IMPRIMATUR
PARISIIS, DIB 5· NOVEMBRIS 1913
H. ODELIN’
Ei Acns Capituli Glvehaus XI Congregationis Gai.ijc.k O. S. B.
Unus e Capitularibus, nomine omnium aditantium, imo et lotius
Congregationis, gratias refert Rmo Praesidi quam maximas et meri
tissimas pro noro opere juris communis facto, nempe Commentario in
Sanciam Regulam, ex quo omnes haurire possumus uberrimam aeque
ac profundissimam notitiam perfectionis status monastici et largiter
accipere purissimum spiritum Sanctissimi Patris nostri Benedicti
DU MÊME AUTEUR, À LA MÊME LIBRAIRIE ;
Dom Guéranger, abbé de Solesmes. Deui volumes in-8·
avec deux portraits.
COMMENTAIRE
SUR
LA RÈGLE
DE SAINT BENOIT
PAR
LE RE VÉRENDISSIME PÈRE
DOM PAUL DELATTE
ABBÉ DE SOLESMES
Nouvelle édition revue et augmentée
PARIS
LIBRAIRIE PLON
MAISON ALFRED MAME
et
Imprimeurs-éditeurs
Imprimeurs-éditeurs
8, RUE GARA5CIÈRE — 6*
6, RUE MADAME — 6*
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Ccs pages, oil nous aeons voulu mettre en lumière les
richesses de la sainte Bègle, sont dédiées, d'un cœur
aimant et dévoué, à tous ceux qui, dans les monastères
ou dans le monde, appartiennent ά la grande famille
de saint Benoit.
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Quarr Abbey, 8 septembre 1913.
;
Droifs de repfodudlon et do traduction
ruervés pour tous pep.
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INTRODUCTION
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I’homme de Rien, Benoit, parmi tant d’œuvres miracu
leuses qui K· rendirent illustre ici-bas, brilla grandement aussi
par la doctrine, car il écrivit un·· Règle d« moines remarquable
de discrétion, riche d’enseignements. Si quelqu'un veut con
naître plus à fond ses mœurs et sa vio, il peut trouver dans
du maître : car le saint homme n’était nullement capable d’en
seigner autrement qu’il ne vivait. ■ A ce jugement de saint
Grégoire le Grand (1), très complet sous sa forme gracieuse
et sobre, nous pourrions cependant ajouter une double re
marque : c'est que la beauté morale de saint Benoit, son
tempérament, presque ses traits, se reflètent aussi dans les
pages à la fois candides et profondes de son biographe; c’est,
de [dus, que la Règle elle-même apparaît, au milieu du sixième
siècle, comme le fruit mûr de tout un passé monastique et de
la spiritualité des Pères.
Saint Benoit est excellemment homme de tradition. Ni son
caractère, ni une grûco spèciale ne l’ont incliné à créer de
toutes pièces et d’enthousiasme une forme nouvelle de vie
religieuse. Nul souci, chez lui, du renom d'originalité ou de la
gloire d’initiateur : on le voit bien au dernier chapitre de sa
Règle. Celle-ci n'est rédigée que sur le lard, dans le voisinage
(!) Dialogues, I 11, chap, xxxvi Ce livre second est consacré à la vie de
saint Benoit; E. Cautieh en a donné une traduction française.
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"
INTRODUCTION
de l'éternité, après l’étude et peut-être l'essai îles principales
législations monastiques. Presque à chaque phrase, il y a
comme un parti pris d’appuyer la pensée sur celle des anciens,
tout au moins de parler leur langue et d'emprunter leurs
termes. Mais alors même que la Règle ne serait qu’un travail
de sélection intelligente, alors même qu’elle n’eût été com
posée qu'avec la lecture et le tact surnaturel de saint Benoit,
avec l’esprit d’ordre, de mesure et de clarté de ce Romain de
vieille race patricienne, elle ne serait pas pour autant œuvre
banale : en fait, elle demeure l’expression achevée, définitive
de l’idéal monastique. Qui peut mesurer l’extraordinaire
influence que ces quelques pages ont exercée, durant qua
torze siècles, sur la formation générale du monde occidental?
Saint Benoit pourtant n'a songé qu’à Dieu ; il n'a songé qu'aux
âmes désireuses de monter vers Dieu; il n'a voulu, dans
la simplicité tranquille de sa foi, qu'établir une école du ser
vice divin : Dominici schola servitii. C’est à raison même de cette
recherche jalouse de l'unique nécessaire que Dieu a béni la
Règle des moines d'une grâce singulière de fécondité et que saint
Benoit a pris rang dans la lignée des grands patriarches.
On pourrait presque dire de la Règle bénédictine, ce qui
est tout à fait certain de la Loi de Dieu, qu'elle porte en soi
sa justification, qu’elle se suffit : justificata in semetipsa, qu’elle
a besoin seulement d’être lue, aimée, vécue. Le commentaire
pratique d’une parole dictée par l'Esprit de Dieu n’a guère
d'autre tâche que de l’épeler doucement, de la souligner dis
crètement, de la placer en pleine lumière. Aussi bien, une
longue série de travaux pourraient très utilement converger
vers une glose littérale de la Règle : étude du développement
des institutions monastiques, depuis les saintes audaces de
l'Eglise de Jérusalem et les héroïsmes de la Thébaïde, jusqu’à
saint Basile et à saint Benoit; étude sur la vie de saint Benoit;
histoire critique du texte de la Règle et histoire de sa diffu
sion; exposé de l'interprétation vivante qu’ont fournie les Us
monastiques et les Règles tributaires de celle de saint Benoît;
tableau enfin du monachisme contemporain. Sans négliger
INTRODUCTION
Hl
absolument toutes ces questions, celles-là surtout qui sont
nécessaires pour l'intelligence du texte, notre Commentaire
demeure, même imprimé, ce qu'il fut originairement : une
lecture de la Règle faite au Noviciat de Saint-Pierre de Solesmes. Il reproduit, en les abrégeant, des conférences d'initia
tion monastique. D’où l’absence d’un appareil scientifique
proprement dit; d’où le caractère parfois familier, et familial,
du langage; d'où certaines redites, provoquées le plus souvent
par les insistances de Notre Bienheureux Père lui-mème.
Peut-être la publication de ces notes répondra-t-elle, dans
une mesure, à la curiosité de tant d’àmes chrétiennes, qui nous
demandent chaque jour des éclaircissements sur le mode de
vie, la spiritualité, l’utilité réelle des moines.
Le texte que nous expliquons est celui qui est d’usage cou
rant dans la Congrégation bénédictine de France. Mais chacun
pourra consulter les éditions critiques de Schmidt et de
Wolfilin, les travaux de Traube, Plenkers, G. Morin et
autres érudits, et surtout l’excellente édition qu’a donnée en
1912 le Révérendissime Dom C. Butler. Il nous faut indiquer
brièvement les principales solutions qui ont été proposées
touchant l’histoire du texte. Dom Schmidt a signalé le premier
l’existence de deux familles très distinctes de manuscrits.
Selon lui, les plus anciens (Oxonicnsis, fin du septième siècle,
Veronensis iji [al. 50] et Sangallensis 916, huitième-neuvième
siècle) fournissent le texte d’une première rédaction de la
Règle; tous trois semblent provenir d’une source immédiate
commune. D. Schmidt a même cru rencontrer dans un ma
nuscrit de Tegernsee (Monacensis 19408. neuvième siècle) le
représentant d'un autographe confié par saint Benoit à saint
Maur lorsque celui-ci passa en Gaule. L’autographe du MontGassin (1), dont Théodemar envoya à Charlemagne une copie
(1) S’il s'agit réellement d’un même exemplaire, on en peut suivre I hisluire dans I'avl Diacre, De geslis Longobardorum, 1 IV, c xvm: I VI,
c. XL (Palrologie Latine, XCV, 547-548; 650-651), et dans la Chronique du
4
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INTRODUCTION
fidèle (f) qui fut très répandue, représenterait une seconde et
définitive rédaction. Wôlfflin, dans la Préface de son édition
de la Règle, émet l’hypothèse de trois ou même de quatre
rédactions.
11 est sûr que saint Benoit ne composa pas sa Règle tout d’un
trait; les chapitres LXV1I-LXXIII sont additionnels; le Prologue
a été écrit probablement en dernier lieu. Afais, selon l’opinion
qui prévaut de plus en plus, les manuscrits ne nous révèlent
point l’existence de plusieurs éditions de la Règle données par
saint Benoit lui-même. Traube, Plenkers, D. Butler ont
démontré que le texte des plus anciens codices qui nous
restent est en réalité un texte amendé et interpolé. C’est à
la double tradition carolingienne et cassinienne qu'il faut
demander a le texte pur et normal » : surtout au Sangallensîs 914, transcrit, dans les premières années du neuvième
siècle, sur la copie envoyée à Charlemagne. D. Morin a donné
de ce manuscrit une édition diplomatique, et D. Butler l’a pris
comme base de son travail. Le texte que nous commentons
est une vulgate, un texte remanié parallèlement à celui des
plus anciens codices; D. Butler trouve des traces de ce lertus
recep!us dès le huitième siècle; c’est lui que reproduisent la
plupart des manuscrits des dixième, onzième, douzième
siècles et des éditions imprimées. Rappelons enfin que saint
Benoit écrivait dans la langue vulgaire parlée dans la région
du Gassin, au sixième siècle : notre texte ne donne qu'une
grammaire et une orthographe retouchées. Nous n’avons pas
encore l’édition philologique définitive.
11 est d’un intérêt extrême d’assister à la genèse de la
Règle, d’examiner en détail comment elle se réclame du
passé et comment elle est novatrice. C'est pour faciliter
cette lèche que D. Butler a rassemblé et transcrit, au-des
sous du texte de saint Benoit, ses principales sources :
Canin de Léon d'Ostie, 1, I, 18 (P. L., CLXXI1I, 553). Ce dernier raconte que
l'autographe fut détruit dans l’incendie du monastère de Ί cano, en 896.
(1) Cf. Pacli Ducom Episl. 1 (P. L., XCV, 1585). Celte copie n’existe
plus.
I
INTRODUCTION
V
nous avons pu ainsi ajouter quelques références à celles que
nous avions recueillies déjà. Saint Benoit cite souvent saint
Augustin, plusieurs fois saint Jérôme; il a lu saint Cyprien,
saint Léon, Sulpice Sévère. Les réminiscences des Institutions
et des Conférences de Cassien sont perpétuelles (1). De multiples
emprunts sont faits aux deux recueils des Règles de saint
Basile : Regulae fusius tractatae, Regulae brevius tractatae, ou plutôt
à la réduction et à la fusion opérées par Rufin, leur traducteur
latin. Saint Benoit reproduit maint passage de la Règle de saint
Pacôme traduite par saint Jérôme. Il cite les Règles de saint
Césaire Ad monachos et Ad virgines; la Règle de saint Macaire
d’Alexandrie; les deux premières Règles dites des saints Pères;
la Règle Orientale; la Doctrine de saint Orsiesius, etc. (2). Il
connaissait aussi différents recueils hagiographiques groupés
depuis sous le titre générique de Vitae Patrum : Vie de saint
Antoine, Histoire Lausiaque de Pallade, Histoire des moines
d'Égypte traduite par Rufin, Verba Seniorum; etc. (3).
Un mot maintenant des principaux commentaires. Le plus
ancien qui nous soit parvenu est probablement celui de Paul
Diacre, identifié d’ordinaire, mais sans que la chose soit abso
lument démontrée (4), avec Paul Warnefrid, l’historien des
Lombards, moine du Gassin vers la fin du huitième siècle. Le
commentaire du Franc Hildemar ne serait guère, selon Traube,
que la reproduction un peu développée du précédent. Comme
celui de Smaragde, abbé de Saint-Mihiel, le commentaire
(1) Nous citerons Cassien d'après l’édition de Michael Petschenig, vol. XIII
(Conlationes) et XVII (De institutis coenobiorum) du Corpus scriptorum ecclesia
sticorum latinorum de Vienne. Mais on fera bien de ne pas négliger le com
mentaire de l’ancien éditeur Dom Alard Gazet, P. L., XLX. Ces deux ou
vrages de Cassien ont été traduits en français par E. Cartier.
(2) Nous citerons toutes ces Règles d’après le Codex Regularum de
S. Benoit d’Aniane, édité par IIolstenius (Paris, 1663); de même les Règles
postérieures à saint Benoit, en particulier la curieuse Règle anonyme dite
Règle du Maître (VU* s.).
(3) Pour simplifier, nous emprunterons les documents relatifs aux Vitae
Patrum à l'édition de Rosweyde (1615). Le texte grec de VHistoire Lausiaque
ne devrait plus ètre cité que dans l’édition de D. Butler (vol. VI de la Col
lection Texts and Studies, Cambridge, 1901) ; il a été traduit en français par
A. Lucot (Paris, 1912).
(4) Cf. D. Butler, Sancti Benedicti Regula Monachorum, Prolegom., p. xvn.
INTRODUCTION
d’IIildemar a été composé dans la première moitié du neu
vième siècle. Bernard du Gassin au treizième siècle, Pierre
Bohier au quatorzième expliquent aussi la Règle (1). En 1638,
D. Hugues Ménard publie, avec d’abondantes et savantes notes,
la Concordia Regularum de saint Benoit d’Aniane, le grand
réformateur monastique du début du neuvième siècle (2).
Mais les commentaires les plus complets sont encore ceux de
D. Mège et de D. Marlène, au dix-septième siècle, et surtout
celui de D. Calmet, au siècle suivant. D. Mège et D. Cahnet
ont écrit en français; et ce dernier donne une a liste alphabé
tique des auteurs qui ont écrit sur la Règle de saint Benoit »,
avec des « remarques critiques sur les règles des religieux et
chanoines. » Le seul commentaire français de quelque étendue
qui ait paru depuis est {'Explication ascétique et historique de lu
Règle de saint Benoit, par un Bénédictin (1901).
L’autorité Apostolique ayant constitué la Congrégation de
France héritière de Cluny et de Saint-.Maur, nous avons un
motif tout spécial d’être attentifs aux coutumes de ces deux
familles. Le plus ancien recueil qui contienne les Us de Cluny
est le coutumier de Guy de Farfa; vient ensuite VOrdo Cluniacensisde Bernard; enfin les Antiquiores consuetudines Cluniacenses
d’Ldalric, que reproduisent, avec quelques modifications, les
Constitutiones de Guillaume d Ilirsauge : tous ouvrages du
onzième siècle (3). On pourra recourir aussi habituellement
(1) Le commentaire de Paul Warxefrid a été édité au Mont-Cassin. en
1880; celui (TUildemar par D MittehmCller, à la suite du livre 11 des Dia
logues de S. Gbégoire et de l’édition Schmidt de la Règle, chez PusteL à
Ratisbonne, en 1880 également; Smaragde est reproduit dans le tome Cil
de la Patrologie Latine de Migne (voir L. Barbeau, Essai critique sur la vie et
1rs œucresde Smaragde, Ecole des Chartes, positions de thèses, 1906, p. 1-6) ;
Bernard du Cassis a été édité au Mont-Cassin par D. Caplet, en 1894;
Bohier à Subiaco par D. L. Allodi, en 1908.
(2) Sur les manuscrits des deux ouvrages de saint Benoit d’Aniane et sur
l'édition des anciennes Règles monastiques latines que prépare l’Académie
de Vienne, voir II. Plexkers, Unlersuchungen sur Ueberlieferungsgeschichte
der àlMen lateinischen Môiichsregeln, Munich, 1906.
(3) Les Coutumes d’UDALRicont été éditées par D. Luc d’Achery dans son
Spicilège, et reproduites par Migne au tome C.XLIX de sa P. L. Les autres
coutumiers se trouvent dans la I'et«x disciplina monastica de D. Herrgott;
INTRODUCTION
VII
aux Disquisitiones monasticae de D. Ilæflen (1644) et au De anti
quis monachorum ritibus de D. Marlène; de même, aux Acta
Sanctorum Ordinis S. Benedicti et aux Annales de, D. Mabillon (1).
Ni la curiosité, ni la science historique ne sont les pre
mières intéressées à ces éludes : il s’agit des âmes, il s’agit
de vie surnaturelle. C’est par une communion constante avec
la pensée maîtresse de saint Benoît et avec l'esprit des meil
leurs de sa race que les (ils de D. Guéranger ont chance d’en
tretenir chez eux le véritable tempérament monastique.
ceux de Farfa etd’flirsauge au tome CL de la P. L — DomB. Albrrs a réédité
en 1900 au Mont-Cassin les Consuetudines Farfenses au premier volume de ses
Consuetudines monasticae; dans le second volume il donne des Consuetudines
Cluniacenses antiquiores, qui seraient, selon lui, réellement les plus anciennes
connues, et dont une portion pourrait même dater de saint Benoît d’Aniane.
(1) Nous citerons le De ant. monach. rit. d’après l’édition d’Anvers, 1738; le
De ant. Eccl. rit. d’après l’édition d’Anvers, 1736; les Annales de Mabillon
d’après l’édition de Lucques, 1739-1745; les Acta SS. 0. S. B. selon l’édition
de Venise, 1733.
*
COMMENTAIRE
sun LA
RÈGLE DE SAINT BENOIT
PROLOGUE
Ausculta, o fili, praecepta magistri, et inclina
aurem cordis tui, et admonitionem pii patris libenter
excipe, et efficaciter comple; ut ad eum per obedienliae laborem redeas, a quo per inobedienliae desi
diam recesseras.
—J
4
D'autres Règles ont un caractère plus impersonnel, des formes légisLlives plus brèves et plus sèches : saint Benoît, dès le premier mot, se
met en contact d’âme avec les siens, et le code de notre vie monas
tique commence comme une conversation aimable.
Celui qui parle est un maître : on ne saurait s’en passer dans la vie
surnaturelle, qui est une science et un art. H donne des préceptes, c’està-dire de? enseignements doctrinaux et pratiques. C’est bien de lui, —
contrairement à l’opinion de nombreux commentateurs, — que parle
ici saint Benoît : il pouvait prendre ce titre sans infatuation, puisqu’il
n'enseignait pas en son nom, ni des choses qui vinssent de lui ; puisqu’il
était au déclin de sa vie et dans la plénitude de son expérience. Et le
père aimant, pius pater, pourquoi ne serait-ce pas lui encore?
O fili. L’appellation est caressante. Elle atténue ce qu’il y a d’un peu
austère dans le praecepta magistri. Elle nous permet surtout de remar
quer que la forme la plus élevée de paternité est celle qui implique une
transmission de doctrine et de lumière : son idéal et sa source sont en
Dieu « le Père des lumières » (Jac., t, 17) ; il y a une réelle paternité chez
i
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2
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
les anges (1); et dans l'économie de ΓAncien Testament, chez les Pa
triarches par exemple, on n’était père qu’à Ja condition d'être docteur,
on ne donnait la vie qu’à la condition d’éclairer l’âme, de transmettre
les enseignements de Dieu et ses promesses, d’être comme Xoê justiti ■>
praeconem (II Petr., n, 5). H est d’expérience que nulle paternité spiritudle au monde n’a ressemblé à la Paternité divine comme celle de
saint Benoît. L’élise le vénère comme l’ancêtre de tous les moines
occidentaux; et Dieu a disposé de telle sorte les événements historiques
que chacun des Ordres religieux est venu s’attacher à lui en quelque
manière et s’est mis à l’école de sa paternité.
Ces premières paroles du Prologue sont vraiment de forme engageante
et rassurante. Le maître qui s’adresse à vous, ô mon enfant, est un père,
un père bon et tendre. Les préceptes qu’il vous apporte, ce sont les con
seils de son expérience et de son affection : admonitionem pii patris. Il
ne songe point à vous les imposer. Il fait appel à votre bonne volonté, à
votre libre délicatesse ; ce n’est pas de contrainte qu’il est question, mais
d’accueillance aimante et joyeuse, de docilité surnaturelle.
La docilité : N. B. Père la demande à celui qui commence ; sous la
forme de l'humilité et de l’obéissance, c’est encore elle qui donne à notre
vie monastique son allure authentique ; en elle enfin s’achève la saint été :
Quicwnque enim Spiritu Dei aguntur, ii sunt filii Dei (Ron., vhi, 14).
L’importance souveraine de cette disposition simple et naïve vient de
ce qu’elle renferme toute vertu. Docilité, d’abord, c’est prudence, et
dans la prudence sont réunies toutes les vertus morales : nous ne pou
vons pas faire toutes les expériences, mais d’autres que nous les ont faites,
et nous en recueillons le bénéfice par notre docilité : nous répétons en
nous la sagesse de l’humanité surnaturelle, la sagesse de saint Benoît ;
nous bénéficions de la sagesse de Dieu par notre foi. La docilité, et elle
seule, nous établit dans cet effacement absolu de l’égoïsme, qui est la
condition et le prélude de l’adhésion vivante an Seigneur : elle s’appelle
alors charité.
N. B. Père analyse et détaille les moments successifs de la docilité
surnaturelle. Ausculta : il faut écouter ; s’il y a trop de bruit dans l’âme,
et comme une dispersion de l’attention sur toutes choses, la voix de Dieu,
ordinairement a douce comme un souffle de brise » (III Reg., xix, 12),
n’est pas entendue. Le silence, qui, à lui seul, est une louange parfaite :
Tibi silentium laus (2), est rare chez des êtres mobiles et influençables
comme nous le so mu
Prêter l’oreille ne serait pas assez, et saint Benoît nous invite très
Joliment, avec le livre des Proverbes (3) et le psanme xliv, à l’incliner,
(1) S. Thohas d’àqws, Summa Theol., P. I, q. xlv, a. 5, ad 1
(2) Ps.wv, 2, d’après l’hébreu.
(3) C. n. Audi, fUl mi, el suscipe ceria mea... Fili mi, ausculta sermones mec: cl ad
PHOLOGUE
a
à « incliner l’oreille de notre cœur ». Ayez l’intelligence accueillante, une
certaine attitude confiante en face de la vérité proposée. Si vous com
mencez pur faire le grincheux, par établir à l’entrée de votre esprit une
douane sévère, ou bien encore, si vous êtes rempli de votre pensée au
point de dire : « Mais que m’apprendra-t-il de nouveau? Je sais tout cela,
et mieux que lui 1... », vous êtes dans la plus fâcheuse des dispositions
psychologiques, non seulement pour l’acquisition de la doctrine surna
turelle, mais pour l’information purement humaine. Claude Bernard
nous avertit, dans son Introduction à l'étwie de la médecine expérimentale,
que, tout en essayant de formuler et de vérifier son hypothèse, le savant
doit se garder d’en être le captif et demeurer quand même hospitalier
à toute autre explication meilleure. N. B. Père demande donc que nous
écoutions vclentiers, avec une âme libre : libenter excipe. Acceptons
toujours et d’abord l’enseignement qui nous est donné : les éléments
inassimilables pour nous s’élimineront plus tard d’eux-mêmes.
Et efficaciter comple. C’est le propre de la vérité, de nous porter à l’ac
tion. Nous ne pouvons la « retenir captive dans l’injustice » (Rom., i, 18).
Nous serons responsables devant Dieu de tout le bien aperçu et que
nous n’aurons pas fait. Mais c’est là aussi que gît la difficulté ; le péché
a disloqué notre être : voir, vouloir, aimer, parfaire, tout cela est loin
de s’opérer en un seul mouvement.
Et, de peur que l’œuvre ne nous effraie, afin surtout d’en définir dès
maintenant le caractère et le dessein, N. B. Père marque, d’un trait
immortel et à la manière sobre des anciens, ce qui est l’enjeu de notre
vie, ce qui doit en être l’unique recherche, ce qui en fait la gravité,
le charme aussi, la force, le mérite, la simplicité, ce en quoi se résume
toute la Règle : Ut cul èum per obedientiae hbor-.m redeas. H ne s’agit
pas pour nous de vivre longtemps, de devenir érudit, de nous faire un
nom : il s’agit de marcher vers Dieu, de nous rapprocher de lui, de nous
unir à lui. Cette conception de la vie spirituelle sous la forme d’une mar
che intrépide vers le Seigneur est très familière à saint Benoît : nous
la retrouverons maintes fois dans sa Règle. Notre vie est sur un plan
incliné : il lui est facile de descendre ; il lui est possible aussi de remon
ter, Depuis la chute originelle, la créature n’a qu’une voie pour s’éloi
gner de Dieu, la désobéissance, avec le vieil Adam ; elle n’a aussi qu’une
eloquia mea inclina aurem luam. Ne recédant ab oculis tuis, custodi ea in medio cordis
tui.
C’est par le texte du Ps. xuv que S. Jérôme commence une de ses Lettres ad
Euslochium (Ep. XXII, 1. P. L., XXII, 394).
Il serait inexact d’attribuer comme source à ce début du Prologue le début de l'Adnioniiio ad filium spiritualem, qui figure parmi les spuria de S. Basile et que
Holsteniüs a insérée dans l'appendice de son Codex regularum. Ce traité est proba
blement l’œuvro de S. Paulin d’Aquilée ; mais le début et d’autres passages ont été
ajoutés plus tard par quelque moine : cf, P, L., XCIX, 212 sq. (Voir aussi, P, L,t XL,
1054 sq.)
4
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT RENOI Γ
voie pour revenir, l'obéissance, avec l’Adam nouveau. Sieut mi-i fi. r
inohttiieKliom unius hominis j^ealores ennshtuti .··<«! multi. »Λι ■ t p. r
uniuf oMitionem judi constituentur multi (Rom., v. 19). .X<>u ; πο ι «·χ·ι|.
tons dans la désobéissance; il nous ranbh* que nou* f.n ·>η p »%,.
d’énergie et do vigueur personnelle: mal· saint Benoit dM.vr
.·ιιιιι.,
Christo vero rogi luililaluru' obediriUi.u' ΙοιΙι-ήι.λ
alque praeclara arma apurais.
Saint Benoit indique à qui s'adrc· · · i mvitonm À qui c«>n\ :· :.t le
.
gramme dont il vient de tracer une pre-'uère e qui· c : à \.· ι
s'adresse présentement ma parole, mon exh-irtation interne"*' qm q <·
vous soyez, pourvu que vous apparteniez à la ra*o d> ■ do. ; ,· .
!.·
forts : réserve faite pour ceux qui sont liés par d autre devoir·. ,· : .r
les incapables, il n’y a pas d'exclun··!! pro::. · · Ûr.' .qqx e
chez le candidat le dessein de sou.*rrir»' aux (· diti n.< de l.i vi.· m
tique, qui se réduisent & trois : renoncer à
ν·1 rué prop.'·· p ·
en main les armes do l’obtts?ance et milil··.* po le S· :·· ir.
Renoncer à ses volontés propre;, ce i < t préj >·'.!
S.unf
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parle des volontés, au pluriel ( pan ·'q ;»' la . : .«vé >r
.u | · . n;.·
revêt des formes multiples. San· préti 4re 1· < la if ·.-. n·<; ·( .. n >n
remarquer qu’il y a de? volontés de réju-îi-n. ·!<· vol ntt’ de
’rtnc
des volontés de tempérament. Les première» ·. nf le π in.< d ·,ι._ .·.·».<·
c’est l’erreur d’un instant, une distraction, une pr.renth·· ·· I,·· . «>|.>nt.·
de système naissent habituellement au cours de la vie π·'.ι ’ · t . (in
avait, au jour de la profession, renoncé à tout, mais on i ni -n-imit
depuis : c’est une question de personne que l’on aime ou qui Γυπ n .Hint·
pas; ou bien une question de doctrine, un point d·.· détail piut-êtn·. . r
(1) Dialant une» : çuia nihil rie çu/irni Dru.· al Lu i 1 i'·
n
tquomodo oMunliae labortm (Verla Smiontm . Vine Patrum V, \ιν, 1.·.
Rosweyde, p. 619).
(2) La meilleure leçon est mihi. S. JLkôme disait de nu’tnr, dans I , b-ttr. XX 11
ci Eustothium (15) : Kune ad le mihi omnu dingalur oratio (I*. L. XXII, ·,· ci).
(3) Même expression dans les Verla Seniorum (Vitae Patrum, V, i, y. )»,. wi vin.,
p. 562) et dans VHistoria monachorum de Rons (xxxr. Rosui.îoi p .|b ti · iint
Benoît citera an chapitre vu le verset de ΓEcclesiastique, xvin, 3*J : 1·.ι a tuluntalibue luis arerlere.
PROLOGUE
s
lequel on no cenant pris à traïuuer. Il est plus malaisé encore de nom
défaire de la volonté de tempérament, d'une trempe fermée, maussade,
chicanière, qui nous jx»rtc invariablement à l’ejo entra.
l’an- la inf-inc où nous dépouillerons la vieille défroque séculière
d 1 '"ί-πυ ri jetterons bar tous les impedimenta, nous Ferons en état de
auir et de manier let arme de l’obéirance. Alors que ΓApôtre envisage
I·* pn. · ip.i’r vertu* comme le* pièce* diverses de l’armure surnaturelle
11 Ttu
■· ' I rin
vi, 14-17), N. B. Père appelle du .‘•cul nom génénqiir ■ arm··! qu’il donne à -<»n moine (1) : c’est l’armure de l’obéis*
-hi· ■' < ■ . r t »!d.it jMiur obéir, pour obéir en dépit de tout, et toujour* ; ·· !... «pi d ». gu du Seigneur, pour obéir universellement et sans
«’·
■
i
i : < r t bien le moins. A-t-on assez déclamé contre
l imm -r.
|tl vœu d obéi ancel a-t-on assez jeté le discrédit sur les
• »’r’u»
|».ι -ιυ ' Saint Benoit comprend autrement les intérêts
»'-·· lu dignité humain*' le inné- de l'obéissance sont pour lui les plus
forte-, ! imr jx tri np« · ·, le* plu brillante* aussi et les plus glorieuse?.
Nou» ol. .i·· n· i Dieu, nous obéi* «ms à uno Règle que nous avons
••'.udi· c . <1;.,; ;■
v un homme, non- n’obéÛBons jamais que dans le*
hmi’·■ d·· r·· <; .<■ no , vron* voué. Et alors que nous obéissons,non seule
ment no'i* ««mime- libre puisque c’rU délibérément que nous unissons
notre \ i.b-nté ac· le de I Heu.ee qui n’est pas une manière de se rapetisser ;
mal · ..r. non* ·■’·■.!■
mi .» do faire nôtre le motif réel de l’action et
d iu-OK ier notre intelligent e à la pensée divine.
I.'i-.r··.· rr.r-n’ f;. t. 1·· -old.it équipé, il n’y a plus qu’à militer sous
l'étendard du vrai r«»i '·- Seigneur Christ : Domino Christo vero régi
n h'h'u.* · t .’i. < e t jM>ur lui et »*· intérêts, t’est à son exemple aussi
que no i- e ervoti- In capilr hhn triplum est de me ul /acerem voluntab «. / Him l)
υ ru..-, -.du», U legem tuam in medio cordis mei... Factus
ad mrtrm Prenon- bien conscience du drame qui s’accom
plit, r d >n« lequel non? devons jouer noire rôle. Ce drame remplit le
temp ··! I t pace. Il a commencé, dés l’origine des choses, dans le monde
angriiqr.e, par une dé.-obéi«*ancc qui en a. entraîné ici-bas une autre,
laque r a été répaii·*· par l’obébsance de Not re-Scigneur Jésus-Christ;
le- être miel lirent- -e sont rangés en deux camps : ceux qui obéissent,
et ceux qui n obri* i nt pas ; et la lutte des deux armées est sans trêve.
< liai une a son roi ; et qui prétend se soustraire à l’obéissance passe
de fait ou* la tyrannie d’un autre. Dieu pour dieu : j’aime mieux le
mien! Dans l'armée de ceux qui obéissent au Seigneur, les religieux
4
H ) Cfr l'/hurtatio dr ραιιορίια ad monachoe (inter S. Epurem opp. grace, lat,
t. 111. p. 219).
.sum crtiwi lal^riom», iliani nunc fub niajpio opere p-eeator; veteranus in numéro
perettforum, .vJ aelrrno Reqi norue incorporeae tyro miutiae (S. Pavuxî Nolani
A'/>. IV ad S. Augurtinum. P. L, LXI, 165),
,g
6
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
forment nn corps d’élite. X B. Père reconnaîtra d'ailleurs que la vio
monastique a encore la physionomie d’une école, d’un atelier, et surtout
celle dime famille.
In primis (1), ut quidquid agendum inchoas bon urn,
ab eo perfici instanlissima oralione deposcas ; ut qui
nos jam in fdiorum dignatus est numero computaro,
non debeat aliquando de malis actibus nostris con
tristari.
La première recommandation de X B. Père, son premier souci, est
que nous nous appuyions sur Dieu pour monter jusqu’à lui. Il nous faut
la grâce, il nous faut la prière qui sollicite la grâce : deux éléments con
nexes et de nécessité égale. Une remarque aussi précise, dès le commen
•rm
cement de la Règle, coupe court à toute diminution
pélagienne ou semipélagienne de la doctrine. Pour Pelage, moine gyrovague, l'homme est
essentiellement bon : il n’a besoin, pour faire le bien, que de sa bonne
volonté, avec le secours tout extérieur de la loi, de l’enseignement et
de l’exemple de Notre-Seigneur ; Cassien lui-même, dans sa Confé
rence XIII, estime que notre raison et notre volonté suffisent pour
l’acte premier moyennant lequel nous nous déterminons à la foi et
entrons dans la vie surnaturelle. La formule de saint Benoît est infi
niment prudente et concorde avec la doctrine du concile d'Orange
(529) (2) : Adjutorium Dei etiam reyzaiis et sanctis semper est imploran
dum, ut ad finem bonum pervenire vel in bono possint perdurare.
H s’en faut de tout, en effet, que nous puissions nous passer de Dieu.
Dieu intervient en chacun de nos actes et exerce son influence dès leur
source. Dans l’acte surnaturel il intervient à ud titre spécial, parce que
l’agent créé met en œuvre des facultés qui ne sont pas les siennes. La
première démarche vers la foi et le baptême est due à une impulsion de
sa grâce; la vraie vocation religieuse vient de lui aussi, et non d’un
travail de déduction intérieure et purement philosophique. Mais cette
coopération de Dieu est non moins indispensable pour poursuivre l’œuvre
mil
surnaturelle commencée,
qui est de longue haleine et qui doit durer toute
la vie. Et si notre vocation est angélique, notre nature ne l’est pas ;
alors que l’ange se fixe dans un seul acte de volonté, nous devons, nous.
(1) Avec des éditeurs récents (Schmidt, Woleflcn), nous pourrions relier diri
à tn primis et traiter le gtosfluis abrenuntians... comme une incidente. D. Butler
III II
(op. cil, p. 127) écarte cette ponctuation comme
contraire à celle des meilleurs manus
crits et à l'interprétation des plus anciens commentateurs.
lilll
(2» Cap. X Maxsi, Sacrorum Conciliorum nova et amplissima Collectio, t. VIII,
col. 711
PROLOGUE
Ί
avec une nature moins forte, plus exposée, sollicitée d'en bas, ressaisir
à chaque instant notre vie, toujours prête à faiblir devant l’obstacle.
C’est à Dieu que nous devons demander, par une prière fervente, pres
sante et qui ne se hisse jamais, instantissima oratione, la grâce du a par
faire », la grâce de la persévérance.
Il n’est pas à redouter que Dieu se dérobe à notre prière : il s’est
engagé d’avance, il s’est compromis lui-même. C’est la meilleure réponse
à cette question naïve : aurai-je la force d’aller jusqu’au bout? Dieu
nous a devancés : Prior düexil nos... In caritate perpetua düeri le, idea
attraxi te, miserans. Son amour est sans date. Il s’est empressé près de
chacun de nous. Il nous a donné d’emblée par le baptême cette vie sur
naturelle et divine que nous ne lui demandions pas. Nous sommes main
tenant du nombre de ses enfants. Soyons donc ce qu’il nous a faits. Ne
démentons point, par des œnvres mauvaises, la dignité à laquelle il nous
éleva par pure tendresse. Employons-nous à ne pas tromper sa bonté,
à ne pas l’en faire repentir. Dans un sentiment très délicat et très filial,
saint Benoît considère l'épanouissement de notre perfection comme un
succès personnel de Dieu et son avortement comme une faillite de la ToutePuissance.
Ita enim ei omni tempore de bonis suis in nobis
parendum est : ut non solum, ut iratus pater, non
aliquando filios suos exhaeredet ; sed nec ut metuen
dus dominus, irritatus malis nostris, ut nequissimos
servos perpetuam tradat ad poenam, qui euin sequi
noluerint ad gloriam.
C’est le développement de ce qui vient d’être dit La prière et la grâce
nous sont nécessaires pour obéir à Dieu toute notre rie et à tout instant
car telle est réellement la tâche offerte et acceptée ; mais ri ne nous
manquera pour la mener à bien, si notre prière sollicite la grâce et si
notre fidélité la fait fructifier. L’origine et la mesure de nos richesses
surnaturelles le sont aussi de nos obligations et de nos responsabilités :
or, nous sommes devenus vis-à-vis de Dieu des fils et des serviteurs.
Nous sommes enfants de Dieu, non pas en vertu d’une fiction légale,
mais en vertu d’une assimilation profonde et vitale à son Fils unique;
et dans cette sève divine qui coule en nous par la grâce, nous tenons
un titre irrécusable à l’héritage même du Fils : Si autem, filii, et hieredes :
h leredes quidem Dei, cohaeredes autem Christi. Cette rie surnaturelle est
douée de facultés qui lui sont proportionnées : la foi, l’espérance, la cha
rité. Grâce sanctifiante, vertus théologales, vertus morales, dons du
8
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
Saint-Esprit, secours de toutes sortes : voilà « les biens de Dieu en nous »
dont parle saint Benoît. C’est le trésor que Dieu nous a confié et
auquel nous devons faire rapporter le plus possible : Negotiamini dum
venio.
La fidélité et le succès ne sont pas exiges de nous seulement par la
délicatesse due au Seigneur, par le souci de ne pas le contrister : c’est
une question d’honnêteté et de justice; et saint Benoît nous y excite
enfin au nom de nos propres intérêts. Dieu, de son fonds, n’est que
bonté ; il ne devient sévère que de notre fait, lorsqu’il est provoqué par
nos fautes : De suo optimus, de nostro justus, dit Tertullien. Si nous
trahissons Dieu, le Père qu’il est nous déshéritera, le Maître redoutable
qu’il est nous châtiera, et dans la proportion même de son amour méprisé,
de sa confiance trompée. D faut bien comprendre cette fin de phrase, et
ne pas faire dire à saint Benoît que le Seigneur use, dans le châtiment,
de deux degrés distincts, séparables l’un de l’autre et superposables
l’un à l’autre : en ce sens que tantôt il déshérite simplement, et que
parfois, par exemple s’il y a excès dans l’infidélité, il châtie par des
peines afflictives ; il n’est nul cas où l’âme, réellement déshéritée par sa
faute, n’ait à souffrir. Le dessein de N. B. Père est de signaler les deux
peines inséparables de l’éternité : non seulement celle du dam, qui prive
de l’héritage céleste, c’est-à-dire de Dieu, les fils rebelles, mais encore
celle du sens, livrant au feu les serviteurs tout à fait mauvais qui h’oiiî
pas voulu le suivre à la gloire.
Il ne s’agit pour l’homme que d’aller régner à jamais avec le Christ,
ou d’aller souffrir à jamais avec les démons. Saint Benoît présentera
plusieurs fois, au cours du Prologue, cette alternative redoutable ; et il
Hili
propose la vie monastique comme
le chemin le plus direct et le plus sûr
pour atteindre Dieu ; à ses yeux, tendre vaillamment vers la réalisation
plénière de son baptême et la perfection de la vie surnaturelle (il n’est
question que de cela dans le Prologue) est encore le procédé le plus
efficace pour s’éloigner de la mort étemelle, en même temps que le
procédé le plus logique et le plus glorieux pour Dieu et pour nous.
Sans méconnaître que l’homme est libre d’entrer ou de n’entrer pas, et
que, pour beaucoup de ceux auxquels parviendra son invitation, la vie
monastique n’est pas indispensable à la réparation ou à la persévérance,
sans confondre les préceptes avec les conseils, N. B. Père simplifie pour
tant les données du problème. Nous ne remarquerons jamais assez en
quels termes rigoureux et clairs la question est posée.
Exsurgamus ergo tandem aliquando, excitant.)
nos Scriptura, ac dicente- : Hora est jam nos de somno
surgere. Et apertis oculis nostris ad deiticum lumen.
PROLOGUE
9
attonitis auribus audiamus divina quotidie clamans
quid nos admoneat vox, dicens : Hodie si vocem ejus
audieritis, nolite obdurare corda vestra. Et iterum : Qui
habet aures audiendi, audiat quid Spiritus dicat Ecclesiis.
Et quid dicit? Venite filii, audite me : timorem Domini
docebo vos. Currile, dum lucem vitae habetis, ne tenebrae
mortis vos comprehendant.
Les préliminaires établis, nous allons commencer, dit saint Benoît,
et mettre résolument la main à l’œuvre. Quel que soit notre âge, surtout
si nous sommes sur le déclin de la vie, il est temps, c’est l’heure, l’heure
de la grâce, l’heure de Dieu. Depuis trop longtemps nous sommes plongés
dans le sommeil (1), un sommeil lourd, peut-être un so Hill eil troublé et
traversé de rêves pénibles. Le sommeil n’est pas la mort, mais ce n’est
pas la vie non plus ; c’est la vie oscillante, la vie latente et qui ne s’exerce
pas. L’inattention, l’accoutumance ont eSacé pour nous tous les contours
des réalités surnaturelles. Nous dormons, et nous ne sommes pas heureux.
Levons-nous donc enfin, à la voix de l’excitateur qui est Dieu même,
et non plus seulement N. B. Père saint Benoît. Dieu nous invite par son
Écriture ; c’est vraiment la parole de Dieu, s’adressant individuellement
à chacun de nous ; il ne semble pas que l’âme baptisée puisse résister
à un enseignement qui est fait pour elle. Nous remarquerons que, dans
la Règle, la sainte Écriture a toujours une valeur- décisive. Hora est jam
nos de somno surgere : la liturgie de ΓAvent a recueilli cette formule de
l’Apôtre (Rom., xiii, 11), et elle n’est jamais hors de saison au cours de
ΓAvent perpétuel de notre vie.
Ouvrons les yeux : c’est par là que l’on co Hill ence à secouer le sommeil
et à reprendre conscience de ce qui est. Ouvrons les yeux à « la lumière
déitique »; cela peut s’entendre de l’Écriture : Lucerna pedibus meis
verbum tuum et lumen semitis meis (Ps. cxvin, 105) ; cela peut s’entendre
de la foi, ou bien de Notre-Seigneur lui-même, vraie lumière qui marche
et qui nous guide : Qui sequitur me non ambulat in tenebris sed habebit
lumen vitae (Joann., viii, 12). H faut écouter aussi et prêter l’oreille
à une voix puissante et douce : attonitis auribus (2). Le plus grand
auxiliaire de l’ennemi en nous est l’inattention ; et alors que la lumière
divine nous enveloppe sans cesse, que Dieu nous parle à tout instant,
nous demeurons aveugles et sourds, inertes, sans souci de la vérité.
Rompons enfin la trame de l'accoutumance, intéressons-nous, soyons
(1) Cf. Cass., Contai. III, iv.
(2) Ü. Butler renvoie à Quinte-Cvrce, Histoire d'Alexanlre, I. VIII, 1
..
10
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
cnrieux : puisque aussi bien, nous dit la sagesse antique, l’admiration ou
la surprise sont le principe de toute réflexion philosophique.
Chaque matin, au commencement de l’office, la voix du Seigneur nous
crie(l), suppliante : Aujourd’hui, si vous entendez mon appel, gardezvous d’endurcir vos cœurs (Ps. xerv, 8). Car nous sommes par excellence
des retardataires, des traînards :« Aujourd’hui, mon Dieu? Ce que vous me
demandez d'abandonner est si intéressant ! Si nous remettions à demain?
C'est entendu : je serai sage et mortifié demain... » Et notre mauvaise
habitude s’affermit, car tout acte laisse en nous sa trace, et nous perdons
de la force chaque jour. La conversion ne sera-t-elle pas plus difficile
demain?
Qui habet aures audiendi, audiat quid Spiritus dicat Ecclesiis (Mattii.,
xi, 15; Apoc.. n, 7). L’invitation est plus pressante : on s’adresse à notre
intelligence, à notre fierté, à un certain orgueil légitime. Ce que ΓEsprit
de Dieu dit à l’âme qu’il visite, c’est de venir simplement se mettre à
son école : il est Docteur et il est Père. H lui enseignera à craindre Dieu,
c'est-à-dire à vivre devant Dieu dans le respect filial et la tendresse
(Ps. xxxin, 12). Saint Benoît ajoute le grave avertissement du Sei
gneur en saint Jean (xii, 35) : « Hâtez-vous de venir à Dieu, tandis
que vous avez la lumière de la vie, de peur d’être saisi par les ténèbres
de la mort (2) ». lihodie ne s’étend pas au delà de la vie présente ; et qui
sait si vous disposerez d’un lendemain? Tandis que Dieu parle et vous
éclaire, tandis qu’il consent à marcher devant vous, suivez-le et prenez
son allure : sinon l’étoile disparaîtra (3).
S
V'
* *
A
♦ X
* 4· *
V
«
Et quaerens Dominus in multitudine populi, cui
haec clamat, operarium suum, iterum dicit : Quis est
homo qui vult vitam, et cupit videre dies bonos? Quod si
tu audiens respondeas : Ego, dicit tibi Deus : Si vis
(1) Au chapitre vn, saint Benoît dira aussi que « l’Écriture nous cric ». Même expres
sion chez S. Césaibe, Sermon CCLXIII, 4, dans l’appendice aux Semions de saint
Augustin (P. I... XXXIX, 2233).
(2) Saint Benoit ne cite pas toujours textuellement l’Écriture, soit à dessein, soit
nu’iï cite de mémoire. B se sert souvent aussi d’une version autre que notre Vulgate.
mu
S CÉs.uaE lisût le début de ce texte à peu près comme
saint Benoît : Curramus
dum lucem vitae Manus (P. L. XXXIX. 2230).
(3) N. B. Père va revenir dans un instant au Ps. xxxni, dont il choisit et commente
les versets 12,13,14,15,16. Π se souvient aussi de VEnarralion II de S. Augustes
sur ce psaume: et depuis audiamus divina... jusqu’à quid dulcius..., il ne fait guère que
la citer presque textuellement (n·* 16-20, 9. P. !.. XXXVI, 317-319, 313). Voir aussi
Γ Enarratian sur le Ps. cxun(n°9. P. L, XXXVII, 1S62) : la combinaison que nous
allons rencontrer bientôt chez saint Benoit des deux textes d’Isaïe : lxv, 24, avec
LVin, 9, est certainement inspirée de saint Augustin.
Il faut renoncer à voir une source de ce passage de saint Benoît dans le PseudoChp.ïsostome dont il est question dans la Revue Bénédictine, 1894, p. 385 et suiv.
PROLOGUE
11
habere veram et perpetuam vitam, prohibe linguam
tuam a malo, et labia lua ne loquantur dolum. Diverte a
malo, et fac bonum; inquire pacem et sequere eam. Et cum
haec feceritis, oculi mei super vos, et aures meae ad
preces vestras; cl antequam me invocetis, dicam : Ecce
adsum.
- ■
L’àmc a pris contact avec N. B. Père, elle a prié avec lui, elle a été
secouée par la crainte, réveillée par les paroles divines de l'Écriture;
mais il faut à l’invitation quelque chose de plus personnel encore, de
plus décisif, de plus dramatique aussi Le Père de famille, le Maître de
la vigne (Matth., xx, 1-16), descend lui-même sur la place publique
pour recruter des ouvriers ; et l’appel qu’il jette à la multitude du peuple
chrétien s’adresse réellement à chacun ; c’est un accord qu’il veut con
clure avec chaque âme individuelle. Nous avons là dessinée la vraie
situation de Pâme en face de Dieu : toute âme est ouvrière, Dieu aussi.
Dieu, qui n'a besoin de rien, a pourtant voulu quelque chose : la mani
festation de ses attributs au moyen de l’ordre naturel et de l’ordre
surnaturel surtout. Le grand effort de Dieu, c’est l’incarnation et la Ré
demption. Il s’y est employé sérieusement, mais il n’a pas consenti à y
travailler seul. Il a voulu s’associer des coopérateurs, et volontairement il
a laissé son œuvre inachevée, se persuadant que ce serait une joie pour
nous de travailler après lui, avec lui, et de mettre notre effort là où il a
mis son sang (I Cor.. iii, 9 ; Col., i, 24).
L’invitation d’ailleurs, est accompagnée d’une amorce : Quis est homo
qui vuli vitam, et cupit videre dies bonos? (Ps. xxxm, 13) Dieu ne dédaigne
pas de nous prendre par notre intérêt, ni de s’appuyer sur cet amour
premier et foncier que nous avons du bonheur. Aussi bien, sa propre
gloire et notre bonheur sont-ils conjugués. Lorsque Ton offre à l’honune
le bonheur et la vie, il ne se récuse jamais : Nonne omnis in vobis respondet:
Ego? dit saint Augustin. Moi, Seigneur, je veux bien! Seulement qu’il
n'y ait pas de malentendu entre nous, ajoute le Seigneur, à qui N. B.
Père fait préciser d’un mot le sens et la portée de sa promesse. Notre
idéal n’est plus celui du Juif, qui se contentait trop souvent de la pros
périté temporelle et de la longévité. ; il s’agit pour nous de la vie vraie et
plénière, de la vie éternelle. La vie de l’éternité est commencée ici-bas
dans la grâce, et nous connaîtrons « de bons jours » chez saint Benoît ;
alors même qu’il n’y aurait que la vie présente, ne serions-nous pas let
heureux de la t erre? Mais, sans s’expliquer davantage sur le salaire réservé
par Dieu à « son ouvrier », N. B. Père indique brièvement d’abord, puis
de façon plus étendue, les conditions qu’il doit accepter.
Il y a des éliminations qui s’imposent. Prohibe Unguam tuam a malo...
13
COMM EN TA I RE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
(Ps. xxxnr, 14-15) : s’agit-il de s'éloigner du mensonge et do renone r
ύ la fourberie proprement dite? Oui, sans doute ; mais on peut donner à
ces paroles de l’Ancien Testament une valeur qui soit en fonction de
l’économie nouvelle, une signification plus générale. Il y a un mensonge
d’action impliqué parfois dans toute notre vie, un démenti pratique donné
à notre foi, une secrète dualité : la charité nous invite, et l’égoïsme nous
emporte; nous sommes écartelés et tiraillés en sens contraire ; et, de fait.
ce sont les basses sollicitations qui trop souvent triomphent. Nous com
munions chaque matin, mais nous demeurons nous-mêmes. Si vraiment
nous voulons la vie, il faut commencer à réaliser en nous l’unité, la loyauté
profonde.
Diverle a malo. Prenons résolument notre âme et éloignons-nous de ce
qui est mauvais. Éviter, se détourner, ce ne serait pas assez : il importe
de créer entre le mal et nous un glacis étendu, que ni lui ni nous ne puis
sions plus franchir; c’est prononcer contre lui une sentence de bannisse
ment perpétuel. Ne soyons pas de ces hommes que saint François de
Sales compare à des malades à qui leur médecin a interdit le melon,
sous peine de mort; ils ne mangeront donc pas de melon, a mais ils
s’inquiètent de s’en abstenir, ils en parlent et marchandent s’il se pour
rait faire; ils les veulent au moins sentir, et estiment bienheureux ceux
qui en peuvent manger (1) ».
Et fac bonum. C’est l’élément positif de notre programme. Cette
réflexion, si simple qu’elle paraît naïve, est pourtant bien souvent,
méconnue. D en est trop qui dépensent le plus clair de leur intelligence
et de leurs forces à prendre conscience des pièges dont est semée la vie et
à les éviter; il est des âmes toujours en arrêt, toujours ennuyées des
résistances rencontrées, toujours soucieuses des petits grains de pous
sière; leur énergie s’emploie en plaintes ou s’épuise dans un regard cons
tant sur elles-mêmes. Sans doute, la délicatesse est bonne, mais il est
dangereux de trop se regarder et de se grossir : s’il faut se connaître, il est
surtout indispensable de connaître Dieu. Au fond, notre vie n’a pas pour
dessein de fuir le péché et le néant, mais plutôt de s’établir dans l’être,
de faire le bien, de joindre Dieu.
Inquire pacem... La citation du psaume xxxm n’a pas été choisie
au hasard et ne se poursuit pas comme machinalement. Lorsque l’unité,
l'harmonie et l’ordre ont été rétablis chez nous, grâce à cette loyauté
dont nous parlions plus haut; lorsque le désaccord avec Dieu, avec nos
frères, avec nous-même a cessé, et que c’est une chose définitivement
conquise et assise, alors nous avons la paix : tranquillitas ordinis. La paix
n’est donc pas la paresse, ni un faux désintéressement ; c’est l’attitude
que prend spontanément notre âme unie à Dieu dans la charité. La paix,
(1) Introd. d la Vie dixote, I. P., chap,
vil
PROLOGUE
13
comme la joie, n’est pas précisément une vertu, mais le fruit de la plus
haute des vertus : la paix est la fille de la charité (1). Cherchez-la sur
place, dit le Seigneur, comme un trésor caché; poursuivez-la au besoin.
Elle aura parfois l’air de fuir, ne vous découragez pas; ne vous irritez
pas de ses lenteurs; qui d’ailleurs ne sont peut-être que vos lenteurs à
vous. Il n’y a jamais motif de sortir de cette paix : ni événements, ni
souffrances, ni fautes même; car on ne corrige pas des erreurs avec du
désordre, et le repentir n’est pas le trouble. L’Apôtre envisage la paix
comme, la clôture spirituelle qui maintient notre âme près de Dieu :
L7 pax Dei, quae exsuperat omnem sensum, custodiat corda vestra el inb lliqentias vestras in Christo Jesu (Philipp., iv, 7). Retenons qu’elle est
tout à la fois la récompense, le fruit, l’indice et le facteur de notre
vertu ; et chacun sait qu’elle est devenue la devise de la famille béné
dictine.
Le psaume continue, mais son verset 16 est rappelé, sans être cité
formellement. Dès que notre âme s’est ainsi tournée vers Dieu et pacifiée,
le regard bienveillant du Seigneur se repose sur elle et son oreille est tou
jours penchée pour recueillir notre prière ; il se complaît dans cette beauté
qu’a créée la lumière de ses yeux. C’est l’intimité désormais : Qui adhaeret
Domino unus spiritus esi (I Cor., vi, 17). La prière sera encore dans
notre cœur, nous n’aurons pas encore ouvert les lèvres, que le Seigneur
dira : je suis là, me voici.
Quid dulcius nobis hac voce Domini invitantis
nos, fratres carissimi? Ecce pietate sua demonstrat
nobis Dominus viam vitae. Succinctis ergo fide vel
observantia bonorum actuum lumbis nostris, per
ducatum Evangelii pergamus itinera ejus, ut merea
mur eum qui nos vocavit, in regno suo videre.
N. B. Père laisse échapper une exclamation joyeuse. Voyez, mes frères
bien-aimés ! Y a-t-il rien au monde qui soit plus caressant, plus doux,
que cette invite du Seigneur, et formulée en de pareils termes? C’est
Dieu lui-même qui, dans sa tendresse, nous appelle à la vie et nous en
montre le chemin. Allons, partons en pèlerinage vers Dieu, marchons
d'un pas alerte, la tunique retenue dans la ceinture, afin que ses plis
Bottants ne nous embarrassent pas et que nous gardions toute notre
vigueur : Sint lumbi vestri praecincti, et lucernae ardentes in manibus
vestris (Luc., xn, 35). Notre ceinture, c’est la foi, et la foi pratique,
(1) Cf. 5. Th., IP II“, q. XXIX, De Pace,
H
COMMENTAIRE
- _l.ll·,· SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
c'est-à-dire l'observance et l'habitude des bonnes œuvres : Et erit justitii
cingulum lumborum ejus, et fides cinctorium renum ejus (Is., xi. o).
Conduits et guidés par les préceptes évangéliques (1), franchissons
jusqu'au bout les étapes de ce divin voyage, afin de mériter de voir dans
son royaume celui qui nous a appelés (2).
In cujus regni tabernaculo si volumus habitare,
nisi illuc bonis actibus currendo, minime pervenitur.
Sed interrogemus cum Propheta Dominum, dicentes
ei : Domine, quis habitabit in tabernaculo tuo, aut quis
requiescet in monte sancto tuo? Post hanc interrogatio
nem, fratres, audiamus Dominum respondentem, et
ostendentem nobis viam ipsius tabernaculi, ac dicen
tem : Qui ingreditur sine macula, ct operatur justitiam ;
qui loquitur veritatem in corde suo; qui non egit dolum in
lingua sua; qui non fecit proximo suo malum, ct oppro
brium non accepit adversusproximuni suum.
Alors vous voulez sincèrement marcher vers le sanctuaire de Dieu,
notre roi, et y demeurer, avec lui, toute l’éternité? La société de Dieu,
de Notre-Seigneur Jésus-Christ, de Notre-Dame, des anges et des saints
vous plaît ? \ ous connaissez maintenant la fin, vous la voulez aussi ;
apprenez donc quels moyens y conduisent. « H n’y a nulle chance de
parvenir à ce royaume, si l’on n’y court par les bonnes œuvres. » Saint
Benoît l’a dit déjà, mais il insiste et tient à mettre ce point en pleine
lumière. Ce ne sont pas les privilèges qui nous sanctifient, et les grâces
ne nous sauvent pas à elles seules. Il serait infiniment téméraire de se dire :
a J’ai fait profession, je suis dans un milieu assainissant, je comprends
bien les choses de la vie surnaturelle ; j’en parle à l’occasion avec abon
dance et clarté ; j’éprouve dans mes relations avec Dieu des tressaillements
qui me montrent que je suis dans les voies élevées. Mon labeur a pris
fin ». Non, ü faut des actes, il faut marcher sans cesse, il faut courir. Les
actes sont les fils de notre vie, ils la traduisent, ils la développent ; la vie
(1) Au lieu de l’expression per ducatum Evangelii, dont la signification semblait un
peu vague, les plus anciens manuscrits (nous ne disons pas les meilleurs : cf. Intro
duction, p. m, rv) ont lu : et calceatis in praeparatione Evangelii pacis pedibus, per
gamus..., réminiscence du chap, vi des Éphésiens (verset 15 ; remarquez qu’au verset 14
nlll
l’Apôtre recommande
d’avoir les reins ceints : on a pu croire que saint Benoit citait
largement ccs deux versets).
(2) La meilleure leçon est peut-être : eum qui nos vocavit wi regnum suum videre,
citation de I Truss., it, 12.
P
PROLOGUE
13
n'existe que pour eux : l’acte est le terme dernier de toute vigueur
vivante. Rappelons-nous l’histoire évangélique du figuier, à qui le? feuilles
pourtant ne manquaient pas, mais qui fut maudit et sécha sur place,
parce que les fruits, c’est-à-dire les actes, faisaient défaut. Mais enfin,
ne dit-on pas souvent que notre sanctification ne vient pas de nous et
qu’il faut « se laisser faire »? Entendons-nous : il y a des œuvres prélimi
naires et de déblaiement, des œuvres de construction, des œuvres
d'achèvement ; l’action de Dieu s’exerce en toutes, spécialement dans les
dernières, mais nous ne sommes jamais dispensés d’agir, et les deux pre
miers moments demeurent bien à nous.
Que si nous avons besoin d’un supplément d’information, adressonsnous plutôt au Seigneur lui-même, et posons-lui avec le Prophète la
question par où débute le psaume xiv. Pour nous autres chrétiens, il
s’agit de la Jérusalem nouvelle et du vrai temple de Dieu : Ecce taberna
culum Dei cum hominibus, et habitabit cum eis (Apoc., xxi, 3). Dieu
nous répond dans le même psaume et nous trace le chemin de son sanctuaiie. Saint Benoît se borne à citer les versets 2 et 3, dont le sens est
fort clair. Tout est enveloppé dans cette énumération rapide : les inten
tions, les paroles, l’accomplissement des desseins, les œuvres intérieures
et les œuvres extérieures, une triple disposition de pureté, de droiture et
de justice.
Qui malignum diabolum aliqua suadentem sibi,
cum ipsa suasione sua a conspectibus cordis sui
respuens, deduxit ad nihilum, et parvulos cogitatus
ejus tenuit, et allisit ad Christum,
N. B. Père paraphrase désormais largement la suite du psaume, ct
d'abord la première partie du verset 4 : Ad nihüum deducius est- in con
spectu ejus malignus. Le sens littéral est relatif à l’attitude que prend
en face de l’impie et en face du juste celui qui veut aller vers Dieu : il ne
fait nul cas de l’un et réserve son estime pour le juste : Timentes autem
Dominum glorificat. Mais saint Benoît a entendu le passage de l’attitude
que prend celui qui cherche Dieu en face du mauvais, en face du diable (1),
et toute sa doctrine est d’une grande sagesse.
(1) Cassiodore, dans son Exposition sur ce psaume (P. L. LXX, 110), donne au
verset 8 exactement le même sens que saint Benoît Plus loin, après avoir parié de
l’homme courageux qui mundi vilia aim suo auctore prostravit, il ajoute ces mots qui
rappellent encore un autre passage de la fin du Prologue : Sed precemur jugiter omni
potentiam ejus, ut qui talia per nosmetipsos implere non possumus quae jussa «uni, ejus
ditati munere faciamus (ibid., 111). Nous signalons simplement le rapprochement à ceux
qu’intéresse la question des rapports de Cassiodore avec saint Benoît,
<β
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
H est naturel et prudent d’examiner sévèrement, de regarder bien en
face les dispositions, les émotions, les affections qui se succèdent en nous
et de les interroger : qui êtes-vous? d’où venez-vous? que venez-vous
faire chez moi? quelles sont les conséquences dernières auxquelles vous
m’entraînerez? Un homme avisé n’ouvre pas sa porte à tout venant ;
on ne laisse pas le premier venu s’asseoir au foyer de la famille. Recon
naître l’inspirateur réel de certaines tendances perfides et sournoises,
l’auteur de certaines poussées secrètes est une sûre garantie.
Une fois reconnue la suggestion diabolique, une fois démasqué celui
qui suggère, saint Benoît veut que, tout aussitôt et résolument, « nous
repoussions l’une et l’autre loin des regards de notre cœur, et que nous
n’en fassions nul cas ». Les formes de la tentation sont variées. Ce n'est
jamais qu’avec humilité et en s’appuyant sur Dieu qu’il faut la repousser,
mais il reste que souvent, pour la faire disparaître, le mieux est de négliger,
de mépriser. Il y a des tentations sottes, des surprises, quelquefois de
simples hantises physiologiques : passons outre. C’est le cas d’appliquer
le précepte : Neminem per viam salutaveritis. Non seulement il ne faut
pas se troubler, mais il ne faut même pas se raidir, ni se congestionner
dans un effort inutile, ni combattre, ni protester convulsivement, ni rien
changer dans notre vie.
Et pourtant, il est des cas où N. B. Père réclame de nous une tactique
un peu différente. C’est lorsque la tentation est nolente, ou qu’elle
dure ; c’est surtout lorsqu’il s’agit de ce qui est notre tentation personnelle,
domestique, habituelle, en affinité avec notre nature ; elle a été la tenta
tion de notre enfance, elle nous a suivi connue une menace et comme un
ange maudit, elle a grandi et vieilli avec nous, nous la retrouvons tou
jours vivace. Si nous ne voulons pas infailliblement succomber, il faut
ramasser ce que nous avons d’énergie et de délicatesse, saisir avec vigueur,
presque sans réflexion, par un acte spontané, ces rejetons d’enfer, ces
fils de Babylone, et les broyer aussitôt contre la Pierre qui est le Christ
(I Cor., x, 4) : c’est-à-dire s’armer de la foi, de la charité, de la prière,
pousser un appel vers le Seigneur et porter notre âme dans la région de
la paix. Saint Benoît cite, dans un sens allégorique et à la suite de plu
sieurs Pères (1), le dernier verset du psaume cxxxvi : Beatus qui tenebit,
et allidet parvulos tuos ad petram.
(1: Oeicèxe, Contra Celsum, 1. VII, 22. P. G., XI, 1433.
S. Hilaire, Tract, in Ps. cxxxvi, 14. P. L.. IX, 784,
S. Ambroise, Di pooiit, II, 106. P. L-, XVI, 523.
S. Jérôme, Episl. XXII, 6. P. L., XXII, 398. Commentariolum in Ps. cxxxvi,
«pud Anecdota Marcdsolana, vol IH, P. I,p. 94.
S. Augustin, Enarr. in Ps. cxxxvi, 21. P, L, XXXVII, 1773-1774.
Cassien, Inst., VI, xin.
PROLOGUE
17
Qui timentes Dominum, de bona observantia sua
non se reddunt elatos, sed ipsa in se bona,
non a se posse, sed a Domino fieri existimantes,
operantem in se Dominum magnificant, illud cum
Propheta dicentes : Aon nobis, Domine, non nobis, sed
nomini luo da gloriam. Sicut nec Paulus Apostolus de
praedicatione sua sibi aliquid imputavit, dicens :
Gratia Dei sum id quod sum. Et iterum ipse dicit : Qui
gloriatur, in Dumino glorietur.
Alors que notre lex e du psaume xiv signifie : le juste «honore ceux
qui craignent Dieu », saint Benoît lisait : Timentes autem Dominum magni
ficant, « ceux qui craignent Dieu lui rendent gloire », et cette leçon lui
fournit le développement qui suit.
Nous devons réaliser le bien, nous devons repousser le mal, et lorsque
nous avons fait l’un et l’autre, il nous faut encore, sous peine de tout
compromettre, veiller à n’en pas concevoir d’orgueib Les vrais serviteurs
de Dieu, ceux qui redoutent la sévérité de ses jugements sur les superbes,
s'appliquent à faire refluer vers lui la causalité et comme la responsa
bilité de leur vertu. Us glorifient Dieu en reconnaissant que rien ne leur
vient d’eux-mêmes : ni la pensée, ni la volonté du bien, ni son accom
plissement. Sans doute c’est, indivisiblement, notre acte et le sien, et
nos mérites sont réels ; mais fintervention de Dieu a de tels caractères
de priorité, d’efficacité, de souveraineté, que l’honneur de notre propre
justice remonte jusqu’à lui : Sed ipsa in se bona, non a se posse, sed a
Domino fieri existimantes, operantem in se Dominum magnificant (1). Le
psaume exui proclame hautement cette doctrine ; de même, le grand
travailleur que fut saint Paul ne s’attribua rien de ses succès aposto
liques (I Cor., xv, 10), et il rappela que tout chrétien ne pouvait non
plus se glorifier que dans le Seigneur (II Cor., x, 17). Nous avons déjà
entendu N. B. Père exprimer sa pensée sur ces délicates questions de la
grâce ; ici encore, c’est de la saine et exacte théologie.
11 y aurait danger à rechercher avec curiosité et à considérer sans
cesse le bien qui est en nous, mais il faut savoir le reconnaître tran
quillement. Un examen de conscience un peu sérieux n’est complet qu’à
la condition d’être distribué en deux colonnes : celle du mal dont
nous sommes seuls respoi sables, celle du Li Ml qui est l’œuvre de Dieu
(1) Cf. Cass., Inst., XII, xvi. Contai. III, xv,
18
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
en nous. Dieu aime à être remercié, et nous ne pouvons rendre grâces
que d’un bienfait dont nous prenons conscience et que nous consentons
à regarder.
Undo et Dominus in Evangelio ail : Qui audit verba
mea haec, et facit ea, similabo cum viro sapienti qui aed ficavil domum suam supra petram : venerunt /lumina,
faverunt venti, et impegerunt in domum illam, cl non
cecidit : fundata enim erat supra petram.
Omettant quelques paroles du psaume (1), N. B. Père passe aussitôt
à celles qui le terminent : Qui jacit haec non movebitur in aeternum. Le
juste ne tombera pas, il ne déchoira pas de son espérance ; il parviendra
au temple de Dieu où il a désiré vivre. Mais, parce que cette conclusion
était un peu brève, saint Benoît a jugé bon de la commenter par un
texte emprunté au chapitre vn de saint Matthieu (24 sq.), où le Seigneur
décrit la sécurité de celui qui écoute et accomplit sa parole : c’est un
homme sage, il assoit l’édifice de sa perfection sur une base ferme et
inébranlable. La Pierre, c’est donc encore le Christ : s’attacher à lui par
la foi, l’aimer par-dessus tontes choses, nous fait partager sa solidité,
sa stabilité étemelle.
Une maison ainsi bâtie peut résister à tous les assauts. Ils ne manquent
pas dans une vie surnaturelle consciencieuse, dans une famille qui veut
garder l’intégrité de sa foi monastique. Tout arrive, et de partout :
la pluie, qui vient du ciel (2) ; les vents, qui sont de l’atmosphère ; les
fleuves, les torrents, qui sont de la terre. Épreuves d’en haut, persécu
tions des puissances terrestres, vents qui transportent de l’autre côté
des mers : une abbaye peut connaître tout cela : El non cecidit : fundata
enim erat supra petram.
Haec complens Dominus exspectat quotidie his
suis sanctis monitis factis nos respondere debere.
Ideo nobis propter emendationem malorum, hujus
dies vitae ad inducias relaxantur, dicente Apostolo :
(1) S. Augustin (Enarr. in Ps. xrv, 4. P. L., XXXVI, 144) distingue, lui aussi»
cotte même portion du psaume, et dit qu’elle s’adresse aux débutants de la vie surna
turelle : Sicut illa superiora perlinent ad perfectos, ita ea quae nunc dicturus est, perlinent
ad incipientes.
(2) Elle est mentionnée par Γ Évangile, mais omise par saint Benoît
PROLOGUE
«9
An nescis quia patientia Î)ei ad poenitentiam le adducit?
Nam pius Dominus dicit : Nolo mortem peccatoris, sed
ut concertatur, et vivat. Cum ergo intcrrogassemus
Dominum, fratres, de habitatore tabernaculi ejus,
audivimus habitandi praeceptum : sed si complea
mus habitatoris officium, erimus haeredes regni
caelorum.
On a traduit diversement Haec compleas : pour achever, pour mettre
le comble à ses prévenances ; plutôt peut-être : cela dit (1), le Seigneur
nous ayant invités, nous ayant montré le terme et tracé le chemin,
ayant donné réponse à la question que nous lui adressions avec le Psalmiste sur les conditions d’entrée dans son tabernacle étemel, il ne lui
reste plus qu'à attendre notre réponse à nous. Il attend tous les jours,
avec une patience de Dieu, que nous nous mettions en devoir de nous
rendre, par nos œuvres, à ses avertissements sacrés.
Par conséquent, ideo, puisque Dieu consent à attendre, notre vie d’icibas a le caractère d’une trêve, d’un délai ; la durée de nos jours n’est
pour nous que le loisir ménagé par Dieu de nous corriger enfin. C’est
l’enseignement de ΓApôtre (Rom., ii, 4); et le Seigneur, en Ézcchicl
(xviu, 23), affirme ses desseins de miséricorde et de tendresse : il n’a nul
souci de faire de nous des vaincus et des damnes, et il souhaite pour
nous le bonheur beaucoup plus ardemment que nous-mêmes. N’est-ce
pas ignorer l’intention même de la vie que la faire servir à des délais
sans fin, d’autant plus périlleux que la trame peut se déchirer soudaine
ment?
Saint Benoît conclut : nous avons donc reçu de la bouche de Dieu une
réponse complète à tout ce qu’il nous importait de savoir : Vous pourrez
habiter un jour dans mon royaume, d’où l’on vous appelle, où l’on vous
attend, mais à la condition que vous accomplissiez, dès maintenant, le
devoir de celui qui y veut habiter ; on n’entre dans l'éternité qu’à la
condition de faire les œuvres, de remplir les charges d’un vrai citoyen
de l’éternité : Audivimus habitandi praeceptum, sed si compleamus habi
tatoris officium (2).
(1) Remarquer qu’immédiatement après le discours sur la montagne dont N. B. Père
vient de citer la conclusion, l’évangéliste ajoutait : Cum consummassel Jesus verba
haec... (Maith., vu, 28).
(2) Un copiste, étonné sans doute de cette phrase suspendue et un peu elliptique, l'a
considérée comme la première partie d’une conditionnelle et a suppléé par la glose un
peu froide : erirnus haeredes regni caelorum. Et sur ces mots se termine le Prologue dans
les trois plus anciens manuscrits : ils ont peut-être comme source commune un codex
auquel manquait la dernière page du Prologue. (Voir notre Introduction.)
£0
COM M ENTA IKE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
Ergo praeparanda sunt corda et corpora nostra
sanctae praeceptorum obedienliae militatura ; i t quod
minus habet in nobis natura possibile, rogemus ho
minum, ut gratia© suae jubeat nobis adjutorium mi
nistrare. Etsi fugientes gehennae poenas ad \ilam
perpetuam volumus pervenire, dum adhuc vacat et
in hoc corpore sumus, et haec omnia per hanc luci-,
viam vacat implere, currendum et agendum <·Ί
modo, quod in perpetuum nobis expediat.
Cette conclusion du Prologue semble destinée surtout à ra -i::·.· et à
encourager les âmes qui frémissent devant les saintes exigence de la v ie
religieuse, et qui, une fois évanouie la première ferveur, une foi- tombé
l'enthousiasme des premiers jours, sont tentées de rebrousser chemin
vers le monde. S’il est vrai que N. B. Père a écrit cette page à la d·· niète
heure de sa vie, il avait eu le loisir d'accueillir de nombreux p« ’niants
et, dans le nombre, quelques-unes de ces natures molles, douille: te- et
frileuses, dont la bonne volonté est réelle, mais courte. Saint Benoît
leur cric le sursum corda qui précède le sacrifice (1).
C’est l’homme tout entier qui doit entrer en campagne : le cœur
d’abord, c'est-à-dire le heu secret et central des grandes pensées et des
fermes décisions ; le corps lui-même, qu’il faut entraîner par l’observance,
sous peine de ressembler aux soldats en peinture ou aux figurants du
théâtre, qui menacent toujours soit de frapper, soit de partir, mais qui
de fait ne frappent et ne partent jamais. La vie monastique e t en
effet une école d’entraînement; et, avant de s’y agréger, il e t sage
de s’assurer qu’on est résolu. Alors que nul ne pe.it, à son gré, se
donner le génie littéraire ou prolonger sa taille d’une coudée, dans l’ordre
des choses morales au contraire, nous pouvons obtenir toute la valeur et
toute la taille que nous voulons. On ne nous demande pas des efforts
musculaires; on nous dit : vous vous inclinerez devant la sainte 0' éissance des préceptes, vous vous exercerez à l'accomplissement parfait
d’une loi spirituelle. Ne pourriez-vous pas observer le silence? des
fe mu es l’observent bien; aimer la mortification? des enfants s’y adonnent
Tu non poteris quod isti, quod istae?
Admettons qu’il y ait entre la loi monastique et vous quelque désac
cord partiel de tempérament, peut-être même de nature. Alors, dites-en
(1) Ces paroles sont l’écho des premiers paragraphes du Prologue,
PROLOGUE
gi
υη mot à Dieu ; il en dira un mot à sa grâce, il lui commandera de
vous venir en aide, et elle vous rendra faisable ce que la nature
vous portait à envisager comme « moins possible ». L’expression est
souriante.
Aussi bien, ajoute saint Benoît, il est nécessaire d’être courageux.
Vous voulez éviter l’enfer? — Oui. — Vous tenez vraiment à votre paît
de paradis? — Oui, certainement. — C’est bien; mais laissez-moi vous
redire que la vie est courte et qu’elle est une trêve. Nous avons le bonheur
de n'avoir pas été surpris par la mort, alors que nous étions les ennemis
de Dieu. Hâtons-nous, maintenant qu’il en est temps encore, de faire
quelque chore pour Dieu, currendum et agendum est; hâtons-nous d’ac
complir, à la lumière de cette vie (1), toutes ces bonnes œuvres que dans
le ciel nous nous féliciterons éternellement d’avoir faites. Qu’est-ce que
saint Paul pense maintenant des flagellations endurées, saint Laurent
de son gril ardent, saint Benoit des épines où il s’est jeté, saint Benoît
Labre de sa pauvreté? H suffirait, pour couper court à tous nos atermoie
ments, de réfléchir un instant à ces graves conseils de N. B. Père.
Constituenda est ergo a nobis dominici schola
servitii; in qua institutione nihil asperum nihilque
grave nos constituturos speramus.
Tandis qu’il réconforte et aiguillonne les âmes, saint Benoît est
amené à définir enfin la forme spéciale de vie religieuse qu’il vient
leur offrir au nom du Seigneur : il s’était borné jusqu’ici à leur
demander si elles voulaient la vie chrétienne dans toute son étendue.
Une transition est ainsi ménagée pour passer à l’énoncé des règles
monastiques.
Voici ce dont il s’agira chez nous, ce que nous avons le dessein d’éta
blir avec le concours de votre générosité : Dominici schola servüii. Rete
nons à jamais cette définition de notre vie. Le monastère n’est pas un
établissent nt de rapport, ni une maison de retraite, ni une succursale de
P Académie. Il est, sans doute, un lieu de loisir, de liberté, de repos (et
tel est le sens primitif du mot schola, σχολΑ) ; mais ce loisir a pour fin
l'étude des choses de Dieu et l’entraînement, l’éducation de ses soldats,
de sa garde d’honneur. Les anciens ont donné le nom de schola, dit
D. Calmet, aux lieux où l’on apprend les belles-lettres, les sciences,
les arts libéraux, les exercices militaires ; de même aux compagnies
(1) Il faut lire vitam, qui est la seule leçon autorisée.
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ί/!
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i
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
employées à la garde du palais et de la personne des princes, et aux appar
tements où elles logeaient et où elles s’exerçaient. Il n’est pas impos
sible non plus que N. B. Père ait songé à la schola ou lieu des réunions
des collèges ou associations romaines (1).
La vie monastique est donc « l’école du service du Seigneur », l'école
où l’on apprend à le servir, où l’on s’y exerce sans cesse, dans un noviciat
qui durera la vie entière. Au fond, N. B. Père ne poursuit pas d’autre
dessein que celui de Dieu même : Nam ei Paler tales quaerit, qui in
spiritu et veritate adorent eum. Servir Dieu, c’est adorer Dieu. Le service
de Dieu se compose de deux éléments : le culte, l’exercice de la vertu de
religion; et, puisque tant vaut l’adorateur tant vaut l’adoration, la sanc
tification personnelle par la fidélité à la loi de Dieu, par l’union de notre
volonté à la sienne. C’est une adoration w* spiritu, venant de l’homme
HIM
intérieur; in veritate, sans qu’une seule faculté de l’homme
soit exceptée,
sans qu’une œuvre de charité ou une étude y échappe, sans aucun
démenti dans les actes ou dans les dispositions. Et cette adoration enfin
est collective, sociale, publique.
Nous espérons bien, dit saint Benoît, qu’un tel programme n’aura rien
de terrible. N’ayez pas peur : la Règle est sage, elle n’a rien de pesant,
rien de dur ni de désagréable. Elle est notablement plus douce, dans ses
HIM
exigences préalables comme
aussi dans ses prescriptions, que les codes
monastiques d’Orient ; et N. B. Père, dans sa discrétion parfaite et son
amour des âmes, a consenti à paraître un peu relâché. La vie bénédictine
ne consiste pas essentiellement dans une mort, une mortification sans
merci ; elle ne saurait être définie adéquatement : une vie de pénitence ou
d’ascétisme violent. Mais enfin, pourra-t-on se demander, saint Benoît
ne voile-t-il pas ici outre mesure l’austérité de sa Règle? Π veut n’effrayer
personne : c’est un bon sentiment, mais ne se mettra-t-il pas en
désaccord avec lui-même, lorsqu’il dira au chapitre LVI1I : Praedi
centur ci dura et aspera per quae üur ad Deuin? La contradiction n’est
qu’apparente; et toutes choses vont être mises au point, avec un tact
parfait, dans les paroles qui suivent.
Sed et si quid paululum restrictius, dictante ae
quitatis ratione, propter emendationem vitiorum
vel conservationem caritatis processerit, non illico
pavore perterritus refugias viam salutis, quae non
est nisi angusto initio incipienda. Processu vero
(1) Cl G. Boissier, la Religion romaine (Γ Auguste aux Antonins, 1. Ill, chap. in.
Voir sur ce rapprochement une note intéressante de Dow Rotiieniiausler, Zur Au(~
naliwordnung der Regula 8. Benedicti (Munster, 1912), p. 37, note 4«
PHOLOGUE
23
conversationis et fidei, dilatato corde, inenarrabili
dilectionis dulcedine curritur via mandatorum Dei...
Nous sommes d’abord avertis affectueusement et en termes mesurés
de ne pas trop nous étonner si nous rencontrons un peu de mortification
et de douleur sur le chemin qui mène à Dieu. Après tout, il y en a aussi sur
la route qui conduit à l’enfer ; il faut même moins de souffrance pour se
sauver que pour se pc.dre; et si nous étions demeurés dans le monde,
nous aurions expérimenté, cruellement peut-être, qu’il est la terre clas
sique du chagrin, de la contrainte, des servitudes et de l’ennui. Et la
souffrance du monde est le plus souvent de mauvaise qualité, basse,
impure, déprimante ; mais elle peut être aussi saine et féconde, par exemple
celle que réclame l’apprentissage d’un métier et toute espèce de formation
intellectuelle ou pratique. Pourquoi voudrions-nous avoir moins à souffrir
pour devenir religieux que pour devenir artisan, soldat, explorateur?
Rien de grand ne s’obtient sans sacrifice : Omnis qui in agone contendit,
ab omnibus se abstinet; et illi quidem ut corruptibilem coronam accipiant,
nos autem incorruptam (I Con., ιχ, 25).
Il est, dans 1’ordre moral, des gens qui ne souffrent plus : ceux qui
appartiennent au bien sans réserve et dont la vie est devenue un paradis
anticipé ; N. B. Père décrira plus loin ce bienheureux état des âmes
parfaites. Ceux qui appartiennent au mal, également sans réserve, et
dont la conscience est endormie, cautérisée, ne souffrent pas non plus :
mais qui leur enviera jamais ce calme effrayant? Dans l’innombrable
catégorie de ceux qui souffrent, il y a ceux qui font le mal sans pouvoir
échapper au remords et goûtent déjà ainsi quelque chose de l’enfer ; il y
a ceux qui font le bien habituellement, mais qui sont encore sollicités
par le mal, et les degrés de cette classe sont aussi variés que les âmes.
Nous avons dit, c’est vrai, un adieu loyal au monde et bridé nos vais
seaux, mais nous n’avons pas encore fait connaissance avec Dieu ; nous
vivons comme suspendus entre ciel et terre, nous ressentons le ride,
dont la nature a horreur. Il faut mourir, de cette mort volontaire et
précieuse devant Dieu ; il faut entreprendre une nouvelle édition, une
refonte complète de nous-mêmes. Rien ne se bâtira sans cette destruc
tion préalable ; et c’est pourquoi N. B. Père pose en principe que la voio
du salut non est nisi angusto initio incipienda. Quam angusta porta et
arda via est quae ducit ad vitam! avait dit le Seigneur (Ματπτ., vn, 14).
La porte est étroite, et nous sommes énormes ; nous sommes atteints
d’obésité morale, pour avoir entassé en nous des affections, des habitudes,
des systèmes, pour nous être répandus extérieurement sur toutes choses
et avoir entraîné à notre suite mille impedimenta; l’heure est venue d’y
renoncer ; nous ne passerons qu’à la condition de nous dégrossir : rappc-
t*
I
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
lons-nous la fable de la belette ! Et cette diminution no se fait pas sans
douleur.
La cause de notre souffrance est donc unique, l’égoïsme, mais ses occa
sions et ses instruments sont multiples. Il y a d’abord les souffrances
de la Règle ; c’est à elles que N. B. Père fait spécialement allusion ici.
encore que son texte puisse très bien s’entendre de toute douleur monas
tique. Remarquons les termes dont il se sert pour caractériser ces ri
gueurs. R y en aura le moins possible, paululum. Ce ne sont pas des limi
tations et des vexations arbitraires, laissées à l’initiative du religieux,
pas même, dirait-on, au choix du législateur ou du supérieur ; elles se
présenteront d’elles-mêmes, processerit, elles n’existeront que parce que
la situation le réclame, elles seront déterminées par la nature des choses,
elles naîtront des conditions mêmes de la société monastique, où, comme
dans toute société, la paix ne règne qu’à raison des abandons partiels
librement consentis par chacun. Parfois aussi, la mortification aura pour
dessein la sauvegarde de notre charité envers Dieu ou la correction de
nos mœurs. Dictante aequitatis ratione : tout est soumis à la loi d’une sage
discipline.
D’autres souffrances viennent de nous-mêmes, de notre imagination
maladive. D en est que nous nous créons les uns aux autres. Les plus
redoutables viennent de Dieu. Dieu aime les âmes, perles précieuses
achetées au prix du sang de son Fils : Domine, qui amas animas! Mais il
n’aime pas leur gangue, leur boue. H veut être dans notre âme comme
an être spirituel dans un être spirituel, comme une force dans une force
qui se prête et qui accueille, et il veut que le mobile et le moteur soient
proportionnés l’un à l’autre. Et Dieu, qui intervient personnellement,
d’une façon immédiate et directe, à chacune des étapes de notre vie sur
naturelle, se charge lui-même de nous purifier. C’est lui seul qui peut
pénétrer dans les profondeurs de notre être, et jusqu’aux fibres les plus
délicates. D s’y emploie vraiment bien, par un procédé silencieux, inté
rieur et caché, adapté à notre situation de contemplatifs. Nous voici
face à face avec Dieu ; toutes les distractions se sont évanouies ; nous
sommes perdus dans la solitude, abandonnés dans un désert. Nous pre
nons une conscience aiguë de l’infinie pureté de Dieu et aussi de notre
indignité personnelle ; la lumière inexorable tombe d’aplomb sur toutes
nos souillures, sur toutes les plaies de notre cœur, et nous nous sentons
sans défense devant la représaille divine. Ego vir videns paupertatem
meam in virga indignationis ejus (Turen., in, 1). C’est le purgatoire. C’est
le supplice de saint Barthélemy. Comme Prométhée, nous sommes liés
à notre rocher : le vautour divin viendra nous ouvrir la poitrine et y
ronger tranquillement et sans trêve tout ce dont Dieu ne veut pas. On a
mal partout; toute l’âme est endolorie. Volontiers on s’en prendrait à
tout et à tous.
PROLOGUE
25
Ah la bonne souffrance ! Ce sont les travaux d’approche de Dieu, et
comme l’autre purgatoire, celui-ci conduit droit au ciel. Non illico pavore
perterritus refugias viam salutis. Il ne faut pas s’effarer, perdre la tête,
capituler et s’enfuir. Ceux qui acceptent sans faiblir ces exigences
divines ; ceux qui, au lieu d’écarter la main du médecin et de mendier un
peu partout des consolations, conservent assez de vigueur et de sangfroid pour ajouter une part de mortification intérieure et sarcler leur
jardin, comme dit sainte Thérèse, ceux-là ont de l’avenir. Ceux qui,
sous le pressoir, disent des tendresses à la justice infinie et, à travers leurs
larmes, la bénissent de tout ; qui déclarent avec Job : quand bien même il
me tuerait, j’espérerais en lui ; qui acceptent pour des siècles ces sévérités
ardentes, pourvu que Dieu se donne enfin : ceux-là sont les candidats
de la sainteté, Dieu leur sera aimable dans le temps et dans l’éternité.
Ceux qui ne font rien de tout cela, je crois qu’il faut les plaindre; ils
ignoreront à jamais la joie la plus profonde qu’il y ait au cœur d’une
créature, la joie qui fut au Calvaire, la joie d’être à Dieu sans réserve,
comme une chose dont il fait ce qu’il veut, comme un trophée qu’il
emporte où il lui plaît.
Que la souffrance vienne d’une façon disséminée ou sous une forme
massive, qu’elle vienne de Dieu ou des ho imi es, elle est toujours sup
portable, si nous continuons de prier et d’être très fidèles à nos devoirs
d’état. Le temps, cette merveilleuse invention de la miséricorde divine,
n’émiette-t-il pas d’ailleurs, en quelque sorte, et n’atténue-t-il pas toutes
nos douleurs : momentaneum et leve tribulationis nostrae? (U Cor., rv, 17;
Même ici-bas, la souffrance ne durera pas toujours. Combien de temps?
aussi longtemps que Dieu voudra ; aussi longtemps qu’il restera en nous
quelque chose à brûler. C’est donc en partie notre générosité personnelle
qui fixe la durée de la souffrance. A la longue, nous consentons à la soli
tude, nous y prenons goût ; des choses qui, autrefois, nous semblaient
si nécessaires, ne nous intéressent même plus ; nous accomplissons sans
effort ce qui nous avait d’abord paru impossible. Les passions tiraillent
bien encore quelquefois notre vêtement de chair, mais leur voix se fait,
de jour en jour, plus lointaine. Retinebant nugae nugarum ei vanitates
vanitatum, antiquae amicae meae, et succutiebant vestem meam carneam,
et submurmurabant : Dimittisne nos?... Et audiebam eas jam longe minus
quam dimidius, non tanquam libere contradicentes eundo in obviam, sed
veluti a dorso mussitantes, et discedentem quasi furtim vellicantes, ut
respicerem (1).
Processu vero conversationis et fidei (2)... L’habitude des observances
(1) S. Aug., Confess., 1. VIII, c. χτ. P. L., XXXII, 761.
(2) S. Pack., Reg., cxc : ... Prola'ae fratres conversationis et fidei. Mais saint
Benoît se souvient plutôt de Cassiex, Contai III, xv. Cassien, ayant rappelé après
saint Paul (Phil., i, 29) qu’il nous faut souffrir avec le Christ, ajoute : Htcquogue et
ù__
»β
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
monastiques, l’habitude de rattachement à Dieu, l’habitude intellectuelle
de voir notre vie dans sa relation à Dieu, tout cela nous désencombre
et nous vide. Le cœur se dilate, s’élargit à la taille de Dieu : Dieu est au
'a ge chez nous, il y est libre et souverain. Et notre âme aussi est à l'aise
chez elle : Frôm mandatorum tuorum cucurri, cum dilatasti cor meum...
Latum mandatum tuum nimis. Tous les conflits sont apaisés ; il n’y a
plus que docilité joyeuse, une sainte et douce confiscation de notre
volonté par la volonté du Seigneur, une appartenance plénière à toutes
ses conduites. Une source de tendresse a jailli des profondeurs de notre
désert, et ses eaux, d’une douceur sans nom, pénètrent comme un parfum
liquide jusqu’aux confins des régions dévastées. C’est le toucher délicat
de Dieu et son baiser substantiel. Et l’âme s’en va, elle court, elle chante :
Dilatato corde, inenarrabili dilectionis duk dine curritur via mandatorum
Dei.
... ut ab ipsius numquam magisterio discedentes,
in ejus doctrina usque ad mortem in monasterio per
severantes, passionibus Christi per patientiam par
ticipemus, ut regni ejus mereamur esse consortes.
Des éditeurs ont cru que cette dernière phrase se rattachait logique
ment et grammaticalement à speramus; ils ont traité comme une paren
thèse le passage intermédiaire. Mais rien n’oblige à lire ainsi, et cette
longue parenthèse semble peu conforme à la manière d’écrire de saint
Benoît.
Le monastère est une école où l’on apprend à adorer Dieu ; cette école
a un maître et n’en a qu’un : N. B. Père a prononcé son nom quand il
a parlé de « la voie des commandements de Dieu ». Le maître, c’est
Notre-Seigneur Jésus-Christ, puisque c’est par son Verbe que Dieu nous
dit toutes choses. Saint Augustin a relevé maintes fois la nécessité du
maître intérieur dans l’ordre des deux connaissances, naturelle et sur
naturelle. L’ Ml seignement extérieur ne fournit jamais la lumière ni l’im
pression intellectuelles ; toute sa fonction se borne à donner l’éveil et
l’exemple, à analyser, à évoquer le lien inaperçu qui existe entre les
principes et les conclusions ; en dehors de Dieu, il n’y a vraiment que des
moniteurs. Quand l’Éeriture, ou les Pères, ou l’Église nous parlent, c’est
toujours l’enseignement de Dieu : doctrina ejus.
Il n’y a point de silence pour le Verbe, et la vie monastique nous est
décrite comme une attention et une docilité constantes à cette voix qui
initium conversationis ac fidei nostrae et passionum tolerantiam donari nobis a Domino
declaravit.
PROLOGUE
27
jamais ne se tait. C’est surtout dans les monastères que Dieu se plaît
à communiquer de sa pensée, de ses desseins, de sa beauté. Maria
sedens secus pedes Domini audiebat verbum illius. Chaque matin, avant
de communier à la chair et au sang du Seigneur, nous lui disons : Fac
me tuis semper inhaerere mandatis et a te numquam separari permittas.
Cette persévérance dans la doctrine durera jusqu’à la mort : Dieu nest
pas de ceux qu’on abandonne, lorsqu’on a fait connaissance avec lui;
elle ira même au delà, s’il est vrai que la forme la plus achevée du magis
tère de Dieu se trouve dans la vision intuitive.
La stabilité, élément essentiel de la Règle bénédictine, est introduite
dès maintenant, d’une façon négative : numquam discedentes, et d’une
façon positive : in ejxis doctrina usque ad mortem in monasterio persévé
rantes (1). Ainsi aimablement présentée, elle ne saurait effrayer les âmes ·
et leur paraître un fardeau ou une chaîne ; elle n’est que la fidélité à ce
séjour béni, où nous sommes assurés de trouver la plénitude de la vie.
Le premier principe, le fondement, le facteur et le terme de cette vie sur
naturelle, c’est l’union à Notre-Seigneur Jésus-Christ : l’union à sa doc
trine, l’union à sa souffrance, l’union à sa béatitude. N. B. Père revient
ainsi, en terminant, à l’idée de la souffrance monastique comme prélude
et rançon de notre entrée dans le royaume de Dieu : Haeredes quidem
Dei, coh:eredes autem Christi ; si tamen compatimur, ut et conglorificemur
(Rom., νπτ, 17). De même que la stabilité, la souffrance est transfigurée:
elle n’est plus qu’une collaboration glorieuse «aux souffrances du Christ»
(I Petr., iv, 13), et le moine « patient » peut dire avec l’Apôtre : Nunc
gaudeo in passionibus pro vobis, et adimpleo ea quae desunt passionum
Christi in carne mea, pro corpore ejus, quod est Ecclesia (Col., I, 24).
Alors meme que la Liturgie ne nous dirait pas de N. B. Père qu’il
était tout enveloppe de clarté divine et comme déjà béatifié : Tantaque
circa eum claritas excreverat ut in terris positus in caelestibus habitaret,
nous reconnaîtrions à la fréquence de ces allusions au salut, au ciel, à
Dieu, l’orientation habituelle de sa pensée : Sanctus vir nullo modo
potuit aliter docere quam vixit (2). Son âme tout entière était tendue vers
l'éternité. Cette préoccupation a déterminé la conception organique
de la vie religieuse qu’il a instaurée dans l’Église : dans le cadre le plus
naturel, la famille ; la recherche la plus haute, l'union à Dieu; le terme
le plus surnaturel, l’éternité. La vie présente n’est qu’un apprentissage,
un essai, un noviciat d’éternité : c’est en vue de l’éternité qu’il y a pour
nous des choses à abandonner, des choses à apprendre, des choses à
conquérir.
(1) In primis, si quis ad conversionem venerit, ea conditione excipiatur, ut usque
ad mortem suam ibi perseveret (S. Caesar., Reg. ad mon., i).
(2) S. Greg. M., Dial., 1. II, c. xxxvi,
CHAPITRE PREMIER
DES DIVERSES ESPÈCES DE MOINES (1)
H est possible de distribuer logiquement les soixante-treize chapitres
de la Règle en différents groupes, à la condition d’observer que ces
divisions n’ont point d’arêtes vives, et que N. B. Père, comme tous les
anciens, alors même qu’il s’agit de dispositions législative, donne à sa
pensée une forme vivante et souple, sans souci des redites et d’un appa
rent désordre.
Dans toute société véritable, deux éléments sont à distinguer : la
constitution et la législation. Saint Benoît décrit brièvement, dans les
trois premiers chapitres, la structure organique de la société monastique :
ce qu’elle est substantiellement, ce qu’elle n’est pas (I) ; son fondement
et son lien : l’autorité de l’Abbé (II) ; ses membres et leur part dans le
gouvernement (III). Vient ensuite ce qui a trait à la forme spirituelle de
notre vie, à l’éducation surnaturelle de chacun (IV-VII). C’est là ce qui
nous semble former la constitution du monastère ; le reste est relatif
à sa législation : nous en reconnaîtrons plus tard les subdivisions.
— Monachorum qua
tuor esse genera manifestum est. Primum coenobi
tarum, hoc est monasteriale, militans sub regula vel
Abbate.
De
generibus monachorum.
Le premier mot de la sainte Règle est celui de « moine » (2). H vient
du grec μοναχό;, dont la signification primitive est la même que celle de
μόνο; : seul, unique, simple. Lorsque, dans l’antiquité chrétienne, certains
(1) Nous traduisons les titres des chapitres. Encore qu’ils soient donnés par tous les
manuscrits, avec quelques légères variantes, les critiques se demandent s’ils sont réel
lement de saint Benoît. Les motifs allégués contre cette attribution ne sont pas toujours
bien convaincants; voir, par exemple, Wolfplin, Benedicti Regula monachorum,
Traef., p. x. Nous reproduisons le texte latin des titres au début de la première
péricopo de chaque chapitre.
(2) Haeft., 1. III, tract. I, De nomine monachorum.
30
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
fidèles s’isolèrent, tout en restant dans le monde, des conditions de la
vie ordinaire, et bientôt de la société elle-même, afin de se livrer, seuls
ou en commun, aux pratiques de l’ascétisme surnaturel, on les nomma
parfois μοναχοί, μονάζοντες : les séparés, les isolés, les solitaires (1) ; et
l’appellation est courante au quatrième siècle. Un poète païen du début
du cinquième, Rutilius Numatianus, souligne méchamment son sens
originel :
Squalet lucifugis insula plena, viris :
Ipsi se monachos graio cognomine dicunt,
Quod soli nullo vivere teste volunt (2).
L’idée d’unité qu’implique le nom des moines a permis de les définir de
façons diverses renfermant tontes une part de vérité : ceux qui vivent dans
la solitude (3), ceux qui veulent introduiie l’unité et la simplicité dans
leur vie, ceux qui s’occupent de Dieu seul et ne songent qu'à s’unir à lui.
Monachi, hoc est, Christiani, qui ad unum fidei opus, dimissa saecularium
rerum multimoda actione, se redigunt, dit Paul Orose (4) : et saint Denys (5) :
v Nos pieux maîtres ont no Üïï* é ces hommes tantôt thérapeutes, à cause
du culte sincère par lequel ils adorent la divinité, et tantôt moines, à
raison de cette vie d’unité sans partage par laquelle, ramenant leur
esprit de la distraction des choses multiples, ils le portent vers l’unité
divine et vers la perfection du saint amour ».
Dans la pensée des anciens, le nom de moine est générique : il désigne
toutes les catégories de fidèles qui ont renoncé au monde pour se vouer
à la perfection; pendant longtemps, être religieux et être moine fut
tout un. et les choses sont encore telles en Orient. Mais, avec l’apparition
des formes de vie religieuse consacrées plus directement au ministère
des âmes, le terme de moine est devenu spécifique : il n’appartient plus
actuellement qu’aux fils de saint Benoît et à ceux de saint Bruno, encore
nue
- la coutume se soit établie en France de le donner à ceux de saint
François et de saint Dominique ; saint Thomas et saint Bonaventure
avaient seulement revendiqué pour leurs frères, dans leur polémique avec
l’Université de Paris, la qualité de religieux.
Si nous voulions aujourd’hui tracer la carte de la vie religieuse, établir
une classification, nous pourrions répartir assez exactement les religieux
en cinq groupes, d’après leur ordre d’apparition historique (je ne dis rien
des religieuses, qui sent de physionomie innombrable et de toute couleur;:
(1) Cf. Cass., Cental. XVIII, v.
(2) JErwrariuni, 1. 1,489 sq.
(3) S. Augustin explique comment les cénobites eux-mêmes, encore que plusieurs
numériquement, peuvent cependant être appelés μ ô .gî, puisqu’ils n’ont qu’un cœur et
qu’ur.c âme (Enarr. in Ps. cxxxn, 6. P. L., XXXVII, 1732-1733).
(4) Hitior., L VII, c. xxxiu. P. L., XXXI, 1145.
(5) De lliaatchia tccktiatltca, c. vl
DES DIVERSES ESPÈCES DE MOINES
31
les moines, les chanoines réguliers, les frali ou religieux mendiants, les
clercs réguliers, les séculiers réunis en congrégation avec ou sans
vœux.
A l’époque de saint Benoît, on comptait seulement quatre espèces de
moines ; et la division était si manifeste et si constante que N. B. Père
n’insiste pas. Saint Jérôme et Cassien (1) avaient signalé, pour l’Égypte,
trois espèces de moines. Saint Benoît reproduit en partie leurs paroles ;
et il mentionne, comme Cassien (2), une quatrième catégorie. Mais,
tandis que Cassien y fait entrer les faux anachorètes, transfuges de la vie
cénobitique, elle comprend pour saint Benoît (3) l’espèce des moines
vagabonds et coureurs, les « gyrovagues ». Cassien et les Pères d’Orient
les connaissaient bien (4), mais la triste institution avait pris de tels
développements que saint Benoît put lui donner son nom propre : il se
trouve chez lui pour la première fois, mais peut-être existait-il déjà dans
i’usage.
Les cénobites (ceux qui vivent en commun : xofewç, βίος) sont cités les
premiers, parce que saint Benoît, à la suite de beaucoup de Pè es (5), leur
donne ses préférences. Cassien, voyant dans la chrétienté de Jérusalem
une vraie famille religieuse, les considérait comme les premiers, même
historiquement (6). Puisqu’il sera parlé des cénobites à loisir au cours de
cette Règle qui leur est destinée, saint Benoît se borne à signaler en
quelques mots leurs traits caractéristiques. Ils ont la vie commune; ils
habitent dans un monastère, qui est le cadre de la stabilité. Ils militent,
c’est-à-dire qu’ils tendent ensemble, dans un effort commun et conver(1) Tria sunt in Aegypto genera monachorum. Unum, Coenobitae, quod illi Sauses
gentili lingua vocant, nos in comm :no viventes possumus appellare. Secundum, Ana
choretae, qui soli habitant per deserta... Tertium genus est quod Remoboih dieunl, deter
rimum atque neglectum... Hi bini vel terni, nec mullo plures simul habitant, suo arbi
tratu ac ditione viventes (S. Hieron., Epist. XXII, 34. P. L., XXII, 419). Cassiex
a reproduit ce tableau en le complétant : Tria sunt in Aegypto genera monachorum,
quorum duo sunt optima, tertium tepidum atque omnimodis evitandum. Primum est
cocnobiolarum, qui scilicet in congregatione pariter consistentes unius senioris judicio
gubernantur... Secundum anachoretarum, qui prius in coenobiis instituti jamque in
actuali conversatione perfecti solitudinis elegere secreta... Tertium reprehensibile Sara
ballarum est. — (Anachoretae) in coenobiis primum diutissime commorantes, omnem
patientiae ac discretionis regulam diligenter edocti,... dirissimis daemonum proeliis con
gressuri penetrant heremi profunda secreta. — Emersit post haec illud deterrimum rl
infidele monachorum genus... etc..., bini vel terni in cellulis commorantur, non content·
abbatis cura atque imperio gubernari... etc... (Conlat. XVIII, rv; Inst., V, xxxvi
[cf. aussi Conlat. XVIII, vi]; Conlat. XVIII, vu).
ilbi
Toutes les anciennes formes de la vie monastique, même les moins recommandables,
sont représentées, aujourd'hui encore, sur la « sainte montagne de ΓAthos ».
(2) Conlat. XV11I, vui.
(3) Saint Benoit range dans la classe des sarabaïtes ces moines qui vivent seuls, en
faisant leur volonté propre : ... aid certe singuli sine pastore.
(4) Cf. D. Besse, les Moines d’Orient, chap. u.
(5) Par exemple S. Jean Ciirysost., In Matlh., Hom. I.XXII. P. G.. ΙΛΊΙΙ, 671072. — S Basile. Itcg. fus., vu. — S. Jérôme, Epist. CXXV, 9. P. L·, XXII, 10,7.
(G) Conlat. XVIII, v.
32
COMMENTAIRE SCR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
gent, vers un même but, une même victoire : la perfection et la perfec
tion conventuelle. Ils ont une règle : de telle sorte que les conditions fon
cières de leur vie soient fixées et nullement laissées à l’arbitraire; ce
n’est pas d'ailleurs nécessairement une règle écrite, ce peut être un
ensemble de coutumes. Vel Abbate ; remarquons une fois pour tontes
que dans la langue de saint Benoît la disjunctive tW a souvent la valeur
de la copulative et : c’est le cas p écentem nt. Si précise- que soient la
règle ou les coutumes, il y a mille choses qu'elles ne déterminent pas ;
c’est au pouvoir vivant de l’Abbé qu’il appartient d'interpréter la r·· le
et d’on établir le sens. Les cénobites ont à leur tète un Abbé, e’e-t-à-diie
un père : ils constituent donc une famille.
Doinde secundum genus est anachoretarum. id
est, eremitarum, horum qui non conversionis f< i
novitio, sed monasterii probatione diuturna, didice
runt contra diabolum, multorum sola lio jam d->rti,
pugnare; et bene instructi fraterna ex acie ad "insu
larem pugnam eremi, securi jam sine consolatione
alterius, sola manu vel brachio, contra vilia carnis
vel cogitationum, Deo auxiliante, sufficiunt pugnare.
La deuxième espèce de moines est celle des anachorètes (ceux qui
vivent à l’écart, dans la retraite : ά·4,χωχ«ω); saint Benoît ne les dis
tingue pas, comme le fera saint Isidore (1). des ermites ou habitants du
désert $*■}«;). La vie anachorétique a toujours existé dans l’Églisc (2),
mais elle n’est plus représentée aujourd'hui que sous sa forme mitigée,
chez les Chartreux, les Camaldnles... ; sans doute y a-t-il encore quelques
ermites dans les solitudes et des reclus près de certains monastères. A
l’origine du monachisme, les anachorètes furent innombrables, et c’est
même par eux que la vie religieuse a commencé, dès le troisième siècle,
avec saint Paul de Thèbes, saint Antoine, saint Ililarion, imitateurs
d’Élie et de saint Jean-Baptiste. Les lois ecclésiastiques n’avaient pas
encore eu le loisir de réglementer l’état religieux : se faisait anachorète
(pii voulait, avec ou sans maître, sous le costume et le régime de son choix.
Et nous savons de quelle façon très simple N. B. Père lui-même devint
cnnite et fit profession (3).
(1) De ecclesiasticis officiis, L Π, c. xvj. P. L., LXXX1II, 794-795.
(2) Cf. Vacast-Maxgenot, Dictionnaire de Théologie, art Anachorète,
(3) S. Greg. IL, DiaL, L II, c. L
DES DIVERSES ESPÈCES DE MOINES
33
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(1) Lire toute la Conférence XIX de Cassien.
(2) Γίτόα Seniorum i Vitae Patrum, III, 98. Roswevde, p. 515.
(3) S. Epilr., De humilitate, c. lviii sq. (Opp. graec. ht., t. I. p. 315-317). Paraen.
XXIII, XXIV, XXXVIII, XL1I (t II, p. 102, 107, 136, 154). — Yvon. Carnot.,
Episl. CXC1I et CCLVI. P. L„ CLXII, 198, 260.
(4) Tractatus ad Eulogium, 32. P, G., LXXIX, 1135. EpisL, L III, Ep, LXXIL
P, G., LXXIX, 422,
‘
H connaissait donc par son expérience personnelle la vie anachorélique ; il l’avait pratiquée avec une ardeur généreuse. Π n’ignorait ni ses
charmes, ni les tentations terribles et les illusions extraordinaires aux
quelles elle sc prête aisément (1). L’homme ne se suffit pas : nous avons
besoin d’un appui, et nous le trouvons dans un milieu social intelligent et
aimé. Il nous faut des exemples, des encouragements, des directions. Mais
il n’y a aucune émulation surnaturelle dans la solitude. Nous n’avons point
dans la présence, le regard, l’exemple d’autrui ce supplément extérieur de
conscience, qui est à la fois si précieux, si sûr et si doux. Nous n’avons
point à exercer la charité fraternelle, ce qui est pourtant le plus clair
indice que nous ayons de notre charité envers Dieu. Dans la solitude,
l'imagination se monte, les sens s’exaspèrent ; et, pour peu que le diable
intervienne directement, c’est le désarroi complet, c’est le vice ou le déses
poir. Et puis n’est-ce pas la paresse, l’instabilité, la superbe, une misan
thropie naturelle, qui poussent telle âme au désert? Il ne suffit pas de
fuir les hommes pour échapper à la tyrannie de ses passions, comme le
prouvent maintes histoires racontées dans la Vie des Pères, par exemple
celle du moine porté à la colère qui, s’étant échappé du monastère pour
n'avoir plus l’occasion de se fâcher, La retrouva bientôt dans les indocilités
de sa cruche (2). On peut lire les observations de saint Ephrem sur les
périls de la vie érémitique et, à une époque postérieure, celles de saint
Ives de Chartres (3).
’ >
Bien loin de méconnaître la sublimité de la vie anachorétique, N. B.
Père l’estime trop parfaite pour être accessible à toutes les âmes, et il
élève très haut les conditions préalables à une entrée prudente dans
une telle voie. Avec Cassien, saint Nil (4) et d’autres anciens, il requiert
d’abord que le candidat ne soit plus dans la jeune ferveur de sa con
version, de sa vie religieuse (conversionis ou conversationis). Les moines
sont comme le vin, qui se bonifie en vieillissant. La ferveur et le bouil
lonnement des débuts sont nécessaires, puisque c’est grâce à cette
fermentation que fame se défait d’une multitude de petites impu
retés qui l’alourdissent. Mais cette forme de ferveur est transitoire; à
mesure que le travail intérieur d’élimination s’accomplit et que les
éléments étrangers se précipitent, elle fait place à une ferveur de charité
épurée, claire, defaecata. L’ermite futur devra donc faire ses preuves,
pendant de longues années, dans un monastère, apprendre la tactique
spirituelle et passer maître dans l’art de combattre le diable, avec le
«i
COMMENTAIRE SUR LA REGLE DE SAINT BENOIT
secours, a la consolation » (πϊ^χλτ,σις) de tous ses frères. C’est seulement
lorsqu’il se sera bien exercé, bien entraîné, dans le rang et la lutte collec
tive, pour le combat singulier du désert, qu’il sera capable d’affronter,
sans appui étranger désormais, ne comptant plus que sur Dieu et sur la
vigueur de sa main et de son bras, la lutte contre les vices de la chair
et de l’esprit. Enfin la permission de l’Abbé garantira le moine de toute
présomption (1).
La carte de la vie religieuse s’est modifiée, mais la nature humaine est
demeurée la même, et la tentation de quitter la communauté pour se
faire ermite est de tous les temps. Ce désir peut apparaître dès le novi
ciat, soit que Dieu appelle réellement une âme dans la solitude, soit que
notre égoïsme, affolé par tous les renoncements qu’exige une vie si
nouvelle, nous persuade à tort que nous nous sommes trompés, que
nous n’avons pas assez de silence, que toutes sortes de contacts ennuyeux
déconcertent la liberté de notre prière. La tentation peut naître plus
tard et venir d'un tempérament maladif et misanthrope ou d’un mysti
cisme de mauvais aloi ; sous prétexte que la contemplation pure est
l’idéal, et la vie cartusienne reconnue plus parfaite par l’Église, on fati
guera son Abbé jusqu’à ce qu’il ait consenti à un départ qui n’est souvent
que le prélude de tristes pérégrinations. Ou bien on cherche à se constituer
un peu de vie anachorétique à l’intérieur du monastère. On se fait une
petite vie à part ; on se tient à distance de l’Abbé et des frères. Les con
ditions de paix et de loisir qu’offre le monastère profitent non plus à
Dieu et à la charité, mais au moi. Hélas I il n’y aura jamais une ombre
de vrai bonheur pour ce moine ; il ne rencontrera jamais Dieu ; il mourra
prosaïquement, captif de ses aises et de ses manies de vieux garçon, pétrifié
et bouffi dans son égoïsme. Retenons bien la recommandation de Γ Apôtre :
Consideremus invicem in provocationem caritatis et bonorum operum,
non deserentes collectionem nostram, sicut consuetudinis est quibusdam,
sed consolantes, et tanto magis quanto videritis appropinquantem diem
(Hebr., x, 24-25).
Tout en maintenant le principe des vocations extraordinaires, il est
permis de considérer la vie cénobitique comme plus naturelle que la
rie anachorétique. Non est bonum esse hominem solum. Le silence absolu,
dit sainte Hildegarde, est a inhumain », c’est-à-dire au-dessus ou au(1) Cf. S vlp. Sever., Dial. I, c. xvii. P. L., XX, 195. Les conciles ont dû souvent
l'occuper des anachorètes, et celui de Vannes, en particulier, décrétait en 4G5 : Ser\mdum quoque de monachis, ne ets ad solitarias cellulas liceat a congregatione discedere,
mri ferle probatis post emeritos labores, aut propter infirmitatis necessitatem asperior
ab abbatibus regula remittatur. Quod ita demum fiet, ut intra eadem monasterii sepia
ixanenles, tamen sub abbatis potestate separatas habere cellulas permittantur (Mansi,
t VII, coL 954). L’histoire montre que la vie anachorétique a presque toujours été
tempérée de cénobitisme, et que les solitaires d’Orient se groupaient en communautés,
ou (lu moins prenaient des compagnons, acceptaient des disciples, se visitaient de loin
eiloin,
—------
DES DIVERSES ESPÈCES DE MOINES
33
dessous de l’humanité (1). Toutes choses ne se font bien qu’en famille :
les étoiles elles-mêmes sont groupées en constellations. Rachetés tous
ensemble dans le Seigneur, nous nous sanctifions tous ensemble en lui,
pour crmmunier tous pleinement à cette société si étroite des Per
sonnes divines : Quod vidimus et audivimus annuntiamus wins, ui et vos
societatem habeatis nobiscum, et societas nostra sit cum Patre, et cum
Filio ejus Jesu Christo (I Joann., i, 3). Notre vie d’éternité sera donc,
elle aussi, cénobitique ; et saint Thomas explique comment la société
de nos amis deviendra, même alors, un élément de béatitude (2). H y
a sagesse à ne pas concevoir notre vie du temps sur un plan différent de
l’étemelle.
Tertium vero monachorum deterrimum genus est
sarabaitarum, qui nulla regula approbati, experien
tia magistra, sicut aurum fornacis, sed in plumbi
natura molliti, adhuc operibus servantes saeculo
fidem, mentiri Deo per tonsuram noscuntur. Qui
bini aut terni, aut certe singuli sine pastore, non
dominicis, sed suis inclusi ovilibus, pro lege eis est
desideriorum voluptas : cum quidquid putaverint
vel elegerint, hoc dicunt sanctum, et quod nolue
rint, hoc putant non licere.
N. B. Père a éliminé la vie anachorétique, parce que la prudence l’in
terdit à la grande majorité des hommes ; il repousse, pour de tout autres
motifs, le régime des sarabaïtes. qui est, dit-il, détestable. Cassien attribue
au mot a sarabaïte o une origine égyptienne : Ab eo quod semetipsos a
coenobiorum congregationibus sequestrarent ac singillatim suas curarent
necessitates, Aegyptiae linguae proprietate· sarabaitae nuncupati sunt (3) ;
peut-être vient-il plutôt du terme araméen sarab, qui signifie rebelle,
réfractaire (4). Pour comprendre comment il a pu se rencontrer durant
plusieurs siècles, des moines comme ceux que décrit maintenant saint
‘ Benoît, rappelons-nous que l’Église n’avait pas encore entouré l’accès
de l’état religieux d’une série de précautions destinées à éloigner les
indignes, les incapables, les instables. On pouvait se borner à prendre
soi-même ou à recevoir un habit religieux, à se couper les cheveux ; puis,
(1)
(2)
(3)
(4)
Regulat S. Bcncd. Explanatio. P. L., CXCVII, 1056.
S. Th., I· II**, q. rv, a. 8.
Conlai. XVIII, vu.
Cf. Calm et, »n h, I, — Gazet, dans sa note sur le passage précité do Casstsx,
3β
f
COMMENTAIRE SUR LA REGLE DE SAINT BENOIT
sans noviciat préalable, sans faire partie d’une communauté n'ciilidrcment constituée, pourvu qu'on témoignât, par certains acte- ext« ririir<,
avoir renoncé au monde et s’être tourné vers Pieu, on était moine r*.
selon la langue du temps, < converti ». On était tenu à h rli 1 t·f»·, i
un certain degré de pauvreté ; mais où était l'obéissance?
Les sarabaites auraient pu dire : « Mais nous rr onnats on · th ·-- p···
ment que l’obéissance est impliquée dans le concept du mon ’ '11 ru·· ;
nous sommes même tout disposés à obéir ; qu’ajouterait A h ρ· ί· ti- 1
denos dispositions intérieure’ la prestation matérielle de !‘i»b-n <·'■’ «.
Saint Benoit prévient et déjoue de tc’.« sopht-m .
cukrnm’ 1··!»·
sance effective et pratique qui montre la réalité de di p.» iii<»r Int/·
rieurê? ; ct l’on n’obéit que si l’on est commandé. : l'on .1 un·· rc '·■ < » ,
lessarabaïtes n’ont aucune règle pour k éprouver. pour le auth-ntiquer
vrais religieux : nul/a ri'juLi
i c?t i'cx|>cr;enro qui ··: t de prer: »
de touche, qui enseigne au moine et aux .luta·. ce qu'il vaut r< · ■ n · :r,
operientia nuigisira (1). Loin d'être cet or véritable qui e otimrt
volontiers à l'épreuve de la foumaie ct qui en sort victorieux, pur d ·
tout alliage, celui qui ne consent paj à pa· er an creu et d’une règle
est convaincu d’avance d’être mou et vit comme le plomb. La vio dei
sarabaites est un mensonge patent. IL mentent tout à la fois au ;·’·- '0
et à Dieu : au siècle, dont ils ont dépouillé h livrée extérieure ct à qui
néanmoins leurs œuvres restent fidèles ; à Dieu, qu'ils trahi· eut tout en
professant lui être CM&vrv’. Lear vie et séculière, alors quo leur tête
est rasée.
Mais encore, s’ils n'ont pas de règle écrite, peut-être ont-ils une règ’.o
vivante dans la personne d’un Abbé? Non : ils se réuni· ont deux ou
trois, de telle sorte que nul ne s'arroge une autorité quelconque ; ou
Hill
même, ce qui est plus commode
encore, ils vivent seuls, dans un ermi
tage. Et ils constituent ain-i un bercail «ans pasteur, un bercail qui n'a; partient point à un maître, ni au Seigneur, mais qui est bien à eux :
non dominicis sed suis inclusi ovilibus. Leur règle, c’est ce (pii lour plait,
c’est leur désir, leur caprice du moment. Non qu’il topropo cnl formelle
ment d’îÿpartenir à leur Bttde volonté propre : ils se persuadent peut-vt 10
obéir à une règle; mais ils se créent à eux-mêmes la règle dt-.i mœm .
Ce qu'ils ont pensé et résolu, ils l’appellent saint (2), et ce qu'ils no veulent
pas, ils l’estiment illicite.
Nous avons là, et dans des termes d’une énergie singulière, la de-cris tion d'un état psychologique qui est trop commun et qui constitue lu
plus redoutable des périls. Si la race des sarabaites a disparu historique
ment, l’esprit qui l’animait peut toujours renaître. L’homme a In tri. te
(1) Cette leçon est plus autorisée à tous points de vue que la leçon ex/wrirnL.j
magiJiri; elle est empruntée à Cxssiex, Contai. XIX. vu.
Ç2) Riruiniicen-e d’un proverbe romain, cité plusieurs lois par S, Avut sTIN ;
DES DIVERSES ESPÈCES DE MOINES
J7
facilité de voir les choses non comme elles sont, mais comme il est, de
faire le monde à son image et ressemblance. Dans Vordre moral et de la
volonté, où l'erreur ne se traduit pas, comme dans une expérience de
laboratoire, par le châtiment matériel et immédiat d’un insuccès ou
d’un·* cxplo-ion, nous arrivons à colorer toutes nos décisions, à canoniser
ce que nous faisons, à adorer ce qui nous plaît. C’est l'illusion (1), Grâce
h elle, on en vient à motiver les acte; les plus injustifiables par des consi
dérât on de bon ordre et à ériger en prescriptions de la conscience ce que
suggèrent les pires pa ions. Quel eit le révolutionnaire qui se propose
simplement de troubler l'ordre social? l’hérétique qui ne se persuade pas
>ervir l’i, et le texte sacré qui s’ofîre spontanément à sa pensée lui paraît
justifier cette doctrine. Aussi bien la théologie nous apprend que le titre
de Père se peut donner soit à la seule première Personne, lorsqu’elle
est envisagée dans sa relation avec la seconde, soit aux trois Personnes
réunies lorsqu’on les envisage comme essence unique ad intra et comme
unique principe d'agir ad extra; chez Dieu, selon l’axiome formulé par
le concile de Florence : Omnia sunt unum, ubi non obviat relationis
oppositio.
CE OUE DOIT ÊTRE L’ABBÉ
43
Ideoque Abbas nihil extra praceptum Domini
(quod absit) debet aut docere, aut constituere, vel
jubere; sed jussio ejus vel doctrina, fermentum divi
nae justitiae in discipulorum mentibus conspergatur.
Le pouvoir de l’Abbé est divin ; c’est un pouvoir paternel ; c’est un
pouvoir absolu, et il ressemble en cela à la paternité divine plus encore
qu’à la patria potestas romaine, familière à saint Benoît; mais ce n’est
point un pouvoir illimité et arbitraire. Nulle autorité ne s’exerce légiti
mement au delà de ses limites ; et les limites de chaque autorité sont celles
qu’a fixées la concession divine. Dieu n’appuie plus, on ne peut plus
mettre à son compte, toute décision en faveur de laquelle il n’a point
donné délégation, à fortiori celle qui militerait contre lui : Dieu ne sau
rait être divisé contre Dieu. Or, précisément parce que le pouvoir de
l’Abbé vient de Dieu et qu’il participe à la force et à l’étendue de celui
de Dieu, l’Abbé ne doit s’en servir que pour les fins et les intérêts de
Dieu et selon les procédés de Dieu même. Le Seigneur ne s’est pas dessaisi :
même entre les mains de l’Abbé, l’autorité demeure son bien. Le bon
sens le dit. C’est là ce qui fait la simplicité, la sécurité et l’ordre parfait
de notre vie.
Rien, par conséquent, dans l’enseignement, dans les dispositions
générales ou dans les ordres particuliers de l’Abbé ne sera étranger ou
contraire à la loi du Seigneur : à Dieu ne plaise, quod absit (1) 1 car ce
serait monstrueux. Mais, bien loin d’abuser du pouvoir pour satisfaire
ses passions et jeter dans les âmes de ses disciples le mauvais levain des
faux docteurs (Matth., xvi, 6, 11-12), que par sa doctrine et ses com
mandements l’Abbé répande abondamment en elles le ferment de la
divine justice (AIatth., xin, 33) : c’est par lui que le Seigneur veut·
naître et grandir dans les âmes (2).
La remarque de saint Benoît n’est point une invitation, adressée aux
moines, de regarder par-dessus l’épaule de leur Abbé, afin de s’assurer
s'il est dispensateur fidèle et s’il gouverne correctement. L’esprit filial,
(1) D. Butler adopte, co Hill e plus autorisée, la leçon : Nihil extra praeceptum
Domini quod sil...
(2) N. B. Père s’est souvenu de S Basile rappelant au supérieur qu’il est minister
Christi et dispensator mysteriorum Dei; timens ne prce'er voluntatem Dei, vel praeter
quod in sacris Scripturis evidenter praecipitur, vel dicat aliquid, vel imperet, et inve
niatur tanquam /alsus testis Dei, aut sacrilegus, vel introducens aliquid alienum a doc
trina Domini, vel certe subrelinquens et praeteriens aliquid eorum quae Deo placita sunt.
Ad fratres autem esse debet tanquam si nutrix foveat parvulos suos, etc. (Reg. cjntr., xv).
Cf. ibid, clxxxiv.
44
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
d'accord avec l’axiome de droit commun, fera toujours, en cas de doute,
présumer en faveur du supérieur; l’attitude contraire tendrait à humi
lier toute autorité et à énerver toute discipline. Les hommes n’ont pas
besoin d’être invités à désobéir. On excepte les cas, bien entendu, où
une autorité dévoyée prescrirait des choses peu morales ou notoirement
contraires à la Bogie. C’est pour prévenir et corriger les abus qu’ont été
instituées les visites canoniques. Mais saint Benoît suggère un autre
procédé.
Momor sit semper Abbas quia doctrinae suae vel
discipulorum obedientiae, utrarumque rerum, in
tremendo judicio Dei facienda erit discussio ; sciatque
Abbas culpae pastoris incumbere, quidquid in ovibus
paterfamilias utilitatis minus potuerit invenire. Tan
tum iterum liber erit, si inquieto vel inobedienti
gregi pastoris fuerit omnis diligentia attributa, et
morbidis earum actibus univorsa fuerit cura exhibita :
pastor earum in judicio Domini absolutus, dicat
cum Propheta Domino : Justitiam tuam non abscondi
in corde meo, veritatem luam et salutare tuum disci; ipsi
aii'em contemnentes spreverunt me. Et tunc domum inobedienlibus curae suae ovibus poena sit eis praeva
lens ipsa mors.
D y a, dans le gouvernement des sociétés, un problème qu’on n’est pas
encore parvenu à résoudre d’une façon définitive : c’est la conciliation
des deux éléments : pouvoir et liberté. On n’y arrive que de loin en loin,
et Tacite remarquait, au début de sa Vie d'Agricola, que l’empereur
Nerva avait eu cette chance : Quamquam... Nerva Ciesar res olim disso
ciabiles miscuerit, principatum ac libertatem... Les modernes y travaillent
sans cesse; c'est dans ce dessein qu’ils font des constitutions et des actes
additionnels, qu’ils les revisent, qu’ils proclament la séparation des
pouvoirs, qu’ils s’ingénient à les pondérer, qu’ils morcellent l’autorité
afin que les parties se fassent équilibre, qu’ils laissent aux mains de
celui qui préside à la chose publique le moins d’initiative possible.
Le plus souvent on n’échappe à la dictature d’un seul que pour devenir
la proie d’une dictature oligarchique. Et cette liberté individuelle que
l’on prétendait rendre inviolable, nous savons bien, nous autres, ce qu’elle
devient. B reste acquis que le seul frein vraiment efficace de l’activité
CE QUE DOIT ÊTRE L’ABBÉ
45
humaine est la conscience, et que c’est dans l’intime de l’homme qu’il
faut pénétrer pour la contenir et la diriger.
Saint Benoît a été le plus avisé des constituants. Il a établi une auto
rité ; il a pourvu à la désignation du sujet de cette autorité par le moyen
des intéressés eux-mêmes (chap. LXIV) ; il a remis aux mains de l’élu
un pouvoir d’une étendue extrême ; et il a simplement rendu ce pouvoir
responsable devant le Seigneur. C’est la seule garantie qu’il ait fournie
aux moines. Si l’Abbé a la foi et s’il tient à son salut, il n’y a pas pour
lui de meilleur aiguillon et de meilleur frein que celui-là; si l’Abbé
est un indigne, tous autres procédés, hormis la déposition, seront
inefficaces ; s’il est simplement faible et distrait, N. B. Père lui répète
souvent quelle responsabilité il encourt, et il veut qu’il s’en souvienne
perpétuellement : memor sil semper... Il semble même que saint Benoît
ait moins redouté l’excès que le défaut dans l’exercice de l’autorité.
La matière de la responsabilité de l’Abbé et de son jugement est double :
sa propre doctrine et 1’observance de ses disciples, utrarumque rerum,
souligne saint Benoît (1). Sans doute, les fautes sont personnelles; néan
moins, l’Abbé répondra de l’obéissance des siens, en ce sens qu’il doit
maintenir le joug, et faire sentir discrètement l’influence salutaire de
l’autorité. Il ne peut se désintéresser. Il portera au redoutable tribunal
de Dieu le fardeau des fautes conventuelles qu’il a connues, qu’il n’a pas
voulu corriger. Un courant régulier est établi entre lui et les siens : ses
actes à lui vont vers eux comme influence, les leurs remontent vers lui
comme à leur principe. Le Père de famille l’a fait pasteur et lui a confié
ses brebis : il s’attend à les retrouver toutes, devenues fortes et prospères.
Que l’Abbé sache bien qu’on lui imputera à faute tout mécompte, tout
détriment survenu au troupeau : quidquid utilitatis minus potuerit invenire.
Il n’est qu’une hypothèse (2), fort triste d’ailleurs, où la responsabilité
du pasteur sera dégagée : c’est lorsque le détriment ressenti par Dieu
ne sera réellement pas le fait de l’Abbé. Son troupeau était turbulent
et indocile. Il n’a pas laissé pourtant de lui donner tous ses soins et
d’appliquer toutes sortes de traitements à ses maladies morales. S’il en
est ainsi, l’Abbé sera acquitté et absous au jugement du Seigneur, et il
pourra lui dire avec le prophète David (Ps. xxxix, 11), avec Ézéchiel
(xx, 27) et Isaïe (i, 2) : « Je n’ai point caché votre justice dans mon cœur ;
j'ai annoncé votre vérité et votre salut ; mais eux, ils en ont fait fi et
m’ont méprisé. » Qu’alors enfin et pour conclure, les brebis rebelles à
ses soins et à son traitement, au lieu de la santé dont elles n’ont pas
voulu, obtiennent comme châtiment la mort elle-même ; que la mort l’em
porte et qu’elle ait le dernier mot : poena sit eis praevalens ipsa mors (3).
- ■ · ♦ · ** *
(1) Cf. S. Orsiesii Doctrina, x, xi.
(2) D. Butler lit : Tanlundem ilerum cril, ut, si, etc,
(3) Cfr, S, Greg. M., Dial., 1, II, c, m.
-
1 lÉÀ -I
COMMENTAIRE SUR LA REGLE UE SAINT IH N ΟI Γ
Ergocum aliquis suscipit nomen Abbatis. duplici
debet doctrina suis prai-esse discipuli». id <··>!, omnia
bona et sancta factis amplius quam verbi·» ostrndrrr.
ut capacibus discipulis mandata Domini \<-rl.i» pro
ponat; duris vero corde et simplirioribii». fa» H» n:
divina praecepta demonstret Omnia v<*m qu **· di · «pulis docuerit esse contraria, in suis factis mdn l
non agentia; ne aliis praedicans, ip·.»· reprobus inve
niatur. Aequando illi dicat bru» peccanti iju-ti in
enarrat jih'ltliη η·»π> p ir y
trouver les satisfaction.· de h vanité ou de la par.». -e ■ il c t I. t< ·■ de
tiens, le début du chapitre nous en avertc.-.m déjà, pour leur v. c utile
et le? mener à Dieu, prodes» «eyw geam praesse, dira N. B. Père au
chapitre LXIV. Nom savons ai-.-i que la responsabilité* de l’Abbé
est engagée doublement : sur sa doctrine et sur l'otiéi-anev de *■-· di ciplcs. Saint Benoit examine maintenant plus à lobir ce deux points.
Il donne au mot doctrine sa rignificalwit la plus étendue : c'e a λ la foi
l’enseignement proprement dit et !e gouvernement de àrne- : tout çrnr l’amour
de la doctrine. Mais encore que chaque religieux puL· c a’appliquar à cul
tiver lui-même sa foi, il reste pourtant que la vie de chacun et l’unité
conventuelle ont besom de la doctrine de l’Abbé. læs livre , par vola
même qu’ils parlent à tout le monde, ne s’adressent à personne en parti-
(1) CL Mabiuox, Traité des études motuultçuei, P. I, cLap.
ht.
CK QUE DOIT ÊTRE L’ABBE
47 .
culier : il f uit h parole vivante d’un maître. Et Faint Benoît indique
• l'un mot la matière de l’enseignement abbatial : cmnia bona cl tanda,
tout ce qui crt bon. tout ce qui est saint, tout ce qui est apte à
conduire à Dieu; eda seulement nous intéresse ; on étudie le reste
dan* d autres école·. C’ait une science dont le dessein est moral et
pratique.
·■ ' l*tî
Il s'agit d peu do science humaine ou de spéculation sèche en matière
thêologiqueou scripturaire, que N.B. Père demande à l’Abbé de distribuer
> doctrine en môme letup par dc< paroles et par de: actes, et plus encore
par l'oxmiple que par la pando (I). Il est d’expérience commune que
nnu« en c »ηι·π plus par notre vie que par nos discours, et l’exemple,
quel qu’il «rit, imprr i.»nne d'autant plus profondément qu’il tombe
do plu* ha it Au ii le motif pour lequel N. B. Père réclame cette double
forme de doctrine, cd-il pré· i-ément de rendre la vérité accessible à
toute· 1 · r. ·<ι»··. r.-p.jr- >, chez qui l'intelligence est absolument
droit·, confiante, d ’accord par avance avec la doctrine, chez qui la volonté
c t résolue, active, tellomen» conjmmèe avec l’intelligence qu’elle va
spontanément dm le ···«·■· de la lumière. Aces trempes finei. élevées
»··. forte?, il ifiit do proposer le bien, de dire la pensée de Dieu, pour
q ι · λ b y rangent d ••lie. - menus avec aisance et avec joie. Elles réali · nt un p a l'homme id»· d de Platon, chez qui le νή·χ est souverain.
La lumière toujour- efficace. la vérité toujours décisive, qui ne fait le
mal que malgré lui et par ignorance ; elles rappellent plutôt encore le
type an -••i.pje E? -an vouloir faire un ange de chacun de nous, il est
t lair p flirtant qued ms une communauté d’aujourd’hui ces âmes accue’dlantc> smt le plus grand nombre, parce que nous bénéficions d’un long
pa -é de clin tùni ; c, de l’éducation, des conditions de la vie sacer
dotale Mai- au temps de N. B. Père, on rencontrait des trempes frustes
et de- esprits bornés, duri corde cl simpliciores. Pour ceux-là, s’il en est
encore, la d mité de vie et la régularité de l’Abbé, le contact assidu
d·· a pi· té vaudront toute- les exhortations. Même il est nécessaire
d jouter que l’Abbé agit sur sa communauté non seulement par sa doc
trine parlée et par ses exemples, mai.· encore par ses tendances, par sou
v prit, par le motif profond de son action. C’est une sorte d’aimantation
n rète, un entrainement auquel les âmes ne résistent pas; et c’est ainsi
que peu à peu un monastère prend la physionomie de son Abbé. Saint
Benoit ne dit rien explicitement du devoir de la résidence; mais il est
(1) La recomnundati'fn est fréquente cbex les anciens; cf. S. Basil.. Rey. fus.,
xn i - S Nil, Apis/., |. III, £p, CCCXXXII, P. G,, LXX1X, 042. — Cass,,
L'un,'ut XI, 1Y,
.
48
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
bien évident que l’Abbé ne saurait enseigner et édifier s'il est sans cesso
à courir les chemins.
La question de savoir si le législateur est soumis à sa propre loi ne se
pose pas ici ; l’Abbé n’est pas législateur, il est le gardien de la Règle, et
envers elle il est deux fois redevable : pour l’observer en tant que moine,
pour lafaire observer en tant qu’Abbé. Quelle autorité aura son enseigne
ment le jour où sa parole sera d’un côté et ses actes de l’autre? Il n’y
a pas seulement, dans cette contradiction flagrante, détriment et danger
pour les religieux : saint Benoît ajoute qu’il y a pour lui un grave péril.
Alors qu’il prêche aux autres le salut, ne va-t-il pas, lui-même, mériter
la réprobation (I Cor., ix, 27)? Dieu soulignera, en prononçant la sen
tence, tout ce qu’il y a d’odieux dans l’écart voulu entre les sévérités du
moraliste et le relâchement scandaleux de sa propre conduite (Ps. xlly,
16-17; Matth., vu, 3).
Non ab eo persona in monasterio discernatur. Non
unus plus ametur quam alius, nisi quem in bonis
actibus aut obedienlia invenerit meliorem. Non
convertenti ex servitio praeponatur ingenuus, nisi
alia rationabilis causa exsistat. Quod si ita, justitia
dictante, Abbati visum fuerit, et de cujuslibet ordine
id faciat; sin alias, propria teneant loca; quia sive ser
vus, sive liber, omnes in Christo unum sumus, et sub
uno Domino aequalem servitutis militiam bajulamus :
Quia non est personarum acceptio apud Deum. Solum
modo in hac parte apud ipsum discernimur, si me
liores aliis in operibus bonis et humiles inveniamur.
Ergo aequalis sit omnibus ab eo caritas; una prae
beatur omnibus, secundum merita, disciplina.
Saint Benoît envisage maintenant le gouvernement abbatial : il éta
lilù
blit, dans ce paragraphe, comment
il doit être équitable ; il montrera,
dans le suivant, comment il doit être mesuré et discret. Que l’Abbé ne
fasse point acception de personnes : c’est le principe général. L’accep
tion de personnes consiste à regarder, dans les œuvres de la justice dis
tributive, non aux titres, aux droits, aux éléments de la cause, mais à la
personne elle-même. L’Écriture met souvent l’homme en garde contre
cette tendance au favoritisme et à des préférences injustifiées (1) ; et
saint Benoît n'a eu qu’à développer une pensée familière aux anciens
(1) Lev., xïx, 15 ;Prov.. xxiv, 23 ; Jac., π, 1 sq. — Cf. S. Th.. II* II**, q. lxih.
CE QUE DOIT ÊTRE L'ABBÉ
*9
législateurs monastiques (1). Ici encore, le pouvoir de l’Abbé doit se
calquer sur celui de Dieu, car « il n’y a point chez Dieu acception de
personnes » (Rom., ii, 11 ; Col., ni, 25) (2). Il faut noter toutefois que la
ressemblance n’est pas complète. Dieu donne à chaque être sa nature, et
il demeure pleinement libre dans la mesure des perfections surajoutées
à cette nature : il donne à son gré ; et cette souveraineté est plus mani
feste encore dans l’ordre surnaturel. Honnis contrat et promesse, Dieu
est affranchi, quand il donne, de tous titres et de tous considérants. Mais
il n’en va pas de même de l’Abbé, qui ne pose point comme Dieu dans la
personne préférée ce qui justifie la préférence, et ne peut que reconnaître
les titres réels à une distinction.
L’équité de l’Abbé portera sur deux pointa : la préférence intérieure
et privée, la préférence extérieure et publique, celle qui se traduit dans
l’ordonnance hiérarchique du monastère ou la désignation aux offices. Les
motifs tirés de la sympathie naturelle, de la parenté, de la communauté
d’origine, sont des titres insuffisants à une distinction quelconque. De
même il ne suffit pas du tout qu’un homme soit de relations agréables,
bien élevé, de noble extraction, qu’il ait occupé autrefois une haute
situation, pour être par cela même appelé à une grande charge ; et l’âge
ne suffit pas non plus. Ici, la responsabilité de l’Abbé est plus gravement
engagée que lorsqu’il s’agit de préférences strictement personnelles. Afin
d'être complet, ajoutons que l’Abbé ne doit jamais laisser s’établir à
côté, de lui, dans une personne ou dans un groupe, un pouvoir étranger
qu’il subisse ou avec lequel il lui soit nécessaire de compter. Le péril peut
exister si l’Abbé est de caractère impressionnable, un peu faible, ou s’il se
fait vieux. Grâce à l’abdication partielle du pouvoir, un certain senti
ment vague d’insécurité et de trouble se glisse çà et là dans les esprits.
D'instinct, nous aimons mieux obéir à un homme qu’à plusieurs. L’Abbé
est responsable, lui tout seul ; c’est à lui, et non aux influences éventuelles,
que se sont confiés ses enfants. H doit avoir sa pensée, il doit savoir ce
qu’il veut, y marcher avec douceur, sans se laisser détourner ni par sym
pathie et sotte tendresse, ni par pusillanimité, ni par fatigue.
Le motif élevé pour lequel tous ont le même droit radical à l’affec
tion de l’Abbé est emprunté par N. B. Père à saint Paid (I Cor., xn, 13 ;
Gal., ni, 28). Hier encore avant le baptême et dans la vie séculière, il y
ill U
avait un Juif et un gentil, un Grec et un Barbare, un homme
libre et un
esclave, un homme et une femme ; mais, depuis que nous avons été portés
par le baptême et par la foi en Notre-Seigneur Jésus-Christ, toutes ces
distinctions s’évanouissent ; et malgré la diversité de nos conditions
individuelles, malgré la pluralité de nos natures, nous sommes tous
(1) Par exemple: Peg. I SS. Patrum, xvi; Peg. Orientalis, i; surtout la Lettre
de S. Césaire, ad Oratoriam Abbatissam (IIolstenius, op. ril.t P, III, p. 31-32),
(2) Cf. Deut., x, 17 ; Job, xxxiv, 19.
50
COMMENTAIRE SUE LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
un en Noire-Seigneur Jésus-Christ. C’est partout la même filiation divine,
c’est le même sang qui circule dans toutes les veines, c'est le même
nom, le même Esprit, la même nourriture, la même vie. Et ce nivelle
ment s’est accompli non par la diminution d’aucun, mais par l’éléva
tion de tous à la taille du Seigneur : in mensuram aetatis plenitudinis
Christi (Eph., tv, 13). C’est partout même liberté et même noblesse;
c’est partout aussi lamênie servitude glorieuse qui vaut tous les royaumes
(I Cor, vu, 22). Dans la société naturelle, les distinctions de caste sub
sistent encore; mais elles disparaissent dans la société toute surnaturelle
qu’est la famille monastique. Nous ne sommes tous que des soldats
accompb'ssant le même service sous l’étendard d’un même Seigneur.
L’Abbé ne doit voir les siens que comme Dieu les voit.
Et c’est toujours le même principe qui permettra à l’Abbé de ne pas
prendre à la lettre et matériellement le précepte : Non al· eo persona in
monasterio discernatur. On ne lui demande pas de faire passer sur tous
un niveau rigoureux, de viser à l'égalité mathématique, de distribuer les
charges au hasard. Dans le monde nouveau où tous sont égaux et un,
Dieu lui-même use de discernement et de distinction : sa tendresse va
vers ceux qui ressemblent davantage à son Fils, qui sont plus profondé
ment entés en lui ; ses confiances ne sont pas les mêmes pour tous,
car il y a des fonctions multiples à remplir dans le grand corps de Γ Église,
et elles exigent des aptitudes variées. L’Abbé pourra donc témoigner
plus d’affection à celui qu’il croira meilleur, c’est-à-dire, précise saint
Benoît, à celui qui sera plus obéissant, plus humble, plus riche en bonnes
œuvres. La raison de l’affection, c’est la beauté : là où il y a beauté plus
grande, il y a titre à pins d’affection. Encore faut-il que l’Abbé se garan
tisse de l’illusion. Mais ceci ne regarde que sa conscience. Il donnera de
même les charges à son gré, mais à condition de veiller à ce qu’il y ait
adaptation, proportion réelle entre un office et son titulaire. Une cause
raisonnable, le mérite, la justice, pourront lui permettre de faire quelques
exceptions à la loi de l’ordre hiérarchique telle que la définira le cha
pitre LXHI, à la règle qui veut que chacun occupe la place correspon
dant à son entrée en religion. L’homme libre ou de sang noble, ingenuus,
n’aura point, en tant que tel, le pas sur celui qui vient du servage ; mais
d’antres motifs pourront le désigner au choix de l’Abbé : sa noblesse
d’hier ne saurait être un déshonneur. La roture non plus n’en est pas
un ; et quel qu’ait été le rang social d’un moine, celui-ci pourra devenir
l’objet d’une distinction justifiée : (t de cwjuslibet ordine id faciat. Niais
le principe général subsiste : même affection pour tous, même ligue de
conduite à l’égard de tous, en tenant compte d’ailleurs du mérite de
chacun {disciplina a, dans la Règle, des significations diverses) (1).
(1) Ce paragraphe de N. B. Père nous rappelle un passage de S. Jérôme : Nés il
CE QUE DOIT ÊTRE L’ABBÉ
51
In doctrina namque sua Abbas apostolicam debet
illam semper formam servare, in qua dicitur :
Argue, obsecra, increpa. Id est, miscens temporibus
tempora, terroribus blandimenta, dirum magistri,
pium patris ostendat affectum : id est, indiscipli
natos et inquietos debet durius arguere; obedientes
autem, et miles et patientes, ut melius proficiant,
obsecrare; négligentes autem et contemnentes, ut
increpet et corripiat, admonemus. Neque dissimulet
peccata delinquentium, sed mox ut coeperint oriri,
radicitus ea, ut praevalet, amputet, memor periculi
Heli sacerdotis de Silo.
Le gouvernement de l’Abbé doit être équitable : mais il ne le sera qu’à
la condition d’etre judicieux. On pourrait fort mal entendre la recom
mandation d’équité. H en est qui ont condensé leurs expériences, sou
vent d’ailleurs superficielles et réduites, en quelques principes pra
tiques, en formules simples et d’une application facile. Pour résoudre
tous les cas concrets qui se présentent, ils appliquent la formule, brutale
ment. La méthode est unique et invariable. Elle laisse la conscience en
repos, parfois même lorsque la mesure devient meurtrière. Nous sommes
tous, plus ou moins, prisonniers de notre personnalité : c’est à travers
nous que nous voyons tous les autres; nous nous persuadons que les
procédés qui nous ont réussi doivent servir à tous. On ne peut cependant
pas traiter l’être vivant comme une abstraction ; les hommes ne sont pas
non plus une matière à expériences ; chacun d’eux est un petit monde.
Au lieu de le faire entrer d’emblée dans notre système, de l’emprisonner
dans notre moule mental, il vaudrait mieux lier connaissance avec lui,
voir ce qu’il a dans le cœur, comment il pense, co illït ent il veut, comment
il souffre. La vraie méthode, ici, est peut-être de n’en avoir pas. Puisque
l’Abbé est dépositaire du pouvoir de Dieu, il doit imiter cette discrétion et
cette souplesse de la Providence qui dispose tout avec autant de douceur
religio nostra personas accipere nec conditiones hominum, sed animos inspicii singulo
rum. Servum et nobilem de moribus pronuntiat. Sola apud Deum libertas est, non servire
peccatis. Summa apud Deum est nobilitas, clarum esse virtutibus... Frustra sibi aliquis
de nobilitate genens applaudit, cum universi paris honoris ei ejusdem apud Deum pretii
sint, qui uno Christi sanguine sunt redempti; nec interest qua quis conditione natus sit,
cum omnes in Christo aequaliter renascamur. Nam et si obliviscimur quia ex uno omnes
generali sumus, saltem id semper meminisse debemus quia per unum omnes regeneramur
[Fpist. CXLVIII ad Celantiam, 21, P. L., XXII, 1214).
52
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
que de force, et qui, selon la parole de la théologie, s’adapte merveil
leusement à la condition de nos natures individuelles : Unicuique
providet Deus secundum modum suae naturae.
In doctrina sua : c’est, en général, l’enseignement pratique, la direction
et le gouvernement des âmes ; mais saint Benoît a surtout en vue le
devoir de la correction. H se réfère aux conseils que ΓApôtre donnait à
Timothée : Praedica verbum; insta opportune, importune; argue, obsecra,
increpa in omni patientia et doctrina (II Tim., iv, 2). Reprenez, conjurez,
réprimez : ce sont trois attitudes diverses, nécessitées par la diversité
même des caractères auxquels s’adresse la correction (1), et appropriées
aux trois catégories d’esprits que N. B. Père énumérera, quelques lignes
plus loin : pour la première on reprend, pour la seconde on exhorte,
pour la troisième on réprime et on punit. Mais, avant d’en venir au détail
de ces attitudes, saint Benoît rappelle à l’Abbé la variété et la com
plexité de son rôle. Miscens temporibus tempora : l’expression est difficile
ment traduisible; elle indique que l’Abbé doit mesurer son action aux
circonstances de temps, de lieu, de personne, se conduire selon les con
jonctures, se rappeler qu’il y a un temps pour toutes choses (Eccl., ni),
user tantôt de sévérité et tantôt de douceur, calquer en un mot ses dis
positions sur les dispositions variables de chacun. Les paroles qui suivent
expliquent bien la pensée de saint Benoît : l’Abbé mêlera les caresses
aux menaces, il montrera tantôt les sentiments de sévérité du maître
et tantôt ceux plus affectueux du père (2).
C’est afin d’aider l’Abbé dans le discernement des esprits que N. B.
Père les répartit en trois classes. Indisciplinatos et inquietos (3) : des
esprits indisciplinés et inquiets, non qu’ils soient formellement rebelles à
la discipline, mais parce qu’ils sont, comme les enfants, mobiles et
remuants. Ds promettent et ne tiennent pas ; c’est à recommencer tou
jours. L’intelligence chez eux est insuffisamment développée, et ils
n’obéissent qu'aux impulsions sensibles ; l’intelligence d’autrui viendra à
leur secours ; et on prendra par leur sensibilité ceux qui ne sont abordables
que par là. De telles natures doivent sentir le joug, et elles seront
d’autant moins tentées de révolte qu’elles expérimenteront davantage
la force delà discipline. Avec elles il faut parler haut et clair, et parfois ne
pas se contenter d’exhortations, comme
• HU
il sera dit bientôt.
La tâche est plus aimable avec « les obéissants, les doux, les patients » ;
et, grâce à Dieu, ce sont les plus nombreux. H n’est besoin que de les
solliciter paternellement, de les encourager au bien et au mieux. C’est le
(1) ... Dicente Apostolo : Argue, obsecra, increpa,cum omm patientia et doctrina...
Decernendum est αδ illo qui praeest, qualiter circa singulos debeat pietatis affectum mon
strare, et qualiter tenere debeat disciplinam (Reg. I SS. Patrum, v).
(2) Cf. S. Basil., Reg. fus., xuii ; Reg. ctmlr., χχιπ.
(3) Deux mots de S. Basile (jieg. conlr., xcviii) : Tanquam inquietus et indi
sciplinatus confundatur.
CE QUE DOIT ÊTRE L’ABBÉ
53
caractère propre des vrais moines d’avoir l’oreille fine, de comprendre à
demi-mot et de se ranger à une simple indication, épargnant ainsi à
l’Abbé le désagrément d’une mercuriale.
Elle est pourtant indispensable, dit saint Benoît, lorsqu’il s’agit des
négligents de parti pris et des méprisants résolus et systématiques. Ces
gens-là sont dangereux, parce qu’ils exercent toujours une influence
néfaste, non pas sur les moines qui tiennent fermement à Dieu, mais
sur les trempes un peu oscillantes, distraites, de formation inférieure; ils
sont pour tous d’ailleurs un agacement et une gêne. Négligentes et con
temnentes : leur vie d’hier s’est dépensée dans une longue inobservance,
et leur vie d’aujourd’hui y demeure fixée; essayez de vous attaquer à
cette seconde nature, vous serez surpris de rencontrer une énergie sau
vage, là où vous croyiez que le fond du caractère était la mollesse. Ds
dépensent, à défendre leur relâchement contre les eSorts de l’Abbé et
contre la visible réprobation des frères, plus de vigueur qu’il n’en faudrait
pour se mettre résolument à la Règle. Ou bien ils cèdent à une dis
position aigre et mécontente, à l’esprit de contradiction ; il leur est tombé
dans l’âme une goutte de fiel de trop. H est des esprits ainsi construits
qu’ils sont toujours amoureux de la solution qui n’a pas prévalu : c’est
très beau, je le veux bien, de se faire le paladin de tout ce qui ne réussit pas,
c’est parfois bien encombrant aussi. Ailleurs, c’est la conviction profonde
que l’on est incompris ; personne dans la communauté ne rend suffisante
justice à notre valeur et à nos services. Sans doute le penchant secret de
tout le monde est de s’estimer beaucoup, mais il est des natures qui
s’estiment uniquement. Leur vie se dépense à discuter. Elles ont une
opinion faite sur chaque choso et naïvement se persuadent avoir raison
toujours, à propos de tout et contre tous. Jamais l’idée ne leur est venue
que l'adversaire pouvait avoir un peu raison,lui aussi, et que leur infailli
bilité personnelle pouvait se trouver légèrement en défaut. A cette bane de
leur esprit c’est la communauté entière qui comparaît : ils l’enveloppent
d’un jugement hautain et sommaire, quelquefois d’un qualifiettif inju
rieux. Notez que ce sont le plus souvent ceux qui, dans le monde, eussent
été incapables de se gouverner sagement, leur judiciaire étant régulière
ment absente et leur tempérament les portant à toutes les maladresses.
Ils ont été accueillis avec bonté, avec pitié; ils arrivaient meurtris et
malades : on a fait déborder pour eux la mesure de l’indulgence. Et sou
dain les voilà investis de la compétence et de l’habileté qui leur man
quaient : ils critiquent, ils prononcent, ils réforment 1 Saint Benoît avertit
l’Abbé de les aborder avec résolution et de les réprimer avec force.
N. B. Père ne s’est pas dissimulé d’ailleurs le côté pénible d’une telle
mission. C’est toujours chose embarrassante que d’aborder de front les
inobservants, de les saisir à la gorge et de leur dire comme Nathan à
David : Tu es ïlle vir, Il est si bon de ne pas se créer d’affaires et de vivre
S4
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
tranquille.’ Et puis on se dit : Mais cela ne servira à rien. J’en ai parlé
déjà. C est un rôle de Cassandre que d’en reparler encore. J’aurai une
scène, des larmes, huit jours de mauvaise humeur obstinée, une fermen
tation nolente de pensées révolutionnaires, peut-être le désir de rom [ire
avec une vie devenue intolérable. Alors s’établit cette redoutable situa
tion : d’un côté, la timidité et la réserve ; de l’autro, une attitude de défense,
de défiance, et la disposition « de l’aspic, qui est sourd et qui se bouche
les oreilles de peur d’entendre». H n’y a pas pour une âme de pire malheur
que celui d’avoir forcé la vérité à se taire, d’avoir pour ainsi dire décou
ragé Dieu, qui désormais garde un effrayant silence et ne s’irrite même
plus.
