Dieu fort, du Dieu vivant. Quand irai-je, quand paraîtrai-je devant la face de Dieu? Mes larmes sont mon pain, le jour et la nuit, lorsqu’on me dit chaque jour : Où est ton Dieu 3? » De grâce, ύ amour, dont le baiser est si doux, tu es cette source dont j’ai soif. C’est pour toi que brûle mon cœur. O mer immense, puisses-tu, puisses-tu m’absorber en toi, moi petite goutte d’eau? Tu es pour mon âme l’entrée vivante et très douce, par laquelle se fera de moi en toi ma sortie de ce monde. Oh, ouvre-moi de ton très cher cœur la salutaire entrée. Quant au mien, je ne l’ai déjà plus en moi : mais toi, ô mon très cher trésor, tu le gardes avec toi en ta chambre secrète. Toi, tu es l’unique, total et très cher bien de mon cœur. Λ loi seul, avec ferveur adhère ma petite âme4. Oh, que ta société est ineffable; oui, vraiment, ton inti­ mité surpasse de beaucoup toute vie. Ton parfum est comme le baume intime de la divine paix et de la miséricorde. Tu es la surabondante et riche réserve de la divine conso­ lation. Puisses-tu, ô Charité, qui es reine, m’introduire dans tes celliers afin que je goûte suavement tes vins les meilleurs cœur de Gertrude. Les diminutifs dont elle use à son propre égard peuvent être simplement des marques d'affection; ils peuvent aussi désigner la petitesse de Gertrude, et dans ce cas, l'amour divin serait un avoir, une fortune petite, non du fait de Dieu, mais du fait de la créature. 17-2 GERTRUDE D’HELFTA 195 viter tua meliora quae ibi latent vina x. En omnia vasa tua deo plenissima, et spiritu sancto redundantia12. O si mihi contingat hic quod cupio, et detur mihi ut veniat mea chara optio, et in veritate tui sit ad me conver­ sio, et reficias me in tuae propitiationis praesuavi osculo. 200 L'tinam, o charissimum charum meum, in intimis meis apprehendam te et deosculer, ut tibi unita veraciter, tibi adhaeream inseparabiliter. O amor, tu es praesuave sanctae Trinitatis osculum, quod tam potenter unit patrem et filium 34 . Tu es hoc salutare 205 osculum, quod imperialis divinitas nostrae humanitati impressit per filium. O osculum dulcissimum *, ne me pulverem exiguum, tuum praetereat vinculum : non parcat mihi tuus contactus pariter et complexus, quousque cum deo fiam unus spiritus 5. 210 Fac me veraciter experiri quantae deliciae sint te deum vivum, dulcissimum amorem meum, in teipso complecti, tibique uniri. O amor deus 6, tu es mea charissima possessio, sine qua in coelo et in terra nihil aliud spero, nec volo, nec cupio. 215 Tu es mea vera haereditas et tota exspectatio, ad quam tendit finis meus et intentio. Eia o amor, tua in me consummata dilectio sit finis meus et consummatio. Pactum nuptialis foederis, quod cor 1. Cant. 1, 2. 2. Sur l’arrière-plan du Cant., Gertrude multiplie les images et les combine, sans qu’on puisse reconnaître une source précise. 3. Ici, l’amour est attribué à l'Esprit-Saint, très certainement, alors que dans les pages précédentes il semblait Vôtre plutôt au Fils. 4. Le baiser signifie, dans le passage, l’Esprit-Saint : d’où la mention du lien, l’union d'esprit, l’embrassement en lui du Dieu vivant. Gertrude s’inspire de saint Bernard, In Cantica, serina 8; cf. aussi sermo 3, 5 : , cui adhaerentur in osculo sancio, unus spiritus ipsius dignatione edi­ cimur ». 5. I Cor. 6, 17. On rapprochera cette allusion à l’unité d’esprit de ce que EXERCICE V. 195-218 173 qui y sont caches L Voici que tous tes vaisseaux sont toutpleins de Dieu et débordant de l’Esprit-Saint. 2. Oh, s’il pouvait dès ici-bas m’échoir ce que je désire, et s’il m’était donné de recevoir mon souhait le plus cher, et si en vérité tu te tournais vers moi, et si tu me rendais la vie par le très suave baiser de ta miséricorde. Puissé-je, o mon ami le plus aimé, te saisir au plus intime de mon être et te donner mon baiser, afin qu'unie à toi vraiment, je te demeure attachée inséparablement. O amour, tu es, dans la sainte Trinité, le très suave baiser qui unit si puissamment le Père et le Fils 3. Tu es ce baiser sauveur que l’impériale divinité a imprimé sur notre huma­ nité par le Fils. O baiser très doux, moi4, petit grain de poussière, que je ne sois pas oubliée de tes liens, que je ne sois pas privée de ton contact et de ton étreinte jusqu’à devenir un seul esprit avec Dieu 5. Fais-moi expérimenter vraiment quelles délices c’est, en toi-même, de t’embrasser, toi le Dieu vivant, mon très (doux amour, et de t’être unie. O Dieu Amoure, tu es ma plus chère possession, en dehors de qui, au ciel et sur terre, je n’espère rien d’auLre, je ne veux rien, je ne convoite rien. Tu es mon véritable héritage et toute mon attente, vers qui tendent ma fin et mon inten­ tion. De grâce, ô amour, que ta dilection, consommée en moi, soit ma fin et ma consommation. Le pacte d’alliance nuptiale Gertrude écrivait I. 173, et aussi ce ce qu’elle va dire maintenant (1. 217}, de la mort, envisagée comme la consommation de l’union. 6. L’expression antor Deux, déjà rencontrée (I. 16), va revenir sans cesse dans la seconde partie de VExcrcice (1. 316, etc.). Nous la traduisons par « Dieu amour »; il serait peut-être plus conforme à la pensée de Ger­ trude de dire : « amour, qui es Dieu ». H s’agit plus en effet d’indiquer une équivalence entre Dieu et 1’amour que d’envisager un attribut parti­ culier de Dieu, ou de faire allusion A la troisième des Personnes divines, encore que certains passages puissent viser l’Esprit-Saint plus direc­ tement. 174 220 225 230 235 240 245 GERTRUDE D’HELFTA meum nunc tecum iniit, demonstra mihi cum advesperascit. In vultu mei charissimi dei, tu lumen vespertini sideris. In mortis meae tempore, tu mihi dignanter appare, o meum charuin et praeclarum vespere, ut in te habeam huius inco­ latus mei optatum vespere, in tuo pleno omni dulcedine suaviter obdormiens et requiescens pectore ’. O amor deus, mea resolutio fiat mihi animae meae in te involutio; ut te circumamicta12, in decore tuo regali, digna appaream coram sponso immortali, in vestitu nuptiali, cum dote sponsali. Eia o amor, hora meae consummationis signetur sigillo3 tuae charae dilectionis, impressa charactere tuae aeternae propitiationis, ut ubertas tuae distillantis benedictionis per­ ducat me absque impedimento, ad ingressum meae aeternae in te receptionis, sempiternae fruitionis, et perpetuae posses­ sionis. O amor, o meum charissimum vespere, in hora mortis ineunde te videam et laetanter, illa sancta flamma, quae in divinitatis vi ignea in te ardet iugiter, omnem maculam ab anima mea expurget veraciter. O meum praedulce vespere, quum mihi advenerit vitae huius vespere, fac me in te dulciter sopiri, et illam beatissi­ mam, quae in te charis tuis parata est, requiem experiri. Tuae pulchrae dilectionis respectus placidus nimis et gra­ tus, dignanter ordinet et disponat nuptiarum mearum appa­ ratus. Tuae bonitatis divitiis cooperi, et contege penuriam et inopiam vitae meae degeneris. Tuae charitatis in deliciis, anima mea habitet confidenter nimis. O amor, tu ipse mihi tunc sis vespere tale, ut per te anima mea cum laetitia et exsultatione dicat corpori meo dulce 1. Cf. Pi. 4,0. 2. On rapprochera ce passage de VExercice IV, I. 287 s., où il est ques­ tion de la vêture monastique, préparation au vêtement d’i ni mortalité. 3. Le sceau fait allusion à Cam. 8, 6; le « caractère >, c'est-à-dire la marque de propriété, forme antithèse à Apec. 13, 16 s. : elle signifie, par EXERCICE V. 219 - 248 175 que mon cœur contracte en ce moment avec toi, montre-lemoi quand viendra le soir. Dans le visage de mon Dieu très cher, tu es la lumière de l’astre du soir : au temps de ma mort, toi, daigne m’apparaître, ô mon Soir aimé et resplendissant. Puissé-je trouver en toi le soir tant désiré de mon exil et sur ta poitrine pleine de toute douceur, m’en­ dormir suavement et me reposer ’. O Dieu Amour, que la résolution de ma vie soit pour moi l’absorption de mon âme en toi; afin que revêtue de toi2, de ta beauté royale, je paraisse dignement devant ΓÉpoux immortel, avec la robe nuptiale et la dot de mon alliance. De grâce, ô mon amour, que l’heure de la consommation de ma vie soit scellée du sceau 3 de ta chère dilection, marquée du caractère de ton éternelle miséricorde, afin que ta béné­ diction, qui se répand en abondance, me conduise sans obstacle jusqu’au seuil où en toi je serai reçue pour l’éter­ nité, dans la jouissance sans fin et la perpétuelle possession. O amour, ô mon Soir bien-aimé, qu’à l’heure de ma mort ta vue me comble de joie et d’allégresse. Que cette flamme sacrée, qui brûle sans cesse en toi de la substance embrasée de la divinité, purge vraiment mon âme de toute tache. O mon très doux Soir, lorsque pour moi sera venu le soir de cette vie, fais-moi m’endormir doucement en toi, et expérimenter ce très heureux repos que tu as préparé en toi à ceux qui te sont chers. Que le regard si paisible et gracieux de ta belle dilection, ordonne et dispose avec bonté les apprêts de mes noces. Par l’opulence de la bonté, couvre et voile la pénurie et la pauvreté de ma vie indigne; dans les délices de ta charité que mon âme habite avec une extrême confiance. O amour, toi-rnême sois alors pour moi un soir si beau, que par toi mon âme avec joie et allégresse dise à mon ce choix, la victoire du Christ, mieux qu’en employant l’image tradi­ tionnelle du than (Ex. 12, 7; Êz. 9, 4; Apoc. 7, 3). 176 250 255 260 265 270 GERTRUDE D’HELFTA vale, et spiritus meus rediens ad dominum qui dédit ilium, sub umbra tua suaviter requiescat in pace. Tunc mihi dicas manifeste, voce propria citharizans dulcissime : Ecce advenit sponsus 1 ; iam egredere, eique iungere propius, ut laetificet tc gloria sui vultus. 0 quam felix, quam beatus, cuius in te finem habet incolatus 12. Heu mihi, heu mihi, quamdiu erit mihi prolon­ gatus3? 0 quale erit illud tunc, quum mihi advenerit hoc praesuave et amoenum nunc, quum manifestabitur mihi, et apparebit dei mei, regis mei et sponsi mei gloria, cum intermi­ nabili fruitione et sempiterna laetitia; quando in veritate contemplabor, et videbo illam desiderabilem, illam optabilem, illam amabilem lesu mei faciem cuius tamdiu anima mea sitivit et concupivit speciem 4. Certe tunc satiabor et adim­ plebor dc torrente illius voluptatis, quae mihi nunc tamdiu clausa latet in apothecis divinitatis. Tunc videbo et contempiabor deum meum charissimum amorem meum; in quem nunc deficit spiritus meus et cor meum 5. 0 quando, quando ostendes mihi teipsum, ut videam et hauriam cum iucunditate te deum fontem vivum? Tunc potabor et inebriabor ad ubertate dulcedinis fontis vivi, qui distillât ex deliciis illius, quem anima mea desiderat, mel­ lifluae faciei6. 0 dulcis facies, de te me quando saties’? Tunc introibo in locum tabernaculi admirabilis, usque ad aspectum dei8, 1. Afatth. 25, 6. 2. Ps. 119, 5. 3. Les théines développés dans cette page peuvent très bien s’expliquer par Γ Écriture et la doctrine spirituelle commune. On remarquera cepen­ dant une influence platonicienne possible, et indirecte évidemment, dans cette opposition entre connaissance « en énigme » et connaissance face à face, dans cette conjonction do la vision et de l’amour, dans celle idée de libération des conditions terrestres. Sur cette question du platonisme chez. Gertrude, cf. Dom P. Doyère dans son édition du 4. Ps. Il, 2. EXERCICE V, 249 - 273 177 corps un doux adieu et que mon esprit, retournant au Seigneur qui l’a donné, sous ton ombre suavement repose en paix. Alors tu me diras clairement, de ta propre voix au chant si doux : « Voici venir l’Époux 1 : sors maintenant et unis-toi à lui plus intimement; afin qu’il te réjouisse par la gloire de son visage. » Oh, quel bonheur, quelle béatitude pour celui dont l’exil trouve en toi sa fin2. HélasI hélas! combien pour moi se prolongera-t-il encore 3? Oh ! quel sera cet « alors », lorsqu’arrivera pour moi. si délicieux et aimable, ce « maintenant »? lorsque sera manifestée pour moi et apparaîtra la gloire de mon Dieu, de mon Roi et de mon Époux, avec une inter­ minable jouissance et une joie sans fin; lorsque je contem­ plerai dans la vérité, et verrai cette tant désirée, cette tant souhaitée, cette tant aimable face de mon Jésus, dont si longtemps mon àme a eu soif et a désiré la beauté4. Sûrement alors je serai rassasiée, et je serai comblée par le torrent de cette volupté qui, maintenant et si longtemps, demeure pour moi cachée dans les trésors secrets de la divinité. Alors je verrai et contemplerai mon Dieu, mon très cher amour, vers qui maintenant s’épuisent mon esprit et mon cœur5. Oh! quand, quand te montreras-tu à moi, afin que je te voie et que je puise avec délices à cette source vive que tu os, ô Dieu? Alors je boirai, je m'enivrerai dans l’abondance de la douceur de cette source vive, qui sourd des délices de la face melliflue de celui que désire mon âme6. O douce face, quand me combleras-tu de toi7? Alors j’entrerai au lieu du tabernacle admirable, jusqu’à la vue de Dieu3; je ne suis qu’à l’entrée, et mon cœur gémit de 5. 6. 7. β. A*. 72, 20. A«. 41, 2. Hymne Dulcis Jcstt mtmoria, str. 19. Λ. 41, 5. 178 275 280 285 290 GERTRUDE D’HELFTA cuius ad ingressum cor meum fit gemens pro mora incolatus mei. O quando adimplebis me laetitia cum facie tua melli­ flua1? Tunc contemplabor et deosculabor verum animae meae sponsum lesum meum, cui iam in siti adhaesit, et post quem simul abit totum cor meum. 0 quis me liberabit peregrinationis huius ab exilio? O quis me eripiet saeculi huius a laqueo? O quando relinquam corpus hoc miserum ut sine medio videam te. o amor deus, sidus siderum? In te, o amor chare, eripiar mortis huius a tentatione : in te deo amatore meo murum corporis transgrediens-, cum securitate et exsultatione, ubi in veritate sine aenigmate facie ad faciem videam te123. Eia tu fons sempiternorum luminum, repete me in tuum, a quo profluxi, abyssale profluvium 4, ubi cognoscam sicut cognita sum, amem sicut amata sum : ut sicuti es, videam te deum meum 5* , visione, fruitione et possessione tua beatificata in perpetuum. Amen. In ipso etiam die amoris, septies offeres domino animam tuam ad refrigerandum in te amorem divini cordis sui. Et primo ad matutinas ora dominum, ut ipse summus magister, unctione spiritus sui, doceat te artem amoris8, assumens 295 te in propriam discipulam, ut eo doclore exercearis infatigabiliter in virtute charitatis. Et dic : Domine lesu Christe, ad te confugi : doce me facere volun­ tatem tuam, quia deus meus es tu 7. 1. P». 15, 11. 2. P». 17. 30. 3. I Cor. 13. 12 : citation qui se poursuivra 1. 287. Elle fail écho au début de V Exercice (I. 54 s.}. 4 Ibid. — Host douteux que, par cet abyssale profluvium, Gertrude songe aux relations entre les Personnes divines, car elle aurait plutôt tendance à ne pas distinguer les opérations des diverses Personnes, so plaçant sur un plan psychologique et non théologique. Elle pense sans doute au Fleuve de la divinité, mais le problème appellerait une étude plus poussée. r EXERCICE V, 274-298 179 la longueur de mon exil. Ohl quand me combleras-tu de joie par ta face melliflue1? Alors je contemplerai, et baise­ rai le véritable Époux de mon âme, mon Jésus, à qui déjà dans sa soif elle adhère et vers lequel aussi mon cœur s’en va tout entier. Oh! qui me délivrera de l'exil de ce pèlerinage? Oh! qui m’arrachera au filet de ce monde? Oh! quand quitterai-je ce misérable corps pour te voir sans intermédiaire, ô Dieu amour, astre des astres? En toi, cher amour, je serai délivrée de l’épreuve de cette mort. En toi, ô Dieu qui m’aimes, passant la muraille du corps2, en sécurité et exultation, là en vérité, je te verrai, non dans un reflet, mais face à face 3. De grâce, ô toi qui es la source des lumières éternelles, ramène-moi en toi, dans les abîmes du courant hors duquel j’ai coulé4, Là je connaîtrai comme je suis connue, j’aimerai comme je suis aimée; ainsi je te verrai, mon Dieu, tel que tu es 56 7, en ta vision, ta jouissance et ta possession bienheu­ reuse à jamais. Amen. r En ce même jour de l’amour, tu offriras encore sept fois ton âme au Seigneur, afin de rafraîchir en toi l’amour de son divin cœur. Et d’abord, à Matines, prie le Seigneur, qui est le Souverain Maître, de t’enseigner, par l’onction de son Esprit, l’Art d’amour’, faisant de toi sa propre disciple : ainsi, sous un tel docteur, tu t’exerceras infati­ gablement à la vertu de charité. Et dis : « Seigneur Jésus-Christ, je me réfugie vers toi. Apprendsmoi a faire ta volonté, car tu es mon Dieu ’. » 5. Cf I Jn 3, 2. 6. On reconnaît le titre d’un ouvrage d’Ovide très lu au Moyen Age, terme volontiers utilisé par les auteurs spirituels pour désigner leurs traités. Ce terme, autant que les thèmes évoqués dans tout l’Exercice, montre bien que Gertrude ici rédige son < Art d’aimer », son « Art d’amour ·. 7. 7’s. 142, 10. 180 GERTRUDE D’HELFTA Oratio: O amor, rabbi, domine mi, coelis sublimior et 300 abysso profundior, cuius admirabilis sapienta solo visu beatificat omnia, desuper cherubim charitate plenissima, in valle plorationis respiciens humilia, et colligens parvulos ad tua dogmata salutaria : eia ne me peripsema tua praetere­ at disciplina, sed reficiat me quaeso tua vitalis doctrina. 305 Utinam, et millies utinam, me adoptes in filiam, ut habeas et possideas me tamquam propriam. Eia o amor, iam in me incipias exercere magisterium, a memetipsa segregans me in tuae vivae charitatis et dilectionis ministerium, totum, o amor, meum possidens, sanctificans et adimplens 310 spiritum. Arnen. Ad primam ora dominum ut introducat te in scholam amoris x, ubi addiscas lesum cognoscere et amare. Et hoc cum oratione et versu : Ancilla tua ego sum, amantissime lesu, da mihi intellec315 tum, ut discam mandata tua1 2. O amor deus, quam bene, quam diligenter tu tuos in charitatis gremio foves et nutris pullos. Utinam, et millies utinam, iam mihi castae dilectionis aperias scholam, ut inibi tuam charissimam experiar disciplinam, et per te 320 sortiar non solum bonam, sed et in veritate sanctam et perfectam animam 3. Eia o amor, in tuae charitatis medullam meos intinge sensus, ut per te fiam puer ingeniosus, et tu ipse in veri­ tate sis pater, doctor et magister meus, et sub tua paterna 325 benedictione, ab omni peccati scoria meus integre depuretur et decoquatur spiritus : ut ad capienda tua ignota eloquia, 1. Cette école de l’atnour divin est certes le monastère, que saint Benoît appelle une < école du service divin » (Prol.), où < rien ne doit être préféré à l’amour du Christ » (chap. ·<); mais Oertrudo pense plutôt à une outre école, où l’amour, et non l'abbé, est père, docteur, maître. 2. Ps. 118, 73. EXERCICE V, 299 - 326 181 Oraison : 0 amour. Maître, mon Seigneur, plus élevé que les cieux et plus profond que l’abîme, dont la sagesse admirable est par sa seule vue la béatitude de tous les êtres; toi, qui, assis sur les Chérubins à la charité parfaite, jettes un regard sur ce qui est humble dans cette vallée de pleurs; toi qui rassembles les petits enfants pour leur faire part de tes dogmes salutaires; ah! ne refuse pas tes leçons à ce vil rebut que je suis, mais que me réconforte, je t’en conjure, ta doctrine de vie. Je souhaite, et mille fois je le souhaite : adopte-moi pour fille, afin de m’avoir et de me posséder comme La propre enfant. De grâce, ô amour, commence dès ce moment à exercer sur moi ton magistère, me séparant de moi-même, pour le service de ta vivo charité et de ta dilection; possédant, sanctifiant et remplissant, ô amour, tout mon esprit. Amen. /V Prime, supplie le Seigneur de t’introduire dans l’école de l’amour \ où tu apprendras à connaître et à aimer Jésus. Et cela avec cette oraison et ce verset : Je suis ta servante, ô très aimant Jésus, donne-moi l’intelligence, afin que j’apprenne tes commandements2. O Dieu amour, avec quelle bonté et quelle diligence tu réchauffes dans le sein de ta charité et tu nourris tes petits. Je souhaite et mille fois je le souhaite : ouvre-moi dès maintenant l’école de la chaste dilection, afin que là j’expé­ rimente ton très cher enseignement, et que par toi je reçoive une âme non seulement bonne, mais vraiment sainte et parfaite 3. De grâce, ô amour, plonge mes sens dans la moelle de la charité, afin que par toi je devienne une enfant ingénieuse, et que toi-même en toute vérité, tu sois mon père, mon docteur et mon maître, et que sous ta paternelle bénédic­ tion, mon esprit soit entièrement purifié par le feu de toute scorie du péché. Qu’il soit ainsi rendu tout à fait disposé 3. Sag. 8, 19. 182 GERTRUDE D’HELFTA totus reddatur conveniens et aptus, et me totam, o amor, tuus sanctus, rectus et principalis inhabitet spiritus1. Amen. 330 335 340 345 350 Ad tertiam ora dominum, ut vivis litteris spiritus sui inscribat cordi tuo legem ignitam sui divini amoris, ut inseparabiliter ei adhaereas omnibus horis. Et hoc cum oratione et versu : Utinam, amantissime lesu, dirigantur omnes cogitationes, verba et opera mea, ad custodiendas iustificationes1 2 tuas in omni tempore3. O amor deus, quam praesto es te quaerentibus, quam dulcis4, quam amabilis te invenientibus. O si mihi nunc tuum expandas admirabile alphabetum, ut cor meum unum studium subeat tecum. Dicito mihi nunc in viva experientia, quid vel quale sit tuae pulchrae dilectionis gloriosum et principale alpha : ne me celes adimpletionis generationum imperialis sapientiae tuae fructuosum betha5*. Digito spiritus tui diligenter et sigillatim mihi ostende singulas charilatis tuae litteras, ut usque ad medullam praegustationis tuarum dulcedinum, in veritate mundo cordis oculo scruter et perlustrem, addiscam, sciam et integre, quantum fas est in hac vita, recognoscam eas. Doce me per tui spiritus cooperationem0 tau summae perfectionis, et perduc me ad O plenae consummationis7. Fac me in hac vita tam perfecte addiscere tuam plenam charitate et dilectione scripturam, ut in me non unum iota 1. P.< 50, 12-14. Il semble bien que Gertrude voit l'amour divin, plus précisément l’Esprit-Sainl, dans cet · esprit-principe », droit et saint, dans co souffle do l’amour. 2. Ps·. 118, 5. 3. Ps. 118, 20. Cf. l’oraison de Prime. 4. Encore une utilisation du Dufàs Jcsu memoria {supra 1. 145). 5. Le 11, 20. — L’Écriture fournit à Gertrude Valpha et l'omega, ainsi que le iota. Elle demande à la symbolique médicale le sens du brihat EXERCICE V, 327 ■ 352 183 et apte à recevoir les paroles de feu, et que, ô amour, ton Esprit saint, droit et souverain, m’habite tout entière \ Amen. A Tierce, prie le Seigneur de graver sur ton cœur, avec les lettres vivantes de son Esprit, la loi enflammée de son divin amour, afin que tu lui demeures inséparablement unie à toute heure. Et cela avec cette oraison et ce verset : Plaise à Dieu, ô Jésus plein d’amour, que toutes mes pensées, mes paroles et mes actions se tournent à observer 2 en tout temps tes commandements3. O Dieu amour, combien tu es présent à ceux qui te cher­ chent, combien doux4, combien aimable à ceux qui te trouvent. Ohl si maintenant tu m’expliquais ton admirable alphabet, pour que mon cœur s’applique avec toi à une même étude. Enseigne-moi donc maintenant, en une vivante expérience, ce qu’est et ce que vaut le glorieux et initial Alpha de la belle dilection. Ne me cache pas le Bctha fruc­ tueux, qui remplit toutes les générations, de ton impériale sagesse*. Du doigt de ton Esprit, montre-moi avec soin, et une à une, toutes les lettres de ta charité : afin que, réussissant à goûter par avance la moelle de tes délices, je puisse en vérité, de l’œil pur de mon cœur, les scruter, les parcourir, les apprendre, les savoir et les reconnaître intégralement, autant qu’il est permis en cette vie. Enseigne-moi, par l’action e de ton Esprit, le Tau de la suprême perfection, et conduis-moi jusqu’à l’Oméga de la pleine consommation ’. Fais-moi en cette vie apprendre si parfaitement ton écriture pleine de charité et de dilection, qu’il ne demeure pas en moi un seul Iota qui soit privé deuxième lettre de l’alphabet, qui signifie dan.s la création l’œuvre de Dieu ad extra. 