f Nihil obstat fr. M. Phjlipon fr. J. Henri-Roussbaw Imprimi potest fr. M.-J. Nicolas Prior Prouincialis 15 Febr. 1947 Imprimatur Aug. Gaudel Ep. Forojul 18 Febr. 1947 M. LABOURDETTE, M.-J. NICOLAS R.-L. BRUCKBERGER, DOMINICAINS DIALOGUE IDÉOLOGIQUE I Pièces du débat entre < La Revue Thomiste > d'une part et les R.R. P.P. de Lubac, Daniélou, Bouillard, Fessard uon Balthasar, S. J., d’autre part LES ARCADES. SAINT-MAXIMIN. VAH Μ /3 . L2 SOMMAIRE Λ l'article non signé des Recherches de Science Reli­ gieuse, par lequel un certain nombre de R. R. P. P. Jésuites répondaient à la chronique < La Théologie et ses sources », parue dans la < Renne Thomiste » {MaiAoût 194G), l'équipe de direction de cette Revue répond par la publication présente. Chaque partie de cette réponse est signée par celui qui l’a rédigée; mais chacun de nous revendique la responsabilité de tout. M. Lahouhdettb, M.-J. Nicolas, H.-L. BnucKiŒiiGEii, Dominicains. Page» — Dialogue thcologique * — Pièces du débat . — La Théologie et ses sour­ ces, par M. Labourdette.. . B. — La Théologie et ses sour­ ces, Réponse ............................ — De la critique en Théolo­ gie. Réplique, par M. La­ bourdette .................................. — Le progrès de la Théologie et la fidélité à saint Thomas.. Dialogue Théologique DIALOGUE THEOLOGIQUE Dans une époque comme la nôtre où la guerre et la politique ont érigé la haine et le menson­ ge en nécessités, il devrait être bon de ramener l’intelligence à ses plus hautes disciplines qui Îieuvent, au lieu de diviser les hommes, les unir i la recherche et dans la possession de la vérité. Les biens spirituels n’autorisent pas l’envie car ils surabondent en se communiquant. Dans un inonde où les intelligences ont été aussi bafouées que les cœurs ont été avilis et les corps broyés, il n’est peut-être pas chimérique d’imaginer que la théologie devrait elle aussi prendre sa charge du malheur de l’homme, l’aider à ne pas renon cer à sa première dignité qui est d’essayer de comprendre son propre destin pour s’accorder ^avec lui. La théologie est une science, mais parce qu’elle 'est la plus haute des sciences, c’est une sagesse, Telte sagesse dont parle l’Ecriture, qui se client aux carrefours, qui appelle et présente à veut la prendre sa coupe consolatrice. La théologie est une science mais dont les lumières sont plus hautes que celles de la connaissance humaine, puisqu’elle est subalternée à la vision des bienheureux dans le Paradis. La théologie parle de Dieu et avec Dieu comme les anges dans e Ciel. Et dans l’infirmité du langage humain DIALOGUE THÉOLOGIQUE elle poursuit ce même dialogue qu’ont entre eux les élus dans la gloire. ire Les « Dialogues des morts > de Lucien ou Fénelon ne sont que des fantaisies littéraires. Tandis que pour le croyant Dieu parle dans un langage accessible authenti­ qué dans le trésor de la Révélation et du dogme. Et il nous est permis d’appliquer l’intelligence de notre foi à cette révélation surnaturelle, d’en systématiser les notions par la nécessité de no­ tre raison humaine. Si, comme on le dit, la civilisation est née du dialogue, et a exactement la qualité de ce dialo­ gue, la théologie peut et doit apporter à la civi­ lisation humaine le dialogue le plus dense, le plus chargé de vérités pacifiques, le plus récon­ ciliateur. Si les théologiens étaient en tout À la hauteur de leur tâche, c’est-à-dire qu’ils comprennent profondément le donne révélé et la condition humaine, s’ils savaient d’autre part parler aux hommes de leur temps, la théologie introduirait alors dans le dialogue de la civilisa­ tion une sérénité maternelle. 1 Quoi qu’il en soit de la réalité c’est cela que doit être la théologie: une sagesse maternelle à l’esprit inquiet de l’homme pas, nous ne pouvons en prendre notre part DIALOGUE THÉOLOGIQUE humaine, c’est la vérité, et une doctrine est vi­ vante, non par son actualité dans l’édition, mais par sa valeur de vérité. Saint Thomas est un univers de l’esprit; har­ monieux et solidement organique. Nous pensons que c’est lui qui dans l’ensemble a mené à sa perfection scientifique la plus haute, la recher­ che théologique. Nous ne disons pas qu’il est indépassable. Ce n’est pas une borne. Mais pré­ cisément parce que son œuvre est sur le plan scientifique de la connaissance, cette œuvre doit d’abord être comprise et continuée pour le pro­ grès de la science théologique. De même qu’en physique il n’est jamais venu à l’esprit d’aucun savant de négliger les découvertes précédem­ ment acquises quitte à en contrôler la vérité. Mais dans l’ordre scientifique ce (pii prouvé est acquis. Sans cela nous en serions encore à Archi­ mède. Nous nous refusons, nous nous refusons absolument à ce recul de l’esprit. Quand on parle de saint Thomas comme d’une architecture périmée, on on aa parfaitement le droit de tenter un exposé théologique en français par exemple, dans un un autre langage et une autre tournure que ceux de la Somme. On ne recons­ truit pas les cathédrales et on ne les méprise pas pour autant. Mais avec saint Thomas ce n’est pas Quand les Souverains Pontifes ont recomman­ : seulement un style de la théologie qui est en dé saint Thomas comme le maître par excellence hquestion, c’est la valeur scientifique de son œuvre. uc ils ne pensaient sûre de la théologie catholique, Il y a dans les temples grecs aussi bien que dans ment pas accabler l’intelligence moderne d’ui les églises romanes ou gothiques, comme dans carcan. On a toujours un peu honte de le Palais de Versailles et les monuments baro­ Déloge de saint Thomas et on pense au mo ques, diverses expressions de lois identiques et d’Albert le Grand au sujet du même saint Tho invariables qui constituent le code universel de Ce n’est pas aux morts de louer les vi nias l’architecture au moins pour ces lois élémentai­ vants >, Car le bien nourricier de l'intelligence res de la pesanteur et de la résistance qu’un DIALOGUE THÉOLOGIQUE 12 DIALOGUE THÉOLOGIQUE 13 | nègre applique par instinct en construisant sa hutte et que Mansart observait en dessinant le Palais «lu Grand Roi. Et sans l’application de ces lois il n’y aurait jamais ni hutte, ni châteaux. De même pour saint Thomas. Sa valeur n’est pas tant d’avoir construit un magnifique édifice théologique, de style admirable mais périmé, c’est d’être allé plus loin qu’aucun autre dans la connaissance de la théologie, dans sa systemati­ sation scientifique, au point d’avoir écrit le ma­ nuel par excellence du théologien qu’on aura toujours intérêt à étudier pour devenir purement et simplement un théologien, comme on va à l’école pour devenir architecte. Le débat auquel ces lignes introduisent prend toute sa valeur si on considère en elTet qu’il porte sur le caractère rigoureusement scientifique de la théologie, sur les liens de causalité formelle qui unissent les principes de la foi aux moindres conclusions de la théologie. On reste en dehors de la, théologie si on refuse d’entrer dans son enchaînement rationnel. On fait de l’impres­ sionnisme ou de la sentimentalité mais pas de la science. On ne peut tout de même pas renoncer à cette qualification de science, sous prétexte que nos contemporains l’ont plus ou moins mo­ nopolisée à l’ordre physico-chimique, où l’intel­ ligence de l’homme domine malgré tout de très haut son objet. Encore qu’il y aurait de belles leçons pour un théologien à prendre auprès des savants quant à leur respect de l’objet, leur modestie, leur humilité, leur gratitude envers les chercheurs qui les ont précédés et envers leurs maîtres. Le respect du théologien à son Il IIIIII DIALOGUE THÉOLOGIQUE La théologie n’est pas la Révélation. Elle éclaire la Révélation, en systématise les don­ nées, la prolonge en conséquences, la met en contact avec lout co qui intéresse l’esprit. La théologie est ou devrait être la présence perma­ nente cl universelle de la Révélation à la cul­ ture. La Révélation est faite une fois pour tou­ tes et elle est achevée. Mais le propre des choses de l’esprit est d’être toujours actives. Aussi bien les conditions dans lesquelles s’est faite celle Révélation surnaturelle sont toujours les mê­ mes. Il est toujours vrai que le bien suprême de tout homme venant en ce monde est de con­ naître Dieu, l’aimer, le servir et mériter ainsi le bonheur éternel. Il est toujours vrai que la connaissance intime de Dieu excède les forces naturelles de l'intelligence humaine cl qu’il y faut la Révélation d’une part, le don de la foi d’autre part; il est toujours vrai que la plupart des hommes sont entravés dans la recherche de la vérité divine soit par leur inaptitude à la réflexion métaphysique, soit par le souci de la vie quotidienne, soit par la paresse de leur es­ prit; il est toujours vrai que les passions de l’homme contredisent habituellement à la vérité divine. Et il est de plus en plus vrai que le temps manque à nos contemporains de s’occu­ per de Dieu. D’où l’insigne bienfait d’une Révé­ lation et l’immense nécessité d’une théologie continue qui fasse le lien entre l’homme cl la Révélation divine par un enseignement respec­ tueux de l’une et adapté à l’autre. Il n’y a qu’une révélation. Pour autant qu’elle est scientifique et rationnellement légitime, il n’y a qu’une théologie. Rien ne saurait la décon-, ccrter pour autant qu'elle est la Révélation di­ ■objet c’est sa dévotion personnelle envers Dieu. Mais enfin elle n’est pas contrôlable. Il n’y a pas d’exemple qu’un théologien ail été foudroyé par Dieu pour une conclusion inconséquente. Au lieu que, depuis Icare jusqu’aux pilotes d’essais, la matière a vile fail de se venger d’un faux calcul. C’est l’honneur et le poids de l’esprit d’être sensible à l’erreur. Il n’y a pas de laboratoires en théologie ni de terrain d’essais pour l’envol des théories. Mais il y a la libre discussion. Et qui ne voit que sans cette libre discussion, sans ce dialogue, l’impunité de droit du théologien qui se trompe serait scientifiquement une escro­ querie? Ou bien faudrait-il à chaque fois et tout de suite en appeler au magistère, et faire régler le débat par autorité, ce qui serait encore une échappatoire? L’honnêteté du théologien est dans son effort d’intelligence illuminée par la foi et dans l’obstinée rigueur de son raisonne­ ment. Tout le reste est littérature. Ceci dit, la théologie se passe de l’autorité de saint Thomas aussi bien que la loi de la gravi­ tation universelle se passe de l’autorité de Newton qui l’a découverte. Si on n’était thomis­ te (pic par discipline c’est qu’on comprendrait mal le thomisme. L’attachement que nous ' vouons à saint Thomas relève d’une loi bien i plus astreignante, c’est celle de la nécessité ; logique. Il est en effet exaspérant d’entendre toujours répéter que l’Eglise n’a pas canonisé l’aristotélisme en canonisant saint Thomas. Elle n’a pas non plus canonisé le syllogisme. Mais en jetant le syllogisme par dessus les moulins, [ on n’est qu’un sot, puisqu’il est la forme na[ turelle d’un exercice de l’intelligence. 111Π»! DIALOGUE THÉOLOGIQUE vine elle-même dans l’exercice de toutes scs virtualités et de sa fécondité intellectuelle, dans le détail d’une prise de position par la consé­ quence. Dans le débat qui suit, il sera question par exemple de deux philosophies récentes, l'existentialisme et le marxisme. Nous relevons dans un article écrit il y a une quinzaine d’an­ nées quelques lignes d’un penseur qui a tou­ jours clé tenu pour extrêmement fidèle à l’esprit cl à la lettre de saint Thomas: « A la question: pourquoi la nécessité des lois, objets de la scien­ ce ne s’étend pas jusqu’à chacun des événe­ ments particuliers qui se déroulent ici-bas, il faut répondre: c’est que le monde de l’existence en acte et de la réalité concrète n’est pas le monde des pures nécessités intelligibles. Les essences ou natures sont bien dans la réalité existante d’où elles (ou leurs succédanés) sont tirées par notre esprit, mais n’y sont pas à l’étal pur. Toute chose existante a sa nature ou son essence, mais la position existentielle des choses n’est pas impliquée dans leur nature et il y a entre elles des rencontres qui elles-mêmes ne sont pas des natures et dont aucune nature ne portait d’avance, inscrite en soi, l’exigence. La néalité existante est ainsi composée de natu­ re cl d’auenture, c’est pourquoi elle a un sens dans le temps et en durant constitue une his­ toire (irréversible), il faut à l’histoire ces deux éléments, un monde de [Hires natures ne bouge­ rait pas dans le temps, il n’y a pas d’histoire pour les archétypes platoniciens, un monde de inire aventure n’aurait plus d’orientation, il n'y a pas d’histoire pour un équilibre thermo-dyna­ mique >. (Jacques Maritain: Philosophie et Science expérimentale.) < 16 I I 18 J DIALOGUE THÉOLOGIQUE i 17 Nous pensons que la théologie de saint I ho-Kef stupidité humaines. Quand on croit à mas est la plus parfaite théologie de l’avenlurQK]a vérité de salut universel contenue dans la en même temps que des natures cl des essences·parole de Dieu, quand on sait que la théologie et qu’elle a par là un sens juste et complet de·fa ·le redoutable ........................ —. . et permanent. office d...’irriguer l’histoire. Alors qu’il est désormais classique de ■toute la culture humaine, toutes les cultures faire remarquer combien le marxisme n’arrive humaines, de les assimiler et de les rendre assi­ pas à surmonter la difficulté de l’histoire faite milables aux intelligences affamées de leur bien par l’homme en même temps qu’il est le pro­ qui est celte vérité de salut, quand on sait sur duit de l’histoire. C’est qu’en réalité la nature la foi des Pontifes et par l’évidence de ses prode l’homme est au-dessus de son histoire: elle Îires études que saint Thomas est précisément lui donne un sens, de même qu’elle définit son e maître le plus propre à vivifier la nature existence. ! intellectuelle de l’homme et à la nourrir du lait Et pour continuer sur notre sujet, la théolo­ et du miel de la vérité révélée, il n’y a pas d’orgie aussi peut et doit avoir des aventures, clld jueil à se dire théologien, il n’y a pas d’insoa son histoire, précisément parce qu’elle a une ence à se dire thomiste, il y aurait plutôt une essence complexe mais rigoureusement définie umilialion et une angoisse poignantes à voir et qui la classe au suprême degré du savoi^ le peu qui a été fait et tout ce qui reste à faire scientifique humain. Il n’y a même que les for­ our que la théologie soit actuellement dans le tes natures qui aient de grandes aventures e onde de l’intelligence ce qu’elle est en droit, de ce point de vue on peut prévoir de merveil a suprême sagesse nourricière, la suprême et leux développements à la doctrine de saint Thoj maternelle sagesse qui subvient à la famine de mas pour peu que le Bon Dieu donne aux pro^ Vérité qui fait mourir les âmes comme meurent chains thomistes une constitution intellectuelle jlans les plaines glacées les petits enfants. aussi forte que leur théologie. Qu’on ne voie donc aucune arrogance dans le ébat que nous introduisons. Il est limité dans < L’homme ne vit pas seulement de pain i es circonstances de personnes, mais important vit aussi de la parole de Dieu. > L’épouvantabl r il met en cause la nature scientifique de la famine qui ravage une partie de l’Europe do héologie et par là sa puissance à la fois de ne un sens tragique à celte parole du Christ e ontinuité et d’assimilation. Ce débat peut res­ peut-être un sens dérisoire à notre débat. Le embler parfois à un dialogue de sourds. Mais journaux nous disent en même temps que le] ous ne sommes pas sourds ni les uns ni les greniers d’Amérique regorgent de blé, de quo intres et peut-être que la grande excuse à nos nourrir des nations entières, et que les petit uerelles est que, et les uns et les autres, nous enfants par milliers meurent de faim en Roi ommes attentifs de toutes nos forces aux apmanie. Ce n’est pas seulement là une queslioi els de détresse d’une humanité exténuée de de transports mais il y a la part de la malic nensonges autant que de privations et de dou’eurs. » DIALOGUE THÉOLOGIQUE Si à l’âge où se révèlent les grandes vocations et les ardentes fidélités quelques jeunes gens méditaient ces pages et qu’eiles contribuent à leur donner le goût et l’ambition de la tâche théologique, de ce harassant labeur au service de la vérité divine, les uns cl les autres serions bien récompensés. Car dans une époque d’hor­ ribles famines matérielles et spirituelles, cette phrase de l’Evangile rend un son sinistre: < La moisson est immense et les ouvriers trop peu nombreux >. » DIALOGUE THÉOLOGIQUE Saint Maximin, 15 février 1947. R. Bruckberger. ! II Pieces du Débat A. — La théologie et ses sources par M.M. Labourdette, B. — La théologie et ses sources i Réponse, par un groupe de théologiens Jésuites ■H C. — De la critique en théologie par M.M. Labourdette, O. P. 1 » LA THÉOLOGIE ET SES SOURCES Etude critique parue dans la Revue Thomiste 1946, n° II, p. 656-371. La présente Etude Critique a donné lieu à la Réponse collective qu’on lira plus loin. Comme nos contradicteurs ont jugé bon de n’en citer intégralement qu’un fort petit nombre de phra­ ses, se contentant la plupart du temps de met­ tre bout a bout, grâce à quelques gloses, des expressions détachées de diverses parties de no­ tre chronique, nous en publions le texte inté­ gral, tel qu on a pu le lire dans la Revue Tho­ miste, mai-août 1946. Nous ajoutons quelques annotations relatives a notre débat. Rour qu’on ne les confonde pas avec les notes qui faisaient partie du texte anté­ rieur, nous utilisons pour les annotations nou­ velles un système de référence par lettres et non par chiffres; ces annotations seront du reste imprimées à la suite de 1’article et datées(1947). Etudes critiques LA THEOLOGIE ET SES SOURCES, (a) Parmi les multiples travaux qui permettent à la pensée chrétienne de prendre de plus en plus conscience de son histoire et de revenir à scs sources, nous ne pensons pas qu’il y ait eu, ces dernières années, d’entreprise plus intéressante, ni qui contienne plus de promesses, que la col­ lection ouverte aux éditions du Cerf, sous la direction des RR. PP. H. de Lubac et J. Daniélou, S. J.: < Sources chrétiennes >. La dizaine de volumes aujourd’hui parus constituent déjà une très belle réalisation. Ils nous offrent la traduction d’œuvres particulièrement représen­ tatives de la tradition grecque, toujours accom­ pagnées d’introductions abondantes et soignées, d’annotations suggestives. Les difficultés de l'édition ont empêché de joindre à la plupart de ces volumes le texte original; on promet de nous le donner dès que ce sera possible. Puisse cet indispensable complément ne pas trop tar­ der (1)! Une circulaire plus récente nous fait (1) Sources Chrétiennes Editions du Cerf, Paris. Nous avons A ce Jour reçu dix volumes: # GkAgoiiu'. ub Nysse: Contemplation sur la vie de Moïse, Intr. et trad, de J. Daniêlou, S. J. Chôment p’Ai.exani>he: Protreptique, Intr. et Trad, do Cl. Montdéserl, S. J. 24 PIÈCES DU DÉBAT PIÈCES DU DÉBAT espérer des développements considérables qui, s’ils sont réalisés, feront de celle magnifique entreprise une œuvre unique dont on ne saurait trop louer le propos. La collection va s’étendre d’une part aux sources latines chrétiennes, d’autre part à certaines œuvres non chrétiennes que leur importance pour le développement de la réflexion théologique permet de considérer aussi comme des < sources >. Notre chronique ne porte que sur l’ensemble des dix premiers volumes, sur les caractères qu’ils présentent. Il est possible que rélargissement qtron nous pro­ met, en étendant l’équipe des collaborateurs, modifie ces caractères et enrichisse, en l’équili­ brant, l’esprit commun qui s’est déjà si nette­ ment affirmé surtout dans les travaux qui ont pour auteurs les directeurs mêmes de la collec­ tion. Une telle entreprise fait songer à ce que réa­ lise, pour les éludes classiques, la collection Guillaume Budé. Elle s’en différencie cepen­ dant par deux caractères: le premier est une I l 3 4 Athê.nagohe: Supplique au sujet des chrétiens, I. cl T. de G. Hardy. Nicolas Cabasilas: Explication de la divine liturgie, I. et T. de S. Salavillc, A. A. Dialogue de Photicê: Cent chapitres sur la perfection spirituelle, I. et T. de E. des Places, S. J. Grégoire de Nysse: La création de l'homme, I. et T. de J. Laplace, S. J.; Notes de J. Daniélou, S. .1. Origine: Homélies sur la Genèse, I. de H. de Lubac, S. J.; T. de L. Doutrclcnu, S. J. Nicétas Stéthatos: Le Paradis spirituel, Texte, trad, et comm. de Marie Chalendard. Maxime le Confesseur: Centuries sur la charité, I. et T. de J. Pégon, S. J. Ignace d’Antioche: Lettres, Texte, I, tr. et notes de Th. Camelot, O. P. I moindre préoccupation critique pour beaucoup de ces ouvrages il s’agit non précisément d’une édition critique mais d’un texte de travail soi­ gné; si désireux que nous soyons d’une rigueur scientifique totale, nous n’en ferons pas un re­ proche aux initiateurs de celte collection, nous les remercierons plutôt de ne pas se croire obligés d’attendre les longs travaux d’éditions scientifiques pour nous mettre entre les mains, en éditions couranies substantiellement garan­ ties, des textes précieux. Le second caractère est que la collection est visiblement orientée par une intention qui préside aux choix et vise une action immédiate: un esprit commun, qui se rattache à certaines positions théologiques déter­ minées, anime plusieurs des introductions et des commentaires; cet esprit, ces positions, dont nous aurons à parler dans le cours de cette chronique, traduisent tout autre chose que la seule préoccupation historique de nous résenter exactement des auteurs anciens (1) » I I mm in (1) Le R. P. Daniélou caractérise très bien l’intention de la nouvelle collection par opposition à celle que diri­ geaient autrefois Hcinmer et Lejay: < Pour cette der­ nière, il s’agissait avant tout de publier des documents historiques, témoins de la foi des anciens. La nouvelle pense qu’il y a plus à demander aux Pères. Ils ne sont pas seulement les témoins véritables d’un état de choses révolu; ils sont encore la nourriture la plus actuelle pour les hommes d’aujourd’hui, parce que nous y retrou­ vons précisément un certain nombre de catégories qui sont celles de la pensée contemporaine et que la théologie scolastique avait perdues ». Etudes, Avril 1946: Les orientations présentes de la pensée religieuse, p. 10. (C’est nous qui soulignons). Cette intention, fort bien illustrée par l’introduction du P. D. au premier volume, n'appa­ raît d’ailleurs pas en plusieurs autres qui n’ont heureu­ sement visé que la plus grande exactitude et restent des modèles de travail probe que n’oriente et ne sous-tend aucune arrière-pensée. r 20 5 i ? V r> I PIÈCES DU DÉBAT D’autres Revues ont dit ou diront les qualités techniques, ou les défauts de ces traductions; elles apprécieront la valeur critique des textes édités, la vérité historique des introductions et des noies. Sans nous désintéresser de ce point de vue, nous voudrions, dans la Revue Thomis­ te, souligner la très grande richesse qu’offrent à la théologie spéculative ces textes dont plu­ sieurs sont vénérables, dont tous expriment un effort de réflexion humaine sur les vérités de la foi. Aussi reviendrons-nous sur plusieurs d’en­ tre eux. Nous voudrions cette fois, en une pre­ mière présentation globale, concernant plutôt le dessein général de l’ensemble que le détail des volumes parus, aborder quelques problèmes plus généraux qui nous paraissent importants pour la théologie contemporaine. Il convient en effet de ne pas séparer de < Sources chrétiennes > une autre collection qui vient de faire un brillant départ aux Edi­ tions Montaigne: la collection « Théologie » dirigée par les Jésuites de Fourvière et à laquel­ le les RR. PP. de Lubac et Daniélou participent de façon si importante qu’ils paraissent être ici aussi les animateurs (1) [cl. Il y a dans le paral- PIÈCES DU DÉBAT INismc des deux collections, une communauté d’esprit, sur lequel nous ne sommes pas sans graves réserves, nous le dirons, mais qui mani­ feste un dessein positif et constructif, en luimême plus important que les défauts qui l'en­ tachent: celui d’une théoiogie plus consciente à la fois de la richesse de scs sources, de la multi­ plicité de scs expressions historiques, des cir­ constances de son évolution et des réalités hu­ maines les plus proches, les plus contemporai­ nes. Avec ce dessein nous disons notre plein accord et notre entière sympathie (d). I ! ;f. (1) La collection < Théologie > (Editions Montaigne, Paris) comprend actuellement huit volumes: IL Bouillard: Conversion et grûce chez saint Thomas d'Aquin. Etude historique. J. Daniélou: Platonisme et Théologie mystique. Essai sur la doctrine spirituelle de saint Grégoire de Nysse. IL de Lubac: Corpus mysticum. L’Eucharistie et l’Eglise au Moyen-Age. Cl. Montdi'sert: Clément (TAlexandrie. Introduction à sa pensée religieuse h partir de l’Ecrilurc. G. Fessard: Autorité et bien commun. J. Mouroux: Sens chrétien de T homme. M. Pontet: L'exégèse de saint Augustin, prédicateur. H. de Lubac: Surnaturel. Etudes historiques. ■ , [ j I Ce qui nous frappe à la lecture de ces textes anciens qui, dans la collection « Sources chré­ tiennes », ressortent d’autant mieux qu’ils sont mis en lumière par les annotations des traduc­ teurs, c’est que la plupart de nos problèmes s’y retrouvent; mais ces problèmes sont pris ù un slade où rien encore ne les a figés dans une formulation trop littérale. Il est presque banal — la constatation en est trop facile — de re­ marquer qu’en beaucoup de points la problématique de notre théologie est devenue scolaire, je veux dire qu’elle est elle-même une chose apprise et qui reste souvent livresque; elle prête encore à des réflexions cl à des solutions vraies, mais la pensée manque de je ne sais quelle activation, elle est comme alourdie, elle se croit trop vile achevée et parfaite. Elle échappe diffi­ cilement à la tentation de paresse et de facilité qui la porte à se reposer sur l’acquis. Et celte remarque atteint plus loin, à mon avis, que renseignement des Ecoles; il y a une certaine 28 PIÈCES DU DÉBAT PIÈCES DU DÉBAT façon, d’ailleurs authentique et solide, de poser les problèmes théologiqucs, même en référence à leurs sources scripturaires ou à des préoccu­ pations concernant les réalités contemporaines, par laquelle on ne sort pas d’une problématique reçue, parce que les questions mêmes sont for­ mulées selon des catégories traditionnelles, dont on n’a pas assez pris soin de retrouver toute la valeur d’intuition. Quiconque a dû enseigner la théologie n’a pas manque de rencontrer cette paresse de l’esprit, plus ami de la formule que de la saisie, plus prompt à se reposer sur le tout fait qu’à pousser son regard jusqu’aux pre­ mières apcrceplions pour refaire à son compte, par une Déflexion pleinement personnelle, tout le cheminement ultérieur de la pensée. Voilà pourquoi il est excellent, du seul point contemporai­ ne que dans des théories explicitement formu­ lées. Nous dépassons ainsi, dans la position même du problème, les expressions des livres qui nous en fournissent l’occasion: qu’il soit bien entendu que nous avons pour but précis d’éclairer par leur opposition des solutions que nous essayons de conduire chacune à sa formu- Π arrêt; comme le mouvement se prouve en marchant, La vie doit se manifester par scs fruits: nous serions en effet pour le moins agonisants si nous n’en acceptions pas l’épreuve. (1) Pour beaucoup, c’est chose faite, et M. de Gandillac dans le 3e fascicule de < Dieu vivant » (p. 123 et sq.) entérine définitivement le décès du « néo-thomisme >, s’appuyant d’ailleurs sur le verdict du R. P. Hans von Balthasar, S. J. Il serait futile de plaider contre son (1) Revue Thomiste, Janvier-Mars 1946: La Théologie Intelligence de la Foi. « MW4444I1 30 Γ ; t 11111111 PIÈCES DU DÉBAT PIÈCES DU DÉBAT lation la plus explicite; mais nous n’attribuons à personne, telle que nous la présentons, la théorie que nous combattons; et encore que bien des tendances nous paraissent converger vers e.le, au point qu’au lieu de rester une solution idéale elle en reçoit une < vérité globale >, nous penserions précisément faire un procès de ten­ dances en la prêtant à qui que ce soit en l’nbscnce de textes formels ou sur la foi de quel­ ques lignes détachées de leur contexte (1) [e] mciileurcs ambitions; mais il nous parait qu’il représente précisément ce que cet esprit a d ex­ cellent, sans rien offrir de ce que, dans certains autres des ouvrages qu’il anime, il manifeste de contestable. ([) M. M. n’a voulu écrire ni un livre d’érudition ni un exposé théologique que son caractère technique eût rendu difficile aux non-initiés. « Ce livre désire n’être qu’un témoignage >. Que celte modestie ne nous trompe pas. 11 est vrai que la considération de Μ. M. se tient habituel­ lement non précisément sur le plan d’une ana­ lyse scientifique, mais plutôt sur celui d’une théologie qui se prolonge en méditation. Il est, selon le mot de l’auteur lui-même, « une longue réflexion théologique >. Mais celte réflexion est nourrie et comme imprégnée d’une possession vivante des sources de la pensée chrétienne, très spécialement de In Parole de Dieu, de saint Paul surtout. Cette possession eût été impossi­ ble sans une élude minutieuse, poussée jusqu’à une longue familiarité. L’analyse de ce livre serait matériellement facile: il est clair, il progresse selon des lignes fermement tracées. Pour nuancées qu’elles soient, les vues de l’auteur ne sont ni confuses, ni même enveloppées. Mais une analyse laisse­ rait -échapper à la fois la richesse des dévelop­ pements cl ce qui nous paraît ici le plus neuf, ce que nous voudrions spécialement louer: sa méthode, et celte ferveur concentrée où l’on sent la méditation longuement mûrie et la pro­ fonde générosité de l’esprit chrétien. Donnonsen pourtant les grandes lignes. Consacré à l’homme, l’ouvrage se divise en trois parlies inégales: d’abord, les valeurs tem- f U I i Mais avant toute critique, nous tenons à signaler la très belle réussite que constitue à nos yeux le livre de M. J. Mouroux: Sens chré­ tien de l’homme (G* de la Coll. < Théologie >). Ce n’est pas que nous voulions soustraire ce beau livre à ce que nous avons appelé 1’ «esprit » de la collection: il ne serait pas trop difficile de montrer comment il s’y insère et répond à scs (1) La généralité même de la présente chronique, qui porte sur l'ensemble des collections < Sources chrétien­ nes > et « Théologie » (nous reviendrons ultérieurement sur les plus caractérisqucs de ces volumes) pourrait faire croire que nous mettons en cause en toutes ces pages la pensée personnelle des RH. PP. de Lubac cl Daniélou qui dirigent la première et sont en même temps les col­ laborateurs les plu, représentatifs de la seconde. Ce n’est pas notre dessein, ou du moins quand cela sera, nous le dirons. Les RR. PP. de Lubac et Daniélou savent assez bien dire ce qu’ils veulent dire pour n’avoir pas besoin d’interprètes. S’il leur parait cependant que, tout en dé­ passant leur pensée, nous scmblons néanmoins les viser encore, nous serons toujours très heureux d’accueillir leurs rectifications et leurs mises au point. Ce pourrait être l’occasion de prévenir chez leurs lecteurs des mépri­ ses dont certaines sont dangereuses. 