Édition établie par René et Dominique Mougel Sous la direction de : Mgr Pierre Mamie, évêque émérite, président de la Fondation du Cardinal Journet R.P. Georges Cottier, o.p. théologien de la Maison Pontificale œuvres complètes de CHARLES JOURNET L’ÉGLISE DU VERBE INCARNE ESSAI DE THÉOLOGIE SPÉCULATIVE VOLUME III SA STRUCTURE INTERNE ET SON UNITÉ CATHOLIQUE (Deuxième partie) /7 H Édition publiée par la Fondation du Cardinal Journet z Éditions Saint-Augustin © 2000 Editions Saint-Augustin ISBN 2-88011-208-7 Publié avec la participation financière de la Fondation Louis Cergneux AVERTISSEMENT DE L’ÉDITEUR I. Note sur l’édition du présent volume Dans la présente édition, le tome II de L’Église du Verbe incarné a été réparti en deux volumes : le précé­ dent volume en donnait la première partie ; celui-ci contient les deux autres, ainsi que la table alphabétique de l’ensemble. IL Sommaire [dans le volume précédent :] lère Partie : La structure interne de l’Église : le Christ, la Vierge, l’Esprit saint [dans le présent volume :] 2èmc Partie : Les parties composantes de l’Église : l’âme créée et le corps de l’Église VI : L’âme créée de l’Église................................... 1019 Section I : Définitions de l’âme créée de l’Église Définition causale et analytique, 1020. Définition synthétique, 1085. VI AVERTISSEMENT DE L’ÉDITEUR Section II : Déchirures de ΓEglise Un conflit de deux terminologies, sa solu­ tion par l’analyse du concept de dissi­ dence, 1178. De l’ignorance de la foi au dilemme : foi ou infidélité, 1263. L’infidélité, 1317. L’hérésie, 1347. Le schisme, 1355. L’excommunication, 1383. VII : Le corps de l’Église.......... ...... ........... Section I : Nature du corps de l Église Passage de l’étude de l’âme de l’Église à l’étude de son corps, 1433. Comment nous connaissons le corps de l’Église, 1439. Les éléments constitutifs du corps de l’Église, 1445. Les éléments adjacents du corps de l’Église, 1529. Section II : Les propriétés du corps de lÉglise Coextensivité de l’âme et du corps de l’Église, 1553. Le corps est une partie composante essen­ tielle de l’Église, 1566. Par tout son corps l’Église est visible en transparence, 1579. Le corps de l’Église est organique et différencié, 1611. AVERTISSEMENT DE L’ÉDITEUR VII Section III : Les membres du Christ et de lÉglise Qui est membre du Christ et de l’Église, 1715. « Hors de l’Église, pas de salut », 1752. VIII : Définitions mineures de l’Église.............. 1897 3emc Partie : Propriétés de l’Église en tant que composée d’âme et de corps IX : L’unité catholique......................................... 1927 L’Église comme mystère et comme mi­ racle, 1927. De l’unité catholique comme propriété mystérieuse de l’Église, 1930. De l’unité catholique comme note miracu­ leuse de l’Église, 2020. Conclusion : « POUR QUE TOUS SOIENT UN » : Les RÉALISATIONS DE LA PRIÈRE DU SAUVEUR pour l’unité............................................................... 2075 Annexe I........................................................................... 2089 Annexe II............................................................................2096 Table alphabétique......................................................... 2113 Index des noms.............................................................. 2235 Table des matières ......................................................... 2247 DEUXIÈME PARTIE LES PARTIES COMPOSANTES DE L’ÉGLISE : L’ÂME CRÉÉE ET LE CORPS DE L’ÉGLISE CHAPITRE VI L’ÂME CRÉÉE DE L’ÉGLISE SECTION I DÉFINITIONS DE L’ÂME CRÉÉE DE L’ÉGLISE Étant la Cause efficiente première et la Cause finale ultime, étant même, dans l’ordre de l’être spirituel et intentionnel, la Cause formelle suprême de l’Église «cum autem aliquis intellectus creatus videt Deum per essentiam, ipsa essentia Dei fit forma intelligibilis intellec­ tus^ - l’Esprit saint, qui «suppose» ici pour la Trinité tout entière, bien qu’infiniment distinct de l’Eglise dans l’ordre entitatif et ontologique, reste néanmoins si éton­ namment lié à elle, présent à elle, confondu avec elle, qu’on doit l’appeler, selon les sens absolument mysté­ rieux que nous avons essayé d’expliquer, l’Âme de l’Église, Y âme incréée de l’Église. Mais jamais l’Esprit saint n’aurait pu entrer dans un contact si profond et si intime avec l’Église, s’il ne l’avait, en la touchant, purifiée au préalable, parée de ses dons, disposée ultimement à le recevoir, transformée dans l’ordre cette fois-ci de l’être entitatif et onto­ logique; jamais l’Esprit saint n’aurait pu habiter dans 1. Saint Thomas, I, qu. 12, a. 5. 1020 \q/i - l’âme créée de l’église l’Église sans verser en elle une vertu inhérence capable d’en joindre, d’en vivifier, d’en sanctifier toutes les par­ ties, bref sans lui infuser une âme. C’est donc l’effet créé de l’Esprit saint, son empreinte spirituelle et invisible, la sigillation ontologique et mystérieuse qu’il a déposée dans le sein même de son Église, que nous allons appeler maintenant, dans un sens plus humble sans doute que tout à l’heure, mais pourtant caché, accessible à la seule connaissance de foi, l’âme de l’Église, Y âme créée de l’Église. Nous essaierons de définir l’âme de l’Église d’abord d’une manière causale et analytique, puis d’une manière plus directe et synthétique (section I). Nous pourrons prendre alors une vue plus précise de ce qui tend directe­ ment à la déchirer et à la mutiler, à savoir du schisme, de l’hérésie, et des comportements qui justifient l’excom­ munication (section II). I. DÉFINITION CAUSALE ET ANALYTIQUE Nous considérerons l’âme créée de l’Église d’abord dans son foyer (I), puis dans son extension à tout le corps de l’Église (II). Nous verrons ensuite comment sa définition se modifie suivant les différentes manières de circonscrire la signification du mot Église (III). 1021 I. L’âme créée de l’Église considérée DANS SON FOYER Pour comprendre, par une intuition à la fois simple et profonde, ce qu’est l’âme créée de l’Église, il faut la considérer tout d’abord causalement ou si l’on veut dans son point d’intensité suprême, dans son centre de rayon­ nement, à savoir dans le Christ lui-même, à partir duquel elle s’épanche sur l’Église entière. L’âme créée de l’Eglise, dans sa source et son foyer, c’est la grâce capitale du Christ. 1. Elle est identique à la grâce capitale du Christ Rappelons qu’il faut accorder, à cette expression de grâce capitale, toute sa richesse, toutes ses notes compré­ hensives2. La grâce capitale est l’ensemble du don créé que l’Esprit verse dans le Christ quand il se repose sur lui (Isaïe, XI, 2) au moment de l’incarnation, « la totalité du plérome, qu’il plaît à Dieu de faire habiter en lui » afin qu’il soit « la tête du corps, à savoir de l’Église » (Col., I, 19 et 18), la source, la plénitude d’où s’épan­ chent en tous les hommes la grâce et la vérité (Jean, I, 16-17). 2. Cf. « Le Christ, personnalité efficiente de l’Église », plus haut, [dans la présente édition: vol. II, pp. 436-437]. Il est certain que, selon saint THOMAS, le Christ est tête de l’Église, non seulement en raison de la plénitude de la grâce sanctifiante qui est en lui, III, qu. 8, mais aussi en raison, par exemple, de son pouvoir sacerdotal, III, qu. 64, a. 4, ad 3, et de son pouvoir d'annoncer la vérité, cf. In Joan., I, 14 et 17. 1022 VT/1 - LAME CRÉÉE DE L’ÉGLISE 2. Qu est-ce que la grâce capitale du Christ ? 1. Elle est caractérisée à la fois par son rapport à l’être, à la dignité du Christ, et par son rapport à la mission du Christ. Sous le premier aspect, la grâce capitale est le don divin créé, à son maximum de perfection possible, tel qu’il est requis pour actualiser convenablement une nature humaine hypostatiquement unie au Verbe de Dieu. Sous le second aspect, la grâce capitale est le don divin créé, à son maximum de perfection possible, tel qu’il est requis pour être, à l’égard du genre humain tombé dans une indicible catastrophe, le principe d’une restauration mystérieuse, parallèlement à laquelle le mal continuera de déployer une activité effrayante, mais qui instaurera, au total, un état incomparablement meilleur que l’état même d’innocence3. 2. On ne définit bien la grâce capitale qu’en tenant compte de ces deux aspects. a) D’une part, tout d’abord, c’est en raison même de l'éminence qu’il reçoit de sa conjonction immédiate à la Personne du Verbe, que le don divin créé élargi au Christ devient grâce capitale, capable de constituer formelle­ ment le Christ tête de l’Église. Non pas sans doute que l’être personnel du Christ, à savoir la personne divine du 3. Pour définir la grâce capitale du Christ, dans laquelle nous incluons le triple privilège de son sacerdoce, de sa sainteté, de sa royauté, nous nous inspirons de ce que saint THOMAS dit, dans les questions 7 et 8 de la Tertia Pars, de la grâce créée du Christ, qu’il considère alors sous son aspect seulement sanctifiant. Elle est requise parce que son âme est unie au Verbe et parce qu’il a pour mission de sauver le genre humain (qu. 7, a. 1). Elle est donc ordonnée à la fois à ce qu’il y a de plus haut, à savoir à adapter l’âme du Christ à l’union hypostatique (qu. 7, a. 12, et ad 2) ; et à ce qu’il y a de plus vaste, à savoir à être un principe universel de salut pour tous les hommes (qu. 7, a. 9, 11 et ad 3). DÉFINITION ANALYTIQUE 1023 Verbe, puisse le constituer directement et formellement tête de l’Église : si, en effet, la tête doit être homogène au reste du corps, une personne divine ne saurait être la tête d’une multitude créée. Directement et formellement, c’est en raison de notre nature humaine qu’il a assu­ mée, et du don divin créé dont elle est remplie, que le Christ est tête de l’Église. L’union hypostatique est pré­ supposée. Cependant, du seul fait de l’union hypostatique, le don divin créé de la grâce, qui, dans une certaine mesure, sera réversible de la tête sur les membres, va recevoir dans le Christ une perfection intrinsèque et incommunicable : tantôt il y sera - dans la ligne de la médiation ascendante du Christ - le principe prochain d’actes dont la valeur morale méritoire ou satisfactoire sera infinie ; tantôt, il s’y comportera - dans la ligne de la médiation descendante du Christ4 - comme une cause instrumentale conjointe, mue par la divinité tout entière et capable de véhiculer jusqu’aux hommes des effets pro­ prement divins. En sorte que, même si le Christ avait résolu de com­ muniquer la grâce capitale à quelques-uns de ses dis­ ciples, par exemple à Jean Baptiste ou à la Vierge, cette grâce capitale n’aurait jamais été en eux ce quelle était en lui. Du fait de l’union hypostatique, elle était en lui une grâce capitale suprême et première ; elle n’aurait pu être en eux qu’une grâce capitale dérivée, subordonnée, secondaire. D’ailleurs, le Christ n’a pas voulu qu’aucune grâce capitale, même à titre dérivé, passât à ses disciples5. C’est immédiatement de sa grâce capitale à lui, c’est de sa plénitude à lui, que nous avons tous reçu (Jean, I, 16), chacun « selon la mesure de la donation du Christ » 4. Sur cette double médiation, voir [vol. II], p. 408. 5. Cf. saint Thomas, III, qu. 64, a. 4, ad 3. 1024 VI/1 - l’âme créée de l’église (Éphés., IV, 7). C’esr sa grâce capitale à lui6, qui consti­ tue l’âme créée de l’Église, saisie dans sa source et dans son point de concentration suprême, et qui va ultérieu­ rement se communiquer à tout le corps. b) D’autre part, en effet, la grâce du Christ n’est grâce capitale, à savoir grâce du Christ en tant que tête, qua raison de son rapport au corps, à l'Eglise. Elle est une grâce destinée par nature à se reverser, dans la mesure du pos­ sible, sur le corps, pour le rendre toujours plus parfaite­ ment homogène à la tête ; une grâce destinée par nature à s’épancher dans le corps pour le vivifier intérieu­ rement , l’informer, en un mot l’animer (nous verrons que cet épanchement de la grâce capitale dans le reste du corps se fait en quelque sorte par nappes superposées). Cette seconde considération relative à la grâce capitale est importante. Car, si le Christ a pour mission de faire 6. Ici pareillement, pour définir la grâce capitale du Christ avec toutes ses richesses, nous nous inspirons de ce que JEAN DE SaintTHOMAS dit de la grâce capitale, qu’il n’envisage que sous son aspect sanctifiant. Il Faut transcrire quelques-unes des formules de ce théolo­ gien : « Gratia habitualis Christi, propter eminentiam quam habet ex conjunctione ad Personam divinam, efficitur gratia capitis, et consti­ tutivum formale et proximum Christi in ratione capitis ». III, qu. 8, disp. 10, a. 1, n° 2; t. VIII, p. 251. « Suppositum divinum non est proximum et formale constitutivum Christi in ratione capitis ; est tamen quid praerequisitum et quasi radicaliter se habens ad rationem capitis... Constitutivum proximum et formale capitis in Christo ut fit caput homogeneum respectu multitudinis creatae, non debet desumi ex ipsa Persona..., sed ex eo quod sibi adjungitur, scilicet ex humani­ tate, ut gratificata per gratiam habitualem». Ibid., n° 15, p. 252. « Gratia habitualis induit rationem gratiae capitalis ratione alicujus intrinsecae et novae perfectionis super entitatem gratiae habitualis ; haec tamen perfectio non est physice aliud quam conjunctio ad Personam divinam, seu gratia unionis ». Ibid., n° 15, p. 253. 7. Le Christ exerce dans l’Église l’influence de la tête dans le corps. Il lui communique le mouvement et l’orientation. Saint Thomas, III, qu. 8, a. 1. DÉFINITION ANALYTIQUE 1025 l’Église, non pas en la créant ex nihilo, mais en la tirant des ruines de la catastrophe originelle, la grâce capitale dont il est rempli, devra se définir par rapport à toute l’étendue de son oeuvre de médiation et de rédemption8, à savoir par rapport à une humanité déchue, qu’il se pro­ pose néanmoins d’introduire dans un état meilleur au total que l’état d’innocence, et qu’il va préparer à un culte nouveau, instaurer dans une grâce nouvelle, instruire dans des vérités nouvelles. 3. En tenant compte des données qui précèdent, disons que l’âme de l’Église a sa première réalisation dans le Christ lui-même. Cette réalisation suprême ren­ ferme d’une manière éminente (formelle ou simplement virtuelle) et comme à l’état pur et condensé, tous les élé­ ments des réalisations inférieures, et aussi, cela va de soi, des réalisations partielles et mutilées. A ce moment précis, Pâme de PEglise est identique à la grâce capitale du Christ, c’est-à-dire au don créé de la grâce déposé dans le Christ, où il revêt une dignité exceptionnelle par sa jonction à la personne même du Verbe, et d’où il est apte à se com­ muniquer du Christ à toute l’Église, de la tête à tout le corps. On voit comment toute l’Eglise se noue, par son âme, au mystère de l’union hypostatique. Par comparaison avec le peuple de Dieu qui, dans l’état d’innocence, n’au­ rait été rassemblé que dans la grâce capitale du premier Adam, l’Église inaugure un nouvel univers, rassemblé dans la grâce capitale du second Adam, du Verbe incarné. 8. « En raison de son rapport avec le genre humain, le Christ, qui, en tant qu’homme, est médiateur de Dieu et des hommes, I Tim., H, 5, devait avoir une grâce qui pût se reverser sur les autres, selon Jean, I, 16 : De sa plénitude nous avons tous reçu ». Saint THOMAS, III, qu. 7, a. 1. 1026 VI/1 - l’âme créée de l’église 3. Les trois privilèges de la grâce capitale : sacerdoce, sainteté, royauté Dans son foyer, l’âme créée de l'Église c'est la grâce capi­ tale du Christ. Cet axiome vaut, à condition d’opérer les transpositions nécessaires, pour l’Église dans la condition future de la gloire, et pour l’Église dans la condition pré­ sente de la grâce. En fonction de cette dernière, l’axiome va se préciser ainsi : dans son foyer, l'âme de l'Église en pèle­ rinage, de l'Église voyagere, c'est la grâce capitale du Christ pèlerin, du Christ « viator ». Or, on peut reconnaître, dans la grâce capitale du Christ voyageur, trois formalités distinctes, trois privi­ lèges majeurs, son sacerdoce, sa sainteté, sa royauté, tous trois unis et comme confondus dans l’éminence d’une perfection indivisée9, mais qui, en se diffusant dans tout le corps de l’Église, vont y déposer trois sortes d’em­ preintes, qui demanderont impérieusement à rester jointes ensemble, mais qui apparaîtront toutefois comme réellement distinctes l’une de l’autre. a) Le sacerdoce du Christ L’un des privilèges qui constituent la grâce capitale est le pouvoir sacerdotal du Christ, son pouvoir d’insti­ tuer le culte ou rite de la religion chrétienne. Cultus Dei secundum ritum christianae vitae, ritus christianae religionis : ces expressions, qui sont de saint Thomas lorsqu’il parle du sacerdoce du Christ et de sa commu­ nication à tous les fidèles10, précisent d’emblée qu’il 9. C'est ce qui explique que, lorsque les préoccupations de la théo­ logie pure font place à celles de Xédification des âmes, on ne distingue plus ces privilèges, et qu’on ait raison de parler, par exemple, à propos de la royauté du Christ, de son sacerdoce et de sa sainteté ; ou, à pro­ pos de son sacerdoce, de sa sainteté et de sa royauté. 10. Cf. III, qu. 63, a. 1,2, 3. DÉFINITION ANALYTIQUE 1027 faut entendre, par pouvoir sacerdotal ou cultuel, un pouvoir rituel. Le culte présente, en effet, deux aspects complémen­ taires, mais distincts : a) sous le premier, qui est celui de la sainteté morale, le culte désigne distinctement l’hom­ mage de révérence dû à Dieu, abstraction faite du genre de réalités sensibles dans lesquelles cet hommage va s’ex­ primer : le culte est alors considéré comme un acte éma­ nant de la vertu de religion, sise dans la volonté ; b) sous le second, qui est celui de la validité rituelle, le culte désigne directement les réalités sensibles dans lesquelles cet hommage prend corps pour s’exprimer et par les­ quelles - ce sera la grande révélation du christianisme — la divinité décide de se communiquer aux hommes : le culte est alors considéré, depuis l’avènement de la loi nouvelle, comme un acte émanant d’une puissance sacerdotale ou cultuelle11. 11. La distinction de ces deux aspects du culte chrétien, celui de la moralité et celui de la validité est donc inscrite dans saint THOMAS : cf. aussi, IV Sent., dist. 4, qu. 1, a. 4, quaest. 2, où le saint docteur distingue une sanctification qui purifie du péché, et une sanctification qui consacre en vue du culte chrétien. Elle a été soulignée par tous ses disciples. Citons, par exemple, CAJETAN, III, qu. 63, a. 4, n° VU : «Character (sacramentalis) respicit divinum cultum secundum id quod est ; religio autem respicit divinum cultum secundum rationem boni... Charactere homo potest in actus religionis ; religione autem homo bene se habet ad illos ». Et JEAN DE SAINT-THOMAS, III, qu. 63, disp. 25, a. 2, n° 84 ; t. VIII, p. 342 : « Religio consideratur et in genere moris, et in genere caeremoniarum quibus perficitur ; et primo modo pertinet ad virtutem moralem, qua bene disponitur subjectum ad colendum Deum ; secundo modo, non pertinet ad virtutem, sed ad ministeriale principium, quo fiunt protestationes exteriores religio­ nis christianae per configurationem ad sacerdotium Christi ». Cf. n° 106, p. 347. Un peu plus loin, le culte de Dieu est distingué «secundum rationem veri» et «secundum rationem boni». Ibid., a. 4, n° 10, p. 368. 1028 VI/1 - l’âme créée de l’église Le Christ est le prêtre par excellence, chargé d’instau­ rer ici-bas une forme de culte nouvelle, mystérieuse, définitive, la seule que Dieu désormais veuille attendre de cette humanité qu’il a daigné réhabiliter en la rele­ vant des ruines de la catastrophe originelle. « Il a plu à Dieu de réconcilier par lui toutes choses en lui », à savoir par le Christ et dans le Christ « en pacifiant par le sang de sa croix, ce qui est sur la terre et ce qui est dans les cieux » (Col., I, 20). « Il est notre paix, lui qui des deux peuples n’en fait qu’un, ayant renversé le mur de séparation, l’inimitié..., afin de créer en lui-même, avec les deux un seul homme nouveau, lui l’auteur de la paix, et de les réconcilier l’un et l’autre avec Dieu en un seul corps par la croix » (Éphés., II, 14-16). « Il nous a aimés et il s’est livré lui-même à Dieu pour nous comme une oblation et un sacrifice d’agréable odeur » (Éphés., V, 2). «Le Christ a aimé l’Église et s’est livré lui-même pour elle, afin de la sanctifier, en la purifiant par le bain de l’eau dans la parole» (Éphés., V, 25-26). « C’est lui qui dans les jours de sa chair, ayant avec un grand cri et avec larmes offert des prières et des supplica­ tions à Celui qui pouvait le sauver de la mort, et ayant été exaucé pour sa piété, a appris, tout Fils qu’il était, par ses propres souffrances, ce que c’est qu’obéir, et qui, ayant été consumé, est devenu pour tous ceux qui l’écoutent une cause de salut éternel, Dieu l’ayant déclaré grand prêtre selon l’ordre de Melchisédech » (Hébr., V, 7-10). « Par une oblation unique, il a procuré la perfection pour toujours aux sanctifiés» (Hébr., X, 14). « Le Seigneur Jésus, la nuit où il fut livré, prit du pain et, après avoir rendu grâces, le rompit en disant : Ceci est mon corps, livré pour vous ; faites cela en mémoire de moi. De même après le souper, il prit le calice en disant : Ce calice est la nouvelle alliance dans mon sang ; faites cela, toutes les fois que vous en boirez, DÉFINITION ANALYTIQUE 1029 en mémoire de moi. Toutes les fois que vous mangez ce pain et que vous buvez ce calice, vous annoncez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne » (I Cor., XI, 2326). « Le calice de bénédiction, que nous bénissons, n’est-il pas une communion au sang du Christ ? Et le pain que nous rompons n’est-il pas une communion au corps du Christ?» (I Cor., X, 16). Sans doute, ces grands textes, qu’on pourrait facilement multiplier, s’emplissent surtout d’une charité si inouïe, si incom­ préhensible, quelle semble nous faire oublier en quelque sorte le reste de leur contenu. Mais tout en eux est divin, et cela aussi par conséquent qu’ils nous révè­ lent touchant la nécessité d’un culte extérieur nouveau, extraordinaire, que la loi de nature n’avait signifié que très confusément, que la loi mosaïque avait figuré plus distinctement, mais que le Christ lui-même vient ins­ taurer sur la Croix, pour donner, par la vertu de sa double médiation, ascendante et descendante, - dans laquelle toute l’Église, qui est son corps, va être entraî­ née avec lui et par lui - le monde à Dieu et Dieu au monde. C’est ce culte-là, non pas un autre, que la révé­ lation évangélique propose à l’humanité tombée, pour honorer pleinement un Dieu attentif à la réhabiliter ; et s’il est vrai que tout s’achève, non dans le culte, mais dans l’amour, et que le rôle du culte soit finalement de véhiculer l’amour, c’est ce culte-là, non pas un autre, qui est le véhicule parfait par lequel le double courant de l’amour chrétien monte de la terre au ciel et descend du ciel à la terre. Il faut donc absolument enclore dans la grâce capitale du Christ, le pouvoir par lequel, usant de son intelli­ gence pratique, il disposait, avec une autorité souveraine et pour toujours, le culte de la religion chrétienne. C’est en raison de ce pouvoir sacerdotal créé, mais intrinsè­ quement perfectionné et élevé jusqu’au sein de l’ordre 1030 VI/1 - l’âme créée de l’église hypostatique par son union au Verbe12, c’est en raison de cet exceptionnel pouvoir d’excellence13, que le Christ mérite pour une part d’être appelé tête de l’Église14. b) La sainteté du Christ Mais, avant tout, et au-dessus de tout, ce qui consti­ tue la grâce capitale et le foyer de l’âme de l’Église, c’est la sainteté du Christ, sa pureté, sa magnanimité, sa cha­ rité, c’est, au principe de cette sainteté et de cette cha12. Il faut parler, prof rtionnellement, du pouvoir sacerdotal du Christ comme JEAN DE Saint-Thomas parle de lagnfa? habituelle du Christ. Elle est de soi créée, mais elle reçoit du simple fait de son union au Verbe, une perfection réelle et intrinsèque (non seulement dénominative et extrinsèque} ; et si l’élévation et l’éminence de 1’ordre hypostatique n’est pas communicable à une pure créature, la grâce capitale ne l'est pas davantage, III, qu. 8, disp. 10, a. 1, nos 17 et 20 ; t. VTII, pp. 254 et 255. Pareillement, le sacerdoce du Christ sera participable par les caractères sacramentels ; mais il est, comme tel, incommunicable. 13. Le pouvoir d’excellence sur le culte chrétien et la dignité de tête de l’Église auraient pu, à la rigueur, être communiqués par le Christ à l’un ou l’autre des premiers disciples, mais non pas avec la perfection qu’ils avaient dans le Christ : « Licet (Christus) officium capitis absolute potuisset communicare, non tamen capitis principali­ tatem, nec rationem instrumenti conjuncti et quasi organici ipsius Verbi». JEAN DE SAINT-THOMAS, III, qu. 8, disp. 10, a. 1, n° 20; t. VIII, p. 255. 14. Voici quelques textes de JEAN DE SAINT-THOMAS, III, qu. 63, disp. 25, a. 2, n° 121 ; t. IX, p. 350 : « Character... derivatur a sacer­ dotio Christi et potestate excellentiae quam, ex vi gratiae capitis, habet supra totam Ecclesiam, quae (potestas) aliquid physicum est ». Ibid., a. 3, n° 2, p. 366 : « Convenit autem Christo esse mediatorem et sacerdotem, secundum quod nobis tradit divina... et secundum quod nos reconciliat Deo Patri. Et utrumque habet ex eo quod habet gra­ tiam capitis, unitus in Persona Filio Dei ». Ibid., a. 4, n° 13, p. 369 : « Sacerdotium Christi est potestas hierarchica suprema, quae fundatur in plenitudine et eminentia gratiae, per quam est simul Rex et Sacerdos... Idem est esse caput et pontificem aeternum ». DÉFINITION ANALYTIQUE 1031 rite, la grâce habituelle dont il était rempli et qu’il vou­ lait faire déborder sur le monde. « Par toute la terre, les mères avec leurs petits enfants courent à celui qu’on appelle non seulement le Christ, c’est-à-dire l’Oint, mais encore le Christ Jésus, c’est-à-dire le Sauveur », dit Augustin en parlant du baptême des petits enfants15. Cette grâce habituelle est créée, mais on peut l’appeler infinie. D’une part, parce quelle a pour fin de propor­ tionner la nature humaine du Christ à la plus haute dignité qui soit concevable, à savoir à son union person­ nelle avec le Verbe de Dieu16. D’autre part, parce quelle est « un principe universel de sanctification pour tout le genre humain, selon qu’il est écrit, Ephés., I, 6, que Dieu nous a sanctifiés dans son Fils bien aimé : un peu comme le soleil, tout fini qu’il soit dans son être, est infini dans ses effets, en tant que principe universel d’illumi­ nation »1718 ; elle s’étend, en effet, à tous les effets et à toutes les manifestations de la grâce, extendit se ad omnia quae sunt gratiae13 ; il s’ensuit que, « comparée à la grâce du Christ, la grâce, en chacun de nous, ne peut avoir que le rapport d’une qualité particulière à son principe universel : si intense quelle devienne, jamais elle n’éga­ lera son principe, quantumcumque crescat, non potest adaequare gratiam Christi »19. La grâce du Christ pèlerin 15. S. AUGUSTIN, Contra Julianum pelagianum, livre I, ch. VII, n°31. 16. Saint THOMAS : « Finis gratiae est unio creaturae rationalis ad Deum. Non potest autem esse nec intelligi major unio creaturae rationalis ad Deum quam quae est in persona. Et ideo gratia Christi pertingit ad summam mensuram gratiae ». III, qu. 7, a. 12 ; cf. ad 2. 17. Ibid., qu. 7, a. 11. 18. Ibid., qu. 7, a. 11, ad 1. 19. Ibid., qu. 7, a. 11, ad 3. Cf. a. 9: «Conferebatur (Christo) gratia tanquam cuidam universali principio in genere habentium gra­ tiam. Virtus autem primi principii alicujus generis universaliter se extendit ad omnes effectus illius generis. Et sic... plenitudo gratiae 1032 \Ί/1 - l'âme créée de l’église contient en son éminence, même la grâce donnée aux anges : dès l’instant de l’incarnation, le Christ paraît, au milieu d’eux, comme le soleil dans le jour ; c’est en Jésus que l’Ange du Mont des Oliviers trouve de quoi confor­ ter Jésus (Luc, XXII, 43), en la gloire de Jésus qu’il puise de quoi consoler l’agonie de Jésus. c) La royauté et la prophétie du Christ Enfin le Christ est pour tout le genre humain, maître de vérité. Il est « plein de grâce et de vérité » (Jean, I, 14). Moïse avait apporté la loi, il apporte « la grâce et la vérité» (Jean, I, 17). Pendant tout le temps de sa vie mortelle il dispense la vérité, il prêche la bonne nouvelle, il enseigne avec autorité (Mt., vil, 29). En raison de ce privilège, de cette fonction, le Christ est, sous un troisième aspect, tête de l’Église. De même, dit saint Thomas, qu’il appartient à la tête grâce à la vue, à l’ouïe, au secours des sens, de nous renseigner, ins­ truire, avertir, et en conséquence de diriger nos démarches par manière de proposition extérieure20 ; ainsi il appartient au Christ de renseigner, d’instruire, d’aver­ tir tout le corps de l’Église, d’en régir et gouverner avec attenditur in Christo, inquantum se extendit ejus gratia ad omnes gratiae effectus, qui sunt virtutes, dona et alia hujusmodi ». Saint THOMAS, qui lisait Jean, III, 34 : « Celui que Dieu a envoyé dit les paroles de Dieu, car Dieu ne donne pas l’esprit avec mesure » a commenté ce texte, en l’entendant de l'infinité de la grâce du Christ, dans le De Veritate, qu. 29, a. 3, dans la Somme, III, qu. 7, a. 11, ad 1, et dans son Commentaire de saint Jean. M.-J. LAGRANGE pro­ pose de lire, avec Origène : « car il (l’envoyé de Dieu) ne donne pas l’esprit avec mesure », et il entend le texte de tous les apôtres de la loi nouvelle, Évangile selon saint Jean, Paris, 1925, p. 98. 20. « Caput in alia membra influit... secundum quamdam exterio­ rem gubernationem, prout scilicet secundum visum et alios sensus qui in capite radicantur, dirigitur homo in exterioribus actibus ». III, qu. 8, a. 6. DÉFINITION ANALYTIQUE 1033 autorité les démarches, par manière de proposition exté­ rieure21. L’office du chef, du roi, du juge dans les corps sociaux de l’ordre naturel, famille ou cité, est une pâle image de l’office du Christ régissant du dehors, par manière d’enseignement, de persuasion, d’avertissement, le corps social surnaturel de l’Église. Comment qualifier ce privilège du Christ ? Dire que le Christ est principe de vérité ne suffit pas. Il faut préci­ ser que cette vérité nous est transmise, non par voie d’in­ fusion (comme dans l’illumination baptismale), ni par voie d’évidence (comme dans la vision bienheureuse), mais par voie d’enseignement, de révélation extérieure, de proposition autorisée. On peut dire qu’au plan tem­ porel, la proposition extérieure est la manière dont le roi régit la cité22. Alors le Christ sera nommé Roi, son privi­ lège sera celui de la royauté. Mais, si l’on appelle prophète celui qui vivant parmi les hommes, plongé comme eux dans l’espace et le temps, leur annonce néanmoins des choses qui les dépas­ sent et qui sont cachées pour eux dans la nuit du mys­ tère, il faudra dire alors que le Christ, pendant le temps qui précédait sa passion, méritait d’une manière excel­ lente le nom de prophète, puisqu’il vivait comme viator, comme pèlerin, au milieu d’eux, et qu’il pouvait leur annoncer, comme comprehensor, comme habitant déjà le ciel, les mystères qu’il contemplait à découvert23. Son rôle de Maître, ou de Roi, coïncidait alors avec son rôle de Prophète. D’ailleurs, toutes les grâces qui assurent aux hommes la communication du message du Christ et des 21. « Influxus in membra Ecclesiae quantum ad exteriorem guber­ nationem... » Ibid. 22. « Secundum quod ratio capitis consideratur ex exteriori guber­ natione, prout dicitur rex caput regni sui ». Saint THOMAS, III, qu. 8, a. 6, ad 1. 23. Saint Thomas, III, qu. 7, a. 8. 1034 vi/i - l’âme créée de l’église apôtres viennent se ranger dans le genre des grâces que l’on appelle - pour les distinguer des grâces « sancti­ fiantes » - les grâces « prophétiques » : la révélation qui illumine l’intelligence du prophète, le don de Xinspira­ tion orale ou scripturaire qui lui permet de s’exprimer, Γassistance promise au magistère, sont des grâces prophé­ tiques. Les deux titres du Christ, celui de Roi et celui de Prophète, désignent sous des angles différents, un privi­ lège identique. Mais le titre de Roi paraît plus vaste24. 4. Définition de l’âme créée de l’Église considérée dans son foyer Nous pouvons dire, dès maintenant, que, dans son foyer, l’âme créée de l’Église est la grâce capitale du Christ, unifiant en elle le triple privilège de son sacerdoce, de sa sainteté, de sa royauté. C’est la plus haute définition qu’on puisse donner de l’âme créée de l’Église, la plus dense, la plus compréhensive qualitativement. Mais c’est la plus restreinte quantitativement ou extensivement. Elle ne saisit l’âme de l’Église que dans son foyer, non encore dans son rayonnement. Elle ne la définit que telle quelle est dans la tête, non encore telle quelle est dans le reste du corps, ou pour parler comme saint Thomas, « dans les autres membres »25. 24. Le Christ a enseigné les apôtres après sa résurrection, alors qu’il avait cessé d’être Prophète. 25. * Caput in alia membra influit... » III, qu. 8, a. 6. 1035 IL L’âme créée de l’Église considérée DANS TOUTE SON EXTENSION L’âme créée de l’Église entière, c’est la grâce capitale du Christ, de son sacerdoce, de sa sainteté, de sa royauté, pour autant que, au seuil du troisième âge du monde, qui est l’âge de l’Esprit saint, ce triple privilège est étendu et com­ muniqué du Christ à ΓÉglise, de la tête au corps, sous la motion de l’Esprit saint, à savoir de la Trinité tout entière, comme cause première, et de la sainte humanité du Sauveur, comme cause instrumentale ou organique conjointe à la divinité. L’âme créée de l’Église, ce sont les trois privilèges du sacerdoce, de la sainteté, de la royauté du Christ, en tant qu’ils sont diffusés et participés dans toute l’Église par les caractères sacramentels, les grâces sacramen­ telles, les pouvoirs juridictionnels. Il faut expliquer cette triple dérivation de la grâce capitale dans le corps entier de l’Église. 1. La dérivation du sacerdoce du Christ dans les caractères sacramentels Le Christ, prêtre par excellence, a inauguré, sur la Croix levée entre la terre et le ciel, un culte nouveau, non pas éphémère mais durable, le culte de la loi nou­ velle - seul capable de véhiculer plénièrement le nouvel amour qui, désormais, montera du monde vers Dieu et descendra de Dieu vers le monde. La double médiation cultuelle, par laquelle il a crié vers son Père et sauvé ses adeptes (Hébr., V, 7 et 9), il l’a, comme tête, achevée et accomplie en une fois et pour toujours (έφάπαξ, εις τδ διηνεκές, Hébr., X, 10 et 14) ; mais en lui conférant la puissance d’entraîner dans son sillage tout le reste du corps, de synthétiser sous elle toute la suite des siècles, 1036 vi/1 - l’âme créée de l’église d’attirer dans son drame toutes les générations ulté­ rieures au fur et à mesure quelles apparaîtraient à l’exis­ tence. a) Le culte du Christ répandu et communiqué Il faut, en effet, qu’il y ait synergie entre la tête et le corps, il faut que l’action cultuelle accomplie d’abord dans le Christ qui est tête, se propage ensuite dans l’Eglise, qui est corps. Il faut que, dans l’ordre de la médiation cultuelle ascendante, les disciples s’efforcent d’identifier leur don à celui du sacrifice de la Croix, en communiant au corps et au sang du Christ (I Cor., X, 16), en mangeant le pain et en buvant le calice du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne (I Cor., XI, 26-27) ; et il faut que, par la médiation cultuelle descendante de la Croix, pré­ sente à chaque réitération du rite de la Cène, et des sacrements, figurés par l’eau et le sang sortis du Cœur du Sauveur, la réconciliation de notre Dieu, si gravement offensé par sa créature, puisse parvenir jusqu’à chacun de nous. Si vraiment l’Église tout entière, tête et corps, est un organisme homogène, et quelle a été, dans son chef, d’une manière éminente, consacrée et sacerdotale, afin d’inaugurer en une fois le drame cultuel où se sont ren­ contrés le ciel et la terre, il faut que, dans tout son être, d’une manière cette fois-ci participée, elle soit, elle aussi, consacrée et sacerdotale, afin de prolonger en elle — sous peine d’échapper à l’influx de la vie et d’être gagnée par l’ankylose - ce drame cultuel, tout ensemble temporaire et durable, temporaire dans son foyer, durable dans son rayonnement. b) Sacerdoce principal et sacerdoce ministériel Mais le pouvoir sacerdotal ne peut pas se trouver ex aequo, d’une manière univoque, dans la tête et dans le DÉFINITION ANALYTIQUE 1037 corps, dans le Christ et dans l’Église. Il est principale­ ment dans le Christ en vue de fonder une fois pour toutes sur la Croix le culte de la loi nouvelle ; il est instrumentalement et ministériellement dans l’Église en vue de diffuser ce culte tant que dure le temps. Séparé du sacerdoce principal et, à ce titre, intransmissible de la Croix du Christ, le sacerdoce ministériel et dépendant de l’Église serait incapable d’avoir aucun sens et de sub­ sister : tout son rôle est précisément de véhiculer pour l’éterniser ce sacerdoce unique, non de lui succéder, et il faut reprendre ici, avec une signification sans doute dif­ férente, en pensant non plus aux prêtres de la loi ancienne, mais à ceux de la loi nouvelle, les paroles de l’Épître aux Hébreux, VII, 23-25 : « Les autres forment une longue suite de prêtres parce que la mort les empêche de durer, mais lui, parce qu’il demeure éternel­ lement, possède un sacerdoce qui ne se transmet pas. Aussi peut-il sauver décisivement ceux qui s’approchent de Dieu par lui, puisqu’il est toujours vivant pour inter­ céder en leur faveur ». Le Christ seul est prêtre, grand prêtre, les chrétiens ne sont que ses ministres. c) Les trois caractères sacramentels La dérivation ministérielle du pouvoir sacerdotal du Christ jusque dans l’Église, pour l’habiliter à perpétuer validement le culte chrétien, soit d’une manière active en le transmettant, soit d’une manière passive en le rece­ vant, se fait par les trois sigillations, les trois empreintes, les trois caractères sacramentels, dont on peut dire qu’ils sont à la fois passifs et actifs, celui du baptême étant sur­ tout passif, celui de l’ordre surtout actif, celui de la confirmation intermédiaire. « Tout le rit de la religion chrétienne, dit saint Thomas, dérive du sacerdoce du Christ ». Si donc le caractère sacramentel nous met en 1038 VI/1 - l’âme créée de l’église état de recevoir ou de transmettre les choses du culte divin « il est manifeste que le caractère sacramentel est d’une manière spéciale un caractère du Christ. C'est en effet au sacerdoce du Christ que les fidèles sont configurés par les caractères sacramentels, qui ne sont autre chose que des participations du sacerdoce du Christ dérivées du Christ lui-même »26. Le culte de la religion chrétienne « consiste à recevoir ou à transmettre les choses divines. Dans les deux cas, un caractère est requis : actif pour transmettre, passif pour recevoir. C’est pourquoi le caractère com­ porte une certaine puissance spirituelle ordonnée aux choses du culte divin. Mais il faut savoir que cette puis­ sance spirituelle est instrumentale..., car le caractère sacramentel est propre aux ministres de Dieu, et le ministre est comme un instrument »27. d) La sigillation cultuelle de lEsprit saint Si l’on se rappelle que l’âge de l’Esprit saint a eu pour effet, non d’abolir l’âge du Fils, mais au contraire de dif­ fuser la grâce du Christ qui est la tête, dans toute l’Église, qui est le corps28, en sorte que les dons par lesquels l’Église est configurée au Christ peuvent être attribués à 26. III, qu. 63, a. 3. 27. Ibid.., a. 2. Sur le rôle purement ministériel du caractère, cf. « Le Christ, personnalité mystique efficiente de l’Église », [vol. II] p. 411. Faut-il entendre par rit de la religion chrétienne seulement les actes qui assurent la validité du sacrifice de la messe, de la dispensation et de la réception des sacrements? Ou faut-il entendre encore, comme nous le suggère un ami bénédictin, tous les actes de la vertu de religion, du moins tous les actes de la prière liturgique des baptisés et des confir­ més, dans lesquels il faudrait, dès lors, distinguer deux formalités : celle de la validité cultuelle, où nous serions mus par le Christ-prêtre comme des instruments ; et celle de la sainteté morale, où nous serions mus par le Christ principe de grâce comme des causes secondes ? C’est là, sans nul doute, une grande perspective. 28. Voir plus haut, [vol. II] p. 503. DÉFINITION ANALYTIQUE 1039 la fois à la sainte humanité du Christ (comme cause ins­ trumentale et organique) et à l’Esprit saint, à la Trinité sainte (comme Cause première)29, on fera remonter jus­ qu’à l’Esprit saint l’empreinte des caractères sacramen­ tels. Saint Cyrille de Jérusalem inclut certainement la grâce du caractère sacramentel dans la sigillation que l’Esprit saint dépose dans l’âme à travers les sacrements non réitérables30. Le premier des trois éléments de l’âme créée de l’Église entière, c’est le sacerdoce du Christ, pour autant quil est 29. Voir plus haut, [vol. II] p. 414. 30. «L’Esprit saint va sceller vos âmes (au baptême)... » Catéchèse III, n° 3 ; P. G., t. XXXIII, col. 428. « L’Esprit, au moment du bap­ tême, scelle ton âme... » Catéchèse IV, n° 16, col. 476. « L’Esprit... a opéré dans les apôtres, et jusqu’aujourd’hui il scelle les âmes dans le baptême... » Catéchèse XVI, n° 24, col. 952. « Au temps du baptême, quand tu approches des évêques, ou des prêtres, ou des diacres..., ne prends pas garde au personnage qui apparaît, mais souviens-toi de Esprit saint dont nous parlons maintenant. C’est lui qui est présent et qui est prêt à sceller ton âme... » Catéchèse XVII, n° 35, col. 1009. «Au sortir des eaux sacrées de la piscine, vous avez reçu le chrême, antitype (symbole) de Celui dont le Christ a été oint, à savoir de l’Esprit saint... » Catéchèse XXI, n° 1, col. 1089. La sigillation de l’Esprit saint désigne très fréquemment, chez CYRILLE, les grâces sanctifiantes, que tous les théologiens s’accordent à référer à l’Esprit saint : cf. saint Thomas, III, qu. 63, a. 3, ad 1. Mais elle n’exclut pas le caractère sacramentel : celui-ci, en effet, est sup­ posé dans le rappel que fait Cyrille de l’interdiction de réitérer le bap­ tême, Procatéchèse, n° 7, col. 345 ; il semble même être désigné direc­ tement au n° 16, col. 360 de la Procatéchèse-. «Que le baptême auquel vous aspirez est grand et sublime ! C’est la rançon de l’escla­ vage, c’est la rémission des iniquités, c’est la mort du péché, c’est la régénération de l’âme, c’est un vêtement de lumière, c’est une sigilla­ tion sainte indélébile, c’est un char qui nous transporte au ciel, ce sont les délices du paradis, c’est un gage du royaume, c’est la grâce de l’adoption ». Les textes apportés par X. Le BaCHELET en faveur des caractères sacramentels dans l’étude du Diet, de Théol. Cathol. sur « Cyrille de Jérusalem », demandent à être contrôlés. Il en va de même de ceux que signale Dom Touttée dans l’édition de Saint-Maur. 1040 VI/1 - l’âme créée de l’église étendu par l'Esprit saint à toute l’Église dans les trois carac­ tères sacramentels du baptême, de la confirmation, de l’ordre. 2. La dérivation de la sainteté du Christ dans les grâces sacramentelles Le don par excellence du Christ à son Église, plus encore que le don du sacerdoce ou de la royauté, c’est le don d’une grâce nouvelle, d’une grâce enrichie, en pas­ sant par lui, de perfections ignorées des âges antérieurs. a) La grâce de la loi nouvelle La grâce de la loi nouvelle sera, non seulement dans Jésus et dans la Vierge, cela est clair pour tous les yeux, mais même aussi dans l’ensemble du reste de l’Église, une grâce meilleure que celle de l’innocence. Il faut dire, avec Bérulle, qu’il y a, en Jésus « un nouvel être qui fait un nouvel état dans les choses créées et incréées mêmes » ; l’amour qui se forme à ses pieds « fait désor­ mais une nouvelle difference dans l'ordre de la grâce et dans l’ordre de l'amour»^. Ce nouvel ordre d’amour «com­ mence en la terre, au lieu que les ordres angéliques ont commencé au ciel : car c’est un ordre qui regarde le mys­ tère de l’incarnation, commencé aussi en la terre, et non au ciel52... Au ciel s’est perdu le plus haut degré d’amour qui avait été créé, et ce par la perte du premier ange, auquel il avait été donné. Et c’est en la terre que se doit réparer cet amour perdu dans le ciel, c’est aux pieds de Jésus que cet amour doit être réparé ; et il doit être réparé en un degré plus haut, en une manière plus excellente, pour31 32 31. Sainte Marie-Madeleine, ch. I. 32. Ibid. DÉFINITION ANALYTIQUE 1041 faire hommage au mystère d’amour, qui est l’incar­ nation...33 ». L’Incarnation est « le mystère des mystères : sa grandeur et sa dignité nous persuadent aisément que la grâce qui en découle surpasse celle qui a été avant son efficace, soit au paradis de la terre, soit au paradis du ciel... »34*. « La pureté que Madeleine reçoit aux pieds de Jésus est une pureté nouvelle, une pureté divine, une pureté privilégiée, une pureté émanante de la pureté de Jésus même aux pieds duquel je la vois prosternée, et où elle reçoit les émanations pures, saintes et célestes que le ciel révère, que l'œil de la foi et de la piété reconnaît bien, et que l’œil de l’homme qui ne connaît pas Dieu, ne peut connaître. Cette émanation sainte de Jésus, cette infusion céleste en Madeleine, porte au cœur et au corps même de cette humble pénitente, non un effet seulement, mais une parti­ cipation sainte de la pureté de Jésus et en un degré si émi­ nent, que le diable est contraint de la révérer et n’ose plus s’approcher de ce sanctuaire »55. La source ouverte de cette nouvelle grâce et de cette nouvelle vie, c’est la Passion du Sauveur : « Temps singulier et mémorable auquel Jésus est actuellement pendant en la croix, temps auquel la vie mourante est source de vie et de plusieurs vies, c’est-à-dire non seulement de plusieurs ejfets de vie communiqués à plusieurs âmes, mais ce qui est plus, Jésus qui est la vie et qui est lors la vie mourante, est source de plusieurs sortes de vie, qui font une très grande et très belle différence dans l'éternité ; et pour une sorte de vie dont l'homme s'est privé par le péché d'Adam, Jésus le second Adam établit entre les hommes plusieurs sortes de vie, et est vraiment dans le paradis du ciel et de la terre, c’est-à-dire en l’Eglise militante et triomphante... cet 33. Ch. π. 34. Ibid. 55. Ch. ni. 1042 vi/i - l’âme créée de l’église arbre de vie qui s’appelle aussi lignum vitarum...36 Ο nouvel ordre de la croix et du ciel tout ensemble ! ordre intérieur et invisible aux hommes et visible aux anges ! Ordre des âmes crucifiées avec Jésus et par Jésus ! ordre naissant en la croix de Jésus !3 » Ainsi, la vie du Christ devient la vie même des chrétiens : «Je suis crucifié avec le Christ, disait l’apôtre. Ce n’est plus moi qui vis. C’est le Christ qui vit en moi » (Gal., Il, 20). Et la grâce du Christ devient la grâce même des chrétiens. b) Similitude de la grâce du Christ et de la grâce de ΓÉglise Sans doute, la grâce créée revêtait, dans le Christ luimême, une dignité unique et incommunicable, du fait quelle était « enracinée » dans la grâce hypostatique et quelle constituait le Christ seule tête de l’Eglise « à titre principal ». D’une part, elle permettait au Christ de nous mériter une rédemption infinie ; d’autre part, elle était, avec la nature humaine du Christ, l’instrument conjoint, l’organe dont la Trinité se servait pour sanctifier le monde38. Pourtant, en s’épanchant du Christ - où sa puissance de rayonnement est infinie39 - jusque dans l’Église, la grâce sanctifiante ne change pas de nature40. Ici et là, elle 36. Ch. v. 37. Ibid. 38. « Christus ad influendum vitam gratiae in nos, tam per meri­ tum de condigno, quam per redemptionem, et etiam per modum ins­ trumenti conjuncti Verbo, necessario debuit constitui caput per gra­ tiam habitualem praesuppositam et radicatam in gratia unionis ». Jean de Saint-Thomas, III, qu. 8, disp. 10, a. 1, n° 14; t. VIII, p. 253. 39. S. Thomas, III, qu. 7, a. 11. 40. Bien que la grâce habituelle puisse croître toujours en inten­ sité, JEAN de Saint Thomas ne pense pas qu elle puisse ainsi changer d'espèce, III, qu. 7. disp. 9, a. 1, n“ 10 et 27 ; t. VIII, pp. 228 et 231. DÉFINITION ANALYTIQUE 1043 est une participation à la nature divine ; ici et là, elle est ordonnée à permettre la vision de l’essence divine, — laquelle néanmoins ne sera pas, de la sorte, connue compréhensivement, à savoir autant quelle est connais­ sable'11. Disons quelque chose de plus secret, sur quoi il faudra beaucoup insister quand on traitera expressément de la sainteté de l’Eglise : ici et là, dans le Christ et dans l’Église, dans le Christ voyageur configurant à sa ressentblance lEglise voyagère, — comme le Christ glorieux confi­ gurera a sa ressemblance lEglise glorieuse - la grâce habi­ tuelle présente des modalités pareilles, qui sont propres à la loi nouvelle et qui sont restées inconnues des âges pré­ cédents. Ce point, qui est d’une grande importance, contribue à donner une intelligence profonde de l’Eglise. c) Les trois perfections de la grâce habituelle dans le Christ : connaturalité, plénitude, tendance. Quelles modalités, quelles perfections, la grâce avaitelle donc dans le Christ ? Jean de Saint-Thomas en signale deux : sa connaturalité et sa plénitude. Nous en ajouterons une troisième : sa tendance42. Si la grâce du Christ est cause de notre grâce, c’est comme instrument de la divinité, non en raison de sa vertu propre et native. I-II, qu. 112, disp. 25, a. 1, nos 4 à 6 ; t. VI, pp. 851-852. Ce n’est donc pas quelle soit d’une autre espèce que notre grâce, III, qu. 62, disp. 24, a. 2, n° 20. Dans son traité De Verbo incarnato, Rome, 1925, pp. 199-206, Guido MattIUSSI tient, au contraire, que la raison formelle de la grâce sanctifiante est une, non pas spécifiquement, mais seulement génériquement. En tout cas, saint THOMAS enseigne expressément que, malgré les fortes inégalités qu’elle y subit, la grâce sanctifiante est de même espèce dans les hommes et dans les anges, De veritate, qu. 9, a. 1, ad 17. 41.1, qu. 12, a. 7. 42. Plus explicitement, nous avons distingué plus haut, [vol. II] pp. 451 et suiv., trois modes permanents et trois modes transitoires de la grâce christique. Ils peuvent se résumer dans les trois modes que nous retenons ici. 1044 vi/i - l’âme créée de l’église 1° D’abord sa connaturalité. Expliquant le rapport de la grâce hypostatique et de la grâce habituelle dans le Christ, saint Thomas rappelle que la seconde résulte de la première à la manière d’une propriété naturelle, « sicut quaedam proprietas naturalis »43. Cela ne signifie pas, comme l’a cru Medina, que la grâce habituelle émane de la grâce hypostatique d’une manière positive et en quelque sorte active, comme les propriétés du triangle découlent de son essence (connaturalité active) ; cela signifie simplement que, sanctifiée substantiellement par la grâce hypostatique, l’humanité du Christ est un sujet merveilleusement préparé, merveilleusement propor­ tionné, pour recevoir la sanctification accidentelle de la grâce habituelle, un peu à la façon dont l’intelligence de l’ange était préparée à recevoir les idées innées (connatu­ ralité passive)44. Jamais la grâce habituelle n’avait trouvé son « chez soi » dans la nature humaine comme elle l’a trouvé dans le Christ : ni sous la loi d’innocence ni sous la loi de nature ni sous la loi mosaïque. 2° Puis sa plénitude. Nous avons signalé les beaux textes où saint Thomas enseigne que la grâce habituelle était dans le Christ comme la lumière dans le soleil. Elle était plénière, sans doute parce quelle emplissait la sainte âme du Christ, mais aussi et plus précisément encore, parce quelle précontenait en elle toutes les manifestations possibles de la grâce45. Jamais la grâce habituelle n’avait été aussi riche quelle le fut dans le 43. III, qu. 7, a. 13, ad 2. 44. Jean de Saint-Thomas, III, qu. 7, disp. 9, a. 3, n°* 6 à 15 ; t. VIII, p. 242, qui corrige ce qu’il avait avancé, III, qu. 62, disp. 24, a. 2, n° 21 ; t. IX, p. 289, où il adoptait l’opinion de Medina. 45. « Ex hoc dicitur gratia illa plena, non solum quantum exigit subjectum, sed quantum ratio gratiae potest ». J EAN DE SaintTHOMAS, III, qu. 62, disp. 24, a. 2, n° 21 ; t. IX, p. 289. DÉFINITION ANALYTIQUE 1045 Christ : ni sous la loi d’innocence, ni sous la loi de nature, ni sous la loi mosaïque. 3° Enfin sa tendance. La grâce sanctifiante était don­ née au Christ à la fois comme compréhenseur, comme ins­ tallé d’emblée par l’esprit (disons par le sommet de lame, par l’âme en tant que tournée vers Dieu, non vers le corps) dans la béatitude plénière de la vision et de la fruition divines46 ; et comme voyageur, comme pèlerin, dont la destinée était de tendre, avec toutes les puis­ sances de son être passible vers la croix et vers la gloire47. « Et il commença à leur enseigner que le Fils de l’homme devait beaucoup souffrir, et être rejeté par les anciens, et par les grands prêtres, et par les scribes, et être mis à 46. « Personne n’a jamais vu Dieu, mais le Fils unique de Dieu, tourné vers le sein du Père, est venu lui-même nous l’annoncer. » Jean, I, 18. M.-J. LAGRANGE, Évangile selon saint Jean, p. 28, écrit sur ce texte : « C’est comme Verbe que Jésus a connu le Père. Cependant c’est durant sa vie humaine qu’il l’a révélé, et il serait étonnant que sa nature humaine n’ait pas été associée à la connaissance du Verbe. Étant donnée l’étroite union du Verbe et de la chair, c’est-à-dire de la divinité et de l’humanité, et la reconnaissance requise pour être, à un degré unique, le révélateur, c’est laisser entendre que Jésus était grati­ fié de la vision béatifique dès cette vie. La thèse théologique nous semble avoir ici un appui solide ». 47. « Christus autem ante passionem secundum mentem plene videbat Deum ; et sic habebat beatitudinem, quantum ad id quod est proprium animae ; sed quantum ad alia deerat ei beatitudo ; quia anima ejus erat passibilis et corpus passibile et mortale... Et ideo simul erat comprehensor, inquantum habebat beatitudinem propriam animae, et simul viator, inquantum tendebat in beatitudinem secun­ dum id quod ei de beatitudine deerat ». Saint THOMAS, III, qu. 15, a. 10. L’âme même du Christ peut être considérée : 1° comme référée à Dieu par ce qui lui est propre, c’est-à-dire par l'intelligence et la volonté, et l’on dira que, selon son âme, le Christ est comprehensor', 2° comme référée au corps, qu elle informe, et l’on dira que, selon son âme, le Christ est viator. BlLLUART, De incarnatione, dissert. 15, a. 4 ; édit. Brunet, t. V, pp. 543 et 575. 1046 VI/1 - l’âme créée de l’église mort, et ressusciter après trois jours» (Mc., VIII, 31). «Voici que nous montons à Jérusalem. Et le Fils de l’homme sera livré aux princes des prêtres et aux scribes. Et ils le condamneront à mort et le livreront aux Gentils. Et ceux-ci se moqueront de lui, et cracheront sur lui, et le flagelleront et le feront mourir. Mais après trois jours, il ressuscitera » (Mc., X, 33-34). « L’heure est venue où le Fils de l’homme doit être glorifié. En vérité, en vérité, je vous le dis, si le grain de blé, tombé en terre, ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit» (Jean, XII, 23-24). C’est le même enseignement qu’entendent les disciples d’Emmaüs : « O têtes sans intelligence et cœurs lents à croire tout ce qu’ont dit les prophètes! Ne fallait-il pas que le Christ souffrît ces choses-là et qu’il entrât dans sa gloire ? » (Luc, XXIV, 2526). Ce mystérieux itinéraire qui traverse la mort pour rejoindre la vie est tout entier inscrit d’avance, tout entier précontenu - à la manière dont un effet peut être précontenu dans sa cause toute spirituelle et libre - dans la grâce sanctifiante initiale du Christ. N’est-ce pas dès son entrée dans le monde qu’il déclare : « Vous n’avez voulu ni sacrifice, ni oblation, mais vous m’avez formé un corps ; vous n’avez agréé ni holocaustes ni sacrifices pour le péché. Alors j’ai dit : Me voici - car il est ques­ tion de moi dans le rouleau du Livre - me voici, je viens, ô Dieu, pour faire votre volonté » (Hébr., X, 5-7) ? Le déroulement de sa vie temporelle peut-il être autre chose que la manifestation progressive des exigences de cette grâce déposée en lui dès le principe ? S’il va à la mort et, au-delà d’elle, à la vie, c’est qu’il y a, inscrite dans la grâce qui conduit son âme, une exigence de mort et de vie, de mort pour la vie et de vie pour la mort, une exi­ gence de croix et de gloire, de croix comme irradiée par la gloire, de gloire comme ensanglantée par la croix. S’il va à la vie par la mort, à la gloire par la croix, c’est qu’il y DÉFINITION ANALYTIQUE 1047 a, inscrite dans la grâce qui conduit son âme, une exi­ gence rédemptrice concernant le monde entier. Jamais la grâce habituelle n’avait manifesté des exigences aussi nettes et aussi mystérieuses : ni sous la loi d’innocence ni sous la loi de nature ni sous la loi mosaïque. d) Le mystère de l’inégale dispensation de la grâce christique La grâce christique s’étend au monde entier pour le délivrer, sans quoi il ne serait pas vrai que le Verbe éclaire tout homme (Jean, I, 9), que le Fils de l’homme, élevé de terre tire tous les hommes à lui (Jean, XII, 32), qu’il pacifie toutes choses dans le sang de sa croix (Col., I, 20), qu’il a tâche de soumettre toutes choses au Père (I Cor., XV, 28 ; Ephés., I, 22), que Dieu jugera par lui les actions secrètes de tous les hommes, Juifs ou Gentils (Rom., II, 16), qu’il n’y a pas sous le ciel un autre nom donné aux hommes par lequel nous devions être sauvés (Act., IV, 12). Et il faut dire que, partout où cette grâce est reçue, l’Eglise existe, au moins d’une manière inchoa­ tive. Mais il importe d’ajouter aussitôt que c’est seule­ ment à l’endroit où la grâce christique est intégrale, et participe aux trois modalités, aux trois perfections quelle avait dans le Christ, que l’Église, que le corps du Christ, peut éclore, s’épanouir, exister d’une manière achevée. Nous voilà mis en présence du mystère de l’inégale dis­ pensation de la grâce christique. Du point de vue où nous sommes, il faut distinguer trois régimes, trois économies, trois modes de dispensa­ tion de la grâce. Γ Tout d’abord la dispensation qui précède la venue du Christ. La grâce d’une manière encore très imparfaite, est déjà christique. Si elle est donnée tout de suite, c’est, 1048 VI/1 - l’âme créée de l’église en effet, par anticipation, par exaucement rétroactif de la grande intercession méritoire que le Christ fera monter de la croix. Et de ce fait, elle est déjà capable de sauver les hommes du péché, de les conformer suffisamment au Christ pour qu’il puisse reconnaître en eux ses membres au jour de sa descente aux enfers48. 2° Dès que le Christ apparaît49, la grâce devient christique d’une nouvelle manière : non seulement « meri­ torie», parce quelle nous est méritée par le Christ, mais encore « efficienter» parce quelle nous est distribuée par le Christ, et quelle nous atteint en traversant le cœur du Christ, en sorte que son pouvoir de nous configurer au Christ en est enrichi. Ici surgit un nouveau mystère. C’est en Palestine que Jésus fonde son Église. Ailleurs, nous savons bien qu’il est présent, dès le premier moment de l’incarnation. Mais c’est par une action à distance. Les rayons de grâce qui sortent de son cœur atteignent tous les hommes qui sont dispersés sur la terre. Ils sont capables de sauver tous ceux qui les accueillent au fond d’eux-mêmes, et de former en eux une première et lointaine ébauche de l’Église, une Église à l’état inchoatif et préparatoire, ignorante encore des pouvoirs sacerdotaux et des pou­ voirs juridictionnels, où la grâce sanctifiante elle-même 48. Cf. I Pierre III, 19; IV, 6. Et Concile de Sens, en 1140; IVe Concile de Latran, en 1215, chap. 1, Denz., n°* 385 et 429. 49. Ce point est affirmé deux fois dans fencyclique Mystici corpo­ ris’. Γ « A partir de la vertu de la croix, notre Sauveur, bien que, dès le sein de la Vierge, il ait été constitué Tête de toute l'humaine famille, exerce d'une façon tout à fait plénière dans son Église la fonction de Tête ». A. A. S., p. 206. 2° « C’est elle (la Vierge) qui, par un enfan­ tement admirable, a mis au monde le Christ Seigneur, source de toute vie céleste, déjà revêtu, en son sein virginal, de la dignité de Tête de l'Église ». A. A. S., p. 247. DÉFINITION ANALYTIQUE 1049 nest christique que d'une manière initiale, incomplète, vir­ tuelle. Le régime de l’action à distance est en quelque sorte un régime de transition. Il succède, d’une façon d’ailleurs provisoire, au premier régime de dispensation de la grâce, en vigueur avant la naissance du Christ ; et, tant que tarde le jour béni où l’action salvatrice du Christ pourra prendre, dans toutes les régions du globe, sa forme normale et définitive, il y supplée, dans une mesure nécessairement imparfaite et précaire50. 3° Mais ce n’est pas pour agir à distance, c’est pour toucher les plaies de notre nature que le Christ s’est incarné. « En délaissant Dieu, écrit saint Thomas, l’homme était tombé dans les choses corporelles : il fal­ lait donc que Dieu prit une chair, pour que les choses corporelles elles-mêmes nous devinssent un principe de salut51. Et Augustin^2 peut écrire, en commentant l’évan­ gile du Verbe fait chair : La chair t'avait rendu aveugle, voici que la chair te guérit »53. C’est faction par contact qui fonde l’Église, l’Église dans son état de plénitude et d’achèvement. C’est l’action par contact que le Christ s’efforce en quelque sorte de multiplier quand il passe la mer pour aller guérir le possédé, quand il parcourt les routes de la Judée et de la Galilée, jusqu’aux confins de la Phénicie. C’est elle qu’il veut éterniser dans le temps 50. L’action du Christ à distance a d’ailleurs d’autres rôles que de suppléer l’action du Christ par contact. Cf. L’Église du Verbe incarné, 1.1, p. 19 [dans la présente édition : vol. I, p. 45]. 51. « De sorte que nous devons nous considérer comme des crimi­ nels dans une prison toute remplie des images de leur libération.... » PASCAL, Lettre à Mme Périer, édit. Br., p. 89. Pascal songe ici, non d’une manière précise à l’incarnation et aux sacrements, mais au principe suivant lequel « les choses corporelles ne sont qu’une image des spirituelles ». 52. In Joan. Evang, traité II, n° 16. 53. Saint THOMAS, III, qu. 1, a. 3, ad 1 ; cf. qu. 61, a. 1. 