6. Ici encore Gertrude use du terme de cooperatio (cf. III, 195). 7. Apec. 1, 8. 1X4 GERTRUDE D’HELFTA vacet a tuae charitatis adimpletione ’, unde moram patiar, quum me, o amor deus, dulcis amor meus, ad te evocaveris, 355 temetipsum in teipso perpetuo contemplaturam. Arnen. 360 365 370 375 Ad sextam ora dominum, ut in arte amoris sui in tantum proficias, ut amor eius quasi proprium instrumentum habeat te ad ornnem voluntatem suam, et tota fias secundum cor Dei. Et dicas orationem et versum : Benedictionem tuam dulcissimam da mihi, lesu mi chare, verus legislator, ut eam de virtute in virtutem, et videam te deum deorum in Sion 1 2. O amor deus, omnis qui te non diligit, elinguis est et infans : et hic solus proficit, qui tibi totus adhaeret, te solum indesinenter amans. Eia, ne in tuae cbarilatis schola semper sic relinquar ego sola, tamquam tener pullus tuae educationis adhuc in ovo : sed in te et per te, imo tecum, eam et proficiam de die in diem, de virtute in virtutem 3, quotidie tibi, dilecte mi, fructum ferens in tuae dilectionis limite novo. Neque mihi sufficit scire te tantum syllabicc : desidero, cupio, et millies exopto nosse etiam te theorie© \ amare te valide, non solum dulciter; sed et sapienter te diligere, et inseparabiliter adhaerere, ut incipiam iam non amplius in me, sed in te tibi soli vivere. Nunc o amor, fac me te recognoscere in veritate, et in anima mea tibi sedem colloca in omni sanctitate. Arnen. Ad nonam ora dominum, ut ipse rex regum faciat te 1. Maith. 5, 18. 2. Pi. 83. 8. 3. Ibid. ·'«. Theorice se traduirait mieux ainsi : dans la contemplation, ou encore : sous la lumière de Dieu. Gertrude oppose une connaissance élémentaire, « syllabique ·, le b-a-ba, et la connaissance supérieure, parfaite, la « thoo» ria « de la spiritualité grecque. L’Occident a fait sienne cette notion : c’est pourquoi nous conservons dans la traduction le ternie technique. EXERCICE V, 353 - 377 185 de la plénitude de ta charité ce qui me causerait un retard lorsque tu m’appelleras à toi, ô Dieu amour, mon doux amour, pour te contempler toi-même, en toi-inême, perpé­ tuellement. Amen. A Sexte, prie le Seigneur de te faire tellement progresser en son art d’aimer, que son amour te possède comme son propre instrument pour faire toute sa volonté, et que tout entière tu sois selon le cœur de Dieu. Et dis cette oraison et ce verset : Donne-moi ta très douce bénédiction, ô mon cher Jésus, véritable législateur, afin que j’aille de vertu en vertu et que je te voie, ô Dieu des dieux, en Sion 2. O Dieu amour, quiconque ne t’airne pas, est sans langue et ne sait parler. Et celui-là seul fait des progrès qui s’attache à toi tout entier, t’aimant, toi seul à jamais. Ah! que je ne sois pas toujours laissée seule dans l’école de la charité, comme un tendre poussin de ton élevage qui reste dans l’œuf; mais fais qu’en toi, par toi, bien plus : avec toi, j’avance et progresse de jour en jour, de vertu en vertu3; chaque jour pour toi, mon bien-aimé, portant du fruit sur un nouveau terrain de ta dilection. Il ne me suffit pas de savoir seulement t’épeler; je désire, je veux, et souhaite mille fois te connaître même selon la « théorie 4 », t’aimer avec ardeur, non seulement avec douceur; mais aussi te chérir avec saveur, et m’attacher à toi d’une manière insé­ parable, pour commencer enfin à ne plus vivre en moi, mais en toi et pour toi seul. Maintenant, ô amour, fais-moi te connaître en vérité, et établis pour toi dans mon âme ton siège en toute sainteté. Amen. A None, prie le Seigneur, que lui-même Roi des rois, te Cf. Dom J. Le CLErcq, Études sur le vocabulaire monastique au Moyen Age, Rome 1961 (Studia monastica 48), p. 80. 186 GERTRUDE D’HELFTA suscipere militiam amoris et doceat te tollere super te iugum suave et onus leve, ut sequaris dominum tuum cum 380 cruce tua 12, deo tuo adhaerens amore individuo, et hoc cum oratione et versu : Tu es, domine, spes mea, susceptor meus et refugium meum : tu mecurn es in omni tribulatione mea3. O amor deus, omnis qui fortis et velox in tuae dilectionis 385 reperitur opere, hic vere coram tua regali facie stabit omni tempore45*. Eia o reginarum regina charitas, fac pro tua gloria tecum coniurarc in nova tuae dilectionis militia *. Doce me manum mittere ad fortia®, et in te, et per te velociter et indefesse aggredi et complere tuae dilectionis 390 fidelissima nimis negotia. Tu gladio spiritus7 tui femur meum accinge potentissime, et fac me mente virum induere, ut in omni virtute viriliter agam et strenue, et in te bene solidata tecum inseparabiliter perseverem invincibili mente. Omnes meae vires sic fiant appropriatae tuae charitati, 395 et sensus mei in te fundati et firmati, ut in sexu fragili, virtute animi menteque virili pertingam ad hoc genus amoris, quod perducit ad thalamum cubiculi interioris tuae perfectae unionis. Nunc o amor, tene et habe me tibi in propriam, quia iam ultra nisi in te nec spiritum habeo, 400 nec animam. Arnen. Ad vesperas, cum lesu amatore tuo, in amoris armatura 1. MaUh. It, 30. — Notons, à propos de cette expression militiam amoris, que saint Benoît demande à son moine de « militer pour le Sei­ gneur Christ, vrai Roi » (/tegu/a, Prol.} 2. Me'8.34. 3. Ps. 90, 2 et 15. 4. Allusion sans doute à l'obéissance sine mora quas convenit iis qui nihil sibi Christo carius existimant (/leg. Ben., chap. v). 5. La nouvelle expression « dilectionis militia » faisant suite à · militiam amoris » (I. 378), donne à l’art d’aimer une note particulière, belliqueuse, mais au fond très traditionnelle : l’amour exige les œuvres, évoquées duns ce paragraphe, cl la mort de la croix, commémorée à l’heure de None. — EXERCICE V, 378-401 187 fasse enrôler dans la milice do l’amour \ et qu’il t’apprenne à te charger de son joug suave et de son fardeau léger, en sorte que tu suives ton Seigneur, on portant ta croix2, adhérant à ton Dieu par un amour inséparable. Et cela avec l’oraison et le verset : Tu es, Seigneur, mon espérance, mon appui et mon refuge; tu es avec moi en toutes mes tribulations3. O Dieu amour, quiconque est trouvé vaillant et prompt dans l’œuvre de ta dilection, celui-là en vérité, se tiendra devant ta face royale en tout temps 4. De grâce, ô reine des reines, Charité, accorde-moi pour ta gloire de me lier avec toi par serment, dans la nouvelle milice de ta dilection *. Apprends-moi à mettre la main aux affaires valeureuses®, et, en toi et par toi, à tenter et à accomplir, promptement et infatigablement, les affaires très sûres de ta dilection. Toi, tout-puissant, attache à mon côté le glaive de ton Esprit7, et fais-rnoi en esprit revêtir la force virile, afin qu’en toute vertu j’agisse virilement et avec bravoure, et que, soli­ dement établie en toi, je te reste inséparable, et je persévère avec un esprit invincible. Que toutes mes forces soient si bien appropriées à ta cha­ rité, et mes sens établis et affermis en toi, que malgré mon sexe fragile, je parvienne par la vigueur de l’âme et par un esprit viril à ce genre d’ainour qui conduit au lit de la chambre intérieure, pour m’unir parfaitement à toi. Maintenant, ô amour retiens-moi et possède-moi comme ton bien propre, car désormais je n’ai plus, si ce n’est en toi, ni esprit ni âme. Amen. A Vêpres, en compagnie de Jésus, qui t’aime, revêtue de l’armure de l’amour, marche avec assurance à la rencontre L’heure de Vêpres développera ces thèmes guerrière, en insistant sur la lutte contre Satan. 6. Prov. 31, 19. 7. Êphés. 6. 17. 188 405 410 415 420 425 GERTRUDE D’HELFTA omni tentationi obviam procede secura \ ut in eo, cuius misericordia te semper adiuvat et consolatur, carnem tuam, mundum et diabolum possis superare, et de omni tentatione gloriose triumphare. Et hoc postula cum oratione et versu : lesu mi dulcissime, non des in commotionem pedem meum, quia non dormis neque dormitas12, qui custodis animam meam 3. O amor deus, tu ipse es murus meus et antemurale4. Qui in hoc mundo sustinent pressuras, ecce hi sciunt quale in tua pace stratum sit eis defensionem ab aestu et a pluvia umbraculum 5. Eia nunc respice et vide meum praelium, et tu ipse informa digitos meos ad bellum. Si consistant adver­ sum me castra, non timebit cor meum, quum tu ipse, o fidele meum propugnaculum et turris fortissima, mecum sis intus et extra4. Ubi est adversarius meus, te adiuvante? Te pro me stante, huc accedat ad me. Tu solo visu aperis mihi et denudas cogitationes satanae, et exsufflas eas verbo coram me 7. Si millies praecipitaverit me inimicus meus, super charissimam manum dexteram tuam cadens, hanc amplexabor et deosculabor totis praecordiis, et te propugnante, te defenden­ te me, ab omni periculo illaesa stabo fortis. Tu in me conculca satanam sub pedibus8, et omne genus defectuum meorum interfice et fuga penitus. In conspectu tuo cadant mille a meo latere, et millena millia a dextris meis 9. Ad me autem non accedat malum, quum tu ipse sis 1. Ce champion armé d’amour, qui s’avance pour triompher de toutes épreuves, ferait penser aux romans do chevalerie si, un peu plus loin, la mention du diable no nous plaçait sur le terrain du combat spirituel. Par cet exemple on mesure combien il est difficile de préciser la part do la littérature profano dans la pensée ou l’imagerie de Gertrude. 2. Ps. 120, 4, 3. Cf. Oraison pour bénir le dortoir, lors de l’aspersion des lieux régu­ liers : « Benedic, Domino, hoc... dormitorium, qui non dormis neque dormites, qui custodis Israel... » EXERCICE V, 402 - 427 t89 do toute tentation1, afin qu’en colui dont la miséricorde toujours te soutient et te console, tu puisses vaincre la chair, le monde et le démon, et de toute tentation triompher glorieusement.. Et demande-le par cette oraison et ce verset : O mon très doux Jésus, ne laisse pas rnon pied trébucher, car tu ne dors ni ne sommeilles2, toi le gardien de mon âme 3. O Dieu amour, loi-même tu es mon rempart et mon avantmur4. Ceux qui, en ce monde, supportent des épreuves, ceux-là savent bien quel abri en ta paix leur a été préparé, pour les défendre contre la chaleur et les protéger de la pluie56. Ahl maintenant, regarde et vois mon combat; toimême informe mes doigts pour la bataille. Qu’une armée vienne camper contre moi, mon cœur sera sans crainte, puisque toi-même, ô mon rempart assuré, et ma tour solide, tu es avec moi, au-dedans et au-dehors ·. Où est-il mon ennemi, si tu me portes secours? Si tu combats pour moi, qu’il approche donc de moi! Par ton seul regard tu découvres pour moi et tu mets à nu les machi­ nations de Satan, et ton verbe d’un souffle les dissipe devant moi7. Quand mille fois mon ennemi me renverserait, tom­ bant sur ta très chère main droite, je l’embrasserai cette main et je la baiserai de tout cœur, et protégée par toi, défendue par toi, sortant sans blessure du milieu de tout péril, je me tiendrai ferme. Toi, en moi, foule aux pieds Satan89; anéantis toute l’engeance de mes défauts, et mets-les complètement en fuite. Qu’à ton aspect, ils tombent, mille à ma gauche et mille milliers à ma droite ®. Mais que le mal n’approche pas 4. 5. 6. 7. 8. 9. Is 26, 1. Ibid. 4, 6. La suite inspirée du De contemplando, 3, 10. Ps. 143, 1; 26, 3. Il Thess. 2, 8. Rom. 16, 20. Ps. 90, 7. 190 GERTRUDE D’HELFTA mecum, meum summum vcrurn et charissimum bonum. Utinam, et. millies utinam, tandem ad me convertantur 430 sagittae tuae acutae *, ut lanceam dilectionis tuae gestans in visceribus, in medio tui, o charitas, confidenter nimis habitem et in te12. Nunc iam, o amor, hic sub te sic cadam, ut in aeternum manus tuas non evadam. Arnen. Ad completorium, exopta cum dilecto vino amoris ine435 briari3, in dei unione mundo sopiri, in amplexu dilecti a teipsa in deum exspirare, et in pectore lesu iam pene tota exuta homine, suaviter obdormire, ut in amore quotidie tibi ipsi morions et soli deo vivens, in mortis hora fidu­ cialiter occurras morti, respiciens eam quasi finem tui 440 exilii, ianuam regui et portam coeli. Et hoc cum oratione et versu : Absconde me, amantissime lesu, in abscondito faciei tuae ab omnibus insidiantibus mihi, et non confundatur anima mea, quum loquetur mimicis suis in porta4; sed adimple 445 eam laetitia cum facie tua melliflua5*. O amor deus, tu es totius boni consummatio et linis* : tu usque m finem diligis quod eligis 7 : quodeumque tibi in manus venerit, foras non eiicis, sed servas tibimetipsi diligenter nimis. Eia ineipsam totam, et finem meae consum450 mationis tibi appropria iure perpetuae possessionis. Iam ultra non parcas mihi, sed vulnera cor meum usque ad spiritus medullam, ut in me vitae scintillam penitus relin- 1. Ps. M. 6. 2. Jir. 23, 6. 3. Allusion au Cant. 1, 3; 2, 4. Ps. 126, 5. 5. Ps. 15, 11. fi. On remarquera !o cursus de cette phrase qui fait penser à une Préface. Il y eu a bien d’autres similaires chez Gertrude; celle-ci est particulièrement suggestive. 7. Jn 13, 1. Allusion donc à In mort de Jésus sur la croix, preuve EXERCICE V, 428 ■ 452 191 de moi, puisque toi-même tu es avec moi, ma souveraine vérité et mon bien le plus cher. Je souhaite et je le souhaite mille fois, qu’enfîn vers moi se tournent tes flèches aiguës 1; afin que, le cœur frappé de la lance de ta dilection, j’habite en ton sein, ô charité, avec la plus grande confiance, et- en toi2! Maintenant donc, ô amour, qu’ici même je tombe sous tes coups de telle façon que jamais je ne puisse échapper de tes mains. Amen. A Complies, désire, avec le Bien-aimé, t’enivrer du vin de l’amour 3, dans l’union à Dieu t’endormir au monde, dans l'embrassement du Bien-aimé expirer à toi-même en Dieu et, sur la poitrine de Jésus, presque entièrement déjà dépouillée de l’humain, suavement t’endormir, afin que dans l’amour, mourant chaque jour à toi-rnême et vivant pour Dieu seul, à l’heure de la mort, tu marches avec con­ fiance au-devant de la mort, la considérant comme la fin de ton exil, l’entrée du royaume et la porte du ciel. Et ceci, par cette oraison et ce verset : Cache-moi, ô très aimant Jésus, dans le secret de ta face, à tous ceux qui me tendent des embûches, et mon âme ne sera pas confondue lorsqu’elle répondra à ses ennemis à la porte de la ville 4, mais comble-la d’allégresse par ta face melliflue δ. O Dieu amour, tu es de tout bien la consommation et la fin c; toi tu aimes jusqu’à la fin celui que tu choisis ’. Tout ce que tu reçois en tes mains, tu ne le jettes pas dehors, mais tu le conserves pour toi-même avec un soin extrême. Daigne donc t’approprier ma personne tout entière, et la consommation de ma fin par le droit d’une perpétuelle pos­ session. Désormais donc, ne me ménage plus, mais blesse mon cœur jusqu’à la moelle de l’esprit, pour ne pas laisser en parfaite de son amour. A cette mort répond la mort de Gertrude, à laquelle fait allusion (I. 448) le texte de Jn 6, 37, utilisé par In liturgie des funérailles. 192 GERTRUDE D’HELFTA quas nullam l. Imo totam tecum asporta vitam meam, tibi ipsi in to reservans animam. 455 Quis dabit mihi in te, o charitas, consummari, tuaque morte2 a carcere corporis solvi, et ab hoc incolatu liberari? Quam bonum, o amor, te videre, te habere, et in aeternum possidere. In die meae defunctionis, tu ipse adsis mihi respectu magnae consolationis, et benedicas mihi tunc 460 in pulchra aurora tuae manifestae contemplationis. Nunc o amor, tibi hic relinquo et commendo vitam meam simul et animam : sine me iam, sine, ut in pace in te requiescam et obdormiam3. Arnen. Per diem etiam illum quo vacaris amori, pro accensione 465 sensuum tuorum a vero solo qui deus est, ne unquam extinguaris, sed de die in diem crescas in amore : ruminabis assidue unum de his versibus : Beati oculi qui vident te 4, o amor Deus. O quando, quando illuc perveniam, ubi tu es deus verum lumen, deus et agnus? 470 Scio quia tandem te videbo meis oculis ·’», o lesu deus salu­ taris meus. Beatae aures quae audiunt te, o umor deus, verbum vitae®. O quando, quando vox tua plena melliflua sua­ vitate consolabitur me, vocans me ad te? Eia ab auditione 475 mala non timeam 7, sed cito audiam vocis tuae gloriam 8. Amon. Beatae nares quae aspirant te, o amor deus, dulcissimum vitae aroma. O quando, quando aspirabit mihi tuae melli- I Cant. 9. 2. La mort envisagée ici pourrait être soit une mort d’amour, soit la mort du Christ. 3. Ps. 4, 9. 4. Le 10, 23. Par allusion aux onctions du sacrement des malades. Gertrude esquisse ici. en fonction de la vie éternelle, la doctrine des sens spirituels : cf. Doyère, art. de la RAM cité supra, p. 154. La béatitude des sens, exposée dans ce passage, s’accorde mal avec le désir d’étre EXERCICE V, 453 - 478 193 moi la moindre étincelle de vie *. Bien plue, emporte toute ma vie avec toi, pour toi-même réservant mon âme en toi. Qui me donnera, ô charité, d’être consommée en toi, et par ta morta d’être libérée de la prison du corps et délivrée de cet exil? Qu’il est bon, ô amour, de te voir, et de te posséder pour 1’éternité. Au jour de mon trépas, toi-même assistemoi de la pensée de ta grande consolation, et bénis-moi alors, en la belle aurore où je te contemplerai sans voile. Maintenant, ό amour, ici je te laisse et je t’abandonne à la fois et ma vie et mon âme; laisse-moi, désormais, laissemoi en paix, reposer et m’endormir en toi 3. ?\men. Et encore pendant ce jour où tu vaqueras à l’amour, pour échauffer tes pensées au véritable Soleil, qui est Dieu même, en sorte que ton ardeur ne s’éteigne jamais, mais que de jour en jour tu croisses dans l’amour, médite longuement l’un de ces versets : Bienheureux les yeux qui te voient 4, ô Dieu amour. Oh I quand, quand parviendrai-je là où tu es, Dieu vraie lumière, Dieu et Agneau? Je sais qu’un jour enfin, je te verrai de mes yeux *, ô Jésus, ô Dieu mon Sauveur. Bienheureuses les oreilles qui t’entendent, ô Dieu amour, Verbe de vie6. Ohl quand, quand ta voix pleine d’une suavité melliflue me consolera-t-elle, en m’appelant à toi? Ah! que je n’aie pas à craindre une annonce de malheur7 mais qu’aussitôt j’entende ta voix glorieuse 8. Amen. Bienheureuses les narines qui te respirent, ô Dieu amour, délicieux arôme de la vie. Oh, quand, quand s’exhalera délivré du corps, dont Gertrude vient de parier (455). La contradiction, plus apparento que réelle, montre la liberté avec laquelle Gertrude s’ex­ prime, sans s’astreindre à des cloisonnements scolastiques. 5. Job 19, 27. 6. MaUh. 13, 15. 7. Ps. 91, 7. 8. Ps. 25, 7. diu» miiU' eurfinùbjj] , at i<^oîis ^uml 196 505 510 515 520 525 GERTRUDE D’HELFTA verbo, quod tu ipee es, viviflca mo : quicquid in dei amore1 est distractum et extinctum, in me reparans per te. O amor deus, qui creasti me, in amore tuo recrea me. Ο amor qui redemisti me, quicquid in amore tuo est neglec­ tum in me, tibimetipsi supple et redime in me. O amor deus123, qui in sanguine Christi tui tibimetipsi acquisivisti me, in veritate tua sanctifica me3. O amor deus, qui in filiam adoptasti me, secundum cor tuum nutri, nutri me. O amor, qui tibi et non alii elegisti me, fac me totam tibi adhaerere. O amor deus, qui gratis dilexisti me, da mihi toto corde, tota anima, tota virtute, diligere te4. O amor deus omnipotentissime, in amore tuo confirma me. O amor sapientissime, da mihi sapienter amare te. O amor dulcissime, da mihi suaviter gustare te. O amor charissime, da mihi tibi soli vivere. O amor fidelissime, in omni tribulatione mea consolare et adiuva me. O amor socialissime 5* , omnia opera mea operare in me β. O amor vic­ toriosissime, da mihi usque in finem perseverare in te. O amor praecordialissime, qui nunquam dereliquisti me, tibi commendo spiritum meum7. In mortis hora ad teipsum suscipe me, ore proprio vocans me ad te, dicens : Mecum eris hodie 3; iam de exilio egredere, ad solemne cras immarcescibilis aeternitatis; ibi invenies me, lesum, verum hodie divinae claritatis, qui sum initium et finis totius creaturae 9, nec ultra succedet tibi cras huius 1. Ici l'amour est nettement identifié avec le Verbo, avec le Vorbo incarné (1. 506), quelques lignes plus loin il le sera avec le Père (1. 509· 512). 2. /tel. 20, 28. 3. Jn 17, 17. 4. Rom. 3, 24; Le 10, 27. 5. L’expression amor socialis est do saint Bernard {De diligendo Deo, chap. xxn). Gertrude l’utilise ici dans un sens tout différent : il ne s’agit EXERCICE V, 603 -527 197 qui dans mon amour de Dieu 1 est détruit et éteint, en moi restaure-le, par toi. O Dieu amour qui m’as créée, dans ton amour crée-moi de nouveau. O amour, qui m’as rachetée : tout ce que j’ai perdu de ton amour par ma négligence, supplée-le par toimême et le rachète en moi. O Dieu amour, qui dans le sang de ton Christ m’a acquise pour toi2 : en ta vérité sanctifiemoi 8. O Dieu amour, qui m’as adoptée pour fille : élève-moi, selon ton cœur, élève-moi. O Dieu amour, qui m’as choisie pour toi et non pour un autre : fais que tout entière je m’at­ tache à toi. O Dieu amour, qui m’as chérie gratuitement : donne-moi de te chérir de tout mon cœur, de toute mon âme, de toute ma force *. O Dieu amour, infiniment puissant, affermis-moi dans ton amour. O amour infiniment sage, donne-moi de t’aimer dans la sagesse. O amour infiniment doux, donne-moi de te goûter suavement. O amour infiniment cher, donne-moi de vivre pour toi seul. O amour infiniment fidèle, console-moi et aide-moi en toute tribulation. O amour, infiniment secourable r‘, opère en moi toutes mes œuvresβ. O amour infi­ niment victorieux, donne-moi jusqu’à la fin de persévérer en toi. O amour, infiniment tendre, qui jamais ne m’aban­ donnas : à toi je remets mon esprit7. Λ l’heure de la mort, reçois-moi en toi, de ta propre bouche m’appelant à toi et disant : « Avec moi tu seras aujourd’hui 8. Enfin, sors de l’exil, pour le solennel Demain de l’éternité qui ne passe jamais. C’est là que tu me trouveras, moi Jésus, le véritable Aujourd’hui de la divine clarté, moi le principe et la fin de toute créature 9. Tu ne connaîtras plus pas de l’amour entre créatures, mais entre Dieu et la créature, dans la perspective, très gertrudienno, de la coopération. 6. Is. 26, 12. 7. Le 23, 46. 8. Ibid. 43. 9. Apec. 1, 8. VI EXERCITIUM LAUDIS ET GRATIARUM ACTIONIS' mento possis vacare laudi divinae, in supplementum totius lubueus3, et celebrabis memoriam illius speciosae laudis*, in qua in aeternum iubilabis domino, quando satiaberis dei praesentia, et gloria domini implebitur anima tua ·. Ideoque his miscentur devota8 quaedam suspiria animae quaedam adeo divinae, ut potius videantur esse beatorum in patria, quam viatorum in terra. Dei tui, ut ostendat tibi gratiam vultus sui ’, dicens : VI EXERCICE DE LOUANGE ET D’ACTION DE GRACES' suppléer ù toute la louange et ù l'action de grâces que tu as tous ses bienfaits Et ce jour sera jour de louange et d’action de grâces, et jour de jubilé ·, et tu y célébreras la mémoire de cette belle louange·, en laquelle éternellement tu jubiâme ·. On a aussi mêlé à ces pensées quelques dévots ’ soupirs de l'âme cherchant à voir la face de Dieu. Mai: que celle des voyageurs sur la terre. Viens donc d'abord, en esprit d'humilité, devant la face de GERTRUDE D'HELFTA lu in deo lesu meo, verbo vitae, responde pro me, ct com- ■dis mei ·. O amor, tu circumvolvo dulcissponsi mei praeclarissimam lyram, ut e, pro me sibi personot laudationis vocem moam simul et animam. Eia o amor, nuno quod facis, fac citius*. lam enim ferre non valeo torto quod mihi infixisti 55 potentiam regis tui4, gratiam dei tui, charitatem saluta- BXBRCICB VI. «-« divin cœur, dan· lequel tonte ta puissance brille avec tant O amour, voici que au Dieu de mon salut : mélodieuse entre toutes qu'e ». 