31 II 5 I PIÈCES OU DÉBAT PIÈCES DU DÉBAT porcllcs (ch. I, le Temporel; II, l’Univers); euΊ suite, en trois chapitres, les valeurs charnelles (Ill, Grandeur du corps; IV, Misère du corps; V, Rédemption du corps); enfin, et plus longue1 ment, les valeurs spirituelles (VI, la Personne i humaine; Vil, la Liberté spirituelle; VIII, 1> ! Liberté chrétienne; IX. L’Amour; X, la Charité). J Malgré l’apparence, cette dernière partie est à j notre sens la plus neuve, non par son sujet: il I s’agit là de problèmes éternels, mais par la nié> thode synthétique qui fait converger sur eux J les lumières de la réflexion spéculative et de i l'histoire, les enseignements les plus tradition- * nels et les vues les plus chères à l’intelligence J contemporaine. Une conclusion dont le sujet propre est sans doute trop rapidement touché, 3 montre l’homme comme un être sacré. j M Μ. M. n’abuse pas des notes et des références; | Il en donne pourtant de fort utiles; elles sont le î témoignage discret d’une érudition que la pen- l Siée a su dépasser et que le lecteur aura le plus 3 grand bénéfice à s’assimiler à son tour. L’auteur 1 unit en effet à une connaissance approfondie 1 des documents de la Tradition chrétienne (litté- ’( rature patristique, liturgie, enseignements con- i ciliaires) une attention très grande à toute | information nouvelle. C’est dans le cadre que 3 tracent à la plupart de nos contemporains les données les plus communes des sciences, de la philosophie, de la littérature modernes, qu’il pose les divers problèmes qu’il aborde. A vrai 3 dire, ici on ne le sent pas spécialiste (sa spécia- 3 lité, visiblement, c’est la réflexion théologique), ,] mais on aime cette culture ouverte, qui reste de ί bon aloi, qui ne se précipite pas au premier mirage de nouveauté pour proclamer son ac- 1 • ' ■* ! ! ! il 'j I I E I E E lH E E K* ■ ■ ■ ■ ■ K■ cord, mais qui garde le souci de ne rien laisser perdre de ce qui est acquisition positive, -en même temps que de ne pas lier la présentation d’une vérité éternelle à des formes d’expression qui relèvent d’une culture périmée et sont de nature plutôt à faire obstacle à l’intelligence contemporaine qu’à lui ouvrir la voie. Plus en­ core qu’à ses premiers chapitres (en apparence les plus neufs, mais, croyons-nous, les moins approfondis, encore que fourmillant de très intéressantes suggestions), nous pensons ici aux admirables études sur la personne, sur la liberté, sur l’amour. Tout cela est de la très belle théologie, bien vivante; et si l’auteur y unit tant de profondeur à tant d’aisance, il ne nous paraît pas douteux (pie cela tient à sa maîtrise dans la possession de la théologie spéculative. Il la manie à la fois avec un sens très juste et une constante exactitude. Qu’il s’agisse de l’union de l’âme et du corps, de la personne considérée dans sa subssislance ou dans son ouverture sur Dieu, de la situation historique de l’homme entre le premier et le second Adam, du péché originel et des forces laissées à la nature déchue, de l’amour naturel de Dieu et de la charité, du problème de l’amour désintéressé, la maîtrise de Μ. M. ne se dément pas. Nous ne disons pas que nous acceptons telles quelles toutes ses assertions: ce serait d’ailleurs un bien mince éloge. La réflexion théologique est ici trop personnellement exercée pour que l’auteur ne présente pas des vues originales dont l’examen reste à faire; et nous ne manquerons pas de l’en remercier là même où il nous paraîtrait que la solution doive être cherchée dans un K. " PIÈCES DU DÉBAT autre sens. Mais ce que nous apprécions par­ dessus tout, c’est tpie, quand il innove, ou du moins (car au fond il reste toujours appuyé sur la théologie la plus c.assique, mais profondé­ ment assimilée) quand il se préoccupe de met­ tre en lumière un aspect moins habituellement souligné, c’est toujours à fort bon escient, il sait très bien ce qu’il fait, il connaît la position ou la présentation qu’il abandonne, il l’a pesée avec sérieux. Plusieurs théologiens pourront par exemple ne pas se trouver tout à fait à l'aise dans les pages où il revient, à divers pro­ pos, sur le péché originel et l’état de la nature blessée (1); nous ne pensons pas qu’aucun puisse lui reprocher, non seulement d’ignorer, mais de n’avoir pas attentivement examiné quelque ter­ me du problème. G’cst ce qui fait la solidité d’un travail que son propos apologétique (je veux dire le but évident de trouver audience auprès d’esprits pénétrés de la culture moder­ ne) aurait pu infléchir vers des argumentations plus faciles. Μ. M. nous fournil la preuve que la pensée chrétienne peut entrer dans les débats contemporains sans esprit d’abandon, sans mauvaise honte de son passé, comme d’ailleurs sans superbe, en toute franchise cl loyauté, avec la conscience qu’elle peut beaucoup ap­ prendre, car elle reste jeune; il nous montre que la pensée théologique peut demeurer fort précise et garder la richesse de scs acquisitions traditionnelles en cherchant son expression (1) Ce n’est pas notre cas routeur nous paraît garder très justement l’équilibre, en effet un peu < paradoxal >, entre les exagérations opposées du Jansénisme cl d’un humanisme naturaliste. 3 PIÈCES DU DÉBAT dans une formulation neuve. Nous serons tou­ jours reconnaissants à la collection Théologie de nous offrir des livres de cette valeur. I I Aucun de ceux qu’elle nous offre d’ailleurs n’est sans valeur, nous aurons l’occasion de le dire, au moins dans des recensions ultérieures; mais ce que nous regrettons chez plusieurs d’entre eux, c’est que la mise en lumière des richesses de la tradition patristique ou l’effort pour trouver une formulation rajeunie y sont accompagnés d’une évidente dépréciation de la théologie scolastique (<7). Bien loin d’opposer celle-ci soit à l’ampleur des données tradition­ nelles, soit à des essais de présentation renou­ velée, comme s’il ne pouvait y avoir là pour elle que danger, nous estimons pour notre part que, très précisément sous la forme que lui a donnée saint Thomas, la théologie scolastique repré­ sente l’état vraiment scientifique de la pensée chrétienne. Cola n’inipîique aucun dédain pour ce qui l’a précédée: on ne le mettra jamais assez en valeur, cl la synthèse thomiste la pre­ mière en bénéficiera; cela n’implique pas da­ vantage que renseignement de saint Thomas doive être simplement répété en sa teneur litté­ rale: il n’est que trop vrai qu’il resterait inac­ cessible à beaucoup, et il est bien certain qu’on se priverait de beaux et authentiques progrès dus au travail ultérieur des penseurs chrétiens (et non chrétiens) [1] (/»). Mais il reste que ces (1) Ln question du progrès dr In théologie et de son adaptation aux données nouvelles se pose donc Λ notre PIÈCES DU DÉBAT PIÈCES DU DÉBAT progrès, sous peine de ruiner leur propre base, supposent l’édifice antérieur, le continuent, mais ne le détruisent ni ne le remplacent; ils sont le prolongement d’une synthèse, ils ne sont pas une reprise totale, recomposant d'après les catégories de la pensée moderne une nouvelle « représentation > du monde, toutes celles qui sens d'une tout autre façon que ne le dit le P. Daniélou: « Ces deux abîmes, historicité, subjectivité, auxquels il faut ajouter la perception de la coexistence par laquelle chacune tic nos vies retentit dans celle de tous les autres et qui est commune au marxisme et & l'existentialisme, ccs deux abîmes obligent donc la pensée théologique à se dilater. Il est bien clair en effet que la théologie scolas­ tique est étrangère à ces catégories. Le monde qui est le sien est le monde immobile de la pensée grecque où sa mission a été d’incarner le message chrétien. Cette con­ ception garde une vérité permanente et toujours valable en tant du moins qu’elle consiste à affirmer que la déci­ sion de In liberté de l’homme ou la transformation par lui de ses conditions de vie ne sont pas un commence­ ment absolu par lequel il se crée lui-même, mais la ré­ ponse à une vocation de Dieu dont le monde des essences est l’expression. Mais par ailleurs elle ne fait aucune Îdace à l’histoire. El, d’autre part, mettant la réalité dans es essences plus que dans les sujets, elle ignore le monde dramatique des personnes, des universels concrets trans­ cendants ii toute essence et ne se distinguant que par l’existence, c’est-à-dire non plus selon l'intelligible et l’intellcction, mais selon la valeur et l'amour ou la haine > (Etudes, loc. cit., avril 1946, p. 14. C’est nous qui soulignons). Ce n’est pas comme un système clos et selon des < catégories » irrémédiablement fermées à toute assi­ milation de données nouvelles que la théologie scolas­ tique rencontre In pensée moderne; sa permanence n’est pas celle d’une construction achevée qui aurait fait son temps et dont la portée f-esterait par suite strictement limitée aux seuls problèmes qu’elle a historiquement envisagés, à «les solutions qu’elle a données et dans la formulation desquelles elle resterait à jamais figée. Nous croyons au contraire qu’elle est une façon de pensée parfaitement vivante, à la fois ambitieuse et capable d’entrer .dans les problèmes nouveaux et de les comprendre, de s assimiler tout ce que contiennent d'authentique les doctrines les plus modernes, mais trop respectueuse de la ! ■ j ; \ i i Ί 'I ; ·, · · f > ; ; ι | t vérité, trop soucieuse de garder sa rigueur scientifique et d’éviter les conformismes faciles, pour accepter de se parer immédiatement d’idées et de « catégories » qu’elle n’aurait pas nu préalable mûrement examinées et criti­ quées. C’est sans doute à ce titre qu'a voulu la restaurer Léon XIII; et si cette restauration n’a pas répondu à scs espérances, c’est sans doute qu'il lui aurait fallu trouver de plus nombreux et meilleurs serviteurs, ce n’est pas que la Théologie scolastique soit un mode de pensée dé­ sormais épuisé (i). Libre au P. Daniélou de se vouer à une théologie « dramatique > fort légitime dans le but précis, non point de développer le message divin sur le plan de la vérité spéculative, mais de rendre < sensibles au cœur > certaines données concrètes de la situation du chrétien en ce inonde; nous applaudirons à scs succès. Nous ne souhaitons pas moins que lui le développement de la théologie historique et autant que lui nous dési­ rons à la théologie spéculative elle-même le sens de l’histoire. Bien loin de l’en croire incapable, nous pen­ sons qu’elle y peut trouver de merveilleux développe­ ments, parce qu’elle a sous ce rapport des virtualités que beaucoup ne paraissent pas soupçonner. Il est clair égale­ ment que la théologie doit se rapprocher de la culture, se tenir au contact des diverses cultures, soucieuse de s’instruire de tout ce que celles-ci font connaître do l'homme, de sa situation historique, de scs dimensions existentielles. Mais elle n’y doit pas perdre le souci pri­ mordial de rester l’expression scientifique rigoureuse de la pensée chrétienne en travail sur les vérités de la foi. C’est à cela que nous appelle saint Thomas, à la fois par son exemple et par sa doctrine. L’élargissement que sou­ haite le P. Daniélou, si l’on s’en tient à ses expressions, •c solderait par une déperdition infiniment déplorable: la perte d’un acquis en lequel réside notre trésor intellectuel le plus précieux et la réduction de la pensée scolastique à l’état de témoin (permanent sans doute, mais comme l’est une statue dans un musée) d’un temps τόνο­ lu. Le thomisme ne prétend pas moins ù la vie que l'existentiaiisme ou le marxisme, ou l’évolutionnisme du P Teilhard de Chardin. Illi = =f PIÈCES DU DÉBAT PIÈCES DU DÉBAT ont précédé ayant irrémédiablement vieilli. Oui, beaucoup de choses ont vieilli, mais ce que nous ne pourrons jamais admettre, c’est que ce vieil­ lissement qui atteint en effet plus que des for­ mulations: toute une vue du monde caractéris­ tique d’un certain milieu culturel, puisse attein­ dre aussi la vérité théologique; ce que nous n’admettons pas, c’est que la sagesse théologique soit emportée par le flot de l’impermanencc (j) et (pie scs acquisitions ne puissent être tenues pour définitives. — ce (pii ne veut pas dire closes et imperfectibles, mais implique au contraire leur capacité d’assimilation progressi­ ve des résultats nouveaux de la réflexion. Je sais bien que celle conception pose des problè­ mes, plus de problèmes (pie n’en peut aborder celle simple note. L’occasion nous sera donnée d’y revenir, en particulier à propos des beaux efforts de, la Théologie missionnaire. Mais rcinarque-l-on suffisamment que les difficultés les plus graves n’ont pas moins de valeur contre la formulation même du dogme (pie contre l’idée d’un savoir théologique, inachevé certes cl tou­ jours perfectible, mais assuré en scs enseigne­ ments majeurs d’une vérité indéfectible cl, en beaucoup d’autres, d’une probabilité de plus en plus grande? C’est une tentation permanente pour l’intelli­ gence contemporaine de juger tout svstèmc d’expression intellectuelle, non essenlîcllcîncnt sur sa conformité avec ce qui est (comment l’atteindre?), mais d’abord et en definitive sur son rapport avec ce que son auteur et son temps I ont pense, avec ce qu’ils ont éprouvé. Les mys­ tères de la subjectivité l’intéressent plus que la vérité impersonnelle. Aussi cherchera-t-on avant tout dans une œuvre, son sens et sa portée de < témoignage >, sa valeur de sincérité, la riches­ se d'expérience et comme la vibration dont elle reste chargée; bien secondaire apparaît dès lors sa cohérence logique cl la signification propre­ ment intellectuelle, ou, comme on dit, « concep­ tuelle >, des analyses ou des synthèses qu’elle présente. 11 faudra parler pour tous nos con­ cepts, non plus d’analogie, mais de symbolisme, cl les juger dans leur valeur d’expression d’une réalité < vivante > en l’homme: expression com­ bien appauvrie et desséchée, combien réifiée dès qu’on les prend en leur signification logique, à côté de l’expérience dont ils jaillissent et dont on pourrait peut-être dire qu’ils sont les déchets plutôt que les fruits. Comment enfermer la vie dans des concepts? Comment surtout y enfer­ mer celte sorte de vie qu’est le rapport avec Dieu cl qui culmine en l’obscure conscience d’un mystérieux contact où l’on revendique la réalité d’une véritable expérience? N’y a-t-il pas une vérité plus précieuse que celle qui se trans­ met par l’enseignement clair: celle du témoi­ gnage d’une expérience spirituelle, et ne faut-il pas chercher dans ce sens la signification des grandes œuvres de l’esprit, celles du moins qui ont nour objet la connaissance de l'homme et de Dieu (1)? (Π Pnr’nnt des exigences devant îcsqnellcs se trouve la < théologie présente >. le B. P. Dnnlélou (Inns Particle déjà cité écrit: < Elle doit traiter Dieu comme Dieu, non comme un objet, mais comme le Sujet par excellence Il me semble qu’à celle tentation deux sortes d’habitudes de l’esprit moderne donnent un sin­ gulier pouvoir. L’une naît de la formation infi­ niment précieuse en elle-même aux disciplines historiques. Il est inutile de souligner combien le progrès de celles-ci nous paraît un gain inap­ préciable (1). C’est d’une authentique « dinien- I » ιΓ’ ; μ •’ T ■ .1 • I 1 ! f ■! 4! PIÈCES DU DÉBAT PIÈCES DU DÉBAT ; qui se manifeste quand et comme II veut, et par suite être d’abord pénétrée d’esprit de religion >. (Etudes, Avril 1946 p. 7. (C’est nous qui soulignons). Nous vou­ lons bien que le P. Daniélou parle un autre langage que nous, encore que nous nous attristions, le voyant si sou­ cieux d’entrer dans le vocabulaire des philosophies con­ temporaines, de ne pas bénéficier du même effort de sympathie. Mais ignore-t-il que la notion d'objet, dans le langage théologique, n’exclut ni < l’esprit de religion >, ui, comme il le dit plus loin, < le sens du mystère > (p. 16), et que donner à notre intelligence pour objet les mystères mômes de la foi, n’est pas seulement une ex­ pression de cette < théologie rationalisée > qu’est le < néo-thomisme >, c’est une expression consacrée par l’enseignement solennel du concile du Vatican, en des affirmations qui n’ont certes ni pour but ni pour résul­ tat d’évacuer le sens du mystère, même si elles ne se réfèrent pas aux catégories de Kierkegaard: < Hoc quoque perpetuus Ecclesiae catholicae consensus tenuit et tenet, duplicem esse ordinem cognitionis, non solum principio sed objecto etiam distinctum: principio quidem quia in altcro naturali ratione, in altero fide divina cognoscimus; objecto autem quia praeter ea ad quae naturalis ratio pertingere potest, credenda nobis proponuntur mysteria in Deo abscondita, quae nisi revelata divinitus, innotes­ cere non possunt >. Cone. Vatic., Sess. Ill, c. 4; dans Dcnz. n® 1795. sion > de l’homme et des choses humaines que grâce à elles, nous avons de mieux en mieux pris conscience. Rien d’humain, et pas même certes les idées ou les sciences les plus imper­ sonnelles, qui ne soit marqué par cet engage­ ment dans le temps et le lieu et ne soit par suite, infiniment mieux connu quand on a pé­ nétré sa structure essentielle en suivant son progrès, cette genèse si souvent lente et tâton­ nante, cette formation successive par les dé­ tours les moins attendus. Le P. Lagrange aimait â nous rappeler ce mot d’Aristote: « Le meil­ leur moyen de comprendre est de considérer les choses dans leur origine et de suivre leur déve­ loppement > (1). Voilà pourquoi nous applaudis­ sons sans réserve au propos d’exactitude histo­ rique que manifestent les collections dont nous parlons et nous félicitons leurs auteurs de l’apport substantiel que nous leur devons déjà. Nous dirons une autre fois le bien que nous d’éuolution, par exemple, reste de soi étrangère à une vue du inonde et de son devenir que commandent la phi­ losophie et la théologie de saint Thomas; il est cepen­ dant vrai que cette idée, telle qu’elle nous est devenue familière (souvent beaucoup plus comme un mythe que comme une notion précise) est en dehors des perspecti­ ves de saint Thomas lui-même. Mais si l’on entend par histoire le sens de l’événement, le sens de ce qu’est une économie de fait, il faut n’avoir que bien légèrement feuilleté la Somme pour ne pas saisir comment elle s’in­ sère, et avec elle tout le développement historique de l’humanité, dans la Tertia Pars. N’cst-ce pas saint Tho­ mas qui maintient précisément le caractère parfaitement < historique > de l’incarnation qu’aucune raison a priori ne nous oblige ù requérir, mais la seule économie pro­ videntielle du devenir concret d’une humanité pèche• rosse et rachetée? (k). (1) Aristote, Polit. I, I, 2. (1) Nous sommes loin de souscrire au jugement du P. Daniélou: < La notion d’histoire est étrangère au Tho­ misme > (Etudes, Avril 1946, p. 10). Si l’on veut parler de l’utilisation des méthodes critiques, nous avouerons que la préoccupation historique proprement dite ne s’est communément éveillée dans la pensée moderne que bien après saint Thomas; nous ne pensons pas que l’idée UUU -W r 1 PIÈCES DU DÉBAT I 4 t 1 I I i ? ,.* [h PIÈCES DU DÉBAT pensons, par exemple, des belles éludes du P. Daniélou (1) et du P. Hans von Balthasar (’2) sur saint Grégoire de Nysse et les questions qu’elles nous suggèrent. Mais autre chose est la méthode historique, autre chose la philosophie dont elle est souvent inconsciemment alourdie et qui constitue une pseudo-philosophie que beaucoup pensent avoir acquise par l’histoire. Il faut une constante vigilance de l’esprit pour manier avec toute la pureté intellectuelle qu’elle demande une mé­ thode très spécialisée. Nous avons été encom­ brés d’assertions pseudo-métaphysiques (c’est encore une manière de faire de la métaphysique que de la nier, une manière de parler d’elle sans y être entré) élaborées par des physiciens ou des biologistes selon des méthodes qui ont don­ né pour la biologie ou la physique les meilleurs résultats, mais n’aboulissent qu’à des pauvretés philosophiques. La loi du savoir n’est-elle pas de respecter la légitime autonomie des métho­ des? Certes, la considération historique offre une ample matière à la réflexion philosophique. La philosophie de l’activité humaine et de la culture ne peuvent pas s’en passer. Mais s’il est vrai que cette philosophie suppose un emploi (1) J. Daniélou. S. J., présentation dans « Sources chrétiennes » de la Vie de Moïse et annotations Λ In Création de l’homme, de saint Grégoire de Nyssc; et. du même auteur: Platonisme et Théologie Mystique ( < Théologie », Aubier 1944). (2) Hans von Balthasar, S. J., Présence et Pensée. Essai sur la philosophie religieuse de Grégoire de Nyssc. Bcnuchcsnc, Paris, 1942. Nous réservons également le comple rendu des travaux déjà signalés du H. P. Montdésert sur Clément d’Alexandrie. 43 rigoureux des méthodes historiques, elle vient après lui comme un type de réflexion bien dif­ férent et qui procède de tout autres principes. La pseudo-philosophie qu’inspirent inconsciem­ ment les méthodes de l'histoire, c'est le « rela­ tivisme », au sens fort d’une théorie, ou plus encore d’une altitude intellectuelle qui rempla­ ce ,a notion métaphysique de vérité spéculative par celle plus modeste de vérité historique, comme expression plus ou moins complète de la mentalité, de l'expérience humaine d’une époque ou d’un groupe d’hommes. L’idée même que notre esprit puisse arriver à saisir et à cer­ ner, en les mieux assurées de ses notions, une vérité intemporelle, devient proprement impen­ sable (Z). L’idée que celle vérité puisse être pour l’inlcl.igcncc humaine un gain définitif que renseignement pourrait transmettre aux hom­ mes les plus éloignés par le temps cl par les différences de culture, paraît absurde. Si l’hu­ manité ne progresse qu’en se dépassant, n’est-il pas contraire au mouvement même de la vie d’attribuer ainsi une valeur absolue pour l’intel­ ligence à des énoncés qui portent la marque évi­ dente de l’époque qui les a vus formuler, dji milieu culturel où i s ont trouvé leur naissance? N’cst-ce pas très exactement ce que ferait un adulte en voulant reprendre les vêlements qui suffisaient à son enfance? I Mais il faut alors renoncer à toute idée d’un enseignement valable sur le plan de l’universel, à toute fonction de Magistère permanent; et, nvre la notion d’acquisition, de gain, c’est celle même de progrès qui s’évanouit. Il est assez clair qu’en tout état de cause le progrès inlel- A H V H H I1 3 IW ri3 H in M -4 n i I ICU3 Λl>ir> 40 pièces nu débat PIÈCES nu DÉBAT » » ILF- lectuel ne peut être conçu comme une ascension rectiligne; la pensée comme la civilisation con­ naît des périodes tragiques de régression. Mais comment admettre que rien ne demeure de tout ce à quoi l’esprit s’éluil auparavant élevé, que tout ce qui avait été anciennement formulé, s’il a encore valeur d’exemple de ce que nous avons à faire devant des problèmes nouveaux, ne sau­ rait plus avoir valeur d’enseignement objectif? Nous voulons bien, avec le P. de Lubac (1) [ni] que le progrès de la théologie ne soit point assi­ milable à celui du dogme: les différences sont trop évidentes. Mais comment ne pas voir que les raisons par lesquelles on combat l’assurance d’un progrès théologique au profit d’une perpé­ tuelle refonte de nos conceptions sur Dieu, selon la diversité des temps et des cultures, garde­ raient toute leur valeur pour ramener à des proportions inacceptables dans l’Eglise le pro­ grès du dogme lui-même? C’est que la plus fon­ cière de ces raisons (on l’illustre par l'interpré­ tation de l’histoire, mais elle vient en définitive de tout autres vues que la connaissance histo­ rique), c’est la dépréciation de l’intelligence, le postulat commun à toute philosophie nomina­ liste que notre raison en son exercice de con­ naissance claire et formulable n’atteint directe­ ment que ses concepts et que ces concepts sont ί (1) Surnaturel, Coll. < Théologie ». Aubicr 1946. Avantpropos, p. 5. Reçu trop tard, ce livre sera recensé ulté­ rieurement. Corpus Mysticum du même auteur est ana­ lysé et apprécié plus loin par le R. P. M.-J. Nicolas {infra p. 383-389). C’est un des pins marquants de la collection mais tout en l’enrichissant d’un beau travail, il accentue son caractère de réaction contre la théologie spéculative­ ment élaborée par saint Thomas (n). { * 1 ^1^14141 m i » des abstractions vides, des cadres logiques de valeur toute pragmatique. Nous ne voyons pas qu’une telle caricature de la vie de l’esprit, qui ruine en effet la notion d’une théologie qui soit une science, s’accommode mieux avec l’idée du dogme tel que l’Eglise le propose et permette de rendre compte de la place que tiennent dans la Révélation et la prédication catholique, les va­ leurs de Vérité. Il n’est d’ailleurs que de voir ce que devient la notion, pourtant capitale non seulement dans l’enseignement de l’Eglise, mais dans sa pratique, dans sa vie, d'orthodoxie. Il est banal d’accuser l’Eglise romaine d’intransi­ geance dans les questions dogmatiques; ce ca­ ractère constant de sa pratique écnappe-t-il à l’action rectificative de l’Esprit divin qui l’ani­ me? N’esl-il que le poids tout humain d’une certaine forme de culture et fausse-t-il en réa­ lité le mystère essentiel de la vie chrétienne? Nous accorderons volontiers que l’idée môme d’orthodoxie et l’altitude pratique qu’elle com­ mande sont fort souvent abusivement étendues par des penseurs chrétiens à d’autres assertions qu’à celles de l’enseignement révélé tel qu’il est transmis par l’Eglise, qu’à partir de là se déve­ loppe aisément la déplorable habitude de vou­ loir trancher les questions par appel à l'autorité plus que par la discussion sereine et nous n’éprouvons pour cette forme d’argumentation aucune espèce de sympathie. Il n’en reste pas moins que le message divin s’adresse aussi en nous à l’intelligence, que par conséquent il la suppose et qu’il doit y avoir, même en son acti­ vité de connaissance distincte et formulable, de quoi rendre possible la solennelle affirmation demandée par Pie X: < Proinde fidem Patrum imiu; ù 4'j !.