Les prétextes ne manqueront pas à l’Abbé pour justifier son mutismo.
La théologie morale n’admet-elle pas qu’il est des circonstances où
mieux vaut refuser la lumière, parce que le seul résultat de l'avertisse
ment serait de convertir un péché matériel en péché formel? Sans doute ;
mais la même théologie reconnaît que ce droit à la réticence n’existe plus,
toutes les fois qu’il y aurait pour la communauté détriment, scandale
on déshonneur. L’Abbé ne peut pas fermer systématiquement les yeux :
neque dissimulet peccata delinquentium (1) ; il est tenu de parler et de faire
son devoir, alors même que les autres ne feraient pas le leur. Une parole
qui est accompagnée de la grâce et trempée de charité produit toujours
son œuvre. Même, saint Benoît demande que l’Abbé ne temporise pas,
qu’il n’attende pas d’être absolument contraint par l’urgence du péril :
dès que les mauvaises habitudes commencent à poindre, il doit les retran
cher vigoureusement et jusqu’à la racine : radicitus amputet (2). < c4
la vraie miséricorde (3). Ut praevalet est traduit diversement : tantôt
a ce qui vaut mieux », ou bien «autant qu’il est en son pouvoir » ; plutôt
« puisqu’il al’autorité, qu’il l’a reçue pour cela ».
Afin de déterminer l’Abbé, N. B. Père l’invite à se souvenir de l’his
toire tragique d’Héli (I Reg., n-iv). Le grand prêtre n’avait point
ménagé les avertissements à ses fils dépravés ; mais il avait le pouvoir,
et le Seigneur exigeait de lui non seulement la réprimande, mais l’ampu
tation réelle et l’exécution. On sait les conséquences de sa faiblesse : une
sanglante défaite d’Israël, la mort des coupables, sa mort à lui, la pro
fanation de l’arche sainte tombant aux mains des ennemis, l’ignominie
de la race. Les fautes tolérées doivent être expiées tout comme les autre ·,
mais c’est la famille entière qui expie. Si voilée que soit la menace, la
responsabilité de l’Abbé est cependant nettement saisie. Les maisons
monastiques meurent rarement de faim ; elles meurent de blessures non
soignées, de blessures où l’on ne verse ni le vin qui fortifie, ni l’huile qui
(1) Dissimulas peccata hominum (Sap., xi, 24).
(2) ... Radicitus amputavit (Cass., Conlat. XVI, vi).
(3) CI, S, Basil, Reg. fus., xxrv, xxv ; Reg. conlr., xvu, xxn.
CE QUE DOIT ÊTRE L'ABBÉ
55
adoucit, do blessures qui s’étendent et se gangrènent. Et s’il reste quelque
chose de ces maisons, ce n’est qu’un rejeton misérable et chétif, dont le
Seigneur ne consentira plus à se servir (1).
Et honestiores quidem atque intclligibiles animos
prima vel secunda admonitione verbis corripiat ; im
probos autem et duros ac superbos vel inobedientes,
verberum vel corporis castigatione in ipso initio
peccati coerceat, sciens scriptum : Stultus verbis
Percute filium tuum virga,
cl liberabis animam ejus a morte.
non corrigitur. Et iterum :
L’Abbé se résignera donc à corriger. Encore faut-il qu’il le fasse avec
sagesse, sans se laisser emporter par son tempérament ou par son zèle;
saint Benoît le lui répète, en précisant quelle doit être la nature de cette
correction, dont il n’a parlé encore que d’une manière trop générale.
Il ne se souvient plus que do deux groupes d’esprits, mais qui coïncident
avec les trois précédents. On n’en viendra pas tout de suite aux sévérités
avec les natures fines et capables d’intelligence : la réprimande verbale
suffira, une première et une seconde fois. Mais ceux qui sont de trempe
servile, durs de cœur ou violents, superbes et réfractaires, c’est par les
verges ou tout autre châtiment corporel qu’il faut les dompter, et dès que
commence à se révéler l’habitude mauvaise.
N. B. Père fournit aussitôt la raison de ces répressions vigoureuses :
« Celui qui manque d’intelligence ne peut être corrigé par des paroles. »
C’est un souvenir des Proverbes (xvm, 2 ; xrc, 19). L’Écriture sainte
considère que l’enfant a droit à la correction : il faut la lui assurer, '■
comme on lui assure la nourriture ; après tout, il n’en mourra pas : il
vivra au contraire de la vraie vie : Noli subtrahere a puero disciplinam;
si enim percusseris eum virga, non morietur. Tu virga percuties eum et
animam ejus de inferno liberabis (Prov., xxin, 13-14). Qui parcit virgae
odit filium suum {Ibid., xiii, 24). Dans le De institutione oratoria, Quintilien, le. précepteur des petits-neveux de Domitien, voulait que l’enfant
fût accoutumé à la vertu avant même de savoir ce que c’est. H faut
créer en lui des couples mentaux : le bien a d’abord été pour nous ce qui
se traduisait en caresses et en friandises, le mal co qui entraînait le
(1) Ce que saint Benoît dit ici de la correction a fourni la matière du troisième livre
de la Uegula Pastoralis do S. Grégoire le Grand ; tout l’ouvrage d’ailleurs n’est
que je commentaire élargi de ce chapitre u.
56
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
pain sec, le fouet ou la retenue. Ne rougissons pas de ces humbles ori
gines de notre être moral. Il n’est pas impossible que l’abaissement
universel des caractères tienne à une certaine absence de virilité dans
la répression. Lorsque l’enfant n’a pas sept ans, pourquoi le punir :
il est si jeune ! Quand il en a huit, pourquoi le punir : il est si grand 1
De la sorte, il est toujours trop tôt ou trop tard pour apprendre à
l’enfant ce qu’est le devoir et quelle est la part de mortification qui
entre nécessairement dans le concept do la vie chrétienne ; on fait ainsi
des tyrans et des petits monstres. Depuis saint Benoît, les carac
tères et les coutumes ont changé. Il y a sans doute dans les monas
tères d’aujourd’hui moins d’enfants et de barbares que de son tenjps ;
et en tout cas l’usage des verges et de la prison, très en honneur pen
dant de longs siècles monastiques, a disparu de nos mœurs. On ren
contre pourtant encore des enfants gâtés, des violents et des rebelles,
pour lesquels certains châtiments corporels seraient souverainement
bienfaisants.
L’Abbé se souviendra néanmoins de la formule du chapitre LXI\ :
Prudenter et cum caritate ea amputet, prout vident cuique expedire. Les
ômes ont plutôt besoin d’être portées que poussées. Le monastère n est
pas une fournaise, dont l’Abbé, comme un cyclope, attise le feu. La
réforme des passions et le développement de la vie surnaturelle ne
s’obtiennent pas par une série de procédés violents et rapides. Il y a
chez les âmes — et chez Dieu — des lenteurs que doit respecter l’Abbé.
Meminisse debet semper Abbas quod est, memi
nisse quod dicitur, et scire quia cui plus commit
titur, plus ab eo exigitur; sciatque quam difficilem
et arduam rem suscepit, regere animas, et multo
rum servire moribus. Etaliumquidem blandimentis,
alium vero increpationibus, alium suasionibus, et
secundum uniuscujusque qualitatem vel intelligentiam ita se omnibus conformet et aptet, ut non
solum detrimenta gregis sibi commissi non patiatur,
verum etiam in augmentalione boni gregis gaudeat.
H est dit de Moïse, au livre des Nombres, qu’il était le plus doux de
la terre; et pourtant, à certaines heures, il est visible que la mesure
débordait. Mais il avait le sens très élevé et très surnaturel de ne manquer
de patience que devant le Seigneur. Cela lui arriva aux Sepulcra concu
piscentiae, lorsque le peuple, fatigué de la manne, se mit à se lamenter et
CE QUE DOIT ÊTRE L’ABBÉ
57
à larmoyer, au souvenir des bons poissons qu’on mangeait en Égypte. Le
Seigneur s'irrita, et à Moïse aussi la chose parut intolérable. Et il dit au
Seigneur : Cur imposuisti pondus universi populi hujus super me? Num
quid ego concepi omnem hanc multitudinem, vel genui eam, ut dicas mihi :
porta eos in sinu luo, sicut portare solet nutrix infantulum...? Non possum
solus sustinere omnem hunc populum, quia gravis est mihi. Sin aliter tibi
videtur, obsecro ut interficias me (Num., xi). On dirait que saint Benoît
a pressenti qu’un mouvement de secrète protestation pouvait aussi
s’élever dans le cœur de l’Abbé, à la vue du programme vraiment surhu
main qui vient de lui être si complaisamment détaillé. Et il semble qu’à
cet endroit la Règle aurait pu glisser, selon sa coutume, une parole d’en
couragement, atténuer et calmer par une formule rassurante les soucis
de l’Abbé : mais saint Benoît est sans ménagement pour lui, et toute la
finale du chapitre n’a d’autre intention que de le maintenir de force
dans l’austère contemplation de son devoir.
En effet, dit saint Benoît, votre charge est lourde. Rappelez-vous
sans cesse ce que vous êtes, rappelez-vous le nom qu’on vous donne :
vous êtes Abbé, et on vous appelle Père. Vous n’êtes pas un prince, ni
un grand seigneur, ni un administrateur civil : vous êtes Père. Toute
cette famille est vôtre. Dieu vous l’a confiée, comme un dépôt cher à son
cœur, et devant lui les âmes ont une valeur infinie. Celui qui est le maître
de notre -sue l’emploie à son gré : vers les uns vont ses tendresses, vers
les autres ses confiances ; il y a la vocation de Jean, si douce et si simple;
il y a la vocation de Pierre ; nous ne choisissons pas. Que l’Abbé se sou
vienne aussi du jugement de Dieu : ses confiances sont des comptabi
lités. Dieu ne donne pas aux hommes pour qu’ils se fassent un jouet de
ses cadeaux ; l’autorité, l’influence, la richesse sont des talents confiés, et
dont il nous réclamera l’intérêt en termes rigoureux et juridiques : on
vous a confié davantage, on exigera de vous davantage (Luc, xn, 48) (1).
Et que l’Abbé sache combien est difficile et ardue la charge qu’il a
reçue de gouverner les âmes et de se faire le serviteur de tous en se pliant
aux mœurs de chacun. Souvent même les hommes ne semblent guère
soucieux d’alléger son fardeau ; dans un monastère, toutes les passions
immortifiées et devenues ainsi causes de souffrance se déchargent comme
naturellement sur l’Abbé. Mais saint Benoît ne songe point à ce surcroît
irrégulier ajouté à sa tâche : selon lui, elle est délicate d’abord parce
qu’elle concerne des âmes. Dans un être matériel, les réactions sont
connues d’avance et elles échappent au caprice; mais une nature
spirituelle n’agit point mécaniquement ; il faut lumière et patience pour
la bien connaître et pour composer avec elle. Si encore toutes les âmes
(1) Saint Benoît a pu s’inspirer ici immédiatement de la Doctrina S. Orsiesh, xv
(voir la note de D. Butler); ou de S. Jérôme, Epist. XIV,9. P. L, XXII, 353; ou
de S. Augustin, Quaestiones in Hcptat., 1. III, xxxl P. L·, XXXIV, 6S9-GSO.
r
58
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
se ressemblaient ! Mais des causes multiples et d’ordre sensible concourent
à faire de chacune d’elles quelque chose de très personnel : l’hérédité, une
première pulsation vitale donnée par fame au corps qui commence avec
elle et déterminant en quelque sorte toute l'allure de notre vie, l’appar
tenance subie ou voulue aux influences animales, c’est tout cela qui
crée notre tempérament. Le programme de chaque âme est de se
libérer, de se racheter des influences sensibles, par l’éducation, par
l'effort vigoureux, par la vie surnaturelle qui confisque l’activité entière
au profit de Dieu. L’autorité de l’Abbé nous est donnée précisément
pour nous aider à conquérir cette possession de nous-mêmes. C’est à
lui à proportionner son action aux dispositions morales de tous. L’un a
besoin de bonnes paroles et de caresses, l’autre de réprimandes et de
châtiments, un troisième d’exhortations persuasives : en un mot, chacun
doit être traité selon sa trempe, selon son degré d’intelligence. Rien ne
marque mieux la physionomie familiale du monastère que cette insistance
de saint Benoît à exiger de l’Abbé qu’il connaisse tous les siens et conduise
individuellement chacun d’eux.
C’est là encore ce qui limite la composition numérique d’une commu
nauté : car si les moines sont multitude, l’Abbé ne sera plus qu’un
général en chef, auteur d’un plan sommaire dont les officiers assureront
l’exécution. H n’est point défendu pourtant à l’Abbé de songer à l’aug
mentation numérique de son troupeau. Et c’est bien d’un accroissement
de quantité, augmentât™, que parle N. B. Père, en suggérant d’ailleurs
aussitôt l’idée d’accroissement en vertu : boni gregis. Comprenons bien
sa pensée. Lorsqu'il recommande à l’Abbé la démission de soi et la
condescendance habile au prix desquelles il ne souffrira nid dommage
dans ses brebis, ce n’est pas une promesse qu’il lui fait, ni un résultat
assuré qu’il énonce; il lui indique seulement les intentions qui doivent
diriger sa conduite. L’Abbé pourrait-il espérer un succès que le Seigneur
lui-même n’a pas obtenu? H est des âmes que ni la patience, ni la ten
dresse, ni la sévérité ne peuvent vaincre, et pour lesquelles on ne peut
plus que prier et souffrir. Saint Benoît, semble-t-il, dit à l’Abbé :
Vous voulez vous réjouir de l’accroissement d’un troupeau fidèle?
Soignez bien les âmes qui vous sont confiées, occupez-vous de ce que vous
avez : vous obtiendrez ainsi ce que vous n’avez pas encore. Les monas
tères fervents se recrutent d’eux-mêmes, et beaucoup plus par la bonne
odeur de leur observance que par des procédés humains et'des provoca
tions indiscrètes. Dieu dispose de telle sorte les événements et les cœurs
que sa famille s’accroît sans cesse ; et si parfois le recrutement languit
ou s'arrête, il ne faut pas perdre confiance : comme aux origines de
Cîteaux, un saint Bernard surviendra, avec de nombreux compagnons.
CE QUE DOIT ÊTRE L’ABBÉ
Ante omnia, ne dissimulans aut parvipendens
salutem animarum sibi commissarum, plus gerat
sollicitudinem de rebus transitoriis et terrenis atque
caducis; sed semper cogitet quia animas suscepit
regendas, de quibus et rationem redditurus est. Et
ne causetur forte de minori substantia, meminerit
scriptum : Primum quaerite regnum Dei et justitiam ejus,
et haec omnia adjicientur vobis. Et iterum : Nihil deest
timentibus eum.
La sollicitude de l’Abbé ne s’égarera point dans de fausses directions.
Elle, ne se laissera pas distraire par la préoccupation exagérée du recrute
ment, ni par le souci des questions financières et matérielles. Sur ce
dernier point, la tentation peut être plus pressante et plus perfide;
c’est pourquoi N. B. Père insiste davantage. Car, enfin, il faut vivre, il
faut grandir, il faut payer ses dettes, il faut bâtir. Et, pour cela, il faut
se faire connaître, se créer de hautes et fructueuses relations, écrire des
livres et les vendre, faire valoir les tenes du monastère, acheter du bien,
que sais-je? rentrer, en un mot, dans une multitude d’affaires auxquelles
il semblait qu’on avait renoncé par l’état religieux.
U est sûr que l’Abbé ne saurait se désintéresser des finances du monas
tère sans imprudence et sans une espèce de trahison : il est redevable
lüu
à la communauté
de sa vigilance et de son effort sur ce point. H suffit,
pour le comprendre, de réfléchir aux maux sans nombre qu’amène l’in
curie ; il n’est aucunement souhaitable à l’honneur religieux de passer
par la faillite. Et non seulement il faut vivre, mais une certaine aisance
est indispensable pour que tout aille bien et pour que les moines restent
fidèles à la pauvreté. Le désordre, les dépenses excessives, les dilapida
tions, l’insouciance du lendemain, ne sauraient être considérés comme
la forme authentique d’un gouvernement abbatial.
Aussi bien, ce que réclame saint Benoît, c’est que le soin des intérêts
matériels n’entraîne jamais l’Abbé à négliger ou à traiter comme chose
secondaire, et dont on se décharge volontiers sur d’autres, la formation
et le salut étemel des «âmes qui lui sont confiées : dissimulans aut parvi
pendens. Les âmes sont la vraie richesse du monastère, et que valent,
comparées à elles, ces choses « transitoires et terrestres et caduques (1) »?
(1) (Prima causa) discidii, quae nasci solet de rebus caducis atque terrenis (Cass.,
Coniat. XVI, ix).
■’ ■* >
60
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOÎT
Sans doute, l’Abbé doit être un administrateur avisé des biens temporels,
puisqu'ils ont un caractère sacré du fait de leur appartenance au Seigneur ;
mais les âmes sont à Dieu bien davantage, et c’est d’elles aussi, d'elles
surtout, qu’il devra rendre compte : Sed semper cogitet quia animas
suscepit regendas, de quibus ei rationem redditurus est (1).
Et, pour que l’Abbé ne soit pas tenté d’alléguer la modicité des res
sources du monastère, qu’il se souvienne de ce qui est écrit en saint
Matthieu (vr, 33) et dans le psaume xxxni (10). Dieu s’est engagé. Si la
maison est fervente, les ressources comme les postulants, viendront, à
l’heure de Dieu et dans la mesure voulue par lui. Aux monastères fidèles
et qu’il aime, le Seigneur donne le nécessaire ; quelquefois un peu moins,
de peur que l’aisance n’incline les moines et l’Abbé à se dispenser de la
confiance en Dieu. Les mondains nous demandent : N’est-il pas vrai
que certaines expressions du chapitre vr de saint Matthieu semblent
excéder les lois de la prudence humaine? quel est donc leur sens véritable?
— Celui-ci : Dieu veut nous induire à la confiance et marquer que nulle
préoccupation ne doit prévaloir sur elle; il sc sert, dans ce dessein, de
divers exemples propres à l’inspirer, mais sans nous dire pourtant que
nous sommes dispensés d’agir : au fond, les Ils et les oiseaux sont actifs.
Nous pouvons bien croire aussi qu’il y a des délicatesses que le monde ne
saurait saisir, des conseils évangéliques qui ne peuvent se réaliser que
dans le monastère, plus affranchi des conditions créées, appartenant
davantage à Dieu. Et c’est à raison de la juridiction éminente exercée par
la Providence sur ceux qui sont à elle, que la confiance devient une loi,
plus encore peut-être que la prudence : car, après tout, la confiance est
vertu théologale, la prudence vertu morale seulement ; et, tandis que je
ne suis pas obligé d’observer semper el pro semper la prescription de la
prudence, jamais je ne suis dispensé de la confiance absolue.
Sciatque quia qui suscepit animas regendas,
praeparet se ad rationem reddendam. Et quantum
sub cura sua fratrum se habere scierit numerum,
agnoscalpro certo quiain die judicii ipsarum omnium
animaruiuestredditurus Domino rationem, sine dubio
addita et suae animae. Et ita timens semper futuram
discussionem pastoris de creditis ovibus, cum de
alienis ratiociniis cavet, redditur de suis sollicitus.
(1) Semper cogitani (praeposita) Deo se pro vobis reddituram esse rationem (S. Aug..
Epiri. CCXI, 15. P. L, XXX111,9G5). — Doth, S. Ohsiesu, xl
CE QUE DOIT ÊTRE L’ABBÉ
61
Et cum de admonitionibus suis emendationem aliis
subministrat, ipse efficitur a vitiis emendatus.
N. B. Père ne craint pas les répétitions lorsqu’il s’agit de rappeler à
l’Abbé le prix des âmes, le caractère délégué de son pouvoir, le sévère
jugement qui l’attend. Alors qu’au tribunal de Dieu chacun répondra
pour soi, l’Abbé répondra et pour lui-même, et pour toutes les âmes qui
ont été remises à sa sollicitude, pour chacune d’elles en particulier : ceci
est incontestable, indubitable, pro certo, sine dubio. Il faudrait être insensé
ou avoir perdu la foi pour ne pas être impressionné par des affirmations
comme celles-là. Il faudrait aussi une forte dose d’illusion pour désirer
charger ses épaules d’un pareil fardeau et surajouter aux problèmes de
son âme les problèmes de l’âme d’autrui.
Puisque l’Abbé a consenti, sur l’invitation de Dieu, à se faire le servi
teur de tous ; puisque son pain quotidien est le travail, le souci, la souf
france, il a bien quelque droit à la prière des siens et à leur pitié. C’est
au nom de la responsabilité assumée par les prêtres et par les évêques
que l’apôtre saint Paul, dans un texte dont se souvenait sans doute
N. B. Père, supplie les chrétiens de rendre, en obéissance et en docilité
aimante, ce qu’ils reçoivent de dévouement et de bienfaits : Obedite
praepositis vestris et subjacete cis : ipsi enim pervigilant, quasi rationem
pro animabas vestris reddit.ri, ut cum gaudio hoc jaciant et non gementes:
hoc enim non expedit vobis (Hebr., xnr, 17). Rendez l’exercice de leur
charge facile et doux ; faites qu’ils la remplissent avec joie et non avec
tristesse, car cela ne vous serait nullement avantageux à vous-mêmes ;
la fatigue que cause à l’Abbé une communauté difficile et grondeuse
se traduit toujours pour elle en un gros détriment.
S’il est vrai que les Abbés font leurs moines, il est sûr que les moines
font leur Abbé et que le monastère est une école de sanctification
mutuelle. Les deux dernières phrases de ce chapitre le rappellent à
l’Abbé, sinon pour le rassurer, car elles sont austères encore, du moins
pour fortifier son courage. La pensée constante de l’examen que le pas
teur (1) devra subir un jour au sujet des brebis qui lui ont été confiées, le
soin qu’il apporte à mettre en règle les comptes d’autrui le rendront
plus attentif à son compte propre : le premier bénéfice de sa charge sera
donc pour lui un accroissement de vigilance intérieure. Le fait seul
d’avoir à porter d’autres âmes l’invite tout naturellement à veiller sur
lui. On se laissait peut-être aller un peu lorsqu’on n’était que soi ; mais
on s’observe davantage lorsqu’on est père de famille, lorsqu’on est le
lieutenant de Dieu, lorsque des faiblesses comme celles d’autrefois
1) 11 s’agit plutôt ici de l’Abbé que du Pasteur divin.
62
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
auraient désormais une portée redoutable et un retentissement chez
autrui. Obligé de procurer par ses instructions l’amendement des autres,
l’Abbé s’affranchira en même temps de ses propres misères et redoublera
de fidélité dans sa vie. Ceux pour qui l’exercice de la parole est autre
chose qu’un vain amusement, sont les tout premiers à en recueillir le
fruit. Nous aimons l’harmonie et la continuité morale; et sous cette
influence, plus encore que pour nous éviter le Medice, cura ieipsum, nous
travaillons peu à peu à rétablir l’accord entre nos enseignements et nos
actes.
Il est, pour l’Abbé, une plus grande compensation, dont saint Benoît
ne parle pas : c’est l’avantage que procure le contact assidu avec les âmes
qui sont bonnes. Ce contact est le plus assainissant qui existe et ressemble
à une sorte de sacrement. Par ce fait, d’abord, que les âmes sont à l’Abbé
un encouragement et un exemple ; mais surtout parce qu’elles lui sont
comme une vision anticipée de Dieu. Plus grand est l’effet et plus voisin
de sa cause, plus aussi la connaissance que nous prenons de la cause est
achevée ; et ici l’effet est non seulement cette œuvre de Dieu qui s’ap
pelle une âme spirituelle, mais encore tout le travail par lequel Dieu
s’applique à la transformet et à l’unir à sa Beauté. L’Abbé peut faire
ainsi une théologie sérieuse. Et, jusqu’au jour où il contemplera Dieu
face à face, il ne le vena nulle part plus clairement que dans les âmes,
dans la pureté de leur cristal vivant. Il n’aura pas de peine alors à se
tenir très près du Seigneur, ce qui est son unique sauvegarde et sa conso
lation la plus assurée.
CHAPITRE ΙΠ
DE LA CONVOCATION DES FRÈRES EN CONSEIL
— Quoties
aliqua praecipua agenda sunt in monasterio, con
vocet Abbas omnem congregationem, et dicat ipse
unde agitur. Et audiens consilium fratrum, tractet
apud se, et quod utilius judicaverit faciat. Ideo
autem omnes ad consilium vocari diximus, quia
saepe juniori Dominus revelat quod melius est.
De adhibendis ad consilium
fratribus.
T
Ce chapitre achève de fixer la constitution de la société monastique,
en précisant le rôle qui revient à chacim de ses membres dans le gouver
nement. Le dessein de N. B. Père n'est aucunement d’apporter des res
trictions, des limites, des contrepoids au pouvoir absolu de l’Abbé;
JlH
il n’a jamais songé à introduire chez lui les formes démocratiques
et
parlementaires ; et toutes les prescriptions que nous allons lire semblent
calculées au contraire de manière à souligner le caractère souverain de
l’autorité abbatiale, interprète et gardienne de l’autorité de la Règle,
forme créée de l’autorité divine. Mais le dépositaire d’une telle puissance
demeure un homme, obligé lui aussi de chercher péniblement la vérité,
de découvrir les meilleures solutions pratiques, et exposé d’ailleurs à se
méprendre. C’est par condescendance que saint Benoît lui donne des
conseillers ; ils n’auront pas mission de partager son pouvoir, de le con
trôler, de lui faire échec à l’occasion, mais seulement de l’éclairer, de
l’appuyer et d’en prévenir ainsi, discrètement, les maladresses ou les
abus. Une intelligence n’épuise pas toute question ; ce que l’un n’aperçoit
pas, un autre le découvrira peut-être, et les affaires ainsi traitées par le
concours et la prudence de plusieurs sont mieux assurées du succès :
c’est le motif qu’indique saint Benoît comme conclusion de ce chapitre,
en citant le témoignage del’Ecclésiastique (xxxn, 24).
N. B. Père distingue deux sortes d’affaires au sujet desquelles l’Abbé
prendra conseil : praecipua, minora. Pour les questions les plus graves,
fi 3
64
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
il convoquera toute la communauté ; pour celles qui sont moins sérieuses,
mais qui ont cependant leur importance, il se bornera à consulter les
anciens. Il est une troisième catégorie de questions qui ne réclament
nulle convocation des frères : les questions de détail d’abord ; puis celles
qui ont une solution nécessaire, ou évidente, ou réservée à l’Abbé, ou
telle enfin que la communauté ne saurait être juge compétent. Selon
N. B. Père, c’est l’Abbé qui apprécie s’il y a lieu, pour lui, de demander
conseil. Toutes les fois, par exemple, qu’il s’agit d’affaires où sont engagés
gravement les intérêts d’honneur ou les intérêts d’argent du monastère,
il doit réunir la communauté entière.
Et en désirant la présence de tous (1), saint Benoît obéit à une pensée
de foi. Dieu s’intéresse activement aux affaires d’une maison monastique :
c’est lui qui préside, et toute décision sage doit lui être imputée
(Mattil, xvni, 20). Pourquoi exclurait-on du conseil les jeunes profès,
les petits oblats en âge de parler (V. le chap. LIX)? N’est-il pas d expé
rience que le Seigneur aime à nous communiquer sa pensée par la bouche
des enfants (2)? Cet âge est plus naïf, moins personnel, et Dieu agit
plus librement avec lui. H s’est servi d’un Samuel et d’un Daniel (V. le
chap. LXIH); et au Mont-Cassin sans doute d’un saint Maur et d’un
saint Placide. Mais les jeunes frères perdraient aussitôt le bénéfice de
cette prédilection divine, s’ils manquaient de mesure, de courtoisie et
d’humilité dans leurs appréciations, s’ils prononçaient avec solennité et
importance sur les personnes et sur les choses, s’ils ne se mettaient en
garde contre une tendance à formuler des résolutions tranchantes ou
impitoyables ; leurs vues sont parfois courtes et simplistes, ils n’ont
pas toujours le sens de ce qu’il y a de complexe dans les que tiens
traitées.
L’office de rapporteur revient encore à l’Abbé. H expose l’affaire
clairement, de telle sorte que tous comprennent bien de quoi il s'agit.
Il lofait sans passion et sans essayer d’extorquer des adhésions, puisque,
à la rigueur, elles ne lui sont pas nécessaire5. H écoute avec impartialité
et avec patience l’avis des frères : ce qui ne veut pas dire qu'il doive
laisser parler indéfiniment les bavards et s’interdire des rectifications
qu’appelleraient la justice, le bon ordre, le bon sens. Il réfléchit ensuite
à part lui, s’éclairant des lumières de tous, et décide souverainement,
non pas ce qui lui plaît, non pas invariablement le contraire de ce qui lui
a été suggéré, mais ce qu’il juge devant Dieu le plus utile.
(1) Les novices n’appartenant pas encore à la communauté (chap, lviii) n’ont
pas de titre à prendre part à ses délibérations.
(2) Cf. S. Cypriani Epist. IX, iv. P. L., IV, 253, — Cass., Contai. XVI, xn,
DE LA CONVOCATION DES FRERES EN CONSEIL
»5
Sic autem dent fratres consilium cum omni humi
litatis subjectione, ut non praesumant procaciter
defendere quod eis visum fuerit, sed magis in Abbatis
pendeal arbitrio, ut quod salubrius esse judicaverit,
ei cuncti obediant; sed sicut discipulis convenit obedire magistro, ita et ipsum provide et juste condecet
cuncta disponere.
S'il y a profit pour l’Abbé à faire preuve d’accueillante et de démission
de soi, il y a pour les moines un devoir strict de se montrer gens de tact
et fils dociles. Les frères donneront leur avis, puisqu’on les a convoqués
pour cela; une attitude boudeuse, vexée, maussade, serait grotesque
et infiniment peu monastique. Ils donneront leur avis à tour de rôle,
lorsqu’ils seront interrogés ou qu’on leur aura accordé la parole. Ils parle
ront avec toute la soumission qu’inspire l'humilité : cion omni humilitatis
subjectione, sans prendre le ton doctoral et pompeux, sans s’imaginer
faire office de juges, ni même de députés, sans attacher à leur sentiment
une valeur décisive, ni croire qu’une large part du salut public est entre
leurs mains. Ajoutons qu’il faut se tenir dans la question proposée et
ne pas greffer une motion ou une interpellation sur le point précis qui
a été soumis à la délibération du conseil.
Il peut se faire que l’avis donné par vous soit peu agréé : réjouissezvous que l’on se range à un avis plus sage encore ; ou du moins ayez l’ur
banité de ne pas plaider amèrement et avec obstination en faveur de votre
pensée. En public, grâce à Dieu, on ne plaide guère contre l’Abbé; mais
on est plus exposé à défendre son opinion contre l’un ou l’autre des
frères. On peut être tenté de reprendre en sous-œuvre les remarques
d’un autre pour les contredire, quelquefois pour les tourner en déri
sion, tout cela d’une façon ouverte ou bien d’une façon perfide et
sournoise. De tels procédés sont d’autant plus incorrects que le frère
incriminé a d’ordinaire la bouche fermée par la charité, la prudence,
le secret professionnel. Une assemblée monastique ne doit jamais avoir
le caractère tumultueux de certaines séances de nos parlements. Et
dans la pensée de N. B. Père, ni les individus, ni une majorité, ni même
l'unanimité des frères, n’ont un droit à faire prévaloir leur sentiment :
la décision est réservée exclusivement à l’Abbé (1); il demeure libre
de prendre celle qui lui paraîtra la plus opportune, et tous s’empres(1) Per omnia ad nutum (Abbatis) poleslatemque pendere (Sulp. Sever., Dial, I,
c. x. P. L, XX, 190. — Cf. Cass., Contât. XXIV, xxvi).
5
«5
rcront de s’y soumettre. Mais, de même qu’il est dans l’ordre que les
disciples obéissent au maître, il est dans l’ordre aussi que le maître dis
pose toutes choses avec prévoyance et équité. Il n’y a pas morcellement
du pouvoir, mais des devoirs existent des deux côtés ; ceux qui obéissen t ne
sont pas livrés à l'arbitraire, aux boutades, aux caprices de la passion,
et la meilleure garantie qu’on leur puisse donner est cette affirmation
réitérée que l’Abbé est comptable devant Dieu, et qu’après tout, lui
aussi, lui surtout, doit être un obéissant.
[
ill
I <
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT DENO I T
In omnibus igitur omnes magistram sequantur
regulam, neque ab ea temere declinetur a quoquam.
Nullus in monasterio sequatur cordis proprii volun
tatem, neque praesumat quisquam cum Abbate suo
proterve intus aut foris monasterium contendere.
Quod si praesumpserit, regulari disciplinae subjaceat.
Ipse tamen Abbas cum timore Dei et observatione
regulae, omnia faciat, sciens se procul dubio de om
nibus judiciis suis aequissimo judici Deo rationem
redditurum.
La liaison est étroite entre ce paragraphe et le précédent : igitur. Nul
ne peut, dans le monastère, a suivre la volonté de son propre cœur » et
se gouverner à sa guise. La forme de notre vie a été définie par une
Règle ; la Règle est la norme à laquelle tous doivent se ranger, aussi
bien le moines qui conseillent que l’Abbé qui propose et décide. Dans
la délibération comme dans la décision, chacun doit s’inspirer de la
Règle et de son esprit; nul ne saurait s’en écarter sans présomption. La
prospérité surnaturelle et la paix sont au prix de cette déférence de
tous à une même pensée, à un même programme.
Et parce que la Règle écrite a besoin d’être interprétée ; parce
que les délibérations risqueraient parfois de ne jamais finir si une
autorité vivante ne tranchait souverainement, toute discussion cessera
lorsque l’Abbé aura pris son parti. C’est lui seul qui est responsable,
qui a grâce d’état; il est sans doute mieux renseigné que tout
autre, puisqu’il tient en mains l’ensemble et peut envisager tous les
aspects et toutes les conséquences du problème. Nul n’aura la témérité
de contester insolemment avec lui, ni à l’intérieur du monastère, ni
surtout à l’extérieur, ce qui causerait un plus grand scandale (1) ; et au
; I
(1) La. meilleure Irçon est sans doute : proterre aul foris monas terium contendere.
Et I). Butler cite la remarque intéressante de Smaragde : Δ’οη dixit intus aut /oris,
DE LA CONVOCATION DES FRÈRES EN CONSEIL
67
dedans comme an dehors, les frères s'abstiendront avec scrupule de criti
quer ses déterminations. Ce n’est pas toujours par la résistance ouverte
cpie se traduit la volonté propre contrariée, mais encore, et surtout chez let
natures timides, ou délicates, ou bien élevées, pa~ des murmures secrets :
c’est la pire des dispositions. La première fois qn’il est fait mention dans
la Règle de la disciplina regularis (nous la décrirons plus loin), c’est
lorsqu’il s’agit de réprimer, par un châtiment sévère, cet esprit réfrac
taire et frondeur.
Mais saint Benoît a grand soin de rappeler à l’Abbé qu’il y a pour lui
aussi une justice. Toutes scs résolutions doivent être prises dans la crainte
de Dieu et conformément à la Règle. Qu’il sache bien, et sans l’ombre
d’un doute, qu’il rendra compte de chacune d’elles au Juge souveraine
ment équitable. C'est Dieu qui se réserve d’apprécier chez l’Abbé
l'abus du sens propre ; la perspective d’une disciplina regularis divine
écartera de lui toute velléité de tyrannie.
Si qua vero minora agenda sunl in monasterii uti
litatibus (1), seniorum tantum utatur consilio, sicut
scriptum est : Omnia fac cum consilio, et post factum,
non pocnitcbis.
C’est la seconde hypothèse, le cas des affaires moins importantes :
nous en avons dit un mot dès le début du chapitre. Il faut bien comprendre
la pensée de l’Ecdésiastique (xxxn, 24). Sans doute l’Abbé devra se
garder d’une confiance illimitée en sa compétence et en son jugement;
le pouvoir absolu est dangereux surtout pour celui qui l’exerce. Mais
enfin il ne faudrait pas prendre trop à la lettre le mot omnia. Même
lorsqu’il s’agit de mesures graves, il est d'expérience que l’Abbé fera
mieux parfois de ne consulter que sa conscience. Remarquons de plus
qu’un échec ne suffirait pas à démontrer qu’il a agi témérairement. Et
lorsque l’Écriture lui dit que, s’il prend conseil, il n’aura pas à se repentir
dans la suite, elle ne lui promet pas la réussite et l’infaillibilité. Elle
n’affirme pas davantage qu’en cas d’insuccès il pourra rejeter la res
ponsabilité sur autrui et se laver les mains de ce qui est advenu.
Les temps ont changé depuis saint Benoît. Il avait écrit la Règle avec
sa conception de la patria potestas, de la toute-puissance paternelle, telle
sicut flZiÿuî codices habent, sed sicut in illo quem manibus suis scripsit, proterve aut foris
Vionasltrvum reperilur. Unde intclligitur quia foris nullam, intus autem esse conten
tionem permisit amicam. On voit bion d’ailleurs que certains copistes et commentatjura
ont été ici un peu embarrassés. Cf. Paul Diacre, in h. i,
(1) Monasterii utilitas : Cass., Inst., VU, ix.
68
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
qu’elle était impliquée dans le droit romain. Chez les supérieurs comme
chez les moines, la foi était vive et l’on s’accommodait fort bien d’un
gouvernement absolu. Mais, lentement, les vieux cadres ont un peu
cédé sous la poussée de mœurs différentes. A dire vrai, la démocratie
ne s’est pas plus introduite dans l'Église que dans la famille monastique ;
il est incontestable pourtant qu’une valeur plus grande a été donnée peu
à peu à l’individu. Sans doute aussi des expériences fâcheuses ont montré
à quelles imprudences peut se laisser entraîner un pouvoir pratiquement
sans limite. Il n’est pas jusqu’à la Commende elle-même qui n’ait mis
les individus en demeure de prendre leurs précautions contre un pouvoir
à rie, sans contrepoids et parfois très séculier. C’est dans ce dessein qu’ont
été conçus et la triennalité des Abbés, et les moyens variés dont la pensée
commune est de réduire, quelquefois même d’infirmer l’autorité abba
tiale. Les constitutions de chaque Congrégation énumèrent un certain
nombre de cas où l’Abbé doit obtenir le consentement du conseil de com
munauté, du conseil des sénieurs, voire du Chapitre général, et les affaires
sont souvent décidées au scrutin. Nous ne croyons pas qu’un Abbé ait
rien à regretter de la liberté et de l’initiative d’autrefois. H suffit que
les dispositions législatives actuelles viennent de l’Êglise pour mériter
d’être bien accueillies ; mais, encore une fois, il faut reconnaître qu’elles
sont justifiées par le souci de conjurer les mesures arbitraires et péril
leuses. Aussi bien, dans les communautés sagement gouvernées et de
bon esprit, les choses se passent toujours comme au temps de Saint Be
noît : un mouvement de confiance filiale fait remettre aux mains
de l’Abbé la décision d’affaires qu’il connaît mieux que personne ; on
ignore les conflits entre l’Abbé et sou conseil, et tout se fait d'un commun
accord.
CHAPITRE IV
QUELS SONT LES INSTRUMENTS DES BONNES ŒUVRES
Tout ce qui précède nous a fait connaître la constitution organique
de la société monastique. Dorénavant, jusqu’au chapitre VIII, il sera
parlé de l’individu et de son programme de perfection surnaturelle : c’est
la portion de la Règle qui forme ce qu’on peut appeler la spiritualité de
saint Benoît ; c’est la constitution spirituelle des moines. Nous nous
rappelons avec quelle insistance N. B. Père marquait dans le Prologue que
le développement de la vie chrétienne se réalise par la pratique des
bonnes œuvres et l’exercice constant de toutes les vertus : il décrit
maintenant cette activité ordonnée. La longue énumération du cha
pitre IV cataloguera les principales formes sous lesquelles elle se traduit ;
et de petits traités seront consacrés ensuite aux dispositions fondamen
tales d’obéissance, de recueillement et d’humilité.
Instrumenta bonorum operum. La sagacité des commentateurs s’est
exercée à préciser la signification de ces trois mots. L’apôtre saint Paul
ayant parlé deux fois de l’armure du chrétien, N. B. Père voudrait-il
indiquer ici les qualités intérieures dont nous devons être munis —
habitus adivi quibus instruimur — pour accomplir en effet toutes
bonnes œuvres? Ou bien saint Benoît considère-t-il les textes scripturaires
dont sont formés presque tous les versets de ce chapitre comme de
vrais instruments, des procédés d’une efficacité assurée, destinés à nous
faire pratiquer les bonnes œuvres? comme si, pour réaliser le bien, nous
n’avions besoin que d’entendre les sollicitations divines. D’une façon
moins subtile, on pourrait donner au mot instrumenta son sens de
textes authentiques, qui ont valeur juridique, et traduire : les règles
des mœurs, les formules pratiques du bien. Il signifie encore outils,
attirail, appareil, ressources, et, dans l’espèce, les outils avec lesquels
s’opère le bien, tous les procédés, tout l’appareil des vertus, en définitive
les vertus et les bonnes œuvres elles-mêmes. Tel est, semble-t-il, le sens
le plus conforme à la pensée de saint Benoît; il parlera, en terminant
ce chapitre, des « instruments de l’art spirituel », et présentera le
monastère comme « l’atelier » où l’on apprend à les manier (1) ; c’est
(1) C’est probablement un souvenir de Cassien, disant des jeûnes, des veilles, etc.,
70
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
perce qu’il s’agit réellement des bonnes œuvres qu’on pourra les dire
adimpleta.
Un mot sur les sources du chapitre IV. La série presque entière des
instruments se trouve dans la seconde partie de la première Ëpître
Décrétale de saint Clément (1); mais on a reconnu depuis longtemps (2)
que cette seconde partie était apocryphe et 1’œuvre d’Isidore Mer
cator. Il existe sûrement des analogies entre le chapitre de saint
Benoît et le débutde la Doctrine des Apôtres (reproduit dans le livre VII
des Constitutions apostoliques); Γπη et l’autre, par exemple, commen
cent par l’énoncé du double commandement de la charité ; D. Butler
estime pourtant qu’on ne saurait trouver la preuve certaine d’un
emprunt (3). On pourrait rapprocher aussi le passage de la sainte Règle
des quarante-neuf sentences publiée? par le cardinal Pitra sous le titre :
Doctrina Hosii episcopi (f 397) (4); ou bien des Monita de Porcaire,
abbé de Lérins (fin du cinquième siècle) (5); ou encore de la Doctrina
d’un évêque Séverin, qu’on n’est pas encore parvenu, que je sache, à
identifier (6). Chez les philosophes païens eux-mêmes, nous trouvons des
1 .rmulaires analogues : voir, par exemple, les Sentences attribuées aux
Sept Sages de la Grèce (7), les Sentences en prose qui précèdent les
Disticha Calonis, et les Sentences de Sextus, dont saint Benoît citera un
fragment an chapitre VII (8). Toutes les civilisations nous ont laissé des
spécimens de littérature gnomique : c’est à ce genre que se rattachent les
Proverbes et l’Ecclésiastique. Nous sommes naturellement portés à
mettre notre vie morale en devises, à la traduire en axiomes pratiques ;
il nous semble qu’il y a facilité plus grande pour le bien, lorsque nous
arrivons à une formule brève, pleine, bien frappée, qui porte comme une
gracieuse invitation dans sa perfection même. Les vieilles règles monas
tiques s’exprimaient d’ordinaire sous cette forme seatentieuse et
qu’ils sont perfectionis instrumenta (Contai. I, vu). Ailleurs, Cassien mentionne les
in-frvmenài virlulum (Contai. VI, x); et saint Benoît reproduira cotte expression au
demior chapitre de sa Régie, instrumenta a encore le sens de documents, d’archives,
(1) P. G., 1,480.
(2) VA'-illox, Ve'ara Analecia, t II, p. 94, note c (édit 1723).
(3: «S Ben di.-t and the duae viae », dans The Journal of Theological Studies, Ja
nuary Γ10, p.2&?. Voir aussi dans la même Revue, January 1911, p. 261, un article où
D. Bun er traite des sources du chapitre iv ; il démontre que le Syntagma doctrinae,
c'it de S. Athanase (P. G., XXVIII, 835), ne doit pas être rangé parmi les sources
ce saint Benoît
(4) Anakda sacra d classica, p. 117.
__ (5) Réédités dans la Rente bhddictine, octobre 1909. Voir aussi une ancienne traduc
tion de râdmontft’o ad monachos de S. Basiee, rééditée dans la même Revue, avril
Dlù.
(6) Pez, Thesaurus Anccdolorum novissimus, t. IV, P. II, col. 1-1 ; ou dans Fabricius,
Bibliotheca latina mediae et infimae aetatis, t. II (ad calcem).
(7) Nullach, Fragmenta Philosophorum graccorum, t. I, p. 212 sq.
(8) Ilid., p. 523 sq. — Cf, W ex man, Wochenschiift fur klass. Philologie, 1896,
p. -vJ.
QUELS SONT LES INSTRUMENTS DES BONNES ŒUVRES 11
sobre (1). Et c’est chez elles, c'est dans la sainte Ecriture, c’est un peu
partout, que N. B. Père semble avoir glané ses soixante-douze instru
ments des bonnes œuvres : il n’est pas prouvé, jusqu’iet, qu’il n’ait lait
que copier, en les modifiant plus ou moins, une ou plusieurs collections
antérieures.
i h 5
11 serait superflu de vouloir ramener les instruments à une distribu
tion méthodique et au développement d’un plan unique, saint Benoît
n’ayant songé à rien de semblable. Il se borne à placer en tête ce qu’il
y a de plus considérable et d’élémentaire; il groupe les sentences qui se
rapportent à un même but et sont reliées par quelque analogie. Nous
remarquerons que les maximes de la perfection surnaturelle voisinent
avec les préceptes essentiels du christianisme : c’est que ceux-ci renferment
dans leur simplicité même toute la doctrine morale et qu’ici, comme dans
iiI II dans les chapitres qui vont suivre, N. B. Père con
le Prologue, comme
çoit la sainteté monastique sous la forme d’un épanouissement régulier,
normal, tranquille du baptême.
QuAE SINT INSTRUMENTA BONORUM OPERUM.
Primum instrumentum (2) : In primis, Dominum
Deum diligere ex toto corde, tota anima, tota vir
tute.
In primis : oui. à tous points de vue, c’est bien le premier des instru
ments. D’abord, le précepte est universel. Il se trouve déjà tout entier
dans la loi mosaïque (Debt., vi, 5) ; et le Seigneur n’a eu besoin que de
le rappeler (ALlrc., xn, 30). On ne saurait méconnaître toutefois que le
Nouveau Testament lui ait donné une place de plus grand honneur. Il
y a eu sous la loi nouvelle une plus large et plus intime effusion de l’Esprit
de Dieu : Caritas Dei diffusa est in cordibus nostris per Spiritum Sanctum
qui datus est nobis; et la charité filiale est, selon l’enseignement de
Γ Apôtre, la caractéristique de la nouvelle alliance.
C’est un précepte compréhensif et complet. Il nous est agréable de
voir concentrer en une obligation unique tous les devoirs de la vie chré
tienne. L’esprit est plus attentif lorsqu’il n’a qu’une chose à regarder,
la volonté plus décidée lorsqu’elle n’a qu’un but à poursuivre, l’âme
plus sereine et plus joyeusement persévérante lorsqu’elle a tout
ramené à l’unité. On ne nous demande que d’aimer. Toute vio morale
se résume là. Dilige, et quod vis fac, disait saint Augustin ; et avant lui,
(1) Voir, par exemple, les Règles de S. Macaire, de S. Pacôme (clix), etc.
(2) Les mots Primum instrumentum ne se lisent pas dans les manuscrits ; le numé
rotage des instruments no s'y trouve pas non plus.
72
01
V
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
l’Apôtre, attribuant à la charité les actes do toutes les vertus particu
lières, «avait établi que La charité suffit à elle seule, mais qu’en dehors
d’elle rien ne suffit (I Cor, nui).
C’est un précepte facile, et du côté de son acte et du côté de son objet.
Il n’est besoin ni d’être grand, ni d’être riche, ni d’être en santé, ni
d’être intelligent pour aimer. C’est l’acte le plus spontané et le plus
simple; c’est un acte premier auquel nous avons été préparés dès l’en
fance, grâce aux sourires et «à la tendresse qui ont accueilli notre vie ;
Dieu i'a provoqué ainsi de manière à se l’assurer. L’acte est facile du
côté de son objet : car il est aussi naturel d’aimer Dieu que de le con
naître, et à cela suffisent les seules facultés de l’homme. Sans doute
un tel amour, tant qu’il n’a point pour racine une faculté surnaturelle,
ne saurait nous porter jusqu’à Dieu ; mais il reste que Dieu est naturelle
ment aimable. Sumaturellement, il l’est à bien des titres ; il s’est fait con
naître ànous parles bienfaits généraux du christianisme et par cette révéla
tion desabonté qui est impliquée dans chacune de nos existences. Il nous a
donné ce qu’il faut pour l’aimer sumaturellement, pour lui rendre une tendresseégale à la sienne. Et il a ajouté le précepte : diliges ; or, le précepte
a son efficacité propre pour nous faire connaître et aimer Dieu ; car, en fin.
celui-là seulement qui aime, celui-là seulement qui est bon et beau a
le droit d’exiger d’être aimé, celui-là seulement qui aime sans partage
a le droit d’exiger un amour sans partage. C’est vraiment chose aisée et
douce que d’aimer notre Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit, la tendresse,
la beauté et la pureté infinies.
La seule objection que l’on puisse élever est celle-ci : « Je le veux, aimer
est nécessaire et suffit; mais en fin, aimer est-il si facile? Moi, je n’ai jamais
rencontré Dieu nulle part. Puis, j’ai vécu longtemps étranger et inattent'.f
à lui. Je ne conteste la réalité ni de sa beauté ni de son amour pour
moi, mais tout cela est d’un monde très spirituel où je n’ai guère accès.
Et je suis, d’ailleurs, de trempe positive, plutôt sèche et froide, le surna
turel n’éveille chez moi nulle émotion. » Il y a, à la base de cette objec
tion, une fausse définition de la charité. La charité, selon saint Thomas,
est amitié entre l’homme et Dieu ; et un païen nous avertit qu’une amitié
vraie s’applique à vouloir et à écarter les mêmes choses : Eadem velle,
eadem nolle, ea demum firma amicitia est. Aimer Dieu, c’est vouloir ce
que Dieu veut et faire ce que Dieu demande, c’est unir pratiquement not re
volonté à la sienne. N’est-ce pas la doctrine du Seigneur lui-même en
saint Matthieu (yn, 20 sq.) : Ex fructibus eorum cognoscetis eos. Non
omnis qui dicit mihi : Domine, Domine, intrahit in regnum caelorum, sed
qui facit voluntatem Patris mei qui in caelis est. Ni l’exaltation des pre
mières heures de la vie spirituelle, ni même le plaisir épuré et très
noble qui est le rejaillissement sur toutïêtre d’une charité éprouvée
déjà, no sont nécessaires et ne constituent des indices infaillibles de notre
*»·
I·**
QUELS SONT LES INSTRUMENTS DES BONNES ŒUVRES 73
intimité avec le Seigneur. Tontes ces formes de joie sont simplement
surajoutées à la charité comme un encouragement ou comme une avance
de salaire et d’hoirie. H est même constant cjue, pour parvenir, sinon
encore à la sainteté, du moins à un certain degré d’amour véritable, il
faut savoir être fidèle sans plaisir, dans l’aridité et jusqu’au milieu des
bourrasques intérieures qui font frémir la sensibilité entière.
Nous n’avons qu’à continuer la lecture du primum instrumentum
pour reconnaître le caractère et la mesure de notre, charité. H faut aimer
« avec son cœur », c’est-à-dire non pas nécessairement d’un amour
affectif et ressenti, mais enfin avec l’intime de soi-même. Nulle difficulté,
semble-t-il. Pourtant, il y a toujours danger, dans une vie régulière
et liturgique, de n'aimer Dieu qu’avec ses lèvres, dans la routine des
prestations matérielles. C’est la tendance judaïque, dénoncée maintes
fois et flétrie par les Prophètes et par le Seigneur. Elle peut naître d’une
occupation très chère, qui draine à son profit le meilleur de notre atten
tion et ne laisse à Dieu que le maigre hommage d’un ritualisme obligé.
Aimer « avec tout son cœur », ce sera faire rayonner en nous la cha
rité. incliner devant Dieu l'intelligence et la volonté, et par elles les
forces inférieures elles-mêmes ; et c’est précisément afin de mieux
embrasser le tout que l’amour se ramasse au centre et au nœud vital :
Deus meus, volui, et legem luam in medio cordis mei.
Tota anima. Sans prétendre donner une valeur exclusive et souve
raine à ces exégèses, peut-être pourrait-on considérer ici l’âme comme
principe de la vie et de la continuité de la vie, puisque, l’âme se reti
rant, la vie cesse. Aimer Dieu de toute son âme suggérerait alors la
loi de continuité dans l’adhésion à lui, qui doit régir notre activité surna
turelle. Cette continuité a ses degrés. On rencontre des grâces extra
ordinaires, des grâces de présence intellectuelle et de contemplation
infuse ; mais elles sont accordées le plus souvent à ceux qui usent
bien de la grâce commune. H est normal que notre pensée soit tour
née d'une façon assidue vers celui à qui nous avons fait profession
d’appartenir. Non sans doute que nous puissions à chaque instant for
muler un acte de charité, mais nous pouvons vivre habituellement sous
son influence. Dieu est simple, il est souple comme un parfum et peut
pénétrer toute notre vie. Le meilleur travail intellectuel n’est-il pas celui
qui s’accomplit sous son regard? Avec un peu d’entraînement, le contact
avec Dieu devient familier : « Notre cœur est là où est notre trésor » ; et
notre esprit renent à lui de façon formelle, aussitôt qu’une autre occu
pation ne le confisque plus. Toute vie est une adaptation à des conditions
de milieu : l’atmosphère où se développe la vie surnaturelle est la cha
rité, la paisible et perpétuelle attention au Seigneur.
Nous devons aimer iota virtute, c’est-à-dire avec toutes nos puissances,
de telle sorte qu’elles s’emploient sans réserve au profit de l’amour et de
« ♦
71
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
Dieu. Ceci est la condition même de l’amour : fonte di’ection ré e'le est
absolue et sans limites ; dès lors qu’on aime, on ne discute plus, on se
donne entièrement, on tente an besoin l’impossible. La charité n ex
cepte rien. Elle veut s’emparer de tous nos instants, diriger toutes nos
démarches, ordonner toutes ms affections. Et lorsque nous avons épuisé
la longue série des sacrifices, lorsque nous avons courageusement fait
disparaître l’une apres l’autre les idoles qui encombraient notre âne,
il reste ordinairement une idole dernière, non pas la plus grossière, ni
peut-être la plus aimée, une idolo quelquefois toute petite et ridicule,
mais c'est la dernière ; et c’est là que le moi. débusqué de partout, s’est
réfugié tout entier. Si nous ne voulons pas demeurer éternellement
sur place, il faut nous armer de beaucoup de résolution et de délica
tesse et couper l’amarre.
2. Deinde proximum tamquam seipsum (Marc
su, 31).
Avec la charité envers Dieu, la charité envers le prochain : In his
duobus mandatis universa lex pendet et prophetae. Nous pouvons donc
nous arrêter aussi devant le précepte de la charité fraternelle ; il est
d’application constante, et la moitié des instruments des bonnes œuvres
ne font qu’en formuler les différentes modalités et n’en sont que le mor
cellement.
L’objet de notre charité, c’est le prochain, c’est-à-dire notre frère,
quel qu'il soit ; et, selon la définition du Seigneur, c’est tout homme à
qui nous pouvons faire du bien, fût-il Samaritain. Là où l’on excommunie,
là où il y a tel de ses frères qu’on ne voit pas, en face de qui on se tient
dans l’attitude d’une neutralité boudeuse, irritée, ou même de l’hostilité
violente, on est un fuyard et un hérétique de la charité. C’est soi-même
qu’on excommunie. Si vous cultivez une inimitié contre un seul de vos
frères, la charité n’est plus en vous ; ce qui vous détermine à demeurer
en bons termes avec les autres, c’est l’amour de vous-même, c’est un
attrait naturel, une sympathie humaine, quelquefois infra-humaine,
peut-être purement animale. Pourquoi les communions produisentelles parfois si peu de fruit? parce que nous y mettons un obstacle,
et, d’ordinaire, l’obstacle est là. D’où viennent certaines apostasies?
du mépris de la fraternité. 11 est sùr que chez des religieux les fautes
contre la charité, par éloignement ou par detraction, sont celles où se
rencontre le. plus facilement gravité de matière.
Le motiî de notre charité c’est Dieu. Nous aimons parce que Dieu aime
que nous aimions. Nous aimons parce que le prochain est à Dieu et que
*
QUELS SONT LES INSTRUMENTS DES BONNES OEUVRES 75
l’amour que nous avons pour Dieu se répand naturellement sur tout ce
qui le touche. Nous aimons parce que Dieu aime, et nous inclinons cer
taines répugnances personnelles devant la souveraine appréciation de
Dieu. Nous aimons parce qu’il y a de Dieu dans le prochain; comme
ΓEucharistie est une extension de l’incarnation, de même le prochain
est une extension de l’Eucharistie : Dieu a été jaloux que nous ne ren
contrions que lui dans toutes les avenues de notre vie. Le Seigneur
se considère lui-même comme le bénéficiaire réel de notre charité :
Quant diu fecistis uni ex hi-s fratribus meis minimis, mihi fecistis
(Μλτττι., xxv, 40). Il n’y a vraiment qu’un seul acte de charité qui,
indivisiblement, embrasse Dieu et nous-mêmes et le prochain : Dieu parce
(pie c’est lui, et nous pour lui, et le prochain parce qu’il est à lui et en lui.
Et, de peur que nous ne demeurions parfois indécis sur l’étendue de
notre charité, on nous a fourni un critérium facile : l’amour surna
turel que nous avons pour nous-même : tamquam seipsum. Tout le bien
que nous nous souhaitons, (pie nous travaillons à nous procurer, nous
devons le ménager au prochain par notre désir, notre prière, nos efforts.
Toutes les fois que vous traitez avec votre frère, nous dira le neuvième
instrument, et alors surtout qu'il s’agit de réclamer de lui un sendee ou
d’exercer à son endroit le devoir de la correction, usez d’un affectueux
dédoublement : selon l’expression vulgaire mais bien exacte, mettez-vous
à sa place.
Saint Jean a parlé toujours de charité. Mais, au chapitre rv de sa
première Ëpître il expose doctrinalement quelle place elle occupe dans
1 économie de la vie surnaturelle. Dieu, dit-il, est charité : il nous l’a
prouvé par l’incarnation et la Rédemption; ceux qui vraiment le con
naissent ne le connaissent que comme tel. Et ceux qui sont réellement
nés de lui, qui sont ses fils légitimes, ne peuvent avoir que son tempéra
ment, ils ne peuvent être que charité. La charité est un être, une nature,
un caractère. A ce titre, elle est une disposition universelle : ceux qui
sont nés de Dieu ne peuvent qu’aimer, et cette tendresse doit se porter
spontanément sur les deux objets de la tendresse divine. Dieu et le pro
chain. Mais notre communion à la vie divine demeure, comme Dieu même,
de l’ordre des choses cachées. La preuve que nous sommes nés de Dieu
ne saurait donc être fournie que du côté où le terme de notre charité
est visible : c’est le prochain seulement qui nous donne occasion de
manife ter que nous aimons Dieu et sommes bien de sa race. Lorsque
notre charité ne s’exerce pas envers le prochain, il est permis de conclure
qu’elle n’existe pas. Qui enim non diligit fratrem suum quem videt, Deum
quem non videt, quomodo potest diligere? Cette théologie profonde de saint
Jean n’est que le développement de la parole du Seigneur : In hoc
cognoscent omnes quia discipuli mei estis, si dilectionem habueritis ad
invicem.
76
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
3. Deinde non occidere (Ex., xx, 13-17; Matth.»
xix, 18; Rom., xiii, 9).
4. Non adulterari (ib'd.).
5. Non facere furtum (ibid.).
6. Non concupiscere (ibid.).
7. Non falsum testimonium dicere (ibid.).
8. Honorare omnes homines (I Petr., ii, 17).
9. Et quod sibi quis fieri non vult, alii non faciat.
Du troisième au septième instrument nous avons l’analyse négative
du précepte de la charité. Aimer le prochain, c’est le respecter dans sa
personne et dans sa vie, dans la personne de qui lui est uni par le mariage,
c’est le respecter dans ses biens ; le désir même de lui nuire est interdit ;
et il est moins légitime encore de mettre en mouvement contre lui la
force sociale au moyen de faux témoignages. On pourrait se demander
comment de tels avertissements peuvent convenir à des religieux. Mais il
faut se souvenir que saint Benoît énumère simplement les points élémen
taires de la morale chrétienne ; qu’un moine n’est jamais dispensé d’y être
attentif; qu’il peut se rencontrer, même dans un monastère, des formes
diminuées de ces vices odieux, et qu’après tout l’histoire monastique a
enregistré quelques forfaits du genre de celui dont N. B. Père lui-même
faillit être la victime à Vicovaro.
Les instruments huitième et neuvième nous donnent l’analyse positive
du précepte. Mais alors que la loi mosaïque et l’Évangile, auxquels sont
empruntés les cinq instruments qui précèdent, ajoutaient la recommanda
tion d’honorer son père et sa mère, saint Benoît, qui s’adresse à des moines
séparés de leurs parents, emprunte à saint Pierre la formule plus générale
d’honorer tous les hommes. Il nous rappelle ensuite quelle doit être la
mesure de notre charité ; c’est la « Règle d’or », qu’il citera de nouveau
aux chapitres LXI et LXX, et toujours sous forme négative. Nous la
trouvons exprimée sous forme positive dans saint Matthieu (vu, 12) et
dans saint Luc (vi, 31); mais elle est de forme négative dans Tobie
(rv, 16), dans certains manuscrits anciens des Actes (xv, 20 et 29),
dans la Doctrine des Apôtres et chez plusieurs Pères de l’Êglise. Il
semble que saint Benoît cite plutôt d’après le texte des Actes ou d’après
les Pères que d’après Tobie, à moins qu’il ne s’agisse simplement d’un
proverbe, gravé dans la mémoire de tous et d’usage courant (1).
(1) Voir l’article de D. Butler, dans The Journal of Theol. Stud., January 1910.
QUELS SONT LES INSTRUMENTS DES BONNES OEUVRES
ΊΊ
10. Abnegare semetipsum sibi, ut sequatur Chri
st urn (Matth.,
24 ; xix, 16 sq.).
I I. Corpus castigare (I Cor., ix, 27).
xvi,
12. Delicias non amplecti (1).
13. Jejunium amare.
Après avoir parlé de la charité envers Dieu, de la charité envers le
prochain, saint Benoît pouvait dire quelques mots de l’amour de nousmêmes. Dans l’état de sa justice originelle, l’homme s’appuyait sur Dieu
d'une façon consciente et voulue; la dignité et la force consistaient
pour lui à rapporter à Dieu toute cette image divine qu’était son
être. En se détachant de Dieu dans le fol espoir de monter plus près de
lui et de devenir son égal, l’homme retomba d’abord sur lui-même, puis
bientôt au-dessous de lui-même, et jusqu’à la ressemblance de la bête.
C’est la doctrine de saint Augustin (2). Nous avons été touchés au
cœur, à cette attache première, à cet amour initial qui ordonne toute la
vie. Désormais, prévaut le culte du moi, l’égoïsme sous toutes ses formes :
adoration de son corps par la luxure, la gourmandise, la vanité, adora
tion de sa pensée, de sa volonté. Et ce que l’on aime, personnes ou choses,
on ne l’aime que pour soi. L’égoïsme est le vestige unique et universel de
notre déchéance ; il est l’antagoniste unique de notre charité et de notre
salut.
Nous comprenons maintenant pourquoi le Seigneur demande à ceux
qui veulent revenir vers lui de renoncer aux choses extérieures, aux
choses personnelles, de sortir de tout le créé et, selon la formule expressive
de l’É\ angile telle que la lisait saint Benoît (3), de se refuser soi-même à
(1) Il ne faut pas vouloir à tout prix trouver une source scripturaire ; cependant,
le plus souvent, nous nous conformerons à l’usage d’indiquer une léférence à la Bible.
(2) ... Incipiens a perverso appetitu similitudinis Dei, pervenit ad similitudinem peco
rum. Inde est quod nudati stola prima, pelliceas tunicas mortalitate meruerunt. Honor
enim hominis verus est imago et similitudo Dei, quae non custoditur nisi ad ipsum a quo
imprimitur. Tanto magis itaque inhaeretur Deo, quanto minus diligitur proprium.
Cupiditate vero experiendae potestatis suae, quodam nutu suo ad se ipsum tanquam ad
medium proruit. Ha cum vult esse sicut ille sub nullo, et ah ipsa sui medietate poenaliter
ad inia propellitur, id est, ad ea quibus pecora lactantur (De Trinitate, 1. XII, c. xi,
P. L., XLII, 1006-1007).
(3) On la trouve de même chez S. Ambroise. De Poenit., 1. II, 96, 97. P. L.,
XVI, 520-521. Episl. II, 26. P. L., XVI, 886. Saint Benoit s’est souvenu d’un pas
sage de VHistoria monachorum de Rufin, c. xxxi (Rosweyde, p. 484) : Docelat
beatus Antonius quod si quis velit ad perfectionem velociter pervenire, non sibi ipse
fieret magister, nec propriis voluntatibus obediret, etiamsi rectum videatur esse quod vellet;
sed secundum mandatum Salvatoris observandum esse, ut ante omnia unusquisque
abneget semetipsum sibi et renuntiet propriis voluntatibus, quia et Salvator ipse dixit i
Ego veni non ut faciam voluntatem meam sed ejus qui misit me.
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
soi-même. C’est le principe général, dont les instruments qui suivent
signalent trois applications. Elles combattent l’animalité qui est le fond
de tout égoïsme. Châtier le corps et le forcer à n’être plus qu’un serviteur
docile; ne pas chercher avidement le bien-être, les douceurs d’une vie
sensuelle,· avoir de l’estime pratique pour le jeûne, ce procédé classique
de la mortification chrétienne.
14. Pauperes recreare (Is., lviii, 7; Mattii., xxv,
35-36) (J).
15. Nudum vestire (fs., /W.; Mattii., ib d.) (2).
16. Infirmum visitare (Eccli., vii, 39; Mattii.,
17. Mortuum sepelire (Tob., i, 21 ; ir, 7-9).
18. in tribulatione subvenire (Is., i, 17).
19. Dolentem consolari (Eccli., vn, 38; I Thess
v, 14).
Dans la mesure même où nous réduirons nos appétits égoïtes. nous
serons en état de pourvoir aux nécessités diverses du prochain. Si l’occa
sion d’exercer les deux premières œuvres de miséricorde, c'est-à-dire
d’assister le pauvre, ne s’offre guère qu’à l’Abbé ou au cellérier, les moines
auront parfois celle de visiter les malades et d’ensevelir les morts ; tous
pourront secourir ceux qui sont dans l’épreuve et consoler les affligés.
20. A sacculi actibus se facere alienum.
21. Nihil amori Christi praeponere.
Peut-être le voisinage du précepte contenu dans le vingtième instru
ment avec ceux qui précèdent immédiatement a-t-il été suggéré à saint
Benoît par le texte de saint Jacques (i, 27) : Religio mundo, et immaculata
apud Deum et Patrem, haec est : Visitare pupillos et viduas in tribulatione
eorum, et immaculatum se custodire ab hoc saeculo. Ce qui est sûr, c’est
que les instruments vingtième et vingt et unième ont une portée géné(ï) Recreare, c’est non seulement faire l’aumône, mais donner à manger aux pauvres,
|> restaurer, les « refaire ».
(2) Les instruments
15, IG, 22, 23, 25, 26. 27, 41 se trouvent dans un sermon publié
(MI
parmi
♦u les spuria de S. Ambroise (Sermo XXIV, 11. P. L., XVII, 654). Le début et quel
ques autres perdons du sermon appartiennent probablement à saint Césaire, mais le
tout est une compilation où sont entrés des éléments moins anciens,
QUELS SONT LES INSTRUMENTS DES BONNES ŒUVRES
"9
raie, qu’ils sont liés étroitement et se complètent l’un l’autre, qu’ils ont
pour dessein d’orienter la vie, en montrant de quel pôle elle se doit
détourner, vers quel pôle il lui faut tendre. Nous retrouvons l’alterna
tive signalée dès le Prologue : le siècle ou Jésus-Christ, dans un antago
nisme absolu ; on ne peut demeurer neutre, il faut appartenir tout entier
à l’un ou tout entier à l’autre.
Les paroles de saint Benoît sont énergiques : se faire étranger aux actes
du siècle. Les actes du siècle, c’est le mal sous toutes ses formes : Cor
rumpere et corrumpi saeculum vocatur, corrupteur et corrompu, voilà
le inonde. Dès lors que nous sommes entrés dans le Christ par le bap
tême et par la profession monastique, nous devons nous tenir le plus loin
possible du monde, n’avoir aucun rapport avec lui ; il n’y aura pas plus
de relations entre nous qu’il n’y en a entre deux cadavres : Mihi mundvs
crucifixus est, et ego mundo (Gal., vi, 14). Gardons-nous de penser qu’il
soit opportun quelquefois d’atténuer les dissemblances, de diminuer la
distance qui nous sépare. L’Apôtre nous avertit que nous ne pouvons
plaire à Dieu qu’à la condition de garder l’intégrité de ce que nous sommes :
Nemo militans Deo implicat se negotiis s vcularibus, ut ei placeat cui se
probavit (II Tim., ii, 4). Le monde lui-même se scandalise de nos con
descendances à son égard, et la parole de V Imitation se vérifie toujours :
Putamus aliquando aliis placere ex conjunctione nostra, et incipimus magis
displicere ex morum improbitate in nobis considerata (I, vm).
Pourtant nous ne nous sommes pas voués àlasolitude : si nous nous éloi
gnons du monde, cen’est que pour nous rapprocher de Dieu. Nul amour créé
pour une beauté créée ne l’emportera sur l’amour qui nous lie au Christ.
Cette sentence plaisait à N. B. Père, qui la répète au chapitre LXXIL Les
commentateurs indiquent saint Matthieu (x, 37-38) comme source de ce
passage, mais l’inspiration en est plutôt patristique. Il est dit dans la
Vie de saint Antoine : Sermo ejus sale conditus consolabatur moestos,
docebat inscios, concordabat iratos : omnibus suadens nihil amori Christi
anteponendum (1). Et saint Cyprien avait écrit déjà : Christo nihil omnino
praeponere (2).
22. Iram non perficere (Matth., v, 22).
23. Iracundiae tempus non reservare.
(1) Versio Evagrii, 14. P. G., XXVI, 865.
(2) Voici tout le passage de S. Cyprien : saint Benoît semble bien l’avoir connu :
Humilitas in conversatione, stabilitas in fide, verecundia in verbis, in factis justitia. in
operibus misericordia, in moribus disciplina, injuriam facere non nosse, et factam posse
tolerare (c’est le 30e instrument), cum fratribus pacem tenere; Deum toto corde diligere,
amare in illo quod pater est, timere quod Deus est; Christo nihil omnino praeponere, quia
nec nobis quicquam ille praeposuit, cantati ejus inseparabiliter adhaerere (De Oratione
Dominica, xv. P. L., IV, 529).
Q
COMMENTAIRE SUR LA REGLE DE SAINT BENOIT
24. Dolum in corde non tenere (Prov., mi, 20j (1).
25. Pacem falsam non dare (Ps. x.xvn, 3).
26. Caritatem non derelinquere (I Petr., iv, S).
27. Non jurare, ne forte perjuret (Mattii., v, 33
sq.) (2).
28. Veritatem ex corde et ore proferre (Ps. mv,
3).
29. Malum pro malo non reddere (I Petr., hi,
9Ί.
30. Injuriam non facere, sed factam patienter suf
ferre (I Con.,
vi,
7) (3).
31. Inimicos diligere (Mattii.,
v,
44).
32. Maledicentes se non remaledicere, sed magis
benedicere (I Petr.,
iii,
9).
33. Persecutiones pro justitia sustinere (.Mattii.,
v, 10).
H s’agit encore de la charité envers le prochain, mais de la charité
qui s’exerce dans des circonstances difficiles, alors que le prochain nous
est une épreuve on même qu’il se fait ennemi et persécuteur. Il est des
cas où la simple bienveillance intérieure ne suffirait pas, où la charité
doit être doublée de courage et de magnanimité. Ce que le Seigneur
demande, c’est parfois l’héroïsme. Non seulement il ne faut jamais se
départir de la sérénité ou chercher vengeance ; mais tout chrétien doit
avoir dans le cœur cette disposition divine à répondre au mal par le bien.
Pour les enfants de Dieu, la béatitude suprême est de souffrir persécu
tion pour la justice.
Ce groupe de conseils est intéressant aussi en ce qu’il unit à la vertu
de charité celle de droiture. C’est l’honneur de la vie monastique d’être
trempée dans la loyauté et la sincérité absolue, d’être affranchie de toutes
(1) Les instruments 22-28 rappellent Prov., xn, 16-20.
(2) On trouve plusieurs fois cette maxime dans S. Augustin, par exemple
Episl., CLVII, 40. P. L., XXXIII, 693. Josèphe la cite (un peu différente), comme
lamilière aux Esséniens : De Dello Jud., L IL c. vin (al. vu). 11 est curieux d’observer
qu’une partie de rénumération des vertus essémennes donnée par Josèphe correspond
assez bien à la série des instruments des bonnes œuvres depuis 13 jusqu’à 28 :
sobriété, œuvres de miséricorde, abstention des actes de colère, paix véritable, fidélité
à la parole donnée, abstention des serments. Nous ne prétendons pas indiquer là une
source de saint Benoît; encore qu’il ait très bien pu connaître la Guerre des Juifs, par
h traduction latine qui circulait de son temps et qui, selon Cassiodore (De Institut,
div. liü., c. xvii. P. L., LXX, 1133), était attribuée à saint Ambroise, ou à saint Jérôme,
ou à Rufin.
(3) Le texte de saint Benoît reproduit plutôt celui de S, Cyprien ou la Règle de
S, illCAIRE (xxi).
QUELS SONT LES INSTRUMENTS DES BONNES OEUVRES
81
les diplomaties et de toutes les habiletés mondaines. Heureux ceux qui
n’ont rien à dissimuler, qui ignorent les manœuvres tortueuses ou sou
terraines, qui vivent en pleine lumière! Heureux ceux qui ont ramené
chez eux toutes choses à la simplicité parfaite, et qui sont devant Dieu
et devant les hommes ce qu’ils sont, sans dualité, sans hauteur, sans
effort, avec aisance et souplesse.
34. Non esse superbum (Tit., i, 7).
35. Non vinolentum (ibid.).
36. Non multum edacem (Eccli., xxxvn, 32).
37. Non somnolentum (Prov., xx, 13).
38. Non pigrum (Rom., xii, 11 ; Prov., xxiv, 30 sq.).
39. Non murmurosum (Sap., i, 11).
40. Non detractorem
(ibid.).
Désormais, jusqu'au soixante-troisième, les instruments ont, semblet-il, le dessein d’ordonner moralement, non plus notre vie de relation,
mais notre vie isolée, personnelle. Viennent d’abord une série de conseils
négatifs. Les sentences précédentes nous ont mis en garde contre les
mœurs séculières qui fomentent la discorde parmi les hommes : celles-ci
avertissent le moine de s’abstenir des autres « actes du siècle » qui sont
incompatibles avec la dignité chrétienne. La colère et tout son cortège
de vices ayant été bannis déjà, il restait à flétrir l’orgueil, la gourman
dise, la paresse ; la luxure le sera par les cinquante-neuvième et soixantetroisième instruments, et l’envie par le soixante-cinquième. Saint Benoît
condamne spécialement cette disposition, assez coutumière aux désœuvrés
et aux paresseux, qui est le murmure, l’esprit difficile, critique, médi
sant.
41. Spem suam Deo committere (Ps. txxn, 28).
42. Bonum aliquod in se cum viderit, Deo applicet,
non sibi.
43. Malum vero semper a se factum sciat, et sibi
reputet.
Ces préceptes sont destinés à nous prémunir contre l’orgueil secret
qui naît en nous lorsque nous avons fait le bien ou évité le mal. H faut
savoir à qui attribuer, en dernière analyse, l’honneur de nos vertus et
6
M
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
l'ignominie de nos vices. C’est une tendance trop habituelle à l’homme
de n'assumer que la responsabilité du bien qui est en lui et de s’en
décerner la gloire; de plus, à une époque voisine du pélagianisme ou du
semi-pélagianisme, il n’était pas superflu de rappeler brièvement la doc
trine de 1& grâce et celle du libre «arbitre; saint Benoit l'a fait déjà dans
le Prologue. Ici, il proclame que toute la force et la con fiance de I homme
sont en Dieu et non en soi : J/Λ» adhaerere Deo bonum »>/. pourn m
Domino Deo spem meam: que l’homme déchu ne peut revendiquer comme
siens que le mal et le péché (1).
44. Diom judicii timere (Luc., mi).
45. Gehennam expavescere (ibid. ).
46. Vilam aeternam omni concupiscentia >
fuali desiderare (Ps. lxxxiii: Philipp., i, 23 .
47. Mortem quotidie ante oculos suspei
habere (2).
S'il est prudent de distinguer la source d’où découlent nos
il est
indispensable aussi de reconnaître où il nous mènent. Dan ces quatre
sentences, N. B. Père nous avertit de songer à nos fins dernière : la
mort, le jugement, le ciel ou l’enfer. C’est la vie tout entière qui prendra
une physionomie différente, selon que nous la considérerons comme une
nui un voyage. Dans le premier cas, nous somme
promenade ou comme
libres de notre allure et de nos mouvements. Si c’est un voyage, si nou-.
avons un but déterminé, et si les conditions mêmes de ce voyage sont
telles qu’il doit finir bientôt, peut-être de façon inattendue, et qu’il
(1)N. B. Père est d’eccc-rd av-r S. Adoustix : Non ;
«mal de te. tfnlial ■*
hominem, et respidal dictum prophtlicum : Ma · <·<·>μ o · nu 0
lumine. Subducat sc sibi, sed non deorsum versui. Subducat ■,· nbi, ut ha^r^ol Γ>··>. Qu
quid boni habet, iUi tribuat a quo fadus est; quidquid niait hah’t.ip'e nbi /■ it. Dm· qu·
in illo malum est, non fecit (Serm. XCVI, 2. P. L., XXXVIII, :
Une fonnul*
analogue se rencontre cher le philosophe nêo-platonicb n Powtn κγ. : l.la< · ■■· ·'■· ■
άγαθών topi
αίτντ/ήγώμ.ΐ5α· τώ* ci χαχών αίτιοι
έσ il » οΐ
.
(Epist ad Marallam, χπ). On peut aussi rapprocher de la doctrine de saint Benoit
celle du concile d'Orange de 529 : Nemo habet de suo nift mendacium fl pccailum. Λ’ι
çutd autem habd homo teritah’s alque justifias, ab illo fonte est, quem debemus sitire i/i
bac eremo, ut ex εο guari guttis quibusdam irrorati, non deficiamus in lia (Can. χχιι.
Mansi, t VIII, col 716).
(2) Recommandée parla sainte Écriture (Eccll, vu, 40; Ματπτ.. xxiv. 42 sq.).
cette pratique était familière aux anciens moines : Cogita apud temd ipsum et dicito :
utique non manebo in hoc mundo, nisi praesenti hac die, et non peccabis Deo... Ponaique
sibi mortem ante oculos (Reg. S. Antonii, xli, xlv). — Oportet monachum ut temper
lugeai, semper suorum sit memor peccatorum d omni hora ponat sibi mortem ante oculos
suos (Verba Seniorum : Vitae Patrum, IU, 196, Rosweyde, p. 529).
QUELS SONT LES INSTRUMENTS LES BONNES ŒUVRES
83
serait simplement effroyable de n'arriver pas, ne serait-ce pas folie que
de cheminer au hasard? Nous n’avons pas le droit d’oublier le jugement
de Dieu qui nous attend. Nous n’avoiu pas le droit de nous soustraüe
à l’épouvante de l’enfer, comme si l'enfer ne nous regardait pasl II
n’y a pas deux christianismes; et depuis qu’une créature a pu tomber
des marche du trône divin au plus profond de l'abîme, il n’est pour
nous de sécurité que dans un souci perpétuel de nos destinées. Nous
y mar< h. fin du chapitre Lin, les chapitres lviu, lxi, lxvi, lxvu.
CHAPITRE V
DE L’OBÉISSANCE DES DISCIPLES
— Primus humili ( at is
gradus est obedientia sine mora. Haec convenit iis
qui nihil sibi Christo carius existimant. Propter
servitium sanctum quod professi sunt, seu propter
metum gehennae, vel gloriam vitae aeternae, mox ut
aliquid imperatum a majore fuerit, ac si divinitus
imperetur, moram pati nesciunt in faciendo. De
quibus Dominus dicit : In auditu auris obedivit mihi.
Et item dicit doctoribus : Qui vos audit, me audit.
De
obedientia discipulorum.
H n’y a point de contradiction entre l’affirmation par laquelle débu'. c
ce chapitre et la doctrine du chapitre VII qui donne comme troisième
degré d’humilité l’obéissance. Les points de vue sont différents. L’obéis
sance dont il est parlé ici n’est pas un degré spécial, après lequel il y en
aurait un second, puis un troisième : saint Benoît proclame sa valeur
souveraine et déclare qu’elle est le sommet, Vapex, le résumé et l’expres
sion la plus achevée de l’humilité. H ne s’agit pas, en effet, d’une obéis
sance quelconque, mais de l’obéissance empressée et affectueuse, la
seule vraie, la seule digne de Dieu et de nous-mêmes ; c’est de celle-là
seulement qu’il est question, N. B. Père ne voulant pas supposer que des
moines puissent se contenter des formes diminuées et inférieures de
l’obéissance. Quant à l’humilité, saint Benoît l’envisage de la meme
manière qu’au chapitre VU; elle est moins une vertu particulière
qu’un état, un tempérament, une disposition morale définitive. L’obéis
sance et l’humilité, telles que les conçoit N. B. Père, pourraient se définir
l’une par l’autre; ou bien, si elles se distinguent, c’est comme cause et
effet, comme indice et réalité : les actes de l’obéissance nous préparent
et nous conduisent à rhumilité, c’est-à-dire à être devant Dieu ce qu’il
convient que nous soyons, et la perfection de cette attitude, l’achèvement
de notre humilité, c’est une obéissance qui ne temporise pas.
DE L’OBÉISSANCE DES DISCIPLES
F
«
On peut reconnaître dans le chapitre trois parties : les motifs de
l’obéissance, ses qualités extérieures, sa perfection intérieure.
Le seul fait d’être créature, et créature intelligente, nous porte déjà
à l’obéissance. Lorsque Dieu a créé, dit la théologie, il n’a été déterminé
ni sollicité par rien ; mais il a eu un dessein, il a assigné un but non pas
à lui et à son action, mais aux choses elles-mêmes. Il y a une fin morale
des choses, un programme éternellement conçu par Dieu et qui se réaire
dans le temps sous sa main toute-puissante. La fin des êtres, c’est le
bien ; et le bien essentiel de la créature, c’est d’être ce que le Seigneur
veut qu’elle soit, de faire ce qu’il veut qu’elle accomplisse, d’aller par ses
actes là où il veut la conduire, c’est-à-dire à la manifestation des attributs
divins. Chacune des choses collabore à sa manière, moyennant l’activité
spontanée de son être, à l’exécution d’un vaste plan d’ensemble, dont
nous ne saisirons bien qu’au ciel toute l’harmonie *. nul ne s’y sous
trait pour suivre son caprice; c’est un concert sans fausse note. Toute
créature demeure, ontologiquement, vraie et bonne : elle est de Dieu,
elle est pour Dieu. Toute la création obéit; elle obéit bien, jusqu’à la
souplesse absolue, jusqu’au miracle ; Dieu peut toujours attendre d’elle
ce qu’au chapitre LXXI saint Benoît appellera obedientiae lonum. Et
c’est un spectacle impressionnant qu’une sujétion si universelle. Mais les
êtres matériels font le bien sans savoir ; « les cieuxqui chantent la gloire
de Dieu » ne comprennent pas leur cantique. L’homme seul est l’ouvrier
de Dieu conscient et volontaire. L’ordre, pour lui, et la joie, c’est
d’entrer librement dans ce concert de la création, d’être le collaborateur
aimant de Dieu. Et toute loi qui se présente à nous avec autorité, n’est
que l’expression du mode selon lequel nous pouvons aider Dieu à réaliser
son programme de bien et de beauté. Nous avons là le sens exact de
l’obéissance.
Il est tel encore et surtout dans l’économie surnaturelle. Et sî N. B.
Père propose à notre obéissance des motifs plus attrayants et plus effi
caces que cette considération philosophique et un peu stoïcienne : Toll
te insere mundo, n’a-t-il pas cependant, dès le Prologue, présenté le moine
comme l’ouvrier privilégié que cherche Dieu? n’invoque-t-il pas ici
même le servitium sanctum qu’a voué le religieux? et ne décrit-il pas
l’obéissance comme une conformité pratique de nos desseins à ceux de
Dieu?
Tout nous invite à l’obéissance prompte : la loyauté, la prudence,
l’espérance, la charité. Les uns voient dans l’obéissance la fidélité aux
engagements de leur profession : nous avons donné notre parole; et il
est sûr que ce jour-là nous n’avons ni promis de désobéir, ni formulé de
réserve quelconque. Les autres se souviennent que l'enfer a été créé pour
engloutir une rébellion ; l’obéissance leur apparaît comme la condition
même de leur sécurité ; et. pour ne pas être le plus élevé, ce motif est bon
96
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
cependant et surnaturel. D’autres font de l’obéissance un exercice de la
vertu d’espérance : n'ignorant pas que le salaire promis est la vie
étemelle, ils se portent à l’obéissance comme à la rançon de leur gloire
future.
Mais le motif profond de l’obéissance, celui qui prime tous les autres
et dont tous les autres ne sont guère que le morcellement, et le détail,
c’est la charité. L’obéissance prompte, dit saint Benoît, est le propre
de ceux qui estiment n’avoir rien de plus cher que le Christ (nous recon
naissons le vingt et unième instrument des bonnes œuvres). Il semble
que cela soit facile et normal de ne rien préférer au Seigneur? En effet ;
mais pratiquement, peut-être à notre insu, il est souvent des choses que
nous aimons plus que lui : une passion, une idée, un projet, un désir.
Toutes nos résistances, nos inerties, nos atermoiements, nos difficultés
viennent de là. Aussi longtemps que nous avons notre programme per
sonnel, que nous nous définissons à nous-mêmes notre direction et l'em
ploi de notre activité, nous ne sommes pas libres et le Seigneur n’est pas
libre chez nous; l’obéissance parfaite n’existe pas encore. Mais, à dater
du jour où il n’est rien que nous aimions hors de Dieu, que nous aimions
plus que Dieu, nous devenons dans sa main une vigueur disponible,
une force qu’il utilisera à son gré. Comme il importe de prendre garde
à ne relever jamais l’édifice de la volonté propre jeté à bas dès le début
de notre vie monastique! L’âge nous y porte, quelquefois même les
obédiences nous deviennent un piège. Pourquoi désapprendre la sim
plicité et la naïveté de notre soumission première, puisque l’indice
de notre croissance surnaturelle résidera toujours dans l'empressement
de notre obéissance?
Ceux qui aiment le Christ, dit saint Benoît, ne peuvent souffrir de
retard dans l’exécution de l’ordre donné, les délais leur sont impossibles :
moram pati nesciunt in faciendo. Us ont reconnu la voix aimée du Sei
gneur (1). La personne du supérieur, avec son caractère ou ses défauts,
ne leur fournit jamais de prétexte pour se dérober. Us ne distinguent pas
entre ce qui vient directement de Dieu et ce qui vient encore de lui, mais
par l’intermédiaire de l’homme. C’est toujours à Dieu qu’ils obéissent,
comme l’affirme à ceux qui le représentent le Seigneur lui-même : Qui vos
audit me audit (Luc., x, 16). Quant aux choses, elles n’ont de couleur et
de saveur qu’autant que Dieu les veut et les aime ; elles sont indifférentes
jusqu’à ce qu’aient apparu les relations qu’elles soutiennent avec la
volonté divine : moz ut aliquid imperatum a majore fuerit (2). Le simple fait
doctrinal qu’au Seigneur va toute notre obéissance nous donne la mesure
ce sa dignité et de son mérite ; il en commande aussi l’allure rapide ; et
(1) Réminiscence de Cassien, Inst., IV, x, xxiv ; XII. xxxn.
(2) Slûtiir.que cvm titi a majore fuerit imperatum (S. Pach., Heg., xxx).
DE L’OBEISSANCE DES DISCIPLES
97
le Seigneur s’applaudit avec fierté d’être si bien écouté et compris : In
auditu auris obedivit mihi (Ps. χνπ, 45).
Ce n’est que justice pour le Seigneur de se féliciter, puisque notre
obéissance est son œuvre. Comprenons bien. Notre âme est un sanctuaire,
le sanctuaire du Dieu vivant. Il y a eu effusion de la vie du Seigneur en
nous ; et tout le travail de Γ Église n’a pas d’autre intention que d’assurer
en chacun et en tous la croissance complète du Christ. Cette doctrine
est élémentaire et connue. Celle qui l’est moins peut-être, c’est que, dar.s
l’ordre surnaturel, n’ont de réelle valeur et déportée que les œuvres qui
procèdent de ce trésor de la vie divine communiquée. Et notre obéis
sance n’est parfaite que lorsqu’elle est devenue une déférence profonde
et continue envers celui qui vit dans notre cœur. La forme de l’obéis
sance la plus achevée n’est-elle pas de se livrer à toute bonne œuvre
sous la pression intérieure du Seigneur et de son Esprit? N’est-ce pas
dans ce sens que l’Apôtre nous a dit que a se laisser conduire par l’Esprit de Dieu, c’est vraiment être enfant de Dieu»? Et ainsi le Seigneur
nous incline à l’obéissance non pas seulement par des procédés objectifs
et extérieurs, non pas seulement en nous fournissant des motifs d’ordre
naturel ou surnaturel, mais encore en nous faisant communier au
dedans à la vie, aux facultés, aux vertus de celui a qui s’est fait obéis
sant jusqu’à la mort et jusqu’à la mort de la croix».
Ah ! qu’il serait facile de faire l’apothéose de l’obéissance et de montrer
que tout en demeurant, comme la religion, dans le groupe des vertus
morales, elle est néanmoins en contact avec les vertus théologales, celles
qui ont Dieu directement pour objet et qui unissent à lui. Elle prépare
iilfl imprégnée ; au point de vue de ses élé
à ces vertus et elle en est comme
ments positifs, elle en implique pratiquement l’exercice. Elle est foi,
puisque nous croyons aux volontés de ce Dieu qui se cache dans la per
sonne des supérieurs. Elle est espérance, puisque nous faisons nôtre le
programme de Dieu pour le temps et pour l’éternité. Elle est charité,
puisque l’obéissance filiale et l’amitié réalisent l’une et l’autre la défini
tion : idem velle, idem nolle; et surtout puisque, selon saint Jean, a celui
qui garde la parole du Seigneur, c’est en lui vraiment que l’amour de
Dieu est parfait, et par là nous connaissons que nous sommes en lui »
(I Joann., ii, 5). De même, l’obéissance implique l’exercice de l’adora
tion en esprit et en vérité, l’hommage essentiel que Dieu demande à sa
créature rachetée. On peut dire de l’obéissance qu’elle résume tout le
christianisme : Qui jacit voluntatem Patris mei qui in caelis est, ipse
intrabit in regnum caelorum (AIatth., vu, 21).
ii
I
COMMENTAIRE SÜR LA REGLE DE SAINT BENOIT
Ergo hi tales relinquentes statini quae sua sunt,
et voluntatem propri. m deserentes, mox cxoccupatis manibus, et quod agebant imperfectum relin
quentes, vicino obedientiae pede, jubentis vocem
factis sequuntur; et veluti uno momento praedicta
magistri jussio, et perfecta discipuli opera, in velo
citate timoris Dei, ambae res communiter citius ex
plicantur, quibus ad vitam aeternam gradiendi amor
incumbit. ·
Zoici les qualités de l’obéissance. La première est l’empressement.
Saint Benoît l’a indiquée déjà, mais elle lui paraît si caractéristique qu’il
la décrit avec complaisance, accumulant les synonymes et les images
les plus expressives, dans une phrase qui est peut-être la plus travaillée
de toute la sainte Règle.
L’obéissant n’hésite point. Non seulement il n’invoque pas de pré
textes pour se dérober, mais il ignore même toute délibération et tout
raisonnement avant d’agir. Un ordre quelconque, et d’où qu’il vienne, le
trouve toujours prêt. A cette spontanéité, à cette netteté résolue, la
nature nous a peu préparés. Tout changement nous- déconcerte. On ne
modifie jamais qu’avec effort le repos ou le mouvement des corps ; et
même sans faire appel aux êtres purement matériels, nous savons bien
que, lorsque nous nous appliquons à une œuvre, il y a convergence telle
de toute notre activité, que, s’il faut nous détacher de ce travail pour en
aborder un autre, une secousse intérieure est inévitable ; il s’élève en nous
une protestation secrète, et comme une hésitation involontaire. Mais
chez celui qui est parvenu à l’obéissance véritable, on ne trouve plus
trace de ce premier mouvement. Il délaisse tout aussitôt son œuvre ;
il déserte sa volonté propre, c’est-à-dire sa préférence, son application
du moment. Les choses lui tombent subitement des mains ; ses mains
sont libres. Le travail est inachevé (1)? il n’importe ; on pourra le reprendre
s’il y a lieu ; mais il ne convient pas que Dieu attende. Car Dieu a parlé ;
et pour l’obéissant il n’est plus rien au monde que Dieu et la chose que
Dieu veut de lui. Son obéissance emboîte pour ainsi dire le pas de celui
qui commande, l’exécution suit immédiatement et serre de près l’ordre
donné. Ou, plutôt, il n’y a pas d’intervalle appréciable entre l’une et
l’autre : c’est en quelque sorte dans le même instant très rapide et indivi(1) Cf. Cass., Insl., IV, xn.
DE L'OBÉISSANCE DES DISCIPLES
ttl
sibloment que se réalisent ces deux choses : l’ordre logiquement ante
rieur du maître et son accomplissement par le disciple.
H y a loin de l’obéissance ainsi décrite à celle qui reproduirait la passi
vité et l’inertie d’un cadavre ou bien la docilité inconsciente du bâton
que notre bras manie (1)1 On dit que le propre d’an bon capitaine est
d’avoir sa troupe bien en main, de manière à lui faire produire avec
entrain et unité un maximum d’effet, au moment exact où elle doit
donner. C’est une image de l’âme obéissante : la vraie maîtrise, la
vraie souveraineté intérieure est d’avoir en main, connues et groupée?,
toutes ses forces vitales, afin de les faire collaborer, à l’instant précis,
à l’œuvre que Dieu demande. L’âme est devenue une activité, mais
souple et toujours libre au milieu de son application même; elle est
parfaitement intelligente, elle donne aux choses leur valeur relie ;
elle s’applique ou se détache selon Dieu, par Dieu, pour Dieu. L’em
pressement extraordinaire de son obéissance vient uniquement de sa
crainte de Dieu : in velocitate timoris Dei; elle craint de lui être moins
agréable, elle redoute de le perdre ou de retarder son entrevue ave?
lui. Elle aime; elle n’a d’autre désir que celui de monter en hâte
vers la vie éternelle : çid&us ad vitam aeternam gradiendi amor incumbit.
Ideo angustam viam arripiunt; unde Dominus
dicit : Angusta via est, quae ducit ad vitam; ut non suo
arbitrio viventes, vel desideriis suis, et voluptati
bus obedientes, sed ambulantes alieno judicio et im
perio, in coenobiis degentes, Abbatem sibi praeesse
desiderant. Sine dubio hi tales illam Domini senten
tiam imitantur, qua dicit :
Non veni facere voluntatem
meam, sed ejus qui misit me.
En vérité, il s’agit bien de calculer chétivement, peureusement, si
l’obéissance a des aspérités, si l’autorité est assez mesurée, siTobedien e
est aisée ou non ! 11 s’agit de Dieu et de notre éternité. Alors, qu’im
portent les difficultés du chemin? Aussi bien, c’est le seul : Sdenles se γ r
liane obedientiae viam ituros ad Drum, redira N. B. Père vers la fin de ; a
Règle. « Étroite est la voie qui conduit à la vie u, le Seigneur lui-mèm?
en convient (Mattil, vu, 14) ; entrons-y ppurtant, entrons-y. Elle n’est
(1) Quand les maîtres de l’ascétisme emploient ces comparaisons, ils veulent exnrimer
seulement la parfaite souplesse de l’âme obéissante, morte à sa volonté propre. Cfr. S. Nul
Liber de monastica exercitatione, c. xli. P. G·, LXXIX. 769-772. — Constitui ones
Societatis Jesu, P. VI, c, i. Institutum Soc. J. (Prague, 1757), vol I, p. 40S,
100
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
étroite que parce que notre cœur est étroit; elle devient la voie royale
et triomphale dès que nous faisons place à Dieu.
Une fois reconnu que l’éternité ne s’obtient qu’à la pointe de l’obéis
sance, les généreux prennent leur parti. Il n’est plus question de vivre
à son gré, ni de déférer à ses désirs et à ses inclinations. Nous marche
rons vers Dieu, guidés par la pensée et par la volonté d’autrui ; nous
vivrons cachés dans un monastère; en vrais cénobites, nous accepterons
volontiers d’avoir à notre tête un Abbé, nous irons au-devant de cette
perpétuelle sujétion, Abbatem sibi praeesse desiderant (1). Comme
illît
tout
cela déconcerte le concept de l’obéissance que se sont forgé, les mon
dains! Les moines ne se soumettent point par contrainte, non plus que
par mollesse, incapacité ou crainte des initiatives.
Lorsque l’obéissance est telle que la veut saint Benoît, l’imitation
du Seigneur est achevée en nous. « Je ne suis point venu faire ma
volonté, dit-il, mais la volonté de celui qui m’a envoyé » (Joann., vi, 38).
Toutes les victoires de Dieu sont remportées par l’obéissance : celle dont
l’archange saint Michel fut l’instrument, celle de l’Incaination, à la
regarder du côté du Seigneur ou du côté de Notre-Dame, celle de la
Rédemption ; et dans l’Eucharistie, le Seigneur a trouvé le se?ret d’être
obéissant jusqu’à la fin. Les obéissants sont en bonne compagnie. Et
en face de tels faits, les faits les plus élémentaires de la religion, toute
désobéissance est-elle autre chose que désordre et folie?
Sed haec ipsa obedientia tune accpptabilis erit Deo
et dulcis hominibus, si quod jubetur, non trepide,
non tarde, non tepide, aut cum murmure vel cum
responso nolentis efficiatur; quia obedientia quae
majoribus praebetur, Deo exhibetur. Ipse enim
dixit : Qui vos audit, me audit.
Saint Benoît est vraiment jaloux d’assurer la perfection de notre
obéissance; c’est pourquoi il insiste surtout, en cette fin de chapitre,
sur ses qualités intérieures. Elle doit devenir, dit-il d’abord, « agréable
à Dieu et douce aux ho IIHI es ». Acceptabitis Deo. Nous le remarquions
naguère, Dieu se glorifie et se complaît dans l’obéissance de sa créature
humaine, co mu e il s’est applaudi de la fidélité de Job ou de la charité
(1) Saint Benoît oppose une fois de plus l’idéal des cénobites à celui des sarabaïtes
et des gyrovagues. Son texte rappelle Cassien, Conlat. XXIV, xxvi (cf. Conlat.
XVIII, vn), et Sulpice Sévère : Summum jus est (coenobitis), sub abbatis imperio vivere,
nihil arbitrio suo agere, per omnia ad nutum illius potestatemque pendere,., Haec illorum
prima virtus est, parere alieno imperio (Dial, I, c, x. P. L., XX, 190).
DE L'OBÉISSANCE DES DISCIPLES
tM
de saint Martin. Et, sans songer à déprécier aucunement l’obéissance des
anges, il n’est pas défendu d’observer qu’elle s’accomplit dans un seul acte,
qui ne leur coûte nulle souffrance, venant d’une nature parfaitement
droite et non disjointe comme la nôtre; ils n’ont pas de martyrs, ils
n’ont pas de vierges (1). Peut-être le succès de Dieu est-il plus apparent
chez nous, où l’obéissance est tenue en échec par tant de sollicitations
perverses, chez nous qui sommes contraints de multiplier les actes de
soumission et de ressaisir sans cesse une nature qui s’échappe. Nous pré
parons un grand triomphe de Dieu, cum venerit glorificari in sanctis suis,
et admirabilis fieri in omnibus qui crediderunt (Il Tress., I, 10).
Le dessein dernier de notre obéissance est donc de faire plaisir à Dieu.
Mais encore que ce soit là l’essentiel, saint Benoît demande quelque chose
de plus : et dulcis hominibus. Cette spiritualité est assez éloignée de
certaines conceptions modernes, où, sous prétexte de ne voir que Dieu et
de tout rapporter à lui, on prétend que le plaisir n’a pas à intervenir
dans les questions de devoir, et que c’est avilir notre obéissance que d’y
chercher une joie personnelle, et à fortiori, sans doute, une joie pour
autrui... N. B. Père sait que le principe de toute vie est le bonheur, que
Dieu lui a consacré le premier désir de notre âme. Et, dans la vie monas
tique, la charité et l’obéissance, qui règlent toutes nos démarches, ont pour
résultat, même pour fin, de nous rendre heureux tous ensemble : Omnes
omnia faciunt et patiuntur ut laetentur et gaudeant (2). Il s’en faut que le
souci de faciliter la tâche à ceux qui nous dirigent et de leur être agréable
soit une considération trop humaine et périlleuse.
L’obéissance sera douce à Dieu et aux hommes, la terre deviendra le
ciel : fiat voluntas tua sicut in coelo et in terra, si l’ordre reçu est accompli
dans certaines conditions déterminées. Non trepide, sans hésitation ni
crainte : il n’y a pas en effet deux partis entre lesquels notre âme puisse
flotter, irrésolue ; il n’y en a qu’un seul, le parti de Dieu. Non tarde, sans
retard, comme s’il y avait en nous un poids d’inertie qui ralentit l’obéis
sance. Non tepide (3), sans tiédeur, l’âme manquant d’entrain et demeu
rant comme alourdie par l’affection secrète qu’elle garde pour autre
chose. Aut cum murmure, sans tous ces murmures dont saint Benoît par
lera bientôt explicitement; à plus forte raison sans protestation ni mau
vaise grâce : vel cum responso nolentis. Et, après cette description exacte
ment graduée, saint Benoît répète que le motif premier de l’obéissance
est qu'elle se réfère à Dieu. Nous avons la fierté et l’intransigeance de
n’obéir qu’au Seigneur du ciel et de la terre.
(1) Cf. S. Joann Chrys.. De virginitate, x-xi. P. G., XLVIII, 540.
(2) S Joann. Chrys., Adversus oppugnatores vitae monasticae, L III, 11. P. G.,
XLV1I, 366.
(3) ... Trepidas et lepidas contradictiunculas (S. Aug., De consensu Evangel., I. I,
13. P. L., XXXIV, 1048). De emissa tardius vel tepidius oratione deflemus (Cass..
Conlat. XXIII, vu).
*4
toi
COMMENTA IR E SUR E Λ RÈGLE DE SAINT BENOIT
Et cum bono animo a discipulis praeberi oportet,
quia hilarem datorem diligit Detis. Nam cum malo
animo si obedit discipulus, et non solum ore, sed
etiam corde si murmuraverit : etsi impleat jussio
nem, tamen acceptus jam non erit Deo, qui cor
respicit murmurantis; et pro tali facto nullam
consequitur gratiam; immo murmurantium poenam
incurrit, si non cum satisfactione emendaverit.
On pent distinguer trois espèces d obéissance, celles d'exécution, do
volonté, dépensée. La première est requise, qui en doute? Mais suffit-elle?
Ooi, pour faire un. Juif ou un esclave, il y a réellement servitude lorsque
nos membres violentés exécutent ce que notre volonté réprouve ; l'unisson
n est que matériel, extérieur. A moins que la grâce de Dieu et l’éducation
ce nous aient d avance assouplis, notre obéissance est, pour commencer,
un peu âpre et mécanique, a la façon de ces caractères anguleux
Chose remarquable, même lorsque nous nous adressons à Dieu, l’Évangile nous presse de n’être point grands parleurs : Orantes autem nolite
multum loqui, sicut ethnici : putant enim quod in multiloquio suo exau(1) Saint Benoit continue de s’inspirer de Cassien, qui écrivait immédiatement après
les lignes citées plus haut : A’ihil itaque in conlatione seniorum proferre audeas ; nisi
quod interrogare te aut ignoratio nocitura aut ratio necessariae cognitionis inpulcril, ut
quidam vanae gloriae amore distenti pro ostentatione doctrinae ea quae optime norunt
interrogare se simulant.
(2) Hoc, quod dicit : ne videatur plus loqui quam expedii, non est in Regula, sed subauditio est (Hildemar). De fait, les manuscrits qui représentent le mieux les traditions
carolingienne et cassinienne n’ont pas cette finale,
(3) 17 septembre 1G90 (Urbain et Levesque, Correspondance de Bossuet, t. IV,
p. 111).
(4) Lettre III, aux religieuses de Véas.
DE L’ESPRIT DE SILENCE
<11
diantur. Nolite ergo assimilari eis (Ματτπ., vi, 7-8). Et, tout en réservant
le cas où la grâce divine nous porte à prolonger notre prière, saint Benoît
nous dira que, pour être pure, l’oraison doit être brève. Le silence est
un des traits du caractère de Dieu : Non in commotione Dominus ; ses
plus grandes manifestations ad extra s’opèrent sans bruit, dans le mys
tère : Vere tu es Deus absconditus, Deus Israel, salvator (Is., xlv, 15).
Et les saints qui ont approché Dieu de plus près sont devenus de grands
silencieux (1).
Scurrilitates vero vel verba otiosa et risum mo
ventia, aeterna clausura in omnibus locis damna
mus, et ad tale eloquium discipulum aperire os non
permittimus (2).
Voici une quatrième et dernière catégorie de conversations : les bouf
fonneries, les paroles oiseuses (3), mondaines, et qui n’ont pour dessein
que de provoquer le rire (voir les cinquante-quatrième et cinquantecinquième instruments des bonnes œuvres), sont bannies à tout jamais.
•III
aeterna clausura, et de partout ; les lèvres d’un moine ne s’ouvriront point
pour de tels discours. N. B. Père l’interdit avec énergie et avec une
sorte de solennité.
Il ne s’agit pas d'exclure la gaieté des récréations. H est même sage
d’éviter la pruderie qui s’effarouche et se scandalise de tout; lorsque
nous sommes bons, la tranquillité et l’innocence de l’enfant, sa naïveté
morale se restituent en nous. H reste néanmoins que les causeries ne
doivent pas se prêter à certains sujets, à certaines réflexions un peu
trop gauloises, au ton gouailleur et boulevardier. Cela n'est pas de
nature à exciter un rire qui soit de bon goût ; il est des choses qu’il
ne faut pas côtoyer, dont il est salubre de s’éloigner. Notre délicatesse
et le souci du Seigneur nous garderont de toute imprudence.
Lorsque N. B. Père défend les entretiens frivoles in omnibus locis, il
laisse entendre qu’il est des lieux où les bonnes conversations sont licites
et d’autres qui sont privilégiés pour le silence ; il parlera au chapitre XLII
des moments privilégiés. La tradition monastique a déterminé de bonne
heure qu’un silence absolu devait régner à l’église et au réfectoire, même
(1) Lire Bossuet, Elévations sur les mystères, XVIIIe semaine, 11e ëlév.
(2) Si quis clericus aut monachus verba scurrilia, joculaloria, risumque moventia
loquitur, acerrime corripiatur (d’un ancien concile d’Afrique, cité par le Décret de Gra
tie n ; cf. Mansi, t. III, coL 893). Voir aussi S. Jerome, Ep. LU ad Nepotianum.
P. L., XXII, 527 sq.
(3) S. Basile définissait les paroles oiseuses: Generaliter omnis sermo qui non pro
fiai ad aliquam gratiam fidei Christi (Reg. conlr., xl\
commentaire sur la règle de saint benoit
eu dehors des exercices conventuels. On ajoutait, à Cluny et ailleurs, le
dortoir et la cuisine régulière, souvent aussi le chapitre, le chauffoir, la
sacristie, le cloître, surtout dans sa partie qui avoisine immédiatement
l’église. Afin de n’avoir pas à rompre le silence dans ces lieux privilé
gié, on avait adopté à Cluny (1) et à Cîteaux toute une langue de signes
conventionnels. Saint Benoît prescrit les signes pendant les repas
(chap. XXXVIII); et déjà chez saint Pacômo on usait en certains
cas du même procédé (2).
U n’a été question jusqu’ici que du silence de la parole, le seul dont parle
formellement N. B. Père, liais il y a aussi le silence matériel, l’absence
de tapage. Lue religieuse de la Visitation demandait à saint François de
Sales ce qu’elle pourrait bien faire pour parvenir à la perfection. Le saint
évêque, qui savait sans doute à qui il s’adressait, lui répondit : « Ma
sœur, je crois que le Seigneur vous demande de fermer les portes sans
bruit ». Ce qui n’était qu’un conseil tout personnel et enveloppé de malice
devient, dans une communauté nombreuse et dans une maison sonore,
un conseil universel et toujours opportun. Le silence extérieur des
choses est favorable à la prière comme à l’étude; on ne fait pas facile
ment son oraison au milieu d’une canonnade... Il n’est peut-être pas
superflu de surveiller sa façon de marcher, d’éternuer, de se moucher.
Faut-il parler du fracas menaçant par lequel débutent les repas, des
éclats de voix à l’intérieur du monastère ou pendant la récréation (3)?
Tout cela s’élimine grâce au bon goût, à l’éducation, et lorsque chacun
prend conscience qu’il n’est pas seul au monde.
Le silence intérieur enfin. Ê est la raison même et l’intention de toutes
les autres formes de silence. Préparé et facilité par elles, il en est d ailleurs
pratiquement très distinct. Certaines âmes n’aiment pas le bruit exté
rieur et ne se répandent pas en conversations sans fin ; jamais pour
tant le silence ne s’établit en elles ; derrière le mutisme des lèvres, c’est
un vacarme continu de voix intérieures, dans la proportion même des
passions i Hlff ortifiées. Lorsque le Seigneur voulait affirmer le bonheur
et la simplicité de la contemplation, il disait à Marthe : Martha, Martha,
sollicita es et turbaris erga plurima; n’est-ce pas le reproche qu’il a le plus
souvent l’occasion de nous adresser? Nous est-il arrivé parfois d’essayer
de passer en revue, dans un examen rapide, l’infinie variété des objets
et des spectacles qui viennent se placer dans le champ de notre vision
intérieure? Des souvenirs, des rancunes, des projets, des regrets, des
recherches de vanité, des émotions de colère, des irritations, des scru
pules : de combien de souffles et de combien de vagues est remué ce monde
(1) ÜDALR., Consuet. Chin., 1. II, c. vi. — Bermïlrd., Ordo Clun., P. I, c, xvn, —
Constii. Hirsaug, 1 L c. vi-xxv,
(2) Reg., cxvl
(3) Cf, S. Basil,, Reg. brev., eu.
DE L'ESPRIT DE SILENCE
113
de notre vie secrète 1 Tel frère que nous apercevons nous rappelle sou
dain une longue série d’expériences ; et nous nous en allons sur cette
sotte piste, si loin, si longtemps, que nous ne nous retrouvons plus. Un
incident de détail suffit pour provoquer tout un roman. Quelquefois,
c’est une petite scène douce où nous revoyons le passé, où nous ressus
citons ses joies et ses relations. Salle des pas perdus, cinématographe,
phonographe, caléïdoscope, notre âme devient tout cela. La distraction
grave n’est pas celle que nous accusons d’habitude, une parenthèse
rapide et épisodique dans notre vie ; c’est celle qui engage notre activité
entière dans une direction étrangère à Dieu.
Et l’intention profonde du silence est de libérer l’âme, de lui rendre
forces et loisir pour adhérer au Seigneur. H affranchit l’âme, comme
l’obéissance donne toute sa maîtrise à la volonté. H a, comme le travail,
la double efficacité de nous soustraire à la basse attraction de nos pen
chants sensibles et de nous fixer dans le bien. Il nous établit peu à peu
dans une région sereine, sapienlum templa serena, où nous sommes
capables de parler à Dieu et d’entendre sa voix. Le silence soutient donc
à son tour une affinité avec la foi et la charité. Et de même qu’on ne
nous demande pas l’obéissance pour la servitude, on ne nous demande
pas non plus le silence dans un parti pris de vexation : toutes ces
limitations tutélaires sont autre chose que des retranchements. Le silence
est œuvre festive ; et c’est pourquoi, selon les anciens coutumiers, on
l’observait rigoureusement les jours de fête : propter festivitatis reveren- _
tiam. Or, dans l’âme chrétienne, la fête est de tous les jours.
1
CHAPITRE VII
DE L’HUMILITÉ
— Clamat nobis Scriptura divina,
fratres, dicens ! Omnis qui se exaltat, humiliabitur, et
gui se humiliat, exaltabitur. Cum haec ergo dicit,
ostendit omnem exaltationem genus esse superbiae :
quod se cavere Propheta indicat, dicens : Domine,
non est exaltatum cor meum, neque elati sunt oculi mei;
neque ambulavi in magnis, neque in mirabilibus super me.
Sed quid? Si non humiliter sentiebam, sed exaltavi ani
mam meam; sicut ablactatus super matre sua, ita retri
butio in anima mea.
De humilitate.
C’est encore sur l'affirmation de la sainte Ecriture qu’est fondée la
|V;
doctrine de ce chapitre; affirmation solennelle, proclamation divine,
faite assez haut pour être entendue de ceux-là mêmes qui ont l’oreille
paresseuse. «Quiconque s’exalte sera humilié, et quiconque s’humilie sera
exalté » (Luc., xiv, 11). C’est un axiome de foi ; puisque le Seigneur en
personne l’a formulé dans son enseignement et appliqué le premier dans
sa vie, c’est donc chose indubitable. Et nous ne regarderons pas à l’ap
parence de paradoxe qu’il y a dans cette promesse de gloire adressée aux
humbles et d’humiliation aux superbes ; ce paradoxe est familier au
Seigneur : rappelons-nous l’énoncé des huit béatitudes.
ikj et d’une façon aussi générale, continue saint
Lorsqu’elle parle ainsi
Benoît, l’Écriture nous laisse entendre que toute espèce d’exaltation
personnelle est une modalité du vice qui s’oppose à l’humilité. L’égoïsme
et la superbe se traduisent sous les formes diverses de l’exaltation :
l’exaltation des pensées ou l’orgueil, l’exaltation des paroles ou la jac
tance, l’exaltation des actes ou la désobéissance, l’exaltation des désirs
ou l’ambition, l’exaltation des tentatives ou la présomption. Contre
toutes ces hauteurs et toutes ces visées le Prophète se tenait en garde,
selon son propre témoignage (Ps. exxx) ; dans le fond de son cœur aussi
Ht
DE L'HUMILITÉ
HI
bien que dans ses démarches extérieures il ne songeait point à s’élever. Et
pourquoi? demande saint Benoît. Parce que, répond le Psalmiste, si mes
sentiments n’avaient pas été humbles, si j’avais laissé mon âme s’exalter,
vous l’auriez traitée comme l’enfant que sèvre sa mère et qu’elle
rejette de son sein. Le Psalmiste avait la crainte de Dieu ; il redoutait
de perdre cette bienveillance et cette grâce qui sont promises aux humbles
seuls ; Deus superbis resistit, humilibus autem dat gratiam 'Jac., iv, 6),
Unde, fratres, si summae humilitatis volumus
culmen attingere, et ad exaltationem illam caele
stem, ad quam per praesentis vitae humilitatem
ascenditur, volumus velociter pervenire,
actibus
nostris ascendentibus scala erigenda est, quae in
somno Jacob apparuit, per quam et descendentes et
ascendentes Angeli monstrabantur. Non aliud sine
dubio descensus ille et ascensus a nobis intelligible,
nisi exaltatione descendere, et humilitate ascendere.
Scala vero ipsa erecta, nostra est vita in saeculo,
quae humiliato corde a Domino erigitur ad caelu II
Latera enim hujus scalae dicimus
nostrum esse
corpus et animam, in quibus lateribus
gradus humilitatis
vel
diversos
disciplinae vocatio divina
ascendendos inseruit.
Il s’agit donc de ne pas perdre Dieu, et on le perd par l’exaltation ; il
s’agit de demeurer attaché à lui, comme l’enfant au sein de sa mère, de
vivre de lui, de grandir en lui ; et c’est l’œuvre de l’humilité. A’isi conversi
fueritis, et efficiamini sicut parvuli, nan intrabitis in regnum caelorum.
Quicumque ergo humiliaverit se sicut parvulus iste, hic est major in regno
caelorum (Mattii., xvm, 3-4). Réellement, voulez-vous de Dieu? À’oulezvous monter vers lui d’une façon rapide et sûre (1) et parvenir à la glo
rieuse exaltation du ciel? Alors, il vous faut renoncer à la fausse exal
tation de la vie présente et consentir à l’humilité. L’humilité nous fait des
cendre, semble-t-il, jusqu’aux confins du néant : et c’est pourtant dans
ses profondeurs que nous rencontrons la plénitude de l’être ; elle est plutôt
une ascension, puisque le terme suprême de cet abaissement est en réalité
(1) Si guis velit ad perfectionem velociter pervenire... (Rufin., Hist, monach., c, χχχι,
Rosweyde, p. 484).
COMMENTA IRE SUR LA REGLE DE SAINT BENOIT
une cime, qui est Dieu. Il faut donc faire de notre vie et do scs acte?
comme une échelle d'humilité; il faut dresser l’échelle de Jacob.
.Rappelons-nous le passage de la Genèse (x.xvm). Jacob s'enfuit
devant la colère d’Esaü. Il s'endort sur la pierre, et un songe mystérieux
lui montre une échelle dressée par où des anges descendent et montent.
Au sens littéral, c’est la Providence divine qui est ainsi symboli ée : de<
anges partent de Dieu comme exécuteurs de scs ordres, comme porteur.·»
de ses inspirations et desesgrâces ; des anges reviennent vers I )im comme
messagers delà création, lui rapportant les prières et les ipumc de |Λ
créature intelligente. N. B. Père rappellera plus loin cette mi-ion d™
anges; mais il prend ici le texte de la Genèse dans un sens arcnmtnod nier.
« H est clair, dit-il, que cotte descente or cette montée no iimilimt pour
nous rien autre chose sinon quo l’exaltation fait de cendre et que l'humi
lité fait monter. »
Par l’humilité, les bons anges sont montés jusqu'à Dieu pour e fixer
en lui; par l’orgueil, les mauvais sont tombés du ciel : c’est l’humilité
seule qui a fait le discernement; la meme voie a conduit en sen»
contraire les uns à la gloire, les autres à la ruine. Or, cher !»· homme»
comme chez les anges, l'économie du salut est simple : tout e ramène à
ce double mouvement, sur l’unique échelle de l'humilité. S tint Benoit
néglige le mouvement d’exaltation illusoire, pour ne s’occuper que du
mouvement d'exaltation réelle, et il prévue par le menu la -irnilication
du symbole proposé. L’échelle dressée vers le ciel, c'est notre \ ic d'ici-bas
et tous les actes qui naissent d’un cœur humilié. P.il que Γéchelle repré
sente la vie, on peut considérer notre corps et notre âme, le deux élé
ments constitutifs de l’homme, comme les côtés ou les montants de
l’échelle. Dans ces montants sont insérés divers degré- d’humilité et de
perfection morale que la vocation divine nous invite à gravir (!) : .isccnsüznes t'n corde suo disposuit in valle lacrymarum. Remarquon- avec quel
souci doctrinal N. B. Père détermine la part de Dieu dans notre ascen
sion vers lui : c’est Dieu qui appelle, c’est lui qui fournit le procédé pour
l'atteindre et dispose les degrés do l’échelle, dnersos
u!< .1
humilia, cum Ecclesia primitivorum dominicae passionis /esta celebrare (.8. Hiekun.,
Epist. XCVI1I,3. P. L, XXII, 793).
Quisquis igitur ad ίίωρτ,ταήν toluerit pervenire... Gradus quidam ita ordinati atque
distincti sunt, ut humana humilitas possit ad sublime conscendere,,. (Cass., Coulai.
XIV,
%
ÎJK L'HUMILITÉ
HT
d’un trait gracieux la Passion des saintes Perpétue et Félicité; saint
Basile, dans une homélie sur le psaume premier, compare Γexercice progressif des vertus chrétiennes à la montée de l’échelle de Jacob (1). Peu
après saint Benoit, Cas-iodore emploie lui aussi cette comparaison et avec
de exproprions qui rappellent le texte de la Règle (2). Puis saint Jean
< limaquc, dans le traité de VEehrlle sainte qui lui a valu son nom, décrit
la vie pirituelle sous la forme d’une ascension par trente degrés. Cassien
ne parle pas explicitement d’échelle, mais il montre comment l’homme
arrive à la perfection en franchissant divers degrés d’humilité (3); et c’est
à lui que N. B. Père a emprunté tout le cadre de son chapitre. Les deux
texte, diffèrent assez peu. Tandis que Cassien compte dix degrés seule
ment, N. B. Père va jusqu'À douze ; encore faut-il observer que la crainte
d·· Pieu, donnée par saint Benoit comme premier échelon, est aussi men
tionné·· en tout premier lieu par Cassien, mais en dehors de la série des
degré* : Prinripium vostra*· ululis fjusdcmque custodia timor Domini esi;
le douzième degré cul <-t donc propre à saint Benoît. L’ordre des degrés
n e t pas toujour? identique chez l'un et chez l’autre. Enfin, IL B. Père
a développé largement la brève énumération de Cassien.
Saint Thomx d’Aquin, dans un article do la Somme théologique (4),
montre la corn -nance de celte distribution de l’humilité en douze degrés.
Il les énumère dans l'ordre inverse à celui de saint Benoit, de telle sorte
rue le douzième devienne le premier, le onzième le second et ainsi des
autres ; et il nou- explique ce qui l’a déterminé à choisir l’ordre rétrograde,
alors que saint Benoit avait adopté l'ordre progressif ; il nous dit pourquoi
son énumération va de l’extérieur à l’intérieur, tandis que saint Benoit
commençait par le dedans. Sans méconnaître la priorité théorique et pra(1) P. G., XXIX. 217 »q.
(2) A7/· ntio in Pt, exix. P. L, LXX, 901-902. De Institutione divin. Litter., praef.
P. L. ibid. 1107.
(3) /’nneipium nostrae salutis cjusdemque custodia limor Domini est. Per hunc enim
et initium convrrsûmis cl vitiorum purgatio et virtutum custodia his qui inbuuntur ad
nam prrfedwnu adqumtur... Humilitas vero his indiciis conprobalur : primo si
rr rtifi. i.'u< in .«c.m o»n»v< habeat voluntates; secundo ti non solum suorum aduum, verum
chain r< ntationum nihil suum «latent seniorem; tertio si nihil suae discretioni, sed
pidv > t jus unurr i committat ac monita ejus sitiens ac libenter auscultet ; quarto si in
omnibus 'nd ob tdienliae mansuetudinem patientiaeque constantiam; quinto si non
s· 'mu injuriam inferat nulli, red ne ab alio quidem sibimet inrogalam doleal atque
tr detur;serto si nihil agat, nihil praesumat, quod non vel communis regula vel majorum
coA itantur exempli; rephmo si omni vilitate contentus sil et ad omnia se quae sibi praeb-atur idui operanum nullum judicant indignum ; octavo si semstipsum eundis in/eriorem non superficie pronuntiet labiorum, sed intimo cordis credat affectu; nono si lin
guam cohibeat iri non /it clamosus in voce ; decimo si non sit facilis ac promptus in risu,
talibus namque indiciis ct his similibus humilitas vera dinosatur. Quae cum fuerit in
v-date jiosscssa, confcslim te ad caritatem, quae timorem non habet, gradu excelsiors
j-rducet, per quam universa, quae prius non sine poena formidinis observabas, absque
ullo labore vclui naturaliter incipies custodire, non jam contemplatione supplicii vel
timoris ullius, sed amore ipsius boni et delectatione virtutum (Inst., IV, xxxixL
(4) II· II- q. clxi, a. 6,
118
COMMENTAIRE 3UR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
tique des dispositions intimes, ni le caractère radical et foncier de la crainte
de Dieu : Principium et radix est reverentia quam quis habet ad Deum,
il observe que l’homme obtient l’humilité grâce à la collaborai ion de deux
agents : Primo quidem et principaliter, per gratiae donum : et quantum
ad hoc interiora praecedunt exteriora. Aliud autem est humanum studium
per quod homo prius exteriora cohibet, et postmodum pertingit ad extirpandam interiorem radicem : et secundum hunc ordinem assignantur hic
humilitatis gradus. N’avons-nous pas là esquissées deux méthodes de
spiritualité? L’occasion de les comparer se retrouvera dans la suite.
Mais remarquons dès maintenant que l’effort de l’homme pourrait partir
aussi bien de l’intime, s’appuyer principalement sur la réalité de la vie
nouvelle créée en lui et suivre ainsi une marche parallèle à l’épanouisse
ment de la grâce.
11 y a d’ailleurs entre le point de vue de saint Benoît et celui du Docteur
angélique une différence plus considérable. Pour saint Thomas l’humilité
est une vertu spéciale, destinée à réprimer l’amour immodéré de la gran
deur; c’est une subdivision de la modestie, laquelle appartient à la tem
pérance comme vertu cardinale première. Pour saint Benoît, non seu
lement l’humilité implique l’exercice de plusieurs autres vertus, telles
que l’obéissance ou la patience, ce que reconnaît aussi saint Thomas ;
mais elle est une vertu générale, mère et maîtresse de toute vertu ;
elle est l’attitude que prend habituellement notre âme en face de Dieu,
d’elle-même, de tout et de tous. N. B. Père va montrer dans le détail
urn
comment
elle s’empare de tontes les formes de notre activité et gouverne
toutes nos démarches. Les citations scripturaires par lesquelles s’ouvre ce
chapitre et l’allégorie même de l’échelle laissaient entendre déjà que
saint Benoît prend l’humilité dans son acception la plus large. Le cha
pitre VII est regardé à bon droit comme l’expression achevée de la spi
ritualité monastique.
Pourquoi douze degrés, ni plus ni moins? Il est sûr que de semblables
divisions sont toujours un peu arbitraires, mais on ne leur demande que
de s’accommoder à la doctrine et d’en faciliter l'exposition. Les commen
tateurs, comme bien on pense, n’éprouvent nul embarras à démontrer,
chacun à sa manière, tout l’à-propos de ce nombre douze, sauf à observer
comme D. Mège, après saint Bernard (1), qu’il s’agit plutôt de gravir
les degrés d’humilité que de les compter. Saint Benoît ne les a pas énu
mérés absolument sans ordre, nous le verrons ; rien n’indique pourtant
qu’ils correspondent à des étapes distinctes et successives de la crois
sance spirituelle, et qu’on puisse les assimiler par exemple aux sept
demeures du Château intérieur de sainte Thérèse. Ils décrivent les disposi
tions les plus caractéristiques de l’âme humble, en face des devoirs
(1) Tractatus de gradibus humilitatis el superbiae, c. i, P. L., CLXXXII, 941 <
DE L’HUMILITÉ
II»
essentiels et dans les circonstances principales de la vie surnaturelle
et monastique ; Cassien les appelle les indices, les marques de l’humilité.
11 n’est donc point nécessaire d’avoir franchi l’un des échelons pour
monter au suivant ; et encore que telle ou telle physionomie d'humilité
appartienne peut-être plus spécialement à une période déterminée de la
vie spirituelle, il convient de cultiver à la fois l’ensemble de ces disposi
tions ; c’est leur réalisation intégrale qui constitue la perfection.
Primus itaque humilitatis gradus est, si timorem
Dei sibi ante oculos semper ponens, oblivionem
illi quae
omnino fugiat, et semper sit memor omnium
praecepit Deus, qualiter contemnentes Deum in
gehennam pro peccatis incidunt, et vitam aeternam
quae timentibus Deum praeparata est, animé, suo
semper revolvat (1). Et custodiens se omni hora a
peccatis et vitiis, id est cogitationum, linguae, ocu
lorum, manuum, pedum vel voluntatis propriae, sed
et desideria carnis amputare festinet.
L’humilité chrétienne n’est pas une simple habitude extérieure et
matérielle, conquise par un exercice d’assouplissement. Ce n’est pas non
plus une vertu des lèvres. Elle ne consiste pas davantage dans le mépris
de soi : il y a des êtres d’une abjection parfaite qui se méprisent sincère
ment, sans pour cela mériter le nom d’humbles. Elle n’est pas même une
vertu de pure intelligence, mais réside dans la volonté. H faut reconnaître
néanmoins que l’humilité est fondée sur l’intelligence surnaturelle et la
foi, et saint Benoît ne s’y est pas trompé. Selon lui, c’est sur une con
naissance exacte que repose tout l’édifice de l’humilité; l’humilité
Hill
peut être définie une attitude de « vérité ». Elle commence
par nous
ordonner devant Dieu. Encore faut-il que nous sachions ce qu’est Dieu
en lui-même et vis-à-vis de nous, et que nous prenions conscience de sa
présence. Notre éducation surnaturelle est le fruit d’un double regard :
le regard de Dieu sur nous, notre regard vers Dieu. Lorsque le regard de
Dieu et le nôtre se rencontrent, que cela se prolonge et devient habituel,
notre âme possède « la crainte de Dieu ». Selon certains hébraïsants, on
pourrait établir un rapprochement entre le mot qui signifie craindre et
celui qui signifie, regarder. Lorsque nous étions petits enfants, nous obser(1) D. Butler lit ainsi : ...quae praecepit Detis : ut qualiter et contemnentes Deum
gehenna de peccatis incendat, et vita aeterna, quae timentibus Deum praeparata est,
animo suo semper euolvat.
HO
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
rions le regard de notre mère pour estimer la valeur de nos actions;
telle a été la forme initiale de notre conscience. Le regard que nous
tenons fixé sur Dieu devient la forme définitive de notre conscience
d’enfants de Dieu : Ad te levavi oculos meos, qui habitas in cadis.
D n’est guère de disposition qui dans ΓAncien Testament soit plus
assidûment exigée que la crainte de Dieu. Elle est donnée comme le com
mencement de la sagesse : Initium sapientiae timor Domini. Elle en est
présentée comme l’achèvement : Plenitudo sapienti :e est timere Deum,
corona sapientiae timor Domini (Eccli., i, 20, 22); et l’Écriturc aime
à résumer la sainteté de ses héros en disant qu’ils « craignaient
Dieu d. Elle est offerte enfin comme le meilleur instrument de perfec
tion, et le Psalmiste demandait au Seigneur qu’il voulût bien « trans
percer sa chair de crainte ». Observons d’ailleurs que la crainte de Dieu
est une a variable » : elle prend divers caractères et diverses valeurs,
selon qu’elle appartient à l’économie ancienne ou à la nouvelle, en fonc
tion aussi de la vie de chacun. D y a la crainte de l’esclave, celle du fils,
celle de l’épouse ; il y a une crainte du temps et une crainte de l’éternité :
Timor Domini sanctus permanens in saeculum sacculi (1), car la crainte
subsiste pour ceux-là mêmes qui sont avec Dieu (2). Elle fait partie des
dons du Saint-Esprit ; et il n’est point sans elle de vie surnaturelle.
N. B. Père voudrait qu’elle fût enracinée au cœur des moines. Lisons
attentivement ces textes très denses et comprenons tout ce qu’implique
cette notion de la crainte de Dieu pour l’intelligence, pour la volonté et
pour l’agir (3).
Notre attitude en face de Dieu sera déterminée par l’appréciation
saine de ce qu’il est à notre égard, de ce que nous sommes au sien, de ce
qu’il a prescrit et sous quelles peines. Nous sommes créatures, c’est-à-dire
que nous tenons tout de Dieu : le corps, l’âme, la vie, la durée, les
influences, les directions, le jour de notre mort, tout enfin. A ce titre,
Dieu a sur nous un droit absolu de propriété et d’autorité. Il n’y a rien
là qui nous puisse effrayer. C’est la joie, la plus haute joie de la créature
de reconnaître cette souveraineté divine et de s’abandonner à ce pouvoir
discrétionnaire. Et jamais le Seigneur ne nous fait plus d’honneur que
lorsqu’il dispose de nous à son gré, sans nous demander conseil, sans
paraître soupçonner seulement qu’il y aura une hésitation dans notre
(1) CL S. Aug., Enarr. in Ps. cxxvn, 8-9. P. L., XXXVII, 1681-1683.
(2) Le concile de Sens l’a rappelé en condamnant l’erreur contraire d’Abélard :
Mansi, t, XXI, col. 569.
(3) On pourrait rapprocher ce paragraphe de la Règle de ce qu’écrivait S, Au
gustin en exposant les sept degrés qui mènent à la sagesse : Ante omnia igitur opus
esi Dei timore converti ad cognoscendam ejus voluntatem, quid nobis appetendum Jugumdumque praecipiat. Timor autem iste cogitationem de nostra mortalitate et de futura morte
necesseest incutiat, et quasi clavatis carnibus omnes superbiae motus ligno crucis affigat
(De Doctrina Christiana, h II, c, vn, P. L, XXXIV, 39)«
DE L'HUMILITÉ
lit
volonté ou un frémissement dans notre chair. Ainsi furent traités Abraham,
les Prophètes, saint Jean-Baptiste, la sainte Vierge, Notre-Seigneur
Jésus-Christ. Ceux qui ont du cœur le comprennent bien. Le cri des
croisés est un cri étemel. Faut-il ajouter que nous autres, nous avons
jugé bon d’étendre et de consacrer, par la profession, les droits de Dieu
sur nous? Liés à Dieu en tant que créatures, nous le sommes encore en
tant que rachetés au prix du sang, en tant que pécheurs pardonnés et
arrachés peut-être plusieurs fois à l’enfer; nous le sommes au titre de
notre filiation adoptive, et parce que, demeurant faibles, nous vivons dans
un perpétuel besoin de Dieu. Il a d’ailleurs défini son dessein à notre
endroit et comment nous devions collaborer à son œuvre ; il nous a donné
des préceptes, et il les a garantis de sa sanction. Pour ceux qui craignent
I )ieu, la vie étemelle est préparée ; pour ceux qui pèchent, qui négligent
Dieu et se moquent ainsi de sa majesté infinie, c’est la chute dans
renier.
Nous reconnaissons la grande doctrine du Prologue. Ici encore,
N. B. Père répète que l’appréciation intellectuelle d’où naît la crainte
de Dieu doit être continuelle, de tous les instants, toujours en éveil :
semper ponens,... semper sit memor,... animo suo semper revolvat,...
omni hora. Il sait que nous avons besoin longtemps d un effort pour
prendre ainsi contact avec le Seigneur : sibi ante oculos ponens; c’est la
foi toute seule qui nous rend attentifs à Dieu présent et aux réalités
surnaturelles, tandis qu’il nous est trop facile d’avoir conscience de
nous-mêmes et des choses sensibles qui nous environnent. Oblivionem
omnino fugiat : l’inattention est la grande pourvoyeuse de l’enfer, et il
est quelqu’un qui a tout intérêt à la cultiver en nous. On peut oublier
par inadvertance, distraction, emportement de l’âme sous la poussée
sensible. On peut oublier par négligence, lâcheté, somnolence : « Je ne l’ai
jamais fait ; je suis trop vieux ; je ne peux pas... » On peut oublier par
calcul : c’est l’inattention voulue, le péché contre le Saint-Esprit, la
préoccupation d’obstruer son âme de telle sorte que la lumière et le repentir
n’y puissent pénétrer. A quoi cela servira-t-il? Lorsque vous oubliez
ainsi, supprimez-vous votre connaissance première, et cette conscience
que vous aviez, en commençant à biaiser, des conséquences éventuelles
de votre infidélité? Supprimez-vous votre devoir? comme si, pour éteindre
une dette, il suffisait de n’y point songer. Supprimez-vous Dieu? Croyezvous qu’il ne faille qu’un peu de ruse, de diplomatie interne ou d’obstina
tion, pour écarter Dieu? Nous ne changerons rien à la réalité des choses.
Dieu est maître, nous sommes créatures, nous avons promis : Dieu luimême ne peut rien changer à cela. Il y a un ciel pour ceux qui craignent
Dieu, un enfer pour ceux qui le méprisent; et, au bout de la vie,
l’épreuve morale ne peut se réitérer. Dieu serait un Dieu ridicule, une
Il
sorte de Géronte que l’on pourrait impunément et indéfiniment souffleter
iii
COilK&NTAtRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
s’il n'avait, des ordres qu’il a donné’, nul souci, et si les âmes n'en por
taient pas devant lui la responsabilité et le fardeau.
Et custodiens se... N. B. Père envisage maintenant ce que la crainte
do Dieu entraîne de fidélité pratique. La méditation assidue de la
volonté du Seigneur, de ses récompenses, de ses châtiments, invi
tera le moine à la vigilance. A toute heure, et particulièrement aux heures
de tentation, qiü peut-être sont périodiques, il sera sur ses gardes. La
triste expérience de ses chutes et l’examen de conscience quotidien
lui révéleront bien les points vulnérables. Il faudra s’abstenir des
péché et des vices, c’est-à-dire de toute faute, habituelle ou non ;
éliminer avec la faute la mauvaise tendance qui en est le germe. Et
Ûl
saint Benoit énumère
les principaux instruments de péché : la pensée,
la langue, les yeux, les mains, les pieds. Aussi bien, cette variété des
facultés qui, matériellement, servent au péché, se résume-t-elle dans la
volonté propre : vd voluntatis propriae. Mais ce n’est pas seulement à
l’égard des fautes complètes et des fautes extérieures qu’il importe de
déployer vigilance et résolution : on se hâtera de retrancher les désirs
charnels eux-mêmes dès qu’ils commencent à poindre. L’expression
lllti
desideria camis, chez saint Benoît comme
chez saint Paul, désigne
tous les désirs de la vie égoïste, de la vie d’avant le baptême et la pro
fession, l’ensemble de toutes les dispositions qui ne viennent pas de Dieu
et ne portent pas à lui ; la chair, ici, c’est l’homme, en conflit perpétuel
avec l’Esprit qui réalise notre filiation divine par son influence et sa
présence.
Aestimet se homo de caelis a Deo semper respici
omni hora, el facia sua in omni loco ab aspectu
Divinitatis videri, et ab Angelis omni hora Deo nun
tiari.
La vraie crainte de Dieu est donc faite de connaissance et de fidélité
pratique. Cet enseignement a paru si considérable à N. B. Père, qu'il le
reprend point par point, donnant ainsi à l’étude du premier degré d’humi
lité un développement disproportionné. Nous entendons de nouveau ce
principe général qu’il nous faut prendre conscience d’un Dieu toujours
HI
présent
Jusqu’ici, semble-t-il, saint Benoît n’a parlé que du regard que
nous autres nous tournons vers Dieu : celui-là a dis intermittences, car
le propre des êtres créés c’est de n’être pas, à tout instant, dans l’exercice
plénier de leur puissance. Mais Dieu est l’Acte pur. Il s’appelle « le Dieu
qui vit et qui voit ». La lumière de ses yeux pénètre jusqu’aux abîmes ; en
tout temps, en tout lieu, les choses sont à nu devant elle. Lorsque
DE L'HUMILITÉ
1S3
saint Benoît, avec 1 Ecriture, affirme que Dieu noua contemple du haut
du ciel comme d’un observatoire, cela veut dire non seulement que Dieu
est bien placé pour ne rien perdre de nos mouvements, mais cela signifie
encore que Dieu nous regarde du fond de ce sanctuaire qui est notre
âme. Dieu n’a réellement d’autre demeure que lui et nous, encore qu’il
soit partout présent grâce à son action universelle. De caelis implique donc,
non pas l’éloignement, mais au contraire l’intimité la plus absolue; non
une distance, mais au contraire l’union réelle ; ce n’est pas du dehors, mais
du dedans que le Seigneur se renseigne à toute heure sur notre vie : et
c’est là aussi que notre propre regard doit essayer de rencontrer le sien (1),
Nous ne sommes jamais seuls; Dieu nous voit, et ses anges, ajoute
saint Benoît, lui font part sans cesse de nos œuvres. 11 semble que
N. B. Père n’ait pas renoncé complètement à la signification littérale
de l’échelle de Jacob. Nul ne songera que les anges apportent au Sei
gneur le supplément d’une information insuffisante. Ce n’est pas par
indigence, mais par opulence que le Seigneur emploie ces messagers. Il
les associe à son gouvernement providentiel, afin que tout s'accomplisse
de façon ordonnée et hiérarchique ; afin que les sujets eux-mêmes
deviennent des chefs et des rois ; afin qu’ils aient la joie de collaborer à
la construction de l’Église, objet de leur admiration étemelle (Ephés.,
irr, 10 ; Hebr., i, 14) ; afin que soient réunis dès maintenant, dans un
immense faisceau de charité, d’empressement et de tendresse, ceux qui
sont déjà en possession de l’éternité et ceux qui s’acheminent vers elle,
cum quibus nobis erit sancta atque dulcissima Dei civitas ipsa communis (2).
Demonstrat nobis hoc Propheta, cum in cogitatio
nibus nostris ita Deum semper praesentem ostendit,
dicens : Scrutans corda et renes Deus. Et item : Domi
nus novit cogitationes hominum, quoniam vanae sunt. Et
item dicit : Intellexisti cogitationes meas a longe; et,
Quia cogitatio hominis confitebitur tibi. Nam ut sollicitus
sit circa cogitationes perversas, dicat semper humilis
frater in corde suo : Tunc ero immaculatus coram eo, si
observavero me ab iniquitate mea.
Après avoir rappelé le principe directeur de notre vie morale, saint
Benoît montre quelle influence la crainte de Dieu doit avoir pratiquement
(1) Cf. S. Aug., In Joannis Erana.. trad. CXI, 3. P. L·, XXXV, 1923,
(2) S. Aug., De Civitate Dei, i. XXII, c, xxix. P, L, XLI, 797.
.1
121
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
sur nos actes ; c’est le développement du paragraphe : Et custodiens se...
Laissant de côté l'acte purement extérieur, qui n’a de soi aucune moralité,
X B. Père s’occupera successivement des pensées, des manifestations de
la volonté propre et des désirs. Et ce n’est pas un simple souci do
méthode, le désir de conformer son exposition didactique aux lois de la
psychologie, qui a porté N. B. Père à parler d'abord de l’intelligence,
puis de la volonté, enfin du désir : nous savons qu’il prétend former son
moine par l’intime. On remarquera encore que toutes les observations de
saint Benoît sont déduites des paroles de la sainte Écriture et revêtent
par là une autorité divine.
Dieu est le témoin de toutes nos pensées. Son regard, selon le
psaume vn (v, 10), « sonde les reins et les cœurs ». Et encore : « Le Sei
gneur connaît bien les pensées des hommes et leur vanité » (Ps. xcm, 11).
De même : e Vous avez de loin compris mes pensées » (Ps. cxxxvm, 3), et
«il est sûr que la pensée de l'homme se découvrira à vous » (Ps. lxxv, 11) ;
des pensées qui sont mystère pour tous se dévoilent d’elles-mêmes à Dieu.
Le premier degré d’humilité consistera donc en ce que le frère (1) se
garde des pensées mauvaises. Et pour entretenir sa vigilance, qu’il mur
mure volontiers dans son cœur le verset 24 du psaume xvn où il est
parlé du regard de Dieu, de la pureté qu’il réclame, et du procédé qui as
sure cette netteté parfaite : a C’est aJors que devant vos yeux je serai
sans tache, si je me tiens en garde contre mes pensées mauvaises, contre
ce qui est la source de l’iniquité chez moi ». C’est par la pensée, et non
par les sens, qu'un péché commence
: c’est par un regard délibéré sur
lilii
l’objet interdit, et non par un simple spectacle s’offrant soudain à nous,
ou par un caprice du souvenir ; il n’y a formellement faute que dans la
volonté, les pensées mauvaises n’existent qu’à raison des volontés per
verses. Saint Benoît s’occupe un instant de ces dernières.
— -Λ
Voluntatem vero propriam ita facere prohibemur,
cum dicit nobis Scriptura : Et α voluntatibus tuis aver
tere. Et item rogamus Deum in Oratione, ut fiat illius
voluntas in nobis. Docemur ergo merito nostram
non facere voluntatem, cum cavemus illud quod dicit
sancta Scriptura : Sunt viae quae videntur hominibus
redae, quarum finis usque ad profundum inferni demergit.
Et cum item cavemus illud quod de negligentibus
lllll
(1) Il faudrait lire cependant, avec tous les manuscrits et les plus anciens commen
tateurs utilis, au lieu de humilis : le frère qui est fidèle, utile à son maître ; saint Benoît
dira de même un peu plus loin, avec le psaume lu, 4 :
et inutiles fados.
DE L'HUMILITÉ
IH
dictum est : Corrupti sunt et abominabiles facti sunt in
voluptatibus suis.
Des deux volontés antagonistes, celle de Dieu et celle de l'homme,
laquelle prévaudra? Celle de Dieu, si nous songeons à son omniprésence,
à ses droits, à ses menaces, à ses promesses. On ne nous dit point : agissez
toujours contre votre volonté, ce qui ne manquerait pas d’une certaine
saveur janséniste ; on nous dit : gardez-vous de votre volonté person
nelle et isolée ; éloignez-vous de toutes les modalités de la volonté
propre : c’est l’ordre formel de l’Écriture (Eccll, χνπτ, 30). Et chaque
fois que nous récitons l’Oraison dominicale, nous sollicitons de Dieu
que sa volonté s’accomplisse en nous, s’accomplisse par nous. Dès lors,
on reconnaîtra à notre vie la sincérité de notre prière.
Si nous voulons apprendre à ne pas poursuivre l’exercice de la volonté
propre, écoutons avec un saint effroi ce que nous dit encore l’Écriture :
« Il est des voies, des habitudes pratiques qui semblent à l’homme
droites et équitables, et dont le terme pourtant s’engloutit dans les pro
fondeurs de l’enfer » (Prov., xvi, 25 ; xiv, 12) (1). N. B. Père dénonce
à nouveau le grand péril de l’illusion, fille de la passion mauvaise. Toute
passion consiste dans une orientation de l’être selon un axe déterminé.
Lorsque cette orientation est violente et résolue, elle devient une norme
et se substitue à la conscience. Est bon ce qui lui est conforme, adapté,
favorable. Elle, nous l’appelons le bien; Dieu lui-même doit parler
comme elle, car l’homme ne rougit pas de solliciter, d’infléchir, de tor
turer les paroles de l’Écriture, et il ose chercher dans une prétendue
marche providentielle des événements la justification de son système,
de sa prétendue mission. La responsabilité demeure, même dans
l’illusion, lorsqu’on a eu conscience du mal dès la première heure, puis
à certains moments lucides : il n’est pas impossible pourtant que la
somme de mal et de souffrance qu’il y a au monde ne vienne point de la
seule malice, et que les responsabilités soient diminuées par l’illusion ;
sinon, ne serait-ce pas chose effrayante? Si les bons sont éprouvés, si la
part du bien se réduit dans le royaume de Dieu, ce n’est pas toujours
le fait de la méchanceté pure ; l’aveuglement y a sa part. Mais il se peut
que les âmes qui bénéficient de ce triste privilège de l’inconscience expient
leurs méfaits dans la mesure même où durent les conséquences, et que
le châtiment se poursuive jusqu’à élimination entière, hors de la réalité
historique et de la trame des choses, de tout le désordre causé pa
l’illusion.
A côté de la volonté propre de l’orgueilleux qui s’enferme chez lui
(1) Commo le fait remarquer D. Butler, saint Benoît cite d’après une version autre que
la Vulgate ; l’expression demergit est une réminiscence de S. Matth., xvm, 6,
126
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
comme en un château fort et canonise toutes ses décisions, on ren
contre la volonté propre de celui qui est lâche, paresseux, et qui ne
consent pas à réagir contre soi-même, negligentibus. Souvent, d’ail
leurs, les deux tendances se réunissent et s’appuient mutuellement.
Alors, on arrive à tout, et très vite; on en vient à l’abjection décrite
par la Règle et par le psaume xm (v. 1). Λ moins que N. B. Père n’ait
voulu noter d’un trait rapide, à côté de l’illusion coupable, cette autre
perversité qui s’appelle la négligence formelle et le mépris de tout ce
qu’il y a de plus sacré : Impius, cum in profundum venerit peccatorum,
contemnit; sed sequitur eum ignominia el opprobrium (Prov., xvnr, 3).
H n’est pas impossible que de telles dispositions se révèlent de loin en
loin dans les monastères, et qu’elles arrivent jusqu’à leur odieux
paroxysme (1).
In desideriis vero carnis nobis Deum credamus
esse praesentem semper, cum dicit Propheta Domi
no : Domine, ante te est omne desiderium meum. Caven
dum ergo ideo malum desiderium, quia mors secus
introitum delectationis posita est. Unde Scriptura
praecepit, dicens : Post concupiscentias tuas non eas.
L’activité intérieure se compose de la pensée et du vouloir ; mais
saint Benoît nïgnorc pas qu’à côté et en dehors de ces deux éléments
il en est un autre, qui obscurcit l’intelligence et qui circonvient, dé
prime, retient captive la volonté. Le « désir de la chair » est la con
voitise secrète et basse, l’instinct sensible qui nous pousse vers les
personnes ou vers les choses non parce qu’elles sont bonnes, mais
parce qu’elles nous plaisent. C’est encore la conviction surnaturelle de
la présence de Dieu qui mettra de l’ordre dans ces désirs tumultueux
et révolutionnaires. « Seigneur, disait le prophète David, tout ce que je
désire est devant vous » (Ps. xxxvn, 10).
A ce motif élevé et procédant de la charité, N. B. Père en ajoute un
autre, plus intéressé, mais efficace et accessible à toutes les âmes. Nous
devons redouter les mauvais désirs parce que, malgré leur douceur appa(1) S. Augustin 1θ reconnaissait un jour, et il invitait son peuple à ne point se
scandaliser. Simpliciter fateor caritati vestrae coram Domino Deo nostro, qui testis est
super animam meam, ex quo Deo servire coepi : quomodo difficile sum expertus meliori >·
quam qui tn monasteriis profecerunt; ita non sum expertus pejores quam qui in monasteriis
ceciderunt... Quapropter etsi contristamur de aliquibus purgamentis, consolamur tamen
diam de pluribui ornamentis. Nolite ergo propter amurcam qua oculi vestri offenduntur,
torcularia detestari, unde apothecae dominicae fructu olei luminosioris implentur (Epist,
LXXVIII, 9, P. < XXXIII, 272).
DE L'HUMILITÉ
rente et la satisfaction que nous trouvons en eux, ils sont un poison et
parfois un poison mortel. La mort s’est installée, pour ainsi dire, tout
près de l’accès du mauvais plaisir : à la suite du plaisir, c’est trop sou
vent la mort qui pénètre. Et voici pourquoi l’Écriture nous ordonne de
ne point nous mettre follement à la remorque de nos convoitises, de ne
point nous laisser entraîner à leur suite (Eccu.,xvin,30) : elles peuvent
nous conduire jusqu’à la perdition. C’est en dévoilant une telle pers
pective que N. B. Père va résumer et conclure tout l’enseignement du
premier degré d’humilité.
Ergo si oculi Domini speculantur bonos et malos,
et Dominus de caelo semper respicil super filios hominum,
ut videat si est intelligens, aut requirens Deum; et ab
Angelis nobis deputatis quotidie die noctuque Do
mino factori nostro et creatori omnium Deo opera
nostra nuntiantur; cavendum est ergo omni bora,
fratres, sicut in Psalmo dicit Propheta, ne nos decli
nantes in malum, et inutiles factos, aliqua hora aspiciat Deus, et parcendo nobis in hoc tempore (quia
pius est, et exspectat nos converti in melius), ne
dicat nobis in futuro : Haec fecisti, et tacui.
Saint Benoît se borne à reprendre, sous forme d’exhortation adressée
à chacun et sur le ton du Prologue, les points qui ont été développés
précédemment. Les yeux du Seigneur sont fixés sur les bons et sur les
méchants ; le Seigneur regarde sans cesse du haut du ciel vers les fils
des hommes, afin de s’assurer s’il y a parmi eux un serviteur intelligent
et qui le cherche (Ps. xm, 2) ; les anges commis à notre garde rendent
HUI
compte de nos œuvres, chaque jour, et de nuit comme
de jour, au Sei
gneur qui nous a créés (1). H y a donc lieu de craindre à toute heure,
mes frères, selon l’avertissement du Prophète dans le psaume lu, que,
s’il nous arrive de glisser dans le mal et de nous rendre inutiles, Dieu ne
nous regarde à ce même moment. Il pourrait nous punir sur-le-champ.
Peut-être nous épargnera-t-il en cette vie, car il est bon et il attend que
nous revenions à des dispositions meilleures : craignons du moins qu’il ne
nous dise dans l’autre vie : « Voilà ce que vous avez fait, et je me suis
tu » ; je vais parler maintenant (Ps. xlix, 21). Cette remarque anéantit
(1) Les manuscrits n’ont pas : et creatori omnium Deo, et les principaux témoins des
traditions carolingienne et cassinienne lisent : Domino jactorum nostrorum opera nun
tiantur.
I I Kla Règle de
saint benoit
(objection t«icite que le pécheur élève parfois contre la justice divine :
Peccavi, et quid accidit mihi triste? Si Dieu ne châtie pas sur l’heure,
c est afin de ménager à l’âme le loisir du retour; sans doute aussi pour
conserver à la vertu son caractère libéral et filial : la vertu devien
liiïï
drait facilement un commerce,
et la fidélité un calcul d'habileté vul
gaire, si le châtiment suivait immédiatement la faute, ou si la récom
pense couronnait sans retard l’œuvre bonne.