1050 W1 - l’âme créée de l’église quand, sur le point de nous quitter, il institue au milieu de nous la hiérarchie visible, qui, du haut du ciel où il réside (Mc., XVI, 19), lui servira comme d’un instrument charnel pour nous toucher. C’est elle qu’il décide d'étendre d’une façon progressive à toutes les nations (Mt., XXVIII, 19) jusqu’aux extrémités de la terre (Act., I, 8) et jusqu'à la fin des siècles (Mt., XXVIII, 20) pour quelle y donne perpétuellement naissance à son Eglise. C’est elle qui, à travers les sacrements de la loi nouvelle - ils sont comme les mains du Christ étendues sur nous à travers le temps et l’espace - peut faire passer jusqu’à nous, plus ou moins intensément selon l’état de nos dis­ positions, la sainteté du Christ avec les richesses mêmes qui lui sont propres, avec les trois modalités, les trois privi­ lèges quelle a dans la sainte âme du Christ. En consé­ quence, disons que c’est la grâce du Christ en tant quelle nous arrive à travers les sacrements de la loi nouvelle, et quon appelle pour cette raison la «grâce sacramentelle », qui mérite seule au sens plénier le nom de «grâce christique». Et relevons tout de suite que c’est à l’endroit seu­ lement où se rencontrera la plénitude des grâces sacra­ mentelles, que l’Église pourra se constituer et exister en plénitude, en son état achevé. e) Les trois privilèges de la grâce sacramentelle pleine­ ment christique et christoconformante : connaturalité, plénitude, tendance Le message central du Nouveau Testament est l’an­ nonce d’une effusion encore inconnue de grâce et d'amour qui descend du Christ vers son Église. Telle est la doctrine de saint Jean : « De sa plénitude, nous avons tous reçu, et grâce sur grâce» (Jean, 1, 16). « En vérité, en vérité, je te le dis, nul s’il ne renaît de l’eau et de l’Esprit, ne peut entrer dans le royaume de Dieu » (Jean, DÉFINITION ANALYTIQUE 1051 III, 5). « Qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle, et moi je le ressusciterai au dernier jour... Qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui» (Jean, VI, 54, 56). «A celui qui vaincra, je donnerai de la manne cachée, et je lui donnerai une pierre blanche, et sur cette pierre est écrit un nom nou­ veau, que personne ne connaît, si ce n’est celui qui le reçoit» (Apoc., II, 17). Telle est aussi la doctrine de saint Paul : « Le Christ a aimé l’Église et s’est livré lui-même pour elle, afin de la sanctifier, l’ayant purifiée par le bain de l’eau dans la parole... » (Éphés., V, 25-26). « Ignorezvous, qu’ayant tous été baptisés en le Christ Jésus, c’est en sa mort que nous avons été baptisés ? Nous avons, en effet, été ensevelis avec lui par le baptême en sa mort... » (Rom., VI, 3-4). «Le calice de bénédiction, que nous bénissons, n’est-il pas une communion au sang du Christ? Et le pain que nous rompons, n’est-il pas une communion au corps du Christ ? » (I Cor., X, 16). Le contenu théologique de ces grands textes, c’est d’abord que la grâce sanctifiante méritée sur la croix, après avoir été donnée en quelque sorte par anticipation et avec mesure aux hommes de la loi de nature et de la loi ancienne quand l’Église était encore en formation, commence d’être donnée sans mesure, quand le Christ vient achever de fonder son Église. Tout n’est pas dit pourtant: par le canal des sacrements, ce qui passe en l’Eglise, c’est non seulement la grâce du Christ toute nue, avec sa simple nature spécifique, avec sa simple sub­ stance54 ; c’est la grâce du Christ pour autant quelle par54. Pour Jean de Saint-Thomas, nous l’avons dit, voir plus haut, p. 1042, note 40, la grâce du Christ est de même espèce que la nôtre. Disons, à plus forte raison, que la grâce sanctifiante peut changer d’intensité et de richesse, sous la loi de nature, sous la loi mosaïque, sous la loi nouvelle, mais non pas d’espèce. BlLLUART, De gratia, dissert. 2, a. 1, § 3, édit. Brunet, t. III, p. 29, demande si la grâce sanctifiante 1052 VI/1 - l’âme créée de l’église ticipe, dans une certaine mesure5’’, aux trois modalités, aux trois perfections, aux trois privilèges qu’elle avait dans le Christ même-0: connaturalité, plénitude, ten­ dance. 1° Connaturalité. - Nous disions tout à l’heure: jamais la grâce habituelle n’avait trouvé son « chez soi » de l’innocence était de même sorte et de même espèce que celle de l’état de nature déchue, et répond : « Elle était de même espèce quant à la substance de la grâce, car l’effet formel des deux grâces est le même, à savoir de rendre l’homme cher à Dieu, fils adoptif et ami de Dieu, héritier du règne céleste : or, la raison d’une forme nous est manifestée par son effet formel qui est cette forme même en tant que communiquée. Mais elle différait par le mode dont elle se com­ muniquait au sujet, car la grâce de la justice originelle communi­ quait à l’homme plusieurs effets secondaires, quelle a cessé de nous conférer ». 55. « Licet non in illa perfectione, qua Christus, sed quasi reduc­ tive ad illum». JEAN DE Saint-Thomas, III, qu. 62, disp. 24, a. 2, n°21;t. IX, p. 289. 56. « Les grâces sacramentelles qui découlent des perfections de la grâce du Christ, peuvent apporter aux hommes la diversité et la variété nécessaires pour faire d’eux les membres du Christ. Ils partici­ pent alors à la grâce du Chef, non seulement quant à la substance de la grâce, mais encore quant à une certaine formalité, qui les met en continuité avec le Christ pour recevoir et pour agir, ... participant de gratia Capitis, non solum in ipsa substantia gratiae, sed etiam in perfec­ tione qua potest defectus aliquos peccati perfectius extinguere, et qua potest aliquos effectus perfectius operari ex conjunctione cum gratia Christi ». Jean de Saint-Thomas, loc. tit., ibid. Selon Jean de Saint-Thomas, la grâce sacramentelle n’est pas un nouvel habitus ajouté à la grâce sanctifiante. Elle est, substan­ tiellement, la grâce sanctifiante, la grâce des vertus et des dons, mais avec une nouvelle formalité, permanente, un nouveau mode perma­ nent. Loc. cit., n™ 6 et suiv. Le mot de grâce sacramentelle, pris adéquatement, signifie la grâce sanctifiante, en tant que modifiée par son passage dans les sacre­ ments ; pris inadéquatement, il signifie la modification sacramentelle elle-même. Voir le mot grâce sacramentelle dans la table de L’Église du Verbe incarné, 1.1. DÉFINITION ANALYTIQUE 1053 dans la nature humaine, comme elle l’a trouvé dans le Christ. Il convient maintenant d’étendre cet axiome du Christ à l’Église, de la tête au corps, et de dire que jamais la grâce habituelle n’avait trouvé son « chez soi » dans la nature humaine, comme elle l’a trouvé dans l’Église de la loi nouvelle. Quand elle nous vient des sacrements, la grâce est en nous comme dans sa patrie, comme dans une terre d’élection, comme dans son lieu propre d’inhérence. Nous pouvons manquer individuellement à la grâce, même sacramentelle, en raison de l’indétermination radicale de notre libre arbitre, et c’est chaque fois une catastrophe. Mais l’humanité ne manquera jamais tout entière à la grâce sacramentelle. Il y a entre elles deux des fiançailles indissolubles. Nous touchons ici au dogme de l’infaillible sainteté de l’Église. La prophétie du Sauveur sur son Église : « Les portes de l’Hadès ne prévaudront point contre elle» (Mt., XVI, 18) renferme indubitable­ ment dans ses profondeurs la prophétie du Cantique des Cantiques : « Les grandes eaux ne sauraient éteindre l’amour, ni les fleuves le submerger» (VIII, 7). Quand saint Jean écrit que l’homme qui est né de Dieu ne peut pécher (I Jean, III, 9), cela signifie immédiatement que cet homme ne peut pécher par la charité qui est en lui, bien qu’il puisse toujours pécher par son libre arbitre^ ; mais ces mots peuvent s’entendre par extension de l’Eglise, de l’Épouse du Christ, et alors il est pleinement vrai quelle ne peut pécher : il semble même que telle soit l’arrière-pensée de l’apôtre, quand il écrit qu’on ne peut jamais trahir au nom de l’Église : « Ils sont sortis du milieu des nôtres, mais ils n’étaient pas des nôtres, car 57. «Charitas nullo modo potest peccare... [Tamen subjectum] est vertibile secundum arbitrii libertatem». Saint THOMAS, ILII, qu. 24, a. 11. 1054 ντ/1 - l’âme créée de l’église s’ils eussent été des nôtres, ils seraient demeurés avec nous » (il, 19), et que l’Eglise est l’antithèse du mal et du monde : « Nous savons que nous sommes de Dieu et que le monde entier est plongé dans le mal » (v, 19). Sans doute la grâce habituelle peut se trouver, aujour­ d’hui, dans les croyants qui ignorent invinciblement les sacrements de la loi nouvelle, comme elle s’est trouvée dans les justes des âges qui ont précédé le Christ. Mais partout où elle manque de sa modalité sacramentelle, elle vit en quelque sorte comme en exil, comme dans une terre étrangère, comme dans un lieu provisoire, où elle ne peut épanouir ses ressources les plus secrètes — à la manière d’un arbre des pays chauds transplanté sous un climat du nord - et où elle est désignée le plus sou­ vent sous le voile des promesses ou des figures. On pourrait, il est vrai, soulever une difficulté pour ce qui concerne l’état d’innocence, où la grâce, bien quelle ne fût pas sacramentelle’8, modifiait cependant très pro­ fondément, par les dons préternaturels, les conditions de la vie de l’homme. A quoi il faut répondre que la grâce de l’innocence devait sembler, en effet, sous un rapport, la plus enracinée, la plus inhérente des grâces, parce quelle déployait tout de suite la plénitude de ses effets possibles dans le temps. La grâce de la loi nouvelle, au contraire, n’élimine ni la mort ni les tentations ni les conflits. Elle est le lis dans les épines. Cependant, il faut maintenir quelle est plus enracinée, plus inhérente, parce quelle vient chercher l’homme jusque dans le péché pour le justifier et quelle le prépare à une configu­ ration glorieuse pareille non point à celle d’Adam, lequel n’était qu’un pur homme, mais à celle du Christ qui est le Verbe fait chair. 11 convient en effet de juger de la pro­ fondeur de l’inhérence de la grâce, beaucoup plus du 58. Saint THOMAS, III, qu. 61, a. 2. DÉFINITION ANALYTIQUE 1055 point de vue de l’intensité de son effet formel, qui est tout spirituel, que du point de vue du rayonnement extérieur immédiat de cet effet : ainsi la grâce était infi­ niment plus connaturelle au Christ, dont elle ne faisait qu’illuminer les souffrances, qu’à Adam, dont elle les éli­ minait59. Mais faut-il vraiment croire que la grâce de la loi nou­ velle est si profondément enracinée dans l’humanité ? Le comportement collectif des chrétiens ne témoigne-t-il pas trop souvent en sens contraire ? Nous répondons que très certainement la grâce de la loi nouvelle est enracinée beaucoup plus profond dans l’humanité — même si nous décidons d’écarter de notre pensée ce qui concerne per­ sonnellement le Christ, et la Vierge - que nous ne pour­ rons jamais l’imaginer. Il faudrait pour s’en rendre compte entrevoir les merveilles quelle opère dans les âmes entièrement données des tout grands saints : en eux peut s’accomplir sans entraves son travail de trans­ formation ; en eux la nature humaine, totalement trans­ parente, peut pleinement « donner Dieu à Dieu » ; en eux s’achèvent, dès ici-bas, l’union transformante et les noces mystiques du ciel et de la terre. Ils sont les racines de l’Eglise entière, qui plongent dans l’épaisseur de l’uni­ vers créé jusqu’au seuil des profondeurs du mystère de l’incarnation. Leur contact est capable de régénérer l’univers60. Hors ces cas de divine plénitude - qui sont normaux sinon fréquents - on dirait que la grâce chré­ 59. Cf. Charles PÉGUY, Ëve, édit. Pléiade, p. 813. Car le surnaturel est lui-même charnel Et l'arbre de la grâce est racinéprofond Et plonge dans le sol et cherche jusqu’au fond Et l’éternité même est dans le temporel. 60. Cf. Henri BERGSON, Les deux sources de la morale et de la religion, Paris, 1932, p. 337-338: «Qu’un génie mystique surgisse; il entraîne derrière lui une humanité au corps déjà immensément 1056 wi - l’âme créée de l’église tienne s’en va au plus pressé et quelle s’inquiète beau­ coup plus de sauver les âmes avec un minimum de mise en œuvre, que de dissiper les inconséquences, les malen­ tendus, les aberrations dans lesquels elles sont plongées : un peu comme la grâce préchrétienne sauvait les justes de l’Ancien Testament en tolérant avec une patience étonnante leurs erreurs sur la polygamie, la dissimula­ tion, la haine des ennemis. La conséquence, c’est que même des chrétiens, qui le seront assez pour être sauvés, peuvent être engagés dans des formes de vie collective qui relèvent de ce que Bergson appelle les « sociétés closes ». Cela provoque de grands scandales61. Pour cher­ cher à les dissiper, Newman déclarait non sans paradoxe, que l’Évangile était prêché pour faire des élus, non pour changer la face du monde62. Nous croyons, nous, que accru, à l’àme par lui transfigurée... Nous ne le suivrons pas tous, mais tous nous sentirons que nous devrions le faire, et nous connaî­ trons le chemin, que nous élargirons si nous y passons ». 61. C’est un scandale, par exemple, que les chrétiens, que les catholiques n’aient pas réussi à se tenir au-dessus de la mêlée dans une guerre civile où s’affrontaient le nazisme et le communisme ; ou encore que des organisations chrétiennes puissent sembler moins effi­ caces que les organisations communistes à briser les cloisons qui sépa­ rent en certains pays les hommes blancs des hommes de couleur. 62. C’est le sermon «The visible Church for the sake of the elect », prêché le 20 novembre 1836, traduction R. Saleilles, Le chrétien, Paris, 1906, t. 1, pp. 242 à 246 : « La grande multitude des hommes, à les prendre en masse, sont restés, selon toute apparence, au point de vue spirituel à peu près ce qu’ils étaient avant, sans avoir été rendus beau­ coup meilleurs. L’état des grandes villes, par exemple, n’est guère dif­ férent de ce qu’il était autrefois... La marche des États chrétiens, après comme avant, s'opère d'après les mêmes lois, ils s’élèvent et ils tombent, suivant que le temps passe, d’après les mêmes principes d’évolution purement internes, et qui n’ont rien à voir avec l’Évangiie. La nature humaine est ce quelle était en dépit du baptême... Ainsi donc la connaissance de l’Évangile n’a guère changé en réalité que la surface des choses... Et la vérité, c'est que rien de tout cela n’était dans ses promesses, et l Évangile n’a jamais laissé espérer qu’il en DÉFINITION ANALYTIQUE 1057 l’Évangile est prêché à la fois pour faire des élus et pour changer la face du monde63 : beaucoup plus néanmoins pour cela que pour ceci. Le scandale du comportement de beaucoup de chrétiens ne nous fait pas nier l’inhé­ rence de la grâce de la loi nouvelle. Il nous fait parler des ruses de son inhérence : là même où elle est empêchée de sauver le monde, elle essaie encore de sauver des âmes et de faire des élus. 2° Plénitude — Nous disions : jamais la grâce habi­ tuelle n’a été aussi pleine, aussi riche quelle ne le fut dans le Christ. Cette plénitude, cette richesse vont déborder du Christ dans l’Église, de la tête dans le corps. Les théologiens enseignent que la grâce habituelle habilitait le Christ à produire connaturellement ses actes surnaturels et méritoires64. Mais les actes du Christ, qui est tête, devront se continuer dans les actes de l’Eglise, qui est corps : « En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit en moi fera aussi les oeuvres que je fais... » (Jean, XIV, 12). La grâce qui les produisait connaturelle­ ment dans le Christ, en se reversant sur l’Église, lui don­ nera de les accomplir avec une connaturalité toute sem­ blable à celle du Christ, tout apparentée à celle du Christ. L’Église va pouvoir agir en continuité et conjonc­ tion étroites avec le Christ, « ex conjunctione quadam et connaturalitate ad Christum »65. Et de cette première serait ainsi... Ce qui est vraiment l’effet propre de l’Évangile, et le seul qui n’appartienne qu’à lui, c’est qu’il a fait des saints... Il a travaillé pour les élus, mais avec eux, du moins, il n’a pas travaillé en vain ». 63. Cf. Exigences chrétiennes en politique, pp. 282 et 285 [« Politique divine ou politique chrétienne ? », n° 3, §§ 9 et 12]. 64. On dit qu’un être agit connaturellement, quand il possède en lui la forme permanente qui l’incline à l’action. BlLLUART, De incar­ natione, dissert. 8, a. 2 ; t. V, p. 478. 65. Jean de Saint-Thomas, III, qu. 62, disp. 24, a. 2, n° 30 ; t. IX, p. 291. 1058 vi/1 - l’âme créée de l’église manière, il faut dire que la plénitude de la grâce du Christ passe dans l’Eglise. La grâce du Christ contient en elle tous les effets pos­ sibles de la grâce, comme le soleil contient en lui tous les effets de la lumière. De ce fait, elle pourra, en s’épan­ chant dans l’Église, lui conférer une richesse nouvelle, étrangère à l’état d’innocence, à la loi de nature, à la loi ancienne. Autre sans doute est la plénitude absolue qui convient au Christ, autre la plénitude relative qui con­ vient à l’Église. Mais ces deux plénitudes sont accordées l’une à l’autre. C’est au moment où paraît le Christ que l’Église, jusqu’alors en état de formation, entre dans son état d’achèvement, et que sa sainteté est organiquement constituée. Ce que le Christ verse dans son Église par le contact de sa personne et de ses sacrements, c’est la grâce sanctifiante, la grâce des vertus et des dons, non seule­ ment devenue plus abondante quelle ne l’avait jamais été dans le passé, mais encore enrichie de la septuple per­ fection sacramentelle, c’est-à-dire de modalités perma­ nentes encore ignorées des âges antérieurs, qui lui per­ mettront de produire ces actes nouveaux requis pour for­ mer le corps mystique, ces effets spéciaux nécessaires à la vie chrétienne, speciales effectus necessarios in vita Chris­ tiana^, sans lesquels dorénavant la vie spirituelle sera tronquée et le corps du Christ mutilé. Tel est l’enseigne­ ment de Jean de Saint-Thomas : « Du fait que le Christ est le principe universel de tous les effets et de toutes les modalités de la grâce, il peut, par les divers sacrements, imprimer dans chacun de ses membres des modes et des effets particuliers, destinés à guérir certains ravages spé­ ciaux du péché et à produire certains effets spéciaux de grâce. Et comme la lumière du soleil et celle de la lune sont de même espèce, bien que la première soit douée de 66. Saint THOMAS, III, qu. 62, a. 2. DÉFINITION ANALYTIQUE 1059 propriétés distinctives, ainsi la grâce, quand elle vient du Christ par l’influx causal des sacrements », est douée de privilèges propres6 . De cette seconde manière la pléni­ tude du Christ passe dans l’Église. La grâce qui passe du Christ dans l’Église par le canal des sacrements s’enracine profondément en elle, lui donne d’agir comme spontanément dans la ligne du Christ, d’accomplir tous les actes de la vie sanctifiante du corps mystique. 3° Tendance. — Nous disions : jamais la grâce habi­ tuelle n’avait manifesté des exigences aussi mystérieuses que dans le Christ. Or, elle les conserve en passant dans l’Église. Elle a tiré le Christ par la croix dans la gloire, par la mort dans la vie. Elle tirera les chrétiens par un semblable itinéraire. « C’est la vertu de la Passion du Christ qui nous est communiquée par la réception des sacrements de la loi nouvelle : en signe de quoi, du côté du Christ attaché à la Croix, ont jailli l’eau et le sang, signifiant le baptême et l’eucharistie, les principaux des sacre­ ments67 6869 . » En raison de l’élan qui lui vient de sa source, la grâce sacramentelle entraînera donc l’Église à la croix. Nos autem gloriari oportet in cruce Domini nostri Jesu Christi Sans doute, l’Église marche vers une croix que la gloire éclaire par anticipation ; ou, et cela revient au même, vers une gloire dont la splendeur est encore voi­ lée par le sang de la croix. L’apôtre ne dit-il pas que notre destinée est d’être cohéritiers du Christ « si toutefois nous souffrons avec lui pour être glorifiés avec lui » ? Et il estime que « les souffrances du temps présent ne sont 67. III, qu. 62, disp. 24, a. 2, n° 22 ; t. IX, p. 289. 68. Saint Thomas, III, qu. 62, a. 5. 69. Introït de la messe du Jeudi saint. 1060 VI/1 - l’âme créée de l’église point en proportion avec la gloire qui doit être manifes­ tée en nous» (Rom., VIII, 17-18). «C'est là, déclare-t-il encore, une parole certaine : si nous mourons avec lui, nous vivrons aussi avec lui » (II Tim., II, 11). « Il fallait que le Christ souffrît, qu’il ressuscitât des morts le troisième jour et que le repentir et la rémission des péchés fussent prêchés en son nom à toutes les nations, à commencer par Jérusalem » (Luc, XXIV, 4647). C’est pour racheter le monde que, sous l'impulsion de la grâce, le Christ s’avance sur la route qui va par la mon à la vie. Et c'est pour racheter le monde avec lui, que sous l'impulsion de la même grâce, l'Eglise est invitée à s'acheminer tout entière vers la mort et la résurrection. La même grâce, rédemptrice dans la tête, est corédemptrice dans le corps. Ici et là, spontanément: «Je me réjouis à présent dans mes souffrances pour vous et j’achève ce qui manque encore aux épreuves du Christ dans ma chair pour son corps, qui est l’Église » (Col., I, 24). f) La doctrine de la grâce christoconformante est tra­ ditionnelle « Ceux qu’il a connus d’avance, écrit l’apôtre, il les a aussi prédestinés à être conformes à l’image de son Fils, pour qu’il soit le premier-né d’un grand nombre de frères » (Rom., vin, 29). En touchant l’Église, le Christ pèlerin déteint en quelque sorte sur elle. La grâce dont il l’emplit la forme, l’assimile, la façonne à sa ressemblance. C’est une grâce merveilleuse qui inhère dans l’Église comme elle a inhéré dans le Christ ; qui ajuste et connaturalise l’agir de l’Église à l’agir du Christ ; qui comble l’Église de richesses incommunicables au-dehors et faisant d’elle le corps mys­ tique du Christ ; enfin qui entraîne l’Église à la suite du Christ, vers les mêmes destinées et pour les mêmes fins. DÉFINITION ANALYTIQUE 1061 Les racines profondes de cette doctrine sont engagées dans l'Écriture et manifestées par les écrits des Pères. On y enseigne - à propos surtout du baptême où la vie spiri­ tuelle est engendrée, de la confirmation où elle est diffu­ sée, de l’eucharistie où elle est consommée70 - la néces­ sité pour les hommes d’être incorporés à la Passion du Christ par les sacrements de la loi nouvelle, et la puis­ sance d’innovation de leurs effets. Cyrille de Jérusalem scrute le mystère du texte de l’Apôtre : « Ignorez-vous que nous tous qui avons été baptisés en le Christ Jésus, nous avons été baptisés en sa mort ? Nous avons donc été ensevelis avec lui par le bap­ tême [pour nous unir] à sa mort, afin que, comme le Christ a été ressuscité des morts par la gloire de son Père, nous marchions aussi dans une vie nouvelle. Si en effet nous lui avons été unis pour croître avec lui par l’image de sa mort, nous le serons aussi quant à la résur­ rection... » (Rom., VI, 3-5). C’est en vérité que le Christ est mort, et c’est en image que nous autres nous mou­ rons en lui par le baptême. Pourtant, c’est seulement parce que le baptême nous fait participer en image à une passion et à une mort qui furent réelles dans le Christ, qu’il peut nous conférer la rémission de nos péchés et l’adoption des enfants de Dieu. « O philan­ thropie excessive ! Le Christ a eu ses mains et ses pieds percés de clous, il a connu la douleur. Et il me donne le salut gratuitement, par la communication de sa souf­ france, à moi qui n’ai pas souffert et qui n’ai pas peiné»71. C’est le baptême qui fait entrer dans le 70. Ces trois sacrements, qui nous donnent l’être, le mouvement, la vie, sont étudiés par Nicolas Cabasilas dans son De vita in Christo. Cf. S. SALAVILLE, Introduction à l’« Explication de la divine liturgie » de Nicolas Cabasilas, Paris, 1943, p. 22. 71. CatéchèseXX, n° 5 ; P. G., t. XXXIII, col. 1081. 1062 VI/1 - l’âme créée de l’église rovaume de Dieu 2 : « Corneille, le centurion, avait été trouvé digne de voir les anges. Il avait lui-même élevé ses prières et ses aumônes comme une belle colonne vers le ciel de Dieu. Puis Pierre était venu à lui, l’Esprit était descendu sur eux qui avaient cru, ils avaient parlé en langues et prophétisé. Et pourtant, après une grâce si exceptionnelle, l’Écriture ajoute (Act., X, 48) : Et Pieyre ordonna qu'ils fissent baptisés au nom de Jésus-Christ» 72 73. Telle est la doctrine commune. Ce sera la doctrine du Moyen Age. En Occident, de saint Thomas d’Aquin. En Orient, du théologien byzan­ tin Nicolas Cabasilas, mort vers 1380 : «Voici, dit-il, la vie qui nous a été apportée par le Seigneur : il faut passer par les sacrements, afin de participer à sa mort et de communier à sa Passion : sans quoi on n’évitera pas la mort. Car celui qui n'aura pas été baptisé dans l’eau et dans l’Esprit, ne pourra pas entrer dans la vie ; et ceux qui n’auront pas mangé la chair ni bu le sang du Fils de l’homme, ne pourront pas avoir la vie en eux74... La vie véritable s’écoule en nous par la mort du Sauveur. Et le moyen d’attirer cette vie en nos âmes, est de recevoir l'initiation des sacrements : l’ablution baptismale, Ponc­ tion du chrême, la réfection de la table sainte. Si nous accomplissons ces rites, le Christ vient en nous, il y habite, il y adhère, il y grandit ; il fait mourir en nous le péché, il nous infuse sa propre vie et sa propre perfec­ 72. Cyrille distingue ·< une double vertu du baptême salutaire : la première, donnée par l’eau à ceux qui sont illuminés ; la seconde, conférée dans les tourments aux saints martyrs par leur propre sang. En signe de quoi sont sortis du côté du Sauveur le sang et l’eau ». Catéchèse XIII, n° 21, col. 800. Mais il ne fait pas encore la distinc­ tion entre une appartenance à l’Église par le désir et en acte com­ mencé (voto) et une appartenance en acte achevé (re). 73. Catéchèse III, n° 4, col. 431. 74. De la vie dans le Christ, livre 1 ; P. G., t. CL, col. 512. DÉFINITION ANALYTIQUE 1063 tion, il nous associe à sa victoire75... » Après nous avoir été vie dans le baptême, le Christ veut nous être parfum dans la confirmation et aliment dans l’eucharistie, « et ainsi, c’est en se mêlant et confondant à nous de toutes manières, qu’il façonne lui-même son corps ; il est pour nous ce que la tête est pour les membres : puisqu’il est notre tête, nous participons à tous ses biens, ce qui est de la tête devant nécessairement descendre au corps »76. Ce sera, en des âges plus récents, la doctrine de grands théologiens comme Jean de Saint-Thomas, celle surtout des écrivains mystiques. Les âmes spirituelles sont savantes quand elles parlent des grâces par lesquelles le Christ attire à lui et change en lui son Église, la rend christoconforme 7. A leur école, les théologiens ont, croyons-nous, bien des lumières à découvrir. Nous citions tout à l’heure la Sainte Madeleine de Bérulle ; détachons-en encore ces lignes : « L’amour de Jésus porte les qualités et les couleurs de Jésus même. Si Jésus est un ciel, son amour est céleste, et l’Écriture dit que nous conversons aux cieux (Philip., III, 20). S’il est en croix, son amour est crucifié ; et un grand saint, navré de cet amour, a dit : Amor meus crucifixus est. Si Jésus est en navrure et en douleur, cet amour est navrant et doulou­ reux »78. Et l’on se souvient de la comparaison de Chardon : « Comme les eaux des fontaines qui ont passé par certains minéraux, en retiennent encore les qualités et les propriétés en leurs sources et produisent des effets semblables dedans les personnes qui les boivent ou qui les touchent, ainsi, parce que la grâce découle de l’âme de Jésus comme de sa source originaire où elle produit 75. Ibid., col. 516. 76. Ibid., col. 520. 77. C’est le titre choisi par le Père TYSZKIEWICZ, S. J., pour son livre : La sainteté de l’Égiise christoconforme, Rome, 194578. Ch. V. 1064 vi/i - l’âme créée de l’église un poids qui regarde ia fin pour laquelle il s’esr fait homme, c’est une nécessité quelle se ressente de cette disposition en ceux qui sont faits dignes d’y participer. C’est ce que le divin apôtre, Il Cor., V, 14, appelle cha­ rité pressante, amour forçant et contraignant les cœurs, parce que, si un seul est mort pour tous, les autres donc, sont morts pareillement', comme s’il voulait dire que, si la grâce de Chef a obligé Jésus à la mort et lui a donné une pente si puissante vers la Croix, c’est une suite nécessaire quelle forme le même amour forçant, en l’âme fidèle » 9. g) La sigillation sanctifiante de I Esprit Si la loi nouvelle est le troisième âge du monde, l’âge où la Trinité tout entière, où l’Esprit saint fait descendre du Christ dans l’Église, de la tête dans le corps, les dons suprêmes du ciel et surtout les plus purs et les plus pré­ cieux d’entre eux, il faudra que la grande effusion évan­ gélique sur le monde de la sainteté christoconforme, des grâces sacramentelles et pleinement christiques, soit rat­ tachée, par delà-la sainte humanité du Christ qui en est la cause instrumentale organique, à la Déité même, à l’Esprit saint qui en est la Cause première. C’est pour­ quoi la Colombe inonde de lumière la Croix de la mosaïque du Latran ; c’est pourquoi encore ce sont les rayons de Pentecôte que l’on voit s’échapper des mains du Christ royal de Vézelay. Les caractères sacramentels et les grâces sacramentelles sont deux empreintes, deux sigillations, l’une cultuelle et l’autre sanctifiante, qui façonnent l’Église à la ressem­ blance de la sainte humanité du Christ et par elle à la ressemblance de la Déité même et de l’Esprit saint79 80. 79. La croix de Jésus, rééd. de Paris, 1937, p. 127. 80. « Le fidèle, dit saint THOMAS, est ordonné à une double fin. Premièrement et principalement, à la fruition de la gloire, en vue de DÉFINITION ANALYTIQUE 1065 Ainsi les deux sigillations sacramentelles, toutes deux nécessaires, bien qu’à des titres inégaux81, pour former l’âme créée de l’Église, sont une effigie de la Sigillation infinie de l’Esprit saint, qui est l’Âme incréée de l’Église. En même temps, ces deux sigillations sont la condition indispensable, l’ultime cause dispositive qui va rendre possible une descente, une habitation, une Sigillation toute spéciale de l’Esprit saint parmi les hommes, igno­ rée de l’état d’innocence et des âges antérieurs au Christ (Jean, VII, 39) et proprement constitutive de l’Église, de la « maison de Dieu » (I Tim., III, 15). Ce sont, croyons-nous, ces trois sigillations, celles du caractère et de la grâce, qui sont finies, et celle de l’Esprit saint, qui est infinie et dont procèdent les deux pre­ mières, qui sont signifiées à la fois, tout impliquées l’une dans l’autre, par les grands textes de l’Apôtre : « Celui qui nous a affermis avec vous dans le Christ et qui nous a oints, c’est Dieu, qui nous a aussi marqués d’un sceau et qui nous a donné, à titre d'arrhes, [’Esprit dans nos cœurs » (II Cor., I, 21-22). «C’est en lui (le Christ) qu’après avoir cru, vous avez été marqués comme d’un sceau, de quoi il est marqué du signe de la grâce, selon Ezéchiel, IX, 4 : Passe par le milieu de la ville et marque dun Thau le front des hommes qui soupirent et qui gémissent à cause des abominations qui sy commettent ; et Apoc. VII, 3 : Ne faites point de mal à la terre ni à la mer ni aux arbres jusqu à ce que nous ayons marqué dzi sceau, sur le front, les servi­ teurs de notre Dieu. Secondement à recevoir ou à donner les choses du culte de Dieu, en vue de quoi il est marqué du caractère sacra­ mentel ». III, qu. 63, a. 3. Sur Éphésiens, IV, 30 : « Ne contristez pas le Saint-Esprit de Dieu, dans lequel vous avez été marqués d’un sceau pour le jour de la rédemption», saint THOMAS écrit: «La sigillation qui destine à la gloire future est celle de la grâce, et on l’attribue à l’Esprit saint, car c’est par un effet de son amour que Dieu nous comble de dons gra­ tuits, de dons de grâce : or, l’Esprit saint est Amour ». Ibid., ad 1. 81. La grâce est l’effet principal des sacrements ; le caractère, leur effet seco ndaire. Saint THOMAS, III, qu. 62, prologue. 1066 vi/1 - l’âme créée de l*église l'Esprit saint de la promesse, qui est acompte de notre héritage...» (Ëphés., I, 13). «Ne contristez pas l’Esprit saint de Dieu, dans lequel vous avez été marqués d'un sceau pour le jour de la rédemption » (Éphés., IV, 30). Concluons ces considérations sur la dérivation de la sainteté du Christ en disant que le second et le plus important des éléments de l’âme créée de l’Église entière, c’est la grâce du Christ, pour autant qu étendue par l'Esprit saint â toute l'Église par le contact des sept sacrements de la loi nouvelle, elle est pleinement christique et christoconformante. 3. La dérivation de la royauté du Christ dans les pouvoirs juridictionnels Le Christ, dit saint Thomas, qui est pour l’Église comme la tête pour le corps, se fait sentir à elle, tant qu’il vit au milieu d’elle, de deux manières : en la mou­ vant secrètement du dedans, interiori influxu ; et en l’instruisant ouvertement du dehors, exteriori guberna.Hone · 8^ . a) La nécessité évangélique d'une instruction exté­ rieure pour le salut du monde Pourquoi le Christ a-t-il voulu instruire du dehors et extérieurement les hommes, quand il a formé son Église ? Est-ce qu’il ne pouvait pas lui communiquer du dedans tous les biens : non seulement le pouvoir sacerdo­ tal, la grâce sanctifiante, mais encore les clartés de la vérité ? N’est-il pas la lumière dont les rayons s’en vont chercher mystérieusement les âmes au sein des pires 82. III, qu. 8, a. 6. DÉFINITION ANALYTIQUE 1067 ténèbres ? Certes ! D’ailleurs, même quand il enseigne du dehors ses disciples il faut par surcroît qu’il éclaire leur intelligence de l’intérieur : « Notre cœur n’était-il pas tout brûlant au-dedans de nous, lorsqu’il nous par­ lait en chemin et qu’il nous expliquait les Écritures ? » (Luc, XXIV, 32). De deux hommes qui, au-dehors, voient le même miracle et entendent la même prédication, dit saint Thomas, d’où vient que l’un croit et que l’autre ne croit pas ? C’est que la foi dépend ultimement d’une lumière intérieure qui nous pousse à consentir, c’est-àdire de la motion illuminatrice de la grâce83. Et cepen­ dant, le Sauveur, qui pouvait éclairer son Église seule­ ment de l’intérieur, a voulu la rassembler autour de lui par la prédication extérieure des années de sa vie publique. Il continue, du haut du ciel où il réside (Marc, XVI, 19), d’illuminer invisiblement le monde : ne faut-il pas qu’il ouvre en secret le cœur de Lydie la marchande de pourpre, pour quelle écoute la prédication de Paul (Act., XVI, 14), ne faut-il pas qu’il donne intérieurement aux Ephésiens « ces yeux illuminés du cœur » sans quoi ils ne comprendraient jamais l’espérance de leur vocation (Éphés., I, 18)? Et néanmoins il est indispensable que les disciples continuent de prêcher extérieurement toutes les nations et tous les siècles : « Allez donc, enseignant toutes les nations... Voici que je suis avec vous tous les jours jusqu’à la consommation du temps » (Mt., fin). Chose étrange, Paul le docteur des prévenances secrètes de la grâce, sera justement l’apôtre qui magnifiera le plus la prédication orale : « Comment croiraient-ils en celui qu’ils n’ont pas entendu ? Et comment entendraient-ils, si personne ne prêche ? Et comment prêcherait-on, si l’on n’a pas été envoyé ? Selon qu’il est écrit : Qu’ils sont 83. II-II, qu. 6, a. 1. 1068 να/1 - l’âme créée de l’église beaux Us pieds de ceux qui annoncent un bonheur!» (Rom., X, 14-15). Comment Saul aurait-il pu oublier, en effet, que le Seigneur ne lui était apparu que pour le rendre aveugle et l’envoyer à Ananie ? (Act., IX, 6). Tant que durera ce monde, les lumières intérieures n’évacueront pas la prédication de l’Evangile, l’annonce extérieure de la bonne nouvelle. L’exigence de cette pré­ dication extérieure est inscrite dans le mystère même de l’incarnation. Qu’a donc voulu le Verbe, la Parole éter­ nelle quand il a formé le dessein de s’incarner ? Il a voulu que retentît, au milieu de voix humaines porteuses de messages qui ne sont qu’humains et où soient mêlées l’erreur et la vérité, une voix humaine porteuse d’un message qui serait divin. Il a voulu de la sorte que le salut suprême, éternel, divin, fut proposé aux hommes sous une forme hautement humaine, à la manière d’une invitation souvent très douce, quelquefois commina­ toire, toujours amoureuse. Il a voulu, en fin de compte, que l’homme eût l’inconcevable privilège de donner à Dieu cette chose que Dieu, qui ne manque de rien, a pourtant voulu mendier de lui : une marque de préfé­ rence et de libre choix. Et en disposant qu’après son départ pour le ciel au jour de l’Ascension la révélation divine serait transmise par des hommes à d’autres hommes, et par des générations humaines à d’autres générations humaines, il a voulu lier les hommes entre eux dès ici-bas par des chaînes divines84. 84. « Dieu désire rant que le gouvernement et la conduite de l’homme soit par un autre homme son semblable et que l’homme soit régi et gouverné par la raison naturelle, qu’il veut totalement qu’on ne croie avec assurance les choses qu’il nous communique surnaturellement et qu’on ne s’y fie avec force et sécurité, jusqu’à ce qu'elles aient passé par ce canal humain de la bouche de l’homme... Ce qui est tellement véritable que saint Paul ayant longtemps prêché l’Évangile, qu’il avait appris de Dieu, non des hommes, néanmoins, il DÉFINITION ANALYTIQUE 1069 b) Le pouvoir royal d'enseigner est transmis du Christ a son Église par délégation, non par consécration ou par infusion Le Christ, qui s’est fatigué de prêcher, d’enseigner, a donc voulu que son Église pût être, tout comme lui, prê­ cheuse, enseignante, annonciatrice de l’Évangile. Il lui a communiqué, par voie de délégation, non par voie de consécration comme pour les caractères sacra­ mentels ou d’infusion comme pour la grâce, un mandat divin, une mission, un pouvoir juridictionnel divin, pour quelle pût enseigner avec autorité toutes les nations jusqu’à la fin du monde. Le pouvoir de juridiction conféré ainsi à l’Église est une participation, une émanation du pouvoir royal du Christ, du pouvoir par lequel le Christ, au temps de sa vie mortelle, a voulu former et vivifier son Église en l’instruisant du dehors. c) Trois notions connexes: juridiction, assistance, docilité Nous touchons ici à un point où se nouent trois notions distinctes dont il importe de montrer l’étroite interdépendance : ne se put mettre en repos, jusqu’à ce qu’il s’en allât en conférer avec saint Pierre et les Apôtres, de peur, dit-il, que par aventure je ne cou­ russe ou n eusse couru en vain — ne se tenant pas pour assuré, jusqu’à ce que l’homme lui eût donné la sécurité. Certes ! cela me paraît être une chose remarquable, Paul, que celui qui vous révéla cet Évangile, n’ait pu vous révéler à coup sûr la faute que vous pouviez faire dans la prédication de sa vérité... Souvent Dieu dit une chose, et non le moyen de l’exécuter. Parce que, d’ordinaire, tout ce qui se peut faire par l’industrie et par le conseil humain, Il ne le fait ni ne le dit... » Saint Jean de LA Croix, Montée du Carmel, livre II, ch. XXII ; Silverio, t. II, pp. 188 et 190; trad. Lucien-Marie de Saint-Joseph, pp. 249 et 252. 1070 VI/1 - l’âme créée de l’église 1° la notion de Renseignement d'autorité ou du pouvoir royal de juridiction (exterior gubernatio) ; 2° la notion de la lumière prophétique d’assistance, nécessaire pour entourer de divines garanties cet ensei­ gnement de l’Église ; 3° la notion de docilité, prise dans son sens le plus profond d’obéissance théologale ou morale suivant les cas ; docilité, obéissance qui est, elle, une valeur directe­ ment sanctifiante, dont l’apparition dans le sein du monde est conditionnée par l’enseignement d’autorité et par l’assistance prophétique, et qui représente, nous aurons à l’expliquer davantage, l’ultime valeur détermi­ nante, nécessaire pour constituer l’Église dans son acte achevé. Précisons la nature de ces trois notions. d) La juridiction : quelle doit être elle-même ensei­ gnée du dehors pour être enseignante ati-dehors 1. Pour le Christ enseignant, personne ne l’a instruit du dehors par voie d’enseignement. Il n’écoutait que la doctrine intérieure du Père céleste : « Je suis venu au nom de mon Père » (Jean, V, 43). « Ma doctrine n’est pas de moi mais de celui qui m’a envoyé» (vil, 16). « Celui qui m’a vraiment envoyé, vous ne le connaissez point ; moi je le connais parce que je suis d’auprès de lui » (vil, 28-29). « Celui qui m’a envoyé est véridique et ce que j’ai entendu de lui, je le dis au monde » (vin, 26). 2. Pour les apôtres, ils ont été instruits du dehors, par voie d’enseignement, non seulement par le Christ, mais aussi, parfois, par d’autres apôtres. C’est des autres dis­ ciples que Thomas apprend l’apparition du Sauveur res­ DÉFINITION ANALYTIQUE 1071 suscité (Jean, XX, 25) ; et que Paul apprend ce qui concerne la mort et les apparitions du Sauveur : « Je vous ai enseigné en premier lieu ce que j’ai aussi reçu » (I Cor., xv, 3). Même, selon bien des commentateurs, c’est médiatement que Paul aurait appris du Sauveur ce qui concerne la Cène (I Cor., XI, 23)85. Cependant, la plénitude de la révélation a été communiquée aux apôtres immédiatement, dans l’illumination de l’Esprit de Pentecôte. 3. Comment, depuis leur départ, le magistère ensei­ gnant de l’Eglise est-il éclairé ? Dans quelle mesure est-il instruit du dehors, par voie d’enseignement, et dans quelle mesure du dedans, par voie de prophétie ? D’où lui vient le contenu de son message déclaratif86 ? Le mandat royal que l’Eglise a reçu du Christ n’est pas d’enseigner une nouvelle doctrine, une nouvelle révéla­ tion. Il est d’enseigner la doctrine apportée à la terre en une seule fois par le Christ, communiquée par lui-même et par ses apôtres à l’Eglise primitive par voie orale (c’est la Tradition, avec majuscule) et par voie écrite (c’est l’Écriture), et dont les données, orales ou écrites, consti­ tuent le dépôt révélé, objet de la foi catholique. Ce dépôt révélé, tant oral qu’écrit, s’achève au moment où s’achève la prédication personnelle des apôtres87. Aucune révélation nouvelle ne pourra y être ultérieurement ajou­ tée. La mission enseignante, le magistère de l’Eglise est de le transmettre à travers les générations (voilà la tradi­ 85. E. B. ALLO, Première Épître aux Corinthiens, Paris, 1934, p. 277. 86. Sur la division du message en message déclaratif et en message canonique, voir L’Église du Verbe incarné, t. I, p. 177 [dans la présente édition : vol. I, p. 331]. 87. Cf. la 21e proposition condamnée dans le Décret Lamentabili, 3 juillet 1907; Denz., n° 2021. 1072 VI/1 - l’âme créée de l’église tion cette fois-ci avec minuscule) à la manière, non pas d’une chose inerte comme un lingot d'or, mais d'une réalité vivante comme un grain de sénevé, qui ne conserve son identité qu’en explicitant ses richesses latentes88. Or, comment le magistère, s’il ne commence par écouter, pourra-t-il assurer la transmission vivante de la doctrine enseignée extérieurement par les apôtres ? « O Timothée, garde le dépôt... Prends modèle sur les dis­ cours sains que tu as entendus de ma bouche. Garde le bon dépôt, par [l’assistance de] l’Esprit saint qui habite en nous» (I Tim., VI, 20; II Tim., I, 13-14). La pre­ mière tâche du magistère déclaratif est de se laisser ensei88. « L’Église primitive a donc reçu des apôtres le dépôt intégral de la sainte Écriture et de la Tradition, et il n’y a plus lieu d’attendre désormais une nouvelle révélation. Mais elle n’a pas hérité des apôtres cette lumière infuse dont Dieu les avait dotés pour saisir d’un seul coup tout le sens divin des formules révélées, qui n’y est pas formelle­ ment exprimé. Ces formules apostoliques, d’origine divine et révélée, sont exprimées en un langage purement humain : et les formules humaines n’arrivent jamais à traduire la virtualité et toute la significa­ tion quelles possèdent implicitement, surtout quand elles sont desti­ nées à exprimer les sublimes et fécondes réalités divines. Ces formules ressemblent à des semences pleines de vie, ou mieux encore à des arbres gonflés de sève, n’attendant qu’une occasion propice pour manifester, sous forme de branches, de fleurs et de fruits, la virtualité et la vie qu'ils contiennent réellement ». F. MaRIN-Sola, L’évolution homogène du dogme catholique, Fribourg, 1924, t. I, p. 59. Le mot tradition, transmission, paradosis, a trois sens distincts. Il signifie: 1° la transmission par le Christ et les apôtres d’une révéla­ tion faite à l’Église primitive (sens actif), et le contenu de cette révé­ lation (sens passif) ; 2° cette première transmission s’étant faite par voie orale ou écrite, prend le nom de Tradition dans le premier cas et d’Écriture dans le second; 3° la transmission du dépôt divinement révélé, clos à la mort du dernier apôtre, est confiée au magistère divi­ nement assisté pour le garder et le désenvelopper. Cf. « Dépôt divine­ ment révélé et magistère divinement assisté», Nova et Vetera, 1950, pp. 292-301. DÉFINITION ANALYTIQUE 1073 gner pour pouvoir enseigner ; de se rendre totalement attentif, totalement perméable à l’enseignement magistériel des siècles antérieurs pour le passer aux siècles futurs ; de remonter notamment jusqu’aux racines du dépôt révélé lorsqu’il est mis en demeure d’en prolonger plus avant l’explicitation. D’où son constant souci de se référer à l’enseignement du passé à chaque nouvelle défi­ nition dogmatique, son insistance à déclarer qu’il a tou­ jours tenu implicitement — en tant qu’incluse dans une donnée expresse du dépôt — la vérité qu’il définit mainte­ nant explicitement. Avant tout, le magistère demande à être enseigné pour être enseignant. On doit comprendre d’abord comment il est instruit du dehors par voie d’enseignement, si l’on veut comprendre ensuite comment il est instruit du dedans par voie de prophétie. Son instruction par voie d’enseignement est première ; son instruction par voie de prophétie est seconde. e) La lumière d'assistance 1. Pour écouter la doctrine enseignée par les apôtres et la transmettre à travers les siècles, le magistère est éclairé intérieurement par une lumière de prophétie. Ce n’est pas la lumière prophétique de révélation qui fait connaître aux apôtres, de la part de Dieu, des vérités encore ignorées. Ce n’est pas non plus la lumière prophétique à'inspi­ ration qui porte les apôtres à exprimer au-dehors la révé­ lation, par oral ou par écrit, selon que Dieu le veut. C’est la lumière prophétique éé assistance. Elle présup­ pose qu’un message est venu de Dieu par révélation, qu’il a été formulé par inspiration, que ceux qui en ont reçu le dépôt ont à user de toutes leurs ressources pour le conserver en l’expliquant. Elle soutient leur marche et 1074 vi/1 - l’âme créée de l’église leur effort, mais ne les supplée pas. Elle garantit la droite intelligence du dépôt par le magistère, sa conservation et son explication ininterrompues à travers les âges. 2. Nous avons parlé jusqu’ici de l’assistance absolue réservée à la juridiction déclarative. A la juridiction canonique, qui porte sur ce qui est en connexion plus ou moins prochaine avec le message déclaratif, est réservée une autre sorte d’assistance, non plus absolue, mais pru­ dentielle, qui comporte plusieurs degrés8990 . 3. Ce qui fait face au message déclaratif, assisté d’une manière absolue, c’est de la part du fidèle, une adhésion surnaturelle d’ordre théologal. Ce qui fait face au message canonique, assisté d’une manière prudentielle, c’est une adhésion surnaturelle d’ordre moral™. f) L'obéissance a ΓÉvangile, ou l'orientation juridic­ tionnelle en tant qu'intériorisée Le Christ confère donc à son Église des pouvoirs juri­ dictionnels qu’il promet d'assister et qui ont mission de transmettre le message évangélique à la manière d’une doctrine vivante. 1. Le message évangélique peut être considéré en tant qu’il est prêché au-dehors, et en tant qu’il est accueilli dans les cœurs. La prédication extérieure du message évangélique ne saurait être une fin. Elle agit à la manière d’une cause morale, c’est-à-dire en proposant, en avertissant, en per­ suadant. Elle relève de ce qui est avant-dernier, non de 89. « Les degrés de l’assistance juridictionnelle », dans L'Église du Verbe incarné, t. L pp. 397-406; cf. pp. 459-462 de la lère édition ; [dans la présente : vol. I, pp. 676-689 et 771-776]. 90. Ibid., p. 460 [vol. I : pp. 772-773]. DÉFINITION ANALYTIQUE 1075 ce qui est dernier : « Le semeur sortit pour semer. Et tan­ dis qu’il semait une partie du grain tomba le long du chemin, et elle fut foulée aux pieds, et les oiseaux du ciel la mangèrent... » (Luc, VIII, 5). Bien quelle soit toujours colorée des feux de la sainteté du Christ et de son Église, elle représente de soi une lumière non pas immédiate­ ment sanctifiante mais prophétique. L’acceptation intérieure du message évangélique est le but et le fruit de toute cette prédication. Elle relève non plus de l’ordre des moyens mais de l’ordre des fins. Elle est cette obéissance dont aime à parler l’Écriture : « Tous n’ont pas obéi à l'évangile » (Rom., X, 16). « Nous capti­ vons toute pensée sous l'obéissance au Christ» (II Cor., X, 5). « Paul, serviteur du Christ Jésus, apôtre par son appel, mis à part pour [annoncer] l’évangile de Dieu, qu’il avait promis par ses prophètes dans les Écritures saintes, touchant son Fils... Jésus Christ, notre Seigneur, par lequel nous avons reçu la grâce de l’apostolat pour \ obéissance de la foi parmi toutes les nations... » (Rom., I, 1 à 5). Pour l’obéissance de la foi, cela signifie : en vue de cette obéissance qui s’appelle la foi ; et aussi : afin que soit accueilli avec obéissance le message de la foi91. «Ayant donc purifié vos âmes dans {'obéissance de la vérité... » (I Pierre, I, 22). Cette obéissance par laquelle l’enseignement du magistère passe au-dedans des cœurs, voilà ce que nous proposons d’appeler l’orientation juri­ dictionnelle en tant qu’intériorisée. Elle représente une lumière non plus prophétique mais sanctifiante. Ainsi, la dérivation de la royauté du Christ dans son Église se fait comme en deux étapes : 1° par la prédica­ tion extérieure du message juridictionnel ; 2° par l’acceptation intérieure de ce message. La prédication extérieure a pour fin de provoquer l’acceptation inté91. Cf. M.-J. LAGRANGE, Épître aux Romains, 1916, p. 10. 1076 vi/i - l’âme créée de l’église rieure. Elle en est la cause, mais une cause seulement morale, qui agit par manière de proposition, d’avertisse­ ment, d’invitation. Et c’est pourquoi l’effet peut être ici meilleur que la cause. Il est meilleur d’adhérer de foi divine au message évangélique que de le définir prophé­ tiquement. Il était meilleur pour Pie IX de croire le dogme de l’immaculée Conception, comme fils de l’Eglise, que de le définir solennellement, comme chef de l’Église92. 2. Le pouvoir juridictionnel de l’Église a deux activi­ tés, deux fonctions, l’une principale et déclarative, l’autre secondaire et canonique. La fonction déclarative a pour fin de conserver et d’expliciter dans le monde la révélation évangélique. Elle est assistée d’une manière absolue. Elle suppose de la part du chrétien une obéissance fondée immédiatement sur l’Autorité incréée de Dieu révélant93 : le pouvoir juri­ dictionnel n’intervenant alors que pour conditionner l’assentiment de foi, non pour le fonder. Telle est l’obéis­ sance de la foi théologale. La fonction canonique a pour fin de décréter toutes les mesures destinées à protéger de près ou de loin le message révélé. Elle est assistée prudentiellement. Elle suppose de la part du chrétien une obéissance fondée immédiatement sur l’autorité créée du pouvoir juridic­ tionnel, qui agit alors en son propre nom. Cette obéis­ sance est elle aussi surnaturelle et infuse, car elle se réfère 92. Cf. CajETAN, Apologia de comparata auctoritate papae et conci­ lii. n° 595 : « Papa inquantum singularis persona est filius Ecclesiae, quia regeneratus, nutritus et instructus ab Ecclesia sicut ceteri. Inquantum autem papa, est filius Ecclesiae integrae, hoc est cum suo capite ; et pater, non filius, reliquae Ecclesiae ». 93. Concile du Vatican, Session III, Const, de fide cath., ch. Ill ; Denz., n° 1789. DÉFINITION ANALYTIQUE 1077 à une autorité spirituelle ; mais elle est d’ordre moral, et non plus théologal, car l’autorité qui la fonde et à qui elle s’abandonne est créée. L’orientation juridictionnelle du pouvoir déclaratif est intériorisée dans le cœur de l’Église par l’obéissance théologale, et l’orientation juridictionnelle du pouvoir canonique par l’obéissance morale. Il n’est rien qui puisse, à l’égal de la divine charité, favoriser cette double intériorisation des mesures juridictionnelles. La charité semblera même souvent les pressentir, les provoquer, et se porter à leur rencontre. Elle connaturalise le cœur de l’Eglise aux plus profonds mouvements du pouvoir juri­ dictionnel. « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera... Celui qui ne m’aime pas ne garde pas mes paroles » (Jean, XIV, 23-24). 3. A la manière dont il dirigeait ses apôtres au cours de sa vie mortelle, le Christ continue de diriger ses dis­ ciples du sein de sa vie glorieuse. Il refuse de leur donner de l’intérieur tout ce dont ils ont besoin pour lui devenir pleinement conformes, et il continue de les tenir dans la dépendance du message qu’il a fait retentir dans le temps et dont les ondes doivent remplir les siècles. La raison d’une telle économie demeure pour chacun de nous, laïque, prêtre, évêque ou pape, toute mystérieuse. Tout ce que nous voyons, c’est quelle tient à l’essence même de l’économie de l’incarnation. La Parole infinie qui se profère au-dehors dans le discours d’une langue humaine, voilà 1’ordre qui a présidé à la naissance de l’Eglise du Verbe fait chair, et qui doit assurer son iden­ tité jusqu’à la fin de son déploiement. 1078 vi/i - l’âme créée de l’église g) L'influence rectrice de l’Esprit saint Nous avons dit que l’âge de l’Esprit saint est l’âge où, sous l’influence de l’Esprit saint et de la Trinité tout entière, les privilèges du Christ, qui est la tête, se diffu­ sent dans le monde pour former l’Eglise, qui est le corps. C’est en effet à l’Esprit saint comme à sa Cause suprême qu’il faut faire remonter l’effusion par laquelle le Christ imprime une mystérieuse ressemblance de son sacerdoce, de sa sainteté, de sa royauté sur toute son Église94. Voilà pourquoi l’Ècriture attribue fréquemment à l’Esprit saint l’illumination par laquelle le message évan­ gélique apporté par le Sauveur est transmis à ses disciples : soit que l’on considère ce message surtout du côté de sa prédication prophétique : « Vous recevrez la force du Saint-Esprit qui viendra sur vous, et vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée, en Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre » (Act., I, 8) ; soit qu’on le considère surtout du côté de son accepta­ tion sanctifiante : « Parce que vous êtes des fils, Dieu a envoyé l’Esprit de son Fils dans vos cœurs, lequel crie : Abba! Père!» (Gal., IV, 6). Mais les deux aspects sont souvent mêlés. C’est ainsi que les promesses du grand discours d’après la cène semblent envelopper à la fois la prédication prophétique (celle des apôtres, et celle de leurs successeurs) et son acceptation sanctifiante : « Je prierai le Père et il vous donnera un autre Paraclet afin qu’il soit avec vous à jamais, l’Esprit de vérité que le monde ne peut recevoir... Le Paraclet, l’Esprit saint que le Père enverra en mon nom, vous enseignera tout et 94. A prof s du caractère sacramentel et de la grâce sacramen­ telle, qui représentent de soi des apports d’ordre ontologique, nous avons parlé d’une sibilation de l’Esprit saint. Mais l’orientation juri­ dictionnelle, qui se communique par voie de proposition extérieure, est de soi d’ordre intentionnel: aussi ne parlons-nous que d’une influence rectrice de l’Esprit saint. DÉFINITION ANALYTIQUE 1079 vous remettra dans l’esprit tout ce que je vous ai dit... Quand il sera venu, lui, l’Esprit de vérité, il vous guidera vers la vérité tout entière ; il ne parlera pas de sa propre initiative, mais il redira tout ce qu’il aura entendu, et il vous annoncera les choses à venir» (Jean, XIV, 16-17; 26; XVI, 13). Ainsi, l’illumination évangélique, à tous ses degrés, vient à la fois du Christ et de l’Esprit saint. C’est elle qui va constituer le troisième élément de l’âme de l’Église. h) Le troisième élément de Pâme créée de l’Église Le troisième des éléments de l’âme créée de l’Église, c’est l’illumination évangélique pour autant quelle est annoncée publiquement dans le monde afin d’être crue secrètement dans les cœurs. Ou encore : c’est la prédica­ tion royale du Christ : d’abord pour autant que les pouvoirs juridictionnels lui font écho d’une manière autorisée, divi­ nement assistée, et en ce sens, prophétique ; et surtout pour autant quelle aboutit de la sorte à être surnaturellement acceptée et pleinement intériorisée dans les cœurs des fidèles. Plus brièvement : c’est l’orientation juridictionnelle en tant que dispensée par la prédication de l’Évangile et en tant c\\x intériorisée par l’obéissance à l’Évangile. Le Catéchisme catholique du cardinal Gaspari énumère, parmi les composantes de l’âme de l’Église, le « principe d’autorité » assisté par l’Esprit saint et 1’« obéissance interne aux chefs »95. 95. « Question 135. Qu’entend-on par l’âme de l’Église? Réponse. Par l’âme de l’Église on entend ce qui est le principe invisible de la vie spirituelle et surnaturelle de l’Eglise ; c’est-à-dire : l’orientation perpétuelle du Saint-Esprit, le principe d’autorité, l’obéissance interne aux chefs, la grâce habituelle avec les vertus infuses, etc. ». Éditions du Cerf, Paris, 1932, p. 162. 1080 VI/1 - L’ÂME créée de l’église La détermination que nous venons de faire de chacun des trois éléments dont se compose fame créée de l’Église va nous permettre, par manière de conclusion et de résumé, d’en proposer plusieurs définitions ; ou plutôt d’en proposer une définition identique, mais prise de plusieurs points de vue. III. La définition de l’âme créée de l’Église VUE SOUS DIVERS ANGLES La définition de l’âme créée de l’Église se modifiera suivant les points de vue que l’on adoptera, et notam­ ment suivant les diverses manières légitimes dont on choisira de considérer les rapports mutuels du Christ et de l’Église96. Essayons, en résumant les données précé­ dentes, de la saisir sous ses multiples aspects. 1. Ramassée dans le Christ individuel, en qui est son principe, l’âme créée de l’Église pourra se définir : la grâce capitale du Christ, avec le triple privilège du sacer­ doce, de la sainteté, de la royauté, dans la mesure où, sous l’efficience de l’Esprit saint, elle est COMMUNICABLE à toute l’Église. 2. Prenons maintenant le mot Église dans son sens le plus large, où il désigne le Christ total, le tout organique dont le Christ est la tête et dont les chrétiens sont les membres97. L’âme créée de l’Église se définira : la grâce 96. «Sur trois manières de circonscrire le mot Église...», dans L'Église du Verbe incarné, t. I, p. 63 [vol. I : pp. 112-118]. 97. Saint THOMAS, IVSent., dist. 49, qu. 4, a. 3, ad 4 : « Alio modo accipitur Ecclesia secundum quod nominat caput et membra con­ juncta... » CAJETAN appelle « Ecclesia integra», l’Église prise avec DÉFINITION ANALYTIQUE 1081 capitale du Christ, avec le triple privilège du sacerdoce, de la sainteté, de la royauté, dans la mesure où, sous l’effi­ cience de l’Esprit saint, elle est COMMUNIQUÉE à tous les chrétiens. D’une manière plus complète, on pourra dire : l’âme créée de l’Église est la grâce capitale du Christ pour autant que, sous l’influence de l’Esprit saint, elle s’épanche audehors pour nous faire participer: a) au sacerdoce du Christ, par les trois caractères sacramentels du baptême, de la confirmation et de l’ordre ; b) à la sainteté du Christ, par la grâce pleinement christoconformante des sept sacrements de la loi nouvelle ; c) à la royauté du Christ, par le message évangélique, dispensé par les pouvoirs juridictionnels et intériorisé dans le cœur des fidèles. 3. Mais l’Église peut être distinguée du Christ comme le corps de la tête, et l’Épouse de l’Époux. C’est un sens plus restreint98. Que va devenir alors la définition de l’âme créée de l’Église ? Nous dirons que l’âme créée de l’Église est l’empreinte de la grâce capitale du Christ : de son sacerdoce, dans les trois caractères sacramentels ; de sa sainteté, dans les sept grâces sacramentelles ; de sa royauté, dans la prédication prophétique du message évangélique. Dans cette perspective, le Christ est considéré comme extérieur à l’Église99. La grâce capitale du Christ, avec son triple privilège, devient, elle aussi, extérieure à l’âme créée de l’Église. Tout à l’heure, ce qu’on appelait âme le Christ et son vicaire. Apologia de comparata auctoritate papae et concilii, n° 595. 98. « Quandoque (nomen Ecclesiae) nominat tantum modo Corpus quod Christo conjungitur sicut Capiti ; et sic tantum, Ecclesia habet rationem Sponsae ». Saint THOMAS, loc. cit. 99. « Sic vero Christus non est Ecclesiae membrum, sed est caput influens omnibus Ecclesiae membris ». Ibid. 1082 VI/1 - l’âme créée de l’église créée de l’Église, c’était la grâce capitale du Christ avec l’empreinte quelle déposait dans les chrétiens. Mainte­ nant, ce qu’on appelle âme créée de l’Église, c’est unique­ ment l’empreinte de la grâce capitale dans les chrétiens. 4. Le mot Église est pris dans un sens encore plus res­ treint pour désigner l’Église telle quelle peut se trouver dans chacun des fidèles. L’Église est alors opposée à la hiérarchie comme l’effet à sa cause. Ainsi Paul recom­ mande aux presbytres-épiscopes de Milet de paître le troupeau sur lequel l’Esprit saint les a établis, à savoir l’Église de Dieu (Act., XX, 28). L’Église est alors définie : l’ensemble des fidèles100, le peuple fidèle dispersé dans le monde101. De ce point de vue, l’âme créée de l’Église est l'em­ preinte de la grâce capitale destinée a tous les fidèles pour les faire participer: au sacerdoce du Christ par les caractères sacramentels du baptême et de la confirmation ; à la sain­ teté du Christ par les diverses grâces sacramentelles dont la plus haute sera celle de l'eucharistie ; à la royauté du Christ par l’orientation juridictionnelle en tant qu'intériorisée. On reconnaît dans cette définition les trois éléments composants de l’âme créée de l’Église : caractères sacra­ mentels, grâces sacramentelles, orientation juridiction­ nelle. Mais sous une forme simplifiée qui peut être com­ mune à chacun des fidèles. Ce qui relève de la hiérarchie, à savoir le caractère sacramentel de l’ordre et l’orientation juridictionnelle en 100. * Una vero est fidelium universalis Ecclesia ». Concile de Latran, De fide cath., ch. I ; Denz., n° 430. « Ad hanc enim Ecclesiam (Romae Fundatam)... necesse est omnem convenire Ecclesiam, hoc est eos qui sunt undique fideles». Saint IRÉNÉE, Adversus haereses, livre III, ch. HI, n° 2 ; P. G., t. VII, col. 849. 