ŒUVRES SPIRITUELLES II SOURCES CHRÉTIENNES Directeurs-londalcurs : II. de Lubac, s. j., et J. Daniélou. s. j. Directeur : C. Mondèsert, s. j. N° 139 Série des Textes Monastiques d’Occident n° XXV GERTRUDE D’HELFTA ŒUVRES SPIRITUELLES TOME II LE HÉRAUT (Livres I et II) INTRODUCTION, TEXTE CRITIQUE, TRADUCTION ET NOTES PAR f Pierre DOYÈRE moine de ΓAbbaye Saint-Paul de Wisques LES ÉDITIONS DU CERF,29 bd de Latour-Maubourg, PARIS 1968 IMPRIMI POTEST Wirl, 1968 IMPRIMATUR die 28a augusti 196't Gerardus HUYGHE Episc. Atreb., Bolon. el Au DOMNAE ABBATISSAE MON1ALIBUS NECNON ET TIRUNCULIS BEATAE MARIAE DE WICIACO INTRODUCTION Chapitre Premier SAINTE GERTRUDE I. — Le Monastère d’Helfta Le monastère auquel, en 1261, à l’âge de cinq ans, fut confiée Gertrude avait été fondé par Burchard, comte de Mansfeld, et sa femme, Élisabeth de Schwarzbourg. Lee premières moniales vinrent, au nombre de sept, du monas­ tère de « sœurs grises » d’Halberstadt, et s’installèrent, à la Saint-Pierre 1229, près du château de Mansfeld. Dès 1234, elles se transférèrent à Rodarsdorf près d’Halberstadt; en 1258, la communauté dut aussi quitter ce lieu en raison de ses incommodités, notamment du manque d’eau, et vint se fixer à Helfta, situé à une lieue environ au sud-est de la petite ville d’Eisleben. L’installation, présidée par l’évêque d’Halberstadt, eut lieu le dimanche après la Trinité. C’est dans ce vallon paisible de Saxe que sainte Gertrude vécut et mourut. Dom Paquelin a décrit l’agrément du site : par une pente douce, couverte de champs fertiles, la vallée descend jus­ qu’aux rives riantes du lac de Seebourg. Les sources sont de débit faible mais régulier. Au siècle dernier, les arbres frui­ tiers, cerisiers et pruniers, y abondaient. La seconde moitié du xni« siècle est dans l’histoire poli­ tique des provinces allemandes une période sans éclat, 10 INTRODUCTION remplie surtout des querelles entre petits seigneurs féodaux, jaloux de leurs droits souverains et rétifs à tout sérieux effort d’unification : « une anarchie à forme monarchique, voilà, peut-être, le nom qui conviendrait », dit un historien1. Mais, par-delà ces misères — et peut-être en partie à cause d’elles — la vie spirituelle s’épanouit avec une extraordinaire ferveur. La vie monastique avait, au début du siècle, repris comme un nouvel élan sous l'impulsion cistercienne. La fondation de 1229 appartient indubitablement à ce mouvement. De ce fait faut-il conclure que le monastère ne compte pas à l’Ordre Bénédictin? C’est une question mal posée. Il n’y a pas à parler ici d’ « Ordre » bénédictin pour l'opposer à l’Ordre cistercien : les monastères de femmes n’ont jamais — et moins encore que les monastères d’hommes — formé d’Ordre bénédictin proprement dit. Les moniales venues du château de Mansfeld sont des filles de saint Benoit qui entendent être des « sœurs grises », c’est-à-dire adopter la discipline cistercienne, mais, à vrai dire, librement : elles ne relèvent pas de la juridiction de Citeaux, n’ayant bénéficié d'aucune exception aux prescriptions du Chapitre général de I228 qui interdit à Citeaux de fonder de nouveaux monas­ tères de femmes ou d’assumer leur direction. Helfta garde ainsi une sorte d’autonomie, qui est bien dans 1’esprit de particularisme auquel il est fait allusion plus haut à propos de l’état politique. Cette autonomie explique que le monas­ tère ait conservé, à côté de l’observance cistercienne, certains usages propres et que, plus tard, au xv® siècle, lorsque l’influence cistercienne aura fléchi, il ait aussi facilement renoncé au caractère de « sœurs grises » pour ne plus se réclamer que de saint Benoit. Mais il n’en est pas moins certain qu’au temps de sainte Gertrude, la discipline et la spiritualité sont, à Helfta, d’inspiration cistercienne. Encore, certaines réflexions de sainte Gertrude montrent-elles que, 1. Pierre Gaxotte, Histoire de ΓAllemagne (Paris, 1963), ch. vin, p. 269. SAINTE GERTRUDE 11 si saint Bernard est le maître de certaines âmes plus orien­ tées vers la vie mystique, toutes les moniales ne l’accueil­ lent pas avec le même enthousiasme (III, 50) Pour l’essentiel, c’est-à-dire le don de soi à la prière, à la recherche de Dieu et à la vie commune, les cloîtres du xme siècle présentaient certainement une physionomie très semblable à celle que nous connaissons au xxe siècle; car les âmes les plus ferventes de l’un et de l’autre temps s’accordent au même idéal. Mais il faut tenir compte, pour imaginer les conditions de vie à Helfta, des différences de mœurs et de civilisations. On voit, par exemple, les usages de la vie féodale fournir ici maints traits aux allégories spiri­ tuelles : le droit seigneurial, la vassalité, les services de cour, les nobles vêtements aux vives couleurs, les parures et les bijoux étincelants, les fêtes, la chasse, l’héraldique, les trou­ vères. L’âge d’or du Minnesang est passé, mais des traces de l’influence de l’amour courtois sur le lyrisme et le style des auteurs spirituels demeurent visibles dans le Héraut et, plus encore peut-être, dans le Livre, de la grâce spéciale. L’histoire extérieure du monastère ne peut être retracée avec précision. Comme il a été dit plus haut, les temps sont troublés; les querelles entre seigneurs voisins donnent lieu à toutes sortes de vexations dont le monastère a sa part; il est exposé plusieurs fois aux passages des troupes, subit en 1284 un pillage par les soldats de Gérard de Mansfeld — et vers 1295, sede episcopali vacante, les chanoines, abusant, pour des questions d’intérêt, de leur pouvoir spirituel, lancent un intempestif interdit. Le temporel de la maison est géré par des agents laïcs au service du monastère et semble, à certaines époques, leur avoir donné de gros soucis (III, 68). Gertrude fait allusion (III, 64) à un projet de fondation par les moniales d’Helfta, mais rien ne permet de préciser 1. Les références données dorénavant sans titre d'ouvrage concernent les présentes Révélation», le chiffre romain indiquant le Livre, le chiffre arabe, Je chapitre, d’après la numérotation de la présente édition, pour les livres I Λ III, et la numérotation de Paquelin, pour les livres IV et V. 12 INTRODUCTION s’il y a été donné suite; l’incident semble se situer à une époque où Gertrude est déjà une malade, vraisemblablement entre 1290 et 1300. Les études et le travail intellectuel sont en honneur à Helfta. Les mieux qualifiées des moniales s’emploient à des travaux de copie ou d’enluminure, tant pour l'usage du monastère que pour la vente. Gertrude travaille dans cet atelier, c’est une intellectuelle adonnée à l’étude; elle com­ pose de petits traités de piété. .Mais aussi, comme les autres femmes, elle fait de la couture, file au rouet et, occasionnelle­ ment, avec tout le convent·, participe aux travaux des champs et du jardin. La prière liturgique de l’OIfice est la première fonction des moniales. Un soin attentif est donné au chant, au céré­ monial : pendant l'office, la cérémoniaire circule au besoin dans le chœur pour prévenir ou signaler les négligences. 11 s’y ajoute des prières surérogatoires conventuelles ou privées : psautier pour les défunts par exemple ou, à l’occa­ sion de circonstances exceptionnelles, suffrages pour les parents. Nous dirons plus loin le rôle de ce que nous appelons aujourd’hui l'oraison mentale dans la vie de prière d’une moniale médiévale. Cette vie comporte aussi des exercices de dévotion privée dont la forme parfois nous étonne, telles les longues répétitions d’une même formule, d’un même geste do pieté. La coutume existe de prier les bras en croix. La lecture du Héraut nous fait connaître certaines dates liturgiques, comme l’anniversaire de la dédicace de l’église, en la fête de saint Laurent (III, 17). Il y a deux messes par jour; la communion est générale le Vendredi Saint. Incidemment, quelques traits du cérémonial sont indiqués, la station dans le cloître avant le repas, le chapitre des coulpes, la communion aux malades, mais aussi certaines imperfections de la vie commune, comme les petits heurts entre voisines de chœur, les difficultés do l’infirmière, les erreurs de diagnostic, les petites ruses des malades, et si, conformément à la Règle, les visites à celles-ci sont en SAINTE GERTRUDE 13 honneur, il s’y glisse parfois un peu d’abus (V, 23). Les mourantes sont l’objet d’attentions particulières; on inter­ rompt l’office pour assister l’agonisante à son dernier sou­ pir (V, 4). Auprès de l’abbesse qui vient d’expirer, Gertrude, deuxième chantre, entonne le répons Surge Virgo; l’usage existe aussi de chanter le Regnum mundi aux funérailles. Dans les monastères nobles de la période féodale, l’élec­ tion abbatiale mettait en cause, et souvent en conflit, bien des intérêts seigneuriaux et politiques. La vie de sainte Gertrude se déroula pour la plus grande partie sous le gou­ vernement do Gertrude de Hackeborn, deuxième Abbesse, en charge dès 1251, et morte en 1291. C’était une femme de haute valeur, que ses filles tenaient en grande estime et en affectueuse vénération. La sainte lui survécut dix ans; elle connut le gouvernement d’une autre Abbesse, Sophie de Mansfeld qui, malade, se retira en 1298. Sainte Gertrude mourut pendant l’interrègne suivant qui dura cinq ans. En 1342, Albert de Brunswick envahit le comté de Mans­ feld et mit tout le pays à feu et à sang. Le monastère fut détruit. La communauté se réinstalla à Eisleben en 1346, sous le nom de Novum-Helfta. En 1525, ce monastère fut, à son tour, pillé par les luthériens et la communauté s’étei­ gnit définitivement en 1546. A travers tant de vicissitudes, elle avait donc vécu un peu plus de trois siècles. IL — Esquisse biographique et portrait Nous n’avons pas d'autres sources de la vie de sainte Gertrude que les écrits eux-mêmes, mais les renseignements qu’on y peut glaner permettent une esquisse assez précise d'une vie qui ne semble pas avoir connu d’événements notables autres que les grâces mystiques. Née le 6 janvier 1256, en la fête de l’Épiphanie, elle fut, t'l INTRODUCTION à l’âge de cinq ans, confiée au monastère d’Helfta. L’oblature des fillettes n’était pas rare au Moyen Age, et, au monastère d’Helfta, le cas de Gertrude n’est pas exceptionnel. Gertrude et ses petites compagnes furent sans doute élevées par une sœur de l’Abbesse : Mechtilde de Hackeborn, entrée au cloitre à l’âge de sept ans et qui en avait vingt en 1261. Douée d’une jolie voix, elle exerçait la charge de Grande Chantre. Ce fut une moniale d’observance régulière et une âme fervente, qui connut, elle aussi, les consolations et les révélations mystiques. Son intimité spirituelle avec Gertrude fut très grande et leurs deux noms sont inséparables. Il n’y a chez sainte Gertrude aucune précocité mystique. A six ans, elle n’est qu’une enfant gracieuse, très douée, de tempérament vif et d’intelligence pénétrante, ayant la parole facile et s'attirant presque irrésistiblement l’affection de tous. Comme il a été dit plus haut, la culture littéraire et théologique était en honneur à Helfta et Gertrude s’adonna toute sa jeunesse avec passion aux études. Ce n’est qu’à l’âge de vingt-cinq ans que se produisit la « conversion », c’est-à-dire la découverte des réalités mystiques; la vision initiatrice eut lieu le soir du 27 janvier 1281. Elle répondit à cette grâce avec une magnifique générosité. Elle trouvait d’ailleurs des confidentes. A plusieurs reprises, dans les écrits, il est fait allusion à un petit groupe de moniales que rapprochent plus intimement leurs grâces mystiques d’orai­ son; à ce groupe appartient, en tout premier lieu, sainte Mechtilde de Hackeborn, puis une autre moniale à laquelle, comme il est dit plus loin, semble bien dû le rassemblement des écrits et souvenirs de la sainte dans les livres III à V, et la rédaction du livre I. Il faut signaler en outre la présence à Helfta d’une autre Mechtilde, qui, après avoir mené une vie de béguine à Magdebourg, était venue, déjà âgée de plus de soixante ans, se réfu­ gier à l’Abbaye, vers 1270. Elle y vécut encore douze ans parmi les moniales, sans l’être elle-même. Les Dominicains, sans doute, qui dirigeaient pareillement la pieuse béguine SAINTE GERTRUDE 15 et les religieuses d’Helfta, avaient négocié cette entrée. Mechtilde do Magdebourg avait commencé depuis vingt ans la rédaction du récit de ses visions; le livre, écrit en allemand sous le titre de « Das (liessende Licht der Gotlheit », fut terminé à Helfta. 11 est certain que sainte Gertrude a connu cette œuvre, mais il ne semble pas que l'influence en ait été très profonde; l’orientation spirituelle était différente. En tout cas, il ne put y avoir beaucoup d’intimité entre la jeune moniale et la vieille béguine, de cinquante ans son aînée, et qui meurt au moment même où commence la vie mystique de Gertrude. Notre sainte fut accablée de maladies qui la privaient fréquemment, à son grand déplaisir, de l’assistance aux offices liturgiques et la tenaient éloignée des charges : en dehors de ses travaux de copiste au scriptorium, elle parait n’avoir exercé que la fonction de seconde chantre aux côtés de sainte Mechtilde. Quels étaient ses maux physiques? Une allusion est faite quelque part à une maladie de foie, mais il semble bien n’y avoir là qu’un accident s’ajoutant à d’autres causes habituelles de débilité. Elle voit mourir Mechtilde à cinquante-sept ans, en 1298, et meurt· elle-même, âgée seule­ ment de quarante-cinq ans, le 17 novembre 1301 (ou 1302). Il n’est plus besoin de s’attarder aujourd’hui à démontrer que sainte Gertrude n’a jamais été abbesse. Dom Arnold Wion, auteur de notices peu sûres sur les personnages remarquables de l’ordre bénédictin *, a répandu, à la fin du xvie siècle, cette erreur, par confusion avec Gertrude de Hackeborn, née de parents nobles à Eisleben, vers 1220. L’erreur, dont le premier responsable est probablement Marc de Weida en 1503, a fait loi pendant près de trois siècles. Il a fallu attendre la fin du xix« siècle pour rétablir 1. Lignum Vilac, Venise 1595. Dom Arnold Wion, né à Douai en 1554, entra d'abord au monastère d’Oudenbourg en Flandre. Il le quitta lors des troubles des Pays-Bas et se réfugia en Italie. Il fit profession en 1577 dans la Congrégation du Mont-Cassin et mourut dans les premières années du xvn· sièdo. 16 INTRODUCTION la vérité et ce n’est que depuis l’édition de 1953 que le bréviaire monastique a renoncé à la « légende ». Dans la préface de sa nouvelle édition latine des Révélations, en 1875, D. Paquelin montrait comment avait été altéré un texte du livre V, dont la leçon manuscrite prouve bien que notre Gertrude était distincte de son abbesse Gertrude. Dans les mêmes années, l’erreur était pareillement dénoncée par Praeger, dans deux ouvrages de 1873 et de 1874 L Rien n’est connu, en fait, de la famille de Gertrude, ni do sa patrie ni des conditions de son arrivée à Helfta. On est surpris du silence des chroniques du monastère, alors qu’elles ne taisent pas les noms et origines des filles nobles : Mansfeld, Ilackeborn, Wipra, etc... En ce qui concerne Gertrude, il est dit simplement, en une formule un peu trop convention­ nelle, qu’à cinq ans Dieu l’avait retirée du monde, la choisis­ sant pour le cloître, à peine sevrée. D’autres passages des Révélations trahissent une ignorance ou un parti pris de silence. Il faut renoncer à percer ce mystère. D’ailleurs, s’il y a énigme, est-il sùr que toutes les moniales et la petite abandonnée elle-même en aient connu le secret? L’auteur du livre 1 l’a composé, avant tout, pour témoi­ gner de la sainteté de Gertrude, c’est-à-dire du triomphe de la grâce dans Paine a devenue un même esprit avec Dieu « (I, 16). Dans toutes les hagiographies du Moyen Age, le critère de cette appartenance exceptionnelle au divin est la puissance thaumaturgique. Mais il serait injuste de prétendre que l’étalage du merveilleux est le seul souci des hagiographes médiévaux. Une lecture un peu attentive des meilleurs récits révèle une place faite à l’éclat de la sagesse et des vertus, à ce que nous appelons l’« héroïcité ». t. Dante's Matelda (1873); Geschichle der dcutschen MÿÀik in MiUelr alter 1 (1874). Dans VAÜgemeine Deutsche biographie, vol. 9, Praeger semble faire un grief à Paquelin de ne pas l’avoir nommé dans sa démons­ tration. Les travaux dos deux érudits sont contemporains. Lors de son voyage on Allemagne, Paquelin a connu, sinon les œuvres imprimées, du moins les recherches de Praeger, dont il parle d’ailleurs avec éloge dans la Préface aux Révélations de sainte Mechtilde. SAINTE GERTRUDE 17 Le témoignage des vertus occupe ici les chapitres 5 à 12 du livre I et l’auteur fait preuve d’une perspicacité psycho­ logique qui lui permet d’échapper, dans une certaine mesure, à la banalité du lieu commun et d’esquisser de la sainte qu’elle a connue et aimée, non pas une silhouette de conven­ tion, dans le hiératisme d’un vitrail, mais une physionomie très personnelle. D’autres passages du Héraut aident à compléter le portrait. Sans doute, les souvenirs s’étendent sur toute une vie et bien des traits ont dû changer avec les années et les maladies. Il faut renoncer à connaître cette évolution, dont l’épilogue du livre I laisse soupçonner la qualité. Ce qui se détache, ce sont des données permanentes et leur expression à des moments plus particuliers de la vie spirituelle. Car le portrait reste avant tout un portrait spirituel; il est impossible d’analyser l’apport de la nature et l’œuvre de la grâce : c’est à travers l’éclat que leur donne la sainteté elle-même que se dessinent les traits du tempérament naturel que Dieu a doté d’un ensemble de qualités qui sont déjà un des secrets de son influence. La femme a tenu les promesses de la brillante fillette qui séduisait tons ceux qui l'approchaient. La formation litté­ raire et théologique a épanoui son intelligence profonde et vive; son éloquence persuasive, toujours prête à répandre les richesses de son esprit et de sa prière, lui donne un ascen­ dant qu’elle aimo à exercer. Elle avoue, à la fin de sa vie, éprouver quelque mélancolie du fléchissement que la maladie impose à ce don. Plus tard, une sainte Thérèse d’Avila, jeune fille, montrera le même don et le même goût de l’autorité morale. Mais il faut bien comprendre la pureté d’intention et l’humilité qui animent ce zèle. 11 n’y a pas dans cet ascen­ dant la moindre recherche d’une gloire personnelle, le moindre désir de s’attacher l’affection et l’estime d’autrui. Le dessein est tout entier de gagner les âmes au Seigneur par la fidélité à leur faire connaître la grandeur de son amour, dont témoignent les grâces reçues, grâces que, dans IS INTRODUCTION son humilité, elle estime destinées, à travers elle, au salut de l'univers entier. Plus l’union mystique est étroite, plus spontanément encore réalise-t-ello 1’harmonieux accord entre l’oubli de soi et l’audacieuse confiance que, par elle, par ses conseils, par ses jugements, le Seigneur éclaire et conduit lui-même les âmes. Elle n’y apporte aucun pédan­ tisme, mais une simplicité sans affectation et cette « liberté du cœur » qu’il faut tenir pour la vertu clef de sa perfection (I, 11). La liberté est la qualité de l’àme qui se dirige vers sa fin sans s’attarder à quoi que ce soit qui puisse faire obstacle à son élan. Cette liberté fait la pureté de sa totale appartenance, elle épanouit la droiture et l’énergie du tem­ pérament, tourné vers l’absolu plutôt que vers les compro­ mis. Elle est servie par une clairvoyance allant directement à l’essentiel et sachant faire prévaloir l’esprit sur la lettre. On en a un exemple dans son attitude à l’égard de la commu­ nion : trop de scrupule tient souvent l’une ou l’autre de ses compagnes éloignée de l’Eucharistie; elle n'hésite pas â les mettre à l’aise, prêchant la confiance et rappelant qu’aucune préparation ne peut rendre digne du sacrement : l’effort humain devant le don divin n’a même pas l’importance d’une goutte d’eau au regard de l’Océan. C’est aussi la liberté du cœur qui fait à la fois, en matière de pauvreté, la simpli­ cité dans l’usage des biens et la rigueur à s’en dépouiller ou l’attention de la conscience devant la perte de quelques brins de laine au rouet (III, 32). Sous Je signe de la liberté du cœur, il faut pareillement comprendre le christocentrisme de son apostolat auprès des âmes. Il s’agit, pour elle, non pas tant de répondre à un besoin compatissant de donner aux hommes le salut et le bonheur que de satisfaire le désir qu’a le Christ de se complaire à demeurer dans toutes les âmes (IV, 21). Ce ne serait rien comprendre à la vie des grands mystiques que de penser que cette exclusivité du regard vers Dieu conduit à l’indifférence à l'égard des âmes elles-mêmes. 11 y a, à Helfta, un climat fraternel d’une grande délicatesse. SAINTE GERTRUDE 19 Quelles que soient son expérience et ses grâces de solitude, il n’y a pas trace, chez sainte Gertrude, d’une vocation érémitique proprement dite. Comme chez S. Bernard, l’aposto­ lat spirituel s’insère dans sa vocation mystique et elle est, en cela, servie par sa sociabilité naturelle. Aussi, non seulement elle se donne à ce petit groupe choisi dont il a été question plus haut, mais, très spontanément, elle entretient sans cesse son Seigneur de ses sœurs et du convent et, même, le livre 111 (2® partie) nous la montre attentive à tous ceux, religieux, prêtres ou laïcs, qui recourent à sa prière. Pour toutes ces âmes, et spécialement pour les âmes consacrées, elle est ambitieuse : c’est vers les sommets qu'elle veut les guider. La médiocrité et la nonchalance lui font horreur; elle sup­ porte mal qu’on se dérobe devant l’intransigeance de la Vérité et de l’Amour. Si certaines de ses paroles paraissent sévères, c’est souvent parce que ceux auxquels elle s’adresse ne comprennent pas quel zèle de pureté les inspire (III, 62). Ce zèle, qui ne fait pas acception des personnes (I, 11), n’exclut nullement les nuances dont une sensibilité féminine très éveillée est capable en approchant la diversité des êtres vivants et de leurs destins et en compatissant à leurs fai­ blesses. La deuxième partie du livre III est, à cet égard, très caractéristique. Elle détaille maintes révélations sur de nombreuses personnes liées par la prière à Gertrude : loin de ressortir au même lieu commun, ces observations ont chacune leur accent adapté au cas particulier. Sans doute, certains de ces cas sont des dernières années et on peut supposer chez la sainte un progrès de cette vertu de discrétion, au sens étymologique, c’est-à-dire de l’équilibre du jugement, du réalisme, qui, sans rien renier de l'idéal, sait que celui-ci ne s’impose pas, ne se propose pas avec les mêmes exigences à la moniale contemplative, apte à l’orai­ son, ou aux malades diminuées par les souffrances, au frère convers assidu aux longues tâches manuelles (III, 17), au pénitent soucieux d’ascèse, même au gérant laïc, accablé du poids des affaires temporelles (111, 68). 20 INTRODUCTION Ce qui est constant, dans les attitudes diverses de ce zèle, comme, d’ailleurs, dans les grâces successives de sa prière,} c’est l’ardeur de l'amour. Nous ne nous y arrêtons, pour le moment, que par référence aux dispositions affectives, dont les manifestations n’ont pas laissé d’être souvent interpré­ tées bien à faux. Des lecteurs superficiels ne voient en sainte Gertrude qu’une petite nonne gracieuse, aux dévotions attentives, pleine de délicatesses féminines, gentiment agréées du Seigneur; d’aucuns iront même, comme William James, jusqu'à dédaigner ses écrits en n’y voyant que a caresses enfantines, compliments naïfs et absurdes, puériles tendres­ ses ». C’est un contresens. Dès qu’on la connaît mieux, elle découvre, derrière cette grâce de jeunesse et de charme, la solidité du savoir théologique, la droiture du jugement, la plénitude do la pensée et de la foi, qui font d’elle un guide à la fois très humble et très sûr. On arrive à se demander si, malgré les apparences, cet équilibre ne l’emporte pas sur la sensibilité. Un Olier l’avait bien compris, lorsqu'il conseil­ lait à une pénitente de poursuivre sa lecture, a nonobstant le petit dégoût que vous y ressentez ». Lanspergius, pareille­ ment conscient de ce qu’un premier contact peut, pour certains lecteurs, avoir de rebutant, demandait qu’on abor­ dât ce livre d’un cœur pur et droit, c’est-à-dire sans esprit de recherche curieuse; plein du désir des choses saintes, on y découvrira — comme une manne cachée — la vie secrète, source «l’une joie ineffable. Une certaine vivacité d’humeur la portant, par exemple, à des impatiences de malade envers ses infirmières marquait le tempérament de la sainte. A qui s’étonnerait que la conduite des saints ne soit pas d’emblée et toujours sainte, il faut répondre, avec l'auteur du livre I, que Dieu permet, dans une âme qu’il comble de grâces, la persistance de défauts pour que cette âme, prenant, conscience directe par eux de sa misère, ne puisse en aucune façon se glorifier de la beauté qui lui vient, des dons et n'en ait que plus de gratitude pour le Dieu qui appelle un tel néant à la grandeur de l’union. SAINTE GERTRUDE 21 III. — Les écrits L’activité intellectuelle de sainte Gertrude fut considé­ rable. Non seulement elle travaillait comme copiste de manuscrits, mais aussi, au cours de ses nombreuses lectures, elle aimait à copier les meilleurs passages, à conserver un choix de belles sentences, de belles prières où alimenter sa piété et celle des autres. Cette pratique des cloîtres n’est pas exclusivement médiévale. Dans la « Devotio Moderna », on connaît ces recueils de pieux larcins, rapiaria, et la tra­ dition ne s’en perd pas dans les siècles suivants. 1. Elle composait aussi. Elle écrivit, tant en allemand qu’en latin, de petits traités scripturaires, théologiques ou spirituels. Tout cela est perdu. En matière de piété, cependant, nous ont été conservés les Exercitia Spiri­ tualia*. Il est possible, d’autre part, que les Révélations aient aussi recueilli quelques fragments de l’un ou l’autre petit traité. 2. Les Révélations de sainte Mechtilde comptent, d’une certaine manière, parmi les écrits gertrudiens. En effet, sainte Mechtilde avait· gardé le secret de sa vie mystique jusque vers l’àge de cinquante ans; il semble bien que ce soit sainte Gertrude qui l’ait entraînée alors aux confidences et ait entrepris avec une autre moniale, après 1290 probable­ ment, de rédiger cos révélations : c’est le Liber specialis gratiae (Livre de la grâce spéciale). Comme cet ouvrage, tout· en gardant évidemment le reflet de la pensée de sainte Gertrude, ne fait pas mention d’elle, il a pu se répandre et faire connaître Mechtilde sans que le nom et la personne de Gertrude sortissent do l’ombre. 3. Mais l’écrit capital concernant sainte Gertrude est le 1. La dernière édition, par les moines de Solesmes, a paru dans la pré­ sente collodion (n° 127). 22 INTRODUCTION livre de ses propres révélations. Au titre de Insinuatione* divinae pietatis, adopté par le premier éditeur latin au xvic siècle, les éditeurs modernes préfèrent souvent celui de Legatus divinae pietatis, qui est celui du manuscrit suivi par l’édition critique de Dom Paquelin 1 : il est d’ailleurs; indiqué par la sainte elle-même qui entendait signifier que; son petit livre se présentait comme l’envoyé, le légat, le héraut d’un monarque, revêtu d’une délégation de sa puis­ sance et porteur des plus précieux dons, mais s’effaçant· dès la venue du Maître, qui est ici le Seigneur de divine tendresse. L’ouvrage comporte cinq livres, et les prologues de! chacun de ces livres nous renseignent d’une façon très·] précise sur la manière dont s’est faite la composition. L’œuvre ] primitive et centrale est le livre II, rédigé par sainte Ger­ trude elle-même. C’est le récit de ses grandes grâces mysti­ ques à partir de la « conversion » du 27 janvier 1281. La] rédaction en a été commencée en avril 1289, puis inter­ rompue, reprise en octobre et achevée assez rapidement ! sans doute 12. Les livres III, IV, V ont été rédigés par une autre moniale, confidente de la sainte, et du vivant de celle-ci, du moins pour la plus grande partie. La rédactrice précise que ce I travail fut achevé vingt ans après la grâce reçue, c’est-à-1 dire sans doute à peu près à la mort de sainte Gertrude. 1 Le livre Ill est fait de confidences disparates, la plupart] sans doute assez fidèlement reproduites, peut-être même I dictées par la sainte. Cependant, Gertrude était, dans ses I dernières années, assez souvent malade et on peut présumer I que la confidente, encouragée d’ailleurs par ses supérieures, I a eu une part assez grande dans la rédaction même. Les I soixante-cinq premiers chapitres, soit les trois quarts du 1 1. Ce titre est adopté déjà par le premier éditeur allemand, en 1506 : I der Uotschaft. 2. Cf. Appendice II : Hèdaetion du livre 11 (dans le tome III). SAINTE GERTRUDE 23 livre, en constituent le noyau, à quoi ont été ajoutées quel­ ques révélations ne concernant pas la vie personnelle de Gertrude, mais d'autres personnes pour lesquelles elle priait. Les révélations du livre IV suivent l'ordre liturgique des fêtes depuis PA vent jusqu’à la sainte Catherine et la Dédi­ cace. Peut-être, comme le laisse entendre le Prologue, sontelles les confidences de lumières reçues, alors que la sainte, malade, ne pouvait assister aux offices, mais n’en vivait pas moins sa prière dans les mystères mêmes que célébrait la liturgie. Malgré leur intérêt, ces deux livres III et IV, sept fois plus volumineux que le précédent, sont loin de le valoir. Ils rassemblent des témoignages disparates s’étendant sur les dix dernières années. Certains passages ont valeur d’appendices voulus au livre 11 ; mais d’autres ont un carac­ tère plus spécialisé : méditations de circonstance, prière gardant l’accent d’une fête, conseils s’adaptant à des besoins passagers, simples réflexions de détail ou même •i boutades » spirituelles. C’est une collection où il est, en trop d’endroits, difficile de discerner avec sûreté ce qui est de Gertrude ou de ses secrétaires, pieusement fidèles à tout recueillir avec la mêiqe admiration et dans un même relief, il faudrait bien se garder de lire ces pages tout d’une traite et d’y chercher l’ordonnance d’une composition systéma­ tique. Encore une fois, ce sont des fragments et la lecture aussi doit être fragmentaire : chaque morceau doit être replacé dans le rythme et le rayonnement de la vie, à la fois lumineuse et menue, du cloître. Enfin les chapitres du livre V ont le caractère de notices nécrologiques, exprimant, dit le Prologue, « une partie de ce que le Seigneur lui a dévoilé sur les mérites des âmes de plusieurs défunts ». Ce travail de compilation achevé, le livre I a été composé en éloge de sainte Gertrude et pour faire connaître les témoignages de sa sainteté, et il constitue comme une INTRODUCTION sorte de Prima Vila. Il est précédé d'un prologue présentant tout l’ouvrage *. Dom Mège s’est demandé si l’auteur de ce livre I n’était pas un confesseur de sainte Gertrude. Mais tous les indices de critique interne sont en faveur d’une moniale d’Helfta 12, ayant vécu dans l’intimité de la sainte et appartenant à ce petit groupe fervent dont il a été parlé plus haut. C’est vraisemblablement celle-là même qui a été la confidente et compilatrice des livres III à V. On pense à une Mechtildo de Wipra, maîtresse des études sous Gertrude de Hackeborn et toute désignée pour mener intelligemment cette présentation littéraire et mystique. Mais c’est une simple conjecture. Quoi qu’il en soit, cette moniale se révèle excel­ lente hagiographe, d’une haute valeur intellectuelle et mys­ tique et aussi cultivée que sainte Gertrude elle-même. Elle le montre bien dans le choix des citations marginales dont nous parlerons plus loin. 11 est manifeste que la moniale, dans sa compilation, a reproduit et utilisé dos fragments rédigés par d’autres personnes, fidèles au souvenir de la sainte. Il n’est pas impossible, par exemple, que, dans certains des derniers chapitres du livre III concernant des personnes de l’exté­ rieur : laïcs, prêtres, religieux..., soit intervenu l’un ou l’antre de ceux-ci. Vraisemblablement, quelques témoignages étaient même rédigés en allemand. 6. Les manuscrits complets et les éditions du Héraut (cf. infra) donnent, en un écrit distinct des cinq livres euxmêmes, un assez long morceau intitulé « Missa quam Domi­ nus Jesus Christus personaliter decantavit in coelo cuidam 1. Paquelin s’est étouné, à juste litre, que certains éditeurs (Castaftita, Canteleu, Mège) et les traducteurs qui en dépendent n'aient pas reproduit ce prologue, le croyant tardif ot d’une autre main. Or, il figuro dans nos cinq manuscrits et il y est fait allusion au livre 111, ch. 64, co qui prouve bien son caractère primitif. 2. A noter, entre autres. !o me audiente du ch. 13. Seule, une moniale peut, affirmer cette présence à un travail conventuel. SAINTE GERTRUDE 25 virgini adhuc existent! in corpore nomine Trutta ». Nous nous réservons de reprendre, dans l’introduction aux livres IV et V, les problèmes que pose cette Missa devola, notamment celui des rapports avec la « Missa sancti Joannis Baptistae » de Mechtildo de Magdebourg, dans le Lux divi­ nitatis (11,5). Ce thème d’une messe célébrée par le Seigneur pour Gertrude alitée est déjà ébauché au livre III. chapi­ tre 8. IV. — Le style Le Héraut est donc une œuvre composite : si le livre 11 est écrit par la sainte elle-même, le livre I est entièrement l’œuvre de son biographe et, dans le reste de l’ouvrage (III, IV, V), sont rassemblés des souvenirs où il est difficile de distinguer ce qui a pu être directement écrit ou dicté par la sainte et ce qui est consigné par les confidentes et la cornpilatrice. Bien que le caractère du style se ressente de cette diversité de rédaction, il est impossible de pousser l’analyse très loin et les réflexions qui peuvent être faites doivent s’en tenir à un jugement d’ensemble atteignant un « style d’IIelita », où l’on peut cependant admettre une influence prédominante de Gertrude et qu’on retrouve dans le Livre de la Grâce spéciale. Ce style ne doit pas être jugé par référence aux normes du latin des temps classiques ou des humanistes de la Renais­ sance; le latin médiéval est autre. Sans doute peut-il sur­ prendre à première lecture, disons même irriter, par certains défauts. La phrase, qui se ressent ici du génie allemand, est souvent tourmentée, sinueuse, surchargée d’épithètes et de superlatifs; son lyrisme paraît enclin aux effusions affec­ tives et tombe parfois, sinon dans la mièvrerie, du moins dans une préciosité qui nuit à la clarté. Il est possible qu’il 2û INTRODUCTION y ait là, comme il est dit plus haut, une influence attardée du Minnesang. Ceci admis, il reste que le style gertrudien, s’il n’a pas la qualité qu’on trouve chez saint Bernard, atteint cependant une excellence peu commune chez les écrivains de ce temps. Parfois assez a étudiée », la syntaxe doit peutêtre plus qu'il n’y paraît à la rhétorique et, dans certains passages plus soigneusement composés, le lecteur et le tra­ ducteur doivent y être attentifs pour ne pas laisser échapper bien des nuances. Dans le déroulement de la phrase, aux incises parfois si enchevêtrées, on doit reconnaître que cet apparent effort a sa valeur propre d’expression et contribue à faire mieux apparaître, au tenue, la ferme et pure simpli­ cité de la pensée. L’abondance des superlatifs ne vient pas d’un besoin naïf de tout magnifier; ils sont employés avec précision pour exprimer une qualité d’infini et de transcendance. Il ne faut pas non plus se méprendre sur la tonalité affective. Elle traduit certes la présence d’une sensibilité délicate et spon­ tanée, ce qui ne veut pas dire fantaisiste, car il y a une volonté constante, non pas tant de contrarier ou d’étouffer cette sensibilité, mais plutôt de l’ordonner, et elle demeure ainsi, elle aussi, un mode nécessaire d’expression de la vie la plus profonde. Le recours voulu et constant aux références scripturaires et liturgiques apparente le style gertrudien au style de saint Bernard qui, d’ailleurs, n’est qu’un cas plus caractérisé du style des écrivains monastiques. L’origine liturgique est dominante : beaucoup do textes scripturaires viennent de l’oflïce, les expressions empruntées aux psaumes sont abondantes, ainsi que celles qui ne viennent pas de l’Écriture, mais de pièces liturgiques, telles que séquences, répons, antiennes, hymnes... Ces références sont de types divers. Il y a des citations formelles, des réminiscences évidentes, des emprunts accommodatices, des allusions vagues, même de simples rencontres de mots suggérant un rapprochement de circonstances qui n’est pas autrement avoué. On n’a peut- SAINTE GERTRUDE 27 être pas assez remarqué qu’un tel style suppose que le latin est bien la langue originale de ces écrits. Une étude avertie du vocabulaire conduit à constater combien do mots-clefs de cette langue spirituelle se sont édulcorés et émoussés de nos jours par l’emploi qu’en a fait toute une littérature pieuse de moindre qualité. Il faut les penser à nouveau dans leur densité d’alors pour leur rendre, bien au delà de l’apparente sentimentalité, leur portée doc­ trinale. L’exemple le plus frappant est celui de la douceur. La notion part d’un plaisir du goût, pour lequel est doux ce qui le satisfait. Par là, la douceur évoque la satisfaction vitale de l’âme au contact du divin, son euphorie surnaturelle. La douceur spirituelle est, en ce sens, une qualité de conve­ nance des réalités divines à la vie de l’âme et cette notion conduit, en dernière analyse, à reconnaître en Dieu la Dou­ ceur, en tant qu’attribut disant la plénitude de convenance de son Etre infini aux besoins de tout être et même — si l’on ose dire — aux besoins de sa propre vie. On voit alors la richesse et la force que peut mettre sainte Gertrude dans des expressions comme : « Jésus, douceur de rnon âme u ou « Douceur inassouvie du divin Amour ». Dans un autre ordre d’idées, lorsqu’elle parle de prépara­ tion à la communion, le mot se charge, dans sa pensée, d’un réalisme spirituel qu’il a perdu dans notre perspective ascé­ tique et moralisante. Elle souligne ce réalisme par l’image des vêtements et parures dignes de l’audience divine. On voit par ces rapides exemples que l’intelligence du vocabulaire intéresse profondément la doctrine spirituelle. Le lexique gertrudien, qu’il serait très instructif de dresser, serait, comme tant d’autres ’, en môme temps qu’un voca­ bulaire, un index des thèmes philosophiques et spirituels fondamentaux. Certes, tout n’y serait pas original et ce 1. Cf. v. g. Richard dl Saint-Victor, Sermons et opuscules spiri­ tuels inédits, tome I, éd. et. trad, par J. Chatillon, W, J. Tulloch et J. Barthélemy, Bruges-Paris 195!, p. 117, n. 1. 28 INTRODUCTION serait le rôle des historiens de la spiritualité de situer Helfta dans les courants et tendances qui l’entourent et pénètrent. On remarquerait la place que tient parmi ces inlluences celle de Richard de Saint-Victor. S'il y a, dans l’emploi des mots-clefs et de telle ou telle forme grammaticale, une certaine discipline relevant du symbolisme, elle apparaît très nettement quand il s’agit des couleurs. Elles ne sont pas choisies, comme le ferait un peintre, pour leur harmonie visuelle, mais pour leur valeur de signesx. Le blanc dit l’innocence, la pureté, l’appartenance à Dieu, la perfection divine; le rouge, le sang versé, la souffrance, la Passion; le vert, la fraîcheur et l’élan de la vie, les œuvres, la vertu, la force; l'azur, les pensées célestes; l’or, la charité et l’amour. Et le rose convient, au Christ parce qu'il unit en un seul éclat la blancheur de la divinité glorieuse à l’écarlate de l’humanité souffrante. Il y a aussi un symbolisme très précis des fleurs. La dépendance de la langue scripturaire et son sens poétique conduisent la sainte mystique à s’exprimer par allégories et par images; elles peuvent être très révélatrices de sa doctrine spirituelle. Leur valeur littéraire est très inégale. En général, l’attention de l’écrivain ne se porte pas sur la réalité concrète et pittoresque du signe lui-même, mais sur ce qu'il entend lui faire signifier de son expérience spirituelle. Cette disposition l’amène souvent, au cours d’un même exposé, d’une mémo a vision », à des glissements d'images, parfois un pou gauches, parfois très suggestifs (II, 7, 13). Son art garde le plus souvent le hiératisme naïf des miniatures médiévales, si étonnamment translucide aux réalités de la foi et de la sainteté. Mais cela ne veut pas dire qu’elle ne sache occasionnellement observer et tirer parti d’incidents de la vie quotidienne et, quand elle s’y applique le moins peut-être, certaines évocations rapides I. Il y aurait là un curieux rapprochement Λ faire avec les traditions orientales des peintres d’icônes. SAINTE GERTRUDE 29 ont le charme de moments vécus par une âme de sensibilité délicate : l’entre chien et loup des premières heures du jour, l'averse sur les Heurs fragiles du jardin, un nénuphar à la surface de l’étang, un reflet de soleil sur une vitre. Avant de raconter la grande grâce mystique du face à face, elle évoque l’image d'une rose cueillie au printemps et dont on a glissé peut-être quelques pétales entre les feuillets d’un livre ou dans un sachet. Aux mois d’hiver, on les retrouve desséchés, mais ce pauvre vestige suffit à réveiller le souvenir de la joie qu’avaient suscitée la beauté et le parfum do la fleur. De la grâce dont elle veut parler, elle sait bien ne pouvoir exprimer l’insigne qualité, mais les mots balbutiés et sans vie serviront à remémorer dans un cœur ému la déi tique rencontre. Parfois, la valeur allégorique de ces images les hausse jusqu’à de petites paraboles que la formule suivante pour­ rait introduire : « La tendresse du Seigneur est semblable à... ». Et l’on a ainsi la parabole des deux lecteurs penchés sur la même page (prol.), la parabole des grains de poussière dans un rayon de soleil (I, 29), la parabole du convalescent en promenade et surpris par l’averse (II, 12), la parabole de la châtelaine s’affairant à la fauconnerie du Seigneur, sans pourtant être privée de son amour (II, 13), la parabole du père de famille, plus attentif et plus affectueux envers le dernier-né. en raison même de la faiblesse de son âge (11,18), la parabole, toute classique, du pélican (111,18), etc... Cette contemplative ne redoute pas la nature : clic se plait et s’émeut à la poésie de ce frais matin du Temps pascal où, après Prime, assise au jardin, près du vivier, le gracieux décor oriente sa méditation : eau limpide, fron­ daisons printanières, bruissement d'oiseaux, vol de colombes, repos tranquille de l’heure; il ne manque à cette joie que de pouvoir être partagée. Enfin, une des particularités du style d’Helfta est l’abus des divisions numériques. Bien que le Héraut n'y échappe pas, il en est moins esclave, par exemple, que le Livre de 30 INTRODUCTION la Grâce spéciale, dans lequel il n’est pas, pour ainsi dire, de page où tout ne soit mis en compte : la montagne aux sept étages, les cinq joies, les cinq louanges, les cinq bijoux, les trois coupes, les sept colonnes, les neuf marches, etc... Il faut bien se garder de juger ce recours aux nombres dans la perspective de notre logique actuelle. Dans les usages médiévaux, on n’en fait pas une méthode d’analyse exhaus­ tive, à la manière de « points de méditation », mais un simple procédé littéraire, un cadre commode, un peu convention­ nel, tirant une grande partie de sa valeur d’un symbolisme des nombres dont sont à peu près perdus, pour un lecteur moderne, le sens et l’attrait. Mais, à bien comprendre, de tels procédés, où la race, le siècle, le milieu, le tempérament se trahissent, ne dévaluent pas plus la haute spiritualité d’une sainte Gertrude que, chez une sainte Thérèse de Lisieux, la médiocrité de ses goûts artistiques de petite pensionnaire. V. — Vie posthume Les chartreux de Cologne, dans le titre même de l’édition de 1536, se glorifiaient de mettre en lumière les Révélations, après bientôt deux cent cinquante ans d’oubli. En effet, on ne voit pas que, pendant cette période, le Héraut se soit beau­ coup répandu et que Gertrude ait été très connue, alors qu’au contraire, sans doute grâce aux dominicains, le Livre de la Grâce spéciale et la Lumière de la Divinité étaient bientôt lus jusqu'en Italie, puisqu’on a pu se demander si la vierge Matelda, dont l’enseignement éclaire Dante au Purgatoire, depuis le chant XXVII jusqu’à la fin, n’est pas l’une ou l’autre de nos deux Mechtilde ’. 1. Au siècle dernier, Praeger optait pour Mechtilde de Magdebourg, Paquelin, pour sainte Mechtilde d’Helfta. Dans son ouvrage Dante, le théologien {1935), Mandonnf.t lient pour Mechtilde do Magdebourg. SAINTE GERTRUDE 31 La rareté des manuscrits est d’ailleurs un indice de cet oubli. Le scribe de Werdau, en 1487-1490, s’y est pris à deux fois pour compléter sa copie. Lanspergius n’avait, en 1536, qu’un manuscrit incomplet et n’a pas réussi à trou­ ver un texte latin du livre I. En 1875, malgré ses recherches, Paquelin ne trouvait que deux codices, alors qu’il en inven­ toriait une douzaine pour le Livre de la Grâce spéciale. La renommée et le crédit de sainte Gertrude grandissent à partir de l’édition de Cologne et spécialement dans les dernières années du xvi® siècle et le début du xvn®. L’histoire de cette diffusion mérite qu’on s’y attarde. Les éditeurs des Exercices Spirituels dans la présente collection s’y sont appliqués avec une particulière compétence. Il suffit de rappeler ici que l’Église a consacré la qualité de l’enseigne­ ment mystique de sainte Gertrude en autorisant d’abord son culte dans les monastères bénédic tins, puis en 1'inscri vaut le 22 janvier 1678, au Martyrologe. Sa fête a été étendue, le 20 juillet 1738, à ΓÉglise universelle. Chapitre Π DOCTRINE SPIRITUELLE I. — La « Conversion » Le soir du 27 janvier 1281, après Complies, au dortoir, se produit la vision initiatrice à la vie mystique. Elle me fin à une crise dont la période aiguë occupa tout l’Aven précédent. De quelle nature fut cette mélancolie? N’y eutil que la dépression d’un esprit que sa curiosité fiévreuse; commence à décevoir ou à lasser, ou s’y mêla-t -il le trouble incertain d’un cœur alourdi de solitude? On serait tenU de le croire, au ton même dont sainte Gertrude en fait, neuf ans plus tard, la confidence. Peu importe, d’ailleurs; il nous suffit qu’il y ait eu ici un tournant décisif. Désormais, et quoi qu’il en soit de quelques heures voilées, c’est d’une lumière nouvelle que sa foi s'éclaire, c’est d'un rythme nouveau que bat son amour. Au chapitre icr du livre II, aussitôt après le récit de cette rencontre, l’édition de Lanspergius et toutes celles qui en dérivent donnent un passage où la sainte remercie Dieu de l’avoir, par cet appel insigne, retirée de l’amour désor­ donné «les lettres humaines et guérie de l’attrait du créé pour, ne lui faire trouver de goût qu’à Lui seul. Aucun de nos manuscrits connus ne donne ce texte. Appartenait-il au manuscrit (λ) dont s’est servi Lanspergius? Il est plus, vraisemblable qu’il s’agit d'une glose de l’éditeur, dans l'esprit de certaines réflexions du livre I. Quoi qu’il en soit, la glose est heureuse et situe bien le caractère de la « conver­ sion o du 27 janvier. Elle n’est pas le retour à Dieu d’une DOCTRINE SPIRITUELLE 33 âme adonnée au péché ou seulement aveuglée par l’indifférence de distractions frivoles : elle est son passage de l’intel­ lectualisme à la vie mystique. Jusque là, dans l'ardeur de sa jeunesse studieuse, c’est bien des choses de Dieu qu’elle s’est occupée, mais comme de l’objet passionnant d’une science, encore que la foi se soit plu à en souligner la trans­ cendance; dans la régularité de son observance monastique depuis vingt ans. c’est bien le Seigneur qu’elle a servi, mais comme on accomplit un devoir d’état. En ce « lundi sauveur », tout est bouleversé. Ce Dieu, que la théologie s’efforce d’analyser, en quelque sorte, est un être vivant, une personne présente, un amour — le seul amour — qui veut se révéler aux âmes comme l’ami à l'ami, comme l’époux à l’épouse. Plus convaincante que tous les discours et les conclusions thcologiques. cette connaissance se parfait dans la simplicité plénière d’une contemplation et d’une possession indicibles. Connaissance d’union dont aucune lumière intellectuelle ne peut donner l'idée à qui n’en fait pas l’expérience; et c’est parce qu’elle est amour que, pur elle, le fardeau du Christ est doux et son joug léger, qui, sans elle, ont le poids de tout fardeau et de tout joug. La découverte ne vient pas comme normalement au terme d’une évolution de pensée, mais sous l’effet d’une grâce propre et celte grâce est telle que tout ce qui a précédé n’apparaît plus à l’âme que péché, vice, aveuglement, ténèbres, orgueil, trahison, de sorte qu'il y a bien en défi­ nitive, pour l’âme, retour à Dieu, « conversion o. II. — Christocentrisme La vision du 27 janvier a donc révélé ù Gertrude le secret de la mystique chrétienne : le lien d’amour avec la personne du Christ, vivant et présent au plus intime de l’âme, in inli- 3'. INTRODUCTION mis, in visceribus, in interioribus cordis. La vie de prière est ici très ouverte et très riche, mais aussi très simple, ca elle est comme mue par un seul principe : l’union au Fils «le Dieu. Elle en reçoit son caractère d'affectivité et d'intério­ risation et toute l’orientation de sa piété : culte envers l’humanité du Seigneur, l’Eucharistie, Notre Dame, l’Église le Corps Mystique. Encore qu’il n’y ait guère d’avantages à user de nos caté gories modernes d’école pour comprendre les âmes médié vales, on est en droit de parler de christocentrisme, à la manière dont le terme vaut pour saint Paul. Il suffit, de parcourir l’apparat scripturaire pour constater déjà par la frequence des références combien la spiritualité gertrudienni est paulinienne : l’accès à la vie divine n’est possible que par l’incorporation au Christ, réalité mystérieuse — postu­ lée par la plénitude de l’incarnation rédemptrice d’une union du Verbe fait chair à l’âme régénérée, pour la faire participer «à Sa propre vie trinitaire. Toute affective qu’elle puisse paraître, la vie spirituelle d’IIelfta s’appuie sur la plus ferme et la plus authentique· base doctrinale, sur un savoir théologique et scripturaire qu’avec nn peu d’attention on retrouve sous les effusions! et les confidences, sauvées par là de tout illuminisme. I/au­ teur du livre 1 a bien soin de nous le dire : ses écrits satisfai­ saient théologiens et spirituels (I, 1). Gertrude connaît les courants de spiritualité purement spéculative et cette prétention à une expérience du divin par dépassement de l’humanité médiatrice du Christ, qui devient comme un obstacle au regard mystique. Ce n’est pas par sentiment ou par sentimentalité qu’elle contredit cette voie, mais par conscience d’une nécessité doctrinale. Elle ne peut se contenter d’un élan de spéculation philo­ sophique, d’un moment de clairvoyance intuitive du rap­ port de l’être à Dieu. Suivant la remarque de Castaniza, son union au Christ, qui est le foyer de toute sa vie mys­ tique, a le caractère d’un consortium physicum et non pas DOCTRINE SPIRITUELLE 35 seulement d’un consortium morale. Dans la lumière de sa grâce propre, s'impose à l’évidence do sa foi la réalité, dans son âme, de l’incarnation. Par la communauté de nature humaine, le Verbe communique à l’âme le rythme divin de sa propre vie, orientant ainsi le regard de l’aimée vers l’objet de son propre regard, la beauté de la « resplendissante et toute calme Trinité ». Sous cette lumière, Gertrude comprend qu’il n’y a qu’un unique mystère d’union. C’est pourquoi elle a parfois une manière d’en parler qui semble évoquer tout à la fois l’in­ carnation dans le sein de Marie, le salut du genre humain, la communion eucharistique, l’expérience mystique person­ nelle. C’est pourquoi aussi sa contemplation est si constam­ ment attirée vers les grands mystères du salut par l’union au Christ; depuis Noël, principe même de cette Incarnation totale, jusqu’à l’Ascension, son terme magnifique où, dans la personne du Christ, l’humanité victorieuse apparaît devant la face du Père, où notre nature, substantia, siège auprès du Père (II, il, 23). Pour suggérer la qualité de cette union, le Héraut recourt aux images les plus variées et parfois assez inattendues : l’alliage de l’électrum, la soudure do deux parties de la coupe, la transparence du cristal. III. — La pensée théologique C’est dans la mémo perspective christocentrique qu’il faut situer les grandes dévotions de sainte Gertrude. UEucha­ ristie y tient, comme chez saint Bernard, une place essen­ tielle. Elle est le sacrement de l’union. Un détail est carac­ téristique : même avant la conversion, quelques touches, à peine sensibles, lui avaient fait parfois comme pressentir Funion mystique, mais elle a soin de préciser que ces moments 3G INTRODUCTION étaient toujours en relation avec la sainte communio Dans la suite, les « révélations >♦ sur la communion, sur préparation à la communion, sur les grâces d’oraison lié à la communion sont innombrables. L’Eucharistie est bi< un des thèmes principaux de ses confidences sur les le gesses de l’amour divin, parce qu’elle est le don essent: de cet Amour. Et parce qu’elle est le mémorial du sacrifice rédemptei elle commande une dévotion délicate envers la Passif et les plaies, gages de la Passion. Là non plus il ne suf pas de l’expliquer par l’émotion de la sensibilité. Non p que tout « dolorisme m en soit absent. On ne peut pas repr cher à l’amante une vraie pitié devant· les souffrances i l’Aimé (II, 4) et Gertrude est beaucoup trop femme poi que son amour ne soit pas enclin à la compassion, pour qi mémo il n’ait besoin, en quelque sorte, pour s'épanouir, < pouvoir être compatissant. : quelle délicatesse dans la grâj do VEsto mihi*, réservant le refuge du cœur de Gertrude à détresse du Christ aux outrages! Lorsque sa prière sollici les stigmates dans son cœur, c'est pour qu’ils la mai tiennent plus sûrement dans la douleur do la compassic et le feu de l’arnour. A l’amour, on effet, tend la dévotic aux plaies et, parce qu’elles sont les gages de l’amour et ( son œuvre victorieuse, elles apparaissent surtout, dès mên la rencontre du 27 janvier, comme des marques d’honneu des bijoux ornant et distinguant l’humanité du Seigncu Le culte du Sacré Cœur a le même accent. Il dérive bien ( la plaie, de la blessure reçue au côté droit, où le coup pénèli profondément pour atteindre le Cœur, source do l’Amôi infini. Tout le lyrisme de sainte Gertrude, magnifiant Cœur Sacré dans la méditation et la louange du rôle médii tour du Christ, s’éclaire vivement si l’on est attentif à cet! doctrine, qui est la sienne, faisant du cœur le siège essentii de tout l’être. Le Cœur, siège de la personne humano-divir !. Gf. Appendice IV : Etto mihi. DOCTRINE SPIRITUELLE 37 du Seigneur, répand par la plaie, comme un Ilot vivant, le don de son être divin, le Don même : du Cœur du Fils où elle réside en plénitude, la douceur de V Esprit découle en nos âmes, pour parfaire entre le Seigneur et nous l’incor­ poration, l’union, l’agglutination. Forts de cette vertu sans défaillance et de cette ardeur inextinguible, nous pou­ vons faire nôtre la prière même du Christ et nous adresser au Père par le Fils, dans l’Esprit, avec une profonde paix, en dépit des vicissitudes d’ici-bas (U, 5, 18, 23; IV, 37 à 40). La doctrine du cœur siège de l’être a sa source dans Γ Écriture sainte, et le Moyen Age occidental l’a reçue, en somme, par des voies assez obscures, d’Origène et des pre­ miers Pères. Elle permet de comprendre comment les pas­ sages exprimant le lien des cœurs exigent uno interpréta­ tion beaucoup moins affective que la sensibilité moderne n'est tentée de leur donner. C’est ainsi que le repos de saint Jean sur la poitrine de Jésus et toute la dévotion que Gertrude porte à l’évangéliste s’en trouvent singulièrement éclairés. Il n’est pas sans intérêt, enfin, do remarquer que cette doctrine est restée une des composantes essentielles do la mystique et de la piété hésychastes. Le rayonnement du culte du Sacré Cœur a provoqué de nombreuses études sur le rôle de Mechtilde et de Gertrude et sur les aspects théologiques de leur dévotion. Do même, la théologie de la liturgie chez sainte Gertrude a fait naguère l’objet d’une importante étude1. L’angélologie, la mariologie, l’ecclésiologie, la doctrine du salut et l’eschatologie mériteraient aussi attention, ainsi que la théologie du sacre­ ment de pénitence. Ce seraient là, par exemple, de beaux sujets de thèses qui auraient à rechercher les influences s'exerçant sur la pensée théologique d’Helfta, spécialement celle des J. Cf. Dom Cyprion Vagaggixi, H senso teologico della liturgia (Rome 1957), cap. xxn, p. 592-642. Adaptation française par Dom Ph. Rouillard et Dom Robert Gantoy, o. s. b., sous le titro : Initiation tMologique à la liturgie, BrugosParis 1960-1963, t. 11, p. 207-239. 