IMPRIMATUR PARISIIS, DIB 5· NOVEMBRIS 1913 H. ODELIN’ Ei Acns Capituli Glvehaus XI Congregationis Gai.ijc.k O. S. B. Unus e Capitularibus, nomine omnium aditantium, imo et lotius Congregationis, gratias refert Rmo Praesidi quam maximas et meri­ tissimas pro noro opere juris communis facto, nempe Commentario in Sanciam Regulam, ex quo omnes haurire possumus uberrimam aeque ac profundissimam notitiam perfectionis status monastici et largiter accipere purissimum spiritum Sanctissimi Patris nostri Benedicti DU MÊME AUTEUR, À LA MÊME LIBRAIRIE ; Dom Guéranger, abbé de Solesmes. Deui volumes in-8· avec deux portraits. COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT PAR LE RE VÉRENDISSIME PÈRE DOM PAUL DELATTE ABBÉ DE SOLESMES Nouvelle édition revue et augmentée PARIS LIBRAIRIE PLON MAISON ALFRED MAME et Imprimeurs-éditeurs Imprimeurs-éditeurs 8, RUE GARA5CIÈRE — 6* 6, RUE MADAME — 6* FILS W '1 •«s ■· >' <· Ί • S Ccs pages, oil nous aeons voulu mettre en lumière les richesses de la sainte Bègle, sont dédiées, d'un cœur aimant et dévoué, à tous ceux qui, dans les monastères ou dans le monde, appartiennent ά la grande famille de saint Benoit. A T- Quarr Abbey, 8 septembre 1913. ; Droifs de repfodudlon et do traduction ruervés pour tous pep. *· : ·>■ , _.· -s ''ά > rt 2 .vNt: INTRODUCTION - «•A- I’homme de Rien, Benoit, parmi tant d’œuvres miracu­ leuses qui K· rendirent illustre ici-bas, brilla grandement aussi par la doctrine, car il écrivit un·· Règle d« moines remarquable de discrétion, riche d’enseignements. Si quelqu'un veut con­ naître plus à fond ses mœurs et sa vio, il peut trouver dans du maître : car le saint homme n’était nullement capable d’en­ seigner autrement qu’il ne vivait. ■ A ce jugement de saint Grégoire le Grand (1), très complet sous sa forme gracieuse et sobre, nous pourrions cependant ajouter une double re­ marque : c'est que la beauté morale de saint Benoit, son tempérament, presque ses traits, se reflètent aussi dans les pages à la fois candides et profondes de son biographe; c’est, de [dus, que la Règle elle-même apparaît, au milieu du sixième siècle, comme le fruit mûr de tout un passé monastique et de la spiritualité des Pères. Saint Benoit est excellemment homme de tradition. Ni son caractère, ni une grûco spèciale ne l’ont incliné à créer de toutes pièces et d’enthousiasme une forme nouvelle de vie religieuse. Nul souci, chez lui, du renom d'originalité ou de la gloire d’initiateur : on le voit bien au dernier chapitre de sa Règle. Celle-ci n'est rédigée que sur le lard, dans le voisinage (!) Dialogues, I 11, chap, xxxvi Ce livre second est consacré à la vie de saint Benoit; E. Cautieh en a donné une traduction française. t - " INTRODUCTION de l'éternité, après l’étude et peut-être l'essai îles principales législations monastiques. Presque à chaque phrase, il y a comme un parti pris d’appuyer la pensée sur celle des anciens, tout au moins de parler leur langue et d'emprunter leurs termes. Mais alors même que la Règle ne serait qu’un travail de sélection intelligente, alors même qu’elle n’eût été com­ posée qu'avec la lecture et le tact surnaturel de saint Benoit, avec l’esprit d’ordre, de mesure et de clarté de ce Romain de vieille race patricienne, elle ne serait pas pour autant œuvre banale : en fait, elle demeure l’expression achevée, définitive de l’idéal monastique. Qui peut mesurer l’extraordinaire influence que ces quelques pages ont exercée, durant qua­ torze siècles, sur la formation générale du monde occidental? Saint Benoit pourtant n'a songé qu’à Dieu ; il n'a songé qu'aux âmes désireuses de monter vers Dieu; il n'a voulu, dans la simplicité tranquille de sa foi, qu'établir une école du ser­ vice divin : Dominici schola servitii. C’est à raison même de cette recherche jalouse de l'unique nécessaire que Dieu a béni la Règle des moines d'une grâce singulière de fécondité et que saint Benoit a pris rang dans la lignée des grands patriarches. On pourrait presque dire de la Règle bénédictine, ce qui est tout à fait certain de la Loi de Dieu, qu'elle porte en soi sa justification, qu’elle se suffit : justificata in semetipsa, qu’elle a besoin seulement d’être lue, aimée, vécue. Le commentaire pratique d’une parole dictée par l'Esprit de Dieu n’a guère d'autre tâche que de l’épeler doucement, de la souligner dis­ crètement, de la placer en pleine lumière. Aussi bien, une longue série de travaux pourraient très utilement converger vers une glose littérale de la Règle : étude du développement des institutions monastiques, depuis les saintes audaces de l'Eglise de Jérusalem et les héroïsmes de la Thébaïde, jusqu’à saint Basile et à saint Benoit; étude sur la vie de saint Benoit; histoire critique du texte de la Règle et histoire de sa diffu­ sion; exposé de l'interprétation vivante qu’ont fournie les Us monastiques et les Règles tributaires de celle de saint Benoît; tableau enfin du monachisme contemporain. Sans négliger INTRODUCTION Hl absolument toutes ces questions, celles-là surtout qui sont nécessaires pour l'intelligence du texte, notre Commentaire demeure, même imprimé, ce qu'il fut originairement : une lecture de la Règle faite au Noviciat de Saint-Pierre de Solesmes. Il reproduit, en les abrégeant, des conférences d'initia­ tion monastique. D’où l’absence d’un appareil scientifique proprement dit; d’où le caractère parfois familier, et familial, du langage; d'où certaines redites, provoquées le plus souvent par les insistances de Notre Bienheureux Père lui-mème. Peut-être la publication de ces notes répondra-t-elle, dans une mesure, à la curiosité de tant d’àmes chrétiennes, qui nous demandent chaque jour des éclaircissements sur le mode de vie, la spiritualité, l’utilité réelle des moines. Le texte que nous expliquons est celui qui est d’usage cou­ rant dans la Congrégation bénédictine de France. Mais chacun pourra consulter les éditions critiques de Schmidt et de Wolfilin, les travaux de Traube, Plenkers, G. Morin et autres érudits, et surtout l’excellente édition qu’a donnée en 1912 le Révérendissime Dom C. Butler. Il nous faut indiquer brièvement les principales solutions qui ont été proposées touchant l’histoire du texte. Dom Schmidt a signalé le premier l’existence de deux familles très distinctes de manuscrits. Selon lui, les plus anciens (Oxonicnsis, fin du septième siècle, Veronensis iji [al. 50] et Sangallensis 916, huitième-neuvième siècle) fournissent le texte d’une première rédaction de la Règle; tous trois semblent provenir d’une source immédiate commune. D. Schmidt a même cru rencontrer dans un ma­ nuscrit de Tegernsee (Monacensis 19408. neuvième siècle) le représentant d'un autographe confié par saint Benoit à saint Maur lorsque celui-ci passa en Gaule. L’autographe du MontGassin (1), dont Théodemar envoya à Charlemagne une copie (1) S’il s'agit réellement d’un même exemplaire, on en peut suivre I hisluire dans I'avl Diacre, De geslis Longobardorum, 1 IV, c xvm: I VI, c. XL (Palrologie Latine, XCV, 547-548; 650-651), et dans la Chronique du 4 ·«■ IT INTRODUCTION fidèle (f) qui fut très répandue, représenterait une seconde et définitive rédaction. Wôlfflin, dans la Préface de son édition de la Règle, émet l’hypothèse de trois ou même de quatre rédactions. 11 est sûr que saint Benoit ne composa pas sa Règle tout d’un trait; les chapitres LXV1I-LXXIII sont additionnels; le Prologue a été écrit probablement en dernier lieu. Afais, selon l’opinion qui prévaut de plus en plus, les manuscrits ne nous révèlent point l’existence de plusieurs éditions de la Règle données par saint Benoit lui-même. Traube, Plenkers, D. Butler ont démontré que le texte des plus anciens codices qui nous restent est en réalité un texte amendé et interpolé. C’est à la double tradition carolingienne et cassinienne qu'il faut demander a le texte pur et normal » : surtout au Sangallensîs 914, transcrit, dans les premières années du neuvième siècle, sur la copie envoyée à Charlemagne. D. Morin a donné de ce manuscrit une édition diplomatique, et D. Butler l’a pris comme base de son travail. Le texte que nous commentons est une vulgate, un texte remanié parallèlement à celui des plus anciens codices; D. Butler trouve des traces de ce lertus recep!us dès le huitième siècle; c’est lui que reproduisent la plupart des manuscrits des dixième, onzième, douzième siècles et des éditions imprimées. Rappelons enfin que saint Benoit écrivait dans la langue vulgaire parlée dans la région du Gassin, au sixième siècle : notre texte ne donne qu'une grammaire et une orthographe retouchées. Nous n’avons pas encore l’édition philologique définitive. 11 est d’un intérêt extrême d’assister à la genèse de la Règle, d’examiner en détail comment elle se réclame du passé et comment elle est novatrice. C'est pour faciliter cette lèche que D. Butler a rassemblé et transcrit, au-des­ sous du texte de saint Benoit, ses principales sources : Canin de Léon d'Ostie, 1, I, 18 (P. L., CLXXI1I, 553). Ce dernier raconte que l'autographe fut détruit dans l’incendie du monastère de Ί cano, en 896. (1) Cf. Pacli Ducom Episl. 1 (P. L., XCV, 1585). Celte copie n’existe plus. I INTRODUCTION V nous avons pu ainsi ajouter quelques références à celles que nous avions recueillies déjà. Saint Benoit cite souvent saint Augustin, plusieurs fois saint Jérôme; il a lu saint Cyprien, saint Léon, Sulpice Sévère. Les réminiscences des Institutions et des Conférences de Cassien sont perpétuelles (1). De multiples emprunts sont faits aux deux recueils des Règles de saint Basile : Regulae fusius tractatae, Regulae brevius tractatae, ou plutôt à la réduction et à la fusion opérées par Rufin, leur traducteur latin. Saint Benoit reproduit maint passage de la Règle de saint Pacôme traduite par saint Jérôme. Il cite les Règles de saint Césaire Ad monachos et Ad virgines; la Règle de saint Macaire d’Alexandrie; les deux premières Règles dites des saints Pères; la Règle Orientale; la Doctrine de saint Orsiesius, etc. (2). Il connaissait aussi différents recueils hagiographiques groupés depuis sous le titre générique de Vitae Patrum : Vie de saint Antoine, Histoire Lausiaque de Pallade, Histoire des moines d'Égypte traduite par Rufin, Verba Seniorum; etc. (3). Un mot maintenant des principaux commentaires. Le plus ancien qui nous soit parvenu est probablement celui de Paul Diacre, identifié d’ordinaire, mais sans que la chose soit abso­ lument démontrée (4), avec Paul Warnefrid, l’historien des Lombards, moine du Gassin vers la fin du huitième siècle. Le commentaire du Franc Hildemar ne serait guère, selon Traube, que la reproduction un peu développée du précédent. Comme celui de Smaragde, abbé de Saint-Mihiel, le commentaire (1) Nous citerons Cassien d'après l’édition de Michael Petschenig, vol. XIII (Conlationes) et XVII (De institutis coenobiorum) du Corpus scriptorum ecclesia­ sticorum latinorum de Vienne. Mais on fera bien de ne pas négliger le com­ mentaire de l’ancien éditeur Dom Alard Gazet, P. L., XLX. Ces deux ou­ vrages de Cassien ont été traduits en français par E. Cartier. (2) Nous citerons toutes ces Règles d’après le Codex Regularum de S. Benoit d’Aniane, édité par IIolstenius (Paris, 1663); de même les Règles postérieures à saint Benoit, en particulier la curieuse Règle anonyme dite Règle du Maître (VU* s.). (3) Pour simplifier, nous emprunterons les documents relatifs aux Vitae Patrum à l'édition de Rosweyde (1615). Le texte grec de VHistoire Lausiaque ne devrait plus ètre cité que dans l’édition de D. Butler (vol. VI de la Col­ lection Texts and Studies, Cambridge, 1901) ; il a été traduit en français par A. Lucot (Paris, 1912). (4) Cf. D. Butler, Sancti Benedicti Regula Monachorum, Prolegom., p. xvn. INTRODUCTION d’IIildemar a été composé dans la première moitié du neu­ vième siècle. Bernard du Gassin au treizième siècle, Pierre Bohier au quatorzième expliquent aussi la Règle (1). En 1638, D. Hugues Ménard publie, avec d’abondantes et savantes notes, la Concordia Regularum de saint Benoit d’Aniane, le grand réformateur monastique du début du neuvième siècle (2). Mais les commentaires les plus complets sont encore ceux de D. Mège et de D. Marlène, au dix-septième siècle, et surtout celui de D. Calmet, au siècle suivant. D. Mège et D. Cahnet ont écrit en français; et ce dernier donne une a liste alphabé­ tique des auteurs qui ont écrit sur la Règle de saint Benoit », avec des « remarques critiques sur les règles des religieux et chanoines. » Le seul commentaire français de quelque étendue qui ait paru depuis est {'Explication ascétique et historique de lu Règle de saint Benoit, par un Bénédictin (1901). L’autorité Apostolique ayant constitué la Congrégation de France héritière de Cluny et de Saint-.Maur, nous avons un motif tout spécial d’être attentifs aux coutumes de ces deux familles. Le plus ancien recueil qui contienne les Us de Cluny est le coutumier de Guy de Farfa; vient ensuite VOrdo Cluniacensisde Bernard; enfin les Antiquiores consuetudines Cluniacenses d’Ldalric, que reproduisent, avec quelques modifications, les Constitutiones de Guillaume d Ilirsauge : tous ouvrages du onzième siècle (3). On pourra recourir aussi habituellement (1) Le commentaire de Paul Warxefrid a été édité au Mont-Cassin. en 1880; celui (TUildemar par D MittehmCller, à la suite du livre 11 des Dia­ logues de S. Gbégoire et de l’édition Schmidt de la Règle, chez PusteL à Ratisbonne, en 1880 également; Smaragde est reproduit dans le tome Cil de la Patrologie Latine de Migne (voir L. Barbeau, Essai critique sur la vie et 1rs œucresde Smaragde, Ecole des Chartes, positions de thèses, 1906, p. 1-6) ; Bernard du Cassis a été édité au Mont-Cassin par D. Caplet, en 1894; Bohier à Subiaco par D. L. Allodi, en 1908. (2) Sur les manuscrits des deux ouvrages de saint Benoit d’Aniane et sur l'édition des anciennes Règles monastiques latines que prépare l’Académie de Vienne, voir II. Plexkers, Unlersuchungen sur Ueberlieferungsgeschichte der àlMen lateinischen Môiichsregeln, Munich, 1906. (3) Les Coutumes d’UDALRicont été éditées par D. Luc d’Achery dans son Spicilège, et reproduites par Migne au tome C.XLIX de sa P. L. Les autres coutumiers se trouvent dans la I'et«x disciplina monastica de D. Herrgott; INTRODUCTION VII aux Disquisitiones monasticae de D. Ilæflen (1644) et au De anti­ quis monachorum ritibus de D. Marlène; de même, aux Acta Sanctorum Ordinis S. Benedicti et aux Annales de, D. Mabillon (1). Ni la curiosité, ni la science historique ne sont les pre­ mières intéressées à ces éludes : il s’agit des âmes, il s’agit de vie surnaturelle. C’est par une communion constante avec la pensée maîtresse de saint Benoît et avec l'esprit des meil­ leurs de sa race que les (ils de D. Guéranger ont chance d’en­ tretenir chez eux le véritable tempérament monastique. ceux de Farfa etd’flirsauge au tome CL de la P. L — DomB. Albrrs a réédité en 1900 au Mont-Cassin les Consuetudines Farfenses au premier volume de ses Consuetudines monasticae; dans le second volume il donne des Consuetudines Cluniacenses antiquiores, qui seraient, selon lui, réellement les plus anciennes connues, et dont une portion pourrait même dater de saint Benoît d’Aniane. (1) Nous citerons le De ant. monach. rit. d’après l’édition d’Anvers, 1738; le De ant. Eccl. rit. d’après l’édition d’Anvers, 1736; les Annales de Mabillon d’après l’édition de Lucques, 1739-1745; les Acta SS. 0. S. B. selon l’édition de Venise, 1733. * COMMENTAIRE sun LA RÈGLE DE SAINT BENOIT PROLOGUE Ausculta, o fili, praecepta magistri, et inclina aurem cordis tui, et admonitionem pii patris libenter excipe, et efficaciter comple; ut ad eum per obedienliae laborem redeas, a quo per inobedienliae desi­ diam recesseras. —J 4 D'autres Règles ont un caractère plus impersonnel, des formes légisLlives plus brèves et plus sèches : saint Benoît, dès le premier mot, se met en contact d’âme avec les siens, et le code de notre vie monas­ tique commence comme une conversation aimable. Celui qui parle est un maître : on ne saurait s’en passer dans la vie surnaturelle, qui est une science et un art. H donne des préceptes, c’està-dire de? enseignements doctrinaux et pratiques. C’est bien de lui, — contrairement à l’opinion de nombreux commentateurs, — que parle ici saint Benoît : il pouvait prendre ce titre sans infatuation, puisqu’il n'enseignait pas en son nom, ni des choses qui vinssent de lui ; puisqu’il était au déclin de sa vie et dans la plénitude de son expérience. Et le père aimant, pius pater, pourquoi ne serait-ce pas lui encore? O fili. L’appellation est caressante. Elle atténue ce qu’il y a d’un peu austère dans le praecepta magistri. Elle nous permet surtout de remar­ quer que la forme la plus élevée de paternité est celle qui implique une transmission de doctrine et de lumière : son idéal et sa source sont en Dieu « le Père des lumières » (Jac., t, 17) ; il y a une réelle paternité chez i · -■ 2 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT les anges (1); et dans l'économie de ΓAncien Testament, chez les Pa­ triarches par exemple, on n’était père qu’à Ja condition d'être docteur, on ne donnait la vie qu’à la condition d’éclairer l’âme, de transmettre les enseignements de Dieu et ses promesses, d’être comme Xoê justiti ■> praeconem (II Petr., n, 5). H est d’expérience que nulle paternité spiritudle au monde n’a ressemblé à la Paternité divine comme celle de saint Benoît. L’élise le vénère comme l’ancêtre de tous les moines occidentaux; et Dieu a disposé de telle sorte les événements historiques que chacun des Ordres religieux est venu s’attacher à lui en quelque manière et s’est mis à l’école de sa paternité. Ces premières paroles du Prologue sont vraiment de forme engageante et rassurante. Le maître qui s’adresse à vous, ô mon enfant, est un père, un père bon et tendre. Les préceptes qu’il vous apporte, ce sont les con­ seils de son expérience et de son affection : admonitionem pii patris. Il ne songe point à vous les imposer. Il fait appel à votre bonne volonté, à votre libre délicatesse ; ce n’est pas de contrainte qu’il est question, mais d’accueillance aimante et joyeuse, de docilité surnaturelle. La docilité : N. B. Père la demande à celui qui commence ; sous la forme de l'humilité et de l’obéissance, c’est encore elle qui donne à notre vie monastique son allure authentique ; en elle enfin s’achève la saint été : Quicwnque enim Spiritu Dei aguntur, ii sunt filii Dei (Ron., vhi, 14). L’importance souveraine de cette disposition simple et naïve vient de ce qu’elle renferme toute vertu. Docilité, d’abord, c’est prudence, et dans la prudence sont réunies toutes les vertus morales : nous ne pou­ vons pas faire toutes les expériences, mais d’autres que nous les ont faites, et nous en recueillons le bénéfice par notre docilité : nous répétons en nous la sagesse de l’humanité surnaturelle, la sagesse de saint Benoît ; nous bénéficions de la sagesse de Dieu par notre foi. La docilité, et elle seule, nous établit dans cet effacement absolu de l’égoïsme, qui est la condition et le prélude de l’adhésion vivante an Seigneur : elle s’appelle alors charité. N. B. Père analyse et détaille les moments successifs de la docilité surnaturelle. Ausculta : il faut écouter ; s’il y a trop de bruit dans l’âme, et comme une dispersion de l’attention sur toutes choses, la voix de Dieu, ordinairement a douce comme un souffle de brise » (III Reg., xix, 12), n’est pas entendue. Le silence, qui, à lui seul, est une louange parfaite : Tibi silentium laus (2), est rare chez des êtres mobiles et influençables comme nous le so mu Prêter l’oreille ne serait pas assez, et saint Benoît nous invite très Joliment, avec le livre des Proverbes (3) et le psanme xliv, à l’incliner, (1) S. Thohas d’àqws, Summa Theol., P. I, q. xlv, a. 5, ad 1 (2) Ps.wv, 2, d’après l’hébreu. (3) C. n. Audi, fUl mi, el suscipe ceria mea... Fili mi, ausculta sermones mec: cl ad PHOLOGUE a à « incliner l’oreille de notre cœur ». Ayez l’intelligence accueillante, une certaine attitude confiante en face de la vérité proposée. Si vous com­ mencez pur faire le grincheux, par établir à l’entrée de votre esprit une douane sévère, ou bien encore, si vous êtes rempli de votre pensée au point de dire : « Mais que m’apprendra-t-il de nouveau? Je sais tout cela, et mieux que lui 1... », vous êtes dans la plus fâcheuse des dispositions psychologiques, non seulement pour l’acquisition de la doctrine surna­ turelle, mais pour l’information purement humaine. Claude Bernard nous avertit, dans son Introduction à l'étwie de la médecine expérimentale, que, tout en essayant de formuler et de vérifier son hypothèse, le savant doit se garder d’en être le captif et demeurer quand même hospitalier à toute autre explication meilleure. N. B. Père demande donc que nous écoutions vclentiers, avec une âme libre : libenter excipe. Acceptons toujours et d’abord l’enseignement qui nous est donné : les éléments inassimilables pour nous s’élimineront plus tard d’eux-mêmes. Et efficaciter comple. C’est le propre de la vérité, de nous porter à l’ac­ tion. Nous ne pouvons la « retenir captive dans l’injustice » (Rom., i, 18). Nous serons responsables devant Dieu de tout le bien aperçu et que nous n’aurons pas fait. Mais c’est là aussi que gît la difficulté ; le péché a disloqué notre être : voir, vouloir, aimer, parfaire, tout cela est loin de s’opérer en un seul mouvement. Et, de peur que l’œuvre ne nous effraie, afin surtout d’en définir dès maintenant le caractère et le dessein, N. B. Père marque, d’un trait immortel et à la manière sobre des anciens, ce qui est l’enjeu de notre vie, ce qui doit en être l’unique recherche, ce qui en fait la gravité, le charme aussi, la force, le mérite, la simplicité, ce en quoi se résume toute la Règle : Ut cul èum per obedientiae hbor-.m redeas. H ne s’agit pas pour nous de vivre longtemps, de devenir érudit, de nous faire un nom : il s’agit de marcher vers Dieu, de nous rapprocher de lui, de nous unir à lui. Cette conception de la vie spirituelle sous la forme d’une mar­ che intrépide vers le Seigneur est très familière à saint Benoît : nous la retrouverons maintes fois dans sa Règle. Notre vie est sur un plan incliné : il lui est facile de descendre ; il lui est possible aussi de remon­ ter, Depuis la chute originelle, la créature n’a qu’une voie pour s’éloi­ gner de Dieu, la désobéissance, avec le vieil Adam ; elle n’a aussi qu’une eloquia mea inclina aurem luam. Ne recédant ab oculis tuis, custodi ea in medio cordis tui. C’est par le texte du Ps. xuv que S. Jérôme commence une de ses Lettres ad Euslochium (Ep. XXII, 1. P. L., XXII, 394). Il serait inexact d’attribuer comme source à ce début du Prologue le début de l'Adnioniiio ad filium spiritualem, qui figure parmi les spuria de S. Basile et que Holsteniüs a insérée dans l'appendice de son Codex regularum. Ce traité est proba­ blement l’œuvro de S. Paulin d’Aquilée ; mais le début et d’autres passages ont été ajoutés plus tard par quelque moine : cf, P, L., XCIX, 212 sq. (Voir aussi, P, L,t XL, 1054 sq.) 4 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT RENOI Γ voie pour revenir, l'obéissance, avec l’Adam nouveau. Sieut mi-i fi. r inohttiieKliom unius hominis j^ealores ennshtuti .··<«! multi. »Λι ■ t p. r uniuf oMitionem judi constituentur multi (Rom., v. 19). .X<>u ; πο ι «·χ·ι|. tons dans la désobéissance; il nous ranbh* que nou* f.n ·>η p »%,. d’énergie et do vigueur personnelle: mal· saint Benoit dM.vr .·ιιιιι., Christo vero rogi luililaluru' obediriUi.u' ΙοιΙι-ήι.λ alque praeclara arma apurais. Saint Benoit indique à qui s'adrc· · · i mvitonm À qui c«>n\ :· :.t le . gramme dont il vient de tracer une pre-'uère e qui· c : à \.· ι s'adresse présentement ma parole, mon exh-irtation interne"*' qm q <· vous soyez, pourvu que vous apparteniez à la ra*o d> ■ do. ; ,· . !.· forts : réserve faite pour ceux qui sont liés par d autre devoir·. ,· : .r les incapables, il n’y a pas d'exclun··!! pro::. · · Ûr.' .qqx e chez le candidat le dessein de sou.*rrir»' aux (· diti n.< de l.i vi.· m tique, qui se réduisent & trois : renoncer à ν·1 rué prop.'·· p · en main les armes do l’obtts?ance et milil··.* po le S· :·· ir. Renoncer à ses volontés propre;, ce i < t préj >·'.! S.unf ,t parle des volontés, au pluriel ( pan ·'q ;»' la . : .«vé >r .u | · . n;.· revêt des formes multiples. San· préti 4re 1· < la if ·.-. n·<; ·( .. n >n remarquer qu’il y a de? volontés de réju-îi-n. ·!<· vol ntt’ de ’rtnc des volontés de tempérament. Les première» ·. nf le π in.< d ·,ι._ .·.·».<· c’est l’erreur d’un instant, une distraction, une pr.renth·· ·· I,·· . «>|.>nt.· de système naissent habituellement au cours de la vie π·'.ι ’ · t . (in avait, au jour de la profession, renoncé à tout, mais on i ni -n-imit depuis : c’est une question de personne que l’on aime ou qui Γυπ n .Hint· pas; ou bien une question de doctrine, un point d·.· détail piut-êtn·. . r (1) Dialant une» : çuia nihil rie çu/irni Dru.· al Lu i 1 i'· n tquomodo oMunliae labortm (Verla Smiontm . Vine Patrum V, \ιν, 1.·. Rosweyde, p. 619). (2) La meilleure leçon est mihi. S. JLkôme disait de nu’tnr, dans I , b-ttr. XX 11 ci Eustothium (15) : Kune ad le mihi omnu dingalur oratio (I*. L. XXII, ·,· ci). (3) Même expression dans les Verla Seniorum (Vitae Patrum, V, i, y. )»,. wi vin., p. 562) et dans VHistoria monachorum de Rons (xxxr. Rosui.îoi p .|b ti · iint Benoît citera an chapitre vu le verset de ΓEcclesiastique, xvin, 3*J : 1·.ι a tuluntalibue luis arerlere. PROLOGUE s lequel on no cenant pris à traïuuer. Il est plus malaisé encore de nom défaire de la volonté de tempérament, d'une trempe fermée, maussade, chicanière, qui nous jx»rtc invariablement à l’ejo entra. l’an- la inf-inc où nous dépouillerons la vieille défroque séculière d 1 '"ί-πυ ri jetterons bar tous les impedimenta, nous Ferons en état de auir et de manier let arme de l’obéirance. Alors que ΓApôtre envisage I·* pn. · ip.i’r vertu* comme le* pièce* diverses de l’armure surnaturelle 11 Ttu ■· ' I rin vi, 14-17), N. B. Père appelle du .‘•cul nom génénqiir ■ arm··! qu’il donne à -<»n moine (1) : c’est l’armure de l’obéis* -hi· ■' < ■ . r t »!d.it jMiur obéir, pour obéir en dépit de tout, et toujour* ; ·· !... «pi d ». gu du Seigneur, pour obéir universellement et sans «’· ■ i i : < r t bien le moins. A-t-on assez déclamé contre l imm -r. |tl vœu d obéi ancel a-t-on assez jeté le discrédit sur les • »’r’u» |».ι -ιυ ' Saint Benoit comprend autrement les intérêts »'-·· lu dignité humain*' le inné- de l'obéissance sont pour lui les plus forte-, ! imr jx tri np« · ·, le* plu brillante* aussi et les plus glorieuse?. Nou» ol. .i·· n· i Dieu, nous obéi* «ms à uno Règle que nous avons ••'.udi· c . <1;.,; ;■ v un homme, non- n’obéÛBons jamais que dans le* hmi’·■ d·· r·· <; .<■ no , vron* voué. Et alors que nous obéissons,non seule­ ment no'i* ««mime- libre puisque c’rU délibérément que nous unissons notre \ i.b-nté ac· le de I Heu.ee qui n’est pas une manière de se rapetisser ; mal · ..r. non* ·■’·■.!■ mi .» do faire nôtre le motif réel de l’action et d iu-OK ier notre intelligent e à la pensée divine. I.'i-.r··.· rr.r-n’ f;. t. 1·· -old.it équipé, il n’y a plus qu’à militer sous l'étendard du vrai r«»i '·- Seigneur Christ : Domino Christo vero régi n h'h'u.* · t .’i. < e t jM>ur lui et »*· intérêts, t’est à son exemple aussi que no i- e ervoti- In capilr hhn triplum est de me ul /acerem voluntab «. / Him l) υ ru..-, -.du», U legem tuam in medio cordis mei... Factus ad mrtrm Prenon- bien conscience du drame qui s’accom­ plit, r d >n« lequel non? devons jouer noire rôle. Ce drame remplit le temp ··! I t pace. Il a commencé, dés l’origine des choses, dans le monde angriiqr.e, par une dé.-obéi«*ancc qui en a. entraîné ici-bas une autre, laque r a été répaii·*· par l’obébsance de Not re-Scigneur Jésus-Christ; le- être miel lirent- -e sont rangés en deux camps : ceux qui obéissent, et ceux qui n obri* i nt pas ; et la lutte des deux armées est sans trêve. < liai une a son roi ; et qui prétend se soustraire à l’obéissance passe de fait ou* la tyrannie d’un autre. Dieu pour dieu : j’aime mieux le mien! Dans l'armée de ceux qui obéissent au Seigneur, les religieux 4 H ) Cfr l'/hurtatio dr ραιιορίια ad monachoe (inter S. Epurem opp. grace, lat, t. 111. p. 219). .sum crtiwi lal^riom», iliani nunc fub niajpio opere p-eeator; veteranus in numéro perettforum, .vJ aelrrno Reqi norue incorporeae tyro miutiae (S. Pavuxî Nolani A'/>. IV ad S. Augurtinum. P. L, LXI, 165), ,g 6 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT forment nn corps d’élite. X B. Père reconnaîtra d'ailleurs que la vio monastique a encore la physionomie d’une école, d’un atelier, et surtout celle dime famille. In primis (1), ut quidquid agendum inchoas bon urn, ab eo perfici instanlissima oralione deposcas ; ut qui nos jam in fdiorum dignatus est numero computaro, non debeat aliquando de malis actibus nostris con­ tristari. La première recommandation de X B. Père, son premier souci, est que nous nous appuyions sur Dieu pour monter jusqu’à lui. Il nous faut la grâce, il nous faut la prière qui sollicite la grâce : deux éléments con­ nexes et de nécessité égale. Une remarque aussi précise, dès le commen­ •rm cement de la Règle, coupe court à toute diminution pélagienne ou semipélagienne de la doctrine. Pour Pelage, moine gyrovague, l'homme est essentiellement bon : il n’a besoin, pour faire le bien, que de sa bonne volonté, avec le secours tout extérieur de la loi, de l’enseignement et de l’exemple de Notre-Seigneur ; Cassien lui-même, dans sa Confé­ rence XIII, estime que notre raison et notre volonté suffisent pour l’acte premier moyennant lequel nous nous déterminons à la foi et entrons dans la vie surnaturelle. La formule de saint Benoît est infi­ niment prudente et concorde avec la doctrine du concile d'Orange (529) (2) : Adjutorium Dei etiam reyzaiis et sanctis semper est imploran­ dum, ut ad finem bonum pervenire vel in bono possint perdurare. H s’en faut de tout, en effet, que nous puissions nous passer de Dieu. Dieu intervient en chacun de nos actes et exerce son influence dès leur source. Dans l’acte surnaturel il intervient à ud titre spécial, parce que l’agent créé met en œuvre des facultés qui ne sont pas les siennes. La première démarche vers la foi et le baptême est due à une impulsion de sa grâce; la vraie vocation religieuse vient de lui aussi, et non d’un travail de déduction intérieure et purement philosophique. Mais cette coopération de Dieu est non moins indispensable pour poursuivre l’œuvre mil surnaturelle commencée, qui est de longue haleine et qui doit durer toute la vie. Et si notre vocation est angélique, notre nature ne l’est pas ; alors que l’ange se fixe dans un seul acte de volonté, nous devons, nous. (1) Avec des éditeurs récents (Schmidt, Woleflcn), nous pourrions relier diri à tn primis et traiter le gtosfluis abrenuntians... comme une incidente. D. Butler III II (op. cil, p. 127) écarte cette ponctuation comme contraire à celle des meilleurs manus­ crits et à l'interprétation des plus anciens commentateurs. lilll (2» Cap. X Maxsi, Sacrorum Conciliorum nova et amplissima Collectio, t. VIII, col. 711 PROLOGUE Ί avec une nature moins forte, plus exposée, sollicitée d'en bas, ressaisir à chaque instant notre vie, toujours prête à faiblir devant l’obstacle. C’est à Dieu que nous devons demander, par une prière fervente, pres­ sante et qui ne se hisse jamais, instantissima oratione, la grâce du a par­ faire », la grâce de la persévérance. Il n’est pas à redouter que Dieu se dérobe à notre prière : il s’est engagé d’avance, il s’est compromis lui-même. C’est la meilleure réponse à cette question naïve : aurai-je la force d’aller jusqu’au bout? Dieu nous a devancés : Prior düexil nos... In caritate perpetua düeri le, idea attraxi te, miserans. Son amour est sans date. Il s’est empressé près de chacun de nous. Il nous a donné d’emblée par le baptême cette vie sur­ naturelle et divine que nous ne lui demandions pas. Nous sommes main­ tenant du nombre de ses enfants. Soyons donc ce qu’il nous a faits. Ne démentons point, par des œnvres mauvaises, la dignité à laquelle il nous éleva par pure tendresse. Employons-nous à ne pas tromper sa bonté, à ne pas l’en faire repentir. Dans un sentiment très délicat et très filial, saint Benoît considère l'épanouissement de notre perfection comme un succès personnel de Dieu et son avortement comme une faillite de la ToutePuissance. Ita enim ei omni tempore de bonis suis in nobis parendum est : ut non solum, ut iratus pater, non aliquando filios suos exhaeredet ; sed nec ut metuen­ dus dominus, irritatus malis nostris, ut nequissimos servos perpetuam tradat ad poenam, qui euin sequi noluerint ad gloriam. C’est le développement de ce qui vient d’être dit La prière et la grâce nous sont nécessaires pour obéir à Dieu toute notre rie et à tout instant car telle est réellement la tâche offerte et acceptée ; mais ri ne nous manquera pour la mener à bien, si notre prière sollicite la grâce et si notre fidélité la fait fructifier. L’origine et la mesure de nos richesses surnaturelles le sont aussi de nos obligations et de nos responsabilités : or, nous sommes devenus vis-à-vis de Dieu des fils et des serviteurs. Nous sommes enfants de Dieu, non pas en vertu d’une fiction légale, mais en vertu d’une assimilation profonde et vitale à son Fils unique; et dans cette sève divine qui coule en nous par la grâce, nous tenons un titre irrécusable à l’héritage même du Fils : Si autem, filii, et hieredes : h leredes quidem Dei, cohaeredes autem Christi. Cette rie surnaturelle est douée de facultés qui lui sont proportionnées : la foi, l’espérance, la cha­ rité. Grâce sanctifiante, vertus théologales, vertus morales, dons du 8 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT Saint-Esprit, secours de toutes sortes : voilà « les biens de Dieu en nous » dont parle saint Benoît. C’est le trésor que Dieu nous a confié et auquel nous devons faire rapporter le plus possible : Negotiamini dum venio. La fidélité et le succès ne sont pas exiges de nous seulement par la délicatesse due au Seigneur, par le souci de ne pas le contrister : c’est une question d’honnêteté et de justice; et saint Benoît nous y excite enfin au nom de nos propres intérêts. Dieu, de son fonds, n’est que bonté ; il ne devient sévère que de notre fait, lorsqu’il est provoqué par nos fautes : De suo optimus, de nostro justus, dit Tertullien. Si nous trahissons Dieu, le Père qu’il est nous déshéritera, le Maître redoutable qu’il est nous châtiera, et dans la proportion même de son amour méprisé, de sa confiance trompée. D faut bien comprendre cette fin de phrase, et ne pas faire dire à saint Benoît que le Seigneur use, dans le châtiment, de deux degrés distincts, séparables l’un de l’autre et superposables l’un à l’autre : en ce sens que tantôt il déshérite simplement, et que parfois, par exemple s’il y a excès dans l’infidélité, il châtie par des peines afflictives ; il n’est nul cas où l’âme, réellement déshéritée par sa faute, n’ait à souffrir. Le dessein de N. B. Père est de signaler les deux peines inséparables de l’éternité : non seulement celle du dam, qui prive de l’héritage céleste, c’est-à-dire de Dieu, les fils rebelles, mais encore celle du sens, livrant au feu les serviteurs tout à fait mauvais qui h’oiiî pas voulu le suivre à la gloire. Il ne s’agit pour l’homme que d’aller régner à jamais avec le Christ, ou d’aller souffrir à jamais avec les démons. Saint Benoît présentera plusieurs fois, au cours du Prologue, cette alternative redoutable ; et il Hili propose la vie monastique comme le chemin le plus direct et le plus sûr pour atteindre Dieu ; à ses yeux, tendre vaillamment vers la réalisation plénière de son baptême et la perfection de la vie surnaturelle (il n’est question que de cela dans le Prologue) est encore le procédé le plus efficace pour s’éloigner de la mort étemelle, en même temps que le procédé le plus logique et le plus glorieux pour Dieu et pour nous. Sans méconnaître que l’homme est libre d’entrer ou de n’entrer pas, et que, pour beaucoup de ceux auxquels parviendra son invitation, la vie monastique n’est pas indispensable à la réparation ou à la persévérance, sans confondre les préceptes avec les conseils, N. B. Père simplifie pour­ tant les données du problème. Nous ne remarquerons jamais assez en quels termes rigoureux et clairs la question est posée. Exsurgamus ergo tandem aliquando, excitant.) nos Scriptura, ac dicente- : Hora est jam nos de somno surgere. Et apertis oculis nostris ad deiticum lumen. PROLOGUE 9 attonitis auribus audiamus divina quotidie clamans quid nos admoneat vox, dicens : Hodie si vocem ejus audieritis, nolite obdurare corda vestra. Et iterum : Qui habet aures audiendi, audiat quid Spiritus dicat Ecclesiis. Et quid dicit? Venite filii, audite me : timorem Domini docebo vos. Currile, dum lucem vitae habetis, ne tenebrae mortis vos comprehendant. Les préliminaires établis, nous allons commencer, dit saint Benoît, et mettre résolument la main à l’œuvre. Quel que soit notre âge, surtout si nous sommes sur le déclin de la vie, il est temps, c’est l’heure, l’heure de la grâce, l’heure de Dieu. Depuis trop longtemps nous sommes plongés dans le sommeil (1), un sommeil lourd, peut-être un so Hill eil troublé et traversé de rêves pénibles. Le sommeil n’est pas la mort, mais ce n’est pas la vie non plus ; c’est la vie oscillante, la vie latente et qui ne s’exerce pas. L’inattention, l’accoutumance ont eSacé pour nous tous les contours des réalités surnaturelles. Nous dormons, et nous ne sommes pas heureux. Levons-nous donc enfin, à la voix de l’excitateur qui est Dieu même, et non plus seulement N. B. Père saint Benoît. Dieu nous invite par son Écriture ; c’est vraiment la parole de Dieu, s’adressant individuellement à chacun de nous ; il ne semble pas que l’âme baptisée puisse résister à un enseignement qui est fait pour elle. Nous remarquerons que, dans la Règle, la sainte Écriture a toujours une valeur- décisive. Hora est jam nos de somno surgere : la liturgie de ΓAvent a recueilli cette formule de l’Apôtre (Rom., xiii, 11), et elle n’est jamais hors de saison au cours de ΓAvent perpétuel de notre vie. Ouvrons les yeux : c’est par là que l’on co Hill ence à secouer le sommeil et à reprendre conscience de ce qui est. Ouvrons les yeux à « la lumière déitique »; cela peut s’entendre de l’Écriture : Lucerna pedibus meis verbum tuum et lumen semitis meis (Ps. cxvin, 105) ; cela peut s’entendre de la foi, ou bien de Notre-Seigneur lui-même, vraie lumière qui marche et qui nous guide : Qui sequitur me non ambulat in tenebris sed habebit lumen vitae (Joann., viii, 12). H faut écouter aussi et prêter l’oreille à une voix puissante et douce : attonitis auribus (2). Le plus grand auxiliaire de l’ennemi en nous est l’inattention ; et alors que la lumière divine nous enveloppe sans cesse, que Dieu nous parle à tout instant, nous demeurons aveugles et sourds, inertes, sans souci de la vérité. Rompons enfin la trame de l'accoutumance, intéressons-nous, soyons (1) Cf. Cass., Contai. III, iv. (2) Ü. Butler renvoie à Quinte-Cvrce, Histoire d'Alexanlre, I. VIII, 1 .. 10 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT cnrieux : puisque aussi bien, nous dit la sagesse antique, l’admiration ou la surprise sont le principe de toute réflexion philosophique. Chaque matin, au commencement de l’office, la voix du Seigneur nous crie(l), suppliante : Aujourd’hui, si vous entendez mon appel, gardezvous d’endurcir vos cœurs (Ps. xerv, 8). Car nous sommes par excellence des retardataires, des traînards :« Aujourd’hui, mon Dieu? Ce que vous me demandez d'abandonner est si intéressant ! Si nous remettions à demain? C'est entendu : je serai sage et mortifié demain... » Et notre mauvaise habitude s’affermit, car tout acte laisse en nous sa trace, et nous perdons de la force chaque jour. La conversion ne sera-t-elle pas plus difficile demain? Qui habet aures audiendi, audiat quid Spiritus dicat Ecclesiis (Mattii., xi, 15; Apoc.. n, 7). L’invitation est plus pressante : on s’adresse à notre intelligence, à notre fierté, à un certain orgueil légitime. Ce que ΓEsprit de Dieu dit à l’âme qu’il visite, c’est de venir simplement se mettre à son école : il est Docteur et il est Père. H lui enseignera à craindre Dieu, c'est-à-dire à vivre devant Dieu dans le respect filial et la tendresse (Ps. xxxin, 12). Saint Benoît ajoute le grave avertissement du Sei­ gneur en saint Jean (xii, 35) : « Hâtez-vous de venir à Dieu, tandis que vous avez la lumière de la vie, de peur d’être saisi par les ténèbres de la mort (2) ». lihodie ne s’étend pas au delà de la vie présente ; et qui sait si vous disposerez d’un lendemain? Tandis que Dieu parle et vous éclaire, tandis qu’il consent à marcher devant vous, suivez-le et prenez son allure : sinon l’étoile disparaîtra (3). S V' * * A ♦ X * 4· * V « Et quaerens Dominus in multitudine populi, cui haec clamat, operarium suum, iterum dicit : Quis est homo qui vult vitam, et cupit videre dies bonos? Quod si tu audiens respondeas : Ego, dicit tibi Deus : Si vis (1) Au chapitre vn, saint Benoît dira aussi que « l’Écriture nous cric ». Même expres­ sion chez S. Césaibe, Sermon CCLXIII, 4, dans l’appendice aux Semions de saint Augustin (P. I... XXXIX, 2233). (2) Saint Benoit ne cite pas toujours textuellement l’Écriture, soit à dessein, soit nu’iï cite de mémoire. B se sert souvent aussi d’une version autre que notre Vulgate. mu S CÉs.uaE lisût le début de ce texte à peu près comme saint Benoît : Curramus dum lucem vitae Manus (P. L. XXXIX. 2230). (3) N. B. Père va revenir dans un instant au Ps. xxxni, dont il choisit et commente les versets 12,13,14,15,16. Π se souvient aussi de VEnarralion II de S. Augustes sur ce psaume: et depuis audiamus divina... jusqu’à quid dulcius..., il ne fait guère que la citer presque textuellement (n·* 16-20, 9. P. !.. XXXVI, 317-319, 313). Voir aussi Γ Enarratian sur le Ps. cxun(n°9. P. L, XXXVII, 1S62) : la combinaison que nous allons rencontrer bientôt chez saint Benoit des deux textes d’Isaïe : lxv, 24, avec LVin, 9, est certainement inspirée de saint Augustin. Il faut renoncer à voir une source de ce passage de saint Benoît dans le PseudoChp.ïsostome dont il est question dans la Revue Bénédictine, 1894, p. 385 et suiv. PROLOGUE 11 habere veram et perpetuam vitam, prohibe linguam tuam a malo, et labia lua ne loquantur dolum. Diverte a malo, et fac bonum; inquire pacem et sequere eam. Et cum haec feceritis, oculi mei super vos, et aures meae ad preces vestras; cl antequam me invocetis, dicam : Ecce adsum. - ■ L’àmc a pris contact avec N. B. Père, elle a prié avec lui, elle a été secouée par la crainte, réveillée par les paroles divines de l'Écriture; mais il faut à l’invitation quelque chose de plus personnel encore, de plus décisif, de plus dramatique aussi Le Père de famille, le Maître de la vigne (Matth., xx, 1-16), descend lui-même sur la place publique pour recruter des ouvriers ; et l’appel qu’il jette à la multitude du peuple chrétien s’adresse réellement à chacun ; c’est un accord qu’il veut con­ clure avec chaque âme individuelle. Nous avons là dessinée la vraie situation de Pâme en face de Dieu : toute âme est ouvrière, Dieu aussi. Dieu, qui n'a besoin de rien, a pourtant voulu quelque chose : la mani­ festation de ses attributs au moyen de l’ordre naturel et de l’ordre surnaturel surtout. Le grand effort de Dieu, c’est l’incarnation et la Ré­ demption. Il s’y est employé sérieusement, mais il n’a pas consenti à y travailler seul. Il a voulu s’associer des coopérateurs, et volontairement il a laissé son œuvre inachevée, se persuadant que ce serait une joie pour nous de travailler après lui, avec lui, et de mettre notre effort là où il a mis son sang (I Cor.. iii, 9 ; Col., i, 24). L’invitation d’ailleurs, est accompagnée d’une amorce : Quis est homo qui vuli vitam, et cupit videre dies bonos? (Ps. xxxm, 13) Dieu ne dédaigne pas de nous prendre par notre intérêt, ni de s’appuyer sur cet amour premier et foncier que nous avons du bonheur. Aussi bien, sa propre gloire et notre bonheur sont-ils conjugués. Lorsque Ton offre à l’honune le bonheur et la vie, il ne se récuse jamais : Nonne omnis in vobis respondet: Ego? dit saint Augustin. Moi, Seigneur, je veux bien! Seulement qu’il n'y ait pas de malentendu entre nous, ajoute le Seigneur, à qui N. B. Père fait préciser d’un mot le sens et la portée de sa promesse. Notre idéal n’est plus celui du Juif, qui se contentait trop souvent de la pros­ périté temporelle et de la longévité. ; il s’agit pour nous de la vie vraie et plénière, de la vie éternelle. La vie de l’éternité est commencée ici-bas dans la grâce, et nous connaîtrons « de bons jours » chez saint Benoît ; alors même qu’il n’y aurait que la vie présente, ne serions-nous pas let heureux de la t erre? Mais, sans s’expliquer davantage sur le salaire réservé par Dieu à « son ouvrier », N. B. Père indique brièvement d’abord, puis de façon plus étendue, les conditions qu’il doit accepter. Il y a des éliminations qui s’imposent. Prohibe Unguam tuam a malo... 13 COMM EN TA I RE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT (Ps. xxxnr, 14-15) : s’agit-il de s'éloigner du mensonge et do renone r ύ la fourberie proprement dite? Oui, sans doute ; mais on peut donner à ces paroles de l’Ancien Testament une valeur qui soit en fonction de l’économie nouvelle, une signification plus générale. Il y a un mensonge d’action impliqué parfois dans toute notre vie, un démenti pratique donné à notre foi, une secrète dualité : la charité nous invite, et l’égoïsme nous emporte; nous sommes écartelés et tiraillés en sens contraire ; et, de fait. ce sont les basses sollicitations qui trop souvent triomphent. Nous com­ munions chaque matin, mais nous demeurons nous-mêmes. Si vraiment nous voulons la vie, il faut commencer à réaliser en nous l’unité, la loyauté profonde. Diverle a malo. Prenons résolument notre âme et éloignons-nous de ce qui est mauvais. Éviter, se détourner, ce ne serait pas assez : il importe de créer entre le mal et nous un glacis étendu, que ni lui ni nous ne puis­ sions plus franchir; c’est prononcer contre lui une sentence de bannisse­ ment perpétuel. Ne soyons pas de ces hommes que saint François de Sales compare à des malades à qui leur médecin a interdit le melon, sous peine de mort; ils ne mangeront donc pas de melon, a mais ils s’inquiètent de s’en abstenir, ils en parlent et marchandent s’il se pour­ rait faire; ils les veulent au moins sentir, et estiment bienheureux ceux qui en peuvent manger (1) ». Et fac bonum. C’est l’élément positif de notre programme. Cette réflexion, si simple qu’elle paraît naïve, est pourtant bien souvent, méconnue. D en est trop qui dépensent le plus clair de leur intelligence et de leurs forces à prendre conscience des pièges dont est semée la vie et à les éviter; il est des âmes toujours en arrêt, toujours ennuyées des résistances rencontrées, toujours soucieuses des petits grains de pous­ sière; leur énergie s’emploie en plaintes ou s’épuise dans un regard cons­ tant sur elles-mêmes. Sans doute, la délicatesse est bonne, mais il est dangereux de trop se regarder et de se grossir : s’il faut se connaître, il est surtout indispensable de connaître Dieu. Au fond, notre vie n’a pas pour dessein de fuir le péché et le néant, mais plutôt de s’établir dans l’être, de faire le bien, de joindre Dieu. Inquire pacem... La citation du psaume xxxm n’a pas été choisie au hasard et ne se poursuit pas comme machinalement. Lorsque l’unité, l'harmonie et l’ordre ont été rétablis chez nous, grâce à cette loyauté dont nous parlions plus haut; lorsque le désaccord avec Dieu, avec nos frères, avec nous-même a cessé, et que c’est une chose définitivement conquise et assise, alors nous avons la paix : tranquillitas ordinis. La paix n’est donc pas la paresse, ni un faux désintéressement ; c’est l’attitude que prend spontanément notre âme unie à Dieu dans la charité. La paix, (1) Introd. d la Vie dixote, I. P., chap, vil PROLOGUE 13 comme la joie, n’est pas précisément une vertu, mais le fruit de la plus haute des vertus : la paix est la fille de la charité (1). Cherchez-la sur place, dit le Seigneur, comme un trésor caché; poursuivez-la au besoin. Elle aura parfois l’air de fuir, ne vous découragez pas; ne vous irritez pas de ses lenteurs; qui d’ailleurs ne sont peut-être que vos lenteurs à vous. Il n’y a jamais motif de sortir de cette paix : ni événements, ni souffrances, ni fautes même; car on ne corrige pas des erreurs avec du désordre, et le repentir n’est pas le trouble. L’Apôtre envisage la paix comme, la clôture spirituelle qui maintient notre âme près de Dieu : L7 pax Dei, quae exsuperat omnem sensum, custodiat corda vestra el inb lliqentias vestras in Christo Jesu (Philipp., iv, 7). Retenons qu’elle est tout à la fois la récompense, le fruit, l’indice et le facteur de notre vertu ; et chacun sait qu’elle est devenue la devise de la famille béné­ dictine. Le psaume continue, mais son verset 16 est rappelé, sans être cité formellement. Dès que notre âme s’est ainsi tournée vers Dieu et pacifiée, le regard bienveillant du Seigneur se repose sur elle et son oreille est tou­ jours penchée pour recueillir notre prière ; il se complaît dans cette beauté qu’a créée la lumière de ses yeux. C’est l’intimité désormais : Qui adhaeret Domino unus spiritus esi (I Cor., vi, 17). La prière sera encore dans notre cœur, nous n’aurons pas encore ouvert les lèvres, que le Seigneur dira : je suis là, me voici. Quid dulcius nobis hac voce Domini invitantis nos, fratres carissimi? Ecce pietate sua demonstrat nobis Dominus viam vitae. Succinctis ergo fide vel observantia bonorum actuum lumbis nostris, per ducatum Evangelii pergamus itinera ejus, ut merea­ mur eum qui nos vocavit, in regno suo videre. N. B. Père laisse échapper une exclamation joyeuse. Voyez, mes frères bien-aimés ! Y a-t-il rien au monde qui soit plus caressant, plus doux, que cette invite du Seigneur, et formulée en de pareils termes? C’est Dieu lui-même qui, dans sa tendresse, nous appelle à la vie et nous en montre le chemin. Allons, partons en pèlerinage vers Dieu, marchons d'un pas alerte, la tunique retenue dans la ceinture, afin que ses plis Bottants ne nous embarrassent pas et que nous gardions toute notre vigueur : Sint lumbi vestri praecincti, et lucernae ardentes in manibus vestris (Luc., xn, 35). Notre ceinture, c’est la foi, et la foi pratique, (1) Cf. 5. Th., IP II“, q. XXIX, De Pace, H COMMENTAIRE - _l.ll·,· SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT c'est-à-dire l'observance et l'habitude des bonnes œuvres : Et erit justitii cingulum lumborum ejus, et fides cinctorium renum ejus (Is., xi. o). Conduits et guidés par les préceptes évangéliques (1), franchissons jusqu'au bout les étapes de ce divin voyage, afin de mériter de voir dans son royaume celui qui nous a appelés (2). In cujus regni tabernaculo si volumus habitare, nisi illuc bonis actibus currendo, minime pervenitur. Sed interrogemus cum Propheta Dominum, dicentes ei : Domine, quis habitabit in tabernaculo tuo, aut quis requiescet in monte sancto tuo? Post hanc interrogatio­ nem, fratres, audiamus Dominum respondentem, et ostendentem nobis viam ipsius tabernaculi, ac dicen­ tem : Qui ingreditur sine macula, ct operatur justitiam ; qui loquitur veritatem in corde suo; qui non egit dolum in lingua sua; qui non fecit proximo suo malum, ct oppro ­ brium non accepit adversusproximuni suum. Alors vous voulez sincèrement marcher vers le sanctuaire de Dieu, notre roi, et y demeurer, avec lui, toute l’éternité? La société de Dieu, de Notre-Seigneur Jésus-Christ, de Notre-Dame, des anges et des saints vous plaît ? \ ous connaissez maintenant la fin, vous la voulez aussi ; apprenez donc quels moyens y conduisent. « H n’y a nulle chance de parvenir à ce royaume, si l’on n’y court par les bonnes œuvres. » Saint Benoît l’a dit déjà, mais il insiste et tient à mettre ce point en pleine lumière. Ce ne sont pas les privilèges qui nous sanctifient, et les grâces ne nous sauvent pas à elles seules. Il serait infiniment téméraire de se dire : a J’ai fait profession, je suis dans un milieu assainissant, je comprends bien les choses de la vie surnaturelle ; j’en parle à l’occasion avec abon­ dance et clarté ; j’éprouve dans mes relations avec Dieu des tressaillements qui me montrent que je suis dans les voies élevées. Mon labeur a pris fin ». Non, ü faut des actes, il faut marcher sans cesse, il faut courir. Les actes sont les fils de notre vie, ils la traduisent, ils la développent ; la vie (1) Au lieu de l’expression per ducatum Evangelii, dont la signification semblait un peu vague, les plus anciens manuscrits (nous ne disons pas les meilleurs : cf. Intro­ duction, p. m, rv) ont lu : et calceatis in praeparatione Evangelii pacis pedibus, per­ gamus..., réminiscence du chap, vi des Éphésiens (verset 15 ; remarquez qu’au verset 14 nlll l’Apôtre recommande d’avoir les reins ceints : on a pu croire que saint Benoit citait largement ccs deux versets). (2) La meilleure leçon est peut-être : eum qui nos vocavit wi regnum suum videre, citation de I Truss., it, 12. P PROLOGUE 13 n'existe que pour eux : l’acte est le terme dernier de toute vigueur vivante. Rappelons-nous l’histoire évangélique du figuier, à qui le? feuilles pourtant ne manquaient pas, mais qui fut maudit et sécha sur place, parce que les fruits, c’est-à-dire les actes, faisaient défaut. Mais enfin, ne dit-on pas souvent que notre sanctification ne vient pas de nous et qu’il faut « se laisser faire »? Entendons-nous : il y a des œuvres prélimi­ naires et de déblaiement, des œuvres de construction, des œuvres d'achèvement ; l’action de Dieu s’exerce en toutes, spécialement dans les dernières, mais nous ne sommes jamais dispensés d’agir, et les deux pre­ miers moments demeurent bien à nous. Que si nous avons besoin d’un supplément d’information, adressonsnous plutôt au Seigneur lui-même, et posons-lui avec le Prophète la question par où débute le psaume xiv. Pour nous autres chrétiens, il s’agit de la Jérusalem nouvelle et du vrai temple de Dieu : Ecce taberna­ culum Dei cum hominibus, et habitabit cum eis (Apoc., xxi, 3). Dieu nous répond dans le même psaume et nous trace le chemin de son sanctuaiie. Saint Benoît se borne à citer les versets 2 et 3, dont le sens est fort clair. Tout est enveloppé dans cette énumération rapide : les inten­ tions, les paroles, l’accomplissement des desseins, les œuvres intérieures et les œuvres extérieures, une triple disposition de pureté, de droiture et de justice. Qui malignum diabolum aliqua suadentem sibi, cum ipsa suasione sua a conspectibus cordis sui respuens, deduxit ad nihilum, et parvulos cogitatus ejus tenuit, et allisit ad Christum, N. B. Père paraphrase désormais largement la suite du psaume, ct d'abord la première partie du verset 4 : Ad nihüum deducius est- in con­ spectu ejus malignus. Le sens littéral est relatif à l’attitude que prend en face de l’impie et en face du juste celui qui veut aller vers Dieu : il ne fait nul cas de l’un et réserve son estime pour le juste : Timentes autem Dominum glorificat. Mais saint Benoît a entendu le passage de l’attitude que prend celui qui cherche Dieu en face du mauvais, en face du diable (1), et toute sa doctrine est d’une grande sagesse. (1) Cassiodore, dans son Exposition sur ce psaume (P. L. LXX, 110), donne au verset 8 exactement le même sens que saint Benoît Plus loin, après avoir parié de l’homme courageux qui mundi vilia aim suo auctore prostravit, il ajoute ces mots qui rappellent encore un autre passage de la fin du Prologue : Sed precemur jugiter omni­ potentiam ejus, ut qui talia per nosmetipsos implere non possumus quae jussa «uni, ejus ditati munere faciamus (ibid., 111). Nous signalons simplement le rapprochement à ceux qu’intéresse la question des rapports de Cassiodore avec saint Benoît, <β COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT H est naturel et prudent d’examiner sévèrement, de regarder bien en face les dispositions, les émotions, les affections qui se succèdent en nous et de les interroger : qui êtes-vous? d’où venez-vous? que venez-vous faire chez moi? quelles sont les conséquences dernières auxquelles vous m’entraînerez? Un homme avisé n’ouvre pas sa porte à tout venant ; on ne laisse pas le premier venu s’asseoir au foyer de la famille. Recon­ naître l’inspirateur réel de certaines tendances perfides et sournoises, l’auteur de certaines poussées secrètes est une sûre garantie. Une fois reconnue la suggestion diabolique, une fois démasqué celui qui suggère, saint Benoît veut que, tout aussitôt et résolument, « nous repoussions l’une et l’autre loin des regards de notre cœur, et que nous n’en fassions nul cas ». Les formes de la tentation sont variées. Ce n'est jamais qu’avec humilité et en s’appuyant sur Dieu qu’il faut la repousser, mais il reste que souvent, pour la faire disparaître, le mieux est de négliger, de mépriser. Il y a des tentations sottes, des surprises, quelquefois de simples hantises physiologiques : passons outre. C’est le cas d’appliquer le précepte : Neminem per viam salutaveritis. Non seulement il ne faut pas se troubler, mais il ne faut même pas se raidir, ni se congestionner dans un effort inutile, ni combattre, ni protester convulsivement, ni rien changer dans notre vie. Et pourtant, il est des cas où N. B. Père réclame de nous une tactique un peu différente. C’est lorsque la tentation est nolente, ou qu’elle dure ; c’est surtout lorsqu’il s’agit de ce qui est notre tentation personnelle, domestique, habituelle, en affinité avec notre nature ; elle a été la tenta­ tion de notre enfance, elle nous a suivi connue une menace et comme un ange maudit, elle a grandi et vieilli avec nous, nous la retrouvons tou­ jours vivace. Si nous ne voulons pas infailliblement succomber, il faut ramasser ce que nous avons d’énergie et de délicatesse, saisir avec vigueur, presque sans réflexion, par un acte spontané, ces rejetons d’enfer, ces fils de Babylone, et les broyer aussitôt contre la Pierre qui est le Christ (I Cor., x, 4) : c’est-à-dire s’armer de la foi, de la charité, de la prière, pousser un appel vers le Seigneur et porter notre âme dans la région de la paix. Saint Benoît cite, dans un sens allégorique et à la suite de plu­ sieurs Pères (1), le dernier verset du psaume cxxxvi : Beatus qui tenebit, et allidet parvulos tuos ad petram. (1: Oeicèxe, Contra Celsum, 1. VII, 22. P. G., XI, 1433. S. Hilaire, Tract, in Ps. cxxxvi, 14. P. L.. IX, 784, S. Ambroise, Di pooiit, II, 106. P. L-, XVI, 523. S. Jérôme, Episl. XXII, 6. P. L., XXII, 398. Commentariolum in Ps. cxxxvi, «pud Anecdota Marcdsolana, vol IH, P. I,p. 94. S. Augustin, Enarr. in Ps. cxxxvi, 21. P, L, XXXVII, 1773-1774. Cassien, Inst., VI, xin. PROLOGUE 17 Qui timentes Dominum, de bona observantia sua non se reddunt elatos, sed ipsa in se bona, non a se posse, sed a Domino fieri existimantes, operantem in se Dominum magnificant, illud cum Propheta dicentes : Aon nobis, Domine, non nobis, sed nomini luo da gloriam. Sicut nec Paulus Apostolus de praedicatione sua sibi aliquid imputavit, dicens : Gratia Dei sum id quod sum. Et iterum ipse dicit : Qui gloriatur, in Dumino glorietur. Alors que notre lex e du psaume xiv signifie : le juste «honore ceux qui craignent Dieu », saint Benoît lisait : Timentes autem Dominum magni­ ficant, « ceux qui craignent Dieu lui rendent gloire », et cette leçon lui fournit le développement qui suit. Nous devons réaliser le bien, nous devons repousser le mal, et lorsque nous avons fait l’un et l’autre, il nous faut encore, sous peine de tout compromettre, veiller à n’en pas concevoir d’orgueib Les vrais serviteurs de Dieu, ceux qui redoutent la sévérité de ses jugements sur les superbes, s'appliquent à faire refluer vers lui la causalité et comme la responsa­ bilité de leur vertu. Us glorifient Dieu en reconnaissant que rien ne leur vient d’eux-mêmes : ni la pensée, ni la volonté du bien, ni son accom­ plissement. Sans doute c’est, indivisiblement, notre acte et le sien, et nos mérites sont réels ; mais fintervention de Dieu a de tels caractères de priorité, d’efficacité, de souveraineté, que l’honneur de notre propre justice remonte jusqu’à lui : Sed ipsa in se bona, non a se posse, sed a Domino fieri existimantes, operantem in se Dominum magnificant (1). Le psaume exui proclame hautement cette doctrine ; de même, le grand travailleur que fut saint Paul ne s’attribua rien de ses succès aposto­ liques (I Cor., xv, 10), et il rappela que tout chrétien ne pouvait non plus se glorifier que dans le Seigneur (II Cor., x, 17). Nous avons déjà entendu N. B. Père exprimer sa pensée sur ces délicates questions de la grâce ; ici encore, c’est de la saine et exacte théologie. 11 y aurait danger à rechercher avec curiosité et à considérer sans cesse le bien qui est en nous, mais il faut savoir le reconnaître tran­ quillement. Un examen de conscience un peu sérieux n’est complet qu’à la condition d’être distribué en deux colonnes : celle du mal dont nous sommes seuls respoi sables, celle du Li Ml qui est l’œuvre de Dieu (1) Cf. Cass., Inst., XII, xvi. Contai. III, xv, 18 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT en nous. Dieu aime à être remercié, et nous ne pouvons rendre grâces que d’un bienfait dont nous prenons conscience et que nous consentons à regarder. Undo et Dominus in Evangelio ail : Qui audit verba mea haec, et facit ea, similabo cum viro sapienti qui aed ficavil domum suam supra petram : venerunt /lumina, faverunt venti, et impegerunt in domum illam, cl non cecidit : fundata enim erat supra petram. Omettant quelques paroles du psaume (1), N. B. Père passe aussitôt à celles qui le terminent : Qui jacit haec non movebitur in aeternum. Le juste ne tombera pas, il ne déchoira pas de son espérance ; il parviendra au temple de Dieu où il a désiré vivre. Mais, parce que cette conclusion était un peu brève, saint Benoît a jugé bon de la commenter par un texte emprunté au chapitre vn de saint Matthieu (24 sq.), où le Seigneur décrit la sécurité de celui qui écoute et accomplit sa parole : c’est un homme sage, il assoit l’édifice de sa perfection sur une base ferme et inébranlable. La Pierre, c’est donc encore le Christ : s’attacher à lui par la foi, l’aimer par-dessus tontes choses, nous fait partager sa solidité, sa stabilité étemelle. Une maison ainsi bâtie peut résister à tous les assauts. Ils ne manquent pas dans une vie surnaturelle consciencieuse, dans une famille qui veut garder l’intégrité de sa foi monastique. Tout arrive, et de partout : la pluie, qui vient du ciel (2) ; les vents, qui sont de l’atmosphère ; les fleuves, les torrents, qui sont de la terre. Épreuves d’en haut, persécu­ tions des puissances terrestres, vents qui transportent de l’autre côté des mers : une abbaye peut connaître tout cela : El non cecidit : fundata enim erat supra petram. Haec complens Dominus exspectat quotidie his suis sanctis monitis factis nos respondere debere. Ideo nobis propter emendationem malorum, hujus dies vitae ad inducias relaxantur, dicente Apostolo : (1) S. Augustin (Enarr. in Ps. xrv, 4. P. L., XXXVI, 144) distingue, lui aussi» cotte même portion du psaume, et dit qu’elle s’adresse aux débutants de la vie surna­ turelle : Sicut illa superiora perlinent ad perfectos, ita ea quae nunc dicturus est, perlinent ad incipientes. (2) Elle est mentionnée par Γ Évangile, mais omise par saint Benoît PROLOGUE «9 An nescis quia patientia Î)ei ad poenitentiam le adducit? Nam pius Dominus dicit : Nolo mortem peccatoris, sed ut concertatur, et vivat. Cum ergo intcrrogassemus Dominum, fratres, de habitatore tabernaculi ejus, audivimus habitandi praeceptum : sed si complea­ mus habitatoris officium, erimus haeredes regni caelorum. On a traduit diversement Haec compleas : pour achever, pour mettre le comble à ses prévenances ; plutôt peut-être : cela dit (1), le Seigneur nous ayant invités, nous ayant montré le terme et tracé le chemin, ayant donné réponse à la question que nous lui adressions avec le Psalmiste sur les conditions d’entrée dans son tabernacle étemel, il ne lui reste plus qu'à attendre notre réponse à nous. Il attend tous les jours, avec une patience de Dieu, que nous nous mettions en devoir de nous rendre, par nos œuvres, à ses avertissements sacrés. Par conséquent, ideo, puisque Dieu consent à attendre, notre vie d’icibas a le caractère d’une trêve, d’un délai ; la durée de nos jours n’est pour nous que le loisir ménagé par Dieu de nous corriger enfin. C’est l’enseignement de ΓApôtre (Rom., ii, 4); et le Seigneur, en Ézcchicl (xviu, 23), affirme ses desseins de miséricorde et de tendresse : il n’a nul souci de faire de nous des vaincus et des damnes, et il souhaite pour nous le bonheur beaucoup plus ardemment que nous-mêmes. N’est-ce pas ignorer l’intention même de la vie que la faire servir à des délais sans fin, d’autant plus périlleux que la trame peut se déchirer soudaine­ ment? Saint Benoît conclut : nous avons donc reçu de la bouche de Dieu une réponse complète à tout ce qu’il nous importait de savoir : Vous pourrez habiter un jour dans mon royaume, d’où l’on vous appelle, où l’on vous attend, mais à la condition que vous accomplissiez, dès maintenant, le devoir de celui qui y veut habiter ; on n’entre dans l'éternité qu’à la condition de faire les œuvres, de remplir les charges d’un vrai citoyen de l’éternité : Audivimus habitandi praeceptum, sed si compleamus habi­ tatoris officium (2). (1) Remarquer qu’immédiatement après le discours sur la montagne dont N. B. Père vient de citer la conclusion, l’évangéliste ajoutait : Cum consummassel Jesus verba haec... (Maith., vu, 28). (2) Un copiste, étonné sans doute de cette phrase suspendue et un peu elliptique, l'a considérée comme la première partie d’une conditionnelle et a suppléé par la glose un peu froide : erirnus haeredes regni caelorum. Et sur ces mots se termine le Prologue dans les trois plus anciens manuscrits : ils ont peut-être comme source commune un codex auquel manquait la dernière page du Prologue. (Voir notre Introduction.) £0 COM M ENTA IKE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT Ergo praeparanda sunt corda et corpora nostra sanctae praeceptorum obedienliae militatura ; i t quod minus habet in nobis natura possibile, rogemus ho­ minum, ut gratia© suae jubeat nobis adjutorium mi­ nistrare. Etsi fugientes gehennae poenas ad \ilam perpetuam volumus pervenire, dum adhuc vacat et in hoc corpore sumus, et haec omnia per hanc luci-, viam vacat implere, currendum et agendum <·Ί modo, quod in perpetuum nobis expediat. Cette conclusion du Prologue semble destinée surtout à ra -i::·.· et à encourager les âmes qui frémissent devant les saintes exigence de la v ie religieuse, et qui, une fois évanouie la première ferveur, une foi- tombé l'enthousiasme des premiers jours, sont tentées de rebrousser chemin vers le monde. S’il est vrai que N. B. Père a écrit cette page à la d·· niète heure de sa vie, il avait eu le loisir d'accueillir de nombreux p« ’niants et, dans le nombre, quelques-unes de ces natures molles, douille: te- et frileuses, dont la bonne volonté est réelle, mais courte. Saint Benoît leur cric le sursum corda qui précède le sacrifice (1). C’est l’homme tout entier qui doit entrer en campagne : le cœur d’abord, c'est-à-dire le heu secret et central des grandes pensées et des fermes décisions ; le corps lui-même, qu’il faut entraîner par l’observance, sous peine de ressembler aux soldats en peinture ou aux figurants du théâtre, qui menacent toujours soit de frapper, soit de partir, mais qui de fait ne frappent et ne partent jamais. La vie monastique e t en effet une école d’entraînement; et, avant de s’y agréger, il e t sage de s’assurer qu’on est résolu. Alors que nul ne pe.it, à son gré, se donner le génie littéraire ou prolonger sa taille d’une coudée, dans l’ordre des choses morales au contraire, nous pouvons obtenir toute la valeur et toute la taille que nous voulons. On ne nous demande pas des efforts musculaires; on nous dit : vous vous inclinerez devant la sainte 0' éissance des préceptes, vous vous exercerez à l'accomplissement parfait d’une loi spirituelle. Ne pourriez-vous pas observer le silence? des fe mu es l’observent bien; aimer la mortification? des enfants s’y adonnent Tu non poteris quod isti, quod istae? Admettons qu’il y ait entre la loi monastique et vous quelque désac­ cord partiel de tempérament, peut-être même de nature. Alors, dites-en (1) Ces paroles sont l’écho des premiers paragraphes du Prologue, PROLOGUE gi υη mot à Dieu ; il en dira un mot à sa grâce, il lui commandera de vous venir en aide, et elle vous rendra faisable ce que la nature vous portait à envisager comme « moins possible ». L’expression est souriante. Aussi bien, ajoute saint Benoît, il est nécessaire d’être courageux. Vous voulez éviter l’enfer? — Oui. — Vous tenez vraiment à votre paît de paradis? — Oui, certainement. — C’est bien; mais laissez-moi vous redire que la vie est courte et qu’elle est une trêve. Nous avons le bonheur de n'avoir pas été surpris par la mort, alors que nous étions les ennemis de Dieu. Hâtons-nous, maintenant qu’il en est temps encore, de faire quelque chore pour Dieu, currendum et agendum est; hâtons-nous d’ac­ complir, à la lumière de cette vie (1), toutes ces bonnes œuvres que dans le ciel nous nous féliciterons éternellement d’avoir faites. Qu’est-ce que saint Paul pense maintenant des flagellations endurées, saint Laurent de son gril ardent, saint Benoit des épines où il s’est jeté, saint Benoît Labre de sa pauvreté? H suffirait, pour couper court à tous nos atermoie­ ments, de réfléchir un instant à ces graves conseils de N. B. Père. Constituenda est ergo a nobis dominici schola servitii; in qua institutione nihil asperum nihilque grave nos constituturos speramus. Tandis qu’il réconforte et aiguillonne les âmes, saint Benoît est amené à définir enfin la forme spéciale de vie religieuse qu’il vient leur offrir au nom du Seigneur : il s’était borné jusqu’ici à leur demander si elles voulaient la vie chrétienne dans toute son étendue. Une transition est ainsi ménagée pour passer à l’énoncé des règles monastiques. Voici ce dont il s’agira chez nous, ce que nous avons le dessein d’éta­ blir avec le concours de votre générosité : Dominici schola servüii. Rete­ nons à jamais cette définition de notre vie. Le monastère n’est pas un établissent nt de rapport, ni une maison de retraite, ni une succursale de P Académie. Il est, sans doute, un lieu de loisir, de liberté, de repos (et tel est le sens primitif du mot schola, σχολΑ) ; mais ce loisir a pour fin l'étude des choses de Dieu et l’entraînement, l’éducation de ses soldats, de sa garde d’honneur. Les anciens ont donné le nom de schola, dit D. Calmet, aux lieux où l’on apprend les belles-lettres, les sciences, les arts libéraux, les exercices militaires ; de même aux compagnies (1) Il faut lire vitam, qui est la seule leçon autorisée. ·» ί/! f I i COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT employées à la garde du palais et de la personne des princes, et aux appar­ tements où elles logeaient et où elles s’exerçaient. Il n’est pas impos­ sible non plus que N. B. Père ait songé à la schola ou lieu des réunions des collèges ou associations romaines (1). La vie monastique est donc « l’école du service du Seigneur », l'école où l’on apprend à le servir, où l’on s’y exerce sans cesse, dans un noviciat qui durera la vie entière. Au fond, N. B. Père ne poursuit pas d’autre dessein que celui de Dieu même : Nam ei Paler tales quaerit, qui in spiritu et veritate adorent eum. Servir Dieu, c’est adorer Dieu. Le service de Dieu se compose de deux éléments : le culte, l’exercice de la vertu de religion; et, puisque tant vaut l’adorateur tant vaut l’adoration, la sanc­ tification personnelle par la fidélité à la loi de Dieu, par l’union de notre volonté à la sienne. C’est une adoration w* spiritu, venant de l’homme HIM intérieur; in veritate, sans qu’une seule faculté de l’homme soit exceptée, sans qu’une œuvre de charité ou une étude y échappe, sans aucun démenti dans les actes ou dans les dispositions. Et cette adoration enfin est collective, sociale, publique. Nous espérons bien, dit saint Benoît, qu’un tel programme n’aura rien de terrible. N’ayez pas peur : la Règle est sage, elle n’a rien de pesant, rien de dur ni de désagréable. Elle est notablement plus douce, dans ses HIM exigences préalables comme aussi dans ses prescriptions, que les codes monastiques d’Orient ; et N. B. Père, dans sa discrétion parfaite et son amour des âmes, a consenti à paraître un peu relâché. La vie bénédictine ne consiste pas essentiellement dans une mort, une mortification sans merci ; elle ne saurait être définie adéquatement : une vie de pénitence ou d’ascétisme violent. Mais enfin, pourra-t-on se demander, saint Benoît ne voile-t-il pas ici outre mesure l’austérité de sa Règle? Π veut n’effrayer personne : c’est un bon sentiment, mais ne se mettra-t-il pas en désaccord avec lui-même, lorsqu’il dira au chapitre LVI1I : Praedi­ centur ci dura et aspera per quae üur ad Deuin? La contradiction n’est qu’apparente; et toutes choses vont être mises au point, avec un tact parfait, dans les paroles qui suivent. Sed et si quid paululum restrictius, dictante ae­ quitatis ratione, propter emendationem vitiorum vel conservationem caritatis processerit, non illico pavore perterritus refugias viam salutis, quae non est nisi angusto initio incipienda. Processu vero (1) Cl G. Boissier, la Religion romaine (Γ Auguste aux Antonins, 1. Ill, chap. in. Voir sur ce rapprochement une note intéressante de Dow Rotiieniiausler, Zur Au(~ naliwordnung der Regula 8. Benedicti (Munster, 1912), p. 37, note 4« PHOLOGUE 23 conversationis et fidei, dilatato corde, inenarrabili dilectionis dulcedine curritur via mandatorum Dei... Nous sommes d’abord avertis affectueusement et en termes mesurés de ne pas trop nous étonner si nous rencontrons un peu de mortification et de douleur sur le chemin qui mène à Dieu. Après tout, il y en a aussi sur la route qui conduit à l’enfer ; il faut même moins de souffrance pour se sauver que pour se pc.dre; et si nous étions demeurés dans le monde, nous aurions expérimenté, cruellement peut-être, qu’il est la terre clas­ sique du chagrin, de la contrainte, des servitudes et de l’ennui. Et la souffrance du monde est le plus souvent de mauvaise qualité, basse, impure, déprimante ; mais elle peut être aussi saine et féconde, par exemple celle que réclame l’apprentissage d’un métier et toute espèce de formation intellectuelle ou pratique. Pourquoi voudrions-nous avoir moins à souffrir pour devenir religieux que pour devenir artisan, soldat, explorateur? Rien de grand ne s’obtient sans sacrifice : Omnis qui in agone contendit, ab omnibus se abstinet; et illi quidem ut corruptibilem coronam accipiant, nos autem incorruptam (I Con., ιχ, 25). Il est, dans 1’ordre moral, des gens qui ne souffrent plus : ceux qui appartiennent au bien sans réserve et dont la vie est devenue un paradis anticipé ; N. B. Père décrira plus loin ce bienheureux état des âmes parfaites. Ceux qui appartiennent au mal, également sans réserve, et dont la conscience est endormie, cautérisée, ne souffrent pas non plus : mais qui leur enviera jamais ce calme effrayant? Dans l’innombrable catégorie de ceux qui souffrent, il y a ceux qui font le mal sans pouvoir échapper au remords et goûtent déjà ainsi quelque chose de l’enfer ; il y a ceux qui font le bien habituellement, mais qui sont encore sollicités par le mal, et les degrés de cette classe sont aussi variés que les âmes. Nous avons dit, c’est vrai, un adieu loyal au monde et bridé nos vais­ seaux, mais nous n’avons pas encore fait connaissance avec Dieu ; nous vivons comme suspendus entre ciel et terre, nous ressentons le ride, dont la nature a horreur. Il faut mourir, de cette mort volontaire et précieuse devant Dieu ; il faut entreprendre une nouvelle édition, une refonte complète de nous-mêmes. Rien ne se bâtira sans cette destruc­ tion préalable ; et c’est pourquoi N. B. Père pose en principe que la voio du salut non est nisi angusto initio incipienda. Quam angusta porta et arda via est quae ducit ad vitam! avait dit le Seigneur (Ματπτ., vn, 14). La porte est étroite, et nous sommes énormes ; nous sommes atteints d’obésité morale, pour avoir entassé en nous des affections, des habitudes, des systèmes, pour nous être répandus extérieurement sur toutes choses et avoir entraîné à notre suite mille impedimenta; l’heure est venue d’y renoncer ; nous ne passerons qu’à la condition de nous dégrossir : rappc- t* I COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT lons-nous la fable de la belette ! Et cette diminution no se fait pas sans douleur. La cause de notre souffrance est donc unique, l’égoïsme, mais ses occa­ sions et ses instruments sont multiples. Il y a d’abord les souffrances de la Règle ; c’est à elles que N. B. Père fait spécialement allusion ici. encore que son texte puisse très bien s’entendre de toute douleur monas­ tique. Remarquons les termes dont il se sert pour caractériser ces ri­ gueurs. R y en aura le moins possible, paululum. Ce ne sont pas des limi­ tations et des vexations arbitraires, laissées à l’initiative du religieux, pas même, dirait-on, au choix du législateur ou du supérieur ; elles se présenteront d’elles-mêmes, processerit, elles n’existeront que parce que la situation le réclame, elles seront déterminées par la nature des choses, elles naîtront des conditions mêmes de la société monastique, où, comme dans toute société, la paix ne règne qu’à raison des abandons partiels librement consentis par chacun. Parfois aussi, la mortification aura pour dessein la sauvegarde de notre charité envers Dieu ou la correction de nos mœurs. Dictante aequitatis ratione : tout est soumis à la loi d’une sage discipline. D’autres souffrances viennent de nous-mêmes, de notre imagination maladive. D en est que nous nous créons les uns aux autres. Les plus redoutables viennent de Dieu. Dieu aime les âmes, perles précieuses achetées au prix du sang de son Fils : Domine, qui amas animas! Mais il n’aime pas leur gangue, leur boue. H veut être dans notre âme comme an être spirituel dans un être spirituel, comme une force dans une force qui se prête et qui accueille, et il veut que le mobile et le moteur soient proportionnés l’un à l’autre. Et Dieu, qui intervient personnellement, d’une façon immédiate et directe, à chacune des étapes de notre vie sur­ naturelle, se charge lui-même de nous purifier. C’est lui seul qui peut pénétrer dans les profondeurs de notre être, et jusqu’aux fibres les plus délicates. D s’y emploie vraiment bien, par un procédé silencieux, inté­ rieur et caché, adapté à notre situation de contemplatifs. Nous voici face à face avec Dieu ; toutes les distractions se sont évanouies ; nous sommes perdus dans la solitude, abandonnés dans un désert. Nous pre­ nons une conscience aiguë de l’infinie pureté de Dieu et aussi de notre indignité personnelle ; la lumière inexorable tombe d’aplomb sur toutes nos souillures, sur toutes les plaies de notre cœur, et nous nous sentons sans défense devant la représaille divine. Ego vir videns paupertatem meam in virga indignationis ejus (Turen., in, 1). C’est le purgatoire. C’est le supplice de saint Barthélemy. Comme Prométhée, nous sommes liés à notre rocher : le vautour divin viendra nous ouvrir la poitrine et y ronger tranquillement et sans trêve tout ce dont Dieu ne veut pas. On a mal partout; toute l’âme est endolorie. Volontiers on s’en prendrait à tout et à tous. PROLOGUE 25 Ah la bonne souffrance ! Ce sont les travaux d’approche de Dieu, et comme l’autre purgatoire, celui-ci conduit droit au ciel. Non illico pavore perterritus refugias viam salutis. Il ne faut pas s’effarer, perdre la tête, capituler et s’enfuir. Ceux qui acceptent sans faiblir ces exigences divines ; ceux qui, au lieu d’écarter la main du médecin et de mendier un peu partout des consolations, conservent assez de vigueur et de sangfroid pour ajouter une part de mortification intérieure et sarcler leur jardin, comme dit sainte Thérèse, ceux-là ont de l’avenir. Ceux qui, sous le pressoir, disent des tendresses à la justice infinie et, à travers leurs larmes, la bénissent de tout ; qui déclarent avec Job : quand bien même il me tuerait, j’espérerais en lui ; qui acceptent pour des siècles ces sévérités ardentes, pourvu que Dieu se donne enfin : ceux-là sont les candidats de la sainteté, Dieu leur sera aimable dans le temps et dans l’éternité. Ceux qui ne font rien de tout cela, je crois qu’il faut les plaindre; ils ignoreront à jamais la joie la plus profonde qu’il y ait au cœur d’une créature, la joie qui fut au Calvaire, la joie d’être à Dieu sans réserve, comme une chose dont il fait ce qu’il veut, comme un trophée qu’il emporte où il lui plaît. Que la souffrance vienne d’une façon disséminée ou sous une forme massive, qu’elle vienne de Dieu ou des ho imi es, elle est toujours sup­ portable, si nous continuons de prier et d’être très fidèles à nos devoirs d’état. Le temps, cette merveilleuse invention de la miséricorde divine, n’émiette-t-il pas d’ailleurs, en quelque sorte, et n’atténue-t-il pas toutes nos douleurs : momentaneum et leve tribulationis nostrae? (U Cor., rv, 17; Même ici-bas, la souffrance ne durera pas toujours. Combien de temps? aussi longtemps que Dieu voudra ; aussi longtemps qu’il restera en nous quelque chose à brûler. C’est donc en partie notre générosité personnelle qui fixe la durée de la souffrance. A la longue, nous consentons à la soli­ tude, nous y prenons goût ; des choses qui, autrefois, nous semblaient si nécessaires, ne nous intéressent même plus ; nous accomplissons sans effort ce qui nous avait d’abord paru impossible. Les passions tiraillent bien encore quelquefois notre vêtement de chair, mais leur voix se fait, de jour en jour, plus lointaine. Retinebant nugae nugarum ei vanitates vanitatum, antiquae amicae meae, et succutiebant vestem meam carneam, et submurmurabant : Dimittisne nos?... Et audiebam eas jam longe minus quam dimidius, non tanquam libere contradicentes eundo in obviam, sed veluti a dorso mussitantes, et discedentem quasi furtim vellicantes, ut respicerem (1). Processu vero conversationis et fidei (2)... L’habitude des observances (1) S. Aug., Confess., 1. VIII, c. χτ. P. L., XXXII, 761. (2) S. Pack., Reg., cxc : ... Prola'ae fratres conversationis et fidei. Mais saint Benoît se souvient plutôt de Cassiex, Contai III, xv. Cassien, ayant rappelé après saint Paul (Phil., i, 29) qu’il nous faut souffrir avec le Christ, ajoute : Htcquogue et ù__ »β COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT monastiques, l’habitude de rattachement à Dieu, l’habitude intellectuelle de voir notre vie dans sa relation à Dieu, tout cela nous désencombre et nous vide. Le cœur se dilate, s’élargit à la taille de Dieu : Dieu est au 'a ge chez nous, il y est libre et souverain. Et notre âme aussi est à l'aise chez elle : Frôm mandatorum tuorum cucurri, cum dilatasti cor meum... Latum mandatum tuum nimis. Tous les conflits sont apaisés ; il n’y a plus que docilité joyeuse, une sainte et douce confiscation de notre volonté par la volonté du Seigneur, une appartenance plénière à toutes ses conduites. Une source de tendresse a jailli des profondeurs de notre désert, et ses eaux, d’une douceur sans nom, pénètrent comme un parfum liquide jusqu’aux confins des régions dévastées. C’est le toucher délicat de Dieu et son baiser substantiel. Et l’âme s’en va, elle court, elle chante : Dilatato corde, inenarrabili dilectionis duk dine curritur via mandatorum Dei. ... ut ab ipsius numquam magisterio discedentes, in ejus doctrina usque ad mortem in monasterio per­ severantes, passionibus Christi per patientiam par­ ticipemus, ut regni ejus mereamur esse consortes. Des éditeurs ont cru que cette dernière phrase se rattachait logique­ ment et grammaticalement à speramus; ils ont traité comme une paren­ thèse le passage intermédiaire. Mais rien n’oblige à lire ainsi, et cette longue parenthèse semble peu conforme à la manière d’écrire de saint Benoît. Le monastère est une école où l’on apprend à adorer Dieu ; cette école a un maître et n’en a qu’un : N. B. Père a prononcé son nom quand il a parlé de « la voie des commandements de Dieu ». Le maître, c’est Notre-Seigneur Jésus-Christ, puisque c’est par son Verbe que Dieu nous dit toutes choses. Saint Augustin a relevé maintes fois la nécessité du maître intérieur dans l’ordre des deux connaissances, naturelle et sur­ naturelle. L’ Ml seignement extérieur ne fournit jamais la lumière ni l’im­ pression intellectuelles ; toute sa fonction se borne à donner l’éveil et l’exemple, à analyser, à évoquer le lien inaperçu qui existe entre les principes et les conclusions ; en dehors de Dieu, il n’y a vraiment que des moniteurs. Quand l’Éeriture, ou les Pères, ou l’Église nous parlent, c’est toujours l’enseignement de Dieu : doctrina ejus. Il n’y a point de silence pour le Verbe, et la vie monastique nous est décrite comme une attention et une docilité constantes à cette voix qui initium conversationis ac fidei nostrae et passionum tolerantiam donari nobis a Domino declaravit. PROLOGUE 27 jamais ne se tait. C’est surtout dans les monastères que Dieu se plaît à communiquer de sa pensée, de ses desseins, de sa beauté. Maria sedens secus pedes Domini audiebat verbum illius. Chaque matin, avant de communier à la chair et au sang du Seigneur, nous lui disons : Fac me tuis semper inhaerere mandatis et a te numquam separari permittas. Cette persévérance dans la doctrine durera jusqu’à la mort : Dieu nest pas de ceux qu’on abandonne, lorsqu’on a fait connaissance avec lui; elle ira même au delà, s’il est vrai que la forme la plus achevée du magis­ tère de Dieu se trouve dans la vision intuitive. La stabilité, élément essentiel de la Règle bénédictine, est introduite dès maintenant, d’une façon négative : numquam discedentes, et d’une façon positive : in ejxis doctrina usque ad mortem in monasterio persévé­ rantes (1). Ainsi aimablement présentée, elle ne saurait effrayer les âmes · et leur paraître un fardeau ou une chaîne ; elle n’est que la fidélité à ce séjour béni, où nous sommes assurés de trouver la plénitude de la vie. Le premier principe, le fondement, le facteur et le terme de cette vie sur­ naturelle, c’est l’union à Notre-Seigneur Jésus-Christ : l’union à sa doc­ trine, l’union à sa souffrance, l’union à sa béatitude. N. B. Père revient ainsi, en terminant, à l’idée de la souffrance monastique comme prélude et rançon de notre entrée dans le royaume de Dieu : Haeredes quidem Dei, coh:eredes autem Christi ; si tamen compatimur, ut et conglorificemur (Rom., νπτ, 17). De même que la stabilité, la souffrance est transfigurée: elle n’est plus qu’une collaboration glorieuse «aux souffrances du Christ» (I Petr., iv, 13), et le moine « patient » peut dire avec l’Apôtre : Nunc gaudeo in passionibus pro vobis, et adimpleo ea quae desunt passionum Christi in carne mea, pro corpore ejus, quod est Ecclesia (Col., I, 24). Alors meme que la Liturgie ne nous dirait pas de N. B. Père qu’il était tout enveloppe de clarté divine et comme déjà béatifié : Tantaque circa eum claritas excreverat ut in terris positus in caelestibus habitaret, nous reconnaîtrions à la fréquence de ces allusions au salut, au ciel, à Dieu, l’orientation habituelle de sa pensée : Sanctus vir nullo modo potuit aliter docere quam vixit (2). Son âme tout entière était tendue vers l'éternité. Cette préoccupation a déterminé la conception organique de la vie religieuse qu’il a instaurée dans l’Église : dans le cadre le plus naturel, la famille ; la recherche la plus haute, l'union à Dieu; le terme le plus surnaturel, l’éternité. La vie présente n’est qu’un apprentissage, un essai, un noviciat d’éternité : c’est en vue de l’éternité qu’il y a pour nous des choses à abandonner, des choses à apprendre, des choses à conquérir. (1) In primis, si quis ad conversionem venerit, ea conditione excipiatur, ut usque ad mortem suam ibi perseveret (S. Caesar., Reg. ad mon., i). (2) S. Greg. M., Dial., 1. II, c. xxxvi, CHAPITRE PREMIER DES DIVERSES ESPÈCES DE MOINES (1) H est possible de distribuer logiquement les soixante-treize chapitres de la Règle en différents groupes, à la condition d’observer que ces divisions n’ont point d’arêtes vives, et que N. B. Père, comme tous les anciens, alors même qu’il s’agit de dispositions législative, donne à sa pensée une forme vivante et souple, sans souci des redites et d’un appa­ rent désordre. Dans toute société véritable, deux éléments sont à distinguer : la constitution et la législation. Saint Benoît décrit brièvement, dans les trois premiers chapitres, la structure organique de la société monastique : ce qu’elle est substantiellement, ce qu’elle n’est pas (I) ; son fondement et son lien : l’autorité de l’Abbé (II) ; ses membres et leur part dans le gouvernement (III). Vient ensuite ce qui a trait à la forme spirituelle de notre vie, à l’éducation surnaturelle de chacun (IV-VII). C’est là ce qui nous semble former la constitution du monastère ; le reste est relatif à sa législation : nous en reconnaîtrons plus tard les subdivisions. — Monachorum qua­ tuor esse genera manifestum est. Primum coenobi­ tarum, hoc est monasteriale, militans sub regula vel Abbate. De generibus monachorum. Le premier mot de la sainte Règle est celui de « moine » (2). H vient du grec μοναχό;, dont la signification primitive est la même que celle de μόνο; : seul, unique, simple. Lorsque, dans l’antiquité chrétienne, certains (1) Nous traduisons les titres des chapitres. Encore qu’ils soient donnés par tous les manuscrits, avec quelques légères variantes, les critiques se demandent s’ils sont réel­ lement de saint Benoît. Les motifs allégués contre cette attribution ne sont pas toujours bien convaincants; voir, par exemple, Wolfplin, Benedicti Regula monachorum, Traef., p. x. Nous reproduisons le texte latin des titres au début de la première péricopo de chaque chapitre. (2) Haeft., 1. III, tract. I, De nomine monachorum. 30 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT fidèles s’isolèrent, tout en restant dans le monde, des conditions de la vie ordinaire, et bientôt de la société elle-même, afin de se livrer, seuls ou en commun, aux pratiques de l’ascétisme surnaturel, on les nomma parfois μοναχοί, μονάζοντες : les séparés, les isolés, les solitaires (1) ; et l’appellation est courante au quatrième siècle. Un poète païen du début du cinquième, Rutilius Numatianus, souligne méchamment son sens originel : Squalet lucifugis insula plena, viris : Ipsi se monachos graio cognomine dicunt, Quod soli nullo vivere teste volunt (2). L’idée d’unité qu’implique le nom des moines a permis de les définir de façons diverses renfermant tontes une part de vérité : ceux qui vivent dans la solitude (3), ceux qui veulent introduiie l’unité et la simplicité dans leur vie, ceux qui s’occupent de Dieu seul et ne songent qu'à s’unir à lui. Monachi, hoc est, Christiani, qui ad unum fidei opus, dimissa saecularium rerum multimoda actione, se redigunt, dit Paul Orose (4) : et saint Denys (5) : v Nos pieux maîtres ont no Üïï* é ces hommes tantôt thérapeutes, à cause du culte sincère par lequel ils adorent la divinité, et tantôt moines, à raison de cette vie d’unité sans partage par laquelle, ramenant leur esprit de la distraction des choses multiples, ils le portent vers l’unité divine et vers la perfection du saint amour ». Dans la pensée des anciens, le nom de moine est générique : il désigne toutes les catégories de fidèles qui ont renoncé au monde pour se vouer à la perfection; pendant longtemps, être religieux et être moine fut tout un. et les choses sont encore telles en Orient. Mais, avec l’apparition des formes de vie religieuse consacrées plus directement au ministère des âmes, le terme de moine est devenu spécifique : il n’appartient plus actuellement qu’aux fils de saint Benoît et à ceux de saint Bruno, encore nue - la coutume se soit établie en France de le donner à ceux de saint François et de saint Dominique ; saint Thomas et saint Bonaventure avaient seulement revendiqué pour leurs frères, dans leur polémique avec l’Université de Paris, la qualité de religieux. Si nous voulions aujourd’hui tracer la carte de la vie religieuse, établir une classification, nous pourrions répartir assez exactement les religieux en cinq groupes, d’après leur ordre d’apparition historique (je ne dis rien des religieuses, qui sent de physionomie innombrable et de toute couleur;: (1) Cf. Cass., Cental. XVIII, v. (2) JErwrariuni, 1. 1,489 sq. (3) S. Augustin explique comment les cénobites eux-mêmes, encore que plusieurs numériquement, peuvent cependant être appelés μ ô .gî, puisqu’ils n’ont qu’un cœur et qu’ur.c âme (Enarr. in Ps. cxxxn, 6. P. L., XXXVII, 1732-1733). (4) Hitior., L VII, c. xxxiu. P. L., XXXI, 1145. (5) De lliaatchia tccktiatltca, c. vl DES DIVERSES ESPÈCES DE MOINES 31 les moines, les chanoines réguliers, les frali ou religieux mendiants, les clercs réguliers, les séculiers réunis en congrégation avec ou sans vœux. A l’époque de saint Benoît, on comptait seulement quatre espèces de moines ; et la division était si manifeste et si constante que N. B. Père n’insiste pas. Saint Jérôme et Cassien (1) avaient signalé, pour l’Égypte, trois espèces de moines. Saint Benoît reproduit en partie leurs paroles ; et il mentionne, comme Cassien (2), une quatrième catégorie. Mais, tandis que Cassien y fait entrer les faux anachorètes, transfuges de la vie cénobitique, elle comprend pour saint Benoît (3) l’espèce des moines vagabonds et coureurs, les « gyrovagues ». Cassien et les Pères d’Orient les connaissaient bien (4), mais la triste institution avait pris de tels développements que saint Benoît put lui donner son nom propre : il se trouve chez lui pour la première fois, mais peut-être existait-il déjà dans i’usage. Les cénobites (ceux qui vivent en commun : xofewç, βίος) sont cités les premiers, parce que saint Benoît, à la suite de beaucoup de Pè es (5), leur donne ses préférences. Cassien, voyant dans la chrétienté de Jérusalem une vraie famille religieuse, les considérait comme les premiers, même historiquement (6). Puisqu’il sera parlé des cénobites à loisir au cours de cette Règle qui leur est destinée, saint Benoît se borne à signaler en quelques mots leurs traits caractéristiques. Ils ont la vie commune; ils habitent dans un monastère, qui est le cadre de la stabilité. Ils militent, c’est-à-dire qu’ils tendent ensemble, dans un effort commun et conver(1) Tria sunt in Aegypto genera monachorum. Unum, Coenobitae, quod illi Sauses gentili lingua vocant, nos in comm :no viventes possumus appellare. Secundum, Ana­ choretae, qui soli habitant per deserta... Tertium genus est quod Remoboih dieunl, deter­ rimum atque neglectum... Hi bini vel terni, nec mullo plures simul habitant, suo arbi­ tratu ac ditione viventes (S. Hieron., Epist. XXII, 34. P. L., XXII, 419). Cassiex a reproduit ce tableau en le complétant : Tria sunt in Aegypto genera monachorum, quorum duo sunt optima, tertium tepidum atque omnimodis evitandum. Primum est cocnobiolarum, qui scilicet in congregatione pariter consistentes unius senioris judicio gubernantur... Secundum anachoretarum, qui prius in coenobiis instituti jamque in actuali conversatione perfecti solitudinis elegere secreta... Tertium reprehensibile Sara­ ballarum est. — (Anachoretae) in coenobiis primum diutissime commorantes, omnem patientiae ac discretionis regulam diligenter edocti,... dirissimis daemonum proeliis con­ gressuri penetrant heremi profunda secreta. — Emersit post haec illud deterrimum rl infidele monachorum genus... etc..., bini vel terni in cellulis commorantur, non content· abbatis cura atque imperio gubernari... etc... (Conlat. XVIII, rv; Inst., V, xxxvi [cf. aussi Conlat. XVIII, vi]; Conlat. XVIII, vu). ilbi Toutes les anciennes formes de la vie monastique, même les moins recommandables, sont représentées, aujourd'hui encore, sur la « sainte montagne de ΓAthos ». (2) Conlat. XV11I, vui. (3) Saint Benoit range dans la classe des sarabaïtes ces moines qui vivent seuls, en faisant leur volonté propre : ... aid certe singuli sine pastore. (4) Cf. D. Besse, les Moines d’Orient, chap. u. (5) Par exemple S. Jean Ciirysost., In Matlh., Hom. I.XXII. P. G.. ΙΛΊΙΙ, 671072. — S Basile. Itcg. fus., vu. — S. Jérôme, Epist. CXXV, 9. P. L·, XXII, 10,7. (G) Conlat. XVIII, v. 32 COMMENTAIRE SCR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT gent, vers un même but, une même victoire : la perfection et la perfec­ tion conventuelle. Ils ont une règle : de telle sorte que les conditions fon­ cières de leur vie soient fixées et nullement laissées à l’arbitraire; ce n’est pas d'ailleurs nécessairement une règle écrite, ce peut être un ensemble de coutumes. Vel Abbate ; remarquons une fois pour tontes que dans la langue de saint Benoît la disjunctive tW a souvent la valeur de la copulative et : c’est le cas p écentem nt. Si précise- que soient la règle ou les coutumes, il y a mille choses qu'elles ne déterminent pas ; c’est au pouvoir vivant de l’Abbé qu’il appartient d'interpréter la r·· le et d’on établir le sens. Les cénobites ont à leur tète un Abbé, e’e-t-à-diie un père : ils constituent donc une famille. Doinde secundum genus est anachoretarum. id est, eremitarum, horum qui non conversionis f< i novitio, sed monasterii probatione diuturna, didice­ runt contra diabolum, multorum sola lio jam d->rti, pugnare; et bene instructi fraterna ex acie ad "insu­ larem pugnam eremi, securi jam sine consolatione alterius, sola manu vel brachio, contra vilia carnis vel cogitationum, Deo auxiliante, sufficiunt pugnare. La deuxième espèce de moines est celle des anachorètes (ceux qui vivent à l’écart, dans la retraite : ά·4,χωχ«ω); saint Benoît ne les dis­ tingue pas, comme le fera saint Isidore (1). des ermites ou habitants du désert $*■}«;). La vie anachorétique a toujours existé dans l’Églisc (2), mais elle n’est plus représentée aujourd'hui que sous sa forme mitigée, chez les Chartreux, les Camaldnles... ; sans doute y a-t-il encore quelques ermites dans les solitudes et des reclus près de certains monastères. A l’origine du monachisme, les anachorètes furent innombrables, et c’est même par eux que la vie religieuse a commencé, dès le troisième siècle, avec saint Paul de Thèbes, saint Antoine, saint Ililarion, imitateurs d’Élie et de saint Jean-Baptiste. Les lois ecclésiastiques n’avaient pas encore eu le loisir de réglementer l’état religieux : se faisait anachorète (pii voulait, avec ou sans maître, sous le costume et le régime de son choix. Et nous savons de quelle façon très simple N. B. Père lui-même devint cnnite et fit profession (3). (1) De ecclesiasticis officiis, L Π, c. xvj. P. L., LXXX1II, 794-795. (2) Cf. Vacast-Maxgenot, Dictionnaire de Théologie, art Anachorète, (3) S. Greg. IL, DiaL, L II, c. L DES DIVERSES ESPÈCES DE MOINES 33 1» ’ 1 i :" - » ■ · ii . * ; 3 4 (1) Lire toute la Conférence XIX de Cassien. (2) Γίτόα Seniorum i Vitae Patrum, III, 98. Roswevde, p. 515. (3) S. Epilr., De humilitate, c. lviii sq. (Opp. graec. ht., t. I. p. 315-317). Paraen. XXIII, XXIV, XXXVIII, XL1I (t II, p. 102, 107, 136, 154). — Yvon. Carnot., Episl. CXC1I et CCLVI. P. L„ CLXII, 198, 260. (4) Tractatus ad Eulogium, 32. P, G., LXXIX, 1135. EpisL, L III, Ep, LXXIL P, G., LXXIX, 422, ‘ H connaissait donc par son expérience personnelle la vie anachorélique ; il l’avait pratiquée avec une ardeur généreuse. Π n’ignorait ni ses charmes, ni les tentations terribles et les illusions extraordinaires aux­ quelles elle sc prête aisément (1). L’homme ne se suffit pas : nous avons besoin d’un appui, et nous le trouvons dans un milieu social intelligent et aimé. Il nous faut des exemples, des encouragements, des directions. Mais il n’y a aucune émulation surnaturelle dans la solitude. Nous n’avons point dans la présence, le regard, l’exemple d’autrui ce supplément extérieur de conscience, qui est à la fois si précieux, si sûr et si doux. Nous n’avons point à exercer la charité fraternelle, ce qui est pourtant le plus clair indice que nous ayons de notre charité envers Dieu. Dans la solitude, l'imagination se monte, les sens s’exaspèrent ; et, pour peu que le diable intervienne directement, c’est le désarroi complet, c’est le vice ou le déses­ poir. Et puis n’est-ce pas la paresse, l’instabilité, la superbe, une misan­ thropie naturelle, qui poussent telle âme au désert? Il ne suffit pas de fuir les hommes pour échapper à la tyrannie de ses passions, comme le prouvent maintes histoires racontées dans la Vie des Pères, par exemple celle du moine porté à la colère qui, s’étant échappé du monastère pour n'avoir plus l’occasion de se fâcher, La retrouva bientôt dans les indocilités de sa cruche (2). On peut lire les observations de saint Ephrem sur les périls de la vie érémitique et, à une époque postérieure, celles de saint Ives de Chartres (3). ’ > Bien loin de méconnaître la sublimité de la vie anachorétique, N. B. Père l’estime trop parfaite pour être accessible à toutes les âmes, et il élève très haut les conditions préalables à une entrée prudente dans une telle voie. Avec Cassien, saint Nil (4) et d’autres anciens, il requiert d’abord que le candidat ne soit plus dans la jeune ferveur de sa con­ version, de sa vie religieuse (conversionis ou conversationis). Les moines sont comme le vin, qui se bonifie en vieillissant. La ferveur et le bouil­ lonnement des débuts sont nécessaires, puisque c’est grâce à cette fermentation que fame se défait d’une multitude de petites impu­ retés qui l’alourdissent. Mais cette forme de ferveur est transitoire; à mesure que le travail intérieur d’élimination s’accomplit et que les éléments étrangers se précipitent, elle fait place à une ferveur de charité épurée, claire, defaecata. L’ermite futur devra donc faire ses preuves, pendant de longues années, dans un monastère, apprendre la tactique spirituelle et passer maître dans l’art de combattre le diable, avec le «i COMMENTAIRE SUR LA REGLE DE SAINT BENOIT secours, a la consolation » (πϊ^χλτ,σις) de tous ses frères. C’est seulement lorsqu’il se sera bien exercé, bien entraîné, dans le rang et la lutte collec­ tive, pour le combat singulier du désert, qu’il sera capable d’affronter, sans appui étranger désormais, ne comptant plus que sur Dieu et sur la vigueur de sa main et de son bras, la lutte contre les vices de la chair et de l’esprit. Enfin la permission de l’Abbé garantira le moine de toute présomption (1). La carte de la vie religieuse s’est modifiée, mais la nature humaine est demeurée la même, et la tentation de quitter la communauté pour se faire ermite est de tous les temps. Ce désir peut apparaître dès le novi­ ciat, soit que Dieu appelle réellement une âme dans la solitude, soit que notre égoïsme, affolé par tous les renoncements qu’exige une vie si nouvelle, nous persuade à tort que nous nous sommes trompés, que nous n’avons pas assez de silence, que toutes sortes de contacts ennuyeux déconcertent la liberté de notre prière. La tentation peut naître plus tard et venir d'un tempérament maladif et misanthrope ou d’un mysti­ cisme de mauvais aloi ; sous prétexte que la contemplation pure est l’idéal, et la vie cartusienne reconnue plus parfaite par l’Église, on fati­ guera son Abbé jusqu’à ce qu’il ait consenti à un départ qui n’est souvent que le prélude de tristes pérégrinations. Ou bien on cherche à se constituer un peu de vie anachorétique à l’intérieur du monastère. On se fait une petite vie à part ; on se tient à distance de l’Abbé et des frères. Les con­ ditions de paix et de loisir qu’offre le monastère profitent non plus à Dieu et à la charité, mais au moi. Hélas I il n’y aura jamais une ombre de vrai bonheur pour ce moine ; il ne rencontrera jamais Dieu ; il mourra prosaïquement, captif de ses aises et de ses manies de vieux garçon, pétrifié et bouffi dans son égoïsme. Retenons bien la recommandation de Γ Apôtre : Consideremus invicem in provocationem caritatis et bonorum operum, non deserentes collectionem nostram, sicut consuetudinis est quibusdam, sed consolantes, et tanto magis quanto videritis appropinquantem diem (Hebr., x, 24-25). Tout en maintenant le principe des vocations extraordinaires, il est permis de considérer la vie cénobitique comme plus naturelle que la rie anachorétique. Non est bonum esse hominem solum. Le silence absolu, dit sainte Hildegarde, est a inhumain », c’est-à-dire au-dessus ou au(1) Cf. S vlp. Sever., Dial. I, c. xvii. P. L., XX, 195. Les conciles ont dû souvent l'occuper des anachorètes, et celui de Vannes, en particulier, décrétait en 4G5 : Ser\mdum quoque de monachis, ne ets ad solitarias cellulas liceat a congregatione discedere, mri ferle probatis post emeritos labores, aut propter infirmitatis necessitatem asperior ab abbatibus regula remittatur. Quod ita demum fiet, ut intra eadem monasterii sepia ixanenles, tamen sub abbatis potestate separatas habere cellulas permittantur (Mansi, t VII, coL 954). L’histoire montre que la vie anachorétique a presque toujours été tempérée de cénobitisme, et que les solitaires d’Orient se groupaient en communautés, ou (lu moins prenaient des compagnons, acceptaient des disciples, se visitaient de loin eiloin, —------ DES DIVERSES ESPÈCES DE MOINES 33 dessous de l’humanité (1). Toutes choses ne se font bien qu’en famille : les étoiles elles-mêmes sont groupées en constellations. Rachetés tous ensemble dans le Seigneur, nous nous sanctifions tous ensemble en lui, pour crmmunier tous pleinement à cette société si étroite des Per­ sonnes divines : Quod vidimus et audivimus annuntiamus wins, ui et vos societatem habeatis nobiscum, et societas nostra sit cum Patre, et cum Filio ejus Jesu Christo (I Joann., i, 3). Notre vie d’éternité sera donc, elle aussi, cénobitique ; et saint Thomas explique comment la société de nos amis deviendra, même alors, un élément de béatitude (2). H y a sagesse à ne pas concevoir notre vie du temps sur un plan différent de l’étemelle. Tertium vero monachorum deterrimum genus est sarabaitarum, qui nulla regula approbati, experien­ tia magistra, sicut aurum fornacis, sed in plumbi natura molliti, adhuc operibus servantes saeculo fidem, mentiri Deo per tonsuram noscuntur. Qui bini aut terni, aut certe singuli sine pastore, non dominicis, sed suis inclusi ovilibus, pro lege eis est desideriorum voluptas : cum quidquid putaverint vel elegerint, hoc dicunt sanctum, et quod nolue­ rint, hoc putant non licere. N. B. Père a éliminé la vie anachorétique, parce que la prudence l’in­ terdit à la grande majorité des hommes ; il repousse, pour de tout autres motifs, le régime des sarabaïtes. qui est, dit-il, détestable. Cassien attribue au mot a sarabaïte o une origine égyptienne : Ab eo quod semetipsos a coenobiorum congregationibus sequestrarent ac singillatim suas curarent necessitates, Aegyptiae linguae proprietate· sarabaitae nuncupati sunt (3) ; peut-être vient-il plutôt du terme araméen sarab, qui signifie rebelle, réfractaire (4). Pour comprendre comment il a pu se rencontrer durant plusieurs siècles, des moines comme ceux que décrit maintenant saint ‘ Benoît, rappelons-nous que l’Église n’avait pas encore entouré l’accès de l’état religieux d’une série de précautions destinées à éloigner les indignes, les incapables, les instables. On pouvait se borner à prendre soi-même ou à recevoir un habit religieux, à se couper les cheveux ; puis, (1) (2) (3) (4) Regulat S. Bcncd. Explanatio. P. L., CXCVII, 1056. S. Th., I· II**, q. rv, a. 8. Conlai. XVIII, vu. Cf. Calm et, »n h, I, — Gazet, dans sa note sur le passage précité do Casstsx, 3β f COMMENTAIRE SUR LA REGLE DE SAINT BENOIT sans noviciat préalable, sans faire partie d’une communauté n'ciilidrcment constituée, pourvu qu'on témoignât, par certains acte- ext« ririir<, avoir renoncé au monde et s’être tourné vers Pieu, on était moine r*. selon la langue du temps, < converti ». On était tenu à h rli 1 t·f»·, i un certain degré de pauvreté ; mais où était l'obéissance? Les sarabaites auraient pu dire : « Mais nous rr onnats on · th ·-- p··· ment que l’obéissance est impliquée dans le concept du mon ’ '11 ru·· ; nous sommes même tout disposés à obéir ; qu’ajouterait A h ρ· ί· ti- 1 denos dispositions intérieure’ la prestation matérielle de !‘i»b-n <·'■’ «. Saint Benoit prévient et déjoue de tc’.« sopht-m . cukrnm’ 1··!»· sance effective et pratique qui montre la réalité de di p.» iii<»r Int/· rieurê? ; ct l’on n’obéit que si l’on est commandé. : l'on .1 un·· rc '·■ < » , lessarabaïtes n’ont aucune règle pour k éprouver. pour le auth-ntiquer vrais religieux : nul/a ri'juLi i c?t i'cx|>cr;enro qui ··: t de prer: » de touche, qui enseigne au moine et aux .luta·. ce qu'il vaut r< · ■ n · :r, operientia nuigisira (1). Loin d'être cet or véritable qui e otimrt volontiers à l'épreuve de la foumaie ct qui en sort victorieux, pur d · tout alliage, celui qui ne consent paj à pa· er an creu et d’une règle est convaincu d’avance d’être mou et vit comme le plomb. La vio dei sarabaites est un mensonge patent. IL mentent tout à la fois au ;·’·- '0 et à Dieu : au siècle, dont ils ont dépouillé h livrée extérieure ct à qui néanmoins leurs œuvres restent fidèles ; à Dieu, qu'ils trahi· eut tout en professant lui être CM&vrv’. Lear vie et séculière, alors quo leur tête est rasée. Mais encore, s’ils n'ont pas de règle écrite, peut-être ont-ils une règ’.o vivante dans la personne d’un Abbé? Non : ils se réuni· ont deux ou trois, de telle sorte que nul ne s'arroge une autorité quelconque ; ou Hill même, ce qui est plus commode encore, ils vivent seuls, dans un ermi­ tage. Et ils constituent ain-i un bercail «ans pasteur, un bercail qui n'a; partient point à un maître, ni au Seigneur, mais qui est bien à eux : non dominicis sed suis inclusi ovilibus. Leur règle, c’est ce (pii lour plait, c’est leur désir, leur caprice du moment. Non qu’il topropo cnl formelle­ ment d’îÿpartenir à leur Bttde volonté propre : ils se persuadent peut-vt 10 obéir à une règle; mais ils se créent à eux-mêmes la règle dt-.i mœm . Ce qu'ils ont pensé et résolu, ils l’appellent saint (2), et ce qu'ils no veulent pas, ils l’estiment illicite. Nous avons là, et dans des termes d’une énergie singulière, la de-cris tion d'un état psychologique qui est trop commun et qui constitue lu plus redoutable des périls. Si la race des sarabaites a disparu historique­ ment, l’esprit qui l’animait peut toujours renaître. L’homme a In tri. te (1) Cette leçon est plus autorisée à tous points de vue que la leçon ex/wrirnL.j magiJiri; elle est empruntée à Cxssiex, Contai. XIX. vu. Ç2) Riruiniicen-e d’un proverbe romain, cité plusieurs lois par S, Avut sTIN ; DES DIVERSES ESPÈCES DE MOINES J7 facilité de voir les choses non comme elles sont, mais comme il est, de faire le monde à son image et ressemblance. Dans Vordre moral et de la volonté, où l'erreur ne se traduit pas, comme dans une expérience de laboratoire, par le châtiment matériel et immédiat d’un insuccès ou d’un·* cxplo-ion, nous arrivons à colorer toutes nos décisions, à canoniser ce que nous faisons, à adorer ce qui nous plaît. C’est l'illusion (1), Grâce h elle, on en vient à motiver les acte; les plus injustifiables par des consi­ dérât on de bon ordre et à ériger en prescriptions de la conscience ce que suggèrent les pires pa ions. Quel eit le révolutionnaire qui se propose simplement de troubler l'ordre social? l’hérétique qui ne se persuade pas >ervir l’i, et le texte sacré qui s’ofîre spontanément à sa pensée lui paraît justifier cette doctrine. Aussi bien la théologie nous apprend que le titre de Père se peut donner soit à la seule première Personne, lorsqu’elle est envisagée dans sa relation avec la seconde, soit aux trois Personnes réunies lorsqu’on les envisage comme essence unique ad intra et comme unique principe d'agir ad extra; chez Dieu, selon l’axiome formulé par le concile de Florence : Omnia sunt unum, ubi non obviat relationis oppositio. CE OUE DOIT ÊTRE L’ABBÉ 43 Ideoque Abbas nihil extra praceptum Domini (quod absit) debet aut docere, aut constituere, vel jubere; sed jussio ejus vel doctrina, fermentum divi­ nae justitiae in discipulorum mentibus conspergatur. Le pouvoir de l’Abbé est divin ; c’est un pouvoir paternel ; c’est un pouvoir absolu, et il ressemble en cela à la paternité divine plus encore qu’à la patria potestas romaine, familière à saint Benoît; mais ce n’est point un pouvoir illimité et arbitraire. Nulle autorité ne s’exerce légiti­ mement au delà de ses limites ; et les limites de chaque autorité sont celles qu’a fixées la concession divine. Dieu n’appuie plus, on ne peut plus mettre à son compte, toute décision en faveur de laquelle il n’a point donné délégation, à fortiori celle qui militerait contre lui : Dieu ne sau­ rait être divisé contre Dieu. Or, précisément parce que le pouvoir de l’Abbé vient de Dieu et qu’il participe à la force et à l’étendue de celui de Dieu, l’Abbé ne doit s’en servir que pour les fins et les intérêts de Dieu et selon les procédés de Dieu même. Le Seigneur ne s’est pas dessaisi : même entre les mains de l’Abbé, l’autorité demeure son bien. Le bon sens le dit. C’est là ce qui fait la simplicité, la sécurité et l’ordre parfait de notre vie. Rien, par conséquent, dans l’enseignement, dans les dispositions générales ou dans les ordres particuliers de l’Abbé ne sera étranger ou contraire à la loi du Seigneur : à Dieu ne plaise, quod absit (1) 1 car ce serait monstrueux. Mais, bien loin d’abuser du pouvoir pour satisfaire ses passions et jeter dans les âmes de ses disciples le mauvais levain des faux docteurs (Matth., xvi, 6, 11-12), que par sa doctrine et ses com­ mandements l’Abbé répande abondamment en elles le ferment de la divine justice (AIatth., xin, 33) : c’est par lui que le Seigneur veut· naître et grandir dans les âmes (2). La remarque de saint Benoît n’est point une invitation, adressée aux moines, de regarder par-dessus l’épaule de leur Abbé, afin de s’assurer s'il est dispensateur fidèle et s’il gouverne correctement. L’esprit filial, (1) D. Butler adopte, co Hill e plus autorisée, la leçon : Nihil extra praeceptum Domini quod sil... (2) N. B. Père s’est souvenu de S Basile rappelant au supérieur qu’il est minister Christi et dispensator mysteriorum Dei; timens ne prce'er voluntatem Dei, vel praeter quod in sacris Scripturis evidenter praecipitur, vel dicat aliquid, vel imperet, et inve­ niatur tanquam /alsus testis Dei, aut sacrilegus, vel introducens aliquid alienum a doc­ trina Domini, vel certe subrelinquens et praeteriens aliquid eorum quae Deo placita sunt. Ad fratres autem esse debet tanquam si nutrix foveat parvulos suos, etc. (Reg. cjntr., xv). Cf. ibid, clxxxiv. 44 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT d'accord avec l’axiome de droit commun, fera toujours, en cas de doute, présumer en faveur du supérieur; l’attitude contraire tendrait à humi­ lier toute autorité et à énerver toute discipline. Les hommes n’ont pas besoin d’être invités à désobéir. On excepte les cas, bien entendu, où une autorité dévoyée prescrirait des choses peu morales ou notoirement contraires à la Bogie. C’est pour prévenir et corriger les abus qu’ont été instituées les visites canoniques. Mais saint Benoît suggère un autre procédé. Momor sit semper Abbas quia doctrinae suae vel discipulorum obedientiae, utrarumque rerum, in tremendo judicio Dei facienda erit discussio ; sciatque Abbas culpae pastoris incumbere, quidquid in ovibus paterfamilias utilitatis minus potuerit invenire. Tan­ tum iterum liber erit, si inquieto vel inobedienti gregi pastoris fuerit omnis diligentia attributa, et morbidis earum actibus univorsa fuerit cura exhibita : pastor earum in judicio Domini absolutus, dicat cum Propheta Domino : Justitiam tuam non abscondi in corde meo, veritatem luam et salutare tuum disci; ipsi aii'em contemnentes spreverunt me. Et tunc domum inobedienlibus curae suae ovibus poena sit eis praeva­ lens ipsa mors. D y a, dans le gouvernement des sociétés, un problème qu’on n’est pas encore parvenu à résoudre d’une façon définitive : c’est la conciliation des deux éléments : pouvoir et liberté. On n’y arrive que de loin en loin, et Tacite remarquait, au début de sa Vie d'Agricola, que l’empereur Nerva avait eu cette chance : Quamquam... Nerva Ciesar res olim disso­ ciabiles miscuerit, principatum ac libertatem... Les modernes y travaillent sans cesse; c'est dans ce dessein qu’ils font des constitutions et des actes additionnels, qu’ils les revisent, qu’ils proclament la séparation des pouvoirs, qu’ils s’ingénient à les pondérer, qu’ils morcellent l’autorité afin que les parties se fassent équilibre, qu’ils laissent aux mains de celui qui préside à la chose publique le moins d’initiative possible. Le plus souvent on n’échappe à la dictature d’un seul que pour devenir la proie d’une dictature oligarchique. Et cette liberté individuelle que l’on prétendait rendre inviolable, nous savons bien, nous autres, ce qu’elle devient. B reste acquis que le seul frein vraiment efficace de l’activité CE QUE DOIT ÊTRE L’ABBÉ 45 humaine est la conscience, et que c’est dans l’intime de l’homme qu’il faut pénétrer pour la contenir et la diriger. Saint Benoît a été le plus avisé des constituants. Il a établi une auto­ rité ; il a pourvu à la désignation du sujet de cette autorité par le moyen des intéressés eux-mêmes (chap. LXIV) ; il a remis aux mains de l’élu un pouvoir d’une étendue extrême ; et il a simplement rendu ce pouvoir responsable devant le Seigneur. C’est la seule garantie qu’il ait fournie aux moines. Si l’Abbé a la foi et s’il tient à son salut, il n’y a pas pour lui de meilleur aiguillon et de meilleur frein que celui-là; si l’Abbé est un indigne, tous autres procédés, hormis la déposition, seront inefficaces ; s’il est simplement faible et distrait, N. B. Père lui répète souvent quelle responsabilité il encourt, et il veut qu’il s’en souvienne perpétuellement : memor sil semper... Il semble même que saint Benoît ait moins redouté l’excès que le défaut dans l’exercice de l’autorité. La matière de la responsabilité de l’Abbé et de son jugement est double : sa propre doctrine et 1’observance de ses disciples, utrarumque rerum, souligne saint Benoît (1). Sans doute, les fautes sont personnelles; néan­ moins, l’Abbé répondra de l’obéissance des siens, en ce sens qu’il doit maintenir le joug, et faire sentir discrètement l’influence salutaire de l’autorité. Il ne peut se désintéresser. Il portera au redoutable tribunal de Dieu le fardeau des fautes conventuelles qu’il a connues, qu’il n’a pas voulu corriger. Un courant régulier est établi entre lui et les siens : ses actes à lui vont vers eux comme influence, les leurs remontent vers lui comme à leur principe. Le Père de famille l’a fait pasteur et lui a confié ses brebis : il s’attend à les retrouver toutes, devenues fortes et prospères. Que l’Abbé sache bien qu’on lui imputera à faute tout mécompte, tout détriment survenu au troupeau : quidquid utilitatis minus potuerit invenire. Il n’est qu’une hypothèse (2), fort triste d’ailleurs, où la responsabilité du pasteur sera dégagée : c’est lorsque le détriment ressenti par Dieu ne sera réellement pas le fait de l’Abbé. Son troupeau était turbulent et indocile. Il n’a pas laissé pourtant de lui donner tous ses soins et d’appliquer toutes sortes de traitements à ses maladies morales. S’il en est ainsi, l’Abbé sera acquitté et absous au jugement du Seigneur, et il pourra lui dire avec le prophète David (Ps. xxxix, 11), avec Ézéchiel (xx, 27) et Isaïe (i, 2) : « Je n’ai point caché votre justice dans mon cœur ; j'ai annoncé votre vérité et votre salut ; mais eux, ils en ont fait fi et m’ont méprisé. » Qu’alors enfin et pour conclure, les brebis rebelles à ses soins et à son traitement, au lieu de la santé dont elles n’ont pas voulu, obtiennent comme châtiment la mort elle-même ; que la mort l’em­ porte et qu’elle ait le dernier mot : poena sit eis praevalens ipsa mors (3). - ■ · ♦ · ** * (1) Cf. S. Orsiesii Doctrina, x, xi. (2) D. Butler lit : Tanlundem ilerum cril, ut, si, etc, (3) Cfr, S, Greg. M., Dial., 1, II, c, m. - 1 lÉÀ -I COMMENTAIRE SUR LA REGLE UE SAINT IH N ΟI Γ Ergocum aliquis suscipit nomen Abbatis. duplici debet doctrina suis prai-esse discipuli». id <··>!, omnia bona et sancta factis amplius quam verbi·» ostrndrrr. ut capacibus discipulis mandata Domini \<-rl.i» pro­ ponat; duris vero corde et simplirioribii». fa» H» n: divina praecepta demonstret Omnia v<*m qu **· di · «pulis docuerit esse contraria, in suis factis mdn l non agentia; ne aliis praedicans, ip·.»· reprobus inve­ niatur. Aequando illi dicat bru» peccanti iju-ti in enarrat jih'ltliη η·»π> p ir y trouver les satisfaction.· de h vanité ou de la par.». -e ■ il c t I. t< ·■ de tiens, le début du chapitre nous en avertc.-.m déjà, pour leur v. c utile et le? mener à Dieu, prodes» «eyw geam praesse, dira N. B. Père au chapitre LXIV. Nom savons ai-.-i que la responsabilité* de l’Abbé est engagée doublement : sur sa doctrine et sur l'otiéi-anev de *■-· di ciplcs. Saint Benoit examine maintenant plus à lobir ce deux points. Il donne au mot doctrine sa rignificalwit la plus étendue : c'e a λ la foi l’enseignement proprement dit et !e gouvernement de àrne- : tout çrnr l’amour de la doctrine. Mais encore que chaque religieux puL· c a’appliquar à cul tiver lui-même sa foi, il reste pourtant que la vie de chacun et l’unité conventuelle ont besom de la doctrine de l’Abbé. læs livre , par vola même qu’ils parlent à tout le monde, ne s’adressent à personne en parti- (1) CL Mabiuox, Traité des études motuultçuei, P. I, cLap. ht. CK QUE DOIT ÊTRE L’ABBE 47 . culier : il f uit h parole vivante d’un maître. Et Faint Benoît indique • l'un mot la matière de l’enseignement abbatial : cmnia bona cl tanda, tout ce qui crt bon. tout ce qui est saint, tout ce qui est apte à conduire à Dieu; eda seulement nous intéresse ; on étudie le reste dan* d autres école·. C’ait une science dont le dessein est moral et pratique. ·■ ' l*tî Il s'agit d peu do science humaine ou de spéculation sèche en matière thêologiqueou scripturaire, que N.B. Père demande à l’Abbé de distribuer > doctrine en môme letup par dc< paroles et par de: actes, et plus encore par l'oxmiple que par la pando (I). Il est d’expérience commune que nnu« en c »ηι·π plus par notre vie que par nos discours, et l’exemple, quel qu’il «rit, imprr i.»nne d'autant plus profondément qu’il tombe do plu* ha it Au ii le motif pour lequel N. B. Père réclame cette double forme de doctrine, cd-il pré· i-ément de rendre la vérité accessible à toute· 1 · r. ·<ι»··. r.-p.jr- >, chez qui l'intelligence est absolument droit·, confiante, d ’accord par avance avec la doctrine, chez qui la volonté c t résolue, active, tellomen» conjmmèe avec l’intelligence qu’elle va spontanément dm le ···«·■· de la lumière. Aces trempes finei. élevées »··. forte?, il ifiit do proposer le bien, de dire la pensée de Dieu, pour q ι · λ b y rangent d ••lie. - menus avec aisance et avec joie. Elles réali · nt un p a l'homme id»· d de Platon, chez qui le νή·χ est souverain. La lumière toujour- efficace. la vérité toujours décisive, qui ne fait le mal que malgré lui et par ignorance ; elles rappellent plutôt encore le type an -••i.pje E? -an vouloir faire un ange de chacun de nous, il est t lair p flirtant qued ms une communauté d’aujourd’hui ces âmes accue’dlantc> smt le plus grand nombre, parce que nous bénéficions d’un long pa -é de clin tùni ; c, de l’éducation, des conditions de la vie sacer­ dotale Mai- au temps de N. B. Père, on rencontrait des trempes frustes et de- esprits bornés, duri corde cl simpliciores. Pour ceux-là, s’il en est encore, la d mité de vie et la régularité de l’Abbé, le contact assidu d·· a pi· té vaudront toute- les exhortations. Même il est nécessaire d jouter que l’Abbé agit sur sa communauté non seulement par sa doc­ trine parlée et par ses exemples, mai.· encore par ses tendances, par sou v prit, par le motif profond de son action. C’est une sorte d’aimantation n rète, un entrainement auquel les âmes ne résistent pas; et c’est ainsi que peu à peu un monastère prend la physionomie de son Abbé. Saint Benoit ne dit rien explicitement du devoir de la résidence; mais il est (1) La recomnundati'fn est fréquente cbex les anciens; cf. S. Basil.. Rey. fus., xn i - S Nil, Apis/., |. III, £p, CCCXXXII, P. G,, LXX1X, 042. — Cass,, L'un,'ut XI, 1Y, . 48 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT bien évident que l’Abbé ne saurait enseigner et édifier s'il est sans cesso à courir les chemins. La question de savoir si le législateur est soumis à sa propre loi ne se pose pas ici ; l’Abbé n’est pas législateur, il est le gardien de la Règle, et envers elle il est deux fois redevable : pour l’observer en tant que moine, pour lafaire observer en tant qu’Abbé. Quelle autorité aura son enseigne­ ment le jour où sa parole sera d’un côté et ses actes de l’autre? Il n’y a pas seulement, dans cette contradiction flagrante, détriment et danger pour les religieux : saint Benoît ajoute qu’il y a pour lui un grave péril. Alors qu’il prêche aux autres le salut, ne va-t-il pas, lui-même, mériter la réprobation (I Cor., ix, 27)? Dieu soulignera, en prononçant la sen­ tence, tout ce qu’il y a d’odieux dans l’écart voulu entre les sévérités du moraliste et le relâchement scandaleux de sa propre conduite (Ps. xlly, 16-17; Matth., vu, 3). Non ab eo persona in monasterio discernatur. Non unus plus ametur quam alius, nisi quem in bonis actibus aut obedienlia invenerit meliorem. Non convertenti ex servitio praeponatur ingenuus, nisi alia rationabilis causa exsistat. Quod si ita, justitia dictante, Abbati visum fuerit, et de cujuslibet ordine id faciat; sin alias, propria teneant loca; quia sive ser­ vus, sive liber, omnes in Christo unum sumus, et sub uno Domino aequalem servitutis militiam bajulamus : Quia non est personarum acceptio apud Deum. Solum­ modo in hac parte apud ipsum discernimur, si me­ liores aliis in operibus bonis et humiles inveniamur. Ergo aequalis sit omnibus ab eo caritas; una prae­ beatur omnibus, secundum merita, disciplina. Saint Benoît envisage maintenant le gouvernement abbatial : il éta­ lilù blit, dans ce paragraphe, comment il doit être équitable ; il montrera, dans le suivant, comment il doit être mesuré et discret. Que l’Abbé ne fasse point acception de personnes : c’est le principe général. L’accep­ tion de personnes consiste à regarder, dans les œuvres de la justice dis­ tributive, non aux titres, aux droits, aux éléments de la cause, mais à la personne elle-même. L’Écriture met souvent l’homme en garde contre cette tendance au favoritisme et à des préférences injustifiées (1) ; et saint Benoît n'a eu qu’à développer une pensée familière aux anciens (1) Lev., xïx, 15 ;Prov.. xxiv, 23 ; Jac., π, 1 sq. — Cf. S. Th.. II* II**, q. lxih. CE QUE DOIT ÊTRE L'ABBÉ *9 législateurs monastiques (1). Ici encore, le pouvoir de l’Abbé doit se calquer sur celui de Dieu, car « il n’y a point chez Dieu acception de personnes » (Rom., ii, 11 ; Col., ni, 25) (2). Il faut noter toutefois que la ressemblance n’est pas complète. Dieu donne à chaque être sa nature, et il demeure pleinement libre dans la mesure des perfections surajoutées à cette nature : il donne à son gré ; et cette souveraineté est plus mani­ feste encore dans l’ordre surnaturel. Honnis contrat et promesse, Dieu est affranchi, quand il donne, de tous titres et de tous considérants. Mais il n’en va pas de même de l’Abbé, qui ne pose point comme Dieu dans la personne préférée ce qui justifie la préférence, et ne peut que reconnaître les titres réels à une distinction. L’équité de l’Abbé portera sur deux pointa : la préférence intérieure et privée, la préférence extérieure et publique, celle qui se traduit dans l’ordonnance hiérarchique du monastère ou la désignation aux offices. Les motifs tirés de la sympathie naturelle, de la parenté, de la communauté d’origine, sont des titres insuffisants à une distinction quelconque. De même il ne suffit pas du tout qu’un homme soit de relations agréables, bien élevé, de noble extraction, qu’il ait occupé autrefois une haute situation, pour être par cela même appelé à une grande charge ; et l’âge ne suffit pas non plus. Ici, la responsabilité de l’Abbé est plus gravement engagée que lorsqu’il s’agit de préférences strictement personnelles. Afin d'être complet, ajoutons que l’Abbé ne doit jamais laisser s’établir à côté, de lui, dans une personne ou dans un groupe, un pouvoir étranger qu’il subisse ou avec lequel il lui soit nécessaire de compter. Le péril peut exister si l’Abbé est de caractère impressionnable, un peu faible, ou s’il se fait vieux. Grâce à l’abdication partielle du pouvoir, un certain senti­ ment vague d’insécurité et de trouble se glisse çà et là dans les esprits. D'instinct, nous aimons mieux obéir à un homme qu’à plusieurs. L’Abbé est responsable, lui tout seul ; c’est à lui, et non aux influences éventuelles, que se sont confiés ses enfants. H doit avoir sa pensée, il doit savoir ce qu’il veut, y marcher avec douceur, sans se laisser détourner ni par sym­ pathie et sotte tendresse, ni par pusillanimité, ni par fatigue. Le motif élevé pour lequel tous ont le même droit radical à l’affec­ tion de l’Abbé est emprunté par N. B. Père à saint Paid (I Cor., xn, 13 ; Gal., ni, 28). Hier encore avant le baptême et dans la vie séculière, il y ill U avait un Juif et un gentil, un Grec et un Barbare, un homme libre et un esclave, un homme et une femme ; mais, depuis que nous avons été portés par le baptême et par la foi en Notre-Seigneur Jésus-Christ, toutes ces distinctions s’évanouissent ; et malgré la diversité de nos conditions individuelles, malgré la pluralité de nos natures, nous sommes tous (1) Par exemple: Peg. I SS. Patrum, xvi; Peg. Orientalis, i; surtout la Lettre de S. Césaire, ad Oratoriam Abbatissam (IIolstenius, op. ril.t P, III, p. 31-32), (2) Cf. Deut., x, 17 ; Job, xxxiv, 19. 50 COMMENTAIRE SUE LA RÈGLE DE SAINT BENOIT un en Noire-Seigneur Jésus-Christ. C’est partout la même filiation divine, c’est le même sang qui circule dans toutes les veines, c'est le même nom, le même Esprit, la même nourriture, la même vie. Et ce nivelle­ ment s’est accompli non par la diminution d’aucun, mais par l’éléva­ tion de tous à la taille du Seigneur : in mensuram aetatis plenitudinis Christi (Eph., tv, 13). C’est partout même liberté et même noblesse; c’est partout aussi lamênie servitude glorieuse qui vaut tous les royaumes (I Cor, vu, 22). Dans la société naturelle, les distinctions de caste sub­ sistent encore; mais elles disparaissent dans la société toute surnaturelle qu’est la famille monastique. Nous ne sommes tous que des soldats accompb'ssant le même service sous l’étendard d’un même Seigneur. L’Abbé ne doit voir les siens que comme Dieu les voit. Et c’est toujours le même principe qui permettra à l’Abbé de ne pas prendre à la lettre et matériellement le précepte : Non al· eo persona in monasterio discernatur. On ne lui demande pas de faire passer sur tous un niveau rigoureux, de viser à l'égalité mathématique, de distribuer les charges au hasard. Dans le monde nouveau où tous sont égaux et un, Dieu lui-même use de discernement et de distinction : sa tendresse va vers ceux qui ressemblent davantage à son Fils, qui sont plus profondé­ ment entés en lui ; ses confiances ne sont pas les mêmes pour tous, car il y a des fonctions multiples à remplir dans le grand corps de Γ Église, et elles exigent des aptitudes variées. L’Abbé pourra donc témoigner plus d’affection à celui qu’il croira meilleur, c’est-à-dire, précise saint Benoît, à celui qui sera plus obéissant, plus humble, plus riche en bonnes œuvres. La raison de l’affection, c’est la beauté : là où il y a beauté plus grande, il y a titre à pins d’affection. Encore faut-il que l’Abbé se garan­ tisse de l’illusion. Mais ceci ne regarde que sa conscience. Il donnera de même les charges à son gré, mais à condition de veiller à ce qu’il y ait adaptation, proportion réelle entre un office et son titulaire. Une cause raisonnable, le mérite, la justice, pourront lui permettre de faire quelques exceptions à la loi de l’ordre hiérarchique telle que la définira le cha­ pitre LXHI, à la règle qui veut que chacun occupe la place correspon­ dant à son entrée en religion. L’homme libre ou de sang noble, ingenuus, n’aura point, en tant que tel, le pas sur celui qui vient du servage ; mais d’antres motifs pourront le désigner au choix de l’Abbé : sa noblesse d’hier ne saurait être un déshonneur. La roture non plus n’en est pas un ; et quel qu’ait été le rang social d’un moine, celui-ci pourra devenir l’objet d’une distinction justifiée : (t de cwjuslibet ordine id faciat. Niais le principe général subsiste : même affection pour tous, même ligue de conduite à l’égard de tous, en tenant compte d’ailleurs du mérite de chacun {disciplina a, dans la Règle, des significations diverses) (1). (1) Ce paragraphe de N. B. Père nous rappelle un passage de S. Jérôme : Nés il CE QUE DOIT ÊTRE L’ABBÉ 51 In doctrina namque sua Abbas apostolicam debet illam semper formam servare, in qua dicitur : Argue, obsecra, increpa. Id est, miscens temporibus tempora, terroribus blandimenta, dirum magistri, pium patris ostendat affectum : id est, indiscipli­ natos et inquietos debet durius arguere; obedientes autem, et miles et patientes, ut melius proficiant, obsecrare; négligentes autem et contemnentes, ut increpet et corripiat, admonemus. Neque dissimulet peccata delinquentium, sed mox ut coeperint oriri, radicitus ea, ut praevalet, amputet, memor periculi Heli sacerdotis de Silo. Le gouvernement de l’Abbé doit être équitable : mais il ne le sera qu’à la condition d’etre judicieux. On pourrait fort mal entendre la recom­ mandation d’équité. H en est qui ont condensé leurs expériences, sou­ vent d’ailleurs superficielles et réduites, en quelques principes pra­ tiques, en formules simples et d’une application facile. Pour résoudre tous les cas concrets qui se présentent, ils appliquent la formule, brutale­ ment. La méthode est unique et invariable. Elle laisse la conscience en repos, parfois même lorsque la mesure devient meurtrière. Nous sommes tous, plus ou moins, prisonniers de notre personnalité : c’est à travers nous que nous voyons tous les autres; nous nous persuadons que les procédés qui nous ont réussi doivent servir à tous. On ne peut cependant pas traiter l’être vivant comme une abstraction ; les hommes ne sont pas non plus une matière à expériences ; chacun d’eux est un petit monde. Au lieu de le faire entrer d’emblée dans notre système, de l’emprisonner dans notre moule mental, il vaudrait mieux lier connaissance avec lui, voir ce qu’il a dans le cœur, comment il pense, co illït ent il veut, comment il souffre. La vraie méthode, ici, est peut-être de n’en avoir pas. Puisque l’Abbé est dépositaire du pouvoir de Dieu, il doit imiter cette discrétion et cette souplesse de la Providence qui dispose tout avec autant de douceur religio nostra personas accipere nec conditiones hominum, sed animos inspicii singulo­ rum. Servum et nobilem de moribus pronuntiat. Sola apud Deum libertas est, non servire peccatis. Summa apud Deum est nobilitas, clarum esse virtutibus... Frustra sibi aliquis de nobilitate genens applaudit, cum universi paris honoris ei ejusdem apud Deum pretii sint, qui uno Christi sanguine sunt redempti; nec interest qua quis conditione natus sit, cum omnes in Christo aequaliter renascamur. Nam et si obliviscimur quia ex uno omnes generali sumus, saltem id semper meminisse debemus quia per unum omnes regeneramur [Fpist. CXLVIII ad Celantiam, 21, P. L., XXII, 1214). 52 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT que de force, et qui, selon la parole de la théologie, s’adapte merveil­ leusement à la condition de nos natures individuelles : Unicuique providet Deus secundum modum suae naturae. In doctrina sua : c’est, en général, l’enseignement pratique, la direction et le gouvernement des âmes ; mais saint Benoît a surtout en vue le devoir de la correction. H se réfère aux conseils que ΓApôtre donnait à Timothée : Praedica verbum; insta opportune, importune; argue, obsecra, increpa in omni patientia et doctrina (II Tim., iv, 2). Reprenez, conjurez, réprimez : ce sont trois attitudes diverses, nécessitées par la diversité même des caractères auxquels s’adresse la correction (1), et appropriées aux trois catégories d’esprits que N. B. Père énumérera, quelques lignes plus loin : pour la première on reprend, pour la seconde on exhorte, pour la troisième on réprime et on punit. Mais, avant d’en venir au détail de ces attitudes, saint Benoît rappelle à l’Abbé la variété et la com­ plexité de son rôle. Miscens temporibus tempora : l’expression est difficile­ ment traduisible; elle indique que l’Abbé doit mesurer son action aux circonstances de temps, de lieu, de personne, se conduire selon les con­ jonctures, se rappeler qu’il y a un temps pour toutes choses (Eccl., ni), user tantôt de sévérité et tantôt de douceur, calquer en un mot ses dis­ positions sur les dispositions variables de chacun. Les paroles qui suivent expliquent bien la pensée de saint Benoît : l’Abbé mêlera les caresses aux menaces, il montrera tantôt les sentiments de sévérité du maître et tantôt ceux plus affectueux du père (2). C’est afin d’aider l’Abbé dans le discernement des esprits que N. B. Père les répartit en trois classes. Indisciplinatos et inquietos (3) : des esprits indisciplinés et inquiets, non qu’ils soient formellement rebelles à la discipline, mais parce qu’ils sont, comme les enfants, mobiles et remuants. Ds promettent et ne tiennent pas ; c’est à recommencer tou­ jours. L’intelligence chez eux est insuffisamment développée, et ils n’obéissent qu'aux impulsions sensibles ; l’intelligence d’autrui viendra à leur secours ; et on prendra par leur sensibilité ceux qui ne sont abordables que par là. De telles natures doivent sentir le joug, et elles seront d’autant moins tentées de révolte qu’elles expérimenteront davantage la force delà discipline. Avec elles il faut parler haut et clair, et parfois ne pas se contenter d’exhortations, comme • HU il sera dit bientôt. La tâche est plus aimable avec « les obéissants, les doux, les patients » ; et, grâce à Dieu, ce sont les plus nombreux. H n’est besoin que de les solliciter paternellement, de les encourager au bien et au mieux. C’est le (1) ... Dicente Apostolo : Argue, obsecra, increpa,cum omm patientia et doctrina... Decernendum est αδ illo qui praeest, qualiter circa singulos debeat pietatis affectum mon­ strare, et qualiter tenere debeat disciplinam (Reg. I SS. Patrum, v). (2) Cf. S. Basil., Reg. fus., xuii ; Reg. ctmlr., χχιπ. (3) Deux mots de S. Basile (jieg. conlr., xcviii) : Tanquam inquietus et indi­ sciplinatus confundatur. CE QUE DOIT ÊTRE L’ABBÉ 53 caractère propre des vrais moines d’avoir l’oreille fine, de comprendre à demi-mot et de se ranger à une simple indication, épargnant ainsi à l’Abbé le désagrément d’une mercuriale. Elle est pourtant indispensable, dit saint Benoît, lorsqu’il s’agit des négligents de parti pris et des méprisants résolus et systématiques. Ces gens-là sont dangereux, parce qu’ils exercent toujours une influence néfaste, non pas sur les moines qui tiennent fermement à Dieu, mais sur les trempes un peu oscillantes, distraites, de formation inférieure; ils sont pour tous d’ailleurs un agacement et une gêne. Négligentes et con­ temnentes : leur vie d’hier s’est dépensée dans une longue inobservance, et leur vie d’aujourd’hui y demeure fixée; essayez de vous attaquer à cette seconde nature, vous serez surpris de rencontrer une énergie sau­ vage, là où vous croyiez que le fond du caractère était la mollesse. Ds dépensent, à défendre leur relâchement contre les eSorts de l’Abbé et contre la visible réprobation des frères, plus de vigueur qu’il n’en faudrait pour se mettre résolument à la Règle. Ou bien ils cèdent à une dis­ position aigre et mécontente, à l’esprit de contradiction ; il leur est tombé dans l’âme une goutte de fiel de trop. H est des esprits ainsi construits qu’ils sont toujours amoureux de la solution qui n’a pas prévalu : c’est très beau, je le veux bien, de se faire le paladin de tout ce qui ne réussit pas, c’est parfois bien encombrant aussi. Ailleurs, c’est la conviction profonde que l’on est incompris ; personne dans la communauté ne rend suffisante justice à notre valeur et à nos services. Sans doute le penchant secret de tout le monde est de s’estimer beaucoup, mais il est des natures qui s’estiment uniquement. Leur vie se dépense à discuter. Elles ont une opinion faite sur chaque choso et naïvement se persuadent avoir raison toujours, à propos de tout et contre tous. Jamais l’idée ne leur est venue que l'adversaire pouvait avoir un peu raison,lui aussi, et que leur infailli­ bilité personnelle pouvait se trouver légèrement en défaut. A cette bane de leur esprit c’est la communauté entière qui comparaît : ils l’enveloppent d’un jugement hautain et sommaire, quelquefois d’un qualifiettif inju­ rieux. Notez que ce sont le plus souvent ceux qui, dans le monde, eussent été incapables de se gouverner sagement, leur judiciaire étant régulière­ ment absente et leur tempérament les portant à toutes les maladresses. Ils ont été accueillis avec bonté, avec pitié; ils arrivaient meurtris et malades : on a fait déborder pour eux la mesure de l’indulgence. Et sou­ dain les voilà investis de la compétence et de l’habileté qui leur man­ quaient : ils critiquent, ils prononcent, ils réforment 1 Saint Benoît avertit l’Abbé de les aborder avec résolution et de les réprimer avec force. N. B. Père ne s’est pas dissimulé d’ailleurs le côté pénible d’une telle mission. C’est toujours chose embarrassante que d’aborder de front les inobservants, de les saisir à la gorge et de leur dire comme Nathan à David : Tu es ïlle vir, Il est si bon de ne pas se créer d’affaires et de vivre S4 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT tranquille.’ Et puis on se dit : Mais cela ne servira à rien. J’en ai parlé déjà. C est un rôle de Cassandre que d’en reparler encore. J’aurai une scène, des larmes, huit jours de mauvaise humeur obstinée, une fermen­ tation nolente de pensées révolutionnaires, peut-être le désir de rom [ire avec une vie devenue intolérable. Alors s’établit cette redoutable situa­ tion : d’un côté, la timidité et la réserve ; de l’autro, une attitude de défense, de défiance, et la disposition « de l’aspic, qui est sourd et qui se bouche les oreilles de peur d’entendre». H n’y a pas pour une âme de pire malheur que celui d’avoir forcé la vérité à se taire, d’avoir pour ainsi dire décou­ ragé Dieu, qui désormais garde un effrayant silence et ne s’irrite même plus. Les prétextes ne manqueront pas à l’Abbé pour justifier son mutismo. La théologie morale n’admet-elle pas qu’il est des circonstances où mieux vaut refuser la lumière, parce que le seul résultat de l'avertisse­ ment serait de convertir un péché matériel en péché formel? Sans doute ; mais la même théologie reconnaît que ce droit à la réticence n’existe plus, toutes les fois qu’il y aurait pour la communauté détriment, scandale on déshonneur. L’Abbé ne peut pas fermer systématiquement les yeux : neque dissimulet peccata delinquentium (1) ; il est tenu de parler et de faire son devoir, alors même que les autres ne feraient pas le leur. Une parole qui est accompagnée de la grâce et trempée de charité produit toujours son œuvre. Même, saint Benoît demande que l’Abbé ne temporise pas, qu’il n’attende pas d’être absolument contraint par l’urgence du péril : dès que les mauvaises habitudes commencent à poindre, il doit les retran­ cher vigoureusement et jusqu’à la racine : radicitus amputet (2). < c4 la vraie miséricorde (3). Ut praevalet est traduit diversement : tantôt a ce qui vaut mieux », ou bien «autant qu’il est en son pouvoir » ; plutôt « puisqu’il al’autorité, qu’il l’a reçue pour cela ». Afin de déterminer l’Abbé, N. B. Père l’invite à se souvenir de l’his­ toire tragique d’Héli (I Reg., n-iv). Le grand prêtre n’avait point ménagé les avertissements à ses fils dépravés ; mais il avait le pouvoir, et le Seigneur exigeait de lui non seulement la réprimande, mais l’ampu­ tation réelle et l’exécution. On sait les conséquences de sa faiblesse : une sanglante défaite d’Israël, la mort des coupables, sa mort à lui, la pro­ fanation de l’arche sainte tombant aux mains des ennemis, l’ignominie de la race. Les fautes tolérées doivent être expiées tout comme les autre ·, mais c’est la famille entière qui expie. Si voilée que soit la menace, la responsabilité de l’Abbé est cependant nettement saisie. Les maisons monastiques meurent rarement de faim ; elles meurent de blessures non soignées, de blessures où l’on ne verse ni le vin qui fortifie, ni l’huile qui (1) Dissimulas peccata hominum (Sap., xi, 24). (2) ... Radicitus amputavit (Cass., Conlat. XVI, vi). (3) CI, S, Basil, Reg. fus., xxrv, xxv ; Reg. conlr., xvu, xxn. CE QUE DOIT ÊTRE L'ABBÉ 55 adoucit, do blessures qui s’étendent et se gangrènent. Et s’il reste quelque chose de ces maisons, ce n’est qu’un rejeton misérable et chétif, dont le Seigneur ne consentira plus à se servir (1). Et honestiores quidem atque intclligibiles animos prima vel secunda admonitione verbis corripiat ; im­ probos autem et duros ac superbos vel inobedientes, verberum vel corporis castigatione in ipso initio peccati coerceat, sciens scriptum : Stultus verbis Percute filium tuum virga, cl liberabis animam ejus a morte. non corrigitur. Et iterum : L’Abbé se résignera donc à corriger. Encore faut-il qu’il le fasse avec sagesse, sans se laisser emporter par son tempérament ou par son zèle; saint Benoît le lui répète, en précisant quelle doit être la nature de cette correction, dont il n’a parlé encore que d’une manière trop générale. Il ne se souvient plus que do deux groupes d’esprits, mais qui coïncident avec les trois précédents. On n’en viendra pas tout de suite aux sévérités avec les natures fines et capables d’intelligence : la réprimande verbale suffira, une première et une seconde fois. Mais ceux qui sont de trempe servile, durs de cœur ou violents, superbes et réfractaires, c’est par les verges ou tout autre châtiment corporel qu’il faut les dompter, et dès que commence à se révéler l’habitude mauvaise. N. B. Père fournit aussitôt la raison de ces répressions vigoureuses : « Celui qui manque d’intelligence ne peut être corrigé par des paroles. » C’est un souvenir des Proverbes (xvm, 2 ; xrc, 19). L’Écriture sainte considère que l’enfant a droit à la correction : il faut la lui assurer, '■ comme on lui assure la nourriture ; après tout, il n’en mourra pas : il vivra au contraire de la vraie vie : Noli subtrahere a puero disciplinam; si enim percusseris eum virga, non morietur. Tu virga percuties eum et animam ejus de inferno liberabis (Prov., xxin, 13-14). Qui parcit virgae odit filium suum {Ibid., xiii, 24). Dans le De institutione oratoria, Quintilien, le. précepteur des petits-neveux de Domitien, voulait que l’enfant fût accoutumé à la vertu avant même de savoir ce que c’est. H faut créer en lui des couples mentaux : le bien a d’abord été pour nous ce qui se traduisait en caresses et en friandises, le mal co qui entraînait le (1) Ce que saint Benoît dit ici de la correction a fourni la matière du troisième livre de la Uegula Pastoralis do S. Grégoire le Grand ; tout l’ouvrage d’ailleurs n’est que je commentaire élargi de ce chapitre u. 56 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT pain sec, le fouet ou la retenue. Ne rougissons pas de ces humbles ori­ gines de notre être moral. Il n’est pas impossible que l’abaissement universel des caractères tienne à une certaine absence de virilité dans la répression. Lorsque l’enfant n’a pas sept ans, pourquoi le punir : il est si jeune ! Quand il en a huit, pourquoi le punir : il est si grand 1 De la sorte, il est toujours trop tôt ou trop tard pour apprendre à l’enfant ce qu’est le devoir et quelle est la part de mortification qui entre nécessairement dans le concept do la vie chrétienne ; on fait ainsi des tyrans et des petits monstres. Depuis saint Benoît, les carac­ tères et les coutumes ont changé. Il y a sans doute dans les monas­ tères d’aujourd’hui moins d’enfants et de barbares que de son tenjps ; et en tout cas l’usage des verges et de la prison, très en honneur pen­ dant de longs siècles monastiques, a disparu de nos mœurs. On ren­ contre pourtant encore des enfants gâtés, des violents et des rebelles, pour lesquels certains châtiments corporels seraient souverainement bienfaisants. L’Abbé se souviendra néanmoins de la formule du chapitre LXI\ : Prudenter et cum caritate ea amputet, prout vident cuique expedire. Les ômes ont plutôt besoin d’être portées que poussées. Le monastère n est pas une fournaise, dont l’Abbé, comme un cyclope, attise le feu. La réforme des passions et le développement de la vie surnaturelle ne s’obtiennent pas par une série de procédés violents et rapides. Il y a chez les âmes — et chez Dieu — des lenteurs que doit respecter l’Abbé. Meminisse debet semper Abbas quod est, memi­ nisse quod dicitur, et scire quia cui plus commit­ titur, plus ab eo exigitur; sciatque quam difficilem et arduam rem suscepit, regere animas, et multo­ rum servire moribus. Etaliumquidem blandimentis, alium vero increpationibus, alium suasionibus, et secundum uniuscujusque qualitatem vel intelligentiam ita se omnibus conformet et aptet, ut non solum detrimenta gregis sibi commissi non patiatur, verum etiam in augmentalione boni gregis gaudeat. H est dit de Moïse, au livre des Nombres, qu’il était le plus doux de la terre; et pourtant, à certaines heures, il est visible que la mesure débordait. Mais il avait le sens très élevé et très surnaturel de ne manquer de patience que devant le Seigneur. Cela lui arriva aux Sepulcra concu­ piscentiae, lorsque le peuple, fatigué de la manne, se mit à se lamenter et CE QUE DOIT ÊTRE L’ABBÉ 57 à larmoyer, au souvenir des bons poissons qu’on mangeait en Égypte. Le Seigneur s'irrita, et à Moïse aussi la chose parut intolérable. Et il dit au Seigneur : Cur imposuisti pondus universi populi hujus super me? Num­ quid ego concepi omnem hanc multitudinem, vel genui eam, ut dicas mihi : porta eos in sinu luo, sicut portare solet nutrix infantulum...? Non possum solus sustinere omnem hunc populum, quia gravis est mihi. Sin aliter tibi videtur, obsecro ut interficias me (Num., xi). On dirait que saint Benoît a pressenti qu’un mouvement de secrète protestation pouvait aussi s’élever dans le cœur de l’Abbé, à la vue du programme vraiment surhu­ main qui vient de lui être si complaisamment détaillé. Et il semble qu’à cet endroit la Règle aurait pu glisser, selon sa coutume, une parole d’en­ couragement, atténuer et calmer par une formule rassurante les soucis de l’Abbé : mais saint Benoît est sans ménagement pour lui, et toute la finale du chapitre n’a d’autre intention que de le maintenir de force dans l’austère contemplation de son devoir. En effet, dit saint Benoît, votre charge est lourde. Rappelez-vous sans cesse ce que vous êtes, rappelez-vous le nom qu’on vous donne : vous êtes Abbé, et on vous appelle Père. Vous n’êtes pas un prince, ni un grand seigneur, ni un administrateur civil : vous êtes Père. Toute cette famille est vôtre. Dieu vous l’a confiée, comme un dépôt cher à son cœur, et devant lui les âmes ont une valeur infinie. Celui qui est le maître de notre -sue l’emploie à son gré : vers les uns vont ses tendresses, vers les autres ses confiances ; il y a la vocation de Jean, si douce et si simple; il y a la vocation de Pierre ; nous ne choisissons pas. Que l’Abbé se sou­ vienne aussi du jugement de Dieu : ses confiances sont des comptabi­ lités. Dieu ne donne pas aux hommes pour qu’ils se fassent un jouet de ses cadeaux ; l’autorité, l’influence, la richesse sont des talents confiés, et dont il nous réclamera l’intérêt en termes rigoureux et juridiques : on vous a confié davantage, on exigera de vous davantage (Luc, xn, 48) (1). Et que l’Abbé sache combien est difficile et ardue la charge qu’il a reçue de gouverner les âmes et de se faire le serviteur de tous en se pliant aux mœurs de chacun. Souvent même les hommes ne semblent guère soucieux d’alléger son fardeau ; dans un monastère, toutes les passions immortifiées et devenues ainsi causes de souffrance se déchargent comme naturellement sur l’Abbé. Mais saint Benoît ne songe point à ce surcroît irrégulier ajouté à sa tâche : selon lui, elle est délicate d’abord parce qu’elle concerne des âmes. Dans un être matériel, les réactions sont connues d’avance et elles échappent au caprice; mais une nature spirituelle n’agit point mécaniquement ; il faut lumière et patience pour la bien connaître et pour composer avec elle. Si encore toutes les âmes (1) Saint Benoît a pu s’inspirer ici immédiatement de la Doctrina S. Orsiesh, xv (voir la note de D. Butler); ou de S. Jérôme, Epist. XIV,9. P. L, XXII, 353; ou de S. Augustin, Quaestiones in Hcptat., 1. III, xxxl P. L·, XXXIV, 6S9-GSO. r 58 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT se ressemblaient ! Mais des causes multiples et d’ordre sensible concourent à faire de chacune d’elles quelque chose de très personnel : l’hérédité, une première pulsation vitale donnée par fame au corps qui commence avec elle et déterminant en quelque sorte toute l'allure de notre vie, l’appar­ tenance subie ou voulue aux influences animales, c’est tout cela qui crée notre tempérament. Le programme de chaque âme est de se libérer, de se racheter des influences sensibles, par l’éducation, par l'effort vigoureux, par la vie surnaturelle qui confisque l’activité entière au profit de Dieu. L’autorité de l’Abbé nous est donnée précisément pour nous aider à conquérir cette possession de nous-mêmes. C’est à lui à proportionner son action aux dispositions morales de tous. L’un a besoin de bonnes paroles et de caresses, l’autre de réprimandes et de châtiments, un troisième d’exhortations persuasives : en un mot, chacun doit être traité selon sa trempe, selon son degré d’intelligence. Rien ne marque mieux la physionomie familiale du monastère que cette insistance de saint Benoît à exiger de l’Abbé qu’il connaisse tous les siens et conduise individuellement chacun d’eux. C’est là encore ce qui limite la composition numérique d’une commu­ nauté : car si les moines sont multitude, l’Abbé ne sera plus qu’un général en chef, auteur d’un plan sommaire dont les officiers assureront l’exécution. H n’est point défendu pourtant à l’Abbé de songer à l’aug­ mentation numérique de son troupeau. Et c’est bien d’un accroissement de quantité, augmentât™, que parle N. B. Père, en suggérant d’ailleurs aussitôt l’idée d’accroissement en vertu : boni gregis. Comprenons bien sa pensée. Lorsqu'il recommande à l’Abbé la démission de soi et la condescendance habile au prix desquelles il ne souffrira nid dommage dans ses brebis, ce n’est pas une promesse qu’il lui fait, ni un résultat assuré qu’il énonce; il lui indique seulement les intentions qui doivent diriger sa conduite. L’Abbé pourrait-il espérer un succès que le Seigneur lui-même n’a pas obtenu? H est des âmes que ni la patience, ni la ten­ dresse, ni la sévérité ne peuvent vaincre, et pour lesquelles on ne peut plus que prier et souffrir. Saint Benoît, semble-t-il, dit à l’Abbé : Vous voulez vous réjouir de l’accroissement d’un troupeau fidèle? Soignez bien les âmes qui vous sont confiées, occupez-vous de ce que vous avez : vous obtiendrez ainsi ce que vous n’avez pas encore. Les monas­ tères fervents se recrutent d’eux-mêmes, et beaucoup plus par la bonne odeur de leur observance que par des procédés humains et'des provoca­ tions indiscrètes. Dieu dispose de telle sorte les événements et les cœurs que sa famille s’accroît sans cesse ; et si parfois le recrutement languit ou s'arrête, il ne faut pas perdre confiance : comme aux origines de Cîteaux, un saint Bernard surviendra, avec de nombreux compagnons. CE QUE DOIT ÊTRE L’ABBÉ Ante omnia, ne dissimulans aut parvipendens salutem animarum sibi commissarum, plus gerat sollicitudinem de rebus transitoriis et terrenis atque caducis; sed semper cogitet quia animas suscepit regendas, de quibus et rationem redditurus est. Et ne causetur forte de minori substantia, meminerit scriptum : Primum quaerite regnum Dei et justitiam ejus, et haec omnia adjicientur vobis. Et iterum : Nihil deest timentibus eum. La sollicitude de l’Abbé ne s’égarera point dans de fausses directions. Elle, ne se laissera pas distraire par la préoccupation exagérée du recrute­ ment, ni par le souci des questions financières et matérielles. Sur ce dernier point, la tentation peut être plus pressante et plus perfide; c’est pourquoi N. B. Père insiste davantage. Car, enfin, il faut vivre, il faut grandir, il faut payer ses dettes, il faut bâtir. Et, pour cela, il faut se faire connaître, se créer de hautes et fructueuses relations, écrire des livres et les vendre, faire valoir les tenes du monastère, acheter du bien, que sais-je? rentrer, en un mot, dans une multitude d’affaires auxquelles il semblait qu’on avait renoncé par l’état religieux. U est sûr que l’Abbé ne saurait se désintéresser des finances du monas­ tère sans imprudence et sans une espèce de trahison : il est redevable lüu à la communauté de sa vigilance et de son effort sur ce point. H suffit, pour le comprendre, de réfléchir aux maux sans nombre qu’amène l’in­ curie ; il n’est aucunement souhaitable à l’honneur religieux de passer par la faillite. Et non seulement il faut vivre, mais une certaine aisance est indispensable pour que tout aille bien et pour que les moines restent fidèles à la pauvreté. Le désordre, les dépenses excessives, les dilapida­ tions, l’insouciance du lendemain, ne sauraient être considérés comme la forme authentique d’un gouvernement abbatial. Aussi bien, ce que réclame saint Benoît, c’est que le soin des intérêts matériels n’entraîne jamais l’Abbé à négliger ou à traiter comme chose secondaire, et dont on se décharge volontiers sur d’autres, la formation et le salut étemel des «âmes qui lui sont confiées : dissimulans aut parvi­ pendens. Les âmes sont la vraie richesse du monastère, et que valent, comparées à elles, ces choses « transitoires et terrestres et caduques (1) »? (1) (Prima causa) discidii, quae nasci solet de rebus caducis atque terrenis (Cass., Coniat. XVI, ix). ■’ ■* > 60 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOÎT Sans doute, l’Abbé doit être un administrateur avisé des biens temporels, puisqu'ils ont un caractère sacré du fait de leur appartenance au Seigneur ; mais les âmes sont à Dieu bien davantage, et c’est d’elles aussi, d'elles surtout, qu’il devra rendre compte : Sed semper cogitet quia animas suscepit regendas, de quibus ei rationem redditurus est (1). Et, pour que l’Abbé ne soit pas tenté d’alléguer la modicité des res­ sources du monastère, qu’il se souvienne de ce qui est écrit en saint Matthieu (vr, 33) et dans le psaume xxxni (10). Dieu s’est engagé. Si la maison est fervente, les ressources comme les postulants, viendront, à l’heure de Dieu et dans la mesure voulue par lui. Aux monastères fidèles et qu’il aime, le Seigneur donne le nécessaire ; quelquefois un peu moins, de peur que l’aisance n’incline les moines et l’Abbé à se dispenser de la confiance en Dieu. Les mondains nous demandent : N’est-il pas vrai que certaines expressions du chapitre vr de saint Matthieu semblent excéder les lois de la prudence humaine? quel est donc leur sens véritable? — Celui-ci : Dieu veut nous induire à la confiance et marquer que nulle préoccupation ne doit prévaloir sur elle; il sc sert, dans ce dessein, de divers exemples propres à l’inspirer, mais sans nous dire pourtant que nous sommes dispensés d’agir : au fond, les Ils et les oiseaux sont actifs. Nous pouvons bien croire aussi qu’il y a des délicatesses que le monde ne saurait saisir, des conseils évangéliques qui ne peuvent se réaliser que dans le monastère, plus affranchi des conditions créées, appartenant davantage à Dieu. Et c’est à raison de la juridiction éminente exercée par la Providence sur ceux qui sont à elle, que la confiance devient une loi, plus encore peut-être que la prudence : car, après tout, la confiance est vertu théologale, la prudence vertu morale seulement ; et, tandis que je ne suis pas obligé d’observer semper el pro semper la prescription de la prudence, jamais je ne suis dispensé de la confiance absolue. Sciatque quia qui suscepit animas regendas, praeparet se ad rationem reddendam. Et quantum sub cura sua fratrum se habere scierit numerum, agnoscalpro certo quiain die judicii ipsarum omnium animaruiuestredditurus Domino rationem, sine dubio addita et suae animae. Et ita timens semper futuram discussionem pastoris de creditis ovibus, cum de alienis ratiociniis cavet, redditur de suis sollicitus. (1) Semper cogitani (praeposita) Deo se pro vobis reddituram esse rationem (S. Aug.. Epiri. CCXI, 15. P. L, XXX111,9G5). — Doth, S. Ohsiesu, xl CE QUE DOIT ÊTRE L’ABBÉ 61 Et cum de admonitionibus suis emendationem aliis subministrat, ipse efficitur a vitiis emendatus. N. B. Père ne craint pas les répétitions lorsqu’il s’agit de rappeler à l’Abbé le prix des âmes, le caractère délégué de son pouvoir, le sévère jugement qui l’attend. Alors qu’au tribunal de Dieu chacun répondra pour soi, l’Abbé répondra et pour lui-même, et pour toutes les âmes qui ont été remises à sa sollicitude, pour chacune d’elles en particulier : ceci est incontestable, indubitable, pro certo, sine dubio. Il faudrait être insensé ou avoir perdu la foi pour ne pas être impressionné par des affirmations comme celles-là. Il faudrait aussi une forte dose d’illusion pour désirer charger ses épaules d’un pareil fardeau et surajouter aux problèmes de son âme les problèmes de l’âme d’autrui. Puisque l’Abbé a consenti, sur l’invitation de Dieu, à se faire le servi­ teur de tous ; puisque son pain quotidien est le travail, le souci, la souf­ france, il a bien quelque droit à la prière des siens et à leur pitié. C’est au nom de la responsabilité assumée par les prêtres et par les évêques que l’apôtre saint Paul, dans un texte dont se souvenait sans doute N. B. Père, supplie les chrétiens de rendre, en obéissance et en docilité aimante, ce qu’ils reçoivent de dévouement et de bienfaits : Obedite praepositis vestris et subjacete cis : ipsi enim pervigilant, quasi rationem pro animabas vestris reddit.ri, ut cum gaudio hoc jaciant et non gementes: hoc enim non expedit vobis (Hebr., xnr, 17). Rendez l’exercice de leur charge facile et doux ; faites qu’ils la remplissent avec joie et non avec tristesse, car cela ne vous serait nullement avantageux à vous-mêmes ; la fatigue que cause à l’Abbé une communauté difficile et grondeuse se traduit toujours pour elle en un gros détriment. S’il est vrai que les Abbés font leurs moines, il est sûr que les moines font leur Abbé et que le monastère est une école de sanctification mutuelle. Les deux dernières phrases de ce chapitre le rappellent à l’Abbé, sinon pour le rassurer, car elles sont austères encore, du moins pour fortifier son courage. La pensée constante de l’examen que le pas­ teur (1) devra subir un jour au sujet des brebis qui lui ont été confiées, le soin qu’il apporte à mettre en règle les comptes d’autrui le rendront plus attentif à son compte propre : le premier bénéfice de sa charge sera donc pour lui un accroissement de vigilance intérieure. Le fait seul d’avoir à porter d’autres âmes l’invite tout naturellement à veiller sur lui. On se laissait peut-être aller un peu lorsqu’on n’était que soi ; mais on s’observe davantage lorsqu’on est père de famille, lorsqu’on est le lieutenant de Dieu, lorsque des faiblesses comme celles d’autrefois 1) 11 s’agit plutôt ici de l’Abbé que du Pasteur divin. 62 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT auraient désormais une portée redoutable et un retentissement chez autrui. Obligé de procurer par ses instructions l’amendement des autres, l’Abbé s’affranchira en même temps de ses propres misères et redoublera de fidélité dans sa vie. Ceux pour qui l’exercice de la parole est autre chose qu’un vain amusement, sont les tout premiers à en recueillir le fruit. Nous aimons l’harmonie et la continuité morale; et sous cette influence, plus encore que pour nous éviter le Medice, cura ieipsum, nous travaillons peu à peu à rétablir l’accord entre nos enseignements et nos actes. Il est, pour l’Abbé, une plus grande compensation, dont saint Benoît ne parle pas : c’est l’avantage que procure le contact assidu avec les âmes qui sont bonnes. Ce contact est le plus assainissant qui existe et ressemble à une sorte de sacrement. Par ce fait, d’abord, que les âmes sont à l’Abbé un encouragement et un exemple ; mais surtout parce qu’elles lui sont comme une vision anticipée de Dieu. Plus grand est l’effet et plus voisin de sa cause, plus aussi la connaissance que nous prenons de la cause est achevée ; et ici l’effet est non seulement cette œuvre de Dieu qui s’ap­ pelle une âme spirituelle, mais encore tout le travail par lequel Dieu s’applique à la transformet et à l’unir à sa Beauté. L’Abbé peut faire ainsi une théologie sérieuse. Et, jusqu’au jour où il contemplera Dieu face à face, il ne le vena nulle part plus clairement que dans les âmes, dans la pureté de leur cristal vivant. Il n’aura pas de peine alors à se tenir très près du Seigneur, ce qui est son unique sauvegarde et sa conso­ lation la plus assurée. CHAPITRE ΙΠ DE LA CONVOCATION DES FRÈRES EN CONSEIL — Quoties aliqua praecipua agenda sunt in monasterio, con­ vocet Abbas omnem congregationem, et dicat ipse unde agitur. Et audiens consilium fratrum, tractet apud se, et quod utilius judicaverit faciat. Ideo autem omnes ad consilium vocari diximus, quia saepe juniori Dominus revelat quod melius est. De adhibendis ad consilium fratribus. T Ce chapitre achève de fixer la constitution de la société monastique, en précisant le rôle qui revient à chacim de ses membres dans le gouver­ nement. Le dessein de N. B. Père n'est aucunement d’apporter des res­ trictions, des limites, des contrepoids au pouvoir absolu de l’Abbé; JlH il n’a jamais songé à introduire chez lui les formes démocratiques et parlementaires ; et toutes les prescriptions que nous allons lire semblent calculées au contraire de manière à souligner le caractère souverain de l’autorité abbatiale, interprète et gardienne de l’autorité de la Règle, forme créée de l’autorité divine. Mais le dépositaire d’une telle puissance demeure un homme, obligé lui aussi de chercher péniblement la vérité, de découvrir les meilleures solutions pratiques, et exposé d’ailleurs à se méprendre. C’est par condescendance que saint Benoît lui donne des conseillers ; ils n’auront pas mission de partager son pouvoir, de le con­ trôler, de lui faire échec à l’occasion, mais seulement de l’éclairer, de l’appuyer et d’en prévenir ainsi, discrètement, les maladresses ou les abus. Une intelligence n’épuise pas toute question ; ce que l’un n’aperçoit pas, un autre le découvrira peut-être, et les affaires ainsi traitées par le concours et la prudence de plusieurs sont mieux assurées du succès : c’est le motif qu’indique saint Benoît comme conclusion de ce chapitre, en citant le témoignage del’Ecclésiastique (xxxn, 24). N. B. Père distingue deux sortes d’affaires au sujet desquelles l’Abbé prendra conseil : praecipua, minora. Pour les questions les plus graves, fi 3 64 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT il convoquera toute la communauté ; pour celles qui sont moins sérieuses, mais qui ont cependant leur importance, il se bornera à consulter les anciens. Il est une troisième catégorie de questions qui ne réclament nulle convocation des frères : les questions de détail d’abord ; puis celles qui ont une solution nécessaire, ou évidente, ou réservée à l’Abbé, ou telle enfin que la communauté ne saurait être juge compétent. Selon N. B. Père, c’est l’Abbé qui apprécie s’il y a lieu, pour lui, de demander conseil. Toutes les fois, par exemple, qu’il s’agit d’affaires où sont engagés gravement les intérêts d’honneur ou les intérêts d’argent du monastère, il doit réunir la communauté entière. Et en désirant la présence de tous (1), saint Benoît obéit à une pensée de foi. Dieu s’intéresse activement aux affaires d’une maison monastique : c’est lui qui préside, et toute décision sage doit lui être imputée (Mattil, xvni, 20). Pourquoi exclurait-on du conseil les jeunes profès, les petits oblats en âge de parler (V. le chap. LIX)? N’est-il pas d expé­ rience que le Seigneur aime à nous communiquer sa pensée par la bouche des enfants (2)? Cet âge est plus naïf, moins personnel, et Dieu agit plus librement avec lui. H s’est servi d’un Samuel et d’un Daniel (V. le chap. LXIH); et au Mont-Cassin sans doute d’un saint Maur et d’un saint Placide. Mais les jeunes frères perdraient aussitôt le bénéfice de cette prédilection divine, s’ils manquaient de mesure, de courtoisie et d’humilité dans leurs appréciations, s’ils prononçaient avec solennité et importance sur les personnes et sur les choses, s’ils ne se mettaient en garde contre une tendance à formuler des résolutions tranchantes ou impitoyables ; leurs vues sont parfois courtes et simplistes, ils n’ont pas toujours le sens de ce qu’il y a de complexe dans les que tiens traitées. L’office de rapporteur revient encore à l’Abbé. H expose l’affaire clairement, de telle sorte que tous comprennent bien de quoi il s'agit. Il lofait sans passion et sans essayer d’extorquer des adhésions, puisque, à la rigueur, elles ne lui sont pas nécessaire5. H écoute avec impartialité et avec patience l’avis des frères : ce qui ne veut pas dire qu'il doive laisser parler indéfiniment les bavards et s’interdire des rectifications qu’appelleraient la justice, le bon ordre, le bon sens. Il réfléchit ensuite à part lui, s’éclairant des lumières de tous, et décide souverainement, non pas ce qui lui plaît, non pas invariablement le contraire de ce qui lui a été suggéré, mais ce qu’il juge devant Dieu le plus utile. (1) Les novices n’appartenant pas encore à la communauté (chap, lviii) n’ont pas de titre à prendre part à ses délibérations. (2) Cf. S. Cypriani Epist. IX, iv. P. L., IV, 253, — Cass., Contai. XVI, xn, DE LA CONVOCATION DES FRERES EN CONSEIL »5 Sic autem dent fratres consilium cum omni humi­ litatis subjectione, ut non praesumant procaciter defendere quod eis visum fuerit, sed magis in Abbatis pendeal arbitrio, ut quod salubrius esse judicaverit, ei cuncti obediant; sed sicut discipulis convenit obedire magistro, ita et ipsum provide et juste condecet cuncta disponere. S'il y a profit pour l’Abbé à faire preuve d’accueillante et de démission de soi, il y a pour les moines un devoir strict de se montrer gens de tact et fils dociles. Les frères donneront leur avis, puisqu’on les a convoqués pour cela; une attitude boudeuse, vexée, maussade, serait grotesque et infiniment peu monastique. Ils donneront leur avis à tour de rôle, lorsqu’ils seront interrogés ou qu’on leur aura accordé la parole. Ils parle­ ront avec toute la soumission qu’inspire l'humilité : cion omni humilitatis subjectione, sans prendre le ton doctoral et pompeux, sans s’imaginer faire office de juges, ni même de députés, sans attacher à leur sentiment une valeur décisive, ni croire qu’une large part du salut public est entre leurs mains. Ajoutons qu’il faut se tenir dans la question proposée et ne pas greffer une motion ou une interpellation sur le point précis qui a été soumis à la délibération du conseil. Il peut se faire que l’avis donné par vous soit peu agréé : réjouissezvous que l’on se range à un avis plus sage encore ; ou du moins ayez l’ur­ banité de ne pas plaider amèrement et avec obstination en faveur de votre pensée. En public, grâce à Dieu, on ne plaide guère contre l’Abbé; mais on est plus exposé à défendre son opinion contre l’un ou l’autre des frères. On peut être tenté de reprendre en sous-œuvre les remarques d’un autre pour les contredire, quelquefois pour les tourner en déri­ sion, tout cela d’une façon ouverte ou bien d’une façon perfide et sournoise. De tels procédés sont d’autant plus incorrects que le frère incriminé a d’ordinaire la bouche fermée par la charité, la prudence, le secret professionnel. Une assemblée monastique ne doit jamais avoir le caractère tumultueux de certaines séances de nos parlements. Et dans la pensée de N. B. Père, ni les individus, ni une majorité, ni même l'unanimité des frères, n’ont un droit à faire prévaloir leur sentiment : la décision est réservée exclusivement à l’Abbé (1); il demeure libre de prendre celle qui lui paraîtra la plus opportune, et tous s’empres(1) Per omnia ad nutum (Abbatis) poleslatemque pendere (Sulp. Sever., Dial, I, c. x. P. L, XX, 190. — Cf. Cass., Contât. XXIV, xxvi). 5 «5 rcront de s’y soumettre. Mais, de même qu’il est dans l’ordre que les disciples obéissent au maître, il est dans l’ordre aussi que le maître dis­ pose toutes choses avec prévoyance et équité. Il n’y a pas morcellement du pouvoir, mais des devoirs existent des deux côtés ; ceux qui obéissen t ne sont pas livrés à l'arbitraire, aux boutades, aux caprices de la passion, et la meilleure garantie qu’on leur puisse donner est cette affirmation réitérée que l’Abbé est comptable devant Dieu, et qu’après tout, lui aussi, lui surtout, doit être un obéissant. [ ill I < COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT DENO I T In omnibus igitur omnes magistram sequantur regulam, neque ab ea temere declinetur a quoquam. Nullus in monasterio sequatur cordis proprii volun­ tatem, neque praesumat quisquam cum Abbate suo proterve intus aut foris monasterium contendere. Quod si praesumpserit, regulari disciplinae subjaceat. Ipse tamen Abbas cum timore Dei et observatione regulae, omnia faciat, sciens se procul dubio de om­ nibus judiciis suis aequissimo judici Deo rationem redditurum. La liaison est étroite entre ce paragraphe et le précédent : igitur. Nul ne peut, dans le monastère, a suivre la volonté de son propre cœur » et se gouverner à sa guise. La forme de notre vie a été définie par une Règle ; la Règle est la norme à laquelle tous doivent se ranger, aussi bien le moines qui conseillent que l’Abbé qui propose et décide. Dans la délibération comme dans la décision, chacun doit s’inspirer de la Règle et de son esprit; nul ne saurait s’en écarter sans présomption. La prospérité surnaturelle et la paix sont au prix de cette déférence de tous à une même pensée, à un même programme. Et parce que la Règle écrite a besoin d’être interprétée ; parce que les délibérations risqueraient parfois de ne jamais finir si une autorité vivante ne tranchait souverainement, toute discussion cessera lorsque l’Abbé aura pris son parti. C’est lui seul qui est responsable, qui a grâce d’état; il est sans doute mieux renseigné que tout autre, puisqu’il tient en mains l’ensemble et peut envisager tous les aspects et toutes les conséquences du problème. Nul n’aura la témérité de contester insolemment avec lui, ni à l’intérieur du monastère, ni surtout à l’extérieur, ce qui causerait un plus grand scandale (1) ; et au ; I (1) La. meilleure Irçon est sans doute : proterre aul foris monas terium contendere. Et I). Butler cite la remarque intéressante de Smaragde : Δ’οη dixit intus aut /oris, DE LA CONVOCATION DES FRÈRES EN CONSEIL 67 dedans comme an dehors, les frères s'abstiendront avec scrupule de criti­ quer ses déterminations. Ce n’est pas toujours par la résistance ouverte cpie se traduit la volonté propre contrariée, mais encore, et surtout chez let natures timides, ou délicates, ou bien élevées, pa~ des murmures secrets : c’est la pire des dispositions. La première fois qn’il est fait mention dans la Règle de la disciplina regularis (nous la décrirons plus loin), c’est lorsqu’il s’agit de réprimer, par un châtiment sévère, cet esprit réfrac­ taire et frondeur. Mais saint Benoît a grand soin de rappeler à l’Abbé qu’il y a pour lui aussi une justice. Toutes scs résolutions doivent être prises dans la crainte de Dieu et conformément à la Règle. Qu’il sache bien, et sans l’ombre d’un doute, qu’il rendra compte de chacune d’elles au Juge souveraine­ ment équitable. C'est Dieu qui se réserve d’apprécier chez l’Abbé l'abus du sens propre ; la perspective d’une disciplina regularis divine écartera de lui toute velléité de tyrannie. Si qua vero minora agenda sunl in monasterii uti­ litatibus (1), seniorum tantum utatur consilio, sicut scriptum est : Omnia fac cum consilio, et post factum, non pocnitcbis. C’est la seconde hypothèse, le cas des affaires moins importantes : nous en avons dit un mot dès le début du chapitre. Il faut bien comprendre la pensée de l’Ecdésiastique (xxxn, 24). Sans doute l’Abbé devra se garder d’une confiance illimitée en sa compétence et en son jugement; le pouvoir absolu est dangereux surtout pour celui qui l’exerce. Mais enfin il ne faudrait pas prendre trop à la lettre le mot omnia. Même lorsqu’il s’agit de mesures graves, il est d'expérience que l’Abbé fera mieux parfois de ne consulter que sa conscience. Remarquons de plus qu’un échec ne suffirait pas à démontrer qu’il a agi témérairement. Et lorsque l’Écriture lui dit que, s’il prend conseil, il n’aura pas à se repentir dans la suite, elle ne lui promet pas la réussite et l’infaillibilité. Elle n’affirme pas davantage qu’en cas d’insuccès il pourra rejeter la res­ ponsabilité sur autrui et se laver les mains de ce qui est advenu. Les temps ont changé depuis saint Benoît. Il avait écrit la Règle avec sa conception de la patria potestas, de la toute-puissance paternelle, telle sicut flZiÿuî codices habent, sed sicut in illo quem manibus suis scripsit, proterve aut foris Vionasltrvum reperilur. Unde intclligitur quia foris nullam, intus autem esse conten­ tionem permisit amicam. On voit bion d’ailleurs que certains copistes et commentatjura ont été ici un peu embarrassés. Cf. Paul Diacre, in h. i, (1) Monasterii utilitas : Cass., Inst., VU, ix. 68 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT qu’elle était impliquée dans le droit romain. Chez les supérieurs comme chez les moines, la foi était vive et l’on s’accommodait fort bien d’un gouvernement absolu. Mais, lentement, les vieux cadres ont un peu cédé sous la poussée de mœurs différentes. A dire vrai, la démocratie ne s’est pas plus introduite dans l'Église que dans la famille monastique ; il est incontestable pourtant qu’une valeur plus grande a été donnée peu à peu à l’individu. Sans doute aussi des expériences fâcheuses ont montré à quelles imprudences peut se laisser entraîner un pouvoir pratiquement sans limite. Il n’est pas jusqu’à la Commende elle-même qui n’ait mis les individus en demeure de prendre leurs précautions contre un pouvoir à rie, sans contrepoids et parfois très séculier. C’est dans ce dessein qu’ont été conçus et la triennalité des Abbés, et les moyens variés dont la pensée commune est de réduire, quelquefois même d’infirmer l’autorité abba­ tiale. Les constitutions de chaque Congrégation énumèrent un certain nombre de cas où l’Abbé doit obtenir le consentement du conseil de com­ munauté, du conseil des sénieurs, voire du Chapitre général, et les affaires sont souvent décidées au scrutin. Nous ne croyons pas qu’un Abbé ait rien à regretter de la liberté et de l’initiative d’autrefois. H suffit que les dispositions législatives actuelles viennent de l’Êglise pour mériter d’être bien accueillies ; mais, encore une fois, il faut reconnaître qu’elles sont justifiées par le souci de conjurer les mesures arbitraires et péril­ leuses. Aussi bien, dans les communautés sagement gouvernées et de bon esprit, les choses se passent toujours comme au temps de Saint Be­ noît : un mouvement de confiance filiale fait remettre aux mains de l’Abbé la décision d’affaires qu’il connaît mieux que personne ; on ignore les conflits entre l’Abbé et sou conseil, et tout se fait d'un commun accord. CHAPITRE IV QUELS SONT LES INSTRUMENTS DES BONNES ŒUVRES Tout ce qui précède nous a fait connaître la constitution organique de la société monastique. Dorénavant, jusqu’au chapitre VIII, il sera parlé de l’individu et de son programme de perfection surnaturelle : c’est la portion de la Règle qui forme ce qu’on peut appeler la spiritualité de saint Benoît ; c’est la constitution spirituelle des moines. Nous nous rappelons avec quelle insistance N. B. Père marquait dans le Prologue que le développement de la vie chrétienne se réalise par la pratique des bonnes œuvres et l’exercice constant de toutes les vertus : il décrit maintenant cette activité ordonnée. La longue énumération du cha­ pitre IV cataloguera les principales formes sous lesquelles elle se traduit ; et de petits traités seront consacrés ensuite aux dispositions fondamen­ tales d’obéissance, de recueillement et d’humilité. Instrumenta bonorum operum. La sagacité des commentateurs s’est exercée à préciser la signification de ces trois mots. L’apôtre saint Paul ayant parlé deux fois de l’armure du chrétien, N. B. Père voudrait-il indiquer ici les qualités intérieures dont nous devons être munis — habitus adivi quibus instruimur — pour accomplir en effet toutes bonnes œuvres? Ou bien saint Benoît considère-t-il les textes scripturaires dont sont formés presque tous les versets de ce chapitre comme de vrais instruments, des procédés d’une efficacité assurée, destinés à nous faire pratiquer les bonnes œuvres? comme si, pour réaliser le bien, nous n’avions besoin que d’entendre les sollicitations divines. D’une façon moins subtile, on pourrait donner au mot instrumenta son sens de textes authentiques, qui ont valeur juridique, et traduire : les règles des mœurs, les formules pratiques du bien. Il signifie encore outils, attirail, appareil, ressources, et, dans l’espèce, les outils avec lesquels s’opère le bien, tous les procédés, tout l’appareil des vertus, en définitive les vertus et les bonnes œuvres elles-mêmes. Tel est, semble-t-il, le sens le plus conforme à la pensée de saint Benoît; il parlera, en terminant ce chapitre, des « instruments de l’art spirituel », et présentera le monastère comme « l’atelier » où l’on apprend à les manier (1) ; c’est (1) C’est probablement un souvenir de Cassien, disant des jeûnes, des veilles, etc., 70 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT perce qu’il s’agit réellement des bonnes œuvres qu’on pourra les dire adimpleta. Un mot sur les sources du chapitre IV. La série presque entière des instruments se trouve dans la seconde partie de la première Ëpître Décrétale de saint Clément (1); mais on a reconnu depuis longtemps (2) que cette seconde partie était apocryphe et 1’œuvre d’Isidore Mer­ cator. Il existe sûrement des analogies entre le chapitre de saint Benoît et le débutde la Doctrine des Apôtres (reproduit dans le livre VII des Constitutions apostoliques); Γπη et l’autre, par exemple, commen­ cent par l’énoncé du double commandement de la charité ; D. Butler estime pourtant qu’on ne saurait trouver la preuve certaine d’un emprunt (3). On pourrait rapprocher aussi le passage de la sainte Règle des quarante-neuf sentences publiée? par le cardinal Pitra sous le titre : Doctrina Hosii episcopi (f 397) (4); ou bien des Monita de Porcaire, abbé de Lérins (fin du cinquième siècle) (5); ou encore de la Doctrina d’un évêque Séverin, qu’on n’est pas encore parvenu, que je sache, à identifier (6). Chez les philosophes païens eux-mêmes, nous trouvons des 1 .rmulaires analogues : voir, par exemple, les Sentences attribuées aux Sept Sages de la Grèce (7), les Sentences en prose qui précèdent les Disticha Calonis, et les Sentences de Sextus, dont saint Benoît citera un fragment an chapitre VII (8). Toutes les civilisations nous ont laissé des spécimens de littérature gnomique : c’est à ce genre que se rattachent les Proverbes et l’Ecclésiastique. Nous sommes naturellement portés à mettre notre vie morale en devises, à la traduire en axiomes pratiques ; il nous semble qu’il y a facilité plus grande pour le bien, lorsque nous arrivons à une formule brève, pleine, bien frappée, qui porte comme une gracieuse invitation dans sa perfection même. Les vieilles règles monas­ tiques s’exprimaient d’ordinaire sous cette forme seatentieuse et qu’ils sont perfectionis instrumenta (Contai. I, vu). Ailleurs, Cassien mentionne les in-frvmenài virlulum (Contai. VI, x); et saint Benoît reproduira cotte expression au demior chapitre de sa Régie, instrumenta a encore le sens de documents, d’archives, (1) P. G., 1,480. (2) VA'-illox, Ve'ara Analecia, t II, p. 94, note c (édit 1723). (3: «S Ben di.-t and the duae viae », dans The Journal of Theological Studies, Ja­ nuary Γ10, p.2&?. Voir aussi dans la même Revue, January 1911, p. 261, un article où D. Bun er traite des sources du chapitre iv ; il démontre que le Syntagma doctrinae, c'it de S. Athanase (P. G., XXVIII, 835), ne doit pas être rangé parmi les sources ce saint Benoît (4) Anakda sacra d classica, p. 117. __ (5) Réédités dans la Rente bhddictine, octobre 1909. Voir aussi une ancienne traduc­ tion de râdmontft’o ad monachos de S. Basiee, rééditée dans la même Revue, avril Dlù. (6) Pez, Thesaurus Anccdolorum novissimus, t. IV, P. II, col. 1-1 ; ou dans Fabricius, Bibliotheca latina mediae et infimae aetatis, t. II (ad calcem). (7) Nullach, Fragmenta Philosophorum graccorum, t. I, p. 212 sq. (8) Ilid., p. 523 sq. — Cf, W ex man, Wochenschiift fur klass. Philologie, 1896, p. -vJ. QUELS SONT LES INSTRUMENTS DES BONNES ŒUVRES 11 sobre (1). Et c’est chez elles, c'est dans la sainte Ecriture, c’est un peu partout, que N. B. Père semble avoir glané ses soixante-douze instru­ ments des bonnes œuvres : il n’est pas prouvé, jusqu’iet, qu’il n’ait lait que copier, en les modifiant plus ou moins, une ou plusieurs collections antérieures. i h 5 11 serait superflu de vouloir ramener les instruments à une distribu­ tion méthodique et au développement d’un plan unique, saint Benoît n’ayant songé à rien de semblable. Il se borne à placer en tête ce qu’il y a de plus considérable et d’élémentaire; il groupe les sentences qui se rapportent à un même but et sont reliées par quelque analogie. Nous remarquerons que les maximes de la perfection surnaturelle voisinent avec les préceptes essentiels du christianisme : c’est que ceux-ci renferment dans leur simplicité même toute la doctrine morale et qu’ici, comme dans iiI II dans les chapitres qui vont suivre, N. B. Père con­ le Prologue, comme çoit la sainteté monastique sous la forme d’un épanouissement régulier, normal, tranquille du baptême. QuAE SINT INSTRUMENTA BONORUM OPERUM. Primum instrumentum (2) : In primis, Dominum Deum diligere ex toto corde, tota anima, tota vir­ tute. In primis : oui. à tous points de vue, c’est bien le premier des instru­ ments. D’abord, le précepte est universel. Il se trouve déjà tout entier dans la loi mosaïque (Debt., vi, 5) ; et le Seigneur n’a eu besoin que de le rappeler (ALlrc., xn, 30). On ne saurait méconnaître toutefois que le Nouveau Testament lui ait donné une place de plus grand honneur. Il y a eu sous la loi nouvelle une plus large et plus intime effusion de l’Esprit de Dieu : Caritas Dei diffusa est in cordibus nostris per Spiritum Sanctum qui datus est nobis; et la charité filiale est, selon l’enseignement de Γ Apôtre, la caractéristique de la nouvelle alliance. C’est un précepte compréhensif et complet. Il nous est agréable de voir concentrer en une obligation unique tous les devoirs de la vie chré­ tienne. L’esprit est plus attentif lorsqu’il n’a qu’une chose à regarder, la volonté plus décidée lorsqu’elle n’a qu’un but à poursuivre, l’âme plus sereine et plus joyeusement persévérante lorsqu’elle a tout ramené à l’unité. On ne nous demande que d’aimer. Toute vio morale se résume là. Dilige, et quod vis fac, disait saint Augustin ; et avant lui, (1) Voir, par exemple, les Règles de S. Macaire, de S. Pacôme (clix), etc. (2) Les mots Primum instrumentum ne se lisent pas dans les manuscrits ; le numé­ rotage des instruments no s'y trouve pas non plus. 72 01 V COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT l’Apôtre, attribuant à la charité les actes do toutes les vertus particu­ lières, «avait établi que La charité suffit à elle seule, mais qu’en dehors d’elle rien ne suffit (I Cor, nui). C’est un précepte facile, et du côté de son acte et du côté de son objet. Il n’est besoin ni d’être grand, ni d’être riche, ni d’être en santé, ni d’être intelligent pour aimer. C’est l’acte le plus spontané et le plus simple; c’est un acte premier auquel nous avons été préparés dès l’en­ fance, grâce aux sourires et «à la tendresse qui ont accueilli notre vie ; Dieu i'a provoqué ainsi de manière à se l’assurer. L’acte est facile du côté de son objet : car il est aussi naturel d’aimer Dieu que de le con­ naître, et à cela suffisent les seules facultés de l’homme. Sans doute un tel amour, tant qu’il n’a point pour racine une faculté surnaturelle, ne saurait nous porter jusqu’à Dieu ; mais il reste que Dieu est naturelle­ ment aimable. Sumaturellement, il l’est à bien des titres ; il s’est fait con­ naître ànous parles bienfaits généraux du christianisme et par cette révéla­ tion desabonté qui est impliquée dans chacune de nos existences. Il nous a donné ce qu’il faut pour l’aimer sumaturellement, pour lui rendre une tendresseégale à la sienne. Et il a ajouté le précepte : diliges ; or, le précepte a son efficacité propre pour nous faire connaître et aimer Dieu ; car, en fin. celui-là seulement qui aime, celui-là seulement qui est bon et beau a le droit d’exiger d’être aimé, celui-là seulement qui aime sans partage a le droit d’exiger un amour sans partage. C’est vraiment chose aisée et douce que d’aimer notre Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit, la tendresse, la beauté et la pureté infinies. La seule objection que l’on puisse élever est celle-ci : « Je le veux, aimer est nécessaire et suffit; mais en fin, aimer est-il si facile? Moi, je n’ai jamais rencontré Dieu nulle part. Puis, j’ai vécu longtemps étranger et inattent'.f à lui. Je ne conteste la réalité ni de sa beauté ni de son amour pour moi, mais tout cela est d’un monde très spirituel où je n’ai guère accès. Et je suis, d’ailleurs, de trempe positive, plutôt sèche et froide, le surna­ turel n’éveille chez moi nulle émotion. » Il y a, à la base de cette objec­ tion, une fausse définition de la charité. La charité, selon saint Thomas, est amitié entre l’homme et Dieu ; et un païen nous avertit qu’une amitié vraie s’applique à vouloir et à écarter les mêmes choses : Eadem velle, eadem nolle, ea demum firma amicitia est. Aimer Dieu, c’est vouloir ce que Dieu veut et faire ce que Dieu demande, c’est unir pratiquement not re volonté à la sienne. N’est-ce pas la doctrine du Seigneur lui-même en saint Matthieu (yn, 20 sq.) : Ex fructibus eorum cognoscetis eos. Non omnis qui dicit mihi : Domine, Domine, intrahit in regnum caelorum, sed qui facit voluntatem Patris mei qui in caelis est. Ni l’exaltation des pre­ mières heures de la vie spirituelle, ni même le plaisir épuré et très noble qui est le rejaillissement sur toutïêtre d’une charité éprouvée déjà, no sont nécessaires et ne constituent des indices infaillibles de notre *»· I·** QUELS SONT LES INSTRUMENTS DES BONNES ŒUVRES 73 intimité avec le Seigneur. Tontes ces formes de joie sont simplement surajoutées à la charité comme un encouragement ou comme une avance de salaire et d’hoirie. H est même constant cjue, pour parvenir, sinon encore à la sainteté, du moins à un certain degré d’amour véritable, il faut savoir être fidèle sans plaisir, dans l’aridité et jusqu’au milieu des bourrasques intérieures qui font frémir la sensibilité entière. Nous n’avons qu’à continuer la lecture du primum instrumentum pour reconnaître le caractère et la mesure de notre, charité. H faut aimer « avec son cœur », c’est-à-dire non pas nécessairement d’un amour affectif et ressenti, mais enfin avec l’intime de soi-même. Nulle difficulté, semble-t-il. Pourtant, il y a toujours danger, dans une vie régulière et liturgique, de n'aimer Dieu qu’avec ses lèvres, dans la routine des prestations matérielles. C’est la tendance judaïque, dénoncée maintes fois et flétrie par les Prophètes et par le Seigneur. Elle peut naître d’une occupation très chère, qui draine à son profit le meilleur de notre atten­ tion et ne laisse à Dieu que le maigre hommage d’un ritualisme obligé. Aimer « avec tout son cœur », ce sera faire rayonner en nous la cha­ rité. incliner devant Dieu l'intelligence et la volonté, et par elles les forces inférieures elles-mêmes ; et c’est précisément afin de mieux embrasser le tout que l’amour se ramasse au centre et au nœud vital : Deus meus, volui, et legem luam in medio cordis mei. Tota anima. Sans prétendre donner une valeur exclusive et souve­ raine à ces exégèses, peut-être pourrait-on considérer ici l’âme comme principe de la vie et de la continuité de la vie, puisque, l’âme se reti­ rant, la vie cesse. Aimer Dieu de toute son âme suggérerait alors la loi de continuité dans l’adhésion à lui, qui doit régir notre activité surna­ turelle. Cette continuité a ses degrés. On rencontre des grâces extra­ ordinaires, des grâces de présence intellectuelle et de contemplation infuse ; mais elles sont accordées le plus souvent à ceux qui usent bien de la grâce commune. H est normal que notre pensée soit tour­ née d'une façon assidue vers celui à qui nous avons fait profession d’appartenir. Non sans doute que nous puissions à chaque instant for­ muler un acte de charité, mais nous pouvons vivre habituellement sous son influence. Dieu est simple, il est souple comme un parfum et peut pénétrer toute notre vie. Le meilleur travail intellectuel n’est-il pas celui qui s’accomplit sous son regard? Avec un peu d’entraînement, le contact avec Dieu devient familier : « Notre cœur est là où est notre trésor » ; et notre esprit renent à lui de façon formelle, aussitôt qu’une autre occu­ pation ne le confisque plus. Toute vie est une adaptation à des conditions de milieu : l’atmosphère où se développe la vie surnaturelle est la cha­ rité, la paisible et perpétuelle attention au Seigneur. Nous devons aimer iota virtute, c’est-à-dire avec toutes nos puissances, de telle sorte qu’elles s’emploient sans réserve au profit de l’amour et de « ♦ 71 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT Dieu. Ceci est la condition même de l’amour : fonte di’ection ré e'le est absolue et sans limites ; dès lors qu’on aime, on ne discute plus, on se donne entièrement, on tente an besoin l’impossible. La charité n ex­ cepte rien. Elle veut s’emparer de tous nos instants, diriger toutes nos démarches, ordonner toutes ms affections. Et lorsque nous avons épuisé la longue série des sacrifices, lorsque nous avons courageusement fait disparaître l’une apres l’autre les idoles qui encombraient notre âne, il reste ordinairement une idole dernière, non pas la plus grossière, ni peut-être la plus aimée, une idolo quelquefois toute petite et ridicule, mais c'est la dernière ; et c’est là que le moi. débusqué de partout, s’est réfugié tout entier. Si nous ne voulons pas demeurer éternellement sur place, il faut nous armer de beaucoup de résolution et de délica­ tesse et couper l’amarre. 2. Deinde proximum tamquam seipsum (Marc su, 31). Avec la charité envers Dieu, la charité envers le prochain : In his duobus mandatis universa lex pendet et prophetae. Nous pouvons donc nous arrêter aussi devant le précepte de la charité fraternelle ; il est d’application constante, et la moitié des instruments des bonnes œuvres ne font qu’en formuler les différentes modalités et n’en sont que le mor­ cellement. L’objet de notre charité, c’est le prochain, c’est-à-dire notre frère, quel qu'il soit ; et, selon la définition du Seigneur, c’est tout homme à qui nous pouvons faire du bien, fût-il Samaritain. Là où l’on excommunie, là où il y a tel de ses frères qu’on ne voit pas, en face de qui on se tient dans l’attitude d’une neutralité boudeuse, irritée, ou même de l’hostilité violente, on est un fuyard et un hérétique de la charité. C’est soi-même qu’on excommunie. Si vous cultivez une inimitié contre un seul de vos frères, la charité n’est plus en vous ; ce qui vous détermine à demeurer en bons termes avec les autres, c’est l’amour de vous-même, c’est un attrait naturel, une sympathie humaine, quelquefois infra-humaine, peut-être purement animale. Pourquoi les communions produisentelles parfois si peu de fruit? parce que nous y mettons un obstacle, et, d’ordinaire, l’obstacle est là. D’où viennent certaines apostasies? du mépris de la fraternité. 11 est sùr que chez des religieux les fautes contre la charité, par éloignement ou par detraction, sont celles où se rencontre le. plus facilement gravité de matière. Le motiî de notre charité c’est Dieu. Nous aimons parce que Dieu aime que nous aimions. Nous aimons parce que le prochain est à Dieu et que * QUELS SONT LES INSTRUMENTS DES BONNES OEUVRES 75 l’amour que nous avons pour Dieu se répand naturellement sur tout ce qui le touche. Nous aimons parce que Dieu aime, et nous inclinons cer­ taines répugnances personnelles devant la souveraine appréciation de Dieu. Nous aimons parce qu’il y a de Dieu dans le prochain; comme ΓEucharistie est une extension de l’incarnation, de même le prochain est une extension de l’Eucharistie : Dieu a été jaloux que nous ne ren­ contrions que lui dans toutes les avenues de notre vie. Le Seigneur se considère lui-même comme le bénéficiaire réel de notre charité : Quant diu fecistis uni ex hi-s fratribus meis minimis, mihi fecistis (Μλτττι., xxv, 40). Il n’y a vraiment qu’un seul acte de charité qui, indivisiblement, embrasse Dieu et nous-mêmes et le prochain : Dieu parce (pie c’est lui, et nous pour lui, et le prochain parce qu’il est à lui et en lui. Et, de peur que nous ne demeurions parfois indécis sur l’étendue de notre charité, on nous a fourni un critérium facile : l’amour surna­ turel que nous avons pour nous-même : tamquam seipsum. Tout le bien que nous nous souhaitons, (pie nous travaillons à nous procurer, nous devons le ménager au prochain par notre désir, notre prière, nos efforts. Toutes les fois que vous traitez avec votre frère, nous dira le neuvième instrument, et alors surtout qu'il s’agit de réclamer de lui un sendee ou d’exercer à son endroit le devoir de la correction, usez d’un affectueux dédoublement : selon l’expression vulgaire mais bien exacte, mettez-vous à sa place. Saint Jean a parlé toujours de charité. Mais, au chapitre rv de sa première Ëpître il expose doctrinalement quelle place elle occupe dans 1 économie de la vie surnaturelle. Dieu, dit-il, est charité : il nous l’a prouvé par l’incarnation et la Rédemption; ceux qui vraiment le con­ naissent ne le connaissent que comme tel. Et ceux qui sont réellement nés de lui, qui sont ses fils légitimes, ne peuvent avoir que son tempéra­ ment, ils ne peuvent être que charité. La charité est un être, une nature, un caractère. A ce titre, elle est une disposition universelle : ceux qui sont nés de Dieu ne peuvent qu’aimer, et cette tendresse doit se porter spontanément sur les deux objets de la tendresse divine. Dieu et le pro­ chain. Mais notre communion à la vie divine demeure, comme Dieu même, de l’ordre des choses cachées. La preuve que nous sommes nés de Dieu ne saurait donc être fournie que du côté où le terme de notre charité est visible : c’est le prochain seulement qui nous donne occasion de manife ter que nous aimons Dieu et sommes bien de sa race. Lorsque notre charité ne s’exerce pas envers le prochain, il est permis de conclure qu’elle n’existe pas. Qui enim non diligit fratrem suum quem videt, Deum quem non videt, quomodo potest diligere? Cette théologie profonde de saint Jean n’est que le développement de la parole du Seigneur : In hoc cognoscent omnes quia discipuli mei estis, si dilectionem habueritis ad invicem. 76 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT 3. Deinde non occidere (Ex., xx, 13-17; Matth.» xix, 18; Rom., xiii, 9). 4. Non adulterari (ib'd.). 5. Non facere furtum (ibid.). 6. Non concupiscere (ibid.). 7. Non falsum testimonium dicere (ibid.). 8. Honorare omnes homines (I Petr., ii, 17). 9. Et quod sibi quis fieri non vult, alii non faciat. Du troisième au septième instrument nous avons l’analyse négative du précepte de la charité. Aimer le prochain, c’est le respecter dans sa personne et dans sa vie, dans la personne de qui lui est uni par le mariage, c’est le respecter dans ses biens ; le désir même de lui nuire est interdit ; et il est moins légitime encore de mettre en mouvement contre lui la force sociale au moyen de faux témoignages. On pourrait se demander comment de tels avertissements peuvent convenir à des religieux. Mais il faut se souvenir que saint Benoît énumère simplement les points élémen­ taires de la morale chrétienne ; qu’un moine n’est jamais dispensé d’y être attentif; qu’il peut se rencontrer, même dans un monastère, des formes diminuées de ces vices odieux, et qu’après tout l’histoire monastique a enregistré quelques forfaits du genre de celui dont N. B. Père lui-même faillit être la victime à Vicovaro. Les instruments huitième et neuvième nous donnent l’analyse positive du précepte. Mais alors que la loi mosaïque et l’Évangile, auxquels sont empruntés les cinq instruments qui précèdent, ajoutaient la recommanda­ tion d’honorer son père et sa mère, saint Benoît, qui s’adresse à des moines séparés de leurs parents, emprunte à saint Pierre la formule plus générale d’honorer tous les hommes. Il nous rappelle ensuite quelle doit être la mesure de notre charité ; c’est la « Règle d’or », qu’il citera de nouveau aux chapitres LXI et LXX, et toujours sous forme négative. Nous la trouvons exprimée sous forme positive dans saint Matthieu (vu, 12) et dans saint Luc (vi, 31); mais elle est de forme négative dans Tobie (rv, 16), dans certains manuscrits anciens des Actes (xv, 20 et 29), dans la Doctrine des Apôtres et chez plusieurs Pères de l’Êglise. Il semble que saint Benoît cite plutôt d’après le texte des Actes ou d’après les Pères que d’après Tobie, à moins qu’il ne s’agisse simplement d’un proverbe, gravé dans la mémoire de tous et d’usage courant (1). (1) Voir l’article de D. Butler, dans The Journal of Theol. Stud., January 1910. QUELS SONT LES INSTRUMENTS DES BONNES OEUVRES ΊΊ 10. Abnegare semetipsum sibi, ut sequatur Chri­ st urn (Matth., 24 ; xix, 16 sq.). I I. Corpus castigare (I Cor., ix, 27). xvi, 12. Delicias non amplecti (1). 13. Jejunium amare. Après avoir parlé de la charité envers Dieu, de la charité envers le prochain, saint Benoît pouvait dire quelques mots de l’amour de nousmêmes. Dans l’état de sa justice originelle, l’homme s’appuyait sur Dieu d'une façon consciente et voulue; la dignité et la force consistaient pour lui à rapporter à Dieu toute cette image divine qu’était son être. En se détachant de Dieu dans le fol espoir de monter plus près de lui et de devenir son égal, l’homme retomba d’abord sur lui-même, puis bientôt au-dessous de lui-même, et jusqu’à la ressemblance de la bête. C’est la doctrine de saint Augustin (2). Nous avons été touchés au cœur, à cette attache première, à cet amour initial qui ordonne toute la vie. Désormais, prévaut le culte du moi, l’égoïsme sous toutes ses formes : adoration de son corps par la luxure, la gourmandise, la vanité, adora­ tion de sa pensée, de sa volonté. Et ce que l’on aime, personnes ou choses, on ne l’aime que pour soi. L’égoïsme est le vestige unique et universel de notre déchéance ; il est l’antagoniste unique de notre charité et de notre salut. Nous comprenons maintenant pourquoi le Seigneur demande à ceux qui veulent revenir vers lui de renoncer aux choses extérieures, aux choses personnelles, de sortir de tout le créé et, selon la formule expressive de l’É\ angile telle que la lisait saint Benoît (3), de se refuser soi-même à (1) Il ne faut pas vouloir à tout prix trouver une source scripturaire ; cependant, le plus souvent, nous nous conformerons à l’usage d’indiquer une léférence à la Bible. (2) ... Incipiens a perverso appetitu similitudinis Dei, pervenit ad similitudinem peco­ rum. Inde est quod nudati stola prima, pelliceas tunicas mortalitate meruerunt. Honor enim hominis verus est imago et similitudo Dei, quae non custoditur nisi ad ipsum a quo imprimitur. Tanto magis itaque inhaeretur Deo, quanto minus diligitur proprium. Cupiditate vero experiendae potestatis suae, quodam nutu suo ad se ipsum tanquam ad medium proruit. Ha cum vult esse sicut ille sub nullo, et ah ipsa sui medietate poenaliter ad inia propellitur, id est, ad ea quibus pecora lactantur (De Trinitate, 1. XII, c. xi, P. L., XLII, 1006-1007). (3) On la trouve de même chez S. Ambroise. De Poenit., 1. II, 96, 97. P. L., XVI, 520-521. Episl. II, 26. P. L., XVI, 886. Saint Benoit s’est souvenu d’un pas­ sage de VHistoria monachorum de Rufin, c. xxxi (Rosweyde, p. 484) : Docelat beatus Antonius quod si quis velit ad perfectionem velociter pervenire, non sibi ipse fieret magister, nec propriis voluntatibus obediret, etiamsi rectum videatur esse quod vellet; sed secundum mandatum Salvatoris observandum esse, ut ante omnia unusquisque abneget semetipsum sibi et renuntiet propriis voluntatibus, quia et Salvator ipse dixit i Ego veni non ut faciam voluntatem meam sed ejus qui misit me. COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT soi-même. C’est le principe général, dont les instruments qui suivent signalent trois applications. Elles combattent l’animalité qui est le fond de tout égoïsme. Châtier le corps et le forcer à n’être plus qu’un serviteur docile; ne pas chercher avidement le bien-être, les douceurs d’une vie sensuelle,· avoir de l’estime pratique pour le jeûne, ce procédé classique de la mortification chrétienne. 14. Pauperes recreare (Is., lviii, 7; Mattii., xxv, 35-36) (J). 15. Nudum vestire (fs., /W.; Mattii., ib d.) (2). 16. Infirmum visitare (Eccli., vii, 39; Mattii., 17. Mortuum sepelire (Tob., i, 21 ; ir, 7-9). 18. in tribulatione subvenire (Is., i, 17). 19. Dolentem consolari (Eccli., vn, 38; I Thess v, 14). Dans la mesure même où nous réduirons nos appétits égoïtes. nous serons en état de pourvoir aux nécessités diverses du prochain. Si l’occa­ sion d’exercer les deux premières œuvres de miséricorde, c'est-à-dire d’assister le pauvre, ne s’offre guère qu’à l’Abbé ou au cellérier, les moines auront parfois celle de visiter les malades et d’ensevelir les morts ; tous pourront secourir ceux qui sont dans l’épreuve et consoler les affligés. 20. A sacculi actibus se facere alienum. 21. Nihil amori Christi praeponere. Peut-être le voisinage du précepte contenu dans le vingtième instru­ ment avec ceux qui précèdent immédiatement a-t-il été suggéré à saint Benoît par le texte de saint Jacques (i, 27) : Religio mundo, et immaculata apud Deum et Patrem, haec est : Visitare pupillos et viduas in tribulatione eorum, et immaculatum se custodire ab hoc saeculo. Ce qui est sûr, c’est que les instruments vingtième et vingt et unième ont une portée géné(ï) Recreare, c’est non seulement faire l’aumône, mais donner à manger aux pauvres, |> restaurer, les « refaire ». (2) Les instruments 15, IG, 22, 23, 25, 26. 27, 41 se trouvent dans un sermon publié (MI parmi ♦u les spuria de S. Ambroise (Sermo XXIV, 11. P. L., XVII, 654). Le début et quel­ ques autres perdons du sermon appartiennent probablement à saint Césaire, mais le tout est une compilation où sont entrés des éléments moins anciens, QUELS SONT LES INSTRUMENTS DES BONNES ŒUVRES "9 raie, qu’ils sont liés étroitement et se complètent l’un l’autre, qu’ils ont pour dessein d’orienter la vie, en montrant de quel pôle elle se doit détourner, vers quel pôle il lui faut tendre. Nous retrouvons l’alterna­ tive signalée dès le Prologue : le siècle ou Jésus-Christ, dans un antago­ nisme absolu ; on ne peut demeurer neutre, il faut appartenir tout entier à l’un ou tout entier à l’autre. Les paroles de saint Benoît sont énergiques : se faire étranger aux actes du siècle. Les actes du siècle, c’est le mal sous toutes ses formes : Cor­ rumpere et corrumpi saeculum vocatur, corrupteur et corrompu, voilà le inonde. Dès lors que nous sommes entrés dans le Christ par le bap­ tême et par la profession monastique, nous devons nous tenir le plus loin possible du monde, n’avoir aucun rapport avec lui ; il n’y aura pas plus de relations entre nous qu’il n’y en a entre deux cadavres : Mihi mundvs crucifixus est, et ego mundo (Gal., vi, 14). Gardons-nous de penser qu’il soit opportun quelquefois d’atténuer les dissemblances, de diminuer la distance qui nous sépare. L’Apôtre nous avertit que nous ne pouvons plaire à Dieu qu’à la condition de garder l’intégrité de ce que nous sommes : Nemo militans Deo implicat se negotiis s vcularibus, ut ei placeat cui se probavit (II Tim., ii, 4). Le monde lui-même se scandalise de nos con­ descendances à son égard, et la parole de V Imitation se vérifie toujours : Putamus aliquando aliis placere ex conjunctione nostra, et incipimus magis displicere ex morum improbitate in nobis considerata (I, vm). Pourtant nous ne nous sommes pas voués àlasolitude : si nous nous éloi­ gnons du monde, cen’est que pour nous rapprocher de Dieu. Nul amour créé pour une beauté créée ne l’emportera sur l’amour qui nous lie au Christ. Cette sentence plaisait à N. B. Père, qui la répète au chapitre LXXIL Les commentateurs indiquent saint Matthieu (x, 37-38) comme source de ce passage, mais l’inspiration en est plutôt patristique. Il est dit dans la Vie de saint Antoine : Sermo ejus sale conditus consolabatur moestos, docebat inscios, concordabat iratos : omnibus suadens nihil amori Christi anteponendum (1). Et saint Cyprien avait écrit déjà : Christo nihil omnino praeponere (2). 22. Iram non perficere (Matth., v, 22). 23. Iracundiae tempus non reservare. (1) Versio Evagrii, 14. P. G., XXVI, 865. (2) Voici tout le passage de S. Cyprien : saint Benoît semble bien l’avoir connu : Humilitas in conversatione, stabilitas in fide, verecundia in verbis, in factis justitia. in operibus misericordia, in moribus disciplina, injuriam facere non nosse, et factam posse tolerare (c’est le 30e instrument), cum fratribus pacem tenere; Deum toto corde diligere, amare in illo quod pater est, timere quod Deus est; Christo nihil omnino praeponere, quia nec nobis quicquam ille praeposuit, cantati ejus inseparabiliter adhaerere (De Oratione Dominica, xv. P. L., IV, 529). Q COMMENTAIRE SUR LA REGLE DE SAINT BENOIT 24. Dolum in corde non tenere (Prov., mi, 20j (1). 25. Pacem falsam non dare (Ps. x.xvn, 3). 26. Caritatem non derelinquere (I Petr., iv, S). 27. Non jurare, ne forte perjuret (Mattii., v, 33 sq.) (2). 28. Veritatem ex corde et ore proferre (Ps. mv, 3). 29. Malum pro malo non reddere (I Petr., hi, 9Ί. 30. Injuriam non facere, sed factam patienter suf­ ferre (I Con., vi, 7) (3). 31. Inimicos diligere (Mattii., v, 44). 32. Maledicentes se non remaledicere, sed magis benedicere (I Petr., iii, 9). 33. Persecutiones pro justitia sustinere (.Mattii., v, 10). H s’agit encore de la charité envers le prochain, mais de la charité qui s’exerce dans des circonstances difficiles, alors que le prochain nous est une épreuve on même qu’il se fait ennemi et persécuteur. Il est des cas où la simple bienveillance intérieure ne suffirait pas, où la charité doit être doublée de courage et de magnanimité. Ce que le Seigneur demande, c’est parfois l’héroïsme. Non seulement il ne faut jamais se départir de la sérénité ou chercher vengeance ; mais tout chrétien doit avoir dans le cœur cette disposition divine à répondre au mal par le bien. Pour les enfants de Dieu, la béatitude suprême est de souffrir persécu­ tion pour la justice. Ce groupe de conseils est intéressant aussi en ce qu’il unit à la vertu de charité celle de droiture. C’est l’honneur de la vie monastique d’être trempée dans la loyauté et la sincérité absolue, d’être affranchie de toutes (1) Les instruments 22-28 rappellent Prov., xn, 16-20. (2) On trouve plusieurs fois cette maxime dans S. Augustin, par exemple Episl., CLVII, 40. P. L., XXXIII, 693. Josèphe la cite (un peu différente), comme lamilière aux Esséniens : De Dello Jud., L IL c. vin (al. vu). 11 est curieux d’observer qu’une partie de rénumération des vertus essémennes donnée par Josèphe correspond assez bien à la série des instruments des bonnes œuvres depuis 13 jusqu’à 28 : sobriété, œuvres de miséricorde, abstention des actes de colère, paix véritable, fidélité à la parole donnée, abstention des serments. Nous ne prétendons pas indiquer là une source de saint Benoît; encore qu’il ait très bien pu connaître la Guerre des Juifs, par h traduction latine qui circulait de son temps et qui, selon Cassiodore (De Institut, div. liü., c. xvii. P. L., LXX, 1133), était attribuée à saint Ambroise, ou à saint Jérôme, ou à Rufin. (3) Le texte de saint Benoît reproduit plutôt celui de S, Cyprien ou la Règle de S, illCAIRE (xxi). QUELS SONT LES INSTRUMENTS DES BONNES OEUVRES 81 les diplomaties et de toutes les habiletés mondaines. Heureux ceux qui n’ont rien à dissimuler, qui ignorent les manœuvres tortueuses ou sou­ terraines, qui vivent en pleine lumière! Heureux ceux qui ont ramené chez eux toutes choses à la simplicité parfaite, et qui sont devant Dieu et devant les hommes ce qu’ils sont, sans dualité, sans hauteur, sans effort, avec aisance et souplesse. 34. Non esse superbum (Tit., i, 7). 35. Non vinolentum (ibid.). 36. Non multum edacem (Eccli., xxxvn, 32). 37. Non somnolentum (Prov., xx, 13). 38. Non pigrum (Rom., xii, 11 ; Prov., xxiv, 30 sq.). 39. Non murmurosum (Sap., i, 11). 40. Non detractorem (ibid.). Désormais, jusqu'au soixante-troisième, les instruments ont, semblet-il, le dessein d’ordonner moralement, non plus notre vie de relation, mais notre vie isolée, personnelle. Viennent d’abord une série de conseils négatifs. Les sentences précédentes nous ont mis en garde contre les mœurs séculières qui fomentent la discorde parmi les hommes : celles-ci avertissent le moine de s’abstenir des autres « actes du siècle » qui sont incompatibles avec la dignité chrétienne. La colère et tout son cortège de vices ayant été bannis déjà, il restait à flétrir l’orgueil, la gourman­ dise, la paresse ; la luxure le sera par les cinquante-neuvième et soixantetroisième instruments, et l’envie par le soixante-cinquième. Saint Benoît condamne spécialement cette disposition, assez coutumière aux désœuvrés et aux paresseux, qui est le murmure, l’esprit difficile, critique, médi­ sant. 41. Spem suam Deo committere (Ps. txxn, 28). 42. Bonum aliquod in se cum viderit, Deo applicet, non sibi. 43. Malum vero semper a se factum sciat, et sibi reputet. Ces préceptes sont destinés à nous prémunir contre l’orgueil secret qui naît en nous lorsque nous avons fait le bien ou évité le mal. H faut savoir à qui attribuer, en dernière analyse, l’honneur de nos vertus et 6 M COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT l'ignominie de nos vices. C’est une tendance trop habituelle à l’homme de n'assumer que la responsabilité du bien qui est en lui et de s’en décerner la gloire; de plus, à une époque voisine du pélagianisme ou du semi-pélagianisme, il n’était pas superflu de rappeler brièvement la doc­ trine de 1& grâce et celle du libre «arbitre; saint Benoit l'a fait déjà dans le Prologue. Ici, il proclame que toute la force et la con fiance de I homme sont en Dieu et non en soi : J/Λ» adhaerere Deo bonum »>/. pourn m Domino Deo spem meam: que l’homme déchu ne peut revendiquer comme siens que le mal et le péché (1). 44. Diom judicii timere (Luc., mi). 45. Gehennam expavescere (ibid. ). 46. Vilam aeternam omni concupiscentia > fuali desiderare (Ps. lxxxiii: Philipp., i, 23 . 47. Mortem quotidie ante oculos suspei habere (2). S'il est prudent de distinguer la source d’où découlent nos il est indispensable aussi de reconnaître où il nous mènent. Dan ces quatre sentences, N. B. Père nous avertit de songer à nos fins dernière : la mort, le jugement, le ciel ou l’enfer. C’est la vie tout entière qui prendra une physionomie différente, selon que nous la considérerons comme une nui un voyage. Dans le premier cas, nous somme promenade ou comme libres de notre allure et de nos mouvements. Si c’est un voyage, si nou-. avons un but déterminé, et si les conditions mêmes de ce voyage sont telles qu’il doit finir bientôt, peut-être de façon inattendue, et qu’il (1)N. B. Père est d’eccc-rd av-r S. Adoustix : Non ; «mal de te. tfnlial ■* hominem, et respidal dictum prophtlicum : Ma · <·<·>μ o · nu 0 lumine. Subducat sc sibi, sed non deorsum versui. Subducat ■,· nbi, ut ha^r^ol Γ>··>. Qu quid boni habet, iUi tribuat a quo fadus est; quidquid niait hah’t.ip'e nbi /■ it. Dm· qu· in illo malum est, non fecit (Serm. XCVI, 2. P. L., XXXVIII, : Une fonnul* analogue se rencontre cher le philosophe nêo-platonicb n Powtn κγ. : l.la< · ■■· ·'■· ■ άγαθών topi αίτντ/ήγώμ.ΐ5α· τώ* ci χαχών αίτιοι έσ il » οΐ . (Epist ad Marallam, χπ). On peut aussi rapprocher de la doctrine de saint Benoit celle du concile d'Orange de 529 : Nemo habet de suo nift mendacium fl pccailum. Λ’ι çutd autem habd homo teritah’s alque justifias, ab illo fonte est, quem debemus sitire i/i bac eremo, ut ex εο guari guttis quibusdam irrorati, non deficiamus in lia (Can. χχιι. Mansi, t VIII, col 716). (2) Recommandée parla sainte Écriture (Eccll, vu, 40; Ματπτ.. xxiv. 42 sq.). cette pratique était familière aux anciens moines : Cogita apud temd ipsum et dicito : utique non manebo in hoc mundo, nisi praesenti hac die, et non peccabis Deo... Ponaique sibi mortem ante oculos (Reg. S. Antonii, xli, xlv). — Oportet monachum ut temper lugeai, semper suorum sit memor peccatorum d omni hora ponat sibi mortem ante oculos suos (Verba Seniorum : Vitae Patrum, IU, 196, Rosweyde, p. 529). QUELS SONT LES INSTRUMENTS LES BONNES ŒUVRES 83 serait simplement effroyable de n'arriver pas, ne serait-ce pas folie que de cheminer au hasard? Nous n’avons pas le droit d’oublier le jugement de Dieu qui nous attend. Nous n’avoiu pas le droit de nous soustraüe à l’épouvante de l’enfer, comme si l'enfer ne nous regardait pasl II n’y a pas deux christianismes; et depuis qu’une créature a pu tomber des marche du trône divin au plus profond de l'abîme, il n’est pour nous de sécurité que dans un souci perpétuel de nos destinées. Nous y mar< h. fin du chapitre Lin, les chapitres lviu, lxi, lxvi, lxvu. CHAPITRE V DE L’OBÉISSANCE DES DISCIPLES — Primus humili ( at is gradus est obedientia sine mora. Haec convenit iis qui nihil sibi Christo carius existimant. Propter servitium sanctum quod professi sunt, seu propter metum gehennae, vel gloriam vitae aeternae, mox ut aliquid imperatum a majore fuerit, ac si divinitus imperetur, moram pati nesciunt in faciendo. De quibus Dominus dicit : In auditu auris obedivit mihi. Et item dicit doctoribus : Qui vos audit, me audit. De obedientia discipulorum. H n’y a point de contradiction entre l’affirmation par laquelle débu'. c ce chapitre et la doctrine du chapitre VII qui donne comme troisième degré d’humilité l’obéissance. Les points de vue sont différents. L’obéis­ sance dont il est parlé ici n’est pas un degré spécial, après lequel il y en aurait un second, puis un troisième : saint Benoît proclame sa valeur souveraine et déclare qu’elle est le sommet, Vapex, le résumé et l’expres­ sion la plus achevée de l’humilité. H ne s’agit pas, en effet, d’une obéis­ sance quelconque, mais de l’obéissance empressée et affectueuse, la seule vraie, la seule digne de Dieu et de nous-mêmes ; c’est de celle-là seulement qu’il est question, N. B. Père ne voulant pas supposer que des moines puissent se contenter des formes diminuées et inférieures de l’obéissance. Quant à l’humilité, saint Benoît l’envisage de la meme manière qu’au chapitre VU; elle est moins une vertu particulière qu’un état, un tempérament, une disposition morale définitive. L’obéis­ sance et l’humilité, telles que les conçoit N. B. Père, pourraient se définir l’une par l’autre; ou bien, si elles se distinguent, c’est comme cause et effet, comme indice et réalité : les actes de l’obéissance nous préparent et nous conduisent à rhumilité, c’est-à-dire à être devant Dieu ce qu’il convient que nous soyons, et la perfection de cette attitude, l’achèvement de notre humilité, c’est une obéissance qui ne temporise pas. DE L’OBÉISSANCE DES DISCIPLES F « On peut reconnaître dans le chapitre trois parties : les motifs de l’obéissance, ses qualités extérieures, sa perfection intérieure. Le seul fait d’être créature, et créature intelligente, nous porte déjà à l’obéissance. Lorsque Dieu a créé, dit la théologie, il n’a été déterminé ni sollicité par rien ; mais il a eu un dessein, il a assigné un but non pas à lui et à son action, mais aux choses elles-mêmes. Il y a une fin morale des choses, un programme éternellement conçu par Dieu et qui se réaire dans le temps sous sa main toute-puissante. La fin des êtres, c’est le bien ; et le bien essentiel de la créature, c’est d’être ce que le Seigneur veut qu’elle soit, de faire ce qu’il veut qu’elle accomplisse, d’aller par ses actes là où il veut la conduire, c’est-à-dire à la manifestation des attributs divins. Chacune des choses collabore à sa manière, moyennant l’activité spontanée de son être, à l’exécution d’un vaste plan d’ensemble, dont nous ne saisirons bien qu’au ciel toute l’harmonie *. nul ne s’y sous­ trait pour suivre son caprice; c’est un concert sans fausse note. Toute créature demeure, ontologiquement, vraie et bonne : elle est de Dieu, elle est pour Dieu. Toute la création obéit; elle obéit bien, jusqu’à la souplesse absolue, jusqu’au miracle ; Dieu peut toujours attendre d’elle ce qu’au chapitre LXXI saint Benoît appellera obedientiae lonum. Et c’est un spectacle impressionnant qu’une sujétion si universelle. Mais les êtres matériels font le bien sans savoir ; « les cieuxqui chantent la gloire de Dieu » ne comprennent pas leur cantique. L’homme seul est l’ouvrier de Dieu conscient et volontaire. L’ordre, pour lui, et la joie, c’est d’entrer librement dans ce concert de la création, d’être le collaborateur aimant de Dieu. Et toute loi qui se présente à nous avec autorité, n’est que l’expression du mode selon lequel nous pouvons aider Dieu à réaliser son programme de bien et de beauté. Nous avons là le sens exact de l’obéissance. Il est tel encore et surtout dans l’économie surnaturelle. Et sî N. B. Père propose à notre obéissance des motifs plus attrayants et plus effi­ caces que cette considération philosophique et un peu stoïcienne : Toll te insere mundo, n’a-t-il pas cependant, dès le Prologue, présenté le moine comme l’ouvrier privilégié que cherche Dieu? n’invoque-t-il pas ici même le servitium sanctum qu’a voué le religieux? et ne décrit-il pas l’obéissance comme une conformité pratique de nos desseins à ceux de Dieu? Tout nous invite à l’obéissance prompte : la loyauté, la prudence, l’espérance, la charité. Les uns voient dans l’obéissance la fidélité aux engagements de leur profession : nous avons donné notre parole; et il est sûr que ce jour-là nous n’avons ni promis de désobéir, ni formulé de réserve quelconque. Les autres se souviennent que l'enfer a été créé pour engloutir une rébellion ; l’obéissance leur apparaît comme la condition même de leur sécurité ; et. pour ne pas être le plus élevé, ce motif est bon 96 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT cependant et surnaturel. D’autres font de l’obéissance un exercice de la vertu d’espérance : n'ignorant pas que le salaire promis est la vie étemelle, ils se portent à l’obéissance comme à la rançon de leur gloire future. Mais le motif profond de l’obéissance, celui qui prime tous les autres et dont tous les autres ne sont guère que le morcellement, et le détail, c’est la charité. L’obéissance prompte, dit saint Benoît, est le propre de ceux qui estiment n’avoir rien de plus cher que le Christ (nous recon­ naissons le vingt et unième instrument des bonnes œuvres). Il semble que cela soit facile et normal de ne rien préférer au Seigneur? En effet ; mais pratiquement, peut-être à notre insu, il est souvent des choses que nous aimons plus que lui : une passion, une idée, un projet, un désir. Toutes nos résistances, nos inerties, nos atermoiements, nos difficultés viennent de là. Aussi longtemps que nous avons notre programme per­ sonnel, que nous nous définissons à nous-mêmes notre direction et l'em­ ploi de notre activité, nous ne sommes pas libres et le Seigneur n’est pas libre chez nous; l’obéissance parfaite n’existe pas encore. Mais, à dater du jour où il n’est rien que nous aimions hors de Dieu, que nous aimions plus que Dieu, nous devenons dans sa main une vigueur disponible, une force qu’il utilisera à son gré. Comme il importe de prendre garde à ne relever jamais l’édifice de la volonté propre jeté à bas dès le début de notre vie monastique! L’âge nous y porte, quelquefois même les obédiences nous deviennent un piège. Pourquoi désapprendre la sim­ plicité et la naïveté de notre soumission première, puisque l’indice de notre croissance surnaturelle résidera toujours dans l'empressement de notre obéissance? Ceux qui aiment le Christ, dit saint Benoît, ne peuvent souffrir de retard dans l’exécution de l’ordre donné, les délais leur sont impossibles : moram pati nesciunt in faciendo. Us ont reconnu la voix aimée du Sei­ gneur (1). La personne du supérieur, avec son caractère ou ses défauts, ne leur fournit jamais de prétexte pour se dérober. Us ne distinguent pas entre ce qui vient directement de Dieu et ce qui vient encore de lui, mais par l’intermédiaire de l’homme. C’est toujours à Dieu qu’ils obéissent, comme l’affirme à ceux qui le représentent le Seigneur lui-même : Qui vos audit me audit (Luc., x, 16). Quant aux choses, elles n’ont de couleur et de saveur qu’autant que Dieu les veut et les aime ; elles sont indifférentes jusqu’à ce qu’aient apparu les relations qu’elles soutiennent avec la volonté divine : moz ut aliquid imperatum a majore fuerit (2). Le simple fait doctrinal qu’au Seigneur va toute notre obéissance nous donne la mesure ce sa dignité et de son mérite ; il en commande aussi l’allure rapide ; et (1) Réminiscence de Cassien, Inst., IV, x, xxiv ; XII. xxxn. (2) Slûtiir.que cvm titi a majore fuerit imperatum (S. Pach., Heg., xxx). DE L’OBEISSANCE DES DISCIPLES 97 le Seigneur s’applaudit avec fierté d’être si bien écouté et compris : In auditu auris obedivit mihi (Ps. χνπ, 45). Ce n’est que justice pour le Seigneur de se féliciter, puisque notre obéissance est son œuvre. Comprenons bien. Notre âme est un sanctuaire, le sanctuaire du Dieu vivant. Il y a eu effusion de la vie du Seigneur en nous ; et tout le travail de Γ Église n’a pas d’autre intention que d’assurer en chacun et en tous la croissance complète du Christ. Cette doctrine est élémentaire et connue. Celle qui l’est moins peut-être, c’est que, dar.s l’ordre surnaturel, n’ont de réelle valeur et déportée que les œuvres qui procèdent de ce trésor de la vie divine communiquée. Et notre obéis­ sance n’est parfaite que lorsqu’elle est devenue une déférence profonde et continue envers celui qui vit dans notre cœur. La forme de l’obéis­ sance la plus achevée n’est-elle pas de se livrer à toute bonne œuvre sous la pression intérieure du Seigneur et de son Esprit? N’est-ce pas dans ce sens que l’Apôtre nous a dit que a se laisser conduire par l’Esprit de Dieu, c’est vraiment être enfant de Dieu»? Et ainsi le Seigneur nous incline à l’obéissance non pas seulement par des procédés objectifs et extérieurs, non pas seulement en nous fournissant des motifs d’ordre naturel ou surnaturel, mais encore en nous faisant communier au dedans à la vie, aux facultés, aux vertus de celui a qui s’est fait obéis­ sant jusqu’à la mort et jusqu’à la mort de la croix». Ah ! qu’il serait facile de faire l’apothéose de l’obéissance et de montrer que tout en demeurant, comme la religion, dans le groupe des vertus morales, elle est néanmoins en contact avec les vertus théologales, celles qui ont Dieu directement pour objet et qui unissent à lui. Elle prépare iilfl imprégnée ; au point de vue de ses élé­ à ces vertus et elle en est comme ments positifs, elle en implique pratiquement l’exercice. Elle est foi, puisque nous croyons aux volontés de ce Dieu qui se cache dans la per­ sonne des supérieurs. Elle est espérance, puisque nous faisons nôtre le programme de Dieu pour le temps et pour l’éternité. Elle est charité, puisque l’obéissance filiale et l’amitié réalisent l’une et l’autre la défini­ tion : idem velle, idem nolle; et surtout puisque, selon saint Jean, a celui qui garde la parole du Seigneur, c’est en lui vraiment que l’amour de Dieu est parfait, et par là nous connaissons que nous sommes en lui » (I Joann., ii, 5). De même, l’obéissance implique l’exercice de l’adora­ tion en esprit et en vérité, l’hommage essentiel que Dieu demande à sa créature rachetée. On peut dire de l’obéissance qu’elle résume tout le christianisme : Qui jacit voluntatem Patris mei qui in caelis est, ipse intrabit in regnum caelorum (AIatth., vu, 21). ii I COMMENTAIRE SÜR LA REGLE DE SAINT BENOIT Ergo hi tales relinquentes statini quae sua sunt, et voluntatem propri. m deserentes, mox cxoccupatis manibus, et quod agebant imperfectum relin­ quentes, vicino obedientiae pede, jubentis vocem factis sequuntur; et veluti uno momento praedicta magistri jussio, et perfecta discipuli opera, in velo­ citate timoris Dei, ambae res communiter citius ex­ plicantur, quibus ad vitam aeternam gradiendi amor incumbit. · Zoici les qualités de l’obéissance. La première est l’empressement. Saint Benoît l’a indiquée déjà, mais elle lui paraît si caractéristique qu’il la décrit avec complaisance, accumulant les synonymes et les images les plus expressives, dans une phrase qui est peut-être la plus travaillée de toute la sainte Règle. L’obéissant n’hésite point. Non seulement il n’invoque pas de pré­ textes pour se dérober, mais il ignore même toute délibération et tout raisonnement avant d’agir. Un ordre quelconque, et d’où qu’il vienne, le trouve toujours prêt. A cette spontanéité, à cette netteté résolue, la nature nous a peu préparés. Tout changement nous- déconcerte. On ne modifie jamais qu’avec effort le repos ou le mouvement des corps ; et même sans faire appel aux êtres purement matériels, nous savons bien que, lorsque nous nous appliquons à une œuvre, il y a convergence telle de toute notre activité, que, s’il faut nous détacher de ce travail pour en aborder un autre, une secousse intérieure est inévitable ; il s’élève en nous une protestation secrète, et comme une hésitation involontaire. Mais chez celui qui est parvenu à l’obéissance véritable, on ne trouve plus trace de ce premier mouvement. Il délaisse tout aussitôt son œuvre ; il déserte sa volonté propre, c’est-à-dire sa préférence, son application du moment. Les choses lui tombent subitement des mains ; ses mains sont libres. Le travail est inachevé (1)? il n’importe ; on pourra le reprendre s’il y a lieu ; mais il ne convient pas que Dieu attende. Car Dieu a parlé ; et pour l’obéissant il n’est plus rien au monde que Dieu et la chose que Dieu veut de lui. Son obéissance emboîte pour ainsi dire le pas de celui qui commande, l’exécution suit immédiatement et serre de près l’ordre donné. Ou, plutôt, il n’y a pas d’intervalle appréciable entre l’une et l’autre : c’est en quelque sorte dans le même instant très rapide et indivi(1) Cf. Cass., Insl., IV, xn. DE L'OBÉISSANCE DES DISCIPLES ttl sibloment que se réalisent ces deux choses : l’ordre logiquement ante­ rieur du maître et son accomplissement par le disciple. H y a loin de l’obéissance ainsi décrite à celle qui reproduirait la passi­ vité et l’inertie d’un cadavre ou bien la docilité inconsciente du bâton que notre bras manie (1)1 On dit que le propre d’an bon capitaine est d’avoir sa troupe bien en main, de manière à lui faire produire avec entrain et unité un maximum d’effet, au moment exact où elle doit donner. C’est une image de l’âme obéissante : la vraie maîtrise, la vraie souveraineté intérieure est d’avoir en main, connues et groupée?, toutes ses forces vitales, afin de les faire collaborer, à l’instant précis, à l’œuvre que Dieu demande. L’âme est devenue une activité, mais souple et toujours libre au milieu de son application même; elle est parfaitement intelligente, elle donne aux choses leur valeur relie ; elle s’applique ou se détache selon Dieu, par Dieu, pour Dieu. L’em­ pressement extraordinaire de son obéissance vient uniquement de sa crainte de Dieu : in velocitate timoris Dei; elle craint de lui être moins agréable, elle redoute de le perdre ou de retarder son entrevue ave? lui. Elle aime; elle n’a d’autre désir que celui de monter en hâte vers la vie éternelle : çid&us ad vitam aeternam gradiendi amor incumbit. Ideo angustam viam arripiunt; unde Dominus dicit : Angusta via est, quae ducit ad vitam; ut non suo arbitrio viventes, vel desideriis suis, et voluptati­ bus obedientes, sed ambulantes alieno judicio et im­ perio, in coenobiis degentes, Abbatem sibi praeesse desiderant. Sine dubio hi tales illam Domini senten­ tiam imitantur, qua dicit : Non veni facere voluntatem meam, sed ejus qui misit me. En vérité, il s’agit bien de calculer chétivement, peureusement, si l’obéissance a des aspérités, si l’autorité est assez mesurée, siTobedien e est aisée ou non ! 11 s’agit de Dieu et de notre éternité. Alors, qu’im­ portent les difficultés du chemin? Aussi bien, c’est le seul : Sdenles se γ r liane obedientiae viam ituros ad Drum, redira N. B. Père vers la fin de ; a Règle. « Étroite est la voie qui conduit à la vie u, le Seigneur lui-mèm? en convient (Mattil, vu, 14) ; entrons-y ppurtant, entrons-y. Elle n’est (1) Quand les maîtres de l’ascétisme emploient ces comparaisons, ils veulent exnrimer seulement la parfaite souplesse de l’âme obéissante, morte à sa volonté propre. Cfr. S. Nul Liber de monastica exercitatione, c. xli. P. G·, LXXIX. 769-772. — Constitui ones Societatis Jesu, P. VI, c, i. Institutum Soc. J. (Prague, 1757), vol I, p. 40S, 100 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT étroite que parce que notre cœur est étroit; elle devient la voie royale et triomphale dès que nous faisons place à Dieu. Une fois reconnu que l’éternité ne s’obtient qu’à la pointe de l’obéis­ sance, les généreux prennent leur parti. Il n’est plus question de vivre à son gré, ni de déférer à ses désirs et à ses inclinations. Nous marche­ rons vers Dieu, guidés par la pensée et par la volonté d’autrui ; nous vivrons cachés dans un monastère; en vrais cénobites, nous accepterons volontiers d’avoir à notre tête un Abbé, nous irons au-devant de cette perpétuelle sujétion, Abbatem sibi praeesse desiderant (1). Comme illît tout cela déconcerte le concept de l’obéissance que se sont forgé, les mon­ dains! Les moines ne se soumettent point par contrainte, non plus que par mollesse, incapacité ou crainte des initiatives. Lorsque l’obéissance est telle que la veut saint Benoît, l’imitation du Seigneur est achevée en nous. « Je ne suis point venu faire ma volonté, dit-il, mais la volonté de celui qui m’a envoyé » (Joann., vi, 38). Toutes les victoires de Dieu sont remportées par l’obéissance : celle dont l’archange saint Michel fut l’instrument, celle de l’Incaination, à la regarder du côté du Seigneur ou du côté de Notre-Dame, celle de la Rédemption ; et dans l’Eucharistie, le Seigneur a trouvé le se?ret d’être obéissant jusqu’à la fin. Les obéissants sont en bonne compagnie. Et en face de tels faits, les faits les plus élémentaires de la religion, toute désobéissance est-elle autre chose que désordre et folie? Sed haec ipsa obedientia tune accpptabilis erit Deo et dulcis hominibus, si quod jubetur, non trepide, non tarde, non tepide, aut cum murmure vel cum responso nolentis efficiatur; quia obedientia quae majoribus praebetur, Deo exhibetur. Ipse enim dixit : Qui vos audit, me audit. Saint Benoît est vraiment jaloux d’assurer la perfection de notre obéissance; c’est pourquoi il insiste surtout, en cette fin de chapitre, sur ses qualités intérieures. Elle doit devenir, dit-il d’abord, « agréable à Dieu et douce aux ho IIHI es ». Acceptabitis Deo. Nous le remarquions naguère, Dieu se glorifie et se complaît dans l’obéissance de sa créature humaine, co mu e il s’est applaudi de la fidélité de Job ou de la charité (1) Saint Benoît oppose une fois de plus l’idéal des cénobites à celui des sarabaïtes et des gyrovagues. Son texte rappelle Cassien, Conlat. XXIV, xxvi (cf. Conlat. XVIII, vn), et Sulpice Sévère : Summum jus est (coenobitis), sub abbatis imperio vivere, nihil arbitrio suo agere, per omnia ad nutum illius potestatemque pendere,., Haec illorum prima virtus est, parere alieno imperio (Dial, I, c, x. P. L., XX, 190). DE L'OBÉISSANCE DES DISCIPLES tM de saint Martin. Et, sans songer à déprécier aucunement l’obéissance des anges, il n’est pas défendu d’observer qu’elle s’accomplit dans un seul acte, qui ne leur coûte nulle souffrance, venant d’une nature parfaitement droite et non disjointe comme la nôtre; ils n’ont pas de martyrs, ils n’ont pas de vierges (1). Peut-être le succès de Dieu est-il plus apparent chez nous, où l’obéissance est tenue en échec par tant de sollicitations perverses, chez nous qui sommes contraints de multiplier les actes de soumission et de ressaisir sans cesse une nature qui s’échappe. Nous pré­ parons un grand triomphe de Dieu, cum venerit glorificari in sanctis suis, et admirabilis fieri in omnibus qui crediderunt (Il Tress., I, 10). Le dessein dernier de notre obéissance est donc de faire plaisir à Dieu. Mais encore que ce soit là l’essentiel, saint Benoît demande quelque chose de plus : et dulcis hominibus. Cette spiritualité est assez éloignée de certaines conceptions modernes, où, sous prétexte de ne voir que Dieu et de tout rapporter à lui, on prétend que le plaisir n’a pas à intervenir dans les questions de devoir, et que c’est avilir notre obéissance que d’y chercher une joie personnelle, et à fortiori, sans doute, une joie pour autrui... N. B. Père sait que le principe de toute vie est le bonheur, que Dieu lui a consacré le premier désir de notre âme. Et, dans la vie monas­ tique, la charité et l’obéissance, qui règlent toutes nos démarches, ont pour résultat, même pour fin, de nous rendre heureux tous ensemble : Omnes omnia faciunt et patiuntur ut laetentur et gaudeant (2). Il s’en faut que le souci de faciliter la tâche à ceux qui nous dirigent et de leur être agréable soit une considération trop humaine et périlleuse. L’obéissance sera douce à Dieu et aux hommes, la terre deviendra le ciel : fiat voluntas tua sicut in coelo et in terra, si l’ordre reçu est accompli dans certaines conditions déterminées. Non trepide, sans hésitation ni crainte : il n’y a pas en effet deux partis entre lesquels notre âme puisse flotter, irrésolue ; il n’y en a qu’un seul, le parti de Dieu. Non tarde, sans retard, comme s’il y avait en nous un poids d’inertie qui ralentit l’obéis­ sance. Non tepide (3), sans tiédeur, l’âme manquant d’entrain et demeu­ rant comme alourdie par l’affection secrète qu’elle garde pour autre chose. Aut cum murmure, sans tous ces murmures dont saint Benoît par­ lera bientôt explicitement; à plus forte raison sans protestation ni mau­ vaise grâce : vel cum responso nolentis. Et, après cette description exacte­ ment graduée, saint Benoît répète que le motif premier de l’obéissance est qu'elle se réfère à Dieu. Nous avons la fierté et l’intransigeance de n’obéir qu’au Seigneur du ciel et de la terre. (1) Cf. S. Joann Chrys.. De virginitate, x-xi. P. G., XLVIII, 540. (2) S Joann. Chrys., Adversus oppugnatores vitae monasticae, L III, 11. P. G., XLV1I, 366. (3) ... Trepidas et lepidas contradictiunculas (S. Aug., De consensu Evangel., I. I, 13. P. L., XXXIV, 1048). De emissa tardius vel tepidius oratione deflemus (Cass.. Conlat. XXIII, vu). *4 toi COMMENTA IR E SUR E Λ RÈGLE DE SAINT BENOIT Et cum bono animo a discipulis praeberi oportet, quia hilarem datorem diligit Detis. Nam cum malo animo si obedit discipulus, et non solum ore, sed etiam corde si murmuraverit : etsi impleat jussio­ nem, tamen acceptus jam non erit Deo, qui cor respicit murmurantis; et pro tali facto nullam consequitur gratiam; immo murmurantium poenam incurrit, si non cum satisfactione emendaverit. On pent distinguer trois espèces d obéissance, celles d'exécution, do volonté, dépensée. La première est requise, qui en doute? Mais suffit-elle? Ooi, pour faire un. Juif ou un esclave, il y a réellement servitude lorsque nos membres violentés exécutent ce que notre volonté réprouve ; l'unisson n est que matériel, extérieur. A moins que la grâce de Dieu et l’éducation ce nous aient d avance assouplis, notre obéissance est, pour commencer, un peu âpre et mécanique, a la façon de ces caractères anguleux Chose remarquable, même lorsque nous nous adressons à Dieu, l’Évangile nous presse de n’être point grands parleurs : Orantes autem nolite multum loqui, sicut ethnici : putant enim quod in multiloquio suo exau(1) Saint Benoit continue de s’inspirer de Cassien, qui écrivait immédiatement après les lignes citées plus haut : A’ihil itaque in conlatione seniorum proferre audeas ; nisi quod interrogare te aut ignoratio nocitura aut ratio necessariae cognitionis inpulcril, ut quidam vanae gloriae amore distenti pro ostentatione doctrinae ea quae optime norunt interrogare se simulant. (2) Hoc, quod dicit : ne videatur plus loqui quam expedii, non est in Regula, sed subauditio est (Hildemar). De fait, les manuscrits qui représentent le mieux les traditions carolingienne et cassinienne n’ont pas cette finale, (3) 17 septembre 1G90 (Urbain et Levesque, Correspondance de Bossuet, t. IV, p. 111). (4) Lettre III, aux religieuses de Véas. DE L’ESPRIT DE SILENCE <11 diantur. Nolite ergo assimilari eis (Ματτπ., vi, 7-8). Et, tout en réservant le cas où la grâce divine nous porte à prolonger notre prière, saint Benoît nous dira que, pour être pure, l’oraison doit être brève. Le silence est un des traits du caractère de Dieu : Non in commotione Dominus ; ses plus grandes manifestations ad extra s’opèrent sans bruit, dans le mys­ tère : Vere tu es Deus absconditus, Deus Israel, salvator (Is., xlv, 15). Et les saints qui ont approché Dieu de plus près sont devenus de grands silencieux (1). Scurrilitates vero vel verba otiosa et risum mo­ ventia, aeterna clausura in omnibus locis damna­ mus, et ad tale eloquium discipulum aperire os non permittimus (2). Voici une quatrième et dernière catégorie de conversations : les bouf­ fonneries, les paroles oiseuses (3), mondaines, et qui n’ont pour dessein que de provoquer le rire (voir les cinquante-quatrième et cinquantecinquième instruments des bonnes œuvres), sont bannies à tout jamais. •III aeterna clausura, et de partout ; les lèvres d’un moine ne s’ouvriront point pour de tels discours. N. B. Père l’interdit avec énergie et avec une sorte de solennité. Il ne s’agit pas d'exclure la gaieté des récréations. H est même sage d’éviter la pruderie qui s’effarouche et se scandalise de tout; lorsque nous sommes bons, la tranquillité et l’innocence de l’enfant, sa naïveté morale se restituent en nous. H reste néanmoins que les causeries ne doivent pas se prêter à certains sujets, à certaines réflexions un peu trop gauloises, au ton gouailleur et boulevardier. Cela n'est pas de nature à exciter un rire qui soit de bon goût ; il est des choses qu’il ne faut pas côtoyer, dont il est salubre de s’éloigner. Notre délicatesse et le souci du Seigneur nous garderont de toute imprudence. Lorsque N. B. Père défend les entretiens frivoles in omnibus locis, il laisse entendre qu’il est des lieux où les bonnes conversations sont licites et d’autres qui sont privilégiés pour le silence ; il parlera au chapitre XLII des moments privilégiés. La tradition monastique a déterminé de bonne heure qu’un silence absolu devait régner à l’église et au réfectoire, même (1) Lire Bossuet, Elévations sur les mystères, XVIIIe semaine, 11e ëlév. (2) Si quis clericus aut monachus verba scurrilia, joculaloria, risumque moventia loquitur, acerrime corripiatur (d’un ancien concile d’Afrique, cité par le Décret de Gra­ tie n ; cf. Mansi, t. III, coL 893). Voir aussi S. Jerome, Ep. LU ad Nepotianum. P. L., XXII, 527 sq. (3) S. Basile définissait les paroles oiseuses: Generaliter omnis sermo qui non pro­ fiai ad aliquam gratiam fidei Christi (Reg. conlr., xl\ commentaire sur la règle de saint benoit eu dehors des exercices conventuels. On ajoutait, à Cluny et ailleurs, le dortoir et la cuisine régulière, souvent aussi le chapitre, le chauffoir, la sacristie, le cloître, surtout dans sa partie qui avoisine immédiatement l’église. Afin de n’avoir pas à rompre le silence dans ces lieux privilé­ gié, on avait adopté à Cluny (1) et à Cîteaux toute une langue de signes conventionnels. Saint Benoît prescrit les signes pendant les repas (chap. XXXVIII); et déjà chez saint Pacômo on usait en certains cas du même procédé (2). U n’a été question jusqu’ici que du silence de la parole, le seul dont parle formellement N. B. Père, liais il y a aussi le silence matériel, l’absence de tapage. Lue religieuse de la Visitation demandait à saint François de Sales ce qu’elle pourrait bien faire pour parvenir à la perfection. Le saint évêque, qui savait sans doute à qui il s’adressait, lui répondit : « Ma sœur, je crois que le Seigneur vous demande de fermer les portes sans bruit ». Ce qui n’était qu’un conseil tout personnel et enveloppé de malice devient, dans une communauté nombreuse et dans une maison sonore, un conseil universel et toujours opportun. Le silence extérieur des choses est favorable à la prière comme à l’étude; on ne fait pas facile­ ment son oraison au milieu d’une canonnade... Il n’est peut-être pas superflu de surveiller sa façon de marcher, d’éternuer, de se moucher. Faut-il parler du fracas menaçant par lequel débutent les repas, des éclats de voix à l’intérieur du monastère ou pendant la récréation (3)? Tout cela s’élimine grâce au bon goût, à l’éducation, et lorsque chacun prend conscience qu’il n’est pas seul au monde. Le silence intérieur enfin. Ê est la raison même et l’intention de toutes les autres formes de silence. Préparé et facilité par elles, il en est d ailleurs pratiquement très distinct. Certaines âmes n’aiment pas le bruit exté­ rieur et ne se répandent pas en conversations sans fin ; jamais pour­ tant le silence ne s’établit en elles ; derrière le mutisme des lèvres, c’est un vacarme continu de voix intérieures, dans la proportion même des passions i Hlff ortifiées. Lorsque le Seigneur voulait affirmer le bonheur et la simplicité de la contemplation, il disait à Marthe : Martha, Martha, sollicita es et turbaris erga plurima; n’est-ce pas le reproche qu’il a le plus souvent l’occasion de nous adresser? Nous est-il arrivé parfois d’essayer de passer en revue, dans un examen rapide, l’infinie variété des objets et des spectacles qui viennent se placer dans le champ de notre vision intérieure? Des souvenirs, des rancunes, des projets, des regrets, des recherches de vanité, des émotions de colère, des irritations, des scru­ pules : de combien de souffles et de combien de vagues est remué ce monde (1) ÜDALR., Consuet. Chin., 1. II, c. vi. — Bermïlrd., Ordo Clun., P. I, c, xvn, — Constii. Hirsaug, 1 L c. vi-xxv, (2) Reg., cxvl (3) Cf, S. Basil,, Reg. brev., eu. DE L'ESPRIT DE SILENCE 113 de notre vie secrète 1 Tel frère que nous apercevons nous rappelle sou­ dain une longue série d’expériences ; et nous nous en allons sur cette sotte piste, si loin, si longtemps, que nous ne nous retrouvons plus. Un incident de détail suffit pour provoquer tout un roman. Quelquefois, c’est une petite scène douce où nous revoyons le passé, où nous ressus­ citons ses joies et ses relations. Salle des pas perdus, cinématographe, phonographe, caléïdoscope, notre âme devient tout cela. La distraction grave n’est pas celle que nous accusons d’habitude, une parenthèse rapide et épisodique dans notre vie ; c’est celle qui engage notre activité entière dans une direction étrangère à Dieu. Et l’intention profonde du silence est de libérer l’âme, de lui rendre forces et loisir pour adhérer au Seigneur. H affranchit l’âme, comme l’obéissance donne toute sa maîtrise à la volonté. H a, comme le travail, la double efficacité de nous soustraire à la basse attraction de nos pen­ chants sensibles et de nous fixer dans le bien. Il nous établit peu à peu dans une région sereine, sapienlum templa serena, où nous sommes capables de parler à Dieu et d’entendre sa voix. Le silence soutient donc à son tour une affinité avec la foi et la charité. Et de même qu’on ne nous demande pas l’obéissance pour la servitude, on ne nous demande pas non plus le silence dans un parti pris de vexation : toutes ces limitations tutélaires sont autre chose que des retranchements. Le silence est œuvre festive ; et c’est pourquoi, selon les anciens coutumiers, on l’observait rigoureusement les jours de fête : propter festivitatis reveren- _ tiam. Or, dans l’âme chrétienne, la fête est de tous les jours. 1 CHAPITRE VII DE L’HUMILITÉ — Clamat nobis Scriptura divina, fratres, dicens ! Omnis qui se exaltat, humiliabitur, et gui se humiliat, exaltabitur. Cum haec ergo dicit, ostendit omnem exaltationem genus esse superbiae : quod se cavere Propheta indicat, dicens : Domine, non est exaltatum cor meum, neque elati sunt oculi mei; neque ambulavi in magnis, neque in mirabilibus super me. Sed quid? Si non humiliter sentiebam, sed exaltavi ani­ mam meam; sicut ablactatus super matre sua, ita retri­ butio in anima mea. De humilitate. C’est encore sur l'affirmation de la sainte Ecriture qu’est fondée la |V; doctrine de ce chapitre; affirmation solennelle, proclamation divine, faite assez haut pour être entendue de ceux-là mêmes qui ont l’oreille paresseuse. «Quiconque s’exalte sera humilié, et quiconque s’humilie sera exalté » (Luc., xiv, 11). C’est un axiome de foi ; puisque le Seigneur en personne l’a formulé dans son enseignement et appliqué le premier dans sa vie, c’est donc chose indubitable. Et nous ne regarderons pas à l’ap­ parence de paradoxe qu’il y a dans cette promesse de gloire adressée aux humbles et d’humiliation aux superbes ; ce paradoxe est familier au Seigneur : rappelons-nous l’énoncé des huit béatitudes. ikj et d’une façon aussi générale, continue saint Lorsqu’elle parle ainsi Benoît, l’Écriture nous laisse entendre que toute espèce d’exaltation personnelle est une modalité du vice qui s’oppose à l’humilité. L’égoïsme et la superbe se traduisent sous les formes diverses de l’exaltation : l’exaltation des pensées ou l’orgueil, l’exaltation des paroles ou la jac­ tance, l’exaltation des actes ou la désobéissance, l’exaltation des désirs ou l’ambition, l’exaltation des tentatives ou la présomption. Contre toutes ces hauteurs et toutes ces visées le Prophète se tenait en garde, selon son propre témoignage (Ps. exxx) ; dans le fond de son cœur aussi Ht DE L'HUMILITÉ HI bien que dans ses démarches extérieures il ne songeait point à s’élever. Et pourquoi? demande saint Benoît. Parce que, répond le Psalmiste, si mes sentiments n’avaient pas été humbles, si j’avais laissé mon âme s’exalter, vous l’auriez traitée comme l’enfant que sèvre sa mère et qu’elle rejette de son sein. Le Psalmiste avait la crainte de Dieu ; il redoutait de perdre cette bienveillance et cette grâce qui sont promises aux humbles seuls ; Deus superbis resistit, humilibus autem dat gratiam 'Jac., iv, 6), Unde, fratres, si summae humilitatis volumus culmen attingere, et ad exaltationem illam caele­ stem, ad quam per praesentis vitae humilitatem ascenditur, volumus velociter pervenire, actibus nostris ascendentibus scala erigenda est, quae in somno Jacob apparuit, per quam et descendentes et ascendentes Angeli monstrabantur. Non aliud sine dubio descensus ille et ascensus a nobis intelligible, nisi exaltatione descendere, et humilitate ascendere. Scala vero ipsa erecta, nostra est vita in saeculo, quae humiliato corde a Domino erigitur ad caelu II Latera enim hujus scalae dicimus nostrum esse corpus et animam, in quibus lateribus gradus humilitatis vel diversos disciplinae vocatio divina ascendendos inseruit. Il s’agit donc de ne pas perdre Dieu, et on le perd par l’exaltation ; il s’agit de demeurer attaché à lui, comme l’enfant au sein de sa mère, de vivre de lui, de grandir en lui ; et c’est l’œuvre de l’humilité. A’isi conversi fueritis, et efficiamini sicut parvuli, nan intrabitis in regnum caelorum. Quicumque ergo humiliaverit se sicut parvulus iste, hic est major in regno caelorum (Mattii., xvm, 3-4). Réellement, voulez-vous de Dieu? À’oulezvous monter vers lui d’une façon rapide et sûre (1) et parvenir à la glo­ rieuse exaltation du ciel? Alors, il vous faut renoncer à la fausse exal­ tation de la vie présente et consentir à l’humilité. L’humilité nous fait des­ cendre, semble-t-il, jusqu’aux confins du néant : et c’est pourtant dans ses profondeurs que nous rencontrons la plénitude de l’être ; elle est plutôt une ascension, puisque le terme suprême de cet abaissement est en réalité (1) Si guis velit ad perfectionem velociter pervenire... (Rufin., Hist, monach., c, χχχι, Rosweyde, p. 484). COMMENTA IRE SUR LA REGLE DE SAINT BENOIT une cime, qui est Dieu. Il faut donc faire de notre vie et do scs acte? comme une échelle d'humilité; il faut dresser l’échelle de Jacob. .Rappelons-nous le passage de la Genèse (x.xvm). Jacob s'enfuit devant la colère d’Esaü. Il s'endort sur la pierre, et un songe mystérieux lui montre une échelle dressée par où des anges descendent et montent. Au sens littéral, c’est la Providence divine qui est ainsi symboli ée : de< anges partent de Dieu comme exécuteurs de scs ordres, comme porteur.·» de ses inspirations et desesgrâces ; des anges reviennent vers I )im comme messagers delà création, lui rapportant les prières et les ipumc de |Λ créature intelligente. N. B. Père rappellera plus loin cette mi-ion d™ anges; mais il prend ici le texte de la Genèse dans un sens arcnmtnod nier. « H est clair, dit-il, que cotte descente or cette montée no iimilimt pour nous rien autre chose sinon quo l’exaltation fait de cendre et que l'humi­ lité fait monter. » Par l’humilité, les bons anges sont montés jusqu'à Dieu pour e fixer en lui; par l’orgueil, les mauvais sont tombés du ciel : c’est l’humilité seule qui a fait le discernement; la meme voie a conduit en sen» contraire les uns à la gloire, les autres à la ruine. Or, cher !»· homme» comme chez les anges, l'économie du salut est simple : tout e ramène à ce double mouvement, sur l’unique échelle de l'humilité. S tint Benoit néglige le mouvement d’exaltation illusoire, pour ne s’occuper que du mouvement d'exaltation réelle, et il prévue par le menu la -irnilication du symbole proposé. L’échelle dressée vers le ciel, c'est notre \ ic d'ici-bas et tous les actes qui naissent d’un cœur humilié. P.il que Γéchelle repré­ sente la vie, on peut considérer notre corps et notre âme, le deux élé­ ments constitutifs de l’homme, comme les côtés ou les montants de l’échelle. Dans ces montants sont insérés divers degré- d’humilité et de perfection morale que la vocation divine nous invite à gravir (!) : .isccnsüznes t'n corde suo disposuit in valle lacrymarum. Remarquon- avec quel souci doctrinal N. B. Père détermine la part de Dieu dans notre ascen­ sion vers lui : c’est Dieu qui appelle, c’est lui qui fournit le procédé pour l'atteindre et dispose les degrés do l’échelle, dnersos u!< .1 humilia, cum Ecclesia primitivorum dominicae passionis /esta celebrare (.8. Hiekun., Epist. XCVI1I,3. P. L, XXII, 793). Quisquis igitur ad ίίωρτ,ταήν toluerit pervenire... Gradus quidam ita ordinati atque distincti sunt, ut humana humilitas possit ad sublime conscendere,,. (Cass., Coulai. XIV, % ÎJK L'HUMILITÉ HT d’un trait gracieux la Passion des saintes Perpétue et Félicité; saint Basile, dans une homélie sur le psaume premier, compare Γexercice progressif des vertus chrétiennes à la montée de l’échelle de Jacob (1). Peu après saint Benoit, Cas-iodore emploie lui aussi cette comparaison et avec de exproprions qui rappellent le texte de la Règle (2). Puis saint Jean < limaquc, dans le traité de VEehrlle sainte qui lui a valu son nom, décrit la vie pirituelle sous la forme d’une ascension par trente degrés. Cassien ne parle pas explicitement d’échelle, mais il montre comment l’homme arrive à la perfection en franchissant divers degrés d’humilité (3); et c’est à lui que N. B. Père a emprunté tout le cadre de son chapitre. Les deux texte, diffèrent assez peu. Tandis que Cassien compte dix degrés seule­ ment, N. B. Père va jusqu'À douze ; encore faut-il observer que la crainte d·· Pieu, donnée par saint Benoit comme premier échelon, est aussi men­ tionné·· en tout premier lieu par Cassien, mais en dehors de la série des degré* : Prinripium vostra*· ululis fjusdcmque custodia timor Domini esi; le douzième degré cul <-t donc propre à saint Benoît. L’ordre des degrés n e t pas toujour? identique chez l'un et chez l’autre. Enfin, IL B. Père a développé largement la brève énumération de Cassien. Saint Thomx d’Aquin, dans un article do la Somme théologique (4), montre la corn -nance de celte distribution de l’humilité en douze degrés. Il les énumère dans l'ordre inverse à celui de saint Benoit, de telle sorte rue le douzième devienne le premier, le onzième le second et ainsi des autres ; et il nou- explique ce qui l’a déterminé à choisir l’ordre rétrograde, alors que saint Benoit avait adopté l'ordre progressif ; il nous dit pourquoi son énumération va de l’extérieur à l’intérieur, tandis que saint Benoit commençait par le dedans. Sans méconnaître la priorité théorique et pra(1) P. G., XXIX. 217 »q. (2) A7/· ntio in Pt, exix. P. L, LXX, 901-902. De Institutione divin. Litter., praef. P. L. ibid. 1107. (3) /’nneipium nostrae salutis cjusdemque custodia limor Domini est. Per hunc enim et initium convrrsûmis cl vitiorum purgatio et virtutum custodia his qui inbuuntur ad nam prrfedwnu adqumtur... Humilitas vero his indiciis conprobalur : primo si rr rtifi. i.'u< in .«c.m o»n»v< habeat voluntates; secundo ti non solum suorum aduum, verum chain r< ntationum nihil suum «latent seniorem; tertio si nihil suae discretioni, sed pidv > t jus unurr i committat ac monita ejus sitiens ac libenter auscultet ; quarto si in omnibus 'nd ob tdienliae mansuetudinem patientiaeque constantiam; quinto si non s· 'mu injuriam inferat nulli, red ne ab alio quidem sibimet inrogalam doleal atque tr detur;serto si nihil agat, nihil praesumat, quod non vel communis regula vel majorum coA itantur exempli; rephmo si omni vilitate contentus sil et ad omnia se quae sibi praeb-atur idui operanum nullum judicant indignum ; octavo si semstipsum eundis in/eriorem non superficie pronuntiet labiorum, sed intimo cordis credat affectu; nono si lin­ guam cohibeat iri non /it clamosus in voce ; decimo si non sit facilis ac promptus in risu, talibus namque indiciis ct his similibus humilitas vera dinosatur. Quae cum fuerit in v-date jiosscssa, confcslim te ad caritatem, quae timorem non habet, gradu excelsiors j-rducet, per quam universa, quae prius non sine poena formidinis observabas, absque ullo labore vclui naturaliter incipies custodire, non jam contemplatione supplicii vel timoris ullius, sed amore ipsius boni et delectatione virtutum (Inst., IV, xxxixL (4) II· II- q. clxi, a. 6, 118 COMMENTAIRE 3UR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT tique des dispositions intimes, ni le caractère radical et foncier de la crainte de Dieu : Principium et radix est reverentia quam quis habet ad Deum, il observe que l’homme obtient l’humilité grâce à la collaborai ion de deux agents : Primo quidem et principaliter, per gratiae donum : et quantum ad hoc interiora praecedunt exteriora. Aliud autem est humanum studium per quod homo prius exteriora cohibet, et postmodum pertingit ad extirpandam interiorem radicem : et secundum hunc ordinem assignantur hic humilitatis gradus. N’avons-nous pas là esquissées deux méthodes de spiritualité? L’occasion de les comparer se retrouvera dans la suite. Mais remarquons dès maintenant que l’effort de l’homme pourrait partir aussi bien de l’intime, s’appuyer principalement sur la réalité de la vie nouvelle créée en lui et suivre ainsi une marche parallèle à l’épanouisse­ ment de la grâce. 11 y a d’ailleurs entre le point de vue de saint Benoît et celui du Docteur angélique une différence plus considérable. Pour saint Thomas l’humilité est une vertu spéciale, destinée à réprimer l’amour immodéré de la gran­ deur; c’est une subdivision de la modestie, laquelle appartient à la tem­ pérance comme vertu cardinale première. Pour saint Benoît, non seu­ lement l’humilité implique l’exercice de plusieurs autres vertus, telles que l’obéissance ou la patience, ce que reconnaît aussi saint Thomas ; mais elle est une vertu générale, mère et maîtresse de toute vertu ; elle est l’attitude que prend habituellement notre âme en face de Dieu, d’elle-même, de tout et de tous. N. B. Père va montrer dans le détail urn comment elle s’empare de tontes les formes de notre activité et gouverne toutes nos démarches. Les citations scripturaires par lesquelles s’ouvre ce chapitre et l’allégorie même de l’échelle laissaient entendre déjà que saint Benoît prend l’humilité dans son acception la plus large. Le cha­ pitre VII est regardé à bon droit comme l’expression achevée de la spi­ ritualité monastique. Pourquoi douze degrés, ni plus ni moins? Il est sûr que de semblables divisions sont toujours un peu arbitraires, mais on ne leur demande que de s’accommoder à la doctrine et d’en faciliter l'exposition. Les commen­ tateurs, comme bien on pense, n’éprouvent nul embarras à démontrer, chacun à sa manière, tout l’à-propos de ce nombre douze, sauf à observer comme D. Mège, après saint Bernard (1), qu’il s’agit plutôt de gravir les degrés d’humilité que de les compter. Saint Benoît ne les a pas énu­ mérés absolument sans ordre, nous le verrons ; rien n’indique pourtant qu’ils correspondent à des étapes distinctes et successives de la crois­ sance spirituelle, et qu’on puisse les assimiler par exemple aux sept demeures du Château intérieur de sainte Thérèse. Ils décrivent les disposi­ tions les plus caractéristiques de l’âme humble, en face des devoirs (1) Tractatus de gradibus humilitatis el superbiae, c. i, P. L., CLXXXII, 941 < DE L’HUMILITÉ II» essentiels et dans les circonstances principales de la vie surnaturelle et monastique ; Cassien les appelle les indices, les marques de l’humilité. 11 n’est donc point nécessaire d’avoir franchi l’un des échelons pour monter au suivant ; et encore que telle ou telle physionomie d'humilité appartienne peut-être plus spécialement à une période déterminée de la vie spirituelle, il convient de cultiver à la fois l’ensemble de ces disposi­ tions ; c’est leur réalisation intégrale qui constitue la perfection. Primus itaque humilitatis gradus est, si timorem Dei sibi ante oculos semper ponens, oblivionem illi quae omnino fugiat, et semper sit memor omnium praecepit Deus, qualiter contemnentes Deum in gehennam pro peccatis incidunt, et vitam aeternam quae timentibus Deum praeparata est, animé, suo semper revolvat (1). Et custodiens se omni hora a peccatis et vitiis, id est cogitationum, linguae, ocu­ lorum, manuum, pedum vel voluntatis propriae, sed et desideria carnis amputare festinet. L’humilité chrétienne n’est pas une simple habitude extérieure et matérielle, conquise par un exercice d’assouplissement. Ce n’est pas non plus une vertu des lèvres. Elle ne consiste pas davantage dans le mépris de soi : il y a des êtres d’une abjection parfaite qui se méprisent sincère­ ment, sans pour cela mériter le nom d’humbles. Elle n’est pas même une vertu de pure intelligence, mais réside dans la volonté. H faut reconnaître néanmoins que l’humilité est fondée sur l’intelligence surnaturelle et la foi, et saint Benoît ne s’y est pas trompé. Selon lui, c’est sur une con­ naissance exacte que repose tout l’édifice de l’humilité; l’humilité Hill peut être définie une attitude de « vérité ». Elle commence par nous ordonner devant Dieu. Encore faut-il que nous sachions ce qu’est Dieu en lui-même et vis-à-vis de nous, et que nous prenions conscience de sa présence. Notre éducation surnaturelle est le fruit d’un double regard : le regard de Dieu sur nous, notre regard vers Dieu. Lorsque le regard de Dieu et le nôtre se rencontrent, que cela se prolonge et devient habituel, notre âme possède « la crainte de Dieu ». Selon certains hébraïsants, on pourrait établir un rapprochement entre le mot qui signifie craindre et celui qui signifie, regarder. Lorsque nous étions petits enfants, nous obser(1) D. Butler lit ainsi : ...quae praecepit Detis : ut qualiter et contemnentes Deum gehenna de peccatis incendat, et vita aeterna, quae timentibus Deum praeparata est, animo suo semper euolvat. HO COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT rions le regard de notre mère pour estimer la valeur de nos actions; telle a été la forme initiale de notre conscience. Le regard que nous tenons fixé sur Dieu devient la forme définitive de notre conscience d’enfants de Dieu : Ad te levavi oculos meos, qui habitas in cadis. D n’est guère de disposition qui dans ΓAncien Testament soit plus assidûment exigée que la crainte de Dieu. Elle est donnée comme le com­ mencement de la sagesse : Initium sapientiae timor Domini. Elle en est présentée comme l’achèvement : Plenitudo sapienti :e est timere Deum, corona sapientiae timor Domini (Eccli., i, 20, 22); et l’Écriturc aime à résumer la sainteté de ses héros en disant qu’ils « craignaient Dieu d. Elle est offerte enfin comme le meilleur instrument de perfec­ tion, et le Psalmiste demandait au Seigneur qu’il voulût bien « trans­ percer sa chair de crainte ». Observons d’ailleurs que la crainte de Dieu est une a variable » : elle prend divers caractères et diverses valeurs, selon qu’elle appartient à l’économie ancienne ou à la nouvelle, en fonc­ tion aussi de la vie de chacun. D y a la crainte de l’esclave, celle du fils, celle de l’épouse ; il y a une crainte du temps et une crainte de l’éternité : Timor Domini sanctus permanens in saeculum sacculi (1), car la crainte subsiste pour ceux-là mêmes qui sont avec Dieu (2). Elle fait partie des dons du Saint-Esprit ; et il n’est point sans elle de vie surnaturelle. N. B. Père voudrait qu’elle fût enracinée au cœur des moines. Lisons attentivement ces textes très denses et comprenons tout ce qu’implique cette notion de la crainte de Dieu pour l’intelligence, pour la volonté et pour l’agir (3). Notre attitude en face de Dieu sera déterminée par l’appréciation saine de ce qu’il est à notre égard, de ce que nous sommes au sien, de ce qu’il a prescrit et sous quelles peines. Nous sommes créatures, c’est-à-dire que nous tenons tout de Dieu : le corps, l’âme, la vie, la durée, les influences, les directions, le jour de notre mort, tout enfin. A ce titre, Dieu a sur nous un droit absolu de propriété et d’autorité. Il n’y a rien là qui nous puisse effrayer. C’est la joie, la plus haute joie de la créature de reconnaître cette souveraineté divine et de s’abandonner à ce pouvoir discrétionnaire. Et jamais le Seigneur ne nous fait plus d’honneur que lorsqu’il dispose de nous à son gré, sans nous demander conseil, sans paraître soupçonner seulement qu’il y aura une hésitation dans notre (1) CL S. Aug., Enarr. in Ps. cxxvn, 8-9. P. L., XXXVII, 1681-1683. (2) Le concile de Sens l’a rappelé en condamnant l’erreur contraire d’Abélard : Mansi, t, XXI, col. 569. (3) On pourrait rapprocher ce paragraphe de la Règle de ce qu’écrivait S, Au­ gustin en exposant les sept degrés qui mènent à la sagesse : Ante omnia igitur opus esi Dei timore converti ad cognoscendam ejus voluntatem, quid nobis appetendum Jugumdumque praecipiat. Timor autem iste cogitationem de nostra mortalitate et de futura morte necesseest incutiat, et quasi clavatis carnibus omnes superbiae motus ligno crucis affigat (De Doctrina Christiana, h II, c, vn, P. L, XXXIV, 39)« DE L'HUMILITÉ lit volonté ou un frémissement dans notre chair. Ainsi furent traités Abraham, les Prophètes, saint Jean-Baptiste, la sainte Vierge, Notre-Seigneur Jésus-Christ. Ceux qui ont du cœur le comprennent bien. Le cri des croisés est un cri étemel. Faut-il ajouter que nous autres, nous avons jugé bon d’étendre et de consacrer, par la profession, les droits de Dieu sur nous? Liés à Dieu en tant que créatures, nous le sommes encore en tant que rachetés au prix du sang, en tant que pécheurs pardonnés et arrachés peut-être plusieurs fois à l’enfer; nous le sommes au titre de notre filiation adoptive, et parce que, demeurant faibles, nous vivons dans un perpétuel besoin de Dieu. Il a d’ailleurs défini son dessein à notre endroit et comment nous devions collaborer à son œuvre ; il nous a donné des préceptes, et il les a garantis de sa sanction. Pour ceux qui craignent I )ieu, la vie étemelle est préparée ; pour ceux qui pèchent, qui négligent Dieu et se moquent ainsi de sa majesté infinie, c’est la chute dans renier. Nous reconnaissons la grande doctrine du Prologue. Ici encore, N. B. Père répète que l’appréciation intellectuelle d’où naît la crainte de Dieu doit être continuelle, de tous les instants, toujours en éveil : semper ponens,... semper sit memor,... animo suo semper revolvat,... omni hora. Il sait que nous avons besoin longtemps d un effort pour prendre ainsi contact avec le Seigneur : sibi ante oculos ponens; c’est la foi toute seule qui nous rend attentifs à Dieu présent et aux réalités surnaturelles, tandis qu’il nous est trop facile d’avoir conscience de nous-mêmes et des choses sensibles qui nous environnent. Oblivionem omnino fugiat : l’inattention est la grande pourvoyeuse de l’enfer, et il est quelqu’un qui a tout intérêt à la cultiver en nous. On peut oublier par inadvertance, distraction, emportement de l’âme sous la poussée sensible. On peut oublier par négligence, lâcheté, somnolence : « Je ne l’ai jamais fait ; je suis trop vieux ; je ne peux pas... » On peut oublier par calcul : c’est l’inattention voulue, le péché contre le Saint-Esprit, la préoccupation d’obstruer son âme de telle sorte que la lumière et le repentir n’y puissent pénétrer. A quoi cela servira-t-il? Lorsque vous oubliez ainsi, supprimez-vous votre connaissance première, et cette conscience que vous aviez, en commençant à biaiser, des conséquences éventuelles de votre infidélité? Supprimez-vous votre devoir? comme si, pour éteindre une dette, il suffisait de n’y point songer. Supprimez-vous Dieu? Croyezvous qu’il ne faille qu’un peu de ruse, de diplomatie interne ou d’obstina­ tion, pour écarter Dieu? Nous ne changerons rien à la réalité des choses. Dieu est maître, nous sommes créatures, nous avons promis : Dieu luimême ne peut rien changer à cela. Il y a un ciel pour ceux qui craignent Dieu, un enfer pour ceux qui le méprisent; et, au bout de la vie, l’épreuve morale ne peut se réitérer. Dieu serait un Dieu ridicule, une Il sorte de Géronte que l’on pourrait impunément et indéfiniment souffleter iii COilK&NTAtRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT s’il n'avait, des ordres qu’il a donné’, nul souci, et si les âmes n'en por­ taient pas devant lui la responsabilité et le fardeau. Et custodiens se... N. B. Père envisage maintenant ce que la crainte do Dieu entraîne de fidélité pratique. La méditation assidue de la volonté du Seigneur, de ses récompenses, de ses châtiments, invi­ tera le moine à la vigilance. A toute heure, et particulièrement aux heures de tentation, qiü peut-être sont périodiques, il sera sur ses gardes. La triste expérience de ses chutes et l’examen de conscience quotidien lui révéleront bien les points vulnérables. Il faudra s’abstenir des péché et des vices, c’est-à-dire de toute faute, habituelle ou non ; éliminer avec la faute la mauvaise tendance qui en est le germe. Et Ûl saint Benoit énumère les principaux instruments de péché : la pensée, la langue, les yeux, les mains, les pieds. Aussi bien, cette variété des facultés qui, matériellement, servent au péché, se résume-t-elle dans la volonté propre : vd voluntatis propriae. Mais ce n’est pas seulement à l’égard des fautes complètes et des fautes extérieures qu’il importe de déployer vigilance et résolution : on se hâtera de retrancher les désirs charnels eux-mêmes dès qu’ils commencent à poindre. L’expression lllti desideria camis, chez saint Benoît comme chez saint Paul, désigne tous les désirs de la vie égoïste, de la vie d’avant le baptême et la pro­ fession, l’ensemble de toutes les dispositions qui ne viennent pas de Dieu et ne portent pas à lui ; la chair, ici, c’est l’homme, en conflit perpétuel avec l’Esprit qui réalise notre filiation divine par son influence et sa présence. Aestimet se homo de caelis a Deo semper respici omni hora, el facia sua in omni loco ab aspectu Divinitatis videri, et ab Angelis omni hora Deo nun­ tiari. La vraie crainte de Dieu est donc faite de connaissance et de fidélité pratique. Cet enseignement a paru si considérable à N. B. Père, qu'il le reprend point par point, donnant ainsi à l’étude du premier degré d’humi­ lité un développement disproportionné. Nous entendons de nouveau ce principe général qu’il nous faut prendre conscience d’un Dieu toujours HI présent Jusqu’ici, semble-t-il, saint Benoît n’a parlé que du regard que nous autres nous tournons vers Dieu : celui-là a dis intermittences, car le propre des êtres créés c’est de n’être pas, à tout instant, dans l’exercice plénier de leur puissance. Mais Dieu est l’Acte pur. Il s’appelle « le Dieu qui vit et qui voit ». La lumière de ses yeux pénètre jusqu’aux abîmes ; en tout temps, en tout lieu, les choses sont à nu devant elle. Lorsque DE L'HUMILITÉ 1S3 saint Benoît, avec 1 Ecriture, affirme que Dieu noua contemple du haut du ciel comme d’un observatoire, cela veut dire non seulement que Dieu est bien placé pour ne rien perdre de nos mouvements, mais cela signifie encore que Dieu nous regarde du fond de ce sanctuaire qui est notre âme. Dieu n’a réellement d’autre demeure que lui et nous, encore qu’il soit partout présent grâce à son action universelle. De caelis implique donc, non pas l’éloignement, mais au contraire l’intimité la plus absolue; non une distance, mais au contraire l’union réelle ; ce n’est pas du dehors, mais du dedans que le Seigneur se renseigne à toute heure sur notre vie : et c’est là aussi que notre propre regard doit essayer de rencontrer le sien (1), Nous ne sommes jamais seuls; Dieu nous voit, et ses anges, ajoute saint Benoît, lui font part sans cesse de nos œuvres. 