La Causalité instrumentale dans Mre surnaturel DU MÊME AUTEUR LIBRAIRIE TÊQUI : Hors de l’Eglise point de salut. In-12. 2· édition. La Causalité intrusnwntale en Théologie. In-12. nouv. édition Réponses théologiques à quelques questions d’actualité. Le Mystère de la Rédemption. In-12, 4" édition. Le Mystère de la Très Sainte Trinité. In-12. 4" édition. Le Mystère de l’incarnation. In-12. 4· édition La Sainte Eucharistie. In-12. 4“ édition. La Vierge-Prêtre. jn-12. 3· édition. Les Dominicaines de PellevotSin. Principes de Philosophie : les vingt-quatre thèses thomiste j 3’ édition. LIBRAIRIE P. LETHIELLEUX Les Vœux de religion contre les attaques actuelles. In-12. La Fraternité du Sacerdoce et de l'Etat religieux. In-12. Le Rosaire et la Sainteté. In-12. La Lumière et la Fol. In-12. Marie pleine de grace. In-12. Cursus Phllosophiæ ad Theologiam Doctorls Angelici prop deutlcus. Editio Tertia. Six volumes ln-8° : I. Logica. II. Philosophia naturalis. I. p. Cosmologla. III. Philosophia naturalis. II. P. Biclogla et Psychologic. IV. Metaphysica psychologica. V. Metaphysica ontologica. I. VI. Metaphysica ontologica. II. Tractatus dogmatici, i vol. in-8. -i', OREGON· • R. P. Édouard HUGON DES FRÈRES PRÊCHEURS, MAITRE EN THÉOLOGIE PROFESSEUR DE DOGME AU COLLÈGE PONTIFICAL « ANGÉLIQUE » DE ROME MEMBRE DE L’ACADÉMIE ROMAINE DE SAINT-THOMAS D’AQUIN THÉOLOGIE ET PIÉTÉ DAJMS U’OÎ^Ù^E SUHNflTU^EL· TROISIÈME ÉDITION PAR1S-6' PIERRE TÉQ.CJI LIBRAIRE-ÉDITEUR 82, RUE BONAPARTE, 82 1924 . MîCj: Abbey Library , θΓ€ίΟ!?5Π //Λ/·· H? 1^27 APPROBATIONS Nous, soussignés, avons examiné l’ouvrage du T. R. P. Edouard Hugon : La Causalité instrumen­ taleet nous déclarons en approuver la nouvelle édition. Rome, Collège Angélique, en la fête de saint Tho­ mas d’Aquin, le 7 mars iga3. Fr. Léonard Lehu, O. P., Maître en Théologie. Fr. Réginald Garrigou-Lagrange, O. P. Maître en Théologie. IMPRIMATUR Fr. Ludovicus Theissling, M. G. O. P. IMPRIMATUR Parisiis, die τι octobris iggj Audollent, V. G. PRÉFACE DE LA NOUVELLE ÉDITION En cédant aux instances qui nous sont adressées de rééditer ce modeste volume, nous devons remercier la presse catholique des en­ couragements qu’elle nous a prodigués. Dès l’apparition de l’ouvrage, la Revue Ecclésiastique de Liège citait la publication de la Causalité instrumentale comme « un fait digne de toute attention » déclarant que ce tra­ vail « d’une construction très bien charpen­ tée, d’une doctrine solidement assise sur des bases à la fois philosophiques et positives, d’une limpidité d’expression extraordinaire, est pleinement réussi. » (Mars 1908.) --- VI --- La Croix de Paris disait aussi : « C’est une œuvre de haute vulgarisation et d’éminente piété, capable de séduire les intelligences sa­ cerdotales et la religion des fidèles éclairés... Le terme de cette ascension vers le divin c’est l’adoration. II faut remercier le P. H. d’avoir vulgarisé une doctrine si belle ; elle charmera, à coup sûr, qui voudra la lire et y réfléchir un instant. » (a3 janvier 1908.) L’Ami du Clergé écrivait : « Il ira à tous et même aux âmes chrétiennes dans le monde. C’est de la théologie, et de la plus haute, mais si claire, si vivante, si imagée même et si nourrie de comparaisons scriptuaires ou patristiques, et précisément parce qu’elle est très haute, très féconde aussi et bien faite pour fertiliser notre vie quotidienne et trouver des applications pratiques dans toutes nos actions... Peu de livres sont aussi bien faits que celui-ci pour nous montrer la fécondité de l’alliance (qui devrait être in­ dissoluble) entre la théologie et la piété. » (19 décembre 1907.) N’ayant pas à modifier nos doctrines, il nous a suffi, dans cette nouvelle édition, --- VH d’ajouter quelques précisions ou quelques compléments, surtout à propos de la causalité intentionnelle, et de signaler les importantes décisions de l’encyclique de Benoît XV sur saint Jérôme, en ce qui concerne l’inspira­ tion scriptuaire. Notre consolation serait de mériter les en­ couragements de Benoît XV et de Pie XI, lors­ que ces Pontifes ont daigné nous écrire que l’excellence des livres théologiques est d’al­ lumer dans les lecteurs l’amour de la piété. AVANT-PROPOS Le sujet que nous abordons offre déjà un réel intérêt au point de vue philoso­ phique. Quiconque n’a pas approfondi la nature de l’instrument ne possède pas complètement la métaphysique des causes. Toutefois la portée théologique est bien supérieure. Les âmes chrétiennes gagne­ raient à connaître une doctrine qui fait si bien comprendre l’action de Dieu sur la créature humaine et le prolongement de l’incarnation à travers les siècles. Les Thomistes lui ont consacré de superbes dissertations dans leurs traités de l’incarnation et des sacrements, mais nous ne sachons pas que cette question X ait été exposée en français avec l’ampleur qui lui convient. Nous n’avons, certes, pas l’intention de faire œuvre de théologien rétrograde. Il faut, dit-on, être de son temps : les sujets vraiment utiles sont ceux qui ont de l’actualité. D’accord, mais est-ce qu’on cesse d’être actuel parce qu’on étudie Notre-Seigneur et l’économie de son Incarnation? Le plus grand besoin de notre époque est, en somme, le besoin du surnaturel; le salut pour les nations comme pour les individus consiste à con­ naître le Christ et à vivre de sa vie. Voilà pourquoi le grand pontife que Dieu a préposé au gouvernement de son Eglise nous indique comme unique remède la restauration de toutes choses en Jésus : Instaurare omnia in Christo. Notre humble travail, malgré son côté spéculatif, est avant tout un hommage à l’Humanité adorable de notre doux Sau­ veur. Nous parlons des auteurs inspirés qui ont écrit sur Lui, de ses sacrem en Is, de ses prêtres, de ses saints, de sa Mère, --- XI --- mais tous ces sujets se rapportent à Lui : c’est Lui qui reste l’objet et la fin de cette étude. A une époque où la fausse critique s’efforce de rabaisser le Christ, de le présenter au monde sans sceptre et sans couronne, ou de lui ravir au moins quel­ ques-unes des franges de son manteau, il est bien juste de restituer à cette sainte Humanité la robe de gloire que lui a faite l’école thomiste. Nous n’examinons ici que les applica­ tions théologiques de la causalité instru­ mentale, c’est-à-dire celles qui se rappor­ tent à l’ordre surnaturel ; et ce plan nous amène à considérer cette efficacité dans l’inspiration scripturaire,dansl’Humanité de Jésus, dans les sacrements et les minis­ tres de la nouvelle loi, dans les miracles accomplis par les serviteurs de Dieu, dans l’action universelle de la Mère des chré­ tiens. On comprendra, dès lors, pourquoi nous nous sommes contenté de signaler en passant cette application générale de la —- XII --- théorie thomiste que toutes les créatures sont les instruments de Dieu pour la production de l’être dans chacune de leurs opérations.. Cette doctrine est très belle, pleine d’intérêt, très féconde, mais elle relève de la philosophie. D’ailleurs, la question du concours divin est tellement vaste qu’elle fournit à elle seule la matière d’un grand traité. Nous savons qu’une certaine école s’élève avec force contre nos thèses et nos méthodes. On nous accuse d’asseoir les dogmes fondamentaux du catholicisme sur les notions équivoques d’auteur et d’instrument, conceptions arbitraires, constructions instables, qu’un petit argu­ ment de sens commun suffit, dit-on, pour renverser. Si l’on trouve ces doctrines équivoques, c’est qu’on les a peu approfondies. Il est facile de jeter le discrédit sur un système théologique en lui prêtant ce qu’il ne dit point.LesThomistesn’ontjamaisprétendu qu’on puisse, a priori, en vertu des seuls principes métaphysiques sur la cause — XIII —- principale et la cause instrumentale, fon­ der les dogmes révélés. Nous proclamons, nous aussi, la nécessité du document, nous voulons qu’on assoie nos croyances sur des preuves positives, qu’on utilise toutes les ressources de l’histoire, delà critique, de la philologie, de l’exégèse. Mais une fois que cette œuvre de cons­ truction est achevée, que le donné théo­ logique est solidement établi, faut-il s’arrêter là et déclarer vaine toute autre tentative? Non, assurément. L’esprit humain est avide de raisonnement, d’or­ dre, de synthèse, il a besoin de systéma­ tiser les conclusions de la théologie posi­ tive, il en élargit la portée ; et c’est ainsi que le vivant travail de la théologie spécu­ lative confère au dogme la fécondité (1). Nos théories ne sont pas si arbitraires, nos constructions ne sont pas si caduques ni si instables qu’on veut bien le dire. Le monument élevé par Aristote et Thomas (i) Voir à ce sujet l’intéressant article du T. R. P. Cocon· Spéculative ou Positive, dans la Revue Thomiste, janvier-février 19Ù3. nier, — XIV —- d’Aquin, le système théologique auquel l'Eglise, à toutes les époques, et récem­ ment encore par la bouche de ses pon­ tifes (1), a reconnu tant de solidité, ne seront pas renversés par un petit argu­ ment de sens commun, car ils ont pour eux et le sens commun et le génie. Tels sont les principes et la méthode qui nous ont guidé. Nous supposons que l’inspiration ; scripturaire est déjà démontrée et expli- . quée d'après les faits bibliques ; mais ceux-ci ne dispensent pas de recourir aux causes, ils demandent à être analysés > d’après certaines lois métaphysiques. Il. faut savoir gré à saint Thomas de nous I avoir préparé une théorie si juste, qui donne à ces faits scripturaires une expli­ cation rationnelle très large et très pro­ fonde. Nous supposons aussi prouvé parle(1) Cf. Encyclic. Æterni Patris, 4 august. 1879, Litter, ad Minist. Gener. Ord. Frat. Minor. 25 nov. 1^98; ie href de. S. S. Pie X à l’Académie Romaine de Saint-Thomas-d’Aquim 23 janvier 1904, et sa lettre aux évêques protecteurs d« I l’institut catholique de Paris, 6 mai 1907. XV — document, Tradition et Ecriture, le mys­ tère de l’incarnation. Une fois admis que Jésus est Sauveur par son Humanité, il y a intérêt à exposer une doctrine qui est belle, qui honore Dieu et son Christ, qui fait mieux ressortir les harmonies et les convenances de l’œuvre rédemptrice. De même, une fois établi par le docu­ ment que les prêtres et les sacrements de la nouvelle loi sont causes de la grâce, nous avons le droit de faire appel à des théories philosophiques qui jettent une si vive lumière sur ce dogme consolant de la sanctification des âmes, et qui ont, de tout temps, été évoquées par les Pères et les Docteurs. Nos conclusions se basent donc aussi sur des faits, tout en s’appuyant sur la métaphysique; nous utilisons les services des méthodes positives avec ceux de la synthèse théologique. Tel fut le procédé de l’angélique Docteur. Illorum doctrinas, velut dispersa cujusdam corporis membra, in union Thomas collegit et coagmentavit, miro ordine — XVI — digessit, et magnis incrementis ita adau­ xit, ut catholicœ Ecclesiœ singulare præ­ sidium ET DECUS JURE MERITOQUE HABEA­ TUR (1). (1) Encyclic. Æterni Patris LA GflÜSflüITÉ HlSTHÜPJlTME EH THÉOLOGIE CHAPITRE PREMIER THÉORIE THOMISTE DE l’iNSTRÜMENT I Notions générales sur la causalité On appelle cause ce par quoi un être est ou constitué dans sa nature, ou produit dans son existence, ou connu dans notre esprit. Id unde res aut est, aut fit, aut cognoscitur. Les réalités corporelles sont constituées par un double principe : un élément passif dont notre action doit les tirer, comme la statue du LA CAUSALITÉ INSTRUMENTALE. —- 1 --- 2 marbre ; un. élément spécifique qui les fait être ce qu'elles sont, les place dans une hiérarchie et un mode définis, comme la plante est établie dans son espèce par son principe vital, et l’homme dans la sienne par son âme raison­ nable. L’élément dont l’être est sorti est la cause matérielle, et celui qui lui donne sa nature et son harmonie est la cause formelle. Toutesles deux sont intrinsèques, car elles entrent dans la constitution intime de l’être, en sorte que celuici est le résultat et le composé des deux : l’homme n’est ni un corps ni une âme, mais essentiellement l’un et l’autre. Il faut aussi un double principe ^oarproduire un être : et l’auteur qui lui confère proprement l’existence, tel l’artiste créant un chef-d’œuvre ; elle motif qui soliieite et détermine fauteur, tels le désir de la gloire ou l’amour de Dieu poussant le vieil orfèvre à ciseler dans l’or un ostensoir. Ce par quoi l’être est fait ce qu’il est s’appelle cause efficiente ,ce pourquoi il estfait ce qu’il est, cause finale. Elles sont extrinsèques l’une et l'autre; car, sans être jamais étrangères à l’effet, elles demeurent toujours en dehors de lui : la statue restera toujours distincte et de l’artiste qui l’a réalisée, et du motif, mesquin ou sublime, dont elle est née. — 3 — Ce par quoi l’être nous est connu peut désigner tantôt des causes réelles, comme les lois as­ tronomiques dans lesquelles nous prévoyons l’éclipse; tantôt de simples effets, plus mani­ festes que leur principe : c’est ainsi que notre âme se traduit par ses facultés et que les facultés s’affirment par leurs actes. De là cette division célèbre en causes logiques, principes de la conn aissance, et causes réelles, principes de l’être (1 ) : l’âme est la cause réelle des facultés et des actes, mais ceux-ci sont la cause logique qui nous sert à connaître, prouver, démontrer l’existence et la nature de l’âme. Trois notions sont comprises dans le concept de cause réelle. D’abord, influence physique du côté de la cause et dépendance du côté de l’effet, lequel reçoit et possède comme aumône tout ce qu’ila de perfection. Ensuite, distinction réelle entre la cause et l’effet ; autrement il n’y aurait pas influence efficace dans la première ni dépen­ dance véritable dans le second. Enfin, priorité jdans^a cause ; car celle-ci doit produire et donner; or, il faut être avant de produire, et posséder avant de faire l’aumône. Le principe dît moins que la cause : il (1) Caufcæ in cognoscendo et eauste in essendo. -4n’implique pas d’influence positive de sa part ni une dépendance réelle du côté de son terme. C’est pourquoi il peut y avoir dans les personnes divines des relations de principe à terme, mais non pas de cause à effet. La condition est nécessaire pour que la cause opère, mais elle n’exerce pas elle-même d’ac­ tion positive et directe. L’occasio7ife.it encore moins : bien que Feffet se produise à son contact ou à sa présence, elle n’influe pas sur lui, elle n’est pas requise pour que la cause déploie son activité. Les exemples nous feront saisir ces différences : Le jour commence à l’aurore, l’aurore toute seule ne fait pas le jour; l’artiste, au contraire, peut réaliser à lui seul le chef-d’œuvre qui est la statue. Le bois ne brûle bien que s’il est sec, ce n’est point cependant la siccité elle-même qui produit la combustion ; une loi sainte est faite contre le péché, et pourtant les hommes pèchent parce que la loi a signalé le mal. On dira donc que l’aurore est le principe du jour, que l’artiste est la cause de la statue, que la siccité est la condition d’une combustion rapide, que la loi de Moïse fut pour les Juifs une occa­ sion de chute. N’ayant pas à exposer ici la métaphysique des — 5 — quatre causes, nous ne parlerons que de l’agent ou cause efficiente. Son rôle est A agir, faire, mouvoir. Agir, c’est exercer l’acte d’une puis­ sance active, sans exiger cependant que ce qui résulte de cette efficacité en dépenderéellement. Faire, c’est agir, mais de telle sorte que ce qui procède soit dépendant du pouvoir effectif. Mou­ voir, c’est faire, mais en produisant un change­ ment. Ges trois expressions contiennent des nuances qu’il importe de signaler. On peut dire que Dieu agit en engendrant son Verbe, il ne fait pas, car il n’y a ici aucune dépendance ; en créant le monde, il fait, il ne meut pas, puisque la création n’est pas un vrai changement. Que faut-il, en effet, pour changer? Passer d’un état positif à un autre état positif; or, la créa­ tion n’est que la transition du néant à l’être : un seul des deux termes est réel. Dans les causes secondes cependant ces trois mots sontsynonymes. Pour nous,agir c’est faire, car ce que nous tirons de notre activité en dépend effectivement. Faire, c’est mouvoir, modifier. Créatures infirmes, tout notre pouvoir consiste à changer la matière. Les merveilles de l’art, les grandes découvertes de notre époque quiresteront comme une victoirepermanente du génie humain, à quoi se réduisent-elles? à — 6 — modifier, à élever, à diriger les forces de la nature. Quel est le bûcheron qui du néant nous donnera des poutres, ou le physicien qui du néant fera jaillir une étincelle? Nous ne pou­ vons que développer des aptitudes préexis­ tantes, exciter des affinités qui sommeillent, faire éclore des germes, en un mot produire un changement. Nos connaissances même les plus intellectuelles sont des modifications, des mouvements de notre esprit. Il est donc bien constaté que pour toute créature agir c’est faire, et faire c’est mouvoir. Lorsque la cause efficiente produit par ellemême et par ses seules forces un effet qui lui est proportionné, elle est agent principal: si elle ne peut atteindre que sous une influence étrangère un effet supérieur à sa vertu propre, elle est instrument. C’est cette notion qu’il nous faut éclaicir. La philosophie de l’instrument n’est pas une fiction métaphysique ni une lointaine abstrac­ tion : noûs sommes ici en face d’une réalité concrète, et nous avons pour point de départ la constatation expérimentale de ce qui se passe chaque jour sous nos yeux. Pas n’est besoin d’aller, avec le P. de Régnon, chercher dans l’appareil compliqué des photographes la — 'J — notion schématique de la cause instrumentale; pas besoin même d’entrer dans ces ateliers où le génie moderne transforme les forces de la nature et fait sortir de la matière les œuvres d’art exquises et les gigantesques machines. Contentons-nous du très vieux et très popu­ laire, mais très clair exemple, tant chéri de saint Thomas : le fonctionnement de la hache. Examinons d’abord cet outil à l’état de repos. Sa forme même nous indique qu’il est destiné à un usage déterminé; nous décou­ vrons en lui une raison d’utilité, des ressources natives qui seront bientôt mises en œuvre par l’ouvrier, et nous concluons qu’il a sa vertu propre et qu'il exercera son opération propre. Voici maintenant la hache en mouvement : le bras vigoureux du menuisier s’en sert avec adresse pour équarrir le bois dont il fera un trône. Que remarquons-nous ici? D’abord que la hache est appliquée par un agent supérieur; elle n’agit efficacement que grâce à cette impulsion, et, dès qu’elle n’est plus maniée, elle retombe dans son état de repos et d’inertie. Elle tranche, c’est naturel, sa forme et sa dis­ position lui conféraient ces aptitudes, qu’il a suffit de mettre en activité. Mais, à mesure qu’elle accomplit sa tâche propre, nous obser- **■> y ™"* vous qu’elle concourt à one œuvre d’art, dieu, table ou cuvette. ■ .1 o. .. Cet effet évidemment la dépasse. Elle reçoit donc de l’artiste des énergies et des perfections nouvelles. Ainsi, l’examen attentif d’une hache qui fonctionne nous amène à distinguer dans l’instrument une vertu propre et une action propre, une vertu communiquée et une action communiquée. Ce sent bien les mêmes élé­ ments que le raisonnement philosophique va découvrir. n Vertu instrumentale et action instrumentale Dans son acception la plus générale, l’instru­ ment est ce dont on se sert pour une fin déter­ minée.Comme il n’est pas recherché pour luimême, mais pour sa destination, il implique une raison d’utilité, une intention, qui est de servir à un but ou à un projet. Cette fin, la cause principale la conçoit, l’instrument aide à l’exécuter. Nous n’attribuons le nom d’instru­ ment qu’à ce qui est utile, et, pour bien indi- 9 — quer eet usage, nous l’appelons outil. Or, l’utile est un moyen, non un terme ; l’instrument doit donc se mesurer au but qui est toute sa raison d’être. « Voilà pourquoi, dit saint Thomas, l’instrument le meilleur, n’est pas celui qui est le plus grand, mais celui qui est le mieux proportionné à sa fin (1). » Il servira efficacement au but projeté, non pas en déterminant cette fin, puisque c’est là le propre de la cause principale, mais en exécu­ tant l’intention de l’agent : Instrumento com­ petit solum executio actionis (2). Mais, comme cette fin et cette intention lui sont étrangères et le dépassent, il a besoin d’être exhaussé, appliqué par une force plus grande; et c’est ici que nous allons saisir son caractère distinctif. Nous le définirons : une cause qui est élevée par un agent principal de manière à atteindre un effet supérieur à ses énergies natives. Deux traits essentiels à noter : 1° la cause instru­ mentale doit concourir à un effet plus noble (1) « Quia instrumentum non propter se quæritur, sep propter fmem, non tanto aliquid fit meiius quanto majus est instrumentum, sed quanto est magis fini proportionatum. Sicut medicus non tanto magis sanat quanto majorem dat medicinam, sed quanto medicina est magis proportionata morbo ». IIa lla·, q. 188, a. 7, ad 1. (2) I. I’., q. 18, a. 3. ΙΟ qu’elle-même; 2° elle reçoit de l’agent une influence transitoire qui sert à l’élever et à l’appliquer. Cette double assertion se comprendra sans peine. Si l’effet n’était pas supérieur à l’instru­ ment, celui-ci le contiendrait dans Ja sphère de son activité; nous aurions une cause princi­ pale, qui porte tous ses effets dans sa propre vertu. L’instrument doit donc concourir à la production d’un effet qui est au-dessus de lui. Cela ne suffit point. Le fer rougi produit un résultat qui échappe à l’action du fer laissé à lui-même, et pourtant il est cause principale de ce rayonnement, car la chaleur lui est devenue naturelle. Le fer a pris les propriétés du feu d’une manière permanente, et l’on peut dire que c’est le fer lui-même qui chauffe. L’instrument, lui, est incapable de réaliser l’effet : ses énergies natives ne monteront jamais à ce niveau. Il lui faux une vertu d’em­ prunt, qui lui est prêtée d’une manière tou­ jours précaire et dépendante. Sa causalité n’est qu’une influence communiquée, par opposition à la vertu propre. Qu’est-ce donc qu’une vertu propre? D’abord, celle qui est la propriété dé l’agent, née avec lui, inséparable de lui, couronne que — II — la nature a donnée et qu’elle ne retire jamais, comme l’éclat de la lumière, la chaleur du feu, le parfum de la rose. C’est bien par leur vertu que la lumière éclaire, que le feu chauffe, que la rose embaume. En second lieu, celle qui, sans accompagner toujours et partout l’agent, s’adapte, se subordonne à ses facultés et cons­ titue avec elles un principe unique d’opération. La charité n’est pas un produit de notre âme, elle lui est, en quelque sorte, étrangère et lui arrive d’en haut, mais elle s’implante si bien en nous, jette eu nous des racines si pro­ fondes, qu’elle agit indivisément