38 INTRODUCTION Victorins1. Il faudrait remonter jusqu'à Origène. souri certaine de maintes positions de la spiritualité médiéval par exemple, dans sa référence à la théologie du Verbe Bien entendu, il ne s’agit pas de demander aux écri gertrudiens une doctrine théologique plus ou moins systi matiquement élaborée et méthodiquement exposée, mais d reconnaître que cette doctrine existe et qu’elle affleure ci maints passages des Révélations, car l’expérience mystiqu n’a pas détruit la culture initiale de l’esprit; elle s’appuii au contraire, sur elle et, en même temps, l’illumine. Le sens de V Église, de la communion des saints : justi d’ici-bas, âmes du Purgatoire, habitants do la cour célesb est très aigu dans la spiritualité gertrudienne. Sans douti cette attitude est facilitée chez la sainte par des dispositior naturelles de sociabilité, de fraternité, de pitié, « non seuil nient envers les hommes, mais envers toute créature (I, 8), mais son inspiration profonde est de qualité doctri nale et mystique et dérive de la vie d’union au Christ, che du Corps mystique. Le rapport aux autres est double et h sainte le vit avec la même intensité sous l’un et l’autre aspect ce qu’elle donne et ce qu’elle reçoit. Ce qu’elle donne, c’esl d’abord le témoignage de l’amour divin et de ses abondante: largesses : par le récit de ses grâces, elle éveille le sens mys tique dans les âmes, humblement estimées toutes plui dignes qu’elle de les recevoir et de les faire fructifier; c’esl aussi son crédit auprès de l’Époux, sur quoi elle appuii cette certitude d’une médiation efficace dans la prière, le conseil et même le pardon, médiation qu’elle sait devoir exercer même après sa mort; c’est, encore, aux âmes éloi­ gnées de Dieu et qu’elle veut rendre au Christ·, la vertu do sa propre piété pour sanctifier leurs inconscients appels !. Cf. Appendice III : Affectiones animae. 2. La connaissance d’Origêne ne paraît pas directe. En fait, il n’est nommé qu’une fois dans les œuvres d’Helfta et non pas comme une a autorité », mais comme hérétique (cf. Appendice : Judas et l'enfer). DOCTRINE SPIRITUELLE 39 (IV, 6). Ce qu'elle reçoit, c’est une participation à tous les mérites des âmes que ses révélations auront enrichies spiri­ tuellement, le Seigneur ayant voulu ce détour pour que soit suppléé à son indigence et à son péché. La suppléance est, en effet, un des thèmes favoris d’Helfta *. Il est particulièrement expressif de sa spiritualité d’union. Sans doute, plus les dons de contemplation éclairent de leur lumière surnaturelle l’intelligence déjà pénétrante de sainte Gertrude, plus lui apparaît incompréhensible le destin de la créature que veut introduire jusqu’à lui un Créateur pour­ tant inaccessible. Le sentiment d’une telle distance s’ac­ croît encore dans les circonstances où l’âme expérimente ses limites : heures de maladie et d’infirmité, faiblesses et imperfections de l’humeur, tentations même. Λ qui a perçu une fois cet état de choses, le respect de la transcen­ dance ou seulement la simple logique commandent une atti­ tude d’abandon total à l’action de l’unique être capable de réaliser l’union, le Christ : par la louange, l’adoration, l’amour et la vie du Christ, l’humanité peut enfin oser un geste qui soit digne de la Majesté divine. Là est pour l’âme, épouse du Christ, sa vraie richesse, son seul recours. Ses faiblesses, ses négligences l’obligent alors à ne s’adresser à Dieu qu’au nom de la vertu du Christ, par le mérite de Sa prière et de Sa vie. Une telle confiance trahit l’humilité foncière des mystiques. Lorsqu’ils confessent leur misère en des termes qui expriment une honte extrême, hagiographes et moralistes ne laissent pas de mettre en garde contre l’exagération imputable à la qualité même de leur vertu d’humilité. Il y a là un malentendu. Le saint ne se place pas dans la perspective d’un idéal de perfection pro­ posé à son effort, pour mesurer ensuite s’il s’en est approché ou même l’a accepté. La misère dont il gémit et qui lui est révélée dans la lumière où il perçoit — si confusément que ce soit — la transcendance divine, n’est pas celle de sa vertu, !. Cf. Ln Miséricorde infinie révélée à sainte Mechtilde, Maredret, 1951. '.η INTRODUCTION ni même de son intention. Plus profondément et plus abso­ lument c’est la misère de son être, non pas en manière do connaissance abstraite et métaphysique, mais en manière de réaction vitale devant la Présence de Y Être divin. Un moraliste se défend mal peut-être de tracer ici une courbe de la perfection on partant de l’ascèse pour atteindre la contemplation, a de l’humilité à l’extase j> : chez un mystique, la vraie humilité n’est, pas à la racine de l’extase, elle en est le fruit. Ce rapport a bien été perçu, grâce à une lumière spéciale, par l’auteur du livre 1, qui comprend que c’est la grandeur même des dons divins; qui fit l’humilité de Gertrude : plus grande est l’action de Dieu en elle, plus elle s’abaisse jusqu’au plus profond de l’humilité par la reconnaissance de sa propre infirmité (I, 4). La richesse doctrinale des Revelations n’avait point échappé aux premiers éditeurs do Cologne et ils avaient eu soin, dans le titre même do l’ouvrage, de marquer que ces livres renfermaient l’essence de toute la perfection chré-j tienne, totius Christianae perfectionis summam complectentes. La béatitude à laquelle aboutit cette perfection n’est autre que l’accès éternel à la vie divine, c’est-à-dire à la vie trinitaire. Jamais Gertrude ne perd de vue ce sommet où doit se consommer dans la gloire l’union au Verbe et elle a, pour adorer la Trinité, des termes d’une grande beauté théolo-: gique; il est regrettable que les auteurs de l’office du 17 novem- · b re n’aient pas su y faire une place à cette doxologie gertrudienne de la σ resplendissante et toute calme Trinité », I fulgida semperque tranquilla Trinitas. On remarquera aussi la fréquence des invocations à la Sainte Trinité, par l’évo­ cation de la Puissance, de la Sagesse et de la Bonte, et ce ! style est un trait de ressemblance avec les auteurs victorins. Cet enseignement théologique, pour être pleinement perçu, demande du lecteur qu’il l’accueille en se pliant I aux conditions mêmes de composition et d’esprit des écrits ■ DOCTRINE SPIRITUELLE '.1 gertrudiens *. La moniale n’est pas attirée vers les « thèmes » théologiques pour satisfaire une complaisance du savoir, mais pour y trouver l'aliment de sa vie spirituelle et do son oraison, et elle n’aborde ces thèmes que dans la mesure où iis font partie d’une confidence spirituelle. Comme on l’a remarqué à propos d’Aelred de Bicvaulx, « on s’inter­ dirait la pleine intelligence de la méditation médiévale, monastique et cistercienne si, arbitrairement, on l’isolait de l’ensemble de la discipline dans laquelle elle s’intégre2 ». Par ailleurs, si, aux yeux des historiens de la spiritualité, théologiens et mystiques semblent parfois s’opposer, c’est qu’ils ne parlent pas toujours le même langage. Mais lo conflit n'est qu’apparent, leurs deux disciplines ont le même objet. Par là même, les grands mystiques, comme sainte Gertrude, sont de vrais théologiens et, comme on l’a dit à propos de saint Bernard, ce sont eux qui, aux xn® et xin‘‘ siè­ cles, ont protégé et sauvé les valeurs théologiques tradi­ tionnelles et défendu l’autorité des Pères 3. IV. — Vie spirituelle et mystique Dans l’action de grâces qui suit la a conversion », Gertrude se réjouit d’avoir été introduite à la connaissance et à la contemplation du fond intime de son cœur {interiora cor­ dis mei, II, 2). Sa découverte de la vraie vio spirituelle et mystique est beaucoup moins dans le don exceptionnel de I Cf. supra, chapitre premier, Les Écrits. 2. Ch. Dumont, introduction ù Ablrku ni: Rikvaulx, La Vie de Recluse [SC 76, Paris, 1961), p. 17. 3. Christine Mohrmann, Observations sur la langue et le style de saint Bernard (Préface au tonie II des Sancti Bernardi Opera édités par Doin J. Leclercq, Rome, 1958), p. xix, citant Martin Grabmann, Geschichte der scholastichen Method (Berlin, 1957) tomo II. p. 99 et Ét. Gilson Λα Théologie mystique de saint Bernard (Paris, 1934), p. 44-47. INTRODUCTION la vision du 27 janvier que dans cette intériorisation qui lui a été rappelée et enseignée lors de cette rencontre. Mainte passages du Héraut insistent sur ce mouvement de retour en soi pour y chercher Dieu. La grande vision du face à face a ce caractère d’intériorisation, le regard déifique ayant' pénétré toute l’intimité de l’être pour l’imprégner de l’image divine. La citation marginale accentue encore ce carac­ tère en invoquant l’autorité de saint Bernard : Dieu est; esprit et ceux qui veulent le rencontrer doivent se recueillir en eux-mêmes, intrare ad cor. Dans l’épilogue du livre IL les lecteurs y sont invités {in intimis suis ampliora experiantur! II, 24) ». 11 faut bien se garder ici do parler d’introspection. Le terme suggère une perspective psychologique qui pourra être celle de la Devotio moderna ou de l’humanisme chrétien issu de la Renaissance, mais qui fausserait Γintelligence de ce renouveau spirituel de l’époque cistercienne auquel appar­ tient la spiritualité gertrudienne. Un apocryphe bernardiïa par exemple, a bien décrit cette intériorisation d'inspiration affective et non introspective : le Royaume de Dieu est en toi, dans l’amour et non dans le savoir. Le savoir est un large océan, peuplé d’êtres innombrables. Là où est Dieu, il ne peut être que seul; cherche-le dans l’amour, dans l’amour exclusif. S’il n'est pas ton amour, il n’est pas en toi et même tu ne le chercherais pas : non quaereres nisi amares 1 2. Sans doute le regard de la sainte sur le fond de son cœur lui en fait bien apercevoir le désordre et la confusion (II, 2), mais, pour y remédier, elle compte beaucoup moins sur son effort personnel de discipline que sur la puissance purifica­ trice de la vie d’union elle-même. A diverses reprises (v. g. 1. Soul de tons les éditeurs, Paqueiin a lu mis au lieu de suis que don­ nent pourtant, sans doute possible, les cinq manuscrits. 2. PL 184, 365-366. Cf. Dom J. M. Déciianet, « Le pseudo prologue du De contemplando », dans Cîtcaux in Nederlanden, 1957; Dom J. Houalier, introduction à Guillaume or Saint-Thierry, La Contemplation de Dieu (SC 61, Paris, 1959), p. 19. DOCTRINE SPIRITUELLE II, 13), elle proteste contre l’ascéticisme où d’aucuns w· draient l’engager. Elle sait que sa voie mystique a quelque chose do plus libre, de plus spontané. En tout cas, son ascêe veut pour principe une disposition d’amour, car sa fidéité a s’exercer à la perfection reçoit son inspiration d’un époix aimant et miséricordieux plutôt que d’un maître austère a sévère. La grâce d’un désir d’amour est plus efficace que le châtiment (II, 2, 5, 13). Se recueillir n’est donc point se rechercher soi, serait» même pour discipliner pensées et mouvements d’un cœur q» Dieu veut meilleur; c’est être attentif à la réalité d’une ρέ· sence divine intérieure, dont la qualité dépasse de beaucoup l’ordre spéculatif; elle est la réalité même de 1’Incarnati». Se recueillir, c’est chercher le Verbe de Dieu dans le teu même où il a voulu s'unir aux hommes : en chaque âme vivrai aujourd’hui même — etiam hodie — les mystères intérieursinteriora mysteria — actualisant l’unique Mystère du Christ L La foi dans la plénitude de l’incarnation postule cette orientation mystique. Cette foi s’épanouit, chez, une sainte Gertrude, dans l’expérience qui la fait communier tot-dement à la réalité de l'union dont elle ne pourra traduire caractère qu’en termes évoquant l’amour et jusqu’à Pétreide des époux. Pour juger sainement ce langage, il faut s’affranchir dis préjugés rationalistes et plus ou moins agnostiques, au· quels obéissent trop do psychologues, psychiâtrcs et psych· nalystes, et qui finit par fausser même les intentions d’hag»graphes chrétiens, n’hésitant pas à expliquer que, lorsqu’me mystique dit que le Seigneur lui est apparu, cela veut dre simplement qu’elle a cru voir apparaître le Seigneur. L'auteir du livre I s’explique assez clairement sur le sens spirited qu’entendent signifier ces expressions, en apparence sciai· blés, et sainte Gertrude le précise parfois elle-même. Dais la grande vision du face à face, elle a soin de rappek I. Cf. notamment Oricène, Hom. in Exodum, XI, 2 et 3. INTRODUCTION d’après saint Bernard, que cette Face apparue n’a pas do forme, ni de figure, ni de teint. En un autre endroit, pour dire l'expérience de sa conformation surnaturelle à l’Enfant Dieu, elle parle d’une transformation en la même couleur que lui, ajoutant aussitôt : si tant est que puisse être appelé « couleur » ce qui ne peut être assimilé à aucune qualité matérielle. l.e langage des mystiques a évidemment un caractère do signe, dont il est bien difficile de comprendre pleinement la valeur. Les analyses des théologiens ne sont éclairantes que dans les limites d'une perspective de science théologique et, comme dans toute science, les explications sont seulement un réseau posé sur le réel, qui donne à notre intelligence une certaine emprise sur lui. Mais quelque serré que soit le réseau, un je ne sais quoi lui échappe inéluctablement. Un thème sur lequel insiste à plusieurs reprises le Héraut est que la connaissance de l'invisible nécessite le recours aux images sensibles, mais le langage n’est qu’un balbutiement dont le rôle est d’attirer l’attention sur une expérience qui appartient au silence de Dieu; cette expérience demeure ineffable et comme irrémédiablement étrangère à qui n’y a pas accédé. Celui qui veut arriver à la science philosophique se sert des lettres de l’alphabet, mais la distance est immenso entre les deux connaissances. Pareillement, entre ce qui peut être dit de la vie mystique et sa réalité; une telle connaissance ne supporte pas le mélange d’un savoir humain (H, 24). Il est rare que l’expérience mystique renonce au mode spontané d’expression, à la fois pénétrante et voilée, que constitue la poésie des images, au contraire de la théologie spéculative qui aspire à s’en libérer. Il n’est pas sûr que ce soit pour les mystiques — une faiblesse, et le « préalable de l’incarnation » encourage cette foi dans la souplesse du signe et dans une harmonie entre sa transparence sans cesse plus lumineuse et sa présence sans cesse plus féconde. Le témoignage de maints grands mystiques, d’ailleurs, nous donne à penser que leur àme a une autre manière de se DOCTRINE SPIRITUELLE 45 libérer. Elle peut être appelée à franchir une certaine limite — un mur du son — au delà duquel le procédé se renverse. La présence de l’image n’est plus première, mais les mêmes mots atteignent, au delà d’elle, le signifié avec une telle convenance que c’est le visible qui, ayant fourni ces mots, n’y a plus droit maintenant que par métaphore. Quelques énigmes du langage mystique trouveraient sans doute là leur explication, peut-être celle des sens spiri­ tuels et, à coup sûr, celle du langage amoureux. Dans l’éclat de pureté où seule est visible la réalité mystique et non plus l’image matérielle, rien n’est plus simple que l’emploi d’un langage nuptial, dont la référence à l’union charnelle, loin d’altérer la pureté du cœur et de la vie, ne fait qu’en magni­ fier l’exigence. Le langage passionné des grands mystiques convient d’autant mieux à leur amour que cet amour demeure d’une sainteté plus irréprochable. La Préface de la Consécration des vierges, dont sainte Gertrude fait le thème de sa prière dans le quatrième de ses Exercices spirituels, a précisément cet accent. Elle rappelle que le lien entre la virginité consacrée et l’union des époux découle de la valeur de signe — magnum sacramentum — de celle-ci. Par privi­ lège sublime, la virginité consacrée est plus proche de cette union même que les noces humaines signifient et elle ne refuse l’accomplissement de telles noces que pour atteindre plus sûrement et plus directement la réalité mystique qu’elles symbolisent. Dans la vie d’union de sainte Gertrude, l’action du Sei­ gneur est de tous les instants. Pour traduire cette impulsion surnaturelle, le récit recourt constamment aux révélations. Ces manifestations du Seigneur : locutions et visions, sont de types très divers, s’étendant sur une gamme très nuancée qui va du simple procédé de langage à l’action divine la plus expresse. Faut-il s’attarder à l’analyse, s’essayer à définir le caractère de chaque manifestation et à situer les plus objectives d’entre elles dans le cadre tripartite, familier aux théologiens, des visions corporelles, imaginatives et 46 INTRODUCTION intellectuelles? Ce serait peut-être un excellent exercice d’école, mais Lanspergius en signalait déjà l’inutilité : « Il ne s’agit, dit-il en substance, que de révélations privées, qui ne présagent en rien l’avenir et ne dictent aucune règle de conduite. En discerner avec précision la nature n’ajouterait rien au bienfait que doit recevoir le lecteur de pages qui ne font que magnifier la bonté et la miséricorde de Dieu. Une trop grande curiosité de science, môme t héologique, entraine parfois l’esprit à se plaire dans une petite vanité intellec­ tuelle qui le rend moins attentif aux grâces mystiques et le prive par là de lumières plus aisément reçues des simples. » Retenons surtout que le recours à la révélation, voulu par Dieu, a pour principal dessein et pour effet d’accuser davan­ tage le caractère objectif et l’action surnaturelle de la pré­ sence divine, qui l’emporte, dans le progrès de la prière, sur l’effort personnel de réflexion et d’attention. L’auteur du livre I, au prologue général, nous prévient que, lorsque la sainte dit que le Seigneur lui apparaît ou lui parle, de telles manifestations répondent à la nécessité d'être intelligibles à tous ceux que devait atteindre la révélation, mais qu’elles ne se séparent pas d’une « assidue prière intime ». Autrement dit, les révélations exprimées ne sont que des moments d’une expérience qui ne se détache pas de la vie de prière. Cette vie de prière connaît des grâces et faveurs excep­ tionnelles, traduites suivant des thèmes puisés au trésor commun de la mystique médiévale et peut-être de toute mystique : la rencontre du visage divin (faciès revelata), les stigmates intérieurs, la blessure du cœur, l’échange des volontés et des cœurs, l’intimité du baiser. Le vrai profit spirituel à tirer de ces récits est au delà de la connaissance de ces grâces. Celles-ci appartiennent à la vocation propre de la sainte et servent de cadre à son message, mais, tout en admirant leur richesse, sachons que l’attention qui nous est demandée est de les dépasser pour n’entendre que la pure confidence : celle des noces de l’âme avec Dieu. D’ailleurs, DOCTRINE SPIRITUELLE '.7 ce que l’épilogue du Livre 1 (ch. xvn) nous dit des disposi­ tions d’âme de la sainte, à la fin de sa vie, semble bien indi­ quer. dans sa vie mystique, un dépassement de ces dons eux-mêmes. Pour la lecture de sainte Gertrude, comme pour la lecture de tous les grands mystiques, une éducation est nécessaire, qui apprenne à se détacher de la curiosité des manifestations sensibles et à discerner avec prudence le message destiné à tous, distinct des conditions personnelles de la révélation. Quant à ce qu’on a appelé les phénomènes physiques du mysticisme, les écrits gertrudiens sont particulièrement dis­ crets à leur égard. Les stigmates dont il est question au livre 11 (ch. 4 et 23) n’ont rien d’apparent. Lorsque la puissance de l’amour a sa répercussion sur le corps, sous quelque forme que ce soit de moments extatiques, l’allusion est fugi­ tive. Que ce soit dans la vision du 27 janvier, dans la réci­ tation de l’oflîcô au chœur ou à l’oraison, il suffit d’un mot pour avouer le ravissement et la pente à quelque défail­ lance (v. g. 111, 9, 12). On connaît dans la littérature mys­ tique des manières beaucoup moins réservées de s’attarder, parfois même avec complaisance, à ces phénomènes. Le diabolisms apparaît aussi dans les Révélations, mais très brièvement. La présence de Satan n’est sans doute manifeste que par Faction sur la pensée dans la suggestion de vaine gloire (II, 11), mais il y a quelque chose de plus en d’autres circonstances, comme dans l’incident des raisins (III, 57). Nous sommes loin pourtant des « diableries » dont s’illustrent, non seulement les histoires de possédés, mais même la vie de très grands saints pénitents modernes. La dévotion à la Passion, aux plaies, au crucifix, témoigne dans la vie mystique de sainte Gertrude d’une constante attention au mystère de la croix. Elle y participe par la souffrance. Ce qu’est cette souffrance, bien des passages du Héraut nous le révèlent : la maladie surtout, et ses douleurs physiques ou ses conséquences morales de solitude, de privation de l’office, d’affaiblissement de la pensée et de lu 48 INTRODUCTION prière. Elle ne manque pas d’épreuves morales causées, par exemple, par l’interdit, par la malveillance plus ou moins accusée de tierces personnes, mais elle n’en parle qu'avec grande discrétion. Son attitude devant la souffrance est d’abord une accepta­ tion patiente de la volonté divine. Mais, en définitive, quelles que soient la nature et l’intensité de l’épreuve, elle est occasion de plus grande intimité et procédé d’union. Souffrir, c’est suivre Jésus dans la voie qu’il ouvre avec sa croix (III, 30), c’est encourir une affliction semblable à la sienne, c’est plus profondément connaître à la fois sa douleur et son amour. « Lorsque le Seigneur, qui met ses délices à fréquenter les enfants des hommes, ne trouve rien en l’homme qui puisse lui plaire assez pour qu’il convînt d’y résider, il lui envoie des épreuves et des souffrances, tant corporelles que spirituelles, pour en prendre occasion de demeurer près de lui, car l’Écriture infaillible a dit: Le Seigneur est auprès de ceux dont le cœur est éprouvé, et encore : Je serai avec lui dans l’épreuve (III, 32). » Les stigmates dans le cœur peu­ vent cacher des souffrances très profondes, mais dont la foi mystique ne cherche pas à analyser ni à étaler les blés-, sures : la plaie d’amour seule veut qu’on s’y arrête. Et la grâce d’être aimée semble bien avoir épargné à la sainte moniale les grandes épreuves de déréliction, de doute, de tragique sécheresse infligées à d’autres mystiques. Le soin-, meil ou la fuite du Bien-Aimé sont rares et gardent encore comme la grâce d’un jeu courtois. V. — Les raisons d’écrire Lorsqu’à diverses reprises la sainte se justifie de révéler ses grâces, en invoquant les exigences de sa gratitude, la volonté de Dieu et le souci de faire profiter de cette connais­ sance d’autres âmes plus capables de les faire valoir pour la DOCTRINE SPIRITUELLE ■iV plus grande gloire de Dieu, peut-être est-on tenté d’abord de mettre ces protestations au compte du procédé littéraire ou d’une clause d’humilité, compatible, d'ailleurs, avec un zèle d’animatrice qui lui est déjà naturel. Il y a beaucoup plus. 11 y a la conscience d’une vocation propre d’apostolat, il y a aussi, semble-t-il. une position doctrinale sur l’univer­ salité de l’appel à la vie mystique. Elle aurait, certes, des raisons de ne pas écrire. L’intimité de l’épouse demande le secret, par instinct spirituel de cette pudeur qui est mise au nombre des affectiones animae L De plus, le caractère même de ces grâces très hautes est d’être ineffables. Elles ne sont· intelligibles que par expérience. Le plus habile ne peut que balbutier, comme un écolier ânonne son abécédaire (H, 24). Pour qu’elle fasse la confidence du secret, il faut donc, et que le Seigneur le lui prescrive, et qu’il lui en inspire le ton et, la mesure. A lire de près et à rapprocher les uns des autres les passages où elle s’explique à ce sujet, on voit que le pro­ blème de fond est celui de l’harmonie entre Lia et Rachel, entre un apostolat actif et la pure contemplation. 11 faut se garder d’entendre l’activité en cause ici dans le sens de nos catégories modernes, opposant vie active, c’est-à-dire ordonnée aux œuvres de miséricorde envers le prochain, et vie contemplative, c’est-à-dire ordonnée à l’application de l’âme à Dieu dans la prière. Dans cette perspective, sainte Gertrude appartient à la vie contemplative. C’est à l’inté­ rieur de cette vie que se pose pour elle le problème de l’ac­ tion. La contemplation, c’est l’attention exclusive à la prière, source d’attraits spirituels plus ou moins expérimen­ tés; l’action, tout ce qui n’est pas cette atten ion directe à Dieu. Sous le nom d’action, elle range spécialement l’acti­ vité littéraire, la rédaction d’écrits spirituels et mystiques pour l’instruction d’autrui. Une telle œuvre ne semblerait devoir faire que peu d’obstacle à la contemplation. Cepen1. Cf. Appendice III : Affectiones animae. 50 INTRODUCTION dant, la sainte moniale est en garde contre ce que cette activité peut avoir d’envahissant : dans la vocation contem·: plalive, la prière dans le silence et la solitude vaut mieux que le bien que peut faire le récit même de cette prière Mais elle reconnaît que sa vocation propre comporte undevoir, réglé par le Seigneur lui-même, qui a voulu la dres­ ser comme un flambeau pour éclairer les âmes par son exena pie (prol.). L’alternance entre le repos de la contemplation et les exi­ gences de l’action, au sens claustral qui vient d’être dit,, était reconnue par saint Bernard comme une condition voulue par le Seigneur. C’est Lui qui tantôt défend qu’oit réveille l’épouse de son doux sommeil, sancta quies, tantôt! la contraint à se lever pour le suivre. Par cet appel, il lufl donne de le vouloir aussi et de s'arracher à son divin soml meil, mais pour une activité où 11 ne cesse pas d’être à son côté (in Cant. 58). l.’n caractère des confidences de sainte Gertrude est aussi] qu'elles s’adressent à toutes les âmes. La vie mystique n’estl pas, dans sa pensée, a priori, un privilège d’initiés. Cette vie! a bien un certain caractère exceptionnel, même à l’intérieur] d’un cloître, par le mystère des choix divins ou les lenteurs; du libre arbitre, mais il n’appartient à personne d’imposer· ses limites, par une sorte de racisme spirituel. Le groupe d’amies plus ferventes que nous distinguons dans la vie1 d’Helfta ne tourne pas au clan, encore moins à la secte;! Il est bien dans l’esprit des « amis de Dieu »; le terme revient! formellement dans les écrits, mais il ne désigne encore qu’une orientation du zèle spirituel et ce serait un anachronisme de] les charger déjà des tendances qui seront celles des mouve-l mente adoptant ce nom au xive siècle. D’ailleurs, dans quel sentiment pourrait-on se croire! plus désigné que d’autres pour le privilège? L’humilité; d'une sainte Gertrude, au contraire, s’étonne que le Seigneur ait arrêté son regard sur elle, qui se sait la plus misérable et la plus incapable de bénéficier de telles grâces. Aussi | DOCTRINE SPIRITUELLE 51 n’est-elle pas surprise qu’on lui fasse un devoir de les publier, car, ainsi, de plus dignes suppléeront par leur juste réponse à sa propre carence. Quand il s’agit de transmettre ce message, la sainte a conscience de son impuissance. Toute expression humaine est inadéquate. Le lecteur en est pré­ venu. pour que son attention et son désir obtiennent la grâce de dépasser l’expression afin d’atteindre l’essentiel inexprimable. Et l’expression elle-même ne peut donc venir que de l'inspiration divine; la sainte laisse bien entendre qu’elle renonce aux procédés didactiques, qui suffisent pour transmettre le savoir humain. C’est un aspect du triomphe de la docilité mystique, humble et patiente, sur les curiosités intellectuelles. VI. — Maîtresse d’oraison L’enseignement qu’une moniale du xm® siècle peut nous donner sur sa méthode d’oraison, il faut se préparer à l’enten­ dre dans le sens où elle-même le vivait, formée qu’elle était par son cloître, son temps, sa culture. Il faut renoncer à la puérile illusion de le rendre plus clair en le jugeant selon les normes des constructions spirituelles de notre temps; nous n’avons peut-être que peu à perdre et beaucoup à gagner à abandonner ici nos systèmes pour écouter d'un cocur médiéval tout jeune les confidences de la grande moniale mystique. Comme il a été dit plus haut, c’est bien sous forme de confidences que nous recevons cet enseignement et non pas dans un cadre volontairement didactique. Cependant sainte Gertrude est parfaitement consciente que son expérience a valeur d’enseignement. Tout ce qui nous est dit de son tem­ pérament par la moniale, auteur du livre 1, nous la montre initiatrice zélée et admirablement douée. Pourtant, pour ce qui est de l’oraison, c’est contre un instinct de silence que 52 INTRODUCTION s’affirme la vocation voulue par le Seigneur. Et si, parfois, elle redoute de troubler les âmes par ses écrits, le Seigneurl lui confirme qu'ils allumeront on plusieurs le désir des grâces· divines et les inciteront à amender leur vie (I, 15). Sur la;*, manière de s’amender, elle ne s’étend guère et se montre,! à cet égard, beaucoup moins curieuse d’analyse psychoft· gique qu’une sainte Thérèse. Son témoignage est avant tout une gratitude, soucieuse de ne pas « frustrer la sagesse, éternelle » (II, 5), en laissant enfouie dans la boue de sa I propre misère, la perle précieuse que de meilleurs qu’elle· sauraient sertir d’or (Ill, Prol.). « Elle se jugeait si complète·· ment indigne des dons de Dieu qu’elle ne pouvait en aucun® manière les croire accordés pour elle seule, mais plutôt pourJ le profit des autres » (I, 4), dont la confiance s’en trouve fortifiée (11, 8), et en qui ils produiraient de plus beaux fruits (II, 10, 15, 24). Pour nous conduire à l’oraison, sainte Gertrude nous fait» connaître sa vie de prière toute ponctuée d'expérience» mystiques. La vie de prière, dans le cloître, connaît tontes les forme»: lectio divina, office choral. « exercices » et dévotions, prière privée. Considérer que les moments de prière privée men-s taie — ce que nous appelons aujourd’hui le temps d’oraison — sont le lieu, sinon exclusif, du moins privilégié de la présence à Dieu, de la rencontre, du colloque divin, serait· méconnaître la nature de la prière contemplative dans le climat spirituel de la vie monastique cloîtrée. Cette prière* est commerce d’amour avec Dieu selon l’aveu de saint® Thérèse et cette réalité n’est pas seulement le but propre? de tel ou tel exercice de la journée monastique, mais bien la fin unique et constante de toute l’attention de l’âme en quête de Dieu à travers la lectio divina et les œuvres de misé-J ricorde ou les exercices de piété, et dans VOpus Dei. tout autant que dans le recueillement mental. Le Seigneur no demande pas qu’on ne soit attentif à lui qu’à une heure déterminée du jour, mais bien tout au long du jour, sans DOCTRINE SPIRITUELLE 53 interruption, accomplissant toutes œuvres à sa louange (III, 74) et, en tontes occasions, dirigeant vers Dieu sa pen­ sée (1, 10). Dans ce commerce, l’acuité de l’attention est d’abord le fruit de la grâce; c’est le Dieu d’amour qui force notre regard et noire désir. Les disciplines spirituelles ont pour dessein de rendre plus docile au surnaturel notre attention et par conséquent plus efficace l’attrait de la présence divine. L’exercice d’oraison n’est qu’une de ces disciplines et ni la spiritualité des cloîtres médiévaux, ni, encore, la spiritualité de l’Orient ne lui donnent cette part du lion que la spécia­ lisation méthodique habituelle de nos spiritualités modernes latines tendrait à lui accorder. L’exercice d’oraison est d’abord une éducation de l’attention destinée à lui rendre le recueillement plus aisé, mais ce n’est pas la fin nécessaire de cet exercice qu’il débouche, dans l'immédiat, sur une contemplation actuelle. Dans un cloître du xm® siècle, il concourt simplement, avec les autres disciplines, à préparer l’âme à cette prière intérieure continue, enveloppant toute la vie, même au delà du « temps d’oraison ». Une des plus importantes de ces disciplines est la vie liturgique. L’intelligence de l’oraison gertrudienne nécessite que soit bien perçu son rapport avec la liturgie. Il n’échappe à personne que la sainte puise dans le style liturgique et. à travers lui, dans l’Écriture sainte l’inspiration de son vocabulaire et de ses images poétiques, de son lyrisme et de sa sensibilité. Mais ce serait un contresens de réduire, pour s’aligner aux normes des méthodes modernes, ce rapport au rôle de « sujet d’oraison » occasionnel, comme si l’atten­ tion mentale et l’expérience mystique avaient un mouve­ ment propre, prenant simplement appui ou prétexte sur tel répons, tel verset de psaume, tel ou tel autre texte entendu au cours de l’Oifice. Il s’agit de tout autre chose : du mystère de Dieu vécu dans sa liturgie, ce qui fait de l’Office, non pas seulement une préparation à l’oraison, mais un lieu choisi d’oraison. 54 INTRODUCTION L'année liturgique n’est pas simple cadre conventionnel aux divisions utiles pour la manifestation extérieure et festive de souvenirs, elle donne le rythme même du mystère dans la vie intérieure. Dans ce calendrier s’élabore pour la moniale l’aliment doctrinal qui façonne les sentiments fondamentaux de sa mentalité spirituelle. Cette formation très simple est d’autant plus riche que la lectio divina a ouvert l’esprit à l’intelligence savoureuse des textes scripturaires où puise la liturgie (111, 30). Sainte Gertrude avait des auteurs sacrés une connaissance exceptionnelle (I, 1). Elle savait, lorsqu'il s’agissait d’éclairer ou de réconforter les âmes, les citer avec promptitude et à propos. Ce trait, rapporté par l’auteur du livre I, nous laisse deviner comment cette connaissance pouvait servir la prière, alimentée sans cesse aux textes liturgiques (IV, 27 et 48). Plus encore, la liturgie fait vivre le mystère à la manière d’un signe, on peut même dire le rend présent à la manière d’un sacrement. Elle est même le Sacrement quand on la considère dans son lien fondamental avec l’Eucharistie. Et, chez une sainte Gertrude, s’accuse fortement un autre lion fondamental : celui de l’Eucharistie avec la vie d’union dont l’expérience mystique n’est que la merveilleuse cons­ cience. Une fois comprise cette homogénéité de l’orientation contemplative continue dans la tonalité liturgique du Mystère d’union, la lecture attentive de bien des révélations nous découvre la manière dont la sainte vivait sa prière et son expérience dans la référence à l'action liturgique, sans souci systématique de suivre une méthode, mais dans une grande « liberté de cœur » et comme avec l’aisance d’une respiration surnaturelle. On peut s’en rendre compte en admirant la manière si souple et si vivante dont s’établit la correspondance entre telle ou telle grâce mystique, et le moment liturgique où elle se situe. Renvoyons notamment à l’accord du Vidi Dominum facie ad- faciem (II, 21) avec la Transfiguration, DOCTRINE SPIRITUELLE 55 ou de la vision du 27 janvier (II, 1) avec la spiritualité du temps de Noël; aux grâces de VEsto mihi (11,8,14, 23) avec les variations sur le temps de Γ Avent (III. 30); aux médi­ tations pendant l’« Ensevelissement du Seigneur » (111, 27), et même aux discrètes évocations que les grâces d’oraison doivent à la fête de saint Mathias (III. 10). Le lecteur attentif ne manque pas de rencontrer tout au long des Révélations maintes preuves semblables de cette insertion constante de la vie mystique de la sainte dans le mystère liturgique. Une fois reconnue celte orientation essentielle donnée par l’action liturgique à la vie de prière même la plus intime, ce serait systématiser indûment, à notre tour, que de refuser aux « exercices » autres que l’office choral une place dans cette méthode gertrudienne, si méthode il y a. Sainte Ger­ trude a des dévotions particulières, par exemple au crucifix, aux cinq plaies, sans parler du Sacré-Cœur. Elle connaît la pratique d’exercices de piété, parfois liés à ces procédés de répétition de formules ou de gestes, dont le caractère de technique minutieuse s’accentuera à la fin du Moyen Age dans les milieux où l’ascéticisme l’emportera délibé­ rément sur le courant mystique, danger auquel une sainte Gertrude, dans sa grande liberté de cœur, a, de toute évi­ dence, échappé. Elle pratique aussi la méditation méthodique et elle la conseille (cf. III, 74, 6e). Pour entretenir le sens de l’oraison elle préconise même des Exercices spirituels. Mais leur carac­ tère propre est. dans leur tonalité théologale plutôt que morale ou même proprement spéculative. Remarquons seulement que la plupart d’entre eux consistent, non à méditer intel­ lectuellement sur des thèmes ou des vérités théologiques, mais à aviver dans l’âme, par le rappel des rites sacramentaux, le sens génésique, pourrait-on dire, de sa vie de foi. Enfin, elle s’adonne profondément à l’oraison, à la prière solitaire et silencieuse, recueillie devant la présence divine. Une telle oraison est désirée par l’âme en grâce d’union, non 56 INTRODUCTION comme pour échapper aux contraintes de la fonction litur­ gique, mais bien pour prolonger dans Vint imité (IV, 15) le mystère vécu dans le sacrement de la liturgie. Ce sont par­ fois des heures d’abandon et de dépouillement plutôt exigées par les impératifs de l’union qu’accomplies par la volonté d’un ascétisme méthodique. Cette nuance est un des traits de l’oraison gertrudienne. Dans cette diversité de pratiques et de modes il n’y a pas divergence ni opposition, mais harmonie et homogénéité. Ce n’est pas que cette homogénéité soit d’une rigueur systé­ matique. Sainte Gertrude connaît dans sa prière certaines discordances ou tensions, par exemple entre l’emprise du recueillement et le rythme de l’office choral. Elle sait aussi qu’il y a des heures où il en coûte à l’àme « privée de la saveur de la dévotion » de ne servir Dieu que par devoir, accomplissant sans plus « la récitation des prières, les génu­ flexions et autres semblables, dans la confiance que Dieu se plaît néanmoins à l’accepter» (III, 18). Et lorsque, empêchée par la maladie d’assister à la messe, la consolation lui est donnée d’une messe expliquée par le Seigneur, pour mystique qu’elle soit, l’accommodation ne trouverait peut-être pas grâce aux yeux des liturgistes (111, 8 et Missa devota). Il est bon de se rappeler en outre que l’ensemble des Révé­ lations couvre toute une vie. Si le livre 11 relate les grâces des neuf ans qui ont suivi l’initiation mystique de la vingtcinquième année, les livres suivants rassemblent des confi­ dences et des souvenirs allant sans doute des débuts de la vie mystique jusqu’à la mort, ce qui suppose des états divers et aussi des circonstances particulières dictant occa­ sionnellement l’une ou l’autre attitude. Il est certain, par exemple, qu’elle est consciente do la liberté du Seigneur de conduire les âmes par des voies différentes (III, 74). Quoi qu’il en soit, l’harmonieuse unité de la vie de prière, chez sainte Gertrude, n’est pas le fruit d’un effort de synthèse rassemblant, après coup, des éléments qu'on a voulus d’abord nettement circonscrits; c’est l’unité première de la vie elle- DOCTRINE SPIRITUELLE 57 même, simple et libre dans la richesse de son épanouisse­ ment. Et après la vision du 27 janvier, la prière s’impose, continue, sans effort, à travers toute la variété des heures et des jours, comme le doux fardeau d’une obsession. Celte prière de tout l'être doit au climat liturgique d’être essentiellement une louange. Certes la prière de demande pour elle et pour les autres, tient une grande place dans la relation de l’âme de la mystique à Dieu, mais la prière de demande elle-même n’a d’instance que par l’assurance que donne à l’àme l’intimité divine. La connaissance et l’amour auxquels conduit cette intimité mettent l’àme dans une constante disposition de louange. Louange qui éclate, sans doute, en ces formules d’admiration émerveillée, ces effusions d’amour exclusif, dont il a déjà été question, mais l’expres­ sion ne s’en borne pas au lyrisme verbal. La louange est de toute la vie, offerte ad laudem Dei. Louange du cœur, dans son désir et sa joie comblée: louange de la souffrance, de la patience, du sacrifice; louange du plus humble mouvement, du plus humble geste de l’épouse consacrée, jusqu’au sou­ lagement accepté de quelques grains de raisin calmant sa fièvre de malade. Louange qui rapproche la moniale de la multitude des anges, fait de sa vie une eucharistie et n’a pour instrument parfait que le cœur même du Seigneur. Chapitre III DIFFUSION DE L’OUVRAGE I. — La tradition manuscrite Dans l’état actuel des recherches, pourtant menées avec soin par plusieurs correspondants, nous ne connaissons que cinq manuscrits, tous du xv« siècle : à Munich (sigle B), à Trêves (T), à Vienne (W), à Mayence (Z), à Darmstadt (K). Nous les décrivons plus loin. 11 en existe probablement d’autres, mais, faute de catalogues, bien des fonds ne peuvent être utilement explorés. W et Z ont été découverts par Paquelin lors de ses recher­ ches pour l’édition de 1875. Mais ni B ni T ni K ne semblent avoir été jusqu’à ce jour signalés. Même en 1938, ils sont inconnus de Z). Gall Herr dans son Johannes Mabillon unddie schweizer Benedikliner. Que peut-on dire des manuscrits perdus? Pour l’édition de 1536, les Chartreux de Cologne ont disposé d’un manuscrit latin incomplet, ne donnant pas le livre I. Nous le désignons sous le sigle Pour le livre I, ils ont utilisé une version allemande. Nous désignons sous le sigle 0 le manuscrit latin perdu dont dépendait· cette version. Les éditeurs postérieurs à Lanspergius jusqu’à Paquelin n’ont pas connu d’autres manuscrits. Le scribe de W a disposé de deux manuscrits : d’abord, en 1487, d’un codex incomplet (a), puis, en 1490, d’un autre codex complet (β). Mabillon, dans son lier germanicum^ indique brièvement DIFFUSION DE L'OUVRAGE 59 qu’il a rencontré au monastère de Saint-Gall un manuscrit des Révélations présentant des variantes par rapport au texte connu. En dehors de cette mention de Mabillon, il n’y a aucune trace de ce manuscrit a Saint-Gall. La plupart des érudits estiment que Mabillon a commis une erreur, et déjà, en 1875, Dom Pitra pensait que cette erreur, due à un examen rapide, est d’avoir pris pour un manuscrit des Révélations de sainte Gertrude ce qui était en réalité un manuscrit des Révélations de sainte Mechtilde, le codex 583. B. 1412. Munich, Bayerische Staatsbibliolhek. dm 15.332. L’ouvrage complet du Prologue, des cinq livres, de la « Missa » et de la Notice des approbations, occupe tout le codex d’envi­ ron 285 folios, avec quelques erreurs de pagination. Le catalogue le désigne sous le titre de Trulhae revelationum libri quinque et donne comme provenance les Prémontrés de Roggenburg. Le folio 1 porte à droite d’une main tardive : Buxheim. L’origine pourrait donc être cette chartreuse. Au dernier folio, après l’approbation des docteurs, mention est faite, d’une main qui n’est pas celle du scribe, d’une Thalia qui parait bien être une détentrice (moniale sans doute) du codex. Quand? Où? La disposition du codex est la suivante : Prologue (lr-2v), Capitula (2v-4r), Liber primus (4r-25r), Liber secundus (25r-50r), Liber tertius (50r-124v), Liber quartus (124v-218v), Liber quintus (218v-271v), Missa (272r-277v) suivie d’une doxologie : Jesu Christo Domino nostro laus honor et imperium per omne seculum, Table analytique alphabétique, sur deux colonnes, suivie du colophon : Finitus est liber isle anno Domini M° CCCC° XI1° feria quinta post dominicam Laetare. Deo gratias. (277v-285r). Notice des Approbations, AD 1289 (285r-285v). Écrit en longues lignes, ce manuscrit est d’une graphie qui n’est ni très soignée ni très régulière. Elle est peut-être meilleure dans les derniers livres, bien que paraissant toujours de la même main. Certaines corrections sont plus tardives, 60 INTRODUCTION encore que la forme des a. qui les caractérise apparaisse parfois dans le texte, surtout vers la fin. Les citations mar­ ginales sont encadrées généralement d’un trait. W. 1487-1490. Vienne, Oesterreichische National Bibliothek, codex 4224. L'ouvrage complet — Prologue, les cinq livres, la « Missa « et la Notice des approbations —, occupe les feuillets 83 à 282 du codex. U Explicit indique l’origine : monastère de sainte Croix de Werdau, et même le nom du scribe : Michel Slaynbrünner. La copie a été faite en deux foix : le scribe a disposé d’abord d’un codex ne contenant que le livre IV, suivi d’un sommaire (excerpta) des autres livres. Dans la suite il eut entre les mains un exemplaire complet dont il copia les livres 1, H, III et V, en insérant dans le codex le livre IV à sa place. La disposition du codex est donc la suivante : Prologue (83-84), capitula I (84-84v), Liber primus (84vlOOv) suivi de Explicit liber primus in die Blasii episcopi et martyris anno 1490, capitula 11 (lOOv), liber secundus (101-118) suivi de Finivi in dic sanctae Julianae virginis et martyris anno Domini 1490, capitula III (H8v-119), Liber tertius (119-168) suivi de Finivi in vigilia dominicae Ascensionis. Hoc perfectum fuit in die sanctae Potentiae Virginis hora vesperis, anno 1490. Notice des approbations AD 1289 (168v), capitula IV (169-169v), Prologue (169 v). Le scribe a alors utilisé l’espace blanc disponible en 169v pour expliquer comment il a fait sa rédaction en deux fois. Liber quartus (170-241) suivi de : Et sic est finis capitulorum libri stae Gertrudis virginis. Per me fratrem M. S. anno 1487 in die seti Barnabac apostoli explicilum. Orate pro me quicunque hoc lecturi sunt. Capitula V. Prologue (24 Iv), Liber quintus (242-274v), suivi de Gloria majestas virtus decus atque potestas. Sit tibi nunc Christe quando finit liber iste. Explicit haec quinta pars in vigilia Laurentii levitae et martyris anno Domini .M CCCC L XXX λ’ per me fratrem DIFFUSION DE LOUVUAGE 61 Michaelem Staynbrunner indignum p. monasterii hujus sanctae Crucis in Werdea. Orate pro me haec scripta legentes. Missa (274v-278). Tabula (278-282). Écrit sur deux colonnes, ce manuscrit est d’une belle graphie soignée et régulière. Les citations marginales sont moins nombreuses qu’en B et les excerpta qui suivent le livre V, n’en comportent pas, mais seulement des Nota de scribe, de peu d’intérêt, semble-t-il. T. xv« siècle. Trêves, Stadsbibliothek, 77/1061. L’origine et la provenance sont également incertaines. L’ouvrage occupe les feuillets 1 à 135 d’un recueil de 213 folios; il ne contient que les trois premiers livres, précédés de la notice des approbations AD 1289, du Prologue et d’une table des matières de ces trois premiers livres, ce qui donne à penser que le scribe n’avait pas à sa disposition les livres IV et V. La disposition est la suivante : AD 1289 (Ir), Capitula I, II, III (3v-5r), Liber primus (5r-28r), Liber secundus (28r54r), Liber tertius (54r-135v). Écrit en longues lignes, ce manuscrit est d’une graphie qui, sans être particulièrement élégante, est cependant soignée. Il est d’une seule main, sauf en deux courts passages. Aucun nota, aucune citation marginale, aucun colophon. Z. xv° siècle. Mayence, Universitfttsbibliothek, codex 13. L’ouvrage, inachevé, occupe les feuillets 136 à 225v d’un recueil qui contient huit ouvrages différents (dont le DeadhercndoDeo). Un sommaire dudit recueil annonce l’ouvrage sous le litre Liber revelationum dictus Legatus divinae pietatis, mais le manuscrit lui-même n’a pas de titre. La disposition est la suivante : Prologus (136-137r), Capitula I, II, III, IV, V (137r-139r), Liber primus (139r-153r), Liber secundus (153v-169v), Liber tertius (170r-216v), Liber quartus (216v-225v). Ce folio 225v n’a qu’une ligne et la copie est interrompue sur la phrase suivante du chapitre ix, De 62 INTRODUCTION purificatione B.M.V. : ...omnium quae unquam possunt delectare te. Et La notice des approbations et la Missa manquent. Écrit sur deux colonnes, ce manuscrit est d’une graphie soignée, accusant un changement de main à 196v. Avant 196, il y a peu de nota: après 196, nota plus nombreux et. quelques citations marginales. Fréquentes rubriques dans le texte. K. 1473. Darmstadt, Hessisches Landes- und llochschulbibliothek, Ils. 84, f. 28v-176v. Nous sommes bien renseignés sur la provenance de ce manuscrit par le colophon ci-dessous, qui se trouve inscrit à la fin du texte du Héraut : Explicit liber tertius venerabilis Deo devotae Trutae, exce­ ptatus cursorie satis per fratrem Conradum de Susato senem anno 1473, ipso die sancti Servatii, ad honorem Dei et conso­ lationem juniorum fratrum carthusiac domus sanctae Barbarae in Colonia. Quartum cum quinto libros ejusdem reperies in alia forma, scilicet majori. Le manuscrit ne comporte, en effet, que les trois premiers livres du Héraut. Le scribe le sait, qui renvoie pour les livres IV et V à un autre codex. La date est clairement indiquée : la copie a été achevée le 13 mai 1473, fête de saint Servais. Le manuscrit a été écrit par le frère Conrad de Soest à la Chartreuse Sainte-Barbe de Cologne x. Écrit en longues lignes, et d’un format de 103 sur 142 mm, ce manuscrit est d’une graphie qui, sans être particulière­ ment agréable, est cependant régulière. Le texte comporte, au Prologue général et au livre I, de nombreuses lacunes et 1. Laasperge nous assure, dans le colophon placé à la fin de sa préface; que dans lu seul manuscrit latin qu’il avait, à sa disposition, le livre I était mutilus atque truncatus, en sorte qu’il dut traduire en latin un texte haut-allemand; ce qui laisse entendre qu’aux alentours de 1530, notre ms. K ne se trouvait plus à la Chartreuse Sainte-Barbe de Cologne où il avait été copié en l'«7S. DIFFUSION DP2 L’OUVRAGE 63 erreurs. Le scribe a souvent omis des titres et des numéros de chapitres. Tout le manuscrit du Héraut est de la même main. Il contient les notes marginales. Dans la comparaison des cinq manuscrits entre eux, l’étude attentive des variantes suggère les conclusions sui­ vantes. Pour les trois premiers livres, W dérive de B en ligne directe, avec des variantes qui paraissent parfois de simples options de grammairien méticuleux. T et Z, tout en accusant entre eux bien des divergences, témoignent d’une tradition propre. Cependant B la connaît et assez fréquemment son texte, avant correction, est d’accord avec elle. C’est la version corrigée qui commande, dans l’ensemble, \V. Le texte de B est d’un scribe plus averti que T et Z, où les fautes matérielles et les lectures mala­ droites ne sont pas rares. D’autre part, B est complet et homogène. On est ainsi amené à lui donner la préférence et les corrections ne paraissent pas de nature à lui enlever son caractère de priorité chronologique. K, dont seul le livre II a pu être lu intégralement, pour la raison indiquée plus loin (p. 77), appartient manifeste­ ment à la même famille que T et Z, avec une tendance à se rapprocher de Z. Pour les livres IV et V, le problème se présentera autre­ ment. B et W sont seuls en présence. Pour le livre V, W continue à dériver de B qui s’imposera donc. Au livre IV, par contre, W ne dérive plus de B, mais représente une tradition parallèle, dont il faudra étudier de plus près le rapport à B. Quant au rapport possible entre les manuscrits perdus et les manuscrits connus, ni a (qui n’avait que le liv. IV), ni λ (qui n’avait pas le liv. I), ni 0 (qui n’avait pas le prologue général) ne peuvent être aucun des quatre BWTZ. Quant à β, qui, par définition, n’est pas W, il ne peut, étant complet, être ni T ni Z. 11 est le chaînon de filiation de B à W et donc, à la limite, pourrait être B. c’est-à-dire que le scribe de W aurait, en 1490, disposé, pour sa copie des livres I, II, III, V, de B lui-même. Cependant, en raison de certaines 6'. INTRODUCTION variantes et surtout du problème des citations marginales (cf. infra), il est plus vraisemblable que, de B à W, sont intervenus un ou plusieurs intermédiaires, dont par défi­ nition, β serait le dernier. II. — Les éditions latines I. — Le texte latin des Revelationes a été imprimé pour la première fois sous le titre : Insinuationum divinae pietatis libri quinque totius Christianae perfectionis summam comptéetentes ab opt. quibusque desiderati jamdiu et commendati atque tandem post ducentos quinquaginta annos (quibus ferme latuerunt) nunc primum in lucem editi. - Coloniae ex officina Melchior is Novesiani — Anno M.D. XX XVI — in 8. L'édition est duc aux Chartreux de Cologne. L’épitre dédicatoire est signée du Vicaire de la chartreuse, Dom Theodoricus Loher qui semble s’attribuer le mérite de l’édi­ tion, mentionnant toutefois que la préface (Epistola ad lectorem apologetica) est de son confrère, noster Lanspergius vir praeter humanam eruditionem qua praestat unctione etiam interna insigniter illustratus. La finale de cette préface semble laisser entendre que ledit Lanspergius — c’est-àdire Johann Gerechl, originaire de Landsberg en Bavière — n’est pas non plus étranger à l’édition. Les éditeurs n’ont eu à leur disposition qu’un seul manuscrit incomplet (aujourd’hui perdu, semble-t-il). Le prologue et le livre 1 manquaient et les éditeurs les donnent par traduction d'une ancienne version en vieil allemand. Quoi qu’il en soit de la part respective de J.anspergius et de Loher1, !. D. PaQUBUN (Praefatio, p. 111) suppose que l’édition avait été préparée par Lanspergius, mais que, celui-ci étant mort, Loher se chargea | de la publication. Le seul fait que Lanspergius n’est mort qu’en 1539 infirme l’hypothèse. DIFFUSION DE L’OUVRAGE 85 c’est le nom de Lanspergius qui a prévalu pour désigner cette édition et cela, dès l’édition suivante de Bredenbach en 1579 à Cologne même (cf. infra). Cette édition princeps de 1536 est devenue très rare. Dom Paquelin, en 1875, n’en connaissait que deux exem­ plaires : un à ΓAbbaye de Beuron, l’autre à la Bibliothèque Royale de Munich; il faut on ajouter trois autres : à la Bibliothèque Nationale à Paris 1; aux facultés des Jésuites d’Héverlé-Louvain et à 1*Abbaye des moniales bénédictines de Notre-Dame de Wisques. Les éditions suivantes du xvi® et du xvii0 siècles (aucune n’a été publié au xvin0 s.) ne font que reproduire avec quelques corrections l’édition de Lanspergius et n’utilisent aucun manuscrit latin. 2. — Insinuationum divinae pietatis lib. V. tandem post annos propemodum trecentos (quibus ferme latuerunt) diligenter recogniti et denuo in lucem editi opera D. Tilmann Bredenbachii S. Th. Doct. Eccl. I). Gereonis Colon. Cano­ nici. Coloniae apud Ludovicum Aleatorium et haeredes Jacobi Soteris, anno M. D. LXXIX — in 12. L’édition Lanspergius semble déjà introuvable même à Cologne. C’est d’après un exemplaire rencontré enfin à Anvers que Tilmann Bredenbach, chanoine de Saint-Géréon de Cologne, entreprend cette réédition. Il introduit en marge de courtes gloses, procédé qui sera suivi par la plupart des éditeurs suivants. Pour la correc­ tion du texte il prend quelques options personnelles parfois 1. Cet exemplaire (D. 35910), provenant de la Sorbonne, dont il porte k cachet de la seconde moitié du xvin· siècle, a sans doute été versé à la B. N. à la Révolution. Il n’est pas étonnant cependant que D. Paque­ lin n’ait pu, en 1875, en déceler l'existence, car lo Catalogue général des livres imprimée n’a commencé à paraîtra qu’en 1897. 66 INTRODUCTION discutables \ en recourant sans doute ά un manuscrit alle­ mand provenant de ΓAbbaye des moniales do Sainte-Cécile, de Cologne. Il signale un « vetustus codex, in quodam monasterio prope Stiriam »; c’est seulement une chronique dont il a retenu une courte notice sur sainte Mechtildo et sainte Gertrude, faisant mention de la destruction du monastère en 1342 pendant les guerres entre Brunswick et Mansfeld. 3. — Insinuationum divinae pietatis libri quinque in quibus vita et acta sanctae Gerlrudis monialis Ordinis sancti Benedicti continentur... Omnia haec nunc denique Magistri Fratris Joannis de Castaniza ejusdem ordinis monachi studio atq. diligentia correcta probata et illustrata scoliis. Anno 1599. Matriti apud haeredes Joannis Iniguez de Lequerica, ex officina liccntiali Varez a Castro. Expliquant dans son prologue les raisons de son édition, Castaniza. moine de Saint-Martin de Madrid, dit que, dési­ reux de faire connaître les écrits des saints de l’Ordre bénédictin, il avait longtemps cherché les Revelationes de sainte Gertrude avant de les découvrir enfin dans la cellule d’un cistercien. Cependant, Diego de Yepez, évêque de Tarragone écrit en 1603 qu’au moment où il assistait Philippe II en sa dernière maladie (1595-1597), il fut mis en éveil par la lecture de Louis de Blois et découvrit un exemplaire des Revelationes enfoui depuis une dizaine d'années dans la bibliothèque 1. Une des plus maladroites de ces options a été relevée par Paquelin dans son argumentation contre l’erreur qui faisait do Gertrude une abbesse (ci. Paquet in, préface p. xvm et livre V p. 499). La phrase do Lanspergius était la suivante : unde et orantibus illis pro ea saepius per islam Gertrudcm in spiritu (Mil... ce qui, A l'exception des deux mots illis et Gertrudcm surajoutés, reproduit le texta original des manuscrits Mais Bredcnbach a corrigé orantibus illis en orationibus illius. DIFFUSION DE L'OUVHAOE Û7 des Hiéronymites de FEscorial. Sur quoi, il en avait parlé au Père Castaniza et tous deux s’étaient employés, malgré bien des résistances, à une nouvelle édition, enrichie par Castaniza de scholies théologiques justificatives. Les deux textes sont certainement conciliables et peutêtre celui de Yepez a-t-il valeur de mise au point. D’ailleurs dans la Vita S. Gertrudis qui suit son prologue, Castaniza invoquant les autorités favorables à la sainte mystique, ne manque pas de faire l’éloge de Diego de Yepez dont, dit-il, on peut à peine imaginer la dévotion qu’il porte à cette sainte, maîtresse éminente de sainteté, de savoir et de piété. L’exemplaire, ou les exemplaires, qui ont servi de base à cette édition de 1599 x, doivent être ceux de Bredenbach, car, dans trois variantes remarquables, elle suit la version Bredenbach et non Lanspergius *. Néanmoins, on ne s’expli­ que pas qu’elle n’ait pas reproduit le prologue général qu’avaient donné aussi bien Bredenbach que Lanspergius. Castaniza tient pour l’original en langue allemande. Il donne un intéressant témoignage de Ribera sur l’estime qu’avait Thérèse d’Avila pour sainte Gertrude, connue d’elle, sans doute, par Louis de Blois. Les scholies propres à Castaniza sont excellentes. 