Bulxhiji di LrrriiLiTüM· Ecclîsiaïtiqu· S’*· i — Janner-klir· 19$* Autour d’une controverse A l’occasion de l'étude critique du R. P. Labourdelle, sur n Le Théologie cl scs sources », parue dans le numéro de mai-aodt de V « Revue Thomiste », dont il est directeur, Monseigneur de Solages. recteur de l'institut Catholique de Toulouse, et le R. P. Nicolas, ancien professeur à ce même Institut, aujourd'hui provincial des Dominicains de la Province de Toulouse, ont échangé les lettres sui­ vantes qu'ils publient d’un commun accord. « Mox Toulouse, le 3 février 1947. cher et Révérend Père, C’est l’article du R. P. Labourdctte, dan.s la Revue thomiste de mai-août 19^6 qui m’amène à vous écrire aujourd’hui. Si je m’adresse à vous, c’csl pour des raisons que vous comprendre» tout do suite. 11 me semble que la connaissance déjà ancienne que nous avons l’un de l’autre rendra plus difficiles les malentendus cl enlè­ vera tout air de bataille à une intervention qui voudrait être éclai­ rante cl pacifiante à la fois. Vous, du moins, no pouvez pas douter urriex même, au do il cs sentiments vis-à-vis de saint Thomas cl besoin, témoigner des travaux les plus divers que je poursuis sur scs sources, la nature exacte de sa pensée, sa vie môme el jusqu’à la sty­ listique do scs œuvres. Mais vous savez aussi quo jo voudrais voir régner la paix entre les différentes Ecoles et tendances théologiquc^ qui existent au sein du catholicisme cl que je rêve de les voir tourner leurs efforts vers les tâches colossales quo l’incroyance con­ temporaine offre à clics toutes. Je sais bien que l’on pourrait m’objecter la gravité de toute erreur, si minime paraisse-t-clle, surtout quand clic touche à l’ins­ trument même de la vérité qu’est l'intelligence : « Inter alios autem errores indcccnlior videtur esse error quo circa intellectum erratur », dit notre commun maîïrc au début de son « De unitate intellectus contra Avcrroislas », mais vous ne serez pas surpris — sachant l’ami­ tié intellectuelle qui m’unit au P. de Lubac — de me voir prendre sa défcnser-contre un soupçon que je crois profondément injustifié.*'* Si vraiment la Revue thomiste craint le contraire, pourquoi alors ne----pas justifier cette crainte par un exposé précis reposant sur des textes précis, cl cela sans toujours laisser planer sur des divergences d’Ecoles — ûtiles après tout à la vie même de la pensée théologique I /l B. DE SOLACES — un soupçon d'hétérodoxie. Or, bien que le R. P. I.al>ourdeHc s’en défende (p. 356) son article constitue — en dépit des éloges qu’il contient — un procès de tendances, du genre de ceux que je rêve de voir disparaître de nos controverses théologiques. Au lieu de discus­ sions précises sur textes précis des généralités en marge de collec­ tions déjà vastes, et qui jettent sur elles une vague suspicion : attaque collective, d’abord d’un bloc non homogène où l’on reporte sur tous les auteurs les erreurs — vraies ou supposées — de chacun d’eux, cl même d’auteurs qui ne font pas partie du bloc incriminé (ex. : R. P. Hans de Balthazar); dépassements ensuite de leur pensée sans justification véritable; distinction insuffisante enfin des différents plans (systèmes d’écoles, science théologiquc, formules dogmatiques, donné révélé). C’est cela qui me peine. * Permcllcz-moi de préciser moi-même les raisons de mon im­ pression. Qui est mis en cause ? Doux collections, soit tS (io-f-8) volumes ! Or, dès le début, il est reconnu que « l’esprit commun » incriminé n’anime que « plusieurs » de ces volumes (p. 354) et qu’il n’apparaît pas en plusieurs autres (Ibid., p. 354, note i). Pourquoi alors ne pas limiter l’attaque à ces « plusieurs », en les nommant par leur litre et en mettant explicitement les autres hors du débat ? Or, si l’on essaye de préciser, d’après l’article même, quels peuvent être les auteurs et les volumes vraiment incriminés, on constate qu’au total, — en dehors de l’énumération, faite en note, des volumes des deux collections — des i8 volumes mis en cause, n’est explicite­ ment discuté, dans cet article de ig pages serrées, que la conclusion du liv.