Secundus humilitatis gradus est, si propriam quis
non amans voluntatem desideria sua non delectetur
implere; sed vocem illam Domini factis imitetur
dicentis : Non veni facere voluntatem meam, sed ejus
qui misit me. Item dicit Scriptura : Voluntas habet
poenam, et necessitas parit coronam.
Nous nous souvenons peut-être que dans Cassien la crainte de Dieu
ne constitue pas un degré spécial, niais qu’elle est présentée comme le
point d’appui commun de tous les degrés d’humilité. Au fond, la doctrine
de saint Benoît n’est pas différente. Remarquons qu’il n’assignera plus
dans la suite de motif nouveau d’humilité : il se bornera à indiquer les
procédés, les formes authentiques selon lesquelles l'humilité se doit tra
duire. Avant toutes choses, lui aussi a parlé, et longuement, de la crainte
ΙΙΙίΙ
de Dieu ; mais sans mettre à part, comme
Cassien, ces observations sur
la crainte, il a décrit en même temps les conséquences négatives qu’elle
aura pratiquement dans l’ensemble de notre vie. L’abstention des actes
égoïstes qui naissent de la volonté propre, tel est réellement le premier
degré d'humilité, chez saint Benoît comme chez Cassien. Les degrés
suivants décrivent les résultats positifs de la crainte surnaturelle : au
lieu d’obéir à sa volonté, faire la volonté de Dieu (deuxième degré :
Cassien ne l’avait pas distingué du premier) ; faire la volonté des hommes
eux-mêmes lorsqu’ils tiennent la place de Dieu (troisième degré) ; faire
la volonté de Dieu et des supérieurs dans les circonstances héroïques
(quatrième degré), etc.
Le second degré d’humilité est donc de réaliser dans sa conduite ce
que le Seigneur affirmait de lui-même : « Ce n’est point ma volonté que
je suis venu faire, mais bien la volonté de celui qui m’a envoyé» (Joann.,
vi, 38) (1). Au lieu d’aimer notre volonté propre, de mettre notre joie
(1) Quad ulique qui implere vult, sine dubio proprias sibi amputai voluntates, secum
aum imtla.imem tpsiusDomini dicentis : Descendi de coelo non ut jaciam voluntatem
, ,
Palris (S. Basil., Reg. contr., xn). Voir aussi
LASS.j LOïUal, AÜV. XXVI,
Λ
_■
DE L'HUMILITÉ
iî9
à faire ce qui nous plaît et ce à quoi nous poussent nos désirs, nous imite
rons NotTC-Seigneur Jésus-Christ. La volonté divine du Seigneur était
pleinement une avec celle de son Père; sa volonté humaine lui était de
même parfaitement unie. Mais il y avait chez le Seigneur, comme chez
nous, une volonté instinctive et indélibérée, une volonté de nature, un
principe de réaction intérieure qui le portait à choisir certaines choses
et à en écarter d’autres : or, cette volonté-là, il l’inclinait aussi devant la
volonté du Père : Calicem quem dedit mihi Paler nan bibam ilium? Pour
tant, c’était le calice dont il avait dit peu auparavant : Pater, si fieri
potest, transeat a me calix iste! Il était vraiment un homme, et non un
beau marbre ; il ressentait les répugnances humaines avec une profondeur
unique et une sensibilité exquise. C’est à ce titre que le Seigneur peut
nous être proposé comme modèle.
Saint Benoît ajoute que notre propre intérêt surnaturel nous invite
à la soumission. Cette petite phrase est la croix des commentateurs,
l' abord, faut-il lire voluptas ou bien voluntas? Puisqu’il s’agit dans le
contexte de volonté propre, il semble que la vraie leçon soit voluntas;
surtout si l’on tient à ce qu’il y ait opposition formelle avec necessitas;
et quelques scribes ont lu ainsi. Pourtant la leçon des manuscrits la plus
autorisée, celle que reproduisent les plus anciens commentateurs, est
voluptas. Cette expression n’a rien d’inattendu : elle est amenée très
naturellement par les mots : desideria sua non delectetur implere; l’oppo
sition elle-même subsiste en quelque manière, puisque, dans la pensée
de saint Benoît, volonté équivaut ici à volupté, et qu’il y a du moins
assonance. Mais à quel passage de l’Écriture se réfère saint Benoît? On
ne le retrouve nulle part. Saint Benoît, disent la plupart des commenta
Ulli
teurs, cite de mémoire, et il donne sensum, non verba, comme
ont fait
parfois les écrivains du Nouveau Testament et les Pères : encore fau
drait-il qu’on pût alléguer une parole sacrée offrant quelque analogie avec
la citation de N. B. Père; et celle-ci est réellement de physionomie
nette et précise. S’agirait-il d’un texte disparu? On doit recourir rarement
à ce genre d’hypothèses. La mémoire de N. B. Père ne l’aurait-elle pas
un peu trahi? Le respect a empêché les commentateurs de se le demander.
Il est difficile encore d’imaginer qu’il cite une formule proverbiale,
puisqu’il renvoie formellement à l’Écriture. Écriture, expliquent certains,
ne désigne pas de façon exclusive les Livres saints ; l’exposition du onzième
degré d’humilité ne se clôt-elle pas précisément sur une citation non
scripturaire introduite par la formule scriptum est? Mais on pourrait
objecter que cette formule est beaucoup moins précise que Scriptura,
Il se peut pourtant que nous ayons affaire à un fragment de littérature
ecclésiastique. Les Bollandistes ont reproduit, d’après les manuscrits et
d’après Mombricius, les Mries des saintes Agap\ Chionv et Irène, qui
sont insérés dans ceux des saints Chrysogone et Anastasie; ce texte,
9
'130
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
qu'ils donnent comme très ancien, est (heureusement pour notre hypo
thèse) diffèrent de celui de Siméon Métaphrastc (dixième siècle) ; on y
lit : Sisinnius dixit : Ergo non sunt inquinati, qui de sacrificiorum
sanguine gustaverunt? Irene respondit : Non solum non sunt inquinati,
sed etiam coronati sunt : voluptas enim habet poenam, et necessitas parat
(parit, dans Monibricius) coronam (1). L’authenticité de ces Actes est
contestéepar Ruinart ; ils peuvent néanmoins être antérieurs à N. B. Père.
Aurions-nous une source plus sûre chez saint Optat de DGlève écrivant :
Voluntas habet poenam, necessitas veniam (2)? C'est possible ; il n’y a cepen
dant identité entre les deux formules ni dans les mots ni surtout dans
l’idée. La pensée de saint Optat est que ceux-là méritent tout le châti
ment qui sont en pouvoir de toute leur liberté, tandis que la responsa
bilité et le châtiment sont moindres, lorsqu’il y a eu contrainte. La
pensée de saint Benoit est que la volonté propre encourt la peine, au lieu
que la nécessité, c’est-à-dire non plus la contrainte extérieure et per
verse qui nous porte au mal, mais une contrainte sage que nous nous
imposons pour faire le bien, mérite la couronne. Si l’emprunt à saint
Optat était justifié, il faudrait revenir à l’hypothèse d’une formide pro
verbiale se pliant aux circonstances.
Tertius humilitatis gradus est, ut quis pro Dei
amore omni obedientia se subdat majori, imitans
Dominum de quo dicit Apostolus : Factus obediens
usque ad mortem.
C’est toujours d’obéissance qu’il est question ; mais ces divers degrés
enchérissent l’un sur l’autre, encore qu’ils s’impliquent mutuellement
et soient en germe l’un dans l’autre. Accomplir la volonté de Dieu nous
est relativement facile : c’est lui ; ses lois ont un caractère général, elles
se justifient par elles-mêmes ; et puis, il est invisible : major e longinqui
reverentia. Mais Dieu nous a demandé d’incliner notre volonté devant la
volonté d’autres hommes, et cela assidûment et jusqu’à la mort, sans
protestation ni réserve aucune : omni obedientia·; majori, en général ; et
saint Benoît ajoutera même plus tard : üt obedientes sint sibi invicem
fratres.
. Un petit mot glissé dans le précepte nous en donne le sens profond et
nous rassure : c’est a pour l’amour de Dieu » que nous nous soumettons
(1) Acta SS., April, 11, p. 250.
(2) De Schism. Donal., L VII, post caput vn. P. L, XI, 1098. Ce passage a retrouvé
sa place au cours du chap, i du môme livre VII dans 1 édition du Corpus de X ienne,
fc XXVI, p. IGO,
DE L’HUMILITÉ
131
ainsi, c’est à notre Dieu que nous adhérons toujours. Obéissant par
tendresse, 1 ame en haut, tout nous devient facile ·, notre amour pro
voque les sacrifices et il s’accroît chaque jour de tous les sacrifices con
sentis. Et ce qui achève de donner à ce troisième degré d’humilité une
saveur vraiment chrétienne, c’est qu’il suppose l’imitation du Seigneur,
dont l’Apôtre dit qu’il s’est « fait obéissant jusqu’à la mort » (Philh*?.,
h, 8) (1). Depuis Bethléem jusqu’au Calvaire et par delà, dans l’Eucharistie, la vie du Seigneur n’a été qu’une obéissance aux créatures pour
l’amour de son Père céleste ; il n’a pas posé, lui, de limites à ce don de
soi entier et joyeux, et il a su mourir pour le consommer. Si nous sommes
de la race du Seigneur, si nous tenons à expérimenter ce que c’est que la
Rédemption, nous no voudrons plus d’autre procédé que le sien.
Quarius humilitatis gradus est, si in ipsa obedienlia duris et contrariis rebus, vel etiam quibus
libet irrogatis injuriis, tacita conscientia patientiam
amplectatur, cl sustinens non lassescat, vel discedat,
Qui perseveraverit usque in finem,
hic salvus erit. Hem : Confortetur cor tuum, et sustine
Dominum.
dicente Scriptura :
Le quatrième degré d’humilité, c'est l’obéissance héroïque, ce qui
ne veut pas dire facultative. Il s’agit ici proprement d’obéissance monas
tique ; et toute âme soucieuse d’être fidèle aura plus d’une fois l’occasion
de s’approprier cette page bénie, riche d’expérience et de sainteté, où
N. B. Père développe une partie du programme monastique esquissée
tout à la fin du Prologue : Passionibus Christi per patientiam partici
pemus.
Il peut se rencontrer dans l’obéissance des difficultés objectives : les
choses commandées sont dures, répugnantes, impossibles même, dira plus
tard saint Benoît. Ou bien les difficultés viennent de l’humeur, des habi
tudes fantasques, du manque de tact de ceux qui commandent : ils nous
traitent de façon injurieuse, ils nous adressent des reproche? qui enve
loppent un peu de mésestime. On peut tout dire de l’autorité : on peut
la considérer comme un élément d’unité, de conservation, de bonheur,
comme un élément nécessaire ; mais on ne saurait méconnaître qu’ello
est un instrument dangereux entre les mains des hommes. Ceux-là mêmes
(1) Usque ad quem modum obaudire oportet cum, qui placen ti De> implere regulam
cupit? Apostolus ostendit, proponens nobis obedientiam Domini : Qui faclus esti inguil»
olediens usque ad mortem, mortem autem crucis (S. Basil., Iteq. contr., lxv).
■
ili
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
fur qui pèse le joug trouvent parfois plus insupportables les maux qu ils
endurent que les maux de l’anarchie qu’ils redoutent. Enfin, il y a tou
jours dans la souffrance ressentie, avec une part réelle, une part imagi
naire, qui peut contribuer à rendre l’autre intolérable. Réunissez ces
trois éléments : les difficultés qui naissent des choses, celles qui viennent
de l’autorité, celles que nous nous créons ; tout cela peut monter trop haut
pour notre nature, qui s’échauffe à la longue et s’exaspère. Quelques-uns
cultivent cette ivresse, yperdentla tête, y puisent le germe de résolutions
qui déconcertent et déshonorent toute leur vie. Quatre mots de la sainte
Règle, d’une précision incomparable, définissent l’attitude du moine
vraiment humble.
Tacita. Il faut, à ces heures-là, savoir se taire et complètement. Retenir
sa langue ou sa plume, c’est garder sa force entière. Si l’on se grise de sa
parole et de sa colère, on est perdu. Mais il faut se plaindre ! c’est la res
piration de la souffrance... Non, dit saint Benoît, taisez-vous. Et, pour
n’avoir rien à dire extérieurement, faites taire aussi votre pensée inté
rieure : tacita conscientia. C'est trop peu, comme humilité et obéissance,
de demeurer muet, puis de s’en aller avec un courroux concentré et
parfois visible. Évitons les plaidoyers secrets, les protestations intimes,
les évocations sans fin de ce qui s’est passé, les rééditions à l’usage de
notre colère. Il y a des choses dans notre vie qu’il est assez dur de con
naître une fois : pourquoi vouloir, par le retour incessant de notre pensée,
quelles soient éternelles? C’est le procédé de l’enfant qui a un bobo et
1 envenime en y portant sans cesse la main. Ah ! si de telles réminiscences
avaient pour dessein de nous porter au courage, au repentir, à la charité,
tout serait bien. Mais elle n’est pas saine, la souffrance qui vient de nous et
de notre obstination à réveiller une douleur secrète. Laissons donc des
cendre dans l’ombre, dans l’oubli, dans le néant, tout ce qui n’a d'autre
fruit que de troubler notre paix. Une occasion nous est offerte de faire
œuvre de patience, c’est-à-dire, selon saint Jacques, œuvre de perfection :
Patientia autem opus perfectum habet, en maintenant chez nous, en dépit de
tout, l’ordre de la raison et de la foi. Prenons notre cœur à deux mains ;
embrassons si étroitement et si fortement cette bienheureuse patience que
rien au monde ne soit capable de nous en séparer : patientiam amplectatur.
Ce n’est pas l’heure de gémir, de se justifier, de contester. Nous ne
serions pas sauvés s’il avait plu au Seigneur de se dérober à la souffrance.
C’est l’heure de courber les épaules et de porter la croix, de porter tout
ce que Dieu voudra, tant qu’il le voudra, sans se lasser, sans lâcher pied.
Füi, accedens ad servitutem Dei, sta in justitia et timore, et praepara
animam tuam ad tentalionem... Sustine sustentationes Dei. Conjungere
Deo d sustine, ut crescat in novissimo vita tua (Eccll, ii, 1, 3). Nous
l’avons dit en expliquant le Prologue : il n’y a d’avenir surnaturel que
pour ceux qui savent ainsi tenir bon. Lorsque nous nous promettons à
DE L’HUMILITÉ
433
nous-mêmes de rester fermes et d’attendre virilement que l’orage soit
passé, nous devenons d’une résistance extrême. Toute souffrance, d’ail
leurs, aura son terme ; elle fleurira en gloire et en salut, dit l’Êcriture,
mais à condition que nous aurons su persévérer jusqu’à ce terme (Matih.,
xxrv, 13). Ayez du cœur, dit-elle encore, et supportez le Seigneur
(Ps. xxvi, 14). « Supportez le Seigneur » : oui, car au fond c’est de sa
Providence que vous tenez l’épreuve, c’est Dieu qui vous aide à l’endurer,
elle n’a d’autre but que de vous mener à lui : N. B. Père va le rappeler
tout aussitôt.
Et ostendens fidelem pro Domino universa etiam
contraria sustinere debere, dicit ex persona sufferen
tium : Propter te morte afficimur tota die; aestimati
sumus sicut ores occisionis. Et securi de spe retribu
tionis divinae, subsequuntur gaudentes, et dicentes :
Sed in his omnibus superamus propter eum qui dilexil nos.
Et item alio loco Scriptura : Probasti nos, inquit,
Deus; igne nos examinasti, sicut igne examinatur argen
tum; induxisti nos in laqueum; posuisti tribulationes in
dorso nostro.
Saint Benoît revient sur les deux genres de difficultés signalées plus
haut d’une façon rapide : les difficultés objectives d’abord, puis, dans
le paragraphe suivant, celles qui viennent des personnes. Sustine et
abstine, disaient les stoïciens. Ici même on nous demande seulement de
supporter : mais cette patience n’est plus l’acquiescement à une loi
impersonnelle dont on prend son parti parce qu’elle est universelle et
inéluctable ; c’est l’acquiescement à une volonté personnelle, un service
rendu à Dieu, et, sous la forme de notre courage, une part de collabo
ration à son œuvre rédemptrice : pro Domino, propter te. Avec une telle
conviction on peut aller jusqu’au martyre. El ostendens fidelem... Pour
montrer que celui qui a la foi, qui est fidèle au Seigneur, doit supporter
toutes choses, y compris celles qui répugnent le plus à la nature, récri
ture fait dire à ceux qui souffrent : « C’est à cause de vous que la mort
nous menace tout le long du jour et que l’on nous traite co Hill e des brebis
vouées à la mort » (Ps. xliii, 22).
C’est vraiment la conquête de Dieu que nous faisons au prix de ces souf
frances. A mesure que croît en nous le courage, grandit aussi l'espérance.
Nous sommes sûrs de notre Dieu, nous sommes sûrs du dédommagement
étemel. Et la joie s’en mêle, et l’amour nous entraîne, nous et notre croix.
Î3i
COMMENTAIRE SUR LÀ RÈGLE DE SAINT BENOIT
Comme nous comprenons bien maintenant le programme de notre vie et
eeiui de notre mort! D y a quelqu’un qui m’a aimé d’un amour sans
date, quelqu’un qui s’est penché vers ma misère et qui m’emmène avec
lui. glorieusement, sur sa route sanglante, vers le Père. Qu’on nous
demande n’importe quoi, nous en viendrons à bout; il semble que
déjà nous tenions la victoire, propter eum quidüexil nos (Rom., vin, 37).
Partout nous reconnaissons la main de Dieu, et nous la baisons affec
tueusement, redisant avec l’Écriture : a Vous nous éprouvez, ô Dieu;
vous nous soumettez à l’épreuve du feu, comme l’on y soumet l’argent ;
vous avez permis que nous tombions dans le piège ; vous avez mis des
tribulations sur nos épaules » (Ps. lxv, 10-11).
Et ut ostendat sub priore debere nos esse, subse
quitur dicens : Imposuisti homines super capita nostra.
Sed et praeceptum Domini in adversis et injuriis per
patientiam adimplentes, percussi in maxillam, prae
bent et alteram, auferenti tunicam dimittunt et pal
lium, angariali milliario vadunt et duo, cum Paulo
Apostolo falsos fratres sustinent et persecutionem,
et maledicentes se benedicunt.
I
Lorsque la difficulté viendra de ceux qui commandent, nous nous
souviendrons que nous sommes des cénobites et que notre loi est d’aller
vers Dieu sous la conduite d'un supérieur. Consentons-y volontiers et
disons encore avec l’Écriture : « Vous avez placé des hommes à notre
tête » (Ps. lxv, 12). Qu’importe si l’on nous moleste, si l’on nous dit des
paroles blessantes? C’est notre Dieu qui le permet ainsi. Les obéissants,
HUI
parvenus à ce degré de vaillance, marchent à la volonté de Dieu comme
les soldats au drapeau, à travers tous les obstacles, sans se laisser détourner
et émouvoir par rien. Et telle est leur perfection, que non seulement ils
3!
gardent entières
au supérieur leur docilité et leur affection souriante, mais
qu’ils dépassent dans leur empressement les ordres donnés ; ils demandent
sincèrement et avec candeur qu’on ne les épargne pas ; jamais ils ne
prennent des airs de victimes. Et ils remplissent ainsi le précepte de perfec
tion donné par le Seigneur en saint Matthieu (v, 39 sq.). Vous êtes frappé
sur une joue? tendez l’autre ; on vous enlève votre tunique? laissez partir
aussi votre manteau ; les messageries publiques vous réquisitionnent
pour mille pas? ne craignez pas d’en faire deux mille (1). Évidemment,
(1) Ct Cà«., Contai. XVI, χχι-χχιν.
bE VHÜMILÎTÉ
135
et le contexte évangélique le montre bien, ces métaphores ne demandent
pas d’être prises à la lettre : le Seigneur n’a voulu que décrire l’a’lure
spontanée et aimable de la justice chrétienne, par opposition à la jus
tice pharisaïque. N. B. Père poursuit en ajoutant que si des persécu
tions réelles nous venaient, non plus de supérieurs, mais de faux frère?,
il n’y aurait encore qu’à supporter et, en compagnie del’apôtre'saint Paul,
à répondre aux malédictions par la bénédiction (II Cor., xi, 26; I Cor.,
rv, 12). Nous avons un commentaire vivant de cette doctrine dans l’his
toire de N. B. Père lui-même, lorsque ses propres moines et lorsque Flo
rentius tentèrent de l’empoisonner.
A ce quatrième degré d’humilité se rattache la fameuse question des
« humiliations par fiction», qui provoqua une vive pdémique au dixseptième siècle. L’Abbé de Rancé, se réclamant de certaines pratiques
extraordinaires de quelques moines orientaux, avait introduit chez lui
la coutume d’imputer aux religieux, pour les exercer, des fautes imagi
naires. C’était d’ailleurs dans le goût de la spiritualité du temps. En 1616,
Dom Philippe François, « Prieur de Saint-xXiry, cy-devant Maistre des
novices de l’Ordre de Saint-Benoist de la Congrégation de Verdun»,
écrivait entre autres belles choses, dans sa Guide spirituelle tirée de la
Règle de sainct Benoist pour conduire les novices stlon Vesprit de la
mesme Règle, qu’il faut « leur imposer quelque faute griefve qu’ils
n’ayent point faite, et les en punir très bien (1) ». En 1671, Guillaume
Le Roy, Abbé commendataire de Haute-Fontaine en Champagne, étant
venu passer quelque temps à la Trappe pour s’y préparer à la réforme
de son monastère, y fut choqué de ces procédés d’humiliation, qui, selon
lui, blessaient la vérité, la justice et la charité, et, après discussion avec
Rancé, formula ses réserves dans une Dissertation manuscrite. Rancé
riposta vivement : une longue lettre adressée à l’évêque de Châlons
accusait Le Roy d’avoir mal interprété les fictions et de soutenir une
doctrine qui n’allait à rien moins qu’à « ravager toute la sainteté de la
Thébaïde ». On se disputa sans trop de bruit pendant quelques années ;
mais en 1677 la Réponse do Rancé, dont il avait donné quelques copies
à des amis, fut imprimée à son insu. Le Roy parla naturellement de
publier sa Dissertation; en attendant, il fit circuler un Eclaircissement sur
la Réponse et consulta Bossuet. Celui-ci, dans une lettre du 16 août 1677,
invita son correspondant au désintéressement et assura ainsi le dernier
mot à son ami Rancé (2).
L’Abbé de la Trappe exposa, en 1683, sa théorie des humiliations
dans son ouvrage De la sainteté et des devoirs de la vie monastique (3).
C’est alors que Mabillon entra en lice et soumit respectueusement à
(1) P. 473.
(2) Urbain et Levesque, Correspondance de Bossuet, t. H, p. 3Ô-46,
(3) Chap. XII.
1
1
136
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
Rancé quelques Réflexions (non édifies) sur divers points ; il faisait
siennes les réserves de M. Le Roy, et pour les mêmes motifs (1). Mais nul
n’éleva la voix plus haut que D. Mège dans son Commentaire sur la
Régie (1687) ; il y fait copieusement le procès des humiliations fictives et
bizarres, sans d'ailleurs nommer Rancé (2). Les amis de celui-ci, et
Bossuet en première ligne (3), s'agitèrent si bien qu’après diverses péri
péties, le Commentaire de D. Mège fut interdit pour tous les membres
de la Congrégation de Saint-Maur, dans la diète de 1689. Cette année-là
meme, Rancé publia la Règle de saint Benoît nouvellement traduite et expli
quée selon son véritable esprit; et le dernier jour de l’année parut le com
mentaire latin de D. Martène, annoncé depuis deux ans à Bossuet par le
P. Boistard, général de Saint-Maur, comme « plus correct » que celui
deD. Mège, etd'oû en effet, malgré quelques pointes, le ton de polémique
est banni (4); D. Martène essaie même de justifier historiquement l’usage
discret des humiliations. Pour nous, la critique de D. Mège garde toute
sa valeur. Non seulement il n’entre pas dans nos mœurs de mentir pour
éprouver la vertu d’autrui, mais nous pensons que les supérieurs n’ont
nul besoin de recourir à des procédés factices ou violents pour s’assurer
de la qualité de cette vertu et pour la faire grandir. En vérité, N. B. Père
ne suggère absolument rien de semblable. Et comme il deviendrait facile
aux moines, avec ce système des imputations fausses, d’écarter toutes les
observations désagréables, même très justifiées, sous prétexte que l’Abbé
veut exercer la réalité de leur vertu 1
Quintus humilitatis gradus est, si omnes cogita
tiones malas cordi suo advenientes, vel mala a se
absconse commissa, per humilem confessionem
Abbati non celaverit suo. Hortatur nos de hac re
Scriptura, dicens : Revela Domino viam tuain, et spera
in co. Et item dicit : Confitemini Domino, quoniam
bonus, quoniam in sacculum misericordia ejus. Et item
Propheta : Delictum meum cognitum tibi feci, et injusti
tias meas non operui. Dixi, pronuntiabo adversum me
(1) Cf. Dubois, Histoire de l’Abbé de Rancé, I. VII, chap. v. T. II, p. 36 et suiv.
(2) P, 241-242, 290-334.
(3) Voiries lettres à Rancé du 4 octobre et du 11 novembre 1687, et les notes des
éditeurs Urbain et Levesque, op. at., t. Ill, p. 426-429, 444-447. Bossuet Gt aussitôt
rimer le livre de D. Mège par l’autorité publique. « ...Qu’il demeure banni de tous
eux où la vraie régularité et la piété sont connues », écrivait-il à Mme de Beringhen, le 28 mars 1689 (t. IV, p. 16-16).
(4) Voir la lettre de Bossuet à Rancé du 2 janvier 1690 (Urbain et Levesque,
op. cil, t, IV, p. 60-52).
R
DE L’HUMILITÉ
1ST
injustitias meas Domino, et lu remisisti impietatem cordis
mei.
»
I
Avec les quatre premiers degrés, la théorie de l'humilité est construite ;
nous savons en quoi consiste essentiellement l'humilité delà créature, du
chrétien et du moine. Ce qui suit n’est que l'application à certaines cir
constances de la vie monastique des principes précédemment posés. Et,
chose remarquable, c’est encore d'éléments intérieurs qu’il sera question
longtemps ; il semble qu’il y ait dans la Règle une sorte d'aîîectation
fière à s’occuper presque exclusivement de ceux-là. Répétons-le : c’est
aux sources de la vie morale et dans les profondeurs où pénètre le seul
regard de Dieu qu’il importe de porter l’effort actif de la correction;
c'est là que tout doit s’ordonner dans la lumière de foi et dans la charité.
Il ne s’agit pas dans ce degré de la confession sacramentelle. Rarement
saint Benoît nous parle des lois divines et ecclésiastiques, car il les sup
pose connues d'ailleurs. D'autre part, les Abbés n’étaient pas toujours
prêtres : ils ne pouvaient par conséquent recevoir une confession in
ordine ad sacramentum. Il s'agit d’une démarche toute privée, non offi
cielle, d’une confidence spontanée de nos misères ; c’est ce que nous appel
lerions aujourd’hui la direction. La tradition monastique est unanime à
recommander cette pratique, aux religieux comme aux religieuses. Nous
avons cité déjà les paroles si sages des Institutions de Cassien, à
l'occasion du cinquante et unième instalment des bonnes œuvres; on
pourra méditer aussi le chapitre x de sa seconde Conférence. Saint Basile
revient plusieurs fois sur l'humble aveu qu’un moine doit faire de ses
fautes secrètes, non pas, dit-il, à n’importe qui, ni à ceux qui lui plaisent,
mais à ceux qui ont grâce d’état et compétence (1). Saint Benoît voudrait
que ce fût à l’Abbé lui-même ; car c’est alors seulement que le procédé
obtient toute son efficacité. L’Église, afin de prévenir certains abus, a
d’ailleurs rappelé aux supérieurs qu’ils n’ont pas le droit d’exiger les
communications de conscience.
Elles portent, selon N. B. Père, sur un double objet. D’abord « toutes
les pensées mauvaises qui surviennent dans notre cœur ». Entendons
bien. Selon l’enseignement de saint Grégoire, l’histoire de la tentation
en nous se compose de trois moments : la suggestion, le plaisir, le con
sentement ; il n’y a pas lieu de recueillir et de révéler à notre Abbé ce
qui n’a même pas été une suggestion, mais un éclair rapide; ni . La sainte
liturgie en fournissait d’innombrables et de toujour., neufs. 1λ pri're
privée elle-même puisait sa sève dans la prière de 1 Eglise et demeurait
catholique, simple, vivante comme elle. Π n était venu Λ la pen - e do per
sonne d’emprisonner les mouvements de lame dans des moule- rigides
et de substituer à la spontanéité joyeuse de leur exprès-ion la morne
banalité de formules toutes faite?. II n’est pas facile d’épuiser l’étude des
psaumes, l’étude de? autres partions de l’Écriture, l'étude des saints
Pères, l’étude de l’histoire de l’Égiisc et de- saints : qui donc pourrait se
flatter de n’avoir plus besoin de s’y appliquer? Et puis, alors même
qu’une longue pratique nous a familiarisés avec les prières liturgiques,
et précisément à raison de cette habitude, il nous faut revivifier toutes
choses par une étude incessante, si noms ne voulons pas tomber dans une
sorte de psittacisme, où la voix seule et les membres font leur office
matériel, sans que l’intelligence intervienne. La psalmodie n’est-elle pas
en péril de devenir un simple exercice de vocalise et de mémoire? Tout
passe si facilement en nous dans la catégorie de l'inconscient et des
réflexes.
A Pascha autem usque ad supradiclas Kalrndus
Novembris, sic temperetur hora λ igiliaruin agenda,
ut parvissimo intervallo, quo fratres ad necessaria
(1) Chez les Chartreux, il n’y a rien d’absolument déterminé au sujet do l'oraison
mentale. Jusqu’au seizième siècle, rien non plus chez les fils de saint Dominique et de
saint François, ni même aux origines de la Compagnie de Jésus, Cf. P, Bouvier.
TEwlution de la piété (Etudes, t, CXX [1909], p. 187-211).
DE L’HEURE DES VIGILES
naturae exeant, custodito, inox Matutini, qui inci
picnic luce agendi sunt, subsequantur (i).
Au cours de l’été. ce n’est plus l’appréciation de la huitième heure qui
détermine le commencement de l’office de nuit : c’e=t la coïncidence qui
doit exi-ter entre l'heure où le soleil se lève et le premier office du jour.
Encore que variable lui ainsi selon les saison», ce moment de l’aube est
pourtant le point fixe d’après lequel on calculera l’heure du réveil. Il
faudra qu’avant l’nurore on ait eu ^implement le loisir de célébrer de
courtes Vigile* ; entre cot office et celui du matin on ménagera seulement
aux frères quelque* instants pour le» besoins naturels ; la méditation des
p aume1 et d·· leçons est renvoyée dan* cette saison à un autre
moment (*?1
f
En dépit de la brièveté de l’office de nuit, les moines, qui s’étaient
couché plus tard qu'en hiver et levés presque à la même heure, avaient
eu moins de somme I : c’est pourquoi N. B. Père leur accorde la sieste,
après le repas qui a lieu ordinairement à la sixième heure (cha
pitre XLVlllj. Nous verrons aux chapitre» NI et XIV les exceptioni
apportées aux dispositions du prêtent chapitre.
(1) Le · υ ·<· r· i . a modifié, pour I·· rendre plus clair, le texte cririnil; voici la
leçon cm’adopt ·· I> Brru.li ; Sic lemt-rctuf fora ut Vigiliarum Agenda fani trima
iFi/ma/i), fuo
γ. > fru-r,· ns T. I. p. 880 sq. — D. Baudot, les Evangéliaires; les Lectwnnaires,
(2) Thiel, Epi.-foiae Romanorum Pontificum genuinae, t. î, p. 454 sq. — Cf. Ernst
von Dobschv rz. Das Decretum Gelasianum (Leipzig. 1912). — D. J. Chapman, On the
Decretum Gelasianum de Lbris recipiendis ci non rccipiend s {Revue Bénédictine, 1913).
(3) Ci Gkanvulas, Commentaire historique sur le Bréviaire Romain, t I, p. 207.
(4) Au chap, xi saint Benoît ne parle de la bénédiction qu’avant les leçons du
troisième nocturne, mais il est permis de croire qu'elle était donnée aussi avant les
lectures des deux premiers.
(5) Rtg. ail mon., xx.
(6) Comment, sur le chap vin.
<72
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
lisait toute la Genèse dans la semaine de la Sep tu âgés i nie et tout Isaïe
dans six jours de férié. Saint Udalric raconte qu’un religieux, qui faisait
le signe pour finir les leçons, fut accusé en chapitre de les avoir trop
abrégées parce qu'il n’avait fait lire que l’Épitre aux Romains dans deux
jours de férié. Le B. Jean de Gorze(l)lut un jour tout Daniel pour une
seule leçon. » L’étendue des leçons variait selon la longueur des nuits et
dépendait de la volonté du président et des coutumes (2). H ne fallait
pas songer à les réciter de mémoire, comme on pouvait le faire pour
les psaumes : aussi N. B. Père mentionne-t-il le codex placé sur le
pupitre.
Chez saint Césaire et saint Aurélien, le lecteur s’asseyait. Saint Benoît
dit seulement que tous les frères sont assis sur les bancs, in scamnis,
pendant les leçons (sauf pendant celle de l’Evangile : chap. XI) et pendan t les répons, sauf au Gloria. Cela nous laisse entendre que la psalmodie
avait lieu debout : on priait ainsi chez les premiers chrétiens ; et les com
mentateurs remarquent que saint Benoît emploie ordinairement le mot
stare pour parler de la posture ordinaire des moines au chœur : sic
stemus ad psallendum...; post Abbatem stare...; in choro standum...;
ultimus omnium stet. Et si N. B. Père ne prescrit pas de se lever pendant
le Gloria des psaumes, c’est qu’on est déjà debout. Actuellement encore,
les moines grecs ne s’assoient que pendant les lectures ; et nous-mêmes
nous sommes censés debout, même lorsque nous bénéficions de la « misé
ricorde s de nos stalles. Nous irmrons
comment finissaient les lectures,
O
Quelques siècles après saint Benoît, nous constatons qu’en certaines
églises celui qui préside fait cesser le lecteur en disant : Tu autem (s. e.
siste) ; celui-ci répond : Domine, miserere nobis, et le chœur : Deo gratias.
Nous avons parlé déjà des répons faisant suite naturelle aux leçons,
lectiones cum responsoriis suis, et dont le dernier se termine par le Gloria. (
Notons ce que dit N. B. Père de la dévotion des moines envers la sain'.e
Trinité, et veillons à ce que nos inclinations profondes soient autre chose
que des mouvements mécaniques. Saint Benoît recommande seulement
de se lever; mais les inclinations, les génuflexions, les prostrations ont
existé de tout temps dans l’Église ; N. B. Père n’a point songé à écrire
un cérémonial complet (au chap. L il est question de fléchir les genoux).
Post has vero tres Lectiones cum Responsoriis
suis, sequantur reliqui sex Psalmi cum « Alleluia »
cantandi. Post hos Lectio Apostoli sequatur, ex
(1) Ada SS.. Febr, III, p. 705.
(2) (f. Udai r , Contuet. Clun., L I, c. L
DE L’OFFICE DE NUIT EN HIVER
173
corde recitanda, et Versus, et supplicatio Litaniae,
id est, « Kyrie eleison ». Et sic finiantur Vigiliae
nocturnae.
Ou ne laissait pas d’intervalle entre les nocturnes; mais, aussitôt le
premier terminé, on chantait les six autres psaumes, non plus avec
antienne, mais avec Alleluia. Nous avons rencontré chez Cassien cet
emploi de V Alleluia. Il est probable que chez saint Benoît on le réf était,
comme une antienne, au cours du psaume. Vient ensuite une leçon
empruntée à l’apôtre saint Paul, assez brève pour qu’on puisse la réciter
de mémoire; et, après le verset, la supplication litanique, c’est-à-dire,
explique saint Benoît, le Kyrie eleison (1). Mais le Kyrie, plusieurs fois
répété, n’était que le début de toute une série d’invocations pressantes
qui terminaient, dans les premiers siècles, les principales fonctions litur
giques : ce sont les capitella dont parlent par exemple le concile d'Agde
de 506, les Règles de saint Césaire et de saint Aurélien, ce sont les preces
feriales conservées au Bréviaire romain. Encore que saint Benoît ne parle
pas ici du Paler, il est bien probable qu’on le récitait, et tout bas (voir le
chap. XIII) : il faisait partie de la litanie. Selon beaucoup de commenta
teurs et de liturgistes, N. B. Père sous-entendrait aussi la collecte tradi
tionnelle, et c’est avec elle seulement que se seraient achevées les Vigiles
de la nuit, comme du reste toutes les Heures : nous aurons l’occasion d’y
revenir.
(1) Le concile de Vaison de 529 (can. in. Mansi, t. VIII, coL 727) décrète: VI Kyrie
eleison frequentius cum grandi affectu cl compunctione dicatur,... ad Matutinos et ai
Missas cl ad Vesperanit
CHAPITRE X
COMMENT CÉLÉBRER EN ÉTÉ L’OFFICE DE NUIT
Ql'ALITER
aestatis tempore agatur nocturna laus.
— A Pascha autem usque ad Kalendas Novembris,
ut supra dictum est, omnis psalmodiae quantitas
teneatur : excepto quod Lectiones in codice, propter
brevitatem noctium, minime legantur, sed pro ipsis
tribus Lectionibus una de veteri Testamento memo
riter dicatur, quam breve Responsorium subse
quatur, et reliqua omnia ut dictum est impleantur,
id est, ut numquam minus a duodecim Psalmorum
quantitate ad Vigilias nocturnas dicatur, exceptis
tertio et nonagesimo quarto Psalmo.
H s’agit toujours de la Vigile fériale; mais nous sommes maintenant
en été. de Pâques à novembre. Les nuits sont plus courtes. Elles peuvent
sans doute encore suffire à la psalmodie, même intercalée d’antiennes ;
mais l’aurore vient trop tôt pour qu’on ait le loisir des longues lectures
de Γ Ancien et du Nouveau Testament et des traités des Pères ; et il ne
faut songer ni à retarder les Laudes, qui demeurent fixées au point du
jour, ni à prélever indiscrètement sur le temps du sommeil. Ce n’est donc
pas sur la psalmodie qu’on fera porter les retranchements nécessaires ;
elle s’adresse plus directement à Dieu, elle est la part formelle de la prière.
On remplacera les trois leçons du premier nocturne par une seule leçon,
empruntée à l’Ancien Testament, récitée de mémoire, très courte par
conséquent. Au lieu des trois grands répons, on n’en chantera qu’un seul
et plus bref. Tout se passe encore aujourd’hui comme saint Benoît l’a
prescrit
La deuxième partie de l’office est exactement la même qu’en hiver : six
psaumes avec Alleluia comme antienne. Il n’y a d’ailleurs de différence
entre l’office d’été et celui d’hiver qu’au point de vue des lectures et des
DE L'OFFICE DF. NUIT EN ÉTÉ
répons. N. B. Père insiste pour que l’on ne récite jamais moins des douze
psaumes prescrits par la tradition sainte; et, afin de prévenir tou'o
méprise, il rappelle que les psaumes in et xcrv ne sont pas comptés dans
cette série des douze psaumes de l’office nocturne.
CHAPITRE XI
COMMENT IL FAUT CÉLÉBRER LES VIGILES DU DIMANCHE
Qualiter Dominicis diebus Vigiliae
agantik.
—
Dominico die temperius surgatur ad Vigilias, in
quibus Vigiliis teneatur mensura, id est. modulatis,
ut supra disposuimus, sex Psalmis, et Versu, resi
dentibus cunctis disposite et per ordinem in subsel
liis, legantur in codice, ut supra diximus, quatuor
Lectiones cum Responsoriis suis, ubi tantum in
Responsorio quarto dicatur a cantante α Gloria »;
quam dum incipit, mox omnes cum reverentia surgant.
La liturgie des Vigiles dominicales méritait un chapitre spécial ; cet
office est, comme il convient, le plus solennel et le plus complet ; sa
distribution interne reste la même toute l'année, sans distinction d’été
ni d’hiver, dira saint Benoît. Le dimanche, on se lèvera plus tôt que sur
semaine, à raison de la longueur de la Vigile ; et c'est en été surtout qu'il
faudra anticiper le réveil, si l’on veut être en mesure de commencer
Laudes à l’aurore, incipiente luce. Comme il n’y a pas ce jour-là de t ravail
manuel, les moines peuvent donner davantage à la prière et supporter
la fatigue de plus longues veilles.
N. B. Père ne revient pas sur les portions préparatoires de 1’ofTicp.
Aux Vigiles du dimanche, dit-il, « on gardera la mesure ». 11 ne s’agit pas
ici de discrétion, pas davantage de la mesure qui suit, mais bien de celle
qui a été précédemment fixée pour le premier nocturne de la Vigile
fériale. C’est-à-dire, explique saint Benoît, qu’on « modulera », comme il a
été dit plus haut, six psaumes (avec leurs antiennes, naturellement) et le
verset. Puis tous s’assiéront sur les bancs, à leur rang et en bon ordre, et
les lectures commenceront. Elles se feront au pupitre, sur le livre, et par
les frères à tour de rôle, ut supra diximus. Mais il y a, cette fois, quatre
COMMENT CÉLÉBRER LES VIGILES DU DIMANCHE
177
leçons avec leurs répons respectifs. C’est au quatrième répons seulement,
et non plus au troisième, que le chantre ajoute Gloria et que tous se
lèvent aussitôt avec respect. Saint Benoît ne dit pas à quelle source on
puisait les leçons, mais il est permis de conjecturer que c’était àl’Écri
ture, peut-être à l’Ancien Testament.
Post quas Lectiones sequantur ex ordine alii sex
Psalmi cum Anliphonis, sicut anteriores, et Versus.
Post quos iterum legantur aliae quatuor Lectiones
cum Responsoriis suis, ordine quo supra.
Le second nocturne suit sans intervalle le premier et débute par le
chant de six nouveaux psaumes, pris à la suite dans le Psautier. Us ont
leurs antienne?, comme les précédents, à la différence des psaumes du
second nocturne férial, qui sont chantés cum Alleluia. Après le verset,
quatre autres leçons avec leurs répons, ordine quo supra, à la manière
indiquée plus haut, c’est-à-dire avec un Gloria à la fin du quatrième,
tous les moines s’étant levés. Ces leçons sont empruntées probablement
Post quas iterum dicantur tria Cantica de Pro
phetis 1), quae instituerit Abbas; quae Cantica cum
« Alleluia » psallantur. Dicto etiam Versu, et bene
dicente Abbate, legantur aliae quatuor Lectiones de
novo Testamento, ordine quo supra.
Ί1 y a un troisième nocturne. Mais, afin de ne pas dépasser le nombre
sacré des douze psaumes, c’est aux cantiques prophétiques de ΓAncien
T< srament que N. B. Père demande la matière de la psalmodie. L’Abbé
les choisira à son gré, soit parmi tous ceux de la Bible, soit parmi ceux
dont les liturgies font usage. Car l'usage de ces cantiques est bien anté
rieur à saint Benoit, sinon chez les moines, du moins dans beaucoup
d'églises d'Orient, dans celles de Milan, de Rome, etc. L’antienne Alleluia
accompagne les cantiques ; elle est donc toujours réservée pour le dernier
acte de la psalmodie. On dit le verset ; l’Abbé bénit le lecteur, comme il
(1) Saint Benoît a probablement écrit de Prophetarum, de Evangelia (de même aux
chap, xii, xm, xvn). Sic omnes fere codices antiqui : hi erani tituli voluminum S
Scripturarum (D, Butler, op. cit., p. 133).
ITS
COJIME.NTA IRE SUH LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
l’a béni deux fois déjà peut-être, au commencement des lectures de chaque
nocturne; puis on lit quatre leçons du Nouveau Testament (Actes ou
Épitres), avec leurs répons et lo Gloria au quatrième : ordine quo supra.
Post quartum autem Responsorium, incipiat Abbas
Ilvmnum
e Tc Deum laudamus ·». Quo dicto, leg it
«
Abbas lectionem de Evangelio, cum honore et tr ·
more stantibus omnibus. Qua perlecta, respondeant
omnes : < Arnen «. Et subsequatur mox Abbas
Ifvmnum
· Te decet laus ». Et data benedictione
V
incipiant Matutinos.
C'est la solennelle conclusion de l’office de nuit. L’Abbé enbumo lo
Te Dcum (1). L’ordre des lecturae adopté par saint Benoit était admi
rable; c’était en passant par Γ Ancien Testament, p-ir 1* Pères, pat . .1
écrits apostoliques, qu’on arrivait finalement à l’Evangile, à la voix mémo
de Notre-Seigneur Jésus-Christ, au » Λ inc culminant de l'office. Tom Je
monde était debout, une crainte religieuse planait sur toute l’asMstan. .· :
eum honore et tremore dantibus omnibus. L'Abbé, parce qu’il tient dans
le monastère la place du Christ, lisait I i même la parole du Clin r.
Mais, s’il lisait seul, la communauté sa.·· >ciait à lui dans l'unanime
profession de foi par laquelle se terminait la lecture. Des liturgistes
pensent que le passage évangélique choisi était celui-là mémo qui était
propre au dimanche ou à la fête et que l'on chantait à la Messe du jour.
Aussitôt l’Evangile terminé, l’Abbé entonne l'hymne Te dccct lau<; < η
la trouve au line VU des Constüsüions Apostoliques. Mais quell·· estent··
« bénédiction » dont parle ensuite N. B. Père? Nous savons, par d< > docu
ments tels que les Constitutions Apostoliques et la Peregrinatio liiirKw,
que les principaux offices liturgiques s’achevaient par des litanie J
et prières pour tous les besoins des fidèles, par une oraison de l’évcque,
accompagnée ou suivie de sa bénédiction, enfin par la formule du renvoi.
Les textes de saint Benoit rappellent tous ces usages. Parlant de la con
clusion des offices, il mentionne tantôt la supplicatio litania··. id est
Kyrie eleison (IX, XIII), les litaniae (XII); tantôt simplement la ben· ·
diction (XI); tantôt Kyrie eleison et missae sint (XVII) ; tantôt lit mine
et Oratio dominica d fiant missae (ibid.)] pour Complies enfin : Kyrie
eleison d benedidio et missae fiant (ibid.)] au chapitre LXV11, il écrit :
El semper ad orationem ultimam operis Dei commemoratio omnium absen(1) Sur l’histoire du Te Deum, voir le travail de D, Caoln, Te Deum ou lllalio'f
COMMENT CÉLÉBRER LES VIGILES DU DIMANCUE
174
hum fiat. N. B. Père fait allusion à des rites connus et ne croit pus
nécessaire de préciser davantage. Peut-être entend-il désigner la conclurion tout entière d’un office lorsqu’il rappelle seulement l’un des élé
ments qui la composent, la litanie, par exemple, ou la bénédiction; à
moins «pie pour saint Benoit la bénédiction qui termine la Vigile ne soit
simplement une collecte, ou un Benedicamus Domino développé (1).
Quant au terme missa, il a chez les anciens des significations multiples,
encore que très apparentées ensemble : il signifie le congé donné aux
fidèles, la formule de ce congé, l'ensemble des prières par lesquelles
s’achève une fonction liturgique, l'office canonial lui-même, la Messe
enfin. N. B. Pen·, comme Cassien, prend le mot missae selon des accep
tions diverses (2) : tantôt il est synonyme de completum est, tantôt peut• tr<· ·!»·' prière^ qui terminent l'oilice, tantôt enfin du saint sacrifice de
la M.·-· u Lap. XXXV. XXXVIII et LX) (3).
/■? tinia benedictione incipiant Matutinos, en ménageant d’ailleurs entre
l'offir- d·· nuit et le premier office de jour le parcissimum intervallum dont
il < t parlé au chapitre VIII. Même le dimanche, et en toute saison, les
moines peuvent alors sortir un instant, comme le laisse clairement
entendre le début du chapitre XIII : Diebus privatis... sexagesimus
C'-rtu: psalmus dicatur sine Antiphona in directum, subtrahendo modice,
sicut in Dominica, ut omnes occurrant ad quinquagesimum
Qui ordo Vigiliarum omni tempore, tam aestatis
quam hiemis, aequaliter in die Dominico teneatur :
nisi furto (’quod absit) tardius surgatur, quia tunc
aliquid de Lectionibus breviandum est, aut Respon
soriis. Quod tamen omnino caveatur, ne proveniat.
Quod si contigerit, digne inde satisfaciat Deo in
oratorio, per cujus evenerit neglectum.
Tout est clair, grâce aux explications qui précèdent. La distribution
d<· la Vigile dominicale reste invariable en été comme en hiver. On se lève
<: · I>. Γι m id: ni: Mi e.ter émet l'hypothèse que cette bénédiction, comme celle
qui pré «’·.!»· les lectures, soit une formule de louange, de bénédiction à Dieu, une accla
mation anal rue à celles par lesquelles, dans le rit grec, débutent certains offices ou
qui forment transition entre deux parties d'un même office (L'office décrit dans la Régie
bénédictine < I Cofficc grec : Echos (Γ Orient, 10e année, n° 67, novembre 1907, p. 342-344).
(2) Voir D. Calmct, Comment sur le chap. xvu.
(3) Cf. D. Bai mer, Ein Beitrag zur Erklârung ion Lilaniae und Missae in canp.
9-17 der heiligcn Regel (dans Studien und Mittheilungen ans dem Bencdictiner- und itm
CMlercienser-Ordcn, 1886, t. II, p. 285 sq.). — Chez S. Césaire et S. Avréuen mûsa
a encore lo sens de lecture, de leçon.
{SO
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
assez tôt pour que l’office puisse se dérouler avec dignité et intégralement
jusqu’au jour; il doit être achevé avant Γ aurore. La quantité des lec
tures elles-mêmes est déterminée d’avance, au moins d’une façon géné- '
raie, par la coutume et par la volonté de l’Abbé. Postérieurement à
saint Benoit, nous voyons le chantre ou tout autre personnage compé
tent prévoir ces lectures; quelques-uns marquent sur le manuscrit le
commencement et la fin des leçons au moyen d’une goutte de cire ou
par un coup d’ongle; ou bien le supérieur apprécie lui-même, séance
tenante, la mesure qui convient ; puis il impose silence au lecteur par un
procédé quelconque, par le Tu auleni dont nous avons parlé, voire sono
Hill
gutturis, comme
le faisait Charlemagne (1).
N. B. Père ne prévoit qu’une circonstance où il y aurait lieu de retran
cher quelque chose à la quantité normale des leçons et des répons, mais
non pas de la psalmodie ou des autres pièces : c’est le cas où le signal
du lever aurait été donné trop tard (2). Le dimanche obligeant à se lever
plus tôt, c’était ce jour-là aussi que l’erreur pouvait le plus facilement
HIM
se commettre,
Mais saint Benoît demande qu’on veille soigneusement
à ce qu’un aussi grave désordre ne se produise jamais ; et il astreint à
une satisfaction publique, dans l’oratoire, celui dont la négligence aurait
frustré le Seigneur d’une part de la prière commune.
(1) De gestis Caroli Magni, 1.1, c. νπ. P. L, XCVIII, 1376.
(2) Une décision analogue à celle de saint Benoît est indiquée par S. Césaire :
Si two evenerit ut tardius ad vigilias consurgant, singulas paginas, aut quantum Abba
tissae visum fuerit, legant; in cujus potestate erit, ut quando signum fecerit, quae legit,
sine mora consurgat (Reg. monasterii sanctae Caesariae, Acta SS., Jan. t. I, p. 736).
— Selon les Us de Cîteaux, si l’on s’est levé trop tôt, Je chantre doit faire prolonger
Ja douzième leçon.
CHAPITRE XII
COMMENT CÉLÉBRER LA SOLENNITE DES MATINES
i
Qualiter Matutinorum solemnitas (1) agatur. — In
Matutinis Dominico die, in primis dicatur sexage
simus sextus Psalmus sine Antiphona in directum;
post quem dicatur quinquagesimus cum « Alleluia ».
Post quem dicatur centesimus decimus septimus, et
sexagesimus secundus ; deinde Benedictiones et
Laudes; Lectio de Apocalypsi una ex corde, et Re
sponsorium, et Ambrosianum, et Versus, et Canti
cum de Evangelio, et Litaniae; et completum est.
Il s’agit, dans ce chapitre, de l’office matutinal, le dimanche; dans
le suivant, du meme office les jours de férié ; et le titre du chapitre ΧΠ
n’est exact que si l’on réunit en un les deux chapitres, comme semble
nous y inviter le début du XIIIe : Diebus autem. Nous savons déjà que
ce qui s’appelle chez les anciens Matines, s’appelle Laudes chez nous.
L’institution de cet office est antérieure de plusieurs siècles à saint Benoît ;
c’est l’heure glorieuse où la lumière triomphe des ténèbres, l’heure de la
résurrection du Seigneur. Les Laudes sont le complément normal de la
Vigile ; peut-être en sont-elles un dédoublement ; il semble du moins
qu’à l’origine elles n’en étaient pas séparées. Chez saint Benoît luimême, sauf aux fériés d’hiver et en dépit du parvum intervallum des
autres jours, la soudure des deux offices est réelle : et data benedictione
incipiant Matutinos (2). Et, en tout temps, la préparation à l’office des
Laudes est fort courte : peut-être ne comprend-elle pas même le Deus
in adjutorium (3), et consiste-elle simplement dans l’exécution un peu
(1) Solemnitas, ici comme chez Cassien (Insl., II, x ; III, rv, v, vi, etc.), est sim
plement synonyme de synaxe, d'office.
(2) Cf. Cass’, Inst., Ill, iv. On trouve aussi cette jonction des nocturnes et du
Matutinum dans l’ancien rit ambrosien : D. Cagin, TeDeum ou lllaiio? p. 417.
(3) N’oublions pas cependant que N. B. Père ne donne pas toujours tous les détails
lllll
des rubriques ct qu’il abrège quelquefois. Voir le commentaire
du chap, xun, p. 330.
1
1S!
COMMENTAinE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
lente du psaume Lxvr, sans antienne, in directum (1), — ut omnes occurrant
ad quinquagesimum, dira saint Benoît au chapitre suivant.
Le Miserere, le psaume de la confession des péchés, joue un peu ici
Je rôle de l’invitatoire ; avant de chanter l’apparition de la pure lumière
et d’offrir au Seigneur une louange détaillée pour tous ses bienfaits,
lame a besoin de se purifier et de reconnaître que Dieu tout seul peut
la faire sortir de sa nuit (2). Nous savons par saint Basile que ce psaume
se récitait déjà de son temps à la même heure : Die jam illucescente,
omnes simul relut ex uno ore ct uno corde psalmum confessionis Domino
concinunt, propria sibi unusquisque verba poenitentiae jacientes (3).
Saint Benoît veut qu’on le dise avec Alleluia comme antienne, et peutêtre disait-on aussi VAUeluia au cours des psaumes suivants. Vient
ensuite le grand psaume de la résurrection, le cxvrr : Confitemini Domino
quoniam bonus, indiqué aussi pour Laudes dans la Règle de saint Césaire
ad m nachis (4). Puis le psaume lxh : Deus, Deus meus, ad te de luce
vigilo, tout désigné pour l’office matutinal, et dont saint Benoît n’a eu
qu’à emprunter l’usage aux liturgies monastiques et autres. Même
remarque pour le cantique Benedicite, les « bénédictions », comme disent
saint Benoît et saint Césaire, et pour les laudes (psaumes cxlviii,
cxllx, cl) (5).
On récite par cœur une seule leçon, tirée de l’Apocalypse. Ensuite un
répons, sans doute un répons bref, l’hymne ambrosienne, le verset, et le
cantique de l’Évangile, c’est-à-dire le Benedicius, choisi surtout à cause
des derniers versets : Visilavil nos Oriens ex alto, illuminare his qui in
tenebris et in umbra mortis sedent (6). Enfin les « litanies », c’est-à-dire
le Kyrie eleison et l’ensemble des formules de conclusion ; et c’est tout,
c’est le renvoi.
lilii
(1) Chez S. Césaire aussi, l’office du matin commence
par un directaneum (Reg.
ad mon., xn). Noter dans cette liturgie et ailleurs la présence du Te Deum et du Gloria
in exalsû à la fin de Laudes.
(2) Selon D. Calmet, le Miserere a pu être choisi à cause des mots : Domine, labia
mai aperies, ou à cause de ceux-ci : exultabunt ossa humiliata qui rappellent la résur
rection.
(3) Episl. ad clericos Ncocaesarienscs, 3. P. G., XXXII, 7G3-7GL — Cf. Cass., Inst.,
ΠΙ. n.
(6) « On croit généralement de nos jours, et pour de bonnes raisons, que le Magnificat
& été introduit aux Vêpres, comme le Benedictus aux Laudes, par saint Benoit »
(Baumer, Hist, du Bréviaire, t I, p. 253). Cf. cependant D. Cabrol, Diclionnair»
ifArchéologie chrétienne et de Liturgie, art. Cantiques évangéliques,
CHAPITRE XIII
COMMENT CÉLÉBRER LES MATINES AUX JOURS DE FÉRTE
Privatis diebus
qualiter
Matutini
agantur.
—
Diebus autem privatis Matutinorum solemnitas ita
agatur, id est, sexagesimus sextus Psalmus dicatur
sine Anliphona in directum, subtrahendo modice,
sicut in Dominica, ut omnes occurrant ad quinqua
gesimum, qui cum Anliphona dicatur.
Les jours de la semaine où il n’y a pas de fête de saints (1), les
jours de simple férié, l’office matutinal se célébrera comme il suit.
i lil I
On dira sans antienne, in directum, mais assez lentement, comme
le
dimanche, le psaume lxvi. De la sorte, tous les frères seront rentrés
au chœur pour le Le, qui appartient à la psalmodie solennelle et
se dit non plus avec Alleluia mais avec une antienne spéciale. Ces deux
psaumes, ainsi que les laudes dont parle plus loin saint Benoît, consti
tuent la portion invariable de la psalmodie. Voici maintenant la por
tion variable.
Post quem alii duo Psalmi dicantur, secundum
consuetudinem, id est, secunda feria, quintus, et
trigesimus quintus. Tertia feria, quadragesimus
secundus, et quinquagesimus sextus. Quarta feria,
sexagesimus tertius, et sexagesimus quartus. Quinta
feria, octogesimus septimus, et octogesimus nonus.
Sexta feria, septuagesimus quintus, et nonagesimus
primus. Sabbato autem, centesimus quadragesimus
(1) On trouve aussi l’expression diebus privatis dans 1’Ordo psalmodiae Linnensis,
183
I -
f Si
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
secundus, et Canticum Deuteronomii, quod dividatur
in duas « Glorias ».
Chaque jour, après le Miserere, on dira deux psaumes « selon la cou
tume ». Quelle e t cette coutume? üne coutume monastique? celle qui
avait ei cours jusqu’alors au Mont-Cassin? la coutume des églises de
la région? la coutume ambrosienne, ou celle de Rome, dont il sera ques
tion à propos des cantiques? Nous ne pouvons le savoir. Nous ne voyons
pas bien non plus si N. B. Père a emprunté à cette coutume non seule
ment l’usage des deux psaumes, mais encore leur désignation. Il est
probable pourtant qu’il a accepté, et tel quel, ce choix des onze psaumes,
pris çà et là dans le Psautier. Mais quelle fut à l’origine la raison déter
minante d’un pareil choix (1)? Pour la seconde férié, le vc: Vcrba mea, et
le xxxvc .· Dixit injustus; pour la troisième férié, le xme : Judica me, Deus,
et le Lvri*: Miserere mei, Deus, miserere mei; pour la quatrième férié, le
i Exaudi, Deus, orationem meam, et le Lxive: Te decet hymnus ; pour
la cinquième férié, le Lxxxvne : Domine, Deus salutis meae, et Je lxxxlx0 :
Domine, refugium factus es nobis; pour la sixième férié, le lxxvc : Notus in
Judaea Deus, et le xcie: Bonum est confiteri Domino ; pour le samedi, le
cxLne '.Domine, exaudi orationem meam, auribus percipe. Dans le Bréviaire
romain d’avant la réforme de Pie X, il y avait aux Laudes de chaque
jour, après le Miserere, un seul psaume spécial et un cantique ; les cantiques
étaient les mêmes dans les deux liturgies ; un des psaumes indiqués par
saint Benoît pour chaque férié se retrouvait — et subsiste encore — le
même jour au romain, avec cette différence qu’au romain les psaumes
cxLn et xci appartiennent respectivement à la férié sixième et au samedi.
Un seul psaume est assigné au samedi, à raison de la longueur insolite
du cantique du Deutéronome marqué pour ce jour-là. On divise le can
tique en deux Gloria, c’est-à-dire qu’on le partage en deux portions
suivies chacune de la doxologie Gloria; la première partie du cantique
fait fonction du deuxième psaume intercalaire, et la deuxième partie
est le cantique lui-même. Une transition est ainsi offerte à N. B. Père
pour parler des cantiques.
Nam ceteris diebus, Canticum unumquodque die
suo ex Prophetis, sicut psallit Ecclesia Romana,
dicatur. Post haec sequantur Laudes; deinde Lectio
una Apostoli memoriter recitanda, Responsorium,
(1) < Une personne éclairée et qui a fait sur cela de sérieuses réflexions, dit
D. Calmet, croit que saint Benoît a voulu mettre à la première Heure du jour
des psaumes qui parlent de la lumière et du matin et qui ont rapport à la résurrection. »
Comment célébrer les matines aux jours de férié
435
Ambrosianum, Versus, Canticum de Evangelio,
Litania, et completum est.
Car on récitera des cantiques, non pas le samedi seulement, ni toujours
le même : mais chacune des autres iéries aura son cantique propre,
emprunté, comme le cantique du samedi, au répertoire del’Église romaine.
L’Abbé devait déterminer les cantiques du troisième nocturne du
dimanche, parce que l’Êglise romaine n’usait aux Vigiles que de psal
modie : il ne pouvait lui emprunter ce qu’elle ne possédait pas. Mais elle
avait tous les jours à Laudes un cantique tiré des Prophètes (ex Pro
phetis, au sens large) ; et saint Benoît, sur ce point, adopte la coutume et
probablement aussi la désignation de l’Êglise romaine. Comme le fait
observer D. Baumer, quelques églises seulement d’Occident avaient
adopté l’usage oriental de nombreux cantiques, et l’introduction de cette
pratique par saint Benoît « était, du moins chez les moines, quelque
chose de nouveau (1) ». Tandis que le dimanche a les « bénédictions »
des trois enfants, la seconde férié a le cantique du chapitre xit d’Isaïe ;
la troisième férié, le cantique d’Ézéchias ;la quatrième, le cantique d’Anne ;
la cinquième, le cantique de Moïse après le passage de la mer Rouge; la
sixième, le cantique d’Habacuc ; et le samedi, celui du Deutéronome où
Moïse trace, avant de mourir, l’histoire passée et future d’Israël.
Après ces cantiques viennent les psaumes de louange ; puis une courte
leçon empruntée à l’apôtre saint Paul et qu’on récite de mémoire, le
répons bref, l’hymne ambrosienne, le verset, le cantique de l’Évangile
ou Benedictus, la litanie, et l’on termine.
Plane agenda Matutina vel Vespertina non trans
eat aliquando, nisi ultimo per ordinem Oratio
Dominica, amnibus audientibus, dicatur a priore,
propter scandalorum spinas, quae oriri solent, ut con
venti per ipsius Orationis sponsionem, qua dicunt :
Dimitte nobis debita nostra, sicut et nos dimittimus debi
toribus nostri, purgent se ab hujumodi vitio. Ceteris
uero agendis, ultima pars ejus Orationis dicatur,
ut ab omnibus respondeatur : Sed libera nos a malo.
En proscrivant la litanie comme conclusion de l’office, N. B. Père
entendait vraisemblablement par là, nous l’avons dit, tout un ensemble
(1) Op. cil., t. I, p. 249. Cf. p. 179 et suiv, — D. Cabrol, Dictionnaire cTArchéologic chrétienne et de Liturgie, art. Cantiques,
<86
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
de formules dont faisait partie le Pater; mais il tient à faire relativement
à l'emploi liturgique du Pater une disposition formelle, avec intention
précise, propre à l’office monastique. C’est une règle invariable que
saint Benoît veut poser, et l’on voit tout aussitôt qu’elle lui tient à
coeur : Plane (i. e. certe, omnino) agenda Matutina vel Vespertina non
transeat aliquando... Nous n’avons pas à rappeler ici la beauté de cette
prière, la plus vénérable et la plus complète qu’il y ait au monde, et qui
conserve à jamais, dans chacune de ses demandes, la saveur divine qui
lui vient des lèvres du Seigneur (1). Dès la toute première heure de
l'Église, elle a sa place privilégiée dans la prière chrétienne privée : la
Didaché prescrit à chacun de la réciter trois fois par jour, le matin, à
midi et au soir, aux heures traditionnelles de la prière juive. Elle a sa
place aussi dans la prière publique primitive (2) ; et de nombreux docu
ments mentionnent sa récitation solennelle aux offices avant N. B. Père
et de son temps (3). Le concile de Girone de 517 avait décrété : Ut omnibus
diebus, post matutinas et vespertinas, Oratio dominica a sacerdote profe
rat ir (4). Saint Benoît demande lui aussi que nul office (5) de Matines
et de Vêpres n’ait lieu sans qu’à la fin l’Oraison dominicale soit récitée
en entier par le président de l’assemblée, tous les moines prêtant l'oreille.
Aux paroles du Pater qui sont citées par la Règle et à l’explication
fourme par N. B. Père lui-même nous reconnaissons bien le motif spécial
de cette récitation conventuelle. Sans doute il y avait une opportunité
singulière, alors que des traces de pélagianisme subsistaient encore un
peu partout, à provoquer dans les âmes un examen de conscience, un
désaveu et un regret, à les faire s’appuyer sur Dieu seul pour échapper
au mal et à la tentation (6) ; mais saint Benoît poursuit un autre but.
Même dans les communautés les plus fraternellement unies, il peut se pro
duire, sans malice souvent, et par le fait seul de la diversité des tempé
raments, de petites meurtrissures. Et les meurtrissures, même petites,
lorsqu’on y touche par la pensée ou la parole, s’endolorissent et s’enve
niment. Elles s’effacent au contraire, les épines de scandale qui germent
parfois dans les monastères, se’on l’image de saint Benoît, disparaissent,
lorsque nous puisons dans la bonté de Dieu envers nous un motif surna
turel d’exercer notre charité envers le prochain. La demande du Pater :
Dimitte nobis débita nostra sicut et nos dimittimus, est un engagement
u i Cass., Contai. IX, xvin sq.
(2) Cf. Fr. H. Chase, The Lord's prayer in the early Church, dans la collection Tcxls
and Studies de J. Armitage Robinson.
(3) Voir, par exemple, la description d’un office au Mont-Sinai dans un document
du sixième siècle publié par D. Pitba, Juris eccles, Graecorum hist. el monum., t. I,
p. 220.
(4) Can. x. Mansi, t. VIIT, col. 550.
(5) Ajenda signifie un office, une portion de l'ffiuwe de Dieu.
(6) Cf. S. Aug., Epist. CLVII, CLXXVI, CLXXVIII, P. L, XXXIII, 674,
762, 772.
COMMENT CELEBRER LES MATINES AUX JOURS DE FÉRIÉ
187
réciproque, une stipulation que nous faisons avec le Seigneur (sponsio) (1) ;
au lieu d’imiter ces chrétiens dont parle Cassien : Cum in eedesia haec
oratio db universa plebe concinitur, hunc locum taciti praetermittunt, ne
scilicet semetipsos obligare... videantur (2), les enfants de saint Benoît
doivent s’approprier les paroles divines, se laisser citer en jugement
(convenire) et corriger par elles : ils prononcent leur propre condamna
tion s’ils ne se pardonnent pas mutuellement et ne se remettent pas
d accord (aut-e sens de convenire).
Cette récitation solennelle de toute l’Oraison dominicale n’aura lieu
qu’au commencement du jour et à la· fin. Aux autres offices, ceteris vero
egendis, on ne dira à haute voix que les dernières paroles seulement :
Et ne nos inducas in tentalionem, de façon à ce que tous répondent : Sed
libera nos a malo. Même sous cette forme réduite, on aura pu mettre
son âme d'accord avec la pensée de Dieu et grouper dans une même
prière les intentions de tous.
(1) Adjunxit plane cl addidit {Dominus) legem, certa nos conditione et sponsione conslf.ngcns, ut sic nobis dimitti debita postulemus secundum quod et ipsi debitoribus nostris
dimittimus, scientes impetrari non posse quod pro peccatis petimus, nisi et ipsi circa debi
tores nostros paria jecerimus (S. Cypriani De Orat. Dornin., x
(2) Conlat. IX, xxn,
CHAPITRE XIV
COMMENT CÉLÉBRER LES VIGILES AUX FÊTES DES SAINTS
InNatalitiis Sanctorum qualiter Vigiliae agantur.
— In Sanctorum vero festivitatibus, vel omnibus
solemnilatibus, sicut diximus Dominico dic agendum,
ita agatur, excepto quod Psalmi, aut Anliphonae vel
Lectiones ad ipsum diem pertinentes dicantur.
Modus autem supradictus teneatur.
Des trois formes d’offices : le férial, le dominical et le festif, N. B. Père
a déjà déterminé les deux premières, quant aux Vigiles et aux Matines;
il lui suffit maintenant de quelques lignes pour régler l’office festif, parce
qu’il l’assimile à celui du dimanche. Le titre du chapitre restreint aux
seules Vigiles l’assimilation, à tort peut-être, car saint Benoît s'exprime
d’une manière générale, sans distinguer entre les Vigiles et les Matines ;
il ne parlera pas davantage des particularités de l'office festif aux Heures
du jour; aussi bien c’était pour les Vigiles surtout qu'il importait de
fixer la mesure, modus, la quantité de la psalmodie et des lectures. Nous
pouvons d’autant plus regretter l'extrême concision de N. B. Père que
nous sommes insuffisamment renseignés par ailleurs sur l’office festif
chez les moines d’alors.
Pour les fêtes du temps, pour les solennités commémoratives des
mystères du Seigneur : Pâques, Noël, l’Épiphanie, etc. (celles que veut
probablement désigner saint Benoît en écrivant : vel omnibus solemniialïbus), le calendrier monastique s’était adapté dès l’origine au calen
drier des églises séculières. H n’en va pas de même pour les fêtes des
saints. Quelques-unes, il est vrai, celles par exemple des saints Pierre
et Paul, de saint Étienne, des saints Jacques et Jean, de saint André, de
saint Jean-Baptiste, etc., furent de bonne heure communes à toute la
chrétienté ; mais primitivement les fêtes des martyrs et celles, un peu
plus tardives, des confesseurs ne se célébrèrent que dans les églises où
elles avaient une attache topographique, là du moins où les appelait un
188
COMMENT CÉLÉBRER LES VIGILES AUX FÊTES DES SAINTS
1S9
motif local précis (1). Les églises monastiques, étant dépourvues d’ordi
naire de semblables traditions, avaient peu de natales à commémorer;
et c’est sans doute ce qui explique le silence des anciennes Règles orien
tales sur ce point. Parfois, les moines accouraient de leurs solitudes pour
fêter un saint martyr avec les clercs et les fidèles; c’est ainsi que la pèle
rine Eucheria eut la joie inattendue de contempler et d’entretenir, à
Charra, en Mésopotamie, tous les moines de la région, qui avaient dû s’y
rassembler pour l’anniversaire du moine martyr Helpidius : Audieram
eos, écrit-elle, eo quod exlra diem Paschae et extra diem hanc non eos de
scendere de locis suis (2). Dans la Règle de saint Césaire éditée par les
Bollandistes, il y a des dispositions liturgiques spéciales non seulement
pour le dimanche et pour les jours ordinaires, privatis diebus, mais pour
Pâques, Noël, l’Épiphanie, pour les solennités, pour « tous les jours de
fête », spécialement pour les fêtes des Martyrs : Quando festivitates Mar
tyrum celebrantur, prima missa (lectio) de Euangeliis legatur, reliquae de
passionibus Martyrum (3).
Le calendrier monastique s’enrichissait donc peu à peu et se calquait
sur celui des églises séculières, desservies parfois d’ailleurs par des
moines ou avant à côté d’elles un monastère. Si N. B. Père n’a pas innové
de tous points relativement au culte des saints, il lui a du moins assuré
une place d’honneur et une place régulière dans la liturgie proprement
monastique. Nous savons par saint Grégoire qu’en prenant possession
du Mont-Cassin saint Benoît dédia un oratoire à saint Jean-Baptiste et
un autre à saint Martin de Tours ; c’est en face des reliques qu’il nous
fait émettre profession, et les saints sont invoqués comme les témoins
authentiques de nos engagements.
Aux fêtes des saints et dans toutes les solennités, on célébrera l’Œuvre
de Dieu {agendum, ita agatur) de la même manière qu’il a été réglé plus
haut pour le dimanche : en toute saison trois nocturnes, douze leçons,
douze répons. Mais saint Benoît ajoute une clausule, qui limite et réduit
l’assimilation de l’office festif à l’office dominical : il aura ses psaumes,
ses antiennes et ses leçons propres (remarquez qu’il n’est question ni
des répons, ni des hymnes). De longues discussions se sont élevées parmi
les commentateurs sur l’interprétation des mots : ad ipsum diem perti
nentes. Sont-ce les psaumes, antiennes et leçons de la férié, ou bien les
psaumes, antiennes et leçons assignés spécialement à la fête? D. Calmet
est plutôt favorable à la première opinion ; D. Mège est décidément pour
la seconde ; D. Martène, tout en reconnaissant la valeur des arguments
fournis par les tenants de cette deiniè.e, laisse à chacun la liberté
d'apprécier et ne conclut pas.
(1) Cf. H. Delehaye s. j., les Origines du culte des martyrs, chap, ni, p. 109 et suiv,
(2) Peregrinatio ad loca sancta, édit, Gamurrini, 1888, p. 38-39,
(3)
Jan. t. I, p. 735-736,
<30
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
Grammaticalement, le texte se prête à l’une et à l’autre interprétation.
U faut donc chercher une solution ailleurs. Saint Benoît, au chapitre XVIII, réclame de tous ses fils la récitation intégrale du Psautier
en une semaine; et il ne s’agit pas d’un nombre de cent cinquante
psaumes, quels qu’ils soient, mais des cent cinquante psaumes dont se
compose le Psautier. Or, ceci ne pouvait avoir lieu qu’à la condition que
l’on récitât aux nocturnes des saints les psaumes de la férié correspon
dante. A ceux qui répondent « que saint Benoit a voulu parler condition
nellement et supposé qu’il ne se trouverait pas de fête dans la semaine »,
I). Calmet réplique : « Avec de pareilles suppositions, que ne peut-on
pas faire dire à un auteur? » Pour saint Benoît, la psalmodie est vraiment
l’ossature immuable de l’office divin, et s’il laisse à l’Abbé la faculté de
donner une distribution du Psautier meilleure que la sienne, encore veut-il,
répétons-le, que tout le Psautier soit récité chaque semaine. La physionomiefestive était suffisamment accusée par ce qu’avait de spécial le
dessin de l’office, copié sur celui du dimanche, et par certaines parties
propres. Actuellement encore, les petites Heures ne gardent-elles pas
immuable leur psalmodie même aux jours festifs, et la récente réforme
du Bréviaire romain n’a-t-elle pas combiné l'office férial avec celui des
fêtes? Nous ne pouvons pas d’ailleurs, selon la remarque de D. Calmet,
chercher des arguments solides en faveur de l’une ou de l’autre inter
prétation de notre texte dans les usages postérieurs à saint Benoit, fus
sent-ils très anciens, ni dans une législation monastique ou ecclésias
tique plus récente.
A ceux qui entendent l’ad ipsum diem de la férié correspondante, on
fait encore l’objection suivante : saint Benoît parle des psaumes comme il
parle des antiennes et des leçons, il énumère ces éléments sans distinguer :
leur condition est donc la même. Or, il semble bien qu’aux jours de fête
on ne pouvait dire ni les antiennes du Psautier, ni les leçons de la férié :
car aux fériés d’hiver il n’y a que trois leçons et une seule aux fériés
d’été, or l’office festif nous en réclame douze ; d’autre part, aux fériés il
n’y a d’antiennes proprement dites qu’au premier nocturne, or l’office
festif en réclame pour deux nocturnes : donc, on ne disait pas plus les
psaumes de la férié que les antiennes et les leçons de cette même férié.
D. Calmet répond en contestant la mineure ;« on tirera les leçons, dit-il,
des mêmes livres d’où sont tirées celles que l’on dit les jours de férié ; et
au lieu de trois, on en dira douze ; pour les antiennes, ou l’on prendra
celles de la férié même, ou l’on les tirera d’un antipbonicr commun, de
même que les répons ; et ce sera un livre où ces sortes de choses sont
recueillies, car on ne peut douter qu’au temps de saint Benoît et depuis
il n’y ait eu des psautiers, des lectionnaires, des antiphoniers et des recueils
de répons...».On serait plutôt tenté d’accorder que les leçons, comme les
cantiques, comme peut-être aussi les antiennes, étaient en effet propres
COMMENT CÉLÉBRER LES VIGILES AUX FÊTES DES SAINTS
i&i
à la fête et désignés par l’usage et la volonté de l’Abbé, mais en contes
tant que les psaumes aient nécessairement la condition des éléments avec
cette clausule, distinguer la liturgie festive de la liturgie dominicale, sauf
pour chacun de ces éléments à être déterminé par le procédé qui lui
convient. Par malheur, dans cette explication, Vad ipsum diem a un sens
indécis ou plutôt un double sens, puisqu’il signifie tantôt la férié et tantôt
la fête.
*
Peut-être vaut-il mieux admettre que psaumes, antiennes et leçons
sont de la fête. Il en allait de même dans les liturgies milanaise et romaine,
connues de saint Benoit ; nos communs des saints, au moins celui des
martyrs, ont été originairement des offices propres. Eucheria signale
comme intéressante cette coutume de l’église de Jérusalem d’approprier
les textes liturgiques au mystère du jour : Hoc autem inter omnia salis
praecipuum est, quod faciunt, ut psalmi vel antiphonae apti semper dicantur,
tam (pii nocte dicuntur, tam qui contra mature; tam etiam qui per diem vel
sexta aut nona vel ad lucernare semper ita apti et ita rationabiles ut ad
ipsam rem pertineant, quae agitur (1). D’après la Règle du monastère
de sainte Césarie, certaines leçons, nous l’avons vu, sont empruntées à la
Passion des martyrs dont on célèbre la fête ; le même document contient
Cunctis diebus festis ad Duodecimam psalmi qui
ad Tertiam dicendi sunt, antiphonae tres jungantur, lectiones vero de re,
la disposition suivante :
N. B. Père adopta des usages analogues? H pouvait même prescrire une
psalmodie festive sans sacrifier le grand principe du chapitre XVIII
relatif à la récitation hebdomadaire du Psautier, puisque les fêtes étaient
alors des exceptions et assez rares. Il conclut en rappelant que la forme
de l’office festif, son dessin général, le nombre et l’ordonnance de ses
éléments doivent, être ceux de l’office dominical, quels que soient la fête
et le jour où elle tombe, et ses parties propres. On ne connaissait donc pas
à l’origine les offices festifs à trois leçons.
(1) Peregrinatio, p. 50,
:
CHAPITRE XV
EN QUELS TEMPS IL FAUT DIRE a ALLELUIA »
temporibus dica run.
— A sancto
Pascha usque ad Pentecosten, sine intermissione
dicatur « Alleluia », tam in Psalmis quam in Respon
soriis. A Pentecoste usque ad caput Quadragesimae,
omnibus noctibus, cum sex posterioribus Psalmis
tantum ad Nocturnos dicatur. Omni vero Dominica
extra Quadragesimam, Cantica, Matutini, Prima,
Tertia, Sexta Nonaque cum « Alleluia » dicantur.
Vespera vero cum Antiplionis. Responsoria vero
numquam dicantur cum « Alleluia », nisi a Pascha
usque ad Pentecosten.
Alleluia quibus
C’est avec les chapitres XTV et XV que s’achève le règlement de
Γoffice de nuit et que se fait même la transition aux offices du jour : ils
établissent en effet Γιιη et l’autre des points qui concernent et les Vigiles
et la liturgie diurne. N. B. Père a voulu consacrer un article spécial à
V Alleluia, non pas seulement dignitatis causa et par déférence pour cette
acclamation joyeuse très chère aux âmes de tous les temps (1) et que
nous retrouvons, avec l’Amen, jusque dans la liturgie de l’éternité ; mais
surtout afin d’en bien régler et aussi d’en étendre l’usage. Saint Benoît
le fait chanter tous les jours de l’année, sauf en Carême : nous sommes
loin du rigorisme de l’hérésiarque Vigilance, si vigoureusement malmené
par saint Jérôme et qui voulait réserver 1’Alleluia à la seule fête de Pâques.
Depuis la sainte Pâque jusqu’à la Pentecôte on doit dire Alleluia
dans les psaumes et dans les répons, sine intermissione. Pour reconnaître
le sens précis de cette formule, il faut être très attentif aux dispositions
(1) Voir cc qui concerne V Alleluia dans les Dictionnaires de la Bible, de Théologie et
cTArcWoIogie chrétienne et de Liturgie,
IM
en QUELS TEMPS IL FAUT DIRE * ALLELUIA »
493
qui suivent et se souvenir de ce que saint Benoît détermine, dans les
autres chapitres, relativement à l’emploi des antiennes et de Y Alléluia.
Pendant tout le temps Pascal VAlleluia se dit à tous les répons, le
dimanche comme sur semaine. Et dans la psalmodie, il n’y a pas d’autre
antienne q\Y Alleluia, aux Heures de nuit comme à celles de jour, le
dimanche comme les fériés.
Durant toute la période qui va de la Pentecôte jusqu’au début du
( arôme (il n’est pas question encore du temps de la Septuagésime), les
■jours de jérie, on dira seulement Y Alleluia aux six psaumes du second
nocturne, en guise d’antienne. Ces mêmes jours, aux Laudes, aux petites
Heures, aux Vêpres, la psalmodie est entrecoupée d’antiennes et non
A Alleluia.
Le dimanche est comme un renouvellement de Pâques : aussi Y Alléluia
se fera-t-il entendre chaque dimanche, sauf en Carême, à presque tous
les offices : aux cantiques du troisième nocturne, au psaume l (et peutêtre aux suivants) des Laudes, à la psalmodie de Prime, Tierce, Sexte et
None. Mais les Vêpres auront des antiennes et pas (Y Alléluia*
Quant aux répons, c’est pendant le temps Pascal seulement qu’on
les dira avec Alleluia. N. B. Père ne parle point d’ajouter Y Alléluia à
certains versets et aux antiennes, comme nous le faisons maintenant,
mais uniquement aux psaumes et aux répons : tam in psalmis quam in
responsoriis.
13
CHAPITRE XVI
COMMENT
CÉLÉBRER LES DIVINS OFFICES PENDANT LE JOUR
— Ut
ait Propheta : Septies in die laudem dixi tibi. Qui se
ptenarius sacratus numerus a nobis sic implebitur, si
Matutini, Primae, Tertiae, Sextae, Nonae, Vesperi,
Completoriique tempore, nostrae servitutis officia
persolvamus. Quia de his Horis dixit Propheta : Septies
in die laudem dixi tibi. Nam de Nocturnis Vigiliis
idem ipse Propheta ait : Media nocte s urgebam ad
confitendum tibi. Ergo his temporibus referamus
laudes Creatori nostro super judicia justitiae suae,
id est, Matutinis, Prima, Tertia. Sexta, Nona, Ve
spera, Completorio, et nocte surgamus ad confiten
dum ei.
Qualiter divina opera per diem
agantur.
Nous passons aux Heures du jour proprement dites, Laudes n’étant
que la conclusion de l’office de nuit ou seulement l’office de l’aurore et
du matin. Mais, avant de régler leur composition, saint Benoît tient à les
énumérer clairement et à faire le total de tous les moments du jour et
de la nuit où les moines s’appliquent à l’Œuvre de Dieu. H a d’ailleurs
signalé déjà, mais en passant, toutes les Heures, sauf Complies. Et le
titre exact du chapitre pourrait être : Combien il y a d’offices dans une
journée (de vingt-quatre heures).
Pas plus que N. B. Père nous n’avons à écrire l’histoire des Heures du
jour. Laudes et Vêpres sont les plus anciennes et les plus solennelles :
c Dans la première moitié du quatrième siècle, elles étaient célébrées
quotidiennement en public (1). » Leur équivalent existait chez les Juifs
dans le sacrifice du matin et celui du soir ; les Juifs avaient trois moments
(1) D.
Bavmer,
op.
cit.,
t. I, p. 82.
DU NOMBRE DES OFFICES DE LA JOURNÉE
195
traditionnels de prière : le matin, le milieu du jour (sexte et none) et le
soir. Plusieurs passages des Actes nous montrent les Apôtres et les dis
ciples priant aux heures où le faisaient les Juifs dans le Temple et les
synagogues. Nous avons eu déjà l’occasion d’observer que la Didiché
prescrit aux fidèles de réciter trots fois par jour le Pater nosier. Que nos
Heures de Tierce, Sexte et None se rattachent ou non (1) à cet usage
chrétien, imité lui-même de l’usage juif, il est sùr que, dès le second siècle,
les trois Heures de prière sont recommandées par Clément d’Alexandrie
à tous « ceux qui ont l’intelligence de la trini té des saintes demeures (2) ».
Tertullien est plus explicite et donne les motifs mystiques de ce choix (3).
Mais, originairement, il semble qu’on ait eu surtout le dessein de s'adresser
à Dieu aux trois principales divisions du jour civil. La journée était par
tagée en douze heures, comptées du lever du soleil jusqu’à son coucher;
la sixième heure correspondait toujours à ce que nous appelons midi;
mais aux équinoxes seulement la troisième et la neuvième correspon
daient à nos neuf heures du matin et trois heures de l’après-midi A la
douzième heure pleine, le soleil est couché ; 1’ « étoile du soir », Vesper,
apparaît : c’est l’heure de Vêpres, le Lucernarium. le moment où s’allument
les lampes ; la première veille de la nuit commence (4). Pour faire
entrer dans son cursus Tierce. Sexte et None, N. B. Père n’avait
qu’à se conformer à un usage devenu presque universel et à se sou
venir particulièrement de ce qu’avaient écrit au sujet de ces Heures
saint Basile (5) et Cassien (6).
L’office de Prime date du temps de Cassien, qui nous en raconte l'ori
gine (7). Un sérieux travail du P. Pargoire a établi que Prime est devenue
Heure canoniale vers 382, 390 au plus tard, et qu’elle fut institute
dans un monastère de Bethléem différent de celui de saint Jérôme. A
Bethléem, comme en d’autres monastères, on disait Laudes presque
aussitôt après Matines, même en hiver, et sans attendre l’aurore ; et il
(1) D Baumer, op. cil., t. I, p. 56, note 1.
(2) SlromaL, 1. VII, c. vu. P. G., IX, 456-457.
(3) De Oratione, c. xxni-xxv. P, L., I, 1191-1193.
(4) Lorsque la Vigile devait durer toute la nuit (■κα'.νυχίς), il était assez naturel
d'envisager le Lucemaire connue son prélude ; et c’est pourquoi quelques documents
anciens "considèrent les Vêpres comme appartenant à l’office de nuit. — S. Basile
(Reg. fus., xxxvn. De Spiritu Sancio, lxxiit. P. G., XXXII, 205) parle de Γεύχάριστία
de l’office du soir; de même S. Grégoire de Nysse, De Γιία sanclae Macrinae.
P. G., XLVI. 985. Cf Conslilulions apnloliques, \. VIH, c. xxxiv-xxxvu. P. G., 1,113c1140. — Cette appellation d’eucharistie du soir est très suggestive. On voit, en cSet,
par des documents tels que les Statuts éthiopiens et les Canons cTHippotyte (cf. Don
Cagix, ΓEucharistia, p. 267-269) que le Lucemaire des premiers siècles avait souvent
son agape ou εύχαριστ-α non sacramentelle, accompagnée de psaumes alleluiatiques
et suivie, à certains jours, de Γεύχαρισ-ία sacramentelle. Les choses s’étaient passées
ainsi, dans le même ordre et à la même heure, lurs de la dernière Cène,
(5) lieg. fus., xxxvn,
.
IgM
(6) Inst., III, ni;
(7) Ibid., iv,
· .
»
K
■
<96
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
é.’ait ensuite permis aux frères de se reposer jusqu’à l’aube. Mais « les
paresseux en abusèrent : comme aucun exercice de communauté n’était
là qui vînt les forcer à quitter leurs cellules, au lieu de se lever pour tra
vailler de l’esprit ou des mains jusqu’à l’heure de Tierce, ils prirent
l'habitude d’attendre tranquillement dans leurs lits le signal de l’office.
Une réaction s’imposait. Pour remédier à pareil état de choses, les anciens
décidèrent que l’on continuerait, selon l’usage, à se reposer après la psal
modie nocturne, mais que dorénavant, au lever du soleil, à l’heure où le
travail devenait possible, la communauté devrait se réunir pour réciter
Prime (1)... » C’est un dédoublement de l’office matutinal, altera matutina,
et l’on récite des psaumes empruntés aux Laudes (2) ; c’est une prière
du matin, dont auraient pu, somme toute, se dispenser tous ceux qui
chantaient Laudes au lever du jour, incipiente luce. Pourtant, Cassien
nous dit qu’elle fut adoptée presque partout : Nune observatur in occiduis
vel maxime regionibus, lisons : dans les monastères, car les églises sécu
lières furent plus lentes à l’adopter.
On a souvent attribué à saint Benoit l’institution de l’Heiuc par
laquelle s’achève l’Œuvre de Dieu, du Completorium; mais N. B. Père
n’a besoin que de la gloire qui lui revient historiquement. Peut-être
l’appellation a Complies » est-elle de lui ; sans doute la diffusion de cette
Heure est due à son admission dans le cursus bénédictin ;sans doute aussi
c’est l’initiative de N. B. Père qui a fait des Vêpres un office de jour et
attribué à Complies la place du Lucernaire (chap. XL1, XLII) : mais il
nous reste deux témoignages au moins en faveur de l’existence des
Complies avant saint Benoît ; et le P. Pargoire estime qu’il s’agit bien
dans ces textes d’une Heure canoniale spéciale et non d’une simple
prière du soir, ayant le caractère de dévotion privée (3). Saint Basile,
énumérant les moments officiels de la prière, dit que, lorsque le jouiest achevé et complet (συμπληρωΟΐίσής δέ της ήαερχς), OU célèbre UDO
ευχαριστία pour tous les biens reçus et qu’on demande pardon pour
toutes les fautes ou erreurs commises : ce sont les Vêpres. Et il continue :
Καί πάλιν της νυχτος άρχόμενης..., et de nouveau, quand la nuit CSt
CO HUI encée, on implore un repos exempt de fautes et de mauvais rêves,
en récitant, sans y manquer, le psaume xc, utilisé déjà à Sexte (4).
Autre témoignage : Callinique, le disciple et biographe de saint Hypacc
(f le 30 juin 446). higoumène du monastère de Rufinianes, dans le fau(1) Pargoire, Prime el Complies, dans la Revue d'Hist. et de Litlér, religieuses, 1898,
p. 281-288.
(2) Cass., Insl., III, vi. La Malulina noslra solemnitas, dont Cassien parle à la
fin du chap, ni, est Prime et non Laudes. 11 n’appelle jamais Prime ce nouvel office.
Prime est mentionnée sous ce nom dans la Règle de S. Césaire, que donnent les
Bollandistes.
(3) Op. cil., p. 45G-4G7,
(4) Reg. fus., xxxvn.
«
DU NOMBRE DES OFFICES DE LA JOURNÉE
19Ί
bourg chalcédonien du Chêne où fut condamné saint Jean Chrysostome,
raconte que son héros vivait en reclus pendant le Carême, mais ne man
quait pas de réciter l'office du matin, Tierce, Sexte, None, le Lucemaire,
puis πρωϋύττκα (l’office qui précède le premier sommeil), enfin l’office
du milieu de la nuit ; de la sorte, ajoute le biographe, il accomplissait
au cours de chaque journée ce qui est écrit : Septies in die laudem dixi
tibi super judicia justitiae tuae (1).
Saint Benoît, lui aussi, est soucieux d’obtenir un nombre d’Heures
atteignant le chiffre sacré de sept. H le trouve, grâce à Prime, dans le
jour proprement dit, tandis que saint Hypace devait ajouter aux Heures
de jour l’office de nuit, pour avoir le septénaire ; dies, pour saint Benoît,
c’est le temps compris entre le lever du soleil et son coucher, et pour saint
Hypace, c’est toute la journée liturgique (νυχθημερόν). Cassien, qui ne
connaît pas Complies, mais qui compte Prime parmi les Heures, arrive
de son côté au nombre de sept, y compris la Vigile nocturne ; et il observe
qu’un des avantages de l’institution des « secondes Matines » est précisé
ment de réaliser à la lettre la parole de David : Illum numerum, quem
désignai beatus David, quamquam spiritalem quoque habeat intellectum,
secundum litteram manifestissime supplet : Septies in die laudem dixi tibi,
super judicia justitiae tuae. Hac enim adjecta sollemnitate, septies sine
dubio spiritales hos conventus in die jacientes, septies in ea laudes Domino
dicere conproibamur (2). N. B. Père s’est souvenu probablement de ce
passage ; mais, parce que chez lui le total des Heures dépasse le septé
naire, il ajoute aussitôt : c’est des Heures du jour seulement qu’a voulu
parler ici le Prophète, car, pour les Vigiles nocturnes, le même Prophète
y a fait allusion dans un autre endroit du même psaume cxvm. La sainte
Écriture elle-même nous invite donc à louer notre Créateur sept fois le
jour et une fois la nuit (3). C’est à cela que nous sommes tenus comme
moines et comme ouvriers de la prière : nostrae servitutis officia persol
vamus.
On est allé plus loin autrefois : dans des monastères très nombreux,
il était naturel d’organiser l’Œuvre de Dieu de telle façon que les escouades
monastiques se succédassent d’heure en heure et que la louange ne se tût
ni jour ni nuit. A Saint-Maurice d’Agaune, par exemple, au début du
sixième siècle, nous trouvons la Laus perennis (4). Alors même que la
dévotion monastique ne pouvait adopter une psalmodie continue, elle
(1) Acta SS., Junii t. III, p. 325.
(2) Inst., III, iv.
(3) Dans le leT Sermo asceticus, qui est, sinon de saint Basile, du moins probablement
du quatrième ou cinquième siècle, l’auteur cite, comme saint Benoît, les deux textes :
Media node... et Septies..., mais il ne compte que sept Heures en tout : l'office de nuit,
celui du matin, Tierce, None, Vêpres, et afin d’obtenir le septénaire, la prière du milieu
du jour est scindée en deux : avant le repas et après. P. G., XXXI, 877-878,
(4) Cf. Dictionnaire . Père,
ce qui a guidé l’Pglise romaine : le Souverain Pontife l’a rappelé naguère
dans la constitution Divino afflatu. Le Psautier a été créé par Dieu même
pour être à jamais le formulaire authentique de la prière. C’est avec ces
pensées-là, avec ces accents-là que Dieu a voulu être loué et honoré.
Les psaumes traduisent les sentiments les plus profonds, les plus varié-,
les plus délicats du cœur de l’homme, et répondent à tous ses besoin?.
Us ont servi aux justes de l’Ancien Testament, ils ont servi aux Apôtres
et aux-saints de tous les âges. Mais ils ont erré sur d’autre? lèvre? encore :
ils ont été dits et redits par Notre-Dame et par le Seigneur. Dan? les
pèlerinages à Jérusalem, le Seigneur et sa Mère et saint Joseph chantaient
les psaumes graduels. Certains auteurs ont pensé que le Seigneur récitait
le Psautier chaque jour et qu’il n’avait fait, pendant la Passion, que pour
suivre sa prière, lorsqu’il dit, élevé en croix : Deus meus, Deus meus, ut
quid dereliquisti me, et encore : In manus tuas commendo spiritum meum.
Peut-être, au temps de saint Benoît, des moines avaient-ils commem é
à réduire leur psalmodie. Dire dans le cours d’une semaine le Psautier
avec les cantiques d’usage, c’est là, ajoute-t-il, un minimum de courage,
(1) Hæften. L VII, tract, v, disq. rvetv. — Cf. D. Cabrol, la lî<'/oriae du Bréiiaire
et du Çilendnçr,
SELON QUEL ORDRE IL FAUT DIRE LES PSAUMES
211
chez ceux qui sont les ouvriers do la prière. Ils feraient vraiment preuve
de trop d'inertie et de nonchalance dans le service divin qu’ils ont voué,
les moines qui demeureraient en deçà. zXlors que nous lisons de nos
saint< Pères (1) qu’ils remplissaient vaillamment en un jour cette tâche
d'un Psautier, puissions-nous du moins, nous autres peu fervents, l’ac
complir au cours de la semaine entière. Cette humble remarque de
N. P». Père a pour dessein d’encourager ses fils à ne rien diminuer d’un
oIli v divin accommodé avec tant de condescendance aux forces de tous,
et qui ist une sage moyenne : mais elle ne peut vouloir suggérer une dé
préciation du enroua qu’il vient d’établir, ni provoquer des initiatives
ol des modifications indiscrètes. Le nos tepidi de saint Benoît a pourtant
excité plus d’une fois l’émulation de certains religieux ou de Congréga
tion· entières ; et les offices se surajoutèrent aux offices. D va de soi que
la dévotion privée peut se donner carrière, sous la guide de l’obéissance;
un disciple de saint Pierre Damien, saint Dominique l’encuirassé, parvint
même à réciter douze Psautiers et demi en vingt-quatre heures, tandis
qu'il se donnait, à deux mains, la discipline. « Mais ces exemples, conclut
D. Calmet, sont plus dignes d’admiration que d’imitation, et la trop
grande prolixité des offices a été désapprouvée par plusieurs personnes
très judicieuses. »
»
.j*<11 ... TXwuuf inter »o, ut pn«j er more complerent orationes et psalmodiam, et post'a
c
enl. Cum aulem irujrcM
ni, j
leba>
ulterium eomp ■
veruaï (V erta £·
uih ; Vitae Patrum, III, 6, RosweïDE, p. 493},
CHAPITRE XIX
COMMENT IL FAUT PSALMODIER
— Ubique credimus divi
nam esse praesentiam, et oculos Domini in omni
loco speculari bonos et malos : maxime tamen boc
sine aliqua dubitatione credimus, cum ad opus divi
num assistimus.
De disciplina psallendi.
Les deux derniers chapitres de la section relative à l’office divin n’ont
plus rien de technique : ils précisent les dispositions, les dispositions
intérieures surtout, que nous devons apporter à la psalmodie (c’est-à-dire,
eu général, à l’Œuvre de Dieu) et à la prière privée.
« Nous croyons que Dieu est présent partout et qu’en tout lieu les
yeux du Seigneur regardent attentivement bons et mauvais... » C’est
comme un rapide retour vers la doctrine du premier degré d’humilité :
la crainte de Dieu déterminera notre attitude au cours de toute prière.
Et nous retrouvons l’indication du milieu où s’écoule notre vie. Nous
vivons dans un sanctuaire, tout près de Dieu, cœur à cœur avec Dieu.
Il faut y penser assidûment. Une action intelligente, disait Aristote,
est celle quae de intrinseco procedit cum cognitione eorum in quibus est
actio : ce qui part de l’intime, non sous forme de réaction purement
mécanique, ni par servitude, mais spontanément, et avec la connaissance
de tout ce qui concerne cette action, au moins de ses circonstance consi
dérables. Or notre vie n’est réellement intelligente, elle n’a chance
d’être intéressante, de se développer et de réussir, que lorsque nous
prenons conscience de son caractère, du cadre des circonstances
graves et même solennelles où elle se déroule. Plus simplement que
le Stagirite, saint Benoît nous dit : Credimus... sine aliqua dubitatione
credimus : nous croyons. Il s’agit de faire honneur à notre foi. Nous ne
l’honorons que lorsque nous nous inclinons pratiquement devant elle ;
jusque-là, elle n’est qu’une sorte de système philosophique, une concep
tion platonique et sans effet. Le moine est un croyant et doit prendre sa
foi au sérieux.
îl!
COMMENT IL FAUT PSALMODIER
213
Or, nous savons par notre foi que la présence de Dieu est universelle
et que son regard éclaire invisiblement toute activité humaine; nous
savons qu’en tout lieu et à toute heure nous avons la facilité et la douce
obédience de vivre devant lui et de lui rendre hommage. Néanmoins
cet hommage est privé, officieux, il vient de l’affection personnelle;
il est libre dans son expression ; et, à condition de demeurer toujours
infiniment respectueux, il est affranchi de tout cérémonial et de toute
étiquette. Mais la liturgie sainte rend à Dieu un culte officiel ; et si Dieu
n’est pas plus présent à l’heure de l’office divin qu’à celle de la prière
privée, il y a cependant pour nous un devoir spécial de réveiller et d’ap
pliquer notre foi lorsque nous prenons part à cette entrevue officielle
où tous les détails sont prévus, toutes les attitudes réglées par l’étiquette
divine. L’audience du Seigneur est toujours ouverte : mais l’audience
de l’office divin est solennelle. Dieu y est entouré d’une majesté plus
redoutable ; nous paraissons devant lui au nom de l’Église entière ; nous
nous identifions à l’unique et étemel Pontife, Notre-Seigneur JésusChrist ; nous accomplissons l’Œuvre par excellence.
Ideo semper memores simus quod ait Propheta :
Servite Domino in timore. Et iterum : Psallite sapienter.
Et : In conspectu Angelorum psallam tibi. Ergo consi
deremus qualiter oporteat nos in conspectu Divini
tatis et Angelorum esse, et sic stemus ad psallen
dum, ut mens nostra concordet voci nostrae.
Pensons-y seulement, faisons acte d’intelligence surnaturelle : memores
simus, consideremus. Faisons « la composition du lieu », comme disent
les méthodes modernes d’oraison. Nous sommes en face de la Divinité.
Et toute la création est réunie. Et les anges entourent l’auteL Nous
allons psalmodier avec eux (Ps. cxxxvn, 1) et chanter le triple Sanctus
qu’ils nous ont appris ; ne convient-il pas qu’avec eui nous rivalisions
de respect et de tendresse? Us se voilent la face de leurs ailes : vous aussi,
dit le prophète David, « servez le Seigneur avec crainte » (Ps. u, 11).
Et encore : « Psalmodiez avec sagesse » (Ps. xlvi, 8), c’est-à-dire, ayez
conscience non pas seulement des mots prononcés, non pas seulement
de ce qu’ils contiennent de doctrine, mais aussi, mais surtout de celui
à qui vous parlez. Souvenez-vous enfin que, plus heureux peut-être que
les moines de saint Benoît, vous avez le Saint-Sacrement dans l’oratoire.
Comme nous reconnaissons bien le procédé libéral, tout intime, tout
spirituel de N. B. Père ! La voie de contrainte, les textes législatifs les
214
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
pins impérieux, la science parfaite des rubriques ; tout cola n’est capable
do produire qu’une correction extérieure, et encore ! Si l’âme est absente
ou le cœur glacé, si l’office divin n’est plus qu’un exercice d’assouplisse
ment du corps et de la voix, il ne tardera guère à devenir un exercice
d’ennui, de mortel ennui. Et cela paraîtra; et cela se traduira par des
bâillements, des impatiences, des regards indiscrets, des irrévérences de
toutes sortes. Que faites-vous à la Messe? demandait-on à un chrétien
distrait. — J’attends que cela finisse, répondit-il. Que ferez-vous donc
dans l’éternité, où cela ne finira point?
Bien des conditions d’ailleurs sont requises pour que l'idéal de N. B.
Père soit réalisé. Π faut l’estime conventuelle pour l’office divin ; et c’est
aux supérieurs de l’entretenir ou de la restaurer, de toutes manières et
avant toutes choses. Il faut encore l’estime personnelle ; et elle s’avive
par l’étude et par l’habitude des relations affectueuses avec le Seigneur.
Comment l’âme qui s’occupe de tout, sauf de Dieu, en dehors de l’ora
toire, pourrait-elle se flatter d’éviter, au cours de l’office divin, la divaga
tion ou la torpeur? La préparation éloignée à la prière est recommandée
par tous les maîtres de l’ascétisme (1). Ils nous parlent aussi d'une pré
paration prochaine et immédiate; et nos Constitutions y ont pourvu en
nous ménageant, avant chaque office, les quelques minutes de« station »
sous le cloître : elles sont précieuses, et il serait difficile d’en exagérer
l’importance. C’est alors que nous accordons notre âme, notre instrument
spirituel. Ayons donc la prudence de ne pas poursuivre à la « station »
des recherches ou des combinaisons mentales commencées ; ce n’est pas
non plus un lieu de conversations, d’échanges quelconques : Ante ora
tionem praepara animam tuam el noli esse quasi homo qui tentât Deum
(Eccll, xviii, 23).
L’entrée à l’église, la tenue au chœur et les mouvements divers sont
réglés parle cérémonial et surveillés doucement par le cérémoniaire. Mais
l’un et l’autre seraient impuissants à assurer l’exécution à la fois précise
et souple, grave et simple, des gestes liturgiques, si chacun n’apportait
toute sa présence d’esprit, toute sa mesure de distinction, de courtoisie
(1) Méditons ces' lignes de S. Basile, dont N. B. Père s’est souvenu en écrivant ce
chapitre et le suivant : Quomodo obtinebit quis ul in oratione sensus ejus non vagetur?
Si certus sil assistere se ante oculos Dei. Si enim quis judicem suum videns vel
pnneipem, et loquens cum eo, twn sibi credit licitum esse vagari oculis, cl aliorsum aspi
cere, dum ipse loquitur; quanto magis qui accedit ad Dominum, nusquam debet movere
oculum cordis, sed intentus esse in eum, qui scrutatur renes et corda?... Si possibile est
obtinere hominem, ul in omni tempore et loco non vagetur mens sua,-vel quomodo id fieri
potest? Quia possibile est, ostendit ille qui dixit i Oculi mei semper ad Dominum. Et
iterum i Providebam Dominum in conspectu meo semper; quia a dextris est mihi ut non
commovear. Quomodo autem possibile sit, praediximus; id est, si non demus animae
nostrae otium, sed in omni (empore de Deo, et de operibus ac de beneficiis ejus, cl de donis
cogitemus cl haec cum confessione, ei gratiarum actione semper volvamus in mente, sicut
scriptum est : Peallite sapienter (Reg. contr., cvm, cix. Ci. ibid., χχχιν, — Cass,, Coulai.
V, xvu, xviu). — La Vie spirituelle et Foraiso/i, chap, vil
COMMENT IL FAUT PSALMODIER
Î15
surnaturelle, d’abnégation enfin : nous devons alors surtout prendre con
science de tous et coordonner nos mouvements avec les mouvements d’au
trui. Tous les rites, même les plus menus, seraient observés exactement,
avec ordre et pourtant sans l’allure symétrique et rigide de soldats à la
parade, si chacun était attentif au sens etàl’à-propos de la cérémonie
qui s’accomplit. L’abnégation est peut-être plus indispensable encore
lorsqu’il s’agit du chant : mieux vaut tolérer un peu d’erreur que de
sacrifier le mouvement d’ensemble, l’unanimité vocale, et de trans
former le chœur en une arène ou un champ clos. Les Constitutions nous
demandent de « ne point épargner notre voix « : ce qui n est pas une
invitation à étouffer toutes les autres ; et quand elles nous décrivent les
qualités du vrai chant sacré, son allure virile et tranquille, ce n’est point
pour abandonner aux compétences individuelles une interprétation qui
est, de droit, réservée au Maître de chœur. Sur ce terrain encore, nous
devons apporter tous nos soins, et une préparation s'impose : on n’im
provise pas l’exécution de certaines pièces du répertoire grégorien; il ne
faut pas que, la profession une fois émise, nous disions adieu pour toujours
à l’étude du Graduel et de l’Antiphonaire. Ce ne sera jamais assez bien
pour le Seigneur ; et encore qu’il ne convienne jamais de s’appliquer
davantage, simplement pour satisfaire aux exigences esthétiques de
quelques auditeurs et pour soutenir la réputation d’une «schola», il faut
pourtant nous souvenir que le chant et la psalmodie sont notre forme
d’apostolat et que nous devons aux âmes cette prédication si pénétrante.
Mais ce ne serait pas assez d’assurer la dignité et la bonne exécu
tion matérielle de l’office divin. H convient que notre intelligence sache
à qui s’adressent paroles et mélodies ; il convient qu’elle soit attentive
à la pensée du Psalmiste et de l’Eglise. H convient que notre cœur
s'échauffe réellement tandis que notre voix retentit. Et, pour achever
l’harmonie, notre vie elle-même se mettra d’accord avec notre pensée,
notre amour et notre voix. Alors, mais alors seulement, la liturgie aura
atteint son double but : honorer Dieu et nous sanctifier. Encore une fois,
remarquons bien le procédé de saint Benoît pour inspirer le respect de
l’oratoire et l’attention à la prière. H ne songe pas, comme d’autres
législateurs monastiques (1), à combattre la rêverie et le sommeil en
faisant tresser des corbeilles ou des nattes pendant les longues psalmodies
et les lectures ; chez lui l’Œuvre de Dieu s’accomplit tout entière dans la
maison de Dieu : Oratorium hoc sit quod dicitur; nec ibi quidquam aliud
geratur aut condatur (chap. LU). H nous suppose chrétiens ; il nous sup
pose réfléchis, il ne nous donne d’autre règle que notre lumière surna
turelle : consideremus; il nous invite à éliminer l’illogisme, le désaccord
entre ce que nous savons et ce que nous sommes volontairement ; à faire
(1) Cf, Calmet, Commentaire sur le chap, XL
I
r
I
•5
tlS
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
de toute notre vie un exercice constant d’eurythmie, de loyauté, de déli
catesse, Et N. B. Père ramasse sa doctrine dans cette sentence frappée
à l’antique : Ut mens nostra concordet voci nostrae. Elle rappelle celle de
saint Augustin (1), insérée par saint Césairc dans sa Règle aux vierge · 12):
Psalmis et hymnis cum oratis Dewn, hoc versetur in corde quod profertur
in voce.
(1) Epist, CCXI, 7. P. L·, XXXIII, 9G0. D.in< I’£kvra/w m
cxivt (2)
noos lisons : Çiri ergo psalhi. non tola tort psallit; ud assumpl rf.im >ju
· ' i'w>
quod vocatur psaltmum, accedentibus manibus txxi cί -'ill. l't«
; jjrrr/ ,Vn
solum tra tua tonei laudes I)ri, sed opera tu.i amrordml rum u tu.j (Γ L. XX XVII,
1899). Dans la Lettre XLVIII (3) à l’abl»· Eudoxius et À ici mom· i. S kt <.i TH
écrit :... Sût rantaw.V< et pialimlcs tn wdibus vestns Domuio, td t< t ’w a a>rdt η n
dissonis... (P. L, XXXIII I88-189X
(2) C. XX. — Lire un beau Sermon ώ· S C&aiiuc sur ce thème reconnaîtrons aisément que ce chapitre ne fait pas double emplci
ave» .·· précédent. Dans le XIXe, il est question de la prière conventuelle
et otï:< i'-lle, de l’audience solennelle que donne le Seigneur : aussi le titre
non- parle-t-il de disciplina, de cérémonial ; dans le XXe, il s’agit de la
prier·· privée ; et. pour écarter les périls d’une liberté plus grande laissée
â chacun, on nous parle du respect avec lequel nous devons toujours
aborder Dieu, reverentia.
La comparaison et l'ù fortiori par lesquels débute N. B. Père lui étaient
suc. · r - par son bon sens surnaturel et par ses lectures (1), mais il n’est
pas impossible qu’il ait reconnu de plus dans cette image un trait des
mœurs r mainee. La société n’était pas encore démocratisée et nivelée.
Il y avait une aristocratie puissante, groupant autour d’elle non pas
seul· m nt une armée d’esclaves, mais une vaste clientèle, clientela, com
pos·’·· Γ hommes libres ou d’affranchis, qui vivaient attachés au maître,
à titie d’amis, de comités ou simplement de clients ; chaque jour, ils s’en
venaient saluer le maître ou solliciter une grâce, lui rendant en respect ce
qu’ils recevaient de lui de ressources ct de sécurité :
Si non ingenbm foribus domus alla superbis
Mane sdlutanlum totis vomit aedibus undam (2).
(1) S. Basil., Reg. conlr., evin (ci. Reg. brev., cci). — Cass., ConlaL XXIII, vu
- ( f ti· i Tkrtüllien, De Oratione, xvi (P. L., 1,1173-1174) : Siquidem irreverens
est a.· s Ά-λ sub conspectu, contraque conspectum ejus, quem quam maxime reverearis,
ac un · r - ,· quanto magis sub conspectu Dei vivi, angelo adhuc orationis astante, etc,
— S Ei
Paraenesis XIX (Opp. graec. lat, t II, p. 95).
(2· Virgile, Géorgiques, I. II, 461-462.
218
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
Les clients étaient un peu de la famille du maître ; ils étaient associés
à son gouvernement et à ses intérêts ; leur demande ressemblait donc à
une indication discrète de ce qui leur semblait opportun : ils « suggèrent »,
dit saint Benoît ; et ce terme devient admirablement théologique dès qu’il
s’applique à notre prière. Si nous n’osons aborder les puissants du monde
qu’avec humilité et révérence, si le sens des bienséances et notre propre
intérêt nous font prendre devant chacun d’eux l’attitude qui convient : à
combien plus forte raison nos suppliques au Seigneur et Maître do toutes
choses doivent-elles lui être adressées en toute humilité, dévotion et pureté 1
L’humilité, nous le savons, naît de la conscience de ce qu’est Dieu
et de ce que nous sommes devant lui. L’habitude d’être en rapport avec
Dieu, la facilité avec laquelle il se laisse aborder, les formes très humbles
qu’il prend lui-même lorsqu’il descend vers nous : rien de tout cela ne
doit diminuer notre respect. C’est une des marques les plus assurées de
l’illusion que de traiter Dieu comme un égal, comme un homme qui a
contracté avec nous et avec lequel nous sommes en comptes. Lorsque
le Seigneur, dans l’Ëvangile, nous invitait à la prière confiante, pres
sante, même importune, il n’entendait point légitimer par avance le
ton étrange de sommation, de réquisition, que prennent parfois les
demandes — et quelles demandes ! — de chrétiens mal éclairés. Quelle
que soit la dignité surnaturelle à laquelle Dieu nous ait élevés, il n’y a
jamais motif pour nous élever nous-mêmes, pour concevoir de l’audace,
ni pour oublier qui est Dieu.
La pureté : elle est mentionnée jusqu’à trois fois dans ces quelques
lignes. Nous devons l’entendre non seulement, au sens spécifique, de
l’éloignement des affections grossières, mais encore du détachement de
toute affection créée, de l’absence de tout alliage inférieur. C’est une
garantie de l’efficacité de notre prière, lorsque nous pouvons dire à Dieu :
a H y a sans doute chez moi, à mon insu, des tendances que vous voyez,
Seigneur, et qui ne vous plaisent pas : je ne les aime pas non plus et
je les désavoue ». Lorsque notre volonté, par laquelle se font les contacts,
est libre de toute attache irrégulière, Dieu nous a établis dans la vraie
pureté. Mais saint Benoît n’a pas dit simplement : la pureté ; il a dit : la
dévotion de la pureté. La dévotion, dans le langage moderne, c’est la
flamme de la charité, c’est cette disposition d’ardeur habituelle dans le
sendee de Dieu qui nous fait accomplir avec promptitude, avec persé
vérance, avec joie, tous nos devoirs envers lui. Mais le terme latin devotio
a une signification, non pas très différente, mais plus profonde. La devotio,
c'est l’appartenance, le dévouement, l’assujettissement comme état,
comme situation fixe, continue, même juridique; et dans l’espèce, c’est
la servitude consentie et aimée, la sujétion volontaire à Dieu et à toutes
les conduites de Dieu. Au chapitre XVIII, nous avions le même sens do
àwfio ; Ntmis iners devotionis suae servilium ostendunt monachi; et la
DU RESPECT DANS LA PRIÈRE
SIS
Liturgie invoque Notre-Dame pro devoto femineo sexu. Puritas, c’est
Γaffranchissement de toute servitude étrangère qui confisquerait à son
profit une part de notre amour ou de notre activité; devotio, c’est la
plénitude de l’appartenance au Seigneur.
Et non in multiloquio, sed in puritate cordis, et
compunctione lacrimarum nos exaudiri sciamus.
Après avoir décrit en trois mots les dispositions intérieures avec
lesquelles nous devons aborder Dieu, saint Benoît passe au côté extérieur
et plus matériel de la prière. Avec le Seigneur lui-même (1), avec saint
I HI i
Augustin (2), Cassien (3), tous les Pères, il nous recommande
d’éviter le
verbiage. Le culte juif n’était pas le seul qui fût devenu, grâce au travail
des prêtres, un ritualisme difficile et compliqué, une religion de gestes et
de mots ; mais le ritualisme et le verbiage avaient envahi les cultes païens,
spécialement celui de Rome : Putant enim quod in multiloquio suo exau
diantur, disait le Seigneur. Ce n’est pourtant pas la multitude des paroles
qui fait la réalité de la prière. Nous ne prions en paroles que pour nous
affranchir un jour des paroles, et adorer, louer, aimer en silence « la Beauté
qui ferme les lèvres ». In spiritu et veritate oportet adorare. La prière a
sa source dans le cœur et il y a une prière du cœur qui ne s'emprisonne
point dans des mots. Et cette prière est exaucée toujours, parce que c’est
l’Esprit de Dieu même qui l’inspire et la formule en nous : Nam quid
oremus, sicut oportet, nescimus; sed ipse Spiritus postulat pro nobis gemi
tibus inenarrabilibus (Rom., vni, 26). Prier dans la pureté de notre cœur,
c’est, nous l’avons dit, montrer au regard et au cœur de Dieu le désir et
la tendresse d’une âme libre, dégagée des préoccupations basses, unie à
lui par la conformité de volonté.
Et compunctione lacrymarum. L’expression est empruntée à Cassien (4),
dont il faut lire les conférences sur la prière ; lui aussi parle souvent de
la vraie pureté du cœur, de la prière pure (ô). La componction, — encore
que Y Imitation nous dise qu’il vaut mieux l’éprouver que la définir, — c’est
l’attendrissement intérieur que créent en nous, à la lumière de foi, le sou
venir de nos fautes et la pensée des bienfaits de Dieu. Plusieurs fois, dans
la Règle, N. B. Père a rapproché la prière et les larmes, comme siles deux
choses allaient naturellement l’une avec l’autre : «Si alter vult sibi forte
Ματτπ., η, 7 sq.
Epist. CXXX ad Probam, 20. P. L., XXXIII, 501-502,
Inst., II. x; Conlat. IX, xxxn.
Conlat. IX, xxvin.
Monachi autem illud opus esi praecipuum, ut orationem puram offerat Deo, nihil
habens in conscientia reprehensibile (Rufin., Hist, monach., c. L Rosweyde, p. 453). ·
(1)
(2)
(3)
(4)
(5)
1
SiO
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
secretius orare, dit-il au chapitre LU, simpliciter intret et oret, non in
damosa voce sed in lacrymis et intentione cordis. Saint Benoît, nous le
savons par saint Grégoire, avait le don des larmes ; et ce qui intrigua un
jour le bon Théoprobe, ce fut moins l’abondance et la durée des larmes
de N. B. Père que leur tristesse profonde : Cumque diu sulsisteret
ejusque non finiri lacrymas videret, nec tamen, ut vir Dei consueverat,
orando plangeret, sed moerendo, quaenam causa tanti luctus existeret,
inquisivit (1). Le don des larmes est considéré comme le moindre de tous les
dons charismatiques ; mais il a ce mérite de ne porter pas à l’orgueil,
celui aussi de ne laisser place à aucune distraction dans la prière : il les
noie toutes.
Et ideo brevis debet esse et pura oratio; nisi forte
ex affectu inspirationis divinae gratiae protendatur.
In conventu tamen omnino brevietur oratio, et
facto signo a priore, omnes pariter surgant.
Saint Benoît énonce la conclusion pratique : notre prière doit être brève
et pure, brève afin d’être pure (2). Telle était la conduite des moines
d'Egypte, font observer saint Augustin et Cassien ; ils préféraient se
tenir en contact avec le Seigneur par de rapides et multiples oraisons
jaculatoires, plutôt que par ces longues prières où Ton formule souvent
bien des demandes superflues (3), où l’on s’occupe surtout de soi, et qui
peuvent dégénérer en fatigue, en torpeur, en marasme. Rappelons-nous
d’ailleurs l'inévitable danger qu’auraient couru, au temps de saint Benoît,
et que courent maintenant encore certaines intelligences peu cultivées,
certaines âmes peu formées, à être maintenues d’office dans une prière
prolongée. Une éducation préalable est indispensable pour l’oraison men
tale lorsqu’elle doit durer quelque peu. Au bout d’un instant on a tout
dit. La pensée s’en va ailleurs. Quelquefois on la ramène, mais ello
s’échappe de nouveau, vers n’importe quelle direction ; quelquefois on
ne songe même pas à la ramener :1e temps s’écoule en divagations, et
l’on arrive au bout de sa demi-heure en se demandant quelle a été la
part de Dieu dans l’oraison qui vient de se terminer en sursaut. Et
pourtant nous connaissons tout à la fois et notre religion et nos besoins,
peut-être même notre théologie !
H va de soi que N. B. Père ne songe point à réduire le temps
que notre ferveur voudrait donner à Die ; il prévoit même for(1) S. Gbeg. M., Dial., L II, c. xvn.
(2) Cf. S. Th., Il" II·*, q. Lxxxin, a. 14, Utrum oralio debeat esse diuturna
(3) Hoc praecipue est in oratione petendum, ut Deo uniamur (S, Th., 1? II·',
q. lxxxiii, a. 1, &d 2).
DU RESPECT DANS LA PRIÈRE
tîl
mellement le cas où la grâce divine provoquerait en nous un mouvement
intérieur de dévotion qui nous fît prolonger la prière. Moyennant que le
travail qui nous est imposé comme obédience n’en souffre point et que
nous ne négligions aucunement nos autres devoirs, ce goût de l’oraison
n’a rien que de légitime. Mais afin de conjurer l’illusion et de tout consa
crer par l’obéissance, il ne faut pas introduire dans notre règlement et
nos habitudes de longues stations d’oraison qui n’auraient pas obtenu,
au préalable, l’agrément de l’/Xbbé. Les Constitutions déterminent le
minimum du temps que chacun doit consacrer à la prière. Et plaise à
Dieu qu’il y ait toujours dans des âmes monastiques assez de sens de
leur vocation pour que les supérieurs soient dispensés de toute enquête
et de toute contrainte sur ce point ! On ne prétend pas d’ailleurs nous
imposer une « méthode » ; on ne nous défend pas de parler à Dieu dans la
méditation tranquille de la sainte Écriture ou des textes liturgiques ; la
lectio divina que prescrit la Règle est quelque chose de plus qu’une
simple préparation à la prière, et c’est sous le bénéfice de ces deux
heures de lecture que N. B. Père pouvait recommander que la prière des
moines fût brève pour être pure.
La dernière disposition de ce chapitre est encore inspirée pat
la discrétion. S’il est permis à un frère d’accorder un peu plus à la
prière privée lorsqu’une grâce de Dieu l’y invite, on conçoit qu’il
serait peu mesuré de demander à la communauté entière de longs sup
pléments à son œuvre liturgique quotidienne. Saint Benoît ordonne
donc que l’oraison conventuelle soit toujours très courte : omnino bre
vietur, et que tous se lèvent en même temps, au signal du supérieur. De
quelle oraison s’agit-il? Cassien raconte comment, après chaque psaume,
chez les moines d’Égypte, tous prient quelques instants debout et en
silence, puis se prosternent à terre, se relèvent presque aussitôt et
s’unissent enfin d’intention à celui qui récite la collecte : Cum autem is,
qui orationem collectariis est, e terra surrexerit, omnes pariter eriguntur,
ita ut nullus nec antequam inclinetur ille genu flectere nec cum e terra
surrexerit remorari praesumat, ne non tam secutus fuisse illius conclu
sionem, qui precem colligit, quam suam celebrasse credatur (1). Mais saint
Benoît ne prescrit nulle part de prière privée ni de collecte après chaque
psaume : elles sont remplacées par les antiennes. Il semble faire allusion
ici aux prières qui terminaient les offices (voir le chap. LXVI1) (2) : une
(1) Inst., Il, vu ; cf. t7>id., x. — La Règle de S. Pacôme disait : Cumque manum per
cusserit stans prior in gradu, et de scripturis quidpiam volvens memoriter, ul, oratione
finiente, nullus consurget tardius, sed omnes pariter levabunt (vi).
(2) Cassien mentionne la prière finale des offices : Satis vero constat illum Irinae
curvationis numerum, qui solet in congregationibus fratrum ad concludendam synaxin
celebrari, eum qui intento animo supplicat observare non posse (Conlat, IX, xxxiv).
I). Baumer préfère liro orationis au lieu de curvationis, et non supplicat (Hist, du
Brèv., t. I, p. 149, note 1).
%
2i3
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
portion était silencieuse et mentale; on la faisait incliné ou prosterné;
et il appartenait à l’Abbé de l’abréger. Si courte qu’elle fût, cette oraison
conventuelle décourageait le moine de Pompéianus dont il est parlé
dans la Vie de saint Benoît, et qu’un petit diable noir entraînait dehors :
Ad orationem stare non poterat, sed mox ut se fratres ad studium orationis
inclinassent, ipse egrediebatur foras... Cumque vir Dei venisset in eodem
monasterio et constituta hora, expleta psalmodia, sese fratres in orationem
dedissent, etc. (1). Saint Benoît ne parle jamais d’une oraison conven
tuelle, distincte de l’Œuvre de Dieu : Expicto opere Dei, omnes cum
summo silentio exeant... Sed si alter vult sibi forte secretius orare, simpli
citer intret et oret (chap. LU).
(1)S. Gp.-g. 3L, tic'. I. II, c. iv.
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CHAPITRE XXI
DES DOYENS DU MONASTÈRE
Nous abordons maintenant une section de la sainte Règle qui a trait
au régime intérieur et disciplinaire du monastère (XXI-XXX). Saint
Benoît commence par déterminer le principe d’ordre, l’élément hiérar
chique qui assurera le bon fonctionnement de tous les services. C’est
l’autorité abbatiale qui donne le branle à toutes les activités régulières,
qui préside à tout, qui prononce en souveraine : et saint Benoît lui a
consacré le long chapitre du début. Mais l’Abbé doit être secondé par des
officiers agissant sous ses ordres et sa responsabilité. D’ordinaire, il l’est
premièrement par le praepositus (le Prieur), auquel saint Benoît fait une
allusion rapide à la fin de ce chapitre XXI. Lorsqu’il sera enfin question
de lui ex professo, au chapitre LXV, N. B. Père ne cachera pas ses répu
gnances pour le maintien d’une dignité et d’une charge, périlleuse, selon
lui, à plus d’un titre. Après le Prieur viennent les doyens ; mais si les doyens
peuvent suffire à assurer, dans leurs décanies respectives, le travail et la
discipline, on renoncera volontiers à la direction générale et universelle
du Prieur : Et si potest fieri, per decanos ordinetur, ut antea disposuimus,
omnis utilitas monasterii, prout Abbas disposuerit; ut dum plunbus
committitur, unus non superbiat. Parions donc d’abord des doyens.
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* ...
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— Si major fuerit congre
gatio, eligantur de ipsis fratres boni testimonii et san
ctae conversationis et constituantur decani : qui sol
licitudinem gerant super decanias suas in omnibus,
secundum mandata Dei et praecepta Abbatis sui. Qui
decani tales eligantur, in quibus securus Abbas par
tiatur onera sua, et non eligantur per ordinem, sed
secundum vitae meritum, et sapientiae doctrinam.
De
decanis monasterii.
Le nom et la fonction des doyens ont passé des camps dans les
monastères. A l’armée, on appelait decanus ou decurio celui qui avait
J-'.l
H-
COMMENTAIRE SUR LA REGLE DE SAINT BENOIT
dix hommes sous ses ordres (1). Les cénobites égyptiens, organisés un
peu militairement, étaient distribués par groupes de dix : Divisi sunt per
decurias atque centurias, écrit saint Jérôme, ita ut novem hom in ibus d'cim us
praesit; d rursus decem praepositos sub se centesimus habeat (2). Et
saint Augustin : Opus suum tradunt eis quos decanos vocant, eo quod sint
denis praepositi... Illi autem decani aim magna sollicitudine omnia dispo
nentes, et praesto facientes quidquid illa vita propter imbecillitatem orporis
postulat, rationem tamen etiam ipsi reddunt uni, quem patrem app· liant (3).
Nous reconnaissons l'idée et jusqu’aux expressions de saint Benoit.
B trouvait aussi dans Cassien plusieurs textes relatifs aux doyen· (4).
Rappelant que les jeunes religieux sont confiés seniori qui dei- i i ■ unio
ribus praest (5), Cassien remarque que l’institution des doyens date de
Moïse, à qui Jéthro son beau-père avait donné ce bon con cil : Provide
de omni plebe viros potentes et timentes Deum, in quibus sil verdns. c! qui
oderint avaritiam ; ei constitue ex eis tribunos, et centuriones, et quogaagenarios, et decanos, qui judicent populum omni tempore; quidquid autem
majus fuerit, referant ad te, et ipsi minora tantummodo judicent; Ic t isque
sit tibi, partito in alios onere (Ex., xvm, 21-22). Saint Benoit parait .-’être
souvenu, lui aussi, de ce passage.
Les doyens n’existaient que là où la communauté était plus nom’ 'reuse :
il œt rigoureusement possible de déterminer ce que saint Benoit entend
parla congregatio major. Aussi longtemps que la communauté -c compo
sait de douze moines, comme à Subiaco, ou comme dans le; dhb
du
monastère de Terracine (6), l’Abbé pouvait se contenter d · Γ;. ,-istance
d’un second. Mais parce que saint Benoît parle de doyens an pluriel,
que le pluriel, c’est deux pour le moins, et que chaque doyen a dix
moines sous son autorité (neuf, disait saint Jérôme;, il semble (pie la
communauté ne devenait vraiment major que lorsqu’elle attç /n iit le
nombre de dix-huit ou vingt religieux.
Eligantur. D y a tout lieu de croire qu’à l’époque de saint Bc:i"it les
doyens étaient élus directement par l’Abbé. L'Abbé choisi, ait se · doyens
him il choisissait son Prieur. Lorsque la communauté intervenait, ce
comme
n’était jamais pour exercer des droits et revendiquer de- privil·' jcs. mais
pour exposer humblement son désir à l’Abbé et lui suggérer t- préfé
rences; c’était une simple présentation; l’Abbé et les siens agi-'.iient
d’un commun accord et au mieux des intérêts de tous. Quod si aut locus
expetit, aut congregatio petierit rationabiliter cum humilitate, cl Abbas
(1) De même, Columeile dit que les ouvriers qui travaillent aux chairq
être groupés par décuries (De re rustica, L I, c. ix).
(2) Episl., XXII, 35. P. L., XXII, 419.
(3) De moribus Eccles. cathoL, 1. I, c. xxxi. P, L., XXXII, 1338.
(4) Inst., IV, x, xvn.
(5) Inst., IV, vn.
(6) S, Greg. IL, Dial, 1. II, c. in, xxn.
ivent
DES DOYENS DU MONASTÈRE
judicaverit expedire, quemcumque elegerit Abbas, cum consilio fratrum
timentium Deum, ordinet ipse sibi praepositum (chap. LXV). Et au chapitre LXII, N. B. Père, après avoir rappelé au prêtre du monastère qu’il
doit demeurer à son rang de profession, prévoit cette exception : Si
forte electio congregationis et voluntas Abbatis pro vitae merito eum pro·
movere voluerit. Aujourd’hui, les doyens n’exercent plus d'office de gouv‘rneinent sur une décanie déterminée, mais une fonction de vigilance
douce sur l’ensemble de la communauté, surtout un rôle de bon exemple
et un office de conseil auprès de l’Abbé, comme les sénieurs. Les Constitu
tions cl I Jéclnrations modem· s ont déterminé, pour chaque Congrégation
bénédictine, tout ce qui concerne le choix, le nombre et les attributions
des sé. . urs et d - doyens; la plupart reconnaissent aux communautés
l·· droit d’etre représentées au conseil de l’Abbé par des frères élus au
.'•crutin secret. Et il se trouve, d’ordinaire, que les conseillers choisis par
la communauté sont plus nombreux que ceux qu’a choisis l’Abbé. Mais
plaise à bien qu’on n’ait jamais besoin de recourir à certaines disposi
tions législative, de naturo à éliminer la chance, pour l’Abbé, d’être mis
en minorité dans son conseil ! Un tel remède n'aurait d’autre résultat
que d’introduire systématiquement la désunion dans le monastère, de
constituer à l’état permanent et de consacrer une dualité, une rivalité
entre l’Abbé et sa communaut'·. Pratiquement, dans une communauté
paisi le, il n’y a pas de différence entre l’hypothèse où les conseillers
sont choisis par l’Abbé, selon le texte de la Règle, et l’hypothèse où
le- membres du conseil sont pour la plupart élus par les moines : tous
11111
sont, au même titre, les conseillers de l’Abbé et de la communauté.
L'Abbé se choisit et on lui choisit des conseillers, non des adver
saires ni des approbateurs.
Eligantur di ipsis : on ne choisira point comme doyens des séculiers,
pas même des moines étrangers. C’est à peine s’il est besoin aujour
d'hui d’observer que l’autorité ne doit être confiée qu’à ceux qui appar
tiennent à la famille. Pourtant il est bon parfois de se souvenir que, sauf
lc: exceptions prévues par le Droit, les gens de l’extérieur, quels qu’ils
soient, n'ont pas compétence pour intervenir dans nos affaires intérieures ;
nous sommes exempts, et n’avons nul besoin de tutelle ni de conseil
judiciaire. Peut-être, d’ailleurs, la remarque de saint Benoît a-t-elle sur
tout pour intention de rappeler à la communauté qu’elle doit témoigner
de la déférence et faire honneur à des doyens choisis dans son sein. Et
constituantur decani : il y aura une reconnaissance officielle de leur titre,
peut-être même une cérémonie d’iuvestiture. Selon la Règle du Maître.
on leur remet solennellement le bâton de commandement (1).
Saint Benoit nous indique à quelles enseignes l’Abbé et sa commu(1) Cap. xi. — Cf. Ménard, Concord. Reg., c. xxvni, p. 445.
£•6
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
nauté reconnaîtront ceux qui méritent d’être élus. Ce n’est pas nécessai
rement Page qui désigne ; on ne devient pas doyen par rang d’ancienneté,
fjon eligantur per ordinem.; et il serait étrange de ne consulter, pour élever
un religieux, que la date de son entrée, N. B. Père ayant répété plusieurs
fois que l’âge ne doit jamais ni porter préjudice, ni créer une présomption
de compétence. Les anciens et les conseillers de l’Abbé dent saint Benoît
a parlé au chapitre III ne sont pas forcément des candidats au décanat ;
la charge de doyen impliquait alors, nous l’avons dit, un gouvernement
actif et une surveillance assidue auxquels souvent n’auraient pu suffire
des moines âgés ; on peut être sénieur et prudent conseiller, et cepen
dant, pour telle ou telle cause, demeurer inhabile à régir une déeanio.
Allons plus loin : une aptitude, même insigne, une forte doctrine, une
réelle vertu, ne sont pas toujours des motifs déterminants ; il faut un
ensemble de qualités que N. B. Père ramène à deux : vitae meritum,
sapientiae doctrinam. Les doyens seront choisis comme le furent les
premiers diacres, à qui ils ressemblent par leur office. Ils auront un bon
renom parmi les frères, afin que l’on s’incline volontiers devant leur
autorité; leur vie sera édifiante, puisqu’ils doivent aider l’Abbé à main
tenir l'observance. Il leur faut, avec ce mérite de la vie, la doctrine de
la sagesse, c’est-à-dire la prudence, le tact, le sens des choses spirituelles
et monastiques ; et c’est ici que la formation, l’expérience et l’âge peuvent
être d’un grand secours. Bref, ils doivent être tels que l’Abbé ait pleine
confiance en eux et qu’il puisse, avec une sécurité entière, se décharger
sur eux de bien des détails, répartir entre eux ses sollicitudes.
Tel est, en effet, le but de l’institution des doyens : venir au secours
de l’Abbé. Lorsqu’une maison commence, et pendant toute la période du
< devenir », il y a parfois pour le supérieur un motif d’entrer un peu dans
les offices particuliers. Mais dans un monastère pleinement organisé,
l’Abbé doit être empressé à se donner des aides et des suppléants, ne se
réservant que la direction d’ensemble et les besognes inhérentes à sa
charge. H ne saurait s’occuper de tout avec succès, et N. B. Père lui
veut du repos et du loisir : Non sil turbulentus et anxius, non sit nimius
et obstinatus, non zelotypus et nimis suspiciosus, quia numquam requiescet
(chap. LXIV). De plus, comme il doit vieillir et mourir, il est sage pour
lui de penser au lendemain et d’initier de son vivant plusieurs personnes
au gouvernement de la communauté, qui ne meurt pas. Enfin, cette
distribution du travail à l’intérieur du monastère n’a pas seulement
pour résultat de soulager l’Abbé et de préparer l’avenir : elle ménage
à chacun le bénéfice d’une collaboration au travail commun et une part
de responsabilité; de la sorte, personne n’est tenté de se désintéresser
complètement, de vivre isolé, uniquement occupé de ses études person
nelles ; chacun n’en aime que mieux et la maison et ses frères.
Les doyens, dit saint Benoît, exerceront leur sollicitude sur leur
a
* ·
· ·
«■ a
DES DOYENS DU MONASTÈRE
décanic. Sollicitude n’est pas orgueil, n’est pas tyrannie : c'est attention
et dévouement affectueux. Nul n’est investi d’une charge pour satisfaire
sa vanité, pour se créer des amis au dedans on au dehors, pour exercer
des représailles, pour agir avec violence, mais bien pour être plus dévoue
à sa famille monastique et la servir de plus près. Les doyens sont tenus
d’accomplir leur office en son intégrité : in omnibus. C’était alors une
charge assez complexe, qui réclamait un soin continu, de la décision et
de la fermeté. Les attributions des doyens, au Mont-Cassin, étaient sans
doute les mêmes que chez les moines d’Orient dont nous parlent les textes
précités de saint Jérôme, de saint Augustin et de Cassien; ils veillaient
sur leur décanic au dortoir, au réfectoire, pendant le travail manuel ; ils
faisaient observer le silence, accordaient des permissions, infligeaient des
pénitences. On trouvera dans D. Martène l’énumération des principales
fonctions des doyens. Parfois, là où les doyens n’existaient pas, ces fonc
tions étaient remplies par le Prieur claustral. Λ Cluny, après l’Abbé et
le Grand-Prieur, venait le Prieur claustral, assisté au besoin d’un second,
aidé dans ia surveillance par les maîtres des enfants et des jeunes
moines, et par les « circateurs »; on appelait doyens les frères qui diri
geaient l’exploitation des métairies ou villas situées dans le voisinage
du monastère, villarum provisores (1).
Lorsque saint Benoît écrit des doyens qu’ils gouvernent leurs décanics en toutes choses, il n’entend point leur conférer un pouvoir illimité
et sans contrôle. Il y a limite d’abord du côté de Dieu, secundum mandata
Dei; puis du côte de l’Abbé, et praecepta Abbatis sui. Car cette autorité
s’exercera en union de pensée avec l’Abbé, non pas en dehors de lui, ni
contre lui. L’Abbé partage sa sollicitude, il n’abdique pas, il ne peut
devenir un étranger dans sa maison. Sans doute un moine en charge
n’a nul besoin, pour l'expédition des affaires courantes, de s’aboucher
eu particulier avec l’Abbé ; mais dès qu’il y a des remaniements un peu
profonds à opérer dans son office, ou lorsqu’il s’agit d’affaires extraordi
naires, il doit consulter, se faire autoriser. Et supposons que l’Abbé, un
jour donné et par exception, intervienne dans un office pour surveiller
Hlll
ou réformer tel ou tel point : le titulaire qui s’en étonnerait comme
d’une
défiance, qui s’en irriterait comme d’un manque d’égards, qui proteste
rait contre cette prétendue intrusion, ou qui proclamerait que son Abbé
est d’un avis, mais lui d’un avis différent, celui-là oublierait la règle :
secundum praecepta Abbatis sui. Le dépositaire d’une charge ne voit bien
que les exigences de sa charge, il est myope, il manque de perspective ;
et d’avance il lui faut prendre son parti que des considérations d’ordre
plus étendu viennent parfois modifier son programme ou ses habi
tudes. Le pouvoir du doyen est limité encore du côté des frères, puisqu’il
(l) Bernard., Ordo Clun., P. I, c. n. — Udalr., Consuet. Clun., I. III, c. v,
MI
Γ
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
ne gouverne que sa décanie. Il évitera cet esprit ambitieux et jaloux qui
nous fait étendre le plus possible le champ sur lequel s’exerce notre
juridiction : je3sformeL, p. 23. flore 1).
Hlll
(2) Consulter les commentateurs
Mêge. Martèxe, Calmet. — Ménard, op. «t,
c. xxx-xxxix. — II.EFTEN, 1. VIII. — D. Besse, les Moines d'Orienl, chap. ix.
(3) Comparer avec la Régie de S. Pacôme, surtout à partir du n° clx.
S36
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
combien de fois et dans quelles conditions les moines exclus ou apostats
peuvent être réintégrés. Enfin le chapitre XXX forme un petit codicille
sur les punitions qui conviennent au jeune âge. Plus loin, aux
chapitres XLIII-XLVI, N. B. Père aura l’occasion de compléter son code
pénal en traitant des satisfactions pour les fautes moins graves que celles
dont il poursuit ici la répression. Et dans maint endroit de la Règle il
menace, en passant, de quelqu’un des châtiments monastiques.
— Si quis frater
contumax, aut inobediens, aut superbus, aut mur
murans, vel in aliquo contrarius existons sanctae
regulae, et praeceptis seniorum suorum, contemplor
repertus fuerit :
De
excommunicatione culparum.
Remarquons, tout d’abord, que les lautos visées présentement par
saint Benoît ont un siège commun : la volonté rebelle ; ou plutôt, c’est
d’elle seule qu’il a souci, car il ne songe pas un instant à cataloguer l’infinie
variété des délits; quelques-uns seulement sont signalés au cours de la
Règle. On peut imposer des satisfactions pour des fautes purement maté
rielles, afin de prévenir la négligence et de rendre la conscience plus déli
cate ;mais on ne sévit pas, avec la rigueur qu’impliquent ces dispositions
pénales, contre des imperfections :il n’y a pas matière suffisante. On ne
s’arme pas davantage de sévérité contre des fautes de légèreté, d’igno
rance ou de surprise. A l’exemple de Dieu, qui ne regarde que ce qui sort de
notre volonté délibérée (Mattii., xv, 17-20), saint Benoît ne s’en prend
qu’à la volonté perverse, dans ses manifestations extérieures les plus
redoutables (1). R y a, en premier lieu, la rébellion formelle. Contumacia,
c’est le refus d’obéir, opposé à une autorité présente, la résistance ouverte
et obstinée ; c’est l’audace et l’insolence de la désobéissance. Vient ensuite
la désobéissance grave, mais sans complication de bravade, le refus de se
soumettre à la Règle ou à une obédience donnée. Puis la superbe, l’exal
tation habituelle, ce gonflement de soi, cette adoration de sa propre valeur,
qui est, au fond, le principe secret de toute erreur dans la vie monas
tique et la racine empoisonnée de toutes les fautes dont il est parlé ici.
Rien de tout cela n’est bien intéressant : cola sent toujours la bête,
entêtée et rétive : Nolite fieri sicut equus et mulus, quibus non est intellectus
(Ps. xxxi, 9). Et pourtant on voit bien que ce que N. B. Père déteste le
(1) Si quis autem murmuraverit, vel contentiosus exliterit, aut referens in aliquo con
trariam voluntatem praeceptis... (S. Macar., Reg., xn). Si inobediens quis fuerit, aut
contentiosus, aut contradictor, aut mendax, et est perfrictae frontis... (S. Pack., Reg.,
CLXY. Cf. ibid., cl).
4
DE L’EXCOMMUNICATION POUR LES COULPES
231
plus résolument, ce qu’il dénonce le plus habituellement, c’est la dispo
sition au murmure : aut murmurans. Le murmurateur est un chétif ; c'est
parce qu’il est chétif qu’il est grincheux, mécontent de tout, et toujours
d'un avis contraire. Pourtant, il se range, il est matériellement à peu
près correct, il sera même obséquieux au besoin. Il n’a pas le triste cou
rage de la désobéissance, mais il exécute en gémissant. Et il porte çà
et là, aux âmes qu’il sent préparées par leur faiblesse et leurs souffrances,
l’évangile maudit de son murmure. C’est à la fois vil, lâche et dangereux.
On aimerait presque mieux le contumace et l’àpreté de sa résistance que
la basse et sourde intrigue du murmurateur.
Vel in aliquo... D. Calmet énumère les sens divers que l’on peut donner
à cette incidente. Le plus naturel est celui-ci : « ou bien si l’on découvre
chez lui le mépris, tandis que sur tel ou tel point il se met en contradic
tion avec la sainte Règle et avec les ordres de ses anciens, des doyens ».
C’est un cinquième cas, ajouté à la résistance ouverte, à la désobéissance
notable, à la superbe, au murmure : c’est le mépris accompagnant Γinfrac
tion à la Règle. Encore une fois, il ne peut être question d’appliquer les sévé
rités du présent code pénal à tout manquement, quel qu’il soit. Mais le
désaccord, qui peut être léger et d’un moment, peut aussi devenir sérieux,
continu, irréductible, et constituer ce qu’on appelle le mépris, sinon le
mépris formel, heureusement très rare, du moins le mépris équivalent et
pratique. 11 est vraisemblable que les dispositions mauvaises énumérées
ici impliquent une faute tliéolbgiqne : mais saint Benoit ne les envisage
pas à ce point de vue ; il ne les châtie que comme contraires à l’obser
vance monastique et aux engagements publics de la profession.
Ilie secundum Domini nostri praeceptum admo
neatur semel et secundo secrete a senioribus suis.
Si non emendaverit, objurgetur publice coram omni
bus. Si vero neque sic correxerit, si inlelligit
qualis poena sit, excommunicationi subjaceat. Sin
autem improbus est, vindictae corporali subda
tur (1).
’
Voici, pour les cas ordinaires, la marche à suivre dans la correction
des frères : saint Benoît a dit ailleurs les quelques particidarités quo
(1) Cum tero inventa fuerit culpa, ille qui culpabilis invenitur, corripiatur ai Albate
secretius. Quod si non sufficit ad emendationem, corripiatur a jxiucts senioribus. Quod
si nec sic emendaverit, excommunicetur (lieg. Orient., χχχπ). Viennent ensuite quelques
details sur l’excommunication de la table et de la prière, et sur la satisfaction, presque
dans les mêmes termes que notre Règle ; puis une menace contre quiconque s’abouche
233
COMMENTAIRE SUR LA REGLE DE SAINT BENOIT
présente la correction dos doyens, du Prieur et des prêtres. U a marqué
aussi, au chapitre LXX, que, si la faute est publique et scandaleuse, elle
doit recevoir un châtiment proportionné : Peccantes autem coram omnibus
arguantur, ul ceteri nictum habeant. Mais aussi longtemps que les fautes
ne sont pas notoirement scandaleuses, et quelle que soit d’ailleurs leur
gravité, la sainte Règle use d’indulgence et de pitié. Elle s’inspire visible
ment des conseils du Seigneur, dans l’Evangile : Si autem peccaverit in
te frater tuus, vade, et corripe eum inter te et ipsum solum. Si te audierit,
lucratus eris fratrem tuum. Si autem te non audierit, adhibe tecum adhuc
unum, vel duos, ut in ore duorum vel trium testium stet omne verbum.
Quod si non audierit eos, dic ecclesiae; si autem ecclesiam non audierit,
sit tibi sicut ethnicus et publicanus (Matth., xvih, 15-17). Un avertisse
ment est d’abord donné en particulier, renouvelé une seconde fois, s’il
est besoin; et par ceux-là seuls qui ont autorité (voir le chapitre LXX) :
l’Abbé, les doyens ou les sénieurs.
Si les observations secrètes sont demeu ëes sans ré-ultat, le délin
quant est admonesté devant tous : c’est le second degré. Le troi
sième consiste dans l’excommunication ou dans le châtiment corporel :
car il y a deux régimes, selon la trempe et les dispositions du coupable.
N. B. Père, au chapitre II, a distingué deux catégories de caractères,
auxquelles l’Abbé doit appliquer un traitement différent : Et honestiores
quidem atque intelligibiles animos prima vel secunda admonitione verbis cor
ripiat; improbos autem et duros ac superbos vel inobedientes, verberum vel
corporis castigatione in ipso initio peccati coerceat. 11 est peu probable que
dans ce passage saint Benoît veuille retirer absolument aux natures frustes,
grossières ou rebellesle bénéfice de la double admonestation préalable, qui,
au chapitre ΧΧΙΠ, semble faire partie d’une procédure applicable à tous.
H parle d’une façon un peu générale, au chapitre II, de la diversité des
traitements, et remarque qu’une ou deux réprimandes suffisent aux uns,
tandis que d’autres ne se rendent qu’à l’argument des coups ; ce serait
perdre son temps, observe-t-il, que de multiplier auprès de ces derniers
les corrections verbales et de temporiser : il faut, par des procédés sen
sibles, arracher sans retard à la sensibilité la mauvaise tendance qui s'y
H
révèle. Et lorsque l’on aconstaté en plusieurs cas l’inefficacité
des semonces
les plus vives, on passe de suite désormais au troisième degré de la correc
tion régulière. Mais ce ne sera pas l’excommunication, car Yimprobus,
ou bien s’en applaudirait comme d’une chance nouvelle pour échapper
à l’observance, ou bien n’en comprendrait pas la portée, n’en goûterait
point l’amertume (1).
Nous dirons, aux chapitres suivants, ce qu’est la peine de l’excommuavec un rebelle : simili modo culpalilcm judicandum (xxxni); enfin l’exclusion est
prononcée contre l'incorrigible ne vitio ipsius alii periclUenlur (xxxv).
(1) Cl. S. Bxsil., Reg. brev., xuv.
DE L'EXCOMMUNICATION POUR LES COULPES
S35
nication : qualis poena sil; un mot maintenant des peines corporelles. Les
anciens n’hésitaient pas à y recourir; et N. B. Père, qui en menace les
délinquants plus d’une fois dans sa Règle, n’avait qu’à se souvenir des
Règles de saint Pacôme, de saint Césaire, des Vies des Pères, en un mot
de toute la tradition. Les procédés afflictifs les plus communs étaient
des retranchements dans le boire et le manger, l’incarcération (1), les
travaux forcés ; mais surtout les verges, le fouet, la férule, châtiment
des mauvais serviteurs et des enfants. Longtemps avant de devenir
cette pratique volontaire de pénitence que propagea saint Pierre
Damien, la « discipline » était donc une peine monastique (2), voire ecclé
siastique, car certains conciles l’infligeaient aux clercs indociles. Dans
la langue de saint Benoît, le mot discipline a des significations diverses,
que le seul contexte permet de déterminer. Disciplina, c’est une ligne
de conduite pratique (chap. II) ; c’est la vie spirituelle, la perfection
morale (VII) ; c’est la régularité, le bon ordre et la sauvegarde de ce bon
ordre (LVI, LXII, LXI1L, LXXI) ; c’est un châtiment, une correction
quelconque (XXXIV, LV) ; c’est un châtiment corporel : le jeûne ou
les verges (XXIV). Disciplina regularis, disciplina regulae, c’est l’ensemble
des observances monastiques ou la soumission à ces observances (LX,
LXII) ; enfin disciplina regularis, c’est ou bien l’ensemble gradué des pro
cédés de correction prévus par la Règle, ou bien quelques-uns de ces degrés,
et peut-être le seul châtiment des verges (III, XXXII, LIV, LXV, LXX).
Aujourd’hui, lorsqu’un moine, dans des circonstances extrêmement
rares, est puni de la discipline, il se charge lui-même d’exécuter la sen
tence, loin des regards indiscrets et à l’aide d’instruments peu redou
tables. Les choses ne se passaient pas tout à fait ainsi chez nos pères.
D’abord ces séances — pour n’être pas partout aussi multipliées que chez
saint Colomban, où les coups de fouet formaient monnaie courante —
n’étaient point pourtant des événements. Puis, elles avaient lieu, le plus
souvent, en public, en plein chapitre. Les verges ou le fouet étaient
maniés par l’Abbé en personne ou par un frère expressément député
lilii
à cet office charitable. A Cluny (3), comme à Cîteaux, comme
un peu
partout, les coups tombaient sur des épaules nues, du moins lorsqu’il
s’agissait de fautes sérieuses. Le nombre de coups ne dépassait pas,
d’ordinaire, le chiffre de trente-neuf : c’était la mesure juive, appliquée
cinq fois à l’Apôtre par ses compatriotes : A Judaeis quinquies, quadra
genas, una minus, accepi (II Cor., xi, 24) ; afin de ne pas violer la Loi.
qui prescrivait de n’aller pas au delà de quarante (Delt., xxv, 3), on
(1) Cf. Calmet, Commentaire sur le chapitre xxv.
(2) Lire Hæften, L VIII, tract v. — Martène, De anliq. monach. rù.,1. II, c, xi,
col. 229 sq. — Calmet, Commentaire sur le chapitre ni.
(3) Cf. Pignot, Hist. de POrdre de Cluny, t. II, p. 400-406. Voir le statut lxui do
Pierre le Vénérable, P, L, CLXXXIX, 1013,
240
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
préférait se tenir en deçà. Moins scrupuleux que les pharisiens, les anciens
moines donnaient parfois jusqu’à cent coups aux grands coupables.