4. — Insinuationes divinae pietatis sive legatus memorialis divinae pietatis a Christo sic nominatus in quo praeter vitam S. Virginis Gertrudis Abbatissae Elpidianæ in Saxonia Ordinis Sancti Patriarchae Benedicti continentur revelationes, gratiae etc... opera et studio P.D. Laurentii Clement monachi Monserratensis Pragensis, Ordinis S. Benedicti. Salis burgi, typis Joannis Baptistae Mayr. MDCLXI1 — in 8. 1, L’article Castaniza du DS donne la date de 1577, mais c’est simplo· ment une fauto d’impression pour 1599. 2. En particulier, pour orationibus illius au lieu de orantibus illis. 68 INTRODUCTION Clément connaît Lanspergius. Mais il loue l’édition de Bredenbach pour le soin et l’élégance typographiques, ainsi que pour les scholies marginales et il la suit de préfé­ rence l. Pour l’Espagne, il connaît la traduction castillane du moine Léandre de Grenade Manriquez (1605)12, sait l’admiration de Yepez et d’autres docteurs, mais il ne dit rien de l’édition latine de Castaniza pourtant bénédictin. De même, pour la France, il connaît la traduction de Ferraige, il ne dit rien de l’édition latine do Canteleu, qui est aussi de 1662, et qu’il n’a sans doute pas pu connaître. Clément, qui ne dispose d’aucun manuscrit, justifie son édition par les incorrections des éditions précédentes et la rareté des exemplaires. Il fait précéder l’ouvrage d’une « synopsis vitae » de 63 pages, donne quelques extraits de la préface de Bredenbach et signale une œuvre de D. Élie Pereul, bénédictin de la Congrégation des saints Vanne et Hydnlphe « qui matrimonium spiritale Christi Domini cum S. Gertrude in lucem edidit lingua vernacula » (cf. infra). 5. — Insinuationes divinae pietatis seu vita et revelationes S. Gertrudis Virginis et abbatissae O.S. Benedicti a mendis quibus scatebant expurgatae studio et labore D.N.C.B. Parisiis apud Fredericum Leonard. MDCLX11 — in 8. D.N.C.B. = Dorn Nicolas Canteleu Bénédictin. Après une épitre dédicatoire, signée de l’imprimeur, aux religieux de la Congrégation de saint Maur et un Proloquium succinct, cette édition reproduit la préface de Lanspergius; elle donne ensuite quelques pages sur Louis de Blois, un éloge de sainte Gertrude de Sébastien Pierre a Nardus » (1658) et des épigrammes en vers. 1. En particulier, lui aussi donne orationibus illius au lieu de orantibus illis. 2. Insinuacion de la divina piedad... (Antonia Ramirez, vidua, Sala­ manca, 1605); l'ouvrage comprend les trois premiers livres, plus des prières et des « exercices ». Lo même traducteur a publié à Valladolid, en 1613, une traduction des Exercices spirituels. DIFFUSION DE L’OUVRAGE 69 Dom Canteleu dit n’avoir ou à sa disposition, comme texte latin, que l'édition de Bredenbach (1579), dont il critique le caractère fautif, notamment dans le titre des chapitres x. Il n’aurait donc eu en mains ni Castaniza ni Clément. Cependant, son édition ne reproduit pas le Pro­ logue général que connaissait Bredenbach et que supprimait Castaniza, ce qui prouve que Canteleu utilisait aussi les premières traductions françaises qui, faites sur Castaniza (cf. infra), ignoraient le dit Prologue. Dom Canteleu eut le temps de corriger la dernière épreuve de ce livre le jour de sa mort, 29 juin 1662, à trente-trois ans 2. 6. — Sanctae Gertrudis Virginis et abbatissae ordinis Sancti Benedicti insinuationum divinae pietatis exercitia. Cura et opera D. Antonii Joseph Mége. Parisiis Frederici Leonard. MDCLXIV — in 12. C’est sous un titre différent une simple réédition corrigée de l’édition de D.N. Canteleu de 1662’. L’ouvrage contient en outre les Exercices et POflice de sainte Gertrude. 7. — (Revelationes Gertrudianae ac Mechtildianae) I. Sanctae Gertrudis Magnae Virginis Ordinis Sancti Bene­ dicti Legatus divinae pietatis... Opus ad codicum fidem nunc primum integre editum Solesmensium O.S.B. mona­ chorum cura et opera. Apud Ilenricum Oudin. Pictavii. Parisiis. MDCCCLXXV. Dom Paquelin est le premier des éditeurs latins depuis Lanspergius qui ait entendu réviser le texte en recourant à la tradition manuscrite. Deux manuscrits sont venus entre ses mains : W et Z (cf. supra ). Il suit normalement W 1. Ses corrections sont évidemment subjectives et s’éloignent des titres quo donnent les manuscrits. 2. Tassin, Histoire littéraire, 62. 3. Ta551 N, Histoire littéraire, 132. 70 INTRODUCTION tout en adoptant des variantes venant soit de Z, soit même des éditeurs précédents Le prologue et le livre I, ainsi édités d’après les manuscrits, diffèrent sensiblement des versions précédemment éditées, lesquelles dépendent toutes de Lanspergius, qui avait dû, comme il est dit plus haut, se contenter, pour ces parties, de traduire en latin une version en vieil allemand. L'édition Paquelin comporte une très longue préface per­ sonnelle (I-LXII), la préface de Lanspergius (LXI1I-LXX1), le témoignage de Louis de Blois (LXXII), une partie des extraits de Tilmann Bredenbach qu’avait reproduits (ci. supra) Clément (LXXIII-LXIV). Paquelin a adopté, lui aussi, le procédé des courtes scholies marginales, qui semblent, fréquemment, inspirées de celles de Tilmann Bredenbach. III. — Les traductions françaises Comme pour les éditions latines, il n’est question ici que des ouvrages donnant intégralement les cinq livres des Révélations. Pour les Exercices spirituels, la question est traitée ailleurs 1 2. Pour les anthologies et florilèges, conte­ nant des emprunts aux Révélations, une allusion très brève y sera faite en fin de chapitre. 1. — 1619. Les V Livres des Insinuations de la Divine Piété contenons la vie admirable de la glorieuse vierge S. Gertrude, de VOrdre de S. Benoist ensemble un sommaire de toute la perfection chrestienne et religieuse traduicts de latin en français 1. Voir, par exemple, au livre I” chapitre xi, un emprunt fait à Lans­ pergius, note It bis. 2. Cf. Introduction de l’édition des Exercices Spirituels dans la présente collection. DIFFUSION DE L’OUVRAGE 71 par I.B.D.M.C.D.R. avec un Trâtelé théologique nécessaire pour entendre la doctrine contenue en ces livres. .4 Paris chez Michel Sonnius rue S. Jacques à l'Escu de Basic MDCX1X avec privilège du Boy et approbation. Cette édition contient : une épitre dédicatoirc à la Mère Anne de S. Barthélemy, sous la signature de Michel Sonnius; - - un abrégé des approbations extraites de la traduction espagnole du P. Léandre de Grenade Manrique, de 1605 (p. 1 à 21); — un a abrégé de la vie de saincle Gertrude » (p. 22 à 74); le Discours Théologique par P.D.R.C. soit Denys de la Mère de Dieu (p. 75 à 164); — l’approbation des docteurs, du 2 septembre 1619, sur les Insinuations de la Divine piété (p. 165); — la traduction des cinq livres paginée de 1 à 854; — une table des chapitres. Cette édition qui correspond à l’édition latine d’Espagne par Castaniza et à la traduction espagnole de Manrique 1 est certainement due aux Carmes déchaux de France. L’épitre dédicatoirc est caractéristique. Anne de SaintBarthélemy a quitté depuis octobre 1611 la France pour les Flandres, en désaccord avec Bérulle. En 1619, le conflit, entre celui-ci et les Carmes, notamment avec Denys de la Mère de Dieu, est particulièrement aigu; l’épitre est nette­ ment dirigée contre Bérulle 12. Il est bien probable que la traduction est de Denys de la Mère de Dieu ou, en tout 1. Co qui explique que le Prologue général manque. 2. « Je n’ny garde de blasmcr vostro action, puisque ç’a esté pour vous retirer en vostro lieu propre et aller mourir à la conduite de ceux qui par lour direction vous firent naistre et vivre spirituellement tant d’années. Ce fut ainsi que fit la pure colombe de l’Arche, qui ayant quelque temps voltigé au dehors et n’ayant trouvé où appuyer son pied, revola sur le déclin du jour dans son Arche, où elle fut charitablement accueillie par son Noû. » La Vie d'Anne de S. Barthélémy, traduite de l’espagnol par René Gaultier (Sébastien Huré, 1633) insiste sur ce désir qu’eut la sainte, di-s que les Carmes furent en France, do retourner sous leur obédience. Malgré la résistance do BérOllo, elle finit par obtenir d'être envoyée < en quelque couvent de Flandre où elle peut en paix observer la règle ». ΊΊ INTRODUCTION cas, inspirée par lui L Quoi qu’il en soil, la traduction est médiocre, trop servilement calquée sur le latin. 2. — 1623. Ias Insinuations de la Divine piété, contenants la vie admirable de la glorieuse vierge saincte Gertrude, de VOrdre du Patriarche S. Benoist, avec le sommaire de toute la vie chrestienne, perfection spirituelle, et l'exercice de toutes sortes de vertus religieuses, recommandez des hommes très excellents en doctrine et piété, et traduits de latin en nostre langue par M. Jacques Ferraige, prestre et docteur en théo­ logie, Cozeranois. Avec un traicté théologique nécessaire pour entendre la doctrine contenue en ces livres, faict par P.D.R.C. /1 Paris chez Michel Sonnius, rue sainct Jacques à l'escu de Basle. M.DC.XXIII. Avec privilège du Roy et approbation. C’est un remaniement do l’édition précédente. Les mêmes éléments s’y retrouvent, mais disposés dans un autre ordre avec quelques additions : le jugement de Louis de Blois, Γ Avertissement, ÏOrdo des dimanches de l’année. La Table des Chapitres a été remplacée par une Table alphabétique des matières et l'Épitre à Anne de Saint-Barthélemy par une Épîlre à Marguerite d’Arbouze, dont Ferraige était le directeur spirituel; enfin l’approbation de 1619 a cédé la place à une approbation du 23 octobre 1622, de F. M. Bro­ chet et F. Balthazar Langlois. Ferraige a revu très soigneusement la traduction et l’a rendue plus courante et plus intelligible. 3. — 1634. Une seconde édition de la traduction précé­ dente de Ferraige est faite à Lyon chez Simon Rigaud mdcxxxihi. Le litre, le texte et la disposition sont les mêmes, ainsi que l’approbation du 23 octobre 1622, mais i. Si les initiales IBDMCDR désignent Dcnys de la Mère de Dieu, il faudrait sans doute les lire : lean Baptiste de Machanan, carme décheux de la Réforme. DIFFUSION DE L’OUVRAGE 73 la composition est plus serrée, ce qui permet à Rigaud de gagner 163 pages, soit plus de 10 cahiers, sur M. Sonnius. 4. — 1633. Juste avant l’édition de Lyon, parait à Paris, sous le nom de Ferraige, un autre ouvrage : Les Insinuations de la divine piété, contenants la vie admirable de la glorieuse vierge saincte Gertrude de Vordre de S. Benoist avec le som­ maire. de toute la vie chrestienne, perfection spirituelle et Vexercice de toutes sortes de vertus religieuses recommandez des hommes très-excellents en doctrine et piété et traduits de latin en nosire langue par M. Jacques Ferraige preslre et docteur en théologie, cozeranois avec un traité théologique nécessaire pour entendre la doctrine contenue en ces livres, faicl par P.D.R.C. A Paris chez Marin Vaugon devant l'Orloge du Palais au Sauvage MDCXXXIII. En dernière page : Imprimé par Claude Calleville mdcxxxiii. C’est un simple démarquage de l’ouvrage de 1619, chez Michel Sonnius. A l’exception du nom d’éditeur, de l’achevé d’imprimer et de l’épttre dédicatoire, c’est le même texte, la même approbation de docteurs (1619), la même composi­ tion, la même pagination. L’épitre à Anne de Saint-Barthé­ lemy a fait place à une tëpître à la Reyne des Anges, non signée et d’une parfaite banalité. Comment, expliquer cette publication, sous le nom de Ferraige, au moment oïl celui-ci réédite à Lyon sa traduction de 1623? Ce n’est sans doute qu’une contrefaçon de libraire. 5. — 1671. Les Insinuations de la divine piété de Ste Gertrude, vierge, abbesse de Vordre de S. Benoit. Avec Vabbrégc de sa vie. Traduction nouvelle. A Paris, chez Jean Renault imprimeur, Libraire-Juré, rüe S. Jacques, à VAnge Gardien MDCLXXI. L’auteur de cette traduction déclare s’être n principale­ ment arresté à suivre ce qu’en a escrit M. Ferraige ». En effet, l’ouvrage reprend les éléments de l'édition Ferraige : v. g. abrégé de la vie, abrégé des approbations, extrait de 74 INTRODUCTION la traduction espagnole de Lêandrc Manrique (1605). Là aussi, le Prologue manque. C’est toujours la mémo filière depuis IBDMCDR. 1619! La traduction des Insinuations est renouvelée. Au style de IBDMCDR et aussi de Ferraige (1633) s’appliquent sans doute ces remarques d’un « Avis au lecteur » : « j’avais peine à souiTrir... que le langage ancien, et trop obscur couvrist et déguisast la beauté de ses Escrits... je me suys exprimé dans les meilleurs termes que j’ay pù, pour conserver le sens de ses paroles, en y adjoustant la pureté de la langue Françoise ». De fait, le style en est élégant et clair, mais la traduction est libre, omet les passages plus subtils ou tourne très souvent à la glose. Elle est anonyme. Paquelin dit, sans autre explication, que l’auteur lui semble être une moniale bénédictine et l’Avis au lecteur parle bien de « notre » Grand Patriarche saint Benoît, mais le même avis s’exprime au masculin, ce qui, toutefois, n’est pas une preuve absolue. La Dédicace à la Reyne des Anges, différente de l’Épître de 1633 (cf. n. 4), porte cette seule signature : « l’Esclave de la Grandeur et de l’amour de Marie ». Cette dévotion qu’on peut rattacher au courant bérullien a été trop répandue au xvu® siècle pour qu’elle permette d’identifier même un milieu. 6. — Pour ajouter à l’énigme de l’anonymat de la tra­ duction précédente, remarquons qu’en cette même année 1671, mais quelques mois plus tard, parait la traduction des Mauristes (cf. n° 7) où FAvertissement signale que le sulpicien de la Chetardie1 avait au même temps commencé une traduction, mais l’abandonna à la demande des Mauristes. A quel degré d’avancement s’effaça-t-il? et même s’effaçat-il complètement? 1. Joachim Trotti do la Chetardie (1636-1714) fut Supérieur des sémi­ naires sulpiciens du Puy et de Bourges, puis curé do Saint-Sulpice. 11 est l’auteur de divers ouvrages de catéchèse et de pastorale. DIF FUSION DE I/OUVHAGE "■'· 7. — 1671. La Vie el les Revelations de sainte Gertrude Vierge et abbesse de Vordre de saint Benoit, nouvellement traduites du latin en français par Dont Joseph Mège, religieux de la congrégation de saint Afaur, avec Γο/fice particulier de la même sainte en latin et en français. Paris, chez Louis Billaine. MDCLXXI. L’initiative do cette traduction revient à Dont Claude Martin, sur le conseil de sa mère, la Vénérable ursuline de Québec, Marie de l’incarnation. Elle est faite sur l’édition latine de Cantcleu 1662, révisée en 1664 par Dom Mège, et, par suite, ignore le Prologue. L’Avertissement connaît la traduction de Ferraige. Sur le témoignage, semble-t-il, des Mémoires de 1’Oratorien Batterel*, les historiens12 répètent que, tout en étant publiée sous le nom de Dom Mège, cette traduction est l’œuvre de Loménie de Brienne pour les livres I à IV et de Dom Louis Bulteau pour le livre V. C’est ce dernier aussi qui aurait écrit ΓAvertissement. Une deuxième édition est signalée chez de Bats, Paris, 1687. Mais ce n’est qu’une remise en vente d’un stock d’in­ vendus de l’édition Billaine 1671. Le libraire de Bats s’esl contenté de coller un papillon à son nom et avec la date nouvelle sur la page de titre, dissimulant ainsi la mention de Billaine. Cette traduction est excellente, tout en se ressentant évidemment de la liberté habituelle aux traducteurs du xvnc siècle. Elle a inspiré maintes traductions du xix« siècle (cf. infra). 8. — Perennès II. 316, signale deux éditions des Insinua­ tions chez Delsors en 1633 et en 1671. Faute de connaître 1. Louis Batterel (1079-1752), Mémoires domestiques pour servir à Vhistoire. de ΓOratoire (êd. Ingold et Bonnardel, Paris, 1902-1905, t. III, 273). 2. Michaud, Biographie universelle^ art. Loménie. — Paquelin, op- cù.t préface, p. 54. — Nouveau supplément à Vhistoire littéraire de SainhMaur, II (1931), p. 840. 76 INTRODUCTION des exemplaires de ces éditions, il est impossible de les situer par rapport aux éditions ci-dessus (3,5 et 6) qui,chez d'autres libraires, ont les mêmes dates, ni même de savoir si ce sont des traductions intégrales des Revelations. 9. — Il semble n’y avoir aucune traduction, ni réédition au xvnic siècle. 10. Avant l’édition latine nouvelle de D. Paquelin, et même après, des traductions françaises furent publiées qui ne sont que des copies plus ou moins remaniées de la tra­ duction Mège (v. g. Avignon, 1842; Paris, Bruxelles, 1866; Paris, 1879; Paris, 1890). 11. — 1877. Après l’édition latine de D. Paquelin de 1875, une nouvelle traduction s’imposait. Le Héraut de V Amour divin. Révélations de sainte Gertrude, vierge de l'ordre de Saint-Benoît, traduites sur la nouvelle édition latine des Pères Bénédictins de Solesmes (Oudin frères, Poitiers, Paris MDCCCLXXVII). La traduction est de D. Paquelin et sa longue et érudite préface de l’édition latine est résumée ici, pour l’essentiel, p. i à xxxiv. Elle fut rééditée en 1898. 12. — 1906. Le Héraut de V Amour divin. Révélations de sainte Gertrude, vierge de l'ordre de Saint-Benoit, traduites sur l'édition latine des Pères bénédictins de Solesmes. Nouvelle édition revue et corrigée (Marne 190G). Cette révision anonyme est l’œuvre des moniales de N.-D. de Wisques, reprenant le texte français de D. Paquelin pour donner au style plus d’élégance, ce qui l’éloigne parfois davantage du latin. La préface nouvelle dépend assez étroitement, dans ses Irc et IIIe Parties, des préfaces latine et française de D. Pequolin. La IIe Partie est plus originale et reflète la doctrine spirituelle de Mmc Cécile Bruyère, première abbesse de DIFFUSION DE L’OUVRAGE 77 Sainte-Cécile de Solesmes, et de M®° Thérèse Bernard, pre­ mière abbesse de Notre-Dame de Wisques. Réédition en 1926. 13. — Le Héraut de l'Amour divin. Révélations de sainte Ger­ trude, vierge de ΓOrdre de Saint-Benoît. Traduites sur l'édition latine des moines de Solesmes par les moniales de NotreDame de Wisques. Nouvelle édition (Marne 1952). C’est une reprise, sans notable modification, de l’édition précédente. 14. — Le Mémorial spirituel de sainte Gertrude. Livre deuxième du Héraut de ΓAmour divin. Préface et traduction par Dom Pierre Doyère, moine de Saint-Paul de Wisques (Paris, Plon, 1953). 15. — Depuis le début du xvn® s., de nombreux ouvrages spirituels, se réclamant plus ou moins directement de sainte Gertrude, l’ont fait· connaître dans les milieux monas­ tiques et dévots. On trouvera dans l’introduction aux Exer­ cices spirituels édités dans la présente collection la nomen­ clature et la très intéressante histoire de ces anthologies et florilèges. IV. — La présente édition 1. Texte latin. Pour les trois premiers livres présentement édités, le texte a été établi par collation de quatre des manuscrits connus : B TWZ, en suivant, sauf exceptions justifiées, la {version de B, pour les raisons indiquées plus haut en conclusion de l’étude de la tradition manuscrite. Par commodité matérielle, la collation a pris pour base le texte imprimé de Paquelin. dûment modifié. Du manuscrit K, qui n’a été connu que lorsque cette édition était fort avancée, n’ont été lus en entier que le Prologue et le 78 INTRODUCTION livre II. Dans les livres I et III, de nombreux sondages ont été effectués. Cette consultation, forcément rapide, n’a pas obligé à modifier en quoi que ce soit le texte établi à l’aide des quatre autres manuscrits. Ajoutons que les quelques variantes de K n’ont pu être insérées dans l'apparat cri­ tique, faute d’une lecture complète du manuscrit. Paquelin, en 1875, a suivi de préférence W, le meilleur des deux manuscrits qu’il avait à sa disposition, tout en prenant des options différentes, soit d’après Z, soit d’après /, soit même des options personnelles. Lanspergius a fait son édition de 1536 d’après 0 indirec­ tement et λ directement, qui, à travers Lanspergius, s’appa­ rente nettement à Z. L’apparat, critique a retenu les variantes intéressant vraiment le sens ou utiles pour la recherche d’un classement des quatre manuscrits. Sauf cas exceptionnels les variantes de Lanspergius ne sont pas retenues au livre I, car le texte étant une traduction d’une version allemande, il ne témoigne que trop indirectement de la source 0. Pour les livres II et III, les références à l sont plus fréquentes, comme témoin probable de la source λ. 2. Traduction. Une traduction ne peut jamais être une œuvre définitive. Tenter un renouvellement n’est pas méconnaître le mérite des précédents essais, mais les exigences du genre varient selon les époques. Pour nous, il ne s’agit pas seulement d’exprimer la pensée, mais d’en suivre aussi de près les nuances par une fidélité littérale attentive et le respect, au prix même de quelques inélégances, des mouve­ ments et de la personnalité du style, car ils sont eux-mêmes une des conditions de l’expression. Par besoin de clarté, dite cartésienne, le traducteur français est parfois enclin à simplifier et à construire. Caractéristique, par exemple, est l’affirmation de l’auteur de l’Avertissement, dans la traduction Mège (1671) : « J’ai tâché de rendre cette tra­ duction, sinon fort polie cl fort élégante, du moins claire DIFFUSION DE L’OUVRAGE 79 et intelligible et d’éviter les défauts de l’ancienne où les passages obscurs et embarrassés dans le latin ne le sont pas moins dans le français. » Nos perpectives actuelles sont autres, car si la phrase originale est ambiguë, s’il faut la lire deux fois pour bien comprendre, si même la pensée demeure obscure, le traducteur sortirait de son rôle s’il voulait à tout prix être clair, se faire comprendre à première lecture et épargner tout embarras au lecteur. Les interpré­ tations qu’il aurait à suggérer doivent autant que possible ne pas glisser dans le texte et demeurer en marge. Telle est la raison de maintes notes qu’on trouvera en bas de pages. 3. Titre. La rédaction de l’ouvrage, abstraction faite du livre I, dont nous avons expliqué plus haut le caractère, est double : le livre II, écrit par la sainte elle-même; les autres livres, postérieurs, rassemblant, avec des révélations dictées par elle, des notes et souvenirs divers. Chacune de ces deux parties a reçu du Seigneur un titre spécial : Memoriale abundantiae divinae suavitatis pour le livre II, Legatus divinae pietatis pour les autres livres; puis l’ensemble, le titre unique de Legatus memorialis abundantiae divinae pietatis. Malgré ces précisions du Prologue, les manuscrits ne don­ nent pas de tradition nette pour le titre. Les éditeurs latins du xvie siècle ont adopté le titre général : Insinuationum divinae pietatis libri V (l, b, c) ; au xvnc siècle, le terme Insinuationes est maintenu accompagné d’un autre : Legatus (s); Vita et revelationes (n), exercitia (m). Paquelin, sous le titre général Revelationes Gertrudianae ac Mechtildianae, adopte pour sainte Gertrude le titre donné par le Prologue à la IIe partie : Legatus divinae pietatis. Les traductions françaises ont suivi les éditions latines. Le titre d’Insinuations prévaut jusqu’à Dom Mège, qui préfère : La Vie et les Révélations. La traduction de Dom Paquelin et celles qui en dépendent nous ont rendu familier le titre de Héraut de VAmour divin. Mais, comme le Prologue 80 INTRODUCTION affecte ce titre à la seconde partie de l’ouvrage seulement, suggérant pour l’ensemble Legatus memorialis abundantiae divinae pietatis, bien que la formule soit un peu complexe, nous avons préféré, pour la présente édition, lui être fidèle : Le Héraut, Mémorial des largesses de ΓAmour divin. 4. Divisions. Dans les manuscrits, chaque livre est divisé en chapitres ayant reçu des titres qui essaient plus ou moins heureusement d’en résumer le contenu. Non seule­ ment les manuscrits présentent entre eux des divergences de détail, mais, pour un même manuscrit, l’accord n'est pas absolu entre la numérotation, qui est souvent omise par K, le libellé qu’on trouve dans le texte et les indica­ tions de la table des capitula. La division en chapitres est commode pour les références. Tous les éditeurs l’ont conservée, et la présente édition s’y conforme comme suit : Au livre 1, on compte dix-sept chapitres dans B K W p, seize dans T Z par contraction de 3 et 4, dix-neuf dans l par dédoublement de 1 et de 16. La présente édition suit la numérotation de B, soit dix-sept chapitres, et les libellés tels qu’ils figurent dans le texte. Au livre II, on compte vingt-quatre chapitres dans B K VV l p, vingt et un dans T par contraction de 10 et 11, 12 et 13, 21 et 22; vingt-trois dans Z par contraction de 21 et 22. La présente édition suit la numérotation de B, soit vingtquatre chapitres, et les libellés tels qu’ils figurent dans le texte. Au livre III, on compte quatre-vingt-neuf chapitres dans W, quatre-vingt-dix dans B, par dédoublement de 16, quatrevingt-dix dans K l et p, par dédoublement de 65, quatrevingt-neuf dans Z, mais le chiffre 56 ayant été utilisé deux fois, le dernier chapitre prend le n° 88, quatre-vingt-onze dans T, par dédoublement de 65 et par insertion, sous un numéro propre, d’un doublet : In die Exaltationis, apparte­ nant au livre IV (of. t. Ill, note 1 à la phrase préliminaire DIFFUSION DE L’OUVRAGE * 81 de la deuxième partie). La présente édition suit la numé­ rotation de W et le libellé de B. Cette solution paraît la meilleure; elle reste fidèle à B, tout en éliminant sa variante solitaire d’un dédoublement de 16. Pour les tables des capitula du texte latin de la présente édition, elle ne reproduit pas la table du manuscrit et néglige les variantes; elle est établie d’après la division adoptée selon les indications précédentes. Dans la traduction, tout en conservant discrètement les numéros des chapitres, on s’est efforcé d’adopter une division logiquement plus satisfaisante et faisant mieux apparaître la structure de chaque livre : chacun d’eux, en effet, demande un traitement spécial. Le livre I est comme une Prima Vita Gertrudis, soigneu­ sement composée, qui a pour dessein, comme il était d’usage chez les hagiographes médiévaux, non pas tant d’écrire une histoire des faits que de donner la preuve de la sainteté du personnage, c’est-à-dire témoigner l’origine surnaturelle et divine de ses inspirat ions et de la puissance de sa prière. Le titre adopté ici, La Sainteté de Gertrude, marque ce dessein et le cadre très précis résulte des indications données par l’auteur lui-même aux charnières logiques de son déve­ loppement. Dans son genre, c’est une œuvre excellente. Pour le livre II, le titre inspiré de Memoriale abundantiae divinae suavitatis est traduit largement par Mémorial spirituel. Ce livre semble bien avoir été écrit au courant de la plume, sans dessein précis de composition. Il ne sup­ porte flonc guère que les divisions marquant les étapes de la rédaction. Après une courte introduction (ch. i), une première partie comprend les chapitres π à v, la rédaction ayant été interrompue à cet endroit. Une deuxième partie commence donc avec le chapitre vi. Il nous semble aussi qu’avec le chapitre xx, le ton et même le mode de compo­ sition changent et qu’on peut légitimement distinguer une troisième partie (ch. xx-xxin), et le chapitre xxiv a valeur d’épilogue. 82 INTRODUCTION Quant au livre III, le problème est très complexe. D’après les manuscrits B, W, Z, une coupure se fait après le cha­ pitre lxv. Il y a donc un premier rassemblement des confi­ dences (1-65); la seconde partie, du chapitre lxv à la fin, a le caractère de série nouvelle où les « révélations » intéres­ sent surtout d'autres âmes. Ni l’une ni l’autre ne se présente suivant une composition bien ordonnée. Le premier éditeur Lanspergius signalait déjà qu’il était difficile de distinguer des divisions logiques, mais remarquait seulement quelques grands thèmes revenant et se croisant tout au long du livre. Souvent le même thème fait l’objet de plusieurs confidences éparses dans le livre; parfois même en manière de simples doublets. On serait donc tenté de se borner à signaler ces thèmes au fur et à mesure, comme le font les nota des édi­ tions latines. Cependant la compilatrice a manifestement ébauché quelques groupements. Par exemple, le long chapitre xvm rassemble des expériences et révélations en liaison avec l'assistance à la messe et la communion. On peut aussi discerner dans le chapitre xxx un « exercice » sur des textes liturgiques de 1’Avent; de xxxix à xlv des exercices sur la Passion et le Crucifix, etc. La présente édition s’efforce de souligner ces éventuels groupements, et adopte ainsi une sorte de compromis entre la titulation des chapitres latins et les scholiae de scribe. La seconde partie, dont les confidences successives visent certaines personnes pour lesquelles sainte Gertrude prie, ne comporte pas d’ordre logique. Il suffit, sans doute, de noter pour chaque fragment l’éventuelle particularité du cas. Pour la traduction des livres IV et V, la division par chapitres du texte latin semble, à première vue, reprendre ses droits; mais nous nous réservons de traiter plus expli­ citement la question lors de l’édition de ces livres. 5. Sous le texte latin, en plus de l’apparat critique, la présente édition multiplie les références scripturaires, patristiques et liturgiques. Il n’a pas été toujours facile de déter­ DIFFUSION DE L’OUVRAGE 83 miner si ces réminiscences et allusions valaient la peine d’être retenues, surtout pour de simples rencontres de mots, encore que celles-ci puissent être intentionnelles et veuillent suggérer une similitude de situations ou de sentiments. Les moniales de Wisques se sont appliquées avec soin à cette recherche qui n’avait jamais été poussée ainsi. Les résultats ont été fructueux, sans qu’on ose affirmer qu’il n’y ait plus rien à ajouter. 6. Des notes explicatives jugées nécessaires ont été placées sous le texte français. D’autres sont renvoyées en appendice, soit en raison de leur longueur, soit pour leur caractère d’excursus plus général. Dans ces excursus, le sujet n’a pas été traité à fond, mais simplement dans la mesure où il convenait d’éclairer un passage gertrudien. 7. Qu'on nous excuse d’être trop bref pour remercier ici tous ceux qui ont collaboré, étroitement ou indirectement, à cette édition : moines et moniales do Wisques, moines de divers autres monastères, français et étrangers et, hors du cloître, érudits et bibliothécaires accueillant avec charité tant de questions indiscrètes. Cette collaboration leur vaudra l’attention de Gertrude, qu’elle a promise à tous ceux qui, même après sa mort, travailleraient à la louange des largesses de l’Amour divin envers elle. La sainte pardonnera aussi, en raison de l’intention droite, les imperfections de cette édition nouvelle et tout ce en quoi les maladresses du traducteur auront pu la trahir. V. — Les citations marginales Le Prologue général s’achève sur deux références à un texte attribué à Hugues de Saint-Victor affirmant· la nécessité Si INTRODUCTION d’appuyer toute révélation privée d’une « autorité » scrip­ turaire. L’auteur du Prologue et de la compilation conclut alors : « C’est pourquoi j'ai annoté en marge les références... dont j’ai pu me souvenir... dans l’espoir que d’autres plus exercés et plus perspicaces sauront alléguer des textes beaucoup plus probables et plus pertinents. » Voilà donc annoncées des citations marginales d’auteur, de caractère assez différent des simples « nota » de scribe, fréquents dans tout manuscrit et simplement destinés à attirer l’attention du lecteur sur une idée maîtresse, une grande division, une grâce particulière. Il s'agit ici de cita­ tions scripturaires ou patristiques appuyant de leur autorité le contenu ou la forme d’une « révélation n. Aucun éditeur ne s’est intéressé à ces citations. II est vrai que Lanspergius no semble pas avoir connu la déclaration ci-dessus du Prologue. Il donne de celui-ci une finale diffé­ rente qui appartient, dans nos manuscrite et dans l’édition Paquelin, au chapitre i. Cette ignorance a sans doute conduit Lanspergius, s'il rencontrait dans son codex des citations marginales, à méconnaître leur caractère primitif et à les traiter comme des nota de scribe, postérieurs et négli­ geables. 11 peut se faire aussi que la version allemande qu’il utilisait pour le livre 1 et le Prologue n’ait, de son côté, retenu ni la vraie finale, ni les citations marginales. Paquelin. au contraire, était prévenu par le Prologuo et rencontrait dans W un certain nombre de ces citations. Cependant, il ne s’y est pas arrêté, sauf une fois (ur, 37) où il utilise le renvoi d’une citation marginale à Albert le Grand pour l’appliquer à une autre citation donnée dans le texte, sans référence. Nous aurions voulu, dans la présente édition, dès les pre- ; miers volumes, remédier à cette lacune des éditions précé­ dentes, car l’emploi de ces citations marginales concerne surtout les trois premiers livres et parait très révélateur du climat intellectuel et spirituel d’Helfta. Mais le problème, à l’examen des manuscrite, s’est révélé très complexe. 11 DIFFUSION DE L’OUVRAOE 85 mérite une étude attentive que nous nous voyons obligés de renvoyer en fin d’édition. Une première difficulté est dans la lecture et l’identifi­ cation de certaines de ces citations. Mais la difficulté prin­ cipale est le manque d’accord des manuscrits à ce sujet. B en donne environ deux cent-s pour les trois premiers livres et W cent cinquante seulement qui, à vrai dire, sont toutes, à de très rares exceptions près, déjà dans B. Le codex T n’en donne aucune et Z, après avoir glusé la finale du Prologue de cette remarque : quare auctoritates inglissantur in marginibus libri — ce qui prouve quo Z utilisait un codex où se trouvaient bien des citations marginales — n'en donne aucune, du moins dans la partie due à la première main; la seconde main en a retenu quelques-unes. Comme T et Z sont inachevés, on peut conjecturer que les scribes attendaient d’avoir fini la transcription du texte pour ajouter en marge les citations et leurs nota propres. K. comporte, comme B et W, un bon nombre de citations marginales. En comparant B et W, on est tenté de considérer comme originales les quelque cent cinquante citations marginales communes et de regarder celles qui sont propres à B comme émanant d’un scribe, encouragé par le Prologue lui-même à alléguer de nouvelles « autorités ». Mais cette conclusion hâtive, trop simple, demandera certainement à être nuancée, car, si W dérive, par β, de B (cf. supra, p. 65), comment expliquer que se soit produit, en passant de l’un à l’autre, l’allègement des citations? Quoi qu’il en soit, à titre d’exemples, nous reproduisons ici les citations marginales qui appuient les récits de deux des plus grandes grâces mystiques de Gertrude : la vision du 27 janvier (n, 1) et la vision du face à face (n, 21). 1. — Vision du 27 janvier. Elle a droit à six citations communes à B et W, plus deux propres à B. 1. (B) Manifestabo ei meipsum. Jn 14, 21. 2. (BW) Augustin. Vidi qualicumque oculo animae 8û INTRODUCTION meae supra mentem meam. Audivi sicut auditur in corde. « Confessions », 7, 10; 10. 16. 3. (BW) Bernard. Spiritus est Verbum spiritusque est anima habensque linguas (non1) quibus alterutrum alloquantur praesentesque indicent. Et Verbi quidem lingua favor dignationis est, animae vero fervor dilectionis. « In Cant, e, 45, 7. 4. (BW) Statim fui in spiritu. Éz. 8, 3. 5. (BW) Elevavit me spiritus et introduxit me ad portam domus domini. Apoc. 4, 2. 6. (BW) Peccata nostra diviserunt intra nos et Dominum. Is. 59, 2. 7. (BW) Ecce in manibus descripsi te. Is. 49, 16. 8. (B) Qui autem sperant in Domino mutabunt fortitu­ dinem. Is. 40, 31. La première citation, johannique, veut remarquer que la manifestation du Seigneur à une âme qui l’aime est conforme aux promesses de F Évangile. Les quatre citations suivantes invoquent l’autorité de visions analogues ou môme plus grandioses, pour témoigner du caractère spirituel de ces manifestations : apparitions, paroles, gestes ne concernant pas les sens corporels. Plus spécialement, le texte bernardin répond à une objection sur la possibilité d’un colloque entre deux êtres de nature spirituelle. Le texte d’Ézéchiel, en outre, rapproche le geste de la main divine enlevant le prophète dans les aire jusqu’à Jérusalem du geste du Seigneur enlevant la sainte par-dessus la haie. Et le symbole de cette haie est précisé par la 6e citation. La septième citation souligne le dernier trait de la ren­ contre : la vue des stigmates sacrés sur la main divine. « Vois, je t’ai gravée sur les paumes de mes mains. » L’inter­ prétation qui accommode ce verset aux mains transpercées 1. L’adjonction du non est nn contresens de scribe. W a le même texte, nouvel indice de sa dépendance de B. DIFFUSION DE L'OUVRAGE 87 du Crucifié est très ancienne. Elle apparaît dans saint Cyrille d’Alexandrie, vers 450, soit qu’elle soit de lui : « il est permis de penser... », soit qu’il entende approuver un thème plus ancien L Quant à la huitième citation, propre à B, elle donne auto­ rité à l’efficacité de la vision, qui est bien de « renouveler les forces » de la moniale, après la crise do l’Avent précédent. 2. — Vision du face à face. Elle provoque trois citations, communes à B et W. 1. Augustin. Quid est illud quod interlucet mihi et per­ cutit cor meum sine lesione et inhorresco et inardesco. « Confessions », 11, 9. 2. Bernard. Spiritus est Deus et eos qui. volunt ei similes fieri oportet intrare ad cor atque in spiritum illud negotium aditare ut revelata facie gloriam domini spéculantes in eam imaginem transformentur de claritate in claritatem ad domini spiritum. « In Cant. », 24, 5. 3. Augustin. Non est magnum omnipotenti qui valet facere supra quam petimus et intelligimus. « Confes­ sions », 10, 30. La dernière citation prévient la tentation que pourraient avoir certains lecteurs de s’étonner ou même de se scandaliser des grâces de douceur sensible dont la sainte évoque le souvenir en fin de chapitre. Encore que dans un contexte un peu différent·, saint Augustin applique à la joie de sa conversion la prière de saint Paul sur la bonté toute-puis­ sante de Dieu (Éphcs. 3, 20). Les deux autres citations s’accordent au caractère lumi­ neux et déifique de la vision de la face divine. Leur conve­ nance est plus évidente encore quand on les situe dans l’ensemble des emprunts faits tout au long du livre par les 1. In Isaiam, PG 70. 1065 D · 1068 A. L’interprétation est repriso.au siècle suivant, par Procope de gaza. In Isaiam, PG 87, 2478. 88 INTRODUCTION citations marginales, d’une part à saint Augustin, d’autre part à saint Bernard. Les emprunts1 faits aux Confessions émanent, de toute évidence, de la même personne, capable do percevoir une correspondance profonde entre les rencontres magnifiques, de caractères pourtant si différents, qu’ont faites de Dieu les deux grandes âmes d’Augustin et de Gertrude. L’expé­ rience de la lumière surnaturelle, chez l’un, l’expérience de l'intimité affective avec le Seigneur, chez l’autre, donnent à tous deux l’évidence intérieure, impossible à analyser mais irrécusable, de l’accord au divin a. Elle conduit à une joie d'une indicible douceur, dont la perfection serait je ne sais quoi qui ne serait plus cette vie 123. L’âme en est dans l’émerveillement45, et la parole de Dieu, reçue dans les Écritures, distille une douceur de miel comme dans une coupe où l’on peut s’abreuver avec une insatiable avidité c. Le lyrisme mystique de la moniale, reposant son àrno sur la poitrine du Seigneur, terre sacrée, fait écho au lyrisme plus philosophique d’Augustin découvrant pareillement dans le Verbe le lieu de notre repos6. Le texte cité plus haut, en marge de la vision du face â face, répond à la même harmonie 7 : les Confessions disent la recherche de Dieu à travers la Création qui l’exprime, car Dieu parle, Dieu possède un Verbe et ce Verbe est le principe de tout le créé. C’est lui qui guide l’intelligence de celui qui cherche et 1. En marge de 1, 17; II, 1, 2, 3, 6, 8, 21, 23. 2. I, 17; Confessions 7, 10 : Non erat prorsus undo dubitarem. 3. II, 2; Confessions 10. 40 : Intromittis me introrsus nescio ad quam dulcedinem. 4. II, 3; Confessions 8, 3; 11, 31 : O quam excelsus es in excelsis et humiles corde sunt domus tuae. 5. II, 6; Confessions 13, 30 : Audivi % Deus meus, et eduxi stillam dulce· dinis de tua veritate. 6. II, 8; Confessions 4, 11 : Hic est locus imperturbabilis quietis, 7. II, 21; Confessions 11, 9 : Quid est illud quod interlucet mihi et per­ cutit cor 'xieum sine lesione et inhorresco et inardesco. DIFFUSION DE L’OUVRAGE 89 c’est, en lui que la recherche môme est déjà une rencontre. Pour sainl Bernard, l’unité se fait, par les emprunts aux Sermons sur le Cantique, autour du thème des relations entre l’Époux et l’épouse. L’expérience de Gertrude apparaît bien à l’auteur qui choisit les citations, comme la réalisa­ tion parfaite de cette union mystique entre l’àmc et le Seigneur, chantée et admirée1 par saint Bernard. Si la crainte est due au maître, la révérence au père, l’Époux demande l'amour12 et, pour exprimer l’amour de l’âme et du Verbe, il n’est pas de noms qui leur conviennent mieux que ceux d’épouse et d’Époux 3456. Sans doute, l’un et l’autre sont esprits, mais il est pourtant entre eux un colloque spirituel *, il est des échanges divers d’intimité spirituelle °, allant jusqu’au baiser e, jusqu’à l’union transformante de claritate in claritatem L’application de certains textes d’Isaïe à la vie mystique de Gertrude témoigne aussi d’une unité de vue dans le choix 1. I, IG; In Cant. 57, 3 : Felix conscientia quae de se icta meretur audire. — 1,17; In Cant. 64, 10 : Cum quonam o admirande sponse tibi tam fami­ liare consortium. 2. III, 18; In Cant. 83, \ : Exigit Deus timeri ut dominus, honorari ut pater et ut sponsus amari. 3. II, 13; In Cant. Ί, 2 : Non sunt inventa aeque dulcia nomina quibus Verbi animaeque dulces ad invicem exprimerentur affectus quemadmodum sponsus et sponsa. 4. II, 1. — HI, 19; In Cani. 45,7 : Cf. supra. — ΙΠ, 10; In Cant. 85,14 : Quisquis es curiosus quid hoc sit illo Verbo praepara illi non aurem sed mentem. Non adest lingua, adest gratia. 5. II, 3; In Cani. 31,7 : Studiosis /nentibus Deus frequenter apparet et non sub una specie. Oportet namque pro variis animae desideriis divinae praesentiae gustum variari et infusum supernae dulcedinis saporem diversa appetentis animi aliter atque aliter oblectare palatum. — III. 9; In Cant. 83,3 : Quid optabilius caritate qua fit ut per temel o anima fiducialiter accedas ad Verbum et familiariter percuncteris consultesque de omni re. 6. Ill, 17; In Cani. 83,6 : Felix cui tantae suavitatis complexus experir donatus est. — III, 18; In Cant. 9,11 : Oseulum impressum melius innotescil. Ί. II, 21; In Cant. 24, 5 : cf. supra. 90 INTRODUCTION des citations. Sans reprendre ce qui a été dit plus haut du témoignage d’amour « sur les paumes de mes mains », remarquons que le thème de la consolation après la détresse et l’exil est comme le leitmotiv des emprunts faits à Isaïe. Ce thème est déjà lié aux citations relevées plus haut en marge de la vision du 27 janvier qui met fin à une crise d’attente, d’Avent. Une autre citation se fait aussi dans un climat d’Avent, ne serait-cc que parce qu’elle reproduit le texte scripturaire, non pas directement, mais sous la forme qu’il prend dans la liturgie du 2° dimanche de ΓAvent1 : tandis que se poursuit le retour glorieux des rachetés vers Jérusalem, toute la nature est comme associée à la joie de la caravane. Ce texte appuie une expérience gertrudienne où le rachat est signifié, non comme une montée de l’àme, mais comme un grand mouvement plein de douceur du Seigneur descendant de son trône vers l’àme misérable. Et les « montagnes » et les « arbres », qui s’associent joyeusement à ce triomphe divin, sont les élus, mystique paysage où règne la gloire de Dieu. Par amour, Yahvé console et purifie son peuple 12, et cotte consolation, que le poème d’Isaie décrit comme le torrent d’un fleuve de paix, est, dans l’expérience gertrudienne, le flot de douceur répandu du Cœur Divin3. Ainsi, par ces quelques exemples, on peut déjà se con­ vaincre que la plupart des citations marginales ne sont pas de simples références à des concordances verbales, mais, dans l’esprit même du Prologue, les témoignages que, non seulement les grâces plus extraordinaires accordées à Ger- 1. II. 19; h. 55,12 : Montes et colles cantabunt coram Deo laudem il omnia ligna silvarum plaudent manibus. 2 II, 23; Is. 43,4 : Ex quo honorabilis factus es et gloriosus in oculis meis ego dilexi te. — III, 11 ; Is. 43,25 : Ego sum ipse qui deleo iniquitates tuas propter me. 3. III, 53; Is. 56,12 : Ecce ego declino in eos ut fluoium pacis et ut torrens inundans gloriae gentium. DIFFUSION DE L'OUVRAGE 91 trude, mais toute sa vie mystique font comme écho à d’autres grandes expériences voulues de Dieu. Le choix des citations, dans la mesure où on peut l’attribuer à la moniale, auteur do la compilation, révèle aussi la qualité de la lectio divina dans le cloître d’Helfta. Pierre Doyêre 1 I. Dom Pierre Doyire est dicèdi le 1S mars 1966, quelques jours après avoir reçu les premières épreuves du « Héraut de ?Amour divin ». C'est par les soins de Dom François Bouilly et de Dom Jean Fourcade, comme lui moines de Saint-Paul de Wiequts, que l’ouvrage parait aujourd'hui. Leur collaboration a consisté notamment à présenter le manuscrit de Darmstadt, connu trop tard par Dom Doyère. BIBLIOGRAPHIE L’intention n’est pas de relever ici tous les ouvrages consultés au cours de cette étude ou qui peuvent être utiles plus ou moins directement, à l’intelligence de l’histoire et de la spiritualité gertrudiennes. Il ne s’agit que d’ouvrages concernant les œuvres de sainte Gertrude et, plus parti­ culièrement, le Héraut. Les éditeurs solesmiens des Exer­ cices dans la présente collection ont donné la bibliographie qui est propre à ceux-ci, ainsi que celle des florilèges. Ce n’est qu’exceptionnellement que certains do ces derniers sont mentionnés. Il en est de même des articles figurant dans les encyclopédies et les manuels. Les éditions latines et les traductions françaises du Héraut ont été étudiées en détail dans l’introduction (ch. III, π et m) ot ne sont pas reprises dans la présente nomenclature qui, par contre, relient, sauf omissions, les traductions en d’autres langues. Dclizic spirituali di sauta Gertruda.Roma 1664, Imola 1857. Anonyme, El Heraldo dei Amor divino, Revelaciones de santa Gertrudis..., Barcelone 1943. Anonyme, Das Leben und Oflenbahrungcn der hl. jungfr. Ger­ trudis als Influes gôttlicher Gütigkeit..., Cologne 1657, 1674 ». Anonyme, 1. Traduction du texte latin de Lanspcrgius. 94 BIBLIOGRAPHIE Anonyme, Recueil très utile des plus signalées et remarquables révélations de saincte Gertrude, Lyon 1618. Anonyme, Si Gertrud the great (Préface de Dom G. Dolan), Londres 1912 L Anonyme, Sainte Gertrude, sa vie intérieure, avec préface de Dom 0. Dolan (coll. « Pax ♦ 5), 1923 s. Anonyme, Speculum spiritalis gracias ac mirabilium revela­ tionum divinitus jactarum sacris virginibus Mechlildis ac Gerirudis, Lipsk (Leipzig) 1510*. Affarosi (Camillo), [.Vie abrégée], Parme 1636. Andrade (Alonso de), Vida de santa Gertrudis la Magna... sacada de les cincos libros... Castaniza, Madrid 1663, 1734, 1804, 1896*. Balinghem (Ant. de), Le jardinet des délices, Douai 1626-1630, Liège 1626*. Basquin (D. A.), « La doctrine de l’Euchanslie dans les œuvres de sainte Gertrude », dans O salutaris hostia, 1903. Brrli&RE (Dom U.), La dévotion au Sacré-Cœur dans l'Ordrc de saint Benoît (coll. « Pax » 10), 1923*. Besse (Dom), Les Mystiques bénédictins (coll. « Pax » 6), 1922. [B. G. S. (Dom)], Ristretlo della vita della gloriose virgine S. Ger­ trude..., Florence 1770. 1. Cet ouvrage, avec la Préface de Dom G. Dolan a été traduit en fran­ çais. Cf. infra. 2. Traduction française de l’ouvrage anglais signalé supra. 3. D. Paquelin remarque, dans la Préface aux Revelationes mechtildianac, p. XI, que cet ouvrage est une édition exacte du Liber specialis gratiae de sainte Mechtilde, bien que le nom do Gertrude figure dans le titre. 4. Cet ouvrage a été traduit en italien (Rouie 1704) et en portugais (Lisbonne 1708). 5. Cet ouvrage a été traduit en flamand Louvain 1626, Bruxelles 1667. 6. Les notes do bas de page donnent de nombreuses et intéressant) références bibliographiques sur Gertrude et Mechtilde. BIBLIOGRAPHIE 95 Bonelli di Rossiglione (A. M.), Nontio abondante della divina pieta... estratla delli cinque libri di Gio Lanspergio certosino, Balestrino [1681-1686]’. Bonnuci (A. M.), 5. 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Il est possible quo les divers livres aient d’abord été publiés séparément (l’explicit du cinquième livre est daté de 1681), puis aient été réunis sous une table alphabétique commune. La censure est du 4 décembre 1685. 2. Cette traduction anglaise, par une Clarisse de Kenmare, est faite d’après l'édition latine do D.N.C.B. (Canteleu), 1662. 3. Traduction française de l'ouvrage précédent. 4. Traduction en néerlandais des cinq livres de l’édition latine du Héraut. La Bibliothèque do Munster possédait, en manuscrit, col ouvrage, avec un explicit du 20 octobre 1606 (cf. Staknder, Josephus, Chrirographorum... catalogus, 1889). Il a été détruit par l’incendie au cours do la guerre de 1939-1945. 96 BIBLIOGRAPHIE Doybbe (Dom Pierre), Le Mémorial spirituel, Paris 1954 *. Doyère (Dom Pierre), « St Gertrud, mystic and nun », dans Worship XXXIV (1960). Ganss (J.), Geistl. Uebungcn der hl. jungfr. Gertrudis... 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L’ouvrage a été ensuite imprimé à ΓAbbaye de Stanbrook, pro manuscripto, et n’a jamais été mis dans o commerce. Les exemplaires on sont très rares. 5. Traduction du texte latin de Lanspergius. 98 BIBLIOGRAPHIE Verdakf. (D. Willibrord), Das neue Geriruden buch, Beuron 1956, Weida (Paul de), Das Buch des Botschaft der gàttlichcr Güttig· kcii... Lipsk (Leipzig) 1505 1. Weissbrodt (J.), Gesandicr der gôlllichcn Liebe... Fribourg 1876 ... 1919, 1922, 1958. 1. Dans sa préface, p. XLvt, D. Paquelin a traduit en latin le ütre ori­ ginal de cet ouvrage qui est l'édition allemande du Legatus divinae pu­ tatis. Il existe un autre ouvrage ayant pour titre : das Buch geistlicher Gnaden, Offenbarungen und beschaulichen Lcbens der heiligen jung· (rauen Mechiildis und Gertrudis (Lipsk, 1503), dont l’auteur est appelé par D. Paquelin Marc de Weida, et qui est l’édition allemande du Liber specialis gratiae de sainte Mechtilde. SIGLES ET ABRÉVIATIONS Mss du Legatus (ci. supra). B T W Z K Codex de Munich 15332 (Buxheim). Codex de Trêves 77/1061. Codex do Vienne 4224 (Werdau). Codex de Mayence 13. Codex do Darmstadt, Us. 84 (Chartrouse Sainte-Barbe de Cologne). Éditions latines du Legatus (cf. supra). I b c s n m p p9 Cologne 1536 (Lanspergius). Cologne 1579 (Tilmann Bredenbach). Madrid 1599 (Castaùiza). Salzbourg 1662 (Clément). Paris 1662 (N. Canteleu). Paris 1664 (Mège). Poitiers-Paris 1875 (Paquelin). exemplaire de la précédente édition corrigé par l’auteur. Apparat udd. ante corr. c. ni. i. ηΐξ. I. c. addidit. ante correctionem. citatio marginalis. in margine. loco citato. 100 ms. om. Pp. corr. v- g· SIGLES ET ABRÉVIATIONS codex manu scriptus, omisit. pagina. post correctionem. verbi gratia. Varia DS PL PG HA M H Bén SC TMO Dictionnaire do Spiritualité. Migne, Patrologio latine. Migne, Palrologie grecque. Revue d’Ascétique et de Mystique. Revue bénédictine. Collection « Sources Chrétiennes ». Série des Textes monastiques d’Occident SC}. LE HÉRAUT MÉMORIAL DES LARGESSES DE L’AMOUR DIVIN CAPITULA LIBER PRIMUS Approbatio Doctorum. Prologus. De commendatione personae. De testimoniis gratiae. De secundo teste. De tertio teste. Do indiciis et ornatu intellectualis coeli. De constantia justitiae. De zelo quem habuit ad salutem animarum. De compassiva ipsius charitate. De mira continentia ipsius. De dono confidentiae quo mirifice claruit. De virtute humilitatis, caeterisque pluribus insimul positis. De evidentioribus testimoniis coeli intellectualis. De aliquibus miraculis insimul exempli causa positis. De specialibus privilegiis sibi a Deo collatis. De eo quod Dominus eam coegit ad praescripta. De evidentioribus testimoniis quibus eam Dominus per aliorum revelationes certificavit. xvii. De familiariori approximatione ipsius ad Deum. i. π. in. iv. v. vi vn. vin. ix. x. xi. x». xiii. xiv. xv. xvi. 5 10 15 20 .Inno Domini M° CC° LXXX0 IX, divina exuberanto gratia libellus iste initium habuit. Qui postmodum procurantibus praelatis monasterii examinatus et comprobatus est a nominatis theologis fratribus Ordinis praedicatorum atque minorum. Et primo perlectus et comprobatus est a litterato viro scilicet fratre II. dicto de Mulhausen seu viro utique pleno spiritu sancto et etiam a fratre H. de Weriungerode cum ipse staret in domo Hallensi. Hinc comprobatus est multum a fratre dicto do Burch qui circa annum Domini millesimum CCCum lector existons fratrum minorum in domo Halberstadt, Valde nominatus fuit tam in eminenti litteratura quam etiarn in speciali privilegio spiritualis unctionis. Deinde subtilius est examinatus a fratre Nicolao lectore de Hildesheim qui circa annum Domini Mum CCCa,û primum fuit prior in Halberstadt. Frater quoque Theodo­ ricus dictus de Apoldia saepius cum ea colloquium habens sermones et sensum illius per omnia approbavit. Dominus etiam Gotfridus dictus Fex et magister satis probatus ex verbis istius personae tanto divinae voluntatis zelo succen­ sus est quod deinceps totam vitam suam devotione mira Approbations des docteurs1 L’an du Seigneur 1289, sous la poussée de l’inspiration divine, a été commencé cet ouvrage. Dans la suite, sur l’initiative des supérieurs du monastère, il a été examiné et approuvé par des théologiens renommés, tant de l’Ordre des Prêcheurs que des Mineurs. Et, tout d’abord, il a été examiné et approuvé par un homme savant, le frère H(enri) dit de Mulhouse, qui était un homme également rempli de l’Esprit-Saint; puis, par le frère H(enri) de Weriungerode, alors qu’il résidait au couvent de Halle. Ensuite, il fut gran­ dement approuvé par le fr. dit de Burch, qui, vers l'an du Seigneur 1300, se trouvait comme lecteur au couvent des frères mineurs d’Halberstadt et a joui d’un grand renom tant pour son éminent savoir que pour la qualité spéciale des dons spirituels. Ensuite l'ouvrage fut encore plus attentive­ ment examiné par lo frère Nicolas, lecteur d’Hildesheim, qui, vers l’an du Seigneur 1301, a été prieur d’Halberstadt. Pareillement, le frère Thierry dit d’Apolda, qui s’était souvent entretenu avec la sainte, approuva sans réserve ces écrits pour le style et la doctrine. En outre, chez Maître Gode­ froy dit Konig (?), maître très renommé, les paroles de cette sainte avaient allumé un tel zèle de la volonté divine que, depuis lors, il passa très heureusement sa vie entière dans 1. Voir Appendice : Notice des approbations. 10Û GERTRUDE D’HELFTA et desiderio ad Deum feliciter consummavit. Similiter frater Hermannus dictus de Loweia lector ordinis fratrum praedicatorum in Lipzk... Et alii quamplures ejusdem ordinis fide digni audientes verba ipsius optimum et ipsi 25 testimonium ex parle Dei eidem perhibuerunt. Quidam altor perlecto et diligentius examinato libro isto sic sub­ scripsit. Ego in vera veritate divinae lucis fateor quod nullus veraciter spiritum sanctum Dei habens ausu temerario permittitur his scriptis ullo modo rebellare. Imo ego per 30 veracem spiritum unici amatoris generis humani confortatus obligo me pro his usque ad mortem contra quemlibet certaturum. LE HÉRAUT 107 d’admirables sentiments de ferveur el de recherche du Seigneur. De même, le frère Hermann, dit do Loweia, lecteur de l’Ordre des Frères Prêcheurs, à Leipzig et bien d’autres du même ordre, dignes de confiance, ayant entendu les paroles de cette sainte, lui rendirent de la part du Seigneur un témoignage sans réserve. Quelqu'un même, ayant lu et soigneusement étudié cet ouvrage, s’exprima par écrit ainsi : « Sous la vraie et pure lumière de Dieu, je professe qu'il n’est quiconque, s’il est vraiment guidé par l’EspritSaint, qui puisse se permettre l’audace téméraire de contre­ dire en quoi que ce soit ces écrits; bien plus, soutenu par l’esprit de vérité de ΓUnique Amant du genre humain, je suis résolu à défendre jusqu’à la mort les dits écrits contre qui que ce soit ». PROLOGUS 1. Omninin bonorum distributor Spiritus Paraclitus, qui spirat ubi vult °, prout vult et quando vult, sicut congruentissimum quaerit secretum aspirandi, sic etiam ad salu­ tem plurimorum congruentem ordinat modum aspirata in 5 lucem proferendi, ut patet in hac famula Dei, quam licet larga superellluxio divinae pietatis non desierit sine inter­ vallo temporis immanare, emanandi tamen ordinavit intervalla. Unde et liber iste diversis temporibus est con­ scriptus, ita ut pars una conscriberetur post octavum annum 10 acceptae gratiae et pars altera circa vicesimum annum perfi­ ceretur. 