11 semble que N. B. Père n’ait pas renoncé complètement à la signification littérale de l’échelle de Jacob. Nul ne songera que les anges apportent au Sei­ gneur le supplément d’une information insuffisante. Ce n’est pas par indigence, mais par opulence que le Seigneur emploie ces messagers. Il les associe à son gouvernement providentiel, afin que tout s'accomplisse de façon ordonnée et hiérarchique ; afin que les sujets eux-mêmes deviennent des chefs et des rois ; afin qu’ils aient la joie de collaborer à la construction de l’Église, objet de leur admiration étemelle (Ephés., irr, 10 ; Hebr., i, 14) ; afin que soient réunis dès maintenant, dans un immense faisceau de charité, d’empressement et de tendresse, ceux qui sont déjà en possession de l’éternité et ceux qui s’acheminent vers elle, cum quibus nobis erit sancta atque dulcissima Dei civitas ipsa communis (2). Demonstrat nobis hoc Propheta, cum in cogitatio­ nibus nostris ita Deum semper praesentem ostendit, dicens : Scrutans corda et renes Deus. Et item : Domi­ nus novit cogitationes hominum, quoniam vanae sunt. Et item dicit : Intellexisti cogitationes meas a longe; et, Quia cogitatio hominis confitebitur tibi. Nam ut sollicitus sit circa cogitationes perversas, dicat semper humilis frater in corde suo : Tunc ero immaculatus coram eo, si observavero me ab iniquitate mea. Après avoir rappelé le principe directeur de notre vie morale, saint Benoît montre quelle influence la crainte de Dieu doit avoir pratiquement (1) Cf. S. Aug., In Joannis Erana.. trad. CXI, 3. P. L·, XXXV, 1923, (2) S. Aug., De Civitate Dei, i. XXII, c, xxix. P, L, XLI, 797. .1 121 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT sur nos actes ; c’est le développement du paragraphe : Et custodiens se... Laissant de côté l'acte purement extérieur, qui n’a de soi aucune moralité, X B. Père s’occupera successivement des pensées, des manifestations de la volonté propre et des désirs. Et ce n’est pas un simple souci do méthode, le désir de conformer son exposition didactique aux lois de la psychologie, qui a porté N. B. Père à parler d'abord de l’intelligence, puis de la volonté, enfin du désir : nous savons qu’il prétend former son moine par l’intime. On remarquera encore que toutes les observations de saint Benoît sont déduites des paroles de la sainte Écriture et revêtent par là une autorité divine. Dieu est le témoin de toutes nos pensées. Son regard, selon le psaume vn (v, 10), « sonde les reins et les cœurs ». Et encore : « Le Sei­ gneur connaît bien les pensées des hommes et leur vanité » (Ps. xcm, 11). De même : e Vous avez de loin compris mes pensées » (Ps. cxxxvm, 3), et «il est sûr que la pensée de l'homme se découvrira à vous » (Ps. lxxv, 11) ; des pensées qui sont mystère pour tous se dévoilent d’elles-mêmes à Dieu. Le premier degré d’humilité consistera donc en ce que le frère (1) se garde des pensées mauvaises. Et pour entretenir sa vigilance, qu’il mur­ mure volontiers dans son cœur le verset 24 du psaume xvn où il est parlé du regard de Dieu, de la pureté qu’il réclame, et du procédé qui as­ sure cette netteté parfaite : a C’est aJors que devant vos yeux je serai sans tache, si je me tiens en garde contre mes pensées mauvaises, contre ce qui est la source de l’iniquité chez moi ». C’est par la pensée, et non par les sens, qu'un péché commence : c’est par un regard délibéré sur lilii l’objet interdit, et non par un simple spectacle s’offrant soudain à nous, ou par un caprice du souvenir ; il n’y a formellement faute que dans la volonté, les pensées mauvaises n’existent qu’à raison des volontés per­ verses. Saint Benoît s’occupe un instant de ces dernières. — -Λ Voluntatem vero propriam ita facere prohibemur, cum dicit nobis Scriptura : Et α voluntatibus tuis aver­ tere. Et item rogamus Deum in Oratione, ut fiat illius voluntas in nobis. Docemur ergo merito nostram non facere voluntatem, cum cavemus illud quod dicit sancta Scriptura : Sunt viae quae videntur hominibus redae, quarum finis usque ad profundum inferni demergit. Et cum item cavemus illud quod de negligentibus lllll (1) Il faudrait lire cependant, avec tous les manuscrits et les plus anciens commen ­ tateurs utilis, au lieu de humilis : le frère qui est fidèle, utile à son maître ; saint Benoît dira de même un peu plus loin, avec le psaume lu, 4 : et inutiles fados. DE L'HUMILITÉ IH dictum est : Corrupti sunt et abominabiles facti sunt in voluptatibus suis. Des deux volontés antagonistes, celle de Dieu et celle de l'homme, laquelle prévaudra? Celle de Dieu, si nous songeons à son omniprésence, à ses droits, à ses menaces, à ses promesses. On ne nous dit point : agissez toujours contre votre volonté, ce qui ne manquerait pas d’une certaine saveur janséniste ; on nous dit : gardez-vous de votre volonté person­ nelle et isolée ; éloignez-vous de toutes les modalités de la volonté propre : c’est l’ordre formel de l’Écriture (Eccll, χνπτ, 30). Et chaque fois que nous récitons l’Oraison dominicale, nous sollicitons de Dieu que sa volonté s’accomplisse en nous, s’accomplisse par nous. Dès lors, on reconnaîtra à notre vie la sincérité de notre prière. Si nous voulons apprendre à ne pas poursuivre l’exercice de la volonté propre, écoutons avec un saint effroi ce que nous dit encore l’Écriture : « Il est des voies, des habitudes pratiques qui semblent à l’homme droites et équitables, et dont le terme pourtant s’engloutit dans les pro­ fondeurs de l’enfer » (Prov., xvi, 25 ; xiv, 12) (1). N. B. Père dénonce à nouveau le grand péril de l’illusion, fille de la passion mauvaise. Toute passion consiste dans une orientation de l’être selon un axe déterminé. Lorsque cette orientation est violente et résolue, elle devient une norme et se substitue à la conscience. Est bon ce qui lui est conforme, adapté, favorable. Elle, nous l’appelons le bien; Dieu lui-même doit parler comme elle, car l’homme ne rougit pas de solliciter, d’infléchir, de tor­ turer les paroles de l’Écriture, et il ose chercher dans une prétendue marche providentielle des événements la justification de son système, de sa prétendue mission. La responsabilité demeure, même dans l’illusion, lorsqu’on a eu conscience du mal dès la première heure, puis à certains moments lucides : il n’est pas impossible pourtant que la somme de mal et de souffrance qu’il y a au monde ne vienne point de la seule malice, et que les responsabilités soient diminuées par l’illusion ; sinon, ne serait-ce pas chose effrayante? Si les bons sont éprouvés, si la part du bien se réduit dans le royaume de Dieu, ce n’est pas toujours le fait de la méchanceté pure ; l’aveuglement y a sa part. Mais il se peut que les âmes qui bénéficient de ce triste privilège de l’inconscience expient leurs méfaits dans la mesure même où durent les conséquences, et que le châtiment se poursuive jusqu’à élimination entière, hors de la réalité historique et de la trame des choses, de tout le désordre causé pa l’illusion. A côté de la volonté propre de l’orgueilleux qui s’enferme chez lui (1) Commo le fait remarquer D. Butler, saint Benoît cite d’après une version autre que la Vulgate ; l’expression demergit est une réminiscence de S. Matth., xvm, 6, 126 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT comme en un château fort et canonise toutes ses décisions, on ren­ contre la volonté propre de celui qui est lâche, paresseux, et qui ne consent pas à réagir contre soi-même, negligentibus. Souvent, d’ail­ leurs, les deux tendances se réunissent et s’appuient mutuellement. Alors, on arrive à tout, et très vite; on en vient à l’abjection décrite par la Règle et par le psaume xm (v. 1). Λ moins que N. B. Père n’ait voulu noter d’un trait rapide, à côté de l’illusion coupable, cette autre perversité qui s’appelle la négligence formelle et le mépris de tout ce qu’il y a de plus sacré : Impius, cum in profundum venerit peccatorum, contemnit; sed sequitur eum ignominia el opprobrium (Prov., xvnr, 3). H n’est pas impossible que de telles dispositions se révèlent de loin en loin dans les monastères, et qu’elles arrivent jusqu’à leur odieux paroxysme (1). In desideriis vero carnis nobis Deum credamus esse praesentem semper, cum dicit Propheta Domi­ no : Domine, ante te est omne desiderium meum. Caven­ dum ergo ideo malum desiderium, quia mors secus introitum delectationis posita est. Unde Scriptura praecepit, dicens : Post concupiscentias tuas non eas. L’activité intérieure se compose de la pensée et du vouloir ; mais saint Benoît nïgnorc pas qu’à côté et en dehors de ces deux éléments il en est un autre, qui obscurcit l’intelligence et qui circonvient, dé­ prime, retient captive la volonté. Le « désir de la chair » est la con­ voitise secrète et basse, l’instinct sensible qui nous pousse vers les personnes ou vers les choses non parce qu’elles sont bonnes, mais parce qu’elles nous plaisent. C’est encore la conviction surnaturelle de la présence de Dieu qui mettra de l’ordre dans ces désirs tumultueux et révolutionnaires. « Seigneur, disait le prophète David, tout ce que je désire est devant vous » (Ps. xxxvn, 10). A ce motif élevé et procédant de la charité, N. B. Père en ajoute un autre, plus intéressé, mais efficace et accessible à toutes les âmes. Nous devons redouter les mauvais désirs parce que, malgré leur douceur appa(1) S. Augustin 1θ reconnaissait un jour, et il invitait son peuple à ne point se scandaliser. Simpliciter fateor caritati vestrae coram Domino Deo nostro, qui testis est super animam meam, ex quo Deo servire coepi : quomodo difficile sum expertus meliori >· quam qui tn monasteriis profecerunt; ita non sum expertus pejores quam qui in monasteriis ceciderunt... Quapropter etsi contristamur de aliquibus purgamentis, consolamur tamen diam de pluribui ornamentis. Nolite ergo propter amurcam qua oculi vestri offenduntur, torcularia detestari, unde apothecae dominicae fructu olei luminosioris implentur (Epist, LXXVIII, 9, P. < XXXIII, 272). DE L'HUMILITÉ rente et la satisfaction que nous trouvons en eux, ils sont un poison et parfois un poison mortel. La mort s’est installée, pour ainsi dire, tout près de l’accès du mauvais plaisir : à la suite du plaisir, c’est trop sou­ vent la mort qui pénètre. Et voici pourquoi l’Écriture nous ordonne de ne point nous mettre follement à la remorque de nos convoitises, de ne point nous laisser entraîner à leur suite (Eccu.,xvin,30) : elles peuvent nous conduire jusqu’à la perdition. C’est en dévoilant une telle pers­ pective que N. B. Père va résumer et conclure tout l’enseignement du premier degré d’humilité. Ergo si oculi Domini speculantur bonos et malos, et Dominus de caelo semper respicil super filios hominum, ut videat si est intelligens, aut requirens Deum; et ab Angelis nobis deputatis quotidie die noctuque Do­ mino factori nostro et creatori omnium Deo opera nostra nuntiantur; cavendum est ergo omni bora, fratres, sicut in Psalmo dicit Propheta, ne nos decli­ nantes in malum, et inutiles factos, aliqua hora aspiciat Deus, et parcendo nobis in hoc tempore (quia pius est, et exspectat nos converti in melius), ne dicat nobis in futuro : Haec fecisti, et tacui. Saint Benoît se borne à reprendre, sous forme d’exhortation adressée à chacun et sur le ton du Prologue, les points qui ont été développés précédemment. Les yeux du Seigneur sont fixés sur les bons et sur les méchants ; le Seigneur regarde sans cesse du haut du ciel vers les fils des hommes, afin de s’assurer s’il y a parmi eux un serviteur intelligent et qui le cherche (Ps. xm, 2) ; les anges commis à notre garde rendent HUI compte de nos œuvres, chaque jour, et de nuit comme de jour, au Sei­ gneur qui nous a créés (1). H y a donc lieu de craindre à toute heure, mes frères, selon l’avertissement du Prophète dans le psaume lu, que, s’il nous arrive de glisser dans le mal et de nous rendre inutiles, Dieu ne nous regarde à ce même moment. Il pourrait nous punir sur-le-champ. Peut-être nous épargnera-t-il en cette vie, car il est bon et il attend que nous revenions à des dispositions meilleures : craignons du moins qu’il ne nous dise dans l’autre vie : « Voilà ce que vous avez fait, et je me suis tu » ; je vais parler maintenant (Ps. xlix, 21). Cette remarque anéantit (1) Les manuscrits n’ont pas : et creatori omnium Deo, et les principaux témoins des traditions carolingienne et cassinienne lisent : Domino jactorum nostrorum opera nun­ tiantur. I I Kla Règle de saint benoit (objection t«icite que le pécheur élève parfois contre la justice divine : Peccavi, et quid accidit mihi triste? Si Dieu ne châtie pas sur l’heure, c est afin de ménager à l’âme le loisir du retour; sans doute aussi pour conserver à la vertu son caractère libéral et filial : la vertu devien­ liiïï drait facilement un commerce, et la fidélité un calcul d'habileté vul­ gaire, si le châtiment suivait immédiatement la faute, ou si la récom­ pense couronnait sans retard l’œuvre bonne. Secundus humilitatis gradus est, si propriam quis non amans voluntatem desideria sua non delectetur implere; sed vocem illam Domini factis imitetur dicentis : Non veni facere voluntatem meam, sed ejus qui misit me. Item dicit Scriptura : Voluntas habet poenam, et necessitas parit coronam. Nous nous souvenons peut-être que dans Cassien la crainte de Dieu ne constitue pas un degré spécial, niais qu’elle est présentée comme le point d’appui commun de tous les degrés d’humilité. Au fond, la doctrine de saint Benoît n’est pas différente. Remarquons qu’il n’assignera plus dans la suite de motif nouveau d’humilité : il se bornera à indiquer les procédés, les formes authentiques selon lesquelles l'humilité se doit tra­ duire. Avant toutes choses, lui aussi a parlé, et longuement, de la crainte ΙΙΙίΙ de Dieu ; mais sans mettre à part, comme Cassien, ces observations sur la crainte, il a décrit en même temps les conséquences négatives qu’elle aura pratiquement dans l’ensemble de notre vie. L’abstention des actes égoïstes qui naissent de la volonté propre, tel est réellement le premier degré d'humilité, chez saint Benoît comme chez Cassien. Les degrés suivants décrivent les résultats positifs de la crainte surnaturelle : au lieu d’obéir à sa volonté, faire la volonté de Dieu (deuxième degré : Cassien ne l’avait pas distingué du premier) ; faire la volonté des hommes eux-mêmes lorsqu’ils tiennent la place de Dieu (troisième degré) ; faire la volonté de Dieu et des supérieurs dans les circonstances héroïques (quatrième degré), etc. Le second degré d’humilité est donc de réaliser dans sa conduite ce que le Seigneur affirmait de lui-même : « Ce n’est point ma volonté que je suis venu faire, mais bien la volonté de celui qui m’a envoyé» (Joann., vi, 38) (1). Au lieu d’aimer notre volonté propre, de mettre notre joie (1) Quad ulique qui implere vult, sine dubio proprias sibi amputai voluntates, secum aum imtla.imem tpsiusDomini dicentis : Descendi de coelo non ut jaciam voluntatem , , Palris (S. Basil., Reg. contr., xn). Voir aussi LASS.j LOïUal, AÜV. XXVI, Λ _■ DE L'HUMILITÉ iî9 à faire ce qui nous plaît et ce à quoi nous poussent nos désirs, nous imite­ rons NotTC-Seigneur Jésus-Christ. La volonté divine du Seigneur était pleinement une avec celle de son Père; sa volonté humaine lui était de même parfaitement unie. Mais il y avait chez le Seigneur, comme chez nous, une volonté instinctive et indélibérée, une volonté de nature, un principe de réaction intérieure qui le portait à choisir certaines choses et à en écarter d’autres : or, cette volonté-là, il l’inclinait aussi devant la volonté du Père : Calicem quem dedit mihi Paler nan bibam ilium? Pour­ tant, c’était le calice dont il avait dit peu auparavant : Pater, si fieri potest, transeat a me calix iste! Il était vraiment un homme, et non un beau marbre ; il ressentait les répugnances humaines avec une profondeur unique et une sensibilité exquise. C’est à ce titre que le Seigneur peut nous être proposé comme modèle. Saint Benoît ajoute que notre propre intérêt surnaturel nous invite à la soumission. Cette petite phrase est la croix des commentateurs, l' abord, faut-il lire voluptas ou bien voluntas? Puisqu’il s’agit dans le contexte de volonté propre, il semble que la vraie leçon soit voluntas; surtout si l’on tient à ce qu’il y ait opposition formelle avec necessitas; et quelques scribes ont lu ainsi. Pourtant la leçon des manuscrits la plus autorisée, celle que reproduisent les plus anciens commentateurs, est voluptas. Cette expression n’a rien d’inattendu : elle est amenée très naturellement par les mots : desideria sua non delectetur implere; l’oppo­ sition elle-même subsiste en quelque manière, puisque, dans la pensée de saint Benoît, volonté équivaut ici à volupté, et qu’il y a du moins assonance. Mais à quel passage de l’Écriture se réfère saint Benoît? On ne le retrouve nulle part. Saint Benoît, disent la plupart des commenta­ Ulli teurs, cite de mémoire, et il donne sensum, non verba, comme ont fait parfois les écrivains du Nouveau Testament et les Pères : encore fau­ drait-il qu’on pût alléguer une parole sacrée offrant quelque analogie avec la citation de N. B. Père; et celle-ci est réellement de physionomie nette et précise. S’agirait-il d’un texte disparu? On doit recourir rarement à ce genre d’hypothèses. La mémoire de N. B. Père ne l’aurait-elle pas un peu trahi? Le respect a empêché les commentateurs de se le demander. Il est difficile encore d’imaginer qu’il cite une formule proverbiale, puisqu’il renvoie formellement à l’Écriture. Écriture, expliquent certains, ne désigne pas de façon exclusive les Livres saints ; l’exposition du onzième degré d’humilité ne se clôt-elle pas précisément sur une citation non scripturaire introduite par la formule scriptum est? Mais on pourrait objecter que cette formule est beaucoup moins précise que Scriptura, Il se peut pourtant que nous ayons affaire à un fragment de littérature ecclésiastique. Les Bollandistes ont reproduit, d’après les manuscrits et d’après Mombricius, les Mries des saintes Agap\ Chionv et Irène, qui sont insérés dans ceux des saints Chrysogone et Anastasie; ce texte, 9 '130 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT qu'ils donnent comme très ancien, est (heureusement pour notre hypo­ thèse) diffèrent de celui de Siméon Métaphrastc (dixième siècle) ; on y lit : Sisinnius dixit : Ergo non sunt inquinati, qui de sacrificiorum sanguine gustaverunt? Irene respondit : Non solum non sunt inquinati, sed etiam coronati sunt : voluptas enim habet poenam, et necessitas parat (parit, dans Monibricius) coronam (1). L’authenticité de ces Actes est contestéepar Ruinart ; ils peuvent néanmoins être antérieurs à N. B. Père. Aurions-nous une source plus sûre chez saint Optat de DGlève écrivant : Voluntas habet poenam, necessitas veniam (2)? C'est possible ; il n’y a cepen­ dant identité entre les deux formules ni dans les mots ni surtout dans l’idée. La pensée de saint Optat est que ceux-là méritent tout le châti­ ment qui sont en pouvoir de toute leur liberté, tandis que la responsa­ bilité et le châtiment sont moindres, lorsqu’il y a eu contrainte. La pensée de saint Benoit est que la volonté propre encourt la peine, au lieu que la nécessité, c’est-à-dire non plus la contrainte extérieure et per­ verse qui nous porte au mal, mais une contrainte sage que nous nous imposons pour faire le bien, mérite la couronne. Si l’emprunt à saint Optat était justifié, il faudrait revenir à l’hypothèse d’une formide pro­ verbiale se pliant aux circonstances. Tertius humilitatis gradus est, ut quis pro Dei amore omni obedientia se subdat majori, imitans Dominum de quo dicit Apostolus : Factus obediens usque ad mortem. C’est toujours d’obéissance qu’il est question ; mais ces divers degrés enchérissent l’un sur l’autre, encore qu’ils s’impliquent mutuellement et soient en germe l’un dans l’autre. Accomplir la volonté de Dieu nous est relativement facile : c’est lui ; ses lois ont un caractère général, elles se justifient par elles-mêmes ; et puis, il est invisible : major e longinqui reverentia. Mais Dieu nous a demandé d’incliner notre volonté devant la volonté d’autres hommes, et cela assidûment et jusqu’à la mort, sans protestation ni réserve aucune : omni obedientia·; majori, en général ; et saint Benoît ajoutera même plus tard : üt obedientes sint sibi invicem fratres. . Un petit mot glissé dans le précepte nous en donne le sens profond et nous rassure : c’est a pour l’amour de Dieu » que nous nous soumettons (1) Acta SS., April, 11, p. 250. (2) De Schism. Donal., L VII, post caput vn. P. L, XI, 1098. Ce passage a retrouvé sa place au cours du chap, i du môme livre VII dans 1 édition du Corpus de X ienne, fc XXVI, p. IGO, DE L’HUMILITÉ 131 ainsi, c’est à notre Dieu que nous adhérons toujours. Obéissant par tendresse, 1 ame en haut, tout nous devient facile ·, notre amour pro­ voque les sacrifices et il s’accroît chaque jour de tous les sacrifices con­ sentis. Et ce qui achève de donner à ce troisième degré d’humilité une saveur vraiment chrétienne, c’est qu’il suppose l’imitation du Seigneur, dont l’Apôtre dit qu’il s’est « fait obéissant jusqu’à la mort » (Philh*?., h, 8) (1). Depuis Bethléem jusqu’au Calvaire et par delà, dans l’Eucharistie, la vie du Seigneur n’a été qu’une obéissance aux créatures pour l’amour de son Père céleste ; il n’a pas posé, lui, de limites à ce don de soi entier et joyeux, et il a su mourir pour le consommer. Si nous sommes de la race du Seigneur, si nous tenons à expérimenter ce que c’est que la Rédemption, nous no voudrons plus d’autre procédé que le sien. Quarius humilitatis gradus est, si in ipsa obedienlia duris et contrariis rebus, vel etiam quibus­ libet irrogatis injuriis, tacita conscientia patientiam amplectatur, cl sustinens non lassescat, vel discedat, Qui perseveraverit usque in finem, hic salvus erit. Hem : Confortetur cor tuum, et sustine Dominum. dicente Scriptura : Le quatrième degré d’humilité, c'est l’obéissance héroïque, ce qui ne veut pas dire facultative. Il s’agit ici proprement d’obéissance monas­ tique ; et toute âme soucieuse d’être fidèle aura plus d’une fois l’occasion de s’approprier cette page bénie, riche d’expérience et de sainteté, où N. B. Père développe une partie du programme monastique esquissée tout à la fin du Prologue : Passionibus Christi per patientiam partici­ pemus. Il peut se rencontrer dans l’obéissance des difficultés objectives : les choses commandées sont dures, répugnantes, impossibles même, dira plus tard saint Benoît. Ou bien les difficultés viennent de l’humeur, des habi­ tudes fantasques, du manque de tact de ceux qui commandent : ils nous traitent de façon injurieuse, ils nous adressent des reproche? qui enve­ loppent un peu de mésestime. On peut tout dire de l’autorité : on peut la considérer comme un élément d’unité, de conservation, de bonheur, comme un élément nécessaire ; mais on ne saurait méconnaître qu’ello est un instrument dangereux entre les mains des hommes. Ceux-là mêmes (1) Usque ad quem modum obaudire oportet cum, qui placen ti De> implere regulam cupit? Apostolus ostendit, proponens nobis obedientiam Domini : Qui faclus esti inguil» olediens usque ad mortem, mortem autem crucis (S. Basil., Iteq. contr., lxv). ■ ili COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT fur qui pèse le joug trouvent parfois plus insupportables les maux qu ils endurent que les maux de l’anarchie qu’ils redoutent. Enfin, il y a tou­ jours dans la souffrance ressentie, avec une part réelle, une part imagi­ naire, qui peut contribuer à rendre l’autre intolérable. Réunissez ces trois éléments : les difficultés qui naissent des choses, celles qui viennent de l’autorité, celles que nous nous créons ; tout cela peut monter trop haut pour notre nature, qui s’échauffe à la longue et s’exaspère. Quelques-uns cultivent cette ivresse, yperdentla tête, y puisent le germe de résolutions qui déconcertent et déshonorent toute leur vie. Quatre mots de la sainte Règle, d’une précision incomparable, définissent l’attitude du moine vraiment humble. Tacita. Il faut, à ces heures-là, savoir se taire et complètement. Retenir sa langue ou sa plume, c’est garder sa force entière. Si l’on se grise de sa parole et de sa colère, on est perdu. Mais il faut se plaindre ! c’est la res­ piration de la souffrance... Non, dit saint Benoît, taisez-vous. Et, pour n’avoir rien à dire extérieurement, faites taire aussi votre pensée inté­ rieure : tacita conscientia. C'est trop peu, comme humilité et obéissance, de demeurer muet, puis de s’en aller avec un courroux concentré et parfois visible. Évitons les plaidoyers secrets, les protestations intimes, les évocations sans fin de ce qui s’est passé, les rééditions à l’usage de notre colère. Il y a des choses dans notre vie qu’il est assez dur de con­ naître une fois : pourquoi vouloir, par le retour incessant de notre pensée, quelles soient éternelles? C’est le procédé de l’enfant qui a un bobo et 1 envenime en y portant sans cesse la main. Ah ! si de telles réminiscences avaient pour dessein de nous porter au courage, au repentir, à la charité, tout serait bien. Mais elle n’est pas saine, la souffrance qui vient de nous et de notre obstination à réveiller une douleur secrète. Laissons donc des­ cendre dans l’ombre, dans l’oubli, dans le néant, tout ce qui n’a d'autre fruit que de troubler notre paix. Une occasion nous est offerte de faire œuvre de patience, c’est-à-dire, selon saint Jacques, œuvre de perfection : Patientia autem opus perfectum habet, en maintenant chez nous, en dépit de tout, l’ordre de la raison et de la foi. Prenons notre cœur à deux mains ; embrassons si étroitement et si fortement cette bienheureuse patience que rien au monde ne soit capable de nous en séparer : patientiam amplectatur. Ce n’est pas l’heure de gémir, de se justifier, de contester. Nous ne serions pas sauvés s’il avait plu au Seigneur de se dérober à la souffrance. C’est l’heure de courber les épaules et de porter la croix, de porter tout ce que Dieu voudra, tant qu’il le voudra, sans se lasser, sans lâcher pied. Füi, accedens ad servitutem Dei, sta in justitia et timore, et praepara animam tuam ad tentalionem... Sustine sustentationes Dei. Conjungere Deo d sustine, ut crescat in novissimo vita tua (Eccll, ii, 1, 3). Nous l’avons dit en expliquant le Prologue : il n’y a d’avenir surnaturel que pour ceux qui savent ainsi tenir bon. Lorsque nous nous promettons à DE L’HUMILITÉ 433 nous-mêmes de rester fermes et d’attendre virilement que l’orage soit passé, nous devenons d’une résistance extrême. Toute souffrance, d’ail­ leurs, aura son terme ; elle fleurira en gloire et en salut, dit l’Êcriture, mais à condition que nous aurons su persévérer jusqu’à ce terme (Matih., xxrv, 13). Ayez du cœur, dit-elle encore, et supportez le Seigneur (Ps. xxvi, 14). « Supportez le Seigneur » : oui, car au fond c’est de sa Providence que vous tenez l’épreuve, c’est Dieu qui vous aide à l’endurer, elle n’a d’autre but que de vous mener à lui : N. B. Père va le rappeler tout aussitôt. Et ostendens fidelem pro Domino universa etiam contraria sustinere debere, dicit ex persona sufferen­ tium : Propter te morte afficimur tota die; aestimati sumus sicut ores occisionis. Et securi de spe retribu­ tionis divinae, subsequuntur gaudentes, et dicentes : Sed in his omnibus superamus propter eum qui dilexil nos. Et item alio loco Scriptura : Probasti nos, inquit, Deus; igne nos examinasti, sicut igne examinatur argen­ tum; induxisti nos in laqueum; posuisti tribulationes in dorso nostro. Saint Benoît revient sur les deux genres de difficultés signalées plus haut d’une façon rapide : les difficultés objectives d’abord, puis, dans le paragraphe suivant, celles qui viennent des personnes. Sustine et abstine, disaient les stoïciens. Ici même on nous demande seulement de supporter : mais cette patience n’est plus l’acquiescement à une loi impersonnelle dont on prend son parti parce qu’elle est universelle et inéluctable ; c’est l’acquiescement à une volonté personnelle, un service rendu à Dieu, et, sous la forme de notre courage, une part de collabo­ ration à son œuvre rédemptrice : pro Domino, propter te. Avec une telle conviction on peut aller jusqu’au martyre. El ostendens fidelem... Pour montrer que celui qui a la foi, qui est fidèle au Seigneur, doit supporter toutes choses, y compris celles qui répugnent le plus à la nature, récri­ ture fait dire à ceux qui souffrent : « C’est à cause de vous que la mort nous menace tout le long du jour et que l’on nous traite co Hill e des brebis vouées à la mort » (Ps. xliii, 22). C’est vraiment la conquête de Dieu que nous faisons au prix de ces souf­ frances. A mesure que croît en nous le courage, grandit aussi l'espérance. Nous sommes sûrs de notre Dieu, nous sommes sûrs du dédommagement étemel. Et la joie s’en mêle, et l’amour nous entraîne, nous et notre croix. Î3i COMMENTAIRE SUR LÀ RÈGLE DE SAINT BENOIT Comme nous comprenons bien maintenant le programme de notre vie et eeiui de notre mort! D y a quelqu’un qui m’a aimé d’un amour sans date, quelqu’un qui s’est penché vers ma misère et qui m’emmène avec lui. glorieusement, sur sa route sanglante, vers le Père. Qu’on nous demande n’importe quoi, nous en viendrons à bout; il semble que déjà nous tenions la victoire, propter eum quidüexil nos (Rom., vin, 37). Partout nous reconnaissons la main de Dieu, et nous la baisons affec­ tueusement, redisant avec l’Écriture : a Vous nous éprouvez, ô Dieu; vous nous soumettez à l’épreuve du feu, comme l’on y soumet l’argent ; vous avez permis que nous tombions dans le piège ; vous avez mis des tribulations sur nos épaules » (Ps. lxv, 10-11). Et ut ostendat sub priore debere nos esse, subse­ quitur dicens : Imposuisti homines super capita nostra. Sed et praeceptum Domini in adversis et injuriis per patientiam adimplentes, percussi in maxillam, prae­ bent et alteram, auferenti tunicam dimittunt et pal­ lium, angariali milliario vadunt et duo, cum Paulo Apostolo falsos fratres sustinent et persecutionem, et maledicentes se benedicunt. I Lorsque la difficulté viendra de ceux qui commandent, nous nous souviendrons que nous sommes des cénobites et que notre loi est d’aller vers Dieu sous la conduite d'un supérieur. Consentons-y volontiers et disons encore avec l’Écriture : « Vous avez placé des hommes à notre tête » (Ps. lxv, 12). Qu’importe si l’on nous moleste, si l’on nous dit des paroles blessantes? C’est notre Dieu qui le permet ainsi. Les obéissants, HUI parvenus à ce degré de vaillance, marchent à la volonté de Dieu comme les soldats au drapeau, à travers tous les obstacles, sans se laisser détourner et émouvoir par rien. Et telle est leur perfection, que non seulement ils 3! gardent entières au supérieur leur docilité et leur affection souriante, mais qu’ils dépassent dans leur empressement les ordres donnés ; ils demandent sincèrement et avec candeur qu’on ne les épargne pas ; jamais ils ne prennent des airs de victimes. Et ils remplissent ainsi le précepte de perfec­ tion donné par le Seigneur en saint Matthieu (v, 39 sq.). Vous êtes frappé sur une joue? tendez l’autre ; on vous enlève votre tunique? laissez partir aussi votre manteau ; les messageries publiques vous réquisitionnent pour mille pas? ne craignez pas d’en faire deux mille (1). Évidemment, (1) Ct Cà«., Contai. XVI, χχι-χχιν. bE VHÜMILÎTÉ 135 et le contexte évangélique le montre bien, ces métaphores ne demandent pas d’être prises à la lettre : le Seigneur n’a voulu que décrire l’a’lure spontanée et aimable de la justice chrétienne, par opposition à la jus­ tice pharisaïque. N. B. Père poursuit en ajoutant que si des persécu­ tions réelles nous venaient, non plus de supérieurs, mais de faux frère?, il n’y aurait encore qu’à supporter et, en compagnie del’apôtre'saint Paul, à répondre aux malédictions par la bénédiction (II Cor., xi, 26; I Cor., rv, 12). Nous avons un commentaire vivant de cette doctrine dans l’his­ toire de N. B. Père lui-même, lorsque ses propres moines et lorsque Flo­ rentius tentèrent de l’empoisonner. A ce quatrième degré d’humilité se rattache la fameuse question des « humiliations par fiction», qui provoqua une vive pdémique au dixseptième siècle. L’Abbé de Rancé, se réclamant de certaines pratiques extraordinaires de quelques moines orientaux, avait introduit chez lui la coutume d’imputer aux religieux, pour les exercer, des fautes imagi­ naires. C’était d’ailleurs dans le goût de la spiritualité du temps. En 1616, Dom Philippe François, « Prieur de Saint-xXiry, cy-devant Maistre des novices de l’Ordre de Saint-Benoist de la Congrégation de Verdun», écrivait entre autres belles choses, dans sa Guide spirituelle tirée de la Règle de sainct Benoist pour conduire les novices stlon Vesprit de la mesme Règle, qu’il faut « leur imposer quelque faute griefve qu’ils n’ayent point faite, et les en punir très bien (1) ». En 1671, Guillaume Le Roy, Abbé commendataire de Haute-Fontaine en Champagne, étant venu passer quelque temps à la Trappe pour s’y préparer à la réforme de son monastère, y fut choqué de ces procédés d’humiliation, qui, selon lui, blessaient la vérité, la justice et la charité, et, après discussion avec Rancé, formula ses réserves dans une Dissertation manuscrite. Rancé riposta vivement : une longue lettre adressée à l’évêque de Châlons accusait Le Roy d’avoir mal interprété les fictions et de soutenir une doctrine qui n’allait à rien moins qu’à « ravager toute la sainteté de la Thébaïde ». On se disputa sans trop de bruit pendant quelques années ; mais en 1677 la Réponse do Rancé, dont il avait donné quelques copies à des amis, fut imprimée à son insu. Le Roy parla naturellement de publier sa Dissertation; en attendant, il fit circuler un Eclaircissement sur la Réponse et consulta Bossuet. Celui-ci, dans une lettre du 16 août 1677, invita son correspondant au désintéressement et assura ainsi le dernier mot à son ami Rancé (2). L’Abbé de la Trappe exposa, en 1683, sa théorie des humiliations dans son ouvrage De la sainteté et des devoirs de la vie monastique (3). C’est alors que Mabillon entra en lice et soumit respectueusement à (1) P. 473. (2) Urbain et Levesque, Correspondance de Bossuet, t. H, p. 3Ô-46, (3) Chap. XII. 1 1 136 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT Rancé quelques Réflexions (non édifies) sur divers points ; il faisait siennes les réserves de M. Le Roy, et pour les mêmes motifs (1). Mais nul n’éleva la voix plus haut que D. Mège dans son Commentaire sur la Régie (1687) ; il y fait copieusement le procès des humiliations fictives et bizarres, sans d'ailleurs nommer Rancé (2). Les amis de celui-ci, et Bossuet en première ligne (3), s'agitèrent si bien qu’après diverses péri­ péties, le Commentaire de D. Mège fut interdit pour tous les membres de la Congrégation de Saint-Maur, dans la diète de 1689. Cette année-là meme, Rancé publia la Règle de saint Benoît nouvellement traduite et expli­ quée selon son véritable esprit; et le dernier jour de l’année parut le com­ mentaire latin de D. Martène, annoncé depuis deux ans à Bossuet par le P. Boistard, général de Saint-Maur, comme « plus correct » que celui deD. Mège, etd'oû en effet, malgré quelques pointes, le ton de polémique est banni (4); D. Martène essaie même de justifier historiquement l’usage discret des humiliations. Pour nous, la critique de D. Mège garde toute sa valeur. Non seulement il n’entre pas dans nos mœurs de mentir pour éprouver la vertu d’autrui, mais nous pensons que les supérieurs n’ont nul besoin de recourir à des procédés factices ou violents pour s’assurer de la qualité de cette vertu et pour la faire grandir. En vérité, N. B. Père ne suggère absolument rien de semblable. Et comme il deviendrait facile aux moines, avec ce système des imputations fausses, d’écarter toutes les observations désagréables, même très justifiées, sous prétexte que l’Abbé veut exercer la réalité de leur vertu 1 Quintus humilitatis gradus est, si omnes cogita­ tiones malas cordi suo advenientes, vel mala a se absconse commissa, per humilem confessionem Abbati non celaverit suo. Hortatur nos de hac re Scriptura, dicens : Revela Domino viam tuain, et spera in co. Et item dicit : Confitemini Domino, quoniam bonus, quoniam in sacculum misericordia ejus. Et item Propheta : Delictum meum cognitum tibi feci, et injusti­ tias meas non operui. Dixi, pronuntiabo adversum me (1) Cf. Dubois, Histoire de l’Abbé de Rancé, I. VII, chap. v. T. II, p. 36 et suiv. (2) P, 241-242, 290-334. (3) Voiries lettres à Rancé du 4 octobre et du 11 novembre 1687, et les notes des éditeurs Urbain et Levesque, op. at., t. Ill, p. 426-429, 444-447. Bossuet Gt aussitôt rimer le livre de D. Mège par l’autorité publique. « ...Qu’il demeure banni de tous eux où la vraie régularité et la piété sont connues », écrivait-il à Mme de Beringhen, le 28 mars 1689 (t. IV, p. 16-16). (4) Voir la lettre de Bossuet à Rancé du 2 janvier 1690 (Urbain et Levesque, op. cil, t, IV, p. 60-52). R DE L’HUMILITÉ 1ST injustitias meas Domino, et lu remisisti impietatem cordis mei. » I Avec les quatre premiers degrés, la théorie de l'humilité est construite ; nous savons en quoi consiste essentiellement l'humilité delà créature, du chrétien et du moine. Ce qui suit n’est que l'application à certaines cir­ constances de la vie monastique des principes précédemment posés. Et, chose remarquable, c’est encore d'éléments intérieurs qu’il sera question longtemps ; il semble qu’il y ait dans la Règle une sorte d'aîîectation fière à s’occuper presque exclusivement de ceux-là. Répétons-le : c’est aux sources de la vie morale et dans les profondeurs où pénètre le seul regard de Dieu qu’il importe de porter l’effort actif de la correction; c'est là que tout doit s’ordonner dans la lumière de foi et dans la charité. Il ne s’agit pas dans ce degré de la confession sacramentelle. Rarement saint Benoît nous parle des lois divines et ecclésiastiques, car il les sup­ pose connues d'ailleurs. D'autre part, les Abbés n’étaient pas toujours prêtres : ils ne pouvaient par conséquent recevoir une confession in ordine ad sacramentum. Il s'agit d’une démarche toute privée, non offi­ cielle, d’une confidence spontanée de nos misères ; c’est ce que nous appel­ lerions aujourd’hui la direction. La tradition monastique est unanime à recommander cette pratique, aux religieux comme aux religieuses. Nous avons cité déjà les paroles si sages des Institutions de Cassien, à l'occasion du cinquante et unième instalment des bonnes œuvres; on pourra méditer aussi le chapitre x de sa seconde Conférence. Saint Basile revient plusieurs fois sur l'humble aveu qu’un moine doit faire de ses fautes secrètes, non pas, dit-il, à n’importe qui, ni à ceux qui lui plaisent, mais à ceux qui ont grâce d’état et compétence (1). Saint Benoît voudrait que ce fût à l’Abbé lui-même ; car c’est alors seulement que le procédé obtient toute son efficacité. L’Église, afin de prévenir certains abus, a d’ailleurs rappelé aux supérieurs qu’ils n’ont pas le droit d’exiger les communications de conscience. Elles portent, selon N. B. Père, sur un double objet. D’abord « toutes les pensées mauvaises qui surviennent dans notre cœur ». Entendons bien. Selon l’enseignement de saint Grégoire, l’histoire de la tentation en nous se compose de trois moments : la suggestion, le plaisir, le con­ sentement ; il n’y a pas lieu de recueillir et de révéler à notre Abbé ce qui n’a même pas été une suggestion, mais un éclair rapide; ni . La sainte liturgie en fournissait d’innombrables et de toujour., neufs. 1λ pri're privée elle-même puisait sa sève dans la prière de 1 Eglise et demeurait catholique, simple, vivante comme elle. Π n était venu Λ la pen - e do per­ sonne d’emprisonner les mouvements de lame dans des moule- rigides et de substituer à la spontanéité joyeuse de leur exprès-ion la morne banalité de formules toutes faite?. II n’est pas facile d’épuiser l’étude des psaumes, l’étude de? autres partions de l’Écriture, l'étude des saints Pères, l’étude de l’histoire de l’Égiisc et de- saints : qui donc pourrait se flatter de n’avoir plus besoin de s’y appliquer? Et puis, alors même qu’une longue pratique nous a familiarisés avec les prières liturgiques, et précisément à raison de cette habitude, il nous faut revivifier toutes choses par une étude incessante, si noms ne voulons pas tomber dans une sorte de psittacisme, où la voix seule et les membres font leur office matériel, sans que l’intelligence intervienne. La psalmodie n’est-elle pas en péril de devenir un simple exercice de vocalise et de mémoire? Tout passe si facilement en nous dans la catégorie de l'inconscient et des réflexes. A Pascha autem usque ad supradiclas Kalrndus Novembris, sic temperetur hora λ igiliaruin agenda, ut parvissimo intervallo, quo fratres ad necessaria (1) Chez les Chartreux, il n’y a rien d’absolument déterminé au sujet do l'oraison mentale. Jusqu’au seizième siècle, rien non plus chez les fils de saint Dominique et de saint François, ni même aux origines de la Compagnie de Jésus, Cf. P, Bouvier. TEwlution de la piété (Etudes, t, CXX [1909], p. 187-211). DE L’HEURE DES VIGILES naturae exeant, custodito, inox Matutini, qui inci picnic luce agendi sunt, subsequantur (i). Au cours de l’été. ce n’est plus l’appréciation de la huitième heure qui détermine le commencement de l’office de nuit : c’e=t la coïncidence qui doit exi-ter entre l'heure où le soleil se lève et le premier office du jour. Encore que variable lui ainsi selon les saison», ce moment de l’aube est pourtant le point fixe d’après lequel on calculera l’heure du réveil. Il faudra qu’avant l’nurore on ait eu ^implement le loisir de célébrer de courtes Vigile* ; entre cot office et celui du matin on ménagera seulement aux frères quelque* instants pour le» besoins naturels ; la méditation des p aume1 et d·· leçons est renvoyée dan* cette saison à un autre moment (*?1 f En dépit de la brièveté de l’office de nuit, les moines, qui s’étaient couché plus tard qu'en hiver et levés presque à la même heure, avaient eu moins de somme I : c’est pourquoi N. B. Père leur accorde la sieste, après le repas qui a lieu ordinairement à la sixième heure (cha­ pitre XLVlllj. Nous verrons aux chapitre» NI et XIV les exceptioni apportées aux dispositions du prêtent chapitre. (1) Le · υ ·<· r· i . a modifié, pour I·· rendre plus clair, le texte cririnil; voici la leçon cm’adopt ·· I> Brru.li ; Sic lemt-rctuf fora ut Vigiliarum Agenda fani trima iFi/ma/i), fuo γ. > fru-r,· ns T. I. p. 880 sq. — D. Baudot, les Evangéliaires; les Lectwnnaires, (2) Thiel, Epi.-foiae Romanorum Pontificum genuinae, t. î, p. 454 sq. — Cf. Ernst von Dobschv rz. Das Decretum Gelasianum (Leipzig. 1912). — D. J. Chapman, On the Decretum Gelasianum de Lbris recipiendis ci non rccipiend s {Revue Bénédictine, 1913). (3) Ci Gkanvulas, Commentaire historique sur le Bréviaire Romain, t I, p. 207. (4) Au chap, xi saint Benoît ne parle de la bénédiction qu’avant les leçons du troisième nocturne, mais il est permis de croire qu'elle était donnée aussi avant les lectures des deux premiers. (5) Rtg. ail mon., xx. (6) Comment, sur le chap vin. <72 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT lisait toute la Genèse dans la semaine de la Sep tu âgés i nie et tout Isaïe dans six jours de férié. Saint Udalric raconte qu’un religieux, qui faisait le signe pour finir les leçons, fut accusé en chapitre de les avoir trop abrégées parce qu'il n’avait fait lire que l’Épitre aux Romains dans deux jours de férié. Le B. Jean de Gorze(l)lut un jour tout Daniel pour une seule leçon. » L’étendue des leçons variait selon la longueur des nuits et dépendait de la volonté du président et des coutumes (2). H ne fallait pas songer à les réciter de mémoire, comme on pouvait le faire pour les psaumes : aussi N. B. Père mentionne-t-il le codex placé sur le pupitre. Chez saint Césaire et saint Aurélien, le lecteur s’asseyait. Saint Benoît dit seulement que tous les frères sont assis sur les bancs, in scamnis, pendant les leçons (sauf pendant celle de l’Evangile : chap. XI) et pendan t les répons, sauf au Gloria. Cela nous laisse entendre que la psalmodie avait lieu debout : on priait ainsi chez les premiers chrétiens ; et les com­ mentateurs remarquent que saint Benoît emploie ordinairement le mot stare pour parler de la posture ordinaire des moines au chœur : sic stemus ad psallendum...; post Abbatem stare...; in choro standum...; ultimus omnium stet. Et si N. B. Père ne prescrit pas de se lever pendant le Gloria des psaumes, c’est qu’on est déjà debout. Actuellement encore, les moines grecs ne s’assoient que pendant les lectures ; et nous-mêmes nous sommes censés debout, même lorsque nous bénéficions de la « misé­ ricorde s de nos stalles. Nous irmrons comment finissaient les lectures, O Quelques siècles après saint Benoît, nous constatons qu’en certaines églises celui qui préside fait cesser le lecteur en disant : Tu autem (s. e. siste) ; celui-ci répond : Domine, miserere nobis, et le chœur : Deo gratias. Nous avons parlé déjà des répons faisant suite naturelle aux leçons, lectiones cum responsoriis suis, et dont le dernier se termine par le Gloria. ( Notons ce que dit N. B. Père de la dévotion des moines envers la sain'.e Trinité, et veillons à ce que nos inclinations profondes soient autre chose que des mouvements mécaniques. Saint Benoît recommande seulement de se lever; mais les inclinations, les génuflexions, les prostrations ont existé de tout temps dans l’Église ; N. B. Père n’a point songé à écrire un cérémonial complet (au chap. L il est question de fléchir les genoux). Post has vero tres Lectiones cum Responsoriis suis, sequantur reliqui sex Psalmi cum « Alleluia » cantandi. Post hos Lectio Apostoli sequatur, ex (1) Ada SS.. Febr, III, p. 705. (2) (f. Udai r , Contuet. Clun., L I, c. L DE L’OFFICE DE NUIT EN HIVER 173 corde recitanda, et Versus, et supplicatio Litaniae, id est, « Kyrie eleison ». Et sic finiantur Vigiliae nocturnae. Ou ne laissait pas d’intervalle entre les nocturnes; mais, aussitôt le premier terminé, on chantait les six autres psaumes, non plus avec antienne, mais avec Alleluia. Nous avons rencontré chez Cassien cet emploi de V Alleluia. Il est probable que chez saint Benoît on le réf était, comme une antienne, au cours du psaume. Vient ensuite une leçon empruntée à l’apôtre saint Paul, assez brève pour qu’on puisse la réciter de mémoire; et, après le verset, la supplication litanique, c’est-à-dire, explique saint Benoît, le Kyrie eleison (1). Mais le Kyrie, plusieurs fois répété, n’était que le début de toute une série d’invocations pressantes qui terminaient, dans les premiers siècles, les principales fonctions litur­ giques : ce sont les capitella dont parlent par exemple le concile d'Agde de 506, les Règles de saint Césaire et de saint Aurélien, ce sont les preces feriales conservées au Bréviaire romain. Encore que saint Benoît ne parle pas ici du Paler, il est bien probable qu’on le récitait, et tout bas (voir le chap. XIII) : il faisait partie de la litanie. Selon beaucoup de commenta­ teurs et de liturgistes, N. B. Père sous-entendrait aussi la collecte tradi­ tionnelle, et c’est avec elle seulement que se seraient achevées les Vigiles de la nuit, comme du reste toutes les Heures : nous aurons l’occasion d’y revenir. (1) Le concile de Vaison de 529 (can. in. Mansi, t. VIII, coL 727) décrète: VI Kyrie eleison frequentius cum grandi affectu cl compunctione dicatur,... ad Matutinos et ai Missas cl ad Vesperanit CHAPITRE X COMMENT CÉLÉBRER EN ÉTÉ L’OFFICE DE NUIT Ql'ALITER aestatis tempore agatur nocturna laus. — A Pascha autem usque ad Kalendas Novembris, ut supra dictum est, omnis psalmodiae quantitas teneatur : excepto quod Lectiones in codice, propter brevitatem noctium, minime legantur, sed pro ipsis tribus Lectionibus una de veteri Testamento memo­ riter dicatur, quam breve Responsorium subse­ quatur, et reliqua omnia ut dictum est impleantur, id est, ut numquam minus a duodecim Psalmorum quantitate ad Vigilias nocturnas dicatur, exceptis tertio et nonagesimo quarto Psalmo. H s’agit toujours de la Vigile fériale; mais nous sommes maintenant en été. de Pâques à novembre. Les nuits sont plus courtes. Elles peuvent sans doute encore suffire à la psalmodie, même intercalée d’antiennes ; mais l’aurore vient trop tôt pour qu’on ait le loisir des longues lectures de Γ Ancien et du Nouveau Testament et des traités des Pères ; et il ne faut songer ni à retarder les Laudes, qui demeurent fixées au point du jour, ni à prélever indiscrètement sur le temps du sommeil. Ce n’est donc pas sur la psalmodie qu’on fera porter les retranchements nécessaires ; elle s’adresse plus directement à Dieu, elle est la part formelle de la prière. On remplacera les trois leçons du premier nocturne par une seule leçon, empruntée à l’Ancien Testament, récitée de mémoire, très courte par conséquent. Au lieu des trois grands répons, on n’en chantera qu’un seul et plus bref. Tout se passe encore aujourd’hui comme saint Benoît l’a prescrit La deuxième partie de l’office est exactement la même qu’en hiver : six psaumes avec Alleluia comme antienne. Il n’y a d’ailleurs de différence entre l’office d’été et celui d’hiver qu’au point de vue des lectures et des DE L'OFFICE DF. NUIT EN ÉTÉ répons. N. B. Père insiste pour que l’on ne récite jamais moins des douze psaumes prescrits par la tradition sainte; et, afin de prévenir tou'o méprise, il rappelle que les psaumes in et xcrv ne sont pas comptés dans cette série des douze psaumes de l’office nocturne. CHAPITRE XI COMMENT IL FAUT CÉLÉBRER LES VIGILES DU DIMANCHE Qualiter Dominicis diebus Vigiliae agantik. — Dominico die temperius surgatur ad Vigilias, in quibus Vigiliis teneatur mensura, id est. modulatis, ut supra disposuimus, sex Psalmis, et Versu, resi­ dentibus cunctis disposite et per ordinem in subsel­ liis, legantur in codice, ut supra diximus, quatuor Lectiones cum Responsoriis suis, ubi tantum in Responsorio quarto dicatur a cantante α Gloria »; quam dum incipit, mox omnes cum reverentia surgant. La liturgie des Vigiles dominicales méritait un chapitre spécial ; cet office est, comme il convient, le plus solennel et le plus complet ; sa distribution interne reste la même toute l'année, sans distinction d’été ni d’hiver, dira saint Benoît. Le dimanche, on se lèvera plus tôt que sur semaine, à raison de la longueur de la Vigile ; et c'est en été surtout qu'il faudra anticiper le réveil, si l’on veut être en mesure de commencer Laudes à l’aurore, incipiente luce. Comme il n’y a pas ce jour-là de t ravail manuel, les moines peuvent donner davantage à la prière et supporter la fatigue de plus longues veilles. N. B. Père ne revient pas sur les portions préparatoires de 1’ofTicp. Aux Vigiles du dimanche, dit-il, « on gardera la mesure ». 11 ne s’agit pas ici de discrétion, pas davantage de la mesure qui suit, mais bien de celle qui a été précédemment fixée pour le premier nocturne de la Vigile fériale. C’est-à-dire, explique saint Benoît, qu’on « modulera », comme il a été dit plus haut, six psaumes (avec leurs antiennes, naturellement) et le verset. Puis tous s’assiéront sur les bancs, à leur rang et en bon ordre, et les lectures commenceront. Elles se feront au pupitre, sur le livre, et par les frères à tour de rôle, ut supra diximus. Mais il y a, cette fois, quatre COMMENT CÉLÉBRER LES VIGILES DU DIMANCHE 177 leçons avec leurs répons respectifs. C’est au quatrième répons seulement, et non plus au troisième, que le chantre ajoute Gloria et que tous se lèvent aussitôt avec respect. Saint Benoît ne dit pas à quelle source on puisait les leçons, mais il est permis de conjecturer que c’était àl’Écri­ ture, peut-être à l’Ancien Testament. Post quas Lectiones sequantur ex ordine alii sex Psalmi cum Anliphonis, sicut anteriores, et Versus. Post quos iterum legantur aliae quatuor Lectiones cum Responsoriis suis, ordine quo supra. Le second nocturne suit sans intervalle le premier et débute par le chant de six nouveaux psaumes, pris à la suite dans le Psautier. Us ont leurs antienne?, comme les précédents, à la différence des psaumes du second nocturne férial, qui sont chantés cum Alleluia. Après le verset, quatre autres leçons avec leurs répons, ordine quo supra, à la manière indiquée plus haut, c’est-à-dire avec un Gloria à la fin du quatrième, tous les moines s’étant levés. Ces leçons sont empruntées probablement Post quas iterum dicantur tria Cantica de Pro­ phetis 1), quae instituerit Abbas; quae Cantica cum « Alleluia » psallantur. Dicto etiam Versu, et bene­ dicente Abbate, legantur aliae quatuor Lectiones de novo Testamento, ordine quo supra. Ί1 y a un troisième nocturne. Mais, afin de ne pas dépasser le nombre sacré des douze psaumes, c’est aux cantiques prophétiques de ΓAncien T< srament que N. B. Père demande la matière de la psalmodie. L’Abbé les choisira à son gré, soit parmi tous ceux de la Bible, soit parmi ceux dont les liturgies font usage. Car l'usage de ces cantiques est bien anté­ rieur à saint Benoit, sinon chez les moines, du moins dans beaucoup d'églises d'Orient, dans celles de Milan, de Rome, etc. L’antienne Alleluia accompagne les cantiques ; elle est donc toujours réservée pour le dernier acte de la psalmodie. On dit le verset ; l’Abbé bénit le lecteur, comme il (1) Saint Benoît a probablement écrit de Prophetarum, de Evangelia (de même aux chap, xii, xm, xvn). Sic omnes fere codices antiqui : hi erani tituli voluminum S Scripturarum (D, Butler, op. cit., p. 133). ITS COJIME.NTA IRE SUH LA RÈGLE DE SAINT BENOIT l’a béni deux fois déjà peut-être, au commencement des lectures de chaque nocturne; puis on lit quatre leçons du Nouveau Testament (Actes ou Épitres), avec leurs répons et lo Gloria au quatrième : ordine quo supra. Post quartum autem Responsorium, incipiat Abbas Ilvmnum e Tc Deum laudamus ·». Quo dicto, leg it « Abbas lectionem de Evangelio, cum honore et tr · more stantibus omnibus. Qua perlecta, respondeant omnes : < Arnen «. Et subsequatur mox Abbas Ifvmnum · Te decet laus ». Et data benedictione V incipiant Matutinos. C'est la solennelle conclusion de l’office de nuit. L’Abbé enbumo lo Te Dcum (1). L’ordre des lecturae adopté par saint Benoit était admi­ rable; c’était en passant par Γ Ancien Testament, p-ir 1* Pères, pat . .1 écrits apostoliques, qu’on arrivait finalement à l’Evangile, à la voix mémo de Notre-Seigneur Jésus-Christ, au » Λ inc culminant de l'office. Tom Je monde était debout, une crainte religieuse planait sur toute l’asMstan. .· : eum honore et tremore dantibus omnibus. L'Abbé, parce qu’il tient dans le monastère la place du Christ, lisait I i même la parole du Clin r. Mais, s’il lisait seul, la communauté sa.·· >ciait à lui dans l'unanime profession de foi par laquelle se terminait la lecture. Des liturgistes pensent que le passage évangélique choisi était celui-là mémo qui était propre au dimanche ou à la fête et que l'on chantait à la Messe du jour. Aussitôt l’Evangile terminé, l’Abbé entonne l'hymne Te dccct lau<; < η la trouve au line VU des Constüsüions Apostoliques. Mais quell·· estent·· « bénédiction » dont parle ensuite N. B. Père? Nous savons, par d< > docu­ ments tels que les Constitutions Apostoliques et la Peregrinatio liiirKw, que les principaux offices liturgiques s’achevaient par des litanie J et prières pour tous les besoins des fidèles, par une oraison de l’évcque, accompagnée ou suivie de sa bénédiction, enfin par la formule du renvoi. Les textes de saint Benoit rappellent tous ces usages. Parlant de la con­ clusion des offices, il mentionne tantôt la supplicatio litania··. id est Kyrie eleison (IX, XIII), les litaniae (XII); tantôt simplement la ben· · diction (XI); tantôt Kyrie eleison et missae sint (XVII) ; tantôt lit mine et Oratio dominica d fiant missae (ibid.)] pour Complies enfin : Kyrie eleison d benedidio et missae fiant (ibid.)] au chapitre LXV11, il écrit : El semper ad orationem ultimam operis Dei commemoratio omnium absen(1) Sur l’histoire du Te Deum, voir le travail de D, Caoln, Te Deum ou lllalio'f COMMENT CÉLÉBRER LES VIGILES DU DIMANCUE 174 hum fiat. N. B. Père fait allusion à des rites connus et ne croit pus nécessaire de préciser davantage. Peut-être entend-il désigner la conclurion tout entière d’un office lorsqu’il rappelle seulement l’un des élé­ ments qui la composent, la litanie, par exemple, ou la bénédiction; à moins «pie pour saint Benoit la bénédiction qui termine la Vigile ne soit simplement une collecte, ou un Benedicamus Domino développé (1). Quant au terme missa, il a chez les anciens des significations multiples, encore que très apparentées ensemble : il signifie le congé donné aux fidèles, la formule de ce congé, l'ensemble des prières par lesquelles s’achève une fonction liturgique, l'office canonial lui-même, la Messe enfin. N. B. Pen·, comme Cassien, prend le mot missae selon des accep­ tions diverses (2) : tantôt il est synonyme de completum est, tantôt peut• tr<· ·!»·' prière^ qui terminent l'oilice, tantôt enfin du saint sacrifice de la M.·-· u Lap. XXXV. XXXVIII et LX) (3). /■? tinia benedictione incipiant Matutinos, en ménageant d’ailleurs entre l'offir- d·· nuit et le premier office de jour le parcissimum intervallum dont il < t parlé au chapitre VIII. Même le dimanche, et en toute saison, les moines peuvent alors sortir un instant, comme le laisse clairement entendre le début du chapitre XIII : Diebus privatis... sexagesimus C'-rtu: psalmus dicatur sine Antiphona in directum, subtrahendo modice, sicut in Dominica, ut omnes occurrant ad quinquagesimum Qui ordo Vigiliarum omni tempore, tam aestatis quam hiemis, aequaliter in die Dominico teneatur : nisi furto (’quod absit) tardius surgatur, quia tunc aliquid de Lectionibus breviandum est, aut Respon­ soriis. Quod tamen omnino caveatur, ne proveniat. Quod si contigerit, digne inde satisfaciat Deo in oratorio, per cujus evenerit neglectum. Tout est clair, grâce aux explications qui précèdent. La distribution d<· la Vigile dominicale reste invariable en été comme en hiver. On se lève <: · I>. Γι m id: ni: Mi e.ter émet l'hypothèse que cette bénédiction, comme celle qui pré «’·.!»· les lectures, soit une formule de louange, de bénédiction à Dieu, une accla­ mation anal rue à celles par lesquelles, dans le rit grec, débutent certains offices ou qui forment transition entre deux parties d'un même office (L'office décrit dans la Régie bénédictine < I Cofficc grec : Echos (Γ Orient, 10e année, n° 67, novembre 1907, p. 342-344). (2) Voir D. Calmct, Comment sur le chap. xvu. (3) Cf. D. Bai mer, Ein Beitrag zur Erklârung ion Lilaniae und Missae in canp. 9-17 der heiligcn Regel (dans Studien und Mittheilungen ans dem Bencdictiner- und itm CMlercienser-Ordcn, 1886, t. II, p. 285 sq.). — Chez S. Césaire et S. Avréuen mûsa a encore lo sens de lecture, de leçon. {SO COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT assez tôt pour que l’office puisse se dérouler avec dignité et intégralement jusqu’au jour; il doit être achevé avant Γ aurore. La quantité des lec­ tures elles-mêmes est déterminée d’avance, au moins d’une façon géné- ' raie, par la coutume et par la volonté de l’Abbé. Postérieurement à saint Benoit, nous voyons le chantre ou tout autre personnage compé­ tent prévoir ces lectures; quelques-uns marquent sur le manuscrit le commencement et la fin des leçons au moyen d’une goutte de cire ou par un coup d’ongle; ou bien le supérieur apprécie lui-même, séance tenante, la mesure qui convient ; puis il impose silence au lecteur par un procédé quelconque, par le Tu auleni dont nous avons parlé, voire sono Hill gutturis, comme le faisait Charlemagne (1). N. B. Père ne prévoit qu’une circonstance où il y aurait lieu de retran­ cher quelque chose à la quantité normale des leçons et des répons, mais non pas de la psalmodie ou des autres pièces : c’est le cas où le signal du lever aurait été donné trop tard (2). Le dimanche obligeant à se lever plus tôt, c’était ce jour-là aussi que l’erreur pouvait le plus facilement HIM se commettre, Mais saint Benoît demande qu’on veille soigneusement à ce qu’un aussi grave désordre ne se produise jamais ; et il astreint à une satisfaction publique, dans l’oratoire, celui dont la négligence aurait frustré le Seigneur d’une part de la prière commune. (1) De gestis Caroli Magni, 1.1, c. νπ. P. L, XCVIII, 1376. (2) Une décision analogue à celle de saint Benoît est indiquée par S. Césaire : Si two evenerit ut tardius ad vigilias consurgant, singulas paginas, aut quantum Abba­ tissae visum fuerit, legant; in cujus potestate erit, ut quando signum fecerit, quae legit, sine mora consurgat (Reg. monasterii sanctae Caesariae, Acta SS., Jan. t. I, p. 736). — Selon les Us de Cîteaux, si l’on s’est levé trop tôt, Je chantre doit faire prolonger Ja douzième leçon. CHAPITRE XII COMMENT CÉLÉBRER LA SOLENNITE DES MATINES i Qualiter Matutinorum solemnitas (1) agatur. — In Matutinis Dominico die, in primis dicatur sexage­ simus sextus Psalmus sine Antiphona in directum; post quem dicatur quinquagesimus cum « Alleluia ». Post quem dicatur centesimus decimus septimus, et sexagesimus secundus ; deinde Benedictiones et Laudes; Lectio de Apocalypsi una ex corde, et Re­ sponsorium, et Ambrosianum, et Versus, et Canti­ cum de Evangelio, et Litaniae; et completum est. Il s’agit, dans ce chapitre, de l’office matutinal, le dimanche; dans le suivant, du meme office les jours de férié ; et le titre du chapitre ΧΠ n’est exact que si l’on réunit en un les deux chapitres, comme semble nous y inviter le début du XIIIe : Diebus autem. Nous savons déjà que ce qui s’appelle chez les anciens Matines, s’appelle Laudes chez nous. L’institution de cet office est antérieure de plusieurs siècles à saint Benoît ; c’est l’heure glorieuse où la lumière triomphe des ténèbres, l’heure de la résurrection du Seigneur. Les Laudes sont le complément normal de la Vigile ; peut-être en sont-elles un dédoublement ; il semble du moins qu’à l’origine elles n’en étaient pas séparées. Chez saint Benoît luimême, sauf aux fériés d’hiver et en dépit du parvum intervallum des autres jours, la soudure des deux offices est réelle : et data benedictione incipiant Matutinos (2). Et, en tout temps, la préparation à l’office des Laudes est fort courte : peut-être ne comprend-elle pas même le Deus in adjutorium (3), et consiste-elle simplement dans l’exécution un peu (1) Solemnitas, ici comme chez Cassien (Insl., II, x ; III, rv, v, vi, etc.), est sim­ plement synonyme de synaxe, d'office. (2) Cf. Cass’, Inst., Ill, iv. On trouve aussi cette jonction des nocturnes et du Matutinum dans l’ancien rit ambrosien : D. Cagin, TeDeum ou lllaiio? p. 417. (3) N’oublions pas cependant que N. B. Père ne donne pas toujours tous les détails lllll des rubriques ct qu’il abrège quelquefois. Voir le commentaire du chap, xun, p. 330. 1 1S! COMMENTAinE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT lente du psaume Lxvr, sans antienne, in directum (1), — ut omnes occurrant ad quinquagesimum, dira saint Benoît au chapitre suivant. Le Miserere, le psaume de la confession des péchés, joue un peu ici Je rôle de l’invitatoire ; avant de chanter l’apparition de la pure lumière et d’offrir au Seigneur une louange détaillée pour tous ses bienfaits, lame a besoin de se purifier et de reconnaître que Dieu tout seul peut la faire sortir de sa nuit (2). Nous savons par saint Basile que ce psaume se récitait déjà de son temps à la même heure : Die jam illucescente, omnes simul relut ex uno ore ct uno corde psalmum confessionis Domino concinunt, propria sibi unusquisque verba poenitentiae jacientes (3). Saint Benoît veut qu’on le dise avec Alleluia comme antienne, et peutêtre disait-on aussi VAUeluia au cours des psaumes suivants. Vient ensuite le grand psaume de la résurrection, le cxvrr : Confitemini Domino quoniam bonus, indiqué aussi pour Laudes dans la Règle de saint Césaire ad m nachis (4). Puis le psaume lxh : Deus, Deus meus, ad te de luce vigilo, tout désigné pour l’office matutinal, et dont saint Benoît n’a eu qu’à emprunter l’usage aux liturgies monastiques et autres. Même remarque pour le cantique Benedicite, les « bénédictions », comme disent saint Benoît et saint Césaire, et pour les laudes (psaumes cxlviii, cxllx, cl) (5). On récite par cœur une seule leçon, tirée de l’Apocalypse. Ensuite un répons, sans doute un répons bref, l’hymne ambrosienne, le verset, et le cantique de l’Évangile, c’est-à-dire le Benedicius, choisi surtout à cause des derniers versets : Visilavil nos Oriens ex alto, illuminare his qui in tenebris et in umbra mortis sedent (6). Enfin les « litanies », c’est-à-dire le Kyrie eleison et l’ensemble des formules de conclusion ; et c’est tout, c’est le renvoi. lilii (1) Chez S. Césaire aussi, l’office du matin commence par un directaneum (Reg. ad mon., xn). Noter dans cette liturgie et ailleurs la présence du Te Deum et du Gloria in exalsû à la fin de Laudes. (2) Selon D. Calmet, le Miserere a pu être choisi à cause des mots : Domine, labia mai aperies, ou à cause de ceux-ci : exultabunt ossa humiliata qui rappellent la résur­ rection. (3) Episl. ad clericos Ncocaesarienscs, 3. P. G., XXXII, 7G3-7GL — Cf. Cass., Inst., ΠΙ. n. (6) « On croit généralement de nos jours, et pour de bonnes raisons, que le Magnificat & été introduit aux Vêpres, comme le Benedictus aux Laudes, par saint Benoit » (Baumer, Hist, du Bréviaire, t I, p. 253). Cf. cependant D. Cabrol, Diclionnair» ifArchéologie chrétienne et de Liturgie, art. Cantiques évangéliques, CHAPITRE XIII COMMENT CÉLÉBRER LES MATINES AUX JOURS DE FÉRTE Privatis diebus qualiter Matutini agantur. — Diebus autem privatis Matutinorum solemnitas ita agatur, id est, sexagesimus sextus Psalmus dicatur sine Anliphona in directum, subtrahendo modice, sicut in Dominica, ut omnes occurrant ad quinqua­ gesimum, qui cum Anliphona dicatur. Les jours de la semaine où il n’y a pas de fête de saints (1), les jours de simple férié, l’office matutinal se célébrera comme il suit. i lil I On dira sans antienne, in directum, mais assez lentement, comme le dimanche, le psaume lxvi. De la sorte, tous les frères seront rentrés au chœur pour le Le, qui appartient à la psalmodie solennelle et se dit non plus avec Alleluia mais avec une antienne spéciale. Ces deux psaumes, ainsi que les laudes dont parle plus loin saint Benoît, consti­ tuent la portion invariable de la psalmodie. Voici maintenant la por­ tion variable. Post quem alii duo Psalmi dicantur, secundum consuetudinem, id est, secunda feria, quintus, et trigesimus quintus. Tertia feria, quadragesimus secundus, et quinquagesimus sextus. Quarta feria, sexagesimus tertius, et sexagesimus quartus. Quinta feria, octogesimus septimus, et octogesimus nonus. Sexta feria, septuagesimus quintus, et nonagesimus primus. Sabbato autem, centesimus quadragesimus (1) On trouve aussi l’expression diebus privatis dans 1’Ordo psalmodiae Linnensis, 183 I - f Si COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT secundus, et Canticum Deuteronomii, quod dividatur in duas « Glorias ». Chaque jour, après le Miserere, on dira deux psaumes « selon la cou­ tume ». Quelle e t cette coutume? üne coutume monastique? celle qui avait ei cours jusqu’alors au Mont-Cassin? la coutume des églises de la région? la coutume ambrosienne, ou celle de Rome, dont il sera ques­ tion à propos des cantiques? Nous ne pouvons le savoir. Nous ne voyons pas bien non plus si N. B. Père a emprunté à cette coutume non seule­ ment l’usage des deux psaumes, mais encore leur désignation. Il est probable pourtant qu’il a accepté, et tel quel, ce choix des onze psaumes, pris çà et là dans le Psautier. Mais quelle fut à l’origine la raison déter­ minante d’un pareil choix (1)? Pour la seconde férié, le vc: Vcrba mea, et le xxxvc .· Dixit injustus; pour la troisième férié, le xme : Judica me, Deus, et le Lvri*: Miserere mei, Deus, miserere mei; pour la quatrième férié, le i Exaudi, Deus, orationem meam, et le Lxive: Te decet hymnus ; pour la cinquième férié, le Lxxxvne : Domine, Deus salutis meae, et Je lxxxlx0 : Domine, refugium factus es nobis; pour la sixième férié, le lxxvc : Notus in Judaea Deus, et le xcie: Bonum est confiteri Domino ; pour le samedi, le cxLne '.Domine, exaudi orationem meam, auribus percipe. Dans le Bréviaire romain d’avant la réforme de Pie X, il y avait aux Laudes de chaque jour, après le Miserere, un seul psaume spécial et un cantique ; les cantiques étaient les mêmes dans les deux liturgies ; un des psaumes indiqués par saint Benoît pour chaque férié se retrouvait — et subsiste encore — le même jour au romain, avec cette différence qu’au romain les psaumes cxLn et xci appartiennent respectivement à la férié sixième et au samedi. Un seul psaume est assigné au samedi, à raison de la longueur insolite du cantique du Deutéronome marqué pour ce jour-là. On divise le can­ tique en deux Gloria, c’est-à-dire qu’on le partage en deux portions suivies chacune de la doxologie Gloria; la première partie du cantique fait fonction du deuxième psaume intercalaire, et la deuxième partie est le cantique lui-même. Une transition est ainsi offerte à N. B. Père pour parler des cantiques. Nam ceteris diebus, Canticum unumquodque die suo ex Prophetis, sicut psallit Ecclesia Romana, dicatur. Post haec sequantur Laudes; deinde Lectio una Apostoli memoriter recitanda, Responsorium, (1) < Une personne éclairée et qui a fait sur cela de sérieuses réflexions, dit D. Calmet, croit que saint Benoît a voulu mettre à la première Heure du jour des psaumes qui parlent de la lumière et du matin et qui ont rapport à la résurrection. » Comment célébrer les matines aux jours de férié 435 Ambrosianum, Versus, Canticum de Evangelio, Litania, et completum est. Car on récitera des cantiques, non pas le samedi seulement, ni toujours le même : mais chacune des autres iéries aura son cantique propre, emprunté, comme le cantique du samedi, au répertoire del’Église romaine. L’Abbé devait déterminer les cantiques du troisième nocturne du dimanche, parce que l’Êglise romaine n’usait aux Vigiles que de psal­ modie : il ne pouvait lui emprunter ce qu’elle ne possédait pas. Mais elle avait tous les jours à Laudes un cantique tiré des Prophètes (ex Pro­ phetis, au sens large) ; et saint Benoît, sur ce point, adopte la coutume et probablement aussi la désignation de l’Êglise romaine. Comme le fait observer D. Baumer, quelques églises seulement d’Occident avaient adopté l’usage oriental de nombreux cantiques, et l’introduction de cette pratique par saint Benoît « était, du moins chez les moines, quelque chose de nouveau (1) ». Tandis que le dimanche a les « bénédictions » des trois enfants, la seconde férié a le cantique du chapitre xit d’Isaïe ; la troisième férié, le cantique d’Ézéchias ;la quatrième, le cantique d’Anne ; la cinquième, le cantique de Moïse après le passage de la mer Rouge; la sixième, le cantique d’Habacuc ; et le samedi, celui du Deutéronome où Moïse trace, avant de mourir, l’histoire passée et future d’Israël. Après ces cantiques viennent les psaumes de louange ; puis une courte leçon empruntée à l’apôtre saint Paul et qu’on récite de mémoire, le répons bref, l’hymne ambrosienne, le verset, le cantique de l’Évangile ou Benedictus, la litanie, et l’on termine. Plane agenda Matutina vel Vespertina non trans­ eat aliquando, nisi ultimo per ordinem Oratio Dominica, amnibus audientibus, dicatur a priore, propter scandalorum spinas, quae oriri solent, ut con­ venti per ipsius Orationis sponsionem, qua dicunt : Dimitte nobis debita nostra, sicut et nos dimittimus debi­ toribus nostri, purgent se ab hujumodi vitio. Ceteris uero agendis, ultima pars ejus Orationis dicatur, ut ab omnibus respondeatur : Sed libera nos a malo. En proscrivant la litanie comme conclusion de l’office, N. B. Père entendait vraisemblablement par là, nous l’avons dit, tout un ensemble (1) Op. cil., t. I, p. 249. Cf. p. 179 et suiv, — D. Cabrol, Dictionnaire cTArchéologic chrétienne et de Liturgie, art. Cantiques, <86 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT de formules dont faisait partie le Pater; mais il tient à faire relativement à l'emploi liturgique du Pater une disposition formelle, avec intention précise, propre à l’office monastique. C’est une règle invariable que saint Benoît veut poser, et l’on voit tout aussitôt qu’elle lui tient à coeur : Plane (i. e. certe, omnino) agenda Matutina vel Vespertina non transeat aliquando... Nous n’avons pas à rappeler ici la beauté de cette prière, la plus vénérable et la plus complète qu’il y ait au monde, et qui conserve à jamais, dans chacune de ses demandes, la saveur divine qui lui vient des lèvres du Seigneur (1). Dès la toute première heure de l'Église, elle a sa place privilégiée dans la prière chrétienne privée : la Didaché prescrit à chacun de la réciter trois fois par jour, le matin, à midi et au soir, aux heures traditionnelles de la prière juive. Elle a sa place aussi dans la prière publique primitive (2) ; et de nombreux docu­ ments mentionnent sa récitation solennelle aux offices avant N. B. Père et de son temps (3). Le concile de Girone de 517 avait décrété : Ut omnibus diebus, post matutinas et vespertinas, Oratio dominica a sacerdote profe­ rat ir (4). Saint Benoît demande lui aussi que nul office (5) de Matines et de Vêpres n’ait lieu sans qu’à la fin l’Oraison dominicale soit récitée en entier par le président de l’assemblée, tous les moines prêtant l'oreille. Aux paroles du Pater qui sont citées par la Règle et à l’explication fourme par N. B. Père lui-même nous reconnaissons bien le motif spécial de cette récitation conventuelle. Sans doute il y avait une opportunité singulière, alors que des traces de pélagianisme subsistaient encore un peu partout, à provoquer dans les âmes un examen de conscience, un désaveu et un regret, à les faire s’appuyer sur Dieu seul pour échapper au mal et à la tentation (6) ; mais saint Benoît poursuit un autre but. Même dans les communautés les plus fraternellement unies, il peut se pro­ duire, sans malice souvent, et par le fait seul de la diversité des tempé­ raments, de petites meurtrissures. Et les meurtrissures, même petites, lorsqu’on y touche par la pensée ou la parole, s’endolorissent et s’enve­ niment. Elles s’effacent au contraire, les épines de scandale qui germent parfois dans les monastères, se’on l’image de saint Benoît, disparaissent, lorsque nous puisons dans la bonté de Dieu envers nous un motif surna­ turel d’exercer notre charité envers le prochain. La demande du Pater : Dimitte nobis débita nostra sicut et nos dimittimus, est un engagement u i Cass., Contai. IX, xvin sq. (2) Cf. Fr. H. Chase, The Lord's prayer in the early Church, dans la collection Tcxls and Studies de J. Armitage Robinson. (3) Voir, par exemple, la description d’un office au Mont-Sinai dans un document du sixième siècle publié par D. Pitba, Juris eccles, Graecorum hist. el monum., t. I, p. 220. (4) Can. x. Mansi, t. VIIT, col. 550. (5) Ajenda signifie un office, une portion de l'ffiuwe de Dieu. (6) Cf. S. Aug., Epist. CLVII, CLXXVI, CLXXVIII, P. L, XXXIII, 674, 762, 772. COMMENT CELEBRER LES MATINES AUX JOURS DE FÉRIÉ 187 réciproque, une stipulation que nous faisons avec le Seigneur (sponsio) (1) ; au lieu d’imiter ces chrétiens dont parle Cassien : Cum in eedesia haec oratio db universa plebe concinitur, hunc locum taciti praetermittunt, ne scilicet semetipsos obligare... videantur (2), les enfants de saint Benoît doivent s’approprier les paroles divines, se laisser citer en jugement (convenire) et corriger par elles : ils prononcent leur propre condamna­ tion s’ils ne se pardonnent pas mutuellement et ne se remettent pas d accord (aut-e sens de convenire). Cette récitation solennelle de toute l’Oraison dominicale n’aura lieu qu’au commencement du jour et à la· fin. Aux autres offices, ceteris vero egendis, on ne dira à haute voix que les dernières paroles seulement : Et ne nos inducas in tentalionem, de façon à ce que tous répondent : Sed libera nos a malo. Même sous cette forme réduite, on aura pu mettre son âme d'accord avec la pensée de Dieu et grouper dans une même prière les intentions de tous. (1) Adjunxit plane cl addidit {Dominus) legem, certa nos conditione et sponsione conslf.ngcns, ut sic nobis dimitti debita postulemus secundum quod et ipsi debitoribus nostris dimittimus, scientes impetrari non posse quod pro peccatis petimus, nisi et ipsi circa debi­ tores nostros paria jecerimus (S. Cypriani De Orat. Dornin., x (2) Conlat. IX, xxn, CHAPITRE XIV COMMENT CÉLÉBRER LES VIGILES AUX FÊTES DES SAINTS InNatalitiis Sanctorum qualiter Vigiliae agantur. — In Sanctorum vero festivitatibus, vel omnibus solemnilatibus, sicut diximus Dominico dic agendum, ita agatur, excepto quod Psalmi, aut Anliphonae vel Lectiones ad ipsum diem pertinentes dicantur. Modus autem supradictus teneatur. Des trois formes d’offices : le férial, le dominical et le festif, N. B. Père a déjà déterminé les deux premières, quant aux Vigiles et aux Matines; il lui suffit maintenant de quelques lignes pour régler l’office festif, parce qu’il l’assimile à celui du dimanche. Le titre du chapitre restreint aux seules Vigiles l’assimilation, à tort peut-être, car saint Benoît s'exprime d’une manière générale, sans distinguer entre les Vigiles et les Matines ; il ne parlera pas davantage des particularités de l'office festif aux Heures du jour; aussi bien c’était pour les Vigiles surtout qu'il importait de fixer la mesure, modus, la quantité de la psalmodie et des lectures. Nous pouvons d’autant plus regretter l'extrême concision de N. B. Père que nous sommes insuffisamment renseignés par ailleurs sur l’office festif chez les moines d’alors. Pour les fêtes du temps, pour les solennités commémoratives des mystères du Seigneur : Pâques, Noël, l’Épiphanie, etc. (celles que veut probablement désigner saint Benoît en écrivant : vel omnibus solemniialïbus), le calendrier monastique s’était adapté dès l’origine au calen­ drier des églises séculières. H n’en va pas de même pour les fêtes des saints. Quelques-unes, il est vrai, celles par exemple des saints Pierre et Paul, de saint Étienne, des saints Jacques et Jean, de saint André, de saint Jean-Baptiste, etc., furent de bonne heure communes à toute la chrétienté ; mais primitivement les fêtes des martyrs et celles, un peu plus tardives, des confesseurs ne se célébrèrent que dans les églises où elles avaient une attache topographique, là du moins où les appelait un 188 COMMENT CÉLÉBRER LES VIGILES AUX FÊTES DES SAINTS 1S9 motif local précis (1). Les églises monastiques, étant dépourvues d’ordi­ naire de semblables traditions, avaient peu de natales à commémorer; et c’est sans doute ce qui explique le silence des anciennes Règles orien­ tales sur ce point. Parfois, les moines accouraient de leurs solitudes pour fêter un saint martyr avec les clercs et les fidèles; c’est ainsi que la pèle­ rine Eucheria eut la joie inattendue de contempler et d’entretenir, à Charra, en Mésopotamie, tous les moines de la région, qui avaient dû s’y rassembler pour l’anniversaire du moine martyr Helpidius : Audieram eos, écrit-elle, eo quod exlra diem Paschae et extra diem hanc non eos de­ scendere de locis suis (2). Dans la Règle de saint Césaire éditée par les Bollandistes, il y a des dispositions liturgiques spéciales non seulement pour le dimanche et pour les jours ordinaires, privatis diebus, mais pour Pâques, Noël, l’Épiphanie, pour les solennités, pour « tous les jours de fête », spécialement pour les fêtes des Martyrs : Quando festivitates Mar­ tyrum celebrantur, prima missa (lectio) de Euangeliis legatur, reliquae de passionibus Martyrum (3). Le calendrier monastique s’enrichissait donc peu à peu et se calquait sur celui des églises séculières, desservies parfois d’ailleurs par des moines ou avant à côté d’elles un monastère. Si N. B. Père n’a pas innové de tous points relativement au culte des saints, il lui a du moins assuré une place d’honneur et une place régulière dans la liturgie proprement monastique. Nous savons par saint Grégoire qu’en prenant possession du Mont-Cassin saint Benoît dédia un oratoire à saint Jean-Baptiste et un autre à saint Martin de Tours ; c’est en face des reliques qu’il nous fait émettre profession, et les saints sont invoqués comme les témoins authentiques de nos engagements. Aux fêtes des saints et dans toutes les solennités, on célébrera l’Œuvre de Dieu {agendum, ita agatur) de la même manière qu’il a été réglé plus haut pour le dimanche : en toute saison trois nocturnes, douze leçons, douze répons. Mais saint Benoît ajoute une clausule, qui limite et réduit l’assimilation de l’office festif à l’office dominical : il aura ses psaumes, ses antiennes et ses leçons propres (remarquez qu’il n’est question ni des répons, ni des hymnes). De longues discussions se sont élevées parmi les commentateurs sur l’interprétation des mots : ad ipsum diem perti­ nentes. Sont-ce les psaumes, antiennes et leçons de la férié, ou bien les psaumes, antiennes et leçons assignés spécialement à la fête? D. Calmet est plutôt favorable à la première opinion ; D. Mège est décidément pour la seconde ; D. Martène, tout en reconnaissant la valeur des arguments fournis par les tenants de cette deiniè.e, laisse à chacun la liberté d'apprécier et ne conclut pas. (1) Cf. H. Delehaye s. j., les Origines du culte des martyrs, chap, ni, p. 109 et suiv, (2) Peregrinatio ad loca sancta, édit, Gamurrini, 1888, p. 38-39, (3) Jan. t. I, p. 735-736, <30 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT Grammaticalement, le texte se prête à l’une et à l’autre interprétation. U faut donc chercher une solution ailleurs. Saint Benoît, au chapitre XVIII, réclame de tous ses fils la récitation intégrale du Psautier en une semaine; et il ne s’agit pas d’un nombre de cent cinquante psaumes, quels qu’ils soient, mais des cent cinquante psaumes dont se compose le Psautier. Or, ceci ne pouvait avoir lieu qu’à la condition que l’on récitât aux nocturnes des saints les psaumes de la férié correspon­ dante. A ceux qui répondent « que saint Benoit a voulu parler condition­ nellement et supposé qu’il ne se trouverait pas de fête dans la semaine », I). Calmet réplique : « Avec de pareilles suppositions, que ne peut-on pas faire dire à un auteur? » Pour saint Benoît, la psalmodie est vraiment l’ossature immuable de l’office divin, et s’il laisse à l’Abbé la faculté de donner une distribution du Psautier meilleure que la sienne, encore veut-il, répétons-le, que tout le Psautier soit récité chaque semaine. La physionomiefestive était suffisamment accusée par ce qu’avait de spécial le dessin de l’office, copié sur celui du dimanche, et par certaines parties propres. Actuellement encore, les petites Heures ne gardent-elles pas immuable leur psalmodie même aux jours festifs, et la récente réforme du Bréviaire romain n’a-t-elle pas combiné l'office férial avec celui des fêtes? Nous ne pouvons pas d’ailleurs, selon la remarque de D. Calmet, chercher des arguments solides en faveur de l’une ou de l’autre inter­ prétation de notre texte dans les usages postérieurs à saint Benoit, fus­ sent-ils très anciens, ni dans une législation monastique ou ecclésias­ tique plus récente. A ceux qui entendent l’ad ipsum diem de la férié correspondante, on fait encore l’objection suivante : saint Benoît parle des psaumes comme il parle des antiennes et des leçons, il énumère ces éléments sans distinguer : leur condition est donc la même. Or, il semble bien qu’aux jours de fête on ne pouvait dire ni les antiennes du Psautier, ni les leçons de la férié : car aux fériés d’hiver il n’y a que trois leçons et une seule aux fériés d’été, or l’office festif nous en réclame douze ; d’autre part, aux fériés il n’y a d’antiennes proprement dites qu’au premier nocturne, or l’office festif en réclame pour deux nocturnes : donc, on ne disait pas plus les psaumes de la férié que les antiennes et les leçons de cette même férié. D. Calmet répond en contestant la mineure ;« on tirera les leçons, dit-il, des mêmes livres d’où sont tirées celles que l’on dit les jours de férié ; et au lieu de trois, on en dira douze ; pour les antiennes, ou l’on prendra celles de la férié même, ou l’on les tirera d’un antipbonicr commun, de même que les répons ; et ce sera un livre où ces sortes de choses sont recueillies, car on ne peut douter qu’au temps de saint Benoît et depuis il n’y ait eu des psautiers, des lectionnaires, des antiphoniers et des recueils de répons...».On serait plutôt tenté d’accorder que les leçons, comme les cantiques, comme peut-être aussi les antiennes, étaient en effet propres COMMENT CÉLÉBRER LES VIGILES AUX FÊTES DES SAINTS i&i à la fête et désignés par l’usage et la volonté de l’Abbé, mais en contes­ tant que les psaumes aient nécessairement la condition des éléments avec cette clausule, distinguer la liturgie festive de la liturgie dominicale, sauf pour chacun de ces éléments à être déterminé par le procédé qui lui convient. Par malheur, dans cette explication, Vad ipsum diem a un sens indécis ou plutôt un double sens, puisqu’il signifie tantôt la férié et tantôt la fête. * Peut-être vaut-il mieux admettre que psaumes, antiennes et leçons sont de la fête. Il en allait de même dans les liturgies milanaise et romaine, connues de saint Benoit ; nos communs des saints, au moins celui des martyrs, ont été originairement des offices propres. Eucheria signale comme intéressante cette coutume de l’église de Jérusalem d’approprier les textes liturgiques au mystère du jour : Hoc autem inter omnia salis praecipuum est, quod faciunt, ut psalmi vel antiphonae apti semper dicantur, tam (pii nocte dicuntur, tam qui contra mature; tam etiam qui per diem vel sexta aut nona vel ad lucernare semper ita apti et ita rationabiles ut ad ipsam rem pertineant, quae agitur (1). D’après la Règle du monastère de sainte Césarie, certaines leçons, nous l’avons vu, sont empruntées à la Passion des martyrs dont on célèbre la fête ; le même document contient Cunctis diebus festis ad Duodecimam psalmi qui ad Tertiam dicendi sunt, antiphonae tres jungantur, lectiones vero de re, la disposition suivante : N. B. Père adopta des usages analogues? H pouvait même prescrire une psalmodie festive sans sacrifier le grand principe du chapitre XVIII relatif à la récitation hebdomadaire du Psautier, puisque les fêtes étaient alors des exceptions et assez rares. Il conclut en rappelant que la forme de l’office festif, son dessin général, le nombre et l’ordonnance de ses éléments doivent, être ceux de l’office dominical, quels que soient la fête et le jour où elle tombe, et ses parties propres. On ne connaissait donc pas à l’origine les offices festifs à trois leçons. (1) Peregrinatio, p. 50, : CHAPITRE XV EN QUELS TEMPS IL FAUT DIRE a ALLELUIA » temporibus dica run. — A sancto Pascha usque ad Pentecosten, sine intermissione dicatur « Alleluia », tam in Psalmis quam in Respon­ soriis. A Pentecoste usque ad caput Quadragesimae, omnibus noctibus, cum sex posterioribus Psalmis tantum ad Nocturnos dicatur. Omni vero Dominica extra Quadragesimam, Cantica, Matutini, Prima, Tertia, Sexta Nonaque cum « Alleluia » dicantur. Vespera vero cum Antiplionis. Responsoria vero numquam dicantur cum « Alleluia », nisi a Pascha usque ad Pentecosten. Alleluia quibus C’est avec les chapitres XTV et XV que s’achève le règlement de Γoffice de nuit et que se fait même la transition aux offices du jour : ils établissent en effet Γιιη et l’autre des points qui concernent et les Vigiles et la liturgie diurne. N. B. Père a voulu consacrer un article spécial à V Alleluia, non pas seulement dignitatis causa et par déférence pour cette acclamation joyeuse très chère aux âmes de tous les temps (1) et que nous retrouvons, avec l’Amen, jusque dans la liturgie de l’éternité ; mais surtout afin d’en bien régler et aussi d’en étendre l’usage. Saint Benoît le fait chanter tous les jours de l’année, sauf en Carême : nous sommes loin du rigorisme de l’hérésiarque Vigilance, si vigoureusement malmené par saint Jérôme et qui voulait réserver 1’Alleluia à la seule fête de Pâques. Depuis la sainte Pâque jusqu’à la Pentecôte on doit dire Alleluia dans les psaumes et dans les répons, sine intermissione. Pour reconnaître le sens précis de cette formule, il faut être très attentif aux dispositions (1) Voir cc qui concerne V Alleluia dans les Dictionnaires de la Bible, de Théologie et cTArcWoIogie chrétienne et de Liturgie, IM en QUELS TEMPS IL FAUT DIRE * ALLELUIA » 493 qui suivent et se souvenir de ce que saint Benoît détermine, dans les autres chapitres, relativement à l’emploi des antiennes et de Y Alléluia. Pendant tout le temps Pascal VAlleluia se dit à tous les répons, le dimanche comme sur semaine. Et dans la psalmodie, il n’y a pas d’autre antienne q\Y Alleluia, aux Heures de nuit comme à celles de jour, le dimanche comme les fériés. Durant toute la période qui va de la Pentecôte jusqu’au début du ( arôme (il n’est pas question encore du temps de la Septuagésime), les ■jours de jérie, on dira seulement Y Alleluia aux six psaumes du second nocturne, en guise d’antienne. Ces mêmes jours, aux Laudes, aux petites Heures, aux Vêpres, la psalmodie est entrecoupée d’antiennes et non A Alleluia. Le dimanche est comme un renouvellement de Pâques : aussi Y Alléluia se fera-t-il entendre chaque dimanche, sauf en Carême, à presque tous les offices : aux cantiques du troisième nocturne, au psaume l (et peutêtre aux suivants) des Laudes, à la psalmodie de Prime, Tierce, Sexte et None. Mais les Vêpres auront des antiennes et pas (Y Alléluia* Quant aux répons, c’est pendant le temps Pascal seulement qu’on les dira avec Alleluia. N. B. Père ne parle point d’ajouter Y Alléluia à certains versets et aux antiennes, comme nous le faisons maintenant, mais uniquement aux psaumes et aux répons : tam in psalmis quam in responsoriis. 13 CHAPITRE XVI COMMENT CÉLÉBRER LES DIVINS OFFICES PENDANT LE JOUR — Ut ait Propheta : Septies in die laudem dixi tibi. Qui se­ ptenarius sacratus numerus a nobis sic implebitur, si Matutini, Primae, Tertiae, Sextae, Nonae, Vesperi, Completoriique tempore, nostrae servitutis officia persolvamus. Quia de his Horis dixit Propheta : Septies in die laudem dixi tibi. Nam de Nocturnis Vigiliis idem ipse Propheta ait : Media nocte s urgebam ad confitendum tibi. Ergo his temporibus referamus laudes Creatori nostro super judicia justitiae suae, id est, Matutinis, Prima, Tertia. Sexta, Nona, Ve­ spera, Completorio, et nocte surgamus ad confiten­ dum ei. Qualiter divina opera per diem agantur. Nous passons aux Heures du jour proprement dites, Laudes n’étant que la conclusion de l’office de nuit ou seulement l’office de l’aurore et du matin. Mais, avant de régler leur composition, saint Benoît tient à les énumérer clairement et à faire le total de tous les moments du jour et de la nuit où les moines s’appliquent à l’Œuvre de Dieu. H a d’ailleurs signalé déjà, mais en passant, toutes les Heures, sauf Complies. Et le titre exact du chapitre pourrait être : Combien il y a d’offices dans une journée (de vingt-quatre heures). Pas plus que N. B. Père nous n’avons à écrire l’histoire des Heures du jour. Laudes et Vêpres sont les plus anciennes et les plus solennelles : c Dans la première moitié du quatrième siècle, elles étaient célébrées quotidiennement en public (1). » Leur équivalent existait chez les Juifs dans le sacrifice du matin et celui du soir ; les Juifs avaient trois moments (1) D. Bavmer, op. cit., t. I, p. 82. DU NOMBRE DES OFFICES DE LA JOURNÉE 195 traditionnels de prière : le matin, le milieu du jour (sexte et none) et le soir. Plusieurs passages des Actes nous montrent les Apôtres et les dis­ ciples priant aux heures où le faisaient les Juifs dans le Temple et les synagogues. Nous avons eu déjà l’occasion d’observer que la Didiché prescrit aux fidèles de réciter trots fois par jour le Pater nosier. Que nos Heures de Tierce, Sexte et None se rattachent ou non (1) à cet usage chrétien, imité lui-même de l’usage juif, il est sùr que, dès le second siècle, les trois Heures de prière sont recommandées par Clément d’Alexandrie à tous « ceux qui ont l’intelligence de la trini té des saintes demeures (2) ». Tertullien est plus explicite et donne les motifs mystiques de ce choix (3). Mais, originairement, il semble qu’on ait eu surtout le dessein de s'adresser à Dieu aux trois principales divisions du jour civil. La journée était par­ tagée en douze heures, comptées du lever du soleil jusqu’à son coucher; la sixième heure correspondait toujours à ce que nous appelons midi; mais aux équinoxes seulement la troisième et la neuvième correspon­ daient à nos neuf heures du matin et trois heures de l’après-midi A la douzième heure pleine, le soleil est couché ; 1’ « étoile du soir », Vesper, apparaît : c’est l’heure de Vêpres, le Lucernarium. le moment où s’allument les lampes ; la première veille de la nuit commence (4). Pour faire entrer dans son cursus Tierce. Sexte et None, N. B. Père n’avait qu’à se conformer à un usage devenu presque universel et à se sou­ venir particulièrement de ce qu’avaient écrit au sujet de ces Heures saint Basile (5) et Cassien (6). L’office de Prime date du temps de Cassien, qui nous en raconte l'ori­ gine (7). Un sérieux travail du P. Pargoire a établi que Prime est devenue Heure canoniale vers 382, 390 au plus tard, et qu’elle fut institute dans un monastère de Bethléem différent de celui de saint Jérôme. A Bethléem, comme en d’autres monastères, on disait Laudes presque aussitôt après Matines, même en hiver, et sans attendre l’aurore ; et il (1) D Baumer, op. cil., t. I, p. 56, note 1. (2) SlromaL, 1. VII, c. vu. P. G., IX, 456-457. (3) De Oratione, c. xxni-xxv. P, L., I, 1191-1193. (4) Lorsque la Vigile devait durer toute la nuit (■κα'.νυχίς), il était assez naturel d'envisager le Lucemaire connue son prélude ; et c’est pourquoi quelques documents anciens "considèrent les Vêpres comme appartenant à l’office de nuit. — S. Basile (Reg. fus., xxxvn. De Spiritu Sancio, lxxiit. P. G., XXXII, 205) parle de Γεύχάριστία de l’office du soir; de même S. Grégoire de Nysse, De Γιία sanclae Macrinae. P. G., XLVI. 985. Cf Conslilulions apnloliques, \. VIH, c. xxxiv-xxxvu. P. G., 1,113c1140. — Cette appellation d’eucharistie du soir est très suggestive. On voit, en cSet, par des documents tels que les Statuts éthiopiens et les Canons cTHippotyte (cf. Don Cagix, ΓEucharistia, p. 267-269) que le Lucemaire des premiers siècles avait souvent son agape ou εύχαριστ-α non sacramentelle, accompagnée de psaumes alleluiatiques et suivie, à certains jours, de Γεύχαρισ-ία sacramentelle. Les choses s’étaient passées ainsi, dans le même ordre et à la même heure, lurs de la dernière Cène, (5) lieg. fus., xxxvn, . IgM (6) Inst., III, ni; (7) Ibid., iv, · . » K ■ <96 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT é.’ait ensuite permis aux frères de se reposer jusqu’à l’aube. Mais « les paresseux en abusèrent : comme aucun exercice de communauté n’était là qui vînt les forcer à quitter leurs cellules, au lieu de se lever pour tra­ vailler de l’esprit ou des mains jusqu’à l’heure de Tierce, ils prirent l'habitude d’attendre tranquillement dans leurs lits le signal de l’office. Une réaction s’imposait. Pour remédier à pareil état de choses, les anciens décidèrent que l’on continuerait, selon l’usage, à se reposer après la psal­ modie nocturne, mais que dorénavant, au lever du soleil, à l’heure où le travail devenait possible, la communauté devrait se réunir pour réciter Prime (1)... » C’est un dédoublement de l’office matutinal, altera matutina, et l’on récite des psaumes empruntés aux Laudes (2) ; c’est une prière du matin, dont auraient pu, somme toute, se dispenser tous ceux qui chantaient Laudes au lever du jour, incipiente luce. Pourtant, Cassien nous dit qu’elle fut adoptée presque partout : Nune observatur in occiduis vel maxime regionibus, lisons : dans les monastères, car les églises sécu­ lières furent plus lentes à l’adopter. On a souvent attribué à saint Benoit l’institution de l’Heiuc par laquelle s’achève l’Œuvre de Dieu, du Completorium; mais N. B. Père n’a besoin que de la gloire qui lui revient historiquement. Peut-être l’appellation a Complies » est-elle de lui ; sans doute la diffusion de cette Heure est due à son admission dans le cursus bénédictin ;sans doute aussi c’est l’initiative de N. B. Père qui a fait des Vêpres un office de jour et attribué à Complies la place du Lucernaire (chap. XL1, XLII) : mais il nous reste deux témoignages au moins en faveur de l’existence des Complies avant saint Benoît ; et le P. Pargoire estime qu’il s’agit bien dans ces textes d’une Heure canoniale spéciale et non d’une simple prière du soir, ayant le caractère de dévotion privée (3). Saint Basile, énumérant les moments officiels de la prière, dit que, lorsque le jouiest achevé et complet (συμπληρωΟΐίσής δέ της ήαερχς), OU célèbre UDO ευχαριστία pour tous les biens reçus et qu’on demande pardon pour toutes les fautes ou erreurs commises : ce sont les Vêpres. Et il continue : Καί πάλιν της νυχτος άρχόμενης..., et de nouveau, quand la nuit CSt CO HUI encée, on implore un repos exempt de fautes et de mauvais rêves, en récitant, sans y manquer, le psaume xc, utilisé déjà à Sexte (4). Autre témoignage : Callinique, le disciple et biographe de saint Hypacc (f le 30 juin 446). higoumène du monastère de Rufinianes, dans le fau(1) Pargoire, Prime el Complies, dans la Revue d'Hist. et de Litlér, religieuses, 1898, p. 281-288. (2) Cass., Insl., III, vi. La Malulina noslra solemnitas, dont Cassien parle à la fin du chap, ni, est Prime et non Laudes. 11 n’appelle jamais Prime ce nouvel office. Prime est mentionnée sous ce nom dans la Règle de S. Césaire, que donnent les Bollandistes. (3) Op. cil., p. 45G-4G7, (4) Reg. fus., xxxvn. « DU NOMBRE DES OFFICES DE LA JOURNÉE 19Ί bourg chalcédonien du Chêne où fut condamné saint Jean Chrysostome, raconte que son héros vivait en reclus pendant le Carême, mais ne man­ quait pas de réciter l'office du matin, Tierce, Sexte, None, le Lucemaire, puis πρωϋύττκα (l’office qui précède le premier sommeil), enfin l’office du milieu de la nuit ; de la sorte, ajoute le biographe, il accomplissait au cours de chaque journée ce qui est écrit : Septies in die laudem dixi tibi super judicia justitiae tuae (1). Saint Benoît, lui aussi, est soucieux d’obtenir un nombre d’Heures atteignant le chiffre sacré de sept. H le trouve, grâce à Prime, dans le jour proprement dit, tandis que saint Hypace devait ajouter aux Heures de jour l’office de nuit, pour avoir le septénaire ; dies, pour saint Benoît, c’est le temps compris entre le lever du soleil et son coucher, et pour saint Hypace, c’est toute la journée liturgique (νυχθημερόν). Cassien, qui ne connaît pas Complies, mais qui compte Prime parmi les Heures, arrive de son côté au nombre de sept, y compris la Vigile nocturne ; et il observe qu’un des avantages de l’institution des « secondes Matines » est précisé­ ment de réaliser à la lettre la parole de David : Illum numerum, quem désignai beatus David, quamquam spiritalem quoque habeat intellectum, secundum litteram manifestissime supplet : Septies in die laudem dixi tibi, super judicia justitiae tuae. Hac enim adjecta sollemnitate, septies sine dubio spiritales hos conventus in die jacientes, septies in ea laudes Domino dicere conproibamur (2). N. B. Père s’est souvenu probablement de ce passage ; mais, parce que chez lui le total des Heures dépasse le septé­ naire, il ajoute aussitôt : c’est des Heures du jour seulement qu’a voulu parler ici le Prophète, car, pour les Vigiles nocturnes, le même Prophète y a fait allusion dans un autre endroit du même psaume cxvm. La sainte Écriture elle-même nous invite donc à louer notre Créateur sept fois le jour et une fois la nuit (3). C’est à cela que nous sommes tenus comme moines et comme ouvriers de la prière : nostrae servitutis officia persol­ vamus. On est allé plus loin autrefois : dans des monastères très nombreux, il était naturel d’organiser l’Œuvre de Dieu de telle façon que les escouades monastiques se succédassent d’heure en heure et que la louange ne se tût ni jour ni nuit. A Saint-Maurice d’Agaune, par exemple, au début du sixième siècle, nous trouvons la Laus perennis (4). Alors même que la dévotion monastique ne pouvait adopter une psalmodie continue, elle (1) Acta SS., Junii t. III, p. 325. (2) Inst., III, iv. (3) Dans le leT Sermo asceticus, qui est, sinon de saint Basile, du moins probablement du quatrième ou cinquième siècle, l’auteur cite, comme saint Benoît, les deux textes : Media node... et Septies..., mais il ne compte que sept Heures en tout : l'office de nuit, celui du matin, Tierce, None, Vêpres, et afin d’obtenir le septénaire, la prière du milieu du jour est scindée en deux : avant le repas et après. P. G., XXXI, 877-878, (4) Cf. Dictionnaire . Père, ce qui a guidé l’Pglise romaine : le Souverain Pontife l’a rappelé naguère dans la constitution Divino afflatu. Le Psautier a été créé par Dieu même pour être à jamais le formulaire authentique de la prière. C’est avec ces pensées-là, avec ces accents-là que Dieu a voulu être loué et honoré. Les psaumes traduisent les sentiments les plus profonds, les plus varié-, les plus délicats du cœur de l’homme, et répondent à tous ses besoin?. Us ont servi aux justes de l’Ancien Testament, ils ont servi aux Apôtres et aux-saints de tous les âges. Mais ils ont erré sur d’autre? lèvre? encore : ils ont été dits et redits par Notre-Dame et par le Seigneur. Dan? les pèlerinages à Jérusalem, le Seigneur et sa Mère et saint Joseph chantaient les psaumes graduels. Certains auteurs ont pensé que le Seigneur récitait le Psautier chaque jour et qu’il n’avait fait, pendant la Passion, que pour­ suivre sa prière, lorsqu’il dit, élevé en croix : Deus meus, Deus meus, ut quid dereliquisti me, et encore : In manus tuas commendo spiritum meum. Peut-être, au temps de saint Benoît, des moines avaient-ils commem é à réduire leur psalmodie. Dire dans le cours d’une semaine le Psautier avec les cantiques d’usage, c’est là, ajoute-t-il, un minimum de courage, (1) Hæften. L VII, tract, v, disq. rvetv. — Cf. D. Cabrol, la lî<'/oriae du Bréiiaire et du Çilendnçr, SELON QUEL ORDRE IL FAUT DIRE LES PSAUMES 211 chez ceux qui sont les ouvriers do la prière. Ils feraient vraiment preuve de trop d'inertie et de nonchalance dans le service divin qu’ils ont voué, les moines qui demeureraient en deçà. zXlors que nous lisons de nos saint< Pères (1) qu’ils remplissaient vaillamment en un jour cette tâche d'un Psautier, puissions-nous du moins, nous autres peu fervents, l’ac­ complir au cours de la semaine entière. Cette humble remarque de N. P». Père a pour dessein d’encourager ses fils à ne rien diminuer d’un oIli v divin accommodé avec tant de condescendance aux forces de tous, et qui ist une sage moyenne : mais elle ne peut vouloir suggérer une dé­ préciation du enroua qu’il vient d’établir, ni provoquer des initiatives ol des modifications indiscrètes. Le nos tepidi de saint Benoît a pourtant excité plus d’une fois l’émulation de certains religieux ou de Congréga­ tion· entières ; et les offices se surajoutèrent aux offices. D va de soi que la dévotion privée peut se donner carrière, sous la guide de l’obéissance; un disciple de saint Pierre Damien, saint Dominique l’encuirassé, parvint même à réciter douze Psautiers et demi en vingt-quatre heures, tandis qu'il se donnait, à deux mains, la discipline. « Mais ces exemples, conclut D. Calmet, sont plus dignes d’admiration que d’imitation, et la trop grande prolixité des offices a été désapprouvée par plusieurs personnes très judicieuses. » » .j*<11 ... TXwuuf inter »o, ut pn«j er more complerent orationes et psalmodiam, et post'a c enl. Cum aulem irujrcM ni, j leba> ulterium eomp ■ veruaï (V erta £· uih ; Vitae Patrum, III, 6, RosweïDE, p. 493}, CHAPITRE XIX COMMENT IL FAUT PSALMODIER — Ubique credimus divi­ nam esse praesentiam, et oculos Domini in omni loco speculari bonos et malos : maxime tamen boc sine aliqua dubitatione credimus, cum ad opus divi­ num assistimus. De disciplina psallendi. Les deux derniers chapitres de la section relative à l’office divin n’ont plus rien de technique : ils précisent les dispositions, les dispositions intérieures surtout, que nous devons apporter à la psalmodie (c’est-à-dire, eu général, à l’Œuvre de Dieu) et à la prière privée. « Nous croyons que Dieu est présent partout et qu’en tout lieu les yeux du Seigneur regardent attentivement bons et mauvais... » C’est comme un rapide retour vers la doctrine du premier degré d’humilité : la crainte de Dieu déterminera notre attitude au cours de toute prière. Et nous retrouvons l’indication du milieu où s’écoule notre vie. Nous vivons dans un sanctuaire, tout près de Dieu, cœur à cœur avec Dieu. Il faut y penser assidûment. Une action intelligente, disait Aristote, est celle quae de intrinseco procedit cum cognitione eorum in quibus est actio : ce qui part de l’intime, non sous forme de réaction purement mécanique, ni par servitude, mais spontanément, et avec la connaissance de tout ce qui concerne cette action, au moins de ses circonstance consi­ dérables. Or notre vie n’est réellement intelligente, elle n’a chance d’être intéressante, de se développer et de réussir, que lorsque nous prenons conscience de son caractère, du cadre des circonstances graves et même solennelles où elle se déroule. Plus simplement que le Stagirite, saint Benoît nous dit : Credimus... sine aliqua dubitatione credimus : nous croyons. Il s’agit de faire honneur à notre foi. Nous ne l’honorons que lorsque nous nous inclinons pratiquement devant elle ; jusque-là, elle n’est qu’une sorte de système philosophique, une concep­ tion platonique et sans effet. Le moine est un croyant et doit prendre sa foi au sérieux. îl! COMMENT IL FAUT PSALMODIER 213 Or, nous savons par notre foi que la présence de Dieu est universelle et que son regard éclaire invisiblement toute activité humaine; nous savons qu’en tout lieu et à toute heure nous avons la facilité et la douce obédience de vivre devant lui et de lui rendre hommage. Néanmoins cet hommage est privé, officieux, il vient de l’affection personnelle; il est libre dans son expression ; et, à condition de demeurer toujours infiniment respectueux, il est affranchi de tout cérémonial et de toute étiquette. Mais la liturgie sainte rend à Dieu un culte officiel ; et si Dieu n’est pas plus présent à l’heure de l’office divin qu’à celle de la prière privée, il y a cependant pour nous un devoir spécial de réveiller et d’ap­ pliquer notre foi lorsque nous prenons part à cette entrevue officielle où tous les détails sont prévus, toutes les attitudes réglées par l’étiquette divine. L’audience du Seigneur est toujours ouverte : mais l’audience de l’office divin est solennelle. Dieu y est entouré d’une majesté plus redoutable ; nous paraissons devant lui au nom de l’Église entière ; nous nous identifions à l’unique et étemel Pontife, Notre-Seigneur JésusChrist ; nous accomplissons l’Œuvre par excellence. Ideo semper memores simus quod ait Propheta : Servite Domino in timore. Et iterum : Psallite sapienter. Et : In conspectu Angelorum psallam tibi. Ergo consi­ deremus qualiter oporteat nos in conspectu Divini­ tatis et Angelorum esse, et sic stemus ad psallen­ dum, ut mens nostra concordet voci nostrae. Pensons-y seulement, faisons acte d’intelligence surnaturelle : memores simus, consideremus. Faisons « la composition du lieu », comme disent les méthodes modernes d’oraison. Nous sommes en face de la Divinité. Et toute la création est réunie. Et les anges entourent l’auteL Nous allons psalmodier avec eux (Ps. cxxxvn, 1) et chanter le triple Sanctus qu’ils nous ont appris ; ne convient-il pas qu’avec eui nous rivalisions de respect et de tendresse? Us se voilent la face de leurs ailes : vous aussi, dit le prophète David, « servez le Seigneur avec crainte » (Ps. u, 11). Et encore : « Psalmodiez avec sagesse » (Ps. xlvi, 8), c’est-à-dire, ayez conscience non pas seulement des mots prononcés, non pas seulement de ce qu’ils contiennent de doctrine, mais aussi, mais surtout de celui à qui vous parlez. Souvenez-vous enfin que, plus heureux peut-être que les moines de saint Benoît, vous avez le Saint-Sacrement dans l’oratoire. Comme nous reconnaissons bien le procédé libéral, tout intime, tout spirituel de N. B. Père ! La voie de contrainte, les textes législatifs les 214 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT pins impérieux, la science parfaite des rubriques ; tout cola n’est capable do produire qu’une correction extérieure, et encore ! Si l’âme est absente ou le cœur glacé, si l’office divin n’est plus qu’un exercice d’assouplisse­ ment du corps et de la voix, il ne tardera guère à devenir un exercice d’ennui, de mortel ennui. Et cela paraîtra; et cela se traduira par des bâillements, des impatiences, des regards indiscrets, des irrévérences de toutes sortes. Que faites-vous à la Messe? demandait-on à un chrétien distrait. — J’attends que cela finisse, répondit-il. Que ferez-vous donc dans l’éternité, où cela ne finira point? Bien des conditions d’ailleurs sont requises pour que l'idéal de N. B. Père soit réalisé. Π faut l’estime conventuelle pour l’office divin ; et c’est aux supérieurs de l’entretenir ou de la restaurer, de toutes manières et avant toutes choses. Il faut encore l’estime personnelle ; et elle s’avive par l’étude et par l’habitude des relations affectueuses avec le Seigneur. Comment l’âme qui s’occupe de tout, sauf de Dieu, en dehors de l’ora­ toire, pourrait-elle se flatter d’éviter, au cours de l’office divin, la divaga­ tion ou la torpeur? La préparation éloignée à la prière est recommandée par tous les maîtres de l’ascétisme (1). Ils nous parlent aussi d'une pré­ paration prochaine et immédiate; et nos Constitutions y ont pourvu en nous ménageant, avant chaque office, les quelques minutes de« station » sous le cloître : elles sont précieuses, et il serait difficile d’en exagérer l’importance. C’est alors que nous accordons notre âme, notre instrument spirituel. Ayons donc la prudence de ne pas poursuivre à la « station » des recherches ou des combinaisons mentales commencées ; ce n’est pas non plus un lieu de conversations, d’échanges quelconques : Ante ora­ tionem praepara animam tuam el noli esse quasi homo qui tentât Deum (Eccll, xviii, 23). L’entrée à l’église, la tenue au chœur et les mouvements divers sont réglés parle cérémonial et surveillés doucement par le cérémoniaire. Mais l’un et l’autre seraient impuissants à assurer l’exécution à la fois précise et souple, grave et simple, des gestes liturgiques, si chacun n’apportait toute sa présence d’esprit, toute sa mesure de distinction, de courtoisie (1) Méditons ces' lignes de S. Basile, dont N. B. Père s’est souvenu en écrivant ce chapitre et le suivant : Quomodo obtinebit quis ul in oratione sensus ejus non vagetur? Si certus sil assistere se ante oculos Dei. Si enim quis judicem suum videns vel pnneipem, et loquens cum eo, twn sibi credit licitum esse vagari oculis, cl aliorsum aspi­ cere, dum ipse loquitur; quanto magis qui accedit ad Dominum, nusquam debet movere oculum cordis, sed intentus esse in eum, qui scrutatur renes et corda?... Si possibile est obtinere hominem, ul in omni tempore et loco non vagetur mens sua,-vel quomodo id fieri potest? Quia possibile est, ostendit ille qui dixit i Oculi mei semper ad Dominum. Et iterum i Providebam Dominum in conspectu meo semper; quia a dextris est mihi ut non commovear. Quomodo autem possibile sit, praediximus; id est, si non demus animae nostrae otium, sed in omni (empore de Deo, et de operibus ac de beneficiis ejus, cl de donis cogitemus cl haec cum confessione, ei gratiarum actione semper volvamus in mente, sicut scriptum est : Peallite sapienter (Reg. contr., cvm, cix. Ci. ibid., χχχιν, — Cass,, Coulai. V, xvu, xviu). — La Vie spirituelle et Foraiso/i, chap, vil COMMENT IL FAUT PSALMODIER Î15 surnaturelle, d’abnégation enfin : nous devons alors surtout prendre con­ science de tous et coordonner nos mouvements avec les mouvements d’au­ trui. Tous les rites, même les plus menus, seraient observés exactement, avec ordre et pourtant sans l’allure symétrique et rigide de soldats à la parade, si chacun était attentif au sens etàl’à-propos de la cérémonie qui s’accomplit. L’abnégation est peut-être plus indispensable encore lorsqu’il s’agit du chant : mieux vaut tolérer un peu d’erreur que de sacrifier le mouvement d’ensemble, l’unanimité vocale, et de trans­ former le chœur en une arène ou un champ clos. Les Constitutions nous demandent de « ne point épargner notre voix « : ce qui n est pas une invitation à étouffer toutes les autres ; et quand elles nous décrivent les qualités du vrai chant sacré, son allure virile et tranquille, ce n’est point pour abandonner aux compétences individuelles une interprétation qui est, de droit, réservée au Maître de chœur. Sur ce terrain encore, nous devons apporter tous nos soins, et une préparation s'impose : on n’im­ provise pas l’exécution de certaines pièces du répertoire grégorien; il ne faut pas que, la profession une fois émise, nous disions adieu pour toujours à l’étude du Graduel et de l’Antiphonaire. Ce ne sera jamais assez bien pour le Seigneur ; et encore qu’il ne convienne jamais de s’appliquer davantage, simplement pour satisfaire aux exigences esthétiques de quelques auditeurs et pour soutenir la réputation d’une «schola», il faut pourtant nous souvenir que le chant et la psalmodie sont notre forme d’apostolat et que nous devons aux âmes cette prédication si pénétrante. Mais ce ne serait pas assez d’assurer la dignité et la bonne exécu­ tion matérielle de l’office divin. H convient que notre intelligence sache à qui s’adressent paroles et mélodies ; il convient qu’elle soit attentive à la pensée du Psalmiste et de l’Eglise. H convient que notre cœur s'échauffe réellement tandis que notre voix retentit. Et, pour achever l’harmonie, notre vie elle-même se mettra d’accord avec notre pensée, notre amour et notre voix. Alors, mais alors seulement, la liturgie aura atteint son double but : honorer Dieu et nous sanctifier. Encore une fois, remarquons bien le procédé de saint Benoît pour inspirer le respect de l’oratoire et l’attention à la prière. H ne songe pas, comme d’autres législateurs monastiques (1), à combattre la rêverie et le sommeil en faisant tresser des corbeilles ou des nattes pendant les longues psalmodies et les lectures ; chez lui l’Œuvre de Dieu s’accomplit tout entière dans la maison de Dieu : Oratorium hoc sit quod dicitur; nec ibi quidquam aliud geratur aut condatur (chap. LU). H nous suppose chrétiens ; il nous sup­ pose réfléchis, il ne nous donne d’autre règle que notre lumière surna­ turelle : consideremus; il nous invite à éliminer l’illogisme, le désaccord entre ce que nous savons et ce que nous sommes volontairement ; à faire (1) Cf, Calmet, Commentaire sur le chap, XL I r I •5 tlS COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT de toute notre vie un exercice constant d’eurythmie, de loyauté, de déli­ catesse, Et N. B. Père ramasse sa doctrine dans cette sentence frappée à l’antique : Ut mens nostra concordet voci nostrae. Elle rappelle celle de saint Augustin (1), insérée par saint Césairc dans sa Règle aux vierge · 12): Psalmis et hymnis cum oratis Dewn, hoc versetur in corde quod profertur in voce. (1) Epist, CCXI, 7. P. L·, XXXIII, 9G0. D.in< I’£kvra/w m cxivt (2) noos lisons : Çiri ergo psalhi. non tola tort psallit; ud assumpl rf.im >ju · ' i'w> quod vocatur psaltmum, accedentibus manibus txxi cί -'ill. l't« ; jjrrr/ ,Vn solum tra tua tonei laudes I)ri, sed opera tu.i amrordml rum u tu.j (Γ L. XX XVII, 1899). Dans la Lettre XLVIII (3) à l’abl»· Eudoxius et À ici mom· i. S kt <.i TH écrit :... Sût rantaw.V< et pialimlcs tn wdibus vestns Domuio, td t< t ’w a a>rdt η n dissonis... (P. L, XXXIII I88-189X (2) C. XX. — Lire un beau Sermon ώ· S C&aiiuc sur ce thème reconnaîtrons aisément que ce chapitre ne fait pas double emplci ave» .·· précédent. Dans le XIXe, il est question de la prière conventuelle et otï:< i'-lle, de l’audience solennelle que donne le Seigneur : aussi le titre non- parle-t-il de disciplina, de cérémonial ; dans le XXe, il s’agit de la prier·· privée ; et. pour écarter les périls d’une liberté plus grande laissée â chacun, on nous parle du respect avec lequel nous devons toujours aborder Dieu, reverentia. La comparaison et l'ù fortiori par lesquels débute N. B. Père lui étaient suc. · r - par son bon sens surnaturel et par ses lectures (1), mais il n’est pas impossible qu’il ait reconnu de plus dans cette image un trait des mœurs r mainee. La société n’était pas encore démocratisée et nivelée. Il y avait une aristocratie puissante, groupant autour d’elle non pas seul· m nt une armée d’esclaves, mais une vaste clientèle, clientela, com­ pos·’·· Γ hommes libres ou d’affranchis, qui vivaient attachés au maître, à titie d’amis, de comités ou simplement de clients ; chaque jour, ils s’en venaient saluer le maître ou solliciter une grâce, lui rendant en respect ce qu’ils recevaient de lui de ressources ct de sécurité : Si non ingenbm foribus domus alla superbis Mane sdlutanlum totis vomit aedibus undam (2). (1) S. Basil., Reg. conlr., evin (ci. Reg. brev., cci). — Cass., ConlaL XXIII, vu - ( f ti· i Tkrtüllien, De Oratione, xvi (P. L., 1,1173-1174) : Siquidem irreverens est a.· s Ά-λ sub conspectu, contraque conspectum ejus, quem quam maxime reverearis, ac un · r - ,· quanto magis sub conspectu Dei vivi, angelo adhuc orationis astante, etc, — S Ei Paraenesis XIX (Opp. graec. lat, t II, p. 95). (2· Virgile, Géorgiques, I. II, 461-462. 218 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT Les clients étaient un peu de la famille du maître ; ils étaient associés à son gouvernement et à ses intérêts ; leur demande ressemblait donc à une indication discrète de ce qui leur semblait opportun : ils « suggèrent », dit saint Benoît ; et ce terme devient admirablement théologique dès qu’il s’applique à notre prière. Si nous n’osons aborder les puissants du monde qu’avec humilité et révérence, si le sens des bienséances et notre propre intérêt nous font prendre devant chacun d’eux l’attitude qui convient : à combien plus forte raison nos suppliques au Seigneur et Maître do toutes choses doivent-elles lui être adressées en toute humilité, dévotion et pureté 1 L’humilité, nous le savons, naît de la conscience de ce qu’est Dieu et de ce que nous sommes devant lui. L’habitude d’être en rapport avec Dieu, la facilité avec laquelle il se laisse aborder, les formes très humbles qu’il prend lui-même lorsqu’il descend vers nous : rien de tout cela ne doit diminuer notre respect. C’est une des marques les plus assurées de l’illusion que de traiter Dieu comme un égal, comme un homme qui a contracté avec nous et avec lequel nous sommes en comptes. Lorsque le Seigneur, dans l’Ëvangile, nous invitait à la prière confiante, pres­ sante, même importune, il n’entendait point légitimer par avance le ton étrange de sommation, de réquisition, que prennent parfois les demandes — et quelles demandes ! — de chrétiens mal éclairés. Quelle que soit la dignité surnaturelle à laquelle Dieu nous ait élevés, il n’y a jamais motif pour nous élever nous-mêmes, pour concevoir de l’audace, ni pour oublier qui est Dieu. La pureté : elle est mentionnée jusqu’à trois fois dans ces quelques lignes. Nous devons l’entendre non seulement, au sens spécifique, de l’éloignement des affections grossières, mais encore du détachement de toute affection créée, de l’absence de tout alliage inférieur. C’est une garantie de l’efficacité de notre prière, lorsque nous pouvons dire à Dieu : a H y a sans doute chez moi, à mon insu, des tendances que vous voyez, Seigneur, et qui ne vous plaisent pas : je ne les aime pas non plus et je les désavoue ». Lorsque notre volonté, par laquelle se font les contacts, est libre de toute attache irrégulière, Dieu nous a établis dans la vraie pureté. Mais saint Benoît n’a pas dit simplement : la pureté ; il a dit : la dévotion de la pureté. La dévotion, dans le langage moderne, c’est la flamme de la charité, c’est cette disposition d’ardeur habituelle dans le sendee de Dieu qui nous fait accomplir avec promptitude, avec persé­ vérance, avec joie, tous nos devoirs envers lui. Mais le terme latin devotio a une signification, non pas très différente, mais plus profonde. La devotio, c'est l’appartenance, le dévouement, l’assujettissement comme état, comme situation fixe, continue, même juridique; et dans l’espèce, c’est la servitude consentie et aimée, la sujétion volontaire à Dieu et à toutes les conduites de Dieu. Au chapitre XVIII, nous avions le même sens do àwfio ; Ntmis iners devotionis suae servilium ostendunt monachi; et la DU RESPECT DANS LA PRIÈRE SIS Liturgie invoque Notre-Dame pro devoto femineo sexu. Puritas, c’est Γaffranchissement de toute servitude étrangère qui confisquerait à son profit une part de notre amour ou de notre activité; devotio, c’est la plénitude de l’appartenance au Seigneur. Et non in multiloquio, sed in puritate cordis, et compunctione lacrimarum nos exaudiri sciamus. Après avoir décrit en trois mots les dispositions intérieures avec lesquelles nous devons aborder Dieu, saint Benoît passe au côté extérieur et plus matériel de la prière. Avec le Seigneur lui-même (1), avec saint I HI i Augustin (2), Cassien (3), tous les Pères, il nous recommande d’éviter le verbiage. Le culte juif n’était pas le seul qui fût devenu, grâce au travail des prêtres, un ritualisme difficile et compliqué, une religion de gestes et de mots ; mais le ritualisme et le verbiage avaient envahi les cultes païens, spécialement celui de Rome : Putant enim quod in multiloquio suo exau­ diantur, disait le Seigneur. Ce n’est pourtant pas la multitude des paroles qui fait la réalité de la prière. Nous ne prions en paroles que pour nous affranchir un jour des paroles, et adorer, louer, aimer en silence « la Beauté qui ferme les lèvres ». In spiritu et veritate oportet adorare. La prière a sa source dans le cœur et il y a une prière du cœur qui ne s'emprisonne point dans des mots. Et cette prière est exaucée toujours, parce que c’est l’Esprit de Dieu même qui l’inspire et la formule en nous : Nam quid oremus, sicut oportet, nescimus; sed ipse Spiritus postulat pro nobis gemi­ tibus inenarrabilibus (Rom., vni, 26). Prier dans la pureté de notre cœur, c’est, nous l’avons dit, montrer au regard et au cœur de Dieu le désir et la tendresse d’une âme libre, dégagée des préoccupations basses, unie à lui par la conformité de volonté. Et compunctione lacrymarum. L’expression est empruntée à Cassien (4), dont il faut lire les conférences sur la prière ; lui aussi parle souvent de la vraie pureté du cœur, de la prière pure (ô). La componction, — encore que Y Imitation nous dise qu’il vaut mieux l’éprouver que la définir, — c’est l’attendrissement intérieur que créent en nous, à la lumière de foi, le sou­ venir de nos fautes et la pensée des bienfaits de Dieu. Plusieurs fois, dans la Règle, N. B. Père a rapproché la prière et les larmes, comme siles deux choses allaient naturellement l’une avec l’autre : «Si alter vult sibi forte Ματτπ., η, 7 sq. Epist. CXXX ad Probam, 20. P. L., XXXIII, 501-502, Inst., II. x; Conlat. IX, xxxn. Conlat. IX, xxvin. Monachi autem illud opus esi praecipuum, ut orationem puram offerat Deo, nihil habens in conscientia reprehensibile (Rufin., Hist, monach., c. L Rosweyde, p. 453). · (1) (2) (3) (4) (5) 1 SiO COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT secretius orare, dit-il au chapitre LU, simpliciter intret et oret, non in damosa voce sed in lacrymis et intentione cordis. Saint Benoît, nous le savons par saint Grégoire, avait le don des larmes ; et ce qui intrigua un jour le bon Théoprobe, ce fut moins l’abondance et la durée des larmes de N. B. Père que leur tristesse profonde : Cumque diu sulsisteret ejusque non finiri lacrymas videret, nec tamen, ut vir Dei consueverat, orando plangeret, sed moerendo, quaenam causa tanti luctus existeret, inquisivit (1). Le don des larmes est considéré comme le moindre de tous les dons charismatiques ; mais il a ce mérite de ne porter pas à l’orgueil, celui aussi de ne laisser place à aucune distraction dans la prière : il les noie toutes. Et ideo brevis debet esse et pura oratio; nisi forte ex affectu inspirationis divinae gratiae protendatur. In conventu tamen omnino brevietur oratio, et facto signo a priore, omnes pariter surgant. Saint Benoît énonce la conclusion pratique : notre prière doit être brève et pure, brève afin d’être pure (2). Telle était la conduite des moines d'Egypte, font observer saint Augustin et Cassien ; ils préféraient se tenir en contact avec le Seigneur par de rapides et multiples oraisons jaculatoires, plutôt que par ces longues prières où Ton formule souvent bien des demandes superflues (3), où l’on s’occupe surtout de soi, et qui peuvent dégénérer en fatigue, en torpeur, en marasme. Rappelons-nous d’ailleurs l'inévitable danger qu’auraient couru, au temps de saint Benoît, et que courent maintenant encore certaines intelligences peu cultivées, certaines âmes peu formées, à être maintenues d’office dans une prière prolongée. Une éducation préalable est indispensable pour l’oraison men­ tale lorsqu’elle doit durer quelque peu. Au bout d’un instant on a tout dit. La pensée s’en va ailleurs. Quelquefois on la ramène, mais ello s’échappe de nouveau, vers n’importe quelle direction ; quelquefois on ne songe même pas à la ramener :1e temps s’écoule en divagations, et l’on arrive au bout de sa demi-heure en se demandant quelle a été la part de Dieu dans l’oraison qui vient de se terminer en sursaut. Et pourtant nous connaissons tout à la fois et notre religion et nos besoins, peut-être même notre théologie ! H va de soi que N. B. Père ne songe point à réduire le temps que notre ferveur voudrait donner à Die ; il prévoit même for(1) S. Gbeg. M., Dial., L II, c. xvn. (2) Cf. S. Th., Il" II·*, q. Lxxxin, a. 14, Utrum oralio debeat esse diuturna (3) Hoc praecipue est in oratione petendum, ut Deo uniamur (S, Th., 1? II·', q. lxxxiii, a. 1, &d 2). DU RESPECT DANS LA PRIÈRE tîl mellement le cas où la grâce divine provoquerait en nous un mouvement intérieur de dévotion qui nous fît prolonger la prière. Moyennant que le travail qui nous est imposé comme obédience n’en souffre point et que nous ne négligions aucunement nos autres devoirs, ce goût de l’oraison n’a rien que de légitime. Mais afin de conjurer l’illusion et de tout consa­ crer par l’obéissance, il ne faut pas introduire dans notre règlement et nos habitudes de longues stations d’oraison qui n’auraient pas obtenu, au préalable, l’agrément de l’/Xbbé. Les Constitutions déterminent le minimum du temps que chacun doit consacrer à la prière. Et plaise à Dieu qu’il y ait toujours dans des âmes monastiques assez de sens de leur vocation pour que les supérieurs soient dispensés de toute enquête et de toute contrainte sur ce point ! On ne prétend pas d’ailleurs nous imposer une « méthode » ; on ne nous défend pas de parler à Dieu dans la méditation tranquille de la sainte Écriture ou des textes liturgiques ; la lectio divina que prescrit la Règle est quelque chose de plus qu’une simple préparation à la prière, et c’est sous le bénéfice de ces deux heures de lecture que N. B. Père pouvait recommander que la prière des moines fût brève pour être pure. La dernière disposition de ce chapitre est encore inspirée pat la discrétion. S’il est permis à un frère d’accorder un peu plus à la prière privée lorsqu’une grâce de Dieu l’y invite, on conçoit qu’il serait peu mesuré de demander à la communauté entière de longs sup­ pléments à son œuvre liturgique quotidienne. Saint Benoît ordonne donc que l’oraison conventuelle soit toujours très courte : omnino bre­ vietur, et que tous se lèvent en même temps, au signal du supérieur. De quelle oraison s’agit-il? Cassien raconte comment, après chaque psaume, chez les moines d’Égypte, tous prient quelques instants debout et en silence, puis se prosternent à terre, se relèvent presque aussitôt et s’unissent enfin d’intention à celui qui récite la collecte : Cum autem is, qui orationem collectariis est, e terra surrexerit, omnes pariter eriguntur, ita ut nullus nec antequam inclinetur ille genu flectere nec cum e terra surrexerit remorari praesumat, ne non tam secutus fuisse illius conclu­ sionem, qui precem colligit, quam suam celebrasse credatur (1). Mais saint Benoît ne prescrit nulle part de prière privée ni de collecte après chaque psaume : elles sont remplacées par les antiennes. Il semble faire allusion ici aux prières qui terminaient les offices (voir le chap. LXVI1) (2) : une (1) Inst., Il, vu ; cf. t7>id., x. — La Règle de S. Pacôme disait : Cumque manum per­ cusserit stans prior in gradu, et de scripturis quidpiam volvens memoriter, ul, oratione finiente, nullus consurget tardius, sed omnes pariter levabunt (vi). (2) Cassien mentionne la prière finale des offices : Satis vero constat illum Irinae curvationis numerum, qui solet in congregationibus fratrum ad concludendam synaxin celebrari, eum qui intento animo supplicat observare non posse (Conlat, IX, xxxiv). I). Baumer préfère liro orationis au lieu de curvationis, et non supplicat (Hist, du Brèv., t. I, p. 149, note 1). % 2i3 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT portion était silencieuse et mentale; on la faisait incliné ou prosterné; et il appartenait à l’Abbé de l’abréger. Si courte qu’elle fût, cette oraison conventuelle décourageait le moine de Pompéianus dont il est parlé dans la Vie de saint Benoît, et qu’un petit diable noir entraînait dehors : Ad orationem stare non poterat, sed mox ut se fratres ad studium orationis inclinassent, ipse egrediebatur foras... Cumque vir Dei venisset in eodem monasterio et constituta hora, expleta psalmodia, sese fratres in orationem dedissent, etc. (1). Saint Benoît ne parle jamais d’une oraison conven­ tuelle, distincte de l’Œuvre de Dieu : Expicto opere Dei, omnes cum summo silentio exeant... Sed si alter vult sibi forte secretius orare, simpli­ citer intret et oret (chap. LU). (1)S. Gp.-g. 3L, tic'. I. II, c. iv. 7 . ·; > F1? ■ r1 ' *· . _____ CHAPITRE XXI DES DOYENS DU MONASTÈRE Nous abordons maintenant une section de la sainte Règle qui a trait au régime intérieur et disciplinaire du monastère (XXI-XXX). Saint Benoît commence par déterminer le principe d’ordre, l’élément hiérar­ chique qui assurera le bon fonctionnement de tous les services. C’est l’autorité abbatiale qui donne le branle à toutes les activités régulières, qui préside à tout, qui prononce en souveraine : et saint Benoît lui a consacré le long chapitre du début. Mais l’Abbé doit être secondé par des officiers agissant sous ses ordres et sa responsabilité. D’ordinaire, il l’est premièrement par le praepositus (le Prieur), auquel saint Benoît fait une allusion rapide à la fin de ce chapitre XXI. Lorsqu’il sera enfin question de lui ex professo, au chapitre LXV, N. B. Père ne cachera pas ses répu­ gnances pour le maintien d’une dignité et d’une charge, périlleuse, selon lui, à plus d’un titre. Après le Prieur viennent les doyens ; mais si les doyens peuvent suffire à assurer, dans leurs décanies respectives, le travail et la discipline, on renoncera volontiers à la direction générale et universelle du Prieur : Et si potest fieri, per decanos ordinetur, ut antea disposuimus, omnis utilitas monasterii, prout Abbas disposuerit; ut dum plunbus committitur, unus non superbiat. Parions donc d’abord des doyens. ! f * ... ■ ·.- Z-, — Si major fuerit congre­ gatio, eligantur de ipsis fratres boni testimonii et san­ ctae conversationis et constituantur decani : qui sol­ licitudinem gerant super decanias suas in omnibus, secundum mandata Dei et praecepta Abbatis sui. Qui decani tales eligantur, in quibus securus Abbas par­ tiatur onera sua, et non eligantur per ordinem, sed secundum vitae meritum, et sapientiae doctrinam. De decanis monasterii. Le nom et la fonction des doyens ont passé des camps dans les monastères. A l’armée, on appelait decanus ou decurio celui qui avait J-'.l H- COMMENTAIRE SUR LA REGLE DE SAINT BENOIT dix hommes sous ses ordres (1). Les cénobites égyptiens, organisés un peu militairement, étaient distribués par groupes de dix : Divisi sunt per decurias atque centurias, écrit saint Jérôme, ita ut novem hom in ibus d'cim us praesit; d rursus decem praepositos sub se centesimus habeat (2). Et saint Augustin : Opus suum tradunt eis quos decanos vocant, eo quod sint denis praepositi... Illi autem decani aim magna sollicitudine omnia dispo­ nentes, et praesto facientes quidquid illa vita propter imbecillitatem orporis postulat, rationem tamen etiam ipsi reddunt uni, quem patrem app· liant (3). Nous reconnaissons l'idée et jusqu’aux expressions de saint Benoit. B trouvait aussi dans Cassien plusieurs textes relatifs aux doyen· (4). Rappelant que les jeunes religieux sont confiés seniori qui dei- i i ■ unio­ ribus praest (5), Cassien remarque que l’institution des doyens date de Moïse, à qui Jéthro son beau-père avait donné ce bon con cil : Provide de omni plebe viros potentes et timentes Deum, in quibus sil verdns. c! qui oderint avaritiam ; ei constitue ex eis tribunos, et centuriones, et quogaagenarios, et decanos, qui judicent populum omni tempore; quidquid autem majus fuerit, referant ad te, et ipsi minora tantummodo judicent; Ic t isque sit tibi, partito in alios onere (Ex., xvm, 21-22). Saint Benoit parait .-’être souvenu, lui aussi, de ce passage. Les doyens n’existaient que là où la communauté était plus nom’ 'reuse : il œt rigoureusement possible de déterminer ce que saint Benoit entend parla congregatio major. Aussi longtemps que la communauté -c compo­ sait de douze moines, comme à Subiaco, ou comme dans le; dhb du monastère de Terracine (6), l’Abbé pouvait se contenter d · Γ;. ,-istance d’un second. Mais parce que saint Benoît parle de doyens an pluriel, que le pluriel, c’est deux pour le moins, et que chaque doyen a dix moines sous son autorité (neuf, disait saint Jérôme;, il semble (pie la communauté ne devenait vraiment major que lorsqu’elle attç /n iit le nombre de dix-huit ou vingt religieux. Eligantur. D y a tout lieu de croire qu’à l’époque de saint Bc:i"it les doyens étaient élus directement par l’Abbé. L'Abbé choisi, ait se · doyens him il choisissait son Prieur. Lorsque la communauté intervenait, ce comme n’était jamais pour exercer des droits et revendiquer de- privil·' jcs. mais pour exposer humblement son désir à l’Abbé et lui suggérer t- préfé­ rences; c’était une simple présentation; l’Abbé et les siens agi-'.iient d’un commun accord et au mieux des intérêts de tous. Quod si aut locus expetit, aut congregatio petierit rationabiliter cum humilitate, cl Abbas (1) De même, Columeile dit que les ouvriers qui travaillent aux chairq être groupés par décuries (De re rustica, L I, c. ix). (2) Episl., XXII, 35. P. L., XXII, 419. (3) De moribus Eccles. cathoL, 1. I, c. xxxi. P, L., XXXII, 1338. (4) Inst., IV, x, xvn. (5) Inst., IV, vn. (6) S, Greg. IL, Dial, 1. II, c. in, xxn. ivent DES DOYENS DU MONASTÈRE judicaverit expedire, quemcumque elegerit Abbas, cum consilio fratrum timentium Deum, ordinet ipse sibi praepositum (chap. LXV). Et au chapitre LXII, N. B. Père, après avoir rappelé au prêtre du monastère qu’il doit demeurer à son rang de profession, prévoit cette exception : Si forte electio congregationis et voluntas Abbatis pro vitae merito eum pro· movere voluerit. Aujourd’hui, les doyens n’exercent plus d'office de gouv‘rneinent sur une décanie déterminée, mais une fonction de vigilance douce sur l’ensemble de la communauté, surtout un rôle de bon exemple et un office de conseil auprès de l’Abbé, comme les sénieurs. Les Constitu­ tions cl I Jéclnrations modem· s ont déterminé, pour chaque Congrégation bénédictine, tout ce qui concerne le choix, le nombre et les attributions des sé. . urs et d - doyens; la plupart reconnaissent aux communautés l·· droit d’etre représentées au conseil de l’Abbé par des frères élus au .'•crutin secret. Et il se trouve, d’ordinaire, que les conseillers choisis par la communauté sont plus nombreux que ceux qu’a choisis l’Abbé. Mais plaise à bien qu’on n’ait jamais besoin de recourir à certaines disposi­ tions législative, de naturo à éliminer la chance, pour l’Abbé, d’être mis en minorité dans son conseil ! Un tel remède n'aurait d’autre résultat que d’introduire systématiquement la désunion dans le monastère, de constituer à l’état permanent et de consacrer une dualité, une rivalité entre l’Abbé et sa communaut'·. Pratiquement, dans une communauté paisi le, il n’y a pas de différence entre l’hypothèse où les conseillers sont choisis par l’Abbé, selon le texte de la Règle, et l’hypothèse où le- membres du conseil sont pour la plupart élus par les moines : tous 11111 sont, au même titre, les conseillers de l’Abbé et de la communauté. L'Abbé se choisit et on lui choisit des conseillers, non des adver­ saires ni des approbateurs. Eligantur di ipsis : on ne choisira point comme doyens des séculiers, pas même des moines étrangers. C’est à peine s’il est besoin aujour­ d'hui d’observer que l’autorité ne doit être confiée qu’à ceux qui appar­ tiennent à la famille. Pourtant il est bon parfois de se souvenir que, sauf lc: exceptions prévues par le Droit, les gens de l’extérieur, quels qu’ils soient, n'ont pas compétence pour intervenir dans nos affaires intérieures ; nous sommes exempts, et n’avons nul besoin de tutelle ni de conseil judiciaire. Peut-être, d’ailleurs, la remarque de saint Benoît a-t-elle sur­ tout pour intention de rappeler à la communauté qu’elle doit témoigner de la déférence et faire honneur à des doyens choisis dans son sein. Et constituantur decani : il y aura une reconnaissance officielle de leur titre, peut-être même une cérémonie d’iuvestiture. Selon la Règle du Maître. on leur remet solennellement le bâton de commandement (1). Saint Benoit nous indique à quelles enseignes l’Abbé et sa commu(1) Cap. xi. — Cf. Ménard, Concord. Reg., c. xxvni, p. 445. £•6 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT nauté reconnaîtront ceux qui méritent d’être élus. Ce n’est pas nécessai­ rement Page qui désigne ; on ne devient pas doyen par rang d’ancienneté, fjon eligantur per ordinem.; et il serait étrange de ne consulter, pour élever un religieux, que la date de son entrée, N. B. Père ayant répété plusieurs fois que l’âge ne doit jamais ni porter préjudice, ni créer une présomption de compétence. Les anciens et les conseillers de l’Abbé dent saint Benoît a parlé au chapitre III ne sont pas forcément des candidats au décanat ; la charge de doyen impliquait alors, nous l’avons dit, un gouvernement actif et une surveillance assidue auxquels souvent n’auraient pu suffire des moines âgés ; on peut être sénieur et prudent conseiller, et cepen­ dant, pour telle ou telle cause, demeurer inhabile à régir une déeanio. Allons plus loin : une aptitude, même insigne, une forte doctrine, une réelle vertu, ne sont pas toujours des motifs déterminants ; il faut un ensemble de qualités que N. B. Père ramène à deux : vitae meritum, sapientiae doctrinam. Les doyens seront choisis comme le furent les premiers diacres, à qui ils ressemblent par leur office. Ils auront un bon renom parmi les frères, afin que l’on s’incline volontiers devant leur autorité; leur vie sera édifiante, puisqu’ils doivent aider l’Abbé à main­ tenir l'observance. Il leur faut, avec ce mérite de la vie, la doctrine de la sagesse, c’est-à-dire la prudence, le tact, le sens des choses spirituelles et monastiques ; et c’est ici que la formation, l’expérience et l’âge peuvent être d’un grand secours. Bref, ils doivent être tels que l’Abbé ait pleine confiance en eux et qu’il puisse, avec une sécurité entière, se décharger sur eux de bien des détails, répartir entre eux ses sollicitudes. Tel est, en effet, le but de l’institution des doyens : venir au secours de l’Abbé. Lorsqu’une maison commence, et pendant toute la période du < devenir », il y a parfois pour le supérieur un motif d’entrer un peu dans les offices particuliers. Mais dans un monastère pleinement organisé, l’Abbé doit être empressé à se donner des aides et des suppléants, ne se réservant que la direction d’ensemble et les besognes inhérentes à sa charge. H ne saurait s’occuper de tout avec succès, et N. B. Père lui veut du repos et du loisir : Non sil turbulentus et anxius, non sit nimius et obstinatus, non zelotypus et nimis suspiciosus, quia numquam requiescet (chap. LXIV). De plus, comme il doit vieillir et mourir, il est sage pour lui de penser au lendemain et d’initier de son vivant plusieurs personnes au gouvernement de la communauté, qui ne meurt pas. Enfin, cette distribution du travail à l’intérieur du monastère n’a pas seulement pour résultat de soulager l’Abbé et de préparer l’avenir : elle ménage à chacun le bénéfice d’une collaboration au travail commun et une part de responsabilité; de la sorte, personne n’est tenté de se désintéresser complètement, de vivre isolé, uniquement occupé de ses études person­ nelles ; chacun n’en aime que mieux et la maison et ses frères. Les doyens, dit saint Benoît, exerceront leur sollicitude sur leur a * · · · «■ a DES DOYENS DU MONASTÈRE décanic. Sollicitude n’est pas orgueil, n’est pas tyrannie : c'est attention et dévouement affectueux. Nul n’est investi d’une charge pour satisfaire sa vanité, pour se créer des amis au dedans on au dehors, pour exercer des représailles, pour agir avec violence, mais bien pour être plus dévoue à sa famille monastique et la servir de plus près. Les doyens sont tenus d’accomplir leur office en son intégrité : in omnibus. C’était alors une charge assez complexe, qui réclamait un soin continu, de la décision et de la fermeté. Les attributions des doyens, au Mont-Cassin, étaient sans doute les mêmes que chez les moines d’Orient dont nous parlent les textes précités de saint Jérôme, de saint Augustin et de Cassien; ils veillaient sur leur décanic au dortoir, au réfectoire, pendant le travail manuel ; ils faisaient observer le silence, accordaient des permissions, infligeaient des pénitences. On trouvera dans D. Martène l’énumération des principales fonctions des doyens. Parfois, là où les doyens n’existaient pas, ces fonc­ tions étaient remplies par le Prieur claustral. Λ Cluny, après l’Abbé et le Grand-Prieur, venait le Prieur claustral, assisté au besoin d’un second, aidé dans ia surveillance par les maîtres des enfants et des jeunes moines, et par les « circateurs »; on appelait doyens les frères qui diri­ geaient l’exploitation des métairies ou villas situées dans le voisinage du monastère, villarum provisores (1). Lorsque saint Benoît écrit des doyens qu’ils gouvernent leurs décanics en toutes choses, il n’entend point leur conférer un pouvoir illimité et sans contrôle. Il y a limite d’abord du côté de Dieu, secundum mandata Dei; puis du côte de l’Abbé, et praecepta Abbatis sui. Car cette autorité s’exercera en union de pensée avec l’Abbé, non pas en dehors de lui, ni contre lui. L’Abbé partage sa sollicitude, il n’abdique pas, il ne peut devenir un étranger dans sa maison. Sans doute un moine en charge n’a nul besoin, pour l'expédition des affaires courantes, de s’aboucher eu particulier avec l’Abbé ; mais dès qu’il y a des remaniements un peu profonds à opérer dans son office, ou lorsqu’il s’agit d’affaires extraordi­ naires, il doit consulter, se faire autoriser. Et supposons que l’Abbé, un jour donné et par exception, intervienne dans un office pour surveiller Hlll ou réformer tel ou tel point : le titulaire qui s’en étonnerait comme d’une défiance, qui s’en irriterait comme d’un manque d’égards, qui proteste­ rait contre cette prétendue intrusion, ou qui proclamerait que son Abbé est d’un avis, mais lui d’un avis différent, celui-là oublierait la règle : secundum praecepta Abbatis sui. Le dépositaire d’une charge ne voit bien que les exigences de sa charge, il est myope, il manque de perspective ; et d’avance il lui faut prendre son parti que des considérations d’ordre plus étendu viennent parfois modifier son programme ou ses habi­ tudes. Le pouvoir du doyen est limité encore du côté des frères, puisqu’il (l) Bernard., Ordo Clun., P. I, c. n. — Udalr., Consuet. Clun., I. III, c. v, MI Γ COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT ne gouverne que sa décanie. Il évitera cet esprit ambitieux et jaloux qui nous fait étendre le plus possible le champ sur lequel s’exerce notre juridiction : je3sformeL, p. 23. flore 1). Hlll (2) Consulter les commentateurs Mêge. Martèxe, Calmet. — Ménard, op. «t, c. xxx-xxxix. — II.EFTEN, 1. VIII. — D. Besse, les Moines d'Orienl, chap. ix. (3) Comparer avec la Régie de S. Pacôme, surtout à partir du n° clx. S36 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT combien de fois et dans quelles conditions les moines exclus ou apostats peuvent être réintégrés. Enfin le chapitre XXX forme un petit codicille sur les punitions qui conviennent au jeune âge. Plus loin, aux chapitres XLIII-XLVI, N. B. Père aura l’occasion de compléter son code pénal en traitant des satisfactions pour les fautes moins graves que celles dont il poursuit ici la répression. Et dans maint endroit de la Règle il menace, en passant, de quelqu’un des châtiments monastiques. — Si quis frater contumax, aut inobediens, aut superbus, aut mur­ murans, vel in aliquo contrarius existons sanctae regulae, et praeceptis seniorum suorum, contemplor repertus fuerit : De excommunicatione culparum. Remarquons, tout d’abord, que les lautos visées présentement par saint Benoît ont un siège commun : la volonté rebelle ; ou plutôt, c’est d’elle seule qu’il a souci, car il ne songe pas un instant à cataloguer l’infinie variété des délits; quelques-uns seulement sont signalés au cours de la Règle. On peut imposer des satisfactions pour des fautes purement maté­ rielles, afin de prévenir la négligence et de rendre la conscience plus déli­ cate ;mais on ne sévit pas, avec la rigueur qu’impliquent ces dispositions pénales, contre des imperfections :il n’y a pas matière suffisante. On ne s’arme pas davantage de sévérité contre des fautes de légèreté, d’igno­ rance ou de surprise. A l’exemple de Dieu, qui ne regarde que ce qui sort de notre volonté délibérée (Mattii., xv, 17-20), saint Benoît ne s’en prend qu’à la volonté perverse, dans ses manifestations extérieures les plus redoutables (1). R y a, en premier lieu, la rébellion formelle. Contumacia, c’est le refus d’obéir, opposé à une autorité présente, la résistance ouverte et obstinée ; c’est l’audace et l’insolence de la désobéissance. Vient ensuite la désobéissance grave, mais sans complication de bravade, le refus de se soumettre à la Règle ou à une obédience donnée. Puis la superbe, l’exal­ tation habituelle, ce gonflement de soi, cette adoration de sa propre valeur, qui est, au fond, le principe secret de toute erreur dans la vie monas­ tique et la racine empoisonnée de toutes les fautes dont il est parlé ici. Rien de tout cela n’est bien intéressant : cola sent toujours la bête, entêtée et rétive : Nolite fieri sicut equus et mulus, quibus non est intellectus (Ps. xxxi, 9). Et pourtant on voit bien que ce que N. B. Père déteste le (1) Si quis autem murmuraverit, vel contentiosus exliterit, aut referens in aliquo con­ trariam voluntatem praeceptis... (S. Macar., Reg., xn). Si inobediens quis fuerit, aut contentiosus, aut contradictor, aut mendax, et est perfrictae frontis... (S. Pack., Reg., CLXY. Cf. ibid., cl). 4 DE L’EXCOMMUNICATION POUR LES COULPES 231 plus résolument, ce qu’il dénonce le plus habituellement, c’est la dispo­ sition au murmure : aut murmurans. Le murmurateur est un chétif ; c'est parce qu’il est chétif qu’il est grincheux, mécontent de tout, et toujours d'un avis contraire. Pourtant, il se range, il est matériellement à peu près correct, il sera même obséquieux au besoin. Il n’a pas le triste cou­ rage de la désobéissance, mais il exécute en gémissant. Et il porte çà et là, aux âmes qu’il sent préparées par leur faiblesse et leurs souffrances, l’évangile maudit de son murmure. C’est à la fois vil, lâche et dangereux. On aimerait presque mieux le contumace et l’àpreté de sa résistance que la basse et sourde intrigue du murmurateur. Vel in aliquo... D. Calmet énumère les sens divers que l’on peut donner à cette incidente. Le plus naturel est celui-ci : « ou bien si l’on découvre chez lui le mépris, tandis que sur tel ou tel point il se met en contradic­ tion avec la sainte Règle et avec les ordres de ses anciens, des doyens ». C’est un cinquième cas, ajouté à la résistance ouverte, à la désobéissance notable, à la superbe, au murmure : c’est le mépris accompagnant Γinfrac­ tion à la Règle. Encore une fois, il ne peut être question d’appliquer les sévé­ rités du présent code pénal à tout manquement, quel qu’il soit. Mais le désaccord, qui peut être léger et d’un moment, peut aussi devenir sérieux, continu, irréductible, et constituer ce qu’on appelle le mépris, sinon le mépris formel, heureusement très rare, du moins le mépris équivalent et pratique. 11 est vraisemblable que les dispositions mauvaises énumérées ici impliquent une faute tliéolbgiqne : mais saint Benoit ne les envisage pas à ce point de vue ; il ne les châtie que comme contraires à l’obser­ vance monastique et aux engagements publics de la profession. Ilie secundum Domini nostri praeceptum admo­ neatur semel et secundo secrete a senioribus suis. Si non emendaverit, objurgetur publice coram omni­ bus. Si vero neque sic correxerit, si inlelligit qualis poena sit, excommunicationi subjaceat. Sin autem improbus est, vindictae corporali subda­ tur (1). ’ Voici, pour les cas ordinaires, la marche à suivre dans la correction des frères : saint Benoît a dit ailleurs les quelques particidarités quo (1) Cum tero inventa fuerit culpa, ille qui culpabilis invenitur, corripiatur ai Albate secretius. Quod si non sufficit ad emendationem, corripiatur a jxiucts senioribus. Quod si nec sic emendaverit, excommunicetur (lieg. Orient., χχχπ). Viennent ensuite quelques details sur l’excommunication de la table et de la prière, et sur la satisfaction, presque dans les mêmes termes que notre Règle ; puis une menace contre quiconque s’abouche 233 COMMENTAIRE SUR LA REGLE DE SAINT BENOIT présente la correction dos doyens, du Prieur et des prêtres. U a marqué aussi, au chapitre LXX, que, si la faute est publique et scandaleuse, elle doit recevoir un châtiment proportionné : Peccantes autem coram omnibus arguantur, ul ceteri nictum habeant. Mais aussi longtemps que les fautes ne sont pas notoirement scandaleuses, et quelle que soit d’ailleurs leur gravité, la sainte Règle use d’indulgence et de pitié. Elle s’inspire visible­ ment des conseils du Seigneur, dans l’Evangile : Si autem peccaverit in te frater tuus, vade, et corripe eum inter te et ipsum solum. Si te audierit, lucratus eris fratrem tuum. Si autem te non audierit, adhibe tecum adhuc unum, vel duos, ut in ore duorum vel trium testium stet omne verbum. Quod si non audierit eos, dic ecclesiae; si autem ecclesiam non audierit, sit tibi sicut ethnicus et publicanus (Matth., xvih, 15-17). Un avertisse­ ment est d’abord donné en particulier, renouvelé une seconde fois, s’il est besoin; et par ceux-là seuls qui ont autorité (voir le chapitre LXX) : l’Abbé, les doyens ou les sénieurs. Si les observations secrètes sont demeu ëes sans ré-ultat, le délin­ quant est admonesté devant tous : c’est le second degré. Le troi­ sième consiste dans l’excommunication ou dans le châtiment corporel : car il y a deux régimes, selon la trempe et les dispositions du coupable. N. B. Père, au chapitre II, a distingué deux catégories de caractères, auxquelles l’Abbé doit appliquer un traitement différent : Et honestiores quidem atque intelligibiles animos prima vel secunda admonitione verbis cor­ ripiat; improbos autem et duros ac superbos vel inobedientes, verberum vel corporis castigatione in ipso initio peccati coerceat. 