Avertissement Cet ouvrage a été numérisé puis sauvegardé au format PDF « avec image sur le texte ». En cas d’exportation de certains passages vers un traitement de textes, il est donc possible qu’apparaissent les mauvaises interprétations du logiciel de reconnaissance optique de caractères (OCR). HISTOIRE DE L’EMPIRE BYZANTIN PAR Charles DIEHL Membre de l’institut Professeur à l'Université de Paris Ourtitt illustré te 15 pluches hors teste et de 4 certes PARIS AUGUSTE PICARD, Éditeur Librairie des Archives nationales et de la Société de FEcole des Chartes 82, rue Bonaparte, 82 1924 PRÉFACE L'histoire de l'empire byzantin, malgré lestravaux qui, en ces cinquante dernières années, l'ont presque renouvelée, demeure toujours ce­ pendant, surtout en Occident, l'objet de tenaces préjugés. A beaucoup de nos contemporains, elle apparaît toujours, telle qu'elle apparaissait à Montesquieu et à Gibbon, comme la continua­ tion et la décadence de l'empire romain. Par un inconscient effet de rancunes séculaires, par un obscur ressouvenir de passions religieuses éva­ nouies, nous jugeons toujours les Grecs du moyen âge comme firent les croisés, qui ne les com­ prirent pas, et les papes, qui les excommuniè­ rent. Et pareillement, l'art byzantin est considéré trop souvent encore comme un art immobile — on dit volontiers « hiératique » — impuissant à se renouveler et qui, sous la surveillance étroite de I'Eglise, borna son effort millénaire à répéter VI PRÉFACE indéfiniment les créations de quelques artistes de génie. En fait, Byzance a été tout autre chose. Quoi­ qu’elle se soit volontiers proclamée l'héritière et la continuatrice de Rome, quoique ses empereurs, jusqu'au dernier jour, se soient intitulés « hast­ iéis des Romains », quoiqu’ils n'aient jamais renoncé aux droits qu’ils réclamaient sur l’an­ cienne et glorieuse capitale de l'empire, en réa­ lité pourtant Byzance devint très vite et fut essentiellement une monarchie d'Orient. Il ne faut point la juger par comparaison avec les souvenirs écrasants de Rome : selon le mot d’un des hommes qui ont le mieux compris son carac­ tère et entrevu son aspect véritable, elle fut « un Etat du moyen âge, placé sur les extrêmes fron­ tières de l'Europe, aux confins de la barbarie ■asiatique (i) ». Cet Etat a eu ses défauts et ses vices, qu’il serait puéril de vouloir dissimuler. Il a connu trop fréquemment les révolutions de palais et les séditions militaires; ila aimé fu­ rieusement les jeux du cirque et davantage encore les disputes théologiques ; malgré l’élé­ gance de sa civilisation, ses mœurs ont été sou­ vent cruelles et barbares, et il a produit enfin, <1) A. Rambavd, ¡'Empire grec au X* siècle, p. vn. PRÉFACE Vil avec trop d’abondance, des caractères médiocres et des âmes viles. Mais, tel qu’il fut, cet État a été grand. Il ne faut point, en effet, comme on le croit trop volontiers, s’imaginer que, pendant les mille ans qu’elle survécut à la chute de l’empire romain, Byzance descendit d’une marche ininter­ rompue vers la ruine. Aux crises où elle a failli succomber, bien des fois ont succédé des périodes d’incomparable splendeur, des renaissances im­ prévues où, selon le mot d’un chroniqueur, « l’empire, cette vieille femme, apparati comme une jeune fille, parée d’or et de pierres pré­ cieuses. » Au vi® siècle, avec Justinien, la monar­ chie, une dernière fois, se reconstitue comme aux beaux temps de Rome, et la Méditerranée, de nouveau, devient un lac romain. Au vin* siècle, les empereurs isauriens brisent l’élan de l’Islam, vers le temps même où Charles Martel sauvait la chrétienté à Poitiers. Au xe siècle, les souve­ rains de la maison de Macédoine font de By­ zance la grande puissance de l’Orient, reportant jusqu’en Syrie leurs armes victorieuses, écra­ sant les Busses sur le Danube, noyant dans le sang le royaume créé par les tsars bulgares. Au xiie siècle, avec les Comnènes, l’empire grec fait encore bonne figure dans le monde, et Cons- VIH PRÉFACE ìanlinople esl un des centres principaux de la politique européenne. Ainsi, pendant mille ans, Byzance a vécu, et pas seulement par l’effet de quelque hasard heu­ reux : elle a vécu glorieusement, et il faut bien, pour qu’il en ait été ainsi, qu’elle ait eu en elle autre chose que des vices. Elle a eu, pour con­ duire ses affaires, de grands empereurs, des hommes d'Etat illustres, des diplomates habiles, des généraux victorieux ; et par eux, elle a accompli une grande œuvre dans le monde. Elle a été, avant les croisades, le champion de la chrétienté en Orient contre les infidèles et, par sa valeur militaire, à plusieurs reprises elle a sauvé l’Europe. Elle a été, en face de la barba­ rie, le centre d'une civilisation admirably la plus raffinée, la plus élégante qu’ait longtemps connue le moyen âge. Elle a été l’éducatrice de l’Orienl slave et asiatique, dont les peuples lut doivent leur religion, leur langue littéraire, leur art, leur gouvernement ; son influence toutepuissante s’est étendue jusque sur l’Occident, qai a reçu d’elle des bienfaits intellectuels et artistiques inappréciables. C’esf d’elle que pro­ cèdent tous les peuples qui habitent aujourd’hui l’Orienl de l’Europe, et la Grèce moderne, en particulier, doit bien davantage à Byzance PRÉFACE IX chrétienne qu'à I’Athènes de Périclès et de. Phidias. C’est par tout cela, par ce qu’elle fit dans le passé autant que par ce qu’elle a préparé pour l’avenir, que Byzance mérite encore l’attention et l’intérêt. Si lointaine que semble son histoire, si mal connue qu’elle soit de beaucoup de yens, ce n’est point une histoire morte et diyne d’oubli. Ducange le savait bien lorsque, au milieu du xvn* siècle, par ses éditions des historiens by­ zantins, par les savants commentaires dont il les accompagnait, par tant de travaux admirables, il posait les bases de l’histoire scientifique de Byzance et ouvrait, dans ce domaine encore inexploré, de larges et lumineuses percées. De­ puis cinquante ans, au pays de Dücange, la tra­ dition s’est renouée des études dont il fut le fondateur; et sans méconnaître ce qui s’est fait ailleurs, en Bussie et en Grèce, en Angleterre et en Allemagne, peut-être pourtant est-il per­ mis de dire que, si les recherches d’histoire by­ zantine ont reconquis droit de cité dans le monde scientifique, c’est à la France qu’elles le doivent essentiellement. On m’a demandé, avec une obliyeante insis­ tance, d’écrire un livre — qui, chez nous, man- X PRÉFACE quail encore, — un manuel, sommaire el con­ densé, de l’histoire byzantine. Il ne ma point semblé que ce fût là une tâche inutile. J’ai tenté récemment, dans un autre volume qui vient de paraître, de présenter le tableau synthétique de ce que fut Byzance, d’expliquer les causes pro­ fondes de sa grandeur et de sa décadence, de montrer les services éminents qu’a rendus sa civi­ lisation (i). Le petit livre que voici offrira au lecteur un exposé plus analytique de l’histoire millénaire de l’empire byzantin. Je me suis efforcé d'y mettre en lumière les idées maî­ tresses qui dominent l'évolution de cette his­ toire, de présenter les faits essentiels moins en m'astreignant au minutieux détail chronologi­ que qu’en les groupant en assez larges périodes, plus compréhensives et qui rendront mieux compte peut-être du sens et de la portée des évé­ nements. Les tables placées à la fin du volume permettront aisément au lecteur de retrouver la concordance chronologique des faits les plus importants. Mais il m'a paru que je ferais œu­ vre plus utile, pour tous ceux qui souhaitent prendre une connaissance générale de ce monde (1) Ch. Diehl, By s ance, Grandeur et Décadence (dans la Bi­ bliothèque de philosophie scientifique, dirigée par le D' G. La Bon). 1 roi., Flammarion, 1919. PRÉFACE XI disparu, en marquant dans ce livre, sans rien omettre de la précision des détails nécessaire, les grandes lignes, les traits caractérisliques et les idées directrices de l’histoire et de la civili­ sation de Bgzance. Je tiens à remercier la maison Hachette, qui m’a autorisé à emprunter à /’Atlas de Géographie historique de Schrader deux des quatre cartes qui accompagnent ce livre. Les illustrations, qui permettront de prendre quelque idée de la vie et du costume bgzantins et des monuments de l’art que Bgzance vit naître, proviennent de mon Ma­ nuel d’Art byzantin (Picard, 1910). On trouvera à la fin du volume une bibliogra­ phie sommaire des principaux ouvrages à tire ou à consulter. Ch. D. Juillet 1919. HISTOIRE RE L’EMPIRE BYZANTIN CHAPITRE PREMIER La fondation de Constantinople et les origines de l’empire romain d’Orient (330-518) I. La fondation de Constantinople et les caractères dn nouvel empire. — II. La crise de l’invasion barbare. — III. La crise religieuse. — IV. L’empire romain d’Orient à la fin du v* et au commencement du vi» siècle. I Constantinople et les ca­ ractères du nouvel empire. — Le 11 mai 33o, aux rivages du Bosphore, Constantin inaugurait solennellement sa nouvelle capitale, Constanti­ nople. Pourquoi, abandonnant l’ancienne Rome, l’em­ pereur transportait-il en Orient la résidence de la monarchie ? Outre qu’il avait peu de goût La Fondation de 3 les origines de l'empire d’orient personnel pour la ville païenne et frondeuse des Césars, Constantin la jugeait, non sans raison, mal placée pour suffire aux nécessités nouvelles qui s’imposaient à l’empire. Le péril goth, le péril perse menaçaient sur le Danube et en Asie; les fortes populations de l’Illyricum offraient pour la défense des ressources admirables; pour or­ ganiser cette défense, Rome était trop loin. Dio­ clétien déjà l’avait compris, et lui aussi avait senti l’attraction de l’Orient. En tout cas, le jour où Constantin fonda « la nouvelle Rome », l’em­ pire byzantin commença. Par sa situation géographique au point où l’Europe se rencontre avec l’Asie, par l’impor­ tance militaire et économique qui en résultait, Constantinople était le centre naturel autour du­ quel pouvait se grouper le monde oriental. Par l’empreinte hellénique qui la marqua d’autre part dès sa naissance, par le caractère surtout que lui donna le christianisme, la jeune capitale différait profondément de l’ancienne et symboli­ sait assez exactement les aspirations et les ten­ dances nouvelles du monde oriental. Aussi bien, depuis assez longtemps déjà, se préparait dans l’empire romain une conception nouvelle de la monarchie. Au commencement du iv® siècle, au contact de l’Orient proche, la transformation s’a- CARACTERES DU NOUVEL EMPIRE 3 cheva. Du pouvoir impérial, Constantin s’efforça de faire une autorité absolue et de droit divin. Il l’environna de toutes les splendeurs du cos­ tume, du diadème et de la pourpre, de toutes les pompes de l’étiquette, de tout le faste de la cour et du palais. Se tenant pour le représentant de Dieu sur la terre, jugeant qu’en son intelli­ gence il réflétait l’intelligence suprême, il s’ap­ pliqua en toutes choses à marquer le caractère sacré du souverain, à le séparer de l’humanité par les formes solennelles dont il l’entoura, à faire, en un mot, de la royauté terrestre comme une image de la royauté divine. Pareillement, pour accroître le prestige et la force de l’institution impériale, il voulut que la monarchie fût une monarchie administrative, strictement hiérarchisée, exactement surveillée, et où toute l’autorité serait concentrée entre les mains de l’empereur. Enfin, en faisant du chris­ tianisme une religion d’Etat, en multipliant en sa faveur les immunités et les privilèges, en le dé­ fendant contre l’hérésie, en le couvrant en toutes circonstances de sa protection, Constantin donna un autre caractère encore à l’autorité impé­ riale. Siégeant parmi les évêques, « comme s’il était l’un d’entre eux », se posant en gardien atti­ tré du dogme et de la discipline, intervenant dans 4 LES ORIGINES DE L’EMPIRE d’oRIENT toutes les affaires de l’Église, légiférant et ju­ geant pour elle, l’organisant et la dirigeant, con­ voquant et présidant les conciles, dictant les formules de foi, Constantin — et après lui tous ses successeurs, qu’ils fussent orthodoxes ou ariens — réglèrent d’après un même principe les rapports de l’État et de l’Église. Ce fut ce qu’on appellera le césaropapisme, l’autorité despotique de l’empereur sur l’Église ; et le clergé oriental, clergé de cour, ambitieux et mondain, docile et souple, accepta sans protester cette tyrannie. Tout cela s'inspirait profondément des concep­ tions du pouvoir chères aux monarchies orien­ tales, et par tout cela, quoique pendant un siècle encore — jusqu'en 47® — l’empire romain ail subsisté, quoique, jusqu'à la fin du vie siècle, en Orient même, la tradition romaine soit demeu­ rée vivace et puissante, pourtant, autour de la ville de Constantin, la partie orientale de la mo­ narchie s'aggloméra et prit en quelque sorte conscience d’elle-même. Dès le iv® siècle, malgré le maintien apparent et théorique de l’unité ro­ maine, plus d’une fois en fait les deux moitiés de l'empire se séparèrent, gouvernées par des em­ pereurs différents; et lorsqu'on 3g5 Théodose le Grand mourut, laissant à ses deux fils Arcadius et Honorius une succession partagée en deux empi- LA CRISE DE l’iNVASION BARBARE 5 res, la séparation, qui depuis longtemps se pré­ parait, se précisa et devint définitive. Il y eul dorénavant un empire romain d’Ürient. II La crise de l’invasion barbare. —Durant ]a longue période d’histoire, qui va de 33o à 518, deux crises graves, en ébranlant cet empire, achevèrent de lui donner sa physionomie pro­ pre. La première est la crise de l’invasion barbare. Depuis le ni® siècle, sur toutes les frontières, sur le Danube comme sur le Rhin, les barbares de la Germanie pénétraient par une lente in­ filtration sur le territoire romain. Les uns, par petits groupes, y venaient comme soldats, ou s’y établissaient comme laboureurs; les autres, par tribus entières, attirés par la sécurité et la prospérité de la monarchie, y sollicitaient des concessions de terres, que leur accordait volon­ tiers le gouvernement impérial. Les grands mouvements de peuples, qui sans cesse se pro­ duisaient dans ce monde germanique si insta­ ble, précipitèrent cette poussée des Bar­ bares et finirent par la rendre redoutable. Sous leur ruée, au v” siècle, l’empire d’Occident suc- 6 LES ORIGINES DE L’EMPIRE D’ORIENT comba et on put croire d’abord que Byzance ne supporterait pas mieux que Rome leur choc formidable. En 376, fuyant devant les Huns, les Wisigoths étaient venus demander à l’empire un asile et des terres. Deux cent mille d’entre eux furent établis au sud du Danube, en Mésie. Ils ne tardèrent pas à se révolter; un empereur, Valens, fut tué en essayant de les arrêter, dans les plaines d’Andrinople (878) ; il fallut, pour les dompter, toute l’énergie habile de Théodose. Mais, lui mort (3g5), le danger reparut. Alaric, roi des Wisigoths, se jeta sur la Macédoine ; il ravagea la Thessalie, la Grèce centrale et pé­ nétra jusque dans le Péloponèse, sans que le fai­ ble Arcadius (895-408) — toutes les troupes d’Orient se trouvant en Occident — réussît à l’arrêter; et quand Stilicon, appelé d'Occident au secours de l’empire, eut cerné les Golhs à Pholoé, en Areadie (3g6), il aima mieux les lais­ ser échapper et s’entendre avec leur chef. Dès lors, pendant quelques années, les Wisigoths furent tout-puissants dans l’empire d’Orient, renversant les ministres d’Arcadius, imposant leur volonté au prince, commandant en maîtres dans la capitale, troublant l’Etat par leurs révol­ tes. Mais l’ambition d’Alaric l’entraînait davan­ LA CRISE DE L’INVASION BARBARE J tage encore vers l’Occident; en 402, il envahis­ sait l’Italie; il y revenait en 41O> s’emparait de Rome; et, par l’établissement définitif des Wisigoths en Gaule et en ’Espagne, le péril qui menaçait l’empire d’Orient se trouva con­ juré. Trente ans plus tard, les Huns entraient en scène. Fondateur d’un vaste empire, qui allait depuis le Don jusqu’à la Pannonie, Attila, en 44 b franchissait le Danube, prenait Viminacium, Singidunum, Sirmium, Naïssus, et menaçait Constantinople. L’empire, sans force, dut consentir à lui payer tribut. Malgré cela, en 447» les Huns reparaissaient au sud du Danube. De nouveau on négocia. Mais le péril demeu­ rait grand, et on put croire que la catastrophe était proche, quand, en 45o, l’empereur Marcien (450-457) refusa courageusement le tribut. Cette fois encore la chance sourit à l’empire d’O­ rient. Attila porta ses armes en Occident ; il en revint vaincu, affaibli, et peu après, sa mort disloqua l’empire qu’il avait fondé (453). Dans la seconde moitié du v” siècle, les Os­ trogoths, à leur tour, entraient en lutte avec l’empire, qui dut les prendre à son service, leur accorder des terres (462) et combler leurs chef» d'honneurs et d’argent. Aussi les vit-on, en 8 LES ORIGINES DE L’EMPIRE D’ORIENT 474» intervenir jusque dans les affaires inté­ rieures de la monarchie : ce futThéodoric qui, à la mort de l’empereur Léon (457-474), as­ sura le triomphe de Zénon sur le rival qui lui disputait le trône. Désormais, les barbares furent plus exigeants que jamais. Vainement, on es­ saya d’opposer leurs chefs les uns aux autres (479) : Théodoric pilla la Macédoine, menaça Thessalonique, demandant toujours davantage, obtenant en 4^4 Ie titre de consul, mena­ çant Constantinople en 4§7- Mais lui aussi se laissa tenter par l’attrait de l’Italie, où, depuis 476, l'empire d’Occident s’était écroulé et qu’ha­ bilement Zénon lui proposait de reconquérir. Une fois de plus, le péril se détournait. Ainsi l’invasion barbare avait glissé le long des frontières de l’empire d’Orient, ou ne l’avait entamé que passagèrement; si bien que la nou­ velle Rome restait debout, comme grandie de la catastrophe où s’abîmait l’ancienne Rome et, par là, encore davantage rejetée vers l’Orient. III La crise religieuse. — L'autre crise fut la crise religieuse. On a quelque peine, aujourd’hui, à compren- Pl. I. LA CRISE RELIGIEUSE 9 dre l’importance qu’eurent, au iv® et au v* siè­ cles, toutes ces grandes hérésies, arianisme, nes­ torianisme, monophysisme, qui troublèrent si profondément l’Église et l’empire d'Orient. On y voit volontiers de simples querelles de théo­ logiens, s’acharnant en discussions compliquées sur des formules subtiles et vaines. En réalité, elles eurent un autre sens et une autre portée. Elles ont recouvert, plus d’une fois, des intérêts et des oppositions politiques, qui devaient avoir, sur les destinées de l’empire, de longues consé­ quences. Elles ont eu, par ailleurs, une impor­ tance capitale pour fixer, en Orient, les rapports de l’Etat et de l’Eglise, pour déterminer aussi les relations entre Byzance et l’Occident; et par tout cela elles méritent d’étre attentivement étu­ diées. Le concile de Nicée (3a5) avait condamné l’arianisme et proclamé que le Christ était de même essence que Dieu. Mais les partisans d’Arius n’avaient point fléchi sous l’anathème, et le IVe siècle avait été rempli par la lutte ardente — où les empereurs mêmes prirent part passion­ nément — entre les adversaires et les défen­ seurs de l’orthodoxie. L’arianisme, vainqueur avec Constance au concile de Rimini (35g), avait été écrasé par Théodose au concile de Constan- IO LES ORIGINES DE L’EMPIRE D’ORIENT tinople (381), et, dès ce moment, s’était marqué le contraste entre l'esprit grec, épris de méta­ physique subtile, et le clair génie de l’Occident latin, l’opposition entre l’épiscopat oriental, do­ cile aux volontés du prince, et la ferme et hau­ taine intransigeance des pontifes romains. Le débat qui, au ve siècle, s’engagea sur l’union des deux natures — la nature humaine et la na­ ture divine — dans la personne du Christ, ac­ centua encore ces divergences et troubla l’em­ pire d’autant plus gravement que la politique se mêla à la querelle religieuse. En effet, de même que les papes, en Occident, fondaient, avec Léon le Grand (44o-46a) la monarchie pontifi­ cale, les patriarches d’Alexandrie, avec Cyrille (412-444) Dioscore (444~45i), tentaient alors, en Orient, d’établir une papauté alexandrine. Et par ailleurs, à la faveur de ces troubles, les vieilles oppositions nationales, les tendances sé­ paratistes toujours vivantes trouvaient, dans la lutte contre l’orthodoxie, une occasion propice de se manifester et mêlaient ainsi étroitement au conflit religieux les intérêts et les visées po­ litiques. En 428, depuis vingt ans, Théodose II régnait h Byzance (4o8-45o), sous la tutelle de sa sœur Pulchérie. Éternel mineur, il passait son temps LA CRISE RELIGIEUSE II ■ à peindre, à enluminer ou à copier des manus­ crits : ce qui lui a valu le surnom de Calligraphe. Si son souvenir cependant subsiste dans l’histoire, c’est parce qu’il a fait bâtir la puis­ sante enceinte de remparts qui, durant tant de siècles, protégea Constantinople, et parce que, dans le Code Théodosien, il a fait réunir les constitutions impériales promulguées depuis Constantin. Mais, tel qu’il était, il devait, en. face des querelles de l’Église, se montrer étran­ gement faible et impuissant. Nestorius, patriarche de Constantinople, en­ seignait que dans le Christ il fallait séparer la personne divine et la personne humaine, que Jéisus n’était qu’un homme devenu Dieu, et il re­ fusait en conséquence à la Vierge l’appellation, de Theotokos (mère de Dieu). Cyrille d’Alexan­ drie saisit avec empressement cette occasion de diminuer l’évêque de la capitale et, soutenu par la papauté, il fit au concile d’Éphèse (431) solennellement condamner le nestorianisme; après quoi, imposant sa volonté à l’empereur, il régna en maître sur l’Église d’Orient. Quand Eutychès, quelques années plus tard, exagé­ rant la doctrine cyrillienne, fit de plus en plus disparaître la nature humaine dans la personne divine (ce fut le monophysisme), il trouva de. 12 LES ORIGINES DE L’EMPIRE D’ORIENT même, pour le défendre, l’appui du patriarche d’Alexandrie Dioscore, et l’assemblée connue sous le nom de « brigandage d’Éphése » (449)» sembla assurer le triomphe de l’Église d’Alexan­ drie. Contre ces ambitions croissantes, l’empire et la papauté également inquiets se coalisèrent. Le concile de Chalcédoine (45i) fixa, conformé­ ment à la formule de Léon le Grand, la doctrine orthodoxe sur l’union des deux natures et mar­ qua tout ensemble la ruine du rêve alexan­ drin et le triomphe de l’Etat, qui dirigea en maître le concile et établit plus fortement que jamais son autorité sur l’Église d’Orient. Mais les monophysites condamnés ne s’incli­ nèrent point devant la condamnation : ils conti­ nuèrent longtemps, en Egypte, en Syrie, à consti­ tuer des Eglises à tendances séparatistes, grave danger pour la cohésion et l’unité de la monar­ chie. Rome, par ailleurs, malgré sa victoire sur le terrain du dogme, dut accepter en frémissant l’extension de pouvoir du patriarche de Cons­ tantinople, qui devint, sous la tutelle de l’empe­ reur, le vrai pape de l’Orient. C’était le germe de graves conflits. En face de la papauté, toutepuissante en Occident, et aspirant à s’affranchir de l’autorité impériale, l’Église d’Orient deve- l’empire d’orient AUX Ve ET Vl" SIÈCLES l3 naît une Eglise d’Etat, soumise à la volonté du prince, et qui, de plus en plus, par la langue grecque dont elle faisait usage, par ses tendances mystiques hostiles à la théologie romaine, par ses vieilles rancunes contre Rome, tendait à se constituer en un organisme indépendant. Et par là encore, l’empire romain d’Orient prenait une physionomie propre. C’est en Orient que s’étaient tenus les grands conciles, en Orient qu’étaient nées les grandes hérésies; et l’Église d’Orient enfin, fière de la gloire de ses grands doc­ teurs, les saint Basile, les Grégoire de Nysse, les Grégoire de Nazianze, les Jean Chrysostome, persuadée de sa supériorité intellectuelle sur l’Occident, de plus en plus inclinait à sc séparer de Rome. IV L’empire romain d’Orient a la fin du ve et au commencement du vie siècle. — Ainsi, vers le temps des empereurs Zénon (474-491) Anastase (491-518), apparaissait la conception d’une monarchie purement orientale. Depuis la chute, en 476, de l’empire d’Occident, l’empire d’Orient demeurait le seul em­ pire romain. Et, quoiqu’il conservât, à ce titre, un grand prestige aux yeux des souverains bar- l4 LES ORIGINES DE L’EMPIRE D’ORIENT bares qui s’étaient taillé