2. Quas utrasque partes se acceptare Dominus singulis vicibus dignanter declaravit. Nam cum prima pars con­ scripta fuisset et ipsa cum humili devotione eam Domino commendasset, tale a benignissima pietate Dei accepit res5 ponsum : « Nemo a me elongare potest memoriale abundan­ tiae divinae suavitatis meae a. » Per quod verbum intellexit Dominum velle imponi libello illi tale nomen : scilicet Memoriale abundantiae divinae suavitatis. Et adjecit Domi­ nus : « Si quis cum devola intentione spiritualis profectus Pr. 1, 3 aspirandi om. W Pr. 1 «. Jn 3, 8 2 a. Ps. 144, 7 PROLOGUE 1. Dispensateur de tous les biens, si Γ Esprit Paraclet, qui souille où il veut “, comme il veut et quand il veut, tient de préférence secrètes ses inspirations, il se plaît aussi à régler, pour le bien d’un plus grand nombre d’âmes, la manière de les manifester, comme il y paraît dans l’exemple de cette servante de Dieu. Bien que les flots surabondants de la divine tendresse n’aient cessé de se répandre en elle sans discontinuité, c’est cependant suivant un rythme ordonné qu'en a été faite la révélation. Ainsi, ce livre a été écrit à divers moments : la première partie a été écrite huit ans après la grâce reçue et la seconde, achevée environ vingt ans plus tard *. 2. Pour l'une comme pour l’autre partie, le Seigneur a daigné renouveler chaque fois son agrément. Lorsqu'on effet la première fut écrite, la sainte la présenta avec une humble piété au Seigneur et reçut de sa toute-bienveillante tendresse cette réponse : « Personne n’a le pouvoir de me retirer le mémorial des largesses de ma divine suavité a »; d’où elle comprit que, par la volonté du Seigneur, ce petit livre devait s’intituler Mémorial des largesses de la divine suavité. Le Seigneur ajouta : « Celui qu’une piété soucieuse 1. Il faut entendre ici par Première Partie le livre II, écrit par la sainte fille-môme, et par Deuxième Partie la suite des Révélations, c'est-à-dire les livrée III, IV et V rassemblés comme il est dit dans le môme Prologue un peu plus loin. 110 GERTRUDE D’HELFTA ΙΟ in hoc libro legere desideraverit, ipsum mihi attraham in tantum quod quasi inter manus meas leget in eo, et ego memetipsum illi in hoc opere sociabo, ut sicut fieri solet quando duo legentes in una pagina, unus alterius sentiat flatum, sic ego intraham flatum desideriorum ipsius, quo 15 viscera pietatis meae commoveantur super cum b. Insuper aspirabo ipsi afllatum meae divinitatis, quo ipse interius per spiritum meum renovetur. » Subjunxit etiam Domi­ nus : « Qui vero simili intentione in eo conscripta deseripseril, pro singulis immittam ei a suavitate divini Cordis mei 20 tot sagittas arnoris, quae in anima ipsius jucundissimas delectationes divinae suavitatis commovebunt. » 3. Secunda vero pars dum conscriberetur, etiam nimis voluntatem ipsius demulcens, et ipsa hoc nocte quadam querulando Domino proponeret, ipse eam solita beni­ gnitate demulcens, inter caetera sic dixit·: Dedi te in lucem 5 gentium ut sis salus mea ab extremis terrae °. Quod cum illa de libro isto, qui tunc vix incoeptus fuerat, dictum intelligeret, admirans ait: « Et quomodo, Deus, per hunc libellum aliquis poterit percipere lucem cognitionis, cum voluntatis meae nullatenus sit ut plura conscribantur, et etiam ipsa 10 pauca jam scripta nequaquam permittam manifestari? » Ad quod Dominus: « Cum ego Jeremiam in prophetam ele­ gissem b, ipse videbatur sibi nec loqui scire nec congruentem discretionem habere, cujus tamen eloquio ego correxi gentes et regna. Similiter quaecumque luce cognitionis et 15 veritatis per te illustrare disposui, non frustrabitur, cum aeternam praedestinationem meam nullus hominum possit impedire, quia ego quos praedestinavi hos et vocabo, et quos vocavero hos et justificabo c, qualicumque mihi complacet modo. » 3, 7 Dsus : o add. W b. Gcn. 43, 30 || 3 a. Is. 49, 6 || b. Jcr. 1,5 || c. Rom. 8, 30 LE HÉRAUT. PROLOGUE lit de progrès spirituel incitera à lire ce livre, je l’attirerai tout près de rnoi de sorte que, pour ainsi dire, mes mains tien­ dront le livre où il lit et moi-même le lirai avec lui, et comme il arrive que lorsque deux personnes lisent ensemble la même page chacune est atteinte par l’haleine de l’autre, ainsi l’haleine de ses désirs me pénétrera jusqu’à émouvoir en sa faveur les entrailles de ma tendresse *, et je souillerai sur lui l’haleine de ma divinité pour que mon esprit opère en lui sa rénovation. » Le Seigneur dit encore : «Sur celui qui, dans les mêmes dispositions, transcrira les lignes de ce livre, je lan­ cerai de mon doux et divin Cœur autant de flèches d’amour qui feront vibrer dans son âme les joies les plus délicieuses. » 3. D’autre part, pendant la rédaction de la II0 partie, à la grande satisfaction, déjà, de la volonté divine, une nuit qu'elle s’en plaignait au Seigneur avec gémissements, lui-même, l’apaisant avec sa bonté ordinaire, lui dit entre autres choses : « Je t’ai donnée pour être la lumière des nations et pour être mon salut jusqu'aux extrémités de la terre °. » Et comme elle comprenait que ceci s’appliquait à ce livre à peine commencé alors, elle s’étonna : « Comment, ô Dieu, ces quelques pages pourraient-elles éclairer l’âme de quiconque, puisqu’il n'est nullement dans ma volonté qu’on en écrive davantage, mais plutôt de ne jamais per­ mettre que ce qui a été déjà écrit soit communiqué? n Le Seigneur répondit : « Lorsque j’ai fait choix de Jérémie pour mon prophète 6, il se regardait comme ignorant l’éloquence et dénué du moindre discernement; pourtant, par ses oracles, j'ai redressé peuples et royaumes. Pareillement, ce rayon de lumière et de vérité que j’ai résolu de faire briller par toi ne sera pas contrarié, car personne ne peut arrêter la destinée éternellement voulue par moi : ceux que j’ai choisis, je les appellerai et, les ayant appelés, je les doterai de justes qualitésc selon mon bon plaisir1. ■ 1 Co passage évoque certainement le plan du ealut tel qu’il est résumé en Æom. 8, 28-30; mais la référence reste très large. Cf. infra, livre H, p. 301. η. 1. 112 5 10 15 20 5 GERTRUDE D’HELFTA 4. Altera vice, dum iterum in orando niteretur obtinere a Domino, ut permitteret se prohibere scribentem hunc librum, quia tunc obedientia praelatorum eam tam violenter non cogeret ad scribendum sicut antea fecerat, Dominus benigne respondit: « An nescis quia querneumque voluntas mea cogit, super omnem obedientiam est coactus? Ergo cum voluntatem meam, cui nemo potest resistere σ, scias in scri­ bendo libro isto, ut quid turbaris ? Nam et ego scriben­ tem instigo et fideliter juvabo atque quod meum est illae­ sum conservabo. » Time illa voluntatem suam beneplacito divino totam conformans dixit ad Dominum : « Quo voca­ bulo, dilectissime Domine, vis hunc libellum practitulari? » Ad quod Dominus : « Libor iste meus Legatus divinat pietatis nominabitur, quia pietatis meae supereffluentia in ipso aliqualiter praelibabitur. « Quod illa multum ad mirans ait: α Cum personae illae quae nominantur Legati majori fungantur auctoritate, quid huic libello, quem tali denotas vocabulo, dignaris concedere auctoritatis? » Respondit. Dominus : « Ex virtute divinitatis hoc concedo ut quicum­ que ad laudem meam cum recta fide et humili devotione devotaque gratitudine in ipso legerit, et aedificari quaerit, venialium peccatorum remissionem consequatur, et obtine­ bit gratiam spiritualis consolationis et insuper habilitabitur ad gratiam ampliorem. 5. Post haec, dum ilia recognosceret Domino complacere ut duae partes conjungerentur in unum, devotis orationibus requisivit ab eo quomodo permisceri deberent quae singula ipse singulis, ut praescriptum est, vocabulis dignatus est disjungere. Respondit Dominus : « Sicut gratia prolis electae uterque parens quandoque affectuosius respicitur, sic ex utrisque hunc librum conjungendum praeordinavi, unde 4, 8 libro isto : -uni -uni W || 5, 5-6 gratiam... respicit Z|| 6 Sic om. Z 4 a. Introit 21” dim. ap. Pentecôte, d’après Esther 13, 9 LE HÉRAUT. PROLOGUE 113 4. Une autre fois, comme de nouveau dans la prière, elle s’efforçait d’obtenir du Seigneur qu’il lui permit de s’opposer à la rédaction de ce livre, l’ordre des Supérieurs eu vue de cette rédaction se faisant moins pressant alors qu’auparavant, le Seigneur avec bonté lui répondit : « Ne sais-tu pas que celui qui reçoit l’ordre de ma volonté est plus fortement obligé que par toute autre obédience? Donc, puisque tu sais que ma volonté, à laquelle personne ne peut résister a, est que soit écrit ce livre, de quoi t’inquiètes-tu? C’est à mon instigation en effet qu’on en poursuit la rédaction, j’y veillerai fidèlement et maintiendrai inaltéré ce qui est mien. » Alors, conformant entièrement sa volonté au bon vouloir divin, elle dit au Seigneur : « Quel titre, Seigneur bien aimé, voulez-vous que porte ce livre? » A quoi le Seigneur répondit : « Ce mien livre s’appellera le Héraut de Γ Amour Divin, parce qu’il donnera un peu Γavant-goût de ce que sera la surabondance de mon amour. » Remplie d’admiration, elle dit : « Puisque les personnes déléguées comme hérauts jouissent d’une grande autorité, ce petit, livre, auquel vous donnez ce litre, quelle autorité daignerez-vous lui accorder? » Le Seigneur répondit : « En vertu de mon pouvoir divin, je décide que quiconque, pour ma gloire, avec une foi droite, une humble piété et une religieuse gratitude lira ce livre, désirant· son propre progrès, celui-là recevra le pardon de ses fautes vénielles, obtiendra la grâce d'une conso­ lation spirituelle et même l’aptitude à des grâces plus hautes. » 5. Dans la suite, comprenant qu’il serait agréable au Sei­ gneur que les deux parties fussent réunies en un seul livre, elle lui demanda, dans des prières instantes, comment faire un tout de parties différentes que lui-même, comme il a été dit, avait daigné distinguer par des titres différents. Le Seigneur répondit : « De même que souvent, grâce à l’enfant de leur amour, on voit plus attrayante l’image de l’un et l’autre des deux parents, ainsi j’ai décrété que ces deux 114 10 5 10 15 5 10 GERTRUDE D'HELFTA ex utrisque sortietur vocabulum, scilicet Legates memoria­ lis abundantiae divinae pietatis, quia legationem divinae pietatis meae faciet ad memoriam electorum meorum. » 6. Et cum in consequentibus pateat huic jugiter affuisse divinae dignationis praesentiam et tamen quandoque inse­ ratur « apparuit » vel α affuit ei Dominus », sic intelligendum est, quod quamvis vere frequenter affuerit ipsi spe­ ciali quadam praerogativa, pro causa tamen et pro tempore quandoque magis imaginatoriam exhibuit illi formam, ad capacitatem proximorum quibus hoc notificandum praeor­ dinavit. Similiter etiam sciendum est de his quae in conse­ quentibus videntur diversa, quia Deus amator universo­ rum, in visitatione unius, plurimorum diversimode quaerit salutem. Et quamvis tam ferialibus quam festivis diebus pius Dominus continue indifferenter gratiam suam huic infuderit, tam per imaginationes corporearum similitudinum quam etiam per puriores illuminationes cognitionum; si quid tamen de imaginationibus corporearum similitudinum ad intellectum humanum in libello isto describi voluit, ad discretionem legentium et capacitatem divisum est in quinque. 7. In quorum primo continetur de commendatione per­ sonae et testimoniis gratiae. In secundo libro continentur quae ipsamet. instigante spiritu Dei, per gratiarum actionem conscripserat de modo susceptae gratiae. In tertio vero expo­ nuntur aliqua de beneficiis sibi impensis, sive revelatis; in quarto autem annotantur visitationes quibus in quibusdam festis consolata est a divina pietate. In quinto deinde expri­ muntur aliqua de his quae sibi Dominus dignatus est revelare ex meritis animarum decedentium. Et subjun­ guntur aliqua de consolationibus quibus Dominus extrema ipsius dignatus est praevenire. 6, 1 sequentibus TZ || 17 quinque : libros add. W LE HÉRAUT. PROLOGUE 115 parties feraient un tout dont le titre résulterait de chacune de leurs appellations, à savoir le Hérault, mémorial des largesses de Γ Amour divin. » 6. Les pages qui suivent montrent quo la sainte fut cons­ tamment consciente de la présence de la condescendance divine. Cependant, parfois, il y est précisé que le Seigneur lui apparut ou se présenta à elle, ce qui signifie que, outre cette réalité d’une assidue présence intime par privilège spécial, cependant, parfois, selon le motif et l’occasion, le Seigneur revêtait une apparence plus imagée pour que puissent comprendre les personnes auxquelles il avait décidé que la révélation en fût faite. Pareillement, aussi, la diversité de tout ce qu’on trouvera dans ces pages doit s’expliquer par le désir de Dieu, qui aime toutes les âmes, de faire servir diversement au salut de plusieurs la grâce donnée à l’une d’entre elles. A la vérité, aux jours ordinaires comme aux jours de fête, la bonté du Seigneur ne cessait, sans distinction, de lui infuser sa grâce, soit par images d’apparence sensible, soit aussi par de plus pures illuminations de l’entendement; mais, pour répondre au désir divin que quelque chose des images d’apparence sensible fût rapporté dans cet ouvrage et humainement intelligible, on l’a, pour la clarté et les besoins de la lecture, divisé en cinq livres. 7. Le premier contient l’éloge de notre moniale et des témoignages de sa sainteté. Le second livre contient ce qu’à l’instigation de l’Esprit de Dieu et en action de grâces, elle a écrit elle-même sur l’étendue de la grâce reçue. Quant au troisième livre, il expose quelques-uns des bienfaits ù elle accordés ou révélés. Le quatrième livre mentionne les rencontres qu’en certaines fêtes lui a ménagées pour sa consolation la divine tendresse. Le cinquième livre exprime une partie de ce que le Seigneur a daigné lui dévoiler sur les mérites des âmes de plusieurs défunts. On y a ajouté quel­ ques-unes des consolations dont le Seigneur daigna prévenir ses derniers moments. 116 GERTRUDE D’HELFTA 8. Sed quia Hugo dicit: « Suspecta est mihi omnis veritas quam non confirmat Scripturarum auctoritas. » Et infra: « Nec rata poterit esse quantumlibet verisimilis revelatio sine attestatione Moysi et Helyae, id est. sine Scripturarum 5 auctoritate **. » Ergo in marginibus annotavi quae simplex ingenium et inexercitatus sensus meus in instanti ad mernoriam potuit revocare, sperans ut, si quis acri ingenio et exercitato sensu affuerit, multo probabiliora atque convenientiora testimonia possit adhibere. 8 a. Richard de Saint-Victor, Benjamin minor, ch. 81 ; PL 196, 57 LE HÉRAUT. PROLOGUE 117 8. Hugues de Saint-Victor a dit : a Je soumets à examen tout propos que ne confirme pas l’autorité des Écritures » et encore : « Aucune révélation, si vraisemblable soit-elle, ne doit être acceptée sans le témoignage de Moïse et d’Élie, c’est-à-dire sans l’autorité des Écrituresel. » C’est pour­ quoi j’ai annoté en marge les références dont, dans la simplicité de mon savoir et dans mon inexpérience, j’ai pu me souvenir sur le moment, dans l’espoir que d’autres, plus perspicaces et plus exercés, sauront alléguer des textes beaucoup plus probables et plus pertinents12. 1. L’ouvrage est do Richard do Saint-Victor. Mais l’attribution A Hugues n’est pas propre à l’auteur do ce Prologue; on la retrouve notam­ ment dans le catalogue des œuvres d’Hugues publié, d'après un manus­ crit du xtv® siècle, par Hauréau et reproduit dans les Prolegomena de PL 196, n. 150. 2. Sur ces « citations marginales » cf. Introduction, ch. ni, v. LIBER PRIMUS CAPUT PRIMUM DE COMMENDATIONE PERSONAE 1. 0 altitudo divitiarum sapientiae er scientiae Dei, quam incomprehensibilia sunt judicia ejus, et investigabiles viae ejusal Dum tam miris et occultis diversisque modis vocat illos quos praedestinavit, vocatosque gratuito justificat, 5 imo tam juste gratificat, ac si plene justos inventos omnium divitiarum et deliciarum suarum dignos judicaret consortes, ut patet in hac electa sua. quam quasi candens lilium in horto Ecclesiae inter areolas aromatum ft, id est, congre­ gationes justorum gratuito collegit, dum ipsam puellulam 10 in quinto anno a mundi perturbationibus segregans, in thalamo sanctae Religionis collocavit, cujus candori omnige­ norum florum vernantiam tam abundanter adauxit, ut omnium oculis gratiosa plurimorum animos in sui affec­ tum inclinaret. Erat siquidem annis et corpore tenera, sen15 sibus cana, amabilis e, habilis et facunda, et ita per omnia docilis ut omnes audientes admirarentur. Nam cum ad scho- 1. 1 a. Rom. 11, 33 || b. Cant. 6, 1 || c. Esther 2, 15 LIVRE PREMIER La sainteté de Gertrude INTRODUCTION Portrait de Sainte Gertrude Cap. I. — 1. O grandeur munificente de la sagesse et de la science de Dieu ! que ses décrets sont insondables et ses voies incompréhensibles °! Combien sont admirables, cachés et nombreux les procédés par lesquels il appelle ses prédestinés et, les ayant appelés, les sanctifie par pure grâce et, même, leur confère ses dons avec tant d’attention qu’on dirait que c’est pour avoir trouvé en eux une sainteté parfaite qu’il les estime dignes de participer à la plénitude de ses richesses et de ses joies. Cela est manifeste dans cette âme do choix qu’il a placée, par pure grâce, comme un lys resplendissant dans le jardin do son Église, en un parterre odoriférant 6, c’est-à-dire parmi des âmes saintes, la retirant, toute petite enfant de cinq ans, des agitations du monde pour l’intro­ duire dans la demeure nuptiale de la sainte religion. A l’éclat de sa pureté Dieu ajouta la fraîche floraison des dons les plus variés, si bien que, charmant tous les regards par sa grâce, elle s’attirait l’affection de beaucoup. Son âge tendre, son physique délicat, son naturel vertueux, son amabilité e, sa facilité à s’exprimer et ses aptitudes faisaient l’admiration de tous ceux qui l'approchaient. Et dès qu’on l’appliqua 120 20 5 10 15 20 GERTRUDE D’HELFTA las poneretur tanta sensuum velocitate ac intellectus ingenio praepollebat, quod omnes coaetaneas et caeteras consodales in omni sapientia et doctrina longe superabat. Sicque annos pueritiae simulque adolescentiac puro corde, avidaque libera­ lium artium delectatione transgredieris, a multis puerilibus quibus illa aetas aberrare consuevit, a Patre misericordiarum est custodita, cui proinde sit laus et actio gratiarum infinita. 2. Cum autem placuit ei qui eam segregatam ab utero matris" vixque ablactatam in triclinium monastici Ordinis provexit, vocaro quoque per gratiam suam de exterioribus ad interiora, et de corporalibus exercitiis ad studia spiritualia, evidenti revelatione hoc perfecit ut in consequentibus patebit. Unde et tunc recognovit se longe fuisse a Deo in regione dissimilitudinis, dum studiis liberalibus nimis in­ haerendo, neglexisset usque ad tempus illud mentis aciem lumini spiritualis intelligentiae adaptare, atque humanae sapientiae delectationi avidius adhaerendo, verae sapientiae gustu suavissimo se privassel. Coeperuntque ipsi tuno repente vilescere omnia exteriora, et hos merito, quia tunc introduxit eam Dominus in locum exaltationis et laetitiae, in montem Sion, hoc est, speculationem sui ubi, exuens eam veterem hominem cum actibus suis induit eam novum hominem qui secundum Deum creatus est in justitia et sanctitate veritatis. Unde exhinc de grammatica facta theologa omnes libros divinae paginae quoscumque habere vel acquirere potuit infastidibililer ruminans, cophinum cordis sui crebro utilioribus et mellitis Scripturae sacrae elo­ quiis impletis usque ad summum replebat, ita ut semper praesto sibi esset sermo divinus et aedificatorias; unde quos­ libet ad se venientes posset satis convenienter expedire atque cuilibet errori tam congruis sacrae Scripturae testimoniis I. 2, 11 ceperunt W 2 a. Gal. 1, 15 LE HÉRAUT. L. I. CH. I 121 aux études, elle se distingua par une telle vivacité d’atten­ tion et une telle qualité d’intelligence qu’elle surpassait de loin les compagnes de son âge et les autres écolières dans toutes les disciplines enseignées. Vivant ainsi ses années d’enfance et de jeunesse dans la pureté du cœur et la joie passionnée de s’instruire, elle fut préservée de maints enfantillages habituels à cet âge, par le Père des miséricordes à qui soient rendues sans fin pour ce bienfait louange et action de grâces. 2. Ayant résolu, après l'avoir introduite, à peine venue au jour0 et sevrée, dans sa demeure nuptiale de l’Ordre monastique, do lui faire la grâce de la mener du visible à l’invisible, de la vie extérieure à la connaissance spirituelle, il le fit par l’évidence d’une révélation spéciale, commo on le verra dans la suite. Elle comprit alors qu’elle était restée loin de Dieu dans la région de la dissemblance, en s'adonnant avec excès aux connaissances humaines et en négligeant jusqu’à ce jour d’ouvrir le regard de son esprit à la lumière des vérités spirituelles; attachée trop vivement aux joies du savoir humain, elle s’était privée de savourer toute la douceur de la vraie sagesse. Alors, elle se prit aussitôt à mépriser tout le visible; et ce fut à bon droit, puisque le Seigneur l’avait maintenant conduite au lieu de l’allégresse et de la joie, sur la montagne de Sion, c’est-à-diro la contem­ plation, où, la dépouillant du vieil homme et de ses activités, il la revêtait de l’homme nouveau, créé selon Dieu dans la justice et la sainteté de la vérité. D’où, dès lors, passée de la rhétorique à la théologie, remâchant d’une manière toujours savoureuse tous les livres divinement inspirés qu’elle pouvait avoir ou se procurer, elle remplissait son âme comme jusqu’au bord des plus pertinentes et douces paroles de la sainte Écriture sans cesse accumulées, de sorte que, en toutes circonstances, lui venait promptement la citation sacrée opportune par quoi, à tous ceux qui s’adressaient à elle, elle pouvait donner une réponse parfaitement adaptée, et répliquer à toute erreur par un témoignage de l’Écriture 122 GERTRUDE D’HELFTA 25 obviare, quod a nullo penitus posset confutari. Itaque nec satiabatur illis diebus dulcedine mirabili et delectatione praesuavi sedulo insistere divinae contemplationi, sive Scripturae sacrae perscrutationi &, quae videbantur sibi esse favus mellis in ore, melos organicum in aure, jubilusque 30 spiritualis in corde. Unde etiam quaeque obscura infirmio­ ribus intellectibus plana et perlucida faciens, quamplures libros omni suavitate plenos de dictis Sanctorum more columbino triticum recolligentis, compilavit et conscripsit ad utilitatem communem omnium in ipsis legere cupien­ 35 tium. Composuit etiam plures orationes favo mellis dulcioresc et alia mulla aedificatoria documenta spiritualium exerci­ tationum, stylo tam decenti quod nulli magistrorum refutare congruit quin delectetur in convenientia illius tamque mellitis sacrae Scripturae eloquiis condita, quod nullum theolo­ 40 gorum sive devotorum decet ea fastidire. Unde sine omni contradictione attribuendum est dono spiritualis gratiae. Sed tamen quamvis aliqua supradictorum in hominibus corporaliter laudari soleant, cum Scriptura dicat in libro Sapientiae: Fallax est gratia et vana est pulchritudo; mulier 45 timens Deum ipsa laudabiturd, adjungamus etiam quae merito sunt magnificanda. 3. Erat enim fortissima Religionis columna, justitiae et veritatis propugnatrix constantissime, ita quod juste de ea dici posset illud quod in libro Sapientiae dicitur de Simone sacerdote magno, quia in vita sua suffulsit domum. 5 videlicet Religionis, et in diebus suis corroboravit templum a spiritualis devotionis, scilicet quantum ipsius monitis et exemplis plures incitabantur ad studium majoris devotio­ nis. In diebus autem ejus dici posset quod emanaverunt putei aquarum etc., quia revera fluenta doctrinae salutaris 10 nemo temporibus nostris profusius edidit illa. Habebat b. S. Bernard, passim || c. Ps. 18, 11 || d. Prov. 31, 30 3 a. Sag. Sir. 50, 1 LE HÉRAUT. L. 1, CH. I 123 si juste que personne ne pouvait sérieusement le récuser. Ainsi, en ce temps-là, elle avait toujours faim de la merveil­ leuse douceur et du plaisir très suave de s’appliquer avec soin à la contemplation divine aussi bien qu’à l’étude de la sainte Écriture b : il lui semblait que c’était un rayon de iniel pour la bouche, une mélodie harmonieuse pour l’oreille, une joie spirituelle pour le cœur. De même, pour rendre simples et clairs aux intelligences plus faibles certains passages obscurs, elle composa et écrivit, au moyen d’extraits des écrits des saints, comme fait la colombe des grains de blé. maints ouvrages pleins d’une grande douceur, au profit général de tous ceux qui désiraient en prendre connaissance. Elle composa aussi plusieurs prières plus douces qu'un rayon de miel ° et d’autres multiples et édifiants exercices spirituels, d’un style si parfait qu’aucun maître n’y pouvait trouver à redire ni laisser d’en goûter l’harmonie et, d’autre part, si bien assaisonnés de suaves citations do l’Écriture que le goût d’aucun théologien ni d’aucune âme pieuse ne pouvait s’en lasser. Il faut y voir, sans contredit, un don de sa grâce surnaturelle. Pourtant, bien que ce qui vient d’être dit soit matière ordinaire à louange légitime parmi les hommes, l’Écriture dit on la Sagesse : a Trompeuse est la grâce et vaine la beauté; la femme qui craint Dieu celle-là sera louée d »; ajoutons aussi ce qui, à ce juste titre, doit être exalté. 3. Elle était donc une très forte colonne de la Religion, défendant avec intrépidité la justice et la vérité, de sorte qu’on peut justement dire d’elle ce qui est dit, au livre de la Sagesse, de Simon le grand prêtre, que, de son vivant, elle a soutenu la maison — à savoir la Religion —, et, tout au long de ses jours, elle a fortifié le sanctuaire0 — lisons : do l’obser­ vance spirituelle —, tant ses avis et ses exemples en ont excité un grand nombre à la pratique d’une meilleure fidélité spirituelle. Et dans sa vie on peut dire aussi que les puits ont épanché leurs eaux car, vraiment, il n’est personne, en notre temps, qui n’ait répandu les flots d’un enseignement salu- 124 15 20 25 30 5 GERTRUDE D’HELFTA etiam dulce eloquium et penetrans, linguam tam disertam, sermonem tam suadibilem, efficacem et gratiosum, quod quamplures verba ipsius audientes revera testimonium evidens reddebant spiritui Dei qui loquebatur 6 in ea, per mira­ bilem cordis emollitionom, et voluntatis mutationem. Ver­ bum siquidem vivum et efficax et penetrabilius omni gladio ancipiti, pertingens usque ad divisionem animae et spiritus e, habitans in ea operabatur haec omnia. Quosdam per verba ejus compungens ad salutem, alios illuminans in cognitione tam Dei quam etiam defectuum propriorum, quibusdam consolationis gratiosae ministrans subsidium, aliquorum etiam corda in amore divino ardentius inflammans. Nam plures etiam extraneorum qui vel semel unum ab ea ser­ monem audiebant, fatebantur se plurimum ex hoc consola­ tionis recepisse. Et quamvis his et similibus, quae humanam placentiam incitare solent, abundaverit, nequaquam arbi­ trandum est quod ea quae sequuntur ex ingenio aut ex agili­ tate intellectus ipsa sibi ad placitum suum imaginata fuerit, sive ex industria sermonis aut ex habilitate eloquentiae composuerit, quod absit; sed firmiter absque omni haesi­ tatione credendum est quod vere omnia de ipso fonte divinae sapientiae sibi gratuito dono sint infusa a Spiritu illo, qui ubi vult spirat a, quando vult, quibus vult et quod vult, pro persona, pro loco et pro tempore congruente. 4. Et quia invisibilia et spiritualia nullatenus ad intellec­ tum humanum aliter quam per rerum corporalium et visibi­ lium similitudines exprimi non possunt, oportet ea humanis et corporeis imaginationibus adumbrare. Quod magister Hugo testatur sic in sermone de interiori homine, cap. xvi : α Divinae Scripturae, ut inferiorum speculationi alludant et humanae fragilitati condescendant, res invisibiles per rerum visibilium formas describunt et oarum memoriam per qua- 4, 8-9 quarumdam : quamdam W b. Act. 6, 10 H c. Hib. 4, 12 || d. Jn 3, 8. LE HÉRAUT. L. I, CH. 1 125 taire avec plus d’abondance. Elle avait la parole douce et pénétrante, l’éloquence si habile, le discours si persuasif, efficace et séduisant que la plupart de ceux qui recevaient ses avis étaient, par l'adoucissement merveilleux do leur cœur et lu conversion de leur volonté, un témoignage con­ vaincant rendu à l’esprit de Dieu qui parlait 5 en elle. Car c’est cette parole vivante et efficace et plus incisive qu’aucun glaive à deux tranchants, pénétrant jusqu’au point de division de l’âme et de l’espritc, qui, habitant en elle, opérait toutes ces choses. Les uns recevaient de ses paroles la touche du repentir les tournant au salut, d’autres, la lumière les éclairant et sur Dieu et sur leur propre misère, certains, l’aide secourable d’une consolante attention, d’autres, enfin, un feu embrasant leur cœur de l’amour divin. Môme il ne manquait pas de personnes du dehors qui, ayant causé avec elle ne serait-ce qu’une seule fois, avouaient en avoir retiré un très grand profit. Quoique de tels dons et d’autres incitent ordinairement au désir humain de plaire et qu’elle en fût abondamment douée, il ne faut pas du tout croire que ce qu’on va lire, elle l’ait imaginé avec complaisance, dans l’ingéniosité et la vivacité de son esprit, ou l’ait écrit pour satisfaire son talent littéraire et la joie qu’elle avait à s’exprimer. Loin de làl Soyons fermement et sans hésitation convaincus que de la source même de la divine sagesse tout lui a été, en don gratuit, inspiré par cet Esprit qui souille où il veutquand il veut, à qui il veut et ce qu’il veut, selon les convenances de personne, de lieu et de temps. 4. Mais, comme les réalités invisibles et .spirituelles n’ont nulle autre possibilité d’être traduites à l’intelligence humaine que par l’analogie de réalités matérielles et visibles, il convient de les représenter par des images humaines et matérielles. Maître Hugues l’enseigne ainsi dans son discours de l’homme intérieur au chapitre xvi : « Les divines Écri­ tures, par allusion à la connaissance du monde inférieur et par condescendance à la faiblesse humaine, décrivent les réalités invisibles par manière de formes visibles et en 126 GERTRUDE D’HELFTA rumdam concupiscibilium specierum pulchritudinem menti· 10 bus nostris imprimunt. Hinc est quod nunc terram lacte et meile manantem, nunc flores, nunc odores nominant, nunc per cantus hominum, per concentus avium, coelestium gaudiorum harmoniam designant. Legite Apocalypsim Johannis et invenietis Jerusalem ornatam per aurum et 15 argentum et margaritas et alias quaslibet gemmas multipli­ citer descriptam; et scimus quidem quod horum nihil ibi est, ubi tamen omnino nihil deesse potest; talium enim ibi nihil est per speciem, ubi tamen totum est per similitudinem.» LE HÉRAUT. L. î, CH. 1 127 impriment on nos esprits le souvenir par une sorte d’attrait d’objets désirables. C’est ainsi qu’elles parlent tantôt d’une terre où coulent le lait et le miel, tantôt de Heurs, tantôt de parfums, et aussi que le chant des hommes ou le concert des oiseaux leur servent à désigner l’harmonie des joies célestes. Lisez l’Apocalypse de saint Jean et vous y trouverez longue­ ment décrite une Jérusalem ornée d’or, d’argent, de perles et de maintes pierreries; or, nous savons bien que rien de tout cela n’est dans le lieu où cependant absolument rien ne peut faire défaut; c’est que rien de tout cela n’y est spéci­ fiquement, encore que tout y soit analogiquement. » CAPUT II UE TESTIMONIIS GRATIAE 1. Domino Deo largitori verorum bonorum grates referat quidquid coeli ambitu “, terrarum circuitu et profundo abyssi concluditur; et laudem illi decantent aeternam, immensam, et incommutabilem illam, quae ab amore increalo procedens, 5 in seipso plenissimo efficitur, pro supereffluenti abundantia pietatis * illius qua ad vallem humanae fragilitatis impetus suos dirigens, inter caeteros etiam hanc respexit ad quam ipsum suum proprium donum allexit. Sicut enim Scriptura indicat quod in ore duorum vel trium testium ° stet omne 10 verbum, eum plures adsint; testes, non est diffidendum quia Dominus istam quasi speciale organum elegerit ad notificandum per eam arcana suae pietatis. 2. Testis igitur primo et principaliter est Deus, qui saepius per eam praedicta veriticans et occulte intellecta demons­ trans, effectumque orationum suarum pluribus persentire condonans, imo per merita ipsius obsecrata exaudiens, etiam a tentationibus liberavit cum devoto et humili corde suppli­ cantes. Unde exempli causa pauca de multis edisseram. 3. Vice igitur quadam, tempore scilicet illo quo dominus II. 1 a. Introït 21« dim. ap. Pentecôte, d’après Esther 13,10 || b. Coll. 11° dim. ap. Pentecôte || c. Deui. 19, 15; Matth. 18, 16 PREMIÈRE PARTIE TÉMOIGNAGES SURNATURELS Cap. II. — 1. Au Seigneur Dieu, , ?.. dispensateur des vrais biens, est due la gratitude de tous les êtres que renferment l’étendue du ciele, le cercle de la terre et la profondeur de l’abime; que leur chant devant Dieu célèbre cette louange éter­ nelle, infinie et immuable qui, procédant de l'Amour incréé, se parfait· pleinement en Lui-même pour l’abondance débordante de cet amour 6, qui, répandant ses flots dans la vallée de notre humaine fragilité, porta même son regard entre tant d’autres âmes sur celle-ci, qui le charmait par le don même venu de Lui. Comme Γ Écriture enseigne que par le dire de deux ou même trois témoins c est établie toute proposition et qu’ici se rencontre un plus grand nombre de témoins, on ne peut douter que le Seigneur ait fait choix d’elle pour être un instrument spécial afin de révéler les secrets de son amour. 2. Le premier et suprême témoignage est celui de Dieu, qui souvent a confirmé la vérité de scs prédictions, rendu mani­ festes les secrets perçus par elle, donné à maintes âmes d’expérimenter l’efficacité de ses prières, exaucé même leurs demandes en considération de ses mérites et délivré de leurs épreuves celles qui le priaient d’un cœur humble et sincère. Je n’en citerai que quelques exemples parmi bien d’autres. 3. Une fois donc, à l’époque de la mort du seigneur Rodolphe, . I. Témoignage de Dieu. 130 GERTRUDE DHELFTA Rudolphus rex Romanorum obiit et ista cum caeteris pro electione successoris oraret, ipso die et, ut creditur, eadem etiam hora, qua electio illa perficiebatur in alia regione, ista eam factam Matri monasterii notificavit. Et addidit quod idem rex qui ipso die foret electus, a successore suo esset occidendus, quod et rei comprobavit eventus. 4. Item cum coenobio nostro, minante quodam malefactore, immineret periculum quod inevitabile videbatur, et ista post faciam orationem Matri monasterii praediceret gratia Dei omne hoc periculum evacuatum, supervenit procurator curiae qui hoc idem quod ipsa revelatione divina secreto intellexit, ipse judicum decreto depositum affirmabat. Unde Abbatissa cum aliis qui conscii hujus beneficii erant, exultons in Domi­ no gratias ipsi referebat. 5. Quaedam etiam persona diutius tentationibus fatigata, per somnum est admonita ut istius se orationibus commen­ daret. Quod cum devote fecisset, protinus meritis et inter­ cessionibus ejusdem se gaudebat liberatam. 6. Hoc quoque dignum relatione judicavi quod quaedam persona communicatura, dum ex occasione ante aliquos dies ad missam multis cogitationibus gravaretur, in tantum quod jam pene ad consensum delectationis inclinaretur, et per hoc ultra modum molestaretur, quia cum talibus occu­ pationibus nullatenus accedere praesumebat, tandem divi­ nitus, ut creditur, inspirata latenter arripiens vilem quem­ dam panniculum quem viderat hanc electam Dei de invo­ lumento pedum suorum discissum abjecisse, ipsum cum II. 4, 5 secretius Z || 6 dispositum TZ i. Rodolphe de Habsbourg eut pour successeur à l'Empire Adolphe! de Nassau, élu le l,r mai 1292 et couronné ù Aix-la-Chapelle le 25 juin., Son règne fut difficile et il eut ά lutter avec son rival, Albert d'Autriche, iils de Rodolphe. Albert réussit à le faire déposer le 25 juin 1298. Lu guerre entre les deux princes tourna finalement à lu défaite d’Adolphe qui, dans une rencontre armée à Gelheim, prés de Worms, le 2 juillet 1298. fut, en LE HÉRAUT. L. I, CH. il Î31 Roi des Romains, alors qu'avec les autres, elle priait pour l’élection du successeur, le jour même et. semble-t-il, à l'heure même où l’élection s’accomplissait ailleurs, elle annonça à son Abbesse que cette élection était faite. Et elle ajouta que celui qui était élu roi ce jour-là serait tué par l’homme qui lui succéderait, ce que devaient confirmer les événements 4. Une autre fois que le monastère, sous la menace d'un méchant, était en danger imminent et, selon toute appa­ rence, inévitable, elle prédit à l’Abbesse, après s’être mise en prières, que, par la grâce de Dieu, tout danger était écarté. Survint alors un huissier qui confirma qu’en effet, comme une secrète révélation divine le lui avait fait com­ prendre, ce danger n’existait plus depuis la décision des juges. L’Abbesse, aussitôt, ainsi que les personnes mises au courant de ce succès, avec allégresse spirituelle, rendirent graces à Dieu. 5. Une personne depuis longtemps accablée de tentations eut en songe l’inspiration de se recommander aux prières de notre sainte. L’ayant fait religieusement, elle eut la joie d’etre aussitôt délivrée, par ces mérites et cette interces­ sion. 6. J’ai jugé aussi digne d'être rapporté le cas de cette per­ sonne qui, devant communier, eut, pendant la messe, par suite d’un incident remontant déjà à quelques jours, de multiples pensées dont le poids était tel qu’elle inclinait presque à s’y complaire délibérément, de quoi elle se tour­ mentait excessivement, n’osant pas, l’esprit ainsi occupé, s’approcher de l’eucharistie, lorsque, comme sous une impul­ sion divine, saisissant subrepticement un misérable linge provenant d’un bandage que la servante de Dieu avait au pied et qu’elle l’avait vue jeter de côté, elle l’appliqua avec ciïet, tué del a propre main d’Albert d’Autriche. Celui-ci fut alors élu empe­ reur et le couronnement cul lieu à Aix-la-Chapelle le 24 août 1298. 132 GERTRUDE D’HELFTA 10 fiducia cordi suo superimposuit, exorans Dominum ut per amorem illum quo cor dilectae suae ab omni humana affec­ tione abstractum sibi soli tam dignanter elegisset ad inhabi­ tandum, ac spiritualibus donis influendum, etiam per merita ejusdem ipsam misericorditer a sua tentatione dignaretur 15 liberare: mira resi et vere omni acceptione et reverentia digna! quia mox ut panniculum illum cum jam dicta devotione cordi suo impressum tenuit suppositum, omnis illa tenlatio tam carnalis quam humana sic omnino ab ea est amota, quod nec postea consimili est gravata. 7. Cui fidem adhibere nulli videatur incongruum, cum Domi­ nus ipse dicat in Evangelio : Qui credit in me, opera quae ego facio, et ipse faciet, et majora horum faciei a. Unde Dominus qui tactu fimbriae 6 suae dignatus est haemoroissam illam 5 quondam sanaro, potuit nihilominus cum pietati suae complacuit, etiam per merita hujus electae suae animam, pro cujus amore mori dignatus est c, a periculo lentationis relevare. Et haec de primo teste dicta sufficiant, quamvis innumera possent adjungi. CAPUT III DE SECUNDO TESTE 1. Secundo, etiam testis verificans est hominum discreta et uniformis relatio, quam diversi tamquam uno ore fatebantur, quia quidquid de ea per divinam revelationem intellexerunt, cum sive pro defectibus ejus emendandis, sive pro augmen5 tandis profectibus orarent, hoc semper tale fuisse quod ipsa videretur specialiter electa et principaliter potioribus gratiis 7, I incongruum : magnum W LE HÉRAUT. L. I, CH. 11-1H 133 confiance sur sa poitrine priant le Seigneur que. par l’amour qui le portait à établir sa demeure dans le cœur de sa servante, pur de toute affection humaine, et à l’inonder de dons spirituels, Il daignât par les mérites de celle-ci la délivrer miséricordieusement de ses tentations. O miracle digne vraiment d’être retenu et loué! d’avoir appliqué et appuyé avec la piété que j’ai dite ce linge sur sa poitrine, toute cette tentation charnelle et humaine s’enfuit d’elle si entièrement que jamais elle ne rencontra plus pareille épreuve. 7. Personne n'aura difficulté à le croire, puisque le Seigneur lui-même a dit : « Celui qui croit en moi fera lui aussi les œuvres que je fais; il en fera même de plus grandes0 ». De sorte que le Seigneur, qui a daigné jadis guérir l’hémorroîsse au contact de son vêtement*, pouvait pareillement, s’il plaisait à sa bonté, par les mérites de cette prédestinée, tirer du péril de tentation une des âmes pour qui il a daigné mourirc. Que ces faits donc suffisent au premier témoignage, bien qu’on puisse en ajouter d’innombrables. Cap. III. — 1. Le second tëmoiII. témoignage gnage de vérité est celui des des hommes. Γ , ·, , hommes, par le récit concordant et judicieux que des personnes diverses font, comme d’une seule voix : lorsqu'elles la sollicitaient soit pour se corri­ ger de leurs défauts, soit pour progresser dans la vertu, tout ce que Dieu leur fit comprendre par elle a toujours eu une qualité qui donnait l’évidence d’un choix particulier et surtout de la richesse des graces dont elle était favorisée. 7 a. Jn 14, 12 ||ô. Le 8, 44 |[ c. Oraison pour la recommandation de i’âmo 134 10 5 10 15 GERTRUDE D’HELFTA privilégiai. Unde, verbi gratia, cum ipsa utpote quae erat in fundamento humilitatis bene fundata, se omnium dono­ rum Dei reputaret valde indignam, quandoque ab aliis quas sibi in gratiis praetulit, super quibusdam gratiarum donis acceptis testimonium Domini perquireret; inquirentes, fre­ quentius a divina pietate cerl-i ficati, veraciter affirmabant ipsam non solum his quae ab ea perceperant, vernmetiam multo majoribus gratiarum donis a Domino sublimatam. 2. Igitur dum quaedam persona in divinis revelationibus valde probata, fragrantia bonae famae attracta, de longin­ quis veniret ad claustrum et, nullius personae in hoc loco habens notitiam, desideriis in oratione niteretur obtinere a Domino ut adjungeret sibi talem personam ex qua ipsa Deo propitio lucrum animae reportaret, Dominus hoc illi dedit responsum : « Quae tibi primo in hoc loco assederit, ipsam scias esse prae omnibus vere fidelissimam et vere electam. » Post haec verba cum mirabili eventu ista primo illi assedisset et causa humilitatis latere volens quasi omnino se alienaret, illa putans se deceptam, cum dejectione et gemitibus haec Domino exposuit; unde et certificata est in veritate ipsam esse quam Dominus sibi fidelissimam testaretur. Hinc cum audisset verba beatae memoriae Domnae M. cantricis quae sibi multum placuerunt, sicut vere mello Sancti Spiritus condita erant, et requireret a Domino quomodo esse posset quod istam prae omnibus extollens beatam illam non rece- 1. Dans l’édition de Solesmcs 1875, D. Paquelin suggère que celte personne pourrait être Mechtildo la Béguine, avant qu’elle se fixât à Helfta. C’est peu vraisemblable, car l’entrée definitive de la béguine se situe en 1270. A cette date, Gertrude n’avait que quatorze ans et sa vie proprement mystique ne commence que onze ans plus tard, de sorte que l’incident rapporté ici est vraisemblablement postérieur â la mort de la béguine en 1282. LE HÉRAUT. L. 1, CH. HI 135 Citons, par exemple, comment, solidement établie qu'elle était sur le fondement de l’humilité et se tenant pour totalement indigne de tous les dons de Dieu, il lui arrivait de consulter d’autres personnes, dont elle estimait la grâce au-dessus de la sienne, afin de recevoir par elles comme la confirmation de Dieu pour maintes faveurs spirituelles reçues. Ces personnes, attentives et souvent instruites par la divine bonté, affirmaient en vérité la sublimité dans cette âme non seulement des dons qu'elle leur révélait, mais do faveurs bien plus hautes encore. 2. Ainsi, une personne d’une grande autorité en matière de révélations divines vint de loin au monastère *, attirée par une odeur de bonne renommée, et n’y connaissant personne, exprimait dans sa prière son désir d'obtenir du Seigneur qu’il lui fit rencontrer là quelqu’un qui lui procurât, par la miséricorde de Dieu, un profit spirituel. Λ quoi le Seigneur répondit : 7. Item cum quidam oraret pro istius defectibus emendandis, ut ipsa rogaverat, tale accepit responsum : « Quod ipsi electae maee videntur esse defectus, potius sunt animae ejus magni profectus, quia gratiam quam in ea operor humana fragilitas vix a vento vanae gloriae sufficeret custodire, nisi sub specio defectuum latitaret. Unde sicut campus fimo impinguatus uberius fructificat, sic ipsa ex cognitione defectuum suorum suaviores profert fructus gratiarum. » Et adjecit Dominus: « Ego pro singulis defectibus talo ipsi donum dedi quo defectus illius oculis meis plene emendantur. Sed cum pro- !. Ce pouvait être une lecture de l'Ëcriture, mais, plus probablement, la lecture de la sainte Règle, chapitre iv : Deum ailigerc loto cordc, Ma LE HERAUT. 1,. I. CH. III 141 communauté la lecture prescrite 1 et que notamment elle mettait tout son soin à prononcer ce passage qu’il faut aimer le Seigneur de tout son cœur, de toute son âme et de toutes ses forces, une moniale, frappée de son ton, dit au Seigneur : «Ah ! Seigneur Dieu, à quel point vous aime celle-ci qui, d’une voix si convaincante, proclame qu’on doit vous aimer! » Le Seigneur lui répondit: « C’est moi qui, dès son enfance, l’ai portée et couvée dans mes bras, et préservée, pour moi, de toute impureté, en attendant l’heure où, en pleine liberté, elle-même s’est unie à moi; alors, tout entier, de tout mon élan divin, je me suis donné, en retour, à son étreinte. Aussi, sous Fardent amour que son cœur me porte, mes entrailles se fondent sans cesse à son égard, comme la graisse se fond au feu, et la douceur de mon divin Cœur, dissoute à la chaleur de son propre cœur, so distille continuellement dans son âme. » Et le Seigneur ajouta : « Mon âme se complaît tant en elle que, souvent, offensé par les hommes, je trouve de la douceur à me reposer sur elle, lui faisant sentir quelque peine pesante de l’esprit ou du corps, ce qu’en union à ma Passion elle accueille avec tant de gratitude et supporte avec tant de patience et d’humilité qu’aussitôt apaisé, pour son amour, je pardonne à d’innombrables pécheurs. » 7. Quelqu’un qui, sur la demande de la sainte, priait pour qu’elle se corrigeât de ses défauts, reçut cette réponse : « Dans ce que cette mienne élue voit en elle de défauts, il y a plutôt de grands profits pour son âme, car la grâce que j’opère en elle, l’humaine fragilité aurait peine à la préserver du souffle de la vaine gloire, si les défauts visibles ne lui servaient d’abri. Ainsi, comme le champ engraissé de fumier n’en est que plus fertile, de même elle retire de la connais­ sance de ses défauts des fruits de grâce plus savoureux. » Et le Seigneur ajouta : « Pour chaque défaut elle reçoit de moi un don qui les corrige tous pleinement à mes yeux. anima. Ma virtute. Le texte ci-dessus est en effet plus près du texte de la Règle que de ses sources scripturaires : Deut. 6, 5 et Mc 12, 30. 1.2 GERTRUDE D HELFTA cessu temporis eos plene commutavero in virtutes, tunc anima ejus tanquam lux praeclara fulgebit. » Et haec de secundo teste dicta sufficiant, quibus plura addentur conve­ nientibus locis. CAPUT IV DE TERTIO TESTE 5 10 15 5 1. Tertio, cvidentior testis est ipsa ejus conversatio qua tam verbis quam factis palam ostenditα se vere penitus non suam sed Dei gloriam quaerere et illam, non solum quaerere, imo etiam tam ardenter investigare ut pro ea non solum pro­ prium honorem, verum etiam vitam et ipsam quodam modo animam vilipenderet. Huic itaque testimonio merito fides adhibetur, secundum quod Dominus in Evangelio Joannis dicit : Qui quaerit gloriam ejus qui misit illum, ille verax est, et injustitia in illo non est b. 0 vere felix anima, cujus conversatio manifeste ostendit ipsam approbatam tali tantoque testimonio evangelicae veritatis! De ista vere enim potest dici illud Sapientiae : Justus quasi leo con fiditc. Nam amore laudis divinae tanta mentis constantia in omni­ bus justitiam et veritatem promovebat, quod omnino vilipendil quid exinde adversitatis contraheret, dum tantum­ modo gloriam Domini sui lucraretur. 2. Laborabat etiam crebrius in colligendis et scribendis omni­ bus quae alicui unquam credebat esse proficua; et hoc ad lau­ dem Dei ita pure faciebat, quod nullius unquam grates ex hoc affectabat, sed solum salutem animarum desiderabat. Unde et in quibus majorem fructum sperabat, his alacrius 7, 11 eos TZ : eas BW IV. 1. 7 in Johanne TZ I.H HÉRAUT. L I, CH. 111-1V 143 Et lorsque, avec le temps, je les aurai complètement trans­ formés en vertus, alors son âme resplendira commo une éclatante lumière, n Que tout ceci suffise pour le second témoi­ gnage; d’autres faits le compléteront en temps opportun. Cap. IV. — 1. En troisième lieu, plus évident est le témoignage de sa propre vie, où les paroles comme les gestes montrent clairementα à quel point elle cherchait vraiment, non pas sa propre gloire, mais celle de Dieu; non seulement elle la cherchait, mais la recherchait avec tant d’ardeur qu’elle lui aurait sacrifié non seulement son propre honneur, mais même sa vie et, en un sens, jusqu’à son âme. C’est là un témoignage authentiquement digne de foi, le Seigneur ayant dit selon l’Evangile de saint .lean : •i Celui qui cherche la gloire de celui qui m’a envoyé, celui-là est véridique et il n’y a pas d’imposture en lui b. » O vraiment heureuse l’âme qui, dans sa vie, se révèle sans conteste en plein accord avec une si primordiale sentence de vérité évangélique 1 N’est-il pas équitable de lui appliquer ce dire de la Sagesse: « Le juste a l’assurance d’un lionceau0. » Car, dans le désir de louer Dieu, elle recherchait en toutes choses la justice et la vérité d’une volonté si constante qu’elle méprisait entièrement ce qu’elle en recevait de fâcheux pourvu qu'elle eût accru la gloire de son Seigneur. 2. Elle s’appliquait aussi, assidûment, à recueillir par écrit tout ce qu’elle pensait pouvoir être profitable à quelqu’un et, en cela, elle n’agissait que pour la gloire de Dieu, n’aspi­ rant pas à la reconnaissance de quiconque, mais désirant seulement le salut des âmes. Aussi. communiquait-elle promptement ses copies à ceux auxquels elle pensait qu’elles III. Témoignage de la vie. IV. 1 a. Règle de S. Benoît, 2 || b. Ju 7, IS || c. Prov. 28, 1 l'.'l 10 15 5 10 15 oertruue D’helfta quae conscripserat impertiebatur, et etiam in quibus majo­ rem locis inopiam Scripturae sacrae sciebat, ibi libentius quae poterat utilia procurabat, ut omnes Christo posset lucrari. Somni quietem interrumpere, cibum differre, et quidquid ad proprii corporis spectabat commodum omittere, magis gau­ dium reputabat quam laborem. Nec in his suffecit, quin etiam dulcedinem contemplationis pluries interrumperet, cum necessitas exigeret aliquem expedire lentatum, conso­ lari desolatum, aut in charitate quemquam juvare. Ut enim immissum in ignem ferrum totum profecto ignis efficitur, sic ipsa charitate Dei succensa tota effecta est charitas, salutem desiderans universorum. 3. Tanta etiam tamque crebra cum Domino majestatis habe­ bat colloquia, quanta quemquam cognovimus nostris ha­ buisse temporibus, et inde tamen semper magis ad humilita­ tem deprimebatur. (ude et haec dicere solebat, quod omnia quae ex supereffluenti bonitate Domini reciperet gratis indi­ gna et ingrata, interim quod ea retineret et frueretur sola, viderentur sibi ex sui vilitate tamquam quae laterent in fimo; cum autem alicui notificasset, tunc eam quasi gemmam auro impositam reputabat, quia sic omnem hominem dignio­ rem se judicabat, quod aestimabat quemlibet hominem uno cogitatu Deo majorem posse laudem efferre, propter inno­ centiam et dignam conversationem, quam ipsa cum tota exercitatione corporis sui perficere posset, propter indignam conversationem et negligentias suas. Unde et hoc solum coegit eam aliqua sibi a Deo donata cuiquam pandere, quod judicabat se omnium donorum Dei tam omnino indignam, quod nullatenus credere potuit ea sibi propter se solam donata sed potius ad salutem aliorum. 2, 6 majorem ont. W 3, 9-10 digniorem ... hominem om. BW LE HÉRAUT. L. I, CH. IV 145 feraient le plus de bien. De même, lorsqu’elle apprenait que les Livres saints faisaient particulièrement défaut ici ou là, elle mettait tout le zèle dont elle était capable à procurer le nécessaire, afin de pouvoir gagner tous les hommes au Christ. Les veilles, le jeûne, le renoncement aux commo­ dités concernant le corps étaient à ses yeux une joie plutôt qu’une peine. Bien plus, elle interrompit plus d’une fois sa douce contemplation lorsque le devoir exigeait qu’elle soutint une âme dans la tentation, consolât quelqu’un dans l’affliction ou accomplît quelque autre secours charitable. Car, de même que le fer plongé dans le feu devient lui-même inévitablement tout feu, ainsi, embrasée de la charité divine, elle-même était toute charité, avide du salut de toute l’huma­ nité. 3. Tels et si fréquents furent ses entretiens avec le Seigneur de Majesté que nous n’en connaissons pas d'autre exemple en notre temps et, cependant, leur effet était de l’enfoncer toujours davantage dans l’humilité. Aussi, avait-elle coutume de dire que toutes les grâces qu’indigne et ingrate elle avait reçues gratuitement de la surabondante bonté du Seigneur, lui semblaient, lorsqu’elle les taisait et en jouissait seule, comme cachées sous le fumier, à cause de sa misère, mais si elle en faisait confidence à quelqu’un, alors c’était pour elle comme une perle sertie d’or; elle jugeait, en effet, toute personne plus digne qu'elle, en ce sens qu’elle estimait que n’importe qui, par une seule pensée, pouvait, en raison de la pureté et de la sainteté de sa vie, rendre plus de gloire à Dieu qu’elle-mêmo, coupable de négligences et de vie indigne, ne le pouvait faire par tous ses exercices extérieurs. Aussi le seul motif qui la poussa à faire à autrui la confidence de certaines grâces reçues de Dieu était qu’elle se jugeait si complètement indigne des dons de Dieu qu’elle ne pouvait en aucune manière les croire accordés pour elle seule, mais plutôt pour le prolit des autres. CAPUT V DE INDICIIS ET ORNATU INTELLECTUALIS COELI 1. Cum enim secundum quod praedictum est, in ore duorum vel trium testium stet omne verbum, ubi, tam veraces et digni sunt testes, nullomodo repellatur veritas, sed incredu­ lus returator potius erubescat, pro eo quod si in propria per5 sona non meruit accipere his similia, negligit insuper ista quae per electam suam operari dignata est divina liberalitas, sibi per congratulationem vindicare, cum omnino non videa­ tur diffidendum hanc esse unam de electis, imo beatis illis de quibus beatus Bernardus scribit super Cantica ° sic dicens : 10 « Ego puto beatam animam non solum coelestem esse propter originem, sed ipsum coelum non immerito posse appellari, propter imitationem, cum conversatio ejus sit in coelis *. Undo Sapientia : Anima justi sedes est sapientiae c, item : Coelum mihi sedes est d. Quod ergo Deum sapit esse spiritum, 15 etiam sedem Dei non ambigit assignare spiritualem. Confir­ mat me in hoc sensu maxime illa veritatis promissio: Ad eum, id est, ad sanctum hominem, veniemus et mansio­ nem apud cum faciemus e. Prophetam quoque non de alio dixisse arbitror: Tu autem in sancto habitas, laus Israelf. V. 1, 9 sic om. TW V. 1 a. In Cant. 27 || b. Phil. 3, 20 || c. Pmv. 12, 23, SOC. LXX. Cf. S. Grégoire, homélie 38; et 9° leçon du 19e dim. ap. Pente­ côte H d. Is. 66, 1 H c. Jn 14, 23 || /. Ps. 21, 4 DEUXIÈME PARTIE TÉMOIGNAGE DES VERTUS Cap. V. — 1. Puisque, comme il a été dit plus haut, le dire de deux ou trois témoins est une ferme assurance pour toute proposition, il est impossible, devant tant de témoignages véridiques et authentiques, de récuser la vérité. Que le contradicteur incrédule rougisse plutôt, n'ayant pas personnellement mérité de semblables grâces, de négliger encore de s’approprier au moins par l’admiration celle que la munificence divine a daigné opérer en son élue. Il n’est aucunement douteux en effet que cette âme ne soit une de ces élues dont saint Bernard dit dans ses écrits sur le Cantique” 1 : « J’estime que l’âme élue est non seulement céleste par son origine, mais que ce n’est pas sans raison qu’on peut l’appeler un ciel, par analogie, car notre vie se voit dans les cieux*. Aussi la Sagesse dit: « L’âme du juste est la demeure de la sagesse c », et encore : « Le ciel est mon trône a. » Or, celui qui sait que Dieu est esprit n’hésitera pas à lui assigner une demeure spirituelle. J’en vois la confir­ mation certaine dans cette promesse de Celui qui est Vérité : « Mon Père et moi, nous viendrons à lui, c’est-à-dire au juste, et nous fixerons en lui notre demeure ·. » Et je pense que le Prophète n’entendait pas autre chose lorsqu’il disait : « Tu habites dans le Saint, gloire d’Israël Λ » Et l’Apôtre Le del de la sainteté. ! Cotte longue citation de saint Bcbnabd est extraite des paragra­ phes 8, 9 et 10 du Sermon 27, mais non sans quelques interversions. 