0 amour, le douceur la lyre i Jésus mon Epoux ; lasso résonner la première voix de louange8, et qu'ainsi, dans les délices do sa louange, il enveloppe ma vie et, ensem­ ble, mon âme. De grâce, ô amour, ce que maintenant tu dois Faire, fais-lo promptement *; car peut-être ne pourrai-je plus supporter la blessure dont tu m'as transpercée. Maintenant, invite ton âme à se délecter en Dieu : dère la puissance de ton Roi *, la grâce de ton Dieu, la charité maintenant ·, goûte et vois quelle est la douceur et la dignité combien grande est la gloire, pour laquelle tu as méprisé le monde. Vois quel est le bien, que tu as espéré. Vois quelle est la patrie, vers laquelle tu as soupiré. Vois quelle est la couronne, pour laquelle tu as peiné. Vois qui est ton Dieu, quel il est cl combien grand, lui que tu as aimé, que tu as O Dieu de ma vie, je ne sais comment te louer dignement OBRTRUDB D'HBLPTA interiora mea. Tibi 110 tua imr quando introibit anima 115 proclamans in aeternum? O quam gloriosus es tu », deus meus, quam amabilis, quam laudabilis, super sanctum thronum tuae divinitatis. Quam delectabile oculis lumen tuum. Quam beatum videre te solem verum. Quam speciosa, quam iuounda, quam decora une pensée très concrète, fonde ce mariage mystique sur le fait que Jésus de ton Dieu, tiens-toi devant la face de celui que les anges désirent contempler *, et lis de cœur et de bouche lo premier Psaume Btnedic 9, saluant la face glorieuse de ton Dieu par ces mots : Tu es béni, ô Adonal, au firmament du ciel*. Que te bénissent toute la moelle et la puissance de mon esprit. Que te bénisse toute la substance de mon âme et de mon corps. . déjà abandonnée », et la moelle do mon âme, que tu as rachetée *, gémissant des retards de mon exil, te suit en esprit dans le sanctuaire où toi-même, ô mon Roi et mon Dieu, tu demeures avec lu substance do ma chair7. Oh! combien heureux ceux qui habitent dans ta maison ". Combien infiniment heureux ceux qui se tiennent devant ta face melliflue. En vérité, en vérité, pour ton immense gloire ils te loueront durant tous les siècles. Oh! quand, quand mon âme entrera-t-ollo au lieu do ton tabernacle admirable9 afin que ma bouche te loue on compagnie do cos bienheureux, dune une indicible joie criant bien haut pour l'éternité devant ta face melliflue : Saint, Saint, Saint ? Oh! que tu es glorieux ■·, mon Dieu. Que tu es aimable, que tu es digne de louange, sur le trône sacré de ta divinité. Que ta lumière est délectable à l’œil. Quelle félicité de te voir, toi le vrai Soleil. Qu'elle est belle, qu'elle est agréable, qu'elle est gracieuse ta louange au lieu où te servent des GERTRUDE D'HBLETA laus tua, ubi libi assistunt millium millia *. Ibi extra me 120 i omnes angeli et «anoli tui ·. 125 ut ct ego omnium creaturarum tuarum peripsemae, inter illa beatissima agmina, quae laudem Luam iubilant medullata. Ibi super divini cordis tui altare aureum concre- 130 adipe suavissimae unctionis 135 140 145 bus beneficiis suis : Jubilent tibi desideria praecordiorum meorum et vota, et EXERCICE VI, lit. us millions de milliers d’anges 111 LA, m'élançant bora do moi en maintenant mon Ame languit et défaille par ie·. De tout mon cœur, je désire être armées qui célèbrent ta louange avec jubilation, au plus jubilation. Là, sur l'autel do ton divin cœur, je brûlerai pour toi l'encens le plus précieux de mon esprit et de mon abondante douceur, par lesquelles toi-même, Que te bénissent, te glorifient, et te magnifient pour moi, toutes tes œuvres admirables et tous les dons si généreux nombreuses et grandes commisérations et miséricordes, et de moi-même ·, et tout mon être et toute ma force, car tu es ill GERTRUDE D'HELFTA confiteantur tibi multarum gratiarum tuarum munera. lubilent tibi gemitue minori incolatus mei et suspiria, et bene* dicat tibi illa, quae tu os ipse, deus meus, praestolatio, 150 patientia et expectatio mea longa. lubilet tibi spes et fiducia, quam habeo ad te, quia tandem de pulvere ad te1, o vita beatissima deus meus, reduces me. lubilet tibi sigillum fidei’, quo tibi assignasti me, quia credo quod tandem, o cliaro redemptor meus, in carne mea te 155 videam123. lubilet tibi desiderium meum, quod habeo post te, et sitis quam patior pro te, quia post hanc vitam, o vera patria, deus meus, tandem veniam ad te. Amor quoque divinus, qui amorem meum praeveniens obligat me, ut indesinenter amem te, iubilet tibi super omnia; quia tu, 160 deus meus, dulcis amor meus, es solus benedictus deus in saecula. Hic adorabis ante faciem domini dei corde et ore, ut lesus suppleat pro te : O quando, quando, lesu amantissime, ii------ ------------165 tuam in holocaustis, ut ibi offeram tibi hostiam vocifera­ tionis·, et reddam tibi vota mea, quae in tribulatione mea distinxerunt labia mea3? O quando, quando veniam et apparebo ante thronum sanctum tuum, ut videam melli­ fluum vultum tuum, cuius lumen divinissimum satiat in 170 se omnium sanctorum desiderium, et corda eorum, simul et voces et labia, in dulcem convertit iubilum? Eia o dilecte votorum meorum, intellige clamorem meum ·. Intende orationi meae, et exaudi me; quia te, o rex meus et deus meus, te vocat, te vult, te requirit cordis mei sus­ 175 pirium, et animae meae desiderium. Post te stillat ocu- 1. a. Joi, io, o. 2. Cl. Extrcin I, 3. Job 19, 25. EXERCICE VI, 147-175 vœux, et que te chantent les multiples libéralités do les do mon misérable exil et que te bénisse cotte espérance que tu es toi-mômo, ô mon Dieu, ma patience et ma longue attente. Que jubilent pour toi l’espoir ol la confiance que je mets en toi : un jour lu me tireras do la poussière pour me réunir ù toi ’, ô vio infiniment heureuse, ύ mon Dieu. Qu’il jubile â loi le sceau do la foi ■, dont tu m’as marquée commo tienne, car je crois qu'un jour, ô mon aimé Rédomp­ teur, dans ma chair je te verrai ·. Que jubile à toi lo désir que j’ai de toi, et la soif dont je souffre â cause de toi, car après cette vie, ô ma vraie patrie, mon Dieu, enfin je viendrai â toi. L'amour divin aussi qui, on prévenant mon amour, me lie â loi afin que je t’aime sans relâche, qu’il jubile â toi par-dosus toutes choses, car toi, ô mon Dieu, mon doux amour, tu es seul Dieu béni dans les siècles. Ici, tu adoreras, devant la face du Seigneur ton Dieu, ^mandant dévotement de cœur et de bouche que Jésus supplée pour toi : Ohl quand, quand, ô Jésus très aimant, entrerai-je dans ta maison avec des holocaustes, pour t’y offrir l'hostio de louange éclatante *, et te rendre les vœux qu’au temps do ma tribulation ont prononcés mes lèvres5? Oh! quand, quand viendrai-je et paraltrai-je devant ton trône sacré, pour contempler ton visage melliflue, dont la très divine amène à un doux jubilus leurs cœurs, en même temps que Do grâce, ô le bien-aimé do mes vœux, entend mon cri ·. Sois attentif à ma prière et exauce-moi, car c’est loi, ô mon Roi et mon Dieu, c’est toi qu’appellent, que veulent, que recherchent le soupir de mon cœur et le désir do mon âmo. GERTRUDE D’HELFTA lus meus, et ad le tendit intuitus meus. Tu ipso deus meus, duloedo et dilectio mea, spes moa a iuventute moa ' : tu ipse os totum hoc quod volo, quod spero, quod cupio. Et nunc, o mi dilecte, in illo praevalente amore, in quo ISO tu ad dexteram patris residens in mea carne, tibimotipsi in manibus et pedibus, simul et in corde tuo dulcissimo, inscriptam reservas me’, ut in aeternum non obliviscaris; animae meae, quam redemisti tam care ’, deus meus mise­ ricordia mea, persolve iam pro me tibimetipsi, pro omnibus 185 bonis tuis quae fecisti, facis, et facturus es mihi, laudes aotornas, immensas et incommutabiles, quales tu potos, et in teipso praevales, et eois congruere reverentissimae glo­ riae tuae, et honori maiostatis tuae, prorumpens pro me, lesu mi chare, in vocem talis ao tantae gratiarum actio190 nis, qualis te decet, domine mi, valde magne et mirabilis,is laudans te in te, in me, et pro me, in tota virtute tuae divinitatis, in toto affectu tuao humanitatis, ex parte et affectu totius universitatis, donec me atomum univer­ sae creaturae tuao, per te, qui via es, conducas, et ad te, 195 qui veritas es, perducas, et in te, qui vita es ’, introducas et abscondas, ut sit pars moa in aeternum · tua plena gratiarum praedulcis facies. Hic quasi in admiratione gloriae doi delectata et refecta, saluta deum amatorem tuum cum his verbis legens psal200 mum coelicum : Exallabo te, deus meus res’, etc. Rex meus ct deus meus, amor deus et gaudium, tibi iubilat anima mea et cor meum. Te vitam animae meae, deum meum, deum vivum et verum, fontem sempiternorum luminum, cuius mellifluae faciei lumen super me indignam 2. Is. 49,10; allusion aux stigmates do la Passion. S. Ps. 70,23; PS. 08,18. S Pe. 72, 2β. 0. Ps. 144, 1. EXERCICE VI. 176 -Î04 En te cherchant mon œil s'emplit de larmes, et vers toi tend tout mon regard. C’est toi qui es mon Dieu, ma douceur et ma dilection, mon espoir dès ma jeunesse1 ; c'est toi qui es tout ce que je veux, ce que j’espère, ce que je désire ardem­ ment. Et maintenant, ô mon bien-aimé, en ce triomphant amour, dans lequel tu os assis Λ la droite du Père, en ma propre chair, conserve-moi inserito pour toi-même sur tes mains et tes pieds en même temps que dans ton cœur très doux8, afin de n’oublier jamais mon âme que tu as rachetée si chèrement O mon Dieu, ma miséricorde, dès maintenant, à ma place, en remerciement de tous les biens que tu m’as faits, que tu me fais et que tu me feras, rends-toi à toi-même d’éternelles, immenses et immuables louanges, telles que tu peux les réaliser en toi-même et que tu sais convenir à la révérence infinie de ta gloire et à l’honneur de ta majesté. Fais éclater pour moi, ô mon aimé Jésus, la voix d'une telle et si haute action de grâces, qu’elle te convienne, mon Sei­ gneur, extrêmement grand et admirable. Loue-toi en toimême, en moi et pour moi, avec toute la puissance de la divinité, avec toute l’affection de ton humanité, au nom et place de tout l’univers, jusqu'à ce que moi, atome au sein do ta création tout entière, tu me conduises par toi qui es la Voie, tu me fasses arriver à toi qui es la Vérité, et que, en toi qui es la Vie*, tu m'introduises et lu me caches, afin que mon partage dans l’éternité 5 soit ta très douce face pleine de grâces. Ici comme charmée et fortifiée dans l’admiration do la gloire de Dieu, salue le Dieu qui t’aime, par ces paroles que tu bras dans le Psaume céleste : < Je t’exalte, mon Dieu, ô Roi ·, etc. » Mon Roi et mon Dieu, Dieu amour et félicité, à toi crient leur joie mon âme et mon cœur. Toi, vie de mon âme, mon Dieu, Dieu vivant et véritable, source des éternelles lumières dont la face melliflue est venue imprimer sa lumière sur moi Et quid retribuam tibi, domine mi, pro omnibus boni* tuam dilexisti me, nec tibimetipsi pepercisti propter me, et ad hoc creasti me ad te, et tibi redemisti et elegisti me, 215 nunc a te est in coelo, aut quid ultra de omnibus bonis tuis amoenitate tui melliflua facie· super mei ' impinguat. Hic benedicas domino deo regi tuo magno, pro omnibus EXERCICE VI. MI. Ml indigne, mon coeur désire te saluer, te louer, te magnifierai ta bénir. Je t'offre la moelle de mes forces et do mes sens1, en holocauste de louange nouvelle ot d'intime action de grâces. Mais que te donnerai-je, ô mon Seigneur, pour tous les biens quo tu m’as donnés·? En effet, je le vois, tu m'as aimée plus que ta gloire; et, à cause de moi, tu ne t’es même pas épargné; mais tu m'as créée pour toi, pour toi tu m'as rachetée et élue, à celte fin de me conduire â toi-mème et de me donner de vivre en toi bienheureuse *, et pour l'éternité de jouir de toi dans la plus grande félicité. Et maintenant, biens que puis-je vouloir ou désirer, sinon toi*? Où pourrait au-dessus de toi, ô mon Dieu, me conduire mon admiration? Tu es de tout bien le commencement et la consommation; et, de même tous ceux qui se réjouissent ensemble trouvent on toi leur habitation. Tu os la louange do mon cœur et de ma bouche. Toi, tout entier, tu es écla­ tant de beauté dans l’aménité printanière de ton amour festif. Que ta divinité souveraine te magnifie et te glorifie, vie·; aucune créature ne suffit à le louer dignement. Toi seul, tu te suffis à toi-méme, qui ne connais jamais en toi de défi­ cience. Ta face plus douce que le miel ’ et le rayon de miel Bénis ici le Soigneur Dieu, ton grand Roi, pour toutes ses miséricordes : Que te bénisse pour moi ta glorieuse et admirable lumière, OBRTRUDE D’HELFTA tuum, Deus meus, et laudet praestantissimae maiestatis tuae imperiale decus. Benedicat te immensae gloriae tuae illatorum iudioiorum tuorum abyssus, et te aeternae sapientiae tuae inscrutabilis circuitusi 240 Benedicat te multarum miserationum tuarum infinitus numo· rus, et laudet te omnium misericordiarum tuarum immensum, pondus. Hic oITer domino hostiam iubilationis, dicens devote : lubilont tibi omnia pietatis tuae viscera, et infinitae 245 bonitatis superabundans copia. Jubilet tibi tua nimis ma­ gna et supereffluens, quam ad homines habes, charitas, et tui benignissimi amoris incontinentissime liboralitas. lubilet tibi tuao supereffluentis dulcedinis triumphalis for­ titudo, et totius beatitudinis, quae in te charis tuis ma250 net, plenitudo. Hic adora dominum deum, ut introducat te cito in tabernaculum suum sanctum, et laudet seipsum pro te, dicens haec verba : O vita beatissima, deus meus, ad quem solum respicit 255 oculus meus. O quando, quando in splendoribus sanctorum1 me, minimam scintillulam, tuus vitalis retrahet et intrahet: radius, ut ante thronum tuum etiam in lingua mea resonet tuae laudis iubilatio, ubi deo patri et filio et spiritui sancto,j in uno gratiarum actionis dulci modulo, compar ab omnibus 200 sit laudatio·? O quando chorda desiderii mei annectetur; illis seraphicis fidibus, quae tibi incessanter proclamant: EXERCICE VI. 232- 2«t ô mon Dieu, et te loue do ta souveraine majesté l’impériale beauté. Que te bénisse do ta gloire immenso la magnificence pleine de dignité, et te loue do ton infinie puissance la force éclatante. Que te bénisse do Ion éternelle clarté la lumière originelle et te loue do ton éblouissante beauté lo charme brillant. Que te bénisse l’abtme do tes justes jugements, et to loue de ton éternelle sagesse l’insondable étendue. Que te bénisse le nombre infini de tes abondantes pitiés et lo loue de toutes tes miséricordes l’immense poids. Ici offre au Seigneur une hostie de jubilation en disant dévotement : Que te célèbrent dans la joie toutes les entrailles de la pitié, et la richesse surabondante de ton infinie bonté. Que te célèbrent dans la joie la charité infiniment grande et débordante, que tu as pour les hommes, et la libéralité qui ne peut pas contenir ton amour si bienveillant. Que te célèbrent avec joie la force triomphante do la débordante douceur, et la plénitude de toute béatitude qui en toi domeure pour quiconque t’est cher. Ici adore le Seigneur Dieu, le priant de t’introduire au plus tôt en son saint tabernacle, et de se louer lui-même pour toi; dis ces paroles : O vie souverainement heureuse, mon Dieu, vers toi seul regardent mes yeux. Oh I quand, quand la vie que tu rayonnes mo retirera-t-elle et m'attirera-t-ello dans les splendeurs dos saints ■, moi pauvre petite étincelle, afin qu'en présence de ton trône, ma langue elle-même fasso retentir la jubila­ tion de ta louange; là où pour Dieu Père, et Fils et SaintEsprit, dans une unique et douce mélodie d’action de grâces, tous les êtres donneront une semblable louange2? Oh! quand la corde de mon désir sera-t-elle fixée à la lyre dos Séraphins, qui sans cesse fait retentir pour toi l’ineffable GERTRUDE D’HBLFTA ineffabile sanctus, ut cordis mei gaudium et iubilus. cum his beatissimis coram te consonet, in idipsum laudationis 270 citbarizan consonat summa et aeterna nens subticet omnis coeli musica, bora, in lubilo divini cordis tui, tibi pro me tuae iubilationis organum*, pro omni bono Eia et in illo laudationis circumflexu, include amorem meum in te, tam individuo dilectionis nexu, ut medulla cordis mettent à l’unisson, devant toi, avec cas bienheureux Esprits, sur le ton d’une même louange? Oh I quand, arrachée au filet des chasseurs serai-je enveloppée de la toison do neige de ta pureté immaculée, afin de te contempler, toi plus beau à voir que les visages dos Anges, toi précédant les chœurs des Vierges et dos Saints, et afin d’ontondro le cantique nouveau des noces éternelles, que toi, leur Hoi et leur Epoux, tu leur chantas si doucement sur la cithare, ce cantique, où résonne la splendeur de ta voix plus parfaite que toutes les cymbales du ciel, où devant celte louange digne de toi-même, défaillent toute voix et toute langue *? Obi qu'elle est grande et belle la jubilation, dans ce séjour où pour le Soigneur un et trine, et par la divinité une et trine *, retentit la sublime et étemelle voix de louango et d'action de grâces; où suspendant scs accords, toute la musique du ciol so tait, ot où toute l'armée des Séraphins abaisse ses ailes. Do grâce, ô Dieu do mon cœur, ot bicnaimé de mes vœux, lé, là dans le pouvoir que tu as de to satisfaire par la plénitude surabondante de toi-même dans la jubilation do ton cœur, ajoute à ta voix, en cette heure, pour moi si indigne, un nouvel accent4 de louange ot d'action lation, pour tout Io bien que tu m'a» fait en me créant, en me rachetant, en m’élisant hors du monde. amour pour toi, par un nœud de dilection ai indissoluble que la moelle de mon cœur jubile infatigablement pour toi. Tout le temps que je soutiens mon misérable exil, j’ai toujours soif de ta louange, et je désire retourner A toi qui m’as créée, jusqu'au jour où, ayant déposé le fardeau OBRTRUDE D'HBLFTA 290 me redire cupiens, quousque deposita corporis mole, in sancto appaream coram te : ubi in aspectu divinissimi vultus tui repleatur gaudio cor meum, et lingua mea jubila­ tione 1 : ubi in perpetuum do tua exsultem bonitate, et glorier do mellifluae faciei tuae sempiterna fruitione. Amen.· Hic quasi pono liquefacta et exanimata super immensitate admirabile est templum tuum, domine rex virtutum. Quant, gloriosus locus habitationis tuae, ubi tu deus altissimu» 305 super omnia praesides in tua majestate. Concupiscit et deficit virtus animae meae, super introitu gloriae tuae. Deus, deus meus, cordis mei amor et iubilus, refugium ot virtus4, gloria mea et laus mea deus, o quando laudabit te anima mea in ecclesia sanctorum *? 310 O quando oculi mei videbunt te, deum meum, deum deorum? Deus cordis mei, o quando laetificabis me visu tuae mellifluae faciei? O quando tribues mihi desiderium, animae meae, in manifestatione gloriae tuae? Deus meus, portio mea electissima, fortitudo et gloria mea. O quando 315 introibo in potentias tuas, ut videam vitutem et gloriam tuam ·? O quando indues me pallio laudis pro spiritu moeroris, ut simul cum angelis omnia membra mea tibi reddant hostiam vociferationis 7? EXERCICE VI, 290 - SIS du corp·, je paraîtrai devant toi dan» ton sanctuaire. Là, à l'aspect de ton très divin visage, mon cœur sera rempli d’allégresse et ma langue de jubilation *; là éternellement j'exulterai à cause de ta bonté, et je trouverai ma gloire dans la perpétuelle jouissance de ta face melliflue. Amen. Ici, comme fondue et sans vie à la vue de l’immensité des richesses et dos délices de la gloire de ton Dieu, à la vue de l'inestimable beauté de sa louange, à la vue de la gloire de ceux qui sont en sa présence, et à la vue de la beauté plus douce que le miel de son très resplendissant et très glorieux visage, invite toutes les créatures à la louange de Dieu, par l'hymne : « Benedicito omnia opera Domini, Domino ’ », et l’oraison : Mon cœur et ma chair ont tressailli en toi, ό Dieu vivant3 ; et mon âme s'est réjouie en toi, ô mon vrai Salut. Ohl qu’il est admirable, ton temple, Seigneur, Roi des armées. Qu'il est glorieux, le lieu de ton habitation, là, là où, toi le Dieu très Haut, tu présides à tous les êtres dans ta majesté. L’énergie de mon Ame s'épuise et défaille au désir d'entrer en ta gloire. O Dieu, mon Dieu, amour et jubilation de mon cœur, mon refuge et ma force 3, Dieu ma gloire et ma louange, ohl quand mon âme te louera-t-elle dans l’assemblée des Saints3? Ohl quand mes yeux te verront-ils, mon Dieu, Dieu des dieux? Ohl Dieu do mon cœur, quand me réjouiras-tu à la vue de ta face melliflue? Ohl quand combleras-tu le désir de mon àme, par la manifestation de ta gloire? Mon Dieu, mon héritage choisi entre tous, ma force et ma gloire. Oh! quand pénétrerai-je en tes puissances, pour voir ta force et ta gloire 3 ? Oh I quand me revêtiras-tu du manteau de la louange, en place do l'esprit de tristesse, afin qu’associée aux Anges, tous mes membres t’offrent un sacrifice d’ovation 7. 320 simum, et coram omnibus sanctis tuis confiteatur tibi ani­ ma mea ot cor meum, quia magnificasli misericordias tuas mecum ’? Deus meus, praeclara baereditas mea, o quando 325 novum dicam magnificentiae tuae ricordiao tuae? 330 investigabit abyssum sapientiae tuae, et quis dinumorabit infinitos thesauros copiosissimae misericordiae tuae? Vere non est tantus, non est talis, ut tu, deus meus rex im­ mortalis. Quis explicabit gloriam tuae maiostatis? Quis 335 saturari poterit visu tuae claritatis? Quomodo sufficiet oculus visu, vel auris auditu super admiratione gloriae tui vultus? solus magnus ot laudabilis, solus dulcis et amabilis, solus 340 pulcher et amoenus, solus speciosus et deliciis plenus, solus tantus et talis, cui in omni gloria coeli et terrae, non invenitur aequalis. Lumen tuum admirabile *, cordi meo super omnem gloriam est amabile, quod solum meum potest laetificare spiritum, et vitae huius taedium commutare in 345 exultationem et gaudium. O quando · animae meae lucernam inextinguibiliter illu- 2. Id et nilleun, Oertrude considère la vie d'ici-bas comme une mort EXERCICE VI. 319 ■ 316 O Dieu de ma vie, oh! quand entrerai-je dans le taber­ nacle de ta gloire, afin de te chanter 1'Alleluia le plus splen­ dide, lorsqu’on présence de tous les Saints mon âme et mon cœur confesseront la magnificence de tes miséricordes envers moix? O mon Dieu, mon noble héritage, ohl quand le filet de celte mort2 ayant été brisé, ma chère ûmo pourra-t-elle le voir sans intermédiaire et te louer? Oh! quand habiterai-je pour toujours dans ton tabernacle ·, afin d'y louer sans cesse ton Nom, et de chanter ό ta magnificence un hymne nouveau pour l'immensité de ta miséricorde? 5u) n'est semblable à toi parmi les dieux *, ô mon Seigneur, et rien n'est comparable à la sublimité des richesses de ton admirable gloire. Qui sondera l’ablme do ta sagesse, et qui dénombrera les trésors infinis de ton inépuisable miséricorde? En vérité, nul n'est grand, nul n’ost bon comme toi, ô mon Dieu, roi immortel. Qui décrira la gloire de ta majesté? Qui pourra se rassasier à la vue de ta clarté? Comment l'œil pourra-t-il sutlire à voir, l’oreille à entendre. Dieu, mon Dieu, toi seul es admirable et glorieux. Toi seul grand et digne de louange, seul doux et aimable, seul beau ot plein de charmes, seul éclatant de beauté et plein de délices, seul si grand et si parfait quo dans toute la gloire du ciel et de la terre, on ne trouve d’égal. Ta lumière admirable2 est pour mon cœur plus aimable que toute gloire; seule, elle peut réjouir mon esprit et transformer l'ennui de cette vie en exultation et en joie. Oh ! quand * illumineras-tu la lampe de mon âme de relative à la eoimaiamnce : si l'âme est une lumière permettant de se GERTRUDE D’HELFTA ut locum unus perennis gaudii, ut in voco sempiterni iubili, anima mea laudem reddat tibi, pro omnibus bonis quae gratuito tri- expenderem libens, ut daretur miln copia videndi qualia 370 adstant, die noctuque sanctus, sanctus, sanctus, incc proclamantia. EXERCICE VI. M? . 