des royaumes en Gaule, en Espagne, en Afrique, en Italie, quoiqu’il ré­ clamât toujours sur eux de vagues droits de su­ zeraineté, en fait, par les territoires qu’il possé­ dait, cet empire était surtout oriental. II compre­ nait la péninsule des Balkans tout entière, à l’exception de la partie nord-ouest, l’Asie Mi­ neure jusqu’aux monts d’Arménie, la Syrie jus­ qu’au delà de l’Euphrate, l’Egypte et la Cyré­ naïque. Ces pays formaient 64 provinces ou éparchies, réparties entre deux préfectures du prétoire : celle d’Orient (diocèses de Thrace, Asie, Pont, Orient, Egypte) et celle d’Illyricum (diocèse de Macédoine). Quoique l’adminis­ tration de l’empire fût toujours organisée sur le modèle romain et fondée sur la séparation des fonctions civiles et militaires, le pouvoir impérial y était devenu de plus en plus absolu, à la façon des monarchies orientales ; et, depuis 45o, la céré­ monie du sacre lui donnait, par surcroît, le pres­ tige de l’onction sainte et de l'investiture divine. La sollicitude intelligente de l’empereur Anastase assurait à cet empire des frontières soli­ dement défendues, de bonnes finances, une ad­ ministration plus honnête. Et le sens politique des souverains s’efforçait de rendre à la monar­ chie l’unité morale, en essayant, fût-ce au prix L’EMPIRE d’orient AUX V' ET VI* SIÈCLES l5 d’une rupture avec Rome, de ramener les dissi­ dents monophysites. Ce fut l’objet de l’édit d’union (Henoiikon), promulgué en 482 par Zénon, et qui eut pour premier effet d’amener le schisme entre Byzance et Rome : pendant plus de trente ans (484-518), avec une âpre intransigeance, les papes et les empereurs, Anastase surtout, monophysite convaincu et passionné, se com­ battirent; et au cours de ces troubles, l’Empire d’Orient acheva de se constituer en un corps séparé. Enfin, de plus en plus, la civilisation de l’em­ pire prenait une couleur orientale. Même sous la domination de Rome, l’hellénisme, dans tout l’Orient grec, était demeuré vivace et fort. De grandes et florissantes cités, Alexandrie, Antio­ che, Ephèse, étaient le centre d’une culture in­ tellectuelle et artistique remarquable. Dans leur rayonnement, en Egypte, en Syrie, en Asie Mineure, avait pris naissance une civilisation toike pénétrée des traditions de la Grèce classi­ que. Constantinople, enrichie par son fondateur des chefs-d’œuvre du monde grec, devenue par là le plus admirable des musées, n’entrete­ nait pas moins puissamment les souvenirs de l’antiquité hellénique. Par ailleurs, au contact de la Perse, le monde oriental s’était réveillé et Ì6 LES ORIGINES DE L’EMPIRE D’ORIENT avait repris conscience de ses traditions an­ ciennes; en Egypte, en Syrie, en Mésopotamie, en Asie Mineure, en Arménie, le vieux fond tradi­ tionnel reparaissait et l’esprit oriental réagissait sur les pays jadis hellénisés. Par haine de la Grèce païenne, le christianisme encourageait ces ten­ dances nationales. Et du mélange de ces tradi­ tions rivales naissait, dans tout le monde orien­ tal, une activité puissante et féconde. Economi­ quement, intellectuellement, artistiquement, la Syrie, l’Egypte, l’Anatolie avaient, au ive et.au Ve siècles, une importance particulière dans l’em­ pire : l’art chrétien y préparait lentement, par une succession d’essais et de recherches savan­ tes, l’apogée magnifique que marqueront les chefs-d’œuvre du vic siècle ; et, dès ce moment, il apparaissait comme un art essentiellement oriental. Mais tandis que, dans les provinces, se réveillaient ainsi les vieilles traditions indigènes et l’humeur séparatiste jamais oubliée, Constan­ tinople aussi préludait à son rôle futur, en accueillant, en combinant les éléments divers que lui apportaient les civilisations diverses, en coordonnant les tendances intellectuelles rivales, les procédés et les méthodes artistiques diffé­ rents, de façon à en faire sortir une civilisation originale. l’empire d’orient AUX Ve ET VIe SIÈCLES IJ Ainsi semblait s’achever l’évolution qui en­ traînait Byzance vers l’Orient; et on pouvait croire près de se réaliser la conception d’un empire purement oriental, gouverné despoti­ quement, bien administré, solidement défendu, se désintéressant politiquement de l’Occident pour se replier sur lui-même, et n’hésitant point, pour retrouver en Orient son unité religieuse, à rompre avec Rome et à constituer, sous la tu­ telle de l’Etat, une Eglise presque indépen­ dante de la papauté. Malheureusement pour le succès de ce rêve, cet empire, à la fin du ve siècle et au commencement du vie, était dans un état de crise redoutable. Depuis 5o2, les Perses avaient recommencé la guerre en Orient; en Europe, les Slaves et les Avars commençaient leurs incursions au sud du Danube. A l'intérieur, le trouble était extrême. La capitale était agitée par les querelles des factions du cirque, les Verts et les Bleus; les provinces, mécontentes, ruinées par la guerre, écrasées d’impôts, cher­ chaient toutes les occasions de manifester leurs revendications nationales ; le gouvernement était impopulaire ; une puissante opposition orthodoxe combattait sa politique et fournissait un pré­ texte commode aux révoltes des ambitieux, dont la plus grave fut en 514 celle de Vitalien; enfin. l8 LES ORIGINES DE L’EMPIRE D’ORIENT le souvenir persistant de la tradition romaine, entretenant l’idée de l’imité nécessaire du monde romain, de la « Romanie », ramenait sans cesse les esprits vers l’Occident. Pour sortir de cette instabilité, il fallait, une main vigoureuse, une politique nette, aux vues précises et fermes. Le règne de Justinien allait l’apporter. CHAPITRE II Le règne de Justinien et l’empire grec au VIe siècle (518-610) Í. L’avènement de la dynastie justinienne. — II. Le caractère, la politique et l’entourage de Justinien. — III. La politique extérieure de Justinien. — IV. Le gouvernement intérieur de Justinien. — V. La civilisation byzantine au vi« siècle. — VI. La liquidation de l’œuvre de Justinien (565-610). L’avènement de la dynastie justinienne. — En 518, à la mort d’Anastase, une intrigue assez obscure porta au trône Justin, commandant en chef des troupes de la garde. C’était un paysan de Macédoine, venu quelque cinquante ans au­ paravant chercher fortune à Constantinople, un brave soldat, mais fort illettré et sans aucune expérience des affaires. Aussi ce parvenu qui, à l’âge de près de 70 ans, devenait fondateur de dynastie, eût-dl été assez embarrassé .du pou­ voir où on l’élevait, s’il n’avait trouvé auprès de 20 LE RÈGNE DE JUSTINIEN lui, pour le conseiller, son neveu Justinien.' Originaire, comme Justin, de Macédoine, — la tradition romanesque qui fait de lui un Slave date d’une époque bien postérieure et n’a nulle valeur historique, — Justinien était venu de bonne heure à Constantinople, appelé par son oncle, et il y avait reçu une éducation toute ro­ maine et chrétienne. Il avait l’expérience des affaires, l’esprit mûr, le caractère formé, tout ce qu’il fallait pour être le coadjuteur du nouveau maître. Et c’est lui, en effet, qui, de 518 à 627, gouverna au nom de Justin, en attendant qu’il régnât lui-même de 627 à 565. Ainsi, pendant près d’un demi-siècle, Justinien guida hs desti­ nées de l’empire romain d’Orient, et il a mar­ qué l’époque, que domine sa puissante figure, d’une empreinte si profonde que sa seule volonté a suffi à interrompre l’évolution naturelle qui portait l’empire vers l’Orient. Sous son influence, dès le début du règne de Justin, une orientation politique nouvelle appa­ rut. Le premier soin du gouvernement de Cons­ tantinople fut de se réconcilier avec Rome, de mettre fin au schisme, et, pour sceller l’alliance et donner au pape des gages de son zèle ortho­ doxe, pendant trois années (518-521) Justinien persécuta furieusement les monophysites dans LE CARACTÈRE DE JUSTINIEN 21 tout l’Orient. Par ce rapprochement avec Rome, la nouvelle dynastie se trouvait fortifiée. Justi­ nien sut en outre, fort habilement, prendre les mesures nécessaires pour assurer la solidité du régime. Il le débarrassa de Vitalien, son plus redoutable adversaire ; surtout, par un étalage de largesses et de faste, il le rendit populaire. Mais, dès ce moment, Justinien rêvait davan­ tage : il comprenait l'importance que pouvait avoir pour ses ambitions futures l’accord rétabli avec la papauté; c’est pour cela qu’en 5a5, quand le pape Jean vint à Constantinople, — le premier des pontifes romains qui visitât la nou­ velle Rome, —il lui ménagea dans la capitale une réception triomphante; il sentait combien une telle attitude plairait en Occident, quelle compa­ raison nécessaire elle amènerait entre les pieux empereurs qui régnaient à Constantinople et les maîtres ariens et barbares qui dominaient l’A­ frique et l’Italie. Et ainsi il préparait les grands desseins qu’il devait réaliser, lorsque, en 527, la mort de Justin lui donna la plénitude du pouvoir. II Le caractère, la politique et l’entourage de Justinien. — Justinien ne ressemble en rien aux 22 LE RÈGNE DE JUSTINIEN princes du v8 siècle, ses prédécesseurs. Ce par­ venu, monté au trône des Césars, a voulu être un empereur romain, et il a été, en effet, le der­ nier des grands empereurs de Rome. Pourtant, malgré d’incontestables qualités d’application et de goût du travail, — un de ses courtisans l’appe­ lait « l’empereur qui ne dort jamais, » — malgré un réel souci de l’ordre et une sollicitude sin­ cère de la bonne administration, Justinien, par son despotisme ombrageux et jaloux, par sa va­ nité puérile, par son activité brouillonne, par sa volonté souvent indécise et faible, apparaîtrait au total assez médiocre et mal équilibré, si l’es­ prit en lui n’avait été grand. Ce paysan de Macé­ doine a été le représentant éminent de deux grandes idées : l’idée impériale, l’idée chrétienne ; et, parce qu’il a eu ces deux idées, son nom de­ meure immortel dans l’histoire. Tout plein des souvenirs de la grandeur ro­ maine, Justinien rêva de reconstituer l’empire romain tel qu’il était autrefois, de restaurer les droits imprescriptibles que Byzance, héritière de Rome, gardait sur les royaumes barbares d’Occident, de rétablir l’unité du monde romain. Héritier des Césars, comme eux il voulut être la loi vivante, l’incarnation la plus pleine du pouvoir absolu, et aussi le législateur impec­ LE CARACTERE DE JUSTINIEN 23 cable, le réformateur soucieux du bon ordre de la monarchie. Enfin, dans l’orgueil qu’il avait de son rang impérial, il voulut le parer de toutes les pompes, de toutes les magnificences; par la splendeur de ses constructions, par le faste de sa cour, par la façon un peu puérile dont il ap­ pela, de son nom, « justiniennes » les forteresses qu’il édifia, les villes qu’il reconstruisit, les ma­ gistratures qu’il institua, il voulut éterniser la gloire de son règne, et faire sentir à ses sujets, comme il le disait, le bonheur incomparable qu’ils avaient d’être nés en son temps. Il rêva davantage. Elu de Dieu, son représentant et son vicaire sur la terre, il se donna pour tâche d’être le champion de l’orthodoxie, soit dans les guerres qu’il entreprit, et dont le caractère reli­ gieux est incontestable, soit dans le grand effort qu’il fit pour propager à travers l’univers la foi orthodoxe, soit dans la façon dont il gouverna l’Église et combattit l’hérésie. Toute sa vie, il poursuivit la réalisation de ce double rêve ambi­ tieux et magnifique et, pour l’y aider, il eut la bonne fortune de trouver des ministres habiles, tels que le jurisconsulte Tribonien ou le préfet du prétoire Jean de Cappadoce, de bons géné­ raux comme Bélisaire et Narsès, et surtout un conseiller admirable dans « la révérendissime LB RÈGNE DE JUSTINIEN épouse que Dieu lui avait donnée, » dans celle qu’il se plaisait à Rappeler « son charme le plus doux, » dans l’impératrice Théodora. Théodora aussi était une parvenue. Fille d’un gardien des ours de l’Hippodrome, elle avait, s’il faut en croire les commérages de Procope dans l’Histoire secrète, scandalisé ses contem­ porains par sa vie d’actrice à la mode et par l’éclat de ses aventures, et davantage encore 'quand elle conquit le cœur de Justinien, réussit à se faire épouser par lui, et avec lui monta sur le trône. Il est certain qu’aussi longtemps qu’elle vécut, — elle mourut 011,548, — elle exerça sur l’empereur une influence toute-puissante et gou­ verna l’empire autant et peut-être plus que lui. C’est que, malgré ses défauts, — elle aimait l’ar­ gent, le pouvoir et, pour conserver le trône, elle fut souvent perfide, cruelle, implacable dans ses haines, — cette grande ambitieuse avait d’émi­ nentes qualités, de l’énergie, de la fermeté, une volonté résolue et forte, un esprit politique avisé et clair, et peut-être voyait-elle plus juste que son impérial époux. Tandis que Justinien rêvait de reconquérir l’Occident, de fonder sur l’alliance avec la papauté l’empire romain reconstitué, elle, en orientale qu’elle était, tournait les yeux vers l’Orient, avec un sentiment plus exact des LA POLITIQUE EXTÉRIEURE 25 réalités et des nécessités. Elle eût voulu y apai-. ser les querelles religieuses préjudiciables à la tranquillité et à la puissance de l’empire, rame­ ner par d’opportunes concessions et une large tolérance les nationalités dissidentes, telles que la Syrie et l’Egypte, et, fût-ce au prix d’une rupture avec Rome, refaire la forte unité de la monarchie orientale. Et on peut se demander si l’empire qu’elle rêvait, plus ramassé, plus homo­ gène, plus fort, n’eût pas mieux résisté aux as­ sauts des Perses et des Arabes. En tout cas, elle fit sentir sa main partout, dans l’administration, dans la diplomatie, dans la politique religieuse; et aujourd’hui encore, à Saint-Vital de Ravenne, dans les mosaïques qui décorent l’abside, son image, dans tout l’éclat de la majesté souve­ raine, fait face, comme une égale, à celle de Justinien. III La politique extérieure de Justinien. — Au moment où Justinien prenait possession du pouvoir, l’empire n’était pas remis encore de la grave crise qu’il traversait depuis la fin du v® siè­ cle. Durant les derniers mois du règne de Justin, les Perses, mécontents des empiétements de la politique impériale au Caucase, en Arménie, 2Ô LE RÈGNE DE JUSTINIEN aux frontières de Syrie, avaient recommencé la guerre, et ainsi la meilleure partie de l’armée byzantine se trouvait immobilisée en Orient. A l’intérieur, les luttes des Verts et des Bleus entretenaient une agitation politique redoutable, qu’aggravaient la déplorable corruption de l’ad­ ministration publique et le mécontentement qui en résultait. Justinien eut pour souci essen­ tiel d’écarter ces difficultés, qui retardaient l’exé­ cution de ses rêves ambitieux sur l’Occident. Ne voyant point, ou ne voulant point voir, la grandeur du péril oriental, il signa avec le Grand Roi, au prix de larges concessions, la paix de 532, qui lui rendait l’entière disposition de ses forces militaires. Il réprima vigoureuse­ ment, d’autre part, les troubles du dedans, lorsque, en janvier 532, la formidable émeute, qui a gardé — du cri de ralliement des in­ surgés — le nom de sédition Nika, remplit Constantinople, pendant une semaine, d’incen­ dies et de sang. En ces jours de révolution, où faillit sombrer le trône, ce fut surtout au cou­ rage de Théodora, à l’énergie de Bélisaire, que Justinien dut son salut. Mais, en tout cas, la bru­ talité de la répression, qui joncha de 3ô,ooo ca­ davres le sol de THippodrome, eut pour effet de rétablir pour longtemps l’ordre dans la capitale LA POLITIQUE EXTÉRIEURE 3J et de faire le pouvoir impérial plus absolu que jamais. En 53a, Justinien avait les mains libres. La restauralion impériale en Occident. — La situation de l’Occident favorisait ses projets. En Afrique, comme en Italie, les populations, gouvernées par des maîtres barbares et héréti­ ques, appelaient de tous leurs vœux la restaura­ tion de l’autorité impériale ; et tel était encore le prestige de l’empire que les rois vandales et ostrogoths eux-mêmes reconnaissaient la légi­ timité des revendications byzantines. Aussi bien, la rapide décadence de ces royaumes barbares les laissait impuissants contre les attaques de Justinien et leurs dissensions les empêchaient de faire cause commune contre l’ennemi com­ mun. Quand donc, en 531, l’usurpation de Gélimer fournit à la diplomatie byzantine l’occasion d’intervenir en Afrique, Justinien, confiant dans le redoutable instrument de guerre que constituait son admirable armée, n’hésita pas, désireux tout à la fois d’affranchir les ca­ tholiques africains de la « captivité arienne » et de faire rentrer le royaume vandale au sein de l’unité impériale. En 533, avec une armée de 10,000 fantassins et de 5 à 6,ooo cavaliers, Béli­ saire s’embarquait à Constantinople : la cam- a8 LE RÈGNE DE JUSTINIEN pagne fut aussi rapide que triomphante. Battu h Decimum et à Tricamarum, Gélimer, cerné dans sa retraite du mont Pappua, fut obligé de se rendre (534). En quelques mois, quelques régi­ ments de cavalerie — car c’est eux qui jouèrent le rôle décisif — avaient, contre toute attente, détruit le royaume de Genséric. Bélisaire victo­ rieux reçut à Constantinople les honneurs du triomphe; et si, à la vérité, il fallut quinze ans encore (534-548) pour dompter les révoltes des Berbères et les soulèvements des troupes mer­ cenaires et indisciplinées de l’empire, Justinien cependant put se glorifier d’avoir reconquis la plus grande partie de l’Afrique et prendre orgueilleusement les surnoms de Vandalique et d’Africain. Les Ostrogoths d’Italie avaient assisté sans bouger à l’écrasement du royaume vandale. Bientôt leur tour arriva. L’assassinat d’Amalasonthe, la fille du grand Théodoric, par son mari Théodat (534), fournit à Justinien l’occasion d’intervenir; mais cette fois la guerre fut plus dure et plus longue. Bélisaire put bien con­ quérir la Sicile (535), prendre Naples, puis Borne, où il soutint contre l’armée du nouveau roi des Ostrogoths, Vitigès, un siège mémorable d’une année entière (mars 537-mars 538) ; il put LA POLITIQUE EXTÉRIEURE bien ensuite s’emparer de Ravenne (54o) et amener Vitigès captif aux pieds de l’empereur; les Goths se ressaisirent, sous la conduite de l’habile et énergique Totila. Bélisaire, renvoyé en Italie avec des forces insuffisantes, y échoua lamentablement (544-548) î il fallut l’énergie de Narsès pour abattre à Taginae (55a) la résis­ tance ostrogothique, écraser en Campanie les derniers rassemblements barbares (553), débar­ rasser la péninsule des hordes franques de Leutharis et de Butilin (554). H avait fallu vingt ans pour reconquérir l’Italie. Cette fois encore l’opti­ misme de Justinien avait cru trop vite la con­ quête terminée * et peut-être aussi ne fit-il pas assez tôt le grand effort nécessaire pour briser d’un seul coup la force des Ostrogoths. C’est avec des armées tout à fait insuffisantes, —vingt-cinq ou trente mille soldats à peine, — qu’on entreprit de replacer l’Italie sous l’autorité impériale ; et la guerre en conséquence se traîna lamentablement, En Espagne également, Justinien profita des circonstances pour intervenir dans les luttes dynastiques du royaume wisigoth (554) et recon­ quérir le sud-est du pays. Grâce à ces campagnes heureuses, Justinien pouvait se flatter d’avoir réalisé son rêve. Grâce 3o LE RÈGNE DE JUSTINIEN à sa tenace ambition, la Dalmatie, l’Italie, l’Afri­ que orientale tout entière, le sud de l’Espagne, les îles du bassin occidental de la Méditerranée, Sicile, Corse, Sardaigne, Baléares, étaient ren­ trées dans l’unité romaine; l’étendue delà monar­ chie se trouvait presque doublée. Par l’occupa­ tion de Septem (Ceuta), l’autorité de l’empereur s’étendait jusqu’aux colonnes d’Hercule, et si l’on excepte la partie de côtes que gardaient les Wisigoths en Espagne et en Septimanie et les Francs en Provence, de nouveau la Méditerra­ née était un lac romain. Sans doute, ni l’Afrique, ni l’Italie ne rentraient dans toute leur étendue ancienne dans l’unité impériale; et elles y ren­ traient épuisées, ravagées par tant d’années de guerre. Cependant, ces conquêtes donnaient à l’empire un regain incontestable de prestige et de gloire, et Justinien n’épargna rien pour l’as­ surer. L’Afrique et l’Italie reconquises formèrent, comme autrefois, deux préfectures du prétoire, et l’empereur s’efforça de rendre aux populations l’exacte image de l’empire tel qu’elles l’avaient . autrefois connu. Des mesures réparatrices effa­ cèrent partiellement les misères de la guerre. Des précautions défensives, — création de grands commandements militaires, organisa­ tion de marches (limites), qu'occupèrent des LA POLITIQUE EXTÉRIEURE 3l troupes spéciales, les soldats de la frontière , (limitanei), construction d’un puissant réseau de forteresses, — garantirent la sécurité du pays. Justinien put se flatter d’avoir restauré en Occi­ dent cette paix parfaite, cet « ordre parfait », qui lui semblait la marque d’un Etat vraiment civilisé. Les guerres d'Orient. — Malheureusement, ces grandes entreprises avaient épuisé l’empire et lui avaient fait négliger l’Orient. L’Orient se vengea — de la façon la plus redoutable. La première guerre de Perse (527-53a) n’avait été que l’annonce du péril qui menaçait. Aucun des deux adversaires ne tenant à s’engager à fond, la lutte était demeurée indécise ; la victoire de Bélisaire à Dara (53o) avait été compensée par sa défaite à Callinicum (531), et on s’était des deux parts empressé de conclure une paix boi­ teuse (532). Mais le nouveau roi de Perse, Chosroès Anoushirvan (531-579), actif et ambitieux, n’était pas homme à se contenter de ces résul­ tats. Voyant Byzance occupée en Occident, in­ quiet surtout des projets de domination univer­ selle que Justinien ne dissimulait pas, en 54o, il se jeta sur la Syrie et saccagea Antioche; en 541, il envahissait le pays des Lazes et emportait 3a LE RÈGNE DE JUSTINIEN Pétra ; en 542, il ravageait la Comagène ; en 543, il battait les Grecs en Arménie ; en 544, dévastait la Mésopotamie. Bélisaire lui-même était impuissant à le vaincre. Il fallut conclure une trêve (5^5), qui fut plusieurs fois renouvelée, et signer, en 562, une paix de cinquante ans, par laquelle Justinien s'engageait à payer tribut au Grand Roi, s'interdisait toute propa­ gande religieuse en territoire perse; et s’il gar­ dait à ce prix le pays des Lazes, l’ancienne Colchide, la menace perse, après cette longue et désastreuse guerre, n’en restait pas moins redou­ table pour l’avenir. Pendant ce temps, en Europe, la frontière du Danube cédait sous les attaques des Huns, qui, en 540, mettaient à feu et à sang la Thrace, 1’11— lyricum, la Grèce jusqu’à l’isthme de Corinthe, et pénétraient jusqu’aux abords de Constanti­ nople; des Slaves qui, en 547, en 551, dévastaient l’Illyricum, et en 552 menaçaient Thessalonique ; des Huns encore qui, en 55g, parais­ saient devant la capitale, que sauva à grand peine le courage du vieux Bélisaire. Et en outre, d’autres barbares, les Avars, entraient en scène, insolents et menaçants. Assurément, aucune de ces incursions n’aboutit à l’établisse­ ment durable d’un peuple étranger dans l’em- Justinien et sa cour. M osaïque de Saint-Vital de Ravenne, vi® siècle. (Phot. Alinari). (Man. d'ArtMtyz.) Pi.. III. LA POLITIQUE EXTÉRIEURE 33 pire. Mais la péninsule des Balkans n’en avait pas moins été épouvantablement ravagée. L’em­ pire payait cher en Orient les triomphes de Jus­ tinien en Occident. Les mesures de défense et la diplomatie. — Justinien, cependant, en Orient comme en Occi­ dent, s’efforça d’assurer la défense et la sécurité du territoire. Par l’organisation de grands com­ mandements confiés à des magistri militum, par la créât’on sur toutes les frontières de confins militaires (limites) occupés par des troupes spéciales (limitanei), il reconstitua en face des barbares ce qu’on nommait jadis « la cou­ verture de la monarchie » (prælentura imperii). Mais surtout il éleva sur toutes les frontières une ligne continue de forteresses, qui occupèrent tous les points stratégiques et formèrent plu­ sieurs barrières successives contre l’invasion ; derrière elles, pour plus de sûreté, tout le terri­ toire se couvrit de châteaux-forts. Aujourd’hui encore, on retrouve en maints endroits les ruines imposantes de ces citadelles, qui s’élevèrent par centaines dans toutes les provinces de