-c du P. Bonillard cl l’introduction du P. Daniélou à sa tra­ duction de la contemplation sur la vie de Moysc de Grégoire de Nvssc I 11 est manifeste que le P. Labourdeltc vise surtout l’article dc‘ Eludes du P. Daniélou. J’aurais parfaitement compris, de la part de la Hcvue Thomiste, une réplique assez vive à quelques formules un peu désinvoltes de cet article : c’était, dirai-je, de l>onnc guerre (i), Mais pourquoi ne pas s’en tenir là ? (1) Encore aurait-il fallu éviter les malentendus : opposer le mot ohjcrluin du Concile du Vatican au mot oli]'t employé par le P. Danlêlou (p. 560, note t) est vraiment tomber dans « l’équivoque » (au sens thomiste du mot.) Objet, en langage philosophique moderne, signifie ce qui est » construit .. Le P. Labourdette s’en doute d’ailleurs. Je pense, puisqu’il écrit : « Nous voulons bien que le P Daniélou parle un autre langage que nous ». Alors... pourquoi se battre sur cette équivoque .pressentie 7 aütoub d’u.xe controvebse Force m’est donc d’en venir aux déclarations générales du IL P. Lalmurdcllc. Il en est, me semble-t-il, de deux sortes : 11 y a celles relatives à ce qu’il accorde cl celles relatives à ce qu’il combat. Voyons d’abord ce qu’il accorde : i. Relativement aux sources de la théologie. Il dit son a plein accord » et son « entière sympathie » à « une théologie plus consciente à la fois de la richesse de scs sources, de la multiplicité de scs expressions historiques, des circonstances de son évolution cl des réalisations humaines les plus proches, les plus contemporaines » (p. 355). a. Relativement à la problématique de la théologie. a II est presque banal — la constatation en est trop facile — de remarquer qu’en beaucoup de points la problématique de notre thérlogic est devenue scolaire, je veux dire qu’elle est elle-même une chose apprise cl qui reste souvent livresque; elle prêle encore à des réflexions cl à des solutions vraies, mais la pensée manque de je ne sais quelle activation, elle est comme alourdie, elle se croit trop vite achevée et parfaite. Elle échappe difficilement à la tenta­ tion de paresse et de facilité qui la pprlc à se reposer sur l’acquis. El celte remarque atteint plus loin, à mon avis, que l’enseignement de» Ecoles; il y a une ccrlrino façon, d’ailleurs authentique cl solide, do poser les problèmes théologiques, même en référence, à leurs sources scripturaires ou à des préoccupations concernant les réalités coi temporal nos, par laquelle on ne sort pas d’une problématique reçue, parce que les questions mêmes sont formulées selon des caté­ gories traditionnelles, dont on n’a pas assez pris soin de retrouver toute la valeur d’intuition. Quiconque a dû enseigner la théologie n’a pas manqué de rencon’.rcr celte paresse de l’esprit, plus ami de la formule que do la saisie, plus prompt à se reposer sur le tout · fait qu’à pousser son regard jusqu’aux premières apcrceplions pour refaire à son comple, par une réflexion pleinement personnelle, tout le cheminement ultérieur de la pensée. Voilà pourquoi il est excellent, du seul point de vue de la théologie spéculative, de rencontrer une problématique tout autre que celle avec laquelle on a pris l’habitude de la confronter. C’est, pour une théologie de formulation principalement latine, le cas dc< œuvres les plus représentatives de la tradition grecque. Celle volonté de « choc » n’est sans doute pas absente de l'intention des fonda­ teurs de celle précieuse collection: et nous les remercions d’avoir si rapidement offert à notre méditation un ensemble aussi riche » (p. 355). % 6 B. DE SOLAGES 3. Relativement à l'histoire et à son rôle, même dans les sciences spéculatives. Le IL I’. Labourdeltc parle de « la formation infiniment précieuse en elle-même aux disciplines historiques » et ajoute : « U est inutile de souligner combien le prtjgrès de celles-ci nous paraît un gain inappréciable. C'est d’une authentique « dimension » de l’homme et des choses humaines que, grâce à elles, nous avons de mieux’ en mieux pris conscience. Rien d humain, cl pas même certes les idées ou les sciences les plus impersonnelles, qui ne soit marqué par cet engagement dans le temps et le lieu et ne soit, par suite, infiniment mieux connu quand on a pénétre sa struc­ ture essentielle en suivant son progrès, celle genèse si souvent lente et tâtonnante, celle formation successive par les détours les moins attendus. Le P. Lagrange aimait à nous rappeler qc mol d'Aristote : « Le meilleur moyen de comprendre est de considérer les choses dans leur origine cl de suivre leur développement » (p. 36r). /i. Relativement à l'influence d’un climat spirituel sur la formation d’une théologie. a Nous ne songeons pas à nicr l’influence que jæut avoir sur une élaboration théorique le « climat spirituel » à l’intérieur duquel cello théorie $o construit; encore moins nierons-nous l’influence qu’ont exercée de iait diverses expériences sur l’oricnlalion des différentes synthèses théologiqucs : c’çsl là une donnée trop évidente, chère à l’hK’oricn des doctrines cl précieuse à la réflexion sur la théologie elle-même (p. 3G8). C’csl un très grand bénéfice pour comprendre une synthèse théologique, en apprécier l’oricnlalion profonde, de voir en effet dans quel climat spirituel elle a été élaborée, à quelle expé­ rience, à quelle intuition fondamentale elle répond » (p. 3G8, note i). 5. Relativement an relativisme partiel des synthèses théologiqucs. « Nous pensons qu’il est infiniment précieux, en théologie comme en tout autre domaine du savoir, de connaître jusqu’en leur histoire la plus minutieuse les notions et les doctrines, même les mieux assu­ rées, de l’enseignement théologique : c’csl souvent par là que nous arrivons à faire le départ entre le contenu intelligible permanent d’une idée cl tout un ensemble des visées contingentes qui lui ont été plus ou moins profondément associées au cours de l’histoire, selon les milieux culturels, selon celte vue du monde propre à telle époque ou à tel penseur, dans laquelle celte idée peut avoir trouvé un saslc système de références qu’il est souvent fort difficile de démêler. Aussi n’y a-t-il aucune synthèse Ihéologiquc dont l’intcllitL’cncc ne gagne infiniment à une connaissance plus précise du temps AUTOUR d’une controverse où elle est née, du milieu culturel dans lequel elle s’est d’abord insérée, en lequel elle s’est inscrite » (p. 363). S’il en est ainsi, nous ne sommes pas loin de nous entendre. Alors, pourquoi nous disputer ? Mais à côté de celte série de déclarations, il en est une autre relative à la doctrine que l’on combat. Elle est décrite comme un amalgame : D'im permanence. « Ce que nous n’admettons pas, c’csl quo la sagesse théologique soit emportée por le flot de l’impermancnce, et que scs acquisitions ne puissent être tenues pour définitives, ce qui ne veut pas dire closes cl imperfectibles, mais implique, au contraire, leur capacité d'assimilation progressive des résultats nouveaux de la réflexion a i . 