101. « Ecclesia est populus fidelis per universum orbem disper­ sus ». Catéchisme du concile de Trente, panic I, ch. X, n° 2. DÉFINITION ANALYTIQUE 1083 tant que dispensée, apparaît maintenant comme exté­ rieur à l’Église, à la façon dont la cause est extérieure à son effet. Le Christ, avec la grâce capitale dont son âme est emplie, apparaît, lui aussi, comme extérieur à l’Église ; selon l’expression citée tout à l’heure de saint Thomas, « il n’est plus un membre, il est la tête dont l’influence s’exerce sur tous les membres de l’Église ». Ainsi, suivant la manière dont on considère l’Église, on voit certaines des valeurs spirituelles qui lui sont unies indissolublement, ou bien entrer dans la définition de son âme créée, c’est-à-dire de sa cause formelle intrin­ sèque ; ou bien au contraire passer dans le rang de ses causes efficientes et extrinsèques. On comprendra mieux, dès lors, pourquoi, dans le premier tome de L'Eglise du Verbe incarné^ où nous entre­ prenions de traiter la question de la cause efficiente de l’Église, dans toute son ampleur, il nous fallait avoir devant les yeux l’Église telle quelle peut se trouver en chacun des fidèles, et choisir la plus restreinte des défini­ tions de l’Église, celle qui la présente comme issue de la hiérarchie. La toute-puissance de la Déité, la sainte humanité du Christ, la hiérarchie, prenaient rang, en conséquence, parmi les causes efficientes de l’âme créée de l’Église et de son être tout entier. Telles sont les diverses définitions de l’âme créée de l’Église102. Elles concernent un même faisceau de réalités, 102. Il est vrai que Ton donne souvent le nom d’Église à tel ou tel de ses pouvoirs juridictionnels. Mais c’est par synecdoque, en ramenant le plus au moins. Les pouvoirs juridictionnels sont essentiels à l’Église d’icibas. Ils l’engagent suivant leur qualité et le degré de leur assistance. Mais ils ne sont pas lÉglise. Ils ne représentent qu’un des deux pouvoirs de la hiérarchie. Et la hiérarchie elle-même tout entière n’est pas l’Église. Elle est au service de l'amour et de la sainteté de l’Église : « Pierre est ministre de l’Église. Non quelle soit au-dessus de lui par le pouvoir ; mais 1084 vi/i - l’âme créée de l’église mais considéré de plusieurs points de vue. En chacune d’elles se retrouvent les trois mêmes éléments composés. Précisément, cette composition tripartite soulève des questions que nous aurons à éclaircir en essayant de donner une définition, non plus causale et analytique, mais directe et synthétique de l'âme créée de l’Eglise. Au terme de cette étude, rappelons la signification fonctionnelle de l’âme créée de l’Église, telle que nous venons de la définir. Λ Si nous la comparons à l’Esprit saint, Ame incréée de l’Église, nous dirons, du point de vue de la causalité effi­ ciente, que l’âme créée de l’Église est l’effet, l’empreinte, la sigillation de l’Esprit saint touchant l’humanité ; et nous dirons, du point de vue de la causalité matérielle, quelle est l’ultime disposition par laquelle l’humanité est préparée à recevoir l’Esprit saint. Comparée au reste de l’Église, l’âme créée de l’Eglise est la forme animatrice de son corps. Elle l’imbibe, le meut de l’intérieur, le façonne, le spiritualise, le divinise, avec une puissance que nos résistances peuvent mainte­ nant tenir mystérieusement en échec, mais qui sera capable au dernier jour de transfigurer même l’univers. parce qu'il applique son pouvoir à la servir. Le Seigneur lui-même n’at-il pas dit qu’il venait pour servir ? Quand donc le pape se déclare ser­ viteur des serviteurs de Dieu, il est dans la vérité. Mais l’Église est meilleure que le pape, comme la fin est meilleure que ce qui est pour elle... La papauté est pour l’Église, non inversement. Il est donc vrai que le pape n’est pas maître mais serviteur, et que l’Église le dépasse en bonté et en noblesse. Et il est vrai en même temps qu’il est son chef par le pouvoir. Papatus siquidem est propter Ecclesiam, et non e contrario. Unde ex hoc quod papa non est dominus, sed minister, et Ecclesia major bonitate et nobilitate, nihil habetur contra potestatem capitis ». CAJETAN, Apologia de comparata auctoritate papae et concilii, n° 517. 1085 IL DÉFINITION SYNTHÉTIQUE I. La charité en tant que pleinement christique, C’EST-À-DIRE « EN TANT QUE CULTUELLE, SACRAMENTELLE, ORIENTÉE », CONSTITUE L’ÂME CRÉÉE DE L’ÉGLISE Si l’Église est une maison, un temple où Dieu com­ mence d’habiter dès le lendemain de la chute, mais dont il ne fait sa pleine résidence qu’aux jours de l’incarnation et de la Pentecôte, en la disposant à cette dignité par une effusion jusqu’alors inouïe de la grâce du Christ, il est clair qu’il faudra regarder cette effusion comme étant, pour l’Église, sa cause formelle inhérente, son suprême principe de vie inhérent, en un mot, son âme inhérente et créée103, et l’on devra définir l’âme créée de l’Eglise en disant quelle est la grâce christique et christoconformante, parvenue, sous la loi nouvelle, à sa pleine éclo­ sion. Saint Thomas dit que la vie de l’âme, formelle­ ment, c’est la charité104. Cela vaut de toute l’Église. La vie de l’Église, formellement, c’est la charité, en tant que cette charité est un épanchement de celle du Christ, et qu’elle porte en elle la triple empreinte de son sacerdoce, de sa sainteté, de sa royauté. On résume tout en disant que l’âme créée de l’Église, c’est la charité en tant que cultuelle, sacramentelle et orientée. 103. «Anima dicitur esse primum principium vitae » S. THOMAS, I, qu. 75, a. 1. « Primum quo corpus vivit est anima ». I, qu. 76, a. 1. 104. « D’une manière efficiente {effective), Dieu est vie de l’âme par la charité, et vie du corps par l’âme. Mais d’une manière formelle, c’est la charité qui est vie de l’âme, comme l’âme est vie du corps, sed formaliter charitas est vita animae, sicut et anima vita corporis : d’où l’on peut conclure que l’union de la charité à l’âme est immédiate, comme celle de l’âme au corps ». II-II, qu. 23, a. 2, ad 2. 1086 VI/1 - l’âme créée de l’église 1. Unité, complexité, indivisibilité de l’âme créée de l’Église Dire que l’âme créée de l’Église, c’est la charité en tant que cultuelle, sacramentelle et orientée, c’est-à-dire en tant qu’affectée de certaines modalités, c’est affirmer que l’âme créée de l’Église est à la fois une et complexe. Elle est une\ sinon comment serait-elle pour l’Église une suprême cause formelle inhérente, un suprême prin­ cipe d’unité spécifique, d’opération et de vie ? Elle est complexe : l’âme créée de l’Église est la charité, non pas en tant que nue, mais en tant que revêtue de la triple modalité qui lui convient sous la loi nouvelle ; en d’autres mots, c’est la charité rassemblée autour du culte chrétien, à savoir autour de la perpétuation du sacrifice de la Croix et de la dispensation des sacrements ; portée à son plus haut point de christoconformité en raison de son passage à travers les sacrements ; orientée par les pou­ voirs juridictionnels. Bref, c’est la charité en tant que cul­ tuelle, sacramentelle, orientée. a) Définition descriptive et analytique par les trois éléments principaux On pourrait, il est vrai, convenir d’appeler âme créée de l’Église, âme totale de l’Église, l’ensemble des dons spirituels créés et permanents qui contribuent d’une manière plus ou moins prochaine à vivifier son corps. On aboutirait alors à une définition descriptive et analy­ tique. On dirait que l’âme de l’Église est faite de mul­ tiples éléments, ordonnés entre eux, qui se rattachent à trois sortes de dons spirituels : les pouvoirs sacramentels, les grâces sacramentelles, les clartés prophétiques des pouvoirs juridictionnels. La réunion de ces trois sones de dons spirituels est nécessaire pour constituer d’une manière plus ou moins DÉFINITION SYNTHÉTIQUE 1087 prochaine l’âme totale, le principe interne organisateur de l’Église. Ce principe interne est-il déjà présent chez les hommes qui vivent dans la grâce, mais qui, par igno­ rance invincible, sont étrangers aux sacrements ? Non, car de tels hommes, n’étant pas consacrés, ne peuvent participer à la continuation valide du culte instauré par le Christ en croix. De plus, s’il faut affirmer que la grâce peut être conférée même en dehors des sacrements — car nul ne saurait être, ni damné en raison d’une ignorance invincible des sacrements, ni sauvé sans la grâce — nous croyons, avec Jean de Saint-Thomas, que la grâce confé­ rée en dehors des sacrements n’est pas sacramentelle105. Où font défaut les caractères sacramentels et la perfec­ tion de la grâce sacramentelle, le principe organisateur de l’Église fait certainement défaut. Mais ce principe estil présent dans l’Église orientale dissidente, où se rencon­ trent non seulement les caractères sacramentels, mais encore les grâces sacramentelles ? Répondre oui, ce serait dire que l’Église dissidente orientale est l’Église vraie. Que manque-t-il donc en droit à ceux de ses fidèles qui sont justifiés ? Les forces surnaturelles qui sont en eux ne sont pas dirigées par les décisions tant déclaratives que canoniques, intérieurement acceptées, d’un pouvoir juri­ dictionnel en droit et de soi authentique. Un troisième élément est donc nécessaire pour constituer le principe organisateur de l’Église vraie : c’est la pleine orientation évangélique, en tant que, manifestée par les pouvoirs 105. « Dicitur, et melius, quod confiteri fidem veluti ex officio et sacramentaliter et ex conjunctione quadam et connaturalitate ad Christum et participatione ejus gratiae, non invenitur extra sacramen­ tum confirmationis... » III, qu. 62, disp. 24, a. 2, n° 30; t. IX, p. 291. «Si quaeras an gratia sacramentalis possit a Deo dari extra sacramenta, respondendum est quod sub ea formalitate qua sacramen­ talis est et quam participat ex reali influxu a Christi passione, non datur nisi per sacramenta de lege ordinaria... » Ibid., n° 56, p. 298. 1088 vi/l - l’âme créée de l’église juridictionnels, elle est acceptée et intériorisée par « l'obéissance à l’Évangile ». Voilà donc trois éléments, ordonnés entre eux : le caractère sacramentel, la grâce sacramentelle, l'orientation juridictionnelle intériorisée, dont on peut dire qu’ils composent l’âme totale de l’Église, son principe interne et organisateur. b) Passage de la définition analytique a la définition formelle Mais cette manière de définir l’âme de l’Église par un assemblage d’éléments, sans doute hiérarchisés, reste des­ criptive et analytique et ne peut être que provisoire. Elle ne représente pas une définition précise et formelle. Il faut donc aller plus avant. Parmi les dons spirituels qui contribuent diversement à vivifier l’Église, il faut remon­ ter jusqu’à un don suprême et indivisible, qui implique la présence de tous les autres à titre de causes dispositives plus ou moins prochaines et en qui tous les autres don­ nent leur fruit. C’est ce don qui tiendra dans l’Église le rôle d’ultime détermination formelle inhérente ; il sera l’âme créée et indivisible de l’Église, son premier prin­ cipe inhérent de vie et d’unité. Ce don suprême, c’est la charité de la loi nouvelle, c’est-à-dire la charité modifiée et enrichie par son triple rapport au culte chrétien, à la perfection des sacrements chrétiens, à la prédication chrétienne ; bref, la charité en tant que cultuelle, sacra­ mentelle, orientée. c) Bien qu'accidentelle et complexe, l'âme créée de ΓÉglise est indivisible Il n’en va donc pas de l’âme de l’Église comme de l’âme de l'homme. L’âme de l'homme est une forme indivisible d’ordre substantiel, excluant toute composition intrinsèque, car DÉFINITION SYNTHÉTIQUE 1089 elle est destinée à entrer avec la matière première dans la toute première composition d’où résulte l’être substan­ tiel de l’homme1"6. L’âme de l’Église est, elle aussi, une forme indivisible, mais destinée à rassembler, sur le plan d’une vie surnaturelle, des êtres déjà constitués dans leur être substantiel. En conséquence, elle ne peut être que d’ordre accidentel. Au plan naturel, « la forme d’un tout, lorsqu’elle pré­ suppose l’existence des parties composantes de ce tout et qu’elle n’a pas à leur donner leur premier être, est une forme qui est arrangement et ordre : telle par exemple la forme d’une maison ; et une telle forme est acciden­ telle »106 107. Autre exemple : la forme d’une communauté, qui résulte de la conspiration des volontés humaines orientées vers le bien commun par une autorité recon­ nue. Une forme accidentelle, on le voit par ce dernier exemple, n’est pas nécessairement toute simple, elle peut être complexe, supposer la présence de plusieurs élé­ ments distincts, par l’influence desquels elle est intrinsè­ quement modifiée et conduite jusqu’à son point d’achè­ vement ultime, afin de pouvoir alors informer indivisiblement toute une collectivité. Au plan surnaturel, la forme qui rassemble l’Église, est comparable à la forme accidentelle d’une communauté humaine. Elle n’est donc pas une forme absolument simple, qui exclurait toute composition intrinsèque. Au contraire, elle suppose, à titre de conditionnement, la présence de plusieurs éléments indispensables à sa constitution et dont elle porte en elle l’empreinte. Elle est une qualité surnaturelle (un habitus), à savoir la cha­ rité, intrinsèquement modifiée par des conditions d’épa­ nouissement propres à l’âge de la loi nouvelle et incon­ 106. S. 107. S. Thomas, I, qu. 75, a. 5. Thomas, I, qu. 76, a. 8. 1090 VI/1 - l’âme créée de l’église nues des âges de la loi ancienne et de la loi de nature. Qu un seul de ces éléments, et par conséquent qu’une seule de ces modalités intrinsèques de la charité fasse défaut, c’est Pâme de l'Eglise qui disparaît. Et c’est pour­ quoi nous disons que cette âme est indivisible108. Nous transposons à l’âme de l’Église ce que Jean de SaintThomas dit de l’âme humaine, à savoir quelle est indivi­ sible dans sa fonction informatrice, indivisibilis in infor­ mando, et quelle se réfère au corps organique suivant un mode non pas divisible, mais indivisible, ratione infor­ mationis non comparatur ad corpus organicum divisibili modo, sed indivisibili109 On ne saurait disjoindre les diverses fonctions et parties organiques d’un vivant supé­ rieur sans l’altérer substantiellement. Il en va pareille­ ment de l’Église. L’âme créée de l’Église est de 1’ordre de l’accident. Elle est une, complexe, indivisible. Quelle sorte d’unité estelle capable de conférer à l'Église ? d) Limité numérique interne de l’âme créée de l’Église Comment la charité qui, étant un accident, se multi­ plie numériquement suivant le nombre des sujets dans lesquels elle réside, peut-elle être pour le corps mystique 108. La version française officielle de l’encyclique Mystici corporis porte : « Si l’Église est un corps, il est donc nécessaire qu elle consti­ tue un organisme un et indivisible... ». Le texte latin dit seulement : « Quodsi corpus est Ecclesia, unum quiddam et indivisum sit opor­ tet... », A. A. S., 1943, p. 199. L’italien est conforme au latin: « Orbene, se la Chiesa è un corpo, è necessario che esso sia uno e indiviso... ». 109. Cursus phii, Phil, nat., pars III, qu. 2, a. 1 ; édit. Vivès, t. Ill, pp. 217-218. Le corps organique, chez les êtres suffisamment différenciés, n'est pas sectionnable ; la multiplicité des parties orga­ niques y est absolument requise pour la vie. L’Église n’est pas non plus un vivant sectionnable. A l’endroit où ses éléments se trouvent désagrégés, ce n’est déjà plus ou ce n’est pas encore l’Église. DÉFINITION SYNTHÉTIQUE 1091 de l’Église un principe d'unité numérique ? Comment la diversité numérique pourrait-elle engendrer l’unité numérique ? Ne semble-t-il pas que tout ce qu’il est per­ mis d’avancer c’est que la présence dans les divers membres de l’Église d’un accident spécifiquement le même, comme la foi vive - à savoir la foi épanouie dans l’espérance et la charité, ou, et cela revient au même, la charité nécessairement conditionnée par l’espérance et la foi - crée en eux tous une unité de similitude, non une unité numérique de confluence et de convergence ? L’objection s’évanouit à considérer attentivement la nature de l’âme créée de l’Église. Il est vrai, dit saint Thomas, que la foi, l’espérance, la charité sont numéri­ quement distinctes dans les divers membres du corps mystique110, et que la charité, diffusée par l’unique Esprit saint, se multiplie selon le nombre des membres du corps mystique. « Mais cette charité converge vers une Racine unique numériquement. La racine d’une activité, à proprement parler, c’est l’objet qui la spécifie. Du fait que c’est un Être unique numériquement, qui est cru et aimé de tous, il s’ensuit que la foi ou la charité de tous s’unifie dans une Racine immédiate (proxima) numéri­ quement unique, qui est son objet propre. En outre, la charité vient de l’Esprit saint (par qui elle est diffusée en nous), et qui est sa Racine première (cette fois-ci effi­ ciente) numériquement unique»111. La charité naît d’un Principe unique et tend à un Terme unique. Ainsi la charité, du fait quelle est essentiellement ten­ dance et relation transcendantale à son Amour, s’unifie par l’unité numérique, disons par l’unicité et la simpli­ cité infinie de son Amour. En outre, toujours d’après ce texte de saint Thomas, la charité demeure qualifiée par 110. Ill Sent., dise. 13, qu. 2, a. 2, quaest. 2, obj. 1. 111. Ibid, ad 1. 1092 VI/1 - l’âme créée de l’église l’impulsion motrice quelle reçoit de l’Esprit saint dont l’unité est infinie. Disons donc que la charité est l’âme de l’Église pour autant que l’Esprit saint, qui nous la donne à travers le Christ, décide, avec une liberté infinie, de l’appliquer à former, dès le temps présent, un Corps mystique au Christ et un Temple pour lui-même, et dépose en elle à cet effet la triple empreinte du sacerdoce, de la sainteté et de la royauté du Christ112. e) Résumé Concluons que l’âme créée de l’Église est complexe, mais que, cependant, elle informe indivisiblement l’Église. A la ressemblance de l’âme substantielle de l’homme qui, selon son essence, est tout entière dans le tout et tout entière dans chaque partie, mais qui déploie inégalement ses puissances et ses vertus dans le corps, en sorte quelle assimile par les fonctions végétatives, connaît par les sens, voit par l’œil, entend par l’oreille113, l’âme accidentelle et collective de l’Église est, selon son essence, tout entière dans le tout et tout entière dans chaque partie - nous aurons à montrer comment, rési112. C’est cette libre conduite de l’Esprit saint que CAJETAN est préoccupé d’affirmer dans son article sur le schisme, II-II, qu. 39, a. 1, n° II. On pourrait dire que le schisme est un péché contre la charité considérée, non pas d’une manière nue et abstraite, mais d’une ma­ nière concrète, et telle quelle est produite par l’Esprit saint dans le monde. Il est possible en effet d’imaginer un régime où les créatures auraient vécu dans la charité sans avoir à former le corps mystique du Christ : tel aurait été, s’il avait duré, le régime de la justice originelle. Mais le schisme déchire l’unité concrète des chrétiens rassemblés par l’Esprit saint autour du Christ en un corps mystique, auquel il assigne une tâche historique très précise, et auquel il demande que tous les hommes s’agrègent, s’ils veulent l’aimer comme il désire être aimé. 113. S. Thomas, I, qu. 76, a. 8. DÉFINITION SYNTHÉTIQUE 1093 dant chez les justes, elle est présente jusque chez les pécheurs -, mais en déployant diversement ses puissances et ses vertus dans les diverses fonctions et parties orga­ niques de l’Eglise ; en sorte qu’elle est pour la multipli­ cité des chrétiens un principe immédiat d’unification numérique si parfait, qu’ils deviennent le corps dont le Christ est la tête114, - l’unité du corps étant nécessaire­ ment homogène à celle de la tête. Cette âme créée de l’Eglise se définira formellement quand on dira quelle est la charité en tant que pleine­ ment christique, en tant que portée à un tel point de richesse et de perfection quelle conditionne un mode d’inhabitation de l’Esprit saint encore inconnu avant la loi nouvelle (cf. Jean, VII, 39). Plus précisément, c’est la charité à la fois cultuelle, sacramentelle et orientée : par cul­ tuelle, nous voulons dire modifiée et colorée par le drame cultuel inauguré sur la Croix en vertu du sacer­ doce du Christ, et tellement solidaire de ce drame, qu’étant née avec lui elle se perpétue avec lui ; par sacra­ mentelle, nous voulons dire modifiée et colorée par son passage à travers les sacrements de la loi nouvelle et ren­ due de ce fait pleinement conforme et conformante à la sainteté du Christ pèlerin ; par orientée, nous voulons dire modifiée et colorée par la direction qui lui est impri­ mée, à travers les pouvoirs juridictionnels, par la royauté du Christ. L’âme créée de l’Église, ainsi définie formellement, est indivisible. Mais sa complexité laisse découvrir les mul­ tiples dons spirituels créés qui sont nécessaires à son apparition, et qu’on pourrait déjà ranger dans sa défini­ 114. La première objection exposée par S. THOMAS, 111 Sent., dist. 13, qu. 2, a. 2, quaest. 2, c’est que le Christ, tête unique, demande un corps unique, et que la charité multipliée numérique­ ment selon ses multiples sujets d’inhérence, paraît impuissante à les rassembler en un corps unique. 1094 VI/1 - l’âme créée de l’église tion, si l'on voulait parler d’une manière non rigoureuse, seulement matérielle et descriptive. Et de même que nous sommes descendus, en partant de l’Ame incréée de l’Eglise, jusqu’à l’âme créée, condi­ tion nécessaire de son apparition, essayons maintenant, à partir de l’âme créée de l’Église, de redescendre vers les éléments fondamentaux quelle présuppose. 2. L’âme créée de l’Église est la charité en tant que « cultuelle » La charité de l’Église de la loi nouvelle est intrinsè­ quement affectée par son rapport au culte de la loi nou­ velle, et c’est pourquoi nous l’appelons cultuelle. a) Rapports du culte et de la charité Au culte de la loi de nature et de la loi ancienne avec leurs sacrifices et leurs sacrements respectifs, le Christ, grand prêtre de la loi nouvelle (Hébr., v), substitue un culte nouveau, qu’il inaugure sur la Croix par sa média­ tion ascendante et descendante et qui, grâce au pouvoir cultuel instrumental déposé dans l’Église par les trois caractères sacramentels du baptême, de la confirmation, de l’ordre, devra se perpétuer validement jusqu’au jour de la parousie (I Cor., XI, 26). Le culte chrétien devient dès lors l’axe de la vie chrétienne, il est au cœur de la charité du Christ et de son Église. Ou plutôt, il nous faut renverser ce rapport, car la charité chrétienne est plus précieuse que la validité du culte chrétien. C’est elle qui est suprême, qui est au cœur du culte chrétien, cachée en lui, véhiculée mysté­ rieusement par lui. Or si l’âme est le principe premier, suprême et décisif de la vie, c’est la charité qui est l’âme DÉFINITION SYNTHÉTIQUE 1095 créée de l’Église, et non le culte, qui lui est subordonné et qui est destiné à la servir. b) La charité en tant que cultuelle Mais de quelle charité est-il question ? De la charité de la loi nouvelle, de la charité rédemptrice ; c’est-à-dire non pas d’une charité nue et abstraite, mais d’une cha­ rité très mystérieuse, concrète et historiquement déter­ minée, sortant du cœur du culte chrétien comme le par­ fum sort d’une fleur ; d’une charité qui, à la différence, par exemple, de la charité du paradis terrestre, est abso­ lument inséparable du culte chrétien, à tel point que s’il était actuellement possible d’effacer celui-ci du monde, on en effacerait du même coup la charité chrétienne ; d’une charité qui a besoin d’être christocentrique pour être théocentrique, à la fois toute référée au culte ins­ tauré par le Christ sur la Croix et perpétué par l’Église dans la messe et les sacrements, et tout émanante de ce culte. Voilà la charité que nous appelons cultuelle, et qui est l’âme créée de l’Église. c) Les valeurs cultuelles présupposées par la charité cultuelle L’Église tout entière porte la sigillation de la charité cultuelle, comme le corps porte celle de l’âme. Mais comment cela serait-il possible si elle ne détenait pas en elle-même le pouvoir permanent de perpétuer validement le culte chrétien, qui est le point dans lequel sa charité se concentre et à partir duquel elle rayonne ? comment cela serait-il possible si, antérieurement à la sigillation de la charité cultuelle - d’une antériorité concernant, non pas l’ordre du temps, mais l’ordre du conditionnement matériel et des dispositions prére­ quises- l’Église ne portait pas en elle d’une manière 1096 vi/1 - l’âme créée de léglise permanente une sigillation moins haute sans doute, mais pourtant elle aussi spirituelle, surnaturelle, invisible115, mystérieuse, à savoir la sigillatiori sacerdotale et cultuelle des caractères sacramentels, grâce auxquels le sacrifice de la Croix est perpétué et les sacrements sont dispensés ? « Tout le rit de la religion chrétienne, écrit saint Thomas, dérive du sacerdoce du Christ. Aussi est-il manifeste que le caractère sacramentel est une marque spéciale du Christ. C’est à son sacerdoce que les fidèles sont confi­ gurés par les caractères sacramentels, qui ne sont rien autre que des participations du sacerdoce du Christ dérivées du Christ lui-même »llb. Ailleurs le saint doc­ teur distingue deux sortes de sanctifications : celle qui résulte du pouvoir spirituel conféré par les trois sacre­ ments du baptême, de la confirmation, de l’ordre ; et la sanctification de la pureté et de la grâce xx . Ces deux sanctifications spirituelles sont nécessaires sous la loi nouvelle à l’existence de l’Église : l’une à titre de dispo­ sition prérequise, l’autre à titre de premier principe immédiat de vie, d’âme. d) D'une appartenance initiale â ΓÉglise en raison de ces valeurs L’incorporation initiale à l’Église qui résulte de l’infu­ sion dans l’âme des caractères sacramentels est signalée plus expressément par les théologiens à propos du premier des caractères, celui du baptême. Mais il est clair que la même doctrine s’applique respectivement aux deux autres caractères, de la confirmation et de 115. Le caractère sacramentel, de soi invisible, ne peut être appelé signe qu’en raison du sacrement visible par lequel il est conféré. S. Thomas, III, qu. 63, a. 1, ad 2. 116. III, qu. 63, a. 3. 117. IV Sent., dist. 4, qu. 1, a. 4, qu. 2. i DÉFINITION SYNTHÉTIQUE 1097 l’ordre118119 . Et il est certain que l’incorporation initiale du culte chrétien est ordonnée à l’incorporation plénière de la grâce sacramentelle et orientée. La distinction de ces deux incorporations et le lien qui les unit sont exposés par Cajetan à propos du double effet du baptême. En tant qu’il nous communique un caractère, le baptême, dit-il, fait de nous « des chrétiens, des membres de la religion chrétienne ou de la famille du Christ ». En tant qu’il nous donne la grâce, il fait de nous « des enfants d’adoption ». Mais, ajoute Cajetan, la présence du caractère demande, conformément à l’ordre des largesses divines, secundum ordinem divinae largitatis, l’infusion de la grâce baptismale. Une disposition infail­ lible, qui n’est brisée que par la mauvaise réception des sacrements, unit la grâce au caractère : caracter... infalli­ bili ordine annexam habet gratiam, si fictio non impedit^. En tenant compte, en effet, de la volonté divine qui subordonne par une intention foncière le culte chrétien à la charité chrétienne, on pourra dire que les caractères sacramentels appellent la grâce sacramentelle comme la racine appelle sa fleur120. Ceux en qui résident ces carac­ tères ne sont pas seulement habilités à célébrer validement le culte chrétien, ils sont encore préparés, selon l’ordonnance vivante des dispositions divines, à recevoir, s’ils n’y mettent obstacle, toute la grâce chrétienne et toute l’âme créée de l’Église. 118. Sur les fluctuations de la doctrine des caractères sacramentels dans l’Église orthodoxe, on peut lire Martin JUGIE, Theologia dogma­ tica christianorum orientalium, Paris, 1930, t. III, pp. 47, 143, 422. 119. III, qu. 69, a. 10, n° IV. 120. «Lorsqu’un être est engendré, il reçoit en même temps que sa forme l’inclination qui en découle... Pareillement, lorsqu’un homme est baptisé, il reçoit le caractère comme une forme de laquelle découle, comme un effet propre, la grâce qui efface tous les péchés ». S. Thomas, III, qu. 69, a. 10. 1098 VI/1 - l’âme créée de l’église Faut-il donc sous cet aspect les regarder comme étant déjà membres de l’Église ? Ils peuvent, en effet, en raison des seuls caractères sacramentels, constituer une région où l’Église est comme en formation, en acte virtuel. Il y a plus en eux que dans le petit enfant non baptisé qui n’appartient à l’Église qu’en puissance. Les caractères sont en eux comme des formes surnaturelles, comme des actualisations surnaturelles initiales, destinées normale­ ment à attirer dans les sujets où elles résident la pléni­ tude de la grâce chrétienne121. Ces sujets ne sont pas encore, comme tels, purement et simplement, simpliciter, membres de l’Église ; ils sont seulement en voie de le devenir, ils ne sont membres que secundum quid, id est in fieri. Ils ne sont pas membres de l’Église en acte achevé, ils ne sont membres de l’Église qu’^z acte virtuel. Mais il faut ici en venir aussitôt à des vues moins générales. Si nous considérons plus concrètement les sujets dans lesquels se rencontrent les caractères sacra­ mentels, nous devrons les répartir en deux principales divisions : d’une part, les hommes en qui ces caractères sont unis au moins à la foi théologale, voire à l’espérance et à la charité. Pour discuter du degré d’appartenance à l’Église de cette première catégorie d’hommes où plusieurs sub­ divisions devront être opérées, on devra tenir le plus grand compte des éléments surnaturels qui s’adjoignent ainsi aux caractères sacramentels ; d’autre part, les hommes en qui les caractères subsis­ tent seuls, battus par les assauts d’une volonté perverse qui a saccagé en eux jusqu’au don même de la foi théolo­ gale. C’est le cas des hommes vraiment coupables du 121. «Quando aliquis baptizatur accipit characterem quasi for­ mam, et consequitur proprium effectum qui est gratia remittens omnia peccata ». S. THOMAS, III, qu. 69, a. 10. DÉFINITION SYNTHÉTIQUE 1099 péché d’hérésie et des chrétiens qui, en pleine con­ science, renient leur baptême. Qu’en dirons-nous ? Sontils encore, ou ne sont-ils plus du tout chrétiens, membres de l’Église ? Il faut répondre à la fois les deux choses, car ce sont des hommes déchirés, en proie à une contradiction interne, en quelque sorte ontologique, que leur révolte demeure éternellement impuissante à sur­ monter122. Si l’on regarde, en effet, à l’exigence des caractères sacramentels qui, de par le vœu de la volonté divine, tendent dans le cœur même de ces hommes à rejoindre la grâce chrétienne, on dira que ces hommes sont encore chrétiens et membres de l’Église ; aussi, pour rappeler à un prêtre catholique, passé au donatisme - le malheureux, se voyant saisi, avait essayé de se donner la mort - les droits que la Catholica conservait sur lui, saint Augustin s’écrie : « Et vous, donatistes, vous êtes les brebis du Christ, vous portez le caractère du Seigneur par le sacrement que vous avez reçu ; mais vous errez et vous périssez ; souffrez donc que nous rappelions les errants, que nous cherchions les perdus »123. Mais si l’on regarde, 122. Révolte terrible, chez cette femme disant de ses petitsenfants : «Je ne veux pas qu’ils soient baptisés, car je sais trop ce qu’il en coûte d’avoir à renier son baptême ! » Plus tard, tous pourtant furent baptisés, et elle fut la marraine du dernier. [Cf. Péguy au porche de l'Église, Correspondance inédite Jacques Maritain-Dom Louis Baillet, Paris, Éd. du Cerf, 1997, p. 131.] 123. Epist. CLXXIII, n° 3. Cf. Epist. CLXXV, n° 23. - Le Code de Droit Canon, can. 87, déclare que tous les baptisés appartiennent à l’Église : « Par le baptême, l’homme devient une personne dans l’Église du Christ, ayant tous les droits et les devoirs des chrétiens bien que les droits puissent être annulés par l’excommunication ou par quelque censure prononcée par l’Église ». Cette dernière clause permet de supposer qu’un excommunié qui aurait perdu jusqu’à la foi divine pourrait être regardé, en raison de son baptême, comme encore chrétien. L’Église revendique des droits sur tous les baptisés. Non, certes, pour les exercer comme au temps du donatisme ! Elle veut signifier 1100 Vl/l - l’âme créée de l’église au contraire, à l'effort tie leur volonté perverse, ces hommes ne sont plus chrétiens ni membres de ΓÉglise ; aussi, à propos de ceux qui s’étaient fait baptiser (sciem­ ment et coupablement) par les donatistes, le même saint Augustin écrit : « Lorsqu’ils en viennent à comprendre l’évidence de la vérité et la beauté de la paix, nous les unissons, non pas au baptême qu’ils avaient déjà reçu dans leur désertion comme un caractère royal, mais à la foi qui leur avait fait défaut, à la charité de l’Esprit saint, et au corps du Christ »124. Concluons que les chrétiens marqués des caractères sacramentels et coupables des péchés d’hérésie ou d’apostasie ne sont chrétiens et membres de l’Église que relativement, sous un aspect secondaire, secundum quid', absolument parlant, sous l’aspect, ici premier, du refus de leur volonté, simpliciter, ils ne sont plus chrétiens. L’incorporation virtuelle à l’Église, qui est l’effet propre des caractères sacramentels, est contredite en eux par la décision supérieure de leur libre arbitre et rendue de ce fait inefficace. Cela dit, nous pouvons reprendre le fil de notre exposé. que le baptême ordonne normalement les baptisés, non pas à une vie chrétienne mutilée, mais à la vie chrétienne plénière, à la vie chré­ tienne de la foi qui agit par la charité (Gal., V, 6) et rend docile à toute l’amplitude de l’orientation juridictionnelle (Luc, X, 16). Tel est le sens des définitions du Concile de Trente, Session VII, can. 7 et 8 de Baptismo, Denz., nOT 863 et 864 : « Si quelqu’un dit que, par le baptême, les baptisés ne sont tenus qu’à la foi seule, mais non à observer toute la loi du Christ... Si quelqu’un dit que les baptisés sont exempts de tous les préceptes écrits ou oraux de la sainte Église, et qu'ils ne sont tenus de les observer que s’il leur plaît de s’y soumettre, qu’il soit anathème ». 124. Epist. LXXXVIIII,tf 9. DÉFINITION SYNTHÉTIQUE 1101 3. L’âme créée de l’Église est la charité en tant que « sacramentelle » ou pleinement christoconformante De l’endroit de la terre qu’il choisit pour y accomplir l’œuvre de notre rédemption, le Christ répand la grâce du salut sur les hommes, de deux manières : à distance et imparfaitement sur ceux qui sont éloignés, et cette grâce, qui ressemble encore à la grâce dispensée aux âges anté­ rieurs, ne peut préparer qu’une annonce, qu’une ébauche de l’Eglise ; par contact et plénièrement sur ceux qui l’en­ tourent immédiatement, et cette grâce est capable de constituer l’Eglise en son acte achevé : c’est elle qui continue d’arriver jusqu’à nous par les sacrements de la loi nouvelle qui sont comme les mains du Christ éten­ dues à travers le temps et l’espace, et qu’on appelle pour cette raison la grâce sacramentelle. a) La charité en tant que sacramentelÎe La charité sacramentelle est celle qui, passant en nous par le contact même du Christ125, retient en elle, en vue de nous les communiquer selon que la nature des choses le permet126, les modalités de connaturalité, de pléni­ tude, de dynamisme quelle revêtait dans le Christ127, les vertus diverses de la passion du Christ128, en sorte quelle nous habilite à produire les effets spéciaux requis pour la 125. «Aqua baptismi habet quod corpus tangat et cor abluat ex tactu carnis Christi», dit saint THOMAS à propos du baptême, IVSent., dist. 26, qu. 2, a. 3, ad 1. 126. «Non secundum eumdem modum univoce et perfecte, bene tamen initiative et imperfecte». JEAN DE SAINT-THOMAS, III, qu. 62, disp. 24, a. 2, n" 40 ; t IX, p. 293. Q 127. Cf. plus haut, p. 1043. 128. « Les divers effets des sacrements représentent divers remèdes du péché et diverses participations de la vertu de la passion du Seigneur». S. THOMAS, De Veritate, qu. 27, a. 5, ad 12. 1102 VI/1 - l’âme créée de l’église vie chrétienne129 ; à exercer les opérations de sainteté nécessaires à la formation du corps mystique ; à accom­ plir ensemble dans le corps mystique d’une manière vitale et comme en les réinventant au cours du temps, les activités d’amour qui ont conduit le Christ de la crèche à la croix, - le martyre d’Étienne, par exemple, n’est-il point la continuation du martyre du Christ, et la charité du disciple, n’est-ce point spontanément quelle retrouve alors les supplications de la charité du Maître ? - à tel point qu’un même mouvement, un même rythme et une même ligne de vie se transmettent de la tête au corps, du Christ pèlerin à son Église voyagère. «Vous tous, qui avez été baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ... vous êtes ensemble un seul dans le Christ Jésus» (Gal., III, 27-28). Le baptisé est immergé dans le Christ total, incorporé au Christ total ; il revêt le Christ comme une forme vitale qui le fera vivre de la vie du Christ, comme une flamme qui le fera participer à la nature du feu ; il ne fera plus avec le Christ qu’une seule personne mystique130. 129. « Les sacrements sont ordonnés à certains effets spéciaux néces­ saires à la vie chrétienne : ainsi le baptême est ordonné à une certaine régénération spirituelle, par laquelle l’homme meurt aux vices et devient membre du Christ : c’est là un effet qui est spécial par rap­ port aux actes des puissances de l’âme ; et il en va de même pour les autres sacrements... En vue de certains effets spéciaux exigés dans la vie chrétienne, la grâce sacramentelle est requise ». S. THOMAS, III, qu. 62, a. 2 et ad 1. Les effets des sacrements sont dits spéciaux par rapport aux actes des puissances de l’âme, non parce qu’ils les excluent, mais parce qu’ils les ordonnent à former dans le corps mystique la ressem­ blance de la vie du Christ. 130. Saint THOMAS avait dit que la grâce sacramentelle ajoute, à la grâce des vertus et des dons, un secours divin qui permet d’accom­ plir les actes correspondant à chaque sacrement : « Gratia sacramentalis addit super gratiam communiter dictam et super virtutes et dona, quoddam divinum auxilium ad consequendum sacramenti DÉFINITION SYNTHÉTIQUE 1103 b) Un aspect de la charité sacramentelle : l’unité de communion ou d’interdépendance des chrétiens Entre ceux quelle incorpore au Christ, la charité sacramentelle établit nécessairement des rapports d’in­ time interdépendance. Plus les rayons se rapprochent du finem [...]. Ordinantur autem sacramenta ad quosdam speciales effectus necessarios in vita christiana ». III, qu. 62, a. 2. CAJETAN, dans son commentaire de cet article, estime que ce secours divin consiste exclusivement en des impulsions transitoires. La grâce sacramentelle différerait alors de la grâce des vertus et des dons comme la grâce actuelle diffère de la grâce habituelle. En vertu du secours divin nouveau qu’apportent les sacrements, la grâce habi­ tuelle sanctifiante produirait des actes procurant la fin des différents sacrements : « Gratia sacramentalis addit... actuale divinum auxilium, extensivum gratiae virtutum et donorum ad effectum sacramenti ». Bref, la grâce sacramentelle ne donnerait qu’un droit à recevoir, au moment opportun, des grâces actuelles appropriées aux fins des divers sacrements. Cette solution ne semble pas suffisante, car si la grâce habituelle sanctifiante que confèrent les sacrements est ainsi orientée et inclinée à produire certains actes, c’est quelle doit revêtir elle-même une modalité, une formalité ontologique spéciale. JEAN DE SAINT-THOMAS complète la réponse de Cajetan. Il note tout d’abord que « secours divin » signifie chez saint Thomas, non pas toujours un don actuel, mais aussi un don habituel. Et tel est ici le cas. Non certes que la grâce sacramentelle soit un habitus nouveau réellement distinct de la grâce sanctifiante. (Car, ou bien cet habitus nouveau serait de même espèce que la grâce sanctifiante des vertus et des dons ; or, cela est impossible, un habitus - comme est la grâce sanctifiante - représentant par définition le parachèvement ultime d’un sujet et ne pouvant lui-même être parachevé dans sa propre ligne. Ou bien cet habitus nouveau serait d’une espèce différente, et alors il y aurait deux sortes de grâce habituelle sanctifiante ; ce qui est encore une impossibilité.) Prise au sens strict et inadéquat, la grâce sacramentelle est la modalité permanente qu’affecte la grâce quand celle-ci nous est communiquée par les sacrements. Prise au sens large et adéquat, elle désigne la grâce sanctifiante elle-même, pour autant quelle est affectée des modalités sacramentelles. Cf. JEAN DE SAINTThomas, III, qu. 62, disp. 24, a. 2 ; t. IX, pp. 285 et suivantes. 1104 VI/1 - l’âme créée de l’église centre, plus ils se rapprochent aussi les uns des autres. « Lorsqu’un membre souffre, tous les membres souffrent avec lui, lorsqu’un membre est honoré, tous les membres sont honorés avec lui. Vous êtes tous ensemble le corps du Christ et chacun individuellement ses membres » (I Cor., XII, 26-27). « De même que nous avons plu­ sieurs membres dans un seul corps et qu’aucun de ces membres n’a la même fonction que les autres, ainsi nous, étant plusieurs, ne formons qu’un seul corps dans le Christ, et quant au particulier, nous sommes membres les uns des autres» (Rom., XII, 4-5)131. A cette mysté­ rieuse intercommunication des chrétiens, on peut don­ ner le nom d’unité de connexion ou de communion132, ou d’interdépendance ; on l’appelle aussi communion des saints. 131. Il y a bien d’autres textes, par exemple : « Portez les fardeaux les uns des autres : vous aurez par là accompli la loi du Christ » (Gal., VI, 2). « N’ayez de dette à l’égard de personne, si ce n’est celle de l’amour mutuel : celui qui aime son prochain a accompli la loi » (Rom., XIII, 8). Même pensée dans saint Jean: «Je vous donne un commandement nouveau : que vous vous aimiez les uns les autres comme je vous ai aimés » (XIII, 34 ; XV, 12, 17). « Afin que vous aussi vous soyez en communion avec nous ; et votre communion est avec le Père et avec son Fils Jésus-Christ » (I, I, 3). 132. «Le péché de schisme s’oppose directement et par soi à l’unité... C’est le péché de celui qui entend se séparer de l’unité que fait la charité... Mais l’unité de l’Église suppose deux choses : tout d'abord la connexion des membres de l’Église entre eux, ou leur com­ munication... les schismatiques sont ceux qui... refusent de com­ munier avec les membres de l’Église ». S. THOMAS, II-II, qu. 39, a. 1. A l’unité de ressemblance, que donne aux chrétiens la possession des mêmes éléments, TURRECRAMATA, Summa de Ecclesia, livre I, ch. LX, oppose une unité supérieure « par manière de lien et de connexion : seule la charité, qui est connexion et lien, peut unir de la sorte, d’où le mot de l'apôtre : par-dessus tout, ayez la charité, qui est le lien de la pertection (Col. III, 14) ». DÉFINITION SYNTHÉTIQUE 1105 Cajetan l’analyse avec profondeur133 : « L’unité de tous les fidèles, dit-il, est une unité de rassemblement. Chaque fidèle acquiert de ce fait une modalité relative qui le fait exister comme partie d’un peuple unique, d’une cité unique, d’une famille unique134. De la sorte, il entre dans la dépendance du tout : chaque partie en effet dépend de son tout. Cette dépendance se remarque en tout ce qu’il fait et devient. Quand, en effet, l’Esprit saint meut les fidèles à exercer les actes de la vie spiri­ tuelle, par exemple à croire, à espérer, à aimer, à sancti­ fier les autres ou à se sanctifier eux-mêmes, à obéir, à commander, à enseigner, etc., il leur donne, non pas d’accomplir ces actions sans plus, solum secundum sub­ stantiam, mais de les accomplir d’une certaine manière, etiam quoad modum operandi. En sorte qu’ils font tout cela, non pas comme étant indépendants, mais comme étant les parties d’un seul tout135. »A cela, il ne faut pas chercher d’autre cause que la libre disposition de ce même Esprit saint qui mentionne, parmi les articles de notre foi, l’Eglise une et sainte et la communion des saints. C’est l’Esprit saint, en effet, qui, répartissant ses dons selon son bon plaisir (I Cor., XII, 11), a voulu que l’Église catholique, c’est-à-dire uni­ verselle, fut unique et qu’il n’y eût pas plusieurs Églises. En conséquence, il meut chacun de ses membres à se comporter dans ses actions intérieures et extérieures comme partie d’un tout, pour ce tout, et conformément à ce tout. Chaque fidèle en effet sait par la foi qu’il est 133. Π-Π, qu. 39, a. 1, n° II. 134. «Ex qua unitate apponitur singulis fidelium esse relativum : scilicet esse partem unius numero populi, civitatis, domus ». 135. Nous avons justifié plus haut l’unité de l’Église par l’habita­ tion de l’Esprit saint et la transformation d’amour en Dieu. Mais la plénitude de la venue de l’Esprit est conditionnée par l’infusion de la charité, formatrice du corps du Christ, dont parle ici Cajetan. 1106 VI/1 - l’âme créée de l’église membre de l’Église, et c’est comme membre de l’Église (wr membrum Ecclesiae) qu’il croit, espère, donne ou reçoit les sacrements, enseigne ou apprend, etc. Et c’est pour l’Église (propter Ecclesiam) qu’il fait tout cela, à la manière dont la partie agit pour le tout, de qui elle emprunte tout ce quelle est. Et il le fait conformément à la foi et à la tradition de l’Église (secundum Ecclesiae fidem et traditionem). » C’est pourquoi, entre les Églises qui paraissent abso­ lument étrangères l’une à l’autre comme l’Église d’An­ gleterre et celle d’Espagne, on constate non seulement une ressemblance (convenientia) dans la foi, dans l’espé­ rance, dans la charité, dans les sacrements, non seule­ ment une obéissance au même chef (unum caput)}iG, mais encore un rapport de connexité (colligatio) de partie à partie à l’intérieur d’un même ensemble, lequel est régi premièrement et principalement par l’Esprit saint. » L’unité d’un tel ensemble représente non pas sans doute absolument parlant, mais du moins socialement parlant13 , le bien suprême, car c’est le bien du monde entier', non son bien politique, mais son bien spirituel136 138139 137 ; non son bien accidentel, mais son bien essentiel ; non son bien secondaire, mais son bien primordial : à savoir l'être même de l'Église comme formant un seul toutxy). Et l’unité d’un concile œcuménique, est-elle autre chose 136. On pourrait imaginer deux touts différents rassemblés sous le même chef et BanEZ reprochait à Albert Pighi (t 1534) d’avoir placé dans l’unité du chef toute la raison de l’unité de l’Église : « L’Espagne et l’Aragon ont le même roi, sont ordonnés au même prince et au même chef, et cependant on ne dit pas qu’ils sont un seul royaume ». II-II, qu. 1, a. 10, dub. 2, cond. 1. 137. «Non simpliciter, sed in genere bonorum ad proximum spectantium ». 138. « Non qualecumque, sed spirituale ». 139. « Ipsum esse Ecdesiae ut unius totius rationem habet ». DÉFINITION SYNTHÉTIQUE 1107 qu’une manifestation {signum) de ce tout unique et de ses parties ?140 » Et encore : « L’Esprit saint meut par la charité les fidèles à vouloir être membres d’un seul ensemble catho­ lique, qu’il vivifie lui-même, et par là à constituer l’Église une et catholique, movet enim Spiritus sanctus per carita­ tem singulos fideles ad volendum se esse partes unius collec­ tionis catholicae, quam ipse vivificat ; ac per hoc ad consti­ tuendum unam Ecclesiam catholicam »141, Cajetan n’aurait jamais songé qu’on pût définir l’Église en faisant abstrac­ tion de l’amour142. 140. BaneZ, loc. cit., reprend à son compte les vues de Cajetan : «Selon Cajetan, dit-il, l’unité de l’Église est l’unité d’un même tout mystique. Chaque fidèle acquiert de ce fait une modalité relative qui le constitue partie d’une seule communauté, d’un seul peuple. Il s’en­ suit que chaque membre dépend du tout, et que chaque membre est ajusté et relié aux autres. En outre, puisqu’on agit comme on est, chaque membre de l’Église agira comme partie d’un seul ensemble jour cet ensemble, conformément à cet ensemble ». Il ajoute : « A intérieur de l’Église, l’unité est si forte qu’un membre peut satisfaire pour les autres, comme l’enseigne la foi catholique. En outre, un membre communie à toutes les œuvres bonnes des autres, suivant le mot du psalmiste : Particeps ego sum omnium timentium te ». 141. Loc. cit., n° IL - En considérant la charité in actu primo, comme une racine habituelle, et l’unité de l’Église in actu secundo, comme produite par la charité, CAJETAN peut dire ici que « l’unité spirituelle de l’Église est rattachée à l’amour spirituel, c’est-à-dire à la charité, non quelle soit la charité, mais parce qu’elle en est l'effet». Mais on identifiera à bon droit la charité (cultuelle, sacramentelle et orientée) et l’unité spirituelle de l’Église, si on les considère, soit toutes deux in actu primo, soit toutes deux in actu secundo. Pour écarter toute confusion, disons qu’on peut considérer l’unité de l’Église dans son principe, et alors elle s’identifie avec l’âme créée de l’Église, considérée soit « in actu primo », soit « in actu secundo ». Mais on peut aussi considérer l’unité de l’Église, en tant qu’elle est effectuée et incarnée dans toute l’Église, mystérieuse et visible. 142. C’est la loi de la charité sacramentelle d’engager les fidèles dans la vie d’interdépendance mutuelle propre aux membres du corps 1108 VI/1 - I .’ÂME créée de l’égi ise c) Digression sur la communion des saints 1. La communion d’interdépendance des chrétiens est appelée aussi, on l’aura remarqué, communion des saints. Cependant, cette communion n’a été touchée ici que partiellement. A vrai dire, il y a identité réelle et dis­ tinction de raison entre l’Église et la communion des saints1 B. La communion des saints est un point de vue sous lequel l'Église tout entière peut être envisagée. Elle met l’ac­ cent plutôt sur la façon mystérieuse dont la charité, dif­ fusée par l’Esprit saint, et qui change les hommes en membres du corps du Christ, les rend profondément interdépendants les uns des autres et les introduit dans une vaste famille spirituelle, dont les biens sont mer­ veilleusement réversibles. La première fois quelle est mentionnée dans le Symbole, c’est par un beau texte de Nicétas de Rcmesiana (vers 400), et c’est, en effet, pour y être iden­ tifiée à l’Église : « Après avoir confessé la Trinité bienheu­ reuse, tu confesses croire la sainte Église catholique. l’Église est-elle autre chose que la congrégation de tous les saints? Depuis le commencement du monde, en effet, les patriarches, Abraham, Isaac et Jacob, les pro­ phètes, les apôtres, les martyrs, tous les justes qui furent, sont et seront, forment une seule Eglise : car, sanctifiés par la même foi et la meme vie, marqués par le même mystique. Qu’il y ait des chrétiens égoïstes, cela ne prouve rien contre la charité sacramentelle, cela prouve simplement qu’elle est contra­ riée. Qu’il y ait d'autre part des non-chrétiens saintement ouverts aux souffrances d’autrui, cela prouve que la charité sacramentelle s’ébauche en eux. 143. Traitant de l’article du Symbole: Je crois kl communion des saints, le Catéchisme Romain déclare qu’il est « une certaine interpréta­ tion de l'article précédent..., comme une explication de l’article pré­ cédent qui portait sur \'église une. sainte, catholique *. Partie I, ch. X, n°* 23 et 24. Cf. plus haut, [vol. Il] pp. 926-927. DÉFINITION SYNTHÉTIQUE I 109 Esprit, ils deviennent un seul corps. De ce corps le Christ est la tête. Je dis davantage encore. Meme les anges, meme les vertus et les puissances célestes sont compris dans cette unique Eglise, selon la révélation de l’apôtre, Col., I, 20 : En lui ont été réconciliées toutes choses, celles qui sont sur la terre et celles qui sont dans les deux. Crois donc que c’est dans cette unique Église que tu obtiendras la communion des saints. Sache qu’elle est l’unique Eglise catholique, diffusée par toute la terre, dont tu professes retenir fermement la communion »144. U profession de la « communion des saints » ne semble pas encore ici détachée de celle de la « sainte Église ca­ tholique». Mais, des le Ve siècle, on la voit figurer séparé­ ment dans le Symbole de l’Église gallicane, et au IXe siè­ cle cet usage passera en Italie, en Espagne, en Afrique145. 2. «Ce que nous avons vu et entendu, à notre tour nous vous l’annonçons, afin que vous soyez, vous aussi, en communion avec nous ; et notre communion est avec le Père et avec son Fils Jésus-Christ » (I Jean, I, 3). Pour donner toutes ses dimensions au dogme de la communion des saints, il faudrait, pensons-nous, consi­ dérer d’abord cette communion dans ce quelle est pour l’Église du ciel, qui est comme transformée en Dieu selon l’être intentionnel de l’intelligence et de l’amour, afin de pouvoir voir et posséder Dieu lui-même et toutes choses en Dieu. On redescendrait ensuite à ce qu’est la communion des saints avant l’heure de la vision béatifique, en raison seulement de l’inhabitation de l’Esprit saint et de la transformation de l’Église en Dieu, selon l’être intentionnel de l’amour. 144. Explanatio symboli, n° 10 ; P. 1... t. LH, col. 871. 145. Cf. Dictionnaire de Théologie Catholique, P. BERNARD, « Communion des saints », col. 450-454. 1110 VI/1 - l’âme créée de l’église Mais la pleine descente de l’Esprit saint sur nous était conditionnée par la venue du Christ et par le don de sa grâce. Ici trouve place l’explication de l’union d’interdé­ pendance des chrétiens par la grâce sacramentelle qui, en les configurant au Christ pèlerin, les constitue du même coup membres de son corps et membres les uns des autres146147 . 3. Cette union franchit la barrière des mondes. Elle attire sur nous l’amour des saints qui passent leur temps à faire du bien sur la terre: «Je ne pourrai prendre aucun repos jusqu'à la fin du monde. Mais lorsque l’ange aura dit : le temps n’est plus, alors je me reposerai et je pourrai jouir parce que le nombre des élus sera complet»14 . Dans l’autre sens, toutes les victoires de l’Eglise présente, mêmes les plus humbles et les plus 146. * La doctrine des Orientaux sur la communion des saints se rattache surtout à la théologie du Saint-Esprit ; celle des docteurs latins à la théologie de l’Église». Loc. oit., col. 440. Dans la mesure où une telle remarque serait justifiée, elle montrerait la nécessité des synthèses théologiques. Mais les plus beaux textes des Pères grecs cités dans le même article en faveur de la communion des saints la rassemblent sans aucune peine autour du Christ et de la Trinité ; par exemple OR1GÈNE, P. G., t. XII, col. 437 : « Si nous sommes en société avec le Père et le Fils, comment ne le serions-nous pas avec les saints, qui sont non seulement sur la terre mais aussi dans les deux. Car le Christ a pacifié par son sang les choses célestes et les choses terrestres, associant ce qui est terrestre à ce qui est céleste » ; saint BASILE, P. G., t. XXXII, col. 181 : «Toutes choses ensemble accomplissent le corps du Christ dans l’unité de l’Église ; et les dons de chacun apportent aux autres un secours nécessaire ». Rappelons encore le beau texte où saint JEAN ChrysüSTOME explique que tous les membres du corps du Christ, étant également nécessaires au corps, sont sous ce rapport, et quoi qu’il en soit de leurs inégalités, foncièrement égaux entre eux ; P. G., t. LXI, col. 249. 147. Sainte THÉRÈSE DE Lisieux, Histoire d’une âme, ch. XII. DÉFINITION SYNTHÉTIQUE 1111 secrètes, retentissent dans l’Église triomphante et lui procurent un surcroît de clarté. Elle nous lie à ceux qui, morts dans l’amour, restent cependant pour un temps exilés de la vision bienheu­ reuse. Le secours que nous leur apportons leur parvient par deux voies : « 1 ° en raison de l'unité de la charité\ car tous ceux qui sont dans la charité sont comme un corps unique ; en sorte que le bien de l’un est reversé sur tous les autres, à la façon dont la main ou tout autre membre est utile à tout le corps. De cette manière, tout bien accompli par l’un vaut pour chacun de ceux qui sont dans la charité, selon le mot du psalmiste : Je suis devenu participant de tous ceux qui Vous craignent et gardent vos commandements, — et plus leur charité sera grande, plus sera grande la part de joie qu’ils éprouveront de cette réversibilité, qu’ils soient au paradis, ou au purgatoire, ou encore ici dans le monde ; 2° en raison de la direction d'intention par laquelle je transfère à un autre les actions accomplies par moi, à la façon dont je peux, par exemple, acquitter la dette d’un autre à sa place et pour qu’il en soit déchargé ; - c’est de cette manière que les suffrages de l’Église valent pour les défunts, le vivant s’acquittant alors auprès de Dieu de la satisfaction que devait accomplir celui qui est mort »148. 4. L’interdépendance des chrétiens unis au Christ par la charité sacramentelle s’organise à travers la distance. Elle donne à chacun les trésors de tous, et à tous les tré­ sors de chacun149. Le Catéchisme Romain150 rapporte le commentaire de la parole du psalmiste : Je suis devenu 148. S. THOMAS, Quodlibet II, qu. 7, a. 14 ; VIII, qu. 5, a. 9. 149. Sur l’explication suprême de l’interdifiFusion de la charité, voir plus haut, [vol. II] p. 911. 150. Partie I, ch. X, n° 25. 1112 VI/1 - l’âme créée de l’église participant de tous ceux qui Vous craignent, donné par saint Ambroise1M : « Comme est le membre qui participe à tout le corps, ainsi est celui qui se joint à tous ceux qui craignent Dieu ». Elle s’étend aux chrétiens les plus abandonnés : si isolé qu’il meure, le chrétien sait qu’il ne meurt jamais seul. Elle s’étend jusqu’aux justes non encore chrétiens et privés des richesses sacramentelles ; 151. Psalm. CXVIII, verset 63; P. L., t. XV, col. 1317. Le saint continue : « Celui qui sait que ceux qui, dans l’Église, paraissent faibles, pauvres, imprudents, voire pécheurs, ont besoin d’être entou­ rés spécialement et d’être soutenus davantage, c’est celui-là qui peut dire : Je suis devenu participant de tous ceux qui Vous craignent ». Citons ce que dit BàNEZ, II-II, qu. 1, a. 10, dub. 2, concl. 1, de la communion des saints dans l’Église militante. Énumérant les diverses causes de l’unité de l’Église : unité du chef invisible qui est Dieu et le Christ, et du chef visible qui est le souverain pontife, unité du sacrifice, unité des sacrements, il ajoute : « Il existe encore une autre raison de l’unité de l’Église. Elle consiste dans une certaine commu­ nication mutuelle de toutes les œuvres des membres de l’Église, et nous la proclamons dans le Symbole quand nous disons : Je crois la communion des saints [...]. Cette communication mutuelle s’exerce entre les membres de l’Église de bien des manières : directement, par exemple chez celui qui met au service des autres le don qu’il a de prê­ cher ou de guérir ; ou indirectement, lorsque les bons exemples édi­ fient ou lorsque les châtiments convertissent. En effet, celui qui a la connaissance de l’Écriture et qui possède le sens de la parole de Dieu peut l’annoncer aux autres. Et ceux qui l’écoutent lui rendront en échange non seulement des biens temporels selon le texte aux Galates : Que celui à qui on enseigne la parole fasse part de tous ses biens à celui qui l’enseigne (VI, 6), mais encore des biens spirituels, selon les textes aux Philippiens et aux Thessaloniciens, où Paul appelle ses auditeurs sa joie, sa gloire et sa couronne devant le Seigneur (Philipp., IV, 1 ; I Thess., Π, 19). Et puis, ce n’est pas seule­ ment par la parole que les prédicateurs et les hommes religieux ins­ truisent, enseignent, édifient, c’est par leurs actions bonnes, et même par leur mort. En supportant les souffrances et la mort, ils gagnent les cœurs à la vérité catholique : saint Paul ne disait-il pas qu’il ache­ vait dans sa chair ce qui manque aux souffrances du Christ (Coi., I, 24) ? Et sans vouloir tout énumérer, disons qu’il n’y a per- DÉFINITION SYNTHÉTIQUE 1113 jusqu’aux chrétiens pécheurs1'2; jusqu’aux hommes qui ne sont membres du Christ qu’en puissance153. 5. Elle s’organise aussi à travers le temps. La charité christique et sacramentelle était contenue virtuellement et préparée dans la charité des âges de la loi de nature et de la loi mosaïque. Et dans l’âge évangélique, chacun de ses actes a des répercussions illimitées. Si la mer frémit sonne, dans cette Église du Christ, qui soit sans donner quelque chose aux autres. Aussi, à propos d’un texte du Cantique des Can­ tiques, la glose interlinéaire fait-elle remarquer que même la vie des chrétiens morts tout de suite après le baptême n’est pas socialement stérile. Ils ont appartenu à la lignée de la foi qui a été confessée par euxmèmes ou, sil sagit des petits enfants, par d’autres en leur nom. Ils ont eu le désir d’une activité sainte et, s’ils en avaient eu le temps, ils l’auraient, au milieu des brebis du Christ, exercée socialement. Socialement, c’està-dire qu’ils auraient agi pour le profit et l’utilité des autres. Enfin, il n’est personne dans l’Église qui n’enseigne ou n’apprenne, ne com­ mande ou n’obéisse, et tous sont ainsi liés les uns aux autres. A cause de cette interdépendance qui unit tous les fidèles du Christ, l’Église peut et doit être appelée une, comme les époux sont appelés une seule chair. Les époux, dans l’ordre naturel, sont unis par la commu­ nauté de vie. Mais entre les fidèles de l’Église la communauté de vie est plus profonde, elle s’étend à tous les actes qu’ils accomplissent comme membres de l’Église. Aussi font-ils ensemble une Église une ». 152. « Du fait qu’ils sont encore dans l’Église, ils sont aidés par les spirituels à recouvrer la grâce et la vie qu’ils ont perdues, et ils partici­ pent à des bienfaits dont sont privés ceux qui sont tout à fait séparés de l’Église ». Catéchisme Romain, partie I, ch. X, n° 26. 