avec la volonté, qu’elle devient nôtre et que ses actes sont bien à nous. En troisième lieu, tous les accidents complets qui s’établissent habituel lement dans la substance et s’attachent à elles par des liens permanents. Ainsi, la chaleur se fixe dans l’eau ou dans le fer de manière à devenir une qualité de ces agents, et, quand ils chauffent, c’est bien par leur propre rayonnement. La vertu instrumentale ne se ramène à aucune de ces trois catégories; elle n’est, en aucune façon, la propriété de l’instrument. Elle n’a point d’être stable et complet, autre­ ment elle ferait de son sujet une cause princi· — 12 — paie; elle est toute transitoire, précaire, ne vi­ vant que d’une existence d’emprunt. Qu’est-elle donc en réalité? Suarez estime que c’est la puissance obédientielle active, qui est ennoblie et surélevée lorsque l’agent principal se l’associe comme exécutrice de ses œuvres (1). Certains théologiens, par crainte peut-être d’une motion physique qui tomberait sur la faculté, imaginent une vertu assistante qui reste en dehors de l’instrument, sorte de sympathie extérieure qui le fait agir sans rien ajouter à ses forces intrinsèques. Les Thomistes requièrent une entité phy­ sique essentiellement passagère, qui com­ mence et cesse avec l’acte auquel elle con­ court. La puissance obédientielle n’explique rien. Ce n’est pas une activité, comme le pense Suarez, mais une capacité purement passive, une vaste aptitude à recevoir d’une manière indéfinie l’action toute-puissante du Créateur. Elle est innée, n’apporte aucun appoint nou­ veau, puisque c’est la nature elle-même en tant que soumise à son Auteur et pouvant se plier à tous les effets qu’il veut tirer d’elle. La vertu (1) Cf.' Dispp. Metaphys., disp, xvn, sect. il. — ι3 — instrumentale, au contraire, est communiquée, surajoutée aux forces natives. La puissance obédientielle laisse la faculté à l’état purement statique, l’influence instru­ mentale doit actionner son sujet, le mouvoir, le solliciter à l’exercice, le projeter à l’acte second. La vertu assistante n’est guère intelligible, et, en tout cas, elle ne suffit point. Il faut à l’outil des énergies nouvelles qui le rendent plus puissant, plus efficace, plus actuel, sans quoi il restera toujours inerte. Mais la vertu d'assistance et de sympathie, parce qu’elle est en défions de l’instrument, le laisse intact, ineapable, inactif comme auparavant. Si la faculté ne reçoit rien, comment veut-on qu’elle coopère à un effet qui la dépasse? Les Thomistes ont donc bien raison de requérir une motion efficace et physique : efficace, puisqu’elle tire l’instrument de son inertie; physique, car elle rend la faculté physi­ quement capable d’atteindre à un effet supé­ rieur. Du moment que la cause principale saisit l’outil, elle se l’attache et se l’unit. Mais, comme elle est à un degré plus haut, l’instrument ne peut se mettre en contact avec elle à moins d’être lui-même élevé et ennobli. De là, néces­ — ι4 — sité d’une motion puissante qui porte l’outil jusqu’à la hauteur de l’agent principal : la cause et l’instrument travailleront, pour ainsi dire, au même niveau. Par le fait de cette élé­ vation l’outil est agrandi, il reçoit des forces qui lui permettent d’agir à son tour, de com­ muniquer son impulsion et de concourir à l’œuvre totale. Celle-ci sortira donc, non pas de l’agent tout seul, ni de l’instrument tout seul, mais de leurs énergies combinées. Tel est le double résultat que réalise l’influence instru­ mentale : elle élève la faculté, en lui donnant une vertu nouvelle ; elle Y applique, en la fai­ sant sortir de son inertie et passer à l’exercice. La cause principale aussi est appliquée, quand elle agit; pour que l’outil se distingue d’elle, il ne lui suffit point d’être ébranlé et appliqué, il faut qu’il soit surélevé, mis en harmonie avec la cause principale, porté au même niveau que l’effet à produire. Cette motion physique n’est pas un concours simultané qui tomberait seulement sur l’effet; elle touche la faculté, elle est préalable à l’opé­ ration. Son rôle est de perfectionner l’instru­ ment, de le rendre plus fort, plus agissant» Le concours simultané ne fait rien de tout cela : puisqu’il ne se projette que sur l’effet, la faculté — ï5 n'en reçoit aucun appoint, elle demeure dans Son incapacité native, et,dèslors,dans uneper-pétuelle inertie. Gemment atteindre plus haut que ' soi si l’on n’a pas en soi une vertu surajoutée? Tant qu’une force nouvelle n’aura pas touché l’instrument, celui-ci n’agira point. Que lui fautil pour se mouvoir? Agent secondaire et dépen­ dant, il n’exerce une causalité réelle que parce qu’il est actuellement subordonné à la causa­ lité del’auteur principal. Or, si l’influx supérieur n’arrive qu’à l’effet, ou aura demi agents paral­ lèles, deux collaborateurs, non pas deux causes subordonnées. Et il ne suffit pas, pour établir cette subor­ dination, que l’un des deux collaborateurs soit plus noble, plus parfait, et puisse se passer de l’autre. Voici Un géant et un enfant qui tirent ensemble une barque. La causalité du dernier est très inférieure, elle pourrait même être suppléée par la force colossale du premier. Dira-t-on que le faible enfant est l’instrument du géant, parce que celui-ci agit avec lui et fait plus que lui? Nullement : du fait qu’ils tirent ensemble, ce sont deux collaborateurs, inégaux sans doute; mais on n’a pas cause principale et cause instrumentale. La subordination des causes exige que l’activité inférieure dépende de — ι6 — l’activité supérieure, et, partant, que l’influx de l’agent principal soit reçu dans l’agent secon­ daire pour le fortifier, l’ébranler, l’actionner. Ainsi, l’activité instrumentale suppose une vertu qui perfectionne d’abord l’outil et par lui est projetée ensuite jusqu’à l’effet. Il suffit de rappeler le principe : Est ratio instrumenti, in quantum est instrumentum, ut moveat mo­ tum (1), l’instrument ne meut qu’après avoir été mû lui-même ; et cet autre : Motio moventis praecedit motum mobilis ratione et causa (2), l’influence du moteur précède l’action du mobile d’une priorité de raison et de causalité. Si la motion communiquée par l’agent princi­ pal est préalable à l’opération de l’instrument, nous avons le droit de l’appeler prémotion, et physique, puisqu’elle élève les ressources de la faculté etlui confère la vertu physique de coo­ pérer à un effet qui était au-dessus de sa por­ tée. Ainsi, ce terme physique, au lieu ' aeft'.cr V..-, de prémotion ; de servir d’épouvantail, devrait paraître tout naturel, car il exprime une réalité commune, qui se renouvelle sans cesse et partout, chaque fois qu’il y a cause principale et instrument. (1) De Veritate, q. 27, a. 4. (2) III. Cont. Gent., c. 14ÿ. — i; — C’est de cette notion très simple que saint Thomas et les Thomistes ont tiré une de leurs preuves lesplus fécondes. Quand un effet appar­ tient en propre à un agent supérieur, les autres causes ne peuvent y atteindre que par une vertu instrumentale et communiquée. L’effet propre de Dieu « est l’être » : la Cause première quiestla plus universelle, qui pénètre jusqu’au fond de ses créatures, revendique pour soi ce qu’il y a de plus général, de plus intime dans la nature. L’effet le plus universel, le plus intime, le plus profond, c’est bien l’être, cette réalité première et dernière que rien ne précède et que rien ne suit. Les créatures ne peuvent donc produire l’être que comme instruments de Dieu; et, puisque l’être est renouvelé dans chaque opération, il faut conclure que les créa­ tures n’agissent que comme instruments du premier moteur. Or, la notion de l’instrument réclame qu’il soit mû et prémû par la cause principale : nécessité pour les créatures d’être mues et prémues par Dieu. Voilà, en substance, toute la doctrine de la prémotion physique. Ecoutons saint Thomas : « Le quatrième mode dontune causeproduitl’action d’une autre c’est celui même dont l’agent principal proLA CAUSALITÉ INSTRUMENTALE. — 2 — ι8 — cluit l’action de l’instrument; et c’est ainsi que Dieu est cause de toutes les actions des créa­ tures. Plus une cause est élevée, plus elle a d’universalité et d’efficacité; or plus elle est efficace, plus elle entre profondément dans l’effet, le ramenant de la puissance la plus éloignée, à l’acte le plus réel. Dans chaque créa­ ture nous remarquons qu’elle est un être, qu’elle est une réalité naturelle, qu’elle est de tel ou tel mode. Le premier aspect est commun à tout ce qui existe; le second aux créatures naturelles, le troisième constitue l’espèce et, si nous ajoutons les accidents, nous aurons une quatrième chose qui est propre à cet individu. Comme l’individu n’engendre un autre individu semblable selon l’espèce que par la vertu ins­ trumentale de la cause qui regarde l’espèce, ainsi aucune créature ne peut produire l’être que par la vertu de Dieu. L’être est de tous les effets le plus universel, le plus intime : il appar­ tient donc en propre à Dieu seul. Et de la sorte Dieu est la cause principale de toute opération, parce que les autres agents n’opèrent que comme instruments de la vertu divine... En résumé, Dieu est cause de toute action qui se produit, et oarce qu’il donne la vertu d’agir, et parce qu’il la conserve, et parce qu’il l’applique et parce “ i9 — que toute vertu n’agit que par sa vertu. Et, si nous remarquons que Dieu est sa propre vertu et qu’il est au fond de chaque chose, non comme partie de l’essence, mais pour maintenir l’être, nous comprendrons que Dieu opère lui-même intimement dans tout agent, sans exclure cepen­ dant l’opération de la volonté ni celle de la nature (1). » Après avoir signalé cétte intéressante appli­ cation dont saint Thomas a su tirer tant de parti, il nous faut achever Fanalyse de la vertu ins­ trumentale. Nous avons dit que cette activité n’est que passagère. N’ayant pu sortir de la fécondité de l’instrument, elle ne jette pas en lui de racine fixe ; essentiellement subordonnée à l’agent et toujours dépendante de l’influence étrangère, elle est toute précaire, elle commence et finit avec l’action. Elle est tellement rapide qu’on ne saitpasquelnomlui donner. Quelques Thomistes l’appellent une qualité transitoire, qzialitas /Zwens; d’autres ne la regardent que comme une motion active et passagère, motio actuosa et transiens. Saint Thomas semble préférer cette dernière expression. « La vertu de l’instrument, (1) Q. III, de Po ten lia, a. 7. — 20 — dit-il, n’a qu’un être transitoire et incomplet, comme mouvement ; elle ne concourt à l’opé­ ration que par voie de mouvement (1). » Qua­ lité passagère, ou motion énergique, ces deux manières de parler reviennent au même pour le sens, et elles nous font également bien com­ prendre lemode précaire et transitoire delà vertu instrumentale. A raison même de son existence incomplète, elle n’est ni spirituelle ni corporelle, mais elle se ramène à l’ordre spirituel ou corporel d’après la nature de la cause principale. Eh quoi donc, une vertu spirituelle peut-elle être reçue dans un sujet matériel? Oui et non. —Non, s’il s’agit d’une qualité permanente qui devrait s’enraci­ ner et persévérer dans un corps. Car l’accident complet est fait pour le sujet qui le porte, il doit s’ajuster et se mesurer à lui et, dans ce cas, se vérifie l’axiome : Quidquid recipitur ad modum recipientis recipitur. Lorsque le sup­ port est matériel, la qualité qui repose sur lui le sera au même degré. — Oui, s’il est question d’une activité purement transitoire. Une motion (1) » Virtus instrumentalis habet esse transiens ex uno in aliud, sicut et motus est actus imperfectus ab agente in patiens. » III. P., q. 62, a. 4. — « Instrumentum nunquam adhibetur ad agendum nisi per viam .motas ■>. II Cont. Gent., cap. 21. ai — de ce genre est faite pour passer, elle tend uniquement vers son terme et nous l’appelons intentionnelle parce qu’elle, rapporte notre intention vers le but qui est toute sa destinée. C’est donc à ce terme qu’elle doit se propor­ tionner et s’adapter, et non point au support qu’elle traverse. Puisqu’elle n’est point faite pour le sujet, elle n’a pas à se mesurer à lui; ici donc ne se vérifiera plus l’axiome : Tout ce qui est reçu l’est à la manière du sujet. Bienloinde concevoir la moindre répugnance à ce qu’une motion spirituelle touche les êtres matériels, nous trouvons que cela est naturel et nécessaire, afin que le monde sensible soit uni et subordonné au monde intellectuel, qui doit le régir et le mouvoir. « De là cette bril­ lante mais juste métaphore, qui représente la vertu d’une cause spirituelle traversant un ins­ trument matériel pour produire un effet spiri­ tuel (1). » C’est dire trop peu : il y a plus qu’une bril­ lante image ou qu’une élégante métaphore, c’est une belle et grande réalité. Si rapide que soit son passage, si incomplète que soit son (1) P. dï; RÉgnon, Métaphysique des causes, p. 562. 22 existence, cette énergie est très puissante, puisqu’elle élève, ennoblit l’instrument et lui donne son efficacité. Pour ne voir là qu’une simple figure de rhé­ torique,il faut vouloir reléguer cette vertu dans l’ordre purement rationnel et idéal. C’est ici l’occasion de dissiper une équivoque trop fré­ quente au sujet de la vertu intentionnelle. Le P. Régnon et d’autres auteurs (i) empruntent auxThomistes leur terminologie, mais ils prê­ tent aux mots un sens différent. S’ils admet­ tent une vertu intentionnelle, c’est pour l’op­ poser à la vertu physique et la ramener à la catégorie des signes. Selon eux, ce n’est pas une réalité concrète et physique, mais une intention qui traduit et livre au dehors l’image d’un objet, les concepts de l’intel­ ligence, soit par la nature même des choses, soit par le fait d’une convention ou d’une institution. Elle ne confère à l’instrument au­ cune énergie intrinsèque, elle reste dans l’or­ dre rationnel : tels sont les discours exté­ rieurs, le verbe indicatif, le verbe impératif, qui portent l’ordre de la raison pratique, la pensée de l’esprit, le commandement de la vo­ lonté; telles les paroles par lesquelles le Pape, (1) A propos de la causalité des sacrements, — 23 — au consistoire, confère aux évêques le pouvoir de juridiction (1). Les Thomistes, à la suitedu Maître, appellent vertu intentionnelle une qualité ou une motion de l’ordre physique, essentiellement passagère, laquelle, précisément parce qu’elle est transi­ toire, rapporte nécessairement notre intention vers le terme où elle tend et qui est toute sa raison d’être. C’est ainsi qu’on donne le nom d’intention au mouvement, être cependant très réel et très physique, mais fugitif, sorte de milieu entre la puissance et l’acte. « On a cou­ tume, dit saint Thomas, d’appeler intentions ces êtres incomplets et transitoires : ils ont une certaine analogie avec l’être qui est dans l’âme et qui est imparfait et amoindri (2). » Ce sont (1) Voir plus loin, ch. iv, § 4. (2) « Agens principale agit secundum exigentiam suæ formæ; et ideo virtus activa in ipso est aliqua forma vel qualitas habens completum esse in natura. Instrumentum autem agit ut motum ab alio ; et ideo competit sibi virtus proportionata motui : motus autem non est ens completum sed est via in ens quasi medium quid inter potentiam puram et actum purum, ut dicitur in 111 Physic.., text. 6. Et ideo virtus instrumenti in quantum hujusmodi, secundum quod agit ad effectum ultra id quod competit sibi secundum suam naturam, non est ens completum habens esse fixum in natura, sed quoddam ens incompletum, sicut est virtus immutandi visum in aere, in quantum est instrumentum motum ab exteriori visibili; et hujusmodi entia consueverunt intentiones nominari, et babent aliquid simile cum ente quod est in anima, quod est diminutum, ut dicitur in VI Metaphys., text. 4, », S. Thomas, iv, Sent., clist. I, q. i, a. 4, - Μ - bien, d’après le saint Docteur, des entités physiques, car elles sont comme le mouvement, sicut et motus est actus imperfectus ; elles sont proportionnées au mouvement et ideo competii sibi virtus proportionata motui ; elle n’opèrent que par voie de mouvement, non adhibetur ad agendum nisi per viam motus. Nous reconnaissons très volontiers que l’ins­ trument implique une intention et une raison d’utilité, mais cela ne constitue point la vertu instrumentale. Nos précédentes explications ont suffisamment établi qu’il faut une qualité ou une motion efficace pour tirer la faculté de l’état de repos, l’actionner, la projeter à l’acte second. Une intention purement rationnelle ne communiquera jamais le mouvement. Si d’autres théologiens ne sont pas satisfaits de la théorie thomiste, ils sont libres de ne point l’adopter; mais alors qu’on abandonne la terminologie de notre école et qu’on ne s’abrite pas sous une équivoque. Qu’il soit donc bien entendu que d’après saint Thomas l’intenquæstiunc. v, sol. 2. — Ce texte est clair : l’être inten­ tionnel a cette ressemblance avec l’être rationnel, que tous les d'eux ont une existence incomplète, amoindrie; mais le premier n’est pas purement rationnel, il a une réalité physique comme le mouvement ; il a une causalité physique, comme est physique la causalité extérieure qui impressionne la vue, sicut est virtus ad immutandum visum. — aS — tion ou l’être intentionnel est une réalité phy­ sique, mais essentiellement passagère, comme le mouvement, qui, nous l’avons dit, est très physique et très réel. III La vertu propre et l’action propre L’instrument a donc besoin d’une motion qui l’élève et qui l’applique. Mais, pour utiliser avec profit cette influence d’emprunt, il doit déjà posséder lui-m êm e une vertu propre, exercer une opération préalable qui dispose et prépare à l’ac­ tion de la cause principal e. L’instrument, en effet, reçoit et porte l’énergie de l’agent supérieur, non pas à la façon d’un sujet inerte ou d’un pur médium, mais à la manière d’un principe vraiment efficace et actif. Pour être digne d’un tel rôle, il doit avoir son action à lui; s’il ne fait rien, à quoi bon son emploi? C’est une occasion, un simple conducteur, non pas une cause efficiente. A quoi bon aussi requérir pour diverses actions divers instruments, si chacun d’eux ne déploie pas déjà une activité spéciale --- 26 --- et préalable (1)? Pourquoi se servir delà hache pour trancher, du ciseau pour tailler, de la lyre pour tirer les sons mélodieux ? Notre vertu limitée est nécessairement indigente, elle prend des instruments, parce qu’il ne lui est point loisible de s’en passer. C’est notre inten­ tion qui détermine leur usage, et, en les fabri­ quant, nous avons toujours en vue le parti que nous pouvons en tirer. Ils doivent être mesurés, adaptés à l’effet auquel nous les destinons; et, si leur vertu n’est pas proportionnée au but désiré, nous avons beau les manier, les violen­ ter, aucune œuvre d’art n’en sortira : s’ils ne sont pas faits pour trancher ou pour vibrer, notre effort restera vain. 11 ne nous appartient pas de suppléer à leur insuffisance, pas plus qu’il ne nous est possible de faire jaillir la vie d’une pierre. Si cette doctrine est indiscutable pour les outils des causes secondes, en est-il ainsi des instruments de Dieu? Quand le Créateur se sert de ses œuvres, c’est par condescendance pure, non par indigence ; il peut suppléer aux énergies qui manquent, en ajouter de nouvelles. De la sorte, toutes les créatures, même les plus (1) I. P., q. 45, a. 5, V — débiles, même celles qui résident au dernier degré de l’échelle des êtres, peuvent devenir l’instrument de la toute-puissance, et il n’est pas besoin que leur activité soit proportionnée avec l’effet à produire. Cependant même ici nous requérons une certaine action préalable. Dieu, sans aucun douté, peut se passer de ce con­ cours, mais, supposé qu’il veuille s’associer un instrument véritable, il faut que celui-ci ne soit pas un médium inutile, une simple occasion, qu’il exerce sa causalité propre et qu’il déploie des énergies réelles. Ainsi, dit Bannez (1), Dieu ne pourrait prendre comme instrument de la résurrection un morceau de bois qui n’aurait aucune action préalable. Il pourrait assurément ressusciter le mort à la présence de ce bois inerte, mais le bois sera une pure occasion, non pas un instniment, s’il n’a point une activité qui prépare, en quelque manière, à l’interven­ tion miraculeuse, ne serait-ce que l’action de toucher, etc. Cette disposition, pour les instruments des créatures, est toujours mesurée avec l’effet pro­ duit; pour les instruments du Créateur, il suffit d’une certaine aptitude à concourir à l’œuvre (1) Comm, in I. P., q. 45, a. 5, — 28 — divine. Ainsi, en Notre-Seigneur Jésus-Christ, les opérations de l’intelligence et delà volonté, les actes extérieurs qu’il exerçait sur les ma­ lades par son regard ou son contact, de même que l’opération des sacrements sur notre corps, le laver, l’oindre, le nourrir, sont des actions naturelles et des dispositions préalables, que Dieu élève et fait concourir à des effets supé­ rieurs. Suarez n’a pu contester ces assertions de saint Thomas qu’en confondant les notions. Nul , besoin d’action préliminaire si la créature est simplement occasion; nul besoin, non plus, pour être instrument, d’une efficacité entièrerement proportionnée à l’effet surnaturel. Mais, si la cause est vraiment auxiliaire et coo­ pératrice, il est manifeste qu’elle doit poser quelque chose dont Dieu ait à se servir. Cajétan explique cette doctrine à sa manière ! originale et pittoresque : L’instrument est une cause active ; cette activité doit produire quel­ que réalité, autrement elle aura pour objet le néant. Nous aurons cette chose inconcevable : une vertu active par rapport au néant (1)! Nous concluons donc avec saint Thomas : (1) « Omni autem virtuti activæ respondet aliquid per eam i'actibile; alioquin èsset activa ni/iili. >> in. I. P. q. 45, a. S, — 29 — « L’instrument a une double action : l’une ins­ trumentale, et, à ce point de vue, il n’opère point par sa vertu, mais par l’influence de l’agent principal ; l’autre qui lui est propre et qui lui convient par sa forme. Ainsi, la hache par sanature même est tranchante; mais qu’elle contribue à faire une œuvre d’art, un siège, elle tient cela de l’artiste. Ce n’est qu'en dé­ ployant son activité propre qu’elle exerce l’activité instrumentale : c’est parce qu’elle tranche qu’elle concourt à faire un siège (1). » L’action instrumentale provient d’une in­ fluence de l’agent principal, qui élèveetapplique l’outil; l’autre sort des entrailles mêmes de la nature, et, si elle se fait sous la motion d’un agent, celui ci n’a pas à élever la faculté, mais seulement à l’appliquer; il n’a. pas à conférer une vertu nouvelle, mais seulement à mettre en œuvre les énergies préexistantes. L’action propre a une priorité logique sur l'action instrumentale, puisque non perficit ins(1) « Instrumentum habet duas actiones : unam instrumentalem, secundum quam operatur, non in virtute pro­ pria, sed in virtute principalis agentis; aliam autem habet actionem propriam, quæ competit ei secundum propriam formam, sicut securi competit scindere ratione suæ acuitatis, facere autem lectum in quantum est instrumentum artis. Λ’οη autem perficit instrumentaient actionem nisi exercendo vropriam : scindendo enim facit lectum. » III. P., q. 62, a. 1, ad 2. -— 3o — trumentalem actionem nisi exercendo pro­ priam. La première, appartenant à l’outil comme à sa cause principale, est distincte de celle des ouvriers qui ont à le manier; la seconde est indivise avec celle de l’agent prin­ cipal : le travail du pinceau est inséparable de celui du peintre. Le sujetne subit qu’une seuleet même passion, le terme est une seule et même réalité, une Vierge ou une Descente de croix. « Une distinction scolastique, dit le P. de Régnon, trouve ici une heureuse application. La statue provient « tout entière », tota, soit du sculpteur, soit du ciseau. Mais du sculp­ teur elle provient « toute et totalement », tota et totaliter; et du ciseau elle provient toute maisnon totalement», totaetnon totaliter. Toute du ciseau, car il n’y a pas un creux ni un relief qui ne proviennent du ciseau; mais non totale­ ment, car la forme et la beauté ne peuvent pro­ céder d’une force aveugle. — Toute et totale­ ment du sculpteur : car il a vu dans son art la ; forme et la beauté, et il l’a réalisée par des creux et des reliefs. De là résulte que l’effet n’est pas semblable à sa cause instrumentale, mais à sa cause principale (1). » (1) Métaphysique des causes, p. S61 — 3ι — L’application est-elle ausi heureuse que le pense l’auteur de la Métaphysique des causes? Le mot totaliter prête à l’équivoque. Le Docteur angélique n’aperçoit qu’un seul et même effet attribué tout entier à l’instrument et tout entier à l’agent principal : Idem effectus totus attri­ buitur instrumento et principali agenti etiam totus (1). Il comprend bien qu’une même action ne peut pas sortir tout entière de deux causes du même ordre, mais il ne voit aucun incon­ vénient à ce qu’elle jaillisse entièrement de deux agents subordonnés : Una actio non procedit a duobus agentibus unius ordinis, sed nihilprohi­ bet quin una et eadem actio procedat a primo et secundo agente (2). Pour en revenir à l’exem­ ple du P. de Régnon, la beauté ne peut pas procéder d’une force aveugle comme de sa cause principale, mais pourquoi ne serait-elle pas attribuée entièrement au ciseau comme à l’instrument d’une cause intelligente? Ilimporte maintenant de condenser nos expli­ cations en quelques propositions qui résumeront toute la théorie thomiste : 1° Un instrument est une cause efficiente (1) <· Non... quasi partim a Deo et partira a naturali agente fiat, sed totus ab utroque secundum alium modum. » ill Cont. Gent., c. 70. (2) 1. P., q. 405, a. 5. ad 2. — 32 — qui est élevée par un agent principal et de manière à produire un effet plus noble et plus parfait qu’elle-même. 2° Deux traits essentiels le distinguent de la cause principale : il atteint un effet supérieur à ses énergies natives, il opère par une influence étrangère et communiquée. 