REVUE THOMISTE REVUE DOCTRINALE DE THÉOLOGIE ET DE PHILOSOPHIE LXX1ÈME ANNÉE - T. LXII — N° i JANVIER-MARS 1962 202 REVUE THOMISTE l’objet d’une réflexion attentive, profonde, parfois même passionnée, il importe de se demander comment elle se situe par rapport à la grande tradition de Parménide. En effet, ceux qui viennent à l’être philosophique à partir de la théologie chrétienne sont naturellement exposés à se méprendre sur le sens des derniers développements d'une spéculation qui ne doit rien à cette source ou, en tout cas, entend fermement lui rester étrangère. Inversement, il n’est pas impossible que la remarque d’Aristote se soit vérifiée dans ce cas particulier. Il y a des vérités qui se perdent de vue ; elles tombent ur ainsi dire en désuétude, de sorte qu’elles ont besoin d’être découvertes à nouveau et qu’il leur arrive en effet de l’être. Rien de plus embarrassant pour ceux qui sont engagés dans une situation de ce genre, car ceux qui retrouvent d’anciennes vérités sont natu­ rellement jaloux de ce qu’eux-mêmes y ont mis du leur et qu’ils ne doivent qu’à eux-mêmes, alors que les héritiers d’une tradition dont ils se sentent débiteurs courent le risque de manquer ce qu’il peut y avoir de vérité nouvelle dans des doctrines qu’ils voient clairement différentes, mais sans comprendre tout à fait pourquoi elles semblent se vouloir hostiles. Même sans grand espoir de pénétrer le sens de pensées auxquelles on vient trop tard pour avoir vécu avec elles le temps qu’il faut pour les comprendre, on ne peut se retenir de s’interroger à leur sujet. (à suivre) Étienne Gilson, de ΓAcadémie française. Mariologie et Économie zi propos de la « virginité in partu » Le mot « Économie » désigne habituellement la communication que Dieu fait de lui-même, contre-distinguée de la réalité de Dieu en l’intime de lui-même : l’« Incarnation rédemptrice » et 1’« Économie du salut » désignent, respectivement en fonction de Dieu ou en fonc­ tion de l'homme, la même réalité. Nous conservons ce sens du mot économie : analysons-le brièvement. L’économie du salut est l’unité entre deux ordres : Dieu saint, qui sauve surnaturellement ; l’homme blessé en sa nature même par le péché. Ces deux ordres sont distincts, chacun ayant son unité propre ; ils sont un en un sens dans le Verbe incarné : comme ses deux natures, en vertu de sa Personne. Ces deux ordres sont un également en chacun des rachetés, ils sont un en Marie, la première rachetée. Si on appelle en général harmonie l’unité de deux ordres qui demeurent distincts, on dira que la structure de l'économie du salut est celle d’une harmonie, et que cette harmonie comporte des degrés. La sainte Vierge constitue l’un d’entre eux. Elle est du Christ, elle est elle-même ; l’un par l’autre. De cette connexion intime résulte que l’unité, en Marie, de l’ordre divin et de l’ordre hu­ main constitue le plus haut degré créé de 1’« Économie », c’est-à-dire de l’harmonie propre à l’incarnation rédemptrice1. Chacun des privilèges de Marie réfléchit d’une manière propre la perfection de l’harmonie propre à Marie. Il ne saurait y avoir à ceti. i. On peut exprimer la même chose autrement. La locution « ordre de Marie » désigne, selon l'acception usuelle du mot ordre, l'ensemble des réalités ayant rapport à la sainte Vierge. La perfection propre de cet ordre est manifestée par l’unité entre la théologie mariale et la mariologie : celle-ci considérant Marie en elle-même, celle-là Marie en son rapport au Christ. Distinguer ces deux points de vue ne doit pas diviser h doctrine mariale dont l’unité est fondée sur le premier. Et, si cela est possible bien que fort difficile, c’est précisément parce que Marie est Marie : parce qu'il y a un «ordre de Marie ». Faisons maintenant la « traduction ». Ce qu’il est habituel d’appeler « ordre de Marie », nous le désignons ici par harmonie : simplement par souci de pré­ cision. Lorsque deux ordres, ayant respectivement leur unité en fonction de leur principe, ensemble, constituent une autre unité, il convient, pour désigner cette troisième unité, d’employer un mot autre que « ordre » : et c’est 1’« harmonie ». Lorsque les éléments d'un ordre sont référés au principe d’un second ordre et ainsi intégrés à ce second ordre, il n’y a plus qu’un seul ordre. L’harmonie au contraire comporte deux ordres dont chacun conserve son principe propre. On voit comment ces précisions s’appliquent au cas présent et sont appelées par lui. Le « naturel » et le • surnaturel » sont un dans le Christ selon l’esse lui-même. Il convient donc de dire, même compte tenu de la précision de vocabulaire immédiatement proposée, qu’il existe un «ordre de l’union hypostatique ». On ne peut pas dire, au mente degré de précision, qu’il existe un « ordre de Marie ». Cette dernière expression, étant consacrée par l’usage, importe avec elle un sens intuitif qu’il convient de retenir. C’est ce contenu intuitif que nous désignons dans le texte par harmonie. Ajoutons que la distinction entre l’unité d’ordre et l’unité d’harmonie dépend, dans l’application concrète, du point de vue auquel on se place. Cela, bien entendu, limite la portée utile de la précision proposée. 204 REVUE THOMISTE égard ni aucune exception ni aucune substitution. C’est qu’en effet la perfection d’un ordre ou d’une harmonie se manifeste en ce qu’ils sont parfaitement présents en chacune de leurs parties. L’ordre ne fait pas acception en regard de ses éléments : il les constitue comme tels en vertu de son principe. Une hiérarchie de perfection peut exister entre les éléments d’un ordre considérés selon leur indivi­ dualité ; mais, considérés selon leur appartenance à l'ordre, ils en manifestent chacun toute l’unité et donc toute la perfection. Chacun, ayant son rôle propre, est pour autant irremplaçable. Ce serait donc minimiser l'harmonie de Marie que d’estimer secondaire tel de ses constituants : ce serait, nous paraît-il, en rester à un examen « péri­ phérique » de cette harmonie. Prenons une comparaison. Les diverses parties d’une cathédrale paraissent d’inégale importance. Par exemple la nef pourrait être ce qu’elle est sans l’adjonction de telle partie latérale non requise à l’équilibre des poussées ; et comme, au point de vue de l’usage, le vaisseau est le principal, on estimera à bon droit que les colonnes connexes dans la clef de voûte constituent la partie principale. D’au­ tres parties cependant sont architecturalement nécessaires ; et l’édi­ fice bien construit est celui dans lequel il n’y a pas de partie inutile, même au seul point de vue de la stabilité. L’« harmonie » persuasive que rayonnent les chefs-d’œuvre vient précisément de l'imité de deux ordres : l’un physique dont les constituants sont la pesanteur et le matériau, l’autre spirituel dont la fin est le symbolisme. Idéalement, le même élément doit être impéré, là où il est et pas ailleurs, à la fois selon ces deux ordres. Et, bien entendu, c’est l’ordre spirituel qui est dominant : lui seul, à la fois, concerne tout l’ensemble et inspire chaque détail : aussi, dans un véritable chef-d’œuvre, l’inutilité existe seulement pour l'observateur « pressé b1. i. Les fenêtres de telle abside ont été percées de telle manière que, chaque matin et tout au long de l’année, l’objet qu’éclairent en cette enceinte les premiers rayons du soleil soit le tabernacle. Cet aménagement est « secondaire », en ce sens que l’édifice resterait planté en terre si les ouvertures de l’abside avaient une autre forme. Mieux vaudrait dire, en employant le langage de la science moderne, que cet aménagement est un «effet du second ordre ». Le visiteur qui n’a pas le temps d’observer, ou ne sait plus le prendre, enregistrera tout au plus avec son guide : « On remarquera les curieuses fenêtres de l’abside. · Le calcul des fuseaux ogivés distribuant la lumière solaire au cœur du sanctuaire, et le calcul des colonnes maîtresses désignant de l’intime du sanctuaire sa fin qui est le ciel, ces deux calculs techniquement étrangers l’un à l’autre, cependant sont un : parce qu’ils servent la même idée : Dieu nourrit sa propre gloire de la communication qu’il fait de lui-même. Quiconque n’entre pas dans cette idée n’en apercevra, sans d’ailleurs les bien comprendre, que les «effets du premier ordre » : un vaisseau destiné à contenir une foule. La technique du percement qui vise une évocation précieuse mais si discrète, Lucerna ejus est Agnus (Apoc. xxi, 23): cette technique-là n’est qu’un «effet du second ordre ·. Il apparaît à qui réfléchit. Et alors il n’est plus du tout quelque chose de secondaire au sens trivial de ce næt· Achevons notre comparaison. Ce sont les effets du second ordre qui manifestent véritablement la nature de la gravitation. Les effets du premier ordre ne permettent de saisir qu approximativement Vessence de la réalité. Les effets du second ordre ne sont pas ceux du troisième ou du quatrième... ils ne manifestent donc pas tout : mais les ignorer systématiquement serait simplement se condamner à ignorer tout. Réduire à un sens seulement moral la virginité in partu équivaudrait, et pire encore, à ouvrir cid en'so^parfdt^^ret5i. 1*enCeinte ** d une ba5,licIue romane qui enclôt la lumière du MARIOLOGIE ET ÉCONOMIE 205 Ce qui déjà est vrai de l'œuvre de l’homme l’est primordialement de l'œuvre de Dieu, éminemment du chef-d’œuvre qu’est Marie. Murez l’abside, vous n’aurez plus la cathédrale : vous aurez autre chose, une salle commode sans doute. Laissez de côté un privilège de Marie, vous aurez un personnage utile pour l'Église : vous n'aurez plus Marie. Marie est Marie, pur chef-d’œuvre de Dieu. On le mécon­ naîtrait en refoulant dans la trivialité du « secondaire » ce qui en vérité est en Marie un « effet du second ordre » adéquatement expres­ sif de la sagesse divine. Nous pouvons maintenant préciser notre propos. La virginité in partu constitue un élément en fait nécessaire de l’harmonie mariale. Il suffit, pour le rendre manifeste, d’observer que l’existence et la nature de ce privilège ont l’une et l’autre une signification qui est double et une, conformément au mystère intime de Marie : elle est du Christ, elle est elle-même. Ce qui s’insère organiquement dans l’essentiel, cela découle de l’essence : tel est le cas de la virginité in partu. Nous verrons même qu’il ne s’agit pas seulement de la doc­ trine mariale mais de l’essence du mystère comme tel. Nous tenons pour dogmatiquement acquis le fait de la virginité in partu entendue au sens physique, le seul qui ne rende pas vain l’énoncé traditionnel \ Nous examinerons, autant que faire se peut, au second paragraphe, la nature du mystère. Rappelons tout d’abord la signification du fait lui-même. L’incarnation est une nouvelle présence ordonnée à la fois à la gloire de Dieu et au salut de l’homme, l’un s’intégrant à l’autre en l’unité du même dessein efficace. Les raisons de convenance en faveur de l’incarnation insistent sur l’une ou sur l’autre chose, mais elles tiennent nécessairement compte de l’une et de l’autre. Elles ne con­ cernent ni la gloire de Dieu en lui-même ni l’homme seulement en son état présent : elles sont fondées sur le Dieu Amour, condescendant i. R. Laurentis, Le mystère de la naissance virginale, dans Eph. Mar. X, i960, PP· 345'374 ; H.-M. Diepen, La virginité de Marie, λ signe du Verbe naissant », dans KT LX, i960, pp. 425-428 ; M.