· I l PIÈCES DU DÉBAT firmissime retineo et ad extremum vilæ spiri­ tum retinebo, de charismate ucritatis certo, quod est, fuit cntque semper in episcopatus ab Apostolis successioni ; non ut id teneatur quod melius et aptius videri possit secundum suam cujusque aetatis culturam, sed ut nunquam aliter credatur, nunquam aliter intelligalur ab­ soluta et immutabilis veritas ab initio per Apos­ tolos praedicata >1. Nous pensons qu’il est infiniment précieux, en théologie comme en tout autre domaine du savoir, de connaître jusqu’en leur histoire la plus minutieuse les notions et les doctrines même les mieux assurées de l’enseignement théologique (2); c’est souvent par là que nous arrivons à faire le départ entre le contenu intel­ ligible permanent d’une idée et tout un ensem­ ble de visées contingentes qui lui ont été plus ou moins profondément associées au cours «le l’histoire, selon les milieux culturels, selon celle vue du monde propre à telle époque ou à tel penseur, dans laquelle celle idée peut avoir trouvé un vaste système de réferences qu’il est souvent fort difficile de démêler. Aussi n’y a-t-il aucune synthèse théologique dont l’inlcl.igcnce ne gagne infiniment à une connaissance plus précise du temps où elle est née, du milieu cul­ turel dans lequel elle s’est d’abord insérée, en lequel elle s’est inscrite. Mais s’il est vrai que (1) Dknzinger : Enchiridion symbolorum (18-20), ne 2147. (2) C’est pourquoi nous souhaitons a priori, que se mul­ tiplient des études comme celles du P. de Lubnc; leur très grande utilité est évidente et elles serviront d'autant plus qu’elles ne seront ni trop hfltlves, ni trop partielles, ni trop engagées dans une « thèse ». § PIÈCES DU DÉBAT l’activité intellectuelle soit une vie et que, par le concept grâce auquel elle s’actualise, eLe atteigne, au milieu de tout un conditionnement * subjectif de rapports logiques, la réalité extra­ mentale (et il est bien évident que cette question n’est pas du ressort de l'histoire), toute idée exprimée offre un intérêt bien différent de celui de scs caractères historiques, elle appelle une appreciation d un tout autre type: celle de sa vérité pure cl simple. C’est là un jugement que Jhistairc n’a pas à porter, encore qu’il ne soit souvent tout à fait bien porté que par qui con­ naît exactement l’histoire. Il se réfère à des critères d’un autre ordre. La question que nous déballons se trouve posée dans le premier volume de la collection < Théologie > par le P. Henri Bouillard. S. J. (1). La conclusion de cet ouvrage est animée par une préoccupation semblable à la nôtre: mon­ trer comment la méthode historique ne doit point conduire à un relativisme total (o). Le P. Bouillard affirme la permanence, dans l’évo­ lution théologique, non seulement < du dogme défini, c’est-à-dire (des) propositions canonisées par l’Eglise, mais encore (de) tout ce qui est contenu explicitement ou implicitement dans l’Ecriturc et la Tradition >. Il y ajoute < l’inva­ riant ou l'absolu de l’esprit humain, principes premiers et vérités acquises, nécessaires pour penser le dogme > (p. 221). Mais à vrai dire nous saisissons mal l’explication qu’il en donne. E le consiste à distinguer un ensemble d'affir­ mations absolues, des notions ou systèmes de H) II. Bouiiunn. S. J·. Conversion et grâce chez saint Thomas d'Aquin. Etude historique, Paris, Aubier, 1914. 4H PIÈCES DU DÉBAT notions on lesquels ccs affirmations s’incarnent. Les notions sont le domaine de la < représen­ tation > cl celle-ci est nécessairement affectée en elle-même d’un indice temporel qui entraîne pour elle une contingence radicale. Or ces deux éléments ne sont pas séparés, ne sont pas isolablcs pour notre esprit. Les affirmations abso­ lues ne sont pas atteintes par nous à côté ou comme étant au-dessus de la représentation d’ensemble que nous nous faisons, nous ne pou­ vons atteindre et penser ces affirmations que dans les notions (1). Quand celles-ci changent (et elles ne peuvent pas ne pas changer), c’est tout le système de la représentation qui s’établit sur un autre type; mais selon un ensemble de rap­ ports qui traduit à sa manière les mêmes affir­ mations éternelles. Celte explication laborieuse témoigne d’un méritoire effort pour échapper au relativisme; mais nous ne sommes pas sûrs qu’elle y réus­ sisse: certaines formules du P. Bouillard nous paraissent ne manifester que trop son échec. Si ces deux éléments se compénèlrenl au point que nous n’atteignons le premier que dans et par le second (car telle est < la loi de l’incarna­ tion », p. 220), comment pourrons-nous les dis­ cerner? Ce discernement ne pourra se faire que par nos « notions », il prendra place dans notre (1) < Il est essentiel de comprendre que ces invariants ne subsistent pas à côté et indépendamment des conccp- i tions contingentes. Ils se conçoivent et s’expriment néccs saircment en ellea. Mais quand elles changent, les con- copiions nouvelles contiennent les mêmes rapports abso­ lus, les mêmes affirmations éternelles > (p. 221). Par ' quel miracle et avec quelle garantie si ces éléments sont inséparables pour l’esprit? PIÈCES DU DÉBAT 49 « représentation > (1) il sera caduc comme elles. Nous sommes dès lors dans l’impossibilité de préciser quelles vérités la foi nous enseigne et quelles sont les < vérités acquises nécessaires pour penser le dogme >. Si nous pouvions les préciser, elles formeraient un ensemble d’affir­ mations durables placées ά côté et au-dessus des représentations qui passent. Confiera-t-on à l’Eglise divinement assistée le soin de déclarer, à l’intérieur d’un système de représentation, quels rapports de notions sauvegardent < l’af­ firmation éternelle > et lesquels la compromet­ tent? Mais l’Eglise est-elle chargée de nous ga­ rantir, outre le « dogme défini », < les premiers principes et les vérités acquises nécessaires pour penser le dogme >? (1) < La vérité chrétienne ne subsiste jamais à l’état pur. N’entendons pas par là qu’elle se présente fatale­ ment mêlée d’erreur, mais qu’elle est toujours encastrée dans des notions et des schèmes contingents qui déter­ minent sa structure rationnelle. Il n’est pas possible de l'en isoler. Elle ne s’affranchit d’un système de notions qu’en passant dans un autre... Jamais la vérité n'est ac­ cessible en deçà de toute notion contingente. C’est la lof de l’incarnation. > (p. 220. C’est nous qui soulignons.) Les formules ont sans doute ici dépassé la pensée du P. Bouillard, car il est bien obligé, quatre pages plus loin, de faire allusion à la possibilité pour nous de dissocier la vérité absolue et les notions contingentes: < Pour que la théologie continue d’offrir un sens à l’esprit, puisse la féconder et progresser avec lui, il faut qu’elle aussi re­ nonce à ccs notions. Malheureusement il n’est pas tou­ jours facile de les dissocier, sans erreur, de la vérité absolue qu’elle recouvre. > (p. 224). Mais < dissocier » n’est-ce pas mettre à part? Dissocier par l’esprit, n’estcc pas < penser indépendamment >, et n’allons-nous pas violer cette < loi de l’incarnation », chère au P. Bouil’ lard? .ιιιιιι·; 50 PIÈCES DU DÉBAT r » · f ( • * L Λ 1 C’est que dans l’explication du P. Bouillard, l’idée même de vérité prend une signification contradictoire; ce ne serait peut-être pas inquié­ tant pour une conception hégélienne de l’histoi­ re, c’est dangereux non seulement pour la théo­ logie, mais pour la foi chrétienne. Les mêmes notions doivent à la fois avoir celte solidité actuelle d’être pour nous le moyen d’atteindre et de penser des affirmations éternelles: par où elles sont actuellement vraies; cl celle instabi­ lité de devoir céder la place à d’autres essen­ tiellement différentes: par où elles deviennent fausses pour un autre temps ou pour une men­ talité dans laquelle la < représentation > est autre. Aussi n’est-cc pas par distraction, comme nous l’avions d’abord pensé, mais par l’exigen­ ce, peut-être obscure, d’une logique profonde, qu’après avoir pris soin de définir en leur oppo­ sition aux schèmes de la théologie moderne les schèmes propres de la théologie de saint Tho­ mas (1), le P. Bouillard est amené à dire, trois pages plus loin: « Quand l’esprit évolue, une vérité immuable ne se maintient que grâce à une évolution simultanée et corrélative de toutes les notions, maintenant entre elles un même rapport. Une théologie qui ne serait pas actuelle serait une théologie fausse > (2). Ce qui signifie (1) < On voit ù quel point saint Thomas a conçu et ex­ primé la vérité chrétienne selon des notions et des schè­ mes empruntés à Aristote. Il suivait l'engouement de son époque. Que l’on compare sa théorie h celle des Pères ou à la théologie moderne, qui a pourtant subi son influence, on remarque ce qu’il y a de contingent dans les concep­ tions et les systèmes où s'incarne successivement la pa­ role divine » (p. 216). (2) Ibid., p. 219. C’est nous qui soulignons. PIÈCES DU DÉBAT V 4 ol pour qui du moins a encore la naïveté de croire à la logique, que les notions en lesquelles saint Thomas a exprimé la théologie de la grâce constituent une théologie vraie de son temps, mais aujourd’hui fausse. Le P. Bouillard se pose ensuite la question îles notions impliquées dans les définitions con­ ciliaires. Le Concile de Trente, utilisant contre les Protestants la notion de causalité formelle l’aurait-il incorporée au dogme? « Nullement. Il n’était certainement pas dans l’intention du concile de canoniser une notion aristotélicienne, ni même une notion théologique conçue sous l’influence d’Aristote. Il voulait simplement affirmer, contre les Protestants, que la justifi­ cation est une rénovation intérieure et non pas seulement l’imputation des mérites du Christ, la rémission des péchés ou la faveur de Dieu. Il a utilisé à celte fin des notions communes dans la théologie du temps. Mais on peut leur en substituer d’autres sans modifier le sens de son enseignement. La preuve en est que lui-même a utilisé beaucoup plus souvent des notions équi­ valentes tirées de l’Ecriture > (p. 221-222). Mais la « rénovation intérieure > qui est es affirmée, < l’imputation des mérites du Christ », qui est écartée comme donnée suffisante, ne sont-ce pas là des notions'! Y trouverions-nous, par ha­ sard, à l’état pur, une de ccs < affirmations féternelles > que le P. Bouillard nous certifie cependant inaccessibles autrement qu’en des notions, en une représentation essentiellement temporelle et modifiable? El si ce sont encore des notions, échappent-elles au sort de toutes les autres nui, vraies en un temps, selon le sys­ tème où elles entrent, sont fausses plus tard, PIÈCES DU DÉBAT PIÈCES DU DÉBAT quand l’évolution de l’esprit a obligé à changer le système de représentation? Si du moins celle affirmation de rénovation est permanente, « irréformabic >, pourquoi pas celle qui énonce (pie la grâce sanctifiante est l’unique cause for­ melle de la justification « unica formalis cau­ sa *Ί Nous accordons volontiers au P. Bouillard que le Concile de Trente n’a voulu canoni­ ser ni Aristote, ni sa philosophie, ni telle ou telle de ses notions précisément comme aristo­ téliciennes, pas plus qu’il n’a canonisé des no­ tions thomistes comme thomistes. Mais s’il est vrai que l’intelligence humaine atteigne l’uni­ versel et que celui-ci soit autre chose qu’un nom commun, si le concept se réfère essentiel­ lement à une réalité objective qui, en scs notes essentielles, est indépendante de l’existence temporelle, une notion renferme autre chose (pic la référence à l’auteur qui l’a formulée, autre chose même que les modalités contingen­ tes de sa formulation, à savoir un élément qui est parfaitement intemporel parce qu’il exprime une nécessité essentielle. Voilà où peut se faire la distinction entre ce qu’un Concile utilise (car c’est bien en langue humaine que la vérité di­ vine nous est exprimée) et ce qu’il ne consacre pas; sous ce rapport précis, une notion n’est pas plus aristotélicienne ou thomiste que française, allemande ou‘grecque: elle est purement et simplement humaine. Cette distinction ne seraitelle pas une de ces < vérités acquises nécessai­ res pour penser le dogme >? Et je sais bien que le discernement entre le contenu essentiel d’une idée et ses connotations contingentes est souvent difficile à faire, qu’il peut être mal fait, C’est pourquoi, grande est la sagesse miséricor­ ,c s t (1) A propos des schèmes médiévaux, devenus selon lui inutilisables, le P. Bouillard écrit: < Ils ont servi en leur temps à transmettre le mystère et Λ ce tilre, sont vénérables. Mais, comme un vêtement démodé ou un outil trop ancien, ils gênent la marche de la réflexion théologique. Ils empêchent ceux qui ne les comprennent plus de saisir la signification exacte de la doctrine chré­ tienne > (p. 224. C’est nous qui soulignons). Ils ne se gênent donc pas ceux qui les comprennent? Et ne serace pas précisément la tâche du théologien de les ex­ pliquer? PIÈCES DU DÉBAT PIÈCES DU DÉBAT de la collection < Théologie > ; mais nous pen­ sons qu’il · importe de maintenir avant tout les valeurs de vérité et que les conformismes servent de quelque ordre qu’ils soient, mal (1) [p]. relief qu’a donné à celle méthode la doctrine freudienne du rêve. M. Roland Dalbicz l’analyse admirablement dans son ouvrage déjà classique sur la « méthode psychanalytique et la doctri­ ne freudienne > (1). Sans faire assurément aucu-_ ne assimilation entre la technique psychanalyti­ que et une forme de réflexion qui dépend de bien d’autres influences, et s’exerce sur une autre matière, nous pensons que ce rapprochement est éclairant. L’intérêt du rêve n’est pas sa signi­ fication objective, dont l’habituelle incohérence suffit à d’énoncer la vanité comme expression de vérité; cet intérêt ne doit pas être cherché comme « de face >, mais, pour ainsi dire, a lcrejo, du côté de scs causes subjectives, dans la vie des instincts et des affections dont il est la projection symbolique. Profonde est assuré­ ment la tendance de beaucoup d’esprits contem­ porains à considérer toute expression concep­ tuelle ou imaginative comme avant tout symbo­ lique d’une vie intérieure, d’une expérience (s): expérience d’ailleurs plus ou moins riche, plus ou moins authentique, dont il faudra se deman­ der si l’expression symbolique est un témoigna­ ge valable au lieu de se tenir sur le plan d’une simple amplification verbale. L’idée de vérité spéculative, exprimant de soi un rapport de conformité entre l’énoncé et les choses, s’infléchit alors vers une signification bien différente: celle de sincérité du témoignage et de l’expression, d’authenticité dans la forma­ tion de l’expérience. L’intérêt d’une philosophie ou d’une synthèse théologique ne sera plus sa signification d’ensemble, considérée dans la Il est une autre habitude de l’esprit moderne qui vient renforcer le relativisme facilement professé par l’historien à l’égard des systèmes d’idées: celle qui consiste à interpréter l’expres­ sion < conceptuelle > non point tant du côté de son signifié objectif, celui sur lequel, logique­ ment, elle prétend se mesurer, mais d’abord et principalement du côté de la vie subjective qu’elle traduit (r). Tout le monde connaît le k I dieuse de l’Eglise qui évite le plus possible d’uti­ liser pour formuler le dogme, les mots ou no­ tions trop engagés dans des controverses; elle ne l’évite pourtant pas toujours: elle a fait siens les mots et les notions de personne, de nature, de transsubstantiation et d’autres aussi précis, ce qui ne l’inféode ni à Aristote, ni à Athanase, ni à Augustin, mais provient de la nécessité d’exprimer les choses divines en lan­ gue humaine. Ici apparaît en pleine lumière le bénéfice propre des méthodes de l’histoire, dont nous n’apprécions pas moins les services que le P. Bouillard lui-même, mais qui ne sont assu­ rément pas ordonnées à résoudre le problème des universaux. Cela nous ramène, il est vrai, aux vieux débats de la nature et de l’individu, de l’essence et de l’existence, de l’abstrait et du concret. Nous pensons (pie ces problèmes se posent encore avec la même nécessité qu’autrefois et que la réponse à leur faire n’a pas chan­ gé. Il est bien vrai qu’ils ne sont pas au goût du jour; mais les catégories du nouveau et de l’ancien ne sont pas un critère en métaphysi­ que. Nous sommes sensibles aux intentions apologétiques (1) de beaucoup des collaborateurs (1) Nous ne nous arrêterons pas longtemps au livre du R. P. Fessard: Autorité et Bien Commun. Son sujet pro­ pre est trop éloigné de nos présentes considérations. Mais il les rejoint par sa méthode et son souci explicite d’une plus totale adaptation aux besoins de l'intelligence con­ temporaine: < Longtemps, h la réflexion des philosophes, cette notion de bien commun apparut comme la clef de voûte de tout édifice social. Puis lorsque le citoyen eut pris conscience des droits qui sont l’apanage de la nature humaine, elle fut détrônée et rentra dans l’ombre. Au­ jourd’hui elle commence à sortir de l'oubli où elle était tombée. Mais ceux là même, juristes, philosophes et théologiens, qui la poussent vers des honneurs nouveaux, ne ta présentent d'ordinaire que sous des habits dont la coupe remonte au XIII91 *siècle. * * * * Accoutrement ** qui rend malaisée son ascension > (p. 8. C’est nous qui le souli­ gnons). On voit que cette comparaison vestimentaire, déjà célèbre au début du siècle, continue, elle aussi sa for­ tune. Nous l’avons rencontrée sous la plume du Π. P. Bouillard. Est-il besoin de souligner son impertinence quand il s’agit d’apprécier la permanence ou la caducité de notions essentielles à la théologie de saint Tho­ mas? (7). (I). I., ch. 2, pp. 61-201. (Dcsclée de Brouwer, Paris 1936.) DD 57 PIÈCES DU DÉBAT PIÈCES DU DÉDAT cohérence de ses assertions, ce ne sera plus sa valeur d’enseignement comme transmission de vérités permanentes: à ce point de vue tout sys­ tème d'idées n’est-il pas soumis au vieillisse­ ment. à la mort? Son intérêt, si c’était une gran­ de philosophie vraiment humaine, si c’était une théologie authentique, est avant tout dans l'ex­ périence intérieure dont il émane, dans la < spi­ ritualité > dont il est issu et qui fait sa véri­ table valeur (1). Nous ne songeons pas à nier l’influence que peut avoir sur une élaboration théorique le < climat spirituel > à l’intérieur duquel cette théologie se construit; encore moins nieronsnous l’influence qu’ont exercée de fait diverses expériences sur l’orientation des différentes synthèses théologiques: c’est là une donnée trop évidente, chère à l’historien des doctrines et précieuse à la réflexion sur la théologie ellemême. Mais ce que nous ne pouvons admettre, r>6 - (1) Rendant compte du petit opuscule de M. Gilson: < Théologie et Histoire de la Spiritualité », le R. P. Daniélou écrit: < Il est vrai que la théologie a droit de donner les principes, tandis que les faits relèvent de l’histoire. Mais encore faut-il bien prendre garde à no pas appliquer les principes de telle école théologique A n’importe quelle spiritualité. Il est clair» par exemple, que les rapports de la contemplation et de l’action tels que les conçoit la philosophie de saint Thomas, ne peu­ vent aucunement rendre compte de spiritualités commo celles de saint François ou de saint Ignace. Il en résulte que, si la théologie peut nous aider A comprendre la spi­ ritualité, la spiritualité A son tour fera, dans bien des cas, éclater nos cadres théologiques et nous obligera A concevoir divers types de théologie. C’est un des grands bienfaits que nous avons A attendre du développement de la théologie spirituelle. Si M. Gilson n’en a pas parlé, toute son œuvre en fait foi, qui nous montre qu’à cha­ que grande spiritualité a correspondu une grande théolo­ gie et que saint Augustin, saint Bernard, saint Thomas et saint Bonaventure ont eu chacun la théologie de leur spiritualité. » Revue du Moyen-Age latin I, 1 (JanvierMars 1945, p. 65.) Nous n’avons pas qualité pour exposer la vraie pensée de M. Gilson, mais nous lui savons gré de n’avoir pas parlé un tel langage sans plus de nuances. Nous ne pensons pas que ses très belles éludes, auxquel­ les se réfère le R. P. Daniélou et dont la méthode nous paraît excellente au point de vue de l’histoire de la pen­ sée chrétienne, entraînent le moins du monde une con­ ception aussi simple. C’est un très grand bénéfice pour comprendre une synthèse théologique, en apprécier PIÈCES DU DÉBAT c’esl l’évacuation complète, en une pareille fa­ çon de voir, de l’idée de vérité spéculative. Et à qui nous demanderait si nous croyons que la vérité nous soit accessible, nous aurons la naï­ veté de répondre oui. Nous entendons par vérité la conformité de ^intelligence connaissante avec un réel qui est pour elle un donné, nulle­ ment un < construit >. Il est vrai que cette con­ formité se fait pour nous à travers des catégo­ ries appauvrissantes parce qu’elles sont le fruit d’une activité abstractive; mais nous pensons qu’au moyen de ces catégories, c’est une authen­ tique intuition intellectuelle qui atteint les cho­ ses. Autrement dit, nous tenons pour valable sur le plan de la vérité intemporelle, l’explication philosophique que donne saint Thomas du pro­ blème de la connaissance. Valable, non pas pré­ cisément parce que nous l’avons reçue ou qu’on nous aurait donné mission de la défendre comme l’expression d’une orthodoxie, mais parce que nous pensons en saisir la vérité per­ manente, et qu’elle est pour nous plus vivante que des théories contemporaines auprès des­ quelles certes nous trouvons aussi à nous ins­ truire, car nous en saisissons l’intérêt, en même temps que, croyons-nous du moins, les défauts. Tl y a sans doute plus de respect, je ne dis pas seulement pour la vérité, mais pour les diverses doctrines, à la franche reconnaissance d’un dé­ saccord permettant une discussion loyale, qu’à la constante disposition, si bien intentionnée soit-elle, de profiler des moindres convergences pour affirmer un substantiel et miraculeux accord. l’orientation profonde, de voir en effet dans quel climat spirituel elle a été élaborée, a quelle expérience, A quelle intuition fondamentale elle répond. Mais cela n’empêche nullement que du fait même qu’elle est passée sur le plan de la formulation intellectuelle, celte théologie de­ vient justiciable de tout autres appréciations que la spi­ ritualité dont elle émane: celle élaboration n’est pas auto­ matique et infaillible, et les assertions qu’elle contient prétendent bien se mesurer sur une réalité objective. Elle relève dès lors de la question de la vérité spéculative. Dira-t-on que, dans l’ordre théologique, deux systèmes d’énoncés contradictoires peuvent être vrais en même temps? Certes, il sera précieux de comprendre A quoi tient la diversité de leur ton, A quoi tient peut-être le gauchissement que l’une a subi en son élaboration ration­ nelle; mais il faudra bien, si une assertion est vraie et qu’une autre la contredise vraiment sur le plan rationnel, que cette seconde ne le soit pas. Et il est clair, précisé­ ment parce que tout un travail d’analyse et de synthèse a présidé A cette élaboration, que le jugement défavo­ rable porté sur tel ou tel de scs énoncés, ne disqualifie pas pour autant l’expérience spirituelle du théologien: celle-ci peut très bien avoir été et être toujours parfai­ tement authentique. Et s’il était vrai que la théologie de saint Thomas ne puisse rendre compte des expériences auxquelles se réfère le P. Daniélou, il faudrait simple­ ment en conclure qu’elle n’a point atteint en cela l’uni­ versalité que demande une vraie science, qu’elle est res­ tée trop étroite. Mais cela, nous attendons qu’on nous le démontre. PIÈCES DU DÉBAT Λ ce propos, malgré l’estime que nous avons pour l’intention apostolique de scs travaux et la haute valeur de beaucoup de ses recherches (1), nous nous demandons si la façon un peu cavalière dont le P. Daniélou annexe à la théologie contemporaine, grâce aux efforts du P. Teilhard de Chardin, le bénéfice de la ré­ flexion marxiste, de la réflexion existentialiste, etc... (0 ne relève pas du concordisme le plus fâcheux, homologuant les pins superficielles rencontres (2). Les RR. PP. de Lubac et Danié(1) C’est pourquoi nous nous excusons de donner tant d’importance à un article écrit, en somme, pour le < grand public > et qui relève peut-être du genre, hélas! aujour­ d’hui florissant, de la propagande. Mais cct article con­ tient de telles prises de position, un dédain si ingénu pour le thomisme contemporain que la Revue Thomiste ne peut se dispenser de le relever. Citons, par exemple: < Devant le danger d’qgnosticisme, le néo-thomisme a accusé encore le rationalisme théologique (p. 6). < Il s’agissait de parer aux dangers créés par le modernisme. Le néo-thomisme et la Commission Biblique ont été ces garde-fous. Mais il est clair que des garde-fous ne sont pas des réponses > (p. 6-7). Et plus encore que des asser­ tions particulières, c’est le ton même de l’article qui té­ moigne d’une estime assurément médiocre pour un mode de pensée que l’auteur regarde comme périmé, mais que nous tenons pour toujours valable et auquel la Revue Thomiste prend a cœur de rester fidèle. (2) « Il est remarquable que le dogme du péché originel nous mette précisément en présence de ces deux abîmes: celui de l’histoire et de la bonté du monde, celui de la liberté et de l’absurdité du monde, qui sont précisément, nous l’avons vu tout Λ l’heure, ceux que le marxisme et l’existentialisme ouvrent devant nous. On volt comment le mystère chrétien est celui en qui le conflit de la pen­ sée moderne trouve son expression suprême, et qu’ainsi, pour que la théologie soit présente λ notre temps, il lui suflil d’aller au bout de toutes ses exigences et de tenir A la fois A saint Irénéc et A salut Augustin, au Père Teilhard et A Kierkegaard >. J. Daniélou, art. cit.t Etu­ des. avril 1946, p. 16. > «0 PIÈCES DU DÉBAT 61 PIÈCES DU DÉBAT 4 ♦ lou paraissent aimer la remise en question de positions trop facilement tenues pour acquises: nous nous sentons bien d’accord avec eux sur ce point. L’utilité de cet esprit critique est grande dans l’Eglise; celle-ci, par tout un en­ semble d’institutions, possède une telle puis­ sance de conservation et de « tradition > qu’il faut se réjouir de voir parallèlement s’exercer dans son sein et, selon nous, avec autant de fidélité à son véritable esprit, ce constant souci de vérification; nous croyons assez à la vérité de l’Eglise pour penser qu’elle n’a aucun besoin de nos mensonges et que beaucoup de nos < prudences > sont bien pusillanimes. Mais c’est précisément de l’esprit critique que nous de­ mandons quand nous voyons l’empressement du P. Daniélou à faire converger vers une théologic renouvelée, beaucoup de données encore bien équivoques de la philosophie conlemporaine. t L elle, selon des formulations éminemment con­ testables. Il est facile de constater que, de nos jours, la philosophie a souvent décimé vers la littérature; aussi s’est-on trouvé amené à l’ap­ précier selon les mêmes normes que la poésie et l’art. Je sais combien paraît ingénue à beau­ coup l’idée même que la philosophie puisse être conçue comme une science exacte, sou­ cieuse de rigueur technique et de précision. Cette conception, je l’avoue, s’est trouvée com­ promise par l’idée cartésienne d’un savoir uni­ fié et comme étalé sur un plan de clarté immé­ diate, du type des mathématiques: idée con­ servée par le rationalisme classique, mais aussi opposée que possible à celle de saint Thomas. Aussi sommes-nous bien loin de nous sentir profondément d’accord avec les revendications de M. Julien Benda par exemple (1), dont nous n’apprécions ni les jugements souvent bien courts sur les maîtres de notre littérature con­ temporaine, ni la « philosophie » toute calquée sur le modèle de sciences qui sont à un autre plan du savoir; c’est une philosophie en vérité trop facile malgré ses exigences de précision. Mais, compte tenu de ces remarques, nous lui savons gré de plaider pour la netteté et pour la rigueur, de dénoncer dans l’usage d’un vocabulaire flottant une culture de l’équivoque, de rappeler à une élémentaire distinction des genres. Cette distinction n’est pas une classification arbitraire, mais l’expression d’activités spirituelles foncièrement différentes par les 4I 4 x K La puissante poussée des philosophies irra­ tionnelles est sans doute la cause principale de l’offensive à laquelle nous assistons contre la pensée scolastique; elle n’est pas la seule; ou plutôt l’expérience qui lui a donné naissance s’exprime aussi en d’autres domaines. Nous sommes bien loin de dénier à cette expérience toute valeur, bien loin de la croire inassimilable à la pens-ée théologique: nous en éprouvons le sens humain; mais nous pensons que les caté­ gories en lesquelles elle se formule ne doivent pas échapper à la critique et nous nous refu­ sons à voir la pensée théologique assimilée par < MyH Ί Ί, B Ί G2 I t J 1 L ί ) ► I Λ 1 t 1 .