3° Cette vertu surajoutée n’est pas la puis­ sance obédientielle, ni une sorte d’assistance extérieure, ni une qualité permanente, mais une motion physique, transitoire, qui peut être spirituelle et cependant traverser un sujet maté­ riel. 4° Cette motion n'est pas purement simulta­ née, elle ne tombe pas seulement sur l’effet, elle est prémotion; elle modifie la faculté, qu’elle a le double rôle et d’élever et d’appli­ quer. 5° Outre l’action instrumentale, l'outil a une action propre, qu’il produit comme cause prin­ cipale, qui est préalable à celle de l’agent prin­ cipal et y dispose en quelque manière. 6° Les instruments des causes secondes doivent posséder une activité propre qui soit en rapport avec le terme à produire ; pour les instruments du Créateur, il n’est pas besoin que leur vertu naturelle soit proportionnée à — 33 — l’effet divin, mais ils doivent cependant faire quelque chose, n’être pas un pur conducteur ou une simple occasion, exercer une opération préparatoire que Dieu puisse élever et trans­ former. 7° L’action de l’instrument, en tant qu’instrument, ne se sépare pas de celle de la cause principale : une seule passion résulte, un seul effet procède de leurs énergies combinées. 8° L’effet n’est pas semblable à l’instrument, mais à la cause principale, dans laquelle il est contenu (t). Ces notions abstraites et arides prendront corps et vie dès que nous les appliquerons aux vivantes merveilles que Dieu a voulu opérer par ses instruments. (1) Auteurs à consulter : S. Thomas, I. P., q. 18, a. 3; q. 45, a. 5; Ia Ha’, q. 16, a. 1 et a. 3; q. 112, a. 1, ad 1 ; III. P., q. 62, a. 1, a. 4, ad 1 ; Contra Gentiles, lib. 11, c. 21 ; in iv dist. I., q. 1, a, 4. Capreolus, in iv dist. I., q. 1. Cajetan, Comm. in I. P., q. 45, a. 5, et in III. P., q. 62, a. 1 et a. 4. Bannez, Comm. in 1. P., q. 45, a. 5. Jean de S. Thomas, Phil. Nat. I. P. q. xxvi. Suarez, Disp. Metaphys., hnti. Goudin, Phys. I. P., disput. II, q. 4, a. 5. P. De RÉgnon, Métaphysique des causes. P. Dummermuth, S. Thomas et Doctrina præmotionis physicæ. P. HüGON, Curs. Phil. Thomist., t. VI, et Tractatus Dog­ matici, De Sacramentis. CHAPITRE H LA CAUSALITÉ INSTRUMENTALE DANS L’INSPIRATION SCRIPTURAIRE I Notions préliminaires L’une des applications les plus certaines et les plus intéressantes de la causalité instrumen­ tale est le grand fait de l’inspiration scriptu­ raire. Voici des causes vivantes, intelligentes, déterminées par Dieu, n’exécutant que ce qu’il veut et comme il le veut, et cependant libres. C’est l’instrument psychologique, dont le jeu est particulièrement délicat. Nous ne nous attardons pas à discuter les théories catholiques sur la nature, le fait, l’ob­ — 35 — jet, l’étendue, les critériums de l’inspiration. De récents écrits historiques, critiques, exégétiques, théologiques, ont mis en pleine lu­ mière les enseignements de l’Eglise. Nous ne voulons pas revenir sur des thèses que des auteurs compétents ont si bien traitées, mais nous pensons quril y a intérêt à résumer bien clairement ce qui se rapporte à la causalité instrumentale. Une exposition fidèle de la doc­ trine thomiste sur ce sujet peut devenir aussi utile que certaines dissertations originales et brillantes. Distinguons d’abord quelques notions qu’on a parfois confondues : mouvement pieux, assis­ tance, révélation, inspiration. —■ Le pieux mou­ vement désigne une action spéciale de Dieu, qui sollicite un auteur à écrire, lui ménage des lumières et des secours gratuits,, sans lui assurer une infaillibilité absolue. On pense que l’Esprit-Saint a dirigé de cette manière la plume de plusieurs Pères ou Docteurs de l’Eglise, de sainte Catherine de Sienne, etc. — L’assistance est un bienfait surnaturel qui garantit l’écrivain contre toute erreur, mais n’influe pas sur la com­ position elle-même. Les définitions des Papes et des Conciles ont ce privilège de l’infaillibilité, sans devenir pour cela une parole divine. — 36 — La révélation est la manifestation surnaturelle d’une vérité inconnue. Quand l’auteur rapporte des mystères inaccessibles à la raison ou des faits cachés dont il doit la connaissance à Dieu seul, il est clair que l’inspiration suppose la révélation; et, si la composition a lieu au même instant, la révélation se prolonge dans l’inspi­ ration et lui est concomitante. Mais, en soi, ces deux interventions divines peuvent se pro­ duire indépendamment l’une de l'autre (1). On peut être inspiré pour rapporter ce quel’onconnalt par soi-même ou ce que l’on a appris du témoignage extérieur et humain. D’autre part, unpersonnage qui a des révélations n’est pas pour cela un écrivain inspiré. Nous savons que des prophètes ont été aussi des auteurs sacrés, mais il aurait pu arriver que, favorisés de révé­ lations surnaturelles au moment où ils énon­ çaient leurs prédictions, ils ne fussent pas du tout inspirés lorsque plus tard ils rédigeaient par écrit leurs oracles. Supposons que de nos jours une âme sainte, instruite dans des visions et des extases, an­ nonce l’avenir, pénètre tous les célestes arca­ nes : le livre qu’elle composera pour relater ces (I) Nous montrerons plus bas la différence qui existe entre la révélation et Γ illumination. — — révélations et ces prophéties ne sera point ins­ piré, quand bien même il serait l’expression très exacte de la pensée divine. Ne confondons pas non plus l’inspiration orale avec l’inspiration scripturaire. Les apô­ tres pouvaient être inspirés pour annoncer l’Evangile, sans recevoir en même temps le don extraordinaire de l’inspiration pour écrire. Et, lors même qu’ils auraient eu l’ordre de consi­ gner par écrit les enseignements du Maître, l’in­ faillibilité et l’assistance leur suffisaient. Si donc quelques-uns d’entre eux ont été des écri­ vains sacrés, il ne faut pas le conclure a priori, en vertu de leur mission apostolique, mais le prouver par des témoignages positifs et par la tradition catholique. Certains théologiens de renom sont tombés à ce propos dans une méprise dont il faut soigneusement se gar­ der. Qu’est ce donc que l’inspiration? L’Ecriture a deux termes pour l’exprimer : Υπ'ο πνεύματος... οερό’χενοι (1) et Θεόπνευστος ;—)· Le texte de Saint Pierre nous montre les auteurs bibliques comme poussés et emportés par l’action véhé­ mente de l’Esprit-Saint. Le terme : πνευστός, au (1) Il Pet., i, 20-21. (2) H Tim., ni, 16. — 38 — sens passif, signifie ce qu’on a fait entrer en soufflant, et Θεόπνευστος est une forte image qui représente le texte de l’Ecriture comme soufflé par Dieu et l’écrivain comme un organe docile où pénètre le souffle d’en-haut. Les deux ex­ pressions reviennent au même pour le sens, elles traduisent une idée commune : dans l’ins­ piration Dieu, ou ΓEsprit-Saint, est le moteur qui pousse, qui ébranle, qui emporte; l’écri­ vain, le mobile, qui est déterminé, qui agit sous une impulsion supérieure; le livre, une œuvre unique, qui procède et de Dieu et de . l’homme. Nous avons déjà tous les éléments qui entrent dans les concepts d’agent principal et de cause instrumentale. Cette notion se précise peu à peu chez les J Pères et les écrivains ecclésiastiques. Saint Théophile d’Antioche voit dans les auteurs bi­ bliques des organes et des instruments du SaintEsprit (1); un ouvrage ‘attribué jadis à saint Justin les appelle des lyres qui vibrent sous , l’archetdivin (2). Saint Thomas condense toute cettedoctrinedansuneformulecélèbre (3) : L’au(1) Lib. II ad Autolycum, 9. P. G., vi, 1063. (2) Cohortat, ad Gent. n. 8. P. G., VI, 255. (3) « Auctor principalis Scripturæ sacræ est Spiritus Sanctus... Homo autem fuit auctor instrumentalis ». Quodlib. VII, a. 14, ad 5. — 39 — leur principal de l’Ecriture est l’Esprit-Saint, l’homme en est l’auteur instrumental. Léon ΧΙΠ, résumant toute la tradition, vient proclamer à son tour que le Saint-Esprit s’est associé des hommes comme instruments pour écrire la parole divine : Spiritum Sanctum assumpsisse homines tanquam instrumenta ad scribendum (1). Cette conception, bien loin d’être arbitraire, s’appuie donc sur l’enseignement traditionnel, et nous l’avons trouvée dans l’analyse même des deux termes par lesquels l’Ecriture désigne l’ac­ tion de l’Esprit-Saint. Sans doute, la synthèse n’étant pas le premier travail de l’entendement humain,il faut partir des faits pourétablirlïnspiration. On l’étudiera d’abord d’après les données bibliques et les documents positifs. Nous sup­ posons cette œuvre déjà achevée, mais, puisque les faits se ramènent à des principes, puisque Dieu dans ses interventions les plus surnatu­ relles respecte les lois métaphysiques, il reste à systématiserles faits et à synthétiser les notions. C’est le service que nous rend la théorie tho­ miste. La composition d’un livre étant un acte 1V) Encyclic. Provident issimus Deus. — 4θ — humain, les écrivains sacrés restent des instru­ ments vivants et libres ; l’influx surnaturel les saisit et les pénètre tout entiers, avec toute leur vitalité et toutes les ressources de leur âme. Pour bien comprendre l’œuvre inspirée, il faut examiner avec soin la double action de l’ins­ trument : l’une qu’il exerce par sa vertu pro­ pre, l’autre qu’il produit sous la motion de l’agent supérieur. Il Les deux actions de l’écrivain inspiré Pour ce qui est de l’activité personnelle, nous devons accorder aux auteurs de l’Ecriture tout ce qui convient à une cause psychologique et raisonnable. L’acte humain procède immédia­ tement de l’intelligence et de la volonté, mais il requiert l’apport des facultés inférieures, tant celles de la connaissance que celles de l’appétition. Ces énergies, ces éléments internes jouent ici leur rôle. Les passions elles-mêmes peuvent être utilisées par Dieu, Le juste res- — il — sentiment de Moïse à l’égard des Hébreux déso­ béissants etrebelles, les saintes colères de David et des prophètes contre les contempteurs de la loi, ont pu influer sur la composition et passer dans le livre inspiré. Avec les passions, la sen­ sibilité, l’imagination, la mémoire, le tempé­ rament lui-même, tout le royaume sensitif, entrent en mouvement. Les riches images que la mystérieuse Egypte fournit à Moïse, les spec­ tacles auxquels est mêlé Isaïe à la cour des rois, les monuments grandioses de l’Assyrie qui frappent la forte imagination d’Ezéchiel : tout cela doit concourir à l’œuvre de l’Esprit-Saint, et il faudra en tenir compte dans l’analyse de l’inspiration. Les qualités de l’intelligence et de la volonté, la culture intellectuelle, les anté­ cédents politiques ou littéraires, les habitudes communes ou exquises de l’écrivain : voilà encore des conditions préalables, des préparations humaines, qui sont utilisées et transformées par Γ Auteur principal. La variété dans la conception, la différence dans le style s’expliquent aisément dans cette théorie. Si le même ouvrier peut diversifier ses effets en employant plusieurs outils, comme la diversité semble naturelle lorsqu’il s’agit d’ins­ truments psychologiques, dont le jeu est très - compliqué et où les variétés et les nuances se multiplient à l’infini ! Tel est ce premier aspect qu’il ne faudra jamais négliger si l’on veut arriver à la notion vraie de l’inspiration d’après les faits bibliques. Voilà un champ très vaste ouvert aux savants qui étudient /Ecriture au point de vue littéraire, philologique, critique, historique. Nous pou­ vons applaudir d’avance et de grand cœur à toutes leurs découvertes ; elles nous aideront à mieux préciser ce que nous appelons l’analyse psychologique de l’inspiration. L’instrument a une seconde opération, qu’il exécute par la vertu et sous l’influence de l’au­ teur principal. Considérée sous ce point de vue, l’inspiration est une intervention surnaturelle qui subordonne essentiellement l’écrivain à Dieu ; une motion efficace, passagère., qui com­ mence et finit avec le travail de la composition. Elle appartient au genre des charismes ou grâces gratuites, et se ramène, disent certains théolo­ giens, à la prophétie, commel’une de ses annexes. Puisque la cause n’exerce son concours ins­ trumental (1) qu’en déployant ses énergies na­ tives, la motion inspiratrice devra s’emparer (1) « Non autem perficit instrumentalem actionem nisi exercendo propriam. » Hi P. q. 62, a. 1 ad 2. -43- de tous les éléments psychologiques de l’écri­ vain : des facultés sensibles, afin qu’elles four­ nissent à la partie intellectuelle l’appoint indis­ pensable; delà mémoire, pour qu’elle rapporte sans erreur les faits historiques ; de l’imagina­ tion, pour qu’elle présente les images vives et mesurées qui sont nécessaires à la formation des concepts. Nous ne nous arrêterons pas à examiner si l’influx divin atteignit directement les facultés supérieures et fut projeté par elles jusque sur les puissances sensibles, ou bien si, commen­ çant par les régions imparfaites, il alla s’épa­ nouir et s’achever dans la partie intellectuelle. Il est certain, du moins, qu’il exerça particuliè­ rement son efficacité sur l’intelligence et sur la volonté, car ce sont elles qui produisent immédiatement l’acte humain de la composi­ tion. Voyons ce qu’il opéra en elles (1). La touche de l’Esprit-Saint a d’abord à élever et à corroborer l’intelligence, comme d’ailleurs toute motion de l’agent principal ennoblit et fortifie l’instrument. Ce n’est pas qu’elle change les facultés, qu’elle infuse le (1) Pour toutes ces questions, il faut avoir présente à l’esprit la doctrine de saint Thomas, I. P. q. 105, a. 3 et q.106, a, 1. - 44 - génie là où la nature ne l’a point donné; mais, en ébranlant l’esprit, elle lui ajoute un appoint surnaturel, passager et cependant efficace, qui le met en quelque sorte au niveau de Dieu. Ensuite, elle atteint l’opération intellectuelle : formation de l’idée, expression du verbe men­ tal, jugement et raisonnement. Comment cela? Dieu dut parfois introduire des concepts nou­ veaux, comme lorsqu’il dévoilait les secrets de sa vie intime, les mystères : il y eut alors, non pas seulement inspiration, mais révélation. Ou bien il réveille des concepts anciens, idées endormies, souvenirs oubliés. Cette excitation ne suffit évidemment pas pour que la pensée soit divine. Ou bien l’influx inspirateur illumine, transforme, arrange et dispose les concepts déjà formés, de telle sorte qu’ils puissent devenir l’idée de Dieu et que, exprimés au dehors, ils soient la parole de Dieu écrite. C'est ce dernier travail que nous croyons essen­ tiel à l’inspiration. Certains théologiens, M. Vacant(l),M. Léves­ que (2), le P. Pesch (3), M. Rey (4), semblent (1) Eludes théologiques, t. 1, p. 473. (2) Nature de l’inspiration, Revue des Facultés catholiques de l’Ouest, 5· année, p. 210. ^3) Prælecliones dogmaticse, t. I, n. 616. (4) Revue du clerqé français, 15 iuin 1904. dire que l’intervention surnaturelle se borne à diriger les idées préexistantes et qu’elle porte uniquement sur le dernier jugement pratique, afin que l’auteur prenne parmi ses concepts ceux que Dieu veut faire exprimer. M. Chauvin (1) a pénétré plus avant dans l’analyse de l’inspiration, et nous admettons avec lui une influence divine sur la formation même du verbe mental. Sans doute, le jugement définitif, décider quelles pensées il faut manifester, requiert une illumination toute spéciale, car il appar­ tient à l’Auteur principal de choisir ce qu’il veut faire écrire; c'est assurément Xacte capi­ tal. C’est le judicium de acceptis dont parle saint Thomas (2). Mais les actes qui précèdent ce choix doivent aussi être influencés par le courant surnatu­ rel. Pour qu’une idée devienne vraiment le concept divin, il ne suffit pas qu’elle soit acceptée par Dieu ; il faut qu'elle procède de son action; nous n’aurons le verbe de l’EspritSaint que si la vertu de celui-ci le saisit et l'enveloppe sous sa raison même de concept (1) L'inspiration des divines Ecritures, ch. II. (2) QQ. Dispp. De Veritate, q. 9, a. 1. -φinterne. Oui,s’il est vrai que Dieu soit l’auteur total de l'ouvrage, il doit influer sur l’acte inte­ gral de la composition. Or, l’œuvre de l’entendement s’accomplit en trois phases ou trois mouvements successifs : l’appréhension, qui se fait par le concept et se traduit par le mot, le jugement, qui est le résultat de deux concepts associés par le verbe et se manifeste par la proposition ; le raisonne­ ment, qui est le produit de deux jugements combinés et s’exprime par l’argumentation. Le jugement (immédiat ou médiat) est bien le terme où s’affirme la vérité et où s’achève le rayon de la flamme intellectuelle, mais il n’est pas tout le procédé mental, il ne résume pas toute la connaissance. L’Esprit-Saint n’atteint donc pas l'acte entier de la composition, si le premier élément de la pensée échappe à son intervention. Une analyse complète du travail psychologique doit soumettre à la touche sur­ naturelle les trois actes de l’entendement, même ce que nous appelons simple appréhen­ sion, idée, verbe mental (1). Cette influence sur le concept n’est cepen(1) Même quand l'auteur utilise un document étranger, l’inspiration atteint et les jugements et les idées. Voir plus bas, p. 64 et suiv. — 47 — dant pas une révélation. Quand Dieu révèle, il introduit des notions qui ne sont pas sorties de la fécondité de l’esprit humain; ici, il se sert de toutes les ressources et de toutes les énergies mentales: il prend les concepts déjà formés, mais il les pénètre de sa vertu, les coordonne, les dispose, les modifie de telle façon qu’ils deviennent ses idées et ses pensées. Nous avons donc V illumination, qui utilise et élève les données naturelles, non pas la révé­ lation, qui apporte d’autres données aupara­ vant inconnues (1). La différence est capitale. La révélation mani­ feste du nouveau, soit par des appels intérieurs, des voix, des paroles mystérieuses; soit par des visions corporelles, apparitions d’anges, etc. ; soit pas des visions imaginaires, comme lorsque Dieu montre à ses prophètes les dra­ matiques tableaux d’événements futurs; soit enfin par des visions intellectuelles et des idées infuses. L’illumination aide seulement l’intel­ ligence à voir et à choisir, elle n’introduit pas une notion nouvelle., mais elle fortifie la faculté et se projette sur les actes, les idées, les pensées, les jugements, surtout le dernier (1) Voir notre articlede la Revue Thomiste, mai-juin 1907, n“ I. - 4« jugement pratique, qu’elle dirige d’une manière spéciale Cette psychologie de l’inspiration n’a pas échappé à l’analyse pénétrante de Léon XIII. L’encyclique Providentissimus Deus attribue un triple rôle à l’influx surnaturel : il s’étend sur la conception exacte de l’esprit, sur la volonté d’écrire avec fidélité, sur X expression infaillible de la vérité : Ut ea omnia caque sola quæ ipse juberet et recte mente conciperent, et fideliter conscribere vellent et apte infalli­ bili veritate exprimerent. La conception ne désigne pas que le jugement définitif, elle implique aussi l’appréhension. Après cet aperçu sur le procédé intellec­ tuel, examinons l’impulsion qui tomba sur la volonté. Le mot inspiration indique plutôt la motion de l’Esprit-Saint sur la partie affective, tandis que l’illumination et la révélation dési­ gnent le travail divin sur l’entendement(1). Ces termes d’illumination et d’inspiration ont été employés pour exprimer la grâce actuelle qui ébranle et surélève nos deux facultés maî­ tresses : dans l’intelligence elle s’appelle illu(1) « Sieut revelatio pertinet ad intellectum, ita inspiratio videtur pertinere ad affectum, eo quod importat motionem quamdam. » Ila· 1ί»«, q. 171, a. 1. arg. 4. — 49 — mination, dans la volonté, inspiration. C’est là une terminologie célèbre consacrée par le deuxième conciled’Orange.Impossible, déclaret-il, d’arriver à la foi sans cette double touche de l'Esprit-Saint, absque illuminatione et ins­ piratione Spiritus Sancti (1). Ici, l’inspiration n’est pas la grâce actuelle qui pousse notre bon vouloir aux œuvres salu­ taires ou méritoires : c’est un charisme d’un ordre à part; elle n’est pas donnée directement pour la sanctification de l’écrivain, mais pour le bien public que le suprême Auteur avait en vue. Elle est une sorte de mouvement et d’impul­ sion. Il ne suffit point d’une excitation morale ; un ébranlement physique est nécessaire pour entraîner infailliblement la volonté. D’ailleurs, Dieu, cause principale, exerçant ici le rôle d’agent physique, la motion qu’il laisse tomber sur son instrument sera physique aussi. Ce n’est pas non plus l’influx universel de la Cause Pre­ mière, autrement Dieu ne serait pas l’auteur spécial de l’Ecriture. Le premier Moteur concourt aussi à la com­ position de tous nos livres humains : il éclaire (1) Conc. Arausicanum II, can. VII, Denzinger, n. 150. 