351 la lumière qui ne s'éteint jamais, et la réallumeras-tu en toi, afin que je me connaisse en toi comme je suis connue1 ? garde, cachée en elle, la gloire de ton visage. Oh! quand m'absorbera, moi aussi, indigne, ce très doux rayon afin Tout co qui ut en moi te dit : · Seigneur, qui est semblable cendre une couronne d’immortelle joie. gratuitement comblée*. joyeux qui entourent ton trône saint; c'eut là que tu célèbres le Sabbat d’un repos bienheureux, toi et l’Aroho do ta sainteté * GBRTRUOB D'HKLFTA Ibi, ibi1 in divini cordis tui aureum thuribulum, quo ad laudem tuam iugiter concrematur aeterni amoris thymiama suavissimum, iacto et ego granum cordis minutissimum, 375 concupiscens et desiderans, ut et illud meum vile et indi­ gnum, per spiritus tui afflatum vehementer vivificatum, transeat in unum tuae laudis cremium, et illa longa quae de abyssis terrae post te traho suspiria, pro diuturna exspectatione mea, tibi sint laus perennis et gloria. Arnen. Tunc quasi spiritu et inveniens verba dignit: 385 390 395 400 in laudem dei gestiens, nee us congrua, ora dominum tali ac tanta laudo sicut eum decet, sicut ei placet, et sicut ipse laudari maxime delectatur, dicens devoto corde et ore ; Benedicat te, deus meus, o dulcedo mea, sancta divinitatis tuae gloria, qua implere et inhabitare dignatus es novem mensibus casta Mariae virginis viscera. Benedicat te divini­ tatis tuae virtus altissima, quae se inclinavit ad virgineae vallis humilia.Bcnedieat te artificiosissima omnipotentia tua, deus altissime, qua indidisti virgineae rosae tantam virtil* lom, speciem et decorem,quam tu ipse potuisti concupisceret Benedicat te tua admirabilis sapientia, cuius copiosa effecit gratia, ut omnis vita Mariae, et corpus simul et anima, fleret tuae dignitati congrua. Benedicat te amor tuus fortis, sapiens et dulcissimus, qui olfecit ut tu vir­ ginitatis flos et sponsus, flores virginis Illius. Bonedicat te exinanitio tuae maiostatis, quae mihi aoquisivit thesauros aeternae haoreditatis. Benedicat te assumptio nostrae humanitatis, quae mo vocavit ad consortium tuae divinitatis?. Benedicat te exilium, quod triginta tribus annis perpessus 1. Dans l«s pages suivantes. Gorlnido semble plus personnelle; ces EXERCICE VI. 372 - 100 227 Ici, ici ·, dans l'encensoir d'or de ton divin cœur, où toujours brûle à ta louange le très suave parfum de l'éternel amour, je jette moi aussi le grain minuscule de mon cœur; je convoite et désire que lui aussi, mon cœur vil et indigne, dans l’unique brasier de ta louange, et que ces longs soupirs cause de ma longue attente, ta soient une louange éternelle et une gloire. Amen. Maintenant, l'esprit et l'âme comme impatiente do louer Dieu et no trouvant pas de paroles convenant à sa dignité, prie le Seigneur Jésus, qui t’aime, do se glorifier lui-même en la place, par une louange si parfaite et si haute, qu’ollo soit digne de lui, comme il lui plaît et comme lui-même se délecta le plus à être loué : et dis dévotement de cœur et do bouche : Que te bénisse, mon Dieu, ô ma douceur, la sainte gloire de ta divinité dont tu as daigné remplir et combler durant neuf mois les chastes entrailles de la Viorgo Marie. Que la bénisse la très haute puissance do ta divinité, qui s'ost inclinée jusque dans les profondeurs de cette vallée virgi­ nale. Que te bénisse la toute-puissance si ingénieuse, ô Dieu très-haut, qui a répandu sur la rose virginale tant de vertu, de grâce et de beauté, que toi-même as pu la désirer. Que te bénisse ton admirable sagesse, dont la grâce abondante a fait que toute la vie do Marie, en son corps Que te bénisse ton amour fort, sage et très doux, qui a fait que toi, fleur et époux do la virginité, tu deviennes le fils d'une vierge. Que te bénisse l'anéantissement de ta majesté, qui m'as acquis les trésors de l’éternel héritage. Que te bénisse l'emprunt de notre humanité, qui m'a appelée à la participation de ta divinité. Que te bénisse l'exil que, durant trente-trois années, tu as supporté pour moi, afin GERTRUDE D'HBLFTA es pro me, ut animam meam, quae perierat, reduceres ad fontem vitae aeternae. Benedicant te omnes humanitatis tuae labores, dolores, et sudores, quibus sanctificasti omnes meas angustias, 405 pressuras et languores. Benedicat te experientia meae et deus infinitae clementiae. Benedicat te dilectio tua copiosa, per quam tu ipse factus es animae meae redemptio pretiosa. Benedicant te omnes et singulae pretiosissimi 410 sanguinis lui guttae, quibus vivificasti animam meam, et tam care redemisti me. Benedicat te amaritudo tuae pretiosae mortis, quam tibi pro me intulit amor fortis, cuius iure non confundor mihi usurpare de te, quicquid mihi in meritis deest ex me, et 415 praesumere et scire, quod vere de me est tibi curae, quum lu sis meus, et ego tua sim, propriae acquisitionis perpetuo iure. Benedicat te pro me tua triumphalis glona, per quam tu in carne mea ad dexteram patris sedes, deus benedictus in saecula. Benedicat te tui ipsius claritas, honor et virtus, qua 420 mirabiliter repletur et pascitur omnis coelestis exercitus. Hic quasi tota adhaerens deo amatori tuo, ora dominum ut ipse cum praedilecta genitrice sua virgine Maria, et cum omni militia coeli, sibimetipsi offerat hostiam iubilationis, in festiva hilaritate iucundissiini amoris sui, et 425 ipse dulcissimus cilharoeda primus’ psallat in organo suae divinitatis, et in cithara suae humanitatis, dicens haec verba corde et ore : lubilet tibi pro me, deus vitae meae, tuae imperialism Trinitatis divinitas, essentialis unitas, personalis pro* 430 prietas, dulcis societas, mutua et intima familiaritas. Murie? La première voix OSI le Christ, dont Ια divinité fournit à la poly- EXERCICE VI. 401 · «0 de ramener mon âme, qui avait péri, à la source de la vie éternelle. Que te bénissent de ton humanité tous les labeurs, les douleurs et les sueurs, par lesquels tu as sanctifié toutes clémence. Que te bénisse celle diloction surabondante, par laquelle toi-même tu es devenu la précieuse rédemption do mon âme. Que te bénissent toutes et chacune des gouttes de ton très précieux sang, par lesquelles tu as vivifié mon âme et m'as si chèrement rachetée. Que te bénisse l’amertume de ta précieuse mort que ton rougis pas, ni de prendre pour moi, en toi, tout ce qui me manque en fait de mérites, ni d’avoir l’audace de penser et d’être persuadée que tu as do moi un soin véritable, puisque tu es mien et que moi je suis tienne par le droit éternel de mon propre rachat. Quo lo bénisse pour moi lu gloire triomphante, car c'est, revêtu do ma chair, que tu es assis à la droite du Père, Dieu béni dans les siècles. Que te bénissent ta propre lumière, ton honneur et ta puissance, dont est admirablement rassasiée et nourrie toute l'armée Maintenant, comme adhérant tout entière à Dieu qui t'aime, prie lo Seigneur de s'unir lui-même à sa très aimée Mère, la Vierge Marie, et à toute la milice du ciel, pour qu'il s'offre à lui-même un sacrifice de jubilation, dans la joie festive do son amour plein de charmes; et lui, lo très doux joueur de cithare, qu’il chante la première partie ’, s'accompagnant de l'organon de sa divinité et do la cithare de son humanité : et dis ces paroles do cœur ol do bouche : Que jubile à toi, pour moi, ô Dieu do ma vie, la divinité do ton impériale Trinité, ton essentielle unité, la distinc­ tion dos personnes, leur douce socioté. leur mutuelle et GERTRUDE D’HELFTA lubilet tibi t incommutabil' 435 440 445 450 455 incontaminabilis puritas, fon. o____ st perfecta felicitas, lubilet tibi humanitatis tuae caro mundissima, in qua tu emundasti me, factus os ex ossibus meis, et caro do carne mea *. lubilet tibi anima tua praeclarissima, pretiosissimum pignus, quo mea redempta est anima. lubilet tibi tuum mel­ lifluum dei ficatum cor, quod in morte pro me rupitamor. lubilel tibi tuum benignissimum et fidelissimum cor, in quo lancea mihi viam fecit, ut intrans inibi ropauset meum cor. lubilet tibi hoc cor dulcissimum, incolatus mei unicum refugium, quod lam pie semper est de me sollicitum, nec unquam quiescit in siti post me, donec me perpetuo recipiat ad se. lubilet tibi pro me gloriosissimae virginis matris Mariae dignissimum cor et anima, quam tibi in matrem elegisti pro meae salutis indigentia, ut mihi semper eius materna pateat clementia. lubilet tibi tua fidelissima, quae tibi de me est, cura, in qua tu providisti mihi tantam ac talem advo­ catam et patronam, per quam tuam facillime possim invenire gratiam, et in qua fiducialiter credo mihi tuam aeternam servari misericordiam. lubilet tibi hoc admirabile taberna­ culum gloriae tuae, quod solum tibi ministravit digne sancta inhabitatione, per quod tu tibimetipsi optime potes supplere pro me modum laudis et gloriae, quae tibi debetur ex me. lubilent libi pro me septem spiritus gloriosi, qui tibi adslant ante conspectum tui thronis. lubilent tibi infinita castra sanctorum angelorum3, quos tu mittis in minis­ terium, propter acquisitionis tuae genus electum ·. lubilent tibi viginti quatuor seniores 3 cum omnibus patriarchis et . substance do noire chair . (rupro 112 Ol 185}. ' gardiens. CL In note do Dom P. Doyéru, dans l'édition du L. EXBRCfCB VI. Ml - 459 intime familiarité. Que jubile à toi la sublimité de ton incompréhensible dignité, ton immuable éternité, ta pureté qui exclut toute tache, ta sainteté source de sainteté, ta glorieuse et parfaite félicité. Que jubile à loi la chair très pure de ton humanité, en laquelle tu m’as purifiée, t’étant fait l’os de mes os et la chair de ma chair *. Que jubile à toi ton âme très auguste, gage très précieux par lequel a été rachetée mon âme. Que jubile à toi ton cœur molliilue et déifié, que dans la mort l’amour a rompu pour moi. Que jubile â toi ton cœur aimant et très fidèle, on qui la lance m’a ouvert le chemin, afin que mon cœur y entre et y prenne son repos. Que jubile Λ toi ce cœur très doux, unique refuge de mon exil, qui est toujours rempli d’une si tendre sollicitude envers moi, et jamais lui-méme pour l’éternité. Que jubilent à toi, pour moi, le cœur très digne et l’âme de la très glorieuse Vierge Marie, ta mère, que tu as choisie pour être la mère à cause des nécessités de mon salut, afin que toujours soit accessible pour moi sa maternelle clémence. Que jubile à toi le soin très fidèle que tu as pris de moi, en me procurant une si puissante et si bonne avocate et patronne, par qui je puisse si facilement obtenir ta grâce, et en qui, je le crois avec confiance, tu m’as réservé ton éternelle miséricorde. Que jubile à toi cet admirable taber­ nacle de ta gloire, qui seul t’a servi dignement quand il t’offrait une sainte habitation, et par lequel tu poux, pour toi-mémo, parfaitement suppléer en ma place, à la mesure de la louange et de la gloire que je te dois. Que jubilent à toi, en mon nom, les sept Esprits glorieux qui se tiennent pour toi en présence de ton trône1. Que jubile à toi l’armée immense des saints Anges1, que lu envoies en sendee, pour le bien de la race élue que tu l’es acquise4. Que jubilent à toi les vingt-quatre Vieillards 4, 23', GERTRUDE D'HBLFTA 460 prophetis, qui eum depositione coronarum suarum procidunt ante thronum tuum, in citharis tibi reddentes infinitae laudes et gratiarum actiones. lubilont tibi sancta quatuor pennata animalia, quorum omnia viscera sunt dio nocluquo laudem luam eructantia1. 465 lubilot tibi amicissimorum fratrum tuorum apostolioa dignitas, quorum suffragiis sanctam ecclesiam tuam mirabi­ liter sustentas, lubilot tibi victoriosa martyrum turba, quorum schola pretiosissimo sanguino tuo ost purpurata B. lubilot tibi confossorum agmen perfectissimum, quorum 470 spiritum tu transtulisti in admirabile lumen tuum3. lubilet tibi omnis sancta et immaculata4 virginitas, quam una tecum ornat unius mvoae puritatis claritas, lubilot tibi pro me hoc novum canticum quod rosonat in oro eorum, quando quocumque ieris sequuntur to, lesu bone, rox et 475 sponso virginum". lubilot tibi pro me medulla divinitati· tuae, et adeps duloodinis, quo saturatur et impinguatur lorusalom coelestis, in divini vultus lui splendore *. lubilet tibi omnis electorum tuorum exercitus, pars, haereditalis tuae ct peculiaris populus, quia ipsi tecum et 480 tu cum eia in aeternum os eorum Deus ’. lubilot tibi omnia coeli sidera, quae libi lucent cum laetitia, et ad imperium tuum vocatu, tibi adeunt semper parata ·. lubilent tibi univorsa mirabilia opera tua, quae­ cumque coeli, terrae, abyssiquo comploditur circumferentia, et laudem dicant tibi illam perpetuam, quae a te exiens, 485 in te refluit, suam originem ·. lubilot tibi cor meum et anima, 4, Accommodation du répons · Sancta ot Immaculata *. -, Dans tout co passage, la pcnsAo do la Toussaint Ml soiis-Jaccnte' EXERCICE VI, «SO - «16 avec tous les Patriarches et les Prophètes, qui, déposant leurs couronnes, se prosternent devant ton trône, te ren­ dant sur leurs cithares des louanges et des actions de grâces infinies. Que jubilent à toi les quatre saints Animaux ailés, qui de jour et de nuit, du plus profond d’eux-mêmes, pro­ clament ta louange1. Que jubile à toi la dignité des Apôtres, tes très chers amis, tes frères, par les suffrages desquels tu soutiens de façon merveilleuse ta sainte Église. Que jubile à toi la foule victorieuse des Martyrs, dont le collège est empourpré de ton très précieux sang*. Que jubile à toi la troupe très parfaite des Confesseurs, dont tu as transporté les âmes dans ton admirable lumière3. Que jubile à toi l'ensemble saint et immaculé3 des Vierges, uni a toi dans la gloire et la clarté d’une seule et même pureté de neige. Que jubile ù toi, pour moi, ce cantique nouveau qui retentit en leur bouche, lorsqu'elles te suivent partout où tu vas, ô bon Jésus, Roi et Époux des vierges 3. Que jubile à loi, pour moi, la moelle de ta divinité, nourriture délicieuse qui rassasie et engraisse la Jérusalem céleste dans la splendeur de ton divin visage ·. Que jubile à toi l’armée entière de les élus, lot do ton héritage ot peuple qui t'appartient; car ils sont avec toi et tu es avoc eux leur Dieu pour Fêter- Que jubilent â toi tous les astres du ciol, qui brillent pour toi avoc joie, ot répondant à ton commandement, se tiennent toujours prêts à tes ordres8. Que jubilent à toi toutes tes œuvres admirables, toutes celles que contient le globe du ciol, de la terre et des abîmes. Qu'elles te donnent celte louange éternelle qui, sortant de toi, remonte à toi comme à son principe *. Que jubilent à toi mon cœur el increalo amore procedens jugiter refluit in te ipsum. OERTRUDB D'HELFTA dis tui, ut ipse enutriat te hie in benedictionibus suae dulce- loua meus, cum in splendore divinitatis cuae tuarum dulcedinum collocata, sic in te liquefacta me mon âme, avec toute la substance de ma chair et de mon esprit, jaillissant de la puissance de l’univers entier1. A toi donc de qui toutes choses ·, par qui toutes choses, en siècles. Amen. Alors, étant pour ainsi dire ranimée par la louange do ton Dieu, de ton Roi, qui est dans le sanctuaire, lo cœur désormais dilaté, lève-toi pour prendre tes délices en Dieu qui t'aime, jetant en lui tout l’amour de ton cœur, afln que lui-méme te nourrisse ici-bas des bénédictions de sa douceur *, et qu'il te conduise lâ-haut à la bénédiction de sa pleine Dieu, mon Dieu, puisque tu es mien, rien ne me manque; et puisque je suis tienne, en toi Dieu mon salut4, je me me préparée, en toi, le festin souhaité. Et où mon âme se Si la pensée de ta louange est si douce au sein de cette misère, que sera-ce, ô mon Dieu, lorsque dans la splendeur de ta divinité apparaîtra ta gloire? Si quelques gouttes nous réconfortent ainsi, lorsque nous les goûtons par avance, que sera-ce, 6 sainte douceur, lorsque me sera donnée ta plénitude? Si ta consolation remplit de biens dès ici-bas mon désir, que sera-ce, lorsque en toi, ô Dieu de mon salut, tu absorberas mon esprit? Ohl combien vastes et fertiles seront les pâturages où l’on goûte l'intimité de ta face mellifluo, quand ici-bas, pour une heure, bien rare hélas et un court instant4, mon âme placée au lieu du pâturage rempli do tes délices, se fond tout entière et se perd en toi. Ohl quelle sera sa nour­ riture en présence de ton divin visage, quand ici-bas, placée EXERCICE VI. SU . SM u ma découvriras la dans la jubilation et la louange. et bonitatis, cum sorte aeternae adoptionis. inebrians et praeclarus gloriae divini vultus7, et torrento roc pour partage 1 éternelle dissimi luminis sui claritate, et mirabilia opera digitorum S. I Tim. S. IS. — Tout ce passage rappelle l'Epiphanie. OKRTRODB D'HBLFTA 5ΐ0 ante faciem dei ·, ministrantes ei. vultus praesentia? Tibi soli est sufficienter agnita tota mei miseri incolatus, quam tu scis quam fragilis sit, perpetuum. Eia cito illustra faciem tuam super me *, ut 550 laetanter facie ad faciem videam te. Eia cito, cito ostende mihi teipsum, ut feliciter gaudeam de te in aeternum. Eia, eia 0 vita spiritus mei, tu clamorom dosidorii mei transfer, et coniungo in una voce psalterii fostivi amoris tui, psalterio decachordo ·, et tota intentio ’ mea tibi unita incipiat, perambulet, M terminetur in te, o vora animae 560 me hac hora persolvo tam solemne, et tam praeclarum laudis et gratiarum actionis decus, cui coniubilot omnis ordo coelious, pro illo pcrmaximo et dulcissimo bono quod tu ipse mihi es, deus meus, et quod a me omnium creaturarum^ tuarum peripsemate dignaris agnosci, amari et laudari, EXERCICE. VI, SS» ■ SSt de Dieu, et cet astres du matin1 qui toujours avec tant do joie se tiennent devant la face de Dieu 1 et le servent. 0 Dieu do mon cœur et mon héritage· do choix, hélas I hélasl combien do temps, combien do temps encore mon Ame soru-t-ollo frustrée do la présence do ton très doux visage? Do toi seul est suffisamment connu tout co qui fait mon triste séjour, et tu sais combien il est fragilo, tu sais quelle est, et combien grande, la misère do l'exil où se passent mes jours. Do grâce, ô le bien-aimé de mes vœux, de toi ont soif les sentiments intimoa do mon cœur. Ohl fais-moi vite parvenir à toi, Dieu source de vio*, afin qu’on toi jo puise la vio éternelle pour toujours. Oh I bien vite fais luire sur moi ta face· afin que dans la joio je te voie face A face. Oh I vilo, vite, montro-toi toi-même A moi, afin quo dans la félicité jo me réjouisse de toi éternellement. Do grâce, do grâce, ô vie do mon esprit, toi, transporte le cri de mon désir et unis-le en la soûle voix du chant festif de ton amour; et façonne si bien ma vio et unis si bien mon Ame A ton amour, que toute ma vio et mos actions chantent ta louange sur le psaltérion aux dix cordes*, et que toute mon application 7, unie A toi, commence, progrosse, et se termine on toi, ô véritable vio do mon Ame. Do grâce, de grâce, ô véritable amour do mon cœur, on cotte houro acquitte envers loi-mémo, A ma placo, l’hommage si glorieux et si éclatant do louange et d’action de grâces; et que s’y joigne avec jubilation toute la cour céleste, pour ce bien très grand et si délicieux que tu es loi-mémo pour moi, ô mon Dieu, et pour ce bien que tu fais en daignant, par moi le rebut de toutes tes créatures, être connu, aimé, et loué, car tu es, ô Diou mon Sauveur, l’uniquo cause do mon salut et la vie do mon âme. 7. Inienlio Mt l’aUeallon au uni original, c’Mt-A-dlre l’appllcallon GERTRUDE D’HELFTA Eia et in illo laudationis decoro, exiguam spiritus mei medullam in te expendat anima mea, tuae laudis liquescens in amore, quousque spiritus meus feliciter ad te redeat, 570 deus. Eia et in hac vita fac me sic delectari in tuae laudis memoria, ut in hora meae mortis, te videndi *, te laudandi, et tecum essondi sitis et amor fortis, in me superet vim mortis, et tu ipse in illa angustia mihi sis porta et patria, quousque me perducas ad intima coelestis vitae gaudia, 575 ut in aeternum in te exultet spiritus meus et anima. Amen. Deinde quasi turtur solitaria, prae aviditate videndi mellifluam faciem dilecti, deficiens prae taedio vitae huius’, submittens alas desideriorum tuorum cum sanctis anima­ libus ante thronum dei3 : profitere coram domino deo tuo, 580 quod cor tuum totum ibi sit, ubi ipso est desiderabilis thesaurus tuus * et pete ab eo felicem exitum. Cor meum haesit, ubi lesu vita mea vult. Eia lesu dilecte prae omnibus dilectis, tu os animae meae vita fidelis. Tu es totus languor meae animae : te solum sitit cor meum 585 intime. Tua deliciosa béatitude, tua mirabilis pulchritudo, tua honorabilis effigies, tua amabilis species, infixit mihi vulnus persuave, quo lucem huius mundi videre sit mihi Me taedet mei ipsius. Quamdiu, quamdiu expoctabo, o 590 dilecte mi, lui fruitionem, et amabilis faciei tuae contempla­ tionem? Tu es animae meae sitis. Coelum, terra et omnia quae in eis sunt, sine te sunt mihi velut gelicidium hibernale. 1. Comparer les doux séries : connaître, aimer, louer (SS4J el : voir, pensée, la mémoire. Los notions philosophiques évoquées par ce passage no semblent pas traduire une construction systématique, inspirée par un esprit cultivé. BXERCICB VI, 56Î - 592 , que, dam la splendeur de cette louange, liquéfiée dam l'amour de ta louange épuise en toi la pauvre moelle de mon esprit, jusqu'à retourne heureusement à toi, ô Dieu. I „ . cette vie la pensée de ta louange me réjouisse tellement que, à l’heure de ma mort, la soif de te voir l, de te louer et d’ôtre avec toi, unie à la puissance do l’amour, surmonte en moi la violence de la mort. Et qu'à cette heure d’angoisse, tu sois pour moi la porte et la patrie, jusqu'à ce que tu me conduises aux joies intimes do la vie céleste, pour que mon esprit et mon âme exultent en toi éternellement. Amen. Ensuite, semblable à la tourterelle solitaire, toi qui, dans l'avidité de voir la face melliflue du Bien-Aimé, défailles do l'ennui de cette vie · et abaisses les ailes de tes désirs, comme les saints animaux devant le trône de Dieu2 3 : déclare devant le Seigneur ton Dieu que ton cœur est tout entier où est ton cher trésor ·, et demande-lui une heureuse fin. Mon cœur s'est fixé où Jésus, ma vie, le veut. Oh! Jésus, le plus aimé de tous ceux qui sont aimés, tu es la vie fidèle do mon âme. Tu es toute la langueur do mon àme; de toi seul mon cœur a une soif profonde. Ta délicieuse béatitude, ton admirable beauté, ton noblo visage, ton aimable splen­ dour m’ont blessée d’une blessure tellement suave que voir la lumière de ce monde me pèse. Je me suis à moi-mémo un ennui. Jusquos à quand, jusques à quand, attendrai-je ô mon bien-aimé, de jouir de loi, et de contempler ton aimable face? Tu es la soif do mon âme. Le ciel, la terre, avec tout co qu’ils contiennent, sans toi sont pour moi comme un hiver glacé. Ton aimable 2. Allusion à Cam. 2, 12-14 et au Λ. 101. 4, Matlh. 6. 21. IM GERTRUDE D'HBLFTA Tua amabilis facies est mihi sola consolatio, et solatium Eia amor, amor, quando a te hoc munere donabor, ut corpus meum, te perimente, redeat in pulverem, et anima mea refluat in te deum suam vivam originem? Purissimae tuae divinae effluxiones, quae tam amabiliter deiformibus radiis suis ex supremo throno splendent, totum spiritum 600 meum valde comprehendunt. Quid amplius expectabit folliculum arboris, in tam valida tempestate saeculi huius? Eia amor, amor, tene mo potenti dextera tua, ne in ea submergatur anima mea. Dulcis sonitus aquae vivae scatu605 rienlis ox sui ipsius origine, cepit cor meum valide : ah, nulla unquam lyra tam dulciter sonuit. Vita ista mihi quasi somnium viluit. Quamdiu, quamdiu illusionem eius 595 Eia amor, amor, ne unquam aolvaa mo a tuo vinculo, donec 610 praesentes me cordis mei dilecto unico, in sinu eius dul* cissimo. Dulcis odor fructus vitalis, qui tu ipse es mi dilecte specialis, abduxisti a me spiritum meum, ut mihi corpus putridum foeteat velut sterquilinium, unde nunquam cessat meum ad te suspirium. 