153. « En raison de la grâce qui est en lui, le chrétien peut mériter pour les autres, par manière de convenance, même la première grâce (celle de la conversion). Puisque ce chrétien, en raison sans doute de la grâce qui est en lui, fait la volonté de Dieu, il convient, selon les échanges de l’amitié, que Dieu fasse la volonté de ce chrétien qui désire le salut des autres, bien que ceux-ci puissent de leur côté y faire obstacle». S. Thomas, I-II, qu. 114, a. 6. Cf. Ps. CXLV (CXLIV), 19 : « Il accomplit le désir de ceux qui le craignent ». 1114 VI/1 - l’âme créée de l’église encore du sillage des galères de Pompée, on comprendra au dernier jour les retentissements incalculables, dans l’histoire spirituelle du monde, des paroles ou des actions ou des institutions d’un saint (et en sens inverse d’un hérésiarque). «Tel mouvement de la grâce, qui me sauve d’un péril grave, a pu être déterminé par tel acte d’amour accompli ce matin ou il y a cinq cents ans par un homme très obscur de qui l’âme correspondait mys­ térieusement à la mienne, et qui reçoit ainsi son salaire. Ce qu’on nomme le libre arbitre est semblable à ces fleurs banales dont le vent emporte les graines duvetées à des distances quelquefois énormes et dans toutes les directions pour ensemencer on ne sait quelles montagnes ou quelles vallées. La révélation de ces prodiges sera le spectacle d’une minute qui durera l’éternité...154 Tout homme qui produit un acte libre projette sa personnalité dans l’infini. S’il donne de mauvais cœur un sou à un pauvre, ce sou perce la main du pauvre, tombe, perce la terre, troue les soleils, traverse le firmament et compro­ met l’univers. S’il produit un acte impur, il obscurcit peut-être des milliers de cœurs qu’il ne connaît pas, qui correspondent mystérieusement à lui et qui ont besoin que cet homme soit pur, comme un voyageur mourant de soif a besoin du verre d’eau de l’Évangile. Un acte charitable, un mouvement de vraie pitié chante pour lui les louanges divines, depuis Adam jusqu’à la fin des siècles, il guérit les malades, console des désespérés, apaise les tempêtes, rachète les captifs, convertit les infi­ dèles et protège le genre humain »155. 6. Identifié au mystère de l’Église, le mystère de la communion des saints réunit dans sa profondeur deux 154. Léon BlOY, Méditations d’un solitaire. 155. Id., Le Désespéré, 2e partie. DÉFINITION SYNTHÉTIQUE 1115 révélations qui pourraient paraître opposées : d’une part, celle des liens puissants et délicats qui unissent intime­ ment entre eux les chrétiens, d’où le mot de saint Paul : « Pendant que nous en avons le temps, faisons le bien à tous, mais surtout à ceux qui sont compagnons de notre foi» (Gal., VI, 10) ; et, d’autre part, celle de la solidarité de chacun des chrétiens et de tous les chrétiens ensemble avec le monde entier de ceux qui cherchent, et encore de ceux qui se perdent, d’où l’immense et extraordinaire définition du prochain que le Sauveur lui-même a pro­ posée dans la parabole du bon Samaritain (Luc, X, 2937). S’il faut donner d’abord et davantage aux chrétiens, n’est-ce pas précisément pour qu’ils deviennent dignes de leur vocation, qui est d’être les bons samaritains du monde entier1 ? d) Division des grâces sacramentelles Ainsi, la grâce qui habitait le Christ pèlerin se conti­ nue dans la grâce qui habite l’Eglise voyagère, et les voies où elle a jadis engagé le chef sont celles où elle engage aujourd’hui son corps mystique. La grâce en tant que sacramentelle, c’est précisément la grâce en tant quelle perpétue, autant que la nature des choses le rend pos­ sible, la forme de sainteté du Christ dans la forme de sainteté de l’Église, la forme de sainteté de la tête dans la forme de sainteté du corps156 157. Plus brièvement, la grâce 156. Quelques médiévaux ont entendu la communio sanctorum comme une communication des choses saintes, ou comme une com­ munication des chrétiens dans les mêmes choses saintes, notamment dans les sacrements. Mais ce n’est là qu’une vue partielle. Le Dictionnaire de Théologie Catholique renvoie à saint Bona­ venture chez qui l’on trouve, assure-t-il, la meilleure synthèse scolas­ tique de la doctrine de la communion des saints. Cf. col. 444 et 446. 157. Aux yeux des théologiens, la grâce sacramentelle apparaît comme la grâce qui met l’Église en continuité concrète profonde et mysté- 1116 vi/1 - l’âme créée de l’église en tant que sacramentelle, c’est la grâce en tant que plei­ nement christoconformante. Elle est versée dans l’Église par les sept sacrements dont chacun a sa destination propre. La manière la plus profonde de diviser les grâces sacramentelles, et qui est sous-jacente à toutes celles qu’on peut légitimement proposer, est celle que choisit saint Thomas au début de l’article où il hiérarchise les sept sacrements de la loi nouvelle1^8. Selon cette division, les grâces sacramentelles peuvent se répartir en deux catégories principales : Tout d’abord, celles qui sont nécessaires à la perfec­ tion du corps mystique tout entier, sans être cependant nécessaires a la perfection de chacun de ses membres iy). Ce sont les grâces qui habilitent les chrétiens, soit en vue de la perpétuation des fonctions de la hiérarchie chrétienne (grâces sacramentelles de l’ordre) ; soit en vue de la per­ pétuation de l’état de vie du mariage chrétien destiné à rieuse avec le Christ. « L’effet propre du baptême, dit CajetaN, n’est pas purement et simplement la grâce sanctifiante ; il est, par la grâce, de me faire renaître en membre du Christ, comme si j’avais été moimême plongé dans la passion du Christ : et cela entraîne la rémission de toute faute et de toute peine*. III, qu. 62, a. 2, n° I. JEAN DE Saint-Thomas, qui est, à notre connaissance, le théologien qui a le mieux parlé de la grâce sacramentelle, la définit toujours par sa conti­ nuité avec la grâce du Christ. La grâce sacramentelle de la confirma­ tion permet de confesser la foi « par une certaine conjonction et connaturalité avec le Christ et par participation à sa grâce ». Il y a une différence entre la manière dont la charité se nourrit par des actes fer­ vents et la manière dont elle se nourrit dans l’eucharistie par conjonc­ tion au Christ lors de la manducation de son corps. En dehors du sacrement de manage, ne se rencontre pas l’amour mutuel sacramen­ tel par configuration à l'amour du Christ et de l’Église. III, qu. 62, disp. 24, a. 2, n” 23 et 30 ; t. IX, pp. 290 et 291. 158. III, qu. 65, a. 1. 159. Ibid., et IV Sent., dist. 26, qu. 1, a. 2: Utrum matrimonium adhuc maneat sub praecepto I DÉFINITION SYNTHÉTIQUE 1117 figurer sensiblement les rapports du Christ et de l’Église (grâces sacramentelles du mariage). La transmission des fonctions hiérarchiques et la continuation de l’état de mariage réparent l’usure que le temps inflige au corps mystique160. C’est en ce sens précis et limité que les deux sacrements de l’ordre et du mariage peuvent être opposés aux autres sacrements au titre de sacrements de la vie sociale (grâce à eux, la vie sociale du corps mystique plonge dans le temps, elle est, par l’un de ses aspects, fondée sur l’écoulement du temps) ; dans un sens plus profond, tous les sacrements sont ordonnés à la vie sociale (pour autant que la vie sociale du corps mystique est seulement conditionnée par l’écoulement du temps), et l’eucharistie, sacrement par excellence de la vie intime, peut être en même temps le sacrement par excellence de la vie sociale. La seconde catégorie comprend les grâces sacramen­ telles qui sont nécessaires à la perfection du corps mys­ tique tout entier et à La perfection de chacun de ses membres. Elles se subdivisent en deux groupes. On ran­ gera dans le premier groupe les grâces sacramentelles qui ne sont nécessaires au corps mystique que par accident, en raison des surprises du péché auxquelles succombent trop constamment, hélas, les membres du corps mys­ tique : ce sont les grâces sacramentelles de la pénitence, aptes à revivifier, non pas n’importe qui, mais les membres du Christ déchus et blessés ; et les grâces sacra­ mentelles de l’extrême onction, aptes à délivrer des restes de leur péché, en vue de leur parution devant Dieu, les membres du Christ réconciliés par la pénitence161. On 160. Pour se perpétuer en pays de mission, l’Église a besoin que soient conférés aux indigènes l’ordre et le mariage. 161. Il n’est pas difficile d’entendre la pensée de Vladimir SOLOVIEV qui appelle les quatre sacrements que nous venons d’énu- 1118 VI/1 - l’âme créée de l’église rangera dans le second groupe les grâces sacramentelles qui sont nécessaires au corps mystique fondamentale­ ment et par soi : les grâces du baptême, par lesquelles ceux qui étaient « par nature fils de colère » (Ephés., II, 3) sont immergés soudain « dans la nouveauté de vie » (Rom., VI, 4) du Christ mystique ; les grâces de la confir­ mation, par lesquelles les baptisés sont revêtus de la force d’en haut, à la ressemblance des apôtres au jour de Pentecôte (Act., I, 8 et XIX, 6), en vue de perpétuer amoureusement le témoignage extérieur rendu par le Christ à la vérité (Jean, XV, 27 et XVIII, 37) ; les grâces de l’eucharistie, par lesquelles le chrétien peut achever de s’aliéner dans le Christ par union d’amour : « Qui me mange vivra pour moi » (Jean, VI, 57)162. merer les sacrements des devoirs de l’homme (du chrétien), pour les opposer aux trois sacrements du baptême, de la confirmation et de l’eucharistie, qu’il appelle les sacrements des droits de l’homme (du chrétien). En raison de son incorporation au Christ et des privilèges de sa dignité messianique, résultant des sacrements des droits de l’homme, le chrétien est tenu de lutter contre le péché, qui tend à pervertir par la passion ses rapports avec la femme (sacrement du mariage) et à l’empêcher par l’égoïsme et les particularismes de s’insé­ rer dans l’ordre universel de l’Église (sacrement de l’ordre) ; il est tenu de surmonter le péché pour rejoindre ici-bas, quand il l’a per­ due, sa dignité d'enfant de Dieu (sacrement de la pénitence) et de surmonter la maladie et la mon, dernières conséquences du péché, pour s’acheminer vers la résurrection (sacrement de l’extrême-onc­ tion). La Russie et l’Église universelle, Paris, 1922, pp. 330-336. Toutefois cette division est moins parfaite que celle de saint Thomas : le mariage a une destination positive plus haute que celle marquée par Soloviev ; l’ordre n’a pas pour but direct de triompher des égoïsmes individuels et collectifs ; l’extrême-onction est ordonnée immédiatement à une purification spirituelle. 162. Avec Nicolas CABASILAS (t 1363), on peut adapter les mots de Paul à l’Aréopage : « C’est en lui (Dieu) que nous avons la vie, le mouvement et l’être », Act. XVII, 28, à signifier les grâces des trois premiers sacrements: le baptême donne l’être dans le Christ, la DÉFINITION SYNTHÉTIQUE 1119 « Les sacrements de l’Église, dit saint Thomas, tirent leur vertu particulièrement de la passion du Christ ; cette vertu passe en quelque sorte en nous par la récep­ tion des sacrements ; et c’est pourquoi, du côté du Christ suspendu sur la croix, ont coulé l’eau et le sang, signes du baptême et de l’eucharistie, c’est-à-dire des deux sacrements principaux »163. e) La grâce sacramentelle de Veucharistie 1. Les sacrements de la loi nouvelle ne sont pas égaux entre eux164, ils sont, chacun de leur façon, orientés vers confirmation le mouvement dans le Christ, l’eucharistie la plénitude de vie dans le Christ. De vita in Christo, P. G., t. CL, col. 504, trad. Broussaleux, Amay-sur-Meuse, 1932, p. 27. Dans l’analyse qu’il fait de ce traité de Cabasilas, S. SaLAVILLE, A.A., écrit: «On peut s’étonner que Cabasilas s’en tienne aux trois sacrements de baptême, de confirmation et d’eucharistie, ceux que l’antiquité appelait les sacrements de l’initiation chrétienne. Peut-être avons-nous la meilleure explication dans cette idée même d’initia­ tion, qui demeure à la base des considérations de notre théologien byzantin, sans exclure pour autant les autres sacrements». Intro­ duction a l’« Explication de la divine liturgie » de N. Cabasilas, Paris, 1943, p. 36 ; cf. p. 22. - Cabasilas parle avec une grande force et une grande beauté de notre assimilation au Christ par ces trois sacre­ ments. Chez SOLOVIEV, les trois « sacrements des droits de l’homme » sont définis, d’une manière beaucoup moins théologique et assez « impure », par la devise liberté, égalité, fraternité : le baptême est le sacrement de la liberté chrétienne ; la confirmation est le sacrement de Fonction prophétique qui égalera parfois le confirmé à ceux qui ont reçu Fonction sacerdotale ou Fonction royale ; l’eucharistie est le sacrement de la communion de tous les hommes dans la fraternité du Christ. La Russie et l’Église universelle, Paris, 1922, pp. 326-329. 163. Ill, qu. 62, a. 5. 164. «Si quelqu’un dit que l’égalité de ces sept sacrements est telle, qu’il n’y a pas de raison pour que l’un soit supérieur à l’autre, qu’il soit anathème ». Concile de Trente, session VII, De sacramentis, can. 3, Denz., n° 846. 1120 VI/1 - l’âme créée de l’église l’eucharistie, qui est leur couronnement et leur fin165. La grâce sacramentelle qu’ils versent dans les âmes est comme un désir ontologique, une inchoation et une anticipation de la grâce qu’apportera l’eucharistie, à savoir de cette charité plénière dont résulte l’unité du corps mystique166167 . Dès le jour de leur baptême, par exemple, les petits enfants sont inclinés mystérieusement vers l’eucharistie, la grâce du baptême est en eux une anticipation prochaine de la grâce de l’eucharistie16l· Il faut aller plus loin : dans l’économie chrétienne du salut, la grâce sanctifiante non sacramentelle départie au monde, - d’une part aux justes des âges de la loi de nature et de la loi mosaïque, d’autre part aux justes de notre âge que le Christ ne sanctifie qu’à distance, — n’est elle-même salvatrice que parce quelle est une anticipa­ tion éloignée, un vœu ontologique de la grâce de l’eucha­ ristie : en sorte que, de tous les hommes qui auront la vie en eux et qui seront sauvés, pas un seul ne l’aura et ne sera sauvé, sinon en raison de son appartenance plus ou moins immédiate à ce corps mystique que le Christ 165. «Tous les autres sacrements paraissent converger vers ce sacrement comme vers leur fin». S. THOMAS, III, qu. 65, a. 3. « L’eucharistie est comme la consommation de la vie spirituelle et la fin de tous les sacrements ». Ibid., qu. 73, a. 3. 166. «L’eucharistie est le sacrement de la charité, laquelle est le lien de la perfection, Col. III, 14 ». Ibid., ad 3. « La réalité effectuée par ce sacrement est l'unité du corps mystique hors duquel il ny a pas de salut ». Ibid., a. 3. 167. «Le baptême nous ordonne à l’eucharistie, il s’ensuit que, dès leur baptême, les petits enfants sont ordonnés par l’Église à l’eu­ charistie ; et comme ils croient par la foi de l’Église, ainsi ils désirent l’eucharistie par l’intention de l’Église; et, de ce fait, ils en reçoivent la grâce ». Ibid. Saint Thomas veut dire que l’Église par la liturgie du baptême et de l’eucharistie, manifeste les inclinations ontologiques de la grâce sacramentelle. Et il ne pense pas qu'au baptême la grâce sa­ cramentelle de l’eucharistie doit donnée re; elle n’est donnée que voto. DÉFINITION SYNTHÉTIQUE 1121 avait, de toute éternité, décidé de s’agréger par le contact de son eucharistie : « Si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme et ne buvez son sang, vous n’avez pas la vie en vous. Qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle et je le ressusciterai au dernier jour. Car ma chair est vraiment une nourriture et mon sang est vrai­ ment un breuvage. Qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui. De même que le Père m’a envoyé et que je vis pour le Père, ainsi celui qui me mange vivra par moi » (Jean, VI, 53-57). En d’autres mots, dans l’économie chrétienne du salut, le corps mys­ tique, qui se forme autour de l’eucharistie, est lui-même le centre de convergence et le support de toutes les grâces dispensées au monde, même des grâces sancti­ fiantes non sacramentelles, au point que, s’il venait par impossible à disparaître, toutes ces grâces disparaîtraient en même temps, comme disparaîtrait le désir si son terme disparaissait. En sorte qu’il est impossible de concevoir le salut du monde sans l’eucharistie et la grâce qui émane d’elle. Ainsi, du point de vue de la causalité finale, il faut dire que la grâce incorporante de l’eucharistie est le point de convergence et le point d’appui de toutes les grâces données au monde. Pareillement, du point de vue de la causalité efficiente, il faut dire que le sacrifice de la Croix, offert en une fois pour être ensuite véhiculé sous les apparences eucharistiques jusqu’à la fin du temps, est la cause de toutes les grâces données au monde, et que s’il cessait de se perpétuer, ces grâces disparaîtraient comme la lumière du jour si l’on ôtait le soleil. 2. Quel est donc l’effet de l’eucharistie ? C’est l’unité secrète de l’Église, la charité en tant quelle unit dune manière suprême les hommes au Christ et entre eux. Elle est manifestée par le symbolisme du sacrement. S’il est corn- 1122 vi/i - l’âme créée de l’église plexe, c’est pour mieux signifier le mystère d'unité qu’il opère. Avant tout l’union des chrétiens au Christ est symbo­ lisée par l'union d'assimilation, c’est-à-dire par la plus forte union que puisse offrir la réalité visible ; mais il y a renversement : la nourriture matérielle, qui est morte, ne cause la vie qu’en se laissant assimiler, tandis que le Pain dont il est ici parlé est Vie, et donne la vie en assimi­ lant168 : « Qui me mange vivra par moi » (Jean, VI, 57) ; « Parce que le Pain est unique, nous sommes tous ensemble un corps unique ; car nous tous, nous partici­ pons au Pain unique » (I Cor., X, 17). C'est par le Christ en croix que les chrétiens doivent icibas se laisser assimiler, et la séparation des espèces sacra­ mentelles ramène leur pensée au sacrifice où son corps et son sang furent divisés : « Le calice de bénédiction que nous bénissons, n’est-il pas une communion au sang du Christ? Le pain que nous rompons, n’est-il pas une communion au corps du Christ?» (I Cor., X, 16); « Chaque fois, en effet, que vous mangez ce pain et que vous buvez le calice vous annoncez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il revienne » (I Cor., XI, 26). Rien d’ailleurs n’accusera plus profondément la signi­ fication du symbolisme sacramentel que la doctrine théologique de la transsubstantiation. Elle se fait, non par un mouvement de descente du Christ, mais au contraire par une conversion du pain et du vin en le corps et le sang du Christ glorieux, préexistant et inchangé ; en sorte que les hosties consacrées représentent, non pas plusieurs parcelles du Christ ni plusieurs Christs, mais 168. Cf. Nicolas C.ABASILAS, De vita in Christo, livre IV ; P. G., t. CL, col. 597. Voir aussi la postcommunion de la messe de saint Bernard, dans le missel cistercien : « Ut incorporet nos sibi esus edentes ». DÉFINITION SYNTHÉTIQUE 1123 plusieurs présences du Christ unique du ciel, qui dresse entre lui et nous la Croix de son sacrifice unique, et sur lequel nous sommes jetés à chaque communion. La dia­ lectique de la transsubstantiation n’évacue pas, elle approfondit merveilleusement la dialectique du symbo­ lisme eucharistique. Voilà l’essentiel, mais le symbolisme du sacrement ne sera jamais épuisé et l’amour attentif des chrétiens leur fera découvrir d’autres signes de l’effet opéré par l’eucha­ ristie. L’un des plus connus se trouve mentionné dans une prière eucharistique de la fin du premier siècle : «Nous te rendons grâce, ô notre Père... Comme ce pain..., disséminé autrefois sur les collines a été recueilli pour devenir un seul tout, qu’ainsi ton Eglise soit ras­ semblée des extrémités de la terre dans ton royaume : à toi, en effet, est la gloire et la puissance par Jésus-Christ dans les siècles ! »169 L’unité résulte de l’amour et l’exceptionnelle unité de l’Eglise résulte d’un exceptionnel amour, que l’Esprit saint communique aux hommes par le contact du Christ et des sacrements, et qui, rassemblant ces hommes autour des sacrements du Christ, inaugure au milieu d’eux un mode d’inhabitation de l’Esprit saint inconnu des âges antérieurs. Cet exceptionnel amour, que nous avons appelé la charité sacramentelle, le Christ sacramenté de l’eucharistie va le communiquer sous sa forme la plus sainte, la plus haute, et en conséquence la plus christoconformante. « Personne n’a de plus grand amour que celui qui donne sa vie pour ses amis » (Jean, XV, 13) : avec le corps et le sang du Christ martyr, ce que l’eucharistie livre aux chrétiens, c’est le feu même de sa charité170, 169. Didachè, IX, 2. 170. Cf. S. THOMAS, III, qu. 79, a. 1, ad 2, qui cite partiellement un beau texte de saint JEAN DAMASCENE, où l’on pourra lire : 1124 VI/1 - l’âme créée de l’église pour qu’ils puissent devenir, corps et âme, une ressem­ blance du Christ victime volontaire offerte à Dieu pour le salut du monde, pour qu’en eux puissent se reproduire intensément les états de la vie mortelle du Christ, ses mystères joyeux et glorieux, surtout ses mystères doulou­ reux, sa pauvreté, ses humiliations, le supplice de son corps, l’agonie de son âme. 3. Toute la grâce sanctifiante du monde est suspendue à la grâce de l’Eglise. Et toute la grâce de l’Eglise est sus­ pendue à l’eucharistie. On pourrait illustrer cette dernière proposition en uti­ lisant les études où le Père de Lubac établit que l’expres­ sion corpus mysticum, qui s’entendait, au IXe siècle, du corps sacramentel ou eucharistique, en est venue, par un glissement progressif de la cause à l’effet, du signe au signifié, à désigner, au XIIe siècle, le corps ecclésial, qui avait été appelé jusqu’alors sans épithète, avec saint Paul, le « corps du Christ ». A la même époque, le corps sacra­ mentel recevait le nom de corpus verumx Que l’expres­ sion de «corps mystique» ait ainsi glissé de l’eucharistie à l’Église, n’est-ce pas un trait révélateur ? « Approchons-nous de l’eucharistie avec un brûlant désir er, les mains en croix, recevons le corps du Crucifié. Approchons nos yeux, nos lèvres, notre front. Unissons-nous au charbon divin afin que le feu du désir qui est en nous, accru par l’ardeur du charbon, consume nos péchés et illumine nos cœurs, afin encore que participant à la flamme divine, nous soyons enflammés et divinisés». De fide orth., livre IV, ch. xin ; P. G., t. XCIV, col. 1149. 171. Henri DE LUBAC, « Corpus mysticum », L’Eucharistie et L’Église au Moyen Age, Paris, 1944. Avec une remarquable érudition, l’auteur montre, à propos du mystère de l’eucharistie, que la pensée théolo­ gique peut connaître des renversements de problématisation qui font apparaître certaines vérités nouvelles et rentrer dans l’ombre certains aspects jusqu'alors prédominants. Il insiste en historien sur l’irréduc­ tible différence des phases de pensée révolues, sur l’impossibilité de DÉFINITION SYNTHÉTIQUE 1125 Suite de la note 171 : les saisir dans leur sensibilité et leur existence concrète autrement que par une sorte d’intuition divinatrice, il rappelle avec Max Scheier que « les phases de l’évolution ne sont pas de simples marches situées les unes au-dessus des autres, mais que chacune d’elles a sa nature et sa valeur » et que « le développement n’est pas seulement progrès, mais qu’il est toujours en même temps décadence ». Et tout cela peut être juste, bon et nécessaire à savoir. Mais ceux qui croient à la valeur de la théologie spéculative ajouteront quelle a justement pour mission de rassembler constamment dans une synthèse organique et vitale, jamais figée et toujours progressante, non pas certes les formes de vie concrètes du passé, mais toutes les vérités partielles qui ont été déga­ gées à la faveur des problématisations auxquelles ces formes de vie ont donné naissance. La théologie spéculative de l’eucharistie aura pour fin, si elle est assez profonde, non pas de chasser comme on nous le dit « la dialectique du signe et de la chose » par « la dialec­ tique de la substance et de l’accident », mais de manifester, toujours plus profondément, la nécessaire interdépendance du mystère du corps sacramentel et du mystère du corps ecclésial. Ceci, le Père de Lubac contribue à le faire, par exemple lorsqu’il met en parallèle la manière dont le catholicisme et le calvinisme entendent les rapports de l’eucharistie et de l’Église ; voir plus loin, p. 1129, note 178. S’il était vrai, comme l’écrit le Père de Lubac, qu’« à partir du moment où il devient corpus mysticum., le corps ecclésial se détache déjà de l’Eucharistie », op. cit., p. 283, nous dirions que c’est par une défaillance des théologiens, non par une exigence de la théologie. Le mystère de l’eucharistie est celui du rapport du Christ sacramenté au Christ total. Comment une exacte théologie pourrait-elle approfon­ dir notre connaissance de l’un des termes de ce rapport sans appro­ fondir notre connaissance de l’autre terme, et de tout le rapport ? D’ailleurs il faut avouer que le Père de Lubac, en sa qualité d’histo­ rien, n’est pas ennemi des images saisissantes. La théologie de l’eucha­ ristie parle d’une « res contenta ». Cette expression désignait d’abord la réalité enveloppée et contenue dans le sacrement comme signifiée (et effectuée) : on songe d’abord au corps ecclésial ; on songe aussi, un peu plus tard, au corps sacramentel. A partir du milieu du XIIe siècle, la signification de la « res contenta » change ; elle désigne la réa­ lité enveloppée et contenue dans le sacrement, non plus comme seule­ ment signifiée (et effectuée), mais en outre comme corporellement et substantiellement présente-, la «res contenta» devient alors exclusive­ ment le « vrai corps », le corps sacramentel. Il reste pourtant acquis, 1126 VI/1 - l’âme créée de l’église Au cours de ses études le Père de Lubac montre com­ ment la problématisation historique de l’eucharistie s’est modifiée. Tout d’abord on supposait la présence réelle et l’attention se portait plutôt sur son effet - qui est ce que saint Thomas appellera res tantum172 -, à savoir le corps ecclésial173. Peu à peu, surtout sous l’influence de la et cela ne fait aucun doute, que le corps ecclésial continue d’être en­ veloppé et contenu dans le sacrement comme signifié (et effectué). Or, ce changement de vocabulaire est ainsi interprété par le Père de Lubac (c’est nous qui soulignons) : « La réalité ultime du sacrement, celle qui en était autrefois la chose et la vérité par excellence, est ainsi expulsée hors du sacrement lui-même. Le symbolisme devient extrin­ sèque : on pourra désormais le passer sous silence sans mûre à l’intégnté du sacrement... En même temps qu’on la rejetait du “corpus verum”, on commençait de rejeter l’Église du “mysterium fidei” ». Ibid., p. 283. Une théologie spéculative plus ferme, sans gêner la recherche histo­ rique, aurait fait renoncer, croyons-nous, à certaines simplifications. 172. « Corpus mysticum, quod est res tantum in eucharistia ». Ill, qu. 73, a. 1, obj. 2. «Res hujus sacramenti est unitas corporis mys­ tici, sine qua non potest esse salus ». Ibid., qu. 73, a. 3. - Res tantum, cela veut dire la réalité qui dans l’eucharistie est ultime, et qui par conséquent n’est plus signifiante, mais seulement signifiée. Le corps mystique, cela, insistons-y, est acquis pour toujours, est contenu dans l’eucharistie comme le signifié dans le signe et l’effet dans la cause. Les sacrements de la loi nouvelle contiennent en effet la grâce qu’ils signifient, Concile de Florence, Pro Armenis, Concile de Trente, De sacramentis in genere, can. 6, Denz., n° 695 et 849. Saint ALBERT le Grand écrit expressément, du Christ sacramenté, qu’il est « significans, causans et continens gratiam incorporationis, quae est ultimum in sacramento secundum catholicam fidem ». De euch., dist. 6, tract. 3, cap. I, n° 2 ; édit. Borgnet, t. XXXVIII, p. 413. Cependant, à la différence du vrai corps du Christ, le corps mystique nest pas contenu dans l’eucharistie substantiellement. Sous ce rap­ port, on dira qu’il est « res non contenta ». Entre le Christ et son corps mystique, il y a « unio caritatis in gratia », non « identitatis unitas in natura », IVe Concile de Latran, ch. Il, Denz., n° 432. Et cela aussi est acquis pour toujours. 173. « Dans la pensée de toute l’antiquité chrétienne, Eucharistie et Église sont liées. Chez saint Augustin, sous l’influence de la DÉFINITION SYNTHÉTIQUE 1127 controverse protestante, l’attention s’est portée principa­ lement sur la présence réelle - qui est ce que saint Thomas appelle res et sacramentum' \ - et certains ont parfois évité17'’ ou négligé d’insister sur son effet, qui est l’Eglise1 6. Faute de tenir compte de ce changement de perspective, l’auteur de Corpus mysticum l’établit à l’évicontroverse donatiste, cette liaison s’accentue avec une force toute particulière, et il en va de même chez les écrivains latins des VIIe, VIIIe et IXe siècles. Pour eux comme pour Augustin..., l’Eucharistie est rapportée à l’Église comme la cause à l’effet, comme le moyen à la fin, en même temps que comme le signe à la réalité, Or, ce passage du sacramentum à la virtus sacramenti ou de la species visibilis à la res ipsa se fait chez eux d’un si rapide élan, l’accent est tellement mis sur l’Église que si, dans un exposé concernant le mystère eucharistique, se rencontre sans plus le mot “corps du Christ”, c’est souvent non l’Eucharistie, mais l’Église que ce mot désigne... Le pain consacré est bien pour eux le corps du Christ..., mais dans ce pain, ce qu’ils voient d’abord, c’est la figure de l’Église. Ainsi le sacramentum panis les conduit tout droit à V unitas corporis. A leurs yeux, l’Eucharistie est essentiellement, comme elle l’était déjà pour saint Paul et pour les Pères, mysterium unitatis, elle est sacramentum conjunctionis, fédératio­ ns, adunationis ». H. DE Lubac, op. cit., pp. 19 et 22. 174. «Corpus Christi verum, quod est res et sacramentum. » III, qu. 73, a. 1, obj. 2. Res et sacramentum, cela veut dire la réalité qui est intermédiaire entre, d’une part, le symbolisme sacramentel {sacra­ mentum tantum, à savoir les apparences du pain et du vin en tant que soumises à la formule de la consécration), et, d’autre part, l’effet ultime du sacrement {res tantum, à savoir l’unité du corps mystique). Le corps vrai du Christ est, dès lors, signifié et signifiant, res et sacra­ mentum. 175. «C’est ainsi que Bellarmin ne dit rien sur les rapports de l’Eucharistie et de l’Église. Il semblerait, tant ce silence contraste avec l’abondance de son érudition, qu’il évite systématiquement, dans les nombreux textes qu’il cite, de reproduire les phrases où il est question de ces rapports.» Henri DE LUBAC, op. cit., p. 291. C’est qu’en effet le point de vue de saint Bellarmin est plus apologétique que théolo­ gique. 176. «Aujourd’hui, c’est surtout notre foi en la présence réelle, explicitée grâce à des siècles de controverse et d’analyse, qui nous 1128 ΧΊ/1 - l’âme créée de l’église Suite de la note 176: introduit à la foi au corps ecclésial : efficacement signifié par le mys­ tère de l’Aurel, le mystère de l’Église doit avoir même nature et même profondeur. Chez les anciens, la perspective était souvent inverse. L’accent était mis habituellement sur l’effet plutôt que sur la cause. Mais le réalisme ecclésial dont ils nous offrent partout le témoignage le plus explicite nous garantit du même coup, lorsqu’il en est besoin, leur réalisme eucharistique. Car la cause doit être adéquate à son effet... En venu de la même logique interne - et cette contre-épreuve a son prix - ceux qui dans les temps modernes exténuent l’idée tradi­ tionnelle de l’Église corps du Christ, se trouvent exténuer aussi la réa­ lité de la présence eucharistique. C’est ainsi que Calvin s’efforce d’établir une même idée de présence virtuelle du Christ en son sacre­ ment et en ses fidèles. Sa raison est la même en l’un et l’autre cas : Car il est au ciel et nous sommes ici-bas en terre. Et le pasteur Claude, lorsqu’il veut écarter le témoignage que les apologistes tirent des Pères en faveur de la doctrine catholique de l’Eucharistie, se voit obligé de contester la portée de leurs textes concernant l’Église. Comment, en effet, l’Église serait-elle réellement édifiée, comment tous ses mem­ bres seraient-ils rassemblés en un organisme réellement un, par le moyen d’un sacrement qui ne contiendrait qu’en symbole Celui dont elle doit devenir le corps et qui seul peut en faire l’unité ?... Présence réelle, parce que réalisante ». Ibid., pp. 289-290. C’est là une vue pro­ fonde. Mais que penser du raccourci suivant : « Des trois termes qui se trouvaient en présence et qu’il s’agissait d'organiser entre eux, c’est-à-dire à la fois d’opposer et d’unir, corps historique, corps sacramentel et corps ecclésial, jadis la césure était mise entre le premier et le deuxième, tandis qu’elle vint ensuite à être mise entre le deuxième et le troisième. Tel est en résumé le fait qui domine toute l’évolution des théories eucharistiques ». Ibid., p. 294. Répondons que le théologien spéculatif, s’il tient que toute la grâce sanctifiante du monde est suspendue à la grâce de l’Église, et que toute la grâce de l’Église est suspendue à l’eucharistie, se gardera en tout temps d’établir une césure, c’est-à-dire une séparation entre le corps ecclésial et le corps sacramentel. D’autre part, « une césure entre le premier et le deuxième terme » ne pourra jamais être pour lui autre chose qu’une distinction entre les deux modes de présence d’un Christ unique, qui est au ciel sub specie propria et dans l’eucharistie sub specie aliena. DÉFINITION SYNTHÉTIQUE 1129 dence, on s’expose à se méprendre sur la pensée eucharis­ tique des anciens et notamment de saint Augustin177. Ces changements de problématisations sont utiles à connaître. Ils nous font comprendre comment le donné authentique de la théologie spéculative peut s’accroître sans cesse, sans pourtant se renier jamais. L’histoire de ce point de doctrine, en particulier, contient un autre enseignement. Elle nous invite à élargir constamment notre foi pour l’égaler au double mystère de l’Église et de l’eucharistie. « L’Église et l’eucharistie, dit le Père de Lubac, se font, chaque jour, l’une par l’autre : l’idée de l’Eglise et l’idée de l’eucharistie doivent pareillement se promouvoir et s’approfondir l’une par l’autre »178. 177. « L’un des cas les plus typiques est fourni par l’enseignement d’Augustin sur la communion des indignes. Ceux-ci s’approchent, ils reçoivent le sacrement. Que fait cependant le Seigneur ? Non pas comme à la cène, où ce lui avait été une si douce nourriture de man­ ger la pâque avec ses disciples. Il fait comme il fit sur la croix, lorsqu’après avoir goûté au breuvage amer qui lui était tendu, il refusa de le boire. Non admittit ad corpus suum. On doit traduire : II ne se les incorpore pas. C’est la perspective habituelle à saint Augustin, qui voit toujours le corps ecclésial en prolongement de l’eucharistie. Mais une fois qu’on aura en quelque sorte coupé ce corps ecclésial du corps sacramentel, par un déplacement de la césure, le problème de l’inter­ prétation des textes de ce genre deviendra insoluble... Le problème, pour saint Augustin, était celui de la fécondité du sacrement, celui de son fruit spirituel (transitus in corpus Christi) ; on en fait un problème de validité, un problème de présence sacramentelle. Il s’agissait de l’effet de la communion ; il va désormais s’agir de l’effet de la consé­ cration ». Ibid., p. 296. 178. Ibid., p. 299. - Est-ce à dire qu’il faille, selon l’ordre d’expo­ sition adopté par Scheeben dans sa Dogmatique et signalé par le Père de Lubac, traiter « d’abord de l’Eucharistie, puis de l’Église, puis des autres sacrements » ? Nous ne pensons pas. Le Christ donne à son Église, par la voie de l’eucharistie, la perfection de la charité sacra­ mentelle, par laquelle il l’unit à son sacrifice rédempteur : c’est le principal, mais non le tout, de l’Église. Il utilise d’autres voies pour lui donner soit les autres grâces sacramentelles, soit les caractères 1130 vi/i - l’âme créée de l’église f) Les valeurs sanctifiantes présupposées par la charité sacramentelle La charité sacramentelle est la qualité ontologique suprême sans laquelle l’Église de la loi nouvelle qui est l’épouse et le corps du Christ ne pourrait exister ; cepen­ dant son apparition présuppose dans les âmes la pré­ sence de valeurs spirituelles, qui trouvent en elle leur rai­ son d'être et leur achèvement, mais qui peuvent, dans un état de choses anormal et par une sorte de violence, exis­ ter sans elle. Ainsi la charité théologale pourra exister, mais privée de sa perfection sacramentelle, chez les non-baptisés qui, par un désir profond et surnaturel, appartiennent à l’Église voto, d’une manière commencée, en acte virtuel et tendanciel. Ainsi encore, la foi et l’espérance théologales - ou même la foi théologale toute seule — pourront subsister sans la charité soit chez des non-baptisés, soit chez des baptisés qui porteront en eux, outre ces valeurs sancti­ fiantes, l’empreinte des caractères sacramentels. Elles y créeront une appartenance à l’Église, sans doute très imparfaite et très différente de la précédente. g) D'une appartenance initiale a ΓÉglise en raison de ces valeurs sanctifiantes 1. On peut imaginer un processus de croissance conduisant l’âme des valeurs spirituelles inférieures aux supérieures et jusqu’à la charité sacramentelle. Ou, au contraire, un processus de désintégration de la charité sacramentels, soit les orientations juridictionnelles. Le traité de l’Église trouverait sa meilleure place entre le traité de l’incarnation rédemptrice qui le fonde et le traité des sacrements qui le déploie. Il se trouve, comme en nœud, III, qu. 8, a. 6, où saint Thomas demande si c’est un privilège propre au Christ d’être Chef de l’Église. DÉFINITION SYNTHÉTIQUE 1131 sacramentelle, qui ne laissera comme résidu que la foi avec les caractères sacramentels, ou même que les seuls caractères sacramentels. 2. Le Père Congar a caractérisé avec exactitude dans Chrétiens désunis, Principes dun « œcuménisme » catho­ lique^, le rapport qu’il y a entre un bon dissident et un mauvais catholique : « Le bon dissident, quoi qu’il fasse, n’entrera jamais dans la jouissance de tous les biens remis, pour réaliser sa communion en Dieu, au peuple de la Nouvelle Alliance. Le mauvais catholique, s’il a perdu personnellement la charité..., tant qu’il reste dans l’Eglise, reste dans l’arche du salut. Tant qu’il ne la quitte pas expressément par un péché personnel de schisme (contre la charité comme lien social) ou d’hérésie (contre la foi comme lien social), ou qu’il n’en est pas rejeté par une excommunication juste et totale, il est dans la cité où se trouve la totalité des moyens de réconciliation et de communion avec Dieu. Il ne s’en sert pas, tandis que le bon dissident, qui ne les a pas tous, s’en sert. Il ne rend aucune gloire à Dieu, mais l’offense, et il court à sa perte; l’autre rend gloire à Dieu, bien qu’imparfaite­ ment, et il sera, malgré tout, sauvé... Le cas personnel du bon dissident est évidemment bien préférable au cas per­ sonnel du mauvais catholique ; mais à vrai dire, tous les deux sont anormaux. Il reste cependant que, si le pre­ mier est moins bon, son Eglise pourtant a raison et lui offre, par elle-même, tous les moyens de devenir un saint ; tandis que, si le second est meilleur, son Eglise est dans l’erreur et ne lui offre, par elle-même, que des secours incomplets ou trompeurs ». En d’autres mots, si l’on compare le chrétien pécheur et le «juste du dehors », le premier est avantagé socialement et le second 179. Paris, 1937, p. 293. 1132 VI/1 - l’âme créée de l’église personnellement, mais letat de chacun deux est anor­ mal. Nous voudrions, dans le prolongement de cette pers­ pective, poser encore une question délicate à laquelle nous répondrons d’une manière qui de prime abord pourra sembler paradoxale. Qui donc appartient davan­ tage à l’Eglise ? le juste non baptisé, dont l’appartenance à l’Église est déjà salutaire ? ou le pécheur baptisé, dont l’appartenance à l’Église n’est plus salutaire ? On est tenté de répondre tout de suite que c’est le juste non baptisé. En un sens cela est exact, puisque cet homme est personnellement et actuellement justifié. Consi­ dérons cependant le mystère du pécheur baptisé. Il est entré beaucoup plus avant dans l’Église, et son recul ne diminue rien ni de ses devoirs à l’égard du corps mys­ tique ni des droits que le corps mystique conserve sur lui. Dans un cas nous avons affaire à une appartenance seulement initiale qui est progressive ; dans l’autre cas nous avons affaire à une appartenance parfaite qui a été ravagée. Ce n’est pas parce quelle oublierait le primat de l’amour que l’Église - et les yeux de l’épouse sont ici ceux de l’Époux - regarde comme ne cessant pas d’être immédiatement ses enfants, ceux de ses membres qui ont failli sans cependant vouloir la renier. Dans le creux et l’horreur de leur privation, ce quelle découvre et leur montre c’est précisément l’amour de leur premier enga­ gement qui demande à reparaître, auquel ils restent privativement et donc encore ontologiquement ordonnés, auquel elle les presse de revenir, et qu’ils peuvent retrou­ ver si facilement. Et tant qu’ils ne l’ont pas solennelle­ ment reniée par le schisme, l’hérésie, ou l’obstination de Vimpénitence finale, ils adhèrent encore à elle et partici­ pent comme des membres morts aux grandes impulsions que la charité qui réside dans les membres justes imprime à l’ensemble du corps. DÉFINITION SYNTHÉTIQUE 1133 Il y a, croyons-nous, un très grand mystère, difficile à circonscrire, dans le fait de l’étroite appartenance des pécheurs à l’Eglise. C’est encore, mais signifié comme en négatif, le mystère du primat de la charité. On l’évacue­ rait si on pensait l’expliquer par une distinction entre l’appartenance à l’Église et l’appartenance au Christ, entre l’ordre externe de l’Église et l’ordre interne du corps mystique, entre une «Église juridictionnelle» et «une Eglise de l’amour », ou même simplement entre « le point de vue de la juridiction » et « le point de vue de la charité». Ce que ces pécheurs sont pour l’Église, ils le sont pour le Christ. N’est-ce pas le Christ lui-même qui a institué le sacrement de pénitence pour réintégrer dans l’amour, non pas tous les hommes, mais seulement ces pécheurs-là ? C’est bien à lui qu’ils appartiennent spécia­ lement. Ils sont dans son corps mystique. Ils sont ses mem­ bres : « Il faut admettre en effet que l’infinie miséricorde de notre Sauveur ne refuse pas maintenant une place dans son corps mystique à ceux auxquels il ne la refusa pas autrefois à son banquet... Que tous aient en horreur le péché qui souille les membres mystiques du Rédemp­ teur... Qu’on ne voie en lui (c’est-à-dire dans le pécheur tombé qui ne s’est pas rendu indigne de la communion des fidèles) qu’un membre infirme de Jésus-Christ »180. 3. Il résulte de ces considérations que l’appartenance imparfaite à l’Église peut se réaliser de manières très diverses et à des étages très inégaux. Chez les baptisés, par la foi et l’espérance jointes aux caractères sacramen­ tels : c’est l’appartenance immédiate mais non salutaire des membres pécheurs181 ; ou même par les seuls carac­ 180. Encyclique Mystici corporis, dans A. A. S, p. 203. 181. «Toute vie ne disparaît pas de ceux qui, ayant perdu par le péché la charité et la grâce sanctifiante, devenus par conséquent inca- 1134 vi/i - l’âme créée de l’église tères sacramentels, et alors ce n’est plus qu’une apparte­ nance résiduelle. Chez les non-baptisés, par la simple charité théologale privée de ses modalités cultuelle et sacramentelle: c’est une appartenance initiale, efficace, déjà salutaire ; ou par la seule foi théologale : c’est l’ap­ partenance inefficace des catéchumènes pécheurs. Cela signifie que la notion d’appartenance à l’Église et la notion de membre de l’Église sont des notions, non pas univoques mais analogiques. h) La charité, quand elle est jointe aux caractères sacramentels, est a la fois cultuelle et sacramentelle On peut ici faire remarquer que partout où les sacre­ ments de la loi nouvelle sont absents et où cependant la grâce se rencontre, cette grâce ne peut être ni cultuelle ni sacramentelle. Il faut en effet rattacher à la présence des sacrements d’une part l’exercice du culte chrétien, et d’autre part les modalités cultuelle et sacramentelle de la grâce chrétienne. De ce point de vue, il serait donc pos­ sible d’attribuer au nom de grâce sacramentelle un sens plus général que celui que nous venons de lui donner dans ce chapitre. La grâce dite sacramentelle, en cette acception nouvelle et élargie, signifierait alors la grâce avec ses modalités tout à la fois cultuelle et sacramen­ telle. A la question : Quelle est l’âme créée de l’Église ? il suffirait de répondre : C’est la grâce sacramentelle et orientée. pables de tout mérite surnaturel, conservent pourtant la foi et l’espé­ rance chrétiennes, et, à la lumière de la grâce divine, sous les inspira­ tions intérieures et l'impulsion du Saint-Esprit, sont poussés à une crainte salutaire et excités par Dieu à la prière et au repentir de leurs fautes ». Ibid. DÉFINITION SYNTHÉTIQUE 1135 4. L’âme créée de l’Église est la charité en tant qu’« orientée » La charité est l’âme créée de l’Église pour autant que l’Esprit saint, qui la donne à travers le Christ, l’applique avec une liberté infinie à former ici-bas un corps mys­ tique au Christ et un temple pour Lui-même. a) La charité chrétienne est comme telle « docile » à la voix du Christ Il ne suffirait pas à la charité, pour être l’âme créée de l’Église, d’être unifiée numériquement en raison déjà de sa pure essence et du fait quelle est une relation trans­ cendantale à l’unité, à l’unicité, à la simplicité infinies de la Déité182. Il faut de plus qu’une certaine motion de l’Esprit et du Christ l’applique concrètement à former dans le monde le corps du Christ et le temple que l’Esprit a voulu se préparer pour le temps de la loi nou­ velle. Et que font à cet effet l’Esprit et le Christ - l’Esprit 182. Cette unité, qui ne serait pas encore celle de notre Église, corps du Christ et temple de l’Esprit saint, et qui aurait pu se rencon­ trer hors du christianisme, par exemple dans l’état de justice origi­ nelle, est analysée par saint THOMAS, III Sent., dist. 13, a. 2, quaest. 2, ad 1. Voir plus haut, p. 1091. CAJETAN, II-II, qu. 39, a. 1, n° II, distingue dans l’Église trois unités superposées : « 1° l’unité des vertus théologales et des sacrements : tous les fidèles en effet croient une même chose, espèrent une même chose, aiment une même chose, à savoir le Dieu trine et un, etc. ; et ils ont les mêmes sacrements. Et si les fidèles n’avaient pas d’autre unité, l’Église ne serait pas, à proprement parler, une. Il faudrait se contenter de dire que les fidèles sont pareils en tous ces points » ; 2° l'unité de chef, en vertu de laquelle il faudrait dire, selon lui, non pas encore que l’Église est una, mais seulement qu’elle est sub uno ; 3° enfin l’unité de communion de tous les fidèles : ce texte est cité plus haut, p. 1105-1107. Nous avons à parler ici de l’unité de chef et de son rapport avec l’unité de communion. 1136 vi/i - l’âme créée de l’église à travers le Christ, le Christ au nom de l’Esprit ? Ils dépo­ sent dans cette charité, entre antres choses, une docilité pro­ fonde^5, un besoin incoercible d'être régie par Γinstruction quils désirent eux-mêmes lui donner du dehors. N’est-ce pas, en effet, le même Esprit qui incline inté­ rieurement le cœur de Lydie à être attentive à la prédica­ tion de l’apôtre Paul et qui inspire au-dehors cette prédi­ cation (Actes, XVI, 14) ? N’est-ce pas le même Christ qui éveille dans la Samaritaine le désir de l’eau vive et qui l’instruit du dehors (Jean, FV) ? qui donne à ses brebis de reconnaître sa voix et qui les appelle du dehors (x) ? qui brûle le cœur des disciples d’Emmaüs et qui leur enseigne les prophéties (Luc, XXIV) ? La tête, explique saint Thomas, influence les membres de deux manières : par voie d’impulsion intime et par voie de proposition extérieure ; ainsi fait le Christ dans l’Église183 184. Il s’ensuit qu’une charité qui ici-bas ne désirerait pas entendre au-dehors la voix du Christ, qui prétendrait n’avoir pas besoin d’être instruite du dehors par l’Esprit, bref qui ne serait pas docile à l’enseignement extérieur du Christ et de l’Esprit - qui se nourrirait au contraire du seul souci de s’exprimer elle-même conceptuellement ne serait pas la charité chrétienne185. 183. Nous donnons ici à ce mot de docilité toute sa profondeur et toute son extension. Que l’on pense à saint Paul, chargé de demander de toutes les nations « l’obéissance de la foi » (Rom., I, 5) et écrivant : « Nous captivons toute pensée sous l’obéissance au Christ » (II Cor., X, 5). 184. III, qu. 8, a. 6. 185. Sur la manière dont il convient de rectifier ou plutôt de compléter Moehler, voir L'Église du Verbe incarné, t. I, p. 633 [dans la présente édition : vol. I, p. 1049]. DÉFINITION SYNTHÉTIQUE 1137 b) L'unité de ΓÉglise comporte l’unité de communion et l’unité d’orientation Quand saint Thomas, pour définir le schisme, com­ mence par analyser l’unité de l’Église, il fait remarquer quelle consiste en un double rapport: 1° le rapport de connexion et d’interdépendance des membres les uns à l’égard des autres dans un unique corps : voilà l’unité de communion ; 2 ° le rapport de docilité des membres à l’unique tête, et saint Thomas cite ici le texte où l’apôtre met en garde l’Église de Colosses contre ceux qui, « fai­ sant fond sur leurs visions et vainement enflés par leur intelligence charnelle », tentent de la séduire, « n’adhérant pas à la tête, de qui tout le corps, entretenu et uni ensemble au moyen des jointures et des ligaments, reçoit la croissance voulue de Dieu » (il, 18-19) : voilà ce qu’on pourrait appeler l’unité de direction, l’unité d’orientation. Il résulte de cette distinction, dit saint Thomas, que l’unité de l’Église peut être déchirée par le schisme186 de deux manières : par refus de communion aux membres (communion qui suppose, cela est sous-entendu, la subordination intime des membres à la tête, des sar­ ments à la vigne) ; et par refus de soumission au chef (considéré cette fois-ci extérieurement comme docteur, maître, instructeur, recteur)187. Entendons bien, en effet, la pensée de saint Thomas. Il a dit ailleurs188 que le Christ, en tant que tête de l’Eglise, exerçait sur elle une double action. Il la meut secrètement de l’intérieur, versant en elle la grâce sacra­ 186. L’unité de l’Église est alors déchirée, non certes en ellemême, mais en ceux qui choisissent de s’éloigner d’elle. CAJETAN, IIII, qu. 39, a. 1, n° IV. 187. «Schismatici dicuntur qui subesse renuunt... et communicare recusant ». II-II, qu. 39, a. 1. 188. III, qu. 8, a. 6. 1138 VI/1 - l’âme créée de l’église mentelle par laquelle nous sommes incorporés à lui et devenons de ce fait membres les uns des autres. Notre incorporation et soumission au Christ-tête est alors le principe de notre intercommunion de membres, de notre « unité de communion ». Ceci est capital, mais il s’agit maintenant d’autre chose. Car le Christ est tête de l’Église d’une seconde manière. Il l'instruit du dehors pour lui proposer les voies dans lesquelles il lui demande de s’engager. C’est sous cet aspect, à savoir en tant qu’il est le principe d’un enseignement donné de l’extérieur -d’abord par lui-même, puis par les pouvoirs juridic­ tionnels, - que le Christ est appelé ici tête de l’Eglise189. De ce point de vue, notre incorporation et soumission au Christ-tête est le principe, non plus comme tout à l’heure de l’unité de communion, mais de notre « unité d’orientation ». Ces deux aspects de l’unité de l’Église correspondent aux deux aspects de la charité de l’Église : elle est sacra­ mentelle et elle est orientée. Nous distinguons donc ici l’unité de communion^ due à la charité en tant que sacramentelle, et l’unité & orien­ tation due à la charité en tant qu’orientée ; et nous disons que ces deux unités sont interdépendantes et complémentaires. Plus loin, en parlant du schisme, par souci de plus de clarté, nous donnerons à ces deux unités complémentaires les noms d’unité de connexion et d’unité üorientation ; et nous réserverons à l’ensemble le nom d’unité de communion. 189. C’est en tant que le Christ est principe, non de la grâce mais de la prédication évangélique, qu’il a pour vicaire sur la terre le souve­ rain pontife, et telle est bien la perspective adoptée ici par saint THOMAS: «Hoc autem caput est ipse Christus: cujus vicem in Ecclesia gerit summus pontifex. Et ideo schismatici dicuntur qui subesse renuunt summo pontifici... ». Π-Π, qu. 39, a. 1. DÉFINITION SYNTHÉTIQUE 1139 c) Rapports de Cunité de communion et de Γunité d'orientation 1. Tant que l’Église est pérégrinale, il est impossible de disjoindre en elle l’unité de communion et l’unité d’orientation ; la cohésion quelle tient de la charité sacramentelle, et la cohésion quelle tient de la charité orientée ; l’influence mystique exercée sur elle par le contact du Christ à travers les sacrements pour la consti­ tuer dans son unité, d’où il suit quelle est una, et l’in­ fluence prophétique exercée sur elle par l’enseignement du Christ à travers les pouvoirs juridictionnels pour l’épanouir dans son unité, d’où il suit quelle est sub uno™. Le Christ qui s’était montré aux hommes à découvert pour fonder son Église, a voulu dès le jour de l’Ascen­ sion se cacher dans la nuée pour la conserver, et nubes suscepit eum ab oculis eorum (Actes, I, 9). Il se fait une loi étrange de la toucher mystérieusement à travers les sacre­ ments et de la régir mystérieusement à travers les pou­ voirs juridictionnels. On comprend dès lors que cette même charité qui descend dans l’Église par la médiation des sacrements éprouve le besoin incoercible d’être régie par la médiation des pouvoirs juridictionnels, en qui le Christ et l’Esprit continuent de parler : « Qui vous écoute, m’écoute» (Luc, X, 16), «Il a semblé bon à l’Esprit saint et à nous » (Actes, XV, 28). En ce sens, on dira que la charité de l’Église pérégrinale est une charité qui sort de la nuée et qui rentre dans la nuée. C’est à la fois sa grandeur et son tourment. 190. L’opposition que l’on peut faire entre l’Église en tant qu’elle est una, et l’Église en tant qu’elle est sub uno, se rencontre par exemple chez Cajetan et Banez. Notre but est ici de montrer en quel sens précis elle est acceptable. 1140 VI/1 - l’âme créée de l’église Elle sait que c’est par une nuée médiatrice quelle vient du Christ et que c’est par une nuée médiatrice quelle doit retourner au Christ. Elle est avide d’entre­ prendre ce retour. Elle supplie celui qui l’a divinement suscitée ici-bas de lui montrer divinement ici-bas les routes où elle s’élancera. Elle veut que son Auteur-quise-cache soit son Guide-qui-se-cache. Ce qui revient à dire que la charité sacramentelle demande à être une charité orientée ; que l’Église, issue « mystiquement » du Christ et donc una, demande impérieusement à être l’Église « prophétiquement » orientée et donc sub uno™. Inversement, les paroles que le Christ adresse prophé­ tiquement à son Église à travers la nuée médiatrice des pouvoirs juridictionnels — et qui sont destinées à être reçues, assimilées, intériorisées dans une foi et une obéis­ sance toutes vivifiées par la charité sacramentelle deve­ nant de ce fait une charité orientée - ont pour effet d’éclairer et de stimuler la marche en avant de l’Église et l’élan qui la porte à se réunir d’heure en heure autour du Christ dans l’Esprit saint. En sorte que c’est parce que l’Église est sous une direction « prophétique » unique, sub uno, quelle peut épanouir son unité « mystique » et devenir pleinement una. 2. Il y a donc une étroite interdépendance entre l’uni­ té de communion et l’unité d’orientation, entre la cha­ rité sacramentelle et la charité orientée, entre l’unifica­ tion par laquelle l’Église mystiquement est una et l’uni­ fication par laquelle elle est prophétiquement sub uno. Est-il même possible d’imaginer, avec quelques anciens, une Église, qui pourrait être sub uno sans être una ? Non, si l’on entend le sub uno d’une manière for191. Mystiquement signifie ici interiori influxu ; et prophétiquement, exteriori influxu. Cf. Ill, qu. 8, a. 6. DÉFINITION SYNTHÉTIQUE 1141 meile, pour signifier l’unité de direction : une même direction, dès quelle est acceptée par une multitude, tend nécessairement à unifier intrinsèquement cette multitude. Oui, au contraire, si l’on entend le sub uno d’une manière matérielle, pour signifier l'unité de direc­ teur. Et c’est ainsi en effet que Cajetan et Banez considè­ rent ici le stib uno quand, par un artifice de pensée, ils envisagent l’hypothèse de deux Églises régies séparément mais soumises à un seul pape, à la manière dont la Castille et l’Aragon font deux royaumes distincts mais sous un seul roi192. Mais cette façon matérielle d’entendre le sub uno est sans intérêt pour nous. Seul le sens formel nous préoc­ cupe. Selon ce sens, dire que l’Eglise est « sub uno », c’est 192. Après avoir parlé d’une première unité, qui rend les fidèles pareils entre eux dans la foi, l’espérance, la charité, les sacrements, Cajetan, II-II, qu. 39, a. 1, n° II, écrit : « En second lieu, nous rencontrons dans l’Église lunité de chef, à savoir au ciel, le Christ, et sur terre, son Vicaire. En raison de cette unité, les fidèles acquièrent : a) une qualité relative qui les ordonne à ce chef unique ; b) une qualité relevant de l’action et de la passion, selon qu’ils ont à commander ou à obéir. Chaque fidèle, en effet, est mû par l’Esprit saint, non seulement à croire, espérer, aimer (voilà selon Cajetan, la première unité de l’Église) ; mais encore à obéir à un seul et même chef, le vicaire du Christ. Et si entre les fidèles il n’y avait pas d’autre unité, il faudrait dire, non pas déjà que l’Église est une, una, mais seulement quelle est sous un unique chef, sub uno. Les fidèles pourraient être comme plusieurs royaumes sous un roi unique. » Et voici, selon Cajetan, la troisième unité de l’Église : « Entre des Églises qui paraissent complètement séparées les unes des autres, par exemple celles d’Angleterre et d’Espagne, il y a non seulement conve­ nance dans la foi, l’espérance, la charité, les sacrements ; non seule­ ment obéissance à un chef unique ; mais encore connexité de partie à partie à l’intérieur d’un même ensemble, régi premièrement et princi­ palement par l’Esprit saint ». Voir plus haut, p. 1135, note 182. Le texte de Banez se trouve II-II, qu. 1, a. 10, dub. 2, conci. 1. Nous l’avons cité plus haut, p. 1107, note 140. 1142 VI/1 - l’âme créée de l’église déjà dire quelle est « una ». Inversement, là où [Église est « una », elle est déjà pour autant « sub uno ». Elle peut l’être effectivement (re) ou par le désir (votoj. 3. Une conséquence de ces vues sera que, si l’on peut devenir schismatique de deux manières, en refusant la communion avec les membres de l’Église (renuendo agere ut pars), ou en refusant la soumission au chef de l’Église (renuendo subesse capiti), ces deux manières ne sont pas indépendantes l’une de l’autre : chacune d’elles est plus ou moins secrètement impliquée dans l’autre193. 4. Quand la communion avec les membres est brisée, c’est déjà la soumission au chef qui est refusée. Inversement, quand la soumission au chef est refusée, c’est déjà la communion avec les membres qui est brisée. Bien qu’elles soient formellement distinctes, l’unité de communion ou de connexion et l’unité de soumission ou d’orientation sont en réalité inséparables. Elles crois­ sent l’une par l’autre du même mouvement. Le schisme les renverse toutes deux ensemble. Cette inséparabilité de l’unité de communion et de l’unité de soumission, explique que l’expression d’« unité de communion », qui désigne premièrement l’unité d’in­ terdépendance résultant de la charité, puisse être em­ ployée, par une sorte de transfert, pour désigner l’unité de soumission ou d’orientation. On appelle souvent, en effet, « unité de communion » l’unité qui lie les chrétiens en tant que soumis aux directives d’une même hiérarchie. Il est clair qu’ainsi entendue, l’unité de communion ne devra pas être isolée de l’unité d’interdépendance pro­ 193. CAJETAN semble laisser croire à un parallélisme : « Pour deve­ nir schismatique, il suffit d’être coupable de l’une de ces deux fautes : ou de refuser la soumission au chef, ou de refuser la communion avec les membres ». Loc. rit., n° V. DÉFINITION SYNTHÉTIQUE 1 143 curée par la charité sacramentelle. Elle est faite pour être accueillie et intériorisée dans les chrétiens, grâce aux ver­ tus théologales et morales qui habitent en eux. Ce n’est que dans la charité des membres justes quelle est reçue pleinement et quelle peut déployer pleinement ses effets unificateurs. Dans les membres pécheurs, bien qu’ils aient la vertu théologale de foi, elle n’est reçue que déficiemment. Ce serait donc une grave erreur de vouloir définir l’unité de communion (c’est-à-dire, ici, de soumission à la hiérarchie) en la prenant non pas telle qu’elle est chez les justes, en qui elle est toute référée au mystère de la charité sacramentelle ; mais en la prenant à son plus bas niveau, telle quelle est chez les pécheurs, et indépen­ damment de sa référence au mystère de la charité sacra­ mentelle ; ou même indépendamment de sa référence au mystère surnaturel de la vertu théologale de foi qui sub­ siste chez les pécheurs. On serait alors conduit à distinguer deux unités de communion réellement distinctes entre elles. D’une part, l’unité de communion mystique, fruit de la charité sacramentelle, et que le Sauveur demande au Père pour ses disciples : « Afin que l’amour dont Tu m’as aimé soit en eux, et que je sois Moi aussi en eux » (Jean, XVII, 26). D’autre part, une unité de communion purement juri­ dique et extérieure, du même rang que les « faits sociaux» naturels, et qu’on prétendrait découvrir tant chez les membres justes que chez les membres pécheurs de l’Église. Sans le vouloir, on aurait ainsi scindé l’Eglise du Christ en deux moitiés autonomes, en deux Églises parallèles, l’Église mystique et l’Église juridique. Nous ne croyons pas que tous les théologiens catholiques aient toujours échappé à ce danger194. 