4 ao l’intelligence, la volonté et les autres puis­ sances; dans l’ouvrage même qui le blasphème il y a une aumône de sa miséricordieuse libéra­ lité. Mais dans le cas présent il intervient d’une manière toute singulière. Son rayon illu­ mina teur est une lumière extraordinaire qui atteint l’esprit, les idées, les jugements de l’écrivain pour en faire des pensées divines ; sa motion inspiratrice est de même une action spéciale, qui échappe à l’analyse et qui sempare de la volonté humaine, en sorte que c’est bien l’homme qui veut écrire et que son livre cependant est l’écrit de Dieu. La cause infinie, maltresse de tout l’être, de toutes les modifica­ tions, de toutes les différences, de toutes les nuances de L’être, nécessité, contingence, liberté, peut bien mettre en jeu les divers agents et les mouvoir conformément à leur nature; elle sait bien transmettre son impul­ sion irrésistible à la volonté sans lui faire vio­ lence. Ainsi, motion physique, motion toute spé­ ciale, motion très efficace, voilà le rôle de l’inspiration sur la partie affective. — 5ι — III Application de nos principes à l’inspiration verbale Le Pape Léon XIII déclare que la vertu, la motion, l’assistance divines s’étendent à l’ex­ pression infaillible de la vérité, aussi bien qu’à la conception exacte de l’esprit et à la détermi­ nation efficace de la volonté. Or, la motion et l’assistance qui tombent sur l’intelligence et la volonté relèvent certainement de l’inspiration. C’est donc aussi, au sentiment de Léon XIII, une véritable inspiration qui dirigera l’expres­ sion extérieure de la pensée. Le Pape ne dis­ tingue pas, il requiert pour l’expression le même influx que pour la conception mentale : Supernaturali ipse virtute ita eos ad scribendum excitavit et movit, ita scribentibus adstitit, ut omnia eaque sola quæ ipse juberet ET recte mente conciperent, ET fideliter conscribere vellent ET apte infallibili veritate exprimerent. On revient de nos jours à la théorie tradition­ nelle de l’inspiration verbale. Schaezler, Lehir, Loisy lui-même, Pègues, Lagrange,Tanquerey, ■ — 52 — Chauvin, Granelli, etc., ont réagi contre Γορϊnion moderne qui morcelait le livre sacré en soustrayant le choix des mots à l’inspiration, et qui avait pu se produire à l’époque où une philosophie diminuée faussait les notions de la cause instrumentale et de la motion divine sur les causes secondes. L’effet ne procède point partiellement de l’auteur principal et partiellement de l’instru­ ment, il sort de tous les deux en entier et d’une manière indivise, quoique à un titre différent. Le livre inspiré, nonplus, n’a pas une partie qui vient de Dieu seul et une partie qui vient de l’homme seul : il est à la fois et tout entier de tous les deux, de l’Esprit-Saint comme premier moteur, de l’écrivain comme agent secondaire et subordonné à Dieu. Séparer l’inspiration verbale de l’inspiration des pensées nous paraît un non-sens philoso­ phique, comme si la cause principale n’attei­ gnait pas tout l’effet de son auxiliaire, comme s’ils avaient l'un et l’autre des opérations séparées (1)! L’inspiration verbale, la variété de style et de composition, s’expliquent aussi facilement que 1 inspiration des pensées; car (1) « Idem effectus totus attribuitur instrumento et prin< cipali agenti etiam totus » S. Τηομ.,ΠΙ Cont. Gent., c. 70. — 53 — l’agent supérieur utilise toutes les ressources de son outil et diversifie ses effets selon la variété des instruments. Dieu inspire les pen­ sées, non pas en les infusant directement dans l’esprit, mais en éclairant l’intelligence, qu’il détermine à choisir infailliblement les concepts et les jugements opportuns ; de même il inspire les mots, non point par une dictée miraculeuse, mais par une action efficace qui incline l’auteur à choisir librement et par un travail person­ nel telles ou telles expressions. Oui, il faut que les auteurs bibliques soient inspirés, non point comme simples penseurs, mais comme écrivains; le livre saint n’étant pas que la pensée de Dieu, mais bien l’écrit de Dieu, l’influx surnaturel fut donné à la fois et pour penser et pour écrire. Composer un livre, en effet, ce n’est pas seulement trouver des idées, c’est les traduire et leur prêter un vêtement : l’expression pour une grande partie fait l’écri­ vain. On ne dira pas que quelques pensées de Lacordaire soient un écrit de Lacordaire; une page de Lacordaire suppose que les images, le coloris, la vivacité, la chaleur, sont bien de lui. De même, si la Bible est l’écrit de Dieu, il faut que pensées et expressions relèvent de Dieu, s Jamais je n’ai pu comprendre, dit M. Loisy. *— 54 comment les livres saints étaient des livres inspirés pour le fond sans l’être pour la forme ! comment les idées étant fournies à l’écrivain sacré par l’inspiration, celui-ci n’avait plus qu’à se mettre en quête des mets... La théorie qui exclut l’inspiration verbale me parait peu concevable psychologiquement, étant donné que les auteurs bibliques ont été inspirés pour écrire leurs livres, et non seulement pour pen­ ser à les écrire (1). » Autre raison psychologique : l’idée et le mot sont nécessairement connexes dans l’esprit. Saint Thomas explique, dans une analyse très ingénieuse et très fine, que notre procédé intel­ lectuel requiert trois paroles ou trois verbes : le verbe mental, qui est l’image de l’objet parlé dans l’esprit; le verbe imaginé, qui est la représentation de l’objet parlé dans l’imagi­ nation; le verbe oral, qui est l’objet parlé au dehors (2). Le concept mental est intimement lié avec le verbe de l’imagination, et celui-ci a une relation infaillible avec le mot extérieur, dont il est le vicaire et l’image. Le courant ins­ pirateur qui passait sur le verbe mental devait donc arriver aussi à l’imagination et se laisser (1) L'Enseir/nemenl biblique, n. 8, Chronique. (2) De l'erilale, q. 4, a. 1. — 55 — conduire jusqu'à l’expression, ou verbe oral. M. Chauvin montre fort bien comment la doctrine de l’inspiration verbale est conforme au langage de la Bible, à l’esprit de l’ancienne Synagogue et à celui des Apôtres, aux tradi­ tions des saints Pères (i). Nous n’avons pas à entrer dans l’exposé de ces preuves; les raisons tirées de la causalité instrumentale suffisent à notre thèse. Il nous faut cependant faire voir la faiblesse de quelques objections autrefois courantes, et que très peu d’auteurs, à notre époque, vou­ draient prendre' à leur compte. — i°La Providence ne fait que des choses nécessaires ou utiles. Or le choix des mots n’exigeait point l’intervention directe de Dieu. — Veut-on dire qu’il n’était pas besoin d’une dictée ou d’une révélation des mots? d’accord, mais il faut que l’expression vienne de l’auteur principal au même titre que les pensées, afin que le livre soit vraiment l’écrit de Dieu. — 2° La variété de style. — Belle preuve! comme si la cause supprimait la diversité des instruments! Qu’on nous explique alors la variété de conception dans les écrivains sacrés. (1) L’Inspiration, p. na, et suiv. -— 56 — — 3° La diversité des narrations du même fait. Le Nouveau Testament rapporte en quatre endroits différents et de quatre manières diffé­ rentes les paroles de la consécration du calice à la dernière cène. Dans l’Ancien Testament l’auteur du second livre des Machabées date tous les événements d’un an plus tard que l’au­ teur du premier livre. — Pense-t-on sérieuse­ ment qu’il n’y ait là qu’une affaire de mots? La question d’un an plus tôt ou d’un an plus tard est, certes, une différence de pensée. L’objec­ tion prouverait donc que toutes les pensées ne sont pas inspirées. Qui conclut trop ne conclut rien. Dans notre théorie tout s’explique : l’au­ teur principal en suggérant idées et mots se sert des ressources psychologiques de l’écrivain et lui fait rapporter les événements sous l’angle et sous le point de vue particulier sous lesquels celui-ci les avait conçus. — 4° Les écrivains sacrés nous insinuent eux-mêmes qu'ils n’ont pas reçu l’inspiration verbale, puisqu’ils nous apprennent qu’ils ont dû faire des recherches et des efforts pour la composition de leurs livres. — Eh quoi! tous les labeurs de l’auteur du second livre des Machabées, cette entreprise pleine de veilles, ne devaient avoir d’autre objectif que de cher­ — 5^ — cher des mois ! Les faits, les choses, les pensées n’étaient donc paste but de son enquête! On voit comment ces pauvres objections contre l’inspiration verbale se tournent fatalement contre l’inspiration des pensées. Les partisans de l’opinion moderne soulèvent ainsi contre eux-mêmes des difficultés qu’ils seraient peutêtre embarrassés pour résoudre. Pour nous, la réponse est facile. Eh! oui, l’auteur biblique doit travailler pour trouver les pensées et les mots, car la cause principale requiert l’activité propre de l’instrument, et celui-ci ne coopère à l’effet supérieur qu’en se servant de toutes ses capa­ cités et qu’en déployant ses énergies naturel­ les : Non perficit instrumentale™, actionem nisi exercendo propriam. — 5° Si l’inspiration verbale est nécessaire, nous n’aurons plus la parole divine dans les versions. — Nous avons dans les versions la parole de Dieu traduite, comme on a en anglais du Bossuet traduit. Une version exacte ne doit pas contenir que les pensées, elle reproduit les expressions équivalemment, dans la mesure où les mots traducteurs sont les signes vrais des mots traduits. La parole de Dieu se trouve d’une manière absolue dans l’autographe, d’une manière relative dans les copies et les — 58 — versions, en tant que celles-ci sont les vicaires et les signes de l’autographe inspiré. Mais cela même exige qu’il y ait eu un original qui soit tout entier, pensées et mots, l’écrit de Dieu, comme un ouvrage de Bossuet en anglais sup­ pose un livre dont Bossuet est l’auteur total et pour le fond et pour l’expression. Les objections qui paraissaient autrefois si convaincantes sont aujourd’hui quelque peu démodées, et il ne semble plus nécessaire d’y attacher une haute importance. IV Principales conséquences de la théorie. Signalons quelques corollaires très impor­ tants qui découlent de nos principes. Bien que l’instrument mette en jeu toutes ses énergies propres, l’effet est attribué à la cause principale. Quoique les auteurs sacrés aient déployé toutes leurs ressources personnelles, malgré la mul­ tiplicité des écrivains, malgré la diversité de Sp culture intellectuelle, malgré les diflérences des milieux et des époques, l’Ecriture tout entière est le livre propre de Dieu. Comme l’agent principal fait sienne l’opération de l’ins­ trument, l’Esprit-Saint s’approprie l’activité de l’écrivain. Dès lors toute assertion de l’homme est nécessairement une assertion de Dieu, incompa­ tible avec l’erreur. L’auteur peut quelquefois rapporter les dires des autres sans les adopter : ainsi le second livre des Machabées reproduit, mais sans se prononcer, le récit adressé aux Juifs d’Egypte par les Juifs de Palestine. L’écri­ vain inspiré peut aussi ne parler lui-même que d’une manière dubitative, comme lorsque saint Paul déclare ignorer s’il a été ravi au ciel en corps ou en âme et lorsque l’Evangile dit que les jarres de Cana contenaient deux ou trois mesures, etc. Dieu évidemment n’est pas tenu d’intervenir par une révélation et de conférer la certitude parfaite là où les investigations humaines ne donnent qu’une probabilité sérieuse. Dans ces sortes de cas, l’Esprit-Saint garantit seulement que le fait est probable. Mais, quand l’affirma­ tion est absolue, le jugement, qui est de l’homme et de Dieu, qui est l’expression de — 6o — la pensée divine, est tout à fait infaillible. 11 appartient à l’exégète de déterminer dans quel cas il y a eu ou il n’y a pas eu assertion formelle de l’écrivain. Cette distinction entre les relata alterius ou les relata ut probabilia et les asserta proprement dits est d’une importance capitale pour fixer les droits et les devoirs de la critique et de l’exégèse. Trois hypothèses donc à examiner : ou bien l’auteur cite les paroles d’un autre sans se pro­ noncer; ou bien, il exprime son sentiment personnel, mais seulement comme probable ; ou enfin il l’affirme d’une manière catégorique. Ces principes nous permettront de résoudre une difficulté qu’on a bien des fois soulevée contre le premier livre des Machabées. Au chapitre VIII, l’auteur relate les bruits que la renommée avait répandus en Judée au sujet des Romains. Quelques-uns de ces dires sont matériellement inexacts : ainsi, l’on apprend à Judas Machabée que le nombre des sénateurs à Rome est de trois cent vingt, et il n’était, en réalité, que de trois cents; que chaque année la magistrature était confiée à un seul homme, tandis que la république avait deux consuls annuels. Il n’y a ici pourtant aucune erreur impu- — 6ι — table à l’historien biblique : il n’affirme pas que les choses se passent ainsi à Rome, mais qu’on les a rapportées ainsi au chef juif. L’objection confond deux jugements bien dis­ tincts. Première proposition : Judas entendit raconter tels détails au sujet du peuple romain; seconde proposition : Tous ces renseignements qu’on lui apprend sont fidèles et parfaitement exacts. La première est affirmée par fauteur, et elle est infaillible : il est bien vrai que ces rumeurs avaient cours en Judée et qu’elles arri­ vèrent aux oreilles du grand Machabée. Quant à la seconde, l’écrivain ne s’en occupe pas, et, si l’on prouve qu’elle est fausse, on ne conclut rien contre lui. — Mais, réplique-t-on, fauteur a pu se laisser influencer par les apparences populaires et croire que telle était bien l’organisation romaine. — Il pouvait regarder comme pro­ bable qu’il en était ainsi, et en cela il ne se trompaitpas : vu les circonstances et les informations, ce jugement s’appuyait, en effet, sur une solide probabilité ; et, tant qu’on s’abstient de toute affirmation absolue, on échappe à l’erreur. Mais allons plus loin, et accordons, par manière de simple hypothèse, que l'historien soit inti­ mement persuadé, comme tout le monde, que --- 62 --ce qu’on raconte est vrai, que suit-il de là contre la véracité de l’Écriture? Si l’auteur a pensé ainsi, ce jugement est resté à son compte per­ sonnel, il n’est pas sorti de son esprit; ce n’est pas celui que Dieu a fait sien et qu’il a signé ; cette opinion subjective est entièrement étran­ gère à la parole divine. Quoi qu’il en soit des faits, nous ne nions pas la possibilité d’une erreur concomitante : c’està-dire : pendant que l’écrivain rapporte d’une manière infaillible ce que Dieu ratifie et veut faire exprimer, il peut garder dans son esprit des opinions inexactes ou même fausses sur des sujets étrangers à son affirmation actuelle et inspirée. Dieu prend ce qu’il y a d’utile et d'utilisable dans l’instrument, mais non point les défauts ou les vices de son auxiliaire; et, d’autre part, il n’est pas tenu de recommencer lui-même 1 éducation de l’écrivain, de redresser toutes ses connaissances, de lui assurer l’évi­ dence et la certitude là où le travail humain ne donne qu’une probabilité, quand ces détails sont indifférents au but que le premier auteur se propose. Le sens de nos deux propositions est main­ tenant bien déterminé. La première : « On a fait ceci, on a raconté cela, on a tenu ce lan­ — 63 — gage », est une affirmation de Dieu, elle est inspirée, exempte d’erreur. La seconde : « Ce qu’on a fait est bien, ce qu’on a dit est vrai, » est étrangère, dans le cas qui nous occupe, à l’inspiration; Dieu ne l’a pas fait exprimer; qu’elle soit exacte ou erronée, elle n’est point imputable à l’Ecriture, n’étant pas une asser­ tion de l’écrivain. Cette explication s’impose également pour tous les cas analogues où l’auteur cite des docu­ ments sans se prononcer, ou lorsqu’il parle seulement d'après les apparences. A propos des citations implicites, il est bon de rappeler la décision de la Commission pontificale pour les études bibliques, décision approuvée par S. S. Pie X, le 13 février 1905 : On ne doit pas recourir à cette théorie excepto casu in quo, salvis sensu ac judicio Ecclesiæ, solidis argumentis probetur : 1° Hagiographum alterius dicta vel documenta revera citare ; et 2° eadem nec probare nec sua facere, ita ut jure censeatur non proprio nomine loqui. Une autre décision approuvée par le Souve­ rain Pontife le 23 juin 1905, déclare que dans les livres historiques il faut admettre la vérité objective des récits; excepto tamen casu, non facile nec temere admittendo, in quo, Ecclesiae - θ4 sensii non ref'ragante, ejusque salvo judicio, solidis argumentis probetur Hagiographum voluisse non veram et proprie dictam historiam tradere, sed, sub specie et forma historiæ, para­ bolam, allegoriam, vel sensum aliquem a proprie litterali seu historica verborum significatione remotum proponere. Ces remarques éclaircissent notre règle : Toute affirmation réelle de l’auteur humain est une affirmation de Dieu, et elle est nécessai­ rement infaillible, en vertu du principe: L’effet est attribué non pas à l’instrument, mais à la cause principale. Ce n’est pas à dire cependant que l’assertion, quoique à l’abri de toute erreur, soit d’une exac­ titude qui ne laisse rien à désirer. L’agent, en faisant sien ce qui est utilisable dans l'outil, n’en exclut pas foutes les défectuosités, surtout quand elles n’empêchent point le résultat final. Si l’écrivain biblique approuve les docu­ ments qu’il relate, ces sources deviennent-elles inspirées? Il est clair tout d’abord que le seul fait de transcrire l’ouvrage d’autrui ne confère point aux passages cités les privilèges de l’ins­ piration. L’approbation divine nous certifie bien que la citation est exempte d’erreur, mais cette garantie extérieure ne change pas la nature — 65 — intrinsèque du document ; quoique le jugement qui décide d’insérer tel morceau soit inspiré, le morceau lui-même reste humain : ainsi les vers des poètes grecs, bien que cités et approuvés par saint Paul, conservent leur caractère d’écrit profane. Nous rejetons l’inspiration subséquente comme un non-sens. Mais la question peut être envisagée sous une autre face, et nous concevons l’hypothèse où l’auteur utilise des écrits antérieurs et les fait passer dans son livre, de telle manière que l’œuvre tout entière soit inspirée. En prenant à son compte ces documents, il les fait siens, les reproduit vitalem ent par son activité intellec­ tuelle; ils deviennent ses j ugements et ses pensées propres. Ce n’est plus une transcription maté­ rielle : le document, pensé à nouveau, jugé à nouveau, vécu à nouveau par la fécondité de Tesprit, entre dans l’âme de l'écrivain, fait partie de sa vie intime, et, dès lors, peut très bien, comme ses autres éléments psycholo­ giques, être soumis à l’influx inspirateur. Une comparaison nous fera comprendre ce travail de recomposition mentale. Voici un peintre qui copie un chef-d’œuvre de Raphaël : la toile n’est qu’un exemplaire extrinsèque, le peintre se construit dans son imagination et son LA CAUSALITÉ INSTRUMENTALE. — 5 — 66 — intelligence un modèle animé, un tableau qui vit de sa propre vie. De même, le document utilisé n’est qu’un instrument extérieur : l’historien se forme d’après ce modèle une con­ ception mentale qui est son œuvre propre, enfantée par lui et participant à sa vie intellec­ tuelle; et c’est cette œuvre nouvelle qui sera inspirée tout entière. Les jugements ne sont que matériellement identiques à ceux du document primitif: vécus et pensés par l’écrivain biblique, ils sont devenus aussi les jugements de Dieu ; les idées, suggérées par le document, mais formées par l’activité de l'intelligence, ont subi l’influx divin ; les mots eux-mêmes, quoique suggérés également par ceux du modèle, sortent de la fécondité de l’auteur : vicaires animés du verbe de l’imagination et du verbe mental, ils sont, comme ceux-ci, influencés par la touche mystérieuse. Nous avons montré plus haut comment la notion complète de l’inspiration exige que Dieu agisse sur le travail intégral de la composition : jugements, pensées, simple appréhension (1). Tout cela se vérifie dans la présente hypothèse : non seulement le jugement définitif qui décide (1) P. 45. — θ'] — d’insérer tel passage est inspiré, mais et les idées et les mots le sont également, parce que l’auteur, en se servant d’un modèle extérieur, s’est donné lui-même des idées et des termes qui sont son œuvre propre, ses éléments psycho­ logiques, et qui, de la sorte, sont pénétrés tout entierspar la vertu surnaturelle de l’Esprit-Saint. Celle-ci est tombée sur eux par une action vraimentantécédente, qui a fait d’eux les jugements, les idées, les expressions de Dieu (1). De là encore une règle évidente dont l’exégète croyant ne devra jamais s’écarter : puisque l'effet appartient à l’agent principal, ce qu’il faut rechercher avant tout dans l’Ecriture c’est la pensée de l’Esprit-Saint. Sans détruire ni restreindre la part de l’écrivain humain, tout en tenant compte de sa psychologie, de son milieu historique ou social, on n’aura garde de reléguer l’action de Dieu aü second rang et de s’arrêter à l’auxiliaire infirme quand il faut aller jusqu’au (1) Nous allons plus loin que M. Octave Rby, Revue du clergé français, 45 juin 1904. Ses explications ont seulement pour objet de faire comprendre que les jugements sont ins­ pirés. Nous requérons davantage, et nous montrons que les formules elles-mêmes, les pensé.es et les mots, aussi bien que les jugements, tombent sous l’inspiration : parce que ces jugements, ces idées et ces mots, sont recomposés, travaillés à nouveau, vécus à nouveau, par l’activité mentale del’écrivain. Ils subissent l’influence inspiratrice, parce qu'ils sont deve­ nus des éléments psychologiuues de l’auteur. — 68 — premier Auteur. L’intelligence éternelle, qui, d’un seul regard, embrasse tous les temps, n’a pas voulu mesurer et limiter toute sa pensée à la mentalité de l’époque à laquelle tel livre fut écrit; elle visait plus loin, elle avait en vue l’Eglise de tous les siècles. La voie la plus sûre pour découvrir la pensée du suprême Ecrivain, c’est de la lire avec son secours et ses lumières. L’Esprit-Saint, qui est dans