· ; ί • f ! f. [ I (1) De la mobilité de la pennée selon une philosophie contemporaine. Bévue de Métaphysique et de Morale, Juil­ let 1945, p. 161-202. » PIÈCES DU DÉBAT PIÈCES DU DÉBAT principes mêmes et les critères auxquels elles se réfèrent (u). Pas plus que la métaphysique, la théologie ne se prête à être jugée selon les catégories de l’esthétique, je ne dis pas dans scs expressions, mais dans la valeur d’universalité cl de permanence des vérités qu’elle définit. Là est le défaut pour donner un exemple, d’une page brillante et superficielle, écrite par un auteur des plus distingués, et qui, sans appartenir à l’un des ouvrages des deux collections que nous recensons, trouve une place naturelle en notre chronique: < Dans un présent si ambigu, entre une mort qui se consomme et une vie qui naît, que peut, que doit faire le théologien? Son premier mouvement sera de se retourner une fois de plus vers le passé; ce retour sera bienfaisant, mais ù une condition: qu’il comprenne bien que Γhistoire, loin de nous dispenser de l’effort créateur, nous Pimpose. Nos artistes, et en particulier nos architectes, en conviennent tous: un temple grec, une église romane, une cathédrale gothique méritent notre admiration, parce qu’ils sont les témoins d'une vérité et d’une beauté incarnées dans le temps. Mais les reproduire à l’heure actuelle est un anachronisme, d’autant plus choquant que la copie en est plus minutieusement exacte. Prélcndre les rajeunir, les adapter aux besoins du temps, est encore pire: un tel effort ne peut engendrer que des horreurs. Toutes les < adaptations > au goût du jour sont promises au meme destin: pas plus que l’architecture, la théologie n’échappe à cette loi universelle. Dans le si g le néo-grec, la colonne antique perd sa vertu et sa naïveté originelles pour devenir un insupportable pastiche. El de même saint Thomas: « Un grand 63 docteur considéré, célébré, consacré, canonisé, ^1 enterré > (Péguy}. Qu’on ne s'imagine pas que X d'autres soient à nos yeux capables de mieux ré­ sister à pareil traitement. Nous nous tournons I vers un passé plus lointain, mais sans croire que, .■ pour rendre la vie à une pensée languissante, il suffise d’exhumer les < Pères grecs > et de les |l adapter vaille que vaille aux besoins de l’âme il moderne. Nous n’avons point la candeur de pré­ || 1· férer à une théologie « néo-scolastique >, une JB théologie « néo-patristique! >. Aucune situation J· historique n’est jamais absolument semblable à quelqu’une de celles qui l'ont précédée, aucune 4· il ne pourra donc fournir ses solutions propres ]■ comme des passe-partout aptes ά résoudre nos .il problèmes actuels > (1) [uj. Mais csl-il si sûr qu’une période historique ne 11 il· connaisse forcément que des problèmes particu­ |l- liers cl qu’il lui soit toujours refusé de s’élever Jl· à des problèmes simplement humains, dont les m données et la solution atteindront à un plan de fl. vérité universelle? Et s’il est vrai que vérité et fl beauté se rejoignent cl -s’identifient réellement il dans l’être, dont elle nous expriment des riches­ jl ses (pic notre première notion ne suffit pas à ex­ :ll pliciter, elles ont précisément un signifié diffé­ II rent, par où elles exigent de nos activités spiri­ W tuelles des altitudes foncièrement diversifiées. fl Nous attendons autre chose d’un enseignement -fl' que d’éveiller en nous le sens du beau ou de nous fl introduire à une expérience incommunicable: s’il fl fl. fl (1) Ilans von Balthasah, S. J.: Présence et pensée. fl (Bcnuchctnc, Paris, 1942). Avant-propos, p. vill. C’est fl nous qui soulignons. Λ i · <)» PIÈCES DU DÉBAT fait cela aussi, nous ne lui en serons que plus redevables, mais son premier office est de nous élever a percevoir à notre tour, avec noire intel­ ligence personnelle et vivante certes, des vérités que d’autres ont perçues avant nous et qui ont pour nous la môme valeur que pour eux. Une théologie n’est pas une pièce de musée, ne de­ mandant de nous que l’émulation de faire aussi bien sur de nouveaux frais. Nous pensons pour notre part qu’il y a, dans le domaine du savoir, des acquisitions définitives: ce ne sont pas toutes celles qui ont semblé l’être ou qu’on a crues tel­ les. Il y a dans l’iiistoire de la pensée bien des illusions et des régressions. Mais celles que le temps a éprouvées sont, parmi les richesses de notre culture, les plus précieuses. Et si saint Thomas nous est si cher, c’est qu’il est à nos yeux le théologien qui nous introduit le mieux, avec â la fois le plus d’efTdccment et de hardies­ se, dans cette « très fructueuse intelligence des mystères > qui, selon le Concile du Vatican, cons­ titue la théologie. I (a) Cette chronique tient dans la Revue Thomiste une place modeste. Des < tirés à part », où elle a été unie â la chronique qui la suivait et où le P.M.-J. Nicolas par­ lait de la théologie de l’Eglise, en ont été faits comme de tous les autres articles et de toutes les Etudes critiques un peu longues de la Revue, au nombre habituel de 25 tirés à part, dont 20 reviennent Λ l’auteur cl 5 A la Direc­ tion de la Revue. Comme il y avait deux auteurs, le pré­ sent tiré à part a été fait ù 50 exemplaires. Nous en avons adressé aux intéressés et à quelques amis: cette distribution n’a pas dépassé 35 exemplaires. C’est ce tiré à part qûe nos contradicteurs appellent une < brochure de combat » répandue d’une < manière insolite > (Ré­ ponse p. 94). Il est vrai que ce tiré à part a paru avant le fascicule de la Revue auquel il appartient et surtout avant que ce fascicule fût distribué en France. Les R. R. P. P. ne sont pas obligés de savoir que mon précédent article: < La Théologie intelligence de la Foi », qui d’ail­ leurs n’attaquait personne, a paru dans les mêmes con­ ditions et avec encore plus de précocité. Cette fois encore j’ai pressé la parution parce que je voulais faire savoir au plus tôt au R.P. Daniélou que son article des Eludes (Avril 1916), dont chaque jour nous apportait de nou­ veaux échos, était relevé par ceux-là mêmes Λ qui il ma­ nifestait un si apparent dédain. (1947). fr. M.-Michel Labourdette, O. P. (b) Ce caractère de la collection Sources Chrétiennes que je signale parce qu’il est intéressant, ne me scanda­ lise pas. Ma seule critique, exprimée en note est que ce dessein, en lui-même excellent, de rendre vie aux textes anciens n’est pas pur, mais infléchi par un souci apolo­ gétique d’adaptation au goût du jour, vers le choix des œuvres où se manifesterait le mieux l'insuffisance ac­ tuelle de la théologie scolastique. Ce que j’ai appelé une < arrière-pensée » pour la collection, n’en est pas une pour le P. Daniélou qui l’a explicitement déclarée, d’une façon que nous sommes en droit de juger « autorisée > puisqu’il est, avec le P. de Lubac, directeur de la collec­ tion Sources Chrétiennes. Que le lecteur veuille noter chacun des reproches précis qui me sont fails: il cons­ tatera la même déformation. (1947). 5 IIII4II? GG PIÈCES DU DÉBAT (c) J’explique plus loin, à la fin de ma Réplique (p. 131 et ss.) le véritable sens de ce propos, cjui n’est pas du tout celui qu’on m’a imputé. (1947). (f) Ce n’est pas seulement dans l’abstrait que j’ai loué le propos de la collection Théologie, c’est en une de ses excellentes réalisations; et tout ce que j’ai loué dans le livre de M. J. Mouroux, je ne l’ai nullement opposé au dessein de la collection, j’ai dit au contraire qu’il y ré­ pondait. (1947). (g) On me fait dire: « Mais qu’on ne prétende pas au­ jourd’hui encore chercher en ces temps reculés quelque nourriture intellectuelle directement assimilable: on ma- nifesterait de la sorte < une évidente dépréciation » de l'effort qui les a suivis > (p. 84). Que ne in a-t-°n La où nous regrettons que, bien inutilement, cette dépré­ ciation accompagne la mise en lumière des richesses patristiques (et certes dans le but de nous en nourrir, de les assimiler directement) on nous fait dire que la seule mise en valeur des Pères constitue une dépréciation de la scolastique. (1947). (h) Ici encore notre pensée est habilement déformée: < Le*P. Labourdette ne professe < aucun dédain », nous asturc-t-il, pour les douze premiers siècles de la pensée chrétienne ». Faisons déjà remarquer que le ridicule de celle phrase provient entièrement de la correction appor­ tée à une assertion dont on ne cite que deux mots; nous disions: cela (i. e. l’affirmation du caractère scientifique de la 'rhéologie scolastique) n’implique aucun dédain polir ce qui l’a précédée (i. e.: une théologie encore prépré­ scientifique). La Réponse continue: « 11 ne paraît guère cependant les apprécier qu’en tant que la synthèse tho­ miste en a drainé la substance. Puisque cette synthèse < représente l’état vraiment scientifique de la pensée chrétienne » pburquoi s’attarder Λ son état pré-sclontiti­ que? » (p. 84). Nous ne renions pas le procédé dialec­ tique qui consiste ù déduire l’absurde de nos proposi­ tions; encore faudrait-il ne pas avoir l’air de nous im­ puter de l’avoir dit nous-mêmes et montrer que l'absurde sui. de ce que nous avons vraiment écrit. Or nous avons écr t < On ne le mettra jamais assez en valeur, et la syn­ these thomiste la première en bénéficiera >: ce qui est précisément le contraire, car il est clair que ce bénéfice consistera à intégrer des éléments nouveaux que cette synthèse n’avait pas encore drainés jusque là. Et je crois que c’est en effet le cas pour bien des données de la tradition grecque. (1947). (Il On nous reproche d’avoir fait dire au R.P, Daniélou que la 'rhéologie scolastique est un mode de pensée désurmais épuisé. Mais ne dit-il pas qu’elle est étrangère aux catégories dans lesquelles on pense aujourd’hui? Comment pourrait-elle porter des fruits valables dans un monde qui n’est plus le < monde immobile de la pensée grecque où^sa mission a été d’incarner le message chré- h Π 17 L.-LKM TV (d) Nous demandons qu’on veuille bien voir dans cette déclaration tout autre chose qu’une simple clause de style: l’exacte expression de notre pensée (1947). I 67 7 I (c) La Réponse proteste: < Ainsi, pour comprendre le sens cyclic d'innocentes traductions des Pèrcst fnudrnitil les interpréter d’après une collection d’études théolo­ giques » (p. 78). Λ quoi je réponds 1. Pour comprendre le < sens caché » de la collection Sources Chrétiennes, je n’ai pas eu besoin d’une autre collection, il rn’a suffi de la déclaration expresse de son directeur (cf. note précé­ dente). 2. Tout lecteur peut se rendre compte, d’après la seule liste des volumes parus, jusqu’où va la commu­ nauté des auteurs et des sujets entre ces deux collec­ tions: le P. Daniélou qui, dans Sources Chrétiennes pré­ sente un volume de saint Grégoire de Nyssc et en annote un second du même Docteur, publie dans la collection Théologie un gros ouvrage sur le même Grégoire de Nyssc. Le P. Montdéscrt qui traduit dans la première « Prolrctiquc > de Clément d’Alexandrie, public dans la seconde une étude sur le même Clément d’Alexandrie; le P. de Lubac qui dans Sources Chrétiennes plaide pour l’exégèse symbolique d’Origènc, donne h Théologie un volume (Corpus Mysticum) où est souligné avec complai­ sance l’appauvrissement qu’a représenté pour la réflexion théologique la substitution de la < dialectique », de la < ratio » (par où s’est constituée la théologie scolasti­ que), à la méthode symbolique des Pères. Et d’ailleurs le rapprochement des deux collections a été fait par le R. P. Daniélou lui-même dans les Etudes (Avril 1946, p. 10). (1947). ! PIÈCES DU DÉBAT PIÈCES OU DÉBAT (>«S PIÈCES DU DÉBAT (m) Je m’explique plus loin, dans ma réplique (p. 127) sur la portée de cette citation. (1947). (j) On s’étonne que nous ayons éprouvé le besoin de nier que la sagesse soit emportée par le flot de l’impermancncc. < Rien n’autorise personne à nous soup­ çonner de le vouloir, cl lui-même ne cite pas un texte de nous qui le donne à entendre » (p. 76). J’ai pourtant cité, et avec toutes les précisions nécessaires et fort abondamment, les textes du R. P. Bouillard, entre autres celui-ci : < Quand l’esprit évolue, une vérité immuable ne se maintient que grâce à une évolution si­ multanée et corrélative de toutes les notions maintenant entre elles un même rapport. Une théologie qui ne serait pas actuelle serait une théologie fausse > (cité p. 50). C’est une singulière idée de la permanence des assertions théologiques que celte perpétuelle refonte de toutes les notions, au point que clans ce qui était leur teneur à une certaine époque elles sont plus tard fausses. (1947). ! (k) < Pourquoi s’indigner si fort en entendant dire que, historiquement considérée, elle (l’œuvre de saint Thomas) manque d’un certain sens de l’histoire? » (p. 87). Le R. P. Daniélou n’a pas dit que l’œuvre de saint Thomas historiquement considérée manque d’un certain sens de l’histoire; ce que je n’aurais nullement contesté parce que je l’admets fort bien; il a dit, et je l’ai cité littérale­ ment, que < la notion d’histoire est étrangère au tho­ misme ». C’est cela que j’ai critiqué. 11 a le droit de dire qu’il s’est trompé ou que son expression a dépassé sa pensée (ici ce serait de beaucoup!); il n’a pas le droit de remplacer scs précédentes assertions par une nouvelle pour pouvoir prétendre qu’on l’a injustement attaqué. C’est une honnêteté élémentaire qui est ici en jeu. (Je ne mets d’aillcurs pas en cause sa personne car j’ai d’ex­ cellentes raisons de penser qu’il n’a pas rédigé la Réponse anonyme; je ne parle que du procédé du rédacteur). (1947). (1) La Réponse proclame son accord et s’indigne qu’on ait jugé bon de rappeler des vérités aussi élémentaires. Mais ce rappel est, a mon avis, parfaitement justifié par les textes cités plus loin du H. P. Bouillard, auxquels ces paragraphes servent d’introduction. Je lui reproche (et on ne me répond rien à ce sujet) de s'être laissé prendre h la pseudo-philosophie qu’inspirent inconsciemment les méthodes de l’histoire au point de ne plus oser concevoir la permanence d’une notion. (1947). 7ü GU (n) Le R. P. de Lubac a mal lu celte note. Il en rap­ porte la dernière phrase A Surnaturel et triomphe de montrer qu’elle ne s’y applique pas (p. 389). Tout lec­ teur voit aussitôt que cette phrase, logiquement et gram­ maticalement se rapporte a Corpus Mysticum pour lequel je crois parfaitement valable l’appréciation qu’elle ex­ prime. (1947). I (o) Je souligne que ma < critique négative » a cepen­ dant reconnu et réservé le propos du R. P. Bouillard; c’est la valeur de scs explications que j’ai contestée. (1947). i r > (p) Il est regrettable que la Réponse, tout en m’accu­ sant d’avoir soulevé, absolument en l’air et sans aucune analyse précise, le problème du relativisme historique et doctrinal, ne parle pas des objections que je fais au R. P. Bouillard Λ partir de scs textes. Franchement avons-nous eu tort de considérer ce livre comme représentatif de l’esprit d’une Théologie nouvelle? (1947). (q) Voici comme on répond à notre critique: < Il n’est pas question de rejeter comme un vêtement démodé la notion traditionnelle de Bien Commun, mais tout à l’in­ verse de la remettre en valeur: tout l’ouvrage en fait foi ». Or, nous n’accusons aucunement le P. Fcssard de vouloir rejeter la notion de bien commun, mais bien la philosophie dans laquelle elle a été pensée par saint Thomas, 1’ < accoutrement du Moyen-Age » qui empêche son ascension. (1947). (r) Répondant a notre assertion, nos censeurs écrivent: < C’est encore â un relativisme historique ruineux de l’idée même de vérité, que l’on s’en prend lorsqu’on se plaint que certaines études s’intéressent moins au < si­ gnifié objectif » de la pensée qu’elles analysent qu’ù la < vie subjective » que cette pensée manifeste » (p. 89). On bloque ici deux tendances soigneusement distinguées dans notre élude, dont la première qu’on pourrait ap­ peler celle du relativisme historique est la plus longue­ ment analysée, d’abord en général, telle que la menta­ lité contemporaine a tendance à l’introduire en théolo- PIÈCES DU DÉBAT PIÈCES DU DÉBAT gic (p. 40 à 47), ensuite sous la forme qu’elle prend dans le livre caractéristique du P. Bouillard (p. 47 à 64). La seconde tendance est le relativisme subjectif viste qui est brièvement analysé comme un simple renforcement du relativisme historique, dont est don­ né pour exemple le compte rendu du P.’Daniélou sur un livre de M. Gilson. (1947). (s) On parle ici < d’une brillante tirade où la virtuosité de son auteur trouve moyen de faire appel h la doctrine freudienne du rêve et à la méthode psychanalytique, en quoi il ne s’agit d’ailleurs que d’un rapprochement éclai­ rant ». Qu’on relise notre texte et qu’on nous dise s’il n’eût pas été plus < éclairant » de citer aussi celte phra­ se: < Profonde est assurément la tendance de beaucoup d’esprits contemporains h considérer toute expression conceptuelle ou imaginative comme avant tout symboli­ que d’une vie intérieure, d’une expérience ». Tous les lecteurs auraient compris le dessein de mettre en lu­ mière certaines constantes profondes des tendances psy­ chologiques contemporaines; tout lecteur aurait vu du même coup que nous ne dénoncions aucun des Révé­ rends Pères, mais une des catégories de la pensée mo­ derne à laquelle se rattache une tendance, celle-là fort répandue parmi les théologiens d’aujourd’hui (et pas seulement parmi eux) h faire de la théologie l’expres­ sion conceptuelle d’une spiritualité. (1947). (t) Je corrige ici ce regrettable lapsus d’une rédaction à la fois elliptique et embarrassée. La citation même que je fais en note a montré h tous que je n’avais nullement l’idée de faire du R. P. Teilhard du Chardin un existen­ tialiste ! C’est pour l’annexion du· marxisme que le P. Daniélou l’utilise (la Réponse, avec plus d’habileté que d’honnêteté, remplace ce mot par des points de suspen­ sion). Je ne voulais dire que cela, car pour l'exis­ tentialisme, je pensais bien que le P. Daniélou suffit h la tâche. Je demande pardon pour celte rédaction incorrecte et je prie qu’on lise: < grâce aux efforts du P. Teilhard du Chardin, le bénéfice de la réflexion marxiste, cl, par des efforts personnels que je crois illusoires, celui de la réflexion existentialiste, etc... » (1947). (u) On relève encore ce passage: < l’évocation, à ce sujet, à la suite de M. Bcnda, de la < puissante poussée des philosophies irrationnelles », introduit dans le grief une pointe d’humour ». Si M. Benda alerté par celle étrange évocation, se précipite sur notre texte, il verra qu’il n’est accusé ni de trainer à sa suite 2cs philoso­ phies irrationnelles, ni même do dénoncer leur poussée, mais qu’il est simplement loué de rappeler tout le monde à la précision et à la distinction des genres. Celte manière de nous citer nous inquiète beaucoup plus, avouons-le, sur l’attention avec laquelle nous avons clé lus, que sur la bienveillance de nos critiques. Cepen­ dant une note nous prouve que quelque chose de notre pensée a été retenu : < Notons aussi qu’il y aurait quelque arbitraire à revendiquer à la fois, pour une mê­ me théorie un caractère de technicité scientifique rigou­ reuse cl une perpétuelle ouverture, une extrême plasti­ cité ». Nous ne croyons pas que la théologie scientifique soit fermée. Nous pensons qu’elle peut être amenée à se réviser souvent, non pour remplacer une idée à la mode du XIII* siècle par une idée à la mode du XX·, mais pour bénéficier du travail d’information et de réflexion des siècles et atteindre à toujours plus de vérité. Plus que les droits de la doctrine de saint Thomas, ce sont ceux de la théologie comme science que nous défendons. (1947). (v) On peut voir dans la Réponse la plainte que sug­ gère notre citation (p. 80). Or nous maintenons que ce texte contient exactement ce que nous lui reprochons. Le fait qu’il assimile les Pères à saint Thomas ne nous rassure pas du tout. Ce n’est pas seulement contre l’adap­ tation au goût du jour d’une vieille doctrine qu’il en a; c’est contre son exhumation >. La comparaison entre la théologie et l’architecture, en nous interdisant de repren­ dre h notre compte une pensée ancienne, sous prétexte qu’aucune situation historique n’est absolument sembla­ ble à quelqu'une de celles qui l’ont précédée, est inad­ missible: comme si la pensée ne s’était jamais élevée cl ne pouvait encore s’élever a de l'éterncllement hu­ main, h de l’intemporel; cela justifie notre protestation: « Nous pensons pour notre part qu’il y a dans le domaine du savoir des acquisitions définitives >. El c’est Λ de tel­ les acquisitions que tend avec plus ou moins de succès toute théologie digne de ce nom. Quant à l'enterrement de saint Thomas, il ne faudrait pas moins que toutes les ressources de l’exégèse figurative pour disculper le P. Von Balthasar de l’avoir complaisamment proclamé à la suite de Péguy (que nous aimons pour d’autres raisons mais qui ne nous parait pas d’une autorité considérable dans ce débat). (1947). il LA THÉOLOGIE ET SES SOURCES Réponse parue dans les < Recherches de Science Religieuse 1946 >, IV, p. 385-401 Nous publions intégralement sans gloses, ni modifications, ni annotations, le texte de la Réponse faite par un groupe de théologiens jésuites à la précédente Etude Critique. 1 i LA THEOLOGIE ET SES SOURCES Réponse Une brochure d’ < éludes critiques > nous est arrivée, voilà plus de deux mois, — < tiré à part > d'un fascicule de la Revue thomiste encore à venir, — qui contient un réquisitoire inattendu contre un certain nombre de théologiens jésuites. Persuadés de l’habituelle vanité des disputes, ceux-ci auraient préféré s’en taire. Des conseils très autorisés les ont engagés à répondre. Cha­ cun d’eux a parfaitement conscience que ses travaux sont discutables, cl ils ne demandent qu’à profiter des critiques, même sévères, qui pourraient leur être adressées. Ils savent aussi que plusieurs de leurs publications soulèvent de graves problèmes, dont les données s’imposent d’ailleurs à tous, cl qu’ils n’ont pas la prétention de résoudre à eux seuls. Mais c’est d’autre chose qu’il s’agit ici. Le lecteur verra de reste, pensonsnous, que leur plainte n’est pas sans fondement, cl, s’il est tant soit peu au courant de la situation générale, il comprendra aussi qu’elle puisse être op porlune. Dion veuille que, l’incident se trouvant bien­ tôt clos, tous dans l’Eglisc puissent s’adonner, d’un cœur unanime, à ces lâches plus ardues, mais magnifiques auxquelles nous conviait ré­ cemment le Souverain Pontife, ad majorem Dei gloriam et ad aedificationem Eccelsiie. 7(1 .’ • : I ; . 1 ‘ 1 ’ Γ t , ‘ ■ • n ! , 2 t ζ 3 ζ LA THÉOLOGIE ET SES SOURCES LA THÉOLOGIE ET SES SOURCES Le H. P. Labourdulle ne veut pas qu’on profes­ se « l’essentiel relativisme historique de toute expression humaine des vérités divines >. Il ne veut pas que la pensée chrétienne ail < mauvaise honte de son passé ». Il ne veut pas « que la sa­ gesse théologique soit emportée par le flot de ('impermanence ». Il ne veut pas que la méthode historique s’alourdisse d’une « pseudo-philoso­ phie » qui « remplace la notion métaphysique de vérité spéculative par celle plus modeste de vérité historique ». Il ne veut pas que, sous prétexte de critiquer le « progrès théologique », on opère « une perpétuelle refonte de nos conceplions sur Dieu ». Il ne veut pas d’une < philosophie nominaliste » qui, par une véritable « caricature de la vie de l’esprit », professerait que « notre raison... n’atteint directement que scs concepts, et que ces concepts sont des abslractions vides, des cadres logiques de valeur toute pragmatique ». Il ne veut pas qu’on nie que « le message divin s’adresse aussi en nous à l’intel­ ligence ». Il ne veut pas souscrire à « l’évacuation complète de l’idée de vérité spéculative ». II ne veut pas qu’on dise que la vérité nous est « inaccessible », ni qu’on refuse à notre esprit le pouvoir de saisir, « en les mieux assurées de ses notions, une vérité intcmporelle ». 11 ne veut pas que la métaphysique et la théologie soient jugées en dernier ressort » selon les catégories de l’esthétique ». 