194. Nous verrons plus loin la pensée de Perrone, p. 1159. 1144 vq/i - Came créée de l’église 5. L’âme créée de l’Eglise, c’est la charité en tant que (cultuelle) sacramentelle et orientée. D’abord la charité en tant que sacramentelle. Et aussi la charité en tant opi orientée, c’est-à-dire en tant quelle accueille, assimile et par son libre consente­ ment change en lumière sanctifiante et en nourriture pour elle, les directives prophétiques qui émanent des pouvoirs juridictionnels ; bref la charité en tant quelle intériorise vitalement en elle et s’incorpore l’orientation juridictionnelle. Si l’on compare entre elles ces deux modalités sancti­ fiantes de la charité, l’une quelle reçoit par l’influx des sacrements, l’autre quelle tire du message juridictionnel, on sera conduit à dire que la modalité sacramentelle est fondamentale, et la modalité d’orientation, subordon­ née. La première permet à la charité d’exister comme christique. La seconde permet à la charité christique de s’épanouir. De même, si l’on compare entre elles les deux unités de l’Église, l’unité de communion et l’unité d’orienta­ tion - l’orientation étant considérée, non point active­ ment comme lumière prophétique prêchée au-dehors, mais passivement195 comme lumière sanctifiante intério­ risée dans les cœurs - on devra regarder l’unité de com­ munion comme foncière et l’unité d’orientation ou de docilité comme destinée à la servir. C’est le rôle suprême des pouvoirs juridictionnels d’orienter du dehors la charité sacramentelle. Ce n’est 195. « En bien des cas, la réception, pour être vraiment acte person­ nel, exige beaucoup plus de force que le don. La force qui nous fait don­ ner est souvent proche de l’égoïsme... Dans la force personnelle et indépendante qui nous pousse à accepter, dominent l’abnégation et l'amour... Quiconque veut faire d’un don une activité vraiment propre, doit au préalable avoir appris à recevoir». J. A. MOEHLER, L'unité dans l’Église, § 49, trad, de Lilienfeld, p. 162, note 1. DÉFINITION SYNTHÉTIQUE 1145 pas leur rôle unique. Ils doivent s’employer à l’annoncer et à la faire naître où elle est absente. d) Les valeurs juridictionnelles présupposées par la charité orientée 1. L’âme de l’Église, c’est la charité en tant que juridictionnellement orientée. Mais l’orientation juridictionnelle, avant d’être inté­ riorisée et incorporée par la charité, doit être proclamée par les pouvoirs juridictionnels. Avant d’être dans les cœurs nourriture et lumière unificatrice sanctifiante, elle doit être au-dehors message et lumière unificatrice pro­ phétique. 2. A qui le Christ a-t-il confié la tâche de proclamer prophétiquement ce message et cette lumière unifi­ catrice ? S’il l’a divisée entre plusieurs sujets, quelle est la mission de chacun d’eux, quelles sont l’étendue et les limites de leur mandat respectif? Faute de le savoir exac­ tement on ne discernera plus, parmi les voies qui s’of­ frent à l’Église, celles qui sont divines et celles qui sont humaines. Dès lors, comment ne pas osciller ? Tantôt, par témérité, on engagera l’Église dans des impasses ; tantôt au contraire, de peur de la fourvoyer, on entravera le mouvement providentiel de sa marche en avant, on dressera la lettre du passé contre l’esprit du passé, on manquera à la fidélité du scribe évangélique tirant de son trésor des choses anciennes et des choses nouvelles. 3. Rappelons-nous la distinction entre la juridiction extraordinaire, ou apostolat, destinée à fonder l’Église, et la juridiction permanente, ou pontificat, destinée à conserver l’Église. 1146 VI/1 - l’âme créée de l’église En vue de fonder l’Église dans le monde, c'est la collec­ tivité des apôtres, tous égaux entre eux dans le charisme de l'apostolat, que le Christ désigne comme sujet d’une juri­ diction exceptionnelle et extraordinaire. « En vérité, je vous le dis, tout ce que vous lierez sur la terre sera lié dans le ciel, et tout ce que vous délierez sur la terre sera délié dans le ciel» (Mt., XVin, 18). «Allez donc, ensei­ gnant toutes les nations.... leur apprenant à observer tout ce que je vous ai commandé » (Mt., XXVIII, 19-20). « Quand l’Esprit de vérité viendra, il vous guidera vers la vérité tout entière» (Jean, XVI, 13). Et tous les passages semblables. Mais en vue de conserver l’Église dans le monde une juridiction permanente est requise. Quel en sera le sujet ? Sera-ce la conciliarité196197 entendue comme la collecti­ vité des évêques exceptionnellement réunis en concile ou normalement résidents dans leurs diocèses ? Sans doute le Christ a voulu que la conciliarité fût un sujet véritable de la juridiction permanente19 . Il faudrait ici retrans­ crire à nouveau les grands textes de tout à l’heure : « Tout ce que vous lierez sur la terre sera lié dans le ciel... Allez donc, enseignez toutes les nations, voici que je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde... Quand l’Esprit de vérité viendra, il vous guidera vers la 196. C’est par ce mot de conciliarité que le P. TYSZKIEWICZ tra­ duit le mot russe sobomostj. Cf. La sainteté de l’Église christoconforme, Rome, 1945, p. 190. Définir avec Khomiakov la conciliarité comme le consentement unanime du peuple fidèle enregistré et proclamé par les évêques, c’est renverser la notion évangélique de la hiérarchie. 197. Les évêques possèdent sur leurs Églises une juridiction parti­ culière. En outre, en tant qu’unis au souverain pontife, ils sont asso­ ciés à sa juridiction universelle et jugent avec lui dans les conciles : c’est leur juridiction collégiale. DÉFINITION SYNTHÉTIQUE 1147 vérité tout entière ». Car ces textes, prégnants de plu­ sieurs sens subordonnés, désignent non seulement la juri­ diction extraordinaire que les apôtres possédaient à titre intransmissible pour fonder l’Église, mais encore la juri­ diction permanente qu’ils avaient mission de transmettre à leurs successeurs pour conserver l’Église jusqu’à la fin du monde. Cependant le Christ n’a pas voulu que la conciliarité fût le sujet suprême de la juridiction per­ manente. Qu’a donc voulu le Christ198 ? Il a voulu que la juri­ diction permanente eût pour sujet suprême, d’où elle aurait à redescendre ensuite sur la conciliarité, la per­ sonne de l’un d’entre ses disciples qui serait son vicaire sur la terre et, selon les mots extraordinaires qui sont sortis de sa bouche, le pasteur de toutes ses brebis, la pierre sur laquelle serait bâtie son Église, le clavigère du royaume des deux. Il a voulu, d’une part, que tous les apôtres fus­ sent égaux dans le privilège temporaire de l’apostolat : ici Paul était l’égal de Pierre et pouvait lui résister en face sur le terrain parfois incertain des décisions pruden­ tielles ; et il a voulu en même temps que l’un des apôtres fut au-dessus de tous les autres pour ce qui est du privi­ lège de la juridiction permanente : ici Pierre est au-des­ sus de Paul et les successeurs de Pierre au-dessus des suc­ cesseurs de Paul199. Mais si telle est la volonté expresse du Christ, com­ ment serait-il possible de la méconnaître, fût-ce de bonne foi, sans graves dégâts pour l’Église et pour le monde ? 198. «La première chose à faire, quand nous nous enquérons de la nature de l’Église, est de savoir ce que le Christ a voulu et ce qu’il a fait». LÉON XIII, Encyclique Satis cognitum, 29 juin 1896, A. S. S., t. XXVIII, p. 711. 199. Cf. L'Église du Verbe incarné, t. I, pp. 140, 157-161 ; [vol. I, pp. 269, 297-304]. 1148 VI/1 - l’âme créée de l’église e) D'une appartenance initiale à ΓÉglise catholique du groupe des Églises orthodoxes Que dirons-nous donc, de ce point de vue, des Églises orthodoxes200 en qui subsistent cependant tant de pro­ fondes et authentiques richesses chrétiennes ? 1. Partout où la charité du Christ est présente, le mes­ sage du Christ, sous la forme authentique où le Christ a daigné l’instituer et promis de l’assister, c’est-à-dire pour autant qu’il a pour hérauts suprêmes les successeurs de Pierre, est présent lui aussi en quelque manière. Ou bien 200. Nous ne croyons pas que l’expression à'Église orthodoxe puisse être ici cause de confusion. BENOÎT XV a parlé lui-même de la « doctrine orthodoxe », de la « théologie orthodoxe », des « ortho­ doxes ». Motu proprio sur l'institut Pontifical destiné à promouvoir l'étude des questions orientales, 15 octobre 1917. Dans son livre sur Le schisme byzantin, p. 303, paru à Paris en 1941, Manin JUGIE considérait, comme la plus adéquate de toutes, l’appellation à'Églises autocéphales de rit byzantin. Mais nous voyons ces Églises autocéphales se fondre aujourd’hui rapidement dans l’Église patriarcale de Moscou. D’ailleurs, par désir d’abréger, le P. Jugie s’arrêtait lui-même au terme à'Église gréco-russe, « sans doute impropre, mais qui a l’avantage de ne pas froisser les dissidents qui l'emploient parfois eux-mêmes ». Le terme d’Église orthodoxe, « qu’un grand nombre des nôtres emploie cependant », pourrait, pense-t-il, « compromettre les droits de la vérité ». Mais, dirons-nous, l’inconvé­ nient, dans la bouche d’un catholique, des appellations nationales comme Église grecque, slave, russe, gréco-russe, gréco-slave c’est qu’elles semblent, d’une part, accepter d’abandonner ces formations eth­ niques ou nationales à leurs Églises respectives, et laisser croire, en retour, que le mot Église romaine a pour nous un sens ethnique ou culturel. De son côté, le P. TYSZKIEWICZ écrit dans La sainteté de l'Église christoconforme, p. 285, note: «Comment appeler les fidèles des Églises orientales qui se désignent eux-mêmes par le mot ortho­ doxes ? - Évitons les appellations blessantes, comme photiens, schis­ matiques, etc. - Grecs ou gréco-russes ? Cela dit trop et trop peu : beau­ coup de Grecs et de Russes (par la nationalité) ne sont pas grécorusses (de religion) ; d’autre part, les Roumains (nationalité) sont en grande partie grecs (de religion). — La désignation orthodoxes favorise DÉFINITION SYNTHÉTIQUE 1149 comme connu à découvert et pleinement possédé (re)\ voilà le cas de l’Église catholique. Ou bien comme connu dans la nuit, très imparfaitement et possédé seule­ ment en désir (vote), et ce désir peut être authentique même chez ceux qui, victimes d’une ignorance invin­ cible et non coupable, acceptent implicitement mais rejettent expressément la primauté de Pierre201. Nous pensons ici d’abord aux fidèles de l’Église orthodoxe qui n’a renié aucun des sacrements et en qui peut résider de la confusion du sens historique avec le sens formel ; aujourd’hui sur­ tout, il y a, à côté des orthodoxes orthodoxes, des orthodoxes moder­ nistes ou libéraux. « Orthodoxes » (avec guillemets) est bon une fois en passant, mais à la longue devient agaçant, sans cesser d’être bles­ sant. Modifier l’orthographe, — comme les Russes désunis le font en distinguant catoliki et catholiki, — et écrire ortodoxes (sens historique) et orthodoxe (sens formel) ? Nos frères séparés pourraient y voir une application déplacée du mauvais principe « dent pour dent ». - Nous avons choisi d’employer le terme pravoslaves à titre provisoire. Pravoslave est la traduction paléo-slave du mot grec orthodoxos. Nous suivons le mieux que nous pouvons des écrivains pravoslaves russes modernes, Berdiaev entre autres, qui distinguent entre pravoslavnyj (sens historique) et orthodoxalnyj (sens formel). » Nous avons utilisé, nous aussi, 1 expression à'Église pravoslave, plutôt que celle d'Église russe. Mais elle se limite au monde slave. Faudra-t-il nommer les Églises par leur patriarcat et, comme on dit Église romaine, dire Église byzantine ou Église moscovite ? Mais l’Église que l’on veut désigner n’est plus byzantine et n’est pas toute moscovite. En outre, ces appellations sont trop lourdes de sousentendus politiques, et l’allusion à la thèse russe de Moscou troisième Rome froisserait les Grecs. On pourrait parler de XÉglise dissidente de rit byzantin-slavon, plus brièvement de X Église dissidente orientale. L’expression d’Église dissidente suppose nettement le point de vue catholique, mais sans nullement impliquer qu’une telle Église est actuellement coupable d’un péché de schisme. Nous reviendrons làdessus. Voir plus loin, p. 1227. 201. L’acceptation surnaturelle du pouvoir épiscopal sur une Église particulière contient de soi, et comme en germe, l’acceptation surnaturelle du pouvoir épiscopal sur l’Église universelle. Cf. saint THOMAS, IVSent., dist. 24, qu. 3, a. 2, quaest. 3. 1150 VI/1 - LAME CRÉÉE DE L’ÉGLISE ce fait la septuple grâce sacramentelle. Il arrive d’ailleurs parfois à cette Église de reprendre conscience, comme par miracle et dans la clarté soudaine de l’intuition de quelques-uns de ses enfants - comme récemment chez Soloviev - de l’existence en elle du sourd et puissant désir ontologique qui la tourne vers le siège de Pierre202. En revenant au vocabulaire dont nous nous sommes déjà servi, disons que partout où l’Église, en raison de la charité sacramentelle qui réside en elle, commence d’être una, elle commence déjà pour autant d’être sub uno, à savoir sous le Christ et de ce fait, sans qu’elle en soit sans doute toujours consciente, sous le vicaire qu’il a voulu se choisir sur la terre, le souverain pontife. L’« unité de com­ munion » implique 1’« unité d’orientation » : n’est-elle que radicale, elle ne l’implique qu’en désir (votof, estelle épanouie, elle l’implique en effet (re). Le souverain pontife sait toutes ces choses. Il sait que l’Église orthodoxe porte, enraciné dans la grâce christique que lui dispensent les sacrements, bien que sou­ vent contrarié par les initiatives d’une ignorance qui peut n’être pas coupable, un désir profond d’être sub uno, à la manière dont l’exige le Christ. Et c’est pour venir en quelque sorte au-devant de ce désir, pour recon­ naître aussi tout ce qu’une telle Église a conservé du commun trésor chrétien, qu’il ratifie spontanément la 202. L’enquête menée par le Père Martin JüGIE le conduit à affir­ mer qu’à la veille du schisme « l’Église byzantine n’avait encore rien renié de son passé et conservait intacte sa foi en la primauté de droit divin de l'évêque de Rome ». De plus, « au début, la doctrine sur la primauté romaine n’a pas été la cause ni même le prétexte qu’on a mis en avant, du côté des Byzantins, pour rompre les relations avec Rome », en sorte que « pendant longtemps, même après la séparation effective, de nombreux théologiens byzantins ont continué à faire écho à l’ancienne tradition, si claire et si unanime, sur la primauté de saint Pierre et du pape ». Le schisme byzantin. Aperçu historique et doc­ trinal, Paris, 1941, pp. 47 et 364. DÉFINITION SYNTHÉTIQUE 1151 juridiction qui permet, par exemple, aux prêtres ortho­ doxes de bénir l’huile de l’extrême-onction et de la confirmation et de donner validement l’absolution sacra­ mentelle et la confirmation203. 2. C’est une grande richesse et une grande force de posséder le message royal et prophétique du Christ. Mais c’est aussi une grande tristesse, une grande blessure, un grand péril, de ne le posséder qu’imparfaitement et en désir (voto) — et comme à la faveur d’une ignorance non coupable - quand cependant le temps est venu où il devrait être possédé parfaitement et en effet (re). Quel jugement porterons-nous de ce point de vue sur l’Eglise orthodoxe ? Il est certain que chacun de ses membres pris en particulier peut appartenir à l’Église catholique voto, mentaliter, soit par un désir clair et conscient, mais non encore réalisé, soit par un désir seu­ lement implicite, dont l’émergence dans la conscience claire peut être contrariée par des erreurs irresponsables. Mais comment parler de l’Église orthodoxe comme telle? Dans quelle mesure l’unité de communion la porte-t-elle jusqu’à l’unité d’orientation ? Dans quelle mesure, au contraire, la privation de l’unité d’orientation déchire-telle, en elle, l’unité de communion ? Comment concilier, au sein de la même Église, ceci et cela ? Nous dirons que l’Église orthodoxe est déchirée dans ses profondeurs par un mystérieux conflit où viennent se heurter d’une part les conséquences du principe de schisme, qui pèsent obscurément sur des coeurs le plus souvent exempts eux-mêmes de tout péché de schisme, et d’autre part les initiatives de l’Esprit de communion (II Cor., fin), qui éclatent plus merveilleusement aux 203. Voir L’Église du Verbe incarné, t. I, p. 618 [vol. I, pp. 10261027]. 1152 vi/i - l’âme créée de l’église jours des grands malheurs collectifs. D’une part, donc, en vertu de l’Esprit saint, du Christ, des sacrements, de la Vierge, de toute l’Église céleste des anges et des saints quelle accueille en elle, l’Église orthodoxe est divine­ ment poussée et conviée à être pleinement una et pleine­ ment sub uno, à progresser d’un même élan vers la pleine « unité de communion » et vers la pleine « unité d’orien­ tation ». Et, d’autre part, en vertu non pas nécessaire­ ment, nous venons de le dire, d’un actuel péché de schisme, mais bien plutôt de l’héritage et de la blessure de l’ancien schisme, elle est portée à refuser d’être sub uno et pour autant una, à s’élever contre 1’« unité d’orientation » et pour autant contre 1’« unité de com­ munion » : d’où le danger de fragmentation en autocéphalies et la difficulté de réunir ses évêques en concile œcuménique204. L’Église orthodoxe est faite du croise­ 204. Du point de vue catholique, il est clair que la participation des évêques orientaux à un concile à nos yeux œcuménique équivau­ drait à la plénitude de leur intégration dans l’unique Église qui est le corps du Christ. Mais l’Église orthodoxe, au lieu de s’arrêter brusque­ ment au septième concile, ne pourrait-elle imiter l’Église catholique et déclarer œcuménique à ses propres yeux la réunion plénière de ses évêques? Pour ceux des orthodoxes qui considèrent la vraie Église comme fragmentée en deux ou trois groupes (orthodoxes, catho­ liques, protestants), la réunion d’un concile œcuménique est impos­ sible tant que dure la division de l’Église. Mais, même pour ceux qui considèrent l’Église orthodoxe comme identique à la vraie Église, d’autres questions surgissent. Les décisions d’un concile panorthodoxe, et donc à leurs yeux œcuménique, tireraient-elles leur infaillibi­ lité du consentement d’une majorité d’évêques, ou du consentement subséquent unanime des fidèles ? D’autres difficultés naîtraient du fait que certaines affirmations ont été regardées ou sont regardées par des groupes importants, d’une part comme relevant de la foi, d’autre part comme opposées à la foi. Le Père Manin JUGIE, qui examine ce problème dans le Schisme byzantin, pp. 384-398, conclut que « l’Église gréco-russe est dans l’impuissance radicale de réunir un nouveau concile œcuménique. Elle est, en fait, privée de tout magistère infaillible. De tous les résultats du schisme byzantin au point de vue DÉFINITION SYNTHÉTIQUE 1153 ment de ces deux tendances, la tendance « unioniste » et la tendance « séparatiste », qui semblent s’intensifier l’une et l’autre avec le progrès du temps, et rejeter dans un mystère de plus en plus impénétrable à nos yeux le suprême dessein de Dieu sur son avenir et sur elle205. La charité cultuelle, sacramentelle, orientée est l’âme créée de l’Église. Partout où cette charité se trouve, elle est formatrice de l’Église, elle façonne, édifie, organise de l’intérieur l’Église qui est le corps du Christ. Partout où manque la charité en tant que cultuelle, sacramentelle, orientée, l’Église qui est le corps du Christ ne peut être qu’ébauchée ou mutilée. Mais une objection surgit aussitôt. Comment donc expliquerons-nous que l’Église puisse contenir en elle des membres pécheurs, c’est-à-dire des membres privés de la charité ? IL La charité de l’Église est présente DANS LES MEMBRES PÉCHEURS PAR SON INFLUX Il faut tenir que l’âme créée de l’Église est la charité. Et il faut tenir qu’il y a dans l’Église des pécheurs, privés de la charité206. Est-ce conciliable ? ecclésiologique, celui-là est sans doute le plus grand. C’est cependant celui qui a été le moins aperçu jusqu’ici par les théologiens occiden­ taux ». 205. Nous caractériserons bientôt l’Église orthodoxe comme étant actuellement une Église non pas « schismatique » ou « hérétique », mais « dissidente ». 206. On nierait une vérité de foi catholique en prétendant que ceux qui ont perdu la charité, mais gardent encore la foi ne sont plus chrétiens. Concile du Vatican, session VI, can. 28, Denz., n° 838. L'Évangile nous enseigne, en effet, qu'il y a des justes et des méchants 1154 VI/1 - l’âme créée de l’église 1. Un faux dilemme: une Église sans pécheurs? ou l’unité de l’Église définie indépendamment de la cha­ rité? Si d une part nous disons que l’unité essentielle de l'Église résulte de la charité sacramentelle orientée par la régulation émanée du pouvoir juridictionnel, n’allonsnous pas glisser à l’erreur hussite et réformée excluant de l’Église tous les pécheurs pour n’y garder que les justes ? Et si nous disons d’autre part, pour échapper à ce danger, que l’unité essentielle de l’Église se rencontre même là où la charité est absente, ne devrons-nous pas soutenir en conséquence que la charité, lorsqu’elle survient, n’est capable d’apporter à l’Église qu’une unité supplémentaire, accidentelle, secondaire ? Nous ne songeons pas à bannir les pécheurs de l’Église. Devrons-nous donc bannir la charité de la définition de l’Église, prétendre qu’elle est sans doute nécessaire pour que l’Église soit sainte, mais non pas pour que l’Église soit7 Le choix s’impose-t-il? Quelques théologiens l’ont cru. 2. Les solutions de Banez, de Suarez et de Perrone : l’unité essentielle de l’Église définie indépendamment de la charité théologale 1. Soucieux de s’opposer à l’erreur hussite et réformée suivant laquelle l’Église n’est composée que de justes, et de soutenir la thèse catholique affirmant que l’Église comprend, à titre de membres imparfaits mais véritables, des pécheurs, Banez a défini l’Église « la collection des dans le * royaume du Fils de l’homme », dans le « royaume des deux » (Mt., xni, 41 et 47). SUAREZ écrit : « Fide certum est simpliciter et absolute inter Ecclesiam esse peccatores, quamvis gratia et charitate careant ». De fide, disp. 9, sec. I, n° 10 ; édit. Vives, t. XII, p. 247. DÉFINITION SYNTHÉTIQUE 1155 fidèles baptisés soumis à un seul chef visible, vicaire du Christ»207 ; et, se référant à cette définition où le mot «fidèles» est entendu par lui d’une manière restreinte, il a conclu que toute l’unité essentielle de l’Église est dans la foi et dans la soumission au pape. L’espérance et la cha­ rité viennent renforcer cette première unité fondamen­ tale, mais elles n’y ajoutent qu’une perfection accidentelle. Les causes de l’unité de l’Église, dit-il, sont mul­ tiples, « mais toutes n’entrent pas à titre nécessaire dans la constitution de l’Église. L’unité essentielle d’un être tient à la forme qui lui donne d’être ce qu’il est. Or, la charité ni l’espérance n’influent sur la constitution de l’Église. Ce qui constitue l’Église, c’est la foi et l’obéis­ sance à un seul chef. L’espérance et la charité n’appartien­ nent donc pas à l’unité nécessaire de l’Église. Elles appor­ tent à l’Église de nouveaux titres d’unité, ou encore un perfectionnement accidentel de son unité essentielle »208. 207. « Collectio omnium fidelium baptizatorum, qui subsunt uni visibili capiti, tanquam Vicario Christi » ; ou encore : « Collectio fide­ lium baptizatorum visibilis, sub uno capite, Christo in coelis, et Vicario ejus in terris ». II-II, qu. 1, a. 10, Dubitatur 1°. Il est exact de définir l’Église « la congrégation des fidèles », à condition d’entendre, par « fidèles », d’abord et premièrement ceux qui ont la foi vive « agissante par la charité » (Gal., V, 6), la foi avec la cha­ rité cultuelle, sacramentelle et orientée, et secondairement ceux qui n’ont que la foi morte. C’est ainsi que saint THOMAS, dans son Expositio super Symbolum Apostolorum, définira la sainte Église dont l’âme est l’Esprit saint : « Ecclesia sancta idem est quod congregatio fide­ lium, et quilibet christianus est sicut membrum Ecclesiae », et qu’il opposera au même endroit, en parlant de la sainteté de l’Église, la " congregatio fidelium », à la « congregatio malignantium ». 208. « Non omnes istae causae unitatis sunt necessariae in Ecclesia ad constituendam illam unam. Probatur. Nam quod dat esse rei tri­ buit illi unitatem sibi essentialem : sed charitas, aut spes, non concur­ runt ad constituendam Ecclesiam : diximus enim [...] Ecclesiam per solam fidem sub uno capite constitui ; ergo, neque ad ejus unitatem 1156 vi/i - l’âme créée de l’église L’erreur fondamentale d’une démarche comme celle de Banez, c’est, nous semble-t-il, d’accepter de partir du chrétien pécheur pour édifier la définition de l’unité essentielle de l’Eglise, comme si un tel chrétien représentait le minimum normal et acceptable de ce que le Christ demande des hommes pour quils soient ses membres ; c’est de ne pas considérer que le chrétien pécheur représente un état de privation, tandis que la notion de l’unité essentielle de l’Église ne saurait être définie comme incluant une pri­ vation. L’unité essentielle de l’Église est certes présente d’une certaine manière dans le chrétien pécheur, mais en creux non en plein, comme postulée non comme possé­ dée. Tant que la plénitude supposée par cette privation n’a pas été expressément reniée par lui, et il faudrait le schisme, l’hérésie, l’impénitence finale pour que la rup­ ture fut consommée, la sainte unité de l’Église conti­ nuera dans une certaine mesure de le mouvoir de l’exté­ rieur et comme instrumentalement en raison du contact qu’il garde avec les membres justes en qui elle réside directement et premièrement : un peu à la manière dont un membre paralysé reste capable de participer aux déplacements et d’exécuter instrumentalement les volon­ tés de l’être intelligent auquel il adhère encore. C’est en tant qu’il est introduit par la charité des membres justes dans le cœur de son Église évangélique, et c’est en raison de cette charité, que l’Esprit saint décide de transmettre aux membres pécheurs certains mouvements de la vie spirinecessario requiruntur. Deserviunt autem, ut pluribus titulis Ecclesia sit una, aut ut sit magis una unitate accidentali, quae provenit ex praedictis causis, quae sunt extra essentiam ejus ». Saint THOMAS écrit au contraire : « Qui vero subduntur his pecca­ tis (mortalibus) non sunt membra Christi actualiter, sed potentialiter : nisi forte imperfecte per fidem informem, quae unit Christo secundum quid et non simpliciter ut scilicet per Christum homo conse­ quatur vitam gratiae ». III, qu. 8, a. 3, ad 2. DÉFINITION SYNTHÉTIQUE 1157 tuelle utiles aux fins de l’Église, soit qu’il les meuve directement à enseigner ou à dispenser les sacrements (motion par voie de causalité physique)209, soit qu’il donne aux membres justes de les entraîner dans leur sillage (motion par voie de causalité morale). 2. La position de Suarez est voisine de celle de Banez. Par souci d’écarter les erreurs de ceux qui soutiennent que l’Église est faite des seuls prédestinés, ou des seuls justes, et quelle exclut de son sein les pécheurs, Suarez enseignera que l’Église est un organisme composé d’un élément matériel, à savoir les hommes dans leur condi­ tion pérégrinale, et d’un élément formel, à savoir avant tout la foi210. Les novatiens et les donatistes niaient que les pécheurs pussent être membres de l’Église, et ils assu­ raient que la forme constitutive de l’Église était, non pas la foi, mais la grâce et la charité211. Pourtant c’est une certitude de foi qu’il y a des pécheurs dans l’Église ; il ne faut même pas hésiter à dire qu’ils sont, absolument par­ lant, membres de l’Église212. C’est donc, pense Suarez, que la forme propre de l’Église est la foi, qu’on retrou­ vera chez les pécheurs213. La foi informe suffit par conséquent à constituer les hommes membres de l’Église. Mais la foi informe peut subsister jusque dans les schismatiques. Faudra-t-il dire 209. « Nec mali recipiunt operationem spiritualis vitae a Spiritu Sancto ; tamen Spiritus Sanctus per eos operatur spiritualem vitam in aliis». S. THOMAS, III Sent., dist. 13, qu. 2, a. 2, quest. 2. Voir plus bas, p. 1169, note 230. 210. De fide, disp. 9, sect. I, n° 3 : « Haec autem forma fides est praecipue ». « Prima autem forma inter supernaturales virtutes, fides est », p. 245. 211. Ibid., n° 9, p. 247. 212. «Dubium non est hos esse dicendos simpliciter membra Ecclesiae ». Ibid., n° 10, p. 247. 213. Ibid. 1158 νι/ι - l’âme créée de l’église qu’ils continuent alors d’être membres de l’Église ? Non, disait Bellarmin214. Oui, dit Suarez, tant du moins qu’ils n’ont pas répudié la foi au chef visible de l’Église21"’. C’est Suarez ici qui se trompe. « Cette opinion, écrit M.-J. Congar, combattue par tous les théologiens subsé­ quents, est étrangère au sentiment universel qui requiert, pour l’appartenance pure et simple à l’Église, autre chose et plus que la foi »216. 3. Voilà donc l’unité de l’Épouse du Christ définie indépendamment de l’amour, et l’unité de la Maison de Dieu définie indépendamment de l’inhabitation de l’Esprit saint ! Mais que devient alors la vue tradition­ nelle et si profonde, dont saint Thomas est ici le témoin, qui range le schisme, c’est-à-dire le péché directement contraire à l’unité et donc à l’essence de l’Église (unum et ens convertuntur), dans les péchés contraires à la cha214. Selon saint BELLARMIN, l’unité essentielle de l’Église ne se réduisait pas à la foi informe. Elle exigeait l'unité des membres, soit entre eux, soit avec leur chef. L’Église, dit-il, est ex uno en tant quelle vient de Dieu qui l’appelle et la suscite ; ad unum, en tant quelle est ordonnée à la béatitude comme à sa fin dernière ; per unum, en tant quelle dispose des mêmes moyens de sanctification, à savoir la foi, les sacrements, les lois ; sub uno, en tant quelle est régie par l’Esprit saint comme par un principe extérieur et transcendant. Mais elle est una en raison de l'unité interne de ses membres avec leur chef, à savoir le Christ docteur et son vicaire ; et en raison de la connexion des membres entre eux et avec le Christ sanctificateur. De Ecclesia mili­ tante, livre III, ch. V. 11 définira néanmoins l’Église sans y inclure la charité. - Perrone s’inspira de ce texte, mais nous pourrions très bien le tirer à nous. 215. Loc. cit., nm 13 et 14. Quelques théologiens avant Suarez avaient été du même avis. 216. Article « Schisme », dans Diet. Théol. Cath., col. 1307. Faut-il le dire? Ce n’est pas l’intuition profonde de Suarez qui est ici en cause, moins encore la sainteté de sa foi. C’est uniquement la conceptualisation théologique qu’il propose. DÉFINITION SYNTHÉTIQUE 1159 rite ? « Le péché de schisme est un péché spécial en ceci précisément qu’il vise à séparer de cette unité que fait la charité», dit saint Thomas217. Et pareillement Cajetan : «Le propre de l’amour étant d’unir, l’unité de l’Église, qui est une unité spirituelle, doit être attribuée à l’amour spirituel, c’est-à-dire à la charité »218. Il est clair que ceux qui entreprendront de donner un sens vrai et catholique à la grande formule, commune à Moehler et à Khomiakov, suivant laquelle l’Église est définie comme étant « l’organisme de l’amour », devront renoncer aux explications de Banez et de Suarez. 4. Mais ne pourrait-on dire que l’Église est l’orga­ nisme de l’amour en entendant par amour un principe de communion et de soumission à la hiérarchie qui, rési­ dant jusque dans les pécheurs, ne serait donc pas la vertu théologale de charité ? Un théologien l’a cru, Jean Perrone. S’il y a, pense-t-il des pécheurs dans l’Église, c’est que l’unité de commu­ nion leur est accessible. Ils portent en eux le principe de cette unité et ne le perdraient qu’en devenant schisma­ tiques. Ce principe est un amour, compatible avec le péché mortel, mais qu’en un sens spécial on peut appeler charité. C’est en ce sens spécial que les Pères auraient parlé de l’unité de charité ou de communion. « Quand nous disons que la note de l’unité suppose ou comporte l’unité àe charité, il ne s’agit pas du tout de la charité, vertu personnelle et privée par laquelle nous devons nous aimer mutuellement et qui doit nous unir même 217. II-II, qu. 39, a. 1. 218. Commentaire de ce même article, n° III. Suarez continue avec tous les théologiens d’opposer le péché de schisme à la vertu de charité. Mais pour lui la destruction de la cha­ rité dans les schismatiques laisse intacte en eux leur appartenance fondamentale à l’unité de l’Église. 1160 VI/1 - l’âme créée de l’église aux infidèles qui sont hors de l’Église. Nous voulons désigner la charité spéciale, propre à tout le peuple chré­ tien, par laquelle nous adhérons tous et sans division à nos pasteurs et à nos évêques pour former un même corps, professant la même foi et tenant la même com­ munion. C’est en ce sens que les Pères désignent, comme note essentielle de l’Église, l’unité de la charité. Et c’est pourquoi nous avons parlé de l’unité de chanté ou de communion. Autrement il faudrait soutenir qu’un homme privé, du fait qu’il a de la haine pour un autre, déchirerait l’unité de l’Église et cesserait d’appartenir à l’Église, chose absurde à laquelle personne n’a même songé »219. Essayons d’entrer autant qu’il nous sera possible dans la pensée de Perrone. Elle se situe, croyons-nous, dans la perspective ouverte par Suarez. Perrone admettrait avec Suarez que la foi théologale est au principe de l’unité de l’Église. Elle en est le principe radical. Mais, et ici il se séparerait de Suarez, la foi et le baptême ne suffisent pas à nous incorporer dans l’Église à titre de membres. L’unité de l’Église consiste essentiellement pour lui dans une réalisation sociale où l’on reconnaît deux aspects visibles : le convivium des membres entre eux, et leur adhésion au même chef220. Voilà ce que Perrone appelle l’unité de communion. Cette unité de communion peut sans doute être inspirée par la charité théologale, et c’est bien le cas pour les justes. Cependant elle n’est pas l’effet propre de la charité théologale. Les chrétiens pécheurs 219. Praelectiones theologicae, De locis theol., pars I, cap. HI, n° 157, note 3 ; Paris, 1856, t. IV, p. 56. Voir plus haut, p. 1143220. « Certains catholiques pensent que les membres de l’Église doivent se définir, non seulement par la foi, mais encore par une cer­ taine conjonction externe, qu’ils ont soit entre eux soit avec leur chef ». SüAREZ, De fide, disp. 9, sect. I, n° 13 ; t. XII, p. 248. C’est, d'avance, la pensée de Perrone. DÉFINITION SYNTHÉTIQUE 1161 peuvent, sans nul secours de la charité théologale, réali­ ser eux aussi quant à sa substance l’unité externe de communion. Ils sont privés de la charité théologale, mais ils possèdent « la charité spéciale, propre à tout le peuple chrétien, par laquelle nous adhérons tous et sans division à nos pasteurs et à nos évêques pour former un même corps, professant la même foi et tenant la même communion»221. L’Église pourrait bien, si l’on veut, se définir l’organisme de l’amour, mais cet amour ne serait pas la charité théologale. Le péché de schisme, surve­ nant, ne viserait pas d’abord le principe suprême de l’unité de l’Église, qui est d’ordre théologal, mais il détruirait « son unité pure et simple, qui est celle de la communion entre les membres, promue, assurée et mesurée par la communion de tous avec les chefs visibles de l’Église et finalement avec le siège de Rome »222. Ainsi quand les Pères définissaient l’Église par l’unité de charité ou de communion, ils n’auraient pas pensé à la charité dont saint Paul chante les profondeurs dans le treizième chapitre de la première Épître aux Corinthiens. Ils n’en auraient pas appelé, en citant l’apôtre, à la com­ munion mystique des fidèles entre eux et dans le Christ : « Le calice de bénédiction que nous bénissons n’est-il pas la communion au sang du Christ ? Le pain que nous rompons n’est-il pas la communion au corps du Christ ? Parce qu’il n’y a qu’un pain nous ne formons tous qu’un corps» (I Cor., X, 16). « Nous avons tous été baptisés en un seul Esprit pour faire un seul corps» (xil, 13). Ils n’auraient pas visé les passages de saint Jean où la charité est donnée comme le principe propre de l’unité chré­ tienne: «Je vous donne un commandement nouveau, 221. Perrone, loc. cit. 222. Cf. M.-J. CONGAR, article « Schisme », Diet. Théol. Cath., col. 1307, qui se réfère ici à Perrone. 1162 VI/1 - l’âme créée de l’église c’est que vous vous aimiez les uns les autres comme je vous ai aimés... C’est à cela que tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez de l’amour les uns pour les autres» (Jean, XIII, 34-35). «Je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée afin qu'ils soient un comme nous sommes un..., de façon que le monde sache... que tu les as aimés comme tu m’as aimé... Afin que l’amour dont tu m’as aimé soit en eux et moi en eux » (XVII, 22, 23, 26). «Afin que vous soyez, vous aussi, en commu­ nion avec nous. Et notre communion est avec le Père et avec son Fils Jésus-Christ » (I Jean, I, 3). « Si nous mar­ chons dans la lumière..., nous sommes en communion les uns avec les autres et le sang de Jésus son Fils nous purifie de tout péché» (l, 7). « Si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous et son amour est parfait en nous » (iv, 12). Mais alors, si c’est la charité théologale qui est le principe propre de l’unité du corps mystique du Christ, de l’Église, voici que reparaît notre difficulté initiale. Comment expliquerons-nous que les chrétiens pécheurs et privés personnellement de la charité puissent être cependant inclus dans l’unité de l’Église et membres du corps mystique ? 3. Le principe de solution de Cajetan : l’unité de l’Église est procurée formellement par les justes et matériellement par les pécheurs Le mérite de Cajetan est d’avoir laissé toutes ses dimensions au mystère de l’unité de communion ou d’interdépendance des chrétiens, qui constitue, il le sait bien, l’unité essentielle de l’Église: car l’Église s’identifie à la communion des saints, elle est l’œuvre immédiate de l’Esprit saint et de la charité qu’il verse dans les cœurs. DÉFINITION SYNTHÉTIQUE 1163 Par là, ce théologien renversait d’avance les solutions que devaient proposer Banez, Suarez ou Perrone. Mais comment conçoit-il que des baptisés qui vivent dans le péché mortel puissent encore être membres de l’Eglise ? La réponse est donnée au moment où il ex­ plique qu’un chrétien peut tomber dans le péché mortel et donc détruire la charité dans son cœur sans être néces­ sairement schismatique223. 223. Dans le commentaire de la II-II, qu. 39, a. 1, Cajetan signale les objections que l’on a opposées à la doctrine de saint Thomas, suivant laquelle le schisme est un péché contre la charité. Voici ces objections: 1° on peut perdre la charité sans être pour autant schismatique ; 2° un chrétien qui se trouverait en état de péché mor­ tel et qui deviendrait schismatique, pourrait-il pécher contre la cha­ rité qu’il avait déjà perdue ? 3° en devenant schismatique par refus de soumission au pape, on semble pécher contre l’obéissance, non contre la charité ; 4° l’unité de l’Église, étant divine, ne peut être déchirée. -Et voici les réponses : 1° tout péché contre la charité n’est pas un schisme, mais tout schisme est un péché contre la charité : le schisme est ce péché contre la charité qui consiste à vouloir exister et agir, non comme partie de l’Église catholique, mais comme formant un tout à part ; 2° il va de soi qu’ayant perdu la charité par un pre­ mier péché, on peut encore pécher contre la charité par un nouveau péché ; le chrétien pécheur devient schismatique non pas au moment où il perd la charité, mais au moment où il commence à vouloir ren­ verser cet effet de la charité qui est l’unité de l’Église; jusqu’alors, quoique pécheur, il continuait de contribuer lui-même à cet effet, en raison de son insertion dans l’Église ; 3° le simple refus de se sou­ mettre au pape est désobéissance ; il y a schisme quand ce refus inclut la volonté de renverser le pape comme coprincipe de l’unité de l’Église. (On ne donnera, croyons-nous, toute sa force à cette réponse qu’en se rappelant la manière dont nous avons défini le rapport entre l’unité de communion et l’unité d’orientation, entre ïEcclesia tina et \Ecclesia sub uno) ; 4° le schisme déchirerait, si c’était possible, l’Église en elle-même, il la déchire en fait dans le cœur du schisma­ tique. - C’est la réponse à la deuxième difficulté qui nous retient ici attentifs. II va falloir changer l’objection en lumière. On n’est dans l’Église que par la charité. Si le chrétien pécheur, qui est privé person- 1164 VI/1 - LAME CRÉÉE DE L’ÉGLISE « La charité, dit-il, a deux sortes d’effets : les uns qui sont toujours vivifiés par elle, comme la contrition (qui­ dam semper formati, ut contritio) ; les autres qui peu­ vent n’être pas vivifiés par elle, comme la miséricorde ou l’aumône (quidam qui possunt esse informes, ut mise­ reri, dare eleemosynam propter Christum). Or, si l’unité ecclésiastique est toujours vivifiée par la charité du fait que l’Eglise vit constamment en grâce, elle peut cepen­ dant n’être pas vivifiée par la charité dans tel ou tel membre (unitas autem ecclesiastica, licet simpliciter sit formata, sicut Ecclesia semper est in gratia ; ut tamen est in hoc vel illo, potest esse informis). Et c’est pourquoi il peut se faire d’une part que l’unité ecclésiastique soit l’effet de la charité (de toute l’Église), et d’autre part quelle puisse être conservée en tel membre qui est privé de la charité et dans le péché mortel (et propterea stat unitatem hanc esse effectum charitatis, et tamen possi­ deri cum peccato mortali) »224. nettement de la charité, est encore dans 1’Église, c’est par la charité col­ lective de lÉglise qui sans résider en lui continue pourtant d'agir à travers lui. 224. Ibid, n° III. - La distinction de Cajetan entre les actes que la charité vivifie toujours, effectus semper formati, et les actes qui sont produits tantôt par elle tantôt sans elle, effectus qui possunt esse informes, est inspirée de saint THOMAS, II-II, qu. 32, a. 1, ad 1. Le saint docteur demande si l’aumône est un acte de la charité. Il semble que non. puisqu'on peut faire l’aumône sans charité : Quand je dis­ tribuerais tous mes biens pour la nourriture des pauvres, si je n’ai pas la charité, tout cela ne me sert de rien (I Cor., XIII, 3). Pourtant c’est la charité qui meut la vertu de miséricorde à faire l’aumône. La réponse c’est que sans la charité, l’aumône n’est faite que matérielle­ ment’, la charité seule donne de la faire formellement. Tout comme, sans avoir la justice dans le cœur, j'accomplis des actes de justice matériellement, non formellement. En employant les mêmes mots que saint Thomas, nous dirons que l'unité de l’Église est procurée DÉFINITION SYNTHÉTIQUE 1165 Ainsi les effets de la charité doivent être répartis en deux catégories : ceux qui ne peuvent pas apparaître sans elle, comme la contrition parfaite ; et ceux qui peuvent apparaître ou par elle ou sans elle, bien qu’ils soient alors imparfaits et découronnés, comme l’aumône. L’unité de l’Eglise doit être assimilée selon Cajetan aux effets de la seconde catégorie. Elle est procurée formellement par les membres justes qui sont dans la charité et matériellement par les membres pécheurs qui sont privés de la charité. La charité (sacramentelle et orientée) demeure en toute rigueur la cause propre et formelle de l’unité naturelle et normale de l’Eglise. Il se pourra cependant que tel chré­ tien qui a perdu l’amour reste d’ailleurs assez uni à l’Eglise pour exécuter, sans doute d’une façon matérielle^ diminuée, découronnée, les actes qui lui sont demandés pour demeurer inséré dans l’unité ecclésiale. En sorte qu’à regarder les choses du dehors, il pourra sembler que l’unité de l’Eglise est produite - non pas certes ex aequo formellement^ les membres justes, et matériellement par les membres pécheurs. Mais, et c’est la question que nous allons poser, une contri­ bution matérielle bien qu’authentique des pécheurs à l’unité de l’Église - nous ne parlons pas ici d’une contribution hypocrite serait-elle possible s’ils ne se plaçaient dans le champ d’influence de cette charité qui réside dans les membres justes ? Notons ici que BANEZ admet l’explication de Cajetan. Il la trans­ crit tout entière dans son Commentaire quand il veut concilier, d’une part, que l’unité de l’Église est l’effet propre de la charité et, d’autre part, qu’on peut appartenir à l’unité de l’Église alors même qu’on a perdu la charité. II-II, qu. 39, a. 1, Dubitatur 1°, ad 1. Mais il ne l’a pas exploitée lorsqu’il a essayé, un peu avant, de définir l’unité essen­ tielle de l’Église. - SUAREZ admet, lui aussi, à la suite de Cajetan, que l’unité de l’Église, produite parfaitement par la charité, peur être pro­ duite imparfaitement par les pécheurs. De fide, disp. 12, sect. I, nos 3 et 6; t. XII, pp. 734 et 735. Mais, nous l’avons dit, cette unité n’est pas pour lui l’unité essentielle de l’Église ; l’unité essentielle résulterait de la seule foi informe et se rencontrerait jusque chez les schismatiques. 1166 vi/i - l’âme créée de l’église et Cajetan le savait bien - tantôt par la charité, tantôt sans la charité225. Ici s’arrête la réponse de Cajetan. Mais il faut aller plus loin. 4. La charité de l’Église exerce son influence forma­ trice jusque sur les membres pécheurs 1. Dans l’édification de l’unité essentielle de l’Église, quelle part revient à faction formelle des justes en qui réside la charité, et quelle part à faction matérielle des pécheurs privés de la charité ? Les chrétiens pécheurs pour­ raient-ils en s unissant faire apparaître à eux seuls l'unité de l'Égliset Non. Il faut absolument que cette unité soit constituée antérieurement à eux. Tout ce qu’ils peuvent tenter, c’est de s’appuyer sur elle, de se maintenir en elle, de se laisser entraîner dans son sillage et dans sa courbe de vie. Et qu’est-ce que cela signifie sinon qu’ils contri­ buent alors à l’entretien d’une œuvre qui dépasse la por­ tée de leurs propres initiatives et de leurs propres res­ sources, et qu’ils agissent en quelque sorte à la manière d’un instrument assumé par une vertu supérieure, à savoir la charité du Christ, qui ne réside que dans les membres justes, mais qui étend son influence jusque sur eux ? Qu’est-ce que cela signifie sinon que la charité du Christ est présente en eux, non seulement d’une manière impropre et éloignée par les valeurs quelle présuppose comme les caractères sacramentels, la foi et l’espérance théologales, la reconnaissance effective de la hiérarchie, mais même d’une manière propre, plus directe, quoique 225. Admettre que l’unité essentielle de l’Église est produite ex aequo par la charité ou sans la charité, en d’autres mots nier quelle a pour cause propre la charité, nous rejetterait dans l’erreur de Banez ou de Perrone. DÉFINITION SYNTHÉTIQUE 1167 défaillante et non salutaire, par une certaine motion quelle continue d’exercer en eux ? C’est aux impulsions de la charité collective de l’Église qu’ils obéissent quand ils portent leurs enfants au baptême et les encouragent à la communion fréquente, quand ils acceptent les nou­ velles définitions dogmatiques que l’Esprit saint suggère à l’Eglise, quand ils participent par leurs aumônes à son expansion missionnaire, etc. Au principe de toutes ces démarches, ne faut-il pas reconnaître une sorte de pré­ sence indirecte, motrice, surélevante de la charité des membres justes ?226 Pour reprendre le problème dans les termes où Cajetan l’avait posé, il est exact qu’un chrétien puisse tomber dans le péché mortel et donc détruire la charité dans son cœur sans être nécessairement schismatique. Il ne deviendrait schismatique qu’à l’instant où il s’attaque­ rait à la charité pour autant précisément quelle est cause de l’unité de l’Eglise. Il a perdu la charité en tant quelle rési­ dait en lui personnellement pour le justifier. Il n’a pas perdu la charité en tant quelle réside collectivement dans l’Eglise et continue d’agir en lui pour le maintenir d’une manière sans doute affaiblie et atténuée dans l’unité de l’Eglise. Il ne la perdrait de cette seconde manière que s’il devenait schismatique. Disons qu’il est porté par la charité collec­ tive de l’Église après avoir personnellement perdu la cha­ rité ; un peu comme saint Thomas disait que les petits enfants sont portés au baptême par la foi collective de l’Église avant d’avoir personnellement reçu la foi227. En 226. S. THOMAS dit : « L’Esprit saint à travers eux (les chrétiens pécheurs) communique la vie spirituelle aux autres, quand ils dispen­ sent les sacrements ou la doctrine». Ill Sent., dist. 13, qu. 2, a. 2, quaest. 2. Cela vaut aussi, et même d’abord, de l’Esprit saint résidant chez les membres justes. 227. « L’enfant qui est dans le sein de sa mère vit de la nourriture quelle prend. Ainsi l’enfant déjà né, mais encore privé de l’usage de 1168 χα/ι - l’âme créée de l’église d’autres mots, la charité collective de l’Église, qui réside dans les membres justes, exerce, par sa motion instru­ mentale et surélevante, une influence informatrice jusque dans ce pécheur. Concluons que la charité sacramentelle et orientée représente le principe de l’unité de l’Église, elle est l’unité spirituelle de l’Église, prise en source228. Elle pro­ duit l’unité extérieure et visible de l’Église : à la fois dans les justes, en qui elle se trouve premièrement, par son essence, d’une manière plénière et salutaire ; et dans les pécheurs, en qui elle se trouve extensivement, par son seul influx instrumental, d’une manière défaillante et non salutaire. Plus brièvement, elle produit l’unité de l’Église en tant quelle réside dans les justes, pour agir instrumen- la raison, est porté dans le sein maternel de l’Église, et reçoit le salut non par un acte personnel mais par l’acte de l’Église ». III, qu. 68, a. 9, ad 1. - Il s'agit dans ce texte d’une motion instrumentale rigou­ reuse, par voie de causalité « physique ». Quand nous disons, au contraire, que l’Esprit saint, qui habite dans les membres justes, se sert d’eux pour entraîner dans leur sillage vers les fins de l’Église, les membres pécheurs, il ne peut être question que d une motion instru­ mentale au sens large, par voie de causalité « morale », de persuasion, d'exemple, de contagion sociale. 228. C’est avec l’unité considérée comme en source dans l’âme invisible de l’Église, que nous identifions la charité sacramentelle et orientée. L’unité considérée comme effectuée, est diffusée dans l’être entier de l’Église, fait d’âme et de corps, elle est visible et constatable dans la mesure où l’Église est visible et constatable. En ce sens, CAJETAN dit très exactement : « Le propre de l'amour est d’unir. Or l’unité de l’Église est une unité spirituelle. Donc elle doit être attri­ buée à l’amour spirituel, c’est-à-dire à la charité. Non que l'unité de l’Église soit la charité. Elle est l'effet de la charité. Car l’Esprit saint meut par la charité tous les fidèles à vouloir être les parties d’un seul universel ensemble qu’il vivifie lui-même, et à constituer ainsi l’Église une et catholique ». II-II, qu. 39, a. 1, n° III. Les effets de la charité dans une âme incarnée, dans un être visible comme l’homme, seront, eux aussi, incarnés et visibles.__ _______ _______ DÉFINITION SYNTHÉTIQUE 1169 talement jusque dans les pécheurs qui ne renient pas l’unité. 2. Pour illustrer la manière dont l’unité ecclésiale, fleur de la charité sacramentelle et orientée, peut se conserver jusque chez les chrétiens coupables en vertu de la force qui les associe dans de certaines limites à la desti­ née des justes, on pourrait apporter l’exemple du membre paralysé qui participe encore cependant aux déplacements et aux démarches de toute la personne humaine. Saint Thomas écrit, de ceux qui ont la foi informe : « Ils reçoivent encore du Christ une certaine activité de vie, celle de croire ; ils sont comme un membre mort que l’on peut déplacer »229. Le texte des Sentences est plus développé. A la manière dont un membre paralysé reste par les jointures en continuité avec le corps et peut de ce fait transmettre instrumentalement les motions de l’âme intelligente, par exemple en frappant avec une certaine intention, ainsi les membres pécheurs restent, par la foi qui les unit dans une même croyance, en continuité matérielle avec l’Église, et peu­ vent accomplir, non pas spontanément les opérations par lesquelles l’Esprit saint leur donnerait à eux la vie spiri­ tuelle, mais instrumentalement les opérations par les­ quelles l’Esprit saint transmettra la vie spirituelle aux autres, lorsqu’ils dispenseront la doctrine ou les sacre­ ments230. Si l’âme intelligente peut agir par un membre paralysé, l’Esprit saint et la charité, qui résident dans les seuls membres justes, ne pourront-ils agir instrumentaie­ nt. III, qu. 8, a. 3, ad 2. 230. « Homines autem fideles peccatores pertinent quidem aliquo modo ad unitatem Ecclesiae inquantum continuantur ei per fidem ; quae est unitas materialis... Et sicut operationes quae sunt ad alterum possunt aliquo modo fieri per membra arida, ut percutere vel aliquid hujus modi, non tamen operationes quae sunt animae in membris ; 1170 VI/1 - l’âme créée de l’église ment à travers les membres pécheurs ? Même comparai­ son chez Jacques de Viterbe : « Comme il arrive parfois qu’un membre desséché reste uni au corps par la seule continuité, et non plus par l’influx vital, ainsi certains demeurent-ils unis à l’Eglise selon la continuité de la vie extérieure, mais sans recevoir du Christ qui est la tête, ni de ses membres, l’influx du salut et de la vie »231. C’est la nature de cette continuité de vie ecclésiale qui passe des justes jusqu’aux pécheurs, que nous avons cherché à défi­ nir théologiquement. Il faudrait songer surtout à la manière dont les grandes forces spirituelles, une civilisation, un monde, longtemps après la disparition ou le déplacement de leur foyer central, se survivent en d’innombrables plis collec­ tifs, attitudes sociales, habitudes d’agir, méthodes de penser: on a souvent relevé par exemple que certains artistes du Quattrocento, n’ayant guère de foi ou de pureté, un Pérugin, un Lippi, portés par une tradition qu’ils n’eussent point été capables de créer, mais qu’ils restaient capables d’illustrer, ont réussi cette chose aujourd’hui bien difficile de peindre dévotement la Vierge et les saints232. ita nec mali recipiunt operationem spiritualis vitae a Spiritu sancto ; tamen Spiritus Sanctus per eos operatur spiritualem vitam in aliis, secundum quod aliis sacramenta ministrant vel alios docent ». Ill Sent., dist. 13, qu. 2, a. 2, quaest. 2. Voir p. 1167, note 226. 231. De regimine christiano, édit. Arquillière, Paris, 1926, p. 117. 232. * Comment se fait-il que des artistes aussi peu dévots que beaucoup de ceux du XIVe et du XVe siècles aient produit des œuvres d’une intense émotion religieuse ? » D’abord ces artistes, si paganisants qu’on les suppose, restaient imbibés de foi, dans la structure mentale de leur être, infiniment plus que ne l’imagine notre courte psychologie. N’étaient-ils pas tout près encore du cœur de ce Moyen Age tumultueux et passionné mais héroïquement chrétien, dont quatre siècles de culture moderne n’ont pu effacer l’empreinte sur notre civilisation? Ils pouvaient se livrer DÉFINITION SYNTHÉTIQUE 1171 De telles comparaisons laisseraient voir comment l’Église peut continuer de vivre jusque dans ceux de ses enfants qui ne sont plus dans la grâce : elle s’efforce de les retenir dans son sein, de les ressaisir constamment dans le rythme de son amour. Elle les garde comme un trésor dont on ne se défait que contraint. Ce n’est pas quelle désire se charger d’un poids mort. Mais elle espère qu’à force de patience, de mansuétude, de par­ don, le pécheur qui ne se sera point complètement déta­ ché d’elle se convertira quelque jour pour vivre avec plé­ nitude ; que la branche endormie, grâce au peu de sève qui restait en elle, ne sera point coupée ni jetée au feu, mais aura le temps de refleurir. III. L’âme de l’Église CONSIDÉRÉE AU REPOS OU EN EXERCICE Nous considérons encore l’âme créée de l’Église en elle-même, pour autant quelle est invisible. Nous ne la considérons pas encore en tant quelle informe le corps de l’Église et quelle devient, d’une certaine manière, visible. aux pires facéties, ils gardaient en eux, toute vive encore, la vis impressa de la Foi du Moyen Âge, et non seulement de la Foi, mais aussi de ces Dons du Saint-Esprit qui s’étaient exercés avec tant de plénitude et de liberté dans les siècles chrétiens. En sorte qu’on pour­ rait soutenir sans témérité que les “libres jouisseurs” dont Maurice Denis nous parle d’après Boccace se retrouvaient en réalité plus “mys­ tiques”, lorsqu’ils étaient devant l’œuvre à peindre, que bien des hommes pieux en nos temps desséchés ». Jacques Maritain, Art et Scolastique, Paris, 1935, p. 285 [O. C., I, p. 779]. 1172 VI/1 - l’âme créée de l’église 1. L’âme créée de l’Église peut être considérée stati­ quement et comme en repos {in actu primo), ou dynami­ quement et comme en exercice {in actu secundo). Statiquement, in actu primo, on dira que l'âme créée de l’Église est la valeur permanente suprême qui informe et constitue l’Église, à savoir l’habitus de charité avec ses modalités cultuelle, sacramentelle, juridictionnelle, y compris toutes les valeurs permanentes que d’une part elle présuppose (caractères sacramentels, foi et espérance théologales, pouvoirs juridictionnels), et que d’autre part elle apporte (vertus morales infuses). L’Église continue du catholicisme s’oppose à l’Église discontinue d’un Karl Barth. Dynamiquement, in actu secundo, on dira que l’âme créée de l’Église est la mise en oeuvre, le passage à l’acte de toutes ces valeurs habituelles et permanentes sous la motion divine qui sort de l’Esprit saint et devient théandrique en passant par le Christ. 2. Il faut adorer le mystère de la liberté infinie de l’Esprit saint utilisant la royale liberté du Christ pour se former dans le monde une Église selon son cœur. La divine motion peut se servir ou se passer des valeurs per­ manentes qui sont déposées dans l’Église et constituent son âme. Elle sen passe quand elle remplit l’Église de grâces pas­ sagères et miraculeuses qui ne sont ni en sa puissance ni à sa disposition. C’est ainsi que les apôtres parlent en langues à Pentecôte (Actes, II, 4), que Pierre guérit le boiteux de Jérusalem (ill, 6), qu’il est délivré par l’Ange (XII, 7), que Paul est converti (ix, 3), etc., etc. C’est ainsi encore que l’Église est constamment visitée au long de son histoire par des lumières et des secours transitoires donnés ad utilitatem (I Cor., XII, 7) et destinés à servir les valeurs habituelles et permanentes qui sont en elles DÉFINITION SYNTHÉTIQUE 1173 en les raccordant avec les besoins changeants des peuples233. Mais normalement la divine motion se sert des valeurs permanentes qui sont déposées dans l’Église. C’est alors quelle les fait passer à l’acte. Sur ce texte de son Can­ tique spirituel qui concerne l’âme fidèle mais qui s’ap­ plique avec plus d’ampleur encore à l’Église entière : «Souffle à travers mon jardin», saint Jean de la Croix écrit: «Il faut noter que l’Épouse ne dit pas: Souffle dans mon jardin, mais : Souffle à travers mon jardin. Il y a une grande différence entre le souffle de Dieu dans l’âme et le souffle de Dieu à travers l’âme. Souffler dans 233. Un passage de l’encyclique Mystici corporis contient une allu­ sion à ce mode extraordinaire du gouvernement divin. Nous le trans­ crivons tout entier, mais il faut prendre garde en le lisant qu’il groupe deux sortes de motions divines que le Christ exerce invisiblement -c’est-à-dire sans intermédiaire visible - sur son Église : les unes, et ce sont les principales, qui sont normales, et les autres qui sont extraordi­ naires. Voici ce texte : « C’est directement aussi et par lui-même que notre divin Sauveur gouverne et dirige la société qu’il a fondée. Car c’est lui qui règne sur les intelligences humaines, lui qui infléchit et soumet à son gré les volontés même rebelles. Le cœur du roi est dans la main de Dieu, il l’incline à tout ce qu’il veut. Par cette direction intérieure il ne prend pas seulement soin lui-même des individus, comme pasteur et évêque de nos âmes, mais il pourvoit aux besoins de l’Église entière, soit en éclairant et en fortifiant ses chefs pour leur faire remplir fidèlement et avec fruit leurs fonctions respectives, soit -surtout dans les circonstances plus graves - en suscitant du sein de l’Église leur mère, des hommes et des femmes brillant de l’éclat de la sainteté en vue de les proposer en exemple aux autres fidèles pour l’accroissement de son corps mystique. Ajoutons que le Christ du haut du ciel regarde toujours avec un amour spécial son Épouse immaculée qui peine ici-bas dans l’exil ; et quand il la voit en danger, par lui-même ou par ses anges, ou par celle que nous invoquons comme le secours des chrétiens et par les autres patrons célestes, il l’arrache aux flots de la tempête, et une fois le calme revenu sur la mer apaisée, il la console par cette paix qui surpasse toute intelligence ». A. A. S., 1943, p. 209. 1174 vi/i - l’âme créée de l’église l’âme, c’est pour Dieu verser dans cette âme la grâce, les dons et les vertus. Souffler à travers l’âme, c’est pour Dieu accorder ses touches aux vertus et perfections déjà communiquées, en les renouvelant et les agitant en sorte quelles dégagent d’elles-mêmes une admirable et suave fragrance: ainsi les aromates, dès qu’on les touche, répandent avec abondance un parfum qu’on ne soup­ çonnait pas et dont on ne percevait pas l’intensité »234. Là encore la liberté divine est infinie. C’est elle qui, par des voies que l’apôtre appelle incompréhensibles (Rom., XI, 33), conduit sûrement son Eglise au point de son rendez-vous avec le Christ, au terme de l’histoire. 