148 GERTRUDE D’HELFTA 20 Manifeste etiam Apostolus dicit habitare Christum per fidem in cordibus nostris °. Sed a longe suspiro certe illos beatos de quibus dicitur: Et habitabo in eis, el deambulabo in illis \ 0 quanta illius animae latitudo, quanta meritorum praerogativa quae divinam in se praesentiam habet et digna 25 quidem invenitur suscipere, et sufficiens capere, cui et spatia complentur deambulatoria ad opus majestatis. Crevit enim in templum sanctum in Domino crevit, dico, mensura chori tatis quae est quantitas animae. Est ergo coelum sancta anima habens solem intellectum, lunam fidem, stellas vir­ 30 tutes. Vel certe sol justitia, sive zelus ferventis charitatis; et luna continentia. Nec mirum si libenter hoc coelum Domi­ nus Jesus inhabitat, quod utique non sicut caeteros dixit tantum ut fieret, sed pugnavit ut acquireret, occubuit ut redimeret. Ideo et post laborem voto potitus ait: Haec 35 requies mea in saeculum saeculi; hic habitabo}, etc. 2. Et ut pro modulo meo ostendam istam, ut supra dixi, unam esse ex his beatis quos secundum dicta beati Bernardi Deus materiali coelo praeclegerit ad inhabitationem sibi, ad laudem ipsius, exponam quae per circulum plurimorum 5 annorum ductu spiritualis familiaritatis de ea potui investi­ gare. Nam cum saepe dictus beatus Bernardus dicat quod intellectuale coelum, id est, beata anima quam Dominus inha­ bitare dignatur, habere debeat pro ornatu solis et lunae atque stellarum decorem virtutum, exponam hic breviter, prout 10 potero, quos specialiter virtutum radios ista de se dederit, ut non ambigatur Dominus virtutum in intimis ipsius man­ sionem habuisse, quam exterius tam rutilantium luminarium pulchritudine tam mirifice decoravit. 21 certe : add. W || 24 habet am. BZ || 2, 3 prae elegit W g. Éphës. 3,17II λ. Π Cor. 6, IG|| i. Éphës. 2, 211| j. Ps. 131,14 LE HÉRAUT. L. I, CH. V 149 dit clairement que « le Christ habite par la foi dans nos coeurs ’ ». Mais c’est de loin que mon désir se tourne vers ces âmes saintes dont il est dit: « J habiterai en eux et j’y marcherai Λ ». Oh! que cette âme est grande! Oh! quel pri­ vilège est accordé à ses mérites de posséder en soi la présence divine et d’ètre trouvée digne de l’accueillir et capable de la contenir, même d’être élargie aux dimensions où puisse se mouvoir son action majestueuse. Cette croissance en a fait le temple saint du Seigneur*, une croissance, dis-je, dans la mesure de la charité qui est la dimension de l’âme. Donc, l’âme sainte est un ciel, qui a pour soleil l’intelligence, pour lune la foi, pour étoiles les vertus, ou encore assuré­ ment pour soleil la justice ou le zèle d’une fervente charité, et pour lune la chasteté. Il n’est point étonnant que le Seigneur Jésus choisisse d’habiter ce ciel pour lequel il ne s’est pas contenté, comme pour la création des cieux maté­ riels, de dire simplement qu’il soit, mais il a lutté pour le conquérir, il est mort pour le racheter. Aussi, l’œuvre achevée, et satisfait dans son désir, il a dit : « Ici est mon repos à tout jamais, ici j’aurai ma demeure, etc. Λ » 2. Pour prouver, selon mes forces, que cette âme était, comme je l’ai dit, du nombre de ces élus que Dieu, selon la parole de saint Bernard, choisissait pour demeure de préférence au ciel matériel, je «lirai, à sa louange, ce qu’il m’a été possible de découvrir en elle, grâce à une intimité spirituelle prolongée pendant nombre d’années. Or, saint Bernard, déjà largement cité, dit que le ciel spirituel, c’està-dire l’âme sainte où Dieu daigne habiter, doit, en manière de soleil, de lune et d’étoiles, être ornée de l’éclat des vertus; c’est pourquoi j’exposerai brièvement ici, autant que je le pourrai, quel rayonnement spécial de vertus émanait d’elle, de sorte qu’il soit évident que le Dieu des vertus habitait dans l’intimité de son âme, lui donnant magnifiquement cette beauté visible d’astres éclatants. 150 GERTRUDE D’HELFTA CAPUT VI DE CONSTANTIA JUSTITIAE 5 10 15 20 25 30 1. Justitia enim, sive zelus ferventis charitatis, quam beatus Bernardus in antedicta sententia solis nomine insignire videtur, tam praeeminentor in ista refulgebat, quod si oppor­ tunitas exegisset pro defensione ejus inter medias mille acies armatorum se gratis obtulisset; nec quisquam ita carus sibi erat amicus, cui contra justitiae tramitem etiam adversus proprium lethalem inimicum, si fuisset, saltem unico verbo astitisset, sed potius in damnum propriae matris, exigente justa ratione consensisset, quam contra inimicum quantumcumque sibi onerosum injustitiae assensisset. Nam quantumcumque occasio se praebuit cuiquam causa exhor­ tationis aliqua proponere, omnem dissimulans verecundiam, quae tamen virtus inter caeteras virtutes clarius in ea relucebat, necnon humanum inordinalumque deponens timorem, ac fiduciam habens in eo cujus fide armata famulatui ipsius universum desiderabat mundum mancipare, calamum linguae tingens in sanguinem cordis, tam devoto affectu pietatis ac sapientiae gratia verba formabat, quod vix aliquis esse posset tam durae ac perversae mentis, cui tamen aliqua inesset scintilla pietatis, qui non per verba ejus emolliretur, saltem ad voluntatem vel desiderium emenda­ tionis. Unde et quemcumque commonitionum suarum instinctu pensabat esse compunctum, huic tanto piae compassionis acclinabatur affectu, ipsumque blando charitatis excipiebat sinu, ut se totam illi corde liquefacto impertiri niteretur ad consolationem, non tam verborum fateor exhibitione quam devota pro eo ad Deum orationum ac desideriorum effusione; quia in verbis semper cavere studuit, ne forte alicujus mentem sic in amicitiam sui attraheret, ut per consequens aliquatenus se a Deo tali occasione elongaret. VI. 1, 25 iinpertire W LE HfiRAUT. L. I, CII. VI 15! Cap. VI. — 1. La justice, donc, c’est-à-dire le zèle d'une ardente charité, que saint Bernard, dans le passage cité plus haut, regarde comme désignée sous le nom de soleil, brillait en elle d’une façon si éminente que s’il l’avait fallu, elle se serait librement exposée, pour sa défense, face à mille bataillons armés, et il n’était personne dont l’amitié lui fut assez chère pour qu’elle la défendit à l’encontre des voies de la justice, fût-ce d’un seul mot et même contre son propre ennemi personnel; elle aurait consenti, pour les droits de la justice, à porter tort à sa propre mère môme plutôt que d'admettre de charger-injustement un ennemi. Et, chaque fois qu’elle avait occasion de donner quelque avis nécessaire à l’édifica­ tion, refoulant toute réserve — bien que cette vertu entre toutes brillât en elle d’un éclat particulier — et écartant le respect humain et inconsidéré, mettant au contraire toute son assurance en Celui au service duquel elle aurait voulu, par les armes de la foi, soumettre tout l’univers, sa langue s’exprimait comme à la manière d’un calame teinté du sang de son cœur, avec un tel élan de sainte tendresse et une telle grâce de sagesse qu’il ne pouvait se rencontrer, pour ainsi dire, personne de cœur assez dur et pervers pour ne pas s’attendrir à sa parole et n'éprouver ne fût-ce que la volonté ou seulement la désir de la conversion. Et lorsqu’elle sentait une âme touchée par l’appel do ses conseils, elle se penchait vers elle avec une immense affection de tendre piété, elle l’enveloppait du geste caressant de sa charité, pour s’efforcer de se livrer tout entière à elle, d’un cœur fondu, afin de la secourir, non pas tant, dirai-je, par des discours que par l’instante effusion de s£3 prières et de ses désirs devant Dieu à cette intention, car, en parlant, elle veillait toujours soi­ gneusement à ne pas s'attacher à autrui par amitié, pour ne pas ainsi, par ce sentiment, s’éloigner tant soit peu de Dieu. I. Le soleil : Justice. 152 GERTRUDE D’HELFTA Omnem enim amicitiam humanam quam non in Deo suum habere, utcumque potuit discernere, fundamentum, tam­ quam quoddam mortiferum declinabat, nec sine magno cordis cruciatu vel unicum amicabile verbum audire potuit 35 a talibus qui aliquid humanius sc illi exhibebant, nec etiam quantumcuinque sibi necessarium obsequium ab ipsis potuit acceptare, multo magis eligens omni humano carere obse­ quio et subsidio, quam alicujus cor inordinate circa se consen­ tiret occupari. CAPUT VII DE ZELO QUEM HABUIT AD SALUTEM ANIMARUM 5 10 15 20 1. Qualiter etiam zelus animarum, Religionisque studium accenderit mentem ejus, tam verba quam facta ipsius evidentissimum perhibebant testimonium. Nam si quando aliquem defectum in aliquo proximorum cognoscens ipsum corrigi desiderabat, nec desiderii sui videbat effectum, hoc tanto pondere gravabat animam ejus, quod nullatenus consolari potuit, donec tam precibus a Domino quam etiam exhortationibus, sive per se, sive per alios, quos ad hoc indu­ cere potuit., saltem aliquantam obtinuisset emendationem. Si vero aliquando, ut moris est humani, contigit aliquem quasi consolando, eam dicere ut non curaret de illo qui se non corrigeret, quia ipsemet proprium damnum Initu­ rus esset, hoc tanto dolore retractabat, quod quasi gladius videbatur in intima sua penetrare, et dicebat se potius mortem eligere quam taliter super defectu cujusquam consolari, quod tunc primo experiri deberet, cum post mortem dam­ num sequeretur aeternum. Unde et quaecumque in Scriptu­ ris sanctis inveniebat utilia, si videbantur sensui minus intelligentium difficilia, latino mutato, stylo describebat planiori, quo legentibus fierent utiliora; et sic totam vitam LE HÉRAUT. L. J, CH. VI-VII 153 Car toute amitié humaine qui, dans la mesure où elle pouvait en juger, ne lui aurait pas semblé avoir son fondement en Dieu, était écartée comme danger mortel et elle ne pouvait·, sans un grand tourment d’âme, recevoir ne fût-ce qu’un mot d’amitié de ceux qui ne le lui adressaient qu’avec des dispositions humaines; de telles personnes, même, elle se gardait d’accepter le moindre service, lui fùt-il nécessaire, préférant de beaucoup être privée de toute aide et secours humains plutôt que de consentir à ce qu’un cœur lui vouât indûment attention. Cap. VII. — 1. Ses paroles comme ses actes rendent un témoignage irrécusable du zèle attentif des âmes et de la vie religieuse dont brûlait son cœur. Car, s’il lui arrivait de constater quelque défaut en quelqu’une de ses sœurs, elle désirait qu’elle s’en corrigeât et, voyant ce désir inexaucé, le poids qui pesait sur son âme était tel qu’elle ne pouvait avoir de repos tant que, par ses prières à Dieu, ses exhorta­ tions personnelles, ou celles d’autrui sur sa suggestion, elle n’avait pas obtenu au moins un léger amendement1. Et si, pour l’apaiser, quelqu’un venait à lui dire, selon une vue trop humaine, de ne pas se soucier de l’incorrigible qui aurait elle-même à expier sa propre faute, sa vive douleur redoublait comme si son cœur avait été percé d’un glaive et elle décla­ rait préférer mourir que de se rassurer ainsi en face d’une faute d’autrui et qu’il fallait à tout prix agir maintenant car, après la mort, l’expiation de cette âme serait éternelle. Dans cet esprit, tous les enseignements qu’elle rencontrait dans Γ Écriture et qui lui paraissaient devoir être peu acces­ sibles aux intelligences faibles, elle les traduisait du latin dans un style plus simple pour qu’ils soient plus profitables au lecteur et ses journées se passaient ainsi du matin jus­ qu’au soir à résumer ce qui était trop long, â commenter ce I. Ce souci d'amendement du prochain, tant par exhortations que par prières fraternelles, évoque le chapitre xxvui do la sainte Règle. 154 5 10 15 5 10 GERTRUDE Ü’HELFTA suam a mane usque ad vesperum consumebat, nunc longa decurtando, nunc difficilia explanando, desiderabat laudem Dei et proximorum promovero salutem. 2. Quod quantae virtutis sit pulchre describit Beda sic. dicens: « Quae gratia sublimior et Deo gratior conver­ satio esse potest, quam quae quotidiano exercitio alios ad auctoris sui gratiam studet convertere et crebro animarum fidelium acquisitione gaudium semper patriae coelestis augere"? » Bernardus: « Hoc siquidem vera et casta con­ templatio habet, ut mentem quam divino igne vehementer accenderit, tanto interdum repleat desiderio acquirendi Deo qui eum similiter diligant, ut otium contemplationis pro studio praedicationis libentissime intermittat et rursum potita votis tanto ardentius redeat in idipsum, quanto fruc­ tuosius se intermisisse meminerit b. » Si enim, teste Gregorio, nullum Deo tam laudabile sacrificium sicut zelus animarum®, nihil mirum si libenter et dignanter hoc vivum altare inha­ bitat Dominus .1 esus, in quo sibi tam frequenter tam suavis odor gratissimi sacrificii adoletur. 3. Vice igitur quadam apparuit ei Dominus Jésus, prae filiis hominum forma speciosus °, stans et quasi humeris suis rega­ libus et delicatis domum quamdam maximam, quae velut in proximo casura super illum apparebat acclinata, et ait Domi­ nus ad eam : « Ecce quanto studio laboris domum meam dilectam scilicet mihi Religionem sustento, quae pene per totum mundum in proximo ruinam minatur, eo quod tam perpauci inveniuntur in toto mundo qui in ejusdem defen­ sione vel promotione velint fideliter laborare, aut aliquid sustinere. Ergo, dilecta, respice in me et compatere lassi­ tudini meae. » Et adjecit Dominus : « Omnes qui in aliquo VII. 2, 2 sublimior : gloriosior Z || 14 nihil : non W || 15 Jesus : Christus add. T || 3, 2 forma om. T VII. 2 a. Hom. in Vig. S. Joannis Baptistae; PL 208 || LE HÉRAUT. L. I. CH. VH 155 qui était obscur, dans le désir de promouvoir la gloire de Dieu et le salut du prochain. 2. Toute la beauté d’un tel mérite est bien décrit par Bède lorsqu’il dit : « 11 ne peut y avoir de conduite plus parfaite ni plus agréable à Dieu que de s’appliquer, par un effort quoti­ dien, à ramener le prochain devant la grâce de son Créateur et, par l’attentif progrès des âmes dans la foi, à accroître toujours la joie de la Cité céleste ®. » Et saint Bernard dit : « La vraie et pure contemplation, qui brùle avec ardeur l’âme du feu divin, la remplit à la fois du désir de gagner à Dieu des cœurs capables du même amour, de sorte qu’elle consent volontiers à interrompre le repos de la contempla­ tion pour s’appliquer à la prédication, et, ayant accompli ce désir, elle revient à son recueillement avec d’autant plus d’ardeur qu’elle a conscience des fruits de cette interrup­ tion *. » Si en effet, comme dit saint Grégoire, aucun sacri­ fice n’est plus agréable à Dieu que le zèle des âmes c, il n’est pas surprenant que le Seigneur Jésus ait si volontiers daigné faire sa demeure en cet autel vivant d’où montait si souvent l’odeur si suave de ce tout agréable sacrifice. 3. Une autre fois, le Seigneur Jésus lui apparut, le plus beau des enfants dos hommes e, debout, et elle vit, sur ses épaules royales et fines, comme une sorte de grande maison qui semblait appuyée sur lui comme sur le point de s’effondrer et le Seigneur lui dit : « Regarde avec quel effort je soutiens ma maison bien aimée, c’est-à-dire l’ordre religieux, qui est menacée de ruine à peu près dans tout l’univers, car il s’en trouve fort peu dans cet univers qui soient désireux de travailler loyalement à la défendre, à la promouvoir ou seule­ ment à la soutenir. Vois donc, mon aimée, contemple-moi cl compatis à ma lassitude. » Et le Seigneur ajouta : « Tous b. in cant. 57, 9; PL 183, 1054 || c. Hom. XII sup. Ez., 30; PL 76, 932 H 3 a. Ps. 44,3 GERTRUDE D'HELFTA 156 15 20 25 30 5 10 verbo vel facto promovent Religionem, tamquam colum­ nis suppositis pondus gravaminis mei pro modulo suo mihi sublevant et mecum sustentant. » Ex quibus verbis ista medullitus commota et ad compatiendum Domino Deo amatori suo ardentius provocata, summo conatu laborare coepit in Religionis promotione, quandoque ultra vires laborans in rigore Ordinis causa boni exempli. Cum vero per aliquot tempora in hac exercitatione fideliter laborasset, benignus Dominus ultra non ferens dilectae suae laborem, sed volens ipsam intrahere ad suavioris contemplationis quietem, qua tamen, ipsa detrimante, per talem, ut praedixi, exerci­ tationem minime fuerat fraudata, per plures sibi familiares notificavit illi ut jam a tali labore quiesceret, et ipsi soli amatori suo tota deinceps devotione vacaret. Quod ipsa multum adtemptans, avida mentis alacritate otio contem­ plationis se totam contulit, illi intimorum suorum intimo unice intenta suavi mentis alacritate, quem e converso singulariter sensit totum sibi intentum tam elficaci gratiae suae infusione. 4. Hinc adjungere libet scripta quaedam Deo devotae personae cujusdain, quae sicut ex divina revelatione acce­ perat huic conscripsit in haec verba: « O sponsa Christi devota, intra in gaudium Domini tuia; quia tam inaestimabilis suavitatis dulcedine Cor divinum afficitur erga te, pro fidelitate illa qua tot laboribus insudasti pro veritatis defen­ sione, secundum quod optimum placitum suum, imo etiam tuum, pausare te desiderat sub umbra b suae quietissimae consolationis. Nam sicut arbor bene radicata, quae juxta aquam transplantata ad humorem, emittit uberrimos fructus, ita et tu gratia Dei coopérante ex singulis cogitationibus. 14 mihi om. W || 19 tempus TW || 22 ipsa detrimante : ipso donante TZ || 2G adtemptans : acceptans TW |J 27 illi om. Z U intimorum interiorum T || 4, 7 beneplacitum W 4 a. Mauh. 25, 21 || b. Cani. 2, 3 LE HÉRAUT. L. I, CH. VII 157 ceux qui contribuent par quelque parole ou quelque acte à promouvoir l'état religieux sont comme des colonnes qui allègent, dans la mesure où ils le peuvent, le poids qui m’acca­ ble; ainsi, ils me soulagent. » Profondément émue par ces paroles et incitée ardemment à la compassion envers le Seigneur Dieu, son Amour, elle entreprit de travailler de toutes ses forces à promouvoir l’état religieux, observant au delà même de ses forces la stricto discipline pour le bien de l’exemple. Mais après qu’elle eut pendant quelque temps fidèlement peiné de la sorte, le Seigneur bienveillant, ne supportant pas davantage ce labeur de sa bien aimée et voulant qu’elle s’adonnât au repos d’une plus douce contem­ plation — dont cependant, malgré toute son activité, le zèle qui vient d’être dit ne l’avait, en rien privée — lui fit savoir par plusieurs personnes de ses intimes qu’elle eût à cesser enfin cette pratique et ne s’occupât plus désormais que d’appartenir entièrement à Lui seul, son amant. Alors, pleine d’audace, elle s’abandonna tout entière au repos de la contemplation que désirait ardemment son âme, unique­ ment attentive, avec une douce ardeur d’âme, au Seigneur, au plus intime de son être et Le sentant, en retour, particu­ lièrement attentif à elle-même dans le don de sa toute bien­ faisante grâce. 4. Qu’il soit permis d’insérer ici une page écrite par une moniale qui, comme sous l’inspiration divine, s’exprimait ainsi : « O épouse consacrée au Christ, entre dans la joie de ton Seigneurn, car, dans une incomparable suavité de douceur, le Cœur Divin s’est attaché à toi, à cause de la fidélité avec laquelle tu as peiné à travailler pour défendre la vérité et il désire, pour la plénitude de son plaisir et aussi en outre du tien, que tu viennes te reposer à l’ombre * de sa toute calme consolation. Car, comme l’arbre aux fortes racines planté près du cours des eaux pour en être abreuve donne des fruits abondants, ainsi toi-même, avec la coopé­ ration de la grâce divine, tu as, par toutes tes pensées, tes 158 GERTRUDE D’HELFTA verbis et factis tuis fructus suavissimos defers dilecto, nec aliquando arescere poteris ad aestum persecutionis, quia ex fluentis plenissimis gratiae Dei frequentius irrigaris. Ex eo 15 enim quod in omnibus operibus tuis solummodo laudem Dei et non tuam desideras, centuplicatum fructum defers dilecto ex omnibus quae perficere velles illis vel in aliis promovere si posses. Et insuper ipse Dominus Jesus pro te supplet Deo Patri omnem defectum illum quem vel in te vel in aliis doles, 20 et pro singulis tc remunerare disponit tamquam si plenum effeceris profectum, ex quo omnis coelestis exercitus tibi con­ gaudens miro modo jucundatur, et gratias agendo Dominum pro te collaudat. » CAPUT VII1 DE COMPASSIVA IPSIUS CHAR1TATE 1. Cum zelo quoque justitiae de quo praedictum est, exierat illi etiam tantus corapassivae charitatis affectus, ut quem­ cumque videret rationabiliter perturbatum, seu etiam longe positum jintelligeret gravatum, statim omnimode satagebat 5 ipsum aut verbis relevare aut scriptis animare; et hoc tanto intendebat nffcctu quod vehit infirmus qui magnis febribus aestuans, de die in diem ab infirmitate sperat liberari vel alleviari, sic ipsa de hora in horam illos quos scie­ bat gravatos a Domino exoptabat consolari : non solum 10 autem erga homines, verumetiam erga omnem creaturam tanto afficiebatur pietatis affectu, ut quamcumque creatura­ rum, sive volatilium, sive pecudum, aliquod incommodum ■13 aliquando : unquam TZ || 17 illis om. TZ VIH. 1, 1 de qua BTZ || inierat TZ 1. Dans ce morceau, dont l’auteur est probablement uno autre moniale d’Helfta, le soin de composition littéraire est certain. Le symbole de l’arbre se développe en empruntant des traits à des passages et à des emplois LE HÉRAUT. L. I, CH. VII-VIII 159 actions, tes paroles, présenté à ton Bien-Aimé les fruits les plus doux, et jamais les jours brûlants de la persécution n’ont pu te dessécher, parce que sans cesse tu t’abreuvais aux sources intarissables de la grâce divine. En effet, parce que dans toutes tes actions tu n’as cherché que la gloire de Dieu et non la tienne, tu as présenté à Ion bien-airné le centuple fruit produit par toutes les œuvres que tu entendais soit accomplir directement, soit suggérer à d’autres dans la mesure du possible. Et, de plus, le Seigneur Jésus lui-même supplée pour toi auprès de Dieu le Père pour toute déficience que tu déplores en toi ou dans les autres et il a résolu de te récompenser pour chaque œuvre comme si tu l’avais accom­ plie en pleine perfection; ce dont toute la cour céleste, s’asso­ ciant à ta joie, est dans une merveilleuse exultation et rend grâces au Seigneur, à cause de toi, dans une louange una­ nime l. » Cap. VIII. — 1. Avec le zèle de la justice dont il vient d'être parlé, il émanait aussi d’elle un tel sentiment de charité compatissante que, dès qu’elle voyait quelqu’un justement troublé ou qu’elle apprenait qu’une personne éloignée était dans l’accablement, aussitôt elle s’efforçait de toutes les façons de les relever par ses paroles, de les ranimer par ses lettres et elle s’y appliquait avec une ardeur telle qu’elle semblait un malade fiévreux, espérant chaque jour sa guéri­ son ou son allègement, lorsque, heure après heure, elle souhaitait que soient soulagés par le Seigneur ceux qu’elle savait lourdement accablés. Ce n’était pas seulement envers les hommes mais envers toute créature qu’elle était touchée d’un si vif sentiment de pitié que, dès qu’elle voyait l’une d’elles, oiseau ou bête, souffrir de quelque incommodité, fris divers do l'Écriture : paradis terrestre, psaumos, Cantique, paraboles évangéliques... ot la Anale do l’élogo a dee résonances liturgiques : enelestia exercitus, congaudens, collaudat. 160 GERTRUDE D’HELFTA ex esurio vol siti vel frigore videret perpeti, mox facturao Domini sui compatiens ex intimo cordis affectu, illud 15 incommodum irrationabilis creaturae Domino devote stude­ bat offerre in laudem aeternam, in uniono illius dignitatis qua omnis creatura in ipso est summe perfect-a et nobilitata, desiderans ut Dominus misertus creaturae suae, defectus ipsius dignaretur relevare. CAPUT IX DE MIRA CONTINENTIA. IPSIUS 5 10 15 20 1. Continentia etiam, quam beatus Bernardus ponit loco lunae, in ista perlucide emicuit; quod constantissime fatebatur se in omni vita sua nunquam alicujus viri faciem ita curiose vidisse, quod aliquid sciret de forma illius. Et hoc simul cum ea fateri possent omnes qui noverant eam, quod quantumvis viro sancto, quantumcumque familiariter, per quantam moram loqui deberet, sic ab illo discessit, quod nunquam vel semel ad ipsum oculos deflexerat. Et non solum dici potest de visu, verum etiam de loquendo, audiendo, caeterisque corporis motibus, quod tam mirae continentiae decor in ipsa resplenduit, quod familiares sibi sodales dicere solebant quandoque jocando, quod jure propter munditiam cordis inter reliquias super altare poneretur. Nec mirum, cum ultra omnes homines mihi cognitos assueta fuerit- in sacra Scriptura delectari, et per consequens etiam delectari in Deo, quod est praecipuum conservatorium casti­ tatis. Unde Gregorius : « Gustato spiritu, desipit omnis caro ° ». Hieronymus: « Ama litteras, et carnis vitia non amabis fc ». Sed si alia deessent testimonia, in hoc ipso quod lectioni erat intenta, evidentissimum indicium continentiae in ea refulsit. Nam et si aliquando aliquid in ipsa sacra IX. 1, 4 illius : ejus W IX. la. Mor. in Job, 36 I i b. Epist. 125: PL 22, 1078 LE HÉRAUT. L. I, CH. VHI-IX 161 faim, soif ou froid, aussitôt·, par sentiment profond de compassion pour une créature de son Seigneur elle offrait pieusement à Dieu pour sa louange éternelle cette souffrance d’un être sans raison, car elle s’attachait à la dignité d’être que toute créature possède souverainement avec perfection et. noblesse dans le Créateur et désirait que le Seigneur, prenant en pitié sa créature, daignât la relever de sa misère. Cap. IX. — 1. La chasteté, à son tour, qui est, dans saint Bernard, signifiée par la lune, a brillé en elle d’un pur éclat, au point qu’elle avouait sans hésitation n’avoir jamais dans sa vie regardé de visage d’homme avec assez d’attention pour retenir les traits do sa physionomie. Tous ceux qui la connais­ saient pouvaient pareillement témoigner que, s’agît-il même du plus saint homme, du plus intime, et quel que fût le temps qu'elle dût lui consacrer, l’entretien cessait sans qu’elle eût jamais, même une fois, levé les yeux vers lui. Ce n’est pas seulement à propos de la vue, mais aussi de la parole, de l’ouïe et des autres sens qu’on peut parler de l’éclat de l’admirable chasteté qui resplendissait en elle, au point que ses intimes compagnes se prenaient parfois à dire, en plaisantant, que la pureté de son cœur lui mériterait d’être exposée avec les reliques sur l’autel. On ne peut s’en étonner sachant avec quelle assiduité, plus que toutes les personnes que j’ai connues, elle aimait la sainte Écriture c’est-à-dire la compagnie de Dieu, souverain gardien de la chasteté, selon ce que dit saint Grégoire : « A qui a goûté les réalités spirituelles, les corporelles sont insipides0. » Et saint Jérôme : « Aime les Écritures et tu ne pourras aimer la chair et scs vices *. » A défaut d’autres témoignages, dans son attention aux saintes lectures se révèle le signe le plus évident et le plus clair de sa chasteté : car si parfois — ce qui se rencontre — quelque chose se trouvait dans la sainte Écriture elleII. La lune : chasteté. 162 25 30 5 10 5 GERTRUDE D’HELFTA Scriptura, ut assolet, invenit quod aliqualiter potuit inferre memoriam alicujus carnalitatis, hoc virginali verecundia ducta quasi furtim subtrahendo praeterivit; vel si hoc non potuit, saltem cursim proferendo quasi omnino non intelli­ gent, dissimulavit, excepto quod gratiosae pudicitiae roseus decor in genis ejus latere non valebat. Sed et si contigit eam a minus intelligentibus requiri aliqua de similibus, haec cum tanta verecundia dissimulando declinabat, quod vix poenalius sc credebat posse ferrum vulnerans carnem suam tole­ rare, quam talem audire sermonem. Sed tamen si quando propter animarum salutem necesse fuit talia loqui, hoc quasi omnino non abhorreret, absque haesitatione protulit ut videbatur expedire. 2. Dum autem vice quadam cum valde probato seniore de suis familiaritatibus contulisset, ille considerata munditia cordis ejus, poslrnodum tale ipsi testimonium dedit, quod scilicet nunquam hominem cognovisset a quo omnis carnalis commotio esset tam penitus aliena sicut ab ista. Ergo, ut de caeteris taceam, quia hoc solum donum Dei in ea diligenter prospexerit, non mirabatur, si prae caeteris ipsi Deus secreta sua revelaverit, cum ipse in Evangelio dicat: Beati mundo corde, quoniam ipsi Deum videbunt°. Augustinus : « Non exterioribus oculis sed corde videtur Deus, et sicut lumen hoc videri non potest nisi oculis mundis, ita nec Deus nisi per munditiam cordis, quod non arguit conscientia peccati, sed templum Dei sanctum est *. » 3. In testimonium ergo praedictae virtutis inserere libet quod percepi a quadam fide digna persona. Quae cum desi­ deraret a Domino ut per eam aliquid dignaretur huic electae suae, quae in hoc libro commendatur, demandare, Dominus respondit : α Dicas illi ex parte mea : pulchra et amoenosa. n Quod cum illa non intelligeret et iterum idem a Domino 28 similibus : talibus T 2 a. Matth. 5, 8 || b. Epist. 147; PL 33, 596 LE HÉRAUT. L. I, CH. IX 163 mémo qui pùt évoquer tant soit peu un souvenir charnel, sa pudeur virginale la poussait à l’omettre, sans en avoir l’air, et à passer outre, et, si elle ne pouvait le faire, du moins lisait-elle rapidement, comme ne comprenant pas et n’y prêtant pas attention, encore que ne pût être caché le rouge d’une délicate pudeur ornant ses joues. Il arrivait que des questions lui étaient posées par des esprits simples sur de semblables passages; elle se dérobait alors avec une secrète pudeur, estimant qu’il lui eût été moins douloureux d'avoir à supporter dans sa chair la blessure d’un glaive que d’entendre parler de ces choses. Pourtant, il pouvait parfois être nécessaire pour le bien des âmes d’en parler, alors, sans que sa répugnance parût, elle n’hésitait pas à dire ce qui convenait. 2. Dans une occasion elle fit confidence de sa tendre fami­ liarité avec le Seigneur à un directeur d’âge et d’expérience, et celui-ci, devant la pureté de son cœur, lui rendit ensuite ce témoignage qu'il n’avait certes jamais rencontré personne qui fût aussi complètement qu’elle éloigné de tout émoi sensuel. Je peux passer le reste sous silence, car il suffît de regarder en elle attentivement ce don divin pour comprendre que plus que d’autres elle ait été favorisée de la révélation des secrets de celui qui a dit dans l’Évangile : « Bienheureux les cœurs purs car ils verront Dieu a. d Et saint Augustin explique : « Nous ne voyons pas Dieu des yeux du corps mais de ceux de l’àme et, de même que la lumière du jour n’est perçue que des yeux sains, ainsi Dieu n’est vu que par un cœur pur, exempt de la souillure du péché et temple saint de Dieu \ » 3. En témoignage de cette même vertu, qu’il me soit permis d’insérer ici ce que m’a communiqué une personne digne de foi. Cette personne désirait que le Seigneur daignât lui confier quelque message pour la sainte dont nous nous entretenons, et le Seigneur lui répondit : a Appelle-la de ma part : belle et gracieuse. » Ne sachant comment comprendre 164 GERTRUDE D’HELFTA desideraret hoc idem etiam secundo, tertio, similiter idem responsum accepit. Tunc valde admirans ait : « Edissere mihi, amantissime Deus, intellectum verborum istorum. » Et 10 Dominus illi : e Dic illi ut complaceat mihi ex pulchritudine interioris decoris, quia tantus puritatis et incommutabilis divinitatis meae fulgor incomprehensibili decore perlustrat animam ejus. Item quod complaceat mihi ex speciali amoenositale virtutum quia praejucunda vernantia deificatae 15 humanitatis meae immarcessibili vivacitate floret in omnibus operibus ejus. » CAPUT X DE DONO CONFIDENTIAE QUO MIRIFICE CLARUIT 1. Quam mirifice in ea etiam refulserit, non dico virtus, sed potius donum confidentiae, mirificis posset testimoniis comprobari. Nam sic securam conscientiam omnibus horis possidebat, quod nec tribulationes, nec damna, nec impedi­ 5 menta, nec etiam sui proprii defectus ipsam obnubilare pote­ rant, quin semper securam haberet confidentiam ad beni­ gnissimam misericordiam Dei, nec hoc eam gravare potuit, si quando Dominus ei solitam gratiam subtraxit; sed quasi pro eodem sibi erat habere gratiam et non habere, excepto quod 10 in adversis quandoque eam spes roboravit, cum certissime sciret sibi sive exteriora, sive interiora in bonum cooperari ®; et ideo sicut cum spe expectatur nuntius qui diu desiderata reportat, sic ipsa cum gaudio expectabat uberiorem divinam consolationem, ad quam se per praecedentem adversitatem 15 confidebat habilitari. Nunquam etiam depressa et vilifacta in suis defectibus videbatur, quin ex praesentia divinae gratiae sublevata ad quaelibet dona Dei paratissima redde­ retur; et cum videretur sibi velut carbo extinctus tenebrosa, subito coopérante gratia Dei respirans, cum se per inten3, 7 hoc om. TWZ || idem1 om. TZ || etiam TZ X. 1, 18 et cum : ipsa add. T om. om. Z || 9 et LE HÉRAUT. L. I, CH. 1X-X 165 ces mots, cette personne formula à nouveau le même désir et jusqu’à deux et trois fois. Elle reçut toujours la même réponse. Alors, fort surprise, elle dit: « Exphquez-moi, Dieu plein d’amour, le sens de ces paroles. » Et le Seigneur : « Dis lui que je me complais dans la beauté harmonieuse de son âme, car c’est l’éclat insigne de ma pureté et de mon immuable divinité qui illumine son âme d'une mystérieuse harmonie. De même, je me complais dans la grâce particu­ lière de ses vertus, car c’est la souriante fraîcheur de mon humanité déifiée qui fleurit d’une vie immarcescible dans toutes ses actions. » Cap. X. — 1. A quel degré magnitique elle posséda, ne disons pas confiance. ’ . , A.,, , , la vertu, mais plutôt le don de con­ fiance pourrait ètre prouvé par de magnifiques témoignages. En effet, lu sérénité de son âme à tout instant était telle que nulle épreuve, nul dommage, nul obstacle, pas même ses propres déficiences ne pouvaient obscurcir cette constante confiance assurée qu’elle avait dans la toute bienveillante miséricorde de Dieu, ni l’accabler si, parfois, il lui retirait la grâce sensible qu’elle recevait habituellement, mais c’était comme si elle tenait pour indifférent do recevoir ou non cette grâce, sinon que les heures d’épreuve renforçaient son espérance, car elle ne doutait en rien que tout coopérât à son bien e, événements extérieurs ou faveurs intimes. Ainsi, comme on attend plein d’espérance le messager des nouvelles longtemps désirées, elle attendait pleine de joie l’abondance de la consolation divine, sachant avec confiance y être pré­ parée par l’épreuve antérieure elle-même. Jamais même ses fautes ne l’ont abattue et diminuée au point de la rendre moins disponible aux dons nouveaux de Dieu, dès que la relevait la présence de la grâce. Elle se voyait comme privée d’éclat à la manière d’un charbon éteint, mais, ranimée par la grâce de Dieu, aussitôt toute sa volonté s’efforçait, de ni. Les étoiles : _ X. 1 a. Rom. 8, 28 166 GERTRUDE D’HELFTA 20 tionem ad Dominum erigere niteretur, mox quasi in ipso regressu intra se similitudinem Dei in se suscipiens, sicut homo qui de tenebris calcans in lucem solis repente illumina­ tur, sic se ex splendore praesentiae divinae sensit illuminatam, et etiam recepisse omnem ornatum et compositionem, qua 25 decet reginam in vestitu deaurato circumamictam varie­ tate b astare regi saeculorum immortali, et inde dignam factam atque adoptatam divinae associationi et familiaritati. 2. Proprium tamen sibi statuerat, utpote respersa maculis sine quibus vita humana non ducitur, frequenter currere ad pedes Domini Jesu abluenda; excepto, ut praedictum est, quando largiorem divinae clementiae persensit influxum, 5 quod tunc Dei beneplacito in omnibus libere consentiens, reddebat se velut instrumentum ad ostendendum omne opus amoris in ipsa et cum ipsa, in tantum quod non cunctabatur cum Domino Deo universorum ludere de pari. 3. Item ex jam dicta confidentia tantam habuit gratiam communicandi, quod nunquam nec in scriptura, nec ab hominibus tantum audire potuit de periculo indigne com­ municantium, quin semper firma spe super pietate Domini 5 libenter communicaret. Tam exigua et pene nulla reputavit studia sua, quod propter negligentiam orationum et simi­ lium quibus homines se praeparari solent, nunquam inter­ misit communionem, dijudicans quod sicut exigua stilla est ad pelagus totius maris, sic omnis humanus conatus est 10 respectu illius superexcellentis gratuiti doni. Et quamvis nullum modum discerneret dignae praeparationis illius, tamen ex incommutabilitate divinae largitatis confisa, super omnem praeparationem, studebat mundo corde et devoto amore suscipere ipsum sacramentum. Omne etiam 15 bonum spiritualis gratiae quod accepit, soli confidentiae attribuebat, reputans illud tanto magis gratuitum, quanto 21 in se om. W || 27 adaptatam Z || 3, 7 praeparare W b. Ps. 44, 10 LE HÉRAUT. L. I. CH. X 167 s’élever vers le Seigneur et, aussitôt, comme par ce mouve­ ment môme de retour, elle retrouvait en soi la ressemblance intérieure de Dieu; tout comme celui qui, sortant de l’ombre dans la lumière du soleil, est soudain tout éclairé, ainsi elle comprenait que l’éclat de la présence divine l’illuminait et même la revêtait de cette toilette et de cette parure qui doivent être celles de la reine paraissant devant le Roi Immortel du monde, en robe tissée d’or l’enveloppant de sa bigarrure 6 et ainsi rendue digne et choisie pour l'union et l’intimité divines. 2. Elle s’était cependant imposé l'habitude, à cause de ces éclaboussures dont aucune vie ici-bas ne peut éviter d’être tachée, de se précipiter aux pieds du Seigneur Jésus pour en être lavée, sauf, comme il a été dit, lorsqu’elle recevait avec plus d’abondance la générosité du pardon divin : s’abandon­ nant alors librement et pleinement au bon vouloir de Dieu, elle s’offrait comme un instrument propre ù manifester toute l’action de l’amour de Dieu en elle, au point qu’elle n’hési­ tait pas à se comporter comme d’égal à égal avec le Seigneur Dieu de Punivere. 3. Elle devait à cette même confiance une grâce spéciale concernant la communion qui faisait qu'aucune parole de l’Écriture ou des hommes sur le danger de communier indignement1 ne pouvait l’empêcher de communier sans crainte, mettant toute son espérance dans la tendre miséri­ corde du Seigneur. Elle considérait de si petite et quasi nulle valeur ses efforts que l’oubli des prières et exercices habi­ tuels de préparation à la communion ne la déterminait pas à s’abstenir de communier, estimant que c’est comme une infime goutte d’eau dans l’océan que l’effort d’atten1. L’allusion à 1 Cor. 11, 27-29 est évidente, soulignée par la présence des mots indigne et dijudicans. A la mise en garde de saint Paul contre le danger de communier indignement répond la confiance absolue de sainte Gertrude dans la miséricorde divine, seule capable deTnous rendre dignes de l’Eucharistie. 168 5 10 15 5 GERTRUDE D’HELFTA vere gratis et sine meritis suis illud nobile donum confiden­ tiae ab ipso largitore omnis gratiae se cognovit accepisse. 4. Ex saepe dicta etiam confidentia mortem frequenter habe­ bat in desiderio, et hoc tamen in divinae voluntatis unione, quod singulis horis vel vivere vel mori a pro eodem sibi erat; sperans per mortem suam lucrari beatitudinem, et per vitam divinae laudis incrementum. Ambulans ergo in via sic conti­ git eam in summo alicujus gradus labi, statim miram exalta­ tionem persentiens in spiritu, dixit ad Dominum : « Bene mihi, dilecte Domine mi, si casus iste subito fieret mihi occasio veniendi ad te. » Et cum quandoque admirantes diceremus si non timeret absque praemunitione ecclesias­ ticorum sacramentorum mori, respondit: « Ego quidem ex corde desidero saluberrimis sacramentis praemuniri, sed tamen voluntas et praeordinatio Domini mei videtur esse optima et saluberrima praeparatio : ergo quo modo ipse voluerit, sive subitanea, sive provisa morte * libentissime ad ipsum emigrabo, certa quod qualicumque morte emigrabo sive decedo, misericordiam Domini nunquam mihi deesse, sine qua scio me nullomodo posse salvari tam in morte longe ante provisa quam in subitanea morte. » 5. Similiter in omnibus eventibus exullabal semper habens animum firmum directum ad Deum, et in omnibus mira constantia vigebat, in tantum quod veraciter posset de ea illud proverbium dici : « Qui confidit in Deo fortis est ut leo “. » Cujus virtutis testimonium etiam sibi perhibere dignatus est Dominus hoc modo : Cum ergo die quadam una persona perquireret quoddam a Domino, nec aliquid posset habere responsum et super hoc miraretur, Dominus tandem 4, 12 corde : toto add. 7Λ || 16 certa om. T || quod : quia T D 16-17 eniigrabo sive am. PTZ || 5, 3 posset om. W II 7 quoddam am. W || 8-9 et super ... responsum om. BW. 4 a. 8° Répons de la fête de S. Martin || b. Litanies des saints LE HÉRAUT. L. I, CH. X 169 lion humaine devant la suprême excellence et gratuité de ce don. 4. Cette même confiance encore lui inspirait souvent le désir de la mort, accordé toutefois à la volonté divine, de sorte qu’à chaque instant elle tenait pour indifférent ou de mourir ou do vivre e, voyant dans la mort le gain de la béatitude, dans la vie l’accroissement de la louange rendue à Dieu. Ainsi un jour, se promenant dehors, il lui arriva de tomber d’une certaine hauteur; elle en éprouva intérieure­ ment, sur-lo-champ, une grande joie, disant au Seigneur : « Mon Seigneur bien-aimé, quel bien c’eût été pour moi, si cet accident m’avait donné prompte occasion d’aller vers Vous. » Et comme, avec surprise, nous lui demandions si elle n’avait pas craint de mourir sans pouvoir recevoir les sacrements, elle répondit : « De tout mon cœur, certes, je désire le secours des sacrements salutaires, mais la volonté et les desseins de mon Seigneur sont pour moi le meilleur et le plus salutaire des secours; c’est pourquoi, quoi qu’il ait décidé, par mort subite ou par mort attendue 6, j’irai vers lui en toute liberté d’esprit, assurée que, quel que soit le genre de mort qui me frappe, la miséricorde de Dieu ne me fera jamais défaut, et que, sans elle, il m’est impossible d’être sauvée, que ma mort soit longuement préparée ou qu’elle soit subite. » 5. Tous les événements lui causaient ainsi de la joie, sa pensée ne cessant jamais de se tourner vers Dieu et cette admirable et ferme constance éclatait à ce point en toutes circonstances qu’on pouvait lui appliquer en toute vérité ce Proverbe : « Celui qui met sa confiance en Dieu a l’assu­ rance d’un lion «. » En témoignage de cette force, le Seigneur même a daigné, de la manière suivante, se porter garant. Quelqu’un adressait un jour au Seigneur une demande sans pouvoir obtenir de réponse et s’en étonnait. Le Seigneur 5 a. Prov. 28, 1 170 GERTRUDE D’HELFTA talo illi dedit responsum : « Ideo tamdiu protraxi tibi de his 10 quae desideras respondere, quia non confidis in his quae in te gratuita pietas mea dignatur operari, sicut illa dilecta mea facit, quae in forti confidentia bene radicata, in omnibus de mea pietate plene confidit, ideoque universa quae a me desiderat ipsi nunquam denegabo. » CAPUT XI DE VIRTUTE HUMILITATIS, CAETERISQUE PLURIBUS INSIMUL POSITIS 5 10 15 20 1. Hinc inter multa rutilantium virtutum quasi micantium stellarum claritatem quibus eam Dominus mirifice ad inhabitandum sibi decoraverat, praecipue in ipsa resplenduit humilitas, quae est omnium gratiarum receptaculum, universarumque virtutum conservatorium. Nam, ipsa scilicet humi­ litate inducente, reputabat se omnium donorum Dei tam indignam, quod nullomodo consentire potuit aliquod donum recipere in suum profectum, sed videbatur ipsa sibi esse sicut canalis, per quem gratia influeret electos Dei ex aliqua occulta Dei praeordinatione, cum omnino ipsa esset indigna, et indignissime ac infructuosissime susciperet omnia dona Dei tam minima quam maxima, excepto hoc solo quod laborabat ea sive per scripta, sive per dicta ad proximorum utilitatem erogare. Et hoc faciebat ea fidelitate quantum ad Deum, et ea humilitate quantum ad seipsam, quod saepius cogitabat intra se dicens : « Etiamsi ego post hoc cruciabor in inferno secundum merita mea, tamen gaudeo quod Dominus tunc fructum donorum recipiet in aliis. » Nullum enim tam vilem recognovit in quo sibi non videretur fruc­ tuosius repositum donum Dei quam in se, et tamen in nullo * refugiebat quin omnibus horis paratam se exhiberet ad * quaelibet dona Dei, et per consequens semper illa expendere ad utilitatem proximorum, quasi ad se minus pertineret quam LE HERAUT. L. I, CH. X-Xl 171 alors finit par lui dire : « Si j’ai tardé si longtemps à t’accorder les dons que tu demandes, c’est parce que tu manques de confiance dans ceux que ma bonté daigne t’octroyer sponta­ nément, au contraire de cette mienne bien-aimée dont la forte confiance si bien enracinée s’appuie en toutes choses entièrement sur mon amour; c’est pourquoi je ne frustre jamais aucun de ses désirs. » Cap. XI. — 1. Dans la puissante clarté des étoilés que sont les resplendissantes vertus dont le Seigneur l’avait merveilleu­ sement ornée pour en faire sa demeure, brillait particulière­ ment en elle l’humilité qui est le réceptacle de toutes les grâces, la gardienne de toutes les vertus. C’est cette humilité qui lui faisait s’estimer si totalement indigne d’aucun don divin qu’il lui était absolument impossible d’admettre que ce fût pour son avantage qu’elle recevait quelque don; elle se regardait comme le canal par lequel le secret dessein de Dieu faisait parvenir la grâce à ses élus : elle était elle-même complètement indigne et ne retirant de tout don, petit ou grand, aucun mérite ni aucun fruit, si ce n’est seulement son effort, soit par écrit, soit par paroles, pour les faire entièrement servir à l'utilité du prochain. Et elle s’employait avec une qualité de fidélité envers Dieu et d’humilité quant à elle-même qui lui faisait souvent se dire intérieurement : « Même si je dois ensuite souffrir les peines de l’enfer, comme je le mérite, ce m’est pourtant une joie que le Seigneur puisse récolter en d’autres âmes le fruit de ces dons. » Elle ne pensait pas qu’il existât aucun être en qui le don de Dieu ne pût produire plus de fruit qu’en elle et, cependant, aucun refus ne l’empêchait d’être à tout moment disponible aux dons divins et, par suite, prête à les distribuer utilement au prochain, comme s’il se fût agi moins d’ellemême que de ceux que sa médiation atteignait. La lumière „ .... XI. 1, 8 ipsa om. ZP || esse om. Z || 16 dicens om. Z 172 25 30 35 5 10 GERTRUDE D’HELFTA ad alios, qui per ejus relationem susceperunt. In luce etiam veritatis se dijudicans, extremam se respexit inter illos de quibus Propheta dicit: Omnes gentes quasi non. sini, sic sunt coram m a. Et infra : Quasi pulvis exiguus \ etc. Sicut enim pulvis exiguus latens sub calamo vel simili, quadam exili umbra absconditur a radio solis, sic ipsa se alienando declinare nitebatur excellentiam tarn praenobilium donorum Dei, et ea dona solummodo addicere ipsi qui aspirando prae­ venit quos vocat, et adjuvando prosequitur c quos justificat; relinendo sibi tantummodo reatum illum quo tam gra­ tuitis donis se ingratam, ut sibi videbatur, exhibuit et indi­ gnam; nec tamen reticere potuit pietatem Dei erga se ad gloriam ipsius, sed ad notitiam aliorum transferre curavit ea intentione qua dixit sibi in corde suo: « Nullo modo decet ut de benignitate Dei erga me fructus major non pro­ veniat in aliis quam in me vilissima depravatrice possit pro­ venire. n 2. Unde quadam vice dum iret in via, ex magna dejectione subnet dixit ad Dominum : « Maximorum miraculorum tuorum, Domine, hoc praecipue reputo quod terra haec tam indignissimam me gestat peccatricem. » Ex quibus ver­ bis Dominus, qui omnem humiliantem se exaltata, dignan­ tissime commotus benignissime respondit: « Libens terra se tibi calcabilem praebet °, dum universalis coeli dignitas cum ingenti exultationis tripudio horam illam jucundissi­ mam praestoletur qua te gestare dignetur, n 0 vere mira dignationis Dei suavitas quae tanto majori reverentia sublimat animam, quanto plus propriae vilitatis consideratio ad ima deprimit illarnl 30 ab excellentia Z || 33 retinere T || 2, 6 benigne T XI. i a. 7$. 40, 17 || b. Is. 40, 15 || c. Oraison Actiones nostras 2 a. Lc 18, 14 (I b. S. Grégoire, homélie 10; ci. 12° leçon Épi­ phanie LE HÉRAUT. L. 1, CH. XI 173 de vérité éclairait son jugement, elle se voyait la dernière de tous ceux dont le Prophète dit : « Toutes les nations sont devant lui comme rien e », et plus loin : « comme un grain de poussière b ». En effet, de même que le grain de poussière caché sous le calame ou autre objet semblable se dérobe sous ce peu d’ombre au rayon du soleil, ainsi elle s’efforçait en se cachant d’écarter l’éclat des plus insignes dons de Dieu et de reconnaître en ces dons uniquement celui qui prévient de son inspiration ceux qu’il appelle, et poursuit de sa grâce" ceux qu'il justifie, ne retenant pour elle que la faute d’avoir montré — lui semblait-il — ingratitude et indignité devant la générosité de tels dons. Et cependant, pour la gloire de Dieu, elle ne pouvait taire sa bonté envers elle, mais était attentive à la porter à la connaissance d’autrui, ayant dans son cœur cette pensée : « II ne convient pas que d’aucune manière la bienveillance de Dieu envers moi soit empêchée de produire dans les autres le fruit supérieur qu'elle ne peut produire en moi, misérable gâcheuse. » 2. De même, un jour, en promenade, par grand mépris de soi, elle dit au Seigneur : « Le plus grand de tous vos miracles, Seigneur, est, pour moi, que celle terre supporte la si indigne pécheresse que je suisx. » A quoi le Seigneur, qui exalte toute âme humiliéea, s’étant laissé émouvoir, répondit avec bonté : « Avec plaisir, la terre s’offre sous tes pas tandis que toute la grandeur du ciel attend avec un transport d’immense joie cette heure toute bénie où elle voudra te recevoir. » O douceur vraiment admirable de la bienveillance de Dieu qui élève avec d’autant plus d’attentions une âme que la pensée de sa propre misero l’a plus profondément abaissée ! 1. La référence à saint Grégoire par les mots sc calcabilem pracbei souligne la pensée, chez sainte Gertrude, d’un rapprochement avec le miracle do saint Pierre marchant sur les eaux qui auraient drt l'engloutir. C'est un miracle plus grand encore, estime-t-ollo, que la terre n'engloutisse pas une telle pécheresse. 174 5 5 5 10 GERTRUDE D’HELFTA 3. Vanam etiam gloriam ita vilipendit quod cum esset in devotione sive in aliquo bono opere, si aliqua sibi cogitatio incidit, libere consensit, ea intentione qua cogitavit: « Si aliquis videns illud bonum trahitur ad imitandum, tunc Dominus tuus habet ex te hunc fructum laudis. » Videbatur enim ipsa sibi in hoc opere esse in Ecclesia Dei sicut larva aliqua in domo patrisfamilias, quae ad nihilum valet, nisi ut tempore fructuum ligetur super arborem ut aves abigantur, et sic fructus conserventur. 4. Quantum etiam in ea refulserit spiritualis devotionis fervor et suavitas, in pluribus scriptis suis valde utilibus evidontissimum reliquit testimonium, et insuper ipse Scru­ tator cordium α tale dignatus est ipsi testimonium perhibere. Igitur cum quidam homo devotus maximam sentiret devotionem in oratione, intellixit Dominum sibi dicentem : « Tali suavitate quali tu nunc gaudes, scias frequentissime visitari illam electam meam, quam gratuito elegi ad inha­ bitandum. » 5. Quod etiam miro modo delectaretur in Domino, clare patuit ex eo quod transitoria delectamenta incredibile ipsi gignebant fastidium, quia, ut dicit Gregorius : « Gustato spiritu desipit omnis caro a », et beatus Bernardus dicit : « Quod amanti Deum omnia fastidio sunt, quamdiu frustra­ tur eo quem solum desiderat. » Unde et quadam vice ex consideratione vilitatis humanae delectationis lassata dixit ad Dominum : « Ego nullam omnino scio rem in terris inve­ nire in qua delecter praeter te solum, Dominum meum dulcissimum. » Tunc Dominus ipsi vicem recompensans respondit : « Similiter et ego nec in coelis, nec in terris aliquid 3, 2 aliqua : bona add. T 4 a. Ps. 7, 10 5 a. Mor. in Job, 36 1. La référence à saint Grégoire a déjà été utilisée plus haut (ch. ix). Pour saint Bernard, la lettre 111, qui cite la sentence de saint Grégoire, LE HÉRAUT. L. I. CH. XI 175 3. Elle méprisait la vaine gloire à ce point que si, au cours de la prière ou d’une bonne action, une pensée de cette sorte lui venait, elle ne la repoussait même pas, se disant : « Si quelqu’un voyant ce bien est porté à en faire autant, c’est alors que ton Seigneur, à cause de toi, retirera ce fruit de louange. » Car, pour elle, elle estimait être en cette circons­ tance dans l’Eglise de Dieu, comme ces mannequins qui n'ont d’autre rôle en la demeure familiale que de servir, dans les arbres, au temps des fruits, pour les sauvegarder, d’épou­ vantail aux oiseaux. Pour ce qui est de la qualité de sa piété spirituelle, la ferveur et la suavité apparaissent avec évidence dans le témoignage qu’en ont laissé ses nombreux et si profitables écrits. De plus, celui même qui scrute les cœurs ” a daigné en porter témoignage, car un homme dévôt, sentant une grande dou­ ceur dans la prière, entendit intérieurement le Seigneur lui dire : « Cette douceur dont tu jouis maintenant, sache que, maintes et maintes fois, la reçoit cette mienne préférée en qui, par pure bonté, j’ai choisi d’établir ma demeure. » 5. Son admirable jouissance du Seigneur apparaît clairement par contraste de l’incroyable dégoût que lui procuraient les plaisirs qui passent, selon cette parole de saint Grégoire : « A qui a goûté les réalités spirituelles, les corporelles sont insipides a », et saint Bernard dit : α Λ celui qui aime Dieu tout est insipide aussi longtemps qu’il est privé de l’unique objet de son désir1. » Aussi un jour, lassée de constater le néant de toute délectation humaine, elle dit au Seigneur : «Je sais ne pouvoir jamais rien trouver sur terre en quoi mettre ma satisfaction, hors de vous seul, mon très doux Seigneur. » Et le Seigneur en retour la remercia par cette réponse : « Et moi pareillement, ni dans les cieux ni sur piét6 la développe, sinon dans les termes donnés ici, du moins dans Je même sens général. 176 15 5 10 5 10 GERTRUDE D’HELFTA invenio in quo delecter sine te, quia omni delectationi meae te semper per amorem adjungo; et sic semper in te delector cum omnibus in quibus delector, et hoc quanto mihi delecta­ bilius, tanto tibi fructuosius erit. » 6. Quam frequens etiam in oratione et vigiliis fuerit, satis claruit ex eo quod assuetam horam orationis nullo unquam die negligebat, nisi aut ex infirmitate lecto decumberet, | vel ad laudem Dei in proximorum salute laboraret. Unde et Dominus eam assidue jucundissime praesentiae suae consola­ tione laetificando in orationibus suis, reddidit ad spiritualia exercitia longe provectiorem quam aliqua exercitia corporis possent effecisse fortem. Nam cum tanta delectatione mentis observabat statuta Ordinis, ut est frequentatio chori, jejunii ct communia opera, quod talia nunquam sine magno gravamine omittebat. Bernardus : « 0 si quis semel gustu charitatis inebriatus fuerit, ad omnem mox laborem et dolorem hilarescit. » 7. Claruit quoque in ea tanta libertas spiritus, quod nihil omnino unquam conscientiae contrarium per aliquam moram potuit ferre. Nam et in hoc Dominus ipsam commendans cuidam devoto in oratione sua sciscitanti quid sibi iu hac electa sua maxime complaceret, sic respondit : « Libertas cordis. » Quod ille multum admirans et quasi parvipendens ait : « Æstimabam, Domine, quod ipsa ad majorera cogni­ tionem et ad ferventem insuper amorem gratia tua jam pervenisset, n Ad quod Dominus : « Etiam, ait, ut existi­ masti ita est; sed hoc mediante gratia libertatis, quae tale 6, 1 frequentius T || 4 salutem TZ || 7 cordis BW 1. Paquelin ajoute ici une autre référence : « De hoc qnoquo Bernardus testatur : Esto, inquiens. quod honor regie judicium diligat, sed sponsi amor solum requirit amoris vicem et fidem. » Or, cette incise n’est dans aucun des deux manuscrits (W, Z) à sa disposition; il l’emprunte textuellement à Lanspergius. L’incise n’est pas non plus dans T, mais B donne ce texte bernardin en manière de citation marginale et K dans le texte lui-même. Il faut donc admettre ici une parenté entre la source o de la version LE HÉRAUT. L. I. CH. XI 177 terre, je ne trouve où me satisfaire sans toi, car, par amour, je t’associe toujours à toute jouissance; c’est pourquoi toujours tu fais mes délices chaque fois que je me délecte en quoi que ce soit et, dans la mesure où j’y prends plus de délices, tu en reçois plus de fruit1. » 6. Son assiduité à la prière et aux veilles apparaît pleinement dans le fait qu’elle ne manquait jamais en aucun jour l’heure habituelle de la prière à moins que la maladie ne la retint au lit ou que pour la gloire de Dieu elle ne travaillât au salut du prochain. Aussi, le Seigneur en la réjouissant habituellement dans ses oraisons des plus heureuses grâces de sa présence, lui rendait l’assistance prolongée aux exer­ cices spirituels beaucoup plus facile que n’aurait pu lui en donner la force une discipline corporelle. De sorte que son âme éprouvait tant de joie dans l’observance monastique : régularité au chœur, au jeûne, aux exercices communs, qu’il fallait un grave empêchement pour qu’elle s’en abstînt jamais. Selon saint Bernard : « Celui qu’a enivré une fois le goût de la charité accepte joyeusement toute peine et tout labeur. » 7. La liberté de l’âme était en elle une vertu d’un tel éclat que rien de ce qui pouvait en quoi que ce soit contredire sa conscience ne lui était, même quelques instants, suppor­ table. Sur ce point, le Seigneur lui-même s’en portait garant lorsque, répondant à un homme de piété qui lui demandait dans sa prière ce qui lui plaisait davantage en la sainte, il dit : « la liberté du cœur ». Dans sa surprise et comme mésestimant cette vertu, cette personne dit : « Je pensais, Seigneur, que votre grâce avait fait parvenu· son âme à une très haute connaissance spirituelle et à un amour d’une éminente ferveur. » Et le Seigneur répondit : « 11 en est bien ainsi que tu le penses; mais la voie eu est cette grâce de liberté, bien allemande qu’a suivie Lanspergius pour le livre I et la famille de B; la citation marginale aura glissé dans le texte à un stade quelconque de la transmission. 