l’Ecriture, est encore dans l’Eglise ; il était dans les Pères et les Docteurs qu’il suscita à dpssein et qu’il charg'ea lui-même de nous expliquer les secrets de ses Livres. Ces saints saisissaient comme d’ins­ tinct le sens de Dieu : l’Esprit, qui les guidait, se trouvait, pour ainsi dire, en présence de luimême, il savait bien reconnaître ce qu’il avait déposé jadis dans son Ecriture. Malgré toutes les prétentions de la critique, cette méthode d’interprétation restera toujours vraie pour toutes les questions de foi et de mœurs (1). Par contre, l’Esprit divin n’habite point dans (1) « In rebus fidei et morum ad ædificationem doctrinæ cbristianæ pertinentium, is pro vero sensu Sacræ Scripturæ habendus sit quem tenuit ac tenet Sancta Mater Ecclesia, cujus est judicare de vero sensu et interpretatione Scriptu­ rarum Sanctarum; atque ideo nemini licere contra hunc sensum, aut etiam contra unanimem consensum Patrum, ipsam Scripturam Sacram interpretari. » Cono· Vatican., can. ii, De revelatione. » j ! — 6g — les savants rationalistes, qui sont très forts en grammaire, en philologie, en histoire, en géo­ graphie, mais qui sont totalement dépourvus du sens de Dieu, incapables de rien comprendre au surnaturel (1). Rendons justice à leur talent et à leur savoir, profitons de leur érudition et de leurs découvertes, mais n’allons pas, quand il s’agit précisément de ce surnaturel, demander à des incrédules la pensée de l’Esprit-Saint (2). Il n’entre pas dans notre plan d’indiquer toutes les applications particulières delà théorie; nous observons seulement que l’inspiration scripturaire ainsi comprise est l’une des preuves les plus admirables de la bonté de Dieu pour la créature humaine. Avant de se mettre à notre (1) « Animalis autem homo non percipit ea quae sunt Spiritus Di î stultitia enim est illi, et non potest intelligere, quia spiritualiter examinatur. » I Cor., n, 14. (2) « L’une des raisons les plus spécieuses qu’on apporte pour légitimer cette méthode est que nous devons lire les auteurs sacrés, non pas avec nos idées à nous, niais avec les idées des contemporains. Rien de plus vrai; mais oubliet-on que les contemporains des auteurs sacrés faisaient partie du peuple de Dieu, et que, par conséquent, ils avaient une grâce spéciale pour entendre ce que leur disaient les auteurs inspirées, non pas à la manière des nations païennes, mais en y trouvant le sens initial qui nous devait être plei­ nement révélé à nous dans la lumière de l’Évangile et de l’Èglise? Si bien que l’on pourrait soutenir, en un sens, qu’il y a plus de parenté entre nos idées chrétiennes d’au­ jourd’hui et les idées des contemporains de l’auteur sacré le plus reculé, qu’entre ces dernières et les idées reçues des païenscontemporains. » Th. P., Bevue Thomiste, 1901, p. 617, note. — 7O — niveau et de nous élever au sien par l’incarnation, le Très-Haut a voulu symboliser cette union, exercer une opération commune avec l'homme, cette œuvre de l’inspiration, dont on peut dire qu’elle est divine et humaine à la fois. Pour avoir ses épanchements avec les enfants d’Adam, converser avec eux, il leur adresse des lettres qui sont bien sa pensée, sa parole et son écrit, préludant ainsi longtemps à l’avance à ces relations plus intimes que le Verbe devait contracter un jour avec l’huma­ nité. Exemple aussi très frappant de l’action forte et cependant très douce et très respectueuse de la Providence sur les âmes. Voilà des hom­ mes qui sont tout pleins de Dieu. Intelligence, volonté, imagination, sensibilité : il n’y a pas en eux un seul élément psychologique qui ne soit envahi et tout pénétré de la vertu divine.Et cependant ils agissent avec une telle liberté; ils se sentent si bien les maîtres de leur travail, qu’ils semblent parfois ne pas soupçonner (1) (4) Comparer ces données avec ce qu’enseigne saint Thomas touchant la propin tie : le propbèt. a t il conscience de l’action divine? 11“ 11“ , q. 171, a. 5. D’ailleurs, il n’y a point parité absolue entre la prophétie et l’inspiration. L’écrivain inspiré peut ignorer, plus facilement que le prophète, l’inter­ vention surnaturelle qui tombe sur lui. — fl­ meme cette surnaturelle influence dont ils sont possédés tout entiers. Le Tout-Puissant peut donc agir au plus intime de l’âme, mettre enjeu nos facultés les pi us délicates, sans en briser ni fausser les ressorts. L’inspiration scripturaire, voilà bien le casd’une motion physique, préalable, efficace, qui entraîne infailliblement la volonté sans lui imposer la moindre contrainte. Si cette prémo­ tion toute spéciale ne blesse pas le libre arbitre, pourquoi la prémotion Commune lui serait-elle nuisible? Ces deux prémotions procèdent de la même cause universelle, du même premier Agent, qui atteint la créature dans toutes ses profondeurs et produit toutes les différences et toutes les nuances del’être (1). Les Thomistes (1) Auteurs à consulter : R. P. PègueS, 0. P. Revue Thomiste, mars 1895. R. P. Lagrange, 0. P. Revue Biblique, avril et octobre 1896, et La Méthode historique, surtout à propos de TAncien Tes­ tament, c. ni, Paris, Lecoffre. M. Chauvin, L'Inspiration des divines Écritures, Paris, Lethielleux. On trouvera dans cet ouvrage la liste de nom­ breux auteurs’à consulter. Zanecchia, 0. P. De Inspiratione, chez Pustet. E. Granelli, dans le Divus Thomas 1903, De inspiratione verbali, p. 211, 321, 433, et De effectibus inspirationis, p. 513. Prat, S. J. La Bible et l'IIistoire, chez Bloud. Rey, Revue du Clergé français, 15 juin 1904, p. 171. C. Pesch, De Inspiratione Sacræ Scripturæ, Herder. De Groot, J. Berthier, et les autres manuels de Socis Theologicis ou De Fontibus Revelationis. — 72 —■ ont ici une preuve qui illumine d’un jour tout nouveau l’obscure question du concours divin. L’inspiration, qui ébranle et détermine sans vio­ lenter, est un exemple si plausible de la prémo­ tion physique! CHAPITRE ΙΠ LA CAUSALITÉ INSTRUMENTALE DE L’HUMANITÉ SAINTE DE JÉSUS I État de la question Il s’agit de déterminer dans quelle mesure l’Humanité de Jésus est l’auxiliaire du Verbe, par rapport aux effets surnaturels. Ces opéra­ tions divines sont les miracles, la grâce, l’ensemble des dons qui concourent ou se ramènent à la fin de l’incarnation. De quelle manière Jésus en est-il l’auteur? Comme per­ sonne de la Trinité, il en est la cause physique principale et souveraine. Tout ce qui est au Père lui appartenant de droit, en vertu de sa — rt — génération éternelle, sa puissance s’étend sur tout le royaume du surnaturel. Gomme Christ, il est cause principale dans l’ordre moral, qui est celui du mérite et de la satisfaction. Il ne pouvait en tant que Dieu ni mériter ni satisfaire, car mérite et satisfaction s’adressent à un supérieur et un Dieu ne relève que de soi; pur homme, la valeur limitée de ses actions aurait été bien vite épuisée, et, comme la malice de la faute est infinie, il n’aurait jamais pu égaler la réparation à l’offense. L’Incarnation a résolu la difficulté : par sa nature humaine le Christ est inférieur à Dieu, et il peut lui offrir des mérites et des satisfactions; à raison de sa per­ sonne divine il a une dignité infinie, et tout ce qui procède de lui, œuvres et sacrifices, acquiert par là même une infinie valeur. Prêtre par l’union hypostatique, médiateur officiel, il devient notre rançon, notre justice, notre salut; toutes les grâces sont déposées en lui comme dans un réservoir toujours plein où il faut pui­ ser sans cesse pour avoir la vie. Il est ainsi la cause morale principale de tous les effets sur­ naturels. S’il s’agit d’une causalité physique, l’Ilumanité sainte ne saurait être l’agent principal ni de la grâce ni des miracles. La grâce est un — ?5 — épanchement de l’être divin en nous, et Dieu seul peut nous communiquer sa nature et sa vie. Pour produire un efiet comme cause prin­ cipale, il faut le porter en soi par sa propre vertu; or il est manifeste que l’Humanité créée ne saurait enserrer dans le rayon de son activité cette existence divine dont la grâce est un écoulement. De plus, la grâce nous établit dans la filiation adoptive, et celui-là seul peut nous adopter comme fds de Dieu qui est Dieu par essence. De même, il est dans la notion du miracle qu'il dépasse toutes les exigences, toutes les énergies, toutes les capacités de la créature. On peut ravir au ciel la foudre, aux tyrans leur sceptre, on n’enlèvera pas à Dieu le miracle : c’est là le caractère, le sceau, la signature du Tout-Puissant, que rien ne peut usurper ni contrefaire. Aucune créature, pas même la nature humaine de Jésus, ne saurait donc être la cause physique principale des miracles. Nous avons sur ce point le sentiment à peu près unanime des théologiens. Faut-il cependant refuser à cette Humanité adorable toute causa­ lité physique par rapport aux eil'ets surnatu­ rels? Ne doit-on pas lui attribuer une efficacité instrumentale? On peut ramener à quatre — ;6 — les explications diverses des scolastiques. Première école : l’Humanité de Jésus est seulement cause morale. Seconde opinion : elle est l’instrument physique de tous les effets surnaturels accomplis personnellement par Jésus durant sa vie mortelle. Troisième ré­ ponse : elle est l’instrument physique de tous les effets surnaturels postérieurs à l’incarnation, même de ceux où n’apparaît pas l’intervention .personnelle de Notre-Seigneur et de tous ceux qui se renouvellent sans cesse dans l’Eglise. Dernier sentiment : elle fut la cause physique de tous les effets surnaturels, même antérieurs à l’incarnation. Commençons par rejeter ce dernier point, manifestement impossible. La causalité morale, assurément, s’est étendue par avance à tousles appelés de l’ancienne loi, la grâce leur a été donnée à crédit en vue des mérites futurs du Rédempteur. C’est un principe indiscutable qu’une fin attire dès qu’elle est conçue et sans qu’elle existe en réalité : lehéros s’élance dans la bataille pour une gloire qu’il entrevoit dans l’avenir, l’ouvrier travaille pour un salaire qui ne sera payé que plus tard. Mais l’opération physique dépend de l’existence physique, et le Tout-Puissant lui-même ne pourra jamais faire — π — que ce qui n’est pas être soit agissant. Je pense, donc je suis, j’agis physiquement, donc j’existe physiquement : « Causa efficiens non potest esse posterior in esse ordine durationis, sicut causa finalis (1). » Plaçons-nous sur un terrain plus solide. Examinons d’abord une première catégorie de faits : ceux qui proviennent manifestement de l’action personnelle du Thaumaturge évangé­ lique. Les partisans de la simple causalité morale partent de ce principe : Il ne faut pas augmenter sans motif les difficultés du dogme catholique ; n’allons pas compliquer par des thèses arbi­ traires le mystère déjà si obscur de l’incarna­ tion. Or la théorie de la causalité physique se heurte à de très graves objections, pour ne pas dire à des impossibilités. Contentons-nous de la causalité morale, qui est plus simple, plus obvie et qui sauvegarde suffisamment la dignité de l’Homme-Dieu. Telle est l’opinion que soutiennent saint Bonaventure, Durand, Scot, Vasquez, Melchior Cano, Franzelin, etc. Nous ferons observer à ces théologiens que (1) III. P., q. 62, a. 6. — 78 — dans les questions de l’ordre surnaturel l’expli­ cation vraie n’est pas nécessairement la plus facile, mais bien celle qui s’accorde le mieux avec les données de la révélation. Ce sont ces témoignages positifs qui ont déterminé les Thomistes, Suarez, etc., à professer la théorie de la causalité physique. Au lieu de répondre a priori, nous allons tout d’abord consulter l’Evangile et la Tradi­ tion; nous présenterons ensuite les raisons de convenance avec la réponse aux principales objections. II Les preuves tirées de l’Ecriture et de la Tradition Pour nous faire bien comprendre que sa chair coopère efficacement aux œuvres dé sa divinité, Notre-Seigneur veut que ses miracles soient précédés de certaines actions corporelles, attouchements, onctions, etc. Ouvrons l’Evan­ gile. « Un lépreux vint à lui et l’adora, en disant : Seigneur, si vous voulez, vous pouvez — 79 — me guérir. Jésus, étendant la main, le toucha, en disant : Je le veux, sois purifié, et aussitôt sa lèpre fut guérie (1). » — « Jésus, étant venu dans la maison de Pierre, vit sa belle-mère qui était couchée et avait la fièvre. Il lui toucha la main, et la fièvre la quitta ; et elle se leva et elle les servait (2). » — « Deux aveugles s’approchèrent de lui, et Jésus leur dit : Croyez-vous que je puisse vous rendre la vue? Ils dirent : Oui, Seigneur. Alors il toucha leurs yeux, en disant : qu’il soit fait selon votre foi. Et leurs yeux s’ouvrirent (3). » — « Une femme, atteinte d’une perte de sang depuis douze ans, vint dans la foule par derrière et toucha le vêtement de Jésus, car elle disait : Si je puis seulement toucher son vêtement, je serai guérie. Et aussitôt elle sentit dans son corps qu’elle était guérie de sa maladie. Jésus, connaissant en lui-même qu’une vertu était sortie de lui, se tourna vers la foule et dit : Qui a touché mes vêtements? Quelqu’un m’a tou­ ché, car j'ai, connu qu'une vertu était sortie de moi (4). » — « A Bethsaïda, on lui amène un aveugle et on le priait de le guérir. Ayant pris (1) Matth., vin, 2-3. (2) Idem, ibid., 14-15. (3) Idem, c. v, 28-30. (4) Marc., v, 25-30. — Luc., vm, 43-46. Angd Abbey Library . St. Benedict, Oregon 97373 — 8o — la main de l’aveugle, il le conduisit hors du bourg; puis il lui mit de la salive sur les yeux, et, lui ayant imposé les mains, il lui demanda ce qu’il voyait. Celui-ci, regardant, répondit : Je vois les hommes marcher semblables à des arbres. Jésus lui mit de nouveau les mains sur les yeux, et il commença à voir, et il fut si bien guéri qu’il voyait toutes choses distincte­ ment (1). » Même rite et même onction pour la guérison de l’aveugle-né (2) — « On lui amena un homme sourd et muet, et on le suppliait de lui imposer les mains. Alors Jésus, le tirant à part de la foule, lui mit les doigts dans les oreilles, et il lui toucha la langue avec sa salive. Et, levant les yeux au ciel, il soupira et lui dit : Epphéta, c’est-à-dire : ouvre-toi, et aussitôt ses oreilles furent ouvertes, et le lien de sa langue fut rompu, et il parlait distinctement (3). » Et maintenant expliquons ces faits d’après les deux théories. Laquelle des deux causalités s’harmonise le mieux avec les textes évangé­ liques? Ne semble-t-il pas que l’imparlialité objective doive nous faire raisonner ainsi : Avec la causalité physique tout est clair, tout est (1) Marc., vin, 22-26. (2) Joan., ix. (3) Marc., vij, 32-35, — 8ι — beau? Nous voyons la part des deux natures : la divinité fait le miracle comme cause princi­ pale, l’humanité apporte la coopération instru­ mentale. On s’explique alors ces rites extérieurs, ces attouchements et ces onctions. Supprimez ce concoursphysique, ces cérémonies deviennent plus que mystérieuses; elles n’ont pas leur raison d’être, et nous n’en saisissons pas la portée. Avec la thèse de la simple efficacité morale, on comprend que Jésus prie son Père, lève les yeux au ciel, mais quelle peut bien être la valeur de ces attouchements? Nous ne savons plus quel sens il faut donner à ces paroles du texte sacré : « La foule cherchait à le loucher, par ce qu'il s'échappait de lui une vertu qui guérissait (1)·.· Quelqu’un m’a touché, car j’ai senti une vertu s’échapper de moi (2) ! » On nous objecte que c’est là une métaphore et que l’Evangéliste ne visait pas à enfermer dans ce mot toutes les subtilités de la vertu instrumentale. D’accord; n’empêche qu’il a voulu nous montrer dans l’Humanité de Jésus une particulière efficacité. Une expression si extraordinaire porte en soi un sens profond, et il faut lui reconnaître au moins cette (1) Luc., VI, 19. (2) Luc., vm, 46. 8 — 8a — signification que la chair du Christ avait une part dans l’œuvre des miracles. 11 ne s’agit pas évidemment de la coopération morale, car, en déclarant : J’ai senti une vertu s’échapper de moi, Notre-Seigneur ne fait aucune allusion à ses mérites ni à son intercession. C’est.bien un concours physique, et, comme l’évidence nous instruit par ailleurs que ce n’est pas le rôle de la cause principale, nous devons y reconnaître l’apport de l’instrument. On réplique : A l’occasion du contact des malades avec l’Humanité rédemptrice la divinité seule opérait la guérison. Pourquoi introduire cetoccasionnalisme?Pourquoicet attouchement, pourquoi ces actions préliminaires, si tout cela n’est pas élevé par l’activité du Verbe? L’Evan­ gile réfute d’avance un occasionnalisme si peu scientifique, car c’est à l’Humanité elle-même qu’il attribue l’efficacité : c’est elle qu’on touche, et c’est d'elle que sort la vertu salutaire : Et omnis turba quærebat eum tangere, quia virtus de illo exibat et sanabat omnes. En certaines circonstances l’action de l’Humanité s’exerce sous une autre forme : paroles, menaces, commandement : « Il y avait dans leur synagogue un homme possédé d’un esprit impur, qui s’éeria : Qu’y-a-t-il entre nous et — 83 — vous, Jésus de Nazareth? Etes-vous venu pour nous perdre? Je sais qui vous êles : le Saint de Dieu. Et Jésus le menaça en disant : Tais-toi et sors de cet homme. Et l’esprit impur, agitant le possédé avec violence, et poussant un grand cri, sortit de lui (1). » — « Un homme lui amène son fils, qui est possédé d’un esprit muet... Et Jésus, voyant accourir la foule, menaça l’esprit impur et lui dit : Esprit sourd et muet, je te l'ordonne, sort de cet enfant, et ne reste plus en lui (2). » — « Il s’éleva une tempête pendant que Jésus dormait. Les dis­ ciples le réveillent. Alors, s’étant levé, il menaça le vent et dit à la mer : Tais-toi, calmetoi! Et le vent cessa, et il se fit un grand calme (3). » Pour les célèbres résurrections il y eut à la fois attouchements, paroles, commandement. Il entre dans la chambre où la fille de Jaïre venait d’expirer. « Et, prenant la main de la morte, il lui dit : Talitha cumi, jeune fille, je te l’ordonne, lève-toi. Et aussitôt la jeune fille se leva et se mit à marcher (4). » — « Comme il approchait de la porte de la ville (1) (2) (3) (4) Marc., i, 23-27. Idem, jx, 16-26. Idem, iv, 37-39. Marc., v, 40-42. -Si­ de Naïm, voici qu’on emportait un mort, fils unique de sa mère, et celle-ci était veuve; et il y avait avec elle beaucoup de personnes de la ville. Lorsque le Seigneur l’eut vue, ému de compassion pour elle, il lui dit : Ne pleure point. Puis, il s’approcha et toucha le cercueil. Ceux qui le portaient s’arrêtèrent. Et il dit : Jeune homme, je te l'ordonne, lève-toi. Et le mort se mit sur son séant et commença à par­ ler. Et Jésus le rendit à sa mère (1). » Lisez le récit de la résurrection de Lazare et voyez comment la coopération de la nature humaine y est clairement indiquée. Dieu n’agira pas tout seul ni d'une manière subite; l’Humanité a ici un rôle tragique et sublime. Jésus s’émeut, frémit en lui-même, pleure, invoque son Père, pousse un grand cri : Lazare, sors du tombeau! Et le mort se leva (2). Remarquez la valeur morale dans la prière au Père céleste, l'action physique dans cette voix forte qui commande à la mort de lâcher sa proie. Quand il s’agit des effets spirituels de la grâce, le concours de l’Humanité s’exerce d’ordinaire par une parole accompagnant les actes inté­ rieurs de l’intelligence et de la volonté. « Voici (1) Luc., vu, 12-15. (2) J DAN., XI. Γ — 85 que des gens portant sur un lit un paralytique cherchaient à le faire entrer et à le déposer devant Jésus. Mais, ne trouvant par où le faire entrer, à cause de la foule, ils montèrent sur le toit, et, par les tuiles, ils le descendirent avec le lit au milieu del’assemblée devant Jésus. Dès qu’il vit leur foi, il dit : Homme, tes péchés te sont remis... Lequel est le plus facile de dire : Tes péchés te sont remis, ou de dire : Lève-toi et marche. Or, afin que vous sachiez que le Fils de l’homme a sur la terre le pouvoir de re­ mettre les péchés : Je t'ordonne, dit-il au para­ lytique : lève-toi, prends ton lit et va dans ta maison. Et aussitôt, se levant devant eux, cet homme prit le lit sur lequel il était couché, et s’en alla dans sa maison, glorifiant Dieu (1). » Lorsque la pécheresse arrose de ses larmes et essuie avec ses cheveux les pieds du Sauveur, celui-ci lui dit : Tes péchés te sont remis; ta foi t’a sauvée, va en paix (2). Ce fut encore par un rite sensible, souffle et paroles, que le chef de l’ordre surnaturel con­ féra aux apôtres, après la résurrection, l’inves­ titure de l’Esprit-Saint avec le pouvoir de remettre les péchés. « Il leur dit d& nouveau : (1) Luc., v, 18-23. (2) Luc., vil, 48-30. — 86 - La paix soit avec vous ! Gomme mon Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie. Ayant dit ces mots, il souffla sur eux et leur dit : « Recevez l’Esprit-Saint. Les péchés seront remis à ceux auxquels vous les remettrez, et ils seront retenus à ceux auxquels vous les retiendrez (1). » Tous ces faits reçoivent une explication si plausible dans notre théorie ! L’humanité exerce l’action préalable par ses paroles, son comman­ dement, son contact, son souffle mystérieux; la divinité accomplit l’œuvre principale, ex­ pulse les démons, ressuscite les morts, infuse la grâce, donne l’Esprit-Saint. Tous ces détails, qui paraissent superflus ou insignifiants avec la causalité morale, prennent un caractère gran­ diose avec la causalité physique. Ces actions corporelles sont toutes pénétrées de divin; élevées, transformées par l’agent principal, elles portent la vertu de l’infini, et le sublime passe par elles. De la sorte les miracles sont vraiment les effets de l’Homme-Dieu, dignes de l'homme, dignes du Dieu ! C’est bien ainsi que la tradition a compris l'Écriture. Médina (2) a utilisé avec beaucoup de science et de lucidité les principaux textes (1) Joan , xx, 21-23. (2) Comment., in III. P., certains éléments matériels, le bois, l’eau, etc. Ceci nous amène à parler des mira­ cles de Lourdes. Nous n’avons pas à examiner tous les cas; d’ailleurs, bien des guérisons sont indépendantes de l’eau. Voici seulement quelques exemples : Sœur Eugénia, religieuse du Bon-Secours, était presque mourante, lorsqu’elle se fit plon­ ger dans la piscine, le 21 août 1883. « Dès le premier instant de l’immersion elle s’évanouit, mais elle revint promptement à elle. — Que demandez-vous à la sainte Vierge? lui dit alors sa supérieure. — La santé, ma bonne Mère, si c’est la volonté de Dieu et si ce n’est pas aux dépens de mon salut. Puis elle ajouta : Voulezvous me laisser encore un peu? Je me sens si bien ! On récita un Ave Maria. Après cette — ι85 — angélique salutation à l’immaculée, un fait, incroyable et pourtant vrai, s'accomplit là dans le bassin et dans le bassin qui contenait l’eau des guérisons. La moribonde du matin se leva, et, sans aide, sans aucun secours, elle sortit du bain et s’habilla. Le mal avait fini, elle était guérie (1). » Tout le monde connaît