11 ne veut pas qu’on n’attende « autre chose d’un enseignement que d’éveiller en nous le sens du beau ou de nous introduire à une expérience incommunicable ». II ne veut pas enfin qu’on mette en doute qu’il y ait < dans le domaine du savoir des acquisitions définitives ». ί j i ! I ‘ ■ • L 77 Combien le R. P. Labourdcttc a raison! Tout cela, certes, nous ne le voulons pas plus (pic lui. Rien n’autorise personne à nous soupçonner de le vouloir, et lui-même ne cite pas un texte de nous qui le donne à entendre. Aussi, tout en étant heureux de lui dire en tout cela notre plein accord, demeurons-nous étonnés qu’il nous invite à nous en expliquer. Il a d’ailleurs soin, et nous l'en remercions, de préciser qu’il ne nous attri­ bue pas la « théorie » qu’il combat; que scs ana­ thèmes ne sont pas lancés contre nous, mais seulement à notre « occasion »; que ses analyses < dépassent » notre pensée, et qu’il aurait scru­ pule à nous faire un < procès de tendance ».... Le procès n’en est pas moins là, sous nos yeux, et pour tout lecteur, indubitablement, sans être accusés, nous le sommes. Comme il ne peut nous venir à la pensée de mettre en doute la bonne foi, ni même la bien­ veillance de l’auteur, force nous est bien de chercher une explication à ce phénomène étran­ ge. Elle gît, croyons-nous, dans sa méthode. Il y a, en effet, bien des moyens de se tromper. Or celle méthode en cumule un certain nombre. Le premier est la préoccupation d’esprit. Notre auteur est sous le coup d’une grave inquiétude, Un monstre d’hérésie a surgi devant son regard, dont il ne pourra s’empêcher ensuite de trouver par oui quelque signe. — Si, comme on doit l’induire de tout son discours, ce monstre est aujourd’hui réel, que ne le décrit-il d’après naturc? Et que ne s’allaque-l-il à lui, au lieu de molester de pauvres passants, qui ne lui sont, reconnaît-il, qu’une « occasion »? Autrement dit, que ne fait-il porter sa critique sur les ouvrages où se trouve professée la doctrine qu’il dénonce U J 11 LA THÉOLOGIE ET SES SOURCES avec tant de force et de précision, au lieu de ré­ pandre bien légèrement le soupçon sur toute une série d’autres écrits? Ceux-ci, d’ailleurs, ne forment pas un tout. Livres ou articles de revue, ils sont d’auteurs divers, de nature diverse, parus en des circons­ tances et en des temps divers. Or — tel est le second vice de sa méthode — le R. P. Labourdette, sans prendre la peine d’en analyser aucun, entreprend de les commenter les uns par les autres. Ainsi, pour comprendre le sens caché d’innocentes traductions des Pères, faudrait-il les interpréter d’après une collection d’études théologiques. Celle-ci ne révélerait elle-même un trait essentiel de son esprit que grâce à la préface d’un autre ouvrage, dû à un autre auteur et paru chez un autre éditeur. El tous ces travaux d’his­ toire, de doctrine ou de traduction seraient dus à un « dessein général », que tel ou tel article, ou tel compte rendu contribuerait à dévoiler. — Nous ne contesterons pas qu’il existe entre nous des liens fraternels, et qu’une commune vocation, des maîtres communs, des soucis communs d’apostolat nous aient pu marquer d’un air de famille. La solidarité qu’on imagine n’en est pas moins illusoire. Chacun de nous n’en est pas moins indépendant dans son travail. Nous avons conscience entre nous de diversités nombreuses, souvent profondes, dans la méthode et la pensée, cl seule une erreur d’optique permet à notre critique d’attribuer plus ou moins à tous, cl de grossir par là même, ce qu’il a cru, bien à tort, découvrir chez tel d’entre nous. Celle méthode de « présentation globale », analogue à celle du < portrait synthétique », le porte en troisième lieu, là même où, malgré tout, LA THÉOLOGIE ET SES SOURCES rien ne lui apparaît de répréhensible, à supposer des < arrière-pensées ». Le voici, désormais, plus que sur la pente, déjà dans l’abîme du subjecti­ visme le plus prononcé! Une fois acquise pareille persuasion, comment s’étonner que sous l’asser­ tion la plus incontestable il flaire un sens dange­ reux, et qu’il en vienne à donner partout ce coup de pouce inconscient par lequel toute idée juste devient au moins < tendance > à l’erreur? Donnons maintenant quelques exemples des résultats. Une collection, < Sources chrétiennes », donne des traductions des Pères grecs. Le R. P. Labourdette la présente de telle manière qu’il peut con­ clure: « A vrai dire, tout le problème de la théo­ logie et de sa prétention à se constituer en savoir proprement dit se trouve ici posé ». Nous vou­ lons bien, car, avec un peu d’ingéniosité, tout problème peut êlre posé à propos de tout. Mais il nous paraît plus objectif d ^observer que cet < ici » devrait être pris dans son sens le plus immédiat, désignant la page de la Revue thomiste où il figure, sans rapport avec nos « sources ». Notre critique a tout simplement projeté dans celles-ci, le problème qui fait l’objet ordinaire de scs soucis et de ses travaux personnels. Un ouvrage récent rappelle dans une courte préface la distinction, banale entre toutes, du dogme et de la théologie, et sans prétention au­ cune à l'originalité. Commentaire: < Nous vou­ lons bien... que le progrès de la théologie ne soit point assimilable à celui du dogme: les dif­ férences sont trop évidentes. Mais comment ne pas voir que les raisons par lesquelles on com­ bat l’assurance d’un progrès Idéologique au profit d’une perpétuelle refonte de nos concep- 80 LA THÉOLOGIE ET SES SOURCES lu, de l’ouvrage lui-même, une ligne (1). Un mot encore, au cours de la même page, le chagrine: « De même saint Thomas ». Ce mot devrait au contraire le rassurer. Il craignait tout à l’heure qu’une certaine exaltation des Pères ne se fît au détriment du grand Docteur. Mais voici qu’il est dit, dans les mêmes termes, à propos des uns comme de l’autre, qu’il n’y a point à les « pasticher » par une imitation trop littérale ou par une « adaptation » de fantaisie. On n’en veut « enterrer » aucun, mais au contraire on met en garde contre les traitements qui abouti­ raient à les faire enterrer. N’est-ce pas, dans un autre « style », ce que dit aujourd’hui plus d'un thomiste fervent? De part et d’autre, re­ connaissons un même amour de la Tradition, une même volonté de prendre appui solidement ; sur elle. Ici, toutefois, quelque chose de plus hardi, venant peut-être d’un sentiment plus vif des problèmes qui se posent à notre âge; une confiance plus victorieuse dans la jeunesse i éternelle de l’Eglise. Encore un exemple. Dans un article de large information, aux formules parfois un peu rapi­ des. l’un de nous, passant en revue les princi­ paux courants actuels de pensée au sein même du christianisme, symbolise les deux courants les plus opposés dans les noms du P. Teilhard de Chardin et de Kierkegaard. Traduction de notre critique: l’auteur de l’article « annexe à la théologie contemporaine, grâce aux efforts du P. Teilhard de Chardin, le bénéfice... de la ré­ flexion existentialiste ». Les pires « trahisons » lions sur Dieu, selon la diversité des temps et des cultures, garderaient toute leur valeur pour ramener à des proportions inacceptables dans l’Eglise le progrès du dogme lui-même? etc. ». Quel lecteur ne croirait que cet « on » est en­ core l’auteur visé? Il n’en est rien pourtant, et le plus subtil détective ne découvrirait rien, chez celui-ci, des « raisons » qu’ « on » lui prêle. « Comment admettre, lisons-nous encore dans le même contexte, que rien ne demeure de tout ce à quoi l’esprit s’était auparavant élevé? » Qui donc, demanderons-nous, a jamais deman­ dé d’admettre chose pareille? A quoi même cela peut-il faire allusion? Mais ce n’est pas tout. L’une des idées essentielles de l’ouvrage en question est qu’il faut revenir, par delà maintes complications et déformations des siècles mo­ dernes, à la doctrine de saint Thomas (bien ou mal comprise, c’est une autre affaire): ce livre, nous dit-on, paru dans la collection « Théolo­ gie », < accentue son caractère de réaction con­ tre la théologie spéculativement élaborée par saint Thomas » ! Un autre auteur, dans la préface d’un autre ouvrage, écrivait, pour tempérer certains en­ gouements naïfs: « Toutes les < adaptations » au goût du jour sont promises au même destin: pas plus que l’architecture, la théologie n’échap­ pe à cette loi universelle ». On pourrait suppo- ; ser que notre critique lui est reconnaissant d’un propos si sage. Point du tout! Celle comparai- , son, sur un point bien défini, avec l’architectu­ re, lui est 1 indice de tout un système erroné, destructeur de toute vérité! Il y enferme, d’au- ‘ torité, toute la philosophie de son auteur! Rien, i d ailleurs, dans sa critique, ne montre qu’il ait ! r* f t I t 81 LA THÉOLOGIE ET SES SOURCES (1) Il nous avertit cependant, en un autre passage, qu’il dira < une autre fois » le bien qu'il en pense... e : M.LLI.I-M -IÏIJU (If 82 K LA THÉOLOGIE ET SES SOURCES LA THÉOLOGIE ET SES SOURCES des traducteurs approchent-elles souvent de celic-là? . On peut voir par ces échantillons que, s il est assurément blâmable de « remplacer la notion métaphysique de vérité spéculative par celle plus modeste de vérité historique > un respect plus attentif de l’humble vérité historique, c’està-dire un peu plus d’objectivité dans la lecture, pourrait éviter bien des mesures pour rien aux plus jaloux amants de '.a vérité spéculative. Toutefois, le procédé le plus habituel que nous ayons à relever, celui qui fait la trame de toute celle « élude critique », est le procédé du « dépassement ». Il est avoué, nous l’avons dit. Mais son auteur a-t-il bien conscience de ce qu’il est en réalité ? S’aperçoit-il que ses « dé­ passements » sont des bonds de géant, et non pas sur la roule, mais dans les précipices qui la bordent ? Manière, pense-l-il, de faire saillir une « tendance »... Ceci nous rappelle une anecdote. < Malheureux, disait un jour à son ami, dans une circonstance délicate, un homme avisé, malheureux, gardez-vous de proclamer ainsi sans précaution qu’il y a trois personnes en Dieu ! En exagérant à peine, on vous fera dire qu’il y en a quaire. Et de fait, en parlant de trois, ne manifestez-vous pas déjà quelque tendance à en poser quatre ? Pourquoi lancer d’emblée le chiffre le plus fort ? Dites plutôt simplement qu’il y en a deux : la chose est in­ contestable, et dans cette position de juste milieu, rassurante pour tous, vous aurez l’avan-' loge de ne pas vous avancer jusqu’à l’extrême pointe de la vérité, — celle pointe qui est si proche de l’erreur! » 4 1 83 D’un point de vue pratique, cela n’était pas si mal raisonné. Et sans doute aurions-nous bien fait de nous en souvenir, s’il nous avait été donné de prévoir les procédés critiques du R. P. Labourdcllc ! Securi loquebamur... Hélas! com­ ment être jamais sûr qu’on est en sécurité?... Nous aurions pu, contre l’évidence historique, nier qu’il y eût aucun élément de relativité dans la vie de l’esprit humain au cours des âges; nous aurions pu, contre l’évidence rationnelle, nier aussi qu’il y eût aucun élément de relati­ vité dans la connaissance humaine en général. Nous aurions pu du moins n’en point parler, ne rien dire même, ne rien oser constater dans les faits qui pût mener à le conclure. Nous aurions pu nous contenter d’affirmer — ce (pii est en effet certain, et ce (pii ressort aussi bien de ce cpic nous avons écrit — que la vérité demeure immuable à travers les siècles et (pic notre iule ligencc n’est pas coupée de l’absolu. Ainsi nous n’aurions donné aucune prise à notre censeur. Mais aurions-nous traité les sujets que nous annoncions? Nous l’avouons : chacun de nous mérite, pour sa part, le repro­ che de tendre au relativisme, à peu près dans la mesure où l’affirmation de trois personnes en Dieu mérite le reproche de tendre à en admettre quatre. Ces remarques nous introduisent à un débat de fond, (pie nous ne voulons pas esquiver. Nous savons quelles sont en ces matières et les directives générales de l’Eglise et les règles particulières de notre Institut. Aux unes comme ! aux autres nous entendons bien demeurer acti- r" H 1 •A 0· f * )· » 3' I 84 LA THÉOLOGIE ET SES SOURCES veinent fidèles, chacun selon les devoirs de sa situation propre. Mais avec ces règles et ces directives les exigences du R. P. Labourdettc nous paraissent loin de coïncider simplement. Il semble oublier aussi que les méthodes de l’histoire ne sont pas celles du traité dogma­ tique, et qu’on ne procède pas non plus dans la recherche comme on fait dans l’enseigne­ ment. D’où les malentendus qui le portent à parler de « relativisme ». Ce relativisme, dont il est constamment ques­ tion sous sa plume, se présente sous un double aspect: historique et doctrinal. Or, on peut, croyons-nous, découvrir aussi la double illu­ sion, d’ordre historique et d’ordre doctrinal, grâce à laquelle celui-ci, sans nous l’attribuer toujours formellement, se croit néanmoins en droit de l’évoquer à notre sujet. C’est d’abord une curieuse philosophie de l’histoire de la théologie. Le R. P. Labourdette ne professe « aucun dédain », nous assure-t-il, pour les douze premiers siècles de pensée chré­ tienne. Nous l’en croyons volontiers. Il ne paraît guère, cependant, les apprécier qu’en tant que la synthèse thomiste en a drainé la substance. Puisque cette synthèse < représente l’étal vraiment scientifique de la pensée chré­ tienne », pourquoi s’attarder à son état pré­ scientifique? Que des spécialistes s’adonnent à son étude, qu’ils reconstituent toute celle pré­ histoire, afin de montrer comment fut préparée peu à peu, à travers mille tâtonnements, la syn­ thèse définitive: fort bien. Mais qu’on ne pré­ tende pas, aujourd’hui encore, chercher en ces temps reculés quelque nourriture intellectuelle directement assimilable : on manifesterait 85 LA THÉOLOGIE ET SES SOURCES la sorte « une évidente dépréciation > de l’cfTorl qui les a suivis... Quant aux siècles postérieurs, il n’y à pas lieu de les négliger; ce serait se priver « de beaux et authentiques progrès » ; mais qu’il soit bien entendu que ces progrès ne comportent en aucun cas la moindre refonte. La synthèse, on l’a dit, est définitive; scs caté­ gories sont toutes éternelles; il ne peut donc s’agir que d’y ajouter quelques ornements ou d’en tirer quelques conséquences. Pareille conception, hâtons-nous de le dire, est atténuée ici ou là par des assertions beau­ coup plus raisonnables, où il n’est plus ques­ tion, par exemple, d’assurer la pérennité que des « enseignements majeurs » du savoir théo­ logique élaboré au moyen âge. Elle est presque ■ contredite par une déclaration que nous avons quelque droit d’attribuer au même auteur, puisqu’elle figure dans un programme récent de la Revue thomiste (1). Seule, cependant, et ! j 1 ■ (I) Après une série d’aphorismes que, nous dit-il, < trop d’esprits qu’une foi sincère inspire >, mettraient en doute: < ce qui fut vrai le demeure toujours. Ce qui est faux au­ jourd’hui fut toujours faux. Ce qui est incomplet doit être complété >, l’auteur de ce programme ajoute: < La rie d’une doctrine n’est pas la destruction de scs prin­ cipes animateurs (certes!), mais l’accroissement de la vérité qu’elle exprime, l’élimination continue des déchets et des scories, la modification de certaines de scs formes d’expression >. Cela ne va-t-il pas au moins aussi loin que la < comparaison vestimentaire > que l’on reproche À l’un de nos écrits, en l’interprétant d’ailleurs au re­ bours de sa signification cependant claire? (Il n’y est pas question, en cfTct, de rejeter comme une vêtement démodé la notion traditionnelle de bien commun, mais, tout à l'inverse, de la remettre en valeur: tout l’ouvrage en fait foi). — Un article un peu antérieur de la même revue (déc. 1939, p. 793) disait, Λ propos des doctrines sur le I I -1 86 LA THÉOLOGIE ET SES SOURCES LA THÉOLOGIE ET SES SOURCES dans sa teneur la plus rigoureuse, elle rend compte des critiques qui nous sont adressées. Elle explique notamment celle sorle de scan­ dale, qui perce dès le début, à la pensée qu’on ose essayer, au rebours de la < Collection Budé > pour les textes classiques, de rendre vie en quelque sorle aux écrits de l’antiquité chré­ tienne; qu’au lieu d’y voir de purs « documents historiques », à l’usage exclusif des savants ou des curieux, on ne craigne pas de les proposer à l’intelligence du croyant ; qu’au lieu de les traiter toujours comme de purs objets, seule­ ment du dehors, on s’efforce quelque peu de donner au lecteur conscience du lien fraternel qui, à travers tant de sièc’es et malgré tant de bouleversements dans les habitudes mentales, fait de la pensée qu’ils nous transmettent et de celle dont nous vivons aujourd’hui l’expression d’une même foi; qu’on aille enfin jusqu’à sou­ tenir que, par certains côtés (par certains côtés ■ » ■ ■ · mariage: < Il me semble qu’en ce point de la théologie comme en plusieurs autres, la fidelité à la pensée la plus essentielle de saint Thomas permet de dépasser scs for­ mules au point de paraître les changer. » Formules libé­ rales, trop complaisantes peut-être, car on en pourrait abuser pour étiqueter « thomistes » toutes les innova­ tions jugées utiles. Mais que d’autres viennent h en faire, plus timidement, quelque application, — comme tel d’en­ tre nous l’a fait, par simple constatation, pour une no­ tion particulière tout engagée dans un contexte scienti­ fique évidemment périmé; — qu'ils déclarent honnêtement que par là quelque chose se trouve modifié dans le tho­ misme de l’histoire: c’est toute la vérité qui croule, c’est la croyance même en une véritél II faut bien le dire, ce ; qui manque le plus à la base de ces jugements rigoureux, ■ c’est la rigueur de la pensée. Notons aussi qu’il y aurait quelque arbitraire à revendiquer h la fois pour une mê­ me théorie, un caractère de technicité scientifique rigou­ reuse et une perpétuelle ouverture, une extrême plasticité. · 87 seulement), les Pères de l’Eglise nous apparais­ sent quelquefois plus proches que des théolo­ giens postérieurs... Pareil « esprit » semble bien inquiétant; pareille < intention » est-elle compa­ tible avec un « travail probe » ? Nous n’en continuerons pas moins de penser que le progrès théologiquc n’est pas chose aussi simple qu’on le suppose; qu’il n’est point aussi absolu. Dans la longue chaîne de la tradition, ce qui suit n’annule pas ce qui précède. Il n’en épuise pas, en se l’assimilant pour sa part, toute la substance nutritive. On peut affirmer cela sans aucun manque de respect envers saint Thomas, sans aucune « dépréciation » de son œuvre et de la place éminente qui est la sienne; — tout comme ce n’est en méconnaître ni la grandeur ni la solidité que de croire à des pro­ grès ultérieurs qui ne soient pas tous de simples ajoutes. Le caractère même de systématisation scientifique dont on la loue à juste titre (bien que sans doute en l’exagérant un peu) entraîne fatalement certains choix, certaines « partiali­ tés », (pie scs plus grands admirateurs et ses fidèles les plus fervents ne devraient avoir au­ cune gêne à reconnaître. De même le simple fait qu’elle fut constituée en un siècle donné. Pour­ quoi, par exemple, s’indigner si fort en entendant (lire que, historiquement considérée, elle manque d’un certain sens de l’histoire ? Comme si ce n’était pas le fait — avec des nuances — de tonte la pensée médiévale en son plus bel épa­ nouissement! La constatation en a été laite cent fois, depuis longtemps. Ce (pii ne signifie pas le moins du monde que cette pensée soit « épuisée » comme on nous le fa;t dire gratuitement ; ni même qu’on n’y puisse trouver aucun principe, n V. BS LA THÉOLOGIE ET SES SOURCES t LA THÉOLOGIE ET SES SOURCES I t ; aucune « pierre d’attente » en vue de construc­ tions nouvelles; mais ce qui montre que, pour demeurer théologie vivante, il lui faut en cela « se dilater ». Plus généralement, toute « expression scienti­ fique rigoureuse de la pensée chrétienne en tra­ vail sur les vérités de la foi » laisse forcément en dehors d'elle bien des éléments d’ordre plus concret, (pie du reste elle ne contredit pas. On peut par conséquent — et, pour une étreinte aussi complète que possible de la tradition catholique, on doit — puiser ailleurs, sans pour cela contes­ ter sa nécessité ni lui refuser l’adhésion. Aussi bien n’est-ce pas une loi de l’esprit qu’il ne pro­ gresse vraiment, qu’il n’approfondit son savoir «pie par un rythme (pii le reporte périodiquement aux origines de sa pensée, et non par une réflexion indéfinie ou par une marche rectiligne allant toujours de conséquence en consequence? Loi (pii vaut encore, (pii vaut peut-être surtout pour la réflexion théologique... Plus donc on exalte saint Thomas, moins on doit avoir à craindre qu’un recours direct à ces sources où il a lui-même puisé lui fasse tort : condition, tout au contraire, pour mieux l’entendre, pour mieux l’approfondir, pour mieux discerner en lui ces « virtualités » promises à « de merveilleux développements *. Qu’on nous permette ici une comparaison, qui ne lui est certes pas injurieuse! Nul ne songe­ rait à dire: les richesses de l’Ecriturc ont passé dans les définitions de foi et dans renseigne­ ment courant de l’Eglise, il n’y a donc plus à y recourir. Peut-être, en un sens, à toute rigueur. Qui ne voit aussitôt, cependant, les méfaits d’une telle abstention? Et l’Eglise elle-même ne nous rr f ! • • • ; 89 engage-t-elle pas à étudier encore et toujours les Livres saints, sans en excepter les passages sur lesquels elle s’est prononcée? Les Pères n’ont pas la même autorité, c’est clair; sources secon­ daires, dérivées, nullement suffisantes, ils n’en jouent pas moins un rôle capital; ils ne l’ont pas seulement joué dans le passé, mais ils conti­ nuent de le jouer dans le présent. Sources, non pas au sens restreint où l’entend l’histoire litté­ raire, mais sources toujours jaillissantes. C’est encore à un relativisme historique, rui­ neux de l’idée même de vérité, que l’on s’en prend lorsqu’on se plaint que certaines études s’inléressent moins au « signifié objectif * de la pensée qu’elles analysent qu’à « la vie subjec­ tive » que cette pensée manifeste. Quelles sont ces éludes ? Quelles sont ces pensées ? On ne nous le dit pas (1). Seul est cité en note, à l’appui de ce nouveau cycle d’accusations, un bref compte rendu où il est question des rapports entre les écoles de théologie et les écoles de spiritualité: comme si celles-ci n’étaient qu’affai­ re de psychologie empirique! Λ la faveur de cette confusion, une fois de plus, le procédé de « dépassement * entre en jeu: ce qui nous vaut une brillante tirade, où la virtuosité de son auteur trouve moyen de faire appel à « la doc­ trine freudienne du rêve > et à « la méthode (1) Pourquoi d’ailleurs ne serait-il pas permis de s’in­ téresser à cette « vie subjective », nous ne le voyons pas. Bien n’oblige à toujours parler de la vérité intemporelle. On peut croire à bien des choses sans les rappeler à pro­ pos de tout et sans en faire l’objet particulier de ses études. Est-il toujours possible, au surplus, si l’on veut vraiment reconstituer une pensée, de ne pas tenir gran­ dement compte de cette < vie subjective » ? • · : mλ.1.1 ii t 90 LA THÉOLOGIE ET SES SOURCES LA THÉOLOGIE ET SES SOURCES 91 9 psychanalytique » ! Il ne s’agit là. d’ailleurs, nous dit-on, que d’un « rapprochement éclai­ rant *. Comme on veut bien nous assurer qu’on n’assimile pas réellement la «forme de réflexion* que l’on combat à la « technique * de la psych­ analyse, de quoi nous plaindrions-nous ? Beslc la question du relativisme doctrinal, pris en lui-même cl non plus dans scs applications à l’histoire de la théologie. Le grief ici, peut se résumer en un mot: anti-intellectualisme. (L’évo­ « cation à ce sujet, à la suite de M. Bcnda, de < la puissante poussée des philosophies irrationnel­ les > et de leur « culture de l’équivoque » intro­ duit dans ce grief une pointe d’humour.) Tâchons, pour y répondre, d’y metire un peu plus de vj clarté intellectuelle qu’on n’en trouve dans l’ac­ Γ-J cusation. Ce mot. en effet, est plein d’équivoques. Λ son unique forme substantivfe correspondent deux formes adjectives, au sens bien divers: anliintellecluel et anti-inlel'cctualistc. L ’antiintellectuel est contre l'intelligence : aucun de nous n’accepte de l’être, et, encore une fois, l’on serait bien i mpêché de montrer que nous le sommes. L’anti-inlcllcctualistc est contre /intel­ lectualisme. Ici, la question devient plus com­ plexe, et il importe encore de distinguer. Il peut y avoir, en théologie, un certain intel­ lectualisme contre lequel nous n’hésiterons point à prendre position. C’est celui qui tendrait à faire de la irévélation _ ‘ chrétienne ' la communication d’un système d’idées, alors qu’elle est d’abord — et qu'elle reste à jjamais — la mani­ festation d’une Personne, de la Vérité en Personne. Le Christ est en même temps le porteur et l’objet du message divin. La Parole de Dieu, en sa plénitude unique et définitive, c’est • *î * I j I. •1 •d à 1 ? I. t. e p I le À'erbc fait chair. I] ne suit pas de là que la révélation n’ait point à s’exprimer en concepts, que le déroulement des temps n’oblige point celte expression conceptuelle à se préciser et à s’am­ plifier, ou qu’on n’en doive attendre qu’un secours d’ordre pragmatique, sans valeur de vérité proprement dite. A ceux qui, par l’effet de quelque scrupule ou de quelque réflexion mal conduite, seraient portés à douter de l'aptitude au vrai de l'intelligence humaine, l’incarnation du Verbe apporte au contraire des motifs nou­ veaux de confiance. Mais il s’ensuit que la vérité catholique débordera toujours son expression conceptuelle, à p'.us forte raison sa formulation scientifique en un système organisé (Π. C’cs! ce qu’ont senti d’instinct les penseurs chrétiens de tous les temps. C’est ce qui permettait à un saint Bonaventure et à un saint Thomas, sans renon­ cer à leurs différences, de s’entendre par autre chose encore que par un pur esprit de charité. Nous ne voulons pas insinuer que notre critique contesterait ces choses. Mais nous craignons qu’il (1) N’csl-cc pnx aussi un fait que, dans leur apparition » successive, les systèmes théologiques et les exposés dog­ matiques eux-inèmes, dès qu’ils revêtent une certaine ampleur, sont toujours plus ou moins liés, dans leur structure, Λ des mentalités diverses? Ils ne laissent pas pour autant d'ntteindrc une môme vérité objective, mais chacun n’en exprime h fond qu’un aspect, et tous ensem­ ble ne l’épuisent pas. Ainsi l’exemple est classique —· des théories de Ja rédemption, conçue comme victoire du Christ sur le démon, ou comme sacrifice expiatoire, ou comme satisfaction... Ces aspects ne s’excluent pas, aussi pouvons-nous les retenir tous, mais pas davantage Us ne s’organisent en un lotit logique et « scientifique ». Fnudra-t-iï fermer les yeux Λ ces évidences pour échap. per au relativisme ou nu subjectivisme? 9 LA THÉOLOGIE ET SES SOURCES LA THÉOLOGIE ET SES SOURCES ur nil ait pas accordé toute la réflexion qu'elles ne leur mériLlent. _____ Elles rengageraient — s’ajoutant à des raisons d’ordre simplement simnïcment philosophique — à se montrer plus conciliant envers d’autres for­ mes de pensée que la sienne propre, sans croire aussitôt trahir la vérité. Elles le rendraient plus apte à comprendre le prix que l’Eglise attache à la liberté des écoles théologiques à l’intérieur il’unc même orthodoxie. Elles l’empêcheraient de céder si peu que ce fût à la tentation de monopoliser la vérité, dans son contenu comme en sa forme même, et d’imposer à tous une conception particulière au nom de la foi. Il faut grandement craindre, en théologie plus qu’ailleurs, celle déformation < intellectualiste > qui prend un système pour la vérité, — bien plus, qui conçoit la vérité comme un système. Nous connaissons, loin et près de nous, d’excellents thomistes qui savent se garder parfaitement de ces dangers. Nous les croyons même, en cela, plus vraiment thomistes que d’autres. En tout cas, plus vraiment théologiens. Que si l’on entendait par intellectualisme, précisément, une certaine conception des choses, < une doctrine qui met toute la valeur, toute l’intensité de la vie, et l’essence même du bien, identique à l’être, dans l’acte d’intelligence, le reste ne pouvant être bon que par participa­ tion » (Rousselot), pareille conception est assu­ rément discutable; elle systématise peut-être à l’excès la pensée même de saint Thomas; mais nous n’élèverions contre elle, du point de vue de la foi, aucune objection de principe. (Il y a d’ailleurs des façons si diverses de comprendre < l’acte d’intelligence > !) Nous aurions sans doute à son égard chacun des réactions quelque » t I I» I I f >1 93 peu différentes, cl nous ne supposons pas, au reste, que le R. P. Labourdetlc ait le désir de nous faire passer un examen sur ce point. Nous lui confierons cependant quo plusieurs d’entre nous, venus dès leur jeune âge à saint Thomas en partie sous l’influence du P. Rousselot, s’en­ thousiasmèrent un temps pour quelques aspects de l'intellectualisme thomiste tel qu’il le leur présentait, et qu’ils admirent toujours la vigueur avec laquelle il l’avait fait sien. Par la façon même dont elle fut engagée, toute || cette discussion est en porte à faux. Malgré nos efforts pour y introduire un peu de logique et de clarté, nous avons le sentiment de n’y point parvenir. Peut-être avons-nous eu tort de ne point nous contenter d’une dénégation pure et simple. Si élémentaires qu’elles soient, si proches qu’elles se tiennent du sens commun, que ne pourra-t-on découvrir dans les réflexions qui précèdent, à supposer qu’on les traite par la même méthode que nos précédents écrits! Sous l’effet d’une certaine exégèse, tout bon sens devient fou, toute vérité mensonge, l’affirmation la plus simple paraît soudain recéler des abîmes de complications ténébreuses... Comment d’ail­ leurs une telle discussion ne serait-elle point stérile? Nous nous trouvons en face de critiques toutes négatives, sans aucune contribution à l’un ou l’autre des problèmes (pie nous avions abor­ dés, sans recherche d’une solution meilleure, presque sans rien qui puisse alimenter un véri- νΙΉΉΗ J U UC I s 9’» table échange (1). z\ucun compte n’est tenu des faits apportés. De chaque ouvrage cité, rien n'est retenu (pie le trait qu’il pourra, pense-t-on, four­ nir au système erroné qu’on imagine. Constam­ ment, des déc arations générales qu’on semble nous opposer, alors que nous y sommes d’avance tout à fait consentants. Quand on en vient à quelque précision, des querelles de mots qu’un instant d’attention aurait pu, semble-t-il, nous épargner (2). Un reproche continu d hétérodoxie avancé, retiré à demi, puis réitéré. Nous n’y aurions point répondu, si quelques signes conco­ mitants ne dénotaient — celui-là non imaginaire — un plus ample « dessein >. La manière insolitc dont celte brochure de combat fut répandue pouvait déjà nous donner à penser. Venant en outre, non du même auteur, — nous tenons h le dire, — mais du même milieu et de quelques petits groupes apparentés, certains échos fort précis de conversations, certaines correspondan­ ces, certaines agitations seraient de nature à > ) ï t 4Λ $ LA THÉOLOGIE ET SES SOURCES LA THÉOLOGIE ET SES SOURCES ■ 1 , ( (1) Nous ne nous en efforcerons pas moins au cours de l’année qui s’ouvre, d'apporter dans les Recherches et ailleurs notre contribution positive à l’examen des pro­ blèmes en jeu, notamment ù celui des rapports de la théologie et de l'histoire. (*2) Lit-on quelque part qu’il convient de « traiter Dieu < comme Dieu, non comme un objet, mais comme le Sujet par excellence qui se manifeste quand et comme 11 veut », voici qu’on rappelle savamment l'auteur de ce propos a la < notion d’objet » du < langage théologique », et l’on va jusqu’à lui expliquer, avec textes à l’appui, que ce mot d’objet, objectum, est employé par le concile du Vatican à propos des mystères de la foil Tout le monde cependant ne volt-il pas du premier coup que l’acception du mot n’est pas la môme de part ‘et d’autre? · 95 faire craindre que, si les mauvais jours du modernisme sont, grâce à Dieu, maintenant loin de nous, les mauvais jours de l’intégrisme ne fussent sur le point de revenir... Notre critique, il est vrai, ne nous prend point pour des hommes pervers. Il ne nous attribue pas l’intention formelle de ruiner tous les dog­ mes. Mais pour qui nous tient-il, nous, nos cen­ seurs, nos supérieurs .sans lesquels nous ne pu­ blions pas une ligne, s’il nous estime tous assez • aveugles pour ne nous point apercevoir qu’en fait nous les ruinons? L’accusation est trop forte, cl le rayon de ceux qu’elle atteint est trop vaste, pour que nous ne soyons point en droit de lui demander s’il y a réf.