178 5 5 10 15 20 GERTRUDE D’HELFTA bonum est, quod per eam directe pertingitur ad summam perfectionem. Nam singulis horis donis meis apta invenitur, quia nunquam permittit cordi suo inhaerere aliquid quod me impediat. » 8. Ex nimia etiam libertate nunquam pati potuit ut aliquid retineret cujus non indigebat, sed accepta venia saepissime stalim aliis dedit, ea tamen discretione, ut indigentibus libentius daret, nec in hoc amicissimos inimicissimis prae­ ferebat. 9. Quidquid etiam cordi ejus incidit faciendum vel loquen­ dum, hoc semper promovebat, ne forte in servitio Dei vel contemplationis studio aliqualiter impediretur. Quod etiam Domino placere tali revelatione certificatum est. Nam Domna M. cantrix dum vice quadam videret Dominum super solium excelsum sedentem a, et istam quasi spatiando coram eo deambulantem, et crebrius ad vultum Domini respicien­ tem, atque ad emissiones divini Cordis ardentissime inhian­ tem, et super hoc multum admiraretur, tale accepit respon­ sum : « Conversatio hujus electae meae talis est, quod ut Arides, singulis horis coram me deambulando quasi sine intermissione desiderat et perquirit cognoscere benepla­ citum Cordis mei. Unde cum in aliquo voluntatem meam comperit, mox omni conamine illud perficere satagens revertitur, mox ad alia mihi placita perquirenda, et etiam per consequens fideliter exsequenda, sicque tota vita ipsius mihi cedit in laudem et honorem. » Tunc illa : « Domine mi, si talis est conversatio sua, unde tunc esse potest quod quandoque gravius judicat excessus et defectus aliorum? » Ad quod Dominus benigne respondit : « Ex eo certe quod ipsa nullam maculam cordi suo inhaerere permittit, non potest etiam aliorum defectus aequanimiter tolerare. » 9 D’ailleurs, Dieu permit aussi que, par les paroles de notre sainte, des âmes s’éveillassent à la grâce; combien ont témoigné avoir souvent été plus touchés par une seule parole entendue de ses lèvres que par de longs sermons de prédica­ teurs en renom. Et il y a aussi le témoignage des larmes sincères de ceux qui, en venant à elle, semblaient des révoltés que rien ne pourrait vaincre et qui, dès les premiers mots entendus d’elle, cédaient à la componction, promettant d’accomplir tout leur devoir. 2. Ce n’est pas seulement de ses paroles, mais aussi de ses prières que beaucoup avaient éprouvé l’efficacité bienfai1. Les cinq manuscrits attribuent aux Proverbes cotte citation, niais tous les éditeurs, depuis l jusque et y compris p, ont cru devoir faire la correction. II nous semble qu’on pout so bornor à donner la référence à VEccUsiaste dans la traduction et laisser le texte latin en son état premier. 188 GERTRUDE D’HELFTA commandassent, quod tain evidenter sunt liberati a magnis et diuturnis gravaminibus, quod cum magna admiratione saepius 5 Deo ipsique gratias referre familiares suas rogaverunt. Nec hoc praetermittendum videtur, quod quidam per somnum sunt admoniti huic gravamina sua intimare; quo facto, sunt certissime relevati. Et haec quidem mihi videntur non mul­ tum distare a fulgoribus signorum, cura non minori gra10 titudine censeam esse recipiendam alleviationem animarum quam corporum. Sed tamen ut manifestius notifieem hanc habuisse verissima testimonia habitantis in se Domini virtu­ tum, addam etiam aliqua per quae lucidius possit idem fulgur declarari. LE HÉRAUT. L. 1, CH. XII 189 santé. Après s’être recommandés à elle, ils s’étaient sentis si parfaitement délivrés de ce qui pesait sur eux lourdement et depuis longtemps que souvent·, pleins d’admiration, ils venaient demander aux compagnes de notre sainte de lui exprimer leur gratitude ainsi qu’à Dieu. On ne peut non plus passer sous silence le cas de ceux qui eurent, pendant leur sommeil, l’avertissement de lui confier leurs peines, et, l’ayant fait, furent pleinement soulagés. Certes, je ne pense pas que l’éclat des miracles l’emporte beaucoup sur de tels faits; car ce n’est pas, à mon avis, un don moins merveilleux de procurer la guérison des âmes que celle des corps. Mais, pour donner la preuve manifeste des pouvoirs qui témoi­ gnaient authentiquement de la présence de Dieu en elle, j’ajouterai quelques faits reconnus qui montreront plus clairement cet éclat. CAPUT XIII DE ALIQUIBUS MIRACULIS INSIMUL EXEMPLI CAUSA POSITIS 5 10 15 20 1. Igitur cum esset tanta asperitas frigoris in Martio quod tam hominum quam pecorum minaretur interitus, et audiret hoc tractari a quibusdam quod nulla spes esset, hoc anno aliquem fructum recipere quia secundum dispositionem lunae per longiorem moram temporis frigus non laxare­ tur; die quadam inter Missam qua erat communicatura Dominum pro hac causa et etiam pro pluribus devote exora­ vit. Finita autem oratione tale accepit responsum a Domino : « Certissime te scias exauditam pro omnibus causis pro quibus orasti. » Ad quod illa : « Domino, si hoc certe scire debeo, et inde justum est tibi gratos referre, da mihi hoc tes­ timonium quod rigor hujus durissimi frigoris temperetur. » Quo dicto, cum amplius non adverteret, sed finita Missa de choro exiret, totam viam madidam invenit liquescentibus ubique nive et glacie quae erant congelatae. Cumque omnes viderent hoc fieri contra naturalem dispositionem aeris, mira­ bantur quo facto hoc potuerit accidisse. Et cum nescirent hoc electam Dei precibus impetrasse, dicebant hanc tempe­ riem heu! non duraturam, quae non recto ordine foret directa; cum tamen tam placita vernalis serenitas sit secuta, et inde per Lotum tempus duraverit. 2. Item messis tempore, dum plus competenti plueret, et XIII. 1, 15 congelata BTZ TROISIÈME PARTIE TÉMOIGNAGE DES MIRACLES Cap. XIII. — 1. Une année donc, en mars, la rigueur du froid était telle qu'elle menaçait la vie des hommes et des animaux et elle entendit dire par certaines personnes qu’on ne gardait aucun espoir pour la récolte de cette année, car, d'après le cours de la lune, le froid se prolongerait encore longtemps. Aussi, un jour qu’elle entendait une messe où elle devait communier, elle pria avec ferveur à cette intention en même temps qu’à plusieurs autres. A la fin de sa prière elle reçut du Seigneur la réponse suivante : a Sache avec certitude que tu as été exaucée dans toutes les intentions de ta prière. » Elle répondit : a Seigneur, pour me confirmer dans cette certitude et me permettre de vous rendre digne­ ment grâces, donnez-moi le signe d’adoucir la rigueur de ce froid si intense. » Ceci dit, elle n’y pensa plus. Mais, sortant du choeur à la fin de la messe, elle vit que le chemin était détrempé par la fonte de la neige et de la glace jusque-là gelées. Comme tous savaient qu’on ne pouvait l’attribuer aux conditions naturelles du temps, on se demandait avec étonnement comment cela avait pu se produire. Ignorant que la sainte l’avait demandé à Dieu dans sa prière, tous prétendaient que cet adoucissement du temps, étant extra­ ordinaire, no durerait malheureusement pas et, cependant, l’agrément d’une douceur toute printanière s’ensuivit et se prolongea pendant toute la saison. 2. Une autre fois, au temps de la moisson, comme il pleuvait 192 5 5 10 15 20 GERTRUDE DHBLFTA omnes annonae caeterorumque fructuum ex hoc periculum formidantes preces multiplicarent, ista die quodam cum aliis orans tam efficaci precum instantia Domino institit ipsum placando, quod certum promissum ipsius obtinuit super hoc, scilicet quod causa sui vellet intemperiem aeris temperare; quod et fecit. Nam ipsa die, quamvis nubes plures comparerent, sol tamen splendoris sui radio orbis circuitum clare perlustrabat. 3. Vespere autem post coenam, dum Conventus propter laborem aliquem faciendum curiam intraret, sole adhuc clarius splendente simulque nubibus pluvialibus dependen­ tibus in aere, ista ex profundo cordis ingemiscens dixit ad Dominum, me audiente : « 0 Domine Deus universitatis, non desidero te quasi coactum meae indignissimae voluntati obaudire; sed si incontinens bonitas tua causa mei contra decorem justitiae tuae dignatur hanc pluviam continere, quaeso, protinus relaxetur, et tua placidissima voluntas perficiatur, o Mira res! nondum verba finierat, et ecce fulgur curn tonitruo, pluviaeque guttae repentino impetu erum­ pebant. Tunc stupefacta dixit ad Dominum : « Contineat se bonitas tua, clementissime Deus, si tibi placeat, quousque laborem ex obedientia nobis injunctum perficiamus. » Ad cujus petitionem benignus Dominus tempestatem illam continuit, donec Conventus laborem illum injunctum complesset. Quo completo, dum adhuc in foribus staret Conven­ tus, mox tam impetuosus imber cum coruscatione fulguris tonitruorumque sonitu promicabant, quod si quae in curia remanserunt satis madidatae exierunt. 4. In pluribus etiam causis frequentius miraculose et quasi sine precibus, tantum verbo aliquando velut jocoso, divinum adminiculum sibi obtinebat adesse, ut est illud. Cum sederet LE HÉRAUT. L. 1, CH. XIII 193 plus que de raison et que, de ce fait, toutes les récoltes de céréales et autres cultures se trouvaient compromises, on avait multiplié les prières, la sainte priant un jour, ainsi que tout le monde, pressa le Seigneur et le fléchit, et avec une instance si efficace qu’elle obtint de lui la promesse formelle qu’a cause d’elle il consentirait à adoucir cette intempérie atmosphérique, ce qu’il fit. En effet, le même jour, malgré l’accumulation de nombreux nuages, le soleil néanmoins inonda brillamment des rayons de sa clarté toute la cam­ pagne. 3. Mais, le soir, après le repas, au moment où le convent sortait dans la cour pour achever quelque travail, un soleil resplendissant brillait encore, tandis que des nuages chargés de pluie envahissaient le ciel; la sainte avec un gémissement venant du fond du cœur dit au Seigneur — et je l’ai moimême entendu : « O Seigneur, Dieu de l’univers, mon désir n’est pas que vous obéissiez comme par contrainte à ma misérable volonté; aussi, si c’est à cause de moi que votre bonté sans mesure condescend à contrarier l’ordre de votre justice en retenant cette pluie, que plutôt elle se répande pour que s’accomplisse votre inaltérable volonté. » O mer­ veille 1 à peine finissait-elle cette prière que soudain éclata la violence de l’orage : éclairs, tonnerre et pluie. Avec émotion elle dit alors au Seigneur : « Dieu très clément, qu’il plaise à votre Bonté de différer jusqu’à l’achèvement de ce travail commandé par l’obéissance. » Sur cette demande, le Seigneur condescendant retint Forage jusqu’à ce que le convent eût terminé le travail prescrit. Mais dès la fin, et tandis que le convent était encore dehors, la pluie, au milieu des lueurs d’éclairs et de l’éclat du tonnerre, se déversa avec une telle violence que celles qui s’étaient attardées dans la cour en revinrent complètement trempées. 4. Il n’était même pas rare que, dans certains cas, la réponse divine lui fût accordée miraculeusement et pour ainsi dire sans prière et sur une simple réflexion parfois faite sur un mode plaisant. En voici un exemple. Elle était un jour 194 5 10 15 5 10 15 GERTRUDE D'HELFTA inter atramenta, et ibi stylus vel acus seu aliud quid parvum, quod nullo modo inter tam magnam congeriem straminis inveniri posset, sibi de manu dilapsum esset, et in audientia omnium diceret ad Dominum : < Domine, quantumcumque laborarem, nunc ad illud quaerendum nihil valeret, tu da ut inveniam; » et sic sine directione oculorum cum manum extenderet, slalim hoc inter stramina apprehendit, tamquam si in planissimo pavimento jacere videret. His et similibus cum frequentissime uteretur in omnibus agendis tam magnis quam parvis, semper dilectum animae suae praesulem sibi advocans, et in omnibus tam fidelissimum quam dignantissimum adjutorem inveniens. 5. Tandem post hoc, dum iterum pro intemperie ventorum et ariditatis Dominum exoraret, tale accepit responsum : « Illa causa quae me quandoque inclinat ad exaudiendum preces electorum meorum, inter me et te necessaria non est; quia jam gratia mea voluntas tua adeo unita est cum mea voluntate, quod nihil potes velle nisi quod ego volo. Unde cum per hanc intemperiem intendam cogere mentes quo­ rumdam rebellium ut saltem pro hoc orando ad me confu­ giant, in hoc non do precibus tuis effectum; sed tamen spirituale donum pro eis recipies. » Quod illa audiens liben­ tissime consensit et exinde semper magis gaudebat se pro talibus orantem non exaudiri aliter quam ad placitum Dei. Sed cum Beatus Gregorius testetur proborum sanctitatis non esse signa facere, sed proximum sicut seipsum diligere, de quo superius satis dictum est, sufficiant etiam haec dicta ad comprobandum quod vere istam Dominus elegerit ad inhabitandum, cum non defuerint emissiones fulgurantium miraculorum ut vel sic obstruatur os loquentiam iniqua a 4, 5 tam om. W || 12 frequenter W |J 5, 3 exaudiendas TZ H 13 proborum : probationem TZi XIII. 5 a. Ps. 62, 12 LE HÉRAUT. L. 1. CH. XIII 195 assise sur de la paille et voilà qu’elle laissa échapper de ses mains un poinçon ou une aiguille, un objet minuscule qu’il n’y avait aucune chance de retrouver dans un tel amas de paille, et toutes l’entendirent dire au Seigneur : « Seigneur, quelque mal que je me donne, je chercherais en vain, mais, vous, faites-le-moi retrouver! » Et sans même regarder où elle portait la main, elle ramassa immédiatement cet objet dans la paille aussi aisément que si elle l’avait vu par terre sur un pavé plat. Dans ces circonstances et autres semblables, petites ou grandes, c’était son procédé habituel de s’adresser toujours au maître bien-aimé de son âme, et elle le trouvait, à tout moment, prêt à la secourir avec une constante fidélité et une infinie tendresse. 5. Ajoutons enfin ce cas où, dans une nouvelle période de grand vent et de sécheresse, sa prière au Seigneur reçut cette réponse : « Il est certains motifs qui me font parfois condes­ cendre ù exaucer les prières de mes saints, mais qui ne sont pas de mise entre moi et toi, car ma grâce a déjà si intime­ ment uni ta volonté à la mienne que tu ne peux vouloir rien d’autre que ce que je veux. Or, par ces intempéries, mon intention est de vaincre les résistances de certaines âmes, en les forçant à revenir à moi, ne serait-ce qu'en me suppliant en ce besoin; c’est pourquoi je ne ferai pas droit à ta prière, mais elle t’obtiendra, par contre, un don spirituel. » Elle acquiesça sans réserve à cette explication et, depuis lors, elle mettait toujours toute sa joie, quand elle priait pour des cas semblables, à n’être exaucée que de la manière voulue par Dieu. Mais, puisque, au témoignage de saint Grégoirex, ce qui fait la sainteté des justes, ce n’est pas d’opérer des miracles, mais bien d’aimer le prochain comme soi-même — sur quoi d’ailleurs nous nous sommes déjà pleinement étendu — les miracles qui viennent d’être dits suffiront pour montrer que Dieu l’avait élue comme demeure; il ne lui a pas manqué, en effet, l’éclat de merveilleux miracles 1. La pensée so lit dans les Dialogues (PL 77, 213); mais une référence à des termes plus précis n’a pu être trouvée. 196 E D’ contra gratuitam Dei dignationem et etiam ut erigatur confi­ 20 dentia humilium, qui sperant sibi omnia prodesse quae cuilibet electorum, Deo donante, gaudent inesse. CAPUT XIV DE SPECIALIBUS PRIVILEGIIS SIBI A DEO COLLATIS 5 10 15 20 1. Addenda sunt hic aliqua praescriptis convenientia quae difficilius investigavi quain si sub gravi lapide clausa fuis­ sent et etiam alia testimonia quae a personis fide dignis­ simis veridica relatione recepi. 2. Cum enim plures saepius requirerent ab ea de quibusdam dubiis et specialiter si propter talia et talia deberent abstinere a communicatione, et ipsa singulos rationabiliter expeditos ob gratiam et misericordiam Dei confidenter ad sacramentum dominicum accedere consuleret et etiam quandoque quasi vi compelleret. Vice tamen quadam formi­ dare coepit, ut moris est mentis sincerae, in talibus responsis se plus justo praesumere. Unde ad solitam sibi divinae pietatis clementiam recurrens et ei cum fiducia quod timebat aperiens, tali est responso consolata : « Ne formides, sed consolare, confortare et esto secura, quia ego ipse Dominus Deus amator tuus, qui ad inhabitandum et deliciose perfruendum mihi gratuito amore creavi et elegi te, indubitanter certum responsum do omnibus qui per te devote et humiliter inquirunt me et hoc certum in promisso tenebis ex me quod nullus unquam quem ego sacramento vivifici· corporis et sanguinis mei censeo indignum sinetur a me super hoc requirere a te, ideoque quemcumque fatigatum vel gravatum tibi delegavero expediendum, huic securum ad me denuntiabis accessum; quia ipsi ob amorem et gratiam XIV. 2, 3 communione W || 5-6 et etiam ...compelleret om. Z H 16 vivifici om. Wi LE HÉRAUT. L. I, CH. XIII-XIV 197 pour confondre les médisants a, niant cette bonté divine, et pour soutenir la confiance des humbles, convaincus que pour eux est bienfait tout ce qu’ils ont la joie de reconnaître, dans les saints, do grâco divine. Cap. XIV. — 1. 11 me faut consigner ici, en complément do ce qui a déjà été dit, quelques faits semblables qu’il m’a été plus difficile de découvrir que s’ils avaient été enfouis sous une lourde pierre et, en outre, ajouter d’autres témoi­ gnages reçus comme authentiques de personnes pleinement dignes de foi. 2. Lorsque, fréquemment, maintes personnes lui soumet­ taient leurs scrupules, notamment pour savoir si, en raison de telle ou telle circonstance, elles devaient s'abstenir de communier, celles qu'elle estimait en dispositions conve­ nables, elle leur conseillait d’approcher du sacrement du Seigneur en toute confiance dans la grâce et la miséricorde de Dieu et même parfois les y contraignait comme par force. Un jour, cependant, elle se prit à redouter, par instinct do droiture d’àme, d’avoir, en répondant de la sorte, trop de confiance présomptueuse en soi. S'adressant alors à la tendresse divine dont la clémence lui était familière et lui exposant loyalement sa crainte, elle reçut cette réponse consolante : « Ne t’inquiète pas, sois consolée, réconfortée, rassurée, car c’est moi le Seigneur Dieu, ton Bien-Aimé, t’ayant, par amour gratuit, créée et choisie pour demeurer en toi et m’y complaire avec délices, qui donne une réponse indu­ bitablement juste à ceux qui, en passant par toi, s’adres­ sent pieusement et humblement à moi. Reçois donc de moi cette promesse, assurée que jamais je ne laisserai s’adresser de la sorte à toi quelqu’un qui serait à mes yeux indigne du sacrement vivifiant du Corps et du Sang; aussi à fame tour­ mentée ou accablée, envoyée par moi pour que tu l’éclaires, tu peux en toute sûreté ordonner de s’approcher de moi : par amour et par égard pour toi, jamais je no refuserai de lui ouvrir GERTRUDE D’HELFTA 198 5 5 10 15 20 tui nunquam paternum concludam sinum, sed amicissimi affectus ipsi pandam amplexum, nec pacis osculum suave denegabo. » 3. Hinc cum devotius oraret pro una persona, timens ne forte illa plus speraret se posse per eam accipere quam ipsa sibi posset obtinere, Dominus multum benigne respondit: « Quantumcumque aliquis sperare potest se obtinere posse per te, tantum absque dubio accipiet a me. Insuper quodcuni­ que tu cuiquam promiseris ex parte mei, hoc ego certissime supplebo, etiamsi quandoque ipse non sentiat effectum, humana fragilitate impediente; ego tamen in anima ejus operabor profectum secundum tuum promissum. » 4. Transcursis itaque aliquibus diebus, cum praedictae pro­ missionis Domini memor et suae indignitatis non immemor, requireret a Domino quomodo posset fieri, ut tam miri­ fica per se tam vilissimam operari dignaretur, Dominus res­ pondit : « Nonne fides Ecclesiae universaliter continet quod olim soli promiseram Petro dicens : Quodcumque ligaveris super terram erit ligatum et in coelis °, et firmiter credit idem adhuc per omnes ministros ecclesiasticos fieri? ergo ob quam rem non aeque credis me posse vel velle perficere quidquid, instigante me amore, ore meo divino tibi pro­ mitto? » Et tangens linguam ejus dicens : « Ecce dedi verba mea in ore tuo b, et confirmo in veritate mea omnia verba quaecumque, instigante spiritu meo, alicui ex parte mea dixe­ ris; et si quid cuiquam promiseris in terris de bonitate mea, certe ratum tenebitur in coelis. » Ad haec cum illa diceret : α Domine, non gauderem si inde aliquis damnum consequi deberet, si ego impellente spiritu alicui dicerem aliquam cul­ pam non posse manere impunitam, vel aliqua similia. » Do­ minus respondit: α Quandocumque impellente justitia sive zelo animarum talia loqueris, ego pietate mea circumveniam 4, 11 dixit TZ XIV. 4 a. Matth, 16, 19 || b. Jcr. 1, 9 LE HÉRAUT. L. I, CH. XIV 199 paternellement mes bras, mais je la recevrai à l’étreinte de la plus affectueuse amitié, toujours prêt au doux baiser de paix. » 3. Une fois, priant avec plus de ferveur pour une personne, en craignant que celle-ci n’attendit peut-être de sa prière plus qu’elle ne pouvait lui obtenir, elle reçut du Seigneur cette bienveillante réponse : u Tout ce qu’une âme peut espérer pouvoir obtenir par ton intercession, il est sûr qu’elle le recevra de moi. En outre, lorsque tu promettras en mon nom quelque grâce à quelqu’un, je la lui donnerai très certainement; même s’il lui arrive de ne pas en sentir l’effet, à cause de la faiblesse humaine, mon action réalisera en son âme le profit promis par toi. » 4. Après quelques jours, se souvenant de cette promesse du Seigneur, sans oublier sa propre indignité, elle demanda au Seigneur comment il était possible qu'il daignât opérer de si grandes choses en se servant d’elle qui n’était que bassesse. Le Seigneur lui dit : « N”est-ce pas à la foi de toute l’Église qu’appartient la promesse faite jadis à Pierre seul : Tout ce que tu lieras sur la terre sera lié dans le ciela, de sorte que c’est un article de foi que ce pouvoir continue d’être exercé par tous les ministres de l’Église? Pareillement, pourquoi douterais-tu que je ne puisse ou ne veuille accom­ plir toute la promesse que, poussé par l’amour, je te fais de ma bouche divine? » Et, touchant la langue de la sainte, il dit : « Voilà, je mets en ta bouche mes paroles b et je scelle de ma vérité toutes les paroles que, poussée par mon Esprit, tu diras à quiconque de ma part; et tout ce que, sur terre, tu lui promettras de par ma bonté, sera tenu au ciel pour irrévocablement ratifié. » Sur quoi elle dit : « Ce ne me serait pas une joie, si quelque âme devait être damnée, d'avoir à lui dire, sous le commandement de l’Esprit, que son péché ne peut rester impuni ou autre chose semblable. » Le Seigneur répondit: « Toutes les fois que la justice ou le zèle des âmes te commandera de parler de la sorte, ma miséricorde enve­ loppera cette âme pour l’obliger à la componction afin 200 25 30 5 10 15 20 GERTRUDE D’HELFTA personam illam, commovens eam ad compunctionem ne me­ rcatur ultionem. » Tunc illa requisivit a Domino dicens : « Domine, si tu veraciter loqueris per os meum, ut pietas tua dignatur asserere, quomodo fieri potest quod quandoque apud aliquos tam parvum habent effectum verba mea, quae quandoque cum tam magno desiderio laudis tuae profero ad animarum salutem? » Ad quod Dominus: « Non mireris quod verba tua quandoque laborant incassum, cum ego ipse in humanitate mea saepius praedicaverim in fervore spiritus mei divini, et tamen in aliquibus verba mea nullum attu­ lerunt profectum, quia divina ordinatione mea omnia tem­ pore suo disponuntur. » 5. Post hoc, dum cujusdam personae corripuisset defectum, confugit ad Dominum, devote orans ut lumine divinae cogni­ tionis suae ita intellectum ipsius illustrare dignaretur, ne cuiquam aliter in causa sua responderet quam divinae volun­ tati suae complaceret. Cui Dominus: « Noli timere, filia, sed confide, quod hoc speciali privilegio praefero te, quod qui­ cumque super quibuscumque causis humiliter et fideliter requisierit te, tu in luce divinae veritatis meae discernens cau­ sam illarn sicut ego eam judico, pro qualitate casus sive per­ sonae, et cujus causam ego judico graviorem, huic tu ex parte mei durius respondebis, et iterum cujus causam ego reputo leviorem, huic te faciam sermone blandiori respondere, » Tunc ista in spiritu humilitatis a suam recognoscens indi­ gnitatem, dixit ad Dominum : « O Dominator coeli et terrae, retrahe jam et contine superaflluentiam dignationis tuae, quia ego cum sim pulvis et cinis b, valde indigna sum tanti doni. » Cui Dominus suaviter blandiendo respondit : α Et quid magni est si do tibi discernere causas inimicitiae meae, cui saepius donavi experiri secreta amicitiae meae? » Et adjecit Dominus : « Quicumque gravatus aut contristatus humiliter 5 a. Prières Gen. 18, 27. de lOflferfoire à la messe, d’après Dan. 3, 39 || b. LE HÉRAUT. L. I, CH. XIV 201 d’échapper au châtiment. » Elle demande alors au Soigneur : « Seigneur, si vraiment c’est vous qui parlez par ma bouche, comme vous daignez m’en donner l’assurance, comment peut-il se faire que parfois mes paroles ont si peu d’effet sur certaines personnes, alors qu’un si grand désir de votre gloire me les fait proférer pour le salut de ces âmes? » Et le Seigneur: « Ne t’étonne pas que parfois ta parole se dépense en vain, puisque moi-même, dans ma vie humaine, il m’est arrivé souvent de prêcher sous l’élan de mon esprit divin sans pourtant qu’en certains mes paroles produisent le moindre effet. Tout ce qui arrive ainsi est dans l’ordre de mes dispositions divines. » 5. Ajoutons ceci. Ayant réprimandé quelqu’un d’un défaut, elle se réfugia auprès du Seigneur pour le supplier humble­ ment de daigner éclairer son propre jugement d’un rayon de l’intelligence divine, afin que son intervention dans le cas d’autrui ne s’écartât· point de ce que désirait la volonté divine. A quoi le Seigneur (répondit) : « Ne crains point, ma fille, et sois assurée que par privilège spécial je t’accorde, lorsque quelqu’un viendra avec humilité et foi te consulter sur quelque cas que ce soit, de pouvoir, à la lumière de ma propre vérité, juger ce cas en conformité avec mon propre discernement, tenant compte des conditions d’espèce et de personne. Si je juge le cas plus grave, ta réponse faite en mon nom sera plus sévère, et si je tiens le cas pour plus léger, je ferai ta réponse plus douce. » Alors, reconnaissant avec une profonde humilité a son indignité, elle dit au Seigneur : « Maître du ciel et de la terre, retenez et contenez cette sur­ abondante générosité; n’étant que poussière et cendre6, je suis tout à fait indigne d’un tel don! a Le Seigneur avec douceur et tendresse lui répondit : « Qu’y a-t-il d’extraordi­ naire à ce que je te donne à connaître les raisons de ma sévérité après t’avoir si souvent initiée aux secrets de ma bienveillance? » Et il ajouta : « Quiconque, accablé ou attristé, viendra avec humilité, simplicité et loyauté chercher la consolation de tes paroles, ne sera jamais frustré dans son 202 GERTRUDE D’HELFTA cum simplici veritate quaerit consolationem in verbis tuis, nunquam fraudabitur desiderio suo, quia ego Deus habitans in te, instigante incontincntissima pietate amoris mei, desi­ dero per te benefacere multis; et gaudium tuum quod cor 25 exinde sentit, ex superabundantia divini Cordis mei veraci­ ter haurit. » 6. Hinc vice alia orans pro sibi commissis, tale a Domino accepit responsum : « Sicut olim quicumque cornu altaris apprehendit, se pacem reperiisse gaudebat, ita nunc ex quo te mihi tam dignanter ad inhabitationem elegi, quicumque 5 cum fiducia se orationibus tuis committit, per gratiam meam salvus erit. » Quod bene confirmatur ex testimonio dulcis memoriae Domnae M. cantricis, cui oranti pro ista demons­ tratum est cor ejusdem in similitudine pontis firmissimi, qui ex una parte humanitate Christi et ex altera parte divi10 nitate ipsius munitus videbatur, quasi pro muris. Intellexitque Dominum dicentem : « Omnes qui per pontem istum nituntur ad me pervenire nunquam poterunt cadere vel deviare »; hoc est, quicumque verba ipsius suscipiens, monitis ipsius humiliter obaudit, in aeternum non deviabit. 5, 23 incontinentissima : justissima T 6, 10 muro W LE HÉRAUT. L. I, CH. XIV 203 attente, car j’habite en toi, étant Dieu, et la tendresse sans mesure de mon amour me pousse à désirer multiplier par toi mes bienfaits; et la joie qui en revient à ton cœur, il la puise vraiment à la surabondance de mon Divin Cœur. » 6. Une autre fois, priant pour tous ceux qu’elle avait en charge, elle reçut du Seigneur celte réponse : « De même qu’autrefois celui qui pouvait saisir la corne de l’autel se réjouissait de la paix qui lui était acquise, ainsi aujourd’hui, du fait que j’ai choisi, par pure bienveillance, d’établir ma demeure en toi, quiconque se recommandera avec confiance à les prières, recevra de ma grâce le salut. » Ce que confirme bien le témoignage de Dame M., chantre, de douce mémoire, qui, priant pour notre sainte, vit son cœur sous l’image d’un pont très solide auquel semblaient servir comme de hauts parapets, d’un côté, l’humanité du Christ, de l’autre, sa divinité. Et elle comprit que le Seigneur disait : « Tous ceux qui s’efforceront de venir à moi par ce pont ne pourront jamais tomber ni dévier, n Ce qui veut dire que celui qui, écoutant ses paroles, se soumet humblement à ses conseils ne pourra jamais dévier. CAPUT XV DE EO QUOD DOMINUS EAM COEGIT AD PRAESCRIPTA 5 10 15 5 1. Post, haec, cum intellexisset Dei esse voluntatem ut haec per scripta ad notitiam aliquorum hominum pervenirent, admirando revolvebat mente quae utilitas in hoc posset esse, cum sciret firmum cordis sui propositum in eo esse quod nullo modo permitteret se vivente hoc alicui manifes­ tari, post mortem vero ipsius nihil aliud inde posse lucrari quam quod fideles intelligentes turbarentur pro eo quod tunc nullum profectum inde possent habere. Quibus cogita­ tionibus Dominus respondit, dicens : « Et quid tibi videtur ex hoc utilitatis provenire quod scriptum legitur per bea­ tam Catharinam visitans in carcero dixi ad eam : « Constans esto, filia, quia tecum ego sum »; et specialem meum Johannem visitavi et dixi : « Veni, dilecte mi, ad me », et caetera plura tam de istis quamde aliis, nisi quod hominum inde devotio augmentatur et mea pietas erga humanum genus replicatur? » Et subjunxit Dominus: « In his potest mens aliquorum accendi ad desiderium eorum quae te audiunt accepisse et, dum haec considerant, student aliqualiter vitam suam emendare. » 2. Hinc alia vice, dum iterum admirando revolveret cur eam Dominus per spiritum tanto tempore impelleret ad praescripta manifestanda, dum non ignoraret quosdam homines tam pusillos corde quod saepius talia magis vilipendendo calumniarentur quam aliquam inde sumerent formam aedificationis, Dominus eam per haec instruxit XV. 1, 4 cordis sui : suum W || 10 per : quia TZ || 12 Joannem : Apostolum add. W || 13 visitavi : vocavi W i. mg. add. B QUATRIÈME PARTIE APPENDICES Cap. XV. — 1. Enfin, avant , compris qu’il était dans la volonté de Dieu que ces grâces fussent consignées par écrit pour parvenir à la connaissance des hommes, elle s’en étonna, se demandant à part soi à quoi cela pouvait servir puisqu’elle était fermement résolue à ne permettre en aucune manière que, de son vivant, cet écrit soit commu­ niqué à quiconque et qu’après sa mort, il ne pouvait avoir d’autre effet que de troubler les âmes, qui consta­ teraient bien qu’elles ne pouvaient retirer aucun profit de cette lecture. A ces pensées le Seigneur répondit : « Ne penses-tu pas qu’on puisse retirer quelque utilité de la lecture d’écrits relatant comment j’ai visité sainte Catherine en prison, lui disant : « Courage, ma fille, je suis avec toi », ou comment j’ai visité mon grand Apôtre Jean, lui disant : « Viens à moi, mon bien-aimé », et tant d'autres traits concernant tel ou tel saint? La piété des hommes n’en est-elle pas accrue et mon amour pour les âmes publié? » Et il ajouta : « Ces récit-s pourront allumer en l’âme de plusieurs le désir des grâces qu’elles apprendront t’avoir été accordées et, dans cette vue, ils travailleront à l'amen­ dement de leur vie. » 2. Une autre fois, comme elle se demandait do nouveau avec surprise pourquoi le Seigneur la poussait intérieurement si constamment à ces révélations écrites, tout en sachant bien que souvent elles n’inspireraient que mépris à certaines âmes faibles qui les blâmeraient plutôt qu’elles n’en retire­ raient occasion d’édification, le Seigneur l’éclaira par ces ,I. Raisons _ . ... . d’écrire. 206 10 15 20 25 GERTRUDE D’HELFTA verba, dicens : « Ego tali modo in te posui gratiam meam quod magnum ex ea fructum exigo; unde vellem ut similia dona habentes et per negligentiam parvipendentes, cum de te intelligunt, et donum proprium recognoscentes, in gratitudine crescant, et sic gratia mea in eis augeatur. Si qui vero ea maligno corde volunt calumniari, peccatum illorum sit super illos, te immuni permanente, quia Pro­ pheta dixit ex me : Ponam eis offendiculum a. Unde et per hoc verbum, eo quidem percepit intellectum quod Dominus mnltotics instigat electos suos ad ea facienda, propter quae alii quandoque scandalizantur; quae tamen electi non debent omittere ob hoc quod pacem habere possint a perversoribus, quia optima pax est cum mala bonis vincuntur; id est, cum quis non omittens in quo Dei laudem perficit, perversores tamen obsequiis et benevo­ lentiis placando vincit, quia sic lucratur proximum Si vero nihil profecerit, mercedem tamen suam non perditc. Hugo : « Quia fideles semper aliquid habent unde dubitare possint, et infideles unde credere valerent, si vellent; juste etiam fidelibus pro fide datur praemium, et infidelibus pro infidelitate supplicium J. » CAPUT XVI DE EVIDENTIOR1BUS TESTIMONIIS QUIBUS EAM DOMINUS PER ALIORUM REVELATIONES CERTIFICAVIT 1. Vilitatem ergo suam et indignitatem perpendens, cum se valde indignam judicaret tantorum donorum Dei qui­ bus se sciebat a Domino fideliter muneratam, accessit ad felicis memoriae M. in gratia revelationum tunc nominatis5 sinam et reverentissimam, humiliter supplicans quatenus super his praescriptis donis Dominum consuleret, non quasi LE HÉRAUT. L. I, CH. XV-XVI 207 paroles : a J’ai disposé en toi ma grâce de manière à en exiger un grand fruit. Mon désir, ici, est que ceux qui ont reçu des dons semblables et, par négligence, ne savent pas les estimer, en t’écoutant, se souviennent de leur propre don et croissent en gratitude pour qu’en retour ma grâce croisse en eux. Mais si d’aucuns, dans la malice de leur cœur, déci­ dent de les blâmer, qu’ils portent leur péché, tu n’en as nulle responsabilité. Le Prophète a bien dit de moi: Je mettrai un piège devant eux °. » Ces paroles lui firent comprendre que souvent le Seigneur inspire aux siens des actions qui sont pour certains des occasions de scandale, et les justes ne doivent pas cepen­ dant s’abstenir d’agir sous prétexte de rester en paix avec les méchants : la vraie paix consiste à vaincre le mal par le bien, ce que fera celui qui, sans s’abstenir d’une action ordonnée à la louange de Dieu, manifestera cependant aux méchants sa douceur par sa complaisance et sa bonté, car c’est· ainsi qu'on gagne le prochain 6. Même s’il n’y réussit point, il ne perdra pas sa récompense'. Selon Hugues: « Parce que, s’ils le voulaient, les croyants pourraient toujours trouver un motif de douter et les incroyants un motif de croire, il est juste que les uns reçoivent la récompense de leur foi et les autres le châtiment de leur incrovance d. » Cap. XVI. — 1. Méditant sur sa bassesse et son indignité, car elle se jugeait tout à fait indigne de tant de dons divins dont elle savait· que le Seigneur ne cessait de l’orner, elle vint trouver Dame M., d’heureuse mémoire, connue et vénérée pour ses grâces mystiques, lui demandant humblement de consulter le Seigneur au sujet des dons en question. Ce n’est pas qu’elle voulût dissiper 11. Nouveaux témoi­ gnages. a. Éz. 3, 20 || b. Maith. arca morali, 4, 3; PL 176, 668 XV. 2 18, 15 || c. Mc 9, 40 || d. De 208 10 15 20 25 30 35 GERTRUDE D HELFTA dubia volens super acceptis certi ficari, sed pro tam gratuitis desiderans ad majorem gratitudinem provocari et in poste­ rum confirmari, si quandoque nimietas indignitatis suae cogeret ipsam ad dubium declinare. Unde cum Domna M. secundum quod ab ea rogata fuerat, se ad consulendum Dominum dedisset in orationem, vidit Dominum Jesum sponsum floridum et delicatum, prae millibus Angelorum forma speciosum, viridibus vestimentis indutum quae inte­ rius aurei videbantur esse coloris; et istam pro qua orabat dextra sua delicata blande circumplectentem, ita quod latus ejus sinistrum, in qua parte cor jacet, quasi affixum erat aperturae amatorii vulneris sui; quem illa versa vice cir­ cumplecti videbatur retrorsum cum sua sinistra. Quod beata M. admirans scire desideravit quidnam haec visio sibi vellet. Cui Dominus ait : « Per virorem vestimentorum meorum quae interius aureo colore perornantur, scias signi­ ficari quod operatio divinitatis meae tota viret et. floret ex amore. » Et replicans : « Tota viret et floret, inquit·, in anima ista. Per hoc autem quod cor ejus vulneri lateris mei vides applicatum, nota quod sic adaptavi mihi cor ipsius, quod singulis horis potest directe suscipere influxum divinitatis meae, n Tunc illa requisivit dicens : « Numquid, Domine mi, huic electae tuae dedisti talia dona ut secure possit quosque ad se venientes pro requirendis quibuslibet expedire in veritate tuae cognitionis, et in hoc omnes quae­ rentes peream verae salutis subsidium" sunt inventuri, sicut ipsi dignatus os polliceri per verba illa quae ipsa mihi causa humilitatis pro sui instructione exposuit? » Ad quod Dominus valde benigne sic respondit : e Ego certe his privilegiis specialibus eam insignivi ut omne quod aliquis sperare potest se per ipsam posse accipere indubitanter obtineat et quem­ cumque ipsa communionis judicat dignum, misericordia mea nunquam reputabit indignum; imo si quem ipsa ad XVI. 1 a. Postcommunion de la messe de Beatu. LE HÉRAUT. L. I. CH. XVI 209 des doutes sur leur réalité, mais elle désirait être incitée à plus de reconnaissance encore pour de tels purs bienfaits et recevoir une assurance anticipée pour le cas où le poids même de son indignité viendrait à la faire tomber dans le doute. Dame M., comme il le lui était demandé, se mit en prière pour consulter le Seigneur et elle vit le Seigneur Jésus, époux plein de grâce et de noblesse, d’une apparence surpassant mille beautés angéliques, vêtu de vêtements verts qui semblaient intérieurement doublés d’or; il tenait tendrement du geste noble de son bras droit celle pour qui elle priait, dont le côté gauche, celui du cœur, était comme collé à l’ouverture de la plaie du Bien-Aimé 1 qu’elle semblait, en retour, de son bras gauche serrer au dos. S’émerveillant, cette sainte Dame M. désira savoir ce que signifiait cette vision. Et le Seigneur lui dit : « Sache que mes vêtements verts doublés d’or signifient que toute la végétation et la floraison de mon action divine procèdent de l’amour. » Et il reprit : « Que cette âme soit l’objet de toute cette action. Et en voyant son cœur adhérant à la plaie de mon côté, remarque qu’elle peut ainsi à chaque instant puiser au flot de ma divinité, n Alors elle demanda : « Seigneur, avez-vous donné à cette sainte de tels dons pour lui permettre de résoudre avec sûreté, selon la vérité de votre jugement, tous les problèmes soumis par tous ceux qui viennent la consulter et, dès lors, tous ceux-là recevront-ils d’elle un secours pleinement salutaire a, comme vous avez daigné le lui promettre par cette révélation sur laquelle, dans son humilité, elle m'a demandé de l’éclairer? » A quoi le Seigneur, avec une grande bonté, répondit: qu'est la chair autour de Parue (Or. 21, 2; 39, 8; PC, 35, 1083; 36, 343). 288 10 15 5 10 15 GERTRUDE D'HELFTA parte membri patientis suscipit anima tamquam aerem solari luce perfusum et ex hoc miro modo clarificatur; et quanto universalior sive gravior est passio, eo puriorem clarifica­ tionem animae praestat; sed specialius afflictio vel exercitatio cordis in humilitate, patientia et similibus, tanto animae candorem colorant, quanto eam vicinius, efficacius et pro­ pius tangunt. Sed praecipue serenatur et fulgescit ex operibus charitatis. 2. Grates tibi, amator hominum, quod hoc modo aliquoties me ad patientiam allexisti; sed heu! et millesies heu! quod parum et raro tibi consensi, imo nihil ut jure debuissem. Tu scis, Domine, super hoc dolorem et confusionem ac dejectionem spiritus mei et desiderium cordis mei ut dofectus meus alias tibi suppleatur. Item cum mihi aliquando com­ municaturae inter Missam copiam tui liberalius induisisses et ego niterer investigare quid praevalerem quo tibi tantae vicissitudinem dignationis saltem cx parte rependere possem, tu instructor sapientissime, proposuisti milii illud Apostolicum : Optabam ego ipse anathema esse pro fra­ tribus meis \ Et cum usque ad instans, te inducente, scivis-j sem animae mansionem in corde constare, ostendisti mihi tunc etiam in cerebro mansionem ipsius; quod posteaJ fateor, testante scriptura cognovi, licet antea nescierim; et disseruisti hoc esse magnum si anima, relicta dulcedine fruitionis cordis causa tui, corporalibus sensibus regendis invigilaret, ac operibus charitatis insudaret et ad proximo­ rum salutem. 2, 13 animae : meae add. Z || 16 disseruisti : dixisti Z/ XV. 2 a. Ps. 37, 10 || b. Rom. 9, 3 LE HÉRAUT. L. II, CII. XV 289 par quelque souffrance, c’est comme si, par l’ouverture du membre atteint, Pâme recevait un rayon de soleil péné­ trant l’air et. lui apportant une clarté merveilleuse, et, plus la souffrance est aiguë ou totale, plus intense est cette clarté dont bénéficie l’âme. Très spécialement, l’affliction et les épreuves du cœur dans l’humilité, la patience et autres vertus, projettent sur l’âme d’autant plus d’éclat qu’elle y est plus étroitement, plus effectivement et plus intimement engagée. Mais, par-dessus tout, c’est l’acti­ vité de la Charité qui la rend pure et brillante. 2. Graces vous soient rendues, ô Ami des hommes, de ce que, plusieurs fois, vous m’avez ainsi incitée à la patience; mais hélas! mille fois hélas! combien peu et rarement j’ai su acquiescer, refusant même, bien qu’y étant tenue en justice. Vous savez, Seigneur, combien mon esprit en éprouve de douleur, de confusion et d’abattement, et combien mon cœur désire α que vous ayez de quelque autre manière une com­ pensation à mes manquements. Il m’est arrivé aussi, devant communier, de recevoir, un jour, au cours de la messe, de votre libéralité, une abondance de grâces qui me portait à rechercher par quel moyen je pourrais, au moins partiel­ lement, répondre au don de tant de bontés. Alors, Maître de toute sagesse, vous m’avez suggéré ce texte de FApôtre : «Je souhaiterais d’être moi-même anathème pour mes frères b. » Jusqu’alors, je savais bien, grâce à votre ensei­ gnement, que mon cœur est le siège de mon âme, mais, à ce moment, vous m’avez fait comprendre que mon cerveau l’est aussi, ce dont, ensuite, j’avoue avoir rencontré dans ('Écriture le témoignage qui m’avait échappé auparavant; et vous m'avez expliqué que c’était une grande chose pour l’âme d’abandonner, pour vous, la douceur dont jouit le cœur, afin de veiller à la maîtrise de ses sens corporels et de s’appliquer aux œuvres de charité et au salut du prochain. 290 B DHELFTA CAPUT XVI DE BENIGNIS EXHIBITIONIBUS IN FESTO DOMINICAE NATIVITATIS ET PURIFICATIONIS BEATAE MARIAE 5 10 5 10 1. Die sacratissimae Nativitatis tuae accepi te tenerum pue rulurn de praesepio pannis involutum ®, praecordiis meii impressum, ul ex omnibus amaritudinibus infantiliun necessitatum 6 tuarum fasciculum myrrhac mihi colligeren inter ubera mea commoraturum, et exhinc botrus c divinat suavitatis intimis meis expressius propinaretur. Et cum aestimarem me huic dono nunquam majus posse accipere, tu qui frequenter praeventum nobiliori dono subsequeris, et tali modo superefïluentiam salutaris gratiae mihi dignatus es variare. 2. Sequenti namque anno, eodem die inter Missam Domi­ nus dixit accepi te sub specie tenerrimi et delicatissimi infantuli, de gremio virgineae Genitricis; quem aliquandiu super pectore gestans cooperari mihi videbatur illa compas­ sio quam ante praedictum festum specialibus orationibui exhibueram cuidam afflicto. Sed fateor, cum illud donun habui, heu! minus justo calui devotione, sed utrum hoc tua justitia, seu mea negligentia exegerit, nescio; cum tamei hinc sperem tuam justitiam, misericordia coopérante, hot disposuisse ut. hinc mihi limpidius innotesceret indignita XVI. 2, 7 justa Z || colui l XVI. 1 a. Lc 2, 8 || b. S. Bernard, In Cant. 43, 3 || c. Cant 1, 12-13 1. Li' Cantique offre aux mystiques cette double allégorie du bouque de myrrhe et de la grappe odoriférante et un texte, faussement attribir à saint Bernard, rapporte le bouquet à l'humanité du Christ et Λ sa Passion, la grappe à sa divinité et à la Résurrection (Sermo in Corna). Dans cet LE HERAUT. L. II. CH. XVI 291 Chapitre XVI 1. Le jour de votre très sainte Nativité, je vous pris dans la crèche, faible enfantelet enveloppé de langes e, et vous pressai sur ma poitrine, rassemblant toutes les amertumes de vos misères d’enfant \ comme υη bouquet de myrrhe reposant entre mes seins et, partant, comme une grappe e de divine douceur offerte, pressée, à la soif la plus intime de mon âme x. Bien qu’il me semblât que jamais il ne me serait possible de recevoir meilleur don, c’est vous-même, vous plaisant souvent à ajouter à un don passé un don plus noble encore, qui daignâtes renchérir sur la surabon­ dance de votre grâce salutaire, de la manière que voici. 2. L’année suivante, en effet, le même jour, pendant la messe Dominiis dixit2, je vous reçus du giron de la Vierge Mère comme un enfantelet tout faible et délicat que je berçai quelque temps sur ma poitrine, non sans qu’aient joué ici, me semble-t-il, les sentiments de compassion qui m’avaient, avant la fête, incitée à prier très spécialement pour une certaine âme dans l’affliction *. Mais je dois avouer que. possédant pourtant une telle faveur, ma piété n’avait pas, hélas! l’ardeur qui aurait convenu; mais j’ignore si ce fut effet d’un juste dessein de votre part, ou négligence de la mienne. Pourtant, je me dis, dans la suite, que c’était votre sagesse unie à votre miséricorde qui en avait disposé ainsi, pour que je puisse d’une part prendre conscience de mon indignité et par ailleurs redouter d’avoir commis esprit, pour sainte Gertrude, c’est l’accès et l’union à l’humanité souf­ frante du Seigneur qui commandent la participation à sa Vie divine. 2. Messe do minuit. 3. La sainte ressent de la compassion pour cet enfantelet faible et délicat, comme elle a éprouvé, peu auparavant, de la compassion pour une âme affligée. Lo texte signifie-t-il que la faveur de bercer l’EnfantDieu est une récompense de sa compassion fraternelle ou que, dans son cœur, s'unissent et s’accordent les deux mouvements de compassion? 292 15 20 25 30 GERTRUDE D’HELFTA mea, et illinc timeam negligentiam meam, quo inutilibus cogitationibus segnius me removi, mihi evenisse; sed quid­ libet horum in causa fuerit, tu responde pro me °, Domine Deus meus. Cum tamen conatus meos aliqualiter recolligerem, ut amatoria te blandilate foverem, parum me sensi profecisse, donec pro peccatoribus, animabus purgandis, vel alio modo afflictis, movi verba orationis; quorum mox sensi efiectum, et specialius cum quodam sero proponerem quod in omni memoria animarum, sicut hactenus parentes meos praeposuissem cum Collecta Deus qui nos patrem et matrem honorare etc., ita ulterius praeponerem tuos speciales cum Collecta Omnipotens sempiterne Deus, cui nunquam sine spe etc.; in hoc videbaris mihi amplius delectari. Insuper videbaris suaviter demulceri, quando extensis viribus ad cantandum per singulas notas intentionem in te defixi, sicut qui cantans quod usu non bene scit, diligenter respicit librum. Quanta tamen neglexerim in his et aliis quae tibi cognovi laudabilia, confiteor tibi, Pater benignissime, in amaritudine passionis innocentissimi Filii tui Jesu Christi, in quo tibi summe complacere lestatus es dicens: Hic es Filius meus dilectus in quo mihi bene complacui Et per ipsum exhibeo emendationem ut per eumdem omnis negli- ; gentia mea suppleatur. 3. Hinc die sacratissimae Purificationis cum celebraretur Processio illa qua tu salus nostra et redemptio cum hostiis in templum duci elegisti, inter Antiphonam : Cum indu· cerent, virginea mater tua te filiolum dilectum uteri sui 11 qua Ί7 || 3, 1 sacratissimae : A'irginis add. W 2 a. Is. 38, 14. Job 9, 15 || b. Maith. 17, 5 1. L’oraison Deus qui nos Patrem se lit encore dans le missel romain. Mais l’oraison Omnipotens n’y figure plus : elle intercôdo pour tous les LE HÉRAUT. L. II, CH. XVI 293 une négligence en mettant trop de mollesse à me détourner de pensées vaines. En définitive, que faut-il conclure? Vous seul pouvez répondre à ma place °, Seigneur, mon Dieu. Toutefois, ayant rassemblé tous mes effort-s pour vous réchauffer de mes caresses aimantes, je constatai mon insuccès jusqu’au moment où je me mis à réciter les prières pour les pécheurs, pour les âmes du purgatoire et les affligés. Elles s'avérèrent efficaces, très spécialement un certain soir où je décidai de commencer dorénavant les suffrages non plus comme jusqu’alors par l’application à mes parents, selon la collecte Deus qui nos patrem et matrem, mais aux âmes de vos fidèles, selon la collecte Omnipotens, décision qui me semblait vous être plus agréable l. Je vis aussi, tandis que je m’appliquais à chanter, que vous trouviez un charme très doux à me voir, à chaque note, diriger mon attention vers vous, de même qu’un chantre, qui n’a pas encore l’habitude d’une mélodie, la suit avec soin sur son livre. Que de négligences j’ai montrées en ces circonstances et en d’autres que je savais cependant faites pour votre louange! Je m’en accuse, Père de toute bonté, m’unissant à l’amère Passion de votre tout innocent Fils, Jésus-Christ, en qui vous avez mis votre complaisance, comme vous en avez vous-même témoigné en disant : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui j’ai mis toutes mes complaisances b. » C’est par lui que se réalise mon amendement, car c’est lui qui supplée à toute ma négligence. 3. Puis, au jour de la très sainte Purification, pendant que se commémore la procession par laquelle vous avez voulu être conduit au temple comme une victime. Vous, notre salut et notre rédemption, comme on chantait l’antienne : Cum inducerent..., la Vierge, votre mère, en me réclamant fidèles défunte : propitiare animabus fidelium tuorum. Le sens de la révé­ lation ici est qu’uno prière moins colorée d’intentions personnelles plaît davantage à Dieu. 294 GERTRUDE D’HELFTA 5 reddi sibi a me repetiit vultu severo, quasi minus ad placi­ tum sibi educassem te, qui es immaculatae virginitatis ipsius honor et gaudium a. Et ego recolens quod ob gratiam quam invenit apud te, peccatoribus in reconciliatricem et in spem desperatis data esset, prorupi in haec verba : « O 10 Mater pietatis, iimno ad hoc datus est tibi misericordiae fons b in filium, ut omnibus gratia egentibus eam obtineas, et multitudinem peccatorum ac defectuum nostrorum operiat charitas tua copiosa c. » Inter quae illa benigna serenum et placabilem praetendens vultum, ostendit quod quamvis 15 meis exigentibus malis mihi severa appareret, repletam eam tamen usque ad summum visceribus charitatis, et pertransitam medullitus dulcedine divinae charitatis; mox enituit dum ad tam exigua verbula severitas praetensa discessit, et naturaliter ingenita serena dulcedo processit. Ipsius ergo 20 matris tuae pietas copiosa sit apud misericordiam tuam, pro omnibus defectibus meis interventrix gratiosa. 4. Denique quod supereffluendam dulcedinis tuae continere non possis, luce clarius patuit, dum sequenti anno eodem sanctissimo festo gratiori dono, sed non dissimili praedicto me decoraveris, quasi devotionis meae magna diligentia hoc 5 a te praecedenti anno meruerit; cum tamen non subsequens donum sed debitam poenam deperditi praecedentis doni juste meruissem. Inter Evangelium enim dum legeretur: Peperit Filium suum primogenitum, etc., immaculata mater tua immaculatis manibus suis porrexit mihi te virginalem 10 parvulum, amabilem infantulum, quasi totis conatibus in amplexus meos nitentem. Et ego licet heu! indignissima, suscepi te tenerum puerulum delicatis brachiis tuis collum meum stringentem. Unde afflatu suaviflui spiritus tui de benedicto ore exhalantis tam vivificam sensi refectionem, ut 10 iin mo : nonne 71 numquid T 3 a. Rituel de Ia consécration des vierges, Preface. 1 Thess. 2, 19 II b. Antienne Salve virginale palatium || c. 1 Pierre ■'*, 8 LE HÉRAUT. L. Il, CH. XVI 295 son enfantelet, fruit béni de ses entrailles, prit un air sévère, comme pour me reprocher de ne pas avoir eu soin de vous à sa satisfaction, vous qui êtes la joie et Γhonneur de cette même virginité immaculée °. Me rappelant que, de par la grâce reçue de vous, elle était donnée aux pécheurs pour leur réconciliation et aux désespérés pour leur espérance, je lui dis : α O Mère de tendresse, n’avez-vous pas reçu la source même de la miséricorde \ votre Fils, afin d’ob­ tenir grâce pour tous ceux qui en ont besoin, et afin de couvrir nos innombrables fautes de votre inépuisable charitéc. » Sur quoi, elle prit, toute bonne, une air de paix et de pardon, qui me montrait que, bien que j’eusse mérité la sévérité de son accueil, elle était remplie sans réserve de sentiments de charité et pénétrée jusqu’aux moelles des douceurs de la Charité divine. Son visage s’était aussi­ tôt éclairé à mes pauvres paroles, qui avaient chassé toute apparence de sévérité et ramené la douce sérénité qui lui était naturelle. Que cette inépuisable tendresse de votre Mère exerce, pour toutes mes déficiences, sa médiation pleine de grâce auprès de votre miséricorde. 4. Finalement, il m’apparut plus clair que le jour que vous ne pouvez contenir la surabondance de votre douceur, lorsque l’année suivante, en cette même fête sainte, vous me favorisâtes d’un don analogue au précédent, mais plus grand encore, comme si c’eût été l’extrême attention de nia piété qui m'eût mérité les grâces de l’année précédente, alors que j’avais dûment mérité, non pas un nouveau don, mais une juste peine pour avoir gaspillé le premier. Donc, pendant la lecture de l’évangile, aux mots : Peperit Filium suum primogenitum, l’immaculée, votre Mère, de ses mains immaculées, vous présenta à moi, vous le fils de sa virgi­ nité, aimable enfantelet, qui, de tous vos efforts, cherchiez mes embrassements. Et moi, bien qu’hélas! toute indigne, je vous reçus, frêle poupon s’accrochant de ses petits bras à mon cou. Et, sous le souffle exhalé de votre bouche bénie par sa douce respiration, je me sentis si fortifiée et si vivi- 296 GERTRUDE D’HELFTA 15 merito proinde benedicat anima mea tibi, Domine Deus meus, et omnia quae intra me sunt nomini sancto tuo °. 5. Et cum beatissima mater tua te satageret involvere infantiae pannis, ego postulabam me tecum simul involvi, ne vel tenui panni medio mihi subtrahereris, cujus amplexus et oscula longe vincunt mellis pocula °; et sic videbaris involvi 5 candidissimo sindone innocentiae, et stringi aurea fascia charitatis, quibus si tecum involvi et stringi volui, magis oportebat me insudare omnimode munditiae cordis et ope­ ribus charitatis. 6. Gratias tibi, creator siderum, Vestitor coelestium lurninarium °, diversorumque vernantium florum, quod quamvis bonorum meorum non egeas tamen, ad instructionem meam, post haec, die sancto Purificationis expetivisti a me 5 ut vestirem te infantulum antequam in templum introduce­ reris, et hoc idem ex occulto thesaurario divinae aspirationis, taliter persuasisti mihi perficiendum. Igitur cum omni quo possem studio extollere niterer mundissimae humanitatis tuae immaculatam innocentiam tam integra et fideli devo­ 10 tione. quod si ego in persona propria habere possem omnem gloriam, debite tuae benignissimae innocentiae libentissime abdicarem, ut te in tua innocentia redderem laudabiliorem. Unde ex tali intentione mea, tu cujus omnipotentia vocat ea quae non sunt tamquam ea quae sunt®, videbaris veste 15 candida in forma infantuli vestiri. Simili etiam devotione cum abyssum tuae humilitatis pertractarem, videbaris mihi desuper viridi tunica indui in signum quod florida gratia tua semper viret, nec aliquando arescit in valle humilitatis. Prae- 6, 3 nostrorum W || 4 expetivisti post corr. B : expostu­ lasti ante corr. BW exposuisti Z exposcisti T poposcisti /. 