-L. Guérard des Lauriers, RT LIX, 1959, p. 751. — Les documents du Magistère affirment que l’enfantement est mirabile, singulare, nostrae naturae dissimilis, que la virginité qui n’est pas altérée est la virginité κατα çûaw. Enfin trois passages de la constitution Munificentissimus, de Pie XII [ier novem­ bre 1950, Λ/IS XLII, 1950, pp. 761, 765, 768], assignent la virginité dans l’enfante­ ment comme motif en faveur de l’Assomption. L’Assomption est un privilège singu­ lier, et il est singulier quant au corps. L’argument énoncé par Pie XII n’aurait donc aucune valeur si on devait entendre la virginité in partu en un sens seulement moral. Le caractère traditionnel de la doctrine de la virginité in partu entendue au sens physique a été établi par l’étude critique rigoureuse de Mgr G. Jouassard, Marie à tracers la patristique: Maternité divine, virginité, sainteté, dans Maria I, Paris, 1949, pp. 71-108. Mgr J. revient sur cette question dans un récent article où il étudie la position de saint Ambroise : Deux chefs de file en théologie mariale dans la seconde noiliédu IVe siècle: saint Épiphane et saint Ambroise, dans Greg. XLII, 1961, pp. 5-36 (notamment pp. 21-25). — Signalons enfin qu’un décret du saint-office a rappelé avec fermeté que la doctrine traditionnelle concernant la virginité in partu s’impose aux théologiens comme à tous les crovants : Document inséré dans Eph. Mariologicae XI, 1961, p. 138. Le document est interprété (p. 137) tel qu’il est : non pas comme interdisant de parler de la virginité in partu, mais comme interdisant cl en parler dans le sens condamné : sia vietata la pubblicazione di simili dissertazioni Jcf. BT X, 1957-I959. P· 716)- Le document est traduit dans la Documentation catholique LV III, 1961, c. 240. 2O6 REVUE THOMISTE au pécheur, ou bien sur la fin bienheureuse que l'homme tel qu’il est doit atteindre selon le dessein de Dieu. Il est clair d’ailleurs que pour justifier l’existence d’un rapport entre deux extrêmes, il faut tenir compte de chacun non tel qu’il est en lui-même mais tel qu’il est en regard de l’autre. La manifestation de Dieu à l’homme serait insuffi­ sante, même au seul point de vue de l’homme, si, Dieu assumant quelque chose de l’homme, la réalité assumée ne devenait par le fait même indicative de Dieu. Ce principe se trouve en fait mis en œuvre en chacune des « convenances de l’incarnation » énoncées par saint Thomas1. Il est même exprimé sous une forme maximale qui lui donne beaucoup de clarté. La divinité est au mieux manifestée par ce qui est propre à Dieu. Or Dieu a en propre de pouvoir modifier les lois de la nature dont il est l’auteur, en produisant une chose qui les dépasse2. Aussi des miracles ont-ils accompagné et prouvé l’incar­ nation. Et saint Thomas ajoute que si d’autres que le Christ ont accompli des miracles semblables aux siens, lui seul a agi en comman­ dant, ses disciples en priant. L’ordre de nature a donc été promu audessus de lui-même, soit pour être intégré à l’ordre hypostatique soit pour le désigner. Le miracle est, dans cette perspective, normal. Le goût du merveilleux a pu chercher à le multiplier. Le rationalisme voudrait maintenant réxâncer 3. La foi fait adhérer à la réalité, telle que Dieu la révèle immuablement. La virginité in partu est un mira­ cle ; ce miracle inaugure l’incarnation visible. La naissance virginale est comme la conception virginale : elles concernent un être humain, elles concernent Dieu ; elles sont commîmes et singulières. Elles ne sont pas contre nature, mais le sceau du miracle y est apposé : et ainsi, justement, elles désignent Dieu. Tout cela est parfaitement cohérent, et a été suffisamment mis en lumière pour qu’il ne soit pas utile d’insister. Pourquoi, donc, soulève-t-on à ce propos une difficulté qui devrait n’être pas particulière? Pourquoi les lois naturelles proscriraient-elles la virginité in partu, et non pas la résurrection d’un mort? La réponse, qui tient comme la question elle-même à la conjoncture présente, est à chercher en une certaine conception du mystère, âprement soute­ nue chaque fois que celui-ci touche aux réalités humaines « vécues ». Les croyants qui révoquent en doute la virginité in partu au sens physique ne contestent à Dieu ni la possibilité ni le droit de ressusci­ ter les morts. C’est qu'accomplir une résurrection est hors la sphère de l’action humaine : donc pas de rencontre sur ce point entre Dieu et l’homme ; partant, il n’y a pas à attendre que Dieu se conforme à l’homme : « Dieu est libre », pas de difficulté à admettre ce type de miracle pour qui croit en sa toute-puissance. Mais si Dieu naît ou croît ou meurt, le principe « tout est assumé sauf le péché » ne con1. Sum. theol III*, q. χ, a. 2 ; C. Gent. IV, c. 54, 55. 2. C. Goii. IV, c. 55, § η. 33 3. Cf. R. Lavrentis, art. cil. Nous renvoyons également à RT LIX, 1959, p. 750. MARIOLOGIE ET ÉCONOMIE 207 duit-il pas à affirmer que dans l’ordre humain rien ne distingue le Christ des autres hommes ? L'exclusivisme ne doit en général être confondu ni avec la rigueur ni avec la vérité. Il est, dans le cas présent, solidaire d’une interprétation unilatérale des convenances de l’incar­ nation : cela ne vaut guère qu’on s’y arrête. Mais comment se peut-il que l’autocritique n’écarte pas ces outrances ? Ici s’affrontent, à pro­ pos de l’incarnation, trois conceptions du mystère qu’il est opportun de rappeler brièvement. On les retrouve aussi bien au point de vue de la durée qu'au point de vue de l’être : auquel nous allons tout d’abord nous placer. Le mystère est, ontologiquement, manifestation dans un signe d’une réalité elle-même cachée. Il est essentiel au mystère d’être rela­ tionnel, c’est-à-dire d’inclure une relation en l'intime de lui-même. Cela est d’autant plus vrai que le mystère est plus parfait : en parti­ culier si le signe n’est pas seulement une désignation intelligible de la réalité, mais en assure également la présence. La présence est en effet le fondement d’une relation : relation de ce à quoi il y a présence à ce dont il y a présence. La présence n’est donc pas une relation, mais elle est concomitante à une relation : la preuve en serait que les modalités se correspondent : en particulier, réalité et réciprocité appartiennent ou non à la fois à la présence et à la relation qui la fonde. Le risque est toujours grand, on le sait, de confondre une rela­ tion avec son fondement ou avec ses extrêmes, c’est-à-dire dans le cas envisagé de confondre la présence avec la relation à la réalité présente voire avec cette réalité elle-même. C’est pourquoi les mys­ tères qui incluent présence sont les plus difficiles : et c’est à leur propos que l’on peut observer deux conceptions du mystère l'une et l'autre inadéquates. La relation à laquelle la présence est concomitante peut être rejetée en fait de deux façons : soit par la séparation soit par la confusion de ses extrêmes. Dans le premier cas, le mystère n’a d’unité qu’en vertu de la toute-puissance de Dieu : la réalité n’est plus, en fait, conçue comme étant présente dans le signe mais comme au delà du signe. Le signe n'induit pas intelligiblement à la réalité ; il en est une sorte de substitut. Seul l’acte d’une foi purement volontaire permet d’appré­ hender le rapport établi par le vouloir divin entre ce signe lui-même rationnellement connaissable et la réalité inaccessible. On voit que, selon cette première conception, le signe ne fait pas partie du mystère : on appelle en fait mystère ce qui est au delà du signe et qui est inac­ cessible à l’intelligence de quelque façon que ce soit. Nous appellerons légaliste cette théorie qui néglige, en même temps que la valeur propre de l'intelligence, l’unité de la relation en quoi consiste l’économie du mystère : les extrêmes en sont disjoints ; le signe n’est pas chargé de réalité, il ne fait que désigner un au-delà. La même prétérition de la relation peut avoir et a en fait une con­ séquence inverse : les extrêmes sont non plus disjoints mais confondus 20S REVUE THOMISTE et le signe absorbe la réalité à laquelle il devait simplement induire. Il perd du même coup son rôle, partant sa raison d’être véritable. Aussi l’existence du signe est-elle, selon cette conception du mystère, justifiée tout autrement : à savoir fonctionnellement, c’est-à-dire en fonction de l’usage qu’en fait l’homme. Et comme la réalité est, nous venons de le dire, absorbée par le signe à cause de la prétérition de la relation, il suit inéluctablement que la réalité elle-même est envisa­ gée non plus en elle-même mais fonctionnellement, en fonction du salut. Dès lors la réalité ne peut plus être normative pour le signe. Celui-ci, en définitive, est normé par l’exigence de l’homme. Et celleci devient inévitablement le principe fondamental quoique implicite aussi bien de 1’inférence théologique que de l’interprétation de la révélation. Cette tendance est actuellement dominante : et telle est la véritable cause du surgissement des « difficultés de croire » que prolifèrent à l’envi les différentes mentalités. Chacun a sa difficulté ; chacun vou­ drait la foi conforme à sa foi, c’est-à-dire conforme au signe qu’il se forge du mystère. Car, tout croyant l’admet, c’est bien la réalité que vise la foi ; mais si la réalité est conçue fonctionnellement, c’est-à-dire en fait par chacun en fonction de soi, le signe spécifié par le besoin de chacun prétend alors légitimement être la réalité : et chacun pré­ tend légitimement que sa foi est la foi. Le physicien récuse l’éternité telle que la conçoivent « les théologiens1 » et prétend lui substituer un étemisme issu d’une interprétation de la théorie relativiste. Le physiologiste récuse la ■virginité in paria telle que la conçoivent « les théologiens » et prétend lui substituer une virginité purement mo­ rale12. Nous nous bornons, mais il faudrait citer le sociologue, 1 histo­ rien, l'existentialiste..., tant d’autres. Chacun a sa difficulté et pré­ sente sa requête ; chacun enveloppe son argument de raisons qui, faute de prouver, visent à persuader. Ces arguments d’ailleurs s’entre­ choquent, se contredisent même3, ce qui n'est pas signe de vérité ; mais ils ont tous radicalement la même origine : à savoir la non-doci­ lité de la raison qui, au moins en fait, revendique la préséance de ses propres constructions sur la révélation divine : à tout le moins dans les cas où il y a confrontation entre les deux choses. C’est cela qui entraîne une altération de la notion même de mystère. Nous appel­ lerons fonctionnelle* cette théorie qui, tout comme la précédente, 1. Les auteurs qui professent la foi catholique ne peuvent, bien sûr, s’en prendre au dogme lui-même. La théologie sert de bouc émissaire. Le lecteur voudra bien croire que nous ne parlons pas ici dans le vague ; les références aux cas précis que nous visons, et dont certains sont assez connus, alourdiraient cette note. 2. Beaucoup plus noble bien entendu, puisque conforme à la science. Le dommage est qu on ne se préoccupe pas de savoir si cette interprétation est conforme à renseigne­ ment de Dieu. * au^sujet de Véternité lhistorien ne s>entendent ni au sujet de la durée ni partant .fonct.io,in(;1 eu deux sens différents, l’un particularisant siquc^tdl“«tP£ en lui donnant, selon le contexte, l’une ou l’autre acception. L’unité fonctionnelle du signe est ainsi mieux manifestée ; et l’équivoque n’est pas à craindre si on fonde comme il se doit l’ontologie du signe sur sa relation à la réalité transcendante. i. Ps> xi, 2. 210 REVUE THOMISTE signe réfère à la réalité. Que cette conception soit la vraie résulte de raisons que nous nous bornons à énoncer sans développement : elle prend pour base ce dont la carence rend antinomiques les deux pre­ mières conceptions ; elle est parfaitement cohérente : car elle assigne comme principe d'unité pour le double rôle du signe cela même qui en constitue l’ontologie, savoir sa relation à la réalité signifiée ; elle est enfin de nature analogique : insistons un peu sur ce caractère, il récapitule ceux qui précèdent et il sera particulièrement utile à notre dessein. Exprimons-nous à propos du mystère de l’incarnation, puisque d’ailleurs c’est de l’un de ces aspects que nous avons à traiter ; et faisons d’abord une remarque de nature inductive. Tout ce qui, en vertu de l’incarnation, devient, plus ou moins médiatement, relatif au Verbe incarné devient par le fait même signe du mystère : soit qu’il désigne la personne du Christ, soit qu’il la rende en quelque façon présente. Le signe est réel si la relation est réelle, le signe assure la présence dans la mesure et sous le rapport où il constitue le fonde­ ment d'une relation réelle, le signe est médiat si la relation a pour terme un autre signe et non la réalité elle-même, etc. Il ne s’agit d’ailleurs pas de dissoudre la réalité propre du mystère en un univers indéfini de signes dans lesquels il s’estomperait de plus en plus. Ce que nous faisons observer, c’est que le principe d’analogie est valable pour la notion du mystère examinée en troisième heu et pour elle seu­ lement. Que l’analogie n’entraîne pas imprécision, nous le confirme­ rons par l’« ordre hypostatique » : même entendu au sens le plus strict, et comme constituant en quelque sorte le noyau du mystère de l’incarnation, 1’« ordre hypostatique » comporte lui-même 1 ana­ logie. Au degré de précision où il est préférable de dire que l'ensemble des réalités concernant Marie constituent une harmonie plutôt qu'un ordre, il faut cependant maintenir que Marie appartient à l’ordre hypostatique1 : de par l’effet permanent qu’induit en elle l’acte qui la constitue toute relative au Verbe s’incarnant en elle. Mais la sainte Vierge ne fait pas partie de l’ordre hypostatique au même titre que l’Humanité assumée par le Verbe : il y a d’un cas à l’autre, analogie : analogie dont l’unité est fondée sur la référence à la personne du Verbe et dont la diversité vient des aspects sous lesquels cette réfé­ rence est réalisée. Le principe d’analogie se trouve donc bien con­ firmé : il vaut pour le mystère de l’incarnation considéré en général comme pour son aspect éminent qui est l'ordre hypostatique. Cette observation étant faite, il convient d’en rappeler la justifi­ cation. L'analogie est propre à l’être ; si elle est possible en ce qui concerne 1 essence du mystère défini de la troisième manière, cela vient de ce que la relation, élément principal de cette définition, est Academia mariana internationale, 1959. tome ïî, pp.