Centum ictibus flagellorum extensus verberetur, dit la Règle de saint Fruc
tueux (1); cent, ou même deux cents coups, selon le Pénitentiel de saint
Coîomban ; le même code pénal contient d’ailleurs cette réserve : Amplius
viginti quinque percussiones simul non dentur. La Règle du Maître est
plus terrible encore : Usque ad necem cudantur virgis (2), c’est-à-dire,
observe D. Calmct (3), « tant que le coupable pouvait souffrir, avec la der
nière rigueur : car on n’a jamais été réellement jusqu’à la mort ; et dans
les auteurs profanes mêmes caedere ad necem ne se prend pas à la rigueur,
c’est une hyperbole». Un capitulaire de Charlemagne (4), reproduit par
le concile de Francfort de 794, croit devoir recommander aux Abbés
de ne jamais crever les yeux ni couper les membres de leurs moines,
qualibet culpa commissa : il faut laisser ce genre de châtiments aux sécu
liers.
Nous n'avons ni à déplorer ni à regretter les sévérités d'autrefois. Avec
des natures violentes et moins épurées par un long travail d'éducation,
qui, parfois, avaient réclamé d'avance, en prévision de leurs chutes, le
bénéfice de la prison ou de la flagellation sanglante, cette disposition
de la discipline régulière était souvent l’unique moyen de mater les révoltes
du sang et des nerfs. Rappelons-nous aussi que les crimes et délits des
moines ou des clercs ne ressortissaient pas, ordinairement, aux tribunaux
civils : il fallait bien que les supérieurs ecclésiastiques ou monastiques
fissent justice eux-mêmes. Tout cela est modifié ; et s’il surgit maintenant
encore des désordres en face desquels le pouvoir monastique est impuis
sant, il faut reconnaître pourtant que la dignité de la vie religieuse a
CT.gné au changement : elle doit, avec d’autant plus de soin, se recruter
dans im milieu où l’obéissance est volontaire, empressée et joyeuse.
ω c. xv.
(.') C. -ΠΠ.
(3) Comment, sur le chapitre xxvni.
(4) M. G, B., Legum, Sectio II, Capilul. Regum Franc., 1.1, p. C3
CHAPITRE XXIV
QUEL DOIT ÊTRE LE MODE DE L’EXCOMMUNICATION
Qualis debeat esse modus excommunicationis. —
Secundum modum culpae, excommunicationis vel
disciplinae debet extendi mensura : qui culparum
modus in Abbatis pendeat judicio. Si quis tamen
frater in levioribus culpis invenitur, tantum a men
sae participatione privetur.
Horaee s'est finement moqué de ceux qui prétendent — ce sont les
stoïciens — qu’il n’y a nulle différence entre les fautes, et qu’elles
ont toutes le même caractère de gravité :
Nec vincet ratio hoc, tantumdem ut peccet idemque,
Qui teneros caules alieni fregerit horti,
Et qui nocturnus divum sacra legerit. Adsit
Regula, peccatis quae poenas irroget aequas,
Ne scutica dignum horribili sedere flagello (1).
C’est à cette prescription de bon sens romain et de prudence universelle
que satisfait N. B. Père en déterminant que le mode et la mesure du châti
ment seront proportionnés à la nature et à la malice de la faute (2) ;
il y aura des mesures différentes, non seulement dans la correction cor
porelle {disciplina), mais dans l’excommunication elle-même. Pour évi
ter les contestations néanmoins, c’est à l’Abbé qu’il appartiendra
d’apprécier la gravité des fautes et de fixer la peine encourue.
Non pas que l’Abbé puisse à son gré modifier la gravité objective
des fautes, ni imposer sub gravi n’importe quoi : toutefois il a pleine(1) Sat., 1. Ill, ni.
(2) Digne correptus secundum arbitrium senioris vel modum culpae (S. Macar.,
Reg., xn). Pro qualitate culpae erit excommunicatio {Reg. I SS, Patrum, xv). CL Reg.
Orient., xxxn. — S. Caesar., Reg. ad virg., xi.
241
15
242
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
le droit, dans l’intérêt de l'observance, do décerner des peines
sévères contre des fautes d’ailleurs légères, niais qui menacent de devenir
ment
endémiques et de troubler la communauté. Cette fixation de la coulpe
et de la peine est laissée non à son caprice, mais à son jugement et à sa
conscience : in Abbatis penàeai judicio.
Saint Benoît n’a pas cru nécessaire d’insister sur le caractère et la
mesure des pénitences corporelles ; mais il tient à préciser ce qui a trait
aux excommunications. Sans doute une part réelle d’initiative est aban
donnée au supérieur : il ne peut cependant, tamen, châtier les fautes
moins graves (« légères », seulement par comparaison) que de rexcommu
nication de la table commune. L’autre forme d’excommunication exclut
à la fois de la table, de l'oratoire et du commerce avec les frères. Plu
sieurs Règles d’avant N. B. Père, celle de saint Césaire par exemple,
mentionnent, cette double excommunication. Il n’est pas impossible que
l’élise se soit inspirée de la législation monastique pour distinguer
définitivement (1), elle aussi, entre l’excommunication majeure, qui
retranche de la société des fidèles, et l’excommunication mineure, qui
prive seulement de certains biens surnaturels, de la réception des sacre
ments, de l’exercice d’une juridiction. Dès l’origine, l’équité des Apôtres
semble bien avoir mis des distinctions et des nuances dans les sévérités
de l’excommunication; on pourrait étudier et comparer le caractère et
les effets de l’excommunication prononcée soit par saint Pierre, soit par
saint Paul, soit par saint Jean.
Rapprochant l’excommunication monastique de celle que prononce
l’ïglise, les commentateurs se demandent quelle est sa valeur et sa portée.
R semble que nous pouvons nous rallier à l’interprétation de D. Calmet.
Quelles qu’aient été les restrictions apportées du temps de saint Benoît
au privilège de l’exemption, il n’est pas douteux — et le texte même
de la sainte Règle le prouve péremptoirement — que le gouvernement
abbatial possédât l’autorité suffisante pour prononcer une sentence
d’excommunication; c’était l’exercice d’un pouvoir de juridiction, non
pas d’un pouvoir d’ordre. Et les effets de cette sentence étaient iden
tiques à ceux de l’excommunication ecclésiastique ; il n’y avait d’autres
différences que dans la source immédiate de l’excommunication et la
condition particulière du moine châtié. Pour bien comprendre la portée
de l’excommunication régulière, rappelons-nous la constitution hiérar
chique de l’Église ancienne et le lien de solidarité qui en reliait toutes
les parties. On était d’abord en communion avec un évêque et avec
les fidèles d’un diocèse; c’était moyennant l’incorporation à une
(1) H y avait aux premiers siècles différents degrés dans la pénitence et dans l’ex
communication : cfr. J. Mourxus, Commentarius historicus de disciplina in administralione sacramenti poenitentiae. — Gabriel Albaspinaeus, Observationes eccle
siasticae, L II. — Jacques Êveillon, Traidi. des excommunications et rnonitoives.
DE L'EXCOMMUNICATION DE LA TABLE
243
église particulière que l’on appartenait à l’ÉgîiSe universelle; on faisait
partie de la grande société par la petite. S’agissait-il d’entrer en com
munion spéciale avec un autre diocèse? il fallait alors exhiber ces « lettres
formées », dont plusieurs conciles et N. B. Père lui-même rappellent
la nécessité, qui témoignaient qu’on était en paix avec son église
d’origine, monastique ou séculière. De même, la sentence d’excom
munication portée par un évêque était notifiée de proche en proche
aux autres ; ct celui qu’elle atteignait, par cela seul qu’il était exclu
de la communion de son évêque, était exclu de la communion de
toute l’Îglise. Or, la famille monastique constituait, dans la grande
famille diocésaine, une petite église autonome. A dater de sa profession,
le religieux n’appartenait plus à l’Église universelle que moyennant son
union à l’ordre monastique. Excommunié régulièrement par son Abbé,
et pour des fautes contraires à la morale générale ou aux exigences
spéciales de son état, il se trouvait ipso facto hors de l’Église, et tous les
chrétiens le considéraient comme tel. Saint Grégoire raconte dans la Vie
ιπ»
de A. B. Père comment l’homme de Dieu menaça d’excommunication
deux religieuses incorrigibles ; et la prétention ne lui semble pas extraor
dinaire : il admire seulement qu’une menace de saint Benoît ait suffi
pour (pie Dieu traitât réellement en excommuniées les religieuses mortes
dans leur péché, et que Dieu ratifiât outre-tombe la levée d'excommuni
cation prononcée par son serviteur. Tout le chapitre est d’un intérêt
extrême (1).
Privati autem a mensae consortio, ista erit ratio :
ut in oratorio Psalmum aut Antiphonam non im
ponat, neque Lectionem recitet, usque ad satisfa
ctionem. Refectionem autem cibi post fratrum refe
ctionem accipiat, mensura vel hora qua praeviderit
Abbas ei competere : ut si verbi gratia fratres refi
ciunt sexta hora, ille frater nona; si fratres nona,
ille vespertina; usque dum satisfactione congrua
veniam consequatur.
La première forme d’excommunication, la plus bénigne, était donc
décernée, après monitions, contre celui qui se laissait entraîner obstiné
ment à des fautes, sérieuses sans doute, mais pourtant moins graves que
celles dont il sera parlé bientôt. Elle comportait d'abord un châtiment
(1) Dial., 1. II, c. χχιπ.
•44
COMMENTAIRE SL’R LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
dans l’oratoire. Le condamné n’était point exclu de la prière conven
tuelle, mais il n’avait plus do titre à s’y faire entendre d’une façon
spéciale; tout « solo » lui était interdit. Il ne donnait, il ne chantait ni
psaume, ni antienne (1), il ne récitait aucune leçon; peut-être, car la
Règle ne nous l’apprend pas sûrement, pouvait-il mêler sa voix à celle
du chœur. Certaines coutumes monastiques postérieures lui défendent
de se présenter à l’offrande, à la paix, «à la communion conventuelles,
de célébrer la Messe en public, etc. Cet isolement durera jusqu'à ce qu’il
ait fait la satisfaction convenable et reçu l’absolution de l’Abbé (voir les
dernières lignes du chapitre XLIV). Il ne faut pas confondre cotte excom
munication avec la pénitence imposée aux frères qui négligent d’assister
à la prière qui précède le repas (chap. XLIII).
C’est au réfectoire surtout que se traduit l’excommunication mineure
monastique : d’où son nom d’excommunication a nu nsa. Le frère parait
encore à l’oratoire : il est possible de lui laisser là une part de vie con
ventuelle ; mais il est banni de la table commune. 11 prend sa nourri
ture seul, et après le repas des frères. Les mots : mensura vel hora qua
praeviderit Ablas fi competere, ne se lisent pas dans les manuscrits ; ils
ont été empruntés au chapitre suivant; mais il n’y a pas analogie
entre les deux situations d’excommuniés et, selon la remarque des
commentateurs, on ne diminuait le repas de l’excommunié a mensa
que s’il se montrait insoumis. Simplement, l’heure de sa réfection est
retardée : lorsque les frères, par exemple, prennent leur repas à sexte,
c’est-à-dire pendant tout l’été, sauf les jours de jeûne, l’excommunié,
lui, mange à none ; lorsque la communauté dîne à none, c’est-à-dire depuis
le début du Carême monastique jusqu’à celui du grand Carême, l’excom
munié mange à l’heure de vêpres (chap. XLI). Sur ce point, d’ailleurs,
saint Benoît n’entend pas porter de règle complète et rigoureuse :
c’est à l’Abbé de décider selon les cas. La peine durera ju qu’à ce que
le frère, ayant fait la satisfaction convenable, reçoive son pardon.
(1) Kappplons-nous ce qui a été dit, au chapitre «, de la psahn-.lic chez
saint Benoît, p. 168-169.
CHAPITRE XXV
DES FAUTES PLUS GRAVES
— Is frater qui gravioris
culpae noxa tenetur, suspendatur a mensa simul et
ab oratorio.
De
gravioribus culpis.
Dos fautes plus graves entraînent une forme plus sévère de l'excom
munication : celle qui exclut à la fois de la table et de l’oratoire. Nous
trouverons le détail des principales coulpes très grièves dans différentes
Règles ou Constitutions ; saint Benoît, lui, s’est abstenu. Mais il décrit
avec insistance le triste isolement du condamné. Sauf les exceptions
qui seront prévues dans la suite, toutes les relations personnelles avec
lui sont rompues. Remarquons pourtant la discrétion singulière avec
laquelle toutes choses sont conduites. L’excommunication monastique
n'est pas l'exclusion, le retranchement absolu, la rupture définitive,
comme l’est pour Γ Église d’aujourd’hui l’excommunication dite ma
jeure. L'excommunication monastique ressemble à celle que pronon
çait saint Paul et à laquelle ce chapitre fait nettement allusion : elle
a un caractère médicinal ; ce n’est pas encore l’abandon d’une âmo
à sa perdition. On espère toujours. Avant de procéder à l’expulsion,
qui sera le dernier acte, on veut voir si le moine ne s’effraiera pas de la
solitude qui se crée autour de lui, et si l’amour de sa famille religieuse,
plus puissant que les châtiments et les réprimandes, ne l’amènera pas
à résipiscence. Il n’est presque plus du monastère, il est pourtant
encore dans le monastère.
Nullus ei fratrum in ullo jungatur consortio, neque
in colloquio. Solus sit ad opus sibi injunctum, per
sistens in paenilentiae luctu, sciens illam terribilem
Apostoli sententiam dicentis : traditum hujusmodi
i
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246
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
hominem Satanae in interitum carnis, ut spiritus
salvus sit in die Domini
C’est un pestiféré volontaire. Il n’a plus d’ami, celui qui s’est fait
l’ennemi de Dieu ; il n’a plus part à cette vie conventuelle dont il s’est
exclu le premier par sa faute. Tous s’écartent. Nul ne peut l’aborder,
se mettre en rapport, entrer en colloque avec lui. Il n’y a plus de place
pour lui à l’oratoire (1). Il n’est pas même digne de participer au travail
commun. Ce n'est pas qu’il lui soit loisible de vaguer : il aura sa tâche
déterminée,peut-être même un peu forte; mais il l’accomplira seul. Et,
selon la coutume de certains monastères, on le tiendra enfermé en prison.
Il demeurera dans le deuil de la pénitence, et il aura le loisir, durant ses
longues heures de solitude, de méditer et. de s’approprier la sentence
terrible de l’Apôtre : cet homme-là a été livré à Satan pour la des
truction de la chair, afin que l’esprit soit sauvé au jour du Seigneur
(I Cor., v, 5) (2). Tout ceci doit être bien compris.
La création entière obéit à la loi de communauté ; les êtres ne se déve
loppent et n’atteignent leur fin que moyennant l’appartenance à une
société, à une famille, à une organisation hiérarchique, dont il faut recher
cher l’idéal et h terme chez la sainte Trinité elle-même. C’est vrai de
l’homme en général, c’est plus vrai encore de l’Êglise, c’est vrai aussi du
groupement monastique. Nous ne nous sauvons qu’en famille; la grâce
de Dieu ne nous vient que dans ce cadre vivant ; nous avons besoin de
la main de notre Abbé, de la prière de nos frères. Lorsqu’une sentence
d’excommunication intercepte ce courant béni de l’influence divine et
cette circulation de la vie, nous ne sommes plus en sécurité, nous ne
sommes plus garantis de rien. Cessant d’appartenir à l’Êglise, à notre
famille surnaturelle, au Seigneur et à sa juridiction, nous passons dans
un autre système hiérarchique et nous sommes alors exposés aux redou
tables familiarités et aux violences de Satan. Ainsi, Dieu permet que
l’excommunication prononcée par saint Pierre contre Ananie et Saphiro
entraîne leur mort corporelle. L’excommunication de Simon le Magicien
le livre à la possession. Celle de l’incestueux de Corinthe a pour dessein de
préserver l’Êglise de toute contagion et aussi de « livrer aux vexations
diaboliques l’être sensible du coupable, pour que l’âme soit sauvée au
jugement de Dieu ». Comme dans l’histoire du moine instable que saint
Benoît finit par chasser (3), il y a toujours, au delà de la porte du monas
tère, un dragon qui guette les excommuniés ou les apostats.
(1) Cf. Jleg. Orient., xxxn.
(2) Cassien cite, lui aussi, ce texte dans un passage dont s’est inspiré saint Benoît
pour la rédaction des chapitres xxv et xxvr. Inet., II, xvl.
(3) S. Greg. M., DiaL, L II, c. xxv,
DE L’EXCOM J L N 1 CATION DE LA TABLE ET DE L'ORATOIRE
247
Sans doute N. B Père n’affirme point que des représailles sata
niques attendent infailliblement le moine excommunié : mais c’est ur.e
menace, un avertissement de ne pas demeurer dans l’impénitence, de
ne retomber jamais dans un tel malheur. Car aux âges de foi l’excommu
ulli
nication était considérée comme un suprême péril, et sa seule menace
emplissait les âmes d’une terreux religieuse. Mais le sens surnaturel a
diminué ; et c est là, avec un incontestable assainissement des carac
tères, ce qui porte maintenant l’Eglise et l’ordre monastique à être
très sobres d excommunications ; aussi bien, trop souvent, ceux qui les
mériteraient commencent par s’excommunier eux-mêmes.
Cibi aulem refectionem solus percipiat, mensura
vel hora qua praeviderit ei Abbas competere; nec a
quoquam benedicatur transeunte, nec cibus qui ei
datur.
Banni de l’oratoire, l'excommunié est banni à plus forte raison du
réfectoire commun. Et la pénitence est plus sévère que dans le cas
précédent ; non seulement l’heure du repas est retardée, mais le menu
lui-même est simplifié : on fait le siège du rebelle et par l’âme et par le
corps. N. B. Père laisse à l’iVbbé le soin de déterminer l’heure et le
régime. Les frères qui rencontrent l’excommunié ne répondent pas à sa
formule de salut, ne lui disent point Benedicite (voir le chap. LXHI).
La nourriture qu’on lui donne ne reçoit pas davantage la bénédiction
accoutumée.
Nous verrons au chapitre NLIV la série des expiations par lesquelles
doit i as er l’excommunié avant d’être réconcilié avec Dieu et avec ses
frères.
fi
CHAPITRE XXVI
DE CEUX QUI, SANS L’ORDRE DE l’aBRÉ, SE JOIGNENT AUX EXCOMMUNIÉS
ns
vn ii excom
municatis. — Si quis frater praesumpserit, sine jus
sione Abbatis, fratri excommunicato quolibet modo
sejungere, aut loqui cum co, vel mandatum ei diri
gere, similem sortiatur excommunicationis vindi
ctam.
De
qui sine jussione
Abbatis
jungi
H va de soi que l'efiicacité de l’excommunication était compromi ο,
que le remède perdait toute sa vigueur, si la réalité même de l'excommu
nication n’existait plus : il fallait la solitude. Or voici comment, par
fois, les choses se passaient. Un frère était excommunié : les mauvai. es
têtes étaient tentées de prendre parti pour lui, de l'appuyer dans sa
révolte, de faire un peu de révolution. D’autres religieux, unis par un
lien de parenté ou d’amitié avec le coupable, e. savaient de se persuader
que rien ne saurait prévaloir contre les mouvements et les attachements
de la nature, et violaient la loi de quarantaine. D’autres, enfin, rc lais
saient prendre de pitié à la vue de ce pauvre lloliq»herne, si mécham
ment écarté par l’Abbé, et leur tendresse, étourdie et meurtrière, décon
certait un traitement qu’elle ne comprenait pas. S’ane si quis pro admisso
quolibet delicio fuerit ab oratione suspensus, écrivait Cassien (1), nullus
cum eo prorsus orandi habet licentiam...; et quisquis orationi ejus, ante
quam recipiatur a seniore, inconsiderata pietate permotus communii are
praesumpserit, conplicem se damnationis ejus efficiat, tradens scilicet
semelipsum voluntarie Satanae, cui ille pro sui reatus emendationi fuerat
deputatus : in eo vel maxime gravius crimen incurrens, quod cum illo se
vel confabulationis vel orationis communione miscendo majorem illi gener't
insolentiae fomitem et contumaciam delinquentis in pejus enutriat.
En dehors d’une obédience donnée par l’Abbé, et dont il sera parlé
(1) Imi., II, XYi.
•J
•
M ·
-
DES RELATIONS INTERDITES AVEC LES EXCOMMUNIÉS
24»
plus au long dans le chapitre suivant, tout frère qui osera prendre
contact avec l’excommunié et entrer en relation avec lui de quelque
manière que ce soit, par des colloques, par des messages, en se consti
tuant son intermédiaire, celui-là entrera en partage de son excom
munication, et se trouvera enveloppé dans la même sentence. Une telle
mesure a paru sévère à certains commentateurs ; d’autant que, d’après le
Droit ecclésiastique, les relations avec un coupable atteint d’excommu
nication majeure n’entraînaient que l’excommunication mineure. Mais
il semble bien que primitivement, chez les clercs comme chez les moines,
une infraction notable à la loi de l’excommunication entraînait
pleine participation à la peine de l’excommunié; on ne distinguait
pas (1 ).
(1) 1.6 concile d'Orléans de 511, par exemple, décrète dans son canon xi : De his qui
ru*''* j>ia poenileitfûi religionem suae professionis obliti ad saecularia relabuntur, placuit
ros cl a communione suspendi, cl ab omnium catholicorum convivio separari. Quod si
pod interdictum cum cis quisquam praesumpserit manducare, et ipse communione pri
vetur (Mansi, t. VIII. coi. 353). Les collections rattachent aux canons authentiques
de ce concile quelques autres dont on ignore la valeur ; en voici un qui ressemble beau
coup au textu de notre Règle : ... Nullus chrislianus ci ave dicat, aut eum osculare
praerumat; ... nemo ci jungatur in consortio, neque in aliquo negotio; ei si quis ei se
sociaverit, ...noient se simili percussum anathemate. His exceptis, qui ob hanc causam
e» junguntur, ut eum revocant ab errore, d provocent ad satisfactionem,,, (Mansi, ibid.,
col. 3<η).
rm
CHAPITRE XXVII
QUELLE DOIT ÊTRE LA SOLLICITUDE DE L’ABBÉ
A L’ÉGARD DES EXCOMMUNIES
Qualiter
debeat esse
sollicitus
Abbas
circa ex-
— Omni soli i ci l u d i n e curam ogerat
Abbas circa delinquentes fratres : quia non esi opus
sanis medicus, sed male habentibus.
communicatos.
4
C’est le dernier chapitre de la parenthèse relative à Pcxcommunication. Π éclaire toute la question du code pénal monastique et rend
manifeste l’intention de saint Benoît ; il nous révèle aussi tout son
caractère paternel. Nous n’ignorons pas la variété des points de vue
auxquels se place la justice humaine pour légitimer l’exercice du droit
pénal et jusqu’à la peine de mort. Tantôt, on se met au point de vue
de l’ordre absolu, et l’on soutient qu’il est équitable que ceux qui n’ont
pas voulu appartenir à l’ordre par l’obéissance y rentrent quand même
par le châtiment : c’est vrai, mais c’est froid, hautain ; le coupable se
résigne. Ou bien on préfère songer à la société qu’il faut garantir, et le
châtiment prend alors le caractère d’ime sécurité. La peine, par un double
effet, abrite la société contre le retour des fautes qu’elle châtie, soit
parce qu’elle met le coupable dans l’impossibilité de nuire, soit parce
qu’elle inspire une crainte salutaire aux autres méchants : Culpam
poena premil cornes : c’est vrai encore, mais c’est dur, et c’est inefficace
souvent. Il appartenait à la règle chrétienne et monastique de se placer
au point de vue du délinquant lui-même et, sans méconnaître aucune
ment les desseins dont nous venons de parler, de s’inquiéter par-dessus
tout de la correction du coupable, regardé comme un frère malade plutôt
que comme un condamné. Et encore que les anciennes Règles et les Vies
des Pères abondent en traits édifiants sur la miséricorde due aux pécheurs,
nul, pensons-nous, n’avait jusqu’alors écrit rien de semblable à cetto
page bien personnelle à saint Benoît et toute pleine de sa tendresse do
père, si grave, si forte, si attentive.
.250
♦
DE LA SOLLICITUDE ENVERS LES EXCOMMUNIÉS
SM
Omni soïliciludine... Alors même qu'il y a châtiment, le monastère la
« maison de Dieu n, n’est point une colonie pénitentiaire où l’on n'attend
la correction des rebelles que de la compression violente et des mau
vais traitements. Mais tout ce que l’Abbé peut avoir de sollicitude et
de dévouement s'emploiera en faveur des frères qui sont tombés. Et
l’unique raison alléguée par la sainte Règle est celle qu’invoquait
un jour le Seigneur pour justifier son indulgence infinie : « Ce ne
sont pas les gens en santé qui ont besoin du médecin, mais ceux qui se
portent mal » (Ματτπ., ix, 12). H est venu pour racheter, pour consoler,
pour guérir ; et malheur aux âmes suffisantes qui croient n’avoir nul
besoin de sa compassion et de ses remèdes. La miséricorde est la vertu
dominante du Seigneur ; elle lui a valu l’étonnement, le scandale, jusqu’à
la haine des mauvais easuistes du temps, pharisiens et docteurs de la
Loi. Qu’on se souvienne seulement de l’épisode de la femme adultère,
excommuniée par les docteurs et vouée à la lapidation (Joann., vu, 3-11) 1
Si le cœur de Dieu n’est que bonté, l’Abbé, qui tient sa place dans le
monastère, doit incliner toujours, lui aussi, du côté de la miséricorde et
de la tendresse.
Et ideo uti debet omni modo ut sapiens medicus :
immittere quasi occultos consolatores sympaectas,
id est, seniores sapientes fratres, qui quasi secrete
consolentur fratrem fluctuantem, et provocent eum
Il
ad humilitatis satisfactionem,
et consolentur eum,
ne abundaritiori tristitia absorbeatur; sed sicut ait
Apostolus : Confirmetur in eo caritas, et oretur pro eo
ab omnibus.
Puisque l’Abbé est constitué médecin des âmes (1), il agira en toute
façon (2) comme un sage médecin : il s’ingéniera pour trouver le remède
efficace ou plutôt pour que celui de l'excommunication ait tout son eSet ;
il emploiera les industries variées que sa charité et son expérience lui
ΙΠΗ
pourront suggérer. Il enverra par exemple vers l’excommunié
a des sympectes ». Les mots quasi occultos consolatores sont une glose postérieure. .
On a beaucoup discuté sur la signification du terme « sympecto »; on a
proposé les étymologies les plus diverses et les plus bizarres ; et les copistes
l'ont souvent maltraité. Quoique la meilleure leçon soit senpectas, il est
bien probable que l’orthographe correcte de ce mot est sympacta et qu’il
(1) S. Basil., Reg. conlr., xxiv.
(2) Omnimodo, en un seul mot, selon les meilleurs manuscrits.
252
COMMENTAIRE SUR LA REGLE DE SAINT BENOIT
est la transcription latine du grec συα-αίχτης (de σύν, π«ι*ω), mot à mot:
qui Jait l'enfant avec, qui joue avec, compagnon de jeu (collusor) (1).
Dans la littérature chrétienne d’avant saint Benoît, nous n’avons trouvé ·'
συαπϊίχτης employé, et au sens figuré, que dans VHistoire Lausiaque.
Elle raconte comment Sérapion Sindonite imagina de se vendre à des
comédiens afin d’arriver plus aisément à les convertir et fit entrer un
ascète dans son jeu, dans sa pieuse supercherie : λαβών τώα συ u παίχτην
«σχί-τήν... (2). C’est dans un sens analogue que N. B. Père parle des
sympectes. Comme il ajoutait aussitôt : id est, seniores sapientes fratres,
on a cru qu’il fournissait ainsi "explication de ce terme étrange, et on
a lu, non plus même senpectas, mais senipetas : qui tendent à la
vieillesse. D’où certaines interprétations invraisemblables. Saint Benoît
s’explique en effet, mais beaucoup plus dans les mots qui quasi secrete
consolentur..., que dans ceux qui suivent immédiatement id est. Et sa
pensée est celle-ci : l’Abbé ne peut pas intervenir directement auprès du
moine excommunié ; mais il a recours à un stratagème. Il y a dans la
communauté des frères aimables, dévoués, en qui l’excommunié a con
fiance; ce sont des religieux âgés et de vertu solide, sur qui les plaintes
ou même les récriminations violentes du condamné n’auront aucun effet
fâcheux; ils sont habiles, un peu diplomates : l’Abbé les fait entrer dans
son jeu miséricordieux, il en fait les complices de sa charité. Ils iront donc
en secret trouver l’excommunié, comme d’eux-mêmes, et non sous la
forme d’une ambassade; leur initiative apparaîtra au coupable comme
simplement autorisée par l’Abbé.
Leur fonction est d’abord de consoler le frère, puis de l’incliner au
bien. Son âme est houleuse encore, partagée entre l’effroi et la colère,
entre l’irritation et l’inquiétude, fluctuantem. Cette intervention affec
tueuse des sympectes a pour dessein de calmer la passion et d’aider la
conscience; doucement, elle portera le frère excommunié à une satisfac
tion humble, qui vienne non de la contrainte, mais du désir de l’expiation.
Mais avant toutes choses, répète saint Benoît, il a besoin d’être consolé.
Les sympectes veilleront à ce que le chagrin et la honte ne l’abattent
pas, à ce qu’il ne soit pas comme « abîmé dans une tristesse excessive ».
C’est la recommandation que faisait l’Apôtre au sujet de l’incestueux de
Corinthe ; et il ajoutait qu’à cette heure critique la charité devait être
grande, s’affirmer et prévaloir auprès de lui (II Cor., n, 7-8). Pendant que
les émissaires discrets de l’Abbé témoignent ainsi directement de l’in
térêt à l’excommunié, tous les frères prient pour lui (3).
Nous sommes très loin ici de ces formes de vengeance qu’affecte
(1) Cf. Calmet, in h. I.
(2) Hist. Laus., c. lxxxih. P. G., XXXIV, 1180; édition Butler, p. 109.
(3) La Règle de S. Césaire ad virgines ne laisse pas non plus l’excommuniée
dans une absolue solitude : Cum una de spiritualibus sororibus resideat (χχχι).
DE LA SOLLICITUDE ENVERS LES E X CO Μ M U N I ÊS
233
volontiers la justice créée, très loin de3 exigences pharisaïques qui
inclinent à la dureté implacable, très loin de ces tendances, traduites
parfois dans la littérature, devant qui n’existe d’autre vertu que celle
qui n’a jamais failli, la défaillance d’un instant n'ayant plus que la res
source du désespoir et du suicide. Cela est bien du siècle ; les plus cor
rompus sont les plus implacables. Nous pouvons remarquer aussi comment
les prescriptions monastiques réalisent la forme idéale selon laquelle se
doit et se peut exercer la justice pénale. Le droit de punir n’est exercé
normalement et avec succès que par ceux-là qui se sont efforcés de
conjurer la faute, qui ont proclamé la loi morale, qui non seulement se
sont gardés de cultiver à plaisir les passions violentes et impies, agents
du crime, mais qui ont travaillé à réduire et, s’il se peut, à supprimer, tous
les instincts révolutionnaires. Lorsqu’une société est provocatrice du mal
et corruptrice des intelligences et des mœurs, au nom de quel droit
s’érige-t-elle en juge de ses propres victimes?
Magnopere enim debet sollicitudinem gerere
Abbas circa delinquentes fratres, et omni sagacitate
et industria curare, ne aliquam de ovibus sibi cre
ditis perdat. Noverit enim se infirmarum curam
suscepisse animarum, non super sanas lyrannidem :
et nletuat Prophetae comminationem, per quem
Quod crassum videbatis, assumebatis : et
quod debile erat, projiciebatis.
dicit Deus :
Saint Benoît reprend, avec plus d'instance, les premières paroles du
chapitre. L’Abbé, dit-il, doit faire preuve d’une sollicitude extrême à
l’égard des frères qui ont failli, et courir, s’empiesser (1), déployer toute
sagacité et industrie, afin de ne perdre aucune des brebis qui lui sont
confiées. A Dieu ne plaise qu’il s’écarte jamais des coupables, avec la
répugnance scandalisée du pharisien devant sainte Marie-Madeleine !
Il ne faudrait pas non plus se désintéresser, abandonner l’excommunié
à sa passion et à son orgueil froissé, dire : « Je n’y puis rien, moi ’. S’il veut
s’enfoncer dans sa rébellion, qu’il fasse : je ne puis substituer ma volonté
à la sienne ! » On voit bien que vous n’ètes pas mort pour lui ; vous le
jetteriez moins facilement par-dessus bord. « Mais il est agaçant, d’humeur
envenimée et déloyale !... » C'est pour cela qu’il vous appartient davan(1) La vraie leçon, dit D Butler, est certainement currerc ; saint Benoit va déve
lopper plus loin cette idée du bon Pasteur courant à h recherche de la brebis perdue.
fit
ή*
COMMENTAIRE SCR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
fage. Vous n’êtes pas un prince, ni un justicier impitoyable, ni un bour
reau. Le rôle de l’Abbé, d’une façon générale, ne consiste pas à exercer
Π0 saines ; mais Dieu lui a commis la
une hautaine domination sur des âmes
garde, le soin et la guérison d’âmes faibles et infirmes : c’est vers celles-là
qu’il se penchera de préférence. Saint Augustin écrivait la même chose
des ministres do Dieu qui vivent dans le siècle : Non enim sanatis magis
quam sanandis hominibus praesunt. Perpetienda sunt vilia multitudinis
ut curentur, ei prius toleranda quam sedanda esi pestilentia (1). Que l’Abbé
se mette donc en garde contre des dispositions trop naturelles et trop
égoïstes ; qu’il se souvienne au besoin de cette réflexion indignée du Sei
gneur, dénonçant par la bouche du Prophète les duretés, les rapacités
des mauvais pasteurs d’Israël : Ce qui, dans le troupeau, vous paraissait
gras et de belle venue, vous le faisiez vôtre ; et ce qui était chétif, vous le
repoussiez. Tout le passage d’Ezéchiel est une menace redoutable (xxxrv,
3-4). Mais on ne demande pas à l’Abbé la débonnaireté ni la faiblesse,
pas plus qu’on ne l’invite à ouvrir la porte de son monastère à toute
médiocrité ou à toute misère.
it ·.
Et Pastoris boni pium imitetur exemplum, qui,
relictis nonaginta novem ovibus in montibus, abiit
unam ovem, quae erraverat, quaerere; cujus infir
mitati in tantum compassus est, ut eam in sacris
humeris suis dignaretur imponere, et sic reportare
ad gregem.
A la conduite des pasteurs indignes et mercenaires saint Benoît oppose
l’exemple de tendresse et de condescendance, pium exemplum, du bon
Pasteur, tel qu’il est donné par le Seigneur lui-mème en saint Matthieu
(xvm, 12-14) et en saint Luc (xv, 3-7 ; cf. Joann., x). Le bon Pasteur
avait cent brebis; un jour,l’une d’elles s’enfuit loin du troupeau. Alors
le Pasteur, laissant les quatre-vingt-dix-neuf autres parquées sur les
collines accoutumées, s’en alla chercher Punique infidèle. Il la retrouva,
blessée peut-être ou récalcitrante. Et il compatit tellement à sa faiblesse,
qu’il daigna la charger sur ses épaules sacrées, et la rapporter ainsi au
troupeau (2). L’Évangile soulignait ensuite l’allégresse du bon Pasteur.
Restituer au Seigneur une âme égarée, c’est bien la joie la plus haute
que l’on puisse goûter ici-bas. Fratres mei, si quis ex vobis erraverit a
(1) De moribus Ecclesiae caihol., 1. I, c. xxxn. P. L., XXXII, 1339.
(2) S. Basile cite h même parabole évangélique et le texte ; non est upus -calentibus, etc., dans un passage qui ressemble â notre Règle (Jieg. brev., en ; voir aussi
Utÿ. contr., xxvn).
k
DE LA SOLLICITUDE ENVERS LES EXCOMMUNIÉS
255
veritate, et converterit quis eum, scire debet quoniam qui converti jecerit
peccatorem ab errore viae suae, salvabit animam ejus a morte, et operat
multitudinem peccatorum (Jac., v, 19-20). 11 va de soi que la condescen
dance ingénieuse et inlassable de l’Abbé est en même temps l'expression
de ce que tous les frères ressentent les uns pour les autres. Ce doit être
une conspiration universelle de charité, ne aliquam de ovibus sibi aedile
perdat.
CHAPITRE XXVIII
DE CEUX QUI, EN DEPIT DE CORRECTIONS RÉPÉTÉES, NE S’AMENDENT PAS
De IIS QUI SAEPIUS COIUiECTI NON EMENDANTUR. ---- Si
quis frater frequenter correptus pro qualibet culpa,
si etiam excommun i catus non emendaverit, acrior
ei accedat correctio, id est, ut verberum vindicia in
eum procedat.
Notie bienheureux Pore revient aux degrés de la discipline régulière,
dont il a commencé rémunération au chapitre XXIII. Le détail des châ
timents déjà décrits est d’abord brièvement rappelé : un frère, coupable
d’une des faut es qui méritent correction sérieuse, a été repris fréquemment,
trois fois au moins, deux fois en secret et une fois en public ; il a été excom
munié, ou bien il a subi une peine corporelle. Mais il n’y a pas eu d’amende
ment. L’excommunication elle-même n’a pas obtenu de fruit, chez un
caractère présumé pourtant guérissable par elle. Alors, on ajout e à l’excom
munication une correction plus sévère, c’est-à-dire qu’on inflige au cou
pable le châtiment des verges. Le châtiment corporel est dit plus sévère
et plus rude, non que l’excommunication soit une peine moins grave, mais
parce que la correction physique réduira peut-être plus efficacement
l’homme animal, demeuré insensible aux peines spirituelles ; et aussi
parce que, dans le châtiment corporel, il y a une note de servilité et comme
un stigmate de bassesse. Pour celui envers qui on n’a pas même essayé
de l’excommunication, mais qu’il a fallu soumettre au jeûne ou aux
ΠΙΓΙ
verges immédiatement
après les admonitions, on continuera sans doute
un régime identique et on frappera un peu plus fort.
Quod si necita se correxerit, aul forte (quod absit)
in superbiam elatus etiam defendere voluerit opera
sua, tunc Abbas faciat quod sapiens medicus : si
exhibuit fomenta, si unguenta adhortationum, si me-
DES DERNIERS DEGRES DE LA DISCIPLINE RÉGULIÈRE
S57
dicamina Scripturarum divinarum, si ad ultimum
ustionem excommunicationis vel plagas virgarum,
et jam si viderit nihil suam praevalere industriam :
adhibeat etiam, quod majus est, suam et omnium
fratrum pro eo orationem, ut Dominus, qui omnia
potest, operetur salutem circa infirmum fratrem.
On voit bien qu’aux yeux de saint Benoît l’âme a une valeur absolue
et qu’elle doit être traitée avec une patience sans limite. Il suppose que
le coupable ne se rend pas encore, qu’il ose même, dans une exaltation
nolente, justifier sa conduite et plaider le bon droit pour lui. Quod dbsit!
dit N. B. Père. Il sait trop bien cependant que ce n'est pas l’invraisem
blable. Ailleurs il a flétri cette triste facilité qu’ont les hommes d’appeler
bien ce qu’ils veulent, d’adorer leur pensée, de légitimer ainsi les dernières
hontes. La conscience est cautérisée. Ce qui avait été jusqu’ici une fai
blesse devient un principe, un système. Pourtant, il n’est pas question
encore de prononcer la sentence irrévocable.
L’Abbé continuera de faire ce que fait un sage médecin (1). Il se rap
pellera toutes les industries dont il a pu légitimement user pour procurer
la guérison ; il s’assurera qu’il n’a rien négligé. Il s’est efforcé, par tout
moyen, selon les procédés de la médecine ancienne, de faire sortir la
maladie, d’attirer à l’extérieur et aux surfaces un mal profond qui décon
certait l’œuvre de la vie. Il a d’abord employé les fomentations, les appli
cations chaudes, capables de solliciter le mal au départ ; puis les onguents,
le baume des exhortations, comme pour assouplir la peau et les chairs ;
ensuite les remèdes internes des divines Écritures. La parole de Dieu a
tme vertu sacramentelle ; elle opère comme un charme sur les âmes. Il
est des formules, si claires et si douces, qu’elles parviennent à soustraire
l’âme à sa fièvre. On voit que les admonitions privées ou publiques et
les bons conseils des sympectes doivent s’inspirer uniquement de la
doctrine surnaturelle et rappeler au coupable les textes familiers del’Éerit ure qui contiennent la règle des mœurs et de la perfection monastique.
Ces moyens préliminaires n’ayant pas réussi, l’Abbé s’est décidé enfin
à cautériser par la brûlure de l’excommunication,
à scarifier par les plaies
ΐίιπ
des verges. Mais il est forcé de constater que son art ne triomphe nulle
ment du mal.
Ce que les efforts humains ne peuvent obtenir, la prière peut le solli
citer de Dieu. Il n’y a rien de désespéré pour lui. Les trésors de sa misé
ricorde ont des grâces capables de convertir le cœur le plus endurci.
N’est-il pas le Dieu qui ressuscite les morts (Rom., rv, 17)? Omnipotenti
(1) Les comparaisons qui suivent sont inspirées de Cassien, Insit X, vn,
<7
•58
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
medico nihil est insanabile; non renuntiat ad aliquem (1). Que l’Abbé
agisse donc encore, dit saint Benoît, à la manière d’un médecin avisé ;
qu’il ait recours à un remède plus efficace que les précédents, sa prière
et celle de tous les frères, pour que le Seigneur, à qui tout est possible,
rende la santé à ce frère malade. Il s’agit d’une supplication plus instante
et plus unanime que celle dont il a été parlé au chapitre XXVII ; c’est
une sorte de mise en demeure respectueuse et filiale adressée à Dieu
par tout le convent.
Quod si ncc isto modo sanatus fuerit, tunc jam
utatur Abbas ferro abscission is, ut ail Apostolus :
Auferte malum ex vobis. Et iterum : Infidelis si discedit,
discedat : ne una ovis morbida omnem gregem conta
minet.
Si enfin le malheureux ne trouve pas sa guérison dans un tel
remède, il no reste plus au médecin qu’à se servir résolument du fer qui
retranche. L’excommunié devient un danger. Sa corruption peut infecter
la communauté entière; une seule brebis malade peut contaminer tout
le troupeau. La charité que l’on doit à une communauté, toujours plus
intéressante qu’un particulier, oblige à se défaire de tout élément dont
on n’espère plus la correction et qui constitue un scandale et un péril
permanent. C’est la recommandation formelle de l’Apôtre : « Enlevez
le mal, ou le mauvais, du milieu de vous » (I Cor., v, 13). Non enim et
hoc fit crudeliter, sed misericorditer, ne contagione pestifera plurimas perdat,
dit saint Augustin, dans un passage qu’on pourra comparer à notre des
cription des degrés de la discipline régulière (2). Et saint Cyprien avait
écrit, lui aussi : Inter virgines non putem {illas) debere numerari, sed tam
quam contactas oves et morbidas pecudes a sancto et puro grege virginitatis
arceri, ne contagio suo caeteras polluant (3). Aussi bien, ce n’est plus un
malade, c’est un cadavre. L’Abbé ne fait que reconnaître une séparation
consommée d’avance par celui-là même qui est expulsé. Il l’a voulu. On
se résigne à son irréconciliable aveuglement : « Si l’infidèle veut s’en aller,
qu’il s’en aille », dit saint Benoît, qui prend dans un sens accommodaticc
une autre parole de l’Apôtre (I Cor., vu, 15).
L’expulsion est prévue aussi dans des Règles plus anciennes, par
(1) S. Auo., Enarr. II in Ps. lviii, 11. P. L., XXXVI, 712,
(2) Epist. CCX1, H. P. L, XXXIII, 962.
(3) De habitu virginum, xvn. P. L., IV, 456. L’expression ovis morbida se trouve
plusieurs fois chez S. Jérôme : Epist. II. P. L., XXII, 331 ; Epist. XVI, 1. P. L.
353; Epist, CXXX ad Demetriadem, 19. P. L., ibid., 1122. ‘
ÜES ‘>ERN,ER8 ÜEGBÉS »» ■-* DISCIPLINE RÉGULIÈRE
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(1) C. XVII, χχνπ-χχνπι.
(3)
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CHAPITRE XXIX
SI LON DOIT RECEVOIR DE NOUVEAU LES FRÈRES QUI ONT QUITTÉ
LE MONASTÈRE
Si
DEBEANT ITERUM
RECIPI
FRATRES
EXEUNTES
DE
— Frater qui proprio vitio egreditur,
aut projicitur de monasterio, si reverti voluerit,
spondeat prius omnem emendationem vitii pro quo
egressus est, et sic in ultimo gradu recipiatur, ut
ex hoc ejus humilitas comprobetur.
monasterio.
Ce chapitre complète tout à la fois le précédent et en adoucit la rigueur.
Le frère incorrigible a été chassé : il peut se faire que la grâce le détermine
un peu plus tard, et que, se ravisant, comme l’enfant prodigue, il désire
revenir à Dieu. Et, à propos de cette expulsion. N. B. Père suppose
un autre cas où la sortie du monastère est imputable au religieux : c’est
lorsque celui-ci, poussé par le démon de l’instabilité ou par un motif
vicieux quelconque, abandonne la communauté (1). Saint Benoît ne
manque pas d’ajouter proprio vitio : car il peut arriver de loin en loin que
la sortie soit régulière, autorisée par l’Abbé ou légitimée par Γ Église.
Ne disons rien de ces hypothèses, de celle, par exemple, où l’on
croit devoir échapper à un milieu qui paraît inobservant et scanda
leux, ni de celle où l’on passe à une religion plus austère ; ne cherchons
pas davantage à savoir si parfois la sécularisation implorée et obtenue ne
serait pas, devant la conscience, un euphémisme de l’apostasie.
Ou dit que Regulus plaida avec force, devant le Sénat romain, pour que
(1) L’édition Butler adopte comme texte : Frater qui proprio vitio egreditur de
monasterio, si reverti voluerit, spondeat prius omnem emendationem pro quo egressus
est. Et D. Chapman, rendant compte du travail de Traube, insistait pour montrer
dans la leçon du « texte reçu » et des plus anciens manuscrits un sûr exemple de fâcheuse
interpolation (Rev. Dêntd., 1898, p. 506). Sans contester l’autorité de la tradition caro
lingienne et cassinienne, il est possible pourtant de donner encore un sens vraisem
blable à notre texte. Pourquoi le moine expulsé ne viendrait-il pas à des sentiments
meilleurs? Les dispositions de ce chapitre ne paraissent-elles pas être une suite nor
male des précédentes?
«o
DES FRÈRES QUI ONT QUITTÉ LE MONASTÈRE
241
Borne ne consentît pas à l’échange des captifs entre Carthage et la Répu
blique : il ne croyait pas qu’un Romain qui s’était laissé réduire en capti
vité sans combattre pût dans la suite accomplir son devoir vaillamment.
Auro repensus scilicet acrior
Miles redibit? Flagitio additis
Damnum (1)!
Un mauvais soldat ramené à la guerre se montrera de nouveau mauvais
soldat. Racheter un captif, c’est perd:e son argent, sans gagner un
soldat de plus. Tout cela peut être très romain ; mais ce qui est bien
humain et bien conforme aux habitudes de Dieu, c’est la disposition de
saint Benoît, ouvrant ses bras à l’apostat et à l’expulsé et leur fournissant
l’occasion de réparer le passé par une vie meilleure (2).
Deux conditions sont mises à cet acte de miséricorde; et toutes deux
ont le meme dessein : montrer que le frère qui se présente n’a rien de
commun avec celui qui a fui ou qui a été chassé. En effet, celui qui se
présente promet tout d’abord, saint Benoît le suppose, de se corriger à
fond du vice qui a déterminé son exode : et partant, il n’est plus, inté
rieurement et dans sa volonté, le même que le coupable d’autrefois. Et
ce déplacement d’identité se traduit sous une forme extérieure qui a sans
doute le caractère d’une punition et d’une épreuve, mais qui pourrait
bien être aussi une condescendance délicate et ingénieuse. H entre et l’on
fait comme si c’était la première fois. Il y a eu maldonne : on recommence.
Il prend son nouveau rang d’entrée et de conversion ; il n’est pas heritier
du mauvais moine qui est sorti. C’est d’ailleurs ainsi, dit N. B. Père, que
l’on éprouvera son humilité, que l’on s’assurera de son changement, do
son intention de devenir un homme nouveau (3). Saint Benoît ne parle
pas d’autres exigences ; mais il y avait probablement une satisfaction
publique et une absolution, comme pour les excommuniés (chap. XLIV».
D. Martcne cite tout au long différents Ordines pour la réception des
fugitifs.
Quod si denuo exierit, usque tertio recipiatur.
Jam vero postea sciat omnem sibi reversionis adi
tum denegari.
Nous avons vu comment N. B. Père s’emploie à écarter, à retarder
l’exclusion ; il nous reste maintenant à remarquer combien, même de si
(1) IIorat., Carm., 1. III. ode v.
(2) S. Basile est plus sévère : Reg. fus., xrv.
(3) Qui absque commonitione fratrum recesserit et postea acta poenitentia venerit, n n
ent in ordine suo absque majoris imperio (S. Pach., Reg., cxxxvi).
♦S*
COJIMK.vr.UKE SL'it LA REGLE DE SAINT BENOIT
loin préparée. cette peine lui semble peu définitive. Ah ! l'admirable et
excessive charité ! Et comme toute considération cède au souci d'arracher
une âme Λ sa perte ! Le frère est sorti une première fois : il eut accueilli A
son retour. Il sort de nouveau : il sera accueilli encore, aux condition·· de
sa première rentrée; de même, après une troisième sortie : »/.*7»^ tertio
recipiatur (1). Mais qu’il sache que dorénavant toute voie de retour lui
sera fermée. Aussi bien, il faut en finir; et la part de la miséricorde a
été largement faite; il ne convient pas quo cos alléei et venues
deviennent un jeu pour l'infidèle et un trouble pour la communauté;
il n’est pas opportun de favoriser l’instabilité, préchémcnt combattue
p.ir N. B. Père.
Et pourtant, dans certains monastères, Λ Cluny par exemple, on rcce
vait le pénitent après un plus grand nombre d’e. ai · infructucux. Et un o
persuadait obéir ainsi A la vraie pensée de saint Benoît. On remarquait,
avec plus de subtilité que de justesse. que le texte portait exactement :
le moine sorti plus de trois fois saura que le retour au monastère lui e t
interdit. Oui, disaient les commentateurs, le moine expulsé le aura;
c’est une menace; il n’a pas droit À un quatrième pardon. Mal· l’Abbé,
lui, peut savoir autre chose; et s’il est vrai que la porte est fermée au
moine, l’Abbé peut néanmoins la lui ouvrir encore. Pierre le Vénérable
lui-même avait recours à cette ruse aimable d'interprétation en plai
dant près de saint Romani la cause de l’indulgence clunisiennc. Il
s’appuyait principalement d’ailleurs sur de preuve- plu · s· dides : On
voulait donc, disait-il, introduire dan? le monde un nouvel Evangile et
opposer une digne à la miséricorde? Que devenaient des affirmations
telles que celle du Seigneur à saint Pierre : Domine, quer4ies peccabit in
me frater meus, et dimittam ci? usque
— [K~il dit .h >n ne r->rupk pas
au nombre des trois ccraeils celui qu’a reçu le moine Lr qu'il
t phi ;·τ.»·» pour la
première fois au monastère, en quittant le siècle. — Le» édition» cri'
portent :
UfpiC tertio ita raiput!nr.
(2) Petri Vexer, Episl., L I, ΕΓ, XXVIII. P. L, CLXXX1X, 127.
CHAPITRE XXX
i (OLMI.NT IL FAUT CORRIGER LES ENFANTS EN BAS ACE
PIERIS MINORI AETATE, QUALITER CORRIPIANTUR. —
Ginnis actas vel intellectus proprias debet habere
mensuras, bicoque quoties pueri, vel adolescentiores
aetate, aut qui minus intelligore possunt quanta
poena sit excommunicationis, hi tales dum delin
quunt, aut jejuniis nimiis affligantur, aut acribus
\?rb(*ribus coerceantur, ut sanentur.
De
De même que 1·· châtiments doivent être gradués selon les fautes, de
même ib doivent être proportionnés à l’âge, à l'intelligence et à l’éduca
tion do chacun. Saint Benoît l'a noté déjà au chapitre do l’Abbé et au
ur ce qui est de l'intelligence, mais sans faire mention
chapitre XX ΠI
explicite de l'âge. Il n’était pas inutile de rappeler, en terminant la
section du code pénal, que plu-icurs do ses dispositions ne convenaient
aucunement à des enfants. Chaque âge et chaque intelligence doit
avoir - a mesure spéciale », ses procédés de correction : tel est le prin
cipe général. Et N. B. Père en fait aussitôt l’application à trois groupes
de personnes : les enfants, les adolescents, les esprits bornés ou peu
élevés.
. 1 ni
C’est sans doute à dessein que la Règle ne fixe ni la limite de l’enfance,
ni celle de l’adolescence : la pleine responsabilité et le juste discernement
ne venant pas chez tous au même âge. Saint Benoît décidera plus loin
(lu chapitre I.XX) qu’on ce qui concerne la surveillance extérieure, le
régime de l'enfance, do la puerilia, doit cesser après quatorze ans
ri vulus, c’est-à-dire à l’âge où les petits Romains quittaient ordinairement
la toge prétexte. L’adolescence, selon saint Isidore (et c’est lui que
semblent suivre on cette question les commentateurs), durait jusqu’à
vingt-huit ans. Mais il est clair que la plupart des moines pouvaient être
Fournis à toute la discipline régulière longtemps avant cette échéance.
Saint Benoit parle sans distinguer des enfants et des plus jeunes religieux :
•6i
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
*
il demande qu’on traite par un régime spécial et identique tous ceux
chez qui prédomine l’élément animal.
Le premier principe, en matière d’éducation, est de prendre les hommes
par où ils sont saisissables : par l’intelligence, s’ils en ont : par la sensi
bilité, si l’intelligence n’a pas encore un développement suffisant Or.
qu'est-ce que l’enfant? Un petit être, riche d’avenir sans doute, mais
chez qui ne se révèlent guère présentement que les phénomènes de la vie
animale. Nous le remarquions à propos du chapitre II. c’est par les
friandises, le pain sec et le fouet qu’on lui apprend l’alphabet de la < 011:1cience, la distinction du bien et du mal. L'excommunier Ferait de la
cruauté et delà sottise ; et on n’emprisonne pas sériem ement île- enfant.- !
Chez l’adolescent, il y a déjà de l'intelligence, mais aussi l’orgueil de cette
intelligence qui s’éveille; il y a do la conscience, mais en même tempi
des passions grossières ou violentes; ce n'est plus le sommeil, <<.mmo
chez l’enfant, c’est la révolte. A côté enfin de ces deux groupe.·, il faut
ranger celui qui demeure un enfant toute sa vie, qui n’a rien dans son
âme pour tenir en échec les pou. ées de l’instinct. (’e’ui-là e t peu
apte à comprendre, répète saint Benoit, toute la portée do cette peine
morale qu’est l’excommunication.
Lorsque de telles trempes tombent en faute, c’est donc au corps qu’il
faut s’adresser, soit pour le réprimer, soit pour l’affaiblir. On l’affaiblira
par des jeûnes sévères (ntmïû no peut signifier, dans la pensée de saint
Benoît, excessifs et indiscrets); on réprimera ses audaces par des coups
bien appliqués, üt sanentur : on arrivera ainsi à établir la vraie santé
morale, c’est-à-dire le jeu ordonné et tranquille de toutes les énergies,
l'équilibre et l’harmonie des forces physiques et spirituelles : J/etis sana
in corpore sano.
CHAPITRE XXXI
DU CELLÊRIER DU MONASTÈRE
Nous entrons, avec le chapine XXXÏ, dans cette subdivision de la
Règle qui est relative au fonctionnement et au régime matériel du
monastère. La communauté a des biens; elle travaille et possède des
in-tntments de travail ; elle doit vivre et se nourrir. Tout ceci constitue
un département considérable, qui est confié à la sollicitude immédiate
ou médiate de celui que saint Benoît appelle « le céllérier du monastère »,
et que d’autres Règles r ] peEent le proviseur, le procurateur, ou,
comme Cassien, l'économe, celui qui « préside à la diacorde (1) ». Chez
les anciens, le eeWonrs était le serviteur sûr qui avait la garde du cellier
et de l’office, et qui distribuait les vivres aux esclaves. Mais chez saint
Benoit, comme chez saint Pacôme et un peu partout chez les moines,
c’est toute l’administration du temporel qui repose sur le cellérier.
A retendue du chapitre qui lui est consacré, à la nature des vertus qui
sont i<ée· de lui, à la variété des recommandations qui lui sont faites,
il est facile de mesurer l'importance que N. B. Père attache à sa charge.
— Panni les sources de ce chapitre on peut signaler spécialement le cha
pitre xxv de la Rtgle Orientale (2).
— Cellerarius mona
sterii eligatur de congregatione sapiens, maturus
moribus, sobrius, non mullum edax, non elatus,
non turbulentus, non injuriosus, non tardus, non
prodigus, sed timens Deum, qui omni congregationi
sil sicut paler.
De
cellerario
monasterii.
Le celléricr sera élu, choisi, par l’Abbé, sans aucun doute, puisque
c’est à l’Abbé que saint Benoît remet le soin de pourvoir à l’organisation
(1) Conlat. XXI, 1 ; Inst., V, xl.
(2) Cf. S. Basic , Rcg. contr., exi, exn, exin.
-’65
SM
COMMENTAIRE SUR LA REGLE DE SAINT BENOIT
hiérarchique du monastère; mais, comme il s’agit d’une affaire grave et
qui intéresse la communauté entière, l’Abbé prendra l’avis, sinon de
tous les frères, du moins des plus prudents (chap. LXV). Le cellérier
sera choisi du sein de la communauté : il est trop clair en effet que confier
la gestion des biens monastiques à une personne de l’extérieur serait tout
à la fois désobligeant pour la communauté ainsi évincée, et périlleux pour
la personne investie elle-même. Et puis, ne faut-il pas que lo monastère
soit administré monastiquement? Un séculier serait peut-être plus habile
et plus au courant des affaires : mais il pourrait précisément ne voir
que le côté affaires ct ne pas donner à toutes choses l’importance qu’elles
ont par rapport à Dieu. Il y a de bonnes affaires que nous devons mépriser
et de mauvaises que la charité nous commande. Seuls, les fils de la
maison comprennent ce qui convient à la dignité du foyer domestique ;
et seul, un frère peut faire passer l’âme de ses frères avant les intérêts
temporels. Enfin, le travail manuel et les différents offices qui s’y rap
portent sont trop mêlés à la trame de notre vie pour relever d’un
étranger. Tout cela est exact; mais N. B. Père veut peut-être dire sim
plement qu’on choisira parmi tous les frères celui qui possède l'ensemble
complexe des qualités requises.
Saint Benoît énumère les vertus du cellérier avec un soin extrême. Et
l’on s’explique bien de telles exigences. La vie monastique n’est que
paix et sécurité ; chacun vit tranquille, insoucieux des choses matérielles
et sans relations avec le dehors. Il est pourtant dans la maison trois
ou quatre hommes dont, l’existence est confisquée pour le bien de tous,
qui échappent à cette sérénité de prière et de recueillement, et que
leur chaige même constitue dans le péril afin d'en préserver les autres :
l’infirmier et l’hôtelier, le cellérier et l’Abbé. Le cellérier. dit saint Benoît,
doit être un homme « sage », c’est-à-dire avisé et prudent, capable de
regarder plusieurs choses à la fois et de tenir compte de chacune dans
ses décisions : la sagesse est cette science haute qui peut juger et ordonner,
à raison même de son éminence. Il sera de mœurs graves : maturus
moribus. Son âge, sa gravité innée à défaut de l’âge : aetas senectutis, vita
immaculata, le garderont des dangers intérieurs et extérieurs. Sobrius (1),
non mullum edax (2) : il est à la tête de tout le sendee matériel et distribue
les provisions ; il ne faut pas que cette situation lui crée la tentation
de s’offrir un confort mondain, de s’accorder dans le boire et le manger
des privilèges qui dégénéreraient bientôt en gourmandise. Peut-être ce
conseil avait-il une opportunité spéciale dans un temps où les mœurs
barbares portaient aux excès; aujourd’hui nous donnerions plus volon
tiers à l’Abbé le conseil de prendre un cellérier qui mange et qui boive !
(1) CL Calmet, in h. L
(2) Reg. I SS. Patbum. xn :... Qui cellarium fratrum contineat. Debet talis tantum
modo eligi, qui possit in omnibus gulae suae suggestionibus dominari.
DU CELLÉRIER DU MONASTÈRE
S«7
Il y aurait danger, en effet, à con fier leservice alimentaire delà communauté
soit à un ascète, à un moine qui vit à très bon marché et demeure en deçà
de la mesure ordinaire et moyenne, soit à un moine qui vit d’exceptions et
ne partage pas le régime de tous. Le premier est incapable d’apprécier ;
sa mesure est trop courte : car il est dans la nature de chacun de se
prendre pour type, et nous sommes facilement impitoyables pour des
souffrances que nous n’éprouvons pas. Et la conséquence inévitable de
cette situation, c’est le murmure, c’est l’incapacité pour plusieurs défaire
face au travail essentiel de leur vie. Ou bien c’est le régime des excep
tions s’étendant de proche en proche sur tout le monastère.
Non elatus : il ne sera pas orgueilleux. Il n’est pas douteux que sa
charge ne lui fournisse une occasion de superbe. La réunion de nom
breux sendees en sa main, la dépendance de tous vis-à-vis de lui, l’habi
tude même que prend sagement l’Abbé de ne garder rien par devers soi
et de recevoir lui-même du cellérier : cette subordination universelle
peut devenir insensiblement une tentation. Non lurlmlenlus : il ne sera
pas turbulent ni brouillon ; il sera l’homme du sang-froid et de la paix.
L’humeur turbulente et fantasque est fâcheuse partout : elle le serait très
spécialement chez celui qui porte des responsabilités si graves. Non
injuriosus : Λ ne sera pas porté à l'injure’.l’impatience y conduit si vite!
Et plus grande est la variété des intérêts auxquels il doit aviser, plus
résolu aussi doit être son calme. Ajoutons que cette sérénité suppose
chez le cellérier l’union constante avec Dieu et qu’elle ne saurait
venir du seul tempérament. C’est à lui surtout qu’il convient de
redire la parole du psaume lxxv : Et factus est in pace locus ejus et
habitatio ejus in Sion. 11 ne sera point lent, porté au retard par avarice
et lésinerie, ou par nonchalance naturelle, von tardus : les affaires dont il
est chargé réclament d'ordinaire la promptitude. Non prodigus : il ne con
vient lias qu'il soit prodigue, qu’il y ait chez lui des goûts exagérés de
dépense, Même, on lui pardonne: a d’être un peu regardant, un pena serré»,
ct de devenir ainsi le frein régulateur de mille besoins factices. En tout cas,
il a le devoir d’être curieux, de se rendre compte, de ne pas donner à
l'aveuglette tout ce qu’on lui demande, pour un voyage, pour un achat
quelconque. C’est « la crainte de Dieu » qui dirigera toutes ses démar
ches, qui dictera toutes ses décisions. Et, dans le domaine des choses
temporelles, que le cellérier « soit comme un père pour toute la
communauté », non un homme d’affaires, un intendant grincheux ou
insouciant.
Curam gerat de omnibus : sino jussione Abbatis
nihil faciat. Quae jubentur, custodiat : fratres non
contristet. Si quis autem frater ab eo forte aliquid
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
irrationabiliter postulat, non spernendo eum con
tristet, sed rationabiliter cum humilitate male petenti
deneget. Animam suam custodiat, memor semper
illius apostolici praecepti, quia qui bene ministraverit,
gradum bonum sibi acquirit.
Jusqu’ici, N. B. Père a énuméré rapidement les qualités qui motivent
le choix d’un celléricr. II parle maintenant de ses devoirs, en général :
il décrit son attitude devant l’Abbé, puis devant les frères, et il ajoute
enfin ce qu’il doit être pour lui-même. Curam gerat de omnibus. Constituer
à l’état indépendant et simplement juxtaposé les services matériels
d’une communauté, ce serait s’exposer au désordre, à la dilapidation,
aux rivalités, aux négligences. Un seul ne fera donc pas toutes choses par
lui-même : mais chaque chose ne se fera et ne se fera bien qu’à la condi
tion d’une direction générale unique. Elle appartient au cellérier. Rien
ne sera excepté de sa vigilance. Il s’occupera de tout ; pourtant, ajoute
saint Benoît, il ne fera rien sans l’ordre de l’Abbé ; sa sollicitude s’exer
cera dans les limites de son obédience : quae jubentur custodiat. Évidem
ment, dans les affaires matérielles et financières, l’Abbé inclinera tou
jours beaucoup vers la pensée de son celléricr, puisque, mieux que tout
autre, il est au courant de tout et compétent. Mais, enfin, il reste que
l’Abbé est responsable; c’est de lui que viennent les décisions. Après
avoir ramené aux mains du cellérier la variété des sendees, saint Benoît
veut que ces services et le cellérier qui les dirige demeuient, en défi
nitive, dans la main de l’Abbé.
Il ne contristera point les frères (1). Voilà bien l’un des problèmes
les plus épineux de sa charge. Si toute demande était justifiée et discrète, ■
si la fonction du cellérier se réduisait à accorder toujours, il ne serait
nul besoin d’avoir affaire à un homme judicieux et sage. Mais il faut
savoir refuser à qui demande sans raison ou sans opportunité. Sans
doute,le rôle du cellérier est simplifié parce fait qu’il ne donne rien que
sur une permission expresse ou tacite de l’Abbé : mais, dans les attribu
tions ordinaires de son office, il lui reste encore matière à appliquer le
spirituel conseil de N. B. Père. On vous demande ce qui n’est pas rai
sonnable? Sachez le refuser raisonnablement, c’est-à-dire en expli
quant votre refus, simplement, humblement, avec douceur, sans raillerie
injurieuse; de telle sorte que, ni dans le fond, ni dans la forme, le frère
qui demande indûment ne puisse accuser l’impatience ou le parti pris. Il
y a une manière de donner qui double le bienfait : il y a aussi une manière
(1) Ne contristes fratrem tuum, quia monachus es (Verba Seniorum i Vitae Patrum,
III, 170. Rosweyde, p. 526),
DU CELLÉRIER DU MONASTÈRE
ÎW
de refuser qui adoucit le refus : trouver cette manière est affaire de tact
surnaturel (1). Tout est calculé par saint Benoît de façon à conjurer
le murmure, à ménager Ira âmes, à épargner àΓ Abbé era causes difficiles
que le moine contristé porte tout naturellement à son tribunal. Le
cellérier doit être aimable. L’idéal n’est point qu’il passe dans la commu
nauté pour un hérisson, qui se met en défense dès qu’on l’approche,
parce qu’il pressent de quoi on va lui parler. Si l’on rat obligé de prendre
son cœur à deux mains pour lui demander quoi que ce soit, et qu’on ne
se détermine à l’aborder qu’à la dernière extrémité, la pauvreté monastique
court grand risque : car, pour éviter tira rapports pénibles, les frères seront
fort tentés de se pourvoir eux-mêmes du nécessaire et bientôt du superflu.
Animam suam custodial. C’est Vindication des devoirs du celléricr
envers lui-même. Il gardera son âme contre la dissipation qu’apportent
nécessairement le souci des choses matérielles et Ira relations assez fré
quentes avec le monde. Il doit être plus intérieur et plus moine que ses
frères. Et plus la nature de ses occupations l’entraîne au dehors, plus
il doit se replier vers son centre et vers Dieu, afin d’échapper à l’émiette
ment et à la sécheresse. Tel rat le sens donné habituellement aux paroles
de saint Benoit ; il rat exact. On pourrait cependant préciser davantage,
en considérant le motif qui accompagne ici le conseil : le cellérier se sou
viendra de la récompense promise. Les mots animam suam custodiat
rappellent la formule évangélique : In patientia vestra possidebitis animas
vestras (Luc., χχι, 19) ; garder son âme, posséder son âme, c’est tout
un. Peut-être n’cst-ce pas seulement par la dissipation, mais encore
par l’impatience et par l’ennui que le cellérier rat exposé à laisser
son âme lui échapper. La tentation est grande, et de tous Ira jours, et
de tous Ira instants, et elle dure des années : car le celléricr entendu
rat une perle que l’on garde jalousement. Sa vie ne lui appartient plus;
il se forme une inconsciente conspiration de tous contre sa paix ; il est
le plus livré aux petites importunités et aux petites irritations des
frères. Et s’il a le goût des choses de l’intelligence et de la piété, on devine
au prix de quelle abnégation héroïque s’achètent la paix et la sécu
rité de tous. Le celléricr, lui, ne devra pas regarder à sa fatigue, à son
sacrifice, à sa servitude, mais se souvenir seulement de ce que l’Apôtre dit
des diacres qui accomplissent leur office avec soin : Qui bene ministra
verint, gradum bonum sibi acquirent, et multam fiduciam in fide quae est tn
Christo Jesu (I Tim., in, 13) (2). Dieu rat juste. Sans aucun doute, il fera,
dans les mérites d’une communauté, la part large à ceux dont le dévoue-
1
(1) Supplicem nullum spernas, et cui dare non potes quod petierit, non rum spernas :
si poles dare, da; si non potes, aflabilem le praesta (S. Avo., Enarr. I m Psoi. cm,
19. P. L., XXXVII, 1351).
(2) La Irc Règle des SS. Pères disait, clic aussi : Sludcre debet qui huic officio depu
tatur, ut audiat : Quia qui bene ministraverit, bonum gradum acquirit; et animae suae
lucrum facit (xn).
«70
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT RENDIT
ment permet à cette communauté de servir tranquillement le Seigneur.
Le gradus bonus ici promis n’est pas « de l’avancement », au sens mon
dain : c’est une meilleure situation dès maintenant près de Dieu et dans
l'éternité.
Infirmorum, infantium, hospitum, pauperumque
cum omni sollicitudine curam gerat, sciens sine
dubio, quia pro his omnibus in die judicii rationem
redditurus est. Omnia vasa monasterii cunctamque
substantiam, ac si altaris vasa sacrata conspicial.
Nihil ducat negligendum : neque avaritiae studeat,
neque prodigus sit, aut exstirpator substantiae mo
nasterii : sed omnia mensurate faciat, et secundum
jussionem Abbatis sui.
La Bogie, entrant davantage dans le détail de la charge du cellérier,
spécifie les objets privilégiés de son attention et détermine le vrai carac
tère de sa gestion. Les malades et. les enfants du monastère, les hôtes
et les pauvres qui s’y présentent .-tous ceux-là ont un titre particulier aux
bons traitements et à la générosité du cellérier. C’est sur lui que comptent
l’Abbé et la communauté pour exercer les œuvres de miséricorde que
l’on attend surtout d’un monastère. Et, afin d’éveiller sa sollicitude,
saint Benoît le traite comme l’Abbé : il le prend par la conscience, il lui
rappelle qu’au jour du jugement il devra, sans nul doute, rendre raison
de chacun de ses actes.
Tous les outils et ustensiles du monastère, tous ses biens, immobiliers
ou mobiliers, qu’il les considère et qu’il les traite comme s’il s’agissait
des vases sacrés de l’autel. L’expression est forte ; elle paraît meme
exagérée. Et pourtant elle est commune aux anciennes Règles monas
tiques. A la question : Quomodo debent hi qui operantur, curam gerere
îerramentorum, vel utensilium eorum, de quibus operatur? saint Basile
répond : Primum quidem sicut vasis Dei, vel his quae jam Deo consecrata
sunt, uti debent. Deinde tanquam qui non possint sine ipsis devotionis et
studii sui emolumenta consequi... Is qui contemnit, velut sacrilegus judi
candus est; et qui perdidit per negligentiam, et ipse simile crimen incurrit :
pro eo, quod omnia quae ad usus sercorum Dei deputata sunt, Deo sine
dubio consecrata sunt. On retrouve le même enseignement dans la
Ire Règle des SS. Pères et dans Cassien (1). Au fond, et quoi qu’il en soit
Π) S. Basil., Jtcg. amir., cm, civ. — Reg. I SS. Patrum,
Imi., 1/, xix, xx.
■·
xit.
— Cass.,
DU CELLÉRIER DU MONASTÈRE
871
des dispositions légales qu'aient dû prendre 1«? communautés en face
d’un pouvoir civil spoliateur et incroyant, le seul vrai propriétaire des
biens monastiques est Dieu ; ce n’est ni un ou plusieurs religieux, ni
la communauté elle-même. Personnes et choses, tout appartient à Dieu.
Ce que fait la consécration pour les vases de l’autel, la profession et l’af
fectation au service du Seigneur le réalisent pour les moines et pour les
biens des moines. Et c’est peut-être cette qualité des biens monas
tiques, plutôt que leur valeur réelle, qui les signale à la rapacité
des ennemis de Dieu. Pour nous, il faut qu’une pensée de foi règle l’usage
de ressources qui sont à Dieu, dont il nous a concédé paternellement
la jouissance et confié l’administration. Ni l’Abbé, ni le cellérier ne
peuvent, sans humilier Dieu et sans le frustrer, aliéner ces biens ou les
gaspiller; la conscience leur défend même d’en abandonner une part
à des revendications iniques, dans le dessein, d’ailleurs bien humain, de
posséder pacifiquement le reste. On peut les leur prendre : ils ne peuvent
ni les donner, ni les distraire.
Nihil ducat negligendum... Puisque tous les biens meubles et immeubles
du monastère sont la propriété de Dieu, le cellérier n’en traitera aucun
avec négligence. Il n’y a pas de petites économies, dit-on : mais ce n’est
pas d’économie qu'il est question, c’est seulement de respect et de
fidélité surnaturelle. Ici. la négligence
aurait facilement malice de sacriO O
lège. Neque avaritiae studeat : saint Benoît veut prévenir, par cette
remarque, les illusions d’un cellérier qui détournerait la recommandation
précédente dans le sens de son égoïsme. Le désir d’amasser et de garder,
irréalisable chez les autres religieux, est possible chez lui. L’habitude
de manipuler de l’argent, la nécessité d’une gestion habile et de l’épargne,
avec peut-être une pente naturelle à l’excessive économie : tout cela
pourrait à la longue, et l’âge aidant, constituer chez un homme qui a
renoncé à la propriété pour lui, le type d’un propriétaire pour l’intérêt
prétendu de la communauté. De quelle ingénieuse diplomatie peut s’en
velopper l’égoïsme pour se satisfaire quand même et constituer le « péculat », à l’abri même du vœu de pauvreté ! On accumule, on défend
contre toute approche et contre tout usage qu’on n’agrée pas, un bien
dont on n’est pourtant que l’administrateur révocable; on constitue des
réserves sans fin, alors que les biens, comme les personnes du monastère,
s’ils viennent à dépasser une certaine mesure, doivent fructifier pour
Dieu, c’est-à-dire servir à la fondation de nouveaux centres de doctrine
et de prière.
Un autre péril est à redouter : la prodigalité, la dissipation des res
sources du monastère. Ce n’est pas un spectacle édifiant que la banque
route des maisons religieuses, et il ne convient pas qu’elles gémissent
sous un passif considérable. Nous l’avons déjà remarqué, une certaine
aisance est nécessaire à la pauvreté religieuse ; il ne faut jamais qu’un
£73
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
moine soit porté, par la détresse trop connue de la maison, à se pourvoir
lui-même, à quémander de-ci de-là, à importuner et à gêner parents et
bienfaiteurs. Et tout est à craindre, si le cellérier est un brasseur d’affaires,
porté aux acquisitions grandioses, aussitôt reconnues inutiles et liquidées
avec perte ; s’il est friand de toutes les actions minières, do toutes les
émissions lointaines ; s’il est bâtisseur incorrigible. Plutôt que de s’aban
donner à l’avarice ou à la prodigalité, qu’il fasse donc tout, souhaite
N. B. Père, avec mesure, se maintenant à distance égale de l’un et do
l’autre écueil. Et, pour être sûr de ne pas condescendre à ses goûts et à
son tempérament, qu’il tienne l’Abbé au courant de sa gestion, qu’il
suive en tout les ordres et la pensée de son supérieur: celui-ci n’a pas
le droit de se dérober.
Humilitatem ante omnia habeat, et cui substantia
non est quae tribuatur, sermo responsionis porri
gatur bonus, quia scriptum est : Sermo bonus super
datum optimum.
Saint Benoît a parlé d’une façon générale et théorique des qualités
et des devoirs du cellérier ; il l’envisage désormais dans l’exercice réel
et concret de son office, pour souligner à nouveau l’attitude qu’on attend
de lui devant l’Abbé et devant les frères. « Avant toutes choses, qu’il ait
l’humilité. » Pour faire face aux difficultés spéciales de sa charge, le cellé
rier doit être, nous l’avons dit, plus moine que les autres : il doit donc
posséder, établie plus profondément et plus fortement dans son âme,
la vertu qui fait les moines : l’humilité. On a défini celle-ci : la soumis
sion à Dieu et à toute créature pour l’amour de Dieu ; nous dirions aussi
volontiers : l’adhésion tranquille et constante à Dieu. C'est par l’assiduité
de cette union que le cellérier s’épargnera mille maladresses et épargnera
au prochain bien des petites meurtrissures. Et, une fois de plus, saint
Benoît est admirable d’industrie spirituelle ; au lieu de décrire par le
menu les procédés et les moyens de détail qu’appliquera le cellérier, au lieu
de lui faire une tête, il fait son éducation par le dedans, il lui fait une âme.
L’humilité du cellérier se traduira spécialement, dit la Règle,
dans sa manière de refuser aux moines ce qu’il ne peut ou ne doit
pas leur accorder. Il se souviendra qu’il est leur frère et leur égal,
leur serviteur plutôt que leur maître, et que ce ne sont point des
biens à lui, des grâces personnelles, qu’il leur octroie ou leur retire. C’est
cruauté que refuser avec violence ou avec mépris. Ce n’est pas l’heure
de railler lorsqu’on est obligé de faire souffrir. C’est chose si bonne que la
bonté! Cela coûte si peu, une parole de regret, une petite équivalence,
DU CELLÉRIER DU MONASTERE
S"3
une promesse, un air d’affabilité, un franc sourire! Si l’on ne peut accorder
l'argent ou l’objet demandé,« qu’on accorde du moins une bonne réponse»:
c’est à peu près ce qu’on lit dans l’Ecclésiastique (χνπι, 16-17) : « Une
bonne parole vaut mieux que le meilleur des dons ».
Omnia quae ei injunxerit Abbas, ipse babeat sub
cura sua; a quibus eum prohibuerit, non praesumat.
Pour la troisième fois, saint Benoît répète au cellérier qu’il doit se
conformer en tout aux ordres et aux indications de son Abbé : ceci
encore est de l’humilité, et c’est de l’obéissance. Les charges deviennent
légères lorsqu’on les porte avec un parti pris d’absolue docilité. Cette
troisième intimation a peut-être une signification nouvelle. Nous
disions naguère qu’il y avait un intérêt majeur à ce que tout le
fonctionnement matériel du monastère fût ramené à l’unité. Sans
doute ; mats, comme il est impossible à un seul homme de suffire
par lui-même à la variété des sollicitudes qui incombent au cellérier
d’un grand monastère, et comme il ne réunit peut-être pas toutes les
compétences, l’Abbé peut le soulager du souci immédiat de plusieurs
affaires. Parmi les cellériers, les uns auront la disposition de garder tout ;
les autres se déchargeront à leur gré : il y a détriment et danger dans les
deux cas. Et c’est pour résoudre ce problème qu’il appartient à l’Abbé
de choisir lui-même les différents titulaires des offices et de définir exac
tement V ambitus de chaque obédience. Que le cellérier prenne soin
de tout ce que l’Abbé lui aura enjoint : mais qu’il ne se mêle pas des
choses dans lesquelles on l’aura prié de ne pas intervenir. Il serait puéril
d’en appeler alors aux coutumes monastiques, de revendiquer avec hau
teur les prétendus droits de sa charge, de compulser les annales de l’Ordre
pour montrer que c’est ainsi que les choses se sont faites de toute anti
quité !
Fratribus constitutam annonam sine aliquo typo
vel mora offerat, ut non scandalizentur, memor
divini eloquii, quid mereatur qui scandalizaverit
unum de pusillis.
C’est au cellérier, nous le verrons par les chapitres qui suivent, que
saint Benoît confiait la garde et la distribution des provisions de bouche.
La Piègle déterminait ce qu’on devait donner aux moines à chaque repas ;
elle prévoyait certains cas où l’Abbé pouvait faire un peu plus large et
13
274
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
modifier la mesure du boire et du manger. C’est cetfe portion du moine
que N. B. Père appelle constitutam annonam, la part régulière donnée à
ceux qui militent sous l’étendard du Seigneur. On conçoit que, par un
souci exagéré de la richesse monastique ou par crainte d’une disette
prochaine, le cellérier soit parfois tenté de réduire ou du moins de
n’accorder qu’à regret, comme avec une sorte de jalousie et des retards
maussades, la portion fixée par l’Abbé. Nous trouvons dans la Vie de saint
Benoît le portrait d’un do ces cellériers trop consciencieux (1). Quelque
fois même, le cellérier pouvait aller jusqu’à assaisonner de certaines
réflexions désobligeantes la part qu’il était contraint de servir. N. B.
Père le met en garde contre des dispositions qui blesseraient à la fois la
charité, l’obéissance et la vraie pauvreté monastique : sine aliquo typo
vel mora offerat (2). Les refus, les murmures, la parcimonie amèneraient
du trouble panni les frères. Les hommes ne sont pas des anges : ils ont
besoin de manger ; les hommes ne sont pas tous parfaits, et quand ils
ont de justes sujets de plainte, ils se plaignent. La tranquillité et la
charité conventuelles sont pour N. B. Père d’un tel prix que sa parole
devient sévère et rappelle les menaces évangéliques contre ceux qui
sèment la discorde et qui scandalisent ne serait-ce qu’un seul des
petits enfants du Seigneur (Mattii., xviii, 6).
Si congregatio major fuerit, solatia ei dentur, a
quibus adjutus, et ipse aequo animo impleat officium
sibi commissum. Horis competentibus dentur quae
danda sunt, et petantur quae petenda sunt : ut nemo
perturbetur, neque contristetur in domo Dei.
Ces dernières paroles ont pour intention de revendiquer en faveur du
cellérier lui-même le bénéfice d’un peu de paix et de loisir. D’abord,
si la communauté est nombreuse, l’Abbé lui donnera des aides qui le
soulageront, de telle sorte que lui aussi puisse remplir avec une âme
égale et tranquille la charge qui lui est confiée. Mais ce qui le soulagera
plus que tout le reste, ce sera la délicate attention de scs frères à ne
(1) S. Greo. M., Dial., 1. H, c. xxvm, xxrx.
(2) Les copistes ont écrit tantôt typo, tantôt lypiho t cette dernière leçon est la meil
leure. C’est un mot grec latinisé : τΰφος, fumée, fumée de l’orgueil, arrcgance ; chez
Hippocrate : torpeur, stupeur, léthargie. Si saint Benoît avait visé ce dernier sens,
lypo tel mora seraient à peu près synonymes; mais il a voulu dire : sans arrogance,
♦Il U
cum humilitate, comme
plus haut et pour la troisième fois. Le texte de saint Benoît
rappelle ce qu’écrivait S. Augushn : Oblationes pro spiritibus dormientium... supti
ipsas memonas non sint sumptuosae, atque omnibus petentibus sine typho el cum ala
critati praebeantur (fipist. XXII, 6. P, L., XXXIII, 92).
Dü CELLERIER DU MONASTÈRE
lui adresser leurs requêtes qu'aux moments favorables ; qu’il donne d’ail
leurs lui-même en temps voulu et à des moments fixes ce qu’il doit
donner. Les frères doivent savoir attendre, saisir les opportunités, et se
demander si, à l’heure où ils se présentent, une affaire de plus haute
importance ne sollicite pas l’attention du cellérier. Ce n’est ni du savoirvivre ni de la charité que de bondir sous le premier aiguillon du besom
et de courir chez le cellérier, à toute heure de jour et de silence, sitôt
qu'une idée germe en l’esprit. Il est à remarquer que ce sont les recueillis
et les studieux qui attendent le plus volontiers et sont le plus économes
du temps d’autrui.
On pourrait donner une portée générale à la recommandation que fait
saint Benoît. Il n’est guère dans le monastère qu’un homme à qui cette
règle ne s’applique pas : c’est l’Abbé. Lui est votre chose. Vous passez
à côté de chez lui, ou bien, moyennant un petit détour, vous entrez chez
lui, n ayant rien à dire, rien à demander, mais simplement parce que le
cœur vous y incline. Vous prenez la bénédiction ; on vous congédie parce
qu’il y a surcroît de besogne, ou bien on cause un instant. C’est le privi
lège de l’Abbé de recevoir à toute heure, c’est le bénéfice de sa charge,
et les bons moines se gardent bien de l’en frustrer. Cette remarque faite,
retenons la pensée de N. B. Père : il convient que nul ne soit molesté
ni contristé dans la maison de Dieu. Nous avons été créés et mis au
monde pour être heureux. Ni les supérieurs n’ont pour mission d’exercer,
par des rebuffades voulues, la patience des moines, ni les moines n’ont
intérêt a peser outre mesure sur les épaules de ceux qui les portent.
Le monastère est « la maison de Dieu », et à ce titre la maison de la paix
et le vestibule de l’éternité : Lrbs Jerusalem beala, dictapacis visio.
1
CHA PITRE XXXI1
DES OUTILS ET DES BIENS MEUBLES DU MONASTÈRE
MONASTERH. — Sub
stantial monasterii in ferramentis, vel vestibus, seu
quibuslibet rebus, provideat Abbas fratres, de quo
rum vita et moribus securus sit : et iis singula, ut
utile judicaverit, consignet custodienda atque recol
ligenda. Ex quibus Abbas breve teneat : ut dum sibi
in ipsa assignata fratres vicissim succedunt, sciat
quid dat aut quid recipit. Si quis autem sordide aut
negligenter res monasterii tractaverit, corripiatur;
si non emendaverit, disciplinae regulari subjaceat.
De
ferramentis
vel
rebus
U est facile de voir comment ce chapitre se rattache au précédent.
De part et d’autre il s’agit des biens du monastère ; et le chapitre XXXII
nous présente quelques-uns des aides que le chapitre XXXI promettait
au cellérier.
Ce que possède le monastère en fait d’outils, de vêtements, de meubles
quelconques, l’Abbé le confiera à des frères dont il connaît la bonne
vie et les mœurs graves, et sur lesquels il puisse se reposer en toute sécu
rité. A chacun d’eux il assignera, selon qu’il le jugera à propos, un dépar
tement spécial, avec charge de veiller à la conservation et à l'entre tien
des objets afférents à chaque service ; pour qu’ils ne s’égarent pas, ils
les feront remettre, après usage, à la place accoutumée : consignet custo
dienda atque recolligenda. Ce n’est donc pas le cellérier qui se choisit des
collaborateurs; c’est l’Abbé qui les lui donne. L’un sera chargé des
instruments de travail, l’autre du vestiaire, un troisième de la biblio
thèque, etc. Le cellérier conservait la direction immédiate des choses
de l’office et de la cuisine.
Rien ne prouve que chez saint Benoît les instruments aient été dis
tribués pour une semaine seulement, et que toutes les charges dont il
DES OUTILS ET DES BIENS MEUBLES DU MONASTÈRE
277
est ici question aient changé périodiquement de titulaires, comme pour
le service de la cuisine (chap. XXXV), conformément à cette prescrip
tion de saint Pacôme : Omnia ferramenta hebdomade completa reporta
buntur in unam domum; et rursus qui succedunt hebdomade singulis
domibus noverint quid distribuant (1). Cependant, saint Benoît prévoit que
les frères se succéderont dans la garde des choses qui leur ont été con
fiées ; et comme ils pouvaient être tentés de se renvoyer l’un à Vautre le
reproche de négligence, il tient à établir les responsabilités. De tous les
objets distribués, l’Abbé, qui n’abdique pas, gardera par devers lui un état,
un inventaire, breve, afin de savoir exactement ce qu’il donne et ce qu’on
lui rend. C’est une précaution de bonne et sûre comptabilité. D. Calmet
relève avec à propos les analogies qui existent entre les dispositions de
N. B. Père et celles des agronomes latins, Columelle et Varron.
Dans la troisième et dernière phrase de ce chapitre, N. B. Père pro
nonce qu’un châtiment sera infligé à ceux qui traitent avec négligence
ou malpropreté les meubles du monastère : la réprimande et, si la répri
mande n’a pas de succès, l’application des différentes pénalités qui
constituent la discipline régulière. Si quis de fratribus aliquid negligenler
tractaverit, dit la Ire Règle des SS. Pères, partem se habere noverit cum dio
rege, qui in vasis domus Dei sanctificatis cum suis bibebat concubinis, et
qualem meruit vindictam (2). Dans le monde, c’est le bien-être de l'indi
vidu, le bien-être et l’honneur des siens, c’est le sentiment de la pro
priété personnelle qui portent au soin de la personne et des biens, aux
économies, à l’ordre. Aussi les enfants, parce qu'ils ne prévoient pas,
Ulli
sont-ils rarement soigneux ; aussi les communistes
et les socialistes,
qui attribuent la propriété soit à la collectivité, soit à l’État, résoudront-ils
difficilement le problème du travail et de l’épargne. Seule, la vie monas
tique a trouvé le moyen de supprimer la propriété personnelle et de
fournir en même temps au travail, à l’économie et au soin, non pas un
motif ou un excitant quelconque, mais le plus puissant de tous : la convic
tion que nous travaillons pour Dieu et que c'est aux biens de Dieu que
va notre respect. Encore est-il indispensable que ces considérations ne
demeurent pas dans les hauteurs abstraites, mais se réalisent pratique
ment dans la conduite de chacun. xMors ce n'est pas seulement le bon
ordre extérieur et l’hygiène qui bénéficient du soin scrupuleux des vête
ments, de la personne, de la cellule, des livres. des outils, de toutes choses ;
c’est encore l’âme, c’est la délicatesse de la conscience, c’est notre famille
surnaturelle, c’est Dieu même.
(1) S. Pach., Rcg., lxvi ; ci. xxv, xxvr, xxvn.
(2) C. ΧΠ. Et S. Césaire : Quae cellario sive canavae, sive vestibus, vel codicibus,
aul posticio, vel lanipendio praeponuntur, super Evangelium claves accipiant, et sine
murmuratione seniani reliquis. Si quae vero vestimenta, calceamenta, utensilia negli
genler expendenda vel custodienda putarini, tanquam interversores rerum monasteria
lium severius corrigantur (Reg. ad virg., xxx),
CHAPITRE XXXIII
SI LES MOINES DOIVENT AVOIR QUELQUE CHOSE EN PROPRE (1)
Si quid debeant monachi proprium habere. — Praecipue lioc vitium radicitus amputetur de monasterio,
ne quis praesumat aliquid dare aut accipere sine jus
sione Abbatis, neque aliquid habere proprium, nul
lam omnino rem, neque codicem, neque tabulas,
neque graphium, sed nihil omnino : quippe quibus
nec corpora sua, nec voluntates licet habere in pro
pria potestate.
C’est encore à propos du cellérier et de son office que N. B. Père nous
décrit la situation des moines en face des biens de la terre et nous dit
sons quelles conditions et dans quelle mesure ils en peuvent user. Avant
comme après saint Benoît, la pauvreté a toujours constitué une des
trois obligations essentielles de la vie religieuse ; et si N. B. Père ne fait
point émettre aux siens les vœux explicites de chasteté et de pauvreté,
c’est qu’ils se trouvent renfermés dans la promesse de garder les mœurs et
le mode de vie monastiques : conversio morum. H était admis universelle
ment que le moine est pauvre à raison même de son état ; et c’est ce
qui permet à saint Benoît d’entrer comme ex abrupto en matière pour
exclure toute propriété personnelle.
« Par-dessus tout, qu’on extirpe ce vice du monastère jusqu’à la
racine (2) »; saint Benoît l’appellera plus loin : nequissimum vitium. De
telles paroles, qui paraissent d’une énergie extrême et un peu excessive,
ne sont pourtant que prudentes. Rien n'est à négliger ici. Sans doute
la pauvreté est le côté le plus extérieur de nos engagements religieux :
alors que je donne à Dieu ma volonté par l’obéissance et mon corps par
la chasteté, il semble que par la pauvreté je ne donne que des biens
(1) C’est le titre ou plutôt l'interrogation de S. Basile : Si debet habere aliquid
p.-Dpriwn, qui inter fratres est? (Reg. eontr., χχιχ.)
(2) L’idée comme le mot est de Cassien, Conlal. XVI, vi.
SI LES MOINES DOIVENT AVOIR QUELQUE CHOSE EN PROPRE
179
extérieurs ou les droits qui s’y rattachent. Mais précisément pour ce motif
que la pauvreté est plus extérieure, elle est aussi plus menacée : de même
que les ouvrages les plus avancés d’une citadelle sont les premiers
abordés par l’ennemi. Aussi longtemps que ces ouvrages demeurent
intacts et solidement défendus, la forteresse n’a rien à craindre; s’ils
sont enlevés, les portions les plus intimes ne sont plus en sécurité, et
parfois on voit se retourner contre la place les ouvrages laborieusement
créés pour sa défense. Il est d’expérience que l’apostasie commence
presque toujours par une lésion de la pauvreté. Les infidélités se multi
plient et la conscience s’endort. On se dit : « C’est si peu de chose! on
me donnerait certainement la permission, si je la demandais ; on ne peut
pas faire entrer le Père Abbé dans ces menus détails ; et peut-être ne
comprendrait-il pas de quelle utilité me sont ces choses, et combien elles
importent à ma santé, à mes études ; tel objet m’a beaucoup servi déjà,
il est si commode, j’y suis si accoutumé : il y a prescription ». Lorsque,
sous une forme quelconque, la propriété personnelle se reconstitue, nous
ne sommes plus chez Dieu, nous so Hill es chez nous, dans nos meubles
ou bien en hôtel garni : nos relations avec Dieu se modifient à l’instant.
II y a mien et tien ; l’égoïsme reparaît, et avec l’égoïsme, les jalousies
et les conflits ; nos relations avec le prochain se modifient sur l’heure,
elles aussi. Nous rentrons dans les conditions de la vie commune et mon
daine, avec, en plus, quelque chose de vulgaire et de vil, avec l’odieux
d’une promesse violée.
Après avoir proscrit en général le vice de propriété, saint Benoît
énumère les différents actes de propriété qui sont interdits aux moines :
donner, recevoir, détenir (1) ; la réserve sine jusswne Abbalis sera expli
quée plus loin. Afin de déjouer par avance tous les petits calculs inté
ressés, d'écarter toutes les interprétations trop larges de la loi, N. B. Père
affirme avec force qu’un moine ne saurait avoir en propre absolument
rien, nullam omnino rem, pas même les menus objets, pas même lia
objets qui sont de première nécessité pour ceux qui étudient : un manus
crit, des tablettes, un poinçon à écrire. Toutes ces choses nous sont
accordées seulement ad usum, pour un usage non de droit et perpétuel,
mais de fait et révocable au gré du supérieur. Et saint Benoît répète
encore une fois : sed nihil omnino. Nous retrouverons la même disposi
tion rigoureuse au chapitre LVIII, et la remarque qui suit s’y lit égale
ment, quoique moins complète. A dater de leur profession, les moines
ne peuvent rien posséder, « puisqu’il ne leur est plus loisible d’avoir en
(1) Nous signalons une fois pour toutes, comme sources de ce chapitre, les docu
ments suivants : S. Pack., Reg., lxxxi. cvl — S. Orsiesii Doelrina. xxi-xxm. —
deg. H SS. Patrum, i. — A’ca. Orient., xxx-xxxt — S. Basil, Reg. eonlr., xxix-xxxi.
xcvin-xcrx. — S. Aug.. Epist. CCX1. 5 (P. L., XXXIII, 9G0). — Sulp. Sev., Vila
E. Martini, x (P. L.. XX. IGG). — S. Caesar., Reg. ad mon., ι-m, xv, xvi; fiej.
cul viry., passim, — Cass., dnsi., IV, xiu.
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SSÛ
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
leur pouvoir ni leur corps, ni leur volonté (1)». Quelle est au juste la
pensée de N. B. Père? Voudrait-il insinuer que, puisque le profès a donné
sa personne à la religion, il doit lui être beaucoup plus facile de consentir
à l’abandon de ses biens, extérieurs à lui. et d’un moindre prix que luimême? Veut-il noter simplement que la désappropriation doit être bien
radicale < puisque le profes no dispose même plus de son corps, ni de sa
volonté »? Il nous semble que les paroles de saint Benoît ont ici une valeur
de droit, une portée formelle et topique. Les biens qui, de soi, sont sans
attribution ne deviennent nôtres que moyennant doux actes : l’un do
notre volonté positive, car nul ne peut être propriétaire malgré lui, et
même pour un héritage, l’acceptation est requise ; l’autre de notre corps,
qui occupe le bien et l’adjuge, par voie de travail ou par un procédé
extérieur quelconque, à la personne même. Si l’un ou l’autre de ces
deux éléments fait défaut, et à plus forte raison s’il n’y a ni volonté
intérieure, ni occupation extérieure, la propriété n’existe pas. Or, aux
yeux de saint Benoît, c’est précisément le cas du moine : il est inhabile
à posséder, puisque son corps et sa volonté, instruments nécessaires
d’une attribution personnelle, ne lui appartiennent plus.
Est-ce à dire que la profession rend le religieux radicalement incapable
d’acquérir et d’exercer aucun acte de propriété quel qu'il soit? Pour
bien saisir la question, il faut se rappeler d’abord que, dans la législation
actuelle de l’Egiise, les vœux sont simples ou solennels. Le vœu simple
de pauvreté laisse au religieux la nue propriété de ses biens, mais ne lui
abandonne l’administration et le domaine utile que sous la direction de
son supérieur : la volonté du moine a besoin d’être habilitée par celle
de son Abbé, Avec le vœu solennel, la situation est différente. La solen
nité du vœu consiste très précisément dans l’intervention même du
Souverain Pontife : le vœu est censé émis devant lui, accueilli par lui ;
dès lors, il n’est plus dispensable que par lui : puisque le caractère
commun de toute cause portée à Rome et dans laquelle Rome est inter
venue, même sous forme incidente, est d’être soustraite ipso facto à
toute juridiction inférieure. Un profès de vœux solennels perd à la fois
la nue propriété et l’administration de ses biens : il peut cependant être
habilité par le Saint-Siège à accomplir de véritables actes de propriété,
nonobstant son vœu et sans le rompre, comme le prouvent certaines
(1) Qui seipsum el membra sua tradidit in alterius potestatem propter mandatum
Demini (S. Basil, Reg. conlr., oti). —iVe sui quidem ipsius esse se dominum vel
p,l°s!alem habere cognoscat (Cass., Inst., II, in). — Voir aussi S. Macar.. Reg., xxrv,
— Noos lisons dans les Constitutiones memast., c. xx (inter opp. S. Basilii. P. G.,
AXXI. 1393) : Tu autem mortuus es, et loti mundo crucifixus. Rejectis enim terrenis
diithis amplexus es paupertatem; et cum te ipse dicasti Deo, Dei jactus es thesaurus... Nihil
omnmo y.ssidenx, nihil habes quod largiaris. Imo etiam cum ipsum corpus obtuleris cl
dc. al-.ro v.e illius quidem potestatem habeas, tamquam quod res sit Deo consecrata, libi
ej i non iicet ad humanum usum,
SI LES MOINES DOIVENT AVOIR QUELQUE CHOSE EN PROPRE
Î8I
décisions apostoliques du dix-huitième et du dix-neuvième siècle. En
certains cas, ΓÉglise a autorisé des religieux à attester sous serment,
devant les tribunaux civils, la réalité de leur propriété. Us ne cessent pas,
pour autant, d’être pauvres, puisque, même alors, ils ne sont proprié
taires que dans les limites de l’obéissance et par la volonté du Souve
rain Pontife. Nous ne saurions donc affirmer sans réserve que la proie sion solennelle entraîne après soi incapacité absolue et définitive de
pesséder.
J *■·Aussi bien, même sans faire intervenir dans le débat les cas extraordi
naires et les dispenses, il est exact et il est prudent de soutenir que,
d’une façon générale, le profès de vœux solennels demeure toujours
capable d’acquérir réellement, que Vanimus domini peut exister réelle
ment en lui. Le court axiome canonique qui règle la question nous le dit
deux fois : Quod monachus acquirit, monasterio acquirit. 11 acquiert, et il
acquiert pour le monastère : par son travail, par donation, par héritage,
par succession. Il est incapable d’acquérir pour lui in proprietate : mais
il acquiert pour le monastère auquel il appartient. Son union, son incor
poration au monastère est à ce point parfaite, que, sauf affectation
définie en temps utile, le monastère hérite aussitôt de tous les biens qui
viennent aux mains du moine. Il ne faudrait pas considérer comme
condition idéale de l’ordre monastique le système de la « mort civile »,
qui s’est introduit en France au cours du quinzième siècle. Les religieux
étaient comme rayés du nombre des vivants aux points de vue actif
et passif ; tout legs, au lieu de passer à eux et au monastère, allait de
droit à leurs héritiers. C’était une iniquité, une précaution abusive
contre l'extension exagérée de la mainmorte, une disposition socialis'e
supprimant la propriété par voie d’autorité publique, un prélude à la
spoliation du dix-huitième siècle. On a cru reconnaître dans les lois de
Justinien la théorie de la « mort civile » (1) ; mais une lecture atten
tive montre que ces lois sanctionnent au contraire l’attribution îu
monastère des biens du religieux et autorisent même le testament
en certains cas. Saint Grégoire le Grand (2) a cité ces lois et s’est
appuyé sur leurs décisions en ce qu’elles avaient de chrétien et d’équi
table; rien ne prouve qu’il ait voulu leur conférer une autorité ecclé
siastique.
(1) Ingressi monasteria, ipso ingressu se suaque dedicant Deo; nee ergo de his testantur,
utpote ncc domini rerum. —Si qua mulier aut vir, liberis non exstantibus, monasticam
vitam elegerit et monasterium intraverit, monasterio quod intravit, res ejus competere
jubemus (Codex Justiniani, 1. I, tit. II, tn aulhenl. de monachis; — in authent. de
sanctiss. episcopis. Paris, 1550, coi. 43, 45). Cf. Ant. Perez, Praelectiones ί« XII libros
Codicis Justin., t I, p. 3 sq.
(2) Epist., 1. IV, Ep. VI; 1. IX, Ep. VII, Ep. CXIV. P. L. LXXVII, 672-673,
945-947, 1044-1045. Voir l’édition Ewold et Hartmann, M. G. II. : Epist., t. I,
p. 237-238; t H, p. 185-186, 215-216.
•82
COMMENTAIRE SUR LA REGLE DE SAINT BENOIT
Omnia vero necessaria a patre monasterii sperare;
nec quidquam liceat habere, quod Abbas non dede
rit aut permiserit. Omniaque omnibus sint commu
nia, ut scriptum est, nec quisquam suum esse aliquid
dicat aut praesumat.
Saint Benoît n’a formulé jusqu’ici que des prohibitions ; il nous dit
maintenant dans quelles conditions les moines sont pourvus des choses
indispensables à leur vie et à leur état : « Bs les doivent attendre du Père
du monastère, et il ne leur est pas licite de détenir quoi que ce soit que
l’Abbé n’ait ('oané ou permis. » C’est en cela, il faut le remarquer avec
soin, que consiste la vraie physionomie de notre pauvreté. Car les pau
vretés ne se ressemblent pas toutes. Il y a la pauvreté de saint Gaëtan
et des hommes apostoliques, la pauvreté corrigée par le travail des mains,
la pauvreté corrigée par la mendicité, la pauvreté avec la possession en
commun, la pauvreté des Capucins et des Frères Mineurs de l’Observance qui ne peuvent posséder ni biens meubles, ni immeubles. Toutes
ces pauvretés sont belles ; elles ont toutes, à l’origine, une raison histo
rique qui leur a donné leur caractère propre. La conception de saint
Benoît est celle-ci : nous sommes des fils de famille ; nous formons la
famille de Dieu, nous demeurons mineurs jusqu’à l’éteniité. Nous vivons
chez Dieu, notre Père : tous les biens du monastère sont à lui, il nous
dispense les choses nécessaires ou utiles par notre Abbé, qui est son
intendant. Nous sommes pauvres, non pas précisément lorsque nous
manquons de tout et souffrons de la disette (1), mais lorsque nous n’avons
rien par devers nous que l’Abbé ne nous ait donné ou permis de con
server. L’Abbé est responsable devant Dieu de ce qu'il aura refusé, de ce
qu’il aura accordé ; chacun, d’ailleurs, doit l’aider, en réduisant ses exi
gences, à remplir ce rôle de gardien de la pauvreté (2). Il nous semble que
(1) Ce n’était pas non plus l’idéal de S. Grégoire le Grand, qui écrivait : 7?riiçiosam vitam eligentibus congrua nos oportet consideralione prospicere, ne cujusdam
■ .'cessilatis occasio aui desides faciat aut robur, quod absit, conversations infringat
(Episl., 1. Ill, Ep. XVII. P. L, LXXVII, 617 ; M. G. II. : Epist., t. I, p. 175). Et
encore : Officio pietatis impellimur monasteriis provida consideratione ferre consultum,
ne hi qui Dei servitio deputati esse noscuntur necessitatem aliquam possint, quod avertat
Dominus, sustinere (Epist, L II, Ep, IV. P. L., LXXVII, 541 ; M, G. H. : Epist., t. I,
p. 109).
(2) Nous devons nous féliciter do ce que nos Constitutions proscrivent absolument
le « pécule », c’est-à-dire tout dépôt d’argent, toute réserve testamentaire, toute rente
abandonnée à la libre disposition du moine. Même autorisée par une Règle, cette pra
tique est peu conforme à l’esprit do la vraie pauvreté monastique. L’Abbé lui-même,
ïïiïii
d'après nos Constitutions, est soumis aux exigences de la vie commune
parfaite,
SI LES MOINES BOIVENT AVOIR QUELQUE CHOSE EN' PROPRE
SS3
Ton a l'âme bénédictine quand ces principes élémentaires sont natu
rellement accueillis.
Même lorsque des biens quelconques sont mis à la disposition d’un
moine, il n’y a pas encore de propriété : ni en pensée, ni en paroles, nul ne
doit faire sien quoi que ce soit. Telle est la tradition monastique (1).
IIIH
Tout est commun
; les mêmes biens sont àl’usage de tous. C’est le commu
nisme saint, ordonné, non l’anarchie. C’est le retour, avec de la prudence
et des limitations, aux conditions de l’église de Jérusalem (Act., rv, 32).
Dieu seul possède; nous comptons sur lui; nous réalisons l’idéal que
traçait le Sermon sur la montagne. Nous ne gardons pas même un souci ;
notre liberté est parfaite. Rien ne limite et ne confisque notre activité,
comme le fait habituellement une possession quelconque : car tout pro
priétaire est esclave de sa propriété ; souvent il n’appartient plus qu’à
demi, ou moins encore, aux choses divines. Et c’est pourquoi l’âme
du religieux doit s’affranchir de tout : de toute possession matérielle, de
tout désir immodéré, de tout attachement délibéré à un bien qui n’est
pas Dieu. En soi, la richesse n’est ni bonne ni mauvaise : la pauvreté ellemême n’est bonne qu’à raison du Bien souverain dont elle nous permet
de jouir avec plénitude ; et la meilleure forme de pauvreté n’est-elle pas
celle qui conduit le plus efficacement à ce loisir de l’âme et à l’union avec
Dieu (2)? Telle que saint Benoît l’a comprise, la pauvreté monastique assure
à notre vie sa subsistance en écartant toute sollicitude; elle assure
notre dignité, notrelégitime et nécessaireindépendance ; elle assure la liberté
de notre ascension vers Dieu ; elle assure notre obéissance et notre sou
mission à l’Abbé ; elle assure notre charité fraternelle, puisqu’il n’y a plus
désormais ni mien ni tien ; elle assure notre charité envers Dieu et
notre perfection.
Quod si quisquam hoc nequissimo vitio depre
hensus fuerit delectari, admoneatur semel et iterum;
si non emendaverit, correctioni subjaceat.
N. B. Père menaee du châtiment tous ceux qui seraient convaincus
de quelque complaisance pour ce vice détestable de propriété. On avertira
le moine propriétaire une première et une seconde fois ; s’il ne s’amende
pas, on le fera passer par les degrés de la correction régulière. L’antiquité
(1) JIanc regulam videamus districtissime tiune usque servari, ut ne- verbo quidem
audeal quis dicere aliquid suum magnunique sii crimen ex ore monachi proeessisse codicem
meum, tabulas meas, grajium
/unicam meam, gallicas niras, proque hoc digna
poenitentia salisfaciurus sit, si casu aliquo per subreptionem tvi ignorantiam hujusmodi
verbum de ore ejus effugerit (Cass., Inst., IV, xm).
(2) Lire S. Thomas, Summa contra Gent,, L, III, c. cxxx-cxxxv(
.v·
SU
COMMENTAIRE SUR LA REGLE DE SAINT RENDIT
monastique s’est toujours montrée très sévèie sur ce point. Buppclonl·
nous l’anecdote des mouchoirs rapportée dans la Vie de saint Benoit (1).
Saint Grégoire le Grand raconte aussi l'histoire d'un de ses moines qui
avait caché trois sous d'or : il ne permit pas aux frères de l’assister à son
lit de mort, et il ordonna do l’enterrer dans le fumier, avec une petite
mise en scène qui impressionna vivement les religieux et provoqua un··
restitution générale de tous les objets passés par fraude, on même nvt:lièrcment, â l'usage de chacun (2). On retrouve ailleurs cette coutume de
jeter au fumier ou en terre non bénite les moines coupables du vico de
propriété (3), L’excommunication était le châtiment ordinaire. Λ Citrouix
et chez les Chartreux, elle était fulminée solennellement, le dimanche ώ·
ÛRamcaux, contre tous « les propriétair· s · (41
CHAPITRE XXXIV
Fî TOUS DOIVENT RECEVOIR EGALEMENT LES CHOSES NECESSAIRES
Si OMNES DEBEANT AEQUALITER NECESSARIA ACCIPERE.
-- Sicut scriptum est: Dividebatur singulis, prout cu:qiie
opmcral. I bi non dicimus, quod personarum (quod
absit) acceptio sil, sed infirmitatum consideratio.
Ibi qui minus indiget, agat Deo gratias, et non contri>lelur: qui vero plus indiget, humilietur pro infir
Π> S. G reo. JL, Dial. L II, e. xix.
> Dial., 1. IV, c. tv. P. L, LXX VU. 420.
• Cf. S. Hier on., RpùL XX II, 31 P. I-. XXII, 413,
Cf. AîartLse, ïn λ. L
mitate, et non extollatur pro misericordia; et ita
omnia membra erunt in pace.
Ce chapitre est le complément du précédent ; il développe et commente
la formule : Omnia · cro necessaria a paire monasterii sperare. Nous retrou
verons les dispositions de ces deux chapitres résuméesàla fin du LVe(l).
Elles sont vraiment caractéristiques de l’esprit de N. B. Père et font époque
dans l’h :to:re du monachisme. La vie religieuse commença par une
grande austérité et par Γ uniformité dans l'austérité. C’était au lendemain
des persécutions; I s âmes étaient tendues vers l’héroïsme, préparées et
comme entraînées au martvre. Dieu voulait souligner avec force l’idée
de renoncement et donner une impulsion vigoureuse au développe
ment des institutions monastiques. 11 fallait une élite et des trempes
ex pîionnellvs ; ceux qui ne pouvaient suffire à ces exigences hautaines
i< : . .: ut ou domi-.irap'nt dans la vie commune; rappelons-nous les pro
vidi- de saint Antoine pour éprouver la vocation de saint Paulle Simple.
(1) Saint Benoît s’rst souvenu de S. Augustin : Non dicatis aliquid proprium, sed
• ni i ilnj omnia communia : cl distribuatur unicuique testeum a praeposita retira
nd.i Ί
η n aequaliter omnibus, quia non aequaliter caletis omnes, sed
unicuique stmt opus fuerit. Sic mira legitis tn Actibus Apostolorum : Quia erant eis
omnia commun a ,1 distribuebatur singulis prout cuique opus erat.. Quae infirmae
sunt ex pristina
iuir, si aliter tradantur in victu, non debet aliis molestum esse,
nec injustum t ,·>/*, quas fecit alia njnsueludo fortiores. Nec illas feliciores putent, quia
sumunt qu 11, n muto
(1) Saint Benoît veut-il réellement distinguer entre les semainiers de la cui
sine et les servants de table, lorsqu'il écrit, au chapitre xxxvin, que le lecteur prendra
son repas cum coquinae hebdomadariis et sermtoribus? Les serviteurs sont plutôt
les frères donnés comme aides aux semainiers en titre.
(2) La principale source de ce chapitre est le chapitre xix du livre IV des Institu
tions de Cassien,
-— ·
ÎS8
DES SEMAINIERS DE LA CUISINE
189
charité. Ils imiteront ainsi le Seigneur, qui déclarait n’être venu dans ce
inonde que pour servir : ministrare, non ministrari. Cassien nous raconte
qu’en Orient, sauf en Égypte (1), tous les moines passaient ainsi tour à
tour une semaine à la cuisine. On devine bien que ces Vatels improvisés
ne devaient pas toujours produire une cuisine succulente et recherchée;
mais les goûts étaient simples, ceux des Orientaux surtout. Les herbes
salées leur semblent, dit Cassien, un festin délicieux (2); aux moines
d’Égypte suffisent des légumes frais ou secs; et c’est le suprême régal,
summa voluptas, quand on leur sert, tous les mois, des feuilles de poireau
hachées, des herbes confites au sel, du sel broyé (3), des olives et de petits
poissons salés (4).
Nul ne sera dispensé, dit saint Benoît, du service de la cuisine. Plus il est
assujettissant et pénible, plus sera considérable la récompense, et la
charité s’en accroîtra d'autant (il faut lire, en eSet : major merces et
caritas acquiritur). Auprès de l’ancienne royauté française, les services,
même les plus vulgaires, conféraient la noblesse ou bien la supposaient :
le bouteillcr, le chambellan, le connétable étaient de grands dignitaires.
La noblesse surnaturelle qui entoure la royauté du Seigneur l’emporte
sur toute autre : tous les offices monastiques sont glorieux. N. B. Père
reconnaît d’ailleurs à l’Abbé le droit d’exempter certains frères du ser
vice de la cuisine : ceux dont la santé est mauvaise, ceux qui vaquent à
des occupations plus importantes et trop absorbantes, le cellérier, par
exemple, lorsque la communauté est nombreuse, et sans doute aussi
l’Abbé. Quelques Règles anciennes (5) font une exception formelle en
faveur de l’Abbé ; d'autres veulent qu’il serve à certains jours déterminés,
s’il est libre. A Cluny, du moins dans les premiers temps, l’Abbé faisait
la cuisine et servait le jour de Noël, en compagnie du cellérier et des
doyens ; les Coutumes portent aussi que l’Abbé est marqué, lorsque vient
son tour, sur le tableau de service, mais comme surnuméraire (6).
Dans un dessein de discrétion, N. B. Père veut qu’on procure de
l’aide aux faibles, qu’on ménage aux titulaires de cet office l’assis
tance d’autant de frères que le réclament soit l’état et le nombre de la
communauté, soit l’installation du monastère : car la cuisine peut être
m sous-sol, la source trop éloignée (7), etc. Il importe non seulement
que le service se fasse bien, mais encore que les frères l’accomplissent
sans tristesse.
(1) Insl., IV, XXII,
(2) Ibid., xi.
(3) CL Calmet, in c. xxxv,
(4) Inst., IV, xi.
(5) Par exemple celle de S. Césaire ad virgines, xn.
(6) Udalr., Consuet. Chin., L I, c. xlvl — Bernaud., Ordo Clun., P. I, c. L —
Constit. Ilirsaug., L H, c. xiv,
(7) Comme dans l'un des monastères de Subiaco : S. Greg, M., Dial., L II, c. v.
43
SOO
COMMENTAIRE SLR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
Egressurus de septimana, sabbato munditias
faciat. Linteamina cum quibus sibi fratres manus
aut pedes terguni, lavet : pedes vero tam ipse qui
egreditur, quam ille qui intraturus est, omnibus
lavent. Vasa ministerii sui munda et sana cellerario
reconsignet; qui cellerarius item intranti consignet,
ut sciat quid dat aut quid recipit.
Après avoir énoncé et expliqué le devoir universel do la mutualité du
service, N. B. Père entre dans quelques détails techniques qui intéressent
la propreté et le bon ordre. Chaque samedi, le frère (1) qui va sortir de
semaine opérera les nettoyages, munditias faciat, à la cuisine et au réfec
toire. C’est à lui qu’incombe le soin de laver les linges avec lesquels les
frères essuient leurs mains et leurs pieds. Chaque samedi encore, assisté de
celui qui doit lui succéder, il lave les pieds de tous les religieux en sou
venir du Mandatum du Seigneur et comme salaire, dit Cassien, du travail
de toute la semaine. Enfin saint Benoît lui prescrit de rendre au cellérier
les ustensiles de son office, nets et en bon état, munda et sana, tels en un
mot que les porte l’inventaire établi ou vérifié huit jours plus tôt. Dans un
service qui changeait chaque semaine et où pouvait se glisser lanégligence,
il importait d’exercer une surveillance assidue ; elle était réservée au cellé
rier, qui gardait par devers lui l’inventaire des objets confiés au semainier,
de même que l’Abbé gardait le rôle de tous les instruments et ustensiles
remis aux titulaires des différentes charges (chap. XXXI1).
Seplimanarii autem, ante unam horam refectionis,
accipiant super statutam annonam singulos biberes,
et panem : ut hora refectionis, sine murmuratione
et gravi labore, serviant fratribus suis. In diebus
tamen solemnibus usque ad Missas sustineant.
C’est encore une condescendance de la sainte Règle. Le petit déjeu
ner n’existait pas alors, et saint Benoît ne parle que de deux repas,
jamais de trois. Or les semainiers de la cuisine, outre les fatigues de cette
charge, voyaient encore se retarder l’heure de leur réfection. Ils ne pre
naient pas place à table avec leurs frères lorsque ceux-ci étaient servis,
(1) Saint Benoît parle des semainiers tantôt au singulier, tantôt au pluriel.
DES SEM,MINIERS DE
Là
CUISINE
291
comme le prescrira le Maître (1); mais une remarque du cha
pitre XXXVIII nous montre qu’ils mangeaient après tous les autres,
avec le lecteur : en seconde table, disons-nous aujourd’hui. Afin qu'ils
puissent servir sans fatigue excessive et sans murmure (2), N. B. Père
accorde à chacun un coup à boire et un morceau de pain, une heure
avant la réfection commune. « Le terme l>ib:r, d’où vient Hteres, dit
D. Calmet, est du langage de la basse latinité et, dans les règles monas
tiques, il signifie un petit vase contenant autant de vin qu’il en faut pour
boire un coup et pour se rafraîchir. » Nous devons traduire super statutam
annonam : en sus de la portion ordinaire, et déterminée, et non pas, comme
l’ont fait quelques commentateurs : à prendre sur cette portion ; « la pré
position suptr en latin et hyper en grec, dit encore D. Calmet, signifiant
naturellement une surabondance et non une soustraction ». On peut
ajouter que l'intention de N. B. Père est beaucoup moins de prélever
quelque chose sur la pitance accoutumée que de balancer, par un petit
avantage, les fatigues attachées à la charge de cuisinier. Il remarque ensuite
que cette légère anticipation n’est pas compatible, les jours solennels, c’està-dire les jours de fête et le dimanche, avec les exigences de la communion
et du jeûne eucharistique. Ces jours-lü, tous communient, et à la Mes-e
conventuelle. Les semainiers de la cuisine ne pouvaient se prévaloir do
la disposition miséricordieuse de la Règle pour omettre la sainte com
munion ou pour rompre le jeûne : malgré la fatigue surajoutée d’ua
long office, iis devaient attendre jusqu’après la Messe, c'est-à-dire moins
d’une heure avant le repas conunun, pour prendre quelque nourriture (3;.
Intrantes et exeuntes hebdomadarii, in oratorio mox
Matutinis linitis, Dominica, omnium genibus provolvan
tur, postulantes pro se orari. Ëgredions autem de se
ptimana dicat hunc versum : Benedicius es Domine Deus,
qui adjuvisti me, el consolatus es me. Quo dicto tertio,
accipiat benedictionem egrediens. Subsequatur ingredienset dicat : Deus in adjutorium meum intende, Domine
ad adjuvandum me festina. El hoc idem tertio repetatur
ab omnibus. Et accepta benedictione, ingrediatur.
Le chapitre se termine par la description d’une cérémonie liturgique
en deux actes : absolution des hebdomadiers sortants, investiture de ceux
(1) Be g. Magistri, xxin.
(2) Sine munnure seniant sororibus suis (3 AfO.,Γρ. CCXI, 13. P. L.XXXIIÎ.OG-.).
(3; Cf. Paul Diacre, Comment. in c. xxxv.
!9S
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
qui entrent en charge. Le dimanche, aussitôt après Matines (c’est-à-dire
après Laudes), les premiers viennent se prosterner aux pieds de tous les
frères dans l’oratoire, demandant qu’on prie pour eux (1). Ils récitent
trois fois (tous ensemble, ou seulement le plus ancien) le verset Benedicius
es (Ps. lxxxv, 17); puis le supérieur donne la bénédiction, en disant
sans doute une collecte. Ceux qui entrent en semaine leur succèdent et
disent trois fois le verset Deus in adjutorium, que le chœur répète après eux
(saint Benoit n’a pas dit si le chœur répétait aussi le Benedicius es); la
bénédiction reçue (2), ils sont entrés en semaine. C’est ainsi qu’on était
investi au nom du Seigneur ; un office très matériel et souvent pénible
pour la nature était consacré par la prière ; il devenait dès lors œuvre reli
gieuse et sanctifiante, accomplie pour la gloire de Dieu.
(1) Ab omnibus fratribus oralio prosequatur, quac tel pro ignorationibus intercedat
tel pro admissis humana fragilitate peccatis, et commendet Deo relui sacrificium pingue
consummata eorum devotionis obsequia (Cass., Inst., IV, xix). Chez les moines d’Orient,
ceci se passe après le repas du dimanche soir.
(2) Les deux oraisons qui se chantent chez nous viennent du Mont-Cassin et do
Cluny (Udalr., Consuet, Clun., 1, II, c, xxxvj.
CHAPITRE XXXVI
DES
FRÈRES MALADES
Nous nous rappelons qu’au chapitre XXXI saint Benoît a confié les
infirmes et les enfants à la sollicitude du cellérier; nous nous souvenons
aussi qu’au chapitre XXXIV la sainte Règle a voulu que ceux-là fussent
l’objet de plus d’attentions qui en réc ament davantage. Afin d’être bien
compris et do fournir quelques précisions, N. B. Père, après avoir défini
les conditions du service de la cuisine, traite à part des soins que méritent
les malades et les infirmes (chap. XXXVI), les vieillards et les enfants
(chap. XXXVII). C’est une sorte de parenthèse; lorsqu’elle sera fermée,
saint Benoît reviendra à la question du réfectoire et des repas.
De infirmis fratribus. — Infirmorum cura ante
omnia et super omnia adhibenda est, ut sicut revera
Christo, ita eis serviatur, quia ipse dixit : Infirmus
fui, et visitastis me. Et : Quod fecistis uni de his minimis
meis, mihi fecistis. Sed et ipsi infirmi considerent in
honorem Dei sibi serviri, et non superfluitate sua
contristent fratres suos servientes sibi. Qui tamen
patienter portandi sunt : quia de talibus copiosior
merces acquiritur. Ergo cura maxima sit Abbati, ne
aliquam negligentiam patiantur.
Ici encore, c’est une pensée de foi qui doit ordonner notre conduite.
Le Seigneur, d’une façon générale, s’est auprès de nous subrogé au pro
chain, quel qu’il soit. Le prochain, c’est lui Nous vivons avec l’Eucharistie ; ce n’est que Dieu que nous rencontrons, en nous et autour de
nous. C’est Dieu toujours que nous servons, et c’est jusqu’à lui que monte
notre tendresse. « Tout ce que vous aurez fait à l’un de ces tout petits
qui sont miens, c’est à moi que vous l’aurez fait d (Matth., xxv, 40).
Ceci est plus particulièrement vrai de nos frères en religion et de leur
293
*M
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
personne consacrée; et lorsqu’ils souffrent, ils ressemblent davantage
encore à Notre-Seigneur Jésus-Christ. On les servira donc tout comme
lui-même, car il a dit : a J’ai été malade et vous m’avez visité » (Mattil,
XXV. 36). C'est le profit des infirmes : c’est le nôtre aussi. Et ne suffit-il
pas de cette notion de foi pour donner abondance de paix et de joie à ceux
que visite la maladie ou la langueur ; pour donner aussi de la dé icatesse
et du cœur à ceux qui les soignent? C’est cette meme pensée, plus encore
qu'un sentiment de compassion naturelle, qui a provoqué l’insistance
de N. B. Père : « Avant tout et par-dessus tout, dit-il, on prendra soin
des malades, et on les servira comme s’ils étaient vraiment le Christ (1). »
Nulle autre Bcgle n’avait fait preuve d’autant de sollicitude à l’égard
des faibles et des souffrants.
En échange de ces attentions surnaturelles et empreintes de vénéra
tion, les malades essaieront de ressembler véritablement au Seigneur par
leur humilité douce, leur abnégation et leur réserve. Es se souviendront
que de tels soins sont prodigués non à leur chétive personne, mais au
Dieu qui se cache en eux. Es se garderont de contrister par des exigences
indiscrètes et des importunités sans frein, superfluitate sua, les frères qui
s’emploient à leur service, sans doute, mais qui pourtant sont bien leurs
frères et non des domestiques. B est difficile de se sanctifier dans la maladie,
dit l’auteur de limitation : Pauci ex infirmitate meliorantur (II, xxni).
Nous devenons impatients, douillets, un peu sybarites. Le tempérament
s’affirme et, le diable aidant, la nature redevient insolente. L’habitude
des exceptions et des régimes spéciaux atténue sournoisement le sens de
l’observance monastique, et pratiquement l’on se persuade que la maladie
dispense d’être moine. Une vive souffrance est peut-être moins redou
table à ce point de vue que le malaise perpétuel et ce qu’on appelle aujour
d’hui l’état neurasthénique. Aux âmes tentées d’apporter au soin de
leur santé une préoccupation excessive, toujours dolentes, toujours en
quête de remèdes nouveaux, on pourrait conseiller la lecture attentive
de certain chapitre du Chemin de la Perfection. « Croyez-le, mes filles,
disait sainte Thérèse, lorsque nous arrivons à dominer ce? misérables
corps, ils ne nous importunent plus autant. Assez d’autres s’occuperont
de vos besoins ; pour vous, ne vous en souciez pas, à moins qu’il n’y ait
nécessité manifeste. Si nous ne nous déterminons à accepter une bonne
fois la mort et la perte de notre santé, nous ne ferons jamais rien (2). »
La correspondance de la sainte nous montre d’ailleurs jusqu'à quel
point elle se préoccupait des santés et comment elle s’ingéniait pour pro(1) Quali affectu debemus infirmis fratribus minishare? Sicut ipsi Domino offerentes
obsequium, qui dixit : Quia cum fecistis uni ex minimis isl s fratribus meis, m hi fecistis
(S Basil. Heg.eontr., xxxvi). Et saint Basile ajoutait, lai aussi, dans la seconde partie
de cette règle et dans la suivante, que les malades doivent se montrer dignes d'un
tel honneur.
(2) Chap. xi.
DES FRÈRES MALADES
Î9S
curer aux infirmes de petites gâteries. Un moine, même sérieusement
malade, doit savoir renoncer aux remèdes extraordinaires et trop coû
teux, aux cures périodiques dans les stations thermales; et il n'implore
jamais les secours de sa famille selon la chair.
Même si les malades se montrent exigeants, dit saint Benoît, il faut
les supporter avec patience, puisque avec eux on acquiert une récompense
plus abondante. Aussi bien, afin de ne fournir nul prétexte aux récrimi
nations, afin surtout de réaliser pleinement ce que le Seigneur attend de
notre charité, l’Abbé veillera avec un soin extrême à ce que 1rs malades
n'aient à souffrir d’aucune négligence, ni de la maladresse ou de l’impé
ritie de personne.
Quibus fratribus infirmis sit cella super se depu
tata, et servitor timens Deum, et diligens ac solli
citus. Balneorum usus infirmis, quoties expedii,
offeratur. Sanis autem, ct maxime juvenibus, tar
dius concedatur. Sed eiicarnium esus infirmis, omninoque debilibus pro reparatione concedatur. At ubi
meliorati fuerint, a carnibus more solito omnes abs
tineant.
H y aura dans le monastère un logis spécialement affecté aux malades,
Hill
à tous ceux qui ne peuvent pas suivre l’observance commune,
qui ont
besoin de soins particuliers, d’un air plus pur et de plus de silence. Dans
les grandes abbayes d’autrefois, l’infirmerie était comme un second
monastère, avec son église (1), son cloître, sa cuisine, son réfectoire, son
dortoir. N. B. Père entend donc que chaque famille monastique soigne
ses malades chez elle. Et il y aurait lieu de s’étonner qu’un religieux
souhaitât d’aller chercher sa guérison chez des parents, chez des amis,
chez des séculiers. De même, il serait peu conforme à l’esprit et aux tra
ditions de l’Ordre bénédictin de réunir en un seul sanatorium ou en une
(1) Les anciennes Coutumes ne dispensent les malades de l’office divin que dans
des cas très graves. Voici ce qu’un lit dans la Disciplina Farfensis : Illi fratres qui non
raient surgere, eant famuli sementes eis cl educant illos sustentantes ulnis suis in ecclesia,
atque collocent ut melius potuerint. Ingratum nulli apparere debet hoc factum; quia saepe
vidimus in eodem die fratrem finire ex hac luce et ad Christum transire, etiam in ipsa
ecclesia exhalare spiritum. Quis de talibus dubitet quod non stalim ad regna polorum
penetrent?... Ita debent opus Dei per omnia agere sicut sani in monasterio, praeter quod
leniter atque cwsim dicant... Illi ivro qui ita nimietate infirmitatis detinentur quod nullo
modo consurgere valeant, mox ut monasterio fuerint celebrata nocturnalia obsequia,
annuat ille qui ordinem tenet duobus fratribus qui illis divinum opus decantent, etc, ίί. Π,
296
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
maison de retraite tous les malades d’une Congrégation ou d’une région.
On les priverait ainsi de la part de vie régulière qui est compatible avec
leur état et on les exposerait à finir leurs jours assez prosaïquement. On
priverait surtout les communautés du bénéfice de leur charité et de
l'édification qu'offrent d’ordinaire les malade? et les vieillards. Ceux qui
voisinent avec l’éternité ont un titre spécial à des délicatesses qu'ils
ne peuvent recevoir que de leur Abbé et de leurs frères ; les préparer à
paraître devant l’infinie Pureté, achever de graver en eux la ressem
blance du Seigneur, n’est-ce pas éminemment servir le Christ en leur
personne et se ménager à soi-même une bénédiction et un merci divins?
Dans la Congrégation de Saint-Maur, les dispositions relatives aux
malades étaient assez curieuses. Afin qu’ils n'eussent jamais à souffrir de
la détresse pécuniaire d’un monastère individuel, tous les frais : médi
caments (sauf le sucre blanc), honoraires des médecins, pharmaciens et
chirurgiens, viande achetée pour eux, voyages, etc., tout cela était à la
charge de la Congrégation et devait être réglé par la Diète (1).
La ceZZa des malades sera confiée à l’infirmier, que saint Benoît appelle
e serviteur », mais qui était certainement un religieux et non un séculier.
L’infirmier, s’il est besoin, aura des aides ; et saint Benoît le laisse entendre
à la fin de ce chapitre, en employant le pluriel servitoribus. Trois mots
suffisent à N. B. Père pour résumer les qualités personnelles d’un bon
infirmier : il faut qu’il craigne Dieu, c’est-à-dire que l’esprit de foi le
guide habituellement dans tous ses rapports avec les malades ; qu’il soit
prompt, car ceux qui souffrent trouvent longues les heures d’attente;
qu’il soit attentif et affectueux (2). Nous pourrions ajouter qu'il a
droit à l’obéissance absolue de ses malades. Ce serait une forme d’esprit
propre assez dangereuse que de se soigner à sa guise ou selon les recettes
de frères qui n’ont point mission pour donner des consultations : Quippe
quibus nec corpora sua, nec voluntates licet habere in propria potestate. L·
n’est d’ailleurs nullement avantageux aux moines de s’entretenir complai
samment les uns les autres de leur santé.
Sans entrer ici dans le détail de la médication et des soins que peuvent
réclamer les infirmités très diverses (3), saint Benoît envisage seule
ment deux catégories de soulagements : les bains et l’usage des viandes.
Nous savons quelle était à Rome la profusion des thermes ou bains
publics ; chaque grande maison avait ses bains ; le bain faisait partie du
(1) Regula S. P. Bendidi cum declarationibus Congregationis S. Mauri (1663).
p. 144-145.
(2) Cf. S. Caesar., Reg. ad virg., xxx.
(3) Au sujet de la saignée (minutio) et du recours aux médecins dans l’antiquité
monastique, voir Calmet, in h L- Sur les soins donnés aux moines malades, aux mon
bonds et aux morts, voir Hæften, 1. XI, tract v. — Sîartène, De ant. numach. rit.,
L V. c. vni-xnL — Pignot a résumé les usages de Cluny: Hist. de Γ Ordre de Cluny,
1.11, p. 434-435, 463-473.
DES FRERES MALADES
programme quotidien de tout homme bien élevé. La vie monastique
déféra dans une mesure à cet usage ; et Cassiodorc, contemporain de saint
Benoît, fit installer des bains dans son monastère de Vivarium. C’était
chose indispensable dans un pays chaud, pour des religieux qui se livraient
au travail manuel et qui ne portaient pas de linge de corps. Et il est évi
dent que les moines n’allaient pas aux bains publics, d’abord parce qu’ils
habitaient rarement en ville, et aussi parce que cette promiscuité eût
été dangereuse. Saint Benoît demande qu’on offre les bruns aux ma
lades, non pas avec parcimonie, mais toutes les fois que la santé pourra
s'en trouver bien. Sanis autem, et maxime juvenibus, tardius concedatur.
N. B. Père ne dispense pas les religieux bien portants, ni les jeunes gens,
d'une précaution deux fois nécessaire lorsqu’on vit en communauté.
Sans doute il fait une réserve ; mais cette réserve ne lui est point inspirée
par je ne sais quel sot effarement : sin -n il aurait interdit simplement
l’usage du bain. Le tardius doit être considéré en relation avec les cou
tumes romaines et avec la large indulgence dont saint Benoît use envers
le, malades. li est notoire que les bains, surtout les bains chauds, avaient
pour résultat, lorsqu’on les multipliait, d’amollir le corps, de porter
à la paresse et à une sorte de déchéance de la volonté. Saint Benoît
n’a pas voulu chez lui de ces mœurs mondaines ; il stipule pourtant qu’on
offrira aux malades, au lieu qu’on permettra, plus rarement, à ceux qui
se portent bien (1). Les anciens moines ont souvent pris trop à la lettre
la restriction de N. B. Père : Paul Diacre remarque qu’on se baignait
une, ou deux, ou trois fois l’an, a A présent, surtout dans les régions
tempérées, écrit D. Calmet, l’usage en est presque aboli. Aussi dans les
monastères il n’est plus question de bains domestiques et ordinaires;
dans les maladies, on permet d’aller aux bains publics, avec les réserves
et les précautions dont nous avons parlé. » Mais l’hygiène et la charité
peuvent comprendre les choses autrement sans porter atteinte à l’austérité
monastique et à l’esprit de mortification (2).
Saint Benoît ajoute que les malades et ceux qui sont tout à fait dé
biles (3) pourront manger de la viande, afin de se refaire, pro repa
ratione. Et, pour marquer davantage le caractère de cette concession,
N. B. Père veut qu’elle prenne fin dès que la santé ne la réclamera plus ;
alors tous s’abstiendront de viande, selon l’usage, more solito (4). La même
(1) Lavacra etiam, cujus infirmitas exposcit, minime denegentur; sed fiat sine mur
muratione de consilio medicinae... Si autem nulla infirmitate compellitur, cupiditati suae
non praebeatur assensus (S, Caesar , Reg. ad virg., xxix),
(2) Sur les soins de la tonsure et de la barbe chez les anciens moines, ci. ILeften,
Hit I
1. V. tract, ix. — Martène, De an!. mcmach. rit, L V, c. vu. — Calmet, Comment
sur le chapitre i.
(3) I! faudrait lire infirmis omnino debilibus.
(4) Pullos et carnes nunquam sani accipiant; infirmis quicquid nrctsse fuerit mini·
strelur (S. Caesar., Reg. ad mon., xxivk Quia solet fieri, ut cella monasterii non
semper bonum vinum habeat, ad sanctae Abbatissae curam pertinebit ut tale vinum pro-
•98
COMMENTAIRE SUR LA REGLE DE SAINT BENOIT
recommandation a été répétée au chapitre ΧΧΛΙΧ; réservons jusquelà notre commentaire.
Curam aulcm maximam habeat Abbas, ne a celle
rariis aut serviloribus negliganlur infirmi : quia ad
ipsum respicit, quidquid a discipulis delinquitur.
Pour la seconde fois, l’Abbé est invité à prendre un très grand soin des
malades. Il lui faut veiller à ce qu’ils ne soient négligés ni par les ccllériers,
ni par les infirmiers : car il est responsable de tous les manquements de
ses disciples. .Ajoutons que personne dans le monastère ne peut se désin
téresser des malades ; on sc souviendra d’eux devant le Seigneur et on
les visitera, avec la permission de l’Abbé : mais les prescriptions de la
Règle ne s’arrêtent pas à la porte des malades, et jamais leur cellule ne
doit se transformer en parloir.
rideat. unde aut infirmae, aut illae quae sunt delicatius nutritae, palpentur (S. Caesar,
Jlcg. ad virg., xxvm). Aegrotantes sic tractandae sunt, ut citius convalescant; sed cuin
rires pristinas reparaverint, redeant ad feliciorem absiinentiae consuetudinem (Ibid., xx).
CHAPITRE XXXVII
DES VIEILLARDS ET DES ENFANTS
— Licet ipsa natura
humana trahatur ad misericordiam in his aetatibus,
senum videlicet el infantum : tamen et regulae au
ctoritas eis prospiciat. Consideretur semper in eis
imbecillitas, et nullatenus eis districtio regulae
teneatur in alimentis; sed sit in eis pia consideratio,
et praeveniant horas canonicas.
De
senibus vel infantibus.
C’est assez d’être homme, dit saint Benoît, pour être incliné à la sym
pathie et à l’indulgence envers ces deux âges: la vieillesse et l’enfance;
il convient pourtant que l’autorité de la Règle intervienne aussi en leur
faveur. La charité est quelque chose de mieux que la simple philanthropie,
et le motif profond de nos actes doit être surnaturel. De plus, il nous faut
bien remarquer que les dispenses, les permissions, les interprétations
bienveillantes de la Règle appartiennent encore à la Règle et émanent
de l’autorité; elle: ne sont pas le caprice, l’arbitraire, le relâchement.
On aura donc toujours égard à la faiblesse des enfants et des vieillards,
et on ne leur appliquera aucunement l’austérité de la Règle au point
de vue du régime alimentaire (1). Mais on usera pour eux d’une affec
tueuse condescendance et ils pourront devancer l’heure régulière des
repas, praeveniant horas canonicas. En un mot, on s’ingéniera pour que
la vie monastique, qui ne consiste pas dans le nivellement et Γ uniformité,
leur demeure possible. Saint Benoît n’a pas jugé opportun d’entrer dans
les détails et les précisions : tout est laissé à la discrétion de l’Abbé. C’est
à lui d’apprécier, pour chaque cas, à quel âge finit l’enfance et à quel
âge commence la vieillesse ; de reconnaître s’il convient d'accorder un
(1) Vinum lanium senes accipiunt, quibus cum parvulis saepe fit prandium, ut aliorum
fessa sustentetur aetas, aliorum non frangatur incipiens (S Hieron., Ep. XXII, 30.
P. L.. XXII. 420). In coena mensa ponitur propter laborantes, senes cl pueros, aestusque
gravissimos (S Hieron., Praefatio in Eeg. S. Pachom., 5).
300
COMMENTA IRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
ou plusieurs repas supplémentaires ou seulement de petits acomptes,
analogues aux soulagements qu’on procure aux serviteurs de la cuisine,
aux lecteurs, aux moines qui ont fourni un travail fatigant. Nous savons
par une phrase du chapitre LXIII que les enfants prenaient part aux
repas de la communauté. Au sujet des mots in alimentis, D. Ménard
remarque que les exceptions dont parle saint Benoît portent sur la qualité
plutôt que sur la quantité des mets, car il est écrit au chapitre XXXIX :
Pueris tero minari aetate non eadem servetur quantitas, sed minor quam
majoribus;Vestomac des enfants est trop petit, dit-il, pour assimiler une
nourriture abondante, de meme que celui des vieillards est trop froid
et s’expose, par une alimentation mal réglée, à étouffer le peu de chaleur
qui lui reste, selon l’enseignement d’Hippocrate.
»
CHAPITRE XXXVIII
DU LECTEUR DE SEMAINE
I
— Mensis fratrum eden
tium lectio deesse non debet; nec fortuito casu, qui
arripuerit codicem legere audeat ibi, sed lecturus
tota hebdomada, Dominica ingrediatur.
De
hebdomadario lectore.
A la table des frères, la lecture ne doit jamais faire défaut. Cette cou
tume, nous dit Cassien (1), ne vient pas des moines d’Égypte, mais de
ceux de Cappadoce (2) ; saint Benoît la trouvait également chez saint
Césaire (3). On en reconnaît l’intention : c’était, au milieu même de
l’absolue frugalité des religieux, de les distraire encore de leur misérable
repas, de tempérer, par une application aux choses de la piété et de l’in
telligence, la satisfaction animale de boire et de manger ; tel est le motif
qu’invoque saint Basile. Cassien pourtant en signale un autre : a II n’est pas
douteux, dit-il, que les Cappadocicns ont adopté cet usage, non pas tant
pour fournir un aliment spirituel à leur esprit que pour couper court
aux causeries superflues et frivoles et surtout aux disputes qui ont cou
tume de naître dans la plupart des repas; ils ne voyaient pas d’autre
procédé pour les réprimer chez eux. » La tradition monastique a adopté
unanimement cette lecture de table. Elle a même entendu souvent à la
lettre le pluriel mensis que porte la Règle : la lecture se faisait à la première
table, c’est-à-dire au repas de la communauté ; à la seconde table, c’est-àdire au repas des serviteurs ; à la table de l’Abbé et des hôtes, à celle
des infirmes, même à celle des moines en voyage.
Quelle était la matière des lectures? a Dans l’Ordre de saint Benoît,
dit D. Calmet, on lisait plus communément l’Écriture sainte; et comme
(1) Inst., IV, xvn.
(2) Cf. S. Basil , Reg. brev., clxxx.
(3) Sedentes ad mensam taceant, et animum tectioni intendant. Cum autem lectio
cessaverit, meditatio sancta de corde non cesset. Si vero aliquid opus fuerit, quae mensae
pracest sollicitudinem gerat, et quod est necessarium nutu magis quam voce petat. Nec
solae vobis fauces sumant cibum, sed et aures audiant Dei verbum (Reg. ad virg., xvi).
Cf. Reg. ad mon., ix.
301
302
COMMENTAIRE SL'R LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
chaque partie de l’annëo a ses livres particuliers de l’Écriture qu’on lit
au chœur, on achevait au réfectoire ce qui ne se lisait pas à l’église; en
sorte que, dans le cours de l’année, on lisait toutel’Écriture, tant au chœur
qu’au réfectoire. Souvent on continuait au réfectoire la leçon do l'homélie
qu’on avait commencée à Matines. On y lisait aussi les actes et les pas
sions des saints et des martyrs... » On lisait encore la Règle, peut-être
dès le temps de saint Benoît lui-même : Banc autem Regulam saepius
volumus in congregatione I gi, tie quis fratrum de ignorantia se excuset
(chap. LXVJ). L’usage actuel est d’ajouter à cette liste certains ouvrages
historiques qui se rapportent en quelque manière aux choses de ΓÉglise
ou à la vie monastique. Nous pouvons profiter beaucoup de la lecture
du réfectoire. Si le réfectoire est un lieu où l’on se restaure, c’est en même
temps un lieu d’oraison facile et de travail intellectuel très doux, presque
inconscient.
Parlons maintenant du lecteur. Son office est grave : il doit être rempli
avec gravité. Ce ne sera pas le premier venu, désigné au hasard, ou même
simplement déterminé par son propre choix et poussé par le désir de se
faire entendre, qui s’emparera du livre et s’improvisera, pour un repas,
lecteur de table : lire au réfectoire est un office régulier, qui commence le
dimanche et se poursuit pendant la semaine entière. Λ la fin du chapitre,
dans une dernière phrase qui semble avoir été ajoutée sous la dictée de
l’expérience, saint Benoît reviendra sur cette prescription : ce n’est ni la
volonté de chacun, ni le hasard et les circonstances, ni l’ordre hiérar
chique de la communauté, qui doivent désigner ceux qui lisent ou ceux
qui chantent, au réfectoire comme au chœur ; mais l’Abbé choisira ceux qui
sont capables de se faire entendre, de se faire comprendre, d’être réelle
ment utiles à leurs frères, de les a édifier ». A l’époque de saint Benoît,
savoir lire n’était pas le lot de tous ; et même aujourd’hui, savoir bien
lire, publiquement, dans un grand réfectoire, n’est pas non plus chose
co «illi une. Les aptitudes sont variées, mais il est difficile de s’improviser
lecteur. Ce n’est qu’à la condition d’avoir prévu sa lecture, que l’on pourra
honorer ses auditeurs et soi-même. Il faut savoir couper intelligemment
les phrases et détailler une période, donnant à ses diverses portions
leur valeur propre. Et cela se peut réaliser jusque dans la lecture dite
recto tono; à proprement parler, il n’y a pas de lecture recto tono : l’intel
ligence et l’accentuation modifient à chaque instant, dans une mesure
perceptible, la corde sur laquelle se fait la lecture. Il n’est pas nécessaire
d’avoir une voix forte, ni même une voix claire, mais il importe de con
naître celle que l’on a, le local où on lit et de composer avec ces conditions.
La volonté bien arrêtée de se faire entendre aux deux extrémités de la
salle entraîne une adaptation inconsciente de nos moyens au but pour
suivi. Il faut lire lentement, articuler les syllabes muettes, sans entier la
voix sur les syllabes sonores, et se souvenir qu’il ne s'irgit ni d’une lectine
DU LECTEUR DE SEMAINE
m
privée ni d’une conversation. Au milieu du bruit, devant des intelligences
fatalement distraites, il est indispensable que la pensée vienne chercher
chacun à sa place et sans qu’il ait besoin d’ciiort pour la saisir.
Qui ingrediens, post Missas et communionem
petal ab omnibus pro se orari, ut avertat ab eo Deus
spiritum elationis. Et dicatur hic versus in oratorio
tertio ab omnibus, ipso tamen incipiente : Domine
labia mea aperies, et os meum annuntiabit laudem tuam;
et sic accepta benedictione, ingrediatur ad legen
dum.
Pour cet office, comme pour celui des serviteurs de la cuisine, c'est une
bénédiction cpû donne l’investiture. La bénédiction du lecteur se prenait
après la Messe et la communion du dimanche. Le frère sollicitait la prière
de tous, soit au moyeu d’une formule, soit en se prosternant ou en
s’inclinant au milieu du chœur. Il disait trois fois le verset Domine
(Ps. L, 17), et toute la communauté le répétait après lui. Puis l’Abbé
donnait la bénédiction, probablement en chantant une collecte, et si··
accepta benedictione, ingrediatur ad legendum. Nous avons conservé
toute cette liturgie (1), et dans la collecte nous demandons à Dieu
qu’il écarte du lecteur « l’esprit d’élèvement et d'ignorance (2) ».
N. B. Père ne signale explicitement que le danger d’orgueil : encore une
fois, de son temps, une élite seule était capable de bien lire le latin, sans
rien de grossier ni de trop barbare. Cette précaution surnaturelle centre
la vanité est d'ailleurs toujours de saison : le lecteur occupe une situation
élevée ; il parle seul au milieu du silence do tous ; il est tenté de trouver
qu'il produit grand effet ; il est exposé à regarder autour de lui pour s’as
surer de l’admiration publique.
Summumque fiat silentium ad mensam, ut nullius
mussitatio vel vox, nisi solius legentis, ibi audiatur.
Quae vero necessaria sunt comedentibus et bibenti
bus, sibi sic invicem ministrent fratres, ut nullus
(1) Et nous avons adopté aussi la coutume, très ancienne, de demander la béné
diction avant la lecturo qui accompagne chaque repas. Cf. Udalr., Consuet. Clan.,
1. II, c. xxxiv.
(2) La formule que nous employons ressemble beaucoup à celle qu’indiquait déjà
Smaragde : J.i erte. guœsumus, Domine. ab hoc jamulo tw spiritum elationis, ut humi
liter legens, sensum e', intellectum capiat lectionis.
364
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
indigeat petere aliquid. Si quid tamen opus fuerit,
sonitu cujuscumque signi potius petatur quam voce.
Nec praesumat ibi aliquis de ipsa lectione, aut
aliunde quidquam requirere, ne detur occasio ma
ligno, nisi forte prior voluerit pro aedificatione
aliquid breviter dicere.
Un silence complet et profond doit régner à table : c’est la loi rigou
reuse qui. de tout temps et partout, a été en vigueur chez les moines (1).
Qu’on n’entendo au réfectoire ni chuchotements, ni d’autre parole
que celle du lecteur. Les échanges d’idées sont interdits, même à voix
basse et dans l’oreille du voisin. H serait de très mauvais goût de
dépouiller son courrier pendant la lecture, ou de lire, à part soi, un
ouvrage qui intéresse davantage. H faut renoncer aussi aux applications
et allusions moqueuses, narquoises, qui se feraient par des gestes, par
des sourires, par des regards persévérants ; sans doute il n’y a pas lieu
d’être au réfectoire comme figé, non plus d’ailleurs qu’à l’oratoire : mais
ces petites manifestations, alors même qu’elles ne blesseraient personne,
sont rarement séantes.
La charité fraternelle elle-même n’offre pas de prétexte pour rompre
le silence. Cassien nous dit que, chez saint Pacôme, « chaque religieux
tenait son capuchon baissé sur ses yeux, de façon à n’apercevoir que la
table et les aliments placés devant lui et de telle sorte que personne ne
pût se rendre compte de la manière dont mangeait le voisin ni de la
quantité de sa portion ». Saint Benoît conçoit les choses d’une manière
plus aimable et plus courtoise : les frères, dit-il, se serviront réciproque
ment tout ce qui est nécessaire à des gens qui prennent leur repas ; de la
sorte, personne n’aura rien à demander et la loi du silence sera sauve,
comme celle de la charité. Nul ne doit être tellement absorbé dans son
propre souci, qu’il ne soit capable d’apercevoir ce dont manquent ses
frères. H y a d’ailleurs, chez saint Benoît, les hebdomadiers et les servi
teurs de la cuisine, qui vont et viennent et qui sont attentifs, tout le
long du repas. S’il est besoin de demander quelque chose au voisin
ou aux servants, cela se fera par un signe, par im son conventionnel,
plutôt que par des paroles : Sonitu cujuscumque signi potius petatur quam
voce. Plusieurs anciennes Règles s’expriment dans les mêmes termes.
(1) Voir les textes législatifs compilés par D. Mabtène dans son Commentaire. — Ελ
autem eis el in capiendo cibo summum silentium (Rufin., Hist, monach., c. in. Rosweyde,
p. 458). Tantum silentium ab omnibus exhibetur, ui, cum in unum tanta numerositas
jralrum rejectionis obtentu consederit, nullus ne muttire quidem audeat praeter cum, qui
suae deamiae praeest, qui tamen si quid mensae superinferri vel auferri necessarium esse
perviderit, sonitu potius quam voce significat (Cass., Inst., IV, xvn). — Cf. S. Pach,,
Rtg., xxxiii. — S, Caesab., Reg. ad virg.. xvi.
··.
>7
DU LECTEUR DE SEMAINE
305
Évidemment il s’agissait d’un signe discret, car le fracas matériel eut été
aussi préjudiciable au recueillement et à la lecture que le bruit des paroles.
Mais les mœurs monastiques d’aujourd'hui ont supprimé tout signal
tant soit peu bruyant ; c’est dans les cafés seulement qu’on appelle le
garçon en frappant sur son verre ou sur la table.
Le silence du réfectoire pourrait être violé non seulement par la dissi
pation et par des paroles échangées à propos du service, mais encore,
selon saint Benoit, par des questions posées sur la lecture ou sur quelque
autre sujet. Actuellement, nul n’aurait l’idée d’interroger à ce moment le
supérieur; mais nous pouvons être tentés d’engager un petit colloque
avec le voisin. La Règle n’y consent pas, ne detur occasio, afin de sup
primer toute occasion de légèreté, de dispute, d’orgueil. Le mot maligno
n’appartient pas au texte original; c’est une glose ajoutée par analogie
avec deux autres passages de la Règle (chap. XLIII et LP»’). Les
heures où nous accordons à notre corps ce qu’il réclame pour vivre
sont des heures périlleuses, de même que celles qui suivent immédia
tement le repas : il convient alors de se garantir contre les escar
mouches du diable; c’est un des motifs pour lesquels nous sanctifions
les repas par la prière, par la lecture, par le silence. N. B. Père permet
au supérieur seul {prior} de dire quelques paroles a pour l’édification »,
mais brièvement et sans qu’il s’y croie obligé (1).
Frater autem hebdomadarius accipiat mixtum
priusquam incipiat legere, propter communionem
sanctam, et ne forte grave sit ei jejunium sustinere :
postea autem cum coquinae hebdomadariis et servitoribus reficiat.
Ces dernières dispositions sont relatives aux repas du lecteur semai
nier. D’abord, avant de commencer sa lecture (2), il recevra le «c mixte ».