la guérison de l’exaveugle Vion-Dury, dont les yeux s’ouvrirent instantanément au contact de l’eau de Lourdes, après sept ans de nuit complète et déclarée incurable par les premiers oculistes (2). Citons enfin le cas de Clémentine Trouvé. << Elle était arrivée à Lourdes, le 20 août 1891, avec le pèlerinage national. Le lendemain 21, on baigne dans la piscine son pauvre pied, malade depuis trois ans, et, instantanément, le mai disparaît : elle est guérie (3). » En essayant d’analyser, au point de vue théologique, les diverses actions qui inter­ viennent dans ces miracles, nous découvrons une série de causes enchaînées dans un pro­ cédé plein d’harmonie. D’abord, la prière du (1) Notre-Dame de Lourdes, par A. Monbrun, p. 272. (2) La Croix de Paris, 12 mars 1904. Cf. BertRIN, Histoire critique des événements de Lourdes, pp. 140, ss. (3) Bertrin, Histoire critique des événements de Lourdes, p. 236. — ι86 malade ou des personnes qui l’entourent; c’est la valeur morale, clameur éloquente qui pénètre les cieux et incline Marie à se montrer toute-puissante, parce qu’elle est toute bonne. Emue par ces ardentes supplications, la Vierge compatissante transmet la requête à son divin Fils, et à son tour Notre-Seigneur intervient auprès de son Père. Dieu veut guérir le malade. Son action, souverainement efficace, pourrait être immédiate, mais il lui plaît d’avoir des auxiliaires et de faire descendre la faveur par les mêmes causes qui ont fait monter la demande. Lorsqu’une mère se décide à donner une aumône à la prière de son enfant, elle tient à ce que le bienfait soit porté au malheureux par le solliciteur lui-même : l’enfant sera dis­ tributeur de l’aumône, précisément parce qu’il a été intercesseur. Ainsi Dieu veut-il que le miracle s’accomplisse par les divers intermé­ diaires qui l’ont demandé. Notre-Seigneur en sera donc l’instrument physique. Pour le même motif Jésus veut communiquer cette dignité à son auguste Mère ; car, si la causalité instru­ mentale est accordée tant de fois, nous l’avons vu, aux serviteurs de Dieu, croirons-nous qu’elle soit refusée à la Mère, à l’Épouse, à la Reine? La vertu divine, qui passe ainsi par le — 187 ”~ Christ et par la Vierge, sera transmise enfin au malade, mais par l’eau elle-même. Oui, il faut exclure l’hypothèsearbitrairedel ’occasionnalisme ; l’eau de Lourdes, au contact de laquelle s’est opérée la merveille, doit être plus qu’une occasion, nous l’appellerons cause instrumen­ tale (1). Ainsi la formule : « Ce malade a été guéri par l’eau de Lourdes » n’est pas une locution figurée, elle exprime rigoureusement la réalité. Et pourquoi, d’ailleurs, les éléments maté­ riels ne pourraient-ils recevoir une efficacité miraculeuse? Nous n’en sommes pas réduits sur ce point à de simples conjectures; la révé­ lation nous apporte encore ici la réponse tan­ gible des faits. « Les Hébreux vinrent à Mata, et ils ne pouvaient boire des eaux de Mara, parce qu’elles étaient amères. Alors le peuple murmura contre Moïse, en disant : « Que boi­ rons-nous? » Mais Moïse cria au Seigneur, lequel lui montra un bois qu’il jeta dans les eaux, et les eaux devinrent douces (2). » Dieu communiqua donc au bois une vertu (1) L’eau de Lourdes ne renferme aucune substance active, capable de lui donner des propriétés thérapeutiques. Cf. Bertbin, Histoire critique des événements de Lourdes, pp. 149, ss. (2) Exod., xv, 23-25. — ι88 — instrumentale physique pour adoucir la source ; on ne voit pas ce que feraient ici une dignité morale ou un pur occasionnalisme. Un des fils des prophètes cueille par méprise des herbes très amères et les met cuire dans le pot. « On les servit aux disciples d’Elisée: dès qu’ils en eurent mangé, ils s’écrièrent : Homme de Dieu, la mort est dans le pot. Elisée leur dit : Apportez-moi de la farine. Ils lui en apportèrent. Il la mit dans le pot, et leur dit : Servez-en maintenant à tous, afin qu’ils en mangent. Et il n’y eut plus ensuite aucune amertume dans le pot (1). » Les propriétés naturelles de la farine étant incapables de corriger le caractère malsain du breuvage, et, d’autre part, 1’occasionnalisme ne pouvant fournir aucune explication, il faut admettre encore une causalité instrumentale et surnaturelle. Même efficacité donnée aux eaux du Jourdain pour guérir Naaman le lépreux. Sur l’ordre d’Elisée, il s’y plonge sept fois, et sa chair devient comme la chair d’un petit enfant (2). « Il y avait à Jérusalem la piscine des Brebis, qui s’appelle en hébreu Bethsaïda et qui a cinq (I) IV Heg.,iv, 39-41. '2) IV Reg.t v, 1-14. — ι«9 — portiques. Sous ces portiques étaient étendus un grand nombre de malades, d’aveugles, de boiteux, de paralytiques, qui attendaient le mouvement de l’eau. Car l’ange du Seigneur descendait de temps en temps dans la piscine et en agitait l’eau ; et celui qui descendait le premier dans la piscine, après que l’eau avait été agitée, était guéri, quelle que fût son infir­ mité (1). » Remarquons ici deux causalités. L’ange des­ cend et agite l’eau; son intervention n’est pas miraculeuse, il ne fait que déployer son acti­ vité naturelle. Ensuite, l’action extraordinaire de l’eau, car c’est bien l’eau qui, au moment où elle est agitée, produit la guérison. Cette efficacité, universelle à l’égard de toutes les maladies, supérieure à toutes les énergies et à toutes les propriétés des éléments, est une causalité instrumentale et physique, car que pourrait bien être la valeur morale de la piscine? Pourquoi une vertu analogue ne serait-elle pas prêtée transitoirement à l’eau de Lourdes lorsque s’accomplissent les miracles? Nous pensons qu’il faut revendiquer aussi (1) Joan., v, 2-4. — igô — cette vertu pour les instruments de la Passion, et, en particulier, pour la vraie Croix. L’Eglise, dans l’office de l’invention de la Sainte Croix, rapporte le grand miracle opéré par le bois rédempteur. Les croix des deux larrons sont appliquées sùccessivement sur un cadavre, mais sans résultat, la mort les méprise; on approche la vraie Croix, et aussitôt, à ce con­ tact, se produit la résurrection (1). D’autres prodiges, opérés également au contact des instruments sacrés, la piété même des fidèles, qui ne se contentent pas de vénérer ces reli­ ques à distance, mais qui veulent les touched et les baiser, nous font croire à une causalité physique. On le voit, l’argumentation thomiste, bien loin d’être une construction a priori, n’est que la discussion logique de faits historiquement certains. Nous n’avons pas la prétention de l’imposer aux théologiens; il leur est loisible de chercher une autre solution, mais il semble difficile de donner à ces récits de l’Ecriture et de la vie des saints une explication plus litté­ rale et plus satisfaisante. (1) Des auteurs disent que la croix fut appliquée sur un malade,. qu’elle'guérit : c’est toujours la causalité par le contact physique, Γ — Ι9Ι — Une exception Il y a, d’autre part, une catégorie de miracles dont aucune créature, pas même l’Humanité de Jésus, ne saurait être l’instrument : ce sont ceux qui requièrent la création. Des scolasti­ ques célèbres, Pierre Lombard, Durand, Suarez, Vasquez, ont bien pensé que Dieu, de sa puis­ sance absolue, pouvait transmettre à une cause seconde la vertu créatrice, mais la majorité des théologiens s’est rangée au sentiment de saint Thomas. L’instrument, nous l’avons maintes fois rappelé, doit exercer une action prépa­ ratoire qui dispose à l’action de la cquse principale; sans quoi nous aurions un médium inutile, une occasion extérieure, non pas un coopérateur véritable. Ici, aucune opération préliminaire n’est possible, puisqu’il n’y a pas dans tout l’effet une parcelle de réalité qui ne soit tirée du néant ; point de place pour l’œuvre de la créa­ ture. Non seulement l’action de l’instrument n’est pas antérieure à celle de l'auteur princi­ pal, mais, au contraire, l’effet de Dieu créateur est préalable à toute activité créée, car c’est l’être lui-même, cet effet universel qui précède tous les autres et qui n’en suppose aucun, — IQ2 — Toute action des créatures est accidentelle, et elle fait sortir d’un sujet donné tout ce qu’elle réalise. L’accident, en effet, estaussibien dépen­ dant pour son opération que pour son existence. Précaire et infirme, il a constamment besoin d’un support pour se soutenir; il lui faut de même un fondement, une matière d’où il puisse tirer tout ce qu’il produit et tout ce qu’il aide à produire. Le travail des causes secondes, même quand il enfante les chefs-d’œuvre qui doivent défier les siècles, consiste uniquement à modifier, à diriger, à élever des forces et des énergies préexistantes Même l’invention du génie, la conception la plus sublime de l’ange, même la vision et l’amour béatifiques, sortent d’un sujet et se basent sur une faculté. Oui, toute action créée est une modification, un changement. Elle est donc absolument incompatible avec la création, qui exclut toute idée de sujet préexistant, de mouvement, d’évo­ lution. Dans les autres miracles il y a certaines muta­ tions : l’action divine s’exerce sur un monde réel, et les créatures peuvent apporter leur con­ cours; mais ici rien de pareil. Créer, tel est bien la prérogative incommuni­ cable du Très-Haut. Nous pouvons ressemblera — i93 — Dieu par la nature et par la grâce, nous ne lui ressemblerons jamais par la vertu créatrice; nous pouvons être les auxiliaires de ses misé­ ricordes et les ministres de son pouvoir sancti­ ficateur; nous ne serons pas les instruments de la création, son œuvre caractéristique. Gloire donc à la puissance infinie et incommunicable du Créateur 1 la CAUSALITÉ INSTRUMENTAL!, — CHAPITRE VI LA CAUSALITÉ INSTRUMENTALE DE LA TRÈS SAINTE VIERGE Une fois établi que les anges et les saints sont bien souvent les causes physiques secondaires des miracles, il semblera tout naturel que nous revendiquions cette efficacité pour la Mère de Dieu et à un degré supérieur. Cause morale par son intercession, Marie sera l’instrument physi­ que de tous ces effets que la piété catholique appelle des miracles de la sainte Vierge. Siles raisons de saint Grégoire et de saint Thomas et les autres arguments développés au chapitre précédent ont quelque valeur, il faut les appli­ quer tout d'abord à la Mère de Dieu, Reine des anges et des saints. Peut-on aller plus loin? Est-il permis de — 1^5 — croire que Marie est l’instrument physique des grâces qu’elle distribue? Ici la question devient très délicate, et nous ne l’abordons qu’avec réserve et timidité, non pas dans le but de la résoudre nous-même, mais plutôt pour attirer l’attention des théolo­ giens sur un sujet qui n’a pas été encore ex­ ploré. Nous n’émettrons aucune affirmation catégorique, nous discutons seulement une hypothèse qu’il est loisibleàd’autresderejeter. Examinons d’abord la possibilité. Qu’on se rappelle les conditions de l’instrument (i). Et d’abord la vertu transitoire, la motion effi­ cace, qui peut traverser un sujet matériel pour atteindre un effet spirituel, pourra sans aucun doute être portée par la nature et les facultés exquises de la sainte Vierge. La difficulté des distances est déjà résolue : Dieu, qui est à la fois présent en Marie et pré­ sent dans nos âmes, peut évidemment proje­ ter sur nous l’action aimante de notre Mère. Enfin, la disposition préalable ne fait point défaut. Marie exerce une causalité incessante à notre égard, puisque toute la grâce doit passer par sa médiation actuelle. Ses actes d’intelli(1) Voir les chapitres i et ΙΠ. — ΐ9θ — genceet de volonté, son consentement toujours renouvelé, ses prières par lesquelles doit des­ cendre tout don céleste : voilà des opérations préparatoires que Dieu peut élever, transfor­ mer, associer à son activité infinie et faire con­ tribuer à la production des grâces. La possibilité admise, la théorie devient-elle probable? C’est demander s’il y a des raisons qui réclament cette perfection pour Marie. Nous faisons appel à un principe que les théolo­ giens nomment la règle de convenance et que nous avons expliqué dans notre étude sur la Mère de grâce : Toute prérogative, tout privilège qui est possible et qui convient au rôle, à .l’office, à la dignité d’une Mère de Dieu, doit se trouver dans la sainte Vierge. Le concours physique dans la production de la grâce est une haute perfection que nous avons revendiquée pour ]’Humanité du Sauveur. Convient-il au rôle d’une Mère de Dieu? Nous avons montré ail­ leurs comment la Vierge est inséparable de son Fils dans le plan divin, comment elle reçoit à un titre secondaire tout ce que le Christ possède à un titre plénier et principal : ses mérites, ses satisfactions, son intercession nous obtiennent d’un droit de convenance tout ce que Jésus nous a acquis d’un droit de justice : Maria — ι9- __ de congruo ubi Christus de condigno il). Ainsi dans l’ordre de la causalité morale l’ac­ tion de Marie, quoique inférieure et subordonnée, est universelle comme celle du Sauveur. Pour­ quoi la relation devrait-elle cesser dans l’ordre de la causalité physique? Qu’est-ce qui néces­ site cette exception? Ne semble-t-il pas, au con­ traire, que le parallélisme surnaturel doive se poursuivre jusqu’au bout, et que la Mère doive être l’instrument secondaire partout où le Fils est l’instrument premier et conjoint? ' D’après la pieuse croyance exposée dans la Mère de grâce, tous les biens nous arrivent par l’intercession de Marie : sa connaissance ac­ tuelle, sa prière et son consentement actuels sont requis pour la distribution des largesses divines. Or, si Dieu daigne associer la valeur morale des actions de la Mère à la dignité mo­ rale des actions du Fils, pourquoi ne pas asso­ cier la causalité physique, pourquoi ne pas la faire concourir, comme celle du Christ, à la production d’une même grâce qui dérive de cette double médiation? 11 semble assez naturel que des actés dont Dieu veut se servir à chaque instant dans l’ordre de l’intercession soient (1) Voir la Mère de grâce, seconde partie, et l’encyclique de S. S. PieX sur l’immaculée Conception. - i98 élevés, transformés par la fécondité infinie, et chargés de communiquer instrumentalement la vie céleste aux âmes. On comprendrait bien mieux que Marie est toute mère, tota mater, si elle concourait phy­ siquement à nous donner l’être surnaturel. Sans doute, son rôle moral dans l’acquisition et la distribution des grâces suffit déjà à expli­ quer sa maternité, et l’enseignement catholique n’exige pas davantage; mais combien cette maternité serait plus pleine, plus intense, plus semblable à la paternité du Christ à notre égard, si le sang de notre âme, la grâce, était formé par l’activité instrumentale de .Marie ! Comme l’incarnation se prolonge et se renouvelle indé­ finiment par la coopération instrumentale de Notre-SeigneUr, la maternité virginale s’achè­ verait par le concours physique de NotreDame. La maternité complète, en effet, requiert une action constante de la mère sur les enfants. La présence de la sainte Vierge avec nous sera très réelle et très efficace, si, au lieu de se réduire au pouvoir d’intercession, elle implique une influence physique et incessante Sur l’âme des chrétiens. Encore une fois, cette maternité se comprend sans le concours instrumental, — 199 — mais avec lui elle apparaît plus féconde, plus universelle, plus divine. — Trop divine ! répliquera-t-on. Il y a là une prérogative qui est l’apanage exclusif de Jésus-Christ et qui semble incommunicable. — Est-ce bien vrai? Les Thomistes enseignent que l’efficacité instrumentale, bien qu’elle soit avant tout le privilège de l’Humanité adorable, est cependant transmise aux prêtres de la nou­ velle loi : le ministre des autels est l’instrument physique du Christ, comme la nature humaine en Jésus est l’instrument physique du Verbe. Or, c’est un principe théologique, exposé ail­ leurs (1),que toute faveur départie à une créature se retrouve éminemment dans la Mère de Dieu. Bien qu’elle n’ait pas reçu le caractère de l’or­ dre, la Reine du clergé, qui exerça éminemment le rôle de prêtre en donnant Jésus au monde, possède d’une manière et à un degré plus éle­ vés les grâces de notre sacerdoce. Est-il donc absurde de penser qu’elle est l’instrument du Christ d’une façon plus réelle encore que le prêtre? Nous, nous sommes les coopérateurs de Dieu par notre caractère; elle sera le ministre du surnaturel par une causalité plus haute, (i) La Mère de grâce : Plénitude d’universalité. «™ 200 plus rapprochée de celle du Christ, princeps ministra, comme parle Pie X. S’il ne semble pas arbitraire de lui reconnaître dans une sphère supérieure et d’une manière non sacra­ mentelle, les attributions du prêtre, est-il incroyable qu'elle soit l’instrument physique des grâces plus efficacement encore que nous? Telles sont les principales raisons de conve­ nance qu’on peut faire valoir. Elles ne sont pas assez convaincantes, elle ne ravissent pas d’em­ blée l’assentiment de l’esprit, et nous concevons qu’on en conteste la valeur démonstrative ; mais un sourire de dédain ne suffît pas pour les renverser. L’objection redoutable serait-elle la nou­ veauté de cette opinion ? Nous répondons en pre­ mier lieu : L’évolution doctrinale peut poser des questions nouvelles et par suite formuler des conclusions nouvelles. Quand l’Apôtre recom­ mande d’éviter profanas vocum novitates, il n’entend point parler de ces expressions nou­ velles qui n’ont rien de profane, et qui sont l’efflorescence naturelle de l’esprit théologique. Ceux qui comprennent ce qu’est la vie du dogme et l’évolution de la théologie ne contes­ teront pas ces assertions. Ceci nous suggère une seconde réponse ' —- 201 —" Les saints Docteurs ont affirmé que toutes les grâces nous sont transmises par les mains de Marie, qu’elle est la trésorière de Jésus-Christ, le canal de tous les dons célestes, le cou mysti­ que par lequel nous arrivent les énergies de notre tête, Jésus (1). Ils ne sont pas entrés dans les distinctions philosophiques de causalité phy­ sique ou morale : c’est à nous à analyser leurs expressions et à en déterminer la portée (2).C’est souvent cette analyse et cet examen des formules anciennes qui font progresser la théologie. Quoique ces termes puissent s’entendre du pou­ voir d’intercession, ils conviennent très bien à la causalité physique. Plusieurs même de ces comparaisons, comme celle A'aquæductus et celle du cou mystique, etc., ainsi que nous le faisait observer un vénérable prêtre, n’ont leur signification rigoureuse et complète que dans la théorie de l’efficacité instrumentale : la cau­ salité de la Tête est physique, donc physique aussi celle du cou virginal qui unit le Chef aux membres. D’éminents professeurs, tant du clergé (11 La Mère de grâce, seconde partie. (2) Le Souverain Pontife Pie X, dans son encyclique sur l’immaculée Conception, déclare bien que Marie ne produit pas physiquement la grâce, mais il est manifeste qu’il parle de la causalité principale; car il ajoute que ce pouvoir n’appartient qu’à Dieu seul :1e Pape ne voulait cependant pas nier la causalité instrumentale de Notre-Seigneur. --- 202 — séculier que du clergé régulier, nous ont déclaré qu’ils étaient favorables à cette thèse. C’est aussi dans ce sens que doit s’entendre, semble-t-il, un passage célèbre du bienheureux Grignion de Montfort, où il est dit que le Saint-Esprit « est devenu fécond par Marie, qu’il a épousée. C’est avec elle, en elle, et d’elle qu’il a produit son chef-d’œuvre, qui est un Dieu fait homme, qu’il produit tous les jours et pro­ duira jusqu’à la fin du monde les prédestinés, membres du corps de ce chef adorable : c’est pourquoi plus il trouve Marie, sa chère et indis­ soluble épouse, dans une âme, plus il devient opérant et puissant pour produire JésusChrist en cette âme et cette âme en JésusChrist. « Ce n’est pas qu’on veuille dire que la sainte Vierge donne au Saint-Esprit la fécondité, comme s’il ne l’avait pas! puisque, étant Dieu, il a la fécondité, ou la capacité de produire, quoiqu’il ne la réduise pas à l’acte, ne produi­ sant point d’autre personne divine. Mais on veut dire que le Saint-Esprit, par l’entremise de la sainte Vierge, dont il veut bien se servir, quoiqu’il n’en ait pas absolument besoin, réduit à l’acte sa fécondité, en produisant en elle et par elle Jésus-Christ et ses membres : mystère - 2o3 —de grâce inconnu même aux plus savants et spirituels d’entre les chrétiens (1). » La fécondité extérieure du divin Paraclet c’est la production de la grâce, non pas dans l’ordre de la causalité morale, car le SaintEsprit n’ést pas une cause méritoire ou impétratoire, mais dans l’ordre de la causalité phy­ sique. Réduire à l’acte cette fécondité c’est produire physiquement la grâce et ces œuvres de sainteté qui sont appropriées à la troisième personne. S’il est vrai que le Saint-Esprit réduit à l’acte sa fécondité par l’intermédiaire de Marie, s’il devient puissant et opérant par elle, c’est par elle qu’il produit physiquement la grâce dans les âmes : Marie est donc l’instru­ ment physique,secondaire, de l’Esprit-Saint. Telle nous semble la portée de ces fortes expressions du saint auteur; telle serait cette haute doctrine qu’il appelle « un/mystère de grâce inconnu même aux plus savants et spiri­ tuels d'entre les chrétiens». Pour notre part, nous nous abstiendrons de conclure, nous contentant d’avoir exposé des raisons de convenance qui nous semblent belles, dignes de Dieu, dignes de Marie, capables 'I Traité de la vraie dévotion à la sainte Vierge, I. P., I. — 2θ4 d/engendrer une certaine probabilité, quoique nous ne voulions pas leur attacher plus d’im­ portance qu’il ne convient, ni rendre solidaire de cette théorie la doctrine de la Médiation universelle (1). C’est bien dans le même sens que peut s’interpréter la thèse de M. Gommer : De munere Matris Dei in Ecclesia gerendo. Si cette thèse n’a pas été encore étudiée, ce n’est pas une raison de l’exclure indéfiniment de la théologie. Il est déjà très glorieux pour la Mère des chrétiens qu’une telle question se puisse poser à son sujet, lors même qu’il ne serait pas encore possible de la résoudre. En tout cas, nous voudrons être tout entiers à Marie, comme elle est toute à nous, et nous trouverons un immense bonheur dans cette seule pensée que Marie est toute Mère pour nous, iota Mater! (1) Voir le décret de la Sacrée Congrégation des Rites, janvier 1921, approuvant l’office et la messe Beats Maris Virginis Mediatricis omnium gratiarum. CHAPITRE Vil CONCLUSION POUR LA VIE SPIRITUELLE Ce sujet, qui parait, à première vue, hérissé d’une épineuse métaphysique, se prête à des applications consolantes et fécondes pour la vie spirituelle. Il importe à la piété de bien com­ prendre cette action de Dieu et de Notre-Seigneur sur les âmes. 11 y a une présence réelle de la Divinité dans toutes les créatures et sur­ tout dans les justes, une présence réelle de l’Humanité de Jésus dans l’Eucharistie. Grâce à cette double communication de