^aÿ ACteS dU Congres’ Rome MARIOLOGIE ET ÉCONOMIE 211 une catégorie ontologique ; et nous entendons par là que la relation a, parmi les dix catégories, la propriété exclusive de se retrouver dans toutes les autres : la substance exceptée. Une théorie du mystère fon­ dée sur la réalité de la relation est donc ouverte à toute l’amplitude de l’être. Nous l'appellerons théorie réaliste : elle seule fonde suffisam­ ment l’aspect fonctionnel du signe : elle en garantit l'ordre interne et par le fait même l’intégrité. Nous pouvons maintenant comprendre toute la portée de la virgi­ nité in parla. Elle est, d'une part, intégrée au mystère de l’incarna­ tion ; elle est, dom Diepen l’a fort bien dit, le « signe du Verbe nais­ sant1 » : ce qui, du côté des dispositions créées et le plus immédiate­ ment possible, distingue la naissance du Dieu homme de celle des autres hommes. Mais elle porte d’autre part un enseignement géné­ ral : montrant Dieu naissant, elle montre également le sens du mys­ tère. La virginité in partu est, nous l’avons dit, un « effet du second ordre » ; elle exige une discrimination aiguë entre des conceptions rivales qu’estime également possibles l’interprétation des « effets du premier ordre1 2 ». D’une manière précise, la virginité in partii requiert la théorie réaliste du mystère, à l’exclusion des deux autres. Et les » difficultés » soulevées à propos de la virginité in partu signifient au vrai difficulté ou refus d’admettre une certaine conception du mys­ tère. Peu de mots suffiront à le montrer. Observons tout d’abord que cette connexion entre la virginité in partu et la structure de la foi est parfaitement pressentie par les théologiens qui tiennent à l’égard du privilège marial une attitude minimale, et qui se placent généralement au point de vue kérygmatique. Si véritablement ils tenaient ce miracle pour « secondaire », ils devraient tout simplement ne pas ajouter aux formules générales que justifie leur perspective une clause inadmissible : à savoir que ces for­ mules suffisent à exprimer toute la vérité 3. Que certains aspects de la doctrine révélée soient provisoirement laissés à l’arrière-plan dans une catéchèse visant un public sumaturellement peu instruit, nul n’en sera surpris ; mais pourquoi, dans ces conditions, devancer la curiosité de l’auditoire et lui présenter la « vérité diminuée » comme étant la vérité totale ? Le véritable enjeu n’est pas la virginité in partu : c'est une certaine conception du mystère. Les arguments qui prétendent réduire la virginité in partu la visent comme un cas par­ ticulièrement topique ; mais ils ont une portée beaucoup plus géné­ rale, cela seul explique le mode parfois âpre de leur présentation : leur intention profonde est d'éliminer tout ce qui s’oppose à une concep­ 1. Cf. H.-M. Diepen, art. cit., p. 425, n. 1. 2. Le «mystère du salut», la Rédemption, l’Economie, l’incarnation peuvent jusqu'à un certain point être expliqués à partir des théories du mystère que nous avons appelées légaliste et fonctionnelle. Le contenu est, si l’on peut dire, suffisam­ ment infini pour qu’il conserve consistance, même s il est inadéquatement exprimé. Il n’en est plus ainsi pour ces aspects que certains théologiens estiment secondaires. Minimisés, ils perdent leur raison d’être. . 3. K. Rahner, S. J., Marie Mère du Seigneur, Pans, éd. de 1 Orante, i960, p. 81. 212 REVUE THOMISTE tion humaniste de la foi. N’insistons pas davantage sur cette pre­ mière observation. Interpréter en un sens purement moral l'énoncé dogmatique de la virginité in partu, c’est en évincer le contenu et c’est s’opposer à la tradition. Chacune de ces deux raisons suffit à elle seule pour exclure cette interprétation. Mais les auteurs qui la soutiennent sentent du moins quelque chose de vrai, à savoir que la notion juste de la virginité in partu est intimement connexée à la notion juste du mystère. C’est ce que nous allons maintenant montrer. Le signe associé au mystère a, nous venons de le rappeler, deux rôles : être saisi par ceux à qui il s'adresse, désigner intelligiblement et même rendre présente la réalité. Ces deux rôles s’ordonnent mutuellement l’un à l’autre : et c’est en quoi consiste l’unité fonc­ tionnelle du signe. Comment maintenant concevoir la réalité du signe ? Les différences entre les réponses que font à cette question les trois théories que nous avons schématiquement distinguées tiennent à deux présupposés qu'une classification abstraite nous a conduit à énoncer séparément et qu’une vue réelle doit considérer conjointe­ ment. Ces deux présupposés sont : d’une part la manière de concevoir la relation, d’autre part l’aspect de la réalité auquel réfère le signe. La relation peut-elle avoir une réalité telle, qu’elle constitue une détermination réelle de son sujet ? Le « signe » qu'est la « virginité in partu » réfère-t-il seulement à la virginité morale de Marie, ou bien également à une réalité divine et transcendante ? L’interférence, fort complexe dans le concret, entre ces deux questions commande en fait l’option en faveur de l’une ou l’autre théorie du mystère. A la seconde question supposée disjointe de la première, l’enseignement qu’im­ porte avec elle la liturgie de Noël donne une réponse unanimement admise : l'intégrité corporelle de Marie dans l’acte de l’enfantement réfère à l’acte simple de la génération étemelle du Verbe. Mais quelle est la nature de cette référence ? Est-elle réelle ou seulement symbo­ lique ? Là est radicalement le foyer de divergence entre les différentes manières de répondre à la première question. Explicitons les deux membres de l’alternative. En premier lieu, si la référence de la virginité in partu à la réalité transcendante qu’elle symbolise est conçue comme une relation réelle, la détermination physique que constitue pour Marie elle-même la virginité in partu est fondée réellement en vertu de cette même réalité transcendante ; et réciproquement1. Cette mutuelle implication entre deux types de réalité : celui de la virginité in partu, celui de sa relation à la génération étemelle est un corollaire et même simple­ ment un aspect du privilège de Maternité divine. Marie est, toute, MARIOLOGIE ET ÉCONOMIE 213 faite pour être Mère ; elle est toute relative au Verbe s’incarnant en elle. Cette relationnalité concerne primordialement l'acte et l’opé­ ration de la toujours Vierge ; mais elle s'étend sous la forme d’un effet permanent à toute 1’ « harmonie » incluse en la personne de Marie : harmonie qui associe le naturel et le surnaturel, le corps et l’âme, qui partant concerne l’être même. La virginité in partu est, dans cette perspective, l’aspect corporel du fondement, réel et permanent en Marie, de la relation distincte et singulière qu’elle soutient avec la personne du Verbe et par conséquent avec la génération de cette même personne. Et, en retour, si on conçoit la virginité in partu de cette manière, c’est-à-dire intégrée au fondement réel d’une relation de Marie à l’Incréé, il suit que la virginité in partu détermine objec­ tivement et en fait*1 nécessairement l’être de Marie en vertu de cette relation. En second lieu, si la référence de la virginité in partu à la réalité transcendante qu’elle symbolise est conçue comme un pur symbole, la détermination physique que constitue éventuellement pour Marie la virginité in partu n’a de raison d’être et pour autant de réalité que comme signe de la virginité morale. Le symbolisme perd sa réalité en même temps que la relation sur laquelle il repose. Et il est, dans cette perspective, considéré comme appartenant à 1’« enfance » du savoir humain et de l’humanité. Celle-ci, maintenant parvenue à 1’« âge adulte », doit avoir une autre conception du mystère et forger, pour l’incarnation en particulier, d’autres schèmes de représentation. Et, réciproquement, si la raison d’être de la virginité in partu réside exclu­ sivement en ceci qu’elle est le signe de la virginité morale, sa réfé­ rence à la réalité transcendante n’est plus qu’un symbolisme de sur­ croît qui ne saurait être pris en considération dans une détermination théologique rigoureuse. L’interprétation qu’il convient de donner à l’énoncé dogmatique relèvera donc d’autres considérants. Voilà donc une alternative dont les deux membres s'excluent, en même temps que les deux manières dont ils fondent respectivement la réalité du signe. Le premier membre correspond à la théorie réa­ liste du mystère : il affirme une connexion en fait nécessaire entre la réalité physique de la virginité in partu et la réalité de l’incarnation ; autrement dit, il affirme que la virginité in partie entendue au sens physique est, nécessairement en fait, partie intégrante de 1’« Écono­ mie». Le second membre de l’alternative nie ce qu’affirme formel­ lement le premier : il ne nie pas immédiatement le caractère physique de la virginité in partu, mais il entend ne la faire dériver que de la virginité morale. La théorie fonctionnelle du mystère suit ce second membre de l’alternative. Cela est inéluctable. Cette théorie affirme en effet que, des deux rôles du signe, l’un de référer à la réalité trans­ cendante l’autre d’être saisi par l’homme, c’est le second qui est pri­ i I L En fait, c’est-à-dire étant présupposée ΓIncarnation. 