11 est peu probable que dans ce passage saint Benoît veuille retirer absolument aux natures frustes, grossières ou rebellesle bénéfice de la double admonestation préalable, qui, au chapitre ΧΧΙΠ, semble faire partie d’une procédure applicable à tous. H parle d’une façon un peu générale, au chapitre II, de la diversité des traitements, et remarque qu’une ou deux réprimandes suffisent aux uns, tandis que d’autres ne se rendent qu’à l’argument des coups ; ce serait perdre son temps, observe-t-il, que de multiplier auprès de ces derniers les corrections verbales et de temporiser : il faut, par des procédés sen­ sibles, arracher sans retard à la sensibilité la mauvaise tendance qui s'y H révèle. Et lorsque l’on aconstaté en plusieurs cas l’inefficacité des semonces les plus vives, on passe de suite désormais au troisième degré de la correc­ tion régulière. Mais ce ne sera pas l’excommunication, car Yimprobus, ou bien s’en applaudirait comme d’une chance nouvelle pour échapper à l’observance, ou bien n’en comprendrait pas la portée, n’en goûterait point l’amertume (1). Nous dirons, aux chapitres suivants, ce qu’est la peine de l’excommuavec un rebelle : simili modo culpalilcm judicandum (xxxni); enfin l’exclusion est prononcée contre l'incorrigible ne vitio ipsius alii periclUenlur (xxxv). (1) Cl. S. Bxsil., Reg. brev., xuv. DE L'EXCOMMUNICATION POUR LES COULPES S35 nication : qualis poena sil; un mot maintenant des peines corporelles. Les anciens n’hésitaient pas à y recourir; et N. B. Père, qui en menace les délinquants plus d’une fois dans sa Règle, n’avait qu’à se souvenir des Règles de saint Pacôme, de saint Césaire, des Vies des Pères, en un mot de toute la tradition. Les procédés afflictifs les plus communs étaient des retranchements dans le boire et le manger, l’incarcération (1), les travaux forcés ; mais surtout les verges, le fouet, la férule, châtiment des mauvais serviteurs et des enfants. Longtemps avant de devenir cette pratique volontaire de pénitence que propagea saint Pierre Damien, la « discipline » était donc une peine monastique (2), voire ecclé­ siastique, car certains conciles l’infligeaient aux clercs indociles. Dans la langue de saint Benoît, le mot discipline a des significations diverses, que le seul contexte permet de déterminer. Disciplina, c’est une ligne de conduite pratique (chap. II) ; c’est la vie spirituelle, la perfection morale (VII) ; c’est la régularité, le bon ordre et la sauvegarde de ce bon ordre (LVI, LXII, LXI1L, LXXI) ; c’est un châtiment, une correction quelconque (XXXIV, LV) ; c’est un châtiment corporel : le jeûne ou les verges (XXIV). Disciplina regularis, disciplina regulae, c’est l’ensemble des observances monastiques ou la soumission à ces observances (LX, LXII) ; enfin disciplina regularis, c’est ou bien l’ensemble gradué des pro­ cédés de correction prévus par la Règle, ou bien quelques-uns de ces degrés, et peut-être le seul châtiment des verges (III, XXXII, LIV, LXV, LXX). Aujourd’hui, lorsqu’un moine, dans des circonstances extrêmement rares, est puni de la discipline, il se charge lui-même d’exécuter la sen­ tence, loin des regards indiscrets et à l’aide d’instruments peu redou­ tables. Les choses ne se passaient pas tout à fait ainsi chez nos pères. D’abord ces séances — pour n’être pas partout aussi multipliées que chez saint Colomban, où les coups de fouet formaient monnaie courante — n’étaient point pourtant des événements. Puis, elles avaient lieu, le plus souvent, en public, en plein chapitre. Les verges ou le fouet étaient maniés par l’Abbé en personne ou par un frère expressément député lilii à cet office charitable. A Cluny (3), comme à Cîteaux, comme un peu partout, les coups tombaient sur des épaules nues, du moins lorsqu’il s’agissait de fautes sérieuses. Le nombre de coups ne dépassait pas, d’ordinaire, le chiffre de trente-neuf : c’était la mesure juive, appliquée cinq fois à l’Apôtre par ses compatriotes : A Judaeis quinquies, quadra­ genas, una minus, accepi (II Cor., xi, 24) ; afin de ne pas violer la Loi. qui prescrivait de n’aller pas au delà de quarante (Delt., xxv, 3), on (1) Cf. Calmet, Commentaire sur le chapitre xxv. (2) Lire Hæften, L VIII, tract v. — Martène, De anliq. monach. rù.,1. II, c, xi, col. 229 sq. — Calmet, Commentaire sur le chapitre ni. (3) Cf. Pignot, Hist. de POrdre de Cluny, t. II, p. 400-406. Voir le statut lxui do Pierre le Vénérable, P, L, CLXXXIX, 1013, 240 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT préférait se tenir en deçà. Moins scrupuleux que les pharisiens, les anciens moines donnaient parfois jusqu’à cent coups aux grands coupables. Centum ictibus flagellorum extensus verberetur, dit la Règle de saint Fruc­ tueux (1); cent, ou même deux cents coups, selon le Pénitentiel de saint Coîomban ; le même code pénal contient d’ailleurs cette réserve : Amplius viginti quinque percussiones simul non dentur. La Règle du Maître est plus terrible encore : Usque ad necem cudantur virgis (2), c’est-à-dire, observe D. Calmct (3), « tant que le coupable pouvait souffrir, avec la der­ nière rigueur : car on n’a jamais été réellement jusqu’à la mort ; et dans les auteurs profanes mêmes caedere ad necem ne se prend pas à la rigueur, c’est une hyperbole». Un capitulaire de Charlemagne (4), reproduit par le concile de Francfort de 794, croit devoir recommander aux Abbés de ne jamais crever les yeux ni couper les membres de leurs moines, qualibet culpa commissa : il faut laisser ce genre de châtiments aux sécu­ liers. Nous n'avons ni à déplorer ni à regretter les sévérités d'autrefois. Avec des natures violentes et moins épurées par un long travail d'éducation, qui, parfois, avaient réclamé d'avance, en prévision de leurs chutes, le bénéfice de la prison ou de la flagellation sanglante, cette disposition de la discipline régulière était souvent l’unique moyen de mater les révoltes du sang et des nerfs. Rappelons-nous aussi que les crimes et délits des moines ou des clercs ne ressortissaient pas, ordinairement, aux tribunaux civils : il fallait bien que les supérieurs ecclésiastiques ou monastiques fissent justice eux-mêmes. Tout cela est modifié ; et s’il surgit maintenant encore des désordres en face desquels le pouvoir monastique est impuis­ sant, il faut reconnaître pourtant que la dignité de la vie religieuse a CT.gné au changement : elle doit, avec d’autant plus de soin, se recruter dans im milieu où l’obéissance est volontaire, empressée et joyeuse. ω c. xv. (.') C. -ΠΠ. (3) Comment, sur le chapitre xxvni. (4) M. G, B., Legum, Sectio II, Capilul. Regum Franc., 1.1, p. C3 CHAPITRE XXIV QUEL DOIT ÊTRE LE MODE DE L’EXCOMMUNICATION Qualis debeat esse modus excommunicationis. — Secundum modum culpae, excommunicationis vel disciplinae debet extendi mensura : qui culparum modus in Abbatis pendeat judicio. Si quis tamen frater in levioribus culpis invenitur, tantum a men­ sae participatione privetur. Horaee s'est finement moqué de ceux qui prétendent — ce sont les stoïciens — qu’il n’y a nulle différence entre les fautes, et qu’elles ont toutes le même caractère de gravité : Nec vincet ratio hoc, tantumdem ut peccet idemque, Qui teneros caules alieni fregerit horti, Et qui nocturnus divum sacra legerit. Adsit Regula, peccatis quae poenas irroget aequas, Ne scutica dignum horribili sedere flagello (1). C’est à cette prescription de bon sens romain et de prudence universelle que satisfait N. B. Père en déterminant que le mode et la mesure du châti­ ment seront proportionnés à la nature et à la malice de la faute (2) ; il y aura des mesures différentes, non seulement dans la correction cor­ porelle {disciplina), mais dans l’excommunication elle-même. Pour évi­ ter les contestations néanmoins, c’est à l’Abbé qu’il appartiendra d’apprécier la gravité des fautes et de fixer la peine encourue. Non pas que l’Abbé puisse à son gré modifier la gravité objective des fautes, ni imposer sub gravi n’importe quoi : toutefois il a pleine(1) Sat., 1. Ill, ni. (2) Digne correptus secundum arbitrium senioris vel modum culpae (S. Macar., Reg., xn). Pro qualitate culpae erit excommunicatio {Reg. I SS, Patrum, xv). CL Reg. Orient., xxxn. — S. Caesar., Reg. ad virg., xi. 241 15 242 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT le droit, dans l’intérêt de l'observance, do décerner des peines sévères contre des fautes d’ailleurs légères, niais qui menacent de devenir ment endémiques et de troubler la communauté. Cette fixation de la coulpe et de la peine est laissée non à son caprice, mais à son jugement et à sa conscience : in Abbatis penàeai judicio. Saint Benoît n’a pas cru nécessaire d’insister sur le caractère et la mesure des pénitences corporelles ; mais il tient à préciser ce qui a trait aux excommunications. Sans doute une part réelle d’initiative est aban­ donnée au supérieur : il ne peut cependant, tamen, châtier les fautes moins graves (« légères », seulement par comparaison) que de rexcommu­ nication de la table commune. L’autre forme d’excommunication exclut à la fois de la table, de l'oratoire et du commerce avec les frères. Plu­ sieurs Règles d’avant N. B. Père, celle de saint Césaire par exemple, mentionnent, cette double excommunication. Il n’est pas impossible que l’élise se soit inspirée de la législation monastique pour distinguer définitivement (1), elle aussi, entre l’excommunication majeure, qui retranche de la société des fidèles, et l’excommunication mineure, qui prive seulement de certains biens surnaturels, de la réception des sacre­ ments, de l’exercice d’une juridiction. Dès l’origine, l’équité des Apôtres semble bien avoir mis des distinctions et des nuances dans les sévérités de l’excommunication; on pourrait étudier et comparer le caractère et les effets de l’excommunication prononcée soit par saint Pierre, soit par saint Paul, soit par saint Jean. Rapprochant l’excommunication monastique de celle que prononce l’ïglise, les commentateurs se demandent quelle est sa valeur et sa portée. R semble que nous pouvons nous rallier à l’interprétation de D. Calmet. Quelles qu’aient été les restrictions apportées du temps de saint Benoît au privilège de l’exemption, il n’est pas douteux — et le texte même de la sainte Règle le prouve péremptoirement — que le gouvernement abbatial possédât l’autorité suffisante pour prononcer une sentence d’excommunication; c’était l’exercice d’un pouvoir de juridiction, non pas d’un pouvoir d’ordre. Et les effets de cette sentence étaient iden­ tiques à ceux de l’excommunication ecclésiastique ; il n’y avait d’autres différences que dans la source immédiate de l’excommunication et la condition particulière du moine châtié. Pour bien comprendre la portée de l’excommunication régulière, rappelons-nous la constitution hiérar­ chique de l’Église ancienne et le lien de solidarité qui en reliait toutes les parties. On était d’abord en communion avec un évêque et avec les fidèles d’un diocèse; c’était moyennant l’incorporation à une (1) H y avait aux premiers siècles différents degrés dans la pénitence et dans l’ex­ communication : cfr. J. Mourxus, Commentarius historicus de disciplina in administralione sacramenti poenitentiae. — Gabriel Albaspinaeus, Observationes eccle­ siasticae, L II. — Jacques Êveillon, Traidi. des excommunications et rnonitoives. DE L'EXCOMMUNICATION DE LA TABLE 243 église particulière que l’on appartenait à l’ÉgîiSe universelle; on faisait partie de la grande société par la petite. S’agissait-il d’entrer en com­ munion spéciale avec un autre diocèse? il fallait alors exhiber ces « lettres formées », dont plusieurs conciles et N. B. Père lui-même rappellent la nécessité, qui témoignaient qu’on était en paix avec son église d’origine, monastique ou séculière. De même, la sentence d’excom­ munication portée par un évêque était notifiée de proche en proche aux autres ; ct celui qu’elle atteignait, par cela seul qu’il était exclu de la communion de son évêque, était exclu de la communion de toute l’Îglise. Or, la famille monastique constituait, dans la grande famille diocésaine, une petite église autonome. A dater de sa profession, le religieux n’appartenait plus à l’Église universelle que moyennant son union à l’ordre monastique. Excommunié régulièrement par son Abbé, et pour des fautes contraires à la morale générale ou aux exigences spéciales de son état, il se trouvait ipso facto hors de l’Église, et tous les chrétiens le considéraient comme tel. Saint Grégoire raconte dans la Vie ιπ» de A. B. Père comment l’homme de Dieu menaça d’excommunication deux religieuses incorrigibles ; et la prétention ne lui semble pas extraor­ dinaire : il admire seulement qu’une menace de saint Benoît ait suffi pour (pie Dieu traitât réellement en excommuniées les religieuses mortes dans leur péché, et que Dieu ratifiât outre-tombe la levée d'excommuni­ cation prononcée par son serviteur. Tout le chapitre est d’un intérêt extrême (1). Privati autem a mensae consortio, ista erit ratio : ut in oratorio Psalmum aut Antiphonam non im­ ponat, neque Lectionem recitet, usque ad satisfa­ ctionem. Refectionem autem cibi post fratrum refe­ ctionem accipiat, mensura vel hora qua praeviderit Abbas ei competere : ut si verbi gratia fratres refi­ ciunt sexta hora, ille frater nona; si fratres nona, ille vespertina; usque dum satisfactione congrua veniam consequatur. La première forme d’excommunication, la plus bénigne, était donc décernée, après monitions, contre celui qui se laissait entraîner obstiné­ ment à des fautes, sérieuses sans doute, mais pourtant moins graves que celles dont il sera parlé bientôt. Elle comportait d'abord un châtiment (1) Dial., 1. II, c. χχιπ. •44 COMMENTAIRE SL’R LA RÈGLE DE SAINT BENOIT dans l’oratoire. Le condamné n’était point exclu de la prière conven­ tuelle, mais il n’avait plus do titre à s’y faire entendre d’une façon spéciale; tout « solo » lui était interdit. Il ne donnait, il ne chantait ni psaume, ni antienne (1), il ne récitait aucune leçon; peut-être, car la Règle ne nous l’apprend pas sûrement, pouvait-il mêler sa voix à celle du chœur. Certaines coutumes monastiques postérieures lui défendent de se présenter à l’offrande, à la paix, «à la communion conventuelles, de célébrer la Messe en public, etc. Cet isolement durera jusqu'à ce qu’il ait fait la satisfaction convenable et reçu l’absolution de l’Abbé (voir les dernières lignes du chapitre XLIV). Il ne faut pas confondre cotte excom­ munication avec la pénitence imposée aux frères qui négligent d’assister à la prière qui précède le repas (chap. XLIII). C’est au réfectoire surtout que se traduit l’excommunication mineure monastique : d’où son nom d’excommunication a nu nsa. Le frère parait encore à l’oratoire : il est possible de lui laisser là une part de vie con­ ventuelle ; mais il est banni de la table commune. 11 prend sa nourri­ ture seul, et après le repas des frères. Les mots : mensura vel hora qua praeviderit Ablas fi competere, ne se lisent pas dans les manuscrits ; ils ont été empruntés au chapitre suivant; mais il n’y a pas analogie entre les deux situations d’excommuniés et, selon la remarque des commentateurs, on ne diminuait le repas de l’excommunié a mensa que s’il se montrait insoumis. Simplement, l’heure de sa réfection est retardée : lorsque les frères, par exemple, prennent leur repas à sexte, c’est-à-dire pendant tout l’été, sauf les jours de jeûne, l’excommunié, lui, mange à none ; lorsque la communauté dîne à none, c’est-à-dire depuis le début du Carême monastique jusqu’à celui du grand Carême, l’excom­ munié mange à l’heure de vêpres (chap. XLI). Sur ce point, d’ailleurs, saint Benoît n’entend pas porter de règle complète et rigoureuse : c’est à l’Abbé de décider selon les cas. La peine durera ju qu’à ce que le frère, ayant fait la satisfaction convenable, reçoive son pardon. (1) Kappplons-nous ce qui a été dit, au chapitre «, de la psahn-.lic chez saint Benoît, p. 168-169. CHAPITRE XXV DES FAUTES PLUS GRAVES — Is frater qui gravioris culpae noxa tenetur, suspendatur a mensa simul et ab oratorio. De gravioribus culpis. Dos fautes plus graves entraînent une forme plus sévère de l'excom­ munication : celle qui exclut à la fois de la table et de l’oratoire. Nous trouverons le détail des principales coulpes très grièves dans différentes Règles ou Constitutions ; saint Benoît, lui, s’est abstenu. Mais il décrit avec insistance le triste isolement du condamné. Sauf les exceptions qui seront prévues dans la suite, toutes les relations personnelles avec lui sont rompues. Remarquons pourtant la discrétion singulière avec laquelle toutes choses sont conduites. L’excommunication monastique n'est pas l'exclusion, le retranchement absolu, la rupture définitive, comme l’est pour Γ Église d’aujourd’hui l’excommunication dite ma­ jeure. L'excommunication monastique ressemble à celle que pronon­ çait saint Paul et à laquelle ce chapitre fait nettement allusion : elle a un caractère médicinal ; ce n’est pas encore l’abandon d’une âmo à sa perdition. On espère toujours. Avant de procéder à l’expulsion, qui sera le dernier acte, on veut voir si le moine ne s’effraiera pas de la solitude qui se crée autour de lui, et si l’amour de sa famille religieuse, plus puissant que les châtiments et les réprimandes, ne l’amènera pas à résipiscence. Il n’est presque plus du monastère, il est pourtant encore dans le monastère. Nullus ei fratrum in ullo jungatur consortio, neque in colloquio. Solus sit ad opus sibi injunctum, per­ sistens in paenilentiae luctu, sciens illam terribilem Apostoli sententiam dicentis : traditum hujusmodi i *Î5 K’ » ïr; 246 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT hominem Satanae in interitum carnis, ut spiritus salvus sit in die Domini C’est un pestiféré volontaire. Il n’a plus d’ami, celui qui s’est fait l’ennemi de Dieu ; il n’a plus part à cette vie conventuelle dont il s’est exclu le premier par sa faute. Tous s’écartent. Nul ne peut l’aborder, se mettre en rapport, entrer en colloque avec lui. Il n’y a plus de place pour lui à l’oratoire (1). Il n’est pas même digne de participer au travail commun. Ce n'est pas qu’il lui soit loisible de vaguer : il aura sa tâche déterminée,peut-être même un peu forte; mais il l’accomplira seul. Et, selon la coutume de certains monastères, on le tiendra enfermé en prison. Il demeurera dans le deuil de la pénitence, et il aura le loisir, durant ses longues heures de solitude, de méditer et. de s’approprier la sentence terrible de l’Apôtre : cet homme-là a été livré à Satan pour la des­ truction de la chair, afin que l’esprit soit sauvé au jour du Seigneur (I Cor., v, 5) (2). Tout ceci doit être bien compris. La création entière obéit à la loi de communauté ; les êtres ne se déve­ loppent et n’atteignent leur fin que moyennant l’appartenance à une société, à une famille, à une organisation hiérarchique, dont il faut recher­ cher l’idéal et h terme chez la sainte Trinité elle-même. C’est vrai de l’homme en général, c’est plus vrai encore de l’Êglise, c’est vrai aussi du groupement monastique. Nous ne nous sauvons qu’en famille; la grâce de Dieu ne nous vient que dans ce cadre vivant ; nous avons besoin de la main de notre Abbé, de la prière de nos frères. Lorsqu’une sentence d’excommunication intercepte ce courant béni de l’influence divine et cette circulation de la vie, nous ne sommes plus en sécurité, nous ne sommes plus garantis de rien. Cessant d’appartenir à l’Êglise, à notre famille surnaturelle, au Seigneur et à sa juridiction, nous passons dans un autre système hiérarchique et nous sommes alors exposés aux redou­ tables familiarités et aux violences de Satan. Ainsi, Dieu permet que l’excommunication prononcée par saint Pierre contre Ananie et Saphiro entraîne leur mort corporelle. L’excommunication de Simon le Magicien le livre à la possession. Celle de l’incestueux de Corinthe a pour dessein de préserver l’Êglise de toute contagion et aussi de « livrer aux vexations diaboliques l’être sensible du coupable, pour que l’âme soit sauvée au jugement de Dieu ». Comme dans l’histoire du moine instable que saint Benoît finit par chasser (3), il y a toujours, au delà de la porte du monas­ tère, un dragon qui guette les excommuniés ou les apostats. (1) Cf. Jleg. Orient., xxxn. (2) Cassien cite, lui aussi, ce texte dans un passage dont s’est inspiré saint Benoît pour la rédaction des chapitres xxv et xxvr. Inet., II, xvl. (3) S. Greg. M., DiaL, L II, c. xxv, DE L’EXCOM J L N 1 CATION DE LA TABLE ET DE L'ORATOIRE 247 Sans doute N. B Père n’affirme point que des représailles sata­ niques attendent infailliblement le moine excommunié : mais c’est ur.e menace, un avertissement de ne pas demeurer dans l’impénitence, de ne retomber jamais dans un tel malheur. Car aux âges de foi l’excommu ulli ­ nication était considérée comme un suprême péril, et sa seule menace emplissait les âmes d’une terreux religieuse. Mais le sens surnaturel a diminué ; et c est là, avec un incontestable assainissement des carac­ tères, ce qui porte maintenant l’Eglise et l’ordre monastique à être très sobres d excommunications ; aussi bien, trop souvent, ceux qui les mériteraient commencent par s’excommunier eux-mêmes. Cibi aulem refectionem solus percipiat, mensura vel hora qua praeviderit ei Abbas competere; nec a quoquam benedicatur transeunte, nec cibus qui ei datur. Banni de l’oratoire, l'excommunié est banni à plus forte raison du réfectoire commun. Et la pénitence est plus sévère que dans le cas précédent ; non seulement l’heure du repas est retardée, mais le menu lui-même est simplifié : on fait le siège du rebelle et par l’âme et par le corps. N. B. Père laisse à l’iVbbé le soin de déterminer l’heure et le régime. Les frères qui rencontrent l’excommunié ne répondent pas à sa formule de salut, ne lui disent point Benedicite (voir le chap. LXHI). La nourriture qu’on lui donne ne reçoit pas davantage la bénédiction accoutumée. Nous verrons au chapitre NLIV la série des expiations par lesquelles doit i as er l’excommunié avant d’être réconcilié avec Dieu et avec ses frères. fi CHAPITRE XXVI DE CEUX QUI, SANS L’ORDRE DE l’aBRÉ, SE JOIGNENT AUX EXCOMMUNIÉS ns vn ii excom­ municatis. — Si quis frater praesumpserit, sine jus­ sione Abbatis, fratri excommunicato quolibet modo sejungere, aut loqui cum co, vel mandatum ei diri­ gere, similem sortiatur excommunicationis vindi­ ctam. De qui sine jussione Abbatis jungi H va de soi que l'efiicacité de l’excommunication était compromi ο, que le remède perdait toute sa vigueur, si la réalité même de l'excommu­ nication n’existait plus : il fallait la solitude. Or voici comment, par­ fois, les choses se passaient. Un frère était excommunié : les mauvai. es têtes étaient tentées de prendre parti pour lui, de l'appuyer dans sa révolte, de faire un peu de révolution. D’autres religieux, unis par un lien de parenté ou d’amitié avec le coupable, e. savaient de se persuader que rien ne saurait prévaloir contre les mouvements et les attachements de la nature, et violaient la loi de quarantaine. D’autres, enfin, rc lais­ saient prendre de pitié à la vue de ce pauvre lloliq»herne, si mécham­ ment écarté par l’Abbé, et leur tendresse, étourdie et meurtrière, décon­ certait un traitement qu’elle ne comprenait pas. S’ane si quis pro admisso quolibet delicio fuerit ab oratione suspensus, écrivait Cassien (1), nullus cum eo prorsus orandi habet licentiam...; et quisquis orationi ejus, ante­ quam recipiatur a seniore, inconsiderata pietate permotus communii are praesumpserit, conplicem se damnationis ejus efficiat, tradens scilicet semelipsum voluntarie Satanae, cui ille pro sui reatus emendationi fuerat deputatus : in eo vel maxime gravius crimen incurrens, quod cum illo se vel confabulationis vel orationis communione miscendo majorem illi gener't insolentiae fomitem et contumaciam delinquentis in pejus enutriat. En dehors d’une obédience donnée par l’Abbé, et dont il sera parlé (1) Imi., II, XYi. •J • M · - DES RELATIONS INTERDITES AVEC LES EXCOMMUNIÉS 24» plus au long dans le chapitre suivant, tout frère qui osera prendre contact avec l’excommunié et entrer en relation avec lui de quelque manière que ce soit, par des colloques, par des messages, en se consti­ tuant son intermédiaire, celui-là entrera en partage de son excom­ munication, et se trouvera enveloppé dans la même sentence. Une telle mesure a paru sévère à certains commentateurs ; d’autant que, d’après le Droit ecclésiastique, les relations avec un coupable atteint d’excommu­ nication majeure n’entraînaient que l’excommunication mineure. Mais il semble bien que primitivement, chez les clercs comme chez les moines, une infraction notable à la loi de l’excommunication entraînait pleine participation à la peine de l’excommunié; on ne distinguait pas (1 ). (1) 1.6 concile d'Orléans de 511, par exemple, décrète dans son canon xi : De his qui ru*''* j>ia poenileitfûi religionem suae professionis obliti ad saecularia relabuntur, placuit ros cl a communione suspendi, cl ab omnium catholicorum convivio separari. Quod si pod interdictum cum cis quisquam praesumpserit manducare, et ipse communione pri­ vetur (Mansi, t. VIII. coi. 353). Les collections rattachent aux canons authentiques de ce concile quelques autres dont on ignore la valeur ; en voici un qui ressemble beau coup au textu de notre Règle : ... Nullus chrislianus ci ave dicat, aut eum osculare praerumat; ... nemo ci jungatur in consortio, neque in aliquo negotio; ei si quis ei se sociaverit, ...noient se simili percussum anathemate. His exceptis, qui ob hanc causam e» junguntur, ut eum revocant ab errore, d provocent ad satisfactionem,,, (Mansi, ibid., col. 3<η). rm CHAPITRE XXVII QUELLE DOIT ÊTRE LA SOLLICITUDE DE L’ABBÉ A L’ÉGARD DES EXCOMMUNIES Qualiter debeat esse sollicitus Abbas circa ex- — Omni soli i ci l u d i n e curam ogerat Abbas circa delinquentes fratres : quia non esi opus sanis medicus, sed male habentibus. communicatos. 4 C’est le dernier chapitre de la parenthèse relative à Pcxcommunication. Π éclaire toute la question du code pénal monastique et rend manifeste l’intention de saint Benoît ; il nous révèle aussi tout son caractère paternel. Nous n’ignorons pas la variété des points de vue auxquels se place la justice humaine pour légitimer l’exercice du droit pénal et jusqu’à la peine de mort. Tantôt, on se met au point de vue de l’ordre absolu, et l’on soutient qu’il est équitable que ceux qui n’ont pas voulu appartenir à l’ordre par l’obéissance y rentrent quand même par le châtiment : c’est vrai, mais c’est froid, hautain ; le coupable se résigne. Ou bien on préfère songer à la société qu’il faut garantir, et le châtiment prend alors le caractère d’ime sécurité. La peine, par un double effet, abrite la société contre le retour des fautes qu’elle châtie, soit parce qu’elle met le coupable dans l’impossibilité de nuire, soit parce qu’elle inspire une crainte salutaire aux autres méchants : Culpam poena premil cornes : c’est vrai encore, mais c’est dur, et c’est inefficace souvent. Il appartenait à la règle chrétienne et monastique de se placer au point de vue du délinquant lui-même et, sans méconnaître aucune­ ment les desseins dont nous venons de parler, de s’inquiéter par-dessus tout de la correction du coupable, regardé comme un frère malade plutôt que comme un condamné. Et encore que les anciennes Règles et les Vies des Pères abondent en traits édifiants sur la miséricorde due aux pécheurs, nul, pensons-nous, n’avait jusqu’alors écrit rien de semblable à cetto page bien personnelle à saint Benoît et toute pleine de sa tendresse do père, si grave, si forte, si attentive. .250 ♦ DE LA SOLLICITUDE ENVERS LES EXCOMMUNIÉS SM Omni soïliciludine... Alors même qu'il y a châtiment, le monastère la « maison de Dieu n, n’est point une colonie pénitentiaire où l’on n'attend la correction des rebelles que de la compression violente et des mau­ vais traitements. Mais tout ce que l’Abbé peut avoir de sollicitude et de dévouement s'emploiera en faveur des frères qui sont tombés. Et l’unique raison alléguée par la sainte Règle est celle qu’invoquait un jour le Seigneur pour justifier son indulgence infinie : « Ce ne sont pas les gens en santé qui ont besoin du médecin, mais ceux qui se portent mal » (Ματτπ., ix, 12). H est venu pour racheter, pour consoler, pour guérir ; et malheur aux âmes suffisantes qui croient n’avoir nul besoin de sa compassion et de ses remèdes. La miséricorde est la vertu dominante du Seigneur ; elle lui a valu l’étonnement, le scandale, jusqu’à la haine des mauvais easuistes du temps, pharisiens et docteurs de la Loi. Qu’on se souvienne seulement de l’épisode de la femme adultère, excommuniée par les docteurs et vouée à la lapidation (Joann., vu, 3-11) 1 Si le cœur de Dieu n’est que bonté, l’Abbé, qui tient sa place dans le monastère, doit incliner toujours, lui aussi, du côté de la miséricorde et de la tendresse. Et ideo uti debet omni modo ut sapiens medicus : immittere quasi occultos consolatores sympaectas, id est, seniores sapientes fratres, qui quasi secrete consolentur fratrem fluctuantem, et provocent eum Il ad humilitatis satisfactionem, et consolentur eum, ne abundaritiori tristitia absorbeatur; sed sicut ait Apostolus : Confirmetur in eo caritas, et oretur pro eo ab omnibus. Puisque l’Abbé est constitué médecin des âmes (1), il agira en toute façon (2) comme un sage médecin : il s’ingéniera pour trouver le remède efficace ou plutôt pour que celui de l'excommunication ait tout son eSet ; il emploiera les industries variées que sa charité et son expérience lui ΙΠΗ pourront suggérer. Il enverra par exemple vers l’excommunié a des sympectes ». Les mots quasi occultos consolatores sont une glose postérieure. . On a beaucoup discuté sur la signification du terme « sympecto »; on a proposé les étymologies les plus diverses et les plus bizarres ; et les copistes l'ont souvent maltraité. Quoique la meilleure leçon soit senpectas, il est bien probable que l’orthographe correcte de ce mot est sympacta et qu’il (1) S. Basil., Reg. conlr., xxiv. (2) Omnimodo, en un seul mot, selon les meilleurs manuscrits. 252 COMMENTAIRE SUR LA REGLE DE SAINT BENOIT est la transcription latine du grec συα-αίχτης (de σύν, π«ι*ω), mot à mot: qui Jait l'enfant avec, qui joue avec, compagnon de jeu (collusor) (1). Dans la littérature chrétienne d’avant saint Benoît, nous n’avons trouvé ·' συαπϊίχτης employé, et au sens figuré, que dans VHistoire Lausiaque. Elle raconte comment Sérapion Sindonite imagina de se vendre à des comédiens afin d’arriver plus aisément à les convertir et fit entrer un ascète dans son jeu, dans sa pieuse supercherie : λαβών τώα συ u παίχτην «σχί-τήν... (2). C’est dans un sens analogue que N. B. Père parle des sympectes. Comme il ajoutait aussitôt : id est, seniores sapientes fratres, on a cru qu’il fournissait ainsi "explication de ce terme étrange, et on a lu, non plus même senpectas, mais senipetas : qui tendent à la vieillesse. D’où certaines interprétations invraisemblables. Saint Benoît s’explique en effet, mais beaucoup plus dans les mots qui quasi secrete consolentur..., que dans ceux qui suivent immédiatement id est. Et sa pensée est celle-ci : l’Abbé ne peut pas intervenir directement auprès du moine excommunié ; mais il a recours à un stratagème. Il y a dans la communauté des frères aimables, dévoués, en qui l’excommunié a con­ fiance; ce sont des religieux âgés et de vertu solide, sur qui les plaintes ou même les récriminations violentes du condamné n’auront aucun effet fâcheux; ils sont habiles, un peu diplomates : l’Abbé les fait entrer dans son jeu miséricordieux, il en fait les complices de sa charité. Ils iront donc en secret trouver l’excommunié, comme d’eux-mêmes, et non sous la forme d’une ambassade; leur initiative apparaîtra au coupable comme simplement autorisée par l’Abbé. Leur fonction est d’abord de consoler le frère, puis de l’incliner au bien. Son âme est houleuse encore, partagée entre l’effroi et la colère, entre l’irritation et l’inquiétude, fluctuantem. Cette intervention affec­ tueuse des sympectes a pour dessein de calmer la passion et d’aider la conscience; doucement, elle portera le frère excommunié à une satisfac­ tion humble, qui vienne non de la contrainte, mais du désir de l’expiation. Mais avant toutes choses, répète saint Benoît, il a besoin d’être consolé. Les sympectes veilleront à ce que le chagrin et la honte ne l’abattent pas, à ce qu’il ne soit pas comme « abîmé dans une tristesse excessive ». C’est la recommandation que faisait l’Apôtre au sujet de l’incestueux de Corinthe ; et il ajoutait qu’à cette heure critique la charité devait être grande, s’affirmer et prévaloir auprès de lui (II Cor., n, 7-8). Pendant que les émissaires discrets de l’Abbé témoignent ainsi directement de l’in­ térêt à l’excommunié, tous les frères prient pour lui (3). Nous sommes très loin ici de ces formes de vengeance qu’affecte (1) Cf. Calmet, in h. I. (2) Hist. Laus., c. lxxxih. P. G., XXXIV, 1180; édition Butler, p. 109. (3) La Règle de S. Césaire ad virgines ne laisse pas non plus l’excommuniée dans une absolue solitude : Cum una de spiritualibus sororibus resideat (χχχι). DE LA SOLLICITUDE ENVERS LES E X CO Μ M U N I ÊS 233 volontiers la justice créée, très loin de3 exigences pharisaïques qui inclinent à la dureté implacable, très loin de ces tendances, traduites parfois dans la littérature, devant qui n’existe d’autre vertu que celle qui n’a jamais failli, la défaillance d’un instant n'ayant plus que la res­ source du désespoir et du suicide. Cela est bien du siècle ; les plus cor­ rompus sont les plus implacables. Nous pouvons remarquer aussi comment les prescriptions monastiques réalisent la forme idéale selon laquelle se doit et se peut exercer la justice pénale. Le droit de punir n’est exercé normalement et avec succès que par ceux-là qui se sont efforcés de conjurer la faute, qui ont proclamé la loi morale, qui non seulement se sont gardés de cultiver à plaisir les passions violentes et impies, agents du crime, mais qui ont travaillé à réduire et, s’il se peut, à supprimer, tous les instincts révolutionnaires. Lorsqu’une société est provocatrice du mal et corruptrice des intelligences et des mœurs, au nom de quel droit s’érige-t-elle en juge de ses propres victimes? Magnopere enim debet sollicitudinem gerere Abbas circa delinquentes fratres, et omni sagacitate et industria curare, ne aliquam de ovibus sibi cre­ ditis perdat. Noverit enim se infirmarum curam suscepisse animarum, non super sanas lyrannidem : et nletuat Prophetae comminationem, per quem Quod crassum videbatis, assumebatis : et quod debile erat, projiciebatis. dicit Deus : Saint Benoît reprend, avec plus d'instance, les premières paroles du chapitre. L’Abbé, dit-il, doit faire preuve d’une sollicitude extrême à l’égard des frères qui ont failli, et courir, s’empiesser (1), déployer toute sagacité et industrie, afin de ne perdre aucune des brebis qui lui sont confiées. A Dieu ne plaise qu’il s’écarte jamais des coupables, avec la répugnance scandalisée du pharisien devant sainte Marie-Madeleine ! Il ne faudrait pas non plus se désintéresser, abandonner l’excommunié à sa passion et à son orgueil froissé, dire : « Je n’y puis rien, moi ’. S’il veut s’enfoncer dans sa rébellion, qu’il fasse : je ne puis substituer ma volonté à la sienne ! » On voit bien que vous n’ètes pas mort pour lui ; vous le jetteriez moins facilement par-dessus bord. « Mais il est agaçant, d’humeur envenimée et déloyale !... » C'est pour cela qu’il vous appartient davan(1) La vraie leçon, dit D Butler, est certainement currerc ; saint Benoit va déve­ lopper plus loin cette idée du bon Pasteur courant à h recherche de la brebis perdue. fit ή* COMMENTAIRE SCR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT fage. Vous n’êtes pas un prince, ni un justicier impitoyable, ni un bour­ reau. Le rôle de l’Abbé, d’une façon générale, ne consiste pas à exercer Π0 saines ; mais Dieu lui a commis la une hautaine domination sur des âmes garde, le soin et la guérison d’âmes faibles et infirmes : c’est vers celles-là qu’il se penchera de préférence. Saint Augustin écrivait la même chose des ministres do Dieu qui vivent dans le siècle : Non enim sanatis magis quam sanandis hominibus praesunt. Perpetienda sunt vilia multitudinis ut curentur, ei prius toleranda quam sedanda esi pestilentia (1). Que l’Abbé se mette donc en garde contre des dispositions trop naturelles et trop égoïstes ; qu’il se souvienne au besoin de cette réflexion indignée du Sei­ gneur, dénonçant par la bouche du Prophète les duretés, les rapacités des mauvais pasteurs d’Israël : Ce qui, dans le troupeau, vous paraissait gras et de belle venue, vous le faisiez vôtre ; et ce qui était chétif, vous le repoussiez. Tout le passage d’Ezéchiel est une menace redoutable (xxxrv, 3-4). Mais on ne demande pas à l’Abbé la débonnaireté ni la faiblesse, pas plus qu’on ne l’invite à ouvrir la porte de son monastère à toute médiocrité ou à toute misère. it ·. Et Pastoris boni pium imitetur exemplum, qui, relictis nonaginta novem ovibus in montibus, abiit unam ovem, quae erraverat, quaerere; cujus infir­ mitati in tantum compassus est, ut eam in sacris humeris suis dignaretur imponere, et sic reportare ad gregem. A la conduite des pasteurs indignes et mercenaires saint Benoît oppose l’exemple de tendresse et de condescendance, pium exemplum, du bon Pasteur, tel qu’il est donné par le Seigneur lui-mème en saint Matthieu (xvm, 12-14) et en saint Luc (xv, 3-7 ; cf. Joann., x). Le bon Pasteur avait cent brebis; un jour,l’une d’elles s’enfuit loin du troupeau. Alors le Pasteur, laissant les quatre-vingt-dix-neuf autres parquées sur les collines accoutumées, s’en alla chercher Punique infidèle. Il la retrouva, blessée peut-être ou récalcitrante. Et il compatit tellement à sa faiblesse, qu’il daigna la charger sur ses épaules sacrées, et la rapporter ainsi au troupeau (2). L’Évangile soulignait ensuite l’allégresse du bon Pasteur. Restituer au Seigneur une âme égarée, c’est bien la joie la plus haute que l’on puisse goûter ici-bas. Fratres mei, si quis ex vobis erraverit a (1) De moribus Ecclesiae caihol., 1. I, c. xxxn. P. L., XXXII, 1339. (2) S. Basile cite h même parabole évangélique et le texte ; non est upus -calentibus, etc., dans un passage qui ressemble â notre Règle (Jieg. brev., en ; voir aussi Utÿ. contr., xxvn). k DE LA SOLLICITUDE ENVERS LES EXCOMMUNIÉS 255 veritate, et converterit quis eum, scire debet quoniam qui converti jecerit peccatorem ab errore viae suae, salvabit animam ejus a morte, et operat multitudinem peccatorum (Jac., v, 19-20). 11 va de soi que la condescen­ dance ingénieuse et inlassable de l’Abbé est en même temps l'expression de ce que tous les frères ressentent les uns pour les autres. Ce doit être une conspiration universelle de charité, ne aliquam de ovibus sibi aedile perdat. CHAPITRE XXVIII DE CEUX QUI, EN DEPIT DE CORRECTIONS RÉPÉTÉES, NE S’AMENDENT PAS De IIS QUI SAEPIUS COIUiECTI NON EMENDANTUR. ---- Si quis frater frequenter correptus pro qualibet culpa, si etiam excommun i catus non emendaverit, acrior ei accedat correctio, id est, ut verberum vindicia in eum procedat. Notie bienheureux Pore revient aux degrés de la discipline régulière, dont il a commencé rémunération au chapitre XXIII. Le détail des châ­ timents déjà décrits est d’abord brièvement rappelé : un frère, coupable d’une des faut es qui méritent correction sérieuse, a été repris fréquemment, trois fois au moins, deux fois en secret et une fois en public ; il a été excom­ munié, ou bien il a subi une peine corporelle. Mais il n’y a pas eu d’amende­ ment. L’excommunication elle-même n’a pas obtenu de fruit, chez un caractère présumé pourtant guérissable par elle. Alors, on ajout e à l’excom­ munication une correction plus sévère, c’est-à-dire qu’on inflige au cou­ pable le châtiment des verges. Le châtiment corporel est dit plus sévère et plus rude, non que l’excommunication soit une peine moins grave, mais parce que la correction physique réduira peut-être plus efficacement l’homme animal, demeuré insensible aux peines spirituelles ; et aussi parce que, dans le châtiment corporel, il y a une note de servilité et comme un stigmate de bassesse. Pour celui envers qui on n’a pas même essayé de l’excommunication, mais qu’il a fallu soumettre au jeûne ou aux ΠΙΓΙ verges immédiatement après les admonitions, on continuera sans doute un régime identique et on frappera un peu plus fort. Quod si necita se correxerit, aul forte (quod absit) in superbiam elatus etiam defendere voluerit opera sua, tunc Abbas faciat quod sapiens medicus : si exhibuit fomenta, si unguenta adhortationum, si me- DES DERNIERS DEGRES DE LA DISCIPLINE RÉGULIÈRE S57 dicamina Scripturarum divinarum, si ad ultimum ustionem excommunicationis vel plagas virgarum, et jam si viderit nihil suam praevalere industriam : adhibeat etiam, quod majus est, suam et omnium fratrum pro eo orationem, ut Dominus, qui omnia potest, operetur salutem circa infirmum fratrem. On voit bien qu’aux yeux de saint Benoît l’âme a une valeur absolue et qu’elle doit être traitée avec une patience sans limite. Il suppose que le coupable ne se rend pas encore, qu’il ose même, dans une exaltation nolente, justifier sa conduite et plaider le bon droit pour lui. Quod dbsit! dit N. B. Père. Il sait trop bien cependant que ce n'est pas l’invraisem­ blable. Ailleurs il a flétri cette triste facilité qu’ont les hommes d’appeler bien ce qu’ils veulent, d’adorer leur pensée, de légitimer ainsi les dernières hontes. La conscience est cautérisée. Ce qui avait été jusqu’ici une fai­ blesse devient un principe, un système. Pourtant, il n’est pas question encore de prononcer la sentence irrévocable. L’Abbé continuera de faire ce que fait un sage médecin (1). Il se rap­ pellera toutes les industries dont il a pu légitimement user pour procurer la guérison ; il s’assurera qu’il n’a rien négligé. Il s’est efforcé, par tout moyen, selon les procédés de la médecine ancienne, de faire sortir la maladie, d’attirer à l’extérieur et aux surfaces un mal profond qui décon­ certait l’œuvre de la vie. Il a d’abord employé les fomentations, les appli­ cations chaudes, capables de solliciter le mal au départ ; puis les onguents, le baume des exhortations, comme pour assouplir la peau et les chairs ; ensuite les remèdes internes des divines Écritures. La parole de Dieu a tme vertu sacramentelle ; elle opère comme un charme sur les âmes. Il est des formules, si claires et si douces, qu’elles parviennent à soustraire l’âme à sa fièvre. On voit que les admonitions privées ou publiques et les bons conseils des sympectes doivent s’inspirer uniquement de la doctrine surnaturelle et rappeler au coupable les textes familiers del’Éerit ure qui contiennent la règle des mœurs et de la perfection monastique. Ces moyens préliminaires n’ayant pas réussi, l’Abbé s’est décidé enfin à cautériser par la brûlure de l’excommunication, à scarifier par les plaies ΐίιπ des verges. Mais il est forcé de constater que son art ne triomphe nulle­ ment du mal. Ce que les efforts humains ne peuvent obtenir, la prière peut le solli­ citer de Dieu. Il n’y a rien de désespéré pour lui. Les trésors de sa misé­ ricorde ont des grâces capables de convertir le cœur le plus endurci. N’est-il pas le Dieu qui ressuscite les morts (Rom., rv, 17)? Omnipotenti (1) Les comparaisons qui suivent sont inspirées de Cassien, Insit X, vn, <7 •58 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT medico nihil est insanabile; non renuntiat ad aliquem (1). Que l’Abbé agisse donc encore, dit saint Benoît, à la manière d’un médecin avisé ; qu’il ait recours à un remède plus efficace que les précédents, sa prière et celle de tous les frères, pour que le Seigneur, à qui tout est possible, rende la santé à ce frère malade. Il s’agit d’une supplication plus instante et plus unanime que celle dont il a été parlé au chapitre XXVII ; c’est une sorte de mise en demeure respectueuse et filiale adressée à Dieu par tout le convent. Quod si ncc isto modo sanatus fuerit, tunc jam utatur Abbas ferro abscission is, ut ail Apostolus : Auferte malum ex vobis. Et iterum : Infidelis si discedit, discedat : ne una ovis morbida omnem gregem conta­ minet. Si enfin le malheureux ne trouve pas sa guérison dans un tel remède, il no reste plus au médecin qu’à se servir résolument du fer qui retranche. L’excommunié devient un danger. Sa corruption peut infecter la communauté entière; une seule brebis malade peut contaminer tout le troupeau. La charité que l’on doit à une communauté, toujours plus intéressante qu’un particulier, oblige à se défaire de tout élément dont on n’espère plus la correction et qui constitue un scandale et un péril permanent. C’est la recommandation formelle de l’Apôtre : « Enlevez le mal, ou le mauvais, du milieu de vous » (I Cor., v, 13). Non enim et hoc fit crudeliter, sed misericorditer, ne contagione pestifera plurimas perdat, dit saint Augustin, dans un passage qu’on pourra comparer à notre des­ cription des degrés de la discipline régulière (2). Et saint Cyprien avait écrit, lui aussi : Inter virgines non putem {illas) debere numerari, sed tam­ quam contactas oves et morbidas pecudes a sancto et puro grege virginitatis arceri, ne contagio suo caeteras polluant (3). Aussi bien, ce n’est plus un malade, c’est un cadavre. L’Abbé ne fait que reconnaître une séparation consommée d’avance par celui-là même qui est expulsé. Il l’a voulu. On se résigne à son irréconciliable aveuglement : « Si l’infidèle veut s’en aller, qu’il s’en aille », dit saint Benoît, qui prend dans un sens accommodaticc une autre parole de l’Apôtre (I Cor., vu, 15). L’expulsion est prévue aussi dans des Règles plus anciennes, par (1) S. Auo., Enarr. II in Ps. lviii, 11. P. L., XXXVI, 712, (2) Epist. CCX1, H. P. L, XXXIII, 962. (3) De habitu virginum, xvn. P. L., IV, 456. L’expression ovis morbida se trouve plusieurs fois chez S. Jérôme : Epist. II. P. L., XXII, 331 ; Epist. XVI, 1. P. L. 353; Epist, CXXX ad Demetriadem, 19. P. L., ibid., 1122. ‘ ÜES ‘>ERN,ER8 ÜEGBÉS »» ■-* DISCIPLINE RÉGULIÈRE XuaintZΧ',± ““T <» Ot dc “*» *Λ (2) i «t visible- n’ont pas osé décréter l’ewùS^ o"* I^8“Wib· Qu'dues Règles vMmjm VOragi„e s<( a monastery) projiciendus, ...ne forte mn / 1 · Wn (Unem emendari, dum projicitur ore diahnidvulXnwm P^^iüu- εβ,οα le3q"c,te t“ (1) C. XVII, χχνπ-χχνπι. (3) CA’"’'1''' a' R‘3' “X™· XUV' ‘■™. CHAPITRE XXIX SI LON DOIT RECEVOIR DE NOUVEAU LES FRÈRES QUI ONT QUITTÉ LE MONASTÈRE Si DEBEANT ITERUM RECIPI FRATRES EXEUNTES DE — Frater qui proprio vitio egreditur, aut projicitur de monasterio, si reverti voluerit, spondeat prius omnem emendationem vitii pro quo egressus est, et sic in ultimo gradu recipiatur, ut ex hoc ejus humilitas comprobetur. monasterio. Ce chapitre complète tout à la fois le précédent et en adoucit la rigueur. Le frère incorrigible a été chassé : il peut se faire que la grâce le détermine un peu plus tard, et que, se ravisant, comme l’enfant prodigue, il désire revenir à Dieu. Et, à propos de cette expulsion. N. B. Père suppose un autre cas où la sortie du monastère est imputable au religieux : c’est lorsque celui-ci, poussé par le démon de l’instabilité ou par un motif vicieux quelconque, abandonne la communauté (1). Saint Benoît ne manque pas d’ajouter proprio vitio : car il peut arriver de loin en loin que la sortie soit régulière, autorisée par l’Abbé ou légitimée par Γ Église. Ne disons rien de ces hypothèses, de celle, par exemple, où l’on croit devoir échapper à un milieu qui paraît inobservant et scanda­ leux, ni de celle où l’on passe à une religion plus austère ; ne cherchons pas davantage à savoir si parfois la sécularisation implorée et obtenue ne serait pas, devant la conscience, un euphémisme de l’apostasie. Ou dit que Regulus plaida avec force, devant le Sénat romain, pour que (1) L’édition Butler adopte comme texte : Frater qui proprio vitio egreditur de monasterio, si reverti voluerit, spondeat prius omnem emendationem pro quo egressus est. Et D. Chapman, rendant compte du travail de Traube, insistait pour montrer dans la leçon du « texte reçu » et des plus anciens manuscrits un sûr exemple de fâcheuse interpolation (Rev. Dêntd., 1898, p. 506). Sans contester l’autorité de la tradition caro­ lingienne et cassinienne, il est possible pourtant de donner encore un sens vraisem­ blable à notre texte. Pourquoi le moine expulsé ne viendrait-il pas à des sentiments meilleurs? Les dispositions de ce chapitre ne paraissent-elles pas être une suite nor­ male des précédentes? «o DES FRÈRES QUI ONT QUITTÉ LE MONASTÈRE 241 Borne ne consentît pas à l’échange des captifs entre Carthage et la Répu­ blique : il ne croyait pas qu’un Romain qui s’était laissé réduire en capti­ vité sans combattre pût dans la suite accomplir son devoir vaillamment. Auro repensus scilicet acrior Miles redibit? Flagitio additis Damnum (1)! Un mauvais soldat ramené à la guerre se montrera de nouveau mauvais soldat. Racheter un captif, c’est perd:e son argent, sans gagner un soldat de plus. Tout cela peut être très romain ; mais ce qui est bien humain et bien conforme aux habitudes de Dieu, c’est la disposition de saint Benoît, ouvrant ses bras à l’apostat et à l’expulsé et leur fournissant l’occasion de réparer le passé par une vie meilleure (2). Deux conditions sont mises à cet acte de miséricorde; et toutes deux ont le meme dessein : montrer que le frère qui se présente n’a rien de commun avec celui qui a fui ou qui a été chassé. En effet, celui qui se présente promet tout d’abord, saint Benoît le suppose, de se corriger à fond du vice qui a déterminé son exode : et partant, il n’est plus, inté­ rieurement et dans sa volonté, le même que le coupable d’autrefois. Et ce déplacement d’identité se traduit sous une forme extérieure qui a sans doute le caractère d’une punition et d’une épreuve, mais qui pourrait bien être aussi une condescendance délicate et ingénieuse. H entre et l’on fait comme si c’était la première fois. Il y a eu maldonne : on recommence. Il prend son nouveau rang d’entrée et de conversion ; il n’est pas heritier du mauvais moine qui est sorti. C’est d’ailleurs ainsi, dit N. B. Père, que l’on éprouvera son humilité, que l’on s’assurera de son changement, do son intention de devenir un homme nouveau (3). Saint Benoît ne parle pas d’autres exigences ; mais il y avait probablement une satisfaction publique et une absolution, comme pour les excommuniés (chap. XLIV». D. Martcne cite tout au long différents Ordines pour la réception des fugitifs. Quod si denuo exierit, usque tertio recipiatur. Jam vero postea sciat omnem sibi reversionis adi­ tum denegari. Nous avons vu comment N. B. Père s’emploie à écarter, à retarder l’exclusion ; il nous reste maintenant à remarquer combien, même de si (1) IIorat., Carm., 1. III. ode v. (2) S. Basile est plus sévère : Reg. fus., xrv. (3) Qui absque commonitione fratrum recesserit et postea acta poenitentia venerit, n n ent in ordine suo absque majoris imperio (S. Pach., Reg., cxxxvi). ♦S* COJIMK.vr.UKE SL'it LA REGLE DE SAINT BENOIT loin préparée. cette peine lui semble peu définitive. Ah ! l'admirable et excessive charité ! Et comme toute considération cède au souci d'arracher une âme Λ sa perte ! Le frère est sorti une première fois : il eut accueilli A son retour. Il sort de nouveau : il sera accueilli encore, aux condition·· de sa première rentrée; de même, après une troisième sortie : »/.*7»^ tertio recipiatur (1). Mais qu’il sache que dorénavant toute voie de retour lui sera fermée. Aussi bien, il faut en finir; et la part de la miséricorde a été largement faite; il ne convient pas quo cos alléei et venues deviennent un jeu pour l'infidèle et un trouble pour la communauté; il n’est pas opportun de favoriser l’instabilité, préchémcnt combattue p.ir N. B. Père. Et pourtant, dans certains monastères, Λ Cluny par exemple, on rcce vait le pénitent après un plus grand nombre d’e. ai · infructucux. Et un o persuadait obéir ainsi A la vraie pensée de saint Benoît. On remarquait, avec plus de subtilité que de justesse. que le texte portait exactement : le moine sorti plus de trois fois saura que le retour au monastère lui e t interdit. Oui, disaient les commentateurs, le moine expulsé le aura; c’est une menace; il n’a pas droit À un quatrième pardon. Mal· l’Abbé, lui, peut savoir autre chose; et s’il est vrai que la porte est fermée au moine, l’Abbé peut néanmoins la lui ouvrir encore. Pierre le Vénérable lui-même avait recours à cette ruse aimable d'interprétation en plai­ dant près de saint Romani la cause de l’indulgence clunisiennc. Il s’appuyait principalement d’ailleurs sur de preuve- plu · s· dides : On voulait donc, disait-il, introduire dan? le monde un nouvel Evangile et opposer une digne à la miséricorde? Que devenaient des affirmations telles que celle du Seigneur à saint Pierre : Domine, quer4ies peccabit in me frater meus, et dimittam ci? usque — [K~il dit .h >n ne r->rupk pas au nombre des trois ccraeils celui qu’a reçu le moine Lr qu'il t phi ;·τ.»·» pour la première fois au monastère, en quittant le siècle. — Le» édition» cri' portent : UfpiC tertio ita raiput!nr. (2) Petri Vexer, Episl., L I, ΕΓ, XXVIII. P. L, CLXXX1X, 127. CHAPITRE XXX i (OLMI.NT IL FAUT CORRIGER LES ENFANTS EN BAS ACE PIERIS MINORI AETATE, QUALITER CORRIPIANTUR. — Ginnis actas vel intellectus proprias debet habere mensuras, bicoque quoties pueri, vel adolescentiores aetate, aut qui minus intelligore possunt quanta poena sit excommunicationis, hi tales dum delin­ quunt, aut jejuniis nimiis affligantur, aut acribus \?rb(*ribus coerceantur, ut sanentur. De De même que 1·· châtiments doivent être gradués selon les fautes, de même ib doivent être proportionnés à l’âge, à l'intelligence et à l’éduca­ tion do chacun. Saint Benoît l'a noté déjà au chapitre do l’Abbé et au ur ce qui est de l'intelligence, mais sans faire mention chapitre XX ΠI explicite de l'âge. Il n’était pas inutile de rappeler, en terminant la section du code pénal, que plu-icurs do ses dispositions ne convenaient aucunement à des enfants. Chaque âge et chaque intelligence doit avoir - a mesure spéciale », ses procédés de correction : tel est le prin­ cipe général. Et N. B. Père en fait aussitôt l’application à trois groupes de personnes : les enfants, les adolescents, les esprits bornés ou peu élevés. . 1 ni C’est sans doute à dessein que la Règle ne fixe ni la limite de l’enfance, ni celle de l’adolescence : la pleine responsabilité et le juste discernement ne venant pas chez tous au même âge. Saint Benoît décidera plus loin (lu chapitre I.XX) qu’on ce qui concerne la surveillance extérieure, le régime de l'enfance, do la puerilia, doit cesser après quatorze ans ri vulus, c’est-à-dire à l’âge où les petits Romains quittaient ordinairement la toge prétexte. L’adolescence, selon saint Isidore (et c’est lui que semblent suivre on cette question les commentateurs), durait jusqu’à vingt-huit ans. Mais il est clair que la plupart des moines pouvaient être Fournis à toute la discipline régulière longtemps avant cette échéance. Saint Benoit parle sans distinguer des enfants et des plus jeunes religieux : •6i COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT * il demande qu’on traite par un régime spécial et identique tous ceux chez qui prédomine l’élément animal. Le premier principe, en matière d’éducation, est de prendre les hommes par où ils sont saisissables : par l’intelligence, s’ils en ont : par la sensi­ bilité, si l’intelligence n’a pas encore un développement suffisant Or. qu'est-ce que l’enfant? Un petit être, riche d’avenir sans doute, mais chez qui ne se révèlent guère présentement que les phénomènes de la vie animale. Nous le remarquions à propos du chapitre II. c’est par les friandises, le pain sec et le fouet qu’on lui apprend l’alphabet de la < 011:1cience, la distinction du bien et du mal. L'excommunier Ferait de la cruauté et delà sottise ; et on n’emprisonne pas sériem ement île- enfant.- ! Chez l’adolescent, il y a déjà de l'intelligence, mais aussi l’orgueil de cette intelligence qui s’éveille; il y a do la conscience, mais en même tempi des passions grossières ou violentes; ce n'est plus le sommeil, <<.mmo chez l’enfant, c’est la révolte. A côté enfin de ces deux groupe.·, il faut ranger celui qui demeure un enfant toute sa vie, qui n’a rien dans son âme pour tenir en échec les pou. ées de l’instinct. (’e’ui-là e t peu apte à comprendre, répète saint Benoit, toute la portée do cette peine morale qu’est l’excommunication. Lorsque de telles trempes tombent en faute, c’est donc au corps qu’il faut s’adresser, soit pour le réprimer, soit pour l’affaiblir. On l’affaiblira par des jeûnes sévères (ntmïû no peut signifier, dans la pensée de saint Benoît, excessifs et indiscrets); on réprimera ses audaces par des coups bien appliqués, üt sanentur : on arrivera ainsi à établir la vraie santé morale, c’est-à-dire le jeu ordonné et tranquille de toutes les énergies, l'équilibre et l’harmonie des forces physiques et spirituelles : J/etis sana in corpore sano. CHAPITRE XXXI DU CELLÊRIER DU MONASTÈRE Nous entrons, avec le chapine XXXÏ, dans cette subdivision de la Règle qui est relative au fonctionnement et au régime matériel du monastère. La communauté a des biens; elle travaille et possède des in-tntments de travail ; elle doit vivre et se nourrir. Tout ceci constitue un département considérable, qui est confié à la sollicitude immédiate ou médiate de celui que saint Benoît appelle « le céllérier du monastère », et que d’autres Règles r ] peEent le proviseur, le procurateur, ou, comme Cassien, l'économe, celui qui « préside à la diacorde (1) ». Chez les anciens, le eeWonrs était le serviteur sûr qui avait la garde du cellier et de l’office, et qui distribuait les vivres aux esclaves. Mais chez saint Benoit, comme chez saint Pacôme et un peu partout chez les moines, c’est toute l’administration du temporel qui repose sur le cellérier. A retendue du chapitre qui lui est consacré, à la nature des vertus qui sont i<ée· de lui, à la variété des recommandations qui lui sont faites, il est facile de mesurer l'importance que N. B. Père attache à sa charge. — Panni les sources de ce chapitre on peut signaler spécialement le cha­ pitre xxv de la Rtgle Orientale (2). — Cellerarius mona­ sterii eligatur de congregatione sapiens, maturus moribus, sobrius, non mullum edax, non elatus, non turbulentus, non injuriosus, non tardus, non prodigus, sed timens Deum, qui omni congregationi sil sicut paler. De cellerario monasterii. Le celléricr sera élu, choisi, par l’Abbé, sans aucun doute, puisque c’est à l’Abbé que saint Benoît remet le soin de pourvoir à l’organisation (1) Conlat. XXI, 1 ; Inst., V, xl. (2) Cf. S. Basic , Rcg. contr., exi, exn, exin. -’65 SM COMMENTAIRE SUR LA REGLE DE SAINT BENOIT hiérarchique du monastère; mais, comme il s’agit d’une affaire grave et qui intéresse la communauté entière, l’Abbé prendra l’avis, sinon de tous les frères, du moins des plus prudents (chap. LXV). Le cellérier sera choisi du sein de la communauté : il est trop clair en effet que confier la gestion des biens monastiques à une personne de l’extérieur serait tout à la fois désobligeant pour la communauté ainsi évincée, et périlleux pour la personne investie elle-même. Et puis, ne faut-il pas que lo monastère soit administré monastiquement? Un séculier serait peut-être plus habile et plus au courant des affaires : mais il pourrait précisément ne voir que le côté affaires ct ne pas donner à toutes choses l’importance qu’elles ont par rapport à Dieu. Il y a de bonnes affaires que nous devons mépriser et de mauvaises que la charité nous commande. Seuls, les fils de la maison comprennent ce qui convient à la dignité du foyer domestique ; et seul, un frère peut faire passer l’âme de ses frères avant les intérêts temporels. Enfin, le travail manuel et les différents offices qui s’y rap­ portent sont trop mêlés à la trame de notre vie pour relever d’un étranger. Tout cela est exact; mais N. B. Père veut peut-être dire sim­ plement qu’on choisira parmi tous les frères celui qui possède l'ensemble complexe des qualités requises. Saint Benoît énumère les vertus du cellérier avec un soin extrême. Et l’on s’explique bien de telles exigences. La vie monastique n’est que paix et sécurité ; chacun vit tranquille, insoucieux des choses matérielles et sans relations avec le dehors. Il est pourtant dans la maison trois ou quatre hommes dont, l’existence est confisquée pour le bien de tous, qui échappent à cette sérénité de prière et de recueillement, et que leur chaige même constitue dans le péril afin d'en préserver les autres : l’infirmier et l’hôtelier, le cellérier et l’Abbé. Le cellérier. dit saint Benoît, doit être un homme « sage », c’est-à-dire avisé et prudent, capable de regarder plusieurs choses à la fois et de tenir compte de chacune dans ses décisions : la sagesse est cette science haute qui peut juger et ordonner, à raison même de son éminence. Il sera de mœurs graves : maturus moribus. Son âge, sa gravité innée à défaut de l’âge : aetas senectutis, vita immaculata, le garderont des dangers intérieurs et extérieurs. Sobrius (1), non mullum edax (2) : il est à la tête de tout le sendee matériel et distribue les provisions ; il ne faut pas que cette situation lui crée la tentation de s’offrir un confort mondain, de s’accorder dans le boire et le manger des privilèges qui dégénéreraient bientôt en gourmandise. Peut-être ce conseil avait-il une opportunité spéciale dans un temps où les mœurs barbares portaient aux excès; aujourd’hui nous donnerions plus volon­ tiers à l’Abbé le conseil de prendre un cellérier qui mange et qui boive ! (1) CL Calmet, in h. L (2) Reg. I SS. Patbum. xn :... Qui cellarium fratrum contineat. Debet talis tantum­ modo eligi, qui possit in omnibus gulae suae suggestionibus dominari. DU CELLÉRIER DU MONASTÈRE S«7 Il y aurait danger, en effet, à con fier leservice alimentaire delà communauté soit à un ascète, à un moine qui vit à très bon marché et demeure en deçà de la mesure ordinaire et moyenne, soit à un moine qui vit d’exceptions et ne partage pas le régime de tous. Le premier est incapable d’apprécier ; sa mesure est trop courte : car il est dans la nature de chacun de se prendre pour type, et nous sommes facilement impitoyables pour des souffrances que nous n’éprouvons pas. Et la conséquence inévitable de cette situation, c’est le murmure, c’est l’incapacité pour plusieurs défaire face au travail essentiel de leur vie. Ou bien c’est le régime des excep­ tions s’étendant de proche en proche sur tout le monastère. Non elatus : il ne sera pas orgueilleux. Il n’est pas douteux que sa charge ne lui fournisse une occasion de superbe. La réunion de nom­ breux sendees en sa main, la dépendance de tous vis-à-vis de lui, l’habi­ tude même que prend sagement l’Abbé de ne garder rien par devers soi et de recevoir lui-même du cellérier : cette subordination universelle peut devenir insensiblement une tentation. Non lurlmlenlus : il ne sera pas turbulent ni brouillon ; il sera l’homme du sang-froid et de la paix. L’humeur turbulente et fantasque est fâcheuse partout : elle le serait très spécialement chez celui qui porte des responsabilités si graves. Non injuriosus : Λ ne sera pas porté à l'injure’.l’impatience y conduit si vite! Et plus grande est la variété des intérêts auxquels il doit aviser, plus résolu aussi doit être son calme. Ajoutons que cette sérénité suppose chez le cellérier l’union constante avec Dieu et qu’elle ne saurait venir du seul tempérament. C’est à lui surtout qu’il convient de redire la parole du psaume lxxv : Et factus est in pace locus ejus et habitatio ejus in Sion. 11 ne sera point lent, porté au retard par avarice et lésinerie, ou par nonchalance naturelle, von tardus : les affaires dont il est chargé réclament d'ordinaire la promptitude. Non prodigus : il ne con­ vient lias qu'il soit prodigue, qu’il y ait chez lui des goûts exagérés de dépense, Même, on lui pardonne: a d’être un peu regardant, un pena serré», ct de devenir ainsi le frein régulateur de mille besoins factices. En tout cas, il a le devoir d’être curieux, de se rendre compte, de ne pas donner à l'aveuglette tout ce qu’on lui demande, pour un voyage, pour un achat quelconque. C’est « la crainte de Dieu » qui dirigera toutes ses démar­ ches, qui dictera toutes ses décisions. Et, dans le domaine des choses temporelles, que le cellérier « soit comme un père pour toute la communauté », non un homme d’affaires, un intendant grincheux ou insouciant. Curam gerat de omnibus : sino jussione Abbatis nihil faciat. Quae jubentur, custodiat : fratres non contristet. Si quis autem frater ab eo forte aliquid COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT irrationabiliter postulat, non spernendo eum con­ tristet, sed rationabiliter cum humilitate male petenti deneget. Animam suam custodiat, memor semper illius apostolici praecepti, quia qui bene ministraverit, gradum bonum sibi acquirit. Jusqu’ici, N. B. Père a énuméré rapidement les qualités qui motivent le choix d’un celléricr. II parle maintenant de ses devoirs, en général : il décrit son attitude devant l’Abbé, puis devant les frères, et il ajoute enfin ce qu’il doit être pour lui-même. Curam gerat de omnibus. Constituer à l’état indépendant et simplement juxtaposé les services matériels d’une communauté, ce serait s’exposer au désordre, à la dilapidation, aux rivalités, aux négligences. Un seul ne fera donc pas toutes choses par lui-même : mais chaque chose ne se fera et ne se fera bien qu’à la condi­ tion d’une direction générale unique. Elle appartient au cellérier. Rien ne sera excepté de sa vigilance. Il s’occupera de tout ; pourtant, ajoute saint Benoît, il ne fera rien sans l’ordre de l’Abbé ; sa sollicitude s’exer­ cera dans les limites de son obédience : quae jubentur custodiat. Évidem­ ment, dans les affaires matérielles et financières, l’Abbé inclinera tou­ jours beaucoup vers la pensée de son celléricr, puisque, mieux que tout autre, il est au courant de tout et compétent. Mais, enfin, il reste que l’Abbé est responsable; c’est de lui que viennent les décisions. Après avoir ramené aux mains du cellérier la variété des sendees, saint Benoît veut que ces services et le cellérier qui les dirige demeuient, en défi­ nitive, dans la main de l’Abbé. Il ne contristera point les frères (1). Voilà bien l’un des problèmes les plus épineux de sa charge. Si toute demande était justifiée et discrète, ■ si la fonction du cellérier se réduisait à accorder toujours, il ne serait nul besoin d’avoir affaire à un homme judicieux et sage. Mais il faut savoir refuser à qui demande sans raison ou sans opportunité. Sans doute,le rôle du cellérier est simplifié parce fait qu’il ne donne rien que sur une permission expresse ou tacite de l’Abbé : mais, dans les attribu­ tions ordinaires de son office, il lui reste encore matière à appliquer le spirituel conseil de N. B. Père. On vous demande ce qui n’est pas rai­ sonnable? Sachez le refuser raisonnablement, c’est-à-dire en expli­ quant votre refus, simplement, humblement, avec douceur, sans raillerie injurieuse; de telle sorte que, ni dans le fond, ni dans la forme, le frère qui demande indûment ne puisse accuser l’impatience ou le parti pris. Il y a une manière de donner qui double le bienfait : il y a aussi une manière (1) Ne contristes fratrem tuum, quia monachus es (Verba Seniorum i Vitae Patrum, III, 170. Rosweyde, p. 526), DU CELLÉRIER DU MONASTÈRE ÎW de refuser qui adoucit le refus : trouver cette manière est affaire de tact surnaturel (1). Tout est calculé par saint Benoît de façon à conjurer le murmure, à ménager Ira âmes, à épargner àΓ Abbé era causes difficiles que le moine contristé porte tout naturellement à son tribunal. Le cellérier doit être aimable. L’idéal n’est point qu’il passe dans la commu­ nauté pour un hérisson, qui se met en défense dès qu’on l’approche, parce qu’il pressent de quoi on va lui parler. Si l’on rat obligé de prendre son cœur à deux mains pour lui demander quoi que ce soit, et qu’on ne se détermine à l’aborder qu’à la dernière extrémité, la pauvreté monastique court grand risque : car, pour éviter tira rapports pénibles, les frères seront fort tentés de se pourvoir eux-mêmes du nécessaire et bientôt du superflu. Animam suam custodial. C’est Vindication des devoirs du celléricr envers lui-même. Il gardera son âme contre la dissipation qu’apportent nécessairement le souci des choses matérielles et Ira relations assez fré­ quentes avec le monde. Il doit être plus intérieur et plus moine que ses frères. Et plus la nature de ses occupations l’entraîne au dehors, plus il doit se replier vers son centre et vers Dieu, afin d’échapper à l’émiette­ ment et à la sécheresse. Tel rat le sens donné habituellement aux paroles de saint Benoit ; il rat exact. On pourrait cependant préciser davantage, en considérant le motif qui accompagne ici le conseil : le cellérier se sou­ viendra de la récompense promise. Les mots animam suam custodiat rappellent la formule évangélique : In patientia vestra possidebitis animas vestras (Luc., χχι, 19) ; garder son âme, posséder son âme, c’est tout un. Peut-être n’cst-ce pas seulement par la dissipation, mais encore par l’impatience et par l’ennui que le cellérier rat exposé à laisser son âme lui échapper. La tentation est grande, et de tous Ira jours, et de tous Ira instants, et elle dure des années : car le celléricr entendu rat une perle que l’on garde jalousement. Sa vie ne lui appartient plus; il se forme une inconsciente conspiration de tous contre sa paix ; il est le plus livré aux petites importunités et aux petites irritations des frères. Et s’il a le goût des choses de l’intelligence et de la piété, on devine au prix de quelle abnégation héroïque s’achètent la paix et la sécu­ rité de tous. Le celléricr, lui, ne devra pas regarder à sa fatigue, à son sacrifice, à sa servitude, mais se souvenir seulement de ce que l’Apôtre dit des diacres qui accomplissent leur office avec soin : Qui bene ministra­ verint, gradum bonum sibi acquirent, et multam fiduciam in fide quae est tn Christo Jesu (I Tim., in, 13) (2). Dieu rat juste. Sans aucun doute, il fera, dans les mérites d’une communauté, la part large à ceux dont le dévoue- 1 (1) Supplicem nullum spernas, et cui dare non potes quod petierit, non rum spernas : si poles dare, da; si non potes, aflabilem le praesta (S. Avo., Enarr. I m Psoi. cm, 19. P. L., XXXVII, 1351). (2) La Irc Règle des SS. Pères disait, clic aussi : Sludcre debet qui huic officio depu­ tatur, ut audiat : Quia qui bene ministraverit, bonum gradum acquirit; et animae suae lucrum facit (xn). «70 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT RENDIT ment permet à cette communauté de servir tranquillement le Seigneur. Le gradus bonus ici promis n’est pas « de l’avancement », au sens mon­ dain : c’est une meilleure situation dès maintenant près de Dieu et dans l'éternité. Infirmorum, infantium, hospitum, pauperumque cum omni sollicitudine curam gerat, sciens sine dubio, quia pro his omnibus in die judicii rationem redditurus est. Omnia vasa monasterii cunctamque substantiam, ac si altaris vasa sacrata conspicial. Nihil ducat negligendum : neque avaritiae studeat, neque prodigus sit, aut exstirpator substantiae mo­ nasterii : sed omnia mensurate faciat, et secundum jussionem Abbatis sui. La Bogie, entrant davantage dans le détail de la charge du cellérier, spécifie les objets privilégiés de son attention et détermine le vrai carac­ tère de sa gestion. Les malades et. les enfants du monastère, les hôtes et les pauvres qui s’y présentent .-tous ceux-là ont un titre particulier aux bons traitements et à la générosité du cellérier. C’est sur lui que comptent l’Abbé et la communauté pour exercer les œuvres de miséricorde que l’on attend surtout d’un monastère. Et, afin d’éveiller sa sollicitude, saint Benoît le traite comme l’Abbé : il le prend par la conscience, il lui rappelle qu’au jour du jugement il devra, sans nul doute, rendre raison de chacun de ses actes. Tous les outils et ustensiles du monastère, tous ses biens, immobiliers ou mobiliers, qu’il les considère et qu’il les traite comme s’il s’agissait des vases sacrés de l’autel. L’expression est forte ; elle paraît meme exagérée. Et pourtant elle est commune aux anciennes Règles monas­ tiques. A la question : Quomodo debent hi qui operantur, curam gerere îerramentorum, vel utensilium eorum, de quibus operatur? saint Basile répond : Primum quidem sicut vasis Dei, vel his quae jam Deo consecrata sunt, uti debent. Deinde tanquam qui non possint sine ipsis devotionis et studii sui emolumenta consequi... Is qui contemnit, velut sacrilegus judi­ candus est; et qui perdidit per negligentiam, et ipse simile crimen incurrit : pro eo, quod omnia quae ad usus sercorum Dei deputata sunt, Deo sine dubio consecrata sunt. On retrouve le même enseignement dans la Ire Règle des SS. Pères et dans Cassien (1). Au fond, et quoi qu’il en soit Π) S. Basil., Jtcg. amir., cm, civ. — Reg. I SS. Patrum, Imi., 1/, xix, xx. ■· xit. — Cass., DU CELLÉRIER DU MONASTÈRE 871 des dispositions légales qu'aient dû prendre 1«? communautés en face d’un pouvoir civil spoliateur et incroyant, le seul vrai propriétaire des biens monastiques est Dieu ; ce n’est ni un ou plusieurs religieux, ni la communauté elle-même. Personnes et choses, tout appartient à Dieu. Ce que fait la consécration pour les vases de l’autel, la profession et l’af­ fectation au service du Seigneur le réalisent pour les moines et pour les biens des moines. Et c’est peut-être cette qualité des biens monas­ tiques, plutôt que leur valeur réelle, qui les signale à la rapacité des ennemis de Dieu. Pour nous, il faut qu’une pensée de foi règle l’usage de ressources qui sont à Dieu, dont il nous a concédé paternellement la jouissance et confié l’administration. Ni l’Abbé, ni le cellérier ne peuvent, sans humilier Dieu et sans le frustrer, aliéner ces biens ou les gaspiller; la conscience leur défend même d’en abandonner une part à des revendications iniques, dans le dessein, d’ailleurs bien humain, de posséder pacifiquement le reste. On peut les leur prendre : ils ne peuvent ni les donner, ni les distraire. Nihil ducat negligendum... Puisque tous les biens meubles et immeubles du monastère sont la propriété de Dieu, le cellérier n’en traitera aucun avec négligence. Il n’y a pas de petites économies, dit-on : mais ce n’est pas d’économie qu'il est question, c’est seulement de respect et de fidélité surnaturelle. Ici. la négligence aurait facilement malice de sacriO O lège. Neque avaritiae studeat : saint Benoît veut prévenir, par cette remarque, les illusions d’un cellérier qui détournerait la recommandation précédente dans le sens de son égoïsme. Le désir d’amasser et de garder, irréalisable chez les autres religieux, est possible chez lui. L’habitude de manipuler de l’argent, la nécessité d’une gestion habile et de l’épargne, avec peut-être une pente naturelle à l’excessive économie : tout cela pourrait à la longue, et l’âge aidant, constituer chez un homme qui a renoncé à la propriété pour lui, le type d’un propriétaire pour l’intérêt prétendu de la communauté. De quelle ingénieuse diplomatie peut s’en­ velopper l’égoïsme pour se satisfaire quand même et constituer le « péculat », à l’abri même du vœu de pauvreté ! On accumule, on défend contre toute approche et contre tout usage qu’on n’agrée pas, un bien dont on n’est pourtant que l’administrateur révocable; on constitue des réserves sans fin, alors que les biens, comme les personnes du monastère, s’ils viennent à dépasser une certaine mesure, doivent fructifier pour Dieu, c’est-à-dire servir à la fondation de nouveaux centres de doctrine et de prière. Un autre péril est à redouter : la prodigalité, la dissipation des res­ sources du monastère. Ce n’est pas un spectacle édifiant que la banque­ route des maisons religieuses, et il ne convient pas qu’elles gémissent sous un passif considérable. Nous l’avons déjà remarqué, une certaine aisance est nécessaire à la pauvreté religieuse ; il ne faut jamais qu’un £73 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT moine soit porté, par la détresse trop connue de la maison, à se pourvoir lui-même, à quémander de-ci de-là, à importuner et à gêner parents et bienfaiteurs. Et tout est à craindre, si le cellérier est un brasseur d’affaires, porté aux acquisitions grandioses, aussitôt reconnues inutiles et liquidées avec perte ; s’il est friand de toutes les actions minières, do toutes les émissions lointaines ; s’il est bâtisseur incorrigible. Plutôt que de s’aban­ donner à l’avarice ou à la prodigalité, qu’il fasse donc tout, souhaite N. B. Père, avec mesure, se maintenant à distance égale de l’un et do l’autre écueil. Et, pour être sûr de ne pas condescendre à ses goûts et à son tempérament, qu’il tienne l’Abbé au courant de sa gestion, qu’il suive en tout les ordres et la pensée de son supérieur: celui-ci n’a pas le droit de se dérober. Humilitatem ante omnia habeat, et cui substantia non est quae tribuatur, sermo responsionis porri­ gatur bonus, quia scriptum est : Sermo bonus super datum optimum. Saint Benoît a parlé d’une façon générale et théorique des qualités et des devoirs du cellérier ; il l’envisage désormais dans l’exercice réel et concret de son office, pour souligner à nouveau l’attitude qu’on attend de lui devant l’Abbé et devant les frères. « Avant toutes choses, qu’il ait l’humilité. » Pour faire face aux difficultés spéciales de sa charge, le cellé­ rier doit être, nous l’avons dit, plus moine que les autres : il doit donc posséder, établie plus profondément et plus fortement dans son âme, la vertu qui fait les moines : l’humilité. On a défini celle-ci : la soumis­ sion à Dieu et à toute créature pour l’amour de Dieu ; nous dirions aussi volontiers : l’adhésion tranquille et constante à Dieu. C'est par l’assiduité de cette union que le cellérier s’épargnera mille maladresses et épargnera au prochain bien des petites meurtrissures. Et, une fois de plus, saint Benoît est admirable d’industrie spirituelle ; au lieu de décrire par le menu les procédés et les moyens de détail qu’appliquera le cellérier, au lieu de lui faire une tête, il fait son éducation par le dedans, il lui fait une âme. L’humilité du cellérier se traduira spécialement, dit la Règle, dans sa manière de refuser aux moines ce qu’il ne peut ou ne doit pas leur accorder. Il se souviendra qu’il est leur frère et leur égal, leur serviteur plutôt que leur maître, et que ce ne sont point des biens à lui, des grâces personnelles, qu’il leur octroie ou leur retire. C’est cruauté que refuser avec violence ou avec mépris. Ce n’est pas l’heure de railler lorsqu’on est obligé de faire souffrir. C’est chose si bonne que la bonté! Cela coûte si peu, une parole de regret, une petite équivalence, DU CELLÉRIER DU MONASTERE S"3 une promesse, un air d’affabilité, un franc sourire! Si l’on ne peut accorder l'argent ou l’objet demandé,« qu’on accorde du moins une bonne réponse»: c’est à peu près ce qu’on lit dans l’Ecclésiastique (χνπι, 16-17) : « Une bonne parole vaut mieux que le meilleur des dons ». Omnia quae ei injunxerit Abbas, ipse babeat sub cura sua; a quibus eum prohibuerit, non praesumat. Pour la troisième fois, saint Benoît répète au cellérier qu’il doit se conformer en tout aux ordres et aux indications de son Abbé : ceci encore est de l’humilité, et c’est de l’obéissance. Les charges deviennent légères lorsqu’on les porte avec un parti pris d’absolue docilité. Cette troisième intimation a peut-être une signification nouvelle. Nous disions naguère qu’il y avait un intérêt majeur à ce que tout le fonctionnement matériel du monastère fût ramené à l’unité. Sans doute ; mats, comme il est impossible à un seul homme de suffire par lui-même à la variété des sollicitudes qui incombent au cellérier d’un grand monastère, et comme il ne réunit peut-être pas toutes les compétences, l’Abbé peut le soulager du souci immédiat de plusieurs affaires. Parmi les cellériers, les uns auront la disposition de garder tout ; les autres se déchargeront à leur gré : il y a détriment et danger dans les deux cas. Et c’est pour résoudre ce problème qu’il appartient à l’Abbé de choisir lui-même les différents titulaires des offices et de définir exac­ tement V ambitus de chaque obédience. Que le cellérier prenne soin de tout ce que l’Abbé lui aura enjoint : mais qu’il ne se mêle pas des choses dans lesquelles on l’aura prié de ne pas intervenir. Il serait puéril d’en appeler alors aux coutumes monastiques, de revendiquer avec hau­ teur les prétendus droits de sa charge, de compulser les annales de l’Ordre pour montrer que c’est ainsi que les choses se sont faites de toute anti­ quité ! Fratribus constitutam annonam sine aliquo typo vel mora offerat, ut non scandalizentur, memor divini eloquii, quid mereatur qui scandalizaverit unum de pusillis. C’est au cellérier, nous le verrons par les chapitres qui suivent, que saint Benoît confiait la garde et la distribution des provisions de bouche. La Piègle déterminait ce qu’on devait donner aux moines à chaque repas ; elle prévoyait certains cas où l’Abbé pouvait faire un peu plus large et 13 274 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT modifier la mesure du boire et du manger. C’est cetfe portion du moine que N. B. Père appelle constitutam annonam, la part régulière donnée à ceux qui militent sous l’étendard du Seigneur. On conçoit que, par un souci exagéré de la richesse monastique ou par crainte d’une disette prochaine, le cellérier soit parfois tenté de réduire ou du moins de n’accorder qu’à regret, comme avec une sorte de jalousie et des retards maussades, la portion fixée par l’Abbé. Nous trouvons dans la Vie de saint Benoît le portrait d’un do ces cellériers trop consciencieux (1). Quelque­ fois même, le cellérier pouvait aller jusqu’à assaisonner de certaines réflexions désobligeantes la part qu’il était contraint de servir. N. B. Père le met en garde contre des dispositions qui blesseraient à la fois la charité, l’obéissance et la vraie pauvreté monastique : sine aliquo typo vel mora offerat (2). Les refus, les murmures, la parcimonie amèneraient du trouble panni les frères. Les hommes ne sont pas des anges : ils ont besoin de manger ; les hommes ne sont pas tous parfaits, et quand ils ont de justes sujets de plainte, ils se plaignent. La tranquillité et la charité conventuelles sont pour N. B. Père d’un tel prix que sa parole devient sévère et rappelle les menaces évangéliques contre ceux qui sèment la discorde et qui scandalisent ne serait-ce qu’un seul des petits enfants du Seigneur (Mattii., xviii, 6). Si congregatio major fuerit, solatia ei dentur, a quibus adjutus, et ipse aequo animo impleat officium sibi commissum. Horis competentibus dentur quae danda sunt, et petantur quae petenda sunt : ut nemo perturbetur, neque contristetur in domo Dei. Ces dernières paroles ont pour intention de revendiquer en faveur du cellérier lui-même le bénéfice d’un peu de paix et de loisir. D’abord, si la communauté est nombreuse, l’Abbé lui donnera des aides qui le soulageront, de telle sorte que lui aussi puisse remplir avec une âme égale et tranquille la charge qui lui est confiée. Mais ce qui le soulagera plus que tout le reste, ce sera la délicate attention de scs frères à ne (1) S. Greo. M., Dial., 1. H, c. xxvm, xxrx. (2) Les copistes ont écrit tantôt typo, tantôt lypiho t cette dernière leçon est la meil­ leure. C’est un mot grec latinisé : τΰφος, fumée, fumée de l’orgueil, arrcgance ; chez Hippocrate : torpeur, stupeur, léthargie. Si saint Benoît avait visé ce dernier sens, lypo tel mora seraient à peu près synonymes; mais il a voulu dire : sans arrogance, ♦Il U cum humilitate, comme plus haut et pour la troisième fois. Le texte de saint Benoît rappelle ce qu’écrivait S. Augushn : Oblationes pro spiritibus dormientium... supti ipsas memonas non sint sumptuosae, atque omnibus petentibus sine typho el cum ala­ critati praebeantur (fipist. XXII, 6. P, L., XXXIII, 92). Dü CELLERIER DU MONASTÈRE lui adresser leurs requêtes qu'aux moments favorables ; qu’il donne d’ail­ leurs lui-même en temps voulu et à des moments fixes ce qu’il doit donner. Les frères doivent savoir attendre, saisir les opportunités, et se demander si, à l’heure où ils se présentent, une affaire de plus haute importance ne sollicite pas l’attention du cellérier. Ce n’est ni du savoirvivre ni de la charité que de bondir sous le premier aiguillon du besom et de courir chez le cellérier, à toute heure de jour et de silence, sitôt qu'une idée germe en l’esprit. Il est à remarquer que ce sont les recueillis et les studieux qui attendent le plus volontiers et sont le plus économes du temps d’autrui. On pourrait donner une portée générale à la recommandation que fait saint Benoît. Il n’est guère dans le monastère qu’un homme à qui cette règle ne s’applique pas : c’est l’Abbé. Lui est votre chose. Vous passez à côté de chez lui, ou bien, moyennant un petit détour, vous entrez chez lui, n ayant rien à dire, rien à demander, mais simplement parce que le cœur vous y incline. Vous prenez la bénédiction ; on vous congédie parce qu’il y a surcroît de besogne, ou bien on cause un instant. C’est le privi­ lège de l’Abbé de recevoir à toute heure, c’est le bénéfice de sa charge, et les bons moines se gardent bien de l’en frustrer. Cette remarque faite, retenons la pensée de N. B. Père : il convient que nul ne soit molesté ni contristé dans la maison de Dieu. Nous avons été créés et mis au monde pour être heureux. Ni les supérieurs n’ont pour mission d’exercer, par des rebuffades voulues, la patience des moines, ni les moines n’ont intérêt a peser outre mesure sur les épaules de ceux qui les portent. Le monastère est « la maison de Dieu », et à ce titre la maison de la paix et le vestibule de l’éternité : Lrbs Jerusalem beala, dictapacis visio. 1 CHA PITRE XXXI1 DES OUTILS ET DES BIENS MEUBLES DU MONASTÈRE MONASTERH. — Sub­ stantial monasterii in ferramentis, vel vestibus, seu quibuslibet rebus, provideat Abbas fratres, de quo­ rum vita et moribus securus sit : et iis singula, ut utile judicaverit, consignet custodienda atque recol­ ligenda. Ex quibus Abbas breve teneat : ut dum sibi in ipsa assignata fratres vicissim succedunt, sciat quid dat aut quid recipit. Si quis autem sordide aut negligenter res monasterii tractaverit, corripiatur; si non emendaverit, disciplinae regulari subjaceat. De ferramentis vel rebus U est facile de voir comment ce chapitre se rattache au précédent. De part et d’autre il s’agit des biens du monastère ; et le chapitre XXXII nous présente quelques-uns des aides que le chapitre XXXI promettait au cellérier. Ce que possède le monastère en fait d’outils, de vêtements, de meubles quelconques, l’Abbé le confiera à des frères dont il connaît la bonne vie et les mœurs graves, et sur lesquels il puisse se reposer en toute sécu­ rité. A chacun d’eux il assignera, selon qu’il le jugera à propos, un dépar­ tement spécial, avec charge de veiller à la conservation et à l'entre tien des objets afférents à chaque service ; pour qu’ils ne s’égarent pas, ils les feront remettre, après usage, à la place accoutumée : consignet custo­ dienda atque recolligenda. Ce n’est donc pas le cellérier qui se choisit des collaborateurs; c’est l’Abbé qui les lui donne. L’un sera chargé des instruments de travail, l’autre du vestiaire, un troisième de la biblio­ thèque, etc. Le cellérier conservait la direction immédiate des choses de l’office et de la cuisine. Rien ne prouve que chez saint Benoît les instruments aient été dis­ tribués pour une semaine seulement, et que toutes les charges dont il DES OUTILS ET DES BIENS MEUBLES DU MONASTÈRE 277 est ici question aient changé périodiquement de titulaires, comme pour le service de la cuisine (chap. XXXV), conformément à cette prescrip­ tion de saint Pacôme : Omnia ferramenta hebdomade completa reporta­ buntur in unam domum; et rursus qui succedunt hebdomade singulis domibus noverint quid distribuant (1). Cependant, saint Benoît prévoit que les frères se succéderont dans la garde des choses qui leur ont été con­ fiées ; et comme ils pouvaient être tentés de se renvoyer l’un à Vautre le reproche de négligence, il tient à établir les responsabilités. De tous les objets distribués, l’Abbé, qui n’abdique pas, gardera par devers lui un état, un inventaire, breve, afin de savoir exactement ce qu’il donne et ce qu’on lui rend. C’est une précaution de bonne et sûre comptabilité. D. Calmet relève avec à propos les analogies qui existent entre les dispositions de N. B. Père et celles des agronomes latins, Columelle et Varron. Dans la troisième et dernière phrase de ce chapitre, N. B. Père pro­ nonce qu’un châtiment sera infligé à ceux qui traitent avec négligence ou malpropreté les meubles du monastère : la réprimande et, si la répri­ mande n’a pas de succès, l’application des différentes pénalités qui constituent la discipline régulière. Si quis de fratribus aliquid negligenler tractaverit, dit la Ire Règle des SS. Pères, partem se habere noverit cum dio rege, qui in vasis domus Dei sanctificatis cum suis bibebat concubinis, et qualem meruit vindictam (2). Dans le monde, c’est le bien-être de l'indi­ vidu, le bien-être et l’honneur des siens, c’est le sentiment de la pro­ priété personnelle qui portent au soin de la personne et des biens, aux économies, à l’ordre. Aussi les enfants, parce qu'ils ne prévoient pas, Ulli sont-ils rarement soigneux ; aussi les communistes et les socialistes, qui attribuent la propriété soit à la collectivité, soit à l’État, résoudront-ils difficilement le problème du travail et de l’épargne. Seule, la vie monas­ tique a trouvé le moyen de supprimer la propriété personnelle et de fournir en même temps au travail, à l’économie et au soin, non pas un motif ou un excitant quelconque, mais le plus puissant de tous : la convic­ tion que nous travaillons pour Dieu et que c'est aux biens de Dieu que va notre respect. Encore est-il indispensable que ces considérations ne demeurent pas dans les hauteurs abstraites, mais se réalisent pratique­ ment dans la conduite de chacun. xMors ce n'est pas seulement le bon ordre extérieur et l’hygiène qui bénéficient du soin scrupuleux des vête­ ments, de la personne, de la cellule, des livres. des outils, de toutes choses ; c’est encore l’âme, c’est la délicatesse de la conscience, c’est notre famille surnaturelle, c’est Dieu même. (1) S. Pach., Rcg., lxvi ; ci. xxv, xxvr, xxvn. (2) C. ΧΠ. Et S. Césaire : Quae cellario sive canavae, sive vestibus, vel codicibus, aul posticio, vel lanipendio praeponuntur, super Evangelium claves accipiant, et sine murmuratione seniani reliquis. Si quae vero vestimenta, calceamenta, utensilia negli­ genler expendenda vel custodienda putarini, tanquam interversores rerum monasteria­ lium severius corrigantur (Reg. ad virg., xxx), CHAPITRE XXXIII SI LES MOINES DOIVENT AVOIR QUELQUE CHOSE EN PROPRE (1) Si quid debeant monachi proprium habere. — Praecipue lioc vitium radicitus amputetur de monasterio, ne quis praesumat aliquid dare aut accipere sine jus­ sione Abbatis, neque aliquid habere proprium, nul­ lam omnino rem, neque codicem, neque tabulas, neque graphium, sed nihil omnino : quippe quibus nec corpora sua, nec voluntates licet habere in pro­ pria potestate. C’est encore à propos du cellérier et de son office que N. B. Père nous décrit la situation des moines en face des biens de la terre et nous dit sons quelles conditions et dans quelle mesure ils en peuvent user. Avant comme après saint Benoît, la pauvreté a toujours constitué une des trois obligations essentielles de la vie religieuse ; et si N. B. Père ne fait point émettre aux siens les vœux explicites de chasteté et de pauvreté, c’est qu’ils se trouvent renfermés dans la promesse de garder les mœurs et le mode de vie monastiques : conversio morum. H était admis universelle­ ment que le moine est pauvre à raison même de son état ; et c’est ce qui permet à saint Benoît d’entrer comme ex abrupto en matière pour exclure toute propriété personnelle. « Par-dessus tout, qu’on extirpe ce vice du monastère jusqu’à la racine (2) »; saint Benoît l’appellera plus loin : nequissimum vitium. De telles paroles, qui paraissent d’une énergie extrême et un peu excessive, ne sont pourtant que prudentes. Rien n'est à négliger ici. Sans doute la pauvreté est le côté le plus extérieur de nos engagements religieux : alors que je donne à Dieu ma volonté par l’obéissance et mon corps par la chasteté, il semble que par la pauvreté je ne donne que des biens (1) C’est le titre ou plutôt l'interrogation de S. Basile : Si debet habere aliquid p.-Dpriwn, qui inter fratres est? (Reg. eontr., χχιχ.) (2) L’idée comme le mot est de Cassien, Conlal. XVI, vi. SI LES MOINES DOIVENT AVOIR QUELQUE CHOSE EN PROPRE 179 extérieurs ou les droits qui s’y rattachent. Mais précisément pour ce motif que la pauvreté est plus extérieure, elle est aussi plus menacée : de même que les ouvrages les plus avancés d’une citadelle sont les premiers abordés par l’ennemi. Aussi longtemps que ces ouvrages demeurent intacts et solidement défendus, la forteresse n’a rien à craindre; s’ils sont enlevés, les portions les plus intimes ne sont plus en sécurité, et parfois on voit se retourner contre la place les ouvrages laborieusement créés pour sa défense. Il est d’expérience que l’apostasie commence presque toujours par une lésion de la pauvreté. Les infidélités se multi­ plient et la conscience s’endort. On se dit : « C’est si peu de chose! on me donnerait certainement la permission, si je la demandais ; on ne peut pas faire entrer le Père Abbé dans ces menus détails ; et peut-être ne comprendrait-il pas de quelle utilité me sont ces choses, et combien elles importent à ma santé, à mes études ; tel objet m’a beaucoup servi déjà, il est si commode, j’y suis si accoutumé : il y a prescription ». Lorsque, sous une forme quelconque, la propriété personnelle se reconstitue, nous ne sommes plus chez Dieu, nous so Hill es chez nous, dans nos meubles ou bien en hôtel garni : nos relations avec Dieu se modifient à l’instant. II y a mien et tien ; l’égoïsme reparaît, et avec l’égoïsme, les jalousies et les conflits ; nos relations avec le prochain se modifient sur l’heure, elles aussi. Nous rentrons dans les conditions de la vie commune et mon­ daine, avec, en plus, quelque chose de vulgaire et de vil, avec l’odieux d’une promesse violée. Après avoir proscrit en général le vice de propriété, saint Benoît énumère les différents actes de propriété qui sont interdits aux moines : donner, recevoir, détenir (1) ; la réserve sine jusswne Abbalis sera expli­ quée plus loin. Afin de déjouer par avance tous les petits calculs inté­ ressés, d'écarter toutes les interprétations trop larges de la loi, N. B. Père affirme avec force qu’un moine ne saurait avoir en propre absolument rien, nullam omnino rem, pas même les menus objets, pas même lia objets qui sont de première nécessité pour ceux qui étudient : un manus­ crit, des tablettes, un poinçon à écrire. Toutes ces choses nous sont accordées seulement ad usum, pour un usage non de droit et perpétuel, mais de fait et révocable au gré du supérieur. Et saint Benoît répète encore une fois : sed nihil omnino. Nous retrouverons la même disposi­ tion rigoureuse au chapitre LVIII, et la remarque qui suit s’y lit égale­ ment, quoique moins complète. A dater de leur profession, les moines ne peuvent rien posséder, « puisqu’il ne leur est plus loisible d’avoir en (1) Nous signalons une fois pour toutes, comme sources de ce chapitre, les docu­ ments suivants : S. Pack., Reg., lxxxi. cvl — S. Orsiesii Doelrina. xxi-xxm. — deg. H SS. Patrum, i. — A’ca. Orient., xxx-xxxt — S. Basil, Reg. eonlr., xxix-xxxi. xcvin-xcrx. — S. Aug.. Epist. CCX1. 5 (P. L., XXXIII, 9G0). — Sulp. Sev., Vila E. Martini, x (P. L.. XX. IGG). — S. Caesar., Reg. ad mon., ι-m, xv, xvi; fiej. cul viry., passim, — Cass., dnsi., IV, xiu. • ?if// SSÛ COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT leur pouvoir ni leur corps, ni leur volonté (1)». Quelle est au juste la pensée de N. B. Père? Voudrait-il insinuer que, puisque le profès a donné sa personne à la religion, il doit lui être beaucoup plus facile de consentir à l’abandon de ses biens, extérieurs à lui. et d’un moindre prix que luimême? Veut-il noter simplement que la désappropriation doit être bien radicale < puisque le profes no dispose même plus de son corps, ni de sa volonté »? Il nous semble que les paroles de saint Benoît ont ici une valeur de droit, une portée formelle et topique. Les biens qui, de soi, sont sans attribution ne deviennent nôtres que moyennant doux actes : l’un do notre volonté positive, car nul ne peut être propriétaire malgré lui, et même pour un héritage, l’acceptation est requise ; l’autre de notre corps, qui occupe le bien et l’adjuge, par voie de travail ou par un procédé extérieur quelconque, à la personne même. Si l’un ou l’autre de ces deux éléments fait défaut, et à plus forte raison s’il n’y a ni volonté intérieure, ni occupation extérieure, la propriété n’existe pas. Or, aux yeux de saint Benoît, c’est précisément le cas du moine : il est inhabile à posséder, puisque son corps et sa volonté, instruments nécessaires d’une attribution personnelle, ne lui appartiennent plus. Est-ce à dire que la profession rend le religieux radicalement incapable d’acquérir et d’exercer aucun acte de propriété quel qu'il soit? Pour bien saisir la question, il faut se rappeler d’abord que, dans la législation actuelle de l’Egiise, les vœux sont simples ou solennels. Le vœu simple de pauvreté laisse au religieux la nue propriété de ses biens, mais ne lui abandonne l’administration et le domaine utile que sous la direction de son supérieur : la volonté du moine a besoin d’être habilitée par celle de son Abbé, Avec le vœu solennel, la situation est différente. La solen­ nité du vœu consiste très précisément dans l’intervention même du Souverain Pontife : le vœu est censé émis devant lui, accueilli par lui ; dès lors, il n’est plus dispensable que par lui : puisque le caractère commun de toute cause portée à Rome et dans laquelle Rome est inter­ venue, même sous forme incidente, est d’être soustraite ipso facto à toute juridiction inférieure. Un profès de vœux solennels perd à la fois la nue propriété et l’administration de ses biens : il peut cependant être habilité par le Saint-Siège à accomplir de véritables actes de propriété, nonobstant son vœu et sans le rompre, comme le prouvent certaines (1) Qui seipsum el membra sua tradidit in alterius potestatem propter mandatum Demini (S. Basil, Reg. conlr., oti). —iVe sui quidem ipsius esse se dominum vel p,l°s!alem habere cognoscat (Cass., Inst., II, in). — Voir aussi S. Macar.. Reg., xxrv, — Noos lisons dans les Constitutiones memast., c. xx (inter opp. S. Basilii. P. G., AXXI. 1393) : Tu autem mortuus es, et loti mundo crucifixus. Rejectis enim terrenis diithis amplexus es paupertatem; et cum te ipse dicasti Deo, Dei jactus es thesaurus... Nihil omnmo y.ssidenx, nihil habes quod largiaris. Imo etiam cum ipsum corpus obtuleris cl dc. al-.ro v.e illius quidem potestatem habeas, tamquam quod res sit Deo consecrata, libi ej i non iicet ad humanum usum, SI LES MOINES DOIVENT AVOIR QUELQUE CHOSE EN PROPRE Î8I décisions apostoliques du dix-huitième et du dix-neuvième siècle. En certains cas, ΓÉglise a autorisé des religieux à attester sous serment, devant les tribunaux civils, la réalité de leur propriété. Us ne cessent pas, pour autant, d’être pauvres, puisque, même alors, ils ne sont proprié­ taires que dans les limites de l’obéissance et par la volonté du Souve­ rain Pontife. Nous ne saurions donc affirmer sans réserve que la proie sion solennelle entraîne après soi incapacité absolue et définitive de pesséder. J *■·Aussi bien, même sans faire intervenir dans le débat les cas extraordi­ naires et les dispenses, il est exact et il est prudent de soutenir que, d’une façon générale, le profès de vœux solennels demeure toujours capable d’acquérir réellement, que Vanimus domini peut exister réelle­ ment en lui. Le court axiome canonique qui règle la question nous le dit deux fois : Quod monachus acquirit, monasterio acquirit. 11 acquiert, et il acquiert pour le monastère : par son travail, par donation, par héritage, par succession. Il est incapable d’acquérir pour lui in proprietate : mais il acquiert pour le monastère auquel il appartient. Son union, son incor­ poration au monastère est à ce point parfaite, que, sauf affectation définie en temps utile, le monastère hérite aussitôt de tous les biens qui viennent aux mains du moine. Il ne faudrait pas considérer comme condition idéale de l’ordre monastique le système de la « mort civile », qui s’est introduit en France au cours du quinzième siècle. Les religieux étaient comme rayés du nombre des vivants aux points de vue actif et passif ; tout legs, au lieu de passer à eux et au monastère, allait de droit à leurs héritiers. C’était une iniquité, une précaution abusive contre l'extension exagérée de la mainmorte, une disposition socialis'e supprimant la propriété par voie d’autorité publique, un prélude à la spoliation du dix-huitième siècle. On a cru reconnaître dans les lois de Justinien la théorie de la « mort civile » (1) ; mais une lecture atten­ tive montre que ces lois sanctionnent au contraire l’attribution îu monastère des biens du religieux et autorisent même le testament en certains cas. Saint Grégoire le Grand (2) a cité ces lois et s’est appuyé sur leurs décisions en ce qu’elles avaient de chrétien et d’équi­ table; rien ne prouve qu’il ait voulu leur conférer une autorité ecclé­ siastique. (1) Ingressi monasteria, ipso ingressu se suaque dedicant Deo; nee ergo de his testantur, utpote ncc domini rerum. —Si qua mulier aut vir, liberis non exstantibus, monasticam vitam elegerit et monasterium intraverit, monasterio quod intravit, res ejus competere jubemus (Codex Justiniani, 1. I, tit. II, tn aulhenl. de monachis; — in authent. de sanctiss. episcopis. Paris, 1550, coi. 43, 45). Cf. Ant. Perez, Praelectiones ί« XII libros Codicis Justin., t I, p. 3 sq. (2) Epist., 1. IV, Ep. VI; 1. IX, Ep. VII, Ep. CXIV. P. L. LXXVII, 672-673, 945-947, 1044-1045. Voir l’édition Ewold et Hartmann, M. G. II. : Epist., t. I, p. 237-238; t H, p. 185-186, 215-216. •82 COMMENTAIRE SUR LA REGLE DE SAINT BENOIT Omnia vero necessaria a patre monasterii sperare; nec quidquam liceat habere, quod Abbas non dede­ rit aut permiserit. Omniaque omnibus sint commu­ nia, ut scriptum est, nec quisquam suum esse aliquid dicat aut praesumat. Saint Benoît n’a formulé jusqu’ici que des prohibitions ; il nous dit maintenant dans quelles conditions les moines sont pourvus des choses indispensables à leur vie et à leur état : « Bs les doivent attendre du Père du monastère, et il ne leur est pas licite de détenir quoi que ce soit que l’Abbé n’ait ('oané ou permis. » C’est en cela, il faut le remarquer avec soin, que consiste la vraie physionomie de notre pauvreté. Car les pau­ vretés ne se ressemblent pas toutes. Il y a la pauvreté de saint Gaëtan et des hommes apostoliques, la pauvreté corrigée par le travail des mains, la pauvreté corrigée par la mendicité, la pauvreté avec la possession en commun, la pauvreté des Capucins et des Frères Mineurs de l’Observance qui ne peuvent posséder ni biens meubles, ni immeubles. Toutes ces pauvretés sont belles ; elles ont toutes, à l’origine, une raison histo­ rique qui leur a donné leur caractère propre. La conception de saint Benoît est celle-ci : nous sommes des fils de famille ; nous formons la famille de Dieu, nous demeurons mineurs jusqu’à l’éteniité. Nous vivons chez Dieu, notre Père : tous les biens du monastère sont à lui, il nous dispense les choses nécessaires ou utiles par notre Abbé, qui est son intendant. Nous sommes pauvres, non pas précisément lorsque nous manquons de tout et souffrons de la disette (1), mais lorsque nous n’avons rien par devers nous que l’Abbé ne nous ait donné ou permis de con­ server. L’Abbé est responsable devant Dieu de ce qu'il aura refusé, de ce qu’il aura accordé ; chacun, d’ailleurs, doit l’aider, en réduisant ses exi­ gences, à remplir ce rôle de gardien de la pauvreté (2). Il nous semble que (1) Ce n’était pas non plus l’idéal de S. Grégoire le Grand, qui écrivait : 7?riiçiosam vitam eligentibus congrua nos oportet consideralione prospicere, ne cujusdam ■ .'cessilatis occasio aui desides faciat aut robur, quod absit, conversations infringat (Episl., 1. Ill, Ep. XVII. P. L, LXXVII, 617 ; M. G. II. : Epist., t. I, p. 175). Et encore : Officio pietatis impellimur monasteriis provida consideratione ferre consultum, ne hi qui Dei servitio deputati esse noscuntur necessitatem aliquam possint, quod avertat Dominus, sustinere (Epist, L II, Ep, IV. P. L., LXXVII, 541 ; M, G. H. : Epist., t. I, p. 109). (2) Nous devons nous féliciter do ce que nos Constitutions proscrivent absolument le « pécule », c’est-à-dire tout dépôt d’argent, toute réserve testamentaire, toute rente abandonnée à la libre disposition du moine. Même autorisée par une Règle, cette pra­ tique est peu conforme à l’esprit do la vraie pauvreté monastique. L’Abbé lui-même, ïïiïii d'après nos Constitutions, est soumis aux exigences de la vie commune parfaite, SI LES MOINES BOIVENT AVOIR QUELQUE CHOSE EN' PROPRE SS3 Ton a l'âme bénédictine quand ces principes élémentaires sont natu­ rellement accueillis. Même lorsque des biens quelconques sont mis à la disposition d’un moine, il n’y a pas encore de propriété : ni en pensée, ni en paroles, nul ne doit faire sien quoi que ce soit. Telle est la tradition monastique (1). IIIH Tout est commun ; les mêmes biens sont àl’usage de tous. C’est le commu­ nisme saint, ordonné, non l’anarchie. C’est le retour, avec de la prudence et des limitations, aux conditions de l’église de Jérusalem (Act., rv, 32). Dieu seul possède; nous comptons sur lui; nous réalisons l’idéal que traçait le Sermon sur la montagne. Nous ne gardons pas même un souci ; notre liberté est parfaite. Rien ne limite et ne confisque notre activité, comme le fait habituellement une possession quelconque : car tout pro­ priétaire est esclave de sa propriété ; souvent il n’appartient plus qu’à demi, ou moins encore, aux choses divines. Et c’est pourquoi l’âme du religieux doit s’affranchir de tout : de toute possession matérielle, de tout désir immodéré, de tout attachement délibéré à un bien qui n’est pas Dieu. En soi, la richesse n’est ni bonne ni mauvaise : la pauvreté ellemême n’est bonne qu’à raison du Bien souverain dont elle nous permet de jouir avec plénitude ; et la meilleure forme de pauvreté n’est-elle pas celle qui conduit le plus efficacement à ce loisir de l’âme et à l’union avec Dieu (2)? Telle que saint Benoît l’a comprise, la pauvreté monastique assure à notre vie sa subsistance en écartant toute sollicitude; elle assure notre dignité, notrelégitime et nécessaireindépendance ; elle assure la liberté de notre ascension vers Dieu ; elle assure notre obéissance et notre sou­ mission à l’Abbé ; elle assure notre charité fraternelle, puisqu’il n’y a plus désormais ni mien ni tien ; elle assure notre charité envers Dieu et notre perfection. Quod si quisquam hoc nequissimo vitio depre­ hensus fuerit delectari, admoneatur semel et iterum; si non emendaverit, correctioni subjaceat. N. B. Père menaee du châtiment tous ceux qui seraient convaincus de quelque complaisance pour ce vice détestable de propriété. On avertira le moine propriétaire une première et une seconde fois ; s’il ne s’amende pas, on le fera passer par les degrés de la correction régulière. L’antiquité (1) JIanc regulam videamus districtissime tiune usque servari, ut ne- verbo quidem audeal quis dicere aliquid suum magnunique sii crimen ex ore monachi proeessisse codicem meum, tabulas meas, grajium /unicam meam, gallicas niras, proque hoc digna poenitentia salisfaciurus sit, si casu aliquo per subreptionem tvi ignorantiam hujusmodi verbum de ore ejus effugerit (Cass., Inst., IV, xm). (2) Lire S. Thomas, Summa contra Gent,, L, III, c. cxxx-cxxxv( .v· SU COMMENTAIRE SUR LA REGLE DE SAINT RENDIT monastique s’est toujours montrée très sévèie sur ce point. Buppclonl· nous l’anecdote des mouchoirs rapportée dans la Vie de saint Benoit (1). Saint Grégoire le Grand raconte aussi l'histoire d'un de ses moines qui avait caché trois sous d'or : il ne permit pas aux frères de l’assister à son lit de mort, et il ordonna do l’enterrer dans le fumier, avec une petite mise en scène qui impressionna vivement les religieux et provoqua un·· restitution générale de tous les objets passés par fraude, on même nvt:lièrcment, â l'usage de chacun (2). On retrouve ailleurs cette coutume de jeter au fumier ou en terre non bénite les moines coupables du vico de propriété (3), L’excommunication était le châtiment ordinaire. Λ Citrouix et chez les Chartreux, elle était fulminée solennellement, le dimanche ώ· ÛRamcaux, contre tous « les propriétair· s · (41 CHAPITRE XXXIV Fî TOUS DOIVENT RECEVOIR EGALEMENT LES CHOSES NECESSAIRES Si OMNES DEBEANT AEQUALITER NECESSARIA ACCIPERE. -- Sicut scriptum est: Dividebatur singulis, prout cu:qiie opmcral. I bi non dicimus, quod personarum (quod absit) acceptio sil, sed infirmitatum consideratio. Ibi qui minus indiget, agat Deo gratias, et non contri>lelur: qui vero plus indiget, humilietur pro infir­ Π> S. G reo. JL, Dial. L II, e. xix. > Dial., 1. IV, c. tv. P. L, LXX VU. 420. • Cf. S. Hier on., RpùL XX II, 31 P. I-. XXII, 413, Cf. AîartLse, ïn λ. L mitate, et non extollatur pro misericordia; et ita omnia membra erunt in pace. Ce chapitre est le complément du précédent ; il développe et commente la formule : Omnia · cro necessaria a paire monasterii sperare. Nous retrou­ verons les dispositions de ces deux chapitres résuméesàla fin du LVe(l). Elles sont vraiment caractéristiques de l’esprit de N. B. Père et font époque dans l’h :to:re du monachisme. La vie religieuse commença par une grande austérité et par Γ uniformité dans l'austérité. C’était au lendemain des persécutions; I s âmes étaient tendues vers l’héroïsme, préparées et comme entraînées au martvre. Dieu voulait souligner avec force l’idée de renoncement et donner une impulsion vigoureuse au développe­ ment des institutions monastiques. 11 fallait une élite et des trempes ex pîionnellvs ; ceux qui ne pouvaient suffire à ces exigences hautaines i< : . .: ut ou domi-.irap'nt dans la vie commune; rappelons-nous les pro­ vidi- de saint Antoine pour éprouver la vocation de saint Paulle Simple. (1) Saint Benoît s’rst souvenu de S. Augustin : Non dicatis aliquid proprium, sed • ni i ilnj omnia communia : cl distribuatur unicuique testeum a praeposita retira nd.i Ί η n aequaliter omnibus, quia non aequaliter caletis omnes, sed unicuique stmt opus fuerit. Sic mira legitis tn Actibus Apostolorum : Quia erant eis omnia commun a ,1 distribuebatur singulis prout cuique opus erat.. Quae infirmae sunt ex pristina iuir, si aliter tradantur in victu, non debet aliis molestum esse, nec injustum t ,·>/*, quas fecit alia njnsueludo fortiores. Nec illas feliciores putent, quia sumunt qu 11, n muto (1) Saint Benoît veut-il réellement distinguer entre les semainiers de la cui­ sine et les servants de table, lorsqu'il écrit, au chapitre xxxvin, que le lecteur prendra son repas cum coquinae hebdomadariis et sermtoribus? Les serviteurs sont plutôt les frères donnés comme aides aux semainiers en titre. (2) La principale source de ce chapitre est le chapitre xix du livre IV des Institu­ tions de Cassien, -— · ÎS8 DES SEMAINIERS DE LA CUISINE 189 charité. Ils imiteront ainsi le Seigneur, qui déclarait n’être venu dans ce inonde que pour servir : ministrare, non ministrari. Cassien nous raconte qu’en Orient, sauf en Égypte (1), tous les moines passaient ainsi tour à tour une semaine à la cuisine. On devine bien que ces Vatels improvisés ne devaient pas toujours produire une cuisine succulente et recherchée; mais les goûts étaient simples, ceux des Orientaux surtout. Les herbes salées leur semblent, dit Cassien, un festin délicieux (2); aux moines d’Égypte suffisent des légumes frais ou secs; et c’est le suprême régal, summa voluptas, quand on leur sert, tous les mois, des feuilles de poireau hachées, des herbes confites au sel, du sel broyé (3), des olives et de petits poissons salés (4). Nul ne sera dispensé, dit saint Benoît, du service de la cuisine. Plus il est assujettissant et pénible, plus sera considérable la récompense, et la charité s’en accroîtra d'autant (il faut lire, en eSet : major merces et caritas acquiritur). Auprès de l’ancienne royauté française, les services, même les plus vulgaires, conféraient la noblesse ou bien la supposaient : le bouteillcr, le chambellan, le connétable étaient de grands dignitaires. La noblesse surnaturelle qui entoure la royauté du Seigneur l’emporte sur toute autre : tous les offices monastiques sont glorieux. N. B. Père reconnaît d’ailleurs à l’Abbé le droit d’exempter certains frères du ser­ vice de la cuisine : ceux dont la santé est mauvaise, ceux qui vaquent à des occupations plus importantes et trop absorbantes, le cellérier, par exemple, lorsque la communauté est nombreuse, et sans doute aussi l’Abbé. Quelques Règles anciennes (5) font une exception formelle en faveur de l’Abbé ; d'autres veulent qu’il serve à certains jours déterminés, s’il est libre. A Cluny, du moins dans les premiers temps, l’Abbé faisait la cuisine et servait le jour de Noël, en compagnie du cellérier et des doyens ; les Coutumes portent aussi que l’Abbé est marqué, lorsque vient son tour, sur le tableau de service, mais comme surnuméraire (6). Dans un dessein de discrétion, N. B. Père veut qu’on procure de l’aide aux faibles, qu’on ménage aux titulaires de cet office l’assis­ tance d’autant de frères que le réclament soit l’état et le nombre de la communauté, soit l’installation du monastère : car la cuisine peut être m sous-sol, la source trop éloignée (7), etc. Il importe non seulement que le service se fasse bien, mais encore que les frères l’accomplissent sans tristesse. (1) Insl., IV, XXII, (2) Ibid., xi. (3) CL Calmet, in c. xxxv, (4) Inst., IV, xi. (5) Par exemple celle de S. Césaire ad virgines, xn. (6) Udalr., Consuet. Chin., L I, c. xlvl — Bernaud., Ordo Clun., P. I, c. L — Constit. Ilirsaug., L H, c. xiv, (7) Comme dans l'un des monastères de Subiaco : S. Greg, M., Dial., L II, c. v. 43 SOO COMMENTAIRE SLR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT Egressurus de septimana, sabbato munditias faciat. Linteamina cum quibus sibi fratres manus aut pedes terguni, lavet : pedes vero tam ipse qui egreditur, quam ille qui intraturus est, omnibus lavent. Vasa ministerii sui munda et sana cellerario reconsignet; qui cellerarius item intranti consignet, ut sciat quid dat aut quid recipit. Après avoir énoncé et expliqué le devoir universel do la mutualité du service, N. B. Père entre dans quelques détails techniques qui intéressent la propreté et le bon ordre. Chaque samedi, le frère (1) qui va sortir de semaine opérera les nettoyages, munditias faciat, à la cuisine et au réfec­ toire. C’est à lui qu’incombe le soin de laver les linges avec lesquels les frères essuient leurs mains et leurs pieds. Chaque samedi encore, assisté de celui qui doit lui succéder, il lave les pieds de tous les religieux en sou­ venir du Mandatum du Seigneur et comme salaire, dit Cassien, du travail de toute la semaine. Enfin saint Benoît lui prescrit de rendre au cellérier les ustensiles de son office, nets et en bon état, munda et sana, tels en un mot que les porte l’inventaire établi ou vérifié huit jours plus tôt. Dans un service qui changeait chaque semaine et où pouvait se glisser lanégligence, il importait d’exercer une surveillance assidue ; elle était réservée au cellé­ rier, qui gardait par devers lui l’inventaire des objets confiés au semainier, de même que l’Abbé gardait le rôle de tous les instruments et ustensiles remis aux titulaires des différentes charges (chap. XXXI1). Seplimanarii autem, ante unam horam refectionis, accipiant super statutam annonam singulos biberes, et panem : ut hora refectionis, sine murmuratione et gravi labore, serviant fratribus suis. In diebus tamen solemnibus usque ad Missas sustineant. C’est encore une condescendance de la sainte Règle. Le petit déjeu­ ner n’existait pas alors, et saint Benoît ne parle que de deux repas, jamais de trois. Or les semainiers de la cuisine, outre les fatigues de cette charge, voyaient encore se retarder l’heure de leur réfection. Ils ne pre­ naient pas place à table avec leurs frères lorsque ceux-ci étaient servis, (1) Saint Benoît parle des semainiers tantôt au singulier, tantôt au pluriel. DES SEM,MINIERS DE Là CUISINE 291 comme le prescrira le Maître (1); mais une remarque du cha­ pitre XXXVIII nous montre qu’ils mangeaient après tous les autres, avec le lecteur : en seconde table, disons-nous aujourd’hui. Afin qu'ils puissent servir sans fatigue excessive et sans murmure (2), N. B. Père accorde à chacun un coup à boire et un morceau de pain, une heure avant la réfection commune. « Le terme l>ib:r, d’où vient Hteres, dit D. Calmet, est du langage de la basse latinité et, dans les règles monas­ tiques, il signifie un petit vase contenant autant de vin qu’il en faut pour boire un coup et pour se rafraîchir. » Nous devons traduire super statutam annonam : en sus de la portion ordinaire, et déterminée, et non pas, comme l’ont fait quelques commentateurs : à prendre sur cette portion ; « la pré­ position suptr en latin et hyper en grec, dit encore D. Calmet, signifiant naturellement une surabondance et non une soustraction ». On peut ajouter que l'intention de N. B. Père est beaucoup moins de prélever quelque chose sur la pitance accoutumée que de balancer, par un petit avantage, les fatigues attachées à la charge de cuisinier. Il remarque ensuite que cette légère anticipation n’est pas compatible, les jours solennels, c’està-dire les jours de fête et le dimanche, avec les exigences de la communion et du jeûne eucharistique. Ces jours-lü, tous communient, et à la Mes-e conventuelle. Les semainiers de la cuisine ne pouvaient se prévaloir do la disposition miséricordieuse de la Règle pour omettre la sainte com­ munion ou pour rompre le jeûne : malgré la fatigue surajoutée d’ua long office, iis devaient attendre jusqu’après la Messe, c'est-à-dire moins d’une heure avant le repas conunun, pour prendre quelque nourriture (3;. Intrantes et exeuntes hebdomadarii, in oratorio mox Matutinis linitis, Dominica, omnium genibus provolvan­ tur, postulantes pro se orari. Ëgredions autem de se­ ptimana dicat hunc versum : Benedicius es Domine Deus, qui adjuvisti me, el consolatus es me. Quo dicto tertio, accipiat benedictionem egrediens. Subsequatur ingredienset dicat : Deus in adjutorium meum intende, Domine ad adjuvandum me festina. El hoc idem tertio repetatur ab omnibus. Et accepta benedictione, ingrediatur. Le chapitre se termine par la description d’une cérémonie liturgique en deux actes : absolution des hebdomadiers sortants, investiture de ceux (1) Be g. Magistri, xxin. (2) Sine munnure seniant sororibus suis (3 AfO.,Γρ. CCXI, 13. P. L.XXXIIÎ.OG-.). (3; Cf. Paul Diacre, Comment. in c. xxxv. !9S COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT qui entrent en charge. Le dimanche, aussitôt après Matines (c’est-à-dire après Laudes), les premiers viennent se prosterner aux pieds de tous les frères dans l’oratoire, demandant qu’on prie pour eux (1). Ils récitent trois fois (tous ensemble, ou seulement le plus ancien) le verset Benedicius es (Ps. lxxxv, 17); puis le supérieur donne la bénédiction, en disant sans doute une collecte. Ceux qui entrent en semaine leur succèdent et disent trois fois le verset Deus in adjutorium, que le chœur répète après eux (saint Benoit n’a pas dit si le chœur répétait aussi le Benedicius es); la bénédiction reçue (2), ils sont entrés en semaine. C’est ainsi qu’on était investi au nom du Seigneur ; un office très matériel et souvent pénible pour la nature était consacré par la prière ; il devenait dès lors œuvre reli­ gieuse et sanctifiante, accomplie pour la gloire de Dieu. (1) Ab omnibus fratribus oralio prosequatur, quac tel pro ignorationibus intercedat tel pro admissis humana fragilitate peccatis, et commendet Deo relui sacrificium pingue consummata eorum devotionis obsequia (Cass., Inst., IV, xix). Chez les moines d’Orient, ceci se passe après le repas du dimanche soir. (2) Les deux oraisons qui se chantent chez nous viennent du Mont-Cassin et do Cluny (Udalr., Consuet, Clun., 1, II, c, xxxvj. CHAPITRE XXXVI DES FRÈRES MALADES Nous nous rappelons qu’au chapitre XXXI saint Benoît a confié les infirmes et les enfants à la sollicitude du cellérier; nous nous souvenons aussi qu’au chapitre XXXIV la sainte Règle a voulu que ceux-là fussent l’objet de plus d’attentions qui en réc ament davantage. Afin d’être bien compris et do fournir quelques précisions, N. B. Père, après avoir défini les conditions du service de la cuisine, traite à part des soins que méritent les malades et les infirmes (chap. XXXVI), les vieillards et les enfants (chap. XXXVII). C’est une sorte de parenthèse; lorsqu’elle sera fermée, saint Benoît reviendra à la question du réfectoire et des repas. De infirmis fratribus. — Infirmorum cura ante omnia et super omnia adhibenda est, ut sicut revera Christo, ita eis serviatur, quia ipse dixit : Infirmus fui, et visitastis me. Et : Quod fecistis uni de his minimis meis, mihi fecistis. Sed et ipsi infirmi considerent in honorem Dei sibi serviri, et non superfluitate sua contristent fratres suos servientes sibi. Qui tamen patienter portandi sunt : quia de talibus copiosior merces acquiritur. Ergo cura maxima sit Abbati, ne aliquam negligentiam patiantur. Ici encore, c’est une pensée de foi qui doit ordonner notre conduite. Le Seigneur, d’une façon générale, s’est auprès de nous subrogé au pro­ chain, quel qu’il soit. Le prochain, c’est lui Nous vivons avec l’Eucharistie ; ce n’est que Dieu que nous rencontrons, en nous et autour de nous. C’est Dieu toujours que nous servons, et c’est jusqu’à lui que monte notre tendresse. « Tout ce que vous aurez fait à l’un de ces tout petits qui sont miens, c’est à moi que vous l’aurez fait d (Matth., xxv, 40). Ceci est plus particulièrement vrai de nos frères en religion et de leur 293 *M COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT personne consacrée; et lorsqu’ils souffrent, ils ressemblent davantage encore à Notre-Seigneur Jésus-Christ. On les servira donc tout comme lui-même, car il a dit : a J’ai été malade et vous m’avez visité » (Mattil, XXV. 36). C'est le profit des infirmes : c’est le nôtre aussi. Et ne suffit-il pas de cette notion de foi pour donner abondance de paix et de joie à ceux que visite la maladie ou la langueur ; pour donner aussi de la dé icatesse et du cœur à ceux qui les soignent? C’est cette meme pensée, plus encore qu'un sentiment de compassion naturelle, qui a provoqué l’insistance de N. B. Père : « Avant tout et par-dessus tout, dit-il, on prendra soin des malades, et on les servira comme s’ils étaient vraiment le Christ (1). » Nulle autre Bcgle n’avait fait preuve d’autant de sollicitude à l’égard des faibles et des souffrants. En échange de ces attentions surnaturelles et empreintes de vénéra­ tion, les malades essaieront de ressembler véritablement au Seigneur par leur humilité douce, leur abnégation et leur réserve. Es se souviendront que de tels soins sont prodigués non à leur chétive personne, mais au Dieu qui se cache en eux. Es se garderont de contrister par des exigences indiscrètes et des importunités sans frein, superfluitate sua, les frères qui s’emploient à leur service, sans doute, mais qui pourtant sont bien leurs frères et non des domestiques. B est difficile de se sanctifier dans la maladie, dit l’auteur de limitation : Pauci ex infirmitate meliorantur (II, xxni). Nous devenons impatients, douillets, un peu sybarites. Le tempérament s’affirme et, le diable aidant, la nature redevient insolente. L’habitude des exceptions et des régimes spéciaux atténue sournoisement le sens de l’observance monastique, et pratiquement l’on se persuade que la maladie dispense d’être moine. Une vive souffrance est peut-être moins redou­ table à ce point de vue que le malaise perpétuel et ce qu’on appelle aujour­ d’hui l’état neurasthénique. Aux âmes tentées d’apporter au soin de leur santé une préoccupation excessive, toujours dolentes, toujours en quête de remèdes nouveaux, on pourrait conseiller la lecture attentive de certain chapitre du Chemin de la Perfection. « Croyez-le, mes filles, disait sainte Thérèse, lorsque nous arrivons à dominer ce? misérables corps, ils ne nous importunent plus autant. Assez d’autres s’occuperont de vos besoins ; pour vous, ne vous en souciez pas, à moins qu’il n’y ait nécessité manifeste. Si nous ne nous déterminons à accepter une bonne fois la mort et la perte de notre santé, nous ne ferons jamais rien (2). » La correspondance de la sainte nous montre d’ailleurs jusqu'à quel point elle se préoccupait des santés et comment elle s’ingéniait pour pro(1) Quali affectu debemus infirmis fratribus minishare? Sicut ipsi Domino offerentes obsequium, qui dixit : Quia cum fecistis uni ex minimis isl s fratribus meis, m hi fecistis (S Basil. Heg.eontr., xxxvi). Et saint Basile ajoutait, lai aussi, dans la seconde partie de cette règle et dans la suivante, que les malades doivent se montrer dignes d'un tel honneur. (2) Chap. xi. DES FRÈRES MALADES Î9S curer aux infirmes de petites gâteries. Un moine, même sérieusement malade, doit savoir renoncer aux remèdes extraordinaires et trop coû­ teux, aux cures périodiques dans les stations thermales; et il n'implore jamais les secours de sa famille selon la chair. Même si les malades se montrent exigeants, dit saint Benoît, il faut les supporter avec patience, puisque avec eux on acquiert une récompense plus abondante. Aussi bien, afin de ne fournir nul prétexte aux récrimi­ nations, afin surtout de réaliser pleinement ce que le Seigneur attend de notre charité, l’Abbé veillera avec un soin extrême à ce que 1rs malades n'aient à souffrir d’aucune négligence, ni de la maladresse ou de l’impé­ ritie de personne. Quibus fratribus infirmis sit cella super se depu­ tata, et servitor timens Deum, et diligens ac solli­ citus. Balneorum usus infirmis, quoties expedii, offeratur. Sanis autem, ct maxime juvenibus, tar­ dius concedatur. Sed eiicarnium esus infirmis, omninoque debilibus pro reparatione concedatur. At ubi meliorati fuerint, a carnibus more solito omnes abs­ tineant. H y aura dans le monastère un logis spécialement affecté aux malades, Hill à tous ceux qui ne peuvent pas suivre l’observance commune, qui ont besoin de soins particuliers, d’un air plus pur et de plus de silence. Dans les grandes abbayes d’autrefois, l’infirmerie était comme un second monastère, avec son église (1), son cloître, sa cuisine, son réfectoire, son dortoir. N. B. Père entend donc que chaque famille monastique soigne ses malades chez elle. Et il y aurait lieu de s’étonner qu’un religieux souhaitât d’aller chercher sa guérison chez des parents, chez des amis, chez des séculiers. De même, il serait peu conforme à l’esprit et aux tra­ ditions de l’Ordre bénédictin de réunir en un seul sanatorium ou en une (1) Les anciennes Coutumes ne dispensent les malades de l’office divin que dans des cas très graves. Voici ce qu’un lit dans la Disciplina Farfensis : Illi fratres qui non raient surgere, eant famuli sementes eis cl educant illos sustentantes ulnis suis in ecclesia, atque collocent ut melius potuerint. Ingratum nulli apparere debet hoc factum; quia saepe vidimus in eodem die fratrem finire ex hac luce et ad Christum transire, etiam in ipsa ecclesia exhalare spiritum. Quis de talibus dubitet quod non stalim ad regna polorum penetrent?... Ita debent opus Dei per omnia agere sicut sani in monasterio, praeter quod leniter atque cwsim dicant... Illi ivro qui ita nimietate infirmitatis detinentur quod nullo modo consurgere valeant, mox ut monasterio fuerint celebrata nocturnalia obsequia, annuat ille qui ordinem tenet duobus fratribus qui illis divinum opus decantent, etc, ίί. Π, 296 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT maison de retraite tous les malades d’une Congrégation ou d’une région. On les priverait ainsi de la part de vie régulière qui est compatible avec leur état et on les exposerait à finir leurs jours assez prosaïquement. On priverait surtout les communautés du bénéfice de leur charité et de l'édification qu'offrent d’ordinaire les malade? et les vieillards. Ceux qui voisinent avec l’éternité ont un titre spécial à des délicatesses qu'ils ne peuvent recevoir que de leur Abbé et de leurs frères ; les préparer à paraître devant l’infinie Pureté, achever de graver en eux la ressem­ blance du Seigneur, n’est-ce pas éminemment servir le Christ en leur personne et se ménager à soi-même une bénédiction et un merci divins? Dans la Congrégation de Saint-Maur, les dispositions relatives aux malades étaient assez curieuses. Afin qu’ils n'eussent jamais à souffrir de la détresse pécuniaire d’un monastère individuel, tous les frais : médi­ caments (sauf le sucre blanc), honoraires des médecins, pharmaciens et chirurgiens, viande achetée pour eux, voyages, etc., tout cela était à la charge de la Congrégation et devait être réglé par la Diète (1). La ceZZa des malades sera confiée à l’infirmier, que saint Benoît appelle e serviteur », mais qui était certainement un religieux et non un séculier. L’infirmier, s’il est besoin, aura des aides ; et saint Benoît le laisse entendre à la fin de ce chapitre, en employant le pluriel servitoribus. Trois mots suffisent à N. B. Père pour résumer les qualités personnelles d’un bon infirmier : il faut qu’il craigne Dieu, c’est-à-dire que l’esprit de foi le guide habituellement dans tous ses rapports avec les malades ; qu’il soit prompt, car ceux qui souffrent trouvent longues les heures d’attente; qu’il soit attentif et affectueux (2). Nous pourrions ajouter qu'il a droit à l’obéissance absolue de ses malades. Ce serait une forme d’esprit propre assez dangereuse que de se soigner à sa guise ou selon les recettes de frères qui n’ont point mission pour donner des consultations : Quippe quibus nec corpora sua, nec voluntates licet habere in propria potestate. L· n’est d’ailleurs nullement avantageux aux moines de s’entretenir complai­ samment les uns les autres de leur santé. Sans entrer ici dans le détail de la médication et des soins que peuvent réclamer les infirmités très diverses (3), saint Benoît envisage seule­ ment deux catégories de soulagements : les bains et l’usage des viandes. Nous savons quelle était à Rome la profusion des thermes ou bains publics ; chaque grande maison avait ses bains ; le bain faisait partie du (1) Regula S. P. Bendidi cum declarationibus Congregationis S. Mauri (1663). p. 144-145. (2) Cf. S. Caesar., Reg. ad virg., xxx. (3) Au sujet de la saignée (minutio) et du recours aux médecins dans l’antiquité monastique, voir Calmet, in h L- Sur les soins donnés aux moines malades, aux mon bonds et aux morts, voir Hæften, 1. XI, tract v. — Sîartène, De ant. numach. rit., L V. c. vni-xnL — Pignot a résumé les usages de Cluny: Hist. de Γ Ordre de Cluny, 1.11, p. 434-435, 463-473. DES FRERES MALADES programme quotidien de tout homme bien élevé. La vie monastique déféra dans une mesure à cet usage ; et Cassiodorc, contemporain de saint Benoît, fit installer des bains dans son monastère de Vivarium. C’était chose indispensable dans un pays chaud, pour des religieux qui se livraient au travail manuel et qui ne portaient pas de linge de corps. Et il est évi­ dent que les moines n’allaient pas aux bains publics, d’abord parce qu’ils habitaient rarement en ville, et aussi parce que cette promiscuité eût été dangereuse. Saint Benoît demande qu’on offre les bruns aux ma­ lades, non pas avec parcimonie, mais toutes les fois que la santé pourra s'en trouver bien. Sanis autem, et maxime juvenibus, tardius concedatur. N. B. Père ne dispense pas les religieux bien portants, ni les jeunes gens, d'une précaution deux fois nécessaire lorsqu’on vit en communauté. Sans doute il fait une réserve ; mais cette réserve ne lui est point inspirée par je ne sais quel sot effarement : sin -n il aurait interdit simplement l’usage du bain. Le tardius doit être considéré en relation avec les cou­ tumes romaines et avec la large indulgence dont saint Benoît use envers le, malades. li est notoire que les bains, surtout les bains chauds, avaient pour résultat, lorsqu’on les multipliait, d’amollir le corps, de porter à la paresse et à une sorte de déchéance de la volonté. Saint Benoît n’a pas voulu chez lui de ces mœurs mondaines ; il stipule pourtant qu’on offrira aux malades, au lieu qu’on permettra, plus rarement, à ceux qui se portent bien (1). Les anciens moines ont souvent pris trop à la lettre la restriction de N. B. Père : Paul Diacre remarque qu’on se baignait une, ou deux, ou trois fois l’an, a A présent, surtout dans les régions tempérées, écrit D. Calmet, l’usage en est presque aboli. Aussi dans les monastères il n’est plus question de bains domestiques et ordinaires; dans les maladies, on permet d’aller aux bains publics, avec les réserves et les précautions dont nous avons parlé. » Mais l’hygiène et la charité peuvent comprendre les choses autrement sans porter atteinte à l’austérité monastique et à l’esprit de mortification (2). Saint Benoît ajoute que les malades et ceux qui sont tout à fait dé­ biles (3) pourront manger de la viande, afin de se refaire, pro repa­ ratione. Et, pour marquer davantage le caractère de cette concession, N. B. Père veut qu’elle prenne fin dès que la santé ne la réclamera plus ; alors tous s’abstiendront de viande, selon l’usage, more solito (4). La même (1) Lavacra etiam, cujus infirmitas exposcit, minime denegentur; sed fiat sine mur­ muratione de consilio medicinae... Si autem nulla infirmitate compellitur, cupiditati suae non praebeatur assensus (S, Caesar , Reg. ad virg., xxix), (2) Sur les soins de la tonsure et de la barbe chez les anciens moines, ci. ILeften, Hit I 1. V. tract, ix. — Martène, De an!. mcmach. rit, L V, c. vu. — Calmet, Comment sur le chapitre i. (3) I! faudrait lire infirmis omnino debilibus. (4) Pullos et carnes nunquam sani accipiant; infirmis quicquid nrctsse fuerit mini· strelur (S. Caesar., Reg. ad mon., xxivk Quia solet fieri, ut cella monasterii non semper bonum vinum habeat, ad sanctae Abbatissae curam pertinebit ut tale vinum pro- •98 COMMENTAIRE SUR LA REGLE DE SAINT BENOIT recommandation a été répétée au chapitre ΧΧΛΙΧ; réservons jusquelà notre commentaire. Curam aulcm maximam habeat Abbas, ne a celle­ rariis aut serviloribus negliganlur infirmi : quia ad ipsum respicit, quidquid a discipulis delinquitur. Pour la seconde fois, l’Abbé est invité à prendre un très grand soin des malades. Il lui faut veiller à ce qu’ils ne soient négligés ni par les ccllériers, ni par les infirmiers : car il est responsable de tous les manquements de ses disciples. .Ajoutons que personne dans le monastère ne peut se désin­ téresser des malades ; on sc souviendra d’eux devant le Seigneur et on les visitera, avec la permission de l’Abbé : mais les prescriptions de la Règle ne s’arrêtent pas à la porte des malades, et jamais leur cellule ne doit se transformer en parloir. rideat. unde aut infirmae, aut illae quae sunt delicatius nutritae, palpentur (S. Caesar, Jlcg. ad virg., xxvm). Aegrotantes sic tractandae sunt, ut citius convalescant; sed cuin rires pristinas reparaverint, redeant ad feliciorem absiinentiae consuetudinem (Ibid., xx). CHAPITRE XXXVII DES VIEILLARDS ET DES ENFANTS — Licet ipsa natura humana trahatur ad misericordiam in his aetatibus, senum videlicet el infantum : tamen et regulae au­ ctoritas eis prospiciat. Consideretur semper in eis imbecillitas, et nullatenus eis districtio regulae teneatur in alimentis; sed sit in eis pia consideratio, et praeveniant horas canonicas. De senibus vel infantibus. C’est assez d’être homme, dit saint Benoît, pour être incliné à la sym­ pathie et à l’indulgence envers ces deux âges: la vieillesse et l’enfance; il convient pourtant que l’autorité de la Règle intervienne aussi en leur faveur. La charité est quelque chose de mieux que la simple philanthropie, et le motif profond de nos actes doit être surnaturel. De plus, il nous faut bien remarquer que les dispenses, les permissions, les interprétations bienveillantes de la Règle appartiennent encore à la Règle et émanent de l’autorité; elle: ne sont pas le caprice, l’arbitraire, le relâchement. On aura donc toujours égard à la faiblesse des enfants et des vieillards, et on ne leur appliquera aucunement l’austérité de la Règle au point de vue du régime alimentaire (1). Mais on usera pour eux d’une affec­ tueuse condescendance et ils pourront devancer l’heure régulière des repas, praeveniant horas canonicas. En un mot, on s’ingéniera pour que la vie monastique, qui ne consiste pas dans le nivellement et Γ uniformité, leur demeure possible. Saint Benoît n’a pas jugé opportun d’entrer dans les détails et les précisions : tout est laissé à la discrétion de l’Abbé. C’est à lui d’apprécier, pour chaque cas, à quel âge finit l’enfance et à quel âge commence la vieillesse ; de reconnaître s’il convient d'accorder un (1) Vinum lanium senes accipiunt, quibus cum parvulis saepe fit prandium, ut aliorum fessa sustentetur aetas, aliorum non frangatur incipiens (S Hieron., Ep. XXII, 30. P. L.. XXII. 420). In coena mensa ponitur propter laborantes, senes cl pueros, aestusque gravissimos (S Hieron., Praefatio in Eeg. S. Pachom., 5). 300 COMMENTA IRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT ou plusieurs repas supplémentaires ou seulement de petits acomptes, analogues aux soulagements qu’on procure aux serviteurs de la cuisine, aux lecteurs, aux moines qui ont fourni un travail fatigant. Nous savons par une phrase du chapitre LXIII que les enfants prenaient part aux repas de la communauté. Au sujet des mots in alimentis, D. Ménard remarque que les exceptions dont parle saint Benoît portent sur la qualité plutôt que sur la quantité des mets, car il est écrit au chapitre XXXIX : Pueris tero minari aetate non eadem servetur quantitas, sed minor quam majoribus;Vestomac des enfants est trop petit, dit-il, pour assimiler une nourriture abondante, de meme que celui des vieillards est trop froid et s’expose, par une alimentation mal réglée, à étouffer le peu de chaleur qui lui reste, selon l’enseignement d’Hippocrate. » CHAPITRE XXXVIII DU LECTEUR DE SEMAINE I — Mensis fratrum eden­ tium lectio deesse non debet; nec fortuito casu, qui arripuerit codicem legere audeat ibi, sed lecturus tota hebdomada, Dominica ingrediatur. De hebdomadario lectore. A la table des frères, la lecture ne doit jamais faire défaut. Cette cou­ tume, nous dit Cassien (1), ne vient pas des moines d’Égypte, mais de ceux de Cappadoce (2) ; saint Benoît la trouvait également chez saint Césaire (3). On en reconnaît l’intention : c’était, au milieu même de l’absolue frugalité des religieux, de les distraire encore de leur misérable repas, de tempérer, par une application aux choses de la piété et de l’in­ telligence, la satisfaction animale de boire et de manger ; tel est le motif qu’invoque saint Basile. Cassien pourtant en signale un autre : a II n’est pas douteux, dit-il, que les Cappadocicns ont adopté cet usage, non pas tant pour fournir un aliment spirituel à leur esprit que pour couper court aux causeries superflues et frivoles et surtout aux disputes qui ont cou­ tume de naître dans la plupart des repas; ils ne voyaient pas d’autre procédé pour les réprimer chez eux. » La tradition monastique a adopté unanimement cette lecture de table. Elle a même entendu souvent à la lettre le pluriel mensis que porte la Règle : la lecture se faisait à la première table, c’est-à-dire au repas de la communauté ; à la seconde table, c’est-àdire au repas des serviteurs ; à la table de l’Abbé et des hôtes, à celle des infirmes, même à celle des moines en voyage. Quelle était la matière des lectures? a Dans l’Ordre de saint Benoît, dit D. Calmet, on lisait plus communément l’Écriture sainte; et comme (1) Inst., IV, xvn. (2) Cf. S. Basil , Reg. brev., clxxx. (3) Sedentes ad mensam taceant, et animum tectioni intendant. Cum autem lectio cessaverit, meditatio sancta de corde non cesset. Si vero aliquid opus fuerit, quae mensae pracest sollicitudinem gerat, et quod est necessarium nutu magis quam voce petat. Nec solae vobis fauces sumant cibum, sed et aures audiant Dei verbum (Reg. ad virg., xvi). Cf. Reg. ad mon., ix. 301 302 COMMENTAIRE SL'R LA RÈGLE DE SAINT BENOIT chaque partie de l’annëo a ses livres particuliers de l’Écriture qu’on lit au chœur, on achevait au réfectoire ce qui ne se lisait pas à l’église; en sorte que, dans le cours de l’année, on lisait toutel’Écriture, tant au chœur qu’au réfectoire. Souvent on continuait au réfectoire la leçon do l'homélie qu’on avait commencée à Matines. On y lisait aussi les actes et les pas­ sions des saints et des martyrs... » On lisait encore la Règle, peut-être dès le temps de saint Benoît lui-même : Banc autem Regulam saepius volumus in congregatione I gi, tie quis fratrum de ignorantia se excuset (chap. LXVJ). L’usage actuel est d’ajouter à cette liste certains ouvrages historiques qui se rapportent en quelque manière aux choses de ΓÉglise ou à la vie monastique. Nous pouvons profiter beaucoup de la lecture du réfectoire. Si le réfectoire est un lieu où l’on se restaure, c’est en même temps un lieu d’oraison facile et de travail intellectuel très doux, presque inconscient. Parlons maintenant du lecteur. Son office est grave : il doit être rempli avec gravité. Ce ne sera pas le premier venu, désigné au hasard, ou même simplement déterminé par son propre choix et poussé par le désir de se faire entendre, qui s’emparera du livre et s’improvisera, pour un repas, lecteur de table : lire au réfectoire est un office régulier, qui commence le dimanche et se poursuit pendant la semaine entière. Λ la fin du chapitre, dans une dernière phrase qui semble avoir été ajoutée sous la dictée de l’expérience, saint Benoît reviendra sur cette prescription : ce n’est ni la volonté de chacun, ni le hasard et les circonstances, ni l’ordre hiérar­ chique de la communauté, qui doivent désigner ceux qui lisent ou ceux qui chantent, au réfectoire comme au chœur ; mais l’Abbé choisira ceux qui sont capables de se faire entendre, de se faire comprendre, d’être réelle­ ment utiles à leurs frères, de les a édifier ». A l’époque de saint Benoît, savoir lire n’était pas le lot de tous ; et même aujourd’hui, savoir bien lire, publiquement, dans un grand réfectoire, n’est pas non plus chose co «illi une. Les aptitudes sont variées, mais il est difficile de s’improviser lecteur. Ce n’est qu’à la condition d’avoir prévu sa lecture, que l’on pourra honorer ses auditeurs et soi-même. Il faut savoir couper intelligemment les phrases et détailler une période, donnant à ses diverses portions leur valeur propre. Et cela se peut réaliser jusque dans la lecture dite recto tono; à proprement parler, il n’y a pas de lecture recto tono : l’intel­ ligence et l’accentuation modifient à chaque instant, dans une mesure perceptible, la corde sur laquelle se fait la lecture. Il n’est pas nécessaire d’avoir une voix forte, ni même une voix claire, mais il importe de con­ naître celle que l’on a, le local où on lit et de composer avec ces conditions. La volonté bien arrêtée de se faire entendre aux deux extrémités de la salle entraîne une adaptation inconsciente de nos moyens au but pour­ suivi. Il faut lire lentement, articuler les syllabes muettes, sans entier la voix sur les syllabes sonores, et se souvenir qu’il ne s'irgit ni d’une lectine DU LECTEUR DE SEMAINE m privée ni d’une conversation. Au milieu du bruit, devant des intelligences fatalement distraites, il est indispensable que la pensée vienne chercher chacun à sa place et sans qu’il ait besoin d’ciiort pour la saisir. Qui ingrediens, post Missas et communionem petal ab omnibus pro se orari, ut avertat ab eo Deus spiritum elationis. Et dicatur hic versus in oratorio tertio ab omnibus, ipso tamen incipiente : Domine labia mea aperies, et os meum annuntiabit laudem tuam; et sic accepta benedictione, ingrediatur ad legen­ dum. Pour cet office, comme pour celui des serviteurs de la cuisine, c'est une bénédiction cpû donne l’investiture. La bénédiction du lecteur se prenait après la Messe et la communion du dimanche. Le frère sollicitait la prière de tous, soit au moyeu d’une formule, soit en se prosternant ou en s’inclinant au milieu du chœur. Il disait trois fois le verset Domine (Ps. L, 17), et toute la communauté le répétait après lui. Puis l’Abbé donnait la bénédiction, probablement en chantant une collecte, et si·· accepta benedictione, ingrediatur ad legendum. Nous avons conservé toute cette liturgie (1), et dans la collecte nous demandons à Dieu qu’il écarte du lecteur « l’esprit d’élèvement et d'ignorance (2) ». N. B. Père ne signale explicitement que le danger d’orgueil : encore une fois, de son temps, une élite seule était capable de bien lire le latin, sans rien de grossier ni de trop barbare. Cette précaution surnaturelle centre la vanité est d'ailleurs toujours de saison : le lecteur occupe une situation élevée ; il parle seul au milieu du silence do tous ; il est tenté de trouver qu'il produit grand effet ; il est exposé à regarder autour de lui pour s’as­ surer de l’admiration publique. Summumque fiat silentium ad mensam, ut nullius mussitatio vel vox, nisi solius legentis, ibi audiatur. Quae vero necessaria sunt comedentibus et bibenti­ bus, sibi sic invicem ministrent fratres, ut nullus (1) Et nous avons adopté aussi la coutume, très ancienne, de demander la béné­ diction avant la lecturo qui accompagne chaque repas. Cf. Udalr., Consuet. Clan., 1. II, c. xxxiv. (2) La formule que nous employons ressemble beaucoup à celle qu’indiquait déjà Smaragde : J.i erte. guœsumus, Domine. ab hoc jamulo tw spiritum elationis, ut humi­ liter legens, sensum e', intellectum capiat lectionis. 