3. De relativisme. a’ La pseudo-philosophie qu’inspirent inconsciemment les métho­ des de l’histoire, c’est le « relativisme », au sens fort d’une théorie, ou plus’encore d’une attitude intellectuelle qui remplace la notion métaphysique de vérité spéculative par celle plus modeste de vérité historique, comme expression plus ou moins complète do la men­ talité, de l’expérience humaine.d’une époque ou d’un groupe d’hom­ mes. L'idée mémo que notre esprit puisse arriver à saisir cl à cerner, en les mieux assurées de scs notions, une vérité intemporelle, devient proprement impensable. L’idée que cette vérité puisse être pour l’in­ telligence humaine un gain définitif que renseignement pburrail transmettre aux hommes les plus éloignés par le temps cl par les différences de culture, paraît absurde » (p. 36a). ... « Nous ne croyons pas que la comparaison, si elle est faite, doive conduire à professer l’essentiel relativisme historique de toute expression humaine des vérités divines, en ce sens qu’à toute expres­ sion humaine du divin (honnis sans doute les formules do la foi), il faudrait chercher une vérité non point de conformité à ce qui est réellement en Dieu ou dans l’homme surnaluralisé, mais une vérité d’expression et de suggestion des réalités ineffables que l’homme éprouve » (p. 356). B 3. De subjectivisme. « C’est une tentation permanente pour l’intelligence contempo­ raine de juger tout système d’expression intellectuelle, non essentiel­ lement sur sa conformité avec ce qui est (comment l'atteindre ?) mais d'abord et en définitive sur son rapport avec ce que son auteur cl son temps ont j>cnsé, avec ce qu’ils ont éprouvé. Lee mystères de la subjectivité l’intéressent plus que la vérité impersonnelle. Aussi cherchera-t-on avant tout dans une œuvre, son sens cl sa portée de 8 n. ni: soeages κ témoignage », fa valeur de sincérité, la richesse d’expérience cl comme la vibration dont elle reste chargée; bien secondaire appa­ raît des lors sa cohérence logique cl la signification proprement intellectuelle, ou, comme on dit « conceptuelle », des analyses ou des synthèses quelle présente. Il faudra parler pour tous nos concepts, non plus d’analogie, mais de symbolisme, cl les juger dans leur valeur d’expression d une réalité « Vivante » en l’homme » (p. 36o). /1. De dépréciation indue de rintclligcnce, incapable, d'atteindre la vérité, erreur sur quoi, en définitive, tout repose. (( Il n’en reste pas moins que le message divin s’adresse aussi en nous à rintclligcnce, que par conséquent il la suppose » (p. 363). « C’est la dépréciation de l’intelligence, le postulat commun à toute philosophie nomalislc que notre raison, en son exercice de connaissance claire cl formidable, n’atteint directement que scs concepts cl que ces concepts sont des absliactions vides, des cadres logiques de \alcur toute pragmatique. Nous ne voyons pas qu’une telle caricature de la vie de l’esprit, qui ruine, en effet, la notion d’une théologie qui soit une science, s’accommode mieux avec l’idée du dogme Ici que l’Eglisc le propose cl permette de rendre compte de la place que tiennent dans la Révélation et la prédication catho­ lique, les valeurs de Vérité » (p. 363). Mais ce que nous ne pouvons admettre, c’est l’évacua lion com­ plète. en une pareille façon de voir, de l’idée de vérité spéculative n (p. 368). Croyez-vous vraiment, mon Père, que ce soit là la pensée du P. du Lu bac ? .l’ai quant à moi la certitude du contraire et si vraiment le P. Labourdelle c-l d’un autre avis, qu’il cite donc des textes sur lesquels on puisse discuter. Or, il n'en cite aucun ni du P. de Lubac, ni des autres auteurs des deux collections mises en cause, si ce n’est du seul P. Bouillard. Mais ici j’avoue mon étonne­ ment, car la Ilie e des passages cités me paraît découler nécessaire­ ment de la conception thomiste de l’analogie. Ι/' P. kabourdell^ reconnaît que « la conclusion de cc| ouvrage est animée par une préoccupation semblable à la nôtre : montrer comment la méthode historique ne doit point conduire à upc relativisme total. Le P. Boni!, lard affirme l.'i permanence, dans l’évolution Ihéologique, non seu­ lement « du dogme défini, c’est-à-dire (des) propositions canonisées par l’Eglisc, mais encore (do) tout ce qui est contenu explicitement ou implicitement dans l’Ecrilure et la Tradition ». 