214 REVUE THOMISTE mordial : or on ne peut affirmer comme réellement premier ce qui en fait ne lest pas qu’en excluant la considération de ce qui réellement et objectivement est premier. La théorie fonctionnelle entraîne donc, en vertu de son inspiration originelle, inévitablement en pratique quoi­ que peut-être à son corps défendant, l'exclusion du premier membre de l’alternative ; elle suit donc nécessairement le second membre. Nous allons achever de montrer que la théorie fonctionnelle est incompatible avec l’interprétation physique de la virginité in partu en examinant comment se présente, selon la logique interne de cette théorie, le rapport entre la virginité morale et la virginité in partu. L’option fondamentale se retrouve ici : ce qui est primordial c’est que le signe soit saisi par l’homme, c’est qu’il montre l’économie du salut telle que l’homme est appelé à la réaliser ; le signe, bien entendu, rient de Dieu et réfère à lui : mais l’un et l’autre est obscur et demeure implicite, il n’y a pas à en faire état. Or il est clair que la virginité in partu n’a aucune valeur d’exemplarité. Elle constitue un fait « a-normal », « extra-ordinaire » : alors que la naissance de l’Emmanuel « doit » justement rendre Dieu présent aux hommes du fait quelle s’insère dans le cours humain habituel, du fait quelle s’accompagne de toutes les circonstances habituellement concomitantes à une nais­ sance humaine. Dans ces conditions, la virginité in partu entendue au sens physique n’est plus qu’un miracle encombrant, vestige de l’imagination primitive éprise de merveilleux... et entachée de docé­ tisme osent ajouter certains théologiens. Ce qui peut être imité, ce qui est méritoire, ce qui en un mot mérite d’être intégré comme signe exemplaire et efficace à l’économie du salut, c’est le propos de virgi­ nité entendu au sens moral, c’est-à-dire tel que le définissent les mora­ listes1. C’est donc la virginité ainsi entendue qu’il faut retenir, et elle seule. D’ailleurs l'éminence du cas envisagé la rend parfaitement suffisante : selon la théorie fonctionnelle, qui suit nous venons de le voir le second membre de l’alternative, l’intégrité corporelle de la Vierge est en effet référée à Marie elle-même et non à la personne du Verbe s’incarnant en elle ; or la virginité de Marie est si parfaite qu’elle n’a nul besoin de « signe » : ce serait même méjuger la Vierge des vierges que d’estimer utile pour elle un appoint physique achevant dans son corps la virginité qui est parfaite dans son cœur. Tel est, en raccourci, l’argument développé par les partisans de la théorie fonc­ tionnelle. Que la conclusion soit inacceptable, quelle soit obtenue au prix de gauchissements souvent irrespectueux de la plus élémen­ taire expérience humaine, qu'elle soit en définitive fondée sur une conception de la virginité apparentée au docétisme quelle prétendait combattre, tout cela est assez manifeste et nous n’y revenons pas. Notre propos est autre : et c’est de montrer que le refus d’inter­ préter la virginité in partu au sens physique n’est qu’une sorte d’équi-i. i. Et même les casuistes... du xx« siècle. MARIOLOGIE ET ÉCONOMIE 215 phénomène théologique : le fait originel étant la théorie fonctionnelle du mystère. Nous pensons avoir montré que, d’une manière précise, il y a en fait implication mutuelle nécessaire entre cette théorie et ce refus. D’une part en effet, admettre la théorie fonctionnelle conduit à refuser l’acception physique de la virginité in partu : c’est l’enchaî­ nement que nous avons décrit ; d'autre part, refuser cette acception exclut la théorie réaliste du mystère, impose par conséquent la théo­ rie fonctionnelle L On voit donc que la virginité in partu n’est secon­ daire qu’en apparence. C’est au vrai un « effet du second ordre », dont l’interprétation détecte d’une manière précise la théorie générale du mystère dont elle dépend. L’intégrité corporelle de la Vierge Mère in partu est-elle le signe accessoire de sa virginité mentale, ou estelle le «signe du Verbe naissant »? L’Incarnation consiste-t-elle primordialement en ce qu’une réalité humaine de tout point identique à celles de son genre devient pour l’homme le sacrement de réalités divines, voire même remplit pour l’homme le rôle de Dieu ; ou bien l’incarnation consiste-t-elle primordialement en ce que la chair ellemême devient mystère ; l’incarnation doit-elle être conçue fonction­ nellement ou bien ontologiquement ? La question du réalisme de la virginité in partu contraint à une réponse catégorique : est est, non non : et non pas : « jusqu’à un certain point ». L’intégrité physique de la Vierge Mère est ou n’est pas : si elle est, comme il est dogmatique­ ment certain, cela requiert que la chair soit intégrée à l’ordre hypostatique en portant dans son être de chair le sceau du Mystère, cela requiert la théorie réaliste du mystère. Si l’intégrité physique n’est pas, cela rend possible la théorie fonctionnelle du mystère. Et c’est en fait parce qu’ils tiennent cette théorie que certains auteurs sont amenés à rejeter l’acception physique de la virginité in partu. La chose est assez importante pour qu’il soit légitime, en termi­ nant ce paragraphe, de l’exprimer autrement. Le choix auquel con­ traint le dogme de la virginité in partu, très précisément, ne porte pas sur deux conceptions du mystère mais sur l’ordre qu’elles sou­ tiennent entre elles et corrélativement sur la nature du dilemme quelles constituent. La théorie réaliste du mystère fonde en la réalité du signe l’ordination de ses deux rôles : d'abord désigner ou même rendre présente la réalité transcendante ; puis, par dérivation, être saisi par l’homme que la foi rend capable de la réalité transcen­ dante, et capable d’accueillir tel miracle qui la décèle. La théorie fonctionnelle du mystère minimise même le rôle fonctionnel du signe parce qu’elle n’en met pas en œuvre la réalité relationnelle1 2. La 1. Nous laissons de côté la théorie légaliste, qui a moins d’adeptes. Au point de vue précis de notre enquête, elle est à ranger avec la théorie réaliste ; mais ePe fonde sur la seule puissance de Dieu ce que la théorie réaliste fonde également et plus « propre­ ment » sur la réalité de la relation. . . . 2. Nul ne rejette explicitement cette relationnalité, ni dans 1 expression ni sans doute d’intention. Mais ce rejet est, dans l’ordre pratique, la conséquence ineluctable de la manière dont la théorie fonctionnelle envisage le mystère. 2l6 REVUE THOMISTE théorie réaliste conserve tout : elle le peut parce qu’elle interprète fondamentalement selon l’être ; la théorie fonctionnelle minimise parce quelle interprète originellement en fonction de l’homme, c’està-dire en fonction d’un mode de l’être. Les deux théories ne sont donc pas à parité et chacune impose une structure différente au dilemme qu’elles constituent ensemble : posée, la théorie fonctionnelle exclut l’autre ; posée, la théorie réaliste intègre l’autre. « Exclusion » ou « ordination ». Telle est en définitive la véritable alternative ; elle est en quelque sorte au second degré, elle porte sur deux manières de concevoir un dilemme et les deux membres s’en excluent : l'exclusion exclut l'ordination et réciproquement. C’est à cette alternative du se­ cond degré que le réalisme physique, la virginité in partu « effet du second ordre », contraint de donner la réponse catégorique qui est seule possible. Ce réalisme est, partant c’est 1’« ordination » qui est vraie : donc 1’« exclusion » est exclue, et avec elle la théorie fonction­ nelle. Telle nous paraît être la signification, double et une, du fait physique de la virginité in partu envisagé ontologiquement ; Marie est du Christ : l’intégrité physique de la Mère est le signe du Verbe naissant ; Marie est Marie : l’intégrité du corps de la Vierge montre le Mystère parce que la chair elle-même devient mystère. Le mystère est manifestation dans un signe d'une réalité cachée. Le mystère est permanence dans le développement. L’un suit à l’autre : la durée suit à l’être. Ce n’est pas le lieu d’analyser et d’éta­ blir ce principe : la doctrine thomiste de l’éternité suffirait d’ailleurs à en prouver la valeur. Notre propos est de montrer que la virginité in partu impère, au point de vue de la temporalité, une discrimina­ tion toute semblable à celle que nous venons d’observer au point de vue ontologique. Le Christ est né, il a passé sur terre, il n’y est plus : cela est révolu. Le Christ est dans la gloire in gloria Dei Patris, ad dexteram Dei1 : cela est étemel. L’Incarnation pour nous maintenant, ce n’est pas seulement Tune ou l’autre chose séparément, c’est leur connexion. Et se retrouvent ici les trois conceptions du mystère que déjà nous avons rencontrées : aussi serons-nous très bref, notre des­ sein n’étant pas de traiter pour elle-même la question du mystère. Eu égard à l’état terrestre et au mérite du Christ, Dieu donne la grâce à chacun des croyants jusqu’à la fin des temps : voilà la théorie légaliste. La théorie fonctionnelle va à l’autre extrême : l’histoire, pour elle, devient ΓHistoire ; et comme Γ Histoire est supposée domi­ ner en quelque façon le cours du temps, le Christ selon chacun de ses états passés est la cause à la fois exemplaire et efficace de la grâce que reçoit chacun de ses membres en son actuel présent. On retrouve bien, dans cette vue, à la fois l’inspiration et la lacune essentielles à la théorie fonctionnelle. Le signe est conçu primordialement comme I. Rom. VIII, 34 ; Col. ni, i ; etc. MARIOLOGIE ET ÉCONOMIE 217 saisi par l'homme : chaque membre reçoit du Chef, actuellement, immédiatement, et conformément aux états du Christ en sa vie ter­ restre. Cela est indubitable, et la théorie légaliste a tort de le négliger : elle introduit au fond, entre le Christ et chacun de ses membres, la médiation au moins virtuelle d’une sorte de capital acquis par le Rédempteur et providentiellement distribué au cours du temps. Le chrétien a plus que cela, il a le Christ agissant actuellement en lui, cette action étant réellement spécifiée par les états et dispositions que révèle l'Évangile. Forte de cette observation, la théorie fonction­ nelle impute, mais cette fois sans aucun fondement, à l’Histoire d’as­ surer cette immédiation des états passés du Christ au présent de cha­ cun de ses membres ; la théorie fonctionnelle écarte en fait toute réfé­ rence du « signe », ici tel état du Christ spécifié distinctement, à la réalité transcendante, savoir l’état glorieux du Christ. Pourquoi cette prétérition ? Nous pensons avoir montré qu’elle est pratiquement la conséquence inéluctable du minimisme métaphysique impliqué par l’option « fonctionnelle ». Ce minimisme a normalement pour corré­ lât, au point de vue de la durée, la prétérition de l’éternité : cela montre simplement que la cohérence d’une doctrine avec elle-même n’est pas un indice suffisant de vérité. Il n’y a pas plus « contact » direct ou causalité entre deux instants séparés qu’entre les états du Christ réalisés sensiblement il y a vingt siècles et les réalités spiri­ tuelles actuellement communiquées à ses membres. Ce qui, ici et là, rend possible l’instrumentalité de l’Humanité du Christ, c’est l’être : l’être divin de la personne assumante et l’éternité convertible avec lui. L’Histoire telle qu’en use la théorie fonctionnelle est d’ailleurs une sorte d’étemisme : deus ex machina qui usurpe le rôle que seul peut jouer véritablement l’éternité. Le temps ne peut cependant ni être gonflé d’éternité ni être négligé en regard de l'éternité : non plus que le signe associé au mystère n’est absorbant ou bien extrinsèque par rapport à la réalité qu’il désigne et rend présente. Le mystère n’est permanence dans le développement que si le signe assujetti à la temporalité manifeste une réalité immuable. Les deux définitions du mystère sont bien entre elles comme la durée et l’être : et les deux théories légaliste et fonctionnelle s’opposent selon les mêmes excès contraires aussi bien au point de vue de l’être qu’à celui de la durée. N’entrons pas dans l’analyse de ces principes fondamentaux. Il était opportun de les rappeler pour mieux poser la question à laquelle la virginité in partu apporte un élément de réponse, modeste mais simple et précis. L’Humanité du Christ est éternellement l’instrument de la com­ munication que Dieu fait de lui-même, et l’objet conjoint de la con­ templation bienheureuse. Cela est vrai en particulier et éminemment pour la sainte Vierge : qu’il s’agisse d’elle-même personnellement ou bien du rôle qu’elle joue, conjointement au Christ, pour chacun des rachetés. La virginité in partu, qui est d’ordre corporel, ne peut bien 2l8 REVUE THOMISTE sûr manifester qu’à ce point de vue la nature du rapport entre le Verbe incarné et sa Mère. C’est donc formellement et très rigoureu­ sement à ce point de vue qu’il faut se placer pour comprendre la discrimination qu’implique la virginité in partu entre les différentes théories du mystère. Le corps de Marie est comme celui du Christ dans la gloire ; le corps de Jésus fut, comme celui de sa Mère, dans la condition passible : la conversion de l’état passible en l’état impas­ sible concerne respectivement chacun de ces deux corps : et rien ne permet d’affirmer qu’elle se soit réalisée de la même manière pour l’un et pour l’autre. Ce n’est pas sur ce point que la virginité in partu peut apporter au moins directement quelque lumière. Mais d’autre part, ces deux corps furent sur terre l’un en l’autre et puis séparés l’un de l’autre ; glorieux, ils demeurent séparés l’un de l’autre : cela convient à leur dignité, à la fois génériquement et éminemment1. Le rapport entre le corps du Christ et le corps de sa Mère a donc reçu, au