notre Dieu, la terre n’est plus vide ; et que de délices procu­ rent aux saints ces épanchements, avant-goût du ciel! Mais il semble que les horizons mys­ tiques seraient élargis,.que la dévotion aurait un aliment nouveau, si l’on savait que l’Huma­ - 2o6 nité de Jésus n’agit pas que dans l’Eucharistie, que son influence est continuelle et universelle. Loin de nous, sans doute, la pensée d'attribuer à l’Humanité du Sauveur une sorte d’ubiquité; mais, s’il est vrai qu’elle est l’instrument du Verbe infini, elle peut nous atteindre partout et devenir l’atmosphère où se forme toute la rosée de la grâce et où respire toute âme chré­ tienne. Un évêque, qui fut un écrivain de marque et un ascète profond, avait compris ces beautés et ces harmonies de la doctrine thomiste, lorsqu’il rappelait que « la vertu de l’Humanité de Jésus est dans l’eau du baptême pour régénérer l’âme et lui communiquer la vie surnaturelle; elle est dans le saint chrême pour faire croître celte âme et la rendre divinement virile; elle est dans la sentence du prêtre pour remettre les péchés à qui vient de les confesser avec les dispositions requises (1). » Elle est même en dehors des sacrements. Chaque fois, avons-nous dit, que le surnaturel pénètre dans le monde, que la plus petite grâce touche une âme, on peut proclamer que Jésus passe de nouveau et que de son Humanité (1) Mgr Gay, Fleurs de doctrine, υ. 219. — 207 — s’échappe encore la vertu rédemptrice. Comme les pieux contemplatifs jouiraient, en pensant que leur bien-aimé Sauveur agit continuelle­ ment sur eux, qu’ils sont baignés dans sa lu­ mière! Ils voudraient se tenir constamment sur son passage, afin de ne pas laisser perdre ce courant surnaturel qui traverse le monde et y porte le salut et l’amour. Ils comprendraient mieux alors les grâces de choix accordées aux intimes, les faveurs mystiques réservées aux privilégiés. Le prêtre s’efforcerait d’être plus généreux à la seule pensée queses mains et ses lèvres sont empruntées par le Christ pour faire l’œuvre de la sainteté. Les fidèles estimeraient davantage cet homme qui est l’organe du Prêtre éternel, comme Jésus est l'organe du Verbe, qui a été sacré par le caractère de l’ordination, comme l’Humanité adorable a reçu Ponction de la per­ sonne divine. On voudrait s’approcher plus souvent et avec plus de ferveur de ces sacrements qui versent la vie surnaturelle à flots pressés, qui lavent les cœurs, étanchent la. soif fiévreuse des biens et des plaisirs terrestres, font reverdir les âmes et leur donnent cette fraîche parure de printemps qui provoque le sourire et l’amour de Dieu. 2o8 On aurait plus de respect pour ces saints Livres dont l’inspiration constitue l’une des plus grandes merveilles du surnaturel. Il ne nous appartient pas de signaler toutes les conclusions que la piété peut tirer de ces doctrines; lésâmes que guide l’Esprit-Saint sauront bien faire elles-mêmes les applica­ tions. ' On peut discuter plusieurs de nos assertions, nous n’attribuons pas à tous nos arguments une valeur démonstrative absolue ; mais nous esti­ mons que le sujet est plein d’intérêt, et que les conclusions même contestables servent à faire mieux apprécier les sublimes inventions de l’éternelle miséricorde. Nous serions récompensé au delà de nos mérites, si cette modeste étude pouvait inspirer un désir plus vif du surnaturel et un amour plus ardent de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Un théologien du dix-neuvième siècle a bien vu le parti que la piété pouvait tirer de cette doc­ trine, surtout par rapport à l’Eucharistie. « Une source physique de vertus s’épanchait de cette Humanité, comme d’un précieux médicament découle une douce influence dans toutes les veines et les nerfs du corps languissant. Ainsi les morts obéissaient à sa volonté et sortaient — 209 ~ de leur tombeau, non seulement parce que Dieu, entendant sa prière, envoyait la vie dans les corps expirés, mais parce que de ses lèvres émanait un pouvoir tout-puissant, qui faisait trembler l’enfer et auquel la mort même obéis­ sait. Le toucher de sa main répandait le sang· de vie dans les veines delà jeune fille et faisait de nouveau battre son cœur... L’omnipotence de Dieu résidait dans sa chair sacrée; elle en faisait son instrument... Ce n’est que par une extension de cette merveille que l’Humanité de Jésus devait être la grande fontaine de toute grâce... Je n’ai pas besoin de dire combien cela nous unit étroitement àNotre-Seigneur et quelle gloire en rejaillit sur nous! Pensez à la mul­ titude des grâces que le ciel répand à chaque instant du temps et sur chaque point du globe ; elles viennent toutes de Jésus... Dans les salons du mondain, dans les repaires de l’infamie, dans les rues populeuses, dans les prisons solitaires, les grâces coulent sans cesse et toutes viennent de Jésus. 11 les sent toutes, et il a conscience de ce qui se passe ; ce sont des vertus qui sortent de lui. « S’il en est ainsi, onne saurait assigner une limite aux grâces qui coulent du Saint-Sacre­ ment dans nos cœurs. Nous avons dans LA CAUSALITÉ INSTRUMENTALE. — 14 / — 2IÔ l’Eucharistie le même corps qui opéra jadis les miracles ; la main qui ressuscita la. fille de Jaïre, les pieds qui ne se refusèrent pas aux baisers de Madeleine, les mains et les pieds encore marqués des glorieuses blessures souf­ fertes dans notre rédemption, tandis que son côté ouvert répand des trésors de grâces sur nos cœurs palpitants, près desquels il repose. Là aussi nous possédons l’âme qui animait et vivifiait ce corps et qui le rend encore vivant. 0 cœurs sans foi, quelle grâce Jésus peut-il maintenant vous refuser ? Cœur à cœur, âme à âme, Jésus est avec vous (1).» (î) Dalgairns, La Sainte Communion, t. I, ch. v. CHAPITRE VIH EXPLICATIONS COMPLÉMENTAIRES ï L’encyclique de Benoît XV et l’inspiration scripturaire C’est pour nous un pieux encouragement de voir nos doctrines sur la cause principale et l’instrument confirmées dans l’encyclique de Benoît XV, Spiritus Paraclitus, sur saint Jérôme, du i5 septembre 1920. Le Pape rappelle tout d’abord comment, d’après saint Jérôme, Dieu est dans l’Ecriture cause principale, causa princeps habendus sit; comment Dieu et l’homme ont une commu­ nauté de travail pour produire une seule et même œuvre : Dei cum homine communita­ tem laboris ad unum idemque opus conficicn- --- 212 --- dum : parce que, selon Ta comparaison du docteur Dalmate, les auteurs sacrés sont l’ins­ trument ou l’organe du Saint-Esprit, organo seu instrumento : « Ce que disent les auteurs sacrés sont les paroles du Seigneur et non pas les leurs propres, et ce que profère leur bou­ che passe, pour ainsi dire, par l’organe du Seigneur (i). » Dès lors, poursuit le Pontife, l’explication, de saint Jérôme touchant la vertu et l’action de Dieu, cause principale, sur l’hàgiographe ne diffère en rien de la doctrine catholique commune touchant l’inspiration : Dieu illu­ mine l’esprit par rapport au vrai à proposer aux hommes au nom de Dieu, ou ex perso­ na Dei ; il meut la volonté et la pousse à écrire ; et il assiste spécialement et continuel­ lement l’écrivain jusqu’à ce qu’il ait achevé la composition du livre (2). Ensuite, Benoît XV réfute l’opinion de ces récents exégètes qui, tout en admettant que 1’inspirati,on s’étend à toutes les pensées et meme à tous les mots de la Bible, distinguent un élément principal et religieux et un élé­ ment secondaire et profane et restreignent l’infaillibilté et la vérité absolue à l’élément religieux ; comme si Dieu avait en vue seu­ il) Act. Apost. Sedis, χπ, p. 389-395. (2) Ibid., p. 390. — 2l3 — Icment ce qui se rapporte à la religion et que le reste, ayant trait aux sciences profanes, ne fût que le vêtement extérieur de la vérité di­ vine, laissé par Dieu à la faiblesse de l’au­ teur (i). Le pape réprouve cette théorie et aussi celle d’après laquelle la partie historique des Ecri­ tures s’appuie, non sur la vérité absolue, mais sur la vérité qu’on appelle relative, conforme au sentiment vulgaire. De même, dit-on, que les écrivains sacrés, en parlant des choses physiques, s’en rapportent aux apparences sen­ sibles, de même, en consignant certains faits historiques, ils s’en tiennent à l’opinion com­ mune de l’époque. Benoît XV rejette énergi­ quement cette assimilation et déclare qu’elle est absolument contraire et à la pensée de saint Jérôme et aux enseignements de Léon XIII (2). La question est donc définiti­ vement tranchée. Il n’entre pas, évidemment, dans le cadre de ce travail de commenter cette remarqua­ ble encyclique, mais il est consolant de cons­ tater qu’elle est la confirmation et l’applica­ tion des principes thomistes. L’action de la cause principale et celle de l’instrument étant indivisibles et inséparables, tout ce qu’affirme (1) Ibid., p. 394. (S) Ibid., p. 395, ss. *— 214 *“■ l’hagiographe est affirmé par Dieu, et donc est vrai en soi, absolument, et digne de la bouche de Dieu. Il est intéressant de remarquer que Pie XI parle de la même manière dans son encycli­ que sur saint Thomas : « Le docteur Angéli­ que, ayant établi que l’Esprit-Saint est l’au­ teur principal et l’homme l’instrument (i), ne permet pas qu’on mette en doute dans la Bible son absolue vérité historique, mais il fonde sur ce premier sens littéral, signifié par les mots, les inépuisables richesses du sens spirituel, dont il précise avec netteté les trois aspects, allégorique, tropologique, anagogique (2). » II Les récentes tentatives pour sauver la causalité intentionnelle. Nous avons vu, p. ιδγ, suiv., que cette théo­ rie célèbre se ramène à deux assertions princi­ pales. La première assertion, à savoir que la vertu (1) Quodlib.. vu, a. 14, ad. 15. (2) Encyclique Studiorum ducem, du 29 juin 1923. --- 2l5 --- des sacrements n’est pas physique, mais seu­ lement intentionnelle, enlève, avons-nous dit, à nos rites divins leur efficacité actuelle. — On nous a répondu qu’il y a bien effi­ cacité actuelle, parce que le sacrement réalise toute sa signification alors seulement qu’il est conféré. — Mais c’est dire précisément que toute la causalité se réduit à celle du signe : les pa­ roles pontificales sont simplement le signe de la volonté du Pape, comme le denier de plomb, dans l’exemple de saint Thomas, est le signe de la volonté du roi. — Plus que cela, réplique-t-on. Les paroles dont se sert le législateur pour publier la loi ou le Souverain Pontife pour nommer les évê­ ques, sont des instruments qui reçoivent la vertu de produire l’obligation morale ou le pouvoir de juridiction. Ce ne sont donc pas de simples signes ; ce sont des causes, car le commandement du législateur ou du Pontife n’atteint pas directement l’âme du sujet et ne peut communiquer son effet que par l’inter­ médiaire du signe extérieur. — Cette remarque prouve que les paroles sont une condition sine qua non, mais non pas qu’elles sont causes efficientes. Les paro­ les, sans doute, sont nécessaires pour notifier, manifester la volonté du Pape, mais quelle --- 2l6 --- causalité efficiente exercent-elles par rapport au pouvoir conféré ? En quoi consiste leur ap­ plication au sujet dans l’ordre de la causalité efficiente? Les auteurs qui sont si difficiles à accepter les obscurités inévitables qui entou­ rent la causalité physique se montrent fort peu exigeants quand ils découvrent une cau­ salité instrumentale efficiente dans ces pa­ roles. Signes indispensables, oui ; causes vé­ ritables, non. Non, l’argumentation ne conclut pas : l’obligation qui naît de la loi ou le pouvoir de juridiction dont on prétend que les paroles sont la cause instrumentale ne relèvent que de l’ordre moral ; la grâce, dont l’Eglise nous dit que les sacrements sont la cause ex opere operato, est. une, réalité positive et physique et requiert un instrument du même ordre, c’est-à-dire dont l’action est physique aussi. Quant à la seconde assertion, on prétend justifier par des exemples tirés de la nature la causalité dispositive. Ainsi, dit-on, l’action génératrice des parents n’est-elle pas cause dispositive de l’infusion de l’âme, et d’après les théologiens, même d’après saint Tho­ mas (i), ne faut-il pas dire que semen huma­ num est instrumentum transmissionis pec­ cati originalis? (1) Quaesi. Dlspp. de verti., q. 27, a. 7, ad. 1. — 217 — Croit-on vraiment qu’il s’agisse là d’ins­ truments proprement dits, véritables causes ef­ ficientes? Est-ce que l’action des parents con­ court efficienter à la création de l’âme spiri­ tuelle? Est-ce que le semen humanum produit la transmission du péché originel à la façon dont le sacrement produit la grâce? — Non, les causes dispositives ne sont pas de vérita­ bles causes efficientes, elles rentrent plutôt dans la catégorie des causes matérielles (i). Si donc nous voulons conserver à nos sacre­ ments la dignité des causes efficientes, il faut leur attribuer la causalité perfective, qui at­ teint la grâce elle-même. III La pensée de saint Thomas. Deux explications peuvent être proposées. La première concilie les divers passages en montrant que la grâce sacramentelle ne va pas sans la grâce sanctifiante. Quelle est, en effet, la relation entre ces deux grâces? (1) Voir à ce sujet Jean de S. Thomas, Philos. Nat., q. j, art. 7. --- 2l8 --- Une comparaison fera comprendre cette économie. Dans nos premiers parents la grâce origi­ nelle, bien qu’elle fût, dans le fond, identique à la grâce sanctifiante, ajoutait cependant un appoint nouveau, une vigueur plus grande, des forces plus résistantes : ainsi la grâce sa­ cramentelle, sans se différencier radicalement de la grâce des vertus et des dons, apporte néanmoins des énergies précieuses, adaptées à chaque sacrement. Cette surabondance intérieure descend à toutes les circonstances de l’existence terrestre et dans une complète harmonie avec toutes lès conditions : dans le baptême, c’est l’éner­ gie qui permet au nouveau-né de se dévelop­ per ; dans la confirmation, c’est la vaillance qui fait les soldats de la foi ; dans l’eucharistie, c’est la plénitude de vie qui provient d’une substantielle nourriture ; dans la pénitence, c’est la résurrection qui rend à l’âme le beau visage de son baptême ; dans l’extrSme-onction, c’est la vigueur qui guérit l’infirme de ses faiblesses, fait disparaître les restes du pé­ ché et confère la suprême préparation à la gloire ; dans l’ordre, c’est cette force infusée par le Saint-Esprit, accipe Spiritum Sanctum ad robur, et qui soutiendra le prêtre dans son laborieux ministère ; dans le mariage, c’est — 2I9 — celte efficacité qui de deux existences n’en fait plus qu’une, les associe dans les mêmes joies, les mêmes devoirs et leur donne de porter gé­ néreusement le fardeau et les épreuves insé­ parables de l’état d’exil. Ainsi, la grâce en tant que sacramentelle prépare le règne et assure le triomphe de la grâce, en tant que sanctifiante. Ce sont deux rôles de la même réalité divine. Les sacrements qui confèrent la grâce sacra­ mentelle confèrent nécessairement la grâce sanctifiante. Seconde explication. Dans ses premiers écrits le saint Docteur n’avait pas encore ré­ futé la théorie dominante, à savoir que la grâce est produite par voie de création ; d’où l’on devait conclure qu’aucun instrument ne pouvait atteindre la grâce ; comme l'action génératrice des parents dispose à l’infusion de fame, attendu que la création ne comporte pas d’instrument. (I. P., q. 45, a. 5.) Dans la Somme, saint Thomas a déjà établi, I a II ae, q. no, que la grâce n’est pas créée, mais tirée de la puissance obédientielle de l’âme, et c’est pourquoi il conclut absolument que les sacrements produisent la grâce, comme la hache, securis, concourt à la confection de l’œuvre d’art, et il ne retient que les exem- --- 220 ---- pies et les expressions de la causalité perfec­ tive. Pourquoi donc attacher une importance si prépondérante aux œuvres de jeunesse, au point de paraître les préférer à la Somme? Nous ne pensons pas qu’il y ait contradiction proprement dite entre ces textes et ceux de la Tertia Pars, mais n’est-il pas manifeste qu’ici le Docteur Angélique a voulu simplifier et unifier sa pensée, la purifier, pour ainsi dire,, des explications plus subtiles d’autrefois? En affirmant tout court que les sacrements pro­ duisent la grâce même, la grâce qui lave, sanc­ tifie, nous incorpore à Notre-Seigneur (q. 62, a. i, sed contra et cap. art.), il indique suffi­ samment qu’il tient désormais à débarrasser la théologie de cette distinction entre les causes dispositives et les causes perfectives. Revenir de nos jours à ces substilités dont saint Thomas a voulu dégager la Somme, c’est plus que compliquer la théologie sacramentaire, c’est donner à entendre que la pro­ duction de la grâce est une création : c’est marquer un recul, non un progrès. Ni les Pères ni les conciles ne nous auto­ risent à dire que les sacrements produisent une disposition ou un simple titre, et nous voulons lire les définitions conciliaires telles --- 221 qu’elles sonnent : les sacrements sont causes de la grâce et non d’une disposition à la grâce. IV Conclusion pour la piété. Quoi qu’il en soit des théories, nous vou­ lons conclure par ces belles paroles de saint Ephrem de Syrie, auquel Benoît XV a conféré le titre de Docteur de l’Eglise universelle : « Le baptême nous conçoit dans son sein et, à la place de la figure souillée du premier Adam, il imprime en nous une image nou­ velle et nous enfante au nom de la Trinité (r).» Tel est l’enseignement pratique auquel aboutissent les diverses opinions des théolo­ giens. Les pieux fidèles retiendront que les sa­ crements leur ont imprimé une image nou­ velle, novam imprimit imaginem, et ils s’ef­ forceront de la respecter, afin que Dieu puisse se complaire en eux et, pour ainsi dire, se con­ templer et se reconnaître au fond de leurs âmes régénérées et divinisées par la vertu mystérieuse des sacrements... (1) Hymn, de Virginitate, édit. Kahmani. p. 10É> TABLE DES MATIÈRES Préface de la nouvelle édition................... Avant-propos.............................. -................... ···· CHAPITRE PREMIER THÉORIE THOMISTE DE L’INSTRUMENT < I, Notions générales sur la causalité. — Défini­ tion de la cause : ce par quoi l’être est cons­ titué, ou produit, ou connu. — Trois notions dans le concept de cause. — La cause, le principe, la condition, l’occasion. — La cause efficiente : son rôle est d’agir, faire, mou­ voir; explication de ces termes. — Cause principale et cause instrumentale. — La philo­ sophie de l’instrument est basée sur la cons­ tatation expérimentale. — Le fonctionnement delà hache. — Les deux actions de l’instru­ ment. — IL Vertu instrumentale et action instrumentale. — Utilité et intention qu’im­ plique l’instrument. — Deux traits essen­ tiels à noter : i° la cause instrumentale doit concourir à un effet plus noble qu’elle-même, 2° elle reçoit de l’agent une influence transi­ toire qui sert à l’élever et à l’appliquer. — --- 224 --- Preuve de cette double assertion. —La vertu instrumentale est communiquée; ce qu’on entend par la vertu propre. — Opinions des théologiens touchant la vertu instrumentale. — Elle n’est ni la puissance obédienti elle ni la vertu assistante. — Lq motion eflicace et physique que requièrent les thomistes. — Cette motion élève et applique. — Elle n’est pas un simple concours simultané, elle est une prémotion. — Application de ce principe: les causes secondes instruments de Dieu pour la production de l’être; témoignage de saint Thomas. — La vertu instrumentale est incomplete et transitoire; elle se ramene a l’ordre spirituel ou corporel d’après la nature de la cause principale. — Elle peut traverser un sujet corporel pour atteindre un elï'et spirituel. —La vertu intentionnelle ; équi­ voque de ce mot : la véritable explication thomiste. — III. La vertu propre et l'action propre. — L’instrument doit exercer une action préalable qui dispose, en quelque manière, à celle de l’agent principal. —Cette disposition pour les instruments des créatures est tou­ jours proportionnée à l’effet à produire; pour les instruments du Créateur ii suffit d’une certaine aptitude à concourir à l’œuvre divine; mais il faut cependant une action préalable. — Remarques sur les deux actions de l’instrument : Taction instrumentale et l’action propre. — Comment l’œuvre est tout entière de l’auteur et de l’instrument. — Quel­ ques propositions qui résumént toute la théorie de la causalité instrumentale............ — 225 — CHAPITRE II LA CAUSALITÉ INSTRUMENTALE DANS L’INSPIRATION SCRIPTURAIRE I. Notions préliminaires. — L’instrument psychologique. Il faut distinguer le mouve­ ment pieux, l’assistance, la révélation, l’inspi­ ration. — L’inspiration orale et l'inspiration scripturaire. —Les deux termes dont se sert l’Ecriture pourexprinïer l’inspiration. — Nous avons là les éléments qui entrent dans les concepts d’agent principal et de cause instru­ mentale. — Cette notion se précise chez les Pères et les écrivains ecclésiastiques. — Témoignage de Léon XIII. — Les auteurs sacrés instruments vivants et libres. — II. Les deux actions de Vinstrument. — Pour ce qui est de l’action personnelle, il faut attribuer aux auteurs de l’Écriture tout ce qui convient à une cause psychologique et raisonnable. — Toutes les facultés et même les passions ont ici leur rôle. — Ce premier aspect ouvre aux savants un champ très large. — L’opération instrumentale que les écrivains exercent sous l’influence de Dieu. — L’action divine sur les facultés sensibles, sur l’intelligence, sur la volonté. — L’influx inspirateur fortifie l’intelligence et atteint même l’opération intellectuelle. — Trois hypothèses. — L’influence surnaturelle ne porte pas que sur le jugement pratique, elle concourt en quelque manière à la formation du concept. — Ce fut une illumination, mais ïs --- 226 --- non pas une révélation. — La psychologie de l’inspiration d’après Léon XIII. — Sens théo­ logique du mot inspiration. — L’impulsion physique et toute spéciale qui tomba sur la volonté. — III. Application de ces principes à l’inspiration verbale. — L’influx divin s’éten­ dit à l’expression infaillible de la vérité : texte de Léon XIII. — Les auteurs qui défen­ dent la théorie de l’inspiration verbale. On ne peut séparer l’inspiration verbale de l’inspi­ ration des pensées. — Les auteurs bibliques sont inspirés non comme simples penseurs, mais comme écrivains. — L’idée et le mot sont nécessairement connexes dans l’esprit : les trois verbes. — Les objections courantes contre l’inspiration verbale. — Ceux qui les répètent ne prennent pas garde qu’elles se retournent contre eux et qu’elles attaquent aussi l’inspiration des pensées. — IV. Princi­ pales conséquences de notre théorie. — Toute assertion de l’écrivain est infaillible. — Dis­ tinction à faire entre les asserta et les relata. — Ces principes nous permettent de résoudre une difficulté soulevée contre le premier livre desMachabées. — Deux propositions à distin­ guer : « On a fait ceci ou raconté cela » et : « ce qu’on a fait est bien, ce qu’on a dit est vrai. » — Laquelle des deux propositions est affirmée par l’auteur? — Peut-il y avoirerreur concomitante? — Comment les documents cités peuvent devenir inspirés. —Autreconséquence : ce qu’il faut chercher avant tout dans l’Écriture, c’est la pensée de l’EspritSaint. — Or, pour avoir la pensée de l’EspritSaint, il faut consulter l’Église, dans laquelle --- 227 --- il réside encore. — L’inspiration est une preuve admirable de la bonté de Dieu pour les hommes et un exemple frappant de l’action forte et cependant respectueuse delà Providence sur les âmes................................. 34 CHAPITRE III LA CAUSALITÉ INSTRUMENTALE SAINTE DE DE L’HUMANITÉ JÉSUS I. État de la question. — Ce qu’on entend par les effets surnaturels. Le Christ est cause principale dans l’ordre du mérite et de la satisfaction. — L’Humanité du Verbe ne peut être la cause physique principale ni de la grâce ni des miracles. — Est-elle au moins cause physique instrumentale? — Quatre explications. — Opinion à rejeter : celle qui attribue à l’Humanité sainte les effets anté­ rieurs à l’incarnation. — Les partisans de la causalité morale. — Ce n’est pas a priori mais par l’étude des documents de la révéla­ tion qu’on peut résoudre le débat. — II. Les preuves tirées de VÉcriture et de la Tradition. ■- Textes de l’Évangile qui signalent l’action physique de l’Humanité de Jésus, attouche­ ments, onctions, etc. — Expliquons ces faits d’après les deux théories. — Seule la thèse de la causalité physique donne l’explication satisfaisante. — La vertu qui sort de Jésus : sens de cette expression. — Il faut exclure l’occasionnalisme. — Textes qui décrivent l’action de l’Humanité sous une autre forme : --- ·2·ϊ.8 --- paroles, menaces, commandement. — Pour les résurrections il y eut à la fois attouche­ ments et paroles. — La résurrection de Lazare. — Quand il s’agit des effets spiri­ tuels de la grâce, le concours de l’Humanité s’exerce d’ordinaire par une parole accom­ pagnant les actes intérieurs de l’intelligence et de la volonté : textes de l’Éyangile. — Le rite sensible dans l’effusion du Saint-Esprit. — Ces faits expliqués d’après la doctrine thomiste. —La Tradition : le concile d’Éphèse, saint Cyrille, saint Chrysostome, Euthymius, saint Augustin. — La portée du langage des Pères.