11 y ajoute « l’in­ variant ou l’absolu de. l’esprit humain, principes premiers et vérités acquises, nécessaires pour penser le dogme. » (p. 364). Toutefois, ajoute-t-il « celle explication laborieuse témoigne d’un méritoire effort pour échapper au relativisme, mais nous ne Al TOI K d’uXE CONTROVERSE 9 sommes pas sûrs qu’elle y réussisse : certaines formules du P. Bouil­ lard nous paraissent ne manifester que trop son échec. » (Ibid.). Or, voici la position du P. Bouillard d'après les textes même» cités par le P. l^liourdcllc : « La vérité chrétienne ne subsiste jamais à l'étal pur. λ entendons pas par là quelle se présente fatale­ ment mêlée d’erreur, mais quelle est toujours encadrée dans des notions cl des schémas contingents qui déterminent sa structure rationnelle. Il n’est pas possible de l'en isoler. Elle ne s’affranchit d’un système de notions qu’en passant dans un autre... Jamais la vérité divine n’est accessible en deçà de toute notion contingente. C’est la loi de l’incarnation » (p. aao). « Il est essentiel de comprendre que ces invariapls ne subsistent pas ù côté cl indépendamment des notions contingentes. Ils se conçoivent cl s’expriment nécessairement en elles. Mais, quand elles changent, les conceptions nouvelles contiennent les mêmes rapports absolus, les mêmes affirmations éternelles a (p. aai). * Avant la présente controverse et avant même d’avoir lu ccs textes du P. Bouillard, j’écrivais dans ma réponse à une enquête de la Revue Esprit (août-septembre ig$6, p. aai) : « Les chrétiens — meme instruits — dans leur ensemble, ne se sont pas encore rendu compte que la pensée chrétienne, à un moment donné de l'histoire, est la synthèse de la lumière divine qui nous parvient par la révéla­ tion cl des données de la raison humaine. Or, si la lumière divine est, par nature, immuable, les données de la raison — nous le découvrons chaque jour un peu plus — changent avec le temps. La synthèse ne peut donc que se modifier aussi. Beaucoup même de ceux qui l’ont compris rêvent de posséder en quelque manière ccs deux cléments à part l'un de l'autre, sans se rendre compte que, dès qu’on exprime la vérité divine, on intro­ duit dans celle expression môme un élément humain. Nous ne pouvons guère la séparer des données qu’elle éclairc qu’en leur substituant d’autres données, humaines, elles aussi. Le Christ lui-même, pour exposer son enseignement aux foules de Galilée, i subi cette condition dp l’incarnation, comme toutes les autres. Quand, par exemple, dans le Sermon sur la Montagne, il veut définir « la ’uslice » qu’il exige de scs disciples, il le fait en l’opposanl à la « justice des pharisiens n. L’évangéliste moderne — théolo­ gien ou prédicateur — qui veut faire comprendre celte justice à nos contemnor tins n’a que deux ressources : ou reconstituer pour eux a l’époque » évangélique; ou « transposer » la leçon dans notre « milieu » contemporain. Reconstituer d’ailleurs ne dispense pas de transpose!, car si l’évangéliste ne le fait pas, ce sera à « l'évangélisé » de le faite, pour pouvoir mettre en pratique celle leçon. » Et longtemps auparavant, rédigeant mon « Dialogue sur ΓAnalo­ gie », dont l’inspiration thomiste est, je pense, évidente, je donnais la raison technique de celle situation de la pensée humaine : ÎOZ . · B. DE SOLAGES « Il n'y a pas lieu de s'étonner de celle présence perpétuelle de l’analogie dans les divers mécanismes de la connaissance. La rai­ son en est simple, c’est que la