moment de la naissance du Verbe incarné, la détermination qu’il a toujours conservée. Cela, dira-t-on, est le fait de toute naissance : deux corps se séparent. Il convient toutefois d’observer que le corps de Jésus et le corps de Marie, à jamais incorruptibles l’un en fait l’autre en droit, sont toujours demeurés de vrais corps : quoi qu’il en soit de leur état passible ou impassible ; leur rapport comme rapport n’a donc jamais été altéré, quoi qu’il en ait été des modifications affectant respectivement ces deux corps mais respectant leur iden­ tité numérique. Cependant, il y a davantage ; et c’est ici, enfin, que la virginité in partit apporte sa contribution propre : elle fonde à la fois dans la réalité et selon l’intelligibilité la permanence absolue de la détermination que reçoit au moment de la naissance virginale le rapport entre le corps de l’Enfant et celui de sa Mère. Ce rapport, comme rapport nous y insistons, est éternellement dans la gloire identiquement ce qu’il fut en l’instant terrestre de la naissance. Voyons comment cette identité dérive de la virginité in partu et nor­ malement la requiert. La perfection d’un rapport est d'autant plus grande qu’il réalise mieux le type d’unité qui est en propre celui de la relation : à savoir la réciprocité. Or la réciprocité d’une relation requiert la similitude des termes qu’elle distingue et unit. La perfection du rapport entre Jésus et Marie exige donc, d’elle à lui, une similitude. Et, puisqu’il s’agit de l’ordre corporel, il convient d’examiner comment les carac­ tères qui conviennent au corps de Jésus conviennent également à celui de Marie. L’union in persona entraîne, pour la nature humaine assumée, la perfection connaturelle et l’ordination à la gloire. Ces deux choses sont intimement connexées. L’ordination à la gloire en pyticulkldc’nVœ^^ le refuse pour les corps gîoncux à cause de leur éminente ’Cependai,t’ i MARI0L0G1E ET ÉCONOMIE ; 1 < 2IÇ n’est pas seulement pour le Christ un droit certes infaillible mais abstrait : elle est inscrite en son être, au point que son état terrestre habituel constitue pour lui une « privation ». Exigence immanente d'épanouissement ultime, cette ordination à la gloire présuppose normalement la perfection de la nature : il convient que l’inférieur soit achevé dans son ordre s’il doit être promu à une perfection supé­ rieure. Enfin ces choses appartiennent à l’humanité du Christ, en particulier à son corps, d’une manière permanente. L’incorruptibi­ lité est, jusque dans l’état violent de la mort, le signe discret mais propre et infaillible de ce que ce corps demeure un vrai corps et de ce que sa perfection l’ordonne à la gloire en vertu de son apparte­ nance immédiate à l’ordre hypostatique. Ainsi, la perfection connaturelle et l’ordination à la gloire sont, pour le corps du Christ, des perfections qui dominent la différence entre l’état passible et l’état impassible : c’est ce que manifeste parfaitement l’incorruptibilité du corps inanimé. Ces données se retrouvent-elles en Marie? L’ordination à la gloire est impliquée par la conception immaculée ; mais c’est une ordination intime concernant l’être, à une gloire de Mère de Dieu, qui est acquise à Marie lors de l’Annonciation. La force d’immortalité a été, en la créature humaine vierge par excellence, si puissante de par Dieu et si libérée de par la pureté de cette créature qu’il est possible que Marie ne soit pas morte ; en tout cas, et de ceci tout le monde est d’accord, sa Dormition est exempte de toute corruption : le même sceau de l’incorruptibilité garantit, pour Marie comme pour Jésus, une permanence qui domine la différence des états passible et impas­ sible. Or cette permanence concerne indubitablement l’ordination intime à la gloire : elle concerne donc également la perfection origi­ nelle de la nature ; cette perfection est, corporellement, pour une vierge, l’intégrité : elle requiert pour Marie la virginité in partu. Ce privilège rend donc parfaite la similitude entre le corps de Marie et le corps de Jésus : il la fonde en nature. Il est même bien remarquable que ce soit au moment où ils achèvent de se distinguer que ces deux corps acquièrent respectivement l’achèvement de perfection qui les rend parfaitement semblables : l’un est constitué en son autonomie et croîtra selon son intégrité, l’autre déjà autonome est consacré en son intégrité. La naissance du Christ, accompagnée pour Marie de la virginité in partu, inaugure donc entre eux, dans l’ordre corporel, un rapport dont la perfection garantit l’immutabilité : la distinction par extraposition, l’unité fondée sur la similitude, la réciprocité qui dérive de l’une et de l’autre appartiennent à la relation entre ces deux corps maintenant glorieux, comme elles appartenaient à cette même relation au moment où Marie mit au monde son Enfant. Revenons maintenant aux trois théories du mystère, envisagé selon la temporalité. Que demeure-t-il, dans l’état de gloire, de 220 REVUE THOMISTE chacun de leurs actes terrestres, soit pour le Christ et pour Marie eux-mêmes, soit en ce qui concerne l’influence1 qu’ils ont actuelle­ ment en commun sur chaque racheté ? La théorie légaliste dissout la spécificité de chacun de ces actes en un droit global à la gloire ou à la rédemption active. La théorie fonctionnelle affirme, pour ces actes cependant passés, une efficacité actuelle conforme à leur nature. Nous avons déjà indiqué les difficultés opposées que présentent ces deux thèses, également ce que chacune affirme de vrai. Nous ne le rappe­ lons que pour montrer comment la virginité in partu justifie la théorie réaliste du mystère : elle est bien la vraie puisqu’elle assume ce que tiennent les deux autres, sauf les limites qui les rendent incom­ patibles entre elles. Un acte passé, en l’espèce la naissance virginale du Verbe incamé, peut spécifier un état étemel. La réalité sensible de l’acte a été, elle n’est plus : elle n’est, comme telle, ni présente dans l'état étemel du Christ et de Marie ni donc source d’une in­ fluence actuelle sur les rachetés. Mais cette réalité sensible a fondé une détermination ontologique, en l’espèce la relation entre le corps du Christ et celui de sa Mère, qui demeure immuable. Voilà, nous l’avons vu, ce que montre concrètement la virginité in partu. Elle impère donc le choix de la théorie réaliste selon laquelle les états passés du Christ et de la Vierge sont distinctement et respectivement principes pour eux de gloire et pour nous de grâce : non en vertu de leur réalité sensible à jamais révolue, mais en vertu de leur spécifi­ cation qui demeure éternellement. Le mystère est réalité cachée manifestée dans un signe, le mystère est permanence dans le développement : l’un suit à l’autre. A l’un comme à l'autre point de vue, la virginité in partu a une signification qui est double et une. Marie est Marie : elle est, jusque selon son corps, intégrée à l’ordre hypostatique ; et cela d’une manière qui est à jamais fixée en vertu de l’acte de son enfantement. Marie est du Christ. La virginité in partu, « effet du second ordre » de la Sagesse qui préside au mystère de l’incarnation, montre et pourrait-on dire démontre concrètement, à partir de ce mystère qui est par excellence celui de la manifestation, le sens de tout mystère, le sens du mystère : le signe est toujours neuf, toujours nouveau de génération en génération, et il est toujours même parce que primordialement il réfère à une réalité transcendante et immuable. Et ces deux significations sont la même chose : l’une se concrétise dans l’autre. Que la chair de Marie soit devenue mystère, voilà un signe étemel ; que ce signe revête un sens actuel, c’est clair : et ce qu’il montre pour lors, c’est que la théorie fonctionnelle du mystère est inadéquate, radicalement. Cunctas haereses sola interemisti. lion STtK’S*.la 0"«· MARIOLOGIE ET ÉCONOMIE 221 I Voilà pour le fait. Examinons maintenant la nature de la virginité I. in partu : afin d’en découvrir la signification tant pour Marie elleÎméme que pour Marie Mère du Christ. ♦ ♦ ♦ ’ : ' La virginité in partu est un miracle. Elle fait « difficulté » à cer­ tains parce qu’elle n’est pas selon l’habituel, voire parce qu’elle constituerait une impossibilité physique. On serait bien naïf de penser que cette « difficulté » soit née avec la physiologie savante ou qu’elle ait échappé aux anciens. Il ne faut d’ailleurs pas confondre la réalité physique du signe avec la signification en vertu de laquelle il s’in­ tégre au mystère de l’incarnation. Nous avons rappelé les raisons de convenance qui fondent, dans le mystère lui-même, la signification du signe. Ces raisons laissent évidemment entières les « difficultés » qui concernent en propre la réalité physique du signe. Il ne semble pas possible, à partir seulement d’un certain ordre, de postuler l’exis­ tence de choses qui lui sont contraires ; mais on peut et on doit mon­ trer que cette contrariété n’est qu’apparente, qu’elle recouvre une possibilité positive, à tout le moins qu’elle n’est pas impossibilité c’est-à-dire qu’elle n’implique pas contradiction1. Rappelons briè­ vement que l’un et l’autre a été fait, concernant la virginité in partu : nous marquerons ainsi que ces sortes de considérations doivent être maintenues. L’enfantement virginal est certes quelque peu secret : mais c’est un acte physique dont on connaît aussi bien le terminus a quo que le terminus ad quem : la question de sa nature se pose donc immédiatement. Saint Thomas s’exprime toujours à ce sujet d’une manière délicate ; mais il ne craint pas, en réaliste qu’il est, les expres­ sions propres : conveniens fuit ut de incorrupto virginis utero nasce­ retur1 2. Nous ne voyons pas au nom de quelle timidité il conviendrait de laisser au minimisme dogmatique le bénéfice de la précision en matière physiologique. 1. Tout mystère soulève des questions. Celles-ci se distinguent de l’énoncé dogma­ tique, à tout le moins comme le jeu de la raison se distingue de l’acte de l’intelligence. Ces questions, leur résolution éventuelle, jouent un rôle bien différent par rapport au mystère selon qu’elles ont ou non un sens indépendamment de lui. Les questions qui n’ont de sens et pour autant de réalité qu’en fonction du mystère ne peuvent pas même être à l’origine d’un argument de non-impossibilité. Par exemple la théologie de la Trinité soulève la question de l’unité entre la substance et la relation ; cette question est, en lumière naturelle, une question possible, mais sans contenu réel : devenant réelle en vertu du mystère, elle ne peut aucunement en induire la réalité. D’autres questions, par exemple celle de la connaissance naturelle de Dieu, acquièrent en fonction du mystère, ici celui de l’élévation à l’ordre surnaturel, un sens tout autre : leur résolution montre tout au plus une non-contradiction, à savoir entre leurs deux acceptions analogiquement semblables. Enfin il est des questions qui ont par ellesmêmes un sens qu’elles conservent dans leur rapport au mystère : tel est le fait phy­ sique de la virginité tn partu. Quelle que soit la signification qu’il acquiert en la naissance du Verbe incarné, il a une nature physiologiquement déterminée. Dans un pareil cas, la résolution de la question est requise à la possibilité du mystère, ou même peut constituer en sa faveur un argument de convenance. 2. ΙΠ*, q. 28, a. 2. 