364 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT indigeat petere aliquid. Si quid tamen opus fuerit, sonitu cujuscumque signi potius petatur quam voce. Nec praesumat ibi aliquis de ipsa lectione, aut aliunde quidquam requirere, ne detur occasio ma­ ligno, nisi forte prior voluerit pro aedificatione aliquid breviter dicere. Un silence complet et profond doit régner à table : c’est la loi rigou­ reuse qui. de tout temps et partout, a été en vigueur chez les moines (1). Qu’on n’entendo au réfectoire ni chuchotements, ni d’autre parole que celle du lecteur. Les échanges d’idées sont interdits, même à voix basse et dans l’oreille du voisin. H serait de très mauvais goût de dépouiller son courrier pendant la lecture, ou de lire, à part soi, un ouvrage qui intéresse davantage. H faut renoncer aussi aux applications et allusions moqueuses, narquoises, qui se feraient par des gestes, par des sourires, par des regards persévérants ; sans doute il n’y a pas lieu d’être au réfectoire comme figé, non plus d’ailleurs qu’à l’oratoire : mais ces petites manifestations, alors même qu’elles ne blesseraient personne, sont rarement séantes. La charité fraternelle elle-même n’offre pas de prétexte pour rompre le silence. Cassien nous dit que, chez saint Pacôme, « chaque religieux tenait son capuchon baissé sur ses yeux, de façon à n’apercevoir que la table et les aliments placés devant lui et de telle sorte que personne ne pût se rendre compte de la manière dont mangeait le voisin ni de la quantité de sa portion ». Saint Benoît conçoit les choses d’une manière plus aimable et plus courtoise : les frères, dit-il, se serviront réciproque­ ment tout ce qui est nécessaire à des gens qui prennent leur repas ; de la sorte, personne n’aura rien à demander et la loi du silence sera sauve, comme celle de la charité. Nul ne doit être tellement absorbé dans son propre souci, qu’il ne soit capable d’apercevoir ce dont manquent ses frères. H y a d’ailleurs, chez saint Benoît, les hebdomadiers et les servi­ teurs de la cuisine, qui vont et viennent et qui sont attentifs, tout le long du repas. S’il est besoin de demander quelque chose au voisin ou aux servants, cela se fera par un signe, par im son conventionnel, plutôt que par des paroles : Sonitu cujuscumque signi potius petatur quam voce. Plusieurs anciennes Règles s’expriment dans les mêmes termes. (1) Voir les textes législatifs compilés par D. Mabtène dans son Commentaire. — Ελ autem eis el in capiendo cibo summum silentium (Rufin., Hist, monach., c. in. Rosweyde, p. 458). Tantum silentium ab omnibus exhibetur, ui, cum in unum tanta numerositas jralrum rejectionis obtentu consederit, nullus ne muttire quidem audeat praeter cum, qui suae deamiae praeest, qui tamen si quid mensae superinferri vel auferri necessarium esse perviderit, sonitu potius quam voce significat (Cass., Inst., IV, xvn). — Cf. S. Pach,, Rtg., xxxiii. — S, Caesab., Reg. ad virg.. xvi. ··. >7 DU LECTEUR DE SEMAINE 305 Évidemment il s’agissait d’un signe discret, car le fracas matériel eut été aussi préjudiciable au recueillement et à la lecture que le bruit des paroles. Mais les mœurs monastiques d’aujourd'hui ont supprimé tout signal tant soit peu bruyant ; c’est dans les cafés seulement qu’on appelle le garçon en frappant sur son verre ou sur la table. Le silence du réfectoire pourrait être violé non seulement par la dissi­ pation et par des paroles échangées à propos du service, mais encore, selon saint Benoit, par des questions posées sur la lecture ou sur quelque autre sujet. Actuellement, nul n’aurait l’idée d’interroger à ce moment le supérieur; mais nous pouvons être tentés d’engager un petit colloque avec le voisin. La Règle n’y consent pas, ne detur occasio, afin de sup­ primer toute occasion de légèreté, de dispute, d’orgueil. Le mot maligno n’appartient pas au texte original; c’est une glose ajoutée par analogie avec deux autres passages de la Règle (chap. XLIII et LP»’). Les heures où nous accordons à notre corps ce qu’il réclame pour vivre sont des heures périlleuses, de même que celles qui suivent immédia­ tement le repas : il convient alors de se garantir contre les escar­ mouches du diable; c’est un des motifs pour lesquels nous sanctifions les repas par la prière, par la lecture, par le silence. N. B. Père permet au supérieur seul {prior} de dire quelques paroles a pour l’édification », mais brièvement et sans qu’il s’y croie obligé (1). Frater autem hebdomadarius accipiat mixtum priusquam incipiat legere, propter communionem sanctam, et ne forte grave sit ei jejunium sustinere : postea autem cum coquinae hebdomadariis et servitoribus reficiat. Ces dernières dispositions sont relatives aux repas du lecteur semai­ nier. D’abord, avant de commencer sa lecture (2), il recevra le «c mixte ». Le mot mixtum désigne, chez les anciens, soit un vin mélangé de subs tances qui en relèvent le goût et la force, soit surtout un vin coupé d’eau, et il s'oppose alors à merum; il signifie parfois simplement du vin ou un breuvage quelconque, comme miscere signifie verser à boire. H est pos­ sible que pour saint Benoît le « mixte » accordé au lecteur ne soit qu'un (1) Nec alicujus audiatur sermo, nisi divinus, qui ex pagina proferatur, ei ejus qui praeest Patris {Reg. I SS Patrum, vin). Ad mensam specialiter nullus loquatur, nisi qui praeest, ι·Ί qui interrogatus fuerit (S MacaR., Reg., xvin). (2) Peut-ôtu· imiuudintement avant et non pas ante unam horam comme les semai­ niers de la cuisine : ces derniers avaient besoin d’être fortifiés pour la préparation immédiate du repas, la plus pénible. 305 COMMENTAIRE SUR LA REGLE DE SAINT BENOIT coup de vin mélangé d’eau (1) ; mais il est sûr que, peu après N. B. Père, beaucoup l’assimilaicn t pratiquement au petit supplément concédé aux semainiers de la cuisine, singulos biberes et panem : le « mixte » devient alors la petite coupe de vin dans lequel on trempe quelques morceaux de pain. N. B. Père assigne deux motifs à cette coutume : ils ne valent l’un et l’autre que s’il s’agit de la lecture qui accompagne le premier ct souvent l’unique repas de la journée ; et le premier motif : propter communionem sanctam, ne vaut que pour les dimanches et fêtes solennelles, pour les jours où tous les moines faisaient la sainte communion. Le « mixte » joue certainement ici le rôle do l’ablution. Dans les premiers siècles de l’Église (comme maintenant encore, en certaines fonctions liturgiques : ordination, profession, etc.), on donnait aux communiants une gorgée de vin non consacré (quelquefois avec un peu de pain), afin d’entraîner les saintes espèces ct de prévenu· tout accident. Chez saint Benoît, le repas suivait probablement de très près la Messe (2). Et il se peut que les choses se soient passées au Mont-Cassin comme chez le Maître, où le dîner commençait par la distribution d’un vin bénit dans lequel on trempait quelques bouchées de pain ; le Maître prescrit que le lecteur prenne, lui aussi, ce breuvage, et il en donne la raison : Et cum primum mensae Abbas cum omnibus acceperit merum, et ipse (lector) similiter suum merum propter sputum Sacramenti accipiat, et sic incipiat legere (3). Les dimanches et fêtes, selon saint Benoît, les serviteurs de la cuisine prenaient de même leur petite réfection après la Messe et, ces jours-là, en compagnie du lecteur. Quand il n’y avait pas communion, le « mixte» avait du moins l’avantage de tromper un peu la faim, ct il permettait d’attendre sans trop de fatigue le repas que prenaient en même temps lecteur, hebdomadiers et serviteurs de la cuisine. N. B. Père ne nous dit pas si le lecteur recevait aussi le « mixte » avant le souper. Fratres autem non per ordinem legant aut can tent, sed qui aedificent audientes. L’explication de cette courte phrase se rattache à la recommandation par laquelle débute le chapitre. (1) Cf. Explication ascétique et historique de la Règle de saint Benoit, chap, xxxvin. 11*1« (2) CL Paul Dlacbe, Comment, in c. xxxv, p. 333-334. (3) Reg. Magistri, xxiv ; et ibid., xxvn. Lire le commentaire de Calmet sur notre texte, et surtout, dans les Ouvrages posthumes de Maeillon (t. II, p. *272-320), le Traité où Ton rt/ule la nouvelle explication que quelques auteurs donnent aux mots de Messe et de Communion qui se trouvent dans la Regie de saint Benoit, et ΓAddition au précédé·,Λ traité, CHAPITRE XXXIX DE LA MESURE DU MANGER De mensura ciborum. — Sufficere credimus ad refectionem quotidianam tam sextae quam nonae, omnibus mensis cocta duo pulmentaria, propter diversorum infirmitates : ut forte qui ex uno non potuerit edere, ex alio reficiatur. Ergo duo pulmen­ taria cocta fratribus sufficiant; et si fuerint inde poma, aut nascentia leguminum, addatur et ter­ tium. Si les Pères du désert avaient pu lire ce chapitre de la Règle, peut-être eussent-ils regardé ses prescriptions comme concernant des moines relâchés ! Sans doute, quelques-uns de leurs maîtres (1) recommandent bien comme saint Benoît la discrétion dans l’abstinence ct le jeûne : mais la mesure la plus large des Orientaux reste en deçà du menu que N. B. Père accorde chaque jour à tous les siens, et qui comprend jusqu’à trois services. Et encore saint Benoît ne propose-t-il ce régime qu'avec réserve, comme une moyenne raisonnable, sufficere credimus, et laisse-t-il à l’Abbé la faculté d’ajouter un petit extra. Une telle condescendance se justifie sans peine si l’on consent à reconnaître la valeur toute relative de la mortification (2), et si l’on se souvient du but que poursuivait N. B. Père : ouvrir l’accès de la vie monastique à nombre d’âmes que certaines outrances on eussent tenues éloignées à jamais, adapter sa Règle aux conditions ordinaires du tempérament occidental et d’une région où le climat plus rigoureux oblige à compenser le défaut de chaleur externe par des combustions intérieures plus vives. R faut ajouter qu’il écrit pour des gens qui non seulement célèbrent de longs offices, mais travaillent au grand air une partie du jour. La nourriture qu’il leur (1) S. Basil , Reg. fus., xix. — Cass.. Conlat. II, xvi-xxn. 308 COMMENTAIRE SUR LA REGLE DE SAINT BENOIT donne est à peu de chose près celle des paysans, simple et abondante. Λ toutes les tables (1) (c’est-à-dire à celles où les moines prennent place par petits groupes, sous la présidence des doyens ; ou bien à la table de la communauté, à celle des servants et à celle de l’Abbé) :à toutes les tables on servira deux mets cuits, cocta duo pulmentaria (2); saint Benoît ne juge ni opportun ni même possible de préciser leur nature. Les usages ont varié extrêmement sur ce point ; il no faut pas essayer d’en résumer l’histoire. Les légumes ont toujours formé la base de l’ali­ mentation des moines ; les œufs, le poisson, les laitages apparaissaient jadis plus rarement sur leur table. A Cluny on cuisait des fèves tous les jours : c’était le plat régulier par excellence (3). Naturellement saint Benoît n’impose pas les deux mets; il les permet pour que tous les appétits puissent se satisfaire et les forces de tous se réparer : propter diversorum infirmitates. H ajoute que, grâce à ce double service, le frère qui ne pourra pas manger d’un plat, pourra du moins se dédommager avec l’autre. Mais, d’après la Règle, avons-nous le droit de faire hon­ neur aux deux? Les commentateurs s'accordent entre eux et avec l'usage pour l’affirmative. Donc, deux mets cuits suffiront aux frères, reprend saint Benoît ; et l’on ajoutera en troisième lieu des fruits et des légumes frais, si l’on peut se les procurer facilement, s’il y en a dans le jardin du monastère : si fuerint inde (ou bien unde). Le menu que vient de donner N. B. Père est celui de la journée tout entière, c’est la quantité d’aliments fournie chaque jour, c’est la réfection quotidienne, qu’il y ait deux repas ou qu’il n’y en ait qu’un seul, en Carême comme pendant le reste de l’année. Telle est du moins l’interpréta­ tion la mieux fondée (4) de ce texte de la Règle un peu trop concis : ad refectionem quotidianam tam sextae quam nonae. Saint Benoît ne parle que du repas de sexte ou de none ; quand on dînait à sexto, il y avait souper le soir, mais le repas de sexte était le principal et il est probable qu’on prélevait sur son menu non seulement le tiers du pain, comme saint Benoît nous le dira dans un instant, mais les aliments qui convenaient Je mieux à un souper frugal. Aux jeûnes de règle, on mangeait à noue ; pen­ dant le Carême ecclésiastique, Punique repas se faisait le soir ; mais on servait toujours la même quantité de nourriture, N. B. Père laissant à la délicatesse de chacun le soin d’opérer les retranchements compatibles (1) Quoi qu’en dise D. Calmet, la meilleure leçon des manuscrits est bien celle-ci, et non omntl/us mensibus. en toute saison; on faisait parfois, en effet, une différence entre le régime d’été et celui d’hiver : Cf Caton, De re rustica, c. lvi-lviii. Caton veut qu’on donne, le quatrième mois, une hémine de vin aux travailleurs, tr.is homines aux neuvième, dixième et onzième mois. Il parle au même endroit du publie.1 ium d’olives, (2) Pulmentarium signifie des mets, quels qu’ils soient, surtout les ragoûts, parées, bouillies : Cf. Calmet, ίη Λ. I. (3) Bernard., Ordo Clun., P. I, c. vi, xlvti. — Udalr., Consuet. Clun., 1. II, c. xxv. (4) Voir surtout le Commentaire de D. Calmet, DE LA MESURE DU MANGER 3°9 avec sa santé et avec l’obéissance (chap. XLIX). La plupart des anciens coutumiers monastiques fournissent la justification pratique de ce commentaire. Panis libra una propensa sufficiat in die, sive una sit refectio, sive prandii et coenae. Quod si coenaturi sunt, de eadem libra tertia pars a cellerario servetur, reddenda coenaluris. Chaque jour, qu’il y ait un seul repas ou bien dîner et souper, une livre de pain suffira, une livre un peu forte, à bon poids, entraînant de son côté le fléau de la balance : propensa. S’il y a souper, le cellérier réservera pour le soir le tiers de cette même livre. H est probable que des divisions tracées préalablement dans la pâte facilitaient ce partage (1). D’intermi­ nables discussions se sont élevées relativement à la quantité exacte de la libra propensa, comme aussi de l’hémine de vin dont il est parlé au chapitre suivant (2). Toutes ces recherches peuvent avoir un intérêt de curiosité et d’érudition, mais elles n’en ont vraiment aucun comme commentaire et élucidation réelle de la sainte Règle. A supposer même que les mesures n’aient pas varié selon les temps et les provinces tout en conservant leurs noms, on voit bien que dans l’espèce N. B. Père prend les mesures usuelles d’une façon approximative et non rigoureuse ; sa livre de pain est un peu plus d’une livre, la capacité de son hémine est calculée peutêtre de manière à donner satisfaction aux exigences des. faibles. Et ce qui paraît plus décisif encore, c’est le soin que prennent les moines du Cassin de conserver le poids du pain et la mesure du vin fixés par N. B. Père ; ils les emportent à Rome, en 581, lorsqu’ils sont chassés par les Lombards (3); peut-être Pétronax et les restaurateurs du Cassin les recouvrent-ils, grâce au pape Zacharie (741-752) (4); enfin l’Abbé du Mont-Cassin Théodemar envoie à Charlemagne les mesures du pain et du vin telles que les avait déterminées saint Benoît (5) .Toutes ces précau­ tions deviennent superflues, si la livre et l’hémine sont des mesures inva­ riables, connues de tous et d’usage courant; et l’on voit bien qu’il no s'agit pas seulement de reliques de N. B. Père, mais de normes spéciales (1) Cf. S. Greg. M., Dial., 11, c. xi. P. L., LXXVII, 212. (2) Cf. Hæften, L X, tract, m-iv. — Lancelot, Dissertation sur Wmlne de vin cl sur la line de pain de saint Benoist et des autres anciens religieux (Paris, 1667 ; deuxième édition en 1688, plus complète). — Mabillon, Acta SS, O. S. B., Saec. IV, P. I, Praef., 152-165. (3) Cf Pauli Diac., De gestis Langobardorum, L IV, c. xvm, P. L, XCV, 548, (4) Ibid., 1. VI, c. XL. P. L., XCV, 650-651. (5) Pauli Diac , Episl, I. P, L., XCV, 1585, 316 COMMENTA IRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT données par lui (1). La livre romaine équivaut, d’après des calculs récents, à 327 gr. 45 (2). Ce serait peu pour la nourriture quotidienne d'hommes qui travaillent aux champs. Il y a lieu de croire, dit D. Calmet, que saint Benoît n’a pas choisi la livre romaine, laquelle valait douze onces (romaines), mais la livre marchande qui en valait seize (3). Beau­ coup de commentateurs trouvent que ce n’est pas encore assez. Nos Constitutions déclarent sagement que, puisqu’on ignore ce que repré­ sente la livre de saint Benoît, on accordera le pain à discrétion. Quod si labor forte factus fuerit major, in arbitrio et potestate Abbatis erit, si expediat, aliquid augere, remota prae omnibus crapula, ut numquam subri­ piat monacho indigenes : quia nihil sic contrarium est omni christiano quomodo crapula, sicut ait Dominus noster : Videte ne graventur corda vestra in crapula et ebrietate. Pueris vero minori aetate non eadem servetur quantitas, sed minor quam majo­ ribus, servata in omnibus parcitate. Si large que soit déjà la mesure quotidienne et ordinaire du manger, saint Benoît laisse pourtant encore àl’Abbé la faculté d’y ajouter quelque chose, s’il le juge à propos, dans l’hypothèse, par exemple, d’un travail extraordinaire. Le dessein de N. B. Père n’est donc point de pousser d’office tous ses moines à la mortification héroïque et aux macérations extrêmes. La fonction de l’Abbé n’est point d’écraser, mais d’établir une juste balance entre le travail et la réparation physique qu’il exige. Il prendra garde seulement à l’excès. Avant tout, que ces compensations ne favorisent jamais la gloutonnerie et qu’un moine ne soit jamais surpris parles suites honteuses de la gourmandise : indigenes. Car il n’est rien de plus avilissant, non seulement pour le moine, mais même pour tout chrétien, quo de tels excès ; et c’est à tous les siens que Notre-Seigneur s’adressait en disant : a Prenez garde à ce que vos cœurs no s’appesantissent point par l’excès dans le manger et le boire » (Luc., xxi, 34). Saint Benoît ajoute que les enfants du monastère auront la (1) On conserve au Mont-Cassin un poids de bronze de 1 050 grammes, que Dom Tosn croit être h libra propensa de saint Benoît : Della vita di San Benedetto, capo v (edizione illustrata, p. 134). N’est-ce pas le poids d’un pain qui se partageait entre plusieurs moines? (Ci. Calmet, Commentaire snr le chapitre xxxrx, p. 39-10.) (2) · Dakembekg et Saglio, Dictionnaire des Antiquités grecques et romaines : Libra, rv. (3) En France, la livre de Paris, la plus répandue, se divisait en 16 onces équivalant à 80 gr. 59 Pane, DE LA MESURE DU MANGER 311 portion qui convient à leur âge; et, avec la condescendance qu'ils méritent, on observera aussi, en toutes choses, l’austérité qui convient à la xûe dont ils font déjà profession. Peut-être aujourd’hui la gourmandise porterait-elle plutôt sur les raffinements et les exceptions que sur la quantité proprement dite. Et, chose étrange, il faut parfois, actuellement, solliciter les gens à manger, tout comme s’ils étaient manichéens et comme si se nourrir était un mal. Il se rencontre quelques cerveaux bizarres qui regardent le manger et le boire comme une humiliation et se détruisent par l'idée fixe ; ceux-là ont besoin d’être surveillés et même contraints. En dehors de ces cas pathologiques, l’Abbé laisse à chacun le soin d’apprécier devant Dieu ce qu’il doit prendre et ce qu’il*peut retrancher. On mange pour vivre; on prend ce qui est nécessaire pour soutenir le travail et faire face aux obédiences ; et l’on garde toujours cette disposition de bonne édu­ cation, d’hygiène et de mortification chrétienne qui nous fait demeurer en deçà de la satiété (1). Il ne faut pas non plus que le réfectoire et ce qui nous y attend devienne une préoccupation dans notre vie, un souci constant et cruel. L’idée des compensations et des suppléments au régime ordinaire a été généralement bien accueillie et réalisée sous diverses formes. Les coutumiers et les chartes de fondation du moyen âge mentionnent sou­ vent les plats de surcroît et les distributions de pitances. A Cluny, on finit par ajouter régulièrement aux fèves et aux légumes un « général i ou une « pitance» d’œufs, de poisson, de fromage :1e général était la por­ tion servie à chaque moine dans un plat spécial, la pitance un plat pour deux (2). Les estomacs d’aujourd’hui ne se prêteraient plus aux solides repas de nos anciens. H est vrai qu’ils avaient la saignée, souvent la saignée mensuelle : mais, comme pour compenser aussitôt la « minution ·> pratiquée, on offrait au patient un sérieux général et on le soumettait à tout un régime réparateur. Carnium vero quadrupedum ab omnibus absti­ neatur comestio, praeter omnino debiles et aegrotos. Rappelons-nous ce que saint Benoît nous a dit au sujet des malades, au chapitre XXXVI : Sed et carnium esus, etc. Ici, même défense à ceux qui se portent bien de manger de la viande, même exception en faveur des frères sérieusement malades ou infirmes. Mais saint Benoit 11) Cf. Cass., Inst., V, vrn, — S. Auo., Confess., 1. X, c. xxxi. P. L, XXXII, 797 sa 12) C’est la définition que dinne Udalric, Consuet. Clun.,1. II, c, xxxv; et 1. III, C, Χ.ΊΙΙ. 312 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT précise maintenant la portée de sa défense: carnium vero quadrupedum : c'est la chair des quadrupèdes qui est interdite. Est-cc exclusif? La chair des volailles se trouve-t-elle permise ou tolérée? Si étrange que cela nous paraisse, il ne semble pourtant pas contestable qu’à l’époque de saint Benoît, et pendant de longssiècles encore, les volatiles aient été considérés par beaucoup, nous ne disons pas par tous (1), comme un mets compa­ tible avec l’abstinence. On pouvait s’en priver par mortification, mais on reconnaissait que c’était une chair de qualité inférieure ; plus fine peutêtre et plus agréable au goût que celle des quadrupèdes, elle était cepen­ dant moins nourrissante, moins apte à allumer les passions. Et puis ne lisait-on pas dans la Genèse que les poissons et les oiseaux avaient été créés le même jour et tirés des eaux les uns et les autres? Comment sur­ tout ne pas assimiler aux poissons le gibier aquatique, qui se nourrit de poisson et qui en ale goût? Quelle que soit la valeur des raisons allé­ guées jadis pour justifier l’usage de considérer comme maigre les bipèdes, c’était un usage, et chacun sait que la casuistique d’aujourd’hui tolère encore, aux jours d’abstinence, quelques oiseaux aquatiques. Ils étonne­ raient d’ailleurs sur une table de moines ; et la question, pour nous, est pratiquement décidée (2). (1) S. Cf. s aire défend explicitement la volaille, sauf aux malades : Reg. ad mon., xxrv; Reg. ad virg., Recapitulatio, xvn. (2) L'histoire en est bien résumée dans le Commentaire de D. Calmet. Lire aussi : Hebrgott, Vêtus disciplina monastica, Pract., p. xn-xxxn. —D. Grégoire Berthelet, Traité historique et moral de l'abstinence de la viande et des revolutions quelle a eues depuis le commencement du monde jusqu'à présent, etc. (Rouen. 1731), III P., chap. i-n. — D, Mège avait soutenu que saint Benoît défend la chair des oiseaux. F CHAPITRE XL DE LA MESURE DU BOIRE De mensura potus. — Unusquisque proprium habet donum ex Deo : alius sic, alius cero sic. Et ideo cum aliqua scrupulositate a nobis mensura victus alio­ rum constituitur. Tamen infirmorum contuentes imbecillitatem, credimus heminam vini per singulos sufficere per diem. Le chapitre tout entier semble un monument de cette discrétion paternelle que nous avons remarquée si souvent et qui apparaît ici, touchante, dans le soin avec lequel sont réglés les détails les plus maté­ riels de notre vie. Tout d’abord c’est la reconnaissance formelle des diffé­ rences de corps, d’âmes, de grâces, qui existent entre nous : a Chacun tient de Dieu son don particulier : c’est ceci pour l’un, cela pour l’autre » (I Cor., vu, 7). Et, à raison de ces variétés individuelles, N. B. Père avoue qu’il n’aborde pas sans quelque inquiétude et sans un peu de timidité la fixation de tout ce qui concerne le vivre d’autrui. 11 ne peut être question de déterminer une mesure absolument invariable et rigide, un lit de Procuste auquel se devront accommoder les grands et les petits ; il ne faut point davantage se prendre soi-même comme le type auquel tous se rapporteront. Mais alors, quel sera notre point de repère? Nous serons attentifs, dit saint Benoît, à la faiblesse des petits, des chétifs : de ceux qui sont petits quant aux forces physiques, et aussi de ceux qui ne sont pas riches encore en vigueur morale. Et, en vue de tous ceux-là, il nous semble qu’une hémine de yin, par jour, suffira à chaque religieux. L’hémine romaine équivalait à peu près au quart du litre (0 1. 2736) (1). Mais rappelons-nous ce qui a été dit plus haut. (1) Daremberg et Saglio, Dictionn, des AnliquiUs grecques ri romaints ! He­ mina. Jl i 314 COMMENTAIRE SUR L,V REGLE DE SAINT BENOIT Quibus autem donat Deus tolerantiam abstinen­ tiae, propriam se habituros merccdem sciant. Quod si aut loci necessitas, vel labor, aut ardor aestatis amplius poposcerit, in arbitrio prioris consistat, con­ siderans in omnibus ne subrepat satietas aut ebrietas. I Après l’indication d’une moyenne raisonnable, la Règle, soucieuse à la fois de l’esprit de mortification, de l’obéissance, de la condescendance, prévoit les principaux cas qui peuvent survenir. Voici un moine qui pense pouvoir se priver de vin, en tout ou en partie ; Dieu lui a donné une santé vigoureuse et il lui inspire le secret désir de cette abstinence : qu’il demande à son Abbé la permission exigée au chapitre XLIX et, s’il l’obtient, qu’il renonce au vin, avec le double mérite de la générosité et de la soumission. Mais s’il est des cas où l’hémine, c’est trop, il en est d’autres où l’hémine, c’est trop peu. Loci necessitas, labor, ardor aestatis : le climat est rigou­ reux, ou bien l’on a fourni un travail extraordinaire, ou bien Ton est au cœur de l’été et la chaleur est dévorante : un peu plus de boisson semble réclamée par ces circonstances. Il appartiendra au supérieur d’accorder ce supplément, mais en veillant par-dessus tout à ce que nul n’arrive insensiblement jusqu’à l’ivresse ou même jusqu'à une satiété voisine de l’ivresse. Les commentateurs donnent le détail des rasades accordées aux moines à la lin ou en dehors des repas. A Cluny, outre la portion de vin régulière servie au repas (la « justice », comme on disait), on donnait assez souvent une « charité de vin », ou le pigmentum, mélange de vin, de miel, de cannelle, de girofle. Licet legamus vinum omnino monachorum non esse; sed quia nostris temporibus id monachis per­ suaderi non potest, saltem vel hoc consentiamus, ut non usque ad satietatem bibamus, sed parcius : quia vinum aposlatare facit etiam sapientes. On dirait que saint Benoît rougit un peu de sa miséricorde paternelle et se souvient avec quelque regret de l’héroïsme des Pères d’Orient. « Nous lisons, dit-il, que le vin ne convient aucunement aux moines. » H lisait cela textuellement dans le recueil des Verba Seniorum (1). Π lisait aussi »! : (1) Narraverunt quidam dblali Pastori de quodam monacho qui non bibebat vinum, X DE LA MESURE DU BOIRE aïs dans la Vie de saint Antoine que ni lui ni les autres ascètes fervents if usaient de viande ou de vin (1). Cet usage n’était pourtant pas général : V Histoire Lausiaque,pax exemple, nous apprend que les moines de Nitrio buvaient du vin (2) ; ainsi faisait-on chez saint Césaire. De nos jours, poursuit saint Benoît, il est impossible de persuader aux moines que l’axiome des anciens est exact ; buvons donc du vin, puisqu’il faut du vin, mais convenons du moins de n’en pas boire jusqu’à satiété (3) et de rester en deçà, car « le vin fait apostasier même les sages» (Eccll, xix, 2). Au Mont-Cassin, comme à Vicovaro (4), saint Benoît buvait du vin. Il lui eût été facile d’étonner chacun par sa mortification : il était entraîné, il n’avait qu’a se souvenir de Subiaco. Mais, devenu père de famille, il s’harmonisait avec les dispositions et les coutumes légi­ times de scs moines. Ubi au te ni loci necessitas exposcit, ut nec suprascripla mensura inveniri possit, sed mullo minus, aut ex toto nihil, benedicant Deum qui ibi habitant, et non murmurent. Hoc autem omnino admonentes, ut absque murmurationibus sint. On se bornera donc à l’hémine, qui offre un moyen terme entre l’abs­ tinence absolue et la satiété. Encore faut-il prévoir telle circonstance où cette mesure réduite elle-même ne se rencontrera point. Le monastère est pauvre, le pays n’a pas de vignobles : on ne peut se procurer que beaucoup moins, ou peut-être même rien du tout. Alors les moines de cette région béniront Dieu, de qui vient le vin, de qui vient la privation, Di n’est pas mortelle. et ils feront bonne figure à cette petite détresse. Elle Nous sommes dans la condition de ceux qui font la guerre : Omnis qui in agone contendit, ab omnibus se abtlinel; et üli quidem ut corruptibilem coro­ nam accipiant, nos autem incorruptam (I Cor., ix, 25). H ne faut jamais Hlll murmurer ni s’assombrir pour des questions comme celles-là. Avant tout, redit avec force N. B. Père, nous avertissons les moines privés de leur portion de vin de s’abstenir aussi des murmures. I ci dixit eis : Quia vinum monachorum omnino non esi (Γετδα Ssmonxm : Vitae Patrum, V, iv, 31. Rosweyde, p. 570). (1) S. Athanasii, Vita S. Antonii, c. vn. P. G., XXVI, 853. — Cf. S. Aug., De moribus Eccles, cathol., 1. I, c. xxxi. P. L., XXXII, 1339. — S. Hiekox., Ep. LII, 11 ; Ep. XXII, 35. P. L., XXII, 53G-537 ; ibid., 420. (2) C. VII (Roswetde, p. 713). * I (3) Ut non usque ad satietatem persistamus ύι edendo (S. Basil., Eeq. c-ontr., ix). (4) S. Greg, M., Dial., ). II, c, ni, CHAPITRE XL I QUELLES DOIVENT ÊTRE LES HEURES DES REPAS POUR LES FRÈRES — A sancto Pascha usque ad Pentecosten ad sextam refi­ ciant fratres, et ad seram coenent. Quibus horis oporteat reficere fratres. Saint Benoît distingue pour l’année quatre époques relativement à l’heure des repas. Depuis la sainte Pâque jusqu’à la Pentecôte, il n’y a point de jeûne, et ceci est conforme à l’ancienne discipline de Γ Église. Encore que saint Benoît n’en dise rien, il est sûr que les moines ne jeû­ naient pas non plus le dimanche. On comptait deux repas : l’un au milieu du jour, à la sixième heure ; l’autre le soir, c’est-à-dire avant le coucher du soleil, et cette heure variait naturellement selon les saisons. Alors que chez les Grecs et les Romains le dîner de midi était communément un peu sommaire, il était au contraire chez les moines le repas principal. A Pentecoste autem, tota aestate, si labores agro­ rum non habent monachi, aut nimietas aestatis non perturbat, quarta et sexta feria jejunent usque ad nonam : reliquis vero diebus ad sextam prandeant. Quae prandii sexta, si opera in agris habuerint, aut aestatis fervor nimius fuerit, continuanda erit, et in Abbatis sit providentia. Et sic omnia temperet atque disponat, qualiter et animae salventur, et quod faciunt fratres, absque ulla murmuratione faciant. A partir de la Pentecôte et pendant tout l’été, c’est le même régime que pour le temps Pascal, avec cette différence que le mercredi et le ven­ dredi sont jours de jeûne régulier. Ces fériés quatrième et sixième étaient 31 r> DE L'HEURE DES REPAS 317 aussi pour tous les chrétiens des premiers siècles des jours de pénitence (1). Mais, afin de distinguer le jeune des mercredis et vendredis de celui du Carême, saint Benoît anticipe l’heure du repas unique : il se prend à none, c’est-à-dire vers trois heures de l’après-midi. C’est aussi à none que, dans certains lieux, l’on rompait le jeûne, non seulement pendant cette période de l’année, mais même en Carême (2). Les autres jours, dit saint Benoît, on mangera à sexte. Comme il ne parle pas du souper et que des documents anciens, tels que la Règle de saint Fructueux et la Règle du, Maître, l’excluent formellement, quelques commentateurs doutent qu’il y eût en été, au Mont-Cassin, un prandium et une coena (3). Mais l’usage de tout l’Ordre est d’accorder deux repas tous les jours qui ne sont pas de jeûne. N. B. Père permet un adoucissement du régime d’été dans le cas de travaux extraordinaires ou de chaleurs excessives. Les heures, en cette saison, étaient plus longues, et d eut été souvent fort pénible d’attendre jusqu’à none pour se restaurer. Quae prandii sexta continuanda erit : on continuera l’usage du repas pris à sexte, c'est-à-dire que toute la semaine, y compris le mercredi et le vendredi, le dîner aura lieu à sexte. Probable­ ment, il y avait aussi souper le soir ; c’était la suppression pure et simple du jeûne. L’appréciation de ce qu’il convient de faire est remise au juge­ ment paternel, à la prévoyance de l’Abbé. Et qu’ainsi, ajoute saint Benoît, il ménage et dispose toutes choses de telle manière que les âmes se sauvent et que le travail des frères s’accomplisse sans murmure. C’est toujours le même souci du tempérament, de la mesure ; toujours la même crainte du murmure et des protestations, même purement secrètes. H vaut mieux dispenser du jeûne que d’exposer les frères au découragement et à la tristesse. Ab Idibus autem Septembris usque ad caput Qua­ dragesimae, ad nonam semper reficiant fratres. La troisième période, celle que nous appelons le Carême monastique, va depuis les ides fermées de septembre, depuis les calendes ouvertes (1) Cf. S. Epiph., .-ldi’. Haereses, 1. Ill, t. II : Expositio fidei, xxn. P. G., XLII, 825-828. (2) Cf. Socrat., Hist, eccles., 1. V, c. xxn. P. G.. LXV1I,625-646. — Cass., Conlal. Π, XXVI ; XXI, xxni. (3) S. Jérôme écrit, dans sa Préface à la Règle de S. Paeôme (5) : Bis in hebdomada, quarta et sexta Sabbati ab omnibus jejunatur, exeepto tempore Paschae ei Pentecostes. Aliis diebus comedunt qui volunt post meridiem; et in coena similiter mensa ponitur, propter laborantes, senes, et pueros, aestusque gravissimos. Sunt qui secundo parum comedunt; alii qui prandii, sive coenae uno tantum cibo contenti sunt, Cf. Labeuze, Étude sur le cénobitisme pakhomien, p. 298-299. • 318 · COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT d’octobre, c’est-à-dire depuis le 14 septembre jusqu’au Carême ecclésias­ tique. Alors le repas est à none. Rien ne prouve qu’il y eût collation les jours de jeûne. Mais rappelons-nous que la quantité de nourriture était probablement la même en tout temps ; que, les jours de jeûne, on servait en une fois ce qu’on servait les autres jours en deux ; l’heure de cet unique repas était simplement plus ou moins retardée. In Quadragesima vero usque ad Pascha, ad vespe­ ram reficiant. Ipsa tamen Vespera sic agatur, ut lumine lucernae non indigeant reficientes, sed luce adhuc diei omnia consummentur. Sed et omni tem­ pore, sive coenae, sive refectionis hora sic tempe­ retur, ut cum luce fiant omnia. Depuis le début du Carême (mercredi des cendres ou premier di­ manche) (1) jusqu’à Pâques, on mangera seulement à l’heure de vêpres, après l’office. Pendant de longs siècles ce fut aussi l’usage le plus commun des clercs et des fidèles. N. B. Père veut que le repas de Carême se prenne avant le coucher du soleil; cette anticipation sera un petit soulagement pour les frères. On placera donc l’office de Vêpres à une heure qui permette aux moines de terminer leur repas à la clarté du jour et sans avoir besoin de lumière. Ainsi, le lecteur pourra lire sans chandelle, et surtout les frères seront moins tentés de se dissiper pendant le repas : les petits colloques eussent été faciles dans un réfectoire assez mal éclairé. Et saint Benoit généralise cette mesure : toute l’année, l’heure du souper ou l’heure de l’unique réfection seront calculées de telle sorte que tout s’accomplisse à la lueur du jour qui finit. Mais, peut-on objecter, en hiver, le souper sera bien près du dîner? A cette difficulté D. Calmet répond : « 1° Que saint Benoît a parlé selon le climat d’Italie où il écrivait et où les jours pendant l’hyver sont plus longs qu’en France, en Allemagne et dans le Nord. 2° Qu’il n’est nullement certain qu’il ait accordé le souper à ses religieux depuis l’Exaltation de la sainte Croix jusqu’à Pâques, aux jours qu’on mangeait à l’heure de Sexte, non plus qu’aux jours où l’on ne mangeait qu’à l’heure de None... 3° Supposé qu’il l’accordât, c’était plutôt un léger goûter qu’un souper... » (1) Cf. Didionn, (TArchiol, duel, cl de Lilurg., art, Caput Jejunii; CHAPITRE XLH QUE PERSONNE NE PARLE APRÈS COMPLIES Rappelons-nous la division de la Règle qui a été proposée an chapitre Ier. La portion centrale, de XXI à LVII inclusivement, est relative à la législation et au régime intérieur du monastère. Elle se subdivise en trois parties : XXI-XXX, les doyens, et, à l’occasion des doyens, leur office et le code pénal ; XXXI-XLI, le cellérier, et, à l’occasion du cellirier, tout ce qui se rattache d’une façon plus ou moins immédiate à son office. C’est de régularité et d’observance qu’il est question maintenant. Et il sera facile de remarquer à quel point le chapitre XLH suppose le précédent et s’appuie sur lui. — Omni tem­ pore silentio debent studere monachi, maxime tamen nocturnis horis, et ideo omni tempore, sive jejunii, sive prandii. L’t post Completorium nemo loquatur. Saint Benoît commence par le silence, comme pour rappeler que c’est le point le plus considérable de l’observance monastique. Lorsque les supérieurs réclament, à maintes reprises, en faveur du silence, on pourrait croire qu’il s’agit d'un vague lieu commun, d’un thème auquel on s’attache lorsqu’on n’a rien d’autre à dire : ce n’est pourtant qu’imiter N. B. Père. Sans revenir sur les considérations doctrinales et pratiques auxquelles a donné lieu le chapitre VI, nous pouvons bien observer encore que le silence, comme la pauvreté et la mortification, n’a qu’une valeur relative. Le silence n’est pas la perfection, le mutisme absolu n’est pas la sainteté. 11 est des natures qui, par timidité ou par tranquillité foncière, n’aiment pas à se traduire : le silence est alors de tempérament, il n’est pas vertu. Ce qui fait son excellence, c’est sa relation volontaire, intentionnelle, avec la perfection et avec Dieu : le silence est moyen de prière, c’est une condition et un fruit du recueillement intérieur, c’est le gardien et l’indice de la charité. ''7 319 3’0 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT Il y a entre les fins de la vie monastique et le recueillement une liaison telle que la parole de saint Benoît se fait instante et comme impérieuse : les moines doivent, — ce n'est pas une simple invitation, — ils doivent en tout temps, —sans exception et alors même qu’ils parlent, s’appliquer au silence et l’aimer. Omni tempore silentio debent studere monachi : tel est l’axiome général, mais dont les applications varient avec les temps, les lieux, les matières de conversation. Car saint Benoît, nous l’avons remarqué ailleurs, n’a prescrit nulle part la suppression absolue de toute parole ; il institue des degrés dans le silence ; et la diversité même de ces degrés, quelquefois aussi l’exclusion spéciale prononcée contre certains discours, tout ce détail de mesures préventives serait hors de mise dans une maison où l’on ne parle jamais. Ici, N. B. Pore assure un privilège au silence de nuit (1). Et les Ordres religieux ont adopté universellement après lui une mesure qui se justifie par des raisons multiples. En premier lieu celle du bon ordre, tous les religieux couchant dans un même dortoir, et la vigilance de l’Abbé et des doyens se trouvant alors détendue. C'est de plus une question de mortification ; tandis que tout se tait et que tout se recueille, notre volonté se soumet aux exigences des choses; nous nous mettons simplement à l’unisson de la nature. Lorsque tout bruit a cessé, la fermentation des images s’apaise en nous, la réflexion et la prière deviennent plus faciles ; et il s'accomplit dans le secret des âmes quelque chose de ce que la Sagesse nous rapporte de l’intervention libératrice de l’Ange et que l’Église applique à la venue du Seigneur icibas : Cum enim quietum silentium contineret omnia, et nox in suo cursu medium iter haberet, omnipotens sermo tuus de caelo a regalibus sedibus... prosilivit (Sap., xvin, 14-15). Outre la recommandation générale du silence, il est réellement question de trois choses, dans ce chapitre : de la lecture ou conférence spirituelle, de l’office de Complies, du silence de nuit. La fin de la première phrase office quelque difficulté d’interprétation. On remarquera la ponctuation que nous avons adoptée (2) ; les éditions de Schmidt et de W· Ifllin ont mis un point après horis et deux points après les mots si e prandii. Avec l'une et l’autre ponctuation, la clausule et idea, etc., est à la fois la con­ clusion du précepte général qui précède et l’annonce du détail qui suit. Le sens paraît être celui-ci : c’est en tout temps que les moines doivent s’appliquer au silence, mais surtout aux heures de nuit ; aussi, en tout temps (3), qu’il y ait jeûne ou bien dîner et souper, les choses (1) On trouve avant saint Benoît quelques témoignages en faveur du silence de nuit: Nemo allen loquatur in tenebris, dit la Règle de S. Pacôme (xctv). Finitis igitur psalmis et cotidiana congregatione, sicut superius memoravimus, absoluta, nullus eorum vel ad modicum subsistere aut sermocinari audet cum allero (Cass., Inst., II, xv). (2) C’est celle à laquelle s’est tenu D. Guéranger dans sa traduction française de la Règle. (3) Omni tempore semble signifier ici : toute l’année, tous les jours, tandis qu’au QUE PERSONNE NE PARLE APRÈS COMPLIES ÎS1 sc passeront comme il suit. Et, dans une large parenthèse, saint Benoît nous indique comment les frères se préparent au silence de nuit et à quel moment il commence, soit qu'il s’agisse d’une journée où Ton fait deux repas, soit qu'il s’agisse d’un jour de jeûne, — de jeûne régulier, car N. B. Père, nous dirons pourquoi, n’a point envisagé explicitement le cas des jeûnes ecclésiastiques. Après cette parenthèse, et avec les mots : Et exeuntes a Completorio..., nous revenons à l’idée du silence de nuit. Un troisième système de ponctuation, assez commun, consiste à faire commencer la phrase avec Et ideo... et ou à des chants exécutés par tout le chœur? Nous ne saurions le dire ; l’expression nec totum perdat de plus haut semble indiquer qu’ils n’avaient pas un rôle purement passif. Nous ne voyons pas bien non plus, d’après le seul texte de la Règle, si cette exclusion du chœur pouvait être main­ tenue pendant plusieurs offices, lorsque la négligence était plus grave, ou plus habituelle, ou bien lorsque la satisfaction finale se faisait attendre. Mais saint Benoît nous dit que le négligent reprenait au chœur sa place et son rôle accoutumés sur une invitation formelle de l’Abbé : dans le cas, par exemple, où ce frère avait à remplir un office qui, sans lui, serait demeuré vacant ou en souffrant e ; il ne fallait pas, pour châtier le retard d’un seul, déconcerter l’ordre de la prière commune. Cependant, même alors, le coupable devait faire, après l’office, une satisfaction publique. On a pu remarquer que N. B. Père est plus condescendant pour les retardataires de Matines que pour ceux du jour; chacun comprend pourquoi. A l’office de nuit, il fait grâce jusqu'après le verset, le psaume in et l’invitatoire ; aux Heures de jour, le châtiment tombe sur ceux qui se présentent après le premier psaume. Mais qu'est-ce que saint Benoît entend par l’expression diurnis Horis?Cassieu, dans un pas­ sage que N. B. Père utilise en le modifiant (2), décrit les satisfactions des moines palestiniens lorsqu’ils arrivent en retard aux offices de nuit : in nocturnis conventiculis, ou bien à Tierce, Sexte et None: in Tertia, Sexta vel Nona. Cassien ne dit rien des autres Heures ; les Laudes pouvaient rentrer dans la catégorie des offices de nuit, Complies n’existait probablement pas encore dans cette région, Prime était d’institution toute récente : mais les Vêpres? pour cet office du soir y avait-il aussi, au point de vi e des satisfactions, le meme régime que pour les réunions nocturnes (3)? Quelles qu’aient été, d'ailleurs, les habitudes palestiniennes, rien no nous permet de conclure à une coïncidence rigoureuse entre les dispos,(1) Voir p. 1C8-1G9. (2) hut., III, vu. (o) Voir p. 195, note L 330 COMMENTAIRE SUB LA RÈGLE DE SAINT BENOIT tions dont parle Cassien et celles de saint Benoît. Si N. B. Père entend réellement parler des Laudes et des Heures suivantes, il nous faut recon­ naître à toutes ces Heures l’existence du verset Deus in adjutorium, alors que dans l’exposition de son c-rsus il ne le mentionnait explicitement que pour Prime, Tierce. Sexte et None (1); et nous devons admettre q.i‘à Laudes les retardataire ; ont jusque après le Gloria du psaume lxvt, qui se dit lentement à dessein comme l’invitatoirc, ut omnes occurrant ad quinquagesimum (chap. XIII) (2). Peut-être enfin le fait que saint Benoît ne mentionne pas ici l'hymne, entre le verset et le premier psaume, serait-il une preuve qu’il veut faire rentrer dans une formule unique et exacte le cas des offices de jour où l’hymne est avant la psalmodie (Prime, Tierce, Sexte, None) et le cas des autres offices où l’hymne ne vient qu’après (Laudes, Vêpres et Complies). Ad mensam autem qui ante Versum non occur­ rerit, ut simul omnes dicant Versum et orent, cl sub uno simul omnes accedant ad mensam : qui per negligenliam suam aut vitium non occurrerit, usque ad secundam vicem pro hoc corripiatur : si denuo non emendaverit, non permittatur ad mensae com­ munis participationem, sed sequestratus a consortio omnium reficiat solus, sublata ei portione sua vini, usque ad satisfactionem et emendationem. Similiter autem patiatur, qui ad illum Versum non fuerit praesens, qui post cibum dicitur. Saint Benoît garantit maintenant la conventualité des repas. Elle est, somme tonte, facilement réalisable : car des raisons décisives déter­ minent les moines à se rendre tous et sans trop de lenteur au réfectoire. La réunion est vraiment complète ! Mais si tous sont présents aux repas, tous aussi doivent être présents à la prière qui les précède, comme à celle qui les suit. Il y avait donc, dès cette époque — et l’usage est aussi ancien que le christianisme (3) — une formule de bénédiction de la table (1) Voir p. 181 et 201 (2) N’est-ce pas précisément par allusion à Laudes et pour prévenir tonte confusion entre le psaume lxvi et le V, que saint Benoit spécifie qu’il s’agit bien du premier psa une qui port versum dicitur? <3) La bénédiction avant la fraction du pain est le geste familier du Seigneur (Lee., XXIV. 30-35) et des Apôtres (Act., xxvii, 33-35). Cette bénédiction se retrouve à 1 Agape des premiers chrétiens ; lire sur ce sujet les chapitres ix et x de la Didaché, DES R ET A R D A T A 1 fl ES A L'OFFICE ET A LA TAREE JJ1 et une formule d’action de grâces : saint Benoît appelle simplement l’une et l’autre un « verset » (1). Et il demande trois choses pour le début du repas : que tous soient réunis avant le verset, que tous le disent en même temps et prient, (et orent) ; enfin, que tous ensemble se mettent à table, ut sub uno simul omnes accedant ad mensam. Par cette prescription et par celle qui vise la fin des repas, N. B. Père a peut-être le dessein formel d’écaiter de sa communauté l’usage qu’avaient les moines de saint Pacéme d’aller ou de n’aller pas, à leur gré, au réfectoire et d’en sortir quand ils voulaient (2). Ce qui est sûr, c’est que, pour saint Benoît, le monastère est une société fraternelle très unie où tous suivent le même horaire, où tous sont bénis et consacrés, et où toutes les œuvres, même les plus matérielles, sont sanctifiées par la prière. Celui qui, par mollesse ou par caprice, n’arrivera pas avant la prière, sera repris d’abord jusqu’à deux fois. Saint L’enoît établit donc discrète­ ment une différence entre la négligence à se rendre à l’office divin et la lenteur à venir au réfectoire. Ici, la faute est moins grave. Pourtant, si une double réprimande n’amenait pas la correctional faudrait refuser désormais au coupable la participation à la table commune (3). Il ne s'agit pas de l’excommunication de la table telle qu’elle est prévue au chapitre XXIV, mais d’une peine analogue à celle qui vient d'être décrétée contre le moine qui arrive en retard à l’office. Le réfectoire, comme le chœur, avait une place pour les négligents : c’est là qu’ils mangeaient, seuls, séparés de la société des frères et privés de leur part de vin ; mais ils ne mangeaient pas en seconde table ni en dehors du réfectoire (4). La preuve en est dans les exigences formulées par saint Benoît pour que les retardataires puissent recouvrer leur vin avec leur rang : il faut qu’ils aient fait satisfaction et se soient amendés ; or, ils ne pouvaient témoigner de leur ponctualité reconquise qu’à la condition d’être main­ tenus au réfectoire commun. N. B. Père décide enfin qu’un châti­ ment identique sera infligé au moine qui s’esquiverait avant les grâces. dont l’interprétation a été fixée d’une façon vraiment définitive par D. Cagix (L’Euc'aristia, 11e partie, vin). (Ij Sur les prières des repas monastiques, cf. MÉNARD, Concordia Regularum, p. 7657 >>. — II.eften. 1 X. tract, i, disq. vl — Martèxe, De antiq. monach. rit., L I, c. ix. (2) Si.Kt qui secundo parum comedunt; alii qui prandii, site coenae uno tantum ufco onlenli sunt. Nonnulli gustato paululum pane egrediuntur. Omnes pariter comedunt. Qui ad mensam ire noluerit, in cellula sua panem tantum el aquam, ac salem accipit (S. TIieron., Prae), in Reg. S. Pach., 5). Mais, quand les moines de S. Pacômb viennent au réfectoire, ils doivent arriver à l'heure déterminée, car nous lisons dans la même Règle : ô’i çuis ad comedendum tardius venerit, excepto majoris imperio..., agel p.vnitentiam, aut ad domum jejunus revertetur (xxxn). (3) Quae signo tacto tardius ad opus Dei, vel ad opera venerit, increpationi, ut dignum est, subjacebit. Quod si secundo aut tertio admonita emendare noluerit, a communione, vel a convivio separetur (S. Caesar., Reg. ad virg., x). (4) S. Basile condamne h's retardataires à attendre le repas du jour suivant (Reg. c .nlr., xcvn); il distingue, d’ailleurs, entre les retards coupables et ceux qui ont uae excuse. 332 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT Noc quisquam praesumat ante statutam horam, vel postea, quidquam cibi vel potus percipere. Sed et si cui offertur aliquid a priore, et accipere renue­ rit, hora qua desideraverit, hoc quod prius recusavit aut aliud omnino non percipiat, usque ad emenda­ tionem congruam. S’il eût été loisible aux frères peu réguliers de manger et de boire avant ou après l’heure déterminée, ils se fussent certainement consolés d’être privés de leur vin, au repas commun, et d’y être mis en pénitence; ils eussent mis peu d’empressement à se corriger. Mais saint Benoît défend de manger ou de boire, si peu que ce soit, en dehors du réfectoire et des repas conventuels (1). Aussi bien, il serait indigne d’un moine de manger à toute heure, de boire dès qu’il en a l’occasion, d’aller chercher un petit dessert dans la vigne ou le fruitier. Il n’est pas même au pouvoir du cellé­ illii rier ou de celui que nous nommons le dépositaire d’apprécier les besoins de chacun, de faire d’aimables distributions, d’avoir des prévenances affectueuses pour tel ou tel frère. Allons plus loin : au réfectoire, une permission est nécessaire pour l’échange d’un mets contre un antre dont il nous semble que notre estomac s’accommodera mieux. Et comme l’esprit de singularité et de mollesse est d’une habileté et d’une obs­ tination extrêmes, nous devons nous tenir en garde, à mesure surtout que nous prenons de l’âge, contre la recherche de nos aises, de nos pré­ férences, de nos goûts (2). Enfin, peut-être n’est-il pas absolument oiseux de remarquer que, si les lois de la vie commune et de la mortification nous interdisent de nous adjuger quoi que ce soit en dehors des repas, la pauvreté nous défend aussi d’offrir à un frère une portion dont nous croyons devoir nous priver. Même, parce que nous sommes plus pauvres que les pauvres, nous ne pouvons disposer librement de notre superflu : « brouiller », sans en rien prendre, une portion quelconque, afin de témoi­ gner qu’on y a touché et de la transformer ainsi en objet d’aumône, constitue une légère méconnaissance de la vraie pauvreté monastique. Saint Benoit interdit au moine de s’adjuger ou de recevoir irrégu­ lièrement, mais il reconnaît au supérieur le droit d’accorder un soula­ gement ou un petit supplément, soit au cours, soit en dehors du repas commun. Et N. B. Père tient à ce que le moine accepte avec (1) Ante quam vel post quam legitimam communem que refectionem summa cautione ser­ ratur, ne extra mensam quicquam cibi penitus ori suo quisquam indulgere praesumat, etc, (Cass., Inst. IV, χνιπ). (2) CL S. Basil., Reg. conlr., xo. DES RETARDATAIRES A L'OFFICE ET A LA TABLE 333 humilité et courtoisie ce que lui offre la condescendance de son Abbé. Non pas sans doute qu’il entende obliger les frères à prendre indistinctement et en entier tout surcroît qu'ils estimeraient trop abon­ dant ou nuisible : gracieusement il faut recevoir, gracieusement aussi il est permis de s’excuser ;et ce que saint Benoît a voulu bannir, c'est plutôt une disposition de fausse austérité, de boutade, d’incivilité. On a repoussé avec hauteur, mais peu après on se ravise, et on en vient à désirer et à réclamer la chose refusée naguère : le supérieur doit alors, dit saint Benoît, se souvenir de l'indocilité et refuser non seulement la chose en question, mais encore toute espèce de faveur, et peut-être même des choses fort nécessaires, jusqu'à ce que le frère ait fait amende honorable et réparé convenablement sa maladresse (1). (1) Le sens que nous donnons aux paroles de saint Benoît est à peu près le même, semble-t-il, que celui du texte de S. Basile, qui les a inspirées : S: giw iralus luerit, nolens accipere aliquid eorum quae ad usum praebentur? Isle tais dignus est etiam υί si quaerat non accipiat, usquequo probet is qui protest; et cum viderit vilium animi curatum. lune etiam quod corporis usibus necessarium fu r.l pratbebit (Ileg. conlr,t xcyi). Voir aussi rintemgation précédente. CHAPITRE XLIV COMMENT LES EXCOMMUNIÉS FONT SATISFACTION Saint Benoît continue la nomenclature des procédés moyennant les­ quels s’expient les fautes contre l’observance, des satisfactions par lesquelles nous rentrons en grâce. Si les erreurs légères réclament châti­ ment et satisfaction, à fortiori les manquements plus sérieux ou très graves n’y échapperont pas. En indiquant la série ascendante des châti­ ments que méritent ces deux dernières catégories de fautes, N. B. Pèie a décrit, aux chapitres XXIV et XXV, l’état des excommuniés ab oratorio et a mensa et des excommuniés a mensa : il nous dit maintenant de quelle façon les uns et les autres peuvent acheter le pardon. Pour sortir de 1’excommunication régulière complète, il faut passer par toute une filière d’expiations graduées et savantes, dans laquelle on peut dis­ tinguer quatre degrés (1). De iis qui excommunicantur, quomodo satisfaciant. — Qui pro graviori culpa ab oratorio et a mensa ex­ communicatur, hora qua opus Dei in oratorio cele­ bratur, ante fores oratorii prostratus jaceat, nihil dicens; nisi tantum posito in terram capite et pro­ stratus, pronus omnium de oratorio exeuntium pedi­ bus se projiciat. Et hoc tamdiu faciat usque dum Abbas judicaverit satisfactum esse. Ill L’excommunié qui s’est soumis et consent à être réconcilié avec Dieu Hhi et avec ses frères est traité comme l’étaient, aux premiers siècles, les pénitents publics. A l’heure où se célèbre l’Œuvre de Dieu, à tous les offices, il vient se prosterner dehors, devant la porte de l’oratoire, et sans rien dire. H est possible que l’intention de N. B. Père soit de maintenir On retrouve dans ce chapitre quelques réminiscences verbales de Cassien Inst’’ II, χνι/ΙΥ,χνι. 31i COMMENT LES EXCOMMUNIÉS FONT SATISFACTION 335 l’excommunié à la porte do l’oratoire pendant toute la durée de la prière et que les mots nihil dicens lui défendent de prendre une part quelconque à la liturgie. Plusieurs témoignages historiques confirme­ raient cette interprétation (1). Pourtant, demeurer ainsi à la porte pendant tout l’office des longues nuits d’hiver serait chose pénible (2); surtout si l’on prenait à la lettre l’expression prostratus jaceat. Ne semblet-il pas que saint Benoît lui-même explique sa pensée lorsqu’il ajoute, aussitôt après nihil dicens, nisi tantum...? L’excommunié se présentera devant l’oratoire tandis que les frères en sortiront; il ne prononcera aucune parole, mais se bornera à se prosterner, le front dans la pous­ sière, et à se jeter aux pieds de tous, — soit devant chacun, soit plutôt pendant que dure le défilé du convent. Le premier remède à tout mal est l’humilité, et le moyen de l'humilité, l’humiliation. Les vertus morales s’acquièrent par l’exercice, par l’addition et la répétition des actes. L’excommunié continuera d’agir ainsi, dit la Règle, jusqu’à ce que l’Abbé juge que cette première satisfaction est complète et suffi­ sante. Qui dum jussus ab Abbate venerit, provolvat se ipsius Abbatis pedibus, deinde omnium vestigiis fratrum, ut orent pro eo. C’est le deuxième degré de l’expiation régulière. Sur l’invitation de l’Abbé, le pénitent vient se jeter à ses pieds, puis aux pieds de tous les frères, sollicitant leurs prières, par des paroles, ou simplement par son attitude suppliante. On pressent que 1 excommunication sera bientôt levée et le coupable réintégré dans la famille. Saint Benoit ne nous dit pas en quel lieu se fait cette seconde démarche. Et tune, si jusserit Abbas, recipiatur in choro, vel in ordine quo Abbas decreverit; ita sane, ut Psalmum aut Lectionem vel aliud quid non praesu­ mat in oratorio imponere, nisi iterum Abbas jubeat. Lorsque l’Abbé l’ordonne, le pénitent est reçu au chœur, mais au rang que l’Abbé juge bon de lui assigner, non forcément à la place qu’il (1) Voir la Règle de S. Fructueux (xrv), la Règle du Maître (xrv). — MÉNARD, Concordia Regularum, p. 532-533. (2) Π est vrai que, devant l’église, se trouvait, d’ordinaire, un atrium couvert; c’est là que se tenaient les pénitents et les catéchumènes. 336 il COMMENTAIRE SL’R LA REGLE DE SAINT BENOIT occup.iit avant sa chute. Et afin qu’il comprenne que son état n’est encore que celui de la convalescence, il lui est défendu de chanter ou de réciter (en solo probablement, ou avecla« schola»)les psaumes, les leçons, ou d’autres pièces liturgiques du même caractère. Sa voix n’aura le droit de s’élever devant Dieu et devant les frères qu’après autorisation formelle de l’Abbé. Saint Benoît, s’il est discret dans l’usage des châtiments, n’aime pas cependant les amnisties rapides et totales, les facilités de pardon qui provoquent le retour des mêmes fautes. Et omnibus Horis, dum completur opus Dei, pro­ jiciat se in terram, in loco in quo stat, et sic salisfaciat, usque dum ei jubeat Abbas, ut quiescat ab hac satisfactione. ί Alors même qu’il a retrouvé place à la prière commune, le moine péni­ tent doit encore une dernière satisfaction. A la fin de chaque office, il se prosternera à terre, à la place même qu’il occupe au chœur ; et il renou­ vellera cette satisfaction jusqu’à ce que l’Abbé lui ordonne de s’en abstenir et de demeurer en paix. Il n’est pas dit, notons-le bien, que le moine remontait alors au rang qu’il occupait avant sa faute; N. B. Père a reconnu ailleurs à l’Abbé le droit de dégrader pour des motifs fondés : certis ex causis (chap. LXIII). Qui vero pro levibus culpis excommunicatur tan­ tum a mensa, in oratorio satisfaciat usque ad jussio­ nem Abbatis; et tamdiu hoc faciat, usque dum bene­ dicat et dicat : Sufficit. L’expiation était de nature moins complexe et plus bénigne lorsqu’il s'agissait de l’excommunication mineure, dite a mensa parce qu’elle se traduisait surtout au réfectoire. Au chœur, l’excommunié était seulement privé du droit d’imposer les psaumes et les antiennes et de réciter les leçons, — jusqu’à ce qu’il ait satisfait, ajoutait saint Benoît (chap. XXIV). Ici, N. B. Père se borne à décréter que cette satisfaction aura lieu à l'ora­ toire, qu’elle durera autant que l’Abbé le jugera convenable, qu’elle se répétera jusqu’à ce qu’il ait accordé sa bénédiction et prononcé : Cela suffit. Mais en quoi consistait cette satisfaction? Elle n’était autre chose, semble-t-il, que la prostration dont N. B. Père a parlé dans la phrase précédente : puisque la Règle ne donne point d’indication précise, on COMMENT LES EXCOMMUNIÉS FONT SATISFACTION 331 peut 1 interpréter par elle-même, d’après les éléments les plus voisins et auxquels la pensée se reporte tout d'abord. Nous ne saurions entrer dans l’historique des usages monastiques qui ont tr.iit aux satisfactions des excommuniés. Notons seulement que le texte de la Règle n’a jamais été abrogé. H demeure, il peut être mis en vigueur. Et encore que les éventualités d'encourir et d'infliger ces excommunications soient beaucoup plus rares que jadis, elles sont toujours possibles. A une heure donnée, ce serait le devoir rigoureux de l’Abbé d’appliquer les pénalités de la Règle, s’il y était contraint par certaines résistances ou par certains mépiis prolongés et formels. CHAPITRE XLV DE CEUX QUI SE TROMPENT A L’ORATOIRE — Si quis dum pronuntiat Psalmum, Responsorium, aut Antiphonam, vel Lectionem, fallitur : nisi cum satisfactione ibi coram omnibus humiliatu» fuerit, majori vin­ dictae subjaceat; quippe qui noluit humilitate corri­ gere quod negligenlia deliquit. Infantes vero pro tali culpa vapulent. De iis qui falluntur in oratorio. Ce n’est plus de graves irrégularités qu’il s’agira désormais, mais d’er­ reurs purement matérielles, tout au plus de délits auxquels notre volonté est intéressée seulement par une paît de négligence ou d’inadvertance. Les anciens nous ont appris à ne pas prendre trop facilement notre parti meme de ces détails (1). A l’oratoire, en particulier, où tout est saint, où l’œuvre accomplie est d’une importance souveraine, où la routine, la lâcheté, la somnolence sont toujours à craindre, chaque manquement réclame une expiation immédiate et proportionne e à sa gravité. Qui­ conque, dit la Règle, se trompe en donnant un psaume, un répons, une antienne ou une leçon, doit satisfaction. Cette erreur peut être une faute de prononciation qui fait dire un mot pour un autre ou défigurer un mot, ou bien une faute de chant, ou bien l’intonation d’ime formule liturgicjue qui n’est pas celle que réclament les rubriques : saint Benoît ne spécifie pas et emploie l’expression générale : dum pronuntiat. Il ne dit pas davan­ tage en quoi consiste la satisfaction exigée. Mais nous pouvons supposer avec vraisemblance que dans sa pensée il s’agit de l'humiliation que s’impose à lui-même le délinquant, en s’agenouillant ou en se proster­ nant à sa place, sous les yeux de tous. Avec quelques différences de détail, telles sont encore et telles ont toujours été, dans les diverses branches de l’Ordre, les satisfactions ordinaires du chœur. (1) Saint Benoit se souvenait, en écrivant ce chapitre et le suivant, des Institution de Cass, ün, IV, xvi. DE CEUX QUI SE TROMPENT A L’ORATOIRE 33» Il n’est pas nécessaire, pour que la satisfaction soit due, que notre faute ait provoqué un désordre appréciable ou bien un peu de cacophonie, ni même que le voisin s’en soit aperçu. Ce n’est pas une question d’esthé­ tique générale, mais bien d’équité religieuse. C’est le fait de l’imper­ fection se glissant là où la perfection doit être achevée et continue ; c’est l’acquittement d’une dette réelle contractée envers la majesté divine. Toute la physionomie de notre religion dépend de l’idée que nous avons de Dieu et de l’attitude que cette idée nous fait prendre en face de lui. Dieu, dans la loi nouvelle, ne nous a pas écrasés sous un fardeau de prescriptions rituelles multiples, parce qu’il a cru que la charité suffirait à régler notre attitude devant sa Beauté. Il est des délicatesses qu’on ne s’attend pas à rencontrer chez des esclaves, mais qu’on peut s’étonner de ne pas trouver chez des fils. Nos satisfactions doivent se faire spontanément, avec une âme libérale, dans un empressement de foi et de charité. Elles doivent être accomplies sur-le-champ, sans contestation avec soi-même, sans plaidoirie secrète. Rien de meilleur pour affiner la conscience que ces répa­ rations généreuses pour des fautes menues et de fragilité. N. B. Père prononce que celui qui n’aura pas voulu s’infliger à lui-même le châtiment et corriger sa négligence par un acte d’humilité, encourra une peine plus sévère (1). Puisqu’il déchoit volontairement de sa qualité de fils pour ubi retourner à des dispositions serviles, on le traitera comme l’esclave qu’il veut être, et il n’y gagnera rien. Infantes vero pro tali culpa vapulent. Nous savons qu’il y avait des enfants au monastère, qu’ils étaient de vrais religieux, qu'ils assistaient à tous les offices. La Règle vient au secours d’une conscience qui n’est point encore pleinement développée, et stipule que leurs fautes de chant ou de psalmodie recevront le châtiment des verges (2). Les anciennes Cou­ tumes, celles d’Udalric en particulier (3). décrivent par le menu le pro­ cédé de la correction des enfants. (1) 37isi pro neqleyentia praesenti confestim tera humilitate subnixius satisfa'ere feslinaril (Cass., Inst., Ill, vn). ■ (2) Il vaut mieux interpréter le pro tali culpa de toute faute commise par l’enfant dans le chant ou la psalmodie, que de la faute commise en ne s’humiliant paài (3) Consuet. Clun , L 111, c. vin et x. bV. CEUX QUI MANQUENT EN QUELQUE AUTRE CHOSE CHAPITRE XLVI DE CEUX QUI MANQUENT EN QUELQUE AUlftj: cnom De Iis ΟΠ |N ALIIS Ql nu "I ΙΗΚΓ a» IU > m I |Xy( I sr __ Si quis dum in labore quovis, in coquina, in cellario in ministerio, in pistrino, in horto, in art·· aliqua dum laborat, vol in quocumque loco, aliquid deli­ querit, aut fregerit quippiam. aut perdiderit, vd aliud quid excesserit I , et non veniens continuo ante Abbatem vel congregationem, ipso ultro satis­ fecerit et prodiderit delictum suum : dum per alium cognitum fuerit, majori subjaceat emendationi. 1 I t β Saint Benoît consacre ce chapitre aux satisfactions qui sont duc- pour des fautes commises en dehors de l’oratoire. 1! énurnèro d'abord b < prin­ cipaux services du monastère où peuvent se produire de délits : la cui­ sine, le cellier, l’atelier (2), la boulangerie, le jardin. Puis il emploie des formules assez générales pour envclopjo r tous I·· cas : dans Γ· xercico d’un art ou l’accomplissement d'un travail quelconque, en quelque lieu que ce soit, qu'il s'agisse d’avoir brisé, perdu ou d· tm ioré quelque chose, d'avoir causé un dommage ou un trouldc à la communauté, m un mot d'avoir commis quelqu’une de ces fautes qu'amènent l’inattention, la négli­ gence ou la maladresse. Dans toutes ces hypothi · . h· délinquant viendra aussitôt révéler son manquement et faire satisfaction, devant l’Abbé, si l’Abbé est seul, — devant l’Abbé et la communauté, -i tous les frères sont réunis sous la présidence de l’Abbé, ce qui était le cas ordi­ naire (3). Cette satisfaction consistait probablement dans Γagenouille· (1) D. Butler Ut :... excesserit ubiubi, et non veniens... (2) Il est difficile de déterminer le sens exact de ce mot Quelques manuscrits anciens lisent in nioruwfenn. (3) Qui tas fictile fregerit... aget poenitentiam vespere in sex orationibus. Si tfuis cliguid perdiderit, ante altare publice corripietur (S. Pach., Rtg., cxxv, < xx.\j). — Si quis gillonem fictilem... casu aliquo fregerit, non aliter neglegentiam suam quam publica no —«r 30 ment ou la prostration. Saint Benoît veut qu’elle soit volontaire : ultro satin fi ·■< ril, et qu elle s’accomplisse avec empressement : veniens continuo. < vtt c·· que lit, à Subiaco, le bon Goth qui avait laissé choir dans le lac le fer de son outil, de son « fauchard · (1). l’an- une communauté assez nombreuse, souvent dispersée, travail­ lant i' i et là, on devine quel va-et-vient et quelle perte de temps ce serait pour 1 Abbé et jxiur chacun, si le moindre délit ou dégât devait sur l’heure être porté à la connaissance de tous. Aussi, les coutumes monastiques ont · i · établi le ·■ chapitre des coulpes », qui se tient au chapitre plusicur foi- la semaine et où chacun s'accuse des fautes commises contre l'obrcrvancc et des petits détriments dont il est responsable. La satisiact ion, ne pouvant discrètement se faire à l’église, ni même au chapitre, a lieu d'ordinaire au réfectoire. Saint Benoit prévoit le cas d’un moine qui, par fausse honte ou esprit réfra· taire, dL-simulerait une de ces fautes extérieures ou de ces eneurs mat·'ri» lies : la pénitence infligée sera plus sévère, lorsqu’on apprendra de la b juche d’un autre ce qui s’est passé (2). L’Abbé pouvait être ren£••1.:.· .-race au témoignage des doyens ou des frères; et ces paroles de A. B. Père : dum per alium cognitum fuerit, ne suffisent pas pour établir qu · tait dès lore l'usage de la « proclamation ». La proclamation est άτι·· coutume monastique qui prescrit à chacun de publier au chapitre les qu’il a remarquées chez autrui. 11 n’est pas douteux quelle • x.-t.-.t pn -que universellement au neuvième siècle; Cluny et Citeaux l’adopre'rent. Elle a été supprimée par la Congrégation du Mont-Cassin, par c- ile des Saints-Vanne et Hydulphe et par les Congrégations qui s'y rattachent ; mais elle est encore en vigueur chez les Cisterciens (3). 11 faut être d'une discrétion extrême pour instituer le procès d’une pra­ tique -pii se réclame de tant et de si vénérables autorités ; cependant il < -t aisé de déterminer les motifs qui nous ont portés à l’abandonner. Le devoir de la correction fraternelle, accompli ainsi publiquement par tous a i profit de chacun, est bien le plus délicat des devoirs. La charité com t de grands risques. Facilement, une sorte de surveillance étroite et jalon-»· .-'étend partout comme un réseau. Comme toutes les petites rn iu·'<. les vengeances, les représailles s'abriteront aisément sous le ( -u\· ;t de la proclamation régulière l Sans doute, si les moines, procl'iim - et proclamateure, sont tous parfaits, ces dangers disparaissent : niai- -L«rs. à quoi bon la proclamation? L’Abbé de Rancé répondait que de- ii i-onvéïiients réels ne devaient pas faire oublier le bénéfice que dihu ,· i· nitentia, cunclisquc in synaxi fratribus congregatis lanidiu prostratus in terram vtiuaiH potlulabil, etc. (Cass., Inst., IV, χνι). (h S. Grec. M., Dial., 1. II, c. vr. (2) Ni hoc ultro confitetur, parcatur illi et oretur pro ea. Si autem deprehenditur atque coni :>:■ ihir... gravius cmcnMir (S. Auo., Epist, CCXI, 11, P, L, XXXIII, 962). (3) Martène, De ant, monach, rit., L I, c, v, 342 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT peuvent retirer de cette pratique et les bons et les tiède?. Il va de soi que le religieux, témoin d’actes ou de tendances qui constituent un péril grave pour le monastère ou pour un frère, ne doit jamais se retrancher derrière la réprobation que le monde attache aux rapports pour se dispenser d’avertir l’Abbé. Ce serait très mal entendre l’honneur de ses frères et la charité due A tous ; la ruche, après tout, vaut mieux que l’abeille, mieux surtout que le frelon. Et celui de qui la faute est ainsi dévoilée ne serait vraiment pas recevable à se plaindre. Si animae voro peccati can-a latens fiioril, tantum Abbati ant spiritualibus senioribus patefaciat, qui sciant curare sua, et aliena \ulneru non delegero aut publicare. On peut se demander si N. B. Père n’oppose pas ici A ! ;u cmmtion et A la pénitence publiques des fautes contre ht régir. Γ.ιγ.ίηat ion secrète des fautes théologiques. 11 est plus probable, cependant, qu'il s'agit d'une confidence extra-sacramentelle et que cette prescription a exactement le même objet que le cinquante et unième instrument des bonnes œuvres et le cinquième degré d’humilité. Qu’il y ait ou non prrhé théologique, que la faute intérieure demeure toute matérielle, par suit·· d’inadver­ tance, de surprise on d'emportement, qu'il s'agisse seulement d'une tenta­ tion, d’une disposition inquiétante, d'une liant is·· obstinée : dans tous ces cas, ce n'est point à la communauté entière, - pui qu’il n’y a nul scandale, nulle notoriété du fait, — c’est à l’Abbé ou aux srnmurs spiri­ tuels que le frère, dans une pensée filiale et dans un loyal désir d amen­ dement, doit révéler naïvement cc qui s’rst passé. Nous l'avons dit ailleurs, les anciens considéraient cette pratique comme un élément indis­ pensable de progrès spirituel, comme une source de paix et de sécurité. On s’ouvrira donc à l’Abbé, alors même qu'il aurait un aspect aus­ tère, que l’on redouterait son appréciation et les suite- de cette confi­ dence. L’Abbé, quelles que soient d’ailleurs sa trempe et sa valeur per­ sonnelle, n’est-il pas pour les siens une sorte de sacrement? N a-t-il pas un titre à connaître ce qui se passe dans sa maison et chez ses moines? Les sénieurs spirituels sont probablement, pour saint Benoit, tous ceux qui ont une part importante au gouvernement des âme ;â défaut do l’Abbé, c’est à eux qu’on devra s’ouvrir. Ils sont hommes spirituels », renseignés sur les voies de Dieu; ayant triomphé du diable chez eux ou du moins réduit son pouvoir, l’expérience acquise leur permet d’être utiles aux autres : ils savent guérir et leurs propres blc -un et celles d’autrui. Et l’on peut compter sur leur discrétion, ajoute saint Benoit ; ΓΤΧ·. DE CEUX QUI MANQUENT EN QUELQUE AUTRE CHOSE Btt ils ne découvriront à personne ni ne publieront la faute accusée (1). Ces deux chapitres que nous terminons, outre leurs enseignements formels, ont encore cet intérêt de nous montrer l'économie de notre vie monastique au point de vue de la culture intérieure de l’âme. Nous n’appartenons point à une vio active, il n’y a point deux parts dans notre existence, Le fait d'avoir rompu définitivement avec le monde supprime pour nous bon nombre do dangers. Nous sommes en relation habituelle avec le Seigneur et les choses saintes, comme enveloppés toujours dans un parfum d'encois. Les heures de travail elles-mêmes doivent nous rapprocher de Dieu; elles n’émiettent pas notre attention. Et voici, de plus, que notre vigilance s’exerce d’une manière continue tout le long du jour ; voici qu'elle nous oblige à réparer sur l’heure, et à expier devant u< frère , absolument toutes les infidélités de détail auxquelles succombe la nature. Tout cela, qu’est-ce autre chose qu’un examen de conscience, . non pas à heure fixe et de quelques instants, mais perpétuel, mais assidu, ne laissant rien à l’oubli? Que les hommes noyés dans les soucis et les périls de la vie apostolique, toujours exposés, dans l’entrain même de faction, à franchir les bornes, à trop condescendre au tempérament, que de tels hommes s’arment de multiples et minutieux examens de conscience, c'e-t justice et prudence tout à la fois. Mais N. B. Père a pourvu autre­ ment, sur ce terrain, aux exigences de notre âme. Les enquêtes intermi­ nable··· que nous ferions sur nous-mêmes n’auraient d’autre résultat que de grossir notre importance, de nous épuiser, de nous troubler, peutêtre même d’empoisonner notre vie. Remplaçons donc ces recherches superflues par la régularité, par la fidélité absolue, par une perfection do charité, par l’adhésion tranquille à Dieu. 1) L.-i meilleure leçon semble bien Être celle-ci : Qui sciant curare et sua et aliéna vuin-./u, non J. .._,er:· c( publicare. •J CHAPITRE XLVII du soin d’annoncer l’iieure de l’œuvre de dieu — Nuntianda hora operis Dei, die nochique, sit cura Abbatis, aut ipse nuntiare, aut tali sollicito fratri injungat hanc curam, ut omnia horis competentibus compleantur. De significanda hora operis Dei. C’est toujours de régularité et de bon ordre qu’il est question. L'Œuvre de Dieu formant le pivot de la journée monastique, il importe par-dessus tout que les Hemes de l’office divin soient déterminées avec soin et annon­ cées ponctuellement. Or, à une époque où les heures variaient de durée d’un jour à l’autre, et où les procédés pour les reconnaître étaient souventfort rudimentaires (rappelons-nous le common taire du chapitre VIII), on comprend que la charge d’annoncer l’Œuvre de Dieu ait été spécialement dévolue à l’Abbé. C’est sur lui que pèsent toutes les responsabilités. Et, malgré la multiplicité de ses occupations, saint Benoît ne craint pas de lui confier le soin d’inviter les moines à la prière, sept fois le jour et une fois la nuit. C’est un procédé sage pour qu’il ne survienne parmi le? frères ni désordre, ni contestation ; on évite ainsi les murmures et on inspire à tous plus d’estime pour l’office divin. Néanmoins, on comprend que les travaux de l’Abbé, l’absence ou la maladie pouvaient le mettre hors d’état de remplir cette charge ; aussi N. B. Père lui permet-il delà confier à un frère attentif et diligent. Celui-ci pourvoira à ce que tous les offices puissent s’accomplir, et dans leur entier, aux heures convenables (voir la fin du chapitre XI). Aujourd'hui, les Abbés délèguent leur pouvoir à im réglementaire, mais sans jamais se désintéresser de l’exactitude avec laquelle on convoque la communauté. C’est à l’occasion de ce chapitre que les commentateurs décrivent les différents procédés employés jadis dans les monastères pour éveiller ou i '’•tir les frères. Ou bien on frappait aux portes (1) ; ou bien on se servait (1) x a, InsL, IV, XIL DU SOIN D'ANNONCER L'HEURE DE L'OEUVRE DE DIEU S»5 d’une trompe de corne ou de bois (1); ailleurs, d’instruments variés : claquettc, cliquette, crécelle, etc. Les moniales de sainte Paule étaient appelées à l’office par le chant de Y Alleluia (2). Dans l’Ordre bénédictin, on a utilisé le plus souvent, et peut-être dès le temps de saint Benoît (3), des clochettes ou des cloches. Si nous nous souvenons des belles prières de la bénédiction des cloches, au Pontifical romain, et delà consécration solennelle dont elles sont l’objet, nous ne douterons point que leur voix mélodieuse et pénétrante soit celle même du Seigneur et qu'il convienne d’accourir à son appel avec un empressement joyeux. Psalmos autem, vel Antiphonas, post Abbatem, Online suo, quibus jussum fuerit, imponant. Cantare autem aut lugere non praesumat, nisi qui potest ipsum officium implere, ut aedificentur audientes. Quod cum humilitate, et gravitate, et tremore faciat, et cui jusserit Abbas. Après avoir assuré la régularité pour le début de l’office, saint Benoît fait une recommandation destinée à sauvegarder la dignité de l’Œuvre de Dieu elle-même. Ce n’est point au hasard, ou sous l’impulsion du caprice, ou bien en vertu d’une initiative personnelle, que les frères donne­ ront soit Yincipit, soit la totalité des psaumes et des antiennes (rappelonsnous ce qui a été dit de la psalmodie monastique primitive dans le com­ mentaire du chapitre IX. et de la signification probable du mot imponere). Pour se faire entendre ainsi au chœur, plusieurs conditions sont exigées. Il faut en avoir reçu l’ordre, il faut une désignation régulière. C'est à tour de rôle et selon le rang d’ancienneté que les frères donneront psaumes et antiennes, naturellement après l’Abbé, post Abbatem. Nul n'entre­ prendra de chanter ou de lire, qu’il ne soit capable rie remplir son office de manière à édifier les auditeurs : c’est à l’Abbé que revient le soin d’opérer une sélection et d’apprécier les aptitudes (4). Enfin, dans l’exer­ cice même de leur obédience, les frères feront preuve d'humilité, do gravité, de crainte religieuse et d’un grand esprit de soumission. (1 ) S. Pach., Reg.. m. (2) S. Hierox., Epist. CVIII, 19. P. L., XXII, S9G. (3) Il est raconté dans la Vie de saint Benoit comment sa:nt Romain descendait & l'ermite du pain au bout d’une corde et l'avertissait par une clochette fixée à cette corde (S. Greg. M., Dial., I. II, c. i). Le signum dont il est question dans la Règle : xxn. xliii, xlviii, est probablement une cloche. (4) Adslanlibus ad orationem nullus praesumat sine praecepto qui praeesl Patris psalmi laudem emittere (lïeg. I SS. Patrum, vi). CHAPITRE XLVIII DU TRAVAIL MANUEL QUOTIDIEN — Otiositas inimica est animae. Et ideo certis temporibus occupari debent fratres in labore manuum, certis iterum horis in lectione divina. De opere manuum quotidiano. fc Le chapitre XLVIII nous donne beaucoup plus que ne promet son titre. Ce n’est pas simplement de travail manuel qu'il est question, mais de tous les travaux monastiques, de tout ce qui remplit nos heures laissées libres par la prière liturgique. Nous avons ici l'emploi du temps, l'horaire d’une journée bénédictine. Selon sa coutume N. B. Père commence par un précepte général : « L’oisi­ veté est ennemie de Pâme (1) : c’est pourquoi les frères doivent s'employer, à des moments déterminés, au travail manuel et. à d'autres heures fixées, à l’étude des choses divines. » Encore que saint Benoit ne fasse explicite­ ment allusion qu’aux seuls dangers de l’oisiveté, il n’ignorait pas le bénéfice positif et la valeur intrinsèque du travail. Ses avantages sont multiples. Nous pouvons reconnaître dans le travail une diversion puissante et un remède à bien des tentations ; constater la faiblesse et la mollesse de tout ce qui ne s’exerce pas; nous souvenir enfui que toute vie et tout bonheur impliquent l’action : la contemplation elle-même n’étant que l’activité suprême de l’intelligence et du cœur conjugués, l’adhésion de tout l’être à celui qui Est. Le travail n’est pas simplement une loi pénale et un châtiment ; c’est une loi divine antérieure au péché ; et elle est universelle. Comment des moines y échapperaient-ils? Ils sont même deux fois voués au travail : puisque leur vie renferme toujours une part (1) Réminiscence de S. Basile : El Salomon t Otiositas inimica est animae (Reg, contr., exen). D. Butler remarque que cette parole n’est pas do Salomon et n’existe pas dans le texte grec de saint Basile (Reg. fus., xxxvn). On lit seulement dans l’Ecclésiastique (xxxm, 28-29) : Mille (servum) in operationem, ne vaccl; multam enim mali­ tiam doaiU otiositas, η* DU TRAVAIL MONASTIQUE S47 d’austérité et de pénitence, et que cette plénitude de Dieu dans Time vers laquelle ils tendent n’est promise qu’à un labeur persévérant. Doux labeur ! disait avec regret saint Augustin, en songeant aux tracas sans nombre qui assiégeaient son ministère épiscopal (1). — N. B. Père groupe sous trois chefs les principales occupations monastiques : l'CEuvre de Dieu, l’étude des choses divines, le travail des mains, Opus Dei, tertio divina, opus manuum. 11 n’y a que du bien à dire du travail manuel (2). Depuis Ira origines, il figure, dans des mesures diverses, au programme de la vie religieuse. Sou intention première est, semble-t-il, de réduire le corps, de secouer son inertie, de ruiner les appétits et les instincts qui trouvent en lui leur source et leur aliment. Le travail manuel est donc un procédé de mortification. 11 nous permet en même temps de consacrer à Dieu nos vigueurs physiques elles-mêmes. Est-il besoin de rappeler son caractère éminemment hygié­ nique, surtout pour des jeunes gens, pour des moines qui consacrent de longues heures à l’office et à l’étude? Accidentellement, il peut être aussi un moyen d’humilité, et cette forme servile du travail peut répugner à certaines natures : on ne voit cependant pas bien ce qu’a d’humiliant le fait de bêcher la terre ou de casser des pierres sur un chemin. Enfin le travail manuel devient parfois le gagne-pain régulier des moines; et, dans chaque monastère, il est exigé tout au moins par les nécessités quo­ tidiennes de la vie. Mais lorsqu’on a proclamé que le travail manuel est, d’une façon générale, indispensable; lorsqu’on a souligné ses avantages (>t même affirmé que, dans un cas concret, il convient presque exclusive­ ment à telle personne, il reste que les œuvres matérielles n’ont de soi aucune efficace sur la formation d’une nature intelligente, moins encore sur le développement d’une vie surnaturelle. Des deux formes du travail, l’une servile, l’autre libérale et à base d’intelligence, il nous semble facile de reconnaître la supériorité absolue de la seconde sur la première, ct de déterminer la part selon laquelle l’un et l’autre travail doivent être nor­ malement représentés chez nous. Ce qui a fait le succès de la sainte Règle, ce qui a été le principe desa diffu­ sion, c’est le rapport commun de toutes les prescriptions qu’elle contient à un certain idéal de vie quelle a prétendu réaliser, à une certaine œuvre première et essentielle. Et notre intelligence de la Règle, l’esprit de notre vocation, ne se trouvent que dans la perception exacte et pratique de ce rapport. La pensée maîtresse de saint Benoit est que nous devons cher(1) Et slint Benoît cite textuellement quelques mots de ce passage du De opere mona­ chorum t Quantum allinet ad meum commodum, mullo mallem per singulos dies artit horis, quantum in bene. moderatis monasteriis conslitutum est, aliquid manibus operari, et racleras (vel certas) horas habere ad legendum et orandum, aut aliquid de dicinis litteris agendum liberas (c. xxix. P. L., XL. 576). (2) On peut lire dans le Commentaire de D. Martène une copieuse dissertation sur le travail manuel. 318 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT cher Dieu. H n’y a réellement, devant Dieu, que deux situations légi­ times : jouir de lui lorsque nous Je posséderons, le chercher aussi longtemps que nous ne le possédons pas pleinement. C’est la condition même de Dieu d'être caché, d’être invisible, d’habiter une lumière inaccessible. Fere tu es Deus absconditus, Deus Israel, salvator (Ls., xi.v, lô). .Même lorsqu’il se montre, il se cache encore : dans la création, l’incarnation, h Rédemption, l’Eucharistie. Plus il se révèle, et plus il se cache ; il est tout à la fois le Dieu qui se donne et le Dieu incommunicable. Et notre vie, lorsqu'elle est vraiment celle du Christ, devient cachée avec lui : Mortui estis el vita vestra est abscondita cum Christo in Deo (L'oLOas., in, 3). Nous nous demandons parfois comment il se fait que nos morts les plus aimés ne se révèlent jamais et semblent cesser tonte relation avec nous. Si les âmes intervenaient encore dans les affaires des \ ivants, disait saint Augustin, ma mère .Monique me parlerait chaque nuit, elle qui ma suivi partout sur terre et sur mer. et dont j’étais l'unique amour (1). Nos défunts se taisent, parce qu’ils no doivent pas déconcerter le régime de notre foi; mais surtout parce que, appartenant à Dieu, ils adoptent les mœurs de Dieu et s’enveloppent dans son mystère. 11 s’agit donc do chercher Dieu. Les renoncements de la profession et de toute la vie font nitre âme libre pour cette recherche bénie. Nous nous perdons pour trouver Dieu, comme l’a dit l’Evangile, comme le chante l'admirablo saint Jean de la Croix : Pour toute la beauté créée, Non, jamais je ne me perdrai. Mais pour cc seul bien qui ne se p ut nommer, Que par bonheur on peut trouver. Ce sont les sacrements, c’est la prière, c’est l’exercice constant delà foi, de l’espérance et de la cha ité qui nous rapprochent de Dieu et nous font pénétrer peu à peu dans sa région. Et la lectio divina prescrite pat N. B. Pore n’a pas d’autre dessein. Nous devons noter avec soin ce mot de fer/to divina (2). Ce n'est pas simplement le travail intellectuel, la culture intellectuelle; il est donc superflu de faire honneurà saint Benoît d'une préoccupation qui ne semble guère avoir été la sienne. C’est œuvre d’intelligence, si l’on veut, mais d’in­ telligence s'appliquant aux mystères divins et à la doctrine divine ; c’est œuvre d’intelligence surnaturelle, c’est-à-dire de foi. (’’est l’ensemble ordonné des procédés intellectuels progressifs par lesquels nojis nous (1) De cura pro morluis gerenda, c. xm. P. L·, XL, 604. (2) On le retrouve dans S. Augustin : Jllud sane admonuerim n ligio-ti-timam prudentiam tuam, ut timorem Dei non irrationabilem tel inseras infirmiori vasi luo, vel nutrias divina lectione gravique colloquio (Epist. XX, 3. P. L„ ΧΧΧ1Π 67 ). — Erigunt nos divinae lectiones (Sermo CXLII, c. i. P. L., XXX VIII, 778). ' DU TRAVAIL MONASTIQUE SW rendons familières les choses de Dieu et nous habituons à regarder l’invi­ sible. Ce n’est ni de la spéculation, abstraite et froide, ni de la simple curiosité humaine, ni une lecture superficielle : c’est une recherche sérieuse, approfondie et persévérante de la Vérité même. On peut dire que de cette étude Dieu seul est l’objet, l’inspirateur et même l’agent principal : car elle sc fait non seulement sous son regard, mais dans sa lumière, et dans un contact très intime avec lui. Elle est de la prière et de la tendresse. Elle s’appelle lectio, et ce n’est que le premier degré de la série ascendante : lectio, cogitatio, studium, meditatio, oratio, contemplatio ; mais saint Benoît savait bien que, pour une âme loyale et courageuse, tous les autres degrés viendraient se surajouter à celui-là. La contempla­ tion et l'union à Dieu, c’est à quoi tend la lectio divina monastique. Au fond, les heures que N. B. Père veut que nous consacrions chaque jour à cette lecture sont des heures d'oraison. Nous avons répondu déjà à ceux qui s’informent si les anciens moims faisaient oraison, s'ils avaient une méthode et quelle était la matière de leur oraison. En dehors de l’office divin (qui est bien, semble-t-il, une oraison !), en dehors des quelques instants de prière privée, brevis ei pura, que saint Benoit accorde à ceux qui en ressentent Vattrait, tous ont reçu l’obédience de scruter longuement Γ Ecriture sainte, le Livre par excellence, d'étudier les saints Pères et les formules liturgiques. Enfin, c'était la journée tout entière qui devait se passer, selon la Règle, en la présence de Dieu. La méthode d'oraison était simple et facile : s’oublier et vivre dans le recueillement habituel, tremper assidûment son âme dans la beauté même des mystères, s’intéresser à tous les aspects de l’éco­ nomie surnaturelle, selon l'inspiration de cet Esprit de Dieu qui seul peut nous apprendre à prier (Rom., vin, 26). Pendant seize siècles, les clercs, les religieux et les simples fidèles n’ont pas connu d’autre procédé pour communiquer avec Dieu que cette libre effusion de leur âme devant lui et cette lectio divina qui alimente la prière, la suppose, se confond presque avec elle. Rassurons-nous : l’absence de méthode systématique, de livres conte­ nant de médiocres méditations toutes faites n’est pas synonyme de désordre ; elle ne conduit pas fatalement à la dispersion et aux distrac­ tions. Les anciens n’ignoraient point certaines industries capables de fixer la pensée et de ramener l'âme à son centre ; ils ne dédaignaient point toute discipline spirituelle; surtout aux âmes travaillées par les multiples soucis du monde ils estimaient opportun de rappeler le conseil du Sei­ gneur : Tu autem, cum oraveris, intra in cubiculum tuum, et clauso ostio, jra Patrem tuum in abscondito (Mattii., vi, 6). Mais ils pensaient que les paroles de Dieu, des saints et de la liturgie, approfondies et redites sans fin, avaient une grâce souveraine pour arracher doucement l’âme au souci troublant d’elle-même, pour l’enchanter et l’introduire dans le mystère de 350 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT Dieu et de son Christ Une fois là, plus n’est besoin des jolies considéra­ tions, ni des thèses bien construites à la pointe de l’intelligence : il n’y a plus qu’à regarder et à aimer, très simplement. Ainsi, dès le début de la conversion, c’est par des actes de ne illuminative et de vie unitive que s’achèvel’œuvrcde notre purification et que commence de se réaliser notre transformation en Dieu : Nos vero omnes, revelala facie, gloriam Domini spe· allantes, in eamdem imaginem transformamur, a claritate in claritatem, tanquam a Domini Spiritu (II Cor., in, 18). Ne suffit-il pas, pour que l’oraison devienne chose aisée, de reconnaître le trésor qu’a déposé en nous le baptême et de comprendre, grâce à l’Apôtre, ce que c’est qu’être racheté en Notre-Seigneur Jésus-Christ et vivre de sa vie. Quoi qu’il en soit de l’opportunité des méthodes pour telle ou telle catégorie de chré­ tiens, il nous est permis de conserver ce que le P. Faber appelle « l’apa­ nage des Bénédictins ascétiques de la vieille école (1) ». Nous sommes dans l’heureuse condition de Benjamin, le fils le plus aimé : Amantissimus Domini habitabit confidenter in eo; quasi in thalamo tota die morabitur, ei inter humeros illius requiescet (Delt., xxxin, 12). La plupart des prédécesseurs de saint Benoit, et jusqu’aux anachorètes perdus dans la solitude des déserts, consacraient de nuit et de jour plu­ sieurs heures à l’étude surnaturelle, surtout à l'étude des Écritures. Saint Pacôme voulait que les illettrés qui entraient chez lui apprissent à lire. Nos pères se rendaient compte qu’une sainte recherche est réclamée de tous ceux à qui le Seigneur donne l’intelligence et le loisir. Le péril seraitgrand pour la contemplation même dès l’instant où elle prétendrait se suffire ; Dieu ne vient jamais au secours de la paresse par des illustra­ tions extraordinaires ; ses œuvres sont ordonnées, et il n’accorde, à son gré, de telles faveurs qu’à ceux qui n’ont pu apprendre autrement. Encore que saint Benoît comptât parmi ses moines plus d’un esclave et d’un barbare et que, sauf de rares exceptions, tous demeurassent dans l’état laïque, il a réservé pour la lectio divina un temps relativement considé­ rable. Lui-même avait brusquement interrompu ses études profanes et s’était retiré du monde scienter nescius et sapienter indoctus (2); mais il entretint plus tard un commerce assidu avec l’Ecriture et le; Pères, et sa Règle témoigne d’une lecture assez étendue. L’Abbé, selon lui, doit être « docte dans la loi divine » (chap. LXIV). Depuis plusieurs siècles, chez les moines noirs, une part très large est faite à l’étude. Sans être abandonné de parti pris et complètement, le travail manne' a été peu à peu remplacé par celui de l’esprit. Et cette substitution se jus­ tifie assez, croyons-nous, par les modifications survenues dans l'état intellectuel, social et économique des temps modernes et la situation (1) Tout pour Jésus, c. vin, § 8. — Voir la Preface de D. Gléiianger à sa traduction des Exercices de Sainte Gertrude. (2) S. Greg. IL, Dial., L11, praef4 DU TRAVAIL MOXASTIQUE 351 des monastères. Aujourd’hui, tous les moines de chœur doivent être aptes au sacerdoce; et l’Église a insisté naguère sur la nécessité d s études, même pour les religieux vouée à la vie contemplative. Elle attend d'eux une sorte d’apostolat des idées, une influence sur la pensée chré­ tienne des contemporains; elle leur confie parfois, accidentellement, des œuvres de prédication et d’enseignement, — mais sans les dispenser jamais d’être moines. Et peut-être y a-t-il lieu pour nous d’insister sur ce que nous pensons n’être pas une conception personnelle, mais une donnée élémentaire du sens monastique. Et d'abord, sous peine de laisser tarir la source de toute prière, nous devons réserver les meilleurs moments de notre journée à la lectio divina proprement dite. Mais, en dehors de cette lecture, à quelles études nous appliquerons-nous? Tout ce qui est intéressant et utile pour Γ Église l’est aussi pour nous; il va de soi pourtant que, sauf les obé­ diences exceptionnelles, les sciences dites ecclésiastiques ont un titre à notre choix ; celles-là surtout qui s’accommodent le mieux aux condi­ tions normales de notre vie, qui sont plus capables de nous unir à Dieu Observons toutefois qu’un moine ne se spécialise jamais à son gré et sui­ vant l'attrait de ses aptitudes; nos études, comme tout le reste, avec plus de motif encore que le travail manuel, doivent être sans cesse diri­ gées, contrôlées, consacrées par la volonté de l’Abbé. Mais, alors même que nous nous sommes régulièrement cantonnés dans la théologie, dans l’histoire ecclésiastique, ou la patristique, ou la liturgie, il importe de savoir comment nous travaillons et selon quel esprit. L· y a tant de manières d’étudier un livre ! Voici, par exemple, le manuscrit d’un sermon de saint Augustin. On peut d’abord le décrire matériellement, compter ses cahiers, reconnaître son écriture, déterminer sa date. On peut entrer plus avant et tenter une restitution historique : comparer ce texte avec celui des autres manuscrits, avec les éditions, avec les autres ouvrages de saint Augustin, avec d’autres auteurs encore ; se demander quand a été prononcé le discours, reconstituer la physio­ nomie de l'auditoire ; recueillir de ces pages tout ce qui permet de mieux connaître l’époque, etc. Il est certain que de telles recherches ont leur intérêt, leur nécessité même, et que les hommes attentifs y glanent des constatations précieuses même pour la doctrine. Pourtant, il est incontestable aussi que cette étude textuelle est insuffisante. Qu’ad­ viendrait-il d’un homme qui, devant son repas, s’obstinerait à analyser chimiquement les mets, à distinguer les substances nocives d’avec les nutritives? 11 mourrait d’inanition. Voici un troisième procédé, plus scientifique, plus philosophique : on passera du texte au seas. On trou­ vera des majeures, des mineures, des notions multiples que l’on coor­ donnera méthodiquement en un tout cohérent, que l'on fera entier dans un système mental. Mais il faut bien reconnaître que ce travail, 352 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT purement abstrait et académique, n’épuise pas encore la substance du livre. La vérité de Dieu vaut mieux que cela; et ceux qui se bornent à cela feront éternellement antichambre : ils étudieront Dieu sans le con­ naître jamais. Comment se fait-il qu’on réussisse parfois à faire de la théo­ logie elle-même la plus ennuyeuse, la plus stérile et la plus froide de toutes les sciences? Parce qu’elle est conçue d'une façon tout humaine et livresque, et qu’on y voit simplement la matière d’un examen. Le procédé définitif auquel doivent aboutir tous ceux dont nous avons parlé jusqu’ici, est l’assentiment cordial, pratique, à la vérité, l’assimila­ tion réelle, la sympathie de l’âme tout entière. 11 ne nous servirait de rien de voir clairement les théorèmes surnaturels de notre Credo, si notre volonté se défend, par une cloison, contre la vérité connue, si notre pensée, notre amour et notre activité ne fraternisent pas. La vraie connaissance est celle qui développe en nous la foi et qui accroît la cha­ rité. Et il se trouve que la charité, après avoir reçu de la foi, lui restitue à son tour : elle nous fait apercevoir mieux ce que nous aimons davan­ tage; car nous voyons selon ce que nous sommes. Telle est l’étude vrai­ ment féconde, la science des moines et des saints. C’est l'emploi normal de notre intelligence et une préparation à la vision intuitive. Le travail, disions-nous naguère, est un dérivatif puissant et une diver­ sion à mille tentations; cela est vrai surtout du travail intel’ectuel; et pourtant ce n’est pas un sacrement qui nous transforme infailliblement, puisque nous pourrions étudier les choses divines de manié: e à les ignorer toujours. Après tout, ce n’est ni à l’objet matériel de nos études, ni à leur durée qu’ilfaut mesurer leur efficacité : c’est à un coefficient de dispositions morales, c’est à une certaine qualité d’attention, à un certain bien-être surnaturel, à une certaine loyauté et liberté d’âme, à un sens et à un goût de plus en plus profond de Dieu, que nous apprécierons ce qu’elles valent. Et je songe au festin d’Ésope ; il voulut servir à ses amis ce qu'il y avait de meilleur au monde : des langues ; ce qu’il y avait de pire : des langues. L’étude me paraît être dans ce cas : elle est peut-être la meilleure des choses créées; lorsqu’elle s’écarte de son dessein, elle est pire que tout le reste ; et c’est à l’occasion de la philosophie, de la théologie et de ΓÉcri­ ture qu’on perdra sa foi et qu’on ébranlera la foi des autres ! La science n'est pas un danger par soi ; et s’il y a l’orgueil des savants, il y a aussi l’orgueil des imbéciles. Mais, enfin, il reste que la science qui n'influe pas sur notre sanctification court grand risque d'enorgueillir. Thesau­ rizate vobis thesauros in caelo, ubi n'que aerugo, neque tinea demolitur, et ubi jures non effodiunt, nec furantur (Matth., vi, 20). Dans le domaine de la science tout humaine, il y a une rouille, et une teigne, et des voleurs ; e un jour vient où, de cette encyclopédie vivante, plus rien ne restera. L'autre science est divine par son titre, elle est éternelle par son fruit, elle est incorruptible par sa composition même ; on ne peut nous la sous­ DU TRAVAIL MONASTIQUE 353 traire, et nous-mêmes nous ne saurions en abuser ni en tirer vanité. Elle ne profite que pour l’éternité. C’est celle-là seulement que l’Égliso et le monde attendent des prêtres et des moines. A Dieu ne plaise que nous ayons quitté le siècle et fait profession pour appartenir corps et âme à la science et à la critique, pour colliger avec passion des fiches bibliographiques. Autant il est souhaitable que le travail monastique soit consciencieux et méthodique et ne s’éparpille jamais sur des sujets médiocres (1), autant il serait redoutable de prendre comme idéal Dieu et l'étude, de viser à la production intensive, et de réaliser trop à la lettre la légende du bénédictin érudit, émule des élèves de l’École des Chartes ou des membres de l’Académie des Inscriptions. Quel chétif apostolat ! Le jour où nous ferions sur l’autel des études le sacrifice de la conventualité et de la solennité de l’office, de la régularité, de la stabilité monastiques, nous aurions perdu tout caractère et jusqu’au titre à exister : rappelons-nous de quelle façon misérable a fini la Congrégation de Saint-ÙIaur. Notre déchéance sera proche lorsqu’il y aura un élément humain quelconque, réputation, richesse, science, que nous mettrons en balance avec Dieu et qui nous servira de prétexte pour l’appauvrir. Nous devons donc nous tenir en garde contre un esprit naturaliste qui nous inclinerait à réduire la part de la prière, soit dans notre horaire, soit seulement dans nos affections, au bénéfice, parfaitement chimérique, de la science sacrée. Il nous faut craindre aussi l’esprit de critique, cette disposition mesquine, grincheuse, vieillotte, à tout analyser avec défiance ; l’esprit frondeur, pour qui l’autorité a toujours tort, à priori, surtout l’autorité présente, et chez qui le doute est toujours le bienvenu. Ceux qui doutent et qui nient se font une célébrité immédiate. Et la déférence que l’on a refusée à la tradition, à l’antiquité, à l’autorité, on l’accorde aussitôt et absolument, avec une étourderie infinie, à la pensée d’un auteur quelconque, d’un de ces maîtres del’heure qui font sonner très haut les mots vagues de progrès, d’évolution, de largeur d’esprit, d’éveil dogmatique. C’est de la badauderie intellectuelle. Et il me semble que le bon sens et la dignité consistent pour nous, non seulement dans une attitude de réserve, mais surtout dans un esprit de défense tranquille et do sauvegarde. L’esprit de conservation est l’instinct même de la vie, la disposition essentielle à maintenir l’être dans la possession de son être. C’est grâce à cet esprit que nous serons vraiment progressistes, car il n’y a pas de progrès d’un être vivant qui ne soit en rapport de continuité avec l’état qui l'a précédé. Nous appartenons à une société traditionnelle qui s’appelle l’Église. Dans sa Conférence avec le ministre Claude « sur la matière de l’Eglise », Bossuet fait remarquer a qu’il n’y eut jamais (1) Lire Madillon, Traité des études monastiques, 35» COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT DENOIT ancun temps où il n’y ait eu sur la terre une autorité visible et parlante, à qui il faille céder. Avant Jésus-Christ nous avions la Synagogue ; au point que la Synagogue devait défaillir, Jésus-Christ parut lui-même; quand Jésus-Christ s’est retiré, il a laissé son Église, à qui il a envoyé son Saint-Esprit. Faites revenir Jésus-Christ enseignant, prêchant, fai­ sant des miracles, je n’ai plus besoin de l’Église : mais aussi, ôtez-moi l’Église, il me faut Jésus-Christ en personne, parlant, prêchant, décidant avec des miracles, et une autorité infaillible (1) ». Nous autres, baptisés, clercs et moines, nous ne recevons notre enseignement que de l’Église. Notre mère n’est ni la science ni la critique ; seule, l’Église, après nous avoir enfantés et nourris, a mission de former nos âmes pour l’éternité. Dans la dogmatique, la morale, la liturgie, l’histoire, l’Écriture sainte surtout, c’est toujours l’Église qui parle et qui explique. Et tel est le caractère de l’enseignement et des études monastiques : recueillir des lèvres et du cœur de l’Église la pensée de Dieu. Idcoque hac dispositione credimus utraque tem­ pora ordinari : id est, ut a Pascha usque ad Kalendas Octobris mane exeuntes, a prima usque ad horam pene quartam laborent, quod necessarium fuerit. Ab hora autem quarta usque ad horam quasi sextam lectioni vacent. Post sextam autem surgentes a mensa, pausent in lectis suis cum omni silentio; aut forte qui voluerit sibi legere, sic legat, ut alium non inquietet. Agatur Nona temperius, mediante octava hora; et iterum, quod faciendum est, ope­ rentur usque ad vesperam. Afin de conjurer le péril de l’oisiveté, la journée monastique sera con­ sacrée, à des heures définies, tantôt au travail des mains, tantôt à l’étude des choses de Dieu ; et voici, continue N. B. Père, comment nous croyons devoir distribuer les temps de l’un et de l’autre travail. Au chapitre VIII, lorsqu’il fut question de l’heure à laquelle commence l’office de nuit, saint Benoît a partagé l’année en deux saisons ; au chapitre XLI, et à propos de l’heure des repas, en quatre périodes ; en deux seulement, au chapitre XLII, au sujet de la lecture de Complies ; ici enfin, c’est en trois périodes qu’il divise l’année. La première s’étend depuis Pâques jusqu’aux calendes d’octobre, c’est-à-dire jusqu’au 14 septembre, jour (1) Édition de Bar-le-Duc, 1863, t, V, p. 348» DU TRAVAIL MONASTIQUE 353 où Ton commence à compter Ica calendes : decimo octavo Kaltndas Octobris; c’est la même date que désignaient, au chapitre XLI, les termes al Idibus Septembris : depuis les ides fermées de septembre (1). Rappelonsnous ce qui a été dit au chapitre VIII de la division de la journée chez les anciens. Elle était partagée en vingt-quatre heures, d’inégale durée selon les saisons ; les douze heures de jour étaient comptées depuis le lever jusqu’au coucher du soleil; elles étaient plus longues en été, plus courtes en hiver. Pendant l’été, les frères sortiront dès le matin, probablement après l’office de Prime ; et ils s’emploieront aux travaux nécessaires jusque vers la quatrième heure. Depuis la quatrième heure jusqu’à la sixième environ, ils vaqueront à la lecture. L’office de Tierce a pu se dire aux champs (chap. L) ; celui de Sexte se récite au monastère. La sixième heure achevée et le repas fini, les frères se lèveront de table et pour­ ront alors se reposer sur leur couche. C’est la sieste, toujours indispen­ sable pour des Italiens, et qu’il convenait d’autant mieux d’accorder aux moines que, pendant toute cette période, les chaleurs étaient plus fortes, le travail plus abondant, les nuits plus courtes. N. B. Père veut que le silence de nuit reprenne alors ses droits. Et ceci est réclamé par la charité, car les conversations des uns auraient compromis le sommeil des autres. Aussi bien, nul n’est contraint de se coucher ; il est permis de reprendre sa lecture d’avant le dîner ; mais à la condition expresse que chacun lise tout bas et pour soi seul, afin de ne gêner personne. Les anciens avaient coutume, semble-t-il, de lire, sinon à haute voix, du moins en prononçant les mots; et saint Augustin remarquait l’habitude contraire de saint .Ambroise (2). Après la sieste, les frères célèbrent l’office de None : agatur Nona; la neuvième heure n’est pas encore commencée, on est à peu près au milieu de la huitième : tempe­ rius, mediante octava hora. Puis on retourne au travail manuel, jus­ qu’au soir, jusqu’à Vêpres. Si autem necessitas loci, aut paupertas exegerit, ut ad fruges colligendas per se occupentur, non con­ tristentur : quia tunc vere monachi sunt, si de (1) Π ne saurait être question, dans co terte du chap. xlvhi, du jour où tombent les calendes, c’est-à-dire du 1er octobre : saint Benoît, en effet, veut que les frères prennent leur repas à none seulement, depuis le 14 septembre (chap, xli), à sexte depuis Pâques jusqu’à ce qu’il appelle ici « les calendes d’octobre ■ ; or, les deux prescriptions deviendraient inconciliables, entre le 14 septembre et le 1er octobre, si nous entendions l’usçue ad Kalendas Octobris du jour on tombent les calendes. (2) Cum legebat, oculi ducebantur per paginas, ei cor mlelkcium rimabatur, roi autem et lingua quiescebant... Sic eum legentem vidimus tacite, et aliter numauam (Coniess., 1. VI, c, lu. P. L., XXXII. 720-721). 356 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT labore manuum suarum vivunt, sicut et Patres nostri et Apostoli. Omnia tamen mensurate fiant propter pusillanimes. Cette remarque peut trouver son application en toute saison ; elle a pourtant une opportunité spéciale pour l’été et pour le début de l’automne : c’est l’époque des moissons et des récoltes. Il est difficile de comprendre comment, d’un texte tel que celui que nous venons de lire, on a pu faire sortir certaines exagérations bien connues. Saint Benoît prévoit — il ne l’exige pas — que les conditions du lieu ou la pauvreté du monastère obligeront les moines à recueillir eux-mêmes les fruits de la terre. Les religieux pouvaient habiter une région solitaire ; le monastère pouvait tout à la fois posséder une vaste propriété foncière et n’avoir que très peu de serviteurs : allait-on laisser périr les récoltes sur pied? Force était bien d’employer les moines. Et saint Benoit prend occasion de cette éventualité pour rappeler que le travail manuel est non seulement bon et utile, non seulement sanctifié par l’obéissance, mais encore que les saints Apôtres et les Pères du désert n’ont pas rougi de s’y adonner. L’observation n’était pas superflue. Dans l’Orient, le travail manuel gardait un caractère moins servile, moins assujettissant qu'en Occident ; les riches eux-mêmes apprenaient souvent un métier : on tra­ vaillait pour s’occuper, pour donner aux pauvres ; saint Paul fabriquait des toiles de Cilicie, par fierté et pour n’être à charge à aucune église. Mais l’Occident est plus positif, plus industriel ; sous un climat différent, avec des muscles vigoureux, il y a une dépense plus considérable de force physique ; volontiers on abandonnerait le travail aux esclaves. Et N. B. Père croit devoir plaider en sa faveur, comme l’avait fait longue­ ment saint Augustin dans son livre De Gpere Monachorum. Un moine ne saurait trouver les travaux manuels indignes de lui, celui-là surtout, dit le saint Docteur, qui vient de la condition servile. Vivre du travail de ses mains, comme l’ont fait nos pères et les Apôtres, c’est encore être vrai­ ment moine ; c’est se livrer à une occupation très monastique et commu­ nier à un idéal primitif (1). Mais N. B. Père ne dit aucunement que les moines ne sont plus moines ou le sont d’une manière diminuée lorsqu’ils ne vivent pas du travail de leurs mains. L’équivoque sur la pensée de saint Benoît n’est plus possible, si l’on consent à remarquer qu’il ne parle ici des récoltes que comme d’une exception et comme de labeurs (1) Ne ipsi quidem (monachi Romani) cuiquam onerosi sunt, sed Orientis more, ct Pauli apostoli auctoritate manibus suis se transigunt (S. Aug., De moribus Ecclesiae calhol., L I, c. xxxui. P. L., XXXII, 1340). — (Antonius) gaudebat quod sine cujusquam mo'estia cx propriis inanibus viveret (Vita S. Antonii, versio Eyagrii, 50, P, G., XXVI, DU TRAVAIL MONASTIQUE 357 extraordinaires. Même alors, ajoute-t-il, la discrétio demeure une loi. Tout se fera avec mesure, à cause des faibles ; l’Abbé veillera à n’écraser jamais la communauté sous un travail exagéré. A Kalcndis autem Octobris usque ad caput Qua­ dragesimae, usque ad horam secundam plenam le­ ctioni vacent; hora secunda agatur Tertia; et usque ad Nonam omnes in opus suum laborent, quod eis injungitur. Facto autem primo signo nonae horae, disjungant se ab opere suo singuli, et sint parati, dum secundum signum pulsaverit. Post refectionem autem vacent lectionibus suis, aut Psalmis. Depuis les calendes d’octobre, c’est-à-dire depuis le commencement du Carême monastique, 14 septembre, jusqu’au début du Carême ecclé­ siastique, il y a un nouveau régime de travail manuel. Les grands travaux sont finis ; peut-être est-ce plutôt à l’intérieur du monastère et dans les divers ateliers claustraux que les moines s’occupent alors. Les heures de jour se font de plus en plus courtes ; dorénavant, les heures de nuit étant largement suffisantes, il ne sera plus question de la sieste. Depuis le matin jusqu’à la deuxième heure pleine, les frères vaquent à la lecture. Lorsque la seconde heure est achevée, ils disent Tierce. Puis, jusqu’à la neuvième heure, chacun s’emploie au travail prescrit (1). L’office de None (les autres aussi, probablement) est annoncé par deux sonneries : au premier signal, tous quittent immédiatement leur travail et font en sorte d'être prêts pour l’office, qui commence après que le second signal a retenti. Le repas vient ensuite. Puis les frères reprennent leurs lectures du matin ou étudient les psaumes. Lectionibus suis désigne peut-être d’une manière spéciale les leçons de la Vigile nocturne, comme au cha­ pitre Vili : Quod vero restat post Vigilias, a fratribus qui Psalterii vél lectionum aliquid indigent, meditationi inserviatur. N. B. Père entend donc que la matière de la lectio divina et de la méditation soit empruntée premièrement aux textes liturgiques. La lecture se poursuivent jusqu'à Vêpres. En additionnant ce temps de lecture avec celui du matin et avec celui qui pouvait suivre les Vigiles d’hiver, on obtient une large mesure d’étude surnaturelle. — Nulle part la Règle ne parle ex profess) (1) Omni tempore usque ad tertiam legant : post tertiam unusquisque sibi opera injuncta faciat (S. Caesar, Reg. ad mon., xrv). Post horam secundam unusquisque ad opus suum paratus sit usque ad horam nonani, ut quidquid injunctum fuerit, sine murmura­ tione perficiat (S. Macab., Reg., xi). M8 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT des conférences. R est probable cependant que l’Abbé faisait bénéficier ses moines de la doctrine que lui suppose N. B. Père. Parfois sans doute la « lecture λ était faite par un seul, par l’Abbé, par un doyen, et chacun pouvait solliciter des éclaircissements : c’est une des formes antiques de l’enseignement, et saint Benoit y a fait allusion (chap. IV : bGc instru­ ment, chap. VI, chap. XXXVIII). In Quadragesimae vero diebus, a inane usque ad tertiam plenam, lectioni vacent, et usque ad deci­ mam plenam operentur quod eis injungitur. In quibus diebus Quadragesimae, accipiant omnes singulos co­ dices de bibliotheca, quos per ordinem ox integro le­ gant : qui codices in capite Quadragesimae dandi sunt. Voici la troisième et dernière période, celle du Carême. Le temps dû la lecture se prend le matin jusqu’à la troisième heure pleine. Ensuite, jusqu’à la dixième heure pleine, 1 s moines s’occupent au travail qui leur a été commandé. On a pu constater qu’il n’est pas question do la Messe dans l’horaire des jours de semaine. Au chapitre suivant, N. B. Père recommandera de s’appliquer spéciale­ ment à la lecturependant le Carême ; ici, il pourvoit à ce que nul ne manque de livres et ne se dérobe à un devoir aussi indispensable. Le monastère possédera une bibliothèque, et un · bibliothèqu · as< z. riche pour que chacun puisse recevoir un manuscrit (1). La distribution se fera au début du Carême; et tel est encore l’usage aujourd'hui. On reçoit des mains de l’Abbé lui-même le livre au moyen duquel 1·· Seigneur nous instruira. Quos per ordincin ex integro legant : il ne suffit pas de feuilleter son manuscrit, de lire nonchalamment ici et là, au ha. ird, et par acquit de conscience, quelques passages qui parai.- ont moins fastidieux ; N. B. Père entend qu’on le lise par ordre et tout du long. Il réclame une étude sérieuse et non cette lecture superficielle et rapide qui n’est qu’une forme élégante de la paresse. La Règle ne détermine pas si le manuscrit doit être restitué à date fixe ; elle ne dit pas non plus s’il doit être lu en entier au cours du Carême. Ante omnia sane deputentur unus nut duo senio­ res, qui circumeant monasterium horis quibus (1) Quelques détails sur les anciennes bibliothèques monastiques dans IIæften, L IX, tract, iv, disq. v, et Calmet, Comment, sur le chap, xlviii. DU TRAVAIL MONASTIQUE 359 vacant fratres lectioni, et videant, ne forte inve­ niatur frater acediosus, qui vacet otio aut fabulis, et non sit intentus lectioni : et non solum sibi inutilis sil, sed etiam alios extollat. Ilie talis, si (quod absit) repertus fuerit, corripiatur semel et secundo : si non emendaverit, correctioni regulari subjaceat, taliter ut celeri metum habeant. Neque frater ad fratrem jungatur horis incompelentibus. Après l’énoncé du précepte des saintes lectures, quelques mesures dis­ ciplinaires pour en garantir l'observation. On soupçonne qu’à l’époque de Ν'. B. Père certains novices, peut-être même quelques anciens, res­ sentaient peu d'attrait pour le déchiffrement des gros manuscrits, et qu’ils eussent préféré l'agriculture aux Sermons de saint Augustin sur les psaumes ou à tel autre commentaire plus subtil : c’est à leur intention et pour leur ménager un supplément de conscience que saint Benoît ins­ titue les · circa tears ». Avant tout, dit-il, on aura soin de désigner un ou deux sénieurs qui parcourront le monastère aux heures où les frères doivent vaquer à la lecture. Ils s’assureront de ce qui se passe. Peut-être rencontreront-ils un frère nonchalant, sans goût pour les choses spirituelles et fatigué de chercher Dieu, acediosus (1). Au lieu de s’appli­ quer à la lecture, il rêve et somnole, ou bien il bavarde. Un homme qui s'ennuie devient un apôtre de l’ennui, et la paresse est contagieuse : non seulement ce frère perd son temps et se nuit à soi-même, mais encore il dissipe les autres. Lorsque le circateur rencontre, ce qu’à Dieu ne plaise, un moine aussi peu délicat, il doit le réprimander lui-même en secret ou le faire admonester par l’Abbé jusqu’à deux fois. Mais, si le coupable ne s'amende pas, on le soumettra à la correction régulière, en telle manière que les autres moines conçoivent tous de la crainte. La remarque qui suit a une portée générale et vise tous les temps de l’année, tous les moments silencieux du jour : qu’un frère ne se joigne point à un autre, ne s'entretienne avec personne aux heures indues. On écarte ainsi bien des périls. Nous voyons une fois de plus, grâce à ces quelques mots, que les moines do saint Benoît avaient des heures régu­ lières où ils pouvaient parler entre eux. Dominico die lectioni vacent, exceptis iis qui variis officiis deputati sunt. Si quis vero ita negli(1) Cf. S. Th., II' II", q. xxxv, surl’aeedie. 360 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT gens et desidiosus fuerit, ut non velit aut non possit meditari aut legere, injungatur ei opus quod faciat, ut non vacet. Fratribus infirmis \el delicatis talis opera aut ars injungatur, ut nec otiosi sint, nec vio­ lentia laboris opprimantur, ut effugentur. Quorum imbecillitas ab Abbate consideranda est. Voici, enfin, quelques exceptions aux règles posées dans ce chapitre. Il fallait dire un mot du dimanche. Ce jour-là, en toute saison, les tra­ vaux manuels cesseront; et tous les frères vaqueront à la lecture (1), excepté ceux qui sont députés à des offices qui ne peuvent chômer, à la cuisine, par exemple. Puis saint Benoît prévoit le cas d’un moine tellement négligent et paresseux qu’il ne consente ni à lire ni à méditer. non possit : peut-être même ne le peut-il pas : à raison de son habitude d’incurie intellectuelle, ou bien par insuffisance de nature, et sans culpabilité de sa part. Afin qu’il ne reste pas désœuvré, on lui assignera une besogne quelconque. Sans doute, dans la pensée de N. B. Père, cette substitution doit être étendue à tous les jours de la semaine et n'est pas réservée au seul dimanche. Elle pouvait d’ailleurs être plus opportune ce jour-là : car il fallait bien, pendant les longues heures où la communauté vaquait à la lecture, trouver pour les nonchalants et les illettrés une occupation manuelle conciliable avec les exigences dominicales. Ce n’est pas seulementla durée du travail manuel qui doit être calculée avec mesure, c’est sa qualité même qui doit être proportionnée aux forces de chacun. Saint Benoît avait écrit plus haut : Omnia tamen mensurate fiant propter pusillanimes; il plaide encore une fois en faveur des frères infirmes ou délicats. Bs n’ont pas de titre à demeurer oisifs ; mais il ne faut pas davantage les accabler sous des travaux trop lourds, les décourager, les exposer peut-être à s’enfuir du monastère (2). On leur confiera une tâche facile, on les appliquera à un art qui convienne à leur état de santé. Cette appréciation de leur faiblesse est remise à la conscience et au cœur de l’Abbé. (1) Dominicis diebus orationi tantum e! lectionibus vacant (S. IIieron., Episi. XXII, 35. P. L„ ΧΧΠ, 420). (2) Ne plus operis fratres compellantur facere; sed moderatus labor omnes ad operandum proiocet (S. Pace., Reg., clxxix). CHAPITRE XLIX DE L’OBSERVANCE DU CARÊME De Quadragesimae observatione. — Licet omni tempore vita monachi Quadragesimae debeat obser­ vationem habere : tamen quia paucorum est ista virtus, ideo suademus istis diebus Quadragesimae omni puritate vitam suam custodire, omnes pariter negligentias aliorum temporum his diebus sanctis diluere. Saint Beno’t a eu l’occasion, au chapitre précédent, de décrire certaines observances communes du Carême ; mais telle est l’importance de cette période dans une vie chrétienne et monastique (1) qu’il lui consacre un chapitre spécial, où sont proposées à chacun quelques pratiques facultatives et surtout les dispositions surnaturelles qui donneront du prix à ses œuvres. Ne nous méprenons pas sur le caractère de cette affirmation de saint Benoît « qu'en tout temps la vie d’un moine doit témoigner de la même observance qu’en Carême ». Le Carême, selon l’acception courante, signifie une portion de l’année consacrée au jeûne, à l’abstinence, à des pratiques de mortification. Le monde, parce qu’il est toujours frappé par les choses qui le molestent davantage, ne voit dans le Carême que des retranche rents sur le boire et le manger ; il prend plutôt conscience des pénalités culinaires de cette période que de son intention réelle et pro­ fonde de pénitence. Mais dans la pensée de saint Benoît le Carême a une acception plus large. Lorsqu’il souhaite que la vie du moine soit un perpétuel carême, il n’entend pas parler de celui de l’estomac : c’eût été bouleverser la règle établie ailleurs et laisser au moine la dangereuse liberté de manger ou de ne manger pas, et de manger à ses heures ; c’eût été manquer de discrétion. Meme, il ne semble pas que N. B. Père songe (1) Cf. Cass., Conia!. XXI. 361 ! 362 COMMENTAIRE SUR LA REGLE DE SAINT BENOIT ici à entraîner ses moines dans un régime d’austérités sans fin et de morti­ fication extraordinaire. Il parle du carême spirituel, conciliable avec tous les horaires, avec tous les états de santé, supérieur de beaucoup au carême matériel, lequel n’est qu’un procédé qui nous aide à réaliser l’autre. Ce vrai carême implique deux éléments : un élément négatif et un élément positif, un élément de séparation et un élément d’union. H con­ siste d’abord dans l’élimination du péché et de l’imperfection même, dans la suppression de tout ce qui est inconciliable avec la volonté de Dieu sur nous, avec la dignité de notre vocation, avec le sérieux de notre promesse. Et le carême spirituel est complet lorsque sont pratiquées les bonnes œuvres, lorsque l’âme adhère à Dieu plus intimement. Or, en tout temps, la vie du moine devrait s’efforcer de remplir ce programme de sainteté. La seule réalité de notre insertion au Seigneur et de notre col­ laboration liturgique quotidienne à son mystère devrait suffire pour imprimer à notre vie l’allure d’une fidélité croissante. Mais saint Benoît connaît les hommes : Paucorum est ista virtus. H y a toujours une dis­ tance entre ce que nous sommes et notre idéal ; même dans la loyauté parfaite, il y a des défaillances d’exécution. Et le dessein du Carême est celui-ci : nous fournir l’occasion de réparer, d'expier toutes les négligences des autres temps. Le Carême est encore une période de recueillement, de docilité plus attentive, d'entraînement surnaturel : Omni puritate vitam suam custodire. Saint Benoît entend ici le mot pureté dans son sens large et compréhensif : c’est la vie d’unité et d’union à Dieu sans partage, l’absence de tout alliage dans le principe qui déter­ mine intérieurement notre activité : Qui Spiritu Dei aguntur, ii sunt filii Dei; c’est la vraie virginité du cœur. Garder son âme en toute pureté et effacer les négligences des autres temps de l’année : ces deux recomman­ dations sont liées ensemble comme cause et effet : nous n’atteignons les fautes d’autrefois que par la fidélité d’aujourd’hui (1). Quod tunc digne fit, si ab omnibus vitiis nos tem­ peremus; orationi cum fletibus, lectioni, et com(1) Saint Benoît s’est inspiré de plusieurs passages de S. Léon le Grand : Haec autem praeparatio, H et omni (empore salubriter assumatur,... nunc tamen sollicitius expetenda est... Scientes enim [adrersarii nos/π] adesse sacratissimos Quadragesimae dies, in quorum observantia omnes praeteritae desidiae castigantur, omnes ncgligenlice diluuntur. — Debebatur quidem tantis mysteriis ita incessabilis devotio et continuata reverentia, ut tales permaneremus in conspectu Dei, quales nos in ipso paschali festo dignum est inveniri, Sed quia haec fortitudo paucorum est... magna divinae institutionis salubritate provisum est, ut ad reparandam mentium puritatem quadraginta nobis dierum exercitatio medaetur, in quibus aliorum temporum culpas ct pia opera redimerent, et jejunia casta decoquerent. — Deo ita demum sacrificium verae abstinentiae et verae pietatis offerimus, si nos ab omni malitia contineamus (De Quadrag., Sermo I 2 P L., LIV, 264 ; Sermo IV, 1 et 6. P, L, ibid., 275,280). BE l/OBSERVANCE BU CARÊME punctioni cordis, atque abstinentiae operam 363 de­ nius. Saint Benoît analyse maintenant sa pensée; il donne le détail des points sur lesquels pourront porter les observances individuelles du Carême. D’abord l’élément négatif : s’éloigner de tout vice, de toute habitude mauvaise. Ceci est élémentaire : il est bien superflu de surcharger l’observance de pratiques nouvelles, d’imaginer une belle stratégie de macérations, lorsque le cœur reste volontairement plein d’orgueil, de jalousie, de paresse, de murmure. Et voici l’élément positif. En premier lieu, l’oraison. Pour un phari­ sien, l’œuvre extérieure, la prestation matérielle, eût passé avant tout ; mais un chrétien songe d’abord à la prière. Saint Benoît demande une prière accompagnée de lamies, c’est-à-dire intime, instante, jaillis­ sant de la tendresse et de la « componction du cœur ». Nous recon­ naissons la doctrine du chapitre XX. Ainsi donc, en Carême, l’oraison privée sera plus fréquente et plus fervente ; l’oraison officielle, le service divin sera mieux préparé et célébré avec plus de soin. Nous nous appliquerons spécialement aussi à l’étude des choses divines, lectioni, et c’est pourquoi le chapitre précédent nous parlait des livres de carême. Remarquons comment N. B. Père suggère non pas des pratiques extraor­ dinaires, mais un accomplissement intégral et plus généreux de nos simples devoirs d’état. Tl ajoute un conseil de sobriété : abstinentiae, donnant peut-être à ce mot, comme à celui de Carême, une signification plus large que ne la lui donne l’usage courant. Il ne saurait même être question de l’abstinence des viandes, puisque, dans les monastères, elle était perpétuellè. Ergo his diebus augeamus nobis aliquid ad soli­ tum pensum servitutis nostrae: orationes peculiares, ciborum et polus abstinentiam; unusquisque super mensuram sibi indictam aliquid propria voluntate cum gaudio Sancti Spiritus offerat Deo : id est, sub­ trahat corpori suo de cibo, de potu, de somno, de loquacitate, de scurrilitate, et cum spiritualis desi­ derii gaudio sanctum Pascha exspectet. La vie monastique a été dé finie :Dom inici schola servitii. Il y a donc une tâche, un service que nous devons fournir, en stricte justice et con­ formément à nos vœux. Mais un bon et généreux serviteur va au delà 364 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT dccequi hùfst prescrit'.augeamus aliquid... (1). Et saint Benoît énumère quelques-unes des pratiques de Carême : celles qui intéressent surtout l’âme, les prières particulières; celles qui ont pour dessein de réduire le corps, les privations dans la nourriture et le sommeil, l’abstention plus scrupuleuse du bavardage et de la dissipation. L’abstinence, le jeûne et les veilles sont les procédés classiques de la mortification corpo­ relle. Rappelons-nous qu’en Carême nos pères ne prenaient qu’un seul repas, le soir; il y avait bien quelque vaillance à retrancher encore sur un menu déjà frugal. Aliquid offerat : serait-ce trahir la pensée de saint Benoît que de reconnaître dans cette manière de dire une allusion rapide à la discrétion et à la mesure qui doivent, même en Carême, caractériser le programme de nos observances? La multiplicité dans les œuvres extérieures est encore un trait de la piété pharisienne. Ce qu’il nous faut recueillir surtout, c’est l’indication des dispo­ sitions intimes d’où procéderont nos pratiques de Carême : celles-ci devront avoir la physionomie gracieuse d’une « offrande faite à Dieu ». L’offrande est, par définition, quelque chose de spontané : le moine consultera donc sa propre générosité, et il choisira lui-même son présent, propria voluntate; et si l’obéissance intervient, ce n’est pas pour diminuer l'initiative ni la résolution virile, niais pour les diriger et les rendre fécondes. Une offrande se fait avec joie, « avec la joie du Saint-Esprit » : Hilarem enim datorem diligit Deus (II Con., ιχ, 7). Nous savons que les jeûneurs pharisiens avaient la mine allongée et maussade: Exterminant faciès suas (Matth., v, 16-18). Isaïe les voit contorquere quasi circulum caput suum, et saccum et cinerem sternere (2). Mais le Seigneur demande une autre attitude à des âmes qui sont en paix avec lui, qui sont aimées, qui portent en elles la Tendresse, la Beauté et la Joie infinies : Tu autem, cum jejunas, unge caput tuum et faciem tuam lava. N.B. Père sait son Évangile. H n’ignore pas non plus qu’en Carême il y a des obstacles spéciaux à la joie : obstacles physiques, l’estomac qui geint, la tête qui est lourde... ; obstacles spirituels, les petits diables, un vol de vilains « oiseaux noirs (3)». Quand il y a souffrance physique ou dépression morale, l’ennemi n’est jamais loin ; le Seigneur non plus, par bonheur, ni ses anges; aussi l’Église a-t-elle soin de nous confier aux bons anges dès le début de la sainte Quarantaine (4). Au reste, suggère la Règle, on voit le bout du Carême ! Que l’allégresse (1) Encore un souvenir de S. Léon : Omnem observantiam nostram ratio istorum dierum postal augeri... Admensuram consuetudinis nostrae necessariis aliquid addamus augmentis (De Quadrag., Sermo II, 1. P. L., LIV, 268). — Debet esse aliquid quod Qua­ dragesimae diebus addatur (vel augeatur) : sed ita, ut nihil ostentationis causa fiat. sed religionis (S. Ambros., De virginibus, L III, c. iv. P. L., XVI, 225). (2Ί Missale Romanum, Epistola feriae VI post Cineres, (3) S. Grio. M., Dial., L II, c. ij. (4) Missale Romanum, Dom. I Quadrag. DE L’OBSERVANCE DU CARÊME 3M pascale prévienne les temps et rejaillisse jusque sur les semaines d’at­ tente. Notons qu’il s’agit de « la joie d'un désir spirituel » : l’estomac, lui aussi, a ses convoitises, mais ce n’est pas d'elles qu’il est ici question. El cum spiritualis desiderii gaudio sanctum Pascha exspectet : on entrevoit dans cette petite phrase toute la saveur qu’avait la sainte Pâque pour N. B. Père saint Benoît. Ainsi, deux fois en quelques lignes, la joie est mentionnée ; c’est qu’en effet le précepte de la joie oblige toujours. Même à ses heures les plus austères et jusque dans l’exercice de la pénitence, la vie monastique gardera donc l’aspect tranquille et l’abord facile que lui voulait saint Benoît : In qua institutione nihil asperum nihilque grave nos constituturos speramus. IIoc ipsum tamen, quod unusquisque offert, Abbati suo suggerat, et cum ejus fiat oratione et voluntate; quia quod sine permissione patris spiritualis fit, praesumptioni deputabitur et vanae gloriae, non mercedi. Ergo cum voluntate /Abbatis omnia agenda sunt. La part surajoutée de mortification, encore quelle soit résolue spon­ tanément, sera néanmoins soumise à l’Abbé, que N. B. Père appelle ici pater spiritualis. On ne saurait excéder lorsqu'il s’agit des vertus théolcgales ; on excède facilement lorsqu'il s’agit des vertus morales, lesquelles consistent dans une sage moyenne prise entre deux extrêmes, et dont l’objet immédiat est une chose bonne, non par elle-même ni pour ellemême, mais en vertu de sa relation avec une autre qui est bonne d’une façon absolue. La mortification n’est bonne que relativement : sinor, tous les fakirs indiens seraient parfaits ! Elle est bonne parce quelle noi s établit en santé morale et qu’elle diminue les exigences du corps ou de l’esprit propre ; — parce qu’elle nous fait expier et réparer le péché ; — et surtout parce quelle nous associe aux souffrances de Notrc-Seigneur Jésus-Christ; elle est bonne comme procédé et comme moyen, non comme fin. Or, il y a place, sur ce terram, pour des erreurs doctrinales et pour des erreurs pratiques. On peut non seulement manquer de mesure, mais encore, par un renversement étrange des principes mêmes du christianisme, faire consister toute la vie surnaturelle dans l’œuvre de mort de la pénitence ; on peut s’exalter dans son audace. — tuer le bélier pour laisser vine Isaac. L’attrait pour une mortification rigoureuse peut être affaire de tempérament, violence naturelle, raffinement ma­ ladif, ou bien n’etre qu'une forme de la superbe. Et il s’en faut de beau­ coup que l’ardeur à la mortification corporelle s’unisse toujours à 306 COAI.VENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT l'obéissance intérieure et à la mortification de l’esprit. H n’y a réellement d’avenir ni pour les mous, ni pour ceux qui sont extrêmement mortifié», lorsque leur pénitence n’est pas accompagnée d’une très grando docilité et soumission d’âme. L’unique procédé qui nous mette à l’abri de» illu­ sions est indiqué par saint Benoit : confier Λ notre Abbé nos bons désira et suivre en tout sa direction. N. B. Père assigne un autre motif à ce recours au supérieur. Le moine ne s'appartient plus, l’exercice de son activité entière est déterminé par la Bègle et par la volonté de l’Abbé (Ί). Il ne faudrait pas, sous couleur de perfection et au moyen d'observances particulière!», peut-être excellentes en soi, mais non autorisées, é. happer tout un < arôme à une sujétion absolue qui est la condition même de notre vio monastique! Des œuvres faites dans ces dispositions n aîtraient aucun caractère sur­ naturel et méritoire. Ce qui se fait sans la permission du père pintiid. dit saint Benoît, sera porté au compte de la présomption et de la vaine gloire et non de ce qui mérite récompense (2). l'e nouveau, nous somme» mis en garde contre une tendance pharisicnne : Γο tentation dans les bonnes œuvres iNoli tuba canere ante te, s.c t Av; te >· / ; ιό:.' ni >ynagogis ei in ticis ut honorificentur ab te... .in ■?> <■: > · : rea· perunimercedm suam (Mattie, w, 2l Dans nos petite mortifications, oublions toutes choses, sauf le regard et la joie de ι itre Père céleste. Saint Benoît parle non seulement de la permi- ion de l’Abbé mai de sa prière. Nous pouvons compter toujours sur la prière de notre Abbé, et la nôtre doit être associée habituellement à la sienne. (1) Sine (praqmitiï colunlatc nulhu/rater ç-j.a?it(fr;. II SS. Ρατβιίι, J> (2) Cf. S. Basîl, Jieg. contr., txxxrx, ctxxxt. «xxxrv. - Γλ . h ' V, xxin. — Hæften, 1. X, tract vin, dis J. VI. — ÜPAUt .msv·. ·»., 1. Il, c. ui* CHAPITRE L uns frères qui travaillent loin de l’oratoire OU QUI sont en voyage Cee deux courts chapitres L et LT prévoient les exceptions possibles à la parfaite ponctualité et régularité dont traitaient les chapitres pré­ cédent.·’. IL· pourraient être réunis sous un même titre. Leur dessein c t de réfoudre les cas de conscience que créent, au double point de vue do l’office divin d’abord, puis de la table commune, l’éloignement momentané ou l’absence prolongée. Le chapitre L nous apprend comment doivent célébrer les Heures ceux des frères qui ne peuvent se trouver à l’oratoire avec le convent, soit que des travaux les retiennent aux champs, soit qu’ils accomplissent un voyage. De FRATRIBUS qui longe ab oratobio laborant, aut in — Fratres qui omnino longe sunt in labore, et non possunt occurrere hora competenti ad ora­ torium, et Abbas hoc perpendit quia ita est, agant ibidem opus Dei, ubi operantur, cum tremore divino via sunt. flectentes genua. 11 y a lieu d’observer d’abord que saint Benoît considère tous ses moines comme rigoureusement tenus à l’office; pourtant les moines d'alors n’étaient pas clercs, pour la plupart. Les frères qui sont partis travailler aux champs feront en sorte de revenir assez tôt pour célébrer à l’oratoire chacune des Heures liturgiques, toutes les fois que la dis­ tance no sera pas trop grande, et sans doute aussi lorsqu’ils pourront abandonner le travail sans inconvénient sérieux; mais cette seconde condition, dont a tenu compte la tradition monastique, n’est pas envi­ sagée par saint Benoit. Ceux qui sont trop loin, qui omnino longe sttni, diront l’office à l’en­ droit même où ils se trouvent. Et, afin de couper court aux indécisions, 368 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT c’est à l’Abbé qu’il appartiendra de décider si l’on doit rentrer ou non. Oo voit bien qu’il ne s’agit que de cas exceptionnels. Tous les travaux manuels, selon la pensée de saint Benoît, doivent s’exécuter d’ordinaire à l’intérieur de la clôture (chap. LXVI), et de telle sorte que les frères puissent aisément se réunir pour l'Œuvre de Dieu. Mais n’arrive-t-il pas souvent que le monastère a des possessions plus éloignées? En ce cas, des ouvriers recueilleront les récoltes. Nulle part dans la Règle n’est envisagée l’hypothèse d’exploitations agricoles, captant d’une façon HIH habituelle les forces vives de la communauté et obligeant de nombreux moines à s’absenter toute la journée ou des semaines entières, loin du centre de la vio conventuelle. L’usage de réciter certaines parties de l’office aux champs existait avant saint Benoît : il est mentionné par les Règles de saint Pacôme et de saint Basile (1). Sur quoi D. Martènc remarque « qu’il n’y a pas lieu de s’étonner que les moines accomplissent YOpus Dei dans les champs, puisqu’ils y faisaient bien aussi le somme réparateur de la méridienne ». H est peut-être plus facile de dormir aux champs que d’y réciter l’office avec décence. Aussi N. B. Père recommande-t-il d’apporter le même souverain respect, la même vigilance qu’au chœur. Dieu n'est nulle part absent, et si la notion de sa présence est familière aux moines, comme le veut saint Benoît, ils se recueilleront sans peine. Le lieu du travail devient aussi sacré que l’oratoire. On y garde le cérémonial accoutumé : inclinations, génuflexions, oraisons faites à genoux ou avec prosternemc-nt : cum tremore divino flectentes genua; ce qui ne veut point dire qu’on récite tout l’office à genoux, mais bien qu’on observe les mêmes rubriques qu’au chœur. H ne s’agit probablement que d’une petite Heure, et presque tout peut se réciter de mémoire (2). Similiter qui in itinere directi sunt, non cos prae­ tereant Horae constitutae : sed ut possunt, agant ibi, et servitutis pensum non negligant reddere. Voici maintenant le cas des moines voyageurs. On s’est demandé sur quoi porte le mot similiter : les Clunisiens soutenaient à bon droit qu’il porte sur non praetereant; les Cisterciens, qu’il se rattache à fle­ ctentes genua. En fait, l’usage monastique universel était à peu près (1) Si in nari luerit, et in monasterio, el in agro, et in itinere, et in quolibet ministerio, orandi et psallendi tempora non praetermittat (S. Pach., Reg., cxlii). — Si corporaliter non occurrat adesse cum caeleris ad orationis locum, in quocunque loco inventus luerit, quod devotionis est expleat (S. Basil., Rea. conlr., cvn). — Voir aussi Cass., hist, II, xv< (2) Voir les détails intéressants que donne la Règle du Maître, lv, DE LA CÉLÉBRATION NON CONVENTUELLE DE L’OFFICE 3G0 celui-ci. Lorsque le moment de réciter Γ Heure liturgique paraissait arrivé, on descendait de sa monture (les longues courses se faisaient rarement à pied), on quittait scs gants de voyage, on se découvrait la tête, on priait de la même façon et dans la meme posture qu'on l'eût fait au chœur ; Γ Heure ainsi commencée, on remontait à cheval et la psalmodie se poursuivait. Quand les chemins étaient trop boueux, qu’on était sous la pluie et la neige, il y avait dispense de la génuflexion qui précède l'office, et on récitait à la place le Miserere : telle était du moins la cou­ tume clunisienne, rappelée par Pierre le Vénérable à saint Bernard (1). N. B. Père suggérait cette discrétion lorsqu’il écrivait : Sed ut possunt, agant ibi (2). Ces mots laissaient une marge à l’interprétation des supérieurs et des moines : on célébrera l’Œuvre de Dieu du mieux que l’on pourra. S'il eût fallu réciter l’office tout comme au chœur et dans sou entier, on aurait dû emporter avec soi les gros livres manuscrits. Les bréviaires étaient, et pour longtemps encore, inconnus. Avant leur apparition, cependant, on constate l’usage de manuscrits contenant certaines portions de l’office et un choix de prières et de lectures pour les voyrgeirs (3). Saint Benoit ne pouvait donc pas préciser davantage. Ce qu’il veut, c’est que les moines fassent leur possible. Et servitutis pensum non negligant reddere : c’est une dette de justice et une obliga­ tion sacrée (4). Dans les mots : Aon eos praetereant Horae constitutae, certains com­ mentateurs voient le précepte de réciter chaque Heure en son temps. Il n’eût jamais paru possible à saint Benoît qu’on psalmodiât les Laudes, par exemple, au coucher du soleil ou même de nuit. Nous pour­ rions rappeler aussi qu’il est des endroits moins favorables à la récita­ tion décente et pieuse de nos Heures ; enfin que, sauf les cas prévus par la théologie morale, nul aujourd’hui n’a le loisir de réduire la liturgie et de l’accommoder aux nécessités du voyage. (1) Epist., 1. I, Ep. XXVIII. P. L., CLXXXIX, 132. (2) 11 faudrait lire : agant sibi ils diront l’office en particulier, (3) Cf. Calm et, Comment, sur le chap. L. (4) Sur l’ancienneté et l’universalité de cette récitation obligatoire pour les clercs comme pour les moines, cf, Mabillon, De Litus ·*· DE LA RÉCEPTION DES HÔTES 389 est plus incontestable encore depuis que d’autres Ordres ont pris, dans le liât ail de la prédication et du ministère pastoral, une place où nous ne sommes plus requis. Il ne convient pas que nous désertions notre vie de prière et de silence pour devenir des clercs réguliers surnuméraires et d’occasion, pour éparpiller nos forces dans des œuvres très diverses, auxquelles nous sommes en général peu préparés. Nous avons le droit de nous en tenir aux conditions premières de l’institution monastique, à ce qui a toujours constitué, d’ailleurs, la part spéciale, normale, dis­ tinctive, des moines. Sauf de rares et parfois glorieuses exceptions, n’est-ce pas cela seulement que l’Église nous demande? Et de quoi le siècle fié­ vreux a-t-il plus besoin que du spectacle d’hommes ne vivant que de Dieu et que pour Dieu, assidus à la louange de sa Beauté et s’inté­ ressant à toutes les manifestations de la vie catholique, giâce au pro­ cédé, sûrement efficace, de la prière liturgique? Γ CHAPITRE LIV Sr UN MOINE PEUT ACCEPTER DES LETTRES OU DES EULOGIES Si DEBEAT MONACHUS LITTERAS VEL EULOGIAS SUSCIPERE. — Nullatenus liceat monacho nec a parentibus suis, nec a quoquam hominum, nec sibi invicem litteras, aut eulogias vel quaelibet munuscula accipere aut dare, sine praecepto Abbatis sui. H est difficile d’apercevoir le lien qui rattache au chapitre de l’hospi­ talité celui qui traite des dons adressés aux moines. De même que cer­ taines portions des chapitres LV et LVH, ce chapitre LIV complète plutôt renseignement des chapitres XXXIII et XXXIV sur la pauvreté ; le LVIe est un codicille du Lin® Le moine, nous le savons déjà, est incapable de recevoir, de donner, d'aliéner quoi que ce soit sans la permission de l’Abbé (1). Tel est le principe rigoureux. Et saint Benoît range en trois classes toutes les per­ sonnes de qui les dons nous pourraient venir : les parents, les amis de l’extérieur, les frères en religion. Puis, c’est l’énumération des choses qui pourraient être données : lettres, eulogies ou cadeaux pieux, petits pré­ sents quelconques (2). Les lettres. Notre séparation d’avec le monde, pour être effective, doit être extérieure : celle qui est constituée par la retraite, par la clôture, par notre habit, par le silence ; elle doit être intérieure aussi : et tant que la communion avec le dehors est assidûment maintenue par les visites et par les lettres, il est clair que notre pensée demeure avec le siècle : Nemo militans Deo implicat se negotiis saecularibus ut ei placeat cui se proba:it (II Tbl, n, 4) (3). Nous écrivons peut-être trop de lettres. Pourquoi ne pas nous réduire à celles qui sont exigées par la politesse, par la charité, par l’utilité réelle? Ne serait-il pas un peu étrange qu’il sortît d’un monas(Γ) Nemo ai allero accipiet quidpiam, nisi praepositus jusserit (S. Pack., Reg., cat). (2) S. Augustin (Epist. CCXI, 11. P. L., XXXIII, 9G2) parle des moniales qui reçoivent en cachette litteras vel quaelibet munuscula, — Cf. S. Caesar., Reg. ad lirg., xxiii. — S. Obsiesu Dodrina, xxxix (3) Ci. Cass , huL, V, xxxil Mo DES LETTKES ET DES EULOGIES S'A tère plus de lettres qu’il n’y en est entré? Il faut laisser tomber, non seule­ ment toute correspondance frivole, mais encore celle qui aurait un < ar ictère purement mondain. Rappelons-nous aussi le danger des lettres < de direc­ tion ». Et lorsque nous écrivons, que ce soit toujours avec sobriété, avec mesure et dans un esprit surnaturel H y a des anecdotes qui peuvent se raconter en récréation, mais dont il serait ridicule d’entretenir nos correspon­ dants. Il est aussi tels détails, tels événements de notre vie familiale qui n’ont aucun titre à être livrés même à nos parents ou à des religieux. C’est une sécurité pour le moine d’avoir à solliciter de son supérieur la permission d’écrire; de plus nos Constitutions nous obligent à lui remettre et à recevoir de lui, décachetées, toutes les lettres que nous envoyons ou qui nous arrivent (1). Les eulogies. L’usage d’envoyer à un ami quelque chose de sa propre table existait chez les anciens païens ; il subsista dans le christianisme. Le morceau de pain bénit que l’on distribue aux fidèles au cours de la t Illi Messe solennelle, comme une marque de communion entre eux, est l’eulogie par excellence. Au quatrième siècle, nous voyons saint Paulin de Noie envoyer des petits pains à ses amis, par exemple à saint Augustin (2). On offrait aussi des fruits, des images, des médailles, des reliques, toutes choses qui reçurent le nom générique d’eulogies (3). La sainte Règle suppose que les cadeaux viennent surtout du dehors j pourtant elle pressent qu’il peut y avoir entre religieux, du même monas­ tère ou de monastères différents, certains échanges de lettres ou d’eulogies. « Les petits cadeaux entretiennent l’amitié» : sans doute ;mais, en dehors même des motifs de pauvreté, il en est d’autres qui interdisent aux moines ces gracieusetés, aussi longtemps qu’elles restent clandestines. La défense prononcée par saint Benoît est formelle et complète ; elle embrasse tous les cas et ruine à l’avance toutes les vaines excuses. Nous avons rompu avec le monde et nous sommes pauvres par profession. Quod si etiam a parentibus suis ei quidquam dire­ ctum fuerit, non praesumat suscipere illud, nisi prius indicatum fuerit Abbati. Saint Benoît, après avoir posé le principe, revient sur l’hypothèse d’un cadeau spontanément offert par les parents : on ne saurait se (1) Cf. Cass., IV. xvi. — S. Caesar, Reg. ad mon., xv. (2) S. Paulini Epist. III-V. P. L., LXI, 1G4 sq. (3) Cf.Mabtllon, Acta SS. O. S. B.. Saec. I. p. 310.