Le mot mixtum désigne, chez les anciens, soit un vin mélangé de subs tances qui en relèvent le goût et la force, soit surtout un vin coupé d’eau,
et il s'oppose alors à merum; il signifie parfois simplement du vin ou un
breuvage quelconque, comme miscere signifie verser à boire. H est pos
sible que pour saint Benoît le « mixte » accordé au lecteur ne soit qu'un
(1) Nec alicujus audiatur sermo, nisi divinus, qui ex pagina proferatur, ei ejus qui
praeest Patris {Reg. I SS Patrum, vin). Ad mensam specialiter nullus loquatur,
nisi qui praeest, ι·Ί qui interrogatus fuerit (S MacaR., Reg., xvin).
(2) Peut-ôtu· imiuudintement avant et non pas ante unam horam comme les semai
niers de la cuisine : ces derniers avaient besoin d’être fortifiés pour la préparation
immédiate du repas, la plus pénible.
305
COMMENTAIRE SUR LA REGLE DE SAINT BENOIT
coup de vin mélangé d’eau (1) ; mais il est sûr que, peu après N. B. Père,
beaucoup l’assimilaicn t pratiquement au petit supplément concédé aux
semainiers de la cuisine, singulos biberes et panem : le « mixte » devient
alors la petite coupe de vin dans lequel on trempe quelques morceaux
de pain.
N. B. Père assigne deux motifs à cette coutume : ils ne valent l’un et
l’autre que s’il s’agit de la lecture qui accompagne le premier ct souvent
l’unique repas de la journée ; et le premier motif : propter communionem
sanctam, ne vaut que pour les dimanches et fêtes solennelles, pour les
jours où tous les moines faisaient la sainte communion. Le « mixte »
joue certainement ici le rôle do l’ablution. Dans les premiers siècles de
l’Église (comme maintenant encore, en certaines fonctions liturgiques :
ordination, profession, etc.), on donnait aux communiants une gorgée
de vin non consacré (quelquefois avec un peu de pain), afin d’entraîner
les saintes espèces ct de prévenu· tout accident. Chez saint Benoît, le
repas suivait probablement de très près la Messe (2). Et il se peut que
les choses se soient passées au Mont-Cassin comme chez le Maître, où le
dîner commençait par la distribution d’un vin bénit dans lequel on
trempait quelques bouchées de pain ; le Maître prescrit que le lecteur
prenne, lui aussi, ce breuvage, et il en donne la raison : Et cum primum
mensae Abbas cum omnibus acceperit merum, et ipse (lector) similiter suum
merum propter sputum Sacramenti accipiat, et sic incipiat legere (3). Les
dimanches et fêtes, selon saint Benoît, les serviteurs de la cuisine
prenaient de même leur petite réfection après la Messe et, ces jours-là,
en compagnie du lecteur. Quand il n’y avait pas communion, le « mixte»
avait du moins l’avantage de tromper un peu la faim, ct il permettait
d’attendre sans trop de fatigue le repas que prenaient en même temps
lecteur, hebdomadiers et serviteurs de la cuisine. N. B. Père ne nous dit
pas si le lecteur recevait aussi le « mixte » avant le souper.
Fratres autem non per ordinem legant aut can
tent, sed qui aedificent audientes.
L’explication de cette courte phrase se rattache à la recommandation
par laquelle débute le chapitre.
(1) Cf. Explication ascétique et historique de la Règle de saint Benoit, chap, xxxvin.
11*1«
(2) CL Paul Dlacbe, Comment,
in c. xxxv, p. 333-334.
(3) Reg. Magistri, xxiv ; et ibid., xxvn. Lire le commentaire de Calmet sur notre
texte, et surtout, dans les Ouvrages posthumes de Maeillon (t. II, p. *272-320), le Traité
où Ton rt/ule la nouvelle explication que quelques auteurs donnent aux mots de Messe et
de Communion qui se trouvent dans la Regie de saint Benoit, et ΓAddition au précédé·,Λ
traité,
CHAPITRE XXXIX
DE LA MESURE DU MANGER
De mensura ciborum. — Sufficere credimus ad
refectionem quotidianam tam sextae quam nonae,
omnibus mensis cocta duo pulmentaria, propter
diversorum infirmitates : ut forte qui ex uno non
potuerit edere, ex alio reficiatur. Ergo duo pulmen
taria cocta fratribus sufficiant; et si fuerint inde
poma, aut nascentia leguminum, addatur et ter
tium.
Si les Pères du désert avaient pu lire ce chapitre de la Règle, peut-être
eussent-ils regardé ses prescriptions comme concernant des moines
relâchés ! Sans doute, quelques-uns de leurs maîtres (1) recommandent
bien comme saint Benoît la discrétion dans l’abstinence ct le jeûne :
mais la mesure la plus large des Orientaux reste en deçà du menu que
N. B. Père accorde chaque jour à tous les siens, et qui comprend jusqu’à
trois services. Et encore saint Benoît ne propose-t-il ce régime qu'avec
réserve, comme une moyenne raisonnable, sufficere credimus, et laisse-t-il
à l’Abbé la faculté d’ajouter un petit extra. Une telle condescendance
se justifie sans peine si l’on consent à reconnaître la valeur toute relative
de la mortification (2), et si l’on se souvient du but que poursuivait
N. B. Père : ouvrir l’accès de la vie monastique à nombre d’âmes que
certaines outrances on eussent tenues éloignées à jamais, adapter sa Règle
aux conditions ordinaires du tempérament occidental et d’une région
où le climat plus rigoureux oblige à compenser le défaut de chaleur
externe par des combustions intérieures plus vives. R faut ajouter qu’il
écrit pour des gens qui non seulement célèbrent de longs offices, mais
travaillent au grand air une partie du jour. La nourriture qu’il leur
(1) S. Basil , Reg. fus., xix. — Cass.. Conlat. II, xvi-xxn.
308
COMMENTAIRE SUR LA REGLE DE SAINT BENOIT
donne est à peu de chose près celle des paysans, simple et abondante.
Λ toutes les tables (1) (c’est-à-dire à celles où les moines prennent
place par petits groupes, sous la présidence des doyens ; ou bien à la
table de la communauté, à celle des servants et à celle de l’Abbé) :à
toutes les tables on servira deux mets cuits, cocta duo pulmentaria (2);
saint Benoît ne juge ni opportun ni même possible de préciser leur nature.
Les usages ont varié extrêmement sur ce point ; il no faut pas essayer
d’en résumer l’histoire. Les légumes ont toujours formé la base de l’ali
mentation des moines ; les œufs, le poisson, les laitages apparaissaient
jadis plus rarement sur leur table. A Cluny on cuisait des fèves tous les
jours : c’était le plat régulier par excellence (3). Naturellement saint
Benoît n’impose pas les deux mets; il les permet pour que tous les
appétits puissent se satisfaire et les forces de tous se réparer : propter
diversorum infirmitates. H ajoute que, grâce à ce double service, le frère
qui ne pourra pas manger d’un plat, pourra du moins se dédommager
avec l’autre. Mais, d’après la Règle, avons-nous le droit de faire hon
neur aux deux? Les commentateurs s'accordent entre eux et avec
l'usage pour l’affirmative. Donc, deux mets cuits suffiront aux frères,
reprend saint Benoît ; et l’on ajoutera en troisième lieu des fruits et des
légumes frais, si l’on peut se les procurer facilement, s’il y en a dans
le jardin du monastère : si fuerint inde (ou bien unde).
Le menu que vient de donner N. B. Père est celui de la journée tout
entière, c’est la quantité d’aliments fournie chaque jour, c’est la réfection
quotidienne, qu’il y ait deux repas ou qu’il n’y en ait qu’un seul, en
Carême comme pendant le reste de l’année. Telle est du moins l’interpréta
tion la mieux fondée (4) de ce texte de la Règle un peu trop concis :
ad refectionem quotidianam tam sextae quam nonae. Saint Benoît ne parle
que du repas de sexte ou de none ; quand on dînait à sexto, il y avait
souper le soir, mais le repas de sexte était le principal et il est probable
qu’on prélevait sur son menu non seulement le tiers du pain, comme
saint Benoît nous le dira dans un instant, mais les aliments qui convenaient
Je mieux à un souper frugal. Aux jeûnes de règle, on mangeait à noue ; pen
dant le Carême ecclésiastique, Punique repas se faisait le soir ; mais on
servait toujours la même quantité de nourriture, N. B. Père laissant à la
délicatesse de chacun le soin d’opérer les retranchements compatibles
(1) Quoi qu’en dise D. Calmet, la meilleure leçon des manuscrits est bien celle-ci,
et non omntl/us mensibus. en toute saison; on faisait parfois, en effet, une différence
entre le régime d’été et celui d’hiver : Cf Caton, De re rustica, c. lvi-lviii. Caton
veut qu’on donne, le quatrième mois, une hémine de vin aux travailleurs, tr.is homines
aux neuvième, dixième et onzième mois. Il parle au même endroit du publie.1 ium
d’olives,
(2) Pulmentarium signifie des mets, quels qu’ils soient, surtout les ragoûts,
parées, bouillies : Cf. Calmet, ίη Λ. I.
(3) Bernard., Ordo Clun., P. I, c. vi, xlvti. — Udalr., Consuet. Clun., 1. II, c. xxv.
(4) Voir surtout le Commentaire de D. Calmet,
DE LA MESURE DU MANGER
3°9
avec sa santé et avec l’obéissance (chap. XLIX). La plupart des anciens
coutumiers monastiques fournissent la justification pratique de ce
commentaire.
Panis libra una propensa sufficiat in die, sive una
sit refectio, sive prandii et coenae. Quod si coenaturi sunt, de eadem libra tertia pars a cellerario
servetur, reddenda coenaluris.
Chaque jour, qu’il y ait un seul repas ou bien dîner et souper, une livre
de pain suffira, une livre un peu forte, à bon poids, entraînant de son côté
le fléau de la balance : propensa. S’il y a souper, le cellérier réservera pour
le soir le tiers de cette même livre. H est probable que des divisions
tracées préalablement dans la pâte facilitaient ce partage (1). D’intermi
nables discussions se sont élevées relativement à la quantité exacte de la
libra propensa, comme aussi de l’hémine de vin dont il est parlé au chapitre
suivant (2). Toutes ces recherches peuvent avoir un intérêt de curiosité
et d’érudition, mais elles n’en ont vraiment aucun comme commentaire
et élucidation réelle de la sainte Règle. A supposer même que les mesures
n’aient pas varié selon les temps et les provinces tout en conservant
leurs noms, on voit bien que dans l’espèce N. B. Père prend les mesures
usuelles d’une façon approximative et non rigoureuse ; sa livre de pain
est un peu plus d’une livre, la capacité de son hémine est calculée peutêtre de manière à donner satisfaction aux exigences des. faibles. Et ce
qui paraît plus décisif encore, c’est le soin que prennent les moines du
Cassin de conserver le poids du pain et la mesure du vin fixés par N. B.
Père ; ils les emportent à Rome, en 581, lorsqu’ils sont chassés par les
Lombards (3); peut-être Pétronax et les restaurateurs du Cassin les
recouvrent-ils, grâce au pape Zacharie (741-752) (4); enfin l’Abbé du
Mont-Cassin Théodemar envoie à Charlemagne les mesures du pain et
du vin telles que les avait déterminées saint Benoît (5) .Toutes ces précau
tions deviennent superflues, si la livre et l’hémine sont des mesures inva
riables, connues de tous et d’usage courant; et l’on voit bien qu’il no
s'agit pas seulement de reliques de N. B. Père, mais de normes spéciales
(1) Cf. S. Greg. M., Dial., 11, c. xi. P. L., LXXVII, 212.
(2) Cf. Hæften, L X, tract, m-iv. — Lancelot, Dissertation sur Wmlne de vin cl
sur la line de pain de saint Benoist et des autres anciens religieux (Paris, 1667 ; deuxième
édition en 1688, plus complète). — Mabillon, Acta SS, O. S. B., Saec. IV, P. I, Praef.,
152-165.
(3) Cf Pauli Diac., De gestis Langobardorum, L IV, c. xvm, P. L, XCV, 548,
(4) Ibid., 1. VI, c. XL. P. L., XCV, 650-651.
(5) Pauli Diac , Episl, I. P, L., XCV, 1585,
316
COMMENTA IRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
données par lui (1). La livre romaine équivaut, d’après des calculs
récents, à 327 gr. 45 (2). Ce serait peu pour la nourriture quotidienne
d'hommes qui travaillent aux champs. Il y a lieu de croire, dit D. Calmet,
que saint Benoît n’a pas choisi la livre romaine, laquelle valait douze
onces (romaines), mais la livre marchande qui en valait seize (3). Beau
coup de commentateurs trouvent que ce n’est pas encore assez. Nos
Constitutions déclarent sagement que, puisqu’on ignore ce que repré
sente la livre de saint Benoît, on accordera le pain à discrétion.
Quod si labor forte factus fuerit major, in arbitrio
et potestate Abbatis erit, si expediat, aliquid augere,
remota prae omnibus crapula, ut numquam subri
piat monacho indigenes : quia nihil sic contrarium
est omni christiano quomodo crapula, sicut ait
Dominus noster : Videte ne graventur corda vestra in
crapula et ebrietate. Pueris vero minori aetate non
eadem servetur quantitas, sed minor quam majo
ribus, servata in omnibus parcitate.
Si large que soit déjà la mesure quotidienne et ordinaire du manger,
saint Benoît laisse pourtant encore àl’Abbé la faculté d’y ajouter quelque
chose, s’il le juge à propos, dans l’hypothèse, par exemple, d’un travail
extraordinaire. Le dessein de N. B. Père n’est donc point de pousser
d’office tous ses moines à la mortification héroïque et aux macérations
extrêmes. La fonction de l’Abbé n’est point d’écraser, mais d’établir
une juste balance entre le travail et la réparation physique qu’il
exige. Il prendra garde seulement à l’excès. Avant tout, que ces
compensations ne favorisent jamais la gloutonnerie et qu’un moine ne
soit jamais surpris parles suites honteuses de la gourmandise : indigenes.
Car il n’est rien de plus avilissant, non seulement pour le moine, mais
même pour tout chrétien, quo de tels excès ; et c’est à tous les siens que
Notre-Seigneur s’adressait en disant : a Prenez garde à ce que vos cœurs
no s’appesantissent point par l’excès dans le manger et le boire » (Luc.,
xxi, 34). Saint Benoît ajoute que les enfants du monastère auront la
(1) On conserve au Mont-Cassin un poids de bronze de 1 050 grammes, que Dom
Tosn croit être h libra propensa de saint Benoît : Della vita di San Benedetto, capo v
(edizione illustrata, p. 134). N’est-ce pas le poids d’un pain qui se partageait entre
plusieurs moines? (Ci. Calmet, Commentaire snr le chapitre xxxrx, p. 39-10.)
(2) · Dakembekg et Saglio, Dictionnaire des Antiquités grecques et romaines : Libra, rv.
(3) En France, la livre de Paris, la plus répandue, se divisait en 16 onces équivalant
à 80 gr. 59 Pane,
DE LA MESURE DU MANGER
311
portion qui convient à leur âge; et, avec la condescendance qu'ils
méritent, on observera aussi, en toutes choses, l’austérité qui convient
à la xûe dont ils font déjà profession.
Peut-être aujourd’hui la gourmandise porterait-elle plutôt sur les
raffinements et les exceptions que sur la quantité proprement dite. Et,
chose étrange, il faut parfois, actuellement, solliciter les gens à manger,
tout comme s’ils étaient manichéens et comme si se nourrir était un mal.
Il se rencontre quelques cerveaux bizarres qui regardent le manger et
le boire comme une humiliation et se détruisent par l'idée fixe ; ceux-là
ont besoin d’être surveillés et même contraints. En dehors de ces cas
pathologiques, l’Abbé laisse à chacun le soin d’apprécier devant Dieu ce
qu’il doit prendre et ce qu’il*peut retrancher. On mange pour vivre;
on prend ce qui est nécessaire pour soutenir le travail et faire face
aux obédiences ; et l’on garde toujours cette disposition de bonne édu
cation, d’hygiène et de mortification chrétienne qui nous fait demeurer
en deçà de la satiété (1). Il ne faut pas non plus que le réfectoire et
ce qui nous y attend devienne une préoccupation dans notre vie, un
souci constant et cruel.
L’idée des compensations et des suppléments au régime ordinaire a
été généralement bien accueillie et réalisée sous diverses formes. Les
coutumiers et les chartes de fondation du moyen âge mentionnent sou
vent les plats de surcroît et les distributions de pitances. A Cluny, on
finit par ajouter régulièrement aux fèves et aux légumes un « général i
ou une « pitance» d’œufs, de poisson, de fromage :1e général était la por
tion servie à chaque moine dans un plat spécial, la pitance un plat pour
deux (2). Les estomacs d’aujourd’hui ne se prêteraient plus aux solides
repas de nos anciens. H est vrai qu’ils avaient la saignée, souvent la
saignée mensuelle : mais, comme pour compenser aussitôt la « minution ·>
pratiquée, on offrait au patient un sérieux général et on le soumettait
à tout un régime réparateur.
Carnium vero quadrupedum ab omnibus absti
neatur comestio, praeter omnino debiles et aegrotos.
Rappelons-nous ce que saint Benoît nous a dit au sujet des malades,
au chapitre XXXVI : Sed et carnium esus, etc. Ici, même défense à
ceux qui se portent bien de manger de la viande, même exception en
faveur des frères sérieusement malades ou infirmes. Mais saint Benoit
11) Cf. Cass., Inst., V, vrn, — S. Auo., Confess., 1. X, c. xxxi. P. L, XXXII, 797 sa
12) C’est la définition que dinne Udalric, Consuet. Clun.,1. II, c, xxxv; et 1. III,
C, Χ.ΊΙΙ.
312
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
précise maintenant la portée de sa défense: carnium vero quadrupedum :
c'est la chair des quadrupèdes qui est interdite. Est-cc exclusif? La chair
des volailles se trouve-t-elle permise ou tolérée? Si étrange que cela nous
paraisse, il ne semble pourtant pas contestable qu’à l’époque de saint
Benoît, et pendant de longssiècles encore, les volatiles aient été considérés
par beaucoup, nous ne disons pas par tous (1), comme un mets compa
tible avec l’abstinence. On pouvait s’en priver par mortification, mais on
reconnaissait que c’était une chair de qualité inférieure ; plus fine peutêtre et plus agréable au goût que celle des quadrupèdes, elle était cepen
dant moins nourrissante, moins apte à allumer les passions. Et puis ne
lisait-on pas dans la Genèse que les poissons et les oiseaux avaient été
créés le même jour et tirés des eaux les uns et les autres? Comment sur
tout ne pas assimiler aux poissons le gibier aquatique, qui se nourrit
de poisson et qui en ale goût? Quelle que soit la valeur des raisons allé
guées jadis pour justifier l’usage de considérer comme maigre les bipèdes,
c’était un usage, et chacun sait que la casuistique d’aujourd’hui tolère
encore, aux jours d’abstinence, quelques oiseaux aquatiques. Ils étonne
raient d’ailleurs sur une table de moines ; et la question, pour nous, est
pratiquement décidée (2).
(1) S. Cf. s aire défend explicitement la volaille, sauf aux malades : Reg. ad mon.,
xxrv; Reg. ad virg., Recapitulatio, xvn.
(2) L'histoire en est bien résumée dans le Commentaire de D. Calmet. Lire aussi :
Hebrgott, Vêtus disciplina monastica, Pract., p. xn-xxxn. —D. Grégoire Berthelet,
Traité historique et moral de l'abstinence de la viande et des revolutions quelle a eues
depuis le commencement du monde jusqu'à présent, etc. (Rouen. 1731), III P., chap. i-n.
— D, Mège avait soutenu que saint Benoît défend la chair des oiseaux.
F
CHAPITRE XL
DE LA MESURE DU BOIRE
De mensura potus. — Unusquisque proprium habet
donum ex Deo : alius sic, alius cero sic. Et ideo cum
aliqua scrupulositate a nobis mensura victus alio
rum constituitur. Tamen infirmorum contuentes
imbecillitatem, credimus heminam vini per singulos
sufficere per diem.
Le chapitre tout entier semble un monument de cette discrétion
paternelle que nous avons remarquée si souvent et qui apparaît ici,
touchante, dans le soin avec lequel sont réglés les détails les plus maté
riels de notre vie. Tout d’abord c’est la reconnaissance formelle des diffé
rences de corps, d’âmes, de grâces, qui existent entre nous : a Chacun
tient de Dieu son don particulier : c’est ceci pour l’un, cela pour l’autre »
(I Cor., vu, 7). Et, à raison de ces variétés individuelles, N. B. Père avoue
qu’il n’aborde pas sans quelque inquiétude et sans un peu de timidité
la fixation de tout ce qui concerne le vivre d’autrui. 11 ne peut être
question de déterminer une mesure absolument invariable et rigide,
un lit de Procuste auquel se devront accommoder les grands et les
petits ; il ne faut point davantage se prendre soi-même comme le type
auquel tous se rapporteront. Mais alors, quel sera notre point de
repère? Nous serons attentifs, dit saint Benoît, à la faiblesse des petits,
des chétifs : de ceux qui sont petits quant aux forces physiques, et
aussi de ceux qui ne sont pas riches encore en vigueur morale. Et,
en vue de tous ceux-là, il nous semble qu’une hémine de yin, par jour,
suffira à chaque religieux. L’hémine romaine équivalait à peu près au
quart du litre (0 1. 2736) (1). Mais rappelons-nous ce qui a été dit plus
haut.
(1) Daremberg et Saglio, Dictionn, des AnliquiUs grecques ri romaints ! He
mina.
Jl i
314
COMMENTAIRE SUR L,V REGLE DE SAINT BENOIT
Quibus autem donat Deus tolerantiam abstinen
tiae, propriam se habituros merccdem sciant. Quod
si aut loci necessitas, vel labor, aut ardor aestatis
amplius poposcerit, in arbitrio prioris consistat, con
siderans in omnibus ne subrepat satietas aut ebrietas.
I
Après l’indication d’une moyenne raisonnable, la Règle, soucieuse à
la fois de l’esprit de mortification, de l’obéissance, de la condescendance,
prévoit les principaux cas qui peuvent survenir. Voici un moine qui
pense pouvoir se priver de vin, en tout ou en partie ; Dieu lui a donné
une santé vigoureuse et il lui inspire le secret désir de cette abstinence :
qu’il demande à son Abbé la permission exigée au chapitre XLIX et,
s’il l’obtient, qu’il renonce au vin, avec le double mérite de la générosité
et de la soumission.
Mais s’il est des cas où l’hémine, c’est trop, il en est d’autres où l’hémine,
c’est trop peu. Loci necessitas, labor, ardor aestatis : le climat est rigou
reux, ou bien l’on a fourni un travail extraordinaire, ou bien Ton est au
cœur de l’été et la chaleur est dévorante : un peu plus de boisson semble
réclamée par ces circonstances. Il appartiendra au supérieur d’accorder
ce supplément, mais en veillant par-dessus tout à ce que nul n’arrive
insensiblement jusqu’à l’ivresse ou même jusqu'à une satiété voisine
de l’ivresse. Les commentateurs donnent le détail des rasades accordées
aux moines à la lin ou en dehors des repas. A Cluny, outre la portion de
vin régulière servie au repas (la « justice », comme on disait), on donnait
assez souvent une « charité de vin », ou le pigmentum, mélange de vin,
de miel, de cannelle, de girofle.
Licet legamus vinum omnino monachorum non
esse; sed quia nostris temporibus id monachis per
suaderi non potest, saltem vel hoc consentiamus, ut
non usque ad satietatem bibamus, sed parcius : quia
vinum aposlatare facit etiam sapientes.
On dirait que saint Benoît rougit un peu de sa miséricorde paternelle
et se souvient avec quelque regret de l’héroïsme des Pères d’Orient. « Nous
lisons, dit-il, que le vin ne convient aucunement aux moines. » H lisait
cela textuellement dans le recueil des Verba Seniorum (1). Π lisait aussi
»! :
(1) Narraverunt quidam dblali Pastori de quodam monacho qui non bibebat vinum,
X
DE LA MESURE DU BOIRE
aïs
dans la Vie de saint Antoine que ni lui ni les autres ascètes fervents
if usaient de viande ou de vin (1). Cet usage n’était pourtant pas général :
V Histoire Lausiaque,pax exemple, nous apprend que les moines de Nitrio
buvaient du vin (2) ; ainsi faisait-on chez saint Césaire. De nos jours,
poursuit saint Benoît, il est impossible de persuader aux moines que
l’axiome des anciens est exact ; buvons donc du vin, puisqu’il faut
du vin, mais convenons du moins de n’en pas boire jusqu’à satiété (3)
et de rester en deçà, car « le vin fait apostasier même les sages» (Eccll,
xix, 2). Au Mont-Cassin, comme à Vicovaro (4), saint Benoît buvait
du vin. Il lui eût été facile d’étonner chacun par sa mortification : il
était entraîné, il n’avait qu’a se souvenir de Subiaco. Mais, devenu père
de famille, il s’harmonisait avec les dispositions et les coutumes légi
times de scs moines.
Ubi au te ni loci necessitas exposcit, ut nec suprascripla mensura inveniri possit, sed mullo minus,
aut ex toto nihil, benedicant Deum qui ibi habitant,
et non murmurent. Hoc autem omnino admonentes,
ut absque murmurationibus sint.
On se bornera donc à l’hémine, qui offre un moyen terme entre l’abs
tinence absolue et la satiété. Encore faut-il prévoir telle circonstance
où cette mesure réduite elle-même ne se rencontrera point. Le monastère
est pauvre, le pays n’a pas de vignobles : on ne peut se procurer que
beaucoup moins, ou peut-être même rien du tout. Alors les moines de
cette région béniront Dieu, de qui vient le vin, de qui vient la privation,
Di n’est pas mortelle.
et ils feront bonne figure à cette petite détresse. Elle
Nous sommes dans la condition de ceux qui font la guerre : Omnis qui in
agone contendit, ab omnibus se abtlinel; et üli quidem ut corruptibilem coro
nam accipiant, nos autem incorruptam (I Cor., ix, 25). H ne faut jamais
Hlll
murmurer ni s’assombrir pour des questions comme
celles-là. Avant tout,
redit avec force N. B. Père, nous avertissons les moines privés de leur
portion de vin de s’abstenir aussi des murmures.
I
ci dixit eis : Quia vinum monachorum omnino non esi (Γετδα Ssmonxm : Vitae Patrum,
V, iv, 31. Rosweyde, p. 570).
(1) S. Athanasii, Vita S. Antonii, c. vn. P. G., XXVI, 853. — Cf. S. Aug., De
moribus Eccles, cathol., 1. I, c. xxxi. P. L., XXXII, 1339. — S. Hiekox., Ep. LII,
11 ; Ep. XXII, 35. P. L., XXII, 53G-537 ; ibid., 420.
(2) C. VII (Roswetde, p. 713).
* I
(3) Ut non usque ad satietatem persistamus ύι edendo (S. Basil., Eeq. c-ontr., ix).
(4) S. Greg, M., Dial., ). II, c, ni,
CHAPITRE XL I
QUELLES DOIVENT ÊTRE LES HEURES DES REPAS POUR LES FRÈRES
— A
sancto Pascha usque ad Pentecosten ad sextam refi
ciant fratres, et ad seram coenent.
Quibus horis oporteat
reficere
fratres.
Saint Benoît distingue pour l’année quatre époques relativement à
l’heure des repas. Depuis la sainte Pâque jusqu’à la Pentecôte, il n’y
a point de jeûne, et ceci est conforme à l’ancienne discipline de Γ Église.
Encore que saint Benoît n’en dise rien, il est sûr que les moines ne jeû
naient pas non plus le dimanche. On comptait deux repas : l’un au milieu
du jour, à la sixième heure ; l’autre le soir, c’est-à-dire avant le coucher
du soleil, et cette heure variait naturellement selon les saisons. Alors
que chez les Grecs et les Romains le dîner de midi était communément
un peu sommaire, il était au contraire chez les moines le repas principal.
A Pentecoste autem, tota aestate, si labores agro
rum non habent monachi, aut nimietas aestatis non
perturbat, quarta et sexta feria jejunent usque ad
nonam : reliquis vero diebus ad sextam prandeant.
Quae prandii sexta, si opera in agris habuerint, aut
aestatis fervor nimius fuerit, continuanda erit, et in
Abbatis sit providentia. Et sic omnia temperet atque
disponat, qualiter et animae salventur, et quod
faciunt fratres, absque ulla murmuratione faciant.
A partir de la Pentecôte et pendant tout l’été, c’est le même régime
que pour le temps Pascal, avec cette différence que le mercredi et le ven
dredi sont jours de jeûne régulier. Ces fériés quatrième et sixième étaient
31 r>
DE L'HEURE DES REPAS
317
aussi pour tous les chrétiens des premiers siècles des jours de pénitence (1).
Mais, afin de distinguer le jeune des mercredis et vendredis de celui du
Carême, saint Benoît anticipe l’heure du repas unique : il se prend à
none, c’est-à-dire vers trois heures de l’après-midi. C’est aussi à none
que, dans certains lieux, l’on rompait le jeûne, non seulement pendant
cette période de l’année, mais même en Carême (2). Les autres jours, dit
saint Benoît, on mangera à sexte. Comme il ne parle pas du souper et que
des documents anciens, tels que la Règle de saint Fructueux et la Règle
du, Maître, l’excluent formellement, quelques commentateurs doutent
qu’il y eût en été, au Mont-Cassin, un prandium et une coena (3). Mais
l’usage de tout l’Ordre est d’accorder deux repas tous les jours qui ne
sont pas de jeûne.
N. B. Père permet un adoucissement du régime d’été dans le cas de
travaux extraordinaires ou de chaleurs excessives. Les heures, en cette
saison, étaient plus longues, et d eut été souvent fort pénible d’attendre
jusqu’à none pour se restaurer. Quae prandii sexta continuanda erit : on
continuera l’usage du repas pris à sexte, c'est-à-dire que toute la semaine,
y compris le mercredi et le vendredi, le dîner aura lieu à sexte. Probable
ment, il y avait aussi souper le soir ; c’était la suppression pure et simple
du jeûne. L’appréciation de ce qu’il convient de faire est remise au juge
ment paternel, à la prévoyance de l’Abbé. Et qu’ainsi, ajoute saint
Benoît, il ménage et dispose toutes choses de telle manière que les âmes
se sauvent et que le travail des frères s’accomplisse sans murmure. C’est
toujours le même souci du tempérament, de la mesure ; toujours la même
crainte du murmure et des protestations, même purement secrètes. H
vaut mieux dispenser du jeûne que d’exposer les frères au découragement
et à la tristesse.
Ab Idibus autem Septembris usque ad caput Qua
dragesimae, ad nonam semper reficiant fratres.
La troisième période, celle que nous appelons le Carême monastique,
va depuis les ides fermées de septembre, depuis les calendes ouvertes
(1) Cf. S. Epiph., .-ldi’. Haereses, 1. Ill, t. II : Expositio fidei, xxn. P. G., XLII,
825-828.
(2) Cf. Socrat., Hist, eccles., 1. V, c. xxn. P. G.. LXV1I,625-646. — Cass., Conlal. Π,
XXVI ; XXI, xxni.
(3) S. Jérôme écrit, dans sa Préface à la Règle de S. Paeôme (5) : Bis in hebdomada,
quarta et sexta Sabbati ab omnibus jejunatur, exeepto tempore Paschae ei Pentecostes.
Aliis diebus comedunt qui volunt post meridiem; et in coena similiter mensa ponitur,
propter laborantes, senes, et pueros, aestusque gravissimos. Sunt qui secundo parum
comedunt; alii qui prandii, sive coenae uno tantum cibo contenti sunt, Cf. Labeuze,
Étude sur le cénobitisme pakhomien, p. 298-299.
• 318
·
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
d’octobre, c’est-à-dire depuis le 14 septembre jusqu’au Carême ecclésias
tique. Alors le repas est à none. Rien ne prouve qu’il y eût collation
les jours de jeûne. Mais rappelons-nous que la quantité de nourriture
était probablement la même en tout temps ; que, les jours de jeûne, on
servait en une fois ce qu’on servait les autres jours en deux ; l’heure de cet
unique repas était simplement plus ou moins retardée.
In Quadragesima vero usque ad Pascha, ad vespe
ram reficiant. Ipsa tamen Vespera sic agatur, ut
lumine lucernae non indigeant reficientes, sed luce
adhuc diei omnia consummentur. Sed et omni tem
pore, sive coenae, sive refectionis hora sic tempe
retur, ut cum luce fiant omnia.
Depuis le début du Carême (mercredi des cendres ou premier di
manche) (1) jusqu’à Pâques, on mangera seulement à l’heure de vêpres,
après l’office. Pendant de longs siècles ce fut aussi l’usage le plus commun
des clercs et des fidèles.
N. B. Père veut que le repas de Carême se prenne avant le coucher du
soleil; cette anticipation sera un petit soulagement pour les frères. On
placera donc l’office de Vêpres à une heure qui permette aux moines de
terminer leur repas à la clarté du jour et sans avoir besoin de lumière.
Ainsi, le lecteur pourra lire sans chandelle, et surtout les frères seront
moins tentés de se dissiper pendant le repas : les petits colloques eussent
été faciles dans un réfectoire assez mal éclairé. Et saint Benoit généralise
cette mesure : toute l’année, l’heure du souper ou l’heure de l’unique
réfection seront calculées de telle sorte que tout s’accomplisse à la lueur
du jour qui finit. Mais, peut-on objecter, en hiver, le souper sera bien
près du dîner? A cette difficulté D. Calmet répond : « 1° Que saint Benoît
a parlé selon le climat d’Italie où il écrivait et où les jours pendant l’hyver
sont plus longs qu’en France, en Allemagne et dans le Nord. 2° Qu’il n’est
nullement certain qu’il ait accordé le souper à ses religieux depuis l’Exaltation de la sainte Croix jusqu’à Pâques, aux jours qu’on mangeait à
l’heure de Sexte, non plus qu’aux jours où l’on ne mangeait qu’à l’heure
de None... 3° Supposé qu’il l’accordât, c’était plutôt un léger goûter qu’un
souper... »
(1) Cf. Didionn, (TArchiol, duel, cl de Lilurg., art, Caput Jejunii;
CHAPITRE XLH
QUE PERSONNE NE PARLE APRÈS COMPLIES
Rappelons-nous la division de la Règle qui a été proposée an chapitre Ier. La portion centrale, de XXI à LVII inclusivement, est relative
à la législation et au régime intérieur du monastère. Elle se subdivise en
trois parties : XXI-XXX, les doyens, et, à l’occasion des doyens, leur
office et le code pénal ; XXXI-XLI, le cellérier, et, à l’occasion du cellirier, tout ce qui se rattache d’une façon plus ou moins immédiate à son
office. C’est de régularité et d’observance qu’il est question maintenant.
Et il sera facile de remarquer à quel point le chapitre XLH suppose le
précédent et s’appuie sur lui.
— Omni tem
pore silentio debent studere monachi, maxime
tamen nocturnis horis, et ideo omni tempore, sive
jejunii, sive prandii.
L’t post Completorium nemo loquatur.
Saint Benoît commence par le silence, comme pour rappeler que c’est
le point le plus considérable de l’observance monastique. Lorsque les
supérieurs réclament, à maintes reprises, en faveur du silence, on pourrait
croire qu’il s’agit d'un vague lieu commun, d’un thème auquel on s’attache
lorsqu’on n’a rien d’autre à dire : ce n’est pourtant qu’imiter N. B. Père.
Sans revenir sur les considérations doctrinales et pratiques auxquelles
a donné lieu le chapitre VI, nous pouvons bien observer encore que le
silence, comme la pauvreté et la mortification, n’a qu’une valeur relative.
Le silence n’est pas la perfection, le mutisme absolu n’est pas la sainteté.
11 est des natures qui, par timidité ou par tranquillité foncière, n’aiment
pas à se traduire : le silence est alors de tempérament, il n’est pas vertu.
Ce qui fait son excellence, c’est sa relation volontaire, intentionnelle,
avec la perfection et avec Dieu : le silence est moyen de prière, c’est une
condition et un fruit du recueillement intérieur, c’est le gardien et l’indice
de la charité.
''7
319
3’0
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
Il y a entre les fins de la vie monastique et le recueillement une liaison
telle que la parole de saint Benoît se fait instante et comme impérieuse :
les moines doivent, — ce n'est pas une simple invitation, — ils doivent en
tout temps, —sans exception et alors même qu’ils parlent, s’appliquer au
silence et l’aimer. Omni tempore silentio debent studere monachi : tel est
l’axiome général, mais dont les applications varient avec les temps, les
lieux, les matières de conversation. Car saint Benoît, nous l’avons
remarqué ailleurs, n’a prescrit nulle part la suppression absolue de toute
parole ; il institue des degrés dans le silence ; et la diversité même de ces
degrés, quelquefois aussi l’exclusion spéciale prononcée contre certains
discours, tout ce détail de mesures préventives serait hors de mise dans
une maison où l’on ne parle jamais. Ici, N. B. Pore assure un privilège au
silence de nuit (1). Et les Ordres religieux ont adopté universellement
après lui une mesure qui se justifie par des raisons multiples. En premier
lieu celle du bon ordre, tous les religieux couchant dans un même dortoir,
et la vigilance de l’Abbé et des doyens se trouvant alors détendue.
C'est de plus une question de mortification ; tandis que tout se tait et
que tout se recueille, notre volonté se soumet aux exigences des choses;
nous nous mettons simplement à l’unisson de la nature. Lorsque tout
bruit a cessé, la fermentation des images s’apaise en nous, la réflexion
et la prière deviennent plus faciles ; et il s'accomplit dans le secret des
âmes quelque chose de ce que la Sagesse nous rapporte de l’intervention
libératrice de l’Ange et que l’Église applique à la venue du Seigneur icibas : Cum enim quietum silentium contineret omnia, et nox in suo cursu
medium iter haberet, omnipotens sermo tuus de caelo a regalibus sedibus...
prosilivit (Sap., xvin, 14-15).
Outre la recommandation générale du silence, il est réellement question
de trois choses, dans ce chapitre : de la lecture ou conférence spirituelle,
de l’office de Complies, du silence de nuit. La fin de la première phrase
office quelque difficulté d’interprétation. On remarquera la ponctuation
que nous avons adoptée (2) ; les éditions de Schmidt et de W· Ifllin ont mis
un point après horis et deux points après les mots si e prandii. Avec
l'une et l’autre ponctuation, la clausule et idea, etc., est à la fois la con
clusion du précepte général qui précède et l’annonce du détail qui suit.
Le sens paraît être celui-ci : c’est en tout temps que les moines doivent
s’appliquer au silence, mais surtout aux heures de nuit ; aussi, en
tout temps (3), qu’il y ait jeûne ou bien dîner et souper, les choses
(1) On trouve avant saint Benoît quelques témoignages en faveur du silence de nuit:
Nemo allen loquatur in tenebris, dit la Règle de S. Pacôme (xctv). Finitis igitur psalmis
et cotidiana congregatione, sicut superius memoravimus, absoluta, nullus eorum vel
ad modicum subsistere aut sermocinari audet cum allero (Cass., Inst., II, xv).
(2) C’est celle à laquelle s’est tenu D. Guéranger dans sa traduction française de la
Règle.
(3) Omni tempore semble signifier ici : toute l’année, tous les jours, tandis qu’au
QUE PERSONNE NE PARLE APRÈS COMPLIES
ÎS1
sc passeront comme il suit. Et, dans une large parenthèse, saint
Benoît nous indique comment les frères se préparent au silence de nuit
et à quel moment il commence, soit qu'il s’agisse d’une journée où Ton
fait deux repas, soit qu'il s’agisse d’un jour de jeûne, — de jeûne régulier,
car N. B. Père, nous dirons pourquoi, n’a point envisagé explicitement le
cas des jeûnes ecclésiastiques. Après cette parenthèse, et avec les mots :
Et exeuntes a Completorio..., nous revenons à l’idée du silence de nuit.
Un troisième système de ponctuation, assez commun, consiste à faire
commencer la phrase avec Et ideo... et
ou à des chants exécutés par tout le chœur? Nous ne saurions le dire ;
l’expression nec totum perdat de plus haut semble indiquer qu’ils n’avaient
pas un rôle purement passif. Nous ne voyons pas bien non plus, d’après
le seul texte de la Règle, si cette exclusion du chœur pouvait être main
tenue pendant plusieurs offices, lorsque la négligence était plus grave, ou
plus habituelle, ou bien lorsque la satisfaction finale se faisait attendre.
Mais saint Benoît nous dit que le négligent reprenait au chœur sa place
et son rôle accoutumés sur une invitation formelle de l’Abbé : dans le
cas, par exemple, où ce frère avait à remplir un office qui, sans lui,
serait demeuré vacant ou en souffrant e ; il ne fallait pas, pour châtier
le retard d’un seul, déconcerter l’ordre de la prière commune. Cependant,
même alors, le coupable devait faire, après l’office, une satisfaction
publique.
On a pu remarquer que N. B. Père est plus condescendant pour les
retardataires de Matines que pour ceux du jour; chacun comprend
pourquoi. A l’office de nuit, il fait grâce jusqu'après le verset, le
psaume in et l’invitatoire ; aux Heures de jour, le châtiment tombe
sur ceux qui se présentent après le premier psaume. Mais qu'est-ce que
saint Benoît entend par l’expression diurnis Horis?Cassieu, dans un pas
sage que N. B. Père utilise en le modifiant (2), décrit les satisfactions des
moines palestiniens lorsqu’ils arrivent en retard aux offices de nuit : in
nocturnis conventiculis, ou bien à Tierce, Sexte et None: in Tertia, Sexta vel
Nona. Cassien ne dit rien des autres Heures ; les Laudes pouvaient rentrer
dans la catégorie des offices de nuit, Complies n’existait probablement
pas encore dans cette région, Prime était d’institution toute récente :
mais les Vêpres? pour cet office du soir y avait-il aussi, au point de vi e
des satisfactions, le meme régime que pour les réunions nocturnes (3)?
Quelles qu’aient été, d'ailleurs, les habitudes palestiniennes, rien no
nous permet de conclure à une coïncidence rigoureuse entre les dispos,(1) Voir p. 1C8-1G9.
(2) hut., III, vu.
(o) Voir p. 195, note L
330
COMMENTAIRE SUB LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
tions dont parle Cassien et celles de saint Benoît. Si N. B. Père entend
réellement parler des Laudes et des Heures suivantes, il nous faut recon
naître à toutes ces Heures l’existence du verset Deus in adjutorium, alors
que dans l’exposition de son c-rsus il ne le mentionnait explicitement
que pour Prime, Tierce. Sexte et None (1); et nous devons admettre
q.i‘à Laudes les retardataire ; ont jusque après le Gloria du psaume lxvt,
qui se dit lentement à dessein comme l’invitatoirc, ut omnes occurrant
ad quinquagesimum (chap. XIII) (2). Peut-être enfin le fait que saint
Benoît ne mentionne pas ici l'hymne, entre le verset et le premier psaume,
serait-il une preuve qu’il veut faire rentrer dans une formule unique et
exacte le cas des offices de jour où l’hymne est avant la psalmodie (Prime,
Tierce, Sexte, None) et le cas des autres offices où l’hymne ne vient
qu’après (Laudes, Vêpres et Complies).
Ad mensam autem qui ante Versum non occur
rerit, ut simul omnes dicant Versum et orent, cl sub
uno simul omnes accedant ad mensam : qui per
negligenliam suam aut vitium non occurrerit, usque
ad secundam vicem pro hoc corripiatur : si denuo
non emendaverit, non permittatur ad mensae com
munis participationem, sed sequestratus a consortio
omnium reficiat solus, sublata ei portione sua vini,
usque ad satisfactionem et emendationem. Similiter
autem patiatur, qui ad illum Versum non fuerit
praesens, qui post cibum dicitur.
Saint Benoît garantit maintenant la conventualité des repas. Elle
est, somme tonte, facilement réalisable : car des raisons décisives déter
minent les moines à se rendre tous et sans trop de lenteur au réfectoire.
La réunion est vraiment complète ! Mais si tous sont présents aux repas,
tous aussi doivent être présents à la prière qui les précède, comme à
celle qui les suit. Il y avait donc, dès cette époque — et l’usage est aussi
ancien que le christianisme (3) — une formule de bénédiction de la table
(1) Voir p. 181 et 201
(2) N’est-ce pas précisément par allusion à Laudes et pour prévenir tonte confusion
entre le psaume lxvi et le V, que saint Benoit spécifie qu’il s’agit bien du premier
psa une qui port versum dicitur?
<3) La bénédiction avant la fraction du pain est le geste familier du Seigneur (Lee.,
XXIV. 30-35) et des Apôtres (Act., xxvii, 33-35). Cette bénédiction se retrouve à
1 Agape des premiers chrétiens ; lire sur ce sujet les chapitres ix et x de la Didaché,
DES R ET A R D A T A 1 fl ES A L'OFFICE ET A LA TAREE
JJ1
et une formule d’action de grâces : saint Benoît appelle simplement
l’une et l’autre un « verset » (1). Et il demande trois choses pour le début
du repas : que tous soient réunis avant le verset, que tous le disent en
même temps et prient, (et orent) ; enfin, que tous ensemble se mettent à
table, ut sub uno simul omnes accedant ad mensam. Par cette prescription
et par celle qui vise la fin des repas, N. B. Père a peut-être le dessein
formel d’écaiter de sa communauté l’usage qu’avaient les moines de
saint Pacéme d’aller ou de n’aller pas, à leur gré, au réfectoire et d’en
sortir quand ils voulaient (2). Ce qui est sûr, c’est que, pour saint Benoît,
le monastère est une société fraternelle très unie où tous suivent le même
horaire, où tous sont bénis et consacrés, et où toutes les œuvres, même
les plus matérielles, sont sanctifiées par la prière.
Celui qui, par mollesse ou par caprice, n’arrivera pas avant la prière,
sera repris d’abord jusqu’à deux fois. Saint L’enoît établit donc discrète
ment une différence entre la négligence à se rendre à l’office divin et
la lenteur à venir au réfectoire. Ici, la faute est moins grave. Pourtant,
si une double réprimande n’amenait pas la correctional faudrait refuser
désormais au coupable la participation à la table commune (3). Il ne
s'agit pas de l’excommunication de la table telle qu’elle est prévue au
chapitre XXIV, mais d’une peine analogue à celle qui vient d'être décrétée
contre le moine qui arrive en retard à l’office. Le réfectoire, comme le
chœur, avait une place pour les négligents : c’est là qu’ils mangeaient,
seuls, séparés de la société des frères et privés de leur part de vin ;
mais ils ne mangeaient pas en seconde table ni en dehors du réfectoire (4).
La preuve en est dans les exigences formulées par saint Benoît pour
que les retardataires puissent recouvrer leur vin avec leur rang : il
faut qu’ils aient fait satisfaction et se soient amendés ; or, ils ne pouvaient
témoigner de leur ponctualité reconquise qu’à la condition d’être main
tenus au réfectoire commun. N. B. Père décide enfin qu’un châti
ment identique sera infligé au moine qui s’esquiverait avant les grâces.
dont l’interprétation a été fixée d’une façon vraiment définitive par D. Cagix (L’Euc'aristia, 11e partie, vin).
(Ij Sur les prières des repas monastiques, cf. MÉNARD, Concordia Regularum, p. 7657 >>. — II.eften. 1 X. tract, i, disq. vl — Martèxe, De antiq. monach. rit., L I, c. ix.
(2) Si.Kt qui secundo parum comedunt; alii qui prandii, site coenae uno tantum ufco
onlenli sunt. Nonnulli gustato paululum pane egrediuntur. Omnes pariter comedunt.
Qui ad mensam ire noluerit, in cellula sua panem tantum el aquam, ac salem accipit
(S. TIieron., Prae), in Reg. S. Pach., 5). Mais, quand les moines de S. Pacômb viennent
au réfectoire, ils doivent arriver à l'heure déterminée, car nous lisons dans la même
Règle : ô’i çuis ad comedendum tardius venerit, excepto majoris imperio..., agel p.vnitentiam, aut ad domum jejunus revertetur (xxxn).
(3) Quae signo tacto tardius ad opus Dei, vel ad opera venerit, increpationi, ut dignum
est, subjacebit. Quod si secundo aut tertio admonita emendare noluerit, a communione, vel
a convivio separetur (S. Caesar., Reg. ad virg., x).
(4) S. Basile condamne h's retardataires à attendre le repas du jour suivant (Reg.
c .nlr., xcvn); il distingue, d’ailleurs, entre les retards coupables et ceux qui ont uae
excuse.
332
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
Noc quisquam praesumat ante statutam horam,
vel postea, quidquam cibi vel potus percipere. Sed
et si cui offertur aliquid a priore, et accipere renue
rit, hora qua desideraverit, hoc quod prius recusavit
aut aliud omnino non percipiat, usque ad emenda
tionem congruam.
S’il eût été loisible aux frères peu réguliers de manger et de boire avant
ou après l’heure déterminée, ils se fussent certainement consolés d’être
privés de leur vin, au repas commun, et d’y être mis en pénitence; ils
eussent mis peu d’empressement à se corriger. Mais saint Benoît défend
de manger ou de boire, si peu que ce soit, en dehors du réfectoire et des
repas conventuels (1). Aussi bien, il serait indigne d’un moine de manger
à toute heure, de boire dès qu’il en a l’occasion, d’aller chercher un petit
dessert dans la vigne ou le fruitier. Il n’est pas même au pouvoir du cellé
illii
rier ou de celui que nous nommons
le dépositaire d’apprécier les besoins
de chacun, de faire d’aimables distributions, d’avoir des prévenances
affectueuses pour tel ou tel frère. Allons plus loin : au réfectoire, une
permission est nécessaire pour l’échange d’un mets contre un antre dont
il nous semble que notre estomac s’accommodera mieux. Et comme
l’esprit de singularité et de mollesse est d’une habileté et d’une obs
tination extrêmes, nous devons nous tenir en garde, à mesure surtout
que nous prenons de l’âge, contre la recherche de nos aises, de nos pré
férences, de nos goûts (2). Enfin, peut-être n’est-il pas absolument oiseux
de remarquer que, si les lois de la vie commune et de la mortification
nous interdisent de nous adjuger quoi que ce soit en dehors des repas,
la pauvreté nous défend aussi d’offrir à un frère une portion dont nous
croyons devoir nous priver. Même, parce que nous sommes plus pauvres
que les pauvres, nous ne pouvons disposer librement de notre superflu :
« brouiller », sans en rien prendre, une portion quelconque, afin de témoi
gner qu’on y a touché et de la transformer ainsi en objet d’aumône,
constitue une légère méconnaissance de la vraie pauvreté monastique.
Saint Benoit interdit au moine de s’adjuger ou de recevoir irrégu
lièrement, mais il reconnaît au supérieur le droit d’accorder un soula
gement ou un petit supplément, soit au cours, soit en dehors du
repas commun. Et N. B. Père tient à ce que le moine accepte avec
(1) Ante quam vel post quam legitimam communem que refectionem summa cautione ser
ratur, ne extra mensam quicquam cibi penitus ori suo quisquam indulgere praesumat, etc,
(Cass., Inst. IV, χνιπ).
(2) CL S. Basil., Reg. conlr., xo.
DES RETARDATAIRES A L'OFFICE ET A LA TABLE
333
humilité et courtoisie ce que lui offre la condescendance de son
Abbé. Non pas sans doute qu’il entende obliger les frères à prendre
indistinctement et en entier tout surcroît qu'ils estimeraient trop abon
dant ou nuisible : gracieusement il faut recevoir, gracieusement aussi il
est permis de s’excuser ;et ce que saint Benoît a voulu bannir, c'est plutôt
une disposition de fausse austérité, de boutade, d’incivilité. On a repoussé
avec hauteur, mais peu après on se ravise, et on en vient à désirer et à
réclamer la chose refusée naguère : le supérieur doit alors, dit saint
Benoît, se souvenir de l'indocilité et refuser non seulement la chose en
question, mais encore toute espèce de faveur, et peut-être même des choses
fort nécessaires, jusqu'à ce que le frère ait fait amende honorable et
réparé convenablement sa maladresse (1).
(1) Le sens que nous donnons aux paroles de saint Benoît est à peu près le même,
semble-t-il, que celui du texte de S. Basile, qui les a inspirées : S: giw iralus luerit,
nolens accipere aliquid eorum quae ad usum praebentur? Isle tais dignus est etiam υί
si quaerat non accipiat, usquequo probet is qui protest; et cum viderit vilium animi
curatum. lune etiam quod corporis usibus necessarium fu r.l pratbebit (Ileg. conlr,t xcyi).
Voir aussi rintemgation précédente.
CHAPITRE XLIV
COMMENT LES EXCOMMUNIÉS FONT SATISFACTION
Saint Benoît continue la nomenclature des procédés moyennant les
quels s’expient les fautes contre l’observance, des satisfactions par
lesquelles nous rentrons en grâce. Si les erreurs légères réclament châti
ment et satisfaction, à fortiori les manquements plus sérieux ou très
graves n’y échapperont pas. En indiquant la série ascendante des châti
ments que méritent ces deux dernières catégories de fautes, N. B. Pèie
a décrit, aux chapitres XXIV et XXV, l’état des excommuniés ab
oratorio et a mensa et des excommuniés a mensa : il nous dit maintenant
de quelle façon les uns et les autres peuvent acheter le pardon. Pour
sortir de 1’excommunication régulière complète, il faut passer par toute
une filière d’expiations graduées et savantes, dans laquelle on peut dis
tinguer quatre degrés (1).
De iis qui excommunicantur, quomodo satisfaciant.
— Qui pro graviori culpa ab oratorio et a mensa ex
communicatur, hora qua opus Dei in oratorio cele
bratur, ante fores oratorii prostratus jaceat, nihil
dicens; nisi tantum posito in terram capite et pro
stratus, pronus omnium de oratorio exeuntium pedi
bus se projiciat. Et hoc tamdiu faciat usque dum
Abbas judicaverit satisfactum esse.
Ill
L’excommunié qui s’est soumis
et consent à être réconcilié avec Dieu
Hhi
et avec ses frères est traité comme
l’étaient, aux premiers siècles, les
pénitents publics. A l’heure où se célèbre l’Œuvre de Dieu, à tous les
offices, il vient se prosterner dehors, devant la porte de l’oratoire, et sans
rien dire. H est possible que l’intention de N. B. Père soit de maintenir
On retrouve dans ce chapitre quelques réminiscences verbales de Cassien Inst’’ II,
χνι/ΙΥ,χνι.
31i
COMMENT LES EXCOMMUNIÉS FONT SATISFACTION
335
l’excommunié à la porte do l’oratoire pendant toute la durée de la
prière et que les mots nihil dicens lui défendent de prendre une part
quelconque à la liturgie. Plusieurs témoignages historiques confirme
raient cette interprétation (1). Pourtant, demeurer ainsi à la porte
pendant tout l’office des longues nuits d’hiver serait chose pénible (2);
surtout si l’on prenait à la lettre l’expression prostratus jaceat. Ne semblet-il pas que saint Benoît lui-même explique sa pensée lorsqu’il ajoute,
aussitôt après nihil dicens, nisi tantum...? L’excommunié se présentera
devant l’oratoire tandis que les frères en sortiront; il ne prononcera
aucune parole, mais se bornera à se prosterner, le front dans la pous
sière, et à se jeter aux pieds de tous, — soit devant chacun, soit
plutôt pendant que dure le défilé du convent. Le premier remède à tout
mal est l’humilité, et le moyen de l'humilité, l’humiliation. Les vertus
morales s’acquièrent par l’exercice, par l’addition et la répétition des
actes. L’excommunié continuera d’agir ainsi, dit la Règle, jusqu’à
ce que l’Abbé juge que cette première satisfaction est complète et suffi
sante.
Qui dum jussus ab Abbate venerit, provolvat se
ipsius Abbatis pedibus, deinde omnium vestigiis
fratrum, ut orent pro eo.
C’est le deuxième degré de l’expiation régulière. Sur l’invitation de
l’Abbé, le pénitent vient se jeter à ses pieds, puis aux pieds de tous les
frères, sollicitant leurs prières, par des paroles, ou simplement par son
attitude suppliante. On pressent que 1 excommunication sera bientôt
levée et le coupable réintégré dans la famille. Saint Benoit ne nous dit
pas en quel lieu se fait cette seconde démarche.
Et tune, si jusserit Abbas, recipiatur in choro,
vel in ordine quo Abbas decreverit; ita sane, ut
Psalmum aut Lectionem vel aliud quid non praesu
mat in oratorio imponere, nisi iterum Abbas jubeat.
Lorsque l’Abbé l’ordonne, le pénitent est reçu au chœur, mais au rang
que l’Abbé juge bon de lui assigner, non forcément à la place qu’il
(1) Voir la Règle de S. Fructueux (xrv), la Règle du Maître (xrv). — MÉNARD,
Concordia Regularum, p. 532-533.
(2) Π est vrai que, devant l’église, se trouvait, d’ordinaire, un atrium couvert;
c’est là que se tenaient les pénitents et les catéchumènes.
336
il
COMMENTAIRE SL’R LA REGLE DE SAINT BENOIT
occup.iit avant sa chute. Et afin qu’il comprenne que son état n’est
encore que celui de la convalescence, il lui est défendu de chanter ou de
réciter (en solo probablement, ou avecla« schola»)les psaumes, les leçons,
ou d’autres pièces liturgiques du même caractère. Sa voix n’aura le droit
de s’élever devant Dieu et devant les frères qu’après autorisation formelle
de l’Abbé. Saint Benoît, s’il est discret dans l’usage des châtiments,
n’aime pas cependant les amnisties rapides et totales, les facilités de
pardon qui provoquent le retour des mêmes fautes.
Et omnibus Horis, dum completur opus Dei, pro
jiciat se in terram, in loco in quo stat, et sic salisfaciat, usque dum ei jubeat Abbas, ut quiescat ab hac
satisfactione.
ί
Alors même qu’il a retrouvé place à la prière commune, le moine péni
tent doit encore une dernière satisfaction. A la fin de chaque office, il se
prosternera à terre, à la place même qu’il occupe au chœur ; et il renou
vellera cette satisfaction jusqu’à ce que l’Abbé lui ordonne de s’en abstenir
et de demeurer en paix. Il n’est pas dit, notons-le bien, que le moine
remontait alors au rang qu’il occupait avant sa faute; N. B. Père a
reconnu ailleurs à l’Abbé le droit de dégrader pour des motifs fondés :
certis ex causis (chap. LXIII).
Qui vero pro levibus culpis excommunicatur tan
tum a mensa, in oratorio satisfaciat usque ad jussio
nem Abbatis; et tamdiu hoc faciat, usque dum bene
dicat et dicat : Sufficit.
L’expiation était de nature moins complexe et plus bénigne lorsqu’il
s'agissait de l’excommunication mineure, dite a mensa parce qu’elle se
traduisait surtout au réfectoire. Au chœur, l’excommunié était seulement
privé du droit d’imposer les psaumes et les antiennes et de réciter les
leçons, — jusqu’à ce qu’il ait satisfait, ajoutait saint Benoît (chap. XXIV).
Ici, N. B. Père se borne à décréter que cette satisfaction aura lieu à l'ora
toire, qu’elle durera autant que l’Abbé le jugera convenable, qu’elle se
répétera jusqu’à ce qu’il ait accordé sa bénédiction et prononcé : Cela
suffit. Mais en quoi consistait cette satisfaction? Elle n’était autre chose,
semble-t-il, que la prostration dont N. B. Père a parlé dans la phrase
précédente : puisque la Règle ne donne point d’indication précise, on
COMMENT LES EXCOMMUNIÉS FONT SATISFACTION
331
peut 1 interpréter par elle-même, d’après les éléments les plus voisins et
auxquels la pensée se reporte tout d'abord.
Nous ne saurions entrer dans l’historique des usages monastiques qui
ont tr.iit aux satisfactions des excommuniés. Notons seulement que
le texte de la Règle n’a jamais été abrogé. H demeure, il peut être
mis en vigueur. Et encore que les éventualités d'encourir et d'infliger
ces excommunications soient beaucoup plus rares que jadis, elles sont
toujours possibles. A une heure donnée, ce serait le devoir rigoureux de
l’Abbé d’appliquer les pénalités de la Règle, s’il y était contraint par
certaines résistances ou par certains mépiis prolongés et formels.
CHAPITRE XLV
DE CEUX QUI SE TROMPENT A L’ORATOIRE
— Si quis dum
pronuntiat Psalmum, Responsorium, aut Antiphonam, vel Lectionem, fallitur : nisi cum satisfactione
ibi coram omnibus humiliatu» fuerit, majori vin
dictae subjaceat; quippe qui noluit humilitate corri
gere quod negligenlia deliquit. Infantes vero pro
tali culpa vapulent.
De iis
qui falluntur in oratorio.
Ce n’est plus de graves irrégularités qu’il s’agira désormais, mais d’er
reurs purement matérielles, tout au plus de délits auxquels notre volonté
est intéressée seulement par une paît de négligence ou d’inadvertance.
Les anciens nous ont appris à ne pas prendre trop facilement notre parti
meme de ces détails (1). A l’oratoire, en particulier, où tout est saint,
où l’œuvre accomplie est d’une importance souveraine, où la routine,
la lâcheté, la somnolence sont toujours à craindre, chaque manquement
réclame une expiation immédiate et proportionne e à sa gravité. Qui
conque, dit la Règle, se trompe en donnant un psaume, un répons, une
antienne ou une leçon, doit satisfaction. Cette erreur peut être une faute
de prononciation qui fait dire un mot pour un autre ou défigurer un mot,
ou bien une faute de chant, ou bien l’intonation d’ime formule liturgicjue
qui n’est pas celle que réclament les rubriques : saint Benoît ne spécifie
pas et emploie l’expression générale : dum pronuntiat. Il ne dit pas davan
tage en quoi consiste la satisfaction exigée. Mais nous pouvons supposer
avec vraisemblance que dans sa pensée il s’agit de l'humiliation que
s’impose à lui-même le délinquant, en s’agenouillant ou en se proster
nant à sa place, sous les yeux de tous. Avec quelques différences de détail,
telles sont encore et telles ont toujours été, dans les diverses branches de
l’Ordre, les satisfactions ordinaires du chœur.
(1) Saint Benoit se souvenait, en écrivant ce chapitre et le suivant, des Institution
de Cass, ün, IV, xvi.
DE CEUX QUI SE TROMPENT A L’ORATOIRE
33»
Il n’est pas nécessaire, pour que la satisfaction soit due, que notre
faute ait provoqué un désordre appréciable ou bien un peu de cacophonie,
ni même que le voisin s’en soit aperçu. Ce n’est pas une question d’esthé
tique générale, mais bien d’équité religieuse. C’est le fait de l’imper
fection se glissant là où la perfection doit être achevée et continue ; c’est
l’acquittement d’une dette réelle contractée envers la majesté divine.
Toute la physionomie de notre religion dépend de l’idée que nous avons
de Dieu et de l’attitude que cette idée nous fait prendre en face de lui. Dieu,
dans la loi nouvelle, ne nous a pas écrasés sous un fardeau de prescriptions
rituelles multiples, parce qu’il a cru que la charité suffirait à régler notre
attitude devant sa Beauté. Il est des délicatesses qu’on ne s’attend pas
à rencontrer chez des esclaves, mais qu’on peut s’étonner de ne pas trouver
chez des fils. Nos satisfactions doivent se faire spontanément, avec une
âme libérale, dans un empressement de foi et de charité. Elles doivent
être accomplies sur-le-champ, sans contestation avec soi-même, sans
plaidoirie secrète. Rien de meilleur pour affiner la conscience que ces répa
rations généreuses pour des fautes menues et de fragilité. N. B. Père
prononce que celui qui n’aura pas voulu s’infliger à lui-même le châtiment
et corriger sa négligence par un acte d’humilité, encourra une peine plus
sévère (1). Puisqu’il déchoit volontairement de sa qualité de fils pour
ubi
retourner à des dispositions serviles, on le traitera comme
l’esclave qu’il
veut être, et il n’y gagnera rien.
Infantes vero pro tali culpa vapulent. Nous savons qu’il y avait des
enfants au monastère, qu’ils étaient de vrais religieux, qu'ils assistaient à
tous les offices. La Règle vient au secours d’une conscience qui n’est point
encore pleinement développée, et stipule que leurs fautes de chant ou
de psalmodie recevront le châtiment des verges (2). Les anciennes Cou
tumes, celles d’Udalric en particulier (3). décrivent par le menu le pro
cédé de la correction des enfants.
(1) 37isi pro neqleyentia praesenti confestim tera humilitate subnixius satisfa'ere
feslinaril (Cass., Inst., Ill, vn).
■
(2) Il vaut mieux interpréter le pro tali culpa de toute faute commise par l’enfant
dans le chant ou la psalmodie, que de la faute commise en ne s’humiliant paài
(3) Consuet. Clun , L 111, c. vin et x.
bV. CEUX QUI MANQUENT EN QUELQUE AUTRE CHOSE
CHAPITRE XLVI
DE CEUX QUI MANQUENT EN QUELQUE AUlftj: cnom
De Iis ΟΠ |N ALIIS Ql nu "I ΙΗΚΓ a» IU > m I |Xy( I sr __
Si quis dum in labore quovis, in coquina, in cellario
in ministerio, in pistrino, in horto, in art·· aliqua
dum laborat, vol in quocumque loco, aliquid deli
querit, aut fregerit quippiam. aut perdiderit, vd
aliud quid excesserit I , et non veniens continuo
ante Abbatem vel congregationem, ipso ultro satis
fecerit et prodiderit delictum suum : dum per alium
cognitum fuerit, majori subjaceat emendationi.
1 I
t
β
Saint Benoît consacre ce chapitre aux satisfactions qui sont duc- pour
des fautes commises en dehors de l’oratoire. 1! énurnèro d'abord b < prin
cipaux services du monastère où peuvent se produire de délits : la cui
sine, le cellier, l’atelier (2), la boulangerie, le jardin. Puis il emploie des
formules assez générales pour envclopjo r tous I·· cas : dans Γ· xercico
d’un art ou l’accomplissement d'un travail quelconque, en quelque lieu
que ce soit, qu'il s'agisse d’avoir brisé, perdu ou d· tm ioré quelque chose,
d'avoir causé un dommage ou un trouldc à la communauté, m un mot
d'avoir commis quelqu’une de ces fautes qu'amènent l’inattention, la négli
gence ou la maladresse. Dans toutes ces hypothi · . h· délinquant
viendra aussitôt révéler son manquement et faire satisfaction, devant
l’Abbé, si l’Abbé est seul, — devant l’Abbé et la communauté, -i tous
les frères sont réunis sous la présidence de l’Abbé, ce qui était le cas ordi
naire (3). Cette satisfaction consistait probablement dans Γagenouille·
(1) D. Butler Ut :... excesserit ubiubi, et non veniens...
(2) Il est difficile de déterminer le sens exact de ce mot Quelques manuscrits anciens
lisent in nioruwfenn.
(3) Qui tas fictile fregerit... aget poenitentiam vespere in sex orationibus. Si tfuis
cliguid perdiderit, ante altare publice corripietur (S. Pach., Rtg., cxxv, < xx.\j). — Si
quis gillonem fictilem... casu aliquo fregerit, non aliter neglegentiam suam quam publica
no
—«r
30
ment ou la prostration. Saint Benoît veut qu’elle soit volontaire : ultro
satin fi ·■< ril, et qu elle s’accomplisse avec empressement : veniens continuo.
< vtt c·· que lit, à Subiaco, le bon Goth qui avait laissé choir dans le lac
le fer de son outil, de son « fauchard · (1).
l’an- une communauté assez nombreuse, souvent dispersée, travail
lant i' i et là, on devine quel va-et-vient et quelle perte de temps ce serait
pour 1 Abbé et jxiur chacun, si le moindre délit ou dégât devait sur l’heure
être porté à la connaissance de tous. Aussi, les coutumes monastiques
ont · i · établi le ·■ chapitre des coulpes », qui se tient au chapitre plusicur foi- la semaine et où chacun s'accuse des fautes commises contre
l'obrcrvancc et des petits détriments dont il est responsable. La satisiact ion, ne pouvant discrètement se faire à l’église, ni même au chapitre,
a lieu d'ordinaire au réfectoire.
Saint Benoit prévoit le cas d’un moine qui, par fausse honte ou esprit
réfra· taire, dL-simulerait une de ces fautes extérieures ou de ces eneurs
mat·'ri» lies : la pénitence infligée sera plus sévère, lorsqu’on apprendra
de la b juche d’un autre ce qui s’est passé (2). L’Abbé pouvait être ren£••1.:.· .-race au témoignage des doyens ou des frères; et ces paroles de
A. B. Père : dum per alium cognitum fuerit, ne suffisent pas pour établir
qu ·
tait dès lore l'usage de la « proclamation ». La proclamation est
άτι·· coutume monastique qui prescrit à chacun de publier au chapitre
les
qu’il a remarquées chez autrui. 11 n’est pas douteux quelle
• x.-t.-.t pn -que universellement au neuvième siècle; Cluny et Citeaux
l’adopre'rent. Elle a été supprimée par la Congrégation du Mont-Cassin,
par c- ile des Saints-Vanne et Hydulphe et par les Congrégations qui
s'y rattachent ; mais elle est encore en vigueur chez les Cisterciens (3).
11 faut être d'une discrétion extrême pour instituer le procès d’une pra
tique -pii se réclame de tant et de si vénérables autorités ; cependant
il < -t aisé de déterminer les motifs qui nous ont portés à l’abandonner.
Le devoir de la correction fraternelle, accompli ainsi publiquement par
tous a i profit de chacun, est bien le plus délicat des devoirs. La charité
com t de grands risques. Facilement, une sorte de surveillance étroite et
jalon-»· .-'étend partout comme un réseau. Comme toutes les petites
rn iu·'<. les vengeances, les représailles s'abriteront aisément sous
le ( -u\· ;t de la proclamation régulière l Sans doute, si les moines, procl'iim - et proclamateure, sont tous parfaits, ces dangers disparaissent :
niai- -L«rs. à quoi bon la proclamation? L’Abbé de Rancé répondait que
de- ii i-onvéïiients réels ne devaient pas faire oublier le bénéfice que
dihu ,· i· nitentia, cunclisquc in synaxi fratribus congregatis lanidiu prostratus in terram
vtiuaiH potlulabil, etc. (Cass., Inst., IV, χνι).
(h S. Grec. M., Dial., 1. II, c. vr.
(2) Ni hoc ultro confitetur, parcatur illi et oretur pro ea. Si autem deprehenditur atque
coni :>:■ ihir... gravius cmcnMir (S. Auo., Epist, CCXI, 11, P, L, XXXIII, 962).
(3) Martène, De ant, monach, rit., L I, c, v,
342
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
peuvent retirer de cette pratique et les bons et les tiède?. Il va de soi que le
religieux, témoin d’actes ou de tendances qui constituent un péril grave
pour le monastère ou pour un frère, ne doit jamais se retrancher derrière
la réprobation que le monde attache aux rapports pour se dispenser
d’avertir l’Abbé. Ce serait très mal entendre l’honneur de ses frères et la
charité due A tous ; la ruche, après tout, vaut mieux que l’abeille, mieux
surtout que le frelon. Et celui de qui la faute est ainsi dévoilée ne serait
vraiment pas recevable à se plaindre.
Si animae voro peccati can-a latens fiioril, tantum
Abbati ant spiritualibus senioribus patefaciat, qui
sciant curare sua, et aliena \ulneru non delegero
aut publicare.
On peut se demander si N. B. Père n’oppose pas ici A ! ;u cmmtion et A
la pénitence publiques des fautes contre ht régir. Γ.ιγ.ίηat ion secrète
des fautes théologiques. 11 est plus probable, cependant, qu'il s'agit d'une
confidence extra-sacramentelle et que cette prescription a exactement
le même objet que le cinquante et unième instrument des bonnes œuvres
et le cinquième degré d’humilité. Qu’il y ait ou non prrhé théologique,
que la faute intérieure demeure toute matérielle, par suit·· d’inadver
tance, de surprise on d'emportement, qu'il s'agisse seulement d'une tenta
tion, d’une disposition inquiétante, d'une liant is·· obstinée : dans tous
ces cas, ce n'est point à la communauté entière, - pui qu’il n’y a nul
scandale, nulle notoriété du fait, — c’est à l’Abbé ou aux srnmurs spiri
tuels que le frère, dans une pensée filiale et dans un loyal désir d amen
dement, doit révéler naïvement cc qui s’rst passé. Nous l'avons dit
ailleurs, les anciens considéraient cette pratique comme un élément indis
pensable de progrès spirituel, comme une source de paix et de sécurité.
On s’ouvrira donc à l’Abbé, alors même qu'il aurait un aspect aus
tère, que l’on redouterait son appréciation et les suite- de cette confi
dence. L’Abbé, quelles que soient d’ailleurs sa trempe et sa valeur per
sonnelle, n’est-il pas pour les siens une sorte de sacrement? N a-t-il pas
un titre à connaître ce qui se passe dans sa maison et chez ses moines?
Les sénieurs spirituels sont probablement, pour saint Benoit, tous ceux
qui ont une part importante au gouvernement des âme ;â défaut do
l’Abbé, c’est à eux qu’on devra s’ouvrir. Ils sont hommes spirituels »,
renseignés sur les voies de Dieu; ayant triomphé du diable chez eux
ou du moins réduit son pouvoir, l’expérience acquise leur permet d’être
utiles aux autres : ils savent guérir et leurs propres blc -un et celles
d’autrui. Et l’on peut compter sur leur discrétion, ajoute saint Benoit ;
ΓΤΧ·.
DE CEUX QUI MANQUENT EN QUELQUE AUTRE CHOSE
Btt
ils ne découvriront à personne ni ne publieront la faute accusée (1).
Ces deux chapitres que nous terminons, outre leurs enseignements
formels, ont encore cet intérêt de nous montrer l'économie de notre vie
monastique au point de vue de la culture intérieure de l’âme. Nous
n’appartenons point à une vio active, il n’y a point deux parts dans notre
existence, Le fait d'avoir rompu définitivement avec le monde supprime
pour nous bon nombre do dangers. Nous sommes en relation habituelle
avec le Seigneur et les choses saintes, comme enveloppés toujours dans
un parfum d'encois. Les heures de travail elles-mêmes doivent nous
rapprocher de Dieu; elles n’émiettent pas notre attention. Et voici, de
plus, que notre vigilance s’exerce d’une manière continue tout le long
du jour ; voici qu'elle nous oblige à réparer sur l’heure, et à expier devant
u< frère , absolument toutes les infidélités de détail auxquelles succombe
la nature. Tout cela, qu’est-ce autre chose qu’un examen de conscience, .
non pas à heure fixe et de quelques instants, mais perpétuel, mais assidu,
ne laissant rien à l’oubli? Que les hommes noyés dans les soucis et les
périls de la vie apostolique, toujours exposés, dans l’entrain même de
faction, à franchir les bornes, à trop condescendre au tempérament, que
de tels hommes s’arment de multiples et minutieux examens de conscience,
c'e-t justice et prudence tout à la fois. Mais N. B. Père a pourvu autre
ment, sur ce terrain, aux exigences de notre âme. Les enquêtes intermi
nable··· que nous ferions sur nous-mêmes n’auraient d’autre résultat
que de grossir notre importance, de nous épuiser, de nous troubler, peutêtre même d’empoisonner notre vie. Remplaçons donc ces recherches
superflues par la régularité, par la fidélité absolue, par une perfection
do charité, par l’adhésion tranquille à Dieu.
1) L.-i meilleure leçon semble bien Être celle-ci : Qui sciant curare et sua et aliéna
vuin-./u, non J. .._,er:· c( publicare.
•J
CHAPITRE XLVII
du soin d’annoncer l’iieure de l’œuvre de dieu
— Nuntianda hora
operis Dei, die nochique, sit cura Abbatis, aut ipse
nuntiare, aut tali sollicito fratri injungat hanc curam,
ut omnia horis competentibus compleantur.
De
significanda hora operis
Dei.
C’est toujours de régularité et de bon ordre qu’il est question. L'Œuvre
de Dieu formant le pivot de la journée monastique, il importe par-dessus
tout que les Hemes de l’office divin soient déterminées avec soin et annon
cées ponctuellement. Or, à une époque où les heures variaient de durée
d’un jour à l’autre, et où les procédés pour les reconnaître étaient souventfort rudimentaires (rappelons-nous le common taire du chapitre VIII), on
comprend que la charge d’annoncer l’Œuvre de Dieu ait été spécialement
dévolue à l’Abbé. C’est sur lui que pèsent toutes les responsabilités. Et,
malgré la multiplicité de ses occupations, saint Benoît ne craint pas de
lui confier le soin d’inviter les moines à la prière, sept fois le jour et une
fois la nuit. C’est un procédé sage pour qu’il ne survienne parmi le? frères
ni désordre, ni contestation ; on évite ainsi les murmures et on inspire à
tous plus d’estime pour l’office divin.
Néanmoins, on comprend que les travaux de l’Abbé, l’absence ou la
maladie pouvaient le mettre hors d’état de remplir cette charge ; aussi
N. B. Père lui permet-il delà confier à un frère attentif et diligent. Celui-ci
pourvoira à ce que tous les offices puissent s’accomplir, et dans leur entier,
aux heures convenables (voir la fin du chapitre XI). Aujourd'hui, les
Abbés délèguent leur pouvoir à im réglementaire, mais sans jamais se
désintéresser de l’exactitude avec laquelle on convoque la communauté.
C’est à l’occasion de ce chapitre que les commentateurs décrivent les
différents procédés employés jadis dans les monastères pour éveiller ou
i '’•tir les frères. Ou bien on frappait aux portes (1) ; ou bien on se servait
(1) x
a, InsL, IV, XIL
DU SOIN D'ANNONCER L'HEURE DE L'OEUVRE DE DIEU
S»5
d’une trompe de corne ou de bois (1); ailleurs, d’instruments variés :
claquettc, cliquette, crécelle, etc. Les moniales de sainte Paule étaient
appelées à l’office par le chant de Y Alleluia (2). Dans l’Ordre bénédictin,
on a utilisé le plus souvent, et peut-être dès le temps de saint Benoît (3),
des clochettes ou des cloches. Si nous nous souvenons des belles prières
de la bénédiction des cloches, au Pontifical romain, et delà consécration
solennelle dont elles sont l’objet, nous ne douterons point que leur
voix mélodieuse et pénétrante soit celle même du Seigneur et qu'il
convienne d’accourir à son appel avec un empressement joyeux.
Psalmos autem, vel Antiphonas, post Abbatem,
Online suo, quibus jussum fuerit, imponant. Cantare
autem aut lugere non praesumat, nisi qui potest
ipsum officium implere, ut aedificentur audientes.
Quod cum humilitate, et gravitate, et tremore faciat,
et cui jusserit Abbas.
Après avoir assuré la régularité pour le début de l’office, saint Benoît
fait une recommandation destinée à sauvegarder la dignité de l’Œuvre
de Dieu elle-même. Ce n’est point au hasard, ou sous l’impulsion du
caprice, ou bien en vertu d’une initiative personnelle, que les frères donne
ront soit Yincipit, soit la totalité des psaumes et des antiennes (rappelonsnous ce qui a été dit de la psalmodie monastique primitive dans le com
mentaire du chapitre IX. et de la signification probable du mot imponere).
Pour se faire entendre ainsi au chœur, plusieurs conditions sont exigées.
Il faut en avoir reçu l’ordre, il faut une désignation régulière. C'est à tour
de rôle et selon le rang d’ancienneté que les frères donneront psaumes
et antiennes, naturellement après l’Abbé, post Abbatem. Nul n'entre
prendra de chanter ou de lire, qu’il ne soit capable rie remplir son office
de manière à édifier les auditeurs : c’est à l’Abbé que revient le soin
d’opérer une sélection et d’apprécier les aptitudes (4). Enfin, dans l’exer
cice même de leur obédience, les frères feront preuve d'humilité, do
gravité, de crainte religieuse et d’un grand esprit de soumission.
(1 ) S. Pach., Reg.. m.
(2) S. Hierox., Epist. CVIII, 19. P. L., XXII, S9G.
(3) Il est raconté dans la Vie de saint Benoit comment sa:nt Romain descendait &
l'ermite du pain au bout d’une corde et l'avertissait par une clochette fixée à
cette corde (S. Greg. M., Dial., I. II, c. i). Le signum dont il est question dans la
Règle : xxn. xliii, xlviii, est probablement une cloche.
(4) Adslanlibus ad orationem nullus praesumat sine praecepto qui praeesl Patris
psalmi laudem emittere (lïeg. I SS. Patrum, vi).
CHAPITRE XLVIII
DU TRAVAIL MANUEL QUOTIDIEN
— Otiositas inimica
est animae. Et ideo certis temporibus occupari
debent fratres in labore manuum, certis iterum
horis in lectione divina.
De opere manuum quotidiano.
fc
Le chapitre XLVIII nous donne beaucoup plus que ne promet son
titre. Ce n’est pas simplement de travail manuel qu'il est question, mais
de tous les travaux monastiques, de tout ce qui remplit nos heures
laissées libres par la prière liturgique. Nous avons ici l'emploi du temps,
l'horaire d’une journée bénédictine.
Selon sa coutume N. B. Père commence par un précepte général : « L’oisi
veté est ennemie de Pâme (1) : c’est pourquoi les frères doivent s'employer,
à des moments déterminés, au travail manuel et. à d'autres heures fixées,
à l’étude des choses divines. » Encore que saint Benoit ne fasse explicite
ment allusion qu’aux seuls dangers de l’oisiveté, il n’ignorait pas le bénéfice
positif et la valeur intrinsèque du travail. Ses avantages sont multiples.
Nous pouvons reconnaître dans le travail une diversion puissante et
un remède à bien des tentations ; constater la faiblesse et la mollesse de
tout ce qui ne s’exerce pas; nous souvenir enfui que toute vie et tout
bonheur impliquent l’action : la contemplation elle-même n’étant que
l’activité suprême de l’intelligence et du cœur conjugués, l’adhésion de
tout l’être à celui qui Est. Le travail n’est pas simplement une loi pénale
et un châtiment ; c’est une loi divine antérieure au péché ; et elle est
universelle. Comment des moines y échapperaient-ils? Ils sont même
deux fois voués au travail : puisque leur vie renferme toujours une part
(1) Réminiscence de S. Basile : El Salomon t Otiositas inimica est animae (Reg,
contr., exen). D. Butler remarque que cette parole n’est pas do Salomon et n’existe
pas dans le texte grec de saint Basile (Reg. fus., xxxvn). On lit seulement dans l’Ecclésiastique (xxxm, 28-29) : Mille (servum) in operationem, ne vaccl; multam enim mali
tiam doaiU otiositas,
η*
DU TRAVAIL MONASTIQUE
S47
d’austérité et de pénitence, et que cette plénitude de Dieu dans Time
vers laquelle ils tendent n’est promise qu’à un labeur persévérant. Doux
labeur ! disait avec regret saint Augustin, en songeant aux tracas sans
nombre qui assiégeaient son ministère épiscopal (1). — N. B. Père groupe
sous trois chefs les principales occupations monastiques : l'CEuvre de
Dieu, l’étude des choses divines, le travail des mains, Opus Dei, tertio
divina, opus manuum.
11 n’y a que du bien à dire du travail manuel (2). Depuis Ira origines, il
figure, dans des mesures diverses, au programme de la vie religieuse. Sou
intention première est, semble-t-il, de réduire le corps, de secouer son
inertie, de ruiner les appétits et les instincts qui trouvent en lui leur source
et leur aliment. Le travail manuel est donc un procédé de mortification.
11 nous permet en même temps de consacrer à Dieu nos vigueurs physiques
elles-mêmes. Est-il besoin de rappeler son caractère éminemment hygié
nique, surtout pour des jeunes gens, pour des moines qui consacrent de
longues heures à l’office et à l’étude? Accidentellement, il peut être aussi
un moyen d’humilité, et cette forme servile du travail peut répugner à
certaines natures : on ne voit cependant pas bien ce qu’a d’humiliant
le fait de bêcher la terre ou de casser des pierres sur un chemin. Enfin le
travail manuel devient parfois le gagne-pain régulier des moines; et,
dans chaque monastère, il est exigé tout au moins par les nécessités quo
tidiennes de la vie. Mais lorsqu’on a proclamé que le travail manuel est,
d’une façon générale, indispensable; lorsqu’on a souligné ses avantages
(>t même affirmé que, dans un cas concret, il convient presque exclusive
ment à telle personne, il reste que les œuvres matérielles n’ont de soi
aucune efficace sur la formation d’une nature intelligente, moins encore
sur le développement d’une vie surnaturelle. Des deux formes du travail,
l’une servile, l’autre libérale et à base d’intelligence, il nous semble facile
de reconnaître la supériorité absolue de la seconde sur la première, ct de
déterminer la part selon laquelle l’un et l’autre travail doivent être nor
malement représentés chez nous.
Ce qui a fait le succès de la sainte Règle, ce qui a été le principe desa diffu
sion, c’est le rapport commun de toutes les prescriptions qu’elle contient
à un certain idéal de vie quelle a prétendu réaliser, à une certaine œuvre
première et essentielle. Et notre intelligence de la Règle, l’esprit de notre
vocation, ne se trouvent que dans la perception exacte et pratique de ce
rapport. La pensée maîtresse de saint Benoit est que nous devons cher(1) Et slint Benoît cite textuellement quelques mots de ce passage du De opere mona
chorum t Quantum allinet ad meum commodum, mullo mallem per singulos dies artit
horis, quantum in bene. moderatis monasteriis conslitutum est, aliquid manibus operari,
et racleras (vel certas) horas habere ad legendum et orandum, aut aliquid de dicinis litteris
agendum liberas (c. xxix. P. L., XL. 576).
(2) On peut lire dans le Commentaire de D. Martène une copieuse dissertation sur
le travail manuel.
318
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
cher Dieu. H n’y a réellement, devant Dieu, que deux situations légi
times : jouir de lui lorsque nous Je posséderons, le chercher aussi longtemps
que nous ne le possédons pas pleinement. C’est la condition même de
Dieu d'être caché, d’être invisible, d’habiter une lumière inaccessible.
Fere tu es Deus absconditus, Deus Israel, salvator (Ls., xi.v, lô). .Même
lorsqu’il se montre, il se cache encore : dans la création, l’incarnation,
h Rédemption, l’Eucharistie. Plus il se révèle, et plus il se cache ; il est
tout à la fois le Dieu qui se donne et le Dieu incommunicable. Et notre
vie, lorsqu'elle est vraiment celle du Christ, devient cachée avec lui :
Mortui estis el vita vestra est abscondita cum Christo in Deo (L'oLOas.,
in, 3). Nous nous demandons parfois comment il se fait que nos morts
les plus aimés ne se révèlent jamais et semblent cesser tonte relation avec
nous. Si les âmes intervenaient encore dans les affaires des \ ivants, disait
saint Augustin, ma mère .Monique me parlerait chaque nuit, elle qui ma
suivi partout sur terre et sur mer. et dont j’étais l'unique amour (1).
Nos défunts se taisent, parce qu’ils no doivent pas déconcerter le régime
de notre foi; mais surtout parce que, appartenant à Dieu, ils adoptent
les mœurs de Dieu et s’enveloppent dans son mystère. 11 s’agit donc do
chercher Dieu. Les renoncements de la profession et de toute la vie font
nitre âme libre pour cette recherche bénie. Nous nous perdons pour
trouver Dieu, comme l’a dit l’Evangile, comme le chante l'admirablo
saint Jean de la Croix :
Pour toute la beauté créée,
Non, jamais je ne me perdrai.
Mais pour cc seul bien qui ne se p ut nommer,
Que par bonheur on peut trouver.
Ce sont les sacrements, c’est la prière, c’est l’exercice constant delà foi,
de l’espérance et de la cha ité qui nous rapprochent de Dieu et nous
font pénétrer peu à peu dans sa région. Et la lectio divina prescrite pat
N. B. Pore n’a pas d’autre dessein.
Nous devons noter avec soin ce mot de fer/to divina (2). Ce n'est pas
simplement le travail intellectuel, la culture intellectuelle; il est donc
superflu de faire honneurà saint Benoît d'une préoccupation qui ne semble
guère avoir été la sienne. C’est œuvre d’intelligence, si l’on veut, mais d’in
telligence s'appliquant aux mystères divins et à la doctrine divine ; c’est
œuvre d’intelligence surnaturelle, c’est-à-dire de foi. (’’est l’ensemble
ordonné des procédés intellectuels progressifs par lesquels nojis nous
(1) De cura pro morluis gerenda, c. xm. P. L·, XL, 604.
(2) On le retrouve dans S. Augustin : Jllud sane admonuerim n ligio-ti-timam
prudentiam tuam, ut timorem Dei non irrationabilem tel inseras infirmiori vasi luo,
vel nutrias divina lectione gravique colloquio (Epist. XX, 3. P. L„ ΧΧΧ1Π 67 ). — Erigunt
nos divinae lectiones (Sermo CXLII, c. i. P. L., XXX VIII, 778).
'
DU TRAVAIL MONASTIQUE
SW
rendons familières les choses de Dieu et nous habituons à regarder l’invi
sible. Ce n’est ni de la spéculation, abstraite et froide, ni de la simple
curiosité humaine, ni une lecture superficielle : c’est une recherche
sérieuse, approfondie et persévérante de la Vérité même. On peut dire
que de cette étude Dieu seul est l’objet, l’inspirateur et même l’agent
principal : car elle sc fait non seulement sous son regard, mais dans sa
lumière, et dans un contact très intime avec lui. Elle est de la prière et de
la tendresse. Elle s’appelle lectio, et ce n’est que le premier degré de la
série ascendante : lectio, cogitatio, studium, meditatio, oratio, contemplatio ;
mais saint Benoît savait bien que, pour une âme loyale et courageuse,
tous les autres degrés viendraient se surajouter à celui-là. La contempla
tion et l'union à Dieu, c’est à quoi tend la lectio divina monastique. Au
fond, les heures que N. B. Père veut que nous consacrions chaque jour
à cette lecture sont des heures d'oraison.
Nous avons répondu déjà à ceux qui s’informent si les anciens moims
faisaient oraison, s'ils avaient une méthode et quelle était la matière de
leur oraison. En dehors de l’office divin (qui est bien, semble-t-il, une
oraison !), en dehors des quelques instants de prière privée, brevis ei pura,
que saint Benoit accorde à ceux qui en ressentent Vattrait, tous ont
reçu l’obédience de scruter longuement Γ Ecriture sainte, le Livre par
excellence, d'étudier les saints Pères et les formules liturgiques. Enfin,
c'était la journée tout entière qui devait se passer, selon la Règle, en la
présence de Dieu. La méthode d'oraison était simple et facile : s’oublier
et vivre dans le recueillement habituel, tremper assidûment son âme
dans la beauté même des mystères, s’intéresser à tous les aspects de l’éco
nomie surnaturelle, selon l'inspiration de cet Esprit de Dieu qui seul peut
nous apprendre à prier (Rom., vin, 26). Pendant seize siècles, les clercs,
les religieux et les simples fidèles n’ont pas connu d’autre procédé pour
communiquer avec Dieu que cette libre effusion de leur âme devant lui
et cette lectio divina qui alimente la prière, la suppose, se confond
presque avec elle.
Rassurons-nous : l’absence de méthode systématique, de livres conte
nant de médiocres méditations toutes faites n’est pas synonyme de
désordre ; elle ne conduit pas fatalement à la dispersion et aux distrac
tions. Les anciens n’ignoraient point certaines industries capables de
fixer la pensée et de ramener l'âme à son centre ; ils ne dédaignaient point
toute discipline spirituelle; surtout aux âmes travaillées par les multiples
soucis du monde ils estimaient opportun de rappeler le conseil du Sei
gneur : Tu autem, cum oraveris, intra in cubiculum tuum, et clauso ostio,
jra Patrem tuum in abscondito (Mattii., vi, 6). Mais ils pensaient que les
paroles de Dieu, des saints et de la liturgie, approfondies et redites sans
fin, avaient une grâce souveraine pour arracher doucement l’âme au souci
troublant d’elle-même, pour l’enchanter et l’introduire dans le mystère de
350
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
Dieu et de son Christ Une fois là, plus n’est besoin des jolies considéra
tions, ni des thèses bien construites à la pointe de l’intelligence : il n’y a
plus qu’à regarder et à aimer, très simplement. Ainsi, dès le début de la
conversion, c’est par des actes de ne illuminative et de vie unitive que
s’achèvel’œuvrcde notre purification et que commence de se réaliser notre
transformation en Dieu : Nos vero omnes, revelala facie, gloriam Domini spe·
allantes, in eamdem imaginem transformamur, a claritate in claritatem,
tanquam a Domini Spiritu (II Cor., in, 18). Ne suffit-il pas, pour que
l’oraison devienne chose aisée, de reconnaître le trésor qu’a déposé en
nous le baptême et de comprendre, grâce à l’Apôtre, ce que c’est qu’être
racheté en Notre-Seigneur Jésus-Christ et vivre de sa vie. Quoi qu’il en
soit de l’opportunité des méthodes pour telle ou telle catégorie de chré
tiens, il nous est permis de conserver ce que le P. Faber appelle « l’apa
nage des Bénédictins ascétiques de la vieille école (1) ». Nous sommes
dans l’heureuse condition de Benjamin, le fils le plus aimé : Amantissimus
Domini habitabit confidenter in eo; quasi in thalamo tota die morabitur,
ei inter humeros illius requiescet (Delt., xxxin, 12).
La plupart des prédécesseurs de saint Benoit, et jusqu’aux anachorètes
perdus dans la solitude des déserts, consacraient de nuit et de jour plu
sieurs heures à l’étude surnaturelle, surtout à l'étude des Écritures.
Saint Pacôme voulait que les illettrés qui entraient chez lui apprissent
à lire. Nos pères se rendaient compte qu’une sainte recherche est réclamée
de tous ceux à qui le Seigneur donne l’intelligence et le loisir. Le péril
seraitgrand pour la contemplation même dès l’instant où elle prétendrait
se suffire ; Dieu ne vient jamais au secours de la paresse par des illustra
tions extraordinaires ; ses œuvres sont ordonnées, et il n’accorde, à son
gré, de telles faveurs qu’à ceux qui n’ont pu apprendre autrement. Encore
que saint Benoît comptât parmi ses moines plus d’un esclave et d’un
barbare et que, sauf de rares exceptions, tous demeurassent dans l’état
laïque, il a réservé pour la lectio divina un temps relativement considé
rable. Lui-même avait brusquement interrompu ses études profanes et
s’était retiré du monde scienter nescius et sapienter indoctus (2); mais
il entretint plus tard un commerce assidu avec l’Ecriture et le; Pères,
et sa Règle témoigne d’une lecture assez étendue. L’Abbé, selon lui,
doit être « docte dans la loi divine » (chap. LXIV). Depuis plusieurs
siècles, chez les moines noirs, une part très large est faite à l’étude.
Sans être abandonné de parti pris et complètement, le travail manne' a
été peu à peu remplacé par celui de l’esprit. Et cette substitution se jus
tifie assez, croyons-nous, par les modifications survenues dans l'état
intellectuel, social et économique des temps modernes et la situation
(1) Tout pour Jésus, c. vin, § 8. — Voir la Preface de D. Gléiianger à sa traduction
des Exercices de Sainte Gertrude.
(2) S. Greg. IL, Dial., L11, praef4
DU TRAVAIL MOXASTIQUE
351
des monastères. Aujourd’hui, tous les moines de chœur doivent être
aptes au sacerdoce; et l’Église a insisté naguère sur la nécessité d s
études, même pour les religieux vouée à la vie contemplative. Elle attend
d'eux une sorte d’apostolat des idées, une influence sur la pensée chré
tienne des contemporains; elle leur confie parfois, accidentellement,
des œuvres de prédication et d’enseignement, — mais sans les dispenser
jamais d’être moines. Et peut-être y a-t-il lieu pour nous d’insister sur
ce que nous pensons n’être pas une conception personnelle, mais une
donnée élémentaire du sens monastique.
Et d'abord, sous peine de laisser tarir la source de toute prière, nous
devons réserver les meilleurs moments de notre journée à la lectio
divina proprement dite. Mais, en dehors de cette lecture, à quelles études
nous appliquerons-nous? Tout ce qui est intéressant et utile pour
Γ Église l’est aussi pour nous; il va de soi pourtant que, sauf les obé
diences exceptionnelles, les sciences dites ecclésiastiques ont un titre à
notre choix ; celles-là surtout qui s’accommodent le mieux aux condi
tions normales de notre vie, qui sont plus capables de nous unir à Dieu
Observons toutefois qu’un moine ne se spécialise jamais à son gré et sui
vant l'attrait de ses aptitudes; nos études, comme tout le reste, avec
plus de motif encore que le travail manuel, doivent être sans cesse diri
gées, contrôlées, consacrées par la volonté de l’Abbé.
Mais, alors même que nous nous sommes régulièrement cantonnés
dans la théologie, dans l’histoire ecclésiastique, ou la patristique, ou la
liturgie, il importe de savoir comment nous travaillons et selon quel
esprit. L· y a tant de manières d’étudier un livre ! Voici, par exemple, le
manuscrit d’un sermon de saint Augustin. On peut d’abord le décrire
matériellement, compter ses cahiers, reconnaître son écriture, déterminer
sa date. On peut entrer plus avant et tenter une restitution historique :
comparer ce texte avec celui des autres manuscrits, avec les éditions,
avec les autres ouvrages de saint Augustin, avec d’autres auteurs encore ;
se demander quand a été prononcé le discours, reconstituer la physio
nomie de l'auditoire ; recueillir de ces pages tout ce qui permet de mieux
connaître l’époque, etc. Il est certain que de telles recherches ont
leur intérêt, leur nécessité même, et que les hommes attentifs y glanent
des constatations précieuses même pour la doctrine. Pourtant, il est
incontestable aussi que cette étude textuelle est insuffisante. Qu’ad
viendrait-il d’un homme qui, devant son repas, s’obstinerait à analyser
chimiquement les mets, à distinguer les substances nocives d’avec les
nutritives? 11 mourrait d’inanition. Voici un troisième procédé, plus
scientifique, plus philosophique : on passera du texte au seas. On trou
vera des majeures, des mineures, des notions multiples que l’on coor
donnera méthodiquement en un tout cohérent, que l'on fera entier
dans un système mental. Mais il faut bien reconnaître que ce travail,
352
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
purement abstrait et académique, n’épuise pas encore la substance du
livre. La vérité de Dieu vaut mieux que cela; et ceux qui se bornent à
cela feront éternellement antichambre : ils étudieront Dieu sans le con
naître jamais. Comment se fait-il qu’on réussisse parfois à faire de la théo
logie elle-même la plus ennuyeuse, la plus stérile et la plus froide de toutes
les sciences? Parce qu’elle est conçue d'une façon tout humaine et
livresque, et qu’on y voit simplement la matière d’un examen.
Le procédé définitif auquel doivent aboutir tous ceux dont nous avons
parlé jusqu’ici, est l’assentiment cordial, pratique, à la vérité, l’assimila
tion réelle, la sympathie de l’âme tout entière. 11 ne nous servirait de rien
de voir clairement les théorèmes surnaturels de notre Credo, si notre
volonté se défend, par une cloison, contre la vérité connue, si notre
pensée, notre amour et notre activité ne fraternisent pas. La vraie
connaissance est celle qui développe en nous la foi et qui accroît la cha
rité. Et il se trouve que la charité, après avoir reçu de la foi, lui restitue
à son tour : elle nous fait apercevoir mieux ce que nous aimons davan
tage; car nous voyons selon ce que nous sommes. Telle est l’étude vrai
ment féconde, la science des moines et des saints. C’est l'emploi normal
de notre intelligence et une préparation à la vision intuitive.
Le travail, disions-nous naguère, est un dérivatif puissant et une diver
sion à mille tentations; cela est vrai surtout du travail intel’ectuel; et
pourtant ce n’est pas un sacrement qui nous transforme infailliblement,
puisque nous pourrions étudier les choses divines de manié: e à les ignorer
toujours. Après tout, ce n’est ni à l’objet matériel de nos études, ni à leur
durée qu’ilfaut mesurer leur efficacité : c’est à un coefficient de dispositions
morales, c’est à une certaine qualité d’attention, à un certain bien-être
surnaturel, à une certaine loyauté et liberté d’âme, à un sens et à un goût
de plus en plus profond de Dieu, que nous apprécierons ce qu’elles valent.
Et je songe au festin d’Ésope ; il voulut servir à ses amis ce qu'il y avait
de meilleur au monde : des langues ; ce qu’il y avait de pire : des langues.
L’étude me paraît être dans ce cas : elle est peut-être la meilleure des
choses créées; lorsqu’elle s’écarte de son dessein, elle est pire que tout le
reste ; et c’est à l’occasion de la philosophie, de la théologie et de ΓÉcri
ture qu’on perdra sa foi et qu’on ébranlera la foi des autres ! La science
n'est pas un danger par soi ; et s’il y a l’orgueil des savants, il y a aussi
l’orgueil des imbéciles. Mais, enfin, il reste que la science qui n'influe
pas sur notre sanctification court grand risque d'enorgueillir. Thesau
rizate vobis thesauros in caelo, ubi n'que aerugo, neque tinea demolitur, et ubi
jures non effodiunt, nec furantur (Matth., vi, 20). Dans le domaine de la
science tout humaine, il y a une rouille, et une teigne, et des voleurs ;
e un jour vient où, de cette encyclopédie vivante, plus rien ne restera.
L'autre science est divine par son titre, elle est éternelle par son fruit,
elle est incorruptible par sa composition même ; on ne peut nous la sous
DU TRAVAIL MONASTIQUE
353
traire, et nous-mêmes nous ne saurions en abuser ni en tirer vanité.
Elle ne profite que pour l’éternité. C’est celle-là seulement que l’Égliso
et le monde attendent des prêtres et des moines. A Dieu ne plaise que
nous ayons quitté le siècle et fait profession pour appartenir corps et
âme à la science et à la critique, pour colliger avec passion des fiches
bibliographiques. Autant il est souhaitable que le travail monastique
soit consciencieux et méthodique et ne s’éparpille jamais sur des sujets
médiocres (1), autant il serait redoutable de prendre comme idéal Dieu
et l'étude, de viser à la production intensive, et de réaliser trop à la
lettre la légende du bénédictin érudit, émule des élèves de l’École des
Chartes ou des membres de l’Académie des Inscriptions. Quel chétif
apostolat ! Le jour où nous ferions sur l’autel des études le sacrifice
de la conventualité et de la solennité de l’office, de la régularité, de
la stabilité monastiques, nous aurions perdu tout caractère et jusqu’au
titre à exister : rappelons-nous de quelle façon misérable a fini la
Congrégation de Saint-ÙIaur. Notre déchéance sera proche lorsqu’il y
aura un élément humain quelconque, réputation, richesse, science, que
nous mettrons en balance avec Dieu et qui nous servira de prétexte pour
l’appauvrir.
Nous devons donc nous tenir en garde contre un esprit naturaliste qui
nous inclinerait à réduire la part de la prière, soit dans notre horaire,
soit seulement dans nos affections, au bénéfice, parfaitement chimérique,
de la science sacrée. Il nous faut craindre aussi l’esprit de critique,
cette disposition mesquine, grincheuse, vieillotte, à tout analyser avec
défiance ; l’esprit frondeur, pour qui l’autorité a toujours tort, à priori,
surtout l’autorité présente, et chez qui le doute est toujours le bienvenu.
Ceux qui doutent et qui nient se font une célébrité immédiate. Et la
déférence que l’on a refusée à la tradition, à l’antiquité, à l’autorité, on
l’accorde aussitôt et absolument, avec une étourderie infinie, à la pensée
d’un auteur quelconque, d’un de ces maîtres del’heure qui font sonner très
haut les mots vagues de progrès, d’évolution, de largeur d’esprit, d’éveil
dogmatique. C’est de la badauderie intellectuelle. Et il me semble que le
bon sens et la dignité consistent pour nous, non seulement dans une
attitude de réserve, mais surtout dans un esprit de défense tranquille et do
sauvegarde. L’esprit de conservation est l’instinct même de la vie, la
disposition essentielle à maintenir l’être dans la possession de son être.
C’est grâce à cet esprit que nous serons vraiment progressistes, car il n’y
a pas de progrès d’un être vivant qui ne soit en rapport de continuité
avec l’état qui l'a précédé. Nous appartenons à une société traditionnelle
qui s’appelle l’Église. Dans sa Conférence avec le ministre Claude « sur
la matière de l’Eglise », Bossuet fait remarquer a qu’il n’y eut jamais
(1) Lire Madillon, Traité des études monastiques,
35»
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT DENOIT
ancun temps où il n’y ait eu sur la terre une autorité visible et parlante,
à qui il faille céder. Avant Jésus-Christ nous avions la Synagogue ; au
point que la Synagogue devait défaillir, Jésus-Christ parut lui-même;
quand Jésus-Christ s’est retiré, il a laissé son Église, à qui il a envoyé
son Saint-Esprit. Faites revenir Jésus-Christ enseignant, prêchant, fai
sant des miracles, je n’ai plus besoin de l’Église : mais aussi, ôtez-moi
l’Église, il me faut Jésus-Christ en personne, parlant, prêchant, décidant
avec des miracles, et une autorité infaillible (1) ». Nous autres, baptisés,
clercs et moines, nous ne recevons notre enseignement que de l’Église.
Notre mère n’est ni la science ni la critique ; seule, l’Église, après nous
avoir enfantés et nourris, a mission de former nos âmes pour l’éternité.
Dans la dogmatique, la morale, la liturgie, l’histoire, l’Écriture sainte
surtout, c’est toujours l’Église qui parle et qui explique. Et tel est le
caractère de l’enseignement et des études monastiques : recueillir des
lèvres et du cœur de l’Église la pensée de Dieu.
Idcoque hac dispositione credimus utraque tem
pora ordinari : id est, ut a Pascha usque ad Kalendas
Octobris mane exeuntes, a prima usque ad horam
pene quartam laborent, quod necessarium fuerit. Ab
hora autem quarta usque ad horam quasi sextam
lectioni vacent. Post sextam autem surgentes a
mensa, pausent in lectis suis cum omni silentio;
aut forte qui voluerit sibi legere, sic legat, ut alium
non inquietet. Agatur Nona temperius, mediante
octava hora; et iterum, quod faciendum est, ope
rentur usque ad vesperam.
Afin de conjurer le péril de l’oisiveté, la journée monastique sera con
sacrée, à des heures définies, tantôt au travail des mains, tantôt à l’étude
des choses de Dieu ; et voici, continue N. B. Père, comment nous croyons
devoir distribuer les temps de l’un et de l’autre travail. Au chapitre VIII,
lorsqu’il fut question de l’heure à laquelle commence l’office de nuit,
saint Benoît a partagé l’année en deux saisons ; au chapitre XLI, et à
propos de l’heure des repas, en quatre périodes ; en deux seulement, au
chapitre XLII, au sujet de la lecture de Complies ; ici enfin, c’est en
trois périodes qu’il divise l’année. La première s’étend depuis Pâques
jusqu’aux calendes d’octobre, c’est-à-dire jusqu’au 14 septembre, jour
(1) Édition de Bar-le-Duc, 1863, t, V, p. 348»
DU TRAVAIL MONASTIQUE
353
où Ton commence à compter Ica calendes : decimo octavo Kaltndas Octobris;
c’est la même date que désignaient, au chapitre XLI, les termes al
Idibus Septembris : depuis les ides fermées de septembre (1). Rappelonsnous ce qui a été dit au chapitre VIII de la division de la journée chez
les anciens. Elle était partagée en vingt-quatre heures, d’inégale durée
selon les saisons ; les douze heures de jour étaient comptées depuis le
lever jusqu’au coucher du soleil; elles étaient plus longues en été, plus
courtes en hiver.
Pendant l’été, les frères sortiront dès le matin, probablement après
l’office de Prime ; et ils s’emploieront aux travaux nécessaires jusque
vers la quatrième heure. Depuis la quatrième heure jusqu’à la sixième
environ, ils vaqueront à la lecture. L’office de Tierce a pu se dire aux
champs (chap. L) ; celui de Sexte se récite au monastère. La sixième
heure achevée et le repas fini, les frères se lèveront de table et pour
ront alors se reposer sur leur couche. C’est la sieste, toujours indispen
sable pour des Italiens, et qu’il convenait d’autant mieux d’accorder
aux moines que, pendant toute cette période, les chaleurs étaient plus
fortes, le travail plus abondant, les nuits plus courtes. N. B. Père veut
que le silence de nuit reprenne alors ses droits. Et ceci est réclamé par
la charité, car les conversations des uns auraient compromis le sommeil
des autres. Aussi bien, nul n’est contraint de se coucher ; il est permis
de reprendre sa lecture d’avant le dîner ; mais à la condition expresse
que chacun lise tout bas et pour soi seul, afin de ne gêner personne.
Les anciens avaient coutume, semble-t-il, de lire, sinon à haute voix,
du moins en prononçant les mots; et saint Augustin remarquait
l’habitude contraire de saint .Ambroise (2). Après la sieste, les frères
célèbrent l’office de None : agatur Nona; la neuvième heure n’est pas
encore commencée, on est à peu près au milieu de la huitième : tempe
rius, mediante octava hora. Puis on retourne au travail manuel, jus
qu’au soir, jusqu’à Vêpres.
Si autem necessitas loci, aut paupertas exegerit,
ut ad fruges colligendas per se occupentur, non con
tristentur : quia tunc vere monachi sunt, si de
(1) Π ne saurait être question, dans co terte du chap. xlvhi, du jour où tombent les
calendes, c’est-à-dire du 1er octobre : saint Benoît, en effet, veut que les frères prennent
leur repas à none seulement, depuis le 14 septembre (chap, xli), à sexte depuis
Pâques jusqu’à ce qu’il appelle ici « les calendes d’octobre ■ ; or, les deux prescriptions
deviendraient inconciliables, entre le 14 septembre et le 1er octobre, si nous entendions
l’usçue ad Kalendas Octobris du jour on tombent les calendes.
(2) Cum legebat, oculi ducebantur per paginas, ei cor mlelkcium rimabatur, roi autem
et lingua quiescebant... Sic eum legentem vidimus tacite, et aliter numauam (Coniess.,
1. VI, c, lu. P. L., XXXII. 720-721).
356
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
labore manuum suarum vivunt, sicut et Patres
nostri et Apostoli. Omnia tamen mensurate fiant
propter pusillanimes.
Cette remarque peut trouver son application en toute saison ; elle
a pourtant une opportunité spéciale pour l’été et pour le début de
l’automne : c’est l’époque des moissons et des récoltes. Il est difficile
de comprendre comment, d’un texte tel que celui que nous venons de
lire, on a pu faire sortir certaines exagérations bien connues. Saint
Benoît prévoit — il ne l’exige pas — que les conditions du lieu ou la
pauvreté du monastère obligeront les moines à recueillir eux-mêmes
les fruits de la terre. Les religieux pouvaient habiter une région solitaire ;
le monastère pouvait tout à la fois posséder une vaste propriété foncière
et n’avoir que très peu de serviteurs : allait-on laisser périr les récoltes
sur pied? Force était bien d’employer les moines. Et saint Benoit prend
occasion de cette éventualité pour rappeler que le travail manuel est non
seulement bon et utile, non seulement sanctifié par l’obéissance, mais
encore que les saints Apôtres et les Pères du désert n’ont pas rougi de s’y
adonner. L’observation n’était pas superflue. Dans l’Orient, le travail
manuel gardait un caractère moins servile, moins assujettissant qu'en
Occident ; les riches eux-mêmes apprenaient souvent un métier : on tra
vaillait pour s’occuper, pour donner aux pauvres ; saint Paul fabriquait
des toiles de Cilicie, par fierté et pour n’être à charge à aucune église.
Mais l’Occident est plus positif, plus industriel ; sous un climat différent,
avec des muscles vigoureux, il y a une dépense plus considérable de
force physique ; volontiers on abandonnerait le travail aux esclaves. Et
N. B. Père croit devoir plaider en sa faveur, comme l’avait fait longue
ment saint Augustin dans son livre De Gpere Monachorum. Un moine ne
saurait trouver les travaux manuels indignes de lui, celui-là surtout, dit
le saint Docteur, qui vient de la condition servile. Vivre du travail de ses
mains, comme l’ont fait nos pères et les Apôtres, c’est encore être vrai
ment moine ; c’est se livrer à une occupation très monastique et commu
nier à un idéal primitif (1). Mais N. B. Père ne dit aucunement que les
moines ne sont plus moines ou le sont d’une manière diminuée lorsqu’ils
ne vivent pas du travail de leurs mains. L’équivoque sur la pensée
de saint Benoît n’est plus possible, si l’on consent à remarquer qu’il ne
parle ici des récoltes que comme d’une exception et comme de labeurs
(1) Ne ipsi quidem (monachi Romani) cuiquam onerosi sunt, sed Orientis more, ct
Pauli apostoli auctoritate manibus suis se transigunt (S. Aug., De moribus Ecclesiae
calhol., L I, c. xxxui. P. L., XXXII, 1340). — (Antonius) gaudebat quod sine cujusquam
mo'estia cx propriis inanibus viveret (Vita S. Antonii, versio Eyagrii, 50, P, G., XXVI,
DU TRAVAIL MONASTIQUE
357
extraordinaires. Même alors, ajoute-t-il, la discrétio demeure une loi.
Tout se fera avec mesure, à cause des faibles ; l’Abbé veillera à n’écraser
jamais la communauté sous un travail exagéré.
A Kalcndis autem Octobris usque ad caput Qua
dragesimae, usque ad horam secundam plenam le
ctioni vacent; hora secunda agatur Tertia; et usque
ad Nonam omnes in opus suum laborent, quod eis
injungitur. Facto autem primo signo nonae horae,
disjungant se ab opere suo singuli, et sint parati,
dum secundum signum pulsaverit. Post refectionem
autem vacent lectionibus suis, aut Psalmis.
Depuis les calendes d’octobre, c’est-à-dire depuis le commencement
du Carême monastique, 14 septembre, jusqu’au début du Carême ecclé
siastique, il y a un nouveau régime de travail manuel. Les grands travaux
sont finis ; peut-être est-ce plutôt à l’intérieur du monastère et dans les
divers ateliers claustraux que les moines s’occupent alors. Les heures
de jour se font de plus en plus courtes ; dorénavant, les heures de nuit
étant largement suffisantes, il ne sera plus question de la sieste. Depuis
le matin jusqu’à la deuxième heure pleine, les frères vaquent à la lecture.
Lorsque la seconde heure est achevée, ils disent Tierce. Puis, jusqu’à
la neuvième heure, chacun s’emploie au travail prescrit (1). L’office de
None (les autres aussi, probablement) est annoncé par deux sonneries :
au premier signal, tous quittent immédiatement leur travail et font en
sorte d'être prêts pour l’office, qui commence après que le second signal
a retenti. Le repas vient ensuite. Puis les frères reprennent leurs lectures
du matin ou étudient les psaumes. Lectionibus suis désigne peut-être
d’une manière spéciale les leçons de la Vigile nocturne, comme au cha
pitre Vili : Quod vero restat post Vigilias, a fratribus qui Psalterii vél
lectionum aliquid indigent, meditationi inserviatur. N. B. Père entend
donc que la matière de la lectio divina et de la méditation soit empruntée
premièrement aux textes liturgiques. La lecture se poursuivent jusqu'à
Vêpres. En additionnant ce temps de lecture avec celui du matin et
avec celui qui pouvait suivre les Vigiles d’hiver, on obtient une large
mesure d’étude surnaturelle. — Nulle part la Règle ne parle ex profess)
(1) Omni tempore usque ad tertiam legant : post tertiam unusquisque sibi opera injuncta
faciat (S. Caesar, Reg. ad mon., xrv). Post horam secundam unusquisque ad opus
suum paratus sit usque ad horam nonani, ut quidquid injunctum fuerit, sine murmura
tione perficiat (S. Macab., Reg., xi).
M8
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
des conférences. R est probable cependant que l’Abbé faisait bénéficier
ses moines de la doctrine que lui suppose N. B. Père. Parfois sans doute
la « lecture λ était faite par un seul, par l’Abbé, par un doyen, et chacun
pouvait solliciter des éclaircissements : c’est une des formes antiques
de l’enseignement, et saint Benoit y a fait allusion (chap. IV : bGc instru
ment, chap. VI, chap. XXXVIII).
In Quadragesimae vero diebus, a inane usque ad
tertiam plenam, lectioni vacent, et usque ad deci
mam plenam operentur quod eis injungitur. In quibus
diebus Quadragesimae, accipiant omnes singulos co
dices de bibliotheca, quos per ordinem ox integro le
gant : qui codices in capite Quadragesimae dandi sunt.
Voici la troisième et dernière période, celle du Carême. Le temps dû
la lecture se prend le matin jusqu’à la troisième heure pleine. Ensuite,
jusqu’à la dixième heure pleine, 1 s moines s’occupent au travail qui
leur a été commandé. On a pu constater qu’il n’est pas question do la
Messe dans l’horaire des jours de semaine.
Au chapitre suivant, N. B. Père recommandera de s’appliquer spéciale
ment à la lecturependant le Carême ; ici, il pourvoit à ce que nul ne manque
de livres et ne se dérobe à un devoir aussi indispensable. Le monastère
possédera une bibliothèque, et un · bibliothèqu · as< z. riche pour que
chacun puisse recevoir un manuscrit (1). La distribution se fera au
début du Carême; et tel est encore l’usage aujourd'hui. On reçoit des
mains de l’Abbé lui-même le livre au moyen duquel 1·· Seigneur nous
instruira. Quos per ordincin ex integro legant : il ne suffit pas de feuilleter
son manuscrit, de lire nonchalamment ici et là, au ha. ird, et par acquit
de conscience, quelques passages qui parai.- ont moins fastidieux ;
N. B. Père entend qu’on le lise par ordre et tout du long. Il réclame
une étude sérieuse et non cette lecture superficielle et rapide qui n’est
qu’une forme élégante de la paresse. La Règle ne détermine pas si le
manuscrit doit être restitué à date fixe ; elle ne dit pas non plus s’il doit
être lu en entier au cours du Carême.
Ante omnia sane deputentur unus nut duo senio
res, qui circumeant monasterium horis quibus
(1) Quelques détails sur les anciennes bibliothèques monastiques dans IIæften,
L IX, tract, iv, disq. v, et Calmet, Comment, sur le chap, xlviii.
DU TRAVAIL MONASTIQUE
359
vacant fratres lectioni, et videant, ne forte inve
niatur frater acediosus, qui vacet otio aut fabulis, et
non sit intentus lectioni : et non solum sibi inutilis
sil, sed etiam alios extollat. Ilie talis, si (quod absit)
repertus fuerit, corripiatur semel et secundo : si
non emendaverit, correctioni regulari subjaceat,
taliter ut celeri metum habeant. Neque frater ad
fratrem jungatur horis incompelentibus.
Après l’énoncé du précepte des saintes lectures, quelques mesures dis
ciplinaires pour en garantir l'observation. On soupçonne qu’à l’époque
de Ν'. B. Père certains novices, peut-être même quelques anciens, res
sentaient peu d'attrait pour le déchiffrement des gros manuscrits, et
qu’ils eussent préféré l'agriculture aux Sermons de saint Augustin sur
les psaumes ou à tel autre commentaire plus subtil : c’est à leur intention
et pour leur ménager un supplément de conscience que saint Benoît ins
titue les · circa tears ». Avant tout, dit-il, on aura soin de désigner
un ou deux sénieurs qui parcourront le monastère aux heures où les
frères doivent vaquer à la lecture. Ils s’assureront de ce qui se passe.
Peut-être rencontreront-ils un frère nonchalant, sans goût pour les choses
spirituelles et fatigué de chercher Dieu, acediosus (1). Au lieu de s’appli
quer à la lecture, il rêve et somnole, ou bien il bavarde. Un homme qui
s'ennuie devient un apôtre de l’ennui, et la paresse est contagieuse :
non seulement ce frère perd son temps et se nuit à soi-même, mais encore
il dissipe les autres. Lorsque le circateur rencontre, ce qu’à Dieu ne
plaise, un moine aussi peu délicat, il doit le réprimander lui-même en
secret ou le faire admonester par l’Abbé jusqu’à deux fois. Mais, si le
coupable ne s'amende pas, on le soumettra à la correction régulière, en
telle manière que les autres moines conçoivent tous de la crainte.
La remarque qui suit a une portée générale et vise tous les temps de
l’année, tous les moments silencieux du jour : qu’un frère ne se joigne
point à un autre, ne s'entretienne avec personne aux heures indues.
On écarte ainsi bien des périls. Nous voyons une fois de plus, grâce à ces
quelques mots, que les moines do saint Benoît avaient des heures régu
lières où ils pouvaient parler entre eux.
Dominico die lectioni vacent, exceptis iis qui
variis officiis deputati sunt. Si quis vero ita negli(1) Cf. S. Th., II' II", q. xxxv, surl’aeedie.
360
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
gens et desidiosus fuerit, ut non velit aut non possit
meditari aut legere, injungatur ei opus quod faciat,
ut non vacet. Fratribus infirmis \el delicatis talis
opera aut ars injungatur, ut nec otiosi sint, nec vio
lentia laboris opprimantur, ut effugentur. Quorum
imbecillitas ab Abbate consideranda est.
Voici, enfin, quelques exceptions aux règles posées dans ce chapitre.
Il fallait dire un mot du dimanche. Ce jour-là, en toute saison, les tra
vaux manuels cesseront; et tous les frères vaqueront à la lecture (1),
excepté ceux qui sont députés à des offices qui ne peuvent chômer, à la
cuisine, par exemple.
Puis saint Benoît prévoit le cas d’un moine tellement négligent et
paresseux qu’il ne consente ni à lire ni à méditer.
non possit : peut-être
même ne le peut-il pas : à raison de son habitude d’incurie intellectuelle,
ou bien par insuffisance de nature, et sans culpabilité de sa part. Afin
qu’il ne reste pas désœuvré, on lui assignera une besogne quelconque.
Sans doute, dans la pensée de N. B. Père, cette substitution doit être
étendue à tous les jours de la semaine et n'est pas réservée au seul
dimanche. Elle pouvait d’ailleurs être plus opportune ce jour-là : car il
fallait bien, pendant les longues heures où la communauté vaquait à la
lecture, trouver pour les nonchalants et les illettrés une occupation
manuelle conciliable avec les exigences dominicales.
Ce n’est pas seulementla durée du travail manuel qui doit être calculée
avec mesure, c’est sa qualité même qui doit être proportionnée aux
forces de chacun. Saint Benoît avait écrit plus haut : Omnia tamen
mensurate fiant propter pusillanimes; il plaide encore une fois en faveur
des frères infirmes ou délicats. Bs n’ont pas de titre à demeurer oisifs ;
mais il ne faut pas davantage les accabler sous des travaux trop lourds,
les décourager, les exposer peut-être à s’enfuir du monastère (2). On
leur confiera une tâche facile, on les appliquera à un art qui convienne
à leur état de santé. Cette appréciation de leur faiblesse est remise à la
conscience et au cœur de l’Abbé.
(1) Dominicis diebus orationi tantum e! lectionibus vacant (S. IIieron., Episi. XXII,
35. P. L„ ΧΧΠ, 420).
(2) Ne plus operis fratres compellantur facere; sed moderatus labor omnes ad operandum
proiocet (S. Pace., Reg., clxxix).
CHAPITRE XLIX
DE L’OBSERVANCE DU CARÊME
De Quadragesimae observatione. — Licet omni
tempore vita monachi Quadragesimae debeat obser
vationem habere : tamen quia paucorum est ista
virtus, ideo suademus istis diebus Quadragesimae
omni puritate vitam suam custodire, omnes pariter
negligentias aliorum temporum his diebus sanctis
diluere.
Saint Beno’t a eu l’occasion, au chapitre précédent, de décrire certaines
observances communes du Carême ; mais telle est l’importance de cette
période dans une vie chrétienne et monastique (1) qu’il lui consacre
un chapitre spécial, où sont proposées à chacun quelques pratiques
facultatives et surtout les dispositions surnaturelles qui donneront du
prix à ses œuvres.
Ne nous méprenons pas sur le caractère de cette affirmation de saint
Benoît « qu'en tout temps la vie d’un moine doit témoigner de la même
observance qu’en Carême ». Le Carême, selon l’acception courante,
signifie une portion de l’année consacrée au jeûne, à l’abstinence, à des
pratiques de mortification. Le monde, parce qu’il est toujours frappé par
les choses qui le molestent davantage, ne voit dans le Carême que des
retranche rents sur le boire et le manger ; il prend plutôt conscience des
pénalités culinaires de cette période que de son intention réelle et pro
fonde de pénitence. Mais dans la pensée de saint Benoît le Carême a une
acception plus large. Lorsqu’il souhaite que la vie du moine soit un
perpétuel carême, il n’entend pas parler de celui de l’estomac : c’eût été
bouleverser la règle établie ailleurs et laisser au moine la dangereuse
liberté de manger ou de ne manger pas, et de manger à ses heures ; c’eût
été manquer de discrétion. Meme, il ne semble pas que N. B. Père songe
(1) Cf. Cass., Conia!. XXI.
361
!
362
COMMENTAIRE SUR LA REGLE DE SAINT BENOIT
ici à entraîner ses moines dans un régime d’austérités sans fin et de morti
fication extraordinaire. Il parle du carême spirituel, conciliable avec tous
les horaires, avec tous les états de santé, supérieur de beaucoup au carême
matériel, lequel n’est qu’un procédé qui nous aide à réaliser l’autre.
Ce vrai carême implique deux éléments : un élément négatif et un
élément positif, un élément de séparation et un élément d’union. H con
siste d’abord dans l’élimination du péché et de l’imperfection même,
dans la suppression de tout ce qui est inconciliable avec la volonté de
Dieu sur nous, avec la dignité de notre vocation, avec le sérieux de notre
promesse. Et le carême spirituel est complet lorsque sont pratiquées les
bonnes œuvres, lorsque l’âme adhère à Dieu plus intimement. Or, en
tout temps, la vie du moine devrait s’efforcer de remplir ce programme
de sainteté. La seule réalité de notre insertion au Seigneur et de notre col
laboration liturgique quotidienne à son mystère devrait suffire pour
imprimer à notre vie l’allure d’une fidélité croissante. Mais saint Benoît
connaît les hommes : Paucorum est ista virtus. H y a toujours une dis
tance entre ce que nous sommes et notre idéal ; même dans la loyauté
parfaite, il y a des défaillances d’exécution. Et le dessein du Carême
est celui-ci : nous fournir l’occasion de réparer, d'expier toutes les
négligences des autres temps. Le Carême est encore une période de
recueillement, de docilité plus attentive, d'entraînement surnaturel :
Omni puritate vitam suam custodire. Saint Benoît entend ici le mot pureté
dans son sens large et compréhensif : c’est la vie d’unité et d’union à
Dieu sans partage, l’absence de tout alliage dans le principe qui déter
mine intérieurement notre activité : Qui Spiritu Dei aguntur, ii sunt filii
Dei; c’est la vraie virginité du cœur. Garder son âme en toute pureté et
effacer les négligences des autres temps de l’année : ces deux recomman
dations sont liées ensemble comme cause et effet : nous n’atteignons les
fautes d’autrefois que par la fidélité d’aujourd’hui (1).
Quod tunc digne fit, si ab omnibus vitiis nos tem
peremus; orationi cum fletibus, lectioni, et com(1) Saint Benoît s’est inspiré de plusieurs passages de S. Léon le Grand : Haec
autem praeparatio, H et omni (empore salubriter assumatur,... nunc tamen sollicitius
expetenda est... Scientes enim [adrersarii nos/π] adesse sacratissimos Quadragesimae
dies, in quorum observantia omnes praeteritae desidiae castigantur, omnes ncgligenlice
diluuntur. — Debebatur quidem tantis mysteriis ita incessabilis devotio et continuata
reverentia, ut tales permaneremus in conspectu Dei, quales nos in ipso paschali festo
dignum est inveniri, Sed quia haec fortitudo paucorum est... magna divinae institutionis
salubritate provisum est, ut ad reparandam mentium puritatem quadraginta nobis dierum
exercitatio medaetur, in quibus aliorum temporum culpas ct pia opera redimerent, et
jejunia casta decoquerent. — Deo ita demum sacrificium verae abstinentiae et verae
pietatis offerimus, si nos ab omni malitia contineamus (De Quadrag., Sermo I 2 P L.,
LIV, 264 ; Sermo IV, 1 et 6. P, L, ibid., 275,280).
BE l/OBSERVANCE BU CARÊME
punctioni
cordis, atque abstinentiae operam
363
de
nius.
Saint Benoît analyse maintenant sa pensée; il donne le détail des
points sur lesquels pourront porter les observances individuelles du
Carême. D’abord l’élément négatif : s’éloigner de tout vice, de toute
habitude mauvaise. Ceci est élémentaire : il est bien superflu de surcharger
l’observance de pratiques nouvelles, d’imaginer une belle stratégie de
macérations, lorsque le cœur reste volontairement plein d’orgueil, de
jalousie, de paresse, de murmure.
Et voici l’élément positif. En premier lieu, l’oraison. Pour un phari
sien, l’œuvre extérieure, la prestation matérielle, eût passé avant tout ;
mais un chrétien songe d’abord à la prière. Saint Benoît demande
une prière accompagnée de lamies, c’est-à-dire intime, instante, jaillis
sant de la tendresse et de la « componction du cœur ». Nous recon
naissons la doctrine du chapitre XX. Ainsi donc, en Carême, l’oraison
privée sera plus fréquente et plus fervente ; l’oraison officielle, le service
divin sera mieux préparé et célébré avec plus de soin. Nous nous
appliquerons spécialement aussi à l’étude des choses divines, lectioni, et
c’est pourquoi le chapitre précédent nous parlait des livres de carême.
Remarquons comment N. B. Père suggère non pas des pratiques extraor
dinaires, mais un accomplissement intégral et plus généreux de nos
simples devoirs d’état. Tl ajoute un conseil de sobriété : abstinentiae,
donnant peut-être à ce mot, comme à celui de Carême, une signification
plus large que ne la lui donne l’usage courant. Il ne saurait même être
question de l’abstinence des viandes, puisque, dans les monastères, elle
était perpétuellè.
Ergo his diebus augeamus nobis aliquid ad soli
tum pensum servitutis nostrae: orationes peculiares,
ciborum et polus abstinentiam; unusquisque super
mensuram sibi indictam aliquid propria voluntate
cum gaudio Sancti Spiritus offerat Deo : id est, sub
trahat corpori suo de cibo, de potu, de somno, de
loquacitate, de scurrilitate, et cum spiritualis desi
derii gaudio sanctum Pascha exspectet.
La vie monastique a été dé finie :Dom inici schola servitii. Il y a donc
une tâche, un service que nous devons fournir, en stricte justice et con
formément à nos vœux. Mais un bon et généreux serviteur va au delà
364
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
dccequi hùfst prescrit'.augeamus aliquid... (1). Et saint Benoît énumère
quelques-unes des pratiques de Carême : celles qui intéressent surtout
l’âme, les prières particulières; celles qui ont pour dessein de réduire
le corps, les privations dans la nourriture et le sommeil, l’abstention
plus scrupuleuse du bavardage et de la dissipation. L’abstinence, le
jeûne et les veilles sont les procédés classiques de la mortification corpo
relle. Rappelons-nous qu’en Carême nos pères ne prenaient qu’un seul
repas, le soir; il y avait bien quelque vaillance à retrancher encore sur
un menu déjà frugal. Aliquid offerat : serait-ce trahir la pensée de saint
Benoît que de reconnaître dans cette manière de dire une allusion
rapide à la discrétion et à la mesure qui doivent, même en Carême,
caractériser le programme de nos observances? La multiplicité dans les
œuvres extérieures est encore un trait de la piété pharisienne.
Ce qu’il nous faut recueillir surtout, c’est l’indication des dispo
sitions intimes d’où procéderont nos pratiques de Carême : celles-ci
devront avoir la physionomie gracieuse d’une « offrande faite à
Dieu ». L’offrande est, par définition, quelque chose de spontané : le
moine consultera donc sa propre générosité, et il choisira lui-même
son présent, propria voluntate; et si l’obéissance intervient, ce n’est pas
pour diminuer l'initiative ni la résolution virile, niais pour les diriger et
les rendre fécondes. Une offrande se fait avec joie, « avec la joie du
Saint-Esprit » : Hilarem enim datorem diligit Deus (II Con., ιχ, 7). Nous
savons que les jeûneurs pharisiens avaient la mine allongée et maussade:
Exterminant faciès suas (Matth., v, 16-18). Isaïe les voit contorquere
quasi circulum caput suum, et saccum et cinerem sternere (2). Mais le
Seigneur demande une autre attitude à des âmes qui sont en paix avec
lui, qui sont aimées, qui portent en elles la Tendresse, la Beauté et la
Joie infinies : Tu autem, cum jejunas, unge caput tuum et faciem tuam
lava. N.B. Père sait son Évangile. H n’ignore pas non plus qu’en Carême
il y a des obstacles spéciaux à la joie : obstacles physiques, l’estomac
qui geint, la tête qui est lourde... ; obstacles spirituels, les petits diables,
un vol de vilains « oiseaux noirs (3)». Quand il y a souffrance physique ou
dépression morale, l’ennemi n’est jamais loin ; le Seigneur non plus, par
bonheur, ni ses anges; aussi l’Église a-t-elle soin de nous confier aux
bons anges dès le début de la sainte Quarantaine (4).
Au reste, suggère la Règle, on voit le bout du Carême ! Que l’allégresse
(1) Encore un souvenir de S. Léon : Omnem observantiam nostram ratio istorum
dierum postal augeri... Admensuram consuetudinis nostrae necessariis aliquid addamus
augmentis (De Quadrag., Sermo II, 1. P. L., LIV, 268). — Debet esse aliquid quod Qua
dragesimae diebus addatur (vel augeatur) : sed ita, ut nihil ostentationis causa fiat. sed
religionis (S. Ambros., De virginibus, L III, c. iv. P. L., XVI, 225).
(2Ί Missale Romanum, Epistola feriae VI post Cineres,
(3) S. Grio. M., Dial., L II, c. ij.
(4) Missale Romanum, Dom. I Quadrag.
DE L’OBSERVANCE DU CARÊME
3M
pascale prévienne les temps et rejaillisse jusque sur les semaines d’at
tente. Notons qu’il s’agit de « la joie d'un désir spirituel » : l’estomac,
lui aussi, a ses convoitises, mais ce n’est pas d'elles qu’il est ici question.
El cum spiritualis desiderii gaudio sanctum Pascha exspectet : on entrevoit
dans cette petite phrase toute la saveur qu’avait la sainte Pâque pour
N. B. Père saint Benoît. Ainsi, deux fois en quelques lignes, la joie est
mentionnée ; c’est qu’en effet le précepte de la joie oblige toujours.
Même à ses heures les plus austères et jusque dans l’exercice de la
pénitence, la vie monastique gardera donc l’aspect tranquille et
l’abord facile que lui voulait saint Benoît : In qua institutione nihil
asperum nihilque grave nos constituturos speramus.
IIoc ipsum tamen, quod unusquisque offert, Abbati
suo suggerat, et cum ejus fiat oratione et voluntate;
quia quod sine permissione patris spiritualis fit,
praesumptioni deputabitur et vanae gloriae, non
mercedi. Ergo cum voluntate /Abbatis omnia agenda
sunt.
La part surajoutée de mortification, encore quelle soit résolue spon
tanément, sera néanmoins soumise à l’Abbé, que N. B. Père appelle ici
pater spiritualis. On ne saurait excéder lorsqu'il s’agit des vertus théolcgales ; on excède facilement lorsqu'il s’agit des vertus morales, lesquelles
consistent dans une sage moyenne prise entre deux extrêmes, et dont
l’objet immédiat est une chose bonne, non par elle-même ni pour ellemême, mais en vertu de sa relation avec une autre qui est bonne d’une
façon absolue. La mortification n’est bonne que relativement : sinor,
tous les fakirs indiens seraient parfaits ! Elle est bonne parce quelle noi s
établit en santé morale et qu’elle diminue les exigences du corps ou de
l’esprit propre ; — parce qu’elle nous fait expier et réparer le péché ; —
et surtout parce quelle nous associe aux souffrances de Notrc-Seigneur
Jésus-Christ; elle est bonne comme procédé et comme moyen, non
comme fin. Or, il y a place, sur ce terram, pour des erreurs doctrinales
et pour des erreurs pratiques. On peut non seulement manquer de
mesure, mais encore, par un renversement étrange des principes mêmes
du christianisme, faire consister toute la vie surnaturelle dans l’œuvre
de mort de la pénitence ; on peut s’exalter dans son audace. — tuer le
bélier pour laisser vine Isaac. L’attrait pour une mortification rigoureuse
peut être affaire de tempérament, violence naturelle, raffinement ma
ladif, ou bien n’etre qu'une forme de la superbe. Et il s’en faut de beau
coup que l’ardeur à la mortification corporelle s’unisse toujours à
306
COAI.VENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
l'obéissance intérieure et à la mortification de l’esprit. H n’y a réellement
d’avenir ni pour les mous, ni pour ceux qui sont extrêmement mortifié»,
lorsque leur pénitence n’est pas accompagnée d’une très grando docilité
et soumission d’âme. L’unique procédé qui nous mette à l’abri de» illu
sions est indiqué par saint Benoit : confier Λ notre Abbé nos bons désira
et suivre en tout sa direction.
N. B. Père assigne un autre motif à ce recours au supérieur. Le moine
ne s'appartient plus, l’exercice de son activité entière est déterminé
par la Bègle et par la volonté de l’Abbé (Ί). Il ne faudrait pas, sous
couleur de perfection et au moyen d'observances particulière!», peut-être
excellentes en soi, mais non autorisées, é. happer tout un < arôme à une
sujétion absolue qui est la condition même de notre vio monastique!
Des œuvres faites dans ces dispositions n aîtraient aucun caractère sur
naturel et méritoire. Ce qui se fait sans la permission du père pintiid.
dit saint Benoît, sera porté au compte de la présomption et de la vaine
gloire et non de ce qui mérite récompense (2). l'e nouveau, nous somme»
mis en garde contre une tendance pharisicnne : Γο tentation dans les
bonnes œuvres iNoli tuba canere ante te, s.c t Av; te >· / ; ιό:.' ni >ynagogis ei in ticis ut honorificentur ab
te... .in ■?> <■: > ·
: rea·
perunimercedm suam (Mattie, w, 2l Dans nos petite mortifications,
oublions toutes choses, sauf le regard et la joie de ι itre Père céleste.
Saint Benoît parle non seulement de la permi- ion de l’Abbé mai de sa
prière. Nous pouvons compter toujours sur la prière de notre Abbé, et
la nôtre doit être associée habituellement à la sienne.
(1) Sine (praqmitiï colunlatc nulhu/rater ç-j.a?it(fr;. II SS. Ρατβιίι, J>
(2) Cf. S. Basîl, Jieg. contr., txxxrx, ctxxxt. «xxxrv. - Γλ . h ' V, xxin.
— Hæften, 1. X, tract vin, dis J. VI. — ÜPAUt
.msv·.
·»., 1. Il, c. ui*
CHAPITRE L
uns frères qui travaillent loin de l’oratoire
OU QUI sont en voyage
Cee deux courts chapitres L et LT prévoient les exceptions possibles
à la parfaite ponctualité et régularité dont traitaient les chapitres pré
cédent.·’. IL· pourraient être réunis sous un même titre. Leur dessein
c t de réfoudre les cas de conscience que créent, au double point de
vue do l’office divin d’abord, puis de la table commune, l’éloignement
momentané ou l’absence prolongée. Le chapitre L nous apprend comment
doivent célébrer les Heures ceux des frères qui ne peuvent se trouver
à l’oratoire avec le convent, soit que des travaux les retiennent aux
champs, soit qu’ils accomplissent un voyage.
De
FRATRIBUS qui
longe ab oratobio laborant, aut in
— Fratres qui omnino longe sunt in labore,
et non possunt occurrere hora competenti ad ora
torium, et Abbas hoc perpendit quia ita est, agant
ibidem opus Dei, ubi operantur, cum tremore divino
via sunt.
flectentes genua.
11 y a lieu d’observer d’abord que saint Benoît considère tous ses
moines comme rigoureusement tenus à l’office; pourtant les moines
d'alors n’étaient pas clercs, pour la plupart. Les frères qui sont partis
travailler aux champs feront en sorte de revenir assez tôt pour célébrer
à l’oratoire chacune des Heures liturgiques, toutes les fois que la dis
tance no sera pas trop grande, et sans doute aussi lorsqu’ils pourront
abandonner le travail sans inconvénient sérieux; mais cette seconde
condition, dont a tenu compte la tradition monastique, n’est pas envi
sagée par saint Benoit.
Ceux qui sont trop loin, qui omnino longe sttni, diront l’office à l’en
droit même où ils se trouvent. Et, afin de couper court aux indécisions,
368
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
c’est à l’Abbé qu’il appartiendra de décider si l’on doit rentrer ou non.
Oo voit bien qu’il ne s’agit que de cas exceptionnels. Tous les travaux
manuels, selon la pensée de saint Benoît, doivent s’exécuter d’ordinaire
à l’intérieur de la clôture (chap. LXVI), et de telle sorte que les frères
puissent aisément se réunir pour l'Œuvre de Dieu. Mais n’arrive-t-il
pas souvent que le monastère a des possessions plus éloignées? En ce
cas, des ouvriers recueilleront les récoltes. Nulle part dans la Règle n’est
envisagée l’hypothèse d’exploitations agricoles, captant d’une façon
HIH
habituelle les forces vives de la communauté
et obligeant de nombreux
moines à s’absenter toute la journée ou des semaines entières, loin du
centre de la vio conventuelle.
L’usage de réciter certaines parties de l’office aux champs existait
avant saint Benoît : il est mentionné par les Règles de saint Pacôme et
de saint Basile (1). Sur quoi D. Martènc remarque « qu’il n’y a pas lieu
de s’étonner que les moines accomplissent YOpus Dei dans les champs,
puisqu’ils y faisaient bien aussi le somme réparateur de la méridienne ».
H est peut-être plus facile de dormir aux champs que d’y réciter l’office
avec décence. Aussi N. B. Père recommande-t-il d’apporter le même
souverain respect, la même vigilance qu’au chœur. Dieu n'est nulle part
absent, et si la notion de sa présence est familière aux moines, comme
le veut saint Benoît, ils se recueilleront sans peine. Le lieu du travail
devient aussi sacré que l’oratoire. On y garde le cérémonial accoutumé :
inclinations, génuflexions, oraisons faites à genoux ou avec prosternemc-nt : cum tremore divino flectentes genua; ce qui ne veut point dire
qu’on récite tout l’office à genoux, mais bien qu’on observe les mêmes
rubriques qu’au chœur. H ne s’agit probablement que d’une petite
Heure, et presque tout peut se réciter de mémoire (2).
Similiter qui in itinere directi sunt, non cos prae
tereant Horae constitutae : sed ut possunt, agant ibi,
et servitutis pensum non negligant reddere.
Voici maintenant le cas des moines voyageurs. On s’est demandé
sur quoi porte le mot similiter : les Clunisiens soutenaient à bon droit
qu’il porte sur non praetereant; les Cisterciens, qu’il se rattache à fle
ctentes genua. En fait, l’usage monastique universel était à peu près
(1) Si in nari luerit, et in monasterio, el in agro, et in itinere, et in quolibet ministerio,
orandi et psallendi tempora non praetermittat (S. Pach., Reg., cxlii). — Si corporaliter
non occurrat adesse cum caeleris ad orationis locum, in quocunque loco inventus luerit,
quod devotionis est expleat (S. Basil., Rea. conlr., cvn). — Voir aussi Cass., hist, II, xv<
(2) Voir les détails intéressants que donne la Règle du Maître, lv,
DE LA CÉLÉBRATION NON CONVENTUELLE DE L’OFFICE
3G0
celui-ci. Lorsque le moment de réciter Γ Heure liturgique paraissait arrivé,
on descendait de sa monture (les longues courses se faisaient rarement
à pied), on quittait scs gants de voyage, on se découvrait la tête, on
priait de la même façon et dans la meme posture qu'on l'eût fait au
chœur ; Γ Heure ainsi commencée, on remontait à cheval et la psalmodie
se poursuivait. Quand les chemins étaient trop boueux, qu’on était
sous la pluie et la neige, il y avait dispense de la génuflexion qui précède
l'office, et on récitait à la place le Miserere : telle était du moins la cou
tume clunisienne, rappelée par Pierre le Vénérable à saint Bernard (1).
N. B. Père suggérait cette discrétion lorsqu’il écrivait : Sed ut possunt,
agant ibi (2). Ces mots laissaient une marge à l’interprétation des
supérieurs et des moines : on célébrera l’Œuvre de Dieu du mieux que
l’on pourra. S'il eût fallu réciter l’office tout comme au chœur et dans
sou entier, on aurait dû emporter avec soi les gros livres manuscrits.
Les bréviaires étaient, et pour longtemps encore, inconnus. Avant leur
apparition, cependant, on constate l’usage de manuscrits contenant
certaines portions de l’office et un choix de prières et de lectures pour
les voyrgeirs (3). Saint Benoit ne pouvait donc pas préciser davantage.
Ce qu’il veut, c’est que les moines fassent leur possible. Et servitutis
pensum non negligant reddere : c’est une dette de justice et une obliga
tion sacrée (4).
Dans les mots : Aon eos praetereant Horae constitutae, certains com
mentateurs voient le précepte de réciter chaque Heure en son temps.
Il n’eût jamais paru possible à saint Benoît qu’on psalmodiât les
Laudes, par exemple, au coucher du soleil ou même de nuit. Nous pour
rions rappeler aussi qu’il est des endroits moins favorables à la récita
tion décente et pieuse de nos Heures ; enfin que, sauf les cas prévus par
la théologie morale, nul aujourd’hui n’a le loisir de réduire la liturgie
et de l’accommoder aux nécessités du voyage.
(1) Epist., 1. I, Ep. XXVIII. P. L., CLXXXIX, 132.
(2) 11 faudrait lire : agant sibi ils diront l’office en particulier,
(3) Cf. Calm et, Comment, sur le chap. L.
(4) Sur l’ancienneté et l’universalité de cette récitation obligatoire pour les clercs
comme pour les moines, cf, Mabillon, De Litus ·*·
DE
LA RÉCEPTION DES HÔTES
389
est plus incontestable encore depuis que d’autres Ordres ont pris, dans
le liât ail de la prédication et du ministère pastoral, une place où nous
ne sommes plus requis. Il ne convient pas que nous désertions notre vie
de prière et de silence pour devenir des clercs réguliers surnuméraires
et d’occasion, pour éparpiller nos forces dans des œuvres très diverses,
auxquelles nous sommes en général peu préparés. Nous avons le droit
de nous en tenir aux conditions premières de l’institution monastique,
à ce qui a toujours constitué, d’ailleurs, la part spéciale, normale, dis
tinctive, des moines. Sauf de rares et parfois glorieuses exceptions, n’est-ce
pas cela seulement que l’Église nous demande? Et de quoi le siècle fié
vreux a-t-il plus besoin que du spectacle d’hommes ne vivant que de
Dieu et que pour Dieu, assidus à la louange de sa Beauté et s’inté
ressant à toutes les manifestations de la vie catholique, giâce au pro
cédé, sûrement efficace, de la prière liturgique?
Γ
CHAPITRE LIV
Sr UN MOINE PEUT ACCEPTER DES LETTRES OU DES EULOGIES
Si DEBEAT MONACHUS LITTERAS VEL EULOGIAS SUSCIPERE.
— Nullatenus liceat monacho nec a parentibus suis,
nec a quoquam hominum, nec sibi invicem litteras,
aut eulogias vel quaelibet munuscula accipere aut
dare, sine praecepto Abbatis sui.
H est difficile d’apercevoir le lien qui rattache au chapitre de l’hospi
talité celui qui traite des dons adressés aux moines. De même que cer
taines portions des chapitres LV et LVH, ce chapitre LIV complète
plutôt renseignement des chapitres XXXIII et XXXIV sur la pauvreté ;
le LVIe est un codicille du Lin®
Le moine, nous le savons déjà, est incapable de recevoir, de donner,
d'aliéner quoi que ce soit sans la permission de l’Abbé (1). Tel est le
principe rigoureux. Et saint Benoît range en trois classes toutes les per
sonnes de qui les dons nous pourraient venir : les parents, les amis de
l’extérieur, les frères en religion. Puis, c’est l’énumération des choses qui
pourraient être données : lettres, eulogies ou cadeaux pieux, petits pré
sents quelconques (2).
Les lettres. Notre séparation d’avec le monde, pour être effective, doit
être extérieure : celle qui est constituée par la retraite, par la clôture, par
notre habit, par le silence ; elle doit être intérieure aussi : et tant que la
communion avec le dehors est assidûment maintenue par les visites et par
les lettres, il est clair que notre pensée demeure avec le siècle : Nemo
militans Deo implicat se negotiis saecularibus ut ei placeat cui se proba:it
(II Tbl, n, 4) (3). Nous écrivons peut-être trop de lettres. Pourquoi ne
pas nous réduire à celles qui sont exigées par la politesse, par la charité,
par l’utilité réelle? Ne serait-il pas un peu étrange qu’il sortît d’un monas(Γ) Nemo ai allero accipiet quidpiam, nisi praepositus jusserit (S. Pack., Reg., cat).
(2) S. Augustin (Epist. CCXI, 11. P. L., XXXIII, 9G2) parle des moniales qui
reçoivent en cachette litteras vel quaelibet munuscula, — Cf. S. Caesar., Reg. ad lirg.,
xxiii. — S. Obsiesu Dodrina, xxxix
(3) Ci. Cass , huL, V, xxxil
Mo
DES LETTKES ET DES EULOGIES
S'A
tère plus de lettres qu’il n’y en est entré? Il faut laisser tomber, non seule
ment toute correspondance frivole, mais encore celle qui aurait un < ar ictère
purement mondain. Rappelons-nous aussi le danger des lettres < de direc
tion ». Et lorsque nous écrivons, que ce soit toujours avec sobriété, avec
mesure et dans un esprit surnaturel H y a des anecdotes qui peuvent se raconter en récréation, mais dont il serait ridicule d’entretenir nos correspon
dants. Il est aussi tels détails, tels événements de notre vie familiale qui
n’ont aucun titre à être livrés même à nos parents ou à des religieux. C’est
une sécurité pour le moine d’avoir à solliciter de son supérieur la permission
d’écrire; de plus nos Constitutions nous obligent à lui remettre et à
recevoir de lui, décachetées, toutes les lettres que nous envoyons ou qui
nous arrivent (1).
Les eulogies. L’usage d’envoyer à un ami quelque chose de sa propre
table existait chez les anciens païens ; il subsista dans le christianisme.
Le morceau de pain bénit que l’on distribue aux fidèles au cours de la
t Illi
Messe solennelle, comme une marque de communion
entre eux, est
l’eulogie par excellence. Au quatrième siècle, nous voyons saint Paulin de
Noie envoyer des petits pains à ses amis, par exemple à saint Augustin (2).
On offrait aussi des fruits, des images, des médailles, des reliques, toutes
choses qui reçurent le nom générique d’eulogies (3).
La sainte Règle suppose que les cadeaux viennent surtout du dehors j
pourtant elle pressent qu’il peut y avoir entre religieux, du même monas
tère ou de monastères différents, certains échanges de lettres ou d’eulogies.
« Les petits cadeaux entretiennent l’amitié» : sans doute ;mais, en dehors
même des motifs de pauvreté, il en est d’autres qui interdisent aux moines
ces gracieusetés, aussi longtemps qu’elles restent clandestines. La défense
prononcée par saint Benoît est formelle et complète ; elle embrasse tous
les cas et ruine à l’avance toutes les vaines excuses. Nous avons rompu
avec le monde et nous sommes pauvres par profession.
Quod si etiam a parentibus suis ei quidquam dire
ctum fuerit, non praesumat suscipere illud, nisi
prius indicatum fuerit Abbati.
Saint Benoît, après avoir posé le principe, revient sur l’hypothèse
d’un cadeau spontanément offert par les parents : on ne saurait se
(1) Cf. Cass.,
IV. xvi. — S. Caesar, Reg. ad mon., xv.
(2) S. Paulini Epist. III-V. P. L., LXI, 1G4 sq.
(3) Cf.Mabtllon, Acta SS. O. S. B.. Saec. I. p. 310.— Venancb Fortunat, Carmüw,
passim. — Voir les Commentaires de Martène et de Cai metsut ce passage de la
Règle. — Le pain empoisonné que Florentius envoya à saint Benoît était une eulogia
(S, Greg. M., Dial., 1. II, c. vin).
392
COMMENTAIRE
SUR
LA
RÈGLE
DE
SAINT
BENOIT
l’approprier sans l’autorisation de l’Abbé. Nous ne pouvons être consti
tués propriétaires malgré nous et malgré la Regie par les gens de l’exté
rieur. Il serait donc bien superflu de protester : « Mais on me l’a
donné 1 mais c’est à moi personnellement que l’on a songé 1 mais c’est
un souvenir! mais cela n’a rien coûté an monastère! d Quand des
cadeaux quelconques viennent à l’adresse d’un frère, ils doivent d’abord
être remis à l’Abbé. Souvent l’Abbé no les regarde pas et les fait distri
buer tels quels : mais sa pensée n’est aucunement de les mettre ipso
/reo à l’usage du frère A qui il les fait parvenir. Une permission
demeure requise pour que le frère puisse utiliser une partie ou la tota
lité de l’envoi. Ce qui n'est pas concédé doit aller sans délai au religieux
qui est officiellement le gardien de la catégorie d’objets dont il s’agit.
Rappelons-nous ce qui a été dit au chapitre XXXI11 sur la vigilance
extrême qu’il nous faut apporter dans tout ce qui touche à la pauvreté:
il n‘y a jamais là de petits détails.
Quod si jusserit suscipi, in Abbatis sit potestate,
cui illud jubeat dari: et non contristetur frater cui
forte directum fuerat, ut non detur occasio diabolo.
Qui autem aliter praesumpserit, disciplinae regulari
subjaceat (I).
Un cadeau quelconque est arrivé; on l’a présenté à l’Abbé; l’Abbé
l’a reçu, puis transmis au moine destinataire (quod si jusserü suscipi),
mais en ajoutant, sur l’heure ou un peu plus tard, cette clause inattendue :
« Vous remettrez cela à tel frère ». S'attrister, dans la circonstance, serait
d’un fort petit esprit. Vous avez donc de l’attachement à quelque chose?