222 REVUE THOMISTE Voici d’abord les arguments visant à établir la non-impossibilité du fait physique de la virginité in partu. Ils sont de deux sortes. Les premiers relèvent de la qualité singulière du corps du Christ, mani­ festée par plusieurs miracles avant ou après la Passion. Saint Thomas refuse que le corps du Christ naissant fut doué de subtilité1 : avant la Passion, le Christ n’a pas laissé rejaillir sur son corps la gloire permanente de Tame. Avec saint Augustin12, saint Thomas invoque cependant en faveur de la virginité in partu l’entrée du Christ au cénacle portes closes, le transport sur la mer d’ailleurs communiqué... Cela montre très exactement la portée de l’argument. Ces faits, cer­ tains puisque décrits par l’Évangile, ne s’expliquent pas en vertu de propriétés que le corps du Christ n’avait pas encore : ils ont été accomplis miraculose per virtutem divinam3; puisqu’ils ont été possi­ bles, sans que le corps du Christ cesse d’être semblable au nôtre, rien ne peut à priori s’opposer à la virginité in partu, pas même le spectre du docétisme. Il existe une seconde sorte d’arguments montrant la non-impossi­ bilité de la virginité in partu : à la différence des premiers, ils en pro­ posent une explication possible. Ils envisagent les deux corps du Christ et de sa Mère, soit comme corps en général soit comme corps humains : d’où deux arguments de nature différente. Voici d’abord l’argument que nous appellerons cosmologique : le fait physique de la virginité in partu n’est pas impossible parce qu’il n’est pas impos­ sible que deux corps soient dans le même lieu. Saint Thomas l’expli­ que4, mais en inversant pour ainsi dire la question telle que la pose spontanément l’imagination. Celle-ci part de la dualité : deux corps, respectivement individués ; la question est alors de résoudre cette dualité dans l’unité ; comment deux corps peuvent-ils être dans le même lieu, l’expérience montrant que l’un « évacue » l’autre ? Mais on peut également partir de l’unité 5 : un même lieu, une même « enve­ 1. Cf. ib., ad 3“”. 2. Saint Thomas reprend l’argument à son compte ; cf. Compendium theologiae, c. 225, éd. Turin, 1954. P· n. 469. 3. ill*, q. 28, a. 2, ad 3um. 4. Ib.9 Suppl., q. 83, a. 3. 5. Il est aisé de voir que ces deux manières de poser la difficulté sont équivalentes ; en sorte que la réponse de saint Thomas vaut également pour la forme imaginative et commune de l’objection : « un corps qui occupe un lieu en évacue tout autre corps. » L’individuation a lieu par la materia signata quantitate. Cette thèse traditionnelle appelle quelques précisions. La quantité continue dont il s’agit ici a pour essence la divisibilité. Chaque partie virtuelle ne se distingue donc des autres que par relation également virtuelle a elles. Mais la quantité continue n’existe jamais à l’état pur. Indépendamment du sujet que, métaphysiquement, elle présuppose, elle est toujours déterminée par des limites qui jouent pour elle le rôle de forme et qui ressortissent a la qualité (figura et forma). Il suit que, intrinsèquement à toute quantité continue, et a toute partie d’une telle quantité, il y a deux principes de détermination différents Ils sont l un et l’autre fondés sur la relation ; mais Z’un est exclusivement relationnel: deux parties ne se distinguent l’une de l’autre réellement ou virtuellement qu’en raison de leiir mutuelle relation, réelle ou virtuelle ; Vautre est également formel: une 1 5a rê/érencc autres parties, mais ultimement par sa aJ0HA?pXJinlntifOrTne -de 1.enseiPblc· c'est-à-dire à la limite. C’est du principe formel / in lssue a defin,t,on également classique de la quantité : ordo partium in Mo. — Maintenant, concrètement et réellement, l’individuation par la MARIOLOGIE ET ÉCONOMIE 22β loppe ultime » ; la question est alors de maintenir la dualité : se peutil que deux corps distinctement individués soient circonscrits par cette même « enveloppe »? Cela n’est pas impossible : car, si l’indivi­ duation vient par la matière, elle concerne en définitive l’être même du corps considéré ; or Dieu, et lui seul d'ailleurs, peut conserver l’être d’une créature indépendamment des causes créées qui con­ courent à la produire : Dieu peut conserver l’individuation indépen­ damment de la matière quantifiée qui en est le principe prochain. La présence de deux corps distincts dans un même lieu est donc un miracle : elle ne se réalise en effet que si Dieu opère indépendamment de la causalité créée dont il fait habituellement l’instrument de la sienne ; mais cette présence simultanée n’est pas contradictoire. Le miracle de la virginité in partu n’implique donc pas contradiction, il n’est pas impossible. La non-impossibilité laisse ouvert le champ de l’analyse. Peut-on y découvrir une possibilité positive ? Ce ne peut être qu’en vertu d’une analogie empruntée à l’ordre naturel : puisque la révélation, si ferme sur le fait de la virginité in partu, est muette sur le comment. Cela certes impère la discrétion. L’exemple de saint Thomas serait d’ailleurs éloquent s’il ne se trouvait en quelque sorte hypothéqué par une position au moins contestable à l’égard de l’ImmaculéeConception : la comparaison de la maternité physique de Marie à celle de la femme en l’état d’innocence n’est pensable et possible que si, premièrement, la grâce de Marie peut être comparée à la grâce origi­ nelle. Comparer n’est pas identifier. Mais, en retour, le caractère originel de la grâce impartie à Marie rend possible qu’elle ait béné­ materia signata quantitate, et donc formellement et immédiatement par la quantité continue, met en œuvre simultanément les deux principes que nous venons de rappe­ ler: l’un exclusivement relationnel, l’autre également formel. Ces deux principes jouent deux rôles différents, analogiquement semblables à celui de la matière et à celui de la forme. Et c’est la confusion entre ces deux rôles qui donne naissance à l’objection de type imaginatif : < un corps qui occupe un lieu en évacue tout autre corps. » La représentation imaginative erronée consiste à attribuer au principe relationnel ce qui ne peut l’être qu’au principe formel. On estime que la matière physique du dedans d’un corps doit remplacer la matière physique du dedans d’un autre corps. Mais la matière conçue irnaginativement « au dedans », et donc dénuée de limite, est incapable d’individuer un corps ; les parties n’en sont individuées que relationnellementet cela vaut de la meme manière pour tout corps. Il est impossible, en fonction de œ seul point de vue, de dire qu’un corps doit chasser l’autre ; parce que, de ce même point de vue, ni l’un ni l’autre corps n’est individué. L’individuation et l’obser­ vation habituelle de l’éviction obligée d’un corps par l’autre requièrent l’une comme l’autre la mise en œuvre du principe formel. Ce que montre l’expérience sensible, ce n’est pas immédiatement qu’il y a substitution de la matière physique d’un corps à la matière physique d’un autre corps ; mais c’est qu’il y a éviction de la forme physique d’un corps par la forme physique d’un autre corps. Niais ces deux formes, physiquement différentes parce que fondant ultimement Γindividuation de deux corps physiquement différents, sont localement la même forme : elles coïncident l’une et l’autre avec l’« ultime surface du corps enveloppant ». Cette coïncidence de chaque forme physique avec la forme locale du contenant peut-eDe également être une coïn­ cidence simultanée des deux formes physiques ? L’expérience physique montre habi­ tuellement le contraire ; mais cette réponse négative recouvre-t-elle une impossibilité métaphysique ? Telle est en définitive la question à laquelle se réduit la difficulté présentée irnaginativement : « un corps doit chasser l’autre. » Or on voit que cette question, ainsi dégagée d’un halo fallacieux, coïncide exactement en sa substance comme en sa formulation avec celle que pose et résout saint Thomas. 224 REVUE THOMISTE ficié de certains des dons préternaturels habituellement attribués à l’état d’innocence. Nous n’avons d’ailleurs pas à discuter ici une question de fait, telle que la pose par exemple la Dormition de la Vierge. Il est certain que l’enfantement ne s’accompagne pour la Mère de Dieu ni de souffrance physique ni d’altération organique. Mais comment cela se fait-il ? La théologie a cherché à l’éclairer par comparaison avec l’état d’innocence : et cet argument, que nous appellerons physiologique, est devenu encore plus légitime après la définition de l’Immaculée-Conception. Saint Thomas tient après saint Augustin que, dans l’état d’inno­ cence impliquant la grâce surnaturelle et les dons préternaturels qui l’accompagnent, la génération eût été virginale. Le concours des deux sexes d’une part, la gestation et la parturition d’autre part eussent été l’un et l’autre requis, conformément à la nature de l'espèce hu­ maine ; mais ni l’un ni l’autre n’eût altéré l’intégrité féminine1. Cette manière de voir touchant la génération en général dans l’état d’inno­ cencei. 2, et la préservation de la Vierge Mère en son enfantement sin­ gulier se corroborent en quelque sorte mutuellement : la certitude de l’un affermit la plausibilité de l’autre ; mais la parfaite conformité du premier à l’exigence profonde de la nature manifeste mieux pour nous la sagesse du premier des miracles que Jésus fit sur terre, justement en faveur de sa Mère. Insistons un peu sur l’intuition augustinienne reprise par saint Thomas. Elle consiste à rattacher au péché ce que l’exercice de la génération comporte de désordre : l’argument est commun, mais il prend ici une forme précise qui en fait l’intérêt. Porter atteinte à 1 in­ tégrité a, en quelque ordre que ce soit, raison de violence. Le péché est une violence : il altère l’intégnté de l'ordre divinement établi ; la génération entraîne violence : elle altère l’intégrité féminine. D une violence à l’autre, quel rapport ? Le « medium », c’est la manière im­ modérée selon laquelle l’homme convoite d’abord la possession de soi c’est-à-dire de la personne, et par dérivation la possession de la proies c’est-à-dire de la nature. Le premier est intégré à l’orgueil qui est l’origine du péché ; le second se trouve inéluctablement appelé, i. /*, q. 98, a. 2, ad 4am reproduit un passage particulièrement topique de saint Augustin. — Il est à présumer, explique saint Augustin, que, dans la vie heureuse du paradis terrestre, l’homme pouvait user sans honte de l’appétit ordonné à la génération. Saint Augustin insiste d’abord sur le fait que toutes les fonctions ordonnées à la généra­ tion étaient, au paradis, soumises à l’empire de la volonté. Cela, selon lui, fonde suffisamment la conjecture qu’il est évidemment impossible de vérifier sous le régime du péché originel : · Ita tunc potuisse utero conjugis, salva integritate feminei geni­ talis, virile semen immitti : sicut nunc potest, eadem integritate salva, ex utero vir­ ginis fluxus menstiyi cruoris emitti. Eadem quippe via potest illud injici, qua hoc potest ejici. Ut enim ad pariendum non doloris gemitus, sed maturitatis impulsus feminea viscera relaxaret : sic ad fetandum et concipiendum non libidinis appetitus, PL XU naturam utramQue conjungeret », de Civitate Dei, XIV; xxvi, u^4dOUttSOUrire parlisans du minimisme. Le sourire et l’adoration Mv"” bie” MARIOLOGIE ET ÉCONOMIE 225 comme une sorte de compensation à l’échec du premier, par la même tendance qui s'estime frustrée parce qu'elle est originellement viciée. En tout cela donc, il y a violence : parce que l'immodération dans l’inclination à posséder, c’est l’absence ou même le mépris de ce modus selon lequel l’humaine raison devait être spontanément consentante à la sagesse de Dieu. Ni l’homme ni sa proies, ni la personne ni l’es­ pèce en définitive ne sont pour l’homme : tout est pour Dieu ; et, se porter vers quoi que ce soit d’une manière absolument incondition­ nelle, c’est faire violence à Dieu en s’attaquant radicalement à l’abso­ luité de l’ordre par lui établi. Cette violence, qui est d’abord dans l’esprit et dans la raison, se propage dans tout l’être humain : elle contamine l’impulsion de nature qui est à l’origine de la génération, et puis les actes impérés par cette impulsion, et par les actes les organes qui en sont les instruments. C’est la violence, c’est l’absence de modus, dans le désir de la proies, qui est la cause de la violence pâtie par le sujet du désir : et la violence est physique et elle est plus grande en celui des deux sexes en qui le désir de la φύσις est suscep­ tible d’atteindre son paroxysme. Il y a donc bien une continuité concrète très précise, au sein de l’état de péché, entre la violence attentée par le péché à l’ordre divin et la violence faite à l’intégrité corporelle par la génération. La perception aiguë de cette connexion induit saint Augustin à conclure que, sans le péché, il n’y aurait eu en quelque façon que ce soit aucune violence : la conception et la par­ turition eussent été des fonctions semblables à toutes les autres, n'ayant évidemment pas à altérer la structure des organes qui en per­ mettent l’exercice. Cette inférence acquiert bien entendu une valeur éminente et cogente s’il s’agit de l’enfantement d’un être qui est saint absolument par une créature en qui le péché n’a absolument aucune part. Où trouverait-on ici une cause de violence1? La mansuétude12 ne saurait être identifiée avec la non-violence dans un monde où il faut juger que le mal est mal et parfois s’y opposer : Jésus en a donné l’exemple. Mais la violence suppose toujours le péché. Et si Jésus vient en vue du péché à racheter, le péché est radicalement exclu non seulement de la personne du Verbe incarné mais de tout ce qui concerne son origine humaine et terrestre. L’intimité entre Dieu et l’homme est ici sans ombre : elle diffuse la paix que le sens chrétien a toujours associée au mystère de Noël comme étant sa note primordiale et propre : Et in terra pax... C’est en naissant que l’Emmanuel réalise excellemment le titre de Roi pacifique. Plus tard il sera signe de con­ tradiction3, il portera le glaive4 aigu de la Parole5, il établira sur 1. Cf. III··, q. 28, a. 2 : « Fas non erat ut per ejus adventum violaretur integritas, qui venerat sanare corrupta. » 2. Ce mot est généralement remplacé par « douceur » dans le vocabulaire moderne. 