615 Eia amor, amor, quando vis mo solvere a corpore, ut cordis mei dilecto perfruar sine medio, et cum eo maneam sine termino? Unicus tuae divinitatis radius, per humani­ tatem tuam mihi praestitus, laetificat spiritum meum mirabiliter, ut mille corpora si haberem, contemnerem velo{620 citer. Quae tunc putas latent deliciae in fruitione tuae claritatis perspicuae? Mille mortes pro nihilo ducerem, si liceret contemplari veritatis tuae dulcedinem. Eia amor, amor, fac tu mecum misericorditer, et tolle me velociter ad festivitatem inclytam, in qua fidelis salva- j EXERCICE VI, 593 ■ 624 (ace est pour moi l’unique consolation, ot le charme printaDe grâce, amour, amour, quand me foras-tu cotto faveur que mon corps, immolé par toi, retourno on poussière et que mon âme reflue en toi, Dieu, sa vivante origine? Tes divins et très purs effluves, qui resplendissent si aimable­ ment, comme les rayons déiformes partant du trône suprême, saisissent puissamment tout mon esprit. Quo pourrait plus longtemps attendre la pauvre petite feuille de l'arbre, au milieu do la violenta tempête de ce siècle? De grêco, amour, amour, retiens-moi do ta droite puissante, de crainte que mon âme n’y soit submergée. Le doux mur­ mure de l’eau vive, qui jaillit do sa source divine, a puissam­ ment saisi mon cœur; ahl jamais aucune lyre no fit entendre de sons si doux. Cette vie m’est devenue vile comme un songe. Combien de temps, combien de temps subirai-je son illusion? Do grâce, amour, amour, ne romps jamais le lien dont tu m’enohatnes, jusqu'à ce que tu me présentes à l’unique Bien-aimé de mon cœur, en son sein très doux. O douce odeur du fruit de vie, toi qui es pour moi l’ami préféré, tu m’as ravi mon esprit, au point que ma chair corrompue me répugne comme un fumier, et que mes soupirs ne cessent de monter vers toi. De grâce, amour, amour, quand veux-tu me délivrer de mon corps, afin que je jouisse sans intermédiaire du BienAimé de mon cœur, et que je demeure avec lui sans fin? Un unique rayon de ta divinité, arrivant à moi au travers de ton humanité, réjouit mon esprit admirablement, à tel point que si j’avais mille corps je les mépriserais à l'instant même. Quelles délices alors peuvent être réservées à la jouissance sans voile de ta beauté? Mille morts ne seraient rien pour moi, s’il m’était donné de contempler la douceur de ta vérité. Do grâce, amour, amour, agis avec moi miséricordieuse­ ment; et emporte-moi bien vite à cette fête insigne où je GERTRUDE D’HELFTA 625 toris sponsi moi contemplor gloriam. Plenitudo divini­ tatis tuao sola potest satiaro moam animam, quam ad te dignatus os croare. Unica gutta dulcedinis tuae imbibitae rapit spiritum moum ita valide, ut pro omni vita mors mihi saperet intime, quo faciem tuam contemplari possem 630 continue. Eia amor, amor, quando animam meam ita separabis a corporo, ut spiritus meus in te mihi charissimo habitet assidue? Amabilis amplexus tuus sapit ita dulciter, ut si milio mihi essent corda, liquescerent velociter. Vivida 635 deosculatio tua submergit in te meam vitam, et astringit tibi fortiter meam mentem. Quam libenter, quam libenter fierem exanimis, ut perfecte penetrarem flumen tuae divi- Eia amor, amor, o utinam in me perficias tuas festivas 640 nuptias, ut anima mea erepta ex valle miseriae, velut gutta in suo mari absorbeatur in sua origine. Eia lesu dulcissime, cordis mei dilectissimo, supra omne quod amari potest, et electe unice, sis tu ductor meus in hac miseria, ut in tua laude dies meos concludam, et in tua gratia et amicitia 645 vitam meam bene finiam. Eia lesu, dulcis amor, sis tu pauperi sponsae tuae refu­ gium, quao sine te nihil habet proprium, nec ullum bonum. In mari magno huius saeculi sis ei directio, et in horrida mortis tempestate consolatio. Praebe mihi manum tuae 650 pietatis, et sis ipse baculus meae fortitudinis, cui innitar ita firmiter, o dulcis liberator meae animae, ut ad nihilum redigantur, a facie tuae potentiae, omnes inimicorum meorum fraudes et insolentiae. Eia lesu, mi fidelis amice, tuae largifluae misericordiae 655 abyssus sit mihi sinus tutissimus, per quem effugiam omnium inimicorum meorum horribiles insultus. Et tu ipse sis EXERCICE VI. 6SS-656 goutte délicieuse que toute vio. s'il m'était donné sur le champ de Do grâce, amour, amour, quand sépareras-tu mon âme Combien volontiers, combien volontiers, je tomberais sans vie, afin de me plonger entièrement dans lo fleuve de ta divinité. Do grâce, amour, amour, oh! qu'il te plaise de parfaire en moi la solennité de tes noces, pour que mon àmo arrachée de cette vallée de misère, comme une goutte dans son océan soit absorbée en sa source. De grâce, û très doux Jésus, bien aimé de mon cœur, au-dessus do tout ce qui peut être aimé, mon unique élu, toi, sois mon guide en cette misère, afin que j’achève mes jours dans ta louange, et que dans ta grâce et ton amitié je termine bien ma vie. De grâce, Jésus, doux amour, toi, sois lo refuge pour ta pauvre épouse qui, sans toi, n'a rien en propre, pas le moindre bien. Sur la vaste mer de ce monde, sois-lui une direction, et dans l'horrifiante tempête de la mort une consolation. Tonds-moi la main de ta compassion, et sois toi-même le bâton de ma force sur lequel je m'appuierai si fermement, ô doux libérateur de mon âme, que seront réduits à rien, par l’apparition de ta puissance, toutes les fraudes de mes ennemis et leurs insolences. De grâce, Jésus, mon fidèle ami, que l'ablme de ton inépuisable miséricorde soit pour moi une anse très sûre, où j'échapperai aux horribles insultes de tous mes ennemis OBRTRUDB CHBLFTA mihi tunc meum tutum asylum, cui gaudens insiliam ex captivitate malorum omnium. Eia lesu, dulcis spes mea, cor tuum deificum, mei amore ruptum, quod omnibus 660 peccatoribus sine intermissione est apertum, sit animae meae ex corporo suo primum refugium, ubi per infiniti amoris tui abyssum, in momento absorbeatur totum meum delictum, ut coelestem choream tecum, o dilecte cordis mei, intrem non habens obstaculum. 666 Eia lesu, salus inea unica, salvator meus et deus meus, mitte mihi in extremis meis fidelem adiutricem Mariam, matrem tuam amabilem, maris stellam inclytam, ut in conspectu rutilantis aurorae ejus gloriosae faciei, agnoscam te solem iuslitiaex, per tui luminis claritatem appropinquare 670 animae meae. Eia dilecte prae omnibus dilectis, tu scis cordis mei desiderium : nam tu solus es animae meae suspi­ rium. Eia ergo, veni citius, ut coram amabili vultu tuo dolores cordis mei obliviscar penitus. Eia amor, amor, horam exitus mei observa, et tuo sigillo 675 consigna, ut sub tua fida custodia, ex tua, cui soli inni­ tor, bonitate nimia, nihil mihi nocere possit in anima. Ostende in exitu meo ita efficaciter tuam dulcem sapientiam, et conforta meam miseram animam, ut in aeternum in ea refulgeat miseratio nimia, quam tu rex inclytus, in vita 680 pariter et morte mea, per teipsum es operatus in ea. Consumo tunc omnes vires meas in virtute tua, et submergo me in deitatis abyssum pro misericordia tua, ubi me satiet, refocillet et impleat lesu dilecti cordis me amabilis facies in gloria tua. Arnen. 685 Hic iterum commenda deo exitum tuum et finem vitae tuae, ut ipse cooperator tuus sit in omnibus, et finem vitae EXERCICE VI. 6S7 ■ 686 Et toi-même sois alors pour moi mon asilo assuré, où joyeuse je me précipiterai, échappant à la captivité de tous les maux. De grâce, Jésus, ma douce espérance, que ton cœur divin, rompu par amour pour moi, et ouvert sans interrup­ tion à tous les pécheurs, soit le premier refuge de mon âme sortant de son corps. Là, que l'abtme de ton amour infini en un instant absorbe tous mes péchés afin que je puisse entrer sans obstacle avec toi, ô le Bien-Aimé de mon cœur, dans le chœur céleste. De grâce, Jésus, mon unique salut, mon Sauveur et mon Dieu, envoie-moi, à ma dernière heure, comme une aide fidèle, Marie, ton aimable Mère, splendide Etoile de la mer, afin qu’à l'aspect de son glorieux visage, brillant comme une aurore, je comprenne que toi, lo Soleil do justice1, dans l’éclat de ta lumière, tu approches do mon âme. Do grâce, bien-aimé au-dessus de tous ceux qui sont aimés, tu sais le désir de mon cœur; en effet, vers loi seul mon âme soupire. De grâce, viens donc bien vite, afin qu'en présence de ton aimable visage, j'oublie complètement toutes les peines de mon cœur. De grâce, amour, amour, guette l’heure de mon trépas et marque-la de ton sceau, afin que sous ta garde vigilante et par ton infinie bonté, sur laquelle seule je m'appuie, rien ne puisse me nuire en l’âme. A l’heure de mon trépas, montre si puissamment ta douce sagesse et fortifie telle­ ment ma pauvre âme, qu’étornellement resplendisse en elle cette excessive miséricorde avec laquelle toi, Roi de gloire, soit dans la vie soit dans la mort, tu as par toi-même agi en elle. Dans ta puissance, consume alors toutes mes forces, et par ta miséricorde, engloutis-moi dans l’ablme do la divinité, où me rassasiera, me réconfortera et me comblera l'aimable visage de Jésus, le bien-aimé de mon cœur, dans ta gloire. Amen. Ici de nouveau, recommande à Dieu ta sortie et la fin de ta vio, afin que lui-même soit ton aide en toutes choses; GERTRUDE D’HELFTA tuae ordinet et disponat secundum suain misericordiam; dicens hanc orationem : Deus meus et dominus meus, dulcis creator ol redemptor . 690 meus, in quem solum speravit cor meum *, in quem credidi; quem confossa sum, o vernans dos divinitatis, respergo me rore tuae floridissimae humanitatis : ut in stillicidiis tuae sanctae charitatis et dulcedinis laetetur anima mea, obhviscens huius exilii mula, et germinans incrementa 695 omnium virtutum in te, o principalis gemme et flos virtutum;, teoum incolatum huius miseriae aequanimiter ferens et in omnibus tribulationibus et angustiis patienter agens. Deus meus, rex meus, qui es in sancto, in quo abeondita est vita mea cum lesu meo ’, ecce castae deliciae tuae 700 inundaverunt super me. lam in te a me perii, et vivens interii. Et nunc quo ibo abs te? Et in coelo et in terra iam non novi quicquam abs te. Deus meus, laus Israel, qui habitas in sancto’, in quo sum, moveor, et vivo4, in te solo confldo. In te dilatatum est cor meum quia tu es 705 totum et solum gaudium meum, et omne desiderium meum; Tuae lucis radius expergefecit dormientem spiritum meum.' O quando absorbebitur anima mea in tuae dulcissimae sempitornaoquo fruitionis vitalem fluvium. O quando rapiet spiritum meum tui amoris diluvium, et reddet me tibi 710 ad videndum vultum tuum mellifluum, deus vitae meae, et auctor salutis meae, et susceptor animae meae’, sine quo nihil sum, nec scio, nec possum, nec valeo, ad quem solum spero, ad quem venire desidero, cuius vita fluentem deliciosissimam faciem videre, cui in aeternum inseparabiliter1 715 adhaerere cupio, toto corde, tota anima, tota virtute? I 1. Uno lol· do plus, allusion à l'office de sainte Agnès, par l’inlerm^ 3. Ρ·. 31, (. BXBRCICB VI, 68" - 715 qu'il ordonne et dispose la fin de ta vie selon sa miséricorde, dis cette prière : Mon Dieu et mon Seigneur, mon doux Créateur et Rédemp­ teur, en qui seul espère mon cœur ’, en qui j'ai cru, que j’ai confessé, ô fleur printanière do la divinité, inonde-moi sous la rosée de ta toute fleurie humanité : ainsi sous les gouttes de ta sainte charité et de ta douceur se réjouira mon àme, oubliant les maux de cet exil, et développant en toi les germes de toutes les vertus, ô gemme précieuse et fleur des vertus, supportant avec toi d'une âme égale cet exil de misères et, au milieu do toutes les tribulations et de toutes les angoisses, gardant la patience. Mon Dieu, mon Roi, qui habites le Sanctuaire, où ma vio est cachée avec mon Jésus’, voilà que tes chastes délices m’ont inondée de toute part. Déjà, ma vie s’on est allée de moi on toi et, bien que vivante, j'ai trépassé. Et maintenant, où pourrai-je aller hors do toi ? Au ciel et sur la terre, désor­ mais je ne connais plus rien hors de toi. Mon Dieu, gloire d’Israël, qui résides dans le Sanctuaire’, en qui j’ai l'être, le mouvement et la vie *, en toi seul je me confie. En toi, mon cœur s'est dilaté *, car tu es toute ma joie, mon unique joie, et tout mon désir. Le rayon de ta lumière a éveillé Ohl quand mon àme sera-t-elle absorbée dans le flot vivifiant de ta très douce et éternelle jouissance? Ohl quand le déluge de ton amour ravira-t-il mon esprit à ce monde, et me rendra-t-il à toi pour que je voie ton visage melliflue, Dieu de ma vie, et auteur do mon salut, et refuge do mon âme ·? Sans toi, je ne suis, je no sais, je ne puis, je ne vaux rien; en toi seul j’espère, à toi je désire parvenir; loi, dont j'aspire voir la face si délicieuse, rayonnante de vie, à qui je désire rester inséparablement unie à jamais, de tout mon cœur, de toute mon âme, do toutes mes forces. GERTRUDE D'HBLFTA Eia tu esse meum et vitam meam in tui solius consecra laudem et gloriam, ut in omnibus cogitationibus, verbis, operibus, et animi molibus semper laudet et glorificet te animae meae medulla, et tota corporis mei virtus et substan720 lia1, charitato et dilectione plenissima. Hoc ipsum quod anima mea in carcore corporis huius incola est, multum desiderans, aestuans et anhelans ad te deum fontem vivum ■, et quod misera est in hoc incolatu, ignorans introitum meum et exitum : et hoc solum quod tu, pater misericordiarum,725 non despicis nec derelinquis opus manuum tuarum 3, hoc moveat super me tuae miserationis abyssum, ut eisdem visceribus misericordiae meum respicias incolatum, quibus mihi compassus es, quum triginta tribus annis hoc idem exilium experiri dignatus es, et sicut mei misertus es, 730 quando in acquisitione mei, in cruce cor tuum dulcissimum prae amore est ruptum. Eia o animae meae vita beatissima, tu in omnibus tentationibus meis sis triumphus et victoria mea, in omnibus infirmitatibus patientia mea, in omni tribulatione conso735 latio mea : in omni cogitatu, verbo el opero, tota intentio, initium, finis et consummatio mea : in omni vita mea, sanctificatio mea : in longanimitate exspectationis meae, usque ad finem boni certaminis, perseverantia mea. Eia o praeclara haereditas mea, et animae meae pars 740 optima, ad quem solum tendit mea exspectatio et spes mea, tu in exitus mei hora dispono et ordina omnia mea in tua pietate et clementia, ut tuae pretiosae crucis vexillum^ sit mihi tunc contra omnes insidias satanae praesidiuni' firmissimum : et victoriosae passionis tuae arma praecla745 rissima, clavi simul ol lancea, sint mihi contra mille fraudes eius tela tutissima : ut triumphali et amorosa morte tua du corps (ici) ol do l'Ame (Ï9S). EXERCICE VI. 716 - 746 De grâce, consacre mon dire et ma vie à ta eoulo louange et à ta gloire, afin que dans toutes ses pensées, ses paroles, ses œuvres, et les mouvements de l'esprit, la moelle do mon âme toujours te loue et lo glorifie, ainsi que do mon corps toute l'énergie et tout Pâtre1 dans la plénitude de charité et de dilection. Le fait que mon âmo est exilée dans la prison de ce corps, où elle désire beaucoup, où elle brûle, où elle est hors d’haleine, dans son élan voce toi, d Dieu source do vie*; le fait qu’elle est malheureuse dans cet exil, où elle ignore tout de mon entrée et de ma sortie; lo fait aussi et surtout, que toi, Père des miséricordes, tu no méprises et n’abandonnes pas l’œuvre de tes mains’, que tout cela émeuve à mon sujet l’abtmo de ta commisération : regarde donc mon exil avec les mêmes entrailles do miséricorde par lesquelles tu as compati avec moi lorsque durant trentetrois ans tu as daigné partager ce même exil; et par lesquel­ les fut dictée ta miséricorde envers moi, quand pour me racheter, sur la croix, ton très doux cœur par amour s’est rompu. De grâce, à Vio très bienheureuse de mon âmo, toi, dans toutes mes tentations, sois mon triomphe et ma victoire ; dans toutes mes infirmités, ma patience ; dans toutes mes épreuves, ma consolation; dans toutes mes pensées et mes paroles et mes œuvres, ma seule attention, mon commencement, ma fin et ma consommation; dans toute ma vio, ma sanctifi­ cation; dans le support do ma longue patience, jusqu’à l’issue du bon combat, ma persévérance. Do grâce, ô mon illustre héritage et de mon âmo part précieuse, vers qui seul tend ma patience ot mon espoir, toi, à l’heure de ma sortie, dispose et ordonne tout en moi, dons ta bonté et ta clémence, afin que l’étendard do ta précieuse Croix me soit alors, contre toutes los embûches de Satan, un soutien très ferme, et que les armes augustes de ta victorieuse Passion, les clous aussi et la lance, me soient contre ses mille ruses des traits invincibles. Entourée comme d'un rempart par ta mort triomphante et amoureuse, et GERTRUDE D'HELFTA 750 Et tunc no derelinquas me, salus mea, sed appareas mihi videam te deum amatorem meum, qui creasti me ad te. Ibi, o susceptor animae meae1, lesu chare, in speculo 755 tuae gloriam, ut laudo tua iucunda et splendida repleatur spiritus meus et anima, et in aeternum gaudeat cor meum tuae, impinguata fruitionis mellifluae faciei tuae medullato 760 adipe, laetata et iucundata vehementer super infinitis liis, quae evasit, ot super te, o portio mea dulcissima et vita iucundissima quam possidebit; ubi tu in me, et ego in te, amore aeterno tibi adhaerens individue, super omnibus 765 bonis quae fecisti mihi, laudem nomen tuum quia tu es deus vitae meae, redemptor et amator Hic postula 770 spiritus mei. us visionem : amor, laus et iubilatiô Dilecte mi, ex millibus solum diligit, affectat et desiderat1 EXERCICE VI, 747 - 774 marquée par ton sang précieux, prix de ma rédemption *, fais que je passe, avec toi pour guide et pour viatique, par l’ouverture étroite de la mort, on toute sécurité. Et alors no m'abandonne pas, é mon Salut, mais apparaismoi dans ta charité, dans ta bonté et ta miséricorde, pour que face à face*, je te voie, ô Dieu qui m’as aimée et qui m’as créée pour toi. Là, ô toi qui accueilles mon âme4, cher Jésus, dans lo miroir de la contemplation sans voile, montre-moi la gloire de ta divinité; afin que soient remplis de ta louange joyeuse et splendide mon esprit et mon âme, et que pour l'éternité mon cœur se réjouisse en toi, ô mon doux Salut. Alors mon âme que tu as rachetée exultera dans les biens de ta maison, saturée de l’intime onction de la jouissance de ta face melliflue, heureuse et transportée d'allégresse à cause des embûches innombrables et des pièges du démon, do la chair et du monde, et des angoisses de la mort, auxquels elle a échappé; et surtout, à cause de toi, ô mon partage très doux, et ma vie bienheureuse possédée à jamais. Là, toi en moi et moi en toi, unie étroitement à toi d’un amour éternel, pour tous les biens que lu m’as accordés, que je loue assidûment ton Nom, car tu es lo Dieu de ma vie, le Rédemp­ teur et l’ami do mon àme. Ici demande au Seigneur sa bénédiction ot l’affermisse­ ment de son amour, jusqu’à CO que tu parviennes à sa vision : O amour unissant, Dieu de mon cœur; amour, louange et jubilation de mon esprit; mon Roi et mon Dieu*, mon bien-aimé choisi entre mille. Époux très aimable de mon âme, Seigneur Roi des vertus, que seul chérit, aime ot désire4 mon cœur. De grâce, ô Dieu amour, toi-même sois sur terre · en attendant la plénitude de l’amour. Ici-bas une union des «pria prépara l’union étemelle. GERTRUDE D’HEURT* 775 benedictione divinae dulcedinis plenus. Tibi uno spiritu, uno flatu, una voluntate, una charitate, meus adhaereat spiritus, quousque tecum in aeternum fiat unus spiritus. Tu ipse amor igneus, sis mihi benedictio efficax et viva, dulcis et incentiva, in hac peregrinatione mea, ut anima mea, et 780 omnis virtus et substantia mea, inextioguibiliter ut vera scintilla ardcat in tuae charitatis flamma. Tu ipso, o amor vivens, mihi sis benedictio consummans et perficiens, et animam meam tibimotipsi dignam sponsam obviam exhibens, ut omnis vita mea in tua charitate ordi785 nata ; et mors mea in te, o vita mea beatissima, fidei, spei et charitatis vivacitate plene consummata, et omnibusecclesiasticis sacramentis digno praeparata omnibus viribus meis in tuo servitio adnihilatis, et visceribus, medul- : lisque omnibus in tuo amore arefactis : anima mea, relicta 790 corporis sarcina, te o dulcis amator meus, sequatur laeta, secura et libera, usque ad sanctae Trinitatis intima, pinguia, et speciosa, ubi omnia peccata mea in pietate remissa, et universa delicta mea charitate tua inaestimabili cooperta, vita mea deperdita cum universis ruinis suis per te, o amor 795 dives, cum lesu mei conversatione 1 perfectissima instaurata : hicque prae taedio huius vitae anima mea languens et tabescens, ibi in te o amor vitalis iuvenescens, et ut aquila renovata8, exultet hilarescens, et laetabunda super facie tua melliflua, sicut qui invenit, et iam tenens, apprehendit -, 800 vitae aeternae infinita gaudia, quae possidebit in te in aeternum, o amor deus. Arnen. 