notion meme de connaissance implique l'analogie : notre connaissance humaine, en effet, est imparfaite. Tout le monde en convient. Elle n’épuise pas le réel dont elle s’ef­ force de pénétrer le mystère. Il y a donc toujours un élément dif­ férentiel entre l’être et sa représentation. Pourtant, sous peine de lui dénier absolument toute valeur, il faut bien admettre qu’il y a quel­ que ressemblance entre ce que nous connaissons et la connaissance que nous en avons. Ressemblance et différence, nous retrouvons au cœur.même de la connaissance les deux aspects qui constituent l’essence même de l'analogie. Nous retrouvons aussi, du moins dans tout ce qui est donnée originelle de la connaissance, la même impossibilité de dissocier nettement ces deux aspects, de préciser ce en quoi la repré.cnlation serait identique à son objet et ce en quoi clic serait autre car si nous pouvions isoler totalement l’aspect ressemblance, la connaissance deviendrait par le fait même rigoureusement adéquate, ce qui est un idéal vers lequel elle tend sans jamais l’atteindre : la connaissance est une analogie. » (p. τ5α-ι53) (a). Or, si une connaissance est analogique, c’csl bien la connais­ sance des réalités divines dont s’occupe la théologie. Sous sa forme la plus générale, la thèse du P. Bouillard peut donc s’exposer ainsi : toute notion (et tout système) théologique est analogique Λ !a réalité qu’elle s’efforce d’exprimer. Si on lui substitue une autre notion, elle sera analogique aussi et, qui plus est, clic sera analo­ gue aussi ù la première (3). Si maintenant on veut exprimer la vérité absolue qu’elles traduisent toutes deux d’une manière dif­ férente, on ne pourra le réaliser qu’en faisant appel à une troisième notion qui sera, elle aussi, fatalement analogique — parce qu’en théologie on ne peut sortir de la connaissance analogique (ce qui me parait une vérité de La Palisse pour un thomiste). Si on préten­ dait en sortir cl parvenir à exprimer d’une manière adéquate une (2) Dès 1927. défendant dans la Reuue thomiste elle-même (nov.. décembre : · Le Procès de la Scolastique ·, p. 4R2-3. note 1). h la demande do ses directeurs d’alors, le thomisme contre M. Rougier. je faisais appel Λ la même conception de l’analogie (conception qu’y exposait quelques mois auparavant le R. P. Gardell — je pense que tout cola CM caution · thomiste ! » — (janvier-février 1927. p. 7 et 8L (3) Et quand le P. Bouillard écrit : · Quand l’esprit évolue, une vérité Immuable tie se maintient que grilce à l’évolution simultanée et corrélative do toutes les notions, maintenant entre elles un même ranixirt Une théologie qui ne serait pas actuelle serait une théologie fausse » (p. 213). 11 me pat ait évident, vu le contexte, qu’il veut dire qu’elle serait fausse, comprise telle qu'elle serait comprise dans cet esprit même qui a évolué et qui donc, par hypothèse, n’entend plus sauf effort historique pour se replacer dans le passé — les nouons qu’utilisait cctie théologie, dans leur vrai sens. AVTOril d’c.xe coxtroversf. 11 réalité divine, on en éliminerait tout « mystère », ce qui me paraît prétention blasphématoire. I-c R. P. l.abourdcltc se croirait-il capable de trouver une formule — en quelque langue humaine que ce soit ? — qui exprime d une manière adéquate (jusqu’à l’identité) la vérité absolue (cl donc transcendante) que le théologien s’efforce de trauuire en ses notions et systèmes ? Il y aura toujours dans sa formule quelque chose de relatif à tin vocabulaire, à une grammaire, à une philosophie, à une culture, etc... Cela tout simplement par suite des lois de la connaissance humaine, et tout particulièrement de la con­ naissance des réalités surnaturelles qui ne peut être qu’analogique, ou bien nous sortons du thomisme lui-même, c’csl-à-dirc