— Venancb Fortunat, Carmüw, passim. — Voir les Commentaires de Martène et de Cai metsut ce passage de la Règle. — Le pain empoisonné que Florentius envoya à saint Benoît était une eulogia (S, Greg. M., Dial., 1. II, c. vin). 392 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT l’approprier sans l’autorisation de l’Abbé. Nous ne pouvons être consti­ tués propriétaires malgré nous et malgré la Regie par les gens de l’exté­ rieur. Il serait donc bien superflu de protester : « Mais on me l’a donné 1 mais c’est à moi personnellement que l’on a songé 1 mais c’est un souvenir! mais cela n’a rien coûté an monastère! d Quand des cadeaux quelconques viennent à l’adresse d’un frère, ils doivent d’abord être remis à l’Abbé. Souvent l’Abbé no les regarde pas et les fait distri­ buer tels quels : mais sa pensée n’est aucunement de les mettre ipso /reo à l’usage du frère A qui il les fait parvenir. Une permission demeure requise pour que le frère puisse utiliser une partie ou la tota lité de l’envoi. Ce qui n'est pas concédé doit aller sans délai au religieux qui est officiellement le gardien de la catégorie d’objets dont il s’agit. Rappelons-nous ce qui a été dit au chapitre XXXI11 sur la vigilance extrême qu’il nous faut apporter dans tout ce qui touche à la pauvreté: il n‘y a jamais là de petits détails. Quod si jusserit suscipi, in Abbatis sit potestate, cui illud jubeat dari: et non contristetur frater cui forte directum fuerat, ut non detur occasio diabolo. Qui autem aliter praesumpserit, disciplinae regulari subjaceat (I). Un cadeau quelconque est arrivé; on l’a présenté à l’Abbé; l’Abbé l’a reçu, puis transmis au moine destinataire (quod si jusserü suscipi), mais en ajoutant, sur l’heure ou un peu plus tard, cette clause inattendue : « Vous remettrez cela à tel frère ». S'attrister, dans la circonstance, serait d’un fort petit esprit. Vous avez donc de l’attachement à quelque chose? Votre bonheur consiste donc à posséder Dieu et cet objet? Une telle tristesse est révélatrice de ce qu’il y a au fond de lame. Et, en même temps, elle est périlleuse, car elle nous désarme, et c’est à sa faveur que le diable sème en nous toutes sortes de dispositions ridicules : le regret du monde, le dégoût de notre vie, l'hostilité contre un Abbé qui ne nous aime pas, l’envie contre le frère à qui ce cher objet e.-t dévolu. Qui autem aliter praesumpserit... Dans la pensée de saint Benoît, (1) Toutes ces dispositions sont aussi anciennes quo le innnachi-nio, comme le montrent une curieuse rMe de S. Pacôme (lu) et surtout ce p.v> ■/<> de h Lettre CCXI de S. Augustin (12) : Etiam illud quod suis vel filiabus tel aliqua i/udiuc ad te pertinentibus in monasterio constitutis aliquis vel aliqua contulerit, iit e u Uon site quod­ libet aliud inter necessaria deputandum, non occulte accipiatur; sci sil m potestate praepositae, ut in commune redadum, cui necessarium fuerit, praebeatur. Quod si aliqua rem sibi collalam celaverit, furti judicio condemnetur (P. L., XXXIII, 963). Reproduit en partie par S, Césaire, Reg. ad mon., i ; Reg. ad virg., xl, DES LETTRES ET DES EULOGIES 3Î3 disent la plupart des commentateurs, les sévérités de la discipline régu­ lière sont dirigées contre celui-là seulement qui s’attribue indûment un objet, non contre celui qui s’attriste d’avoir été frustré, à moins peut-être que cette tristesse ne l’amène à des excès scandaleux. 11 faut nous souvenir qu’en cette matière de la pauvreté trois choses sont à distinguer : le vœu, la vertu, l’esprit de pauvreté. Je suis en règle avec le vœu, lorsque je m’abstiens des actes qui me sont interdits, ou mieux (pie je me suis interdits en émettant le vœu : ne rien posséder, ne disposer de rien, ne rien détruire. Mais le vœu est bien menacé si nous n’allons pas jusqu’à la vertu : celle-ci nous porte non pas seulement à exécuter tant bien que mal, mais à réaliser avec facilité, avec prompti­ tude et avec joie les renoncements et les privations. A son tour, la vertu n’est complète qu’à la condition d'être rattachée à son motif le plus élevé et à son premier anneau. L’esprit de la pauvreté, c’est de nous considérer comme uni- à Dieu, comme devant ressembler à Dieu. Nous ne sommes pas sortis du monde pour entrer dans la solitude, mais bien dans la société de Dieu. Nous ne sommes pas pauvres pour être pauvres, mais pour être riche- de Dieu, riches comme Dieu. Dieu aussi est pauvre : il n’a que lui ; il est pourtant l’opulence infinie, puisqu’il possède en soi toute plé­ nitude. C’e-t le dernier mot de notre pauvreté. Et. à cette hauteur, les trois vœux de religion se rejoignent, comme les trois vertus théologales se rencontrent dans l’union avec Dieu. CHAPITRE LV DES VÊTEMENTS ET DES ClIACSSCRES DES FRÈKC3 VESTIMENTIS ET CALCEAMENTIS FIlATniM- — Vesti­ menta fratribus secundum locorum quali talem ubi habitant, vel aerum temperiem dentur, quid in frigidis regionibus amplius indigetur, in calidis vero minus. Ilaec ergo consideratio penes Abbate H sit. De On a cru parfois que saint Benoît avait pressenti on même connu pro­ phétiquement la diffusion de sa Règle et Taccueil qui lui serait fait par l’Europe chrétienne : ce qui l'aurait porté à déclarer ici (pie le vêtement s’accommodera aux conditions climatériques et à leur variété. Peut-être; mais il est certain que les différences de température qui existent entre la Sicile et la Sabine, entre le Mont-Ca -in et Terracine, suffisaient à justifier cette mesure de prudence. On se vêtira donc diversement selon les variations de latitude, selon les conditions du climat. Saint Benoît diffère en ceci de quelques fondateurs modernes, qui ont déterminé dans le plus grand détail la nuance, la coupe, l’étoffe du vêtement. Il ne commence même pas par un principe de pauvreté, mais par un pré­ cepte de discrétion, où se révèle une fois de plus sa largeur d e-prit. Dès lors, et aussi afin d’éviter le surcroît, la fantaisie ou le bariolage, c’est à l’Abbé, et à l’Abbé tout seul, que reviendra le soin d’apprécier ce qui peut entrer dans le vestiaire d'un moine; c’est lui qui dira s’il y a lieu d’ajouter certains éléments à la livrée commune, ou bien d’en sup­ primer, d’en modifier d’autres. Nos tamen mediocribus locis sufficere credimus monachis per singu’cs cucullam et tunicam : cucul­ lam in hieme villosam, in aestate puram ct vetu- DES VÊTEMENTS ET DES CHAUSSURES DES FRERES S9i slam : et scapulare propter opera ; indumenta pedum, pedules et caligas. Après avoir remis à l’Abbé le souci du vêtement, saint Benoît consent néanmoins à indiquer, et toujours avec une nuance de timidité discrète, ce que l'on doit permettre dans les régions tempérées. Observons d’abord que N. B. Père entend bien assigner à ses religieux un habit spécial. Peut-être l’avertissement adressé aux moines, et que nous expliquerons dans un instant : De quarum rerum omnium..., a-t-il donné le change et fait supposer que le désintéressement de saint Benoît ne portait pas seulement sur la qualité et la couleur de l’étoffe, mais s’éten­ dait jusqu’à la nature et à la forme distinctive de l’habit. Érasme, par lilii exemple, a prétendu que saint Benoit et les siens étaient vêtus comme tout le monde, liais Érasme a été déçu par des préjugés et par une lec­ ture trop rapide et inattentive. Sans aucun doute, c’était bien un habit spécial que saint Benoit demanda et reçut de saint Romain : Sanctae convtrsalionis habitum quaesivit (1). On resterait dans l’exactitude en disant que N. B. Père s'est inspiré de divers usages contemporains et que l'emploi exclusif de certains vêtements pouvait suffire à les rendre dis­ tinctif.-. Pourquoi les moines se seraient-ils soustraits à la coutume antique selon laquelle chaque catégorie sociale avait son costume particulier? Les soldats avaient le leur, de même ceux qui faisaient profession de philosophie et qui étaient reconnaissab’es au pallium, au bâton et à la longue barbe. On peut voir sur ce point l’obscur et difficile traité de Tertullien de pallio. Aussi bien, les motifs ne manquèrent point aux premiers moines pour se choisir un vêtement spécial. L'habit monastique nous distingue, et c’est sa première raison d’être. Tl nous rappelle aussi, et sans cesse, notre condition surnaturelle : par son austérité, par sa forme, par tous ses détails, il nous avertit que nous ne sommes plus du siècle, et qu’il est mille choses mondaines auxquelles nous avons dit adieu. Les anciens moines se plurent à rechercher le symbolisme des vêtements religieux (2), et la Liturgie sainte nous y invite encore : il faut lire dans notre Rituel ce qui concerne la bénédiction et l’imposition de l’habit monastique. A raison même de cette bénédiction qui l’a fait devenir un sacramental, notre habit nous protège, il fait partie de notre clôture et il l’achève : il nous retient dans la douce captivité de Dieu. Et peut-être ne faut-il pas chercher ailleurs le motif de la dé­ faveur ou plutôt de la haine que l’habit religieux rencontre auprès du diable et de ses suppôts. C’est vraiment mauvais signe, lorsqu’il y a (1) S. (ÎREO. M., Dial., 1. IT, c. 1. (2) Cass., Inst., L — Soxom., Hist. eecles., 1. ITT. c. xm-xiv. P. G., LXVII, 10 ώ-1081. — S. Dorotuaei Doctrina, 1,12-13. P. G., LXXXV11I,1.532 eq. 396 COM.M ΕΛ’ΤΑ IRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT chez un prêtre ou chez un moine empressement et joie à revenir à ce que la Liturgie appelle « l'ignominie de l’habit séculier ». Il est vrai que «l'habit ne fait pas le moine » : mais quels services il lui rend ! La relation est réelle entre l’habit et la condition ; il est des choses que nous sentons impossibles, des démarches que nous ne tenterons jamais, simplement parce que nous portons les livrées du Seigneur. Ayons de l’estime, de la vénération pour elles, spécialement pour notre coule, dont les larges plis nous envelopperont jusque dans la mort. Cet habit monastique, N. B. Père ne l'a point créé de toutes pièces : parmi tous les éléments que lui fournissait la tradition, il a fait un choix avec sa distinction accoutumée. Il va de soi qu’en pareille matière les usages ont varié grandement, selon les temps et selon les lieux, et que nous ne saurions tenter ici d’en retracer l’évolution. Il est même assez malaisé, souvent, de se faire une idée exacte, faute d’illustrations, des vêtements décrits par les coutumiers et les commentaires ; et il n’est pas toujours possible d’identifier certains éléments. Saint Benoît estime que dans les régions tempérées il suffira à chaque moine d’avoir une coule et une tunique. En hiver, la coule sera d’étoffe velue ou épaisse ; en été, d’étoffe plus légère ou devenue rase par l’usage. (On ne dit point que la tunique changeât selon la saison.) Pendant le travail, on remplacera la coule par un vêtement moins ample : le scapulaire. L’histoire de la coule et du scapulaire mérite certains développements qui sortiraient du cadre de ce commentaire ; nous devons nous borner à quelques indications. La coule n’est, originairement, qu’un capuce, un capot (cucullus, cucuïïio) enveloppant la tête et la nuque, et dont la forme conique rap­ pelait les cornets de parchemin — les cuculli, disait-on parfois — ces épiciers et des droguistes. C’était la coiffure ordinaire des paysans (1) et des petits enfants. Très populaire en Italie et en Gaule, le capuchon le fut sans doute aussi dans tout l’empire, car nous rencontrons une coif­ fure analogue et de même nom (κουχούλιον) chez les premiers moines orien­ taux (2). Aux motifs pratiques qui le leur firent adopter se joignirent bientôt des considérations d’ordre symbolique. Le capuchon rappelle aux moines, dit Cassien (3), qu’ils doivent imiter l’innocence et la simplicité des enfants puisqu’ils sont revenus à l’enfance spirituelle. C’est l’idée de la profession second baptême ; comme on couvrait la tête aux néophytes du baptême, de même on la couvrait à ceux de la profession. Le capu­ chon était la partie la plus vénérable du vêtement monastique, et on le gardait jour et nuit. (1) Cf. Darembep.g et Saglio, Dictionnaire des Antiquités grecques et romaines, t. I, fig. 2091 (2) Voir par exemple la Règle de S, Pacôme, VIÎisloire Lausiaque (édit, Bltleb, p. 89-90, 92, 98). (3) InsL, I, m, DES VÊTEMENTS ET DES CHAUSSURES DES FRÈRES 39? La coule dont parle saint Benoît est certainement quelque chose de plus qu’un capuchon. C’est la vestis cucullata, le vêtement auquel est adapté un cucullus (1). Columelle recommande de protéger les ouvriers des champs contre les intempéries pellibus manicatis,... vel sagis cucullis (ou cucullatis) ; et Palladius prescrit tunicas pelliceas cum cucullis (2). Chez les moines comme chez les laïcs, la corde pouvait être d'étoile velue ou de peaux de bête : elle ressemblait alors, capuchon en plus, à la « melote » des moines orientaux (de μηλ™, peau de mouton), vêtement de voyage ou de nuit et qui pouvait à l’occasion servir de besace (3). C’est peut-être de cette mélote à capuchon que N. B. Père était revêtu à Subiaco (4). Nous ne saurions décrire avec exactitude la forme d’une coule au temps de saint Benoît, car le capuchon pouvait être fixé à divers vêtements (lacerna, casula, paenula, sagum)', même, il n’est pas impossible que, dans sa pensée, cuculla désigne in genere un habit monas­ tique à capuchon, quelles qu’en soient d'ailleurs et la forme très sp.ciale, et les dimensions, et la matière. Les plus anciennes coules monastiques que nous connaissions ont la forme d’une ample chasuble, descendant jus­ qu’aux pieds et sans ouvertures latérales (ô). On s’explique qu’il fallût quitter la coule pour le travail manuel. Plus tard, afin de dégager les bras, on fendit latéralement la casula, et on relia de distance en distance les deux pans par des attaches ou des bandes, que l’on appela dans la suite « le point de saint Benoît », les « tirettes » : on rencontre cette forme de vête­ ment dans beaucoup de documents du neuvième au douzième siècle (ΰ). (1) Il nous reste quelques vestiges de l’emploi, avant saint Benoît, des mots cuculla et ueullus pour désigner l’habit à capuchon. Sidoine Apollinaire en ofire un à l’abbé Charicbaudus : Nocturnalem cucullum, quo membra conjecta jejuniis, inter orandum cuL mdumque dignanter legare, transmisi; qua-iquam non opportune species villosa m.'atur hieme finita, jamque temporibus aestatis appropinquantibus (Epist.LVII, Ep. XVI. P. L., LVIII, 58G). Et le vêtement de saint Germain d’Auxerre était, d'après son biographe Constance, cuculla c! (unira (Acta SS., Julii t. VII. p. 204). — Cf. S. Βιεπον., Vita S Hilarionis, c. XLVi. P. L.. XXIII. 52.— S. Paulini Poema XXIV ad Cytherium, vers. 389-390. P. L., LXI, G22. — Ennodii Epist., 1. IX, Ep. XVII. P. L., LXIII, 156. (2) Columelle, De re rustica, 1. I, c. vm ; 1. XI, c. L — Palladius, De re rustica, 1. I, C. XLIII. Î3) S. Pach., Reg., xxxvni. (4) S. Grégoire nous dit que les bergers dum (iUum) vestitum pellibus inter /nitela cernerent. aliquam bestiam esse crediderunt; et le petit Placide sauve des eaux racontait qu’il avait vu Butter au-dessus de sa tête Abbalis melotem (Dial.. L 11, c. i et vu). TiiÊonEMAR, dans sa Lettre à Charlemagne, expliquant ce que c’est que la coule, quelles formes et quels noms on lui donne en différentes régions, note que son nom premier et originel est celui de « mélote » : Cucullam nos esse dicimus, quam alio nomine casulam vocamus... Jllud autem vestimentum quod a galiicanis monachis cuculla aintur cl nos cappam vocamus, quod proprie monachorum désignai habitum, meloiem appellare debemus, sicut et hactenus in hac provincia a quibusdam vocatur (P. L, XCV, 15871 (5) Cf. (Martène et Durand), Voyage littéraire de deux religieux bénédictins de la Congrégation de Saint-Maur, t II, p. loi — Mabillon, Acta SS. 0. S. B., Saec. V, Praef., p. xx.xi. (6; Cf. Mabillon, Annales 0. S. B., t II, p. 353. — Bernard de Montfapcon, 1rs 393 COMMENTAIRE SUR LA REGLE DE SAINT BENOIT Les coules avec manches sont en usage des le dixième siècle ; ces manches semblent d’abord assez étroites (1). Le capuchon subit, pour sa part, une série de transformations : sous l’influence des coutumes cisterciennes et franciscaines, il s’allongea et s’effila ; il devint en certains endroits très ample, retombant sur les épaules comme un voile et formant deux fanons par devant : ce dernier usage subsiste dans la Congrégation anglaise. Les origines du scapulaire sont assez obscures. Nulle part avant saint Benoît nous no trouvons mentionné un vêtement de ce nom. Étymologi­ quement, il s’agit d’un habit destiné à protéger les épaules ou à s’adapter aux épaules : mais de quelle manière? N. B. Père dit simplement : et sca­ pulare propier opera, et c'est tout; le scapulaire n’est même pas nommé ce nouveau à la fin du chapitre, dans la petite liste des objets néces­ saires au moine. Des érudits l’ont assimilé, mais sans grand fonde­ ment, à l’espèce de corset, aux bretelles dont se servaient les moines orientaux pour relever leurs vêtements et les empêcher de flotter pen­ dant le travail (2); plusieurs auteurs grecs ont décrit sous des appella­ tions diverses ce vêtement des épaules qui a la forme d’une croix. H semble plus probable que le scapulaire primitif des moines Cassiniens était une coule réduite, une tunique ou blouse à capuchon, analogue à celle que portaient les paysans de la région. Théodemar, pariant du scapu­ laire, dit qu’on l’appelle ainsi parce qu'il couvre surtout les épaules et la tête : Quod vestimentum pene omnes in hac terra rustici utuntur; pro quo tegumento nos e grossiori textu ad melotis similitudinem operimentum habemus, nisi quod manicae in hoc usque ad manus pertingentes habentur (3). Cette tunique est tantôt munie de courtes manches, tantôt elle en est dépourvue. Elle est souvent fendue latéralement et les deux pans sont réunis par un ou plusieurs points ou tirettes ; au cours des siècles, ces points tombent, les pans s’allongent, et le scapulaire devient tel que nous le portons maintenant (4). A Cluny, dès le onzième siècle, on ne con­ naissait que la coule, et le froc, qui se portait par-dessus ; il n’était pas Monuments de la monarchie française, t. I, pl. xxvm. — Rohault de Fleury, la Messe, t VIII, pl. dcxliv. — Sekoux d’Agixcourt, Histoire de ΓΛτΙ par les monu­ ments, t. III, p. 80; L V, pl. lxix. — On peut souvent se demander s’il s’agit vraiment de coules, ou bien de scapulaires, ou encore de vêtements liturgiques· (1) Cf. Le miniature nei codici Cassinesi. Disp. V, Tav. i ; Disp. VI. ·— Voir la repro­ duction de miniatures d’un manuscrit clunisicn du douzième siècle dans D. L’IIuillier, l’ie de saint Hugues, p. 298, 3G0, 512. (2) Cf Cassi en. inet., 1, v. (3) P. L., XCV, 1588. — Voir deux reproductions de paysans vêtus de la tunique à capuchon, dans la Revue archéologique, mai-juin 1892, p. 331 et 333. (4) Les formes anciennes du scapulaire se trouvent dans : Mabillon, Acta SS. O. S. B., Saee. V. Praef., p. xxxi ; Annules O. B., t. I, p. 505. — Antiphonaire du B. Hartker : Paléographie musicale, IIe série, t. I, p. 11 de la reproduction du manuscrit —Le miniature nci codici Cassinesi, TAsp. II, Tav. i; Disp. IV, Tav. i; Disp. VI, Tav. iv; Mabillon reproduit la première de ces miniatures dans ses Annales, t I, o. 109. — (Martène et Durand , Voyage littéraire de deux religieux cènédidins de la Congrégation de Saint-Maur, t. II, p. 04, DES VÊTEMENTS ET DES CHAUSSURES DES FRÈRES 349 question de scapulaire (1). La coule était formée de deux longues bandes d'étoffe descendant jusqu’à terre après avoir recouvert les épaules et une partie des bras (2); on y adaptait le capuchon. Elle était réservée aux proies, tandis (pion accordait aux novices le froc, ample robe à longues manches ; sauf pour ces derniers, le froc n’avait pas de capuchon. Cucullam et tunicam : la tunique est le vêtement de dessous ; rappelonsnous que les anciens ne portaient pas de linge. La tunique (λευκών, colobium) était en usage chez les moines de tous pays ; elle était à manches courtes ou sans manches, et ordinairement de toile. Les anachorètes por­ taient souvent des tuniques en poils de chèvre, de bouc, ou de chameau, véritables cilices, dont Cassien veut laisser l'usage aux seuls religieux très fervents et qui ont vocation spéciale ; il préfère, pour le vêtement du moine, des étoffes moins singulières, grossières néanmoins et communes (3). C’est tout à fait, nous le verrons, la pensé? de N. B. Père. La tunique n'était pas flottante, mais retenue par une ceinture de cuir ou de lin. Saint Benoît n’en parle pas ici, mais il mentionne un peu plus loin le bracile; la nuit, les moines doivent dormir cincti cingulis ad funibus, a-t-il dit au chapitre XXII. Pedules et caligas. 11 est difficile dïdentifier ces indumenta pedum; les archéologues en disputent longuement, ce qui met B. Mège en belle humeur (4). Les moines de certains pays (5) marchaient ordinairement pieds nus, comme les pauvres ; c’est une chaussure qui ne s’use pas, et que la vie renouvelle. Chez saint Pacôme, les solitaires recevaient des sandales. Les pedules prescrits par saint Benoît sont peut-être des bas, des chaussons, ou bien des chaussures légères et d'intérieur. Les caligae ne sont pas nécessairement ce que nous appelons des souliers, mais peutêtre la sandale militaire retenue par des courroies et serrant fortement le pied et la cheville, chaussure très commode et très saine. Le travail des champs exigeait évidemment des « caliges » plus solides que celles qu'on portait à la maison. Saint Grégoire le Grand nous parle des caligae clavatae, des souliers ferrés qu’on portait pendant le travail dans les monastères de saint Équitius (6). (1) Smaragde écrivait déjà : Cucullam dial tTTc quad «os modo dicimus cappam... Qi< l vero ille dicit scapulare propter opera. hoc nos modo dicimus cucullam. (21 Cf. Mabillon, Acta SS. O. S. B., Saec. V. Praef., p. xxxn-xxxrv. — Ia coule clusinienne est décrite dans un curieux dialogue entre un moine de Citeanx et un de Cluny (seconde moitié du douzième siècle» : Marlène et Dvrand. Thesaurus t; nis anecdotorum, t. V, col. 1633-1639. — Il semble que cette coule-scapuLdrc soit le vesti.-o d'une coule à forme de casula; voir la description de la coule dans la Disciplina i’affensis, 1. II, c. iv. '’**1·^ (3) Inst., I, il (41 Comment, in h. I. — Lire surtout D. Calmet. (5) Cass., Inst., I, ix. (6) Dial., I, I, c. iv, P, L, LXXV1I, 173. Cf. ibid., L HT, c, xx, Γ. L, ibid. 2Gy sq. 400 COMMENTAIRE SUR la REGLE DE SAINT BENOIT De quarum rerum omnium colore aut grossitudine non causenlur monachi, sed quales inveniri possunt in provincia qua degunt, aut quod vilius comparari potest. Abbas autem de mensura provideat, ut non sint curta ipsa vestimenta utentibus eis, sed men­ surata. 1 ■ Π n’y aura point de discussion parmi les moines, ou simplement dans le cœur de chacun, relativement à la couleur et à la qualité des vête­ ments. Le conseil est donné aussi par Cassien et par saint Basile (1). Rien pour la coquetterie, la vanité ou la mollesse. On prendra pour étoffe celle dont on se sert communément dans la région, celle qui peut être achetée au meilleur prix (2). Ce texte ne semble-t-il pas décisif pour montrer que saint Benoit n’a rien déterminé au sujet de la couleur de notre habit? Spontanément, on devait rechercher une nuance aus­ tère et peu voyante. Le blanc et le noir, le gris et le brun furent adoptés de préférence : mais il y eut souvent mélange et bigarrure : tunique blanche, par exemple, avec code et scapulaire noirs. On trouvera sur cette question un grand nombre de témoignages historiques, compilés dans les Commentaires de D. Martène et de D. Calmet. Le noir prévalut, au moins pour les habits de dessus, et Cluny le retint jalousement (3), tandis que Cîteaux se vouait au blanc, dont le choix était attribué à saint Albéric. La codeur des habits fut matière à discussion entre Cîteaux et Cluny, et Pierre le Vénérable prit la défense du noir, ainsi que de la cha­ rité et de la discrétion, dans plusieurs lettres à saint Bernard (4). Dans la Règle de saint Basile, c’est au moine qu’est laissé le soin d’avertir si son habit a est trop grand ou trop petit pour sa taille (5) ». Mais saint Benoît veut que l’Abbé songe à tout ; aucun détail n’est indigne de son affectueuse sollicitude. H veillera donc à ce que les vêtements soient conformes à la taille de chacun ; sans exagération d’ampleur ou de lon­ gueur, ce qd serait orgueilleux et incommode ; sans exagération non plus de « court-vêtu », ce qd serait facilement ridicule ; et saint Benoit ne spécifie même que ce second inconvément. (1) Cass., Inst., 1, il — S. Basil., Beg. fus., xxn. (2) Sa:nt Benoît cite un passage de S. Basile, mais qui est relatif à l’alimentation: Scd si quid est, quod in unaquaque provincia facilius et vilius comparatur (Keg. contr., ix). (3) D. Mayeciî Lamey a tenté de prouver naguère que l’habit clunisien était roux et de la couleur naturelle de la laine brune (Œuvres choisies, p. 240-261). (4) Petri Venerab., Episl., 1. I, Ep. XXVIII, P, L., CLXXXIX, 116-117 ; 1, IV, Ep. XVIL P. L., ibid., 332 sq( ^5) lieg. bref., clxviil DES VÊTEMENTS ET DES CHAUSSURES DES FRÈRES 101 Accipientes nova, vetera semper reddant in prae­ senti, reponenda in vestiario propicr pauperes. Sufficit enim monacho duas tunicas et duas cucullas habere, propter noctes, et propter lavare ipsas res. Jam quod supra fuerit, superfluum est, et amputari debet. Et pedules, et quodeumque est vetustum, reddant, dum accipiunt novum. Lorsqu'un moine reçoit du neuf, il ne lui est pas loisible de conserver chez lui, pour les utiliser encore à son gré, les vêtements hors d'usage; ce serait un retour misérable au vice de propriété, puisque le nécessaireest seul permis et que tout superflu doit être retranché. De plus, sur notre pauvreté même nous pouvons prélever de quoi donner à de plus pau­ vres que nous ; mais à la condition que l’aumône soit faite par l’Abbé ou par les frères chargés de ce soin, car à quel titre un moine distribuerait-il des biens, même des plus chétifs, qui ne lui appartiennent aucunement? Aussi N. B. Père lui ordonne-t-il de tout déposer au vestiaire (1). 11 suffira à chacun d'avoir deux tuniques et deux coules. Saint Benoit ne dit rien des autres parties, moins importantes, du vêtement, et qui peut-être, notamment pour les pedules, dépassaient la paire. Avant lui, C'assien avait parlé de l’usage des deux tuniques, ad usum scilicet noctis ac diei (2). Saint Basile n’en voulait qu’une, tandis que saint Pacôme donnait deux cuculli, deux tuniques, et unum jam attritum ad dormiendum vel operandum (3). Nous savons par saint Benoît lui-même que les moines couchaient habillés : ils conservaient leur tunique, ce qui était de simple décence, et probablement aussi leur coule. Les anciens moines avaient, semble-t-il, tunique, ceinture et coule spéciales pour la nuit ; on ne parle pas du scapulaire, qui n’avait de raison d’être que pour le travail Peutêtre gardaient-ils ces vêtements de nuit même pendant les Nocturnes. Les moines du Mont-Cassin recevaient donc, avec deux tuniques, deux coules plus ou moins épaisses selon la saison. N. B. Père donne un second motif de cette dualité des vêtements : la nécessité de s’en dépouiller pen­ dant quelque temps pour les laver, ceux-là du moins qui pouvaient l'être, car les habits faits de peaux de bêtes supportent difficilement la lessive. (1) C’est un emprunt à S. Césaire : Indumenta ipsa cum nora accipiunt, si cetera necessaria non habuerint, Abbatissae refundant, pauperibus aut incipientibus, vel junto· ribus dispensanda (JIeg. ad virg., xl). — Caton recommandait, lui aussi, de recueillir les vieux habits des esclaves quand on leur donnait du neuf, mais pour les utiliser s us une autre forme : De re rustica, c. lix. (2) Contai. IX, v. (3) S, Hieron., Prae/. tn Reg. S. Path., 4 ; Reg., lxxxi* 29 Î4Î COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT Femoralia hi qui diriguntur in via, de vestiario accipiant; qui revertentes lota ibi restituant. Voici une pièce extraordinaire dn vêtement monastique : les femoralia, les culottes, les braies, les hauts-de-chausses. Les moines, comme tous les anciens, qui étaient vêtus de long, ne s’en servaient guère que par raison de santé ou bien en voyage. Les moines de saint Martin n’en por­ taient pas ; saint Fructueux les permet aux siens ; le Maître, de même ; mais en général les premiers moines semblent regarder comme un relâche­ ment l’usage habituel des fémoraux. Paul Diacre s’en tient au texte de la Règle; Théodemar dit qu’au Mont-Cassin beaucoup préfèrent s’en passer, et Hildemar: übi generaliter accipiunt et portant femoralia fratres, debent in capitulo accipere, sicut alia vestimenta... Sed monasteria ubi omnes accipiunt et portant m suni laudabilia. Cluny adopta Γ usage des fémoraux, et Pierre le Vénérable le dut défendre contre les Cisterciens (1) ; au dire d’Orderic Vital, saint Robert les avait retranchés aux moines de Molesmes (2). A défaut de fémoraux proprement dits, on se servait sou­ vent de ceintures et de caleçons. Qui revertentes lota ibi restituant. En rentrant de voyage, les frères remettront au vestiaire les fémoraux, après les avoir lavés. Ils faisaient eux-mêmes leurs lessives, sur lesquelles les coutumiers nous fournissent d’abondants détails. Nous n’avons pas à insister sur les soins que les moines donnaient à leur personne. Mais remarquons l’inclination de N. B. Père ΙΠ pour la propreté. Ermites, nous pourrions être vêtus à notre gré, avec le moins de frais possible ; même, nous pourrions ajouter avec saint Hilarion qu’il est superflu de nettoyer un cilice : Superfluum est munditias in cilicio quaerere; a les moines, disait avec quelque emphase un Père du dé­ sert, doivent porter un manteau tel que, s’ils l'abandonnaient à terre, il pût y rester trois jours sans que personne s’inclinât pour le ramasser (3) ». Mais nous sommes cénobites, nous appartenons à une famille ; par respect pour elle et afin de n’être à charge à aucun de nos frères, nous devons avoir un souci constant de la propreté et de l’ordre : ce qui est l’indice habituel de la netteté et de la délicatesse de l’âme. Souvenons-nous de l’esprit qui a guidé N. B. Père dans la détermina­ tion du costume monastique. Π n’a point prétendu mortifier par l’habit : il a voulu le détachement parfait et la pauvreté ; il a voulu tout le néces­ saire et même un peu au delà, afin de laisser à la vie monastique sa sainte I (1) Episl., I. T, Ep. XXVIII. P. L., CLXXXIX, 123. (2) Hist. Ecttes., P. III. L VIII, 25. P. L, CLXXXVIII, 637, (3) Àpopktheijniata Palrum, P, G., LXV, 227. des vêtements et des chaussures des frères m joie, sa liberté grave, sa paix, et de prévenir tout murmure chagrin ; il a voulu une certaine distinction à l’intérieur du monastère, et surtout peut-être au dehors, comme va nous l'apprendre la prescription sui­ vante. Et cucullae et tunicae sint aliquanto his quas habere soliti sunt, modice meliores; quas exeuntes in viam accipiant de vestiario, et revertentes resti­ tuant. Les moines qui partent en voyage recevront du vestiaire des coules et des tuniques un peu meilleures que celles dont ils se servent habituelle­ ment. Et certaines coutumes ont ajouté : lorsqu’une personne de qualité vient au monastère, le frère attaché à son service doit recevoir des vête­ ments plus convenables (1). C’est une condescendance pour les personnes de l’extérieur avec lesquelles nous entrons en rapport. Telle fut la con­ duite du Seigneur lui-même, qui dans ses relations avec les Juifs n’a point imité l’austérité de saint Jean-Baptiste : Venit filius hominis manducans et Libens. Saint Benoît ne veut pas avoir à rougir de ses fils, lorsqu'ils paraissent dans le monde. Mais la pauvreté? mais l’édification? On n’édifie pas avec de l’insouciance et de la sordidité. Nous ne sommes point chargés de faire montre de notre pauvreté. Π n’est pas prescrit à l’Abbé de ne donner jamais un nouvel habit sans y faire coudre une pièce afin que, même neuf, il semble fatigué. Et saint Benoît pensait, comme Cassien, « qu'il faut éviter le défaut contraire » à la superfluité et à la coquetterie « et ne pas attirer les regards par une négligence affectée » (2), Si nous insistons sur de tels détails, c’est parce qu’ils intéressent non pas seulement notre physionomie extérieure, mais la forme même de la per­ fection monastique. Et c’est à bon escient que saint Benoît a fixé les traits caractéristiques de notre vie, lui qui avait commencé par être anachorète et qui avait connu la pauvreté extrême. Π y a des vertus et des saintetés prismatisées : telle ou telle âme aura l’outrance, soit de h pauvreté, soit de la mortification, soit du zèle et d’une sorte d’emporte­ ment surnaturel ; il y a une ligne d’un rouge vif dans le spectre de cette sainteté, une couleur tranchante : c’est là ce que les hommes voient le mieux et ce qu’ils imitent peut-être le moins difficilement, quitte à le faire grimacer un peu. Aussi bien, toutes les vertus ont un caractère (1) IIildemar, in h. t (2) Inst.. I, h. — Abbas Agathon... in omnibus cum discretione poUclii. btm in opere manuum suarum quam in vestimento. Tab bus em'rn vestibus ukbatur, id nec satis bonne. ncc salis malae cuiquam apparerent (Ferta Seniarum : Vitae Patrum, III, 73. Roswxyde, p, Û12). 404 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT fragmentaire et relatif : fragmentaire, et notre attention ne devrait jamais se porter sur l’une d’elles de telle sorte qu’elle éclipsât les autres dans notre pensée ; relatif, parce que les vertus sont toutes dispositives et se rapportent à la contemplation, à l’exercice constant et profond de la foi, de l’espérance et de la charité. A côté des saintetés prismatisées, il . est quelques saintetés blanches, où les tons sont fondus dans une sim­ plicité et une égalité parfaites ; cela fait moins d’effet, on s’en aperçoit moins, et les inattentifs ne s’aperçoivent même de rien du tout. Mais il suffit que Dieu y reconnaisse une ressemblance plus ache/ée avec le Sei­ gneur et avec sa Mère. Stramenta autem lectorum sufficiant : matta, sagum, lena et capitale. Quae tamen lecta frequenter ab Abbate scrutanda sunt, propter opus peculiare, ne inveniatur. Et si cui inventum fuerit, quod ab Abbate non acceperit, gravissimae disciplinae subja­ ceat. Après les vêtements, le mobilier. N’oublions pas que les anciens n’avaient pas de cellule et qu’ils couchaient en dortoir : leur mobilier se réduisait au lit La garniture de ce lit comprendra quatre éléments. Matta. Selon D. Calmet, il s’agit vraisemblablement d’une natte de jonc, tout au plus d’une paillasse piquée, mais certainement pas d’un matelas bourré de crin ou de laine. Sagum. Une couverture, un gros drap. D’anciens commentateurs voyaient dans le sagum un sac bourré de paille ou de foin. « Mais je pense que sagum en cet endroit, dit D. Calmet, signifie proprement une cou­ verture de lit, plus mince et plus légère que laena; que sagum servait à couvrir les religieux pendant l’été et laena pendant l’hiver ; ou plutôt que pendant l’été ils n’usaient que du sagum, et que, pendant l'hiver, ils usaient de sagum et de laena. » Lena. Une couverture plus ou moins velue ou une fourrure. Capitale. Un chevet, un coussin de paille, de crin, peut-être de plume. A Cluny, la literie était conforme aux prescriptions de la Règle; mais ou donnait autant de couvertures que la saison le réclamait : en hiver, elles étaient de peau de brebis, de chèvre ou de chat. Pierre le Vénérable dut interdire les pelleteries de luxe. Nos coutumes ont peu ajouté, et elles ont retranché les fourrures. Il faut s’y tenir fidèlement, avec la plus grande sévérité; le lit monastique est encore tel qu’à quatre heures du matin on a quand même un peu de peine à le quitter. Saint Benoît impose à l’Abbé la charge de veiller à la pauvreté de la DES VÊTEMENTS ET DES CHAUSSURES DES FRÈRES 405 couche et de la cellule monastique. Le moine Cassinien n’avait naturelle­ ment ni armoire ni meuble quelconque : le lit était le seul endroit où il pût dissimuler tel ou tel objet d’usage personnel qu’il voulait s’assurer à l’insu de l’Abbé (1). Les anciennes Règles, par exemple celles de saint Isi­ dore. de saint Fructueux, de saint Donat, prescrivent de même aux supé­ rieurs cette visite domiciliaire (2). Paul Diacre et Hildemar nous ont décrit par le menu le cérémonial usité de leur temps : le matin, l’Abbé annonce aux moines réunis au chapitre qu’on va procéder à la visite, et il députe à cet effet quatre ou cinq frères bonae conversationis. Après investigation, les frères reviennent avec, parfois, tout un petit butin: ils déposent devant chaque coupable le corps du délit, et l’Abbé invite les prévenus à s’expli­ quer sur la provenance de l’objet découvert. Peut-être aujourd’hui les Abbés sont-ils moins fidèles observateurs de ce point de règle. C’est sans doute qu’il leur est facile de se rendre compte d’un coup d’œil, lorsqu'ils entrent dans une cellule, des objets variés qu’elle contient. C’est aussi que, dans une maison bien ordonnée et qui travaille, l’Abbé se repose un peu sur le bon sens et le bon goût de tous, et qu'il escompte le soin avec lequel chacun fera de temps en temps l’inventaire de son mobi­ lier. Pour les livres de la bibliothèque spécialement, les cellules ne doivent pas ressembler à l’antre de Cacus, d'où l’on ne sort plus : la charité et la pauvreté sont ici intéressées. Et de telles habitudes seraient d’autant plus dangereuses qu’elles se justifient mutuellement : chacun accumule pour prévenir les accaparements d’autrui. A raison surtout de la ten­ dance que révèlent ces infractions, saint Benoît invoque contre elles les plus grandes sévérités. Et ut hoc vitium peculiare radicitus amputetur, dentur ab Abbate omnia quae sunt necessaria : id est, cuculla, tunica, pedules, caligae, bracile, cul­ tellus, graphium, acus, mappula, tabulae, ut omnis auferatur necessitatis excusatio. L’Abbé est tenu tout à la fois de réprimer les petites avidités et d’ac­ corder largement le nécessaire : il supprimera ainsi les excuses tirées do la nécessité et le vice de propriété aura chance d’être retranché, extirpé (1) L’expression opus peculiare, difficile à rendre exactement en français, est empruntée à Cassien, Inst., IV, xjv et xvi ; VII, vn. (2) On serait tenté de croire que, dans la pensée de saint Benoît et des anciens, il s’agit seulement de constater un superflu dans la literie ; mais non : le lit devenait bien par­ fois une cachette : Quidquid ad manducandum vel bibendum pertinet nulla de soronbus praesumat circa lectum suum reponere aut habere (S. Caesar., Reg. ad virg., xxviu). 406 COMMENTA IRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT ■ jasqu'à la racine. Et saint Benoît énumère un certain nombre d’objets qui doivent être distribués à chaque moine. Nous connaissons déjà les premiers : la coule, la tunique, les chaussures. En voici quelques autres. Bracüe : c’est la ceinture de jour, assez large pour faire fonction de poches. On y suspendait le couteau, cultellus, qui servait au réfectoire et ailleurs; on y renfermait le mouchoir, mappula, Nous nous souvenons de l’histoire du moine de saint Benoît qui avait caché des mouchoirs < dans son sein » (1). Chacun recevait aussi une aiguille, tiens, avec du fil sans doute, pour réparer les désastres légers de ses vêtements; enfin des tablettes enduites de cire, labulae, et un stylet, graphium. • Le trousseau monastique d’aujourd’hui est un peu plus compliqué :il l’est peut-être moins que celui d’un moine de Cluny au onzième siècle (2). Une permission est nécessaire pour que nous ajoutions à notre livrée la douillette ou la calotte ou la clémentine ; et il est certainement plus parfait de se ranger à la règle commune, laissant nos supérieurs veiller à ce que rien d'utile ne nous manque. Un moine doit savoir renoncer à bien des détails de confort. A quo tamen Abbate semper consideretur illa sententia Actuum Apostolorum, quia dah-tlur singulis, proni cuique opus erat. Ita ergo et Abba.s consideret infirmitatem indigentium, et non malam voluntatem invidentium. In omnibus tamen judiciis suis Dei retributionem cogitet. L'enseignement contenu dans ces quelques lignes est bien connu et rappelle surtout le chapitre XXXIV. L'Abbé ne songera jamais, dit saint Benoît, à imposer une règle uniforme : il doit avoir l’esprit indulgent et industrieux d’un père. Il donnera à chacun selon ses besoins réels, comme on le faisait dans l’église de Jérusalem (Act., iv, 35), alors même qu’il devrait s’exposer par là au mécontentement de quelques-uns (3), Il sera attentif à la faiblesse de ceux qui ont besoin, et nullement à la mauvaise disposition des envieux. Mais, dans une famille monastique Ill de, on laissera toujours à l’Abbé, nous l’avons dit, le droit à uno (1) S. Greg. M., Dial., L II, c. xix. (2) CL Bernard., Ordo Clun., P. I, c. v. — Udalr., ConsucL Clun., 1. III. c. xi. — Pignot, Histoire de lOrdre de Chiny, t. II, p. 431-13?! (3) S. Basile avait écrit déjà : Hi qui praesunt, observabunt regulam illam quae dicit : Dividebatur unicuique prout opus erat. Debent enim unumquemque praevenire ut secundum laborem etiam solatia refectionis inveniat (Iteg, contr., xciv). — Voir aussi S. Augustin, Lettre CCXI, ô, P, L., XXX11I, 360. DES VÊTEMENTS ET DES CHAUSSURES DES FRÈRES 407 sorte d’acception do personnes. Il y aura des privilèges et des privilégiés: S kunpnt0"0! ’T ,1’eux’mêmcs aux îaiblc3< aux petite, à ceux" qui r<< lament plus de ménagements et à ceux dont on n’est pas sûr Un mouvement de charité nous fera toujours considérer comme justifiée et comme notre toute exception dont un frère bénéficiera Mais afin de conjurer l’illusion et les sympathies aveugles, saint Benoît rappelle encore à 1 Abbé le compte qu'il devra rendre de toutes ses decisions au tribunal de Dieu. ί CHAPITRE LVI de la table de l’abbè De mensa Abbatis. — .Mensu Abbatis rum hospiti­ bus et peregrinis sit semper. Uuolies tamen minus sunl hospites, quos vult de fratribus meare, in ipsius sit polestate. Seniorum autem unum aut duo semper cum fratribus dimittendos procuret, propter disciplinam. D est peu de chapitres plus courts e?, semble-t-il, plus clain que celui-ci: il en est peu néanmoins qui aient suscité tant de c- nt raven· es. On B*œt demandé comment saint Benoît avait pu pre rire à l’Abbé d’avoir régulièrement sa table avec le? hôtes en g·’aérai et spécialement avec les pèlerins : cum hospitibus d peregrinis (lu N. B. Père ayant dit ailleurs que les hôtes ne manquent jamais au monastère, il suit que l’Abbé devra sans cesse déserter sa maison. .1 prion, a-t-on dit, cela est impos­ sible : car, au point de vue de la di· s jejunii, qui non possit molari : car, dans cette dernière hypethè.-e, les hôtes comme les moines doivent attendre l’heure canonique. Il faut bien admettre, en tout cas, que les jours où l’Abbé rompt le jeûne régulier propter hospitem, il mange à un autre moment que les frères, et — à moins qu’il ne fasse un second repas ! — n’apparaît point au réfectoire commun ce jour-là... « Mais alors, les hôtes ne manquant jamais au mo­ no-1ère, l’Abbé est, en bloc, dispensé du jeûne depuis le 14 septembre jusqu'au Carême?... » Nous ne devons pas prendre d’une façon maté­ rielle et absolue cette réflexion de saint Benoît que les hôtes ne manquent jamais ; et, tandis qu’il la formulait, il prévoyait sans doute que l’Abbé serait libre quelquefois. Ce qui ne peut être entendu qu’à la lettre, ce ( 1 » Cf. EpisL, 1 I, Ep. XXVIII. P. L, CLXXXIX, 133. (2| Cf. Ht g. I SS. Patrum, vin : TVnfenttfrus fratribus ad horam refectionis, non lictldt peregrino fratri cum fratribus manducare, nisi cum co qui pracest Patre, uf possit aedificari, 410 COMMENTA IRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT sont les prescriptions suivantes : Jejunium a priore frangatur... et encore : Mensa Abbatis cum hospitibus sit semper. Pourtant, au prix de bien des subtilités, les tenants de l’hypothèse du réfectoire commun ont réponse à tout, même à la difficulté que leur crée cette remarque de N. B. Père : Quotis tamen minus sunt hospites, guos vull de fratribus vocare, in ipsius sit potestate. Elle s’entend très bien d'un réfectoire séparé, auquel l’Abbé pouvait appeler, lorsqu’il n’y avait pas affluence de convives, tel ou tel frère peut-être connu des hôtes ou plus apte à les édifier. Mais pourquoi, dans un réfectoire commun, appeler quelques frères près de soi et des hôtes? Afin de leur procurer l'aubaine d’un bon diner? Afin de ne pas laisser l’Abbé et ses convives dans uu isolement, d’ailleurs relatif? Notez que dans ce réfectoire com­ mun on est silencieux et attentif à la lecture : mensis fratrum edentium lectio deesse non debet (chap. XXXVIII) ; les frères qu’on appellera à la table des hôtes et de l’Abbé causeront-ils donc pendant que les autres se taisent et suivent la lecture? Non, sans doute ; autrement, ce serait le pur désordre. Rien, dans la description de l’accueil fait aux hôtes, au chapitre LIII, ne laisse entrevoir que les hôtes prennent leur repas en silence, dans le réfectoire des moines. Et s’il pouvait encore demeurer un doute sur la réalité des deux réfec­ toires, il suffirait de lire la troisième et dernière plirase du présent chapitre, qui nous semble décisive. C’est là, dit D. Martène après Hildemar, que triomphent les Abbates carnales 1 En effet, et il n'est '■'· vraiment que le préjugé honorable ou le parti pris résolu qui puissent contester. Si l’Abbé et les anciens n’ont cessé d’être présents au réfectoire commun, à quoi bon recommander de laisser un ou deux anciens avec les frères dans l’intérêt de la discipline? Mais voici un dernier argument qu’on nous oppose : au chapitre XXXVIII, N. B. Père suppose le cas où le supérieur voudrait, dans un dessein d’édification, prononcer quelques paroles. L’hypothèse de saint Benoît devient vaine, dit-on, si l’Abbé n'est jamais avec les moines, mais bien avec les hôtes « qui ne manquent jamais au monastère ». Nous avons répondu déjà que ces derniers mots doivent être pris au sens large, et qu’en fait l’Abbé pouvait se trouver quelquefois avec la communauté : par exemple si les hôtes se présentaient après le repas de l’Abbé et des frères. Il faut observer aussi que le terme prior ne désigne pas exclusivement l’Abbé dans la Règle, mais un supé­ rieur, quel qu’il soit ; et ici il peut s’appliquer à celui qui préside, en l’ab­ sence de l’Abbé, le repas monastique. Nous devons dire un mot des motifs auxquels obéissait saint Benoît en prescrivant à l’Abbé de s’asseoir à la table des hôtes. Il se souvenait uni que saint Paul avait recommandé aux chefs de communautés ecclésias­ tiques d’être hospitaliers. L’hospitalité était un exercice de charité et une preuve de fraternité chrétienne très nécessaires à cette époque ; elle DE LA TABLE DE L’ABBÉ Mt était surtout un excellent procédé d’évangélisation. 1λ conversation de l’Abbé, que saint Benoît veut homme de doctrine et de vertu, devenait, avec le spectacle do la vie monastique, une prédication aimable. Le recrut ement du monastère s’opérait en partie grâce à ces relations de l'hôtellerie. Et ainsi l’Abbé, tout en s’occupant des hôtes, ne désertait aucunement sa maison et travaillait pour elle. Aussi bien, la physionomie de la vie conventuelle était-elle alors un peu différente de ce quelle est devenue depuis. Aujourd hui, si un Abbé n’était pas au réfectoire et en récréation avec ses moines, il ne serait jamais avec eux, puisque, sauf l’office divin et la conférence spirituelle, toute la journée est employée dans des travaux où nous sommes seuls. Mais chez N. B. Père, on travaillait ensemble aux champs, ensemble on revenait au monastère, et l’Abbé qui par­ tout, même au dortoir, accompagnait les siens, pouvait plus facilement distraire une part de son temps en faveur des hôtes. Réserve faite des motifs qui ont déterminé la teneur du chapitre LVL nous n’avons qu’à nous féliciter des modifications introduites par l’usage et par l’autorité de l’Église. Désormais la mense abbatiale ne doit plus être séparée de la mense commune. Et sans qu’il faille prendre contre les hôtes des précautions ridicules, il est trop certain qu’un contact perpétuel avec eux pourrait devenir préjudiciable au recueillement et au travail de l’Abbé. Les hôtes et lui se rencontrent H··· d’ordinaire immédiatement après les repas ou à d’autres moments déter­ minés. Dans des cas exceptionnels, justifiés aussi par la tradition monas­ tique, l’Abbé mange à part avec eux ; mais, le plus souvent, ils sont intro­ duits au réfectoire commun. CHAPITRE LVII DES ARTISANS DU MONASTÈRE — Artifices, si sunt in monasterio, cum omni humilitate et reverentia fa­ ciant ipsas artes, si tamen jusserit Abbas. Quod si aliquis ex eis extollitur pro scientia artis suae, eo quod videatur aliquid conferre monasterio, hic talis evellatur ab ipsa arte, el denuo per eam non trans­ eat, nisi forte humiliato ei iterum Abbas jubeat. De Artificibus monasterii. La première portion de ce chapitre est relative aux métiers et aux arts mécaniques qui s’exercent à l’intérieur du monastère ; la seconde aux fruits et produits de ces travaux. Pour les grosses besognes comme pour celles qui s’exécutent aisément, tous les frères ont compétence. Mais il est des ouvrages un peu spéciaux qui réclament un apprentissage ct ne conviennent qu'aux artifices, aux artisans. Saint Benoît suppose donc qu’il se trouve dans le monastère des gens de métier, peut-être même de vrais artistes : peintres, sculpteurs, calligraphes. On a pu apprendre cet art dans le monde, ou bien c’est au cloître qu’a eu lieu l’initiation. Car N. B. Père désire qu’on cultive chez lui tous les arts nécessaires à l’entretien de la maison ; c’est plus qu’une tolérance, c’est un souhait formel ; il pressent, d'ailleurs, ici comme au chapitre LXVI, que cela ne sera pas possible toujours. Saint Benoît est cohérent avec sa pensée habituelle lorsqu'il décide qu’on pourra tirer parti de l’habileté des frères qui savent un métier : jamais il n’a songé à contrarier systématiquement, sous couleur de mor­ tification, les aptitudes et les goûts. Un seule condition est exigée : l'ordre ou la permission de l’Abbé. H est entendu que le religieux exercera son art « en toute humilité et soumission ». Ce savoir-faire créait une distinction et il fallait se prémunir contre une disposition à la suffisance. De plus, un bénéfice est acquis d’ordinaire à la société monastique par ces compétences spéciales ; et plus ce bénéfice est réel, plus il est facile 41Î DES ARTISANS DU MONASTÈRE 113 à celui qui le procure d’y trouver un prétexte à la superbe ou à l'irré­ gularité. Toutes les fois qu'est annexée au monastère une exploitation, une fabrication, une institution de rapport, le danger existe : « Bon an. mal an, se dit-on, je vaux tant à la communauté. Les autres ne font que boire et manger; pendant ce temps, je fournis, moi. aux finances de l’abbaye, un apport annuel considérable. » Ce n'est qu’à la condition d’un grand esprit religieux qu’on peut échapper au péril de ces situations. Saint Augustin l’avait prévu avant saint Benoît : Nec extollantur si communi vitae de suis facultatibus aliquid contulerunt; de même Cassien. Saint Ephrem, lui aussi, invite le moine à ne se prévaloir jamais de ce qu’il rapporte ; et saint Basile recommande au supérieur, comme le fait N. B. Père, de ne pas tolérer un pareil scandale (1). L’âme d’un moine vaut mieux que tout. Et le jour où l’Abbé venait se glisser, ou bien l’orgueil, ou bien l’esprit mercantile, ou bien l'insu­ bordination et le particularisme, dans ces petites institutions, ce lui serait un devoir de passer outre à une plaie d’argent, qui n’est jamais mortelle, et de sauvegarder les âmes à tout prix. Les paroles de la Règle sont énergiques ; « Cet homme-là doit être arraché à son travail et ne plus s’en occuper désormais, à moins qu’il ne s’humilie et que l’Abbé ne lui ordonne de le reprendre, o Si quid vero ex operibus artificum venumdandum est, videant ipsi per quorum manus transigenda sunt, ne aliquam fraudem praesumant inferre. Me­ morentur Ananiae et Saphirae : ne forte mortem quam illi incorpore pertulerunt, hanc isti, vel omnes qui aliquam fraudem de rebus monasterii fecerint, in anima patiantur. Peut-être serait-ce ici le lieu de passer en renie la série des fabrications et exploitations qui sont compatibles avec la dignité extérieure de notre vie, avec la composition du monastère, avec nos traditions (2). Le pro­ blème a tout ensemble son importance et sa délicatesse. Aux diverses branches des familles religieuses les traditions ont déterminé ce qui convient et ce qui ne sied pas. En ces matières, il faut s'abstenir de légi­ férer d’une manière universelle. Chaque supérieur est un peu juge de ce qu'il se doit, de ce qu’il doit à son monastère, de ce qu'exige la solidarité (1) S. Aug., Epist. CCXI, 6. P. L, XXXIII, 960. — Cass.. InsL, IV, xiv. — S. Epiir., Paraen. XXVI (opp. graec. lat., t II, p. 114). — S, Basil., Reg. fiu,t xxix. (2) Cf. S. Basil., Reg. fus., xxxvin. <14 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT des maisons entre elles, de ce à quoi elles sont parfois contraintes pour subvenir A des détresses financières. Les Chartreux font de la liqueur, ou plutôt il y a un père et quelques frères convcrs qui s’y emploient. Les Trappistes fabriquent du chocolat, des fromages, de la bière, ils exploitent leurs terres ; c’est reçu chez eux. Pour ce qui nous concerne, nous ne sommes les fournisseurs authentiques et patentée d'aucun produit. Que pour la publication des livres liturgiques et des autre* travaux monastiques, et pour aider à la diffusion de la vérité, nous dirigions une imprimerie, rien de mieux. C’est une sorte de prédication conven­ tuelle; nous ne faisons que reprendre ainsi nos traditions, et multiplier par la typographie des manuscrits que nous transcrivions et enlu­ minions autrefois. Sortir de là, c’est nous exposer parfois à de gros mécomptes. C’est rentrer par la mauvaise porte dans toutes le·* res­ ponsabilités et les préoccupations séculières, c’e-t échapper à notre vie religieuse, d propter vilain, virendi perdere causas. Il n'est pas démontré que le Seigneur aime beaucoup chez nous l'exercice d au­ cune industrie. Mais enfin, dans une abbaye, une exploitation annexe produit du fruit et au delà de ce qui est nécessaire au monastère lui-même : du vin par exemple, du miel, des légumes ; que faire de ce qui reste? Parmi le* Pères d’Orient, quelques-uns détressaient nattes et corbeilles, et recommen­ çaient. C’assien nous raconte que l’Abbé Paul, vivant à sept jours de marche de toute habitation, brûlait à la fin de l'année 1rs corbeilles qui encombraient sa grotte. La plupart écoulaient en vi e b 1rs produits (1); il ne nous est pas défendu de les imiter et. après av :r prélevé la part de l’aumône, d’assurer ainsi quelque* re source* au m :ôre. Mais il ne semble pas que saint Benoît ait été soucieux de voir les moines s’en aller eux-mêmes aux foires et aux marche- public- (2). Lui qui deman­ dera plus loin que tous les métiers soient exen i-s au monastère : id non sil monachis necessitas vagandi foras, comment aurait-il pu .*-< uhaiter que les moines sortissent, non plus pour acheter, ma.· pour faire com­ merce? La vente se fera par des intermédiaires. Et sain» Benoît avertit l’Abbé et les moines de veiller à leur probité. Ils pouvaient être tenté de pré­ lever une commission. Le· travail était accompli ave· conscience, le vin n’était pas frelaté : les clients ne manquaient pas. Les vendeurs étaient portés, par la supériorité même de la marchandise qu’il offraient, à la taxer très haut, sauf à encaisser la différence. Peul Lire étaient-ils le? familiers du monastère et trouvaient-ils tout naturel de s’enrichir à scs dépens. Mais saint Benoît se souvient du cas d’Ananie et de Saphire 1) Inst, X, xxtv. £) S. Basile maniicste la mCme répugnance : Reg. fus., χχχιχ, DES ARTISANS DU MONASTÈRE 445 (Act., v) : lo fait qui attira sur les deux époux la juste sévérité de Dieu et do saint Pierre est assez semblable à celui qui est prévu dans la Règle. Ils avaient vendu leur champ; au lieu de remettre à la communauté l’intégralité du prix reçu, ils prélevèrent sur cette somme un petit argent de poche et remirent le reste à saint Pierre, ajoutant au prélève­ ment un mensonge et un mensonge concerté. Il semble que saint Benoit considère comme vénielle et comme punie seulement de mort corporelle la faute d’Ananie et de Saphire (1); il suivrait en cela l'inter­ prétation de plusieurs Pères : Origène, saint Augustin, Cassien (2). Mais lu faute des agents du monastère est plus grave; caria matière des tran­ sactions n’est entre leurs mains qu'un dépôt, et un dépôt sacré, puisque tous les biens monastiques appartiennent à Dieu ; aussi est-ce dans leur âme qu'ils seront frappés. In ipsis autem pretiis non surripiat avaritiae ma­ lum, se· au Seigneur (1). Selon 5. B. Père, il doit être curieux, avisé, observateur : Omnino curiose intendat et sol­ licitus sit. Et afin de faciliter cet examen, il convient que le novice ouvre son âme tout entière : il en est parfois qui se taisent résolument, d’autres qui parlent sans lin, et toujours de leur personne; mieux vaudrait encore être un peu bavard que « se renfermer ». L'observation attentive du Père Maître n'est pas ce zèle amer que condamne ailleurs saint Benoit, cette sévérité outrée qui exige de tous, ct à toute heure, un maximum de perfection. Nous ne voulons pas non plus de surveillance minutieuse; à quoi bon peser violemment sur les âmes afm de créer en elles des ferveurs précoces, mais trop souvent factices et peu durables? à quoi bon les obliger à des analyses psychologiques infinies? Même, elles sont invitées à déserter la région du moi, et à se tourner doucement vers celle de la Beauté ct de la Pureté éternelles : Audi, filia, et vide, et inclina aurem tuam, et obliviscere (Ps. xliv). A’os vero omnes, revelata facie, glo­ riam Domini spéculantes, in eamdem imaginem transformamur a claritate in claritatem, tanquam a Domini spiritu (II Cor., in, 18). Au reste, saint Benoît nous indique lui-même les points de repère qui guideront l'observation du Maître, ce qui est en même temps dessineç le programme du disciple. Si vere Deum quaerit. Cherche-t-il Dieu? Dieu cherche l'homme : Et quaerens Dominus in multitudine populi, cui haec clamat, operarium suum; et à son tour, l’homme doit chercher Dieu : Quaerere Deum, si forte attrectent eum aut inveniant, quamvis non longe sit ab unoquoque nostrum (Aer.’, xvii, 27). On ne fait rien d’autre dans la vie monastique. Pourquoi rougirions-nous de cette œuvre-là devant les mondains? Dieu est le seul être intéressant. Dès la première heure de sa conversion, le postulant doit le bien savoir. Et le Maître des novices verra bientôt si l'âme s’oriente toute dans cette direction. Cette recherche de Dieu se traduira surtout par un grand zèle pour l'office divin : si sollicitus est ad Opus Dei. C’est là que le novice est assuré de trouver le Seigneur, de lui parler, de se mettre à l’unisson avec dem. Les nôtres, qui empruntent, ici encore, à celles de Saint-Maur, proscrivent, pen­ dant le noviciat, · les études profanes et curieuses », c'est-à-dire les travaux de critique on d'érudition, et généralement tout ce qui n'aurait pas trait à la formation spi­ rituelle et professionnelle; puis elles ajoutent : Sedulam operam cantui gn/priano, ceremoniis, rubricisgue dabunt; demum excolendae memoriae ne pereat aul languescat, satagent. (1) Constituit (Pachomius) praepositos qui sibi ad lucrandas arnmas, quae ad *um qw^dte confluebant, adjuUncs existèrent i)'da S, Pachomii, c, xxv, Acta SS„ Mati t. 111;. S3 434 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT lui : Sacrificium laudis honorificabit me et illic iter quo ostendam illi salutare Dei (Ps. xlix). Parce qu’à l’Œuvre de Dieu doit s’employer sa vie entière, le novice s’efforcera de se créer un tempérament liturgique ; et les supérieurs remarqueront s’il est empressé à se rendre à l’église, s’il s’y tient avec esprit de foi et y demeure sans ennui, s’il prévoit et prépare les cérémonies et les lectures. Dès lors que le novice cherche Dieu, il se souvient aussi que la seule voie qui mène à lui avec sécurité et promptitude est celle de Vobéissance : Scientes se per hanc obedientiae viam ituros ad Deum (chap. LXXI). Pour saint Benoît, nous le savons, toute vertu se traduit et se résume dans une attitude intérieure qui peut s’appeler obéissance ou humilité. Le Maître des novûces doit donc principalement — et toute l’histoire monastique l'y invite — habituer les frères à la docilité profonde, à un respect sou­ verain de l'autorité, très éloigné de toute espèce de contestation même polie, même purement secrète. C’est dans le dessein de briser la superbe que les anciens mettaient en œuvre, chez leurs religieux, des procédés qui parfois nous étonnent un peu (1). N. B. Père se souvient sans doute de Cassien et encore de saint Basile (2) lorsqu’il demande à ses nonces d’être empressés ad opprobria. Pourtant, sauf les épreuves préliminaires que saint Benoît lui-même impose aux candidats à la porte du monastère (et qui, d’ailleurs, pouvaient avoir chez lui quelque chose de très mesuré), nous ne voyons nulle part dans la sainte Règle d’allusion à certaines vexations volontaires, factices, injus­ tifiées, créées de toutes pièces dans l’intention d’exaspérer la nature humaine. Nous en avons parlé déjà à l’occasion du quatrième degré d'humilité. Nous avons dit que les procédés de Dieu et de la Piègle suf­ fisent pour éprouver une âme. Il serait difficile de se sentir à l'aise entre les mains d’un Abbé qui se croirait tenu en conscience d’être un exercice pour ses moines et les considérerait un peu comme des patients et des souffre-douleur. Les opprobria dont parle saint Benoit, ce sont bien plutôt les épreuves impliquées normalement dans le programme d’une vie religieuse. Les œuvres serviles auxquelles étaient employés les moines, le soin du bétail, les moissons, le détachage, la cuisine, tout cela cons­ tituait autant à'opprobria pour l’orgueil et la délicatesse native des patriciens (3). De plus, le monastère n’avait nul confort ; on y avait pourvu à la vue, à la propreté, non au bien-être. Enfin, un noble était exposé à coudoyer un de ses anciens esclaves, quelquefois même à recevoir un ordre de lui. On voit aussitôt en quoi consistaient, en quoi consistent encore les opprobria. Telle besogne régulière mortifiera chez (1) Cf. Cass., Inst., IV, m. (2) Prius autem quam corpori fraternitatis inseratur, oportet ei injungi quaedam laboriosa opera et quae videantur opprobrio haberi a saecularibus, etc, (Peti, contr., vil (3) Cf. S. Basil., toc, ull. cit» COMMENT PROCÉDER POUR LA RÉCEPTION DES FRÈRES 435 vous une mauvaise tendance? faites-la bravement. Il n’y a que Dieu qui compte : les choses et les événements n'ont pas de couleur; (aire des miracles ou faire la cuisine est tout un : il suffit que la besogne soit com­ mandée et voulue de Dieu. L’âme se porte alors à toutes choses avec le même empressement tranquille. Il est vrai que ce tableau est celui de la vertu parfaite : mais les âmes généreuses s’y établissent vite ou y tendent vigoureusement. Praedicentur ei omnia dura et aspera per quae itur ad Deiun. ‘Rappelonsnous ce qui est dit à la fin du Prologue. 11 y a des difficultés réelles dans la vie monastique ; des aspérités et des douleurs sont semées sur la route qui mène à Dieu (1). Le novice ne tardera pas à s’en apercevoir de luimême. Il faut pourtant lui en parler, afin qu’il n'ait pas trop d? surprise et qu’il s’arme de vaillance. Mais cette prédiction doit être discrète, afin de ne pas épouvanter, afin de demeurer conforme à la vérité, et aussi parce que le postulant, tout entier à la joie de ses premières rencontres avec le Seigneur, tout fier de ses premiers renoncements, ne nous croirait guère on du moins se méprendrait sur le caractère de ces souffrances. Dieu, par miséricorde, laisse d’ailleurs à dessein bien des choses dans le secret. Il suffit que le novice soit prêt à tout accepter. Le rituel de sa profession lui renouvellera cette prédiction et sollicitera son acceptation formelle. Le Maître des novices doit doue dire à peu près ceci : Il y a d’abord les souffrances générales et conventuelles de la vie monastique, laquelle n'a certainement pas été organisée en vue de flatter la nature. Il y a surtout des épreuves spéciales pour chacun. Et toujours la souffrance nous aborde par l’endroit où nous sommes le plus sensibles, le moins préparés. Telles vexations, qui dans le monde n’eussent été rien, deviennent an monastère presque insupportables ; Dieu permet la plupart du temps qu'il y ait disproportion énorme entre la cause de la souffrance et la souffrance ressentie. C’est tel frère, tel père, le Père Abbé surtout, qui devient pour nous un fardeau : » Il ne me dit rien. 11 ne me comprend pas. 11 garde pour d'autres toute sa tendresse. On a ici des idées bizarres, et il nous faut les adopter ! Nous avions un système intellectuel, il était bon : et voici qu’on le trouve trop large, ou trop étroit ; il faut se refaire. Quelle fatigue !... # On nourrit son ennui, on en parle, on envenime sa petite blessure, on se décourage. Quelquefois, il semble que la persévérance ne tienne plus qu'à des motifs naturels et mesquins. Quelquefois aussi, la tentation revêt cette forme : « Pourquoi n’avons-nous pas fait choix d’un autre Ordre? Après tout, il n’y a pas que la vie monastique et contemplative! (1) Virgile avait parlé d’une race dura et aspera Lien., V. 730): mais les vraies sources de sa nt Benoit sont plutôt les suivantes : Για reyia suavis ac levis est, licet dura et aspera sentiatur (Cass., Conlat. XXIV, xxv). — Satis duram atque asperam vitam... habuit iPallad.. Histor. Laus., versi» antiqua: apud Parad. Héraut. 41. Rosweyde, p. 970). — Semper dura et laboriosa eis proponantur (Peg. I SS. Patrum, vii). 436 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT [JENOIT H existe bien d’autres manières d’être religieux : Dominicain, ou Capucin, ou Jésuite, Dominicain surtout ; Chartreux aussi, parce qu’il y a le silence quasi perpétuel et qu’on ne fréquente personne... » Ajoutons que, dans le monastère, l’absence de distractions et de diversion nous livre entièrement à notre souffrance. Nous l'observions en commentant le Prologue, la souffrance des contemplatifs ressemble au purgatoire : le feu pénètre jusqu’aux moelles, jusqu’aux fibres les plus intimes ; c’est une cuisson lente, à vase clos, à l’étouffée. Tous les mou­ vements deviennent douloureux, comme d’un homme à qui l’on aurait enlevé l’épiderme : Versa et reversa in tergum et in latera et in ventrem : et dura sunt omnia (1). Oui, le contact avec Dieu est douloureux, le contact de notre laideur avec sa beauté, de nos ténèbres avec sa lumière. Saint Jean de la Croix explique cela admirablement. Jusqu'au jour où Dieu est notre joie souveraine, il est la grande épreuve. Vivus est sermo Dei et efficax et penetrabilior omni gladio ancipiti; et pertingens usque ad divisionem animae ac spiritus, compagum quoque ac medullarum, et discrelor cogitationum et intentionum cordis (Hebr., iv, 12). Même, il y a certaines souffrances privilégiées qui seraient intolérables et mortelles, si le Seigneur ne soutenait par sa grâce ; mais c’est le prélude de l’union à Dieu. N’allons pas croire que nos petites misères de novice soient quelque chose de ces souffrances-là. Il est un moyen misérable d’échapper aux dura et aspera : se faire une vie tranquille et bourgeoise, s’en aller dans la région de ceux qui ont vécu sans gloire et sans infamie, dont le ciel n’a pas voulu et dont l’enfer ne veut pas dans ses profondeurs, de ceux qui se sauvent tout juste et prosaïquement. Qui parce seminat, parce et metet, et qui seminat in benedi­ ctionibus, de benedictionibus et metet (II Cor., ix, 6). On pourra lire, dans le fiyrede la Vie spirituelle et l'oraison, le chapitre xiv : Première purifi­ cation. Nous y voyons que « ceux qui sont oublieux d’eux-mêmes tra­ versent quelquefois très allègrement ces étapes douloureuses, quelque rudes qu’elles soient ; mais elles paraissent fort pénibles, et le sont en effet doublement, à ceux qui ont trop aimé leur bien-être spirituel ». Ce qu’il faut, par conséquent, c’est demeurer tranquille sur la croix, adorer, laisser le médecin tailler à son gré dans la région malade, faire un effort pour se tenir fidèlement auprès de ce Dieu dont le contact ne blesse que pour guérir. Prenons garde aussi de ne pas grossir notre souffrance par l’imagination et par un repliement sur nous-mêmes qui nous tend et qui nous crispe. Certaines trempes maladives sont portées à rechercher une sorte de joie morbide, et non exempte de pose, dans la souffrance : Nullus dolor amandus e t (2). La douleur n’est jamais que moyen; et il est souvent en nous (1) S. Ano., Confess., L VI, c. xvi. P. L., XXXII. 732. (2) S. Aoo., Ibid., I. III, c. n. P. L, XXXII, Gôl. I COMMENT PROCÉDER POUR LA RÉCEPTION DES FRERES 41Ί telles souffrances, dues à des infidélités, que nous pourrions facilement éliminer. Quant aux autres, il importe beaucoup plus de les bien accepter lorsqu’elles se présentent, que de les solliciter fièvreusement près du Seigneur. In craticula te Drum non negavi, et ad ignem applicali» te Christum confessus sum; prolasti cor meum et visitasti nocte, igne me examinasti : et non est inventa in me iniquitas (1). El si promiserit de stabilitatis suae perseverantia, post duorum mensium circulum legatur ei haec Regula per ordinem, et dicatur ei : Ecce lex sub qua militare vis; si potes observare, ingredere; si vero non potes, liber discede. Si adhuc steterit, tunc ducatur in supradictam cellam novitiorum, et ite­ rum probetur in omni patientia. Et post sex men­ sium circulum relegatur ei Regula, ut sciat ad quod ingreditur. Et si adhuc stat, post quatuor menses iterum relegatur ei eadem Regula Options, pétition et scrutins. — Saint Benoît ne se préoccupe décidément, chez celui qui se présente, que de la trempe de sa volonté. On ne poussera même plus avant les épreuves novitiales que sile candidat « promet de persévérer dans sa stabilité n, si son intention de se donner à Dieu dans le monastère est bien sérieuse. Mais parce que la qualité de notre vouloir est en fonction de notre connaissance ; parce qu’on ne demeure attaché qu’à ce qu’on a choisi librement ; parce qu’on n’est tenu d’accom­ plir que ce qu’on a promis : pour tous ces motifs de prudence et de sagesse élémentaire, saint Benoît veut qu'on fasse connaître exactement au can­ didat le code de sa vie nouvelle (2). L’année de noviciat est jalonnée par cette présentation de la Règle et par une triple option. D’après le texte de saint Benoît, il semble bien que cette lecture offi(1) Officium S. Txiurcntii Martyris. (2) Les prédécesseurs de saint Benoît avaient écrit: Si çuis de sacculo ad monarieriitoi converti voluerit, Regula ei introeunti legatur, d omnes actus monasterii illi patefiaak Qui si omnia apte sustinuerit sic digne a fratribus suscipiatur in monasterio (S. Macaîl, Reg., χχιπ). — Et S. Césaire : Quaecumque ad conversionem veneni, in salutatorio ci frequentius Regula retegatur; el si prompta d libera voluntate professa fuerii te omnia Regulae instituta completuram, tamdiu ibi sil quamdiu Abbatissae justum ac rationabile risum fuerit (Reg. ad virg., Recap . vini — Une disposition analogue est indiquée panni les statuts d’un collège funéraire, dans une inscription latine du 1Γ siècle : Tu qui novos (= novus) in hoc collegia intrare voles, prius legem perlege d sic intra, ne portmodum queraris aut heredi tuo controversiam relinquas (Q^LLiAl^ZE^fInscriplu)num latinarum selectarum amplissima collectio, n* 6086). 433 I COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT cielle de la Règle, lecture intégrale et suivie, per ordinem, se faisait après deux, ou six, ou quatre mois, sinon dans une même séance, du moins pendant les jours qui précédaient la cérémonie d’option. Les anciennes coutumes mentionnent ces trois lectures et ces trois options (1). Actuel­ lement, la Règle est lue aux novices au cours des mois de probation. Elle n’est pas lue à chacun en particulier, mais à toute la communauté, trois fois par an chez nous, au chapitre comme au réfectoire. De plus, elle doit être expliquée en entier pendant le stage au noviciat. Le concile d'Aix-la-Chapelle de 817 recommandait : Ut monachi omnes, qui possun12 34, Regulam memoriter discant. Nous avons encore deux cérémonies solen­ nelles d’option : avant la vêture novitiale et avant la profession. Si cette lecture et cette mise en demeure n’ont point écarté le candidat, s’il reste ferme, si stat, il est ramené au noviciat et on l’éprouve in omni patientia, c’est-à-dire qu’on se rend compte s’il peut souffrir sans se déconcerter tous les petits ennuis de la vie commune. La patience dont parle ici N. B. Père est plutôt celle du novice cpie celle de ses maîtres, laquelle d’ailleurs ne doit jamais faire défaut : car il convient d’imiter le Seigneur, qui sait attendre. Nos Constitutions, d’accord en cela avec des Constitutions plus anciennes, telles que celles de Chezal-Benoît et de Saint-Maur, prescrivent l’examen des nonces par le Chapitre, à certaines dates fixes ; c’est ce que nous appelons le « chapitre des nonces » ; nous le tenons aux Quatre-Temps. La durée du noviciat proprement dit a été fixée par N. B. Père à un an, comme le prouve l’addition des trois périodes, de deux, six et quatre mois, qui précèdent les options. Quoi qu’il en soit du noviciat chez saint Pacôme (2), d’autres législateurs, tels que saint Césaire, saint Fruc­ tueux, saint Ferréol, demandaient un an d'épreuve. Faculté était laissée parfois au supérieur de réduire, même notablement, la période de pro­ bation. Ces réductions étaient en usage à Cluny, et Pierre le Vénérable les justifie auprès de saint Bernard (3). Un an était une sage moyenne; aussi la disposition bénédictine a-t-elle passé au Corpus Juris, dans les Décrétales, et le concile de Trente l’a consacrée (4). Même, le concile a décidé qu’une profession faite avant l'âge de seize ans et sans une année de noviciat, serait nulle. Sa législation est sévère sur ce point. Mais laissons aux canonistes le soin de discuter toutes ces questions. (1) Voici une réponse de candidat à Saint-Onen de Rouen (XIV°-X Ve siècle) : « Sire, de ce je ne me fie en moi, mais en Dieu et Madame Saincto Marie, et en tous saincts et sainctes, et en vous, Sire, et de sainct convent de céans, — que je serai obedient jusqu'à la mort. Et se le diable me voulait de ce retraire, je vous prie, Sire, que me fis· siez tenir à force » (Martène, De anliq. Eccl. rit., 1. II, c. n. T. II. col. 165). (2) Mgr Ladeuze estime « que le noviciat n’existait pas parmi les cénobites nakhomiens à l'état d’institution régulière et générale » (Étude sur le cénobitisme pakliomien pendant le IVe siècle et la première moitié du Ve, p. 280-282), (3) 1. I, Ep. XXVIII. P. L., CLXXXIX, 117 sq« (4) Session XXV. de Ilegularibus. c, xv et xvi. COMMENT PROCÉDER POUR LA RÉCEPTION DES FRÈRES U» L'année de noviciat révolue, le candidat est accueilli ou écarté*, il n'est pas irrégulier pourtant que le supérieur proroge de quelques mois la probation. Ces tentatives de la dernière heure, ou l'épreuve d'un second noviciat, n’ont pas d'ordinaire grand succès. Le propre choix du candidat ne suffit pas pour lui donner accès à la profession : il faut encore le consentement de la famille religieuse, et. selon nos usages, c’est lui que, vers la fin de son année de probation, le novice vient implorer humblement, à genoux, au milieu du chapitre. Dans l’antiquité monastique, le candidat faisait aussi une suprême requête et était interrogé sur ses dispositions. Nos Constitutions, en prescrivant une démarche analogue, sont tributaires de Saint-Maur et d'antres Congrégations bénédictines (1), mais avec cette différence que la céré­ monie ne comprend plus que la lecture d’une longue et solennelle for­ mule. Remarquons d'ailleurs que les termes « faire pétition n n’ont pas tout à fait, dans l’usage moderne, la même signification que dans la Règle. La Petilio, dans la pensée de N. B. Père et dans la coutume de son temps, est tout à la fois une requête d'admission, une promesse, et la cédule, l'acte écrit et signé qui témoigne à jamais des engagements contractés (2). Cette pétition écrite était alors précédée, semble-t-il, d'une promesse verbale : Promittat de stabilitate sua... De qua promissione sua jaciat petitionem... Par la suite, et la teneur même des documents le montre bien, la promesse verbale ne vint parfois qu'après la rédaction de l'ins­ trument juridique. Dans la promesse verbale, on se bornait à reproduire le texte de la Règle : Promitto de stabilitate mea, etc. Quant à la formule écrite on pétition, courte sans doute elle aussi à l’origine, elle avait pris de l’am­ pleur dès le septième siècle : c’était un petit discours où le novice décri­ vait tout le sérieux de l’épreuve qu’il avait subie, où il demandait accès chez Dieu et chez ses serviteurs, où il affirmait ses bonnes résolutions, où il faisait mention des saints, des reliques, de l’Abbé, et où il termi­ nait comme nous le faisons nous-mêmes dans notre charte. Plus tard, on abrégea la grande formtûe. Et on commença aussi à confondre la cédule on pétition avec la formule verbale prononcée avant ou après. Il se lit des deux une fusion sous forme de résumé : c'est la teneur de la charte actuelle. La formule verbale des huitième-neuvième siècles est citée parfois, dans les documents de cette époque, à côté de la longue formule de pétition, sous cette forme, par exemple : Ego ille, Domne Abba A’., oboedientiam vobis secundum Regulam S. Benedicti, juxta quod in ista pellione continet, quam super istud altare posui, coram Deo et Sanctis (1) Voir, par exemple, le Ccremoniale monaslico-berudictinum de la Congrégation bavaroise des Saints-Anges (1737). p. 1S9. (2) Cf. D, Rotuenuausler, Zur Aujnahmeordnung der Régula S, Benidieti, 1, i, 2, p. 9 sq. — ■ HO COMMEiNTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT ejus, in quantum mihi ipse Deus dederit adjutorium, Deo et vobis promitto custodire, et in quo possum, ipso auxiliante, conservo (1). Notre formule de pétition n’est qu’une antique cédule de profession un peu abrégée et adaptée à sa destination nouvelle ; ou, plus exactement, c’est une compi­ lation formée avec divers documents de même nature (2). On chercherait vainement dans les pétitions d’autrefois cette mention des < suffrages » de la communauté que comporte la nôtre. C’est que le novice était admis à la profession en vertu d'une décision de l’Abbé; c’était au père de famille qu’il appartenait de donner place chez lui au fils nouveau-né. L’Abbé se portait garant, devant la communauté, des bonnes dispositions du candidat qu’il accueillait. Π était ici-bas le témoin par excellence des promesses de la profession, comme l’étaient au ciel les saints dont on possédait les reliques. Aussi entendrons-nous saint Benoit prescrire d’émettre la pétition « au nom des saints... et de l’Abbé présent »; celui-ci la recevait au nom du Seigneur, et le candidat deve­ nait vraiment son fils. Du reste, l’Abbé ne manquait pas de prendre l’avis de la communauté (3). Selon les Statuts de Lanfranc (4), il demande aux frères s’il y a lieu de procéder à la profession ; même indication dans le Cérémonial de Bursfeld (5) ; et les << chapitres des novices », dont nous avons dit un mot, étaient destinés à éclairer l’Abbé. Mais enfin c’est lui qui décide, et il n’y a pas de vote ; s’il est autrefois question de« scrutin », c’est seulement au sens étymologique d’examen (6). Aujourd’hui encore, la décision de l’Abbé dans l’admission est prépondérante, non pas tant à cause du double suffrage que lui accordent les Constitutions que parce que c’est lui qui présente, et qui présente celui-là seulement dont il est moralement sûr. (Voir le canon 543 du nouveau Code.) Les vœux de religion. — Avant d’aborder la troisième portion du chapitre, et afin de n’avoir pas à interrompre la description des rites de la profession, nous pouvons rappeler très succinctement la doctrine des vœux (1) M, G. H. : Legum, Sectio V, Formulae, p. 569, (2) On trouvera ces pièces dans Baluze, Capitularia Regum Francorum i Nova /'■ '■Clio formularum, n'· xxxm et xxxu, t. Il, p. 576 et 574; dans Mabillon, At'a .SS. 0. S. B., Saec. IV, P. I, p. 694-695 ; et dans l'édition récente et critique des Moncnenla Germaniae Historica : Legum, Sectio V, Formulae Merowingici et Karolini Aevi, p. 479, n. 42, et p. 570, n. 31. — Une formule ressemblant beaucoup à celle qu’a donnée Baluze au n° xxxm. est citée par Herrgott dans sa Fe/us disciplina monastica, p. 591 ; on la trouvera aussi dans les M. G. H. : l. c., p. 568, et dans D. Albers : Consuetudines monasticae, vol. III, p. 178. La formule que cite D. Albers immédiatement avant celle-ci est la même que celle du n° xxxn de Baluze, que celle reproduite par Du Gange, Glossarium (Profiteri), et par Léopold Delisle, Littérature latine et histoire du moyen à·!··, p. 16. — Voir aussi la formule donnée par Smaragde et citée dans Martène, C jmment., p. 763. — Cf. D. Herwegen, Geschichle der benediklinischen Professforme·, (3) Voir le chap, ni de la sainte Règle et le Commentaire de Paul Diacrf, (4) Martène, De anl. monach. rit., 1. V, c. iv, col. 646, (5) Marténe, op. cil., 1. V, c. iv, col. 656. (6) Martène, De ont, Eccl. rit., 1. II, c, n. T. II, col, 484, COMMENT PROCÉDER POUR LA RÉCEPTION DES FRÈRES Ut de religion et regarder de près la formule dont se servent les Bénédictins. La perfection surnaturelle de l'homme réside essentiellement dans la charité, non pas initiale, mais dominante et souveraine; elle consiste dans un degré éminent de charité, ou même dans l’ensemble complexe de tout ce qui nous unit à Dieu profondément, solidement, de façon stable et continue. Et la vie parfaite est définie par sa tendance à la per­ fection, par un modus vivendi destiné à réaliser et à accroître la perfection. Or, celle-ci s’obtient par l’accomplissement intégral et généreux des préceptes, lesquels ne sont tous que le morcellement de la loi de charité. Mais on n’arrive pourtant à cette observation accomplie des préceptes et à la charité éminente que grâce à la pratique de certains conseils. Ιλ conseil, par son côté négatif, garantit le précepte et, du même coup, défend et pro­ tège la charité ; par son côté positif, il accroît la charité en même temps qu’il en est le fruit ; il est à la fois facteur et indice de perfection. La vie par­ faite. la vie de perfection est donc assurée par la pratique des conseils ; c’est ainsi que l’exercice des conseils est caractéristique de la vie parfaite. Mais la vie parfaite peut exister même dans le monde, elle n'est pas forcément vie religieuse. Celle-ci est « l’état de perfection », c’est-à-dire la vie parfaite organisée, et comprenant certains éléments spéciaux ; il y a lieu de dire un mot de chacun d’eux. Rappelons d’abord que la vie religieuse n’est pas distincte de la vie chrétienne ; elle n’est pas quelque chose de nouveau et de surajouté au christianisme; elle en est un état, la condition achevée et comme l’épanouissement. Cet état n’est pas purement intérieur, mais il est aussi de caractère visible et externe. — Π implique une stabilité, une permanence de droit et légale. — La vie religieuse est instituée en vue de la perfection personnelle, au moins premièrement. — On y entre par une résolution et une démarche personnelle. — Et cette obli­ gation est contractée en des termes précis, sous forme extérieure et visible, de façon saisissable par l’Église. Elle est contractée en vue du bien surajouté aux préceptes, c’est-à-dire e ; vue des conseils, des œuvres qui préparent, exercent et accroissent la perfection. Les conseils auxquels la vie religieuse nous oblige ne sont pas simplement intérieurs ; ce ne sont pas non plus tous les conseils, mais premièrement les trois grands conseils évangéliques, avec le bien qui est déterminé pour chaque forme de vie religieuse par sa fin propre et sa législation particulière. Pauvreté, chasteté, obéissance (1) : c’est tout à la fois un procédé d'affranchissement par l'immolation des trois grandes convoitises ; une donation à Dieu de l’homme tout entier avec ses biens extérieurs et son corps et son âme; c’est enfin un procédé (1) Cf. D. Guéranger, Règlement du Noviciat (dans le commerce sous le titre: Notions sur la vie religieuse et monastique). Voir aussi : Mgr Gx\',De la vie ri des vertus chrétiennes considérées dans l'état religieuse, t, II, chap, ix-XL I 442 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT d’union à Dieu, car, selon la doctrine des théologiens, les vœux de religion ont, en même temps que le caractère de garantie et de sécurité, celui d’offrande et d'holocauste. Il y aurait beaucoup à dire au sujet des vœux : d’autant que la notion exacte de leur portée et de leur dignité est aujourd’hui souvent méconnue. Le vœu ajoute réellement quelque chose à l’œuvre bonne, et il est un instrument très efficace de perfection : il crée un lien qui, de sa nature, affranchit définitivement celui qui l’émet, tin lien qui, d’intention, fixe la volonté dans le bien promis ; grâce à lui, l’œuvre bonne devient un acte de culte et d’adoration ; et, par le vœu, non seulement le fruit, mais la sève et l’arbre même sont consacrés à Dieu (1). La profession n’est autre chose que l’émission des vœux de religion. Mais, pour que la donation de nous-mêmes par les troix vœux substan­ tiels de religion nous constitue religieux, il faut qu’elle soit, au nom de Dieu, acceptée par l’Église ; et l’Église est en ce cas représentée par le pré­ lat ou toute autre personne compétente. La profession étant, comme nous l’expliquerons, un contrat, l’intervention des deux parties est indispen­ sable. La profession doit être émise et les vœux exercés sous une Règle approuvée par l’Église : celle de saint Basile, de saint Benoît, de saint Augustin, de saint François; à l’une ou l’autre de ces Règles s’ajoutent aujourd’hui des Constitutions. Los Papes ont accorde à quelques Ordres de vivre sous une Règle propre ne se réclamant point de l’une des quatre mentionnées à l’instant. Aujourd’hui, enfin, la vie religieuse requiert, en vertu de dispositions canoniques, la soumission à un supérieur et aussi une vie commune dont l’intimité varie suivant les Ordres. Sans entrer dans les détails de la distinction entre vœux simples et vœux solennels, il est bon pourtant d’en dire un mot. La solennité n’est pas la perpétuité ; car il existe des vœux simples dont la perpétuité est parfaite, et c’est le cas pour nos frères convers. La solennité ne consiste pas davantage dans l’incapacité qu’entraîne le vœu solennel d'accom­ plir les actes contraires au vœu, incapacité qui rend ces actes, non pas seulement illicites, mais nuis et invalides : ce n'est là qu'un élément conséquent. Encore ce caractère n’est-il pas universel, puisque les vœux simples des scholastiques et des coadjuteurs de la Compagnie de Jésus entraînent le même effet d’incapacité. La solennité n’est rien non plus d’intrinsèque au vœu : simple ou solennel, celui-ci oblige devant Dieu et le for interne de la conscience de la même façon et sous les mêmes peines. Elle consiste moins encore dans les cérémonies liturgiques qui accompagnent l’émission des vœux. La solennité est un élément qui appartient au for externe : c’est une efficacité spéciale attachée par Γ Église au vœu qu’elle déclare solennel. Le proîès de vœux solennels (1) Cf, S, Th., H* IIU, q. lxxxviii, a. G, COMMENT PROCÉDER POUR LA RÉCEPTION DES FRÈRES 443 est accepté par l’Église au nom do Dieu et réputé par elle comme con­ sacré d’une façon irrévocable ; c’est l’Église qui constitue la solennité, cpii décide que les vœux émis dans telles ou telles conditions seront simples ou solennels. Par les vœux solennels le religieux est attaché définitivement à l’Ordre; il devient participant de tous ses privilèges comme aussi de toutes scs charges. Mais puisque c’est de la volonté de l’Église que vient la solennité, elle peut dispenser, en tout ou en partie, des obligations qui résultent des vœux solennels ; et elle le fait parfois (1). Les vœux solennels sont de soi perpétuels, et nous ne sommes appelés à les prononcer qu’au bout de trois ans au moins de vœux simples tem­ poraires, et après vingt et un ans accomplis (2). Vota emittantur ad formam Ordinis Benedictini, scilicet de stabilitate conversione morum et obedientia juxta Regulam sancti Patris Benedicti in sensu Constitutionum observandam. Ainsi s’expriment nos Constitutions. La stabilité. H faut se souvenir qu’un des principaux desseins de N. B. Père était de réagir contre les formes défigurées de la vie monas( tique, spécialement contre la gyrovagie. C’était la grande plaie. Encore que perpétuels, les vœux de religion devenaient souvent illusoires, lors­ qu'on se mettait à courir le monde et à changer de monastère au gré du caprice. La législation monastique admettait trop aisément ces change­ ments de monastère (3). Saint Basile, sans méconnaître qu’il existe par­ fois des raisons sérieuses de passer dans une autre maison, pose néan­ moins les principes de la stabilité dans le monastère (4). L'instabilitas est flétrie par Cassien (ô). Saint Césaire d’Arles donne la stabilité comme condition première d'admission : In primis, si guis ad conversionem venerit, ea conditione excipiatur, ut usque ad mortem suam ibi perseveret (6). Le IVe concile œcuménique de Chalcédoine (451 ) avait interdit aux moines de quitter leur monastère sans l'autorisation de l’évêque (7). et le concile d’Agde (006) déclare l’appartenance du religieux à sa maison et à son Abbé (8). Mais il semble bien que saint Benoit ait, le premier, résolu de (1) Voir plus haut, au chapitre xxxin, ce que nous disions du vœu de pauvreté. (2) Le Code de droit canonique, qui donne au caractère de perpétuité du vœu une importance majeure, n’enlève rien à l’excellence du vœu solennel. C’est le vœu solennel, pour n’indiquer ici que ce double avantage, qui constitue l'Ordre religieux et le Ktjuiier; et c’est lui qui, de plein droit, procure aux religieux le bienfait capital del’aemption, en sorte que ce privilège, qui n’était auparavant qu’un fait général,est devenu grâce au nouveau Droit, une loi de l’Église. ; (3) Cfr. Fausti Rhegiensis Sermo VII ad monachos. P. L., LVIII, 885. (-1) Rca. fus., xxxvi, Cf, aussi les ConsiitafÎOTiw monoi/icus, c, xxi. P. G., XXXI. 1393-1102. (5) /ns/., VII, ix, (G) Zi'ej. ad. mon., i ; Reg. ad virg., i. — Cf. aussi la Rlgk de S, Avrélien, l (7) Can. iv. Mansi, t. VII, col. 382. (S) Can. χχχνιιι, Mansi, t. VIII, col. 331. COMMENTAIRE SL’R LA REGLE DE SAINT BENOIT COMMENT lier par un vœu formel le moine au monastère; et dans le texte de la Règle qui énumère les objets de la promesse, le vœu de stabilité tient le premier rang. Stabilité a donc le sens précis d’une permanence dans la famille sur­ naturelle chez laquelle on émet profession, d’une permanence dans le monastère, et non pas seulement le sens général de persévérance dena le bien ou dans la vie religieuse. Ex ilia die non lieeal egredi de monasterio, dit saint Benoît. Dès le Prologue, il avait mentionné rapidement π la persévérance jusqu’à la mort dans le monastère.» ; à la fin du chapitre IV, la clôture monastique avec la stabilité dans l’assemblée des frères était présentée comme l’atelier unique où peuvent être mis en œuvre avec succès les instruments de Fart spirituel. Au chapitre LXI enfin, saint Benoît indique le procédé qu’il faut suivre pour venir en aide aux vic­ times de la gyrovagie, s’il y a espoir de guérison. La stabilité monastique n’est pas la claustration rigoureuse des mo­ niales; elle ne s’oppose ni à une sortie autorisée par l’Abbé, ni même, aujourd’hui du moins, au passage dans une autre maison de la Congré­ gation, lorsque les supérieurs y consentent. Nous vouons la stabilité a selon nos Constitutions » : or, celles-ci prévoient les cas où un moine peut, au moyen d’une déclaration authentique, se stabiliser dans un monastère autre que celui de sa profession : c’est lorsqu’il a quitté régu­ lièrement celui-ci, ou pour son bien personnel, ou pour venir en aide à une communauté, ou pour une fondation nouvelle. Si la stabilité entrait en conflit avec l’obéissance, cette dernière devrait l'emporter; car, encore une fois, la stabilité qu’on avouée n’entraîne point l'inamovibilité absolue. On peut dire quela stabilité consiste dans l’appartenance profonde et durable à une famille, normalement au monastère même de sa profession. La conversion des mœurs. D’une façon générale, c’est l’adieu à la vie de péché, à la vie mondaine, avec direct ion de notre activité vers les choses surnaturelles. Mais nous devons prendre ces termes dans le sens même que l’on y attachait à l’époque de N. B. Père : la conversion des mœurs, c’est la vie religieuse elle-même, considérée dans les éléments sans lesquels elle ne saurait exister, spécialement la chasteté et la pauvreté (l'obéissance aura bientôt sa mention formelle). Ne nous étonnons pas que notre formule de profession ne contienne rien d'explicite sur la pau­ vreté et la chasteté : cette omission est traditionnelle et se retrouve dans les branches diverses de l’Ordre (1). Les Chartreux, les Chanoines réguliers, les Carmes, les Frères-Prêcheurs n’ont pas davantage la men­ tion expresse des trois vœux ; quelques-uns n’ont même que celui d’obéis­ sance (2). Les Basiliens ne font vœu que de chasteté. (1) Cf. Hæpten, 1. IV, tract, vi, disq. vl (2) Cf. S, Th., 1Γ II··, q. clxxxvj, a. 8. PROCÉDER POUR LA RÉCEPTION DES FRÈRES 415 L’obéissance méritait bien d’être l’objet d’un engagement spécial : elle est la forme la plus élevée de la conversion des mœurs ; c’est le sacri­ fice de l’âme et de la volonté ; elle renferme à elle seule toute la vie surnaturclle et toute la vie religieuse. De plus, le dessein bien arrêté de sépa­ rer les cénobites d’avec les anachorètes d’une part, et d’autre part d’avec les sarabaïtes, invitait saint Benoit à faire promettre explicitement l’obéissance. Bernard du Cassin a ingénieusement observé qu’en souli­ gnant ainsi les vœux de stabilité, de conversion des mœurs et d'obéis­ sance, N. B. Père distinguait à la fois ses moines et des gyrovagues par la stabilité, et des sarabaïtes par la conversion des mœurs, et des anachorètes par l’obéissance à un supérieur et à une règle écrite. Nous émettons nos vœux a selon la Règle de saint Benoît, telle que l’interprètent nos Constitutions ». Ceci appelle plusieurs remarques. Nous ne vouons pas tous les conseils, ce qui serait assez malaisé à tenir, puisque certains s’excluent et se contredisent (la pauvreté et l’aumône, par exemple), et que leur nombre est infini. Nous l’avons remarqué déjà : chaque forme de vie religieuse est basée sur l'observance des trois grands conseils substantiels, auxquels s’ajoutent les conseils appropriés au but de l’institut. Par la profession bénédictine, nous nous engageons à vivre selon la Règle de saint Benoît : il ne s’agira donc jamais d’aller faire une cueillette dans les autres Règles, au hasard de nos dévotions. Encore moins avons-nous qualité pour ajouter ou retran­ cher quoi que ce soit, en vue d’une plus grande perfection de la commu­ nauté, à notre Règle et aux Constitutions. Ni l’Abbé, ni le Supérieur général, ni le Chapitre général tout seuls ne les peuvent modifier notablement ; meats et les essayer. Cette vie bénédictine, qui est notre devoir, est aussi notre droit. Même lorsqu’il s’agit des vœux essentiels, — la chasteté mise à part, — l’obéissance et la pauvreté sont comprises et pratiquées dans chaque Ordre de façon un peu spéciale : or, nous avons droit au caractère propre de la Règle bénédictine. Et l’idéal de notre observance demeure attaché à cette compréhension exacte de l’esprit de N. B. Père. Prenons garde néanmoins : car il est si facile à l’égoïsme, à la sottise, à l'illusion, de suggérer à un moine que son supérieur n’a pas la vraie pensée de saint Benoît, ou bien qu’il outrepasse ses droits ! Nous faisons profession de vivre « selon la Règle » : mais dans quelle mesure la Règle nous oblige-t-elle? L’observance fidèle est-elle simple­ ment affaire de logique individuelle, de hante convenance, d’honneur, — ou bien la conscience est-elle engagée et jusqu’à quel point? La question est délicate, complexe et fort pratique. Nous ne pouvons ici que donner quelques conclusions. La Règle religieuse entraîne obligation. — Obligation, et dans les ■Hfl COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT conditions tliéologiqucs ordinaires, pour toutes les prescriptions de droit naturel, de droit divin positif, de droit ecclésiastique qu’elle renferme et qu’elle promulgue à ses sujets. — Obligation de conscience, plus ou moins grave, en tout ce qui constitue la matière des vœux : la violation, en ce cas, ayant malice de sacrilège. Nous ne vouons pas la Règle, sim­ pliciter : autrement, tout ce qu’elle contient serait matière des vœux, mais seulement de vivre secundum Regulam. — Obligation de conscience pour les cas particuliers où la Règle, ou bien le supérieur, prescriraient avec des formules impératives qui en appellent au vœu d’obéissance. Parmi les Règles, il en est qui prennent soin de spécifier quels sont les points qui obligent sous peine de péché mortel ou véniel. D’autres déclarent que, sauf les cas énumérés plus haut, elles n’obligent pas sous peine de péché, sed solum ad poenam laxatam sustinendam. Les autres enfin, et c’est le cas des Règles anciennes, de la nôtre en particulier, ne spécifient rien. H n’était pas dans l’esprit du temps de faire de la casuistique, et il est probable qu’on ne songeait pas qu’il pût s’élever des contestations sur ce point. H y en eut pourtant parmi les théologiens de l’Ordrc (1). Sans entrer dans le vif de la discussion, il faut reconnaître que N. B. Père a prétendu faire de sa Règle autre chose qu’une série de conseils facul­ tatifs de perfection, autre chose même qu’une sorte de règlement de police, qu’un système d’amendes personnelles destiné à nous inspirer par sa rigueur quelque crainte de la transgression. Ses moines ne sont pas des esclaves, obéissant à la menace du fouet ; l’Abbé n’est pas un préfet de discipline. Pratiquement, et quoi qu’il en soit de l’obligation de la Règle par elle-même (2), il est peu d’infractions à cette Règle qui ne deviennent fautes théologiques en vertu d’une malice provenant d’ail­ leurs. Souvent le motif secret qui détermine la transgression revêt une couleur immorale : la paresse, l’orgueil, la gourmandise. Il y a aussi le mépris formel de tel ou tel point de l’observance (3) : mépris qui pourrait constituer une faute grave s’il s’étendait à toute la Règle. De plus, il peut y avoir scandale plus ou moins sérieux, contribution au relâchement de la discipline générale. Les illusions sur tout cela sont faciles, et des habitudes d’inobservance ordinaire se créent aisément, en particulier pour le silence, pour les études, pour la prière : c’est alors qu’on s'engage sur la pente du mépris. 11 faut de la délicatesse de conscience en ces matières, non du scrupule, ni rien d’une rigidité maladroite, qui méconnaît les nuances et cette sage uépikie » dont parlent les moralistes. Surtout, n’oublions pas que la ten(1) Cf. D. Mège, Comment, sur la Règle, Avertissement, p. 3G sq. — J. Rottxer, Margarita coelestis, q. XI, a. n, p. 020 sq. (2) Lire D. Guêranger, Règlement du Noviciat, chap. n. (3) CL S, Th., Il* II**, q. clxxxvi, a, 9, ad 3. COMMENT PROCÉDER POUR LA RÉCEPTION DES FRÈRES *17 dance vers la perfection est pour nous une réelle obligation de conscience et (pie nous l’avons vouée solennellement ; que la Règle est la forme même de cette perfection promise, et que son caractère libéral et discret n’est point une licence donnée à notre égoïsme dose ressaisir en détail. Pour des fil?, il n’est besoin que de savoir ce qu’aime leur Père et ce qu'il attend d'eux. Et si habita secum deliberatione, promiserit se omnia custodire, et cuncta sibi imperata servare, tunc suscipiatur in congregatione, sciens lege Regu­ lae constitutum, quod ei ex illa die non liceat egredi de monasterio, nec collum excutere de sub jugo Regulae, quam sub tam morosa deliberatione licuit ei recusare aut suscipere. Caractère et conséquences de la profession. - Avant même de décrire la profession monastique, saint Benoît indique briève­ ment ce qui se passe lorsque l’épreuve novitiale est achevée et que le candidat s’est décidé : il promet d’observer toute la Règle; il est accueilli dans l’assemblée des frères; et son engagement est irrévo­ cable. N. B. Père marque surtout ici avec force le caractère et les conséquences morales d’un acte auquel le nonce a pu se préparer en toute maturité. Les conséquences relatives aux biens matériels ne seront mentionnées qu’à la fin du chapitre. La profession est un acte sérieux. On a eu du loisir pour y songer et pour délibérer, un loisir notable et largement suffisant, tam morosa deliberatio. On a été invité à peser le pour et le contre, mis en demeure de décliner ou d’accepter le fardeau : licuit recusare aut suscipere. Avant de s'engager, on a examiné une dernière fois la chose dans la région profonde de son âme, habita secum deliberatione. La profession ne res­ semble guère à un acte pour rire, à une petite scène coquettement arrangée, mais ne tirant pas à conséquence ! Elle a principalement le caractère d’une oblation : nous le voyons bien par la formule même qui l’accompagne : Suscipe nie, Domine, par le moment de la Messe où elle s’accomplit, par le texte même de la Règle. Or, selon saint Benoit, cette donationdoit être plénière, engageant l'homme tout entier, dans son être comme dans son agir : au point que N. B. Père fonde sur ce caractère absolu de la donation l'impossibilité pour le moine de posséder ensuite quoi que ce soit : Quibus nec corpora sua nec voluntates licet habere in propria potestate (chap. XXXIII), et dans le dernier para­ graphe du présent chapitre : ... îiec proprii, corporis. C’est un sacrifice 4iS COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT où la victime est consumée toute. Nul ne songe, le jour de sa profession, à faire des réserves, à marchander honteusement avec le Seigneur, à prévoir tel ou tel point de la Règle qui n’obligera pas. Ce jour-là, nous ne prenons pas même de garanties contre les exigences éventuelles et les excès possibles de l’autorité. Ce jour-là, nous disons : « Seigneur, j'écris ma charte en petits caractères, afin que dans le blanc et la marge vous puissiez écrire tout ce que vous voudrez : vous n’êtcs pas de ceux avec qui l’on discute. Vous y mettrez l’inopiné, le douloureux, l’impos­ sible : il n’importe, vous serez obéi ». Notre engagement est ce que nous l’avons fait. Nous aurons à en rendre compte selon sa valeur réelle, et non d’après les atténuations et les adoucissements postérieurs : Ex verbis tuis justificaberis, et ex verbis luis condemnaberis (Matth., χπ, 37). La profession est donc un engagement d’honneur ou plutôt de stricte justice. Quand la parole est donnée, il faut la tenir, — même quand elle est donnée au Dieu vivant. Nous le verrons plus loin, la profession est aussi un contrat et un double contrat : avec Dieu qui nous donne sa rie en échange de la nôtre, avec notre famille monastique qui nous donne part à tous ses biens surnaturels, moyennant promesse de soumission et de fidélité. Venir dire ensuite, pratiquement, que nos contrats ne tiennent pas, c’est se moquer de Dieu, dit saint Benoît, rappelant un mot de l’Apôti e (Gal., vi, 7) : Ut si aliquando aliter jecerit, ab eo se da­ mnandum sciat quem irridet. Enfin, la profession est un acte définitif et irrévocable (1). Avons-nous entendu contracter un engagement résiliable? Et puis, cette apparte­ nance de fame à Dieu et de Dieu à l'âme qu’implique la profession peutelle avoir un caractère de précarité et de temporaire? Quand on aime, on ne prévoit pas le jour où l’on cessera d’aimer. Il y en a pour l'éternité. Saint Benoît avait d’ailleurs un motif spécial d’ajouter la remarque : Sciens... quod ei ex ilia die, etc. Encore une fois, il ne veut pas de ces moines gyrovagues qui vont et viennent à leur gré, ni des sarabaïtes. Et il avertit nettement ceux qui se présentent chez lui des conditions de la vie religieuse qu’on y mène : on ne peut plus sortir, on est stable, on demeure sous le joug d’une Règle (2). le cérémonial de la prgfession. — Après une petite croisade de prières privées et conventuelles (3), on arrive enfin au jour béni de la pro(1) Cf. S. Basil., Reg. jus., xiv. Constitutiones monasticae, c. xxn. P. G„ XXXI, 1401 sq. — S. Joann. Chrysost., Adhorl. Il ad Theodorum lapsum. P. G., XLV1I, 309. — S. Caesar., Reg. ad mon., i. (2) Jugo regulae colla submittentes (Vila Macarii Romani, 2. Vitae Patrum, I. KOSWEYDE. p. 225). (3) Les Coutumes de Cluny portaient déjà : Commendat (Abbas) fratribus ut in orahOTii&us suis recordentur eorum, cl aliquando, si videtur. unum psalmum, post sin­ gulas lltiras in illo die pro cis cantari (Udalr., Consuet. Clun., 1. II, c, xxvi). COMMENT PROCÉDER POUR LA RÉCEPTION DES FRÈRES U9 fession, jour unique pour l'âme, avec celui du baptême et celui de l'entée dans l’éternité. Au chapitre, où le convent s’est rendu après Tierce, le novice se présente pour une dernière pétition et élection (L). Füi, legem nosti sub qua militare vis, scis ad quid ingrederis... Nunc, ecce coram te vestes primi lui saecularis status; ecce sacrae Religionis indumenta : elige coram Deo et sanctis ejus, quaenam ex iis ambit et desiderat anima tuo. Après le choix des habits monastiques, la procession (2) revient à l’oratoire. C’est là qu’aura lieu la profession : saint Benoit l’a réglé ainsi, car elle est éminemment une fonction religieuse et liturgique. Elle alien au cours de la Messe et au moment de l’Offcrtoire. N. B. Père ne le dit point, mais tout porte à croire que tel était bien l’usage de son temps. Remarquons qu’il fait placer la charte « sur l’autel » : sans doute avec les offrandes des fidèles, car, au chapitre suivant, il prescrit que la pétition de l’enfant offert par ses parents soit enveloppée, avec sa main et avec l’oblation (des fidèles), dans la nappe de l’autel : Et cum oblatione ipsam petitionem et manum pueri involvant in palla altaris et sic eum offerant. Le concile d’Aix-la-Chapelle de 817 interprète ainsi le cum oblatione du chapitre LIX. La plus vénérable tradition place la profession pendant le Saint-Sacrifice. Au huitième siècle, saint Théodore de Cantorbéry, dans son Capitulaire, dit que la profession a lieu pendant la Messe que célèbre l’Abbé (3). Même usage à Cluny (4), et en général un peu partout. Les Statuts de Lanfranc laissent au choix de l’Abbé de bénir le moine « avant Γ Introït s’il ne célèbre pas la Messe, ou après ΓÉvangile, qu’il célèbre ou non (5) » ; mais on voit bien par ce qui suit que la seconde manière est plus goûtée. Presque partout, en effet, la profession était émise après l'Évangile ou le Credo, avant lOffertoire. Dans son premier Commen­ taire de la Règle, Pierre Boherius dit cependant que la fonction a lieu post Offertorium (6). A Saint-Maur, la profession venait aussi après l’Offertoire. L’usage de quelques Congrégations modernes est de faire profession en dehors de la Messe; celles qui la font inter Missam sont autorisées, par un décret de 1894, à adopter le cérémonial des Jésuites, lequel consisto (1) Le choix des habits avait lieu aussi à Saint-Maur. (2) Nous chantons alors ce même psaume exxv : In convertendo, que les cinq pre­ miers moines de Solcsmes chantèrent en se rendant de l’église paroissiale au monas­ tère restauré, le H juillet 1833. (3) Selon les anciens canons monastiques, l’Abbé doit célébrer lui-même la Messe, s'il le peut, et recevoir la profession, opérer la « bénédiction · dn moine. Dans la langue liturgique, ce n’est pas une « consécration », car les moines ne font pas partie de la hiérarchie ecclésiastique ; et, d’après S. Denys, c’est aux prêtres qu'il appartient de Jes bénir (De Hierarch, eccl., c. vi). (4) Bernard., Ordo Clun., P. I, c. xx. (5) Cap. in, ap. Martène, De anliq. monach, riL, ζ V, c, iv, co), G4G, — Cf. Ber­ nard., Ordo Clun., P. I, c. xv, xx. (6) Cf, Martène, Comment, p, 7G9, 29 450 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT à émettre ses vœux devant le prêtre tenant la sainte Hostie, immédiate­ ment avant de recevoir la communion (1). Il est permis d’estimer que l’ancien usage est plus profondément symbolique. Avant de décrire la cérémonie de profession, nous devons rechercher ce qu’elle était avant N. B. Père. Les canonistes, distinguant entre pro­ fession tacite et profession expresse, remarquent que la première a été primitivement seule en usage : elle consistait en des actes équivalant à la profession formelle et ayant la valeur d’un engagement. On peut dire que la prise ou la réception de l’habit monastique, et souvent aussi la tonsure, ont suffi, dans les premiers siècles, pour constituer un religieux ou une moniale ; les ermites faisaient profession plus simplement encore ; ordinairement on faisait en sorte de recevoir l’habit des mains d’un ancien. Parfois même, une moniale illustre le donnait à un homme : c’est ainsi qu’Évagrc du Pont le reçut de Mélanie l’Ancienne (2). La tradition de l’habit religieux chez les moines fut sans doute de bonne heure accompagnée de prières et entourée d’une certaine solennité ; mais nous sommes à son sujet moins bien renseignés que sur la velatio et la consecratio virginum, dont la liturgie est très ancienne. Saint Pacôme dit seulement qu’après les épreuves préliminaires le candidat sera remis aux frères : Tunc nudabunt eum vestimentis saecularibus et induent habitu monachorum, tradentque ostiario, ut orationis tempore adducat eum in conspectum omnium fratrum; sedebitque in loco in quo ei praeceptum fuerit (3). Saint Nil ne fournit qu’une indication par trop sommaire lors­ qu’il dit : Quando igitur monachorum venerandum habitum induisti? Quis Abbas, bona dicens verba, manum apposuit (4)? 11 est difficile de déterminer le cérémonial usité chez saint Basile. Il y avait des témoms. Il y avait des interrogations posées au novice, et une profession clara et perspicua. Il y avait sans doute aussi une formule consacrée (5). Quant à la promesse écrite, le plus ancien spécimen que nous en ayons (6) est, paraît-il, l'engagement que fit signer à ses moines Schenoudi d’Atripé, dans la Haute-Thébaïde (]· 452) (7). Saint Isidore demande lui aussi (1) Rapprocher cet usage de celui qui se trouve mentionné dans le Liber ordinum de la liturgie mozarabe, édité par D. Fêp.otin ; le témoignage est au moins du onzième siècle, mais probablement plus ancien. Il est dit (col. 85-86) qu’après la profession du conversus non cénobite, et les prières étant achevées, datur ei sancta communio; ponr le cénobite, même rituel, sauf que; après la communion, tola jam explicita missa, il dépose sa charte et chante le Suscipe me. (2) Pallad., Hist. Laus., c. lxxxyi. Rosweyde, p. 764. (3) Reg., xux. (4) Epist., 1. II. Ep. XCVI. P. G., LXXIX. 243. (5) S. Basil., Reg. fus., xn, xiv, xv. Epist. CXCIX (P. G., XXXII, 719). Reg. brev., IL (G) Dans un sermon attribué à Fauste de Riez (Ve s.) il est fait mention du chiro­ graphum de quo se monachus debitum ex tota fide promiserit implere (P. L., LVIII, 875). (7) Le voici, d’après le texte copte et la traduction allemande de Leipoldt (Schenute von Atripe, p. 109, 195-196) : * Convention. Chacun s’exprimera ainsi : Je m’en­ gage devant Dieu, en son saint lieu, selon qu’en témoigne la parole que prononce ma COMMENT PROCÉDER POUR LA RÉCEPTION DES FRÈRES 451 un écrit et Mabillon a cité une formule de ce pactum (1). Même usage chez saint Fructueux (septième siècle) (2). Quoi qu’il en soit des coutumes dont s’est inspiré saint Benoît, et des coïncidences qui existent, par exemple, entre le cérémonial bénédictin et celui que donne saint Dcnys au chapitre vi de sa Hiérarchie ecclésias­ tique, il est incontestable que N. B. Père a fait ici encore œuvre profon­ dément originale. Il a organisé, il a défini, il a fait delà profession monas­ tique un acte juridique complet et très solenneL Nous reconnaissons là le Romain, le Romain de haute et forte race. Ce fut la disposition com­ mune de tous les peuples, et en particulier des Hébreux, d’entourer les contrats de garanties, d’actes symboliques, de témoins, afin d’en bien déterminer le sens et d’en assurer l’exécution fidèle; mais nulle part plus qu’à Rome les actes publics et privés n’étaient accompagnés d'un luxe de formes, dont la scrupuleuse observation engageait sous peine de nullité. La nécessité de réagir contre l’inconstance des sarabaïtes et des gyrovagucs s’allia à ces dispositions de race pour dicter à N. B. Père son cérémonial (3). La profession bénédictine est donc surtout un contrai, un contrat bilatéral, passé entre le novice d’une part, Dieu et les frères d’autre part : je me donne tout entier et à jamais à Dieu et à l’Ordre monastique, pour que Dieu et l’Ordre monastique m’admettent à leur communion, me mettent en possession de leur vie. C’est une adoption dans la famille de Dieu : celui qui se présente s’appelle suscipiendus; il se donne pour être reçu et accueilli : et le fait de la réception le rend fils de la famille. % Suscipiendus autem, in oratorio coram omnibus promittat de stabilitate sua, et conversione morum suorum, et obedientia, coram Deo et Sanctis ejus, ut si aliquando aliter fecerit, ab eo se damnandum sciat quem irridet. De qua promissione sua faciat bouche : je no veux souiller mon corps d’aucune manière, je ne veux pas voler, je n > veux pas me parjurer, je ne veux pas mentir, je ne veux pas faire le mal en secret. Si je transgresse ce à quoi je me suis engagé, dans ce cas je ne veux pas entrer dans le royaume du ciel ; car je le vois bien, à cause de la convention que j'ai formulée devant lui, Dieu ruinerait mon Sme et mon corps dans la géhenne de feu, parve que j’aurai.* transgressé la convention que j’avais formulée. · (Cf. Ladevzb, Etude sur le cénobi­ tisme pakhomien pendant le IVe siècle et la première moitié du P·, p. 208,314 et suiv, Du même : C. R. de l’étude de Leuoldt dans la Revue ddlist. ecclès., t, VH, p. 76 et suiv.) (1) S. IsrooRi Reg., rv. — Mabillon, ânnales O. S. B., 1. ΧΠ, xi.n. T. I, p, 332, (2) Reg., xxu : voir une formule de ce pacte dans la P, L, LXXXV1I,1127 eq, (3) D. Rotrenhâusï.er, Zur Aufwihmeordnung der Regula S. Iknciidi, fait d’ingénieux rapprochements entre les dispositions de ce passage de la Règle et les coutumes juridiques du temps. COMMENTAIRE SUR LA REGLE DE SAINT BENOIT politionem ad nomen Sanctorum quorum reliquiae ibi sunt, et Abbatis praesentis. Quam petitionem manu sua scribat : aut certe, si non scit litteras, alter ab eo rogatus scribat; et ille novitius signum faciat, et manu sua eam super altare ponat. Quam dum posuerit, incipiat ipse novitius mox hunc versum : Suscipe me, Domine, secundum eloquium tuum, el vicam :et II non confundas me ab exspectatione mea. Quem versum omnis congregatio tertio respondeat, adjungentes « Gloria Patri ». Tunc ipse frater novitius prosternatur singulorum pedibus, ut orent pro eo, et jam ex illa hora in congregatione reputetur. H Un contrat, un acte public tel que la profession exige des témoins. Il y a des témoins au ciel : coram Deo el Sanctis ejus;U. y en a sur la terre : l’Abbé, les frères, tous les fidèles présents. Rien ne se fera en cachette. Mais tout d’abord, selon not’e usage, le candidat est interrogé solen­ nellement sur ses dispositions vis-à-vis des engagemt nts qu’il va con­ tracter. Les choses se passent de même avant le baptême, avant la con­ sécration épiscopale. Promittat de stabilitate sua (1). 11 y a eu des examens, des scrutins préliminaires, durant l’année de noviciat : mais il en faut un définitif. Le candidat répond par une série de Vote à des questions précises et nettes. Cette promesse orale est aujourd’hui complétée par la lecture de la charte. Car il y a une charte, ce que saint Benoît appelle la petitio, une garantie juridique nouvelle, suppléant à ce que les paroles ont nécessairement de fugitif. N. B. Père veille à ce qu’elle constitue un instrument en bonne et due forme. — Elle est écrite de la main même du candidat. S’il ne sait pas écrire, il devra prier l’un de ses frères de l’écrire en son nom. — Elle est située. L’expression «faire pétition au nom des saints dont les reliques sont dans le monastère» signifie sans doute qu’on prend pour témoins et garants les saints de l’abbaye, ceux qui font plus spécialement partie de la famille monastique, qui sont plus présents, qui sont des protecteurs attitrés. Mais c’est du même coup situer la profession aux yeux de Dieu et des (1) Peut-être même la promissio chez saint Benoît se faisait-elle (comme chez les Grecs : ci S. Denys, De Hier, cccl, c. vi. — Euco'.oge <1 s Grecs, td Goar (1647), p 469, 477 et suiv.) sous forme d’interrogatoire. Cf. D Rothenhacsler Zur Au/· nahmeordnvng der Regula S. Benedicti, p. 3 — L'admonition de notre Cérémonial, Dominus nos'er Jésus Christus, et l'interrogatoire qui suit sont empruntés au rituel ancien de l’Abbé Orderisius du Mont-Cassin (Martène, De ant m >nach rit. 1 V, c iv. col 640). Suivent quatre splendides oraisons, qui se tro .vint dans le Sacramentaire Grégorien : Ordo ad faciendum monachum. COMMENT PROCEDER POUR LA RÉCEPTION DES FRÈRES «i bienheureux, et même aux yeux des hommes ; car, selon la pensée de nos pères, de même qu’il n’y a pas de monastère sans église, il n’y a pas non plus d’église sans reliques : un monastère est le monastère riche do telles et telles reliques. — Elle est datée, datée surtout par le nom do l’Abbé présent, de l’Abbé d’alors, cl Abbatis praesentis; c'est sous le gou­ vernement de tel Abbé que cette profession a été émise. — Elle est signée. Le novice y met un signe ou le signe : ce qui indique non pas forcément le nom, la signature, mais peut-être un signe conventionnel quelconque, adopté par chacun pour l’attestation de ses actes privés et que pou­ vaient tracer les illettrés eux-mêmes. Le « signe » par excellence, très employé jadis comme signature, c'est la croix. On a signé longtemps la charte de profession par une simple croix; il en est encore ainsi dans la plupart des Congrégations de notre Ordre. Pourtant, il y a dans l'anti­ quité monastique quelques cas de signatures avec le nom (1). Hildemar dit que le novice doit écrire son nom, ou bien, si non s: il Ultras, tracer le signe de la croix en présence des frères (2). C’est sur l’autel même, sur la pierre où s’offre et s’immole NotrcSeigncur Jésus-Christ, que le novice, même s'il est laïc, signe sa charte de profession. Et saint Benoît veut que, de sa propre main, il l’y dépose. Désormais, la promesse et l’offrande du novice sont choses sacrées. En lin, pour que la pétition résiste davantage à l’usure du temps, nous l’écrivons sur parchemin, comme tous les actes ecclésiastiques très importants. Selon N. B. Père lui-même, on la conservera aux archives du monastère, et on ne la rendra jamais au moine (3). Quam dum posuerit, incipiat ipse novitius mox hunc versum : Suscipe me. Apres toutes les garanties juridiques dont nous avons parlé, vient une prière destinée à en assurer l’efficacité. N. B. Père, qui connaissait à fond le Psautier, n’a pas trouvé de formule plus opportune que ce simple verset du psaume cxvin. Le novice est debout, en face de Dieu. Successivement il s’adresse à chacune des trois Personnes divines. Et le sens général de sa prière, chantée et rendue plus expressive encore par les gestes liturgiques, est sans doute celui d’une affirmation suprême de l’oblation, mais surtout une humble et confiante demande d’acceptation. Après avoir accompli tout ce qui est en son pouvoir, le novice supplie le Seigneur de remplir à son tour les engage- (1) Cf. IIæeten, 1. IV, tract, v, disq. VI. (2) Nos frères convers signent d’une croix. Les pères de chœur (depuis le 15 août 1840) ajoutent leur nom au-dessous de la croix. Afin qu’aucune supercherie ne soit possible et pour que le fait de la profession soit certifié d’une manière irri frrg?! !··, nous avons emprunté à Saint-Maur Γusage de faire suivre la formule de profession d'un acte dans lequel l’Abbé atteste ce qui s'est passé. (3) Alors q.i’on remettait à l'affranchi l’acte de vente : Cf. D. Rotuesiuusi.br, op. cil., p. 16, note 2. 454 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT ments qu’entraîne pour lui le contrat. Ces engagements, c’est de rece­ voir, c’est d’accueillir. Dieu a donné sa parole ; sa fidélité est engagée. Le novice est sûr que Dieu ne se dérobera pas, il ne se défie pas de lui, il ne prend pas de précautions contre lui. Mais, le front dans la poussière, il lui demande qu’il en soit bien ainsi et qu’il daigne le prendre pour fils. Si nous nous dérobons nous-mêmes, le contrat est violé et sans fruit : Dieu est joué, et nous déçus et frustrés. C’est donc, au fond, contre sa propre fragilité que le novice entend se prémunir : Suscipe me, Domine, secundum eloquium tuum, et vivam : el non confundas me al) exspectatione mea. Faites que je sois réellement « donné » et « reçu », vraiment reçu parce que vraiment donné, et que l’un et l’autre nous puissions tenir notre parole. Et mon offrande et la vôtre, tout repose entre vos mains bénies. 11 semble que la réponse de Dieu ne tarde pas. Elle a d’abord pour traduction visible l’accueil des frères, l’incorporation à la société des enfants de Dieu. Cette incorporation se manifeste tout aussitôt après le chant du premier Suscipe : car tous les frères le reprennent en chœur ; et ils ne disent point Suscipe eum, mais Suscipe me : il y a donc déjà union vitale ; et c’est, avec le jeune profès, la communauté entière qui présente l’oblation. Toute la tradition a entendu le tertio de la Règle dans le sens d’une triple répétition. Le Suscipe collectif se termine, comme l’a voulu saint Benoît, par la louange au Père, au Fils et au Saint-Esprit ; il n’est pas besoin d’insister sur l’à-propos de cette doxologie. Après des prières conventuelles où sont énumérés les principaux devoirs du profès et sollicitées toutes les grâces qui permettront d’y faire face (1), ont lieu la bénédiction et l’imposition des habits monastiques. La vêture, dont N. B. Père parlera quelques lignes plus bas, s’accomplis­ sait chez lui à l’oratoire, sans doute à la fin de la cérémonie. Les usages ont varié sur ce dernier point ; on l’a rejetée parfois après la Communion. La vêture a toujours été, nous l’avons dit déjà, partie essentielle du céré­ monial de profession ; souvent même elle a suffi à elle seule (2). C’est avant la vêture que nous chantons, comme à Saint-Maur et ailleurs, le Veni Creator : elle est donc spécialement confiée, par appropriation, à la Personne divine qui unit et qui consomme. C’est la prise de posses(1) Remarquer surtout l’oraison Clementissime, que D Guéranger trouvait dans Martè.ve De ant monach. rit., 1. V, c. rv, col. 648-649, et que celui-ci avait empruntée à un ancien rituel d’Aniane. Elle peut remonter à une très haute anti­ quité; elle fait partie d’un Ordo conversorum dans le Liber ordinum de la liturgie mozarabe publié par D. Férotin (col. 83-85). — La Préface qui suit se trouve (sous forme d’oraison) dans l’Ordo romanus d’HrrroRP (De divinis Ecclesiae catholicae officiis, col 155). (2) Quid pelis? Benedictionem habitus mei (Cérémonial de la Congrégation anglaise 0. S. B., Downside, 1908). COMMENT PROCÉDER POUR LA RÉCEPTION DES FRÈRES 455 sion totale par Dieu (1). Aussi chantc-t-on après la vêture l’antienne Confirma hoc, Deus. La vêture est la traduction extérieure de la transformation opérée au dedans : l’homme ancien, l’homme pécheur, a été anéanti; il a fait place à l’homme nouveau, à celui qui vit de Dieu et pour Dieu : nova creatura. C’est la restauration, la réédition et l’achèvement de ce qui s’était fait au baptême; alors aussi on avait donné au néophyte un vêtement spécial et symbolique. Rationabiliter dici potest, remarque saint Thomas. quod per ingressum religionis, aliquis consequatur remissionem omnium peccatorum... Unde legitur in Vitis Patrum quod eamdem gratiam conse­ quuntur religionem intrantes quam consequuntur baptizati (2). La tradition est unanime pour envisager la profession comme un « second baptême «; et chacun aura profit à rechercher les analogies qui existent entre la pro­ fession et le baptême quant aux rites et à la doctrine (3). L'habit monastique signifie l’état d’innocence parfaite et d’enfance spirituelle (4) : Sint ei operimentum peccatorum suorum, dit l’une des oraisons de vêture; il signifie la vie de Notre-Seigneur Jésus-Christ nous pénétrant, nous enveloppant entièrement : Quicumque enim in Christo baptizali estis, Christum induistis (Gal., in, 27) : c’est surtout la coule qui symbolise cette grâce unique et l’appartenance à. la société des parfaits dont on portera désormais les livrées. L’habit est tout ensemble indice de cette appartenance, et procédé, instrument d’iso­ lement du monde, fortisque armatura ac tuta defensio, dit encore le rituel. 11 symbolise enfin (on le voit mieux dans le cérémonial de la consécration des Vierges) l’ornement et la parure de l’âme épouse; car la profession peut aussi être envisagée comme une fête nuptiale. Et de même qu’en remettant la robe blanche au baptisé, l’Église l’in­ vitait à la garder sans tache jusqu’au jour des noces éternelles, l’Abbé demande de même pour le jeune profès : Ad caeleste convivium suavis­ simi Sponsi, Domini Nostri Jesu Christi, perenniter regnaturus, eum nuptiali veste delectabiliter introduci. La tradition monastique veut que le profès garde la coule (et autre- (1) Nous pouvons noter toutefois que l’insertion du Leni Creator à cette place sur­ prend un peu : et historiquement, c’est un usage relativement récent (ci. pourtant les Statuts do Lanfranc : Martêxe. De anl. monach. rit., L V, c. rv, col. 647). (2) o'. Th., IL ID,q. cLxxxix.a. 3. —On lit dans un Sermon attribué à Fauste de Riez : Abrenuntianti publica poenitentia non est necessaria, quia conversus ingemuit et cum Deo aclemum pactum inivit. Ex illo igitur die non memorantur ejus delicta quae gessit in saeculo, in quo facturum se justitiam de reliquo promiserit Deo (P. L, LVIII, 875-876). (3) Cfr. Religiosae Professionis valor salisfaclorius constanti traditione necnon et intrin­ secis praecipuis quibusdam argumentis defensus, auct. Roberto Collette, o. c. — Sur Ιο « nom nouveau » donné aux profès, voir Hæften, L IV, tract vm, disq. n, ni et IV. . . Λ· ri ' (4) Voir Cassien, Inst., I, ni. T( 456 COMMENTAIRE SUR LA REGLE DE SAINT BENOIT fois il demeurait couvert du capuchon) pendant les jours qui suivent immédiatement ce second baptême : ainsi les nouveaux baptisés conservaient-ils quelque temps leurs vêtements blancs et le bonnet ou le bandeau (1). L’Abbé découvrait la tête au temps marqué ; ct toujours comme au baptême, c’était une petite cérémonie liturgique, qui avait lieu d’ordinaire à l’église, après la Messe conventuelle, quelquefois au chapitre. Le Seigneur a donc « adopté » le profès ; celui-ci appartient désormais à la famille de Dieu. Mais la famille de Dieu, c’est, avec la société des trois Personnes, celle des membres de Notre-Seigncur Jésus-Christ, c’est l'Ëglise. Le baptême nous a faits tous« un » dans le Christ ; la profession, à son tour, nous agrège à la société de ceux qui sont spécialement voués à Dieu, et entre lesquels il y a. comme dans la primitive Église, com­ munauté de biens, de prières, de travaux. Le Suscipe me du convent manifestait déjà, nous l'avons dit. cette union ; mais saint Benoît a voulu qu’il y eût un rite formel d'adoption au sein de la famille monastique. Et de même qu’au jour du baptême c'est en devenant enfants de TÉglise que les hommes deviennent enfants de Dieu et HIH 7C“ tmmient à la vie surnaturelle : de même aussi, le jour de la profession, c'est en devenant enfants du monastère qu’ils participent à la vie surnaturelle parfaite. Lorsque le profès a sollicité la prière de l’Abbé et reçu de lui le baiser paternel, les moines viennent tous em­ brasser l’élu, qui leur demande, selon le texte même de la sainte Règle, de prier pour lui ; et ils lui répondent un cordial Proficiat (2). Tandis qu’à Saint-Maur et partout ailleurs le profès passait dans les stalles pour cette cérémonie, au Mont-Cassin les frères venaient à lui, et c’est à genoux qu'on se donnait la paix, pour bien marquer le respect surnaturel et la sainte tendresse de tous ces consacrés. Tel est aussi notre usage (3). La profession est achevée. Selon le rite attesté par les plus anciens documents, par exemple chez Paul Diacre et Hildemar, le néophyte se prosterne devant l’autel, « tout enveloppé » dans sa coule, notent des (1) Ci. Théodore de Cantorbéry, Poenilent., in. P. L., XCIX, 928. — Paul Diacre (Comm, in cap. lviii) y tient beaucoup et parle de huit jours. Le concile d’Aixla-Chapelle de 817 prescrit trois jours seulement (cap. xxxv. Mansi, t. XIV, col. 396). (2) On trouve les deux formules : Ora pro me, pater, et Proficiat tibi, /rater, dans un rituel manuscrit de Corbie cité par Martène (De ant. monach. rit., 1. V, c. iv, col, 654 et 1)55). —Quant au baiser de paix, dont ne parle pas saint Benoit, il est mentionné dans la Rt'j'.e du Maître (VIII* s.), dans le Pontifical d’Alet (IXe s. : Martène, De ant. Etc!. rit., 1. Il, c. n. T. Il, coh 454), dans Hildemar, etc. (3) On chante pendant cette cérémonie le psaume xivn, antiphoné par son verset Suscepimus, Deus, cher à saint Benoît (c. lui», et le cxxxn®, le psaume par excellence de la fraternité monastique (lire l’Enarration de S. Augustin sur ce psaume). — Tous deux sont indiqué- au Pontifical, encadrant le Miserere, pour la bénédiction d'un Abbé non profis. COMMENT PROCÉDER POUR LA RÉCEPTION DES FRÈRES 457 rituels, comme celui de Saint-Maur. Mortui estis ct vita vestra est abscondita cum Christo in Deo (Col., nr, 3). Consepidti sumus cum illo per bapt:smum in mortem (Rom., vt, 4). C’est afin de traduire de façon expressive cette idée de mort que la coutume monastique moderne (1) a imaginé d'introduire la cérémonie du drap mortuaire et des cierges allumés. D. Guéranger s’est excusé, dans ses conférences, d’avoir conservé un usage «dont les fidèles tirent quelque édification», mais qu’il reconnais­ sait un peu trop théâtral et susceptible de faire mal comprendre ce qu’a produit réellement la profession. 11 n’y a pas là, en effet, que le cadavre du vieil homme : il y a aussi et surtout un vivant, un renouvelé; il y a une hostie vivante, « une hostie pure, sainte et immaculée », réunie ;·. celle de l’autel, présentée ct acceptée comme elle, enveloppée par b.