1. Nous retrouvons Is mol de ooncvrrono. étudié eupm IV, ne. EXERCICE VI. WS - SOI ma dot, riche des bénédictions de la douceur divine. Que dans un seul esprit, un seul souille, une seule volonté, une seule charité, mon esprit adhère à toi jusqu'au moment où pour toujours il ne Fera plus avec toi qu'un seul esprit. Toimême, amour de feu, sois pour moi une bénédiction eflicaco et vivante, douce et brûlante, durant le cours de mon pèle­ rinage, afin que mon âme, et toute mon énergie et mon être, brûlent sans s’éteindre jamais, comme une véritable étincelle, à la flamme de ta charité. au-devant de toi comme une digne épouse, en sorte que ma vio tout entière soit ordonnée dans ta charité. Consomme pleinement ma mort en toi, ô ma vie bienheureuse, dans la vigueur de la foi, de l’espérance et do la charité; prépare-la dignement par tous les sacrements do l’Église. Toutes mes moelle dos os consumées dans ton amour, que mon âme, laissant le Fardeau du corps, te suive, Ô mon doux amant, joyeuse, tranquille et libre, jusque dans les profondeurs intimes, délicieuses et lumineuses de la Sainte Trinité. Là tous mes péchés étant remis par ta pitié; toutes mes Fautes étant couvertes par ton inestimable charité; ma vie perdue, avec toutes ses ruines, étant instaurée par toi, ô précieux amour, dans l'observance1 très parfaite de mon Jésus; mon âme, languissante et malade ici-bas de l'ennui de cette vie, retrouvera sa jeunesse là-haut, en toi, ô vivant amour; et renouvelée comme l’aigle ·, elle éprouvera des transports de joie et do bonheur à la vue de ta Face melliflue; comme celui qui a trouvé et qui déjà possède, elle saisit les joies infinies de la vie éternelle, qu’elle possédera en toi pour toujours, ô Dieu amour. Amen. VII EXERCITIUM SUPPLETIONIS PRO PECCATIS > ET PRAEPARATIONIS AD MORTEM Quum tibi placuerit celebrare diem suppletionis, ad singulas septem horas1 temelipsam totam intra te colligas, ut 5 ex thesauro passionis lilii sui dimittat tibi omne dobi- 10 Ad te, largitor veniae; Purgatis indo sordibus. Sexta cruel nocllt. Intus ejus Nona bipartit, VII EXERCICE DE LA RÉPARATION POUR LES PÉCHÉS 1 ET DE LA PRÉPARATION A LA MORT comme pour l'apaiser : ainsi, puisant dans le trésor de la que tous tes péchés sont pleinement remis. El d'abord A Matines, tu liras la pr l’Hymne : • Élève l'amour de notre esprit Pour être clément ή nos cœurs, Purifie-les de leurs souillures. » GERTRUDE D'HELFTA Hoc addendo : Tua to cogat pietas, ut mala nostra superes, 15 parcendo; et me indignam voti compotem, in hora mortis absque impedimento luo dulcissimo vultu saties ', ut mihi in te sil perpetua requies. Et sic cum misericordia ot amore patrem placabis his verbis, dicens corde et oro : 20 O dulcis dei misericordia, plena pietate et clementia, ecce ego misera in cordis mei dolore et angustia, ad tua pia confugio consilia, quia tu es lota spes mea ot fiducia. Tu nunquam miserum despexisti. Tu nullum foetidissi­ mum peccatorem repulisti. Tu nullum ad te confugientem 25 abiecisti*. Tu nunquam aliquem in angustiis positum sine miseratione praeteristi. Tu omni indigenti semper tamquam mater subvenisti. Tu omnibus te invocantibus secundum nomen tuum pie adstitisti. Eia et me indignam a te ne proiicias propter peccata mea, ne mo repellas propter 30 inutilem conversationem meam. Ne me dcspicias, ne de me dicas : Ut quid etiam terram occupat1? Sed secundum quod habes in natura, pie, pie me cura. Ecce in ultima constituta meritorum inopia, venio, venio ad illa charitale plena, quae apud te sunt, paupe35 rum xenodochia, ne sub divo infoeeundae vitae meae moriar frigoro et pluvia : sperans ut de manu tua largiflua detur mihi eleemosyna, per quam reparetur vita mea deper- ; dita. Ibique ex velleribus · mullae miserationis tuae, nudi­ tatis meae calefacias latera : ut ex tua charnate coope40 riantur omnia mea peccata, et suppleantur universa neglecta. Eia aperi mihi tua tuta habitacula, ut ibi salver tua gratia. Ut mala nostra superes. Parcendo, et voti compotes, Nos tuo vultu saties. · Allusion sans doute a Jacob couvert des toisons (des. 27, 16). On théorie do la justification. Gertrude suit son idée de euppteuon, accordée EXERCICE VII, 14 - 41 Ajoutent ceci : « que ta bonté t'incline à vaincre toutes nos fautes en nous pardonnant. Et bien qu’indigne de voir combler mes vœux, à l'heure de ma mort, sans obstacle, que je sois rassasiée de ton très doux visage *, afin qu’en Loi soit mon éternel repos ». Et ainsi accompagnée de la Miséricorde et de l’Amour, tu apaiseras le Père par cos paroles, disant de cœur et de bouche : O douce Miséricorde de Dieu, remplie de pitié et de clé­ mence, voici que moi, misérable, dans la douleur et l’an­ goisse de mon cœur, je recours à tes pieux conseils, car tu es toute mon espérance ot ma confiance. Toi, jamais tu n’as méprisé le malheureux. Toi, tu n’as repoussé aucun pécheur même le plus abject. Toi, tu n’as pas rejeté celui qui cher­ chait en toi un refuges. Toi, jamais tu n’es passé sans commisération devant celui qui est assis dans les angoisses. Toi, comme une mère, tu as toujours subvenu à tout indi­ gent. Toi, tu as assisté favorablement, selon ton nom, tous ceux qui t'invoquent. De grâce, ne me chasse pas loin de toi, comme indigne, à cause de mes péchés; ne me repousse pas, à cause do l’inutilité de mon observance. Ne me méprise pas ot no dis pas à mon sujet : « Pourquoi occupe-t-ollo encore une place sur la terre ·? » Mais, en vertu de ce que tu possèdes par nature, toi qui es bon, par bonté aie soin de moi. Voici que, placée dans un état d'extrême indigence de mérites, jo viens, je viens à ces hospices des pauvres qui sont chez loi, hospices pleine de charité, afin de no pas mourir on plein air sous la froidure et les intempéries de ma vio stérile. J’ai l’espoir que de ta main libérale mo sera donnée l’aumône par laquelle sera réparée ma vio que j’ai perdue. Là, sous les toisons * de ton abondante commisé­ ration tu réchaufferas mes membres nus : ainsi par ta charité seront couverts tous mes péchés et suppléées toutes mes négligences. De grâce, ouvre-moi tes demeures sûres, afin 262 GERTRUDE D’HELFTA Per te mihi fiat in auxilium pia doi charitas, in qua sola est tula animae et spiritus mei sanitas. Eia o amor, amor, respice lesum meum, illum tuum rega­ 45 lem captivum, diademate misericordias1 insignitum, quem hac hora 8 in tanta comprehendisti violentia : ut una cum eo nobilissima ditans coelestia ct terrestria, bonisque replens omnia, ex tui gloriosissimi captivi abundantia. Eia illo charissimo spolio, illo tuo millies praedilecto captivo, vitam meam deperditam mihi redime, et inutilem conversationem meam non iam in septuplum, sed in centu­ plum mihi restitue. Quia etsi sola haberem omnium hominum et angelorum vitam, nequaquam possem esse tanti, quanti 55 ille tuus praeoptabitis captivus valet pretii; quanto minus quum sim homo vilis, pulvis et cinis? O si mihi daretur optio, ut cum lesu praecordialissimo et me tantillam captivares, vinculares, et proprie haereditares : ut de illius divini captivi consortio et colloquio, 60 fierem de peccatrice, sancta; de inutili, homo vere spiri­ tualis8; de inimica, dei vera amica8; do tepida, vero Deum sitiens; de sterili et infoccunda, germinans omnium virtu­ tum perfectionem, et lotius religionis sanctitatem, Ibi, lesu mi chare, sinus tuae misericordiae sil indusio captivitatis 65 meae. Ibi catena divini cordis tui sit vinculum mihi, ut in vivi amoris violentia fiam tua perpetua captiva, individue conglutinata tibi, tota vivens et adhaerens libi, ut in aeter­ num nunquam a te valeam separari 8. Arnen. 50 2. Le diadème de Miséricorde serait-il la Couronne d’épines? Il semble d’Helfta : éd. du L. que j'y sois sauvée par ta grâce. Que par toi me vienne en aide la tendre charité de Dieu, en laquelle est assurée la santé durable do mon âme et de mon esprit. De grâce, ô Amour, Amour, regarde mon Jésus, lui ton royal captif, orné du diadème do Miséricorde1 ; à cette heure2 tu l'as saisi avec tant de violence, que tu peux avec lui revendiquer en propre tous ses biens : par cette très précieuse prise, tu enrichis le ciel et la terre, et tu combles De grâce, par ce très cher butin, par ce captif qui t'est mille fois cher, rachète ma vie que j'ai perdue, et restituemoi mon existence si inutile, non au septuple, mais au cen­ tuple. Car si je possédais à moi seule la vie de tous les hommes et de tous les Anges, jamais cependant je ne pour­ rais valoir un prix comparable à celui que vaut ton captif, objet de tous mes désirs; combien moins, quand je no suis qu'une vile créature, poussière et cendre? Ohl s’il m’était donné ce que je désire : avec Jésus très aimé, moi aussi, si petite, tu me ferais captive, tu m'enchaî­ nerais, et tu me posséderais en propre. Partageant le sort et les entretiens de ce divin captif je deviendrais, de pécheresse, sainte; de créature inutile, être vraiment spirituel3; d'enne­ mie, une véritable amie do Dieu3; de tiède, vraiment altérée de Dieu; de stérile et inféconde, produisant la perfection de toutes les vertus et la sainteté de toute la religion. Là, ô mon cher Jésus, que le sein de ta miséricorde devienne la prison do ma captivité. Lè, que la chaîne de ton cœur divin soit pour moi un bien tel que, sous la violence du vivant Amour, je devienne ta captive à jamais, réunie à toi d'une manière indivisible, vivant tout entière pour toi et adhérant à toi, au point de ne pouvoir jamais être séparée de toi dans toute l’éternité ·. Amen. A l'heure de Prime, ton dialogue sera avec l’Amour et la Vérité, afin qu’eux-mêmes intervenant en ta faveur, à l'heure GERTRUDE D’HELFTA 70 ipsis pro to loquentibus, in mortis hora venias ad indicium secura, ipsum iudicem tuum lesum habens pium advoca­ tum et responsalem. Versus 1 : Benigne multum, domine, Tu lapsum scis in homine : Infirma est materia; Versamur in miseria. Tua te cogat pietas (ut supra). Et sic incipias deum placare : O chara veritas, o insta dei aequitas, quomodo apparebo 80 ante faciem tuam, portans iniquitatem meam, reatum deperditionis vitae meae, pondus multae nimis negligentiae meae? Christianae fidei et spiritualis vitae pecuniam, heu, heu, non dedi nummulariis charitatis ad mensam : ut tu cum usuris incrementi totius perfectionis, prout velles, reciperes illam. 85 Talentum temporis mihi creditum non solum expendi in vacuum; sed et amisi, depravavi et perdidi totum.Quo ibo, quo me vertam, et quo a facio tua fugiam ·? O veritas, tibi sunt individui collaterales, lustma et aequitas. Tu in numero, pondere et mensura iudicas omnia *. 90 Quaecumque tu apprehendis, levas in statera iusta nimis. Vae mihi, et millies vae, si tradar tibi non habens advoca­ tum respondentem pro me. O charitas, tu alleges pro me. Tu responde pro me. Tu impetra mihi veniam. Tu age meam causam, ut vivam ob tui gratiam. 95 Scio quid faciam, calicem salutaris accipiam *. Calicem lesu ponam in veritatis stateram vacuam. Sic, sic omne quod mihi deest, suppleam. Sic omnia peccata mea cooperiam·;. 1. Dans Ia terminologio médiévale. le l'ersus est uno plftco do VMS généralement rlmée et mise en musique. Bien que les musicologues ne miséricorde el de Térilé. de justice st d’équllé. EXERCICE Vil, 70-97 de la mort, tu viennes au jugement en toute sécurité, ayant Jésus lui-même, ton propre juge, comme charitable avocat et caution. Verset1 : « Seigneur rempli de bonté, Tu sais dans l’homme le péché; Infirme est la matière, Nous vivons dans la misère. » Que ta bonté t’incline... (comme ci-dessus). Et ainsi tu te mettras ù apaiser Dieu : 0 Vérité chérie, ô juste Equité de Dieu, comment compa* raitrai-je devant ta face, portant mon iniquité, le crime de ma vie totalement perdue, le faix de ma trop grande négli­ gence? Le trésor de la foi chrétienne et de la vie spirituelle, hélas, hélas, je ne l’ai pas donné au trésor des banquiers de la charité, où tu aurais pu lo retirer ensuite, selon ta volonté, accru des intérêts de toute la perfection. Lo talent à moi confié, mon temps, non souloment je l'ai dépensé en vain, mais je l’ai même laissé fuir, gâté et perdu totalement. Où irai-je? do quel côté me tournerai-je? où fuirai-je de devant la face2? O Vérité, tu as pour assossours inséparables la justice et l'équité. Toi, tu juges toutes choses selon le nombre, le poids et la mesure ». Tout ce que tu examines, tu le pèses dans la plus juste balance. Malheur à moi et mille fois malheur, si je suis trainee à ton tribunal sans avoir d’avocat qui réponde pour moi. O Charité, toi, arrive à ma décharge. Toi, réponds pour moi. Toi, sollicite mon pardon. Toi, plaide ma cause afin que, grâce â toi, je vive. Je sais ce que je ferai : je prendrai le calice du salut *. Je placerai le calice do Jésus sur la plateau vide de la Vérité. Ainsi, je suppléerai â tout ce qui me manque. Ainsi je couvri- GERTRUDE D'HBLFTA Illo calice omnes ruinas meas adimplebo. Illo calico omne imperfectum meum supra condignum supplebo1. Eia o 100 amor, lesum meum illum tuum rogalem vinctum, ex commo­ tione viscerum tuae misericordiae medullitus infirmatum : quem tu hac hora3 cum tanta violentia traxisti ad indicium,,, ut ei imponores totius mundi peccatum, quum non haberet maculam, nisi tantum mei amoris causam, et meam quam de 105 eo exigebas culpam : eia illum innocentissimum, illum charissimum, amore amoris mei condemnatum, et pro mo morti adiudicatum, accipiam hodie a to, o amor charissime, iudicii mei comitem. Da mihi talem obsidom, ut habeam illum totius causae meae praesidom. HO O chara veritas, sine lesu meo venire ad te, esset mihi intolerabile : sed cum lesu meo apparere coram te, iucundum nimis et amabile. O veritas, nunc pro tribunali sedeas : nunc praetorium introeas, et de me quaecumque placue- . rint, proferas. Non timebo mala3 : seio, scio, quod nequa­ 115 quam confundet mo facies tua, quum sit mocum magna et tota fiducia mea. Vellem scire quam do mo nunc dictares sententiam, quum lesum meum mocum habeam, illum charissimum, illum fidelissimum, qui meam sustinuit mise­ riam, ut apud te mihi magnam impetraret misericordiam. I 120 lesu mi dulcissime, redemptionis meae pignus amabile, tu mocum venias ad judicium. Eia stemus simul. Tu sis iudex et advocatus mous. Enarra quid factus sis pro me, quam bene cogitaveris do me, quam caro acquisieris mc, ut done la cause, lo precte, do noire amour. La rfiMrenco A Guillaume montre qu’il s’agit, pour Jésus, non seulement de se substituor au pteliour devant EXERCICE Vil, 93 -123 rai tous mes péchés. Par co calice je relèverai toutes mes ruines. Par ce calice je suppléerai, dignement et au-delà, à tout ce qu'il y a en moi d'imparfait*. De grâce, ô Amour : mon Jésus, ton royal captif, qui s'est rendu faible jusqu’à la moelle des os, sous la commotion de ta profonde miséri­ corde, lui, en cette heure ·, tu l'as traîné avec tant de vio­ lence au tribunal, que tu lui as imputé le péché du monde entier, alors qu’il n’avait aucune souillure, si ce n'est la seule cause de mon amour, et l'expiation de ma coulpe dont tu lui demandais raison; ce parfait innocent, cet in liniment aimé, condamné en raison de l'amour de mon amour, et pour moi livré à la mort; que je le reçoive aujourd'hui de toi, ô Amour très cher, comme assistant à mon jugement. Donne-moi un tel répondant, afin que je l'aie comme prési­ dent à toute ma cause. O chère Vérité, venir à toi sans mon Jésus me serait intolérable; mais avec mon Jésus, comparaître devant toi, sera pour moi chose bien agréable et aimable. O Vérité, siège maintenant sur ton tribunal. Entre maintenant au prétoire, et prononce sur moi tout ce qui te plaira. Je ne crains aucun mal ·; je sais, je sais que jamais ta face ne me confondra, quand j'ai avec moi ma grande espérance et toute ma confiance. Je voudrais bien savoir quelle sentence tu pourrais maintenant prononcer à mon sujet, quand j’ai mon Jésus avec moi, ce très aimé, ce très fidèle, qui a pris sur lui ma misère, afin de m'obtenir auprès de toi une im­ mense miséricorde. Mon très doux Jésus, de ma rédemption aimable gage, toi, viens avec moi au jugement. Do grâce, comparaissons ensemble. Toi, sois mon jugo et mon avocat. Expose ce que tu es devenu pour moi, le bien que tu as résolu de me faire, combien chèrement tu m'as acquise, afin que je sois justifiée par toi. Toi, tu as vécu pour moi afin que je ne périsse pas, OERTRÜDE D'HBLFTA 125 i 130 i Hora tertia adeas pacem et amorem, ut sensuum tuorum 1 135 < 140 Causa tibi sit agnita : Nulla mens est incognita; Tua te cogat (ut supra). O pax dei, quae exsuperas omnem sensum*. ibi est securitas imperturbabilis. Tu sola potos fraonare iram principis. Tu clementia decoras thronum regis. Tu pietate 145 et misericordia clarificas regnum gloriae imperialis. Eia ut ibi protegar ab imminentibus malis, quae timeo pro negligenliis meis multis et magnis. Ecce iam creditor stat ad ostium, repetens a me vitae 150 cum quo loqui non est mihi tutum, quum non habeam' unde solvam debitum. O pax mea * lesu dulcissime, quousque; EXERCICE VH. 1S4 - ISS moi. Toi, tu as porté mes péchés. Toi, tu es mort pour moi afin que je ne meure pas éternellement, moi. Toi, tu m’as conféré tous tes biens, afin que par toi, je devienne riche de mérites, moi. De grâce, à l’heure de ma mort, juge-moi d'après cette innocence, d’après cette pureté que tu m’as conférée on toi, lorsque tu as payé par toi-même toute ma dette, étant jugé et condamné à ma place, afin que, pauvre biens par toi. A l’heure de Tierce, mets-toi en présence do la Paix et de ■’Amour, afin que la force et la moelle de tes sentiments soient à jamais consacrée au Soigneur et que par elles, à l’heure de la mort, tu sois trouvée pleinement réconciliée avec Dieu. Dis donc : « Que ma cause te soit connue, Nul esprit ne l’est inconnu; Fais s’évanouir loin de nos yeux Tous songes d’un monde fallacieux. ■ Que ta bonté t'incline... (comme ci-dessus). O paix de Dieu qui surpasses tout sentiment *, suave et aimable, douce et à tout préférable, partout où tu pénètres, là règne une sécurité imperturbable. Toi seule as le pouvoir de mettre un frein à la colère du prince. Toi, par la clémence, tu ornes le trône du Roi. Toi, par la pitié et la miséricorde, tu illustres le royaume de la gloire impériale. De grâce, prends en main ma cause, à moi le coupable et l’indigent. De grâce, reçois-moi sous tes ailes·, afin que là je trouve protection contre les maux imminents que je redoute à cause de mes négligences nombreuses et graves. Voici que déjà le créancier se tient à la porto, réclamant de moi le dépôt de la vie. L’huissier exige de moi le tribut du temps qui m’a été donné : il n'est pas prudent pour moi de lui parler, puisque je n’ai pas de quoi payer ma dette. O ma Paix4, très doux Jésus, combien de temps garderas-tu le silence? Combien de temps voudras-tu rester indifférent? 1 GERTRUDE D'HELFTA siles? quousque dissimulas? quousque taces? Eia vel nunc pro me loquere, verbum in charitate dicens : Ego redimaxn 155 eum. Tu quippe es omnium miserorum refugium. Tu nemi­ nem praeteris insalutatum. Tu nunquam aliquem ad te confugientem dimisisti irreconciliatum. Eia ne pertranseas sine charitate me miserum et desperatum. Reddo mihi patrem placatum. Recipe me in tuae charitatis gremium A 160 Praebe mihi sanctae spei haustum aquae frigidae, ut possim vivere. O charitas, tu refrigera linguam meam. Tu recrea inopia spiritus iam pene deficientem animam meam. 1 > Eia amor, amor, fesum meum hac hora pro me flagella­ tum, spinis coronatum, pietate debriatum, fesum verum 165 regem meum, sine quo nescio alium, quem tu fecisti oppro­ brium hominum, abiectum et despectum tamquam lepro­ sum ·, ut ludaea eum negaret esse suum ·, sed ego tui gratia haberem eum proprium; o utinam illum innocentissimum, illum charissimum, qui pro me quae non rapuit 4 tam plene 170 exsolvit, lesum meum mihi dones in animae meae brachium, ut accipiam eum super cor meum, amaritudine dolorum et passionum eius refocillans meum spiritum. Eia illa amarissima pacis meae quam ei imposuisti disciplina4, omnia mea persolvat neglecta et debita. 175 O pax, tu sis mea chara in lesu perpetua ligatura. Tu sis meae fortitudinis charissima columna, tu tibi alligata in­ dividua amicitia, cum lesu fiam unum cor et anima; in te, o pax dulcissima, excipiens charitatis flagella, intima amoris vulnera; per te manens lesu meo perpetuo adglutinata. O' 180 pax, adhuc unum mihi verbulum. Aperi mihi illud dignis­ simum, quod apud te est repositum, amoris alabastrum*/ quod suo vivo odore meum torpentem expergefaciatspiritum. EXERCICE VII, 153 ■ 132 Combien de temps te tairas-tu? De grâce. maintenant du moins parle pour moi, disant ce mot charitable : « Moi, je lo rachèterai ·. Toi, tu es assurément le refuge de tous les misérables. Toi, tu ne passes auprès de personne sans lui donner le salut. Toi, jamais tu n'as laissé partir celui qui s'était réfugié près de toi, sans qu'il fût réconcilié. De grâce, ne passe pas près de moi, misérable et désespéré, sans m’avoir témoigné ta charité. Apaise pour moi le Père. Reçois-moi dans le sein do ta charité *. Tends-moi lo vorro d'eau fraîche de la sainto espérance, afin que je puisse vivre. O Charité, toi, rafraîchis ma langue. Toi, réconforte mon âme prête à défaillir de pauvreté spirituelle. De grâce. Amour, Amour : mon Jésus, à celte heure, pour moi a été flagellé, couronné d'épines, navré à pitié; Jésus est mon vrai Roi, hors do qui je ne connais personne; tu l’as fait l'opprobre des hommes, abject et repoussant comme un lépreux1, afin que la Judée refusât de le recon­ naître pour sien ·, mais que moi, par ta grâce, je l’aie on propre : oh! plaise à toi que ce très innocent, ce très aimé qui pour moi a payé si pleinement ce qu'il n’avait pas dérobé·, mon Jésus, tu me le donnes pour être l'appui do mon âme, afin que je le reçoive sur mon cœur, et que par l'amertume de ses douleurs et de sa Passion, il réchauffe mon esprit. De grâce, que la très amère flagellation que tu lui as imposée · pour me rendre la paix, acquitte toutes mes négligences et mos dettes. O Paix, toi, sois le cher lien qui m’enchaîne pour jamais à Jésus. Toi, sois pour ma force une colonne très aimée, afin que liée â toi par une amitié inséparable avec Jésus, je ne fasse qu’un seul cœur et une seule âme. En toi, ô très douce Paix, je recevrai avec bonheur les fouets de la charité, les blessures intimes do l’amour; par toi, je demeurerai attachée pour jamais â mon Jésus. O Paix, fais encore pour moi une petite chose. Ouvre pour moi ce très précieux vase d’albâtre d'Amour·, qui est déposé près de toi, et dont lo parfum vivifiant réveillera la torpeur de mon esprit. GERTRUDE D'HELFTA sterilitas terra», veris tempo- meae operimentum, et omnium negligentiarum mearum 190 supplementum : ut quidquid mihi deest in me, totum habeam in te, qui te lotum impendisti pro me. Amen. sao erucis Christi ab omni tentatione et insidiis inimici 195 defendaris; legasquo versum : In exilio gemimus : ΰ admirabilis dei sapientia, quam valida, quam praeclara dissimulas, et bos misericorditer exspeo- lum indulgen omni tempore*. procédé. Gertrude y réussit partkuliéremoal bien ici. 1 Enduis et oins mes sens1 du sang do son très glorieux chef, de la douleur de ses sens adorables, afin que par le parfum de ce baume, déba rrasséc de la mollesse et do la torpeur de mon printemps la stérilité de la terre dans la nouveauté des fleurs. De grâce, ô mon très doux Jésus, que les actes de tes sens très saints recouvrent toute ma coulpe et suppléent à toutes mes négligences; ainsi, ce qui me fait défaut, je l’aurai tout entier en toi, qui tout entier l'es dépensé pour moi. Amen. A l’heure do Soxte, tu aurae ton colloque avec la Sagesse et l’Amour, afin que tout ce que tu es soit renouvelé, et qu’à l'heure de la mort, par la vertu do la précieuse croix du Christ, tu sois défendue contre toute tentation et contre les embûches do l'ennemi. Tu liras cette strophe : « Étrangers, ici nous arrivons, Au sein do l’exil nous gémissons; Tu es Io port et la patrio Conduis-nous au seuil do la vie. · Que ta bonté t’incline... (comme ci-dessus). O Sagesse admirable de Dieu, combien puissante, combien éclatante est ta voix. Toi, tu appelles à toi sans aucune exception tous ceux qui to désirent. Toi, tu fais des humbles ta demeure. Toi, tu chéris ceux qui te chérissent·. Toi, tu juges la cause du pauvre. Toi, avec bonté, tu as pitié de tous. Toi, tu ne hais rien de ce que tu as créé ·. Toi, tu ne consi­ dères pas les péchés des hommes et lu les attende miséri­ cordieusement à la pénitence. De grâce, pour moi aussi ouvre la source de la vio; présente-moi la coupe do l’indul­ gence, afin quo je sache ce qui est agréable à tes yeux en tout temps4. O Sagesse, lu portos dans ta droite lo saint étendard de l’éternité: pour toi. loules choses se succedens houreusomont. Toi, seule et unique, tu peux tout. Toi, qui demeurant 3BRTRUDB ϋ'ΗΙ'.ΕΙ'Ί'Λ 220 prudentissime consilio aggrediens circumvenires regem glo­ riae, specificans ei pacis cogitationem, charitatis adimple- suisti amoris occasionem, ut portaret super lignum populi attigens a fine usque ad finem fortiter me tantilla spiritu oris tui exsuffles ot adnihiles omnia ut in amoris magnitudine mihi morione vivam in te : atque charitatis tegumentums, dilectionis operimentum, locum con240 dens vivi amoris testamentum. EXERCICE VII, 111 - MO velle-moi et sanctifie-moi en toi, afin qu'en mon Âme tu toi, procure-moi l’amitié do Dieu. Fai» que, dès le matin, Ohl avec quelle prudence tu procèdes dans tes desseins. les miséricordes, contre l’immensité de ton amour, contre la plénitude de ta bonté; bien plus, ton impériale industrie l’a emporté sur tous les obstacles, disposant toutes choses avec douceur, ot atteignant avec force d’une fin à l’autre fin *. O Sagesse, puissance invincible do la majesté divine, puisse ton action prévaloir sur moi, indigne. Puisses-tu sur tous les obstacles à ta volonté et à ton bon plaisir, afin que l’échapperai heureusement au naufrage do cette vie, recevant GERTRUDE D’HELFTA spectaculum contumeliae. Tu affigis stipiti prolium lotius mundi. Tu sola ponderas et discernis quantum valeat hoc 245 sacramentum ad solvendum totius praevaricationis debitum. vivificaret omnia. O amor sapiens, quale tu conficis malagma, ut impleretur universalis ruina. O quale apponis emplastrum, ut medere250 ris vulneri omnium. O amor, tuum consilium est perditis in rum. Tu effundis sanguinem innocentem, ut placare possis iustiliam irascentem, et pauperi ac inopi acquiras patrem clementem. O sapiens amor, tuum dictamen est miserorum perditis salu- Ecce, o sapientia, iam tuum patet plenum pietate ccllatatis ostium. Eia imple meae paupertatis palliolum bene­ dictione tuarum dulcedinum. Ecce onto te est desiderii mei _______ 265 vacua cralorula ‘ 3.