que j’ai la conviction que sur ce point crucial un accord doit être ’facile à établir entre nous. Il restera peut-être, il est vrai, un point de désaccord : Puisqu’il peut exister plusieurs systèmes théologiqucs exprimant d’une manière orthodoxe les mêmes vérités révélées, et que ces sys­ tèmes doivent être, par le fait même, « analogues s’ensuit-il que leur approximation analogique de la Vérité soit égale au point qu’il n’y ait aucune raison de préférer l’un à l’autre ? Personnellement, je ne le crois pas, et, entre les systèmes de l’Ecole, j’ai dit — il y a vingt ans déjà — pourquoi je croyais à la supériorité de la métaphysique thomiste (Revue Apologétique, 1926, p. aia-aié). Mais faut-il aller nécessairement jusqu’à dire que celle supériorité est telle que le système thomiste exprime à lui seul tous les aspects de la révélation divine, aussi bien cl mieux que l’ensemble des autres sys­ tèmes ? Je ne défends pas à un thomiste de le croire, mais je crois qu’on peut être thomiste en admettant le contraire et je ne suis pas sûr que saint Thomas fût d’un autre avis. Je conclus cette longue lettre, mon cher et Révérend Père, en récapitulant les vœux que je forme : i° que les Théologiens ·énoncent à so faire des procès de ten­ dance généraux cl vagues cl qu’ils son tiennent à des discussions précises sur des textes précis. a0 que, dans leurs controverses, ils ne laissent pas si souvent plancr sur leurs adversaires catholiques un soupçon d'hétérodoxie. 3° qu’ils ne donnent point le pas à ces controverses intestines biir le l>on combat pour la défense de leur foi commune contre le» attaques de l’incrédulité contemporaine. 4° qu’enfin, puisque, selon les affirmations mêmes de la JicviLe thomiste « l’enseignement de saint Thomas » no doit pas « être simplement répété en sa teneur littérale : il n’est que trop vrai qu’il resterait inaccessible à beaucoup et il est bien certain qu’on se priverait de beaux H authentiques progrès dus au travail ultérieur des penseurs chrétiens (et non chrétiens) » (p. 35g); — puisque, toujours selon ces mêmes affirmations, « beaucoup de choses ont vieilli »... ία Μ.-J. NICOLAS cl que « ce vieillissement... atteint, en effet, plus que des formula­ tions : toute une vue du inonde caractéristique d’un certain milieu culturel » (p. 36o), que la Kevuc thomiste accepte qu'ûn fasse le travail de renouvellement que ces affirmations imposent; je vais plus loin, quelle en donne elle-même l’exemple. C’est à mon sens la vraie manière d’être fidèle à l’exemple de saint Thomas. Je crois que votre influence, mon cher et Révérend Père, pourrait beaucoup en ce sens. Avec mes sentiments bien cordiaux in Xlo Jcsu. Br. DE SOLAGES. Toulouse, le 12 février 19^7. Cher Monseigneur, L’esprit de clarté cl de pacification qui anime vetre lettre est trop évident pour ne pas m’inciter à prendre une allilrdc semblable. Si votre attachement à saint Thomas m’est bien connu, vous savez aussi fort bien que je ne suis ni un intégriste ni un rétrograde. Vous comprendrez cependant que je laisse plutôt au P. Labourdeltc le soin de se défendre lui-même, cl de justifier la méthode qu’il a employée. Qu’il me suffise de dire qu’un certain malentendu, désas­ treux, est en train de fausser un débat qui peut avoir de la noblesse comme tout choc entre deux grandes altitudes de l’esprit. On lui reproche d’avoir jeté un vague soupçon d’hétérodoxie sur un groupe de théologiens admiré et aimé de tous. Or, cela n’a été aucunement dans scs intention^, je vous en assure, et ce n’est pas non plus dans son texte. Il est impossible de discuter, en théologie, sans en venir à appuyer son dire sur quelque vérité de foi que l’adversaire est censé mettre en péril. I>a lilicrlc nécessaire cl fort heureuse des diverses éco]es veut dire, non