l’empire, et elles attestent magnifiquement la grandeur de l’effort par lequel, selon le mot de Procope, Jus­ tinien a véritablement « sauvé la monarchie. » 34 LE RÈGNE DE JUSTINIEN La diplomatie byzantine enfin, complétant l’action militaire, s’efforçait d’assurer, dans le monde entier, le prestige et l’influence de l’em­ pire. Par une habile distribution de faveurs et d’argent, par une ingénieuse habileté à diviser les uns contre les autres les ennemis de l’empire, elle amenait sous la suzeraineté byzantine et rendait inoffensifs les peuples barbares qui flot­ taient sur les frontières de la monarchie. Par la propagande religieuse aussi, elle les faisait entrer dans la sphère d’influence de Byzance. Les missions qui ont porté le christianisme des rivages de la mer Noire aux plateaux d’Abyssinie et aux oasis du Sahara, ont été un des traits les plus caractéristiques de la politique grecque au moyen âge. Ainsi l’empire se constituait une clientèle de vassaux : Arabes de Syrie et de l’Yémen, Berbères de l’Afrique du Nord, Lazes et Tzanes aux confins d’Arménie, Hérules, Gépides, Lombards, Huns sur le Danube, et jus­ qu’aux souverains francs de la Gaule lointaine, où, dans les églises, on priait pour l’empereur romain. Constantinople, où Justinien accueillait magnifiquement les souverains barbares, appa­ raissait comme la capitale de l’univers. Et s’il est vrai que, durant les dernières années du règne, l’empereur vieilli laissa se désorganiser les ins­ LE GOUVERNEMENT INTÉRIEUR 35 titutions militaires et se complut trop aux pra­ tiques d’une diplomatie ruineuse qui, en dispen­ sant l’argent aux barbares, excitait dangereuse­ ment leurs convoitises, par ailleurs il est certain qu’aussi longtemps que l’empire fut assez fort pour se défendre, sa diplomatie, soutenue par les armes, sembla aux contemporains une mer­ veille de prudence, de finesse et de bon conseil (eù6ouXia) ; malgré les lourds sacrifices que coûtè­ rent à la monarchie les ambitions formidables de Justinien, ses détracteurs même ont reconnu que « le rôle naturel d’un empereur à l’âme haute est de vouloir agrandir l’empire et le rendre plus glorieux » (Procope). IV Le GOUVERNEMENT INTERIEUR DE JüSTINIEN. ---Le gouvernement intérieur de l’empire ne donna pas moins de soucis à Justinien que la défense du territoire. Une réforme administrative urgente s’imposait à son attention. Une crise religieuse redoutable réclamait sa sollicitude. La réforme législative et administrative. — La monarchie était étrangement troublée. L’admi­ nistration était vénale et corrompue ; le désordre 36 LB RÈGNE DE JUSTINIEN et la misère régnaient dans les provinces ; la justice, grâce à l’obscurité de la loi, était arbi­ traire et partiale, et l’une des plus graves con­ séquences de cette situation était que les impôts rentraient fort mal. Justinien avait trop le goût de l’ordre, le désir de la centralisation adminis­ trative, et aussi le souci du bien public, pour tolé­ rer un tel état de choses. Il avait par ailleurs, pour ses grandes entreprises, d’incessants be­ soins d’argent. Il entreprit donc une double réforme. Pour donner à l’empire « des lois certaines et indiscu­ tables », il confia à son ministre Tribonien une grande œuvre législative. Une commission, réu­ nie en 528 pour la réforme du Code, rassembla et classa en un recueil unique les principales constitutions impériales promulguées depuis l’é­ poque d’Hadrien. Ce fut le Code Justinien, publié en 529, et dont une nouvelle édition parut en 534Ensuite ce fut le Digeste ou Pandectes, où une autre commission, nommée en 53o, réunit et classa les décisions extraites des ouvrages des grands jurisconsultes du second et du troisième siècle, œuvre énorme qui fut achevée en 533. Les Institutes résumèrent en un manuel, à l’usage des étudiants, les principes du droit nouveau. Enfin, le recueil des nouvelles ordonnances pu­ LE GOUVERNEMENT INTÉRIEUR 3j bliées par Justinien entre 534 et 565 compléta l’imposant monument connu sous le nom de Cor­ pus juris civilis. De cette grande œuvre législative, Justinien fut si fier, qu’il interdit d’y toucher à l’avenir et de l’altérer par aucun commentaire, et que, dans les écples de droit réorganisées à Constantinople, à Beyrouth, à Rome, il en fit la base immuable de l’enseignement juridique. Et, en effet, malgré ses défauts certains, malgré la hâte du travail entraînant des répétitions et des contradictions, malgré la façon lamentable dont y furent mis en pièces les plus beaux monuments du droit ro­ main, ce fut une très grande œuvre, l’une des plus fécondes pour les progrès de l’humanité. Si le droit justinien a fourni au pouvoir impérial le fondement de son autorité absolue, il a aussi, dans le monde du moyen âge, conservé et réap­ pris plus tard à l’Occident l’idée de l’Etat et les principes de l’organisation sociale. Il a par ail­ leurs, en pénétrant la rigueur du vieux droit romain de l’esprit nouveau du christianisme, introduit dans la loi un souci jusqu’alors inconnu de justice sociale, de moralité publique et d’hu­ manité. Ppur réformer l’administration et la justice, Justinien, en 535, promulgua deux grandes or­ 38 LE RÈGNE DE JUSTINIEN donnances, traçant à tous les fonctionnaires les devoirs nouveaux qu'il leur imposait, et leur re­ commandant par dessus tout une scrupuleuse honnêteté dans le gouvernement des sujets. En même temps l’empereur abolissait la vénalité des charges, augmentait les traitements, suppri­ mait les rouages inutiles, réunissait, dans toute une série de provinces, pour y mieux assurer l’ordre, les pouvoirs civils et militaires : amorce d’une réforme qui devait être grosse de consé­ quences dans l’histoire administrative de l’em­ pire. Il réorganisait l’administration de la jus­ tice et la police de la capitale; il donnait dans tout l’empire un grand élan aux travaux publics, faisait construire des routes, des ponts, des aqueducs, des bains, des théâtres, des églises, et rebâtissait avec une magnificence inouïe Cons­ tantinople, partiellement détruite dans l’insur­ rection de 53a. Enfin, par une politique économi­ que attentive, Justinien s’appliquait à développer la richesse industrielle et l’activité commer­ ciale de l’empire (i), et, selon son habitude, il se vantait « d’avoir, par ses splendides concep­ ti) C’est sous le règne de Justinien que deux moines appor­ tèrent de Chine, vers 557, le secret de l’élevage des vers à soie, qui, en permettant à l’industrie de Syrie de fabriquer la soie, affranchit en partie Byzance de l’importation étrangère. LE GOUVERNEMENT INTÉRIEUR 3y lions, donné à l’Etat une nouvelle fleur. » En fait pourtant, malgré les bonnes intentions de l’em­ pereur, la réforme administrative échoua. Le poids formidable des dépenses, le besoin cons­ tant d’argent qui en résulta, amenèrent une tyran­ nie fiscale atroce qui réduisit l’empire à la misère et l’épuisa. Et de ce grand effort réformateur une seule chose sortit: la suppression, en 541, par raison d’économie, du consulat. La politique religieuse.—Comme tous les em­ pereurs qui, depuis Constantin, s’étaient succédé sur le trône, Justinien s’occupa de l’Église, par raison d’Etat autant que par goût de la contro­ verse théologique. Il a, pour bien marquer son zèle pieux, combattu âprement les hérétiques, ordonné, en 629, la fermeture de l’Université d’Athènes, où subsistaient obscurément quelques professeurs païens, et vigoureusement persécuté les dissidents. Il a entendu par ailleurs gou­ verner l’Eglise en maître, et en échange de sa protection et des faveurs dont il la comblait, il lui a imposé despotiquement, brutalement sa volonté, se proclamant nettement « empereur et prêtre ». Pourtant, il se trouva plus d’une fois em­ barrassé de la conduite à suivre. Pour le succès de ses entreprises occidentales, il avait'besoin 4o LE RÈGNE DE JUSTINIEN de maintenir l’accord rétabli avec la papauté; pour restaurer en Orient l’unité politique et mo­ rale, il lui fallait ménager les monophysites, toujours nombreux et puissants en Egypte, en Syrie, en Mésopotamie, en Arménie. Entre Rome, qui exigeait la condamnation des dissi­ dents, et Théodora, qui conseillait le retour à la politique d’union de Zenon et d’Anastase, l’em­ pereur, plus d’une fois, ne sut que résoudre; et sa volonté hésitante s'efforça, à travers bien des contradictions, de trouver un terrain d’entente pour concilier les ternies du dilemme. Tour à tour, pour complaire à Rome, il laissa le concile de Constantinople de 536 anathématiser les dis­ sidents, déchaîna contre eux la persécution (537538), s’attaqua à la citadelle qu’était pour eux l'Égypte ; et, pour complaire à Théodora, il laissa les monophysites reconstituer leur Eglise (543) et s’efforça d’obtenir de la papauté, au concile de Constantinople de 553, une condamnation détournée des décisions de Chalcédoine. Ce fut l’affaire des Trois Chapitres (i), qui, pendant plus (1) Ce nom vient de ce que le débat portait sur les extraits des ouvrages de trois théologiens, Théodore de Mopsueste, Théo­ dore! de Cyr et Ibas d’Edesse, dont le concile de Chalcédoine avait approuvé la doctrine et que Justinien fit condamner pour complaire aux monophysites. LA CIVILISATION BYZANTINE AU VIe SIECLE ¡il de vingt ans (543-565), agita l’empire, provoqua le schisme dans l’Eglise d’Occident, sans rame­ ner la paix en Orient. De tout le déploiement de rigueur et d’arbitraire que Justinien mit en œuvre contre ses adversaires, et dont le pape Vigile fut la plus illustre victime, aucun effet utile ne ré­ sulta. La politique d’union et de tolérance que conseillait Théodora était sans doute avisée et sage; l’incertitude de Justinien à prendre nette­ ment parti n’en fit, malgré ses bonnes intentions, sortir d’autre effet qu’une recrudescence des ten­ dances séparatistes de l’Egypte et de la Syrie, qu’une exaspération de leur haine nationale contre l’empire. V La CIVILISATION BYZANTINE AU VIe SIÈCLE. ---Dans l’histoire de la civilisation byzantine, le règne de Justinien marque une époque déci­ sive. Des écrivains de talent, historiens tels que Procope et Agathias, Jean d’Éphèse ou Évagrius, poètes tels que Paul le Silentiaire, théologiens tels que Léontius de Byzance, ont continué, non sans éclat, les traditions de la littérature grecque classique, et c’est vers l’aube du vie siècle que Romanos, « le prince des mélodes », a créé la poésie religieuse, la plus belle manifestation 4a LE RÈGNE DE JUSTINIEN peut-être et la plus originale du génie byzantin. La splendeur des arts fut plus admirable encore. C’est le temps où s’achevait à Constantinople la lente évolution que préparaient depuis deux siècles les écoles locales de l’Orient. Et comme Justinien avait le goût des bâtiments, qu'il eut la bonne fortune de trouver pour servir ses des­ seins des artistes éminents, et le moyen de mettre à leur disposition des ressources inépuisables, il en résulta que les monuments de ce siècle, merveilles de science, d’audace et de magnifi­ cence, marquèrent en des œuvres définitives l’apogée de l’art byzantin. Jamais l’art n’apparut plus varié, plus fécond, plus libre; toutes les méthodes de construction, tous les types d’édifices se rencontrent alors, basiliques comme San Apollinare Nuovo de Ra­ venne ou Saint-Démétrius de Salonique, églises de plan polygonal comme celles des Saints-Sergeet-Bacchus à Constantinople ou de Saint-Vital à Ravenne, constructions en forme de croix cou­ ronnée de cinq coupoles, comme l’église des Saints-Apôtres, ouvrages d’architecture dont Sainte-Sophie, bâtie entre 532 et 53y par Anthémius de Tralles et Isidore de Milet, demeure,par l’originalité du plan, la légèreté de la structurera hardiesse savante de la disposition, l’habileté des LA LIQUIDATION 4^ combinaisons d’équilibre, l’harmonieuse beauté des proportions, le chef-d’œuvre incontesté. A l’intérieur de ces édifices, l’ingénieuse polychro­ mie des marbres, la fine ciselure des sculptures, la parure des mosaïques aux fonds de bleu et d’or, mit une incomparable magnificence, dont aujourd’hui encore, à défaut des mosaïques dé­ truites des Saints-Apôtres ou dé celles à peine visibles sous le badigeon turc de Sainte-Sophie, on peut prendre idée dans les églises de Parenzo et de Ravenne, dans ce qui reste de l’admirable décoration de Saint-DémétriusàSalonique. Par­ tout, dans les orfèvreries, les étoffes, les ivoires, les manuscrits, le même caractère apparaît de luxe éclatant et de majesté solennelle, qui mar­ que l’avènement du style nouveau. Sous Finfluence combinée de l’Orient et de la tradition antique, l’art byzantin, au temps de Justinien, a connu son premier âge d’or. VI Là LIQUIDATION DE L’OEUVRE DE JUSTINIEN (565610).— Si l’on considère en son ensemble le règne de Justinien, on n’en saurait méconnaître la gran­ deur incontestable, ni le prestige sans égal qn’il rendit momentanément à la monarchie. On se 44 LE RÈGNE DE JUSTINIEN demandera pourtant, si cette grandeur ne fut pas plus apparente que réelle, et si ce magnifique effort d’impérialisme, en arrêtant l’évolution na­ turelle de l’empire d'Orient, en l’épuisant au service d’ambitions excessives, ne lui fit pas, au total, plus de mal que de bien. Dans toutes les entreprises de Justinien, il y eut toujours une disproportion redoutable entre le but pour­ suivi et les ressources disponibles pour le réa­ liser; le manque d’argent fut la plaie constante qui ralentit les projets les plus magnifiques et ruina les plus louables intentions. Pour y remé­ dier, il fallut accroître la tyrannie fiscale, jus­ qu’au point où elle devient intolérable ; et comme, par ailleurs, durant les dernières années du règne, Justinien vieilli laissa de plus en plus aller toutes choses à l’abandon, la situation de la monarchie, lorsqu’il mourut, en 565, à l’âge de 87 ans, était absolument lamentable. Finan­ cièrement, militairement, l’empire était épuisé; sur toutes les frontières montaient à l’horizon des périls redoutables ; à l’intérieur, l’autorité publique était affaiblie, dans les provinces, par le développement de la grande propriété féodale, dans la capitale, par les luttes incessantes des Verts et des Bleus; on ne vivait plus que d’expé­ dients; la misère partout était profonde; et les LA LIQUIDATION 4^ contemporains se demandaient avec stupeur « où s’étaient évanouies les richesses des Romains ». Une liquidation s’imposait : elle fut difficile et désastreuse. Ce fut l’œuvre des successeurs de Justinien, son neveu Justin II (565-578), Tibère (578-582) et Maurice (582-602). Résolument ils inaugurèrent une politique nou­ velle. Se détournant de l’Occident, où d’ailleurs l’invasion des Lombards (568) enlevait à l’empire la moitié de l’Italie, les successeurs de Justinien se bornèrent à y organiser une solide défensive par la création des exarchats d’Afrique et de Ra­ venne. Ils purent à ce prix reporter vers l’Orient leur attention et prendre, en face des ennemis de la monarchie, une attitude plus fière. Grâce aux mesures qu’ils ordonnèrent pour réorganiser l’armée, la guerre perse recommencée en 572, et qui dura jusqu’en 591, se termina par un traité avantageux, qui céda l’Arménie perse à Ryzance. Et si, en Europe, les Avars et les Slaves rava­ gèrent cruellement la péninsule des Balkans, emportant les forteresses du Danube, assiégeant Thessalonique, menaçant Constantinople (5gi) et commençant même à s’installer de façon du­ rable, d’heureux succès reportèrent finalement la guerre au delà des frontières et portèrent jus­ qu’à la Theiss les armes byzantines (601). 46 LE RÈGNE DE JUSTINIEN Malheureusement la crise intérieure gâta tout. Justinien avait tendu à l’excès les ressorts du gouvernement absolu ; lui mort, l’aristocratie releva la tête, les tendances séparatistes des pro­ vinces recommencèrent à se manifester, les fac­ tions du cirque à s’agiter. Et comme le gouver­ nement était impuissant à rétablir la situation financière, le mécontentement ne fit que s’ac­ croître, aggravé encore par la désorganisation administrative et les mutineries de l’armée. La politique religieuse rendit plus aigu le ma­ laise général. Après un court essai de tolérance, on revint en effet à la persécution pour dompter les dissidents ; et si Maurice y mit un terme, par ailleurs le conflit inopportun qu’il laissa éclater entre le patriarche de Constantinople, prétendant au titre d’œcuménique, et le pape Grégoire le Grand, augmenta les rancunes anciennes entre l’Orient et l’Occident. Malgré ses réelles quali­ tés, Maurice, par son économie rigide, fut pro­ fondément impopulaire. Et le relâchement de l’autorité politique rendit aisé le succès de la révolution militaire qui mit Phooas sur le trône (602). Le grossier soldât qu’était le nouveau prince ne put se maintenir que par la terreur (602-610); il acheva par là de ruiner la monarchie. Chos- LA LIQUIDATION 4? roès II. se posant en vengeur de Maurice, reprit la guerre ; les Perses conquirent la Mésopota­ mie, la Syrie, l’Asie Mineure. En 608, ils étaient à Chalcédoine, en face de Constantinople. A l’in­ térieur, les révoltes, les conspirations, les émeu­ tes se succédaient ; l’empire tout entier demandait un sauveur. Il vint d’Afrique. En 610, Héraclius, le fils de l’exarque de Carthage, renversait Pho­ cas et fondait une nouvelle dynastie. Après près d’un demi-siècle d’agitation, Byzance retrouvait, pour diriger ses destinées, un chef. Mais pendant ce demi-siècle aussi, Byzance progressivement était revenue vers l’Orient. La transformation dans le sens oriental, interrompue par le long règne de Justinien, allait maintenant se précipi­ ter et s’achever. CHAPITRE III La dynastie d’Héraclius. Le péril arabe et la trans­ formation de l’empire au VIIe siècle (610-717) J. La reconstitution de l’empire par Héraclius. — IL Le péril arabe. — III. La politique religieuse et ¡’Occident. — IV. La transformation de l’empire au vit* siècle. — V. La fin de la dynastie d’Héraclius et la décadence de l’empire (635-717). Dans l’histoire de Byzance, le vne siècle est ■une des périodes les plus sombres. C’est une époque de crise grave, un moment décisif où il semble que l’existence même de l’empire soit en jeu. Au dehors, des périls redoutables, celui des Perses d’abord, et bientôt celui plus terrible des Arabes, s’abattent sur la monarchie épuisée. Au "dedans, une transformation profonde s’accom­ plit, qui donne à l’Etat et au monde byzantins une face nouvelle. Jusqu’alors la monarchie était malgré tout demeurée un empire romain de ca­ ractère universel ; le latin y restait la langue offi-cielle, la tradition romaine y conservait les titres Vi. ÍV. .. k:._ S;< í < j j i i c |ii< •. I.gix' dr >.i ; i¡ i 1 huic! -j v >i> o<- U'Hol. Le Tourneau.? (Mdiid'. l il Al'i >‘y:-tinl!n.) LA RECONSTITUTION DE L’EMPIRE 49 et les cadres que Rome avait fixés. Au commen­ cement du vine siècle, au contraire, un empire proprement byzantin s’est constitué, dont toutes les forces se concentrent autour de Constanti­ nople et dont le caractère est de plus en plus oriental. I La RECONSTITUTION DE l’eMPIRE PAR HÉRACLIUS. — Au moment où Héraclius (610-641) montait sur le trône, la situation de la monarchie pouvait sembler presque désespérée. Chaque année, les Perses faisaient des progrès nouveaux : en 612, ils prenaient Antioche, Apamée, Césarée ; en 614» Damas; en6i5, ils occupaient Jérusalem, d’où ils emportaient à Ctésiphon la Sainte Croix et les reliques les plus fameuses du christianisme; en 617, ils occupaient l’Égypte, ils parvenaient en Asie jusqu’à Chalcédoine. Pendant ce temps, les Avars apparaissaient devant Constantinople (619); les Lombards gagnaient du terrain en Ita­ lie et l’eïnpire achevait de perdre ses possessions d’Espagne. Abattu par tant de désastres, Héra­ clius songea un moment à quitter Constantinople et à transporter en Afrique le siège du pouvoir. Un homme le remonta par son énergie indomp­ table, le patriarche Sergius, dont l’influence fut 5o LA DYNASTIE d’HÉRACLIUS puissante sur toute la politique du règne. Impres­ sionnable et nerveux, capable de grands enthou­ siasmes comme de brusques dépressions, plein d’une foi religieuse ardente, et brûlant de venger le christianisme des injures des Perses, soldat courageux enfin, bon administrateur et grand général, Héraclius se ressaisit. Le patriarche mit à sa disposition les trésors de l’Église ; luimême, avec une application inlassable, recons­ titua l’armée. En 622, il était prêt pour la lutte. Pendant six années, sans se laisser détourner par rien, pas même par la formidable attaque que Perses et Avars coalisés tentèrent contre Constantinople (626), il combattit les armées du Grand Roi, reportant la guerre sur le territoire ennemi, dans l’Aderbaïdjan (628) et dans l’Ar­ ménie perse (6a5), victorieux à Ninive (627), vic­ torieux aux portes de Ctésiphon (628) et entrant dans la légende comme lé premier des croisés. La mort de Chosroès II (628) et la révolution qui suivit achevèrent d’imposer aux Perses une paix humiliante, par laquelle ils restituaient toutes leurs conquêtes et surtout la Sainte Croix, qu’Héraclius rapporta triomphalement à Jérusalem (629). Après ces grands succès militaires Héraclius s’efforça, par sa politique religieuse, de rendre LA RECONSTITUTION DE L’EMPIRE 5l l’unité morale à l’empire et, pour regagner les monophysites de Syrie et d’Égypte, il se préoc­ cupa de trouver, d’accord avec le patriarche Sergius et Cyrus d’Alexandrie, une formule de conciliation qui ramenât à l’orthodoxie les dissi­ dents. De là naquit la doctrine monothélite, que l’empereur définit dans l’exposition de foi connue sous le nom à’Eclhesis (638) et qu’il s’appliqua à faire accepter aussi bien des monophysites que de l’Église romaine. L’empire, grâce à ces efforts, semblait recons­ titué : son prestige en Orient était rétabli ; son influence, par la conversion des Croates et des Serbes, s’étendait à nouveau sur le nord-ouest de la péninsule balkanique. Mais ces apparences brillantes cachaient mal l’épuisement réel. L’état des finances était lamentable ; les tendances sé­ paratistes, qui avaient tant aidé au succès des Perses, n’étaient point conjurées. En quelques années, l’invasion arabe allait anéantir tous les résultats des victoires d’Héraclius, en même temps que sa politique religieuse préparait le germe de longues dissensions et de graves con­ flits. LA dynastie d’héraclius II Le péril arabe. — Le commencement du vu® siècle avait été marqué par un grand événe­ ment, la naissance de l’Islam. En vingt ans, par une prodigieuse expansion, la nouvelle religion allait conquérir la plus grande partie du monde oriental et s’étendre, aux dépens de la Perse et de Byzance, des bords de l’Oxus aux rivages de la grande Syrte. En 634, ies armées du khalife Omar attaquaient la Syrie. Les troupes byzantines étaient battues à Agnadaïn (634) ! Damas tombait aux mains des Musulmans (635) ; le désastre de l’Yarmouk (636) déterminait Héraclius à dire à la Syrie un éter­ nel adieu. Aussi bien les populations, hostiles aux Grecs, s’empressaient à passer au vainqueur. Jérusalem capitulait en 687; Antioche succom­ bait en 638. Puis ce fut le tour de la Mésopo­ tamie (63g), de l’Égypte, qu’Amr conquit en deux ans (640-642) sans rencontrer grande résis­ tance; et Héraclius, vieilli, malade, mourut dé­ sespéré. Sous son successeur Constant II (642668), les Arabes continuèrent leurs progrès. La Cyrénaïque, la Tripolitainc tombèrent entre leurs mains (642-643); en 647, une première fois, ils LE PÉRIL ARABE 53 envahissaient l’Afrique du Nord. Ils ravageaient l’Asie Mineure (651), soumettaient l’Arménie (653). Par la création d’une flotte enfin, ils mena­ çaient la prépondérance que Byzance avait eue jusque-là dans les mers orientales. Ils conqué­ raient Chypre (649), pillaient Rhodes (654) ef infligeaient aux escadres grecques, que com­ mandait l’empereur en personne, une défaite mémorable sur les côtes de Lycie (655). Cons­ tantinople même était en péril, et Constant II, jugeant l’Orient perdu, allait passer en Occident les dernières années de sa vie (663-668). C’était faciliter les entreprises des khalifes Ommiades qui, depuis 660, régnaient à Damas. Désormais, chaque année, une invasion arabe, désola l’Asie Mineure; en 668, les Musulmans pénétraient jusqu’à Chalcédoine. Ils reprenaient en même temps l’offensive en Occident, s’éta­ blissaient dans l’Afrique du Nord, où ils fon­ daient Kairouan (669), menaçaient la Sicile. En­ fin, en 673, ils tentaient l’effort suprême : ils attaquaient Constantinople. Mais le nouvel em­ pereur, Constantin IV (668-685), était un prince énergique. Vainement, pendant cinq années en­ tières (678-678), les Arabes, par terre et par mer, assaillirent la capitale byzantine ; ils ne parvin­ rent pas à l’emporter. La flotte grecque, à là- 54 LA dynastie d’iiéraclius quelle la découverte récente du feu grégeois assurait une incontestable supériorité, obligea les escadres musulmanes à la retraite, et leur infligea dans les eaux de Syllaeum une terrible défaite. Sur terre, les armées du khalife étaient battues en Asie. Moaviah dut se résoudre à signer la paix (678). C’était le premier arrêt de l’islam. Constantin IV pouvait être fier de son œuvre. Le prestige de l’empire était à ce point restauré, que tous les adversaires de la monarchie s’incli­ naient devant elle : « et une grande tranquillité, dit le chroniqueur Théophane, régnait en Orient et en Occident ». III La politique religieuse et l’Occident. — L’empereur rétablissait en même temps la paix dans l’Eglise. La politique religieuse d’Héraclius avait eu de graves conséquences. Le monothélisme avait, en Afrique et en Italie, causé un vif mécontente­ ment, qui s’était traduit par les soulèvements des exarques de Carthage (646) et de Ravenne (65o) contre l’autorité impériale, par la désaffec­ tion croissante des populations italiennes, par l’opposition ardente des pontifes romains. Vai­ nement, pour pacifier les esprits, Constant II LA POLITIQUE RELIGIEUSE ET L’OCCIDENT 55 avait promulgué l’édit appelé le Type (648); vai­ nement, il avait fait arrêter et condamner le pape Martin Ier (653) ; vainement, il s’était en personne transporté en Occident. Rome avait dû fléchir; mais, à la faveur de ces circonstances, les Lom­ bards avaient fait de nouvelles conquêtes. Cons­ tantin IV comprit qu’une autre politique s’impo­ sait. La perte de l’Egypte et de la Syrie rendait inutile désormais la recherche d’un accord avec les monophysites ; en rétablissant par l’entente avec Rome la tranquillité religieuse, le prince espérait rattacher à la fois plus fortement à l’empire ce qui restait de l’Italie, et trouver le loisir de se consacrer tout entier aux affaires politiques et militaires de la monarchie. Le con­ cile œcuménique de Constantinople (680-681) eut pour tâche, en conséquence, de restaurer l’unité religieuse, et, en plein accord avec la papauté, il condamna l’hérésie monothélite et rétablit l’orthodoxie. C’étaient de grands résultats. Quand, en 685, Constantin IV mourut, l’empire semblait sorti de la crise où il avait failli sombrer. Sans doute, il en sortait terriblement diminué; sans doute, sa prospérité économique était sérieusement at­ teinte par la perte de l’Egypte, dont les blés étaient une des ressources de l’empire, de la .56 LA DYNASTIE d’hÉRACLIUS Syrie, dont les florissantes industries étaient une de ses richesses, et de ces ports, Alexandrie, Gaza, Béryte, Antioche, centres d’une activité commerciale merveilleuse. Sans doute un autre point noir montait à l’horizon : depuis 679, les Bulgares, franchissant le Danube, s’étaient ins­ tallés entre le fleuve et les Balkans. Mais au total, la monarchie avait résisté aux furieux as­ sauts de l’Islam; la défense du territoire avait été assurée par une grande réforme administra­ tive ; et l’empire, plus ramassé, plus homogène, débarrassé du danger des séparatismes orientaux et du poids mort de l’Occident (il allait en 698 perdre l’Afrique, comme il avait perdu l’Espagne et la moitié de l’Italie), semblait un organisme solide et capable de vivre, sous la forme nouvelle et tout orientale qu’il avait revêtue au cours du vne siècle. IV La transformation de l’empire au vu® siècle. — Une transformation profonde s’y était en effet accomplie. Transformation ethnographique tout d’abord. Dans la péninsule balkanique, dévastée et dépeu­ plée, des peuples nouveaux s’étaient peu à peu installés. Dans le nord-ouest, Héraclius avait dû LA TRANSFORMATION DE L’EMPIRE 5j tolérer l’établissement des Croates et des Serbes, sous la condition qu’ils se convertiraient au chris­ tianisme et deviendraient les vassaux de l’empire. Dans d’autres régions encore, les Slaves avaient pénétré. Il y avait des cantonnements slaves, des sclavinies, en Mésie et en Macédoine, et jus­ qu’aux portes de Thessalonique, qu’à plusieurs reprises les barbares avaient attaqué et failli em­ porter. Il y avait des Slaves en Thessalie, dans la Grèce centrale, jusque dans le Péloponèse et dans les îles de l’Archipel ; et s’il est exagéré de croire, comme l’a soutenu Fallmerayer, à une complète slavisation de ces régions, il n’en de­ meure pas moins que des éléments étrangers nombreux étaient venus se mêler aux populations helléniques et que ces envahisseurs donnaient fort à faire aux empereurs du vne siècle, qui ne parvinrent point sans peine à les soumettre et à les assimiler. Dans le nord-est de la péninsule, les Bulgares s’étaient ensuite établis en masse, et, au contact des populations slaves installées dans le pays, progressivement ils s’étaient slavisés et avaient fondé un État solide. De tout cela résultaient assurément pour l’empire de sé­ rieux périls; mais à ce mélange de races, il trou­ vait aussi un avantage; par l’infusion de ce sang nouveau, il se rajeunissait. 58 I.A DYNASTIE d’hÉRACLIUS Une transformation administrative d’impor­ tance capitale s’était vers le même temps ac­ complie. Dès le règne de Justinien, dans certaines pro­ vinces, le système de gouvernement institué par Rome avait été modifié par la réunion entre les mêmes mains des pouvoirs civils et mili­ taires. Après lui, pour mieux assurer la défense des frontières, cette pratique se généralisa. C’est dans ce but qu’à la fin du vie siècle Maurice créa, contre les Berbères l’exarchat d’Afrique, contre les Lombards l’exarchat de Ravenne. Au vne siè­ cle enfin, contre le péril arabe et le péril bul­ gare, de semblables mesures furent prises en Orient. Les successeurs d’Héraclius instituèrent les gouvernements que l’on appela les thèmes, ainsi nommés d’un mot qui primitivement si­ gnifiait le corps d’armée et qui s’appliqua bientôt au territoire occupé par ce corps d’armée ; dans ces circonscriptions, l’autorité fut confiée à un chef militaire, le stratège, sous lequel l’admitration civile subsista, mais à un rang subor­ donné. Ainsi naquirent, en Asie, les thèmes des Arméniaques, des Anatoliques et de l’Opsikion, en Europe celui de Thrace. Les régions maritimes et les îles furent organisées de même; elles formèrent le thème des marins. A la fin LA TRANSFORMATION DE L’EMPIRE einélrlu> et Je» t’oini.ilM<»ii.<|i;e >ie S.ii-it-li-ii¡s ni<|ne. VII !-iecIc. ¡ Pilot. 1.1' I Ol'1-lie.ïil... ' Munn,-I ) CHAPITRE IV Les empereurs ¡sauriens et la querelle des images (717-867) I. La reconstitution de l’empire sous les deux premiers empe­ reurs isauriens (717-775). — II. La querelle des images (726780). — III. Irène et !a restauration des images (780-802). — IV. La deuxième période de la querelle des images (802 842). — V. La politique extérieure de l’empire et la reconstitution de la monarchie. I La reconstitution de l’empire sous les deux (717-776). — Le nouvel empereur, Léon III (717-740)1 était un homme remarquable : excellent général, il avait, non sans succès, tenté de défendre l’Asie contre les musulmans; habile diplomate, bon organi» sateur, il avait toutes les qualités d’un hommi d’État. Son fils Constantin V (740-776), que de bonne heure il associa au pouvoir pour conso­ lider la dynastie, fut de même, en dépit des injures et des calomnies dont ses ennemis l’ont PREMIERS EMPEREURS ISAURIENS 66 LES EMPEREURS ISAURIENS accablé, en dépit des surnoms de Copronyme (au nom de fumier) et de Caballinos (valet d’é­ curie) dont ils se sont plu à le salir, un souverain éminent. Il était intelligent, énergique, grand homme de guerre et grand organisateur; et si, plus encore que son père, il fut autoritaire, vio­ lent, dur et passionné, il n’en demeure pas moins que les deux premiers Isauriens furent de très grands empereurs, dont le souvenir glorieux resta longtemps cher à l’armée et au peuple de By­ zance, et auxquels leurs adversaires même n’ont pu refuser de rendre justice. Lès pères du con­ cile de Nicée, tout en blâmant sévèrement la po­ litique religieuse de Léon III et de Constantin V, ont loué leur vaillance, les victoires qu’ils ont remportées, les sages mesures qu’ils ont prises pour le bien de leurs sujets, les constitutions qu’ils ont promulguées, leurs institutions civiles, tout ce qui leur a mérité la reconnaissance de leur peuple. Et, en effet, les deux premiers Isau­ riens ont été les artisans glorieux de la réorga­ nisation de l’empire. La politique extérieure. — Quelques mois à peine après l’avènement de Léon III, les Arabes paraissaient devant Constantinople et l’atta­ quaient par terre et par mer; l’hiver même, qui LA RECONSTITUTION DE L'EMPIRE Gj fut très rigoureux, n’interrompit pas les opera­ tions. Mais les flottes musulmanes furent défaites en plusieurs rencontres; l’armée de terre, épuisée par la famine, subit une grave défaite. Après un an d’inutiles efforts (août 717-août 718), les Ara­ bes levaient le siège. C’était pour Léon III un glorieux début de règne, pour l’Islam un grand désastre, et un événement d’une bien autre por­ tée que la victoire remportée quinze ans plus tard (782) par Charles Martel dans les plaines de Poitiers. L’élan arabe était définitivement brisé, et les Byzantins pieux pouvaient à juste titre s’enorgueillir de voir Dieu et la Vierge protéger toujours fidèlement la Ville et l’empire chrétien. Pourtant, malgré ce désastre, les Arabes de­ meuraient redoutables. Après quelques années de répit, ils reprenaient l’offensive et de nouveau, presque chaque année, l’Asie Mineure souffrit de leurs invasions. Mais la défaite que les deux empereurs leur infligèrent à Akroïnos (789) leur fut une rude leçon. Constantin V en profita pour prendre l’offensive en Syrie (745), reconquérir Chypre (746), porter ses armes sur l’Euphrate et en Arménie (761). Aussi bien les luttes inté­ rieures qui troublaient l’empire arabe, l’avène­ ment des Abbassides (760), qui transporta la capitale des Khalifes de Damas proche à Bagdad 68 LES EMPEREURS ISAURIENS lointaine, aidèrent singulièrement au succès des Byzantins. Pendant tout le règne de Constan­ tin V, la guerre fut heureuse pour les Grecs; et, après lui, son fils Léon IV put, en 778, avec une armée de 100,000 hommes, envahir la Syrie,, et, en 77g, repousser glorieusement les musul­ mans en Asie Mineure. Le péril arabe, si terrible au vu’ siècle, avait cessé d’être menaçant pour l’empire. Constantin V s’efforça de même de conjurer le danger bulgare. En 703, il prenait l’offensive et, pendant neuf campagnes successives, il infligeait aux barbares, à Marcella! 1769), à Anchialos (762), de si sanglantes défaites, qu’en 764, épouvantés, ils n’essayaient même plus de résister et accep­ taient la paix. La guerre reprise en 772, et pour­ suivie jusqu’à la fin du règne, ne fut pas moins triomphante; et si Constantin V ne réussit pas à anéantir l’Etat bulgare, du moins rétablit-il dans la péninsule balkanique le prestige des armes byzantines. Par ailleurs, il réprimait les soulè­ vements des Slaves de Thrace et de Macédoin® (758), et, à l’exemple de Justinien II, il établis­ sait en Asie Mineure, dans le thème d’Opsikion, une partie de leurs tribus (762). La réforme intérieure.—En même temps qu’ils LA RECONSTITUTION DE L’EMPIRE 6p imposaient ainsi aux ennemis de la monarchie le respect de l’empire, les deux premiers empe­ reurs isauriens s’appliquèrent au dedans à le re­ constituer. Ce fut une très grande œuvre de réorga­ nisation administrative, économique et sociale. Pour assurer la défense des frontières, Léon III et son fils commencèrent par généraliser le régime des thèmes, divisant les grands gouvernements du vne siècle en circonscriptions plus nombreuses, moins étendues et plus faciles à défendre; ils y trouvaient en outre l’avantage politique d’amoin­ drir la puissance que donnait aux stratèges la possession de trop vastes territoires et de diminuer le danger de révoltes qui en résultait. En même temps que le Code militaire restaurait la disci­ pline dans l’armée, une administration financière attentive, souvent dure, rendait des ressources au trésor. Le Code rural s’efforçait de restrein­ dre le développement inquiétant des grands do­ maines,. d’arrêter la disparition de la petite pro­ priété libre, d’assurer aux paysans une condition meilleure. Le Code nautique encourageait le développement de la marine marchande. Mais surtout la grande réforme législative, que mar­ qua la publication du code civil qu’on appelle T Ecloga (789), améliorait l’administration de la justice et introduisait dans la loi, avec plus de 70 LES EMPEREURS ISAURIENS clarté, un esprit tout nouveau et plus chrétien d’humanité et d’égalité. Après un demi-siècle de gouvernement, les deux premiers Isauriens avaient fait l’empire riche et prospère, malgré la peste qui le ravagea en 747, malgré l’agitation que provoqua la querelle des Images. II La querelle des Images (726-780). — Pour compléter leur œuvre réparatrice, Léon III et Constantin V tentèrent, en effet, une grande ré­ forme religieuse. Ils proscrivirent les images saintes, persécutèrent les moines qui s’en firent les défenseurs, et du grave conflit qu’ils déchaî­ nèrent, et qu’on appelle la querelle des Images, ils ont gardé, dans l’histoire, le nom ¿.’icono­ clastes. On s’est mépris souvent sur le caractère de la politique religieuse des empereurs isauriens et on en a assez imparfaitement compris l’inten­ tion et la portée. Les raisons qui l’inspirèrent étaient à la fois religieuses et politiques. Beau­ coup d’âmes pieuses, au début du vnie siècle, étaient choquées des excès de la superstition, en particulier de la place faite au culte des images, des miracles qu’on attendait d’elles, de la façon LA QUERELLE DES IMAGES JI dont on les mêlait à tous les actes, à tous les intérêts humains, et beaucoup de bons esprits se préoccupaient justement du tort que ces prati­ ques faisaient à la religion. En Asie surtout, les tendances hostiles aux images étaient puis­ santes : Léon III, asiatique d’origine, les parta­ geait. Ni lui, ni son fils n’ont été, comme on le croit parfois, des libres penseurs, des rationa­ listes, des précurseurs de la Réforme ou de la Révolution ; c’étaient des hommes de leur temps, pieux, croyants, théologiens même, soucieux sincèrement de réformer la religion en la puri­ fiant de ce qui leur semblait une idolâtrie. Mais c’étaient des hommes d’Etat aussi, préoccupés de la grandeur et de la tranquillité de l’empire. Or le grand nombre des monastères, l’accrois­ sement incessant de la richesse monastique créaient, pour l’Etat, de sérieux dangers. L’im­ munité dont jouissaient les biens d’Eglise di­ minuait les ressources du trésor; la multitude des hommes qui entraient au cloître enlevait des travailleurs à l’agriculture, des soldats à l’ar­ mée, des fonctionnaires aux services publics. Mais surtout l’influence que les moines exer­ çaient sur les âmes et la puissance qui en résul­ tait faisaient d’eux un élément d’agitation re­ doutable. C’est contre cet état de choses que les J2 LES EMPEREURS ISAURIENS Isauriens tentèrent de réagir : en proscrivant les images, ils visaient les moines, qui trou­ vaient en elles et dans leur culte un de leurs plus puissants moyens d’action. Assurément, par la lutte qu’ainsi ils engagèrent, les empereurs isauriens ouvrirent une longue ère de troubles; assurément, de ce conflit des conséquences poli­ tiques très graves sortirent. Il ne faut pas ou­ blier cependant, si l’on veut juger équitable­ ment les souverains iconoclastes, que, dans leur entreprise, ils trouvèrent des appuis nombreux dans le baut clergé, jaloux de l'influence des moines, dans l’armée, composée en majorité d’asiatiques, et non seulement dans le monde officiel, mais dans une partie du peuple même, et que l’œuvre qu’ils tentèrent n’était ni sans raison ni sans grandeur. En 726, Léon III promulgua le premier édit contre les images, par lequel, semble-t-il, il or­ donnait moins de les détruire que de les suspen­ dre plus haut, pour les soustraire à l’adoration de la foule. La mesure provoqua une agitation ex­ trême : il y eut des incidents violents à Constanti­ nople, une révolte, d’ailleurs vite réprimée, en Grèce (727), un soulèvement général en Italie (727); et si le pape Grégoire II se borna à pro­ tester vigoureusement contre l’hérésie icono- LA QUERELLE DES IMAGES ciaste, son successeur Grégoire III inaugura bientôt une politique plus hardie et, non content d’anathématiser les adversaires des images (781), il rechercha un moment le concours des Lom­ bards contre l’empereur. En Syrie, Jean Damas­ cène fulminait pareillement contre Léon III. Pourtant, l’édit semble avoir été appliqué avec une grande modération ; il n’y eut, contre les dé­ fenseurs des images, aucune persécution systé­ matique; et si le patriarche Germanos fut déposé et remplacé par un partisan de la réforme (729), si des mesures furent prises contre les écoles ecclésiastiques, l’insurrection de Grèce, par ailleurs, fut réprimée avec douceur. Mais la lutte devait fatalement s’aigrir. Des questions de principe se posaient vite dans un conflit où se heurtaient, en réalité, l’autorité de l’empereur en matière de religion et le désir de l’Église de s’affranchir de la tutelle de l’Etat. Par ailleurs, Constantin V, plus théologien que son père, apporta dans la bataille des opinions personnelles, hostiles non plus seulement aux images, mais au culte de la Vierge et à l’inter­ cession des saints ; et comme il élait plus pas­ sionné aussi, il conduisit la lutte avec une ar­ deur plus fanatique, avec une âpreté plus systé­ matique et plus rigoureuse. LES EMPEREURS ISAURIENS Dès que, par dix années de gloire et de pros­ périté, il eût consolidé son trône, un moment ébranlé par le soulèvement d’Artavasde (740742), il réunit, à Hiéria, un concile (753) qui con­ damna solennellement les images. Désormais, le prince put frapper les opposants, non plus seulement comme rebelles à l’empereur, mais comme révoltés contre Dieu lui-même. Pour­ tant il se flatta d’abord de persuader ses adver­ saires. Ce n’est qu’en 765 que commença vrai­ ment la persécution. Les images furent détrui­ tes, les couvents fermés ou sécularisés, trans­ formés en casernes et en auberges ; les biens des monastères furent confisqués, les moines arrê­ tés, emprisonnés, maltraités, exilés; certains, comme saint Etienne le jeune, furent condamnés à mort; d’autres furent offerts en dérision, en des cortèges grotesques, au peuple rassemblé dans l’Hippodrome. Plusieurs hauts dignitaires de l’empire furent exécutés ou exilés. Le pa­ triarche Constantin, exilé d’abord, subit la peine capitale (767). Pendant cinq ans, la persécution sévit dans tout l’empire, moins terrible peutêtre que ne l’ont représentée les adversaires de l’empereur, — les condamnations à mort parais­ sent, au total, avoir été rares, —mais violente cependant extrêmement. Il semblait, dit un con- LA QUERELLE DES IMAGES temporain, « que l’intention du gouvernement fût d’extirper complètement l’ordre monastique. » Les moines résistèrent âprement; ils souffri­ rent avec courage « pour la justice et pour la vérité. » Pourtant beaucoup cédèrent, beaucoup s’enfuirent, surtout en Italie : si bien que, comme le dit, avec quelque exagération du reste, un contemporain, « Byzance paraissait vide de l’ordre monastique. » Il est certain que la lutte fut l’occasion d’in­ qualifiables violences, de duretés et de cruautés sans nom et qu’elle provoqua, dans la monarchie, une agitation profonde. Elle eut, par ailleurs, de très graves conséquences. Léon III déjà, en tâ­ chant de réduire par la force l’opposition de la pa­ pauté, en détachant de l’obédience romaine, pour les soumettre au patriarche de Constantino­ ple, la Calabre, la Sicile, la Crète et l’Illyricum occidental (782), avait aggravé le mécontente­ ment des pontifes et la désaffection de l’Italie. Lorsqu’en 761 l’exarchat de Ravenne succomba sous les coups des Lombards, Etienne II n’hésita guère à se détacher de l’empire hérétique et im­ puissant à défendre la péninsule, pour chercher chez les Francs une protection moins onéreuse et plus efficace, et il accepta de Pépin vainqueur les territoires jadis byzantins, qui formèrent ■j6 LES EMPEREUSR ISAURIENS désormais le domaine temporel de la papauté (754). C’était la rupture entre l’empire et Rome, Constantin V n’épargna rien pour châtier celui en qui il ne pouvait voir qu’un sujet traître et déloyal, usurpant illégitimement ce qui ap­ partenait à ses maîtres. Ses efforts furent inutiles. En 774, Charlemagne, intervenant à nouveau dans la péninsule, confirmait solen­ nellement la donation de Pépin. Byzance ne conservait plus, en Italie, que Venise et quel­ ques villes dans le sud de la péninsule. Et si, par là, l’empire diminué se trouvait un peu plus encore rejeté vers l’Orient, par cette rupture aussi se préparait le germe de complications redoutables et de graves périls pour l’avenir. III Irène et la restauration des images (780802). — La politique religieuse des premiers Isauriens avait semé bien des ferments dedivi-j sion, de mécontentement, de trouble. Dès la mort de Constantin V, on s’en aperçut. Durant son court règne, Léon IV (775-780) continua la tradition des gouvernements pré­ cédents ; mais aussitôt après, sa veuve Irène, régente pour le jeune Constantin VI, jugea IRÈNE ET LA RESTAURATION DES IMAGES 77 plus avantageux pour ses ambitions de s’appuyer sur les orthodoxes et de rétablir le culte des images. Pour se consacrer toute à son grand dessein, elle négligea la lutte contre les musul­ mans qui revinrent en 782 jusqu’à Chrysopolis, en face de Constantinople, et elle conclut avec le Khalife une paix assez humiliante (788) ; elle se rapprocha, d’autre part, de la papauté, noua avec le royaume franc des relations cordiales; surtout, à l’intérieur, elle s’appliqua à écarter du gouver­ nement les adversaires des images, éloigna ses beaux-frères, les fils de Constantin V ; et ayant ainsi préparé sa voie, elle fit, avec le concours du patriarche Tarasios, condamner solennelle­ ment, au concile œcuménique de Nicée (787), l’hérésie iconoclaste et elle restaura le culte des images, aux applaudissements du parti des dévots qui, dans ce triomphe, trouvaient l’as­ surance de l’indépendance prochaine et com­ plète de l’Église à l’égard de l’État. Grisée par sa victoire, encouragée par la po­ pularité que lui valait son zèle pieux, Irène n’hé­ sita pas à entrer en lutte avec son fils, devenu majeur, et à lui disputer le trône. Une première fois, devant le mécontentement de l’armée, res­ tée fidèle au souvenir de Constantin V, et exas­ pérée d’ ailleurs par les échecs qu’infligeaient aux. ?8 LES EMPEREURS ISAURIENS troupes impériales les Arabes, les Bulgares, les Lombards, elle dut se résoudre à la retraite (790). Mais, avec une tenace habileté, elle pré­ para son retour au pouvoir : en 797, elle ren­ versait son fils et n’hésitait pas à lui faire cre­ ver les yeux. Elle régna alors (797-802) en vé­ ritable empereur, la première femme qui eût encore gouverné en son propre nom la monar­ chie. Mais si, grâce à elle, l’Église, fortifiée, re­ nouvelée par la lutte, reprit, dans la société by­ zantine, toute sa place, si le parti monastique et dévot, conduit par des hommes tels que Théo­ dore de Stoudion, redevint plus puissant et plus entreprenant que jamais, le souci trop exclu­ sif qu’avait eu Irène de la politique religieuse entraîna pour l’empire de fâcheuses consé­ quences. Malgré les succès passagers remportés par Constantin VI sur les Arabes et sur les Bul­ gares (791-795), le khalifat de Bagdad, sous le gouvernement d’Haroun-al-Raschid, reprenait glorieusement l’offensive en Orient et obligeait les Byzantins à lui payer tribut (798). En Occi­ dent, en face de Charlemagne, le gouvernement grec montrait la même faiblesse, et l’événe­ ment de l’an 800, qui restaurait au bénéfice du roi franc l’empire romain d’Occident, fut, pour 3a cour byzantine, une humiliation sensible. IRÈNE ET LA RESTAURATION DES IMAGÉS 79 Diminuée au dehors, la monarchie était affai­ blie au dedans par la complaisance excessive que le gouvernement montrait à l’Église, par les divi­ sions profondes qu’avait laissées la querelle des images, par le fâcheux exemple enfin qu’avait donné Irène en rouvrant l’ère des révolutions dynastiques. Sans doute l’époque iconoclaste avait été marquée par un grand élan intellectuel et artistique ; les empereurs isauriens n’étaient point des puritains ; tout en proscrivant les ima­ ges, ils avaient aimé le faste, l’éclat mondain de la vie de cour, et pour parer leurs construc­ tions, ils avaient encouragé un art profane, ins­ piré de la tradition antique aussi bien que des modèles arabes; et par là encore, aussi bien que par la place que tiennent, au vin® siècle, les Asiatiques, l’empire avait achevé de s’orientaliser. Mais quelque grand rôle que conservât la monarchie, comme champion de la chrétienté contre l’Islam, comme gardienne de la civilisa­ tion contre la barbarie, elle était, à la fin du vin® siècle, partout menacée de périls redouta­ bles, et elle était très faible. La chute d’Irène, renversée par le coup d’État de Nicéphore (802) allait ouvrir la porte aux désastres et à l’anarchie. 