3. Si donc on considère l’âme créée de l’Église en acti­ vité (in actu secundo), on dira quelle est faite des libres motions divines qui partent de l’Esprit saint et traversent le Christ pour venir vivifier et animer toute l’Église. Elles sont de deux sortes. Il y a les motions passagères ou miraculeuses qui passent à travers l’Église sans y demeu­ rer, comme la lumière passe dans une vitre : elles sont secondaires et adventices. Et il y a des motions plus pro­ fondes et normales, qui déposent en elle des dispositions intimes et permanentes et des habilitations à l’agir, afin de pouvoir revenir constamment les visiter et les faire passer à l’acte : elles sont premières et constitutives. Ce sont les dispositions permanentes déposées au sein de l’Église qui représentent son âme créée, considérée au repos (in actu primo). On en pourra donner une défini­ tion analytique ou totale où seront énumérés les princi­ paux de ses éléments, à savoir les caractères sacramentels, la charité sacramentelle, l’orientation juridictionnelle en tant qu’intériorisée. Et l’on pourra de là s’élever jusqu’à 234. Str. 26, vers 3. Silverio, t. III, p. 126 ; édit. Chevallier, Paris, 1930 ; trad. Lucien Marie de Saint-Joseph, p. 851. DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE 1175 la définition formelle, car ces éléments et les valeurs qu’ils mettent en cause sont destinés à faire éclore la charité cultuelle, sacramentelle, orientée, qui est leur fleur suprême et, dans l’ordre des réalités créées et inhérentes, la forme spécificatrice de toute l’Église. La définition de l’âme créée de l’Église va nous per­ mettre de déterminer avec précision ce qu’on peut appe­ ler les déchirures de l’Église. SECTION II DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE Il ne suffirait pas d’une présence d’inhabitation pure et simple de l’Esprit saint pour constituer l’Église de la loi nouvelle : « Il est hors de doute que l’Esprit saint a habité par la grâce dans les justes qui ont précédé le Christ... S’il vient au jour de Pentecôte, c’est, selon saint Léon, non pour commencer alors d’habiter dans les saints, mais pour enflammer de sa ferveur et inonder de son abondance des cœurs qui lui étaient déjà consacrés ; non pour inaugurer ses dons mais pour les parfaire ; non pour innover sa bienfaisance mais pour la répandre avec plus de largesse »235. Ce qui est requis, c’est une présence d’inhabitation parfaite et plénière, c’est-à-dire pleinement 235. LÉON XIII, encyclique Divinum illud munus, 9 mai 1897. Nous complétons la citation de saint LÉON LE GRAND, Sermon LXXVII, cap. I ; P. L., t. LIV, col. 412. La pensée de saint CYRILLE D’ALEXANDRIE ne semble pas diffé­ rente. S’il déclare en commentant Jean, VII, 39, que les anciens pro- 1176 νΐ/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE enracinée dans l'humanité, autant du moins que le per­ met ici-bas notre condition de voyageur. Cette présence a commencé avec l’effusion de la grâce pleinement christique, c’est-à-dire de la grâce cultuelle, sacramentelle, orientée. V. inhabitation plénière de l’Esprit et Γeffusion plénière de la grâce christique sont simulta­ nées. Pourtant, à considérer les rapports de valeurs, on dira que d’un certain point de vue, c’est la venue plénière de l’Esprit saint qui est première et qui suscite autour d’elle les dons de la grâce ; tandis que, d’un autre point de vue, c’est l’apparition de la grâce pleinement chris­ tique qui est préexigée pour rendre possible la parfaite inhabitation de l’Esprit saint236. Si les philosophes ensei­ gnent couramment que la disposition ultime à l’intro­ duction d’une forme nouvelle résulte comme une pro­ phètes n’ont reçu que les illuminations de l’Esprit, mais sans connaître son inhabitation et sans être les temples de Dieu, il entend parler, et tout son contexte l’établit, de cette forme d’inhabitation privilégiée qui est consécutive aux missions visibles de l’incarnation et de la Pentecôte. P. G., t. LXXIII, col. 749-760. 236. On dit tantôt qu’il faut que les ténèbres se retirent pour que la lumière avance, et tantôt qu’il faut que la lumière avance pour que les ténèbres se retirent : « L’ordre des valeurs, écrit saint THOMAS, peut être considéré de deux façons. Du point de vue du sujet qui est perfectionné, en d’autres termes du point de vue de la cause maté­ rielle, c’est la disposition qui est première, et l’on dira que les dons de l’Esprit saint précèdent sa venue, en nous adaptant à lui, per prius recipimus dona Spiritus sancti quam ipsum Spiritum. Mais du point de vue des causes efficiente et finale, c’est ce qui touche de plus près à l’agent et à la fin qui est premier, et l’on dira que l’Esprit saint pré­ cède ses dons, per prius recipimus Spiritum sanctum quam dona ejus. C’est, en effet, l’amour qui pousse le Fils à nous donner tout le reste. Or, c’est ce dernier Γ©J int de vue qui l’emporte». I Sent.., dist. 14, qu. 2, a. 1, quaest. 2. Saint Thomas dira semblablement que l’union hypostatique s’étant produite instantanément, la grâce habituelle du Christ résulte, comme une propriété naturelle, de cette union à laquelle elle dispose. III, qu. 7, a. 13. DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE 1177 priété de cette forme elle-même237, nous pourrons dire ici, routes les transpositions nécessaires étant opérées, que, dans la loi nouvelle, la grâce qui dispose ultimement le monde à l’inhabitation de l’Esprit saint résulte de cette inhabitation comme de sa cause propre. Où la charité est pleinement christique, c’est-à-dire où elle est cultuelle, sacramentelle, orientée, l’Église apparaît comme pleinement formée et comme consti­ tuée dans son acte achevé ; où la charité n’est pas pleine­ ment christique, l’Église apparaît comme étant encore en formation ou comme étant déjà en désagrégation. Nous avons dit que la charité pleinement christique ou l’âme créée de l’Église, qui est intégralement présente «de soi et premièrement» dans les membres justes, est encore intégralement présente « par emprunt et par manière d’influx » chez les membres pécheurs, en sorte qu’en ceux-ci sa présence intégrale est non point abolie mais seulement entravée, ils sont vraiment membres de l’Eglise. Mais partout où la charité n’est pas pleinement christique, où il lui manque d’être à la fois cultuelle, sacramentelle, orientée, l’Église ne peut exister qu’en for­ mation et qu’en acte virtuel : il en était ainsi avant la venue du Christ, alors que cette déficience n’était pas anormale et ne représentait qu’une absence ; et il en est encore ainsi depuis la venue du Christ, où cette défi­ cience est devenue anormale et représente une privation. Une certaine présence déficiente de la charité pleine­ ment christique, une certaine présence de l’âme intégrale de l’Église peut donc subsister ici-bas dans les membres pécheurs de l’Église, bien qu’ils soient personnellement 237. «Dispositionem ultimam esse effectum formae in genere causae formalis, et tamen praecedere ipsam in genere causae materia­ lis». JEAN de Saint-Thomas, Cursus phil., Phil, nat., pars 2a, qu. 1, a. 7 ; édit. Vivès, t. II, p. 547. 1178 VI/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE privés de la charité. Mais l’appartenance à l’Église, qu’il s’agisse d’une appartenance en acte achevé ou en acte initial, est incompatible avec certains péchés comme l’in­ fidélité, l’hérésie, le schisme. Ce sont ces péchés qui « dé­ chirent l’Eglise ». Définir leur nature, c’est encore tra­ vailler à élucider la notion de l’àme crééede l’Église238. Il est clair que, lorsqu’on dit que les schismatiques ou les hérétiques déchirent, mutilent, renversent l’Église, c’est en eux et en ceux qu’ils entraînent à leur sziite qu’ils la déchirent, la mutilent, la renversent. En elle-même, l’Église est indivisible et indéchirable, elle peut cesser de vivifier certains hommes et certaines portions de l’huma­ nité, mais c’est pour se transférer ailleurs : elle est immortelle239. I. UN CONFLIT DE DEUX TERMINOLOGIES £4 SOLUTION PAR L’ANALYSE DU CONCEPT DE DISSIDENCE Les mots d’infidélité, d’hérésie, de schisme, tels qu’ils sont employés aujourd’hui, vont nous mettre dès le début en présence d'une ambiguïté de signification, dont nous aurons à montrer l’origine, et qu’il nous faudra lever, sous peine de délaisser la théologie pour le com­ 238. Le quatrième et dernier livre de la Summa de Ecclesia, de TURRECREMATA, est divisé en deux parties concernant la première le schisme, la seconde l’hérésie. 239. Déjà au plan des formations culturelles, auxquelles cepen­ dant l’immortalité stricte riest pas promise, Ch. PÉGUY peut écrire : « Quand une métaphysique et une religion, quand une philosophie disparaît de l’humanité, c’est tout autant, c’est peut-être bien plus LE CONCEPT D’ÉGLISE DISSIDENTE 1179 promis (I). Mais cette ambiguïté ne pourra se lever qu’en mettant en lumière une nouvelle notion, celle de dissi­ dence. C’est donc par l’analyse de la notion de dissi­ dence que nous commençons cette étude sur les déchi­ rures de l’Église (II). Elle nous donnera l’occasion de définir théologiquement la situation des Églises ortho­ doxes dissidentes (III). I. Le conflit de deux terminologies Beaucoup de malentendus, d’offenses, de rancunes pourraient être évités et éliminés si l’on prenait soin de définir exactement en quel sens on emploie soit les mots abstraits comme l’hérésie, le schisme, l’infidélité, soit les mots concrets comme les hérétiques, les schismatiques, les infidèles. Il semble même que ces précisions devraient être faites ou rappelées chaque fois ; car, d’une part, c’est chose difficile - mais nullement impossible - de fixer en ces matières un vocabulaire qui puisse s’imposer et deve­ nir commun ; et, d’autre part, rien n’est plus lourd de conséquences fâcheuses que l’ambiguïté dans l’usage de mots aussi redoutables. 1. La terminologie des anciens scolastiques relative à l’hérésie, au schisme, à l’infidélité Nous parlerons d’abord de l’hérésie et du schisme, puis de l’infidélité. l’humanité qui disparaît de cette métaphysique et de cette religion, de cette philosophie». Cahiers de la Quinzaine, 3 février 1907, d. Morceaux choisis, N. R. E, 1940, p. 163. 1180 νΐ/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE a) L'hérésie et le schisme La terminologie ancienne relative à l’hérésie est expo­ sée et discutée par Melchior Cano dans son De locis theo­ logicis2^. Nous transporterons au schisme, servatis ser­ vandis, ce qui est dit, à cet endroit, de l’hérésie. A. - Les mots « hérétique » et « schismatique » sont-ils employés concrètement pour désigner des personnes, comme quand on parle des hérétiques ou des schismatiques ? Alors les anciens théologiens s’accordent à y inclure une note infamante et à désigner par là des hommes qui se sont rendus coupables d’une faute grave. Ils admettent sans aucun doute l’existence de ce que nous appelons aujourd’hui les « hérétiques de bonne foi », les « schisma­ tiques de bonne foi ». Mais ces expressions, maintenant fréquentes, leur auraient paru aussi absurdes que les expressions d’« assassins de bonne foi », de « menteurs de bonne foi », de « voleurs de bonne foi ». C’est ainsi que Cano donne comme reçues de tous les théologiens les affirmations suivantes : « Un hérétique sans pertinacité ne serait pas un hérétique, haereticus autem, nisi sit pertinax, nullo modo intelligitur ». « Ce qui fait qu’un hérétique est tel, c’est la pertinacité, ad haere­ tici rationem, quia haereticus est, pertinacia requiritur »240 241. C’est bien la doctrine de saint Thomas : « L’hérésie ajoute à l’erreur de deux côtés : du côté de la matière, car c’est une erreur en matière de foi ; du côté de celui qui erre, car elle suppose la pertinacité qui seule constitue l'hé­ rétique. La pertinacité naît de l’orgueil ; c’est un grand orgueil qui pousse l’homme à préférer son sentiment à la vérité divinement révélée »242. Il y a pertinacité « quand 240. Livre XII, ch. vu, νπι, ix, Padoue, 1734, p. 369 et suiv. 241. Loc. cit, ch. VII. 242. De malo, qu. 8, a. 1, ad 7. LE CONCEPT D’ÉGLISE DISSIDENTE 1181 on nie qu’une vérité, suffisamment proposée comme révélée, a été révélée », « quand, dans l’hypothèse d’une proposition suffisante, la foi est refusée »243. De cette suf­ fisante proposition de la foi et, en conséquence, de cette pertinacité, c’est Dieu qui est le Juge ultime et absolu­ ment infaillible244. Les juges ecclésiastiques n’en peuvent prendre qu’une connaissance morale et faillible, en se fondant sur des signes extérieurs. Parallèlement, on dira que les anciens ignorent la notion du « schismatique de bonne foi ». Le schisma­ tique, écrit saint Thomas, « pèche de deux façons »245, à savoir contre l’unité de communion et contre Punité d’orientation, des fidèles. Là encore il faut qu’il y ait per­ tinacité. Celle du schismatique est, par exemple, dans sa rébellion à l’égard du pape considéré, non dans sa per­ sonne privée, mais dans son office public246. On comprend avec quelle circonspection il convient, si tel est leur sens, d’user de ces expressions « les héré­ tiques », « les schismatiques »247. B. - Mais le mot hérétique peut qualifier une proposi­ tion ou une doctrine. Qu est-ce quune assertion hérétique, 243. Annotation du premier schéma de la constitution De doc­ trina catholica du concile du Vatican, Collectio lacensis, t. VII, col. 531. 244. Voir Excursus IV: « Quand la foi est-elle suffisamment pro­ posée ? Controverse entre un évêque et un pasteur », p. 1400. 245. II-II, qu. 39, a. 4. 246. CAJETAN, II-II, qu. 39, a. 1, n° VII. 247. Cette circonspection n’apparaît guère chez CANO : « Nec Graeci solum schismatici sunt, sed sunt etiam haeretici, tum propter alia, tum hac praecipue de causa, quod negant unum totius Ecclesiae pastorem esse a Christo in Beato Petro institutum ». De locis, livre IV, ch. VI, ad 12, p. 138. Cano (et il a raison) refuse de parler d’héré­ tiques de bonne foi ; mais (et il a tort) il ne songe pas à distinguer les concepts d’« Église hérétique » et d’« Église dissidente ». 1182 VI/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE quest-ce qu'une hérésie, comment définir l'hérésie ? On ren­ contre, déjà chez les anciens théologiens, deux manières différentes de répondre à ces questions. a) La première réponse, qui a la préférence de saint Thomas, de Cajetan, de Cano lui-même, est plus proche de la vie, plus souple, plus fidèle. Elle déclare que si l’hé­ rétique est un pécheur, c’est donc que l’hérésie est un péché. On ne la définirait pas exactement, par consé­ quent, en disant quelle est une erreur en matière de foi. Il faut préciser quelle est une erreur coupable ; et préci­ ser encore que c’est l’erreur de ceux qui s’arrachent, au moins sur un point, à la foi chrétienne qu’ils ont profes­ sée. Ainsi, la même erreur en matière de foi, par exemple la négation de la divinité ou de la résurrection du Christ, même si on la suppose coupable, ne sera pas toujours une hérésie ; elle pourra représenter aussi tantôt une infi­ délité juive, tantôt une infidélité païenne248. En résumé, il n’y a hérésie que s’il y a répudiation de la foi chré­ tienne ; et une assertion, une doctrine n’est hérétique que pour autant quelle présuppose cette répudiation249. Tel est le point de vue de la théologie doctrinale, c’est-àdire ici de la théologie morale. Mais à quels signes les juges ecclésiastiques pourront-ils reconnaître qu’ils se trouvent en présence d’une hérésie, d’une assertion ou d’une doctrine vraiment hérétique ? En d’autres mots, 248. Cano, loc. cit., ch. VU. Voir plus loin, p. 1327. 249. Saint THOMAS: «On reconnaît l’essence de l’hérésie: 1° au fait que quelqu’un suit une doctrine privée, due à son propre choix, non la doctrine commune divinement transmise ; 2° au fait qu’il adhère avec pertinacité à cette doctrine, le choix impliquant une adhésion inébranlable». Comm. in I Cor., XI, 19. « L'hérésie est pre­ mièrement dans le cœur... et secondairement sur les lèvres. Quand saint Jérôme dit que les paroles inconsidérées font tomber dans l’hé­ résie, cela ne veut pas dire que l’hérésie consiste de soi en des paroles, cela veut dire que les paroles peuvent être occasion et cause d’erreur ». IV Sent., dist. 13, qu. 2, a. 1, ad 5. LE CONCEPT D’ÉGLISE DISSIDENTE 1183 puisque, dans la perspective où nous sommes, il n’y a pas d’hérésie sans culpabilité et sans vrais hérétiques, à quels signes les juges ecclésiastiques pourront-ils reconnaître qu’ils se trouvent en présence de vrais hérétiques ? Ainsi posée, la question descend tout entière sur le plan cano­ nique. Elle ne peut être résolue d’une manière infaillible et ne comporte qu’une certitude d’ordre moraP0. Cano donne trois règles capables de guider les juges ecclésias­ tiques invités à se prononcer en matière d’hérésie, mais non sans insister sur leur inévitable imperfection2^1. 250. Du fait que les textes d’Arius sont condamnés comme héré­ tiques, il est certain d’une part, d’une certitude spéculative et infaillible^ qu’ils sont contraires à la foi chrétienne (selon l’opinion que nous exposerons dans un instant, cela suffirait à les classer comme hérétiques) ; et il est certain d’autre part, d’une certitude morale et canonique, que leur auteur et ses sectateurs étaient vraiment coupables du péché d’hérésie. S’agit-il des textes de Jansénius, l’Église, en les déclarant hérétiques, a défini, et cela est de certitude absolue, qu’entendus comme les entendait Jansénius, ils sont con­ traires à la foi; elle n’a pas porté de jugement sur la culpabilité de l’auteur alors mort depuis quinze ans, mais la condamnation implique que les chrétiens qui s’obstineraient à professer les cinq pro­ positions jansénistes pourraient, avec une certitude morale, être jugés coupables d’hérésie. Sur le rapprochement de la condamnation d’Arius et de la condamnation de Jansénius, voir F. Marin-Sola, L’évolution homo­ gène du dogme catholique, Fribourg, t. I, p. 463. 251. Loc. cit., ch. IX. - Il raconte la peine qu’il a eue à arracher aux mains des juges un déséquilibré qui spontanément se déclarait hérétique. Et comment, dans d’autres circonstances, il a trouvé les juges trop indulgents. On est attristé de constater qu’il regarde comme valide, conformé­ ment à la procédure civile et canonique du temps, un aveu arraché par la torture. Sept siècles plus tôt, le pape Nicolas Ier avait déclaré la torture contraire au droit divin et au droit naturel : « L’aveu doit être spontané, il ne doit pas être extorqué par la violence... Si, vaincu par la douleur, l’inculpé se déclare coupable d’un crime qu’il n’a pas com­ mis, sur qui, je le demande, retombe l’opprobre d’une pareille ini­ quité?» Cf. L’Église du Verbe incarné, t. I, p. 347 [vol. I, p. 597]. 1184 \Π/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE Parallèlement à cette première manière de définir l’hé­ résie, le schisme devra se définir comme un péché, comme une scission qui suppose une faute volontaire252. La qualification de schismatique donnée à un écrit, à une attitude, à un mouvement, à une Eglise, sera tou­ jours infamante. Mais on n’aura le droit d’en user que si l’on est moralement sûr de la culpabilité des auteurs ou des partisans de ces écrits, attitudes, mouvements, Églises : ce qui donne à réfléchir et oblige à tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler2^3. b) A la question : qu’est-ce qu’une assertion hérétique, qu’est-ce qu’une hérésie, comment définir l’hérésie ? d’autres théologiens254, ou parfois les mêmes255, donnent une réponse différente, moins subtile, un peu méca­ 252. * Le schisme et l’hérésie sont des vices différents ». Saint Thomas, II-II, qu. 39, a. 1, ad 3. 253. Au XIIIe siècle, Roger MARSTON, QuodL, II, 10, ne parle pas, à proprement parler, relevons-le, du salut des Grecs schismatiques, mais du salut des enfants des schismatiques, qui ne sont pas euxmêmes coupables de schisme, du salut des Grecs qui, sans qu'il y ait de leur faute, ne savent rien du schisme. Cf. M.-J. CONGAR, « Le salut des “Grecs schismatiques” d'après un théologien du XIIIe siècle », dans le Mémorial Louis Petit, 1948, pp. 51-55. 254. Cano, loc. cit., ch. VU, cite TURRECREMATA. Celui-ci, dans sa Summa de Ecclesia, livre IV, 2e partie, ch. I, Venise, 1560, p. 376, définit l’hérésie: «une assertion fausse, contraire à la vérité catho­ lique, émanant de quelqu’un qui a professé la foi chrétienne » et ces derniers mots pourraient laisser entendre que la culpabilité entre dans la définition de l’hérésie ; mais il ajoute un peu plus loin, ch. III, que « l’hérésie, prise au sens propre, rend hérétique celui qui adhère à elle avec pertinacité ·> : ainsi la pertinacité viendrait s’ajouter du dehors à l'hérésie, elle ne lui serait pas intrinsèque. Cano a donc raison. 255. On peut alléguer un texte de saint THOMAS, De malo, qu. 8, a. 1, ad 7 : « L'hérésie provenant d’une simple ignorance, si elle est un péché, résulte d’un des vices qui ont été énumérés (à savoir les sept vices capitaux) ». LE CONCEPT D’ÉGLISE DISSIDENTE 1185 nique, un peu sommaire, beaucoup plus commode, et qui finira par avoir elle aussi droit de cité. Ils continuent d’ignorer encore la notion, suivant eux contradictoire, d’« hérétiques de bonne foi », mais ils commencent d’ac­ cepter, sinon quant aux mots, du moins quant au sens, la notion d’« hérésie de bonne foi ». En d’autres termes, ils tentent de situer l’hérésie tout entière sur le plan « dia­ lectique » et de la dégager du plan « moral »256. Dès lors, l’hérésie n’est plus qu’une erreur en matière de foi. Que cette erreur soit coupable ou non, cela ne change rien à sa nature257. Il s’ensuit que la qualité hérétique d’une Il est vrai que saint Thomas appelle souvent hérésie l’erreur tou­ chant une matière de foi définie par l’Église. Mais c’est toujours parce que, dans sa pensée, le fait de passer (sciemment) par-dessus la défini­ tion de l’Église est un signe de pertinacité : « En ces matières, on peut errer sans péril d’hérésie, tant qu’on n’a pas remarqué ou qu’il n’a pas été établi qu’il s’ensuit d’une pareille erreur quelque chose de contraire à la foi ; surtout si l'on n’y adhère pas avec pertinacité. Mais quand il est manifeste et surtout quand il est défini par l’Église qu’une erreur est, par ses conséquences, contraire à la foi, on ne pour­ rait la professer sans hérésie. C’est pourquoi beaucoup de proposi­ tions apparaissent aujourd’hui comme hérétiques qu’on ne regardait point comme telles autrefois, car on se rend mieux compte de la nature de leurs connexions » logiques. I, qu. 32, a. 4. Le Qu'il soit anathème, adressé par les conciles d’une manière per­ sonnelle à celui qui nie une vérité de foi divine et catholique, ne vaut, pareillement, que dans l’hypothèse de sa pertinacité. 256. Cette disjonction entre « dialectique » et « moral », en vue de tirer l’hérésie tout entière sur le plan dialectique, est rapportée par CANO, loc. oit., ch. Vil, qui d’ailleurs repousse la conséquence qu’on en veut tirer. 257. Demandez aux théologiens, disent les tenants de cette opi­ nion, si une proposition est hérétique ou non, ils répondent aussitôt, par oui ou par non, sans savoir de qui elle émane. A quoi Cano réplique que ces théologiens supposent alors un milieu suffisamment éclairé pour qu’une erreur contre la foi chrétienne n’y puisse être pro­ fessée a) sans péché b) sans répudiation de la foi, voir plus haut, p. 1182. Mais peut-être faut-il convenir en effet que ces théologiens disloquent alors la notion d’hérésie en la dépouillant de son contenu 1186 VI/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE assertion ou d’une doctrine, la présence d’une hérésie, peuvent être dénoncées avec une certitude spéculative et infaillible, excluant toute possibilité d’erreur. Quand l’Église proclame par exemple l’héréticité des écrits d’Arius ou de Jansénius, cela signifie seulement que les enseignements d’Arius ou de Jansénius, pris au sens qu’ils ont sur le papier et dans les synthèses doctrinales respectives de leurs auteurs, sont contraires à la foi chré­ tienne. Arius, Jansénius, leurs disciples, leurs sectateurs sont-ils coupables ? C’est un autre problème, étranger à la définition de l’hérésie. On répondra sans doute, comme tout à l’heure, qu’ils sont coupables s’ils soutien­ nent leur erreur avec pertinacité. Mais on ajoutera que la notion de pertinacité n’a rien à voir avec la notion d’hé­ résie. Elle vient s’y adjoindre extrinsèquement. Dans la notion d’hérésie ainsi définie, il faudrait, pour retrouver la première définition de l’hérésie, introduire la notion de culpabilité, voire de cette forme de culpabilité qui consiste à répudier la foi chrétienne. Au fond, qu’a-t-on fait? On a dédoublé le mot hérésie pour lui donner deux sens : l'hérésie-doctrine, qui signifie une erreur directement contraire à la foi chrétienne : mais voilà une définition tout à fait inadéquate de l’hérésie ; l'hérésiepéché, qui représente seule la définition adéquate de l’hé­ résie, à condition qu’on précise que ce péché consiste à répudier la foi chrétienne. Et quelles seront les consé­ quences de cette modification du vocabulaire ? D’une part, le mot hérésie, entendu de l’hérésie-doctrine, « moral » pour ne songer qu’à son contenu « dialectique ». Une « pro­ position hérétique » signifie alors simplement une proposition qui s'oppose, contrairement ou contradictoirement, à une vérité de foi divine et catholique, une proposition hétérodoxe en matière de foi divine et catholique, c’est-à-dire en matière définie par l'Église comme révélée, Concile du Vatican, session III, De fide catholica, chap. Ill, Denz., n° 1792. LE CONCEPT D’ÉGLISE DISSIDENTE 1187 désigne une erreur et non plus une faute, et son emploi peut être étendu bien davantage. Mais, d’autre part, il est devenu équivoque, car on est contraint de l’utiliser parfois pour signifier l’hérésie-péché ; et l’étendre davan­ tage, c’est risquer d’étendre l’équivoque. Parallèlement à cette seconde manière de définir l’hé­ résie, on définira le schisme comme une scission mal­ heureuse, mais sans enclore en lui la notion de péché. La qualification de schismatique donnée à un écrit, à une attitude, à un mouvement, à une Eglise, fera abstraction de toute faute morale. Le schisme ne sera plus qu’une navrante dissidence. Le mot ‘schisme’ et la qualification de schismatique pourront dès lors être étendus. Mais ils seront à leur tour devenus équivoques. b) Linfidélité Selon la terminologie ancienne, les hérétiques et les schismatiques signifient toujours des pécheurs. Les infi­ dèles, au contraire, ne désignent pas toujours des pécheurs. Les anciens donnent, en effet, deux sens au mot « infidèles » et au mot « infidélité ». Il y a les infidèles par infidélité négative, par simple absence de foi, non par résistance à la foi. Leur /«-fidé­ lité n’est qu’une ^-fidélité. Ils ne sont pas coupables, du moins en matière de foi. Ils sont ce qu’on appelle sou­ vent aujourd’hui des « infidèles de bonne foi ». Faut-il supposer que, hormis les petits enfants et les êtres non développés, certains hommes ont pu passer toute leur vie dans une infidélité négative par rapport même aux deux toutes premières vérités révélées, sans lesquelles « il est impossible de plaire à Dieu » (Hébr., XI, 6) ? Nous aurons à le discuter. Nous remplacerons pour notre compte ce mot d’infidélité négative par celui & ignorance. 1188 VI/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE Et il y a les infidèles par infidélité contraire, par résis­ tance à la foi. Voilà précisément le péché d’infidélité. Tout péché, même grave, contre la foi n’est pas un péché d’infidélité, et celui qui, par exemple en temps de persé­ cution, sacrifie aux idoles, peut ne pas perdre la foi258259 . Le péché d’infidélité s’insurge contre le motif formel de la foi théologale. On pourrait le définir « une erreur volon­ taire s’opposant à la foi avec pertinacité »2?9. La première infidélité ne désigne qu’une carence, la seconde désigne un péché. 2. La terminologie récente relative à l’hérésie, au schisme, à l’infidélité Parlons d’abord de l’hérésie et du schisme. a.) Lhérésie et le schisme A. - La terminologie actuellement en usage continue de donner au mot d’hérésie un double sens : 258. SâLMANTIŒNSES, De fide, disp. 9, dub. 1, n° 5 ; édit. Palmé, t. XI, p. 410. 259. Ibid., n° 2, p. 408. On remarquera que ces deux termes d’« infidélité négative » et d’« infidélité contraire», qui sont de saint THOMAS, II-II, qu. 10, a. 1, ne s’opposent pas contradictoirement. Un tiers terme est donc pos­ sible. On pourra distinguer, d’une part, l’infidélité négative, ou infidé­ lité qui riest pas coupable, et d’autre part l’infidélité coupable. Celle-ci peut être ou bien privative, chez celui « qui néglige de croire à la pré­ dication de la foi» (CAJETAN, Summula au mot Infidelitas, Douai, 1627, p. 368), « chez celui à qui la foi a été suffisamment proposée et qui ne veut pas y adhérer, sans néanmoins soutenir le contraire » (BlLLUART, De fide, dissert. 5, a. 1 ; édit. Brunet, t. III, p. 524). Ou bien contraire « chez celui qui, suffisamment instruit de la foi, non seulement refuse de l’embrasser, mais encore soutient le contraire et avance une erreur positive contre la foi » (Billuart). Cajetan, dans sa Summula, rassemble la Ve et la 2e sorte d’infidélité sous le nom d'infi- LE CONCEPT D’ÉGLISE DISSIDENTE 1189 d’abord un sens purement « dialectique » ; l’hérésie signifie alors une doctrine qui s’impose immédiatement, directement, contradictoirement, à la vérité révélée par Dieu et proposée authentiquement comme telle par l’Eglise260. Voilà l’hérésie en tant que déviation doctri­ nale, l’hérésie-doctrine261 ; puis un sens « moral » ; l’hérésie est le péché qui consiste à professer coupablement une doctrine héré­ tique. Voilà l’hérésie en tant que déviation morale, l’hé­ résie-péché. Le Code de Droit Canon, can. 2314, § 2, la connaît. Il déclare qu’en de certaines circonstances, 1 ’évêque peut lui-même absoudre « du délit d’apostasie, d’hérésie ou de schisme ». Or le délit se définit en droit canon, can. 2195, § 1, « une violation externe et morale­ ment imputable de la loi, frappée d’une sanction cano­ nique au moins indéterminée ». Voilà donc les deux sens du mot hérésie déjà distin­ gués, nous l’avons vu, par un certain groupe de scolas­ tiques262. délité privative. Saint Thomas fusionne la 2e et la 3e, l’une coupable de dédaigner la foi (contemnit fidem), 1’autre coupable de s’opposer à la foi (repugnat auditui fidei), sous le nom d’infidélité contraire. A sa suite, les Salmanticenses refusent de distinguer entre l’infidélité priva­ tive et l’infidélité contraire ; ces deux mots sont pour eux synonymes. 260. A. MICHEL, article « Hérésie », Dictionnaire de Théologie Catholique, col. 2211. 261. Au lieu de: proposition, doctrine hérétique, il suffirait de dire: proposition, doctrine contraire à la foi divine et catholique. « Propositiones ipsae secundum se sunt contrariae fidei : et sic vocan­ dae sunt quando contrariantur articulis fidei... » CAJETAN, Π-ΙΙ, qu. 11, a. 1, n° II. 262. Le mot hérésie signifie la première fois une déviation sur le plan doctrinal (erreur) et la seconde fois une déviation sur le plan moral (péché). Mais on peut compliquer les choses et imaginer sur le plan moral une hérésie qui n’est pas un péché. Cela fera un nouveau sens du mot hérésie. Appelons, en effet, hérésie l’acte qui consiste à professer une 1190 VI/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE B. - Est-il question des hérétiques et des schismatiques, la terminologie récente introduit une distinction jus­ qu’alors inouïe. Les scolastiques pensaient unanimement que, lors­ qu’un chrétien professait une doctrine directement contraire à la foi, il le faisait, ou bien avec pertinacité, et alors il était hérétique, ou bien sans pertinacité, et alors il n’était pas hérétique. La distinction entre des héré­ tiques coupables et des hérétiques non coupables leur aurait semblé aussi inacceptable que la distinction entre des menteurs coupables et des menteurs non coupables. Cette manière de voir s’est conservée dans le Code de Droit Canon, can. 1325, § 2: «Si, après réception du baptême, quelqu’un, retenant le nom chrétien, nie ou met en doute avec pertinacité une des vérités qui doivent être crues de foi divine et catholique, il est hérétique ; s’il s’éloigne totalement de la foi chrétienne, il est apostat; enfin s’il refuse de se soumettre au souverain pontife ou d’être en communion avec les membres de l’Eglise qui lui sont soumis, il est schismatique ». Suivant ce texte, l’hérétique, l’apostat, le schismatique sont aux yeux de l’Église des pécheurs. Et des pécheurs quelle frappe de la peine de l’excommunication, can. 2314: «Tous ceux qui ont apostasié de la foi chrétienne, tous les hérétiques ou schismatiques, et chacun d’entre eux, encourent, de ce fait même, l’excommunication ». Or l’excommunica­ tion, selon le Code, est une censure, can. Τ15Ί\ § 1 ; et, cela est spécifié, « la censure ne peut être que la punition doctrine hérétique. S'il n’est pas coupable, faute de liberté ou d’advertance, on dira que l’hérésie est matérielle. S’il est coupable, on dira quelle est formelle. Avec l’hérésie-doctrine, cela donne trois sens du mot hérésie. Cf. A. MICHEL., lac. cit., col. 2220. En compliquant encore un peu plus le langage on en arrivera à parler d un « péché matériel d hérésie » qui « en réalité ne serait pas un péché »... Ibid. LE CONCEPT D’ÉGLISE DISSIDENTE 1191 d’un péché externe, grave, consommé, supposant la pertinacîté et elle peut être portée même contre des délin­ quants inconnus », can. 2242, § 1. La notion tradition­ nelle et scolastique n’est donc pas abolie. En même temps la terminologie actuelle distend telle­ ment le sens des substantifs « les hérétiques », « les schis­ matiques », qu’ils vont pouvoir signifier désormais tantôt des pécheurs, tantôt des justes. Elle distingue en effet deux sortes d’hérétiques : d’abord des hérétiques formels, coupables, de mau­ vaise foi, qui professent avec pertinacité une doctrine hérétique ; puis des hérétiques matériels, non coupables, de bonne foi, qui professent une doctrine hérétique en vertu d’une erreur invincible, c’est-à-dire faute d’une proposition suffisante de la vérité révélée263. Voilà donc une nouvelle expression, celle d’« héré­ tiques de bonne foi » (et parallèlement celle de « schis­ matiques de bonne foi ») pour désigner des hommes que les scolastiques n’auraient jamais appelés ni hérétiques ni schismatiques. Cette notion est intégrée elle aussi dans le Code de Droit Canon, can. 731, § 2 : « Il est interdit de conférer les sacrements de l’Église aux hérétiques ou aux schismatiques, meme si c’est de bonne foi qu’ils errent et qu’ils les demandent, tant qu’ils n’ont pas auparavant rejeté leurs erreurs et qu’ils n’ont pas été réconciliés avec l’Eglise ». Il faut relever que l’interdiction dont il est ici question, pour autant du moins quelle touche ces « héré­ tiques et schismatiques de bonne foi », est décrétée non pas comme peine mais comme mesure de prudence, 263. La distinction entre hérétiques formels et hérétiques matériels va provoquer la distinction entre hérésie formelle et hérésie matérielle, elle aussi nouvelle, et que nous avons signalée page précédente, note 262. 1192 VI/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE quelle présuppose non pas un délit mais une simple non-convenance, une contre-indication264. Car ces héré­ tiques et ces schismatiques qui errent de bonne foi ne sont nullement excommuniés26S. Ainsi, pour ce qui est de l’expression « les héré­ tiques», « les schismatiques », il n’est pas possible de répudier le sens ancien, et il paraît difficile de lui demeu­ rer toujours fidèle. Est-ce impossible ? Nous ne le croyons pas. Le sens nouveau propose d’employer ces expressions en éliminant de leur concept formel la notion de culpabilité, qui pourra, si l'on veut, leur être ajoutée, mais du dehors. Il semble de ce fait supprimer automatiquement les difficultés qu’offrait l’emploi du sens ancien. Mais tant qu’il n'aura pas pleinement confisqué pour lui les mots d’hérétiques et de schisma­ tiques, c’est-à-dire tant qu’il n’aura pas trouvé d’autres expressions pour désigner l’antique notion morale de l’hérésie et du schisme, traditionnelle, divinement révé­ lée, il demeurera équivoque, il ne pourra se propager qu’en propageant une certaine équivoque, en sorte qu’on en vient à se demander s’il a vraiment simplifié le pro­ blème. On rapporte que « dans un entretien qu’il eut avec le pape Pie IX, le 30 janvier 1852, au sujet de VAssociation de prières pour la conversion de l’Angleterre, le P. Ignace Spencer, un passionniste anglais, demanda 264. L’index analytique du Code dit inhabilitas. Sur le double sens du canon 731, voir plus loin, p. 1216. 265. « Est-il question de recevoir dans l’Église les hérétiques de bonne foi, c’est-à-dire ceux qui ont été élevés dans l’erreur, il n’y a pas à prononcer sur eux la formule par laquelle le Rituel romain prévoit qu’on absout de l’excommunication. Cette formule ne concerne en effet que les hérétiques de mauvaise foi. Les hérétiques matériels hont pas encouru d’excommunication, même au for externe ; il n’y a donc pas à les en relever. Mais on leur demandera à juste titre une profession de foi». François CHARRIÈRE, Theologia moralis, cours dactylographié. LE CONCEPT D’ÉGLISE DISSIDENTE 1193 qu’en désignant ses compatriotes on s’abstînt de les appeler hérétiques : - Je ne me reconnais pas coupable, dit-il au pape, d’hérésie volontaire avant ma conversion, et je n’en reconnais pas coupables mes compatriotes en général. - Ah ! que dites-vous ? répliqua le pape. Mais, après un instant de réflexion, il consentit, par un gra­ cieux signe de tête, à la demande du Père Spencer. C est pourquoi, dans la lettre que la Propagande délivra à ce dernier, on ne lit pas haereticorum, mais tout simplement acatholicorum »266. Le Père Spencer ne voulait pas de la nouvelle terminologie. Mais comment entendre la courte surprise que ressentit le pape ? Ne vient-elle pas de ce qu’il s’est vu soudain mis en demeure de revenir à l’ancienne terminologie ? b) L'infidélité Nous l’avons dit, les mots à"infidélité et d’infidèles, déjà chez les scolastiques, ont deux sens, comme chez nous. Tantôt ils excluent la culpabilité, tantôt ils l’in­ cluent. Mais l’emploi que nous faisons de ces deux sens correspond-il à l’emploi qu’en faisaient les anciens sco­ lastiques ? A qui convient le nom d’infidèles négatifs, non cou­ pables, de bonne foi ? Est-ce à des hommes qui seraient dans l’infidélité négative d’une manière absolue, simplici­ ter, c’est-à-dire par rapport aux toutes premières vérités révélées que chaque homme doit croire pour plaire à Dieu ? Mais est-il possible que des hommes passent toute leur vie dans une telle infidélité267 ? Est-ce plutôt à 266. Cité dans Martin JUGIE, Theologia dogmatica christianorum orientalium, Paris, 1926, t. I, p. 29. 267. Si l’on répondait affirmativement, faudrait-il tenir que de tels hommes sont néanmoins capables de péchés mortels ? ou penser qu’il y aura pour eux après la mort des destinées spéciales ? Nous retrouverons ces problèmes. 1194 VI/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE des hommes qui croient déjà de foi divine que Dieu est, et qu’il est rémunérateur pour ceux qui le cherchent; qui sont donc fidèles absolument parlant, mais dont la foi est implicite, et qui ne sont dans l’infidélité négative que d’une manière relative, secundum quid, c’est-à-dire par rapport aux explications ultérieures de ces premières données; qui peuvent donc être justifiés par la grâce divine et appartenir à l’Eglise par le désir ? Mais alors ces « infidèles de bonne foi » sont des « fidèles ». Même quand il inclut la culpabilité, le mot d’infidé­ lité peut recevoir plusieurs sens. Il désignera souvent ce refus de la foi qui est commun à toutes les formes de l’infidélité. Pourtant, on semblera parfois le restreindre à l’infidélité du paganisme, et l’on opposera les infidèles aux hérétiques. On voit l’urgence de débrouiller ces questions de vocabulaire. Et nous restons dans le domaine de la théologie, sans vouloir enquêter sur l’emploi que le langage populaire a fait de ces mots si lourds de conséquences. II. Le concept d’Église dissidente Quelle que soit la terminologie que l’on choisisse, l’ancienne, qui était pure, ou la nouvelle, qui est un mélange, on devra prendre soin d’expliquer chaque fois soigneusement sa pensée et ses intentions. Essayons ici de rester fidèle à la terminologie de saint Thomas. Peut-être verrons-nous s’ouvrir devant nous une voie qui, en nous forçant de définir exactement le concept d’Église dissidente, nous permettra de résoudre les problèmes qui sont à l’origine de la terminologie moderne, sans avoir besoin de recourir à elle. LE CONCEPT D’ÉGLISE DISSIDENTE 1195 Nous appellerons donc hérésie, non pas toute doc­ trine contradictoirement opposée à la foi divine et catholique268, mais une telle doctrine soutenue avec pertinacité, plus exactement le fait de soutenir une telle doctrine avec pertinacité. Et nous appellerons schisme, non pas toute rupture de communion avec l’Église, mais seulement celle qui est coupable. 1. Le concept d’Église hérétique Introduisons maintenant dans le débat une notion nouvelle, la notion d’Église. Comment concevoir ce que seraient, du point de vue que nous adoptons, des « Eglises hérétiques », des « Églises schismatiques » ? 1. De telles Églises commencent toujours par se sépa­ rer de l’Église du Christ. Elles emportent toujours avec elles une part, plus ou moins considérable, de ses trésors. Elles peuvent conserver peut-être tous les livres de l’Écriture sainte, toute la formule du Symbole de la foi. La charité est détruite en elles par le péché de schisme ; la foi et l’espérance théologales sont en outre déracinées par le péché d’hérésie269. Mais pour les caractères sacramen­ tels, ils ne sont pas touchés. L’administration des sacre­ ments peut se perpétuer, dans la mesure où telle aberra­ tion spéciale de l’hérésie n’y fait pas obstacle. Le bap­ 268. « On doit croire de foi divine et catholique toutes les vérités qui sont contenues dans la parole de Dieu écrite ou (oralement) transmise, et que l’Église, soit par décision solennelle, soit par ensei­ gnement ordinaire et universel, nous propose de croire comme divi­ nement révélées». Concile du Vatican, session III, De fide cath., ch. Π1, Denz., n° 1792. 269. Même si un hérétique retient de nombreuses vérités de l’Écriture et du Symbole, ce ne peut plus être en vertu de la foi théo­ logale, dont il a personnellement ruiné dans son cœur le motif formel. 1196 \Ί/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE tême, la confirmation, l’ordre, l’extrême-onction, le mariage pourront être validement conférés, l’eucharistie validement consacrée. Mais ces sacrements, conférés et reçus par des hommes qui vivent dans le péché d’hérésie ou de schisme, sont conférés et reçus sacrilègement ; leur effet sanctifiant est entravé par les mauvaises dispositions de ceux qui les reçoivent. Une armature visible, un squelette sans la vie de la grâce et de l’amour, voilà donc quel est, à l’état pur, le concept d'une Église hérétique ou schismatique, d’une Église dont tous les membres sont infectés par l’hérésie ou le schisme. 2. De telles Églises sont possibles. La notion dont nous parlons a habité l’esprit des Pères, au moins comme un exemplaire, comme une limite à quoi ils se référaient pour condamner les tentatives hérétiques et schismatiques de leur temps. A propos du texte des Proverbes, XXXI, 29, qu’il lisait : « Beaucoup de filles ont fait des prodiges, mais tu as triomphé d’elles », saint Augustin compare les hérésies à l’Église en ces termes : « Les filles mauvaises, ce sont les hérésies. Elles sont filles, car elles sont nées d’elle. Mais filles mauvaises, qui lui ressemblent, non par les mœurs, mais seulement par les signes sacrés, sacramenta. Elles ont en effet nos signes sacrés, nos Écritures, notre Amen et notre Alleluia, la plupart ont notre Symbole, beaucoup ont notre baptême2 °. Et c’est pourquoi elles sont filles». Mais, continue-t-il, ces trésors sont en elles comme le lis dans les épines. On nous dit quelles font des prodiges ? Nous ne le nions pas : elles prient, elles jeûnent, elles font l’au270. « Il est possible d’avoir le baptême sans la Colombe ; il n’est pas possible que le baptême profite sans la Colombe ». La Colombe, c’est ΓEsprit saint, qui est la paix et l’unité de l’Église. Saint AUGUSTIN, In Joan. Ευ., traité VI, n° 13. LE CONCEPT D’ÉGLISE DISSIDENTE 1197 mône, elles louent le Christ. Malgré cela, elles n’ont pas la charité. Aux épines, la fleur ; mais à l’Église, le fruit, c’est-à-dire la charité sans qui tout le reste, dit l’apôtre, ne sert de rien271. 2. La dialectique interne d’une Église hérétique tend à la transformer en Église dissidente 1. Des Églises tout hérétiques, toutes schismatiques, sont possibles. Sont-elles nombreuses ? sont-elles du­ rables? Nous avons déjà dit qu’en se séparant de l’Église du Christ elles emportent avec elles une partie de ses moyens de sanctification, mais que l’effet suprême, l’ef­ fet salutaire de ces moyens de sanctification, est tenu en échec chez ceux de leurs membres qui se rendent person­ nellement coupables des péchés d’hérésie ou de schisme. Est-ce le cas de tous les membres ? Sont-ils tous, sont-ils pour toujours, personnellement coupables des péchés d’hérésie ou de schisme ? Regardons ce qui se passe chez les petits enfants de ces hérétiques et de ces schismatiques272. Ils peuvent être baptisés validement. Alors ils appartiennent à la véritable Église aussi réellement que les petits enfants quelle bap­ tise dans son sein. Avec le caractère baptismal, la grâce et les vertus infuses leur sont conférées. Ils sont incapables de compromettre cette vie divine en l’engageant dans de fausses voies. Bien plus, ce que cette vie surnaturelle déposée en eux appellera spontanément au moment de son éclosion, ce seront les directives surnaturelles authen­ tiques des pouvoirs juridictionnels. Pour l’instant, rien 271. Sermon XXXVII, nOï 27-28. 272. Ceci ne vaut que pour celles de ces « Églises hérétiques » qui n’auraient pas rejeté la validité du baptême des petits enfants. 1198 VI/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE ne leur manque. Ils ne sont ni hérétiques ni schisma­ tiques ni même errants. Qu’arrive-1-il au moment où, sortant du sommeil de l’enfance, ils s’éveillent aux choix que leur propose la vie chrétienne2 3 ? Devant eux, autour d’eux, dans le milieu où baigne leur esprit, ce qu’ils rencontrent, c’est un christianisme dont ils sont, à moins de quelque pressen­ timent miraculeux, incapables de saisir qu’il est devenu antithétique. C’est un ensemble spirituel où sont blo­ quées indissolublement la vérité divine et la logique d’un principe de mort, et où s’enchevêtrent inextricablement les valeurs chrétiennes et les puissances qui les parasitent. L’hérésie a rompu sur un point essentiel la vérité à croire, le schisme a rompu sur un point essentiel la vérité à faire. Par cette brèche, les ténèbres se sont mélangées à la lumière. Désormais, ce qui passera aux générations suc­ cessives, avant même quelles aient pu commettre aucun péché contre la foi et contre l’amour, ce sera le patri­ moine d'une hérésie, le patrimoine d'un schisme. Quand viendra pour les baptisés de l’hérésie et du schisme l’âge de la raison et de la délibération, même s’ils préservent leur âme de tout mal et la gardent dans la clarté et l’amour, ils resteront incapables avant longtemps, peutêtre toujours, de discerner sur ce point le vrai du faux, et ils commenceront leur vie de chrétiens adultes en accep­ tant en bloc tout l’héritage d’une hérésie, tout l’héritage d’un schisme. Ils ne seront pas, de ce simple fait, hérétiques et schis­ matiques. « Celui, dit saint Augustin, qui défend son 273. Ce que nous disons de ces enfants peut valoir, proportion­ nellement, même pour celles de ces « Églises hérétiques », beaucoup plus ravagées que les précédentes, qui auraient rejeté jusqu’à la croyance aux sacrements. Car nous n’oublions pas que les motions de la grâce président, même dans les cas d’un enfant non baptisé, à l'éveil de la conscience morale. Cf. saint THOMAS, I-II, qu. 89, a. 6. LE CONCEPT D’ÉGLISE DISSIDENTE 1199 opinion, encore quelle soit erronée et perverse, sans ani­ mosité opiniâtre, nulla pertinaci animositate, surtout lorsque cette opinion n’est pas un fruit de son auda­ cieuse présomption, mais qu’elle a été héritée de parents séduits et entraînés par l’erreur, s’il cherche la vérité avec scrupule, prêt à se rendre à elle quand il la connaîtra, ne doit pas être rangé parmi les hérétiques »274. Une hérésie, un schisme, sont des péchés personnels, des vices person­ nels. Ils ne s’héritent pas. Pour qu’ils affectent plusieurs générations successives, il faut que les hommes de ces gé­ nérations refassent eux-mêmes, en pleine conscience, le péché d’hérésie ou le péché de schisme, non pas nécessai­ rement en s’employant avec pertinacité à prêcher de nou­ velles erreurs ou à provoquer de nouvelles scissions, mais simplement en ratifiant pour leur compte, d’une manière vraiment coupable, l’hérésie-mère, le schisme originel. 2. Qu’est-ce à dire ? Nous avons supposé une Église tout hérétique, toute schismatique. Nous avons dit qu’une telle Eglise est possible. Et cependant, en raison et dans la mesure de ce quelle emporte avec elle des richesses de l’Eglise du Christ, - et supérieurement encore, en raison des libres invitations de l’Esprit saint qui « enveloppe toutes choses » et qui veut que tous les hommes soient sauvés —, nous voyons qu’une telle Église tend à se modifier. C’est comme si le concept d’Église hérétique ou d’Église schismatique éclatait sous la pres­ sion intérieure des valeurs chrétiennes, pourtant altérées, qu’il renferme encore, afin de donner naissance à un concept nouveau et original : à savoir le concept d’une Église inaugurée par une hérésie ou par un schisme et transmettant aux générations ultérieures, non pas le 274. Epist. XLIII, n° 1. Ce texte est cité par saint Thomas, II-II, qu. 11, a. 2, ad 3. Cf. le texte de saint Augustin cité plus loin, p. 1209. 1200 VI/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE péché d'hérésie ou de schisme, mais Y héritage, le patri­ moine laissé par l’hérésie ou le schisme. Il est clair qu’il s’agit d’un patrimoine ambivalent, où se heurtent la lumière et les ténèbres : tantôt secourable, puisqu’il contient des valeurs chrétiennes de vie, tantôt séducteur, puisqu’elles y sont infléchies, ou altérées, ou désagrégées, ou ravagées sous l’influence d’un principe hostile. Il faut dire, néanmoins, que la dialectique interne d'une Eglise tout hérétique tend à la transformer en autre chose, et que, dans une certaine mesure, le bien est plus fort ici que le mal. Comment appellerons-nous une telle Eglise ? Il faut trouver un mot qui, d’une part, en signifie les origines hérétiques ou schismatiques et qui, d’autre part, ne pré­ juge rien des dispositions personnelles de ses adeptes actuels. Les définitions de mots sont libres. Choisissons donc le mot d’Église dissidente. Nous appellerons forme d'une Église dissidente le patrimoine de valeurs, le com­ plexe ecclésiologique sous lequel une Église dissidente s’organise. Nous appellerons Eglise dissidente l’ensemble des hommes unis par ce complexe ecclésiologique2 λ Essayons d’expliquer ces deux notions. 3. La forme d’une Église dissidente 1. La forme d’une Église dissidente présuppose le tra­ vail d’une hérésie ou d’un schisme275 276, mais n’en retient 275. Nous croyons que la définition que nous proposons de l’Église dissidente pourrait être acceptée par ceux que, du point de vue catho­ lique, nous regardons comme dissidents. La question entre eux et nous resterait celle de 1 application : de quel côté se trouvent d'une pan l'Église du Christ et d’autre pan les Églises dissidentes ? Cf. L’Église du Verbe incarné, 1.1, p. 651 [vol. I, p. 1076]. 2/6. Il se peut que le fauteur principal d’une hérésie ou d un schisme durables revienne réellement ou apparemment de son égare- LE CONCEPT D’ÉGLISE DISSIDENTE 1201 que le résultat, dépouillé du péché d’hérésie ou de schisme, pour le transmettre aux générations qui se suc­ cèdent, comme représentant le vrai christianisme et comme devant être le principe organisateur de leur vie commune. C’est une notion divisée, antithétique, tragique. La forme d’une Église dissidente est habitée par le conflit de deux tendances, de deux logiques : la tendance et la logique du principe chrétien et la tendance et la logique d’un principe d’erreur. Tantôt c’est l’une qui avance et tantôt l’autre : chacune cherche à marquer des points aux dépens de l’autre, et leurs positions mutuelles varient au cours du temps ; mais aucune des deux n’est éliminatrice de l’autre. Dans certains cas, la mise de fond du principe chré­ tien restera considérable et le principe d’erreur, bien qu’il représente un mal incalculable, paraîtra comparative­ ment secondaire. Ailleurs, au contraire, le principe d’er­ reur ravagera profondément la donnée chrétienne. En effet, les principes d’erreur peuvent différer de nature et de virulence. Il en résulte que les formes des Eglises dis­ sidentes sont elles-mêmes distinctes, et qu’elles donnent naissance à des Églises qui ne sont pas de même plan. Il y a un abîme par exemple entre, d’une part, une Église qui recevrait la presque totalité du donné chrétien, confesserait même que le Christ a légué à son Église un pouvoir juridictionnel déclaratif et canonique, mais ne commencerait à s’égarer qu’au moment de déterminer quel est le sujet suprême de ce pouvoir ; et, d’autre part, une Église qui serait entraînée, par son principe d’erreur, ment : Photius, d’abord condamné, est ensuite reconnu, et meurt dans la communion de l’Église romaine (cf. Martin JUGIE, Le schisme byzantin, Paris, 1941, pp. 101 et suiv.). Il se peut que celui de qui une hérésie et un schisme prennent le nom ait erré sans être ni héré­ tique ni schismatique : Jansénius est mort évêque d’Ypres. 1202 \Ί/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE à méconnaître même la nature et la nécessité des sacre­ ments de la loi nouvelle. Il apparaît dès lors clairement que vouloir rapporter à l’Esprit saint la forme d’une Église dissidente et le conflit intérieur qui la ronge, serait commettre un blasphème. Ce qui revient à l’Esprit saint, c’est, à l’intérieur de cette forme, le maintien de l’élément chrétien, les recrudes­ cences de son dynamisme, le succès de ses avances. Mais le principe d’erreur, sans quoi la forme de cette Église ne serait pas ce quelle est, a lui aussi son dynamisme et ses réussites qui marquent les avances de l’esprit du mal. Il tend de soi à agrandir la déchirure. 2. Il est clair aussi que les Églises dissidentes ne sau­ raient être considérées comme les organes providentiels, les parties normales intégrantes, les branches authen­ tiques de l’Église une, universelle, œcuménique du Christ. Le 16 septembre 1864, dans une lettre adressée aux évêques d'Angleterre, le Saint-Office défendait aux catholiques de donner leur nom à une ligue Pour l’unité chrétienne, fondée à Londres en 1857 par des protes­ tants, qui confessait que « tout en étant séparées et divi­ sées, les trois communions chrétiennes : romaine-catholique, grecque-schismatique et anglicane pouvaient reven­ diquer avec le même droit le nom de catholique»2' . Et le schème de la Constitution dogmatique sur l’Église du Christ, distribué aux Pères du Vatican - schème dont la valeur est théologique mais qui n’a pas de portée dogma­ tique -, comportait un quatrième canon ainsi conçu : 277. Denz., n° 1685. Le mot grecque-schismatique signifie sim­ plement dans ce document (cf. le texte cité de Pie IX plus haut, p. 1193) la communion grecque non-unie, la communion «ortho­ doxe ». LE CONCEPT D’ÉGLISE DISSIDENTE 1203 «Si quelqu’un dit que la véritable Église n’est pas un corps un en lui-même, mais quelle se compose de socié­ tés de nom chrétien diverses et séparées, et quelle est diffuse en elles toutes ; ou bien que des sociétés diverses, en désaccord entre elles quant à la profession de foi et désunies quant à la communion, constituent, à titre de membres ou de parties, l’Église du Christ une et univer­ selle, qu'il soit anathème »278. Les Églises dissidentes sont des morceaux brisés de l’Eglise chrétienne. Leur christianisme est mutilé2 9. Il manque au moins de cette direction unique qui descend de la royauté du Christ et qui, en touchant la terre, se précise dans la juridiction suprême, déclarative et cano­ nique, du souverain pontife. Ce qu’elles acceptent libre­ ment comme la règle immanente de leur croire et de leur agir est au total une autre règle, semblable à la règle catholique sur certains points essentiels, divergente sur d’autres points essentiels, une règle où les ténèbres et la lumière, ce qui vient de l'homme et ce qui vient de Dieu, sont mélangés. Il est clair que cette règle les marque d’une empreinte originale et les disjoint de l’unité organique, catholique, oecuménique de l’Église du Christ. 3. Newman a raconté dans XApologia pro vita sua280 comment, peu après avoir quitté l’Église d’Angleterre, il sentit un grand changement s’opérer dans sa manière de la considérer. Il éprouva, écrit-il, un extrême étonne­ 278. Collectio lacensis, t. VII, col. 577. 279. Parlant au contraire de l’unité qui rassemble les vrais adora­ teurs du Christ en un seul troupeau sous un seul pasteur, PlE XI déclare « qu elle se fonde sur une profession de foi, non pas tronquée, mais intégrale et manifeste ». Encyclique Rerum orientalium, 8 sept. 1928. 280. Note E, Londres, 1920, pp. 379-383. 1204 VI/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE ment d’avoir pu imaginer auparavant quelle fut une portion de l’Eglise catholique : « Pour la première fois, je la regardai de l’extérieur et (pour dire ma pensée), je la vis telle quelle est... Je la vis comme si mes yeux s’étaient subitement ouverts, dans une sorte d’évidence, indépen­ damment de tout acte de raison, de tout discours ; et c’est ainsi que je l’ai toujours vue depuis. Je pense que la cause principale de ce changement est à chercher dans le contraste que faisait avec elle l’Eglise catholique. En celle-ci, je rencontrai d’emblée une réalité qui était pour moi toute nouvelle. Je sentis quelle n’était pas une Eglise que je bâtissais par l’effort de ma pensée... Il me semblait bien plutôt la contempler d’une manière pas­ sive, comme un grand fait d’évidence. Je la regardais ; je regardais ses rites, ses cérémonies, ses préceptes ; et je disais : Voilà, qui est une religion ! » Que pense-t-il, dès lors, de l’Église anglicane ? Il en parle, dit-il, « sans aucun dédain ». Il estime que, sans être divine, elle peut être néanmoins une grande œuvre281: «Je vois dans l’Église anglicane une institu­ tion vénérable et anoblie par ses souvenirs historiques, un monument de la sagesse du passé, une arme impor­ tante dans les mains de la puissance politique, un grand organe national, une source d’avantages considérables pour le peuple, et jusqu’à un certain point un témoin et une école de vérité religieuse 282... Mais qu’elle soit quelque chose de sacré, quelle soit l’oracle de la doctrine révélée, quelle puisse réclamer saint Ignace ou saint Cyprien comme ses ancêtres, quelle puisse prendre le rang de l’Église de saint Pierre, contester son enseignement ou entraver sa voie, quelle puisse s’appeler la Fiancée de 281. « It may be a great creation, though it be not divine ». 282. « And, to a certain point, a witness and teacher of religious truth ». LE CONCEPT D’ÉGLISE DISSIDENTE 1205 l’Agneau, voilà une vue qui a disparu de mon esprit depuis ma conversion et qu’il me faudrait presque un miracle pour évoquer». Telle quelle, elle a été néan­ moins « l’instrument choisi par la Providence » pour lui départir de grands bienfaits : « Si j’étais né dans une secte dissidente, peut-être n’aurais-je jamais été baptisé ; si même j’étais né presbytérien anglais, peut-être n’aurais-je pas connu la divinité de notre Seigneur ; si je n’étais pas venu à Oxford, peut-être n’aurais-je jamais entendu parler ni de l’Église visible de la Tradition ni d’autres doctrines catholiques ». Passant ensuite à la conduite à tenir à l’égard de l’Eglise d’Angleterre, il conclut : « Tant que les catholiques sont si faibles en Angleterre, c’est elle qui fait notre travail ; et bien que dans une certaine mesure elle nous cause du tort, la balance présentement penche en notre faveur...283 Mon opinion personnelle est qu’en cette heure qui pour elle est suprême, nous devons l’aider et la soutenir selon notre pouvoir, dans l’intérêt de la vérité dogmatique. Pour moi, je voudrais - tant que le devoir ne m’y contraint pas, car alors il me faudrait rompre avec cette règle - éviter tout ce qui pourrait affaiblir son empire sur l’esprit public, ou ébranler sa constitution, ou gêner et ralentir son effort pour maintenir les grands principes et enseignements chrétiens et catholiques quelle a, jusqu’à ce jour, utilement prêchés ». Ces dernières lignes ne semblent-elles pas indiquer d’avance l’attitude de confiance qu’il convient a fortiori à un catholique d’adopter aujourd’hui à l’égard de l’Église russe ? 283. « While Catholics are so weak in England, it is doing our work; and, though it does us harm in a measure, at present the balance is in our favour ». 