· diacre dans un même parfum d’encens. Et la Messe continue. Immobile et silencieux comme l'Agneau de Dieu, le jeune profès se laisse immoler et consommer mystiquement pai le Pontife éternel. Ah ! la douce Messe l Ah ! la douce couununion ! Toute la vie monastique devrait ressembler à cette Messe de la pro­ fession. Supplices le rogamus, omnipotens Deus, jube haec perferri, per manus sancti Angeli tui in sublime altare tuum, in conspectu divinae Majestatis tuae... Puis c’est le Pater, un appel à la Tendresse, à la Beauté, à la Pureté incréée, une demande tranquille et complète. La sainte com­ munion achève l’illumination baptismale : de même le profès doit, con­ formément à nos plus anciennes coutumes, recevoir le Corps et le Sang du Seigneur ; et, toujours comme les néophytes, il communiera chaque jour de sa période in albis. Enfin le jeune profès est mis officiellement en possession de sa stalle, au chœur. C’est la consécration des droits acquis par la profession ; désormais le moine gardera le rang que celle-ci lui assigne. Sa vraie place est donc maintenant au chœur : c’est pour la Louange qu’il a été choisi et bénit. A la moniale, le Prélat fait meme une tradition solennelle du livre de l’< ffice divin. Cependant, notre Cérémonial, d’accord une fois de plus avec la tra­ dition, veut que pendant trois jours le néophyte ne remplisse seul aucune fonction du chœur. Autrefois même, il gardait un complet silence, caché nuit et jour dans sa coule, s’entretenant avec le Seigneur (2). (1) Par exemple, le rituel de Saiut-Maur de 1666. H faut reconnaître que chei Paul Diacre on chantait sur le profès le Miserere, le De profundis ct, ajoute ce com­ mentateur, caeleros psalmos qui ad hoc pertinent. Voir aussi Hildemar, tn h. I. — Nous chantons les Litanies des saints et elles sont prescrites auss par les rituels d’autres Congrégations C’est une imitation de ce qui se fait aux ordina i «as et lors de la consécration des vierges. Saint Benoît s’était borné à écrire : utorenl pro eo;et il semble que primitivement, ces prières comprirent quelques psaumes puis les lita­ niae la supplicatio litaniae, c’est-à-dire le Kyrie eleison répété, une série de versets et de répons et enfin l’oraison. (Voir Paul Diacre et Hildemar.) (2) Le Cérémonial actuel de la Congrégation anglaise porte encore que, pendant ces trois jours, les je .nés profès ne peuvent s’entretenir qu’avec leur confesseur. COMMENTAIRE SUR LA REGLE DE SAINT BENOIT Res si quas habet, aut eroget prius pauperibus, aut facta solemniter donatione, conferat monasterio, nihil sibi reservans ex omnibus : quippe qui ex illo die nec proprii corporis potestatem se habiturum sciat. Mox ergo in oratorio exuatur rebus propriis quibus vestitus est, et induatur rebus monasterii. Illa autem vestimenta quibus exutus est, reponantur in vestiario conservanda, ut si aliquando, suadente dia­ bolo, consenserit ut egrediatur de monasterio (quod absit), tunc exutus rebus monasterii, projiciatur. Illam tamen petitionem, quam desuper altare Abbas tulit, non recipiat, sed in monasterio reservetur. — Que va faire le moine de scs biens, s’il en a? N. B. Père y pourvoit en terminant le chapitre, et ses prescriptions sont l’écho de l’enseignement des anciens (1). Eroget prius : c’est-à-dire avant la profession, ou l ien avant l’imposi­ tion des vêtements monastiques dont il sera parlé bientôt. De ses biens présents, de ses biens futurs, le candidat peut et doit disposer librement. Il a le choix entre les bénéficiaires : on ne lui demande (pie de rendre sa désappropriation complète et définitive, sans se rien réserver ni au dedans ni au dehors, sans s’assurer le bénéfice de petites pensions. Toutes les Règles monastiques ont insisté avec force, nous le savons, sur l’incom­ patibilité d’une possession quelconque avec la vraie vie religieuse. Saint Benoît ne dit mot des parents. Il ne semble pas que les anciens fussent très partisans de ces donations à la famille. Saint Césaire, par exemple, s’en explique dans sa deuxième Lettre ad Caesariam Alba­ Dispositions relatives aux biens. ti) Qui si susceptus fuerit, non solum de subsimilia quam intulit, sed etiam nec de seipso ab iUa judicabit hora. Nam si aliquid prius erogavit pauperibus, aut veniens tn cellulam aliquid intulit fratribus, ipsi tamen non est licitum ut aliquid habeat in sua potestate (S. Macar., Reg., xxiv). Et S. Césajre : Vestimenta laîca non ci mutentur nisi antea de facultate sua chartas venditionis suae faciat, sicut Dominus praecepit dicens : ό'ί vis perfectus esse, vade, vende omnia quae habes, da pauperibus, et veni, sequere me. Cate si non vult vendere, donationis chartas, aut parentibus, aut monasterio faciat, dummodo liba sit; et nihil habeat proprium. Si vero pater ejus aut mater vivat et non habet potestatem faciendi : quando illi migraverint, cogatur facere. Quaecumque secum exhibuit Abbati tradat; nihil sibi reservet; et si aliquis de propinquis aliquid trans­ miserit, offerat Abbati. Si ipsi est necessarium, ipso jubente habeat; si illi necesse non est, tn commune redactum cui opus est tribuatur (Reg. ad mon., i ; cf. Reg. ad virg., iv). — Voir aussi : S. Basil., Reg. fus., νπι-ιχ ; Reg. conlr., rv-v. — S. Aug.. Episl. LXXXIII. P. L., XXXIII, 291 sq. — Cass., Inst., IV, in-vi. COMMENT PROCÉDER POUR LA RÉCEPTION DES FRÈRES 159 tissant (1). La profession monastique consacre au Seigneur l'homme tout entier ; ses biens font, en quelque sorte, partie de lui : le meilleur usage qu’en puisse faire le candidat est donc de les offrir tous à Dieu dans la personne de ses pauvres. C’est le conseil formel du Seigneur : Vende... et da pauperibus; et c’est ce à quoi songe d’abord saint Benoit ; aut (roget prius pauperibus. Évidemment, si les parents sont dans le besoin, c’est par eux que devront commencer les largesses. Il est légitime aussi de songer au monastère :1e monastère est de notre parenté, le monas­ tère est pauvre. Aussi N. B. Père, sans prétendre qu’il faille rien réclamer du candidat ou de sa famille, sans négliger d’insinuer ici et au chapitre suivant qu’il faut se comporter en tout ceci avec beaucoup de mesure, est-il moins sévère que Cassien et saint Basile : le premier veut que l’on n’accepte rien du novice, l’autre ne parle que de donation faite aux pauvres et déconseille de rien accepter des parents (2). La tradition monastique s’est conformée à la pensée de N. B. Père et à sa réserve. Il est curieux d’entendre le petit dialogue qui s’engageait, chez Paul Diacre et chez Bildemar, entre l’Abbé et le novice (3). Dans l’usage actuel, une pension durant le noviciat est permise, mais nullement exigée. On peut n’apporter que sa « bonne volonté », comme dit le fondateur de Cluny. La dot des moniales est souvent condition sine qua non de la subsistance du monastère, et cet usage est approuvé par le Saint-Siège. Mais l’Église, tout en reconnaissant aux monastères le droit d’agréer les donations de ceux qui vont faire profession, a tou­ jours pris soin de prévenir toutes manœuvres et conventions simoniaques. Le concile de Trente (4) détermine l’époque où le novice doit disposer de ses biens : c’est deux mois seulement avant la profession, — deux mois, aujourd’hui, avant la profession solennelle. La donation prescrite par saint Benoît semblerait, d’après la Règle, avoir lieu au cours même de la cérémonie de profession. Mais le texte peut s’entendre autrement. Il n’est pas impossible d’ailleurs que, toutes choses ayant été réglées d’avance, on affirmât solennellement, an cours de la profession, vouloir disposer de ses biens de telle et telle manière ; peut-être faut-il entendre ainsi un passage de la Régi? du Maître (ô). (1) P. L., LXVII, 1133. (2) Ueg. fus., ix : Reg. brev., ccciv. — Cass., 7ns/., IV, rv. (3) L’Abbé ayant rappelé au novice le Vende onmia tua : Si ille dixerit : quia fn hoc monasterio volo tribuere; tunc dicat illi Abba : Frater, Deo adjuvante, nobis non est necessaria tua res; eo quod nostra indigentia habemus unde suppleatur. Sunt enim alii pauperiores nobis, aut etiam monasteria, vel certe parentes tui forte plus sunt pauperes quam nos, et ideo melius est ut pro merccde illis tribuas qui plus indigeni quam nobis. Si autem ille dixerit : quia volo pro mercede animae meae magis in hoc monasterio tri­ buere quam alteri dare: tunc donare debet rem suam aut pauperibus aut in monasterium (Pauli Diac. Comm in cap. lvhi). (4) S ss. XXV. De Regularibus et monialibus, c, xvl (5) Cap. lxxaix. ■ 1 460 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT Saint Benoît demande que, s’il s’agit, de donation au monastère, elle se fasse dans les formes juridiques reçues, afin qu’il conste clairement de l’intention du donateur, afin que l'appui de la loi soit assuré, afin qu’on puisse défendre le monastère contre les évictions et les procès. Le Maître veut que l’acte de donation, dressé lors de l’entrée du candidat, soit contresigné par les religieux témoins, l’évêque, le prêtre, le diacre, les clercs du lieu, et déposé sur l’autel (1). D. Alartène a établi que ce fait de placer sur l’autel les chartes de donation n’est pas un cas isolé (2) ; il nous reste quelques-unes des formules employées (3). Xihil sibi reser­ vans... : saint Benoît s’était déjà exprimé à peu près dans les mêmes termes au chapitre ΧΧΧΙΙΓ, et nous avons alors expliqué sa pensée. Mox ergo... Afin de réaliser complètement et de traduire à l’extérieur cette incapacité foncière, le nouveau profès est dépouillé, dans l’oratoire même, de ses vêtements séculiers et revêtu de ceux du monastère. Par conséquent, le noviciat se faisait bien, au temps de saint Benoît, sous l’habit séculier, comme nous l’avons noté plus haut. Saint Benoît utilise ici encore des textes de saint Pacôme et de Cassien (4); comme eux, il veut que les vêtements du siècle soient déposés au vestiaire. Sans doute ils. ne demeureront pas en réserve indéfiniment, car, en cas de désertion, on pouvait aisément leur trouver un équivalent. Ces sorties du monastère, en dépit du vœu de stabilité, se produisaient alors assez souvent pour que saint Benoît ait songé à déterminer com­ bien de fois on consentirait à recevoir celui qui est sorti ou qui a été rejeté par sa faute (chap. XXIX). Pour certaines natures violentes, la tenta­ tion était assez forte pour qu’on prît contre elles des précautions utiles. H n’est pas rare de rencontrer dans les anciens rituels de profession la demande que les candidats adressent à l’Abbé de les verrouiller soli(1) Cap. lxxxvh, lxxxlx. Lorsque le frère dépose son acte sur l’autel, il doit dire : Eccc, Domine, cum anima mea cl paupertate mea, quidquid mihi donasti libi reconsigno el offero, cl ibi volo ul sini res meae ubi fuerit cor meum et anima mea : sub potestate tamen monasterii cl Abbatis, quem mihi, Domine, in vice tua timendum praeponis..., unde quia per eum nobis tu omnia necessaria cogitas, ideo nihil nos oportet peculiare habere, quia tu nobis de omnibus es idoneus et in omnibus sufficis solus; ul jam nobis vivere et spes Christus sil et mori lucrum. (2) Comment tu h. L (3) Par exemple, celle que cite De Rozière dans son Recueil général des formules usitées dans ΓEmpire des Francs du Ve au Xe siècle I' P., n* exeni). (4) Tunc nudabunt eum vestimentis saecularibus el induent habitu monachorum... Vestimenta autem quae secum detulerat, accipient qui huic rei praepositi sunt, et inferent m repositorium et erunt in potestate principis monasterii (S. Pach., Reg., xlix). — In concilio fratrum productus m medium exuatur propriis, ac per manus Abbatis induatur monasterii vestimentis... Illa tero quae deposuil vestimenta oeconomo consignata tamdiu reseciantur donec profectus cl conversationis ejus ac tolerantiae virtutem... evidenter agnoscant. El siquidem posse eum inibi durare tempore procedente perspexerint..., indi­ gentibus eadem largiuntur. Sin vero..., exuentes eum monasterii quibus indutus fuerat vestimentis el rercstiiuni antiquis quae fuerant sequestrata depellunt... Deposita monasterii veiU pellatur (Cass., Inst., IV, v-vx). COMMENT PROCÉDER POUR LÀ RECEPTION DES FRÈRES 4M dement le jour où le diable les solliciterait à quitter le monastère, ou de les ramener de force s’ils ont déserté. LWbbé avait à sa disposition un code pénal et des prisons. Mais N. B. Père n'a point p.escrit de con­ trainte ni de coercition contre le fugitif; pourtant, il ne lui laisse pas emporter, on ne sait où, le vêtement de la sainte profession ; le fuyard n'y a plus droit ; le porter dans le siècle ferait scandale; et saint Benoit veut, éviter aussi qu’il se prévale de son habit, comme les gyrovagucs, pour être accueilli dans un autre monastère. Le Droit car.on a fixé la discipline relative aux expulsés et aux sécularisés; il a conservé la règle monastique qui leur interdit le port de l’habit religieux. On rend donc, dit saint Benoît, la vieille dépouille séculiè.e : mai; on ne rendra jamais cette chose que le déserteur vmdrait peut-être emporter ou lacérer : sa charte, sa charte recueillie par l’Abbé sur l’autel du Seigneur, et qui témoignera éternellement en faveur des droits de Dieu, contre le violateur du contrat. DE L OBLATION DES FILS DE NOBLES OU DE PAUVRES Le chapitre précédent décrivait la réception des adultes ; celui-ci nous parle de la réception des enfants. Il no s’agit point des enfants accueillis dans le monastère comme alumni temporaires, à dessein d’y faire leur éducation, mais bien des enfants donnés pour jamais et consacrés à la vie religieuse. Ces dispositions de la Règle n’ont plus aujourd’hui d’ap­ plication, la discipline ancienne ayant été modifiée, et le concile de Trente n’admettant plus comme valides les professions émises avant seize ans accomplis. Mais il importe, pour apprécier sainement la question de fait et la question de droit, la question historique et la question doctrinale, de ne se point laisser décevoir par les préjugés que créent la législation actuelle et surtout la diminution du sens religieux (1). L’usage, pour les parents, de consacrer leurs enfants à Dieu remonte très haut dans l’histoire de l’Ancien Testament. Sans parler de l’oblation extraordinaire d’Abraham, ni même du vœu de Jcphté (Jud., xi), on 11044 sait comment le petit Samuel fut présenté au Temple et consacré par Anne, sa mère (I Reg., i) ; ce fut aussi l’histoire de saint Jean-Baptiste et celle de Notre-Dame. Et même, d’une façon générale, c’était une loi chez les Juifs que le premier-né appartînt au Seigneur, à moins qu’il ne fût «racheté» par ses parents. D’autre part, les droits du père de famille étaient quasi souverains dans la société antique. L’apôtre saint Paul expose tranquillement les droits que possède le père à marier sa fille, s’il le veut, ou bien à la consacrer au Seigneur : Nam qui statuit in corde suo firmus, non habens necessitatem, potestatem autem habens suae volun­ tatis, et hoc judicavit in corde suo servare virginem suam, bene jacit (I Cor., vn, 37). Vouer sa fille à la virginité ne semble pas à l’Apôtre constituer un attentat à la vraie liberté individuelle ; c’est un esclavage que ne pouvait redouter beaucoup celui qui osait conseiller aux esclaves chré­ tiens de demeurer dans leur état, qu’au lieu de rechercher l’affranchis(1) Lire, avec les divers Commentaires, Ménard, Concord. fiegul., in h. I -" Mabillon, Acta SS. O. S. B., Saec. IV, P. IÏ, Praef., 199 ; Saec. VI, L IV, tract r. — P. I. Praef., 3636. Vetera Analecta, p. 155-158. — Thomassin, Ancienne et nouvelle discipline de Γ Eglise, P, 1, L III, chap, lvi-lix. DE L’OBLATION DES FILS DE NOBLES OU DE PAUVRES »A3 pernent il fallait plutôt servir avec conscience et avec cœur : Servus vocatus es? non sit tibi curae; sed et si potes fieri liber, magis utere (I Con., νπ, 21). Servi, obedite dominis camalilnts cum timore et tre­ more, in simplicitate cordis vestri, sicut Christo,... cum bona voluntate servientes, sicut Domino et non hominibus (Ephes., vi, 5, 7). Il semblait tout naturel aux premiers chrétiens d’oflr'ir leurs enfants aux monastères. C’est un usage « qu’on trouve un peu partout en Egypte, en Thébaïde, en Palestine, en Syrie et en Asie Mineure », dit l’auteur des Moines (TOrient, qui cite plusieurs témoignages intéressants (L). Sans doute il y eut parfois des abus et des inconvénients dans ces pro­ fessions précoces, car saint Basile, tout en maintenant le principe de l’admission des enfants, exige qu'on no leur fasse émettre profession qu’à l’âge où ils pourront agir en toute connaissance et liberté (2). Saint Benoît, qui s’est inspiré pour plus d’un point de cette page célèbre sur l’accueil et l’éducation des enfants, n’a pas néanmoins accepté tout en bloc ; et spécialement il n’a pas cru devoir adopter la réserve de saint Basile au sujet de l’âge de la profession ni s’écarter de la coutume occi­ dentale. En Occident, en effet, et bien avant N. B. Père, des parents enga­ geaient leurs petits enfants dans une vie religieuse perpétuelle. lin passage d’une lettre de saint Augustin, cité par Thomassin (3) en faveur d’une discipline analogue à celle de saint Basile, ne nous parait pas bien concluant. Rien ne prouve non plus que les petites oblates dont parle saint Jérôme dans les lettres citées par le même auteur, no fussent pas consacrées à jamais : Adhuc infantiae involuta pannis, est-il dit d’Asella, et vix annum decimum aetatis excedens, honore futurae heatitudinis consecrata est. Saint Césaire permet aux moniales d’accueillir des filles à partir de six ou sept ans ; et il est à noter qu’il ne s’agit pas seulement d’enfants destinées à recevoir au monastère une bonne éduca­ tion (4). Saint Grégoire de Tours parle de ces oblations et de celles des esclaves par leurs maîtres, comme d’un vieil et commun usage (5). Le Ve concile d’Orléans (549) (6) reconnaît que les filles entrent dans la vie religieuse, ou bien propria voluntate, ou bien offertes par leurs parents ; et le Ier concile de Mâcon (583) excommunie les oblates qui abandonne­ raient le monastère (7). Les enfants voués à la cléricature étaient mis (1) Chap, v, p. 121. (2) Reg. fus., xv. Cf. Reg. contr., vu. (3) Ancienne et nouvelle discipline de l’Eglise, P. I, L III, chap, ιλί, nn xil (4) Reg. ad virg., v. 1 ;. (5) In gloria martyrum, 75. M. G. II. : Script, rer. merov.. t. I. p. 538 In gloria confessorum, 22. M. G. H. : ibid., p. 7G2, De virtutibus 8, Martini, u, 4. M. G. H. : ibid., p. 610-611. i' (6) Can. xix. Mansi, t IX, col. 133. (7) Can, ΧΠ. Mansi, t, IX, col. θ34. 464 COMMENTA IRE SUR LA REGLE DE SAINT BENOIT en demeure, en temps voulu, soit de faire vœu de continence, ce qui leur permettait d’avancer aux Ordres sacrés, soit de prendre femme, ce qui les maintenait dans les Ordres inférieurs (1). Voyons maintenant le texte de la sainte Régie. De filiis nobilium vel pauperum qui offeruntur. — Si quis forte de nobilibus offert filium suum Deo in monasterio, si ipse puer minori aetate est, parentes ejus faciant petitionem quam supra diximus. Et cum oblatione ipsam petitionem et manum pueri invol­ vant in palla altaris, et sic eum offerant. Les nobles dont parle ici N. B. Père, ce sont les riches : il s’est exprimé selon le langage courant ; encore que bien des nobles par naissance soient pauvres, note Hildemar, et des roturiers fortunés. Peut-être saint Benoît Eongeait-il, en écrivant ces lignes, à la démarche d’Eutychius, le père de saint Maur, et de Tertullus, le père de saint Placide (2). Saint Benoît suppose que l’enfant est trop petit pour écrire lui-même sa pétition, c’est-à-dire sa charte. Dans les Coutumes, cette estimation de l’âge oscille entre dix et quatorze ans. C’est aux parents (c’est-à-dire, selon les commentateurs et selon l’usage, au père et à la mère, à la mère, si le père est mort, parfois à d’autres parents ou au tuteur) (3), — c’est aux parents qu’il appartient de promettre pour leur fds stabilité, con­ version des mœurs et obéissance ; c’est à eux que revient le soin de rédi­ ger la pétition quam supra diximus : et ces seuls mots suffiraient pour établir qu’il s’agit d’une vraie profession, d’une profession aussi sérieuse que celle des adultes, et formulée à peu près dans les memes termes (4). La charte est posée sur l’autel avec l’offrande, c’est-à-dire avec le pain et le vin offerts pour le sacrifice, et dont l’enfant lui-même ou ses parents présentaient leur part. Nous sommes donc ici encore à l’oratoire et à la Messe. L’offrande, la pétition et la main de l’enfant sont envelop­ pées dans la « nappe de l’autel ». S’agit-il de ce que nous appelons aujour­ d’hui le corporal, lequel, beaucoup plus ample autre'ois, était probable­ ment l’unique nappe de l’autel? Ou bien s’agit-il, selon l’explication de (1) Condi. III. Carthag. (397), can. χιχ. Mansi, t. III, col. 883. — Tolet. II (527), can. i. Mansi, t. VIII. col. 785. — Fasense III (529), can. i. Mansi, t. VIII, col 726, (2) S. Greg. M., Dial., 1. H, c. ni. 1)111 (3) Cf. Map.têne, Comment in h. I., p. 784. (.4) On trouvera des types de ces pétitions (postérieurs à sa'nt Benoît) dans Mabillon, Vêlera Analecta, p. 155-158; Martène, Comment, m h. L, p. 785 ; L, Delisle, LiUtralure latine cl histoire du moyen âge, p. 9-16 ; etc. ___________________________________ DE L’OBLATION DES FILS DE NOBLES OU DE PAUVRES V65 Paul Diacre, du voile qui enveloppait l’ofîrande (1)? Comme le remarque N. B. Père à la fin du chapitre, il doit y avoir des témoins·, et on trouve leurs nombreuses signatures au bas des chartes qui noua ont été conservées. La même recommandation était faite par saint Basile (3). De rebus autem suis, aut in praesenti petitione promittant sub jurejurando, quia numquam per se, numquam per suspectam personam, nec quolibet modo ei aliquando aliquid dent, aut tribuant occa­ sionem habendi. Vel certe, si hoc facere noluerint, et aliquid offerre voluerint in eleemosynam mona­ sterio pro mercede sua, faciant ex rebus quas dare volunt monasterio donationem, reservato sibi (si ita voluerint) usufructuario. Atque ita omnia obstruan­ tur, ut nulla suspicio remaneat puero, per quam deceptus perire possit (quod absit), quod experi­ mento didicimus. Comme au chapitre LVIII, après les dispositions relatives à la personne, viennent les dispositions relatives aux biens. L’enfant est devenu moine; sa profession est définitive et non simplement provisoire, non fictive ou dans le seul désir des parents. L’enfant est pauvre, absolument pauvre, et pour toujours. Il importe donc de régler la question, non pas de ses biens présents, — il est trop petit pour en posséder, — mais des biens qui ont chance de lui venir un jour de sa famille. Il faut combiner les choses de telle sorte, dit avec énergie saint Benoît, que toute issue vers le monde, à l’occasion de ces biens, lui soit fermée; il faut fermer tout accès à la pensée que ces biens pourraient lui échoir s’il retournait dans le siècle. Si l’oblat pouvait un jour se croire propriétaire à un titre quel­ conque, il courrait risque d’être déçu par ce mirage et de glisser jusqu'à l’apostasie et la perdition (3). A Dieu ne plaise ! s’écrie N. B. Père ; mais nous avons appris par expérience que de tels malheurs arrivent (4). (1) Comment, in h. I. . «j jg bJI (2) Oportet infantes voluntate et consensu parentum, immo ab ipsis parentibus oblatos, sub testimonio plurimorum suscipi; ut omnis occasio maledicti gratia excludatur homi­ num pessimorum (Reg. conir., vu). j (3) Cassien disait du moine qui aurait conservé quelque ressource dans le monde : Sed ubi primum exorta fuerit qualibet occasione commotio, fiducia stipis illius anima­ tum. continuo de monasterio ttlui funda rotante fugiturum (ïnsL, IV, iu). (4) Quod omnimodis observari debere, mullis sunt experimentis frequenter cdoctit 39 466 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT Les infractions à la loi de pauvreté constituent un danger pour tous les moines; mais les conditions mêmes dans lesquelles reniant est voué à la pauvreté exigent que la question pécunaire soit réglée avec une prévoyance spéciale. Les parents s’engagent sous serment, et par une formule qui fait corps avec la pétition susdite, à ne jamais rien donner par eux-mêmes, jamais par personne interposée, d’aucune façon et quoi que ce soit, enfin à ne fournir à l’enfant aucune occasion de posséder : toutes les hypothèses sont épuisées ; N. B. Père s’exprime en juriste. C’est déshériter purement et simplement l’enfant ; telle est la première ligne de conduite que saint Benoît propose aux parents. Il en suggère une autre, mais très discrètement, comme au chapitre précédent pour les adultes. S’ils ne veulent pas, dit-il, agir ainsi, c’est-à-dire jurer que leur fils n’aura jamais part à leur fortune, qu’ils joignent dès maintenant à son oblation quelques biens qui seront comme sa part d’héritage; de même que l’adulte s’offre, s’il lui p’aît, avec ses biens, l’enfant est donné avec ce dont les parents consentent à se dessaisir. Mais ce n’est réelle­ ment qu’une aumône offerte au monastère : pro mercerie sua, en échange de ce que le monastère fait pour leur fils ; ou bien, selon l’interprétation de Paul Diacre et de beaucoup d’autres : pro mercede animae suae, pour le salut et le rachat de leur âme. On aura soin d'établir un acte de donation en bonne et due forme; et les parents se réserveront, s’ils le veulent, l’usufruit des biens abandonnés. Nous avons observé déjà que saint Benoît, saint Basile et Cassien redoutaient ces dons faits au monastère. Similiter autem et pauperiores faciant. Qui vero ex toto nihil habent, simpliciter petitionem faciant, et cum oblatione offerant lilium suum coram te­ stibus. Saint Benoît range les parents des oblats, au point de vue de la fortune, dans trois classes : les nobles ou les riches, ceux qui ont moins de res­ sources, ceux qui ne possèdent rien. Les pauperiores observeront les mêmes prescriptions que les riches. Quant aux pauvres gens, dont les fils sont reçus eux aussi avec empressement et affection, ils devront simplement écrire ou faire écrire la charte, et présenter leur enfant avec Γoffrande du pain et du vin, devant témoins (1). remarquait aussi Cassien. mais à propos des désagréments que peut susciter au monas­ tère l’acceptation des biens du candidat (Inst., IV, iv). (1) Nous savons par le chapitre n que la profession religieuse n’était point inter­ dite aux esclaves. On exigeait sans doute le consentement préalable du maître, ou l’afiranchissement, comme le prescrit le concile de Chalcédoine (451) (can. τν. Mansi, t, Vil, col, 374). Voir aussi la Lettre de Gélase aux évêques de Lucanie (c. xiv. Mansi, DE L’OBLATION DES FILS DE NOBLES OU DE PAUVRES 467 Après X. B. Père, la même ligne de conduite est suivie relativement aux oblats. En Occident, saint Isidore, le Maître et d'autres les admettent (1). Des conciles légifèrent à leur sujet. Le IVe de Tolède par exemple, en 683, décrète : Monachum aut paterna devotio aut propria processio facit; quidquid horum fuerit alligatum, tenebit. Proinde his ad mundum reverti intercludimus aditum et omnem ad sacculum interdicimus regressum (2). Saint Grégoire 11 (715-731), dans une lettre à saint Boniface, déclare (pic l’oblat n’a plus la liberté de se marier (3). S’il y eut, au début du neuvième /iïvle. une tendance à sc rapprocher de la discipline orientale, e'e t (pie des abus s’étaient glissés dans l’usage de l’oblature : certaines famille- y trouvaient un procédé commode pour se débarrasser honnête­ ment d’enfants ma’ingies, boiteux, chétifs, pour caser des cadets sans espoir de situation mondaine. Le relâchement s’introduisait par là dans les monastères. Sans interdire aux parents d’oiïrir les enfants non infirmes, des conciles (par exemple celui d’Aix-la-Chapelle de 817) (4) décrétaient que les oblats confirmeraient leur profession par un acte personnel, lorsqu’ils seraient en âge de l’accomplir. Mais il s’en faut que ces déci­ sions aient été observées partout. Le concile de Worms de 868 (5) oblige encore les oblats à demeurer toujours au monastère; et dans la seconde moitié du neuvième siècle on constate que l’ancien usage a repris le dessus. *JIJi A Clunv, * les oblats étaient nombreux, et les Coutumes fournissent à leur sujet de jolis détails. On les traitait comme de vrais religieux; et s'il était de règle qu’à leur quinzième année ils lussent leur charte et fussent bénits avec tout le cérémonial de la profession des adultes, cela ne prouve aucunement qu’on ne considérât point leur engagement comme irrévocable dès la première heure. C’est même précisément parce qu’ils étaient regardés comme profès qu’on ne leur donnait pas de nou­ veau la coule à quinze ans. On trouve les mêmes usages àFarfa, au Bec et ailleurs (6). La preuve que Cluny entendait bien l’oblature comme créant un lien sérieux et définitif entre l’enfant et le monastère, c’est (pic Cluny ne sc résigna point à laisser le parent de saint Bernard, Robert, t. VIII. (·(■]. 11). S. Basile fReg: fus., xi). Les maîtres offraient parfois leurs esclaves à Dieu ; quelquefois aussi le maître entrant en religion était suivi de ses esclaves (S. Grec. Toron.. In gloria confessorum, 22. M. G. H. : Script, rer. merov., t. L p. 762 virtutibus S. Martini, n, 4. M. G. H. : ibid., p. 610-611. Histor. Franc., x, 29. M. G. II. : ibid., p. 440-442. — Vila S. Romarici, 4 : Mabillon, Jeta SS. 0. S. B., Saee. H. p. 400). (1) S. Avrêlien (Reg. ad mon., xLvn) demande une charte quando aetaie probati fuerint. < ■ ,· '# IKqH (2) Cap xi.lx. Mansi, t X, coL 631. 4i s?,rr ‘ (3) Bp. XIV ad Bonifacium episc., 7. P. L., LXXXIX, 525. (4) Cap. XXXVI. Mansi, t. XIV, col. 396. (5) Can xxii Mansi, t. XV, coL 873. (6) Cf. Martène, De an!, inonach. rit., 1. V, c. v, coL 659 sq. — 463 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT passer à Clairvaux. L’incident est bien connu. On sait qu’il fournit l’oc­ casion de la lettre véhémente placée en tête de la correspondance de saint Bernard, et que le Pape, interrogé, donna raison aux moines noirs. Au fond, saint Bernard ne contestait pas que l’enfant appartînt au Seigneur et à la vie monastique ; mais dans cette affaire, comme dans un cas analogue traité au cours d’une autre lettre (1), il soutenait que l’oblat, devenu grand, pouvait passer librement à la famille religieuse de son choix; surtout, ajoutait-il, lorsqu’elle était plus fervente et de plus stricte observance. Il est probable que Cluny goûta médiocrement l’argumen­ tation du saint Docteur (2). Une fois contestés les effets profonds et juridiques de la profession des oblats, il ne restait plus qu’un pas à faire pour les laisser rentrer à leur gré dans le siècle. Sans doute, Clément III ratifia le décret du IVe concile de Tolède ; mais son successeur, Célestin III, reconnut aux oblats la triste liberté de revenir dans le monde ; et cette discipline pré­ valut peu à peu sur l’ancienne, — ce qui ne prouve aucunement que l'an­ cienne fût abusive, exorbitante, qu’elle vînt d’une fausse interprétation de la sainte Règle, mais simplement, comme on l’a dit, « que la foi des peuples se faisait moins jeune ». C’est avec une âme antique qu’il faut apprécier des usages antiques; c’est avec une âme chrétienne qu’il faut apprécier des dispositions chré­ tiennes. Rappelons-nous d’abord que l’idée de la toute-puissance pater­ nelle, la notion de la patria potestas a certainement influé sur Γoblature. Mais c’est du paganisme?... /Mors, comment se fait-il que ΓAncien et le Nouveau Testament reconnaissent en partie cette discipline et que Γ Église l’ait autorisée et adoptée durant tant de siècles? Il faut bien remarquer que les anathèmes dirigés contre l’oblature se fondent sur une majeure qui aurait grand besoin d’être fortement démontrée et qui ne le sera pas de sitôt, celle-ci : l’homme n’est soumis qu’aux seules lois dont il a librement accepté l’obligation et le fardeau. Nous sommes des créatures, sans l’avoir voulu, des Français, sans l’avoir voulu, des hommes du vingtième siècle, sans l’avoir autrement désiré ; nous sommes devenus chrétiens et nous avons été compromis dans la direction de Dieu, sans qu’on nous ait de nandé notre avis (3). L’homme qui réfléchit reconnaît vite qu’il est un être dont Dieu dispose à son gré, dont Dieu dispose (1) Epût CCCLXXXII. P. L., CLXXXII, 585 sq. (2) Episl. I. P. L., CLXXXII, 67 sq. Epist. CCCLXXXII. P. L., ibid., 585-586: Videat prudentia vestra quid habeat plus vigoris et rationis, utrum illud quod factum est de ipso per alium ipso nesciente, an illud quod sciens et prudens de se ipso fecit... Ego autem dico, quod votum parentum integrum manet, et oblatio eorum non est exinanita, sed cumulata. Nam et idem offertur quod prius oblatum est; et eidem offer­ tur cui prius oblatum est; et quod prius a solis parentibus oblatum fuerat, nunc offertur α filio. (3) Snr cette comparaison entre le baptême des enfants et l’oblature, lire Thon kssiv, Ancienne et nouvelle discipline de l’Eglise, P, I, L III, chap. vi. T, I, co|, 1762-1763, DE L’OBLATION DES FILS DE NOBLES OU DE PAUVRES 41» hû-mêmc, directement ou par des intermédiaires, mais toujours en maître. Au fond, l’inquiétude rétrospective qu’inspire l’oblature ne viendraitelle pas aussi d’une méprise trop répandue sur le vrai caractère delaliberté? La faculté de choisir le mal ou un moindre bien, l’indépendance de la personne vis-à-vis du bien ou du mal, l'individualisme étroit et jaloux, tout cela n’est qu’une diminution de la liberté. La véritable liberté con­ siste dans l’appartenance profonde, dans l'adhésion connue et aimée au bien et à Dieu. Si l'on ne se place pas à ce point de vue, on ne comprend guère l’éducation, qui a précisément pour but de créer en nous le préjugé du bien avant même que nous sachions ce qu’il est. Et ceux qui veulent que tout Français appartienne à l’État plus qu’à la famille, et qu’il soit voué à la formation de l’Université sous peine de déchéance, ne font que retourner à leur usage le procédé qu’ils reprochent à l’Église. Lorsque le sénateur Tertullus offrait à saint Benoît son petit Placide, il ne pensait point faire acte de tyrannie ; il croyait assurer ainsi la sécu­ rité et la vie étemelle de son fils ; et il se persuadait que ni l'enfant, ni Dieu, ne lui reprocheraient un jour sa décision. De fait, la plupart des enfants ainsi offerts adhéraient joyeusement, plus tard, à la profes­ sion émise en leur nom. Ceux qui eussent volontiers repris le chemin du monde, sont-ils beaucoup à plaindre d’avoir été contraints de demeurer chez Dieu? Et au lieu de se laisser hypnotiser par les abus et les défections inévitables qu’a occasionnés l’oblature, ne faut-il pas plutôt bénir une ins­ titution qui a donné des fruits tels que saint Maur et saint Placide, saint Bède le Arénérable, sainte Gertrude et tant d’autres? Nous n’avons donc pas à rougir de ce chapitre LTX. S’il nous eût été appliqué à nous-mêmes, nous n’aurions connu que Dieu, nous n’aurions d’autres souvenirs que lui, nous n’aurions rien à désapprendre : où serait le malheur (1)? (1) C’est à ce chapitre que l’on pourrait rattacher la question des « oblats adultes »: oblats de l’intérieur, qui se donnent au monastère pour y vivre de la vie des moines et sous une règle, avec sans un habit religieux ; oblats de l’extérieur, qui sont comme la frange du vêtement monastique. Ce n'est pas à proprement parler un tiers-ordre ; les oblats appartiennent, comme les moines, au monastère de leur profession. Nous avons dit. en parlant des frères convers, que leur histoire est étroitement liée, dans ses origines, à celle des oblats ; de même, l’histoire des « redus ·. C’est ici encore qu'on pourrait parler des « Écoles monastiques », se divisant, elles aussi, en écoles intérieures et écoles extérieures. Cf. Léon Maître, les Ecoles épis­ copales et monastiques de ΓOccident depuis Charlemagne jusqu'à Philippe-Auguste, 768-1180. — Clerval, les Ecoles de Chartres au moyen âge, — Forée, Histoire de l Abbaye du Bec, t. I, chap, in, iv, vn, xv. CHAPITRE LX } DES PRÊTRES QUI VOUDRAIENT SE FIXER DANS LE MONASTÈRE De SACERDOTIBUS QUI VOLUERINT IN MONASTERIO HABI­ TARE. — Si quis do ordine sacerdotum in monasterio se suscipi rogaverit, non quidem ei citius assen·· tiatur : tamen si omnino perstiterit in hac petitione, sciat se omnem Regulae disciplinam servaturum, nec aliquid ei relaxabitur, ut sit sicut scriptum est : Amice, ad quid venisti? Primitivement, les moines appartenaient, nous l’avons remarqué déjà, à l’ordre laïc. R y avait pourtant quelques prêtres et quelques clercs dans chaque monastère; et N. B. Père leur consacrera tout le chapitre LXII, qui complète les enseignements de celui-ci. Bien loin de s'exclure l’un l’autre, les deux ordres peuvent se coordonner harmonieusement, les deux vies se combiner ; des moines entrent dans la cléricature, et des clercs embrassent la vie monastique ; cette alliance des deux états honore la religion et sanctifie le sacerdoce : ... Monachis et clericis, quorum et sacer­ dotium proposito et propositum ornatur sacerdotio (1). H ne s'agit pour l’instant que de prévoir l’accueil qu’on doit faire à ceux de l’ordre sacerdotal : évêques, prêtres, diacres (2). et à ceux du clergé inférieur (N. B. Père distingue les deux catégories de clercs, dans ce chapitre comme à la fin du suivant), lorsqu’ils demandent à être agrégés au monastère. La vie monastique est distincte de la vie sacerdotale par son but, par son programme, par ses grâces. Nous ne contesterons aucunement que le prêtre séculier doive travailler à sa perfection : ne lui a-t-on pas dit, en lui conférant la dignité sacerdotale : Agnosce quod agis, imitare quad tractas? Et, pour attester que la perfection réalisée n'est pas un mono(1) S. Hieron., Episl. LH ad Népal., 6. P. L., XXII, 532. (2) On peut considérer les diacres comme faisant pa fie tic de cet ordre (Hildemar, in h. L). 470 DES PRÊTRES QUI VOUDRAIENT SE FIXER DANS LE MONASTÈRE «1 polo des cloîtres, qu’il nous suffise de rappeler ici l’exemple du saint curé d’Ars. Nous n'instituerons pas davantage la comparaison fameuse, et souvent mal comprise, entre l’état de perfection acquise, celui des évêques, — et l’état de perfection à acquérir, celui des religieux. Nous ne songeons pas plus à établir des parallèles entre les personnes. Nous parlons doctrine. Or il est certain que la vie religieuse est la vie par­ faite organisée, assurée par la pratique des conseils et des vœux, et que le prêtre lui-même y entre sans déchoir. H est incontestable aussi que l’Église est soucieuse de maintenir et de sauvegarder le droit sacré qu’ont tous ses clercs d’entrer, dès qu’ils le veulent, dans un Ordre actif ou contemplatif. Les évêques, à raison du lien spirituel qui les attache à leur église, ont besoin, pour se faire religieux, de la permission du Souverain Pontife. Quant aux clercs dans les ordres sacrés, ils doivent s’adresser filialement à leur Ordinaire et se concerter avec lui, afin que les âmes ne restent pas en souffrance et sans pas­ teur (1). Même lorsqu’il y a pénurie de prêtres, les évêques ont trop d’esprit surnaturel et trop le sens de la co nui union des saints pour ne pas favoriser les vocations religieuses. S’il est toujours permis à un clerc, à celui qui est déjà ad cleri­ catum conversus, selon l’expression d’anciens conciles, de solliciter son admission dans le monastère pour une « conversion » nouvelle et plus complète : il est loisible aussi au monastère de s’abstenir de tout empressement et de toute hâte à l’accueillir : N cm quidem ei citius assenti(dur. H faut donc se garder de prendre les devants, et ne céder qu'à de longues et pressantes instances : Si omnino perstiterit in hac petitione. Sans se laisser éblouir par l’honneur ou le profit qu’une telle démarche apporte au monastère, il est sage d’éprouver cette vocation tout comme les autres, — plus que les autres, disait Hildemar. Et le même commentateur ajoute, avec Paul Diacre, qu’on faisait passer le prêtre par les mêmes stades qu’un laïc, y compris l'humiliant séjour devant la porte. Mais il est permis de croire qua N. B. Père, si attentif à honorer le prêtre, n’entendait pas le sou­ mettre aux vexations et aux injures qui précédaient ordinairement l'entrée (2). . > Il est facile de justifier, aujourd’hui encore, les appréhensions de la sainte Règle. Dans un grand séminaire, en vue des fonctions et des devoirs de la vie sacerdotale, ce que l’on inculque très habituelle­ ment, c’est l’incomparable dignité du sacerdoce. Le prêtre soutient (1) Voirie canon 542 du Code. β (2) Ctùn autem clericus aliquis ad virum sanctum ut monachis adscrïberp.ur accedebat, ordini quidem cius deferebatur reverentia, quemadmodum divina nobis lex praescribit; quantum vero ad observantiam canonis fratres obligantis a linel, praestabat illam talis aeque ac celeri (Vila S. Pachomii, c. in. Jkfa SS., Maii t. III, p. 303). 47» COMMENTAIRE SUR LA REGLE DE SAINT BENOIT une relation spéciale avec la maternité virginale de Notre-Dame ; le fait d'avoir sur la pesonne du Seigneur autorité et juridiction l’élève audessus des rois et même des anges... C’est exact. Mais nous savons bien aussi que, lorsqu’une dignité surnaturelle nous est conférée, nous avons une singulière facilité à nous établir, non dans l’élément responsabilité et obligation, mais dans l'élément grandeur et privilège. Les religieuses ne manquent jamais de paroles pour re proclamer les é|>ou.*cs de Jàmtl· Christ : il serait téméraire de dire qu’elles font toujours la volonté do leur Époux. Une conscience trop exclusive de notre dignité personcelle incline peu à une vie dont la caractéristique est l'humilité et l'obéis­ sance. Et puis, le prêtre, surtout s’il est un peu âgé. arrive avec une âme tonte formée, un caractère nettement dr.-siné, de- habitude mentale*, parfois même un système. Il est difficile, dans < »·« condition.*, qu’il .-"it laigemontet tranquillement hospitalier à de.· idée et λ de pratiques qui lui sont peu familières et lui paraîtront inopportune*, peut-être inexacte*. Une tendance bien humaine le portera aux critiques; et il cniblera, étant donnée son expérience, n ôtre entré que pour contrer scs frères et pour réformer l'abbaye. La condition du prêtre -cculier e>t de se tenir à distance du monde et dans une attitude de défense : mais la plus lourde faute que l’on puisse commettre dan- la vie monas­ tique est do se garder. Quiconque a le dessein de devenir moine doit con­ sentir à cette complète réédition de soi-même qui réclame l'effacement de la volonté propre. Un long exercice de l'autorité, même très légitime, même surnaturelle, a peut-être fait du prêtre, et à son insu, l’homme qui commande et qui dirige; ou bien l'habitude d’une vie facile, sans gêne, intellectuellement désœuvrée, a peut-être amolli le caractère. Et pour­ tant, il faut, pour réussir, qu’un côté de notre co-ur soit demeuré naïf, simple, affectueux ; il faut retrouver une part d»· jeun»·.-?e vt d·· vaillance I joyeuse. I Mais enfin, si le candidat n’est pas de la trempe d»· ceux que nous venons • de décrire, ou si du moins sa bonne volonté est telle qu’il y ait chance de , réussite, il n’est pas imprudent de le recevoir. Toubfoi dut Benoit ne mentionne pas cet accueil, mais (ait remarquer aus-itôt que le prêtre doit bien savoir, en entrant, qu'il sera tenu à garder toute la discipline de la Règle, sans qu’on la relâche aucunement en sa faveur ; il devra méditer la parole évangélique : u Mon ami, pourquoi êtes-vous venu ici? » N’est-ce pas pour vous sanctifier et pour obéir? Sans doute nous lisons ces paroles en saint Matthieu (xxvi, ÔO), et elles ont été adressées par le Seigneur à Judas; mais on peut croire que sous la plume de N. B. Père le rapprochement et la citation sont purement matériels. Une for• mule équivalente était employée par les Pères du désert lorsqu’ils vou­ laient se rappeler à eux-mêmes la réalité de leur vocation : Propter quid DES PRÊTRES QUI VOUDRAIENT SE FIXER DANS LE MONASTÈRE 4’3 ? Fo demandait souvent saint Arsène (l). Saint L’emard, à qui Von rapporte communément cette apostrophe, n’a donc fait qu’imi­ ter les anciens (2). Concedatur ci tamen post Abbatem stare, et bene­ dicere, aut Missam tenere, si tarnen jusserit ei Abbas; sin alias, nullatenus aliqua praesumat, sciens se di­ sciplinae regulari subditum, et magis humilitatis exempla omnibus det. L’intégrité de la vie monastique étant sauvegardée par les mesures <1 i précèdent, N. B. Père en propose d’autres qui ont pour dessein d honorer le sacerdoce : tout est laissé, du reste, à l’appréciation de l’Abbé. < « i .i-ci peut donner au prêtre (et probablement, dans la pensée de t.ant Benoit, de- son entrée) une place supérieure :« après l’Abbé », p· it-etre même avant le Prieur et les doyens du monastère, s’ils ne sont pas prêtres; s’il y a d’autres prêtres plus anciens, le nouveau venu prend évidemment son rang d’ancienneté monastique. Bencd '·»■. c · -t donner 1« bénédictions régulières au cours de l’office (ou au réfectoire pour le repas et la lecture). Missam (ou dfissos) ten ro’, c’est célébrer la Messe; selon D. Calmet, qui a toute une petite di?--nation sur le sujet, ce pourrait être aussi a présider au chœur et r mer la dernière collecte Pour le reste, les prêtres suivaient le régime de leurs frères du noviciat : car on ne les dispensait pas, sans doute, du noviciat régulier; et il est à noter que saint Benoit ne signale que des pr> ·'ances liturgiques. Selon les coutumes monastiques postérieures, les I ■ -rvs étant d’ailleurs plus nombreux, les novices prêtres étaient parfois l''<·.iit.- à la communion laïque; et lorsque, après leur profession, on les .. < ’ i:·. .-t tait à l’honneur de célébrer, ce n’était pas sans un sérieux examen préalable. ’ r -Λ ■ Quand l’Abbé, dit saint Benoît, ne jugera pas à propos d’autoriser ces exceptions, il ne restera au prêtre que le droit de demeurer dans le rang, sans tenter de rien exercer des fonctions sacrées. H se rap­ pellera «ju’il est soumis à la loi commune ; il possédera dans l'humi­ lité la grâce de son sacerdoce, lui que le sacrifice de l’autel a si souvent rnis en face de l’humilité de Dieu même. N’est-il pas no­ toire que ceux qui reçoivent bien la grâce, la reçoivent de telle 11 ) Verba Seniorum : Vitae Patrum, V, xv, 9. Rosweyde, p. 621. — S. Jean Cum kqi e rite aussi Γ.Ιμπγγ, ad quid venisti? que doit se dire le moine tenté d’insta­ bilité gradus iv. P. G., LXXXVIII, 724). (2) Vita, 1. I, c. iv. P. L., CLXXXV, 23a *74 COMMENTAIRE SUR LA REGLE DE SAINT BENOIT sorte qu’elle leur souligne davantage leur néant? Chaque bienfait de Dieu les surprend. C’est à l’heure même où la maternité divine élève Notre-Dame au-dessus de toute créature, qu’elle se reconnaît seu’ement la petite servante du Seigneur. Plutôt que le spectacle attristant d’une ridicule suffisance, tous attendent donc du prêtre des exemples d’humilité. Si forte ordinationis aut alicujus rei causa fuerit in monasterio, illum locum attendat, quando ingres­ sus est in monasterium, non illum qui ei pro reve­ rentia sacerdotii concessus est. Γ Ce passage est un peu énigmatique et a été très diversement inter­ prété. On peut l’entendre comme il suit : si une charge importante du monastère devient vacante, s’il est question par exemple d’instituer, d’« ordonner » (au sens où saint Benoît prend ce terme) l’Abbé ou le Prieur, le prêtre ne s’imaginera pas que la place lui revient de droit. De même, si quelque autre décision importante doit être prise dans le monastère, ou si le Chapitre délibère sur un point proposé par l’Abbé, le prêtre ne se croira pas l’homme indispensable, ni ne proposera son avis avec le ton d’un maître, sous prétexte qu'il est plus cultivé, plus expéri­ menté que les autres. Saint Benoît calme d’un mot ces mouvements de nature:le prêtre regardera comme sien le rang qu'il aurait dù occuper au chœur et partout dans la communauté, à raison de la date de son entrée, et non pas le rang que l’Abbé lui a librement accordé par respect pour son sacerdoce, et qu’il peut toujours lui retirer. Hormis ces privi­ lèges pévus, il gardera son rang d’ancienneté monastique. N. B. Père le répétera presque dans les mêmes termes au chapitre LXII : Locum vero ilium semper attentat, quo ingressus est monasterium, praeter officium altaris, et si forte electio congregationis et voluntas Abbatis pro vitae merito eum prom vere voluerit. Le conseil n’a pas cessé d'être opportun : se tenir à son rang de profession; n’est-ce pas meme comme une règle générale de spiritualité? Au coms de toute notre vie, et quelques distinctions qui nous honorent, nous devons nous replacer, en face de Dieu, dans la situation qui nous appartient de droit et que nous connaissons bien : la dernière, le néant. Clericorum autem si quis eodem desiderio mona­ sterio sociari voluerit, loco mediocri collocetur, et DES PRÊTRES QUI VOUDRAIENT SE FIXER DANS LE MONASTÈRE «5 ipsum tamen, si promittit de observatione Regulae, vol propria stabilitate. Tout ce qui vient d’être dit du prêtre s’applique, proportion gardée, aux autres clercs. L’Abbé pourra leur donner un rang moyen, c’est-à-dire moins élevé que celui des prêtres et en rapport avec leur situation hiérar­ chique. Mais saint Benoit note encore que l’accueil des clercs, tout commo celui des prêtres, est subordonné à leur promesse d’observer la Règle et (tel) de se stabiliser. 11 n’est pas nécessaire que nous comprenions cette dernière phrase selon l’exégèse, trop matérielle, de Bernard du Gassin : d’après lui, saint Benoît laisserait ici entendre qu’une place de choix n’était accordée aux clercs qu’après leur profession formelle. CHAPITRE LX I COMMENT IL FAUT RECEVOIR LES MOINES ÉTRANGERS De monachis peregrinis qualiter suscipiantur. — Si quis monachus peregrinus de longinquis provin­ ciis supervenerit, si pro hospite voluerit habitare in monasterio, et contentus fuerit consuetudine loci quam invenerit, et non forte superfluitate sua per­ turbat monasterium, sed simpliciter contentus est quod invenerit, suscipiatur quanto tempore cupit. Voici un nouveau procédé de recrutement. Pour bien interpréter ce chapitre, nous devons nous rappeler quelle était la condition des reli­ gieux en Occident au temps de N. B. Père. L’ordre monastique, pris dans son ensemble, ressemblait encore à une nébuleuse non résolue, non définie. Il y avait des moines, des monastères, des coutumes monas­ tiques : mais pas de Congrégation, comme fut plus tard celle de Cluny ; pas encore de règle unique s’imposant à de nombreuses maisons (1); souvent même, dans le monastère, pas d’autre règle que la volonté de l’Abbé : c’est ainsi que saint Romain vivait, nous dit saint Grégoire, sub regula patris Deodati. Même en Orient, où existaient depuis longtemps de véritables fédérations de monastères, avec des règles écrites, la vie religieuse gardait un caractère un peu privé, moins strict, moins officiel que celui des âges postérieurs. Une large porte demeurait ouverte à l’ins­ tabilité : moyennant la bénédiction de son Abbé, on pouvait aisément se mettre en route pour de lointains pèlerinages à des sanctuaires, à des centres monastiques, auprès de saintes gens ; et il était loisible de se fixer là où le régime flattait davantage la ferveur ou la nonchalance. L’auteur des Constitutions monastiques s’élève sinon contre l’instabilité, du moins contre ses abus (2). (1) Ci. Cass., Inst., II, n. (2) Cap. vu et vhl P. G., XXXI, 1365-1370, i COMMENT IL FAUT RECEVOIR LES MOINES ÉTRANGERS 411 Le gyrovague et le sarabaïte réalisaient l'idéal de l'instabilité. H ne semble pas que ce soit d’eux que s’occupe N. B. Père au chapitre LXI. Ces gens-là, facilement reconnaissables, étaient incorrigibles; et saint Benoit trace d’eux, au seuil même de sa Règle, un portrait trop indigné, pour que le monachus peregrinus qu’il accueille ici à bras ouverts soit un gyrovague de profession. Tl est question de moines venant i de pro­ vinces lointaines » : non que les prescriptions suivantes ne visent que ceux-là et soient exclusives des religieux qui viennent de monastères plus proches ; mais parce que saint Benoit réserve pour la fin du cha­ pitre la mention spéciale de ces derniers avec la recommandation qui ks concerne. Nous ne pensons pas qu’il faille prendre à la lettre le texte pro ho­ spite et, un peu plus loin, tempore hospitalitatis. H n’est question nulle part ici du logis des hôtes ; et saint Benoit dit au contraire que le pèle­ rin est reçu in monasterio, ce qui semble décisif. Au reste, tous les détaïs qui suivent montrent bien que le voyageur était admis dans l'intime de la vie monastique, où il pouvait observer et se faire connaître ; et cela même était indispensable pour que N. B. Père pût poursuivre prudem­ ment son dessein misérko dieux de l’agréger à ceux qui sont stables. Nous lisons dans la Vie de saint Benoît (1) que les moines de l’Abbé Ser­ vandus couchaient au Cassin dans le même logis que les frères. Saint Pacôme, après avoir commencé par introduire les moines étrangers dans sa communauté, avait changé de conduite, afin de prévenir des désordres (2). Saint Benoît ne demande au moine ainsi accueilli que de prendre son parti des conditions de la vie nouvelle où le Seigneur l’a conduit : le lever de nuit, l’alimentation, le travail ; on le traite comme un frère, à condition qu’il agisse aimablement et simplement, comme un frère. Si le pèlerin témoignait vouloir vivre d’exceptions et élevait des exigences (superfluitate sud), il n’était plus qu’une cause de trouble : et saint Benoît dira plus loin comment se comporter à son égard. Mais s’il était discret et accommodant, il pouvait être reçu au monastère aussi longtemps qu’il le désirait (3). Si quae tamen rationabiliter et cum humilitate caritatis reprehendit aut ostendit, tractet Abbas pru(1) S. Greg. M., Dial, 1. II, c. xxxv. ___ , (2) Γι/α ô’. Pachom., Acta SS., Maii t. III, p. 307. (3) Il semble que saint Benoit se soit inspiré, très largement, de l'interroga­ tion lxxxvii (Reg. contr.) de S. Basile : Concedi quidem ei convenit ingressum.., Interdum enim potest fieri, ut per tempus proficiat et delectetur sanctitate vitae et per­ maneat in coeptis. I i J COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT denier, ne forte eum propter hoc ipsum Dominus direxerit. Voilà, à coup sûr, l’un des passages où se reflète le plus clairement l’âme humble et discrète de N. B. Père, sa docilité intellectuelle. On peut être très saint et très intelligent, et avoir néanmoins quelque chose à apprendre d’autrui. Moïse était certainement plus élevé en grâce et mieux doué que Jétliro ; il en reçut pourtant un bon conseil (Ex., xvni, 13 sq.) (1). Et notre âme doit être d’autant plus hospitalière pour la pensée d’autrui que nous cessons, nous, d’être apercevant pour les détails de notre propre vie. Ceux de l’extérieur, qui ont fait d’autres expériences et qui ne portent pas le joug familier de notre accoutumance, sont plus aptes à reconnaître nos imperfections. Mais, pour qu’on puisse avec sagesse prêter l’oreille à ces remarques qui nous viennent du dehors, saint Benoît demande premièrement qu’elles soient raisonnables, justifiées objectivement, et, en second lieu, que le procédé soit courtois, sans hauteur ni violence. Cum humilitate caritatis : ce sont les formes sous lesquelles nous avons le plus de chances de rencontrer l’Esprit de Dieu. Reprehendit vise le reproche formel, l’aver­ tissement que telle manière d’agir ne convient pas ; ostendit, l'indication discrète qu’il y aurait heu pour le supérieur d’examiner la chose ou d’agir dans tel ou tel sens. C’est naturellement à l’Abbé qu’un homme sage fera ces communications, et non à ceux qui n’ont point l’autorité néces­ saire pour corriger et gouverner. L’Abbé étudiera prudemment la ques­ tion et sans parti pris ; car, sous le voile de ce moine étranger, c’est peutêtre le Seigneur qui est venu nous avertir ; il est si souvent caché dans les hôtes! I Si vero postea ï'oluerit stabilitatem suam firmare, non renuatur talis voluntas, et maxime, quia tempore hospitalitatis potuit ejus vita dignosci. Quod si su­ perfluus aut vitiosus inventus fuerit tempore hospi­ talitatis, non solum non debet sociari corpori mo­ nasterii (2), verum etiam dicatur ei honeste ut discedat, ne ejus miseria etiam alii vitientur. Nous pouvons réunir la première plirase à l’ime des suivantes qui com­ mence par les mots Quod si non luerit talis, et réserver le commentaire. r (1) S. Aug., De Dodrina thrisL, praet, 7. P. L., XXXIV, 18. (2) Vne réminiscence verbale de S. Basile : ... Quan sociari voluerint corpori am grt'jalionu (Rtg. con'.r., cxcn). COMMENT IL FAUT RECEVOIR LES MOINES ÉTRANGERS Γ9 Le séjour à l'intérieur du monastère permettait de connaître les dispo­ sitions du voyageur. Dans la mesure même de la liberté qui lui avait été laissée de se mêler aux frères, son vrai tempérament s’était trahi C’est un homme exigeant, difficile à contenter, heureux où il n’est pas: en ce cas, il est trop facile de prévoir qu’immédiatement après son affiliation au monastère, si on la lui accorde, il aura le chagrin de la stabilité vouée. Ou bien il est vicieux : il a, non pas seulement des défauts, qui en manque? mais des habitudes enracinées, dont l’obstination sera un fardeau pour la communauté et un péril pour les âmes faibles. Un homme exerce sou­ vent une influence hors de proportion avec sa valeur morale; et ce sont leurs défauts que les hommes mettent le plus volontiers en commun. L’Abbé doit alors faire prévaloir la considération du bien général; il ne peut, dans l’espoir d’un sauvetage très problématique, exposer 1« siens à des dangers réels. Quand on sera fatigué de l’étranger, on le priera donc, « honnêtement », de se retirer. Saint Benoît ne veut pas que l’on use à son égard de procédés discourtois et violents. Quod si non fuerit talis qui mereatur projici, non solum si petierit suscipiatur congregationi socian­ dus, verum etiam suadeatur ut stet, ut ejus exemplo alii erudiantur, et quia in omni loco uni Domino ser­ vitur, et uni Regi militatur. Que si, après avoir expérimenté la règle du monastère (rappelonsnous la phrase Si vero postea votuerit...), il témoigne de sa volonté bien arrêtée de mettre un terme à ses pérégrinations et demande à se stabi­ liser, il ne faut pas s'opposer à un tel dessein, mais prendre en considé­ ration sa demande : la stabilité étant pour le moine, selon saint Benoit, le premier des biens et la meilleure garantie de progrès spirituel. Sem­ blable démarche est déjà d’un indice excellent. D’autant mieux, ajoute N. B. Père, qu’il aura été facile d'apprécier, par la conduite de ce moine pendant son appartenance de fait à la communauté, s’il est digne d’une appartenance de droit. Mais saint Benoît va plus loin. A supposer que le bon moine n’ose pas demander ou n'y songe point, on pourra l’imiter doucement à se stabi­ liser. Souvenons-nous, afin de comprendre pourquoi N. B. Père fait un peu l’article en faveur de son monastère, que la vraie stabilité n’existe que chez lui : qu'en dehors de la vie bénédictine, il n’y a pas encore de lien bien solide entre les religieux et leur monastère; et qu’enfin, dans l’espèce, notre moine a déjà quitté le sien. S'il est vertueux, s’il a de l’avenir, pourquoi ne prendrait-on pas les devants? Son monastère n’y perd rien,  480 COMMENTAIRE SUR LÀ RÈGLE DE SAINT BENOIT puisqu’il on est sorti, et peut-être sans promesse de retour; le moine y gagne, puisqu’il entre dans une vie que la stabilité rend plus parfaite; le monastère bénédictin y gagne aussi, puisqu'il s’accroît d’un bon élément au contact duquel d’autres profiteront (1). On lui fera observer qu’après tout il n’est point contraire à sa profession de s’arrêter ici, car en tout lieu on sert un seul et même Seigneur et on milite sous un même Roi; il n’y a pas pour lui à changer de maître, mais à « se fixer ■ dans un milieu où il servira mieux (2). Il faut se garder d’interpréter cette for­ mule dans un sens hostile à la stabilité : à coup sûr, N. R. Père n’a pas voulu dire que le changement fût indifférent ! La remarque est fournie au contraire comme un motif pour demeurer. Le moine qui se décidait à rester ne faisait pas un nouveau noviciat, puisque la vie monastique d’alors était une, et la question du mona-tèro accidentelle. H n’avait pas davantage à émettre une nouvelle profes­ sion ; il se bornait à promettre stabilité : Paul Diacre et Hildernar nous ont conservé la formule usitée chez eux. La multiplication des ordres religieux a amené des modifications disciplinaires sur ce point. Le passage d’un Ordre à un autre entraîne la répétition du noviciat et de la profession. Et dans la plupart de.·» cas, l'autorisation du Sa ntSiège est nécessaire. Quem etiam si talem esse perspexerit Abbas, liceat cum in superiore aliquantulum constituere loco. Non solum autem monachum, sed etiam de supradiclis gradibus sacerdotum vel clericorum, stabilire potest Abbas in majori quam ingreditur loco, si ejus talem prospexerit esse vitam. Lorsque l’Abbé estime que les vertus du nouveau venu justifient une exception à la règle commune et sont telles (sous-entendu) qu’on a dit plus haut, il peut à son gré l’élever un peu, aliy.iantulum, au-dessus du rang que lui assigne son entrée dans le monastère (3). Il en sera de même (1) Ce qui nous porte à traduire ainsi, c'est la symétrie entre les deux membre >isu Ahbah.t ejux, il faut du moins que le voyageur exhibe des lettres générales de recommandation, nul htleris eonmtndatitüs (1). Ces pièces, — dont nous avons déjà dit un mot au chapitre o des hôtes ». — étaient rédigées en effet tantôt hoik la forme de lettres d’Abbé à Abbé, tantôt sous une forme plus générale, recommandant à tous les pouvoirs eodésia«-tique> ou religieux un moine sorti régulièrement de son monastère, mais parti à la découverte et nullement fixé sur le choix d’une nouvelle famille religieuse (?>. toluo/olc ad alterum monaslerium etu-imiyrentrm, hu ·« .·! h n aut m ! ml rrfôw" praesumat (Can. xxvn. Ma.v-l L VIII. cnL 3_M.». Voir ausu I·· condic d‘l»rl«.*ns de Ml. can. xix Mansi, î VIII, col ■ ■> (1) Le concile d'Agde de 606 défend aux œ >in■·< comme aux dma, «le voyager sans ces Lettres (Can. xxxvirr. Manki, t. VIII. αΊ 33!, (2) I>. Martène cite plusieurs cxi-m;ik< de >■ I deux Twe d ttrr· son Commentaire sur cc chapitre. — Ci S D u>; m C\i> .·. if (χ·Ι vcl GàM Epist, II et IX. P. L, LXXXVII, _'i · . J I I il s CHAPITRE EXII T>ES PRÊTRES Dü M0XA9TÈRE N'oublions pas que toute cette partie delà sainte Règle a pour dessein de dé-rire le recrutement du monastère, sa composition, son bon ordre intérieur et l’organt» al ion hiérarchique destinée à y maintenir la paix. Et rapprochons le commentaire de ce chapitre de celui du LXe. Saint Epiphane, énumérant les degrés de la hiérarchie chrétienne, ré.-ervi ceux d'en bas aux fidèles engagés dans le mariage; vient ensuite la viduité consacrée à Dieu; puis la vie monastique et la virginité; enfin, comme couronnement et comme source de toute sainteté, le sacer­ doce. qui .-e recrute parmi k- vierec», parmi les moines ou les continents (1). Pour 1 auteur de la lh-rarchû ccd'-siagtique, les moines sont les chrétiens parfaits ; ils ont par conséquent leur place au sommet de la portion pas­ sive de la hiérarchie, celle qui comprend les âmes purifiées, illuminées et achevées : mai.- ils sont très distincts de la portion active, laquelle com­ prend ceux qui purifient, les diacres; ceux qui illuminent, les prêtres; ceux qui m hèvent et parfont, les évêques. Il n’y a d’ailleurs, nous le remarquions au chapitre LX. aucune incompatibilité entre le sacerdoce et la profession monastique; bien au contraire, dit saint Denys, car . Sévère, Dial. I c x P L XX. 190. , . · · , (3) Cf. le texte précité de la Préface à la traduction de la Règle paeômienne» DE L’ORDRE DU CONVENT »95 tique, et que, scion la remarque de N. B. Père au chapitreLV11I ; El jam ex ilia hora in congregatione repuktuT.il est sûr que dans Γusage monas­ tique presque universel, et depuis longtemps, c'est la date de procession qui marque à chaque moine son rang dans la communauté : mais le texte do la Règle, lu sans préjugé, n’est-il pas nettement îavorableàladate d’entrée au monastère (1)? Habituellement d’ailleurs, et sauî de rares exceptions, c’est celui qui est entré le premier qui fait profession le premier. Cujuslibet aetatis aid dignitatis sil. Les enfants, les petits oblats, occu­ paient-ils donc eux aussi la place qui correspondait à leur oblation, à leur profession, se trouvant ainsi mêlés aux autres moines, précédant parfois des hommes mûrs et des vieillards? C’est évidemment ce à quoi songeait tout bas N. B. Père, puisqu’il fait aussitôt mention formelle des enfants, et pour ajouter une restriction destinée à prévenir les inconvénients de cette préséance précoce : Pueris vero per omnia ab omnibus disciplina teneatur. Ils devanceront ceux qui sont entrés après eux au monastère i i Tv (car, ne l’oublions pas, leur profession d’oblat a la même valeur juri­ dique que celle des adultes) : néanmoins tous leurs ainés d'âge conserveront vis-à-vis d’eux, en toutes choses, un droit de surveillance, d’avertissement et de correction (disciplina). Saint Benoît s’expliquera plus clairement encore, quelques lignes plus bas, à propos des relations des moines entre eux : Pueri parvuli tel ado­ lescentes, in oratorio vel ad mensam, cum disciplina ordines suos conse quantur. Foris autem vel ubiubi, custodiam habeant et disciplinam, usque dum ad intelligibilem aetaFm perveniant. Il faut joindre à ce passage celui du chapitre LXX : Infantibus vero usque ad quintum decimum annum aetatis, disciplinae diligentia sit et custodia adhibeatur ab omnibus:sed d hoc cum omni mensura et ratione. Ainsi donc, les tout petits enfants et ceux qui sont plus âgés, qui entrent dans l’adolescence, gardent « leur rang », ordines suos cansequ intur : quel rang? Si l’on veut traduire con­ formément à tout le contexte et faire en sorte que la pensée de saint Benoît, soit cohérente avec elle-même, il faut entendre : leur rang de profession et d’ancienneté monastique (et non : leur rang entre eux et dans le logis des enfants). Cum disciplina, note en passant saint Benoît ; ce qu’on peut traduire : sans confusion, en bon ordre ; ou plutôt : moyennant la surveillance et la correction des frères plus âgés. Ainsi, à l’oratoire et au réfectoire, ils garderont leur rang de profession, sans d'ailleurs échapper à la disciplina : mais en dehors de là et eu quelque lieu et circonstance que ce soit, foris autem vel ubiubi, ils n’auront aucune préséance et demeureront simplement sous la garde et la gouverne affectueuse de tous. Au dortoir, par exemple, on prendra soin que leurs lits soient placés entre ceux des moines plus âgés ; Adole(1) Lire Heften, 1. Ill, tract, m, disq. vr. Jfl I I I 496 COMMENTAIRE SUR LA REGLE DE SAINT BENOIT seentiores fratres, etc. (chap. XXII). Cette tutelle collective durait jusqu’à ce que les enfants eussent atteint leur quinzième année et fussent arrivés à la maturité de la raison, au plein discernement. Saint Benoît s’écarte ici de saint Basile, lequel séparait absolument les enfants des autres religieux, sauf à l’oratoire (1); mais rappelons-nous que chez saint Basile les oblats n’étaient pas encore profès. Postérieurement à N. B. Père, l’usage monastique occidental a séparé lui aussi, plus ou moins strictement, les oblats. Au chœur, au réfectoire, ils forment un groupe isolé; ils sont sous la direction de maîtres spéciaux; même après quinze ans, s’ils sont encore trop espiègles, on les suit de près (2). Hildemar (3) nous dit que les enfants sortant de tutelle prenaient dans la communauté, et alors seulement, le rang qui correspondait à leur entrée au monastère. Dans la suite, à mesure que s’atténuait la portée de l’oblature, on ne leur rendit pas même cet honneur tardif. Mais, comme le soutient D. Calmet, l’usage primitif est bien tel que nous l’avons décrit plus haut ; et c’est la discipline postérieure qui a donné le change à plusieurs commentateurs. Telle est la législation prévoyante qui assure à tous les moines le rang et l’honneur convenables. Il serait d’ailleurs mesquin et ridicule qu’une question de préséance engendrât des jalousies et des querelles parmi des religieux (4). Juniores ergo priores suos honorent; priores vero juniores diligant. L’ordre matériel, que saint Benoît a déterminé dans la première partie de ce chapitre, s’il est absolument indispensable, n'est pas suffisant néanmoins à lui seul. Nous devons y ajouter l’affection et les égards mutuels, l’urbanité, la courtoisie surnaturelle. Il ne faudrait pas dire trop de mal de la politesse mondaine. Ses deux torts les plus habituels sont d’être vide, parce qu’elle n’est pas l'expression de la charité, et d’être menteuse, parce qu’elle change aisément de ton et décrie sans pitié ceux qu’elle louait tout à l’heure sans conviction. Telle qu’elle est pourtant, elle renferme une part d’abnégation ; elle consiste souvent dans un effacement volontaire de nous-mêmes en face d’autrui, dans un calcul secret pour lui rendre honneur et lui faire plaisir. C’est aux enfants de Dieu qu’il appartient de restituer l’intégrité de cette politesse. Chez (1) Reg. fus., xv. (2) Ct Udalr., Consuel. Clun., 1 (3) Comment sur le chap. lxx. (4) Cf. S. Basil., Reg. conlr., x. DE L'ORDRE DU CONVENT 4»7 eux surtout elle sera de l’abnégation. Remarquons-le : ce n’est pas par nos vertus intérieures que nous sommes en contact avec nos frères, mais bien plutôt par nos côtés extérieurs ; on ne connaît même guère que cela de nous ; et c’est pourquoi nous sommes tenus, à raison de la vie com­ mune, d’effacer toutes nos rugosités. Et la politesse monastique doit procéder, non seulement de l’éducation, de la délicatesse, du bon goût, mais surtout de l’esprit de foi et de la charité. Lorsque Tobie, sans s’être fait reconnaître encore, se présenta à Raguel, celui-ci fit observer à sa femme : « Combien ce jeune homme ressemble à mon Hill cousin ! » Quant similis est juvenis isle consobrino meo! Et il commença à l’aimer sur cette ressemblance. Chacun de nos frères mérite le même honneur : notre frère n’est pas seulement consacré à Dieu, il a de Dieu en lui, c’est un peu l’Eucharistie : comment lui refuserions-nous notre déférence et notre affection? Comment ne pas le traiter comme quel­ qu’un avec qui nous serons chez Dieu? Notre vie conventuelle n’est qu’apprentissage de ces relations de l’éternité. Saint Benoît rappelle tout d’abord une prescription de droit naturel et îurnaturel : l’honneur qui monte des plus jeunes vers les aînés et les vieillards, l'affection qui descend des anciens sur les plus jeunes. (On reconnaît les soixante-huitième et soixante-neuvième instruments des bonnes œuvres : Seniores venerari, Juniores diligere.) Sans ce double courant, il y aura dans la communauté des partis qui s’observeront curieusement, qui se jalouseront peut-être et se décrieront. Les anciens peuvent avoir leurs défauts, leurs manies : mais c’est pitié de n’avoir des yeux que pour découvrir, comme on dit vulgairement, «la petite bête» ! La jeunesse est souvent trop exigeante, trop sûre d’elle-même, et volon­ tiers réformatrice. Et les anciens, de leur côté, sont parfois sévères, et dési­ reux d’une perfection immédiate chez autrui : pourquoi ne pas laisser aux novices et aux jeunes profès le loisir d’éliminer les habitudes apportées du monde? Juniores ergo..., c’est la conséquence, le corollaire de ce que saint Benoît a décidé plus haut relativement aux droits et aux devoirs réciproques des jeunes et de ceux qui ont plus d’âge naturel ou monas­ tique ; c’est en même temps le principe général qui commande les dispo­ sitions suivantes. In ipsa autem appellatione nominum nulli liceat alium puro nomine appellare; sed priores juniores suos fratres nominent., juniores autem priores suos nonnos vocent, quod intelligitur paterna reverentia. Abbas autem, quia vices ChrisLi agere videtur, Do­ mnus et Abbas vocetur : non sua assumptione, sed 32 498 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT honore et amore Christi. Ipse autem cogitet, et sic se exhibeat ut dignus sit tali honore. Le respect et l’affection mutuelle se traduiront extérieurement dans l'appellation d’abord. C’est par là que nous prenons contact. Les anges s’adressent les uns aux autres par un procédé plus simple ; nous autres, nous devons employer un vocatif exprimé. Ce vocatif est déterminé par la sainte Règle (1). R l’est en premier lieu négativement et par voie d’ex­ clusion : on ne se servira pas, pour désigner un frère (soit qu’on s’adresse à lui, soit qu’on parle de lui), de son nom simplement et tout court, de son nom sans qualificatif (2). C’est donc manquer à la Règle que d’em­ ployer le seul nom do baptême, ou le seul nom de famille; de désigner un frère, et d’une façon habituelle, soit par le seul nom de son office dans le monastère, soit par celui de sa situation dans le monde, soit par celui de sa nationalité, soit, à plus forte raison, par un sobriquet. Il nous faut éliminer de notre langage les tenues d'argot, les formes écolières, les formes démocratiques, y compris, bien entendu, le tutoiement. Après avoir exclu, saint Benoît indique d’une manière positive quelles sont les formes monastiques d’appellation. Les anciens donneront à ceux qui sont plus jeunes qu’eux, juniores suos, le nom de frères. Le terme est affectueux et aimable ; il rappelle l’unité de vie de tous les religieux d’une même famille (3) ; les premiers chrétiens et les premiers moines se sont appelés ainsi (4). Il faut laisser aux séculiers l’expression « les confrères ». Les anciens seront no lllll és nonni; ce qui signifie « révérence paternelle », Révérend Père (une moniale recevait le nom de nonna). On a donné bien des étymologies à ce mot. Le plus probable est qu’il vient d’Égypte, où il était employé pour marquer le respect et la révérence dus à un ancien, à un homme pieux ; saint Jérôme en fait usage plusieurs fois dans ses Lettres (5). Quant à l’Abbé, qui représente le Christ dans le monastère et qui tient sa place, on l’appellera Domnus, «Dom», (diminutif de Dominus, réservé à la personne du Seigneur). Saint Benoît n’a pas inventé le terme Domnus : on disait déjà Domnus apostoiieus en parlant du Pape, et on l’attribuait (1) Cf. Hæften, L III, tract iv. (2) Le disciple et biographe de saint Fulgence de Ruspe (ÿ 533) dit de son héros : Circa singulos tia mansuetus fuit et communis et facilis, ut neminem fratrum puro nomine clamitaret (Vita S. Fulgent., c. xxvn. P. L., LXV, cot 144). (3) Bene fratres jussit appellari, quia uno sacro fonte baptismatis sunt renati, et uno Spiritu sanciificati, et unam professionem professi sunt, et unam remunerationem adi­ pisci desiderant, et ab una matre, id est sancta Ecclesia, editi sunt. Et hoc notandum est, guia melior est ista fraternitas spiritalis, quam carnalis (Paul Diacre, in h. L). (4) CL S. Avo., Enarrat, in Psalm, cxxxn. P. L., XXXVII, 1729 sq. (5) Episi. XXII, 16. P. L, XXII, 404; Epist. CXVII, 6. P. L., ibid., 956. — lire Hæftex, L III, tract, iv, disq. m. — Calmet, Comm, in h. I, DE L'ORDRE DU CONVERT UM à de grands et saints personnages : Domnum Ματlinum obisse nuntûnU, écrivait Sulpice Sévère (1). On appellera aussi le supérieur « Abbé », mot syriaque qui veut dire Père. Chez les Orientaux, c’étaient de sim­ ples religieux, mais vénérables par l’âge et la vertu, qui étaient ordinai­ rement nommés ainsi (2) ; le supérieur était désigné par les termes : praepositus, pater monasterii, arc'aimand île, hégoum-ne, etc. Saint Benoît réserve le nom d’Abbé à celui qui est vraiment le père de famille. Et il lui rappelle que ce nom lui est attribué en l’honneur et par amour du Christ, et non pour qu’il y trouve un motif d’exaltation. Comme au chapitre second, il l’invite à conformer sa conduite et sa vie à tout ce qu’implique un pareil nom, et à se montrer digne de l’honneur qui lui est déféré. Ce qui ne veut pas dire, croyons-nous, que l’Abbé doive être chaussé toujours du cothurne tragique, ni qu’il soit obligé de pontifier perpétuellement. Dès le neuvième siècle le terme de nonnus est délaissé dans beaucoup de monastères. Le concile d’Aix-la-Chapelle de 817 recommande d’appeler ainsi les praepositos (Prieurs ou anciens?); il subsista dans quelques endroits, par exemple au Mont-Cassin, où on le trouve àla fin du treizième siècle, sous la plume du commentateur Bernard ; et Cîteaux l’a conserve jusqu'à nos jours. Mais le qualificatif domnus Battait davantage la petite vanité des moines : les aînés veulent maintenant que nous les appelions ainsi, dit Smaragde. A Cluny, du temps d’Udalric, chaque profès y a droit (3). Comme les Bénédictins de Saint-Vanne et de Saint-Maur, nous l'avons réservé aux profès prêtres. Nos profès non prêtres sont des Révé­ rends Pères simpliciter. Les convers, les postulants et les novices, même prêtres, sont appelés frères. Dans certaines régions, en Italie par exemple, où les séculiers sont appelés « dom » ou « don », les novices en bénéficient pareillement, et on réserve le titre de Révérend Père aux profès prêtres. Le nom d’« Abbé » lui-même a été usurpé par les séculiers dans Γ Église gallicane, grâce surtout aux Abbés commendataires ; il faut noter pourt ant que, dès le sixième siècle, on donne parfois, dans les Gaules, le nom d’« Abbé » à un prêtre séculier chargé de gouverner une église importante et de régir le collège des clercs qui la desservent (4). Ubicumque autem sibi obviant fratres, junior a priore benedictionem petat. Transeunto majore, junior surgat et det ei locum sedendi. Nec praesu(1) Epist. II. P. L., XX, 179. (2) Cf. Cassi e.\ et les Vitae Patrum, passim, (3) Udalr., Consuet. Clun., I. II, c. xx (4) Cf. S. Greg. Turon., Liber Vitae Patrum, u, 3-4 M. G. H. : Script, nr. merw., t. I, p. G7O-G71. In gloria martyrum, GO. M. G. II. : ibid., p. 029, 1 i 500 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT mat junior consedere, nisi ei praecipiat senior suus : ut fiat quod scriptum est : Honore invicem praevenientes. Pueri parvuli vel adolescentes, in oratorio vel ad mensam, cum disciplina ordines suos consequantur. Foris autem vel ubiubi, custodiam habeant ct disci­ plinam, usque dum ad intelligibilem aetatem perve­ niant. ‘ Nous avons vu comment les moines s’abordent ; voyons maintenant certaines marques de courtoisie qu’ils se doivent entre eux, et premiè­ rement le salut. En quelque lieu que les frères se rencontrent, le plus jeune doit demander la « bénédiction » à son aîné. N. B. Père a fait mention plusienr.· fois de cette bénédiction : au chapitre XXV, il a dit de l'excom­ munié : Nee a quoquam benedicatur transeunto; au chapitre LUI, il a recommandé au frère qui rencontrerait un hôte de le saluer : Et petita benedictione, pertranseat; au chapitre LXVI, il prescrira au portier : Et moi ut aliquis pulsaverit aut pauper clamaverit. Deo gratias respondeat, aut benedicat. L’usage est vraiment vénérable. Saint Paul (Hebr., vii, 1 sq.) explique comment Melchisédech « bénit » Abraham : Quod minus est a meliore benedicitur. Bénir a aussi le sens de louer Dieu au sujet de quelque chose ou de quelqu’un : Et benedi it illis Simeon (Luc., u, 34). Λ la dernière Cène, le Seigneur prend du pain et bénit : εύλογησας. Les premiers chrétiens se bénissaient, en se rencontrant (1). Il ne s’agit pas d’un geste, mais d’une formule de souhait ou de gratitude envers le Seigneur, quelque chose d’analogue au Dominus vobiscum liturgique : Dieu soit béni de cette rencontre, Que Dieu vous bénisse ! Chez les anciens moines d’Orient et d’Occident, on s’inclinait devant celui qu’on voulait honorer, et on disait : Benedic, Pater, ou bien : Bene­ dicite : c’était reconnaître la présence de Dieu dans l’hôte ou le frère, et solliciter une bénédiction du Seigneur qui vivait en lui. Nous savons par la Règle du Maître, par Bernard du Cassin et d'autres documents, que la réponse était : Deus, ou Dominus (2); mais elle n’était pas tou­ jours formulée, et Boherius dit n’en avoir pas entendu à Subiaco et au Mont-Cassin : Quid prior respondeat non audivi nec etiam ex Regula capio quidquam de prioris responsione, nisi Deo gratias respondeat (3). N. B. Père recommande en effet au portier de répondre : Deo gratias; mais il ajoute : a ou de bénir », ce qui laisse supposer que la formule de (1) Quod penes Deum bonitatis et benignitatis, omnis benedictio inter nos summum sit disciplinae et conversationis sacramentum, « benedicat te Deus » tam jacite pronuncias guam Christiano nc cesse esi (Tertum.., De lestim. animae, c. u, P, L., I, 611J, (2) Reg. Magistri, xiil — Bernard, Cass., in cap. xxy, (3) Commentaire in h, ζ DE L'ORDRE DU CONVENT Sil bénédiction n’était pas le Deo gratias. Quoi qu’il en soit, le Deo gratias et une antique et belle formule de salutation monastique. Les circoncellions du temps de saint Augustin en reprochaient l’usage aux moines; on peut voir le blâme que leur adresse à ce sujet le saint Docteur dans son Discours sur le psaume cxxxn (1). La bénédiction ne se demande et ne s’accorde, remarque Paul Diacre, qu’aux endroits ct aux heures où il est permis de parler; dans les lieux réguliers ct pendant les temps de silence privilégiés, on se bornera à sol­ liciter de cœur la bénédiction et à incliner la tête. Pierre le Vénérable fut contraint de démontrer aux Cisterciens scandalisés que cela suffit pour l’observation de ce point de la Règle (2). Dans les Déclarations de Sainte-Cécile, D. Guéranger a écrit : « Les sœurs plus jeunes demanderont ■ la bénédiction aux anciennes, c’est-à-dire aux professes qui sont sorties du noviciat, en disant : Benedicite; mais, durant le silence de la nuit, elles leur feront seulement l’inclination. Les anciennes recevront d’une manière humble et gracieuse cette marque d’honneur; mais celles qui auraient fut profession le même jour que celle qui les salue répondront : Bene­ dicite ». Nous n’avons pas cette coutume, et il faut nous tenir à ce qui est établi. Mais nous ne sommes pas dispensés de saluer un ancien et, d’une façon générale, tout frère que nous rencontrons. U n’est aucune­ ment nécessaire de lui dire quelques mots aimables, une facétie on une plaisanterie ; mais il est toujours de bon goût de se découvrir si l’on por­ tait le capuchon, de regarder et de s’incliner. Alors même que le plus jeune oublierait de le faire, l’ancien pourrait certainement s’incliner devant son frère et l’ange gardien de son frère. Saint Benoît prévoit enfin le cas où un ancien passe devant un jeune qui est assis : celui-ci doit se lever aussitôt ; et si l’ancien vient pour s’asseoir à l’endroit ou près de l’endroit où se tient le plus jeune, celui-ci doit lui céder la place et ne se rasseoir qu’après y avoir été invité. C’est conforme à la politesse de tous les pays et de tous les temps : Omni seniori, dit Aristote (3), honor pro aetate reddendus ct assurgendo et sessione cedendo. Encore pouvons-nous observer, avec Paul Diacre et Hildemar, que si l’ancien ne fait que passer, « le jeune doit se lever un peu, s’incliner et demander la bénédiction » ; que si l’ancien passe et repasse, ou que si (1) P. L., XXXVII, 1732: Hi etiam insultare nobis audent quia /ralr w, cum nd*n( homines, Deo gratias dicunt. Quid est, inquiunt, Deo gratias? liane surdus es ut nescias quid sit Deo gratias? Qui dicit Deo gratias, gratias agit Deo. Vide si non debet frater Deo gratias agere, quando videt fratrem suum. Num enim non esi locus gratulationis quando se invicem vident qui habitant in Christo?— Et dans Ia Lettre XLI, S. Augcstin dit encore : Deo gratias! nam quid mitius et animo geramus ei ore promamus, d calamo exprimamus quam Deo gratias? Hoc nec dici brevius, nee audiri laetius, nec inlelligi grandius, nec agi fructuosius potest (P, L, XXXIII, 158). (2) Epist., 1. I, Ep. XXVIII. P. L„ CLXXXIX, 133-134. (3) Ethique, 1. IX, c. Π. — Cfr. Sermo ascet, de renuntiatione saeculi, inl r opp. P. G., XXXI, 614. SO* COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT le jeune frère est assis dans un endroit où vont et viennent beaucoup d'anciens, il est dispensé de se lever chaque fois ; que la courtoisie et la charité font un devoir à l’ancien de ne pas laisser le jeune debout devant lui; l’Abbé rappellera ce dernier point au Chapitre, dit Hildemar, et si quelque ancien y manque, il sera châtié ; s’il demeure incor­ rigible, l’Abbé le rejettera au dernier rang. Il serait, en effet, quelque peu ridicule pour un moine d’afficher sans cesse son ancienneté et d'exiger avec morgue tous les honneurs qui lui sont dus. Ne considérons jamais comme surannées ces prescriptions de la Règle. Encore une fois, cette politesse et ces attentions sont l’indice de notre charité et de notre délicatesse surnaturelle. Les frères doivent se pré­ venir d’honneur (Rom., xii, 10), s’empresser et parfois s’ingénier à être aimables, sans affectation toutefois ni obséquiosité. Saluons nos aînés, · laissons-les passer devant nous ; ne rougissons pas de parler à genoux à notre Abbé. Les commentateurs profitent de ce qui est dit ici de la sfssio, pour observer qu’un moine ne doit pas s’asseoir à la manière négligée et molle des mondains (1). Enfin, saint Benoît termine par une recommandation relative à l’atti­ Hill tude de la communauté vis-à-vis des enfants : nous l’avons déjà commentée. (1) Cum sedes, non superpones alteri cruri alterum crus tuum : siquidem istud jacere, animi parum aUenli atque aliud agentis indicium esi (Sermo ascel. de renuntiat, saec., 8, P. G., XXXI, 644J, 4 CHAPITRE LXIV DE L’INSTITUTION DE L’ABBÉ Le dessein constant de cette portion de la Règle étant d'assurer le bon ordre, l’observance, la paix intérieure de la communauté. N. B. Père se trouve amené à parler une seconde fois de celui qui a pour mission de régir toute la cité monastique et en qui réside la plénitude même de l’autorité. Il n’estime pas que le chapitre second et de continuelles mentions du gouvernement abbatial tout le long de la Règle aient épuisé un tel sujet ; et, sans chercher, comme on l’a cm parfois bien arbitraire­ ment, à atténuer et adoucir l’austérité du chapitre second, saint Benoit le complète ici en établissant d’abord la procédure à suivre pour l’élection et l’ordination de l’Abbé, et en rappelant ensuite quel esprit de sagesse et de discrétion doit diriger pratiquement l’Abbé lorsqu’il traite avec les âmes. De ordinando Abbate. — In Abbatis ordinatione illa semper consideretur ratio, ut hic constituatur, quem sibi omnis concors congregatio, secundum timorem Dei, sive etiam pars quamvis parva congregationis saniori consilio elegerit. On a, au cours des siècles, employé divers procédés pour la désignation de l’Abbé. Le meilleur, à coup sûr, ne fut pas celui qui, dès le huitième siècle (1), con fiait au roi ou aux seigneurs laïcs, au nom du droit de fonda­ tion ou de patronage, le soin de pourvoir de titulaires abbayes et prieurés. Il arriva même, aux beaux jours de la continende, que ces titulaires ne furent ni moines, ni clercs ; en leur nom, des hommes de leur choix gou­ vernaient tant bien que mal les religieux. La mensa alhalialis était distincte de la mensa communis; et toute la charge de l’Abbé conunendataire était de toucher des revenus (2). Les abbayes entraient dans le (1) Mabillon, Aria SS. O. S. B., Saec. III, PraeL 111. (2) Cf. Émile Lesne, ΓOrigine des menses dans le temper-1 des Eglises et des momutires de France, au 2.V siècle. f03 604 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT berceau ou la corbeille des princes et des princesses ! Grâce à Dieu, nous lh ne connaissons plus les splendeurs si chèrement achetées des abbayes de l’ancien régime; et malgré le caractère précaire et réduit de notre vie, malgré les persécutions et malgré l’exil, nous sommes du moins libres dans nos murs. Les droits du Souverain Pontife à la désignation de l’Abbé sont incon­ testablement plus réels que ceux d’un roi, même très chrétien. Le Pape pourrait ex plenitudine potestatis apostolicae conférer au candidat choisi par lui la dignité abbatiale et le gouvernement d’un monastère, comme il confère la dignité épiscopale et le gouvernement d’un diocèse. En fait, les Papes usent quelquefois de ce pouvoir, mais seulement dans des cir­ constances spéciales et extraordinaires : tel a été longtemps le cas des monastères basilicaux de Rome; les Lettres de saint Grégoire le Grand nous montrent le Souverain Pontife désignant à des moines leur Abbé (1). Nous dirons bientôt quel est le rôle ordinaire du Saint-Siège dans les élections abbatiales. Quant aux évêques, le Droit reconnaît qu’ils ne peuvent d’eux-mêmes, et sans délégation apostolique, choisir les supérieurs de? réguliers. Ils le firent pourtant plus d’une fois dans les premiers siècles monastiques (2), soit à titre de fondateurs et pour le premier supérieur seulement, soit à titre de réformateurs (3), soit de façon abusive. Aussi des conciles, par exemple celui de Carthage de 536 (4), voulurent-ils sauvegarder la liberté des reli­ gieux : El quando ipsi Abbates de corpore exierint, qui in loco eorum ordi­ nandi sunt, judicio congregationis eligantur; nec officium sibi hujus ele­ ctionis vindicet aut praesumat episcopus. Nous voyons saint Aurélien obtenir du pape Vigile confirmation du droit des moines à élire eux-mêmes leur ALbé (5) et saint Grégoire le Grand maintenir cette disposition de la sainte Règle (6). Nous préciserons dans la suite la part qui revenait et qui renent à l’évêque en cette affaire. Le choix de l’Abbé est donc réservé aux moines : dans la pratique, l'exercice de ce droit a revêtu diverses formes. Chez saint Basile, le soin en revenait aux chefs des communautés voisines (7). Lorsque, à dater du quinzième siècle, se formèrent les grandes Congrégations bénédic­ tines, quelques-unes d’entre elles, en même temps qu’elles renonçaient à la perpétuité des Abbés, s’accoutumèrent à recevoir leur supérieur du Chapitre général ou de la Dicte : c’est la Congrégation, au sens moderne (1) EpisL, I. IX, Ep. XCI. P. L„ LXXVII, 1018; M. G. IL : EpisL, t. II, p. 49. (2) Cf. S. Isidori Pelus., EpisL, L I, Ep. CCLXII. P. G., LXX VIII, 339. (3) Cfr. FîtaS. Caesarü, ]. 1,12. M. G. H. : Script, rer. nierov., r. III, p. 4G1. (4> Mansi, t. VIII, coL 842. i (5) Mabillon, Annate-s O. S. B., 1. IX, xxvui. T. I, p. 231. (G) EpisL, 1. II, Ep. XLI et XLII. P. L., LXXV11, 078-580; M. G. IL : EpisL, t 1. p. 348 et 346. (7) Reg. fus., xuil DE L'INSTITUTION DE L'ABBÜ *05 du mot, qui, par l'intermédiaire de ses chefs, pourvoyait à l'entretien des cadres. Chez saint Pacôme, le supérieur de chaque monastère était nommé, par le supérieur général de la Congrégation ; et celui-ci désignait lui-même son successeur (1). Ce dernier procédé fut souvent usité dans l'histoire. Théodoret (2), •J? Cassien (3) y font allusion. Pour l’Oecident noue avons de nombreux témoignages, par exemple dans la Vie des Pères du Jura, dans saint Gré­ goire de Tours, etc. La Règle du Maître (4) décrit longuement la procédure à suivre lorsque l’Abbé veut se donner un coadjuteur avec future succes­ sion ; selon cette Règle, les moines n’interviennent pas(p); et ri l’Abbé vient à disparaître sans avoir songé à assurer l'avenir, l'évêque et le clergé de la région s’adressent à un saint Abbé du voisinage, et lui demandent d’aller passer un mois dans le monastère sans pasteur, aver charge d’y choisir le plus digne. A Cluny, tandis que saint Odon et le B. Aymard avaient été élus par leurs frères, saint Maïeul et saint Odilon furent désignés par leur prédécesseur : la communauté n’intervint que pour approuver le choix. Et quand saint Odilon, devenu vieux, fut prié de choisir à son tour, il consentit seulement à nommer quelques moines prudents qui feraient l’élection, laquelle devait être ratifiée par tous : c’est ainsi que les choses se passèrent pour saint Hugues (6). Le mode d'élection par les spirituales fratres, comme les appelle Bernard de Cluny, passa même en coutume (7). Si le Prieur, qui présidait l’assemblée, on le premier ancien consulté, proposait un nom qui agréait à tous, l’élection était terminée (S). \ .. K Aujourd’hui encore, l’Abbé a le droit de s’intéresser à l’avenir des siens et de pressentir, mais avec une discrétion infinie, quel pourra être l'héri­ tier de sa pensée et le continuateur de son œuvre, si vraiment il a eu une pensée et s’il a travaillé à une œuvre digne de durer. Faudrait-il donc que, périodiquement, toutes choses fussent remises en question? L’Abbé con­ naît sa famille, il sait ce qui lui convient Et il va paraître devant Dieu : on ne ment pas, à cette heure-là ; on ne se laisse guère entraîner par de; motifs humains; c’est l’heure où les Patriarches deviennent Prophètes et fixent, comme Jacob, comme Moïse mourant, l’histoire anticipée de. le ir race. Mais des saints se sont trompés dans ces choix suprêmes! (1) Cf. Ladeuze, Elude sur le cénobitisme pakhomien pendant te JP Jièete d la première moitié du Fq p. 286, 287 et 316. (2) Religiosa historia, c. iv. P. G., LXXXII, 1345. (3) InsL, IV, xxvni. (4) Cap. xciii et xciv. (5) ...Àe cum unusquisque de suo judicio successionem ] rasumens. universos ùi sedi­ tionem exagitet, el studiosam partibus pugnam scandali domum pacis facial in conten­ tionem converti (xciv). (G) Lire 1'dalric, Consuet. Clun., 1. III, c. I, (7) Bernard., Ordo Clun., P. I, c. i. (8) Constit. Uirsaug., I. II, c. i .■ 506 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT Est-ce bien sur ces choix eux-mêmes qu’il faut rejeter la responsabilité de l’échec survenu? Après tout, on fera de l’avis du vieil Abbé tel usage qu’on voudra : mais qu’il puisse en laisser un, cela ne fait pas de doute. On supplée ainsi, dans la lignée des Abbés, aux avantages d’une héré­ dité matérielle qui n'existe pas. Et c’est peut-être fournir à la com­ munauté l’occasion de réaliser l’nnanimité des suffrages dont parle saint Benoit : Omnis consors congregatio. Chez N. B. Père, par conséquent, les membres de la communauté ont seuls mission de se choisir un père. Dans la majorité des cas, c’est le procédé le plus sûr et le plus équitable, la famille monastique étant mieux renseignée et plus directement intéressée que tout autre. C’est une question voisine du droit naturel; et l’Église le reconnaît dans le texte du Pontifical in ordinatione presbyteri : Necesse est ut facilius ei guis obedientiam exhibeat ordinato, cui assensum praebuerit ordinando. On voit bien aussi par le contexte de la Règle que les moines sont invités à prendre un Abbé parmi eux. Mais il est difficile de savoir comment s’effectuait cette élection. Saint Césaire (1) n’est pas plus explicite que saint Benoît. Aujourd’hui, en dehors du pro­ cédé de compromis, l’élection se fait par vote secret, et après prestation de serment. Saint Benoît suppose trois résultats possibles de l’élection : 1° Toute la communauté, agissant sous l’impression de la crainte de Dieu, tombe d’accord pour choisir un bon moine. — 2° Toute la communauté s’entend pour choisir un indigne, un sujet plus ou moins complice de scs dérègle­ ments : saint Benoît examinera ce cas un peu plus loin. — 3° Il n’y a pas unanimité et les voix se partagent : Hic constituatur quern... pars quamvis parva congregationis saniori consilio elegerit. Ce texte est incon­ testablement difficile. Selon l’interprétation commune, la pensée de N. B. Père est celle-ci : à supposer qu’il y ait d’une part une majorité relative, ou bien une majorité absolue, ou même la presque unanimité, et d’autre part une minorité quelconque, si réduite soit-elle (2), l'élu sera celui de cette minorité, si son choix est meilleur et mieux inspiré, saniori consilio. On voit tout de suite le péril d’une telle disposition : c’est une occasion prochaine de schisme, un encouragement pour les minorités remuantes et factieuses : car chaque parti ne manquera jamais de motifs pour prétendre que son avis est le seul sage. C’est pourquoi l’Église réclame aujourd’hui une majorité numérique. Saint Benoit a-t-il réellement jeté chez les siens cette pomme de discorde et à ce point méconnu (1) Reg. ad virg., Recapitulatio, χπ. (2) Si deux moines seulement élisent un bon Abbé et cent nn indigne, disent Pauû Diacre et Hildemar, le choix des premiers devra prévaloir, DE L’INSTITUTION DE L'ABÜÉ ·« la nature humaine? Les scrutins seront sans issue; il y aura lieu sans cesse de recourir à une autorité extérieure qui départagera et décidera quel est le meilleur choix : l’évêque par exemple, ou les Abbés du voisi­ nage dont parlera bientôt saint Benoît, le Pape même, dit D, Calmet... Il est sûr que les choses se sont passées ainsi plus d’une lois au cours des âges ; mais le texte de la Règle n’invoque point, dans ce cas précis, l’intervention de l’évêque ou d’un autre Abbé : pour elle, la commu­ nauté se suffit. Une autre interprétation est proposée par l’auteur do ΓΕχρΙΰαΙίοη ascétique et historique de la Règle de saint Benoit. Π y a deux modes d’élection : sive omnis concors congregatio... (plusieurs manuscrits inté­ ressants lisent sive au lieu de sibi) ; sive etiam pars... Le premier esc le plus normal; le second consiste à confier à une portion de la communauté, même minime, mais prudente et « de meilleur con­ seil », le soin de choisir l’Abbé; il peut être utilisé soit d’une façon ordinaire, soit exceptionnellement, lorsque la communauté prévoit ou constate l’inefficacité d’un scrutin. L’explication est bonne. Pourtant, il semble bien que N. B. Père distingue et oppose en quelque sorte le cas où toute la communauté est d’accord et celui où, la commu­ nauté étant divisée, le choix d’une minorité, même réduite, mérite de s'imposer ; or, selon l’explication présente, pratiquement et en dépit de certaines lenteurs exigées par les délibérations et la désignation des arbitres, il y a toujours unanimité dans l’élection : l’opposition disparaît. ’ u Π faut chercher une autre solution à la difficulté. Nous pourrions nous ranger, pour une fois, à l’opinion du fameux Caramuel, adoptée aussi par D. Mège. Supposons le cas où les suffrages vont à plusieurs candidats. S’il y a une majorité absolue, c’est elle qui fixera le choix, encore que ce ne soit qu’une « partie » par comparaison avec l'unani­ mité. S’il n’y a point de majorité absolue, mais un éparpillement des suffrages, saint Benoît ne désire pas que l’on recoure à un nouveau scrutin : il n’amènerait qu’une coalition de rencontre, un syndicat de mécontents ; et dans cette hypothèse le choix sera fixé par une simple majorité relative. Celui-là sera élu qui aura obtenu le plus de voix. Si l’on compare ce nombre à celui des votants, ce n’est qu’une partie, et petite ; ce n’est réellement qu’une minorité, si l’on additionne en face d'elle les autres minorités. Reste à justifier la remarque : saniori con­ silio. Caramuel a réponse à tout : Numerosior est aliis, ei proplerea sanior praesumitur, dit-il, et D. Mège après lui. Peut-être saint Benoît veut-il insinuer que, dans ce cas d’une élection réalisée par une majorité rela­ tive, il y a pour tous un motif spécial de regarder davantage à l’élu, de vérifier avec plus de soin ses titres, de regarder aussi à la personne dos électeurs. C’est alors qu’on pourrait, au besoin, faire intervenir un 508 COMMENTAIRE SUR arbitre de l’extérieur; mais LA RÈGLE ce serait DE SAINT exceptionnel, et BENOIT sans danger pour l'indépendance des communautés. Hi Η Vitae autem merito, et sapientiae doctrina eligatur qui ordinandus est, etiam si ultimus fuerit in ordine congregationis. Quclquesoit le mode de l'élection, chacun des religieux devra choisir en conscience, dit saint Benoît, qui s’occupe maintenant de la personne de l’élu. Ne serait-ce pas un des spectacles les plus effrayants que l’on puisse voir sur terre, celui d’hommes faisant à Dieu le serinent solennel d’élire le plus digne et égarant leur suffrage n’importe où, au hasard de leurs passions ou de leurs combinaisons du moment? Le gouvernement des âmes remis pour vingt ou trente ans, et par le fait de passions mes­ quines. entre des mains branlantes ou douteuses ! C’est une des circons­ tances où il importe le plus de se mettre en face de Dieu, du tribunal et du jugement de Dieu ; l’élection doit s’accomplir, N. B. Père l’a déjà noté, secundum timorem Dei. Il faut faire taire ses préjugés, ses anti­ pathies ou ses sympathies, ses enthousiasmes, il faut surtout comprendre et prévoir. Au reste, saint Benoît indique nettement à quels traits on reconnaîtra celui qu’il convient d'élire. Vitae meritum, d’abord. Une grande situa­ tion dans le monde, un grand nom, de belles relations, la richesse patri­ moniale et l’espoir que, grâce à elle, on vivra à l’aise et l’on pourra bâtir, l’habileté financière et administrative : toutes ces préoccupa­ tions sont écartées. On regardera s’il y a mérite et sainteté de vie, non pas nécessairement absence de défauts et de fragilités, mais profonde dignité de vie et souci des choses surnaturelles. Saint Benoît réclame en outre (1) « la doctrine de la sagesse ». Ce n’est pas la science tout court : les hautes mathématiques ne suffisent pas. Ce n’est même pas la science ecclésiastique : car alors une théologie sèche et de pure curio­ sité, garantie par un diplôme de docteur, pourrait satisfaire. Ce n’est pas non plus simplement la science théorique ou expérimentale des voies mystiques. C’est quelque chose de beaucoup plus compréhensif : c’est une doctrine faite de lecture assidue, de réflexion, de pratique, de pru­ dence, d’intelligence des institutions monastiques. La prudence, le tact, la discrétion : nous entendrons bientôt saint Benoît rappeler qu’on s’at(1) Sanda quippe rusticitas solum sibi prodest; et quantum aedificat ex vitae merito Eeeltriam Christi, tantum nocet si destruentibus non resistat... Vides quantum inter se distent justa rusticitas et doda justitia (S. IIieron., Epist. XLIII, 3. P. L., XXII, 542). DE L'INSTITUTION DE L'ÀBBÉ 54Î tend a Ica rencontrer surtout chez l’Abbé. Et ce sont qualités qui n’ac­ compagnent pas toujours l’intelligence, ni la vertu, ni le zèle aposto­ lique. Sanctus est? disaient les anciens, oret pro nobis. Doctus est? doceat nos. Prudens est? regal nos. Et lorsque toutes ces conditions se rencontrent, elles doivent déter­ miner le suffrage de la communauté, alors même que l’élu occuperait le dernier rang dans le monastère, qu’il serait par conséquent de profes­ sion récente et même assez jeune d’âge. Saint Placide, saint Hugues, Abbé à vingt-cinq ans, n’ont vraiment pas fait trop mauvaise figure. Et puis, si la jeunesse est un défaut, il se corrige vite et sûrement. Même, en principe, il est bon d’élire un Abbé jeune : il y a des œuvres qu’il n’entreprendra et ne pourra poursuivre que parce qu’il se sent de la vigueur, qu’il a l’avenir devant sol Dans une communauté bénédic­ tine, la vie et le mouvement viennent de l’Abbé; et alors que, dans d’autres formes de vie religieuse, des cadres solides, une ossature puis­ sante, une réglementation définie et minutieuse, maintiennent l’unité et assurent le développement de l’œuvre, quels que soient les chan­ gements de titulaire : chez nous, au contraire, tout repose sur la per­ sonne même de l’Abbé (1). Quoi! si etiam omnis congregatio vitiis suis (quod quidem absit) consentientem personam pari consilio elegerit, et vitia ipsa alaquatcnus in notitiam epi­ scopi, ad cujus dioccsim pertinet locus ipse, vel Abbatibus, aut chrislianis vicinis claruerint, prohi­ beant pravorum praevalere consensum, et domui Dei dignum constituant dispensatorem; scientes pro hoc se recepturos mercedem bonam, si illud casto et zelo Dei faciant, sicut e contrario peccatum, si ncg! i gant. Saint Benoît envisage, et avec terreur : Quod quidem absit! une troisième issue de l’élection : le cas où les suffrages se réuniraient sur (1) Plusieurs conciles particuliers et plusieurs Papes ont depuis longtemps prescrit que l’Abbé ait l’âge et la dignité du sacerdoce. Selon le Code de droit canonique, un Abbé doit avoir au moins trente ans d’âge et dix ans de profession (à compter depuis la première profession) ; on exige quarante ans pour un Supérieur général et pour j’Abbesse d’un monastère de moniales. 610 CO.'iMEiYTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT un indigne. Une communauté ne choisit jamais un indigne que pour son plaisir à elle, et parce qu’elle se dit : « A raison de scs habitudes, et parce qu’il est compromis dans les mêmes errements que nous, voilà un moine qui ne sera pas gênant : nous pouvons sans crainte en faire un Abbél » Des calculs de ce genre n’étaient pas absolument métaphysiques à l’époque où se rencontraient des moines comme ceux de Vicovaro : l’unanimité qui pouvait se former pour empoi­ sonner l’Abbé, pouvait se retrouver pour lui donner un triste suc­ cesseur (1 ). Lorsque ce malheur arrive, et que l’évêque du lieu ou bien les Abbés et les laïcs influents du voisinage viennent à connaître avec certitude, par quelque procédé que ce soit, officiel ou privé, les agissements vicieux de la communauté, c’est pour eux un devoir de conscience d’intervenir : s’ils le font, Dieu loin- donnera bonne récompense ; s’ils se désintéressent, il y aura faute et châtiment. Encore faut-il, note rapidement saint Benoît, que leur intervention soit inspirée par des motifs purs et par le zèle de la gloire de Dieu, non par des calculs d’ambition, de jalousie, ou par des préférences injustifiées. Il ne convient pas que, sous prétexte de vigi­ lance, même dévouée, même affectueuse, la liberté de la vie monastique soit amoindrie, et que toutes les personnes pieuses de la région partent en guerre et prennent parti dans une affaire qui ne les concerne aucune­ ment. Ceux à qui en appelle N. B. Père auront une double mission : casser Pélection mauvaise ou suspecte et empêcher le complot des mé­ chants de prévaloir, puis pourvoir la maison de Dieu d’un gouvernement digne. Quel était le rôle dévolu à chacun des personnages énumérés par saint Benoît? Tout porte à croire qu'ils devaient agir de concert sous la direction de l’évêque, les Abbés appuyant celui-ci de leurs conseils et les chrétiens du voisinage prêtant au besoin le secours du « bras séculier». Le procédé suivi était sans doute celui d’une enquête ecclésiastique (2). Comment enfin se déterminait le choix du nouvel Abbé? X. B. Père est trop laconique pour qu’on puisse tirer de son seul texte réponse à toutes ces questions. Ordinatus autem Abbas cogitet semper quale onus suscepit, et cui redditurus est rationem villicationis (1) S. Greg. M., Dial., I. II, c. in. (2) Il y a coïncidence entre ces dispositions de la Règle et celles du concile de Car­ thage de 536 (Mansi, t. VIII, coL 842) : Si qua vero contentio, quod non optamus, exorta luerit, ut ista Abbatum aliorum concilio sive judicio finiatur; aut si scandalum perseve­ raverit, ad Pnmales uniuscujusque provinciae universae causae monasteriorum judi­ candae perducantur. (Cf. canon vu du concile de Tours de 567, sur la procédure à suivre pour la déposition d’un Abbé. Mansi, t IX, coL 793.) DE L'INSTITUTION DE L'ABBÉ SI! suae; sciatque sibi oportere prodesse magis quam praeesse. Saint Benoît adresse à l’Abbé élu et institué (1) des conseils, qui rap­ pellent souvent ceux du chapitre second et nous invitent nous-mêmci à des redites. Avant de descendre aux applications pratiques, il pose le prin­ cipe général qui doit régler toute la conduite de l’Abbé. On lui demande de prendre conscience non pas tant de l’honneur qui lui est fait que du fardeau placé sur ses épaules : il est l’intendant du Seigneur, il tient sa place auprès des âmes ; qu’il y songe sans cesse et qu’il n’oublie jamais à quel maître souverainement perspicace et équitable il devra rendre compte de sa gestion. Les paroles qui suivent sont graves : l’Abbé doit savoir qu’il lui faut bien plutôt servir que commander, être utile aux siens que faire figure. Le Seigneur avait dit de lui-même, avec la même assonance élégante : Filius hominis non venit ministrari, sed ministrare (Match., XX, 28). Mais N. B. Père s’est souvenu aussi textuellement de saint Augustin disant aux fidèles, en l’anniversaire de sa consécration épisco­ pale : Adjuvate nos, et orando et obtemperando, ut nos vobis non tam pra esse quam prodesse delectet; et ailleurs : Ut intelligat non se esse epi­ scopum qui praeesse dilexerit, non prodesse (2). Et, en effet, de combien de manières un Abbé ne pourrait-il pas envisager sa charge! * Me voilà arrivé, pourrait-il se dire; j’ai mon bâton de maréchal; je n’ai rien de II1H plus à espérer : reposons-nous ! » Non : un Abbé est un homme qui tra­ vaille. Ou bien il ferait ce raisonnement: «J’ai des occupations nombreuses, des visites à faire et à recevoir, des lettres à écrire, des relations à cul­ tiver, des intérêts matériels à sauvegarder : il ne m’est vraiment plus possible de faire face aux exigences de la Règle. On me verra de loin en loin aux offices pontificaux : pour tout le reste, la vie monastique se développera sans moi. » Il est sûr que l’Abbé, à raison de ses occupations et pour le service même de sa communauté, ne peut toujours être avec elle et suivre toutes les observances; mais ne semble-t-il pas qu’un Abbé qui s’appuie sur sa charge pour se soustraire à la Règle. — sauf le cas d’infirmité ou de vieillesse, — se prive lui-même d’une grande (1) En général, la confirmation de l’élection abbatiale, l’institution,!' « ordination · de l’Abbé revenaient alors de droit à l'évêque diocésain, même lorsqu'il s’agissait de monastères assez indépendants. Dès le sixième siècle. certains f ondateurs et des évquM eux-mêmes, en Italie et en Gaule, réservent au Souverain Pontife la protection de .< _nj les chapitre monastères et la confirmation des élections abbatiales. Mais ni lxtv et i.xv de la Règle ni dans la Vie de sa n: Benoit (S. Greg. M., Dial.. L II. c. m. xxn). nous ne trouvons d’indication sutiisante pour reconnaître selon quelle discipline avait lieu à Subiaco et au Mont-Cassin Γοτ&ηαΙίο Abbott. (2) Sermo CCCXL. P. L, XXXVIII, 1481 De Cnil. Lu, L XIX, c. xxx P. L, XLI, 647. Λ —T V • v. • < · 5it commentaire sur la règle de saint benoit force et frustre ses moines d’un très bon exemple? Il existe un autre écueil : aux termes du Cérémonial, un Abbé a rang après les évêques, et il en possède certains droits extérieurs : aequiparalus episcopis. Par conscience de sa dignité, et pour le bon renom de son monastère, il pourrait se croire tenu de multiplier les pontificaux au dedans comme au dehors, de se montrer dans toutes les cérémonies et réunions ecclé­ siastiques, dans les congrès, de revendiquer privilèges et honneurs. Tout cela serait parfaitement indigne d’un homme sérieux et très opposé au texte de la Règle. L’Abbé est moine, il est humble et simple; et il réside chez soi. Oportet ergo eum esse doctum in lege divina, ut sciat unde proferat nova et vetera : castum, sobriùm, misericordem, et semper superexaltet misericordiam judicio, ut idem ipse consequatur. Oderit vitia, dili­ gat fratres. L’Abbé n’existe que pour le bien de ses moines : il faut donc, oportet ergo, qu’il possède la doctrine de la foi, de la vie spirituelle, des saintes Écritures. C’est la première recommandation précise adressée à l’Abbé, et nous nous souvenons comment N. B. Père a insisté autrefois sur ce point. Du trésor acquis déjà et grossi chaque jour par l’étude et la prière, 11 III l’Abbé tirera, comme un bon père de famille, « les choses anciennes et les choses nouvelles » (ÀIatth., xiii, 52 ; Cant., vu, 13) : les enseigne­ ments qui ne changent pas et les applications qui varient chaque jour, les règles qui sont éternelles et les avis qui se proportionnent à chaque nature individuelle. C’est le rôle du père de donner la lumière, comme c’est le devoir des fils de se laisser affectueusement pénétrer par elle : Et erunl omnes docibiles Dei (Joann., vi, 45). Un monastère doit être une école de doctrine surnaturelle. Lorsque les hommes ne sont pas encouragés et soutenus, alimentés quotidiennement par un apport d’in­ telligence, ils vieillissent avant l’âge, et réduisent de jour en jour le nombre et l’étendue de leurs idées ; ils s’occupent de leur santé, de leur moi, de mille riens qu’ils grossissent, et deviennent ingouvernables. Et si, par malheur, l’Abbé n’enseignait pas du tout, ou se bornait à dire des futi­ lités, il ne prendrait jamais un vrai contact avec ses moines et ignore­ rait à jamais les meilleures joies de la vie. Mais à côté de l’enseignement théorique : ce que nous devons penser et croire, il y a l’enseignement pratique : ce qu’il faut vouloir et ce qu’il faut accomplir. C’est en vue de cette seconde prédication que saint Benoît signale rapidement les vertus qui sont propres à donner autorité aux DE L’INSTITUTION DE L’ABBÉ 513 paroles de l’Abbé. Π sera chaste et sobre. Toute insistance est superflue : il serait simplement monstrueux qu’il en fût autrement et qu'il descendit de la vie de l’Abbé sur ses enfants d’autres exemples que ceux-là. Sobriété et chasteté n’ont pas d’ailleurs chez les anciens quo leur sens restreint et négatif : elles impliquent la parfaite délicatesse morale, l’esprit de détachement dans l’usage des biens créés, l'adhésion à Dieu qui est le fruit de ce sacrifice. Saint Benoît ajoute : « miséricordieux », parce qu’il commence à nous conduire sur un autre terrain, celui de la correction, de la répres­ sion active. Platon s’est demandé quelque part ce que c’est que gou­ verner : gouverner, dit-il, c’est échanger des lumières avec ses sujets. La réponse est belle et bien conforme à la théorie socratique, d’après laquelle nul ne fait le mal que malgré lui : si le coupable savait, il ne pécherait pas. La formule est malheureusement trop idéale pour des êtres déchus ; et l’autorité doit se résigner souvent à corriger et à punir. Béni soit N. B. Père pour nous avoir donné à imiter le procédé de Dieu même et pour y avoir incliné l’Abbé, non pas seulement par son titre de père, mais encore par la considération de son propre intérêt : « Bienheureux les miséricordieux, parce qu’ils obtiendront eux-mêmes miséricorde. « Saint Odilon disait : Malo damnari de misericordia quam de severitate. Si Dieu, au dernier jugement, nous reproche un excès de miséricorde, le plus respectueusement qu’il nous sera pos­ sible, à genoux devant lui, ne pourrons-nous pas lui dire : a Mais vous, Seigneur? u Que l’Abbé fasse donc toujours passer la miséri­ corde avant la justice, lorsque la rigueur ne paraît pas indispensable (Jac., h, 13) ! H est un miséricordieux, il n’est pas un justicier. Sans doute il ne peut aimer le mal et les habitudes dangereuses : mais du moins qu’il aime les frères 1 C’est le double principe qui le guidera dans la correction (1). · In ipsa autem correctione prudenter agat, et ne quid nimis; ne dum nimis eradere cupit aeruginem, frangatur vas ; suaque fragilitate semper suspectus sit, memineritque calamum quassatum non conte­ rendum. In quibus non dicimus ut permittat nutriri vitia, sed prudenter et cum caritate ea amputet, (1) Il est emprunté i\ S. Augustin : Dilige hominem, oderis vitium (Sermo XLIX. 6. P. L., XXXV III, 323); Oderit vilium, amet hominem (De CiriL Dei, I XIV, c, P. L., XLI, 409); Cum dilectione hominum et odio viliorum (Epist CCXI, 11. P. L, XXXIII, 962). — S. Caesar., lïeg. ad virg., xxu : Hoc faate cum dilectione «rorum el cdio liho/ um. 33 1 51 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT prout viderit cuique expedire, sicut jam diximus; et studeat plus amari quam timeri. Comment so comporter dans la correction même, lorsqu’elle est devenue nécessaire? Avec prudence et avec mesure, sans excéder jamais : ne quid nimis (1). Et d’abord que les réprimandes soient rares. Lorsqu’elles tombent trop dru et périodiquement, chacun s’y accoutume et elles cessent de faire impression. Puis, qu’elles soient vraiment justi­ fiées : il y a des points qui sont considérables et d’autres qui le sont moins ; il est tel détail que, par habitude ou par tempérament, l’Abbé n’aime pas, et qu’il n’est pas pour autant obligé d’extirper. Enfin, que les cor­ rections viennent à propos et qu’elles soient appropriées au caractère et à la situation morale de chacun : il est des trempes dociles et il en est d'autres qui se cabrent ; il existe même, pour des âmes habituellement soumises, des moments de tentation aiguë où il serait imprudent et peut-être cruel d’ajouter encore à leur fardeau. Il faut éviter d’exas­ pérer les âmes : de même que s’il s’agit de racler la rouille d’un vase en métal, on ne le fera pas au point de le briser. C’est affaire de doigté et de délicatesse. Pour incliner l’Abbé à la miséricorde, saint Benoît lui fournit un double motif : qu’il se considère lui-même, qu’il considère le Seigneur. Songeant toujours à sa propre faiblesse, se substituant en esprit à celui qui est corrigé, il sera porté à l’indulgence et à la compassion. B le sera surtout, si, demeurant uni au Seigneur et n’agissant que de concert avec lui, il se souvient des termes employés par Isaïe (xlh, 3) et saint Matthieu (xn, 20) pour décrire le caractère du Messie : Calamum quassatum non confringet. Et, tandis que la Règle s’efforce de retenir l’Abbé sur les pentes de la sévérité, il serait étrange que des frères se crussent la mission de gourmander, d’aiguillonner l’autorité, lorsqu’elle ne s’emploie pas à corriger aussitôt tout ce que leur judiciaire leur dénonce comme ne pouvant être toléré plus longtemps : « Comment l’Abbé ne voit-il pas cela? Cela crève les yeux, pourtant. Serait-il donc complice?... » Patience ! R n’est pas de bon goût d’appeler ainsi la foudre sur tout ce qui n’est pas exactement conforme à notre appréciation personneEe : (1) C’est une réminiscence de saint Jérôme ou de saint Augustin. Difficile est modum tmerein omnibus, dit S. Jérôme, et vere juxta philosophorum sententiam, μεσότης ή ά?εττ„ {τζερβοίή χαχίζ reputantur; quod nos una et brevi sententiola exprimere possumus : Ne quid nimis, Terentius, Andria, I, i, 34 (Episl. CVIII, 20. P. L., XX H. 89S). Ailleurs (Episl. CXXX, 11. P. L, XXII, 1116) saint Jérôme répète les deux citat ions et attribue le .Ve quid nimis à l’un des sept Sages, ajoutant : Quod tam celebre factum est, ut comico quoque versu expressum sit. Dans la Lettre LX, 7 (P. L., XXII, 593), il invite Héliodore à modérer la douleur que lui causait la mort de son neveu Népotien et lui cite le Ne quid mmis. — De son côté. S. Augustin cite et explique la même sentence (Enarratio IV tn Ps, cxyiu, 1. P. L., XXXVII, 1009), UE L'INSTITUTION DE L'ABBÈ 515 .VesriZw cujus spiritus estis (Luc., rx, 55). H cet aisé aussi de remarquer que ces indignations ne viennent guère que de la jeunesse et de l’inex­ périence ; les plus impatients à attirer les sévérités sur leurs frères sont les plus facilement surpris lorsque l’observation les atteint eux-mêmes. Qu’on laisse donc l’Abbé n’intervenir qu’à son heure et selon le mode qu’il juge opportun. In quibus non dicimus... Voici, non pas le tempérament de la misé­ ricorde. mais une précaution prise contre une fausse interprétation de cette vertu. L’idéal de la miséricorde n’est pas le laisser-aller universel ; l’inobservance, le débraillé ne constituent pas l’esprit de famille. Et il importe que le souci de témoigner à chacun de la bonté ne fasse pas oublier la bonté envers la communauté; car tout monastère déchoit rapidement si le supérieur est trop porté à oublier, à excuser, à tout amnistier. Saint Benoît ne veut pas que les mauvaises habitudes se nourrissent d’une pareille condescendance. Et sa Vie nous montre plus d’un trait où la tendresse paternelle s’arma d’une sainte rigueur : qu’on se rappelle l’his­ toire du jeune moine qui portait le bougeoir; de celui qui ne pouvait demeurer à l’oraison et s’abandonnait aux sollicitations du petit Ethio­ pien ; du cellérier trop zélé qui avait dissimulé un flacon d’huile. Il s’agit sans doute de retrancher les vices, mais de le faire au moment conve­ nable, avec adresse, avec charité. Même, on recommande à l’Abbé de s’étudier à être aimé plutôt que craint. C’était aussi le conseil de saint Augustin (1). Les anciens igno­ raient donc cette spiritualité raffinée, selon laquelle il faudrait se garder d’un attachement cordial à son supérieur, sous prétexte de lui obéir plus purement, et qui nous ferait distinguer avec soin en lui l’homme et le supérieur, afin de nous prémunir contre une aSection trop naturelle envers le premier (2) ! Si N. B. Père invite l’Abbé à se faire aimer et non redouter, c’est d’abord que l’Abbé tient la place du Seigneur et que nous sommes avec le Seigneur dans les relations où nous sommes avec notre Abbé. C’est aussi que l’économie nouvelle est par définition et tout entière une économie de charité et non de crainte : Non accepistis spi­ ritum servitutis iterum in timore. Enfin, cette affection même est un levier indispensable pour le bien; elle est un soutien et un récon­ fort au cœur de l’Abbé, et, grâce à elle, il porte plus efficacement (1) Corripiat inquietas, consoletur pusillanimes, suscipiat infirmas, patiens sit ai omnes; disciplinam libens habeat, metuens imponat. Et quamvis utrumque sil Mensa­ rium, tamen plus a vobis amari appetat quam timeri, semper cogitans Deo se pro vobis reddituram esse rationem. Unde magis obediendo non solum cestri, vertm etiam ipsius miseremini; quia inter vos quanto in loco superiore, tanto in periculo majors versatur (Episl. CCXI, 15. P. L.. XXXIII, 964-965). (2) Mmasiù enim ut veniretis : sed amastis, quid? Si nos. ei hoc bene; nam volumus amari a vobis, sed nolumus in nobis. Quia ergo in Christo vos amamus, in Christo nos redamate, et amor noster pro invicem gemat ad Deum : ipse enim gemitus eoiumt-M esi (S. Aug., In Joannis Etang., tract. VI, 1. P, L., XXXV, 1425), 516 COMMENTAIRE sun la règle de saint benoit vers Dieu des âmes qui obéissent d’autant mieux qu'elles aiment davan­ tage. Non sil turbulentus et anxius, non sit nimius et obstinatus, non zelotypus et nimis suspiciosus, quia numquam requiescet. Après avoir parlé de l’enseignement, puis de la correction, qui en est le complément obligé, N. B. Père insiste sur cette disposition foncière qu’il appelle la discrétion. Elle apparaîtra tout d’abord dans le caractère de l’Abbé. Or, le caractère d’un homme, c’est la forme morale de son tempérament. Mieux vaudrait peut-être qu’il n’eût pas de tempéra­ ment, pas de caractère, pas de personnalité : qu’il ressemblât parfaite­ ment au Seigneur et que l’influence de Dieu tînt en lui la place de son moi ! Mais ce n’est pas toujours possible, l’Abbé et ses moines en prendront leur parti. Du moins saint Benoît réclame-t-il que l’Abbé s’efforce de n’être ni brouillon, ni inquiet, ni excessif, c’est-à-dire exalté, emporté, ni opiniâtre, ni jaloux, ni trop soupçonneux (1) : car il n’y a aucto repos, dit-il, pour un homme de cette trempe. Et c’est chose remarquable à quel point le calme est devenu impossible dans une maison dont le chef est remuant et passionné. Gardons-nous de passer légèrement sur ces paroles et de les considérer comme une sorte de remplissage verbal Elles semblent, au contraire, définir une fois de plus, et par contraste, la physionomie générale de notre vie. Ce n’est pas seulement la doctrine, c’est encore la paix qui vient d’en haut et se communique hiérarchiquement. Le monastère doit être le séjour de la paix ; et c’est de la personne de l’Abbé qu’on s’attend à la voir rayonner. Répétons-le encore, il n’est nullement question chez saint Benoît d’obtenir de chacun, en éperonnant, en poussant, en aiguillonnant, le maximum de rende­ ment surnaturel dans le minimum de durée. Ces procédés outranciers peuvent réussir : ils ont surtout chance d’échouer ; même lorsqu’ils réussissent, ils donnent à la vie surnaturelle quelque chose d’inquiet et de tendu. In ipsis imperiis suis sit providus et consideratus, sive secundum Deum, sive secundum saeculum sint (2). Opera quae injungit, discernat ac temperet, (1) Encore un souvenir d’Isaïe disant du Messie : Non clamabit, neque accipiet per­ te ram... Calamum quassatum non conteret... Non erit tristis, neque turbulentus (xt.it, 2-1). (2) Les récentes éditions critiques lisent ainsi : ... ci consideratus; et sive secundum D.um, rive secundum saeculum sil opera quam injungit, discernat, UE L’INSTITUTION DE L’ABBÉ SH cogitans discretionem sancti Jacob, dicentis : Si greges meos plus in ambulando fecero laborare, morientur cuncti una die. Haec ergo aliaque testimonia discre­ tionis matris virtutis sumens, sic omnia temperet, ut sil quod et fortes cupiant, et infirmi non refu­ giant. H s’agit maintenant de la discrétion de l’Abbé lorsqu’il commando, lorsqu’il impose les obédiences : car il ne peut, sous prétexte d'éviter les défauts qu’on lui signalait à l’instant, s’abstenir de donner des ordres. Mais que, dans ses ordres mêmes, in ipsis imperiis suis, il soit attentif et mesuré, prévoyant et pondéré, soit qu’il s’agisse des choses de Dieu, comme l’office divin et l’oraison, ou bien des choses temporelles, comme le travail et le régime alimentaire. Toujours, il doit user du procédé de dédou­ blement et vivre en quelque sorte dans la personne des faibles. Quand l’Abbé distribuera le travail, dit saint Benoît, qu'il fasse donc preuve de discernement et de modération, le mesurant avec soin à la taille et aux forces de chacun. Dieu ne lui a point donné comme mission d’écraser ses serviteurs. Il se souviendra de la discrétion du saint patriarche Jacob (Gen., xxxm, 13), et recueillera attentivement, dans ses lectures, tous les autres exemples de cette discrétion qui est la mère des vertus (1). Nous avons encore dans ces quelques mots, et sous forme positive, tout l’esprit de saint Benoît. La discrétion n'est autre chose qu’une forme de la prudence, reine et maîtresse des vertus morales, selon l’exposé du Docteur angélique (2). Les vertus doivent être pondérées et intelli­ gentes, et se tenir toutes in medio : or, c’est à la prudence qu'il appartient de déterminer ce medium virtutis, d’après la considération attentive des circonstances de l’action. Là où elle se trouve, se trouvent aussi les autres vertus morales ; de même que toutes les vertus théologales se rencontrent dans la charité. Nous pourrions dire de la discrétion qu’elle est la pru­ dentia regnativa, c’est-à-dire la vertu qui, consciente de la fin à obtenir et des moyensdont elledispose, ordonne tous les actes vers cette fin désirée, s’applique à doser toutes choses, à n'excéder en rien, à calculer l'effort selon le travail et selon l’indix'idu. Comme habitude, comme tonalité Hill de la vie, elle est la mesure sage, l’exquis tempérament de l'action. Elle ordonne harmonieusement les vertus et les forces de l’âme, de telle sorte que soit atteint le but supérieur de la vie qui est la contemplation des choses divines. (1) Cc sont les expressions mêmes de Cassien, dans sa IIe Confirmee (chap. iv). qne l'on fera bien de relire en entier : Omnium namque virtutum generatrix, custof moàeratrixque discretio est. : ’’ ’w4, (2) Dans la II* II*’, q. xlvh. EI« COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT Sic omnia temperet, ut sit quod et fortes cupiant, et infirmi non refugiant. Voilà le dessein de N. B. Père : rallier à la vie parfaite, conduire à l’union divine toutes les âmes de bonne volonté. Mais, s'il en est ainsi, il faut donc prendre son parti de ne pas demander à tous et à toute heure le summum de tension continue. Ce serait, sous couleur de perfec­ tion, courir à l’inobservance. Combien peu durent ces enthousiasmes! Le danger de la tiédeur n’est pas pire. Saint Benoît établit une certaine moyenne sage, facilement abordable ; au delà on n’exigera rien de plus. Mais une marge est laissée à la délicatesse et à la générosité personnelles. Saint Benoît lui-même, au dernier chapitre de sa Règle et en d’autres passages, ouvre aux vaillants les horizons d’une perfection ultérieure. Et c’est encore la prudence qui suggère au moine désireux de parvenir à la sainteté de ne pas s’endormir sur la route et de placer très haut son idéal pratique. Et praecipue, ut praesentem Regulam in omnibus conservet; ut, dum bene ministraverit, audiat a Do­ mino quod servus bonus, qui erogavit triticum con­ servis suis in tempore suo : Arnen dico vobis, ait. super omnia bona sua const iluet cum. Une dernière et grave recommandation est adressée à l’Abbé : « Et surtout qu’il conserve en tout la présente Règle ». Tout le long de ce chapitre, on ne lui a guère parlé que de miséricorde, de discrétion, d’adaptation aux besoins des siens. Afin d’éviter toute méprise, saint Benoît lui rappelle qu’il ne lui est nullement loisible de modifier la Règle, ce l'adoucir ou de l’aggraver, de lui substituer ses propres idées et ses dispositions d’au jour le jour. La volonté de l’Abbé a été souvent, en effet, jusqu’à N. B. Père, la règle unique de bien des monastères : mais les cénobites de saint Benoît ont besoin d’une Règle écrite, stable et pré­ cise dans sa largeur. Elle est confiée à l’Abbé. Saint Benoît lui demande de la conserver intacte, — esprit et lettre, — de la faire observer, sans doute aussi de l’observer lui-même. Ni l’Abbé ne saurait se passer de la Règle, qui est pour lui une lumière et un frein ; ni la Règle ne se suffit sans l’Abbé, à raison de son caractère abstrait et général. L’union étroite doit exister entrel’uD etl’autre. Et làse trouve l'explication toute naturelle de l’embarras qui se crée entre un moine et son Abbé, lorsque le moine ΓΠΗ commence à transiger avec la Règle. C’est en même temps et d’une même allure que l’on s’éloigne de Dieu, de la Règle, de son Abbé ; et à demeurer fidèle à l’un ou à l’autre de ces éléments, on gagne d’être fidèle à tous, et l’on est heureux. DE L’ÏNSTlTh^ L« qui, en cas d’absence, de démission, d’incapa­ cité, de mort de l’Abbé, revient de droit le gouvernement ; celui à qui l’Abbé laisse une large part d’action et d’influence : ce n’est pas parce qu’il est tout cela que le Prieur pourra affecter des airs hautains et indépendants. Puisque l’Abbé l’a choisi, librement et non sans retour, pour qu’il soit son bras droit et qu’il le représente auprès des frères, ne serait-il pas déloyal que le Prieur s’efforçât do confisquer l’affection des moines, les détournât sournoisement d’obéir à l’Abbé sur tel ou tel point, et ne tint nul compte, pour sa part, des ordres ou des directions données? a Qu’il accomplisse, et avec révérence, dit saint Benoît, ce qui lui est enjoint par son Abbé, et qu’il no fasse rien contrairement à la volonté ou aux règlements de l’Abbé (1). » Et ceci nous invite à dire un mot des qualités d’un Prieur. S’il est saint, Dieu soit béni, car il faut de la vertu à celui qui doit à la fois commander et obéir, obéir mieux et avec une docilité plus profonde, obéir à un homme qu’il voit déplus près et dont peut-être il connaît bien les faiblesses. D va de soi qu’il aura de l’intelligence et de la circonspection. Il sera régulier et vraiment moine, puisque sa charge est surtout de maintenir l’obser­ vance exacte. Et saint Benoît lui rappelle que. dans la mesure même où il est élevé au-dessus des autres, il devra donner l’exemple d’une plus grande fidélité aux préceptes de la Règle. Qu’il soit attaché à son Abbé, c’est tout naturel ; et il s’efforcera au besoin de rapprocher de celui-ci et de lui amener les frères. Il aimera ceux-ci par conséquent. Il est presque souhaitable qu’il soit d’une trempe un peu différente de celle de l’Abbé: dans l’intérêt de l’Abbé lui-même, à qui le Prieur pourra donner, à l’oc­ casion et respectueusement, un bon conseil; dans l'intérêt aussi des frères, qui pourront parfois trouver chez le Prieur certaines qualités complémentaires de celles de l’Abbé ; mais comparer l’Abbé au père et le Prieur à la mère, ne va pas sans quelque puérilité (2). Qui praepositus, si repertus fuerit vitiosus, aut elatione deceptus superbiae, aut contemptor sanctae regulae fuerit comprobatus, admoneatur verbis usque quater : sinon emendaverit, adhibeatur ei correctio disciplinae regularis. Quod si neque sic correxerit, tunc dejiciatur de ordine praepositurae, et alius qui (1) S. Pacômb disait de même du supérieur local de chaque monastère : Ipse autem praepositus nihil faciei, nisi quod Pater jusserit, maxime in re nova; nam quae ex more dépendit, servabit regulas monasterii (cLvm), (2) D. Mège, Comment, p. 760, 7 nu PRIEUR DU MOXASTERK dignus est, in loco ejus subrogetur. Quod si cl postea in congregatione quietus el obediens non fuerit, etiam de monasterio expellatur. Cogitet tamen Abbas, se de omnibus judiciis Deo redditurum rationem, ne forie invidiae aut zeli flamma urat animam. Il faut penser à tout. S’il arrive que le Prieur s'en lasse accroire, qu’il soit séduit et emporté par la superbe, qu’il soit convaincu de mépris pour les saintes institutions monastiques (1), qu'il se révèle enfin comme vicieux : alors l’Abbé n’est point désarmé. Néanmoins il honorera chez son Prieur une charge dont lui-même l’a revêtu, et il évitera de le décon­ sidérer tout à fait dans l’esprit des frères. Tandis qu’on avertit deux fois les simples moines, trois fois les doyens, le Prieur sera averti quatre fri', et en secret. S'il ne s’amende pas, on lui appliquera les sévérités de la correction régulière : réprimande publique, etc. (ehap. XXVIII). Si tout cela le laisse incorrigible, qu’on le fasse déchoir du rang de Prieur et qu’un autre, vraiment digne de cette charge, lui soit substitué. Avec notre discipline actuelle, la déposition d’un Prieur mauvais ou simplement douteux se ferait moins longtemps attendre ; et la double cérémonie de déposition et de renouvellement des charges, qui a lieu chaque année, fournit au Prieur l’occasion de disparaître. L'n change­ ment d’obédience n’implique aucunement, d’ailleurs, une diminution. Cependant, si le moine s’essayait dans la suite, par un esprit trop naturel mu de vengeance, à fomenter la discorde dans la communauté, s’il ne restait pas à son rang, obéissant et paisible, qu’on aille jusqu’à l’expulser du monastère : etiam de monasterio expellatur. Mais, dans une matière où l’Abbé peut excéder, se laisser entraîner à la jalousie, au ressentiment, à la passion, saint Benoît l’avertit de ,-e souvenir qu’il rendra compte à Dieu de toutes ses décisions. Rien n’est plus efficace pour étouffer, dès le principe, toute mauvaise flamme qui briderait son cœur. (1) D. Calmet prouve, par cinq raisons, que N. B. Père pouvait sans vanité ni pré­ somption parler de la « sainte Règle ». Ce serait vraiment trop peu de res deux mots, d’ailleurs mal compris, pour refuser à saint Benoit La paternité de ce chapitre ou même de mute la Règle, comme ou l’a osé quelquefois, note Bouerius, CHAPITRE LX VI DU PORTIER DU MONASTÈRE L’ordre intérieur du monastère et sa paix ne demeurent assurés qu’à la condition que les relations avec le dehors soient contrôlées et réglées par un service vigilant : celui du portier. N. B. Père complète donc simple­ ment toute cette portion de sa Règle en lui consacrant ici quelques lignes. Depuis longtemps et presque partout, c’est la plus humble des charges ; on l’abandonne à des frères convers ou à des serviteurs : cependant les anciens, nous le verrons, l’envisageaient bien autrement. C’est encore le dessein de reco HIH ander une fois de plus et de sauvegarder la clôture et la stabilité monastiques qui a dicté à saint Benoît la seconde partie du cha­ pitre, si disparate de prime abord. Mais le rapprochement lui était suggéré par la source même où il a puisé presque tous les éléments de ce chapitre : le chapitre xvn de VHistoria monachorum de Rufin (1). — Ad portam monasterii ponatur senex sapiens, qui sciat accipere responsum et reddere, cujus maturitas eum non sinat vagari. Qui portarius cellam debet habere juxta portam, ut venientes semper praesentem inveniant a quo re­ sponsum accipiant. Et mox ut aliquis pulsaverit aut pauper clamaverit, « Deo gratias » respondeat, aut benedicat; et cum omni mansuetudine timoris Dei De ostiario monasterii. (1) B s’agit du monastère de l’Abbé Isidore, en Thébaïde : Intrinsecus putei plures, horti irrigui, omnium quoque pomorum arborumque paradisi, et quaecumque necessaria usibus erant sufficienter, imo et abundanter provisa; ab hoc ut nulli monachorum habitan­ tium intrinsecus, necessitas ulla fieret exeundi foras ad aliquid requirendum. Senior quidam, vir gratis, et de primis electus, ad januam sedens, hoc habebat officii ut adventantes ea lege suscipiat, qua ingressi ultra non exeant... Hic ergo senior in janua, ubi ipse commanet, adhaerentem sibi habebat hospitalem cellulam, in qua adventantes hospitio recipiat et omni humanitate refoveat (Vitae Patrum, II, xvn. Rosweyde, p. 475-476). Au chapitre n, Rvnx avait écrit : Plantavit (Hor) hanc silvam, ut ibi fratres, quos inibi congregare cupiebat, non haberenl necessitatem ligni gratia longius evagandi (Rosweyde, p. 457). DU PORTIER DU MONASTÈRE 5î» reddat responsum festinanter, cum fervore caritatis. Qui portarius, si indiget solatio, juniorem fratrem accipiat. Remarquons que N. B. Père parle au singulier de la porte du monastère. Il est en effet traditionnel (1) qu’une seule porte (avec une seconde ordinairement pour les services intérieurs et les charrois) donne accès au monastère : c’est une garantie de notre clôture. Et, pour sur­ veiller cette porte, la Règle institue un portier. Ce n’est pas un «con­ cierge » : il ne doit en avoir ni le nom ni les mœurs. Saint Benoit ne veut pas qu’on mette là le premier venu. Il y a trois points où le monastère entre en contact avec l’extérieur : l'hôtellerie, la porterie, les parloirs. Les parloirs n’ont d’autres titulaires que les frères dont les parents ou les amis sont un peu voisins du monastère et multiplient leurs visites. Nous avons parlé, en commentant le chapitre LUI, des dangers spéciaux de l’hôtelier ; il faudrait répéter les mêmes remarques au sujet du portier, dont la fonction est tout aussi délicate. C’est lui qui, le premier, est mis en rapport avec les hôtes. Ancienne­ ment même, sa charge coïncidait parfois avec celle d’hôtelier (2). Avec les hôtes, ce sont les familiers, les touristes, les pénitents, les pèlerins,les pauvres enfin, qui se présentent à la porterie ; et souvent le portier reçoit l’obédience de faire les distributions d’aumônes aux indigents (3). Dans un grand monastère, la porterie n’est jamais une sinécure; elle est une source abondante de mortification et de démission de soi-même. Un heureux tempérament n’y suffirait pas : il faut delà vertu surnaturelle, pour être accueillant toujours et toujours de belle humeur, pour savoir se t aire, comme pour savoir parler à propos. Si le portier n'a pas un réel amour du silence, sa cellule ne sera qu’un lieu de vains bavardages et de cancans. C’est là que s’enregistreront toutes les nouvelles du dehors et que, peut-être, les moines viendront les recueillir; c’est de là aussi que s’échapperont certains détails, plus ou moins travestis, delà vie du dedans. A Dieu ne plaise que le portier se fasse jamais le truchement irrégulier entre les religieux et les mondains ! Ajoutons qu'il ne doit manquer ni de tact, ni d’esprit de discernement, afin de reconnaître avec prompti­ tude à quelles personnes il a affaire, deviner comment il doit traiter chacun IIM (1) La 133e novelle de Justinien (c. 1 : Collatio IX, tit XVI) légiférait ainsi:l ’otumus... non plurimos esse tn monasterium ingressus sed unum, aut secundum forte; Λ adstare januae viros senes et castos et testimonii boni ac omnibus, qui quidem neque rfi*· rendissions monachis concedant sine abbatis voluntate exire monasterium... Sibpie cau­ tissima maceria munitum monasterium, ut nullus exitus aliunde nisi per januas sit (2) Cassien écrivait du postulant : Deputatur seniori, qui seorsum haud longe a re­ sti bulo monasterii commanens habet curam peregrinorum atque advenientium deputatam eisque omnem diligentiam susceptionis et humanitatis inpendii (Inst., IV, vn). (3) 11 en était ainsi à Cîteaux (selon le chap, exx des Us), à Bursfeld, etc. 530 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT et rendre A tous le service qui convient : Sapiens, qui sciat accipere respon­ sum et reddere. Responsum a souvent dans le langage du temps le sens HIM d’affaire, de message, de « commission » comme ne us disons vulgaire­ ment (1). L’âge d’un portier n’est pas indifférent. S'il est trop vieux, son fardeau lui devient facilement intolérable et il est exposé à se défaire trop pres­ tement de tous ceux qui viennent déranger sa lecture ou sa quiétude. S’il est trop jeune, il n'impose pas le respect et la réserve ; il distingue mal ceux qu’il faut accueillir et ceux qu’il faut écarter. La dissipation de la jeunesse l’entraîne à vaguer un peu partout ; lui qui ouvre la porte aux autres, il pourrait bien, s’il n’a que peu de conscience, se rouvrir à lui-même et se persuader qu’il a besoin, pour la dilatation de sa vie ou même pour sa contemplation, d’une petite excursion dans le voisinage. Certains goûts de lecture et de prière, avec un petit travail manuel, aideront le portier à l’amour de la clôture parfaite (2). Un grand nombre de visiteurs ne pourront juger le monastère que d’après l’accueil qu’ils auront reçu à la porterie : c’est un motif de plus pour que tout y soit digne et édifiant. Les commentateurs se demandent si N. B. Père réclame vraiment un «vieillard» ; la plupart le pensent, et beaucoup de témoignages historiques semblent leur donner raison ; d’autant que saint Benoît lui-même prescrit d’accorder comme aide au portier « un plus jeune frère ». On peut se con­ tenter néanmoins de la maturité de l’âge et de celle que donne la prudence. Chez les Pères d’Orient, le portier était parfois l’un des rares prêtres de la maison. Partout, et pour toutes les raisons que nous venons de dire : sécurité du monastère, bon renom, édification des étrangers, cette charge était considérée comme l’une des premières ; rappelons-nous que l’Êglise a institué un ordre spécial de clercs pour garder la porte de ses temples. Le concile d’Aix-la-Chapelle de 817 réclamait qu’on fît choix de frères instruits. Et D. Calmet insinue que le fait d’abandonner la porterie à des laïcs est l’indice d’une diminution de sens monastique. C'est peut-être un peu sévère. Pierre le Vénérable, dans sa controverse avec Cîteaux, avouait ne pas comprendre à quoi bon immobiliser un religieux à la porterie, puisque, disait-il, il n’y a, pour ainsi parier, pas de (1) Au chapitre u, saint Benoît écrivait : Frater pii pro quovis responso proficiscitur... Et S. Grégoire le Grand : Mos etenim cellae fuit, ut quotiens ad responsum aliquod egrederentur fratres... (Dial., 1. II, c. xu). — Cf. Du Cange, Glossarium. (2) La Regula cujusdam ad virgines trace un joli portrait des religieuses chargées de garder la porte :... Aetate senili; quibus mundus silet; quae jam ex praesentibus pompis nihil desiderent; sed in loto cordis affectu Creatori inhaerentes singulae dicant : Mihi autem adhaerereDeo bonum est, ponere in Deo spem meam... Sint mentis suae statu firmissimae, ut Domino cum Propheta orando dicant : Averte oculos nostros, ne videant vanitatem... Talc semper supervenientibus ostendant exemplum, ut et foris ab extraneis nomen Domini glorificetur, ... d intus a consodahbus suis mercedis praeparent lucra, dum omnium vice foris gerunt curam (ui). DU PORTIER DU MONASTERE Wl portes à Cluny ; puisque les portes du monastère sont presque toujours ouvertes à tout venant; il suffit, ajoutait-il, qu’un « honnête serviteur » les garde aux heures où elles doivent cependant être fermées (1). Les Cisterciens plaçaient â la porterie un religieux de chœur et un convere. Souhaitons de pouvoir faire de même dans nos monastères. Le portier aura sa cellule tout près de la porte : cela s'impose. On ne l’y attache pas avec une chaîne, comme le faisaient les Romains, mais la charité et la prévoyance demandent qu’il reste fidèle à son poste, afin que les survenants trouvent toujours quelqu’un qui leur réponde et avec qui ils puissent traiter : a quo responsum accipiant. Il est probable que, chez saint Benoît, le portier disait certaines parties de l'office et tairait la lectio divina dans sa cellule ; mais, comme la porte demeurait close toute la nuit et même à certaines heures du jour, par exemple peut-être pen­ dant les repas, le portier n’était pas complètement exclu des exercice, conventuels (2). Au reste, N. B. Père permet qu’on lui donne comme aide un frère plus jeune, qui fera les commissions, qui le remplacera au besoin, m ais sans le décharger de sa responsabilité : car il demeure titulaire. La Règle entre ensuite dans quelques détails sur la fonction du por­ tier. Lorsque quelqu’un frappe, ou bien lorsqu’un pauvre, n’ayant autre chose à réclamer que l’aumône, pousse un cri pour avertir de sa pré­ sence, il faut que, sans le moindre retard, le portier réponde Deo gratias ou bien qu’il bénisse. Nous avons dit, au chapitre LXJII, ce qu’il convient d’entendre par cette bénédiction. Et nous ne croyons pas qu’il y ait lieu de se demander, ni surtout qu’il soit possible de savoir, si la formule Deo gratias était réservée aux pauvres, l’autre aux riches, ou bien inversement (3). Mais ce qu’il faut retenir, c’est la recommandation de a rendre réponse » avec toute la douceur possible, toute la mansuétude qui vient de la crainte de Dieu, et en même temps avec l’empressement et la sainte ardeur de la charité. H est si naturel aux gens poursuivis et pressés de s'impatienter et, selon la formule courante, de secouer leur monde ! Afin de trouver toujours à l’heure opportune le secret de cette hâte tranquille, le portier se souviendra que c’est Dieu lui-merae qui se voile dans la personne des hôtes. Et s’il survient quelqu'un à qui l'on ne s’attend pas, qui semble être de trop, il devra doue recevoir le même accueil affectueux, en souvenir du treizième pauvre de saint Grégoire ou du mendiant de saint Martin. Monasterium autem si fieri potest, ita debet con­ strui, ut omnia necessaria, id est, aqua, molendinum, (1) Epis!.. 1. I. Ep. XXVIIL P. L, CLXXXIX, 134, (2) Cfr. Heg. Magistri, xcv. (3) Quelques manuscrits ont aul Benedic. 