8o LES EMPEREURS ISAURIENS IV La deuxième période de la querelle des Ima­ (802-842). — Nicéphore (802-811) était un prince intelligent, un financier habile, soucieux de réparer la détresse du trésor, dût-il mêine, pour celà, frapper les biens d’Église. C’était un esprit modéré, qui répudiait les violences des iconoclastes ; mais il entendait, par ailleurs, maintenir leurs réformes, et surtout il jugeait inadmissibles les aspirations de l’Église byzan­ tine qui, grisée par sa victoire, visait ouverte­ ment à secouer l’autorité de l’État et à con­ quérir sa liberté. C'est le trait caractéristique . que présente la seconde phase de la querelle des images ; il y eut alors, à Byzance, quelque chose d’assez semblable à ce que fut, en Occi­ dent, la querelle des Investitures. Les moines du monastère de Saint-Jean de Stoudion, sous la conduite de leur abbé Théo­ dore, étaient les plus ardents, les plus intransi­ geants à soutenir les revendications de l’Église. Avec une égale âpreté, ils combattaient le sage opportunisme du patriarche Nicéphore (8o6-8i5), qui s’efforçait d’effacer les souvenirs de la lutte iconoclaste, la politique financière de l’empeges Pi. VI. LA DEUXIÈME QUERELLE DES IMAGES 8l reur et son autorité en matière de religion. Le gouvernement dut sévir contre eux (809), les disperser, les exiler, contre l’autorité impériale, les moines n’hésitèrent pas à faire appel au pape, prêts à reconnaître la primauté de l’Eglise ro­ maine, pourvu qu’ils pussent, à ce prix, assurer l’indépendance de l’Eglise orientale à l’égard de l’Etat. Une telle attitude devait provoquer une réaction iconoclaste. Elle fut l’œuvre de Léon V l’Arménien (818-820) et des deux em­ pereurs de la dynastie phrygienne, Michel II (820-829) et Théophile (829-842). De nouveau, durant trente ans, l’empire fut terriblement trou­ blé. En 815, un concile, réuni à Sainte-Sophie, proscrivit à nouveau les images et remit en vi­ gueur les décrets iconoclastes de y53. On re­ commença, en conséquence, à détruire les icô­ nes ; surtout on réprima impitoyablement, jiar les condamnations, les mauvais traitements, l’exil, les manifestations et l’opposition des moines. Théodore de Stoudion mourut exilé (826), et la persécution se fit plus dure encore sous le gouvernement de l’empereur Théophile, iconoclaste ardent et théologien obstiné. Un édit rigoureux fut promulgué contre les parti­ sans des images (832) et le patriarche Jean, sur- 82 LES EMPEREURS ISAURIENS nommé Lécanomante (le magicien), sechargea de l’exécuter. Les couvents furent fermés, les moines persécutés, emprisonnés ; de nouveau la terreur régna. Mais, après cent vingt ans de bataille, la lassitude venait de cette lutte épuisante et vaine Dès le lendemain de la mort de Théophile, la régente Théodora sa veuve, sur les conseils de son frère Bardas, se décidait à rétablir la paix en restaurant le culte des images. Ce fut l’œu­ vre du concile de 843, que dirigea le nouveau patriarche Méthode et dont les décisions furent proclamées dans une cérémonie solennelle, dont l’Église grecque, aujourd’hui encore, célè­ bre, le 19 février, le souvenir dans la fête an­ nuelle de l’orthodoxie (Kuptaxij fije ipOoSoÇiaç). Mais si les images étaient restaurées, si, par là, l’Église était victorieuse, par ailleurs l’œuvre des empereurs iconoclastes demeurait intacte sur le point essentiel. Ils avaient voulu mainte­ nir l’Église dans la dépendance de l’État, ac­ croître sur elle l’autorité impériale ; contre cette ' prétention, les Stoudites avaient lutté âprement, ils avaient obstinément refusé à l’empereur le droit de décider des dogmes et de la foi et, sans fléchir, ils avaient revendiqué l’indépendance de l’Église à l’égard du pouvoir laïque. Sur ce point, les Stoudites étaient vaincus. La querelle LA POLITIQUE EXTÉRIEURE DE L’EMPIRE 83 des images a eu pour résultat incontestable de faire l’Église plus soumise que jamais à l’auto­ rité de l’empereur. V La POLITIQUE EXTÉRIEURE DE L’EMPIRE ET LA (802-867). -Pendant qu’ainsi la monarchie s’absorbait dans la lutte religieuse, de graves événements trou­ blaient sa tranquillité à l’intérieur et ébranlaient au dehors sa sécurité. Le crime d’Irène contre son fils, en écartant du trône la dynastie isaurienne, avait rouvert l’ère des révolutions. Au coup d’État qui plaça Nicéphore sur le trône (802), succédèrent le pro­ nunciamiento qui éleva Léon V (813), et la conspiration qui, en assassinant Léon V, mit à sa place Michel II (820) ; et, à côté des complots qui réussirent, la liste est longue des tentatives qui échouèrent, et dont la plus redoutable fut le soulèvement de Thomas (822-824), qui, s’ap­ puyant sur les classes inférieures, donna à sa révolte un caractère presque socialiste. Pendant vingt ans, l’empire fut en proie à l’anarchie. Ses affaires n’allaient guère mieux à l’exté­ rieur. Le traité de 812, qui resonnaissait à CharRECONSTITUTION DE LA MONARCHIE 84 LES EMPEREURS ISAURIENS lemagne le titre d’empereur, consacra la perte de l’Italie, où Byzance ne garda que Venise et quelques territoires dans le sud de la péninsule. La guerre, reprise avec les Arabes (8o4), aboutit à deux graves désastres, l’occupation de la Crète par des corsaires musulmans d’Espagne (826) qui, de là, ravagèrent désormais presque impunément la Méditerranée orientale, la conquête de la Sicile (827) par les Arabes d’Afrique, qui, en 831, s’emparèrent de Paierme. Mais surtout le péril bulgare était redoutable, depuis que le terrible Khan Kroum avait étendu son empire de l’Hémus aux Carpathes. Nicéphore essaya de le combattre en envahissant la Bulgarie : il périt au retour dans un sanglant désastre (811), et les Bulgares, vainqueurs de nouveau à Andrinople, parvinrent jusque sous les murs de Constanti­ nople (813). La victoire de Léon V à Mesembria (813) sauva l’empire. Mais, si l’on songe qu’à tous ces périls divers s’ajoutaient encore les insurrections des peuples mal soumis, tels que les Slaves du Péloponèse (807), on conçoit qu’après ces vingt ans d’anarchie l’œuvre des grands empereurs isauriens semblât complète­ ment ruinée. L’empire, pourtant, se releva de cette crise. Le règne de Théophile (829-842) répara en par- LA POLITIQUE EXTÉRIEURE DE L’EMPIRE 85 tie, grâce à l’affaiblissement progressif du kha­ lifat de Bagdad, les désastres subis en Orient, et si, à la vérité, après la défaite de Dasimon (l’actuel Tokat) et la prise d’Amorion (838), il fallut demander la paix aux Arabes, par ail­ leurs, par l’énergie du gouvernement intérieur, par la bonne administration des finances, par l’habileté de la diplomatie, Byzance retrouva son prestige et sa prospérité. Par la splendeur des constructions, par le luxe du Palais-Sacré, par l’éclat de la civilisation, Constantinople, vers le milieu du ixe siècle, rivalisait avec la capitale des khalifes. Et quand se fut apaisée enfin l’in­ terminable querelle des images, elle apparut plus brillante encore et plus forte. Au sortir de cette longue période de troubles, la littérature et l’art, en effet, semblaient retrouver une vigueur nou­ velle, et l’Université de Constantinople, recons­ tituée au palais de la Magnaure par le César Bar­ das (vers 85o), redevenait, sous la direction de Léon de Thessalonique, le centre d’une culture intellectuelle admirable. L’Église, en même temps, sortie rajeunie de la lutte, mettait au service de l’Etat son activité renouvelée. Elle restaurait l’unité religieuse, en combattant l’hérésie, celle surtout des Pauliciens que le gouvernement de Théodora persé- 86 LES EMPEREURS ISAÜRIENS cuta durement en Asie Mineure, et en achevant la conversion des Slaves du Péloponèse (849) ; surtout, par l’œuvre des missions, elle étendait magnifiquement dans tout l’Orient l’influence de Byzance. A l’appel du prince de la Grande Moravie, Cyrille et Méthode, « les apôtres des Slaves, » allaient porter le christianisme aux tribus barbares qui peuplaient la Hongrie et la Bohême (863). Ils faisaient davantage. A l’inten­ tion des nouveaux convertis, ils traduisaient en slave les Livres Saints; ils inventaient, pour transcrire leur œuvre, l’écriture glagolitique, donnant ainsi tout ensemble aux Slaves leur alphabet et leur langue littéraire ; ils prêchaient en slave, ils célébraient les offices dans la langue et avec une liturgie slaves, ils s’efforçaient de former un clergé slave; et, par cette intelligence avisée et souple, ils ont conquis le monde slave à l’orthodoxie. Pendant vingt ans (863-885), les deux frères de Thessalonique poursuivi­ rent en Moravie leur œuvre d’évangélisation. Et si, finalement, elle succomba devant l’hosti­ lité allemande et l’invasion magyare, ailleurs les mêmes méthodes valaient à Byzance de plus durables succès. Aux rivages du Don, le chris­ tianisme pénétrait dans l’État juif des Khazars. Surtout, en 864, Boris, tsar de Bulgarie, se con- LA POLITIQUE EXTÉRIEURE DE L’EMPIRE 8j vertissait à la foi orthodoxe, et quoique, dans les années suivantes, le néophyte ait un instant hésité entre Byzance et Rome, quoiqu’il soit entré en relations avec le pape Nicolas Ier pour lui demander d’établir le rite latin dans son royaume (866), l’influence grecque n’en a pas moins désormais profondément pénétré en Bulgarie. C’étaient là de grands succès. Sans doute, les folies de Michel III (842-867), lorsque surtout le jeune prince échappa à la tutelle de sa mère Théodora (856) et de son oncle Bardas, compro­ mirent passagèrement les résultats acquis. Les pirateries des Arabes de Crète désolèrent les mers orientales; en Asie Mineure, pendant vingt ans (844-863), les succès alternèrent avec les revers ; en Occident, les musulmans achevaient, de 843 à 859, la conquête de la Sicile. Enfin les Rus­ ses, pour la première fois, paraissaient devant Constantinople (860) et il ne fallut pas moins, dans la croyance populaire, qu’un miracle de la Vierge pour sauver la capitale. Un autre événement plus grave, plus signifi­ catif aussi, marquait le règne de Michel III. A la place d’Ignace, destitué par le César Bardas, Photius était monté sur le siège patriarcal de Constantinople ¿858}. Le pape Nicolas Ier, sur 88 LES EMPEREURS 1SAURIENS l’appel du prélat déposé, évoqua l'affaire et chargea ses légats d’ouvrir une enquête. L’am­ bition de Photius sut merveilleusement exploi­ ter le mécontentement que, depuis des siècles,, l’Orient ressentait des prétentions du pape, et l’hostilité qu’il éprouvait contre l’Occident; habi­ lement, en face des revendications de la pri­ mauté romaine, il sut faire de sa cause person­ nelle une véritable cause nationale. A l’excom­ munication que lança contre lui Nicolas Ier (863), il répondit en rompant avec Rome. Le concile de Constantinople (867) anathématisa le pape, dénonça son ingérence illégale dans les affaires de l’Église orientale et consomma le schisme. C’était une preuve éclatante de l’existence d’un sentiment national byzantin, qui se manifestait vers le même temps, de façon non moins claire, par l’émotion que causait la politique envahis­ sante de Rome en Bulgarie (866). Ainsi, vers le milieu du ixe siècle, il existait vraiment une nationalité byzantine, lentement formée à travers les événements : l’empire, au sortir de la querelle des Images, avait retrouvé l’unité religieuse, la puissance politique, la gran­ deur intellectuelle ; surtout il était devenu un empire nettement oriental. Le moment était pro­ che où cet empire allait atteindre l’apogée de sa LA POLITIQUE EXTÉRIEURE DE L’EMPIRE Sÿ’ grandeur. Quand Basile le Macédonien (i), favori de Michel III et associé par lui au trône, après s’être débarrassé de son rival Bardas (866), as­ sassina ensuite son bienfaiteur (867) et fit mon­ ter sur le trône une dynastie nouvelle, il donna, par son coup d’Etat, à l’empire byzantin, cent cinquante ans de splendeur, de prospérité et de gloire. (1) Cette désignation est usuelle : il faut observer pourtant que la famille de Basile était d’origine arménienne et avait été transplantée assez récemment en Macédoine. CHAPITRE V L’apogée de l’empire sous la dynastie de Macédoine (867-1081) I. Les souverains de la maison de Macédoine et la consolidation de la dynastie (867-1025). — II. La politique extérieure des empereurs macédoniens (867-1025). — III. Le gouvernement intérieur de l'empire et la civilisation byzantine au x* siècle. — IV. Les causes de faiblesse de l'empire. — V. La décadence de l’empire au xi« siècle (1025-1081). I Les souverains Macédoine — De 867 à 1025, l’empire byzantin a connu cent cinquante ans d’une incomparable splendeur. Pendant un siècle et demi il a eu cette fortune d’avoir à sa tête une succession de souverains qui, presque tous, furent des hommes remarquables. Basile Ier, le fondateur de la dynastie (867-886), Romain Lécapène (919-944)» Nicéphore Phocas (968-969), Jean Tzimiscès (969-976), usurpateurs glorieux qui gouvernèrent sous le nom des princes legide la maison de ET LA CONSOLIDATION DE LA DYNASTIE. LES EMPEREURS DE LA MAISON DE MACÉDOINE QI limes, Basile II enfin, qui régna tout un demisiècle (976-1025), n’ont point été des empereurs de Byzance tels qu’on se plaît trop volontiers à les représenter. Ce sont des âmes énergiques et dures, sans scrupules souvent et sans pitié, des volontés autoritaires et fortes, plus soucieuses de se faire craindre que de se faire aimer; mais ce sont des hommes d’Etat, passionnés pour la grandeur de l’empire, des chefs de guerre illustres dont la vie se passe dans les camps, parmi les soldats, en* qui ils voient et aiment la source de la puissance de la monarchie; ce sont des admi­ nistrateurs habiles, d’une énergie tenace et in­ flexible, et que rien ne fait hésiter quand il s’agit d’assurer le bien public. Ils n’ont point le goût des dépenses inutiles, ils sont uniquement préoc­ cupés d’accroître la richesse nationale; le faste éclatant du palais, la pompe vaine des cortèges et des cérémonies ne les intéressent qu’autant qu’ils servent leur politique et entretiennent le prestige de l’empereur et de l’empire. Jaloux de leur au­ torité, ils n’ont point, en général, eu des favoris; si l’on met à part telle personnalité puissante, comme le parakimomène (grand chambe!lan)Basile, fils bâtard de Romain Lécapène, qui fut pen­ dant cinq règnes et durant plus de quarante ans (944-988) l’âme du gouvernement, leurs conseil- 92 l’apogée de l’empire lers ont été le plus souvent des hommes obscurs, qu’ils employaient et dont ils demeuraient les maîtres. Épris de gdoire, le cœur plein des ambi­ tions les plus hautes, ils ont voulu faire de l’em­ pire byzantin la grande puissance du monde oriental, champion tout ensemble de l'hellénisme et de l’orthodoxie; et par l’effort magnifique de leurs armes, par la souple habileté de leur diplo­ matie, par la vigueur de leur gouvernement, ils ont réalisé leur rêve et fait de cette période une époque de véritable renaissance, un des mo­ ments les plus glorieux de la longue histoire de Byzance. Au moment où Basile Ier montait sur le trône, la situation de la monarchie était encore singu­ lièrement difficile : tout l’État semblait’ à re­ constituer. Le rude paysan, que son crime haus­ sait au pouvoir suprême, avait toutes les qualités nécessaires pour suffire à cette lourde tâche : il était intelligent, également désireux de rétablir l’ordre à l’intérieur de la monarchie et de res­ taurer son prestige au dehors, bon administra­ teur, excellent soldat, désireux par dessus tout d’asseoir solidement l’autorité impériale. Pen­ dant ses vingt ans de règne, il sut tout à la fois remettre sur un bon pied les affaires de l’empire et, par le prestige des services rendus, assurer LES EMPEREURS DE LA MAISON DE MACÉDOINE la fortune de sa maison. Son fils Léon VI (886912), dont le gouvernement a pour l’histoire administrative de l’empire une importance essen­ tielle, poursuivit — si différent qu’il fût de son père par son humeur casanière, ses manies de pédant et sa faiblesse en face de ses favoris — la consolidation de la dynastie avec- une sem­ blable ténacité : pour assurer un héritier au trône, il n’hésita pas à scandaliser ses contem­ porains par ses quatre mariages et à entrer en conflit avec l’Église et son chef, le patriarche Nicolas. Mais, à ce prix, on vit pour la première fois à Byzance, naître, au bénéfice d’une famille princière, l’idée de la légitimité. Ce fut l’œuvre éminente des deux premiers empereurs macé­ doniens « de donner, comme l’écrit un con­ temporain, à l’autorité impériale des racines puissantes, pour en faire sortir les magnifiques rameaux de la dynastie ». Désormais il fut plus difficile de renverser l’arbre aussi fortement en­ raciné ; désormais il y eut une famille impériale, dont les membres reçurent le nom de « porphyrogénètes » (nés dans la pourpre), et un attache­ ment populaire, un dévouement loyaliste à cette famille. C’était, dans cette monarchie troublée jusqu’alors par tant de révolutions, une nou­ veauté heureuse et grosse de conséquences. SÍ l’apogée de l’empire Sans doute, même pendant cette période, les révolutions ne manquèrent point. Les troubles qui marquèrent la minorité agitée de Constan­ tin VII, le fils de Léon VI (912-959), permirent à Romain Lécapène de s’emparer du pouvoir pour un quart de siècle (919-944)- Un peu plus tard, quand Romain II, le fils de Constantin VII, mourut après quatre ans de règne (959-968), la faiblesse du gouvernement, pendant la minorité de ses fils Basile II et Constantin VIII, amena le soulèvement qui porta au pouvoir Nicéphore Phocas (968-969) et le coup d’État tragique qui, par l’assassinat de Nicéphore, fit Jean Tzimiscès empereur (969-976). Mais aucun de ces usur­ pateurs n’osa écarter du trône la descendance légitime de Basile Ier. Romain Lécapène, offi­ ciellement, partagea le pouvoir avec Constan­ tin VII, encore qu’il le reléguât dans les loisirs obscurs de sa studieuse activité d’érudit. Nicé­ phore Phocas et Jean Tzimiscès laissèrent régner nominalement les enfants de Romain II et s’ef­ forcèrent, en épousant des princesses de la fa­ mille impériale, de donner à leur usurpation un air de légitimité. Et après eux, tout naturelle­ ment, le pouvoir revint au représentant devenu majeur de la famille de Macédoine, au grand empereur Basile II. La dynastie était si bien LES EMPEREURS DE LA MAISON DE MACÉDOINE <)5 affermie que, dans cette monarchie orientale, des femmes mêmes purent régner, les nièces de Basile II, Zoé (io28-io5o), qui partagea le trône avec ses trois époux successifs, et Théo­ dore (io54-io56) ; et ces princesses furent popu­ laires, comme l’attestent la révolution de 1042, où Michel V fut renversé pour avoir voulu détrôner Zoé, et le mécontentement que rencontra Cons­ tantin Monomaque, quand on le soupçonna de vouloir écarter les deux impératrices. Jamais en­ core on n’avait vu rien de semblable à Byzance, et l’opinion publique professait ouvertement que « celui qui règne à Constantinople finalement est toujours victorieux » ; ce qui faisait de l’u­ surpation non pas seulement un crime, mais, chose pire, Une sottise. Comme il se trouva, par ailleurs, que les usur­ pateurs aussi furent des hommes éminents et des généraux remarquables, l'empire put sup­ porter sans accident l’incapacité politique d’un Constantin VII, les amusements de viveur d’un Romain II, et la longue minorité de ses fils, et trouver pendant un siècle et demi, pour con­ duire ses affaires, une unité de vues, une fer­ meté de direction que Byzance, depuis long­ temps, ne connaissait plus. Grâce au concours, enfin, de collaborateurs de haute valeur, géné- mjô jl’apogée de l’empire raux comme les Courcouas, les Phocas, les Skléros, ministres comme le parakimomène Ba­ sile, les empereurs de la dynastie de Macédoine ont pu donner à la monarchie une prodigieuse expansion et une splendeur incomparable. L’of­ fensive reprise sur toutes les frontières et cou­ ronnée de succès éclatants: l’œuvre diplomati­ que complétant l’œuvre militaire et groupant autour de la monarchie un cortège de vassaux ; l’influence byzantine se répandant à travers tout le monde oriental et jusqu’en Occident; un gou­ vernement fort, qui s’illustra pas de grandes œuvres législatives ; une administration centra­ lisée, habile et savante qui sut assurer à l’em­ pire, par l’empreinte commune de l’hellénisme, par la profession commune de l’orthodoxie, l'unité que semblait lui refuser la diversité des races : voilà ce que valurent à Byzance les cent cinquante ans durant lesquels les empereurs macédoniens la gouvernèrent. Et s’ils n’ont point réussi à conjurer, malgré leurs efforts, les périls redoutables qui menaçaient celte prospérité, à résoudre la question agraire et so­ ciale qui se posait avec une acuité inquiétante, à mater l’aristocratie féodale toujours prompte A se soulever, à empêcher les chefs ambitieux •■de l’Église orientale de déchaîner le schisme et, I'l VÌI.. 4 LA POLITIQUE EXTÉRIEURE 97 en séparant à jamais Byzance de Rome, d’ébran­ ler la solidité de la monarchie ; si la maison de Macédoine finissante a laissé l’empire faible en face des Normands et des Turcs et ouvert la porte à une longue anarchie (1057-1081), il n’en demeure pas moins que, pendant un siècle et demi, la dynastie que fonda Basile Ier a donné à Byzance un éclat merveilleux. Au x®, au xi® siè­ cle, Constantinople a été le centre le plus bril­ lant de la civilisation européenne et, comme on l’a dit, « le Paris du moyen âge ». II La politique EXTÉRIEURE des empereurs ma­ (867-1025). — La lutte contre les Arabes. — Depuis qu’en 826 les Arabes avaient conquis la Crète, ils étaient devenus le fléau des mers byzantines. Chandax, la capitale de l’île, était le repaire de la piraterie musulmane et de là, comme de Tarse, ou de Tripoli de Syrie, les corsaires arabes ravageaient toute la mer Égée. Malgré les efforts de Basile Ier pour réorga­ niser l’armée et la flotte, les escadres enne­ mies dominaient l’Archipel. En 904, Thessalonique était prise par Léon de Tripoli et sa population presque entière emmenée en capticédoniens 98 l’apogée de l’empire vité. Malgré quelques succès de la marine byzan­ tine, en 907, en 924 surtout dans les eaux de Lemnos, les expéditions dirigées contre la Crète n’aboutissaient qu’à des désastres (911 et 949)Il fallut envoyer contre l’île « que Dieu con­ fonde » le meilleur général de l’empire, Ni­ céphore Phocas (960). Il réussit à débarquer en Crète, et après un siège de plusieurs mois il emporta Chandax d’assaut (mars 961). L’île conquise fut convertie au christianisme. La maîtrise des mers orientales revenait aux By­ zantins. En même temps, des circonstances heureuses permettaient de reprendre l’offensive en Asie Mineure. Déjà Basile Ier avait reporté jusqu’au haut Euphrate les limites de l’empire, repris Samosate (878), fait en Cappadoce et en Cilicie des campagnes victorieuses (878-879). L’anar­ chie du monde musulman au x* siècle facilita encore les succès byzantins, surtout lorsqu’à partir de 927 l’empire se trouva délivré du péril bulgare. Sous des