4 a. Ps. 102, 1 || 5 a. Office du S. Nom de Jésus; cf. PL 184, 1318 et 1517 || 6 a. Hymne Creator alme siderum. Avent II b. Ps. 15, 2 H c. Rom. 17 LE HÉRAUT. L. II, CH. XVI 297 fiée qu’à bon droit, depuis lors, mon âmo vous bénit, Sei­ gneur, mon Dieu, et tout ce qui est en moi loue votre Nom a. 5. Et comme votre bienheureuse Mère s’apprêtait à vous emmailloter, je demandai à être enveloppée avec vous pour que même l’obstacle léger d’un lange ne me privât point de vos embrassements et de vos baisers infiniment plus doux que le miel a. Et je compris que vous étiez enve­ loppé dans le lange tout blanc de l’innocence et lié de la bandelette d’or de la charité, et que, pour être enveloppée et liée avec vous, il me fallait m’efforcer sans cesse à la pureté du cœur et aux œuvres de charité. 6. Je vous rends grâce, Créateur des étoiles et des astres du ciel a, les revêtant de leur parure ainsi que toutes les fleurs variées du printemps, de ce que, bien que n’ayant nul besoin de mes œuvres fc, vous avez cependant, dans la suite, pour ma seule instruction, au jour de la Purification, demandé que je vous vêtisse, avant votre présentation au Temple; et une inspiration, venue des fonds secrets de votre divine grâce, me fit comprendre que je devais m’y prendre de la manière suivante. Avec tout le soin dont je serais capable, je devais m’efforcer d’exalter l’innocence imma­ culée de votre toute pure humanité, avec une si entière et fidèle dévotion que toute la beauté que je pourrais avoir sur moi-même, je m’en dépouillerais volontiers comme due à votre très bénigne innocence, afin d’augmenter en vous l’éclat même de cette innocence. Cette attention de ma part semblait vous revêtir de la robe blanche des petits enfants, vous dont la Toute-Puissance commande aux choses qui ne sont pas comme aux choses qui sontc. Trai­ tant avec la même attention de votre humilité aux profon­ deurs d’abîme, c’est comme si vous m’apparaissiez revêtu aussi d’une tunique verte, symbole de votre grâce épa­ nouie, toujours verdoyante et jamais desséchée même en la vallée de l’humilité. Comme de la même manière je 2·)8 GERTRUDE D’HELFTA dicto deinde modo cum recolerem incentivum quod te ad 20 omnia facta tua coegit, purpureo amictu circumdabaris ad ostendendum quod vere regalis vestis sit charitas sine qua nullus regnum intrat coeleste d. Cum vero in gloriosa matre tua easdem supradictas virtutes pro meo modulo commen­ darem, ipsa etiam simili modo videbatur vestiri. Et cum 25 eadem benedicta Virgo, florens rosa sine spina* candensque lilium sine macula, abundet imo superabundet floribus omni­ genarum virtutum, ut per ipsam nostra ditetur inopia, sit pro nobis, quaesumus, perpetua interventrix '. CAPOT XVII DE TEMPERANTIA DIVINA 1. Die quodam, dum post lotas manus ad mensam itura inter Conventum in ambitu starem et claritatem solis in virtute sua lucentis attenderem, haesitans cogitationibus dixi in animo meo : « Si Dominus qui creavit solem istum et 5 cujus pulchritudinem ipse sol cum luna dicitur mirari a, qui etiam ignis consumens est b, tam veraciter esset mecum, sicut se frequenter mihi praesentem exhibet, quomodo possibile esset ut tam frigido corde tamquam inhumane imo perverse inter homines conversarer? » Et ecce subito tu cujus elo10 quium, licet semper sit dulce c, tunc tamen tanto dulcius quanto fluctuanti cordi meo plus necessarium, subintulisti dicens: « In quo extolleretur omnipotentia mea, si hoc non praevaleret, ut quocumque loco fuero, me in memetipso XVII. 1, 2 in ambitu d. Maith. Genitrix 22 |] e. om. W Séquence Ave Maria || /. Antienne Gaude Dei LE HÉRAUT. L. II, CH. XVI-XVII 299 méditais sur le zèle qui anime toutes vos actions, voilà que vous étiez comme enveloppé d’un manteau de pourpre pour montrer combien est vraiment royal le vêtement de charité sans lequel nul ne peut entrer au royaume des cieux rf. Enfin, comme j’honorais, selon mes moyens, ces mêmes vertus en votre glorieuse Mère, elle me sembla, elle aussi, porter de semblables vêtements. Que cette Vierge bénie, rose épanouie et sans épine lis blanc immaculé, en laquelle fleurit une surabondance de toutes les vertus, soit, nous vous en prions, une perpétuelle médiatrice1 qui comble notre indigence. Chapitre XVII 1. Un jour, tandis qu’après m’être lavé les mains, je me tenais en station avec le convent, avant le repas, et que je remarquais l’éclat du soleil, brillant dans toute sa force, je fus troublée intérieurement par cette pensée : « Si le Seigneur qui a créé notre soleil, et dont il est dit que ce même soleil et la lune admirent la beautée, et qui est lui-même un feu brûlant \ était réellement uni à mon âme de la manière dont fréquemment il me manifeste sa pré­ sence, comment se peut-il qu’avec une telle froideur de cœur je vive parmi les hommes d’une manière égoïste et même méchante? » Et, soudain, vous dont toute parole est douceur*·, mais se fait plus douce encore lorsque mon cœur incertain en a plus grand besoin, voilà que vous me répondîtes ces mots: π En quoi serait exaltée ma ToutePuissance, si je ne conservais ce pouvoir, en quelque lieu que je me trouve, de me contenir en moi-même, pour ne XVII. 1 a. Office de sainte Agnès || b. Deut. b, 24. Hèb. 12, 29 H c. Cant. k, 3 300 GERTRUDE D’HELFTA possem continere, ne sentiar vel appaream ultra quam 15 aptissime congruit pro loco, pro tempore et pro persona? Nam ab initio creationis coeli et terrae in toto opere redemp­ tionis magis usus sum sapientia benignitatis quam potentia majestatis; quae sapientiae benignitas maxime elucet in tolerando imperfectos, quousque illos per liberum arbitrium 20 ducam ad viam perfectionis. » CAPUT XVIII DE PATERNA INSTRUCTIONE Festivo dic quodam, dum ad sanctam communionem acce­ dere viderem plures quae se orationibus meis commen­ daverunt, ego vero corporali infirmitate impedita, imo indignitate mea, ut timeo, divinitus repulsa, recolerem plura 5 erga me beneficia tua, Deus; timere coepi mihi a vanae gloriae vento qui fluenta divinae gratiae posset exsiccare, et desiderabam mihi talem immitti intellectum quo praemu­ nirer in futurum. Undo a paterna pietate tua taliter sum instructa, ut scilicet aestimarem affectum tuum erga me in 10 similitudine patrisfamilias, qui gauderet de gratiosa elegantia plurimorum natorum, quibus etiam applauderet numerosa turba domesticorum et vicinorum, et inter quos parvulum haberet qui nondum ad elegantiam reliquorum pervenisset, quem paterno affectu miserans frequentius in sinum recipe­ 15 ret, verbis ac munusculis illi prae caeteris blandiretur. Et adjunxisti, quod si sic certa aestimatione me caeteris imper· 1. 20 vitam T. LE HÉRAUT. L. IJ, CH. XV1I-XVIII 301 me rendre sensible et visible que dans la mesure conve­ nant le mieux aux lieux, aux temps, aux personnes? Car depuis le commencement de la création du ciel et de la terre, dans toute l’œuvre rédemptrice, j’ai fait preuve de sage bonté plus encore que d’autorité souveraine; et le plus éclatant exemple de cette tendre sagesse est ma patience envers les créatures imparfaites, jusqu’au point de les conduire, par libre choix1, au chemin de la per­ fection. » Chapitre XVIII 1. Un certain jour de fête, comme je voyais s’approcher de la sainte communion plusieurs personnes qui s’étaient recommandées à mes prières, et que, de mon côté, empêchée de le faire par indisposition de santé, ou plutôt, je le crains, écartée par Dieu à cause de mon indignité, je reprenais le souvenir de plusieurs de vos bienfaits à mon égard, je me mis à redouter qu’un souffle de vaine gloire pût dessécher le courant de la grâce divine, et j’eus le désir d’être instruite de manière à en être préservée à jamais. Et votre tendresse paternelle me fit comprendre que je devais regarder votre amour envers moi comme celui d’un père do famille aux nombreux enfants, dont la grâce charmante ferait sa joie et mériterait les compli­ ments d’un large cercle de familiers et de voisins, et dont un petit, non encore parvenu à la perfection des autres, obtiendrait de son affection paternelle compatissante de plus fréquents embrassements, plus de paroles caressantes et de petites faveurs que les autres. Votre conclusion était que si, donc, d'un jugement sincère, je m’estimais la plus 1. Il pout s’agir ici du libro choix divin : c’est par un acte do sa volonté souverainement libre que Dieu conduit les âmes à la perfection. Mais, plus vraisemblablement, il s’agit du libre arbitre de l'âme que respecte la motion divino (cf. supra). 302 GERTRUDE D HELFTA foetiorem reputarem, torrens melleae divinitatisa tuae nunquam subsisteret defluere in animam meam. 2. Gratiarum actiones tibi offero, o amantissime Deus meus «amator hominum °, per mutuam gratitudinem colendae semper et adorandae Trinitatis, pro hac et pro pluribus salutaribus documentis, quibus tu, magistrorum optime 5 insipientiam meam pluries erudisti: et in amaritudine pas sionis Jesu Christi moveo querimoniam, offerens tibi poenai et lacrymas ejusdem pro universis negligentiis meis, quibui suavifluum spiritum tuum * in me extinxi; et peto in unioni eflicacissimae orationis ejusdem dilecti Filii tui in virtute 10 Spiritus Sancti, omnium peccatorum emendationem, defectuumque meorum suppletionem. Quod mihi praestari digneris per amorem illum qui te continuit, cum tua< paternae deliciositatis amantissimus unicus e cum sceleratis deputaretur d. CAPUT XIX DE LAUDE DIGNATIONIS DIVINAE 1. Gratias ago benignae misericordiae et misericordi benig nitati tuae, amantissime Deus, pro revelato teslimoni dignantissimae pietatis tuae, quo fluctuantem et vacillanten animum meum solidasti, cum secundum assuetiorem mib 5 morem importuno desiderio expeterem absolvi de career carnis miserae °, non ob hoc ut miserias amplius non senti XVIII. 1 a. Ps. 35, 9 2 a. Séquence Mittit ad Virginem || b. Sag. 12, 1 || c. 3, 17 II d. L·. 53, 12. 1er Répons du Samedi saint XIX. 1 a. Bom. 1. 24 Matt< LE HERAUT. L. 11, CH. XV1II-X1X 303 imparfaite de toutes, le torrent du miel de votre divinité ° ne cesserait jamais de couler dans mon âme. 2. Je vous offre mes actions de grâces — ô mon Dieu très aimant, Ami des hommes a — par cette relation de gratitude réciproque entre les Personnes de l’adorable et vénérable Trinité1, pour cette leçon et tant d’autres par lesquelles d une manière salutaire, vous avez, ô le plus éminent des maîtres, si souvent éclairé mon ignorance. Je jette ma contrition dans l’amère Passion du Christ Jésus, vous offrant ses peines et ses larmes pour toutes les négligences qui ont éteint en moi le souffle suave de votre esprit b. Et je vous demande, en union avec la très méritoire prière de votre même Fils bien-aimé, dans la vertu du SaintEsprit, la correction de mes fautes et la réparation de mes manquements. Daignez m’exaucer par ce même amour des âmes qui vous a fait supporter que l’unique objet des délices infinies de votre paternelle tendresse ® fût confondu avec les scélérats d. Chapitre XIX 1. Je rends grâces à votre bénigne miséricorde, à votre miséricordieuse bonté, ô Dieu très aimant, pour le gage de votre tendresse infiniment bienveillante que vous m’avez donné pour affermir mon âme hésitante et chancelante, lorsque, selon mon habitude, je vous importunais de mon désir d’être délivrée de la prison de cette misérable chair·, 1 Le terme de « gratitude > semblerait ne pas convenir aux relations tri ni tairas, dans la mesure où il évoque une infériorité chez celui qui reçoit un bienfait. Mais la théologie morale observe justement que la gratitude, en tant que vertu spécifiquement distincte, implique que le bienfait ne vient pas d’un supérieur, mais d’un égal {Somme, I* II*·, q. 106}. Sainte Gertrude fait preuve d'une vue très pénétrante on cherchant le principe de cette vertu dans la parfaite et réciproque connaissance que les Personnes divines prennent du bienfait mutuel des processions. 304 10 15 20 25 GERTRUDE D’HELETA rem, sed ut bonitas tua solveretur a debito gratiae ad quod mihi persolvendum causa salutis animae meae vehemens arnor tuae propriae divinitatis te intricavit; non etiam quod tu, divina omnipotentia et aeterna sapientia, aliqua coactus necessitate dares invitus; imo quod ex supereffluentissima liberali tale pietatis indignissimae impenderes et ingratae. Videbaris enim tu, decus et corona coelestis gloriae b, ab imperiali solio tuae majestatis suavissima quadam et lenissima declinatione demitti, et ex illa demissione quasi quae­ dam fluenta dulcissimi liquoris per totam coeli latitudinem diffundi, ad quae singuli Sanctorum gratanter acclinati et vehit torrentis illius nectarea voluptate jucunde potati c, proruperunt in melos dulcisonum laudis divinae. Inter quae etiam haec verba recepi : « Perpende quam suaviter haec laus penetret aures meae avidae majestatis et pertingat ad liquefacta intima mei amorosi Cordis, ne ultra tam importune desideres dissolvi tali intentione, ut scilicet non sis in carne talis quale tibi nunc donum gratuitae pietatis impendo; quia quanto ad indigniorem me inclinavero, tanto majori reverentia merito ab omni creatura extollor. » 2. Et cum haec consolatio mihi praestita esset in illa hora qua ad tua vivifica accederem sacramenta, et inde circa illa, ut justum erat, haberem versam intentionem, addidisti jam dictae revelationi etiam et hunc intellectum : quod scilicet eo XIX. 1, 9 tu : tua BWTZZ b. I Thess. 2, 19 II c. Ps. 35, 9 1. Malgré l'accord des manuscrits (B K T W Z !) pour tua divina, la lecture : Tu, divina... proposée par p* ou : Tu, O divina... semble s’imposer. Elle est du mémo typo quo le Tu, decus... rencontré quelques lignes plus loin. La loçon « fautive » des manuscrits remonterait donc presque aux origines; pour la rendre intelligible, Lanspergius a dû corriger la fin de la phrase. LE HÉRAUT. L. II, CH. XIX 305 non, certes, pour ne plus avoir à supporter de misères, mais pour libérer voire bonté de la dette de grâces à laquelle votre irrésistible amour pour votre propre divinité vous a contraint envers moi pour le rachat de mon âme. Contraint, ô Dieu Tout-Puissant, Éternelle Sagesse 1, d’une contrainte qui ne vient pas de quelque nécessité contraire à votre gré, mais plutôt de la prodigalité sans mesure de votre tendresse empressée envers la plus indigne et ingrate créature. Donc, vous qui êtes l’éclat et la couronne de la gloire b céleste, vous paraissiez descendre du trône impérial de votre Majesté, d’un mouvement plein de suavité et de douceur, et, par ce mouvement, se répandaient dans toute l’étendue du ciel, les flots d’une liqueur infiniment douce, telle que tous les saints, penchés vers elle avec gratitude et comme abreuvés avec joie du nectar enivrant de ce torrent ®, écla­ taient en chants mélodieux à la louange divine. Au milieu de ces chants je vous entendis me répondre : « Vois comme ma Majesté se plaît, en toute suavité, à entendre cette louange désirée qui pénètre jusqu’aux profondeurs intimes de mon Cœur plein d’amour. Cesse donc de désirer si impor­ tunément quitter cette vie — même dans le but de mettre fin à cet état où te trouvent actuellement dans ta chair les dons que te dispense gratuitement ma tendresse — car, plus misérable est l’être vers lequel je m’incline, plus grand le juste hommage par lequel m’exaltent les créatures2 3. » 2. Comme je recevais cette consolation au moment où je m’approchais de votre sacrement de vie, tout naturelle­ ment mon attention se porta vers lui; alors, à la révé­ lation que vous veniez de me faire vous avez, ajouté cette 2. La pensée est que la connaissance de la munificence avec laquelle Dieu so penche vers une créature sur cette terre remplit les élus d’une admiration qui éclate en une louange d’amour où se complaît le Divin Cœur. Dès lors, nous devons aimer que se prolonge noire vie terrestre pour l'occasion qu’elle donne aux deux de cette louange. 306 GERTRUDE D’HELFTA 5 modo et intentione quilibet accedere deberet ad sacratissi­ mam corporis et sanguinis tui communionem, ut amore ejus amorem gloriae tuae vilipenderet etiam, si possibile esset, quod magnam damnationem sibi in hoc sacramento sume­ ret ut tantummodo divina pietas magis claresceret, per 10 hoc quod se tam indigno non dedignaretur communicare. Ad hoc tamen cum ego excusationem subinferrem quod quisquis respectu suae indignitatis abstinet a communione, ea intentione abstinet ne praesum ptuose irreverentiam inferat sacramento tam praedigno, ad hoc benedictum responsum 15 tuum accepi in haec verba : α Tali intentione praesumens nunquam aliquis irreverenter accedere potest. » Pro quo sit tibi laus et gloria per infinita sacculorum saecula 2, 6-7 amore ejus amorem gloriae tuae : amore amoris et gloriae tuae TZZp. 2 a. 1 Cor. 11, 29 || b. Hymne Petrus beatus (le’' août) LE HÉRAUT. L. II, CH. XIX 307 pensée que chacun devrait s’approcher de la communion toute sacrée de votre Corps et de votre Sang dans de telles dispositions que, par amour de cette communion, l’amour de votre gloire le laissât indifférent, au point — s’il était possible — do manger dans ce sacrement sa propre condam­ nation0, soucieux seulement que la tendresse divine apparût plus éclatante de n’avoir pas refusé de se donner à une créature aussi indigne ’. Sur quoi, cependant, je protestai, pour excuser celui qui, se croyant indigne, s’abstient de communier, qu’il le fait par crainte de commettre par pré­ somption une irrévérence envers ce sacrement si respec­ table. Mais, votre réponse bénie répliqua: « Il est impos­ sible qu’une communion quelconque faite dans les dispo­ sitions en question soit entachée d’irrévérence. » Pour une telle lumière, louange et gloire vous soient rendues tout au long des siècles infinis des siècles b. 1. Malgré la variante K T Z, adoptée par les éditeurs, y compris Paquelin, nous croyons devoir maintenir la leçon B W. En effet, si l’on admet que ejus s’entend du sacrement et que la · gloire de Dieu · n’est pas ici celle dont jouit Dieu, mais celle promise par Dieu à ses élus, la phrase devient plus intelligible et en parfaite harmonie avec le contexte. Celui qui pré­ fère à l’abstention une communion qui le damnerait sacrifie l'amour et le désir de la gloire étemelle à un acte qui magnifie le sacrement où le Seigneur consent à se donner même aux créatures indignes. Ce texte témoigne d’une sorte de préciosité spirituelle qui n’est pas rare chez les mystiques et, comme pour la tempérer de bon sens, l'incise « s'il était possible » indique bien l'invraisemblance d’un choix qui préférerait le signe à la réalité : l’Eucharislie est futurae gloriae pignus. Et le Seigneur fait comprendre que cette disposition môme est l’indice qu’il n’y a pas indignité entraînant condamnation ni, par suite, irrévérence. CAPUT XX DE SPECIALIBUS PRIVILEGIIS SIBI A DEO COLLAT1S 5 10 15 20 1. Cor meum et anima mea, cum tota substantia carnis meae omnibusque viribus et sensibus corporis et spiritus mei, cum universitate totius creaturae, laudes et gratiarum actiones dicant tibi, dulcissime Deus, fidelissime amator humanae salutisa, pro dignantissima misericordia qua non suffecit pietati tuae dissimulare quod toties indecenter parata acce­ dere non vereor ad tui sanctissimi corporis et sanguinis superexcellentissimum convivium, nisi etiam abyssalis superef­ fluentia tua mihi, instrumentorum tuorum vilissimo et inutilissimo, hunc colorem dono tuo superaddere dignata sit : quod gratia tua certitudinem accepi, quod omnis qui ad tuum sacramentum accedere desiderans, sed habens timo­ rem conscientiae, trepidans retrahitur, si humilitate ductus a me famularum tuarum minima quaerit confortari, pro hac ipsius humilitate, tua incontinens pietas dignum ipsum judicat tantis sacramentis, quae vere percipiet in fructum salutis aeternae; adjungens quod si quem justitia tua non permitteret dignum judicari, nunquam permitteres ad meum consilium humiliari. 0 dominator excelse qui in altis habi­ tas et humilia respicis δ, quid divina dictavit miseratio tua XX. 1,18 permitteres : sineres W XX. 1 a. Oraison Deus veniae largitor || b. Ps. 112, 5-6 TROISIÈME PARTIE Chapitre XX Que mon cœur et mon âme, ainsi que tout mon être de chair, de toutes les forces et mouvements de mon corps et de mon esprit, avec l’universalité de tout le créé, vous rendent louanges et actions de grâces, Dieu très doux et très fidèlement affectionné au salut des hommes d, pour votre miséricorde infiniment bienveillante, qui ne s’est pas contentée de cacher à votre amour mon audace à m’ap­ procher, si souvent mal préparée, du banquet suréminent de votre Corps très saint et de votre Sang. Votre muni­ ficence insondable envers celle qui est le plus vil et le plus méprisable de vos instruments a daigné encore ajouter ce trait à votre don : sous votre grâce, j’ai acquis la certi­ tude que quiconque désireux d’approcher de votre sacre­ ment, mais retenu par les timidités d’une conscience crain­ tive, viendrait avec humilité chercher réconfort auprès de moi, la dernière de vos servantes, votre amour débor­ dant estimerait cette âme, à cause de son acte même d'humilité, digne de ce grand sacrement, qu’elle recevrait alors effectivement en fruit d’éternité. Vous avez ajouté que pour ceux qu’il serait contraire à votre justice de tenir pour dignes, vous ne leur accorderiez pas l’humilité de recourir à mon conseil. O Maître suprême, qui habitez les hauteurs célestes et jetez votre regard sur la misère d’ici-bas *, que penser de ce dessein de votre divine misé­ ricorde, sinon que, me voyant tant de fois approcher indi1. 310 25 5 10 15 GERTRUDE D’HELFTA cum videres toties indigne accedentem, justitia librante, judicium promereri, tu volens alios dignos efficere per virtu­ tem humilitatis, quamvis sine me hoc melius posses, indi­ gentiae tamen meae consulens pietas tua hoc per me perficere decrevit, ut vel sic participari possem meritis ipsorum, qui monitis meis fructum salutis potirentur. 2. Sed cum heu! in hoc nequaquam egeat miseria mea, nequaquam etiam uno tantum remedio contenta fuit mise­ ratio tua, Deus benigne. Unde et addidisti me indignissimam certificare, quod quicumque, corde contrito et spiritu humi­ liato °, aliquem defectum inihi querulando exposuerit, secun­ dum quod per verba mea defectum illum majorem sive minorem audierit, secundum hoc, tu misericors Deus, velles judicare eum culpabiliorem vel innocentiorem ; et quod gratia Lua mediante post horam illam hoc semper habere deberet relevamen, quod nunquam tam periculose premi posset ab illo defectu, sicut antea fuerat pressus. In hoc etiam meae miserrimae consulens indigentiae, ut quae per omnes dies vitae meae ita negligens exstiti, quod heu! nunquam vel minimum defectum debito modo superavi, saltem aliorum victoriae mererer participari; cum tu, Deus meus bone, dignaris me vilissimum instrumentum tuum ad hoc assumere ut per verba oris mei aliis dignioribus amicis Luis graLiam victoriae ministrares. 3. Tertio etiam copiosa liberalitas gratiae tuae inopiam meri­ torum merorum ea certitudine, ditavit, quod cuicumque aliquid beneficium vel alicujus delicti indulgentiam ex confidentia divinae pietatis promiserim, hoc benignus amor 21 liberante BW 2 a. Prière après l’oblation du calice, à la messe, d’après Dan. 3, 39 1. Il ne s’agit pas d’un rôle sacramentel, mais de grâces de lumière et de persuasion pour mettre au point dans des consciences timorées les LE HÉRAUT. L. II, CH. XX 311 gnement de votre sacrement, et mériter par là, en toute justice, condamnation, mais, voulant d’autre part que d’autres âmes se rendissent dignes par un acte d’humilité, votre bonté a décidé — bien que ce résultat pût être mieux atteint sans moi — de l’obtenir cependant par moi, en considération de mon indigence, afin du moins de me faire participer aux mérites de ceux que mes avis auraient conduits à la jouissance du fruit de salut. 2. Mais, comme, hélasI ce ne fut jamais la seule manière dont se firent sentir les besoins de ma misère, votre miséri­ corde ne s’est jamais contentée non plus d'un seul remède, Dieu de bonté. C’est ainsi que vous avez donné en outre à mon extrême indignité cette certitude que, si quelqu’un, d’un cœur contrit et d’une âme humiliée venait me consulter sur quelque défaut, suivant qu’il m’entendrait prononcer sur le degré de gravité de ce défaut, ainsi, Dieu de miséricorde, vous le tiendriez pour plus coupable ou plus innocent; et que, moyennant votre grâce, il serait désormais si sûrement- soulagé que ce défaut cesserait de peser sur lui du même poids accablant qn’auparavantx. Et par là, vous avez également secouru ma misère et mon indigence, puisque, m’étant toute ma vie montrée si négli­ gente que jamais, hélas! je n’ai pu triompher, comme il se devait, du moindre de mes défauts, je me trouve ainsi par­ ticiper du moins à la victoire des autres, du fait que vous avez daigné, Dieu de bonté, m’employer comme le plus vil instrument, en vous servant de ma parole pour accorder à d’autres plus dignes parmi vos amis 2 la grace de la victoire. 3. Troisièmement, l’abondante libéralité de votre grâce a aussi enrichi la pauvreté de mes mérites de cette certitude que, si, confiante en la bonté divine, je promettais à qui que ce soit quelque bienfait ou le pardon de quelque faute, problèmes do la culpabilité ot du pardon. Sur cotte distinction, qu'on rencontre déjà dès les premiers siècles en Orient, cf. I. Hausuehr, Direc­ tion spirituelle en Orient autrefois (Romo 19551, p. 105. 2. Cf. Appendice : Les Amis de Dieu. 312 GERTRUDE D'HELFTA 5 tuus secundum verbum meum tam firmum tenere proponeret, quasi hoc tu ore tuo benedicto juraveris in veritate; et hoc tam veraciter, quod addidisti, quia si videretur ipsis quod effectus tam salubris longe ultra placitum protraheretur, constanter admonendo libi proponere deberent quod ego ex 10 parte tui salutem promisissem, taliter saluti meae providens secundum illud evangelicum : Eadem mensura qua mensi fueritis remetietur vobis a. Ut cum ego heu! non desistam in majoribus saepe culpis delinquere, saltem sic haberes occasionem culpas meas remissius judicandi. 4. Quarto adhuc modo etiam addidisti mihi necessario bene­ facere, inter caetera certificando me quod quicumque humili ac devota intentione orationibus meis se commendasset, procul dubio consecuturus esset omnem fructum, quem cre­ 5 dere posset se per alicujus orationem obtenturum : in hoc etiam meae consulens negligentiae, quia cum omnino defi­ ciam in persolvendo tam debitas quam gratuitas pro Ecclesia orationes, quibus ego ipsa lucrari possem, secundum illud : Oratio tua in sinu tuo convertetur a et de fructibus electorum 10 tuorum quibus per me indignissimam postulantibus bene­ facis, tu milii participareris per participationem aliquantu­ lam portionem suppletionis. 5. Quinto etiam nec in hoc supersedisti salutem meam augere, quod quasi speciali dono contulisti mihi ut omnis qui cum bona voluntate, intentione recta et humili confidentia, de profectu animae sermonem mecum moveret, nunquam a 5 me discessurus esset sine aedificatione seu consolatione spiri­ tuali, quasi ipsum etiam congruum praevidens indigentiae meae, quia cum saepe heu! per inutilia verba defluens, talentum facundiae mihi indignae a tua largitate creditum 3 a. Lc 6,38 || 4 a. Ps. 34,13 LE HÉRAUT. L. II, CH. XX 313 votre amour bienveillant aurait à cœur de respecter cette parole venant de moi aussi fermement que si votre bouche sacrée en avait fait le serment véritable; et cela est si vrai que vous avez ajoute que si ces âmes trouvaient que cette salutaire faveur tardait trop à leur gré, elles devaient réso­ lument vous remontrer et vous rappeler que c’était moi qui, de votre part, la leur avait promise. De cette manière, vous procuriez mon propre salut, grâce à cette parole évangélique : « On se servira de la même mesure dont vous aurez usé0. » De la sorte, comme, hélasI je ne laisse pas de tomber souvent en de grandes fautes, au moins de cette manière vous aurez l’occasion de juger mes fautes avec plus d’indulgence. 4. Quatrièmement, aussi, accumulant les bienfaits dont j’ai tant besoin, vous m’avez, entre autres, assuré que qui­ conque, dans un sentiment d’humilité et de piété, se recom­ manderait à mes prières, recevrait, sans doute possible, tout le fruit qui se peut attendre d’une intercession frater­ nelle. En cela encore vous considériez ma négligence qui me rend si oublieuse à m’acquitter dos prières pour l’Église, soit obligatoires, soit surérogatoires, dont pour moi-même aussi je pourrais tirer profit, selon qu’il est écrit : a Ta prière reviendra vers toi ° »; alors, sur les fruits que vous aurez accordés aux âmes vous les ayant demandés par votre toute indigne servante, par vous me serait donnée une part de participante, un humble lot de suppléance. 5. Cinquièmement, ne vous permettant aucune trêve dans l’accroissement de mon salut, vous m’avez accordé, comme par don spécial, que tous ceux qui, avec bonne volonté, pureté d’intention et humble confiance, viendraient s’en­ tretenir avec moi d’avancement do l’âme, no s’en retour­ neraient jamais sans avoir été édifiés et consolés spirituel­ lement, voulant, pour ainsi dire, pourvoir opportunément à mon indigence, car étant donné que souvent je me répands en paroles inutiles, comme dispersant à terre co talent d’éloquence que votre munificence a confié à mon indi- GERTRUDE D’HELFTA 314 10 5 10 15 5 5 quasi per terras dispergo, saltem de alieno deposito aliquantuluin fructum spiritualis lucri recolligam. 6. Sexto, liberalitas tua, benigne Deus, adauxit mihi donum per omnia necessarium, certificans scilicet me pro eo, quod quicumque in charitate pro me vilissima creaturarum Dei, devota fidelitate oraverit, vel etiam ad emendandum delicta et ignorantias juventutis rt, imo malitiae et nequitiae b meae se verbis oratoriis seu operibus bonis exhibuerit, hoc praemio a tua liberalissima pietate remuneraretur, quod nunquam exiet de hoc saeculo antequam tali gratia donetur, quod conversatio ipsius in tantum tibi complaceat, quod alicujus specialis familiaritatis delectationis in anima ipsius possis habere. Et hoc benignissima tua paternitate et mea magna necessitate, cum non ignorares quanta et quam multiplici emendatione mihi opus esset, pro tam innumeris delictis seu negligentiis meis c; et amans misericordia tua nullatenus sineret me perire et e contra pulchritudo justitiae tuae nullomodo permittere posset me cum tam diversis negligentiis meis salvari, eo saltem mihi provideretur quod ex participatione plurimorum lucrum cresceret singulorum. 7. Ilis, ex incontinentia liberalitatis tuae, benigne Deus, superaddidisti, quod si quis post obitum meum intelligens quod parvitati meae dignantius fuerit familiaritas tua in vita mea acclinata et ob hoc vellet se orationibus meis licet indignis humiliter commendasse, illum procul dubio velles tam dignanter exaudire sicut per alicujus preces velles ali­ quem exaudire, si ad recuperanda neglecta cum humili devotione grates tibi ageret, specialiter pro quinque. 8. Quorum primum est pro amore quo me gratuita pietas tua ab aeterno praeelegit. Quod, ut verum fatear, vere prae caeleris gratuitis permaxime gratuitum est; cum non igno­ rares seriem perversae conversationis meae et in singulis malitiam et nequitiam, atque vitium ingratitudinis meae, 6 a. messe Ps. 24, 7 K b. I Cor. 5, 8 || c. Oblation de l’hostie, à la LE HÉRAUT. L. Il, CH. XX 315 gnité, du moins, me reviendra-t-il ainsi quelque profit spirituel du gain produit par le dépôt confie à autrui. 6. Sixièmement, votre libéralité, Dieu bon, m’accorda en outre ce don par-dessus tout nécessaire, à savoir l’assurance que quiconque aurait la charité de prier pour moi, la plus vile des créatures de Dieu, avec une fidèle piété, ou même s’exercerait aux bonnes œuvres et réciterait des prières pour la correction des fautes et ignorances de ma jeunesse °, surtout de ma malice et de ma perversité °, celui-là recevrait de votre toute libérale tendresse cette récompense de ne pas quitter ce monde sans avoir reçu la faveur d’une conduite répondant si bien à vos désirs qu’elle vous procure la joie d'une étroite intimité avec son âme. En tout cela se décou­ vrent votre grande bonté paternelle et mon immense misère. Vous saviez, en effet, en quel besoin j’étais d’amendements de toutes sortes pour mes innombrables fautes et négligences ° et, comme votre amour miséricordieux ne voulait pas supporter ma perte, mais que, par contre, votre admirable justice ne pouvait permettre que je fusse sauvée avec tant de négligences, alors, vous m’avez au moins ménagé ce bénéfice qui s’accroît en chacun par l’apport de tous. 7. Par un excès de votre munificence, Dieu bon, vous avez encore ajouté à tous ces bienfaits que, si, après ma mort, quelqu’un, voyant comment vous avez daigné, pendant ma vie, vous pencher intimement sur ma faiblesse, voulait, pour cette raison, se recommander humblement à mes prières, vous ne lui refuseriez absolument rien de ce qu’il vous est possible d’accorder à une âme sur l'intercession d’autrui, à condition que, pour réparer ma négligence, il vous offrît un humble hommage de gratitude spécialement pour cinq grâces : 8. 1° La première est l’amour mis par votre gratuite ten­ dresse à ma préélection éternelle. Pour dire la vérité, c’est vraiment, parmi tous les dons gratuits, le plus gratuit de tous, car vous ne pouviez ignorer ce que serait toute ma conduite perverse, tous les détails de ma malice et de ma 31G 5 5 5 5 GERTRUDE D’HELFTA in tantum quod juste etiam inter paganos negasses mihi decus humanae rationabilitatis; cum tamen pietas tua longe superans mala a mea, elegerit me prae caetcris christiania religione insigniendam. 9. Item secundo, quod me salubriter attraxisti, et hoc idem juste fateor esse tibi naturaliter insitae mansuetudinis et benignitatis, cum indomabile cora meum, cui rectissime ferrea vincula congruerent, tam suavissima blanditate libi attraxisti; ac si mansuetudinis tuae consortem in me rece­ pisses et inde mihi adjungi per omnia delectareris. 10. Item tertio, quod familiariter tibi univisti, et hoc idem, ut justissime, debeo assignare supereilluentiae incontinen· tissimac liberalitatis tuae; quasi justorum numerus non sufficeret ad excipiendam nimietatem pietatis tuae, me extremam in meritis advocare dignatus es, non ut habiliorem facilius justificares, sed ut in minus habili clarius reluceret miraculum tuae dignationis. 11. Item quarto, quod jucunde fruereris; et hoc, ut ita dicam, amenti amori tuo possum assignare, quod saltem verbis non es dedignatus asserere, nisi hoc dicas jucundam fruitionem tuam, quod omnipotens sapientia tua in eo delectetur, quod quandoque tam incredibili modo se ali­ qualiter adjungere potest sibi tam dissimili et omnino tam inaptato. 12. Item quinto, quod feliciter me consummare dignaris. Quod beneficium a dulcissima pietate benignissimi amoris tui me quamvis indignissimam accepturam secundum fidele promissum veritatis tuae humiliter et firmiter spero et securissima caritate cum gratitudine complector, nullis omnino 8, 7-8 cum ... superans om. Z || 8 nostra TZZ || 10, 1 quod : me add. T 8 a. Hymne Jesu nostra redemptio, Ascension || 9 u. Éz. 2» 4 LE HÉRAUT. L. II. CH. XX 317 méchanceté, et mon ingratitude foncière, de sorte que c’eût été justice de ne m’accorder même point l’honneur d’une humaine raison parmi les païens, alors qu’au contraire votre tendresse, qui va bien au-delà de mes misères °, m’a distinguée entre tant d’àmes chrétiennes pour la consé­ cration religieuse. 9. 2° Pour m’avoir attirée à vous, pour mon salut, et, je dois l’avouer, ce ne peut être que par l’effet de la man­ suétude et de la bénignité qui vous sont naturelles que ce cœur indompté0, qui ne méritait en toute justice que des chaînes de fer, a été ainsi attiré à vous par de suaves caresses, comme si vous deviez rencontrer en lui le digne compagnon de votre mansuétude et, par suite, trouver en cette union votre bonheur suprême. 10. 3° Pour m’avoir intimement unie à vous, ce que je dois en toute justice attribuer à la surabondance toute déme­ surée de votre munificence; comme si la multitude des justes n’arrivait pas à recevoir tout l’excès de votre amour, c’est moi, la moindre en mérites, que vous avez daigné appeler, non pour opérer la sanctification facile d’une âme déjà avancée, mais pour manifester avec plus d’éclat sur une àme plus imparfaite le miracle de votre bienveil­ lance. 11. 4° Pour avoir pris vos délices dans cette union, ce que je ne puis attribuer qu’à la folie, si j’ose dire, de votre amour, que votre parole meme n’a pas dédaigné d’avouer en appelant jouissance pleine de délices ce plaisir qu'a pris votre Sagesse toute-puissante à cette sorte d’union d’un mode incroyable avec un être aussi dissemblable et aussi inadapté. 12. 5° Pour ce bienfait par lequel vous daignerez opérer cette consommation bienheureuse que, d’une humble et ferme espérance en la fidèle promesse de votre vérité et malgré ma profonde indignité, j’attends de la très douce tendresse de votre tout bienveillant amour, et que mon amour, libre de toute crainte, fait déjà sienne avec grati- 318 5 5 10 15 20 GERTRUDE D’HELFTA meis meritis, sed sola gratuita clementia misericordiae tuae, o meum summum, imo solum, totum, verum aeternate bonum a! 13. Haec singula cum sint tam stupendae dignationis tam­ quam omnino parvitati meae indecentia, quod nullo modo sufficere possunt gratiarum actiones a me tibi factae, etiam in hoc subvenisti indigentiae meae, quod benignis promissio­ nibus ad gratiarum actiones induxisti caeteros, quorum meritis defectus meus possit impleri et suppleri. Pro quo sit dignationi tuae laus condigna et gratiarum actio, ex parte omnium coelestium, terrestrium et infernorum °. 14. Super haec omnia adjecit inaestimabilis virtus charitatis tuae a, Deus meus, haec dona supradicta, tali pacto dignan­ tissime obfirmare. Nam cum die quodam ea mente revolve­ rem et ex comparatione pietatis tuae ad impietatem meam quam tam longe superabundare gaudeo, usque ad illam praesumptionem ducta fuissem, quod causarer te mihi ea, more pollicitantium, manu ad manum non firmasse, tua tractabilissima suavitas his objectionibus se benigne satisfac­ turum promisit, dicens : « Ne haec causeris accede et suscipe pacti mei firmamentum. » Et statim parvitas mea conspexit te quasi utrisque manibus expandere arcam illam divinae fidelitatis atque infallibilis veritatis, scilicet deificatum Cor tuum, et jubentem me perversam, more judaico signa quae­ rentem b, dextram meam imponere, et sic aperturam contra­ hens manu mea inclusa dixisti : « Ecce dona tibi collata me tibi illibata servaturum promitto, in tantum quod si ad tempus dispensative ipsorum effectum subtraxero, obligo me postmodum triplici lucro persoluturum, ex parte Omni­ potentiae, Sapientiae et Benignitatis virtuosae Trinitatis, in cujus medio ego vivo et regno, verus Deus, per aeterna saecula saeculorum. » 12 a. S. Augustin, Confessions] 2, 6 || 13 a. Phil. 2, 10 || 14 a. Exultet, Vigile pascale || b. Maith. 12, 38 LE HÉRAUT. L. Π, CH. XX 319 tude, non par la'vertu d’aucun mérite de ma part, mais par la seule et gratuite clémence de votre miséricorde, ô mon suprême, mieux, mon unique, total, vrai et éternel Bien °. 13. Tous ces bienfaits, reçus de votre bonté surprenante, à la honte de ma faiblesse, je ne pouvais en aucune manière vous en rendre de dignes actions de grâces; c’est pourquoi vous avez voulu secourir mon indigence, en portant par vos promesses d’autres âmes à des actions de grâces dont les mérites puissent suppléer et combler ma déficience. Qu’en soient rendues à votre bonté une louange et des actions de grâces convenables par tous les esprits du ciel, de la terre et de l’enfer a. 14. Λ tout cela l’inestimable zèle de votre amour a, ô mon Dieu, a ajouté la confirmation bienveillante de tous les bienfaits en question, faite de la façon que je vais dire. Un jour, on effet, je repassais tout cela en mon esprit, et compa­ rant votre tendresse à ma dureté, comparaison où leur immense disproportion fait ma joie, j’en vins à cette audace de vous reprocher de ne pas m’avoir scellé ce pacte à la manière des promesses humaines: mains topees; à quoi votre douceur infiniment accommodante promit de me satisfaire. « Cesse ces reproches, dites-vous, viens et reçois la confirmation de mes engagements. » Aussitôt, dans ma petitesse, je vous vis comme ouvrir à deux mains cette arche du divin amour et de l’infaillible vérité, votre Cœur déifié, et m’ordonner, à moi, qui, dans ma perversité, demandais comme les juifs des signes d’y mettre ma main droite, puis, refermant la blessure pour y enclore ma main, vous me dites : « Voici que je promets de te conser­ ver dans leur intégrité les dons que je t’ai faits, de telle sorte que si, éventuellement, par disposition providen­ tielle. j’en suspendais les effets, je m’oblige à m’en acquitter, dans la suite, au triple, en signe de la Toute-Puisance, de la Sagesse et de la Bonté de la souveraine Trinité, au sein de laquelle je vis et règne, vrai Dieu, dans l’éternité des siècles des siècles. » 320 GERTRUDE D’HELFTA 15. Post quae suavissimae pietatis tuae verba, cum manum meam retraherem, apparuerunt in ea septem circuli aurei in modum septem annulorum. in quolibet digito unus et in annulari tres, in testimonium fidele quod praedicta septem 5 privilegia mihi ad votum meum essent confirmata. Hinc etiam incontinentia pietatis tuae adjecit haec verba : « Quo­ ties tu indignitatem tuam recogitans te immeritam donorum meorum et insuper de pietate confidis, toties oilers mihi debitum censum de bonis meis. » 16. 0 quam subtiliter paternitas tua novit providere filiis extrema vilitate degeneratis ®, cum post expensionem subs­ tantiae innocentiae ct per consequens gratae tibi devotionis, acceptare dignaris hoc cujus cumulus latere non potest, scilicet 5 cognitionem indignitatis meritorum meorum! Quam tibi laudabiliter mihique salubriter cognoscere in omnibus donis tuis, tam interioribus quam exterioribus, et insuper in omni­ bus de pietate tua plene tibi confidere da, dator munerum* a quo omne bonum procedit®, et sine quo nihil validumd seu 10 bonum poterit reputari. 15, 9 tuis Zl H 16, 2 substantiae om. W 16 a. LclS, 11-321| b. Séquence Veni Sancte Spiràus\\c. collecU du 5° dim. après Pâques || d. collecte du 3e dim. après Pentecâh 1. L’usage existait, au temps de sainte Gertrude, d’une remise de l’anneau au mariage, qui éclaire sur ces sept anueaux. La mariée rece voit successivement l’anneau aux trois premiers doigts, avec l’invoca tion : in nomine Patris — ct Filii — et Spiritus Sancti, et on le lui laissai au troisième doigt. Puis vint l'usage de le glisser, après l’invocatioi LE HÉRAUT. L. Il, CH. XX 321 15. Après ccs paroles de votre plus douce tendresse, comme je retirais ma main, y apparurent des cercles d’or, formant sept anneaux : un à chaque doigt, trois à l’annulaire, en témoignage fidèle de la confirmation que j’avais demandée des sept privilèges en question *. Même votre tendresse démesurée ajouta ces mots : « Lorsque, songeant à ta misère, tu te reconnaîtras indigne de mes dons et feras, en outre, confiance à ma tendresse, par là, chaque fois, tu acquitteras le revenu qui m’est dû sur ces biens qui sont à moi 2. » 16. Avec quelle ingéniosité votre sens paternel ne sait-il pas pourvoir aux besoins d’enfants tombés dans la plus extrême misèren : alors que le bien de l’innocence a été dilapidé et, par là même, perdue une vertu de religion qui pût être agréée de vous, voilà que vous daignez tenir pour acceptable l’aveu même d’un dénuement de mérites pour­ tant tel qu’il me serait impossible d’en dissimuler l’étendue. Qu'un semblable aveu, fait à votre louange et pour mon salut, à l’occasion de toutes vos faveurs, invisibles et visibles, et en outre une entière confiance pour toutes choses en votre amour, me viennent de vous de qui viennent tous dons, de qui découle tout bien et sans qui rien ne peut être regardé comme stable ni bon trinilaire, au quatrième doigt. Enfin, dans un rituel du xiv· siècle, on trouve la proscription de passer l’anneau à tous les doigts do la main avant de le laisser nu quatrième. Chez sainte Gertrude l’attitude du Seigneur est encore plus généreuse : il ne so contente pas de passer l’anneau, il en laisse un à chaque doigt et les trois de l’annulaire gardent le sym­ bolisme trinitaire en môme temps que se complète le nombre sacré de sept. 2. La grâce et les bienfaits de Dieu sont regardés ici comme des biens dont Dieu reste propriétaire et qu'en quelque sorte il nous loue. 11 faut donc lui payer un intérêt, un loyer, un revenu. Ce que Dieu exige ici, en manière de revenu, c’est simplement l’aveu de notre indignité et la confiance en la générosité divine. 322 GERTRUDE D’HELFTA CAPUT XXI DE EFFECTU VISIONIS DIVINAE 5 10 lo 5 1. Omnino etiam injustum judicavi recolens gratuita bene­ ficia tuae amicabilis clementiae erga me valde indignam, si in hoc quasi ingrata oblivione pcrtransirem quod in qua­ dam quadragesima accepi mira dignatione tuae amicissimae pietatis. In secunda ergo dominica dum ad missam ante processionem cantaretur responsorium Vidi Dominum facie ad faciem, etc., mirabili quodam et inaestimabili corusca­ mine ° illustrata anima, in luce divinae revelationis apparuit mihi tanquam faciei meae applicata facies quaedam, secundum quod Bernardus6 dicit : « Non formata sed formans, non perstringens oculos corporis, sed faciem laetificans cordis, grata amoris munere non colore. » Ex hac melliflua visione cum solares oculi tui oculis meis directe oppositi videren­ tur, qualiter tu suavis dulcedo mea tunc affeceris nor. so­ lum animam meam, verum etiam cor meum cum omnibus membris, cum tibi soli sit notum, proinde quoad vixero tibi persolvam famulatum devotum. 2. Sed quamvis longe aliter placeat rosa tempore vernali cum virens et florens dat odorem, quam tempore hiemali, cum diu arefacta dicitur redoluisse suaviter, aliquantulum tamen excitare videtur delectationem recordatio praclibatorum. Unde et ego quali possum similitudine proferre desidero quid parvitas mea in illa praejucundissima visione XXI. 1, 3 in1 : etiam TZi || oblivione om. Zl XXI. 1 a. Ex. 40, 33 || b. In Cant. 31, 6 1. La Mlo liturgique de la Transfiguration n’était certainement pas inscrite au calendrier d’Helfta et il n'en est pas question au Livre IV. Mais le mystère de la Transfiguration était commémoré au deuxième dimanche de carême et il illumine ici la grâce du face à face. LE HÉRAUT. L. 11, CH. XXI 323 Chapitre XXI 1. J’estimerais tout à fait injuste, rappelant les bienfaits gratuits de votre miséricorde aimée envers mon indignité, si j’omettais, par apparence d’ingratitude oublieuse, ce que, un jour de Carême, j’ai reçu de la bienveillance admi­ rable de votre tendresse très aimante. Donc, à la messe du deuxième dimanche \ pendant que se chantait, pour le départ en procession, le répons: Vidi Donùnam fade ad faciem, mon âme étant illuminée d’un éclat ° merveilleux et sans prix, dans cette lumière de divine révélation, m’appa­ rut, comme touchant ma face, une face dont saint Bernard ” a dit: « Elle n’a pas reçu de forme, mais donne toute forme; elle ne frappe pas les yeux du corps, mais réjouit la face du cœur et charme par son rayonnement d’amour, non par un teint visible 2. » Dans cette vision, source de douceur, comment vos yeux éblouissants semblèrent direc­ tement correspondre à mes yeux, et comment, par cette suave douceur que vous êtes pour moi, furent saisis, non seule­ ment mon âme, mais mon cœur avec tous mes membres, vous seul le savez, et tant que je vivrai, je vous en rendrai humblement hommage. 2. Quoiqu’une rose ait infiniment plus de charme aux jours de printemps où, dans sa fraîcheur épanouie, elle exhale son parfum, qu’aux jours d’hiver où, depuis long­ temps desséchée, on évoque combien douce était son odeur, cependant, un peu de joie est comme réveillée par ce sou­ venir des ivresses passées. Aussi, désiré-je, â la louange de votre amour, exprimer, sous la meilleure image qu’il me 2. La première interprétation de ce texte est d’y reconnaître un rappel de la transcendance de l’Incréé sur les êtres créés; mais la pensée de saint Bernard va plus loin, elle débouche sur le centre mémo de sa doctrine mystique : la conformité au Christ, cause exemplaire. 324 10 5 10 5 10 GERTRUDE D’HELFTA tui senserit ad laudem amoris tui; ut si quis legentium forte similia vel majora acceperit, per recordationem ad gratiarum actionem excitetur. Et egomet saepius recolendo etiam cali­ ginem negligentiarum mearum aliqualiter reprimam per gratitudinem, hoc speculo solari vibrato. 3. Cum itaque illam desideratissimam faciem 0 exhibentem copiam totius beatitudinis, ut praedixi, mihi immeritae applicuisses, ex deificis oculis tuis sensi per oculos meos intrantem lucem quamdam inaestimabilem, suavificam, quae transiens omnia interiora mea supra modum mira­ bilem virtutem in omnibus membris meis videbatur operari; primo quidem quasi evacuans omnes medullas ossium meo­ rum, hinc etiam ipsa ossa simul cum carne annihilans in tantum quod tota mea substantia nihil aliud sentiebatur esse quam splendor ille divinus, qui ultra quod dici posset delectabili modo in seipso colludens inaestimabilem animae meae exhibuit serenitatis jucunditatem. 4. 0 quid amplius dicam de ista, ut ita dicam, dulcissima visione? quia ut verum fateor secundum quod mihi videtur, omnium linguarum eloquentia per omnes dies vitae meae mihi hunc praeclarum modum videndi te, etiam in coelesti gloria, nunquam persuasisset·, si dignatio tua, Deus meus, unica salus animae meae, per experientiam me ad illam non induxisset. Hoc tamen dicere me delectat, quod si est in divinis sicut in humanis, quod scilicet virtus oculi tui in tantum excedit istam visionem, sicut ego aestimo, vere dico, nisi divina virtus contineret, nunquam permitteret animam in corpore manere, cui hoc vel momentaliter indul- 3, 1 itaque : igitur TZ/ || 4, 2 fatear Zl || 5 nunquam : mihi add. T || 8 scilicet : sicut Zl || oculi BWp ; osculi TZ/p5 3 1|* 9 aestimo : sicuti osculum humaniter exhibitum excedit visiones add. T || 10 contineret': hominem add. I || 11 momentaliter : momentaneum T gustare add. I LE HÉRAUT. L. II, CH. XXI 325 sera possible, ce qu’éprouva mon être infime dans cette vision qui le comblait de joie, afin que, s’il se trouvait un lecteur ayant reçu grâces semblables ou plus hautes, la ressouvenance l’incitât à l’action de grâces. Et moi-même, en exerçant plus souvent ma mémoire, dissiperai-je quelque peu, sous un rayon de reconnaissance, mes ténèbres d’oubli, ainsi que fait un miroir réverbérant le soleil. 3. Lors donc que sur la mienne toute indigne s’appliquait, comme je l’ai dit, votre face toute désirable ”, rayonnant de la richesse de l’infinie béatitude, je sentis émaner de vos yeux déifiques et envahir les miens une sorte de lumière d’une douceur inexprimable qui, pénétrant toute l’intimité de mon être, semblait transfuser en toutes ses parties une qualité merveilleuse et hors pair. C’était comme si elle eût d'abord vidé tous mes os de leur moelle, puis anéanti ces os mêmes avec leur chair, de sorte qu’il me semblait n’avoir plus aucune autre substance que ce rayonnement même de divinité qui, se jouant en lui-même avec une volupté inexprimable, révélait à mon âme la joie sans prix de la sérénité. 4. Oh! que dirai-je encore de ce qui fut — pour lui donner un nom — la plus douce des visions? Car, pour dire la vérité comme je la vois, discours après discours, pendant tous les jours de ma vie, n’auraient jamais eu l’éloquence de me faire admettre un tel sublime mode de vous connaître, même dans la gloire céleste, si vous n’aviez daigné, mon Dieu, unique salut de mon âme, m’en donner l’expé­ rience personnelle. Cependant, j’aime à dire ceci : que, si l’ordre divin ressemble à l’ordre humain, la puissance de votre regard surpasse infiniment ce que j’éprouvai en cette vision, au point que je pense — je le dis sincèrement — que si ne se modérait la force divine, jamais elle ne laisserait l’âme demeurer en son corps après avoir reçu, 3 a. Hymne des Vêpres des Apôtres au Temps pascal 326 15 20 25 30 GERTRUDE D’HELFTA tum fuerit; quamvis non ignorem inscrutabilem omnipo­ tentiam tuarn ex abundantia pietatis a, tam visionem quam etiam amplexum et osculum cum caeteris amatoriis exhibitionibus pro loco, pro tempore et pro persona, te solitum congruentissime temperaro, cum saepius experta sum. Pro quo tibi gratiarum actiones in unione mutui amoris semper venerandae Trinitatis persolvo. Dignationem persuavissimi osculi tui, in tantum quod quandoque sedenti mihi et intendenti libi in intimis, et legenti horas canonicas, seu vigilias pro defunctis, saepe inter unum psalmum decies vel pluries praedulce osculum infixisti ori meo, osculum quod etiam omne aromaticum excedit et mellis poculum, et etiam multoties tuum amicissimum adverterim in me respectum ac strictissimum persenserim amplexum in anima mea. Et haec omnia quamvis mirae fuerint suavitatis, nunquam tamen, vere fateor, in aliquo talem virtutis effec­ tum sum experta sicut in illo excellentissimo respectu de quo praedixi. Pro quo et etiam pro aliis, quorum effectum tu solus nosti, sit tibi exhibitio suavitatis illius quam in supercoelesti apotheca divinitatis supra omnem sensum praejucunde persona personae instillat. 12 inscrutabilem : instruentem Z || 23 etiam om. TZ/ 4 a. Collecte du 11« dim. après Pentecôte 1. Cette phrase demeure tris énigmatique et sans doute le texte en est-il altéré. Il est même difficile de choisir entre les variantes osculi et oculi. Nous no faisons ici l’option que par fidélité â B, mais sans vraie certitude. Par souci de clarté, les éditeurs et les traducteurs n’échappent guère à la tentation de glisser un ou deux mots de glose. Lo scribe de T y avait déjà cédé : partant do la version osculi, il explique que, dans lee LE HÉRAUT. L. II. CH. XXI 327 ne fût-ce que pour un moment, une telle faveur1. Je n'ignore pourtant pas que votre Toute-Puissance inscrutable, dans l’excès de sa tendresse °, ne laisse pas d’adapter le plus convenablement visions aussi bien qu’embrassements, baisers et autres témoignages d’amour, selon le lieu, le temps, la personne. Car, j’ai souvent expérimenté — et je vous en rends grâce, unie au mutuel amour de la Trinité éternel­ lement adorable — la faveur de votre baiser infiniment suave, si bien que, plus d’une fois, étant assise en intime méditation, ou pendant la récitation des heures de l’office, ou des noc­ turnes pour les morts, souvent, en l’espace d’un psaume, c’est dix fois ou davantage que votre plus doux baiser s’est posé sur mes lèvres, baiser plus embaumé que tous les aromates et tous les nectars, en même temps que, maintes fois, je surprenais votre regard de tendresse sur moi et ressentais dans mon âme votre étroite étreinte. Mais, bien que toutes ces grâces fussent d’une douceur admirable, jamais cependant, je dois l’avouer, en aucune d’elles je n’ai éprouvé la même qualité de force qu’en ce regard sublime dont j’ai parlé. Que, pour cette faveur et pour tant d’autres, de vous seul pleinement connues, vous soit offerte cette rosée de douceur, d’une suavité transcendant tout le sensible, naissant de Personne à Personne au cellier suprême de la Divinité. relations humaines le baiser l’emporte sur l’échange des regards et qu’on peut supposer qu’il en est de même dans les relations mystiques avec Dieu. Ce commentaire n’est que l’aveu de l’obscurité du texte. Quoi qu’il en soit, ce qui subsiste d’intelligible dans co passage semble bien être que toute faveur mystique, si grande soit-elle, n’est qu’une faible réalité par rapport à l'infinie virtualité do l’Atnour Divin. 