3. Luc. n, 24. 4. Apoc. i, 16. 5. Heb. rv, 12. RT 4 226 REVUE THOMISTE terre la division et non la paix1 ; et Marie elle-même sera transpercée en son âme2. Ce sera le temps de la vigilance3 onéreuse, et ce seront les violents qui emporteront le royaume4. Tout cela, qui est essen­ tiellement lié au péché, manifestera le Roi pacifique comme étant le Victorieux5. Mais au moment où il paraît, il est le Prince de la paix®. Au moment où Dieu réalise la promesse de Γ Alliance, où il manifeste jusque dans la chair l’ineffable génération immanente à lui-même, il ne peut y avoir que sainteté, et paix, intimité et harmonie. Le péché ne peut, pour lors, apparaître ; la violence partant est impos­ sible, la penser possible serait sacrilège. C’est en vertu même de la sagesse dont procède l’incarnation rédemptrice qu’aucune violence ne peut donc être portée à l'instrument parfait du dessein de Dieu : c’est là une raison plus originelle encore que la dignité éminente de la Vierge-Mère7 ou même que la piété filiale de son Enfant toutpuissant 8. La virginité in partu se présente donc dans cette perspective comme l’affleurement et le fruit en la personne de Marie de la paix substantielle que le Dieu-Homme porte en sa personne et en son être. Le Verbe naissant pose en sa Mère un signe ; il révèle aussi, par ce qu’il est lui-même, la nature de ce signe : suivons sa lumière. Le mot paix est chargé de résonances dont la richesse ne doit pas voiler l’origine précise. La paix est la fruition de l’ordre. Et il est opportun de rappeler ce que nous observions au début de cette note. Ce qui, dans le Verbe incarné, est ordre en vertu de l’unité qui lui est propre, est en Marie plus exactement harmonie : en elle, le naturel et le sur­ naturel sont deux ordres distincts jusque dans leur principe, mais ils constituent ensemble une unité qui les domine l’un et l’autre parce que Marie est du Christ. La virginité in partu, c’est d’une part la parturition qui appartient à la nature humaine en son état de per­ fection, c’est d’autre part l’accomplissement de cette perfection par le Verbe naissant. La perfection maximum à laquelle atteignent sans violence les ressources de la nature se réalise en se fondant sur une Perfection qui transcende absolument la nature. Voilà l’ordre et l’Ordre, voilà l’harmonie, voilà Marie. En vertu de l’acte par lequel elle met au monde son Enfant, sa chair devient mystère et sa chair accomplit l’intention divinement inscrite dans la nature : et ces deux 1. Luc. xii, 51. 2. Luc. h, 35. 3. Marc. xiv, 38. 4. Malt. xi, 12. 5. Apec. v, 5. 6. Is. ïx, 6. 7. ΠΖ\ q. 28. a. 2. 8. On pourrait également tirer argument de la joie qui accompagne toute naissance et qui de soi exclut toute cause de trouble. Il serait d’ailleurs aisé de rejoindre par là le point de \ue ontologique auquel la paix donne directement accès puisque la ioie est essentieUemen conscience d’être. Ga'udia Matris habens '■ “ P’"5·'” P»·· nature. MARI0L0G1E ET ÉCONOMIE 22/ choses sont un dans le corps de la Vierge Mère, non de par lui-même, mais de par la relation qu'il contracte immuablement avec le corps du Verbe incarné au moment où il lui donne d’être autonome. Voilà donc deux arguments, le premier cosmologique le second physiologique, qui sont l'un et l'autre susceptibles de résoudre la dif­ ficulté concomitante au mystère de la virginité in partu. Ils sont suffisants, et ont toujours été tenus pour tels : ils libèrent l’exercice de la foi en regard du légitime examen critique de la raison : « Je crois au fait, quoi qu’il en soit du comment. » La curiosité de la foi désire cependant davantage ; l’amour quête la connaissance : « Comment cela se fait-il ? » Dès lors il faut choisir entre les deux arguments. Ils correspondent en effet à deux explications différentes qu’il répugne de superposer : non qu’elles s’excluent, mais celle qui est la vraie doit à elle seule suffire. Nous allons indiquer très brièvement les raisons pour lesquelles nos préférences vont à l’argument physiologique : la virginité in partu n’est rien autre, comme fait physique, que la partu­ rition propre à l’état d'innocence. Il convient tout d’abord d’examiner si les hypothèses présumées explicatives sont conformes à l’économie générale du mystère. En particulier, toute violence doit être exclue ; ou, d’une manière plus précise, entre deux hypothèses plausibles l’une et l’autre, il faut rete­ nir celle qui importe au minimum raison de violence ; ce mot ayant bien entendu son acception technique : est violent ce qui est contraire à un certain ordre. Or chacun des deux arguments indiqués inclut un miracle : mais ces deux miracles sont de nature différente. L’unilocation de deux corps suppose nous l’avons vu que Dieu opère seul un effet que, ordinairement, il opère par une cause créée. Cela, bien en­ tendu, est parfaitement possible ; mais cela constitue une dérogation à un ordre établi ; lequel est pour autant jugé bon par Dieu luimême : il y a violence à l’égard de la cause créée dont l’exercice connaturel est suspendu. La parturition virginale passe-t-elle les res­ sources de la « nature pure »? en tout cas, elle est dans la ligne de la nature. Elle est contraire à l’ordre qui est habituel pour la nature déchue, elle n’est pas contraire à l’ordre établi originellement par Dieu. Elle n’est violente, et même nous ne l’appelons miracle, qu’en fonction d'un état qui lui-même est violent. Étant une promotion intime de la nature par son Auteur, et non une suspension ou une annihilation de l’élan interne de la nature, la parturition virginale ne comporte ni de soi ni à fortiori dans le cas de Marie aucune violence. Il suit donc que l’argument physiologique est plus conforme que l’ar­ gument cosmologique à l’exigence absolue d’ordre et d’harmonie qu'impliquent la venue de l’Emmanuel et la Sagesse qui y préside. En second lieu, il est normal que l’argument destiné à résoudre une difficulté corresponde au mystère auquel cette difficulté est con­ comitante. Or l'argument cosmologique ne fait pas état du caractère 228 REVUE THOMISTE spécifiquement humain des réalités que concerne le mystère de l’in­ carnation. Enfin, selon que le remarque saint Thomas1, il importe de juger de toutes choses conformément à leur nature, à moins qu’il ne s’agisse de réalités transcendantes que nous connaissons seulement par révé­ lation. Or la révélation propose le fait de la virginité in partu, mais ne dit rien de sa nature ; et comme la parturition est une réalité humaine, il convient d’en juger en se référant autant qu’il est pos­ sible à la « nature des choses ». Cette raison générale peut être mise en œuvre aussi bien pour écarter l’argument cosmologique que pour introduire l’argument physiologique. Observons, avant d’y procéder, que la « nature des choses » à laquelle il est légitime et normal de référer le cas envisagé ne peut coïncider avec ce qui est actuellement observable, puisque la sainte Vierge a porté et enfanté sans douleur. Cela accrédite la vue de saint Augustin et de saint Thomas. La « nature des choses » telle qu’elle est susceptible de normer la nais­ sance humaine du Christ, est ce qui, très vraisemblablement, était réalisé en l’état d’innocence. Cela posé, il convient d’écarter ou bien d’affirmer de la naissance virginale ce qui respectivement contrevient ou bien appartient à la parturition en l’état d’innocence. Or l’acte de parturition peut être envisagé comme opus operatum ou comme opus operantis. Examinons successivement l'un et l’autre. L’acte de parturition considéré comme opus operatum ne peut com­ porter d’une manière habituelle une unilocation de deux corps d’une part impliquée par la parturition supputée normale et d’autre part contraire à l’ordre habituel du cosmos matériel. Bien entendu, cette unilocation n’est pas impossible, nous l’avons dit. Mais, permanente, elle serait pour ainsi dire ataxique, en dehors de l'ordre : l’unilocation suppose en eSet la dissociation entre la causalité incréée et la causa­ lité créée, la seconde étant tenue en suspens ; or cette dissociation serait, comme l’unilocation elle-même, consécutive à l’existence d'un corps qui appartient à l’ordre cosmique et qui même couronne cet ordre parce qu’il est l'instrument d’une coopération consciente et éminente entre la causalité créée et la causalité incréée. Il n’est pas conforme à la sagesse que l'unité entre ces deux causalités se trouve tenue en suspens en cela même qui en constitue l’achèvement. Il ne convient donc pas qu’en l’état d’innocence un corps humain naquît d’un autre, ces deux corps ayant un instant et partiellement le même lieu. En conséquence il convient d’écarter l’argument cosmologique en ce qui concerne la virginité in partu. D autre part, l’acte de parturition considéré comme opus operantis requiert de la part de la mère un concours actif. Ce concours doit même constituer un acte éminemment humain. Nous n’avons ni la compétence ni d ailleurs la curiosité d’analyser en l’occurrence l’in-i. i. /», q. 99, a. i. MARIOLOGIE ET ÉCONOMIE 22Ç teriérence entre l’agir et le pâtir, l’un concomitant à l'autre. Il est toutefois aisé d’observer que le pâtir est en l’espèce l’un des châti­ ments du péché qui concernent en propre la femme1 : il ne fait pas partie de l’ordre établi par Dieu ; il ne doit donc pas masquer ce qui est de droit, dont il demeure d’ailleurs un signe évident, à savoir la joie attachée à l’enfantement. Cette joie semble être le secret des mères et l’une des plus hautes qui soient dans l’ordre humain1 2; la joie authentique étant substantiellement conscience d’être, la joie de l’enfantement manifeste celui-ci comme une actualisation éminente quoique para-conceptuelle de la conscience d’être humain. L’acte de parturition est donc bien, en dépit de l’alourdissant pâtir consé­ cutif au péché, un acte éminemment humain. Et il est clair que ce caractère appartient à l’enfantement du Verbe incarné plus qu’à tout autre. Revenons maintenant aux deux arguments entre lesquels nous avons à choisir. L’explication cosmologique d’une naissance virginale annule le concours actif de la mère. Elle comporte en effet un miracle qui consiste, nous le répétons encore une fois, en ce que l’exercice de la causalité créée normalement mise en œuvre par Dieu est suspendu. Ce qui est obvie au sens commun a donc en l’espèce un fondement métaphysique rigoureux et inéluctable. Selon l’argument cosmolo­ gique, une parturition virginale consisterait bien en ce qu’un corps humain procède véritablement d’un autre ; mais la mère assisterait à la naissance de son enfant plutôt qu’elle ne le mettrait au monde. Cela n’est pas impossible ; mais c’est une hypothèse inacceptable, parce que non conforme à la « nature des choses », à la réalité humaine telle quelle est observable. Ajoutons que cette disharmonie impliquée par l’argument cosmologique serait particulièrement manifeste dans le cas de la sainte Vierge. Elle met Jésus au monde, dans ce monde ; elle le montre3, elle le donne. Tout cela est actif 4. L’argument cosmo­ logique, qui échoue à en rendre compte, ne sied donc pas. Il nous reste à observer que l’argument physiologique tel que l’en­ tendent saint Augustin et saint Thomas montre au contraire avec exactitude le rôle joué par la mère dans la parturition : en particulier et éminemment si celle-ci est virginale. Ce rôle est actif certes, mais nous avons observé que, d’une manière précise, il consiste en ce que la femme pose, en donnant naissance à un enfant, un acte éminem­ 1. Gcn. in, 16. — Il est d’ailleurs bien connu que les vierges ont des niidadies à elles particulières. Le châtiment ne fait pas acception, bien que l’effet en soit divers tant par le mode que par l'intensité.. 