généraux illustres, sous Jean Courcouas qui, pendant vingt-deux ans, com­ manda en Asie Mineure (920-942), et mérita d’être appelé « un autre Trajan, un autre Béli­ saire », sous Bardas Phocas ensuite et ses fils Nicéphore, Léon, Constantin, la lutte fut acti­ LA POLITIQUE EXTÉRIEURE 9g vement poussée. En 928, Théodosiopolis, l’ac­ tuel Erzeroum, était prise ; en 934 Mélitène, en 944 Édesse, d’où on rapporta triomphalement l’image miraculeuse du Christ qui y était con­ servée, en 949 Germanikia, en 967 Amida, en 958 Samosate ; la frontière byzantine était repor­ tée de l’Halys à l’Euphrate et au Tigre, et toute une série de provinces nouvellement constituées (thèmes de Sébaste, de Mésopotamie, de Séleucie, de Lykandos) attestaient l’importance des con­ quêtes byzantines. L’Arménie et l’Ibérie se­ couaient le joug de l’Islam et entraient dans la sphère d’action de Byzance. Durant tout le xe siècle, les Arméniens devaient jouer dans les affaires de la monarchie un rôle considérable, et lui fournir des soldats, des généraux, des administrateurs, des diplomates et jusqu’à des empereurs : Romain Lécapène et Jean Tzimiscès étaient tous deux d’origine arménienne. Un véritable mouvement de croisade empor­ tait les Byzantins contre les infidèles. En Cilicie et dans la Syrie du Nord, Nicéphore Phocas écrasait la puissance des émirs Hamdanides d’Alep. Il emportait Anazarbe, Adana, Mopsueste (964), Tarse (965), Laodicée, Hiérapolis, Émèse, Alep et enfin Antioche (968). Son suc­ ci ssîur, Jean Tzimiscès, conquérait en Mésopo- loo l’apogse de l’empire tamie Édesse et Nisibe (974)» en Syrie Damas et Béryte (976), et poussait, en Palestine, jusqu’aux portes de Jérusalem. « Et les peuples, dit un chroniqueur, étaient en grande peur de­ vant la colère de Tzimiscès, et l’épée des chré­ tiens fauchait comme la faucille les infidèles. » Basile II acheva cette reconquête de l’Orient. En 995, il prenait Alep, Homs, Schaizar. Et des triomphes magnifiques célébraient la ruine de la puissance musulmane, l’empire agrandi en Orient et formidablement défendu contre toute agression nouvelle par une série de puissantes forteresses. L’annexion — peut-être imprudente — des principautés arméniennes par Basile II (1020) et la soumission de l’Ibérie complétèrent ces glorieux résultats. Depuis le temps de Justi­ nien, l’empire n’avait plus étendu aussi loin son autorité en Orient. La lutte contre les Bulgares. — Plus encore que la guerre arabe, la guerre bulgare est le fait capital de l’histoire extérieure de Byzance au x® siècle. Au commencement du x* siècle, la menace bul­ gare était plus redoutable que jamais. Territo­ rialement, l’État bulgare s’étendait des régions situées au nord du Danube jusqu’au Balkan, LA POLITIQUE EXTÉRIEURE IOI et du côté de l’ouest il allait jusqu’aux massifs du Pinde. Moralement, par la fusion maintenant complète entre l’élément bulgare et l’élément slave, la Bulgarie formait un État homogène, où le pouvoir monarchique s’était puissamment développé, où la conversion au christianisme avait assuré l’unité de croyance, où, par le con­ tact avec Byzance, le pays s’était élevé à un assez haut degré de civilisation. Et tout cela donnait aux souverains de la Bulgarie la tenta­ tion de disputer aux empereurs byzantins l’hé­ gémonie des Balkans. Pour réaliser ces rêves ambitieux, il suffisait qu’un homme se rencon­ trât : ce fut le fils de Boris, le tsar Syméon (898927). Elevé à Byzance, où il avait été détenu comme otage, très épris du luxe et de la civili­ sation des Byzantins, il rêva de conquérir Cons­ tantinople et de poser sur sa tête la couronne des successeurs de Constantin. Pendant plus d’un siècle, une véritable guerre de races allait mettre aux prises Grecs et Bulgares. La lutte commença en 889, et, chose remar­ quable, les raisons en furent d’ordre économi­ que. Léon VI ayant ordonné de transporter à Thessalonique les entrepôts que les marchands bulgares avaient à Constantinople, Syméon dé­ clara la guerre. Une invasion des Hongrois, 102 l’apogée de l’empire soudoyés par les Byzantins, contraignit finale­ ment le roi bulgare à la retraite (8g3). Mais après la mort de Léon VI, les troubles qui marquè­ rent la minorité de Constantin VII lui fourni­ rent l’occasion de revenir. En 918, il paraissait devant Constantinople; en 914, il prenait Andrinople ; en 917, il écrasait à la journée d’Anchialos les armées impériales. Et, tout glorieux de ses succès, Syméon se proclamait « tsar des Bulgares et empereur des Bomains » ; il instal­ lait, dans sa capitale de Preslav, un patriarcat bulgare indépendant; 11 ne lui restait plus qu’à emporter Constantinople. Il le tenta en 924. Mais, pour enlever la capitale byzantine, il fallait l’attaquer par terre et par mer, et Syméon n’avait pas de marine. Il semble aussi que, dans l’entrevue qu’il eut avec Romain Lécapène, il subit, comme jadis Attila en face de saint Léon, l’influence de tout ce qu’il y avait de prestige et de civilisation dans cette antique majesté impériale. Il recula, il abandonna le rêve doré qu’il avait caressé. Et quoique Sy­ méon ait dans son royaume, dans sa capitale surtout de Preslav-la-Grande, fait éclore une culture intellectuelle et artistique qui lui a mé­ rité le nom de Charlemagne de la Bulgarie, l’arrêt devant Constantinople marqua la ruine LA POLITIQUE EXTÉRIEURE Io3 des ambitions bulgares. Quand Syméon mourut (927), la décadence était déjà commencée. Elle se précipita sous le long règne de son fils Pierre (927-968). Pendant ces quarante an­ nées, de plus en plus la Bulgarie devint un satel­ lite de l’empire; et pendant que Byzance se for­ tifiait, son ancienne rivale s’affaiblissait de jour en jour davantage. En face du pouvoir royal fléchissant, la féodalité relevait la tête; l’unité religieuse était compromise par l’hérésie des Bogomiles; la nationalité bulgare se désagré­ geait. L’heure de la revanche approchait pour les Byzantins. Elle sonna en 967. Nicéphore Phocas refusa le tribut que l’empire payait toujours aux Bul­ gares et, avec l’aide des Russes de Sviatoslav, grand-prince de Kief, il attaqua la Bulgarie. Mais Sviatoslav trouva le pays conquis à son goût ; il s’y installa et refusa d’en sortir (968). La mort du tsar Pierre, l’assassinat de Nicé­ phore (969), aggravèrent les difficultés de la si­ tuation. Quand Jean Tzimiscès monta snr le trône, l’invasion russe menaçait l’empire même; Sviatoslav passait les Balkans, saccageait Phi­ lippopoli (970), semait la panique jusque dans la capitale. Heureusement, les Russes furent bat­ tus à Arcadiopolis, l’actuel Lulé-Bourgas (970), io$ l’apogée de l’empire l’empereur put organiser contre eux une grande expédition (971). Pendant que la flotte byzantine remontait le Danube, Tzimiscès fran­ chissait les Balkans, prenait Preslav, assiégeait Sviatoslav dans Dorostol (Silistrie) et l’obli­ geait à faire sa soumission et à évacuer le pays. La Bulgarie fut annexée à l’empire, le patriarcat autonome fut supprimé ; l’hellénisme victorieux reportait jusqu’au Danube les limites de la mo­ narchie. Pourtant, dans la Bulgarie du Pinde, autour de Prespa et d’Ochrida, l’élément national, sous la direction du comte Sischman et de ses fils, s’obstinait dans sa résistance. A la faveur des troubles qui agitèrent les débuts du règne de Basile II, l’un des fils de Sischman, le tsar Sa­ muel (entre 977 et 979 — 1014) reconstitua la Bulgarie. En dix années, de 977 à 986, il libéra la Bulgarie danubienne, conquit la Macédoine, la Thessalie, pénétra jusque dans le Péloponèse. Pour abattre ce formidable empire, qui allait du Danube à l’Adriatique, il fallut aux Grecs trente années de guerre (986-1018). Ce fut essentielle­ ment l’œuvre de l’empereur Basile II, à qui sa dure énergie et ses victoires cruelles valurent le surnom terrible de Bulgaroclone, le tueur de Bulgares. et LA POLITIQUE EXTÉRIEURE I05 En 986, Basile II prenait l’offensive et péné­ trait en Bulgarie ; mais il fut sévèrement battu au défilé de la Porte Trajane dans les Balkans. Dix ans passèrent avant que l’empereur pût re­ commencer la lutte et, pendant ces dix ans, Sa­ muel ne cessa d’agrandir son royaume, du Da­ nube à l’Adriatique et à la mer Égée. Mais en 996, le tzar était battu sur les bords du Sper­ chios; la Grèce lui échappait; il échouait de­ vant Thessalonique, une partie de la Bulgarie danubienne tombait entre les mains des impé­ riaux (1000). La Bulgarie de l’ouest, pourtant, restait inexpugnable. En 1001, Basile II entre­ prit de la réduire. Progressivement, il en con­ quit les abords, Berrhoea, Servia,Vodena. Cerné dans les montagnes, Samuel se dégagea et vint saccager Andrinople (ioo3). Mais tenacement, l’empereur poursuivait et resserrait le blocus, prenant Skopia, conquérant la basse et la moyenne Macédoine (1007), menant la guerre avec une atroce dureté. Samuel évitait les ba­ tailles rangées ; finalement, pourtant, ses trou­ pes furent écrasées au défilé de Cimbalongou, sur la route de Serrés à Melnik (29 juillet 1014). Le tsar ne survécut pas à cette défaite ; il mou­ rut peu de jours après (15 septembre ioi4). C’était la fin de la Bulgarie. 106 l’apogée de l’empire Sans doute, pendant quatre ans encore, les successeurs du grand tsar bulgare, tout en se disputant son trône, continuèrent la lutte. En 1018, le pays pourtant était entièrement pacifié et l’empereur, dans une tournée triomphale, s’occupa de le réorganiser. Il le fit avec une prudence habile, respectant les usages adminis­ tratifs et les mœurs des vaincus, s’efforçant d’attirer à lui la grande aristocratie féodale, conservant l’ancienne organisation religieuse, qui eut à sa tête l’archevêque autocéphale (in­ dépendant) d’Ochrida. Ainsi, après bien des années, Byzance redevenait maîtresse de toute la péninsule des Balkans et, dans le voyage qu’à travers la Grèce il fit jusqu’à Athènes, comme dans le triomphe qu’il célébra en grande pompe à Constantinople (1019), Basile II put se glorifier justement d’avoir rendu à l’empire une puissance qu’il ne connaissait plus depuis des siècles. La reprise de l'Italie du sud et la politique byzantine en Occident. — En même temps qu’en Orient ils étendaient magnifiquement les frontières de l’empire, les princes de la maison de Macédoine reprenaient en Occident les tradi­ tions ambitieuses de la politique byzantine. LA POLITIQUE EXTÉRIEURE IOJ Jamais les Byzantins n’avaient renoncé aux droits de l’empire sur l’Italie; le souvenir de Rome, l’ancienne capitale du monde romain, le souvenir de Ravenne, l’ancienne capitale de l’exarchat, hantaient incessamment leurs rêves. La faiblesse des derniers empereurs carolin­ giens, l’anarchie de l’Italie du sud divisée entre les princes lombards et la menace croissante de l’offensive musulmane fournirent à Basile Ier l’oc­ casion souhaitée d’intervenir dans la péninsule et de tenter de réaliser ses ambitions. L’empe­ reur s’était donné pour tâche de restaurer dans toute la Méditerranée le prestige byzantin, de chasser les corsaires musulmans de l’Adria­ tique et de la mer Tyrrhénienne, de combattre les Sarrasins d’Afrique et de Sicile. Dès son avènement, il poursuivit donc en Occident une action énergique. Sans doute il ne réussit pas à reconquérir la Sicile, où Syracuse tombait en 878 aux mains des infidèles. Mais il rétablissait l’ordre dans l’Adriatique, restaurait l’alliance byzantine avec Venise, ramenait les Croates dans la vassalité grecque. Surtout il réoccupait Bari (876) et Tarente (880), reconquérait la Ca­ labre (885), imposait le protectorat byzantin aux princes lombards. Deux thèmes nouveaux, ceux de Longobardie et de Calabre, étaient constitués io8 l’apogée de l empiee dans l’Italie méridionale : c’était une belle com­ pensation de la Sicile perdue. La faiblesse de Léon VI compromit un mo­ ment ces heureux résultats. Après avoir, par la prise de Taormine (902), achevé la conquête de la Sicile, les Arabes purènt envahir la Calabre et s’établir jusqu’en Campanie. Mais la victoire du Garigliano (915) assura à nouveau en Italie la suprématie byzantine et, pendant un siècle en­ tier, malgré la persistance des invasions sarrasines, malgré la rivalité des Césars allemands, les Grecs maintinrent leur autorité dans toute la moitié méridionale de l’Italie. Là aussi le règne glorieux de Basile II consacra les efforts de la dynastie de Macédoine. La victoire de Cannes (1018), remportée par les troupes impériales sui­ tes populations 4’Apulie soulevées, rétablit le prestige byzantin de Reggio et de Bari jus­ qu’aux portes de l’Etat pontifical. Et sous l’ad­ ministration impériale, habite à propager l’in­ fluence de l’hellénisme, l’Italie du sud, grâce surtout à son clergé grec et à ses couvents grecs, redevint une véritable Grande-Grèce : preuve remarquable de la puissance d’expansion, de la force d’assimilation civilisatrice qui firent au xe et au xie siècle la grandeur de l’empire byzantin. L’entrée en scène des Césars allemands LA POLITIQUE EXTÉRIEURE 100 vers le milieu du xe siècle créa pourtant quel­ ques embarras à la politique byzantine. Quand Otton Ier descendit en Italie, quand il prit le titre impérial, l’orgueil grec supporta impa­ tiemment ce qui lui parut une usurpation. Ce fut bien pis quand Otton étendit sa suzeraineté sur les princes lombards vassaux de Byzance, quand il envahit le territoire grec et attaqua Bari (968). Nicéphore Phocas riposta énergi­ quement. Mais sa mort modifia la politique by­ zantine : un accord intervint, que consacra le mariage d’Otto n II et de Théophano (972). Pour­ tant l’entente dura peu : les ambitions germa­ niques ne pouvaient se concilier avec les reven­ dications byzantines. Mais les empereurs alle­ mands obtinrent de médiocres résultats. Otton II envahit la Calabre et fut battu à Stilo (987); Henri II soutint vainement la révolte apulienne et échoua dans ses attaques sur l’Italie grecque (1022). A la mort de Basile II, comme en Asie, comme en Bulgarie, Byzance était toute-puis­ sante en Italie. L'œuvre diplomatique : les vassaux de l'empire. — Grâce à ses grands succès militaires, l’em­ pire grec au xe siècle s’étendait du Danube à la Syrie, des rivages d’Italie aux plateaux d’Ar­ no l’apogée de l'empire ménie. Mais une diplomatie habile devait porter bien au delà de ces limites la sphère d’action de la monarchie. Tout autour de l’empire se grou­ paient une série d’Etats vassaux, qui formaient en avant de la frontière comme une première ligne de défense, qui surtout propageaient ma­ gnifiquement à travers le monde l’influence po­ litique et la civilisation de Byzance. En Italie, Venise, toute grecque par son ori­ gine et par ses mœurs, était le plus fidèle et le plus docile des vassaux de l’empire. Aussi les empereurs lui avaient confié le soin de faire la police de l’Adriatique et, dès la fin du xe siècle (992), ils lui avaient concédé ces larges privi­ lèges commerciaux qui préparaient sa future grandeur. Dans l’Italie du sud, les républiques de Naples, de Gaëte, d’Amalfi surtout gravi­ taient dans l’orbite de Byzance ; enfin les princes lombards de Salerne, de Capoue, de Bénévent, quoique d’une fidélité plus incertaine, accep­ taient en général le protectorat grec. — Dans le nord-ouest de la péninsule des Balkans et sur tout le rivage de l’Adriatique, les États slaves, Croatie, Serbie, ramenés par Basile Ier au christianisme et sous l’autorité de Byzance, étaient pour l’empire des alliés utiles, en parti­ culier contre les Bulgares. — En Orient, sur le LA POLITIQUE EXTÉRIEURE III littéral de la mer Noire, Cherson,-plus vassale que sujette, était un poste d’observation pré­ cieux, un instrument d’action politique et éco­ nomique en face des peuples barbares, Kha­ zars, Petchenègues, Russes, qui habitaient la région des steppes voisines. — Au Caucase, les princes d’Alanie, d’Abasgie, d’Albanie s’enor­ gueillissaient de porter les titres et de recevoir les subsides de Byzance. Les états d’Arménie enfin, arrachés au xe siècle à l’influence arabe, fournissaient par milliers à l’empire des soldats et des généraux. Et le roi pagratide d’Arménie, comme les princes du Vaspourakan, du Taron, d’Ibérie, étaient les clients et les serviteurs fidèles de la monarchie, en attendant le jour où successivement leurs domaines seraient annexés par Basile II. L’œuvre religieuse : la conversion de la fiussie. — Mais au delà de ces régions placées sous le protectorat grec, l’action civilisatrice de By­ zance s’étendait plus loin encore : comme tou­ jours, les missionnaires secondaient l’œuvre des diplomates. La conversion des Russes au chris­ tianisme en offre uue preuve éclatante. Depuis le milieu du ixe siècle, Byzance était en relations avec la Russie. A plusieurs re- na l’apogée de l’empire prises, depuis l’agression de 860, les aventuriers de Kief avaient menacé Constantinople de leurs attaques (907 et 941) ; par ailleurs les empe­ reurs recrutaient volontiers des soldats parmi ces hardis guerriers, et les marchands russes fréquentaient le marché byzantin. La visite de la tsarine Olga à Byzance (957) et sa conversion au christianisme rendirent plus étroites encore ces relations. Mais c’est surtout à la fin du xc siècle la conversion de Vladimir, grand-prince de Kief, qui fut l’événement décisif. En 988, pour abattre les révoltes féodales, Basile II avait obtenu du prince de Kief un corps de 6,000 mercenaires ; en échange, Vladimir demanda la main d’une princesse byzantine, et pour forcer la volonté hésitante de la cour impériale, il s’em­ para de Cherson. Basile II céda aux exigences du roi barbare, mais le persuada d’accepter le baptême. Vladimir le reçut à Cherson (989), puis l’imposa à Kief à son peuple. Et la Russie désormais chrétienne se modela sur la civilisa­ tion byzantine; elle emprunta à Byzance, avec l’orthodoxie, son art, sa littérature, ses mœurs. Après Vladimir, son fils Jaroslav (ioi5-io54) continua et acheva l’œuvre, et il fit de Kief, sa capitale, la rivale de Constantinople et une des plus belles villes de l’Orient. Vladimir avait été Pi.. VIH. Le prophète Isaïe entre la Nuil et l'Anrore. Miniature du Psautier de la Bibl. Nationale. xe siècle. (D'apres (linoni. Fur-simi/rs de Barberousse, fut un adversaire plus dange­ reux encore, surtout quand il eut hérité des do­ maines et des ambitions des rois normands. II rêvait de faire la conquête de l’Orient, il som­ mait Alexis de lui restituer tous les territoires conquis jadis parles Normands (1196) et il l’obli­ geait, en attendant, à lui payer tribut. Mais Venise surtout était inquiétante. Elle aussi réclamait vengeance pour les massacres de 1182 et, pour l’apaiser, Isaac avait dû, en 1187, lui accorder d’amples indemnités et de larges privilèges. Alexis III avait dû, en 1198, augmenter encore ces concessions, dont il avait au reste atténué l’effet, en concédant aux Gé­ nois et aux Pisans de semblables réparations. Malgré cela, les Vénitiens sentaient leur com­ merce et leur securité menacés par la haine exaspérée des Grecs, et de plus, depuis que Henri Dandolo était doge (1198), l’idée se faisait jour que la conquête de l’empire byzan­ tin serait la meilleure solution de la crise, le plus sûr moyen de satisfaire les haines la­ tines accumulées et d’assurer en Orient les intérêts de la République. De tout cela, hosti­ lité de la papauté, ambitions de Venise, rancunes de tout le monde latin, devait, comme une con­ séquence nécessaire, sortir le détournement de 1^0 LE SIÈCLE DES COMNÈNES la quatrième croisade; et contre l'attaque formi­ dable des gens d’Occidcnt, Byzance épuisée, affaiblie en Orient par le développement des États slaves, devait être incapable de résister. La quatrième croisade. — En ug5, Alexis III, en détrônant et en faisant aveugler son frère Isaac, avait emprisonné avec le souverain déchu le fils de celui-ci, le jeune Alexis. En 1201, le jeune prince s’échappa et il vint en Occident demander appui contre l’usurpateur. C’était le moment où l’armée de la quatrième croisade était rassemblée à Venise. Les Vénitiens saisirent avec empressement le prétexte qui s’offrait à eux d’in­ tervenir dans les affaires byzantines, et les pro­ messes magnifiques qne faisait Alexis eurent faci­ lement raison des scrupules des croisés. Ainsi l’habile politique du doge Dandolo détourna vers Constantinople l’expédition préparée pour déli­ vrer la Terre-Sainte. Au commencement de 12o3, l’accord définitif fut signé avec le prétendant byzantin; le 27 juin 12o3, la flotte latine mouil­ lait devant Constantinople. La ville fut prise d’assaut (18 juillet 12o3), Isaac Ange rétabli sur son trône avec son fils Alexis IV. Mais entre Grecs et Occidentaux l’entente dura peu. Les nouveaux empereurs étaient impuissants à tenir leurs l’empire BYZANTIN a LA FIN DU XII" SIÈCLE IJl promesses; les croisés, les Vénitiens surtout, montraient des exigences toujours croissantes. Le 25 janvier 1204, une révolution nationale renversait les protégés de l’Occident et Alexis V Murzuphle prenait le pouvoir. Tout arrangement devenait impossible. Les Latins se résolurent à détruire l’empire byzantin. Le 12 avril 1204, Constantinople était prise d’assaut et pillée ef­ froyablement. Et tandis que les débris de l’aris­ tocratie et du clergé byzantin se réfugiaient à Nicée, pour tâcher d’y reconstituer l’empire, les vainqueurs, conformément au traité de partage signé dès mars 1204, divisaient entre eux leur conquête. Un empereur latin, Baudouin de Flan­ dre, s’asseyait sur le trône des Comnènes (mai 1204); un roi latin, Boniface de Montferrat, ré­ gnait à Thessalonique ; un patriarche vénitien prenait possession du trône patriarcal ; sur Mute la surface de l'empire conquis naissait une flo­ raison de seigneuries féodales. Mais les Vénitiens surtout, en gens habiles, s’assuraient dans tout l’Orient les points importants pour le dévelop­ pement de leur commerce et la fondation de leur empire colonial. Il semblait que ce fût la fin de Byzance; et, en effet, l’événement de 1204 fut, pour l’empire byzantin, le coup dont jamais plus il ne se releva. CHAPITRE VII L’empire latin de Constantinople et l’empire groe de Nicée (1204-1261) I. La dislocation de l’empire byzantin. — II. L'empire latin de Constantinople. — III. L’empire grec de Nicée. — IV. La reprise de Constantinople par les Grecs. — V. La principauté d’Achaïe. I La DISLOCATION DE L’EMPIRE BYZANTIN. ---- La prise de Constantinople par les croisés eut pour première conséquence de transformer profondé­ ment l’aspect du monde oriental. Sur les ruines de l’empire byzantin s’épanouit une floraison de seigneuries féodales latines. Un empire latin s’établit à Constantinople, dont Baudouin, comte de Flandre, fut élu par les ba­ rons de la croisade pour être le souverain ; un royaume de Thessalonique, vassal théorique­ ment de l’empereur, fut constitué en faveur du marquis Boniface de Montferrat. Il y eut des ducs titulaires de Nicée et de Philippopoli, des LA DISLOCATION DE L’EMPIRE BYZANTIN Ij3 seigneurs de Didymotique et d’Adramyttion. Quelques semaines plus tard, la chevauchée victorieuse, qui mena Boniface de Montferrat jusqu’à Athènes et à Corinthe, eut pour résultat la fondation d’autres E.ats latins, marquisat de Bodonitza, seigneurie de Négrepont, duché d’Athènes, que gouverna la famille bourgui­ gnonne de La Roche, principauté d’Achaïe ou de Morée, que conquirent les Champenois Geoffroi de Vil|.ehardouin et Guillaume de Champlitte, et qui devait être, dans l’Orient latin, ce que la croisade de 1204 laissa de plus durable. Venise, d’autre part, occupait directement Durazzo sur la côte d’Epire, Modon et Coron dans le Péloponèse, la Crète et l’Eubée, Gallipoli, Rodosto, Héraclée et un vaste quartier à Cons­ tantinople, et elle chargeait ses patriciens de s’installer dans les îles de l’Archipel, où se fon­ daient le duché de Naxos et le marquisat de Cérigo, le grand-duché de Lemnos et la seigneurie de Santorin. Et maîtresse de cet admirable em­ pire colonial, la République pouvait légitime­ ment laisser son doge s’intituler « seigneur d’un quart et demi de l’empire grec. » La débâcle de l’empire byzantin avait amené semblablement la naissance d’une multitude d’Etats grecs. A Trébizonde, deux princes, Alexis ij4 l’empire latin et l’empire grec et David, issus de la famille des Comnènes, fon­ daient un empire qui bientôt, d’Héraclée au Cau­ case, occupa