Votre bonheur consiste donc à posséder Dieu et cet objet? Une telle
tristesse est révélatrice de ce qu’il y a au fond de lame. Et, en même
temps, elle est périlleuse, car elle nous désarme, et c’est à sa faveur que
le diable sème en nous toutes sortes de dispositions ridicules : le regret
du monde, le dégoût de notre vie, l'hostilité contre un Abbé qui ne nous
aime pas, l’envie contre le frère à qui ce cher objet e.-t dévolu.
Qui autem aliter praesumpserit... Dans la pensée de saint Benoît,
(1) Toutes ces dispositions sont aussi anciennes quo le innnachi-nio, comme le
montrent une curieuse rMe de S. Pacôme (lu) et surtout ce p.v> ■/<> de h Lettre CCXI
de S. Augustin (12) : Etiam illud quod suis vel filiabus tel aliqua
i/udiuc ad te
pertinentibus in monasterio constitutis aliquis vel aliqua contulerit, iit e u Uon site quod
libet aliud inter necessaria deputandum, non occulte accipiatur; sci sil m potestate
praepositae, ut in commune redadum, cui necessarium fuerit, praebeatur. Quod si
aliqua rem sibi collalam celaverit, furti judicio condemnetur (P. L., XXXIII, 963).
Reproduit en partie par S, Césaire, Reg. ad mon., i ; Reg. ad virg., xl,
DES LETTRES ET DES EULOGIES
3Î3
disent la plupart des commentateurs, les sévérités de la discipline régu
lière sont dirigées contre celui-là seulement qui s’attribue indûment un
objet, non contre celui qui s’attriste d’avoir été frustré, à moins peut-être
que cette tristesse ne l’amène à des excès scandaleux.
11 faut nous souvenir qu’en cette matière de la pauvreté trois choses
sont à distinguer : le vœu, la vertu, l’esprit de pauvreté. Je suis en règle
avec le vœu, lorsque je m’abstiens des actes qui me sont interdits, ou
mieux (pie je me suis interdits en émettant le vœu : ne rien posséder, ne
disposer de rien, ne rien détruire. Mais le vœu est bien menacé si nous
n’allons pas jusqu’à la vertu : celle-ci nous porte non pas seulement à
exécuter tant bien que mal, mais à réaliser avec facilité, avec prompti
tude et avec joie les renoncements et les privations. A son tour, la vertu
n’est complète qu’à la condition d'être rattachée à son motif le plus élevé
et à son premier anneau. L’esprit de la pauvreté, c’est de nous considérer
comme uni- à Dieu, comme devant ressembler à Dieu. Nous ne sommes
pas sortis du monde pour entrer dans la solitude, mais bien dans la société
de Dieu. Nous ne sommes pas pauvres pour être pauvres, mais pour
être riche- de Dieu, riches comme Dieu. Dieu aussi est pauvre : il n’a que
lui ; il est pourtant l’opulence infinie, puisqu’il possède en soi toute plé
nitude. C’e-t le dernier mot de notre pauvreté. Et. à cette hauteur, les
trois vœux de religion se rejoignent, comme les trois vertus théologales se
rencontrent dans l’union avec Dieu.
CHAPITRE LV
DES VÊTEMENTS ET DES ClIACSSCRES DES FRÈKC3
VESTIMENTIS ET CALCEAMENTIS FIlATniM- — Vesti
menta fratribus secundum locorum quali talem ubi
habitant, vel aerum temperiem dentur, quid in
frigidis regionibus amplius indigetur, in calidis
vero minus. Ilaec ergo consideratio penes Abbate H
sit.
De
On a cru parfois que saint Benoît avait pressenti on même connu pro
phétiquement la diffusion de sa Règle et Taccueil qui lui serait fait par
l’Europe chrétienne : ce qui l'aurait porté à déclarer ici (pie le vêtement
s’accommodera aux conditions climatériques et à leur variété. Peut-être;
mais il est certain que les différences de température qui existent entre
la Sicile et la Sabine, entre le Mont-Ca -in et Terracine, suffisaient à
justifier cette mesure de prudence. On se vêtira donc diversement selon
les variations de latitude, selon les conditions du climat. Saint Benoît
diffère en ceci de quelques fondateurs modernes, qui ont déterminé
dans le plus grand détail la nuance, la coupe, l’étoffe du vêtement. Il
ne commence même pas par un principe de pauvreté, mais par un pré
cepte de discrétion, où se révèle une fois de plus sa largeur d e-prit. Dès
lors, et aussi afin d’éviter le surcroît, la fantaisie ou le bariolage, c’est à
l’Abbé, et à l’Abbé tout seul, que reviendra le soin d’apprécier ce qui
peut entrer dans le vestiaire d'un moine; c’est lui qui dira s’il y a lieu
d’ajouter certains éléments à la livrée commune, ou bien d’en sup
primer, d’en modifier d’autres.
Nos tamen mediocribus locis sufficere credimus
monachis per singu’cs cucullam et tunicam : cucul
lam in hieme villosam, in aestate puram ct vetu-
DES VÊTEMENTS ET DES CHAUSSURES DES FRERES
S9i
slam : et scapulare propter opera ; indumenta pedum,
pedules et caligas.
Après avoir remis à l’Abbé le souci du vêtement, saint Benoît consent
néanmoins à indiquer, et toujours avec une nuance de timidité discrète,
ce que l'on doit permettre dans les régions tempérées.
Observons d’abord que N. B. Père entend bien assigner à ses religieux
un habit spécial. Peut-être l’avertissement adressé aux moines, et que
nous expliquerons dans un instant : De quarum rerum omnium..., a-t-il
donné le change et fait supposer que le désintéressement de saint Benoît ne
portait pas seulement sur la qualité et la couleur de l’étoffe, mais s’éten
dait jusqu’à la nature et à la forme distinctive de l’habit. Érasme, par
lilii
exemple, a prétendu que saint Benoit et les siens étaient vêtus comme
tout le monde, liais Érasme a été déçu par des préjugés et par une lec
ture trop rapide et inattentive. Sans aucun doute, c’était bien un habit
spécial que saint Benoit demanda et reçut de saint Romain : Sanctae convtrsalionis habitum quaesivit (1). On resterait dans l’exactitude en disant
que N. B. Père s'est inspiré de divers usages contemporains et que
l'emploi exclusif de certains vêtements pouvait suffire à les rendre dis
tinctif.-. Pourquoi les moines se seraient-ils soustraits à la coutume antique
selon laquelle chaque catégorie sociale avait son costume particulier?
Les soldats avaient le leur, de même ceux qui faisaient profession de
philosophie et qui étaient reconnaissab’es au pallium, au bâton et à la
longue barbe. On peut voir sur ce point l’obscur et difficile traité de
Tertullien de pallio. Aussi bien, les motifs ne manquèrent point aux
premiers moines pour se choisir un vêtement spécial.
L'habit monastique nous distingue, et c’est sa première raison d’être.
Tl nous rappelle aussi, et sans cesse, notre condition surnaturelle : par
son austérité, par sa forme, par tous ses détails, il nous avertit que nous
ne sommes plus du siècle, et qu’il est mille choses mondaines auxquelles
nous avons dit adieu. Les anciens moines se plurent à rechercher le
symbolisme des vêtements religieux (2), et la Liturgie sainte nous y
invite encore : il faut lire dans notre Rituel ce qui concerne la bénédiction
et l’imposition de l’habit monastique. A raison même de cette bénédiction
qui l’a fait devenir un sacramental, notre habit nous protège, il fait partie
de notre clôture et il l’achève : il nous retient dans la douce captivité
de Dieu. Et peut-être ne faut-il pas chercher ailleurs le motif de la dé
faveur ou plutôt de la haine que l’habit religieux rencontre auprès du
diable et de ses suppôts. C’est vraiment mauvais signe, lorsqu’il y a
(1) S. (ÎREO. M., Dial., 1. IT, c. 1.
(2) Cass., Inst., L — Soxom., Hist. eecles., 1. ITT. c. xm-xiv. P. G., LXVII,
10 ώ-1081. — S. Dorotuaei Doctrina, 1,12-13. P. G., LXXXV11I,1.532 eq.
396
COM.M ΕΛ’ΤΑ IRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
chez un prêtre ou chez un moine empressement et joie à revenir à ce que
la Liturgie appelle « l'ignominie de l’habit séculier ». Il est vrai que
«l'habit ne fait pas le moine » : mais quels services il lui rend ! La relation
est réelle entre l’habit et la condition ; il est des choses que nous sentons
impossibles, des démarches que nous ne tenterons jamais, simplement
parce que nous portons les livrées du Seigneur. Ayons de l’estime, de
la vénération pour elles, spécialement pour notre coule, dont les larges
plis nous envelopperont jusque dans la mort.
Cet habit monastique, N. B. Père ne l'a point créé de toutes pièces :
parmi tous les éléments que lui fournissait la tradition, il a fait un choix
avec sa distinction accoutumée. Il va de soi qu’en pareille matière les
usages ont varié grandement, selon les temps et selon les lieux, et que
nous ne saurions tenter ici d’en retracer l’évolution. Il est même assez
malaisé, souvent, de se faire une idée exacte, faute d’illustrations, des
vêtements décrits par les coutumiers et les commentaires ; et il n’est
pas toujours possible d’identifier certains éléments. Saint Benoît estime
que dans les régions tempérées il suffira à chaque moine d’avoir une coule
et une tunique. En hiver, la coule sera d’étoffe velue ou épaisse ; en été,
d’étoffe plus légère ou devenue rase par l’usage. (On ne dit point que la
tunique changeât selon la saison.) Pendant le travail, on remplacera la
coule par un vêtement moins ample : le scapulaire. L’histoire de la coule
et du scapulaire mérite certains développements qui sortiraient du cadre
de ce commentaire ; nous devons nous borner à quelques indications.
La coule n’est, originairement, qu’un capuce, un capot (cucullus,
cucuïïio) enveloppant la tête et la nuque, et dont la forme conique rap
pelait les cornets de parchemin — les cuculli, disait-on parfois — ces
épiciers et des droguistes. C’était la coiffure ordinaire des paysans (1)
et des petits enfants. Très populaire en Italie et en Gaule, le capuchon
le fut sans doute aussi dans tout l’empire, car nous rencontrons une coif
fure analogue et de même nom (κουχούλιον) chez les premiers moines orien
taux (2). Aux motifs pratiques qui le leur firent adopter se joignirent
bientôt des considérations d’ordre symbolique. Le capuchon rappelle aux
moines, dit Cassien (3), qu’ils doivent imiter l’innocence et la simplicité
des enfants puisqu’ils sont revenus à l’enfance spirituelle. C’est l’idée de la
profession second baptême ; comme on couvrait la tête aux néophytes
du baptême, de même on la couvrait à ceux de la profession. Le capu
chon était la partie la plus vénérable du vêtement monastique, et on le
gardait jour et nuit.
(1) Cf. Darembep.g et Saglio, Dictionnaire des Antiquités grecques et romaines, t. I,
fig. 2091
(2) Voir par exemple la Règle de S, Pacôme, VIÎisloire Lausiaque (édit, Bltleb,
p. 89-90, 92, 98).
(3) InsL, I, m,
DES VÊTEMENTS ET DES CHAUSSURES DES FRÈRES
39?
La coule dont parle saint Benoît est certainement quelque chose de
plus qu’un capuchon. C’est la vestis cucullata, le vêtement auquel est
adapté un cucullus (1). Columelle recommande de protéger les ouvriers
des champs contre les intempéries pellibus manicatis,... vel sagis cucullis
(ou cucullatis) ; et Palladius prescrit tunicas pelliceas cum cucullis (2).
Chez les moines comme chez les laïcs, la corde pouvait être d'étoile velue
ou de peaux de bête : elle ressemblait alors, capuchon en plus, à la
« melote » des moines orientaux (de μηλ™, peau de mouton), vêtement
de voyage ou de nuit et qui pouvait à l’occasion servir de besace (3).
C’est peut-être de cette mélote à capuchon que N. B. Père était revêtu
à Subiaco (4). Nous ne saurions décrire avec exactitude la forme d’une
coule au temps de saint Benoît, car le capuchon pouvait être fixé à
divers vêtements (lacerna, casula, paenula, sagum)', même, il n’est pas
impossible que, dans sa pensée, cuculla désigne in genere un habit monas
tique à capuchon, quelles qu’en soient d'ailleurs et la forme très sp.ciale,
et les dimensions, et la matière. Les plus anciennes coules monastiques que
nous connaissions ont la forme d’une ample chasuble, descendant jus
qu’aux pieds et sans ouvertures latérales (ô). On s’explique qu’il fallût quitter la coule pour le travail manuel. Plus tard, afin de dégager les bras, on
fendit latéralement la casula, et on relia de distance en distance les deux
pans par des attaches ou des bandes, que l’on appela dans la suite « le
point de saint Benoît », les « tirettes » : on rencontre cette forme de vête
ment dans beaucoup de documents du neuvième au douzième siècle (ΰ).
(1) Il nous reste quelques vestiges de l’emploi, avant saint Benoît, des mots cuculla
et ueullus pour désigner l’habit à capuchon. Sidoine Apollinaire en ofire un à l’abbé
Charicbaudus : Nocturnalem cucullum, quo membra conjecta jejuniis, inter orandum
cuL mdumque dignanter legare, transmisi; qua-iquam non opportune species villosa
m.'atur hieme finita, jamque temporibus aestatis appropinquantibus (Epist.LVII, Ep.
XVI. P. L., LVIII, 58G). Et le vêtement de saint Germain d’Auxerre était, d'après
son biographe Constance, cuculla c! (unira (Acta SS., Julii t. VII. p. 204). — Cf. S. Βιεπον., Vita S Hilarionis, c. XLVi. P. L.. XXIII. 52.— S. Paulini Poema XXIV ad
Cytherium, vers. 389-390. P. L., LXI, G22. — Ennodii Epist., 1. IX, Ep. XVII. P. L.,
LXIII, 156.
(2) Columelle, De re rustica, 1. I, c. vm ; 1. XI, c. L — Palladius, De re rustica,
1. I, C. XLIII.
Î3) S. Pach., Reg., xxxvni.
(4) S. Grégoire nous dit que
les bergers dum (iUum) vestitum pellibus inter /nitela
cernerent. aliquam bestiam esse crediderunt; et le petit Placide sauve des eaux racontait
qu’il avait vu Butter au-dessus de sa tête Abbalis melotem (Dial.. L 11, c. i et vu).
TiiÊonEMAR, dans sa Lettre à Charlemagne, expliquant ce que c’est que la coule,
quelles formes et quels noms on lui donne en différentes régions, note que son nom
premier et originel est celui de « mélote » : Cucullam nos esse dicimus, quam alio nomine
casulam vocamus... Jllud autem vestimentum quod a galiicanis monachis cuculla aintur
cl nos cappam vocamus, quod proprie monachorum désignai habitum, meloiem appellare
debemus, sicut et hactenus in hac provincia a quibusdam vocatur (P. L, XCV, 15871
(5) Cf. (Martène et Durand), Voyage littéraire de deux religieux bénédictins de
la Congrégation de Saint-Maur, t II, p. loi — Mabillon, Acta SS. 0. S. B., Saec. V,
Praef., p. xx.xi.
(6; Cf. Mabillon, Annales 0. S. B., t II, p. 353. — Bernard de Montfapcon, 1rs
393
COMMENTAIRE SUR LA REGLE DE SAINT BENOIT
Les coules avec manches sont en usage des le dixième siècle ; ces manches
semblent d’abord assez étroites (1). Le capuchon subit, pour sa part, une
série de transformations : sous l’influence des coutumes cisterciennes et
franciscaines, il s’allongea et s’effila ; il devint en certains endroits très
ample, retombant sur les épaules comme un voile et formant deux fanons
par devant : ce dernier usage subsiste dans la Congrégation anglaise.
Les origines du scapulaire sont assez obscures. Nulle part avant saint
Benoît nous no trouvons mentionné un vêtement de ce nom. Étymologi
quement, il s’agit d’un habit destiné à protéger les épaules ou à s’adapter
aux épaules : mais de quelle manière? N. B. Père dit simplement : et sca
pulare propier opera, et c'est tout; le scapulaire n’est même pas nommé
ce nouveau à la fin du chapitre, dans la petite liste des objets néces
saires au moine. Des érudits l’ont assimilé, mais sans grand fonde
ment, à l’espèce de corset, aux bretelles dont se servaient les moines
orientaux pour relever leurs vêtements et les empêcher de flotter pen
dant le travail (2); plusieurs auteurs grecs ont décrit sous des appella
tions diverses ce vêtement des épaules qui a la forme d’une croix. H
semble plus probable que le scapulaire primitif des moines Cassiniens
était une coule réduite, une tunique ou blouse à capuchon, analogue à
celle que portaient les paysans de la région. Théodemar, pariant du scapu
laire, dit qu’on l’appelle ainsi parce qu'il couvre surtout les épaules et
la tête : Quod vestimentum pene omnes in hac terra rustici utuntur; pro
quo tegumento nos e grossiori textu ad melotis similitudinem operimentum
habemus, nisi quod manicae in hoc usque ad manus pertingentes habentur (3).
Cette tunique est tantôt munie de courtes manches, tantôt elle en est
dépourvue. Elle est souvent fendue latéralement et les deux pans sont
réunis par un ou plusieurs points ou tirettes ; au cours des siècles, ces
points tombent, les pans s’allongent, et le scapulaire devient tel que nous
le portons maintenant (4). A Cluny, dès le onzième siècle, on ne con
naissait que la coule, et le froc, qui se portait par-dessus ; il n’était pas
Monuments de la monarchie française, t. I, pl. xxvm. — Rohault de Fleury, la
Messe, t VIII, pl. dcxliv. — Sekoux d’Agixcourt, Histoire de ΓΛτΙ par les monu
ments, t. III, p. 80; L V, pl. lxix. — On peut souvent se demander s’il s’agit vraiment
de coules, ou bien de scapulaires, ou encore de vêtements liturgiques·
(1) Cf. Le miniature nei codici Cassinesi. Disp. V, Tav. i ; Disp. VI. ·— Voir la repro
duction de miniatures d’un manuscrit clunisicn du douzième siècle dans D. L’IIuillier,
l’ie de saint Hugues, p. 298, 3G0, 512.
(2) Cf Cassi en. inet., 1, v.
(3) P. L., XCV, 1588. — Voir deux reproductions de paysans vêtus de la tunique
à capuchon, dans la Revue archéologique, mai-juin 1892, p. 331 et 333.
(4) Les formes anciennes du scapulaire se trouvent dans : Mabillon, Acta SS. O.
S. B., Saee. V. Praef., p. xxxi ; Annules O.
B., t. I, p. 505. — Antiphonaire du
B. Hartker : Paléographie musicale, IIe série, t. I, p. 11 de la reproduction du
manuscrit —Le miniature nci codici Cassinesi, TAsp. II, Tav. i; Disp. IV, Tav. i;
Disp. VI, Tav. iv; Mabillon reproduit la première de ces miniatures dans ses
Annales, t I, o. 109. — (Martène et Durand , Voyage littéraire de deux religieux
cènédidins de la Congrégation de Saint-Maur, t. II, p. 04,
DES VÊTEMENTS ET DES CHAUSSURES DES FRÈRES
349
question de scapulaire (1). La coule était formée de deux longues bandes
d'étoffe descendant jusqu’à terre après avoir recouvert les épaules et une
partie des bras (2); on y adaptait le capuchon. Elle était réservée aux
proies, tandis (pion accordait aux novices le froc, ample robe à longues
manches ; sauf pour ces derniers, le froc n’avait pas de capuchon.
Cucullam et tunicam : la tunique est le vêtement de dessous ; rappelonsnous que les anciens ne portaient pas de linge. La tunique (λευκών,
colobium) était en usage chez les moines de tous pays ; elle était à manches
courtes ou sans manches, et ordinairement de toile. Les anachorètes por
taient souvent des tuniques en poils de chèvre, de bouc, ou de chameau,
véritables cilices, dont Cassien veut laisser l'usage aux seuls religieux
très fervents et qui ont vocation spéciale ; il préfère, pour le vêtement du
moine, des étoffes moins singulières, grossières néanmoins et communes (3).
C’est tout à fait, nous le verrons, la pensé? de N. B. Père. La tunique
n'était pas flottante, mais retenue par une ceinture de cuir ou de lin.
Saint Benoît n’en parle pas ici, mais il mentionne un peu plus loin le
bracile; la nuit, les moines doivent dormir cincti cingulis ad funibus,
a-t-il dit au chapitre XXII.
Pedules et caligas. 11 est difficile dïdentifier ces indumenta pedum;
les archéologues en disputent longuement, ce qui met B. Mège en belle
humeur (4). Les moines de certains pays (5) marchaient ordinairement
pieds nus, comme les pauvres ; c’est une chaussure qui ne s’use pas, et
que la vie renouvelle. Chez saint Pacôme, les solitaires recevaient des
sandales. Les pedules prescrits par saint Benoît sont peut-être des bas,
des chaussons, ou bien des chaussures légères et d'intérieur. Les caligae
ne sont pas nécessairement ce que nous appelons des souliers, mais peutêtre la sandale militaire retenue par des courroies et serrant fortement le
pied et la cheville, chaussure très commode et très saine. Le travail des
champs exigeait évidemment des « caliges » plus solides que celles qu'on
portait à la maison. Saint Grégoire le Grand nous parle des caligae
clavatae, des souliers ferrés qu’on portait pendant le travail dans les
monastères de saint Équitius (6).
(1) Smaragde écrivait déjà : Cucullam dial tTTc quad «os modo dicimus cappam...
Qi< l vero ille dicit scapulare propter opera. hoc nos modo dicimus cucullam.
(21 Cf. Mabillon, Acta SS. O. S. B., Saec. V. Praef., p. xxxn-xxxrv. — Ia coule
clusinienne est décrite dans un curieux dialogue entre un moine de Citeanx et un de
Cluny (seconde moitié du douzième siècle» : Marlène et Dvrand. Thesaurus t; nis
anecdotorum, t. V, col. 1633-1639. — Il semble que cette coule-scapuLdrc soit le vesti.-o
d'une coule à forme de casula; voir la description de la coule dans la Disciplina i’affensis, 1. II, c. iv.
'’**1·^
(3) Inst., I, il
(41 Comment, in h. I. — Lire surtout D. Calmet.
(5) Cass., Inst., I, ix.
(6) Dial., I, I, c. iv, P, L, LXXV1I, 173. Cf. ibid., L HT, c, xx, Γ. L, ibid.
2Gy sq.
400
COMMENTAIRE SUR la REGLE DE SAINT BENOIT
De quarum rerum omnium colore aut grossitudine
non causenlur monachi, sed quales inveniri possunt
in provincia qua degunt, aut quod vilius comparari
potest. Abbas autem de mensura provideat, ut non
sint curta ipsa vestimenta utentibus eis, sed men
surata.
1
■
Π n’y aura point de discussion parmi les moines, ou simplement dans
le cœur de chacun, relativement à la couleur et à la qualité des vête
ments. Le conseil est donné aussi par Cassien et par saint Basile (1).
Rien pour la coquetterie, la vanité ou la mollesse. On prendra pour étoffe
celle dont on se sert communément dans la région, celle qui peut être
achetée au meilleur prix (2). Ce texte ne semble-t-il pas décisif pour
montrer que saint Benoit n’a rien déterminé au sujet de la couleur de
notre habit? Spontanément, on devait rechercher une nuance aus
tère et peu voyante. Le blanc et le noir, le gris et le brun furent adoptés
de préférence : mais il y eut souvent mélange et bigarrure : tunique
blanche, par exemple, avec code et scapulaire noirs. On trouvera sur
cette question un grand nombre de témoignages historiques, compilés
dans les Commentaires de D. Martène et de D. Calmet. Le noir prévalut,
au moins pour les habits de dessus, et Cluny le retint jalousement (3),
tandis que Cîteaux se vouait au blanc, dont le choix était attribué à saint
Albéric. La codeur des habits fut matière à discussion entre Cîteaux et
Cluny, et Pierre le Vénérable prit la défense du noir, ainsi que de la cha
rité et de la discrétion, dans plusieurs lettres à saint Bernard (4).
Dans la Règle de saint Basile, c’est au moine qu’est laissé le soin d’avertir
si son habit a est trop grand ou trop petit pour sa taille (5) ». Mais saint
Benoît veut que l’Abbé songe à tout ; aucun détail n’est indigne de son
affectueuse sollicitude. H veillera donc à ce que les vêtements soient
conformes à la taille de chacun ; sans exagération d’ampleur ou de lon
gueur, ce qd serait orgueilleux et incommode ; sans exagération non plus
de « court-vêtu », ce qd serait facilement ridicule ; et saint Benoit ne
spécifie même que ce second inconvément.
(1) Cass., Inst., 1, il — S. Basil., Beg. fus., xxn.
(2) Sa:nt Benoît cite un passage de S. Basile, mais qui est relatif à l’alimentation:
Scd si quid est, quod in unaquaque provincia facilius et vilius comparatur (Keg. contr., ix).
(3) D. Mayeciî Lamey a tenté de prouver naguère que l’habit clunisien était roux
et de la couleur naturelle de la laine brune (Œuvres choisies, p. 240-261).
(4) Petri Venerab., Episl., 1. I, Ep. XXVIII, P, L., CLXXXIX, 116-117 ; 1, IV,
Ep. XVIL P. L., ibid., 332 sq(
^5) lieg. bref., clxviil
DES VÊTEMENTS ET DES CHAUSSURES DES FRÈRES
101
Accipientes nova, vetera semper reddant in prae
senti, reponenda in vestiario propicr pauperes.
Sufficit enim monacho duas tunicas et duas cucullas
habere, propter noctes, et propter lavare ipsas res.
Jam quod supra fuerit, superfluum est, et amputari
debet. Et pedules, et quodeumque est vetustum,
reddant, dum accipiunt novum.
Lorsqu'un moine reçoit du neuf, il ne lui est pas loisible de conserver
chez lui, pour les utiliser encore à son gré, les vêtements hors d'usage;
ce serait un retour misérable au vice de propriété, puisque le nécessaireest seul permis et que tout superflu doit être retranché. De plus, sur notre
pauvreté même nous pouvons prélever de quoi donner à de plus pau
vres que nous ; mais à la condition que l’aumône soit faite par l’Abbé ou
par les frères chargés de ce soin, car à quel titre un moine distribuerait-il
des biens, même des plus chétifs, qui ne lui appartiennent aucunement?
Aussi N. B. Père lui ordonne-t-il de tout déposer au vestiaire (1).
11 suffira à chacun d'avoir deux tuniques et deux coules. Saint Benoit
ne dit rien des autres parties, moins importantes, du vêtement, et qui
peut-être, notamment pour les pedules, dépassaient la paire. Avant lui,
C'assien avait parlé de l’usage des deux tuniques, ad usum scilicet noctis
ac diei (2). Saint Basile n’en voulait qu’une, tandis que saint Pacôme
donnait deux cuculli, deux tuniques, et unum jam attritum ad dormiendum
vel operandum (3). Nous savons par saint Benoît lui-même que les moines
couchaient habillés : ils conservaient leur tunique, ce qui était de simple
décence, et probablement aussi leur coule. Les anciens moines avaient,
semble-t-il, tunique, ceinture et coule spéciales pour la nuit ; on ne parle
pas du scapulaire, qui n’avait de raison d’être que pour le travail Peutêtre gardaient-ils ces vêtements de nuit même pendant les Nocturnes.
Les moines du Mont-Cassin recevaient donc, avec deux tuniques, deux
coules plus ou moins épaisses selon la saison. N. B. Père donne un second
motif de cette dualité des vêtements : la nécessité de s’en dépouiller pen
dant quelque temps pour les laver, ceux-là du moins qui pouvaient l'être,
car les habits faits de peaux de bêtes supportent difficilement la lessive.
(1) C’est un emprunt à S. Césaire : Indumenta ipsa cum nora accipiunt, si cetera
necessaria non habuerint, Abbatissae refundant, pauperibus aut incipientibus, vel junto·
ribus dispensanda (JIeg. ad virg., xl). — Caton recommandait, lui aussi, de recueillir
les vieux habits des esclaves quand on leur donnait du neuf, mais pour les utiliser
s us une autre forme : De re rustica, c. lix.
(2) Contai. IX, v.
(3) S, Hieron., Prae/. tn Reg. S. Path., 4 ; Reg., lxxxi*
29
Î4Î
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
Femoralia hi qui diriguntur in via, de vestiario
accipiant; qui revertentes lota ibi restituant.
Voici une pièce extraordinaire dn vêtement monastique : les femoralia,
les culottes, les braies, les hauts-de-chausses. Les moines, comme tous les
anciens, qui étaient vêtus de long, ne s’en servaient guère que par
raison de santé ou bien en voyage. Les moines de saint Martin n’en por
taient pas ; saint Fructueux les permet aux siens ; le Maître, de même ;
mais en général les premiers moines semblent regarder comme un relâche
ment l’usage habituel des fémoraux. Paul Diacre s’en tient au texte de
la Règle; Théodemar dit qu’au Mont-Cassin beaucoup préfèrent s’en
passer, et Hildemar: übi generaliter accipiunt et portant femoralia fratres,
debent in capitulo accipere, sicut alia vestimenta... Sed monasteria ubi
omnes accipiunt et portant m suni laudabilia. Cluny adopta Γ usage des
fémoraux, et Pierre le Vénérable le dut défendre contre les Cisterciens (1) ;
au dire d’Orderic Vital, saint Robert les avait retranchés aux moines de
Molesmes (2). A défaut de fémoraux proprement dits, on se servait sou
vent de ceintures et de caleçons.
Qui revertentes lota ibi restituant. En rentrant de voyage, les frères
remettront au vestiaire les fémoraux, après les avoir lavés. Ils faisaient
eux-mêmes leurs lessives, sur lesquelles les coutumiers nous fournissent
d’abondants détails. Nous n’avons pas à insister sur les soins que les moines
donnaient à leur personne. Mais remarquons l’inclination de N. B. Père
ΙΠ
pour la propreté. Ermites,
nous pourrions être vêtus à notre gré, avec le
moins de frais possible ; même, nous pourrions ajouter avec saint Hilarion qu’il est superflu de nettoyer un cilice : Superfluum est munditias in
cilicio quaerere; a les moines, disait avec quelque emphase un Père du dé
sert, doivent porter un manteau tel que, s’ils l'abandonnaient à terre,
il pût y rester trois jours sans que personne s’inclinât pour le ramasser (3) ».
Mais nous sommes cénobites, nous appartenons à une famille ; par
respect pour elle et afin de n’être à charge à aucun de nos frères, nous
devons avoir un souci constant de la propreté et de l’ordre : ce qui est
l’indice habituel de la netteté et de la délicatesse de l’âme.
Souvenons-nous de l’esprit qui a guidé N. B. Père dans la détermina
tion du costume monastique. Π n’a point prétendu mortifier par l’habit :
il a voulu le détachement parfait et la pauvreté ; il a voulu tout le néces
saire et même un peu au delà, afin de laisser à la vie monastique sa sainte
I
(1) Episl., I. T, Ep. XXVIII. P. L., CLXXXIX, 123.
(2) Hist. Ecttes., P. III. L VIII, 25. P. L, CLXXXVIII, 637,
(3) Àpopktheijniata Palrum, P, G., LXV, 227.
des vêtements et des chaussures des frères
m
joie, sa liberté grave, sa paix, et de prévenir tout murmure chagrin ;
il a voulu une certaine distinction à l’intérieur du monastère, et surtout
peut-être au dehors, comme va nous l'apprendre la prescription sui
vante.
Et cucullae et tunicae sint aliquanto his quas
habere soliti sunt, modice meliores; quas exeuntes
in viam accipiant de vestiario, et revertentes resti
tuant.
Les moines qui partent en voyage recevront du vestiaire des coules et
des tuniques un peu meilleures que celles dont ils se servent habituelle
ment. Et certaines coutumes ont ajouté : lorsqu’une personne de qualité
vient au monastère, le frère attaché à son service doit recevoir des vête
ments plus convenables (1). C’est une condescendance pour les personnes
de l’extérieur avec lesquelles nous entrons en rapport. Telle fut la con
duite du Seigneur lui-même, qui dans ses relations avec les Juifs n’a point
imité l’austérité de saint Jean-Baptiste : Venit filius hominis manducans
et Libens. Saint Benoît ne veut pas avoir à rougir de ses fils, lorsqu'ils
paraissent dans le monde. Mais la pauvreté? mais l’édification? On n’édifie
pas avec de l’insouciance et de la sordidité. Nous ne sommes point chargés
de faire montre de notre pauvreté. Π n’est pas prescrit à l’Abbé de ne
donner jamais un nouvel habit sans y faire coudre une pièce afin que,
même neuf, il semble fatigué. Et saint Benoît pensait, comme Cassien,
« qu'il faut éviter le défaut contraire » à la superfluité et à la coquetterie
« et ne pas attirer les regards par une négligence affectée » (2),
Si nous insistons sur de tels détails, c’est parce qu’ils intéressent non pas
seulement notre physionomie extérieure, mais la forme même de la per
fection monastique. Et c’est à bon escient que saint Benoît a fixé les
traits caractéristiques de notre vie, lui qui avait commencé par être
anachorète et qui avait connu la pauvreté extrême. Π y a des vertus et
des saintetés prismatisées : telle ou telle âme aura l’outrance, soit de h
pauvreté, soit de la mortification, soit du zèle et d’une sorte d’emporte
ment surnaturel ; il y a une ligne d’un rouge vif dans le spectre de cette
sainteté, une couleur tranchante : c’est là ce que les hommes voient le
mieux et ce qu’ils imitent peut-être le moins difficilement, quitte à le
faire grimacer un peu. Aussi bien, toutes les vertus ont un caractère
(1) IIildemar, in h. t
(2) Inst.. I, h. — Abbas Agathon... in omnibus cum discretione poUclii. btm in
opere manuum suarum quam in vestimento. Tab bus em'rn vestibus ukbatur, id nec satis
bonne. ncc salis malae cuiquam apparerent (Ferta Seniarum : Vitae Patrum, III, 73.
Roswxyde, p, Û12).
404
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
fragmentaire et relatif : fragmentaire, et notre attention ne devrait
jamais se porter sur l’une d’elles de telle sorte qu’elle éclipsât les autres
dans notre pensée ; relatif, parce que les vertus sont toutes dispositives
et se rapportent à la contemplation, à l’exercice constant et profond de la
foi, de l’espérance et de la charité. A côté des saintetés prismatisées, il .
est quelques saintetés blanches, où les tons sont fondus dans une sim
plicité et une égalité parfaites ; cela fait moins d’effet, on s’en aperçoit
moins, et les inattentifs ne s’aperçoivent même de rien du tout. Mais il
suffit que Dieu y reconnaisse une ressemblance plus ache/ée avec le Sei
gneur et avec sa Mère.
Stramenta autem lectorum sufficiant : matta,
sagum, lena et capitale. Quae tamen lecta frequenter
ab Abbate scrutanda sunt, propter opus peculiare,
ne inveniatur. Et si cui inventum fuerit, quod ab
Abbate non acceperit, gravissimae disciplinae subja
ceat.
Après les vêtements, le mobilier. N’oublions pas que les anciens
n’avaient pas de cellule et qu’ils couchaient en dortoir : leur mobilier
se réduisait au lit La garniture de ce lit comprendra quatre éléments.
Matta. Selon D. Calmet, il s’agit vraisemblablement d’une natte de
jonc, tout au plus d’une paillasse piquée, mais certainement pas d’un
matelas bourré de crin ou de laine.
Sagum. Une couverture, un gros drap. D’anciens commentateurs
voyaient dans le sagum un sac bourré de paille ou de foin. « Mais je pense
que sagum en cet endroit, dit D. Calmet, signifie proprement une cou
verture de lit, plus mince et plus légère que laena; que sagum servait
à couvrir les religieux pendant l’été et laena pendant l’hiver ; ou plutôt
que pendant l’été ils n’usaient que du sagum, et que, pendant l'hiver,
ils usaient de sagum et de laena. »
Lena. Une couverture plus ou moins velue ou une fourrure.
Capitale. Un chevet, un coussin de paille, de crin, peut-être de plume.
A Cluny, la literie était conforme aux prescriptions de la Règle;
mais ou donnait autant de couvertures que la saison le réclamait : en
hiver, elles étaient de peau de brebis, de chèvre ou de chat. Pierre le
Vénérable dut interdire les pelleteries de luxe. Nos coutumes ont peu
ajouté, et elles ont retranché les fourrures. Il faut s’y tenir fidèlement,
avec la plus grande sévérité; le lit monastique est encore tel qu’à
quatre heures du matin on a quand même un peu de peine à le quitter.
Saint Benoît impose à l’Abbé la charge de veiller à la pauvreté de la
DES VÊTEMENTS ET DES CHAUSSURES DES FRÈRES
405
couche et de la cellule monastique. Le moine Cassinien n’avait naturelle
ment ni armoire ni meuble quelconque : le lit était le seul endroit où il
pût dissimuler tel ou tel objet d’usage personnel qu’il voulait s’assurer à
l’insu de l’Abbé (1). Les anciennes Règles, par exemple celles de saint Isi
dore. de saint Fructueux, de saint Donat, prescrivent de même aux supé
rieurs cette visite domiciliaire (2). Paul Diacre et Hildemar nous ont décrit
par le menu le cérémonial usité de leur temps : le matin, l’Abbé annonce
aux moines réunis au chapitre qu’on va procéder à la visite, et il députe
à cet effet quatre ou cinq frères bonae conversationis. Après investigation,
les frères reviennent avec, parfois, tout un petit butin: ils déposent devant
chaque coupable le corps du délit, et l’Abbé invite les prévenus à s’expli
quer sur la provenance de l’objet découvert. Peut-être aujourd’hui les
Abbés sont-ils moins fidèles observateurs de ce point de règle. C’est sans
doute qu’il leur est facile de se rendre compte d’un coup d’œil, lorsqu'ils
entrent dans une cellule, des objets variés qu’elle contient. C’est
aussi que, dans une maison bien ordonnée et qui travaille, l’Abbé se
repose un peu sur le bon sens et le bon goût de tous, et qu'il escompte le
soin avec lequel chacun fera de temps en temps l’inventaire de son mobi
lier. Pour les livres de la bibliothèque spécialement, les cellules ne doivent
pas ressembler à l’antre de Cacus, d'où l’on ne sort plus : la charité et
la pauvreté sont ici intéressées. Et de telles habitudes seraient d’autant
plus dangereuses qu’elles se justifient mutuellement : chacun accumule
pour prévenir les accaparements d’autrui. A raison surtout de la ten
dance que révèlent ces infractions, saint Benoît invoque contre elles les
plus grandes sévérités.
Et ut hoc vitium peculiare radicitus amputetur,
dentur ab Abbate omnia quae sunt necessaria : id
est, cuculla, tunica, pedules, caligae, bracile, cul
tellus, graphium, acus, mappula, tabulae, ut omnis
auferatur necessitatis excusatio.
L’Abbé est tenu tout à la fois de réprimer les petites avidités et d’ac
corder largement le nécessaire : il supprimera ainsi les excuses tirées do
la nécessité et le vice de propriété aura chance d’être retranché, extirpé
(1) L’expression opus peculiare, difficile à rendre exactement en français, est
empruntée à Cassien, Inst., IV, xjv et xvi ; VII, vn.
(2) On serait tenté de croire que, dans la pensée de saint Benoît et des anciens, il s’agit
seulement de constater un superflu dans la literie ; mais non : le lit devenait bien par
fois une cachette : Quidquid ad manducandum vel bibendum pertinet nulla de soronbus
praesumat circa lectum suum reponere aut habere (S. Caesar., Reg. ad virg., xxviu).
406
COMMENTA
IRE
SUR
LA
RÈGLE
DE
SAINT
BENOIT
■ jasqu'à la racine. Et saint Benoît énumère un certain nombre d’objets
qui doivent être distribués à chaque moine. Nous connaissons déjà les
premiers : la coule, la tunique, les chaussures. En voici quelques autres.
Bracüe : c’est la ceinture de jour, assez large pour faire fonction de
poches. On y suspendait le couteau, cultellus, qui servait au réfectoire et
ailleurs; on y renfermait le mouchoir, mappula, Nous nous souvenons de
l’histoire du moine de saint Benoît qui avait caché des mouchoirs < dans
son sein » (1). Chacun recevait aussi une aiguille, tiens, avec du fil sans
doute, pour réparer les désastres légers de ses vêtements; enfin des
tablettes enduites de cire, labulae, et un stylet, graphium.
•
Le trousseau monastique d’aujourd’hui est un peu plus compliqué :il
l’est peut-être moins que celui d’un moine de Cluny au onzième siècle (2).
Une permission est nécessaire pour que nous ajoutions à notre livrée
la douillette ou la calotte ou la clémentine ; et il est certainement plus
parfait de se ranger à la règle commune, laissant nos supérieurs veiller
à ce que rien d'utile ne nous manque. Un moine doit savoir renoncer à
bien des détails de confort.
A quo tamen Abbate semper consideretur illa
sententia Actuum Apostolorum, quia dah-tlur singulis,
proni cuique opus erat. Ita ergo et Abba.s consideret
infirmitatem indigentium, et non malam voluntatem
invidentium. In omnibus tamen judiciis suis Dei
retributionem cogitet.
L'enseignement contenu dans ces quelques lignes est bien connu et
rappelle surtout le chapitre XXXIV. L'Abbé ne songera jamais, dit saint
Benoît, à imposer une règle uniforme : il doit avoir l’esprit indulgent
et industrieux d’un père. Il donnera à chacun selon ses besoins réels,
comme on le faisait dans l’église de Jérusalem (Act., iv, 35), alors même
qu’il devrait s’exposer par là au mécontentement de quelques-uns (3),
Il sera attentif à la faiblesse de ceux qui ont besoin, et nullement à la
mauvaise disposition des envieux. Mais, dans une famille monastique
Ill de, on laissera toujours à l’Abbé, nous l’avons dit, le droit à uno
(1) S. Greg. M., Dial., L II, c. xix.
(2) CL Bernard., Ordo Clun., P. I, c. v. — Udalr., ConsucL Clun., 1. III. c. xi. —
Pignot, Histoire de lOrdre de Chiny, t. II, p. 431-13?!
(3) S. Basile avait écrit déjà : Hi qui praesunt, observabunt regulam illam quae
dicit : Dividebatur unicuique prout opus erat. Debent enim unumquemque praevenire ut
secundum laborem etiam solatia refectionis inveniat (Iteg, contr., xciv). — Voir aussi
S. Augustin, Lettre CCXI, ô, P, L., XXX11I, 360.
DES VÊTEMENTS ET DES CHAUSSURES DES FRÈRES
407
sorte d’acception do personnes. Il y aura des privilèges et des privilégiés:
S kunpnt0"0! ’T ,1’eux’mêmcs aux îaiblc3< aux petite, à ceux" qui
r<< lament plus de ménagements et à ceux dont on n’est pas sûr Un
mouvement de charité nous fera toujours considérer comme justifiée et
comme notre toute exception dont un frère bénéficiera
Mais afin de conjurer l’illusion et les sympathies aveugles, saint Benoît
rappelle encore à 1 Abbé le compte qu'il devra rendre de
toutes ses
decisions au tribunal de Dieu.
ί
CHAPITRE LVI
de la table de l’abbè
De
mensa
Abbatis. — .Mensu Abbatis rum hospiti
bus et peregrinis sit semper. Uuolies tamen minus
sunl hospites, quos vult de fratribus meare, in
ipsius sit polestate. Seniorum autem unum aut duo
semper cum fratribus dimittendos procuret, propter
disciplinam.
D est peu de chapitres plus courts e?, semble-t-il, plus clain que celui-ci:
il en est peu néanmoins qui aient suscité tant de c- nt raven· es. On B*œt
demandé comment saint Benoît avait pu pre rire à l’Abbé d’avoir
régulièrement sa table avec le? hôtes en g·’aérai et spécialement avec
les pèlerins : cum hospitibus d peregrinis (lu N. B. Père ayant dit ailleurs
que les hôtes ne manquent jamais au monastère, il suit que l’Abbé
devra sans cesse déserter sa maison. .1 prion, a-t-on dit, cela est impos
sible : car, au point de vue de la di· s jejunii, qui non possit molari : car, dans cette dernière hypethè.-e, les hôtes comme les moines doivent attendre l’heure canonique.
Il faut bien admettre, en tout cas, que les jours où l’Abbé rompt le jeûne
régulier propter hospitem, il mange à un autre moment que les frères, et
— à moins qu’il ne fasse un second repas ! — n’apparaît point au réfectoire
commun ce jour-là... « Mais alors, les hôtes ne manquant jamais au mo
no-1ère, l’Abbé est, en bloc, dispensé du jeûne depuis le 14 septembre
jusqu'au Carême?... » Nous ne devons pas prendre d’une façon maté
rielle et absolue cette réflexion de saint Benoît que les hôtes ne manquent
jamais ; et, tandis qu’il la formulait, il prévoyait sans doute que l’Abbé
serait libre quelquefois. Ce qui ne peut être entendu qu’à la lettre, ce
( 1 » Cf. EpisL, 1 I, Ep. XXVIII. P. L, CLXXXIX, 133.
(2| Cf. Ht g. I SS. Patrum, vin : TVnfenttfrus fratribus ad horam refectionis, non
lictldt peregrino fratri cum fratribus manducare, nisi cum co qui pracest Patre, uf possit
aedificari,
410
COMMENTA IRE
SUR
LA
RÈGLE
DE
SAINT
BENOIT
sont les prescriptions suivantes : Jejunium a priore frangatur... et
encore : Mensa Abbatis cum hospitibus sit semper.
Pourtant, au prix de bien des subtilités, les tenants de l’hypothèse
du réfectoire commun ont réponse à tout, même à la difficulté que leur
crée cette remarque de N. B. Père : Quotis tamen minus sunt hospites,
guos vull de fratribus vocare, in ipsius sit potestate. Elle s’entend très bien
d'un réfectoire séparé, auquel l’Abbé pouvait appeler, lorsqu’il n’y avait
pas affluence de convives, tel ou tel frère peut-être connu des hôtes ou
plus apte à les édifier. Mais pourquoi, dans un réfectoire commun,
appeler quelques frères près de soi et des hôtes? Afin de leur procurer
l'aubaine d’un bon diner? Afin de ne pas laisser l’Abbé et ses convives
dans uu isolement, d’ailleurs relatif? Notez que dans ce réfectoire com
mun on est silencieux et attentif à la lecture : mensis fratrum edentium
lectio deesse non debet (chap. XXXVIII) ; les frères qu’on appellera à la
table des hôtes et de l’Abbé causeront-ils donc pendant que les autres
se taisent et suivent la lecture? Non, sans doute ; autrement, ce serait
le pur désordre. Rien, dans la description de l’accueil fait aux hôtes,
au chapitre LIII, ne laisse entrevoir que les hôtes prennent leur repas
en silence, dans le réfectoire des moines.
Et s’il pouvait encore demeurer un doute sur la réalité des deux réfec
toires, il suffirait de lire la troisième et dernière plirase du présent
chapitre, qui nous semble décisive. C’est là, dit D. Martène après
Hildemar, que triomphent les Abbates carnales 1 En effet, et il n'est
'■'·
vraiment que le préjugé honorable ou le parti pris résolu qui puissent
contester. Si l’Abbé et les anciens n’ont cessé d’être présents au réfectoire
commun, à quoi bon recommander de laisser un ou deux anciens avec les
frères dans l’intérêt de la discipline? Mais voici un dernier argument qu’on
nous oppose : au chapitre XXXVIII, N. B. Père suppose le cas où le
supérieur voudrait, dans un dessein d’édification, prononcer quelques
paroles. L’hypothèse de saint Benoît devient vaine, dit-on, si l’Abbé
n'est jamais avec les moines, mais bien avec les hôtes « qui ne manquent
jamais au monastère ». Nous avons répondu déjà que ces derniers mots
doivent être pris au sens large, et qu’en fait l’Abbé pouvait se trouver
quelquefois avec la communauté : par exemple si les hôtes se présentaient
après le repas de l’Abbé et des frères. Il faut observer aussi que le terme
prior ne désigne pas exclusivement l’Abbé dans la Règle, mais un supé
rieur, quel qu’il soit ; et ici il peut s’appliquer à celui qui préside, en l’ab
sence de l’Abbé, le repas monastique.
Nous devons dire un mot des motifs auxquels obéissait saint Benoît en
prescrivant à l’Abbé de s’asseoir à la table des hôtes. Il se souvenait
uni
que saint Paul avait recommandé
aux chefs de communautés ecclésias
tiques d’être hospitaliers. L’hospitalité était un exercice de charité et
une preuve de fraternité chrétienne très nécessaires à cette époque ; elle
DE LA TABLE DE L’ABBÉ
Mt
était surtout un excellent procédé d’évangélisation. 1λ conversation de
l’Abbé, que saint Benoît veut homme de doctrine et de vertu, devenait,
avec le spectacle do la vie monastique, une prédication aimable. Le recrut ement du monastère s’opérait en partie grâce à ces relations de l'hôtellerie.
Et ainsi l’Abbé, tout en s’occupant des hôtes, ne désertait aucunement sa
maison et travaillait pour elle. Aussi bien, la physionomie de la vie
conventuelle était-elle alors un peu différente de ce quelle est devenue
depuis. Aujourd hui, si un Abbé n’était pas au réfectoire et en récréation
avec ses moines, il ne serait jamais avec eux, puisque, sauf l’office divin
et la conférence spirituelle, toute la journée est employée dans des travaux
où nous sommes seuls. Mais chez N. B. Père, on travaillait ensemble
aux champs, ensemble on revenait au monastère, et l’Abbé qui par
tout, même au dortoir, accompagnait les siens, pouvait plus facilement
distraire une part de son temps en faveur des hôtes.
Réserve faite des motifs qui ont déterminé la teneur du chapitre LVL
nous n’avons qu’à nous féliciter des modifications introduites par
l’usage et par l’autorité de l’Église. Désormais la mense abbatiale ne
doit plus être séparée de la mense commune. Et sans qu’il faille
prendre contre les hôtes des précautions ridicules, il est trop certain
qu’un contact perpétuel avec eux pourrait devenir préjudiciable au
recueillement et au travail de l’Abbé. Les hôtes et lui se rencontrent
H···
d’ordinaire immédiatement
après les repas ou à d’autres moments déter
minés. Dans des cas exceptionnels, justifiés aussi par la tradition monas
tique, l’Abbé mange à part avec eux ; mais, le plus souvent, ils sont intro
duits au réfectoire commun.
CHAPITRE LVII
DES ARTISANS DU MONASTÈRE
— Artifices, si sunt in
monasterio, cum omni humilitate et reverentia fa
ciant ipsas artes, si tamen jusserit Abbas. Quod si
aliquis ex eis extollitur pro scientia artis suae, eo
quod videatur aliquid conferre monasterio, hic talis
evellatur ab ipsa arte, el denuo per eam non trans
eat, nisi forte humiliato ei iterum Abbas jubeat.
De Artificibus
monasterii.
La première portion de ce chapitre est relative aux métiers et aux arts
mécaniques qui s’exercent à l’intérieur du monastère ; la seconde aux
fruits et produits de ces travaux.
Pour les grosses besognes comme pour celles qui s’exécutent aisément,
tous les frères ont compétence. Mais il est des ouvrages un peu spéciaux
qui réclament un apprentissage ct ne conviennent qu'aux artifices, aux
artisans. Saint Benoît suppose donc qu’il se trouve dans le monastère
des gens de métier, peut-être même de vrais artistes : peintres, sculpteurs,
calligraphes. On a pu apprendre cet art dans le monde, ou bien c’est au
cloître qu’a eu lieu l’initiation. Car N. B. Père désire qu’on cultive chez
lui tous les arts nécessaires à l’entretien de la maison ; c’est plus qu’une
tolérance, c’est un souhait formel ; il pressent, d'ailleurs, ici comme au
chapitre LXVI, que cela ne sera pas possible toujours.
Saint Benoît est cohérent avec sa pensée habituelle lorsqu'il décide
qu’on pourra tirer parti de l’habileté des frères qui savent un métier :
jamais il n’a songé à contrarier systématiquement, sous couleur de mor
tification, les aptitudes et les goûts. Un seule condition est exigée :
l'ordre ou la permission de l’Abbé. H est entendu que le religieux exercera
son art « en toute humilité et soumission ». Ce savoir-faire créait une
distinction et il fallait se prémunir contre une disposition à la suffisance.
De plus, un bénéfice est acquis d’ordinaire à la société monastique par
ces compétences spéciales ; et plus ce bénéfice est réel, plus il est facile
41Î
DES ARTISANS DU MONASTÈRE
113
à celui qui le procure d’y trouver un prétexte à la superbe ou à l'irré
gularité. Toutes les fois qu'est annexée au monastère une exploitation,
une fabrication, une institution de rapport, le danger existe : « Bon an.
mal an, se dit-on, je vaux tant à la communauté. Les autres ne font
que boire et manger; pendant ce temps, je fournis, moi. aux finances de
l’abbaye, un apport annuel considérable. » Ce n'est qu’à la condition
d’un grand esprit religieux qu’on peut échapper au péril de ces situations.
Saint Augustin l’avait prévu avant saint Benoît : Nec extollantur si
communi vitae de suis facultatibus aliquid contulerunt; de même Cassien.
Saint Ephrem, lui aussi, invite le moine à ne se prévaloir jamais de ce
qu’il rapporte ; et saint Basile recommande au supérieur, comme le fait
N. B. Père, de ne pas tolérer un pareil scandale (1).
L’âme d’un moine vaut mieux que tout. Et le jour où l’Abbé venait
se glisser, ou bien l’orgueil, ou bien l’esprit mercantile, ou bien l'insu
bordination et le particularisme, dans ces petites institutions, ce lui
serait un devoir de passer outre à une plaie d’argent, qui n’est jamais
mortelle, et de sauvegarder les âmes à tout prix. Les paroles de la Règle
sont énergiques ; « Cet homme-là doit être arraché à son travail et ne
plus s’en occuper désormais, à moins qu’il ne s’humilie et que l’Abbé
ne lui ordonne de le reprendre, o
Si quid vero ex operibus artificum venumdandum
est, videant ipsi per quorum manus transigenda
sunt, ne aliquam fraudem praesumant inferre. Me
morentur Ananiae et Saphirae : ne forte mortem
quam illi incorpore pertulerunt, hanc isti, vel omnes
qui aliquam fraudem de rebus monasterii fecerint,
in anima patiantur.
Peut-être serait-ce ici le lieu de passer en renie la série des fabrications
et exploitations qui sont compatibles avec la dignité extérieure de notre
vie, avec la composition du monastère, avec nos traditions (2). Le pro
blème a tout ensemble son importance et sa délicatesse. Aux diverses
branches des familles religieuses les traditions ont déterminé ce qui
convient et ce qui ne sied pas. En ces matières, il faut s'abstenir de légi
férer d’une manière universelle. Chaque supérieur est un peu juge de ce
qu'il se doit, de ce qu’il doit à son monastère, de ce qu'exige la solidarité
(1) S. Aug., Epist. CCXI, 6. P. L, XXXIII, 960. — Cass.. InsL, IV, xiv. —
S. Epiir., Paraen. XXVI (opp. graec. lat., t II, p. 114). — S, Basil., Reg. fiu,t xxix.
(2) Cf. S. Basil., Reg. fus., xxxvin.
<14
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
des maisons entre elles, de ce à quoi elles sont parfois contraintes pour
subvenir A des détresses financières. Les Chartreux font de la liqueur,
ou plutôt il y a un père et quelques frères convcrs qui s’y emploient. Les
Trappistes fabriquent du chocolat, des fromages, de la bière, ils exploitent
leurs terres ; c’est reçu chez eux. Pour ce qui nous concerne, nous ne
sommes les fournisseurs authentiques et patentée d'aucun produit.
Que pour la publication des livres liturgiques et des autre* travaux
monastiques, et pour aider à la diffusion de la vérité, nous dirigions
une imprimerie, rien de mieux. C’est une sorte de prédication conven
tuelle; nous ne faisons que reprendre ainsi nos traditions, et multiplier
par la typographie des manuscrits que nous transcrivions et enlu
minions autrefois. Sortir de là, c’est nous exposer parfois à de gros
mécomptes. C’est rentrer par la mauvaise porte dans toutes le·* res
ponsabilités et les préoccupations séculières, c’e-t échapper à notre
vie religieuse, d propter vilain, virendi perdere causas. Il n'est pas
démontré que le Seigneur aime beaucoup chez nous l'exercice d au
cune industrie.
Mais enfin, dans une abbaye, une exploitation annexe produit du fruit
et au delà de ce qui est nécessaire au monastère lui-même : du vin par
exemple, du miel, des légumes ; que faire de ce qui reste? Parmi le* Pères
d’Orient, quelques-uns détressaient nattes et corbeilles, et recommen
çaient. C’assien nous raconte que l’Abbé Paul, vivant à sept jours de
marche de toute habitation, brûlait à la fin de l'année 1rs corbeilles qui
encombraient sa grotte. La plupart écoulaient en vi e b 1rs produits (1);
il ne nous est pas défendu de les imiter et. après av :r prélevé la part
de l’aumône, d’assurer ainsi quelque* re source* au m
:ôre. Mais il
ne semble pas que saint Benoît ait été soucieux de voir les moines s’en
aller eux-mêmes aux foires et aux marche- public- (2). Lui qui deman
dera plus loin que tous les métiers soient exen i-s au monastère : id non
sil monachis necessitas vagandi foras, comment aurait-il pu .*-< uhaiter
que les moines sortissent, non plus pour acheter, ma.· pour faire com
merce?
La vente se fera par des intermédiaires. Et sain» Benoît avertit l’Abbé
et les moines de veiller à leur probité. Ils pouvaient être tenté de pré
lever une commission. Le· travail était accompli ave· conscience, le vin
n’était pas frelaté : les clients ne manquaient pas. Les vendeurs étaient
portés, par la supériorité même de la marchandise qu’il offraient, à la
taxer très haut, sauf à encaisser la différence. Peul Lire étaient-ils le?
familiers du monastère et trouvaient-ils tout naturel de s’enrichir à scs
dépens. Mais saint Benoît se souvient du cas d’Ananie et de Saphire
1) Inst, X, xxtv.
£) S. Basile maniicste la mCme répugnance : Reg. fus., χχχιχ,
DES ARTISANS DU MONASTÈRE
445
(Act., v) : lo fait qui attira sur les deux époux la juste sévérité de Dieu et
do saint Pierre est assez semblable à celui qui est prévu dans la Règle.
Ils avaient vendu leur champ; au lieu de remettre à la communauté
l’intégralité du prix reçu, ils prélevèrent sur cette somme un petit argent
de poche et remirent le reste à saint Pierre, ajoutant au prélève
ment un mensonge et un mensonge concerté. Il semble que saint
Benoit considère comme vénielle et comme punie seulement de mort
corporelle la faute d’Ananie et de Saphire (1); il suivrait en cela l'inter
prétation de plusieurs Pères : Origène, saint Augustin, Cassien (2). Mais
lu faute des agents du monastère est plus grave; caria matière des tran
sactions n’est entre leurs mains qu'un dépôt, et un dépôt sacré, puisque
tous les biens monastiques appartiennent à Dieu ; aussi est-ce dans leur
âme qu'ils seront frappés.
In ipsis autem pretiis non surripiat avaritiae ma
lum, se· au Seigneur (1). Selon 5. B. Père,
il doit être curieux, avisé, observateur : Omnino curiose intendat et sol
licitus sit. Et afin de faciliter cet examen, il convient que le novice ouvre
son âme tout entière : il en est parfois qui se taisent résolument, d’autres
qui parlent sans lin, et toujours de leur personne; mieux vaudrait encore
être un peu bavard que « se renfermer ». L'observation attentive du
Père Maître n'est pas ce zèle amer que condamne ailleurs saint Benoit,
cette sévérité outrée qui exige de tous, ct à toute heure, un maximum de
perfection. Nous ne voulons pas non plus de surveillance minutieuse;
à quoi bon peser violemment sur les âmes afm de créer en elles des
ferveurs précoces, mais trop souvent factices et peu durables? à quoi bon
les obliger à des analyses psychologiques infinies? Même, elles sont
invitées à déserter la région du moi, et à se tourner doucement vers celle
de la Beauté ct de la Pureté éternelles : Audi, filia, et vide, et inclina
aurem tuam, et obliviscere (Ps. xliv). A’os vero omnes, revelata facie, glo
riam Domini spéculantes, in eamdem imaginem transformamur a claritate
in claritatem, tanquam a Domini spiritu (II Cor., in, 18).
Au reste, saint Benoît nous indique lui-même les points de repère
qui guideront l'observation du Maître, ce qui est en même temps
dessineç le programme du disciple. Si vere Deum quaerit. Cherche-t-il
Dieu? Dieu cherche l'homme : Et quaerens Dominus in multitudine
populi, cui haec clamat, operarium suum; et à son tour, l’homme doit
chercher Dieu : Quaerere Deum, si forte attrectent eum aut inveniant,
quamvis non longe sit ab unoquoque nostrum (Aer.’, xvii, 27). On ne fait
rien d’autre dans la vie monastique. Pourquoi rougirions-nous de cette
œuvre-là devant les mondains? Dieu est le seul être intéressant. Dès
la première heure de sa conversion, le postulant doit le bien savoir. Et
le Maître des novices verra bientôt si l'âme s’oriente toute dans cette
direction.
Cette recherche de Dieu se traduira surtout par un grand zèle pour
l'office divin : si sollicitus est ad Opus Dei. C’est là que le novice est
assuré de trouver le Seigneur, de lui parler, de se mettre à l’unisson avec
dem. Les nôtres, qui empruntent, ici encore, à celles de Saint-Maur, proscrivent, pen
dant le noviciat, · les études profanes et curieuses », c'est-à-dire les travaux de critique
on d'érudition, et généralement tout ce qui n'aurait pas trait à la formation spi
rituelle et professionnelle; puis elles ajoutent : Sedulam operam cantui gn/priano,
ceremoniis, rubricisgue dabunt; demum excolendae memoriae ne pereat aul languescat,
satagent.
(1) Constituit (Pachomius) praepositos qui sibi ad lucrandas arnmas, quae ad *um
qw^dte confluebant, adjuUncs existèrent i)'da S, Pachomii, c, xxv, Acta SS„ Mati
t. 111;.
S3
434
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
lui : Sacrificium laudis honorificabit me et illic iter quo ostendam illi
salutare Dei (Ps. xlix). Parce qu’à l’Œuvre de Dieu doit s’employer
sa vie entière, le novice s’efforcera de se créer un tempérament
liturgique ; et les supérieurs remarqueront s’il est empressé à se rendre
à l’église, s’il s’y tient avec esprit de foi et y demeure sans ennui, s’il
prévoit et prépare les cérémonies et les lectures.
Dès lors que le novice cherche Dieu, il se souvient aussi que la seule voie
qui mène à lui avec sécurité et promptitude est celle de Vobéissance :
Scientes se per hanc obedientiae viam ituros ad Deum (chap. LXXI). Pour
saint Benoît, nous le savons, toute vertu se traduit et se résume dans une
attitude intérieure qui peut s’appeler obéissance ou humilité. Le Maître
des novûces doit donc principalement — et toute l’histoire monastique
l'y invite — habituer les frères à la docilité profonde, à un respect sou
verain de l'autorité, très éloigné de toute espèce de contestation même
polie, même purement secrète. C’est dans le dessein de briser la superbe
que les anciens mettaient en œuvre, chez leurs religieux, des procédés qui
parfois nous étonnent un peu (1).
N. B. Père se souvient sans doute de Cassien et encore de saint Basile (2)
lorsqu’il demande à ses nonces d’être empressés ad opprobria. Pourtant,
sauf les épreuves préliminaires que saint Benoît lui-même impose aux
candidats à la porte du monastère (et qui, d’ailleurs, pouvaient avoir
chez lui quelque chose de très mesuré), nous ne voyons nulle part dans la
sainte Règle d’allusion à certaines vexations volontaires, factices, injus
tifiées, créées de toutes pièces dans l’intention d’exaspérer la nature
humaine. Nous en avons parlé déjà à l’occasion du quatrième degré
d'humilité. Nous avons dit que les procédés de Dieu et de la Piègle suf
fisent pour éprouver une âme. Il serait difficile de se sentir à l'aise entre les
mains d’un Abbé qui se croirait tenu en conscience d’être un exercice
pour ses moines et les considérerait un peu comme des patients et
des souffre-douleur. Les opprobria dont parle saint Benoit, ce sont bien
plutôt les épreuves impliquées normalement dans le programme d’une
vie religieuse. Les œuvres serviles auxquelles étaient employés les moines,
le soin du bétail, les moissons, le détachage, la cuisine, tout cela cons
tituait autant à'opprobria pour l’orgueil et la délicatesse native des
patriciens (3). De plus, le monastère n’avait nul confort ; on y avait
pourvu à la vue, à la propreté, non au bien-être. Enfin, un noble était
exposé à coudoyer un de ses anciens esclaves, quelquefois même à
recevoir un ordre de lui. On voit aussitôt en quoi consistaient, en quoi
consistent encore les opprobria. Telle besogne régulière mortifiera chez
(1) Cf. Cass., Inst., IV, m.
(2) Prius autem quam corpori fraternitatis inseratur, oportet ei injungi quaedam
laboriosa opera et quae videantur opprobrio haberi a saecularibus, etc, (Peti, contr., vil
(3) Cf. S. Basil., toc, ull. cit»
COMMENT PROCÉDER POUR LA RÉCEPTION DES FRÈRES
435
vous une mauvaise tendance? faites-la bravement. Il n’y a que Dieu
qui compte : les choses et les événements n'ont pas de couleur; (aire des
miracles ou faire la cuisine est tout un : il suffit que la besogne soit com
mandée et voulue de Dieu. L’âme se porte alors à toutes choses avec le
même empressement tranquille. Il est vrai que ce tableau est celui de
la vertu parfaite : mais les âmes généreuses s’y établissent vite ou y
tendent vigoureusement.
Praedicentur ei omnia dura et aspera per quae itur ad Deiun. ‘Rappelonsnous ce qui est dit à la fin du Prologue. 11 y a des difficultés réelles dans la
vie monastique ; des aspérités et des douleurs sont semées sur la route
qui mène à Dieu (1). Le novice ne tardera pas à s’en apercevoir de luimême. Il faut pourtant lui en parler, afin qu’il n'ait pas trop d? surprise
et qu’il s’arme de vaillance. Mais cette prédiction doit être discrète, afin
de ne pas épouvanter, afin de demeurer conforme à la vérité, et aussi parce
que le postulant, tout entier à la joie de ses premières rencontres avec le
Seigneur, tout fier de ses premiers renoncements, ne nous croirait guère on
du moins se méprendrait sur le caractère de ces souffrances. Dieu, par
miséricorde, laisse d’ailleurs à dessein bien des choses dans le secret.
Il suffit que le novice soit prêt à tout accepter. Le rituel de sa profession
lui renouvellera cette prédiction et sollicitera son acceptation formelle.
Le Maître des novices doit doue dire à peu près ceci : Il y a d’abord les
souffrances générales et conventuelles de la vie monastique, laquelle n'a
certainement pas été organisée en vue de flatter la nature. Il y a surtout
des épreuves spéciales pour chacun. Et toujours la souffrance nous
aborde par l’endroit où nous sommes le plus sensibles, le moins préparés.
Telles vexations, qui dans le monde n’eussent été rien, deviennent an
monastère presque insupportables ; Dieu permet la plupart du temps qu'il
y ait disproportion énorme entre la cause de la souffrance et la souffrance
ressentie. C’est tel frère, tel père, le Père Abbé surtout, qui devient pour
nous un fardeau : » Il ne me dit rien. 11 ne me comprend pas. 11 garde pour
d'autres toute sa tendresse. On a ici des idées bizarres, et il nous faut les
adopter ! Nous avions un système intellectuel, il était bon : et voici qu’on
le trouve trop large, ou trop étroit ; il faut se refaire. Quelle fatigue !... #
On nourrit son ennui, on en parle, on envenime sa petite blessure, on
se décourage. Quelquefois, il semble que la persévérance ne tienne plus
qu'à des motifs naturels et mesquins. Quelquefois aussi, la tentation
revêt cette forme : « Pourquoi n’avons-nous pas fait choix d’un autre
Ordre? Après tout, il n’y a pas que la vie monastique et contemplative!
(1) Virgile avait parlé d’une race dura et aspera Lien., V. 730): mais les vraies
sources de sa nt Benoit sont plutôt les suivantes : Για reyia suavis ac levis est, licet dura
et aspera sentiatur (Cass., Conlat. XXIV, xxv). — Satis duram atque asperam vitam...
habuit iPallad.. Histor. Laus., versi» antiqua: apud Parad. Héraut. 41. Rosweyde,
p. 970). — Semper dura et laboriosa eis proponantur (Peg. I SS. Patrum, vii).
436
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT [JENOIT
H existe bien d’autres manières d’être religieux : Dominicain, ou Capucin,
ou Jésuite, Dominicain surtout ; Chartreux aussi, parce qu’il y a le silence
quasi perpétuel et qu’on ne fréquente personne... »
Ajoutons que, dans le monastère, l’absence de distractions et de
diversion nous livre entièrement à notre souffrance. Nous l'observions en
commentant le Prologue, la souffrance des contemplatifs ressemble au
purgatoire : le feu pénètre jusqu’aux moelles, jusqu’aux fibres les plus
intimes ; c’est une cuisson lente, à vase clos, à l’étouffée. Tous les mou
vements deviennent douloureux, comme d’un homme à qui l’on aurait
enlevé l’épiderme : Versa et reversa in tergum et in latera et in ventrem : et
dura sunt omnia (1). Oui, le contact avec Dieu est douloureux, le contact
de notre laideur avec sa beauté, de nos ténèbres avec sa lumière. Saint
Jean de la Croix explique cela admirablement. Jusqu'au jour où Dieu
est notre joie souveraine, il est la grande épreuve. Vivus est sermo Dei
et efficax et penetrabilior omni gladio ancipiti; et pertingens usque ad
divisionem animae ac spiritus, compagum quoque ac medullarum, et discrelor cogitationum et intentionum cordis (Hebr., iv, 12). Même, il y a
certaines souffrances privilégiées qui seraient intolérables et mortelles,
si le Seigneur ne soutenait par sa grâce ; mais c’est le prélude de l’union
à Dieu. N’allons pas croire que nos petites misères de novice soient quelque
chose de ces souffrances-là.
Il est un moyen misérable d’échapper aux dura et aspera : se faire une
vie tranquille et bourgeoise, s’en aller dans la région de ceux qui ont
vécu sans gloire et sans infamie, dont le ciel n’a pas voulu et dont l’enfer
ne veut pas dans ses profondeurs, de ceux qui se sauvent tout juste et
prosaïquement. Qui parce seminat, parce et metet, et qui seminat in benedi
ctionibus, de benedictionibus et metet (II Cor., ix, 6). On pourra lire, dans
le fiyrede la Vie spirituelle et l'oraison, le chapitre xiv : Première purifi
cation. Nous y voyons que « ceux qui sont oublieux d’eux-mêmes tra
versent quelquefois très allègrement ces étapes douloureuses, quelque
rudes qu’elles soient ; mais elles paraissent fort pénibles, et le sont en effet
doublement, à ceux qui ont trop aimé leur bien-être spirituel ». Ce qu’il
faut, par conséquent, c’est demeurer tranquille sur la croix, adorer, laisser le
médecin tailler à son gré dans la région malade, faire un effort pour se tenir
fidèlement auprès de ce Dieu dont le contact ne blesse que pour guérir.
Prenons garde aussi de ne pas grossir notre souffrance par l’imagination
et par un repliement sur nous-mêmes qui nous tend et qui nous crispe.
Certaines trempes maladives sont portées à rechercher une sorte de joie
morbide, et non exempte de pose, dans la souffrance : Nullus dolor amandus
e t (2). La douleur n’est jamais que moyen; et il est souvent en nous
(1) S. Ano., Confess., L VI, c. xvi. P. L., XXXII. 732.
(2) S. Aoo., Ibid., I. III, c. n. P. L, XXXII, Gôl.
I
COMMENT PROCÉDER POUR LA RÉCEPTION DES FRERES
41Ί
telles souffrances, dues à des infidélités, que nous pourrions facilement
éliminer. Quant aux autres, il importe beaucoup plus de les bien accepter
lorsqu’elles se présentent, que de les solliciter fièvreusement près du
Seigneur. In craticula te Drum non negavi, et ad ignem applicali» te
Christum confessus sum; prolasti cor meum et visitasti nocte, igne me
examinasti : et non est inventa in me iniquitas (1).
El si promiserit de stabilitatis suae perseverantia,
post duorum mensium circulum legatur ei haec
Regula per ordinem, et dicatur ei : Ecce lex sub
qua militare vis; si potes observare, ingredere; si
vero non potes, liber discede. Si adhuc steterit, tunc
ducatur in supradictam cellam novitiorum, et ite
rum probetur in omni patientia. Et post sex men
sium circulum relegatur ei Regula, ut sciat ad quod
ingreditur. Et si adhuc stat, post quatuor menses
iterum relegatur ei eadem Regula
Options, pétition et scrutins. — Saint Benoît ne se préoccupe
décidément, chez celui qui se présente, que de la trempe de sa volonté.
On ne poussera même plus avant les épreuves novitiales que sile candidat
« promet de persévérer dans sa stabilité n, si son intention de se donner à
Dieu dans le monastère est bien sérieuse. Mais parce que la qualité de notre
vouloir est en fonction de notre connaissance ; parce qu’on ne demeure
attaché qu’à ce qu’on a choisi librement ; parce qu’on n’est tenu d’accom
plir que ce qu’on a promis : pour tous ces motifs de prudence et de sagesse
élémentaire, saint Benoît veut qu'on fasse connaître exactement au can
didat le code de sa vie nouvelle (2). L’année de noviciat est jalonnée par
cette présentation de la Règle et par une triple option.
D’après le texte de saint Benoît, il semble bien que cette lecture offi(1) Officium S. Txiurcntii Martyris.
(2) Les prédécesseurs de saint Benoît avaient écrit: Si çuis de sacculo ad monarieriitoi
converti voluerit, Regula ei introeunti legatur, d omnes actus monasterii illi patefiaak
Qui si omnia apte sustinuerit sic digne a fratribus suscipiatur in monasterio (S. Macaîl,
Reg., χχιπ). — Et S. Césaire : Quaecumque ad conversionem veneni, in salutatorio
ci frequentius Regula retegatur; el si prompta d libera voluntate professa fuerii te omnia
Regulae instituta completuram, tamdiu ibi sil quamdiu Abbatissae justum ac rationabile
risum fuerit (Reg. ad virg., Recap . vini — Une disposition analogue est indiquée panni
les statuts d’un collège funéraire, dans une inscription latine du 1Γ siècle : Tu qui
novos (= novus) in hoc collegia intrare voles, prius legem perlege d sic intra, ne portmodum queraris aut heredi tuo controversiam relinquas (Q^LLiAl^ZE^fInscriplu)num
latinarum selectarum amplissima collectio, n* 6086).
433
I
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
cielle de la Règle, lecture intégrale et suivie, per ordinem, se faisait après
deux, ou six, ou quatre mois, sinon dans une même séance, du moins
pendant les jours qui précédaient la cérémonie d’option. Les anciennes
coutumes mentionnent ces trois lectures et ces trois options (1). Actuel
lement, la Règle est lue aux novices au cours des mois de probation.
Elle n’est pas lue à chacun en particulier, mais à toute la communauté,
trois fois par an chez nous, au chapitre comme au réfectoire. De plus,
elle doit être expliquée en entier pendant le stage au noviciat. Le concile
d'Aix-la-Chapelle de 817 recommandait : Ut monachi omnes, qui possun12
34,
Regulam memoriter discant. Nous avons encore deux cérémonies solen
nelles d’option : avant la vêture novitiale et avant la profession.
Si cette lecture et cette mise en demeure n’ont point écarté le candidat,
s’il reste ferme, si stat, il est ramené au noviciat et on l’éprouve in omni
patientia, c’est-à-dire qu’on se rend compte s’il peut souffrir sans se
déconcerter tous les petits ennuis de la vie commune. La patience dont
parle ici N. B. Père est plutôt celle du novice cpie celle de ses maîtres,
laquelle d’ailleurs ne doit jamais faire défaut : car il convient d’imiter le
Seigneur, qui sait attendre. Nos Constitutions, d’accord en cela avec des
Constitutions plus anciennes, telles que celles de Chezal-Benoît et de
Saint-Maur, prescrivent l’examen des nonces par le Chapitre, à certaines
dates fixes ; c’est ce que nous appelons le « chapitre des nonces » ; nous
le tenons aux Quatre-Temps.
La durée du noviciat proprement dit a été fixée par N. B. Père à un
an, comme le prouve l’addition des trois périodes, de deux, six et quatre
mois, qui précèdent les options. Quoi qu’il en soit du noviciat chez saint
Pacôme (2), d’autres législateurs, tels que saint Césaire, saint Fruc
tueux, saint Ferréol, demandaient un an d'épreuve. Faculté était laissée
parfois au supérieur de réduire, même notablement, la période de pro
bation. Ces réductions étaient en usage à Cluny, et Pierre le Vénérable les
justifie auprès de saint Bernard (3). Un an était une sage moyenne;
aussi la disposition bénédictine a-t-elle passé au Corpus Juris, dans les
Décrétales, et le concile de Trente l’a consacrée (4). Même, le concile
a décidé qu’une profession faite avant l'âge de seize ans et sans une
année de noviciat, serait nulle. Sa législation est sévère sur ce point.
Mais laissons aux canonistes le soin de discuter toutes ces questions.
(1) Voici une réponse de candidat à Saint-Onen de Rouen (XIV°-X Ve siècle) : « Sire,
de ce je ne me fie en moi, mais en Dieu et Madame Saincto Marie, et en tous saincts
et sainctes, et en vous, Sire, et de sainct convent de céans, — que je serai obedient
jusqu'à la mort. Et se le diable me voulait de ce retraire, je vous prie, Sire, que me fis·
siez tenir à force » (Martène, De anliq. Eccl. rit., 1. II, c. n. T. II. col. 165).
(2) Mgr Ladeuze estime « que le noviciat n’existait pas parmi les cénobites nakhomiens à l'état d’institution régulière et générale » (Étude sur le cénobitisme pakliomien
pendant le IVe siècle et la première moitié du Ve, p. 280-282),
(3)
1. I, Ep. XXVIII. P. L., CLXXXIX, 117 sq«
(4) Session XXV. de Ilegularibus. c, xv et xvi.
COMMENT PROCÉDER POUR LA RÉCEPTION DES FRÈRES U»
L'année de noviciat révolue, le candidat est accueilli ou écarté*, il n'est
pas irrégulier pourtant que le supérieur proroge de quelques mois la
probation. Ces tentatives de la dernière heure, ou l'épreuve d'un second
noviciat, n’ont pas d'ordinaire grand succès.
Le propre choix du candidat ne suffit pas pour lui donner accès à la
profession : il faut encore le consentement de la famille religieuse, et. selon
nos usages, c’est lui que, vers la fin de son année de probation, le novice
vient implorer humblement, à genoux, au milieu du chapitre. Dans
l’antiquité monastique, le candidat faisait aussi une suprême requête
et était interrogé sur ses dispositions. Nos Constitutions, en prescrivant
une démarche analogue, sont tributaires de Saint-Maur et d'antres
Congrégations bénédictines (1), mais avec cette différence que la céré
monie ne comprend plus que la lecture d’une longue et solennelle for
mule. Remarquons d'ailleurs que les termes « faire pétition n n’ont pas
tout à fait, dans l’usage moderne, la même signification que dans la Règle.
La Petilio, dans la pensée de N. B. Père et dans la coutume de son temps,
est tout à la fois une requête d'admission, une promesse, et la cédule, l'acte
écrit et signé qui témoigne à jamais des engagements contractés (2).
Cette pétition écrite était alors précédée, semble-t-il, d'une promesse
verbale : Promittat de stabilitate sua... De qua promissione sua jaciat
petitionem... Par la suite, et la teneur même des documents le montre
bien, la promesse verbale ne vint parfois qu'après la rédaction de l'ins
trument juridique.
Dans la promesse verbale, on se bornait à reproduire le texte de la
Règle : Promitto de stabilitate mea, etc. Quant à la formule écrite on
pétition, courte sans doute elle aussi à l’origine, elle avait pris de l’am
pleur dès le septième siècle : c’était un petit discours où le novice décri
vait tout le sérieux de l’épreuve qu’il avait subie, où il demandait accès
chez Dieu et chez ses serviteurs, où il affirmait ses bonnes résolutions,
où il faisait mention des saints, des reliques, de l’Abbé, et où il termi
nait comme nous le faisons nous-mêmes dans notre charte. Plus tard, on
abrégea la grande formtûe. Et on commença aussi à confondre la cédule
on pétition avec la formule verbale prononcée avant ou après. Il se lit
des deux une fusion sous forme de résumé : c'est la teneur de la charte
actuelle. La formule verbale des huitième-neuvième siècles est citée
parfois, dans les documents de cette époque, à côté de la longue formule
de pétition, sous cette forme, par exemple : Ego ille, Domne Abba A’.,
oboedientiam vobis secundum Regulam S. Benedicti, juxta quod in ista
pellione continet, quam super istud altare posui, coram Deo et Sanctis
(1) Voir, par exemple, le Ccremoniale monaslico-berudictinum de la Congrégation
bavaroise des Saints-Anges (1737). p. 1S9.
(2) Cf. D, Rotuenuausler, Zur Aujnahmeordnung der Régula S, Benidieti, 1, i,
2, p. 9 sq.
—
■
HO
COMMEiNTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
ejus, in quantum mihi ipse Deus dederit adjutorium, Deo et vobis promitto
custodire, et in quo possum, ipso auxiliante, conservo (1). Notre formule
de pétition n’est qu’une antique cédule de profession un peu abrégée et
adaptée à sa destination nouvelle ; ou, plus exactement, c’est une compi
lation formée avec divers documents de même nature (2).
On chercherait vainement dans les pétitions d’autrefois cette mention
des < suffrages » de la communauté que comporte la nôtre. C’est que le
novice était admis à la profession en vertu d'une décision de l’Abbé;
c’était au père de famille qu’il appartenait de donner place chez lui au
fils nouveau-né. L’Abbé se portait garant, devant la communauté, des
bonnes dispositions du candidat qu’il accueillait. Π était ici-bas le témoin
par excellence des promesses de la profession, comme l’étaient au ciel
les saints dont on possédait les reliques. Aussi entendrons-nous saint
Benoit prescrire d’émettre la pétition « au nom des saints... et de l’Abbé
présent »; celui-ci la recevait au nom du Seigneur, et le candidat deve
nait vraiment son fils. Du reste, l’Abbé ne manquait pas de prendre l’avis
de la communauté (3). Selon les Statuts de Lanfranc (4), il demande aux
frères s’il y a lieu de procéder à la profession ; même indication dans le
Cérémonial de Bursfeld (5) ; et les << chapitres des novices », dont nous
avons dit un mot, étaient destinés à éclairer l’Abbé. Mais enfin c’est lui
qui décide, et il n’y a pas de vote ; s’il est autrefois question de« scrutin »,
c’est seulement au sens étymologique d’examen (6). Aujourd’hui encore,
la décision de l’Abbé dans l’admission est prépondérante, non pas tant
à cause du double suffrage que lui accordent les Constitutions que parce
que c’est lui qui présente, et qui présente celui-là seulement dont il est
moralement sûr. (Voir le canon 543 du nouveau Code.)
Les vœux de religion. — Avant d’aborder la troisième portion du
chapitre, et afin de n’avoir pas à interrompre la description des rites de la
profession, nous pouvons rappeler très succinctement la doctrine des vœux
(1) M, G. H. : Legum, Sectio V, Formulae, p. 569,
(2) On trouvera ces pièces dans Baluze, Capitularia Regum Francorum i Nova
/'■ '■Clio formularum, n'· xxxm et xxxu, t. Il, p. 576 et 574; dans Mabillon, At'a
.SS. 0. S. B., Saec. IV, P. I, p. 694-695 ; et dans l'édition récente et critique des Moncnenla Germaniae Historica : Legum, Sectio V, Formulae Merowingici et Karolini Aevi,
p. 479, n. 42, et p. 570, n. 31. — Une formule ressemblant beaucoup à celle qu’a donnée
Baluze au n° xxxm. est citée par Herrgott dans sa Fe/us disciplina monastica, p. 591 ;
on la trouvera aussi dans les M. G. H. : l. c., p. 568, et dans D. Albers : Consuetudines
monasticae, vol. III, p. 178. La formule que cite D. Albers immédiatement avant celle-ci
est la même que celle du n° xxxn de Baluze, que celle reproduite par Du Gange,
Glossarium (Profiteri), et par Léopold Delisle, Littérature latine et histoire du moyen
à·!··, p. 16. — Voir aussi la formule donnée par Smaragde et citée dans Martène,
C jmment., p. 763. — Cf. D. Herwegen, Geschichle der benediklinischen Professforme·,
(3) Voir le chap, ni de la sainte Règle et le Commentaire de Paul Diacrf,
(4) Martène, De anl. monach. rit., 1. V, c. iv, col. 646,
(5) Marténe, op. cil., 1. V, c. iv, col. 656.
(6) Martène, De ont, Eccl. rit., 1. II, c, n. T. II, col, 484,
COMMENT PROCÉDER POUR LA RÉCEPTION DES FRÈRES
Ut
de religion et regarder de près la formule dont se servent les Bénédictins.
La perfection surnaturelle de l'homme réside essentiellement dans
la charité, non pas initiale, mais dominante et souveraine; elle consiste
dans un degré éminent de charité, ou même dans l’ensemble complexe
de tout ce qui nous unit à Dieu profondément, solidement, de façon
stable et continue. Et la vie parfaite est définie par sa tendance à la per
fection, par un modus vivendi destiné à réaliser et à accroître la perfection.
Or, celle-ci s’obtient par l’accomplissement intégral et généreux des
préceptes, lesquels ne sont tous que le morcellement de la loi de charité.
Mais on n’arrive pourtant à cette observation accomplie des préceptes et à
la charité éminente que grâce à la pratique de certains conseils. Ιλ conseil,
par son côté négatif, garantit le précepte et, du même coup, défend et pro
tège la charité ; par son côté positif, il accroît la charité en même temps
qu’il en est le fruit ; il est à la fois facteur et indice de perfection. La vie par
faite. la vie de perfection est donc assurée par la pratique des conseils ;
c’est ainsi que l’exercice des conseils est caractéristique de la vie parfaite.
Mais la vie parfaite peut exister même dans le monde, elle n'est pas
forcément vie religieuse. Celle-ci est « l’état de perfection », c’est-à-dire
la vie parfaite organisée, et comprenant certains éléments spéciaux ; il y
a lieu de dire un mot de chacun d’eux.
Rappelons d’abord que la vie religieuse n’est pas distincte de la vie
chrétienne ; elle n’est pas quelque chose de nouveau et de surajouté
au christianisme; elle en est un état, la condition achevée et comme
l’épanouissement. Cet état n’est pas purement intérieur, mais il est
aussi de caractère visible et externe. — Π implique une stabilité, une
permanence de droit et légale. — La vie religieuse est instituée en
vue de la perfection personnelle, au moins premièrement. — On y
entre par une résolution et une démarche personnelle. — Et cette obli
gation est contractée en des termes précis, sous forme extérieure et
visible, de façon saisissable par l’Église.
Elle est contractée en vue du bien surajouté aux préceptes, c’est-à-dire
e ; vue des conseils, des œuvres qui préparent, exercent et accroissent
la perfection. Les conseils auxquels la vie religieuse nous oblige ne sont
pas simplement intérieurs ; ce ne sont pas non plus tous les conseils,
mais premièrement les trois grands conseils évangéliques, avec le bien
qui est déterminé pour chaque forme de vie religieuse par sa fin propre
et sa législation particulière. Pauvreté, chasteté, obéissance (1) : c’est
tout à la fois un procédé d'affranchissement par l'immolation des trois
grandes convoitises ; une donation à Dieu de l’homme tout entier avec
ses biens extérieurs et son corps et son âme; c’est enfin un procédé
(1) Cf. D. Guéranger, Règlement du Noviciat (dans le commerce sous le titre:
Notions sur la vie religieuse et monastique). Voir aussi : Mgr Gx\',De la vie ri des vertus
chrétiennes considérées dans l'état religieuse, t, II, chap, ix-XL
I
442
COMMENTAIRE
SUR
LA
RÈGLE
DE
SAINT
BENOIT
d’union à Dieu, car, selon la doctrine des théologiens, les vœux de religion
ont, en même temps que le caractère de garantie et de sécurité, celui
d’offrande et d'holocauste. Il y aurait beaucoup à dire au sujet des
vœux : d’autant que la notion exacte de leur portée et de leur dignité
est aujourd’hui souvent méconnue. Le vœu ajoute réellement quelque
chose à l’œuvre bonne, et il est un instrument très efficace de perfection :
il crée un lien qui, de sa nature, affranchit définitivement celui qui l’émet,
tin lien qui, d’intention, fixe la volonté dans le bien promis ; grâce à lui,
l’œuvre bonne devient un acte de culte et d’adoration ; et, par le vœu, non
seulement le fruit, mais la sève et l’arbre même sont consacrés à Dieu (1).
La profession n’est autre chose que l’émission des vœux de religion.
Mais, pour que la donation de nous-mêmes par les troix vœux substan
tiels de religion nous constitue religieux, il faut qu’elle soit, au nom de
Dieu, acceptée par l’Église ; et l’Église est en ce cas représentée par le pré
lat ou toute autre personne compétente. La profession étant, comme nous
l’expliquerons, un contrat, l’intervention des deux parties est indispen
sable.
La profession doit être émise et les vœux exercés sous une Règle
approuvée par l’Église : celle de saint Basile, de saint Benoît, de saint
Augustin, de saint François; à l’une ou l’autre de ces Règles s’ajoutent
aujourd’hui des Constitutions. Los Papes ont accorde à quelques Ordres
de vivre sous une Règle propre ne se réclamant point de l’une des quatre
mentionnées à l’instant. Aujourd’hui, enfin, la vie religieuse requiert,
en vertu de dispositions canoniques, la soumission à un supérieur et
aussi une vie commune dont l’intimité varie suivant les Ordres.
Sans entrer dans les détails de la distinction entre vœux simples et
vœux solennels, il est bon pourtant d’en dire un mot. La solennité n’est
pas la perpétuité ; car il existe des vœux simples dont la perpétuité est
parfaite, et c’est le cas pour nos frères convers. La solennité ne consiste
pas davantage dans l’incapacité qu’entraîne le vœu solennel d'accom
plir les actes contraires au vœu, incapacité qui rend ces actes, non pas
seulement illicites, mais nuis et invalides : ce n'est là qu'un élément
conséquent. Encore ce caractère n’est-il pas universel, puisque les vœux
simples des scholastiques et des coadjuteurs de la Compagnie de Jésus
entraînent le même effet d’incapacité. La solennité n’est rien non plus
d’intrinsèque au vœu : simple ou solennel, celui-ci oblige devant Dieu
et le for interne de la conscience de la même façon et sous les mêmes
peines. Elle consiste moins encore dans les cérémonies liturgiques qui
accompagnent l’émission des vœux. La solennité est un élément qui
appartient au for externe : c’est une efficacité spéciale attachée par
Γ Église au vœu qu’elle déclare solennel. Le proîès de vœux solennels
(1) Cf, S, Th., H* IIU, q.
lxxxviii,
a. G,
COMMENT PROCÉDER POUR LA RÉCEPTION DES FRÈRES 443
est accepté par l’Église au nom do Dieu et réputé par elle comme con
sacré d’une façon irrévocable ; c’est l’Église qui constitue la solennité,
cpii décide que les vœux émis dans telles ou telles conditions seront
simples ou solennels. Par les vœux solennels le religieux est attaché
définitivement à l’Ordre; il devient participant de tous ses privilèges
comme aussi de toutes scs charges. Mais puisque c’est de la volonté de
l’Église que vient la solennité, elle peut dispenser, en tout ou en partie,
des obligations qui résultent des vœux solennels ; et elle le fait parfois (1).
Les vœux solennels sont de soi perpétuels, et nous ne sommes appelés
à les prononcer qu’au bout de trois ans au moins de vœux simples tem
poraires, et après vingt et un ans accomplis (2).
Vota emittantur ad formam Ordinis Benedictini, scilicet de stabilitate
conversione morum et obedientia juxta Regulam sancti Patris Benedicti
in sensu Constitutionum observandam. Ainsi s’expriment nos Constitutions.
La stabilité. H faut se souvenir qu’un des principaux desseins de
N. B. Père était de réagir contre les formes défigurées de la vie monas( tique, spécialement contre la gyrovagie. C’était la grande plaie. Encore
que perpétuels, les vœux de religion devenaient souvent illusoires, lors
qu'on se mettait à courir le monde et à changer de monastère au gré du
caprice. La législation monastique admettait trop aisément ces change
ments de monastère (3). Saint Basile, sans méconnaître qu’il existe par
fois des raisons sérieuses de passer dans une autre maison, pose néan
moins les principes de la stabilité dans le monastère (4). L'instabilitas
est flétrie par Cassien (ô). Saint Césaire d’Arles donne la stabilité comme
condition première d'admission : In primis, si guis ad conversionem
venerit, ea conditione excipiatur, ut usque ad mortem suam ibi perseveret (6).
Le IVe concile œcuménique de Chalcédoine (451 ) avait interdit aux moines
de quitter leur monastère sans l'autorisation de l’évêque (7). et le concile
d’Agde (006) déclare l’appartenance du religieux à sa maison et à son
Abbé (8). Mais il semble bien que saint Benoit ait, le premier, résolu de
(1) Voir plus haut, au chapitre xxxin, ce que nous disions du vœu de pauvreté.
(2) Le Code de droit canonique, qui donne au caractère de perpétuité du vœu une
importance majeure, n’enlève rien à l’excellence du vœu solennel. C’est le vœu solennel,
pour n’indiquer ici que ce double avantage, qui constitue l'Ordre religieux et le Ktjuiier; et c’est lui qui, de plein droit, procure aux religieux le bienfait capital del’aemption, en sorte que ce privilège, qui n’était auparavant qu’un fait général,est devenu
grâce au nouveau Droit, une loi de l’Église.
;
(3) Cfr. Fausti Rhegiensis Sermo VII ad monachos. P. L., LVIII, 885.
(-1) Rca. fus., xxxvi, Cf, aussi les ConsiitafÎOTiw monoi/icus, c, xxi. P. G., XXXI.
1393-1102.
(5) /ns/., VII, ix,
(G) Zi'ej. ad. mon., i ; Reg. ad virg., i. — Cf. aussi la Rlgk de S, Avrélien, l
(7) Can. iv. Mansi, t. VII, col. 382.
(S) Can. χχχνιιι, Mansi, t. VIII, col. 331.
COMMENTAIRE
SL’R
LA
REGLE
DE
SAINT
BENOIT
COMMENT
lier par un vœu formel le moine au monastère; et dans le texte de la
Règle qui énumère les objets de la promesse, le vœu de stabilité tient le
premier rang.
Stabilité a donc le sens précis d’une permanence dans la famille sur
naturelle chez laquelle on émet profession, d’une permanence dans le
monastère, et non pas seulement le sens général de persévérance dena
le bien ou dans la vie religieuse. Ex ilia die non lieeal egredi de monasterio,
dit saint Benoît. Dès le Prologue, il avait mentionné rapidement π la
persévérance jusqu’à la mort dans le monastère.» ; à la fin du chapitre IV,
la clôture monastique avec la stabilité dans l’assemblée des frères était
présentée comme l’atelier unique où peuvent être mis en œuvre avec
succès les instruments de Fart spirituel. Au chapitre LXI enfin, saint
Benoît indique le procédé qu’il faut suivre pour venir en aide aux vic
times de la gyrovagie, s’il y a espoir de guérison.
La stabilité monastique n’est pas la claustration rigoureuse des mo
niales; elle ne s’oppose ni à une sortie autorisée par l’Abbé, ni même,
aujourd’hui du moins, au passage dans une autre maison de la Congré
gation, lorsque les supérieurs y consentent. Nous vouons la stabilité
a selon nos Constitutions » : or, celles-ci prévoient les cas où un moine
peut, au moyen d’une déclaration authentique, se stabiliser dans un
monastère autre que celui de sa profession : c’est lorsqu’il a quitté régu
lièrement celui-ci, ou pour son bien personnel, ou pour venir en aide à
une communauté, ou pour une fondation nouvelle. Si la stabilité entrait
en conflit avec l’obéissance, cette dernière devrait l'emporter; car,
encore une fois, la stabilité qu’on avouée n’entraîne point l'inamovibilité
absolue. On peut dire quela stabilité consiste dans l’appartenance profonde
et durable à une famille, normalement au monastère même de sa profession.
La conversion des mœurs. D’une façon générale, c’est l’adieu à
la vie de péché, à la vie mondaine, avec direct ion de notre activité vers les
choses surnaturelles. Mais nous devons prendre ces termes dans le sens
même que l’on y attachait à l’époque de N. B. Père : la conversion des
mœurs, c’est la vie religieuse elle-même, considérée dans les éléments
sans lesquels elle ne saurait exister, spécialement la chasteté et la pauvreté
(l'obéissance aura bientôt sa mention formelle). Ne nous étonnons pas
que notre formule de profession ne contienne rien d'explicite sur la pau
vreté et la chasteté : cette omission est traditionnelle et se retrouve
dans les branches diverses de l’Ordre (1). Les Chartreux, les Chanoines
réguliers, les Carmes, les Frères-Prêcheurs n’ont pas davantage la men
tion expresse des trois vœux ; quelques-uns n’ont même que celui d’obéis
sance (2). Les Basiliens ne font vœu que de chasteté.
(1) Cf. Hæpten, 1. IV, tract, vi, disq. vl
(2) Cf. S, Th., 1Γ II··, q. clxxxvj, a. 8.
PROCÉDER
POUR
LA
RÉCEPTION
DES
FRÈRES
415
L’obéissance méritait bien d’être l’objet d’un engagement spécial :
elle est la forme la plus élevée de la conversion des mœurs ; c’est le sacri
fice de l’âme et de la volonté ; elle renferme à elle seule toute la vie surnaturclle et toute la vie religieuse. De plus, le dessein bien arrêté de sépa
rer les cénobites d’avec les anachorètes d’une part, et d’autre part d’avec
les sarabaïtes, invitait saint Benoit à faire promettre explicitement
l’obéissance. Bernard du Cassin a ingénieusement observé qu’en souli
gnant ainsi les vœux de stabilité, de conversion des mœurs et d'obéis
sance, N. B. Père distinguait à la fois ses moines et des gyrovagues par
la stabilité, et des sarabaïtes par la conversion des mœurs, et des
anachorètes par l’obéissance à un supérieur et à une règle écrite.
Nous émettons nos vœux a selon la Règle de saint Benoît, telle que
l’interprètent nos Constitutions ». Ceci appelle plusieurs remarques.
Nous ne vouons pas tous les conseils, ce qui serait assez malaisé
à tenir, puisque certains s’excluent et se contredisent (la pauvreté
et l’aumône, par exemple), et que leur nombre est infini. Nous l’avons
remarqué déjà : chaque forme de vie religieuse est basée sur l'observance
des trois grands conseils substantiels, auxquels s’ajoutent les conseils
appropriés au but de l’institut. Par la profession bénédictine, nous nous
engageons à vivre selon la Règle de saint Benoît : il ne s’agira donc
jamais d’aller faire une cueillette dans les autres Règles, au hasard de
nos dévotions. Encore moins avons-nous qualité pour ajouter ou retran
cher quoi que ce soit, en vue d’une plus grande perfection de la commu
nauté, à notre Règle et aux Constitutions. Ni l’Abbé, ni le Supérieur général,
ni le Chapitre général tout seuls ne les peuvent modifier notablement ;
meats et les essayer. Cette vie bénédictine, qui est notre devoir, est aussi
notre droit. Même lorsqu’il s’agit des vœux essentiels, — la chasteté mise
à part, — l’obéissance et la pauvreté sont comprises et pratiquées dans
chaque Ordre de façon un peu spéciale : or, nous avons droit au caractère
propre de la Règle bénédictine. Et l’idéal de notre observance demeure
attaché à cette compréhension exacte de l’esprit de N. B. Père. Prenons
garde néanmoins : car il est si facile à l’égoïsme, à la sottise, à l'illusion, de
suggérer à un moine que son supérieur n’a pas la vraie pensée de saint
Benoît, ou bien qu’il outrepasse ses droits !
Nous faisons profession de vivre « selon la Règle » : mais dans quelle
mesure la Règle nous oblige-t-elle? L’observance fidèle est-elle simple
ment affaire de logique individuelle, de hante convenance, d’honneur, —
ou bien la conscience est-elle engagée et jusqu’à quel point? La question
est délicate, complexe et fort pratique. Nous ne pouvons ici que donner
quelques conclusions.
La Règle religieuse entraîne obligation. — Obligation, et dans les
■Hfl
COMMENTAIRE
SUR
LA
RÈGLE
DE
SAINT
BENOIT
conditions tliéologiqucs ordinaires, pour toutes les prescriptions de droit
naturel, de droit divin positif, de droit ecclésiastique qu’elle renferme
et qu’elle promulgue à ses sujets. — Obligation de conscience, plus ou
moins grave, en tout ce qui constitue la matière des vœux : la violation,
en ce cas, ayant malice de sacrilège. Nous ne vouons pas la Règle, sim
pliciter : autrement, tout ce qu’elle contient serait matière des vœux, mais
seulement de vivre secundum Regulam. — Obligation de conscience pour
les cas particuliers où la Règle, ou bien le supérieur, prescriraient avec
des formules impératives qui en appellent au vœu d’obéissance.
Parmi les Règles, il en est qui prennent soin de spécifier quels sont
les points qui obligent sous peine de péché mortel ou véniel. D’autres
déclarent que, sauf les cas énumérés plus haut, elles n’obligent pas sous
peine de péché, sed solum ad poenam laxatam sustinendam. Les autres enfin,
et c’est le cas des Règles anciennes, de la nôtre en particulier, ne spécifient
rien. H n’était pas dans l’esprit du temps de faire de la casuistique, et il
est probable qu’on ne songeait pas qu’il pût s’élever des contestations
sur ce point.
H y en eut pourtant parmi les théologiens de l’Ordrc (1). Sans
entrer dans le vif de la discussion, il faut reconnaître que N. B. Père a
prétendu faire de sa Règle autre chose qu’une série de conseils facul
tatifs de perfection, autre chose même qu’une sorte de règlement de
police, qu’un système d’amendes personnelles destiné à nous inspirer
par sa rigueur quelque crainte de la transgression. Ses moines ne sont
pas des esclaves, obéissant à la menace du fouet ; l’Abbé n’est pas un
préfet de discipline. Pratiquement, et quoi qu’il en soit de l’obligation de
la Règle par elle-même (2), il est peu d’infractions à cette Règle qui ne
deviennent fautes théologiques en vertu d’une malice provenant d’ail
leurs. Souvent le motif secret qui détermine la transgression revêt une
couleur immorale : la paresse, l’orgueil, la gourmandise. Il y a aussi le
mépris formel de tel ou tel point de l’observance (3) : mépris qui pourrait
constituer une faute grave s’il s’étendait à toute la Règle. De plus, il
peut y avoir scandale plus ou moins sérieux, contribution au relâchement
de la discipline générale. Les illusions sur tout cela sont faciles, et des
habitudes d’inobservance ordinaire se créent aisément, en particulier
pour le silence, pour les études, pour la prière : c’est alors qu’on s'engage
sur la pente du mépris.
11 faut de la délicatesse de conscience en ces matières, non du scrupule,
ni rien d’une rigidité maladroite, qui méconnaît les nuances et cette sage
uépikie » dont parlent les moralistes. Surtout, n’oublions pas que la ten(1) Cf. D. Mège, Comment, sur la Règle, Avertissement, p. 3G sq. — J. Rottxer,
Margarita coelestis, q. XI, a. n, p. 020 sq.
(2) Lire D. Guêranger, Règlement du Noviciat, chap. n.
(3) CL S, Th., Il* II**, q. clxxxvi, a, 9, ad 3.
COMMENT PROCÉDER POUR LA RÉCEPTION DES FRÈRES
*17
dance vers la perfection est pour nous une réelle obligation de conscience
et (pie nous l’avons vouée solennellement ; que la Règle est la forme même
de cette perfection promise, et que son caractère libéral et discret n’est point
une licence donnée à notre égoïsme dose ressaisir en détail. Pour des fil?,
il n’est besoin que de savoir ce qu’aime leur Père et ce qu'il attend d'eux.
Et si habita secum deliberatione, promiserit se
omnia custodire, et cuncta sibi imperata servare,
tunc suscipiatur in congregatione, sciens lege Regu
lae constitutum, quod ei ex illa die non liceat egredi
de monasterio, nec collum excutere de sub jugo
Regulae, quam sub tam morosa deliberatione licuit
ei recusare aut suscipere.
Caractère et conséquences de la profession. - Avant même
de décrire la profession monastique, saint Benoît indique briève
ment ce qui se passe lorsque l’épreuve novitiale est achevée et que
le candidat s’est décidé : il promet d’observer toute la Règle; il est
accueilli dans l’assemblée des frères; et son engagement est irrévo
cable. N. B. Père marque surtout ici avec force le caractère et les
conséquences morales d’un acte auquel le nonce a pu se préparer
en toute maturité. Les conséquences relatives aux biens matériels ne
seront mentionnées qu’à la fin du chapitre.
La profession est un acte sérieux. On a eu du loisir pour y songer et
pour délibérer, un loisir notable et largement suffisant, tam morosa
deliberatio. On a été invité à peser le pour et le contre, mis en demeure de
décliner ou d’accepter le fardeau : licuit recusare aut suscipere. Avant
de s'engager, on a examiné une dernière fois la chose dans la région
profonde de son âme, habita secum deliberatione. La profession ne res
semble guère à un acte pour rire, à une petite scène coquettement
arrangée, mais ne tirant pas à conséquence !
Elle a principalement le caractère d’une oblation : nous le voyons bien
par la formule même qui l’accompagne : Suscipe nie, Domine, par le
moment de la Messe où elle s’accomplit, par le texte même de la Règle.
Or, selon saint Benoit, cette donationdoit être plénière, engageant l'homme
tout entier, dans son être comme dans son agir : au point que N. B. Père
fonde sur ce caractère absolu de la donation l'impossibilité pour le moine
de posséder ensuite quoi que ce soit : Quibus nec corpora sua nec voluntates
licet habere in propria potestate (chap. XXXIII), et dans le dernier para
graphe du présent chapitre : ... îiec proprii, corporis. C’est un sacrifice
4iS
COMMENTAIRE
SUR
LA
RÈGLE
DE
SAINT
BENOIT
où la victime est consumée toute. Nul ne songe, le jour de sa profession,
à faire des réserves, à marchander honteusement avec le Seigneur, à
prévoir tel ou tel point de la Règle qui n’obligera pas. Ce jour-là, nous
ne prenons pas même de garanties contre les exigences éventuelles et
les excès possibles de l’autorité. Ce jour-là, nous disons : « Seigneur,
j'écris ma charte en petits caractères, afin que dans le blanc et la marge
vous puissiez écrire tout ce que vous voudrez : vous n’êtcs pas de ceux
avec qui l’on discute. Vous y mettrez l’inopiné, le douloureux, l’impos
sible : il n’importe, vous serez obéi ». Notre engagement est ce que nous
l’avons fait. Nous aurons à en rendre compte selon sa valeur réelle, et
non d’après les atténuations et les adoucissements postérieurs : Ex verbis
tuis justificaberis, et ex verbis luis condemnaberis (Matth., χπ, 37).
La profession est donc un engagement d’honneur ou plutôt de stricte
justice. Quand la parole est donnée, il faut la tenir, — même quand elle
est donnée au Dieu vivant. Nous le verrons plus loin, la profession est
aussi un contrat et un double contrat : avec Dieu qui nous donne sa rie
en échange de la nôtre, avec notre famille monastique qui nous donne
part à tous ses biens surnaturels, moyennant promesse de soumission
et de fidélité. Venir dire ensuite, pratiquement, que nos contrats ne
tiennent pas, c’est se moquer de Dieu, dit saint Benoît, rappelant un
mot de l’Apôti e (Gal., vi, 7) : Ut si aliquando aliter jecerit, ab eo se da
mnandum sciat quem irridet.
Enfin, la profession est un acte définitif et irrévocable (1). Avons-nous
entendu contracter un engagement résiliable? Et puis, cette apparte
nance de fame à Dieu et de Dieu à l'âme qu’implique la profession peutelle avoir un caractère de précarité et de temporaire? Quand on aime, on
ne prévoit pas le jour où l’on cessera d’aimer. Il y en a pour l'éternité.
Saint Benoît avait d’ailleurs un motif spécial d’ajouter la remarque :
Sciens... quod ei ex ilia die, etc. Encore une fois, il ne veut pas de ces
moines gyrovagues qui vont et viennent à leur gré, ni des sarabaïtes.
Et il avertit nettement ceux qui se présentent chez lui des conditions
de la vie religieuse qu’on y mène : on ne peut plus sortir, on est stable,
on demeure sous le joug d’une Règle (2).
le cérémonial de la prgfession.
— Après une petite croisade de
prières privées et conventuelles (3), on arrive enfin au jour béni de la pro(1) Cf. S. Basil., Reg. jus., xiv. Constitutiones monasticae, c. xxn. P. G„ XXXI,
1401 sq. — S. Joann. Chrysost., Adhorl. Il ad Theodorum lapsum. P. G., XLV1I,
309. — S. Caesar., Reg. ad mon., i.
(2) Jugo regulae colla submittentes (Vila Macarii Romani, 2. Vitae Patrum, I.
KOSWEYDE. p. 225).
(3) Les Coutumes de Cluny portaient déjà : Commendat (Abbas) fratribus ut in
orahOTii&us suis recordentur eorum, cl aliquando, si videtur. unum psalmum, post sin
gulas lltiras in illo die pro cis cantari (Udalr., Consuet. Clun., 1. II, c, xxvi).
COMMENT PROCÉDER POUR LA RÉCEPTION DES FRÈRES
U9
fession, jour unique pour l'âme, avec celui du baptême et celui de l'entée
dans l’éternité. Au chapitre, où le convent s’est rendu après Tierce, le
novice se présente pour une dernière pétition et élection (L). Füi, legem
nosti sub qua militare vis, scis ad quid ingrederis... Nunc, ecce coram te
vestes primi lui saecularis status; ecce sacrae Religionis indumenta : elige
coram Deo et sanctis ejus, quaenam ex iis ambit et desiderat anima tuo.
Après le choix des habits monastiques, la procession (2) revient à l’oratoire.
C’est là qu’aura lieu la profession : saint Benoit l’a réglé ainsi, car elle
est éminemment une fonction religieuse et liturgique. Elle alien au cours
de la Messe et au moment de l’Offcrtoire. N. B. Père ne le dit point,
mais tout porte à croire que tel était bien l’usage de son temps.
Remarquons qu’il fait placer la charte « sur l’autel » : sans doute avec les
offrandes des fidèles, car, au chapitre suivant, il prescrit que la pétition
de l’enfant offert par ses parents soit enveloppée, avec sa main et avec
l’oblation (des fidèles), dans la nappe de l’autel : Et cum oblatione ipsam
petitionem et manum pueri involvant in palla altaris et sic eum offerant. Le
concile d’Aix-la-Chapelle de 817 interprète ainsi le cum oblatione du
chapitre LIX. La plus vénérable tradition place la profession pendant
le Saint-Sacrifice. Au huitième siècle, saint Théodore de Cantorbéry, dans
son Capitulaire, dit que la profession a lieu pendant la Messe que célèbre
l’Abbé (3). Même usage à Cluny (4), et en général un peu partout. Les
Statuts de Lanfranc laissent au choix de l’Abbé de bénir le moine « avant
Γ Introït s’il ne célèbre pas la Messe, ou après ΓÉvangile, qu’il célèbre ou
non (5) » ; mais on voit bien par ce qui suit que la seconde manière est
plus goûtée. Presque partout, en effet, la profession était émise après
l'Évangile ou le Credo, avant lOffertoire. Dans son premier Commen
taire de la Règle, Pierre Boherius dit cependant que la fonction a lieu
post Offertorium (6). A Saint-Maur, la profession venait aussi après l’Offertoire.
L’usage de quelques Congrégations modernes est de faire profession
en dehors de la Messe; celles qui la font inter Missam sont autorisées,
par un décret de 1894, à adopter le cérémonial des Jésuites, lequel consisto
(1) Le choix des habits avait lieu aussi à Saint-Maur.
(2) Nous chantons alors ce même psaume exxv : In convertendo, que les cinq pre
miers moines de Solcsmes chantèrent en se rendant de l’église paroissiale au monas
tère restauré, le H juillet 1833.
(3) Selon les anciens canons monastiques, l’Abbé doit célébrer lui-même la Messe,
s'il le peut, et recevoir la profession, opérer la « bénédiction · dn moine. Dans la langue
liturgique, ce n’est pas une « consécration », car les moines ne font pas partie de la
hiérarchie ecclésiastique ; et, d’après S. Denys, c’est aux prêtres qu'il appartient de
Jes bénir (De Hierarch, eccl., c. vi).
(4) Bernard., Ordo Clun., P. I, c. xx.
(5) Cap. in, ap. Martène, De anliq. monach, riL, ζ V, c, iv, co), G4G, — Cf. Ber
nard., Ordo Clun., P. I, c. xv, xx.
(6) Cf, Martène, Comment, p, 7G9,
29
450
COMMENTAIRE
SUR
LA
RÈGLE
DE
SAINT
BENOIT
à émettre ses vœux devant le prêtre tenant la sainte Hostie, immédiate
ment avant de recevoir la communion (1). Il est permis d’estimer que
l’ancien usage est plus profondément symbolique.
Avant de décrire la cérémonie de profession, nous devons rechercher
ce qu’elle était avant N. B. Père. Les canonistes, distinguant entre pro
fession tacite et profession expresse, remarquent que la première a été
primitivement seule en usage : elle consistait en des actes équivalant à
la profession formelle et ayant la valeur d’un engagement. On peut dire
que la prise ou la réception de l’habit monastique, et souvent aussi la
tonsure, ont suffi, dans les premiers siècles, pour constituer un religieux
ou une moniale ; les ermites faisaient profession plus simplement encore ;
ordinairement on faisait en sorte de recevoir l’habit des mains d’un
ancien. Parfois même, une moniale illustre le donnait à un homme :
c’est ainsi qu’Évagrc du Pont le reçut de Mélanie l’Ancienne (2).
La tradition de l’habit religieux chez les moines fut sans doute de
bonne heure accompagnée de prières et entourée d’une certaine solennité ;
mais nous sommes à son sujet moins bien renseignés que sur la velatio
et la consecratio virginum, dont la liturgie est très ancienne. Saint Pacôme
dit seulement qu’après les épreuves préliminaires le candidat sera remis
aux frères : Tunc nudabunt eum vestimentis saecularibus et induent habitu
monachorum, tradentque ostiario, ut orationis tempore adducat eum in
conspectum omnium fratrum; sedebitque in loco in quo ei praeceptum
fuerit (3). Saint Nil ne fournit qu’une indication par trop sommaire lors
qu’il dit : Quando igitur monachorum venerandum habitum induisti?
Quis Abbas, bona dicens verba, manum apposuit (4)? 11 est difficile de
déterminer le cérémonial usité chez saint Basile. Il y avait des témoms.
Il y avait des interrogations posées au novice, et une profession clara et
perspicua. Il y avait sans doute aussi une formule consacrée (5). Quant
à la promesse écrite, le plus ancien spécimen que nous en ayons (6) est,
paraît-il, l'engagement que fit signer à ses moines Schenoudi d’Atripé,
dans la Haute-Thébaïde (]· 452) (7). Saint Isidore demande lui aussi
(1) Rapprocher cet usage de celui qui se trouve mentionné dans le Liber ordinum
de la liturgie mozarabe, édité par D. Fêp.otin ; le témoignage est au moins du onzième
siècle, mais probablement plus ancien. Il est dit (col. 85-86) qu’après la profession du
conversus non cénobite, et les prières étant achevées, datur ei sancta communio; ponr le
cénobite, même rituel, sauf que; après la communion, tola jam explicita missa, il
dépose sa charte et chante le Suscipe me.
(2) Pallad., Hist. Laus., c. lxxxyi. Rosweyde, p. 764.
(3) Reg., xux.
(4) Epist., 1. II. Ep. XCVI. P. G., LXXIX. 243.
(5) S. Basil., Reg. fus., xn, xiv, xv. Epist. CXCIX (P. G., XXXII, 719). Reg. brev., IL
(G) Dans un sermon attribué à Fauste de Riez (Ve s.) il est fait mention du chiro
graphum de quo se monachus debitum ex tota fide promiserit implere (P. L., LVIII, 875).
(7) Le voici, d’après le texte copte et la traduction allemande de Leipoldt (Schenute von Atripe, p. 109, 195-196) : * Convention. Chacun s’exprimera ainsi : Je m’en
gage devant Dieu, en son saint lieu, selon qu’en témoigne la parole que prononce ma
COMMENT PROCÉDER POUR LA RÉCEPTION DES FRÈRES
451
un écrit et Mabillon a cité une formule de ce pactum (1). Même usage chez
saint Fructueux (septième siècle) (2).
Quoi qu’il en soit des coutumes dont s’est inspiré saint Benoît, et des
coïncidences qui existent, par exemple, entre le cérémonial bénédictin
et celui que donne saint Dcnys au chapitre vi de sa Hiérarchie ecclésias
tique, il est incontestable que N. B. Père a fait ici encore œuvre profon
dément originale. Il a organisé, il a défini, il a fait delà profession monas
tique un acte juridique complet et très solenneL Nous reconnaissons là
le Romain, le Romain de haute et forte race. Ce fut la disposition com
mune de tous les peuples, et en particulier des Hébreux, d’entourer les
contrats de garanties, d’actes symboliques, de témoins, afin d’en bien
déterminer le sens et d’en assurer l’exécution fidèle; mais nulle part
plus qu’à Rome les actes publics et privés n’étaient accompagnés d'un
luxe de formes, dont la scrupuleuse observation engageait sous peine
de nullité. La nécessité de réagir contre l’inconstance des sarabaïtes et
des gyrovagucs s’allia à ces dispositions de race pour dicter à N. B. Père
son cérémonial (3).
La profession bénédictine est donc surtout un contrai, un contrat
bilatéral, passé entre le novice d’une part, Dieu et les frères d’autre
part : je me donne tout entier et à jamais à Dieu et à l’Ordre monastique,
pour que Dieu et l’Ordre monastique m’admettent à leur communion,
me mettent en possession de leur vie. C’est une adoption dans la famille
de Dieu : celui qui se présente s’appelle suscipiendus; il se donne pour
être reçu et accueilli : et le fait de la réception le rend fils de la famille.
%
Suscipiendus autem, in oratorio coram omnibus
promittat de stabilitate sua, et conversione morum
suorum, et obedientia, coram Deo et Sanctis ejus,
ut si aliquando aliter fecerit, ab eo se damnandum
sciat quem irridet. De qua promissione sua faciat
bouche : je no veux souiller mon corps d’aucune manière, je ne veux pas voler, je n >
veux pas me parjurer, je ne veux pas mentir, je ne veux pas faire le mal en secret. Si
je transgresse ce à quoi je me suis engagé, dans ce cas je ne veux pas entrer dans le
royaume du ciel ; car je le vois bien, à cause de la convention que j'ai formulée devant
lui, Dieu ruinerait mon Sme et mon corps dans la géhenne de feu, parve que j’aurai.*
transgressé la convention que j’avais formulée. · (Cf. Ladevzb, Etude sur le cénobi
tisme pakhomien pendant le IVe siècle et la première moitié du P·, p. 208,314 et suiv,
Du même : C. R. de l’étude de Leuoldt dans la Revue ddlist. ecclès., t, VH, p. 76
et suiv.)
(1) S. IsrooRi Reg., rv. — Mabillon, ânnales O. S. B., 1. ΧΠ, xi.n. T. I, p, 332,
(2) Reg., xxu : voir une formule de ce pacte dans la P, L, LXXXV1I,1127 eq,
(3) D. Rotrenhâusï.er, Zur Aufwihmeordnung der Regula S. Iknciidi, fait
d’ingénieux rapprochements entre les dispositions de ce passage de la Règle et
les coutumes juridiques du temps.
COMMENTAIRE
SUR
LA
REGLE
DE
SAINT
BENOIT
politionem ad nomen Sanctorum quorum reliquiae
ibi sunt, et Abbatis praesentis. Quam petitionem
manu sua scribat : aut certe, si non scit litteras,
alter ab eo rogatus scribat; et ille novitius signum
faciat, et manu sua eam super altare ponat. Quam dum
posuerit, incipiat ipse novitius mox hunc versum :
Suscipe me, Domine, secundum eloquium tuum, el vicam :et
II
non confundas me ab exspectatione mea. Quem versum
omnis congregatio tertio respondeat, adjungentes
« Gloria Patri ». Tunc ipse frater novitius prosternatur
singulorum pedibus, ut orent pro eo, et jam ex illa
hora in congregatione reputetur.
H
Un contrat, un acte public tel que la profession exige des témoins.
Il y a des témoins au ciel : coram Deo el Sanctis ejus;U. y en a sur la terre :
l’Abbé, les frères, tous les fidèles présents. Rien ne se fera en cachette.
Mais tout d’abord, selon not’e usage, le candidat est interrogé solen
nellement sur ses dispositions vis-à-vis des engagemt nts qu’il va con
tracter. Les choses se passent de même avant le baptême, avant la con
sécration épiscopale. Promittat de stabilitate sua (1). 11 y a eu des examens,
des scrutins préliminaires, durant l’année de noviciat : mais il en faut
un définitif. Le candidat répond par une série de Vote à des questions
précises et nettes. Cette promesse orale est aujourd’hui complétée par la
lecture de la charte.
Car il y a une charte, ce que saint Benoît appelle la petitio, une garantie
juridique nouvelle, suppléant à ce que les paroles ont nécessairement
de fugitif. N. B. Père veille à ce qu’elle constitue un instrument en bonne
et due forme. — Elle est écrite de la main même du candidat. S’il ne sait
pas écrire, il devra prier l’un de ses frères de l’écrire en son nom. — Elle est
située. L’expression «faire pétition au nom des saints dont les reliques sont
dans le monastère» signifie sans doute qu’on prend pour témoins et garants
les saints de l’abbaye, ceux qui font plus spécialement partie de la famille
monastique, qui sont plus présents, qui sont des protecteurs attitrés.
Mais c’est du même coup situer la profession aux yeux de Dieu et des
(1) Peut-être même la promissio chez saint Benoît se faisait-elle (comme chez les
Grecs : ci S. Denys, De Hier, cccl, c. vi. — Euco'.oge <1 s Grecs, td Goar (1647),
p 469, 477 et suiv.) sous forme d’interrogatoire. Cf. D Rothenhacsler Zur Au/·
nahmeordnvng der Regula S. Benedicti, p. 3 — L'admonition de notre Cérémonial,
Dominus nos'er Jésus Christus, et l'interrogatoire qui suit sont empruntés au rituel
ancien de l’Abbé Orderisius du Mont-Cassin (Martène, De ant m >nach rit. 1 V,
c iv. col 640). Suivent quatre splendides oraisons, qui se tro .vint dans le Sacramentaire Grégorien : Ordo ad faciendum monachum.
COMMENT PROCEDER POUR LA RÉCEPTION DES FRÈRES
«i
bienheureux, et même aux yeux des hommes ; car, selon la pensée de nos
pères, de même qu’il n’y a pas de monastère sans église, il n’y a pas
non plus d’église sans reliques : un monastère est le monastère riche do
telles et telles reliques. — Elle est datée, datée surtout par le nom do
l’Abbé présent, de l’Abbé d’alors, cl Abbatis praesentis; c'est sous le gou
vernement de tel Abbé que cette profession a été émise. — Elle est signée.
Le novice y met un signe ou le signe : ce qui indique non pas forcément
le nom, la signature, mais peut-être un signe conventionnel quelconque,
adopté par chacun pour l’attestation de ses actes privés et que pou
vaient tracer les illettrés eux-mêmes. Le « signe » par excellence, très
employé jadis comme signature, c'est la croix. On a signé longtemps la
charte de profession par une simple croix; il en est encore ainsi dans la
plupart des Congrégations de notre Ordre. Pourtant, il y a dans l'anti
quité monastique quelques cas de signatures avec le nom (1). Hildemar
dit que le novice doit écrire son nom, ou bien, si non s: il Ultras,
tracer le signe de la croix en présence des frères (2).
C’est sur l’autel même, sur la pierre où s’offre et s’immole NotrcSeigncur Jésus-Christ, que le novice, même s'il est laïc, signe sa
charte de profession. Et saint Benoît veut que, de sa propre main, il
l’y dépose. Désormais, la promesse et l’offrande du novice sont choses
sacrées. En lin, pour que la pétition résiste davantage à l’usure du temps,
nous l’écrivons sur parchemin, comme tous les actes ecclésiastiques très
importants. Selon N. B. Père lui-même, on la conservera aux archives du
monastère, et on ne la rendra jamais au moine (3).
Quam dum posuerit, incipiat ipse novitius mox hunc versum : Suscipe
me. Apres toutes les garanties juridiques dont nous avons parlé, vient une
prière destinée à en assurer l’efficacité.
N. B. Père, qui connaissait à fond le Psautier, n’a pas trouvé de formule
plus opportune que ce simple verset du psaume cxvin. Le novice est
debout, en face de Dieu. Successivement il s’adresse à chacune des trois
Personnes divines. Et le sens général de sa prière, chantée et rendue
plus expressive encore par les gestes liturgiques, est sans doute celui d’une
affirmation suprême de l’oblation, mais surtout une humble et confiante
demande d’acceptation. Après avoir accompli tout ce qui est en son
pouvoir, le novice supplie le Seigneur de remplir à son tour les engage-
(1) Cf. IIæeten, 1. IV, tract, v, disq. VI.
(2) Nos frères convers signent d’une croix. Les pères de chœur (depuis le 15 août
1840) ajoutent leur nom au-dessous de la croix. Afin qu’aucune supercherie ne soit
possible et pour que le fait de la profession soit certifié d’une manière irri frrg?! !··,
nous avons emprunté à Saint-Maur Γusage de faire suivre la formule de profession
d'un acte dans lequel l’Abbé atteste ce qui s'est passé.
(3) Alors q.i’on remettait à l'affranchi l’acte de vente : Cf. D. Rotuesiuusi.br,
op. cil., p. 16, note 2.
454
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
ments qu’entraîne pour lui le contrat. Ces engagements, c’est de rece
voir, c’est d’accueillir. Dieu a donné sa parole ; sa fidélité est engagée. Le
novice est sûr que Dieu ne se dérobera pas, il ne se défie pas de lui, il
ne prend pas de précautions contre lui. Mais, le front dans la poussière,
il lui demande qu’il en soit bien ainsi et qu’il daigne le prendre pour
fils. Si nous nous dérobons nous-mêmes, le contrat est violé et sans fruit :
Dieu est joué, et nous déçus et frustrés. C’est donc, au fond, contre sa
propre fragilité que le novice entend se prémunir : Suscipe me, Domine,
secundum eloquium tuum, et vivam : el non confundas me al) exspectatione
mea. Faites que je sois réellement « donné » et « reçu », vraiment reçu
parce que vraiment donné, et que l’un et l’autre nous puissions tenir
notre parole. Et mon offrande et la vôtre, tout repose entre vos mains
bénies.
11 semble que la réponse de Dieu ne tarde pas. Elle a d’abord pour
traduction visible l’accueil des frères, l’incorporation à la société des
enfants de Dieu. Cette incorporation se manifeste tout aussitôt après le
chant du premier Suscipe : car tous les frères le reprennent en chœur ; et
ils ne disent point Suscipe eum, mais Suscipe me : il y a donc déjà union
vitale ; et c’est, avec le jeune profès, la communauté entière qui présente
l’oblation. Toute la tradition a entendu le tertio de la Règle dans le sens
d’une triple répétition. Le Suscipe collectif se termine, comme l’a voulu
saint Benoît, par la louange au Père, au Fils et au Saint-Esprit ; il n’est
pas besoin d’insister sur l’à-propos de cette doxologie.
Après des prières conventuelles où sont énumérés les principaux
devoirs du profès et sollicitées toutes les grâces qui permettront d’y faire
face (1), ont lieu la bénédiction et l’imposition des habits monastiques.
La vêture, dont N. B. Père parlera quelques lignes plus bas, s’accomplis
sait chez lui à l’oratoire, sans doute à la fin de la cérémonie. Les usages ont
varié sur ce dernier point ; on l’a rejetée parfois après la Communion.
La vêture a toujours été, nous l’avons dit déjà, partie essentielle du céré
monial de profession ; souvent même elle a suffi à elle seule (2). C’est
avant la vêture que nous chantons, comme à Saint-Maur et ailleurs, le
Veni Creator : elle est donc spécialement confiée, par appropriation, à la
Personne divine qui unit et qui consomme. C’est la prise de posses(1) Remarquer surtout l’oraison Clementissime, que D Guéranger trouvait dans
Martè.ve De ant monach. rit., 1. V, c. rv, col. 648-649, et que celui-ci avait
empruntée à un ancien rituel d’Aniane. Elle peut remonter à une très haute anti
quité; elle fait partie d’un Ordo conversorum dans le Liber ordinum de la liturgie
mozarabe publié par D. Férotin (col. 83-85). — La Préface qui suit se trouve
(sous forme d’oraison) dans l’Ordo romanus d’HrrroRP (De divinis Ecclesiae catholicae
officiis, col 155).
(2) Quid pelis? Benedictionem habitus mei (Cérémonial de la Congrégation anglaise
0. S. B., Downside, 1908).
COMMENT PROCÉDER POUR LA RÉCEPTION DES FRÈRES
455
sion totale par Dieu (1). Aussi chantc-t-on après la vêture l’antienne
Confirma hoc, Deus.
La vêture est la traduction extérieure de la transformation opérée au
dedans : l’homme ancien, l’homme pécheur, a été anéanti; il a fait place
à l’homme nouveau, à celui qui vit de Dieu et pour Dieu : nova creatura.
C’est la restauration, la réédition et l’achèvement de ce qui s’était fait
au baptême; alors aussi on avait donné au néophyte un vêtement
spécial et symbolique. Rationabiliter dici potest, remarque saint Thomas.
quod per ingressum religionis, aliquis consequatur remissionem omnium
peccatorum... Unde legitur in Vitis Patrum quod eamdem gratiam conse
quuntur religionem intrantes quam consequuntur baptizati (2). La tradition
est unanime pour envisager la profession comme un « second baptême «;
et chacun aura profit à rechercher les analogies qui existent entre la pro
fession et le baptême quant aux rites et à la doctrine (3).
L'habit monastique signifie l’état d’innocence parfaite et d’enfance
spirituelle (4) : Sint ei operimentum peccatorum suorum, dit l’une des
oraisons de vêture; il signifie la vie de Notre-Seigneur Jésus-Christ
nous pénétrant, nous enveloppant entièrement : Quicumque enim in
Christo baptizali estis, Christum induistis (Gal., in, 27) : c’est surtout
la coule qui symbolise cette grâce unique et l’appartenance à. la société
des parfaits dont on portera désormais les livrées. L’habit est tout
ensemble indice de cette appartenance, et procédé, instrument d’iso
lement du monde, fortisque armatura ac tuta defensio, dit encore le
rituel. 11 symbolise enfin (on le voit mieux dans le cérémonial de la
consécration des Vierges) l’ornement et la parure de l’âme épouse;
car la profession peut aussi être envisagée comme une fête nuptiale.
Et de même qu’en remettant la robe blanche au baptisé, l’Église l’in
vitait à la garder sans tache jusqu’au jour des noces éternelles, l’Abbé
demande de même pour le jeune profès : Ad caeleste convivium suavis
simi Sponsi, Domini Nostri Jesu Christi, perenniter regnaturus, eum
nuptiali veste delectabiliter introduci.
La tradition monastique veut que le profès garde la coule (et autre-
(1) Nous pouvons noter toutefois que l’insertion du Leni Creator à cette place sur
prend un peu : et historiquement, c’est un usage relativement récent (ci. pourtant
les Statuts do Lanfranc : Martêxe. De anl. monach. rit., L V, c. rv, col. 647).
(2) o'. Th., IL ID,q. cLxxxix.a. 3. —On lit dans un Sermon attribué à Fauste de
Riez : Abrenuntianti publica poenitentia non est necessaria, quia conversus ingemuit
et cum Deo aclemum pactum inivit. Ex illo igitur die non memorantur ejus delicta
quae gessit in saeculo, in quo facturum se justitiam de reliquo promiserit Deo (P. L,
LVIII, 875-876).
(3) Cfr. Religiosae Professionis valor salisfaclorius constanti traditione necnon et intrin
secis praecipuis quibusdam argumentis defensus, auct. Roberto Collette, o. c. —
Sur Ιο « nom nouveau » donné aux profès, voir Hæften, L IV, tract vm, disq. n,
ni et IV.
.
. Λ· ri '
(4) Voir Cassien, Inst., I, ni.
T(
456
COMMENTAIRE
SUR
LA
REGLE
DE
SAINT
BENOIT
fois il demeurait couvert du capuchon) pendant les jours qui suivent
immédiatement ce second baptême : ainsi les nouveaux baptisés
conservaient-ils quelque temps leurs vêtements blancs et le bonnet ou
le bandeau (1). L’Abbé découvrait la tête au temps marqué ; ct toujours
comme au baptême, c’était une petite cérémonie liturgique, qui avait
lieu d’ordinaire à l’église, après la Messe conventuelle, quelquefois au
chapitre.
Le Seigneur a donc « adopté » le profès ; celui-ci appartient désormais
à la famille de Dieu. Mais la famille de Dieu, c’est, avec la société des
trois Personnes, celle des membres de Notre-Seigncur Jésus-Christ, c’est
l'Ëglise. Le baptême nous a faits tous« un » dans le Christ ; la profession,
à son tour, nous agrège à la société de ceux qui sont spécialement voués
à Dieu, et entre lesquels il y a. comme dans la primitive Église, com
munauté de biens, de prières, de travaux. Le Suscipe me du convent
manifestait déjà, nous l'avons dit. cette union ; mais saint Benoît
a voulu qu’il y eût un rite formel d'adoption au sein de la famille
monastique. Et de même qu’au jour du baptême c'est en devenant
enfants de TÉglise que les hommes deviennent enfants de Dieu et
HIH
7C“
tmmient à la vie surnaturelle : de même aussi, le jour de
la profession, c'est en devenant enfants du monastère qu’ils participent
à la vie surnaturelle parfaite. Lorsque le profès a sollicité la prière de
l’Abbé et reçu de lui le baiser paternel, les moines viennent tous em
brasser l’élu, qui leur demande, selon le texte même de la sainte Règle,
de prier pour lui ; et ils lui répondent un cordial Proficiat (2). Tandis
qu’à Saint-Maur et partout ailleurs le profès passait dans les stalles pour
cette cérémonie, au Mont-Cassin les frères venaient à lui, et c’est à genoux
qu'on se donnait la paix, pour bien marquer le respect surnaturel et
la sainte tendresse de tous ces consacrés. Tel est aussi notre usage (3).
La profession est achevée. Selon le rite attesté par les plus anciens
documents, par exemple chez Paul Diacre et Hildemar, le néophyte se
prosterne devant l’autel, « tout enveloppé » dans sa coule, notent des
(1) Ci. Théodore de Cantorbéry, Poenilent., in. P. L., XCIX, 928. — Paul Diacre
(Comm, in cap. lviii) y tient beaucoup et parle de huit jours. Le concile d’Aixla-Chapelle de 817 prescrit trois jours seulement (cap. xxxv. Mansi, t. XIV, col. 396).
(2) On trouve les deux formules : Ora pro me, pater, et Proficiat tibi, /rater, dans un
rituel manuscrit de Corbie cité par Martène (De ant. monach. rit., 1. V, c. iv, col, 654
et 1)55). —Quant au baiser de paix, dont ne parle pas saint Benoit, il est mentionné dans
la Rt'j'.e du Maître (VIII* s.), dans le Pontifical d’Alet (IXe s. : Martène, De ant.
Etc!. rit., 1. Il, c. n. T. Il, coh 454), dans Hildemar, etc.
(3) On chante pendant cette cérémonie le psaume xivn, antiphoné par son verset
Suscepimus, Deus, cher à saint Benoît (c. lui», et le cxxxn®, le psaume par excellence
de la fraternité monastique (lire l’Enarration de S. Augustin sur ce psaume). —
Tous deux sont indiqué- au Pontifical, encadrant le Miserere, pour la bénédiction
d'un Abbé non profis.
COMMENT PROCÉDER POUR LA RÉCEPTION DES FRÈRES
457
rituels, comme celui de Saint-Maur. Mortui estis ct vita vestra est abscondita
cum Christo in Deo (Col., nr, 3). Consepidti sumus cum illo per bapt:smum in mortem (Rom., vt, 4). C’est afin de traduire de façon expressive
cette idée de mort que la coutume monastique moderne (1) a imaginé
d'introduire la cérémonie du drap mortuaire et des cierges allumés.
D. Guéranger s’est excusé, dans ses conférences, d’avoir conservé un
usage «dont les fidèles tirent quelque édification», mais qu’il reconnais
sait un peu trop théâtral et susceptible de faire mal comprendre ce qu’a
produit réellement la profession. 11 n’y a pas là, en effet, que le cadavre
du vieil homme : il y a aussi et surtout un vivant, un renouvelé; il y a
une hostie vivante, « une hostie pure, sainte et immaculée », réunie ;·.
celle de l’autel, présentée ct acceptée comme elle, enveloppée par b.·
diacre dans un même parfum d’encens.
Et la Messe continue. Immobile et silencieux comme l'Agneau de
Dieu, le jeune profès se laisse immoler et consommer mystiquement
pai le Pontife éternel. Ah ! la douce Messe l Ah ! la douce couununion !
Toute la vie monastique devrait ressembler à cette Messe de la pro
fession. Supplices le rogamus, omnipotens Deus, jube haec perferri, per
manus sancti Angeli tui in sublime altare tuum, in conspectu divinae
Majestatis tuae... Puis c’est le Pater, un appel à la Tendresse, à la Beauté,
à la Pureté incréée, une demande tranquille et complète. La sainte com
munion achève l’illumination baptismale : de même le profès doit, con
formément à nos plus anciennes coutumes, recevoir le Corps et le Sang
du Seigneur ; et, toujours comme les néophytes, il communiera chaque
jour de sa période in albis.
Enfin le jeune profès est mis officiellement en possession de sa stalle, au
chœur. C’est la consécration des droits acquis par la profession ; désormais
le moine gardera le rang que celle-ci lui assigne. Sa vraie place est donc
maintenant au chœur : c’est pour la Louange qu’il a été choisi et bénit.
A la moniale, le Prélat fait meme une tradition solennelle du livre de l’< ffice
divin. Cependant, notre Cérémonial, d’accord une fois de plus avec la tra
dition, veut que pendant trois jours le néophyte ne remplisse seul aucune
fonction du chœur. Autrefois même, il gardait un complet silence, caché
nuit et jour dans sa coule, s’entretenant avec le Seigneur (2).
(1) Par exemple, le rituel de Saiut-Maur de 1666. H faut reconnaître que chei
Paul Diacre on chantait sur le profès le Miserere, le De profundis ct, ajoute ce com
mentateur, caeleros psalmos qui ad hoc pertinent. Voir aussi Hildemar, tn h. I. —
Nous chantons les Litanies des saints et elles sont prescrites auss par les rituels
d’autres Congrégations C’est une imitation de ce qui se fait aux ordina i «as et lors
de la consécration des vierges. Saint Benoît s’était borné à écrire : utorenl pro eo;et
il semble que primitivement, ces prières comprirent quelques psaumes puis les lita
niae la supplicatio litaniae, c’est-à-dire le Kyrie eleison répété, une série de versets
et de répons et enfin l’oraison. (Voir Paul Diacre et Hildemar.)
(2) Le Cérémonial actuel de la Congrégation anglaise porte encore que, pendant
ces trois jours, les je .nés profès ne peuvent s’entretenir qu’avec leur confesseur.
COMMENTAIRE SUR LA REGLE DE SAINT BENOIT
Res si quas habet, aut eroget prius pauperibus,
aut facta solemniter donatione, conferat monasterio,
nihil sibi reservans ex omnibus : quippe qui ex illo
die nec proprii corporis potestatem se habiturum
sciat. Mox ergo in oratorio exuatur rebus propriis
quibus vestitus est, et induatur rebus monasterii. Illa
autem vestimenta quibus exutus est, reponantur in
vestiario conservanda, ut si aliquando, suadente dia
bolo, consenserit ut egrediatur de monasterio (quod
absit), tunc exutus rebus monasterii, projiciatur.
Illam tamen petitionem, quam desuper altare Abbas
tulit, non recipiat, sed in monasterio reservetur.
— Que va faire le moine de scs
biens, s’il en a? N. B. Père y pourvoit en terminant le chapitre, et ses
prescriptions sont l’écho de l’enseignement des anciens (1).
Eroget prius : c’est-à-dire avant la profession, ou l ien avant l’imposi
tion des vêtements monastiques dont il sera parlé bientôt. De ses biens
présents, de ses biens futurs, le candidat peut et doit disposer librement.
Il a le choix entre les bénéficiaires : on ne lui demande (pie de rendre
sa désappropriation complète et définitive, sans se rien réserver ni au
dedans ni au dehors, sans s’assurer le bénéfice de petites pensions. Toutes
les Règles monastiques ont insisté avec force, nous le savons, sur l’incom
patibilité d’une possession quelconque avec la vraie vie religieuse.
Saint Benoît ne dit mot des parents. Il ne semble pas que les anciens
fussent très partisans de ces donations à la famille. Saint Césaire, par
exemple, s’en explique dans sa deuxième Lettre ad Caesariam Alba
Dispositions
relatives aux biens.
ti) Qui si susceptus fuerit, non solum de subsimilia quam intulit, sed etiam nec de
seipso ab iUa judicabit hora. Nam si aliquid prius erogavit pauperibus, aut veniens
tn cellulam aliquid intulit fratribus, ipsi tamen non est licitum ut aliquid habeat in
sua potestate (S. Macar., Reg., xxiv). Et S. Césajre : Vestimenta laîca non ci mutentur
nisi antea de facultate sua chartas venditionis suae faciat, sicut Dominus praecepit dicens :
ό'ί vis perfectus esse, vade, vende omnia quae habes, da pauperibus, et veni, sequere me.
Cate si non vult vendere, donationis chartas, aut parentibus, aut monasterio faciat,
dummodo liba sit; et nihil habeat proprium. Si vero pater ejus aut mater vivat et non
habet potestatem faciendi : quando illi migraverint, cogatur facere. Quaecumque secum
exhibuit Abbati tradat; nihil sibi reservet; et si aliquis de propinquis aliquid trans
miserit, offerat Abbati. Si ipsi est necessarium, ipso jubente habeat; si illi necesse non
est, tn commune redactum cui opus est tribuatur (Reg. ad mon., i ; cf. Reg. ad virg., iv).
— Voir aussi : S. Basil., Reg. fus., νπι-ιχ ; Reg. conlr., rv-v. — S. Aug.. Episl. LXXXIII.
P. L., XXXIII, 291 sq. — Cass., Inst., IV, in-vi.
COMMENT PROCÉDER POUR LA RÉCEPTION DES FRÈRES
159
tissant (1). La profession monastique consacre au Seigneur l'homme tout
entier ; ses biens font, en quelque sorte, partie de lui : le meilleur usage
qu’en puisse faire le candidat est donc de les offrir tous à Dieu
dans la personne de ses pauvres. C’est le conseil formel du Seigneur :
Vende... et da pauperibus; et c’est ce à quoi songe d’abord saint Benoit ;
aut (roget prius pauperibus. Évidemment, si les parents sont dans le
besoin, c’est par eux que devront commencer les largesses. Il est légitime
aussi de songer au monastère :1e monastère est de notre parenté, le monas
tère est pauvre. Aussi N. B. Père, sans prétendre qu’il faille rien réclamer
du candidat ou de sa famille, sans négliger d’insinuer ici et au chapitre
suivant qu’il faut se comporter en tout ceci avec beaucoup de mesure,
est-il moins sévère que Cassien et saint Basile : le premier veut que l’on
n’accepte rien du novice, l’autre ne parle que de donation faite aux
pauvres et déconseille de rien accepter des parents (2).
La tradition monastique s’est conformée à la pensée de N. B. Père
et à sa réserve. Il est curieux d’entendre le petit dialogue qui s’engageait,
chez Paul Diacre et chez Bildemar, entre l’Abbé et le novice (3).
Dans l’usage actuel, une pension durant le noviciat est permise, mais
nullement exigée. On peut n’apporter que sa « bonne volonté », comme
dit le fondateur de Cluny. La dot des moniales est souvent condition
sine qua non de la subsistance du monastère, et cet usage est approuvé
par le Saint-Siège. Mais l’Église, tout en reconnaissant aux monastères
le droit d’agréer les donations de ceux qui vont faire profession, a tou
jours pris soin de prévenir toutes manœuvres et conventions simoniaques.
Le concile de Trente (4) détermine l’époque où le novice doit disposer
de ses biens : c’est deux mois seulement avant la profession, — deux
mois, aujourd’hui, avant la profession solennelle.
La donation prescrite par saint Benoît semblerait, d’après la Règle,
avoir lieu au cours même de la cérémonie de profession. Mais le texte
peut s’entendre autrement. Il n’est pas impossible d’ailleurs que, toutes
choses ayant été réglées d’avance, on affirmât solennellement, an cours
de la profession, vouloir disposer de ses biens de telle et telle manière ;
peut-être faut-il entendre ainsi un passage de la Régi? du Maître (ô).
(1) P. L., LXVII, 1133.
(2) Ueg. fus., ix : Reg. brev., ccciv. — Cass., 7ns/., IV, rv.
(3) L’Abbé ayant rappelé au novice le Vende onmia tua : Si ille dixerit : quia fn
hoc monasterio volo tribuere; tunc dicat illi Abba : Frater, Deo adjuvante, nobis non
est necessaria tua res; eo quod nostra indigentia habemus unde suppleatur. Sunt enim
alii pauperiores nobis, aut etiam monasteria, vel certe parentes tui forte plus sunt pauperes
quam nos, et ideo melius est ut pro merccde illis tribuas qui plus indigeni quam nobis.
Si autem ille dixerit : quia volo pro mercede animae meae magis in hoc monasterio tri
buere quam alteri dare: tunc donare debet rem suam aut pauperibus aut in monasterium
(Pauli Diac. Comm in cap. lvhi).
(4) S ss. XXV. De Regularibus et monialibus, c, xvl
(5) Cap. lxxaix.
■
1
460
COMMENTAIRE
SUR
LA
RÈGLE
DE
SAINT
BENOIT
Saint Benoît demande que, s’il s’agit, de donation au monastère, elle
se fasse dans les formes juridiques reçues, afin qu’il conste clairement
de l’intention du donateur, afin que l'appui de la loi soit assuré, afin
qu’on puisse défendre le monastère contre les évictions et les procès.
Le Maître veut que l’acte de donation, dressé lors de l’entrée du candidat,
soit contresigné par les religieux témoins, l’évêque, le prêtre, le diacre,
les clercs du lieu, et déposé sur l’autel (1). D. Alartène a établi que ce
fait de placer sur l’autel les chartes de donation n’est pas un cas isolé (2) ;
il nous reste quelques-unes des formules employées (3). Xihil sibi reser
vans... : saint Benoît s’était déjà exprimé à peu près dans les mêmes
termes au chapitre ΧΧΧΙΙΓ, et nous avons alors expliqué sa pensée.
Mox ergo... Afin de réaliser complètement et de traduire à l’extérieur
cette incapacité foncière, le nouveau profès est dépouillé, dans l’oratoire
même, de ses vêtements séculiers et revêtu de ceux du monastère. Par
conséquent, le noviciat se faisait bien, au temps de saint Benoît, sous
l’habit séculier, comme nous l’avons noté plus haut. Saint Benoît utilise
ici encore des textes de saint Pacôme et de Cassien (4); comme eux, il
veut que les vêtements du siècle soient déposés au vestiaire. Sans doute
ils. ne demeureront pas en réserve indéfiniment, car, en cas de désertion,
on pouvait aisément leur trouver un équivalent.
Ces sorties du monastère, en dépit du vœu de stabilité, se produisaient
alors assez souvent pour que saint Benoît ait songé à déterminer com
bien de fois on consentirait à recevoir celui qui est sorti ou qui a été rejeté
par sa faute (chap. XXIX). Pour certaines natures violentes, la tenta
tion était assez forte pour qu’on prît contre elles des précautions utiles.
H n’est pas rare de rencontrer dans les anciens rituels de profession
la demande que les candidats adressent à l’Abbé de les verrouiller soli(1) Cap. lxxxvh, lxxxlx. Lorsque le frère dépose son acte sur l’autel, il doit dire :
Eccc, Domine, cum anima mea cl paupertate mea, quidquid mihi donasti libi reconsigno
el offero, cl ibi volo ul sini res meae ubi fuerit cor meum et anima mea : sub potestate
tamen monasterii cl Abbatis, quem mihi, Domine, in vice tua timendum praeponis...,
unde quia per eum nobis tu omnia necessaria cogitas, ideo nihil nos oportet peculiare
habere, quia tu nobis de omnibus es idoneus et in omnibus sufficis solus; ul jam nobis
vivere et spes Christus sil et mori lucrum.
(2) Comment tu h. L
(3) Par exemple, celle que cite De Rozière dans son Recueil général des formules
usitées dans ΓEmpire des Francs du Ve au Xe siècle I' P., n* exeni).
(4) Tunc nudabunt eum vestimentis saecularibus el induent habitu monachorum...
Vestimenta autem quae secum detulerat, accipient qui huic rei praepositi sunt, et inferent
m repositorium et erunt in potestate principis monasterii (S. Pach., Reg., xlix). — In
concilio fratrum productus m medium exuatur propriis, ac per manus Abbatis induatur
monasterii vestimentis... Illa tero quae deposuil vestimenta oeconomo consignata tamdiu
reseciantur donec profectus cl conversationis ejus ac tolerantiae virtutem... evidenter
agnoscant. El siquidem posse eum inibi durare tempore procedente perspexerint..., indi
gentibus eadem largiuntur. Sin vero..., exuentes eum monasterii quibus indutus fuerat
vestimentis el rercstiiuni antiquis quae fuerant sequestrata depellunt... Deposita monasterii
veiU pellatur (Cass., Inst., IV, v-vx).
COMMENT PROCÉDER POUR LÀ RECEPTION DES FRÈRES
4M
dement le jour où le diable les solliciterait à quitter le monastère, ou de
les ramener de force s’ils ont déserté. LWbbé avait à sa disposition un
code pénal et des prisons. Mais N. B. Père n'a point p.escrit de con
trainte ni de coercition contre le fugitif; pourtant, il ne lui laisse pas
emporter, on ne sait où, le vêtement de la sainte profession ; le fuyard
n'y a plus droit ; le porter dans le siècle ferait scandale; et saint Benoit
veut, éviter aussi qu’il se prévale de son habit, comme les gyrovagucs,
pour être accueilli dans un autre monastère. Le Droit car.on a fixé la
discipline relative aux expulsés et aux sécularisés; il a conservé la règle
monastique qui leur interdit le port de l’habit religieux.
On rend donc, dit saint Benoît, la vieille dépouille séculiè.e : mai;
on ne rendra jamais cette chose que le déserteur vmdrait peut-être
emporter ou lacérer : sa charte, sa charte recueillie par l’Abbé sur l’autel
du Seigneur, et qui témoignera éternellement en faveur des droits de
Dieu, contre le violateur du contrat.
DE
L OBLATION
DES
FILS
DE
NOBLES
OU
DE
PAUVRES
Le chapitre précédent décrivait la réception des adultes ; celui-ci nous
parle de la réception des enfants. Il no s’agit point des enfants accueillis
dans le monastère comme alumni temporaires, à dessein d’y faire leur
éducation, mais bien des enfants donnés pour jamais et consacrés à la
vie religieuse. Ces dispositions de la Règle n’ont plus aujourd’hui d’ap
plication, la discipline ancienne ayant été modifiée, et le concile de Trente
n’admettant plus comme valides les professions émises avant seize ans
accomplis. Mais il importe, pour apprécier sainement la question de fait
et la question de droit, la question historique et la question doctrinale,
de ne se point laisser décevoir par les préjugés que créent la législation
actuelle et surtout la diminution du sens religieux (1).
L’usage, pour les parents, de consacrer leurs enfants à Dieu remonte
très haut dans l’histoire de l’Ancien Testament. Sans parler de l’oblation
extraordinaire d’Abraham, ni même du vœu de Jcphté (Jud., xi), on
11044
sait comment
le petit Samuel fut présenté au Temple et consacré par
Anne, sa mère (I Reg., i) ; ce fut aussi l’histoire de saint Jean-Baptiste
et celle de Notre-Dame. Et même, d’une façon générale, c’était une
loi chez les Juifs que le premier-né appartînt au Seigneur, à moins qu’il
ne fût «racheté» par ses parents. D’autre part, les droits du père de famille
étaient quasi souverains dans la société antique. L’apôtre saint Paul
expose tranquillement les droits que possède le père à marier sa fille,
s’il le veut, ou bien à la consacrer au Seigneur : Nam qui statuit in corde
suo firmus, non habens necessitatem, potestatem autem habens suae volun
tatis, et hoc judicavit in corde suo servare virginem suam, bene jacit (I Cor.,
vn, 37). Vouer sa fille à la virginité ne semble pas à l’Apôtre constituer
un attentat à la vraie liberté individuelle ; c’est un esclavage que ne
pouvait redouter beaucoup celui qui osait conseiller aux esclaves chré
tiens de demeurer dans leur état, qu’au lieu de rechercher l’affranchis(1) Lire, avec les divers Commentaires, Ménard, Concord. fiegul., in h. I
-"
Mabillon, Acta SS. O. S. B., Saec. IV, P. IÏ, Praef., 199 ; Saec. VI,
L IV, tract r. —
P. I. Praef., 3636. Vetera Analecta, p. 155-158. — Thomassin, Ancienne et nouvelle
discipline de Γ Eglise, P, 1, L III, chap, lvi-lix.