—Le sentiment de saint Thomas: cita­ tions très claires. — III. Les raisons théolo­ giques. — La relation de l’Humanité avec le Verbe. —Dieu doit communiquer à sonChrist tout ce que la créature peut recevoir. — Toute prérogative qui est compatible avec la fin de l’incarnation a été accordée à la sainte Huma­ nité. — C’est amoindrir Notre-Seigneur que de lui refuser cette coopération physique. — Réponse aux difficultés. — L’Humanité a pu recevoir pour opérer les effets surnaturels, non pas sans doute une qualité habituelle, mais une vertu physique transitoire et très efficace. — Cette vertu peut être spirituelle, et, quoique passagère, elle peut atteindre les effets les plus nobles. — Le Verbe la tient toujours au service de son Humanité. — Le contact physique de cause à effet est ici réalisé. — L’action préalable ne fait pas défaut. —IV. Les effets surnaturels opérés à distance ou postérieurs à l’Ascension. — Difficultés spéciales pour celte seconde caté- — 22g — gorie de faits. — Les opinions des théolo­ giens. — Les thomistes. — La doctrine de saint Thomas au sujet de la causalité effi­ ciente de la passion, de la mort et de la résurrection de Notre-Seigneur. — Comment le Christ nous a obtenu le salut per vitam, mortem et resurrectionem suam, selon les termes employés par l’Eglise dans l’oraison de la fête duRosaire.—Réponse aux objections; les conditions de l’instrument sont ici réali­ sées. — Comment il peut y avoir contact : la cause principale étant infinie peut porter partout l’action de l’instrument. — Les rai­ sons précédentes gardent leur valeur démons­ trative pour les effets postérieurs à l’Ascen­ sion. — L’action préalable qu’exerce encore l’Humanité de Notre-Seigneur.— Il faut attri­ buer au Christ triomphant toutes les préroga­ tives qui n’appartiennent pas exclusivement à l’état de voie. — Or la causalité instrumen­ tale peut convenir aussi à l’état de gloire. — Le Christ serait moins parfait au ciel que durant sa vie mortelle s’il n’exerçait plus cette efficacité. — Le plan de l’incarnation est plus beau dans cette théorie. — L’action de Jésus n’est pas restreinte à l’Eucharistie. — II n’est aucun peuple qui ne soit visité par l’Homme-Dieu. — Le prolongement sans finde l’incarnation...................................................... --- 23ο --- CHAPITRE IV LA CAUSALITÉ INSTRUMENTALE DES SACREMENTS Les diverses opinions des théologiens tou­ chant la causalité des sacrements. — Ce n’est pas a priori, mais d’après les données de la révélation qu’il faut raisonner. I. Les preuves d’autorité. — Témoignage de l’Ecriture : il faut amoindrir le texte sacré pour n’y voir que la causalité morale. — Témoi­ gnage des Pères ; la causalité morale paraît bien mesquine devant leur magnifique lan­ gage. — Oratoires, si l’on veut, ces expres­ sions^ la condition qu’on ne leur prête pas un sens entièrement étranger à celui qu’elles signifient si naturellement. — La termino­ logie des conciles n’est rigoureusement vraie que dans la théorie de la causalité physique. — Les expressions contenir et conférer la grâce. — Les causes de la justification d’après le concile de Trente ; le baptême cause instrumentale. — Il s’agit de l’instru­ ment physique. — Ce ne sont pas les sacre­ ments qui meuvent l’Esprit-Saint; c’est l’Es­ prit-Saint qui meut et appliqueles sacrements. — Autres déclarations du concile. — La cau­ salité de l’absolution : la signification de la forme : Ego te absolvo n’est pas pleine si le confesseur ne concourt pas physiquement à la rémission des péchés. — Le prêtre, vrai juge, doit absoudre lui-même. — Dans l’Eucharistie, le prêtre concourt physiquement à 1 la consécration. — L’évêque, générateur du sacerdoce, doit être aussi un instrument physique. — Sans vouloir trancher les ques­ tions débattues entre catholiques, le concile de Trente tenait cependant à affirmer la cau­ salité réelle. Or les expressions qui établis­ sent celles-ci conviennent aussi bien à la causalité physique. — Causalité réelle est donc synonyme de causalité physique. — Quand le concile a en vue l’efficacité morale, 11 choisit d’autres formules. Comparer, par exemple, les déclarations qui expriment la causalité morale de la messe avec les textes qui affirment 'la causalité des sacrements. — Le sentiment de saint Thomas : textes nom­ breux qui manifestent clairement sa pensée. -- IL Les raisons théologiques. Les sacrements sont à l’Humanité du Christ ce que celle-ci est à la personne du Verbe. — L’Eucharistie, l’absolution, l’Ordre. — La différence entre nos sacrements et ceux de l’ancienne loi n’est pas radicale si les nôtres ne sont que des causes morales. — L’économie des deux alliances d’après la doctrine thomiste. — Réponse aux difficultés ; les conditions de l’instrument se réalisent ici. — La succession des paroles sacramentelles. — Objection tirée de la reviviscence des sacrements ; réponse. — La convenance des sacrements. — Les reliques vivantes de Jésus-Christ.— Les sacrements actions du Christ. — III. Co­ rollaire : le prêtre instrument physique. L’action sacerdotale. —L’Ordre est une par­ ticipation au sacerdoce de Notre-Seigneur. — Le caractère puissance active et surnatu- 202 —- relie. — La causalité du prêtre doit être instrumentale et physique. — Les deux actions du prêtre : l’une sur le corps naturel de Jésus-Christ par la consécration ; l’autre sur le corps mystique par l’absolution. — IV. La causalité intentionnelle. Ce que le P. Billot entend par cette expression. — Cette nouvelle théorie est contraire à la doctrine de saint Thomas. — Elle détruit la vraie notion d’instrument et enlève toute causalité réelle à nos rites sacrés. — Les sacrements ne produisent pas qu’une simple disposition à la grâce. — Dans quel sens peut-on admettre que les sacrements sont des causes dispositives ? Explication de quelques textes de saint Thomas. — Nos rites sacrés produi­ sent et la grâce sacramentelle comme effet propre à chacun d’eux et la grâce sanctiliante comme effet commun à tous. — La pensée définitive et simplifiée de saint Thomas. 118 CHAPITRE V LA CAUSALITÉ INSTRUMENTALE DANS LES MIRACLES I. Le sentiment des saints docteurs. — Trois manières dont les créatures peuvent con­ courir à un miracle —La causalité physique instrumentale. — Sentiment de saint Au­ gustin, témoignage de saint Grégoire le Grand, preuves de saint Thomas. — IL Le témoignage des faits. — L’action préalable que Dieu exige : les miracles d’Élie, d’Eli­ 1 — 233 — sée, des apôtres. — Traits empruntés à la vie de saint Dominique, à la vie de saint Thomas et à la vie de saint Louis Bertrand. — Miracles opérés par les reliques : les ossements d'Elisée, le corps de saint Pierre martyr, la tombe dè saint Raymond. — La double causalité qu’exercent les saints : l’une morale, l’autre physique. — III. La cau­ salité instrumentale des créatures maté­ rielles. — Les miracles de Lourdes ; quelques guérisons. — La série des causes qui inter­ viennent dans un miracle. — La manière dont la demande est présentée à Dieu, la manière dont le bienfait divin est transmis au malade. — Sens de la formule : « Ce* malade a été guéri par l’eau de Lourdes. » — Les éléments matériels peuvent recevoir une vertu miraculeuse ; témoignages de l’Ecriture : le bois qui adoucit les eaux de Mara, la farine dont se sert Elisée pour corriger le caractère malsain d’un breuvage, l’eflicacité donnée aux eaux du Jourdain, la piscine de Bethsaïda, les instruments de la Passion. — L’explication thomiste est la plus littérale et la plus satisfaisante. — IV. Une exception. — Peut-il y avoir un instrument physique de la création? Opinion des théologiens. — L’ac­ tion préalable fait ici défaut. — Toute action des créatures est une modification et dépend d’un sujet. — Créer est la prérogative incom­ municable du Très-Haut.................................. 234 CHAPITRE VI LA CAUSALITÉ INSTRUMENTA ' E DE LA TRÈS SAINTE VIERGE Causalité de Marie par rapport aux miracles. — La Mère de Dieu est-elle l’instrument phy­ sique des grâces qu’elle distribue ? — La question de possibilité est facile à résoudre. — Y a-t-il des raisons de convenance? — Toute prérogative qui convient au rôle, à l’ofiice,à la dignité d’une mère de Dieu doit se trouver en Marie. — Le concours physique est-il de ce genre? — Toutes les grâcesnous arrivent par l’intercession de Marie; si Dieu requiertle concours moral de la sainte Vierge, pourquoi ne pas se servir aussi de la coopé­ ration physique ? — On comprendrait bien mieux comment Marie est toute mère pour les chrétiens. — Le prêtre est cause physique instrumentale de la grâce ; pourquoi Marie ne le serait-elle pas à un degré supérieur? — Cette théorie est-elle si nouvelle? — Citation du B. Grignion de Montfort. — Nous évitons toute affirmation absolue................ 1 - 235 — CHAPITRE VII CONCLUSION POUR LA VIE SPIRITUELLE Utilité de cette étude pour les âmes inté­ rieures. — L’efficacité universelle de NoireSeigneur. — Citation de Mgr Gay. — Utilité pour le prêtre. — Utilité pour les fidèles. — Citation du P. Dalgairns............................. 2d5 CHAPITRE VIII EXPLICATIONS COMPLÉMENTAIRES I. L’encyclique de Benoît XV et l’inspiration scripturaire. — II. Les tentatives récentes pour sauver la causalité intentionnelle. —■ III. La pensée de sai d Thomas. — IV. Con­ clusion pour la piété..................................... 211 IMP. P. TÉQUI, 92, RUE DE VAUGIRARD, PARIS. A Notre Cher Fils, Edouard HUGON DS L'ORDRE DES FRÈRES PRÊCHEURS PIS XI, PAPE. CHER FILS, Salut et Bénédiction Apostolique, Nous avons reçu les volumes dont vous Nous avez récem­ ment fait hommage, intitulés : « Tractatus dogmatici » pro­ duit vraiment remarquable de votre esprit; et, à mesure que Nous le parcourions, autant que Nos occupations Nous l’ont permis, Nous avons constaté que, si vos écrits ont été honorés par Nos Prédécesseurs d'une insigne recommandation, ils ré­ clament aussi un témoignage d’éloges de Notre part. Lorsque vous avez publié votre CURSUS PHILOSOPHIAE THOMISTICAE, Pie X de sainte mémoire y louait fortement et la sincère doctrine de Saint Thomas, et la richesse et l’or­ dre des matières et la limpidité de l’exposition. Nous n’igno­ rons pas que Notre Prédécesseur immédiat vous félicitait d’avoir exposé en un style facile les mystères du salut en les mettant à la portée des fidèles et en faisant très à propos servir les sciences sacrées au progrès de la piété. Sachez que Nous aussi, Cher fils, Nous approuvons pleine­ ment vos traités en forme de commentaire sur les principales questions de la SOMME de SAINT THOMAS dans lesquels vous expliquez la théologie pour l’utilité des étudiants. Cela Nous agrée d’autant plus que vous avez déjà mis en pratique les règles que Nous prescrivions Nous-même dans Notre Lettre Apostolique au Cardinal Préfet de la Sacrée Congrégation des Séminaires et Universités. Vous y snivel comme Nous le recommandions, non seulement la méthode mais encore la doctrine et les principes de Saint Thomas; et en faisant une véritable part à la théologie dite positive, vous avez mis cette dernière au service de la scolastique, de telle sorte que celle-ci comme il convenait, occupât le premier rang. Votre ouvrage n’est donc pas une stérile recension des dogmes, c’est un vrai corps de doctrine, formé des principes et des conclusions. Il Nous est agréable d’y louer encore la clarté du fond et de l’exposition et le soin que vous prenez de suggérer, à l’occa­ sion, les considérations opportunes qui peuvent exciter dans l’esprit du lecteur les flammes de la piété. Continuez donc vaillamment à exposer par la parole et par la plume selon l’esprit de Saint Thomas, les doctrines sacrées aux jeunes gens qui se destinent au sacerdoce, et afin que vous puissiez pendant longtemps et avec succès remplir cette mis­ sion, comme gage des bienfaits de la céleste sagesse et comme témoignage de Notre Paternelle Charité, Nous vous accordons, Cher Fils, très affectueusement dans le Seigneur la Bénédiction Apostolique. Donné à Rome, auprès de Saint Pierre, le XXV du mois de février MCMXXIII, de Notre Pontificat la deuxième année. PIB XI, PAPE. Lettre de S. E. le Cardinal BISLETI au R. P. Edouard Hugon, pour recommander son cours de théologie (i) Sacrée Congrégation des Séminaires et Universités Rome, le 5 juillet 1922 THÉS RÉVÉREND PÈRE, Le gracieux hommage que vous m’avez fait de vos traités dogmatiques im- fournit une nouvelle et agréable occasion de vous exprimer ma vive gratitude et de vous présenter mes plus sincères félicitations. Fils dévoué et fidèle du grand Patriarche qui, selon l’heu­ reuse expression du Dante, fut une splendeur de la lumière des chérubins, vous employez toutes vos forces et tous les dons que le Seigneur vous a largement départis à la diffusion de la vérité, de cette vérité dont Jésus a dit : « La vérité vous rendra libres » (Jean, vin, 32). Après nous avoir donné un magnifique Cours de philosophie scolastique si hautement loué par le Souverain Pontife Pie X et si fort apprécié des savants, vous nous présentez maintenant quatre volumes de traités théologiques, qui sont un commen­ taire des principales questions dogmatiques contenues dans la Somme de l’Ange de l’Ecole. C’est un commentaire clair, profond, précis; et c’est aussi un complément, parce que vous avez uni harmonieusement la partie scolastique des questions avec la partie positive, que supposait saint Thomas mais que ne supposent pas nos étu­ diants, et vous avez réalisé cet accord d’après le critère indi­ qué par Pie X, lorsqu’il a dit : « Il faut donner à la théolo­ gie positive plus d’importance que par le passé, mais de telle manière que la scolastique n’en souffre aucun détriment « (Encycl. Pdscendi). On a de la sorte un tout parfait et les esprits de tous les temps trouvent pleine satisfaction à. leurs légitimes exigences. En même temps que je prie le Seigneur de vous ajouter de nouvelles grâces et de nouvelles forces, pour que vous les employiez au bien des âmes, je forme le vœu que vos livres concourent efficacement à la diffusion de la doctrine de l’An­ gélique Maître, doctrine que l’Eglise a faite sienne et qui a servi et servira toujours à la défense de la vérité et à la destruction de l’erreur. C’est avec une particulière estime, mon très Révérend Père, que je me dis une fois de plus votre dévoué serviteur. GAÉTAN, Card. BISLETI, Préfet. Au ,T. R. P. Edouard HUGON, o. P. Vice-Régent du Collège Angélique, Rome. (1) Tractatus dogmatici ad modum commentarii in praeci­ puas quaestiones dogmaticas Summae Theologicae Divi Thomae Aquinatis. Quatre volumes in-8, paris, Lethielleux. P. Téqui, libraire éditeur, 83, rue Bonaparte, Parts-VI·. Mgr BESSON ÉVÊQUE DE NIMES L’Homme-Dieu. Conférences prêchées à. la métropole de Besan­ çon. 13’ édit. In-12 de 460 pages. Prix : 4 fr. 50; franco.... 5 » Cet ouvrage, tout en répondant aux attaques d’une Incrédulité se jetant, à bout de voie, dans les impasses du romanesque et de la folie, embrasse la grande et éternelle démonstration de la divinité de Jésus-Christ, telle qu’elle convient à tous les âges et à tous les 'esprits. Elle résumé sous une forme nouvelle et originale les plus beaux arguments des Pères et des grands apologistes, et elle s’adapte aux besoins de notre âge en tournant à son profit les recherches et les erreurs de la philosophie, les découvertes et les objections de la science. On s’étonne de la quantité de faits et d’idées qui sont condensés dans ces quatre cent soixante pages. Conférences prêchées dans l’é­ glise métropolitaine de Be­ sançon. 7 ln-8 franco, .. 55 — Le même. 7 in-12.... 35 On vend séparément : Homme-Dieu (Γ). ln-12. fran­ co ............................. 5 Eglise (Γ) œuvre de l’HommeDleu. In-12 franco.... 5 » Décalogue (le) ou la loi de l’Homme-Dieu. 2 in-s fran­ co............ -................. 17 — Le même 2 in-12. fran­ co................................ 10 Sacrements (les) ou la grâce de l’Homme-Dieu. 2 in-8. franco ..................... 17 — Le même ouv. 2 ln-12 fran­ co ............................ 10 Mystères (les) de la vie future ou la gloire de l’HommeDieu. in-8 franco ... 8 — Lemême. In-12 franco .. 5 Année (1’) d’expiation et de grâce. (1870-1871). Sermons et Oraisons funèbres. 4· édition 1 ln-12 franco............ 5 Année (1’) des pèlerinages (18721873). Sermons. In-8 fran­ co ........................... 8. 50 — Le même ouvrage. 3‘ éd., 1 in-12 franco, ............. 5 » Sacré-Cœur (le) de l’HommeDieu, sermons prêchés à Be­ sançon et à Paray-ie-Monial en juin 1873. Franco., s » Béatitudes (les) de la vie chré­ tienne ou la dévotion chré­ tienne envers le Sacré-Cœur. In-8 franco............... 8 50. Œuvres pastorales. Γθ série 1875-1878'. 2 in-8, franco 17. — Le même. 2 in-12 fran­ co, .............................. 10. Œuvres pastorales, 2“ série 1878-1882 2 ln-8 franco .. 17 — Le même. 2 ln-12 fran­ co, ........................... 10 » Œuvres pastorales et oratoires 3e Série, 1883-1887, 2 ln-8 franco ...................... 17 » — Le même, 2 ln-12. fran­ co .............................. 10 » Œuvres pastorales et oratoires 4‘ série, 1887-1888.1 ln-8 fran­ co, ........................... 8. 50. — Le même. 1 ln-12 fran­ co............................... 5 » Panégyriques et oraisons fu­ nèbres. 2 ln-8 franco .. 17 » — Le même ouvrage, 3’ éd., 2 in-12 franco.............. 10 » Panégyriques, oraisons funè­ bres, éloges académiques Nouvelle série In-8 fran­ co, .... ...................... 8. 50 Panégyriques, oraisons funè­ bres, éloge académique. Troisième série. In-8 fran­ co ............................. 8 50 — Le même ouvrage. In-12. franco ............. 5 » P. Tégui, libraire-éditeur, 82, rue Bonaparte, Paris-VP. DIVINITÉ DE N.-S. JÉSUS-CHRIST Mgr. BESSON. — L’Homme-Dieu. Conférences précitées à la métropole de Besançon. 13° édition. In-12. Franco........... 5 » Cet ouvrage embrasse la grande et éternelle démonstration de la divinité de Jésus-Christ. L’auteur résume sens une forme nouvelle et originale les plus beaux arguments des Pères et des grands apologistes, et son livre s’adapte aux besoins de notre âge en tournant au profit de l’apologétique les recherches et les erreurs de la philosophie et les découvertes et les ob­ jections de la science. Chanoine GAILLARD. — Jésus-Christ et les Prophètes Messia niques. In-8“. Prix : 7 fr.50, franco, 8 fr. 50. Ce titre contient un exposé clair et simple 1° des principales promesses et prophéties de l’Anclen Testament relative à la personne et à l'Œuvre du Messie; 2° des preuves évangéliques, du monde et du sens de l’accomplissement de chacunes d’elles, par NotrdSeigneur Jésus-Christ. De ce parallélisme saisissant, pour quiconque veut l’étudier et réfléchir, découle nécessaire­ ment cette démonstration capitale de la Divinité du Christ et de sa religion, par l’argument prophétique. Mgr FREPPEL — Œuvres Polémiques. — Cette série con­ tient : L’Examen critique de la Vie de Jésus de Renan. — Les Evangiles. — L’Evangile de Saint Jean. — Le Surnaturel et le Miracle. — La personne de Jésus-Christ. — Le Christianisme. — L’Eglise. — Une édition populaire de la vie de Jésus de Re­ nan. — Examen critique des Actes des Apôtres de Renan. — L’Autorité des Actes des.Apôtres. — La Résurrection de Jé­ sus-Christ. — Le Miracle de la Pentecôte. — L’Eglise de Jé­ rusalem. — La Conversion de Saint Paul. — L’établissement du Christianisme, 1 vol. In-12 de 400 pages. Prix franco : 5 fr.'SO H. de LAOOMBE. — Sur la divinité dé Jésus- Christ. — Con­ troverses du temps de Bossuet et de notre temps. In-8°. Prix : 7 fr. 50 franco, 9 francs. Jésus-Christ est-il Dieu? C’est, bien là en effet depuis 1900 ans l’éternelle question. Ce livre est un plaidoyer en faveur de Bos­ suet et des apologistes traditionnels de ce dogme fondamental. LEMOINE (Abbé). — Je crois en Jésus-Christ. In-8 de 600 pages 6 fr. franco, 7 50. Les divisions de l'ouvrage : L’Avènement de Jésus-Christ. Annonciation, Noël, Epipha­ nie, etc.. — La divinité de Jésus-Christ : ses déclarations, ses miracles, ses témoins. — La doctrine de Jésus-Christ : le Royaume des Cieux. —· La vie parfaite. — La passion de Jé­ sus-Christ. — Le triomphe de J.-C. : La Résurrection. L’EgVse. MEMAIN (R. P.). — Etudes chronologiques pour (’Histoire do Notre-Seigneur. In-8 Prix 6 fr. franco 7 50. Ce volume donne le mot des problèmes historiques sur l’épo­ que contemporaine du Sauveur, et les dates de sa naissance, sa prédication, la chronologie évangélique, et l’ancien calen­ drier hébraïque. IKflr TISSIER. — Le Fait Divin du Christ, In-12 : 5 fr. 60