2. Jésus lui-même parle de cette joie : Jo. xvi, 21. 3. Les Mages viennent adorer le roi (Us Juifs (Mail. 11, 2) ; ils trouvent Γ Enfant avec Marie sa Mère (Matt. 11, 11). La mère montre l’Enfant, c’est son rôle ; elle s’efface en montrant son Enfant — Nobis post hoc exilium ostendi. Il y a une épiphanie étemelle concomitante à la contemplation bienheureuse de l’Humanité du Christ, et à laquelle la sainte Vierge a commencé de coopérer lors de la naissance de Jésus. 4. Nous laissons de côté la question de savoir comment ce concours actif est radi­ calement subordonné à J’opération du Christ. 230 REVUE THOMISTE ment humain : cette qualité est voilée par les conséquences du péché originel mais elle n’est pas abolie. Or ce qui caractérise le processus de génération en l’état d’innocence, ce qui explique le mode virginal de la conception et de la parturition qui en sont les extrêmes, c’est, nous l’avons analysé un peu plus haut, le modus, la mesure impérée par la raison ; autrement dit, c’est que tout acte concourant à ce pro­ cessus est parfaitement un acte humain : tandis que, dans l’état de péché, le même acte déchoit au moins en fait de cette dignité bien qu’il en conserve l’exigence. L’argument physiologique concernant la virginité in partu revient donc à affirmer que l’acte de la parturition est parfaitement un acte humain. L’argument est donc rigoureuse­ ment cohérent avec la nature de la réalité humaine telle quelle demeure observable bien que voilée dans la nature blessée. Nous concluons donc que, si la virginité in partu paraît un miracle « vio­ lent », c’est-à-dire contraire au cours habituel des choses et à des schèmes de représentation indûment érigés en loi, cela vient de ce que l’on juge en fonction d’un état qui lui-même est « violent », c’est-àdire contraire à l’ordre institué originellement par Dieu. La virginité in partu c’est, réalisée par une créature toute vierge et toute relative à son Créateur devenant son Enfant, la perfection dont est capable l’humaine nature en fait de communication d’elle-même. La virginité in partu est, nous l’avons vu, un « effet du second ordre » de la sagesse divine œuvrant dans le mystère de l’incarnation rédemptrice. Ce privilège montre, dans un signe, la pureté de la Vierge : il montre aussi par sa seule existence ce sans quoi il perdrait sa plus haute raison d’être, à savoir la véritable essence du mystère. La nature de la virginité in partu achève l’un et l'autre enseignement : c’est ce qu’il convient d’indiquer en terminant. Commençons par l’enseignement le plus général, celui qui correspond à la théologie mariale ou bien au fait que la Mère du Verbe appartient à l’ordre hypostatique et à l’économie du salut. Nous avons indiqué les raisons qui nous paraissent postuler, pour la virginité in partu, celle des deux explications qui, exempte de toute violence, est parfaitement con­ forme à la nature supposée elle-même conforme à la sagesse divine. Cela indique, touchant la structure du mystère, une précision qui de prime abord paraît contrarier celle sur laquelle nous avons insisté et que nous rappelons. Le signe intégré au mystère subsiste en vertu de sa relation à la réalité ; de là découle l’ordre intime de son unité fonctionnelle ; d’abord il réfère à la réalité, et par dérivation il en livre l’accès. Or cet ordre de droit entre les deux fonctions du signe ne se trouve-t-il pas renversé, pour la fortune de la théorie fonctionnelle : puisqu’en effet le signe que constitue la virginité dans l’enfantement doit être conçu comme tout conforme à la nature de ceux à qui il s adresse, et non pas comme portant en son hétéronomie le sceau de la Puissance transcendante à laquelle il réfère. L’existence du signe MARIOLOGIE ET ÉCONOMIE 23I d’une part et d’autre part sa nature, induiraient-elles des conclusions contraires concernant l’épistémologie du mystère ? La réponse est négative : il suffit pour le comprendre de mettre en œuvre la notion classique de lumen sub quo. L'économie du mystère doit être considérée primordialement comme Dieu la considère luimême, de son point de vue à lui : la foi précisément le rend possible, puisqu’elle fait voir « avec l’œil de Dieu » et dans sa lumière. Dieu manifeste au maximum sa miséricorde, et en même temps sa toutepuissance, en communiquant gratuitement à l’homme sa sagesse et son jugement, non pas en laissant l’homme enfermé en son propre point de vue. Telle était la conclusion de notre première partie ; il convient de n’en rien atténuer. Le gauchissement introduit par la théorie fonctionnelle consiste à substituer en fait l’humain au divin quant au lumen sub quoi. *x. C’est cela qu’exclut catégoriquement le fait de la virginité in partu. La nature de ce privilège amène simplement à préciser cette conclusion à un autre point de vue. Voir comme Dieu voit, c'est voir les choses telles qu’elles sont, ce n’est pas les sublimer dans un univers possible afin de les rendre mieux dignes de Dieu qui crée leur être réel. Une « reprise » venant de Dieu seul est impensable. D’abord ex farte creaturae : Dieu ne reprend son œuvre que si elle est atteinte par le péché. Hors cela Dieu respecte toutes ses créatures ; il respecte éminemment celles qu’il promeut à un ordre supérieur : et ce respect, c’est de ne rien altérer de ce qu’elles sont. Ensuite, ex parte Dei : Dieu, si on peut dire, est cohérent avec lui-même. L’instrument déjà exis­ tant et apte par nature à produire un effet déterminé, c’est celui-là dont Dieu se sert, pourvu qu’il soit demeuré tel qu’il avait été conçu. La parturition propre à l’état d’innocence suffit au \zerbe incarné : Dieu n’a rien à changer à l’ordre originel pour le faire resplendir de sa présence. Le signe est bien, comme y insiste la théorie fonction­ nelle, tout proche de l’homme et accessible à souhait ; mais c’est à la condition que l’homme ne détruise pas par le péché et ne méconnaisse pas par indocilité la connaturalité qui se trouvait originellement établie entre un signe issu de la nature humaine et l’homme supposé demeuré tel qu’il devait être. La naissance de l’Emmanuel doit être telle que l’humaine nature se retrouve en elle au maximum : certai­ nement ; mais il faut entendre : maximum dont cette nature est capa­ i. C’est la plus subtile des séductions. Ce changement de point de vue n’entraîne pas qu’on dise rien de faux, il entraîne que tout devient trompeur. Vous ne toucherez point au fruit, de peur que vous ne mouriez (Gen. ni, 3) ; Le fruit était bon à manger, agréable à la vue... (Gen. in, 6). C’est le même fruit. Selon le point de vue et l’inten­ tion de Dieu, d’abord il réfère à Dieu, il existe pour signifier quelque chose de Dieu ; et, de surcroît, il est agréable. Selon le point de vue de l’homme, le fruit est d’abord agréable. Et la séduction concomitante au changement de point de vue, c’est que le fruit envisagé au point de vue de l’homme devient, par le fait même, incapable de tenir ce qu’il paraît promettre. Telle est très exactement la situation du signe tel que le conçoit la théorie fonctionnelle : il n’assure plus, pas même au seul point de vue fonctionnel, ce qu’il paraît promettre. 232 REVUE THOMISTE ble selon la sagesse de Dieu, et non pas selon les limites où l’enclôt quiconque juge en se référant à la nature décime. Voilà ce que rap­ pelle la nature de la virginité in partu : le signe intégré au mystère est en droit tout familier à l'homme parce que l’homme doit se con­ naître lui-même et se poser en regard du mystère dans la lumière de Dieu. La résolution du fait physique de la virginité in partu dans la par­ turition propre à l’état d’innocence a, concernant la Vierge elle-même, une signification obvie. Nous avons déjà rappelé que le don fait à Marie d’une grâce l’emportant sur toute autre et sur toutes les autres n’implique pas de soi les dons préternaturels associés à la grâce ori­ ginelle. La question doit être débattue, pour chacun de ces dons con­ sidéré en particulier1. Eh bien, l’argument ci-dessus développé montre que les conditions dans lesquelles se trouve la Vierge en ce qui concerne la contribution féminine à la génération humaine, sont celles de l’état d’innocence. Cela n’établit pas que la sainte Vierge ait par­ tagé cet état sous tous les rapports : sa souffrance suffit à l’infirmer. Mais le fait que Marie ait possédé tous les privilèges féminins dont la perte est due au péché*2 induit à la concevoir comme la réussite unique parfaitement conforme au dessein originel de la sagesse divine. Marie n’est-elle pas « nouvelle Ève » naturellement, comme elle l’est sumaturellement ? Il n’est pas présentement possible de répondre affirmativement à cette question si on la formule d’une manière géné­ rale. Mais la « vrai-semblance » de la réponse affirmative se trouve densifiée chaque fois que l’on découvre une nouvelle conformité entre la condition de Mère de Dieu et le statut d’innocence. Le même argument concernant la virginité in partu montre égale­ ment, et cette fois d’une manière selon nous certaine, une importante vérité. La créature toute vierge est constituée étrangère 3 à tout ce qui a avec le péché quelque rapport que ce soit : à la seule exception des conséquences du péché que le Christ a voulu pâtir lui-même. La souf­ france de Marie n’est pas celle d’une femme rachetée, c’est une souf­ france de Mère de Dieu4*; Marie, toute relative au Verbe incarné, souffre de sa souffrance à lui : elle souffre de lui et en lui. Son pâlir ri est que com-Passion6. Cette vérité, donc, se trouve corroborée par x. Chacune de ces questions est bien concrète et concerne une question de fait: l’appartenance à Marie de tel privilège. Il n’est pas indispensable, en l’occurrence, de déterminer si ce privilège est proprement préternaturel ou s’il est du ressort de la pure nature. 2. Gtn. ni, x6. Souffrance, spécialement pour engendrer. Assujettissement à l’homme à cause du désir de nature. 3· Ce mot A*l» convient pour l'homme en l’état d’innocence : il ignore le mal, il est étranger au mal. On ne peut accorder moins à Marie qui conçoit en elle le trois fois Saint. 4· Π.en va de même pour tout ce qui concerne la sainte Vierge : gloire, béatitude, predestination. Ce principe, énoncé par saint Thomas, mérite d’être mis en œuvre avec rigueur. co^P^re à la rédemption active que dans l’opération du Rédempteur · Utafi E.ÏÏS ’">pâtir rtdemfSon que dans le pftΛ Mucmpteur. c est toujours le meme principe d assimilation. MARIOLOGIE ET ÉCONOMIE 233 la virginité in partu comme une loi l’est par la donnée d’observation qu’elle explique. Jésus est étranger à la souffrance qui est, pour la race pécheresse, immédiatement connexée au fomes peccati. Si Marie ne souffre que de Jésus et en lui, elle aussi est étrangère à cette souffrance-là, étrangère par conséquent à toutes les perturbations attachées pour la femme à l’enfantement dans l’état de péché. Le principe suffirait donc à prouver la virginité in partu : c’est à lui qu’appartient la vérité qui est manifeste dans sa conséquence. Marie est Marie, Marie est toute relative au Verbe incarné. Perfec­ tion de l'ordre créé, appartenance à l'Ordre hypostatique. Ordre et ordre... harmonie ? ou bien unité simple que déflorerait toute expres­ sion créée. C’est le sceau divin de cette ineffable unité que la Vierge en devenant Mère reçoit en sa chair qui devient mystère. « Fons signa­ tus, Hortus conclusus. » fr. M.-L. Guérard des Lauriers, O. P.