326 GERTRUDE D’HELFTA CAPUT XXII GRATIARUM ACTIO PRO QUODAM MAXIMO SED SECRETISSIMO DONO 5 10 15 20 1. Et item consimilis tibi sit gratiarum actio, vel etiam major si esse potest, pro dono quodam superexcellentissimo tibi soli noto, cujus dignitatis magnitudo non sinit me hoc verbis exponere, nec etiam permittit me intactum relinquere, ne forte si humana fragilitas aliquo modo, quamvis omnino indebite, hoc memoriae meae subtraheret, quod absit, saltem his scriptis ad memoriam et gratitudinein possem revocari. Sed benignissima pietas tua, Deus meus, omnino avertat a me creaturarum tuarum indignissima hanc perversam amen­ tiam, ut vel ad ictum oculi voluntarie permittam hoc tam praejucundissimum visitationis tuae donum gratitudini meae subtrahi, quod tam gratuitum ab incontinentissime liberalitate tua accepi, et per tam plures annos absque meis meritis servavi. Quia quamvis sim inter omnes indignissima^ fateor tamen me in hoc dono majus accepisse quam unquam ullus homo posset in hac vita promereri. Unde et a dulce­ dine pietatis tuae adopto ut eadem dignatione qua illud omnino gratis et immeritae mihi dedisti, etiam ad laudem tuam in me conserves et per illud talem effectum in me peripsema0 opereris, pro quo ab omni creatura in infini­ tum lauderis; quia quanto manifestius palet indignitas mea, tanto magis clarescit gloria tuae dignantissimae pietatis. XXII. 1,13 per tam ZT ante corr. B : portavi post corr. BW per add. post corr. W || 14 indignissima : vilissima T II 15 in om. BZ || 17 exopto T LE HÉRAUT. L. II, CH. XXII 323 Chapitre XXII 1. Qu’une semblable action de grâces et meilleure môme, si possible, vous soit rendue, pour certain don d’une suprême excellence, de vous seul connu : sa noble qualité ne saurait être exprimée par mes paroles ni cependant être tue, car, s’il arrivait, par fragilité humaine, qu’en quelque manière, de toute façon injustifiable, le souvenir m’en échappât — ce qu’à Dieu ne plaise — au moins cet écrit pourrait le rappeler à mon souvenir et ù ma gratitude. Mais, que votre tendresse toute bienveillante, mon Dieu, détourne de moi, la plus indigne de vos créatures, la folle perversité qui me ferait consentir volontairement, même pour un rapide instant-, à une distraction de ma gratitude pour le don glorieux de cette présence que votre toute débordante libéralité m’a gratuitement accordé et pendant tant d’années conservé, sans aucun mérite de ma part. Car, bien que je sois la dernière des créatures, je reconnais avoir pourtant reçu par ce don plus que tout ce que jamais personne ne pourrait mériter ici-bas. J’attends donc de votre douce tendresse que, m’ayant accordé ce don gratuitement et sans mérite de ma part, vous daigniez pareillement me le conserver pour votre gloire et lui faire produire de tels effets en moi, rebut du monde que vous en receviez de toute créature une louange sans fin, car, plus mon indignité est manifeste, plus éclatante de beauté votre condescen­ dante tendresse. XXII. 1 a. I Cor. i, 13 330 GERTRUDE D’HELFTA CAPUT XXIII GRATIARUM ACTIO, CUM EXPOSITIONE DIVERSORUM BENEFICIORUM, QUAM CUM ORATIONIBUS TAM PRAECEDENTIBUS QUAM SUBSEQUENTIBUS STATUTIS TEMPORIBUS PROUT POTUIT DEVOTIUS LEGERE CONSUEVIT 5 10 15 5 1. Benedicat tibi anima mea, Domine Deus, Creator meus; benedicat tibi anima mea et ex medullis intimarum mearum confiteantur tibi miserationes tuae quibus incontinentissima pietas tua tam indebite circumvenit meβ, o dulcissime amator meus. Gratias ago, ut undecumque possum, immen­ sae misericordiae tuae, cum qua laudans glorifico longa­ nimem patientiam tuam, qua dissimulasti, cum annos omnes infantiae et pueritiae, adolescentiae et juventutis meae, usque pene ad finem vicesimi quinti anni tam caecata dementia pertransirem, ut cogitationibus, verbis et factis perficerem absque remorsione conscientiae, ut mihi nunc vide­ tur, omne quod libebat, ubicumque licebat, non te praeca­ vente, sive per naturaliter mihi insitam mali detestationem et boni delectationem, sive per exteriorem proximorum redargutionem, ac si pagana inter paganos vixissem, et nunquam intellexissem quod tu, Deus meus, vel bonum remunerares, vel malum punires; cum tamen ab infantia, a quinto scilicet anno, me inter devotissimos amicos tuos in triclinio sanctae religionis tibi elegeris habilitai·!. 2. Tua beatitudo, Deus meus, quamvis nec crescere nec decrescere possit, cum bonorum nostrorum non egeas e, tam culpabilis tamen et tam negligens vita mea, sicut aliqualiter dici potest, cessit in detrimentum laudis tuae, quam sine intermissione singulis momentis tota substantia mea cum XXIII. 1, 2 mea : Dominus Deus add. post corr. BW || 8 et1 om. TZf || 11 remorsu Wfp LE HÉRAUT. L. Il, CH. XXIII 331 Chapitre XXIH 1. Que mon âme vous bénisse, ô Seigneur Dieu, mon Créa­ teur, que mon âme vous bénisse et que, des plus intimes profondeurs de mon cœur monte vers vous l’aveu des misé­ ricordes dont votre débordante tendresse in’a si généreuse­ ment enveloppée °, ô mon très doux Amant. Je rends grâce, autant que je le puis, à votre immense miséricorde; ma louange glorifie avec elle la longanimité de votre patience, qui vous faisait fermer les yeux, tandis que les années de mon bas âge et de toute mon enfance, de mon adolescence et de ma jeunesse, presque jusqu’à la fin de ma vingt-cinquième année, s’écoulaient dans un si fol aveuglement. En effet, dans mes pensées, mes paroles, mes actions, je n’aurais eu aucun remords — je m’en rends compte aujourd’hui — à suivre l’attrait de mon instinct en tout et partout, si vous ne m’aviez gardée, tant par une répugnance naturelle au mal et un goût du bien que par les remontrances venues d’au­ trui; j’aurais ainsi vécu comme une païenne parmi les païens et ignorant complètement, ô mon Dieu, que vous récompensiez le bien et punissiez le mal. Et cependant, dès l’enfance, dès l’âge de cinq ans, vous aviez choisi de me for­ mer pour vous, parmi les plus fidèles de vos amis1 dans la demeure d’une sainte religion. 2. Bien que rien ne puisse, mon Dieu, augmenter ni dimi­ nuer votre béatitude et que vous n’ayez pas besoin de nos dons a, cependant, ma vie si coupable et si négligente peut d’une certaine manière être accusée d’un manquement préjudiciable à cette louange que vous devrait sans cesse, à chaque instant, toute ma nature ainsi que toute créature. Ce XXIII. 1 a. Ps. 102; 144; etc. || 2 a. Ps. 15, 2 1. Cf. Appendice : Les Amis de Dieu. 332 5 10 5 10 GERTRUDE D’HELFTA omni creatura merito laudaret. Quid super his sentiat vel etiam sentire posset cor meum, ex dignantissime acclinatione tui ab ipsis etiam fundamentis commotum tu solus nosti. 3. Unde in eadem commotione, pro emendatione offero tibi, Pater amantissime, omnem Passionem tui dilectissimi Filii, ab illa hora qua in praesepio super foenum reclinatusα vagitum dedit, et deinceps pertulit per infantiles necessitates, pueriles defectus, adolescentiles adversitates et juveniles passiones, usque post horam illam qua inclinato capite in cruce cum clamore valido spiritum emisit Item in supple­ tionem omnium negligent!arum mearum, offero tibi, Pater amantissime, omnem conversationem illam sanctissimam, quae in omnibus cogitationibus, verbis et factis perfectissima ab hora qua missus ab arce throni introivit per aurem virginis in regionem nostram c tuus Unigenitus, usque post illam horam qua tuis paternis vultibus praesentavit gloriam carnis victricis d. 4. Ac deinde cum justum sit ut compatiatur tibi cor amici tui super omni adverso, rogo per Unigenitum tuum, in virtute Spiritus sancti, ut quicumque a me rogatus, vel alio modo inductus, voluntatem ad hoc inclinaverit, quod tibi ad laudem, defectum meum supplere vellet, etiam uno gemitu, vel alio quantumvis parvo, in vita mea vel post mortem meam ; ut pro ipso etiam suscipias hanc oblationem passionis et conversationis praedi lecti Filii tui, in emenda­ tionem et suppletionem omnium peccatorum et negligentiarum ipsius. Ad hoc obtinendum exoro ut apud te permaneat 2, 8 fundamentis : jam add. post corr. BW || 4, 7 meam om. W' 3 a. Lc 2, 7 H b. Matth. 27, 50 || c. Répons Descendit de la liturgie de Noël || d. Ancienne hymne Optatus, Ascension LE HERAUT. L. II. CH. XXII! 333 qu’en ressent et pourra encore en ressentir mon cœur, que votre toute bienveillante attention a ému jusque dans ses bases les plus profondes, vous seul le savez. 3. Aussi, sous l’inspiration de cette même émotion, je vous offre pour la rémission de mes fautes, ô Père très aimant, l’entière souffrance de votre Fils bien-aimé, depuis l’heure où, dans la crèche, couché sur la paille a, il fit entendre scs premiers vagissements, et dans tout ce qu’il supporta ensuite: besoins du jeune âge, faiblesses de l’enfance, adversités de l’adolescence, épreuves de la jeunesse, jus­ qu’à cette heure enfin où, sur la Croix, inclinant la tête, il rendit Fame dans un grand cri \ De même, pour sup­ pléer à toutes mes négligences, je vous offre, ô Père très aimant, toute la très sainte vie, si parfaite en toutes ses pensées, ses paroles, ses actions, de votre Fils unique, depuis l’heure où, venu du plus haut des cieux, il entra ici-bas grâce au message qu’écouta la Viergec, jusqu'à cette heure enfin où il fit paraître devant votre face de Père la gloire do son humanité victorieuse d. 4. En outre, comme il est juste que le cœur de votre ami1 compatisse à toutes vos épreuves, je vous demande par votre Fils unique, dans la vertu de l’Esprit-Saint, que qui­ conque, à ma prière ou sous quelque autre impulsion, se déterminerait à suppléer volontairement à ma négligence, en vue de votre louange, ne serait-ce que par un soupir ou quelque autre rien, tant au cours de ma vie qu’après ma mort, je vous demande de recevoir, à cause de lui aussi, l’offrande de la vie et de la passion de votre Fils bien-aimé, en correction et compensation de tous ses péchés et négli­ gences. Λ cet effet, je vous prie de garder inaltéré par devers vous ce désir jusqu’à la fin du monde, même après que votre I. Cf Appendice Les Amis de Dieu. 334 5 10 15 20 25 GERTRUDE D’HELFTA desiderium meum indefessum usque ad finem saeculi, etiam cum adhuc tibi gratia tua conregnavero in coelis. 5. Item pro gratiarum actione, in profundissimam abyssum humilitatis me demergens, cum superexcellonti mise­ ricordia tua simul collaudo et adoro illam dulcissimam benignitatem, qua, me sic deperdite vivente, tu Pater mise­ ricordiarum o, cogitasti super me cogitationes pacis et non afflictionis b, quomodo scilicet me sic multitudine et magni­ tudine beneficiorum tuorum exaltares, ac si prae cunctis mortalibus vitam angelicam in terris duxissem c; et hoc in­ choans in Adventu illo, antequam in Epiphania finirem vige­ simum quintum annum quadam turbatione, qua sic commo­ tum est cor meum, quod omnis juvenilis lascivia mihi desipere coepit. Tali modo praeparatum tibi aliqualiter cor meum, post inceptum vigesimum sextum annum, feria secunda ante festum Purificationis, in crepusculo diei illius, post Completorium, cum nocte jam dictae perturbationis, tu lumen verum lucens in tenebris, terminasti mihi etiam diem puellaris vanitatis obscuratum tenebris spiritualium ignorantiarum. Nam in hora illa evidentissime dignatione mirabiliter et supra modum delectabiliter aderas mihi, amicabilissima reconciliatione me cognitioni et amori tuo asso­ cians, et me ducens ad intima mea mihi ante horam illam valde incognita, mecum agere coepisti miris et occultis modis ut deinceps quasi in domo propria amicus cum amico, imo sponsus cum sponsa in corde meo delicias tuas jugiter cum anima mea posses habere. 6. Pro quo pietatis negotio diversis horis diversisque modis me visitans, sed specialius magis dignanter in vigilia sacrae 5, 2 me TZZ : meac ante corr. B tuae post corr. BW | 12 tibi : est add. W 5 «. 11 Cor. 1, 3 H b. Jcr. 29, 11, Introït du 23e dim ap. la Pentecôte || c. Antienne Gloriosus, Office de S. Benoit LE HÉRAUT. L. II. CH. XXIII 335 miséricorde m’aura appelée à régner auprès de vous dans les cieux. 5. De môme, en actions de grâces, me plongeant dans le plus profond abîme de l’humilité, je loue et adore en même temps la suprême excellence de votre miséricorde et l'extrême douceur de cette bienveillance par laquelle, Père des miséricordes °, au milieu de ma vie de perdition, vous m’avez témoigné des pensées de paix et non de mal­ heur \ en m’exaltant par la multitude et la grandeur de vos bienfaits comme si, meilleure que tous les hommes, j'avais vécu ici-bas une vie angélique e. Cette bienveillance a commencé en cet Avent qui précéda l’Épiphanie où je devais achever ma vingt-cinquième année. Mon cœur fut alors agité d’une sorte de trouble, perdant tout attrait pour les passions de sa jeunesse, et c’est ainsi que vous le prépariez, d’une certaine manière, à vous recevoir. J’étais donc déjà entrée dans ma vingt-sixième année, lorsque, le lundi avant la fête de la Purification, au crépuscule, après Complies et dans la nuit du trouble dont je viens de parler, prit fin aussi, par vous qui êtes la vraie lumière illumi­ nant les ténèbres, ce jour de ma vaine jeunesse tout obscurci d’ignorance spirituelle. Car, à cette heure, avec une évi­ dente et merveilleuse condescendance, avec une douceur incommensurable, vous m’avez manifesté votre présence qui, me rendant votre amitié, m’a donné part à votre connais­ sance et à votre amour et m’a appris à me recueillir au plus intime de mon être jusqu’alors bien inconnu de moi. Vos touches secrètes et merveilleuses ont commencé d’agir en moi pour que vous puissiez en mon cœur prendre de cons­ tantes délices à traiter avec mon âme, comme fait, en sa propre demeure l’ami envers l’ami ou mieux l’époux envers l’épouse. 6. Cet échange d’affection m’a valu, en maintes circons­ tances et de maintes manières, votre visite, mais avec plus de spéciale bienveillance en la Vigile de la sainte Annon- 336 5 10 15 20 5 GERTRUDE D’HELFTA Annuntiationis, tandem ante Ascensionem die quodam mane affectuosius incipiens et vespere post Completorium perficiens, hoc donum cum omni creatura stupendum et reverendum contulisti : quod scilicet ab illa hora usque in praesens nunquam ad oculi ictum sensi vel cognovi te cordi meo alienatum; quin semper adesse te scirem, quandocurnque ad interiora me direxi, exceptis semel undecim diebus. Quantis et quam plurimis omni acceptione dignis bonis, inter haec mihi salutarem praesentiam tuam gratiorem effeceris, cum nullis possim verbis explicare, da, dator munerum, ut proinde dignam tibi offeram hostiam jubilationis in spiritu humilitatis, et praecipue pro eo quod tam amoenam, secundum beneplacitum tuum atque meum, in corde meo tibi praeparasti inhabitationem ; quod nec de templo Salomonis, nec de triclinio Assueri legi vel audivi, quod mihi videatur praeferendum deliciis illis, quas cognosco gratia tua, teipsum tibi praeparasse in intimis meis et quibus concessisti me indignissimam pariter tecum frui tanquam reginam cum rege. 7. Inter quae et illa duo specialius praefero, quod scilicet impressisti cordi meo saluberrimorum vulnerum tuorum praeclara monilia, et ad hoc vulnus amoris tam evidenter et etiam efficaciter cordi meo infixisti, quod si nunquam ullam consolationem plus nec interius nec exterius mihi dedisses, in illis duobus solis tantam beatitudinem contulisti, si mille annis vivere deberem, singulis horis plus quam satis conso­ lationis, eruditionis et gratitudinis inde possem habere. 8. Addidisti etiam inter haec mihi inaestimabilem amicitiae 7, 4 otiain : tam W 1. Il s’agit évidemment ici du même incident qu’au chapitre II! (supra, p. 239). LE HÉRAUT. L. Il, CH. XXIII 337 dation, ainsi enfin qu’un certain jour, avant l’Ascension, où cette présence se fit plue affectueuse dès le matin pour s’aflirmer en plénitude, le soir, après Complies; et vous m’avez accordé cette grâce, digne de l’étonnement et du respect de toute créature, à savoir que, depuis ce jour jusqu’à l’heure présente, jamais, même l’espace d’un clin d’œil, je n’ai pu vous croire ni vous sentir détourné de mon cœur, et j’ai toujours eu la conscience de votre présence chaque fois que je me recueillais en moi-même, à l’excep­ tion d’une période de onze jours \ Comme je ne puis expri­ mer par des paroles la grandeur et le nombre de ces biens incomparables accompagnant votre présence qui est mon salut et la rendant encore plus agréable, donnez-moi, Dis­ pensateur de toutes grâces, de vous offrir désormais, en esprit d’humilité, une digne victime de jubilation, en gra­ titude surtout de ce que vous vous êtes aménagé dans mon cœur pour votre satisfaction et la mienne une si attrayante demeure. Tout ce que j’ai lu ou entendu dire du Temple de Salomon ou du Palais d’Assuérus ne saurait à mon sens être comparé à ces charmes que vous vous êtes préparés à vousmême au plus profond de mon être — je le sais par votre grâce — et dont vous m'avez accordé, malgré toute mon indignité, de partager la jouissance avec vous, en reine et en Roi. 7. Entre ces faveurs, il en est deux que je préfère plus spé­ cialement : à savoir, l’empreinte sur mon cœur de ces bril­ lants joyaux que sont vos plaies salvatrices et cette bles­ sure d’amour faite à mon cœur, si manifeste et si efficace. Ne m’eussiez-vous jamais plus donné aucune autre conso­ lation, visible ou secrète, ces deux dons à eux seuls ren­ ferment une béatitude telle que — dussé-je vivre mille ans — chaque heure de cette vie en recevrait une plénitude de douceur, de savoir et de reconnaissance qu’il me serait impossible d’épuiser. 8. En outre, entre tant de faveurs, vous rn’avez accordé 388 5 10 5 10 GERTRUDE D’HELFTA familiaritatem impendere, diversis modis illam nobilissimam arcam divinitatis, scilicet dei ficatum Cor tuum praebendo in copiam omnium delectationum mearum ; nunc gratis dando, nunc ad majus indicium mutuae familiaritatis illud mihi pro meo commutando; cum quo et tam occulta secretorum judiciorum simul et deliciarum tuarum mihi manifestasti, ac tam amicissimis blanditatibus animam meam multoties liquefecisti, quod si ignorarem abyssalem supere ffl tientiam dignationis tuae, mirarer si intelligerem te prae omni creatura soli dignae beatissimae matri tuae, tccum regnanti in coelo, tam dignantissimae blanditatis exhibuisse affectum. 9. Inter haec tamen leni blanditate quandoque perduxisti me ad salubrem cognitionem defectuum meorum, tamque amicabiliter in his pepercisti rubori meo, ac si tu, quod etiam nefas est dicere, dimidiam partem regni tui exinde amisisses e, si puerilem verecundiam meam vel in modico commovisses. Ita velut astuta quadam involutione revelasti mihi aliquo­ rum defectus tibi non placere; in quibus defectibus ad me rediens culpabiliorem inveni me quam aliquem illorum quos mihi praetendebas, cum tamen nec minimo nutu mihi unquam notificaveris quod defectus tales in me vel saltem modice unquam advertisses. 10. Insuper tam fidelibus promissionibus allexisti animam meam, qualiter mihi in morte et post mortem velles benefa­ cere; quod jure etiam si nullum aliud donum a te haberem, 9 a. Mc 6, 23 1. La phrase est difficile et la pensée demeure obscure. Un premier sens serait que la grâce mystique reçue du Cœur de Jésus est d'une telle nature que jamais l’intelligence humaine, d’ollo-rnême et sans lumière spéciale, ne pourrait comprendre qu’elle puisse être accordée à une créature ici-bas, fût-ce même à la plus éminente de toutes, la Vierge Marie. Les traductions se ressentent généralement de cette inter­ prétation, précisée par ce < fût-ce môme » qui n’est pas dans le texte; On trouve cependant aussi chez certains traducteurs une autre nuance LE HÉRAUT. L. 11, CH. XXIH 339 cette intimité sans prix de votre amitié, en me donnant, de diverses manières, pour l’abondance de ma joie, cette arche très noble de votre Divinité: votre Cœur déifié, livré généreusement ou môme — signe plus précieux encore de mutuelle intimité — échangé contre le mien. Que de fois, dans ce Cœur, vous m’avez révélé l’intime secret de vos jugements et de vos joies, et fondu l’âme sous vos caresses pleines de tendresse! Faveurs telles que, si je ne savais inépuisable le trésor de votre bonté, il serait surprenant que je pusse comprendre de quelles marques de votre toute bienveillante tendresse vous avez favorisé, entre toutes les créatures, la dignité unique de votre bienheureuse Mère qui règne avec vous dans le ciell. 9. Cependant, parfois, entre temps, d’une manière très douce, vous m’ameniez à prendre une conscience salutaire de mes défauts et vous étiez si attentif alors à ne pas m’en faire rougir qu’il semblait — est-il môme permis de le dire? — que c’eût été pour vous perdre la moitié de votre empire® que de troubler, si peu que ce fût, ma suscepti­ bilité d’enfant. Aussi, comme par un détour ingénieux, vous m’avez découvert en d’autres personnes des défauts qui vous déplaisaient; et, faisant retour sur moi, je voyais que de pareils défauts j’étais bien plus coupable que tous ceux que vous me désigniez, sans m’avoir cependant jamais laissé entendre, même par le moindre signe, que vous trou­ viez en moi la plus petite apparence de ces défauts. 10. De plus, vos fidèles promesses ont été pour moi un appât me montrant les bienfaits que vous vouliez me donner à l’heure de ma mort et après ma mort; et c’est à bon droit que, même si je n’avais reçu de vous aucun autre don, pour de la pensée, plus délicate et plus proche du texte. La grâce de l’intimité dans le Cœur de Jésus se présente à la sainte avec une telle plénitude qu'il lui faut faire un acte spécial de foi en l’infini pouvoir du Cœur Divin pour admettre quo de plus hautes grâces puissent être données à une créature, comme il en est pourtant certainement ainsi pour la Vierge Marie. 340 5 10 5 5 10 GERTRUDE D'HELFTA pro hoc solo jugiter viva spe anhelaret ad te cor meum. Nec sic quidem exhaustum est pelagus tuae incontinentissimae pietatis 4; quin orantem me frequentius exaudires tam incre­ dibilibus beneficiis, sive pro peccatoribus, sive pro animabus, sive pro aliis causis, quod nunquam inveni amicum cui sine haesitatione auderem notificare, sicut ego cognovi, propter pusillanimitatem cordis humani. 11. Ad cumulum ergo beneficiorum hoc addidisti quod mihi dilectissimam matrem tuam beatissimam Virginem Mariam in procuratricem praebuisti et me saepius affectui ipsius amicabiliter commendasti, sicut unquam diligentius fidelis sponsus dilectam sponsam propriae matri potuit com­ mendare. 12. Insuper in speciale ministerium deputasti mihi saepius nobilissimos palatii tui principes, non solum de choris Angelorum et Archangelorum, sed etiam altiorum, secundum quod pietas tua, benignissime Deus, mihi magis congruere judicabat, ut ad convenientiora sibi obsequia in spiritualibus exercitiis me promoverent. Sed cum ego indignissima degenerem ingratitudinem meam, cum tu dispensative ad majorem salutem meam, saporem delectationis ex parte subtraheres, statim quasi nihil valentia oblivioni traderem, si post tempus gratia tua contigit me resipiscere, et hoc quod amiseram sive qualecumque donum a te repetere, in ipso momento illud mihi illibatum resignasti, ac si ego diligentissima cura illud in tuum sinum mihi reservandum reposuis­ sem. 13. Super haec omnia, quod miro modo praeferendum est multoties, sed specialius in festo sacratissimae Nativitatis, et in una Dominica, scilicet « Esto mihi », et alia etiam 11, 2 dulcissimam WZi || 3 tribuisti TZ/ i| 12, 6 me om. T fi 6-7 me promoverent... cum tu om. Z om. ante corr. B II 9 subtrahens B 10 a. S. Jean Damascene, De dormitione 2, 16 LE HERAUT. L. II. CH. XXIH 341 celui-là seul mon cœur haletant ne cesserait de vous désirer avec ardeur. Et cependant l’océan de \rotre toute débor­ dante tendresse ne s’est pas ainsi épuisé ”, et constamment vous avez exaucé ma prière pour les pécheurs, pour mes amis et d’autres intentions, par des bienfaits si incroyables que jamais je n’ai rencontré d’ami auquel j’aurais osé en faire la confidence intégrale, trop lourde pour un cœur humain. 11. Pour mettre le comble à vos bienfaits, vous avez chargé de prendre soin de moi votre Mère bien-aiinéc, la bienheu­ reuse Vierge Marie, et, bien souvent, vous m’avez confiée tendrement à son affection, à la manière de quelque fidèle époux confiant avec soin à sa propre mère l’épouse aimée. 12. De plus, vous m’avez souvent député en missions spé­ ciales les plus nobles princes de votre palais, non seulement choisis dans les chœurs des anges et des archanges, mais aussi dans les chœurs plus élevés, selon ce que votre ten­ dresse, ô Dieu de toute bonté, jugeait mieux me convenir, afin que dans mes devoirs spirituels chacun me fit pro­ gresser dans le sens de la fonction qui lui est propre1. Pourtant, lorsque, dans un dessein salutaire, vous m’ôtiez en partie la douceur de la délectation, aussitôt avec une basse ingratitude, j’étais assez vile pour mettre en oubli les meilleurs dons comme tenus pour rien. Mais si, touchée de votre grâce, je me reprenais et vous redemandais quelqu’un de ces dons perdus, au même instant vous me le rendiez intégralement comme s’il eût été déposé par moi avec le soin le plus diligent en votre sein pour le conserver. 13. En outre, chose admirablement préférable encore, main­ tes fois, et spécialement en la sainte Fête de Noël, en tel dimanche Este mihi2, et aussi un autre dimanche après 1. Dans la théologie dionysienne ne sont envoyés auprès des âmes que les esprits appartenant aux chœurs inférieurs : anges et archanges. Sainte Gertrude proteste que même les esprits les plus élevés dans la hiérarchie peuvent être envoyés en mission, la nature de celle-ci étant en rapport avec l'activité céleste propre au rang de l’ange envoyé (cf. livre IV, 53). 2. Cf. Appendice : Esto mihi. 342 5 5 10 5 GERTRUDE D’HELFTA Dominica post Pentecosten, induxisti, imo rapuisti me ad talem tui unionem, quod supra miraculum miror quod post illas horas amplius potui vivere sicut homo inter homines, et quod magis stupendum imo horrendum in me est, quod heul defectus meos postea, ut jure debuissem, non emendavi. 14. Sed in his omnibus fons misericordiae tuae non est exsiccatus, o Jesu, omnium amantium amantissime, imo solus amans veraciter gratis et indignos. 15. Nam cum pro lapsu temporis milii vilissimae, indignis­ simae et ob hoc etiam ingratissimae, desipere inciperent talia, quae merito sine intermissione coelum cum terra inaestima­ bili extollerent tripudio, pro eo magis quod tu tam infinite summus, tam infinite extremae acclinare dignatus es, tu dator, renovator et conservator omnis boni per hoc me torpentem ad gratitudinem reexcitasti : quod scilicet quibus­ dam personis, quas novi tibi magis devotas et familiares, hoc de donis tuis in me revelasti, quod certissime scivi quod ab homine habere non poterant, cum ego hoc nulli hominum revelassem, et tamen ex eorum ore audivi verba quae ego in secreto cordis mei recognovi. 16. Cum his verbis et caeleris quae inter haec se memoriae meae ingerunt, tibi quod tuum est reddo, et per organum illud dulcisonum, scilicet divinum Cor tuum, per virtutem Spiritus Paracliti ea resonans decanto tibi, Domine Deus, Pater colendea, laudes et gratiarum actiones ex parte omnium, coelestium, terrestrium et infernorum *, omnium quae sunt, fuerunt, quaeque post futura sunt. 17. Cum igitur aurum colorum distinctionibus magis rutilet, et inter caeteros colores nigredo notabiliorem faciat distinc- 14, 3 gratis : ingratos T || 15, 4 tu pl : te BW se TZZ 15 a. Oraisons, passim, du missel et du cérémonial || 16 Office de sainte Agnès || Λ. Phil. 2, 10 a. LE HÉRAUT. L. 11, CH. XXIII 343 la Pentecôte, vous m’avez introduite, ravie même, en un tel état d’union avec vous que je m’étonne, plus que d’un miracle, d'avoir pu, après de telles heures, poursuivre une vio humaine, parmi les hommes, et, ce qui est stupéfiant et même horrible, hélasI de ne pas m’être depuis corrigée de mes défauts, devoir pourtant de stricte justice. 14. Mais tant de misères n’ont pu tarir la source de votre miséricorde, ô Jésus, le plus aimant des êtres qui aiment, ou, plutôt, le seul dont l’amour sincère et gratuit se tourne même vers d'indignes objets. 15. Car, commo avec le temps, toute vile, toute indigne et par là toute ingrate que je suis, je commençais de perdre le goût de ces grâces qui, pourtant, à bon droit, feraient continuellement bondir d’une joie sacrée sans mesure le ciel et la terre, en voyant surtout que votre infinie gran­ deur avait daigné s’abaisser jusqu'à mon infinie misère, c’est vous, Créateur, Rénovateur et Conservateur de tout bien n qui m’avez sortie de ma torpeur. Pour réveiller ma gratitude, vous avez révélé à plusieurs personnes, que je savais vous être plus particulièrement dévouées et unies, certains des dons que vous m’avez faits, et de ceux dont j’étais sûre qu’elles ne pouvaient les avoir connus par quelque tiers, car je ne les avais confiés à qui que ce fût, et cependant j’ai surpris sur leurs lèvres des expres­ sions que je savais n’appartenir qu’au secret de mon cœur. 16. Par de telles paroles et maintes autres qui montent avec elles à ma mémoire, je veux vous rendre ce qui est votre et que mou chant, ayant pour instrument mélodieux votre Divin Cœur, sous l’action de l’Esprit Paraclet, vous fasse entendre, Seigneur Dieu, Père adorable a, louanges et actions de grâces, de la part de toute créature au ciel, sur la terre et dans les enfers b, de la part de toute créature qui est, fut et sera à jamais. 17. Si l’or a plus d’éclat par le contraste d’autres couleurs, et plus spécialement par l’opposition du noir, en raison de 344 5 10 15 5 10 GERTRUDE D’HELFTA tionem, propter sui ab auro dissimilitudinem, addo etiam quod meum est, scilicet ingratissimae conversationis meae nigredinem contra tam divine splendentem erga me benefi­ ciorum numerositatem. Nam cum daro non posses alia dona quae te decerent, secundum tibi ingenitam regiam, imo divinam liberalitatem, ego etiam pro ingenita mihi rustici­ tate hoc aliter non suscepi, quam sicut decet vilissimam depravatricern. Et hoc idem naturalis tibi regia mansuetudo dissimulabat sic quod ideo nunquam minus mihi benefacere videbaris. Cum igitur tu cui in supercoelesti palatio paternae benignitatis suavis accubitus est, reclinatorium elegeris hospitari in meae paupertatis domicilio, ego degenerrima, incurialissima hospita negligent! studio tuo invigilare bene­ placito curavi, quod ex naturali humanitate merito diligentiori cura respicere deberem aliquem leprosum, qui post multae illatas mihi injurias et molestias, ex necessitate ad hospitium meum declinasset. 18. Item contra beneficium illud quod tu, vestitor siderum e, mihi impendisti in amoenosa intimarum mearum dispositione sanctissimorum vulnerum tuorum impressione, secretorum revelatione, et familiarium ac amantissimarum blanditatum exhibitione, in quibus dedisti mihi suaviores delectationes in spiritualibus experiri, quod, ut credo, si ab oriente usque ad occidentem mundum circuissem, in corporalibus possem invenisse, ego ingratissima contumeliam tibi inferens vili· pendi et exteriorem delectationem quaerens, caepe et allia nimis irreverenter tuo coelesti mannae praetuli. Promissio­ nibus autem tuis, o Deus verax sic diffidendo spei effectum averti, ac si homo mendax e esses, qui nunquam promissum persolvisses. 18, 6 quod : quam Zl || 12 qui : quasi TZ 18 a. Hymne Creator alme siderum, Avent || b. S. Augustin, Confessions 8, 10 || c. Ps. 115, 11; Rom. 3, 4 LE HÉRAUT. L. II. CH. XXIII 345 sa plus grande dissemblance d’avec l’or, j’avoue que tel est. mon cas, puisque la noirceur de ma conduite ingrate s’oppose au si divin éclat de vos innombrables bienfaits envers moi. Car, de même que vous ne pouvez accorder que des dons dignes de vous, en raison de la munificence royale, divine môme, qui vous est innée, de même, en raison de ma grossièreté innée, je ne pouvais les recevoir qu’à la manière d’une créature gâcheuse et toute vile. Il fallait encore la mansuétude royale qui vous est naturelle pour sembler si parfaitement l’ignorer qu’à la vérité vous n’avez jamais paru vous relâcher à mon égard de votre bienfaisance. Ayant votre demeure au haut du ciel dans le palais de la douce bonté du Père, vous avez voulu trouver un gîte dans la maison de ma pauvreté, et moi, hôtesse indigne et toute discourtoise, j’ai entièrement négligé le soin de veiller sur votre bien-être, alors que, par bienveillance naturelle, ce m’eùt été un devoir de m’occuper avec un soin plus diligent de n’importe quel lépreux qui, après m’avoir accablé d’injures et d’avanies, se fût trouvé dans la nécessité de recourir à mon hospitalité. 18. Do même, ô Créateur des astres e, en réponse à cette faveur que vous m’avez faite, dans la douceur la plus intime de mon âme, de l’impression de vos plaies sacrées, de la révélation de vos secrets, do la manifestation de vos caresses amoureuses et familières, qui m’ont donné de res­ sentir spirituellement plus de délectable suavité que, me semble-t-il, je n’en aurais pu jamais trouver dans tout le créé, même en parcourant le monde de l’Orient à l’Occident, je vous ai fait, dans mon immense ingratitude, l’af­ front de dédaigner vos faveurs et j’ai cherché ailleurs ma consolation, comme préférant aulx et oignons à votre manne céleste. Et je n’ai pu fairo acte d’espérance, ô Dieu de vérité parce que je manquais de confiance en vos promesses, commo si vous aviez été un homme menteur * et ne tenant jamais ce qu’il a promis. 346 5 5 5 10 5 GERTRUDE D’HELFTA 19. Item contra hoc quod indignis orationibus meis benigne acclinatus es, ego heul saepius induravi cor meum contra voluntatem tuam, in tantum (quod cum lacryxnis dicendum esset), quandoque dissimulavi intelligere voluntatem tuam, ne cogerer instigante conscientia perficere illam. 20. Item contra hoc quod mihi suffragia gloriosae Matris tuae, beatissimorumque Spirituum dignatus es praebere, ego miserabilis exteriorum amicorum suffragia quaerens, saepius eos impedivi, cum tibi soli jure intendissem. Cum etiam justum esset proinde quod tua suavitas dona tua inter negligentias meas mihi illibata conservat, ego majorem gratitudinem conciperem et ncgligentiarum cautelam, e contra tyrannico, imo diabolico more malum reddens pro bono magis assumo ausum vivere sine cautela. 21. Supra bis omnibus maxima mea culpa quod post talem tamque incredibilem, tibiquo soli cognitam tecum unionem, non pertimui animam meam rursus maculare defectibus illis quos mihi inhaerere ad hoc permiseras, ut tuo adjutorio certando eos devincerem, et inde majorem gloriam tecum in coelis aeternaliter possiderem. Nec in hoc defuit mihi culpa, quod cum ad excitandam in me gratitudinem amicis tuis secreta mea detegeres, ego, omisso eo quod tu intendebas, quandoque ex hoc plus humane gaudendo debita gratitudine tibi respondere neglexi. 22. Et nunc, o benignissime cognitor cordis mei, super istis et aliis quae horum occasione menti meae incidere possunt, ascendat ad te gemitus cordis mei °, et suscipe quam tibi offero querimoniam infelicitatum mearum nimium multa­ rum, contra tam divinae clementiae nobilem bonitatem tuam, cum ea nobilitate compassionis et reverentiae, sicut 20, 5 esset : ut add. TZZ || 22, 1 cognitor : conditor U || 5 divinae : divinam T divinitus l || clementiae om. TZZ om. ante corr. B 20 a. Jèr. 18, 20 || 22 a. Ps. 37, 9 LE HÉRAUT. L. II. CH. XXIII 347 19. De même, en réponse à l’attention que vous prêtiez avec bonté à mes indignes prières, que de fois hélas! j’ai endurci mon cœur devant votre volonté jusqu’à feindre parfois — ce qui ne se peut dire qu’avec larmes — de ne pas la com­ prendre pour ne pas être obligée, poussée par ma conscience, de l’accomplir. 20. De même, en réponse à la bonté que vous avez eue de m’accorder les suffrages de votre glorieuse Mère et, de tous les esprits bienheureux, je les ai souvent rendus inefficaces en recherchant misérablement les suffrages d’amis d’icibas, au lieu de ne compter, comme il se doit, que sur vous seul. Aussi, il serait juste que, dorénavant, puisque votre douceur a conservé intacts vos dons au sein de mes négli­ gences, j’eusse plus de gratitude et plus de vigilance contre ces négligences; au contraire, rendant le mal pour le bien “ comme font les tyrans et, plus encore, les démons, je n’en relire que plus d’audace à vivre sans précaution. 21. En plus de tout cela, ma grande faute, après une si incroyable union avec vous, dont vous seul pouvez vous faire une idée, est que je n’ai pas craint de souiller à nouveau mon âme de ces défauts dont vous aviez permis le maintien pour que j’en fusse victorieuse par ma confiance en votre secours et obtinsse ainsi éternellement plus de gloire au ciel près de vous. Et c’est une autre faute encore, alors que c’était pour exciter ma gratitude que vous découvriez mes secrets à vos amis, d’avoir méconnu ce dessein : en ces circonstances, j’ai négligé le devoir de vous rendre grâces, et la joie parfois ressentie n’était qu’un sentiment humain. 22. Que, pour toutes ces fautes et toutes celles qui, à leur occasion, peuvent se présenter à mon esprit, monte vers vous le gémissement de mon cœur a dont vous pénétrez avec tant de bonté le secret. Recevez mon regret des trop nom­ breuses misères par lesquelles j’ai offensé la si généreuse bonté de votre divine clémence; recevez-le, empreint de cette qualité de compassion et de révérence que vous nous 308 10 15 20 5 5 GERTRUDE D’HELFTA nobis dedisti nosse per amantissimum Filium tuum in Spiritu sancto, ex parte omnium coelestium, terrestrium et inferno­ rum b. Ergo ego cum omnino sim insufficiens ad promerendos dignos emendationum fructus, exoro pietatem tuam, dulcis­ sime amator meus, ut quorum corda noveris tibi tam devota fidelitate astricta, quod ex eo holocaustum emendationis te placare potuerit, ipsis inspires, ut defectum meum ultra modum ingruentem talibus donis tuis velint supplere gemitibus, sive orationibus, vel etiam aliquibus bonis ope­ ribus, tibi soli Domino Deo ad laudem debitam, quia ut tu, inspector cordis mei c, liquide cognoscis quod ad haec scri­ benda nihil omnino aliud coegit me nisi purus amor clemen­ tiae tuae laudis, quo post mortem meam plures ista legentes compatiantur benignissimae clementiae tuae, quod causa humanae salutis amor tuus unquam ad ima tantum debuit declinari, quod talia tam magna, tam que innumera dona permitteres sic vilipendi sicut ego heu! omnia dona tua in me depravavi. 23. Sed gratos qualescumque possum persolvo elementi mise­ ricordiae tuae, Domine Deus creator et recreator, pro eo quod desuper effluenti abysso pietatis tuae me certificasti verissime, quod quicumque etiam peccator, qui cum suprascripta intentione voluntatem suam ad hoc deflexerit, quod in laudem tibi mei memoriam facere voluerit, sive orans pro peccatoribus, sive gratias agens pro electis, sive etiam in quocumque opere benefaciens, quo devotius potest, nun­ quam praesentem vitam terminabit, antequam tu eum tali speciali gratia remuneres, quod tibi conversatio ipsius pla­ ceat, et etiam in corde ipsius habeas aliquam familiarem delectationem. Pro quo sit tibi laus illa aeterna quae de increato amore procedens jugiter refluit in teipsum. 14 incongruentem TW b. Phil. 2, 10 || c. Prop. 24, 12 LE HÉRAUT. L. Il, CH. XXIII 3.9 avez donné de connaître par votre Fils très aimant, dans le Saint-Esprit; recevez-le comme venant de toutes les créatures du ciel, de la terre et des enfers b. Et, puisque je suis entièrement incapable de vraiment mériter de dignes fruits de pénitence, je supplie votre tendresse, ô mon très doux Ami, d’inspirer aux âmes que vous savez vous être unies par une étroite fidélité, rendant leur sacrifice de péni­ tence digne d’apaiser votre justice, de compenser ma misère, qui s’oppose au delà de toute mesure ù la qualité de vos dons, par leurs soupirs, leurs prières, même par leurs bonnes œuvres, pour la louange due à vous seul, Seigneur Dieu. Car, par votre regard sur mon cœur c, vous savez claire­ ment qu’en écrivant ces pages, absolument rien d’autre ne me pousse que le pur désir de louer votre bonté, afin qu’après ma mort, ceux qui me liront soient touchés de votre bonté, car, dans son souci du salut des hommes, jamais votre amour n’a été tenu de s’abaisser plus pro­ fondément qu’en permettant que de si grandes et si nom­ breuses grâces rencontrent un mépris tel que le mien, dans la manière dont j’ai, hélas! laissé s’avilir en moi tous vos dons. 23. Mais, autant que je le puis, je rends grâces à votre clé­ mente miséricorde, Seigneur Dieu, Créateur et Réparateur, de l’assurance indubitable que, dans l’abondance inépui­ sable de votre tendresse, vous m’avez donnée à l'égard de quiconque, meme pécheur, s’appliquerait, pour vous honorer et dans l’intention que j’ai dite, à faire mémoire de moi : qu’il marque cette volonté en priant pour les pécheurs, ou en rendant grâce pour les saints, ou même en faisant quelque bonne œuvre le plus dévotement possible, et vous ne le laisserez pas achever sa vie terrestre sans lui faire celte grâce spéciale de tenir pour agréable sa conduite et même de prendre en son cœur quelque intime délectation. Que, pour cette faveur, vous soit rendue cette louange éternelle qui, procédant de l’Amour incréé, perpétuelle­ ment reflue en vous-même. CAPUT XXIV COMMENDATIO CONSCRIPTORUM 1. Eccc, amantissime Domine, talentum tuae dignantissimae familiaritatis mihi extremae vilitatis indignae creditum °, amore amoris tui* ad lucrum laudis tuae tam in praescriptis quam in postpositis expono; quia, ut certe spero, de gratia 5 tua secure profiteri, audeo, quod nunquam ulla causa me compulit talia scribere vel dicere, nisi tantummodo consensus voluntatis tuae, et desiderium laudis tuae, ac zelus ani­ marum. Teipso igitur teste, vero desiderio te laudari, et grates referri, eo quod incontinentissime pietas tua se 10 meae indignitati non subtraxit, et etiam in eo desidero te laudari, ut aliqui ista legentes in dulcedine pietatis tuae delectentur, et inde tracti in intimis suis ampliora experian­ tur, sicut per alphabetum ad logicam perveniunt quandoque studentes, sic per istas velut depictas imaginationes ducantur 15 ad gustandum intra se manna illud absconditum ”, quod nulla corporearum imaginationum admixtione valet partiri, sed solus qui edit adhuc esuritd. Quo nos, omnipotens omnium bonorum largitor Deus ·, sufficienter pascere digne- XXIV. 1, 8 vere desidero Ti vero desidero Z XXIV. 1 a. Maith. 25,14-301| b. S. Augustin, Confessions 2, 1|] c. Apoc. 2,17 H d. Sag. Sir. 24, 29 || e. S. Augustin, Confessions 3, G ÉPILOGUE Chapitre XXIV 1. Voici, très aimant Seigneur, que cette grâce de votre toute bienveillante intimité, talent confié à l'extrême misère de mon indignité c’est par amour de votre amour * et pour ajouter à votre louange que je la découvre en ces écrits et en ceux qui suivront; car j’ose aftïrmer en toute assurance que. par votre grâce —j’en ai la ferme confiance—, nul autre motif ne m’a poussée à écrire ou â parler sur de tels sujets, si ce n’est l’obéissance à votre volonté, le désir de votre gloire et le zèle des âmes. Vous en êtes témoin, c’est d'un désir sincère que je veux vous louer et vous rendre grâces de ce que votre débordante tendresse ne s’est pas dérobée devant mon indignité. Pareillement, je veux vous louer de ce que d’aucuns, en lisant ces pages, savoureront la douceur de votre tendresse et, ainsi attirés, connaîtront, dans l’intime de leur être, de plus hautes expériences. Car, c’est au moyen de l’alphabet qu’arrivent à la science de la philosophie ceux qui veulent étudier; ainsi, au moyen de ce qui n’est pour ainsi dire qu’imagés peintes, ces lecteurs apprendront à goûter au dedans d’eux-mèmes cette manne cachée c qu’il n’est possible d’allier à aucun mélange d’images matérielles et dont seul qui en a mangé éprouve à jamais la faim d. Daignez, Dieu Tout-Puissant, Maître généreux de tous biens ", ne pas nous priver de cette nourriture au 352 GERTRUDE D’HELFTA rie per totam hujus exilii viam, quoad usque revelata facio 20 gloriam Domini spéculantes, in eamdem imaginem Domini transformemur a claritate in claritatemz, tamquam a suavissimo spiritu tuo. 2. Sed interim, secundum tuum fidele promissum et inten­ tionis meae humile desiderium, praesta omnibus haec scripta causa humilitatis legentibus congratulationem tuae digna­ tionis, compassionem meae indignitatis, compunctionem ad 5 suimet profectum : quo ex aureis thuribulis charitativorum cordium ipsorum tam suavis redolentia ascendat ad te a, unde tibi omnis defectus ingratitudinis et negligentiac meae copiose suppleatur. 20 Domini1 om. T/1| 22 tuo : sancto add. TZ /. II Cor. 3, 18 fi 2 a. Apoc. 8, 3-4 r LE HÉRAUT. L. II, CH. XXIV 353 long tin la route de notre exil, en attendant que, contemplant à visage découvert la gloire du Seigneur, nous soyons transformés en cette même image du Seigneur, allant de clarté en clarté comme sous votre très suave souille. 2. Et, d’ici là, selon votre fidèle promesse et l’humble désir de ma volonté, daignez accorder à tous ceux qui, pleins d’humilité, liront cet écrit, un sentiment de gratitude pour votre condescendance, de la compassion pour mon indignité et un désir sincère de leur propre avancement, afin que de ces cœurs, encensoirs d’or brûlant du feu de l’amour, monte vers Vous le parfum le plus suavea capable de réparer surabondamment toute mon ingratitude et toute ma négli­ gence. TABLE DES MATIÈRES Introduction. Chapitre Premier. — Sainte Gertrude. 1. il. III. IV. V. Le monastère d’Helfta................................. Esquisse biographique et portrait.................. Les écrits.......................................................... Le style............................................................ Vie posthume.................................................. 7 13 21 25 30 Chapitre IL —Doctrine spirituelle. I. II. III. IV. V. VI. La « Conversion »............................................. Christocentrisme............................................ La pensée théologique................................... Vie spirituelle et mystique.............................. Les raisons d’écrire......................................... Maîtresse d’oraison........................................ 32 33 35 ^8 Chapitre III. - Diffusion de l’ouvrage. I. La tradition manuscrite................................. 11. Les éditions latines......................................... III. Les traductions françaises............................... IV. La présente édition......................................... V. Les citations marginales................................. Bibliographie........................................................ Sigles..................................................................... 'θ 356 TABLE DES MATIÈRES Le Héraut. Approbations des Docteurs............................................ Prologue .......................................................................... LIVRE PREMIER. La sainteté de 104 108 Gertrude. Portrait de sainte Gertrude (I)....................................... 119 Première Partie : Témoignages. 1. Témoignage de Dieu (II)..................................... 2. Témoignage des hommes (III)........................... 3. Témoignage de la vie (IV)................................. 129 133 143 Deuxième Partie : Témoignage des vertus. Le ciel de la sainteté : (V)........................................... 1. le soleil : justice (VI, VII, VIII)....................... 2. la lune : chasteté (IX)......................................... 3. les étoiles : confiance (X)................................. humilité (XI)................................. piété (XI, suite)............................... pauvreté (XI, suite)....................... discrétion (XI, suite)...................... autres vertus (XI, suite)............... 4. foudre et tonnerre: puissance de sa parole (XII) 147 151 161 165 171 175 179 183 183 185 Troisième Partie:Témoignage des miracles (XIII, XIV). Quatrième Partie : Appendices. 1. Raisons d’écrire (XV)......................................... 2. Nouveaux témoignages (XVI)......................... 207 209 Épilogue (XVII)............................................................ 221 r TABLE DES MATIÈRES LIVRE II. Mémorial 357 spirituel. Prologue........................................................................ 227 Première Partie (I à V)............................................... 229 Deuxième Partie (VI à XIX)..................................... 257 Troisième Partie (XX à XXIII)............................. 309 Épilogue (XXIV)......................................................... 351 SOURCES CHRÉTIENNES LISTE COMPLÈTE DE TOUS LES VOLUMES PARUS .V. B. — L’ordre suivant est celui de la date de parution (n° 1 en 1942), et il n'est pas tenu compte ici du classement en séries : grecque, latine, byzantine, orientale, textes monastiques d'Occldent; et série annexe : textes para-chrétiens. Sauf indication contraire, chaque volume comporte le texte original, grec ou latin, souvent avec un apparat critique inédit. La mention bis indique une seconde édition. I. Grégoire de Nysse : Vie de Moïse. .J. Daniélou, S. J., doyen de la Fac. cath. de Paris (3e édition). Sous presse 2 bis. Clément d’Alexandrie : Protreptique. C. Mondésert, S. J., prof, aux Fac. cath. de Lyon, avec la collaboration d'A. Plassarl, prof, ù la Sorbonne (réimpression 1961). 3 bis. Atiiénagore : Supplique au sujet de» chrétiens. G. Bardy. En préparation •1 bis. Nicolas Carasii.as : Explication do la divine Liturgie. S. Salavllle, R. Bornert, .1. Gouillard, P. Périchon (1967). 5. Diadoque de Photicé : Œuvres spirituelles. E. des Places, S. J., prof, à l’Inst. biblique de Rome (3e édition) (1966). G bis. Grégoire de Nysse : La création de l'honuno. J. Laplace, S. J., el J. Daniélou, S. J. En préparation 7 bis. Origéne : Homélies sur la Genèse. U. de Lubac, S. .L, prof, à la Fac. de Théol. de Lyon, et L. Doutreleau, S. J. En préparation 8. Nicétas Stéthatos : Le paradis spirituel. M. Chalendurd, doct. ès lettres (1945). Remplacé par le η·> 81 9 bis. Maxime le Confesseur : Centuries sur la charité. .L Pegon, S. J., prof, à la Fac. de Théol. de Fourvière. En préparation 10. Ignace d’Antioche : Lottree. — Lettre et Martyre de Polycarpe de Smyrne. P.-Th. Camelot, O. P., prof, aux Fac. dominie, du Saulchoir (3· édition, 1958). 11 bis. Hippolyte de Rome : La Tradition apostolique. B. Botte, O. S. B., au Mont-César. Sous presse 12. Jean Moschus : Lo Pré spirituel. M. J. Rouet de Joumel, S. J., prof, à l'Inst. cath. de Paris (trad, seule) (1946). Épuisé 13 bis. Jean Chrysostoms : Lettres à Olympias. Λ. M. Malingrcy, prof, à l’üniversité de Lille. Sous presse Trad, seule (1947). 14. Hippolyte : Commentaire sur Daniel. G. Bardy et M. Lefèvre (1947). Épuisé Trad, seule (1947). 15. Athanase d’Alexandrie : Lettres à Sérapion. J. Lebon, prof, à l’Univ. de Louvain (trad, seule) (1947). 16. Origène : Homélies sur l'Exodo. H. de Lubac, S. J., et J. Fortier, S. J. (trad, seule) (1947). 17 bis. Basile de Césakée : Traité du Saint-Esprit. B. Pruche, O. P. Sous presse Trad, seule (1947). 18. Athanase d’Alexandrie : Discours contre les païens. Do l’incarnation du Vcrbo. P.-Th. Camelot, O. P. (trad, seule) (1947). 19 bis. Hilaire de Poitiers : Traité des Mystères. P. Brisson, prof, à l’Univ. de Paris (1967). 20 bis. Théophile d’Antioche : Trois livres à Autolycus. G. Bardy et J. Sender. En préparation Trad, seule (1948). 21. ÉniéRIB : Journal de voyage. H. Pétré, prof, il Sainte-Marie de Neuilly (réimpression 1964). 22 bis. Léon le Grand : Sermons, t. I. J. Leclercq, O. S. B-, cl R. Dolle, O. S. B., à Clervaux (1964). 23 bis. Clément D’Alexandrie : Extraits do Théodoto. En préparation 24 bis. Ptolémée : Lettre à Flora. G. Quispel, prof, il l’Univ. d’Utrecht (1966). 25 bis. Ambroise de Milan : Des sacrements. Des mystères. B. Botte, O. S. B. (1961). 26 bis. Basile de Césarée : Homélies sur l’Hexaêméron. S. Giet, prof, à l’Univ. de Strasbourg. Sous presse 27 bis. Homélies Pascales, t. I. P. Nautin, Dir. d’ét. à l’Éc. des Hautes Études. En préparation 28 bis. Jean Chrysostome : Sur l'incompréhensibilité de Dieu. En préparation 29 his. Orioéne : Homélies sur les Nombres. J. Méhat, agr. de l’Univ. En preparation 30. Clément d’Alexandrie : Stromate I. C. Mondéserl, S. J., et M. Casier, prof, à l’Univ. de Toulouse (1951). Épuisé 31. Evsèbe dk Césarée : Histoire ecclésiastique, t. I. G. Bardy (réimpression 1965). 32 bis. Grégoire le Grand : Morales sur Job. R. Gillet, O. S. B., cl A. de Gaudcmaris, O. S. B., â Paris. En préparation 33 bis. A Diognête. H.-I. Marron, prof, à la Sorbonne (1965). 34 bis. Irénée de Lyon : Contre les hérésies, livre III. En préparation 35 bis. Tertullien : Traité du baptême. F. Refoulé, O. P. En préparation 36. Homélies Pascales, t. IL P. Nautin (1953). 37 bis. Orioène : Homélies sur lo Cantique. O. Rousseau, O. S. B., à Chevctogne (1966). 38. Clément d'Alexandrie : Stromate Π. P. Camelot, O. P., et C. Mondéserl, S. .1. (1954). Épuisé 39 bis. Lactance : De la mort des persécuteurs. 2 volumes. En préparation 40. Théodoret de Cyr : Correspondance, t. I. Y. Azéma, agr. de l’Univ. (1955). 41. Eusèdb de Césarée : Histoire ecclésiastique, t. II. G. Bardy (réimpression 1965). 42. Jean Cassien : Conférences, t. I. E. Pichery, O. S. B., à Wisques (réimpression 1966). 43. S. .Jérôme : Sur Jonas. P. An tin, O. S. B., à Ligugé (1956). 44. Philoxène de Mabdouq : Homélies. E. Lemoine (trad, seule) (1956). 45. Ambroise de Milan : Sur saint Luc, t. I. G. Tissot, O. S. B., à Quarr Abbey (1957). 46. Tertullien : De la prescription contre les hérétiques. P. de Labriolle et F. Refoulé, O. P. (1957). 47. Philon d’Alexandrie : La migration d’Abraham. R. Cadiou, prof, à l’Inst. catli. de Paris (1957). 48. Homélies Pascales, t. III. F. Floërl et P. Nautin (1957). 49'bls. Léon le Grand : Sermons, t. IL R. Dolle, O. S. B. En préparation 50 bis. Jean Ciirysostomb : Huit Catéchèses baptismales iné­ dites. A. Wenger, A. A., de l’Inst. fr. des Et. byz. Sous presse 51. Syméon le Nouveau Théologien : Chapitres théologiques, gnostiques et pratiques. J. Darrouzès, A. A. (1957). 23 52. Amuroise de Milan : Sur saint Luc, t. II. G. Tissot, 0. S. B. (1958). 53 bis. Hermas : Le Pasteur. R. Joly. Sous presse 54. Jean Cassikn : Conférences, t. II. E. Pichery, O. S. B. (réim­ pression 1966). 55. Eusèüe de Césarée : Histoire ecclésiastique, t. III. G. Barely (réimpression 1967). 56. Athanase d’Alexandrie : Deux apologies. J. Szymusiak, S. J. (1958). 57. Théodore de Cyr : Thérapeutique dos maladies helléni­ ques. 2 volumes. P. Canivet, S. J. (1958). 58. Denys l'Aréopagite : La hiérarchie céleste. G. Heil, R. Roques, prof, à la Fac. de Théol. de Lille, et M. de Gandillac, prof, à la Sorbonne (1958). 59. Trois antiques rituels du baptême. A. Salles, de 1 Oratoire (trad, seule) (1958). 60. Aelred de Rievaulx : Quand Jésus eut douze ans... Anselm Hoste, O. S. B., à Steenbrugge et J. Dubois (1958). 61 bis. Guillaume de Saint-Thierry· : Traité de la contempla­ tion do Diou. J. Hourlier, O. S. B., à Solcsmcs. Sous presse 62. IrénÉe de Lyon : Démonstration de la prédication apos­ tolique. L. Froidevaux, prof, à l'institut catholique de Paris. Nouv. trad, sur l’arménien (trad, seule) (1959). 63. Richard de Saint-Victor : La Trinité. G. Salct, S. J-, prof, à la Fac. de Théol. de Lyon-Fourvière (1959). 64. Jean Cassien : Conférences, I. III. E. Pichery, O. S. B. (1959). 65. GélaSE lor : Lettre contre les Lupercales et dix-huit messes du sacramentaire léonien. G. Poinarès, l>r en théol. (1960). 66. Adam de Persejgne : Lettres, t. I. J. Bouvet, supr du grand séminaire du Mans (1960). 67. Orioène : Entretien avec Héraclido. J. Scherer, prof, à l’Univ. de Besançon (1960). 68. Marius Victorious : Traités théologiques sur la Trinité. P. Henry, S. J., prof, à l’institut catholique de Paris, et P. Hadot, chargé de rech. au C.N.R.S. Tome I. Introd., texte critique, traduction (1960). 69. Id. — Tome II. Commentaire et tables (1960). 70. Clément d'Alexandrie : Le Pédagogue, t. I. H.-I. Marrou et M. Harl, prof, à la Sorbonne (1960). 71. Origène : Homélies sur Josué. A. Jaubert, agrégée de l’Université (1960). 72. Amédée de Lausanne : Huit homélies mariales. G. Bavaud, prof, à Fribourg, J. Deshusses et A. Dumas, O. S. B., à Hautecombe (1960). 73. Eusèue de Césarée : Histoire ecclésiastique, t. IV. Intro­ duction générale de G. Bardy et tables de P. Périchon (1960). 74. Léon le Grand : Sermons, t. III. R. Dolle, O. S. B. (1961). 75. S. Augustin : Commentaire de la 1'* Épître de S. Jean. P. Agaësse, S. J., prof, à la Fac. de Philos, de Chantilly (réim­ pression 1966). 76. Aelred de Rievaulx : La vie de recluse. Ch. Dumont, O. C. S. O., à Scourmont (1961). 77. Depbnsor de Ligugé : Le livre d’étincelles, t. 1. H. Rochais, O. S. B., à Ligugé (1961). 78. Grégoire de Narek : Le livre de Prières. I. Kéchichian, S. J. (trad, seule) (1961). 79. Jean Chrysostome : Sur la Providence de Dieu. Λ.-Μ. Malingrey (1961). 80. Jean Damascene : Homélies sur la Nativité et la Dormition. P. Voulet, S. J. (1961). 81. Nicétas Stétjiatos : Opuscules et lettres. J. Darrouzès, A. A. (1961). 82. Guillaume de Saint-Thierry : Exposé sur le Cantique des Cantiques. J.-M. Déchanet, O. S. B. (1962). S3. Didyme l’Aveugle : Sur Zacharie. Texte inédit. L. Doutreleau, S. J. Tome I. Introduction et livre I (1962). 84. Id. — Tome IL Livres II et III (1962). 85. Id. — Tome III. Livres IV et V. Index (1962). 86. Defensor de Ligugé : Le livre d’étincelles, t. II. H. Rochais, O. S. B., à Ligugé (1962). 87. Origène : Homélies sur saint Luc. H. Crouzcl, F. Fournier et P. Périchon, S. J. (1962). 88. Lettres dos premiers Chartreux, tome I : S. Bruno, Guigues, S. Anthelme. Par un Chartreux (1962). 89. Lettre d’Aristée à Philocrate. A. Pelletier, S. J. (1962). 90. Vie de sainte Mélanie. DT D. Gorce, Dr ès lettres (1962). 91. Anselme de Cantoruéry : Pourquoi Dieu s’est lait homme. R. Roques, Dir. d’ét. à l’Êc. prat. des Hautes Études (1963). 92. Dorothée de Gaza : Œuvres spirituelles. L. Régnault et J. de Préville, O. S. B., à Solcsmcs (1963). 93. Baudouin de Ford : Le sacrement do l’autel. .1. Morson, O. C. S. O., E. de Solms, O. S. B., J. Leclercq, O. S. B. Tome I . (1963) 94. Id. — Tome II (1963). 95. Méthode d’Olympe : Le banquet. H. Musurillo, S. J., prof, à Fordham Univ., V.-H. Debidour, agrégé de l’Univcrsité (1963). 96. Syméon le Nouveau Théologien : Catéchèses. Texte critique. Mgr B. Krivochéine et J. Paramelle, S. J. Tome I. Introduction et Catéchèse 1-5 (1963). 97. Cyrille d'Alexandrie : Deux dialogues christologiques. M. G. de Durand, O. P., prof, à l’institut d’Ét. Med.