échi. Il est vrai aussi qu’il ne nous ménage ni 1’ < estime > pour nos entre­ prises, ni la « sympathie > pour notre « dessein » et peut-être s’en prévaudra-t-il pour s’étonner à son tour de notre réaction. Certes nous y som­ mes sensibles, et nous lui en sommes reconnais­ sants. Nous voulons y voir l’amorce d’une meilleure entente pour i’avenir. Mais l’accusation n’en subsiste pas moins. Nous sommes cités à la barre et le sourire (pic nous adresse le juge du haut de son tribunal ne peut nous dissimuler la rigueur de scs arrêts... Qu’il nous permette de le lui dire: une revue n’est point un tribunal, et son directeur n’est point un juge. Du moins n’est-ce pas dans ce rôle qu’il a chance de faire œuvre utile. Nous voulons espérer qu’il en conviendra^ et (pie désormais, il nous sera possi­ ble de travailler de concert avec lui, sans préju­ dice de nos différences légitimes, sans exclure de cct effort commun les discussions pacifiques, nu service de la même vérité. Il y a d’ailleurs par le monde trop d’hérésies, ccKes-Iù trop réel- 9<; I,A THÉOLOGIE ET SES SOURCES LA THÉOLOGIE ET SES SOURCES j J les, il y a trop d’erreurs virulentes et meurtriè­ res pour qu’il soit permis de nous attarder entre nous à des disputes d’un autre âge. Que le R. P. Labourdettc en soit assuré : pas plus que lui, nous ne désirons que la pensée chrétienne se laisse aller à « un esprit d’abandon >; nous ne voulons lui céder en rien dans la vigilance doc­ trinale: nous croyons l’avoir, l’un ou l’autre, plus d’une fois montré. Nous n’aspirons qu’à 1 être ses associés dans la défense de la foi, de quelque côté qu’elle apparaisse menacée. Mais nous croyons aussi que, là comme sur d’autres terrains, la meilleure défense consiste avant tout dans un apport positif. Ce que nous essayons de faire est peu. Non omnia possumus omnes: nous ne l’entendons pas seulement en quantité, mais nous savons qu’un homme, une école, un pays, un Ordre religieux ne peuvent donner à eux seuls toutes les notes dont se doit composer le grand concert de l’Eglise. Que lui-même et ses émules fassent donc aussi leur œuvre, qu’ils fassent davantage, qu’ils fassent mieux que nous: nous nous en réjouirons, comme nous nous en sommes déjà souvent réjouis en d’autres circonstances. Qu’ils nous donnent de plus en plus, notamment, ces travaux si désirés qui contribueront à faire mieux connaître saint Thomas, dans son texte même et dans sa pen­ sée. Nous n’attendrons pas pour les applaudir" qu’ils professent en tout les mêmes opinions ou qu’ils se placent toujours au même point de vue que nous: sans céder au relativisme qu’ils condamnent à juste titre, nous avons un senti­ ment assez fort de la grandeur et de l’univer­ salité de notre Eglise pour admettre comme elle en son sein bien des diversités, même intellec- 97 tuclles, et jamais nous ne consentirons à réduire les frontières de l’orthodoxie à celles de notre pensée personnelle en son expression la plus systématique: nous croirions, ce faisant, non pas nous montrer plus intrépides, mais blasphémer. La première rigueur à exercer en matière dogma­ tique est une rigueur contre soi-même. 4 ·< J j 20 novembre 1946. I La même brochure contient, due au H. P. P. S. Nicolas, une seconde étude qui manifeste un moindre dédain de l’analyse et une moindre hardiesse dans l’extrapolation. Celui d’entre nous dont un ouvrage y est examiné nc croit pas que < la seule chose » qui lui soit reprochée en définitive ait été saisie très exactement; il serait intéressant, mais ce n’est pas le lieu d’en discuter. Nous relèverons seule­ ment quelques assertions qui rappellent trop celles du R. P. Labourdettc. < Qu’on ne dise pas qu’était vrai... (au moyen Age) ce qui, depuis, a cessé de l'être pour nos esprits > ; où donc le R. P. Nicolas a-t-il rien lu de semblable? — « La vie de l’esprit a beau être une vie, - elle n’évolue pas à la manière d’un type végétal ou animal, etc. > : nous posons la même question. Si l’his­ torien doit naturellement insister sur les différences d’un penseur h l’autre, ou d’une époque à une autre, il ne nie pas pour autant les constances, et l’auteur dont il s’agit ici n'éprouve aucunement cette « crainte per­ pétuelle d’une « fixité > de la vérité > qu’on lui prête; il croit même avoir apporté, dans cet ouvrage, quelques considérations nouvelles en faveur de la fixité du dog­ me eucharistique. — < A peine... le nom de saint Tho mas est-il prononcé dans une matière dont il est le Doc­ teur » : quel sens donner à cette remarque à propos d’un livre d’histoire au sujet très spécial, dont la pers­ pective est comprise entre le huitième et le douzième siècle? I MNK4T s ’ = DE LA CRITIQUE EN THÉOLOGIE Réplique {inédite) à la Réponse des théologiens jésuites I h >1 La solennité et la publicité de la Réponse qu'on vient de lire ne nous permettaient pas d’attendre la parution du prochain fascicule de la Revue Thomiste. La Réponse des RR. PP. Jé­ suites n'étant pas signée, nous pensons que cha­ cun de ceux que nous avons critiqués, même en passant, en prend l’entière responsabilité ; nous avons donc nommé les RR. PP. de Lubac, Daniélou, Bouillard, Fessard et Von Balthasar. S’il nous arrive, ici ou là, de nous adresser à l'un d’entre eux, au P. de Lubac par exemple, il est bien entendu que c’est un pur procédé littéraire et que nous n'entendons pas les séparer. De la Critique en Théologie Le dernier fascicule des « Recherches de science religieuse > de 1946 nous a porté une ré­ ponse collective aux critiques que j’avais formu­ lées dans la Revue Thomiste (Mai-Août 1946) au sujet de certaines orientations des collections < Sources chrétiennes » et < Théologie >. Cette réponse n’est pas signée, pour mieux montrer qu’elle est commune et que les divers auteurs mis en cause entendent faire front contre ce 3u’ils considèrent comme une agression. Il suffit e rappeler leurs noms: ce sont les RR. PP. de Lubac, Daniélou, Bouillard, Fessard, Von Bal­ thasar, pour constater que nous avons affaire à forte partie et rendre peu vraisemblable de notre part, quand nous rédigions notre précédente 1 chronique, l’idée de faire une < exécution > som­ maire. Je commence par remercier mes contradic­ teurs de me donner cette occasion de nouvelles . explications. Toute cette discussion, disent-ils, ' est < en porte à faux > (p. 93); ils voudraient bien nous le faire croire. Il n’est peut-être pas trop difficile de montrer que c’est uniquement parce qu’ils en ont déplacé l’objet et qu’elle pouvait être, qu’elle peut sans doute toujours être l’amorce de fort utiles précisions, non seu- 102 DE LA CRITIQUE EN THEOLOGIE DE LA CRITIQUE EN THÉOLOGIE lement sur nos positions respectives, qui après tout n’ont pas une si capitale importance, mais sur des questions beaucoup plus larges de mé­ thode théologique. C’est en tout cas, je pense, le seul intérêt à y chercher et ma plus valable excuse à en entretenir un peu longuement nos lecteurs. J’aurais voulu pouvoir rester unique­ ment sur ce terrain; je m’excuse de devoir com­ mencer par m’expliquer sur des griefs qui n’ont rien à voir avec ce débat d’idées et que person­ nellement,.je ne me serais pas permis d’intro­ duire dans une discussion théologique. ' insinuations, qui sont assurément la partie la plus attristante de cette Réponse, attristante non tant pour moi que pour ceux qui réfléchiront sur les « mœurs > de la controverse théologique. .· I: Γ j i i • 1 I’ I I. — UNE ENORME < EXTRAPOLATION > Le grand reproche qui m’est fait est d’avoir suivi une déplorable méthode dont le principe essentiel — ou le résultat — serait une constan­ te < extrapolation >. Je m'en expliquerai plus loin. Mais je voudrais faire remarquer que tout au lon{£ de leur défense, les cinq auteurs (pie j’ai nommes commettent de toutes les extrapolations la moins pardonnai).e: non point celle qui, dans le domaine des idées, passe indûment à l’uni versel ou d’un plan du savoir à un autre sans en respecter les différenciations, mais celle qui passe d'un débat d’idées à des questions de personnes, qui essaie de donner à une discussion théologique le sens d’une rivalité entre Ordres religieux, qui veut expliquer une prise de position purement doctrinale par les machinations et les desseins de je ne sais quelle < politique » intraécclésiaslique. Je suis bien obligé de relever ces 103 i j ] | j I j 2 1. — On fait état (à mots très couverts, il est vrai) de conversations qui se seraient tenues en certains milieux qui nous sont proches, de cor­ respondances privées (!) ,de parution < insolite > de notre tiré à part avant le fascicule de notre Revue auquel il appartenait (1), pour insinuer que nous sommes sinon les animateurs, du moins les complices ou les exécutants d’un « plus ample dessein > (p. 94). Que recouvrent ces insinualions? Ou bien ils en savent beaucoup p us que nous et ont acquis la certitude de machinations que nous avons l’honneur de ne pas connaître: et pourquoi nous y mêler? ou bien ils parlent sur soupçons et interprètent certaines agitations que de fait nous avons connues, et je peux leur dire qu’ils seraient peut-être étonnés (du moins dans l’étal d’esprit qu’ils manifestent) de ce qu’est à leur égard notre attitude. Nous respectons trop le Magistère pour le mêler ù nos querelles; il lui appartient d’apprécier seul s’il lui convient d’in­ tervenir. J’ai eu l’occasion de l’écrire à l’un d’en­ tre eux: notre dessein précis a été de placer le débat sur le terrain de la discussion loyale et publique, orientée vers des explications nettes, estimant que rien n’était plus propre à le sous­ traire à l’atmosphère de soupçons et de d'énon- 1 (1) Comment appeler « brochure de combat » un sim­ ple tiré Λ part dont je n’ai pas distribué plu· de 35 exemplaires? — Voir plus haut (p. 65 note (a). I | R <04 DR LÀ CRITIQUE EN THÉO1OG1K I cintions souterraines où s’enlisent, hélas, trop de controverses théologiques. Eussent-ils préféré que nous fassions circuler des papiers anonymes, tels que ceux dont la France est actuellement inondée? Nous ne condamnons personne; il est trop facile de retourner un anathème contre celui qui le porte sans autorité. Nous sommes restés sur le seul terrain des idées: ce sont nos adversaires qui en sortent, en ayant recours à des procédés dont le moins qu’on puisse dire est qu’ils abaissent singulièrement le débat. 105 r Mais pareille idée ne m’est pas venue! Je ne fl. pensais pas que les auteurs (pic j’ai nommés, ;l engageassent plus la Compagnie (pie moi-même I l’Ordrc de Saint Dominique, lequel, alors môme I (pie je l’aurais voulu, ne se prêle assurément pas ‘ I à pareille mobilisation .Je n’ai parl-é ni au nom ■ de mon Ordre, ni au nom de la Province dont je I fais partie, ni au nom de la Maison d’étude où je E réside, ni même au nom de la Revue Thomiste, i dont l’équipe de direction, il est vrai, est assez ■ homogène pour se reconnaître dans les idées que ifl· j’ai défendues, mais à laquelle collaborent bien :M des théologiens et des philosophes, en toute indépendance. |l De plus, n’est-il pas de notoriété publique, (pie || la collection Sources chrétiennes, dirigée par les 51 RR. PP. de Lubac et Dani-élou, est éditée par une « équipe à laquelle nous lie la fraternité domini«K caine et aussi, de notre part, une franche admin ration pour son esprit d’entreprise et son allant, H mais dont, avec raison, je n’ai pas cru qu’elle se ' sentirait persécutée parce que sur telle ou telle ,1| de scs publications, nous exercerions le libre il droit de la critique? 2. — La Réponse ne craint pas d’étendre ce dé­ bat jusqu’à une rivalité d’Ordres religieux. J’ai attaque un < certain nombre de théologiens jésuites » ! (J’ai voulu renouveler les < disputes d’un autre âge > !) C’est ce groupe qui me ré­ pond; mais on me fait savoir (et je n’en com­ prends que mieux le mauvais cas où je me suis mis!) qu’il y a derrière lui les censeurs et les Supérieurs de la Compagnie < sans lesquels nous ne publions pas une ligne » (p. 95). Ai-je eu la moindre intention de mettre en cause la Compa­ gnie, ses censeurs et ses supérieurs? J’ai pour elle, pour ses saints, pour scs grands spirituels, pour certains de ses théologiens, pour ses apô­ tres, ses missionnaires, la plus sincère admira­ tion; je crois voir assez ce qui manquerait à l’Eglise si la Compagnie de Jésus disparaissait: ce serait, pour nous en tenir à la France au mo­ ment présent et dans le seul domaine des publi­ cations catholiques, une part très grande des meilleurs travaux; ce serait, pour le thomisme même, l’absence d’études de toute première qua­ lité, tels que (pur exemple...) le livre récent du R. P. de Finance: < Etre et agir ». <06 * DE LA CRITIQUE EN THÉOLOGIE 3. — En liaison avec la première insinuation il (portant encore non sur ma personne « nous te­ ll. nons à le dire », mais sur mon « milieu >), par || un < dépassement » (pii n’est pas plus pardon* il nable, les auteurs de la Réponse en viennent à || parler de résurrection de < l'intégrisme ». Si cela il recouvre des faits ou des attitudes précises, qu’ils Il nous le disent! Sinon, nous sommes en droit de » considérer ce jeu d’étiquettes comme du même il ordre que celui qui consiste à se traiter mutuelI lement de « fascistes » et de « communistes ». fl H7 DE LA CRITIQUE EN THÉOLOGIE DE LA CRITIQUE EN THÉOLOGIE Dieu fasse que l'exemple des RR. PP. ne soit pas suivi, et que de t lies « mœurs > ne s’introdui­ sent pas dans la controverse tlriologique· S’il y a un parti intégriste, nous n’en sommes pas, nous ne sommes d’aucun parti, car nous nous refusons à considérer le thomisme comme un parti. autant de services que le P. de Lubac. par exem­ ple (je le dis sans nulle ironie); à d’autres de nous dire cl redire que nos moyens sont pauvres et les résultats inexistants (1). Je demande encore une fois pardon à nos lec­ teurs de ce genre de controverse, que notre plus cher désir est de leur épargner tant il est stérile el déplace: je n’ai pas voulu cet abaissement du d;bat vers la polémiqué: mais je suis bien obligé dr le relever et d’y répondre. Mon excuse sera celle que présente souvent le grand Cajetan après certaines discussions: < Stultus fui: Durandus me coegit ». 4. — La Réponse présente encore toute une dramatisation de mon intervention critique. Il paraît que je me prends pour un < juge > citant à ma barre des accusés, ou un « examinateur » ma menant de timides candidats. Ne suffit-il pas d redire (pie les candidats en question sont les PP. de Lubac Daniélou, Fcssard, Von Balthasar, tous depuis longtemps connus, auteurs d’ouvra­ ges importants et justement loués, objets des plus flatteuses recommandations dans la plupart des Revues? Que suis-je, juste ciel! en face d’eux? Je ne pensais pas (pic la seule qualité d’être directeur de Revue pût les impressionner à ce point et susciter un tel réf.exe de < persé­ cutés ». 5. — Ne faut-il pas signaler enfin, dans un d’’bal (pii aurait pu rester tout objectif, le glissement constant (l’extrapolation comme ils disent) vers des arguments qui engagent les situations ou les qualités personnelles (ou hélas, les défaills!)? Nous dirons plus loin comment nous concevons le rôle du critique en théologie, rôle modeste, peut-être, mais combien nécessaire. On nous demande de produire, nous aussi, des « œuvres ». C’est bien notre désir et notre ambition. Nous nous y essayons avec nos mov°ns; aucun de nous ne pense avoir rendu à l’Eglise Ί I î ? j ; · · : (I) Je no relève que d’un mot parce que c’est signifi­ catif du ton qu’a pris la Réponse. ce que signifie pour ses auteurs le souhait que j’ai formulé d’une plus gran­ de rigueur dans la pensée el d’une plus soigneuse préci­ sion dans les termes. Ils feignent de croire que je me proposais en modèle cl a joutent que cette rigueur n’est pas un monopole, qu’au surp’us, telle que Je parais la concevoir, elle est plutôt une Illusion et la marque d’une regrettable confusion. Mais je suis prêt Λ dire tant qu’i’s le voudront qu’ils ont tous de quoi être bien plus rigoureux et plus profonds et plus précis que mol. J’y mettrai même des superlatifs, car Je me refuse À entrer dans cette ridicule compétition. I0K DE I.Λ CRITIQUE EN THÉOLOGIE If. DE Lz\ CRITIQUE EN THEOLOGIE Essayons d’élever le débat: nous aurons encore à nous expliquer, à répondre à des critiques sé­ vères; du moins sera-ce sur des idées et avec l’espoir d’un résultat d’ordre plus général. Il n’est sans doute pas inutile de réfléchir sur cer­ tains principes généraux qui fondent la légitimi­ té de la critique en théologie et sur les qualités ou les inconvénients de certaines méthodes qui sc trouvent, dans le cas présent, mises en cause. Λ. — LÉGITIMITÉ ET SENS DE LA CRITIQUE L’article qui m’est reproché se présentait comme une étude critique. Ce genre de travaux n’a rien de bien nouveau et s’il demande autant de sérieux que n’importe quel autre, je ne pense pas que son utilité générale soit contes­ table. Encore faut-il prendre conscience de scs exigences propres. 1. — Une étude critique comporte essentielle­ ment l’appréciation de certaines doctrines. Si le critique veut faire autre chose qu’une pure revue d’information, il prend position, il institue for­ cément un débat qui, peut-être, appellera la dis­ cussion. On peut penser que beaucoup de discus­ sions sont inutiles: mais n’est-ce pas le cas de beaucoup de travaux en n’importe quel genre? La critique n’aurait-elle que ce résultat d’inciter les auteurs à se porter au meilleur de ce qu’ils peuvent, à dépasser une médiocrité facile, elle DE LA CRITIQUE EN THÉOLOGIE I ! f i i du mauvais, ne se donnant pour fin que de con­ tredire, sans aucune préoccupation d’orienter d ai.leurs 1 esprit vers des solutions, ou du moins, des principes de solution, qui sc trouveront mis en meilleure lumière par la discussion même. La nôtre est-elle dans ce cas? Je ne le crois pas. Nous avons dit b en haut notre admiration pour le livre de M. J. Mouroux: Sens chrétien de l ..omine. J aurais pu être tenté d opposer ce livre à < l’esprit » de la collection Théo.og.e ; j’ai, au contraire, expressément noté que visiblement il lui appartient il constitue un modèle de ce qu'elle pourrait nous donner si son propos, ex­ cellent en ce qu’il contient de positif, n’était en plusieurs autres volumes vicié par une visible tendance à déprécier .a théologie scolastique. C est ma pensée personnelle, il est vrai; mais qu’csl-ce qui m’interdit de l’exprimer, si je la justifie (ce que je pense avoir fait)? J’ai essayé de définir, non certes les intentions, que je ne connais pas, mais ce qui, objectivement, apparaît à un lecteur des pruniers volumes comme le dessein général de la collection: « un dessein positif et constructif, en lui-méme plus impor­ tant que les défauts qui l’entachent: celui d’une théologie plus consciente à la fois de la richesse de ses sources, de la multiplicité de scs expres­ sions historiques, des circonstances de son évo­ lution et des réalités humaines les plus proches, les plus contemporaincs. Avec ce dessein, nous disons notre plein accord et notre entière sympath c ». (Sup.a, p. 27). La « critique toute négati­ ve > n’esl-e.le pas du côté d’une « réponse » qui tient pour rien ces éloges et se braque sur des réserves que j’ai pourtant moi-même déclarées secondaires (p. 27), comme si edes avaient dé­ DE LA CRITIQUE EN THÉOLOGIE 10» mériterait d’être cultivée. Mais comment faire un tel travail sans exprimer sa propre pensôe et la défendre? Le fait qu’on la défende et qu’on s’at­ tache à en manifester le bien fondé signifie-t-il qu’on veut 1’ < imposer »? C’est en vérité une protestation trop facile que celle à laquelle les RR. PP. ont recours (pour­ quoi sur ce ton?). Il paraît que j’ai cédé à la tentation de « monopoliser la vérité, dans son contenu comme en sa forme même > (p. 92); eux par contre, ne consentiront jamais < à ré­ duire les frontières de l’orthodoxie à celle de (leur) pensée personnelle en son expression la plus systématique > (p. 97). Nous les en remer­ cions. Mais est-il si necessaire de préciser — ce ?[ui va de soi — que je ne m’attribue aucune inaillibilité? Aucun de nos recenseurs, moi le pre­ mier, ne refuse d’être à son tour soumis a la critique. Je consens à être mesuré à la mesure dont je me suis servi, convaincu d’erreur là où je me suis trompé! Si mon interprétation n’était pas exacte, peut-être avait-elle une amorce; la confusion que j’ai faite, peut être beaucoup d’autres l’ont faite aussi; est-ce autre chose qu’une occasion de s’expliquer? La dramatisation à laquelle les RR. PP. ont eu recours serait-elle devenue hallucination et ne m’auraient-ils vu qu’en toge? 2. — Je n’ai pas seulement exprimé ma pensée sur des points où mes contradicteurs se trou­ vaient engagés, je l’ai fait, paraît-il, en < criti­ ques négatives » (p. 93). Qu’est-ce à dire? Si je comprends ’bien, " “* .... une critique reste négative quand elle est systématiquement destructrice, insoucieuse de discerner le vrai du faux, le bon DE LA CRITIQUE EN THÉOLOGIE terminé seules les réflexes d’une sensibilité blessée? On parle (p. 8G) de mon < scandale à la pen­ sée qu’on ose essayer, au rebours de la collect on Budé pour les textes classiques, de rendre vie, en que.que sorte, aux écrits de l’antiquité chrétien­ ne ». Mon texte ne contient rien de tel. J’apprécie ce dessein et je l’ai loué. L’opportunité et l’inté­ rêt de la collection Sources Chrétiennes sont, à mon avis, manifestes: l’ai-je caché? Pourquoi ici encore passer sur les éloges et ne retenir que les réserves? La critique qui a paru inacceptable n’a aucunement le sens qu’on lui donne: j’ai dit et je pense qu’on ne remettra jamais assez en va­ leur les vieux textes chrétiens; je ne vois aucun inconvénient à ce qu’on traduise < mettre en va cur > par < rendre vie > ou par comprendre du dedans. J’ai seulement réservé ce point précis de l’orientation de Sources Chrétiennes qui con­ siste à vouloir mettre avant tout en valeur < des catégories (pii sont celles de la pensée contem­ poraine et (juc la théologie scolastique avait perdues >. Celte < arrière-pensée déjà bien sensible dans plusieurs volumes, il sc trouve que l’un (h s directeurs de la collection, le R. P. Da­ niélou, l’a formulée en termes exprès, N’ai-jc pas le droit de la regretter et de préférer soit une pure méthode historique, soit une moindre préoc­ cupation de concordismc avec la pensée contem­ poraine? En quoi cette remarque dépasse-t-elle les droits de la critique cl rcnu-ellc « toute né­ gative > une appréciation d’ensemble qui est un substantiel éloge? Je pense également, mais je me suis gardé de le dire aussi crûment, que certains soucis apolo­ gétiques, certaines manières de rejoindre la I H2 K DE LA CRITIQUE EN THÉOLOGIE 113 DE LA CRITIQUE EN THÉOLOGIE K « pensée contemporaine », reflètent (objectiveE ment et quoi qu’il en soit des intentions person- JE nelles, que je n’ai pas un seul instant mises en ΙΕ cause) une insupportable coquetterie. On peut en II discuter. Mais celle critique est-elle aussi toute II négative et n’a-t-on pas le droit d'estimer que la II' théologie gagnerait beaucoup à se débarrasser IL d’attitudes qui traduisent aux yeux de beaucoup II de penseurs incroyants, un vulgaire complexe JB d’infériorité? JE Mon parti pris de critiquer coûte que coûte IE aurait été tel que j’ai fait, a propos de la « coin- |E paraison vestimentaire », des réflexions qui coutredisent des déclarations antérieures de la Revue 11 Thomiste. Je persiste à penser — car on ne II s’attache même pas à montrer mon erreur — j| que cette comparaison est malsonnante, non JE point parce qu’il serait impossible de lui donner II un bon sens, mais parce qu’elle est si chargée de |B connexions historiques (vu son emploi en ces II cinquante dernières années) qu’elle entraîne de g· fait actuellement dans les esprits les idées les |E plus contestables (p. 85, note) [1]. J’ai dit assez ]■ longuement pourquoi les idées du R. P. Bouillard 1| me paraissent précisément contestables et don- |l nenl à cette comparaison son mauvais sens. Je 11 l’ai relevée dans la préface du R. P. Fessard où |K j’estime qu’elle a une portée analogue vis à vis 1ΐ h (1) Je retrouve cette appréciation sous la plume d’un auteur tout à fait étranger h la présente discussion, dans un ouvrage paru en 1930: < Juger du thomisme comme d’un vêtement qui se portait au XIII· siècle et ne se porte plus, et comme si la valeur d’une métaphy­ sique était une fonction du temps, est un mode de pen­ ser proprement barbare... ». Jacques Maritaln, Le Doc­ teur Angélique, p. 14. il » DE LA CRITIQUE EN THÉOLOGIE Ce ne peut donc être qu’à partir des arguments que j’ai présentés. Mais alors la protestation de nos plaignants repose sur un énorme malen­ tendu. J’ai dit, il est vrai, que certaines assertions, poussées à leurs conséquences, ne me paraissent pas compatibles avec renseignement de l’Eglise. Mais ces enseignements, je veux dire ia détermi­ nai ion objective de la foi ou de vérités plus ou moins proches de la foi, ce sont les principes memes de la théologie. Que serait la discussion théologique, la critique en théologie, si on n’avait pas le droit de comparer les conséquences à leurs principes, de s’efforcer d’en montrer la disparité et de déceler par là l'illogisme d’un rai­ sonnement théologique? Met-on en doute pour autant la foi personnelle du théologien et son intention de rester dans l’orthodoxie? C’est là un tout autre domaine et je ne me suis absolument pas permis d’y entrer. J’ai dit et je persiste à penser, tant que le con­ traire ne m’est pas montré, (pie la manière dont le R. P. Bouillard explique le progrès de la théo­ logie et (p. 97)? 