tout le littoral de la mer Noire, et qui devait durer jusqu’au milieu du xve siècle (1461). En Épire, un bâtard de la famille des Anges, Michel-Ange Comnène, créait un « des­ pota! », qui s’étendait de Naupacte à Durazzo. A Nicée, le gendre d’Alexis III Ange, Théodore Lascaris, rassemblait autour de lui tout ce qui restait de l’aristocratie et du haut clergé byzan­ tin, et, dès 1206, il se faisait couronner solen­ nellement « empereur des Romains. » D'autres ambitieux, Gabalas à Rhodes, Mankaphas à Philadelphie, Léon Sgouros à Argos et à Co­ rinthe, se taillaient d’autres seigneuries dans les lambeaux de l’empire. Il semblait que ce fût la fin de la monarchie. Pourtant, entre ces organismes nouveaux qui naissaient à la vie politique, il existait une diffé­ rence profonde. L’empire latin, malgré les réelles qualités de ses deux premiers souverains, devait durer un demi-siècle à peine (1204*1261), et sa faiblesse originelle devait inévitablement le ren­ dre éphémère. Chez les Grecs, au contraire, la victoire de l’étranger avait réveillé le patriotisme et fait retrouver la conscience de la nationalité byzantine. Tous ces chefs, autour desquels s’é- l’empire LATIN DE CONSTANTINOPLE Ij5 taient groupées toutes les forces vivantes du inonde grec, avaient une même ambition : re­ prendre Constantinople aux Latins détestés. Il ne restait qu’à savoir lequel des deux empires grecs rivaux, celui de Nicée ou celui d’Épire, réussirait à la réaliser. II L’empire latin de Constantinople. — Pour que l’œuvre née de la quatrième croisade eût quelque chance de durée, il eût fallu que le nou­ vel empire eût un gouvernement fort, une orga­ nisation fermement centralisée. Or, dans l’Etat purement féodal que les Latins avaient fondé, l’empereur n’était que le premier des barons. Son autorité, territorialement assez restreinte, était presque nulle politiquement. Baudouin, au lendemain même de son avènement, dut faire la guerre à son indocile vassal le roi de Thessalonique, et si on parvint à les réconcilier, jamais pourtant l’entente ne fut durable entre eux. Henri d’Angre, le successeur de Baudouin, se heurta aux mêmes difficultés : s’il réussit, à force d’énergie habile, à imposer son autorité à Thessalonique (1209), à se faire reconnaître comme suzerain, au parlement de Ravennika 176 l'empire latin et l’empire grec (1210), par les feudataires de Grèce, ceux-ci pourtant, ducs d’Athènes et princes d’Achaïe, se désintéressèrent vite des affaires de l’empire et devinrent presque indépendants. L’empire latin ne pouvait attendre que peu de chose des Vénitiens, très jaloux de leurs privilèges et égoïstement préoccupés de leurs propres intérêts. Avec les Grecs vaincus, l’accord était impossible. Malgré les efforts que firent quel­ ques souverains latins, Montferrat à Thessalonique, les Villehardouin en Achaïe, pour apaiser les haines et faire oublier la brutalité de la con­ quête, le peuple grec, dans sa généralité, demeu­ rait hostile à l’étranger, et attendait impatiem­ ment le libérateur, qu’il vînt d’Epire ou de Nicée. Enfin, au péril grec certain s’ajoutait le péril bul­ gare possible. Les Latins commirent la mala­ dresse de repousser l’alliance que leur offrait le tsar Johannitsa (1197-1207), et ainsi, au lieu de l’appui qu’ils auraient pu trouver chez les Bul­ gares pour lutter contre les Byzantins, ils se firent d’eux des ennemis irréconciliables, qui lièrent partie contre l’empire latin avec les sou­ verains grecs de Nicée et s’acharnèrent avec eux à sa ruine. Cependant, dans le premier moment de dé­ sarroi qui suivit la prise de Constantinople, les Pl. XII. Jean Cantaciizène jirósiòn.n* un candle. Minihlure (in inamiscril (ir. (Bibl. Nationale), mv- siede. cVn/ recommençèrent à négocier avec Rome et que, pour conjurer le péril turc, Jean VIII tenta un LA DÉCADENCE INTÉRIEURE I99 effort désespéré. L’empereur vint en personne en Italie (i43y) et signa avec Eugène IV, au concile de Florence, l’accord qui mettait fin au schisme (1439)- Comme Michel Vili, il se heurta à l'intransigeance farouche du clergé et du peuple orthodoxes, persuadés que, malgré toutes leurs promesses, les Latins ne poursuivaient que « la destruction de la ville, de la race et du nom grec. » Jean VIII et son successeur Constan­ tin XI eurent beau essayer d’imposer l’union par la force ; l’émeute gronda jusque sous les voûtes de Sainte-Sophie (1462); à la veille de la catastrophe où allait sombrer Constantino­ ple, on se passionnait dans la ville pour ou contre l’union, et certains hommes déclaraient qu’ils « aimaient mieux voir régner à Byzance le turban des Turcs que la mitre des Latins. » La détresse financière et militaire. — Par làdessus, c’était la détresse financière. Malgré la tyrannie fiscale, l’impôt foncier, dans un pays complètement ruiné par la guerre, ne rapportait plus au trésor que des ressources insuffisantes. Les douanes, depuis que le commerce de l’em­ pire était tombé aux mains des Vénitiens et des Génois, diminuaient avec une rapidité crois­ sante. Le gouvernement était réduit à altérer les '200 L'EMPIRE BYZANTIN SOUS LES PALÉOLOGUES monnaies, l’empereur à emprunter et à mettre en gage les joyaux de la couronne : l’argent manquait, le trésor était vide. La décadence militaire n’était pas moins grave : l’armée, nu­ mériquement faible, indisciplinée et mal tenue en main, était de plus en plus impuissante à dé­ fendre l’empire. Les mercenaires au service de la monarchie se révoltairent contre elle, comme fit, sous Andronic II, la Grande Compagnie ca­ talane qui, maîtresse de Gallipoli, bloqua pen­ dant deux ans Constantinople (i3o5-i3o7) et pro­ mena ses étendards victorieux à travers la Macé­ doine et la Grèce (i3o7-i3ii); comme firent, au milieu du xiv® siècle, les auxiliaires serbes et turcs, qui ravagèrent et pillèrent l’empire sans merci. Sur mer, c’était la même faiblesse. Mi­ chel VIII avait essayé de reconstituer la flotte byzantine ; ses successeurs jugèrent la dépense inutile et abandonnèrent la domination des mers orientales aux escadres des républiques italiennes. L’empire s’en allait à l’abandon, sans force contre les périls qui le menaçaient à l’extérieur. Les causes extérieures de la décadence. — Bulgares et Serbes. — Depuis la mort de Jean Asen (1241), l’empire vlaquo-bulgare, si redou- 20“ 18' EMPI S E B E O Con 9 ntinopie hryçopolis Nicomêdie Rodaste .THASOSHSÏæilî \ ; SAMOTHRACE^' ^Srousse -M.LOLZMEZ. ONT DES P w LEMNOS Butrinto TÉNÉOOS rikkaia có:r:fqü Arta p etnea DUC DE NÉOP ardikt Zeìtoun LESBOS Neopatras NT (V) dihehes Magnesie CHIOS (G) < Smyrna 0 p«incipaut S D'ACHAf Matean EfilNÍ ANDROWV CÈOS 0 ' ¿ O POTAT Af/sfra Gaia ma fa ■ ï SAMOS tCARtE (y).;? kk)/\ 'DE oPhiladelphìe DUCHÉ oCha/andr ZANTE < «3 o i.effd/'cée MT LATMSS INOS^* 5Yc3S¿^ &»^YCONÔS(V) ' . 1 ■ d;.E-; ■ M N A xos (V.) : ■; p/^hmcs >y^n^ i n WI ISTRA °Ge Modan Beau •AMORGOS ran astyPalÉe Mai SANTÒRIN RHODES CERlGO (v) sr: CARPATHOS CRÈTE GRECE (VJ AU MILIEU duXIV? SIECLE EchEll.e e: kilomètres 50 18«. 20« 2?” 24' 100 ■Je5" 150 10* LES PÉRILS EXTÉRIEURS 201 table pour Byzance depuis la fin du xne siècle, s’était fort affaibli par suite des luttes intestines qui le déchiraient. La grave défaite que les Serbes infligèrent au tsar Michel à Velboujd (i33o) acheva de ruiner sa puissance. Cepen­ dant les Bulgares demeuraient toujours pour l’empire des voisins inquiétants; ils interve­ naient dans les affaires byzantines, profitaient de l’appui qu’ils apportaient à Andronic II ou à Anne de Savoie pour exiger de larges cessions de territoires; surtout, de leurs incursions inces­ santes, le pays grec sortait épouvantablement dévasté. Mais les Serbes surtout étaient devenus pour Byzance des adversaires terribles. Sous les successeurs d’Étienne Nemanya, Ouroch Ier (1243-1276), Dragoutine (1276-1282), Miloutine (1282-1321), la Serbie s’était agrandie aux dé­ pens des Bulgares et des Grecs jusqu’à devenir l’État le plus important de la péninsule bal­ kanique. Ouroch Ier avait conquis la haute vallée du Vardar (1272); Miloutine, s’appuyant sur l’alliance des Épirotes et des Angevins, avait occupé Uskub (1282), conquis la région de Serrés et de Christopolis, qui lui ouvrait l’accès de l’Archipel (1283), mis la main sur Ochrida, Prespa et toute la Macédoine occidentale, en­ vahi l’Albanie du Nord (1296) et obligé An- 203 l’empire BYZANTIN SOUS LES PALÉOLOGUES dronic II à lui reconnaître toutes ses conquêtes (1298) : et comme les Bulgares, les Serbes s’étaient mêlés sans cesse aux troubles inté­ rieurs de l’empire grec. Quand Étienne Douchan (1331-1355) monta sur le trône, la Serbie s’étendait de la Save et du Danube au nord jusqu’à Stroumitza et Prilep au sud, de la Bosna à l’ouest au Rilodagh et à la Strouma à l’est. Douchan vou­ lut faire d’elle davantage encore : il rêva de réunir sous son autorité toute la péninsule des Balkans et de ceindre à Constantinople la cou­ ronne impériale. Habile diplomate, grand général, intelligent, volontaire et tenace, il commença par achever la conquête de la Ma­ cédoine occidentale (1334); puis, enlevant l’Al­ banie aux Angevins jusqu’à Durazzo et Valona, l’Épire aux Grecs jusqu’à Janina (i34o), il poussa ses progrès en Macédoine, où les By­ zantins ne conservèrent que Thessalonique et la Chalcidique, et où la frontière serbe attei­ gnit vers l’est la Maritza (1345). Et en 1346, dans la cathédrale d’Uskub, Douchan se faisait solennellement couronner « empereur et auto­ crate des Serbes et des Romains ». L’empire serbe s’étendait maintenant du Danube à la mer Égée et à l’Adriatique : Douchan l’organi- LES PÉRILS EXTÉRIEURS 2o3 sait sur le modèle de Byzance ; il lui donnait une législation (1349), instituait à Ipek un patriar­ cat indépendant de Constantinople; vainqueur des Grecs (en 1351 il assiégeait Thessalonique), des Angevins, du roi de Bosnie, du roi de Hon­ grie, il apparaissait comme le prince le plus puissant des Balkans, et le pape le proclamait « le chef de la lutte contre les Turcs ». Il ne restait plus à Douchan qu’à prendre Cons­ tantinople. Il le tenta (1355), conquit Andrinopleet la Thrace, et mourut brusquement, —mal-, heureusement pour la chrétienté, — en vue de la ville dont il rêvait de faire sa capitale. Lui mort, son empire se disloqua vite. Mais, de cette lutte de vingt-cinq ans, Byzance sortait un peu plus faible encore. Les Turcs. — Pendant qu’ainsi, en Europe, l’empire grec diminuait sous l’assaut des Etats slaves, les Turcs Osmanlis progressaient en Asie, sous la conduite de trois grands chefs, Ertogrul, Osman (1289-1326) et Orkhan (i3a61359). Malgré les efforts, parfois heureux, d’Andronic II pour les arrêter, Brousse tombait en 1326 aux mains des Ottomans, qui y établis­ saient leur capitale. Nicée succomba ensuite (1329), puis Nicomédie (1337) > en 1338 les Turcs ao4 l’empire byzantin sous les paléologues atteignaient le Bosphore. Ils le franchissaient bientôt, sur l’appel des Byzantins eux-mêmes, qui sollicitaient avec empressement leur alliance dans leurs discordes civiles : en 1353, Cantacuzène, qui dès 1346 avait donné sa fille en ma­ riage au sultan, récompensait ses services en lui cédant une forteresse sur la côte europénne des Dardanelles. L’année suivante (1354), les Turcs s’installaient à Gallipoli; ils occupaient Didymotique et Tzouroulon (1357). La pénin­ sule des Balkans leur était ouverte. Mourad Ier (i35g-i38g) en profita. Il conquit la Thrace (i36i), que Jean V Paléologue dut lui reconnaître (1363); il emporta Philippopoli et bientôt Andrinople, où il transporta sa capitale (1365). Byzance isolée, cernée, coupée du reste de la monarchie, attendait, retranchée derrière ses murailles, le coup suprême qui semblait inévitable’. Pendant ce temps, les Ottomans achevaient la conquête de la péninsule balka­ nique. Ils écrasaient sur la Maritza les Serbes du sud et les Bulgares (1371); ils installaient leurs colonies en Macédoine et menaçaient Thessalonique (1374); ils envahissaient l’Albanie (1386), détruisaient l’empire serbe à la journée de Kossovo (i38g), faisaient de la Bulgarie un pachalik turc (i3g3). Jean V Paléologue était ao5 obligé de se reconnaître le vassal du sultan, de aii payer tribut, de lui fournir un contingent de troupes pour prendre la dernière place que les Byzantins possédaient encore en Asie Mi­ neure, Philadelphie (1891). Bajazet (1889-1402) agit plus vigoureusement encore à l’égard de l’empire. Il bloqua étroite­ ment (1891-1895) la capitale grecque; et quand eut échoué, à la bataille de Nicopolis (1896), le grand effort que l’Occident tenta pour sauver Byzance, il attaqua de vive force Constantinople (1897), en même temps qu’il envahissait la Morée. Heureusement pour les Grecs, l’invasion mon­ gole et la défaite retentissante que Timour infli­ gea aux Turcs à Angora (1402) donnèrent à l’em­ pire vingt ans encore de répit. Mais, en 1421, Mourad II (i4ai-i45i) reprenait l’offensive. Il attaquait, d’ailleurs sans succès, Constantinople, qui résista énergiquement (1422) ; il prenait Thessalonique (1480) que, depuis 1428, les Véni­ tiens avaient achetée aux Grecs; un de ses gé­ néraux pénétrait en Morée (1423); lui-même portait ses armes en Bosnie, en Albanie, et imposait tribut au prince de Valachie. L’empire grec, aux abois, ne possédait plus, outre Cons­ tantinople et la région voisine jusqu’à Derkon et Selymbria, que quelques territoires épars LES PÉRILS EXTÉRIEURS 2o6 l’empire byzantin sous les paléologues sur le littoral, Anchialos, Mesembria, l’Athos, et le Péloponèse qui, reconquis presqùe complète­ ment sur les Latins, devenait alors comme le centre de la nationalité grecque. Malgré les efforts héroïques de Jean Hunyade, qui battit en 1443 les Turcs à Jalovatz, malgré la résistance de Scanderbeg en Albanie, les Ottomans pour­ suivaient leurs avantages. En 1444> a Ia bataille de Varna, le dernier grand effort que tentait en Orient la chrétienté était brisé ; le duché d’A­ thènes se soumettait aux Turcs; la principauté de Morée envahie (1446) était obligée de se re­ connaître tributaire ; Jean Hunyade était défait à la seconde bataille de Kossovo (1448). Cons­ tantinople seule survivait, citadelle inexpu­ gnable, et elle semblait à elle seule constituer tout l’empire. Mais, pour elle aussi, la fin était proche. Mahomet II, en montant sur le trône (1451), avait le ferme dessein de s’en emparer. Byzance et les Latins. — Au lieu d’aider à la défense de l’empire, les Latins établis en Orient, Vénitiens et Génois, n’avaient fait que profiter égoïstement de sa détresse et précipiter sa ruine. Établis par Michel Paléologue à Galata, en face de Constantinople (1267), installés sur la côte d’Asie Mineure et dans la mer Noire, les LES PÉRILS EXTÉRIEURS «jo? Génois, selon l’expression d’un historien grec, « avaient fermé aux Romains toutes les routes du commerce maritime » ; et quoique, sous le règne d’Andronic III, les Grecs eussent momen­ tanément reconquis sur eux Chios (1829), Les­ bos (1336) et Phocée (i34o), ces succès sans lendemain n’avaient diminué ni l’insolence ni l’âpreté au gain des marchands étrangers. Les Vénitiens, maîtres de l’Archipel, et rentrés bien vite à Constantinople et à Thessalonique, n’é­ taient pas moins redoutables. Les deux répu­ bliques se comportaient dans l’empire comme en pays conquis, bravant les souverains byzan­ tins et leur imposant leur volonté par la force, remplissant la capitale de troubles et de meur­ tres, faisant pénétrer leurs escadres jusque dans la Corne d’Or, provoquant des révolutions dans la capitale (1875), se faisant céder par la menace des territoires ou accorder des privilèges, ins­ tallant— comme firent les Génois en 1348 — une station navale dans le Bosphore, pillant les su­ jets grecs et attaquant Constantinople même, — comme firent les Vénitiens en i3o5, les Génois en 1348, — quand ils croyaient avoir à se plaindre de l’empereur. Les Byzantins, tout en s’en indi­ gnant, acceptaient ces insolences, impuissants qu’ils étaient à les repousser par la force : et •2o8 l'empire byzantin sous les paléologues de cette situation Vénitiens et Génois profitaient pour exploiter la monarchie. Venise organisait son empire colonial dans les mers du Levant. Gênes créait, dans Chios reconquise (1347) puissante société commerciale appelée « la Mahone ». Les Latins, selon le mot d’un histo­ rien byzantin « s’étaient emparés de toutes les richesses des Byzantins et de presque tous les revenus de la mer », achevant ainsi la ruine économique de l’empire. Le reste de l’Occident ne se préoccupait guère davantage de Byzance. Sans doute, la croisade de 1343 avait reconquis Smyrne pour quelques années, et celle de 1366 repris un moment Galli­ poli aux Turcs. Sans doute, la chrétienté avait tenté en i3g6 le grand effort qui aboutit au dé­ sastre de Nicopolis, et en 1444 celui qui aboutit au désastre de Varna; et sans doute encore, pen­ dant deux ans (i3g7-i3gg), le maréchal de France Boucicaut avait défendu avec courage Constan­ tinople contre les attaques des Turcs. En fait, l’Occident se désintéressait de l’empire byzantin, ou ne songeait qu’à profiter de sa misère pour le dominer religieusement, le conquérir politi­ quement, l’exploiter économiquement. La pa­ pauté ne rêvait que de rétablir l’union, sans s’inquiéter des répugnances que les Byzantins Pl. XlV, Mislra. Maisons et vue de la I’anianassa. xiv« c: xv >ii‘cles. (('oil. liantes ¿ludes, (1. ai.) (Manuel d'Art l>y:-antin.) LA PRISE DE CONSTANTINOPLE 209' en éprouvaient; les princes d’Occident ne pen­ saient qu’à partager l’empire. Vainement Jean V en 136g, Manuel II en 1402, Jean VIII en 143g vinrent en Italie, en France, en Angleterre, men­ dier des secours : ils n’obtinrent qu’un accueil courtois et de belles promesses. Et quand Maho­ met II se résolut à en finir avec l’empire grec, Byzance, épuisée, abandonnée, n’avait plus qu’à bien mourir. La prise de Constantinople par les Turcs. — C’est ce qu’elle fit. Dès son avènement, Maho­ met II avait manifesté ses intentions, en cons­ truisant sur le Bosphore la forteresse de Boumili-Hissar, qui coupait les communications de Constantinople avec la mer Noire, en en­ voyant, d’autre part, une expédition en Morée (1452), pour empêcher les despotes grecs de Mistra de secourir la capitale. Bientôt, le sultan vint attaquer la ville (5 avril i4&3). A la for­ midable armée turque, qui comprenait près de 160,000 hommes, l’empereur Constantin Dra­ gasès pouvait opposer 9.000 soldats à peine, dont la moitié au moins étaient des étrangers ; les Grecs, par hostilité à l’union rétablie par leur souverain, firent, en général, assez mal leur devoir. Pourtant, malgré la puissance de aio l’empire byzantin sous les paléologues l’artillerie turque et le canon formidable de l’ingénieur Orban, un premier assaut fut re­ poussé (18 avril). Mais Mahomet II réussit à faire passer sa flotte dans la Corne d’Or et à menacer ainsi un autre secteur des rem­ parts. Cependant l’assaut du 7 mai échoua en­ core. Mais dans les remparts de la ville, aux abords de la porte de Saint-Romain, la brèche était ouverte. Dans la nuit du 28 au 29 mai 1453, l’attaque suprême commença. Deux fois, les Turcs furent repoussés ; alors Mahomet lança à l’assaut les janissaires. A ce moment, le Génois Giustiniani, qui avait été avec l’empereur l’âme de la défense, fut blessé grièvement et dut quit­ ter son poste de combat, désorganisant par là la défense. L’empereur, cependant, continuait à se battre courageusement, lorsqu’un parti en­ nemi, forçant la poterne nommée Xyloporta, vint par derrière assaillir les défenseurs. C’était la lin. Constantin Dragasès se fit tuer en héros sur la brèche, mettant ainsi sur Byzance un dernier rayon de beauté. Mais les Turcs étaient maîtres de la ville. Ce fut alors, dans Constan­ tinople prise, le pillage et le massacre ; plus de 60,000 personnes furent réduites en captivité. Et le 3o mai 1453, à huit heures du matin, Mahomet II faisait dans Byzance son entrée LA CIVILISATION BYZANTINE 211 solennelle et venait dans Sainte-Sophie rendre grâces au Dieu de l’Islam. III La CIVILISATION BYZANTINE A l’ÉPOQUE DES Paléologues. — Pourtant telle était, jusqu’en sa décadence, la vitalité de cette civilisation byzantine, qu’une suprême renaissance, litté­ raire et artistique, pare d’un rayon de gloire mourante l’époque des Paléologues. Dans le monde du xive et du xve siècle, Cons­ tantinople demeurait toujours une des plus belles et des plus illustres cités de l’univers, la métropole de l’orthodoxie où affluaient les pèle­ rins de l’Orient grec et slave, la grande ville de commerce où se rencontraient les marchands de tout l’Occident, le centre magnifique et fécond d’une culture intellectuelle et artistique remar­ quable. Les écoles de la capitale byzantine étaient plus florissantes et plus fréquentées que jamais, et les grands professeurs de l’Université, les Pianude, les Moschopoulos, les Triklinios, au commencement du xive siècle, plus tard les Chrysoloras ou les Argyropoulos, en y renou­ velant l’étude des écrivains classiques, se mon­ traient les dignes précurseurs des humanistes aia l’empire byzantin sols les paléologües de la Renaissance. Auprès d’eux, les philoso­ phes, les Gémiste Pléthon, les Bessarion, con­ tinuaient la tradiüon de l’étude des doctrines platoniciennes et se préparaient à les trans­ mettre à l’Occident. Puis, c’était toute une pléiade de talents originaux et personnels, his­ toriens comme Jean Cantacuzène ou Nicéphore Grégoras au xive siècle, comme Phrantzès, Ducas, Chalcondylès ou Critobule au xve; théologiens comme Grégoire Palamas ou les deux Cabasilas au XIVe siècle, comme Marcos Eugenikos ou Georges Scholarios au xv® siècle, orateurs comme Nicéphore Chumnos ou Démétrius Gydonès, essayistes comme Théodore Métochite ou Manuel Paléologue, poètes comme Manuel Philès, satiriques comme l’auteur anonyme de la Descente de Mazaris aux enfers. Les sciences, l’astronomie, la médecine, les sciences de la nature, étaient cultivées à l’égal des lettres, et on a pu dire justement des savants de ce temps qu’ils n’ont pas rendu moins de services qu’un Roger Bacon n’en rendit en Occident. Il semble vraiment qu’à la veille de succomber, Byzance rassemblât toutes ses énergies intellectuelles pour jeter un dernier éclat. De même, à l’aube du xiv® siècle, l’art byzan­ tin se réveillait pour une dernière renaissance. LA CIVILISATION BYZANTINE 2l3 Revenant à ses sources les plus anciennes, à cette tradition alexandrine en particulier que remet­ taient en honneur les humanistes du temps, cet art perd son caractère abstrait pour se faire vi­ vant et pittoresque, tour à tour ému, drama­ tique ou charmant. L’iconographie s’enrichit et se renouvelle, plus pathétique et plus passion­ née. La couleur, harmonieuse et savante, est d’une technique presque impressionniste. Des écoles se forment, diverses d’inspiration et de style : école de Constantinople, dont les mo­ saïques de Kahrié-djami (commencement du xiv® siècle) sont le chef-d’œuvre ; école macédo­ nienne, dont les maîtres ont décoré les églises de la Macédoine, de la Vieille Serbie et les plus anciennes églises de l’Athos, et dont le fameux Manuel Pansélinos est peut-être, au xvie siècle, le dernier représentant; école crétoise, dont les fresques de Mistra sont sans doute le chef-d’œuvre. Ainsi Byzance, en appa­ rence épuisée, retrouve, au xive siècle comme jadis au xe, au contact de la tradition antique, une vigueur nouvelle ; et par ce puissant mou­ vement d’art, comparable à la Renaissance ita­ lienne du XIVe siècle, et qui cependant ne lui doit rien, une fois encore l’influence de By­ zance s’étend sur tout le monde oriental, chez 2i4 l’empire byzantin sous les paléologues les Serbes, chez les Russes, chez les Rou­ mains. Le despotat de Mistra. — Entre ces divers centres de culture intellectuelle et artistique. Mistra mérite une mention particulière. Fondée par Guillaume de Villehardouin, audessus de la plaine où fut Sparte, devenue en­ suite la résidence des despotes grecs du Péloponèse, Mistra, avec ses églises toutes décorées de fresques, ses murailles, ses maisons, ses pa­ lais, est, comme on l’a dit justement, une Pom­ pei byzantine. Après qu’en 1262 la ville fut re­ venue au pouvoir des Byzantins, Andronic II s’appliqua à la peupler et à l’embellir et il y fit bâtir plusieurs