pas qu’elles sont toutes également vraies et, par conséquent, également fondées à appuyer sur la foi les positions qui leur sont propres, mais seulement que ni la. lumière de la Révé­ lation, ni l’autorité de l’Eglise ne nous éclairent dans un tel débat, purement théologique. Il ne faut donc voir dans l’article du P. I«al>onrdetlc qu’une protestation du Thomisme contre une théologie nouvelle qui, à ses yeux, cl sans aucune prétention à l’infaillibi­ lité (1) l'élimine pratiquement en vertu d’une certaine conception du développement historique. (4) J’ajoute que le P. Labourdette n’a nullement attaqué, même en bloc, les dix-huit volumes des deux Collections en cause, mais que. dans la Chronique dénuée de toute arrière-pensée oùjl les présente avec de grands éloges, il critique la conception de la théologie, qui se manifeste en certains d’entre eux (non des moindres, il est vrai, mais qu’il nomme toujours explicitement) et spécialement à l’occasion des préfaces ou commentaires où s’expriment · ex professe » l’esprit et le uut des deux Collections. Airrôull î> UNE CONThOVEBSE Je suis persuade qu'il vous saura gré, Monseigneur, d’avoir clairement mis en relief les points qui lui sont communs avec théologiens mis en cause par lui. Quant à la liste des reproches q leur adresse et que vous avez dressée cl dont la seule lecture élon en effet, tout lecteur du P de Lubac et des autres, elle n’est în ligible qu’au moyen d’une distinction bien marquée par Part! incriminé cl sans laquelle tout est défiguré : il faut distinguer tendances modernes auxquelles se rattachent les conceptions l’Ecole Théologique nouvelle, de ces conceptions elles-mêmes, d il a toujours dit qu’elles se gardaient d'aller si loin, mais qu’e allaient tout de même assez loin pour réduire à peu de chose signification de saint Thomas dans la pensée chrétienne d*aujo< d’hui. J’ai hâte d’en venir à la partie de votre lettre qui contient brillant plaidoyer pour le livre du P. Bouillard, dont vous avez f bien compris tout de même qu’on pouvait sans crime se pc plusieurs questions à son sujet. Mais je me sens, là encore, b. gêné pour vous répondre. Je ne voudrais aucunement polémiq avec le P. Bouillard, n’ayant pas d’ailleurs suffisamment étudié sujet qu’il a traité cl voulu renouveler. D’autre part, ce n’eet ] sans timidité que je discuterai avec vous. Cependant, il est bi entendu que nous sommes l’un et l’autre, non seulement orU doxes, mais mémo thomistes cl bons amis. Ce sera déjà quelq chose de montrer qu’on peut discuter entre théologiens sans se fa do peine ni de mal. L’ingéniosité de voire explication m’a vraiment séduit. Et je s persuadé qu’en bien des cas, dont je serais heureux d’ailleurs voir so développer les exemples, l'idée d'une analogie entre « conceptions philosophiques différentes compléterait hcureusemei pour justifier la permanence du Dogme au milieu du pluralisi philosophique cl théologiquc, la théorie classique de la « philosoj»! perennis ». C’est l’universalité que vous sembler donner à cette équivalei analogique des philosophies entre elles, que je mets en doute, voici pourquoi. Les concepts dans lesquels la Foi nous est proposée ne reflèh la Réalité divine que par une analogie lointaine. Ce sont des conccj créés, élaborés souvent, à partir de l'expérience commune, par > de réflexion philosophique, cl auxquels la lumière de la Révélati divine donne le pouvoir de signifier analogiquement, quoiq réellement, des réalités divines surnaturelles. On peut 'convenir q même les concepts contenus dans la Révélation sont à ce point ina quais que d’aulrcs concepts (non pas certes contraires à ceux qui < été choisis, mais complémentaires) auraient pu servir à la Révélati de la même vérité étemelle. Le conccj I de « Verbe » ne complète