1 Oui, nous pensons que la sécurité de l’appro- J Ration et de la louange endort cette exigence et celte rigueur et que c’est un rôle important de la critique (pie d’obliger un auteur à la conser­ ver et à l’exercer. Il est assurément moins com­ promettant et plus confortable, surtout si l’on ' doit parler des travaux d’un personnage aussi flatteusement connu que le P. de Lubac, par exemple, de n’utiliser que de l’eau bénite et de n’exprimer qu’une admiration, d’ailleurs justi- ■ fiée à bien des titres. Mais s’en tenir aux 1 éloges, est-ce rendre vraiment service, même λ : sa pensée, à la qualité de ses travaux ? d’en J doute. -j Pas plus que notre critique ne veut rester toute « négative >, elle ne veut connaître de parti-pris, surtout personnel. Nous n’éprouvons pas la moindre peine à proclamer que le R. P. de Lubac a écrit sur Proudhon un livre admirable qu’il était peut-être seul à pouvoir nous donner; mais nous ne nous croyons pas dispensés pour cela de dire avec non moins de force que < Corpus Mysticurn > (1), sous couleur d’histoire, introduit sur 117 Je rôle de la « ratio > en théologie et de la mé­ thode scolastique des vues contestables qui ten­ dent d'ellcs-mémes (encore une fois nous ne fai­ sons pas un procès d’intentions!) à la déprécia­ tion de saint Thomas « en une matière dont il est le docteur ». Nous dirons de même que « Sur­ naturel > à côté d’études solides, présente des généralisations sommaires et hâtives (1) et veut nous ramener, par souci prétendu < historique >, ù un saint Thomas qu’il voit à travers une école toute contemporaine pour laquelle les idées de M. Blondel ont joué un rôle important. Libre ù lui de se défendre contre ces critiques, mais pourquoi se contenterait-il de s’en indigner? ■" · p 5. Nous résumerons l’intention des Etudes cri­ tiques de la Revue Thomiste en disant que nous avons l’ambition de rendre, non des arrêts, mais des sendees (Péguy). Nous ne sommes pas, nous ne nous croyons pas infaillibles. Si nous prenons des positions nettes, au lieu de nous perdre en dubitations, ce n’est aucunement dans l’esprit de les imposer à qui que ce soit. Quiconque veut nous contredire dispose du même type d’argu- 1 *II. l’appréclntion, qui dans inon texte est expressément référée Λ Corpus Mysticum: < livre gui accentue le ca­ ractère de réaction (de la collection Théologie) contre la théologie spéculativement élaborée par saint Tho­ mas > (p. 44, η. 1). Le R.P. ne serait pas f&ché de lais­ ser croire que nous n’avons pas lu ses livres avant d’en parler: que penser de ses indignations contre uos < pro­ cédés » ? , i (1) Le R.P. de Blic., S. J., qui ne public pas « une ligne en dehors des censeurs et des supérieurs de la Compa­ gnie ». vient d’en relever un exemple dans les Mélanges de science religieuse, 1946, p. 359. (1) Je relève ici une erreur de lecture qui nous ferait douter de l’attention avec laquelle on nous a lus. Le II. P. de Lubac (p. 80) rapporte Λ son livre Surnaturel w t 1'1'1’■ il ■ a ■ > "fli '■B * 118 DE LA CRITIQUE EN THÉOLOGIE monts que nous. S’il y a des < partis > (même ici!), nous n’appartenons à aucun, car nous nous refusons à considérer le thomisme comme en étant un ou comme une église, à plus forte rai­ son comme une chapelle. S’il nous arrive de com­ parer les conclusions d’un auteur avec ce qui nous paraît être l’exigence des déterminations objectives de la foi, c’est que l’argumentation ’ théologique ne pourrait, sans s’évanouir, renon­ cer à ce genre de raisonnement; mais notre rai­ sonnement n’a d’autre autorité que lui-même et il reste loisible à tous de montrer que nous nous trompons; et de tels débats ne sauraient à aucun titre engager les personnes, la qualité de leur foi, leur intention de défendre l’orthodoxie catholi­ que! Il n’a pas fallu moins qu’une si énorme méprise de la part de nos contradicteurs pour nous faire juger utile la proclamation de celte évidence. On est en droit de demander plus à la criti­ que; ce serait un reproche majeur de pouvoir dire qu’elle est hargneuse ou systématiquement négative. Nous ne parlerons pas de « bienveillan­ ce > pour n’avoir pas même l’air de nous attri­ buer une supériorité quelconque (à quel titre?), mais nous parlerons de < sympathie > cl nous ne pensons pas y avoir manqué. B) DE LA METHODE EN CRITIQUE Les griefs que nous avons relevés jusqu’ici sonl à la source des plus graves malentendus, de ceux du moins qui ont le plus contribué à dépla­ cer celle discussion et à l’entraîner vers un 1er- U DE LA CRITIQUE EN THÉOLOGIE If J| rain où nous regrettons d’avoir été obliges d’enIrer. Pourtant l’un des reproches les plus précis, celui que je serais le plus disposé à accepter s’il était soutenu d’autres arguments que l’indigna­ tion, c’est celui d’avoir suivi une méthode gravement défectueuse. Mais je suis au regret de n’avoir pas été convaincu par les pages rapides (pp. 77-79) qui sonl consacrées à ce sujet et qui manifestent une haute fantaisie. Elles rendraient sceptiques de plus convaincus que nous sur la parlée de tant de brillantes reconstitutions psychologiques en histoire! Mon « procédé le plus habituel », celui qui « fait la trame » de toute mon élude critique est, paraît-il, « le procédé de dépassement > (p. 82). C’est, je pense, ce qu’on appel.c plus loin ma < hardiesse dans l’extrapolation ». Voici comment on le reconstitue. Après avoir, par « prévenlion d’esprit ». forgé un monstre d’hérésie, j’en cherche les traces dans les écrits les plus divers, « sans prendre la peine d’en analyser aucun > (ni même peut-être de les lire? p. 81), les commentant les uns par les autres et allant Par suite (c’était la < pente > qui n’a pas manqué de me conduite à 1’ < abîme >), là même où je ne puis rien voir de répréhensible, à supposer des « arrière-pensées ». Ai-je besoin de dire qu’une étude conduite dans un tel esprit ne me paraîtrait pas avoir même droit à la discussion? Serait-ce donc pour se dispenser de la discussion qu’on me l’impute? On le croirait, à lire l’exposé plaçant qui est ensuite esquissé (Λ grands traits, que l’on se rassure!) des < résultats > auxquels celle méthode m'a conduit. || l| it il w J| 11 il W J1 W it il » St S M 11 îW 9 B.9 iH 9 U W 9 S 9 S fl B 119 DE LA CRITIQUE EN THÉOLOGIE < Mais je dois m’expliquer d’abord sur cette méth ode même dont mes contradicteurs ont voulu refaire la genèse (du dedans?) et puisqu’ils veulent bien s'intéresser à la démarche de mon travnll, je leur dirai simplement ce qui en est. '1 | 7 j. s Pendant les années de silence que la guerre et l'occupation ont imposées à la Revue Thomiste, nous avons reçu relativement peu de livres. L’annonce de la collection Sources m’a paru un événement considérable; livre apres livre je l'ai suivie, sans avoir encore aucun dessein précis de recension, me laissant prendre, au contraire, au charme incomparable de ces vieux textes, à leur fraîcheur retrouvée, à la saveur de leur sens chrétien. Je me sentais, pour les initiateurs de cette collection, une approbation foncière, la plus chaleureuse reconnaissance, et je n’ai rien révoque de ces sentiments. Ce n’est pas que je fusse dès lors sans réserves. J’avouerai sans ambages que l’introduction même du premier volume (1) me parut si évidemment faite en vue de plaire, si soucieuse de rejoindre les < calégories contemporaines >, et par là, dès l’abord, d’orienler 1’esprit du lecteur vers autre chose que le contact simplement nourrissant avec un texte admirable, que je regrettai cet infléchissement trop « apologétique > : ce me parut être un dan­ ger pour la collection. Ces sortes d’accommodalions ont cet inconvénient que ce qu’elles rendent très actuel pour aujourd’hui sc trouve par là-même déjà vieilli pour demain. 1 t | 1 j j j 1 I 'I I <20 DE LA CRITIQUE EN THÉOLOGIE Je ne me sentis pus moins hésitant, quand vint, plus tard, l’introduction du Père de Lubac •ux Homélies d’Origène. Ce plaidoyer pour ren­ dre vie à l’exégèse figurative ne me persuada pas qu’il fût judicieux d’aller demander aux Pères grecs, parmi tant de richesses qu’ils nous offrent, ce que je pense qu’ils ont eu de moins bon. Encore un point dont on peut discuter: pourquoi le ferait-on en levant les bras au ciel comme s’il s’agissait d’un attentat? Ainsi s’amassait peu à peu un ensemble de données, non pas nouvelles, bien sûr, mais remi­ ses dans le courant de l’actualité, qui me parais­ sait poser un problème beaucoup plus vaste, d’une portée plus générale et peut-être même décisive pour la pensée chrétienne: celui du rap­ port de notre théologie évoluée, peut-être trop fixée, avec ses sources. Et j’avoue nue ce problè­ me m’a paru plus Intéressant encore que les don­ nées qui lui valaient un renouveau d’acuité. Entre temps commençait à paraître la collec­ tion Théologie. Le premier volume, celui du R. P. Bouillard, à l’occasion d’un point particu­ lier, mais de très grande importance, puisqu’il concerne la conception même que nous nous fai­ sons de la grâce, consacrait toute une conclusion au problème général de l’évolution de la pensée chrétienne. Sa réponse me parut pour le moins obscure et embarrassée, mais claire en ceci que la position historique de saint Thomas, puis­ qu’elle différait foncièrement de celle de la théo­ logie moderne était actuellement fausse (Supra P· 50). Le second volume, celui du R. P. Daniélou, après la déception que cause un titre plus large que l’objet réel du livre (la vérité aurait voulu ί J I | ·! I 1 j | 1 1 121 | I (1) St-Grégolre de Nysse: Vie de Moïse, intr., trad, et notes de J. Daniélou, S. J. 441414141^ DE LA CRITIQUE EN THÉOLOGIE qu’il y eût interversion du titre et du sous-liire) donnait au .cctcur de substantielles satisfac­ tions, plus complètes à mon sens que l'élude un peu restreinte du P. von Balthasar sur le même saint Grégoire de Nysse. Le P. Daniélou abor­ dait du moins franchement cl de la plus intéres­ sante façon un problème qu’avaient déjà posé ailleurs, entre autres, le R. P. Arnou. S. J. et aussi le R. P. Feslugière, O. P. A l’encontre de cis derniers, le P. Danié.ou voulait montrer que des formulations ou plus profondément des schè­ mes littéralement platoniciens, avaient été en réalité si profondément repensés et repris sur un nouveau plan qu’ils étaient chez lui purement cl simplement chrétiens; loin d’avoir été pour la pensée du grand Docteur un poids cl d’être res­ tés, dans ses formulations, une tare, ils avaient fort bien exprimé une expérience essenlic.kment chrétienne. Je n’avais aucun titre pour prendre parti dans un tel débat; mais sans décider si sur le fait il avait raison ou tort, je remarquai que, dans ses raisonnements, le R. P. Daniélou dimi­ nuait beaucoup l’importance de ce qui est cons­ truction conceptuelle pour se rendre avant tout attentif à l’authenticité de l’expérience, de la spiritualité, qui donnait leur vraie valeur à des formules au sujet desquc.Ies il prenait plaisir à parler de < symbolisme >. Comment d’ailleurs ne pas unir la lecture de ce travail à celle des deux volumes de la collec­ tion Sources qui traduisent des textes de saint Grégoire de Nysse, le premier entièrement pré­ senté par ,e R. P. Daniélou, le second annoté par ! lui? En quoi ce rapprochement de livres du ’ même auteur est-il indû? et suffit-il, pour qu’on n’ait pas le droit d’en parler ensemble, qu’ils DE LA CRITIQUE EN THÉOLOGIE P I· ■ appartiennent à des collections différentes? (Rép. p. 78: « Ainsi pour comprendre le sens caché d’innocentes traductions des Pères, fau­ drait-il les interpréter d’après une collection d'études Ihéo.ogiqucs >.) Un troisième volume parut peu après dans la collection Théologie. II était du R. P. de Lubac et s’appliquait à montrer par l’histoire le sens ancien de l’expression Corpus Mysticum. Livre que l’austérité d’une érudition nullement voilée ne réussissait pas à alourdir, tant l’anime le sou­ ple talent de son auteur. Mais que de problèmes, sous l'apparente limitation de son objet précis, ce livre soulève! Rien de moins que celui d’un changement radical dans les méthodes de la réflexion théologiquc. Constatations d’ailleurs parfaitement assurées, mais qui ne nous sont pas livrées ici au stade de la seule constatation. L’au­ teur rejoint des idées chères, toutes celles en particulier qui concernent la place du symbolis­ me dans la pensée ancienne. A l’âge de la scolas­ tique, il s’est passé ceci que la théologie est de­ venue rationaliste. L’intérêt s’est déplacé vers de nouveaux problèmes, ce qui a entraîné un ap­ pauvrissement considérable. Le thomisme, qui fut sans doute un des fruits les mieux réussis de cette nouvelle méthode, ne sera lui-même qu’un commencement, plus lard fort dépassé dans la ligne de ce dessèchement rationaliste. Conclura qui pourra de l’expo»· du P. de Lubac. l'idée que cette évolution a réalisé un substantiel progrès; le sens obvie, non point de toute l’érudition dont ce livre regorge, mais de l’idée, de la position historico-théologique qui la sous-lend, est bien plutôt que de là vint un grand malheur. Non point total, certes; le R. P. de Lubac n est pas, tant s’en faut, un ennemi personnel de saint DE LA CRITIQUE EN THÉOLOGIE DE LA CRITIQUE EN THÉOLOGIE Thomas! Ses déclarations sur ce point ne sont pas seulement sincères (ce dont nous n’avons aucun droit de douter), elles sont fondées. Mais son admiration s’accompagne de très grands re­ grets. Le R. P. de Lubac garde, de l’âge et de la méthode patristiques, une nostalgie active, qu’il excelle d’ailleurs à faire partager. C’est son droit absolu; mais n’est-ce pas le nôtre de lui dire que nous voyons les choses autrement? Que la cour­ be qu’il nous présente de l’évolution historique de la pensée chrétienne nous paraît en partie faussée et empêche d’y voir la signification pro­ fonde d’une progressive constitution de la théo­ logie en science proprement dite? N’est-ce pas notre droit, un droit élémentaire de critique, de voir dans ce livre et dans le plaidoyer pour l’exé­ gèse symbolique que nous offre le volume de la collection Sources consacré à Origène, la conti­ nuité d’un même effort? Les deux collections se rejoignent ici encore. Où est le < dépassement »? où est 1’ < extrapolation >? On comprend peut-être maintenant pourquoi l’idée nous est venue de parler des collections Sources Chrétiennes et Théologie dans une même étude critique. Il est purement et simple­ ment faux de dire que j’ai commencé par voir < surgir devant mon regard un monstre d’héré­ sie » (peut-être dans le seul but d’attaquer des théologiens jésuites?) et que j’ai ensuite cherché dans des livres que rien ne rapproche, sans d’ail­ leurs en « analyser aucun >, tout ce qui pouvait donner quelque vraisemblance à mon naïf épou­ vantail. Mais je pousserai plus loin encore ces explica­ tions, que je n’eusse pas pensé avoir à donner. Je n’ai dit nulle part que je voulais faire une simple recension des deux collections dont j’ai parlé; je faisais une chronique consacrée au problème posé par le rapport entre ta théologie et ses sources, problème du progrès mime de cette théologie et par là de sa permanence. Des idées exprimées ailleurs entraient ainsi dans le champ de mon étude. Précisément venait à ma connaissance la toute récente « Revue du MoyenAge latin > et m’intéressant fort au problème que le P. Daniélou lui-même m’avait fait poser avec plus d’acuité des rapports de la spiritualité ou de l’expérience avec 1’expression théologique, pouvais-je ne pas noter la recension qu’il y con­ sacrait à l’opuscule de M. Gilson? Qu’est-ce qui me défendait d’utiliser ce texte? J’ai toujours cru que la meilleure interprétation d’un auteur doit être demandée à cet auteur lui-même quand par chance il s’est expliqué en dehors même des ouvrages que l’on a plus spécialement en vue d’étudier. Le caractère d’une recension serait-il qu’on n’y dit pas sa vraie pensée? Je veux bien que 1’expression y soit moins surveillée, la rédac­ tion plus rapide; mais cela veut-il dire qu’on n’en devra faire aucun cas (1)? Ce serait ici enco­ re une singulière conception de la critique! Voilà comment s’est réunie la majeure partie des textes dont j'ai parlé dans mon étude criti(1) J’ai dit que les termes dont le P. Daniélou se sert dans celte note sur les rapports entre la spiritualité et Fexpression théologique impliquent le relativisme de celle-ci, qui trouverait dans la première sn vraie me­ sure; et que ce relativisme conduit au subjectivisme. Les déclarations contraires de 1’autcur suffisent à me convaincre qu’il ne professe ni relativisme ni subjec­ tivisme. Je lui en donne acte bien volontiers; mais je conserve le droit de penser et de dire qu’il s’est alors fort insuffisamment expliqué; et je me réjouis de lui avoir fourni l’occasion de dissiper une équivoque, dont 11 était sans doute le premier à pâtir. DE LA CRITIQUE EN THÉOLOGIE DE LA CRITIQUE EN THEOLOGIE que. (Je parlerai des autres plus loin.) Il n’y avait pas seulement entre leurs auteurs « un air de famille > (Réponse, p. 78), ce qui est d’ail­ leurs vrai, mais ne m’intéresse que bien secon­ dairement; il y avait convergence objective vers un même problème, traité ici en passant, quoi­ qu’on termes exprès, ià plus amplement; d’un côté à l’occasion d’études patristiques, de l’autre à l’occasion d’études sur saint Thomas ou ses prédécesseurs. Ce problème était celui de la théo­ logie même, considérée en son évolution, en son rapport avec ses sources soit historiques, soit subjectives. N’avions-nous pas le droit de discu­ ter les idées exprimées sur ce point par divçrs auteurs? L’anathème lancé contre la « présenta­ tion globale > (argument considérable: elle est comparable au < portrait synthétique > !) ne me convainc pas de son illégitimité. Je reste persua­ dé que celle méthode est parfaitement utilisable et présente de sérieux avantages, bien qu’elle ait des inconvénients certains: mais quelle méthode n’en a pas? Laquelle suffirait par c’Ie-même, sans une continuelle vigilance de l’esprit? Reste donc la manière dont je l’ai utilisée. De celle manière je ne ferai ni le panégyrique, ni même une apologie totale. Je reconnais que mal­ gré mon dessein cl les précautions que j’avais cru prendre, tel e remarque adressée à l’un des auteurs reiaillit indûmrnt sur les autres: bien volontiers je prend acte de leur protestation et la transmets à mes lecteurs; je ne me contredis pas en cela puisque ie l’avais solicitée (n. 30, η* 1). Je devrais pourtant m’estimer comblé nar la façon même dont cette protestation est faite, puisnue les cinn auteurs nue j’ai nommés pren­ nent co’lpctivem''nf la défense de tous les passa­ ges de chacun d’entre eux que j’ai critiqués! Ne ' • j J, ,1 ί ,1 I ji, s’étonnera-t-on pas de cette solidarité, non seule­ ment dans la protestation, mais dans les idées, au moment où ces auteurs revendiquent solen­ nellement leur indépendance? J’étais prêt à dire que j’ai eu tort, ayant cité à la page 44 le P. de Lubac, de ne pas préciser que le développement qui suit, beaucoup plus général, ne le visa t pas; i. n’est d’ailleurs pas trop difficile de voir que ce développement ne fait que m’introduire à la critique du livre du R. P. Bouillard. Mais voici que le P. de Lubac, par la forme même de la Réponse, paraît faire siennes les idées du P. Bouillard. Je dirai donc, si cela est vrai, que, sans l’avoir visé, ma critique l'atteint aussi. Car je continue à penser que celle critique reste valab e contre un système d’idées qui seul expli­ querait les assertions du P. Bouillard; on parle de « dépassement », « d'extrapolation »: le dépassement indû consisterait à attribuer à l’au­ teur l’acceptation consciente de ce système d’idées; je me suis bien gardé d’une telle imputalion; mais depuis quand la critique n’a-l-elle pas le droit, pour apprécier un ensemb'c d’asserlions, de montrer quelles sont objectivement leurs implications et leurs conséquences? Je nie qu’il y ait à cela la moindre extrapolation, c’est un nrocédé élémentaire de toute discussion, S’indigner ne résout! pas la question: faire une large déclaration de principes contraires ne la résout! nas davantage (1); la seule réponse vala­ ble est de discuter mes arguments. k fl) Otto déclaration do principes ne résout! qu’un prof Même personnel nue le n’ai nullement posé: celui des Intentions du P. Bouillard et de sa philosophie personnr”c. Je n’nl pae’é que de se< déclarations Imnrîmien et L j’ni essayé de dire quelle philosophie ces déclarations ImpMniînlcnt nhlnMIvemcnl. Je l’ai fait sans prétendre L A aucune infaillibilité. I 12N DE LA CRITIQUE EN THÉOLOGIE DE LA CRITIQUE EN THÉOLOGIE 129 clair que les garde-fous ne sont pas des répon ses » (p. G-7). A côté de ces appréciations dédaigneuses, je voyais s’étaler ce désir de plaire, cette volonté de séduire, que j’ai relevés plus haut à propos de l’introduction du même auteur à la Vie de Moïse de saint Grégoire de Nysse: < Les spécu­ lations théoriques séparées de l’action et n’enga­ geant pas la vie ont fait leur temps » (p. 7). Comme le marxisme ou l'existentialisme nous aurons une « pensée engagée ». — Sans renon­ cer aucunement ni à l’action ni à la vie n’avonsnous pas le droit d’estimer et de dire que l’oubli de la finalité spéculative du savoir comme tel serait pour la pensée chrétienne une grave dé­ perdition et que l’accord avec l’existentialisme et le marxisme sur ce point précis serait regret­ table? N’avons-nous pas le droit de redouter cet engagement de la pensée? Le même auteur fait plusieurs fois grief au thomisme et à la pensée scolastique d’être fer­ més à l’histoire (1); et c’cst manifestement pour III. — L’ENJEU DU DEBAT Mais il est bien clair que le débat est plus profond et qu’il engage des questions plus graves que celles de ma méthode, ou même du sens de la critique en théologie. La Réponse parle à mon sujet de < préoccu­ pation d’esprit > et de < graves inquiétudes ». Eh bien, oui! C’est sans doute en un autre sens qu’ils ne le pensent, mais je dois avouer que c’est vrai. Le travail de réflexion que j’ai décrit jus­ qu’ici, même utilisant la méthode de « présen­ qtl tation globale », n’aurait pas abouti au texte de mon étude critique, tel qu’on l’a lu. Un autre courant de réflexion, chargé celui-là d’inquiétu­ de et de colère, y a porté des eaux plus tumul­ tueuses. Mon travail était déjà en bonne partie composé (et sur un tout autre ton) quand m’est parvenu l’article du R. P. Daniélou dans le· Etudes d’Avril 1940: < Les orientations présen­ tes de la pensée religieuse ». Dans cet exposé — que par un savoureux euphémisme la Réponse appelle < un article de large information aux formules parfois un peu rapides > (p. 81) — je lisais: < Devant le danger d’agnosticisme, le néo­ thomisme a accusé encore le rationalisme théo­ logique » (p. G) (Le P. de Lubac me dira peutêtre qu’il faut entendre qu’il l’a < mis en accusa­ tion » et que je devrais être reconnaissant à l’auteur de ce grand éloge?). Un peu plus loin: « Il s’agissait de parer au danger créé par le mo­ dernisme. Le néo-thomisme et la commission biblique ont «été ces garde-fous. Mais il est bien (1) La Réponse résume: < Pourquoi s’indigner si fort eu considérée, elle entendant d ire que, que, historiquement _ (l’œuvre de saint Thomas) manque d’un certain sent de» (p. 87). Ce n’est nullement contre une rhistoire affirmation aussi modérée et, de fait, incontestable, que! je me suis < indigné », c’est contre celles-ci qui sont tout autres: t La notion d’histoire est étrangère au thomisme » (P. Daniélou, loc. cit., p. 10) ; < La théolo­ gie scolastique est étrangère à ces catégories. Le monde qui est le sien est le inonde immobile de la pensée grecque.., par ailleurs elle ne fait aucune place à l’his­ toire » (ibid. p. 14, texte entièrement cité, supra, p. 30). < Manquer d’un certain sens de l’histoire > et lui être en­ tièrement < étranger », ne lui faire < aucune place », ce n’est nullement la même chose. En outre, le thomis- J4JJ IJ !1 : 130 DE LA CRITIQUE EN THÉOLOGIE DE LA CRITIQUE EN THÉOLOGIE dire qu’on n’inl'*grcra la réflexion sur l’hi'toire à la pensée chrétienne actuelle qu’en utilisant une toute autre philosophie que le thomisme. Nous avons le droit d’estimer que le thomisme peut être pour nous plus qu’une simple donnée bistorque, ou un objet d’érudition, cl que, consi­ déré dans sa vie actuelle, il a de quoi s’étendre à cette réflexion sur l’histoire. Celte instructive lecture m’apprenait encore que la théologie scolastique (cl donc la pensée thomiste) fixée dans le < monde immobile de la pensée grecque » met « la réalité dans les essen­ ces plus que dans les sujets », et par le fait même « ignore le monde dramaCquc des per­ sonnes » (p. 14). Mais son grand péché c’est qu’elle traite Dieu en « objet », alors u’il est < le sujet par excellence « (p. 7 el IG) [ 131 I Pensail-on que ces affirmations nous laisse­ raient indifférents, nous qui faisons profession de thomisme et ne nous cachons pas d’accorder encore quelque intérêt aux < spéculations théo­ riques séparées de l’action » et désintéressées? Eussions-nous dû remercier l’auteur de la sym­ pathie qu’il nous montrait et accepter les bril­ lantes perspectives d’avenir qu’il traçait pour le thomisme? Qui n’a compris comme nous que celui-ci avait sans doute eu un rô.e honorable dans le passé, mais qu’il était bien incapable de faire face aux difficultés actuelles, peut cire même d’en prendre conscience? Belle pièce pour un musée, où on le couvrirait d’étiquettes les plus flatteuses, mais archaïque, aussi peu adap- sur ce point une critique qui laisserait croire, ici en­ core, que scs auteurs m'ont bien distraitement lu. J'ai rappelé que considérer Dieu comme un objet n’est pas propre h celte théologie rationalisée qu’est le tho­ misme, mais constitue’ une attitude et un vocabulaire consacrés par le Concile du Vatican. Là dessus, on parle de « querelles de mots » et on s’écrie: < tout le monde cependant ne voit-il pas du premier coup que l’accep­ tion n’e: l pas le même de part cl d autre? » (p. 94, n. 2). Tout le monde, je ne le sais, mais moi du moins, je l’avais bien vu cl je le dis dans cc texte même: « Nous voulons bien qui· le 1*. Daniélou parle un autre langage que nous » (p. 40, note). Et notre critique signifiait qu'on n’est pas libre en théologie de donner n’importe quel sens à n'importe quel mol; que d’ailleurs, si on reprochait à la théologie traditionnelle de traiter Dieu en objet, ou bien on l'entendait effectivement en un autre sens qu'elle et on commettait une dëplorable équivoque, on bien on l’entendait au même sens qu'elle et cc reproche atteignait du même coup le Concile du Vatican: < Il y a bien des moyens de se tromper », c’est vrai; mais la légèreté ou l’habileté de la tactique en cumule beaucoup. me n’est pas pour nous seulement « l’œuvre de snint Thomas... historiquement considérée », c’cst une doctrine vivante qui s’étend à des* vérités que snint Thomas n’a pas vues, qui se dépouille aussi, c’est bien cer­ tain, de bien des données adventices, de conceptions périmées, d’étroitesses inévitablement liées à beaucoup d’influences historiques et à l'état de la culture et de la science inédiéva'es. Nous croyons que le thomisme s'ou­ vre parfaitement à l’histoire et que les amorces de celte ouverture ne manquent pas. même dans l’œuvre de saint Thomas < historiquement considérée ». — Avec le procédé des thèses de rechange et des replis habiles, on peut fausser toutes les discussions et déclarer ensuite solennellement que la discussion est en « porte à faux ». Est-ce tout à fait honnête? (1) Je n'ai dit nulle part qu’il fût défendu de s’inté­ resser à « la vie subjective » (p. 89, η. 1). Je crois tout à fait le contraire; mais j’ai dit que cc très légi­ time intérêt tend, dans la pensée moderne, à faire ou­ blier ou passer au second plan la considération de la vérité intemporelle. D'autre part la Réponse me fait I I i DE LA CRITIQUE EN THÉOLOGIE DE LA CRITIQUE EN THÉOLOGIE tée aux actuelles exigences de l’esprit que le se­ rait îï nos guerres modernes la pesante armure des vieux chevaliers. Dira-t-on que ces idées étaient étrangères à celles qu’avait soulevées pour nous la lecture des autres livres du R. P. Daniélou, de la < conclusion > du R. P. Bouil­ lard, de la Préface du R. P. von Balthasar? Qui ne voit leur convergence? Je n’attribue pas à tous ces auteurs toutes les idées de chacun d’eux, je ne soupçonne aucun accord préalable; je parle de convergence objec­ tive des idées exprimées et des expressions mêmes vers cette idée que le thomisme n’est pas adapté aux difficultés contemporaines, que la théologie scolastique a fait son temps, qu’il faut demander à d’autres, à des modernes, la philo­ sophie dont la foi ne saurait se passer pour être explicitée en théologie, que celle-ci n’a donc jamais atteint l’état de science proprement dite et qu’il s’agit littéralement de faire une théolo­ gie nouvelle. Je pense maintenant en avoir assez dit pour qu’apparaisse en pleine lumière l’ampleur du dé­ bat. On me reproche d’avoir dépassé, dans mon Elude Critique, les livres qui composent à ce jour les collections Sources Chrétiennes et Théo­ logie; on aurait visiblement préféré que je rende compte successivement de ces differents volu­ mes, ce qui m’entrainait à traiter à la fois de fort divers sujets ou plutôt m’empêchait de les présenter à la foi: et c’eût été, c’est vrai, beau­ coup plus inoffensif. Mais, ce qui m’avait frap­ pé, c’était précisément la convergence de plu­ sieurs d’entre eux, et, il faut bien le dire, des plus marquants. J’ai donc pris pour objet de mon examen le point où se faisait celte conver­ gence. Par le fait même je ne bornais nullement ma considération aux deux collections dont j’ai parlé. L’article du R. P. Daniélou (chacun ne sait-il pas les échos qu’il a soulevés, le retentis­ sement qu’il a eu?) entrait directement dans le champ de mon étude. 