DE L’OBLATION DES FILS DE NOBLES OU DE PAUVRES
»A3
pernent il fallait plutôt servir avec conscience et avec cœur : Servus
vocatus es? non sit tibi curae; sed et si potes fieri liber, magis utere
(I Con., νπ, 21). Servi, obedite dominis camalilnts cum timore et tre
more, in simplicitate cordis vestri, sicut Christo,... cum bona voluntate
servientes, sicut Domino et non hominibus (Ephes., vi, 5, 7).
Il semblait tout naturel aux premiers chrétiens d’oflr'ir leurs enfants
aux monastères. C’est un usage « qu’on trouve un peu partout en Egypte,
en Thébaïde, en Palestine, en Syrie et en Asie Mineure », dit l’auteur
des Moines (TOrient, qui cite plusieurs témoignages intéressants (L).
Sans doute il y eut parfois des abus et des inconvénients dans ces pro
fessions précoces, car saint Basile, tout en maintenant le principe de
l’admission des enfants, exige qu'on no leur fasse émettre profession
qu’à l’âge où ils pourront agir en toute connaissance et liberté (2). Saint
Benoît, qui s’est inspiré pour plus d’un point de cette page célèbre sur
l’accueil et l’éducation des enfants, n’a pas néanmoins accepté tout en
bloc ; et spécialement il n’a pas cru devoir adopter la réserve de saint
Basile au sujet de l’âge de la profession ni s’écarter de la coutume occi
dentale.
En Occident, en effet, et bien avant N. B. Père, des parents enga
geaient leurs petits enfants dans une vie religieuse perpétuelle. lin
passage d’une lettre de saint Augustin, cité par Thomassin (3) en
faveur d’une discipline analogue à celle de saint Basile, ne nous parait
pas bien concluant. Rien ne prouve non plus que les petites oblates
dont parle saint Jérôme dans les lettres citées par le même auteur, no
fussent pas consacrées à jamais : Adhuc infantiae involuta pannis, est-il
dit d’Asella, et vix annum decimum aetatis excedens, honore futurae
heatitudinis consecrata est. Saint Césaire permet aux moniales d’accueillir
des filles à partir de six ou sept ans ; et il est à noter qu’il ne s’agit pas
seulement d’enfants destinées à recevoir au monastère une bonne éduca
tion (4). Saint Grégoire de Tours parle de ces oblations et de celles
des esclaves par leurs maîtres, comme d’un vieil et commun usage (5).
Le Ve concile d’Orléans (549) (6) reconnaît que les filles entrent dans la
vie religieuse, ou bien propria voluntate, ou bien offertes par leurs parents ;
et le Ier concile de Mâcon (583) excommunie les oblates qui abandonne
raient le monastère (7). Les enfants voués à la cléricature étaient mis
(1) Chap, v, p. 121.
(2) Reg. fus., xv. Cf. Reg. contr., vu.
(3) Ancienne et nouvelle discipline de l’Eglise, P. I, L III, chap, ιλί, nn xil
(4) Reg. ad virg., v.
1 ;.
(5) In gloria martyrum, 75. M. G. II. : Script, rer. merov.. t. I. p. 538 In gloria
confessorum, 22. M. G. H. : ibid., p. 7G2, De virtutibus 8, Martini, u, 4. M. G. H. :
ibid., p. 610-611.
i'
(6) Can. xix. Mansi, t IX, col. 133.
(7) Can, ΧΠ. Mansi, t, IX, col. θ34.
464
COMMENTA IRE
SUR
LA
REGLE
DE
SAINT
BENOIT
en demeure, en temps voulu, soit de faire vœu de continence, ce qui
leur permettait d’avancer aux Ordres sacrés, soit de prendre femme,
ce qui les maintenait dans les Ordres inférieurs (1). Voyons maintenant
le texte de la sainte Régie.
De
filiis nobilium vel pauperum qui offeruntur.
—
Si quis forte de nobilibus offert filium suum Deo in
monasterio, si ipse puer minori aetate est, parentes
ejus faciant petitionem quam supra diximus. Et cum
oblatione ipsam petitionem et manum pueri invol
vant in palla altaris, et sic eum offerant.
Les nobles dont parle ici N. B. Père, ce sont les riches : il s’est exprimé
selon le langage courant ; encore que bien des nobles par naissance soient
pauvres, note Hildemar, et des roturiers fortunés. Peut-être saint Benoît
Eongeait-il, en écrivant ces lignes, à la démarche d’Eutychius, le père de
saint Maur, et de Tertullus, le père de saint Placide (2).
Saint Benoît suppose que l’enfant est trop petit pour écrire lui-même
sa pétition, c’est-à-dire sa charte. Dans les Coutumes, cette estimation
de l’âge oscille entre dix et quatorze ans. C’est aux parents (c’est-à-dire,
selon les commentateurs et selon l’usage, au père et à la mère, à la mère,
si le père est mort, parfois à d’autres parents ou au tuteur) (3), — c’est
aux parents qu’il appartient de promettre pour leur fds stabilité, con
version des mœurs et obéissance ; c’est à eux que revient le soin de rédi
ger la pétition quam supra diximus : et ces seuls mots suffiraient pour
établir qu’il s’agit d’une vraie profession, d’une profession aussi sérieuse
que celle des adultes, et formulée à peu près dans les memes termes (4).
La charte est posée sur l’autel avec l’offrande, c’est-à-dire avec le
pain et le vin offerts pour le sacrifice, et dont l’enfant lui-même ou ses
parents présentaient leur part. Nous sommes donc ici encore à l’oratoire
et à la Messe. L’offrande, la pétition et la main de l’enfant sont envelop
pées dans la « nappe de l’autel ». S’agit-il de ce que nous appelons aujour
d’hui le corporal, lequel, beaucoup plus ample autre'ois, était probable
ment l’unique nappe de l’autel? Ou bien s’agit-il, selon l’explication de
(1) Condi. III. Carthag. (397), can. χιχ. Mansi, t. III, col. 883. — Tolet. II (527),
can. i. Mansi, t. VIII. col. 785. — Fasense III (529), can. i. Mansi, t. VIII, col 726,
(2) S. Greg. M., Dial., 1. H, c. ni.
1)111
(3) Cf. Map.têne, Comment
in h. I., p. 784.
(.4) On trouvera des types de ces pétitions (postérieurs à sa'nt Benoît) dans Mabillon,
Vêlera Analecta, p. 155-158; Martène, Comment, m h. L, p. 785 ; L, Delisle,
LiUtralure latine cl histoire du moyen âge, p. 9-16 ; etc.
___________________________________
DE L’OBLATION DES FILS DE NOBLES OU DE PAUVRES
V65
Paul Diacre, du voile qui enveloppait l’ofîrande (1)? Comme le remarque
N. B. Père à la fin du chapitre, il doit y avoir des témoins·, et on
trouve leurs nombreuses signatures au bas des chartes qui noua ont été
conservées. La même recommandation était faite par saint Basile (3).
De rebus autem suis, aut in praesenti petitione
promittant sub jurejurando, quia numquam per se,
numquam per suspectam personam, nec quolibet
modo ei aliquando aliquid dent, aut tribuant occa
sionem habendi. Vel certe, si hoc facere noluerint,
et aliquid offerre voluerint in eleemosynam mona
sterio pro mercede sua, faciant ex rebus quas dare
volunt monasterio donationem, reservato sibi (si ita
voluerint) usufructuario. Atque ita omnia obstruan
tur, ut nulla suspicio remaneat puero, per quam
deceptus perire possit (quod absit), quod experi
mento didicimus.
Comme au chapitre LVIII, après les dispositions relatives à la personne,
viennent les dispositions relatives aux biens. L’enfant est devenu moine;
sa profession est définitive et non simplement provisoire, non fictive ou
dans le seul désir des parents. L’enfant est pauvre, absolument pauvre,
et pour toujours. Il importe donc de régler la question, non pas de ses
biens présents, — il est trop petit pour en posséder, — mais des biens qui
ont chance de lui venir un jour de sa famille. Il faut combiner les choses
de telle sorte, dit avec énergie saint Benoît, que toute issue vers le monde,
à l’occasion de ces biens, lui soit fermée; il faut fermer tout accès
à la pensée que ces biens pourraient lui échoir s’il retournait dans le
siècle. Si l’oblat pouvait un jour se croire propriétaire à un titre quel
conque, il courrait risque d’être déçu par ce mirage et de glisser jusqu'à
l’apostasie et la perdition (3). A Dieu ne plaise ! s’écrie N. B. Père ; mais
nous avons appris par expérience que de tels malheurs arrivent (4).
(1) Comment, in h. I.
.
«j
jg bJI
(2) Oportet infantes voluntate et consensu parentum, immo ab ipsis parentibus oblatos,
sub testimonio plurimorum suscipi; ut omnis occasio maledicti gratia excludatur homi
num pessimorum (Reg. conir., vu).
j
(3) Cassien disait du moine qui aurait conservé quelque ressource dans le monde :
Sed ubi primum exorta fuerit qualibet occasione commotio, fiducia stipis illius anima
tum. continuo de monasterio ttlui funda rotante fugiturum (ïnsL, IV, iu).
(4) Quod omnimodis observari debere, mullis sunt experimentis frequenter cdoctit
39
466
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
Les infractions à la loi de pauvreté constituent un danger pour tous
les moines; mais les conditions mêmes dans lesquelles reniant est voué
à la pauvreté exigent que la question pécunaire soit réglée avec une
prévoyance spéciale. Les parents s’engagent sous serment, et par une
formule qui fait corps avec la pétition susdite, à ne jamais rien donner
par eux-mêmes, jamais par personne interposée, d’aucune façon et quoi
que ce soit, enfin à ne fournir à l’enfant aucune occasion de posséder :
toutes les hypothèses sont épuisées ; N. B. Père s’exprime en juriste.
C’est déshériter purement et simplement l’enfant ; telle est la première
ligne de conduite que saint Benoît propose aux parents. Il en suggère
une autre, mais très discrètement, comme au chapitre précédent pour les
adultes. S’ils ne veulent pas, dit-il, agir ainsi, c’est-à-dire jurer que
leur fils n’aura jamais part à leur fortune, qu’ils joignent dès maintenant
à son oblation quelques biens qui seront comme sa part d’héritage; de
même que l’adulte s’offre, s’il lui p’aît, avec ses biens, l’enfant est donné
avec ce dont les parents consentent à se dessaisir. Mais ce n’est réelle
ment qu’une aumône offerte au monastère : pro mercerie sua, en échange
de ce que le monastère fait pour leur fils ; ou bien, selon l’interprétation de
Paul Diacre et de beaucoup d’autres : pro mercede animae suae, pour le
salut et le rachat de leur âme. On aura soin d'établir un acte de donation
en bonne et due forme; et les parents se réserveront, s’ils le veulent,
l’usufruit des biens abandonnés. Nous avons observé déjà que saint Benoît,
saint Basile et Cassien redoutaient ces dons faits au monastère.
Similiter autem et pauperiores faciant. Qui vero
ex toto nihil habent, simpliciter petitionem faciant,
et cum oblatione offerant lilium suum coram te
stibus.
Saint Benoît range les parents des oblats, au point de vue de la fortune,
dans trois classes : les nobles ou les riches, ceux qui ont moins de res
sources, ceux qui ne possèdent rien. Les pauperiores observeront les
mêmes prescriptions que les riches. Quant aux pauvres gens, dont les
fils sont reçus eux aussi avec empressement et affection, ils devront
simplement écrire ou faire écrire la charte, et présenter leur enfant avec
Γoffrande du pain et du vin, devant témoins (1).
remarquait aussi Cassien. mais à propos des désagréments que peut susciter au monas
tère l’acceptation des biens du candidat (Inst., IV, iv).
(1) Nous savons par le chapitre n que la profession religieuse n’était point inter
dite aux esclaves. On exigeait sans doute le consentement préalable du maître, ou
l’afiranchissement, comme le prescrit le concile de Chalcédoine (451) (can. τν. Mansi,
t, Vil, col, 374). Voir aussi la Lettre de Gélase aux évêques de Lucanie (c. xiv. Mansi,
DE
L’OBLATION
DES
FILS
DE
NOBLES
OU
DE
PAUVRES
467
Après X. B. Père, la même ligne de conduite est suivie relativement aux
oblats. En Occident, saint Isidore, le Maître et d'autres les admettent (1).
Des conciles légifèrent à leur sujet. Le IVe de Tolède par exemple, en 683,
décrète : Monachum aut paterna devotio aut propria processio facit;
quidquid horum fuerit alligatum, tenebit. Proinde his ad mundum reverti
intercludimus aditum et omnem ad sacculum interdicimus regressum (2).
Saint Grégoire 11 (715-731), dans une lettre à saint Boniface, déclare
(pic l’oblat n’a plus la liberté de se marier (3). S’il y eut, au début du
neuvième /iïvle. une tendance à sc rapprocher de la discipline orientale,
e'e t (pie des abus s’étaient glissés dans l’usage de l’oblature : certaines
famille- y trouvaient un procédé commode pour se débarrasser honnête
ment d’enfants ma’ingies, boiteux, chétifs, pour caser des cadets sans
espoir de situation mondaine. Le relâchement s’introduisait par là dans
les monastères. Sans interdire aux parents d’oiïrir les enfants non infirmes,
des conciles (par exemple celui d’Aix-la-Chapelle de 817) (4) décrétaient
que les oblats confirmeraient leur profession par un acte personnel,
lorsqu’ils seraient en âge de l’accomplir. Mais il s’en faut que ces déci
sions aient été observées partout. Le concile de Worms de 868 (5) oblige
encore les oblats à demeurer toujours au monastère; et dans la seconde
moitié du neuvième siècle on constate que l’ancien usage a repris le
dessus.
*JIJi
A Clunv,
* les oblats étaient nombreux, et les Coutumes fournissent
à leur sujet de jolis détails. On les traitait comme de vrais religieux;
et s'il était de règle qu’à leur quinzième année ils lussent leur charte
et fussent bénits avec tout le cérémonial de la profession des adultes,
cela ne prouve aucunement qu’on ne considérât point leur engagement
comme irrévocable dès la première heure. C’est même précisément parce
qu’ils étaient regardés comme profès qu’on ne leur donnait pas de nou
veau la coule à quinze ans. On trouve les mêmes usages àFarfa, au Bec
et ailleurs (6). La preuve que Cluny entendait bien l’oblature comme
créant un lien sérieux et définitif entre l’enfant et le monastère, c’est
(pic Cluny ne sc résigna point à laisser le parent de saint Bernard, Robert,
t. VIII. (·(■]. 11).
S. Basile fReg: fus., xi). Les maîtres offraient parfois leurs esclaves
à Dieu ; quelquefois aussi le maître entrant en religion était suivi de ses esclaves
(S. Grec. Toron.. In gloria confessorum, 22. M. G. H. : Script, rer. merov., t. L
p. 762
virtutibus S. Martini, n, 4. M. G. H. : ibid., p. 610-611. Histor. Franc.,
x, 29. M. G. II. : ibid., p. 440-442. — Vila S. Romarici, 4 : Mabillon, Jeta SS. 0.
S. B., Saee. H. p. 400).
(1) S. Avrêlien (Reg. ad mon., xLvn) demande une charte quando aetaie probati
fuerint.
< ■ ,· '# IKqH
(2) Cap xi.lx. Mansi, t X, coL 631.
4i s?,rr ‘
(3) Bp. XIV ad Bonifacium episc., 7. P. L., LXXXIX, 525.
(4) Cap. XXXVI. Mansi, t. XIV, col. 396.
(5) Can xxii Mansi, t. XV, coL 873.
(6) Cf. Martène, De an!, inonach. rit., 1. V, c. v, coL 659 sq.
—
463
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
passer à Clairvaux. L’incident est bien connu. On sait qu’il fournit l’oc
casion de la lettre véhémente placée en tête de la correspondance de saint
Bernard, et que le Pape, interrogé, donna raison aux moines noirs. Au
fond, saint Bernard ne contestait pas que l’enfant appartînt au Seigneur
et à la vie monastique ; mais dans cette affaire, comme dans un cas
analogue traité au cours d’une autre lettre (1), il soutenait que l’oblat,
devenu grand, pouvait passer librement à la famille religieuse de son
choix; surtout, ajoutait-il, lorsqu’elle était plus fervente et de plus stricte
observance. Il est probable que Cluny goûta médiocrement l’argumen
tation du saint Docteur (2).
Une fois contestés les effets profonds et juridiques de la profession
des oblats, il ne restait plus qu’un pas à faire pour les laisser rentrer
à leur gré dans le siècle. Sans doute, Clément III ratifia le décret du
IVe concile de Tolède ; mais son successeur, Célestin III, reconnut aux
oblats la triste liberté de revenir dans le monde ; et cette discipline pré
valut peu à peu sur l’ancienne, — ce qui ne prouve aucunement que l'an
cienne fût abusive, exorbitante, qu’elle vînt d’une fausse interprétation
de la sainte Règle, mais simplement, comme on l’a dit, « que la foi des
peuples se faisait moins jeune ».
C’est avec une âme antique qu’il faut apprécier des usages antiques;
c’est avec une âme chrétienne qu’il faut apprécier des dispositions chré
tiennes. Rappelons-nous d’abord que l’idée de la toute-puissance pater
nelle, la notion de la patria potestas a certainement influé sur Γoblature.
Mais c’est du paganisme?... /Mors, comment se fait-il que ΓAncien et le
Nouveau Testament reconnaissent en partie cette discipline et que Γ Église
l’ait autorisée et adoptée durant tant de siècles? Il faut bien remarquer
que les anathèmes dirigés contre l’oblature se fondent sur une majeure
qui aurait grand besoin d’être fortement démontrée et qui ne le sera
pas de sitôt, celle-ci : l’homme n’est soumis qu’aux seules lois dont il
a librement accepté l’obligation et le fardeau. Nous sommes des créatures,
sans l’avoir voulu, des Français, sans l’avoir voulu, des hommes du
vingtième siècle, sans l’avoir autrement désiré ; nous sommes devenus
chrétiens et nous avons été compromis dans la direction de Dieu, sans
qu’on nous ait de nandé notre avis (3). L’homme qui réfléchit reconnaît
vite qu’il est un être dont Dieu dispose à son gré, dont Dieu dispose
(1) Epût CCCLXXXII. P. L., CLXXXII, 585 sq.
(2) Episl. I. P. L., CLXXXII, 67 sq. Epist. CCCLXXXII. P. L., ibid., 585-586:
Videat prudentia vestra quid habeat plus vigoris et rationis, utrum illud quod factum
est de ipso per alium ipso nesciente, an illud quod sciens et prudens de se ipso fecit...
Ego autem dico, quod votum parentum integrum manet, et oblatio eorum non est
exinanita, sed cumulata. Nam et idem offertur quod prius oblatum est; et eidem offer
tur cui prius oblatum est; et quod prius a solis parentibus oblatum fuerat, nunc offertur
α filio.
(3) Snr cette comparaison entre le baptême des enfants et l’oblature, lire Thon kssiv,
Ancienne et nouvelle discipline de l’Eglise, P, I, L III, chap. vi. T, I, co|, 1762-1763,
DE L’OBLATION DES FILS DE NOBLES OU DE PAUVRES
41»
hû-mêmc, directement ou par des intermédiaires, mais toujours en
maître.
Au fond, l’inquiétude rétrospective qu’inspire l’oblature ne viendraitelle pas aussi d’une méprise trop répandue sur le vrai caractère delaliberté?
La faculté de choisir le mal ou un moindre bien, l’indépendance de la
personne vis-à-vis du bien ou du mal, l'individualisme étroit et jaloux,
tout cela n’est qu’une diminution de la liberté. La véritable liberté con
siste dans l’appartenance profonde, dans l'adhésion connue et aimée au
bien et à Dieu. Si l'on ne se place pas à ce point de vue, on ne comprend
guère l’éducation, qui a précisément pour but de créer en nous le préjugé
du bien avant même que nous sachions ce qu’il est. Et ceux qui veulent
que tout Français appartienne à l’État plus qu’à la famille, et qu’il soit
voué à la formation de l’Université sous peine de déchéance, ne font que
retourner à leur usage le procédé qu’ils reprochent à l’Église.
Lorsque le sénateur Tertullus offrait à saint Benoît son petit Placide,
il ne pensait point faire acte de tyrannie ; il croyait assurer ainsi la sécu
rité et la vie étemelle de son fils ; et il se persuadait que ni l'enfant,
ni Dieu, ne lui reprocheraient un jour sa décision. De fait, la plupart
des enfants ainsi offerts adhéraient joyeusement, plus tard, à la profes
sion émise en leur nom. Ceux qui eussent volontiers repris le chemin du
monde, sont-ils beaucoup à plaindre d’avoir été contraints de demeurer
chez Dieu? Et au lieu de se laisser hypnotiser par les abus et les défections
inévitables qu’a occasionnés l’oblature, ne faut-il pas plutôt bénir une ins
titution qui a donné des fruits tels que saint Maur et saint Placide, saint
Bède le Arénérable, sainte Gertrude et tant d’autres? Nous n’avons donc
pas à rougir de ce chapitre LTX. S’il nous eût été appliqué à nous-mêmes,
nous n’aurions connu que Dieu, nous n’aurions d’autres souvenirs que
lui, nous n’aurions rien à désapprendre : où serait le malheur (1)?
(1) C’est à ce chapitre que l’on pourrait rattacher la question des « oblats adultes »:
oblats de l’intérieur, qui se donnent au monastère pour y vivre de la vie des moines
et sous une règle, avec sans un habit religieux ; oblats de l’extérieur, qui sont comme
la frange du vêtement monastique. Ce n'est pas à proprement parler un tiers-ordre ;
les oblats appartiennent, comme les moines, au monastère de leur profession.
Nous avons dit. en parlant des frères convers, que leur histoire est étroitement liée,
dans ses origines, à celle des oblats ; de même, l’histoire des « redus ·.
C’est ici encore qu'on pourrait parler des « Écoles monastiques », se divisant, elles
aussi, en écoles intérieures et écoles extérieures. Cf. Léon Maître, les Ecoles épis
copales et monastiques de ΓOccident depuis Charlemagne jusqu'à Philippe-Auguste,
768-1180. — Clerval, les Ecoles de Chartres au moyen âge, — Forée, Histoire de
l Abbaye du Bec, t. I, chap, in, iv, vn, xv.
CHAPITRE LX
}
DES PRÊTRES QUI VOUDRAIENT SE FIXER DANS LE MONASTÈRE
De SACERDOTIBUS QUI VOLUERINT IN MONASTERIO HABI
TARE. — Si quis do ordine sacerdotum in monasterio
se suscipi rogaverit, non quidem ei citius assen··
tiatur : tamen si omnino perstiterit in hac petitione,
sciat se omnem Regulae disciplinam servaturum,
nec aliquid ei relaxabitur, ut sit sicut scriptum est :
Amice, ad quid venisti?
Primitivement, les moines appartenaient, nous l’avons remarqué déjà,
à l’ordre laïc. R y avait pourtant quelques prêtres et quelques clercs dans
chaque monastère; et N. B. Père leur consacrera tout le chapitre LXII,
qui complète les enseignements de celui-ci. Bien loin de s'exclure l’un
l’autre, les deux ordres peuvent se coordonner harmonieusement, les
deux vies se combiner ; des moines entrent dans la cléricature, et des clercs
embrassent la vie monastique ; cette alliance des deux états honore la
religion et sanctifie le sacerdoce : ... Monachis et clericis, quorum et sacer
dotium proposito et propositum ornatur sacerdotio (1). H ne s'agit pour
l’instant que de prévoir l’accueil qu’on doit faire à ceux de l’ordre
sacerdotal : évêques, prêtres, diacres (2). et à ceux du clergé inférieur
(N. B. Père distingue les deux catégories de clercs, dans ce chapitre
comme à la fin du suivant), lorsqu’ils demandent à être agrégés au
monastère.
La vie monastique est distincte de la vie sacerdotale par son but, par
son programme, par ses grâces. Nous ne contesterons aucunement que
le prêtre séculier doive travailler à sa perfection : ne lui a-t-on pas dit,
en lui conférant la dignité sacerdotale : Agnosce quod agis, imitare quad
tractas? Et, pour attester que la perfection réalisée n'est pas un mono(1) S. Hieron., Episl. LH ad Népal., 6. P. L., XXII, 532.
(2) On peut considérer les diacres comme faisant pa fie
tic de cet ordre (Hildemar,
in h. L).
470
DES PRÊTRES QUI VOUDRAIENT SE FIXER DANS LE MONASTÈRE
«1
polo des cloîtres, qu’il nous suffise de rappeler ici l’exemple du saint
curé d’Ars. Nous n'instituerons pas davantage la comparaison fameuse,
et souvent mal comprise, entre l’état de perfection acquise, celui des
évêques, — et l’état de perfection à acquérir, celui des religieux. Nous
ne songeons pas plus à établir des parallèles entre les personnes. Nous
parlons doctrine. Or il est certain que la vie religieuse est la vie par
faite organisée, assurée par la pratique des conseils et des vœux, et
que le prêtre lui-même y entre sans déchoir. H est incontestable
aussi que l’Église est soucieuse de maintenir et de sauvegarder le droit
sacré qu’ont tous ses clercs d’entrer, dès qu’ils le veulent, dans un
Ordre actif ou contemplatif. Les évêques, à raison du lien spirituel
qui les attache à leur église, ont besoin, pour se faire religieux, de la
permission du Souverain Pontife. Quant aux clercs dans les ordres
sacrés, ils doivent s’adresser filialement à leur Ordinaire et se concerter
avec lui, afin que les âmes ne restent pas en souffrance et sans pas
teur (1). Même lorsqu’il y a pénurie de prêtres, les évêques ont trop
d’esprit surnaturel et trop le sens de la co nui union des saints pour ne
pas favoriser les vocations religieuses.
S’il est toujours permis à un clerc, à celui qui est déjà ad cleri
catum conversus, selon l’expression d’anciens conciles, de solliciter
son admission dans le monastère pour une « conversion » nouvelle et
plus complète : il est loisible aussi au monastère de s’abstenir de tout
empressement et de toute hâte à l’accueillir : N cm quidem ei citius
assenti(dur. H faut donc se garder de prendre les devants, et ne céder
qu'à de longues et pressantes instances : Si omnino perstiterit in hac
petitione. Sans se laisser éblouir par l’honneur ou le profit qu’une
telle démarche apporte au monastère, il est sage d’éprouver cette
vocation tout comme les autres, — plus que les autres, disait
Hildemar. Et le même commentateur ajoute, avec Paul Diacre, qu’on
faisait passer le prêtre par les mêmes stades qu’un laïc, y compris
l'humiliant séjour devant la porte. Mais il est permis de croire qua
N. B. Père, si attentif à honorer le prêtre, n’entendait pas le sou
mettre aux vexations et aux injures qui précédaient ordinairement
l'entrée (2).
. >
Il est facile de justifier, aujourd’hui encore, les appréhensions de
la sainte Règle. Dans un grand séminaire, en vue des fonctions et des
devoirs de la vie sacerdotale, ce que l’on inculque très habituelle
ment, c’est l’incomparable dignité du sacerdoce. Le prêtre soutient
(1) Voirie canon 542 du Code.
β
(2) Ctùn autem clericus aliquis ad virum sanctum ut monachis adscrïberp.ur accedebat,
ordini quidem cius deferebatur reverentia, quemadmodum divina nobis lex praescribit;
quantum vero ad observantiam canonis fratres obligantis a linel, praestabat illam talis
aeque ac celeri (Vila S. Pachomii, c. in. Jkfa SS., Maii t. III, p. 303).
47»
COMMENTAIRE SUR LA REGLE DE SAINT BENOIT
une relation spéciale avec la maternité virginale de Notre-Dame ; le fait
d'avoir sur la pesonne du Seigneur autorité et juridiction l’élève audessus des rois et même des anges... C’est exact. Mais nous savons bien
aussi que, lorsqu’une dignité surnaturelle nous est conférée, nous avons
une singulière facilité à nous établir, non dans l’élément responsabilité
et obligation, mais dans l'élément grandeur et privilège. Les religieuses
ne manquent jamais de paroles pour re proclamer les é|>ou.*cs de Jàmtl·
Christ : il serait téméraire de dire qu’elles font toujours la volonté do
leur Époux. Une conscience trop exclusive de notre dignité personcelle incline peu à une vie dont la caractéristique est l'humilité et l'obéis
sance.
Et puis, le prêtre, surtout s’il est un peu âgé. arrive avec une âme
tonte formée, un caractère nettement dr.-siné, de- habitude mentale*,
parfois même un système. Il est difficile, dans < »·« condition.*, qu’il .-"it
laigemontet tranquillement hospitalier à de.· idée et λ de pratiques qui
lui sont peu familières et lui paraîtront inopportune*, peut-être inexacte*.
Une tendance bien humaine le portera aux critiques; et il cniblera,
étant donnée son expérience, n ôtre entré que pour contrer scs frères
et pour réformer l'abbaye. La condition du prêtre -cculier e>t de se
tenir à distance du monde et dans une attitude de défense : mais
la plus lourde faute que l’on puisse commettre dan- la vie monas
tique est do se garder. Quiconque a le dessein de devenir moine doit con
sentir à cette complète réédition de soi-même qui réclame l'effacement
de la volonté propre. Un long exercice de l'autorité, même très légitime,
même surnaturelle, a peut-être fait du prêtre, et à son insu, l’homme qui
commande et qui dirige; ou bien l'habitude d’une vie facile, sans gêne,
intellectuellement désœuvrée, a peut-être amolli le caractère. Et pour
tant, il faut, pour réussir, qu’un côté de notre co-ur soit demeuré naïf,
simple, affectueux ; il faut retrouver une part d»· jeun»·.-?e vt d·· vaillance
I joyeuse.
I Mais enfin, si le candidat n’est pas de la trempe d»· ceux que nous venons
• de décrire, ou si du moins sa bonne volonté est telle qu’il y ait chance de
, réussite, il n’est pas imprudent de le recevoir. Toubfoi dut Benoit ne
mentionne pas cet accueil, mais (ait remarquer aus-itôt que le prêtre
doit bien savoir, en entrant, qu'il sera tenu à garder toute la discipline
de la Règle, sans qu’on la relâche aucunement en sa faveur ; il devra
méditer la parole évangélique : u Mon ami, pourquoi êtes-vous venu ici? »
N’est-ce pas pour vous sanctifier et pour obéir? Sans doute nous lisons
ces paroles en saint Matthieu (xxvi, ÔO), et elles ont été adressées par le
Seigneur à Judas; mais on peut croire que sous la plume de N. B. Père
le rapprochement et la citation sont purement matériels. Une for• mule équivalente était employée par les Pères du désert lorsqu’ils vou
laient se rappeler à eux-mêmes la réalité de leur vocation : Propter quid
DES
PRÊTRES QUI
VOUDRAIENT
SE FIXER
DANS
LE
MONASTÈRE
4’3
? Fo demandait souvent saint Arsène (l). Saint L’emard, à qui
Von rapporte communément cette apostrophe, n’a donc fait qu’imi
ter les anciens (2).
Concedatur ci tamen post Abbatem stare, et bene
dicere, aut Missam tenere, si tarnen jusserit ei Abbas;
sin alias, nullatenus aliqua praesumat, sciens se di
sciplinae regulari subditum, et magis humilitatis
exempla omnibus det.
L’intégrité de la vie monastique étant sauvegardée par les mesures
<1 i précèdent, N. B. Père en propose d’autres qui ont pour dessein
d honorer le sacerdoce : tout est laissé, du reste, à l’appréciation de l’Abbé.
< « i .i-ci peut donner au prêtre (et probablement, dans la pensée de
t.ant Benoit, de- son entrée) une place supérieure :« après l’Abbé »,
p· it-etre même avant le Prieur et les doyens du monastère, s’ils ne
sont pas prêtres; s’il y a d’autres prêtres plus anciens, le nouveau
venu prend évidemment son rang d’ancienneté monastique. Bencd '·»■. c · -t donner 1« bénédictions régulières au cours de l’office
(ou au réfectoire pour le repas et la lecture). Missam (ou dfissos)
ten ro’, c’est célébrer la Messe; selon D. Calmet, qui a toute une petite
di?--nation sur le sujet, ce pourrait être aussi a présider au chœur et
r mer la dernière collecte Pour le reste, les prêtres suivaient le régime
de leurs frères du noviciat : car on ne les dispensait pas, sans doute, du
noviciat régulier; et il est à noter que saint Benoit ne signale que des
pr> ·'ances liturgiques. Selon les coutumes monastiques postérieures, les
I ■ -rvs étant d’ailleurs plus nombreux, les novices prêtres étaient parfois
l''<·.iit.- à la communion laïque; et lorsque, après leur profession, on les
.. < ’ i:·. .-t tait à l’honneur de célébrer, ce n’était pas sans un sérieux examen
préalable.
’
r -Λ ■
Quand l’Abbé, dit saint Benoît, ne jugera pas à propos d’autoriser
ces exceptions, il ne restera au prêtre que le droit de demeurer dans
le rang, sans tenter de rien exercer des fonctions sacrées. H se rap
pellera «ju’il est soumis à la loi commune ; il possédera dans l'humi
lité la grâce de son sacerdoce, lui que le sacrifice de l’autel a si
souvent rnis en face de l’humilité de Dieu même. N’est-il pas no
toire que ceux qui reçoivent bien la grâce, la reçoivent de telle
11 ) Verba Seniorum : Vitae Patrum, V, xv, 9. Rosweyde, p. 621. — S. Jean Cum kqi e rite aussi Γ.Ιμπγγ, ad quid venisti? que doit se dire le moine tenté d’insta
bilité
gradus iv. P. G., LXXXVIII, 724).
(2) Vita, 1. I, c. iv. P. L., CLXXXV, 23a
*74
COMMENTAIRE SUR LA REGLE DE SAINT BENOIT
sorte qu’elle leur souligne davantage leur néant? Chaque bienfait
de Dieu les surprend. C’est à l’heure même où la maternité divine
élève Notre-Dame au-dessus de toute créature, qu’elle se reconnaît
seu’ement la petite servante du Seigneur. Plutôt que le spectacle
attristant d’une ridicule suffisance, tous attendent donc du prêtre des
exemples d’humilité.
Si forte ordinationis aut alicujus rei causa fuerit
in monasterio, illum locum attendat, quando ingres
sus est in monasterium, non illum qui ei pro reve
rentia sacerdotii concessus est.
Γ
Ce passage est un peu énigmatique et a été très diversement inter
prété. On peut l’entendre comme il suit : si une charge importante du
monastère devient vacante, s’il est question par exemple d’instituer,
d’« ordonner » (au sens où saint Benoît prend ce terme) l’Abbé ou le
Prieur, le prêtre ne s’imaginera pas que la place lui revient de droit.
De même, si quelque autre décision importante doit être prise dans le
monastère, ou si le Chapitre délibère sur un point proposé par l’Abbé, le
prêtre ne se croira pas l’homme indispensable, ni ne proposera son avis
avec le ton d’un maître, sous prétexte qu'il est plus cultivé, plus expéri
menté que les autres. Saint Benoît calme d’un mot ces mouvements
de nature:le prêtre regardera comme sien le rang qu'il aurait dù occuper
au chœur et partout dans la communauté, à raison de la date de son
entrée, et non pas le rang que l’Abbé lui a librement accordé par respect
pour son sacerdoce, et qu’il peut toujours lui retirer. Hormis ces privi
lèges pévus, il gardera son rang d’ancienneté monastique. N. B. Père
le répétera presque dans les mêmes termes au chapitre LXII : Locum vero
ilium semper attentat, quo ingressus est monasterium, praeter officium altaris,
et si forte electio congregationis et voluntas Abbatis pro vitae merito eum
prom vere voluerit. Le conseil n’a pas cessé d'être opportun : se tenir à
son rang de profession; n’est-ce pas meme comme une règle générale
de spiritualité? Au coms de toute notre vie, et quelques distinctions qui
nous honorent, nous devons nous replacer, en face de Dieu, dans la
situation qui nous appartient de droit et que nous connaissons bien :
la dernière, le néant.
Clericorum autem si quis eodem desiderio mona
sterio sociari voluerit, loco mediocri collocetur, et
DES PRÊTRES
QUI
VOUDRAIENT
SE
FIXER
DANS
LE MONASTÈRE
«5
ipsum tamen, si promittit de observatione Regulae,
vol propria stabilitate.
Tout ce qui vient d’être dit du prêtre s’applique, proportion gardée,
aux autres clercs. L’Abbé pourra leur donner un rang moyen, c’est-à-dire
moins élevé que celui des prêtres et en rapport avec leur situation hiérar
chique. Mais saint Benoit note encore que l’accueil des clercs, tout commo
celui des prêtres, est subordonné à leur promesse d’observer la Règle
et (tel) de se stabiliser. 11 n’est pas nécessaire que nous comprenions
cette dernière phrase selon l’exégèse, trop matérielle, de Bernard du
Gassin : d’après lui, saint Benoît laisserait ici entendre qu’une place de
choix n’était accordée aux clercs qu’après leur profession formelle.
CHAPITRE LX I
COMMENT IL FAUT RECEVOIR LES MOINES ÉTRANGERS
De
monachis
peregrinis qualiter
suscipiantur.
—
Si quis monachus peregrinus de longinquis provin
ciis supervenerit, si pro hospite voluerit habitare in
monasterio, et contentus fuerit consuetudine loci
quam invenerit, et non forte superfluitate sua per
turbat monasterium, sed simpliciter contentus est
quod invenerit, suscipiatur quanto tempore cupit.
Voici un nouveau procédé de recrutement. Pour bien interpréter ce
chapitre, nous devons nous rappeler quelle était la condition des reli
gieux en Occident au temps de N. B. Père. L’ordre monastique, pris
dans son ensemble, ressemblait encore à une nébuleuse non résolue,
non définie. Il y avait des moines, des monastères, des coutumes monas
tiques : mais pas de Congrégation, comme fut plus tard celle de Cluny ;
pas encore de règle unique s’imposant à de nombreuses maisons (1);
souvent même, dans le monastère, pas d’autre règle que la volonté de
l’Abbé : c’est ainsi que saint Romain vivait, nous dit saint Grégoire,
sub regula patris Deodati. Même en Orient, où existaient depuis longtemps
de véritables fédérations de monastères, avec des règles écrites, la vie
religieuse gardait un caractère un peu privé, moins strict, moins officiel
que celui des âges postérieurs. Une large porte demeurait ouverte à l’ins
tabilité : moyennant la bénédiction de son Abbé, on pouvait aisément
se mettre en route pour de lointains pèlerinages à des sanctuaires, à des
centres monastiques, auprès de saintes gens ; et il était loisible de se fixer
là où le régime flattait davantage la ferveur ou la nonchalance. L’auteur
des Constitutions monastiques s’élève sinon contre l’instabilité, du moins
contre ses abus (2).
(1) Ci. Cass., Inst., II, n.
(2) Cap. vu et vhl P. G., XXXI, 1365-1370,
i
COMMENT
IL
FAUT
RECEVOIR
LES
MOINES
ÉTRANGERS
411
Le gyrovague et le sarabaïte réalisaient l'idéal de l'instabilité. H ne
semble pas que ce soit d’eux que s’occupe N. B. Père au chapitre LXI.
Ces gens-là, facilement reconnaissables, étaient incorrigibles; et saint
Benoit trace d’eux, au seuil même de sa Règle, un portrait trop indigné,
pour que le monachus peregrinus qu’il accueille ici à bras ouverts soit
un gyrovague de profession. Tl est question de moines venant i de pro
vinces lointaines » : non que les prescriptions suivantes ne visent que
ceux-là et soient exclusives des religieux qui viennent de monastères
plus proches ; mais parce que saint Benoit réserve pour la fin du cha
pitre la mention spéciale de ces derniers avec la recommandation qui ks
concerne.
Nous ne pensons pas qu’il faille prendre à la lettre le texte pro ho
spite et, un peu plus loin, tempore hospitalitatis. H n’est question nulle
part ici du logis des hôtes ; et saint Benoit dit au contraire que le pèle
rin est reçu in monasterio, ce qui semble décisif. Au reste, tous les détaïs
qui suivent montrent bien que le voyageur était admis dans l'intime de
la vie monastique, où il pouvait observer et se faire connaître ; et cela
même était indispensable pour que N. B. Père pût poursuivre prudem
ment son dessein misérko dieux de l’agréger à ceux qui sont stables.
Nous lisons dans la Vie de saint Benoît (1) que les moines de l’Abbé Ser
vandus couchaient au Cassin dans le même logis que les frères. Saint
Pacôme, après avoir commencé par introduire les moines étrangers
dans sa communauté, avait changé de conduite, afin de prévenir des
désordres (2).
Saint Benoît ne demande au moine ainsi accueilli que de prendre son
parti des conditions de la vie nouvelle où le Seigneur l’a conduit : le
lever de nuit, l’alimentation, le travail ; on le traite comme un frère, à
condition qu’il agisse aimablement et simplement, comme un frère.
Si le pèlerin témoignait vouloir vivre d’exceptions et élevait des exigences
(superfluitate sud), il n’était plus qu’une cause de trouble : et saint Benoît
dira plus loin comment se comporter à son égard. Mais s’il était discret
et accommodant, il pouvait être reçu au monastère aussi longtemps
qu’il le désirait (3).
Si quae tamen rationabiliter et cum humilitate
caritatis reprehendit aut ostendit, tractet Abbas pru(1) S. Greg. M., Dial, 1. II, c. xxxv.
___ ,
(2) Γι/α ô’. Pachom., Acta SS., Maii t. III, p. 307.
(3) Il semble que saint Benoit se soit inspiré, très largement, de l'interroga
tion lxxxvii (Reg. contr.) de S. Basile : Concedi quidem ei convenit ingressum..,
Interdum enim potest fieri, ut per tempus proficiat et delectetur sanctitate vitae et per
maneat in coeptis.
I
i
J
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
denier, ne forte eum propter hoc ipsum Dominus
direxerit.
Voilà, à coup sûr, l’un des passages où se reflète le plus clairement l’âme
humble et discrète de N. B. Père, sa docilité intellectuelle. On peut être
très saint et très intelligent, et avoir néanmoins quelque chose à apprendre
d’autrui. Moïse était certainement plus élevé en grâce et mieux doué que
Jétliro ; il en reçut pourtant un bon conseil (Ex., xvni, 13 sq.) (1). Et
notre âme doit être d’autant plus hospitalière pour la pensée d’autrui
que nous cessons, nous, d’être apercevant pour les détails de notre propre
vie. Ceux de l’extérieur, qui ont fait d’autres expériences et qui ne
portent pas le joug familier de notre accoutumance, sont plus aptes à
reconnaître nos imperfections.
Mais, pour qu’on puisse avec sagesse prêter l’oreille à ces remarques
qui nous viennent du dehors, saint Benoît demande premièrement
qu’elles soient raisonnables, justifiées objectivement, et, en second lieu,
que le procédé soit courtois, sans hauteur ni violence. Cum humilitate
caritatis : ce sont les formes sous lesquelles nous avons le plus de chances
de rencontrer l’Esprit de Dieu. Reprehendit vise le reproche formel, l’aver
tissement que telle manière d’agir ne convient pas ; ostendit, l'indication
discrète qu’il y aurait heu pour le supérieur d’examiner la chose ou d’agir
dans tel ou tel sens. C’est naturellement à l’Abbé qu’un homme sage
fera ces communications, et non à ceux qui n’ont point l’autorité néces
saire pour corriger et gouverner. L’Abbé étudiera prudemment la ques
tion et sans parti pris ; car, sous le voile de ce moine étranger, c’est peutêtre le Seigneur qui est venu nous avertir ; il est si souvent caché dans les
hôtes!
I
Si vero postea ï'oluerit stabilitatem suam firmare,
non renuatur talis voluntas, et maxime, quia tempore
hospitalitatis potuit ejus vita dignosci. Quod si su
perfluus aut vitiosus inventus fuerit tempore hospi
talitatis, non solum non debet sociari corpori mo
nasterii (2), verum etiam dicatur ei honeste ut
discedat, ne ejus miseria etiam alii vitientur.
Nous pouvons réunir la première plirase à l’ime des suivantes qui com
mence par les mots Quod si non luerit talis, et réserver le commentaire.
r
(1) S. Aug., De Dodrina thrisL, praet, 7. P. L., XXXIV, 18.
(2) Vne réminiscence verbale de S. Basile : ... Quan sociari voluerint corpori am
grt'jalionu (Rtg. con'.r., cxcn).
COMMENT IL FAUT RECEVOIR LES MOINES ÉTRANGERS
Γ9
Le séjour à l'intérieur du monastère permettait de connaître les dispo
sitions du voyageur. Dans la mesure même de la liberté qui lui avait été
laissée de se mêler aux frères, son vrai tempérament s’était trahi C’est
un homme exigeant, difficile à contenter, heureux où il n’est pas: en ce cas,
il est trop facile de prévoir qu’immédiatement après son affiliation au
monastère, si on la lui accorde, il aura le chagrin de la stabilité vouée.
Ou bien il est vicieux : il a, non pas seulement des défauts, qui en manque?
mais des habitudes enracinées, dont l’obstination sera un fardeau pour
la communauté et un péril pour les âmes faibles. Un homme exerce sou
vent une influence hors de proportion avec sa valeur morale; et ce sont
leurs défauts que les hommes mettent le plus volontiers en commun.
L’Abbé doit alors faire prévaloir la considération du bien général; il ne
peut, dans l’espoir d’un sauvetage très problématique, exposer 1« siens
à des dangers réels. Quand on sera fatigué de l’étranger, on le priera donc,
« honnêtement », de se retirer. Saint Benoît ne veut pas que l’on use à son
égard de procédés discourtois et violents.
Quod si non fuerit talis qui mereatur projici, non
solum si petierit suscipiatur congregationi socian
dus, verum etiam suadeatur ut stet, ut ejus exemplo
alii erudiantur, et quia in omni loco uni Domino ser
vitur, et uni Regi militatur.
Que si, après avoir expérimenté la règle du monastère (rappelonsnous la phrase Si vero postea votuerit...), il témoigne de sa volonté bien
arrêtée de mettre un terme à ses pérégrinations et demande à se stabi
liser, il ne faut pas s'opposer à un tel dessein, mais prendre en considé
ration sa demande : la stabilité étant pour le moine, selon saint Benoit,
le premier des biens et la meilleure garantie de progrès spirituel. Sem
blable démarche est déjà d’un indice excellent. D’autant mieux, ajoute
N. B. Père, qu’il aura été facile d'apprécier, par la conduite de ce moine
pendant son appartenance de fait à la communauté, s’il est digne d’une
appartenance de droit.
Mais saint Benoît va plus loin. A supposer que le bon moine n’ose pas
demander ou n'y songe point, on pourra l’imiter doucement à se stabi
liser. Souvenons-nous, afin de comprendre pourquoi N. B. Père fait un
peu l’article en faveur de son monastère, que la vraie stabilité n’existe
que chez lui : qu'en dehors de la vie bénédictine, il n’y a pas encore de
lien bien solide entre les religieux et leur monastère; et qu’enfin, dans
l’espèce, notre moine a déjà quitté le sien. S'il est vertueux, s’il a de l’avenir,
pourquoi ne prendrait-on pas les devants? Son monastère n’y perd rien,
Â
480
COMMENTAIRE SUR LÀ RÈGLE DE SAINT BENOIT
puisqu’il on est sorti, et peut-être sans promesse de retour; le moine
y gagne, puisqu’il entre dans une vie que la stabilité rend plus parfaite;
le monastère bénédictin y gagne aussi, puisqu'il s’accroît d’un bon élément
au contact duquel d’autres profiteront (1). On lui fera observer qu’après
tout il n’est point contraire à sa profession de s’arrêter ici, car en tout
lieu on sert un seul et même Seigneur et on milite sous un même Roi;
il n’y a pas pour lui à changer de maître, mais à « se fixer ■ dans un
milieu où il servira mieux (2). Il faut se garder d’interpréter cette for
mule dans un sens hostile à la stabilité : à coup sûr, N. R. Père n’a pas
voulu dire que le changement fût indifférent ! La remarque est fournie
au contraire comme un motif pour demeurer.
Le moine qui se décidait à rester ne faisait pas un nouveau noviciat,
puisque la vie monastique d’alors était une, et la question du mona-tèro
accidentelle. H n’avait pas davantage à émettre une nouvelle profes
sion ; il se bornait à promettre stabilité : Paul Diacre et Hildernar nous
ont conservé la formule usitée chez eux. La multiplication des ordres
religieux a amené des modifications disciplinaires sur ce point. Le
passage d’un Ordre à un autre entraîne la répétition du noviciat et
de la profession. Et dans la plupart de.·» cas, l'autorisation du Sa ntSiège est nécessaire.
Quem etiam si talem esse perspexerit Abbas,
liceat cum in superiore aliquantulum constituere
loco. Non solum autem monachum, sed etiam de
supradiclis gradibus sacerdotum vel clericorum,
stabilire potest Abbas in majori quam ingreditur
loco, si ejus talem prospexerit esse vitam.
Lorsque l’Abbé estime que les vertus du nouveau venu justifient une
exception à la règle commune et sont telles (sous-entendu) qu’on a dit
plus haut, il peut à son gré l’élever un peu, aliy.iantulum, au-dessus du
rang que lui assigne son entrée dans le monastère (3). Il en sera de même
(1) Ce qui nous porte à traduire ainsi, c'est la symétrie entre les deux membre >isu Ahbah.t ejux, il faut
du moins que le voyageur exhibe des lettres générales de recommandation,
nul htleris eonmtndatitüs (1). Ces pièces, — dont nous avons déjà dit
un mot au chapitre o des hôtes ». — étaient rédigées en effet tantôt hoik
la forme de lettres d’Abbé à Abbé, tantôt sous une forme plus générale,
recommandant à tous les pouvoirs eodésia«-tique> ou religieux un
moine sorti régulièrement de son monastère, mais parti à la découverte
et nullement fixé sur le choix d’une nouvelle famille religieuse (?>.
toluo/olc ad alterum monaslerium etu-imiyrentrm, hu ·« .·! h n aut m !
ml rrfôw"
praesumat (Can. xxvn. Ma.v-l L VIII. cnL 3_M.». Voir ausu I·· condic d‘l»rl«.*ns de Ml.
can. xix Mansi, î VIII, col ■
■>
(1) Le concile d'Agde de 606 défend aux œ >in■·< comme aux dma, «le voyager
sans ces Lettres (Can. xxxvirr. Manki, t. VIII. αΊ 33!,
(2) I>. Martène cite plusieurs cxi-m;ik< de >■ I deux
Twe d
ttrr·
son Commentaire sur cc chapitre. — Ci S D u>; m C\i> .·.
if (χ·Ι vcl GàM
Epist, II et IX. P. L, LXXXVII, _'i · . J
I
I
il
s
CHAPITRE EXII
T>ES PRÊTRES Dü M0XA9TÈRE
N'oublions pas que toute cette partie delà sainte Règle a pour dessein
de dé-rire le recrutement du monastère, sa composition, son bon ordre
intérieur et l’organt» al ion hiérarchique destinée à y maintenir la paix.
Et rapprochons le commentaire de ce chapitre de celui du LXe.
Saint Epiphane, énumérant les degrés de la hiérarchie chrétienne,
ré.-ervi ceux d'en bas aux fidèles engagés dans le mariage; vient ensuite
la viduité consacrée à Dieu; puis la vie monastique et la virginité;
enfin, comme couronnement et comme source de toute sainteté, le sacer
doce. qui .-e recrute parmi k- vierec», parmi les moines ou les continents (1).
Pour 1 auteur de la lh-rarchû ccd'-siagtique, les moines sont les chrétiens
parfaits ; ils ont par conséquent leur place au sommet de la portion pas
sive de la hiérarchie, celle qui comprend les âmes purifiées, illuminées et
achevées : mai.- ils sont très distincts de la portion active, laquelle com
prend ceux qui purifient, les diacres; ceux qui illuminent, les prêtres;
ceux qui m hèvent et parfont, les évêques. Il n’y a d’ailleurs, nous le
remarquions au chapitre LX. aucune incompatibilité entre le sacerdoce
et la profession monastique; bien au contraire, dit saint Denys, car
. Sévère, Dial. I c x P L
XX. 190.
, . · · ,
(3) Cf. le texte précité de la Préface à la traduction de la Règle paeômienne»
DE
L’ORDRE
DU
CONVENT
»95
tique, et que, scion la remarque de N. B. Père au chapitreLV11I ; El jam
ex ilia hora in congregatione repuktuT.il est sûr que dans Γusage monas
tique presque universel, et depuis longtemps, c'est la date de procession
qui marque à chaque moine son rang dans la communauté : mais le texte do
la Règle, lu sans préjugé, n’est-il pas nettement îavorableàladate d’entrée
au monastère (1)? Habituellement d’ailleurs, et sauî de rares exceptions,
c’est celui qui est entré le premier qui fait profession le premier.
Cujuslibet aetatis aid dignitatis sil. Les enfants, les petits oblats, occu
paient-ils donc eux aussi la place qui correspondait à leur oblation, à leur
profession, se trouvant ainsi mêlés aux autres moines, précédant parfois
des hommes mûrs et des vieillards? C’est évidemment ce à quoi songeait
tout bas N. B. Père, puisqu’il fait aussitôt mention formelle des enfants,
et pour ajouter une restriction destinée à prévenir les inconvénients de
cette préséance précoce : Pueris vero per omnia ab omnibus disciplina
teneatur. Ils devanceront ceux qui sont entrés après eux au monastère
i i Tv
(car, ne l’oublions pas, leur profession d’oblat a la même
valeur juri
dique que celle des adultes) : néanmoins tous leurs ainés d'âge conserveront
vis-à-vis d’eux, en toutes choses, un droit de surveillance, d’avertissement
et de correction (disciplina).
Saint Benoît s’expliquera plus clairement encore, quelques lignes plus
bas, à propos des relations des moines entre eux : Pueri parvuli tel ado
lescentes, in oratorio vel ad mensam, cum disciplina ordines suos conse
quantur. Foris autem vel ubiubi, custodiam habeant et disciplinam, usque
dum ad intelligibilem aetaFm perveniant. Il faut joindre à ce passage
celui du chapitre LXX : Infantibus vero usque ad quintum decimum annum
aetatis, disciplinae diligentia sit et custodia adhibeatur ab omnibus:sed d
hoc cum omni mensura et ratione. Ainsi donc, les tout petits enfants et
ceux qui sont plus âgés, qui entrent dans l’adolescence, gardent « leur
rang », ordines suos cansequ intur : quel rang? Si l’on veut traduire con
formément à tout le contexte et faire en sorte que la pensée de saint
Benoît, soit cohérente avec elle-même, il faut entendre : leur rang
de profession et d’ancienneté monastique (et non : leur rang entre eux et
dans le logis des enfants). Cum disciplina, note en passant saint
Benoît ; ce qu’on peut traduire : sans confusion, en bon ordre ; ou plutôt :
moyennant la surveillance et la correction des frères plus âgés. Ainsi,
à l’oratoire et au réfectoire, ils garderont leur rang de profession, sans
d'ailleurs échapper à la disciplina : mais en dehors de là et eu
quelque lieu et circonstance que ce soit, foris autem vel ubiubi, ils
n’auront aucune préséance et demeureront simplement sous la garde
et la gouverne affectueuse de tous. Au dortoir, par exemple, on prendra
soin que leurs lits soient placés entre ceux des moines plus âgés ; Adole(1) Lire Heften, 1. Ill, tract, m, disq. vr.
Jfl
I
I
I
496
COMMENTAIRE SUR LA REGLE DE SAINT
BENOIT
seentiores fratres, etc. (chap. XXII). Cette tutelle collective durait jusqu’à
ce que les enfants eussent atteint leur quinzième année et fussent arrivés
à la maturité de la raison, au plein discernement. Saint Benoît s’écarte
ici de saint Basile, lequel séparait absolument les enfants des autres
religieux, sauf à l’oratoire (1); mais rappelons-nous que chez saint
Basile les oblats n’étaient pas encore profès.
Postérieurement à N. B. Père, l’usage monastique occidental a séparé
lui aussi, plus ou moins strictement, les oblats. Au chœur, au réfectoire, ils
forment un groupe isolé; ils sont sous la direction de maîtres spéciaux;
même après quinze ans, s’ils sont encore trop espiègles, on les suit de
près (2). Hildemar (3) nous dit que les enfants sortant de tutelle prenaient
dans la communauté, et alors seulement, le rang qui correspondait à
leur entrée au monastère. Dans la suite, à mesure que s’atténuait la portée
de l’oblature, on ne leur rendit pas même cet honneur tardif. Mais,
comme le soutient D. Calmet, l’usage primitif est bien tel que nous
l’avons décrit plus haut ; et c’est la discipline postérieure qui a donné
le change à plusieurs commentateurs.
Telle est la législation prévoyante qui assure à tous les moines le rang
et l’honneur convenables. Il serait d’ailleurs mesquin et ridicule qu’une
question de préséance engendrât des jalousies et des querelles parmi
des religieux (4).
Juniores ergo priores suos honorent; priores vero
juniores diligant.
L’ordre matériel, que saint Benoît a déterminé dans la première partie
de ce chapitre, s’il est absolument indispensable, n'est pas suffisant
néanmoins à lui seul. Nous devons y ajouter l’affection et les égards
mutuels, l’urbanité, la courtoisie surnaturelle. Il ne faudrait pas dire
trop de mal de la politesse mondaine. Ses deux torts les plus habituels
sont d’être vide, parce qu’elle n’est pas l'expression de la charité, et
d’être menteuse, parce qu’elle change aisément de ton et décrie sans
pitié ceux qu’elle louait tout à l’heure sans conviction. Telle qu’elle est
pourtant, elle renferme une part d’abnégation ; elle consiste souvent
dans un effacement volontaire de nous-mêmes en face d’autrui, dans un
calcul secret pour lui rendre honneur et lui faire plaisir. C’est aux enfants
de Dieu qu’il appartient de restituer l’intégrité de cette politesse. Chez
(1) Reg. fus., xv.
(2) Ct Udalr., Consuel. Clun., 1
(3) Comment sur le chap. lxx.
(4) Cf. S. Basil., Reg. conlr., x.
DE L'ORDRE DU CONVENT
4»7
eux surtout elle sera de l’abnégation. Remarquons-le : ce n’est pas par
nos vertus intérieures que nous sommes en contact avec nos frères, mais
bien plutôt par nos côtés extérieurs ; on ne connaît même guère que cela
de nous ; et c’est pourquoi nous sommes tenus, à raison de la vie com
mune, d’effacer toutes nos rugosités. Et la politesse monastique doit
procéder, non seulement de l’éducation, de la délicatesse, du bon
goût, mais surtout de l’esprit de foi et de la charité. Lorsque Tobie,
sans s’être fait reconnaître encore, se présenta à Raguel, celui-ci fit
observer à sa femme : « Combien ce jeune homme ressemble à mon
Hill
cousin ! » Quant similis est juvenis isle consobrino meo! Et il commença
à l’aimer sur cette ressemblance. Chacun de nos frères mérite le même
honneur : notre frère n’est pas seulement consacré à Dieu, il a de Dieu
en lui, c’est un peu l’Eucharistie : comment lui refuserions-nous notre
déférence et notre affection? Comment ne pas le traiter comme quel
qu’un avec qui nous serons chez Dieu? Notre vie conventuelle n’est
qu’apprentissage de ces relations de l’éternité.
Saint Benoît rappelle tout d’abord une prescription de droit naturel et
îurnaturel : l’honneur qui monte des plus jeunes vers les aînés et les
vieillards, l'affection qui descend des anciens sur les plus jeunes. (On
reconnaît les soixante-huitième et soixante-neuvième instruments des
bonnes œuvres : Seniores venerari, Juniores diligere.) Sans ce double
courant, il y aura dans la communauté des partis qui s’observeront
curieusement, qui se jalouseront peut-être et se décrieront. Les anciens
peuvent avoir leurs défauts, leurs manies : mais c’est pitié de n’avoir
des yeux que pour découvrir, comme on dit vulgairement, «la petite bête» !
La jeunesse est souvent trop exigeante, trop sûre d’elle-même, et volon
tiers réformatrice. Et les anciens, de leur côté, sont parfois sévères, et dési
reux d’une perfection immédiate chez autrui : pourquoi ne pas laisser aux
novices et aux jeunes profès le loisir d’éliminer les habitudes apportées
du monde? Juniores ergo..., c’est la conséquence, le corollaire de ce que
saint Benoît a décidé plus haut relativement aux droits et aux devoirs
réciproques des jeunes et de ceux qui ont plus d’âge naturel ou monas
tique ; c’est en même temps le principe général qui commande les dispo
sitions suivantes.
In ipsa autem appellatione nominum nulli liceat
alium puro nomine appellare; sed priores juniores
suos fratres nominent., juniores autem priores suos
nonnos vocent, quod intelligitur paterna reverentia.
Abbas autem, quia vices ChrisLi agere videtur, Do
mnus et Abbas vocetur : non sua assumptione, sed
32
498
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
honore et amore Christi. Ipse autem cogitet, et sic
se exhibeat ut dignus sit tali honore.
Le respect et l’affection mutuelle se traduiront extérieurement dans
l'appellation d’abord. C’est par là que nous prenons contact. Les anges
s’adressent les uns aux autres par un procédé plus simple ; nous autres,
nous devons employer un vocatif exprimé. Ce vocatif est déterminé par la
sainte Règle (1). R l’est en premier lieu négativement et par voie d’ex
clusion : on ne se servira pas, pour désigner un frère (soit qu’on s’adresse
à lui, soit qu’on parle de lui), de son nom simplement et tout court, de
son nom sans qualificatif (2). C’est donc manquer à la Règle que d’em
ployer le seul nom do baptême, ou le seul nom de famille; de désigner
un frère, et d’une façon habituelle, soit par le seul nom de son office dans
le monastère, soit par celui de sa situation dans le monde, soit par celui
de sa nationalité, soit, à plus forte raison, par un sobriquet. Il nous
faut éliminer de notre langage les tenues d'argot, les formes écolières, les
formes démocratiques, y compris, bien entendu, le tutoiement.
Après avoir exclu, saint Benoît indique d’une manière positive quelles
sont les formes monastiques d’appellation. Les anciens donneront à ceux
qui sont plus jeunes qu’eux, juniores suos, le nom de frères. Le terme est
affectueux et aimable ; il rappelle l’unité de vie de tous les religieux d’une
même famille (3) ; les premiers chrétiens et les premiers moines se sont
appelés ainsi (4). Il faut laisser aux séculiers l’expression « les confrères ».
Les anciens seront no lllll és nonni; ce qui signifie « révérence paternelle »,
Révérend Père (une moniale recevait le nom de nonna). On a donné bien
des étymologies à ce mot. Le plus probable est qu’il vient d’Égypte, où
il était employé pour marquer le respect et la révérence dus à un ancien,
à un homme pieux ; saint Jérôme en fait usage plusieurs fois dans ses
Lettres (5).
Quant à l’Abbé, qui représente le Christ dans le monastère et qui tient
sa place, on l’appellera Domnus, «Dom», (diminutif de Dominus, réservé à
la personne du Seigneur). Saint Benoît n’a pas inventé le terme Domnus :
on disait déjà Domnus apostoiieus en parlant du Pape, et on l’attribuait
(1) Cf. Hæften, L III, tract iv.
(2) Le disciple et biographe de saint Fulgence de Ruspe (ÿ 533) dit de son héros :
Circa singulos tia mansuetus fuit et communis et facilis, ut neminem fratrum puro nomine
clamitaret (Vita S. Fulgent., c. xxvn. P. L., LXV, cot 144).
(3) Bene fratres jussit appellari, quia uno sacro fonte baptismatis sunt renati, et uno
Spiritu sanciificati, et unam professionem professi sunt, et unam remunerationem adi
pisci desiderant, et ab una matre, id est sancta Ecclesia, editi sunt. Et hoc notandum est,
guia melior est ista fraternitas spiritalis, quam carnalis (Paul Diacre, in h. L).
(4) CL S. Avo., Enarrat, in Psalm, cxxxn. P. L., XXXVII, 1729 sq.
(5) Episi. XXII, 16. P. L, XXII, 404; Epist. CXVII, 6. P. L., ibid., 956. — lire
Hæftex, L III, tract, iv, disq. m. — Calmet, Comm, in h. I,
DE L'ORDRE DU CONVERT
UM
à de grands et saints personnages : Domnum Ματlinum obisse nuntûnU,
écrivait Sulpice Sévère (1). On appellera aussi le supérieur « Abbé »,
mot syriaque qui veut dire Père. Chez les Orientaux, c’étaient de sim
ples religieux, mais vénérables par l’âge et la vertu, qui étaient ordinai
rement nommés ainsi (2) ; le supérieur était désigné par les termes :
praepositus, pater monasterii, arc'aimand île, hégoum-ne, etc.
Saint Benoît réserve le nom d’Abbé à celui qui est vraiment le père de
famille. Et il lui rappelle que ce nom lui est attribué en l’honneur et
par amour du Christ, et non pour qu’il y trouve un motif d’exaltation.
Comme au chapitre second, il l’invite à conformer sa conduite et sa
vie à tout ce qu’implique un pareil nom, et à se montrer digne de
l’honneur qui lui est déféré. Ce qui ne veut pas dire, croyons-nous, que
l’Abbé doive être chaussé toujours du cothurne tragique, ni qu’il soit
obligé de pontifier perpétuellement.
Dès le neuvième siècle le terme de nonnus est délaissé dans beaucoup
de monastères. Le concile d’Aix-la-Chapelle de 817 recommande d’appeler ainsi les praepositos (Prieurs ou anciens?); il subsista dans quelques
endroits, par exemple au Mont-Cassin, où on le trouve àla fin du treizième
siècle, sous la plume du commentateur Bernard ; et Cîteaux l’a conserve
jusqu'à nos jours. Mais le qualificatif domnus Battait davantage la petite
vanité des moines : les aînés veulent maintenant que nous les appelions
ainsi, dit Smaragde. A Cluny, du temps d’Udalric, chaque profès y a
droit (3). Comme les Bénédictins de Saint-Vanne et de Saint-Maur, nous
l'avons réservé aux profès prêtres. Nos profès non prêtres sont des Révé
rends Pères simpliciter. Les convers, les postulants et les novices, même
prêtres, sont appelés frères. Dans certaines régions, en Italie par exemple,
où les séculiers sont appelés « dom » ou « don », les novices en bénéficient
pareillement, et on réserve le titre de Révérend Père aux profès prêtres.
Le nom d’« Abbé » lui-même a été usurpé par les séculiers dans Γ Église
gallicane, grâce surtout aux Abbés commendataires ; il faut noter pourt ant que, dès le sixième siècle, on donne parfois, dans les Gaules, le nom
d’« Abbé » à un prêtre séculier chargé de gouverner une église importante
et de régir le collège des clercs qui la desservent (4).
Ubicumque autem sibi obviant fratres, junior a
priore benedictionem petat. Transeunto majore,
junior surgat et det ei locum sedendi. Nec praesu(1) Epist. II. P. L., XX, 179.
(2) Cf. Cassi e.\ et les Vitae Patrum, passim,
(3) Udalr., Consuet. Clun., I. II, c. xx
(4) Cf. S. Greg. Turon., Liber Vitae Patrum, u, 3-4 M. G. H. : Script, nr. merw.,
t. I, p. G7O-G71. In gloria martyrum, GO. M. G. II. : ibid., p. 029,
1
i
500
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
mat junior consedere, nisi ei praecipiat senior suus :
ut fiat quod scriptum est : Honore invicem praevenientes.
Pueri parvuli vel adolescentes, in oratorio vel ad
mensam, cum disciplina ordines suos consequantur.
Foris autem vel ubiubi, custodiam habeant ct disci
plinam, usque dum ad intelligibilem aetatem perve
niant.
‘
Nous avons vu comment les moines s’abordent ; voyons maintenant
certaines marques de courtoisie qu’ils se doivent entre eux, et premiè
rement le salut. En quelque lieu que les frères se rencontrent, le plus
jeune doit demander la « bénédiction » à son aîné. N. B. Père a fait mention
plusienr.· fois de cette bénédiction : au chapitre XXV, il a dit de l'excom
munié : Nee a quoquam benedicatur transeunto; au chapitre LUI, il a
recommandé au frère qui rencontrerait un hôte de le saluer : Et petita
benedictione, pertranseat; au chapitre LXVI, il prescrira au portier :
Et moi ut aliquis pulsaverit aut pauper clamaverit. Deo gratias respondeat,
aut benedicat. L’usage est vraiment vénérable. Saint Paul (Hebr., vii,
1 sq.) explique comment Melchisédech « bénit » Abraham : Quod minus
est a meliore benedicitur. Bénir a aussi le sens de louer Dieu au sujet de
quelque chose ou de quelqu’un : Et benedi it illis Simeon (Luc., u, 34).
Λ la dernière Cène, le Seigneur prend du pain et bénit : εύλογησας. Les
premiers chrétiens se bénissaient, en se rencontrant (1). Il ne s’agit pas
d’un geste, mais d’une formule de souhait ou de gratitude envers le
Seigneur, quelque chose d’analogue au Dominus vobiscum liturgique :
Dieu soit béni de cette rencontre, Que Dieu vous bénisse !
Chez les anciens moines d’Orient et d’Occident, on s’inclinait devant
celui qu’on voulait honorer, et on disait : Benedic, Pater, ou bien : Bene
dicite : c’était reconnaître la présence de Dieu dans l’hôte ou le frère,
et solliciter une bénédiction du Seigneur qui vivait en lui. Nous savons
par la Règle du Maître, par Bernard du Cassin et d'autres documents,
que la réponse était : Deus, ou Dominus (2); mais elle n’était pas tou
jours formulée, et Boherius dit n’en avoir pas entendu à Subiaco et au
Mont-Cassin : Quid prior respondeat non audivi nec etiam ex Regula
capio quidquam de prioris responsione, nisi Deo gratias respondeat (3).
N. B. Père recommande en effet au portier de répondre : Deo gratias;
mais il ajoute : a ou de bénir », ce qui laisse supposer que la formule de
(1) Quod penes Deum bonitatis et benignitatis, omnis benedictio inter nos summum
sit disciplinae et conversationis sacramentum, « benedicat te Deus » tam jacite pronuncias
guam Christiano nc cesse esi (Tertum.., De lestim. animae, c. u, P, L., I, 611J,
(2) Reg. Magistri, xiil — Bernard, Cass., in cap. xxy,
(3) Commentaire in h, ζ
DE L'ORDRE DU CONVENT
Sil
bénédiction n’était pas le Deo gratias. Quoi qu’il en soit, le Deo gratias
et une antique et belle formule de salutation monastique. Les circoncellions du temps de saint Augustin en reprochaient l’usage aux moines;
on peut voir le blâme que leur adresse à ce sujet le saint Docteur dans
son Discours sur le psaume cxxxn (1).
La bénédiction ne se demande et ne s’accorde, remarque Paul Diacre,
qu’aux endroits ct aux heures où il est permis de parler; dans les lieux
réguliers ct pendant les temps de silence privilégiés, on se bornera à sol
liciter de cœur la bénédiction et à incliner la tête. Pierre le Vénérable
fut contraint de démontrer aux Cisterciens scandalisés que cela suffit
pour l’observation de ce point de la Règle (2). Dans les Déclarations de
Sainte-Cécile, D. Guéranger a écrit : « Les sœurs plus jeunes demanderont
■ la bénédiction aux anciennes, c’est-à-dire aux professes qui sont sorties
du noviciat, en disant : Benedicite; mais, durant le silence de la nuit, elles
leur feront seulement l’inclination. Les anciennes recevront d’une manière
humble et gracieuse cette marque d’honneur; mais celles qui auraient
fut profession le même jour que celle qui les salue répondront : Bene
dicite ». Nous n’avons pas cette coutume, et il faut nous tenir à ce qui
est établi. Mais nous ne sommes pas dispensés de saluer un ancien et,
d’une façon générale, tout frère que nous rencontrons. U n’est aucune
ment nécessaire de lui dire quelques mots aimables, une facétie on une
plaisanterie ; mais il est toujours de bon goût de se découvrir si l’on por
tait le capuchon, de regarder et de s’incliner. Alors même que le plus jeune
oublierait de le faire, l’ancien pourrait certainement s’incliner devant son
frère et l’ange gardien de son frère.
Saint Benoît prévoit enfin le cas où un ancien passe devant un jeune qui
est assis : celui-ci doit se lever aussitôt ; et si l’ancien vient pour s’asseoir
à l’endroit ou près de l’endroit où se tient le plus jeune, celui-ci doit lui
céder la place et ne se rasseoir qu’après y avoir été invité. C’est conforme
à la politesse de tous les pays et de tous les temps : Omni seniori, dit
Aristote (3), honor pro aetate reddendus ct assurgendo et sessione cedendo.
Encore pouvons-nous observer, avec Paul Diacre et Hildemar, que si
l’ancien ne fait que passer, « le jeune doit se lever un peu, s’incliner et
demander la bénédiction » ; que si l’ancien passe et repasse, ou que si
(1) P. L., XXXVII, 1732: Hi etiam insultare nobis audent quia /ralr w, cum nd*n(
homines, Deo gratias dicunt. Quid est, inquiunt, Deo gratias? liane surdus es ut nescias
quid sit Deo gratias? Qui dicit Deo gratias, gratias agit Deo. Vide si non debet frater
Deo gratias agere, quando videt fratrem suum. Num enim non esi locus gratulationis
quando se invicem vident qui habitant in Christo?— Et dans Ia Lettre XLI, S. Augcstin
dit encore : Deo gratias! nam quid mitius et animo geramus ei ore promamus, d calamo
exprimamus quam Deo gratias? Hoc nec dici brevius, nee audiri laetius, nec inlelligi
grandius, nec agi fructuosius potest (P, L, XXXIII, 158).
(2) Epist., 1. I, Ep. XXVIII. P. L„ CLXXXIX, 133-134.
(3) Ethique, 1. IX, c. Π. — Cfr. Sermo ascet, de renuntiatione saeculi, inl r
opp. P. G., XXXI, 614.
SO*
COMMENTAIRE SUR LA
RÈGLE
DE
SAINT
BENOIT
le jeune frère est assis dans un endroit où vont et viennent beaucoup
d'anciens, il est dispensé de se lever chaque fois ; que la courtoisie et
la charité font un devoir à l’ancien de ne pas laisser le jeune debout
devant lui; l’Abbé rappellera ce dernier point au Chapitre, dit Hildemar, et si quelque ancien y manque, il sera châtié ; s’il demeure incor
rigible, l’Abbé le rejettera au dernier rang. Il serait, en effet, quelque
peu ridicule pour un moine d’afficher sans cesse son ancienneté et
d'exiger avec morgue tous les honneurs qui lui sont dus.
Ne considérons jamais comme surannées ces prescriptions de la Règle.
Encore une fois, cette politesse et ces attentions sont l’indice de notre
charité et de notre délicatesse surnaturelle. Les frères doivent se pré
venir d’honneur (Rom., xii, 10), s’empresser et parfois s’ingénier à être
aimables, sans affectation toutefois ni obséquiosité. Saluons nos aînés, ·
laissons-les passer devant nous ; ne rougissons pas de parler à genoux
à notre Abbé. Les commentateurs profitent de ce qui est dit ici de la
sfssio, pour observer qu’un moine ne doit pas s’asseoir à la manière
négligée et molle des mondains (1).
Enfin, saint Benoît termine par une recommandation relative à l’atti
Hill
tude de la communauté vis-à-vis des enfants : nous l’avons déjà commentée.
(1) Cum sedes, non superpones alteri cruri alterum crus tuum : siquidem istud jacere,
animi parum aUenli atque aliud agentis indicium esi (Sermo ascel. de renuntiat, saec., 8,
P. G., XXXI, 644J,
4
CHAPITRE LXIV
DE L’INSTITUTION DE L’ABBÉ
Le dessein constant de cette portion de la Règle étant d'assurer le
bon ordre, l’observance, la paix intérieure de la communauté. N. B. Père
se trouve amené à parler une seconde fois de celui qui a pour mission
de régir toute la cité monastique et en qui réside la plénitude même de
l’autorité. Il n’estime pas que le chapitre second et de continuelles
mentions du gouvernement abbatial tout le long de la Règle aient épuisé
un tel sujet ; et, sans chercher, comme on l’a cm parfois bien arbitraire
ment, à atténuer et adoucir l’austérité du chapitre second, saint Benoit
le complète ici en établissant d’abord la procédure à suivre pour l’élection
et l’ordination de l’Abbé, et en rappelant ensuite quel esprit de sagesse
et de discrétion doit diriger pratiquement l’Abbé lorsqu’il traite avec les
âmes.
De ordinando Abbate. — In Abbatis ordinatione illa
semper consideretur ratio, ut hic constituatur, quem
sibi omnis concors congregatio, secundum timorem
Dei, sive etiam pars quamvis parva congregationis
saniori consilio elegerit.
On a, au cours des siècles, employé divers procédés pour la désignation
de l’Abbé. Le meilleur, à coup sûr, ne fut pas celui qui, dès le huitième
siècle (1), con fiait au roi ou aux seigneurs laïcs, au nom du droit de fonda
tion ou de patronage, le soin de pourvoir de titulaires abbayes et prieurés.
Il arriva même, aux beaux jours de la continende, que ces titulaires ne
furent ni moines, ni clercs ; en leur nom, des hommes de leur choix gou
vernaient tant bien que mal les religieux. La mensa alhalialis était
distincte de la mensa communis; et toute la charge de l’Abbé conunendataire était de toucher des revenus (2). Les abbayes entraient dans le
(1) Mabillon, Aria SS. O. S. B., Saec. III, PraeL 111.
(2) Cf. Émile Lesne, ΓOrigine des menses dans le temper-1 des Eglises et des momutires de France, au 2.V siècle.
f03
604
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
berceau ou la corbeille des princes et des princesses ! Grâce à Dieu, nous
lh
ne connaissons plus les splendeurs si chèrement achetées des abbayes
de l’ancien régime; et malgré le caractère précaire et réduit de notre vie,
malgré les persécutions et malgré l’exil, nous sommes du moins libres dans
nos murs.
Les droits du Souverain Pontife à la désignation de l’Abbé sont incon
testablement plus réels que ceux d’un roi, même très chrétien. Le Pape
pourrait ex plenitudine potestatis apostolicae conférer au candidat choisi
par lui la dignité abbatiale et le gouvernement d’un monastère, comme il
confère la dignité épiscopale et le gouvernement d’un diocèse. En fait,
les Papes usent quelquefois de ce pouvoir, mais seulement dans des cir
constances spéciales et extraordinaires : tel a été longtemps le cas des
monastères basilicaux de Rome; les Lettres de saint Grégoire le Grand
nous montrent le Souverain Pontife désignant à des moines leur Abbé (1).
Nous dirons bientôt quel est le rôle ordinaire du Saint-Siège dans les
élections abbatiales.
Quant aux évêques, le Droit reconnaît qu’ils ne peuvent d’eux-mêmes, et
sans délégation apostolique, choisir les supérieurs de? réguliers. Ils le firent
pourtant plus d’une fois dans les premiers siècles monastiques (2), soit
à titre de fondateurs et pour le premier supérieur seulement, soit à titre
de réformateurs (3), soit de façon abusive. Aussi des conciles, par exemple
celui de Carthage de 536 (4), voulurent-ils sauvegarder la liberté des reli
gieux : El quando ipsi Abbates de corpore exierint, qui in loco eorum ordi
nandi sunt, judicio congregationis eligantur; nec officium sibi hujus ele
ctionis vindicet aut praesumat episcopus. Nous voyons saint Aurélien obtenir
du pape Vigile confirmation du droit des moines à élire eux-mêmes leur
ALbé (5) et saint Grégoire le Grand maintenir cette disposition de la sainte
Règle (6). Nous préciserons dans la suite la part qui revenait et qui renent
à l’évêque en cette affaire.
Le choix de l’Abbé est donc réservé aux moines : dans la pratique,
l'exercice de ce droit a revêtu diverses formes. Chez saint Basile, le soin
en revenait aux chefs des communautés voisines (7). Lorsque, à dater
du quinzième siècle, se formèrent les grandes Congrégations bénédic
tines, quelques-unes d’entre elles, en même temps qu’elles renonçaient
à la perpétuité des Abbés, s’accoutumèrent à recevoir leur supérieur du
Chapitre général ou de la Dicte : c’est la Congrégation, au sens moderne
(1) EpisL, I. IX, Ep. XCI. P. L„ LXXVII, 1018; M. G. IL : EpisL, t. II, p. 49.
(2) Cf. S. Isidori Pelus., EpisL, L I, Ep. CCLXII. P. G., LXX VIII, 339.
(3) Cfr. FîtaS. Caesarü, ]. 1,12. M. G. H. : Script, rer. nierov., r. III, p. 4G1.
(4> Mansi, t. VIII, coL 842.
i
(5) Mabillon, Annate-s O. S. B., 1. IX, xxvui. T. I, p. 231.
(G) EpisL, 1. II, Ep. XLI et XLII. P. L., LXXV11, 078-580; M. G. IL : EpisL,
t 1. p. 348 et 346.
(7) Reg. fus., xuil
DE L'INSTITUTION DE L'ABBÜ
*05
du mot, qui, par l'intermédiaire de ses chefs, pourvoyait à l'entretien
des cadres. Chez saint Pacôme, le supérieur de chaque monastère était
nommé, par le supérieur général de la Congrégation ; et celui-ci désignait
lui-même son successeur (1).
Ce dernier procédé fut souvent usité dans l'histoire. Théodoret
(2),
•J?
Cassien (3) y font allusion. Pour l’Oecident noue avons de nombreux
témoignages, par exemple dans la Vie des Pères du Jura, dans saint Gré
goire de Tours, etc. La Règle du Maître (4) décrit longuement la procédure
à suivre lorsque l’Abbé veut se donner un coadjuteur avec future succes
sion ; selon cette Règle, les moines n’interviennent pas(p); et ri l’Abbé
vient à disparaître sans avoir songé à assurer l'avenir, l'évêque et le
clergé de la région s’adressent à un saint Abbé du voisinage, et lui
demandent d’aller passer un mois dans le monastère sans pasteur, aver
charge d’y choisir le plus digne. A Cluny, tandis que saint Odon et le
B. Aymard avaient été élus par leurs frères, saint Maïeul et saint Odilon
furent désignés par leur prédécesseur : la communauté n’intervint que
pour approuver le choix. Et quand saint Odilon, devenu vieux, fut prié
de choisir à son tour, il consentit seulement à nommer quelques moines
prudents qui feraient l’élection, laquelle devait être ratifiée par tous :
c’est ainsi que les choses se passèrent pour saint Hugues (6). Le mode
d'élection par les spirituales fratres, comme les appelle Bernard de Cluny,
passa même en coutume (7). Si le Prieur, qui présidait l’assemblée, on
le premier ancien consulté, proposait un nom qui agréait à tous, l’élection
était terminée (S).
\ ..
K
Aujourd’hui encore, l’Abbé a le droit de s’intéresser à l’avenir des siens
et de pressentir, mais avec une discrétion infinie, quel pourra être l'héri
tier de sa pensée et le continuateur de son œuvre, si vraiment il a eu une
pensée et s’il a travaillé à une œuvre digne de durer. Faudrait-il donc que,
périodiquement, toutes choses fussent remises en question? L’Abbé con
naît sa famille, il sait ce qui lui convient Et il va paraître devant Dieu :
on ne ment pas, à cette heure-là ; on ne se laisse guère entraîner par de;
motifs humains; c’est l’heure où les Patriarches deviennent Prophètes
et fixent, comme Jacob, comme Moïse mourant, l’histoire anticipée de.
le ir race. Mais des saints se sont trompés dans ces choix suprêmes!
(1) Cf. Ladeuze, Elude sur le cénobitisme pakhomien pendant te JP Jièete d la
première moitié du Fq p. 286, 287 et 316.
(2) Religiosa historia, c. iv. P. G., LXXXII, 1345.
(3) InsL, IV, xxvni.
(4) Cap. xciii et xciv.
(5) ...Àe cum unusquisque de suo judicio successionem ] rasumens. universos ùi sedi
tionem exagitet, el studiosam partibus pugnam scandali domum pacis facial in conten
tionem converti (xciv).
(G) Lire 1'dalric, Consuet. Clun., 1. III, c. I,
(7) Bernard., Ordo Clun., P. I, c. i.
(8) Constit. Uirsaug., I. II, c. i
.■
506
COMMENTAIRE
SUR
LA
RÈGLE
DE
SAINT
BENOIT
Est-ce bien sur ces choix eux-mêmes qu’il faut rejeter la responsabilité
de l’échec survenu? Après tout, on fera de l’avis du vieil Abbé tel usage
qu’on voudra : mais qu’il puisse en laisser un, cela ne fait pas de doute.
On supplée ainsi, dans la lignée des Abbés, aux avantages d’une héré
dité matérielle qui n'existe pas. Et c’est peut-être fournir à la com
munauté l’occasion de réaliser l’nnanimité des suffrages dont parle saint
Benoit : Omnis consors congregatio.
Chez N. B. Père, par conséquent, les membres de la communauté
ont seuls mission de se choisir un père. Dans la majorité des cas, c’est
le procédé le plus sûr et le plus équitable, la famille monastique
étant mieux renseignée et plus directement intéressée que tout autre.
C’est une question voisine du droit naturel; et l’Église le reconnaît
dans le texte du Pontifical in ordinatione presbyteri : Necesse est ut
facilius ei guis obedientiam exhibeat ordinato, cui assensum praebuerit
ordinando. On voit bien aussi par le contexte de la Règle que les moines
sont invités à prendre un Abbé parmi eux. Mais il est difficile de
savoir comment s’effectuait cette élection. Saint Césaire (1) n’est
pas plus explicite que saint Benoît. Aujourd’hui, en dehors du pro
cédé de compromis, l’élection se fait par vote secret, et après prestation
de serment.
Saint Benoît suppose trois résultats possibles de l’élection : 1° Toute la
communauté, agissant sous l’impression de la crainte de Dieu, tombe
d’accord pour choisir un bon moine. — 2° Toute la communauté s’entend
pour choisir un indigne, un sujet plus ou moins complice de scs dérègle
ments : saint Benoît examinera ce cas un peu plus loin. — 3° Il n’y a
pas unanimité et les voix se partagent : Hic constituatur quern... pars
quamvis parva congregationis saniori consilio elegerit. Ce texte est incon
testablement difficile.
Selon l’interprétation commune, la pensée de N. B. Père est celle-ci :
à supposer qu’il y ait d’une part une majorité relative, ou bien une
majorité absolue, ou même la presque unanimité, et d’autre part une
minorité quelconque, si réduite soit-elle (2), l'élu sera celui de cette
minorité, si son choix est meilleur et mieux inspiré, saniori consilio.
On voit tout de suite le péril d’une telle disposition : c’est une occasion
prochaine de schisme, un encouragement pour les minorités remuantes
et factieuses : car chaque parti ne manquera jamais de motifs pour
prétendre que son avis est le seul sage. C’est pourquoi l’Église réclame
aujourd’hui une majorité numérique. Saint Benoit a-t-il réellement
jeté chez les siens cette pomme de discorde et à ce point méconnu
(1) Reg. ad virg., Recapitulatio, χπ.
(2) Si deux moines seulement élisent un bon Abbé et cent nn indigne, disent Pauû
Diacre et Hildemar, le choix des premiers devra prévaloir,
DE L’INSTITUTION DE L'ABÜÉ
·«
la nature humaine? Les scrutins seront sans issue; il y aura lieu sans
cesse de recourir à une autorité extérieure qui départagera et décidera
quel est le meilleur choix : l’évêque par exemple, ou les Abbés du voisi
nage dont parlera bientôt saint Benoît, le Pape même, dit D, Calmet...
Il est sûr que les choses se sont passées ainsi plus d’une lois au cours
des âges ; mais le texte de la Règle n’invoque point, dans ce cas précis,
l’intervention de l’évêque ou d’un autre Abbé : pour elle, la commu
nauté se suffit.
Une autre interprétation est proposée par l’auteur do ΓΕχρΙΰαΙίοη
ascétique et historique de la Règle de saint Benoit. Π y a deux modes
d’élection : sive omnis concors congregatio... (plusieurs manuscrits inté
ressants lisent sive au lieu de sibi) ; sive etiam pars... Le premier esc
le plus normal; le second consiste à confier à une portion de la
communauté, même minime, mais prudente et « de meilleur con
seil », le soin de choisir l’Abbé; il peut être utilisé soit d’une façon
ordinaire, soit exceptionnellement, lorsque la communauté prévoit ou
constate l’inefficacité d’un scrutin. L’explication est bonne. Pourtant,
il semble bien que N. B. Père distingue et oppose en quelque sorte
le cas où toute la communauté est d’accord et celui où, la commu
nauté étant divisée, le choix d’une minorité, même réduite, mérite de
s'imposer ; or, selon l’explication présente, pratiquement et en dépit
de certaines lenteurs exigées par les délibérations et la désignation
des arbitres, il y a toujours unanimité dans l’élection : l’opposition
disparaît.
’ u
Π faut chercher une autre solution à la difficulté. Nous pourrions
nous ranger, pour une fois, à l’opinion du fameux Caramuel, adoptée
aussi par D. Mège. Supposons le cas où les suffrages vont à plusieurs
candidats. S’il y a une majorité absolue, c’est elle qui fixera le choix,
encore que ce ne soit qu’une « partie » par comparaison avec l'unani
mité. S’il n’y a point de majorité absolue, mais un éparpillement des
suffrages, saint Benoît ne désire pas que l’on recoure à un nouveau
scrutin : il n’amènerait qu’une coalition de rencontre, un syndicat de
mécontents ; et dans cette hypothèse le choix sera fixé par une simple
majorité relative. Celui-là sera élu qui aura obtenu le plus de voix.
Si l’on compare ce nombre à celui des votants, ce n’est qu’une partie,
et petite ; ce n’est réellement qu’une minorité, si l’on additionne en face
d'elle les autres minorités. Reste à justifier la remarque : saniori con
silio. Caramuel a réponse à tout : Numerosior est aliis, ei proplerea sanior
praesumitur, dit-il, et D. Mège après lui. Peut-être saint Benoît veut-il
insinuer que, dans ce cas d’une élection réalisée par une majorité rela
tive, il y a pour tous un motif spécial de regarder davantage à l’élu,
de vérifier avec plus de soin ses titres, de regarder aussi à la personne
dos électeurs. C’est alors qu’on pourrait, au besoin, faire intervenir un
508
COMMENTAIRE
SUR
arbitre de l’extérieur; mais
LA
RÈGLE
ce serait
DE
SAINT
exceptionnel,
et
BENOIT
sans
danger pour
l'indépendance des communautés.
Hi Η
Vitae autem merito, et sapientiae doctrina eligatur
qui ordinandus est, etiam si ultimus fuerit in ordine
congregationis.
Quclquesoit le mode de l'élection, chacun des religieux devra choisir
en conscience, dit saint Benoît, qui s’occupe maintenant de la personne
de l’élu. Ne serait-ce pas un des spectacles les plus effrayants que l’on
puisse voir sur terre, celui d’hommes faisant à Dieu le serinent solennel
d’élire le plus digne et égarant leur suffrage n’importe où, au hasard de
leurs passions ou de leurs combinaisons du moment? Le gouvernement
des âmes remis pour vingt ou trente ans, et par le fait de passions mes
quines. entre des mains branlantes ou douteuses ! C’est une des circons
tances où il importe le plus de se mettre en face de Dieu, du tribunal
et du jugement de Dieu ; l’élection doit s’accomplir, N. B. Père l’a déjà
noté, secundum timorem Dei. Il faut faire taire ses préjugés, ses anti
pathies ou ses sympathies, ses enthousiasmes, il faut surtout comprendre
et prévoir.
Au reste, saint Benoît indique nettement à quels traits on reconnaîtra
celui qu’il convient d'élire. Vitae meritum, d’abord. Une grande situa
tion dans le monde, un grand nom, de belles relations, la richesse patri
moniale et l’espoir que, grâce à elle, on vivra à l’aise et l’on pourra
bâtir, l’habileté financière et administrative : toutes ces préoccupa
tions sont écartées. On regardera s’il y a mérite et sainteté de vie, non
pas nécessairement absence de défauts et de fragilités, mais profonde
dignité de vie et souci des choses surnaturelles. Saint Benoît réclame
en outre (1) « la doctrine de la sagesse ». Ce n’est pas la science tout
court : les hautes mathématiques ne suffisent pas. Ce n’est même pas
la science ecclésiastique : car alors une théologie sèche et de pure curio
sité, garantie par un diplôme de docteur, pourrait satisfaire. Ce n’est pas
non plus simplement la science théorique ou expérimentale des voies
mystiques. C’est quelque chose de beaucoup plus compréhensif : c’est
une doctrine faite de lecture assidue, de réflexion, de pratique, de pru
dence, d’intelligence des institutions monastiques. La prudence, le tact,
la discrétion : nous entendrons bientôt saint Benoît rappeler qu’on s’at(1) Sanda quippe rusticitas solum sibi prodest; et quantum aedificat ex vitae merito
Eeeltriam Christi, tantum nocet si destruentibus non resistat... Vides quantum inter se
distent justa rusticitas et doda justitia (S. IIieron., Epist. XLIII, 3. P. L., XXII, 542).
DE L'INSTITUTION DE L'ÀBBÉ
54Î
tend a Ica rencontrer surtout chez l’Abbé. Et ce sont qualités qui n’ac
compagnent pas toujours l’intelligence, ni la vertu, ni le zèle aposto
lique. Sanctus est? disaient les anciens, oret pro nobis. Doctus est? doceat
nos. Prudens est? regal nos.
Et lorsque toutes ces conditions se rencontrent, elles doivent déter
miner le suffrage de la communauté, alors même que l’élu occuperait
le dernier rang dans le monastère, qu’il serait par conséquent de profes
sion récente et même assez jeune d’âge. Saint Placide, saint Hugues,
Abbé à vingt-cinq ans, n’ont vraiment pas fait trop mauvaise figure. Et
puis, si la jeunesse est un défaut, il se corrige vite et sûrement. Même,
en principe, il est bon d’élire un Abbé jeune : il y a des œuvres qu’il
n’entreprendra et ne pourra poursuivre que parce qu’il se sent de la
vigueur, qu’il a l’avenir devant sol Dans une communauté bénédic
tine, la vie et le mouvement viennent de l’Abbé; et alors que, dans
d’autres formes de vie religieuse, des cadres solides, une ossature puis
sante, une réglementation définie et minutieuse, maintiennent l’unité
et assurent le développement de l’œuvre, quels que soient les chan
gements de titulaire : chez nous, au contraire, tout repose sur la per
sonne même de l’Abbé (1).
Quoi! si etiam omnis congregatio vitiis suis (quod
quidem absit) consentientem personam pari consilio
elegerit, et vitia ipsa alaquatcnus in notitiam epi
scopi, ad cujus dioccsim pertinet locus ipse, vel
Abbatibus, aut chrislianis vicinis claruerint, prohi
beant pravorum praevalere consensum, et domui Dei
dignum constituant dispensatorem; scientes pro hoc
se recepturos mercedem bonam, si illud casto et
zelo Dei faciant, sicut e contrario peccatum, si ncg! i gant.
Saint Benoît envisage, et avec terreur : Quod quidem absit! une
troisième issue de l’élection : le cas où les suffrages se réuniraient sur
(1) Plusieurs conciles particuliers et plusieurs Papes ont depuis longtemps prescrit
que l’Abbé ait l’âge et la dignité du sacerdoce. Selon le Code de droit canonique, un
Abbé doit avoir au moins trente ans d’âge et dix ans de profession (à compter depuis
la première profession) ; on exige quarante ans pour un Supérieur général et pour
j’Abbesse d’un monastère de moniales.
610
CO.'iMEiYTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
un indigne. Une communauté ne choisit jamais un indigne que pour son
plaisir à elle, et parce qu’elle se dit : « A raison de scs habitudes,
et parce qu’il est compromis dans les mêmes errements que nous,
voilà un moine qui ne sera pas gênant : nous pouvons sans crainte
en faire un Abbél » Des calculs de ce genre n’étaient pas absolument
métaphysiques à l’époque où se rencontraient des moines comme
ceux de Vicovaro : l’unanimité qui pouvait se former pour empoi
sonner l’Abbé, pouvait se retrouver pour lui donner un triste suc
cesseur (1 ).
Lorsque ce malheur arrive, et que l’évêque du lieu ou bien les Abbés
et les laïcs influents du voisinage viennent à connaître avec certitude, par
quelque procédé que ce soit, officiel ou privé, les agissements vicieux
de la communauté, c’est pour eux un devoir de conscience d’intervenir :
s’ils le font, Dieu loin- donnera bonne récompense ; s’ils se désintéressent,
il y aura faute et châtiment. Encore faut-il, note rapidement saint Benoît,
que leur intervention soit inspirée par des motifs purs et par le zèle de la
gloire de Dieu, non par des calculs d’ambition, de jalousie, ou par des
préférences injustifiées. Il ne convient pas que, sous prétexte de vigi
lance, même dévouée, même affectueuse, la liberté de la vie monastique
soit amoindrie, et que toutes les personnes pieuses de la région partent
en guerre et prennent parti dans une affaire qui ne les concerne aucune
ment. Ceux à qui en appelle N. B. Père auront une double mission :
casser Pélection mauvaise ou suspecte et empêcher le complot des mé
chants de prévaloir, puis pourvoir la maison de Dieu d’un gouvernement
digne. Quel était le rôle dévolu à chacun des personnages énumérés par
saint Benoît? Tout porte à croire qu'ils devaient agir de concert sous la
direction de l’évêque, les Abbés appuyant celui-ci de leurs conseils et les
chrétiens du voisinage prêtant au besoin le secours du « bras séculier».
Le procédé suivi était sans doute celui d’une enquête ecclésiastique (2).
Comment enfin se déterminait le choix du nouvel Abbé? X. B. Père
est trop laconique pour qu’on puisse tirer de son seul texte réponse à
toutes ces questions.
Ordinatus autem Abbas cogitet semper quale onus
suscepit, et cui redditurus est rationem villicationis
(1) S. Greg. M., Dial., I. II, c. in.
(2) Il y a coïncidence entre ces dispositions de la Règle et celles du concile de Car
thage de 536 (Mansi, t. VIII, coL 842) : Si qua vero contentio, quod non optamus, exorta
luerit, ut ista Abbatum aliorum concilio sive judicio finiatur; aut si scandalum perseve
raverit, ad Pnmales uniuscujusque provinciae universae causae monasteriorum judi
candae perducantur. (Cf. canon vu du concile de Tours de 567, sur la procédure à suivre
pour la déposition d’un Abbé. Mansi, t IX, coL 793.)
DE L'INSTITUTION DE L'ABBÉ
SI!
suae; sciatque sibi oportere prodesse magis quam
praeesse.
Saint Benoît adresse à l’Abbé élu et institué (1) des conseils, qui rap
pellent souvent ceux du chapitre second et nous invitent nous-mêmci à
des redites. Avant de descendre aux applications pratiques, il pose le prin
cipe général qui doit régler toute la conduite de l’Abbé. On lui demande
de prendre conscience non pas tant de l’honneur qui lui est fait que du
fardeau placé sur ses épaules : il est l’intendant du Seigneur, il tient sa
place auprès des âmes ; qu’il y songe sans cesse et qu’il n’oublie jamais
à quel maître souverainement perspicace et équitable il devra rendre
compte de sa gestion.
Les paroles qui suivent sont graves : l’Abbé doit savoir qu’il lui
faut bien plutôt servir que commander, être utile aux siens que faire
figure. Le Seigneur avait dit de lui-même, avec la même assonance
élégante : Filius hominis non venit ministrari, sed ministrare (Match.,
XX, 28). Mais N. B. Père s’est souvenu aussi textuellement de saint
Augustin disant aux fidèles, en l’anniversaire de sa consécration épisco
pale : Adjuvate nos, et orando et obtemperando, ut nos vobis non tam
pra esse quam prodesse delectet; et ailleurs : Ut intelligat non se esse epi
scopum qui praeesse dilexerit, non prodesse (2). Et, en effet, de combien
de manières un Abbé ne pourrait-il pas envisager sa charge! * Me voilà
arrivé, pourrait-il se dire; j’ai mon bâton de maréchal; je n’ai rien de
II1H
plus à espérer : reposons-nous ! » Non : un Abbé est un homme
qui tra
vaille. Ou bien il ferait ce raisonnement: «J’ai des occupations nombreuses,
des visites à faire et à recevoir, des lettres à écrire, des relations à cul
tiver, des intérêts matériels à sauvegarder : il ne m’est vraiment plus
possible de faire face aux exigences de la Règle. On me verra de loin en
loin aux offices pontificaux : pour tout le reste, la vie monastique se
développera sans moi. » Il est sûr que l’Abbé, à raison de ses occupations
et pour le service même de sa communauté, ne peut toujours être avec
elle et suivre toutes les observances; mais ne semble-t-il pas qu’un
Abbé qui s’appuie sur sa charge pour se soustraire à la Règle. — sauf
le cas d’infirmité ou de vieillesse, — se prive lui-même d’une grande
(1) En général, la confirmation de l’élection abbatiale, l’institution,!' « ordination ·
de l’Abbé revenaient alors de droit à l'évêque diocésain, même lorsqu'il s’agissait de
monastères assez indépendants. Dès le sixième siècle. certains f ondateurs et des évquM
eux-mêmes, en Italie et en Gaule, réservent au Souverain Pontife la protection de .< _nj
les chapitre
monastères et la confirmation des élections abbatiales. Mais ni
lxtv et i.xv de la Règle ni dans la Vie de sa n: Benoit (S. Greg. M., Dial.. L II. c. m.
xxn). nous ne trouvons d’indication sutiisante pour reconnaître selon quelle discipline
avait lieu à Subiaco et au Mont-Cassin Γοτ&ηαΙίο Abbott.
(2) Sermo CCCXL. P. L, XXXVIII, 1481 De Cnil. Lu, L XIX, c. xxx P. L, XLI,
647.
Λ —T
V
•
v.
•
< ·
5it
commentaire sur la règle de saint benoit
force et frustre ses moines d’un très bon exemple? Il existe un autre
écueil : aux termes du Cérémonial, un Abbé a rang après les évêques,
et il en possède certains droits extérieurs : aequiparalus episcopis. Par
conscience de sa dignité, et pour le bon renom de son monastère, il
pourrait se croire tenu de multiplier les pontificaux au dedans comme
au dehors, de se montrer dans toutes les cérémonies et réunions ecclé
siastiques, dans les congrès, de revendiquer privilèges et honneurs.
Tout cela serait parfaitement indigne d’un homme sérieux et très
opposé au texte de la Règle. L’Abbé est moine, il est humble et simple;
et il réside chez soi.
Oportet ergo eum esse doctum in lege divina, ut
sciat unde proferat nova et vetera : castum, sobriùm,
misericordem, et semper superexaltet misericordiam
judicio, ut idem ipse consequatur. Oderit vitia, dili
gat fratres.
L’Abbé n’existe que pour le bien de ses moines : il faut donc, oportet
ergo, qu’il possède la doctrine de la foi, de la vie spirituelle, des saintes
Écritures. C’est la première recommandation précise adressée à l’Abbé,
et nous nous souvenons comment N. B. Père a insisté autrefois sur ce
point. Du trésor acquis déjà et grossi chaque jour par l’étude et la prière,
11 III
l’Abbé tirera, comme
un bon père de famille, « les choses anciennes et
les choses nouvelles » (ÀIatth., xiii, 52 ; Cant., vu, 13) : les enseigne
ments qui ne changent pas et les applications qui varient chaque jour,
les règles qui sont éternelles et les avis qui se proportionnent à chaque
nature individuelle. C’est le rôle du père de donner la lumière, comme
c’est le devoir des fils de se laisser affectueusement pénétrer par elle :
Et erunl omnes docibiles Dei (Joann., vi, 45). Un monastère doit être
une école de doctrine surnaturelle. Lorsque les hommes ne sont pas
encouragés et soutenus, alimentés quotidiennement par un apport d’in
telligence, ils vieillissent avant l’âge, et réduisent de jour en jour le nombre
et l’étendue de leurs idées ; ils s’occupent de leur santé, de leur moi,
de mille riens qu’ils grossissent, et deviennent ingouvernables. Et si, par
malheur, l’Abbé n’enseignait pas du tout, ou se bornait à dire des futi
lités, il ne prendrait jamais un vrai contact avec ses moines et ignore
rait à jamais les meilleures joies de la vie.
Mais à côté de l’enseignement théorique : ce que nous devons penser
et croire, il y a l’enseignement pratique : ce qu’il faut vouloir et ce qu’il
faut accomplir. C’est en vue de cette seconde prédication que saint Benoît
signale rapidement les vertus qui sont propres à donner autorité aux
DE L’INSTITUTION DE L’ABBÉ
513
paroles de l’Abbé. Π sera chaste et sobre. Toute insistance est superflue :
il serait simplement monstrueux qu’il en fût autrement et qu'il descendit
de la vie de l’Abbé sur ses enfants d’autres exemples que ceux-là. Sobriété
et chasteté n’ont pas d’ailleurs chez les anciens quo leur sens restreint
et négatif : elles impliquent la parfaite délicatesse morale, l’esprit de
détachement dans l’usage des biens créés, l'adhésion à Dieu qui est le
fruit de ce sacrifice.
Saint Benoît ajoute : « miséricordieux », parce qu’il commence à
nous conduire sur un autre terrain, celui de la correction, de la répres
sion active. Platon s’est demandé quelque part ce que c’est que gou
verner : gouverner, dit-il, c’est échanger des lumières avec ses sujets.
La réponse est belle et bien conforme à la théorie socratique, d’après
laquelle nul ne fait le mal que malgré lui : si le coupable savait, il ne
pécherait pas. La formule est malheureusement trop idéale pour des êtres
déchus ; et l’autorité doit se résigner souvent à corriger et à punir.
Béni soit N. B. Père pour nous avoir donné à imiter le procédé de
Dieu même et pour y avoir incliné l’Abbé, non pas seulement par son
titre de père, mais encore par la considération de son propre intérêt :
« Bienheureux les miséricordieux, parce qu’ils obtiendront eux-mêmes
miséricorde. « Saint Odilon disait : Malo damnari de misericordia
quam de severitate. Si Dieu, au dernier jugement, nous reproche un
excès de miséricorde, le plus respectueusement qu’il nous sera pos
sible, à genoux devant lui, ne pourrons-nous pas lui dire : a Mais
vous, Seigneur? u Que l’Abbé fasse donc toujours passer la miséri
corde avant la justice, lorsque la rigueur ne paraît pas indispensable
(Jac., h, 13) ! H est un miséricordieux, il n’est pas un justicier. Sans
doute il ne peut aimer le mal et les habitudes dangereuses : mais du
moins qu’il aime les frères 1 C’est le double principe qui le guidera
dans la correction (1).
·
In ipsa autem correctione prudenter agat, et ne
quid nimis; ne dum nimis eradere cupit aeruginem,
frangatur vas ; suaque fragilitate semper suspectus
sit, memineritque calamum quassatum non conte
rendum. In quibus non dicimus ut permittat nutriri
vitia, sed prudenter et cum caritate ea amputet,
(1) Il est emprunté i\ S. Augustin : Dilige hominem, oderis vitium (Sermo XLIX. 6.
P. L., XXXV III, 323); Oderit vilium, amet hominem (De CiriL Dei, I XIV, c,
P. L., XLI, 409); Cum dilectione hominum et odio viliorum (Epist CCXI, 11. P. L,
XXXIII, 962). — S. Caesar., lïeg. ad virg., xxu : Hoc faate cum dilectione «rorum
el cdio liho/ um.
33
1
51
COMMENTAIRE
SUR
LA
RÈGLE
DE
SAINT
BENOIT
prout viderit cuique expedire, sicut jam diximus; et
studeat plus amari quam timeri.
Comment so comporter dans la correction même, lorsqu’elle est
devenue nécessaire? Avec prudence et avec mesure, sans excéder
jamais : ne quid nimis (1). Et d’abord que les réprimandes soient rares.
Lorsqu’elles tombent trop dru et périodiquement, chacun s’y accoutume
et elles cessent de faire impression. Puis, qu’elles soient vraiment justi
fiées : il y a des points qui sont considérables et d’autres qui le sont moins ;
il est tel détail que, par habitude ou par tempérament, l’Abbé n’aime
pas, et qu’il n’est pas pour autant obligé d’extirper. Enfin, que les cor
rections viennent à propos et qu’elles soient appropriées au caractère
et à la situation morale de chacun : il est des trempes dociles et il en est
d'autres qui se cabrent ; il existe même, pour des âmes habituellement
soumises, des moments de tentation aiguë où il serait imprudent et
peut-être cruel d’ajouter encore à leur fardeau. Il faut éviter d’exas
pérer les âmes : de même que s’il s’agit de racler la rouille d’un vase en
métal, on ne le fera pas au point de le briser. C’est affaire de doigté et de
délicatesse.
Pour incliner l’Abbé à la miséricorde, saint Benoît lui fournit un
double motif : qu’il se considère lui-même, qu’il considère le Seigneur.
Songeant toujours à sa propre faiblesse, se substituant en esprit à
celui qui est corrigé, il sera porté à l’indulgence et à la compassion.
B le sera surtout, si, demeurant uni au Seigneur et n’agissant que de
concert avec lui, il se souvient des termes employés par Isaïe (xlh, 3) et
saint Matthieu (xn, 20) pour décrire le caractère du Messie : Calamum
quassatum non confringet. Et, tandis que la Règle s’efforce de retenir
l’Abbé sur les pentes de la sévérité, il serait étrange que des frères se
crussent la mission de gourmander, d’aiguillonner l’autorité, lorsqu’elle
ne s’emploie pas à corriger aussitôt tout ce que leur judiciaire leur dénonce
comme ne pouvant être toléré plus longtemps : « Comment l’Abbé ne
voit-il pas cela? Cela crève les yeux, pourtant. Serait-il donc complice?... »
Patience ! R n’est pas de bon goût d’appeler ainsi la foudre sur tout ce
qui n’est pas exactement conforme à notre appréciation personneEe :
(1) C’est une réminiscence de saint Jérôme ou de saint Augustin. Difficile est modum
tmerein omnibus, dit S. Jérôme, et vere juxta philosophorum sententiam, μεσότης ή ά?εττ„
{τζερβοίή χαχίζ reputantur; quod nos una et brevi sententiola exprimere possumus : Ne
quid nimis, Terentius, Andria, I, i, 34 (Episl. CVIII, 20. P. L., XX H. 89S). Ailleurs
(Episl. CXXX, 11. P. L, XXII, 1116) saint Jérôme répète les deux citat ions et attribue
le .Ve quid nimis à l’un des sept Sages, ajoutant : Quod tam celebre factum est, ut comico
quoque versu expressum sit. Dans la Lettre LX, 7 (P. L., XXII, 593), il invite Héliodore
à modérer la douleur que lui causait la mort de son neveu Népotien et lui cite le Ne quid
mmis. — De son côté. S. Augustin cite et explique la même sentence (Enarratio IV
tn Ps, cxyiu, 1. P. L., XXXVII, 1009),
UE L'INSTITUTION DE L'ABBÈ
515
.VesriZw cujus spiritus estis (Luc., rx, 55). H cet aisé aussi de remarquer
que ces indignations ne viennent guère que de la jeunesse et de l’inex
périence ; les plus impatients à attirer les sévérités sur leurs frères sont
les plus facilement surpris lorsque l’observation les atteint eux-mêmes.
Qu’on laisse donc l’Abbé n’intervenir qu’à son heure et selon le mode
qu’il juge opportun.
In quibus non dicimus... Voici, non pas le tempérament de la misé
ricorde. mais une précaution prise contre une fausse interprétation de
cette vertu. L’idéal de la miséricorde n’est pas le laisser-aller universel ;
l’inobservance, le débraillé ne constituent pas l’esprit de famille. Et il
importe que le souci de témoigner à chacun de la bonté ne fasse pas oublier
la bonté envers la communauté; car tout monastère déchoit rapidement
si le supérieur est trop porté à oublier, à excuser, à tout amnistier. Saint
Benoît ne veut pas que les mauvaises habitudes se nourrissent d’une
pareille condescendance. Et sa Vie nous montre plus d’un trait où la
tendresse paternelle s’arma d’une sainte rigueur : qu’on se rappelle l’his
toire du jeune moine qui portait le bougeoir; de celui qui ne pouvait
demeurer à l’oraison et s’abandonnait aux sollicitations du petit Ethio
pien ; du cellérier trop zélé qui avait dissimulé un flacon d’huile. Il s’agit
sans doute de retrancher les vices, mais de le faire au moment conve
nable, avec adresse, avec charité.
Même, on recommande à l’Abbé de s’étudier à être aimé plutôt que
craint. C’était aussi le conseil de saint Augustin (1). Les anciens igno
raient donc cette spiritualité raffinée, selon laquelle il faudrait se garder
d’un attachement cordial à son supérieur, sous prétexte de lui obéir
plus purement, et qui nous ferait distinguer avec soin en lui l’homme
et le supérieur, afin de nous prémunir contre une aSection trop naturelle
envers le premier (2) ! Si N. B. Père invite l’Abbé à se faire aimer et non
redouter, c’est d’abord que l’Abbé tient la place du Seigneur et que nous
sommes avec le Seigneur dans les relations où nous sommes avec notre
Abbé. C’est aussi que l’économie nouvelle est par définition et tout
entière une économie de charité et non de crainte : Non accepistis spi
ritum servitutis iterum in timore. Enfin, cette affection même est un
levier indispensable pour le bien; elle est un soutien et un récon
fort au cœur de l’Abbé, et, grâce à elle, il porte plus efficacement
(1) Corripiat inquietas, consoletur pusillanimes, suscipiat infirmas, patiens sit ai
omnes; disciplinam libens habeat, metuens imponat. Et quamvis utrumque sil Mensa
rium, tamen plus a vobis amari appetat quam timeri, semper cogitans Deo se pro vobis
reddituram esse rationem. Unde magis obediendo non solum cestri, vertm etiam ipsius
miseremini; quia inter vos quanto in loco superiore, tanto in periculo majors versatur
(Episl. CCXI, 15. P. L.. XXXIII, 964-965).
(2) Mmasiù enim ut veniretis : sed amastis, quid? Si nos. ei hoc bene; nam volumus
amari a vobis, sed nolumus in nobis. Quia ergo in Christo vos amamus, in Christo nos
redamate, et amor noster pro invicem gemat ad Deum : ipse enim gemitus eoiumt-M esi
(S. Aug., In Joannis Etang., tract. VI, 1. P, L., XXXV, 1425),
516
COMMENTAIRE
sun
la règle de saint benoit
vers Dieu des âmes qui obéissent d’autant mieux qu'elles aiment davan
tage.
Non sil turbulentus et anxius, non sit nimius et
obstinatus, non zelotypus et nimis suspiciosus, quia
numquam requiescet.
Après avoir parlé de l’enseignement, puis de la correction, qui en est
le complément obligé, N. B. Père insiste sur cette disposition foncière
qu’il appelle la discrétion. Elle apparaîtra tout d’abord dans le caractère
de l’Abbé. Or, le caractère d’un homme, c’est la forme morale de son
tempérament. Mieux vaudrait peut-être qu’il n’eût pas de tempéra
ment, pas de caractère, pas de personnalité : qu’il ressemblât parfaite
ment au Seigneur et que l’influence de Dieu tînt en lui la place de son
moi ! Mais ce n’est pas toujours possible, l’Abbé et ses moines en
prendront leur parti. Du moins saint Benoît réclame-t-il que l’Abbé
s’efforce de n’être ni brouillon, ni inquiet, ni excessif, c’est-à-dire exalté,
emporté, ni opiniâtre, ni jaloux, ni trop soupçonneux (1) : car il n’y a
aucto repos, dit-il, pour un homme de cette trempe. Et c’est chose
remarquable à quel point le calme est devenu impossible dans une maison
dont le chef est remuant et passionné. Gardons-nous de passer légèrement
sur ces paroles et de les considérer comme une sorte de remplissage
verbal Elles semblent, au contraire, définir une fois de plus, et par
contraste, la physionomie générale de notre vie. Ce n’est pas seulement
la doctrine, c’est encore la paix qui vient d’en haut et se communique
hiérarchiquement. Le monastère doit être le séjour de la paix ; et c’est
de la personne de l’Abbé qu’on s’attend à la voir rayonner. Répétons-le
encore, il n’est nullement question chez saint Benoît d’obtenir de chacun,
en éperonnant, en poussant, en aiguillonnant, le maximum de rende
ment surnaturel dans le minimum de durée. Ces procédés outranciers
peuvent réussir : ils ont surtout chance d’échouer ; même lorsqu’ils
réussissent, ils donnent à la vie surnaturelle quelque chose d’inquiet
et de tendu.
In ipsis imperiis suis sit providus et consideratus,
sive secundum Deum, sive secundum saeculum
sint (2). Opera quae injungit, discernat ac temperet,
(1) Encore un souvenir d’Isaïe disant du Messie : Non clamabit, neque accipiet per
te ram... Calamum quassatum non conteret... Non erit tristis, neque turbulentus (xt.it,
2-1).
(2) Les récentes éditions critiques lisent ainsi : ... ci consideratus; et sive secundum
D.um, rive secundum saeculum sil opera quam injungit, discernat,
UE L’INSTITUTION DE L’ABBÉ
SH
cogitans discretionem sancti Jacob, dicentis : Si
greges meos plus in ambulando fecero laborare, morientur
cuncti una die. Haec ergo aliaque testimonia discre
tionis matris virtutis sumens, sic omnia temperet,
ut sil quod et fortes cupiant, et infirmi non refu
giant.
H s’agit maintenant de la discrétion de l’Abbé lorsqu’il commando,
lorsqu’il impose les obédiences : car il ne peut, sous prétexte d'éviter
les défauts qu’on lui signalait à l’instant, s’abstenir de donner des ordres.
Mais que, dans ses ordres mêmes, in ipsis imperiis suis, il soit attentif
et mesuré, prévoyant et pondéré, soit qu’il s’agisse des choses de Dieu,
comme l’office divin et l’oraison, ou bien des choses temporelles, comme le
travail et le régime alimentaire. Toujours, il doit user du procédé de dédou
blement et vivre en quelque sorte dans la personne des faibles. Quand
l’Abbé distribuera le travail, dit saint Benoît, qu'il fasse donc preuve de
discernement et de modération, le mesurant avec soin à la taille et aux
forces de chacun. Dieu ne lui a point donné comme mission d’écraser ses
serviteurs. Il se souviendra de la discrétion du saint patriarche Jacob
(Gen., xxxm, 13), et recueillera attentivement, dans ses lectures, tous
les autres exemples de cette discrétion qui est la mère des vertus (1).
Nous avons encore dans ces quelques mots, et sous forme positive,
tout l’esprit de saint Benoît. La discrétion n'est autre chose qu’une forme
de la prudence, reine et maîtresse des vertus morales, selon l’exposé
du Docteur angélique (2). Les vertus doivent être pondérées et intelli
gentes, et se tenir toutes in medio : or, c’est à la prudence qu'il appartient
de déterminer ce medium virtutis, d’après la considération attentive des
circonstances de l’action. Là où elle se trouve, se trouvent aussi les autres
vertus morales ; de même que toutes les vertus théologales se rencontrent
dans la charité. Nous pourrions dire de la discrétion qu’elle est la pru
dentia regnativa, c’est-à-dire la vertu qui, consciente de la fin à obtenir
et des moyensdont elledispose, ordonne tous les actes vers cette fin désirée,
s’applique à doser toutes choses, à n'excéder en rien, à calculer l'effort
selon le travail et selon l’indix'idu. Comme
habitude, comme tonalité
Hill
de la vie, elle est la mesure sage, l’exquis tempérament de l'action. Elle
ordonne harmonieusement les vertus et les forces de l’âme, de telle sorte
que soit atteint le but supérieur de la vie qui est la contemplation des
choses divines.
(1) Cc sont les expressions mêmes de Cassien, dans sa IIe Confirmee (chap. iv). qne
l'on fera bien de relire en entier : Omnium namque virtutum generatrix, custof moàeratrixque discretio est.
: ’’ ’w4,
(2) Dans la II* II*’, q. xlvh.
EI«
COMMENTAIRE
SUR
LA
RÈGLE
DE
SAINT
BENOIT
Sic omnia temperet, ut sit quod et fortes cupiant, et infirmi non refugiant.
Voilà le dessein de N. B. Père : rallier à la vie parfaite, conduire à l’union
divine toutes les âmes de bonne volonté. Mais, s'il en est ainsi, il faut
donc prendre son parti de ne pas demander à tous et à toute heure
le summum de tension continue. Ce serait, sous couleur de perfec
tion, courir à l’inobservance. Combien peu durent ces enthousiasmes!
Le danger de la tiédeur n’est pas pire. Saint Benoît établit une certaine
moyenne sage, facilement abordable ; au delà on n’exigera rien de plus.
Mais une marge est laissée à la délicatesse et à la générosité personnelles.
Saint Benoît lui-même, au dernier chapitre de sa Règle et en d’autres
passages, ouvre aux vaillants les horizons d’une perfection ultérieure.
Et c’est encore la prudence qui suggère au moine désireux de parvenir
à la sainteté de ne pas s’endormir sur la route et de placer très haut
son idéal pratique.
Et praecipue, ut praesentem Regulam in omnibus
conservet; ut, dum bene ministraverit, audiat a Do
mino quod servus bonus, qui erogavit triticum con
servis suis in tempore suo : Arnen dico vobis, ait.
super omnia bona sua const iluet cum.
Une dernière et grave recommandation est adressée à l’Abbé : « Et
surtout qu’il conserve en tout la présente Règle ». Tout le long de ce
chapitre, on ne lui a guère parlé que de miséricorde, de discrétion,
d’adaptation aux besoins des siens. Afin d’éviter toute méprise, saint
Benoît lui rappelle qu’il ne lui est nullement loisible de modifier la Règle,
ce l'adoucir ou de l’aggraver, de lui substituer ses propres idées et ses
dispositions d’au jour le jour. La volonté de l’Abbé a été souvent, en
effet, jusqu’à N. B. Père, la règle unique de bien des monastères : mais
les cénobites de saint Benoît ont besoin d’une Règle écrite, stable et pré
cise dans sa largeur. Elle est confiée à l’Abbé. Saint Benoît lui demande
de la conserver intacte, — esprit et lettre, — de la faire observer, sans
doute aussi de l’observer lui-même. Ni l’Abbé ne saurait se passer de la
Règle, qui est pour lui une lumière et un frein ; ni la Règle ne se suffit
sans l’Abbé, à raison de son caractère abstrait et général. L’union étroite
doit exister entrel’uD etl’autre. Et làse trouve l'explication toute naturelle
de l’embarras qui se crée entre un moine et son Abbé, lorsque le moine
ΓΠΗ
commence
à transiger avec la Règle. C’est en même temps et d’une même
allure que l’on s’éloigne de Dieu, de la Règle, de son Abbé ; et à demeurer
fidèle à l’un ou à l’autre de ces éléments, on gagne d’être fidèle à tous,
et l’on est heureux.
DE L’ÏNSTlTh^
L« qui, en cas d’absence, de démission, d’incapa
cité, de mort de l’Abbé, revient de droit le gouvernement ; celui à qui l’Abbé
laisse une large part d’action et d’influence : ce n’est pas parce qu’il est
tout cela que le Prieur pourra affecter des airs hautains et indépendants.
Puisque l’Abbé l’a choisi, librement et non sans retour, pour qu’il soit
son bras droit et qu’il le représente auprès des frères, ne serait-il pas
déloyal que le Prieur s’efforçât do confisquer l’affection des moines, les
détournât sournoisement d’obéir à l’Abbé sur tel ou tel point, et ne
tint nul compte, pour sa part, des ordres ou des directions données?
a Qu’il accomplisse, et avec révérence, dit saint Benoît, ce qui lui est
enjoint par son Abbé, et qu’il no fasse rien contrairement à la volonté
ou aux règlements de l’Abbé (1). »
Et ceci nous invite à dire un mot des qualités d’un Prieur. S’il est saint,
Dieu soit béni, car il faut de la vertu à celui qui doit à la fois commander
et obéir, obéir mieux et avec une docilité plus profonde, obéir à un homme
qu’il voit déplus près et dont peut-être il connaît bien les faiblesses. D va
de soi qu’il aura de l’intelligence et de la circonspection. Il sera régulier
et vraiment moine, puisque sa charge est surtout de maintenir l’obser
vance exacte. Et saint Benoît lui rappelle que. dans la mesure même où
il est élevé au-dessus des autres, il devra donner l’exemple d’une plus
grande fidélité aux préceptes de la Règle. Qu’il soit attaché à son Abbé,
c’est tout naturel ; et il s’efforcera au besoin de rapprocher de celui-ci et
de lui amener les frères. Il aimera ceux-ci par conséquent. Il est presque
souhaitable qu’il soit d’une trempe un peu différente de celle de l’Abbé:
dans l’intérêt de l’Abbé lui-même, à qui le Prieur pourra donner, à l’oc
casion et respectueusement, un bon conseil; dans l'intérêt aussi des
frères, qui pourront parfois trouver chez le Prieur certaines qualités
complémentaires de celles de l’Abbé ; mais comparer l’Abbé au père et le
Prieur à la mère, ne va pas sans quelque puérilité (2).
Qui praepositus, si repertus fuerit vitiosus, aut
elatione deceptus superbiae, aut contemptor sanctae
regulae fuerit comprobatus, admoneatur verbis usque
quater : sinon emendaverit, adhibeatur ei correctio
disciplinae regularis. Quod si neque sic correxerit,
tunc dejiciatur de ordine praepositurae, et alius qui
(1) S. Pacômb disait de même du supérieur local de chaque monastère : Ipse autem
praepositus nihil faciei, nisi quod Pater jusserit, maxime in re nova; nam quae ex more
dépendit, servabit regulas monasterii (cLvm),
(2) D. Mège, Comment, p. 760,
7
nu PRIEUR DU MOXASTERK
dignus est, in loco ejus subrogetur. Quod si cl postea
in congregatione quietus el obediens non fuerit,
etiam de monasterio expellatur. Cogitet tamen
Abbas, se de omnibus judiciis Deo redditurum
rationem, ne forie invidiae aut zeli flamma urat
animam.
Il faut penser à tout. S’il arrive que le Prieur s'en lasse accroire,
qu’il soit séduit et emporté par la superbe, qu’il soit convaincu de mépris
pour les saintes institutions monastiques (1), qu'il se révèle enfin comme
vicieux : alors l’Abbé n’est point désarmé. Néanmoins il honorera chez
son Prieur une charge dont lui-même l’a revêtu, et il évitera de le décon
sidérer tout à fait dans l’esprit des frères. Tandis qu’on avertit deux fois
les simples moines, trois fois les doyens, le Prieur sera averti quatre fri',
et en secret. S'il ne s’amende pas, on lui appliquera les sévérités de la
correction régulière : réprimande publique, etc. (ehap. XXVIII).
Si tout cela le laisse incorrigible, qu’on le fasse déchoir du rang de
Prieur et qu’un autre, vraiment digne de cette charge, lui soit substitué.
Avec notre discipline actuelle, la déposition d’un Prieur mauvais ou
simplement douteux se ferait moins longtemps attendre ; et la double
cérémonie de déposition et de renouvellement des charges, qui a lieu
chaque année, fournit au Prieur l’occasion de disparaître. L'n change
ment d’obédience n’implique aucunement, d’ailleurs, une diminution.
Cependant, si le moine s’essayait dans la suite, par un esprit trop naturel
mu
de vengeance, à fomenter la discorde dans la communauté,
s’il ne restait
pas à son rang, obéissant et paisible, qu’on aille jusqu’à l’expulser du
monastère : etiam de monasterio expellatur.
Mais, dans une matière où l’Abbé peut excéder, se laisser entraîner à
la jalousie, au ressentiment, à la passion, saint Benoît l’avertit de ,-e
souvenir qu’il rendra compte à Dieu de toutes ses décisions. Rien n’est
plus efficace pour étouffer, dès le principe, toute mauvaise flamme qui
briderait son cœur.
(1) D. Calmet prouve, par cinq raisons, que N. B. Père pouvait sans vanité ni pré
somption parler de la « sainte Règle ». Ce serait vraiment trop peu de res deux mots,
d’ailleurs mal compris, pour refuser à saint Benoit La paternité de ce chapitre ou même
de mute la Règle, comme ou l’a osé quelquefois, note Bouerius,
CHAPITRE LX VI
DU PORTIER DU MONASTÈRE
L’ordre intérieur du monastère et sa paix ne demeurent assurés qu’à la
condition que les relations avec le dehors soient contrôlées et réglées par
un service vigilant : celui du portier. N. B. Père complète donc simple
ment toute cette portion de sa Règle en lui consacrant ici quelques lignes.
Depuis longtemps et presque partout, c’est la plus humble des charges ;
on l’abandonne à des frères convers ou à des serviteurs : cependant les
anciens, nous le verrons, l’envisageaient bien autrement. C’est encore le
dessein de reco HIH ander une fois de plus et de sauvegarder la clôture et la
stabilité monastiques qui a dicté à saint Benoît la seconde partie du cha
pitre, si disparate de prime abord. Mais le rapprochement lui était suggéré
par la source même où il a puisé presque tous les éléments de ce chapitre :
le chapitre xvn de VHistoria monachorum de Rufin (1).
— Ad portam monasterii
ponatur senex sapiens, qui sciat accipere responsum
et reddere, cujus maturitas eum non sinat vagari.
Qui portarius cellam debet habere juxta portam, ut
venientes semper praesentem inveniant a quo re
sponsum accipiant. Et mox ut aliquis pulsaverit aut
pauper clamaverit, « Deo gratias » respondeat, aut
benedicat; et cum omni mansuetudine timoris Dei
De
ostiario monasterii.
(1) B s’agit du monastère de l’Abbé Isidore, en Thébaïde : Intrinsecus putei plures,
horti irrigui, omnium quoque pomorum arborumque paradisi, et quaecumque necessaria
usibus erant sufficienter, imo et abundanter provisa; ab hoc ut nulli monachorum habitan
tium intrinsecus, necessitas ulla fieret exeundi foras ad aliquid requirendum. Senior quidam,
vir gratis, et de primis electus, ad januam sedens, hoc habebat officii ut adventantes ea lege
suscipiat, qua ingressi ultra non exeant... Hic ergo senior in janua, ubi ipse commanet,
adhaerentem sibi habebat hospitalem cellulam, in qua adventantes hospitio recipiat et
omni humanitate refoveat (Vitae Patrum, II, xvn. Rosweyde, p. 475-476). Au chapitre n,
Rvnx avait écrit : Plantavit (Hor) hanc silvam, ut ibi fratres, quos inibi congregare
cupiebat, non haberenl necessitatem ligni gratia longius evagandi (Rosweyde, p. 457).
DU PORTIER DU MONASTÈRE
5î»
reddat responsum festinanter, cum fervore caritatis.
Qui portarius, si indiget solatio, juniorem fratrem
accipiat.
Remarquons que N. B. Père parle au singulier de la porte du
monastère. Il est en effet traditionnel (1) qu’une seule porte (avec une
seconde ordinairement pour les services intérieurs et les charrois) donne
accès au monastère : c’est une garantie de notre clôture. Et, pour sur
veiller cette porte, la Règle institue un portier. Ce n’est pas un «con
cierge » : il ne doit en avoir ni le nom ni les mœurs. Saint Benoit ne veut
pas qu’on mette là le premier venu. Il y a trois points où le monastère
entre en contact avec l’extérieur : l'hôtellerie, la porterie, les parloirs.
Les parloirs n’ont d’autres titulaires que les frères dont les parents ou
les amis sont un peu voisins du monastère et multiplient leurs visites.
Nous avons parlé, en commentant le chapitre LUI, des dangers spéciaux
de l’hôtelier ; il faudrait répéter les mêmes remarques au sujet du portier,
dont la fonction est tout aussi délicate.
C’est lui qui, le premier, est mis en rapport avec les hôtes. Ancienne
ment même, sa charge coïncidait parfois avec celle d’hôtelier (2). Avec
les hôtes, ce sont les familiers, les touristes, les pénitents, les pèlerins,les
pauvres enfin, qui se présentent à la porterie ; et souvent le portier reçoit
l’obédience de faire les distributions d’aumônes aux indigents (3). Dans
un grand monastère, la porterie n’est jamais une sinécure; elle est une
source abondante de mortification et de démission de soi-même. Un
heureux tempérament n’y suffirait pas : il faut delà vertu surnaturelle,
pour être accueillant toujours et toujours de belle humeur, pour savoir
se t aire, comme pour savoir parler à propos. Si le portier n'a pas un réel
amour du silence, sa cellule ne sera qu’un lieu de vains bavardages et de
cancans. C’est là que s’enregistreront toutes les nouvelles du dehors et
que, peut-être, les moines viendront les recueillir; c’est de là aussi que
s’échapperont certains détails, plus ou moins travestis, delà vie du dedans.
A Dieu ne plaise que le portier se fasse jamais le truchement irrégulier
entre les religieux et les mondains ! Ajoutons qu'il ne doit manquer ni
de tact, ni d’esprit de discernement, afin de reconnaître avec prompti
tude à quelles personnes il a affaire, deviner comment il doit traiter chacun
IIM
(1) La 133e novelle de Justinien (c. 1 : Collatio IX, tit XVI) légiférait ainsi:l
’otumus... non plurimos esse tn monasterium ingressus sed unum, aut secundum forte; Λ
adstare januae viros senes et castos et testimonii boni ac omnibus, qui quidem neque rfi*·
rendissions monachis concedant sine abbatis voluntate exire monasterium... Sibpie cau
tissima maceria munitum monasterium, ut nullus exitus aliunde nisi per januas sit
(2) Cassien écrivait du postulant : Deputatur seniori, qui seorsum haud longe a re
sti bulo monasterii commanens habet curam peregrinorum atque advenientium deputatam
eisque omnem diligentiam susceptionis et humanitatis inpendii (Inst., IV, vn).
(3) 11 en était ainsi à Cîteaux (selon le chap, exx des Us), à Bursfeld, etc.
530
COMMENTAIRE
SUR
LA
RÈGLE
DE
SAINT
BENOIT
et rendre A tous le service qui convient : Sapiens, qui sciat accipere respon
sum et reddere. Responsum a souvent dans le langage du temps le sens
HIM
d’affaire, de message, de « commission
» comme ne us disons vulgaire
ment (1).
L’âge d’un portier n’est pas indifférent. S'il est trop vieux, son fardeau
lui devient facilement intolérable et il est exposé à se défaire trop pres
tement de tous ceux qui viennent déranger sa lecture ou sa quiétude.
S’il est trop jeune, il n'impose pas le respect et la réserve ; il distingue
mal ceux qu’il faut accueillir et ceux qu’il faut écarter. La dissipation
de la jeunesse l’entraîne à vaguer un peu partout ; lui qui ouvre la porte
aux autres, il pourrait bien, s’il n’a que peu de conscience, se rouvrir à
lui-même et se persuader qu’il a besoin, pour la dilatation de sa vie ou
même pour sa contemplation, d’une petite excursion dans le voisinage.
Certains goûts de lecture et de prière, avec un petit travail manuel,
aideront le portier à l’amour de la clôture parfaite (2). Un grand nombre
de visiteurs ne pourront juger le monastère que d’après l’accueil qu’ils
auront reçu à la porterie : c’est un motif de plus pour que tout y soit
digne et édifiant.
Les commentateurs se demandent si N. B. Père réclame vraiment un
«vieillard» ; la plupart le pensent, et beaucoup de témoignages historiques
semblent leur donner raison ; d’autant que saint Benoît lui-même prescrit
d’accorder comme aide au portier « un plus jeune frère ». On peut se con
tenter néanmoins de la maturité de l’âge et de celle que donne la prudence.
Chez les Pères d’Orient, le portier était parfois l’un des rares prêtres de la
maison. Partout, et pour toutes les raisons que nous venons de dire :
sécurité du monastère, bon renom, édification des étrangers, cette
charge était considérée comme l’une des premières ; rappelons-nous que
l’Êglise a institué un ordre spécial de clercs pour garder la porte de ses
temples. Le concile d’Aix-la-Chapelle de 817 réclamait qu’on fît choix
de frères instruits. Et D. Calmet insinue que le fait d’abandonner la
porterie à des laïcs est l’indice d’une diminution de sens monastique.
C'est peut-être un peu sévère. Pierre le Vénérable, dans sa controverse
avec Cîteaux, avouait ne pas comprendre à quoi bon immobiliser un
religieux à la porterie, puisque, disait-il, il n’y a, pour ainsi parier, pas de
(1) Au chapitre u, saint Benoît écrivait : Frater pii pro quovis responso proficiscitur...
Et S. Grégoire le Grand : Mos etenim cellae fuit, ut quotiens ad responsum aliquod
egrederentur fratres... (Dial., 1. II, c. xu). — Cf. Du Cange, Glossarium.
(2) La Regula cujusdam ad virgines trace un joli portrait des religieuses chargées de
garder la porte :... Aetate senili; quibus mundus silet; quae jam ex praesentibus pompis
nihil desiderent; sed in loto cordis affectu Creatori inhaerentes singulae dicant : Mihi autem
adhaerereDeo bonum est, ponere in Deo spem meam... Sint mentis suae statu firmissimae,
ut Domino cum Propheta orando dicant : Averte oculos nostros, ne videant vanitatem...
Talc semper supervenientibus ostendant exemplum, ut et foris ab extraneis nomen Domini
glorificetur, ... d intus a consodahbus suis mercedis praeparent lucra, dum omnium vice
foris gerunt curam (ui).
DU PORTIER DU MONASTERE
Wl
portes à Cluny ; puisque les portes du monastère sont presque toujours
ouvertes à tout venant; il suffit, ajoutait-il, qu’un « honnête serviteur »
les garde aux heures où elles doivent cependant être fermées (1). Les
Cisterciens plaçaient â la porterie un religieux de chœur et un convere.
Souhaitons de pouvoir faire de même dans nos monastères.
Le portier aura sa cellule tout près de la porte : cela s'impose. On ne
l’y attache pas avec une chaîne, comme le faisaient les Romains, mais la
charité et la prévoyance demandent qu’il reste fidèle à son poste, afin
que les survenants trouvent toujours quelqu’un qui leur réponde et avec
qui ils puissent traiter : a quo responsum accipiant. Il est probable que,
chez saint Benoît, le portier disait certaines parties de l'office et tairait
la lectio divina dans sa cellule ; mais, comme la porte demeurait close toute
la nuit et même à certaines heures du jour, par exemple peut-être pen
dant les repas, le portier n’était pas complètement exclu des exercice,
conventuels (2). Au reste, N. B. Père permet qu’on lui donne comme aide
un frère plus jeune, qui fera les commissions, qui le remplacera au besoin,
m ais sans le décharger de sa responsabilité : car il demeure titulaire.
La Règle entre ensuite dans quelques détails sur la fonction du por
tier. Lorsque quelqu’un frappe, ou bien lorsqu’un pauvre, n’ayant autre
chose à réclamer que l’aumône, pousse un cri pour avertir de sa pré
sence, il faut que, sans le moindre retard, le portier réponde Deo
gratias ou bien qu’il bénisse. Nous avons dit, au chapitre LXJII, ce qu’il
convient d’entendre par cette bénédiction. Et nous ne croyons pas qu’il
y ait lieu de se demander, ni surtout qu’il soit possible de savoir, si la
formule Deo gratias était réservée aux pauvres, l’autre aux riches, ou bien
inversement (3). Mais ce qu’il faut retenir, c’est la recommandation de
a rendre réponse » avec toute la douceur possible, toute la mansuétude
qui vient de la crainte de Dieu, et en même temps avec l’empressement
et la sainte ardeur de la charité. H est si naturel aux gens poursuivis et
pressés de s'impatienter et, selon la formule courante, de secouer leur
monde ! Afin de trouver toujours à l’heure opportune le secret de cette
hâte tranquille, le portier se souviendra que c’est Dieu lui-merae qui se
voile dans la personne des hôtes. Et s’il survient quelqu'un à qui l'on ne
s’attend pas, qui semble être de trop, il devra doue recevoir le même
accueil affectueux, en souvenir du treizième pauvre de saint Grégoire ou
du mendiant de saint Martin.
Monasterium autem si fieri potest, ita debet con
strui, ut omnia necessaria, id est, aqua, molendinum,
(1) Epis!.. 1. I. Ep. XXVIIL P. L, CLXXXIX, 134,
(2) Cfr. Heg. Magistri, xcv.
(3) Quelques manuscrits ont aul Benedic.
63»
COMMENTAIRE
SUR
LA
REGLE
DE
SAINT
BENOIT
hortus, pistrinum, vel artes diversae intra monaste
rium exerceantur, ul non sit necessitas monachis
vagandi foras : quia omnino non expedit animabus
eorum.
Nous avons dit, outre leur commune origine, quel lien rattache cette '
prescription aux précédentes : le souci constant, chez saint Benoît, d’accen
tuer la séparation des siens d’avec le monde, de garantir la clôture et la
stabilité. Il est tout à fait inopportun et périlleux pour des moines d’errer
çà et là, d’aller se promener dehors et, d’une façon générale, de sortir sans
obédience ou avec une obédience extorquée et élargie. Le monde n’est pas
salubre pour nous ; notre âme y est mal à l’aise ; nous ne sommes plus aptes
à y séjourne: sans danger. Le besoin de se créer des distractions, d’échapper
à l’observance et à la vie commune, serait de bien triste augure. Et les pré
textes ne manquent jamais à l’immortifîcation ; elle sait s’envelopper des
formes les plus édifiantes : c’est l’apostolat, c’est la science sacrée, c’est la
charité, c’est une santé précieuse. Mais N. B. Père ne répond de la persévé
rance et de la sainteté des moines que s’ils restent cachés dans leur monas
tère. Π souhaite même que celui-ci puisse se suffire et qu’il soit installé
de telle sorte que rien n’y manque des choses indispensables à la vie
et au travail. Il reconnaît d’ailleurs que ce n’est pas toujours réalisable.
Les conditions d’un Mont-Saint-Michel, par exemple, se prêtent mal
au désir de N. B. Père ; et les collines, aimées de saint Benoît, comme dit
le proverbe (1), n’étaient pas toujours, sauf miracle, pourvues d’une
source (2).
L’énumération des ‘necessaria ne prétend pas, il va de soi, être com
plète ; saint Benoît ne signale que ce qu’il y a de plus requis : de l’eau,
un moulin (3), un jardin, une boulangerie (4), enfin les métiers et ateliers
divers (voir le chap. LVII). Remarquons en passant que N. B. Père
recommande les exploitations et les travaux en tant que nécessaires à la
vie conventuelle, et non comme de vastes entreprises de rapport. Il ne
semble pas non plus qu’il souhaite voir ses moines s’en aller travailler
au loin, puisqu’il désire un jardin dans la clôture même.
Le monastère complet ressemble donc à une petite cité. C’était le cas
de beaucoup de monastères de la Thébaïde, où les différents corps de
métiers occupaient chacun leur quartier. En Occident, après saint
(1)
Bernardus valles, monies Benedicius amabat,
Oppida Pranciscus, celebres Dominicus urbes.
(2) Relire le chap, v de la Vie de saint Benoît (S. Greg. M., Dial., 1. II).
(3) D. Calmet a toute une petite dissertation sur les moulins.
(4) L’édition Butler omet pislrinum, Voir les discussions des commentateurs sur
le f>. exact d“ ce mot.
DU PORTIER DU MONASTÈRE
SU
Benoît, certaines grandes abbayes turent admirablement organisées et
formèrent une plus grande variété encore d’artisans et d'artistes. Mais,
sous peine d'étendre démesurément le commentaire, nous devons aban
donner toutes ces questions à l’histoire monastique.
Hanc autem Regulam saepius volumus incongrega
tione legi, ne quis fratrum de ignorantia se excuset.
Nous pouvons considérer cette phrase comme la conclusion d'une
première rédaction de la Règle; encore que, selon la thèse qui tend à
prévaloir, ni l’histoire, ni l'étude intrinsèque des manuscrits ne nous
révèlent réellement l’existence de deux textes primitifs différents. Mais il
demeure très vraisemblable que la Règle n’a point été composée d'un
seul jet.
N. B. Père ordonne que le code de la vie monastique soit lu très sou
vent en communauté, afin que nul ne cherche dans son ignorance ou
dans l’infidélité de sa mémoire un prétexte au relâchement. C’est tou
jours, chez saint Benoit, la même résolution de mettre un terme à tous
les désordres que provoquaient, dans tant de monastères, l’imprécision
ou même l’absence de règles écrites. Nous sommes fidèles au précepte de
saint Benoît, car sa Règle est lue plusieurs fois aux novices, et on la lit à
tous, en latin ou en langue vulgaire, à Prime et au repas du soir (1).
(1) Cette lecture de Prime est déjà prescrite par le concile d’Aix-la-Chapelle de 817
(.cap, lxix), La lecture du réfectoire est indiquée dans h Régie du J!ailrj (inv),
CHAPITRE LXVII
I
DES FRÈRES QUI VONT EN VOYAGE
H y a un lien entre le chapitre LXVI et le premier de ceux qu’une critique
avisée regarde comme additionnels. N. B. Père prévoit qu’il sera quel
quefois nécessaire aux moines de franchir la clôture matérielle et de partir
en voyage ; même alors, il veut qu’une clôture spirituelle les enveloppe et
les protège, il veut que le monastère les accompagne, pour ainsi dire, per
pétuellement. Telle est la préoccupation qui a dicté toutes les dispositions
de ce chapitre : leur caractère et leur multiplicité montrent jusqu’à quel
point saint Benoît redoutait pour ses fils les sorties, même régulières.
Déjà, aux chapitres L et LI, il a parlé des moines voyageurs, brièvement
et seulement pour rappeler leurs obligations au sujet de l’office divin et
de; repas ; au chapitre LV c’est de leurs vêtements qu'il a été question ;
ici, le point de vue est différent. Nous remarquerons enfin qu’il s’agit
des moines qui entreprennent un vrai voyage, non pas de ceux qui
s’absentent pour quelques heures seulement.
— Dirigendi fratres
in via, omnium fratrum vel Abbatis orationi se com
mendent : et semper ad orationem ultimam operis
Dei commemoratio omnium absentium fiat.
De
fratribus in via directis.
Saint Benoît admet donc qu’im moine, sans violer pour cela ipso facto
son vœu de stabilité, puisse entreprendre quelque voyage. Encore
faut-il qu’il soit régulièrement envoyé : dirigendus. Les intérêts spirituels
ou financiers du monastère, l’apostolat, les messages à transmettre aux
princes, aux évêques, aux Abbés, l’assistance aux conciles et, par excep
tion, une visite à la famille : voilà quelques-uns des motifs qui pouvaient
décider l’Abbé à imposer cette difficile obédience (1). Même aujourd’hui
que les voyages s’exécutent plus rapidement, un homme qui a le sens
(1) P. 17&.179,
DES FRÈRES QUI VONT EN VOYAGE
535
ίΒΐϊ
monastique ne devrait jamais solliciter de lui-même
et moins encore
réclamer avea instances la faveur, quelquefois périodique, de retourner
dans son pays ou de passer quelques semaines à l’ombre d’une riche
bibliothèque. Mais il n'est que filial d’exposer à l’Abbé certaines situa
tions embarrassantes : sa prudence décidera.
D’ordinaire, l’Abbé donne au partant un ou plusieurs compagnons :
e’est la meilleure des sauvegardes, et ainsi la vie de communauté n’est pas
complètement abandonnée. Encore que saint Benoît ne dise rien de cet
usage (le pluriel fratres y fait peut-être allusion), il est probable qu’il
existait chez lui, comme il existait chez les Pères d’Orient (1). Le concile
d’Aix-la-Chapelle de 817 prescrivit que le moine en voyage eût toujours
un compagnon.
Avant de sortir, les frères se recommandent aux prières de tous et de
l’Abbé. Quelques commentateurs (Bernard du Cassin, Boherius) regardent
ici la particule vcl comme disjonctive : Saint Benoit, disent-ils, prévoit
le cas où il faudra q itter le monastère sans pouvoir se présenter devant
la communauté réunie, et alors la prière et la bénédiction de l’Abbé
suffiront (2). C’est à l’oratoire que ceux qui partent viennent, en temps
opportun, solliciter les prières du convent (3).
Ainsi munis et fortifiés, les voyageur? s’en vont. Comme nous le disions
au chapitre L, ils gardent tout ce qu’ils peuvent des observances
monastiques. Surtout ils sont fidèles à l’office divin, à la lecture (4). La
communauté, de son côté, ne manque jamais,à la finde chaque Heure,
d’avoir un souvenir pour les frères absents. Plusieurs commentateurs
pensent que saint Benoît parle seulement de la prière finale do tout
l’office, c’est-à-dire de celle qui termine Complies, puisqu’il ne spécifie
ίI»iI
(1) Nullus solus foras mittatur ad aliquod negotium,nisi junelo ei altem (S.Pacîl, Reg..
lvi). — Cf. S. Macar., Reg., xxn. — S. Basil., Reg. fus., xxxix — S. Grégoire l*
Grand donne, parmi les motifs qui lui faisaient refuser h confirmation de l’élection
abbatiale de Constantins, celui que ce moine avait vovagé seul: Epist., L XII, Ep. XXIV.
P. L., LXXVII, 1233; M. G. H. : Epist., t. II, p. 351.
(2) La bénédiction de l’Abbé était d’ailleurs nécessaire toujours, à l’aller comme ii
retour: plusieurs traits delà Vie de saint Benoît y font allusion (S. Greo. Μ.,Ρώί. I. II'·.
Voir par exemple les chapitres xn, xxn, xxrv : dans ce dernier passage est raconta
l’histoire du petit moine qui aimait trop ses parents et qui, étant parti les voir un jour
sans bénédiction, mourut chez eux.
(3) On peut lire dans le Sacramentaire Grégorien trois oraisons de circonstance·,
elles sont citées par Hæften (L· XI, tract iv. disq. ni) ainsi que celles que reproduit
Smaragde. Celle que nous récitons est déjà indiquée dans les CoutumesdeClung (I 111,
c. v) et dans les Constitutions d’Hirsauge (1. II, c. xvni).
Lorsque les voyageurs devaient revenir le soir même ou an bout de quelques jour»,
la bénédiction et une courte priéredu supérieur suffisaient ordinairement (Cf. Haefi..
loc. cil. I. Actuellement et dans notre Congrégation, nous ne sollicitons les prières a
l’oratoire que si l’absence doit se prolonger an delà de huit jours; nuis, chique i· is
que nous sortons de la clôture, nous devons, à l’aller et au retour, demander la béia dic
tion du supérieur et prier un instant à l’église.
(4) Codieulum modicum cum aliquibus lectionibus de monasterio serum portet, ui
quavis hora in via rcpausaicrit, aliquantulum tamen legal, etc, (Aeÿ. Magistri, lvua
<111 k
536
COMMENTAIRE
SUR
LA
REGLE
DE
SAINT
BENOIT
point qu’il s’agit de toutes les Heures canoniques, comme il le fera dans
un instant au sujet du retour. On peut répondre que dans ce dernier
passage saint Benoît appelle précisément « achèvement de l’Œuvre de
Dieu » la conclusion de chaque Heure : per omnes canonicas Horas, dum
expletur Opus Dei; pourquoi aurait-il donné un autre sens à l’expression
tout à fait analogue : et semper ad orationem ultimam Operis Dei' Du reste,
l’usage monastique commun et ancien suffit à justifier notre traduction (1).
Ces touchantes prières pour les absents étaient assez longues autrefois.
Celles que donne Smaragde commencent par les mots : Oremus pro
fratribus nostris absentibus; elles comprennent une série de petits versets
avec leurs répons, puis le psaume l. Le Bréviaire de Paul V a choisi
une formule très abrégée, mais qui est aimable encore, et qui suffit,
si nous la prononçons avec foi.
Revertentes autem de via fratres, ipso die quo
redeunt, per omnes canonicas Horas, dum expletur
opus Dei, prostrati solo oratorii ab omnibus petant
orationem propter excessus, ne quid forte subri
puerit in via visus, aut auditus malae rei, aut otiosi
sermonis. Nec praesumat quisquam aliis referre quae
cumque foris monasterium viderit aut audierit, quia
plurima destructio est. Quod si quis praesumpserit,
vindictae regulari subjaceat.
Le jour même de leur retour, et sans temporiser aucunement, les frères
se prosterneront à terre dans l’oratoire, à la fin de chacune des Heures,
sollicitant ainsi les prières de tous. L’usage s’est établi de les demander,
une fois pour toutes, à la fin du premier office canonique qui suit le retour.
Notre formulaire paraît identique à celui de Cluny et d'Hirsauge (2).
Ces prières sont comme un sacramental, destiné à effacer toutes les
négligences, toutes les fautes dans lesquelles se seraient laissé surprendre
les yeux, les oreilles et la langue. Paid Diacre et Hildcmar observent
qu'il s’agit bien ici, et uniquement, de ces surprises presque inévitables
à notre faiblesse, et que tel est le sens suggéré par les mots excessus et
sulripuerit; des fautes plus graves ou d’un autre geiye exigeraient,
dhent-il, une confession faite à l’Abbé (3). L’intention de N. B. Père est
(1) Nous avons rappelé plus haut, p. 178-179, que les synaxes antiques se termi
naient d’ordinaire par des prières pour tous les besoins des fidèles.
(2) Conslit. Hirsauy., L 11, c. xix.
(3) Cf. S. Basil, Reg. (us., xliv : Quibus permittendae sint peregrinationes et quomodo,
ubi redierint, sint interrogandi.
,
DES FUfcRES QUI VOXT EX VOVAGE
Ml
de purifier l’esprit, le cœur et les sens du moine de tous les spectacles
mondains qu’il a peut-être enregistrés à son insu. Comme dans la Jéru
salem céleste, rien de souillé n’a le droit de pénétrer dans cette « Vision
de Paix » qu'est un monastère.
Pour le même motif, ceux qui reviennent de voyage épargneront à
leurs frères ce dont la Règle s’est employée à les délivrer eux-mêmes.