63» COMMENTAIRE SUR LA REGLE DE SAINT BENOIT hortus, pistrinum, vel artes diversae intra monaste­ rium exerceantur, ul non sit necessitas monachis vagandi foras : quia omnino non expedit animabus eorum. Nous avons dit, outre leur commune origine, quel lien rattache cette ' prescription aux précédentes : le souci constant, chez saint Benoît, d’accen­ tuer la séparation des siens d’avec le monde, de garantir la clôture et la stabilité. Il est tout à fait inopportun et périlleux pour des moines d’errer çà et là, d’aller se promener dehors et, d’une façon générale, de sortir sans obédience ou avec une obédience extorquée et élargie. Le monde n’est pas salubre pour nous ; notre âme y est mal à l’aise ; nous ne sommes plus aptes à y séjourne: sans danger. Le besoin de se créer des distractions, d’échapper à l’observance et à la vie commune, serait de bien triste augure. Et les pré­ textes ne manquent jamais à l’immortifîcation ; elle sait s’envelopper des formes les plus édifiantes : c’est l’apostolat, c’est la science sacrée, c’est la charité, c’est une santé précieuse. Mais N. B. Père ne répond de la persévé­ rance et de la sainteté des moines que s’ils restent cachés dans leur monas­ tère. Π souhaite même que celui-ci puisse se suffire et qu’il soit installé de telle sorte que rien n’y manque des choses indispensables à la vie et au travail. Il reconnaît d’ailleurs que ce n’est pas toujours réalisable. Les conditions d’un Mont-Saint-Michel, par exemple, se prêtent mal au désir de N. B. Père ; et les collines, aimées de saint Benoît, comme dit le proverbe (1), n’étaient pas toujours, sauf miracle, pourvues d’une source (2). L’énumération des ‘necessaria ne prétend pas, il va de soi, être com­ plète ; saint Benoît ne signale que ce qu’il y a de plus requis : de l’eau, un moulin (3), un jardin, une boulangerie (4), enfin les métiers et ateliers divers (voir le chap. LVII). Remarquons en passant que N. B. Père recommande les exploitations et les travaux en tant que nécessaires à la vie conventuelle, et non comme de vastes entreprises de rapport. Il ne semble pas non plus qu’il souhaite voir ses moines s’en aller travailler au loin, puisqu’il désire un jardin dans la clôture même. Le monastère complet ressemble donc à une petite cité. C’était le cas de beaucoup de monastères de la Thébaïde, où les différents corps de métiers occupaient chacun leur quartier. En Occident, après saint (1) Bernardus valles, monies Benedicius amabat, Oppida Pranciscus, celebres Dominicus urbes. (2) Relire le chap, v de la Vie de saint Benoît (S. Greg. M., Dial., 1. II). (3) D. Calmet a toute une petite dissertation sur les moulins. (4) L’édition Butler omet pislrinum, Voir les discussions des commentateurs sur le f>. exact d“ ce mot. DU PORTIER DU MONASTÈRE SU Benoît, certaines grandes abbayes turent admirablement organisées et formèrent une plus grande variété encore d’artisans et d'artistes. Mais, sous peine d'étendre démesurément le commentaire, nous devons aban­ donner toutes ces questions à l’histoire monastique. Hanc autem Regulam saepius volumus incongrega­ tione legi, ne quis fratrum de ignorantia se excuset. Nous pouvons considérer cette phrase comme la conclusion d'une première rédaction de la Règle; encore que, selon la thèse qui tend à prévaloir, ni l’histoire, ni l'étude intrinsèque des manuscrits ne nous révèlent réellement l’existence de deux textes primitifs différents. Mais il demeure très vraisemblable que la Règle n’a point été composée d'un seul jet. N. B. Père ordonne que le code de la vie monastique soit lu très sou­ vent en communauté, afin que nul ne cherche dans son ignorance ou dans l’infidélité de sa mémoire un prétexte au relâchement. C’est tou­ jours, chez saint Benoit, la même résolution de mettre un terme à tous les désordres que provoquaient, dans tant de monastères, l’imprécision ou même l’absence de règles écrites. Nous sommes fidèles au précepte de saint Benoît, car sa Règle est lue plusieurs fois aux novices, et on la lit à tous, en latin ou en langue vulgaire, à Prime et au repas du soir (1). (1) Cette lecture de Prime est déjà prescrite par le concile d’Aix-la-Chapelle de 817 (.cap, lxix), La lecture du réfectoire est indiquée dans h Régie du J!ailrj (inv), CHAPITRE LXVII I DES FRÈRES QUI VONT EN VOYAGE H y a un lien entre le chapitre LXVI et le premier de ceux qu’une critique avisée regarde comme additionnels. N. B. Père prévoit qu’il sera quel­ quefois nécessaire aux moines de franchir la clôture matérielle et de partir en voyage ; même alors, il veut qu’une clôture spirituelle les enveloppe et les protège, il veut que le monastère les accompagne, pour ainsi dire, per­ pétuellement. Telle est la préoccupation qui a dicté toutes les dispositions de ce chapitre : leur caractère et leur multiplicité montrent jusqu’à quel point saint Benoît redoutait pour ses fils les sorties, même régulières. Déjà, aux chapitres L et LI, il a parlé des moines voyageurs, brièvement et seulement pour rappeler leurs obligations au sujet de l’office divin et de; repas ; au chapitre LV c’est de leurs vêtements qu'il a été question ; ici, le point de vue est différent. Nous remarquerons enfin qu’il s’agit des moines qui entreprennent un vrai voyage, non pas de ceux qui s’absentent pour quelques heures seulement. — Dirigendi fratres in via, omnium fratrum vel Abbatis orationi se com­ mendent : et semper ad orationem ultimam operis Dei commemoratio omnium absentium fiat. De fratribus in via directis. Saint Benoît admet donc qu’im moine, sans violer pour cela ipso facto son vœu de stabilité, puisse entreprendre quelque voyage. Encore faut-il qu’il soit régulièrement envoyé : dirigendus. Les intérêts spirituels ou financiers du monastère, l’apostolat, les messages à transmettre aux princes, aux évêques, aux Abbés, l’assistance aux conciles et, par excep­ tion, une visite à la famille : voilà quelques-uns des motifs qui pouvaient décider l’Abbé à imposer cette difficile obédience (1). Même aujourd’hui que les voyages s’exécutent plus rapidement, un homme qui a le sens (1) P. 17&.179, DES FRÈRES QUI VONT EN VOYAGE 535 ίΒΐϊ monastique ne devrait jamais solliciter de lui-même et moins encore réclamer avea instances la faveur, quelquefois périodique, de retourner dans son pays ou de passer quelques semaines à l’ombre d’une riche bibliothèque. Mais il n'est que filial d’exposer à l’Abbé certaines situa­ tions embarrassantes : sa prudence décidera. D’ordinaire, l’Abbé donne au partant un ou plusieurs compagnons : e’est la meilleure des sauvegardes, et ainsi la vie de communauté n’est pas complètement abandonnée. Encore que saint Benoît ne dise rien de cet usage (le pluriel fratres y fait peut-être allusion), il est probable qu’il existait chez lui, comme il existait chez les Pères d’Orient (1). Le concile d’Aix-la-Chapelle de 817 prescrivit que le moine en voyage eût toujours un compagnon. Avant de sortir, les frères se recommandent aux prières de tous et de l’Abbé. Quelques commentateurs (Bernard du Cassin, Boherius) regardent ici la particule vcl comme disjonctive : Saint Benoit, disent-ils, prévoit le cas où il faudra q itter le monastère sans pouvoir se présenter devant la communauté réunie, et alors la prière et la bénédiction de l’Abbé suffiront (2). C’est à l’oratoire que ceux qui partent viennent, en temps opportun, solliciter les prières du convent (3). Ainsi munis et fortifiés, les voyageur? s’en vont. Comme nous le disions au chapitre L, ils gardent tout ce qu’ils peuvent des observances monastiques. Surtout ils sont fidèles à l’office divin, à la lecture (4). La communauté, de son côté, ne manque jamais,à la finde chaque Heure, d’avoir un souvenir pour les frères absents. Plusieurs commentateurs pensent que saint Benoît parle seulement de la prière finale do tout l’office, c’est-à-dire de celle qui termine Complies, puisqu’il ne spécifie ίI»iI (1) Nullus solus foras mittatur ad aliquod negotium,nisi junelo ei altem (S.Pacîl, Reg.. lvi). — Cf. S. Macar., Reg., xxn. — S. Basil., Reg. fus., xxxix — S. Grégoire l* Grand donne, parmi les motifs qui lui faisaient refuser h confirmation de l’élection abbatiale de Constantins, celui que ce moine avait vovagé seul: Epist., L XII, Ep. XXIV. P. L., LXXVII, 1233; M. G. H. : Epist., t. II, p. 351. (2) La bénédiction de l’Abbé était d’ailleurs nécessaire toujours, à l’aller comme ii retour: plusieurs traits delà Vie de saint Benoît y font allusion (S. Greo. Μ.,Ρώί. I. II'·. Voir par exemple les chapitres xn, xxn, xxrv : dans ce dernier passage est raconta l’histoire du petit moine qui aimait trop ses parents et qui, étant parti les voir un jour sans bénédiction, mourut chez eux. (3) On peut lire dans le Sacramentaire Grégorien trois oraisons de circonstance·, elles sont citées par Hæften (L· XI, tract iv. disq. ni) ainsi que celles que reproduit Smaragde. Celle que nous récitons est déjà indiquée dans les CoutumesdeClung (I 111, c. v) et dans les Constitutions d’Hirsauge (1. II, c. xvni). Lorsque les voyageurs devaient revenir le soir même ou an bout de quelques jour», la bénédiction et une courte priéredu supérieur suffisaient ordinairement (Cf. Haefi.. loc. cil. I. Actuellement et dans notre Congrégation, nous ne sollicitons les prières a l’oratoire que si l’absence doit se prolonger an delà de huit jours; nuis, chique i· is que nous sortons de la clôture, nous devons, à l’aller et au retour, demander la béia dic­ tion du supérieur et prier un instant à l’église. (4) Codieulum modicum cum aliquibus lectionibus de monasterio serum portet, ui quavis hora in via rcpausaicrit, aliquantulum tamen legal, etc, (Aeÿ. Magistri, lvua <111 k 536 COMMENTAIRE SUR LA REGLE DE SAINT BENOIT point qu’il s’agit de toutes les Heures canoniques, comme il le fera dans un instant au sujet du retour. On peut répondre que dans ce dernier passage saint Benoît appelle précisément « achèvement de l’Œuvre de Dieu » la conclusion de chaque Heure : per omnes canonicas Horas, dum expletur Opus Dei; pourquoi aurait-il donné un autre sens à l’expression tout à fait analogue : et semper ad orationem ultimam Operis Dei' Du reste, l’usage monastique commun et ancien suffit à justifier notre traduction (1). Ces touchantes prières pour les absents étaient assez longues autrefois. Celles que donne Smaragde commencent par les mots : Oremus pro fratribus nostris absentibus; elles comprennent une série de petits versets avec leurs répons, puis le psaume l. Le Bréviaire de Paul V a choisi une formule très abrégée, mais qui est aimable encore, et qui suffit, si nous la prononçons avec foi. Revertentes autem de via fratres, ipso die quo redeunt, per omnes canonicas Horas, dum expletur opus Dei, prostrati solo oratorii ab omnibus petant orationem propter excessus, ne quid forte subri­ puerit in via visus, aut auditus malae rei, aut otiosi sermonis. Nec praesumat quisquam aliis referre quae­ cumque foris monasterium viderit aut audierit, quia plurima destructio est. Quod si quis praesumpserit, vindictae regulari subjaceat. Le jour même de leur retour, et sans temporiser aucunement, les frères se prosterneront à terre dans l’oratoire, à la fin de chacune des Heures, sollicitant ainsi les prières de tous. L’usage s’est établi de les demander, une fois pour toutes, à la fin du premier office canonique qui suit le retour. Notre formulaire paraît identique à celui de Cluny et d'Hirsauge (2). Ces prières sont comme un sacramental, destiné à effacer toutes les négligences, toutes les fautes dans lesquelles se seraient laissé surprendre les yeux, les oreilles et la langue. Paid Diacre et Hildcmar observent qu'il s’agit bien ici, et uniquement, de ces surprises presque inévitables à notre faiblesse, et que tel est le sens suggéré par les mots excessus et sulripuerit; des fautes plus graves ou d’un autre geiye exigeraient, dhent-il, une confession faite à l’Abbé (3). L’intention de N. B. Père est (1) Nous avons rappelé plus haut, p. 178-179, que les synaxes antiques se termi­ naient d’ordinaire par des prières pour tous les besoins des fidèles. (2) Conslit. Hirsauy., L 11, c. xix. (3) Cf. S. Basil, Reg. (us., xliv : Quibus permittendae sint peregrinationes et quomodo, ubi redierint, sint interrogandi. , DES FUfcRES QUI VOXT EX VOVAGE Ml de purifier l’esprit, le cœur et les sens du moine de tous les spectacles mondains qu’il a peut-être enregistrés à son insu. Comme dans la Jéru­ salem céleste, rien de souillé n’a le droit de pénétrer dans cette « Vision de Paix » qu'est un monastère. Pour le même motif, ceux qui reviennent de voyage épargneront à leurs frères ce dont la Règle s’est employée à les délivrer eux-mêmes. Saint Benoît n’interdit pas de dire quoi que ce soit des choses vues ou entendues : car pourquoi ne raconterait-on pas les choses édifiantes ou certains détails très anodins? Ce qu’il veut, c’est qu’on ne rapporte pas au hasard et étourdiment tout ce qu’on a remarqué : quaecumque; car, dit-il, c’est la cause de beaucoup de ruines (dwtnidio, le contraire de V aedificatio). Des relations de voyage indiscrètes ou trop circonstan­ ciées pourraient réveiller çà et là des souvenirs, provoquer des curiosités, inspirer des regrets, suggérer de petits romans, ressusciter en nous des choses auxquelles nous sommes morts et qui, grâce à Dieu, sont mortes pour nous : Mihi mundus crucifixus est, et ego mundo. Mieux vaut tou­ jours demeurer en deçà de ce que nous croyons être la limite et bannir tout détail qui serait de nature à troubler l'àme ou parfois même à déconcerter la vocation d’un frère. Une sanction sévère est portée par saint Benoit contre ceux qui ose­ raient enfreindre ce point de règle ; ils seront soumis à la discipline régu­ lière. Similiter, et qui praesumpserit claustra mona­ sterii egredi, vel quocumque ire, vel quidpiam quam­ vis parvum sine Abbatis jussione facere. Rien ne demeurerait de la clôture et de la stabilité, si chacun gardait le droit d’apprécier les motifs qu’il y a pour lui de sortir ou de ne sortir pas, d’aller ici ou là au cours de son voyage-, d’entreprendre telle ou telle démarche. Et c’est pourquoi N. B. Père termine le chapitre en rappelant que l'ordre ou la permission de l’Abbé sont destinés à prévenir toute incertitude et requis pour mettre la conscience du moine en pleine sécu­ rité ; même, les châtiments de la discipline régulière sont décrétés contre quiconque sort sans autorisation du monastère, dirige ses pas vers quelque endroit que ce soit, ou fait n’importe quoi, meme d’assez peu considé­ rable, en dehors de la clôture (2). Les éléments de cette phrase doivent (1) Comme le permet formellement h Règle de Tamat (n). — Sa nt Benoît cita S. Pacôme : Et omnino quidquid /oris gesserint et audierint, in monoiifno narrare non pole. uni. Si quis ambulaverit in via, vel navigaverit, aut opera u· fuent foris, non loqua­ tur in mo lasterio quae ibi geri viderit (lvdt, lxxxvi). (2) S. Basile s’était demandé : An conveniat aliquo abire, moderatore non priui commonejacto? {Reg. brev., cxx) •Ai 538 ■r COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT s'entendre cum conjunctione. N. B. Père, toujours judicieux et pondéré, ne pent menacer d’une aussi grave mesure pénale le moine qui ferait irrégulièrement une chose quelconque, même minime, dans le monastère j et comment d’ailleurs relier au contexte une semblable décision? Elle ne concerne pas davantage celui qui vaguerait et irait n’importe où, sans permission, dans le monastère. Sans doute, saint Benoît semble s'inspirer ici, comme le remarquait déjà Smaragde, d’une règle de saint Pacôme (1) et d’un texte de Cassien (2), qui impliquent (moins les sanc­ tions pénales) la signification que nous écartons : mais N. B. Père modifie parfois notablement les sources qu’il utilise. (1) Nullus neque exeundi in agrum, neque ambulandi in monasterio, neque extra murum monasterii foras habeat facultatem, nisi interrogaverit praepositum cl ille concesserit (ixxxrv). (2) Inst,, IV, X CHAPITRE LXVIII si l’on enjoint a un frère des choses impossibles 11 n’est rien qui ne soit infiniment vénérable dans la Règle : pourtant, les dernières pages, écrites par N. B. Père dans la plénitude de ses années, de sa connaissance des âmes et de sa sainteté, ressemblent à un testa­ ment spirituel, et elles ont pour nous une saveur d’étemité. Elles sont toutes baignées de la clarté de Dieu, toutes imprégnées de sa douceur. C’est d’obéissance qu’il est question encore. Dès le Prologue, N. B. Père définissait la ne monastique un labeur glorieux d’obéissance : Ut ad eum per obedienliae laborem redeas, a quo per inobedienliae desidiam recesseras; notre armure spirituelle s’appelle, dans toutes ses pièces, l’obéissance : Quisquis abrenuntiatis propriis voluntatibus,... obedienliae fortissima atque praeclara arma assumis. Le chapitre V traite ex pro­ fesso de l’obéissance et la décrit surtout empressée et joyeuse. Le cha­ pitre VII, en ses premiers degrés d’humilité, peut-être même en tous, ne nous donne réellement que les degrés de l’obéissance. Saint Benoit l’invoque sans cesse, comme saint François d’Assise chante la pauvreté. Et, devant une telle insistance, nous sommes tentés de lui dire :«Mais, Père, pourquoi nous répéter toujours la même chose? d Sans doute, il nous répondrait avec saint Jean : Filioli, quia praeceptum Domini est, et si solum flat, sufficit. L’obéissance toujours, l’obéissance à tout, l’obéis­ sance à tous et, à l’occasion, l’obéissance héroïque. Saint Benoît nous a livré son secret, il nous a confié son idéal : faire du moine, non pas simple­ ment un obéissant, mais une obéissance, comme le Seigneur, par le Sei­ gneur, dans le Seigneur : Factus obediens, usque ad mortem. lllll On peut se demander, avant d’aborder le commentaire, à quelque motif spécial inclinait N. B. Père à traiter cette question de l’obéissance héroïque immédiatement après le chapitre LXVII plutôt qu’ailleurs. Xous croyons qu’ici encore, comme au chapitre du Portier, cet ordre d’exposition lui a été suggéré par la source utilisée : le chapitre x du IVe livre des Institutions de Cassien (1). (1) Post haec lania observantia oboedientiae regula custoditur, ut juniores absque prae­ positi sm scientia rcl permissu n m solum nonaudeant cellam progredi, sed ne ipsiquidem communi ac naturali necessitati satisfacere sua auctoritate praesumant (nous reconnais- t 540 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT Si fratri impossibilia injungantur. — Si cui fratri aliqua forte gravia aut impossibilia injunguntur, sus­ cipiat quidem jubentis imperium cum omni mansue­ tudine et obedientia. Commander des choses pénibles et impossibles? Que devient donc cette discrétion tant vantée de la Règle bénédictine? Et que devient la promesse de saint Benoît, dans son Prologue, de n’établir rien qui dépassât les forces humaines moyennes : Afi/iil asperum nihilque grave nos constituturos speramus? Non, il ne se contredit pas. Il n’adopto nullement, croyons-nous, ces coutumes de l'Orient — d'ailleurs souvent vénérables et suggestives — qui prétendaient rompre la volonté person­ nelle par le paradoxe violent et la contradiction des obédiences imposées. Rien, dans la Règle de saint Benoît, ni dans sa Vie, ne permet d’assimiler pratiquement les impossibilia auxquels il songe aux impossibilia men­ tionnés par Cassien ; des expressions identiques peuvent désigner des réalités très dissemblables. Le prodige de saint Maur marchant sur les eaux est vraiment un fait exceptionnel ; et peut-être d’ailleurs N. B. Père s’était-il borné tout d’abord à envoyer l'enfant porter secours au petit Placide : c’est l’obéissance qui provoqua le miracle. R est possible que saint Benoît songe à l’hypothèse d’une obédience réellement peu réalisable par les procédés ordinaires ou même simple­ ment humains ; mais surtout il se met dans la personne de ceux qui reçoivent les obédiences et les déclarent si volontiers impossibles. L’Abbé a beau réfléchir, calculer, mesurer : il n’en est pas moins constant que tel moine, à qui est confiée une charge de cellérier, d’infirmier ou de lecteur, prétextera, de bonne foi, son incapacité. Il est si doux de n’avoir nulle responsabilité, de n’appartenir qu’à sa prière et à ses études 1 D est si bon d’être, sur le bateau, simple passager, sans avoir l’obligation de mettre la main à la manœuvre I Aussi, par une sorte d’illusion trop naturelle, lorsque l’obédience la plus bénigne fait sortir certains frères de leur quiétude et les oblige à entreprendre quelque besogne pour la communauté, la première de toutes leurs dispo­ sitions est de se retrancher derrière leur impuissance. C’est exactcgons Ia conclusion de notre chapitre lxvii ; et voici maintenant ce qui ressemblu au chapitre suivant) : sicque universa conplcre, quaecumque fuerint ab eo praecepta, tam­ quam si ex Deo sint caelitus edita, sine ulla discussione festinant, ut nonnumquam etiam inpossibilia sibimet imperata ea fide ac devotione suscipiant, ut tota virtute ac sine ulla cordis haesitatione perficere ea et consummare nitantur et ne inpossibilitatem quidem praecepti pro senioris reverentia metiantur. —Saint Benoit a pu se souvenir aussi de S. Ba­ sile, Reg. contr., lxix, lxxxil — Cf. Reg. fus., xxvnr. SI L’ON ENJOINT λ UN FIIÈRE DES CHOSES IMPOSSIBLES 541 ment l’attitude amusante du corbeau en face du pain empoisonné que N. B. Père lui ordonnait d’emporter au loin : Tunc corvus, aperto ore, expansis alis, circa eumdem panem coepit discurrere atque gracilare, ac si aperte diceret et obedire se velle et tamen jussa implere non posse (1). Le procédé de saint Benoît, devant cette trépidation, est tout paternel ; il dit à son moine : « Vous êtes persuadé que l’obédience est lourde, qu’il vous est impossible de l’accomplir? C’est peut-être vrai. Je ne discuterai pas votre appréciation. C’est donc entendu -.l’obédience est surhumaine ; c’est probablement quelque chose comme cette résurrection d’un mort (pie prétendit m’imposer un jour le bon paysan du Cassin (2)1 Vais enfin, il y a des grâces d’état et de fonction : Dieu nous aide à porter ce dont lui-même nous charge. Et puis tant de choses ne semblent impos­ sibles (pie parce qu’on ne les a pas résolument tentées 1 La sensation de l’équilibre vous viendra en essayant; si vous n'essayez pas, elle ne vous viendra jamais. Peut-être aussi votre Abbé veut-il vous mettre en demeure de montrer ce dont vous êtes capable et vous obliger à grandir par l’effort. Souvenez-vous des vocations de Moïse, d’Isaïe, de Jonas, d’Amos, de saint Jean-Baptiste. » Alors, avec un grand esprit de douceur et d'obéissance, cum omni mansuetudine et obedientia, le religieux accueille l’ordre donné. C’est delà sorte que l’on apprend à marcher sur l’eau, comme saint Maur. Que de fois n’arrive-t-il pas que Dieu supprime soudain tous les obstacles, grâce à l’entrain joyeux de notre obéissance! Les femmes qui s’en allaient au tombeau du Seigneur, se (lisaient en chemin, elles aussi : Quis revolvet nobis lapidem ab ostio monumenti? Elles vinrent pourtant, et la lourde pierre était déplacée : Et aspicientes viderunt revolutum lapidem : erat quippe magnus valde. Quod si omnino virium suarum viderit pondus excedere, impossibilitatis suae causas ei qui sibi praeest patienter et opportune suggerat, non super­ biendo, aut resistendo, vel contradicendo. Que si, après un essai généreux et loyal, vous constatez que décidé­ ment vous n’êtes pas de taille, ne boudez pas, ne murmurez pas, ne vous lamentez pas auprès de vos frères. Allez trouver votre Abbé et doucement, à une heure opportune, exposez les motifs de votre insuccès, sans orgueil, (1) S. Greg. M., Dial., 1. II, c. vin. (2) Quid vultis onera nobis imponere, quae non possumus porare? s'écria d’abord saint Benoît. Mais bientôt il accomplit Je miracle, en toute simplicité de foi (S. Greg. M Dial., 1. II, c. xxxii), . , ** ri lA règle de saint benoit 61 ' . dc raconter l’altairo comme si ' « contestation. Essaye θ uu problème dont vous sans révolte, san’ vous,n«. Opporlune ajoute saint concernait un « démonta · moment, celui ou l’on Uut savoir attendre le b^ Benoît : et. enς le supéou d lieité Inals bien est calme, et ble : ce n est pas ο 1 évltons tout ce qui encore le j Et, dans cette ins ■ . ou à rrepnt de sys. prudence et. clinn hautaine, a il unc permission ressemblerait à 1 3 ne dem désinJtéresscment surnaturel tènie- En pnncif’ ■ d'espnt et appartenons tout entiers s-- ï* » ** - ■' -'· M °' Quod si post suggestionem suam in sua sententia prioris imperium perduraverit, sciat junior ita sibi expedire, et ex caritate confidens de adjutorio Dei obediat. U Alors même que les représentations ont été faites dans les meilleurs termes et appuyées des considérants les plus sages, il peut arriver que le supérieur maintienne son ordre. C’est son affaire. Son dessein est peut-être d’éprouver ou de contraindre : il en a le droit, spécialement lorsqu’il s’agit d’imposer certaines charges, plus pénibles, par exemple le gouverne­ ment d’une communauté. En ce cas, le moine doit effacer de son âme la pensée des difficultés soi-disant insurmontables qu’il croyait apercevoir ; il doit se convaincre qu’il convient pour lui d’agir ainsi, qu’il lui est bon d’obéir jusqu’à ces limites de l’absurde ; les âmes ont besoin, pour monter très haut, de ces anéantissements-là. « \rous le voulez, mon Seigneur et mon Dieu? Je le veux bien aussi. Tout m’est simple alors, tout m’est facile. C’est en vous que j’ai mis mon espérance : et vous avez promis votre grâce à tous ceux qui se confient en vous. » C’est là ce qu’ose nous demander N. B. Père saint Benoît ! Non pas l’attitude du petit enfant qui obéit par crainte du fouet, ni la disposition de celui qui se résigne parce qu il n’y a pas moyen de faire autrement : mais une adhésion intellectuelle tranquille, une soumission provenant de la tendresse, un acte profond de foi, d’espérance et de charité : Sciat ita sibi expedire, ei ex caritate confidens de adjutorio Dei, obediat. Si Dieu a voulu seulement prouver la qualité de notre obéissance, un ange descendra à temps, SI LON ENJOINT λ UN VBÊHE UES CHOSES IMPOSSIBLES 5« connue pour Abraham. Sans s'expliquer davantage, N. B. Père nous dit ·. Comptez sur Dieu. Peut-être bien qu’un miracle ne sera pas nécessaire pour que nous H|H aboutissions. Car enfin, répétons-le, les impuissances des hommes sont souvent laites de paresse et de pusillanimité. On oublie trop que, pour qu’ une chose se lasse, il faut la îaire. Et lorsque nous avons dépensé de longues heures à contempler, dans une fausse et sotte compassion, les difficultés vraies ou prétendues qui accompagnent notre devoir, nous n’avons rien changé k la réalité des choses *. notre devoir s'appelle toujours notre devoir, et la volonté de Dieu demeure*, nous n’avons réusâ qu’ à nous affaiblir. Audentes fortuna juvat : la fortune, ici, c’est la grâce de Dieu. Vr 1 1 CHAPITRE LXTX QUE LES MOINES NE SE PERMETTENT PAS DE SE DEFENDRE L’UN L’AUTRE Les chapitres LXVIII-LXXI semblent avoir une intention commune : celle de ruiner à fond l’égoïsme, de le poursuivre jusque dans ses retraites les plus cachées, et par suite d’ordonner d’une manière décisive notre charité vis-à-vis de Dieu ou des frères. C’est le complément des chapitres V et VII. Saint Benoît signale ici quelques circonstances spéciales de la vie monastique où l’esprit propre est tenté de s’affirmer davantage. Il y a exagération du moi, lorsqu’on discute sur le caractère plus ou moins réalisable des obédiences (LXVIII); lorsqu’on se constitue sans motif l’avocat ou bien le juge de ses frères (LXIX, LXX) ; lorsqu’on se dérobe à cette obéissance que, selon des mesures diverses, chacun doit à tous (LXXI). Ut in monasterio non praesumat alter alterum defendere. — Summopere praecavendum est, ne qua­ vis occasione praesumat alter alterum defendere monachum in monasterio, aut quasi tueri, etiamsi qualibet consanguinitatis propinquitate jungantur. Nec quolibet modo id a monachis praesumatur, quia exinde gravissima occasio scandalorum oriri potest. Quod si quis haec transgressus fuerit, acrius coer­ ceatur. Voici ce qui peut se rencontrer dans la communauté la mieux réglée. Deux frères y sont entrés, deux cousins, l’oncle et le neveu : les liens du sang les rapprocheront l’un de l’autre ; et il est à craindre que l’affec­ tion naturelle, toujours aveugle, ne leur ferme les yeux sur des défauts trop réels et ne les porte à s’excuser réciproquement. Jamais les supé­ rieurs n’useront d’assez de ménagements envers celui que nous aimons ! Les mesures les plus motivées seront qualifiées de sévérité et de parti pris. La difficulté se compliquera encore si ces mesures sont appuyées QUE LES MOINES NE SE DÉFENDENT PAS L'UN L'AUTRE 54$ sur des faits qui ne sont connus que de Γz\bbé et qu’il lui est interdit de livrer. On défend donc son parent, ouvertement, ou bien de façon dis­ crète et habile; on se décerne une sorte de tutelle officieuse et comme un droit de protection : aid quasi tueri. Peut-C tre lesparentésles plus redoutables ne sont-elles pas celles du sang, mais les parentés du choix, celles que créent des recherches assidues et exclusives. Ce qu’on appelle les amitiés particulières doit évidemment être banni d’un monastère. Ce n’est pas après avoir renoncé aux affec­ tions naturelles les plus vives et les plus légitimes que nous songerons à nous en créer de factices et de ridicules. Il ne serait besoin d’insister que là où se rencontreraient des trempes mièvres, frivoles et un peu mal­ saines. Chez les moines, on doit aimer comme chez les anges de Dieu: Erunt sicut angeli Dei in caelo; 1’aSection mutuelle des anges ni ne les détourne du Seigneur, ni ne diminue leur soumission et leur obéissance. Elle ne leur cause ni trouble, ni anxiété, ni jalousie. Ils se rencontrent avec joie ; ils ne se recherchent pas. Le péril que signale saint Benoît pourrait exister aussi dans les petites coteries ou amitiés particulières à plusieurs, et jusque dans certains groupements réguliers : par exemple, lorsque plusieurs moines sont réunis habituellement en vue d’une œuvre commune. Et alors voici le très curieux phénomène que l’on peut parfois observer : ces religieux, ensemble, ou s’entendront, ou discuteront souvent. Mais qu’ils s’entendent ou s’entendent moins bien, ils n’en forment pas moins une raison sociale, un état dans l’état. On ne pourra toucher à aucun sans provoquer chez tous un choc en retour, un mécontentement, des murmures. C’est la mise en commun de tous les griefs ; et parfois même une langue, un argot spécial est créé pour les traduire et les échanger. Aux com­ mentaires des actes de l’autorité se joignent les condoléances auprès des victimes. Plusieurs léüexions de N. B. Père laissent deviner qu il y avait dans les monastè es de son temps des esprits brouillons, des agitateurs inconscients, des diplomates de métier, par tempérament ou par manie. Ils groupent les mécontents, s’appliquent à envenimer dans les âmes les petites blessures d’égoïsme. Tous leurs traits sont enveloppés de sousentendus, d’atténuations hypocrites, de protestations d’obéissance quand même, ponctuées de soupirs, etc. Et, naturellement, il y a toujours dans ces condoléances un prétexte de charité, de pitié, d’« indépendance de caractère », de piété même. Comme les illusions sur ce terrain sont faciles I En réalité, c’est le scandale et la division qui commencent dans la communauté : Exinde gravissima occasio scandalorum oriri potest. En même temps, c’est le plus mauvais service qu’on puisse rendre au frère ainsi défendu : qui sait si notre parole imprudente et légère no sera pas pour lui le germe d’une véritable apostasie? C’est aussi injustice et souvent calomnie vis-à-vis de l’Abbé : car l’Abbé ne saurait, sans passer 33 b 546 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT au parlementarisme, s’appliquer à justifier devant scs moines toutes les décisions qu’il a prises. Enfin ces petites frondes monastiques no manquent jamais d’une part de suffisance naïve, puisqu’on semble reven­ diquer pour soi-meme un gouvernement dont l’Abbé est reconnu prati­ quement incapable. Nous comprenons maintenant les fortes expressions dont se sert saint Benoît .* Summopere praecavendum est, ne quavis occasione... nec quolibet modo..., dans aucune circonstance et de quelque façon qu’on procède | nous comprenons aussi le « très sévère châtiment » prononcé contre les violateurs de cette règle (1). H va de soi néanmoins qu’il est pleinement régulier et très méritoire d’aider son frère à porter un châtiment ou une obédience difficile. Il est charitable aussi, et pour l’Abbé et pour le moine, si l’on croit qu’il y a peu de proportion entre la faute et la peine, si l’on connaît des circonstances atténuantes, ou si l’on est renseigné sur la situation vraie, d’aborder humblement l’Abbé lui-même et de l’éclairer. (1) Saint Benoit n’est pas plus sévère que les anciens législateurs monastiques : Çui consentit peccantibus et defendit alium delinquentem, maledictus erit apud Deum ei homines, et corripietur increpatione severissima (S, Pach., Reg., clxxvi). — Voir aussi S, Basile, Reg. contr., CHAPITRE LXX QUE NUL NE SE PERMETTE DE FRAPPER ou d’excommunier quelqu’un étourdiment Dans le chapitre précédent, N. B. Père nous a mis en garde contre l’égoïsme se traduisant par des sympathies irrégulières, mais colorées des apparences de la charité ; il dénonce maintenant l’égoïsme des anti­ pathies, celui qui se traduit par des corrections, irrégulières aussi, mais colorées des apparences du zèle. Car ü s’agit seulement ici de ceux qui prétendraient infliger des châtiments soi-disant réguliers, et non pas de tous ceux, indistinctement, qui se laisseraient aller à des violences contre leurs frères. Ut <·ν— · non praesumat quisquam aliquem passim caedebe — Ut vitetur in monasterio omnis praesumptionis occasio, ordinamus atque constituimus ut nulli liceat quemquam fratrum suo­ rum excommunicare aut caedere, nisi cui potestas ab Abbate data fuerit. Peccantes autem coram omnibus arguantur, ut celeri metum habeant. aut excommunicare. L'autorité ne se présume pas. Il est illicite et très imprudent d’exercer, sans compétence aucune, un pouvoir aussi délicat que celui de la correction. Nul moine ne devra donc, de son propre mouvement et s’il n’en a reçu de l’Abbé l’obédience formelle, infliger à qui que ce soit la peine de l’excommunication ou des verges, et, dans l’explosion « d’un zèle amer », tomber sur tout délinquant. Il faut croire qu’à l’époque de saint Benoît de tels abus pouvaient se rencontrer. Aujourd’hui encore, certains tempéraments semblent prédisposés au métier d’inquisiteur ou de redresseur de torts. Mercuriales, dénonciations, bourrades, excom­ munications pratiques par suppression des relations affectueuses; tous ces procédés se justifient à leurs yeux, lorsqu’il s’agit de faire respecter la Règle ou simplement des coutumes d’assez médiocre importance, et ■ 548 Il· ■ I COMMENTAIRE SUR LA REGLE DE SAINT BENOIT qui peut-être intéressent leur vanité. « Mais tel abus n’est-il pas criant? » Qui vous oblige à y être attentif? Votre responsabilité est-elle engagée? Pourquoi ce besoin maladif d’intervenir dans les affaires d’autrui? Pensez à vous. Priez seulement pour ce frère qui vous agace ou vous scandalise. Donnez-lui à l’occasion un bon conseil et surtout le bon exemple. Avertissez qui de droit. Regardez du côté de Dieu : il est d’expé­ rience qu’à mesure qu’elles s’approchent de lui, les âmes se trempent de miséricorde. H est reconnu aussi que les plus intolérants et les plus mala­ visés des censeurs sont les hommes sans mission, dépourvus de la grâce d’état et n’agissant que selon leur caractère ou leur impression du moment. Car le premier danger de ces corrections intempestives est de frapper trop fort. Le second est de n’aboutir à rien. On s’improvise moins encore médecin des âmes que médecin des corps (1). Mais N. B. Père n’envisage explicitement, dans son texte, que le péril de superbe, de témérité orgueil­ leuse : Ul vitetur (2) in monasterio omnis praesumptionis occasio. Distribuer ainsi, sans mandat et à tout propos, étourdiment (passim, porte le titre), les châtiments réguliers de l’excommunication et des verges, c’est se donner une importance singulière; c’est se substituer pratiquement à l’autorité légitime et peut-être même, dans un dessein d’ambition, se créer la réputation d’un homme fervent et résolu (3). Peccantes autem... Matériellement, c’est une citation de saint Paul : Peccantes coram omnibus argue, ut et caeteri metum habeant (I Tim., v, 20) ; mais quelle est exactement la pensée de X. B. Père et par quel lien cette remarque se rattache-t-elle au contexte? On a fourni des explications diverses : « Ceux qui pèchent contre les dispositions précédentes seront corrigés publiquement. » Le sous-entendu est commode : mais comment se fait-il que saint Benoît, omettant ces quelques mots si importants pour la clarté de la phrase, ait dit d’une manière absolue et sans relation formelle avec ce qui précède : peccantes? Aussi bien, saint Benoît spéci­ fiera dans un instant le châtiment qu’il réserve aux correcteurs sans mandat : les degrés de la discipline régulière ; et la discipline régulière implique autre chose qu’une correction publique. — « Ceux qui commettent une faute seront repris publiquement. » Aussi générale, la decision n’est-elle pas tout à la fois en désaccord, avec la Règle elle-même, qui prescrit ailleurs des avertissements secrets ; et avec la morale, puisque (1) Si enim objurgatio est animae curatio, non est cujuslibct objurgare, sicut nec mederi, nisi si praefectus ipse, multo adhibito examine, id cuipiam permiserit (S. Basil., Reg. fus., 1ΠΙ). (2) La leçon la plus autorisée est : Veletur in monasterio... occasio, atque constituimus. (3) N'est-ce pas ce que voulait dire aussi S. Basile : Si quis, non desiderio corrigendi fratres arguat eum qui delinquit, sed sui vitii explendi gratia, quomodo oportet hunc corrigi?... Iste telut suis commodis prospiciens et primatus desiderans notetur... (Reg. conlr., exem). Dans la réponse à l’interrogation suivante, il indique que c’est au supé­ rieur de déterminer tel quanto tempore vel quali modo corripi debeant. DES CORRECTIONS IRRÉGULIÈRES 5» traduire toute faute, quelle qu’elle soit, devant la communauté entière peut ressembler à une véritable diffamation? — Le sens est plutôt celui-ci : les transgressions d’un caractère public et scandaleux (pec­ cantes coram omnibus) ne peuvent demeurer sans châtiment ; il faudra que quelqu’un d’autorisé corrige de pareilles fautes, avec énergie, en public au besoin, et de façon à effrayer les turbulents (1). ♦ Infantibus vero usque ad quintum decimum annum aetatis, disciplinae diligentia sit, et custodia adhibeatur ab omnibus : sed et hoc cum omni men­ sura et ratione. En stipulant que nul ne peut usurper le droit de punir ses frères, saint Benoit n’a pas voulu rapporter les dispositions que nous avons rencontrées déjà et qui soumettent les enfants de moins de quinze ans à la surveillance et à la correction de tous leurs aînés d’âge, quels qu’ils soient. Les enfants vivaient mêlés aux anciens, ils suivaient avec eux la plupart des exercices et étaient formés par les soins de tous. « Cette manière d’élever les jeunes gens valait peut-être bien celle qui a été en usage depuis, dit D. Calmet. On a l’expérience que des enfants qu’on élève dans l’habitude de penser et de parler sérieusement, sont capables d’acquérir de fort bonne heure une grande maturité et une sagesse rare, et qu’on ne trouve point dans les enfants nourris parmi des personnes dissipées ou avec d’autres enfants, d Mais N. B. Père a prévu le danger. Lorsqu’un ancien, de mœurs rudes et quelque peu barbares encore, prenait en grippe ces petits enfants qui étaient espiègles et qui avaient aussi le tort d’être ses aînés de profession, il distribuait peut-être les sévices sans beaucoup de réserve. Il est difficile de raisonner avec les enfants, et saint Benoît n’ignorait pas que la première éducation se fait autrement que par voie d’intelligence : il demande pourtant que la cor­ rection soit exercée en toute mesure et sagesse. Nam in fortiori aetate qui praesumpserit aliqua­ tenus sine praecepto Abbatis, vel in ipsis infantibus (1) La plupart des commentateurs rattachent les mots coram omm&us font ensemble à peccantes et à arguantur. Smaraodb rappelle â ce propos le texte di Lévitique : Non oderis fratrem tuum in corde tuo. sea publice argue cum, nc habeas super eo peccatum (xrx. 17). — Ipsa corripienda sunt eoram omnibus, quae peccantur coram omnibus: ipsa corripienda sunt secretius quae peccantur secretius (S. Aro.. Semo LXXXII, 10. P. L., XXXVIII, 511).— Autre explica’ion : nul ne doi: infliger sans mandat une peine corporelle oj spirituelle \ excommunicare aut caedcre\ mais, devant une faute publique et scandaleuse, chacun peut protester et reprendre (arguere), 650 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT sine discretione exarserit, disciplinae regulari sub­ jaceat, quia scriptum est : Quod tibi non vis fieri, alii iic feceris. Saint Benoît se résume et conclut. Celui qui aura la témérité de sévir, en quelque manière que ce soit, sans l’ordre de l’Abbé, contre des frères adultes, ou indiscrètement contre des enfants : celui-là sera soumis à la discipline régulière ; il expérimentera à ses dépens et pour son amen­ dement futur la sagesse du conseil divin : Ne faites pas à autrui ce que vous ne voulez pas qu’on vous fasse à vous-même (1). Les prescriptions de ce chapitre s’adressent premièrement à ceux qui n’ont aucune autorité pour châtier leurs frères ; elles concernent même tous ceux que le code pénal monastique, la coutume légitime ou bien une délégation spéciale investissent du droit ordinaire ou extraordinaire de correction, lorsqu’ils dépassent les bornes de ce qui leur est permis par la Règle et par la prudence. D'une manière générale, toute correc­ tion doit réaliser les trois conditions suivantes : la compétence, une cause juste et assez considérable, une proportion entre le châtiment et la faute qui le détermine. Le résultat de la correction sera bien compromis si l’on s’aperçoit que nous cédons à des impatiences, à des antipathies naturelles, aux poussées d’un tempérament irritable : réservons notre antipathie pour nos propres défauts. (1) C’est le neuvième instrument des bonnes œuvres : voir plus haut, p. 76, ! I CHAPITRE LXXI QUE LES FRÈRES S’OBEISSENT LES UNS AUX AUTRES I H est entendu que personne ne peut corriger ses frères sans mandat; mais enfin plusieurs possèdent ce mandat. Et il s’agit beaucoup moins, pour le moine soucieux de perfection, de vérifier les titres de celui qui commande ou qui punit, que d’obéir simplement en toutes choses et à tous. Bien loin d’exercer sur ses frères une surveillance maussade et de les molester par des répressions tyranniques, que chacun s’applique donc à se soumettre à tous (1). Le chapitre comprend deux parties : comment accueillir l’ordre d’un frère ou lui rendre un service; — comment accueillir certaines.répri­ mandes des supérieurs. — Obcdienliae bonum non solum Abbati exhibendum est ab omnibus, sed etiam sibi invicem ita obediant fra­ tres, scientes se per hanc obedientiae viam ituros ad Deum. Praemisso ergo Abbatis, aut praeposito­ rum qui ab eo constituuntur imperio (cui non per­ mittimus privata imperia praeponi), de cetero omnes juniores prioribus suis omni caritate et sollicitudine obediant. Quod si quis contentiosus reperilur, corri­ piatur. Ut odedientes sint sibi invicem fratres. Obedientiae bonum (2). Ce n’est pas une prestation toute matérielle et extérieure, ni une aumône jetée dédaigneusement : c’est un présent fait avec grâce, reçu avec joie par le Seigneur : acceptabüis Deo et dulcis hominibus (chap. V). Et c’est aussi un bien, une bonne fortune pour l’obéissant : car chacune de ses soumissions arrache un lambeau de ce redoutable cilice qu’est l’égoïsme et lui donne un peu plus de Dieu. (1) Même doctrine dans S. Basile, Reg. conlr., xm. lxiv. (2j L'expression est de Cassien, /nst, IV, xxx; XII, .wa, 351 55S ! ’ J 1 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT S’approcher de Dieu, s’unir à Dieu : telle est la fin de toute notre activité surnaturelle. Et nous savons que les anciens envisageaient la vie chiétienne comme une marche ininterrompue vers ce terme béni, l’union avec le Dieu vivant : Volo, Pater, ut ubi ego sum illic sit et minister meus. Etl’onnousadit, et le Seigneur avec sa Mère et ses saints nous ont montré dans leur vie, que la voie royale par laquelle on monte chez Dieu, c’est l’obéissance. N. B. Père saint Benoît ne se lasse jamais d’en parler ; elle est l’alpha et l’oméga de sa Règle. Si nous avons hâte d’atteindre Dieu, nous rechercherons donc des occasions d’obéissance, plutôt que d’ingénieux procédés pour nous y soustraire. Les yeux levés vers Jérusalem, nous marcherons dans l’allé­ gresse, ne voyant plus que Dieu en toutes choses, obéissant à Dieu et à toute créature pour l’amour de Dieu, Pâme perdue, disent les mystiques. L’obéissance à l’Abbé et à ceux qui tiennent de lui une part d’autorité ne nous suffira plus : nous nous inclinerons aussi bien, et pour des motifs tout semblables, devant les désirs de nos anciens, meme de nos plus jeunes frères, encore que saint Benoît ne le demande pas explicitement ; et ce sera, dans la communauté, comme un empressement universel à s'obéir les uns aux autres : Sed etiam sibi invicem ita obediant fratres. On n’ose même pas penser qu’un moine puisse se dire:«La vie monastique, c’est chacun chez soi, chacun pour soi ; c’est demeurer côte à côte, mais murés les uns pour les autres, juxtaposés. Le programme, c’est de n'avoir souci de personne, d’observer scrupuleusement le chapitre LXX, mais, en retour, de ne tolérer que personne entreprenne sur nous ». Les commentateurs remarquent que même dans une vie où tous les instants sont consacrés à des œuvres déterminées, où les obédiences et les relations sont fixées par la règle écrite ou vivante et par les usages, il reste aux frères bien des occasions de se témoigner l’obéissance mutuelle. La courtoisie, l’urbanité, la serviabilité ne sont-elles pas autant de formes aimables de l’obéissance? Il est des moines très jaloux de leur temps et très constants à l’étude qui néanmoins semblent être en disponibilité toujours et n’avoir autre chose à faire qu'à se donner à tous ceux qui les réclament. Omni caritate et sollicitudine obediant. Voilà rappelés, brièvement, la source divine de notre obéissance, son caractère et son allure. Ce n’est pas de la politesse mondaine, mais de la charité. Ne nous imaginons pas obéir comme le voudrait saint Benoît, lorsque nous semblons faire une grâce ; ou bien lorsque notre soumission est accom­ pagnée d’une attitude lassée et sceptique; ou bien, enfin, lorsque nous prenons l’air dolent d’une victime qui s’exécute et au dedans s’admire. Ce n’est alors que la grimace de l’obéissance. II y a toujours quelque danger d’illusion à rechercher douloureusement à part soi où l’on en est avec le Seigneur : « Mes péchés sont-ils oubliés? Est-ce que je suis enfin dans la vic illuminative? Ne serait-ce pas plutôt QUE LES FRÈRES S'OBÉISSENT LES UNS AUX AUTRES 55Î Punitive? » Curiosités, curiosités légitimes après tout, puisque notre unique intérêt au monde est de savoir si nous sommes bien avec celui-là seul qui compte. Et la réponse divine ne manque jamais. Mais d’ordinaire nous n’écoutons pas où il faudrait pour la recueillir. L’ima­ gination, la sensibilité, l’esprit humain, les mauvais anges nous leurrent. Ce n’est pas même à Dieu, dans la prière, qu’il faut demander ce redou­ table secret. Notre confesseur ne sait pas non plus. C’est à notre obéis­ sance qu’il faut regarder, très humblement, très loyalement. Si nous constatons, dans les faits, que décidément notre âme est devenue une disponibilité, une docilité profonde et comme sans mesure, réjouisson?nous, remercions le Seigneur : il est tout proche. Et peut-être les strophes symboliques de saint Jean de la Croix chantent-elles tout bas dans notie cœur : Mon âme s’est employée, Avec tout ce que je possède, à son service. Je ne gardî plus de troupeau, Je n’ai plus d’autre office : Ma seule occupation désormais est d’aimer. Si donc à l’avenir, dans ces prairie, Je ne suis plus ni vue, ni rencontrée, Vous direz que je me suis perdue, Que, marchant toute ravie d’amour, Je me suis volontairement perdue, et j’ai été gagnée. Saint Benoît observe que, dans cette obéissance due à tous, il y a, néan­ moins, une hiérarchie à observer. Il est normal que l’Abbé et les doyens soient écoutés les premiers. Lorsque nous sollicitons une permission ou que nous remplissons une obédience, il nous faut prévenir tout conflit de juridictions, bien loin de le provoquer malignement. Les autorités proprement dites étant écoutées tout d’abord, dit saint Benoît, ou n’étant point intervenues, tous accueilleront avec simplicité, humilité et bon sens, les ordres légitimes, les indications, les remarques des aînés. C’est un conseil de perfection ; mais, dans une mesure, c’est un précepte. Et s’il se rencontre au monastère un disputeur, un esprit toujours prompt à contester, toujours pourvu de fortes raisons pour se dérober à l’obéis­ sance, on lui fera comprendre que cette disposition est absolument incompatible avec la vie religieuse ; et on le châtiera : Si guis viddur contentiosus esse, disait déjà l’apôtre saint Paul (I Cor., xi, 16), nos talem consuetudinem non habemus, neque ecclesia Dei, Si quis autem pro quavis minima causa ab Abbate vel a quocumque priore suo corripiatur quolibet 554 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT modo; vel si leviter senserit animum prioris cujuscumque contra se iratum vel commotum, quamvis modice, mox sino mora tamdiu prostratus in terra ante pedes ejus jaceat satisfaciens, usque dum bene­ dictione sanetur illa commotio. Quod si quis con­ tempserit facere, aut corporali vindiciae subjaceat, aut si contumax fuerit, de monasterio expellatur. Chaque expression est suggestive, dans ces prescriptions dont la sévé­ rité nous étonne peut-être. Elles sont en harmonie pourtant avec la sainte Règle tout entière, avec les Règles anciennes (1) ; et, lioimis certains détails, elles ont toujours force de loi. Ce n’est pas, semble-t-il, pour n’importe quelle réprimande que le moine interpellé doit satisfaction, mais seulement lorsque la remarque est soulignée chez le supérieur par quelque émotion, par quelque vivacité dans le ton et surtout par un mouvement d’indignation. Ce paroxysme n’est pas requis pour que le coupable s’exécute : il suffit d’une émotion légère : quamvis modice. D n’est pas nécessaire non plus qu’elle soit notoire, mais simplement qu’elle soit devinée, légèrement aperçue : vel si leviter senserit. Si menu que puisse paraître le motif de la réprimande : pro quavis minima causa; quelle que soit la manière dont elle est faite : quolibet modo; et d’où qu’elle vienne : ab Abbate vel a quocumque priore sue : c'est aussitôt et sans retard, sans réfléchir ni peser le pour et le contre, qu’il faut se pros­ terner à terre (2). Et l’on demeurera dans cette posture humiliée jusqu’à ce que la bénédiction du supérieur vienne attester que son irritation a disparu. Saint Benoît suppose, naturellement, que la miséricorde ne tardera pas plus que n’a tardé le repentir. Il ne s’agit donc aucunement de se justifier, d’assurer qu'on n’a pas songé à mal, de protester que les intentions étaient droites ; il s’agit beau­ coup moins encore de se répandre en impertinences. Et, nous l'avons dit, ce point de Règle n’est pas périmé ; il est des circonstances où le délinquant doit aussitôt demander pardon à genoux, où il doit du moins présenter des excuses. Le profit de cette humble soumission est double : le frère réprimandé trouve sur l’heure le moyen facile de réparer sa faute, de redevenir petit, et, dans une attitude comme celle-là, il n'est plus tenté de discuter ; le supérieur, de son côté, est incliné au pardon immédiat, et son émotion s’évanouit soudain tandis que sa main fait le geste de bénir : Usque dum benedictione sanetur illa commotio. Il y a édification mutuelle. (1) Frater qui pro qualibet culpa arguitur tel increpatur, patientiam habeat et non respondeat arguenti; sed humiliet se in omnibus (S, Macar., Reg., xvi), (2) Cass., Inst., IV, xvi, —* QUE LES FRÈRES S'OBÊISSENT LES UNS AUX AUTRES 555 Saint Benoit indique, en terminant, les peines réservées à ceux qui no consentent pas aux satisfactions. Si l’orgueilleux résiste, on le fera passer par les verges, on le soumettra probablement aux châtiments gradués dont il est parlé au code pénal monastique ; et finalement, s’il est incorri­ gible, on l’expulsera de la communauté (1). On le rendra au siècle, puis­ qu'il est du siècle par son esprit de contestation. (1) Selon les anciens commentateurs, s’il s'agit d’un moine élevé dans te monastère, «Ill I c'est-à-dire entré comme oblat, on ne le renverra pas dans le siècle qu’il ignore, mais on l’emprisonnera, . ΪΛ. CHAPITRE LXXII DU BON ZÈLE QUE DOIVENT POSSÉDER LES MOINES De ZELO BONO QUEM DEBENT HABERE MONACHI. —SÎCUl est zelus amaritudinis malus, qui separat a Deo, et ducit ad infernum : ita est zelus bonus, qui separat a vitiis, et ducit ad Deum et ad vilain aeternam. Hunc ergo zelum ferventissimo amore exerceant monachi... Ce chapitre complète et résume tout l’enseignement des quatre qui précèdent. On pourrait même le considérer comme une synthèse de la Règle entière. Saint Benoît condense toute la science de la perfection monastique en quelques sentences brèves et pleines, qui ont l’éclat et la solidité du diamant. Encore que les cléments doctrinaux et les for­ mules elles-mêmes nous soient déjà connus en partie, leur choix et leur groupement leur donnent ici une valeur nouvelle (1). C’est une idée aussi ancienne que le christianisme et très familière à saint Benoît que toute vie humaine a pratiquement le choix entre deux directions, et deux seulement, entre deux voies : la voie du mal, de la séparation d’avec Dieu, de l’enfer ; et la voie du bien, de la séparation d’avec les vices, de l’union à Dieu, de la vie étemelle. Sur ces deux routes, deux armées ennemies se hâtent, et entre elles il y a de perpétuelles ren­ contres. Chacune a son chef et son étendard, chacune sa devise, sa tactique et ses armes ; dans un camp, c’est l’orgueil, la désobéissance, le Non serviam de Lucifer; dans l’autre, c’est l'humilité, l’obéissance, le Quis (1) C’est l’écho de l’enseignement de S. Basile : Reg. contr., xn sq. Voici comment les anciens comprenaient la vie contemplative : Quali affectu debet servire qui servit Deo? AIReturn bonum vel animum illum esse arbitror ego, cum desiderium vehemens et inex­ plebile atque immobile inesl nobis placendi Deo. Impletur autem iste affectus per theoriam (Οίωρίαν), id est scientiam per quam intueri et perspicere possumus magnificentiam gloriae Dei, et per cogitationes p.as et puras, et per memoriam bonorum quae nobis a Deo collata sunt; ex quorum recordatione venit animae dilectio Domini Dei sui, ut eum diligat ex toto corde suo, et ex tota anima sua, e( ex tota mente sua (xrv). 3SC DU BON ZÈLE QUE DOIVENT POSSÉDER LES MOINES 551 ut Deus? de saint Michel. Et N. B. Père nous parle ici des deux zèles, comme saint Augustin avait parlé des deux amours (1). Le zèle, c’est l’ardeur secrète, le bouillonnement de l’àme, sa chaleur, sa ferveur. Dans la sainte Écriture et les Pères le mot « zèle* désigne le plus souvent une mauvaise tendance de l’àme : la jalousie, l’envie, l’âpreté dans la poursuite d’une satisfaction égoïste, même aux dépens du prochain. C’est dans ce sens que l’emploie Cassien au chapitre vi de sa Ire Conférence et aux chapitres xv et xvi de la XVIIIe; dans ce sens également que N. B. Père recommande : Zelum et invidiam non habere (chap. IV : soixante-cinquième instrument) et à l’Abbé : ... Ne forte invidiae aut zeli flamma tirai animam (chap. LXV). Saint Jacques avait parlé le premier du « zèle amer n : Quod si zelum amarum habetis, et contentiones sint in cordibus vestris, nolite gloriari et mendaces esse adversus veritatem... Ubi zelus et contentio, ibi inconstantia et omne opus pravum (Jac., ni, 14,16). Ce mauvais zèle conduit droit à la mort, écrivait déjà saint Clément de Rome : το είς flxvrtw ά-ρ·/ ζηλχ : Qui ad mortem adducit zelus (2). Mais il y a aussi un bon zèle, une sainte ardeur, «le zèle de Dieu », que saint Benoît signalait en passant, au chapitre LXIV(3). Il nous dira bientôt comment se traduit ce zèle ; ü remarque seulement ici quel est son fruit dans les âmes : dégager des mauvaises passions et mener à Dieu (4). Γι I C’est donc bien du dedans que part la direction de toutes nos démarches morales ; c'est à l’intime, c’est à l’âme que regarde N. B. Père, et c’est là qu’il voudrait provoquer un mouvement décisif. La seule question est de savoir ce que nous portons dans le cœur. Qui sait s'il ne faudra pas répondre : « Je m’aime beaucoup moi-même; il n’y a guère que moi pour moi. Il y a chez moi une grande ardeur d’affirmation personnelle; j’appartiens à corps perdu à mon système, c’est-à-dire à mes illusions. Et comme je ne suis pas seul au monde et qu’il y a autour de moi une mul­ titude d’autres moi qui me limitent et prétendent me réduire, mon zèle devient facilement une ardeur d’impatience, de colère, de contestation, de révolte : zelus amaritudinis malus». Demeurer neutre nous est interdit. Il n’y a pas de pure correction extérieure qui vaille ni qui tienne. Si nous nous fixons dans une attitude inerte et glacée, nous avons déjà choisi la mort. Laissons plutôt l’Esprit de Dieu allumer en nous la flamme (1) De Civitate Dei, 1. XIV, c. xxvni. P. L, XLI, 436. (2) Epist. ad Cor., ix (Funk, Opera Patrum Apost., I, p. 72). Cité par D. BvtlîR ainsi que < l’ancienne traduction latine ». (3) Cf. Cass., Contai. II, xxvi ; VII, u, xxvr, xxxi ; XII, î ; XIII, vui ; XVII, ixv, — S. Basil., Jifeÿ. contr., lxxvili. (4) S. Jérôme, dans son Commentaire sur Ezêchiel (L V, cap. xvi. P. L, XXV, 156), cite comme « de PÉvangile » cette phrase que nous n’y trouvons plus, mais qui rappelle un passage de l'Ecclésiastique (iv, 25) : Est confusio quae dueit ad mortem, d est ewi/uj.-o quae ducit ad vitam. Il cite encore ces paroles dans sa Lettre LXVI, 6, P, L., XXII, 612« — Ct. II Cor., vii, 10. . 558 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT du bon zèle qui s’appelle la charité. Ama et fac quod vis. Celui qui aime Dieu porte en quelque sorte la règle en soi. Et lorsqu’une ferveur de foi et de tendresse anime nos œuvres, tout va bien. Les mauvaises habitudes, quelque invétérées qu’elles soient, ne sauraient résister à cette flamme vivante et toute dime. Tel est le zèle, dit saint Benoît, que doivent entretenir et exercer les moines « avec un très fervent amour ». Et voici spécialement à quoi s’appliquera cette émulation sainte. ...id est, ut honore se invicem praeveniant, infir­ mitates suas sive corporum sive morum patientis­ sime tolerent; obedicnliam sibi certatim impendant. Nullus quod sibi utile judicat sequatur, sed quod magis alii. Caritatem fraternitatis casto impendant amore. C’est toujours de charité qu’il est question et de charité fraternelle : In hoc cognoscent omnes quia discipuli mei estis, si dilectionem habueritis ad invicem (Joann., χπι, 35). Elie se manifeste par les égards et les pré­ venances mutuelles, et N. B. Père rappelle la sentence de l’Épître aux Romains (xii, 10) déjà citée au chapitre LXIIL La charité se traduit encore par le support affectueux des infirmités morales ou corporelles des frères (1); et nous pourrions ajouter : par l’acceptation tranquille de nos propres misères. Les maux comme les biens, tout est commun dans le monastère. Peut-être même n’est-ce pas seulement l’infirmité du prochain qu’il nous faut supporter avec une patience inlassable, patientissime; mais encore sa diversité. Nous venons tous ex diversis provinciis. Celui-ci arrive des brumes du Nord ; celui-là a mûri sous le grand soleil du Nlidi ; tel rient de la Bourgogne et a peut-être quelques gouttes de son vin dans les veines ; tel autre est Breton et bien de sa race. Or, le Seigneur demande que nous sachions nous prêter aux trempes diverses et que nous ne trouvions jamais insupportable un rapprochement qui s’est fait en lui et par sa grâce. Supportons encore les supériorités du prochain ; supportons la confiance et l’affection qui vont vers lui. Souvent le Seigneur permet sur ce point une souffrance aiguë, afin de nous mettre en demeure de chercher une affection plus haute, où nous ne redoutions plus de rivalité : Alter alterius onera portate et sic adimplebitis legem Christi (Gal, vi, 2). (1) Réminiscence de Cassien : (Lazarus) infirmitatem corporis patientissime toleravit (ConlaL VI, ui). Is vere et non ex parte perfectus est, qui et in eremo squalorem solitudinis et in coenol/io infirmitatem fratrum aequali magnanimitate sustentat (Conlat. XIX, ix). DU BON ZELE QUE DOIVENT POSSÉDER LES MOINES W Obéissez-vous à l’envi les uns aux autres, continue N. B. Père. Au lieu de poursuivre des fins qui satisfassent son égoïsme, que chacun recherche plutôt toutes les occasions d’obliger ses frères (1). C’est la gr ande loi du christianisme, c’est l’antipode de l’animalité, puisque l’ani­ mal et l’homme animal n’ordonnent toutes choses qu’à leur profi4. L’Apôtre dessinait d’un trait une sociétéqui n’était qu’à demi convertie : Omnes quae sua sunt quaerunt, non quae sunt Jesu Christi (Philiit., ii. 21); et. quelques lignes avant, il avait indiqué l’idéal d’une com­ munauté chrétienne : Non quae sua sunt singuli considerantes, sed ea quae aliorum {Ibid., 4). Et saint Benoît termine la série des recommai.dations qui assurent la paix familiale par ce conseil tout gracieux, emprunté encore à l’apôtre saint Paul : qu’ils acquittent leur dette d’une chaste tendresse de frères (Rom., xn, 10 ; I Tiiess., iv, 9 ; Hebr., xm, 1. Voir aussi 1 Petr., i, 22 sq.). D’un mot est souligné ce caractère de pureté surnaturelle qui fait le charme et la réalité durable des affections monas­ tiques. Deum timeant; Abbatem suum sincera et humili caritate diligant; Christo omnino nihil praeponant, qui nos pariter ad vitam aeternam perducat. Amen. Jusqu’ici, les conseils de N. B. Père ont porté spécialement sur nos relations avec nos frères et nos égaux, sur ce qn’on pourrait appeler la coordination sociale ; maintenant, semble-t-il, ils ont trait à nos relations avec ceux qui sont placés au-dessus de nous, à la subordination sociale : et c’est l’union de ces deux éléments qui constitue le lien d’une famille monastique. Deum timeant. Qu’ils craignent Dieu, co HiH e des serviteurs conscien­ cieux, comme des fils. Nous la connaissons bien, cette crainte chaste, qui demeurera aux siècles des siècles : timor castus permanens in saeculum sacculi; c’est la disposition bénédictine par excellence. Elle doit être perpétuelle en nous; c’est l’aiguillon de notre zèle; c’est l’expression pratique de notre charité. Et peut-être même le texte le plus autorisé est-il celui-ci : Caritatem fraternitatis caste impendant. Amore Deum timeant : nous retrouvons une formule identique au Pontifical romain dans la Préface si vénérable de la consécration des Vierges : Amore le timeant (2). : « Qu’ils ne préfèrent au Christ absolument rien. » C’est le vingt et (1) Sitquc inter cos pace et concordia, ei libenter majoribus subjiciantur, sedentes, amhttantes, ac stantes in ordine suo, ei invicem de humilitate a riantes (S. Pach., Re·]., clxxix). (2) D. G. Morin a fait le même rapprochement: Vers wn texte difimtif de la rcj’e de S. Benoît : limit Bàiîd , oc obre 11'12, p. 408-409, 560 COMMExVTA I RE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT unième instrument des bonnes œuvres, une devise empruntée à saint Cyprien et à saint Antoine. II est simple, en un jour de sincérité et de joie spirituelle, d’affirmer au Seigneur qu’on ne lui préfère rien absolu­ ment : il est plus simple encore, hélas ! de se dédire dans le détail de la vie. Et pourtant Dieu aime que nous lui répétions ces paroles d'élection. Elles sont riches de foi, d’espérance, de charité. Le Seigneur a pitié de notre désir et il fait que, peu à peu, nous devenons vrais : il n’y a plus que lui en nous; une réponse est donnée enfin à cette tendresse sans date, sans fond, sans bornes qui nous enveloppait à notre insu. Et comme pour garantir l’autorité de l’Abbé, comme pour établir une dernière fois qu’elle découle bien de Dieu, qu’elle est le sacrement du Seigneur parmi nous, saint Benoît fait une place à l’Abbé entre Dieu le Père et son Christ. Et il demande encore à la charité la norme sûre de nos relations envers l’Abbé. H dit : Abbatem suum : c’est le nôtre. Nous l’avons élu peut-être, c’est entre ses mains que nous avons fait profession. Nous aurons du respect pour tous les prélats qui sont au monde; mais celui qui est le père de notre famille monastique et de notre âme a un titre spécial à notre affection. Elle sera « sincère » : et par conséquent à l’épreuve d’une observation, d’une sévérité. Elle n’aura jamais le caractère de la flatterie ni de la mièvrerie : elle sera λ-raie, et d’âme, et de foi. Saint Benoît la veut « humble », et ceci doit être bien compris. Sans doute il est normal qu’une sainte et joyeuse liberté règne dans nos rapports avec celui dont la fonction, notait plus haut N. B. Père, est de servir, non de dominer : mais liberté n’est pas sans-gêne. Le fabuliste nous a décrit l'impertinence des grenouilles envers leur roi soliveau : H en vint une fourmilière ; Et leur troupe à la fin se rendit familière Jusqu’à sauter sur l’épaule du roi ! L’humilité consistera à garder son rang. Peut-être la vénération seraitelle plus facile, si l’autorité se tenait à distance, se retirait dans une pénombre glorieuse et se faisait princière ; mais telle n’est point la famille de saint Benoît, où l’Abbé vit au milieu de ses moines. Il y a pourtant une nuance de mesure, de discrétion, de respect filial dont nul ne doit Ee départir, et qui ne manque jamais dans une âme attachée au Seigneur. Le chapitre se termine par un souhait. Aimant nos frères, craignant Dieu d’une crainte d’amour, aimant notre Abbé, adhérant sans partage à celui qui s’est défini « la Voie, la Vérité et la Vie », puissions-nous tous ensemble, conventuellement, parvenir à la vie éternelle (1) ! (1) L’Atncn no se trouve ni dans les meilleurs manuscrits, ni dans les plus anciens commentateurs. CHAPITRE LXXIH COMMENT LA PRATIQUE DE LA JUSTICE N'EST PAS TOUTE RENFERMÉE DANS CETTE RÈGLE Ce dernier chapitre contient tout un trésor de doctrine pratique. H nous éclaire même à nouveau sur cette question, souvent agitée par les moralistes et à laquelle N. B. Père a déjà répondu : Quel est le premier principe directif de toute notre activité morale? Nous connaissons bien la réponse : « Vivez conformément à ce que vous êtes, et grandissez ». Notre unique loi est de progresser, d’aller del’avant, de tendre au parfait. Or. pour cela, deux choses sont nécessaires : un aiguillon intérieur : c'est le zèle, c’est la sainte émulation, c’est la ferveur de charité dont il était question au précédent chapitre; il faut encore une carrière où l’on puisse ainsi se mouvoir et courir, dit saint Benoit : et c’est de quoi il est parlé maintenant. De eo quod non omnis observatio justitiae in hac sit Regula constituta. — Regulam autem hanc descri­ psimus, ut eam observantes in monasteriis, aliqua­ tenus vel honestatem morum, aut initium conversa­ tionis nos demonstremus habere. Voici donc la Règle promise à la fin du Prologue et du premier chapitre. Nous l’avons composée avec soin, afin de déterminer l’observance, dans nos monastères de cénobites. H suffira que nous y demeurions fidèles pour faire preuve, sinon d’une sainteté extraordinaire, tout au moins d'une certaine dignité de mœurs et d'un commencement (1), d’un essai de vraie vie monastique : on ne sera plus tenté de nous confondre avec les gyrovagues et les sarabaïtes. H se dégage de ces paroles un parfum de simplicité chrétienne, qui (1) Initium conversationis : même expression dans Cassien, Inst., IV, xxxix Voir aussi : Verba seniorum : Vitae Patrum, V, χι, 29. Rosweyde, p. 611, , 3d 56S COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT suffirait pour nous révéler la parfaite sainteté de N. B. Père. Cette can­ deur et cette mesure ne peuvent venir que de Dieu. Combien différente est la tendance de l’homme 1 Ce qu’a fait l’homme est un chef-d’œuvre pour lui. Nous avons comme d’instinct la prétention d'enfermer le inonde dans notre pensée ; ce que nous faisons est toujours définitif et achevé. Seuls, les vrais sages et les grands artistes échappent à cette fascination. N. B. Père est de ceux-là. La Règle lui apparaît comme une ébauche modeste, comme un exorde, comme une initiation à une vie supérieure. Nous savons quel démenti ont apporté les siècles à cette déclaration d’humilité. Et saint Benoit lui-même n'a pu se méprendre complètement sur le vrai caractère et la portée de son œuvre. Lui qui recommande à l’Abbé « de maintenir chacun des points de la présente Règle », lui qui a promulgué, comme garantie de l’observance, tout un code pénal rigoureux : il ne saurait avoir maintenant pour dessein de diminuer notre vénération envers ce qu’il a appelé par deux fois « la sainte Règle » (chap. XXIII, LXVj. Quand nous l’entendrons nous inviter à recourir aux enseignements de l’Écriture et des Pères, sa pensée n’est cependant pas que nous introduisions, au hasard de nos dévotions, dans la forme de vie qu’il nous a donnée, toutes sortes d’éléments recueillis un peu partout ! N’a-t-il pas promis à la fin du chapitre VII que quiconque franchirait les divers degrés d’humilité parviendrait sûrement à l'union divine? N’est-ce pas tm code complet de perfection monastique que la doctrine de sa Règle a prétendu esquisser? L'humilité profonde n'est jamais l’inconscience, et les < pieuses exagérations sont peu conformes au tempérament de saint Benoît. Comment donc justifier son extrême réserve? Rappelons-nous d’abord qu’il a écrit la Règle beaucoup moins pour des âmes parfaites que pour celles qui ont résolu de le devenir. Il s'emploie à les préparer, à les afliner, aies acheminer par une voie aisée jusqu’à la consommation de la charité et à la sainte liberté des enfants de Dieu. La doctrine spirituelle de la Règle est complète; mais à la manière d'un catéchisme, qui condense dans la simplicité naïve de son exposé la théologie tout entière, et n’a réellement besoin que d’être développé. Les observances de la Règle sont discrètes, triées avec soin, proportionnées aux forces moyennes delà nature humaine, sans aucun parti pris de mortification à outrance : mais les âmes qui ont faim de Dieu sauront bien être généreuses, aller un peu au delà, sous la conduite de l’obéissance, faire leur silence plus profond, leur oraison plus assidue, leur œuvre liturgique plus achevée ; surtout, elles pourront surélever jusqu'à l’infini le principe intérieur de leurs actes. Tout cela, la Règle ne le contient que virtuellement ; elle y invite, elle le suggère : minima inchoationis Regula. Aussi bien, quelle est donc la Règle créée qui n’éprouverait pas son insuffisance en face de cette zone illimitée de perfection qu’a ouverte la parole du Seigneur : DU CARACTÈRE ÉLÉMENTAIRE DE CETTE RÈGLE 5« Est' te ergo vos perfecti, sicut et Pater vester caelestis perfectus est (Ματτη., v, 48)? N. B. Père trouve sa Règle étroite et chétive devant les splendeurs révélées par Dieu à ses saints, et qu’il connaissait d’expérience : Animae videnti Creatorem angusta est omnis creatura (1). Celerum ad perfectionem conversationis qui fe­ stinant, sunt doctrinae sanctorum Patrum, quarum observatio perducit hominem ad celsitudinem per­ fectionis. Quae enim pagina, aut quis sermo divinae auctoritatis veteris ac novi Testamenti, non est re­ ctissima norma vitae humanae? Aut quis liber san­ ctorum catholicorum Patrum hoc non resonat, ut recto cursu perveniamus ad Creatorem nostrum? Nec non et Collationes Patrum, et Instituta et Vita eorum : sed et Regula sancti Patris nostri Basilri, quid aliud sunt, nisi bene viventium et obedientium monachorum exempla, et instrumenta virtutum? Nobis autem desidiosis et male viventibus atque neglige uti bus, rubor confusionis est. A toute âme empressée à réaliser l’idéal monastique (2), N. B. Père indique en peu de mots quelles sont les sources où elle devra puiser un complément d’information surnaturelle. Remarquons bien le rôle qui est dévolu à l'intelligence. C'est de vie contemplative qu’il s’agit pour saint Benoît ; et cette vie s’épanouit par ses procédés propres. Ce n’est pas dans la vie apostolique et active qu’on nous demande de marcher et de courir : mais dans la vie où l’on scrute, jour et nuit, Dieu et ses œuvres ; où se révèle, par voie de lumière, d’amour, de louange, le mys­ tère de Dieu et du Christ. Et ce n’est pas seulement un choix varié de conseils ascétiques que N. B. Père nous propose de demander aux anciens, encore qu'il signale à quatre reprises le bénéfice pratique et moral do cette étude : il songe à une formation doctrinale profonde, à une connaissance savoureuse des choses divines, d’autant plus effi­ cace pour pénétrer toute notre vie qu’elle est le fruit d’une science plus haute. Au leste, les mentalités sont diverses, comme les étoiles: Stella enim a stella differt in claritate (I Cor., xv, 41) j tous les 1) S. Greg. M., Dial., I. II, c. xxxv. 2) zld perfectionem festinantibus... (Cass., Conlat. XXI, r), LI ■ 564 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAIiNT BENOIT procédés sont bons qui réforment les mœurs et conduisent à Dieu ; mais mil ne s’étonnera que les fils de saint Benoît demeurent fidèles à celui des premiers siècles, et qu’ils trouvent, dans la lecture recueillie d’« une page quelconque « de la Bible ou des écrivains ecclésiastiques, la direction et la nourriture de leur âme. Voici donc, selon saint Benoît, la matière de notre contemplation : « les enseignements des saints Pères ». Peut-être cette appellation englobet-elle tous nos pères dans la foi, tous ceux qui ont écrit sur Dieu et les questions surnaturelles, à commencer par les auteurs inspirés ; et saint Benoît énumérerait ensuite trois grandes catégories d’ouvrages. La première comprend les livres de ΓAncien et du Nouveau Testament reconnus d’autorité divine, et exclut, par conséquent, tous les livres apocryphes ou douteux qui circulaient encore parmi les fidèles. La sainte Bible est le manuel des moines. Mais à Dieu ne plaise que nous traitions jamais ces Lettres du Père céleste à sa créature, comme les appelle saint Augustin (1), en rationalistes ou en purs critiques ! Ce n’e.?t qu’à la condition d’être enveloppée du même respect que l’Eucharistie, que chacune des pages ou des paroles de l’Écriture constituera, pour une vie humaine, la plus sûre des règles morales : rectissima norma vitae humanae (2). Et comme l’Ecriture ne contient pas toute la pensée de Dieu, nous y joindrons l’étude des Pères : sanctvrum ciïholicoram Putr m. de ceux qui sont les organes fidèles de la tradition, et dont les œuvres nous offrent un commentaire perpétuel de la Bible, le seul qui compte pour nous. Ni les hérétiques, ni les athées n’ont compétence pour expliquer les Écritures aux enfants de l’Église : ce sont des intrus ; avant eux. l’Église était en possession ; c’est elle qui tient de Dieu le sens vrai des 1 ivres saints, proclamait déjà la fierté de Tertullien (3). Y a-t-il un seul des écrits des Pères, continue saint Benoît, qui ne nous invite hautement à monter, par le droit sentier des justes (Isaïe, xxvi, 7), jusqu’à notre Créa­ teur? L’Écriture et les Pères appartiennent à tout chrétien : il est d’au­ tres livres qui sont le patrimoine spécial de l’Ordre monastique et nous font co: mu Lunier à l’âme de tous nos saints. Et saint Bcm it mentionne les ouvrages qui furent plus familiers à son temps : les Collationes, où Jean Cas (1) Enarrat, in Psalmum lxiv, 2. P. L., XXXVI, 774. (2) C’est tout le thème du psaume cxvm : Lucerna pedibus meis verbum tuum, et lumen semitis meis. (3) Ita non christiani nullum jus capiunt Christianarum Litterarum; ad quos merito dicendum est : Qui estis? quando et unde venistis? quid in meo agitis, non mei? quo denique, Afarcion, jure silvam meam caedis? qua licentia, Valentine, fontes meos trans­ vertis? qua potestate, Apelles, limites meos commoves? quid hic ceteri ad voluntatem vestram seminatis et pascitis? Alea est possessio, olim possideo... Ego sum haeres aposto­ lorum... {De praescriptione haereticorum, xxxvii. P. L., II, 51), DU CARACTÈRE ÉLÉMENTAIRE DE CETTE RÈGLE 565 sien résume ses admirables conférences avec les moines orientaux ; les Instituta coenobiorum du même auteur ;les Vitae Patrum; la Règle de celui qui était alors considéré comme le plus grand législateur monastique : « Notre Père saint Basile ». Tous ces écrits ne sont autre chose quedes exemplaires, des modèles authentiques (1) de sainte vie et d'obéissance monastique; et instrumenta virtutum : des documents, des archives de vertu, ou bien encore des ressources, des industries pour développer cheznousles vertus (2). lis sont en même temps un encouragement, un aiguillon; et lorsque nous sommes lâches, inobservants et négligents (3), la leçon qu'ils nous donnent nous fait rougir de honte. L'intention de N. B. Père n’est certainement point, répétons-le, de déprécier sa Règle, ni de vouer àla confusion toutes les âmes qui s’en contenteraient ; il ne dit pas davantage : nous sommes tous maintenant des relâchés. Tout au plus pourrait-il déclarer : c’est vraiment bien peu de chose, ce que nous faisons, en regard des austérités orien­ tales ! Mais plutôt peut-être veut-il humilier, par le spectacle de la per­ fection d’autrefois, ceux qui seraient aujourd’hui tentés de relâchement : comme si la bénignité même des observances leur devenait un préterc pour s’en affranchir. Tout ce paragraphe de la Règle contient une grave leçon relativement à l’intérêt suprême de notre vie monastique, et àla matière de nos lectures et de nos travaux. Le bavardage, les journaux, les revues, la critique, les petits livres de dévotion, tout cela ne saurait conduire le moine sur les sommets de la perfection, ad celsitudinem perfectionis (4). Ce sont des citernes crevassées, impuissantes à retenir et à donner l’eau vive (Jeu., ii, 13). Aussitôt qu’elle s’éloigne des sources doctrinales où nos pères ont puisé, la vie monastique s’étiole; et la prospérité humaine, cette bénédiction d’Esaü, ne parvient pas à en dissimuler l'insignifiante banalité. Sans doute, la littérature chrétienne s’est enrichie depuis saint Benoît ; mais la petite bibliothèque qu’il a dressée n'a point vieilli. L’Église elle-même ne connaît guère d’autres livres, pour ses lectures officielles, que ceux dont N. B. Père a pro­ clamé la vertu souveraine. Quisquis ergo ad patriam caelestem festinas, hanc minimam inchoationis Regulam descriptam, adju­ vante Christo, perfice : et tunc demum ad majora, (1) Les mots exempla cl ne sont que dans le · texte reçu ». (2) Voir l’explication du mot instrumenta, que nous avons donnée au début du cha­ pitre iv. — Tertullien, à la suite du passage que nous citions naguère, appelait les Écri­ tures : instrumenta doctrinae (De praescriptione haereticorum, xxxvui. P. L, II, 01). (3) .1 desidiosis ac neglegentibus... (Cass., Contai. XII, xvi). (4) Cassien disait : scandere... culmina perfectionis (Inst., IV, vin). 5d6 COMMENTAIRE SUR LA REGLE DE SAINT BENOIT qunesupra commemoravi ruus, doctrinae > irluluniquo culmina, Deo protegente, pervenies. H est sûr que N. B. Père parle trop modestement de sa Règle. En dehors de l’Evangile, y a-t-il un livre qui ait su. comme elle, se prêter à tous les besoins de la société chrétienne, depuis le sixième siècle jusqu'à nos jours et, selon que Dieu l’a révélé à quelques sainte, jusqu’à la venue du Fils de l’homme? Sans prendre à notre compto cette affirmation présomptueuse que le bénédictin est, en vert u do sa Règle, « un homme à tout faire », nous devons bien reconnaître une dernière fois que la Règle s’est prêtée avec une souplesse infinie à des œuvre t extrêmement variées, qu’elle s’est accommodée mieux qu’aucune autre aux temps et aux circonstances, qu’elle a fourni un cadre h'^i-Iatii' solide à plusieurs fondateurs d’Ordre ou de Congrégation. Elaborer une Règle assez large pour embrasser tout, assez forte pour tout contenir, assez divinement simple pour être comprise du doth illettré et rax ir. aint Grégoire le Grand, assez parfaite pour mériter à jamais d’être appelée a la Règle », la Règle monastique par excellence : n’e-t-ce pas Pieuvre d’un génie surnaturel extraordinaire? Niais c’est d’une bien autre gloire que se préoccupe saint Benoît. Comme le psalmiste, il tient ses yeux levés vers les montagne-·. Il y a, dans l'Église, des géants de sainteté ; il y a de- cimes stipe .« · do sagesse et de vertu (1), dont ils nous ont appris le chemin : peut-être le Seigneur nous fera-t-il la grâce d’y atteindre aussi quelque jour ; commençons d’abord par observer dans son entier ce que nous enseignent le- humbles pages que nous venons de lire. Il y a une patrie trie te, un sanctuaire familial où l’on nous attend : que les âmes qui ont hâte d'y pénétrer accomplissent au préalable leur noviciat d’éternité. Nous retrouvons l’ardente et douce invitation par où a commencé la Règle. Nous retrouvons, du Prologue, cette doctrine si profondément chrétienne que nous n’allons vers Dieu qu’appuyés sur Dieu, sur son Christ, sur les vigueurs divines déposée- en nous par le baptême et par la foi. Nous retrouvons surtout cette affirmation tranquille que celui qui nous a aimés et appelés nous aimera jusqu'à la tin et ne trahira point nos espérances. Car la Règle s’achève sur cette assurance bénie : < Vous parviendrez », vous parviendrez jusqu’au cœur de Dieu. (1) Dominicae doctrinae eulmen asceulil (Cass.. Conlal. XXI. xxxiv). .S’( ad culmen virtutum eju3 volumus pervenire... [Conlal. XVIII, xv). Cf. Inst., IV, xxm ; (\mlal. XXII, viif TABLE DOCTRINALE I. — SAINT BENOIT ET SA RÈGLE (!) La vie religieuse : ouverte k t m, mats en fait réservée à une élite : 5-6.236.421, 425; rpnnvi. · n* .t de lj vit chrétienne et élit de perfection : 42, 152, 283, 441, 447, 471. 483; . form* i : lee Congrégations et les Ordres religieux : 30-31 , 152, 377, 339, 426, 435436. 441.443 (2), 445 ; les Règles approuvées : 442. (2) La vie monastique : défini ion du moine : 29-30 ; le moin*. soldât et confident du Christ : 5, 27,50, 230,232,274,315,430; le tempérament mormastique : foi et crainte de Dieu : 42, 60, 85, %, 97, 101, 120, 131 2 9. 270. 277. 283. 293. 296. 345 , 375. 380, 330, 424, 531, 559; mm 2. 3. 36. 53, I 130. 272,330,4M, 445. 472. 539, 552; 1rs diverse» e-.pèces de moines : cénobites : 30 (3), 31-32, 34, 39, 100; anachorètes : 32-34 , 399. <02. 445. 484; sirsbûtes : 35 37, 100 (I), 415, 445, 448, 451, 477 ; gyrcvague- : 38-39, 100 (I), 445. 448, 451,461.477; la vie monistiqu* avant saint Benoît : absence de règle unique ; 30, 32, 35, 476, 518, 535; instabilité : 93. 443, 451, 460-461, 476, 479; uniformité dans l’austérité: 22, 285-235, 289, 397. 5j5. " 1ÎJMWj (3: Saint Benoît : homme de tradition : Ι-Π. 235, 239. 259, 2c6; son caractère : 11. 372. 451, 460, 466; s ! cu’ture : 217, 350. 45 J; sa sainteté : 315, 561, 562; son pénie surnaturel : 566; sa foi : 27. 64, 488. 566; m dxilité intellectuelle : 210. 478, 566; patr.arcl.e des moines : II. 2, 347, 394, 566. * ■■-«»-· - ~- (») La Règle bénédictine : son mode de composition : I. 533, 539; ses caractères : éclectique : H. 40, 157, 235; personnelle : 1, 20, 40, 131, 250, 257. 262, 294. 451 ; discrète et mesurée : 22, 24. 193, 211. 235, 285, 289, 290, 307, 310. 313. 315, 317, 357, 360, 361, 364, 385, 394. 402403, 412, 478. 517-518, 540. 562, 566; s’adresse aux dociles ct aux forts : 2, 4. 20. 423. 424. 426, 518; eot accessible λ tous les tempéraments : 22. 286. 307, 313. 361-362, 365, 518, 562; sa pensée maîtresse, chercher Dieu : II, 3, 27, 347-348,433, 518; son élément essentiel, la stabilité : 27,31, 39, 93, 443-44-1, 445, 4:8,451,479,532. r 6? 563 (5) COMMENTAIRE SUR LA REGLE DE SAINT BENOIT Los caractères de la vie bénédictine : cénobitique d familiale .· 6, 27, 31. 58, 230. 282. 286, 325. 330-331. 371. 402. 411, 424, 429,430, 451,456. 491, 528. 560. voir (19) ; contemplative : 21-22, 26-27, 152, 155. 156, 213, 343, 350, 389, 393. 433. 563; lit^ gigue : 152-156, 197. 210-211. 326, 362. 367, 339. 433-434, 457, 491 ; ion apos'olat ;vie, prié e. doctrine : 156, 215, 351, 353. 387, 3S9. 410-411, 414,566; mais non action extérieure : 93, 152-153, 351, 383-339, 424, 462, 532 ; sauf mandat exprès : 351,389, 483. II. — LA SOCIÉTÉ MONASTIQUE 1° Sa constitution. L'ABBÉ (6) Son autorité : sa source : l’Abbé, représentant du Christ au monastè e : 41-43, 51. 57. 61. 63, 88, 96. 138, 178, 251, 282, 383, 498, 511, 515, et res ion able devant Lui seul : 43, 4546, 48-49, 54. 57, 59, 61. 66-67, 214, 227, 268. 272, 2/7. 287, 295. 298. 344. 407. 493.511,514, 527, 545-546. ses attributions : en eignement et gouvernement des âmes : 43. 45-48, 51-62, 110. 214, 250-255, 358, 438, 511-516, 548 ; interprétation et maintien de la Règle : 32, 40. 48, 63, 66-67, 93, 282, 299, 394, 404-405, 518, 537, 562 ; organisation du monas­ tère et direction des activités monastiques : 40. 49, 223-223, 265-266, 268. 272273, 276-277, 351, 366, 412, 431, 487, 492-494, 503, 509, 517. 524 526, 530. 540, 542; administration des biens : 59-60, 268, 271-273, 413-415. ■ ■H (B Son gouvernement : ses caractères : paternel : 32, 42, 46. 57-58, 275, 282, 286 , 317, 400. 406, 440, 492, 499. 512, 560; monarchique et absolu : 43-44, 49, 63-68. 287, 431. 440. 489, 524. 546; mais non arbitraire : 48, 66-67, 299, 481.492, 518. sa qualités : équitable : 48-50, 66, 286 287, 406-407; judicieux et discret : 52-58, 66-67, 275, 299. 310, 317, 332. 345. 357, 360, 434, 508 509, 514 517; accueillant et prévoyant : 66, 226, 425, 478, 505-506, 517 ; miséricordieux : 54, 250-255, 513, 515; ferme et fort : 45, 49, 54, 336, 515. (8) Son institution : la désignation de l’Abbé au cours des siècles : la convmnde .-68, 503 505; l’Abbé est élu par les moines pour la vie : 41,45, 439, 508-510, 560 ; confirmé par l'Égli-c : 439,511 (I). RI| BH ■ IX (9) Sa personne : ' MW |B ■ l’Abbé devant sa charge : 40-41, 43. 46, 57, 61, 253-254, 315, 499. 511-512; il est homme de doctrine et de vertu : 46, 62. 350, 358. 411, 503. 512, 519; mais non nécessairement exempt de défaut. : 42, 95. 131, 134, 5 8, 516. 526; il est tenu à la Règle : 47-48,61-62, 267, 282 (2). 411.511-512, 524 ; il a grâce d'état : 66, 103, 137 ; ses épreuves et ses souffrances : 57-58, 61,258, 266, 511 ; ses joies : 61-62, 101, 254, 275, 512, 515 ; son rang dans la hiérarchie d’ordre : 137, 434-485, 512. LE CONVENT. (10) Les membres du convent : les moines de Jour ; sont tous appelés au sacerdoce : 351, 423, 435 ; sacerdoce et vie monastique ; 47, 202, 367, 470 471, 483 490; TABLE DOCTRINALE 5« les /rèrw conoen - 230.288.416 418,442. «3 (2). 47) (D.499.531; les oblah dws l'histwe et dani h Règle : 64. 233-231,263-264. 299. 310. 339. 417, 462-469, 491. 493-496. 500-502. 549.555 Prieur : 521 ; le Cellérier : 78. 265-275, 276.288,290,293,309.332,418 ; le Maître des no·.· ce·, et la formation novitiale : 386, 427, 431-437 , 493; le Zélateur des novices ·.428; le Mlitre des Couver» : 418 ; le Maître de Chœur ; 215 ; les Chantres ·. 161.169. 492 ; le Cérémoniairc : 214 ; Γ Hôtel er et l’hospitalité monastique : 38, 266, 270. 375-389, 410-411, 529; l'infirmier et les malades: 266, 293-298; le Chambrier et le xestiaire : 231-232 , 394-405; le Bibliothécaire :2'6; le Réglementaire : 160, 344-345, 357 ; le Porüer : 427 . 528-531; le Dépositaire .266-267, 2,3-274, 332 ; le service de la cuisine : Îlfy-2TI, 283-292,300,304,306,322,385 ; le Lecteur de table : 301-306. les grâces d’état : 541-543,548. les vertus requises dans l'exercice des charges : esprit de foi et CTainte de Dieu : 267, 269, 270-271, 277 , 288-289, 293, 2%. 345. 375, 380. 386, 531; humilité : 139, 227-228, 268, 272-273, 303, 345. 380, 412-413, 432, 473, 486, 527; docilité ; 227 , 268, 272, 273. 345. 385, 431-432, 525-526, 540 543; abnégation, patience et charité : 96. 228. 257-269 , 272-274. 288-289, 294-295.386, 432,531.553. les 2/ Les passions et les vices : nature des passions : 125, 145-145; leur développement et leur retentissement exté­ rieur : passions de l’esprit et passions de la chair : 10,37,88.145-146,380; ell.s lJ.C V -■ 1 · COMMENTAIRE SCR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT obicurcisrent rintcll.'gcr.ce et énervent la volonté: 10, 12, 126. 143, 543: sont cause de dissipation et de souffrance : 23-24, 57. 112; 1 apaisement des pas­ sions : 25, 56. 148. l'homme animal : 74, 77-78, 122, 236. 559; l'égoïsme et la volonté prepre : obstacles à l'union à Dieu : 2. 12, 23-24, 34. 74, 77, 78, 85. 88. 96. 148, 433. 551, 559 : entra­ vent la liberté : 26, 74. 96, 279. 469; leurs différentes formes : 4-5, 67. 74 77, 114.122,125-126,128-129.142,226. 236.271.296. 512, 540-541.547, 557 ; retours d'égehme : 4. 34. 85. 96, 279, 332, 436. les vices: l'orgue I ;53,77,114-115. 236,251, 423, 562; l'illusion, fille de l'orgueil : 37, 53, 61. 121. 125, 218, 236, 257, 445, 446. 557; occasions d’orgueil 17. 81. 89. 90. 169. 143 146. 267. 303. 365, 548 ; un orgueil légitime : 10 ; l’avarice: 271.415-416; la luxure : 76, 77. 87-68. 111. 126. 143 ; la gourmardiie : 77. 81. 266, 310-311, 315 ; l’env c et la jalousie : 90. 2/9. 523. 545. 557, 558 ; la colère: 55. 79-80.516, 527, 547; la paresse : 4, 33, 81, 121, 126, 252-233, 346, 358-359, 388. 426. 543. (43) La fragilité de l'homme : les suites du péché originel : 2. 3, 6-7, 10. 58,77, 91, 98,101,151,274.352.362,513. 560; la routine : 9, 73. 141. 162, 338. 478. 3° Les agents de la vie spirituelle. DIEU, (44) La nécessité de la grâce : notre perpétuel besoin de Dieu : 6-7, 16. 82,121, 139, 186. 423. 566 ; doctrine de la grice et du Lire-arbitre : 6, 17, 82, 116 ; la grâce opérante ; 15, 24, 73, 182, 350, 436; la grâce coopérante ; 7-8. 14-15. 17, 19. 20-21,58,85, 102. 116,118, 145. 152,213. 350 ; grâces actuelles et grices d’état : 8. 25. 66, 103, 137, 541-543, 548; la grâce de la penévérarce : 6-7, 27, 566 ; caractères et conditions de l’action divine : 2, 9, 13. 42. 56, 111, 140. 218, 348, 473474, 478; l’œuvre de l'Eaprit de Dieu dans 17mc : 2, 10, 71, 83, 97, 122, 148, 219, 362, 454, 557-558; l’amoindrisse ment de la mesure des grâces : 147. (45) Ses instruments : sacrements : 145, 348 ; le Paptcme : 7. 49, 71, 145, 151, 350, 455-457, 566 ; l’Eucharistie : 12, 50, 74,75,84. 156. 293 ; 1 Ordre : 47, 152, 471-472. la doctrine : le dynamisme de la venté : 3, 47. 52. 62, 349-353, 423-424, 563 ; la vertu sacramentelle de l’Écriture : 9, 69, 88, 257, 349 ; le moine, fils de lumière : 46, 350,352,512; le Maître intérieur et l'enreignement extérieur : 26, 52, 109, 512, 516. la prière liturgique et la prière privée : 6, 7, 16, 20-21,25. 153-154, 186, 215, 328, 349350,362, 373,423, 424, 433-434. la Règle : (A, 328, 343,358, 445,447. la famille monastique : la paternité de l’Abbé et le sacrement de son autorité : 43 , 46, 58, 88. 109.137-138, 246. 342, 432, 512, 515, 518, 560 ; nous ne nous sanctifions et sauvons qu’en famille : 27, 31-32, 35, 93, 243. 246, 328. 456. 560. ki événements de la vie : fautes : 92, 122; joies : 33, 73, 435. 515-516; épreuves : 18,73, 80,91, 125,131*135, 141, 422 , 540*543; souffrances : loi et valeur rela­ tive de la souffrance : 23, 131, 134, 436*437; ses fins : 11, 23-27, 131. 133-134. 294, 422. 435-436, 558; ses occasions et ses instruments : 24, 131-132, 186, 435-437. 558 ; la souffrance des contemplatifs : 24, 436 ; attitude à prendre dans la souffrance ; 13, 21, 25, 73, 80, 91, 132-133, 436. TABLE DOCTRINALE L’HOMME. ('16) L’homme, agent de sa perfection : la vie cl retienne, marche vers Dieu : 3,13,84, 552, 556 ; ïhomme. ouvrier de Dieu : 11, 92. 95, 433 ; la nécessité des cnit res .· 14-15,58, 85,147,347,350 ; V éternité, récompense des œuvres : 8, 19, 21, 27. 84, 92, %, 99-100, 115, 121,133, 566; la réalité et la condition du mérite ; 17. 97. la vie spirituelle, science et art dfficle:!, 33-34, S2-S3: œuvredelcrrçrehaleine:6, 14. 56,85. 92-93, 14?, 347 ; le monastère, atelier de ïart spirituel : 6.69,93,444. (47) Lo jeu de l’activité huit aire : la psychologie kurraine : 3,6-7,10,12,91.98.101,1(2-103,125.145-146,277.352,402. 560 ; la diversité et la complexité des imes : 47, 51-55, 57-58,264.563-564; la formation et l’influence du tempérament : 5, 34. 51, 53, 58, 140, 186, 238, 267. 294 , 319, 343. 365 , 426, 516, 523. 547-548. 558 ; le caractère : 56.516 ; notre rie secrète : 12, 112-113, 132, 138. rintclliser.ee : sa primauté : 103,563; ses limites: 63. 478, 562; Γ intelligence droite: 47, 99, 433; faction intelligente : 212 ; l’attention et la docilité intellectuelle : 2-3. 9-10, 28*27,41,121, 212,215.352-353.362.478.512,562. la colonie ; est g idée mais non nécessitée par l’intelligence : 3, 12, 47,103, 352, 437 ; ses ressources ill mitées : 20,132-133,423; notre amour premier du bonheur : II, 101,275, 515 ; possession de roi, liberté et personnalité :5. 58,77, 84,93.95. 96. 99, 100.113 , 219,269,283.348.352.364,468-469. le cœur : centre et nœud vital : 20, 73, 77, 326, 515-516; correction intérieure et cor­ rection extérieure : 111. 124. 137, 146. 213, 215-216, 272, 326. 3©, 557, 562; la virginité du cœur : 218-219, 362, 424. 513; le phariseî me : 73, 103. 135, 213-214, 251, 253. 333, 364,366. 547-548.557. la conscicn e : seul frein efficace de l’activité humaine : 47. 85-86; éducation morale et éducation surnaturelle : 55-56 , 58, 85, 119-120, 264, 469 ; les suppléments extérieurs de conscience : 33, 85.138, 339,342,359 ; la délicatesse et la distinction surnaturelle: 16,83,111,142.155,214-215,218,271. 277, 339, 40?, 424, 446, 513, 518; la loyauté et la fidélité pratique : 5, 7-8, 12, 13-14 , 40-41,62.79.95,121.138, 155.215-216,343.352,372, «3,499; examen de conscience et vigilance: 12, 16, 17-18, 84-87, 91-92. Ill, 122, 124, 126-127, 186. 343, 433, 552; la conscience cautérisée ; 23, 37, 54, 121. 125, 257, 279, 446. AOS PROTECTEURS ET NOS MODELES. (48) Notre-Dame : 14, 100, 121, 210, 404, 462,472,474,552. (49) Les Anges : ministres de la Providence : 42, 116,123, 127,364, 501 ; sont présents à 1 Office : 213; leur humilité et leur obéissance : ICO, 116,556; leur nature : 6, 47, 91,101, 493 ; leurs hiérarchies : 1-2,491. (SO) Les Saints : leur humilité et leur obéissance : 17, 56, 104,121,140, 474, 478,540-543, 552,562, 566 ; leur silence et leur recueillement : 109, 111, 148, 348; leur tenté : 513, 548; leur regard: 146; les Saints, témoins de notre irofession: 189,440, 452-453. 4° Les œuvres de la vie spirituelle (51) Le programme de la vie spirituelle : épanouir la grice de son Baptême : 7-8, 71,118,145,420 ; militer pour le Seigneur. à son exemple et sous son influence : 3. 5, 11, 27, 91, 100, 114, 121, 128,131, 143, 144, 148, 254, 289, 294, 343, 403-404, 487. 552; 57$ COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT deux éléments : pacification de l'âme et union à Dieu : 12, 22, 58, 79, 113, 343, 350, 362, 363. L'UNJON 4 DIEU. (52) Les principes de Γ union à Dieu : /cj vertus théologales : armure et facultés de la vie surnaturelle : 5. 7, 404, 423 ; ont Dieu directement pour objet : 18, 72,83. 97, 348 ; se rencontrent dans l’union avec Lui : 393 ; leur exercice e t illimité : 365. la foi : don gratuit de Dieu : 6, 116, 420; premier bien de fame : 171 ; participation à la sagesse de Ditu : 2 ; rend attentif à Dieu présent : 73, 86, 113, 119, 121, 122, 212, 215, 348; le Seigneur vu dans le prochain : 62, 74-75, 293-2S4, 296. 299, 375-378, 381, 478, 497, 500, et dans les supérieurs : 42, 88, 96, 97, 101, 131 ; le moine, homme de foi : (2). l'espérance : union de notre volonté à celle de Dieu : 97 ; son motif, l’amour premier et miséricordieux de Dieu ; 7, 84, 91-92, 133-134, 566; la confiance en Dieu : 60,81,139.542; ■’ la char île : précepte universel, compréhensif et complet : 71-72, 326, 441, 517, 558; précepte facile : 72-73 ; caractère et mesure de la charité : 73-74 ; la chanté» atmosphère de la vie surnaturelle : 73, 343; amitié entre l’homme et Dieu : 72, 97 ; la charité filiale : 71, 75, 90, 339, 364. 366. 447. 515. 557-558 ; la ferveur et le bon zèle : 20, 26, 33, 72-73, 96-97, 101. 130, 133, 148, 326, 343. 433. 435, 518, 552, 556-560; ne rien préférer à l’amour du Christ : 18, 79, 96, 559-560; faction purificatrice de l’amour : 33, 350. 558; la tiédeur : 9, 34, 141, 436. (53) Les œuvres qui unissent à Dieu ; a) l'obéissance : voir (18). b) l'exercice de la charité fraternelle : son objet et son motif : 74-75, 123, 293, 296, 299. 375-378. 381, 497. 500; sa mesure : 75, 76, 80, 91, 135; ne ra* juger autrui : 140. 548; la charité fraternelle, grande loi du christianisme : 80, 324, 326, 382, 383, 559' indice de la charité envers Dieu : 33, 75, 502, 558 ; la charité dans l’exercice des charges : (12) ; les fautes contre la charité : (19). c) la prière : ,a nécessité : 6; est constituée par l’ardeur secrète du cœur : 147, 213-214, 219, 363, 374; Dieu seul peut apprendre à prier : 83, 165, 219, 349 ; ses qualités : respect, pureté, componction et brièveté : 88, 110-111, 212-213, 218-220, 363, 374, 424 ; la prière continuelle : 88, 198, 213, 302 ; la devotion I__________________________________ privée : 142. 211. 221, 374, 424, 445, 562 ; ses formes : l’adoration en esprit et en vérité : 22, 97,147, 154, 219, 436; la louange · 95, 150-151, 154, 198; l’action degrâces: 17-18, 25, 81-82, 151, 287; l’impétration : 6-7, 16, 20-21, 423; la prière pour le prochain : 61, 75, 91, 235» 246, 252, 257-258. 293. 366, 424, 548 ; son efficacité : 7,13,156,219,424, voir (45). l'oraison mentale : dispositions requises : 221 ; préparation : 214 ; méthode : 88, 110. 153, 162, 213, 221, 349-350, 357, 373; conditions favorables : 112, 302, 320, 373-374 ; temps réservé à l’oraison : 154, 162, 211, 221, 349. 363, 373. la contemplation : activité suprême de l'intelligence et du cœur : 346 ; exercice de la foi, de lespérance et de la charité : 73, 86, 121-123, 143, 348 , 404, 423 , 433 , 563 ; l ut suprême de la vie : 517 ;son bonheur et sa simplicité : 112 ; dispositions requises : 2» 9-10, 46, 113, 143, 152, 351, 404, 423-424, 517, 563 ; la contemplation infuse : J 350’ d) la lectio divina fest œuvre de foi : 348-349, 563 ; tend à la contemplation et à l'union à Dieu : 221. 349-350, 564; le goût de la doctrine dans la vie monastique : 46, 88, 152, 162, 214, 221, 350-351, 423-424, 512, 565; les lectures incomprises : 147 ; temps réservé à la lectio divina : 21.161-162, 221, 349-350, 357-358. 360, 363 ; sa matière : la Sainte Écriture : parole de Dieu : 9, 11, 13, 15, 19, 26. 564; livre par excellence et manuel des moines : 349-350, 432, 564 ; confiée au Ma- TABLE DOCTRINALE gistère de VÉglise : 354,564 ; «t tout entière inspirée : 322 ; ne contient pas toute la pensée de Dieu : 564 ; ton interprétation : 12, 15, 125 ; V authenticité des Livres saints 171 ; la lecture publique de ÏÉcriture au monastère : 170,178, 301-302,322 ; sa vertu sacramentelle ; voir (45) ; la traiter avec respect : 564 ; les Pères : organes fidèles delà Tradition : 26,170-171, 564; source de la piété bénédictine : 88. 162, 349, 432, 564-565. e) les études monastiques : leur matière : 162, 351, 564-565; la science du moine : 351354,358.564; les dangers à éviter :3. 21. 59, 73,152,154-155,353, 564 ; Tinsulfisance des livres : 46-47. f) la pratique des observances ; 20.25-26, 66.323,343,562. 1 LA PACIFICATION DE L’AME. (56) L€s œuvres qui préparent et achèvent Fanion à Dieu î a) les aertus morales : leur rôle : 365, 403-404, 517 ; leur développement et leur exercice·. 90. 131. 133, 148.233,235,517. l'humilité : conceptions de saint Benoit et de saint Thomas : 94.117-118, 145. 272, 380. 434 ; l’humilité, attitude de vérité : 119,140, 218,473.562 *. défi n : 140. 272 ; réside dans la volonté, mais est forcée sur la foi : 119,121,146,212 ; condi­ tion de l’union à Dieu : 2,115-116, 14b, 478, 556; procédé d’assainissement de l’âme : 25-26, 85-86, 111, 124, 126, 137,143; vertu qui fait les moines : voit (2), (12); . . . les degrés d'humilité : 1er — la crainte de Dieu : procédé nécessaire d’éducation sur­ relie : 85-86, 119-128,138, 148, 212-216, 218. 559; crainte servile et crainte chaste : 83, 99, 120, 147-148, 339, 515, 559; le don de crainte·. 10,120 ;la crainte de Dieu dans la vie monastique : voir (2) ; 2e et 3e — la soumission à Dieu et à toute créature pour l’amour de Dieu : 12? 131,272,380; 4e — l’obéissance héroïque : 131-136, 539-543; 5e _ l’ouverture d’âme : 87, 137-138, 342, 433; 6e — être satisfait de tout : 139, 287 ; 7e et 8e — ne se préférer à personne et garder son rang : 140-142,473,487.492,560 ; 9e, 10e et 11e — la retenue dans le parler etdans le rire : 87,108-109, III, 142144, 364, 501 ; 12e — le retentissement extérieur de l’humilité : 145-147. la prudence et la discrétion : 2, 60, 95, 198, 517. la force, la patience et la générosité : sont indispensables dans la vie spirituelle et dans la vie commune : 4, 16. 18, 20, 25, 58, 73,99, 101, 126,132,135. 233, 269, 295, 366, 423. 424, 435-436. 518, 543, 558,562, voir (12). la pénitence : le repentir : 13, 91, 147 ; la componction et le don des larmes : 88,147, 219-220, 363, 374 ; la réparation ou la satisfaction : 84.362. b) la mortification : sa nécessité : 23-24, 56, 74, 77, 96, 125, 148, 283, 348, 472; do t d’abord être intérieure : 12, 74, 124, 137, 145-146, 214-215, 272, 363,365,557; valeur relative et but de la mortification corporelle : 78, 307,311,319,365 366; tes qualités : 297, 364, 366; les meilleures mortifications : ! c) le silence et le recueillement : 2, 9, 108, 110, 113,319, 349. 5° La perfection de la vie spirituelle. (55) La vie d’union : saintetés prismatisées et saintetés blanches : 403-404. la charité dominante et souveraine : 13, 147-148, 441 ; la docilité et l’iandon ; 2, 24. 26, 96, 99.120-121, 218, 362.435,542.552-553. la paix : gardienne de la vie spirituelle : 13, 523; fruit de la chanté : 12-13, 25-26, 71, 267; son rayonnement : 109, 516; y demeurer toujours ; 13, 16,80, 91.132, 269, 294, 436. [KJ r v a. λ »7 4Ï8* 'COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT la foie : est continuelle dans 17me chrétienne : 113; fruit de ITsprit et de la chanté ; 13, 26, 90, 133, 148 ; la joie de l’homme, liée À la gloire de Dieu : 11,95. 154; répandre la joie autour de soi : 109 ; le précepte de la joie : 103, 289, 317, 364, 365 ; la joie du Calvaire : 25, 120, 133. IV. — LA LOUANGE DIVINE (56) La louange divine, fin supreme des choses : la physionomie liturgique de la création : I î. 95, 149-150, 154 ; la vertu de religion et la liturgie : 22.150-151. (57) L’Église, société de louange divine : le Christ, Adam nouveau. Pontife unique et étemel; il n y a qu’une liturgie : 151, 152, 154, 213; la liturgie, expression et épar ouïsse ment de la ne de l Egliie : 151-152 ; « Œuvre de Dieu > par excellence : 152, 165, 213, 526; fin de scs opérations < ad extra » 154. 156,326,338. (58) Le monastère, centre de vie liturgique : ΓOffice dion, audience solennelle du Seigneur : 213, 217, 326; oeuvre essentielle et première de la vie bénédictine : 22, 149, 152-153, 156, 197, 211, 343, 389, 434, 457, 491; œuvre centrale : 154-155, 214, 344. voir (5); ne lui rien préférer : 154-155, 214, 326,353,433-434; l’obligation de l’office : 95, 155, 197, 367. 369. la liturgie procédé et but de la sanctification du moine : 153-154, 215, 362, 433, voir (45); forme de son apostolat : 156, 215, 387, 389; prière liturgique et prière privée : 162, 221, 349-350, 357, 373, 432. (59) La célébration de l’Oifice divin : la prépara tien nécessaire: 161-162, 214, 215, 434; s’y rendre avec empressement : 232, 233, 325-326, 345; la perfection requise: 162, 215, 338-339, 363, 562 ; la tenue au Chœur : 172, 214-215, 304 ; l’attention « ad verba », « ad sensum », ad Dcum ♦ ’· 73, 162,213,215-216,338,372 ; la sortie des offices : 373. TABLE ALPHABÉTIQUE No la. Les chiffres entre parenthèses renvoient à la table doctrinale, les autres à h pagination du commentaire. Abandon : (55). Abbé : (6) à (9). (19). (45). Abnégation régularité et — : 326; poli497 ; Γ — au chœur : 215; tesse et dans l’exercice des charges : (12); voir mortification. Abstinence : (21). Acception : Γ — des personnes : 43-50, 254, 270, 286-287, 405-407. Accoutumance : voir rculin?. Actes : les — , fils de la vie : 14; garder à toute heure les — de sa vie : 12, 16, 84-87, 120-122, 343; se faire étranger aux — eu siècle : 65, 79, 81, 155, 279, 371,414. 457, 537. intelligente : 212 ; la vie active : Action : Γ 152, 343, 424. Action de grâces : voir prière. Adolescence : 263-264. Adoption : notre — divine : (36). Adoration : voir prière. Affection : la beauté, raison de Γ — : 50; les — monastiques : 545, 559; l’aveugle­ ment de Γ — naturelle : 48, 544. Agape : 157. Aga une : 197. Age : 1’ — de l’Abbé : 42. 49. 509, et des officiers du monastère : 49, 226, 266, 432, 493-494, 530 ; 1* — requis pour la profes­ sion : 428, 438 , 443 , 462; les dangers de Γ — : 37, 83. 96, 332 ; anciens et jeunes : 90-91, 496-458, 500-502. Alimentation : le régime alimentaire : (26). Ambition : 114 ; placer très haut son idéal pratique : 518, 562. Ame : le prix des — : 24, 57, 59, 61, 253, 257, 262, 350. 376, 413; Γ -, sanctuaire de Dieu : (36) ; le gouvernement des — : (6) ; la diversité et la complexité des — : (47) ; leur liberté : 56, 421 ; ouvrir son — : (54) ; le contact des — bonnes : 62, 109. Amitié : les — particulières : (13). Amour : la spontanéité d la rirrplicté de I’ — : 72; son caractère docr.iwteur : 74, 145 ; voir charité. Anachorètes : (2). Anges : (49). Apostasie : (34). Apostolat : Γ — de la vie bénédictine : (5) ; valeur apostolique d* la prière liturgique : 155. Armure : Γ — surnaturelle : (52). (53). Art : Γ — spirituel : (46); l’exercice des — au monastère : (25). Ascètes : li vie liturgique des premiers — : 189,194. Atelier : le monastère, — de l’art spirituel : (46); les — claustraux : 340. 557, 413414.532-533. Attention : nécessité de Γ — : (47); Γ — à l’office ; (59). Aumône : le devoir de Γ — : (18). Austérité ; Γ — monastique : (18). (21). Autonomie : I’ — des monastères : 243,430. Autorité : nécessité de Γ — : 40, 131 ; sa source : voir (6) ; ses Emites : 43, 49. 103; ses dangers : 67-68, 131, 472: pou­ voir et liberté : 44 : le respect de Γ — : 434. 545-546. 560; 1’ - de l’Abbé : (6). (45); Γ — religieuse À travers les âges ; 353-354. Avarice : (42). Biins : 296-297» Baptême : (45). Bénédictin : les caractères de U vie Uni· dictine : (5) ; kl aptitudes requises pour y > 5S0 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT entrer : (15); la légende du bénédictin érudit : 353, ou < homme à tout faire > : 566; les · Bénédictins ascétiques de la vieille école > : 350; les devises bénédic­ tines : 13, 326, 416. Bénédiction : le mot dans la Règle : 170171,247,387,500-501, 531 ; la - de Com­ plies : 201. Benoît (saint) : la personne de — : (3); sa vie : 27,32.220.222, 364.395.397. 406, 476. 484, 520. 530. 540. 541, 563. Bibliothèque : 358; le bibliothécaire : (12). Bien : le — absolu : 103, 148 ; le — essentiel de la créature : 95, 103; « les biens de Dieu en nous · : 8 ; les — du monastère : (18); leur administration : (6), voir cellérier. Bonheur : notre amour premier du — : (47) ; le — invincible : 25-26, 95, 120, 148, 154 ; la béatitude suprême : 80; le — dans la vie monastique : 3. 11, 93, 101, 138, 515 ; voir joie. Bréviaire : l’usage des — : 161, 369. i Bursfeld : 230, 418, 440. 521, 529 (3). l Calendrier : le — monastique : 188-189. Camalddes : 32, 213, 418. Cappadociens : les moines — : 167, 301. Capucins : 31,436. Caractère : l’assainissement des — depuis saint Benoît : 56, 235, 247, 266 ; l’abaisse­ ment universel des — : 56; le — de l’Abbé: 42. 96. 131,516. Carême : (21). Carmes : 444. Cassin (Mont) : III. IV. V. VI. VII, 64, 165.167,184,189.227,292.306.309,310, 315,317,341.374,381.394.398,401,402, 409.417,418,452,456,477,491,499.500, 511. 524, 541. | Cellérier : (12). Cellier : 276, 288, 340. Cellule : 230-231, 320, 404-406, 411. Cénobite : (2). Ctrémonia1 : le— monastique : 172, 178. 213-215, 368. 493; le cérémonîaire : (12). Chambrier : (12). Chant :1e — grégorien : 155,165 (5), 215, 424. Chantres : (12). Chapitre : le — général : 63, 445 ; le — conventuel : (11) ; le — des coulpes : (30) ; le —des novices : 438. 440 ; la salle du — : 112. 200, 230. 239,321.438, 533. Charge : la collaboration de tous au tra­ vail commun : 226, 540 ; les différentes — : (12) ; la dignité de toutes ’.es — : 289, 292, 435. i ; I 1 | I Charité : la — envers Dieu : (52) ; la — en­ vers le prochain : (53); les fautes contre la - : (19). Chartreux : 30. 32. 34. 162 (I). 231, 284. 414. 418, 436. 444. Chasteté : le vœu de — : (17); la garde de la — : (18). Châtimeuts : voir code pénal. Chauffoir : 112. Cheza-Benoît : 432. 438. Chœur : la tenue au — : (59). voir abnéga­ tion; le maître de — : (12). Chrétien : le —, fils de lumière : 46 ; le sacerdoce du — : 151. Christ (Jésus) : vrai homme : 42, 129; ses trois volontés : 129; son obéissance et son humilité : 5, 42. 100, 121. 128-129, 131. 132, 140, 141, 154, 157. 348, 539. 552; sa vertu dominante, la miséricorde : 12, 42, 84. 92. 94. 251, 254, 257-258. 261. 514; nouvel Adam : 4, 151, 154 ; son sacerdoce : (57); sa mission : révéler et glorifier le Père : 9. 26-27, 154, 560, racheter, consoler et guérir: 5. 11.24.35. 121.132, 134. 141. 251, 350; le—, tête de (Église : 7. 49-50, 79, 84, 145. 151, 154. 350.'362. 456, 566; le — Roi : 5. 8,289 ; Maître intérieur : (45) ; Maître et propriétaire du monastère : 26, 41, 64, voir biens; le — dans l’Abbé : (6), (52), et dans le prochain : (52). Circateurs : 232 (3). 359. Cisterciens : 58, 107, 112, 139, 180 (2), 239. 284,341.368.382. 398, 399. 403,402. 418. 429. 499, 501. 520 (6). 529. 530. Clair vaux : 468. Clerc : la vie monastique ouverte aux — : (15). Cloches : 345. Cloître s 112. 214, 230, 321. Clôture : (18). Cluny : VI, 106, 112, 171, 202 . 227, 230. 232 (3). 239. 262, 289. 292 (2). 296 (3). 303 (I). 308,311.314.324 ( I). 339 (3). 341. 368. 376, 384, 386. 398. 399. 400 (3). 402. 404,406.408, 417. 427, 429. 433, 448. 449. 459, 467.468,476. 490. 493, 499, 505,521, 525 (1). 530. 535. 536. Code pénal : (28) à (30). Cœur : (47). Commende : (8). Communion : la — chez les premiers chré­ tiens et chez saint Benoît : 27, 202, 244, 291, 303, 306, 457, 493; les - infruc­ tueuses : 12,74. Complies : voir Office divin. Componction : (53), (54). Conférence : les — spirituelles : 320, 323, 357, 358» 373, 411. I TABLE ALPHABÉTIQUE Ml Désobéissance : (18). Confession : — sacramentelle et — extra­ sacramentelle : 137. 342. Dévotion : la — privée : 142, 211.221. 274, Confiance : la — en Dieu : (52). 424, 445,562 ; h — de L pureté : 218-219 Conscience : la — : (47) ; Vexamen de — : Diacre : l'ordination d’un — pour le m nas12. 17-18. 122. 343, 433. 552; la direction tère : 202. 483-485; l’office des premiers de — : (20). — : 226; le sous-diaconat : 484. Consécration : la — à Dieu des personnes Dieu : — est Acte ;ur : 122, 346. le Bien et des choses au monastère : (17). (18). absolu : 103. pauvre et opulent : 123, 373 ; Conseil : les — évangéliques : (15) ; le — de — créateur, providence et fin dernière : l’Abbé : (11). 11. 49. 51-52. 58. 60. 64. 95. 116. 123. Contemplation : la — : (53); la vie con­ 127. 133. 134. 149. 246. 350. 364. 420. 421, 426. 468-469; ta souveraineté abso­ templative : (5). voir scuffrance. lue : 25. 49, 95. 123-121, 218. Convent : (10) à (13). les caractères de ses manifestations < 'd Convers : les frères — : (10); le maître extra ■: 2. 9, 26. 42. 75. 100. 111, 218. des —: (12). 348; — agent de la vie spirituelle î (44) ; Conversation : les — monastiques : 87, — « Père des lumières > : I ; charité : 7-8. 111. 143; voir silence. 75, 134; Beauté, Pureté et Joie infinies : Conversion : la — monastique : 33, 36. 233, 24.42.(2, 72,86.146. 147. 149,1E8. 219. 419, 424, 471, 494; la conversio morum : 296. 339. 354, 389. 420. 433. 436. 457 ; 278, 444. sa fidélité : 27. 92, 133; sa Unanimité et Correction : — intérieure et — extérieure : I sa miséricorde : 19, 25. 92. 127-128, 146. (47) ; voir cole pénaL 186. 261; sa justice : 8, 84. 92, 128.145Corruption : la — du monde : 79, 253; I 147 , 269, voir jugement; sa présence corruptio optimi pessima : 37 ; 1‘influcnce d'immensité et sa présence de grâce : 26. des êtres corrompus : 380. 62. 73. 85-86» 97,122-1M, 126. 127, 143 Coterie : (18). 198, 212-213, 349. 3M. 368. 376. Coule: 396. 399,401. I Dimanche : 157,181,189,1S3. Courage : voir force. ! Direction : voir ^oucemement des âmes; Courtoisie : voir distinction. les lettres de — : 391. Crainte : la — de Dieu : (12). (54); la — Discernement : le — des esprits : 52, 55, de la mort : 83 ; la — de l’enfer : 83, 95 ,21·. L 57-58. 433. Discipline : le mot dans la Règle : 239 ; la Création : son idéal et son terme : 149, 246 ; < discipline » : (21). son témoignage, le cantique de la — : 11, Discorde : les occasions de — au monas­ 42, 62. 95, 140. 149. 213. 348; sa perfec­ tère : 90, 186. 497. 523. tion relative : 95, 103, 149; son rôle dan» Discrétion : la vertu de — : (54) ; la — de le gouvernement divin : 149. la Règle : (4) ; la - de l’Abbé : (7). Créature : la — en face de Dieu : 95, 123Discussion : éviter les — : 90,109 ; dépenser 121, 468-469 ; ses limites : 122. sa vie à discuter : 5, 53, 553. voir marmore Critique : l’esprit de — : 3, 81, 353; voir Dispense : les — de la Règle : 299 ; les — murmure. des vœux: 280-281,443. Cuisine : 112, 289, 295. 340. 384-385, 409. Dissipation ; — intérieure et — extérieure : Culte : le — et la sanctification personnelle : 109,112,143. 304. 326. 373, 388. 501. 22, 154; l’acte cultuel : 150-151 ; la va­ Distinction : la — dans les rapports avec leur cultuelle de tous les actes bons du Dieu : (47) ; la — dans les rapports avec moin ■ : 153,442 ; le — juif et l s — païens: le prochain : (19). 73, 219. Distraction : ‘es — dans la prière et À Fol· fice : 73, 162, 172, 214, 220. 338; U Décadence : la — des monastères : 54-55, grave : 113. 59, 353, 414. 425, 515, 523. 565. Docilité : h — dans la vie monastique : (4). Défaut : la mise en commun des — : 479; (12). (18); la - inteBectueUe : 0). (47); voir support mutuel. — et sainteté : (55). Délicatesse : la — de conscience : (47). Doctrine : b —, instrument de grâce : (45) ; Démon : (39). le monastère, centre de — : (5). (53), voir Dépositaire : (12). monastère; b — de l’Abbé : (9). Désir : Je — de l’éternité : 14, 83; le — de la Dominicains : 30. 162, 436, 444. perfection : voir perfection : les < désirs Don : les — de Dieu : 57, 92. voir Espritde la chair 3 : (18). 582 COMMENTAIRE SLR LA Saint; les — faits au monastère : 281. 459, 466. Dortoir : le — des anciens moines : 230234. 320» 404-406. 495-495. Dot : la — des moniales : 459. Doyens : (II). Dualité : une secrète — : 12. École : voir monastère; les — monastiques : 462. 469 (I). Écriture (Sainte) : (53) ; sa valeur décisive dans la Règle : 9. Édification : la préoccupation d’édifier : 89, 109, 145; voir apostolat. Éducation : princp·» et but de Γ 52. 55-56, 85. 102. 119-120, 256. 238. 284, 469, 549; le savoir-vivre : 112. 1+1. 275, 304-305. 311, 332-333. 497, 501-502. 515 ; faire ssi-mêm· sen — surnaturelle ; 58, 85, 119,339. Égb’sc : Γ —, Corps mystique du Christ : 151, 456; soc-été surnaturelle : 35, 246. 353.456, organique : 50,57, 483, et monar­ chique : 63; — universelle et — particu­ lières : 242-243; l’Esprit Saint, â ne de 1’ — : 151 ; Γ —. société de louange divine : 151, 153, 156, 213; servie et admirée par les Anges : 123 ; Γ—. Mère et Maîtresse de vérité: 26, 97, 153. 354, 564; ses titres à la confiance : 68, 351. Égoïsme:!’—, antagoniste unique du salut (42); 1’ — dans la vie commune : (19). Égypte : les moines d' — : 31, 164, 167, 200, 205. 220-221, 289, 301, 463, 498. Élection : 1' - de l’Abbé : (8) ; 1' - des doyens : 225. Élite : la vie religieuse, réservée à une — : (|). Enfant : l’enfance spirituelle : 148, 395; le caractère des — : 52, 64. Ill, 233, 264, 277, 299. 339 ; les limites d: l’enfance : 263, 299, 496, 549. voir cblat. Enfer : (33) ; voir crainte. Enjouement : Γ —. indice et instrument de perfection : 87, 107, 111,143, 424, 472. Enseignement : le rôle de Γ — extérieur : (45); les (ormes antiques de Γ — : 110, 358 ; 1' - de l’Abbé : (6). Envie : (42). Épreuves : les — de la vie spirituelle : (45) ; les — de l’Abbé ; (9). Équité : (7). Ermites : voir anachorètes. Espérance : (52). Esprit-Saint : Γ —t baiser étemel du Père et du Fils : 148» 149 ; Γ —, âme de l’Église : voir Église; ton œuvre dans l ame : (44) ; les REGLE DE SAINT BENOIT dons de 1I’ —: 10, 120, 169, 220; les fruits de Γ — : '90. 364. 557-558. F.sséuiens î: 80 (2). Éternité : la vie présente, noviciat de Γ — : 10. 19. 22, 27, 84, 92. 96. 99. 121, 566; le désir de Γ — : voir désir. Étude : les — monastiques : (53). Eucharistie : 1’ —, extension de l'Incanution : 75 ; Pain vivant commun à tous les chrétiens : 50, 156; l’humilité et Γobéis­ sance du Seigneur dans Γ — ; 42, 100, 131, 348. 487; voir communion et misse Eulogies : 391. Eutrapélie : voir enjouement. Évêque : 61. 242, 452, 471, 483. 485, 504, 507, 511 (I). Exception : le régime des — : 142, 267, 287, 294, 299. 311. Excommunication : Γ — ecclésiastique : 242-243, 245, 247 ; Γ — monastique : (29). Exemption : le privilège de Γ — : 225, 243, 4-13 (2). 485. 488-489, 504, 507, 511(1). Expulsion : (29). Famille : la — monastique : (19), (45); les rapports du moine avec ses parents : 272, 295, 424,458-459, 534-535, 5+4. Farfa : VI. VII, 295,399, 467. Fau’.e : les —, occasion de progrès : (45) ; les — contre la charité : (19); la plus lourde — dans la vie monastique : 433, 472; voir péché Fémoraux : voir habit. Ferveur : (52). Fête : voir calendrier ; la — continuelle dans lame chrétienne : 113. Fidélité : la — pratique : (47) ; la — à l’idéal monastique : 79, 155, 343, 426. Fins dernières : (33). Foi : (52). Fondation : 271, 521. Force : (54). Fragilité : la — de l’homme : (43). Froc : 398-399. Gaieté : la — grossière : (18); voir enjauement. Générosité : (54). Gloire : — essentielle et — accidentelle de Dieu : 11, 95, 149-151; union à Dieu, louange de Dieu et — de Dieu : 154; le bonheur de l'homme, lié à la — de Dieu : 11, 95 ; le « Gloria Patri » : voir Office divin. Gourmandise : (42). Goût : le — des choses spirituelles : 88, 221, t TABLE ALPHABÉTIQUE I 423-424; se tenir ·η garde contre la reImagination ·. V —, cause de sourttmce et • cherche de ses — : 34, 332. d’illusion : 24.112-HÎ, 132, 436, 553. Gouvernement : ce que c’est que gouverImitation IV — de S.S. JéwvQwnt : (51). n r : 513 ; le — des âmes : (6) ; le — de Impétration : voir priée. l’Abbé : (7). Inattention : V —, pourvoyeuse de ïerJtr : Grâce : la nécessité de la — : (44) ; la — j 9, 121; voir distraction. sanctifiante : (36). Incarnation ·. le mystae de ï — : U. 42. Grecs : les moines — : 164-168, 172, 227, 75, 100. 151,348. 378-379, 463. 532, 535. Infaillibilité : V — de Γobéissant : 88.103. Gyro vagues : (2) ; l’esprit de gyrovagie : (18). Infirmerie : V - : 295-2%. 384; Tou­ rnier : (12) ; la larmes ou malades : le Christ dans les — : 293-295, 297 . 375, Habit : 1’ — de religion : 232.395-396» 454378 ; soin et visite des — : 78. 230, 270, 456, 461 ; ses éléments : tunique et cein­ 293-298, 311-312, 532; devoirs et «ac­ ture : 231-232, 399, 401; scapulaire : 398-, tions des — : 2M-295. 360 ; voir wnli. coule : 396-399, 401 ; linge de corps : Influence : V — de l’Abbé sur sa moines : 232, 297 , 399 ; fémoraux : 232, 402; bas 40,45, 47. 61,5(0, 516; 1’ — des moines et caliges : 232, 399 ; Γ — de voyage : 232, . sur leur Abbé; 49, 61,101.275,514.515 ; 403-404; Γ - de nuit : 231-232, 396. Γ — exercée pn chacun dans b vie com­ 399, 401 ; le symbolisme des — : 232, 396, ' mune : 53. 109. 143,146. 237, 258. 274, 455 ; leur qualité et leur couleur : 139, 400. 446, 479 ; la contagion des vices : 380. 402-403 ; le soin et l’entretien des — : 39, Instruments : les — des bonnes œuvres : 139, 277, 396. 402, 406; le p^rt de Γ-, 69-93 ; les - de travail : 276-277.290. interdit aux expulsés et aux apostats : 461. Intelligence : ï — chez l’homme : (47); Habitude : la formation et la répression des Γ —, obscurcie par les pissions : (42). mauvaises — : 10, 88, 143, 558; les — d’inobservance : 142-143 , 446. Héroïsme : la charité héroïque : 80 ; l’obéis­ Jactance : la —, ou exaltation des paroles : sance héroïque : 131-136, 539-543; l’abné­ 90.109,114. Jalousie : (42), la — de Dieu : 24, 75. gation héroïque : 269. Heures : les — canoniales : voir Office divin. I Jardin : 145,531 Jérusalem : h chrétienté primitive de —, Hiérarchie : la — ecclésiastique : 483; modèle de la vie bénédictine : 31,283» 2*86, la — à observer dans l’obéissance due à I 456. tous * 553 ; la communication hiérarchiq :e Jésuites : 162, 426, 436, 449. de la grâce, de la doctrine et de la paix : j Jeûne : (21). 109, 246,516. Joie : la — spirituelle : (45), (55); Its — de Hirsauge : VI, VII, 112, 230, 232, 289,417, I l’Abbé: (9). 505,521,535,536. Jugement : le — particulier : (6), (38); ne Homme : la nature de Γ — : (43): sa socia­ pas juger autrui : 140-141, 544 bilité : 33-35. 105, 246 ; Γ —, prêtre de la Justice : la - de Dieu : 8,84,127-128,146. création : 150; ouvrier de Dieu : (46); 269-270 ; la vertu de - : 8.150,339.309. Γ — idéal de Platon : 47 ; le vieil — : 5, 448 ; — chrétienne et — phirissique : 73, 122. 457.............................................. 103, 135, 213-214. 364, 366, 557; lsHoraire : Γ — d’une journée monastique humaine ; 250, 253. d’après la Règle : 158-163, 174, 179, 181, 194-197, 354-360; la division des jours chez les anciens : 158-159, 195 , 344, 355. Larmes : le don des — : 220 ; voir ωπψχχHospices ; les — monastiques : 386. ticn. Hospitalité : l’hôtelier et Γ — monastique : La us perennis : une — réalisable par cha­ (12) ; l’hôtellerie : 332, 334, 386, 427, 529. cun : 197-198. Humiliation : les — par fiction : (21). Laudes : voir Office divin. Humilité : (54). Lectio Divina : (53). Lecture : les — à l’cÆce : voir Office dirin; la — de Complies : 201, 321-323; U — Idéal : 1 — monastique : II, 79, 155-156, à table : (26) ; les — du moine : voir 347, 383-389, 539; placer très haut son élude; h mamère de lire des anciens l — pratique : 518, 562. 355. " Illusion : (42). 584 COMMENTAIRE SUR LA Urine t 168. 183. 231. 416. 489. Lettres : la création de la poste : 377 ; fa correspondance d’un moine : 390-391 ; les — testimoniales : 379, 425, 482. Lever : (27); le — de m nuit : 160. Liberté : la vraie — : (47) ; la — du moine avec son Abbé : 66 (I), 138, 560. Lit : le — monastique : 229-230, 404-405. Liturgie : (56) A (58). Livres : l’insuffisance des — : 46-47 ; les — de Carême : 358; les — liturgiques : 161, 172,190,369; l’usage et le soin des —: 277, 405 ; les publications monastiques : 59. 387,414. Loi : l'autorité des — : 6, 85, 95, 121-122 ; la — de Dieu se justifie par elle-même : 11. 130. Louange : Je Verbe. — parfaite du Père : 149, 151 ; la prière de - : (53); < Tibi silentium laus » : 2. 219; voir liturgie. Loyauté : la — profonde de l'âme : (47) ; la — dans la vie monastique : (18), (19), (47). Luxe : le < luxe pour Dieu > : 139. Luxure : (42). I Magistère : le — de l’Église : 26, 102, 353354. 564. Maître : la nécessité d’un — dans la vie spirituelle : I ; le Christ, — du monastère : 26; voir enseignement. Mal : voir péché. Malade : voir infirmerie. lise : 384. Mandatum Matines : voir Office divin. Médisance : les — dans la vie monastique : 74.81.108. Méditation : voir oraison. Mépris : (18). Mérite : réalité et condition du — : (46). Messe : la —, centre de la liturgie : 151-152, 202 ; la — conventuelle : 202,291,358,471, 484 ; la — de profession : 457 ; la — chez les premiers chrétiens : 202, 358, 484; l’Avant-Messe : 157, 170. Méthode : — de direction : 51,56, 110, 433, 516, 518; — d’oraison : (53). Miséricorde : la — divine : 91-92, voir Christ; la — des Saints : 513, 548; la — de l’Abbé : (7), (28) ; les œuvres de — : 78, voir aunCne. Mobilier : le — monastique : 230, 276-277, 404-405. Moine z (2), (10), (19); voir influence. Molesmes : 402. Monastère : le —, maison de Dieu : 26, 41, 50, 60, 64, 212, 251, 253, 271, 275, RÈGLE DE SAINT BENOIT I I 277, 282-283 , 387. 415, 420; société surnaturelle : 50, 243, 287, 456; école du service du Seigneur et vestibule de l’éter­ nité : 21-22, 26. 27, 154, 275, 363. 497; centre de doctrine et de prière : 26-27, 46.88. 109, 156. 197-198. 211,213. 271, 351. 423-424. 512. 563. 565 ; le —. < vision de paix » : 537, voir (19); cadre de la sta­ bilité : 27, 31, 93, 444 ; son emplacement : 532; voir autonomie, décadence, épreuve, prospérité. Monde : l’esprit du — : (40) ; le — moderne : 155, 217, 343, 423, 426; la souffrance du — : 23, 125; se faire étranger aux actes du siècle : voir actes; le —. insa­ lubre pour le moine : 532, voir stabilité. Mont Saint-Michel : 532. Morale t la — chrétienne : 71, 372, 558; Dieu, auteur, garant et gardien de la — : 41.85.95,121. Mort : la — : (31) ; l’accepter une bonne fois : 84, 294; le silence de nos défunts : 348; la < mort civile » : 281. Mortification : (21), (54). Murmure : le — : (18); le murmurateur : 67. 237, 287. 545. Nécessaire : le —. accordé à chacun par l’Abbé : 282-283. 286-287, 402. 405-407. Nitrie : 315, 379. 384. Noblesse : — surnaturelle et — selon le monde : 50, 289. None ; voir Office divin. Notre-Dame : (48). Noviciat : (16) ; le Maître et le Zélateur des novices : (12); les bâtiments du — : 230, 427, 429. Obéissance : (18). Oblat : (10); voir enfant. Obligation : Γ — de la Règle : 237, 445-446. Observances : différent dans chaque Ordre : 445; la pratique des — : (21), (53), 109, 294, 366, 446, 478. Œuvres : la nécessité des — dans la vie spirituelle : (46) ; les instruments des bonnes œuvres : 69-93 ; Γ < Œuvre de Dieu > : (57). Office divin : place et obligation de Γ — dans la vie monastique : (58) ; sa célébra­ tion ; (59); histoire de Γ — : 197-198. 211, 417; le cursus de saint Bencit : éclec­ tique et personnel : 157, 167, 177, 184185, 203; souple et sage : 157, 171, 177, 180, 185, 190, 191, 198, 210-211; incom­ plet : 172, 202; les Heures canoniales: TABLE ALPHABÉTIQUE 5% Matines, 157-158. 164-167. 169-180. 188Patriarches : h paternité et b umteté 191, 193-194. 221; Laudes : 163.181-187. des-·. 2.85.120.505. 194; Prime : 195-196. 199, 204-205, 329Pauvre : le Christ dam les - : 294. 575.378 ; 330; Tierce. Scxte et None : 194-195, voir aum 'ne. 200, 204-206, 329-330; Vêpres : 195, 207Pauvreté : le vœu de — ; (17); la gird* de 208; Complies : 196-197 , 203. '4X 329; la la — : (18) ; h pauvreté en esprit : %. 393. structure de — : le < Deus in adjuto­ Péché : le — originel et ses suites ; (43): rium > : 164, 199, 204, 330; les hymnes : les péchés actuels : (41); le — dam le 165,167-169, 182, 185. 199.200,201.206monde : 79, 125. 149, 208; les antiennes : 164, 168, 174, 176; la Pécule : la pratique du pécukt : 271.282 (2). psalmodie : 165. 170. 174-175. 182, 183. Pèlerins : les —. accueillis au mcxuUère : 378. 203-209; les cantiques : 177. 182, 184185, 210; les versets : 170. 177; les absolu­ Pénitence : le sacrement de — : 137. 342; tions et bénédictions : 171, 177-178; les la vertu de — : (54). Pères : les — de lÎglûe : (53); les règles leçons : 170-173, 174, 176-178. 180. 182. 185. 200, 302, 565; les répons : 169, 172, des Pères : voir règle. 174, 177, 182, 185; les oraisons : 173, 178; Perfection : la—. épanouissement du capla conclusion des Heures : 173, 178-179, terne : 8, 71. 145,420 ; succès personnel de 182, 185, 201. 536 (1); le < Gloria Patri» : Dieu : 7 ; — et vie parfaite ; 441, 470-471 ; 165, 172, 177. 178. 184, 199, 200; U· l’Alleétat de — acquise et état de — à acquérir : luia : 173. 177. 182. 192-193; les offices 471 ; le précepte de k — : 420,562-563 ; des Saints : 171, 188-191. l’obligation pour le moine de tendre vers Oraison : Γ — mentale : (53) ; les — jacu­ k362.441.446-447 ; le désir de k —. latoires : 220. 83.362. 426.560,562 ; les voies de k - : Oratoire : Γ — du monastère : 111.213,215, 15, 18, 22, 25. 46, 56, 73, 74. 119, 131. 321. 325, 338. 372-374, 453. 456. 366.516.518,542. Ordre : Γ — dans les œuvres de Dieu : 11,95, Persécution : souffrir — pour k justice ; 18. 80. 109, 123, 149, 350. 516 ; Γ — du convent : (13); notre place devant Dieu : 95, 140Persévérance : nécessité et condition de k - : 8.14.20.71.85.92-93,133,218. 347. 141, 218. 474; le souci de Γ — : 372, voir propreté; la tranquillitas ordinis : 422, 423-424; k grâce de k — : (44). Personnalité : k vraie et k fausse — : 4. 12. 483, 491 ; le sacrement de IC dre : 5.51.58, 77, 84, 96, 99» 100, 113.142, (45) ; les Ordres religieux : (l) ; le p ssage 364. 469, 516. dans un autre Ordre : (32). Pétition : k — pour k profession : 439-440. Orgueil : (42). Pharisaiime : (47). Ouvrier : l’homme, — de Dieu : (46). Piété : k — bénédictine : 424,432,565; voir dévotion. Paix ; la — de l’âme : (5); (ai e la mondaine et — monutique : Politesse — avec ses ennemis : 91 ; la — soc Je : 496-497, 502; voir courtoisie. 24. 156, 491, 559; le baiser ce — : 380, Politique : le moine n’a pas titre à intervenir 493 ; voir monastère. dans k — : 93, 424. Palestine : les moines de 167. 199. 463. Ponctualité : k — monastique : 233. 326. Pape : l’infaillibilité du 102; les pouPorterie : k — : 529; le portier : (12). voirs du — : 280-281.442.471.504.511 (I). Possession de soi : (47). Pardon : le — des injures : 80, 186-187. Postulat : (16). Paresse : (42). Pouvoir : voir autorité. Parloir : 390. 529. Préceptes : conseils et — : (15) ; le — unique Passé : les souvenirs du — : 112-113, 537; de la vie chrétienne : 71.558; voir 1m. le regret et la réparation des fautes passées : Préférence : ne rien préférer à l’amour du voir pénitence. Christ : (52). ni à Γ · Œuvre de Dieu > : humaines : (42). Passion : les (58); les préférés de Dieu ; 49-50, 152. Pater : voir prière. 404 ; voir acception. Paternité : la — chez Dieu : 1,42 ; la — spi­ Préséance : les conflits de — : 496. 502; rituelle : 1-2; la — de l’Abbé : (19). (45). voir ordre. Patience : la vertu morale de — : (54); Presence : k — de Dieu : voir Dim; la —, nécessaire dans le gouvernement des âmes : 56, 57, 253-254, 438. 516, 518. et 85-86, 143. dans l’exercice des charges : (12). COMMENTAIRE SUB LA Prêtre : L dignité du sacerdoce : 471-472 ; Mcerdcce et vie monastique : ( 10) ς la cor­ rection des — au monastère : (29); les obligations du prêtre : 90, 470. 472-474, 486-488; sa science : 353. Prière : la doctrine de la — : (53) ; toutes les activités monastiques, sanctifiées par la — : 266,305.331,343 ; le Pater : 125,186,457. Prieur : (12). (29). Prime : voir Office divin. Privilège : les vocations de — : 152, 421 ; les — ne sanctifient pas : 14; le — de l’Abbé : 275 ; les — des novices : 429. Prochain : le Seigneur vu dans le — : (52). Proclamation : les inconvénients de la — : (28). e Profession : la — monastique : (17). Progrès : la nécessité de progresser sans cesse : 14, 362. 487, 561 ; esprit de conser­ vation et — : 353. Propreté : la —. nécessaire dans la vie com­ mune : 39. 139.277, 297.402, 434. Prospérité : — spirituelle et — matérielle du monastère : 46, 58-60, 66, 271. 414, 416. 512, 565. Providence : voir Dieu. Prudence : la vertu morale de — : (18). (54). Psalmodie : la place de la — dans l’Office divin : 170, 174. 190; le système psahnodique de saint Benoît : 203. 210; la — ancienne : 162, 16C-169, 172. 200. Psautier : le —, formulaire authentique de la prière : 210; le « Miserere > : 182; le psaume CXVII* : 182 ; le psaume CXVHP : 204. Pureté : l’innocence de l’enfant : 64. Ill; la pureté ou virginité du cœur : (47); le caractère de — surnaturelle des affections monastiques : 559; rien de souillé n’a le droit de pénétrer au monastère : 537; voir D eu et prière. Porgttcire : (38). Récréation : (20). Recrutement : le — du monastère : (14). Recueillement : (54); les recueillis : 275. Rédemption : l’œuvre rédemptrice : 5, II, 24.35, ICO. 121. 131. 134. 141. 149, 151, 154. 251, 253. 348, 350; notre collabora­ tion aux souffrances du Christ : 11,27,133, 365. Réfectoire : la salle du — : 111, 302. 321, 325, 371, 408412; voir repas. Γ egard : le — des Saints : 146. Règle î l’absence de — unique avant saint Benoît : (2); l’insuffisance des Règles écrites : 32, 40, 518; les Règles approu­ REGLE DE SAINT BENOIT vées : 442; l’obligation de la Règle : 237. 342. 415-446 ; la Règle, instrument de grâce : (45) ; la Règle de saint Benoît : ses caractères : (4) ; règle monastique par excellence : 566 ; dite la « Sainte Règle » : 236, 526. 562 ; lecture et étude de la Règle au monastère : 302, 438. 533; la distri­ bution des chapitres : 29, 156. 223, 2b5. 319, 325. 390. 419. 483. 534; les titres de chapitre : 29 (1); manuscrits, sources ou commentaires : III; Règles des Saints Pères : V. 49. 52. 241. 266, 269. 270. 277. 279. 305, 345,366, 388. 409. 424, 435. 480, 481 ; /es Règles de saint Antoine; 82, de saint Pcc'rr.e : 25 . 96. 231, 236, 261, 277, 320,327. 331.340,360. 368. 378. 390, 401, 424. 450, 460, 526. 535. 537, 538, 546. 559, et de saint Macaire : 236, 241, 395, 326, 357, 383, 437. 458, 554 ; les Règles de saint Basile: «regulæ fusius tractata» : 196, 536. 543 ; « rcgulæ brevius tractatæ > : 43. 52, III, 128. 131. 214, 270, 278, 280. 294, 315. 333. 346. 368, 400, 406. 434, 465. 477, 478. 537, 548, 555; les Règles de saint Césaire : < ad monachos » : 27, 297, 357, 420, 443 . 458; « ad virgines » : 216, 228.252,277,297,298,301.331,401,405. 437, 513 ; la Règle de saint Colcmhan .-159 ; la Règle du Maître : 240,306,460, 505,535. Relâchement : voir routine; l’obstination dans le — : 53-54. Règlementaire : (12). Régularité : voir ponctualité. Religieux : la vie religieuse : (I). Religion : la vertu de — : 22,150, 153, 339. Reliques : les — des Saints : 453. Remords : le — sans repentir : 23. Renoncement : voir abnégation et mortifi­ ca!ion. Repas : (26). Repentir : voir pcniten:e. Respect : le — envers Dieu : 218; le — du moine envers son Abbé : 65, 66, 434. 560; le — entre moines : voir courtoisie. Ressources : les — du monastère : (18). Retardataires : les — à l’office et au réfec­ toire : 325 333. Responsabilité : la — du péché : (41); la — dans l’illusion : 125; voir jugement. Réveil : (27). Rire : la retenue dans le — : (54). Routine : la —, toujours à craindre : 9, 73, 141, 162, 338, 447. 565. Sacerdoce : voir prêtre. Sacrement : les —, canaux de la grâce : (45) ; le — de l’autorité abbatiale : (45); la vertu sacramentelle de l’Écriture : (45). __ TABLE ALPHABÉTIQUE Sacrifice : le — du Christ : 151 ; rien de grand ne s’obtient sans — : 23. Sacristie : 112. Sagesse : définition de la — : 266 ; la doctrine de la — : 508 ; la (oi, participation à la — de Dieu : 2 ; le don de — : 563 ; — et crainte de Dieu : 120; l’homme sage : 18, 109. 266. 562. Sainteté : — blanches cl et — pris matinées : 403-404 ; la — d’après FÉxrilure: 85. 120 ; — individuelle et — conventuelle : 31-32, 154. 214 ; la — de saint Benoît : (3); voir perfection et sanctification. Saints : le —, modèles du moine et témoins de sa profession : (30) ; l’étude de La doc­ trine et de l’histoire des — : 88, 162, 349, 432, 564-565 ; les fêtes et offices des — : voir Office diüin. Sriut : l’économie du —, la voie étroite : 3, 23, 77, 99, 116, 552, 556; nous ne nous sauvons qu'en famille : 35, 246. Sanctification : l’œuvre de notre — : 15, voir perfection; la liturgie, procédé cl but de la — du moine : (58). Santé : la — nécessaire dans la vie monas­ tique : 423 ; la préoccupation de sa — : 294. 296, 423, 512; la — morale : 264, 365. Sarabeïtes : (2). Satisfaction : voir pénitence et cede pénal. Scandale : les < épines de scandale » dans la vie communs : 186; occasions de — aj monastère : 66, 143, 258, 274, 446, 521524, 545. Scapulaire : voir habit. Schcla : 168. 215, 336. Science : la — du moine : 352-353; voir c tude. Scriptorium : 230. Scrupule : éviter le — : 112, 446. Sécularisation : (33). Seuribiiitc : l’exquise — du Seigneur : 129 ; l’éducation de la — : 52, 113, 238, 264; l'exclusion des plaisirs sensibles : 73, 77, 83. 148. Sensua-ité : les tendances animales, 74, 73, 146; la mièvrerie : 545, 560. Serviabilité : l’Abbé, serviteur des siens : 46, 48. 57, 61,511,519,560 ; la serviabilité dans la vie commune : (19); Dieu servi dans le prochain : 293 ; comment demander un service : 75. Service : les éléments du — divin : 22; le même Seigneur servi en tout lieu : 50, 480 ; la consécration du religieux au — divin : 95, 153, 197, 211.218. 369, 457; le monas­ tère, école du — du Seigneur : voir monas­ tère. bFi Sexte : voir Offai divin. Sieste : (27). Signes ; le langage par — : (20). Silence : la ûi monastique du — : (20); le —. condition et fruit de Γunion à Dieu : ; (54) le —, oeuvre (active ·. 113; · Tîbi silentium Lus » : 2. 219; un — de Dieu redoutable : 23. 54 voir illusion. Simplicité : rarreoer t uiet choses chez soi à la — : voir loycu/é ; conserver la — de » îourniîsi(jn première : 93; la — dans la vie commune : 81, 142. 2£6. 472, 535 ; la < benne «implicit : » : 39, 371 ; l* — de Sincérité : la prière sincère : 125. 186-137; voir loyauté. Singularité : l’esprit de — : (19). Société : la société des Personnes divines : voir Tfinite ; la loi de communauté dans la création : 35, 41, 246; réccMÛé d'une autorité dans tcute — : voir ciüorüi; h paix sociale : voir par; la — romaine antique : 43. 67-68, 217-218, 462. 468; la — moderne : 44-45, 155,423. 426,469; 1 Église, — surnaturelle et — de louange la prière liturgique : (56). Soin : voir propreté. Sclesmes : la Ccngrtotion de Saint-Pierre de - : IÛ7. IC9.215.221. 225.245, 282.310,323,391, M 418.427-450.438. 444. 445. 449. 453-457. 499. 508. 535536. Sommeil : (27). SouL rince : traité de la — : (45) ; compatir à la — d'auhui : /3.267. Spiritualité : la — bénédictine : 69. 101, 118, 137.145,343,317-343.365.432.433. 515-513, 563-zA Stabilité : b —, élément essentiel de U Rc.TÎe bénédictine : (4) ; le vœu et Is garde de la — : (18) ; l’Abbé tenu À h résidence 1 47-48, 512. Ststion : la < station » avant Fc-fixe : 214. Subiaco : VI, 224, 2». 315, 341.397, 484. 491. 500. 511. Support mutuel : (19). Sympectes : 251-252, 257. Système : Γesprit de — : 51.435. 472.542; les volontés de — : 4, 53. 142, 557. Tempéramer.t : formation et influence du — : (46); la diversité de· — : 156. 267. 319.558 ; le — oriental et le — occidental : 307. 356 ; le — mxkr e : 426 ; le — de l’AL-bé ; 5)6; le — monaitique : 105.423. 434; un — de cranté : 75. d’bumaiiê et I · .5··^ 583 COMMENTAIRE SVR LA d’obéissance : 52-53. 94, 118, 145. 434. 539, 552 ; ne pas surire son — : 55. 272, 514. Temps : les procédés des anciens pour cal­ culer le — : 160. 344; économiser le — d'autrui : 274-275 ; perdre son — : voir porewe; le — atténuant la souffrance : Tentation : (39). Testament : Ancien et Nouveau — : 71. 120. 515. Thébaîde : les moines de la — : II, 450, 463, 528, 532. Théologie : la science théologique dans la rie monastique : 351-352; la — apprise au contact des âmes : 62. Tiédeur : (52). Tierce : voir Office divin. Tonsure : 35, 429. 450. Trappistes : 135,414. Travail : (25) ; la rie laborieuse de l’Abbé : 57, 511. Trinité (Très Sainte) : la rie trinitaire : 148, 149, 246; les noms divins : 42; l’homme introduit dans la société des Personnes divines : 35, 148, 154, 246; l'hommage monastique à la Tri ité : 165, 172. Tunique : voir habit. Union à Dieu : 1’ —, principe, fondement» facteur et terme de la ne spirituelle : (37) ; les principes et les œuvres de Γ — : (52), (53); l'obéissance et ia charité fraternelle, critères de 1’ —: (18), (53). Unité : Γ — psychologique de l’homme : 103, 145 ; rétablir chez soi Γ — : voir loyauté; Γ — de tous les chrétiens dans le Christ : 49. 156, 456; l’obligation unique de la vie chrétienne : 71 ; l’unité de la rie monas­ tique : 3,43. 152-153. 343, 347, 434. Vallombreuse : 231, 418. Vanne et Hydulphe (saints) : 341. Vêpres : voir Office divin. Vérité : — le dynamisme de la — : (45) ; la recherche de la — : 9, 349, 352 ; avoir forcé la — à se taire : 54, voir illusion ; 'a retenir captive : 3 ; l’humilité, attitude de — : 119; devenir vrai : 560, voir loyauté. *** REGLE DE SAINT BENOIT Vertu : les — théologales : (52) ; les — mo­ rales : (54) ; l’exercice constant des — : 69. 343 ; la — éprouvée : 33, 36, 72, 134. 136 ; ne pas trop e compter la — des hommes : 274. 522 ; attribuer à Dieu l’honneur de ses —: 17, 81 ; toute —, renfermée dans l’humilité et l’obéissance : 2, 434, 445 ; le retentissement extérieur des 109, 146; les — monastiques : voir humilité et obéis· sance. Véture : les — monastiques : 35, 427-429, 450. 454-456. Vices : (42). Vie : toute — implique l’action : 14-15, 346 ; vivere naturae convenienter oportet : 73, 372; Ia — présente, épreuve morale : 3. 5, 8, 10, 19, 21. 79. 82-83, 121, 146. 556; noviciat de l’éternité : 19, 22, 27, 84, 156, 275, 497; les charmes de son déclin : 83 ; îa — spirituelle : (36) à (55) ; la — parfaite : voir perfection ; — active et — contemplative : 152, 343, 424; la — monastique : (2); la — bénédictine : voir lénédictin. Virginité : la — du cœur : 218-219, 362. Vision : la — intuitive : (38). Visites canoniques : 44. Vocation : les trois — proprement dites : 420; la — religieuse : (15); la — de Jean et la — de Pierre : 50. 57. Vœu : les — de religion : (17), (18); obli­ gation, dispenses et violation des — : Ü281, 442-443. 446. Voie: la double — :3,5,8, 79,81, 116, 121, 556. Volonté : le mécanisme de la — : (47) ; la — propre : (42) ; l'obéissance de — : (18) ; vouloir comme Dieu ; 25, 26, 72» 96, 97, 120-121, 435 ; la —. fixée dans le bien par les vœux : 442 ; la —. déprimée par les passions : 3, 10. 126, 143, 543; l’humilité, vertu de la — : 119 ; la vigueur de la —: élément formel de la vocation religieuse : 422, 423, 426, 437, voir force. Voyage; : (18). Zèle : le bon — : (52) ; un — amer : 55, 90. 433. 516. 527. 557. TABLE DES CHAPITRES r^» Introduction................................................................ j I’hot.ogue..................................... ............................... 1 I. — Des diverses espèces de moines.................................... ·& II. — Ce que doit être l’Abbé............................................... 40 — III. — De la convocation des frères en conseil.......................... C3 IV. — Quels sont les instruments des bonnes œuvres............... Ci) V. — De l’obéissance des disciples........................................ 94 * VI. — De l’esprit de silence.................................................. 105 VII. — De l'humilité.................................................. 114— VIII. — Des divins offices pendant les nuits.............................. 149 IX. — Combien de psaumes il faut dire pendantles Heures de nuit. 1W X. — Commentcélébrer en été l’office de nuit..................... 174 XI. — Comment célébrer les Vigiles du dimanche.................... 17Ô XII. — Comment célébrer la solennité des Matines..................... 181 XIII. — Commentcélébrer les Matines aux jours de férié............. 183 X IV. — Comment célébrer les Vigiles aux fêtes des saints............ 188 XV. — En quel temps il faut dire « Alléluia»........................... 192 XV1. — Comment célébrer les divins offices pendant le jour........ 194 XVII. — Combien de psaumes il faut dire à ces memes Heures (de jour).......................................................................... 199 XVII I. — Selon quel ordre il faut dire les psaumes....................... 203 XIX. — Comment il faut psalmodier......................................... 212 XX. — Du respect dans la prière............................................. 217 X XI. — Des doyens du monastère............................................ 223 XXII. — Comment les moines doivent prendre leursommtil.......... 229 XX111. — De l'excommunication pour les coulpes........................ 235 »1111 unication................ 241 XXV. — Des fautes plus graves.................................... 245 XXVI. — De ceux qui, sans l’ordre de l’Abbé, se joignent aux excom­ muniés ......... 248 XXVII. — Quelle doit être la sollicitude de l’Abbé à 1 égard des excommuniés.......................... .......................... . ........ &4S3· i ill' 590 COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT XXVIII. — De ceux qui, en dépit de corrections répétées, ne s’am in­ 256 dent pa*....................... XXIX. — Si Ton doit recevoir de nouveau les frères qui oui quitté 2<‘0 le monastère........................ XXX. — Comment il faut corriger les enfants en bas âge............... 263 XXXI. — Du cellérier du monastère................................................ 265 XXXII. — Des outils et des biens meubles du monaster··................. 276 XXXIII. — Si les moines doivent avoir quelque chose en j rojir··....... 278 XXXIV. — Si tous doivent recevoir également Ire chu es n<’c< saires........................ 285 XXXV. — Des semainiers de la cuisine.............................................. 288 XXXVI. — Des frères malades............................................................. 293 XXXVII. — Dre vieillards et dre enfants............................................... 299 XXXVIII. — Du lecteur de semaine...................................................... 301 XXXIX. — De la mesure du manger.................................................... 307 De la mesure du boire...................................................... 313 Quelles doivent être les heures dre n pas pour 1 s fi. r s., 316 XLI XLII. — Que personne ne pari? après G. inpli· ............................... 319 XLΠΤ. — De ceux qui arrivent en retard à HEuvre de Dieu ο i à la table.......................... 325 XT,TV. — Comment les excommuniés funt sati.-iac;ioii..................... 334 De ceux qui se trompent à l’oratuir·· XLV 338 XLVT, — De ceux qui manquent en quelque autre chose................ 340 XLVII. — Du soin d’annoncer l’heure de l’Œuvre de Di·, i............... 344 XLVIII. — Du travail manuel quotidien.............................................. 346 — XLIX. — De l’observance du Carême................................................. 361 L. — Des frères qui travaillent loin de l’oratoire ou q i .--ut en voyage......................... 367 LL — Des frères qui vont en dre lieux peu él lignés................... 370 LU. — De l’oratoire du monastère................................................ 372 LUI. — De la réception des hôtes................................................... LIV. — Si un moine peut accepter des lettres ou des eul< gi· s.... 391) LV. — Des vêtements et des chaussures des frères....................... 394 LVL — De la table de l’Abbé......................................................... 404 LVII. — Des artisans du monastère.................................................. 412 LVIII. — Comment procéder pour la réception dre fr··. ,............... 419 T.IX. — De l’oblation dre fils de nobles ou de pauvres.................. 4G2 LX — Des prêtres qui voudraient se fixer dans le mona-uèr··.,.. LXI. — Comment il faut recevoir les moines étrangers.................. 476 LXIL — Dre prêtres du monastère.................................................... 483 LXIII. — De l’ordre du convent........................................................ 491 — De l’institution de l’Abbé................ . ................................ 503 LXV. — Du Prieur du monastère...................................................... 520 LXVI. — Du portier du monastère...................................................... 528 LXV IL — Des frères qui vont en voyage........................................ 534 LXVIIL — Si l’on enjoint à un frère dre choses impossibles........... 539 TABLE DES CHAPITRES <·νΊ. P*·* LX1X. — Que Ica moinea ne se permettent pas de se détendre Tun Vautre..................................... ................ . ...................... LXX. — Que nul ne se permette de frapper ou d'excommunier quel­ qu’un étourdiment................................. LXXI. — Que les frères s’obéissent les uns aux autres................ . LXXII. — Du bon zèle que doivent posséder les moines.................. LXX11I. — Comment la pratique de la justice n’est pas toute ren­ fermée dans cette Rè»lc................. Taule doctrinale Table alphabétique PARIS. TYPOGRAPHIE PLON. 8, Hl’E GARANCIÈRE. — 59499. IgIS.