132 133 IV. — CONCLUSION Les précisions qu’on me demande, je crois qu’on aurait fort bien pu les trouver en lisant attentivement mon Etude critique; mais si je puis espérer que la présente réplique sera mieux lue, j’en donnerai de plus explicites. Je ne parle au nom d’aucune autorité, je n’ai reçu aucune consigne, je ne poursuis aucun au­ tre but que la mise en lumière, en vue de les discuter au grand jour, d’idées qui circulent et affleurent en certains écrit. Je n’ai pas pris pour objet de mon travail de déterminer exactement ce que pense chacun des pères de Lubac, Danié­ lou, Bouillard, Fessard et von Balthasar. Quand ils appartiendront à l’histoire, les «écrivains fu­ turs s’en chargeront peut-être et au surplus, je n’étais chargé, au sujet d’aucun d’eux, d’aucune mission d’enquête. J’ai posé, à propos de publi­ cations où eux-mêmes posaient ce problème, le problème du rapport de la théologie avec ses sources soit historiques soit subjectives, et de sa permanente valeur en sa formulation scientifi­ que. J’ai essayé de mettre en lumière les princi­ pes qui, à mon sens, commandent le débat, et de définir, à l’opposé, des positions doctrinales DE LA CRITIQUE EN THÉOLOGIE DE LA CRITIQUE EN THÉOLOGIE que je portais forcément à leur formulation la plus explicite; aussi ai-je eu soin de prévenir, sachant très bien ce que je faisais, que je ne les attribuais le.les quelles à personne. Que devenait dès lors h sens de la discussion avec les auteurs que j'attaquais? Très précisé­ ment celui de dire que chacun d’eux, sous diver­ ses formes et avec plus ou moins d’engagement, avait, dans des écrits que j’ai largement cités (1) émis des idées qui ne pouvaient trouver leurs vraies conséquences ou leurs principes que dans les positions fausses que je combattais. 11 n’y a à cela aucune extrapolation, mais ce procédé essentiel à toute discussion d'idées, qui consiste à montrer quelles sont objectivement les impli­ cations logiques d’une assertion. C’est la logique de ccs implications qu’il faut discuter. Au lieu de cela on fait, en commun une solennelle décla­ ration des principes que l’on professe, ce que je n’ai jamais mis en cause. Puisqu’on veut que je m’explique sur le cas de chacun, j’ai vou u dire et je maintiens, tant que le contraire n’est pas montré: deux directeurs de la première ont donné à la seconde des « travaux importants > (Daniélou, loc. cil.), jusqu’ici les plus marquants de la Col­ lection. 13 » 1’ Que les collections Sources Chrétiennes et 'Théologie se complètent en un effort commun dont le propos est substantiellement excellent. Ce rapprochement n’a pas été fait par moi seul, mais par le R. P. Dan:?lou lui-même, dans les Eludes, Avril 1940, p. 10. Cela apparaissait déjà du dehors et superficiellement du fait que les (1) Je les ni cités autrement qu’en glanant ici et là des expressions détachées de leur contexte immédiat, comme le fait la Réponse. J’ai donné des références pré­ cises. Pour Corpus Mpsticiiin, les citai ions étaient faites par le P. Nlco’ns dans la chronique qui suivait la mienne (Hcv. Thom., 1946, H, p. 383-388). <1 vi 1 135 2" Que le propos de la Collection Sources Chrétiennes, te, que l’un de s.s directeurs 1 a explicitement défini, est infléchi vers une orien­ tation que je critique, sans pour cela cesser de louer hautement ce propos même et sa réalisa­ tion. Celle orientation, je le répète, consiste à vouloir mettre en lumière surtout les « catégo­ ries qui sont celles de la pensée contemporaine et que la théologie scolastique avait perdues >. (Daniélou, Etudes, .oc. cil. p. 10) ce qui revient il vouloir manifester l’insuffisance actuelle de la théologie scolastique. J’ai le dro:t de préférer qu’on « rende vie > aux écrits des Pères avec un souci moins limitateur et de penser que ce souci même est caractéristique d’un esprit, d’une men­ talité commune. 3" Que la façon dont le P. Daniélou, dans son article des Etudes, parle du thomisme et de a théologie scolastique en général classe l’un et l’autre en un stade de la pensée chrétienne au­ jourd’hui déliassé, ce qui explique leur incapa­ cité Λ nssini’ler les catégories nouvelles, cel es en particulier de l’hisloire et de l’expérience subjec­ tive qu’exprime l'existentialisme. 4° Que la façon dont le même P. Damélou, dans un texte que j’ai longuement cité, parle des rapports entre les systèmes Ihéo’oginues et les diverses snirihnilités conduit à chercher la me­ sure de l’expression théologique non sur l’objet <3t) 137 DE LA CRITIQUE EN THÉOLOGIE DE TA CIUTIQUE EN THÉOLOGIE qu’elle veut proposer, mais sur l’expérience reli­ gieuse du théologien, ce qui infléchit la notion même de vérité spéculative de la définition clas­ sique de conformité à l’objet vers l’idée de con­ formité avec la vie subjective. Je me réjouis de savoir que le P. Daniélou pense le contraire, sur­ tout depuis qu’il me l’a écrit (et sur un tout autre ton, grâce à Dieu, que celui de la Réponse collective), et j’en prends acte; mais je maintiens que ses formules ne sont objectivement explica­ bles que dans le sens de cet infléchissement. 6’ Que le livre du P. Bouillard, qui a ouvert la Collection Théologie présente en sa conclusion une théorie générale de l’évolution de la Théolo­ gie qui aboutit, malgré scs intentions déclarées, a nier la permanente valeur de la science théo­ logique et celle même des formules dogmatiques. Puisque la Réponse ne fait aucune allusion ή cette discussion, pourtant longue, je me contente de renvoyer les lecteurs aux pages 47 à 54 de la présente édition. 7’ Que la préface du R. P. Fessard à un livre où il veut fonder, d’une façon valable pour nos contemporains, une notion théologique essen­ tielle sur une dialectique toute hégélienne, se débarrasse avec désinvolture de la justification que saint Thomas a faite de cette notion, par rappel à la < comparaison vestimentaire ». Le sens du livre est manifestement que la doctrine chrétienne ne trouvera aujourd’hui l’instrument de son explicitation que dans une aulre métaphy­ sique que celle de saint Thomas, en l’espèce celle de Hegel. Je n’y dénonce pas une hérésie; mais dans la Revue Thomiste je défends la position de saint Thomas, — et il se trouve que dans le même fascicule cette position est admirablement mise en lumière par M. Jacques Maritain. 5’ Que les deux livres du R. P. de Lubac CorÎ)us Mysticum dans la collection Théologie et ntroduction aux homélies d'Origène dans Sour­ ces Chrétiennes, rejoignent le souci dont j’ai parlé, le premier en présentant comme un appau­ vrissement l’introduction de la dialectique dans la réflexion théologique (ce qui a donné naissan­ ce à la théologie scolastique), le second en plai­ dant aussi pour un retour au symbolisme, mais cette fois dans l’exégèse. Je ne dénonce là aucu­ ne hérésie, je n’y dénonce même aucune préten­ tion exorbitante: je dis seulement que cela est discutable et qu’objectivement ces assertions vont dans le même sens que celles que j’ai déjà relevées et que le R. P. Daniélou avait complai­ samment soulignées; je dis: dans le même sens, mais sans aller elles-mêmes, et de beaucoup, aussi loin. Si malgré mon avertissement expli­ cite, on a attribué au P. de Lubac, sur ce point, d’autres idées que celles-là, sur la seule foi de mon Etude Critique, je proteste et je rétracte publiquement tout ce qui aurait pu y donner lieu. 8* Que le R. P. von Balthasar, parlant, dans l’introduction à son livre sur saint Grégoire de Nysse: < Présence et Pensée > des tâches actuel­ les de la théologie, présente celle-ci comme de­ vant refaire, pour notre temps et d’une manière toute nouvelle, cela même qu’ont fait pour le leur soit les Pères Grecs, soit saint Thomas. Je n’ai nullement attribué au Père von Balthasar ·, I .I.I.144J 138 DE LA CRITIQUE EN THÉOLOGIE DE LA CRITIQUE EN THÉOLOGIE toutes les idées des autres auteurs sur les Pères, et le fait qu'il mitte les Pères grecs dans le même cas que saint Thomas (avec l’insolence en moins) ne me rassure nullement. C’est sa con­ ception même de la tradition théologique et de son sens qui m’inquiète dans ce texte, dont la Réponse donne une interprétation aussi inatten­ due que lénifiante. (Je note que, pour ce qui est de l’appréciation sur ic thomisme contemporain, un auteur tout à fait étranger, et pour cause, à notre controverse, l’a comprise au même sens que moi, d’ailleurs pour l’approuver: M. de Gandillac, dans le troisième fascicule de « Dieu vivant », p. 123 et sq.) 9e Que l’article du R. P. Daniélou, dans les Etudes, accroissait considérablement l’évidence d’une convergence objective de ces divers tra­ vaux vers une conception nouvelle de la Théolo­ gie scolastique. Les Révérends Pères nous convient à renoncer à ce genre de discussion pour nous consacrer aux tâches magnifiques que nous proposait ré­ cemment Sa Sainteté Pie XII. Nous n’avons au­ cune peine à les rejoindre dans ce désir et nous serons heureux de pouvoir les y a'der. Mais nous ne croyons pas que toutes les discussions soient stériles, si du moins on veut bien s’abstenir de les faire dégénérer en polémiques personnelles. El s’il est vrai, comme nous l’assure également le Saint Père, que se propage actuellement dans les esprits une certaine « théologie nouvelle » qui les égare, c’est une belle lâche que de la combattre afin de mieux marquer la permanente fécondité de la théologie traditionnelle. Nous ne demandons qu’â mener fraternellement avec eux ce combat. Saint-Mnximin, 15 février 1945. F,. M. Labourdette, O. P. 139 P. S. — Puisqu’on met en cause assez brièvement et ixnmaircmcnt d ailleurs (supra, p. 97), ma longue ana■tc de < Corpus Mysticum » du P. de Lubac, je crois ècessaire de répondre, au moins d un mot. < La seule lose que nous reprochions au P. de Lubac > dans ce eau livre, que nous avons abondamment cité et udmi!, < c’est d’avoir vu dans l’oubli du symbolisme euchasliquc la conséquence nécessaire de la forme seientiliue prise par la théologie au Moyen-Age, et dans celte inné scientifique l’expression d’une mentalité dépassée : peut-être moins accessible à nos esprits, en tous cas loins traditionnelle que la mentalité symboliste des ères ». Certes, j’ai pu me tromper dans 1 interprétation u chapitre intitulé « Du symbolisme à la Dialectique », l j’ai peut-être mal saisi en effet la pensée souple et rillante que je me suis plu pourtant à suivre de très rès. C’est cependant lui qui parle à propos de la Scoistiquc de « rationalisme chrétien » (p. 273). de « synlèses p us scientifiques que religieuses » (p. 298). qui ni succédé à la théologie patristique, à ce moment priilégié de l’histoire de l’esprit où < recherche intellccÎicl.e et tension spirituelle coïncident, participant au lême élan et dessinant In même courbe » (p. 268). C’est li qui s’écrie en conc.uant ce qu’il expose du rempla­ çaient de « la dia’cctiquc du signe et de la chose » par elle < de la substance et de l’accident cl de la quantité icc-substancc »: Quel ravage accomplit ici 1 hérésie lême vaincue. Les malheureux, pourrait-on dire en rcnurnanl le mot de Pascal, qui ont amené les défenseurs e la foi h se détourner du fond de In religion pour rienlcr toute la spéculation rc’ative Λ l’Eucharistlc, sur es problèmes extérieurs d’apologétique 1 » (p. 297). [ 140 DE LA C1UTIQUE EN IHÉOLOG1E problèmca essentiels en des termes équivalents. Chacun d'eux, et Jusqu'au sein d'une même tradiiton doctrinale ou spirituelle, nous communique le sentiment, si nous savons {’Interroger, de la perpétuelle Invention qu’est né­ cessairement la vie de l’esprit, et comme du déplacement perpétuel de scs frontières. Aucun d'eux ne passe sans que son action demeure inscrite dans les régions mêmes où nous nous croyons en présence de catégories éternel­ les. Plus heureux que les plus grands capitaines et que les plus grands bâtisseurs d'empires, ils réussissent à nous faire oublier totalement l'état antérieur du monde spirituel qu’ils ont réussi à retondre. Mais aussi, par une revanche inévitable, dès que leur œuvre, à son tour, est < dépassée >, elle est aussitôt méconnue. L’imagination nous manque, même si les textes sont encore entre nos mains, pour reconstituer leur univers mental. Il faudrait pour cela prendre appui sur cela même qui, tout au fond de nous, vient d’être à nouveau refondu » (p. 268-269). Il me semble que le bénéfice de critiques du genre de celles que je me suis permises est de provoque des ex­ plications et des mises au point fort utiles. Comment n’avoir pas saisi la sympathie profonde de phrases com­ me celles-ci: < Pourquoi gâter son magnifique effort d’ou­ verture et de < réinvention théologique > par celte crainte perpétuelle d’une < fixité > de la vérité? > Faut-il ajouter que je n’ai pas une seconde entendu critiquer le P. de Lubac d’avoir fort peu parlé de saint •Thomas en une matière dont il est le docteur. J’ai cru devoir au contraire expliquer pourquoi je considérais la théologie de saint Thomas comme atteinte dans une étu­ de historique qui visait directement le Haut MoyenAge. fr. M.-J. Nicoeas, O. P. Conclusion LE PROGRÈS DE LA THÉOLOGIE ET LA FIDÉLITÉ A SAINT THOMAS Le progrès de la Théologie et la fidélité à Saint Thomas : 4 k [ E ï [ i I Mais laissons à présent notre étude critique. Tout lecteur l’ayant sous les yeux à côté de la Réponse qui lui a été faite jugera du bien fondé des plaintes que nous avons provoquées et de celles que nous élevons à notre tour. Venons-en aux explications qui nous sont données. Ce serait faire injure aux RR. PP. de voir dans ces quelques pages sommaires un exposé complet de leur pensée. Ils nous annoncent d’ailleurs une série d’études sur ia théologie et l’histoire que nous sommes sincèrement très heureux d’avoir provo3uées. Nous laisserons donc de côté, un peu déçus ’avoir obtenu une pareille plaisanterie en réponsc à nos inquiétudes, l’apologue de la personne avisée pour qui, affirmer trois personnes en Dieu est une tendance à en affirmer quatre, pour nous demander quelle est finalement leur posilion à l’égard de saint Thomas et de ia théologie. Voyons tout d’abord ce que ne sera pas la fidé­ lité thomiste des RR. PP. Elle ne sera pas exclusive de l’étude des douze premiers siècles de la pensée chrétienne. On ne fera pas non plus de cette élude la seule histoire de la genèse de la pensée de saint Thomas. On cherchera dans ces temps reculés quelque nour­ riture chrétienne directement assimilable. On LE PROGRÈS DE LA THÉOLOGIE assumera le progrès des siècles ultérieurs sans crainte d’apporter en certains cas une < refon­ te >, car la synthèse de saint Thomas n’est pas définitive, ses catégories ne sont pas éternelles; il y a plus à faire qu’à ajouter certains orne­ ments et à tirer certaines conséquences. Nos auteurs continuent: saint Thomas n’épui­ se pas, en se l’assimilant pour sa part, toute la substance nutritive de la tradition. Même après lui il faut revenir au passé. De même, les pro­ grès ultérieurs ne sauraient se borner à être de simples ajoutes. La < systématisation scientifique > risque d'entraîner un appauvrissement, une partialité. De même le fait d’être conçue dans un siècle donné où manquaient beaucoup de nos moyens de savoir et spécialement un certain sens de l’histoire. Pour demeurer théologie vivante, le thomisme doit se dilater. Il doit intégrer bien des éléments plus concrets que son effort de systé­ matisation a laissés de côté et que du reste il ne contredit pas. Le progrès théologique n’est pas une marche rectiligne allant toujours de consé­ quences en conséquences. La loi de l’esprit est qu’il ne progresse vraiment, qu’il n’approfondit son savoir que par un rythme qui le rapporte périodiquement aux origines de sa pensee. Le retour aux sources de saint Thomas nous j>ermettra de découvrir en lui des virtualités pro­ mises à de merveilleux développements. Les Pè­ res, comme l’Ecriture Sainte, sont des sources toujours et actuellement jaillissantes. Or, sur tous ces points à propos desquels nos critiques semblent prendre position contre nous, nous sommes, à quelques expressions près, d’accord avec eux. Ils reconnaissent d’ailleurs 146 LE PROGRÈS DE LA THÉOLOGIE n’oblige point celte expression conceptuelle à se préciser et à s’amplifier, ou qu’on n’en doive attendre qu’un secours d’ordre pragmatique, sans valeur de vérité proprement dite. Λ ceux qui par l’effet de quelque scrupule ou de quel­ que réflexion mal conduite seraient portés à douter de l’aptitude au vrai de l’intelligence hu­ maine, l’incarnation du Verbe apporte au con­ traire des motifs nouveaux de confiance. Mais il s’ensuit que la Vérité catholique débordera tou­ jours son expression conceptuelle, à plus forte raison sa formulation scientifique en un systè­ me organisé. C’est ce qu'ont senti d’instinct les penseurs chrétiens de tous les temps. C’est ce qui permettait à un saint Bonaventure et à un saint Thomas, sans renoncer à leurs différences, de s’entendre par autre chose encore que par un pur esprit de charité. » Que nos critiques se rassurent! Celte page que nous venons de citer ne révèle à nos yeux au­ cun abîme de complications ténébreuses. Nous n’avouons pas la sorte d'intellectualisme dont on vient de lire la critique. Simplement nous res­ tons sur notre soif. Pour jeter de la clarté dans le débats voici la question qu’il faudrait poser: Croyez-vous que la métaphysique de saint Thomas soit vraie et pas seulement en tant qu’hypolhèsc ou expression d’une mentalité, mais objectivement et dans la nature des choses ? Et la seconde question serait celle-ci: Croyez-vous nu moins que l’etTort des penseurs chrétiens doive être de s\n saisir, pour que, grâce à elle, la foi puisse s’expliciter dans la théologie la plus complète et la plus universelle? LE PROGRÈS DE LA THÉOLOGIE 14o que nous avons dit, mieux encore, pratiqué des choses analogues. N’exagérons pas cependant la portée de cet accord sur ce que ne doit pas être le thomisme. On voudrait voir ce qui reste de saint Thomas, et la sans doute apparaîtrait mieux notre désaccord. Que disent nos criti­ ques dans leur Réponse de la valeur permanente du thomisme? Nous apprenons qu’ils ne tien­ nent pas la pensée thomiste pour « épuisée >; ils ne disent pas « qu’on n’y puisse trouver aucun principe, aucune « pierre d’attente » en vue de constructions nouvelles ». Mais un seul aspect positif du système thomiste est mis en cause, et c’est d'ailleurs le plus topique pour l’ensemble des problèmes traités: c’est V intellectualisme de saint Thomas. Avec beaucoup d’à propos nos auteurs distingenl l’intellectualisme considéré comme doctrine accordant à l’activité intellec­ tuelle la plus haute valeur ontologique, (et ils se déclarent partagés entre eux sur ce point), et l’intellectualisme considéré comme doctrine ac­ cordant à l’intelligence le pouuoir de saisir le vrai, et ils professent hautement cet intellectua­ lisme, mais à condition de le bien comprendre: « Il peut y avoir, en théologie, un certain intel­ lectualisme, contre lequel nous n’hésitons pas à prendre position. C’est celui qui tendrait à faire de la Révélation chrétienne la communication d'un système d'idées alors,qu’elle est d’abord, et qu’elle reste à jamais, la manifestation d’une personne, de la Vérité en personne; le Christ .est en même temps le porteur et l’objet du message divin. La Parole de Dieu en sa plénitude unique et définitive c’est le Verbe fait chair. Il ne suit point de là que la Révélation n’ait pas à s’expri­ mer en concepts, que le déroulement des temps LE PROGRÈS DE LA THÉOLOGIE Oui certes, la Révélation est essentiellement celle d’une Personne, mais d’une Personne qui a parlé, qui a donc exprimé des concepts où la réa­ lité ineffable et infinie était analogiquement saisie. Concepts profondément engagés dans le tout concret de l’image, du sentiment, de l’ex­ périence, de l’exemple, de l’atmosphère, mais que l’Eglise a eu pour mission de dégager, de préciser, non sans avoir recours à la réflexion philosophique, et par conséquent à d’autres concepts non directement venus du Verbe de Dieu, mais dont elle garantissait l’aptitude à expliciter la Parole du Christ, au regard de l’intelligence humaine. Que ces concepts, même ceux que l’Eglise a ainsi fixés et garantis soient à la fois vrais et insuffisants à tout exprimer, non seulement de la Réa­ lité Divine, mais même du contenu réel de la Parole vivante du Christ, nous en sommes pro­ fond huent persuadés. Que celte insuffisance soit la cause de la partialité de toute pensée théologique, fût-ce celle de saint Thomas, nous le disons aussi. Mais nous ne pensons pas que deux thèses théologiques contradictoires puissent êtres vraies à la fois, sinon par les côtés où elles ne s’oppo­ sent pas mais se complètent. Tout en admettant volontiers qu’il y ait à réviser des thèses de saint Thomas, nous pensons nue le point de vue général, auquel il s’est placé étant le plus essen­ tiel, ses thèses fondamentales sont vraies et que sa synthèse est la synthèse de base de toute construction théologique solide. Mais si une vérité venue d’ailleurs ne pouvait pas y être inté­ grée sans modification de ces données essentiel­ les, nous saluerions la théologie nouvelle et nous laisserions franchement notre Maître derrière ·. r 148 LE PROGRÈS DE I.Λ THÉOLOGIE 149 LE PKOGI1ÈS DE LA HIÉOLOG1E nous, plutôt que de renoncer à la vérité dont il nous apprend avant tout le sens et l’ampleur infinie. Nous ne croyons pas qu’une même vérité, si infinie soit-elle, si en-dessus de tous nos concepts puisse aussi vraiment s’exprimer au moyen de h métaphysiques fondamentalement différentes. Certes, il y a à travers toutes les philosophies dont se sont servis les chrétiens, des vérités com­ munes, qu’il est peut-être trop optimiste d’attri­ I buer aux perceptions du sens commun, car le bon sens n’est pas la chose du monde la plus répandue, mais qui sont peut-être plutôt décou­ i vertes en vertu même des exigences de la foi qui se cherche un monde intellectuel respirable pour elle. Mais celte « philosophia perennis », ce donné commun minimum de la philosophie chrétienne ne suffit pas à une théologie parfaite. Saint Thomas a-t-il eu cette gloire et celle signi­ fication historique de tracer les lignes essentiel­ J les de la métaphysique chrétienne? Discutons-en franchement, car l’ambiguité en la matière n’est pas bonne. Ce qui nous inquié­ terait surtout, ce serait de sentir qu’on met en doute la possibilité même, l’existence objective d’une métaphysique chrétienne et par là d’une théologie scientifiquement élaborée, qui n’achève >· jamais de tout intégrer des connaissances nou­ velles et des points de vue nouveaux, de se dé­ gager au fur cl à mesure de ce qui « n’était pas or ni argent, mais paille ». Cependant, à celui qui ôterait à saint Thomas le rôle glorieux que nous lui reconnaissons, nous · 1 ne craindrions pas d’opposer ce que nous avons 1 de raisons et de possibilités intellectuelles, non 3 pas certes pour défendre un bien de famille, ou 1 même une habitude invétérée et chère de notre pensée, mais par la conviction que l’abandon des grandes positions de la métaphysique de saint Thomas amènerait peu à peu à la ruine de la foi. Peut-être nous trompons-nous en sentant saint Thomas si absent de la théologie nouvelle. Peut-être cette réserve vient-elle simplement de la persuasion bien justifiée (pie la mentalité contemporaine est trop imprégnée d’idéalisme, d’existentialisme, ou d’évolutionnisme, pour qu’il soit possible de lui faire comprendre le langage thomiste, même remis à la mode du jour. Peut-être estime-t-on que, de fait, le tho­ misme est trop la propriété d’une certaine sorte d’esprits fermés à l’histoire, à la science, et aux sentiments d’aujourd’hui, pour qu’il soit possi­ ble de s’en servir librement. Peut-être estime-t­ on trop urgent de christianiser certains thèmes de pensée tout puissants sur les esprits d’au­ jourd’hui pour qu’on ait le temps d’attendre que le thomisme ait pu l’intégrer à sa métaphysique sans la dénaturer. Tout cela est possible. Nous croyons aussi qu’il y a autre chose. La métaphysique thomiste ne peut être vraie sans que soit en même temps convaincue d’un mal foncier la pensée moderne, qui, si assimilable qu’elle soit en bien des choses, lui est fondamentalement opposée. Cette opposi­ tion à la pensée moderne est cruelle à tenir pour des hommes qui, à juste titre, sont profondé­ ment de leur temps. Elle est cruelle à tenir pour nous aussi qui ne sommes pas du tout des « émi­ grés » et qui rêvons comme nos frères, d’enga­ gement et d’incarnation. Peut-être la vivacité de notre critique a-t-elle été accentuée par l’amertu­ me qu’on peut éprouver à se sentir si seul dans Ml 1 150 LE PROGRÈS DE LA THÉOLOGIE LE PROGHÈS DE LA THÉOLOGIE une attitude d’esprit qu’il nous est intellectuelle­ ment et moralement impossible de ne pas pren­ dre, et que nous estimons finalement la plus promise au succès, la pensée moderne dévoilant de plus en plus aux yeux de tous les vices pro­ fonds qui la corrompent. Nous pensons bien que nos contradicteurs sont heureux de nous voir rester fidèles à la pensée thomiste. Ils ne seront sans doute pas moins libéraux pour nous que pour les autres. Si cela était nécessaire (mais c’est le contraire qui est nécessaire) pour conquérir des âmes à la foi, ils ne manqueraient même pas de nous flat­ ter. Mais il nous est plus difficile qu’à eux d’ad­ mettre toutes les attitudes d’esprit différentes de la nôtre. Nous ne sommes pas plus sourcilleux qu’eux au point de vue de la foi. Nous ne con­ fondrons jamais la métaphysique thomiste avec les Dogmes définis ni même avec la doctrine ordinaire de l’Eglise. Mais nous pensons qu’il est d’autres certitudes que celles de la foi, et que toute position non condamnable n’est pas audessus de toute critique. L’intellectualisme qui, sans confondre son système avec le dogme, sait parler avec assurance, affirmer et donc nier, a quelque chose de fâcheux. Nous regrettons les blessures que nous pouvons faire, l’irritation que nous pouvons causer. Mais qu’on le sache bien, nous n’avons pas démesurément confiance en nous. Nous savons et saurons reconnaître nos erreurs. Croire en la vérité communique bien quelquefois un peu trop d’assurance (’ans les paroles. Tout en nous efforçant de ne jamais confondre l’aptitude générale de l’esprit humain à obtenir des certitudes avec la vérité de nos ju­ gements propres, nous ne nous ferons pas trop scrupule de dire ce que nous pensons, suppliant tous ceux qui nous lisent de ne pas voir dans nos critiques des sentences de juge ou même des appels à un tribunal sacré, mais simplement l’expression libre et franche de notre sentiment. Au demeurant, nous savons bien que notre œuvre la plus utile sera de prouver le mouve­ ment en marchant et de résoudre les questions que tout penseur chrétien d’aujourd’hui sc pose avec angoisse, au moyen même do saint Thomas. 15 février 1947. ' M.-J. Nicolas. t