Saint Benoît n’interdit pas de dire quoi que ce soit des choses vues ou
entendues : car pourquoi ne raconterait-on pas les choses édifiantes
ou certains détails très anodins? Ce qu’il veut, c’est qu’on ne rapporte
pas au hasard et étourdiment tout ce qu’on a remarqué : quaecumque;
car, dit-il, c’est la cause de beaucoup de ruines (dwtnidio, le contraire
de V aedificatio). Des relations de voyage indiscrètes ou trop circonstan
ciées pourraient réveiller çà et là des souvenirs, provoquer des curiosités,
inspirer des regrets, suggérer de petits romans, ressusciter en nous des
choses auxquelles nous sommes morts et qui, grâce à Dieu, sont mortes
pour nous : Mihi mundus crucifixus est, et ego mundo. Mieux vaut tou
jours demeurer en deçà de ce que nous croyons être la limite et bannir
tout détail qui serait de nature à troubler l'àme ou parfois même à
déconcerter la vocation d’un frère.
Une sanction sévère est portée par saint Benoit contre ceux qui ose
raient enfreindre ce point de règle ; ils seront soumis à la discipline régu
lière.
Similiter, et qui praesumpserit claustra mona
sterii egredi, vel quocumque ire, vel quidpiam quam
vis parvum sine Abbatis jussione facere.
Rien ne demeurerait de la clôture et de la stabilité, si chacun gardait
le droit d’apprécier les motifs qu’il y a pour lui de sortir ou de ne sortir
pas, d’aller ici ou là au cours de son voyage-, d’entreprendre telle ou telle
démarche. Et c’est pourquoi N. B. Père termine le chapitre en rappelant
que l'ordre ou la permission de l’Abbé sont destinés à prévenir toute
incertitude et requis pour mettre la conscience du moine en pleine sécu
rité ; même, les châtiments de la discipline régulière sont décrétés contre
quiconque sort sans autorisation du monastère, dirige ses pas vers quelque
endroit que ce soit, ou fait n’importe quoi, meme d’assez peu considé
rable, en dehors de la clôture (2). Les éléments de cette phrase doivent
(1) Comme le permet formellement h Règle de Tamat (n). — Sa nt Benoît cita
S. Pacôme : Et omnino quidquid /oris gesserint et audierint, in monoiifno narrare non
pole. uni. Si quis ambulaverit in via, vel navigaverit, aut opera u· fuent foris, non loqua
tur in mo lasterio quae ibi geri viderit (lvdt, lxxxvi).
(2) S. Basile s’était demandé : An conveniat aliquo abire, moderatore non priui commonejacto? {Reg. brev., cxx)
•Ai
538
■r
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT
BENOIT
s'entendre cum conjunctione. N. B. Père, toujours judicieux et pondéré,
ne pent menacer d’une aussi grave mesure pénale le moine qui ferait
irrégulièrement une chose quelconque, même minime, dans le monastère j
et comment d’ailleurs relier au contexte une semblable décision? Elle
ne concerne pas davantage celui qui vaguerait et irait n’importe où,
sans permission, dans le monastère. Sans doute, saint Benoît semble
s'inspirer ici, comme le remarquait déjà Smaragde, d’une règle de saint
Pacôme (1) et d’un texte de Cassien (2), qui impliquent (moins les sanc
tions pénales) la signification que nous écartons : mais N. B. Père modifie
parfois notablement les sources qu’il utilise.
(1) Nullus neque exeundi in agrum, neque ambulandi in monasterio, neque extra murum
monasterii foras habeat facultatem, nisi interrogaverit praepositum cl ille concesserit
(ixxxrv).
(2) Inst,, IV,
X
CHAPITRE LXVIII
si
l’on enjoint a un frère des choses impossibles
11 n’est rien qui ne soit infiniment vénérable dans la Règle : pourtant,
les dernières pages, écrites par N. B. Père dans la plénitude de ses années,
de sa connaissance des âmes et de sa sainteté, ressemblent à un testa
ment spirituel, et elles ont pour nous une saveur d’étemité. Elles sont
toutes baignées de la clarté de Dieu, toutes imprégnées de sa douceur.
C’est d’obéissance qu’il est question encore. Dès le Prologue, N. B. Père
définissait la ne monastique un labeur glorieux d’obéissance : Ut ad
eum per obedienliae laborem redeas, a quo per inobedienliae desidiam
recesseras; notre armure spirituelle s’appelle, dans toutes ses pièces,
l’obéissance : Quisquis abrenuntiatis propriis voluntatibus,... obedienliae
fortissima atque praeclara arma assumis. Le chapitre V traite ex pro
fesso de l’obéissance et la décrit surtout empressée et joyeuse. Le cha
pitre VII, en ses premiers degrés d’humilité, peut-être même en tous,
ne nous donne réellement que les degrés de l’obéissance. Saint Benoit
l’invoque sans cesse, comme saint François d’Assise chante la pauvreté.
Et, devant une telle insistance, nous sommes tentés de lui dire :«Mais,
Père, pourquoi nous répéter toujours la même chose? d Sans doute, il
nous répondrait avec saint Jean : Filioli, quia praeceptum Domini est,
et si solum flat, sufficit. L’obéissance toujours, l’obéissance à tout, l’obéis
sance à tous et, à l’occasion, l’obéissance héroïque. Saint Benoît nous a
livré son secret, il nous a confié son idéal : faire du moine, non pas simple
ment un obéissant, mais une obéissance, comme le Seigneur, par le Sei
gneur, dans le Seigneur : Factus obediens, usque ad mortem.
lllll
On peut se demander, avant d’aborder le commentaire,
à quelque
motif spécial inclinait N. B. Père à traiter cette question de l’obéissance
héroïque immédiatement après le chapitre LXVII plutôt qu’ailleurs.
Xous croyons qu’ici encore, comme au chapitre du Portier, cet ordre
d’exposition lui a été suggéré par la source utilisée : le chapitre x du
IVe livre des Institutions de Cassien (1).
(1) Post haec lania observantia oboedientiae regula custoditur, ut juniores absque prae
positi sm scientia rcl permissu n m solum nonaudeant cellam progredi, sed ne ipsiquidem
communi ac naturali necessitati satisfacere sua auctoritate praesumant (nous reconnais-
t
540
COMMENTAIRE
SUR
LA
RÈGLE
DE
SAINT
BENOIT
Si fratri impossibilia injungantur. — Si cui fratri
aliqua forte gravia aut impossibilia injunguntur, sus
cipiat quidem jubentis imperium cum omni mansue
tudine et obedientia.
Commander des choses pénibles et impossibles? Que devient donc
cette discrétion tant vantée de la Règle bénédictine? Et que devient
la promesse de saint Benoît, dans son Prologue, de n’établir rien qui
dépassât les forces humaines moyennes : Afi/iil asperum nihilque grave
nos constituturos speramus? Non, il ne se contredit pas. Il n’adopto
nullement, croyons-nous, ces coutumes de l'Orient — d'ailleurs souvent
vénérables et suggestives — qui prétendaient rompre la volonté person
nelle par le paradoxe violent et la contradiction des obédiences imposées.
Rien, dans la Règle de saint Benoît, ni dans sa Vie, ne permet d’assimiler
pratiquement les impossibilia auxquels il songe aux impossibilia men
tionnés par Cassien ; des expressions identiques peuvent désigner des
réalités très dissemblables. Le prodige de saint Maur marchant sur les
eaux est vraiment un fait exceptionnel ; et peut-être d’ailleurs N. B. Père
s’était-il borné tout d’abord à envoyer l'enfant porter secours au petit
Placide : c’est l’obéissance qui provoqua le miracle.
R est possible que saint Benoît songe à l’hypothèse d’une obédience
réellement peu réalisable par les procédés ordinaires ou même simple
ment humains ; mais surtout il se met dans la personne de ceux qui
reçoivent les obédiences et les déclarent si volontiers impossibles. L’Abbé
a beau réfléchir, calculer, mesurer : il n’en est pas moins constant que
tel moine, à qui est confiée une charge de cellérier, d’infirmier ou
de lecteur, prétextera, de bonne foi, son incapacité. Il est si doux de
n’avoir nulle responsabilité, de n’appartenir qu’à sa prière et à ses
études 1 D est si bon d’être, sur le bateau, simple passager, sans
avoir l’obligation de mettre la main à la manœuvre I Aussi, par
une sorte d’illusion trop naturelle, lorsque l’obédience la plus bénigne
fait sortir certains frères de leur quiétude et les oblige à entreprendre
quelque besogne pour la communauté, la première de toutes leurs dispo
sitions est de se retrancher derrière leur impuissance. C’est exactcgons Ia conclusion de notre chapitre lxvii ; et voici maintenant ce qui ressemblu au
chapitre suivant) : sicque universa conplcre, quaecumque fuerint ab eo praecepta, tam
quam si ex Deo sint caelitus edita, sine ulla discussione festinant, ut nonnumquam etiam
inpossibilia sibimet imperata ea fide ac devotione suscipiant, ut tota virtute ac sine ulla
cordis haesitatione perficere ea et consummare nitantur et ne inpossibilitatem quidem
praecepti pro senioris reverentia metiantur. —Saint Benoit a pu se souvenir aussi de S. Ba
sile, Reg. contr., lxix, lxxxil — Cf. Reg. fus., xxvnr.
SI L’ON ENJOINT λ UN FIIÈRE DES CHOSES IMPOSSIBLES 541
ment l’attitude amusante du corbeau en face du pain empoisonné que
N. B. Père lui ordonnait d’emporter au loin : Tunc corvus, aperto ore,
expansis alis, circa eumdem panem coepit discurrere atque gracilare, ac si
aperte diceret et obedire se velle et tamen jussa implere non posse (1).
Le procédé de saint Benoît, devant cette trépidation, est tout paternel ;
il dit à son moine : « Vous êtes persuadé que l’obédience est lourde, qu’il
vous est impossible de l’accomplir? C’est peut-être vrai. Je ne discuterai
pas votre appréciation. C’est donc entendu -.l’obédience est surhumaine ;
c’est probablement quelque chose comme cette résurrection d’un mort
(pie prétendit m’imposer un jour le bon paysan du Cassin (2)1 Vais
enfin, il y a des grâces d’état et de fonction : Dieu nous aide à porter ce
dont lui-même nous charge. Et puis tant de choses ne semblent impos
sibles (pie parce qu’on ne les a pas résolument tentées 1 La sensation de
l’équilibre vous viendra en essayant; si vous n'essayez pas, elle ne vous
viendra jamais. Peut-être aussi votre Abbé veut-il vous mettre en
demeure de montrer ce dont vous êtes capable et vous obliger à grandir
par l’effort. Souvenez-vous des vocations de Moïse, d’Isaïe, de Jonas,
d’Amos, de saint Jean-Baptiste. »
Alors, avec un grand esprit de douceur et d'obéissance, cum omni
mansuetudine et obedientia, le religieux accueille l’ordre donné. C’est delà
sorte que l’on apprend à marcher sur l’eau, comme saint Maur. Que de
fois n’arrive-t-il pas que Dieu supprime soudain tous les obstacles, grâce
à l’entrain joyeux de notre obéissance! Les femmes qui s’en allaient au
tombeau du Seigneur, se (lisaient en chemin, elles aussi : Quis revolvet
nobis lapidem ab ostio monumenti? Elles vinrent pourtant, et la lourde
pierre était déplacée : Et aspicientes viderunt revolutum lapidem : erat
quippe magnus valde.
Quod si omnino virium suarum viderit pondus
excedere, impossibilitatis suae causas ei qui sibi
praeest patienter et opportune suggerat, non super
biendo, aut resistendo, vel contradicendo.
Que si, après un essai généreux et loyal, vous constatez que décidé
ment vous n’êtes pas de taille, ne boudez pas, ne murmurez pas, ne vous
lamentez pas auprès de vos frères. Allez trouver votre Abbé et doucement,
à une heure opportune, exposez les motifs de votre insuccès, sans orgueil,
(1) S. Greg. M., Dial., 1. II, c. vin.
(2) Quid vultis onera nobis imponere, quae non possumus porare? s'écria d’abord
saint Benoît. Mais bientôt il accomplit Je miracle, en toute simplicité de foi (S. Greg. M
Dial., 1. II, c. xxxii),
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Quod si post suggestionem suam in sua sententia
prioris imperium perduraverit, sciat junior ita sibi
expedire, et ex caritate confidens de adjutorio Dei
obediat.
U
Alors même que les représentations ont été faites dans les meilleurs
termes et appuyées des considérants les plus sages, il peut arriver que le
supérieur maintienne son ordre. C’est son affaire. Son dessein est peut-être
d’éprouver ou de contraindre : il en a le droit, spécialement lorsqu’il
s’agit d’imposer certaines charges, plus pénibles, par exemple le gouverne
ment d’une communauté. En ce cas, le moine doit effacer de son âme la
pensée des difficultés soi-disant insurmontables qu’il croyait apercevoir ;
il doit se convaincre qu’il convient pour lui d’agir ainsi, qu’il lui est bon
d’obéir jusqu’à ces limites de l’absurde ; les âmes ont besoin, pour monter
très haut, de ces anéantissements-là. « \rous le voulez, mon Seigneur et
mon Dieu? Je le veux bien aussi. Tout m’est simple alors, tout m’est
facile. C’est en vous que j’ai mis mon espérance : et vous avez promis
votre grâce à tous ceux qui se confient en vous. » C’est là ce qu’ose nous
demander N. B. Père saint Benoît ! Non pas l’attitude du petit enfant
qui obéit par crainte du fouet, ni la disposition de celui qui se résigne
parce qu il n’y a pas moyen de faire autrement : mais une adhésion
intellectuelle tranquille, une soumission provenant de la tendresse, un
acte profond de foi, d’espérance et de charité : Sciat ita sibi expedire,
ei ex caritate confidens de adjutorio Dei, obediat. Si Dieu a voulu seulement
prouver la qualité de notre obéissance, un ange descendra à temps,
SI LON ENJOINT λ UN VBÊHE UES CHOSES IMPOSSIBLES 5«
connue pour Abraham. Sans s'expliquer davantage, N. B. Père nous
dit ·. Comptez sur Dieu.
Peut-être bien qu’un miracle ne sera pas nécessaire pour que nous
H|H
aboutissions. Car enfin, répétons-le, les impuissances des hommes
sont
souvent laites de paresse et de pusillanimité. On oublie trop que, pour
qu’ une chose se lasse, il faut la îaire. Et lorsque nous avons dépensé
de longues heures à contempler, dans une fausse et sotte compassion,
les difficultés vraies ou prétendues qui accompagnent notre devoir,
nous n’avons rien changé k la réalité des choses *. notre devoir s'appelle
toujours notre devoir, et la volonté de Dieu demeure*, nous n’avons réusâ
qu’ à nous affaiblir. Audentes fortuna juvat : la fortune, ici, c’est la grâce de
Dieu.
Vr
1
1
CHAPITRE LXTX
QUE LES MOINES NE SE PERMETTENT PAS DE SE DEFENDRE L’UN L’AUTRE
Les chapitres LXVIII-LXXI semblent avoir une intention commune :
celle de ruiner à fond l’égoïsme, de le poursuivre jusque dans ses retraites
les plus cachées, et par suite d’ordonner d’une manière décisive notre
charité vis-à-vis de Dieu ou des frères. C’est le complément des chapitres
V et VII. Saint Benoît signale ici quelques circonstances spéciales de la
vie monastique où l’esprit propre est tenté de s’affirmer davantage. Il y a
exagération du moi, lorsqu’on discute sur le caractère plus ou moins
réalisable des obédiences (LXVIII); lorsqu’on se constitue sans motif
l’avocat ou bien le juge de ses frères (LXIX, LXX) ; lorsqu’on se dérobe
à cette obéissance que, selon des mesures diverses, chacun doit à tous
(LXXI).
Ut in
monasterio non praesumat
alter alterum
defendere.
— Summopere praecavendum est, ne qua
vis occasione praesumat alter alterum defendere
monachum in monasterio, aut quasi tueri, etiamsi
qualibet consanguinitatis propinquitate jungantur.
Nec quolibet modo id a monachis praesumatur, quia
exinde gravissima occasio scandalorum oriri potest.
Quod si quis haec transgressus fuerit, acrius coer
ceatur.
Voici ce qui peut se rencontrer dans la communauté la mieux réglée.
Deux frères y sont entrés, deux cousins, l’oncle et le neveu : les liens
du sang les rapprocheront l’un de l’autre ; et il est à craindre que l’affec
tion naturelle, toujours aveugle, ne leur ferme les yeux sur des défauts
trop réels et ne les porte à s’excuser réciproquement. Jamais les supé
rieurs n’useront d’assez de ménagements envers celui que nous aimons !
Les mesures les plus motivées seront qualifiées de sévérité et de parti
pris. La difficulté se compliquera encore si ces mesures sont appuyées
QUE
LES
MOINES
NE
SE
DÉFENDENT
PAS
L'UN
L'AUTRE
54$
sur des faits qui ne sont connus que de Γz\bbé et qu’il lui est interdit de
livrer. On défend donc son parent, ouvertement, ou bien de façon dis
crète et habile; on se décerne une sorte de tutelle officieuse et comme
un droit de protection : aid quasi tueri.
Peut-C tre lesparentésles plus redoutables ne sont-elles pas celles du sang,
mais les parentés du choix, celles que créent des recherches assidues et
exclusives. Ce qu’on appelle les amitiés particulières doit évidemment
être banni d’un monastère. Ce n’est pas après avoir renoncé aux affec
tions naturelles les plus vives et les plus légitimes que nous songerons
à nous en créer de factices et de ridicules. Il ne serait besoin d’insister
que là où se rencontreraient des trempes mièvres, frivoles et un peu mal
saines. Chez les moines, on doit aimer comme chez les anges de Dieu:
Erunt sicut angeli Dei in caelo; 1’aSection mutuelle des anges ni ne les
détourne du Seigneur, ni ne diminue leur soumission et leur obéissance.
Elle ne leur cause ni trouble, ni anxiété, ni jalousie. Ils se rencontrent
avec joie ; ils ne se recherchent pas.
Le péril que signale saint Benoît pourrait exister aussi dans les petites
coteries ou amitiés particulières à plusieurs, et jusque dans certains
groupements réguliers : par exemple, lorsque plusieurs moines sont
réunis habituellement en vue d’une œuvre commune. Et alors voici
le très curieux phénomène que l’on peut parfois observer : ces religieux,
ensemble, ou s’entendront, ou discuteront souvent. Mais qu’ils s’entendent
ou s’entendent moins bien, ils n’en forment pas moins une raison sociale,
un état dans l’état. On ne pourra toucher à aucun sans provoquer chez
tous un choc en retour, un mécontentement, des murmures. C’est
la mise en commun de tous les griefs ; et parfois même une langue,
un argot spécial est créé pour les traduire et les échanger. Aux com
mentaires des actes de l’autorité se joignent les condoléances auprès des
victimes. Plusieurs léüexions de N. B. Père laissent deviner qu il y avait
dans les monastè es de son temps des esprits brouillons, des agitateurs
inconscients, des diplomates de métier, par tempérament ou par manie.
Ils groupent les mécontents, s’appliquent à envenimer dans les âmes les
petites blessures d’égoïsme. Tous leurs traits sont enveloppés de sousentendus, d’atténuations hypocrites, de protestations d’obéissance quand
même, ponctuées de soupirs, etc. Et, naturellement, il y a toujours dans
ces condoléances un prétexte de charité, de pitié, d’« indépendance de
caractère », de piété même. Comme les illusions sur ce terrain sont faciles I
En réalité, c’est le scandale et la division qui commencent dans la
communauté : Exinde gravissima occasio scandalorum oriri potest. En
même temps, c’est le plus mauvais service qu’on puisse rendre au frère
ainsi défendu : qui sait si notre parole imprudente et légère no sera
pas pour lui le germe d’une véritable apostasie? C’est aussi injustice et
souvent calomnie vis-à-vis de l’Abbé : car l’Abbé ne saurait, sans passer
33
b
546
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
au parlementarisme, s’appliquer à justifier devant scs moines toutes
les décisions qu’il a prises. Enfin ces petites frondes monastiques no
manquent jamais d’une part de suffisance naïve, puisqu’on semble reven
diquer pour soi-meme un gouvernement dont l’Abbé est reconnu prati
quement incapable.
Nous comprenons maintenant les fortes expressions dont se sert saint
Benoît .* Summopere praecavendum est, ne quavis occasione... nec quolibet
modo..., dans aucune circonstance et de quelque façon qu’on procède |
nous comprenons aussi le « très sévère châtiment » prononcé contre les
violateurs de cette règle (1). H va de soi néanmoins qu’il est pleinement
régulier et très méritoire d’aider son frère à porter un châtiment ou une
obédience difficile. Il est charitable aussi, et pour l’Abbé et pour le moine,
si l’on croit qu’il y a peu de proportion entre la faute et la peine, si l’on
connaît des circonstances atténuantes, ou si l’on est renseigné sur la
situation vraie, d’aborder humblement l’Abbé lui-même et de l’éclairer.
(1) Saint Benoit n’est pas plus sévère que les anciens législateurs monastiques : Çui
consentit peccantibus et defendit alium delinquentem, maledictus erit apud Deum ei
homines, et corripietur increpatione severissima (S, Pach., Reg., clxxvi). — Voir aussi
S, Basile, Reg. contr.,
CHAPITRE LXX
QUE NUL NE SE PERMETTE DE FRAPPER
ou d’excommunier quelqu’un étourdiment
Dans le chapitre précédent, N. B. Père nous a mis en garde contre
l’égoïsme se traduisant par des sympathies irrégulières, mais colorées
des apparences de la charité ; il dénonce maintenant l’égoïsme des anti
pathies, celui qui se traduit par des corrections, irrégulières aussi, mais
colorées des apparences du zèle. Car ü s’agit seulement ici de ceux qui
prétendraient infliger des châtiments soi-disant réguliers, et non pas de tous
ceux, indistinctement, qui se laisseraient aller à des violences contre leurs
frères.
Ut
<·ν— ·
non praesumat quisquam aliquem passim caedebe
— Ut vitetur in monasterio
omnis praesumptionis occasio, ordinamus atque
constituimus ut nulli liceat quemquam fratrum suo
rum excommunicare aut caedere, nisi cui potestas ab
Abbate data fuerit. Peccantes autem coram omnibus
arguantur, ut celeri metum habeant.
aut
excommunicare.
L'autorité ne se présume pas. Il est illicite et très imprudent
d’exercer, sans compétence aucune, un pouvoir aussi délicat que celui
de la correction. Nul moine ne devra donc, de son propre mouvement
et s’il n’en a reçu de l’Abbé l’obédience formelle, infliger à qui que ce soit
la peine de l’excommunication ou des verges, et, dans l’explosion « d’un
zèle amer », tomber sur tout délinquant. Il faut croire qu’à l’époque de
saint Benoît de tels abus pouvaient se rencontrer. Aujourd’hui encore,
certains tempéraments semblent prédisposés au métier d’inquisiteur ou
de redresseur de torts. Mercuriales, dénonciations, bourrades, excom
munications pratiques par suppression des relations affectueuses; tous
ces procédés se justifient à leurs yeux, lorsqu’il s’agit de faire respecter
la Règle ou simplement des coutumes d’assez médiocre importance, et
■
548
Il·
■ I
COMMENTAIRE SUR LA REGLE DE SAINT BENOIT
qui peut-être intéressent leur vanité. « Mais tel abus n’est-il pas criant? »
Qui vous oblige à y être attentif? Votre responsabilité est-elle engagée?
Pourquoi ce besoin maladif d’intervenir dans les affaires d’autrui?
Pensez à vous. Priez seulement pour ce frère qui vous agace ou vous
scandalise. Donnez-lui à l’occasion un bon conseil et surtout le bon
exemple. Avertissez qui de droit. Regardez du côté de Dieu : il est d’expé
rience qu’à mesure qu’elles s’approchent de lui, les âmes se trempent de miséricorde. H est reconnu aussi que les plus intolérants et les plus mala
visés des censeurs sont les hommes sans mission, dépourvus de la grâce
d’état et n’agissant que selon leur caractère ou leur impression du moment.
Car le premier danger de ces corrections intempestives est de frapper
trop fort. Le second est de n’aboutir à rien. On s’improvise moins encore
médecin des âmes que médecin des corps (1). Mais N. B. Père n’envisage
explicitement, dans son texte, que le péril de superbe, de témérité orgueil
leuse : Ul vitetur (2) in monasterio omnis praesumptionis occasio. Distribuer
ainsi, sans mandat et à tout propos, étourdiment (passim, porte le titre),
les châtiments réguliers de l’excommunication et des verges, c’est se
donner une importance singulière; c’est se substituer pratiquement à
l’autorité légitime et peut-être même, dans un dessein d’ambition, se
créer la réputation d’un homme fervent et résolu (3).
Peccantes autem... Matériellement, c’est une citation de saint Paul :
Peccantes coram omnibus argue, ut et caeteri metum habeant (I Tim., v, 20) ;
mais quelle est exactement la pensée de X. B. Père et par quel lien cette
remarque se rattache-t-elle au contexte? On a fourni des explications
diverses : « Ceux qui pèchent contre les dispositions précédentes seront
corrigés publiquement. » Le sous-entendu est commode : mais comment
se fait-il que saint Benoît, omettant ces quelques mots si importants
pour la clarté de la phrase, ait dit d’une manière absolue et sans relation
formelle avec ce qui précède : peccantes? Aussi bien, saint Benoît spéci
fiera dans un instant le châtiment qu’il réserve aux correcteurs sans
mandat : les degrés de la discipline régulière ; et la discipline régulière
implique autre chose qu’une correction publique. — « Ceux qui commettent
une faute seront repris publiquement. » Aussi générale, la decision
n’est-elle pas tout à la fois en désaccord, avec la Règle elle-même, qui
prescrit ailleurs des avertissements secrets ; et avec la morale, puisque
(1) Si enim objurgatio est animae curatio, non est cujuslibct objurgare, sicut nec mederi,
nisi si praefectus ipse, multo adhibito examine, id cuipiam permiserit (S. Basil., Reg. fus.,
1ΠΙ).
(2) La leçon la plus autorisée est : Veletur in monasterio... occasio, atque constituimus.
(3) N'est-ce pas ce que voulait dire aussi S. Basile : Si quis, non desiderio corrigendi
fratres arguat eum qui delinquit, sed sui vitii explendi gratia, quomodo oportet hunc
corrigi?... Iste telut suis commodis prospiciens et primatus desiderans notetur... (Reg.
conlr., exem). Dans la réponse à l’interrogation suivante, il indique que c’est au supé
rieur de déterminer tel quanto tempore vel quali modo corripi debeant.
DES
CORRECTIONS
IRRÉGULIÈRES
5»
traduire toute faute, quelle qu’elle soit, devant la communauté entière
peut ressembler à une véritable diffamation? — Le sens est plutôt
celui-ci : les transgressions d’un caractère public et scandaleux (pec
cantes coram omnibus) ne peuvent demeurer sans châtiment ; il faudra
que quelqu’un d’autorisé corrige de pareilles fautes, avec énergie, en
public au besoin, et de façon à effrayer les turbulents (1).
♦
Infantibus vero usque ad quintum decimum
annum aetatis, disciplinae diligentia sit, et custodia
adhibeatur ab omnibus : sed et hoc cum omni men
sura et ratione.
En stipulant que nul ne peut usurper le droit de punir ses frères,
saint Benoit n’a pas voulu rapporter les dispositions que nous avons
rencontrées déjà et qui soumettent les enfants de moins de quinze ans
à la surveillance et à la correction de tous leurs aînés d’âge, quels qu’ils
soient. Les enfants vivaient mêlés aux anciens, ils suivaient avec eux
la plupart des exercices et étaient formés par les soins de tous. « Cette
manière d’élever les jeunes gens valait peut-être bien celle qui a été en
usage depuis, dit D. Calmet. On a l’expérience que des enfants qu’on
élève dans l’habitude de penser et de parler sérieusement, sont capables
d’acquérir de fort bonne heure une grande maturité et une sagesse rare,
et qu’on ne trouve point dans les enfants nourris parmi des personnes
dissipées ou avec d’autres enfants, d Mais N. B. Père a prévu le danger.
Lorsqu’un ancien, de mœurs rudes et quelque peu barbares encore,
prenait en grippe ces petits enfants qui étaient espiègles et qui avaient
aussi le tort d’être ses aînés de profession, il distribuait peut-être les
sévices sans beaucoup de réserve. Il est difficile de raisonner avec les
enfants, et saint Benoît n’ignorait pas que la première éducation se fait
autrement que par voie d’intelligence : il demande pourtant que la cor
rection soit exercée en toute mesure et sagesse.
Nam in fortiori aetate qui praesumpserit aliqua
tenus sine praecepto Abbatis, vel in ipsis infantibus
(1) La plupart des commentateurs rattachent les mots coram omm&us font
ensemble à peccantes et à arguantur. Smaraodb rappelle â ce propos le texte di
Lévitique : Non oderis fratrem tuum in corde tuo. sea publice argue cum, nc habeas
super eo peccatum (xrx. 17). — Ipsa corripienda sunt eoram omnibus, quae peccantur
coram omnibus: ipsa corripienda sunt secretius quae peccantur secretius (S. Aro.. Semo
LXXXII, 10. P. L., XXXVIII, 511).— Autre explica’ion : nul ne doi: infliger sans
mandat une peine corporelle oj spirituelle \ excommunicare aut caedcre\ mais, devant
une faute publique et scandaleuse, chacun peut protester et reprendre (arguere),
650
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
sine discretione exarserit, disciplinae regulari sub
jaceat, quia scriptum est : Quod tibi non vis fieri, alii
iic feceris.
Saint Benoît se résume et conclut. Celui qui aura la témérité de sévir,
en quelque manière que ce soit, sans l’ordre de l’Abbé, contre des frères
adultes, ou indiscrètement contre des enfants : celui-là sera soumis à
la discipline régulière ; il expérimentera à ses dépens et pour son amen
dement futur la sagesse du conseil divin : Ne faites pas à autrui ce que
vous ne voulez pas qu’on vous fasse à vous-même (1).
Les prescriptions de ce chapitre s’adressent premièrement à ceux qui
n’ont aucune autorité pour châtier leurs frères ; elles concernent même
tous ceux que le code pénal monastique, la coutume légitime ou bien
une délégation spéciale investissent du droit ordinaire ou extraordinaire
de correction, lorsqu’ils dépassent les bornes de ce qui leur est permis
par la Règle et par la prudence. D'une manière générale, toute correc
tion doit réaliser les trois conditions suivantes : la compétence, une cause
juste et assez considérable, une proportion entre le châtiment et la faute
qui le détermine. Le résultat de la correction sera bien compromis si
l’on s’aperçoit que nous cédons à des impatiences, à des antipathies
naturelles, aux poussées d’un tempérament irritable : réservons notre
antipathie pour nos propres défauts.
(1) C’est le neuvième instrument des bonnes œuvres : voir plus haut, p. 76,
!
I
CHAPITRE LXXI
QUE LES FRÈRES S’OBEISSENT LES UNS AUX AUTRES
I
H est entendu que personne ne peut corriger ses frères sans mandat;
mais enfin plusieurs possèdent ce mandat. Et il s’agit beaucoup moins,
pour le moine soucieux de perfection, de vérifier les titres de celui qui
commande ou qui punit, que d’obéir simplement en toutes choses et à
tous. Bien loin d’exercer sur ses frères une surveillance maussade et de
les molester par des répressions tyranniques, que chacun s’applique
donc à se soumettre à tous (1).
Le chapitre comprend deux parties : comment accueillir l’ordre d’un
frère ou lui rendre un service; — comment accueillir certaines.répri
mandes des supérieurs.
— Obcdienliae bonum non solum Abbati exhibendum est
ab omnibus, sed etiam sibi invicem ita obediant fra
tres, scientes se per hanc obedientiae viam ituros
ad Deum. Praemisso ergo Abbatis, aut praeposito
rum qui ab eo constituuntur imperio (cui non per
mittimus privata imperia praeponi), de cetero omnes
juniores prioribus suis omni caritate et sollicitudine
obediant. Quod si quis contentiosus reperilur, corri
piatur.
Ut
odedientes sint sibi invicem fratres.
Obedientiae bonum (2). Ce n’est pas une prestation toute matérielle
et extérieure, ni une aumône jetée dédaigneusement : c’est un présent
fait avec grâce, reçu avec joie par le Seigneur : acceptabüis Deo et dulcis
hominibus (chap. V). Et c’est aussi un bien, une bonne fortune pour
l’obéissant : car chacune de ses soumissions arrache un lambeau de ce
redoutable cilice qu’est l’égoïsme et lui donne un peu plus de Dieu.
(1) Même doctrine dans S. Basile, Reg. conlr., xm. lxiv.
(2j L'expression est de Cassien, /nst, IV, xxx; XII, .wa,
351
55S
!
’
J
1
COMMENTAIRE
SUR
LA
RÈGLE
DE
SAINT
BENOIT
S’approcher de Dieu, s’unir à Dieu : telle est la fin de toute notre activité
surnaturelle. Et nous savons que les anciens envisageaient la vie chiétienne comme une marche ininterrompue vers ce terme béni, l’union
avec le Dieu vivant : Volo, Pater, ut ubi ego sum illic sit et minister meus.
Etl’onnousadit, et le Seigneur avec sa Mère et ses saints nous ont montré
dans leur vie, que la voie royale par laquelle on monte chez Dieu, c’est
l’obéissance. N. B. Père saint Benoît ne se lasse jamais d’en parler ; elle
est l’alpha et l’oméga de sa Règle.
Si nous avons hâte d’atteindre Dieu, nous rechercherons donc des
occasions d’obéissance, plutôt que d’ingénieux procédés pour nous y
soustraire. Les yeux levés vers Jérusalem, nous marcherons dans l’allé
gresse, ne voyant plus que Dieu en toutes choses, obéissant à Dieu et à
toute créature pour l’amour de Dieu, Pâme perdue, disent les mystiques.
L’obéissance à l’Abbé et à ceux qui tiennent de lui une part d’autorité
ne nous suffira plus : nous nous inclinerons aussi bien, et pour des motifs
tout semblables, devant les désirs de nos anciens, meme de nos plus jeunes
frères, encore que saint Benoît ne le demande pas explicitement ; et ce
sera, dans la communauté, comme un empressement universel à s'obéir
les uns aux autres : Sed etiam sibi invicem ita obediant fratres. On n’ose
même pas penser qu’un moine puisse se dire:«La vie monastique, c’est
chacun chez soi, chacun pour soi ; c’est demeurer côte à côte, mais murés
les uns pour les autres, juxtaposés. Le programme, c’est de n'avoir souci
de personne, d’observer scrupuleusement le chapitre LXX, mais, en
retour, de ne tolérer que personne entreprenne sur nous ».
Les commentateurs remarquent que même dans une vie où tous les
instants sont consacrés à des œuvres déterminées, où les obédiences et
les relations sont fixées par la règle écrite ou vivante et par les usages,
il reste aux frères bien des occasions de se témoigner l’obéissance mutuelle.
La courtoisie, l’urbanité, la serviabilité ne sont-elles pas autant de
formes aimables de l’obéissance? Il est des moines très jaloux de leur
temps et très constants à l’étude qui néanmoins semblent être en disponibilité toujours et n’avoir autre chose à faire qu'à se donner à tous
ceux qui les réclament. Omni caritate et sollicitudine obediant. Voilà
rappelés, brièvement, la source divine de notre obéissance, son caractère
et son allure. Ce n’est pas de la politesse mondaine, mais de la charité.
Ne nous imaginons pas obéir comme le voudrait saint Benoît, lorsque
nous semblons faire une grâce ; ou bien lorsque notre soumission est accom
pagnée d’une attitude lassée et sceptique; ou bien, enfin, lorsque nous
prenons l’air dolent d’une victime qui s’exécute et au dedans s’admire.
Ce n’est alors que la grimace de l’obéissance.
II y a toujours quelque danger d’illusion à rechercher douloureusement
à part soi où l’on en est avec le Seigneur : « Mes péchés sont-ils oubliés?
Est-ce que je suis enfin dans la vic illuminative? Ne serait-ce pas plutôt
QUE LES FRÈRES S'OBÉISSENT LES UNS AUX AUTRES
55Î
Punitive? » Curiosités, curiosités légitimes après tout, puisque notre
unique intérêt au monde est de savoir si nous sommes bien avec
celui-là seul qui compte. Et la réponse divine ne manque jamais. Mais
d’ordinaire nous n’écoutons pas où il faudrait pour la recueillir. L’ima
gination, la sensibilité, l’esprit humain, les mauvais anges nous leurrent.
Ce n’est pas même à Dieu, dans la prière, qu’il faut demander ce redou
table secret. Notre confesseur ne sait pas non plus. C’est à notre obéis
sance qu’il faut regarder, très humblement, très loyalement. Si nous
constatons, dans les faits, que décidément notre âme est devenue une
disponibilité, une docilité profonde et comme sans mesure, réjouisson?nous, remercions le Seigneur : il est tout proche. Et peut-être les strophes
symboliques de saint Jean de la Croix chantent-elles tout bas dans notie
cœur :
Mon âme s’est employée,
Avec tout ce que je possède, à son service.
Je ne gardî plus de troupeau,
Je n’ai plus d’autre office :
Ma seule occupation désormais est d’aimer.
Si donc à l’avenir, dans ces prairie,
Je ne suis plus ni vue, ni rencontrée,
Vous direz que je me suis perdue,
Que, marchant toute ravie d’amour,
Je me suis volontairement perdue, et j’ai été gagnée.
Saint Benoît observe que, dans cette obéissance due à tous, il y a, néan
moins, une hiérarchie à observer. Il est normal que l’Abbé et les doyens
soient écoutés les premiers. Lorsque nous sollicitons une permission ou
que nous remplissons une obédience, il nous faut prévenir tout conflit
de juridictions, bien loin de le provoquer malignement. Les autorités
proprement dites étant écoutées tout d’abord, dit saint Benoît, ou n’étant
point intervenues, tous accueilleront avec simplicité, humilité et bon
sens, les ordres légitimes, les indications, les remarques des aînés. C’est
un conseil de perfection ; mais, dans une mesure, c’est un précepte.
Et s’il se rencontre au monastère un disputeur, un esprit toujours prompt
à contester, toujours pourvu de fortes raisons pour se dérober à l’obéis
sance, on lui fera comprendre que cette disposition est absolument
incompatible avec la vie religieuse ; et on le châtiera : Si guis viddur
contentiosus esse, disait déjà l’apôtre saint Paul (I Cor., xi, 16), nos
talem consuetudinem non habemus, neque ecclesia Dei,
Si quis autem pro quavis minima causa ab Abbate
vel a quocumque priore suo corripiatur quolibet
554
COMMENTAIRE SUR
LA
RÈGLE
DE
SAINT
BENOIT
modo; vel si leviter senserit animum prioris cujuscumque contra se iratum vel commotum, quamvis
modice, mox sino mora tamdiu prostratus in terra
ante pedes ejus jaceat satisfaciens, usque dum bene
dictione sanetur illa commotio. Quod si quis con
tempserit facere, aut corporali vindiciae subjaceat,
aut si contumax fuerit, de monasterio expellatur.
Chaque expression est suggestive, dans ces prescriptions dont la sévé
rité nous étonne peut-être. Elles sont en harmonie pourtant avec la
sainte Règle tout entière, avec les Règles anciennes (1) ; et, lioimis certains
détails, elles ont toujours force de loi. Ce n’est pas, semble-t-il, pour
n’importe quelle réprimande que le moine interpellé doit satisfaction,
mais seulement lorsque la remarque est soulignée chez le supérieur par
quelque émotion, par quelque vivacité dans le ton et surtout par un
mouvement d’indignation. Ce paroxysme n’est pas requis pour que le
coupable s’exécute : il suffit d’une émotion légère : quamvis modice. D
n’est pas nécessaire non plus qu’elle soit notoire, mais simplement qu’elle
soit devinée, légèrement aperçue : vel si leviter senserit. Si menu que
puisse paraître le motif de la réprimande : pro quavis minima causa;
quelle que soit la manière dont elle est faite : quolibet modo; et d’où
qu’elle vienne : ab Abbate vel a quocumque priore sue : c'est aussitôt et
sans retard, sans réfléchir ni peser le pour et le contre, qu’il faut se pros
terner à terre (2). Et l’on demeurera dans cette posture humiliée jusqu’à
ce que la bénédiction du supérieur vienne attester que son irritation a
disparu. Saint Benoît suppose, naturellement, que la miséricorde ne
tardera pas plus que n’a tardé le repentir.
Il ne s’agit donc aucunement de se justifier, d’assurer qu'on n’a pas
songé à mal, de protester que les intentions étaient droites ; il s’agit beau
coup moins encore de se répandre en impertinences. Et, nous l'avons dit,
ce point de Règle n’est pas périmé ; il est des circonstances où le délinquant
doit aussitôt demander pardon à genoux, où il doit du moins présenter
des excuses. Le profit de cette humble soumission est double : le frère
réprimandé trouve sur l’heure le moyen facile de réparer sa faute, de
redevenir petit, et, dans une attitude comme celle-là, il n'est plus tenté
de discuter ; le supérieur, de son côté, est incliné au pardon immédiat, et
son émotion s’évanouit soudain tandis que sa main fait le geste de bénir :
Usque dum benedictione sanetur illa commotio. Il y a édification mutuelle.
(1)
Frater qui pro qualibet culpa arguitur tel increpatur, patientiam habeat et non
respondeat arguenti; sed humiliet se in omnibus (S, Macar., Reg., xvi),
(2) Cass., Inst., IV, xvi,
—*
QUE
LES
FRÈRES
S'OBÊISSENT
LES
UNS
AUX
AUTRES
555
Saint Benoit indique, en terminant, les peines réservées à ceux qui no
consentent pas aux satisfactions. Si l’orgueilleux résiste, on le fera passer
par les verges, on le soumettra probablement aux châtiments gradués
dont il est parlé au code pénal monastique ; et finalement, s’il est incorri
gible, on l’expulsera de la communauté (1). On le rendra au siècle, puis
qu'il est du siècle par son esprit de contestation.
(1) Selon les anciens commentateurs, s’il s'agit d’un moine élevé dans te monastère,
«Ill I
c'est-à-dire entré comme
oblat, on ne le renverra pas dans le siècle qu’il ignore, mais
on l’emprisonnera,
. ΪΛ.
CHAPITRE LXXII
DU BON ZÈLE QUE DOIVENT POSSÉDER LES MOINES
De ZELO BONO QUEM DEBENT HABERE MONACHI. —SÎCUl
est zelus amaritudinis malus, qui separat a Deo, et
ducit ad infernum : ita est zelus bonus, qui separat
a vitiis, et ducit ad Deum et ad vilain aeternam.
Hunc ergo zelum ferventissimo amore exerceant
monachi...
Ce chapitre complète et résume tout l’enseignement des quatre qui
précèdent. On pourrait même le considérer comme une synthèse de la
Règle entière. Saint Benoît condense toute la science de la perfection
monastique en quelques sentences brèves et pleines, qui ont l’éclat
et la solidité du diamant. Encore que les cléments doctrinaux et les for
mules elles-mêmes nous soient déjà connus en partie, leur choix et leur
groupement leur donnent ici une valeur nouvelle (1).
C’est une idée aussi ancienne que le christianisme et très familière à
saint Benoît que toute vie humaine a pratiquement le choix entre deux
directions, et deux seulement, entre deux voies : la voie du mal, de la
séparation d’avec Dieu, de l’enfer ; et la voie du bien, de la séparation
d’avec les vices, de l’union à Dieu, de la vie étemelle. Sur ces deux routes,
deux armées ennemies se hâtent, et entre elles il y a de perpétuelles ren
contres. Chacune a son chef et son étendard, chacune sa devise, sa tactique
et ses armes ; dans un camp, c’est l’orgueil, la désobéissance, le Non
serviam de Lucifer; dans l’autre, c’est l'humilité, l’obéissance, le Quis
(1) C’est l’écho de l’enseignement de S. Basile : Reg. contr., xn sq. Voici comment les
anciens comprenaient la vie contemplative : Quali affectu debet servire qui servit Deo?
AIReturn bonum vel animum illum esse arbitror ego, cum desiderium vehemens et inex
plebile atque immobile inesl nobis placendi Deo. Impletur autem iste affectus per theoriam
(Οίωρίαν), id est scientiam per quam intueri et perspicere possumus magnificentiam gloriae
Dei, et per cogitationes p.as et puras, et per memoriam bonorum quae nobis a Deo collata
sunt; ex quorum recordatione venit animae dilectio Domini Dei sui, ut eum diligat ex toto
corde suo, et ex tota anima sua, e( ex tota mente sua (xrv).
3SC
DU BON ZÈLE QUE DOIVENT POSSÉDER LES MOINES
551
ut Deus? de saint Michel. Et N. B. Père nous parle ici des deux zèles,
comme saint Augustin avait parlé des deux amours (1).
Le zèle, c’est l’ardeur secrète, le bouillonnement de l’àme, sa chaleur,
sa ferveur. Dans la sainte Écriture et les Pères le mot « zèle* désigne
le plus souvent une mauvaise tendance de l’àme : la jalousie, l’envie,
l’âpreté dans la poursuite d’une satisfaction égoïste, même aux dépens
du prochain. C’est dans ce sens que l’emploie Cassien au chapitre vi
de sa Ire Conférence et aux chapitres xv et xvi de la XVIIIe;
dans ce sens également que N. B. Père recommande : Zelum et invidiam
non habere (chap. IV : soixante-cinquième instrument) et à l’Abbé :
... Ne forte invidiae aut zeli flamma tirai animam (chap. LXV). Saint
Jacques avait parlé le premier du « zèle amer n : Quod si zelum amarum
habetis, et contentiones sint in cordibus vestris, nolite gloriari et mendaces
esse adversus veritatem... Ubi zelus et contentio, ibi inconstantia et omne
opus pravum (Jac., ni, 14,16). Ce mauvais zèle conduit droit à la mort,
écrivait déjà saint Clément de Rome : το είς flxvrtw ά-ρ·/ ζηλχ : Qui ad
mortem adducit zelus (2). Mais il y a aussi un bon zèle, une sainte ardeur, «le
zèle de Dieu », que saint Benoît signalait en passant, au chapitre LXIV(3).
Il nous dira bientôt comment se traduit ce zèle ; ü remarque seulement
ici quel est son fruit dans les âmes : dégager des mauvaises passions et
mener à Dieu (4).
Γι
I
C’est donc bien du dedans que part la direction de toutes nos démarches
morales ; c'est à l’intime, c’est à l’âme que regarde N. B. Père, et c’est
là qu’il voudrait provoquer un mouvement décisif. La seule question
est de savoir ce que nous portons dans le cœur. Qui sait s'il ne faudra
pas répondre : « Je m’aime beaucoup moi-même; il n’y a guère que moi
pour moi. Il y a chez moi une grande ardeur d’affirmation personnelle;
j’appartiens à corps perdu à mon système, c’est-à-dire à mes illusions.
Et comme je ne suis pas seul au monde et qu’il y a autour de moi une mul
titude d’autres moi qui me limitent et prétendent me réduire, mon zèle
devient facilement une ardeur d’impatience, de colère, de contestation,
de révolte : zelus amaritudinis malus». Demeurer neutre nous est interdit.
Il n’y a pas de pure correction extérieure qui vaille ni qui tienne. Si
nous nous fixons dans une attitude inerte et glacée, nous avons déjà
choisi la mort. Laissons plutôt l’Esprit de Dieu allumer en nous la flamme
(1) De Civitate Dei, 1. XIV, c. xxvni. P. L, XLI, 436.
(2) Epist. ad Cor., ix (Funk, Opera Patrum Apost., I, p. 72). Cité par D. BvtlîR
ainsi que < l’ancienne traduction latine ».
(3) Cf. Cass., Contai. II, xxvi ; VII, u, xxvr, xxxi ; XII, î ; XIII, vui ; XVII, ixv,
— S. Basil., Jifeÿ. contr., lxxvili.
(4) S. Jérôme, dans son Commentaire sur Ezêchiel (L V, cap. xvi. P. L, XXV, 156),
cite comme « de PÉvangile » cette phrase que nous n’y trouvons plus, mais qui rappelle
un passage de l'Ecclésiastique (iv, 25) : Est confusio quae dueit ad mortem, d est ewi/uj.-o
quae ducit ad vitam. Il cite encore ces paroles dans sa Lettre LXVI, 6, P, L., XXII, 612«
— Ct. II Cor., vii, 10.
.
558
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
du bon zèle qui s’appelle la charité. Ama et fac quod vis. Celui qui aime
Dieu porte en quelque sorte la règle en soi. Et lorsqu’une ferveur de foi
et de tendresse anime nos œuvres, tout va bien. Les mauvaises habitudes,
quelque invétérées qu’elles soient, ne sauraient résister à cette flamme
vivante et toute dime. Tel est le zèle, dit saint Benoît, que doivent
entretenir et exercer les moines « avec un très fervent amour ». Et voici
spécialement à quoi s’appliquera cette émulation sainte.
...id est, ut honore se invicem praeveniant, infir
mitates suas sive corporum sive morum patientis
sime tolerent; obedicnliam sibi certatim impendant.
Nullus quod sibi utile judicat sequatur, sed quod
magis alii. Caritatem fraternitatis casto impendant
amore.
C’est toujours de charité qu’il est question et de charité fraternelle :
In hoc cognoscent omnes quia discipuli mei estis, si dilectionem habueritis
ad invicem (Joann., χπι, 35). Elie se manifeste par les égards et les pré
venances mutuelles, et N. B. Père rappelle la sentence de l’Épître aux
Romains (xii, 10) déjà citée au chapitre LXIIL La charité se traduit
encore par le support affectueux des infirmités morales ou corporelles des
frères (1); et nous pourrions ajouter : par l’acceptation tranquille de nos
propres misères. Les maux comme les biens, tout est commun dans le
monastère. Peut-être même n’est-ce pas seulement l’infirmité du prochain
qu’il nous faut supporter avec une patience inlassable, patientissime;
mais encore sa diversité. Nous venons tous ex diversis provinciis. Celui-ci
arrive des brumes du Nord ; celui-là a mûri sous le grand soleil du Nlidi ;
tel rient de la Bourgogne et a peut-être quelques gouttes de son vin
dans les veines ; tel autre est Breton et bien de sa race. Or, le Seigneur
demande que nous sachions nous prêter aux trempes diverses et que
nous ne trouvions jamais insupportable un rapprochement qui s’est fait
en lui et par sa grâce. Supportons encore les supériorités du prochain ;
supportons la confiance et l’affection qui vont vers lui. Souvent le
Seigneur permet sur ce point une souffrance aiguë, afin de nous mettre
en demeure de chercher une affection plus haute, où nous ne redoutions
plus de rivalité : Alter alterius onera portate et sic adimplebitis legem
Christi (Gal, vi, 2).
(1) Réminiscence de Cassien : (Lazarus) infirmitatem corporis patientissime toleravit
(ConlaL VI, ui). Is vere et non ex parte perfectus est, qui et in eremo squalorem solitudinis
et in coenol/io infirmitatem fratrum aequali magnanimitate sustentat (Conlat. XIX, ix).
DU BON ZELE QUE DOIVENT POSSÉDER LES MOINES
W
Obéissez-vous à l’envi les uns aux autres, continue N. B. Père. Au
lieu de poursuivre des fins qui satisfassent son égoïsme, que chacun
recherche plutôt toutes les occasions d’obliger ses frères (1). C’est la
gr ande loi du christianisme, c’est l’antipode de l’animalité, puisque l’ani
mal et l’homme animal n’ordonnent toutes choses qu’à leur profi4.
L’Apôtre dessinait d’un trait une sociétéqui n’était qu’à demi convertie :
Omnes quae sua sunt quaerunt, non quae sunt Jesu Christi (Philiit.,
ii. 21); et. quelques lignes avant, il avait indiqué l’idéal d’une com
munauté chrétienne : Non quae sua sunt singuli considerantes, sed ea
quae aliorum {Ibid., 4). Et saint Benoît termine la série des recommai.dations qui assurent la paix familiale par ce conseil tout gracieux,
emprunté encore à l’apôtre saint Paul : qu’ils acquittent leur dette d’une
chaste tendresse de frères (Rom., xn, 10 ; I Tiiess., iv, 9 ; Hebr., xm, 1.
Voir aussi 1 Petr., i, 22 sq.). D’un mot est souligné ce caractère de pureté
surnaturelle qui fait le charme et la réalité durable des affections monas
tiques.
Deum timeant; Abbatem suum sincera et humili
caritate diligant; Christo omnino nihil praeponant,
qui nos pariter ad vitam aeternam perducat. Amen.
Jusqu’ici, les conseils de N. B. Père ont porté spécialement sur nos
relations avec nos frères et nos égaux, sur ce qn’on pourrait appeler
la coordination sociale ; maintenant, semble-t-il, ils ont trait à nos
relations avec ceux qui sont placés au-dessus de nous, à la subordination
sociale : et c’est l’union de ces deux éléments qui constitue le lien d’une
famille monastique.
Deum timeant. Qu’ils craignent Dieu, co HiH e des serviteurs conscien
cieux, comme des fils. Nous la connaissons bien, cette crainte chaste,
qui demeurera aux siècles des siècles : timor castus permanens in saeculum
sacculi; c’est la disposition bénédictine par excellence. Elle doit être
perpétuelle en nous; c’est l’aiguillon de notre zèle; c’est l’expression
pratique de notre charité. Et peut-être même le texte le plus autorisé
est-il celui-ci : Caritatem fraternitatis caste impendant. Amore Deum
timeant : nous retrouvons une formule identique au Pontifical romain
dans la Préface si vénérable de la consécration des Vierges : Amore le
timeant (2).
:
« Qu’ils ne préfèrent au Christ absolument rien. » C’est le vingt et
(1) Sitquc inter cos pace et concordia, ei libenter majoribus subjiciantur, sedentes, amhttantes, ac stantes in ordine suo, ei invicem de humilitate a riantes (S. Pach., Re·]., clxxix).
(2) D. G. Morin a fait le même rapprochement: Vers wn texte difimtif de la rcj’e
de S. Benoît : limit Bàiîd , oc obre 11'12, p. 408-409,
560
COMMExVTA I RE
SUR
LA
RÈGLE
DE
SAINT
BENOIT
unième instrument des bonnes œuvres, une devise empruntée à saint
Cyprien et à saint Antoine. II est simple, en un jour de sincérité et de
joie spirituelle, d’affirmer au Seigneur qu’on ne lui préfère rien absolu
ment : il est plus simple encore, hélas ! de se dédire dans le détail de la
vie. Et pourtant Dieu aime que nous lui répétions ces paroles d'élection.
Elles sont riches de foi, d’espérance, de charité. Le Seigneur a pitié
de notre désir et il fait que, peu à peu, nous devenons vrais : il n’y a
plus que lui en nous; une réponse est donnée enfin à cette tendresse
sans date, sans fond, sans bornes qui nous enveloppait à notre insu.
Et comme pour garantir l’autorité de l’Abbé, comme pour établir une
dernière fois qu’elle découle bien de Dieu, qu’elle est le sacrement du
Seigneur parmi nous, saint Benoît fait une place à l’Abbé entre Dieu
le Père et son Christ. Et il demande encore à la charité la norme sûre
de nos relations envers l’Abbé. H dit : Abbatem suum : c’est le nôtre.
Nous l’avons élu peut-être, c’est entre ses mains que nous avons fait
profession. Nous aurons du respect pour tous les prélats qui sont au
monde; mais celui qui est le père de notre famille monastique et de
notre âme a un titre spécial à notre affection. Elle sera « sincère » :
et par conséquent à l’épreuve d’une observation, d’une sévérité. Elle
n’aura jamais le caractère de la flatterie ni de la mièvrerie : elle sera
λ-raie, et d’âme, et de foi. Saint Benoît la veut « humble », et ceci doit
être bien compris. Sans doute il est normal qu’une sainte et joyeuse
liberté règne dans nos rapports avec celui dont la fonction, notait plus
haut N. B. Père, est de servir, non de dominer : mais liberté n’est pas
sans-gêne. Le fabuliste nous a décrit l'impertinence des grenouilles envers
leur roi soliveau :
H en vint une fourmilière ;
Et leur troupe à la fin se rendit familière
Jusqu’à sauter sur l’épaule du roi !
L’humilité consistera à garder son rang. Peut-être la vénération seraitelle plus facile, si l’autorité se tenait à distance, se retirait dans une
pénombre glorieuse et se faisait princière ; mais telle n’est point la famille
de saint Benoît, où l’Abbé vit au milieu de ses moines. Il y a pourtant
une nuance de mesure, de discrétion, de respect filial dont nul ne doit
Ee départir, et qui ne manque jamais dans une âme attachée au Seigneur.
Le chapitre se termine par un souhait. Aimant nos frères, craignant
Dieu d’une crainte d’amour, aimant notre Abbé, adhérant sans partage
à celui qui s’est défini « la Voie, la Vérité et la Vie », puissions-nous tous
ensemble, conventuellement, parvenir à la vie éternelle (1) !
(1) L’Atncn no se trouve ni dans les meilleurs manuscrits, ni dans les plus anciens
commentateurs.
CHAPITRE LXXIH
COMMENT LA PRATIQUE DE LA JUSTICE N'EST PAS TOUTE RENFERMÉE
DANS CETTE RÈGLE
Ce dernier chapitre contient tout un trésor de doctrine pratique. H
nous éclaire même à nouveau sur cette question, souvent agitée par les
moralistes et à laquelle N. B. Père a déjà répondu : Quel est le premier
principe directif de toute notre activité morale? Nous connaissons bien la
réponse : « Vivez conformément à ce que vous êtes, et grandissez ».
Notre unique loi est de progresser, d’aller del’avant, de tendre au parfait.
Or. pour cela, deux choses sont nécessaires : un aiguillon intérieur :
c'est le zèle, c’est la sainte émulation, c’est la ferveur de charité dont
il était question au précédent chapitre; il faut encore une carrière où
l’on puisse ainsi se mouvoir et courir, dit saint Benoit : et c’est de quoi
il est parlé maintenant.
De eo quod
non omnis observatio justitiae in hac sit
Regula constituta. — Regulam autem hanc descri
psimus, ut eam observantes in monasteriis, aliqua
tenus vel honestatem morum, aut initium conversa
tionis nos demonstremus habere.
Voici donc la Règle promise à la fin du Prologue et du premier chapitre.
Nous l’avons composée avec soin, afin de déterminer l’observance, dans
nos monastères de cénobites. H suffira que nous y demeurions fidèles
pour faire preuve, sinon d’une sainteté extraordinaire, tout au moins
d'une certaine dignité de mœurs et d'un commencement (1), d’un essai
de vraie vie monastique : on ne sera plus tenté de nous confondre avec
les gyrovagues et les sarabaïtes.
H se dégage de ces paroles un parfum de simplicité chrétienne, qui
(1) Initium conversationis : même expression dans Cassien, Inst., IV, xxxix Voir
aussi : Verba seniorum : Vitae Patrum, V, χι, 29. Rosweyde, p. 611,
,
3d
56S
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
suffirait pour nous révéler la parfaite sainteté de N. B. Père. Cette can
deur et cette mesure ne peuvent venir que de Dieu. Combien différente
est la tendance de l’homme 1 Ce qu’a fait l’homme est un chef-d’œuvre
pour lui. Nous avons comme d’instinct la prétention d'enfermer le inonde
dans notre pensée ; ce que nous faisons est toujours définitif et achevé.
Seuls, les vrais sages et les grands artistes échappent à cette fascination.
N. B. Père est de ceux-là. La Règle lui apparaît comme une ébauche
modeste, comme un exorde, comme une initiation à une vie supérieure.
Nous savons quel démenti ont apporté les siècles à cette déclaration
d’humilité. Et saint Benoit lui-même n'a pu se méprendre complètement
sur le vrai caractère et la portée de son œuvre. Lui qui recommande à
l’Abbé « de maintenir chacun des points de la présente Règle », lui qui
a promulgué, comme garantie de l’observance, tout un code pénal
rigoureux : il ne saurait avoir maintenant pour dessein de diminuer
notre vénération envers ce qu’il a appelé par deux fois « la sainte
Règle » (chap. XXIII, LXVj. Quand nous l’entendrons nous inviter à
recourir aux enseignements de l’Écriture et des Pères, sa pensée n’est
cependant pas que nous introduisions, au hasard de nos dévotions, dans
la forme de vie qu’il nous a donnée, toutes sortes d’éléments recueillis
un peu partout ! N’a-t-il pas promis à la fin du chapitre VII que quiconque
franchirait les divers degrés d’humilité parviendrait sûrement à l'union
divine? N’est-ce pas tm code complet de perfection monastique que la
doctrine de sa Règle a prétendu esquisser? L'humilité profonde n'est
jamais l’inconscience, et les < pieuses exagérations sont peu conformes
au tempérament de saint Benoît.
Comment donc justifier son extrême réserve? Rappelons-nous d’abord
qu’il a écrit la Règle beaucoup moins pour des âmes parfaites que pour
celles qui ont résolu de le devenir. Il s'emploie à les préparer, à les afliner,
aies acheminer par une voie aisée jusqu’à la consommation de la charité
et à la sainte liberté des enfants de Dieu. La doctrine spirituelle de la
Règle est complète; mais à la manière d'un catéchisme, qui condense
dans la simplicité naïve de son exposé la théologie tout entière, et n’a
réellement besoin que d’être développé. Les observances de la Règle
sont discrètes, triées avec soin, proportionnées aux forces moyennes
delà nature humaine, sans aucun parti pris de mortification à outrance :
mais les âmes qui ont faim de Dieu sauront bien être généreuses, aller
un peu au delà, sous la conduite de l’obéissance, faire leur silence plus
profond, leur oraison plus assidue, leur œuvre liturgique plus achevée ;
surtout, elles pourront surélever jusqu'à l’infini le principe intérieur
de leurs actes. Tout cela, la Règle ne le contient que virtuellement ; elle
y invite, elle le suggère : minima inchoationis Regula. Aussi bien, quelle
est donc la Règle créée qui n’éprouverait pas son insuffisance en face de
cette zone illimitée de perfection qu’a ouverte la parole du Seigneur :
DU
CARACTÈRE
ÉLÉMENTAIRE
DE
CETTE
RÈGLE
5«
Est' te ergo vos perfecti, sicut et Pater vester caelestis perfectus est (Ματτη.,
v, 48)? N. B. Père trouve sa Règle étroite et chétive devant les splendeurs
révélées par Dieu à ses saints, et qu’il connaissait d’expérience : Animae
videnti Creatorem angusta est omnis creatura (1).
Celerum ad perfectionem conversationis qui fe
stinant, sunt doctrinae sanctorum Patrum, quarum
observatio perducit hominem ad celsitudinem per
fectionis. Quae enim pagina, aut quis sermo divinae
auctoritatis veteris ac novi Testamenti, non est re
ctissima norma vitae humanae? Aut quis liber san
ctorum catholicorum Patrum hoc non resonat, ut
recto cursu perveniamus ad Creatorem nostrum?
Nec non et Collationes Patrum, et Instituta et Vita
eorum : sed et Regula sancti Patris nostri Basilri,
quid aliud sunt, nisi bene viventium et obedientium
monachorum exempla, et instrumenta virtutum?
Nobis autem desidiosis et male viventibus atque
neglige uti bus, rubor confusionis est.
A toute âme empressée à réaliser l’idéal monastique (2), N. B. Père
indique en peu de mots quelles sont les sources où elle devra puiser un
complément d’information surnaturelle. Remarquons bien le rôle qui
est dévolu à l'intelligence. C'est de vie contemplative qu’il s’agit pour
saint Benoît ; et cette vie s’épanouit par ses procédés propres. Ce n’est
pas dans la vie apostolique et active qu’on nous demande de marcher
et de courir : mais dans la vie où l’on scrute, jour et nuit, Dieu et ses
œuvres ; où se révèle, par voie de lumière, d’amour, de louange, le mys
tère de Dieu et du Christ. Et ce n’est pas seulement un choix varié
de conseils ascétiques que N. B. Père nous propose de demander aux
anciens, encore qu'il signale à quatre reprises le bénéfice pratique et
moral do cette étude : il songe à une formation doctrinale profonde, à
une connaissance savoureuse des choses divines, d’autant plus effi
cace pour pénétrer toute notre vie qu’elle est le fruit d’une science
plus haute. Au leste, les mentalités sont diverses, comme les étoiles:
Stella enim a stella differt in claritate (I Cor., xv, 41) j tous les
1) S. Greg. M., Dial., I. II, c. xxxv.
2) zld perfectionem festinantibus... (Cass., Conlat. XXI, r),
LI
■
564
COMMENTAIRE
SUR
LA
RÈGLE
DE
SAIiNT
BENOIT
procédés sont bons qui réforment les mœurs et conduisent à Dieu ; mais
mil ne s’étonnera que les fils de saint Benoît demeurent fidèles à celui
des premiers siècles, et qu’ils trouvent, dans la lecture recueillie d’« une
page quelconque « de la Bible ou des écrivains ecclésiastiques, la direction
et la nourriture de leur âme.
Voici donc, selon saint Benoît, la matière de notre contemplation : « les
enseignements des saints Pères ». Peut-être cette appellation englobet-elle tous nos pères dans la foi, tous ceux qui ont écrit sur Dieu et les
questions surnaturelles, à commencer par les auteurs inspirés ; et saint
Benoît énumérerait ensuite trois grandes catégories d’ouvrages. La
première comprend les livres de ΓAncien et du Nouveau Testament
reconnus d’autorité divine, et exclut, par conséquent, tous les livres
apocryphes ou douteux qui circulaient encore parmi les fidèles. La sainte
Bible est le manuel des moines. Mais à Dieu ne plaise que nous traitions
jamais ces Lettres du Père céleste à sa créature, comme les appelle
saint Augustin (1), en rationalistes ou en purs critiques ! Ce n’e.?t qu’à
la condition d’être enveloppée du même respect que l’Eucharistie, que
chacune des pages ou des paroles de l’Écriture constituera, pour une
vie humaine, la plus sûre des règles morales : rectissima norma vitae
humanae (2).
Et comme l’Ecriture ne contient pas toute la pensée de Dieu, nous y
joindrons l’étude des Pères : sanctvrum ciïholicoram Putr m. de ceux qui
sont les organes fidèles de la tradition, et dont les œuvres nous offrent un
commentaire perpétuel de la Bible, le seul qui compte pour nous. Ni
les hérétiques, ni les athées n’ont compétence pour expliquer les Écritures
aux enfants de l’Église : ce sont des intrus ; avant eux. l’Église était en
possession ; c’est elle qui tient de Dieu le sens vrai des 1 ivres saints,
proclamait déjà la fierté de Tertullien (3). Y a-t-il un seul des écrits
des Pères, continue saint Benoît, qui ne nous invite hautement à
monter, par le droit sentier des justes (Isaïe, xxvi, 7), jusqu’à notre Créa
teur?
L’Écriture et les Pères appartiennent à tout chrétien : il est d’au
tres livres qui sont le patrimoine spécial de l’Ordre monastique et nous
font co: mu Lunier à l’âme de tous nos saints. Et saint Bcm it mentionne les
ouvrages qui furent plus familiers à son temps : les Collationes, où Jean Cas
(1) Enarrat, in Psalmum lxiv, 2. P. L., XXXVI, 774.
(2) C’est tout le thème du psaume cxvm : Lucerna pedibus meis verbum tuum, et
lumen semitis meis.
(3) Ita non christiani nullum jus capiunt Christianarum Litterarum; ad quos merito
dicendum est : Qui estis? quando et unde venistis? quid in meo agitis, non mei? quo
denique, Afarcion, jure silvam meam caedis? qua licentia, Valentine, fontes meos trans
vertis? qua potestate, Apelles, limites meos commoves? quid hic ceteri ad voluntatem
vestram seminatis et pascitis? Alea est possessio, olim possideo... Ego sum haeres aposto
lorum... {De praescriptione haereticorum, xxxvii. P. L., II, 51),
DU
CARACTÈRE
ÉLÉMENTAIRE
DE
CETTE
RÈGLE
565
sien résume ses admirables conférences avec les moines orientaux ; les Instituta coenobiorum du même auteur ;les Vitae Patrum; la Règle de celui qui
était alors considéré comme le plus grand législateur monastique : « Notre
Père saint Basile ». Tous ces écrits ne sont autre chose quedes exemplaires,
des modèles authentiques (1) de sainte vie et d'obéissance monastique;
et instrumenta virtutum : des documents, des archives de vertu, ou bien
encore des ressources, des industries pour développer cheznousles vertus (2).
lis sont en même temps un encouragement, un aiguillon; et lorsque nous
sommes lâches, inobservants et négligents (3), la leçon qu'ils nous donnent
nous fait rougir de honte. L'intention de N. B. Père n’est certainement
point, répétons-le, de déprécier sa Règle, ni de vouer àla confusion toutes
les âmes qui s’en contenteraient ; il ne dit pas davantage : nous sommes tous
maintenant des relâchés. Tout au plus pourrait-il déclarer : c’est vraiment
bien peu de chose, ce que nous faisons, en regard des austérités orien
tales ! Mais plutôt peut-être veut-il humilier, par le spectacle de la per
fection d’autrefois, ceux qui seraient aujourd’hui tentés de relâchement :
comme si la bénignité même des observances leur devenait un préterc
pour s’en affranchir.
Tout ce paragraphe de la Règle contient une grave leçon relativement
à l’intérêt suprême de notre vie monastique, et àla matière de nos lectures
et de nos travaux. Le bavardage, les journaux, les revues, la critique,
les petits livres de dévotion, tout cela ne saurait conduire le moine
sur les sommets de la perfection, ad celsitudinem perfectionis (4). Ce
sont des citernes crevassées, impuissantes à retenir et à donner l’eau
vive (Jeu., ii, 13). Aussitôt qu’elle s’éloigne des sources doctrinales
où nos pères ont puisé, la vie monastique s’étiole; et la prospérité
humaine, cette bénédiction d’Esaü, ne parvient pas à en dissimuler
l'insignifiante banalité. Sans doute, la littérature chrétienne s’est
enrichie depuis saint Benoît ; mais la petite bibliothèque qu’il a
dressée n'a point vieilli. L’Église elle-même ne connaît guère d’autres
livres, pour ses lectures officielles, que ceux dont N. B. Père a pro
clamé la vertu souveraine.
Quisquis ergo ad patriam caelestem festinas, hanc
minimam inchoationis Regulam descriptam, adju
vante Christo, perfice : et tunc demum ad majora,
(1) Les mots exempla cl ne sont que dans le · texte reçu ».
(2) Voir l’explication du mot instrumenta, que nous avons donnée au début du cha
pitre iv. — Tertullien, à la suite du passage que nous citions naguère, appelait les Écri
tures : instrumenta doctrinae (De praescriptione haereticorum, xxxvui. P. L, II, 01).
(3) .1 desidiosis ac neglegentibus... (Cass., Contai. XII, xvi).
(4) Cassien disait : scandere... culmina perfectionis (Inst., IV, vin).
5d6
COMMENTAIRE SUR LA REGLE DE SAINT BENOIT
qunesupra commemoravi ruus, doctrinae > irluluniquo
culmina, Deo protegente, pervenies.
H est sûr que N. B. Père parle trop modestement de sa Règle. En
dehors de l’Evangile, y a-t-il un livre qui ait su. comme elle, se prêter
à tous les besoins de la société chrétienne, depuis le sixième siècle
jusqu'à nos jours et, selon que Dieu l’a révélé à quelques sainte,
jusqu’à la venue du Fils de l’homme? Sans prendre à notre compto
cette affirmation présomptueuse que le bénédictin est, en vert u do sa Règle,
« un homme à tout faire », nous devons bien reconnaître une dernière
fois que la Règle s’est prêtée avec une souplesse infinie à des œuvre t
extrêmement variées, qu’elle s’est accommodée mieux qu’aucune autre
aux temps et aux circonstances, qu’elle a fourni un cadre h'^i-Iatii'
solide à plusieurs fondateurs d’Ordre ou de Congrégation. Elaborer une
Règle assez large pour embrasser tout, assez forte pour tout contenir,
assez divinement simple pour être comprise du doth illettré et rax ir. aint
Grégoire le Grand, assez parfaite pour mériter à jamais d’être appelée
a la Règle », la Règle monastique par excellence : n’e-t-ce pas Pieuvre
d’un génie surnaturel extraordinaire?
Niais c’est d’une bien autre gloire que se préoccupe saint Benoît.
Comme le psalmiste, il tient ses yeux levés vers les montagne-·. Il y a,
dans l'Église, des géants de sainteté ; il y a de- cimes stipe .« · do sagesse
et de vertu (1), dont ils nous ont appris le chemin : peut-être le Seigneur
nous fera-t-il la grâce d’y atteindre aussi quelque jour ; commençons
d’abord par observer dans son entier ce que nous enseignent le- humbles
pages que nous venons de lire. Il y a une patrie trie te, un sanctuaire
familial où l’on nous attend : que les âmes qui ont hâte d'y pénétrer
accomplissent au préalable leur noviciat d’éternité.
Nous retrouvons l’ardente et douce invitation par où a commencé la
Règle. Nous retrouvons, du Prologue, cette doctrine si profondément
chrétienne que nous n’allons vers Dieu qu’appuyés sur Dieu, sur son
Christ, sur les vigueurs divines déposée- en nous par le baptême et par la
foi. Nous retrouvons surtout cette affirmation tranquille que celui qui
nous a aimés et appelés nous aimera jusqu'à la tin et ne trahira point
nos espérances. Car la Règle s’achève sur cette assurance bénie : < Vous
parviendrez », vous parviendrez jusqu’au cœur de Dieu.
(1) Dominicae doctrinae eulmen asceulil (Cass.. Conlal. XXI. xxxiv). .S’( ad culmen
virtutum eju3 volumus pervenire... [Conlal. XVIII, xv). Cf. Inst., IV, xxm ; (\mlal.
XXII, viif
TABLE
DOCTRINALE
I. — SAINT BENOIT ET SA RÈGLE
(!) La vie religieuse :
ouverte k t m, mats en fait réservée à une élite : 5-6.236.421, 425;
rpnnvi. · n* .t de lj vit chrétienne et élit de perfection : 42, 152, 283, 441, 447,
471. 483;
.
form* i : lee Congrégations et les Ordres religieux : 30-31 , 152, 377, 339, 426, 435436. 441.443 (2), 445 ; les Règles approuvées : 442.
(2) La vie monastique :
défini ion du moine : 29-30 ;
le moin*. soldât et confident du Christ : 5, 27,50, 230,232,274,315,430;
le tempérament mormastique : foi et crainte de Dieu : 42, 60, 85, %, 97, 101, 120, 131
2 9. 270. 277. 283. 293. 296. 345 , 375. 380, 330, 424, 531, 559;
mm
2. 3. 36. 53, I
130. 272,330,4M, 445. 472. 539, 552;
1rs diverse» e-.pèces de moines : cénobites : 30 (3), 31-32, 34, 39, 100; anachorètes :
32-34 , 399. <02. 445. 484; sirsbûtes : 35 37, 100 (I), 415, 445, 448, 451, 477 ;
gyrcvague- : 38-39, 100 (I), 445. 448, 451,461.477;
la vie monistiqu* avant saint Benoît : absence de règle unique ; 30, 32, 35, 476, 518,
535; instabilité : 93. 443, 451, 460-461, 476, 479; uniformité dans l’austérité:
22, 285-235, 289, 397. 5j5.
" 1ÎJMWj
(3: Saint Benoît :
homme de tradition : Ι-Π. 235, 239. 259, 2c6;
son caractère : 11. 372. 451, 460, 466;
s ! cu’ture : 217, 350. 45 J;
sa sainteté : 315, 561, 562;
son pénie surnaturel : 566;
sa foi : 27. 64, 488. 566;
m dxilité intellectuelle : 210. 478, 566;
patr.arcl.e des moines : II. 2, 347, 394, 566.
*
■■-«»-·
-
~-
(») La Règle bénédictine :
son mode de composition : I. 533, 539;
ses caractères : éclectique : H. 40, 157, 235; personnelle : 1, 20, 40, 131, 250, 257.
262, 294. 451 ; discrète et mesurée : 22, 24. 193, 211. 235, 285, 289, 290, 307,
310. 313. 315, 317, 357, 360, 361, 364, 385, 394. 402403, 412, 478. 517-518,
540. 562, 566;
s’adresse aux dociles ct aux forts : 2, 4. 20. 423. 424. 426, 518;
eot accessible λ tous les tempéraments : 22. 286. 307, 313. 361-362, 365, 518, 562;
sa pensée maîtresse, chercher Dieu : II, 3, 27, 347-348,433, 518; son élément essentiel,
la stabilité : 27,31, 39, 93, 443-44-1, 445, 4:8,451,479,532.
r 6?
563
(5)
COMMENTAIRE
SUR LA
REGLE
DE
SAINT
BENOIT
Los caractères de la vie bénédictine :
cénobitique d familiale .· 6, 27, 31. 58, 230. 282. 286, 325. 330-331. 371. 402. 411,
424, 429,430, 451,456. 491, 528. 560. voir (19) ;
contemplative : 21-22, 26-27, 152, 155. 156, 213, 343, 350, 389, 393. 433. 563; lit^
gigue : 152-156, 197. 210-211. 326, 362. 367, 339. 433-434, 457, 491 ;
ion apos'olat ;vie, prié e. doctrine : 156, 215, 351, 353. 387, 3S9. 410-411, 414,566;
mais non action extérieure : 93, 152-153, 351, 383-339, 424, 462, 532 ; sauf mandat
exprès : 351,389, 483.
II. — LA SOCIÉTÉ MONASTIQUE
1° Sa constitution.
L'ABBÉ
(6) Son autorité :
sa source : l’Abbé, représentant du Christ au monastè e : 41-43, 51. 57. 61. 63, 88, 96.
138, 178, 251, 282, 383, 498, 511, 515, et res ion able devant Lui seul : 43, 4546, 48-49, 54. 57, 59, 61. 66-67, 214, 227, 268. 272, 2/7. 287, 295. 298. 344. 407.
493.511,514, 527, 545-546.
ses attributions : en eignement et gouvernement des âmes : 43. 45-48, 51-62, 110. 214,
250-255, 358, 438, 511-516, 548 ; interprétation et maintien de la Règle : 32, 40.
48, 63, 66-67, 93, 282, 299, 394, 404-405, 518, 537, 562 ; organisation du monas
tère et direction des activités monastiques : 40. 49, 223-223, 265-266, 268. 272273, 276-277, 351, 366, 412, 431, 487, 492-494, 503, 509, 517. 524 526, 530.
540, 542; administration des biens : 59-60, 268, 271-273, 413-415.
■
■H
(B Son gouvernement :
ses caractères : paternel : 32, 42, 46. 57-58, 275, 282, 286 , 317, 400. 406, 440, 492,
499. 512, 560; monarchique et absolu : 43-44, 49, 63-68. 287, 431. 440. 489, 524.
546; mais non arbitraire : 48, 66-67, 299, 481.492, 518.
sa qualités : équitable : 48-50, 66, 286 287, 406-407; judicieux et discret : 52-58,
66-67, 275, 299. 310, 317, 332. 345. 357, 360, 434, 508 509, 514 517; accueillant
et prévoyant : 66, 226, 425, 478, 505-506, 517 ; miséricordieux : 54, 250-255, 513,
515; ferme et fort : 45, 49, 54, 336, 515.
(8) Son institution :
la désignation de l’Abbé au cours des siècles : la convmnde .-68, 503 505; l’Abbé est
élu par les moines pour la vie : 41,45, 439, 508-510, 560 ; confirmé par l'Égli-c :
439,511 (I).
RI|
BH
■
IX
(9) Sa personne :
'
MW
|B
■
l’Abbé devant sa charge : 40-41, 43. 46, 57, 61, 253-254, 315, 499. 511-512;
il est homme de doctrine et de vertu : 46, 62. 350, 358. 411, 503. 512, 519; mais non
nécessairement exempt de défaut. : 42, 95. 131, 134, 5 8, 516. 526;
il est tenu à la Règle : 47-48,61-62, 267, 282 (2). 411.511-512, 524 ;
il a grâce d'état : 66, 103, 137 ;
ses épreuves et ses souffrances : 57-58, 61,258, 266, 511 ;
ses joies : 61-62, 101, 254, 275, 512, 515 ;
son rang dans la hiérarchie d’ordre : 137, 434-485, 512.
LE CONVENT.
(10) Les membres du convent :
les moines de Jour ; sont tous appelés au sacerdoce : 351, 423, 435 ; sacerdoce et vie
monastique ; 47, 202, 367, 470 471, 483 490;
TABLE
DOCTRINALE
5«
les /rèrw conoen - 230.288.416 418,442. «3 (2). 47) (D.499.531;
les oblah dws l'histwe et dani h Règle : 64. 233-231,263-264. 299. 310. 339. 417,
462-469, 491. 493-496. 500-502. 549.555 Prieur : 521 ;
le Cellérier : 78. 265-275, 276.288,290,293,309.332,418 ; le Maître des no·.· ce·,
et la formation novitiale : 386, 427, 431-437 , 493; le Zélateur des novices ·.428;
le Mlitre des Couver» : 418 ; le Maître de Chœur ; 215 ; les Chantres ·. 161.169.
492 ; le Cérémoniairc : 214 ; Γ Hôtel er et l’hospitalité monastique : 38, 266, 270.
375-389, 410-411, 529; l'infirmier et les malades: 266, 293-298; le Chambrier
et le xestiaire : 231-232 , 394-405; le Bibliothécaire :2'6; le Réglementaire :
160, 344-345, 357 ; le Porüer : 427 . 528-531; le Dépositaire .266-267, 2,3-274,
332 ; le service de la cuisine : Îlfy-2TI, 283-292,300,304,306,322,385 ; le Lecteur
de table : 301-306.
les grâces d’état : 541-543,548.
les vertus requises dans l'exercice des charges : esprit de foi et CTainte de Dieu : 267,
269, 270-271, 277 , 288-289, 293, 2%. 345. 375, 380. 386, 531; humilité : 139,
227-228, 268, 272-273, 303, 345. 380, 412-413, 432, 473, 486, 527; docilité ;
227 , 268, 272, 273. 345. 385, 431-432, 525-526, 540 543; abnégation, patience et
charité : 96. 228. 257-269 , 272-274. 288-289, 294-295.386, 432,531.553.
les 2/ Les passions et les vices :
nature des passions : 125, 145-145; leur développement et leur retentissement exté
rieur : passions de l’esprit et passions de la chair : 10,37,88.145-146,380; ell.s
lJ.C
V -■
1
·
COMMENTAIRE
SCR
LA
RÈGLE
DE
SAINT
BENOIT
obicurcisrent rintcll.'gcr.ce et énervent la volonté: 10, 12, 126. 143, 543: sont
cause de dissipation et de souffrance : 23-24, 57. 112; 1 apaisement des pas
sions : 25, 56. 148.
l'homme animal : 74, 77-78, 122, 236. 559; l'égoïsme et la volonté prepre : obstacles à
l'union à Dieu : 2. 12, 23-24, 34. 74, 77, 78, 85. 88. 96. 148, 433. 551, 559 : entra
vent la liberté : 26, 74. 96, 279. 469; leurs différentes formes : 4-5, 67. 74 77,
114.122,125-126,128-129.142,226. 236.271.296. 512, 540-541.547, 557 ; retours
d'égehme : 4. 34. 85. 96, 279, 332, 436.
les vices: l'orgue I ;53,77,114-115. 236,251, 423, 562; l'illusion, fille de l'orgueil :
37, 53, 61. 121. 125, 218, 236, 257, 445, 446. 557; occasions d’orgueil 17.
81. 89. 90. 169. 143 146. 267. 303. 365, 548 ; un orgueil légitime : 10 ;
l’avarice: 271.415-416;
la luxure : 76, 77. 87-68. 111. 126. 143 ;
la gourmardiie : 77. 81. 266, 310-311, 315 ;
l’env c et la jalousie : 90. 2/9. 523. 545. 557, 558 ;
la colère: 55. 79-80.516, 527, 547;
la paresse : 4, 33, 81, 121, 126, 252-233, 346, 358-359, 388. 426. 543.
(43) La fragilité de l'homme :
les suites du péché originel : 2. 3, 6-7, 10. 58,77, 91, 98,101,151,274.352.362,513.
560; la routine : 9, 73. 141. 162, 338. 478.
3° Les agents de la vie spirituelle.
DIEU,
(44) La nécessité de la grâce :
notre perpétuel besoin de Dieu : 6-7, 16. 82,121, 139, 186. 423. 566 ;
doctrine de la grice et du Lire-arbitre : 6, 17, 82, 116 ;
la grâce opérante ; 15, 24, 73, 182, 350, 436; la grâce coopérante ; 7-8. 14-15. 17, 19.
20-21,58,85, 102. 116,118, 145. 152,213. 350 ;
grâces actuelles et grices d’état : 8. 25. 66, 103, 137, 541-543, 548;
la grâce de la penévérarce : 6-7, 27, 566 ;
caractères et conditions de l’action divine : 2, 9, 13. 42. 56, 111, 140. 218, 348, 473474, 478; l’œuvre de l'Eaprit de Dieu dans 17mc : 2, 10, 71, 83, 97, 122, 148,
219, 362, 454, 557-558;
l’amoindrisse ment de la mesure des grâces : 147.
(45) Ses instruments :
sacrements : 145, 348 ; le Paptcme : 7. 49, 71, 145, 151, 350, 455-457, 566 ; l’Eucharistie : 12, 50, 74,75,84. 156. 293 ; 1 Ordre : 47, 152, 471-472.
la doctrine : le dynamisme de la venté : 3, 47. 52. 62, 349-353, 423-424, 563 ; la vertu
sacramentelle de l’Écriture : 9, 69, 88, 257, 349 ; le moine, fils de lumière : 46,
350,352,512;
le Maître intérieur et l'enreignement extérieur : 26, 52, 109, 512, 516.
la prière liturgique et la prière privée : 6, 7, 16, 20-21,25. 153-154, 186, 215, 328, 349350,362, 373,423, 424, 433-434.
la Règle : (A, 328, 343,358, 445,447.
la famille monastique : la paternité de l’Abbé et le sacrement de son autorité : 43 , 46,
58, 88. 109.137-138, 246. 342, 432, 512, 515, 518, 560 ; nous ne nous sanctifions
et sauvons qu’en famille : 27, 31-32, 35, 93, 243. 246, 328. 456. 560.
ki événements de la vie : fautes : 92, 122; joies : 33, 73, 435. 515-516; épreuves :
18,73, 80,91, 125,131*135, 141, 422 , 540*543; souffrances : loi et valeur rela
tive de la souffrance : 23, 131, 134, 436*437; ses fins : 11, 23-27, 131. 133-134.
294, 422. 435-436, 558; ses occasions et ses instruments : 24, 131-132, 186,
435-437. 558 ; la souffrance des contemplatifs : 24, 436 ; attitude à prendre dans
la souffrance ; 13, 21, 25, 73, 80, 91, 132-133, 436.
TABLE
DOCTRINALE
L’HOMME.
('16) L’homme, agent de sa perfection :
la vie cl retienne, marche vers Dieu : 3,13,84, 552, 556 ; ïhomme. ouvrier de Dieu :
11, 92. 95, 433 ; la nécessité des cnit res .· 14-15,58, 85,147,347,350 ; V éternité,
récompense des œuvres : 8, 19, 21, 27. 84, 92, %, 99-100, 115, 121,133, 566;
la réalité et la condition du mérite ; 17. 97.
la vie spirituelle, science et art dfficle:!, 33-34, S2-S3: œuvredelcrrçrehaleine:6,
14. 56,85. 92-93, 14?, 347 ; le monastère, atelier de ïart spirituel : 6.69,93,444.
(47) Lo jeu de l’activité huit aire :
la psychologie kurraine : 3,6-7,10,12,91.98.101,1(2-103,125.145-146,277.352,402.
560 ; la diversité et la complexité des imes : 47, 51-55, 57-58,264.563-564; la
formation et l’influence du tempérament : 5, 34. 51, 53, 58, 140, 186, 238, 267.
294 , 319, 343. 365 , 426, 516, 523. 547-548. 558 ; le caractère : 56.516 ; notre rie
secrète : 12, 112-113, 132, 138.
rintclliser.ee : sa primauté : 103,563; ses limites: 63. 478, 562; Γ intelligence droite:
47, 99, 433; faction intelligente : 212 ; l’attention et la docilité intellectuelle :
2-3. 9-10, 28*27,41,121, 212,215.352-353.362.478.512,562.
la colonie ; est g idée mais non nécessitée par l’intelligence : 3, 12, 47,103, 352, 437 ;
ses ressources ill mitées : 20,132-133,423; notre amour premier du bonheur :
II, 101,275, 515 ; possession de roi, liberté et personnalité :5. 58,77, 84,93.95.
96. 99, 100.113 , 219,269,283.348.352.364,468-469.
le cœur : centre et nœud vital : 20, 73, 77, 326, 515-516; correction intérieure et cor
rection extérieure : 111. 124. 137, 146. 213, 215-216, 272, 326. 3©, 557, 562;
la virginité du cœur : 218-219, 362, 424. 513; le phariseî me : 73, 103. 135,
213-214, 251, 253. 333, 364,366. 547-548.557.
la conscicn e : seul frein efficace de l’activité humaine : 47. 85-86; éducation morale
et éducation surnaturelle : 55-56 , 58, 85, 119-120, 264, 469 ; les suppléments
extérieurs de conscience : 33, 85.138, 339,342,359 ;
la délicatesse et la distinction surnaturelle: 16,83,111,142.155,214-215,218,271.
277, 339, 40?, 424, 446, 513, 518; la loyauté et la fidélité pratique : 5, 7-8,
12, 13-14 , 40-41,62.79.95,121.138, 155.215-216,343.352,372, «3,499;
examen de conscience et vigilance: 12, 16, 17-18, 84-87, 91-92. Ill, 122, 124,
126-127, 186. 343, 433, 552; la conscience cautérisée ; 23, 37, 54, 121.
125, 257, 279, 446.
AOS PROTECTEURS ET NOS MODELES.
(48) Notre-Dame :
14, 100, 121, 210, 404, 462,472,474,552.
(49) Les Anges :
ministres de la Providence : 42, 116,123, 127,364, 501 ; sont présents à 1 Office : 213;
leur humilité et leur obéissance : ICO, 116,556;
leur nature : 6, 47, 91,101, 493 ; leurs hiérarchies : 1-2,491.
(SO) Les Saints :
leur humilité et leur obéissance : 17, 56, 104,121,140, 474, 478,540-543, 552,562,
566 ; leur silence et leur recueillement : 109, 111, 148, 348; leur tenté : 513,
548; leur regard: 146; les Saints, témoins de notre irofession: 189,440, 452-453.
4° Les œuvres de la vie spirituelle
(51) Le programme de la vie spirituelle :
épanouir la grice de son Baptême : 7-8, 71,118,145,420 ; militer pour le Seigneur.
à son exemple et sous son influence : 3. 5, 11, 27, 91, 100, 114, 121, 128,131,
143, 144, 148, 254, 289, 294, 343, 403-404, 487. 552;
57$
COMMENTAIRE SUR
LA
RÈGLE
DE
SAINT
BENOIT
deux éléments : pacification de l'âme et union à Dieu : 12, 22, 58, 79, 113, 343, 350,
362, 363.
L'UNJON 4 DIEU.
(52)
Les principes de Γ union à Dieu :
/cj vertus théologales : armure et facultés de la vie surnaturelle : 5. 7, 404, 423 ; ont Dieu
directement pour objet : 18, 72,83. 97, 348 ; se rencontrent dans l’union avec Lui :
393 ; leur exercice e t illimité : 365.
la foi : don gratuit de Dieu : 6, 116, 420; premier bien de fame : 171 ; participation
à la sagesse de Ditu : 2 ; rend attentif à Dieu présent : 73, 86, 113, 119, 121, 122,
212, 215, 348; le Seigneur vu dans le prochain : 62, 74-75, 293-2S4, 296. 299,
375-378, 381, 478, 497, 500, et dans les supérieurs : 42, 88, 96, 97, 101, 131 ;
le moine, homme de foi : (2).
l'espérance : union de notre volonté à celle de Dieu : 97 ; son motif, l’amour premier
et miséricordieux de Dieu ; 7, 84, 91-92, 133-134, 566; la confiance en Dieu :
60,81,139.542;
■’
la char île : précepte universel, compréhensif et complet : 71-72, 326, 441, 517,
558; précepte facile : 72-73 ; caractère et mesure de la charité : 73-74 ;
la chanté» atmosphère de la vie surnaturelle : 73, 343; amitié entre l’homme et
Dieu : 72, 97 ; la charité filiale : 71, 75, 90, 339, 364. 366. 447. 515. 557-558 ;
la ferveur et le bon zèle : 20, 26, 33, 72-73, 96-97, 101. 130, 133, 148, 326, 343.
433. 435, 518, 552, 556-560; ne rien préférer à l’amour du Christ : 18, 79,
96, 559-560; faction purificatrice de l’amour : 33, 350. 558;
la tiédeur : 9, 34, 141, 436.
(53) Les œuvres qui unissent à Dieu ;
a) l'obéissance : voir (18).
b) l'exercice de la charité fraternelle : son objet et son motif : 74-75, 123, 293, 296, 299.
375-378. 381, 497. 500; sa mesure : 75, 76, 80, 91, 135; ne ra* juger autrui :
140. 548; la charité fraternelle, grande loi du christianisme : 80, 324, 326, 382,
383, 559' indice de la charité envers Dieu : 33, 75, 502, 558 ; la charité dans
l’exercice des charges : (12) ; les fautes contre la charité : (19).
c) la prière : ,a nécessité : 6; est constituée par l’ardeur secrète du cœur : 147, 213-214,
219, 363, 374; Dieu seul peut apprendre à prier : 83, 165, 219, 349 ;
ses qualités : respect, pureté, componction et brièveté : 88, 110-111, 212-213,
218-220, 363, 374, 424 ; la prière continuelle
: 88, 198, 213, 302 ; la devotion
I__________________________________ privée : 142. 211. 221, 374, 424, 445, 562 ;
ses formes : l’adoration en esprit et en vérité : 22, 97,147, 154, 219, 436; la
louange · 95, 150-151, 154, 198; l’action degrâces: 17-18, 25, 81-82, 151,
287; l’impétration : 6-7, 16, 20-21, 423; la prière pour le prochain : 61,
75, 91, 235» 246, 252, 257-258. 293. 366, 424, 548 ;
son efficacité : 7,13,156,219,424, voir (45).
l'oraison mentale : dispositions requises : 221 ; préparation : 214 ; méthode : 88, 110.
153, 162, 213, 221, 349-350, 357, 373; conditions favorables : 112, 302, 320,
373-374 ; temps réservé à l’oraison : 154, 162, 211, 221, 349. 363, 373.
la contemplation : activité suprême de l'intelligence et du cœur : 346 ; exercice de la foi,
de lespérance et de la charité : 73, 86, 121-123, 143, 348 , 404, 423 , 433 , 563 ;
l ut suprême de la vie : 517 ;son bonheur et sa simplicité : 112 ; dispositions requises :
2» 9-10, 46, 113, 143, 152, 351, 404, 423-424, 517, 563 ; la contemplation infuse :
J
350’
d) la lectio divina fest œuvre de foi : 348-349, 563 ; tend à la contemplation et à l'union à
Dieu : 221. 349-350, 564; le goût de la doctrine dans la vie monastique : 46, 88,
152, 162, 214, 221, 350-351, 423-424, 512, 565; les lectures incomprises : 147 ;
temps réservé à la lectio divina : 21.161-162, 221, 349-350, 357-358. 360, 363 ;
sa matière : la Sainte Écriture : parole de Dieu : 9, 11, 13, 15, 19, 26. 564; livre
par excellence et manuel des moines : 349-350, 432, 564 ; confiée au Ma-
TABLE DOCTRINALE
gistère de VÉglise : 354,564 ; «t tout entière inspirée : 322 ; ne contient pas toute
la pensée de Dieu : 564 ; ton interprétation : 12, 15, 125 ; V authenticité des
Livres saints 171 ; la lecture publique de ÏÉcriture au monastère : 170,178,
301-302,322 ; sa vertu sacramentelle ; voir (45) ; la traiter avec respect : 564 ;
les Pères : organes fidèles delà Tradition : 26,170-171, 564; source de la piété
bénédictine : 88. 162, 349, 432, 564-565.
e) les études monastiques : leur matière : 162, 351, 564-565; la science du moine : 351354,358.564; les dangers à éviter :3. 21. 59, 73,152,154-155,353, 564 ; Tinsulfisance des livres : 46-47.
f) la pratique des observances ; 20.25-26, 66.323,343,562.
1
LA PACIFICATION DE L’AME.
(56) L€s œuvres qui préparent et achèvent Fanion à Dieu î
a) les aertus morales : leur rôle : 365, 403-404, 517 ; leur développement et leur exercice·.
90. 131. 133, 148.233,235,517.
l'humilité : conceptions de saint Benoit et de saint Thomas : 94.117-118, 145. 272,
380. 434 ; l’humilité, attitude de vérité : 119,140, 218,473.562 *. défi
n : 140.
272 ; réside dans la volonté, mais est forcée sur la foi : 119,121,146,212 ; condi
tion de l’union à Dieu : 2,115-116, 14b, 478, 556; procédé d’assainissement de
l’âme : 25-26, 85-86, 111, 124, 126, 137,143; vertu qui fait les moines : voit (2),
(12); .
.
.
les degrés d'humilité : 1er — la crainte de Dieu : procédé nécessaire d’éducation sur
relie : 85-86, 119-128,138, 148, 212-216, 218. 559; crainte servile et crainte
chaste : 83, 99, 120, 147-148, 339, 515, 559; le don de crainte·. 10,120 ;la
crainte de Dieu dans la vie monastique : voir (2) ;
2e et 3e — la soumission à Dieu et à toute créature pour l’amour de Dieu : 12?
131,272,380;
4e — l’obéissance héroïque : 131-136, 539-543;
5e _ l’ouverture d’âme : 87, 137-138, 342, 433;
6e — être satisfait de tout : 139, 287 ;
7e et 8e — ne se préférer à personne et garder son rang : 140-142,473,487.492,560 ;
9e, 10e et 11e — la retenue dans le parler etdans le rire : 87,108-109, III, 142144, 364, 501 ;
12e — le retentissement extérieur de l’humilité : 145-147.
la prudence et la discrétion : 2, 60, 95, 198, 517.
la force, la patience et la générosité : sont indispensables dans la vie spirituelle et
dans la vie commune : 4, 16. 18, 20, 25, 58, 73,99, 101, 126,132,135. 233,
269, 295, 366, 423. 424, 435-436. 518, 543, 558,562, voir (12).
la pénitence : le repentir : 13, 91, 147 ; la componction et le don des larmes : 88,147,
219-220, 363, 374 ; la réparation ou la satisfaction : 84.362.
b) la mortification : sa nécessité : 23-24, 56, 74, 77, 96, 125, 148, 283, 348, 472; do t
d’abord être intérieure : 12, 74, 124, 137, 145-146, 214-215, 272, 363,365,557;
valeur relative et but de la mortification corporelle : 78, 307,311,319,365 366; tes
qualités : 297, 364, 366; les meilleures mortifications : !
c) le silence et le recueillement : 2, 9, 108, 110, 113,319, 349.
5° La perfection de la vie spirituelle.
(55) La vie d’union :
saintetés prismatisées et saintetés blanches : 403-404.
la charité dominante et souveraine : 13, 147-148, 441 ; la docilité et l’iandon ; 2,
24. 26, 96, 99.120-121, 218, 362.435,542.552-553.
la paix : gardienne de la vie spirituelle : 13, 523; fruit de la chanté : 12-13, 25-26,
71, 267; son rayonnement : 109, 516; y demeurer toujours ; 13, 16,80, 91.132,
269, 294, 436.
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a.
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»7
4Ï8*
'COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE
SAINT
BENOIT
la foie : est continuelle dans 17me chrétienne : 113; fruit de ITsprit et de la chanté ;
13, 26, 90, 133, 148 ; la joie de l’homme, liée À la gloire de Dieu : 11,95. 154;
répandre la joie autour de soi : 109 ; le précepte de la joie : 103, 289, 317, 364, 365 ;
la joie du Calvaire : 25, 120, 133.
IV. — LA LOUANGE DIVINE
(56) La louange divine, fin supreme des choses :
la physionomie liturgique de la création : I î. 95, 149-150, 154 ;
la vertu de religion et la liturgie : 22.150-151.
(57) L’Église, société de louange divine :
le Christ, Adam nouveau. Pontife unique et étemel; il n y a qu’une liturgie : 151,
152, 154, 213;
la liturgie, expression et épar ouïsse ment de la ne de l Egliie : 151-152 ; « Œuvre de
Dieu > par excellence : 152, 165, 213, 526; fin de scs opérations < ad extra »
154. 156,326,338.
(58) Le monastère, centre de vie liturgique :
ΓOffice dion, audience solennelle du Seigneur : 213, 217, 326; oeuvre essentielle et
première de la vie bénédictine : 22, 149, 152-153, 156, 197, 211, 343, 389, 434,
457, 491; œuvre centrale : 154-155, 214, 344. voir (5); ne lui rien préférer :
154-155, 214, 326,353,433-434; l’obligation de l’office : 95, 155, 197, 367. 369.
la liturgie procédé et but de la sanctification du moine : 153-154, 215, 362, 433,
voir (45); forme de son apostolat : 156, 215, 387, 389;
prière liturgique et prière privée : 162, 221, 349-350, 357, 373, 432.
(59) La célébration de l’Oifice divin :
la prépara tien nécessaire: 161-162, 214, 215, 434; s’y rendre avec empressement : 232,
233, 325-326, 345; la perfection requise: 162, 215, 338-339, 363, 562 ; la tenue
au Chœur : 172, 214-215, 304 ; l’attention « ad verba », « ad sensum », ad Dcum ♦ ’·
73, 162,213,215-216,338,372 ; la sortie des offices : 373.
TABLE ALPHABÉTIQUE
No la.
Les chiffres entre parenthèses renvoient à la table doctrinale, les autres à h
pagination du commentaire.
Abandon : (55).
Abbé : (6) à (9). (19). (45).
Abnégation régularité et — : 326; poli497 ; Γ — au chœur : 215;
tesse et dans l’exercice des charges : (12); voir
mortification.
Abstinence : (21).
Acception : Γ — des personnes : 43-50,
254, 270, 286-287, 405-407.
Accoutumance : voir rculin?.
Actes : les — , fils de la vie : 14; garder
à toute heure les — de sa vie : 12, 16,
84-87, 120-122, 343; se faire étranger
aux — eu siècle : 65, 79, 81, 155, 279,
371,414. 457, 537.
intelligente : 212 ; la vie active :
Action : Γ
152, 343, 424.
Action de grâces : voir prière.
Adolescence : 263-264.
Adoption : notre — divine : (36).
Adoration : voir prière.
Affection : la beauté, raison de Γ — : 50;
les — monastiques : 545, 559; l’aveugle
ment de Γ — naturelle : 48, 544.
Agape : 157.
Aga une : 197.
Age : 1’ — de l’Abbé : 42. 49. 509, et des
officiers du monastère : 49, 226, 266, 432,
493-494, 530 ; 1* — requis pour la profes
sion : 428, 438 , 443 , 462; les dangers de
Γ — : 37, 83. 96, 332 ; anciens et jeunes :
90-91, 496-458, 500-502.
Alimentation : le régime alimentaire : (26).
Ambition : 114 ; placer très haut son idéal
pratique : 518, 562.
Ame : le prix des — : 24, 57, 59, 61, 253,
257, 262, 350. 376, 413; Γ -, sanctuaire
de Dieu : (36) ; le gouvernement des — :
(6) ; la diversité et la complexité des — :
(47) ; leur liberté : 56, 421 ; ouvrir son — :
(54) ; le contact des — bonnes : 62, 109.
Amitié : les — particulières : (13).
Amour : la spontanéité d la rirrplicté de
I’ — : 72; son caractère docr.iwteur : 74,
145 ; voir charité.
Anachorètes : (2).
Anges : (49).
Apostasie : (34).
Apostolat : Γ — de la vie bénédictine : (5) ;
valeur apostolique d* la prière liturgique :
155.
Armure : Γ — surnaturelle : (52). (53).
Art : Γ — spirituel : (46); l’exercice des —
au monastère : (25).
Ascètes : li vie liturgique des premiers — :
189,194.
Atelier : le monastère, — de l’art spirituel :
(46); les — claustraux : 340. 557, 413414.532-533.
Attention : nécessité de Γ — : (47); Γ — à
l’office ; (59).
Aumône : le devoir de Γ — : (18).
Austérité ; Γ — monastique : (18). (21).
Autonomie : I’ — des monastères : 243,430.
Autorité : nécessité de Γ — : 40, 131 ; sa
source : voir (6) ; ses Emites : 43, 49.
103; ses dangers : 67-68, 131, 472: pou
voir et liberté : 44 : le respect de Γ — :
434. 545-546. 560; 1’ - de l’Abbé : (6).
(45); Γ — religieuse À travers les âges ;
353-354.
Avarice : (42).
Biins : 296-297»
Baptême : (45).
Bénédictin : les caractères de U vie Uni·
dictine : (5) ; kl aptitudes requises pour y
>
5S0
COMMENTAIRE SUR LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
entrer : (15); la légende du bénédictin
érudit : 353, ou < homme à tout faire > :
566; les · Bénédictins ascétiques de la
vieille école > : 350; les devises bénédic
tines : 13, 326, 416.
Bénédiction : le mot dans la Règle : 170171,247,387,500-501, 531 ; la - de Com
plies : 201.
Benoît (saint) : la personne de — : (3);
sa vie : 27,32.220.222, 364.395.397. 406,
476. 484, 520. 530. 540. 541, 563.
Bibliothèque : 358; le bibliothécaire : (12).
Bien : le — absolu : 103, 148 ; le — essentiel
de la créature : 95, 103; « les biens de
Dieu en nous · : 8 ; les — du monastère :
(18); leur administration : (6), voir cellérier.
Bonheur : notre amour premier du — : (47) ;
le — invincible : 25-26, 95, 120, 148, 154 ;
la béatitude suprême : 80; le — dans la
vie monastique : 3. 11, 93, 101, 138, 515 ;
voir joie.
Bréviaire : l’usage des — : 161, 369.
i
Bursfeld : 230, 418, 440. 521, 529 (3).
l
Calendrier : le — monastique : 188-189.
Camalddes : 32, 213, 418.
Cappadociens : les moines — : 167, 301.
Capucins : 31,436.
Caractère : l’assainissement des — depuis
saint Benoît : 56, 235, 247, 266 ; l’abaisse
ment universel des — : 56; le — de
l’Abbé: 42. 96. 131,516.
Carême : (21).
Carmes : 444.
Cassin (Mont) : III. IV. V. VI. VII, 64,
165.167,184,189.227,292.306.309,310,
315,317,341.374,381.394.398,401,402,
409.417,418,452,456,477,491,499.500,
511. 524, 541.
|
Cellérier : (12).
Cellier : 276, 288, 340.
Cellule : 230-231, 320, 404-406, 411.
Cénobite : (2).
Ctrémonia1 : le— monastique : 172, 178.
213-215, 368. 493; le cérémonîaire : (12).
Chambrier : (12).
Chant :1e — grégorien : 155,165 (5), 215,
424.
Chantres : (12).
Chapitre : le — général : 63, 445 ; le —
conventuel : (11) ; le — des coulpes : (30) ;
le —des novices : 438. 440 ; la salle du — :
112. 200, 230. 239,321.438, 533.
Charge : la collaboration de tous au tra
vail commun : 226, 540 ; les différentes
— : (12) ; la dignité de toutes ’.es — : 289,
292, 435.
i
;
I
1
|
I
Charité : la — envers Dieu : (52) ; la — en
vers le prochain : (53); les fautes contre
la - : (19).
Chartreux : 30. 32. 34. 162 (I). 231, 284.
414. 418, 436. 444.
Chasteté : le vœu de — : (17); la garde de
la — : (18).
Châtimeuts : voir code pénal.
Chauffoir : 112.
Cheza-Benoît : 432. 438.
Chœur : la tenue au — : (59). voir abnéga
tion; le maître de — : (12).
Chrétien : le —, fils de lumière : 46 ; le
sacerdoce du — : 151.
Christ (Jésus) : vrai homme : 42, 129; ses
trois volontés : 129; son obéissance et son
humilité : 5, 42. 100, 121. 128-129, 131.
132, 140, 141, 154, 157. 348, 539. 552; sa
vertu dominante, la miséricorde : 12, 42,
84. 92. 94. 251, 254, 257-258. 261. 514;
nouvel Adam : 4, 151, 154 ; son sacerdoce :
(57); sa mission : révéler et glorifier le
Père : 9. 26-27, 154, 560, racheter, consoler
et guérir: 5. 11.24.35. 121.132, 134. 141.
251, 350; le—, tête de (Église : 7. 49-50,
79, 84, 145. 151, 154. 350.'362. 456, 566;
le — Roi : 5. 8,289 ; Maître intérieur : (45) ;
Maître et propriétaire du monastère : 26,
41, 64, voir biens; le — dans l’Abbé : (6),
(52), et dans le prochain : (52).
Circateurs : 232 (3). 359.
Cisterciens : 58, 107, 112, 139, 180 (2), 239.
284,341.368.382. 398, 399. 403,402. 418.
429. 499, 501. 520 (6). 529. 530.
Clair vaux : 468.
Clerc : la vie monastique ouverte aux — :
(15).
Cloches : 345.
Cloître s 112. 214, 230, 321.
Clôture : (18).
Cluny : VI, 106, 112, 171, 202 . 227, 230.
232 (3). 239. 262, 289. 292 (2). 296 (3).
303 (I). 308,311.314.324 ( I). 339 (3). 341.
368. 376, 384, 386. 398. 399. 400 (3). 402.
404,406.408, 417. 427, 429. 433, 448. 449.
459, 467.468,476. 490. 493, 499, 505,521,
525 (1). 530. 535. 536.
Code pénal : (28) à (30).
Cœur : (47).
Commende : (8).
Communion : la — chez les premiers chré
tiens et chez saint Benoît : 27, 202, 244,
291, 303, 306, 457, 493; les - infruc
tueuses : 12,74.
Complies : voir Office divin.
Componction : (53), (54).
Conférence : les — spirituelles : 320, 323,
357, 358» 373, 411.
I
TABLE ALPHABÉTIQUE
Ml
Désobéissance : (18).
Confession : — sacramentelle et — extra
sacramentelle : 137. 342.
Dévotion : la — privée : 142, 211.221. 274,
Confiance : la — en Dieu : (52).
424, 445,562 ; h — de L pureté : 218-219
Conscience : la — : (47) ; Vexamen de — :
Diacre : l'ordination d’un — pour le m nas12. 17-18. 122. 343, 433. 552; la direction
tère : 202. 483-485; l’office des premiers
de — : (20).
— : 226; le sous-diaconat : 484.
Consécration : la — à Dieu des personnes
Dieu : — est Acte ;ur : 122, 346. le Bien
et des choses au monastère : (17). (18).
absolu : 103. pauvre et opulent : 123, 373 ;
Conseil : les — évangéliques : (15) ; le — de
— créateur, providence et fin dernière :
l’Abbé : (11).
11. 49. 51-52. 58. 60. 64. 95. 116. 123.
Contemplation : la — : (53); la vie con
127. 133. 134. 149. 246. 350. 364. 420.
421, 426. 468-469; ta souveraineté abso
templative : (5). voir scuffrance.
lue : 25. 49, 95. 123-121, 218.
Convent : (10) à (13).
les caractères de ses manifestations < 'd
Convers : les frères — : (10); le maître
extra ■: 2. 9, 26. 42. 75. 100. 111, 218.
des —: (12).
348; — agent de la vie spirituelle î (44) ;
Conversation : les — monastiques : 87,
— « Père des lumières > : I ; charité : 7-8.
111. 143; voir silence.
75, 134; Beauté, Pureté et Joie infinies :
Conversion : la — monastique : 33, 36. 233,
24.42.(2, 72,86.146. 147. 149,1E8. 219.
419, 424, 471, 494; la conversio morum :
296. 339. 354, 389. 420. 433. 436. 457 ;
278, 444.
sa fidélité : 27. 92, 133; sa Unanimité et
Correction : — intérieure et — extérieure : I
sa miséricorde : 19, 25. 92. 127-128, 146.
(47) ; voir cole pénaL
186. 261; sa justice : 8, 84. 92, 128.145Corruption : la — du monde : 79, 253; I
147 , 269, voir jugement; sa présence
corruptio optimi pessima : 37 ; 1‘influcnce
d'immensité et sa présence de grâce : 26.
des êtres corrompus : 380.
62. 73. 85-86» 97,122-1M, 126. 127, 143
Coterie : (18).
198, 212-213, 349. 3M. 368. 376.
Coule: 396. 399,401.
I Dimanche : 157,181,189,1S3.
Courage : voir force.
! Direction : voir ^oucemement des âmes;
Courtoisie : voir distinction.
les lettres de — : 391.
Crainte : la — de Dieu : (12). (54); la —
Discernement : le — des esprits : 52, 55,
de la mort : 83 ; la — de l’enfer : 83, 95
,21·.
L
57-58. 433.
Discipline : le mot dans la Règle : 239 ; la
Création : son idéal et son terme : 149, 246 ;
< discipline » : (21).
son témoignage, le cantique de la — : 11,
Discorde : les occasions de — au monas
42, 62. 95, 140. 149. 213. 348; sa perfec
tère : 90, 186. 497. 523.
tion relative : 95, 103, 149; son rôle dan»
Discrétion : la vertu de — : (54) ; la — de
le gouvernement divin : 149.
la Règle : (4) ; la - de l’Abbé : (7).
Créature : la — en face de Dieu : 95, 123Discussion : éviter les — : 90,109 ; dépenser
121, 468-469 ; ses limites : 122.
sa vie à discuter : 5, 53, 553. voir marmore
Critique : l’esprit de — : 3, 81, 353; voir
Dispense : les — de la Règle : 299 ; les —
murmure.
des vœux: 280-281,443.
Cuisine : 112, 289, 295. 340. 384-385, 409.
Dissipation ; — intérieure et — extérieure :
Culte : le — et la sanctification personnelle :
109,112,143. 304. 326. 373, 388. 501.
22, 154; l’acte cultuel : 150-151 ; la va
Distinction : la — dans les rapports avec
leur cultuelle de tous les actes bons du
Dieu : (47) ; la — dans les rapports avec
moin ■ : 153,442 ; le — juif et l s — païens:
le prochain : (19).
73, 219.
Distraction : ‘es — dans la prière et À Fol·
fice : 73, 162, 172, 214, 220. 338; U Décadence : la — des monastères : 54-55,
grave : 113.
59, 353, 414. 425, 515, 523. 565.
Docilité : h — dans la vie monastique : (4).
Défaut : la mise en commun des — : 479;
(12). (18); la - inteBectueUe : 0). (47);
voir support mutuel.
— et sainteté : (55).
Délicatesse : la — de conscience : (47).
Doctrine : b —, instrument de grâce : (45) ;
Démon : (39).
le monastère, centre de — : (5). (53), voir
Dépositaire : (12).
monastère; b — de l’Abbé : (9).
Désir : Je — de l’éternité : 14, 83; le — de la
Dominicains : 30. 162, 436, 444.
perfection : voir perfection : les < désirs
Don : les — de Dieu : 57, 92. voir Espritde la chair 3 : (18).
582
COMMENTAIRE
SLR
LA
Saint; les — faits au monastère : 281. 459,
466.
Dortoir : le — des anciens moines : 230234. 320» 404-406. 495-495.
Dot : la — des moniales : 459.
Doyens : (II).
Dualité : une secrète — : 12.
École : voir monastère; les — monastiques :
462. 469 (I).
Écriture (Sainte) : (53) ; sa valeur décisive
dans la Règle : 9.
Édification : la préoccupation d’édifier : 89,
109, 145; voir apostolat.
Éducation : princp·» et but de Γ
52.
55-56, 85. 102. 119-120, 256. 238. 284,
469, 549; le savoir-vivre : 112. 1+1. 275,
304-305. 311, 332-333. 497, 501-502. 515 ;
faire ssi-mêm· sen — surnaturelle ; 58,
85, 119,339.
Égb’sc : Γ —, Corps mystique du Christ :
151, 456; soc-été surnaturelle : 35, 246.
353.456, organique : 50,57, 483, et monar
chique : 63; — universelle et — particu
lières : 242-243; l’Esprit Saint, â ne de
1’ — : 151 ; Γ —. société de louange divine :
151, 153, 156, 213; servie et admirée par
les Anges : 123 ; Γ—. Mère et Maîtresse
de vérité: 26, 97, 153. 354, 564; ses titres
à la confiance : 68, 351.
Égoïsme:!’—, antagoniste unique du salut
(42); 1’ — dans la vie commune : (19).
Égypte : les moines d' — : 31, 164, 167, 200,
205. 220-221, 289, 301, 463, 498.
Élection : 1' - de l’Abbé : (8) ; 1' - des
doyens : 225.
Élite : la vie religieuse, réservée à une — :
(|).
Enfant : l’enfance spirituelle : 148, 395;
le caractère des — : 52, 64. Ill, 233, 264,
277, 299. 339 ; les limites d: l’enfance :
263, 299, 496, 549. voir cblat.
Enfer : (33) ; voir crainte.
Enjouement : Γ —. indice et instrument de
perfection : 87, 107, 111,143, 424, 472.
Enseignement : le rôle de Γ — extérieur :
(45); les (ormes antiques de Γ — : 110,
358 ; 1' - de l’Abbé : (6).
Envie : (42).
Épreuves : les — de la vie spirituelle : (45) ;
les — de l’Abbé ; (9).
Équité : (7).
Ermites : voir anachorètes.
Espérance : (52).
Esprit-Saint : Γ —t baiser étemel du Père
et du Fils : 148» 149 ; Γ —, âme de l’Église :
voir Église; ton œuvre dans l ame : (44) ; les
REGLE
DE
SAINT
BENOIT
dons de 1I’ —: 10, 120, 169, 220; les fruits
de Γ — : '90. 364. 557-558.
F.sséuiens î: 80 (2).
Éternité : la vie présente, noviciat de Γ — :
10. 19. 22, 27, 84, 92. 96. 99. 121, 566;
le désir de Γ — : voir désir.
Étude : les — monastiques : (53).
Eucharistie : 1’ —, extension de l'Incanution : 75 ; Pain vivant commun à tous les
chrétiens : 50, 156; l’humilité et Γobéis
sance du Seigneur dans Γ — ; 42, 100, 131,
348. 487; voir communion et misse
Eulogies : 391.
Eutrapélie : voir enjouement.
Évêque : 61. 242, 452, 471, 483. 485, 504,
507, 511 (I).
Exception : le régime des — : 142, 267, 287,
294, 299. 311.
Excommunication : Γ — ecclésiastique :
242-243, 245, 247 ; Γ — monastique : (29).
Exemption : le privilège de Γ — : 225, 243,
4-13 (2). 485. 488-489, 504, 507, 511(1).
Expulsion : (29).
Famille : la — monastique : (19), (45); les
rapports du moine avec ses parents : 272,
295, 424,458-459, 534-535, 5+4.
Farfa : VI. VII, 295,399, 467.
Fau’.e : les —, occasion de progrès : (45) ;
les — contre la charité : (19); la plus
lourde — dans la vie monastique : 433,
472; voir péché
Fémoraux : voir habit.
Ferveur : (52).
Fête : voir calendrier ; la — continuelle dans
lame chrétienne : 113.
Fidélité : la — pratique : (47) ; la — à l’idéal
monastique : 79, 155, 343, 426.
Fins dernières : (33).
Foi : (52).
Fondation : 271, 521.
Force : (54).
Fragilité : la — de l’homme : (43).
Froc : 398-399.
Gaieté : la — grossière : (18); voir enjauement.
Générosité : (54).
Gloire : — essentielle et — accidentelle de
Dieu : 11, 95, 149-151; union à Dieu,
louange de Dieu et — de Dieu : 154;
le bonheur de l'homme, lié à la — de Dieu :
11, 95 ; le « Gloria Patri » : voir Office
divin.
Gourmandise : (42).
Goût : le — des choses spirituelles : 88, 221,
t
TABLE
ALPHABÉTIQUE
I
423-424; se tenir ·η garde contre la reImagination ·. V —, cause de sourttmce et
• cherche de ses — : 34, 332.
d’illusion : 24.112-HÎ, 132, 436, 553.
Gouvernement : ce que c’est que gouverImitation IV — de S.S. JéwvQwnt : (51).
n r : 513 ; le — des âmes : (6) ; le — de
Impétration : voir priée.
l’Abbé : (7).
Inattention : V —, pourvoyeuse de ïerJtr :
Grâce : la nécessité de la — : (44) ; la — j
9, 121; voir distraction.
sanctifiante : (36).
Incarnation ·. le mystae de ï — : U. 42.
Grecs : les moines — : 164-168, 172, 227,
75, 100. 151,348.
378-379, 463. 532, 535.
Infaillibilité : V — de Γobéissant : 88.103.
Gyro vagues : (2) ; l’esprit de gyrovagie : (18).
Infirmerie : V - : 295-2%. 384; Tou
rnier : (12) ; la larmes ou malades : le
Christ dans les — : 293-295, 297 . 375,
Habit : 1’ — de religion : 232.395-396» 454378 ; soin et visite des — : 78. 230, 270,
456, 461 ; ses éléments : tunique et cein
293-298, 311-312, 532; devoirs et «ac
ture : 231-232, 399, 401; scapulaire : 398-,
tions des — : 2M-295. 360 ; voir wnli.
coule : 396-399, 401 ; linge de corps :
Influence : V — de l’Abbé sur sa moines :
232, 297 , 399 ; fémoraux : 232, 402; bas
40,45, 47. 61,5(0, 516; 1’ — des moines
et caliges : 232, 399 ; Γ — de voyage : 232, .
sur leur Abbé; 49, 61,101.275,514.515 ;
403-404; Γ - de nuit : 231-232, 396.
Γ — exercée pn chacun dans b vie com
399, 401 ; le symbolisme des — : 232, 396, '
mune : 53. 109. 143,146. 237, 258. 274,
455 ; leur qualité et leur couleur : 139, 400.
446, 479 ; la contagion des vices : 380.
402-403 ; le soin et l’entretien des — : 39,
Instruments : les — des bonnes œuvres :
139, 277, 396. 402, 406; le p^rt de Γ-,
69-93 ; les - de travail : 276-277.290.
interdit aux expulsés et aux apostats : 461.
Intelligence : ï — chez l’homme : (47);
Habitude : la formation et la répression des
Γ —, obscurcie par les pissions : (42).
mauvaises — : 10, 88, 143, 558; les —
d’inobservance : 142-143 , 446.
Héroïsme : la charité héroïque : 80 ; l’obéis
Jactance : la —, ou exaltation des paroles :
sance héroïque : 131-136, 539-543; l’abné
90.109,114.
Jalousie : (42), la — de Dieu : 24, 75.
gation héroïque : 269.
Heures : les — canoniales : voir Office divin. I Jardin : 145,531
Jérusalem : h chrétienté primitive de —,
Hiérarchie : la — ecclésiastique : 483;
modèle de la vie bénédictine : 31,283» 2*86,
la — à observer dans l’obéissance due à I
456.
tous * 553 ; la communication hiérarchiq :e
Jésuites : 162, 426, 436, 449.
de la grâce, de la doctrine et de la paix :
j Jeûne : (21).
109, 246,516.
Joie : la — spirituelle : (45), (55); Its — de
Hirsauge : VI, VII, 112, 230, 232, 289,417,
I
l’Abbé: (9).
505,521,535,536.
Jugement : le — particulier : (6), (38); ne
Homme : la nature de Γ — : (43): sa socia
pas juger autrui : 140-141, 544
bilité : 33-35. 105, 246 ; Γ —, prêtre de la
Justice : la - de Dieu : 8,84,127-128,146.
création : 150; ouvrier de Dieu : (46);
269-270 ; la vertu de - : 8.150,339.309.
Γ — idéal de Platon : 47 ; le vieil — : 5,
448 ; — chrétienne et — phirissique : 73,
122. 457..............................................
103, 135, 213-214. 364, 366, 557; lsHoraire : Γ — d’une journée monastique
humaine ; 250, 253.
d’après la Règle : 158-163, 174, 179, 181,
194-197, 354-360; la division des jours
chez les anciens : 158-159, 195 , 344, 355.
Larmes : le don des — : 220 ; voir ωπψχχHospices ; les — monastiques : 386.
ticn.
Hospitalité : l’hôtelier et Γ — monastique :
La us perennis : une — réalisable par cha
(12) ; l’hôtellerie : 332, 334, 386, 427, 529.
cun : 197-198.
Humiliation : les — par fiction : (21).
Laudes : voir Office divin.
Humilité : (54).
Lectio Divina : (53).
Lecture : les — à l’cÆce : voir Office dirin;
la — de Complies : 201, 321-323; U —
Idéal : 1 — monastique : II, 79, 155-156,
à table : (26) ; les — du moine : voir
347, 383-389, 539; placer très haut son
élude; h mamère de lire des anciens l
— pratique : 518, 562.
355. "
Illusion : (42).
584
COMMENTAIRE SUR LA
Urine t 168. 183. 231. 416. 489.
Lettres : la création de la poste : 377 ; fa
correspondance d’un moine : 390-391 ;
les — testimoniales : 379, 425, 482.
Lever : (27); le — de m nuit : 160.
Liberté : la vraie — : (47) ; la — du moine
avec son Abbé : 66 (I), 138, 560.
Lit : le — monastique : 229-230, 404-405.
Liturgie : (56) A (58).
Livres : l’insuffisance des — : 46-47 ; les
— de Carême : 358; les — liturgiques :
161, 172,190,369; l’usage et le soin des —:
277, 405 ; les publications monastiques : 59.
387,414.
Loi : l'autorité des — : 6, 85, 95, 121-122 ; la
— de Dieu se justifie par elle-même : 11.
130.
Louange : Je Verbe. — parfaite du Père :
149, 151 ; la prière de - : (53); < Tibi
silentium laus » : 2. 219; voir liturgie.
Loyauté : la — profonde de l'âme : (47) ;
la — dans la vie monastique : (18), (19),
(47).
Luxe : le < luxe pour Dieu > : 139.
Luxure : (42).
I
Magistère : le — de l’Église : 26, 102, 353354. 564.
Maître : la nécessité d’un — dans la vie
spirituelle : I ; le Christ, — du monastère :
26; voir enseignement.
Mal : voir péché.
Malade : voir infirmerie.
lise : 384.
Mandatum
Matines : voir Office divin.
Médisance : les — dans la vie monastique :
74.81.108.
Méditation : voir oraison.
Mépris : (18).
Mérite : réalité et condition du — : (46).
Messe : la —, centre de la liturgie : 151-152,
202 ; la — conventuelle : 202,291,358,471,
484 ; la — de profession : 457 ; la — chez
les premiers chrétiens : 202, 358, 484;
l’Avant-Messe : 157, 170.
Méthode : — de direction : 51,56, 110, 433,
516, 518; — d’oraison : (53).
Miséricorde : la — divine : 91-92, voir
Christ; la — des Saints : 513, 548; la
— de l’Abbé : (7), (28) ; les œuvres de — :
78, voir aunCne.
Mobilier : le — monastique : 230, 276-277,
404-405.
Moine z (2), (10), (19); voir influence.
Molesmes : 402.
Monastère : le —, maison de Dieu : 26,
41, 50, 60, 64, 212, 251, 253, 271, 275,
RÈGLE
DE
SAINT
BENOIT
I
I
277, 282-283 , 387. 415, 420; société surnaturelle : 50, 243, 287, 456; école du
service du Seigneur et vestibule de l’éter
nité : 21-22, 26. 27, 154, 275, 363. 497;
centre de doctrine et de prière : 26-27,
46.88. 109, 156. 197-198. 211,213. 271,
351. 423-424. 512. 563. 565 ; le —. < vision
de paix » : 537, voir (19); cadre de la sta
bilité : 27, 31, 93, 444 ; son emplacement :
532; voir autonomie, décadence, épreuve,
prospérité.
Monde : l’esprit du — : (40) ; le — moderne :
155, 217, 343, 423, 426; la souffrance
du — : 23, 125; se faire étranger aux
actes du siècle : voir actes; le —. insa
lubre pour le moine : 532, voir stabilité.
Mont Saint-Michel : 532.
Morale t la — chrétienne : 71, 372, 558;
Dieu, auteur, garant et gardien de la — :
41.85.95,121.
Mort : la — : (31) ; l’accepter une bonne fois :
84, 294; le silence de nos défunts : 348;
la < mort civile » : 281.
Mortification : (21), (54).
Murmure : le — : (18); le murmurateur :
67. 237, 287. 545.
Nécessaire : le —. accordé à chacun par
l’Abbé : 282-283. 286-287, 402. 405-407.
Nitrie : 315, 379. 384.
Noblesse : — surnaturelle et — selon le
monde : 50, 289.
None ; voir Office divin.
Notre-Dame : (48).
Noviciat : (16) ; le Maître et le Zélateur des
novices : (12); les bâtiments du — : 230,
427, 429.
Obéissance : (18).
Oblat : (10); voir enfant.
Obligation : Γ — de la Règle : 237, 445-446.
Observances : différent dans chaque Ordre :
445; la pratique des — : (21), (53), 109,
294, 366, 446, 478.
Œuvres : la nécessité des — dans la vie
spirituelle : (46) ; les instruments des
bonnes œuvres : 69-93 ; Γ < Œuvre de
Dieu > : (57).
Office divin : place et obligation de Γ —
dans la vie monastique : (58) ; sa célébra
tion ; (59); histoire de Γ — : 197-198.
211, 417; le cursus de saint Bencit : éclec
tique et personnel : 157, 167, 177, 184185, 203; souple et sage : 157, 171, 177,
180, 185, 190, 191, 198, 210-211; incom
plet : 172, 202; les Heures canoniales:
TABLE ALPHABÉTIQUE
5%
Matines, 157-158. 164-167. 169-180. 188Patriarches : h paternité et b umteté
191, 193-194. 221; Laudes : 163.181-187.
des-·. 2.85.120.505.
194; Prime : 195-196. 199, 204-205, 329Pauvre : le Christ dam les - : 294. 575.378 ;
330; Tierce. Scxte et None : 194-195,
voir aum 'ne.
200, 204-206, 329-330; Vêpres : 195, 207Pauvreté : le vœu de — ; (17); la gird* de
208; Complies : 196-197 , 203.
'4X 329; la
la — : (18) ; h pauvreté en esprit : %. 393.
structure de — : le < Deus in adjuto
Péché : le — originel et ses suites ; (43):
rium > : 164, 199, 204, 330; les hymnes :
les péchés actuels : (41); le — dam le
165,167-169, 182, 185. 199.200,201.206monde : 79, 125. 149,
208; les antiennes : 164, 168, 174, 176; la
Pécule : la pratique du pécukt : 271.282 (2).
psalmodie : 165. 170. 174-175. 182, 183.
Pèlerins : les —. accueillis au mcxuUère :
378.
203-209; les cantiques : 177. 182, 184185, 210; les versets : 170. 177; les absolu
Pénitence : le sacrement de — : 137. 342;
tions et bénédictions : 171, 177-178; les
la vertu de — : (54).
Pères : les — de lÎglûe : (53); les règles
leçons : 170-173, 174, 176-178. 180. 182.
185. 200, 302, 565; les répons : 169, 172,
des Pères : voir règle.
174, 177, 182, 185; les oraisons : 173, 178;
Perfection : la—. épanouissement du capla conclusion des Heures : 173, 178-179,
terne : 8, 71. 145,420 ; succès personnel de
182, 185, 201. 536 (1); le < Gloria Patri» :
Dieu : 7 ; — et vie parfaite ; 441, 470-471 ;
165, 172, 177. 178. 184, 199, 200;
U· l’Alleétat de — acquise et état de — à acquérir :
luia : 173. 177. 182. 192-193; les offices
471 ; le précepte de k — : 420,562-563 ;
des Saints : 171, 188-191.
l’obligation pour le moine de tendre vers
Oraison : Γ — mentale : (53) ; les — jacu
k362.441.446-447 ; le désir de k —.
latoires : 220.
83.362. 426.560,562 ; les voies de k - :
Oratoire : Γ — du monastère : 111.213,215,
15, 18, 22, 25. 46, 56, 73, 74. 119, 131.
321. 325, 338. 372-374, 453. 456.
366.516.518,542.
Ordre : Γ — dans les œuvres de Dieu : 11,95,
Persécution : souffrir — pour k justice ; 18.
80.
109, 123, 149, 350. 516 ; Γ — du convent :
(13); notre place devant Dieu : 95, 140Persévérance : nécessité et condition de k
- : 8.14.20.71.85.92-93,133,218. 347.
141, 218. 474; le souci de Γ — : 372,
voir propreté; la tranquillitas ordinis :
422, 423-424; k grâce de k — : (44).
Personnalité : k vraie et k fausse — : 4.
12. 483, 491 ; le sacrement de IC dre :
5.51.58, 77, 84, 96, 99» 100, 113.142,
(45) ; les Ordres religieux : (l) ; le p ssage
364. 469, 516.
dans un autre Ordre : (32).
Pétition : k — pour k profession : 439-440.
Orgueil : (42).
Pharisaiime : (47).
Ouvrier : l’homme, — de Dieu : (46).
Piété : k — bénédictine : 424,432,565; voir
dévotion.
Paix ; la — de l’âme : (5); (ai e la
mondaine et — monutique :
Politesse
— avec ses ennemis : 91 ; la — soc Je :
496-497, 502; voir courtoisie.
24. 156, 491, 559; le baiser ce — : 380,
Politique : le moine n’a pas titre à intervenir
493 ; voir monastère.
dans k — : 93, 424.
Palestine : les moines de
167. 199. 463.
Ponctualité : k — monastique : 233. 326.
Pape : l’infaillibilité du
102; les pouPorterie : k — : 529; le portier : (12).
voirs du — : 280-281.442.471.504.511 (I).
Possession de soi : (47).
Pardon : le — des injures : 80, 186-187.
Postulat : (16).
Paresse : (42).
Pouvoir : voir autorité.
Parloir : 390. 529.
Préceptes : conseils et — : (15) ; le — unique
Passé : les souvenirs du — : 112-113, 537;
de la vie chrétienne : 71.558; voir 1m.
le regret et la réparation des fautes passées :
Préférence : ne rien préférer à l’amour du
voir pénitence.
Christ : (52). ni à Γ · Œuvre de Dieu > :
humaines : (42).
Passion : les
(58); les préférés de Dieu ; 49-50, 152.
Pater : voir prière.
404 ; voir acception.
Paternité : la — chez Dieu : 1,42 ; la — spi
Préséance : les conflits de — : 496. 502;
rituelle : 1-2; la — de l’Abbé : (19). (45).
voir ordre.
Patience : la vertu morale de — : (54);
Presence : k — de Dieu : voir Dim;
la —, nécessaire dans le gouvernement des
âmes : 56, 57, 253-254, 438. 516, 518. et
85-86, 143.
dans l’exercice des charges : (12).
COMMENTAIRE SUB
LA
Prêtre : L dignité du sacerdoce : 471-472 ;
Mcerdcce et vie monastique : ( 10) ς la cor
rection des — au monastère : (29); les
obligations du prêtre : 90, 470. 472-474,
486-488; sa science : 353.
Prière : la doctrine de la — : (53) ; toutes les
activités monastiques, sanctifiées par la — :
266,305.331,343 ; le Pater : 125,186,457.
Prieur : (12). (29).
Prime : voir Office divin.
Privilège : les vocations de — : 152, 421 ;
les — ne sanctifient pas : 14; le — de
l’Abbé : 275 ; les — des novices : 429.
Prochain : le Seigneur vu dans le — : (52).
Proclamation : les inconvénients de la — :
(28). e
Profession : la — monastique : (17).
Progrès : la nécessité de progresser sans
cesse : 14, 362. 487, 561 ; esprit de conser
vation et — : 353.
Propreté : la —. nécessaire dans la vie com
mune : 39. 139.277, 297.402, 434.
Prospérité : — spirituelle et — matérielle du
monastère : 46, 58-60, 66, 271. 414, 416.
512, 565.
Providence : voir Dieu.
Prudence : la vertu morale de — : (18). (54).
Psalmodie : la place de la — dans l’Office
divin : 170, 174. 190; le système psahnodique de saint Benoît : 203. 210; la —
ancienne : 162, 16C-169, 172. 200.
Psautier : le —, formulaire authentique de
la prière : 210; le « Miserere > : 182; le
psaume CXVII* : 182 ; le psaume CXVHP :
204.
Pureté : l’innocence de l’enfant : 64. Ill;
la pureté ou virginité du cœur : (47); le
caractère de — surnaturelle des affections
monastiques : 559; rien de souillé n’a le
droit de pénétrer au monastère : 537;
voir D eu et prière.
Porgttcire : (38).
Récréation : (20).
Recrutement : le — du monastère : (14).
Recueillement : (54); les recueillis : 275.
Rédemption : l’œuvre rédemptrice : 5, II,
24.35, ICO. 121. 131. 134. 141. 149, 151,
154. 251, 253. 348, 350; notre collabora
tion aux souffrances du Christ : 11,27,133,
365.
Réfectoire : la salle du — : 111, 302. 321,
325, 371, 408412; voir repas.
Γ egard : le — des Saints : 146.
Règle î l’absence de — unique avant saint
Benoît : (2); l’insuffisance des Règles
écrites : 32, 40, 518; les Règles approu
REGLE
DE
SAINT
BENOIT
vées : 442; l’obligation de la Règle : 237.
342. 415-446 ; la Règle, instrument de
grâce : (45) ; la Règle de saint Benoît : ses
caractères : (4) ; règle monastique par
excellence : 566 ; dite la « Sainte Règle » :
236, 526. 562 ; lecture et étude de la Règle
au monastère : 302, 438. 533; la distri
bution des chapitres : 29, 156. 223, 2b5.
319, 325. 390. 419. 483. 534; les titres de
chapitre : 29 (1); manuscrits, sources ou
commentaires : III;
Règles des Saints
Pères : V. 49. 52. 241. 266, 269. 270. 277.
279. 305, 345,366, 388. 409. 424, 435. 480,
481 ; /es Règles de saint Antoine; 82, de
saint Pcc'rr.e : 25 . 96. 231, 236, 261, 277,
320,327. 331.340,360. 368. 378. 390, 401,
424. 450, 460, 526. 535. 537, 538, 546.
559, et de saint Macaire : 236, 241, 395,
326, 357, 383, 437. 458, 554 ; les Règles
de saint Basile: «regulæ fusius tractata» :
196, 536. 543 ; « rcgulæ brevius tractatæ > :
43. 52, III, 128. 131. 214, 270, 278, 280.
294, 315. 333. 346. 368, 400, 406. 434,
465. 477, 478. 537, 548, 555; les Règles de
saint Césaire : < ad monachos » : 27, 297,
357, 420, 443 . 458; « ad virgines » : 216,
228.252,277,297,298,301.331,401,405.
437, 513 ; la Règle de saint Colcmhan .-159 ;
la Règle du Maître : 240,306,460, 505,535.
Relâchement : voir routine; l’obstination
dans le — : 53-54.
Règlementaire : (12).
Régularité : voir ponctualité.
Religieux : la vie religieuse : (I).
Religion : la vertu de — : 22,150, 153, 339.
Reliques : les — des Saints : 453.
Remords : le — sans repentir : 23.
Renoncement : voir abnégation et mortifi
ca!ion.
Repas : (26).
Repentir : voir pcniten:e.
Respect : le — envers Dieu : 218; le —
du moine envers son Abbé : 65, 66, 434.
560; le — entre moines : voir courtoisie.
Ressources : les — du monastère : (18).
Retardataires : les — à l’office et au réfec
toire : 325 333.
Responsabilité : la — du péché : (41); la
— dans l’illusion : 125; voir jugement.
Réveil : (27).
Rire : la retenue dans le — : (54).
Routine : la —, toujours à craindre : 9, 73,
141, 162, 338, 447. 565.
Sacerdoce : voir prêtre.
Sacrement : les —, canaux de la grâce : (45) ;
le — de l’autorité abbatiale : (45); la
vertu sacramentelle de l’Écriture : (45).
__
TABLE ALPHABÉTIQUE
Sacrifice : le — du Christ : 151 ; rien de
grand ne s’obtient sans — : 23.
Sacristie : 112.
Sagesse : définition de la — : 266 ; la doctrine
de la — : 508 ; la (oi, participation à la
— de Dieu : 2 ; le don de — : 563 ; — et
crainte de Dieu : 120; l’homme sage : 18,
109. 266. 562.
Sainteté : — blanches cl
et — pris matinées :
403-404 ; la — d’après FÉxrilure: 85. 120 ;
— individuelle et — conventuelle : 31-32,
154. 214 ; la — de saint Benoît : (3); voir
perfection et sanctification.
Saints : le —, modèles du moine et témoins
de sa profession : (30) ; l’étude de La doc
trine et de l’histoire des — : 88, 162, 349,
432, 564-565 ; les fêtes et offices des — :
voir Office diüin.
Sriut : l’économie du —, la voie étroite : 3,
23, 77, 99, 116, 552, 556; nous ne nous
sauvons qu'en famille : 35, 246.
Sanctification : l’œuvre de notre — : 15,
voir perfection; la liturgie, procédé cl but
de la — du moine : (58).
Santé : la — nécessaire dans la vie monas
tique : 423 ; la préoccupation de sa — :
294. 296, 423, 512; la — morale : 264,
365.
Sarabeïtes : (2).
Satisfaction : voir pénitence et cede pénal.
Scandale : les < épines de scandale » dans la
vie communs : 186; occasions de — aj
monastère : 66, 143, 258, 274, 446, 521524, 545.
Scapulaire : voir habit.
Schcla : 168. 215, 336.
Science : la — du moine : 352-353; voir
c tude.
Scriptorium : 230.
Scrupule : éviter le — : 112, 446.
Sécularisation : (33).
Seuribiiitc : l’exquise — du Seigneur : 129 ;
l’éducation de la — : 52, 113, 238, 264;
l'exclusion des plaisirs sensibles : 73, 77,
83. 148.
Sensua-ité : les tendances animales, 74, 73,
146; la mièvrerie : 545, 560.
Serviabilité : l’Abbé, serviteur des siens :
46, 48. 57, 61,511,519,560 ; la serviabilité
dans la vie commune : (19); Dieu servi
dans le prochain : 293 ; comment demander
un service : 75.
Service : les éléments du — divin : 22; le
même Seigneur servi en tout lieu : 50, 480 ;
la consécration du religieux au — divin :
95, 153, 197, 211.218. 369, 457; le monas
tère, école du — du Seigneur : voir monas
tère.
bFi
Sexte : voir Offai divin.
Sieste : (27).
Signes ; le langage par — : (20).
Silence : la ûi monastique du — : (20);
le —. condition et fruit de Γunion à Dieu :
;
(54)
le —, oeuvre (active ·. 113; · Tîbi
silentium Lus » : 2. 219; un — de Dieu
redoutable : 23. 54 voir illusion.
Simplicité : rarreoer t uiet choses chez soi
à la — : voir loycu/é ; conserver la — de »
îourniîsi(jn première : 93; la — dans la
vie commune : 81, 142. 2£6. 472, 535 ; la
< benne «implicit : » : 39, 371 ; l* — de
Sincérité : la prière sincère : 125. 186-137;
voir loyauté.
Singularité : l’esprit de — : (19).
Société : la société des Personnes divines :
voir Tfinite ; la loi de communauté dans
la création : 35, 41, 246; réccMÛé d'une
autorité dans tcute — : voir ciüorüi; h
paix sociale : voir par; la — romaine
antique : 43. 67-68, 217-218, 462. 468;
la — moderne : 44-45, 155,423. 426,469;
1 Église, — surnaturelle et — de louange
la prière liturgique : (56).
Soin : voir propreté.
Sclesmes : la Ccngrtotion de Saint-Pierre
de - :
IÛ7. IC9.215.221. 225.245,
282.310,323,391, M 418.427-450.438.
444. 445. 449. 453-457. 499. 508. 535536.
Sommeil : (27).
SouL rince : traité de la — : (45) ; compatir
à la — d'auhui : /3.267.
Spiritualité : la — bénédictine : 69. 101,
118, 137.145,343,317-343.365.432.433.
515-513, 563-zA
Stabilité : b —, élément essentiel de U
Rc.TÎe bénédictine : (4) ; le vœu et Is garde
de la — : (18) ; l’Abbé tenu À h résidence 1
47-48, 512.
Ststion : la < station » avant Fc-fixe : 214.
Subiaco : VI, 224, 2». 315, 341.397, 484.
491. 500. 511.
Support mutuel : (19).
Sympectes : 251-252, 257.
Système : Γesprit de — : 51.435. 472.542;
les volontés de — : 4, 53. 142, 557.
Tempéramer.t : formation et influence du
— : (46); la diversité de· — : 156. 267.
319.558 ; le — oriental et le — occidental :
307. 356 ; le — mxkr e : 426 ; le — de
l’AL-bé ; 5)6; le — monaitique : 105.423.
434; un — de cranté : 75. d’bumaiiê et
I ·
.5··^
583
COMMENTAIRE SVR
LA
d’obéissance : 52-53. 94, 118, 145. 434.
539, 552 ; ne pas surire son — : 55. 272,
514.
Temps : les procédés des anciens pour cal
culer le — : 160. 344; économiser le —
d'autrui : 274-275 ; perdre son — : voir
porewe; le — atténuant la souffrance :
Tentation : (39).
Testament : Ancien et Nouveau — : 71.
120. 515.
Thébaîde : les moines de la — : II, 450, 463,
528, 532.
Théologie : la science théologique dans la
rie monastique : 351-352; la — apprise
au contact des âmes : 62.
Tiédeur : (52).
Tierce : voir Office divin.
Tonsure : 35, 429. 450.
Trappistes : 135,414.
Travail : (25) ; la rie laborieuse de l’Abbé :
57, 511.
Trinité (Très Sainte) : la rie trinitaire : 148,
149, 246; les noms divins : 42; l’homme
introduit dans la société des Personnes
divines : 35, 148, 154, 246; l'hommage
monastique à la Tri ité : 165, 172.
Tunique : voir habit.
Union à Dieu : 1’ —, principe, fondement»
facteur et terme de la ne spirituelle : (37) ;
les principes et les œuvres de Γ — : (52),
(53); l'obéissance et ia charité fraternelle,
critères de 1’ —: (18), (53).
Unité : Γ — psychologique de l’homme : 103,
145 ; rétablir chez soi Γ — : voir loyauté;
Γ — de tous les chrétiens dans le Christ :
49. 156, 456; l’obligation unique de la vie
chrétienne : 71 ; l’unité de la rie monas
tique : 3,43. 152-153. 343, 347, 434.
Vallombreuse : 231, 418.
Vanne et Hydulphe (saints) : 341.
Vêpres : voir Office divin.
Vérité : — le dynamisme de la — : (45) ; la
recherche de la — : 9, 349, 352 ; avoir forcé
la — à se taire : 54, voir illusion ; 'a retenir
captive : 3 ; l’humilité, attitude de — : 119;
devenir vrai : 560, voir loyauté.
***
REGLE
DE
SAINT
BENOIT
Vertu : les — théologales : (52) ; les — mo
rales : (54) ; l’exercice constant des — : 69.
343 ; la — éprouvée : 33, 36, 72, 134. 136 ;
ne pas trop e compter la — des hommes :
274. 522 ; attribuer à Dieu l’honneur de
ses —: 17, 81 ; toute —, renfermée dans
l’humilité et l’obéissance : 2, 434, 445 ; le
retentissement extérieur des
109, 146;
les — monastiques : voir humilité et obéis·
sance.
Véture : les — monastiques : 35, 427-429,
450. 454-456.
Vices : (42).
Vie : toute — implique l’action : 14-15, 346 ;
vivere naturae convenienter oportet : 73,
372; Ia — présente, épreuve morale :
3. 5, 8, 10, 19, 21. 79. 82-83, 121, 146.
556; noviciat de l’éternité : 19, 22, 27,
84, 156, 275, 497; les charmes de son
déclin : 83 ; îa — spirituelle : (36) à (55) ;
la — parfaite : voir perfection ; — active
et — contemplative : 152, 343, 424; la
— monastique : (2); la — bénédictine :
voir lénédictin.
Virginité : la — du cœur : 218-219, 362.
Vision : la — intuitive : (38).
Visites canoniques : 44.
Vocation : les trois — proprement dites :
420; la — religieuse : (15); la — de Jean
et la — de Pierre : 50. 57.
Vœu : les — de religion : (17), (18); obli
gation, dispenses et violation des — :
Ü281, 442-443. 446.
Voie: la double — :3,5,8, 79,81, 116, 121,
556.
Volonté : le mécanisme de la — : (47) ; la
— propre : (42) ; l'obéissance de — : (18) ;
vouloir comme Dieu ; 25, 26, 72» 96, 97,
120-121, 435 ; la —. fixée dans le bien par
les vœux : 442 ; la —. déprimée par les
passions : 3, 10. 126, 143, 543; l’humilité,
vertu de la — : 119 ; la vigueur de la —:
élément formel de la vocation religieuse :
422, 423, 426, 437, voir force.
Voyage; : (18).
Zèle : le bon — : (52) ; un — amer : 55, 90.
433. 516. 527. 557.
TABLE DES CHAPITRES
r^»
Introduction................................................................
j
I’hot.ogue..................................... ...............................
1
I. — Des diverses espèces de moines.................................... ·&
II. — Ce que doit être l’Abbé............................................... 40 —
III. — De la convocation des frères en conseil.......................... C3
IV. — Quels sont les instruments des bonnes œuvres............... Ci)
V. — De l’obéissance des disciples........................................ 94 *
VI. — De l’esprit de silence.................................................. 105
VII. — De l'humilité..................................................
114—
VIII. — Des divins offices pendant les nuits.............................. 149
IX. — Combien de psaumes il faut dire pendantles Heures de nuit. 1W
X. — Commentcélébrer en été l’office de nuit.....................
174
XI. — Comment célébrer les Vigiles du dimanche.................... 17Ô
XII. — Comment célébrer la solennité des Matines..................... 181
XIII. — Commentcélébrer les Matines aux jours de férié............. 183
X IV. — Comment célébrer les Vigiles aux fêtes des saints............ 188
XV. — En quel temps il faut dire « Alléluia»........................... 192
XV1. — Comment célébrer les divins offices pendant le jour........ 194
XVII. — Combien de psaumes il faut dire à ces memes Heures (de
jour).......................................................................... 199
XVII I. — Selon quel ordre il faut dire les psaumes....................... 203
XIX. — Comment il faut psalmodier......................................... 212
XX. — Du respect dans la prière............................................. 217
X XI. — Des doyens du monastère............................................ 223
XXII. — Comment les moines doivent prendre leursommtil.......... 229
XX111. — De l'excommunication pour les coulpes........................ 235
»1111 unication................ 241
XXV. — Des fautes plus graves....................................
245
XXVI. — De ceux qui, sans l’ordre de l’Abbé, se joignent aux excom
muniés .........
248
XXVII. — Quelle doit être la sollicitude de l’Abbé à 1 égard des
excommuniés.......................... .......................... . ........
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ill'
590
COMMENTAIRE
SUR
LA
RÈGLE
DE
SAINT
BENOIT
XXVIII. — De ceux qui, en dépit de corrections répétées, ne s’am in
256
dent pa*.......................
XXIX. — Si Ton doit recevoir de nouveau les frères qui oui quitté
2<‘0
le monastère........................
XXX. — Comment il faut corriger les enfants en bas âge............... 263
XXXI. — Du cellérier du monastère................................................ 265
XXXII. — Des outils et des biens meubles du monaster··................. 276
XXXIII. — Si les moines doivent avoir quelque chose en j rojir··....... 278
XXXIV. — Si tous doivent recevoir également Ire chu es n<’c< saires........................
285
XXXV. — Des semainiers de la cuisine.............................................. 288
XXXVI. — Des frères malades............................................................. 293
XXXVII. — Dre vieillards et dre enfants............................................... 299
XXXVIII. — Du lecteur de semaine...................................................... 301
XXXIX. — De la mesure du manger.................................................... 307
De la mesure du boire...................................................... 313
Quelles doivent être les heures dre n pas pour 1 s fi. r s., 316
XLI
XLII. — Que personne ne pari? après G. inpli· ............................... 319
XLΠΤ. — De ceux qui arrivent en retard à HEuvre de Dieu ο i à
la table..........................
325
XT,TV. — Comment les excommuniés funt sati.-iac;ioii..................... 334
De ceux qui se trompent à l’oratuir··
XLV
338
XLVT, — De ceux qui manquent en quelque autre chose................ 340
XLVII. — Du soin d’annoncer l’heure de l’Œuvre de Di·, i............... 344
XLVIII. — Du travail manuel quotidien.............................................. 346 —
XLIX. — De l’observance du Carême................................................. 361
L. — Des frères qui travaillent loin de l’oratoire ou q i .--ut
en voyage.........................
367
LL — Des frères qui vont en dre lieux peu él lignés................... 370
LU. — De l’oratoire du monastère................................................ 372
LUI. — De la réception des hôtes...................................................
LIV. — Si un moine peut accepter des lettres ou des eul< gi· s.... 391)
LV. — Des vêtements et des chaussures des frères....................... 394
LVL — De la table de l’Abbé......................................................... 404
LVII. — Des artisans du monastère.................................................. 412
LVIII. — Comment procéder pour la réception dre fr··. ,............... 419
T.IX. — De l’oblation dre fils de nobles ou de pauvres.................. 4G2
LX — Des prêtres qui voudraient se fixer dans le mona-uèr··.,..
LXI. — Comment il faut recevoir les moines étrangers.................. 476
LXIL — Dre prêtres du monastère.................................................... 483
LXIII. — De l’ordre du convent........................................................ 491
— De l’institution de l’Abbé................ . ................................ 503
LXV. — Du Prieur du monastère...................................................... 520
LXVI. — Du portier du monastère...................................................... 528
LXV IL — Des frères qui vont en voyage........................................
534
LXVIIL — Si l’on enjoint à un frère dre choses impossibles...........
539
TABLE
DES
CHAPITRES
<·νΊ.
P*·*
LX1X. — Que Ica moinea ne se permettent pas de se détendre Tun
Vautre..................................... ................ . ......................
LXX. — Que nul ne se permette de frapper ou d'excommunier quel
qu’un étourdiment.................................
LXXI. — Que les frères s’obéissent les uns aux autres................ .
LXXII. — Du bon zèle que doivent posséder les moines..................
LXX11I. — Comment la pratique de la justice n’est pas toute ren
fermée dans cette Rè»lc.................
Taule doctrinale
Table alphabétique
PARIS.
TYPOGRAPHIE PLON. 8, Hl’E GARANCIÈRE. — 59499. IgIS.