~aperiatur Eia tuae plenitudinis serrula4. Doce cor meum luo casta consilia, tua praecepta lucida, tua fidelia testimonia ·. Fac me memorem mandatorum tuorum EXERCICE VII. «1 - 263 0 Sagesse1, quel jeu tu joues; par quel artifice tu circon­ viens mon Jésus. Toi, tu dépouilles le Roi de gloire, tu en fais un spectacle de mépris. Toi, tu attaches au gibet la rançon du monde entier. Toi seule, tu pèses et apprécies la valeur de ce mystère pour payer la dette de toute préva­ rication. Toi, tu élèves do torro celui qui est la vie de tous, afin que, les attirant à lui dans sa mort », il les vivifie tous. O Amour sage, quel amalgame tu composes, pour mettre un terme à la ruine universelle. O quel emplâtre tu emploies pour guérir la blessure do tous. O Amour, ta prudence vient au secours de ceux qui étaient perdus. Toi, tu condamnes le Juste, afin de sauver le coupable malheureux. Toi, tu répands un sang innocent, afin do pouvoir apaiser la justice irritée, et d’obtenir la clémence du Père pour le pauvre et l'indigent. O Amour sage, ta sentence est le soulagement des malheureux. Toi, tu défends la cause de la paix. Toi, tu exauces la miséricorde qui interpelle pour nous. Toi, dans un dessein prudent, tu subviens â l’angoisse de tous, par la volonté bienveillante de ta clémence. Toi, tu mets fin ù l’universelle misère, par l'œuvre glorieuse de ta miséricorde. O Amour, ta découverte est pour les perdus l’occasion du devant toi s’offre la coupe vide do mon désir®. De grâce, que s’ouvre la serrure® do ta plénitude. Enseigne à mon cœur tes chastes conseils, tes préceptes lumineux, tes ensei­ gnements véridiques ». Donne-moi de me souvenir de tes commandements, afin do les accomplir®. De grâce, ne me traite pas selon mes péchés; ne me punis pas selon mes ini- OUriTRUDB D’HELFTA mihi, neque secundum iniquitates meas retribuas mihi', 270 lesu mi. Eia sicut in sanguino tuo voro propitiatus os mihi, sio per virtutem pretiosae crucis tuae omnem deperditionem vitae meae restituo mihi. Eia o amor sapiens, tu tege et cooperi omne meum delictum. Tu pro me supplo omne meum neglectum, per losum meum tuo arbitrio sponte dore275 lictum. 280 285 290 295 Hora nona habeas colloquium cum amore ot dilectione, ut pro malis tuis commutent tibi bona sua, et in morte agni involvas mortem tuam, ut sub tah tuitione transeas cum securitate. Et dic versum : Dives pauper olloctus es, Pro nobis crucifixus es; Lavans o tuo latere, Nos munda vita vetere. Tua te cogat pietas (ut supra). O pulchra dei dilectio. O morte tortior charitatis aemula­ tio a. Tu es creaturae reparatio, totius mundi salus ot re­ demptio. O quam dulcis tua confabulatio. O qualis tua collatio. Tuus convictus non habet taedium. Tuum consor­ tium est verum sino fine gaudium3. Eia intra meum vilqi cubiculum, et quiesce mocum. Fac me audire tuas spiritu, sancto plenas collationes, ut tecum obliviscar omnes meas angustias et tribulationes. In via hac qua ambulo, tu sis mecum, quia omnia bona veniunt mihi paritor tecum 4. 0 honorabilis dilectio, occo ego miser homuncio, circumagitatus negligenliao meae vento validissimo, et cons­ cientiae peccatorum meorum territus a tonitruo : sum tuae pietatis tecta confugio, quia nullam spem nisi in te mihi superasse sentio, neo extra te uspiam requiem 1. Ibid. ίο. vue ni la mort do Jésus sur In croix, suite du Jugemont qui l’a condamné/;; ni rechange perpétuel que Ocrlrudo envisage entre ollo.méino et Jésus : KXKRCICE Vil, 269-253 229 quitusJ, mon Jésus. Do grâce, de môme que par ton sang tu m’as été vraiment propice, ainsi par la vertu de ta précieuse croix, répare on moi ma vie, dépensée en pure perte. De grâce, ô Amour sage, toi couvre ot cache toute mon ini­ quité. Toi, pour moi supplée â toute ma négligence, par mon Jésus qui s’est abandonné, do plein gré, à la discrétion. A l’heure do None, lu l'entretiendras avec l’Amour et la Dilection, afin qu’ils échangent contre tos maux leurs biens, et que dans la mort do l'Agneau lu enveloppes ta mort, en sorte quo sous une telle protection, tu trépasses avec sécurité. Et dis la strophe : « De riche, tu l’os fait pauvre; Pour nous, tu as été crucifié; Nous lavant dans l’eau de ton eélé, Purille-nous de notre ancienne vie. » Que ta bonté t'inclino... (comme ci-dessus). O belle Dilection de Dieu, ô cèle do la charité, plus fort que la mort ·. Tu es do la créature la restauration, du monde entier le salut et la rédemption. Oh combien douce, ta conversation I Oh quel est le prix do ton entretien I Ta société ne cause pas l’ennui. Ta compagnie produit une joie véri­ table et sans fin a. Daigne entrer dans mon vil réduit, ot repose avec moi. Fais-moi entendre tos épanchements nourris do ΓEsprit-Saint, afin qu’aveo toi j’oublie toutes mes angoisses et mes tribulations. Sur le chemin où je m’avance, toi, sois ma compagne, car tous les biens me viennent on môme temps que toi 4. O Dilection digne d'honneur, me voici, moi misérable créature humaine, agitée de tous côtés par le vent de la négligence, terrifiée par lo tonnerre de la conscience de mes péchés; je me réfugie sous le toit do ta compassion, car, je le sens : il ne me reste plus d’espoir, sinon en toi, et hors de toi je no saurais trouver nulle part do repos. Toi, comme GERTRUDE D'HELFTA refugii nidum, quo reclinem tribulatum spiritum meum. Tu 310 porta mecum causam incolatus mei. Tu erigo pusillanimita- affligis in siti, ut non sufficiat somcl mori, sed iam morions sic exponat adhuc semet325 industria nervum cordis lesu mei tam strenue tetigit *, quod EXERCICE VII, 293-320 une mère, tu réchauffes dans ton soin la créature perdue. Toi, dans un dessein très habile et exquis, tu te joues, au point de le faire mourir, du File du Très-Haut, et tu ne l'épargnes pas, pour subvenir à un misérable désespéré. O Charité 1 O Diiection : tu as fait, on faveur des pécheurs, une telle merveille avec lo Fils do la Vierge, qu’en loi tu as rendu l’espérance à tous les désespérés. Par ta propre bonté, tu nous contrains tous à agir avec confiance envers toi. Et afin qu’aucun misérable n’ait prétexte à porter plainte contre toi, tu changes la plainte do tous en leur salut. O Charité, toi, pour moi désespérée, pour moi abandonje puisse reposer mon esprit tourmenté. Toi, défends avec moi la cause do mon oxil. Toi, relève mon âme pusillanime. Toi, console l’angoisse do mon cœur, on mo disant : « Moi, je ne t’oublierai pas1. » De grâce, qu’en cola se vérifie ta parole, ô Charité, et daigne mo convoquer à Les calendesa, car mon âme aspire avec ardeur à ces marchés ou, en échange de mes maux, â tes pieux comptoirs, tu mo donneras tes biens. Toi, tu relions mon Jésus, mon doux Salut, si forte­ ment attaché â la croix, qu’expirant sous ta main, il meurt d’amour. O Charité, que fais-tu? A qui t’adrossos-tu? Toi, tu no l’épargnes pas et tu no te donnes pas de repos, que tu n'aies secouru les malheureux. Toi, tu n’assignes aucune mesure â l’amour3. Toi, tu accables d’une telle soif la fontaine de vie1, qu’il no lui suffit pas de mourir une fois; il faut que, déjà mort, il se livre encore lui-mémo à l'amour, jusqu’à désirer et avoir soif de mourir do multiples morts pour chacun de nous, rachetant les malheureux du gage le plus cher. O Amour, ton adresse a touché lo nerf du cœur de mon Jésus, avec tant de vigueur1 que, rompu par l’amour, il s’est flétri. O Amour, contente-toi désormais, sois désormais satis- S. Celle allusion au combat avec l’ange (Cen. 32, 25) montre avec GERTRUDE D'HBLFTA pendeat. Mortuus plane mortuus, ut ego vitam habeam abundantius>. Mortuus, ut me pater in lilium adoptaret 330 chorius : mortuus, ut ego viverem felicius. O mors ollarissima, tu mea sors felicissima. Eia in te nidum sibi inveniat anima mea, o mors. O mors partu­ riens vitae aeternae fructus : eia involvant me totam tui vitales fluctus. O mors vita perennis : eia sperem 335 semper tuis sub pennis. O mors salutaris, eia anima mea demoretur in bonis tuis praeclaris. O mors pretio­ sissima, tu es acquisitio mea charissima. Eia tu totam vitam meam in te absorbeas, mortemque meam tibi immergas. 340 O mors efficacissime, eia sub tua cura mors mea tuta sit et secura. O mors vitalis, eia tuis liquescam sub alis. O mors vitae stilla, eia in mo in perpetuum ardeat tuae vivificationis praedulcis scintilla. O mors gloriosa. O mors fructuosa. O mors, summa totius salutis meae, amabile 345 foedus acquisitionis meae, firmissimum pactum reconci­ liationis meae. O mors triumphalis, dulcis et vitalis, in te elucet mihi charitas talis, cui in coelo ot in terra non est inventa aequalis. O mors praecordialis, tu cordis mei fiducia spiritualis! 350 O mors amantissima, in te mihi sunt reposita bona omnia; Eia do me sit tibi pia cura, ut moriens sub tua dulciter pausem umbra. O mors misericordissime, tu es vita mea felicissima. Tu es pars mea optima. Tu es redemptio mea copiosissima. Tu es haereditas mea praeclarissima. Eia me 355 tibi totam involve, in te totam meam vitam absconde, in te mortem meam reconde. O mors manans dulcedine, tu morti meae provide : tu EXERCICE VII, 32? ■ 35? 283 fait, puisque mon Jésus est suspendu mort devant tes yeux. Mort, afin que le Père m’adoptât pour enfant avec plus Do grâce, qu'en toi mon âme trouve donc un nid pour elle, ô mort. O Mort, qui produis les fruits de la vie éternelle, que tes flots de vie m’enveloppent tout entière. O Mort, vie étemelle, de grâce, que j’espère toujours sous tes ailes. O Mort salutaire, de grâce, que mon âme trouve sa demeure salutaire en tes biens excellents. O Mort très précieuse, tu es ma richesse la plus chère. Ohl toi, absorbe on toi toute ma vie, et engloutis en toi ma propre mort. O Mort très efficace, de grâce, que sous ta protection ma mort soit tranquille et sans crainte. O Mort qui apportes la vie, de grâce, puissé-je me fondre sous tes ailes. O Mort d’où découle la vie, fais qu’une très douce étincelle de ton action vivifiante brûle en moi à jamais. O Mort glorieuse, ô Mort fructueuse, ô Mort somme de tout mon salut, aimable contrat par lequel j’ai été rachetée, pacte très ferme de ma réconciliation. O Mort triomphale, douce et vitale, en toi brille pour moi une charité telle qu’au ciel et sur terre on n’en a pas trouvé de comparable. O Mort cordialement aimée, tu es de mon cœur la con­ fiance spirituelle. O Mort très aimante, on toi sont contenus pour moi tous les biens; prends-moi, je t’en prie, sous ta bienveillante protection, afin qu’à ma mort, doucement je repose sous ton ombre. O Mort très miséricordieuse, toi tu os ma vie très heureuse. Toi, tu os mon meilleur partage. Toi, tu es ma rédemption surabondante. Toi, tu es mon très précieux héritage. De grâce, enveloppo-moi en toi tout entière, cache toute ma vie en toi, et en toi ensevelis ma mort. O Mort, source de douceur, toi pourvois à ma mort. Toi, environne-moi tout entière dans l’angoisse de la GERTRUDE D’HELFTA me totam circumda mortis in angustia. Per te securum habeam transitum, ne latrunculi meum obsideant exitum. 360 In tuae chnrissimae acquisitionis gremium, meum recollige spiritum. In tuae plenissimae charitatis cubile animam meam suscipe, in te vitam meam absorbe, in tc totam me immergo. O mors chara, in to mihi tunc requiem para. Fac me in te feliciter exspirare et suaviter obdormire. O mors 365 praocordialissima, tu me tune tibi in perpetuum serva; in tua chantate paterna, in acquisitione et possessione sempiterna. O amor, illam saluberrimam mortem, illum chunssimam sortem tu mihi acquisisti. Tu pro me tanta et talia 370 fecisti, quod me tuae servituti in perpetuum obligasti; Quid pro tantis et tara infinitis bonis tibi retribuam? Quid laudis et gratiarum actionis tibi offeram, etiamsi millies me impendero? Quid ego vilis homuncio ad te, o mea copiosa redemptio? Ergo animam meant quam 375 redemisti, totam libi offeram, amorem cordis mei doforamo.· Eia tu vitam meam in te transforas. Tu moipsam totam tibi inferas, et me in te concludens tcoum unum efficias. O amor, tuae divinitatis ardor mihi reseravit lesu mei 380 praedulce cor. O cor manans dulcedine. O cor redundans pietate. O cor supereffluens charilale. O cor dietitians sua­ vitate. O cor plenum miseratione. Eia, fac me mori prae tui amore et dilectione. O charissimum cor, in te precor | totum absorbe meum cor. Cordis mei oharior margarita, ad 385 ·tuas vitales epulas me invita. Tuae consolationis vina mi­ hi indignae propina, ut spiritus mei ruina impleatur char ] ritate tua divina, et de tuae charitatis abundantia sup­ plentur mentis meae egestas et inopia. O amor, utinam hoc cor, hoc thymiama dulcissimum, hei 390 :incensum suavissimum, hoc sacrificium dignissimum, nunç.l ! EXERCICE VII, 358 -390 mort. Par toi j’aurai un passage assuré, sans crainle quo les voleurs n’assiègenl ma sortie. Dans le sein où tu rassembles ceux quo tu as rachetés à grand prix, recueille mon esprit. Sur lu couche de ion infinie chanté, reçois mon âme; on toi absorbe ma vie; en toi plonge-moi tout entière. O chère Mort, on toi maintenant prépare-moi le repos. Fais-moi oxpiror on toi avec bonheur et m’endormir suavement. O Mort cordialement aiméo, toi alors garde-moi en toi pour jamais, dans ta charité paternelle, comme uno aoqui0 Amour, cello morl très salutaire, ce très cher partage, c'est toi qui me les a acquis. Toi, tu as pour moi fait de si grandes et si belles choses quo tu m’as obligée à ton service pour toujours. Que te rendrai-jepour tant et de si infinis bien­ faits? Quelles louanges et quelles actions de grâces pourrai-je l'offrir, quand bien môme je m'y dépenserais mille fois? Que suis-je moi, vile créature, en comparaison de toi, ô mon abondante rédemption? Donc, mon âme que tu as rachetée, je te l’offrirai tout entière, je le ferai hommage Toi, emporte-moi tout entière en toi et, m’enfermant on toi, fais que je ne sois qu’une même chose avec toi. O Amour, ta divine ardeur m’a ouvert le Cœur très doux de mon Jésus. 0 Cœur, source de douceur. 0 Cœur débor­ dant de bonté. O Cœur surabondant de charité. O Cœur qui distille la suavité en rosée. O Cœur rempli de miséri­ corde. De grâce, fais-moi mourir d’amour et de tendresse pour toi. O Cœur très cher, je le prie d’absorber mon cœur tout entier en toi. Porlc très chère de mon cœur, invitemoi à tes festins vivifiants. Verso-moi les vins de ta consola­ tion, si indigne que j’en sois, afin que la ruine de mon esprit soit remplie de ta divine charité, et que l’abondance de ta charité supplée à la pauvreté ot à la misère de mon âme. 0 Amour, je l’en prie, ce Cœur, ce parfum si doux, cet encens si suave, cette hostie si noble : offre-le maintenant GERTRUDE D’HELFTA offeras pro me ad aureum altare 1 reconciliationis humanae, in supplementum omnium meorum quos vixi dierum, in quibus tibi non detuli fructum. O amor, in illius melliflui irge meum spiritum, in profundo meae et negligentiac. Reddo mihi in lesu intellectum claris­ simum, affectumque purissimum, ut per te possideam ab omni carnalrlate cor extraneum, alienum et libarum, ut in mortis hora, te duco, immaculatum Deo reconsignem 400 spiritum a. O praediloctum cor, ad te nunc clamat meum cor. Esto mei memor : tuae charitatis dulcor reficiat, quaeso, meum cor. Eia moveatur super me tuae miserationis medulla, quia heu mihi sunt mala merita 1 multa, merita bona nulla, lesu mi, 405 tuae pretiosae mortis meritum, quod solum oflicax fuit ad solvendum universale debitum, condonet mihi in te quicquid malo merui et redonet mihi in te omnia bona in quibus deperii, convertens me tam efficaciter ad te : ut in divini amoris violentia penitus a memetipsa immutata, illam in 410 oculis tuis inveniam gratiam, illam consequar misericor­ diam, quam tu mihi meruisti, quum amore amoris mei in cruce moriens defecisti. Et da mihi34, lesu chare, te solum in omnibus et super omnia amare, tibi ferventer adhaerere, in te sperare et supersperare. 415 Da mihi tuae morti dignam de reliquo agere vicem, ut in mortis hora, absque ulla mora experiri merear redemptio­ nis meae fructum dulcissimum, et mortis tuae praedignis- 3. CL le début de I'Eaemwe 1. s'accorde au bien ou au mal, le substantif est attribué au bien; pour la rat bon Au delà d'un jugement moral sur sa vie, fait-elle allusion à une EXERCICE Vil. 391-417 pour moi sur l'autel d'or1 où fut réconciliée la race humaine, pour suppléer à tous les jours durant lesquels j'ai vécu sans porter de fruit pour toi. O Amour, immerge mon esprit dans le fleuve de ce Cœur melliflue, ensevelissant dans les profondeurs de la divine miséricorde tout le poids de mon iniquité et de ma négligence. Rends-moi en Jésus une intelligence très lumineuse, une affection très pure, afin que par toi je possède un cœur étranger à tout ce qui est charnel, dégagé et libre, pour qu’à l’heure do la mort, conduite par toi, je restitue à Dieu un esprit immaculé 3. O Cœur aimé plus que toutes choses, vers toi maintenant crio mon propre cœur. Aie pitié de moi; que la douceur do ta charité rende, je t’en supplie, le courage à ce cœur. De grâce, que les entrailles de ta miséricorde s'émeuvent en ma faveur, car hélas mes démérites 3 mauvais sont nom­ breux, mes mérites bons sont nuis. Mon Jésus, que le mérite de ta précieuse mort qui seul a eu le pouvoir d'acquitter la dette universelle, me remette, en toi, tout ce que j'ai fait de mal, mon démérite, et qu’il me restitue en toi tous les biens faute desquels j’ai péri; qu’il m'attire à toi si puissamment que, transformée totalement par la violence du divin amour, je trouve à tes yeux cette grâce, j'obtienne cette miséricorde que tu m'as méritée lorsque, mourant sur la croix, tu as défailli par amour de mon amour. Et donnemoi 4, é cher Jésus, de t’aimer seul en toutes choses et par­ dessus toutes choses, de m'attacher à toi avec ferveur, d'es­ pérer en toi, et de ne mettre aucune borne à mon espérance. Accorde-moi pour finir, de payer dignement ta mort de retour, afin qu’à l’heure de ma mort, je mérite sans retard de goûter le très doux fruit de ma rédemption ot le 4. Collecte du S· dimanche nprte la Pentecôte. GERTRUDE D'HBI.FTA 420 tu mihi dicas dulce vale, ut in te suaviter requiescam in Ad vesperas cum amore et pietate convenias placatura tuo debito et imperfecto. Et legas versum : 425 omni > 430 expandis gremium, tu es pauperum refugium. O pietas, quid consulis? Quo fugiam a facie frigoris, iam ferre non valens asperitatem hiemis1? Tepiditas animi mei iam 435 singultu 440 I sem modicum, ct effundam coram te meum spiritum, certa do tua bonitate, de tua naturali pietate, quod nullum sper- 445 ttui mores. O quam grati iam pene delicientibus unguen­ torum tuorum odores. 1. a. Mrnh. 24, 20. EXERCICE VII, 411-446 mérite souverainement digne de ta propre mort, avec une auui grande efficacité que tu l’a» souhaitée au moment où, dans la soit de mon salut, tu as rendu l’esprit et m'as rachetée au grand prix de ton sang. O Amour, à l'heure do ma mort, dis-moi un doux Adieu pour qu'en toi suavement je repose en paix. Amen. A Vêpres, rencontre-toi avec l'Amour et la Tendresse pour apaiser Dieu, afin qu’au terme de ta vie ils répondent à ta place pour toute ta dette ot ton imperfection. Lis la strophe : « Heureux celui qui a soif, ô Charité, De toi, source de vio; ô Vérité, Comme le peuple est heureux Qui te contemple de ses yeux. » Que ta bonté t'incline... (comme ci-dessus). O douce Tendresse de Dieu. O chère libéralité de Dieu. Toi, à tous tu ouvres ton sein ; toi, tu es le refuge des pauvres. O Tendresse, que décides-tu ? Où fuirai-je à l’approche de la froidure, puisque je no puis plus supporter la rigueur de l’hiver1? La langueur de mon âme déjà sous le gel a durci tous les champs de mon coeur. Do grâce, abrite-moi sous tes épaules, cachant la honte de ma nudité : que je me réchauffe sous tes plumes et qu’ù jamais j’espère sous tes ailes 3. O Tendresse! Tendresse! ne m’abandonne pas dans mon angoisse. A mes sanglots, à mes cris, ne détourne pas ta face. Que ta charité t'incline à m’écouter avec patience. De grâce, ouvre ton sein, afin que je puisse reposer un moment et épancher mon esprit devant loi. Je suis assurée qu'en vertu de la bonté, de la bienveillance qui t'est natu­ relle, tu ne dédaignes aucun homme dans la désolation et ne méprise pas celui qui est dans la tribulation. Oh! combien ta conduite est favorable à ceux qui sont dans la misère. Oh! combien agréable l'odeur do tes parfums, à ceux qui allaient tomber en défaillance. 