églises. Jean Cantacuzène plus tard s’y intéressa davantage encore. Il fit de la province de Morée, progressivement reconquise sur les Francs, un apanage pour son fils cadet Manuel, qui reçut le titre de despote (1348); et sous le gouvernement de ce prince, comme sous celui des cadets de la dynastie des Paléo­ logues qui lui succédèrent (à partir de 1383), Mistra fut le centre d’une cour brillante, artiste et lettrée, véritable foyer d’hellénisme et d’hu­ manisme, et refuge de la nationalité grecque expirante. LA CIVILISATION BYZANTINE 2l5 C’est en effet un trait digne d’attention que, dans cette Byzance, qui si longtemps s’était désintéressée de la Grèce antique, brusque­ ment, à la veille de la catastrophe, reparaît le souvenir des lointaines origines helléniques. Sur les lèvres des gens du xve siècle, se ren­ contrent de façon inattendue les grands noms des Périclès et des Thémistocle, des Lycurgue et des Epaminondas, dont on se plaît à rappeler ce qu’ils firent jadis « pour la chose publique, pour la patrie ». Les hommes les plus éminents du temps, un Gémiste Pléthon, un Bessarion, voient dans le réveil de la tradition hellénique le le­ vain qui sauvera l’empire, et ils adjurent le sou­ verain de prendre, au lieu du titre suranné de basileus des Romains, le nom nouveau et vi­ vant de roi des Hellènes, « qui à lui seul suffira, disent-ils, pour assurer le salut des Hellènes libres et la délivrance de leurs frères esclaves ». Bessarion rappelle au dernier des Paléologues les exploits des Spartiates d’autrefois et le sup­ plie de se mettre à la tête de leurs descendants pour affranchir l’Europe des Turcs et recon­ quérir en Asie l’héritage de ses pères. Pléthon propose à Manuel II tout un programme de ré­ formes — à la veille de la catastrophe suprême — pour l’Hellade régénérée. Et si vaines que 2x6 l’empire byzantin sous les paléologues semblent ces illusions, au moment où Maho­ met II est aux portes, ce n’en est pas moins un fait remarquable que cette reprise de conscience de l’hellénisme qui ne veut pas mourir, que cette vue prophétique d’un avenir lointain où, selon le mot d’un écrivain du xv* siècle, Chalcondylès, » quelque jour un roi grec et ses suc­ cesseurs restaureront un royaume où les fils des Hellènes réunis administreront eux-mêmes leurs affaires en formant une nation ». . C’est à la cour de Mistra surtout que se sont exprimées ces aspirations, et pareillement c’est dans les églises de Mistra, à la Métropole (com­ mencement du XIVe siècle), à la Peribleptos (mi­ lieu du xive siècle) à la Pantanassa (xve siècle), que se rencontrent quelques-uns des chefsd’œuvre de la Renaissance artistique de ce temps. On y observe une rare entente du sens décoratif, une recherche du pittoresque, du mou­ vement, de l’expression, un goût remarquable de l’élégance et de la grâce, un sens admirable de la couleur, délicate et vigoureuse à la fois, un art savant et libre tout ensemble. Les mêmes qualités se retrouvent dans les fresques des églises de Macédoine comme dans les peintures les plus anciennes des monastères de l’Athos. Elles montrent de quelle originalité créatrice LA CIVILISATION BYZANTINE 2IJ l’art byzantin était capable encore et jettent sur l’époque des Paléologues une suprême splen­ deur. L'empire grec de Trébizonde. — A l’autre extrémité du monde byzantin, au fond de la mer Noire, l’empire lointain de Trébizonde offrait vers le même temps un autre centre inté­ ressant de civilisation hellénique. Au commencement du xni® siècle, Alexis I'r (1204*1222), de la famille des Comnènes, avait fondé, malgré les attaques des souverains de Ni­ cée et des Turcs Seldjoucides, un Etat qui com­ prenait tout l’ancien Pont Polémoniaque et s'é­ tendait vers l’est jusqu’au Phase. Mais isolé aux extrémités de l’Orient, perdu entre les Turcs et les Mongols, troublé à l’intérieur par les que­ relles de sa turbulente noblesse féodale, ex­ ploité par les Génois, jalousé par les souve­ rains grecs de Contantinople, le nouvel empire mena une existence souvent difficile. Il connut pourtant des jours prospères, sous le règne d’Alexis II (1297-1330), sous le long gouverne­ ment d’Alexis III (1340-1390), qui embellit sa capitale d’églises et de monastères. Etagée audessus de la mer, parmi les eaux courantes et la verdure, prodigieusement riche par le grand 2i8 l’empire byzantin SOUS LES paléologues commerce qu’elle faisait avec l’intérieur de l’Asie, célèbre par son luxe et par la beauté de ses princesses, Trébizonde était alors une des plus belles villes de l’Orient et un des grands marchés du monde. Sur le plateau qui dominait le rivage, le palais des princes était une mer­ veille d’élégante magnificence, et la renommée de la cité, « tête et œil de l’Asie tout entière », était répandue dans tout le monde oriental. Sans doute, à partir du commencement du XVe siècle, une démoralisation profonde troubla la cour des Comnènes et la remplit d’intrigues sanglantes et de tragiques aventures. Il n’en subsista pas moins, grâce à l’empire de Trébi­ zonde, au fond du Pont-Euxin, un reflet des gloires de Byzance, et pendant deux siècles et demi, la nationalité grecque trouva là un de ses refuges. Le despotat de Morée et l’empire de Trébi­ zonde devaient survivre quelques années à peine à la chute de Constantinople. Dès 1453, l’insur­ rection albanaise dans le Péloponèse avait amené les Turcs en Morée, et les despotes, frères de Constantin XI, après avoir appelé les Ottomans à leur aide, avaient dû se reconnaître les vas­ saux du sultan. Lorsque en 14&9 Thomas re­ fusa le tribut, ce fut plus grave. Mahomet II en LA CIVILISATION BYZANTINE 2ig personne parut en Morée, brisant toutes les ré­ sistances, sans réussir pourtant à emporter Mistra. Les despotes encore une fois durent se soumettre, mais bientôt à nouveau ils se soule­ vèrent. Alors le sultan marcha droit à Mistra, déposa le despote Démétrius qu’il emmena pri­ sonnier; l’autre prince grec s’enfuit en Italie, et la Morée devint une province turque (1460). David Comnène, le dernier empereur de Trébizonde, succomba en 1461. Vainement il avait essayé de s’appuyer sur le mari de sa nièce, le prince turcoman Ouzoun Hassan. En 1461 Ma­ homet II paraissait en Anatolie, battait les troupes d’Hassan, puis se retournait contre Trébizonde, qui dut capituler. Ce qui restait de la famille impériale fut interné par ordre du sultan près de Serrés en Macédoine. C’était la fin du dernier État grec d’Orient. Ainsi finit l’empire byzantin, après plus de mille ans d’existence, et d’une existence sou­ vent glorieuse, après avoir été, durant des siè­ cles, le champion de la chrétienté contre l’Islam, le défenseur de la civilisation contre la bar­ barie, l’éducateur de l’Orient slave, après avoir, jusqu’en Occident, fait sentir son influence. Mais alors même que Byzance fut tombée, alors qu’elle sao l’empire byzantin sous les PALÉOLOGUES eut cessé d’exister en tant qu’empire, elle con­ tinua d’exercer dans tout le monde oriental une action toute-puissante, et elle l’exerce encore aujourd’hui. Des extrémités de la Grèce au fond de la Russie, tous les peuples de l’Europe orien­ tale, Turcs et Grecs, Serbes et Bulgares, Rou­ mains et Russes, ont conservé le souvenir vi­ vant et les traditions de Byzance disparue. Et par là cette vieille histoire, assez mal connue, un peu oubliée, n’est point, comme on le croit trop volontiers, une histoire morte ; elle a laissé jusqu’en notre temps, dans le monvement des idées comme dans les ambitions de la politique, des traces profondes, et elle contient toujours en elle pour tous les peuples qui ont recueilli son héritage des promesses et des gages d’ave­ nir. C’est par là que la civilisation byzantine mérite doublement l’attention, autant pour ce qu’elle fut en elle-même que pour tout ce qui reste d’elle dans l’histoire de notre temps. APPENDICE I LISTE DES EMPEREURS BYZANTINS La dynastie constantinienne Constantin Ier le Grand, 3o6-33j, seul empereur, 3a3~ 33?. Constance II, 33?-36i ; seul empereur, 353-361 Julien, 361-363. Jovien, 363-364Valens, 364-3j8. La dynastie théodosienne Théodose Ier le Grand, 3j9-3g5. Arcadius, 3g5-4o8. Théodose II, 4o8-45o. Marcien, 45o-45j. Léon l'r, 45j-474Zénon, 4j4_49IAnastase, 491-518. La dynastie justinienne Justin Ier, 5i8-52J. Justinien I»r, 5aj-565. Justin II, 565-578. aaa APPENDICE Tibère II, 5;8-58a. Maurice, 582-602. Phocas (usurpateur). 602-610 La dynastie dRéradins Héraclius, 610-641. Constantin III et Héracléonas, 641-642. Constant II, 642-668. Constantin IV Pogonat, 668-685. Justinien II Rhinotmète, 685-6g5. Léontius (usurpateur), 695-698. Tibère III (usurpateur), 698-705. Justinien II (pour la seconde fois), 706-71t, Philippicus, 711-713. Anastase li, 713-716. Théodose III, 716-717. La dynastie isaurienne Léon III, 717-740. Constantin V Copronyme, 740-775. LéorflV, 775-780. Constantin VI, 780-797. Irène, 797-802. Nicéphore Ier, (usurpateur), 802-811. Staurakios, 811. Michel !'«■ Rangabé, 8n-8i3. Léon V l’Arménien, 8i3-82o. Michel II le Bègue, 820-829. Théophile, 829-842. Michel III l’ivrogne, 842-867. La dynastie macédonienne Basile Ier, 877-886. Léon VI le Sage, 886-912. Alexandre, 912-913. LISTE DES EMPEREURS BYZANTINS 2O3 Constantin VII Porphyrogénète, 913-989, associé à Romain 1er Lécapène (usurpateur), 919-944* Romain II, 959-963. Nicéphore II Phocas, 963-969. Jean Ier Tzimiscès, 969-976. Basile II le Bulgaroctone, 976-1033. Constantin VIII, 1025-1028. Zoé, 1028-1080, associée à ses maris successifs : Remain III Argyre, 1028-1034. Michel IV le Paphlagonien, io34-to4iMichel V le Calfal (neveu de Michel IV, adopté par par Zoé), 1041-1042. Constantin IX Monomaque, 1042-1054. Théodora, io54-io56. Michel VI Stratiotikos, 1056-1087. La dynastie des Doucas et des Comnènes Isaac i'r Comnène, io57-io5g. Constantin X Doucas, 1059-1067. Romain IV Diogène 1067-1071. Michel VII Doucas, 1071-1078. Nicéphore III Botaniate (usurpateur), 1078-1081. Alexis Dr Comnène, 1081-1118. Jean II Comnène, in8-n43. Manuel l’r Comnène, Ii43-n8o. Alexis II Comnène, 1180-1183 Andronic I«r Comnène, ii83-ii85. La dynastie des Anges Isaac II, 1185-1195. Alexis III, 1195-1203. Isaac II (pour la seconde fois), associé à son Cls Alexis IV, iao3-i2o4Alexis V Murzuphle (usurpateur), 1204. 204 APPENDICE Empereurs latins de Constantinople Baudouin de Flandre, iao4-tao5. Henri d’Angre, 1206-1216. Pierre de Courtenay, 1217. Yolande, 1217-1219 Robert II de Courtenay, 1221-1228. Baudouin II, 1228-1261, assisté, de Jean de Brienne comme régent, 1229-1237; seul empereur, 1240-1261. Empereurs grecs de Nicés Théodore Ier Lascaris, 1204-1222. Jean III Vatatzès, 1222-1264. Théodore II Lascaris, 1254-1268. Jean IV Lascaris, 1268-1269. Michel VIII Paléologue (usurpateur), 1269-1261. La dynastie des Paléologaes Michel VIII, 1261-1282. Andronic II, 1282-1328, associé à son fils Michel IX, 1296-1320. Andronic III, i328-i34i. Jean V, 1341-1376. Jean VI Cantacuzène (usurpateur), i34i-I355. Andronic IV (fils de Jean V), 1376-1379. Jean V (pour la seconde fois), 1379-1391. Jean VII (fils d’Andronic IV, usurpateur), i3go. Manuel II, 1391-1426. Jean VIII, 1426-1448. Constantin XI Dragasês, Despotes grecs de Mistra Manuel Cantacuzène, i348-i38o. Mathieu Cantacuzène, i38o-i383. LISTE DES EMPEREURS BYZANTINS Théodore Ier Paléologue, i383-i4oj. Théodore II, i4oj-i443■Constantin Dragasès, 1428-ï448. Thomas, 1432-1460. ' Démétrius, i449'i46°- 325 aa6 APPENDICE II TABLE CHRONOLOGIQUE DES ÉVÉNEMENTS LES PLUS IMPORTANTS DE L’HISTOIRE BYZANTINE 33o. — il mai. — Inauguration de Constantinople, « la nouvelle Rome », par Constantin le Grand. 343. — Concile de Sardique. 35i. — Bataille de Mursa. 353. — Constance seul empereur. 359. — Concile de Rimini. 3;6. — Établissement des Wisigoths en Mésie. 378. — Bataille d’Andrinople et mort de l’empereur Valens. 38i. — Concile œcuménique de Constantinople. 3g5. — Mort de Théodose. Partage de l’empire entre ses fils Arcadius et Honorius. 396. — Invasion d’Alaric en Grèce. Les Wisigoths. cernés par Stilicon à Pholoé. 399-400. — Révolte de Gainas. 404. — Déposition et exil de saint Jean Chrysostome. 410. — Prise de Rome par Alaric. 43i. — Concile œcuménique d’Ephèse. 438. — Publication du Code Théodosien. 439. — Construction de la grande muraille de Cons­ tantinople. 441. — Invasion d’Attila en Pannonie. 44;. — Nouvelle invasion d’Attila. 449- — Concile appelé « le brigandage d’Ephèse ». 45i. — Concile-œcuménique de Chalcédoine. 4jô. — Chute de l’empire romain d’Occident. 48a. — Édit d’union ou Hénotikon. TABLE CHRONOLOGIQUE DES ÉVÉNEMENTS 11] 487. — Théodoric, roi des Ostrogoths, est chargé par Zénon de reconquérir l’Italie. 5o2. — Reprise de la guerre avec les Perses. 5i2. — Construction du mur d’Anastase. 5i4- — Révolte de Vitalien. 519. — Rétablissement de l’accord avec Rome et fin du schisme d’Acace (484-619). 527. — Reprise de la guerre contre les Perses. 529 — Publication du Code Justinien. 529. — Fermeture des écoles d’Athènes. 532. — Paix perpétuelle conclue avec les Perses. 532. — Sédition Nika. 533. — Publication du Digeste et des Institutes. 533-534- — Bélisaire reconquiert l’Afrique. 535. — Novelles de Justinien pour la réorganisation administrative de l’empire. 535. — Guerre contre les Ostrogoths. 536. — Concile de Constantinople. 537. — Inauguration de Sainte-Sophie. 537-538. — Siège de Rome, défendue par Bélisaire. 54<». — Prise de Ravenne par Bélisaire. 540. — Chosroès envahit la Syrie. 54o. — Invasion des Huns dans l’Illyricum. 543. — Édit de Justinien sur les trois Chapitres. 548. — Mort de Théodora. 549- — Rome reprise par Totila. 552. — Défaite des Ostrogoths à Taginae et fin du royaume ostrogothique. 553. — Concile œcuménique de Constantinople. 554. — Conquête du sud-est de l’Espagne. 559. — Les Huns devant Constantinople. 562. — Paix avec la Perse. 568. — Invasion des Lombards en Italie. 5^2. — Reprise de la guerre avec les Perses. 579. — Mort de Chosroès le Grand. APPENDICE 2u8 58i. — Prise de Sirmium par les Avars. Vers 58a. — Création des exarchats d’Afrique et de Ravenne. 591. — Paix avec la Perse. 601. — Victoires de Priscos sur les Avars. 602. — Soulèvement de Phocas. 608. — Les Perses conquièrent la Syrie et parviennen* à Chalcédoine. 610. — Soulèvement d’Héraclius et chute de Phocas. 6i5. — Prise de Jérusalem par les Perses. 617. — Conquête de l'Egypte par les Perses. 622. — Héraclius prend l’offensive contre les Perses. 626. — Les Avars et les Perses attaquent Constanti­ nople. 627. — Bataille de Ninive. 629. — Paix avec les Perses. Commencement du vu' siècle. — Établissement des Croates et des Serbes dans l’Illyricum. 634. — Lés Arabes envahissent la Syrie. 636. — Bataille de l’Yarmouk. 63j. — Capitulation de Jérusalem. 638. — Héraclius publie l'Ecthesis ou Exposition de la foi. 640-642. — Conquête de l’Egypte par les Arabes. 647- — Les Arabes dans l’Afrique du Nord. 648. — Constant II publie le Type. 655. — Défaite de la flotte byzantine dans les eaux de Lycie. Milieu du vn' siècle. — Création des thèmes asiatiques. 668. — Les Arabes à Chalcédoine. 673-678. — Grand siège de Constantinople par les Arabes. 679. — Établissement des Bulgares au sud du Da­ nube. 680-681. — Concile œcuménique de Constantinople. TABLÉ CHRONOLOGIQUE DES ÉVÉNEMENTS 33Q 693. — Défaite de Justinien II par les Arabes à Sébas topo lis. 697-698. — Prise de Carthage par les Arabes et perte de l’Afrique. 708. — Echec de Justinien II contre les Bulgares. 710. — Insurrection de l’Italie. 712-717. — Progrès des Arabes en Asie Mineure. 717-718. — Siège de Constantinople par les Arabes 726. — Édit contre les images. 727. — Insurrection delà Grèce et de l’Italie. 789. — Bataille d’Akroïnos. 740. — Publication de Écloga. 751. — Prise de Ravenne par les Lombards. 762. — Succès sur les Arabes. 753. — Concile iconoclaste d’Hiéria. 754. — Donation de Pépin à la papauté. Perte de l’Ita­ lie byzantine. 755. — Guerre contre íes Bulgares. 762. — Défaite des Bulgares à Anchialos. 765. — Persécution contre les partisans des images 787. — Concile oecuménique de Nicée. 797. — Constaran VI renversé par Irène. 800. — Reconstitution de l’empire romain d’Occident. 809. — Invasion du Khan bulgare Kroum. 811. — L’empereur Nicéphore est tué dans la lutte sontre les Bulgares. 8i3. — Kroum devant Constantinople. 8i3. — Victoire des Byzantins à Mesembria. 8i5. — Synode iconoclaste de Constantinople. 822. — Insurrection de 'I humas. 826. — Conquête de la Crète par les Arabes. 827. — Les Arabes en Sicile. 832. — Édit de Théophile contre les images. 83A. — Prise d’Amorion par les Arabes. 842. — Prise de Messine par les Arabes. □3o APPENDICE 843. — Concile de Constantinople et rétablissement de l’orthodoxie. 858. — Déposition d’Ignace. Photius élu patriarche. 863. — Mission de Cyrille et Méthode chez les Mo­ rayes. 864- — Conversion de la Bulgarie. 867. — Synodede Constantinople. Rupture avec Rome. 869. — Concile œcuménique de Constantinople. 876. — Prise de Bari par les Grecs. 878. — Prise de Syracuse par les Arabes. 879. — Concile de Constantinople. 887-893. — Publication des Basiliques. 893. — Rupture avec le tsar bulgare Syméon. 902. — Prise de Taormine par les Arabes. Perte de la Sicile. 904. — Thessalonique prise par les Arabes. 9i5. — Bataille du Garigliano. 917. — Victoire des Bulgares à Anchialos. 919. — Usurpation de Romain Lécapène. 924. — Syméon devant Constantinople. 927. — Mort du tsar Syméon. 934. — Prise de Mélitène par les Byzantins. 944- — Prise de Nisibis et d’Édesse. 944- — Chute de Romain Lécapène. 961. — Reprise de la Crète par Nicéphore Phocas. 963. — Usurpation de Nicéphore Phocas. 965. — Conquête de la Cilicie. 967. — Reprise de la guerre bulgare. 968. — Les Russes en Bulgarie. 968. — Prise d’Antioche. 969. — Assassinat de Nicéphore Phocas. 971. — Insurrection de Bardas Phocas. 971. — Défaite des Russes à Silistrie. Annexion de la Bulgarie. 976. — Campagne de Tzimiscès en Syrie. TABLE CHRONOLOGIQUE DES ÉVÉNEMENTS s3l 976- 979- — Soulèvement de Bardas Skléros. 977- 986. — Progrès du tsar bulgare Samuel. 986. — Défaite des Grecs au défilé de la Porte Tra­ jane. 987-989. — Soulèvement de Bardas Phocas. 989. — Conversion de la Russie. 995. — Ca npagne de Basile II en Syrie. 996. — Défaite des Bulgares sur le Sperchios. 998. — Campagnes en Syrie. 1000-1014. — Guerre contre les Bulgares. loto. — Révolte de l’Italie du Sud. 1014. — Bataille de Cimbalongou. Mort du tsar Sa. muel. 1018/ — Soumission de la Bulgarie. 1018. — Victoire de Cannes. 1021-1022. — Annexion de l’Arménie. io3a. — Prise d’Edesse par les Grecs. io38. — Succès de Georges Maniakès en Sicile. 1040. — Insurrection de la Bulgarie. 1042. — Révolution à Constantinople. Chute de Mi­ chel V. 1043. — Soulèvement de Georges Maniakès. 1054. — Le patriarche Ceroularios rompt avec Rome. io5j. — Soulèvement d’Isaac Comnène. 1064. — Prise d’Ani par les Turcs Seldjoucides. 1071. — Prise de Bari par les Normands et perte de l’Italie. 7011. — Bataille de Mantzikiert. 1078. — Soulèvement de Bryenne et de Botaniste. 1078. — Les Turcs à Nicée. 1081-1084. — Invasion de Robert Guiscard en Épire. 1082. — Traité avec Venise. 1091. — Défaite des Petchenègues snr le Lébumion. 1096. — Les croisés à Constantin* p e. 1097. — Prise de Nicée par les creusés. a3a APPENDICE 1107-1108. — Guerre contre Bohémond. 1116. — Bataille de Philomélion. 1122. — Défaite des Petchenègues. 1122-1126. — Guerre avec Venise. 1124-1126. — Intervention en Hongrie. ii37-ii38. — Campagne de Jean Comnène en Cilicie et en Syrie. 1147. — La seconde croisade. 1147-1i49- — Guerre avec Roger II roi de Sicile. ii5i. — Les Byzantins à Ancône. 1162-1154. — Guerre de Hongrie. n58. — Campagne de Manuel Comnène en Syrie. 1168. — Annexion de la Dalmatie. 1171. — Rupture avec Venise. 1176. — Bataille de Myrioképhalon. 1182. — Soulèvement d’Andronic Comnène. n85. — Prise de Thessalonique par les Normands. ii85. — Fondation de l’empire vlaquo-bulgare. 1189. — Frédéric Barberousse en Orient. 1190, — Isaac Ange battu par les Bulgares. 1197-1207. — Le tsar bulgare Johannitsa. 1204. — Prise de Constantinople par les Latins. Fon­ dation de l’empire latin de Constantinople. 1205. — Défaite des Latins à Andrinople. 1206. —Théodore Lascaris couronné empereur à Nicée. 1210. — Parlement de Ravennika. 1222. — Reprise de Thessalonique par les Grecs d’É­ pire. I23o. — Destruction de l’empire grec de Thessalo­ nique par les Bulgares. 1236. — Constantinople attaquée par les Grecs et les Bulgares. 1244. — Le despotat de Thessalonique vassal de Nicée. 1254. — Soumission du despote d’Épire Michel. TABLE CHRONOLOGIQUE DES ÉVÉNEMENTS 233 1289. — Bataille de Pélagonia. 1261. — Traité de Nympbaeon. 1261. — Reprise de Constantinople par les Grecs. 1262. — Les Byzantins reprennent pied en Morée. 1267-1272. — Progrès de Charles d’Anjou en Épire. 1274. — Concile de Lyon. 1281. — Victoire de Bérat sur les troupes angevines. i3o2-i3ii. — La Grande Compagnie catalane en Orient. i3ii. — Bataille du lac Copaïs. 1326. — Prise de Brousse par les Turcs. i32ô-i328. — Guerre des deux Andronics. i33o. — Les Bulgares battus par les Serbes à Velboujd. 1340. — Progrès des Serbes en Épire, des Turcs en Asie. 1341. — Soulèvement de Jean Cantacuzène. 1342-1349. — Révolution des Zélotes à Thessalonique. i34i-i35i. — Querelle des Hésychastes. 1345. — Etienne Douchan conquiert la Macédoine. 1346. — Couronnement d’Étienne Douchan comme empereur à Uskub. i347- — Cantacuzène prend Constantinople. 1348. — Fondation du despotat de Mistra. i354- — Les Turcs à Gallipoli. i355. — Mort d’Étienne Douchan. i365. — Les Turcs établissent leur capitale à Andrinople. 1371. — Bataille de la Maritza. 1373. — Jean V Paléologue vassal du sultan. ¡376. — Soulèvement d’Androide IV. 1389. — Bataille de Kossovo. i3go. — Soulèvement de Jean VIL 1891. — Prise de Philadelphie par les Turcs. 1396. — Croisade de Nicopolis. a34 APPENDICE 1397. — Bajazet attaque Constantinople. 1402. — Bataille d’Angora. 1423. — Siège de Constantinople par les Turcs. i4a3. — Thessalonique vendue à Venise. x423. — Expédition des Turcs en Morée. i43o. — Prise de Thessalonique par les Turcs. 1439. — Concile de Florence. i444- — Bataille de Varna. 1446. — Invasion turque en Morée. i45i. Avènement de Mahomet II. 1453-29 mai. — Prise de Constantinople par les Turcs. BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE Des principaux ouvrages à lire ou à consulter Histoirb générale de l’empire byzantin. — Il n’existe point actuellement, sauf peut-être en Russie, d'histoire générale détaillée et complète de l’empire by­ zantin, que l’on puisse considérer comme étant au cou­ rant des dernières recherches scientifiques. L’ouvrage de Gibbon : History of the decline and fall of the Ro­ man empire, est étrangement tendancieux et vieilli, et l’édition nouvelle qu’en a donnée Bury (Londres, 1896, 7 vol.) vaut surtout par les précieuses notes dont l’a accompagnée l’éditeur. Le livre de Finlay : History of Grece from its conquest br the Romans to the present time (éd. nouvelle de Tozer, Oxford, 1877, 7 vol.), de même que celui, plus sommaire, de Ilertzberg, Geschichte der Byzantiner and des Osmanischen Reiches bis gegen Ende des XVI Jahrhunderts (Berlin, i883, i vol.), sont antérieurs aux grands travaux scientifiques de ces dernières années ; et si le travail de Ch. Hopf, publié dans l’Encyclopédie de Ersch et Gruber (t. 85 et 86), sous le titre : Geschichte Griechenlands vom Beginn des Mittelalters bis auf unsere Zeit, i867, mérite tou­ jours d’être consulté, c’est principalement pour la pé­ riode qui suit la 4e croisade et pour l’histoire des États latins qui se fondèrent en Grèce après IU04. La Chronographie byzantine de Murait (Saint-Pétersbourg, i8551873, a vol.), malgré de nombreuses inexactitudes, est toujours un répertoire chronologique utile. a36 BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE En ces dernières années, plusieurs savants russes ont commencé la publication d’histoires générales de By­ zance. Celle de Koulakovski (Kief, 1910-1915) comprend trois volumes, qui racontent les événements de 3g5 à 717. Celle d’Ouspenski (Pétrograd, igi3) ne compte encore qu’un volume et s’arrête pareillement en 717Celle de Vassilief (Pétrograd, 1917) comprend, dans son tome I, la période qui va du ive siècle à 1081. Il faut citer enfin 1’ *I