1206 ΥΊ/2 - DÉCHIRURES DE L ÉGLISE 4. En faisant sienne la terminologie moderne, qui ne refuse pas d’isoler parfois les mots hérétique et schisma­ tique de leur contenu moral, le Père Martin Jugie peut écrire : A. - « Les Églises dissidentes orientales, en tant que sociétés religieuses, sont véritablement schismatiques et hérétiques, et il est licite aux catholiques de les désigner par ces épithètes... Ces Églises sont vraiment schisma­ tiques puisqu’elles n'obéissent pas au pontife romain et ne communient pas dans le culte avec les catholiques. Et elles sont hérétiques, puisque les documents authentiques où s’exprime leur foi nient quelques vérités appartenant à la foi divine et catholique284. On sait que toutes 284. Jusqu’à quel point ces documents authentiques existent-ils ? Il est aisé de relever des erreurs et même de véritables contradic­ tions jusque dans les enseignements magistériels des diverses Eglises orientales dissidentes, ou même à l’intérieur de la même Église. Le Père Jugie l’a fait mieux que personne ; et, par exemple, dans l’article « Slaves dissidentes (Églises) », du Dictionnaire Apologétique de la Foi Catholique, col. 1371 et 1377, il donne un résumé des variations de la croyance officielle de l’Église russe. Mais d’autre pan il écrit, dans son livre récent sur Le schisme byzantin, ces lignes dignes de toute notre attention : « Les auteurs catholiques définissent souvent d’une manière fort inexacte la doc­ trine de l’Église dissidente (sur les points de controverse). Ils se repré­ sentent cette Église sur le modèle de l’Église catholique, comme si elle avait et pouvait avoir un enseignement fixe et immuable sur l’une des questions quelconques qui nont pas été définies expressément par les premiers conciles œcuméniques, et ils s’échappent en propositions géné­ rales dans le genre de celles-ci : L’Église gréco-russe enseigne que le Saint-Esprit procède du Père seul. - L’Église gréco-russe nie la primauté de juridiction de l’apôtre Pierre et celle de l’évêque de Rome, etc... », p. 378. Un peu après, on établit que « depuis la consommation du schisme au XIe siècle, l’Église gréco-russe n’a pu rédiger aucune profession de foi infaillible, aucun livre symbolique proprement dit », p. 380 ; ni « réunir un nouveau concile oecumé­ nique », p. 384. Dans le même sens, il est dit un peu plus loin: * LÉglise gréco-russe... n a aucune doctrine arrêtée sur les divergences LE CONCEPT D’ÉGLISE DISSIDENTE 1207 ensemble s’entendent à rejeter le primat juridictionnel et l’infaillibilité du pontife romain »285. Mais le même auteur se rend compte que, quoi qu’on dise ou présup­ pose, ces mots de schismatique et d’hérétique sont offen­ sants, en raison d’une fatale ambivalence. Et il ajoute aussitôt : « Cependant, en pratique, de peur de blesser les fidèles de ces Églises, et en vue de faciliter leur accès à la véritable Église, on pourra, sans détriment de la vérité, user des appellations plus bénignes d’Églises dissidentes, dEglises séparées »286. Au contraire, si l’on demeure fidèle à la terminologie de saint Thomas, on se refusera absolument, non plus seulement pour des raisons prudentielles, mais pour des raisons doctrinales, à qualifier aujourd’hui les Églises orientales non catholiques, et semblablement les Églises protestantes, d’Églises hérétiques ou d’Églises schisma­ tiques. Le seul mot qui paraîtra théologiquement exact sera celui d’Églises dissidentes, ou d’Églises séparées ou plus généralement d’Églises non catholiques. B. - Quand il sera question non plus des Églises dis­ sidentes mais des membres de ces Églises, des dissidents en question, et ce n’est qu’abusivement qu’on peur lui prêter un ensei­ gnement officiel et définitif sur la primauté de l’évêque de Rome, sur la procession du Saint-Esprit. Si Γοη sen tient à son enseignement véri­ tablement officiel, à ce qui pour elle a un caractère de dogme, on peut dire quelle est orthodoxe, puisque ce minimum dogmatique est constitué par des définitions expresses des sept premiers conciles œcu­ méniques. Ce minimum, l’Église catholique l’admet aussi », p. 468. Il y a donc un enseignement officiel conciliaire qui est vraiment révélé. Et un enseignement officiel ordinaire, qui peut s’opposer à la vérité révélée et à ses explications. Voilà le drame des Églises dissi­ dentes. 285. Theologia dogmatica christianorum orientalium ab Ecclesia catholica dissidentium, Paris, 1926, t. I, p. 20. 286. Ibid. 1208 VI/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE eux-mêmes, le Père Jugie évitera le plus possible de pro­ noncer à leur propos les mots de schismatiques ou d’hé­ rétiques : « Les fidèles des Eglises dissidentes orientales qui errent de bonne foi ne peuvent être appelés schisma­ tiques et hérétiques que d’une manière impropre ; ils ne sont que des schismatiques et des hérétiques matériels. Comme, d’une part, il n’y a aucun doute que beaucoup, que même la plupart des dissidents, sont de bonne foi du fait qu’ils sont nés de parents [eux-mêmes peut-être matériellement] schismatiques et hérétiques, en des régions où l’erreur prévaut depuis de nombreux siècles ; et comme, d’autre part, il nous est impossible dans la plupart des cas de discerner avec certitude quels schisma­ tiques et quels hérétiques le sont formellement et quels autres matériellement, la charité et la justice nous invi­ tent à désigner les fidèles des Églises orientales séparées par des expressions qui de soi font abstraction du péché formel de schisme ou d’hérésie »287. Les divisions modernes entre hérétiques matériels et hérétiques for­ mels, entre péché matériel d’hérésie et péché formel d’hérésie, sont donc ici mentionnées ; mais c’est pour être déclarées finalement inemployables. Et voici la conclusion - qui sera, à quelques termes près, la nôtre à laquelle s’arrête l’auteur : « Les catholiques doivent user, pour désigner les fidèles des Églises hétérodoxes orientales, des mots de dissidents, de frères séparés et d’autres appellations semblables faisant abstraction, dans leur signification directe, de la notion de péché formel de schisme ou d’hérésie »288. Formulons la même conclu­ sion en mots équivalents : Les membres des Églises chré­ tiennes non catholiques ne pourraient à ce seul titre être appelés hérétiques ou schismatiques : ils sont à nos yeux 287. Ibid., p. 23. 288. Ibid., p. 24. LE CONCEPT D’ÉGLISE DISSIDENTE 1209 des dissidents289. Nous passons ici de la notion de la forme d’une Église dissidente à la notion des membres d’une Église dissidente. 4. Les membres d’une Église dissidente 1. Ils accueillent comme point de départ de leur foi une vue globale du christianisme, un complexe ecclésio­ logique qui fut autrefois le fruit d’un schisme ou d’une hérésie, mais sans de ce fait reprendre à leur compte la rébellion du schisme ou de l’hérésie. Il leur est même impossible de deviner, en tout cas au début, que ce com­ plexe est antithétique, et de disjoindre ce qui est lumière de ce qui est ténèbre. Que se passera-t-il dans leur cœur ? d) Chez beaucoup pourront prévaloir les motions de la lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde. Elle les portera secrètement à adhérer aux données chrétiennes qui subsistent au sein de leur propre Église, à les revalo­ riser, ou à les redresser dans la mesure où elles y sont menacées, déviées, amoindries, en raison hélas du drame inhérent aux Églises dissidentes. Les meilleurs d’entre eux seront ces justes qui se lais­ sent envahir par la foi vive et qui, par le tropisme de tout leur être, appartiennent initialement, mais déjà efficace­ ment et salutairement à l’Église du Christ. Dans un beau texte sur les Psaumes, saint Augustin lui-même a ensei­ gné qu’en dehors de la grande Église catholique le bap­ tême peut encore donner des fruits d’amour : « Je vous ai déjà expliqué pourquoi la colombe apporta dans l’arche des feuilles et des fruits. Cela signifiait que ceux 289. L’encyclique Orientalis Ecclesiae, de PlE XII, 24 avril 1944, parle des « fils » et des « frères dissidents orientaux ». Acta Apostolicae Sedis, 1944, pp. 137, 141, 143. 1210 VI/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE qui sont baptisés hors de l’Église, pareils aux arbres qui ont été immergés hors de l’arche, s’ils n’ont pas seule­ ment des feuilles, à savoir de simples paroles, mais s'ils ont encore du fruit, à savoir la charité, la Colombe les ramène à l’arche et ils viennent à l’unité »290. Si donc ils nous rejoignent, parlons de leur conversion, plus exacte­ ment de leur profession de foi, de leur entrée dans l’Eglise. C'est des hérétiques, non des dissidents, qu’il faut exiger une abjuration291. D’autres dissidents, pareils à ces membres pécheurs qu’on rencontre jusque dans le sein de la vraie Eglise, pourront trahir gravement les devoirs de leur vocation chrétienne, mais sans vouloir néanmoins jamais consen­ tir à ce qu’ils sentiraient être devant Dieu, un schisme ou une hérésie ; leur appartenance à l’Église du Christ est plus lointaine : elle est inefficace et non-salutaire. b) Mais il pourra se faire, à l’opposé, que certains, parmi les dissidents, pour quelque motif que ce soit, aveuglés peut-être par la passion politique292, ou affamés de différenciation spirituelle, laissent triompher en eux l'esprit de schisme ou d'hérésie, et retrouvent alors, dans le 290. Enarr. in Psalm. CXXVII, n° 13. Cf. Contra Faustum, livre XII, ch. XX. 291. «On passe de l’erreur à la vérité non en perdant ce qu’on possédait, mais en acquérant ce qu’on n’avait pas... La partie même de la doctrine qu’il faut rejeter comme tout à fait fausse, on la renie, non pas directement mais indirectement, en adhérant à la vérité qui lui est contraire. La vraie conversion est toujours quelque chose de positif, jamais quelque chose de négatif». NEWMAN, Essay on the development ofChristian doctrine, p. 200. 292. Le Père M.-J. CONGAR rappelle à bon droit « le danger de schisme que peut présenter le sentiment nationaliste exacerbé... Il y aurait une etude très fructueuse à faire des rapports du nationalisme ainsi compris et du schisme, refus de se conduire ut pars ». Article « Schisme », Diet. Thêol. Cath., col. 1303. LE CONCEPT D’ÉGLISE DISSIDENTE 1211 sein même de leur propre Église, pour les revaloriser, les données aberrantes qu’y déposèrent jadis en permanence le schisme initial et l’hérésie primordiale293. C’est là un second aspect du drame inhérent aux Églises dissidentes. Il y a donc des dissidents de bonne foi, dont les meilleurs sont àzs justes et les autres des pécheurs. Et il y a des dissidents hérétiques ou schismatiques, c’est-à-dire coupables des péchés d’hérésie ou de schisme. Mais, selon la terminologie la plus authentique, il n’y a pas d’hérétiques ou de schismatiques de bonne foi. 2. Considérons ce que devient une Église dissidente dans la mesure où elle est représentée par ses membres justes. Ils ne constituent pas un simple agrégat de personnes dont chacune isolément appartiendrait par le désir à Il est clair que le refus d’être partie d’un ensemble politique, d’un empire, fût-il aussi « saint », aussi « chrétien », aussi « catholique », aussi « romain » qu’on le voudra, se situe sur le plan politique. Il ne signifie pas du tout un refus d’être partie de l’Eglise supranationale et supraculturelle. Quand le nationalisme conduit au schisme, c’est qu’il y a, du côté certes de ceux qui font schisme, mais parfois aussi du côté de leurs adversaires politiques, un oubli de la catholicité et de la transcen­ dance absolue, par rapport à toutes les formations politiques et cultu­ relles, de l’Église du Christ. La pluralité des patries n’entraîne aucu­ nement de soi la pluralité des Églises ; et l’unité de l’Église du Christ n’entraîne aucunement de soi celle de quelque saint Empire. 293. Saint JEAN DE LA CROIX ouvre sur l’origine de l’hérésie des perspectives troublantes. Parlant des « paroles successives » qui procè­ dent en l’entendement de trois causes, l’Esprit saint, ou la lumière naturelle, ou le diable, il ajoute : « C’est une des manières dont celuici se communique à quelques hérétiques, principalement aux héré­ siarques, leur informant l’entendement avec des conceptions et des raisons très subtiles, fausses et erronées». La montée du Carmel, livre II, ch. XXIX; Silverio, t. II, p. 226 ; trad. Lucien-Marie de SaintJoseph, p. 291. 1212 ΥΊ/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE l’Église du Christ. Ils forment un bloc ayant sa physiono­ mie propre et rattaché comme tel à l’Église vraie. Supposons, c’est le cas le plus éminent, que ce bloc appartienne aux Églises dissidentes orientales où se conservent les sept sacrements de la loi nouvelle. Il sera, de ce fait, consacré par les trois caractères sacramentels, il perpétuera dans l’eucharistie la présence du sacrifice rédempteur, il sera tout entier vivifié par cette charité que nous avons appelée cultuelle et sacramentelle. Supposons encore qu’il renferme en lui de grands saints, des hommes d’oraison profonde204, des martyrs, et qu’une mise en demeure de confesser la foi pendant de longues et terribles persécutions29'’ l’ait obligé à embrasser avec une très pure fidélité toutes les données chrétiennes authentiques qui lui étaient accessibles. Supposons enfin qu’il subsiste dans une région où l’Église catholique est absente ou pratiquement réduite à294 295 294. Qu’on relise les beaux Récits d'un pèlerin à son père spirituel, traduits du russe par Jean GaUVAIN, Neuchâtel, 1943. 295. « Voici que l’Église, hier encore paralysée par le patronage de l’État, était appelée tout à coup à subir le martyre. Elle fut couverte du sang de ses martyrs et se manifesta par le courage de ses confes­ seurs. Le monde entier peut voir aujourd’hui quelle force spirituelle possédait l'humble Église orthodoxe. Pour la Russie, c’est vraiment un miracle inespéré de la grâce divine ». Serge BOULGAKOV, « L’An­ cien et le Nouveau » dans le 8e des Cahiers de la Nouvelle Journée, sur VÂme russe, Paris, 1927, p. 51. Le point de vue exprimé par plusieurs de ceux qui sont restés en Russie est différent : « On sait que le thème des persécutions subies par la religion en Russie ne quittait pas, naguère, les colonnes de la presse étrangère ; quant à la presse religieuse émigrée, il y demeure jusqu’à présent comme un leitmotiv. Et l’on ne désignait pas, par là, les quelques excès inévitablement provoqués par tout soulèvement populaire, mais on l’entendait de mesures systématiques prises par le pouvoir soviétique pour l’extermination des fidèles et surtout du clergé. Sans la moindre réserve, la presse de l'émigration faisait un parallèle entre les persécutions des premiers siècles contre le christia- - LE CONCEPT D’ÉGLISE DISSIDENTE 1213 Suite de la note 295 : nisme et les persécutions actuelles en Russie... Pour la bourgeoisie reli­ gieuse, la persécution réside principalement dans le renoncement, par le gouvernement, à son union séculaire avec l’Église... Cependant le peuple orthodoxe simple... est enclin à voir dans le changement sur­ venu, non pas une persécution, mais bien plutôt un retour aux temps apostoliques quand l’Église et ses serviteurs suivaient leur véritable voie, celle où les avait appelés le Christ, et considéraient leur minis­ tère, non comme une profession parmi tant d’autres leur procurant de quoi vivre, mais comme leur réponse à l’appel du Christ ». Ces lignes, datées d’Oulianovsk, 28 mars 1942, sont de SERGE, alors métropolite et plus tard patriarche de Moscou. Cité dans Russie et Chrétienté, Paris, 1946, n° 1, p. 74. (Il y aurait la question de savoir s’il faut, par exemple, considérer le maintien du droit de l’Église sur ce que les théologiens appellent les questions mixtes comme une vue «bourgeoise» et son abandon comme conforme à la doctrine des Pères. En preuve de l’exclusion systématique de l’Église de tout ce qui n’est pas strictement culte et formules théologiques, la Documentation Catholique du 19 janvier 1947, col. 67, signale une instruction, don­ née tout dernièrement en Russie soviétique, pour interdire dans les Séminaires orthodoxes l’enseignement de la philosophie, cette disci­ pline étant du domaine exclusif de l’État). La conciliation des deux points de vue est faite, croyons-nous, dans le même fascicule de Russie et Chrétienté, à la fin de l’étude de G. Maklakov sur « L’Église orthodoxe et le pouvoir civil en U. R. S. S. de 1917 à nos jours », p. 72 : « Est-ce que la foi chrétienne est capable de subsister dans un État socialiste qui professerait la doctrine du matérialisme intégral et qui, pendant vingt-cinq ans, remettrait l’école, la presse et le cinéma entre les mains des athées militants, auxquels il réserverait en outre le droit exclusif de propagande ? Les orthodoxes russes ont répondu à cette question par un oui que le monde entier a pu entendre ». Sous le titre « L’Église orthodoxe russe en face du communisme », le Père C.-J. DUMONT, directeur du Centre d’Études Istina, recueille ou signale, dans la Revue Économie et Humanisme, nos 7-8, 1950, les documents où l’Église orthodoxe russe tente depuis 32 ans (19171949) de définir son attitude à l’égard du régime soviétique. On sera ému par la noblesse et la clarté de la Lettre ouverte, envoyée en sep­ tembre 1927 au Métropolite Serge, en réponse à son Message de juin 1927, par les évêques détenus dans les bagnes de Solovki. Cf. p. 26 du tiré à part. 1214 VI/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE l'impuissance, et où, par conséquent, il soit seul ou presque seul « à faire notre travail », pour parler comme Newman. Que va-t-il se passer ? Du point de vue supérieur de la théologie catholique, ce qui apparaîtra alors avec évi­ dence, ce n’est pas du tout quelque tendance de ce bloc à former une communion qui viendrait se juxtaposer à la communion catholique romaine pour constituer à côté d’elle une autre branche légitime de l’Église du Christ (seuls les rits, et plus généralement les formules d’origine culturelle, ethnique, sociale, historique, qui peuvent ser­ vir de base à la grâce christique296297 , tendent à se juxtapo­ ser, mais non leur contenu) ; c’est au contraire une ten­ dance de ce bloc à s identifier d’une manière de plus en plus profonde à la communion catholique romaine ellemême. Il ne lui manquera, pour coïncider tout à fait avec elle, que de posséder en plénitude cette « unité d’orientation » dont le Christ a voulu indubitablement doter son Église, et dont nous avons dit quelle permet­ tait seule à Γ« unité de communion d’amour et de cha­ rité » de passer d’un état initial et inchoatif à son état de libre épanouissement. « L’influence de la foi et de la cha­ rité resterait tout à fait mutilée et inefficace à établir l’unité dans le Christ, si elle ne s’appuyait sur la pierre inébranlable sur laquelle l’Église a été divinement fon­ dée, à savoir sur l’autorité suprême de Pierre et de ses 297 successeurs »ΖΛ. La sanctification authentique de tous les groupes qui portent le nom chrétien est donc ce que nous devons, 296. Voir « Des temps ou états de l’Église par rapport à sa catholi­ cité » dans Nova et Vetera, 1935, p. 227 [extrait de « Les destinées du Royaume de Dieu », recueilli dans le vol. V de la présente édition : II, 3,d· 297. P1E XII, Encyclique Orientalis Ecclesiae, 24 avril 1944, Acta Apostolicae Sedis, 1944, p. 138. LE CONCEPT D’ÉGLISE DISSIDENTE 1215 semble-t-il, demander le plus immédiatement. Leur union à l’Église s’ensuivra par voie de corollaire. Et ce sera pour rendre à son tour possible une sanctification de style supérieur. « Père, sanctifie-les dans la vérité... afin que tous soient un... et que ΓAmour dont tu m’as aimé soit en eux, et moi en eux » (Jean, XVII, 17, 21,26). 5. De quelques dispositions canoniques concernant les dissidents a) Dispositions concernant les dissidents eux-mêmes 1. Nous avons dit que les petits enfants, validement baptisés par les schismatiques et les hérétiques en plein acte de rébellion coupable contre l’Eglise, lui appartien­ nent néanmoins aussi véritablement que ceux quelle baptise elle-même dans son sein. Et cela vaut, bien sûr, des petits enfants validement baptisés dans les Églises dissidentes. Tous ces petits enfants ne sont ni schisma­ tiques, ni hérétiques, ni dissidents. Ils sont catholiques. Ils ont un droit égal à recevoir les sacramentaux et les rites prévus pour eux par l’Église, par exemple le rite de la sépulture ecclésiastique. 2. Les membres des Églises dissidentes ne sont, à ce titre, frappés d’aucune censure, d’aucune excommunica­ tion, d’aucun anathème298. Toute censure présuppose « un délit externe, grave, consommé, joint à la pertinacité », can. 2242, § 1, et le délit désigne « une violation externe et moralement imputable de la loi », can. 2195, §1. 298. L’anathème est « l’excommunication solennellement infligée, prévue par le Pontifical Romain », can. 2257, § 2. 1216 VI/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE Nous avons déjà cité le canon 731, § 2 : « Il est inter­ dit de conférer les sacrements de l’Eglise aux hérétiques ou aux schismatiques, même si c’est de bonne foi qu’ils errent et qu’ils les demandent, tant qu’ils n’ont pas été réconciliés avec l’Église». Ce canon contient deux inter­ dictions de nature très différente. Tout d’abord l’interdiction de conférer les sacrements à ceux qui, selon la terminologie ancienne, méritent seuls le nom d’hérétiques ou de schismatiques : cette pre­ mière interdiction est de caractère pénal, les hérétiques et les schismatiques étant ipso facto excommuniés, can. 2314, § 1, et tout excommunié étant écarté des sacrements, can. 2260, § 1. Puis l’interdiction de conférer les sacrements à ceux qui sont ici appelés « hérétiques ou schismatiques de bonne foi », c’est-à-dire aux membres d’une Eglise dissi­ dente qui, comme tels, ne sont coupables ni d’hérésie ni de schisme : cette seconde interdiction est non pas une peine, mais une mesure de prudence, dont la fin la plus apparente est sans doute d’empêcher que la vérité et l’er­ reur puissent être confondues. De cette seconde interdic­ tion, le Père Antoine Malvy, S. J., déclare à juste titre qu elle représente, certes, une prohibition grave de l’Église, mais que, n’étant ni de droit divin, ni nécessai­ rement imposée par la nature des choses, « elle souffre, en cas de nécessité extrême et peut-être même en quelques autres cas, les tempéraments, les exceptions, l’épikie, que comporte toute législation positive ecclé­ siastique ; en particulier quelle doit céder en cas de conflit avec la loi divine de charité »299. 299. « Quel est le prêtre qui, au cours de la Grande Guerre, aurait eu le cœur de refuser le Corps du Seigneur, à de pauvres soldats russes coupés en deux par un obus, qui le lui demandaient avec larmes, ou qui aurait cru indispensable de leur faire professer d’abord le Filioque, dogme difficile à bien expliquer sous le feu ? Ce cas de LE CONCEPT D’ÉGLISE DISSIDENTE 1217 D’autres biens de l’Église, par exemple les sacramentaux, qui concernent d’abord les catholiques, « pourront être donnés aussi aux catéchumènes, et même, à moins d’une défense de l’Église, aux non catholiques, afin qu’ils obtiennent la lumière de la foi et avec elle, dans certains cas, la santé corporelle », can. 1149. b) Dispositions concernant les catholiques qui partici­ pent a leur culte Quelles sont les dispositions canoniques concernant, non plus cette fois-ci les dissidents eux-mêmes, mais les catholiques qui participent à leurs cultes, ou demandent les sacrements à leurs ministres ? a) Tout d’abord : un catholique peut-il assister à un culte dissident ? A cette question le Droit Canon répond conscience s’est présenté à l’auteur de ces lignes, et on voudra bien ne pas chercher d’autre source d’inspiration au présent article ». « Les dissidents de bonne foi sont-ils membres du corps de l’Église ? », étude parue dans les Recherches de Sciences Religieuses, février 1927, et reproduite par la Documentation Catholique, 8 octobre 1927, col. 553. En écrivant dans la question qu’il pose et qu’il résout affirmative­ ment : membres du corps de l’Église au lieu de : membres de l’Église, le Père MALVY accepte une terminologie qui laisse croire que l’Église aurait une âme débordant son corps. Il sait bien que cette manière de parler est critiquable. Mais il pense quelle est trop répandue pour qu’on essaie de remonter le courant : « Il va de soi d’ailleurs que je suppose la doctrine commune sur la distinction entre l’âme et le corps de l’Église et l’appartenance des dissidents de bonne foi à cette âme invisible, encore que je n’ignore pas les justes critiques qu'on peut opposer à cette terminologie, trop passée dans l’usage commun pour pouvoir en être éliminée ». Notons pourtant que le mot ‘doc­ trine commune’, employé par le Père Malvy, est aujourd'hui moins exact. Le « retour à la pensée et au vocabulaire authentiques de l’en­ seignement traditionnel » est heureusement en bonne voie. Cf. Louis CAPÉRAN, Le problème du salut des infidèles. Essai historique, Toulouse, 1934, p. 546. 1218 \Ί/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE en distinguant ce qui est simple assistance de ce qui est vraie participation. La simple assistance peut être tolérée : « Pour une rai­ son sérieuse qui, en cas de doute doit être confirmée par l’évêque, la présence passive ou purement matérielle des catholiques aux funérailles, aux mariages, aux autres solennités des non catholiques, acathoÎicorum, peut être tolérée, s’ils ont à s’acquitter d’une fonction publique ou d’une marque d’honneur, pourvu que soit écarté le dan­ ger de perversion et de scandale »300, can. 1258, § 2. Mais la participation active (communicatio in sacris) est interdite : « Il n’est pas permis aux fidèles d’assister activement ou d’avoir part au culte des non catholiques, en quelque manière que ce soit», can. 1258, § 1. Ceux qui violeraient sciemment cette défense en participant activement soit à des cultes dissidents, soit à plus forte raison à des cultes hérétiques301, deviendraient « suspects d’hérésie», can. 2316, et finiraient par encourir les peines prévues contre les hérétiques, can. 2315, par exemple, l’excommunication, can. 2314, § 1. Qu’on y prenne garde, le délit d’hérésie concerne ici, non pas du tout les dissidents, mais les catholiques qui participent activement à leur culte302. 300. En date du 7 août 1704, le Saint-Office revalide un décret interdisant aux catholiques d’assister à la sainte Messe célébrée par des « schismatiques », même s’il n’y a pas d’églises catholiques dans la région. Codicis Juris Canonici Fontes, Rome, 1926, t. IV, p. 45, n° 770. - Voir cependant plus bas, p. 1222, note 310. 301. Le canon 2316, qui parle seulement d’une « communion au culte des hérétiques » bloque sous ce nom les hérétiques (hérétiques dits formels) et les dissidents (hérétiques dits matériels). 302. Exercer l’office de parrain est considéré comme une partici­ pation active au culte. Cf. Codicis Juris Canonici Fontes, t. IV, p. 105, n° 828. LE CONCEPT D’ÉGLISE DISSIDENTE 1219 h) Les textes allégués permettent déjà de résoudre une autre question : un catholique peut-il contracter mariage devant les ministres d'un culte dissident? D’ailleurs, le Code déclare expressément que, dans le cas de mariage mixte, il est interdit aux époux de recourir à l’interven­ tion de ministres non catholiques, can. 1063. Une excommunication est prévue, non pas, encore une fois, contre ces ministres eux-mêmes, mais contre les catho­ liques qui recourent à eux, can. 2319, § 1. c) Un catholique peut-il demander les sacrements à un ministre dissident, en état de les lui donner validement ? La réponse variera selon les divers sacrements : Ordre. - Un catholique ne saurait demander à rece­ voir les ordinations des mains d’un évêque dissident sans participer activement à un culte dissident, et sans tom­ ber de ce fait sous les peines prévues pour un tel délit303. Baptême. - En cas de nécessité, et en l’absence d’une personne catholique, on pourra, bien plus, on devra demander le baptême « même d’un païen et d’un héré­ tique »304, à plus forte raison d’un dissident, « pourvu qu’il observe le rite de l’Eglise, et qu’il entende faire ce que fait l’Eglise »305 du Christ. Les circonstances ellesmêmes manifestent suffisamment que le dessein dont on 303. Le Code prévoit la suspense, c’est-à-dire l’interdiction d’exer­ cer ses fonctions pour un clerc qui aurait osé se faire ordonner par un évêque excommunié, ou suspens, ou par un apostat, un hérétique, un schismatique notoires, can. 2372. Ce n’est pas notre problème qui est ici touché, du moins directement. 304. Concile de Florence, Decretum pro Armenis, Denz., n° 696. 305. Ibid - Cajetan, II-II, qu. 39, a. 1, n° VII : «En cas de nécessité, il n’y a pas de faute à demander le baptême d’un schisma­ tique. C’est demander une chose bonne de quelqu’un qui peut la donner convenablement s’il le veut ». 1220 VI/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE est animé est de recevoir le baptême chrétien, non de le recevoir dans un culte dissident. Il n’y aura pas commu­ nicatio in sacris. Pénitence. - Un fidèle peut-il, faute de prêtres catho­ liques, demander l’absolution d’un prêtre orthodoxe? Faut-il répondre non, comme nous l’avons fait pour l’ordre ? Faut-il répondre oui, comme nous l’avons fait pour le baptême ? On peut dire que le fidèle dont nous parlons a la res­ source de faire un acte de contrition parfaite, que l’abso­ lution du prêtre dissident ne lui est donc pas nécessaire, et qu’en de telles circonstances, il ne saurait la demander sans participer à un culte dissident. Ce raisonnement est valable, en effet, et il marque la conduite à tenir en temps normal306. Vaut-il, même lorsqu’il y a danger de mort ? Un décret de la Congrégation de la Propagande, de l’an 1762, l’a dit307. Mais un décret du Saint-Office, daté du 30 juin et du 7 juillet 1864, qui est postérieur et qui pré­ vaut, autorise un catholique à demander, en danger de mort, l’absolution d’un prêtre orthodoxe308. Le sens de 306. « Comme la participation in sacris est gravement défendue..., le remède normal à la situation est donc la seule contrition parfaite, avec la pensée implicite de soumettre, en rencontre opportune, tous les péchés graves commis, au pouvoir des clefs auprès d’un confesseur catholique ». Ami du Clergé, 1904, p. 87. 307. « Dans aucun cas, dans aucune nécessité, il n’est permis à un catholique de confesser ses péchés à un prêtre schismatique pour obtenir l’absolution ». Codicis Juris Canonici Fontes, t. VII, p. 79, n° 4538. Prêtre schismatique vaut ici pour prêtre orthodoxe dissi­ dent. 308. « En danger de mort, peut-on, faute d’un prêtre catholique, demander l’absolution d’un prêtre schismatique ? — R. : On le peut, si cela n’est pas un sujet de scandale pour les autres fidèles, s’il n’y a pas d’autres prêtres catholiques, s’il n’y a pas de périls que le fidèle LE CONCEPT D’ÉGLISE DISSIDENTE 1221 ce décret n’est certes pas d’autoriser une participation in sacris. Il est au contraire d’établir qu’il n’y a pas alors de participation in sacris. Sans doute la contrition parfaite suffit à justifier une âme. Mais le bienfait de l’absolution sacramentelle au moment de la mort est si enviable selon la doctrine chrétienne, que, comme nous l’avons dit pour le baptême, les circonstances elles-mêmes manifes­ tent clairement que le dessein du malade est de recevoir la plénitude du pardon du Christ, non d’adhérer à un culte dissident. Ce qui est dit ici du sacrement de pénitence, semble, pour les mêmes raisons, devoir être étendu au sacrement de \ extrême-onction, et plus encore à l’eucharistie. Eucharistie. - Qu’on puisse, en danger de mort, la demander de prêtres dissidents, s’il n’y a pas de prêtre catholique, nous venons de le dire. Mais peut-on la leur demander même s’il n’y a pas danger de mort ? L’Ami du CÎergé pense qu’en raison du précepte de la communion pascale, un fidèle, isolé de tout prêtre catholique, pourrait, devrait même, recevoir la communion dans une église orthodoxe, après s’y être préparé par un acte de contrition parfaite309. Bien plus, que ce fidèle pourrait communier dans les mêmes condi- lui-même soit égaré par l’hérétique, si enfin l’on a des raisons de croire que le prêtre hérétique administrera ce sacrement selon le rite de l’Église». Codicis Juris Canonici Fontes, t. IV, p. 251, n° 978, ad 6. On conviendra que ces mots de schismatique et à'hérétique son­ nent ici d’une manière spécialement dure, et l’on n’hésitera pas à les remplacer par celui de dissident, ou à la suite de Benoît XV, par celui ü orthodoxe, voir plus loin, p. 1229. 309. « En présence du précepte pascal, nous pensons qu’il y a motif assez urgent pour se présenter à la sainte table avec la seule contrition parfaite, quand il y a impossibilité morale de rencontrer un prêtre catholique », 1904, p. 828. 1222 VI/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE rions, s’il éprouvait impérieusement le besoin d’être sou­ tenu par l’eucharistie310. Quand, au cours d’un dernier voyage entrepris pour revoir sa mère, Soloviev se sentit mourir dans un petit village de Russie, son devoir était bien de solliciter du prêtre orthodoxe, l’absolution et le viatique311. Si les fidèles catholiques sont autorisés, pour des rai­ sons graves, notamment pour se préparer à la mort, à demander les sacrements des mains d’un ministre ortho­ doxe, on comprend mieux encore, comme le voulait le Père Malvy, qu’un prêtre catholique ne refuse pas la même charité aux fidèles orthodoxes. III. Les Églises orthodoxes dissidentes Nous avons déjà indiqué312 quelle est, du point de vue de la théologie catholique, la condition réelle des Eglises dissidentes orientales qui ont conservé dans leur sein la plupart des vérités révélées et les sept sacrements de la loi nouvelle. Il reste à signaler quelques problèmes de termi­ nologie soulevés à leur propos. Si l’on est fidèle à ne qua­ lifier de schismatique et d’hérétique que ce qui se rap­ porte aux péchés de schisme et d’hérésie, et si l’on accepte la définition que nous avons proposée des Églises dissidentes et des dissidents, on se trouvera en possession 310. «Nous assimilons ce cas à celui de la communion pascale», p. 828. - Il y aurait alors une raison suffisante pour assister à la sainte messe célébrée par un ministre orthodoxe. Cf. plus haut, p. 1218, note 300. 311. Sur les survivances du pouvoir juridictionnel chez les dissi­ dents, voir L'Église du Verbe incarné, 1.1, p. 617 [vol. I, p. 1024]. 312. Voir plus haut, p. 1148. LE CONCEPT D’ÉGLISE DISSIDENTE 1223 d’une donnée qui permettra, croyons-nous, d’une part une certaine mise au point du vocabulaire dont les écri­ vains catholiques usent pour désigner ces Eglises et notamment la principale et la plus vivante d’entre elles, l’Eglise dissidente de Russie ; et d’autre part de com­ prendre ce que Soloviev appelle X Église russe, en tant qu’elle participe à l’unité de ΓÉglise universelle, la perle évangélique du royaume cachée dans l’âme du peuple russe, la vraie et vénérable Eglise orthodoxe orientale ou grécorusse. 1° Rappelons auparavant qu’il y a vraisemblablement, au principe d’une Église dissidente, un véritable schisme, ou une véritable hérésie313314 . En réalité, il a fallu plusieurs terribles secousses pour rompre en Orient la sainte unité de l'Église du Christ ; il y a, non pas une, mais plusieurs ruptures successives à l’origine de ce que nous appelons aujourd’hui l’Église orthodoxe dissidente. Les torts, même les torts graves, ne sont pas tous d’un seul côté. Il reste que le schisme ou l’hérésie sont toujours d’un seul côté. Les historiens comptent deux ruptures principales, qu’ils rapportent l’une à Photius, l’autre à Michel Cérulaire. Quel jugement le théologien, utilisant le résultat de leurs recherches, pourra-t-il porter sur l’œuvre des deux patriarches byzantins ? Le Père Martin Jugie résume et apprécie les faits dans un livre qu’il intitule Le schisme byzantin^. Pourtant, si Photius fut coupable, c’est non seulement de schisme mais encore d’hérésie. Le Père Jugie le sait bien : « De cette Église d’Occident, Photius, au plus fort de sa révolte, a attaqué non seulement certains rites et certains usages, mais la foi elle-même. Jusque-là les schismes qui 313. Voir plus loin, p. 1226, note 322. 314. Paris, 1941. 1224 VI/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE avaient séparé l’Orienr de lOccident, avaient été provo­ qués par les hérésies impériales et, après chaque crise, c’était Rome qui avait dû tendre la main à l’Église byzantine pour la retirer de l’erreur. Avec Photius les rôles sont renversés. La réputation d’orthodoxie de l’Église romaine est battue en brèche »31\ La polémique entraîne Photius « dans une véritable hérésie, qui contre­ dit aussi bien la doctrine des Pères grecs que celle des Pères latins. D’après lui, le Saint-Esprit procède du Père seul, et le Fils n’a aucune part à l’acte spirateur... Telle est la nouveauté hérétique dont Photius est le père »315 316317 . Il est vrai que Photius rentre et meurt dans la communion de l’Église romaine. Mais le souvenir et les conséquences de sa première attitude porteront du fruit. Il a donné le ton aux polémistes de l’avenir. Il les a munis d’arguments sur les deux principales questions derrière lesquelles s’est abritée la dissidence « à savoir la procession du SaintEsprit et la primauté romaine »31 . Sur ces deux points il a innové. Au temps de Michel Cérulaire, on assiste à un curieux renversement de la situation historique. Sous la pression de causes multiples, la séparation s’est pratiquement pro­ duite entre l’Orient et lOccident. Pour la foi chrétienne, 315. Ibid., p. 134. 316. Ibid., pp. 144-145. 317. Ibid., p. 147. - Selon Martin JUGIE, Photius ne conteste la primauté romaine qu’au moment de sa révolte contre Nicolas Ier ; et, quand il attaque la doctrine du Filioque, il ignore sans doute quelle est déjà reçue dans la plupart des Églises d’Occident. S’il mérite d’être appelé père du schisme, c'est pour avoir inauguré la controverse agressive contre lOccident, donné le ton aux polémistes de l’avenir, préparé un ample recueil d’arguments contre les deux principales doctrines niées par la dissidence byzantine : le Filioque et la primauté romaine. Cf. Le schisme byzantin, pp. 126, 136, 146. Voir Excursus V, n° III : « Schisme, condamnation, réintégration de Photius, d’après l’ouvrage de François Dvornik », p. 1421. LE CONCEPT D’ÉGLISE DISSIDENTE 1225 une telle séparation ne peut être qu’un scandale, elle est théoriquement inacceptable, et chaque fois que l’occasion lui est fournie d’en prendre nouvellement conscience, elle commence aussitôt des tractations ayant pour fin de rétablir, jusque sur le plan pratique, une union dont la légitimité, la sainteté, la nécessité de droit, ne sont contestées par personne. Mais, et c’est ici qu’apparaît l’étrange renversement dont nous parlons, ce sont ceux qui acceptent le statu quo de la séparation pratique, qui désirent secrètement lui donner droit de cité sur le plan théorique et qui font échec aux « initiatives unionistes », - bref ce sont ceux qui stabilisent l’état de fait et refusent de rien innover pour restaurer l’union, qui vont porter sur eux le poids redoutable du péché de schisme et entraîner après eux toute une immense Eglise dans la dissidence. Telle paraît être devant l’histoire la responsa­ bilité de Cérulaire. La séparation, écrit M. Jugie, « exis­ tait en fait depuis longtemps, sinon extérieurement, du moins dans les esprits et dans les coeurs318... Cérulaire fait figure non d’un schismatique de fraîche date secouant brusquement l’autorité du pontife romain, mais d’un chef d’une Église... depuis longtemps autonome, qui répugne à la réunion et met tout en œuvre pour l’empê­ cher319... La vraie cause du schisme déclaré du XIe siècle a été la volonté indomptable du patriarche byzantin de maintenir sa pleine autonomie vis-à-vis du pontife romain320321 ». C’était déjà, en 1929, la conclusion de l’étude de E. Amann sur Michel Cérulaire521 : « La déchi­ rure légère qui, depuis si longtemps déjà, menaçait l’union des Églises grecque et latine était devenue, par sa 318. 319. 320. 321. Le schisme byzantin, p. 196. Ibid.,?. 230. Ibid., p. 232. Dictionnaire de Théologie Catholique, col. 1702. 1226 \·Ί/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE faute, un trou béant, irréparable. En arrivant au trône patriarcal, Cérulaire avait trouvé entre Rome et Constantinople cet état mitoyen qui n’est ni la paix ni la guerre, mais la simple rupture des relations diploma­ tiques. Et lui, il avait fait en sorte qu’au lieu de la paix qui pouvait encore se conclure, ce fut la guerre qui arri­ vât. Devant l’histoire il porte, croyons-nous, la responsa­ bilité de cet acte décisif ». 2° Rappelons aussi que, bien quelle ait vraisemblable­ ment à son principe un schisme ou une hérésie (ou l’un et l’autre)322, une Église dissidente n’est ni une Église schismatique ni une Église hérétique — quelle pourrait même théoriquement ne compter parmi ses membres aucun schismatique et aucun hérétique ; et quelle peut se diffuser dans le temps et dans l’espace sans que ses nouveaux adhérents soient fatalement coupables de schisme ou d’hérésie. 3° Rappelons enfin que ce serait une grande illusion de déclarer - comme l’ont fait certains écrivains catho­ liques - que telle Église, par exemple l’Église russe orthodoxe, n’étant coupable ni de schisme ni d’hérésie, est déjà unie, déjà catholique. Entre d’une part le concept d'Église schismatique et hérétique, et d’autre part le concept d’Église catholique, il y a, nous l’avons dit, le concept d’Église dissidente. Nous pouvons maintenant continuer notre propos. 322. Il nous semble difficile d imaginer le contraire. Il peut certes n’y avoir au début qu’une erreur. Mais bientôt vient la pertinacité, chez le chef lui-même, ou, comme lors du jansénisme, chez les secta­ teurs. Ne pas pécher par schisme ou par hérésie, surtout en certaines circonstances, est chose très haute, très délicate, un pur don divin. LE CONCEPT D’ÉGLISE DISSIDENTE 1227 1. Examen de quelques désignations et de quelques distinctions proposées par des écrivains catholiques 1. On peut dire que tous les écrivains catholiques actuels s’accordent à désigner les Églises issues de la rup­ ture qui, au IXe et au XIe siècles, disjoignit une grande portion de l’Église d’Orient de celle d’Occident, par le nom d'Églises dissidentes, et à donner à leurs membres le nom de dissidents. Tous s’accordent à parler d’Églises dis­ sidentes de rit byzantin ou de rit slave323, d’Églises slaves dissidentes, etc... Une Église dissidente est issue d’une Église hérétique ou schismatique, mais elle n’est pas une Église hérétique ou schismatique. Elle est quelque chose de neuf, une réa­ lité irréductible. Elle est l’ensemble des hommes groupés sous une forme ecclésiologique antithétique, où se heur­ tent le dynamisme et la logique de deux principes, le principe chrétien et un principe d’erreur. Ceci rappelé, on va, du point de vue catholique, poser plusieurs ques­ tions. 1° Pouvons-nous donner aux principales Églises dissi­ dentes orientales officielles 324 le nom d’« Églises orthodoxes » quelles se sont approprié, et désigner leurs membres par le nom d’« orthodoxes » ? 323. «Je me permets de rappeler les règles, souvent oubliées ou mal comprises, de l’usage français, suivant lesquelles on dit rit pour désigner les familles liturgiques (le rit romain, les rits orientaux), et rite pour signifier les cérémonies elles-mêmes (les rites d’Églises, les rites du baptême, le rite de la bénédiction des cloches) ». Dom A. WlLMART, Annotations sur Le génie du rit romain par E. Bishop, Paris, 1920, p. 70. 324. Nous disons « les principales Églises orientales officielles », car les nestoriens et les monophysites réclament aussi pour eux le nom d’orthodoxes ; et, en Russie, les vieux-croyants anathématisent l’Église niconienne au nom des sept premiers conciles. 1228 VI/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE Il est clair que, si Ton conserve au mot orthodoxe un sens théologique, l’expression d’« Églises dissidentes orthodoxes » est contradictoire. Toute Église dissidente porte en elle, par définition, un principe d’hétérodoxie et est, de ce fait, incapable de représenter sans mutilation la véritable Église du Christ. Mais peut-on convenir d’appeler orthodoxes les Eglises orientales dissidentes, le mot orthodoxe étant pris comme démarqué par l’usage et tombant alors, dans notre pensée, du plan de la théologie sur le plan des for­ mations historiques ? Non, si cette manière de parler engendrait la confu­ sion. Et c’est pourquoi plusieurs écrivains catholiques l’évitent325. Oui, en cas contraire326327 . Or nous pensons qu’il est facile d’éviter l’équivoque, de rappeler par exemple que les Églises orthodoxes représentent à nos yeux des Églises dissidentes32 \ D’ailleurs, le mot d’orthodoxe figure, sans 325. Par exemple le Père M. JUGIE, Theologia dogmatica Christia­ norum orientalium, t.1, p. 26. - Le Père S. TïSZKlEWlCZ substitue au mot d’orthodoxe celui de pravoslave : « Pravoslave est la traduction paléo-slave du mot grec orthodoxos. Nous suivons le mieux que nous pouvons des écrivains pravoslaves russes modernes, Berdiaev entre autres, qui distinguent entre pravoslavnyj (sens historique) et ortodoxalnyj (sens formel) ». La sainteté de l’Église Christoconforme, p. 286. Voir plus haut, p. 1148, note 200. 326. Le Père CONGAR n’hésite pas à parler d’une ecclésiologie orthodoxe, cf. Chrétiens désunis, p. 249. - Dans Le schisme byzantin, pp. 297-298, le Père JUGIE parle lui aussi des Églises orthodoxes de Tchécoslovaquie et d’Albanie ; voir aussi, p. 468. 327. Non pas des Églises schismatiques ! Nous trouvons malheu­ reuses des déclarations comme celle du Père Raymond JANIN, des Augustins de l’Assomption, au seuil de son livre sur Les Églises orien­ tales et les rits orientaux, Paris, 1922, p. 97 : « Nous n’emploierons ici le terme orthodoxes que comme synonyme de schismatiques de rit byzantin, sans nous inquiéter de ce qu’en peuvent penser les ortho­ doxes eux-mêmes ». LE CONCEPT D’ÉGLISE DISSIDENTE 1229 guillemets, dans un document pontifical. Par un Motu proprio du 15 octobre 1917, sur l’érection d’un Institut Pontifical destiné à promouvoir l’étude des Questions Orientales, Benoît XV convie à Rome « tant les Orien­ taux unis que les Orientaux qui s'appellent orthodoxes » ; il décide qu’on y exposera parallèlement « la doctrine catholique et la doctrine orthodoxe », « la théologie ortho­ doxe, c’est-à-dire les diverses doctrines des chrétiens orientaux relatives aux choses divines » ; et que « les cours de l’institut pourront être suivis non seulement par nos clercs orientaux, mais aussi par ceux des ortho­ doxes qui éprouvent le désir d’une recherche plus pro­ fonde de la vérité ». 2° Peut-on dire qu'à la différence de I'Église grecque, qui est dissidente, lEglise russe nous est restée officiellement unie ? Certains écrivains catholiques du siècle dernier ont pensé que l’Eglise russe ne serait pas officiellement sépa­ rée de l’Eglise catholique, parce quelle n’aurait pas rompu formellement funion de Florence, souscrite en son nom par le métropolite Isidore de Kiev328. Mais le Père Jugie réplique qu’on ferait preuve d’ignorance de l’histoire en usant d’un tel argument : « L’union de Florence n’a pas été rompue par l’Église moscovite, pour la bonne raison que cette union n’a jamais été reçue dans les possessions des grands kniazes de Moscou. Avant comme après Florence, et jusqu’en 1667, les Moscovites ont rebaptisé les catholiques qui voulaient faire partie de leur Église. Après cette date et depuis que la métropole 328. Cf. Martin JUGIE, article « Slaves dissidentes (Églises) », du Dictionnaire Apologétique de la Foi Catholique, col. 1375-1376, où sont citées ces lignes de Lacordaire : « La Russie est catholique à son insu: elle n’est pas et n’a jamais été schismatique de son gré, comme il en a été de l’Eglise d’Orient (de l’Église grecque) ». 1230 \Ί/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE de Kiev, où l’union fut acceptée pendant quelque temps, a été incorporée à l’Eglise russe, les catholiques entrant dans le bercail du Saint-Synode n’ont plus été rebaptisés, mais on a exigé d’eux une profession de foi détaillée et une abjuration explicite des erreurs romaines. Le cérémo­ nial actuellement en usage pour la réception des catho­ liques commence par ces mots : Veux-tu renoncer aux erreurs et aux faussetés de la confession latine romaine? Parmi ces erreurs et faussetés, sont signalées explicite­ ment la procession du Saint-Esprit a Patre Filioque, la primauté et l’infaillibilité du pape »329. La condition théologique de l’Eglise russe ne diffère donc pas substan­ tiellement de celle de l’Église grecque330. Elles sont toutes deux des Églises dissidentes. A l’origine de la thèse que nous rapportons, on trouverait l’illusion que nous avons dénoncée, d’après laquelle, tant que l’Église russe tout entière n’aura pas été prise en flagrant délit de schisme ou d’hérésie, on devra la regarder comme unie et catholique. 3° Peut-on dissocier le peuple russe de l’Église russe, et soutenir que, tandis que le peuple est resté uni à la véritable Église, son Église sen est séparée ? 331 329. Ibid. 330. Dans une leçon sur La Russie et le schisme d’Orient le R. P. Ch. DUMONT, directeur de Russie et Chrétienté, résume ainsi la situa­ tion : « La Russie a été entraînée dans le schisme comme à son insu. Elle venait à peine de recevoir le baptême (988) lorsque la rupture se consomma entre les sièges de Rome et de Constantinople (1054). Aussi ne prit-elle aucune part active à ce drame, où elle figure plus comme enjeu que comme acteur. Longtemps elle prit à peine conscience de cette rupture et ses rapports avec Rome n’en parurent pas affectés ». 331. Interprétant trop littéralement, croyons-nous, un texte de Soloviev, le Père Martin JUGIE, qui use ici par surcroît des mots d hé­ rétique et de schismatique selon la terminologie moderne, écrit, dans LE CONCEPT D’ÉGLISE DISSIDENTE 1231 Il est clair que le peuple russe en tant que formation ethnique, politique, culturelle, ordonnée à des fins tempo­ relles, est distinct de l’Église russe. Mais le peuple russe en tant que formation religieuse, unie par un symbole de foi, une hiérarchie, des sacrements, et ordonné aux fins spirituelles, qu’est-il sinon l’Église russe elle-même ?332 II nous paraît tout à fait impossible, dans l’état actuel des choses, d’imaginer l’Église russe sans la foi religieuse du peuple russe, ni la foi religieuse de la grande majorité du peuple russe sans l’Église russe. Si l’on veut que l’une soit hérétique ou schismatique, il faudra vouloir que l’autre aussi le soit. Mais ni l’une ni l’autre n’est, à nos yeux, hérétique ou schismatique. Toutes deux sont dissi­ dentes. 4° Les Églises dissidentes orthodoxes sont-elles issues d'un schisme oti d'une hérésie ? C’est aux historiens de répondre. Et dès la première rupture de Photius, qui ne dura que quatre ans333, ils l’article « Slaves dissidentes (Églises) », du Diet. Apol de la Foi Ca­ tholique, col. 1376 : « Il ne faut pas confondre la Russie, ou le peuple russe pris dans son ensemble, avec ΓÉglise russe. La masse du peuple russe a pu n’adhérer au schisme que matériellement, sans commettre le péché de schisme ; mais l’Église russe, prise comme société religieuse ayant son organisation et sa hiérarchie particulière, vivant séparée de l’Église catholique et de son chef, enseignant officiellement et faisant enseigner une série de doctrines formellement condamnées comme des hérésies par l’Église catholique, mérite non seulement l’épithète de schismatique, mais aussi celle d’hérétique. Car qu’est-ce qu’une Église schismatique, sinon celle qui mène une vie séparée de l’Église catholique et rejette la juridiction du Pontife romain ? Qu’est-ce qu’une Église hérétique, sinon celle où l’on enseigne des hérésies ? » (Souligné par l’auteur). - La même vue est reprise dans la Theologia dogmatica christianorum orientalium, t. I, p. 27. 332. Sur l’Église russe et le peuple russe chez Soloviev, voir plus loin, p. 1246-1249. 333. M. JUGIE, Le schisme byzantin, p. 131. 1232 VI/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE constatent, comme nous Pavons dit, la présence non seu­ lement du schisme, mais encore de l’hérésie334. Cepen­ dant l'ensemble de ces néfastes événements donne l’im­ pression que la rupture de la communion romaine est plus désirée que l’innovation doctrinale, et que l’hérésie est, en quelque sorte, au service du schisme335. Plus tard, les tentatives unionistes de Lyon (1274) et de Florence (1439), qui semblent aboutir sur le plan dogmatique, sont presque aussitôt réduites à néant sur le plan des relations de la communion extérieure. C’est ce qui explique que les écrivains catholiques qui usent des mots de schisme et d’hérésie selon la terminologie moderne, préfèrent appeler hérétiques les Eglises protestantes, et schismatiques les Églises orientales. Ce sont, de part et d'autre, des Églises dissidentes, dont les unes nous paraissent issues davantage d’une hérésie et les autres davantage d’un schisme. 2. Sans penser méconnaître le moins du monde les vrais mérites et la vraie grandeur de Joseph de Maistre, nous ne pouvons pas ne pas nous irriter de certains de ses axiomes concernant les Églises orthodoxes. Il veut à tout prix les dissoudre dans le protestantisme : « C’est une vérité fondamentale dans toutes les questions de religion que toute Église qui nest pas catholique est protes­ tante. C’est en vain qu’on a voulu mettre une distinction 334. Ibid., p. 144. Et surtout : M. JüGIE, De processione Spiritus sancti ex fontibus revelationis et secundum Orientales dissidentes, Rome, 1936, pp. 284-299. 335. Photius est prêt, pour se faire reconnaître par le pape, à gar­ der le silence sur sa doctrine de la procession de l’Esprit saint à partir du Père seul. M. JOGIE, Le schisme byzantin, p. 145. Quant à Michel Cérulaire, « il préférerait que l’état d’ignorance réciproque, qui dure depuis quelque temps entre Rome et Constantinople, passe en cou­ tume et se perpétue ». Ibid., p. 187. LE CONCEPT D’ÉGLISE DISSIDENTE 1233 entre les Églises schismatiques et hérétiques... Tout chré­ tien qui rejette la communion du Saint-Père est protes­ tant ou le sera bientôt »336. Il aspire au moment où sa prévision se réalisera : « Toutes ces Églises séparées du Saint-Siège au commencement du douzième siècle peu­ vent être comparées à des cadavres gelés dont le froid a conservé les formes... Dès que le vent de la science, qui est chaud, viendra à souffler sur ces Églises, il arrivera ce qui doit arriver suivant les lois de la nature : les formes antiques se dissoudront, et il ne restera que la pous­ sière »337. « Les Églises photiennes sont conservées au milieu du mahométisme comme un insecte est conservé dans l’ambre... Mais si l’on exposait ces Églises à l’action du protestantisme ou du catholicisme avec un feu de science suffisant, elles disparaîtraient presque subite­ ment... Bientôt nous serons témoins de la grande expé­ rience déjà fort avancée en Russie. Nos langues attein­ dront ces nations qui nous vantent leur foi reliée en par­ chemin, et dans un clin d’œil nous les verrons boire à longs traits toutes les erreurs de l’Europe. Mais alors nous en serons dégoûtés, ce qui rendra probablement leur délire plus court »338. Du moment d’ailleurs que les Églises photiennes rejettent la suprématie du pape, elles sont déjà protestantes, « tout le reste n’est qu’accessoire »339 ; il est sans importance qu’elles croient la divi­ nité du Christ, quelles célèbrent validement le sacrifice de la messe, quelles reçoivent les sept sacrements, quelles prient avec amour la Vierge et les saints. Leur état est même pire que celui du protestantisme : « Les Églises photiennes sont plus éloignées de la vérité que les 336. 337. 338. 339. Du pape, Ibid., ch. Ibid, ch. Ibid., ch. livre VI, ch. 1. Les soulignements sont de l’auteur. il. III. v. 1234 \Ί/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE autres Églises protestantes ; car celles-ci ont parcouru le cercle de l’erreur, au lieu que les autres commencent seu­ lement à le parcourir »340. C’est le devoir d’un catholique de hâter de ses vœux leur imminente catastrophe: « Tout ami de cette unité doit donc désirer que l’antique édifice achève de crouler incessamment chez ces peuples séparés, sous les coups de la science protestante, afin que la place demeure vide pour la vérité»341. De telles paroles sont capables, croyons-nous, de faire un mal durable à la cause de la vérité. Le mépris hautain de Joseph de Maistre pour l’Église orthodoxe, Khomiakov ne tardera pas à le retourner tout entier contre l’Église catholique. Il n’était ni clairvoyant ni magnanime, qu’en quittant la Russie, M. de Maistre lui laissât dans la chair un poignard sur lequel il avait inscrit : De la part de ΓÉglise romaine Z342 2. L’enseignement magistériel orthodoxe actuel est en partie conciliaire et en partie extra-conciliaire En se disjoignant de l’Église catholique, l’Église byzantine n’a cessé de proclamer elle aussi sa volonté de conserver fidèlement le patrimoine des sept conciles œcuméniques. Mais tandis que l’Église catholique consi­ dère ce commun patrimoine comme une valeur ouverte, l’Église byzantine y voit une valeur jusqu’ici close. 340. Ibid., ch. II. 341. Ibid. 342. La religion de la Russie « est toute en dehors et ne s’enfonce point dans les cœurs ». Ce qui manque à la Russie — par la faute de Photius - « c’est quelque chose de profond, qu’on sent profondément et que le Russe peut contempler lui-même dans le règne commun de ses maîtres, qui n excède pas treize ans, tandis que le règne chrétien touche au double de ce nombre’... » Ibid., livre III, ch. VI. Tout cela est misérable. LE CONCEPT D’ÉGLISE DISSIDENTE 1235 Dans l’Église catholique, la doctrine des sept premiers conciles continue de se déployer, en donnant lieu à de nouvelles explicitations du dépôt primordial, qui, dans la mesure où elles sont véritablement homogènes à ce dépôt, sont définissables solennellement par d’autres conciles ou par le souverain pontife ; en sorte que le dépôt de l’Évangile et des sept premiers conciles, à la manière du grain de sénevé dont parle le Sauveur, se conserve en croissant. Mais les Églises orthodoxes pensent que la scission des IXe et XIe siècles a mis fin à la série des grands conciles œcuméniques. En conséquence, l’explicitation authen­ tique du dépôt révélé par la voie conciliaire est, à leurs yeux et jusqu’à nouvel ordre, achevée. Elle forme le noyau de leur message doctrinal. Mais ce message, consi­ déré comme clos, n’en va pas moins provoquer et susci­ ter une foule de propositions, tant affirmatives que néga­ tives, que l’Église officielle elle-même sera invitée à déclarer compatibles ou incompatibles avec lui. Elle niera, par exemple, que l’Église catholique ait pu définir comme révélée la procession de l’Esprit saint à partir du Père et du Fils, et elle enseignera que l’Esprit procède du Père seul·, elle niera que l’Église catholique ait pu définir que le Christ ait conféré à Pierre et à ses successeurs le primat juridictionnel et elle enseignera l’égalité juridic­ tionnelle des évêques ; elle revendiquera les sept conciles œcuméniques, mais en déniant ce droit à l’Église catho­ lique343. Ainsi, autour du noyau doctrinal conciliaire, considéré non plus comme ouvert, mais comme clos, se 343. Voir dans Églises séparées, Paris, 1896, la réponse que fait L. DüCHESNE à L'encyclique du patriarche Anthime de Constantinople, 29 septembre (11 octobre) 1895: «Chacun des articles est rédigé dans le formulaire suivant : L'Église des sept synodes œcuméniques, une, sainte, catholique et apostolique croit et professe que... l'Église papique, au contraire, etc... Veut-on dire que l’Église romaine ne reconnaît pas 1230 VI/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE constitue une zone doctrinale de second ordre, mais néanmoins officielle et proposée par le magistère ordi­ naire des Églises orthodoxes à la foi de leurs fidèles. C’est dans cette zone que se produiront les variations doctri­ nales de ces Églises344. Elle pourra hospitaliser en elle, à certains moments, mais d’une manière toujours précaire, d’importants enseignements catholiques345. les sept conciles, ou que l’Église grecque a des droits particuliers sur eux? Ah ! c’est bien le cas d’employer le style de saint Paul : Ils sont Israélites, moi aussi, enfants d’Abraham, moi aussi ; serviteurs du Christ, moi plus qu’eux. Ces conciles sont à nous comme à eux, plus qu’à eux. Je vois bien qu ils ont été tenus en Orient, que ce sont des empereurs résidant en Orient ou y régnant qui en ont procuré la réunion. Mais dans la plupart des cas, ils ne représentent autre chose qu’un succès de l’orthodoxie romaine remporté sur l’hérésie orientale, ou, pour parler plus charitablement, qu’un remède apporté par l’Église latine à sa sœur grecque infectée de quelque maladie doctri­ nale... De tout ceci il résulte, semble-t-il, que s’il y a un lieu au monde où l’on peut se réclamer des sept conciles œcuméniques, c’est Rome; que, s’il y a un lieu au monde où leur souvenir peut éveiller des idées sombres, c’est le patriarcat de Constantinople», pp. 66 et 72. 344. Cf., par exemple, Martin JUGIE, Le schisme byzantin, pp. 360-384. 345. L’existence de la distinction dont nous parlons, entre un noyau primitif et une zone doctrinale secondaire, a été exprimée en ces termes par le Père JUGIE: «Ce n’est qu’abusivement qu’on peut prêter à l’Église gréco-russe un enseignement officiel fixe et définitif sur la primauté de l’évêque de Rome, sur la procession du Saint-Esprit, etc. Si l’on s’en tient à son enseignement véritablement officiel, à ce qui, pour elle, a caractère de dogme, on peut dire quelle est ortho­ doxe, puisque ce minimum dogmatique est constitué par les défi­ nitions expresses des sept premiers conciles œcuméniques. Ce mini­ mum, l’Église catholique l’admet aussi. Il y a, sur ce point, entente parfaite entre les deux Églises ; et voilà trouvée, définie et limitée la véritable orthodoxie de l’Eglise orthodoxe. Elle est orthodoxe aussi en tout ce quelle affirme sur le reste en accord avec l’Église catholique; mais sur ce reste, qui est considérable, l’accord est fragile, fortuit, exposé à disparaître d’un moment à l’autre sous la poussée de théolo- LE CONCEPT D’ÉGLISE DISSIDENTE 1237 Considérons donc l’enseignement magistériel officiel des Églises orthodoxes. Si l’on regarde seulement à son noyau doctrinal conciliaire, et si l’on n’interprète pas ce noyau comme une donnée close et fermée, impliquant le refus d’un développement dogmatique ultérieur, on pourra dire qu’il laisse la porte ouverte à toute la vérité catholique, à tous les dogmes que l’Eglise catholique a définis depuis 787, et que, de ce côté-là, rien ne s’oppose à ce que l’enseignement magistériel officiel des Eglises ortho­ doxes coïncide pleinement un jour avec celui de l’Eglise catholique346 ; en attendant, les dogmes définis par giens novateurs, et tout de même conséquents avec les principes de cette orthodoxie orientale, qui peuvent tout à coup remettre en ques­ tion ce que l’on pouvait considérer comme définitivement acquis par une acceptation unanime durant un temps plus ou moins long. C’est le cas, par exemple, pour la croyance à l’inspiration des deutérocanoniques de l’Ancien Testament... » Ibid., p. 468 ; cf. p. 378. (Souligné par nous.) Nous voudrions pourtant insister ici sur deux points. Le premier, c’est que le même noyau doctrinal conciliaire, le même minimum, qui est reçu comme ouvert par l’Église catholique, est reçu officiellement comme fermé pat l’Eglise orthodoxe. Et voici le second : c’est à l’intérieur même de l’enseignement officiel des Églises orthodoxes que s’opère la distinction entre un noyau conci­ liaire et une doctrine de seconde zone. Ici le Père Jugie semble hésiter. Parfois il écrit que les Églises orientales « sont hérétiques puisque les documents authentiques où s’exprime leur foi nient quelques vérités appartenant à la foi catholique». Theologia dogmatica..., t. I, p. 20. Tantôt au contraire, il blâme les auteurs qui parlent ainsi, il ne veut pas qu’on dise: «L’Église gréco-russe enseigne que le Saint-Esprit procède du Père seul, l’Église gréco-russe nie la primauté de juridic­ tion de l’apôtre Pierre et celle de l’évêque de Rome », et il déclare que l’Église gréco-russe, « si Ton s’en tient à son enseignement véritablement officiel», est orthodoxe. Cf. Le schisme byzantin, pp. 378, 468. 