450 455 460 465 470 EXERCICE VII, 447 - 474 Toi, tu relèves ceux qui sont brisés; toi, tu délies ceux qui sont enchaînés*. Toi, tu ne dédaignes personne dans la tribulation; toi, lu es attentive aux nécessités de tous, d'une manière maternelle et miséricordieuse. Toi, sur les désespérés tu veilles avec tendresse. Toi, à l'indigence de tous tu daignes subvenir avec la plus grande clémence. De grâce, maintenant, à moi indigente, prête l’oreille, afin que pour le bien de mon âme, je puisse avoir avec loi de pré­ cieux entretiens et que de toi je reçoive de chers conseils. Voici1 que mes péchés me causent une vive frayeur, mes omissions me couvrent d'une profonde honto, le gaspillage de ma vie me cause une très grande crainte. Je redoute ce futur examen où le Christ, l’homme noble3, temps qu’il m’a remis en dépôt, et l’intelligence, ce talent qu'il m’a confié pour fournir des intérêts, sans aucun doute je n'aurais aucune réponse convenable à faire à la charité. Que ferai-je? De quel côté me tournerai-je? .le no puis bêcher la terre; mendier, j’en ai honte*. O Tendresse ! Tendressel ouvre ta bouche maintenant; que ton doux conseil, je t'en supplie, réconforte mon âme. Do grâce, réponds-moi : que décideras-tu de me faire dans cotte conjoncture, car selon ton nom tu es un cœur vraiment tendre, et tu connais parfaitement ce qui en cotte conjonc­ ture me convient. De grâce, pardonne-moi et viens à mon secours et, en cette tribulation, ne me regarde pas avec indifférence. Laisse-toi émouvoir par la pauvreté do mon esprit et, le cœur touché de compassion, dis-moi dans ta bonté : « Faisons, toi et moi, bourse commune *. * O TendresseI Tendresse! n'as-tu pas ches toi entreposées tant et do si belles richesses que le ciel et la torre no suffisent pas à les contenir. Toi, tu as contraint mon Jésus à donner son âme pour mon âme, pour ma vie la sienne; do la sorte tu as fait mien tout ce qui était sien et ainsi, par ton abon­ dance, tu as accru les ressources du pauvre. Do grâce, convoque mon ôme famélique à tes libéralités, afin que je GERTRUDE D’HELFTA 475 ut ex tuis divitiis vita vivam, et te educante, te enutriente me, sub disciplina domini non deficiam, donec te duce ad deum meum revertar, et spiritum meum ei qui dedit reddam O pietas, o bonitas, o dulcis dei liboralitas, tu in tuo 480 conclavi habes repositum quoddam admirabile xenium, quod stupet coelum, miratur terra, cui a saeculo et in saeculum simile reperilur nullum. Tu pro me quotidie deo patri ad altare tale offers sacrificium, tale holocautomatis incensum, quod excedit omne meritum et vero valet solvere omne meum 485 debitum. Tu repraesentas patri lilium vere sibi beneplacitum, ut eum mihi reddas placatum et vere reconciliatum. Eia per hoc sacramentum, quod optime potest supplere meum imperfectum omnemque meum reparare defectum, vitam meam innova, et in centuplum mihi restitue omnia 490 mea deperdita, ut in te mea exsultet anima, per te ut aquilae renovetur iuventus mea ·, ad te convertatur vita mea, tibi serviat omnis virtus mea, te glorificet tota substantia méa. lesu mi, tua pietate omnes iniquitates meas8 dele, tua cbari* tale omnia peccata mea cooperi et loge, tua dilectione 495 neglecta mea supple ‘, tuo amore in illam libertatem spiri­ tus restitue me, qua tu haeres innocentiae8 moriens pro me, dato pretio proprii sanguinis, liberam fecisti me. Fac me tuae voluntati conformem, ut in te vitam meam traner formem. Fac me totam talem, tu me velles osso qualem, ut 500 post hanc vitam relicto corporis nubilo, faciem tuam melli­ fluam videam in iubilo. Ad completorium habeas colloquium cum amore et perse­ verantia. ul vili convorsationo tua cum dignissima vita 4. Encore collo nollon do suppMnnco ol do redemption, qui s'exprime EXERCICE VII, 175-503 vive à pleine vie de tes richesses et que, par toi élevée, par toi nourrie, je no défaille pas dans le service du Seigneur, jusqu'à ce que, sous ta conduite, je retourna à mon Dieu, et jo ronde mon esprit à celui qui me l’a donné ’. O Tendresse I ô bonté, ô douce libéralité de Dieu, tu as déposé dans ta chambre forte un trésor admirable qui met le ciel dans la stupeur, la terre dans l'admiration : on n'en trou­ verait pas un seul de semblable du commencement des siècles à leur fin. Toi, pour moi, chaque jour, à Dieu le Père, tu offres sur l’autel un tel sacrifice, un tel encens d'holocauste qu'il surpasse tout mérite et qu’il est vraiment assez puis­ sant pour payer toute ma dette. Toi, tu présentes au Père son propre Fils, le vrai objet de ses complaisances, afin do l’apai­ ser à mon sujet et do me réconcilier vraiment avec lui. De grâce, par co mystère, qui peut parfaitement suppléer à mon imperfection ot réparer en moi tout défaut, renou­ velle ma vie, et rends-moi au centuple tout ce que j'ai perdu, afin qu’en toi mon âme tressaille de bonheur, que par toi ma jeunesse soit renouvelée comme celle de l'aigle*; que ma vie se tourne vers toi; que toute ma force soit à ton service; que le glorifie mon être tout entier. O mon Jésus, par la Tendresse efface toutes mes iniquités*; par ta charité recouvre ot voile tous mes péchés; par ta dileclion supplée à toutes mes négligences *; par ton amour rends-moi cette liberté do l’esprit par laquelle tu m’as rendue libre, toi l’héritier innocent», on mourant pour moi, en donnant pour prix ton propre sang. Conformo ma volonté â la tienne, afin que je transforme ma vie en toi. Rendsmoi totalement telle que tu me voudrais être, afin qu’après cette vie, ayant laissé le nuage de mon corps, je voie dans la jubilation ta face melliflue. A Complies, ton entretien sera avec l’Amour et la Persé­ vérance, afin qu’ayant échangé ton existence misérable GERTRUDE D'HELFTA Domini lesu communata, per ipsum iuveniaris in mortis 505 hora in omni sanctitate et religionis pcrfectiono plene con­ summata. Et legas versum : Grandis est tibi gloria. Tuae laudis memoria, Qui cor ab imis elevant. Tua te cogat pietas (ut supra). O perseverans chantas1 domini lesu, qui nos diloxit usque ad mortem, tu sola gestas regni diadema. Tibi debe­ tur victoriae triumphus, gloriae titulus. Tua provida dili515 gontia, tua diligens custodia, defert rogi regnum munera talia, coelum stupet qualia. O perseverans charitas, vere vox tua dulcis et sonora, facies tua suavis et decora. Tu do deserto colligis tam rara xenia, tam multas virtutum species ot aromata : quod dous 520 coeli vultu hilari luam reveretur faciem ’, concupiscens et laudans pulchritudinem tuam et speciem 3. Te prae omnibus deus adiuvat vultu suo4 : nam in tui medio non commo- ■ votur, requiescens ut sponsus in thalamo. Eia tu mo adiuva£ mane diluculo, in te, o vera meridies, animam meam servans 525 ab omni caecitatis crepusculo. O perseverans charitas, tu es omnium virtutum pertes510 tuo omnium virtutum labores dulcificas, ot ineundos reddit tua assuetudo. O perfecta dei charitas, in to omnis dulcedo 530 ot suavitas. Tu es vera pax et securitas. In to imporlurba1. Bien qu'elle s'adresse à la Persévérance (1. S02), comme Λ un pontonnage, Gertrude préféré le nom de Charité, réduisant la Persévérance h sa condition do simple qualificatif, d’attribut de ia charité. Dans tout cet Cf. Cani. 2, 14. — Réminiscence de I Rail 17, 10, interprétée libre- EXERCICE VII, S04-530 pour la vie très digne du Seigneur Jésus, par lui tu sois trouvée, à l'heure de la mort, pleinement consommée en toute sainteté et perfection do la religion. Et lis la strophe : « Elle ost grande à toi la gloire, De ta louange la mémoire, Que sans fin célèbrent Ceux qui d’en bas leur cœur élèvent. » Que ta bonté t'incline... (comme ci-dessus). O persévérante Charité1 du Seigneur Jésus, qui nous a aimés jusqu'à la mort; toi seule tu portes le diadème royal. A toi est dû le triomphe de la victoire, et le titre de la gloire. Ta prévoyance attentive, ton soin diligent apportent au Roi des rois des présents tels que le ciel en est dans l'admi­ ration. O persévérante Charité, vraiment ta voix est douce et éclatante, ta face suave et gracieuse. Toi, du milieu du désert tu recueilles des trésors si rares, des vertus si nom­ breuses et si variées, et de tels parfums, que le Dieu du ciel regarde avec complaisance et respect ton visage s; il convoite et il loue ta beauté et ton éclats. Par-dessus toutes choses, Dieu te favorise de son regard ·; en olfot, au milieu do toi il n’est pas troublé, reposant conme l'époux dans la chambre nuptiale. De grâce, toi, aide-moi5 dès le point du jour : en toi, ô vrai Midi, gardant mon âme do la cécité do tout crépuscule. O persévérante Charité, tu es la perfection de toutes les vertus et la santé de l'esprit. Toi, tu rends légers de lourds fardeaux; en usant bien de toi, les labeurs de toutes les vertus deviennent doux et, en s’accoutumant à toi, ils sont rendus agréables. O parfaite charité de Dieu, en toi réside toute douceur et suavité. Toi, tu es la paix véri­ table et la sécurité. En toi se trouvent la paix, que rien ne saurait troubler, et la tranquillité. Toi, tu es la fin et GERTRUDE D’HELFTA EXERCICE VII, S3! - 55S la consommation do tout bien, l’accomplissement entier dos commandements de Dieu. Toi, tu es le Sabbat des Sabbats1 ; en toi la Sagesse établit son repos; en toi, ΓAmour parfait son propos. O persévérante Charité, c’est toi qui as consommé en mon Jésus la mission * que lui avait enjointe la Tendresse. C’est toi qui as achevé l’œuvre de notre rédemption, rappe­ lant les enfants égarés è leur condition do fils adoptifs. C’est toi qui as fait mon Jésus s’endormir suavement on paix, en toi se délasser do son labeur, reposer sous ton ombre, en paix doucement passer le sabbat; enfermé et enseveli sous ton sceau ·, goûter le sommeil de l’amour. O Charité, sous ta vigilance et sous ta diligence toujours âme, plus aimé que l'or et la topaze ·, qui seul peut réparer tous mes défauts et compenser toutes mes imperfections. Oh! dans ce lieu où tu gardes, déposé en toi, mon plus cher trésor, place et dépose aussi mon cœur, afin que par toi mon esprit tout entier demeure là où habite mon aimé, mon bien-aimé. O invincible*Charité, ô constance courageuse du Seigneur Jésus, vers toi du plus profond de mon cœur, monte le cri de mon esprit. De grâce, toi, sois mon ambassadeur, parle bien en ma faveur, afin que mon Jésus, mon Roi et mon Dieu, qui en toi a parachevé l’œuvre que le Père lui avait mise en main, par toi aussi me donne, à moi, vil vermisseau, un cœur pur, une volonté invincible ù le servir avec un zèle diligent et fidèle, capables de porter avec persévérance ses commandements sous le joug de l’amour, me chargeant volontiers les épaules. Ainsi, toi, ύ amour efficace, en la vie pareillement et après la mort, tu deviendras vérita- 298 GERTRUDE D'HELFTA pretium fias centuplum >, et toipsum accipiam in t 560 quum in te sit totum meum ot plenum gaudium. Fac me in amanti contritione cl humili poenilentit piam micama, mellifluae faciei lesu mei fruitionem dulcis565 simam, ut per te satier in aeterna laetitia, quum apparuerit lesu mei gloria ·. O amor stabilis, fortis et insuperabilis, tua me doceat solertia, invincibili lesum diligere constantia, eique invicta servire perseverantia; et te excitante, te commovente, 570 semper sim parata cum venerit dominus meus in prima et secunda vigilia4, ut non torpeam neque dormitem facto clamore hora media, sed te promovento, to ducente, digne intrem cum agno ad nuptias. Eia, et tunc to procurante plena charitatis oleo4, plena dilectionis incendio, plena 575 operum vivae fidei lumine splendido, mea inveniatur lam­ pas, ut per te possideam vitao aeternae delicias. lesu mi dulcissime, sponse praodilecte, in te nunc resus­ cita spiritum meum torpentem, in tua morte mihi restitue vitam libi soli viventem. Da mihi conversationem pretio 580 sanguinis tui digne respondentem. Da mihi spiritum te sapientem, sensum te sentientem, animam luam voluntatem inlelligentem, virtutem tuum beneplacitum perficientem, stabilitatem tecum perseverantem. Eia, et in mortis hora aperi mihi sine mora benignissimi cordis tui ostium; ut per 585 te absque omni impedimento ingredi merear tui vivi amoris thalamum, ubi fruar et habeam te, o cordis mei verum gau­ dium. Amen. 1. Mart. 19. 29. 2. Mauh 15, 27. 3. P«. IS, 15. 4. Ac 12, 38. 5. Mallh. 25, 4. EXERCICE VII, SS9-SS7 en récompense, puisque en toi, tout entière et pleine est Fais-moi dans une aimante contrition et une humble pénitence, toujours, comme un petit chien ronger mes péchés et les œuvres imparfaites dues à mes défauts, afin qu’après cotte vio jo reçoive cotto miette très agréable 1 : la jouissance très douco do la face mellifluo de mon Jésus. Ainsi, par toi, jo sorai rassasiée dans l’éternollo liesse, lorsque apparaîtra la gloire do mon Jésus3. O Amour, stable, fort ot toujours victorieux, que ton industrio m'enseigne & aimer Jésus avec une invincible constance et à lo servir avec une inébranlable persévérance. Réveille-moi, secoue-moi, afin que je sois toujours prête quand mon Soigneur arrivera, à la première ou à la seconde veille*; ot quo jo no sois pas engourdie ni endormie, sous U motion ot ta conduite, j'entre dignement aux noces trouvée pleine de l’huile do la charité ·, pleine de l'incendie do l'amour, pleine do la lumière splendide des œuvres que produit une foi vive, afin que par toi je sois mise en posses­ sion des délices do la vio éternelle. Mon très doux Jésus, Époux très aimé, réveille maintenant on toi mon esprit assoupi; dans ta mort, ronds-moi uno vio vécue pour toi soul. Donno-moi uno existence qui réponde dignement au prix do ton sang. Donno-moi un esprit qui te goûte, un cœur qui le sente, une âme qui comprenne ta volonté, uno vertu qui accomplisse ton bon plaisir, la stabilité qui persévère avec toi. El, do grâce, à l'heure de cœur, afin que, par toi, je mérita de pénétrer sans aucun obstacle dans la chambre nuptiale de ton vivant amour joie de mon cœur. Amen. GERTRUDE D’HELFTA Ipso die1 quo celebras praedictam suppletionem, in meri­ die ora Dominum ut introducat te in viridarium sui divini 590 cordis, ut ibi laveris septies in Iordane meritorum vitae passionisquo suae : ut expurgata ab omni macula in die defunctionis tuae, tota pulchra2 introducaris in thalamum sui divini amoris. Eia lesu, vivens meus salutaris, de terra angelorum pul595 cher et praeclarus, heu, heu, in tenebris caecitatis’ versa­ tur anima mea creatura tibi dilecta. Eia, sis tu salus et illuminatio mea recta. Dilecte mi, per puras clarissimorum oculorum tuorum lacrymas, ablue omnes peccatorum ocu- 600 impedimento, mundo cordis oculo faciem tuam dulcissimam videam in sanctae Trinitatis speculo, quia tu solus es quem toto corde desidero. Eia submerge me citius in abyssum tuae fruitionis. Eia lesu amabilis spes mea, sponse fidelis et plenus 605 misericordia, qui nunquam spernis miserorum suspiria, heu, heu, proprio vitio obsurduit auris mea. Eia o pater misericordiarum *, in auditu auris tibi obediat vita mea. Dilecte mi, per dulcem tuarum benedictarum aurium pieta­ tem, ablue omnem peccantium aurium mearum iniquitatem, 610 ut in mortis hora non timeam ab auditione mala s, sed in tua vocatione dulcissima, auditui meo detur gaudium et laetitia’, quia tu solus es expectatio mea. Eia tolle me citius ad tua connubia. 615 cuius facies plena est omni amabilitate, et cor omni suavi- 1. Gertrude combine Dea. 13, 7 el (1. 5S0) II Rois S, 10 : doux textes dont Gertrude parle H souvent, soit sur le plan naturel, soit sur le plan EXERCICE VII. 588 -615 Le jour même 1 où tu célébreras cette réparation dont nous venons de parler, à midi, prie le Seigneur, de t’intro­ duire dans le jardin ombragé de son divin cœur, afin de te laver là sept fois dans le Jourdain des mérites de sa vie et de sa passion; ainsi purifiée de toute tache au jour de ta mort, toute belle *, tu seras introduite dans la chambre de son divin amour. afin qu'au tanne de ma vie, sans obstacle, avec l'œil purifié do mon cœur je voie ta face très douce, dans le miroir de la Sainte Trinité; car c'est toi seul que je désire de tout mon cœur. Do grâce, plonge-moi bien vite dans l'ablme de tes délices. De grâce, ô Jésus, mon aimable espérance, Époux fidèle et plein de miséricorde, toi qui ne méprises jamais les soupirs dos malheureux, hélas! hélas! par ma propre faute mon oreille est bouchée! De grâce, ô Père des misé­ ricordes4, fais que ma vie se passe à t’obéir, au moindre murmure, dès que mon oreille t’aura entendu. Mon bienaimé, par la douce piété de tes oreilles bénies, purifie toute l'iniquité de mes oreilles pécheresses, afin qu’à l'heure de ma mort, je no craigne pas d’entendre une parole de malheur °, mais qu’à ton très doux appel, mon oreille reçoive la joie ot l’allégresse °; car, tu es ma seule attente. De grâce, enlèvemoi au plus tôt pour tes noces. De grâce, ô éternelle douceur de mon âme, unique aimé de mon cœur, dont la face est remplie de toute amabilité OBKTRUDB D'HELFTA 620 i>25 630 635 640 , peregrinatur aba to. Eia o deus cordis mei, tu dispersio sanctissimorum cogitatuum Dilecte mi, per puram t insfixi cordis tui amorem. intentionem, ardentemq ablue omnem malarum ' tua amarissima, meum sit nosi cordis mei reatum : in morte umbraculum, et cor tuum ex amore ruptum meum perenno sit habitaculum, quia tu solus es mihi prae omni creatura dilectus. Eia, ne patiaris me diu elongari a te, dilecto cordis mei unice. Eia lesu, coelestis patris unigenite, pio ot misericors Domino, qui illios tuos adoptatos > nunquam relinquis desolatos, heu, heu, multum deliqui in lingua mea. Eia o gloria mea, tu reple os meum laude 1 tua. Dilecto mi, per vividam dulcium verborum benedicti oris tui potentiam, abstergo omnem polluti oris offensam : ut in tuae melli­ fluae pacis osculo, laeta transeam de hoc saeculo; quia os tuum mellifluum solum consolari potest mei cordis inti­ mum ·. Eia speciose amor, infige cordi meo tuae vivae dilectionis telum, ut exanimis cadam in tuae vitalis originis abyssum. Eia lesu, operator sapientissime, artifex praestantissime, qui tam laudabiliter reparasti opus manuum tuarum quod ego destruxi, heu, omnia opera mea imperfecta sunt, ct non ut lex tua. Eia o refugium meum ot virtus *, ex coopera­ tione vivi amoris ttti sanctificetur in te omnis operatio mea. Dilecte mi, per operum tuorum perfectionem, manuumque tuarum crucifixionem, ablue omnem impiarum manuum 645 hora, in praedulces amplexus tuos ruam sino mora, quia tu où Gertrude dit les hommes tils adoptifs de Jésus. HXBHC1CB VII. 616-64S perdre loin de toi. De grâce, ô Dieu de mon cœur, recueille en toi mon esprit dispersé. Mon bien-aimé, par la pure intention de tes très saintes pensées, par Fardent amour perverses ot do mon cœur criminel, afin que ta très amère Passion me soit un ombrage au moment do ma mort ot quo ton cœur brisé par l'amour devienne mon habitation éternelle; car soul tu os pour moi l’aimé au-dessus do toute créature. Do grâce, no souffre pas que je sois longtemps éloignée de toi, l’unique aimé de mon cœur. Do grâce, Jésus, Fils unique du Père céleste, Soigneur bon et miséricordieux, qui n’abandonnes jamais dans la désolation tes fils adoptifs1, hélas! hélas! j’ai beaucoup péché par ma langue. De grâce, ô toi qui es ma gloire, remplis ma bouche de ta louange1. Mon bien-aimé, par la de mon cœur1. Do grâce. Amour si beau, enfonce dans mon cœur un trait de ta vivante dilection, pour que je tombe inanimée dans l'ablme de vie dont tu es la source. De grâce, ô Jésus, ouvrier très sage, artiste très excellent, toi qui as su si bien réparer l’ouvrage de tes mains, que moi j'avais détruit, hélas I toutes mes œuvres sont imparfaites et non conformes ù la loi. De grâce, ô mon refuge ot ma force4, que par l’opération de ton vivant amour soient sancti­ fiées en toi toutes mes œuvres. O mon bien-aimé, par la perfection de tes œuvres, par la crucifixion de tes mains, lave toutes les offenses de mes mains impies, afin que libre de tout obstacle, à l’heure de ma mort, je mo précipite sans retard dans tes embrassements pleins de douceur; car us electus ex millibusJ. Eia in i merito, sed ex tua bonitate inge, amicabilis et desiderabilis, cuius via recta, et non custodivi mandata tua. Eia o chare dux meus, in tua voluntate dirige gressus meos. Dilecte mi, per dolorosam tuorum benedictorum pedum fatigationem, divinamque perforationem, ablue omnem peccantium pedum 655 meorum maculationem, ut per te, o fidele praesidium iti­ neris mei, laetabunda ingrediar locum tabernaculi admiraunicum meum, pro morem impellentem, 660 bililer post te currere. Eia lesu, deus magne, dulcis atque benigne, qui dare nescis nisi grandia. Eia deus vivens, cuius igneus influxus retrahit in suum sinum quidquid unquam ex te produxit, heu, heu, deperiit, exaruit et interiit omnis vita mea. Eia 0 665 deus vitae meae, in te revireat, refloreat, et in fructus dignos convalescat vita mea. Dilecte mi, per vitae tuae nobilem innocentiam, puramque sanctitatem, ablue omnem corrup· mecum, sed in tui amoris ignea vi tota asportetur tecum, ut 670 in mortis hora me in te feliciter inveniam, o vita mea vera, cum animae meae refugium. Eia, da mihi post te languere ex amore, mori ex desiderio, te laudare eum iubilo, et aeter675 Vespere quasi ad carpendum flores cum dilecto, ora pro benedictione et pro his virtutibus : EXERCICE VII. SIS - S% 905 tu es mon légitime Époux, choisi entre mille *. De grâce, ù cette heure extrême, non pas en raison de mes mérites, mais par ta bonté innée, reconnais-moi comme t'appar­ tenant en propre. De grâce, ô Jésus, dont la jeunesse est aimable, agréable et désirable, la société si noble et si souhaitable, je me suis, hélas 1 hélas! écartée do la voie droite; et je n’ai pas observé tes commandements. De grâce, ô mon cher guide, dirige efface toutes les taches de i toi, ô fidèle protecteur de dans le lieu du tabernacle e, j’entre joyeuse squ’à la demeure permette pas d’agir avec tiédeur ou négligence, mais me fasse courir infatigablement à ta suite. De grâce, ô Jésus, Dieu grand, doux et bon, qui ne sais donner que de grands bienfaits ; de grâce, ô Dieu vivant, dont la brûlante influence ramène en son sein tout ce qui est jamais sorti de toi, hélasl hélas! toute ma vie a dépéri, s’est fanée et s'est anéantie. De grâce, ô Dieu de ma vie, que ma vie en loi reverdisse, refleurisse et prenne la force de produire de dignes fruits. Mon bien-aimé, par la noble innocence de la vie, parta sainteté immaculée, lave toute la laideur de ma vie corrompue, afin que ma vie ne soit plus désormais avec moi, mais que dans l'ardeur brûlante de ton amour elle soit empor­ tée en toi tout entière, afin qu’à l’heure de ma mort, je me trouve avec bonheur en toi, ô ma vraie vie, car tu es mon bien suprême et souverainement aimé, et l'unique refuge de mon âme. De grâce, donne-moi de languir d’amour après toi, de mourir de désir, do to louer avec jubilation, et éternellement de me consumer dans l'incendie de ta charité. Amen. Le soir, comme pour cueillir des fleurs avec le bien-aimé, prie-le, pour obtenir sa bénédiction et les vertus suivantes : GERTRUDE D’HELFTA Benedicat mihi obsecro hodie, lesu chare, anima tua. Benedicat mihi imperialis divinitas tua. Benedicat mihi fructuosa humanitas tua in tanta efficacia, ut tua regalis 680 munificentia mihi relinquat tuae benedictionis signa tam evidentia, quatenus a me lota permutata, in te amore invincibili, inseparabiliter tibi adhaeream. Fac me in tuo timore perfectam1. Fac me tibi placitam in spiritus humi­ litate, in fraterna charitate, in casta simplicitate, in humili 685 verecundia, in cordis munditia, in sensuum custodia, in in spirituali disciplina, in voluntaria paupertate, in sancta lenitate, in morum maturitate, in spiritus hilaritate, et in omni veritate, in bona conscientia, in fidei constantia, in sancta 666 perseverantia, in spei fortitudine, in charitatis plenitudine, et in tuae dilectionis beata consummatione : ut cordis mei spinetum convertatur in omnium virtutum paradisum et totius perfectionis rubetum, tamquam ager omni pace, sanctitate et pietate plenus, cui benedixit dominus 695 Eia lesu praecordialiraime, tu semper ita sia mecum, ut cor meum maneat tecum et amor tuus individuo perseveret mecum, et sic a te meus benedicatur transitus : ut compede carnis absolutus, meus in te continuo requiescat spiritus. Arnen. Ilrrrekt·, se trouvent déjà indiqués précédemment; l’unité n’en apparaît EXERCICE VII, «Tl-tW Quo nio bénisse je l’en supplie, aujourd'hui, i cher Jésus, Ion Ame. Que me bénisse ton impériale divinité. Que me bénisse ton humanité si riche en fruits, avec une telle effi­ cacité, que ta royale munificence laisse en moi des signes si évidents de ta bénédiction, que totalement transformée de moi on loi par un amour invincible, j'adhère insépa­ rablement A toi. Rends-moi parfaite dans ton amour'. Rends-moi agréable à tes yeux dans l'humilité de l’esprit, la charité fraternelle, la chaste simplicité, l'humble modestie, la pureté du cœur, la garde dos sons, la sainteté de la vio, l'obéissance prompte, la douce patience, la discipline spiri­ tuelle, la pauvreté volontaire, la sainte mansuétude, la maturité dos mœurs, la galté do l'esprit, ot la vérité entière, la bonne conscience, la constance do la foi, la sainte persé­ vérance, la fermeté de l'espérance, la plénitude de la charité, et la bienheureuse consommation de la dilection; afin qu. le buisson épineux de mon cœur soit converti en un paradis comme le champ rempli de toute paix, sainteté et piété qu'a béni le Seigneur'. De grAce, Jésus, le bien-aimé do mon cœur, loi, reste toujours si bien avec moi, que mon cœur demeure avec toi, et que ton amour inséparablement persévère avec moi. Et ainsi que par toi soit béni mon passage. Alors dégagé de l'entrave de la chair, mon esprit en toi aussitôt ira reposer. Amen, TABLE DES MATIÈRES INTRODUCTION !La moniale d'Hellla............................... La vie.................. Le milieu.................................................. 7 S H î Lettres : 10. laisés ne Lvov Contre les hérésies. 111 : 33. Trois antiques rituels du Baptême : 50. Sur îa Pâque : 123. ’opuscules et Lettres : SI. — iVUl-UIV Institutions : 100. OsroSxn s j ] J A Théodore117. Lettre dhlxjl : 103. Homélies Mtr la Genèse : 7. Homilies sur l'Exodo : 16. Homélies sur les Nûmbros : SS. Extraits (CUmenl d'Alex.) : S3.