346. Le Père JUGIE rapporte un texte important de K. I. DïOVOUNIOTÈS paru dans la revue grecque Theologia, avril-juin 1926 : « L’Église ancienne, pour des motifs indépendants de sa volonté, n’a fixé par les conciles œcuméniques que les points dogmatiques concernant la doc­ trine trinitaire et christologique ; mais elle a laissé indéterminées les 1238 VI/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE l’Église catholique depuis le septième concile, seront officiellement tantôt admis — bien que non regardés comme homogènes aux données conciliaires —, tantôt niés, dans les Églises orthodoxes ; ou bien ils seront simple­ ment tolérés chez les fidèles à titre d’opinions théolo­ giques, de theologoumena 34 . Mais si l’on regarde a l'en­ semble de l'enseignement magistériel et doctrinal des Églises orthodoxes, il contredit indubitablement cer­ taines vérités définies par l’Église catholique comme révélées, et il n'est pas vrai que rien ne s’oppose à ce qu’un fidèle de l’Église gréco-russe, à ce qu’un bon orthodoxe adhère à toutes les vérités définies en Occident depuis le schisme348. autres doctrines dogmatiques, qui demeurent encore, dans l’Église orientale, dans la même indétermination. La détermination officielle des autres enseignements dogmatiques est, sans aucun doute, absolu­ ment nécessaire. Or, cette détermination, d’après les principes régnant dans l’Église, ne peut être faite que par un concile œcumé­ nique, réuni après les travaux préparatoires indispensables ». Ceux qui méconnaissent ces vues, ruinent « l’usage ancien de l’Église, c’està-dire le développement officiel de la détermination de la doctrine de l’Église par des conciles œcuméniques, usage fondé sur la ferme doc­ trine de l’infaillibilité de l’Église comme corps ; et ainsi se trouve introduit quelque chose d’inouï dans l’Église orientale, à savoir l’explication et la détermination personnelle et subjective de l’enseigne­ ment de l’Église ». Cité dans Le schisme byzantin, p. 470. Khomiakov ruinera donc certainement 1’« ancien usage » en étendant la concilia­ nte (sobomost) aux simples fidèles. 347. «Ce que n’ont pas assez remarqué jusqu’ici les théologiens occidentaux c’est que, mise à part l’infaillibilité personnelle du pape, sur toutes les questions qui ont fait l’objet de controverses entre Gréco-russes et Catholiques, les thèses proprement catholiques ont rallié un bon nombre et quelquefois un nombre prépondérant d'ad­ hérents de marque, et cela de nos jours comme autrefois et tout le long des siècles de séparation ». M. JUGIE, op. cit., p. 377. 348. Nous essayons dans ce paragraphe de débloquer un texte du Père JUGIE, auquel nous faisons des emprunts, op. cit., p. 468 : « C'est justement parce que 1 Église gréco-russe est radicalement impuissante LE CONCEPT D’ÉGLISE DISSIDENTE 1239 Nous sommes maintenant en mesure de comprendre la position ecclésiologique de Soloviev. 3. La position ecclésiologique de Vladimir Soloviev 1. Soloviev prend l’Église d’Orient avant la rupture, quand elle fait encore avec l’Église d’Occident une seule à faire aucune acquisition dogmatique nouvelle et que sa zone dog­ matique ne peut déborder l’horizon des sept conciles œcuméniques, que son orthodoxie laisse, en fait, la porte ouverte à toute l’ortho­ doxie catholique, à tous les dogmes que l’Église catholique a définis depuis 787. Tous ces dogmes peuvent entrer par cette porte, et rien ne s’oppose à ce qu’un fidèle de l’Église gréco-russe, à ce qu’un bon orthodoxe adhère à toutes les vérités définies en Occident depuis le schisme, puisque, d’après les principes de l’orthodoxie orientale, ces vérités appartiennent au vaste champ des opinions théologiques, que l’on est libre d’admettre ou de ne pas admettre sans cesser d’être orthodoxe ». Le Père JUGIE a résumé ses vues dans un article de la revue romaine Unitas, oct. déc. 1948, pp. 261-277 : « E facile l’unione con gli orientali ? » Elles se réduisent à deux points : 1° l’Église catholique ayant, depuis la séparation, défini nombre de dogmes, a élevé une barrière entre elle et l’Église gréco-russe. Mais 2° l’Église gréco-russe actuelle, n’ayant pour règle de foi que les sept premiers conciles œcu­ méniques, ne peut dresser de son côté aucune barrière valable entre elle et l’Église romaine : en sorte qu’on peut être orthodoxe en ad­ mettant toutes les positions catholiques sur le primat du souverain pontife, l’immaculée Conception (ajoutons l’Assomption), la réalité du purgatoire et du jugement particulier. — Notre réponse est toujours la même. Peut-on être orthodoxe en admettant une seule de ces posi­ tions catholiques comme un point de foi ? Peut-on être orthodoxe en admettant l’œcuménicité du VIIIe Concile, ou même d’un seul de ceux qui l’ont suivi, et le caractère dogmatique de ce qu’ils ont défini ? L’Église orthodoxe actuelle répond non, absolument, unanimement. Voilà l’obstacle quelle oppose à l’union, et qui fait d’elle une Église dissidente. Veut-on maintenant parler de barrières ? Si l’on appelle barrière ce qui protège ou dirige l’élan de la vérité et de la vie, il est vrai quelle vient de l’Église catholique. Mais si l’on appelle barrière ce qui entrave l’élan de la vérité et de la vie, elle vient de la dissidence. 1240 VI/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE Église catholique. Le patrimoine des sept premiers conciles forme alors en elle un dépôt doctrinal ouvert, prêt à donner naissance à tous les dogmes qui seront ultérieurement définis en Occident. Que se passe-t-il en Orient au moment de la rupture? A juger les choses du point de vue catholique, qui est aussi celui de Soloviev, voici ce que Ton constate. Une interprétation nouvelle de la donnée doctrinale primitive commence à prévaloir. Cette donnée se durcit et se ferme. Elle est considérée comme exclusive des doctrines de la procession de l’Esprit saint ab utroque, de la pri­ mauté romaine, de la légitimité des conciles œcumé­ niques tenus par l’Église d’Occident, etc. Qu’est-ce à dire, sinon qu’un principe d’erreur a été inoculé dans le dépôt de la révélation chrétienne ? Il apparaît tout de suite à Soloviev que, cette nouvelle interprétation n’étant point le fait d’un concile œcumé­ nique, ce n’est que par abus quelle prétendrait définir la foi divine349. Elle provient certes d’une autorité officielle. Cette autorité qui prêche en même temps l’antique foi chrétienne et le principe d’erreur nouveau qui la per­ turbe, nous la reconnaissons, nous catholiques, comme étant de facto l’autorité officielle de l’Église orthodoxe 349. Voici la 2e et la 5e des neuf questions dogmatiques que SOLOVIEV adressait, vers 1885, à la hiérarchie russe: «2° le mot Filioque ajouté au texte primitif du concile de Nicée-Constajntinople, contient-il inévitablement une hérésie ; et, dans l'affirmative, quel est le concile qui a condamné cette hérésie ? — 5° Quelles sont, outre le Filioque, les autres doctrines hérétiques de l’Église romaine, et dans quels conciles œcuméniques ont-elles été anathématisées ? » Cité dans Mgr D’HERBIGNY, Vladimir Soloviev, Paris, 1934, p. 196. - Un peu plus tard, en 1886, la Lettre à Mgr Strossmayer portait : « Comme il n’y a pas eu (et, selon nos meilleurs théologiens, il ne peut y avoir) de Conciles œcuméniques en Orient après la séparation des Églises..., notre schisme n’existe pour nous-même que de facto, mais aucune­ ment de jure ». Cité par D’HERBIGNY, op. cit., p. 202. LE CONCEPT D’ÉGLISE DISSIDENTE 1241 dissidente. Mais Soloviev ne veut pas qu’on attribue à une même autorité hiérarchique un enseignement où se mêlent la vérité et l’erreur. Il s’acharne à dissocier, d’une part, l’héritage des siècles chrétiens, le fonds spirituel de l’ancienne Église orientale, l’Église orthodoxe des Pères et des Docteurs, groupée autour de son culte et des démarches authentiques de sa hiérarchie ; et, d’autre part, le principe d’erreur, incarné en de trop nombreuses démarches inauthentiques de cette même hiérarchie offi­ cielle. Pour lui, la hiérarchie russe est divisée, dans sa fonction hiérarchique elle-même, en lumière et en ténèbres, ou plutôt, il y a deux hiérarchies russes, entre­ mêlées dans les mêmes hommes. En d’autres termes, Soloviev n’accepte pas de considérer avec nous l’Église russe comme un seul bloc, de la prendre pour ce quelle est devenue en fait, à savoir une Église dissidente. Il per­ siste à isoler, par une dichotomie qui apparaît comme arbitraire tant aux yeux des catholiques qu’aux yeux des orthodoxes, d’une part le vieux fonds chrétien, par quoi, dit-il, l’Église russe continue d’être une portion de la grande Église catholique, et d’autre part le principe qui concrètement l’opprime et la tyrannise. Ce principe, ce n’est pas seulement pour Soloviev, qu’on y prenne garde, l’autorité impériale, lorsqu’elle usurpe les rôles religieux ; c’est l’autorité religieuse elle-même lorsque, par exemple, elle ajoute à l’Évangile que l’Esprit saint procède du Père seul, lorsqu’elle prescrit de rebaptiser les catholiques3·"0, etc. Soloviev luttera contre ce principe de tyrannie. Il 350. Cf. sur ce dernier point la 2e des trois questions de Soloviev à Danilevski, en 1885. Citée par d’Herbigny, op. cit., p. 200. - On sait que «le concile de Moscou de 1620 prescrit de rebaptiser les Latins et les Protestants ; celui de 1666-1667 reconnaît la validité du baptême des Latins catholiques, mais non leur confirmation, ni le baptême des Protestants. En 1718, on cesse de rebaptiser les Protestants et en 1757, de reconfirmer les apostats tombés dans l’infi- 1242 VI/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE sait que dans la mesure où il réussira, il dégagera le dépôt chrétien primitif pour le rendre à ses lois authen­ tiques de vie et de développement. Ainsi délivré, ce dépôt tendra spontanément à se déployer et à se frayer les voies qu’il a parcourues en Occident pendant dix siècles. Il rejoindra progressivement et par étapes, d’abord sans doute à titre d’opinions théologiques3'1, puis d’enseignements communs, puis enfin de doctrines définitives et irréformables, toutes les définitions de foi de l’Église catholique. délité: ce qu’on pratiquait auparavant». M. JUGIE, «Slaves dissi­ dentes (Églises) », dans Diet. Apol. de la Foi Catholique, col. 1377. Cf. Le schisme byzantin, pp. 307 et 351. 351. Voir, chez d’Herbigny, op. cit., pp. 197 et 203, la 4e des neuf questions de Soloviev : « S’il est impossible d’affirmer avec certi­ tude que cette addition (le mot Filioque) est une hérésie, n’est-il pas libre à tout orthodoxe de suivre à ce sujet le sentiment de saint Maxime le Confesseur, qui dans sa lettre au prêtre Marin, justifie cette addition et lui donne un sens orthodoxe ? » Et la Lettre à Mgr Strossmayer : « Ce qui met, peut-être, encore plus en évidence la position indécise de notre Église par rapport au catholicisme, c’est que des individus déclarant publiquement croire que les nouveaux dogmes catholiques sont le développement légitime de la doctrine orthodoxe, peuvent rester en communion parlaite avec l’Église orientale. Je puis constater ce fait par mon expérience person­ nelle ». Rappelons que les plus récentes recherches historiques établissent que Photius n’a jamais attaqué les Latins sur l’addition liturgique du mot Filioque au Symbole, que sa polémique n’a visé que la question de vérité ou d’erreur dogmatique du Filioque. La controverse sur l’in­ sertion du Filioque dans le Symbole apparaît d’abord à Jérusalem, vers 808, pour reprendre sous Michel Cérulaire. Cf. M. JUGIE, « Origine de la controverse sur l’addition du Filioque au Symbole », dans Revue des Sciences Philosophiques et Théologiques, juillet-octobre 1939, p. 369. - Sur la date et la licéité de l’addition du Filioque au Symbole de Nicée-Constantinople, voir M. JUGIE, De processione Spiritus sancti..., pp. 233-258. LE CONCEPI' D’ÉGLISE DISSIDENTE 1243 2. Soloviev adhère pleinement à toutes ces définitions. Ce grand voyage, depuis le neuvième siècle, que doit accomplir collectivement l’Église orthodoxe orientale, il vient de l’achever en précurseur. Que lui manque-t-il donc pour être ouvertement catholique ? Uniquement d’avoir déposé sa profession de foi dans les mains de l’autorité ecclésiastique catholique ; uniquement une démarche canonique. Cette démarche, devait-il la faire ? Répondons plutôt à une autre question : pourquoi hésite-t-il à la faire ? Et d’abord, qu’aurait-elle signifié ? Regardée avec des yeux orthodoxes, elle aurait signifié ce que ne pouvaient signifier ni les invectives de Soloviev contre la hiérarchie et la théologie officielles, ni sa proclamation personnelle de la primauté romaine, à savoir qu’il rompait réellement avec l’Eglise orthodoxe qui est la pure Église du Christ, pour choisir l’Église catholique, qui est une Église dissi­ dente : elle aurait signifié une apostasie. Regardée avec des yeux catholiques, elle aurait signifié que Soloviev rompait réellement avec l’Église dissidente, c’est-à-dire avec un tout indissociable comportant le principe chré­ tien et un principe d’erreur inoculé en lui, pour choisir, dans une suprême illumination, la pure Église du Christ, l’Église catholique. (Toujours l’antagonisme de Pauline et de Polyeucte : « — Imaginations ! - Célestes vérités ! Étrange aveuglement ! — Éternelles clartés ! ») Aux yeux de Soloviev lui-même, - qui persistera jusqu’au bout dans son idéale dichotomie, et appellera Église ortho­ doxe, non pas l’Église que les catholiques et les ortho­ doxes désignent ensemble de ce nom, mais une portion d’elle-même, qu’il isole par l’esprit, afin de pouvoir la considérer comme la continuation intégrale de l’antique Église universelle et vraiment orthodoxe, laquelle serait comme enchaînée en Russie et ailleurs par un organisme tyrannique usurpant le beau nom d’orthodoxie —, aux 1244 \Ί/2 - DÉCHIRURES DE L ÉGLISE yeux donc de Soloviev, cette ultime démarche canonique aurait signifié, non pas une rupture réelle avec la vraie Église orthodoxe, devant laquelle il marchait avec l’in­ tention de lui ouvrir les voies ; elle aurait manifesté plus solennellement, mais était-ce nécessaire ? sa réprobation des erreurs de la hiérarchie officielle. Seulement, en dépit de toutes ses dénégations, elle aurait fait croire à tous ses frères orthodoxes qu’il rompait la solidarité concrète qui le rattachait à eux. Ils auraient cessé de le regarder comme un membre de l’Église orthodoxe. Il aurait pu sans doute encore travailler pour elle, la secourir du dehors. Il ne lui aurait plus été possible de travailler en elle ni de participer à l’effort de délivrance qu’il était poussé à réclamer d’elle impérieusement. Il lui parut avec évidence — à ceux qui voient dans l’Église orthodoxe une Église dissidente, c’est la décision contraire qui s’impose avec la même évidence — qu’il lui fallait y rester. Il avait, non pas le devoir de la quitter, mais la mission de la réformer, plus exactement de la délivrer3^2. Quelques textes, parmi lesquels un document inédit cité par Mgr d’Herbigny3^3, nous découvrent l’état de sa pensée. Il écrit au Novoïe Vrémia, en 1885: «Je juge qu’une conversion ou union extérieure est inutile, nuisible même, j’en ai empêché plusieurs, car notre Église doit être reconnue comme ayant une foi correcte». Il dissuadait alors la princesse Élisabeth Volkonsky de passer au catholicisme. Quand elle le fit néanmoins, en 1887, « l’émotion fut rude pour Soloviev. 352. En 1890, L. P. DE NlCOLAÏ, trente-deux ans après sa conver­ sion au catholicisme et vingt-deux ans après son entrée en chartreuse, écrivait, de Soloviev : « Je comprends très bien les motifs pour les­ quels il s’est maintenu dans une certaine réserve, imposée dans l’intérêt de la mission qu il a à remplir et qui lui a été confiée d’En Haut, je n’en doute pas ». Cité par d’Herbigny, op. cit., p. 310. 353. Op. cit., p. 227. LE CONCEPT D’ÉGLISE DISSIDENTE 1245 Mais il ne se permit aucun reproche. Si sa conscience personnelle lui marquait, croyait-il, une autre voie, elle n’avait point à juger les autres »354. L’attitude de Soloviev durant cette partie de sa vie ne se comprend pleinement que si l’on se rappelle, selon ce que nous avons dit, que, pour lui, choisir de demeurer dans l’Eglise russe, ce n’était pas choisir de demeurer dans une Eglise dissidente. C’était choisir de demeurer dans la portion russe, entravée et opprimée, de l’Église catholique. Il était sûr en effet (parce qu’il tenait son cœur secrètement accordé au magistère de la grande Eglise catholique) de pouvoir tracer à chaque moment, dans ce que nous regardons comme la forme de l’Église dissidente orthodoxe (forme qui paraît pourtant indivi­ sible et indissociable aux fidèles de cette Église), une ligne de partage entre la lumière et les ténèbres, le prin­ cipe de vérité et le principe d’erreur ; et il était sûr (tou­ jours en tenant son cœur accordé au magistère catho­ lique) de pouvoir conduire par étapes ce principe de vérité, de l’état d’oppression à l’état de liberté. C’était certes une entreprise hardie de vouloir demeu­ rer dans l’Église orthodoxe pour la délivrer de ses liens. C’était même une entreprise périlleuse355. 3. La forme indivisible et indissociable d’une Église dissidente résulte, du point de vue catholique, de la ten­ sion de deux principes contraires. Soloviev, nous l’avons dit, pense pouvoir dissocier ces deux principes, afiFran354. Op. cit., p. 228. 355. Du point de vue de la théologie catholique, tout n’est pas recevable de ce que Soloviev enseigne, par exemple dans le troisième livre de La Russie et l'Église universelle, concernant « le principe trinitaire et son application sociale ». Bien plus, Soloviev, et cette remarque vaut davantage encore pour ses disciples, n’aura pas tou­ jours raison contre l’Église orthodoxe officielle. 1246 VI/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE chir le premier, expulser le second. Les noms sous les­ quels ils sont désignés par lui peuvent varier, mais son intention demeure constante. L’article Saint Vladimir et l’État chrétien (pour le neuf centième anniversaire du baptême de la Russie), en août 1888, les oppose comme la religion de l’Evangile et la religion d’État, comme l’Eglise universelle du Christ et les Églises nationales, dont le byzantinisme est l’illustre prototype : « Juste au moment où les Grecs raffinés reje­ taient la perle évangélique du royaume de Dieu, elle était ramassée par un Russe à moitié sauvage. Il la trouva cou­ verte de la poussière byzantine, et cette poussière est pieu­ sement conservée jusqu’à nos jours par les théologiens russes, par les évêques qui servent l’État et par les bureaucrates laïques qui gouvernent l’Église. Quant à la perle elle-même, elle est restée cachée dans l’âme du peuple russe356... En affirmant que l’État doit se sou­ mettre à l’Église, on ne peut entendre que l’Église une, indivisible et universelle vraiment fondée par le Christ... L’Église, par sa nature même, n’est pas une institution nationale et n’en peut devenir une qu’en perdant sa vraie raison d’être »357. La conférence sur L’idée russe, en 1888, nous montre l’Église russe - c’est-à-dire, ici, l’Église uni­ verselle vivant en Russie - enchaînée depuis des siècles à un cadavre : « L’Église russe, en tant quelle conserve la vérité de la foi, la perpétuité de la succession apostolique et la validité des sacrements, participe, quant à l’essence, à l’unité de l’Église universelle, fondée par le Christ. Et si 356. Sur le départ entre la légende et l’histoire dans la conversion de saint Vladimir, voir M. JUGIE, Le schisme byzantin, p. 172; J. DaNZAS, « Saint Vladimir et les origines du christianisme en Russie», dans Russie et Chrétienté, 1938-1939, pp. 7-37 ; Michel DE TAUBE, Rome et la Russie, Paris, 1947, t. I, pp. 15 ss. ; 83 ss. 357. Cité par d’Herbigny, op. rit., p. 272. C’est nous qui souli­ gnons, ici et dans les passages qui suivent. LE CONCEPT D’ÉGLISE DISSIDENTE 1247 malheureusement cette unité n’existe chez nous que dans un état latent et ne parvient pas à une actualité vivante, c’est que des chaînes séculaires tiennent le corps de notre Église attaché à un cadavre immonde qui l’étouffe en se décomposant »358. On le voit, Soloviev n’oppose pas, à la manière de Tolstoï, dont il a toujours détesté les sophismes, le «christianisme du peuple russe » à 1’« Église russe». Il oppose l’Église russe véritable, avec sa hiérarchie, son culte, ses sacrements, qui est une portion de l’Église uni­ verselle, à une fausse Église russe qui n’est, malgré ses évêques, ses théologiens, ses synodes (anti-canoniques), qu’une « institution officielle » et qui, en refusant de reconnaître la primauté universelle de Pierre, fait vio­ lence à l’Église russe véritable et s’efforce de l’emprison­ ner dans les bornes d’une nation. Il sait que toute Église restreinte à un État devient vite une partie de cet État : «L’esprit de l’égoïsme national, dit-il, ne se laisse pas sacrifier facilement. Il a trouvé chez nous un moyen de s’affirmer sans renier ouvertement le caractère religieux inhérent à la nationalité russe. Non seulement on admet que le peuple russe est un peuple chrétien, mais on pro­ clame avec emphase qu’il est le peuple chrétien par excellence et que l’Église est la vraie base de notre vie nationale ; mais ce n’est que pour prétendre que l’Église est seulement chez nous, que nous avons le monopole de la foi et de la vie chrétienne. De cette manière, l’Église qui est, en vérité, la roche inébranlable de l’unité et de la solidarité universelle, devient pour la Russie le palladium d’un particularisme national étroit, et souvent même l’instrument passif d’une politique égoïste et hai­ neuse359... L'institution officielle qui est représentée par 358. Ibid., p. 240. 359. Ibid., p. 239. 1248 VI/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE notre gouvernement ecclésiastique et par notre école théologique et qui maintient à tout prix son caractère particulariste et exclusif, n’est pas certes une partie vivante de la vraie Église universelle fondée par le Christ360... Une Église qui fait partie d’un État. d’un royaume de ce monde, a abdiqué sa mission et devra partager la destinée de tous les royaumes de ce monde w361. Il y a donc, selon Soloviev, deux Églises en Russie, une Église universelle et une Église nationale, et la même hiérarchie officielle, en ses démarches diverses, incarne à la fois l’une et l’autre. Au lieu de notre concept iïune unique Église dissidente dont la forme est faite du conflit inextricable de deux éléments antithétiques mais insépa­ rables, c’est le concept de deux Eglises distinctes, l’une irréprochable mais opprimée, l’autre aberrante et tyran­ nique, que Soloviev a devant les yeux ; notre image d’un organisme attaqué par la maladie ou victime d’un arrêt de croissance, est remplacée chez lui par l’image d’une perle couverte de poussière ou d’un corps intègre mais enchaîné. C’est bien cette seconde image qui nous servi­ rait à figurer la condition de l’Église catholique quand les pouvoirs politiques, peut-être avec la connivence scandaleuse et criminelle de certains de ses membres, entreprennent de l’asservir. Mais, en Russie, l’attaque ne vient pas seulement et même ne vient pas surtout, du principe politique, auquel Soloviev est disposé à accor­ der, dans sa théocratie, un rôle de tout premier plan ; un principe perturbateur est installé dans la forme ecclésio­ logique elle-même de la grande Église officielle, où nous voyons l’autorité magistérielle suprême vaciller, par exemple quand elle nie, comme telle et officiellement, la 360. Ibid., p. 240. 361. Ibid., y. 241. LE CONCEPT D’ÉGLISE DISSIDENTE 1249 vérité dogmatique de la primauté de Pierre. Dès lors, l'image qui conviendrait pour caractériser l’Église russe, non pas telle quelle était dans la pensée de Soloviev, mais telle quelle est réellement dans la vaste Russie, serait celle d’un corps qui se débat à la fois contre des chaînes extérieures, et contre un principe intérieur de maladie. Sur la reconnaissance du primat de Pierre dans l’Eglise universelle, Soloviev, lui, ne vacille pas : « La réu­ nion des différents clergés nationaux en un seul corps œcuménique, dit-il dans Ladée russe, ne peut être effec­ tuée qu’au moyen d’un centre international, réel et per­ manent, pouvant de droit et de fait résister à toutes les tendances particularistes »362. Et voici, à la fin de l’intro­ duction de son livre sur La Russie et l’Eglise universelle, 1889, le couronnement de toute sa pensée : « Comme membre de la vraie et vénérable Église orthodoxe orien­ tale ou gréco-russe, qui ne parle pas par un synode anti­ canonique ni par des employés du pouvoir séculier, mais par la voix de ses grands Pères et Docteurs, je reconnais pour juge suprême en matière de religion celui qui a été reconnu comme tel par saint Irénée, saint Denys le Grand, saint Athanase le Grand, saint Jean Chrysostome, saint Cyrille, saint Flavien, le bienheureux Théodoret, saint Maxime le Confesseur, saint Théodore le Studite, saint Ignace, etc., - à savoir l’apôtre Pierre, qui vit dans ses successeurs et qui n’a pas entendu en vain les paroles du Seigneur : - Tu es Pierre, et sur cette Pierre j’édifierai mon Eglise. - Confirme tes frères. — Pais mes brebis, pais mes agneaux »363. 362. Ibid., p. 245. 363. Paris, 1922, p. LXVI. - Les vues de Soloviev sur la place qu’il réserve à l’Église dans son système théocratique, et sur sa célèbre tri­ logie: pontife, roi, prophète, n’auront pas la même sûreté. Soloviev 1250 VI/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE La démarche qu’il avait si longtemps repoussée, Soloviev l’accomplit le 18 février 1896, à Moscou, dans la chapelle Notre-Dame de Lourdes, devant un prêtre catholique de rit paléoslave, Nicolas Tolstoï, et plusieurs témoins. Il fit suivre sa profession de foi de la déclaration que nous venons de rapporter, et sur laquelle s’achevait l'introduction de son livre sur La Russie et l’Église univer­ selle. Il précisa : « J’appartiens à la vraie Eglise ortho­ doxe ; car c’est pour professer, dans son intégrité, l’Orthodoxie traditionnelle que, sans être latin, je recon­ nais Rome pour centre du christianisme universel ». Jusqu’à la fin, pensons-nous, Soloviev persiste à voir, dans la grande Église russe, non pas une unique Église, mais la juxtaposition d’une Église de lumière et d’une Église de ténèbres, ayant ses évêques, ses théologiens et ses synodes anticanoniques. Sur ce point précis, il reste « incompris des deux côtés »364, des catholiques et des orthodoxes. Quand il mourut, quatre ans plus tard, « au cours d’un voyage, dans une maison de campagne du prince semble y renoncer lui-même dans son Récit sur l’Antéchrist, cf. Jean GaUVAIN, Conscience de la Russie, textes de Soloviev, Paris, 1950, p. 144. C'est d’une manière déjà très éloignée de Soloviev que Serge BOULGAKOV, dans « L'Ancien et le Nouveau », dans Cahiers de la Nouvelle ]oumée, n° 8, p. 47, se réclame de la tradition : « Nous devons conserver, dans ce temps de trahisons et d’effondrements, notre fidélité à la tradition, parce que cette tradition est la seule pierre de touche de la foi orthodoxe, qui ne connaît aucune autorité souve­ raine imposant sa loi. Cette tradition du reste doit être reconnue comme étant, dans toute son étendue et dans toute sa profondeur, la tradition de 1 ancienne et unique Église œcuménique d’avant le schisme qui survit dans 1 Église orthodoxe, même si parfois elle se trouve cachée par une croûte d’isolement national ». 364. Jean GAUVAIN, « Vladimir Soloviev et le problème russe », dans Conscience de la Russie, p. 31. LE CONCEPT D’ÉGLISE DISSIDENTE 1251 Troubetzkoï, à Ouskoïé, le seul prêtre qu’on put appeler fut le curé orthodoxe du village, M. S. A. Bielaïev »36'. Soloviev fit ce que tout catholique devrait faire365 366367 . 4. Starovières ou Raskolniks ? Si les théologiens russes de l’Église orthodoxe accep­ taient de circonscrire comme nous l’avons fait le concept de l’Eglise dissidente, ils devraient, de leur point de vue, considérer les descendants actuels d’Awakum comme des dissidents et consentir à les appeler starovières (vieux croyants), et non pas raskolniks (schismatiques). De notre point de vue catholique, les orthodoxes et les starovières représentent aujourd’hui des Églises dissi­ dentes, inégales par leur importance numérique, bien plus inégales encore par la valeur chrétienne de leurs formes ecclésiologiques. Et si nous nous reportons à l’origine de la rupture, il nous est difficile de considérer la tendance de Nikon et celle d’Awakum comme incarnant, l’une la pure notion de l’Église, l’autre la pure notion du schisme36 . L’Église dissidente russe, privée pendant trop longtemps de la plénitude du magistère authentique, avait laissé préva­ loir en elle des tendances qui devaient fatalement provo­ quer un drame le jour où par exemple Nikon entrepren- 365. Mgr d’HerbigNY, op. cit., pp. 314-316. — Qu’on veuille bien le remarquer : jusqu’à la fin, l’attitude de Soloviev à l’égard de l’Église orthodoxe différera profondément de celle de Newman à l’égard de l’Église anglicane. Voir plus haut, p. 1203-1205. 366. Voir plus haut, p. 1222. 367. Comment lire dans l’ouvrage de Pierre Pascal, le récit de la vie et de la mort de la dame Morozova et de sa sœur Eudoxie, - qui pourtant suivent Awakum -, sans éprouver, jusqu’à l’évidence, que la sainteté est avec elles ? 1252 VI/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE drait la révision, même légitime, des livres liturgiques slaves368369 . 370 Pierre Pascal peut écrire, à la fin de son beau livre sur les débuts du raskol, que « ni ΓÉglise officielle, ni la vieille foi ne présentent tous les traits de la véritable Église qui doit continuer dans le monde la mission du Christ ». Cependant, les vieux croyants et les niconiens ont été, de nos jours, unis dans la même persécution. « Sur les ruines accumulées un nouvel édifice s’élèvera... Il est impossible que les grands bouleversements actuels n’aient pas de suites religieuses. La nouvelle Église russe sera plus pure, plus sainte et plus catholique que l’an­ cienne »%9. Si, du moins, elle entend le sens des appels de l’Esprit et des motions de la grâce. Mais les forces de désagréga­ tion quelle abrite en elle, tant quelle reste dissidente, sont capables de changer de forme, sans relâcher de leur violence. Les vaincra-t-elle ? Aimera-t-elle plus la catholi­ cité que la séparation ? Refuserait-elle l’inféodation à une puissance politique qui pourrait ressusciter pour la séduire le rêve de « Moscou troisième Rome » ? Nous voyons les dignitaires de l’Église orthodoxe, aveuglés par la propagande totalitaire, devenir aujourd’hui violem­ ment antiromains et bloquer dans leur aversion la Rome catholique et la Rome qui fut fasciste3 °. 368. « La grande crise du raskol était un jugement prononcé sur toute l’Église russe, sur son exclusivisme nationaliste, sur la mentalité quelle avait inculquée au peuple au détriment de l’universalisme chrétien ». J.-N. DANZAS, L'itinéraire religieux de la conscience russe, Collection Istina, Paris, s. d., p. 43. 369. Avvakum et les débuts du raskol, La crise religieuse au XVIL siècle en Russie, Coll. Istina, Paris, 1938, p. 574. 370. Voir plus loin Excursus V, n° II : La conférence ecclésiastique de Moscou, p. 1419. LE CONCEPT D’ÉGLISE DISSIDENTE 1253 5. Unionisme ou œcuménisme C’est dans le cadre d’une étude structurelle des diverses déchirures de l’Église : dissidence, infidélité, hérésie, schisme, excommunication, que nous avons abordé ici le problème des Églises orthodoxes. Un tel point de vue est capable d’orienter l’effort vers la réunion des Églises chrétiennes qui est entrepris actuelle­ ment par les catholiques, les orthodoxes, les protestants, tant sur le plan des études que sur celui des relations per­ sonnelles. Pourtant il n’apporte qu’une lumière par­ tielle3"1. Une foule de problèmes d’ordre prudentiel et théorique demandent à être débattus. Leur ensemble constitue cette province de la théologie qu’on peut appe­ ler unionisme ou œcuménisme. Il y a place pour un unionisme ou œcuménisme catholique371 372. A la faveur de la définition de la dissidence que nous avons donnée, bien des points particuliers concernant les rapports de l’Église catholique avec les Églises ortho­ doxes peuvent s’éclairer. 1° Rien par exemple ne s’oppose en soi à ce que Rome, le jour où elle le jugera salutaire, entretienne des relations directes avec les autorités recon­ nues des diverses Églises orientales dissidentes. Le fait que les saints de l’Église orthodoxe postérieurs au concile 371. Sur les rapports de l’unité de communion et de l’unité & orientation, voir plus haut, p. 1137. 372. M. J. CONGAR, Chrétiens désunis, Principes d’un œcuménisme catholique, Paris, 1937. Voir au chapitre VI, p. 249 ss., comment dans la perspective de cette discipline, l’ecclésiologie orthodoxe slavophile est caractérisée et critiquée. — Nous préférons parler à’unionisme, jour opposer d’emblée le principe catholique de l’unité organique de Église du Christ au principe protestant de l’Église invisible seule divine et de l’unité fédérative des Églises visibles et humaines. Les Allemands appellent Konfessionskunde la discipline qui s’ef­ force de saisir et de comprendre une entité religieuse dans toutes les manifestations de sa vie. 1254 VI/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE de Florence manquent dans le Liturgikon catholique en 19403 Λ ne signifie pas qu'ils n’ont pas été vraiment saints, ou qu’ils ne pourront jamais être proclamés tels par l’Église catholique ; si vraiment ils sont des saints, seules des raisons prudentielles s’opposent à une recon­ naissance officielle de leur sainteté par l’Église catho­ lique, à savoir la crainte que les fidèles n’attribuent au principe même de dissidence ce qui n'a pu résulter que d’une fidélité héroïque à suivre le Christ. 2° Autre point : les disciplines canoniques, les formes officielles de piété, les expériences spirituelles de l’Eglise orthodoxe qui sont éprouvées et authentiques, sont aptes de ce fait à être intégrées dans la catholicité ; cette intégration n’aura ni à les désessencier ni même toujours à les puri­ fier au préalable ; elle se contentera dans bien des cas de les parfaire, en leur apportant le coefficient d’organicité qui leur manque encore. 3° Pour ce qui est du rit byzan­ tin et du rit latin, il est clair qu’ils représentent deux ver­ sions - d’autres versions sont possibles — non certes opposées, mais distinctes, voire complémentaires d’une même et identique liturgie. De ces deux versions il faut dire, d'une part quelles sont débordées par le mystère absolument ineffable quelles expriment, et d’autre part qu elles sont comme de sûres voies capables d’introduire efficacement les âmes fidèles jusqu’au cœur de ce mystère373 374. Les rits, d’ailleurs, ne sont pas faits pour être 373. Cf. Dom Clément LiALINE, « L’attitude de l’Église catholique envers l’Orient chrétien», Sobornost, novembre 1946: nous citons d’après une transcription dactylographiée. 374. C’est un avantage des rits byzantin et slave d’utiliser des langues encore aisément comprises de nos jours par le peuple. D’autre pan, la tension que le rit latin exige pour s’élever au-dessus des langues nationales, est, à sa manière, salutaire. « L’emploi de la langue latine, en usage dans une grande partie de l’Église, est un signe d’unité manifeste et éclatant, et une protection efficace contre LE CONCEPT D’ÉGLISE DISSIDENTE 1255 comparés : ils sont des portes pour entrer dans la mai­ son. 4° Pour ce qui est de la consécration eucharistique, catholiques et orthodoxes savent quelle est l’œuvre de la Trinité tout entière agissant, comme à la Cène, par la sainte humanité du Christ. Ils invoquent successivement le Père, le Fils, l’Esprit, mais ils savent que les divines personnes agissent inséparablement. A quel moment ? A celui où le prêtre prononce les paroles de l’institution, disent les catholiques après saint Jean Chrysostome ; à celui où il prononce les paroles de l’épiclèse, disent les orthodoxes après saint Jean Damascène375. Il faut d’ail­ leurs reconnaître que le rit byzantin ne reçoit aujour­ d’hui toute sa splendeur que dans la dissidence parce que c’est chez elle qu’il trouve la grande masse de ses adhé­ rents, et qu’il reste ainsi en contact vital et permanent avec les cultures qui lui ont donné naissance. Comment les catholiques feraient-ils cette constatation sans éproutoute corruption de la doctrine originale. Dans bien des rites, cepen­ dant, se servir des langues modernes peut être très profitable au peuple: mais c’est au seul Siège apostolique qu’il appartient de le concéder». PlE XII, encyclique Mediator Dei, 20 novembre 1947. «Dans cette encyclique, nous nous occupons surtout de la liturgie latine ; ce n’est pas que nous nourrissions une moindre estime pour les vénérables liturgies de l’Église orientale, dont les rits, transmis par d’anciens et glorieux documents, nous sont chers au même point, pari ratione carissimi ». Ibid. 575. «L’Église orientale est en contradiction avec sa tradition authentique en prétendant que c’est l’épiclèse qui consacre... Ce qui ressort, en dernière analyse, de l’ensemble des documents, c’est que les paroles du Christ consacrent, tandis que l’épiclèse nous dit le comment de cette consécration, en expliquant que ce n’est pas une œuvre humaine, mais une œuvre divine, une œuvre du SaintEsprit». S. Salavili.E, « Épiclèse eucharistique », dans Dictionnaire de Théologie Catholique, col. 296-299. L’opinion suivant laquelle la consécration s’opérerait différemment dans le rit latin et dans le rit byzantin, là par les paroles de l’institution, ici par celles de l’épiclèse, a été rejetée, notamment par PlE X. Ibid., col. 200 et 276. 1256 VI/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE ver jusqu'à la souffrance le souvenir de l’unité perdue, sans bénir Dieu aussi que tant de grandeur ait été gardée dans la dissidence ?3 6 5° Faut-il dire enfin, comme on l’a fait parfois, que les rapports du spirituel au temporel ont été sensiblement les mêmes en Orient et en Occident, quoique d’un type différent, d’un côté césaropapisme, de l’autre papocésarisme ? Ces deux mots signifient des usurpations de pouvoir, en sens contraires. Or, si nom­ breux qu’aient pu être en Occident les abus de pouvoirs, le type spécifique des rapports du spirituel et du tempo­ rel, au temps de la chrétienté sacrale, n’est pas une usur­ pation papocésariste, mais un régime où le pape joignait à son rôle spirituel de vicaire du Christ, les charges tem­ porelles de chef des Etats de l’Eglise et de tuteur de la chrétienté. Il reste que ce régime imposé par les circons­ tances était loin d’être parfait et que les décisions poli­ tiques que le pape pouvait prendre - dans les guerres par exemple de la chrétienté contre l’Islam, des Chevaliers Teutoniques contre la Pologne, de la Pologne contre la Russie, etc. - étaient de nature à voiler pour certains yeux son caractère spirituel et à engendrer des malenten­ dus funestes à l’unité de l’Église. Quelque tragiques que soient les temps que nous vivons, ils ont permis à l’Église, à mesure quelle obéissait à sa loi interne d’in­ carnation et de catholicité, de retrouver à l’égard du temporel une liberté comparable à celle quelle avait connue aux premiers siècles chrétiens. Une foule d’obs­ tacles qui auraient pu retenir un Newman ou un Soloviev sont aujourd’hui tombés pour toujours3 . 376. La constitution apostolique de PlE XII, du 30 novembre 1947, en déclarant que l’on est consacré diacre, prêtre, évêque, par l'imposition des mains, rapproche sur un point l’Église latine de l’Église orientale. Acta Apostolicae Sedis, 1948, pp. 5-7. 377. Le Père LAGRANGE écrivait à Son Ém. le cardinal Tisserant : « Si je n’étais si heureux de n’être rien, je m unirais à ceux qui le CT- LE CONCEPT D’ÉGLISE DISSIDENTE 1257 Il serait aisé de prolonger cette liste. Elle suffit à mon­ trer que le point de départ de l’unioniste catholique, quand il aborde la question des Églises orthodoxes est, comme le fait le Père Congar, de les considérer, non pas comme schismatiques ni hérétiques, mais simplement comme dissidentes 378. Avec la liberté que lui donnait un sens supérieur des choses théologiques qui le caractérisait, Léon XIII, quand il s’adresse aux Églises orientales pour les convier à l’unité, ne les appelle jamais schismatiques ou héré­ tiques, mais seulement dissidentes. Il énumère les pre­ miers papes grecs, il parle des origines de la dissidence, initia dissidii, de ceux qui sont désunis d’avec l’Église catholique, Ecclesiae catholicae discordes3 9, des fils désu(PieXI) félicitent de son grand acte du règlement de la question romaine. C’est un triomphe de la puissance de l’esprit sur les puis­ sances de la chair... A-t-on assez reproché au Père Lacordaire d’avoir compris que l’unité italienne était fatale ? La papauté est débarrassée d’une tunique de Nessus, voilà tout ». Préface du cardinal TlSSERANT au livre de F.-M. Braun, L'œuvre du Père Lagrange, Fribourg, 1943. 378. Bien que son langage soit autre, Dom Clément LlALINE, dans l’article de la Sobomost, cité il y a un instant, ne pense sans doute au fond pas autrement : « Canoniquement, les Églises orthodoxes ne sont pas considérées comme hérétiques. Ceci n’implique pas que les différences doctrinales existant entre ces Églises et l’Église de Rome soient négligées, mais, n’ayant pas jusqu’à présent été l’objet d’une définition de fide du côté orthodoxe, elles ne sont généralement pas considérées comme ayant une valeur strictement dogmatique. Il en résulte que les Églises orthodoxes sont définies comme Églises schisma­ tiques... » Sur la première de ces trois phrases voir plus haut, pp. 1190-1192 et 1215. Sur la seconde, voir plus haut, pp. 1234-1238. Et dans la troisième, nous remplacerions schismatiques par dissidentes. Un peu plus loin, on lit : « Les différences doctrinales entre les Églises orthodoxe et catholique... constituent un problème sérieux pour l’œcuméniste catholique ; si, de leur fait, les Églises orthodoxes ne deviennent pas hérétiques, elles deviennent quand même hétérophrones », voire hétérodoxes. 379. Lettre Praeclara, 20 juin 1894. 1258 VI/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE nis, discordes filios3S0, des dissidents unis aux catholiques dans un même pays, vestri qui de religione dissident cives380 381, de la réconciliation des dissidents avec l’Église, ad reconciliationem dissidentium cum Ecclesia382383 , du retour 384 des Églises dissidentes à l’unité catholique, pro reditu Ecclesiarum dissidentium ad catholicam unitatem5*5, des chrétiens dissidents, christianos ipsos dissidentes5*^. Dans la lettre Praeclara, il écrit ces lignes émou­ vantes : « Tout d’abord, c’est avec un immense amour que nous portons nos regards vers l’Orient, berceau du salut de toute la terre. Car l’impatience de notre désir fait naître en nous la douce espérance que le temps n’est pas éloigné où les Églises d’Orient, illustres par la foi de leurs aïeux et leur antique gloire, reviendront à leur point de départ. D’autant que la différence qui les sépare de nous n’est pas énorme : bien plus, à part quelques points, l’accord sur le reste est si complet que souvent, pour la défense même de la foi catholique, nous em­ pruntons des autorités et des raisons aux doctrines, cou­ tumes et rits des Orientaux. Le point capital de la dissi­ dence, c’est le primat du pontife romain. Mais qu’ils remontent à nos origines communes, qu’ils considèrent les sentiments de leurs ancêtres, qu’ils interrogent les tra­ ditions les plus voisines des origines du christianisme, ils trouveront là de quoi se convaincre que c’est bien aux pontifes romains que s’applique le : Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église ». 380. Lettre Unitatis christianae, 11 juin 1895. 381. Ibid. 382. Motu proprio Optatissimae, 19 mars 1895. 383. Lettre Cum divini Pastoris, 25 mai 1898. 384. Ibid. LE CONCEPT D’ÉGLISE DISSIDENTE 1259 6. Aux sources de l’unionisme Qu’on nous permette d’extraire quelques lignes du rapport de M. Jacques Maritain385, lu à titre personnel, avec la permission du cardinal Verdier, au IVe Congrès Mondial des Croyances pour la défense de la personne humaine, réuni à la Sorbonne, du 3 au 12 juillet 1939. Bien quelles débordent le problème de l’unionisme, elles le concernent éminemment : « Le problème du bon compagnonnage, du fellowship entre les membres des différentes familles religieuses apparaît comme central pour le nouvel âge de civilisa­ tion qui s’ébauche dans le crépuscule où nous sommes... Un rapprochement délibéré entre les croyants des diverses familles religieuses est chose relativement nou­ velle. Dans une circonstance solennelle, le pape Pie XI y avait convié les hommes de bonne volonté. Sans doute est-il dû pour une part aux dangers imminents, aux maux spirituels atroces qui nous menacent — athéisme ouvert et dressé publiquement contre Dieu, ou pseudo­ théisme prétendant faire du Dieu vivant un génie pro­ tecteur de l’État ou un démon de la race. S’il en est ainsi, avouons que la leçon est sévère pour les croyants ! A-t-il fallu que Dieu permette l’affreuse dégradation de l’es­ pèce humaine à laquelle nous assistons, et tant de persé­ cutions et tant d’agonies, pour qu’enfin ceux qui croient en lui commencent à descendre vraiment en eux-mêmes, jusqu’à ces régions mystérieuses où l’image du Dieu d’amour se découvre invisiblement en nous, et où nous entendons tant soit peu les coups frappés par lui à notre porte verrouillée ? 385. Vie Intellectuelle, août 1939, recueilli dans Principes d'une politique humaniste, New-York, 1944, pp. 138-140, 149-152 [O. C., VIII, pp. 280-281,289-291]. 1260 VI/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE » Disons tout de suite que le rapprochement dont il est question ici pourrait être entendu de très fausse manière, et éliminons immédiatement ces interpréta­ tions erronées. Un tel rapprochement ne saurait évidem­ ment être obtenu au prix d’un fléchissement de la fidé­ lité, ou d’un manquement à l’intégrité dogmatique, ou d’une diminution de ce qui est dû à la vérité. Il ne s’agit aucunement ni de s’arrêter à je ne sais quel minimum commun de vérité, ni d’affecter les convictions de cha­ cun d’une sorte d'indice dubitatif commun. C’est au contraire en supposant que chacun va au maximum de fidélité à la lumière qui lui est montrée qu’un tel rappro­ chement est concevable. Par ailleurs, nous voyons claire­ ment qu’il ne saurait être pur, donc valable et efficace, que s’il est libre de toute arrière-pensée temporelle, et de l’ombre même d’une subordination de la religion à la défense de n’importe quel intérêt terrestre, ou de n’im­ porte quels biens acquis... » D’une part,... il serait très faux de dire qu’une telle amitié est supra-dogmatique ou quelle s’établit en dépit des dogmes de la foi ; une telle manière de parler est inadmissible à tous ceux pour qui la parole de Dieu est aussi absolue que son unité et sa transcendance. Je sais très bien que si sur le moindre article de la foi je perdais ma foi, je perdrais mon âme. Un mutuel amour qui s’achèterait au prix de la foi, qui prétendrait s’établir sur le syncrétisme ou l’éclectisme, ou qui, invoquant la para­ bole des trois anneaux de Lessing, dirait : j’aime qui n’a pas ma foi parce qu’après tout je ne suis pas sûr que ma foi soit la vraie foi, et quelle porte la marque du véri­ table anneau, réduisant ainsi la foi à un simple héritage historique et la relativisant sous un sceau d’agnosticisme, un tel amour, pour qui croit avoir entendu la parole de Dieu, reviendrait à mettre l’homme au-dessus de Dieu. L’amour de charité va au contraire à Dieu d’abord, et à LE CONCEPT D’ÉGLISE DISSIDENTE 1261 tous parce que tous, plus ils sont aimés en Dieu et pour Dieu, plus ils sont aimés eux-mêmes et en eux-mêmes ; et il naît dans la foi - dans la foi au moins implicite, selon la doctrine que je rappelais tout à l’heure ; et il demeure dans la foi, tout en allant à ceux qui n’ont pas cette foi ; c’est la propriété même de l’amour ; partout où va notre amour, il emmène avec lui notre foi. » Et d’autre part, l’amitié de charité ne nous fait pas seulement connaître l'existence des autres - ce qui à vrai dire est déjà si difficile pour les hommes, et renferme déjà tout l’essentiel - elle ne nous fait pas seulement reconnaître que l’autre existe, non comme un accident quelconque du monde empirique, mais qu’il existe devant Dieu et qu’il a droit à exister. Tout en demeurant dans la foi, l’amitié de charité nous aide à reconnaître tout ce que les croyances autres que la nôtre comportent de vérité et de dignité, de valeurs divines et humaines, elle nous les fait respecter, elle nous pousse à chercher sans cesse en elles tout ce qui porte la marque de la gran­ deur originelle de l’homme et des prévenances et des générosités de Dieu. Elle nous aide à entrer dans une mutuelle compréhension les uns des autres. Elle n’est pas supradogmatique, mais elle est suprasubjective ; elle ne nous fait pas sortir de notre foi, elle nous fait sortir de nous-mêmes. C’est dire quelle nous aide à purifier notre foi elle-même de la gangue d’égoïsme et de subjectivité où nous tendons instinctivement à l’enclore. Et c’est dire aussi quelle comporte inévitablement une sorte de déchirement du cœur : fixé à la vérité qu’il aime, et fixé au prochain qui ignore ou méconnaît cette vérité. Cette condition est déjà inhérente au travail de rapprochement œcuménique, comme on dit, entre chrétiens séparés. A combien plus forte raison est-elle impliquée dans le tra­ vail de rapprochement et de mutuelle compréhension entre croyants de toutes dénominations. 1262 VI/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE » Je me méfie d’une amitié entre croyants de toutes dénominations qui ne serait pas accompagnée d’une sorte de componction, ou de douleur de l'âme; qui serait aisée et confortable ; comme je me méfie d'un uni­ versalisme qui prétendrait réunir dans un même service de Dieu et une même piété transcendante tous les modes de crovance et tous les modes d’adoration. Le devoir de fidélité à la lumière, de la suivre toujours pour autant qu’on la voie, est un devoir qui ne s’élude pas ; autre­ ment dit le problème de la conversion, pour qui ressent l’aiguillon de Dieu, et dans la mesure où il est atteint par lui, ne peut pas être évacué ; non plus que d’autre part la charge de l’apostolat. » Et je me méfie aussi, en revanche, d’une amitié entre croyants de même dénomination qui serait aisée et confortable parce que la charité y serait réservée aux coreligionnaires, d’un universalisme qui limiterait l'amour aux seuls frères dans la foi, d’un prosélytisme qui n’aimerait autrui que pour le convertir et dans la mesure où il est convertissable, d’un christianisme qui serait le christianisme des bons contre les mauvais, et qui confondrait l’ordre de la charité avec ce que le Père Chardon appelait, je crois, un ordre de police ». Quand Jean voulut interdire à un homme de chasser les démons au nom de Jésus, parce qu’il ne suivait pas les apôtres, le Sauveur répondit : « Ne l’empêchez pas, car il n’est personne qui fasse un miracle en mon nom, et qui puisse aussitôt parler mal de moi : qui n’est pas contre vous est pour vous » (Marc, IX, 38-40). L’analyse de la notion de dissidence nous ayant permis de lever l’ambiguïté des mots actuels d’infidélité, d'héré­ sie, de schisme, nous pouvons désormais aborder libre­ ment 1 étude de ces notions. Il nous faut tout d’abord marquer à quel moment, chez ceux qui n’ont pas été DE L’IGNORANCE AU DILEMME 1263 baptisés dans leur enfance, se fait le passage de l’igno­ rance de la foi, soit à la foi, soit à l’infidélité. IL DE L'IGNORANCE DE LA FOI AU DILEMME : FOI OU INFIDÉLITÉ Nous voulons parler d’une présentation des données de la foi qui est « suffisante », c’est-à-dire qui s’entoure, pour l’homme à qui elle est faite, d’une lumière si vive qu’il est contraint de choisir entre la foi divine s’il accepte, ou l’infidélité s’il refuse. Ce choix, qui est par nature secret, pourra être manifesté et déclaré au-dehors. Antérieurement à cette première présentation suffi­ sante, il y a place pour une période d’ignorance invin­ cible et non coupable des données de la foi. D’où trois subdivisions : l’ignorance en matière de foi (I) ; la première présentation des données de la foi (II) ; la première rencontre personnelle avec l’Eglise (III). I. L’ignorance en matière de foi La difficulté sera, non pas de définir ce qu’on entend ici par ignorance, mais de délimiter son champ d’exten­ sion. VI/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE 1264 1. L’ignorance invincible des données de la foi et l’infidélité Les scolastiques opposaient le refus d'adhérer à une vérité de foi, ou infidélité contraire (infidelitas secun­ dum contrarietatem), à la simple absence d'adhésion à une donnée de foi, ou infidélité négative (infidelitas secundum puram negationem). La première seule est un péché. La seconde n’est de soi qu’une « ignorance des choses divines ». Cette distinction de saint Thomas386 est confirmée par la condamnation par Pie V de la 68e proposition de Baïus : « L’infidélité purement négative de ceux auxquels le Christ n’a pas été prêché est un péché »38 . Le mot infidélité, tel qu’il est employé par les anciens théologiens, recouvre donc deux attitudes d’esprit tout à fait différentes, l’une (infidélité négative) que nous appellerons ignorance invincible et non coupable en matière de foi388 ; l’autre (infidélité contraire) à laquelle nous réserverons le nom à'infidélité. C’est de l’ignorance des choses divines que nous avons d'abord à parler. 2. L’ignorance invincible est soit absolue ou totale, soit relative ou partielle « Sans la foi, il est impossible de plaire à Dieu ; car il faut que celui qui s’approche de Dieu croie qu’il existe, 386. II-I1, qu. 10, a. 1. 387. Denz., n° 1068. 388. « ... infidelitatem negativam, quae est ignorantia invincibilis in rebus fidei». JEAN DE SAINT-THOMAS, I, qu. 24 ; Vives, disp. 10, a. 3, n° 35, t. Ill, p. 878 ; Solesmes, disp. 30, a. 3, n° 35b‘\ t. III, p. 565. ——“ I DE L’IGNORANCE AU DILEMME 1265 et qu’il est rémunérateur pour ceux qui le cherchent » (Hébr., XI, 6). L’existence de Dieu et la providence de Dieu, non pas en tant quelles sont accessibles à la simple raison, mais en tant quelles sont perçues par la connaissance de foi et quelles contiennent implicitement, l’une tout le mystère de la Trinité, et l’autre tout le mystère de l’incarnation rédemptrice : voilà les deux données primordiales de la Révélation, les deux premiers credibilia 389. Où ces deux vérités primordiales sont crues de foi divine, mais où la Trinité et l’incarnation rédemptrice sont ignorées quant à leur teneur explicite, disons qu’il y a ignorance relative ou partielle. Où ces deux vérités pri­ mordiales sont elles-mêmes ignorées, disons qu’il y a ignorance absolue ou totale. 389. «Tous les articles de la foi sont contenus implicitement dans les prima credibilia, à savoir que Dieu est, et qu’il a souci du salut des hommes, selon Hébr., XI, 6. La foi en X être de Dieu renferme tout ce qui existe éternellement en lui : c’est notre béatitude ; et la foi en la providence de Dieu renferme tout ce qu’il a fait dans le temps pour sauver l’homme: c’est la voie vers la béatitude». S. THOMAS, II-II, qu. 1, a. 7. Même les Gentils qui ont été sauvés sans avoir de révélation expresse concernant le Christ « n’ont cependant pas été sauvés sans la foi en le Médiateur. Cette foi n’était pas explicite. Elle était impli­ cite·. ils ont cru à la divine providence sachant que Dieu est libéra­ teur des hommes selon des voies qui lui agréent, credentes Deum esse liberatorem hominum secundum modos sibi placitos-». II-II, qu. 2, a. 7, ad 3. « On croit explicitement une chose quand on y adhère en y pen­ sant actuellement. On croit implicitement une chose quand on adhère à une proposition dans laquelle cette chose est contenue comme dans un principe universel ». De veritate, qu. 14, a. 11. 1266 VI/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE 3. Les petits enfants et les anormaux : l’ignorance invincible absolue est leur partage. Le cas des enfants baptisés 1. Avant la présentation suffisante des premières don­ nées de la foi, avant le premier acte où leur liberté entre en jeu pour décider du sens moral de leur vie, les petits enfants ont pu entendre parler du bien et du mal, de la grâce et du péché, de l’amour ou du refus de Dieu, mais ces notions et ces invitations n’ont pas encore pris, au regard de leur conscience, une valeur impérative déci­ sive. Ils n’ont ni fait ni refusé leur premier acte libre de foi. Ils sont encore, aux yeux du théologien, dans l’igno­ rance invincible absolue en matière de foi. On parlera semblablement des anormaux qui n’ont pas connu « d’intervalles lucides ». 2. Avec la grâce sanctifiante, c’est la foi, l’espérance et la charité qui leur ont été infusées au moment du bap­ tême390. Ils sont encore incapables de faire acte de foi, et restent dans l’ignorance invincible absolue. Mais en rai­ son de la vertu permanente de foi qu’ils possèdent, ils sont déjà des fidèles391. Cette vertu est prête à passer à l’acte en temps voulu. S’ils meurent avant d’avoir exercé leur libre arbitre, le don de Dieu qui est en eux s’actua­ lise aussitôt dans la vision béatifique, ils sont « dans le paradis du ciel avec le Christ et les saints anges »392. 390. Cette doctrine, qui n’est qu’indiquée par INNOCENT III, Denz., n° 410, est reprise, à propos du baptême lui-même, par le Concile de Vienne, Denz., n° 483 ; et, à propos de la justification en général, par le Concile de Trente, session VI, ch. VU ; Denz., n° 800. 391. Concile de Trente, session VII, can. 13 ; Denz., n° 869. 392. Constitution de BENOÎT XII, 29 janvier 1336, Denz., n° 530. Cf. premier Concile de Lyon, en 1245, Denz., n° 457; deuxième Concile de Lyon, en 1274, Denz., n° 464; Concile de Florence, 6 juillet 1439, Denz., n° 693. DE L’IGNORANCE AU DILEMME 1267 4. Le sort des enfants non baptisés Les petits enfants non délivrés du péché originel sont en dehors de l’Église sans cependant l’avoir jamais déchi­ rée. Sous cet aspect, nous pouvons tenter de préciser ici leur condition, qui s’éclairera plus tard davantage lors­ qu’elle sera mise en rapport avec le Royaume de l’audelà. a) La révélation du péché originel C’est saint Paul qui enseigne, Rom., V, 12-14, l’exten­ sion à tous les hommes, à partir d’Adam, d’un mysté­ rieux péché, et de sa peine qui est la mort : « Aussi, comme par un seul homme le péché est entré dans le monde, et, par le péché, la mort, et ainsi la mort a atteint tous les hommes parce que tous ont péché... Et la mort a régné même sur ceux qui n’avaient pas péché à l’imita­ tion de la transgression d’Adam », par exemple sur les petits enfants. Et cette doctrine est reprise par le Concile de Trente, qui définit qu’Adam a transmis à tout le genre humain, non seulement la mort et les peines corporelles, mais encore le péché qui est une mort de l’âme393 ; et que le baptême est donné aux petits enfants « pour la rémis­ sion de leurs péchés »394. Les petits enfants naissent donc dans le péché origi­ nel, dont ils ne peuvent, à leur âge, être délivrés que par le baptême, ou par ce qui en tenait lieu sous la loi ancienne et sous la loi de nature. 393. Session V, can. 2 ; Denz., n° 789. 394. Canon 4 ; Denz., n° 791. Cf. Concile de Carthage, en 418, Denz., n° 102. 1268 VI/2 - DÉCHIRURES DE L ÉGLISE b) La signification analogique des mots : péché, priva­ tion de la grâce ou de la vision divine, damnation, enfer Pour dissiper beaucoup de malentendus, insistons tout de suite sur le fait que les expressions de « privation de la grâce sanctifiante » et de « péché » peuvent être employées, soit à propos de l’enfant qui vient de naître, soit à propos de l’adulte qui résiste actuellement à Dieu. Mais elles sont prises alors d’une manière analogique, transposée, non dans un sens univoque, et il y aurait catastrophe à l'oublier395. De même les expressions de « privation de la vision béatifique »396, de « damnation »397, d’« enfer »398, peu­ vent être employées, soit à propos du petit enfant mort 395. Le péché originel est volontaire, non par notre volonté, mais par la volonté d’Adam, principe de notre nature. S. THOMAS, II Sent., dist. 33, qu. 2, a. 1, ad 2. « Ce qui est hérité n’est pas blâmable si l’on considère seulement celui qui vient au monde ; mais cela peut être blâmable si on le considère dans la dépendance de son principe ». I-II, qu. 81, a. 1, ad 5. 396. La peine du péché originel est la carence de la vision de Dieu. Innocent III, Epist. ad Ymbertum, Denz., n° 410. 397. « La doctrine qui rejette comme une fable pélagienne ce lieu des enfers (que les fidèles désignent communément sous le nom de limbes des enfants) dans lequel les âmes de ceux qui meurent avec la seule faute originelle sont punis de la peine du dam, non de la peine du feu ; et qui feint de croire qu’en écartant la peine du feu, on se déclare partisan du lieu et de l’état intermédiaire, exempt de faute et de peine, situé entre le règne de Dieu et la damnation éternelle, qu’ima­ ginaient les pélagiens -, est une doctrine fausse, téméraire, injurieuse pour l'enseignement catholique ». PlE VI, 26e erreur du Synode de Pistoie, Denz., n° 1526. Les pélagiens n’ont compris ni la gratuité de la vision ni le malheur de la manquer. 398. « Les âmes de ceux qui meurent dans le péché mortel ou avec le seul péché originel descendent aussitôt dans enfer, pour y être punies cependant de peines diverses ». Deuxième Concile de Lyon, Denz., n° 464; Concile de Florence, Denz., n° 693. Voir aussi la citation précédente. DE L’IGNORANCE AU DILEMME 1269 sans le baptême ou sans le rite qui en tenait lieu sous la loi ancienne et sous la loi de nature (circoncision et sacrement de nature) ; soit à propos de l’adulte décédé en état de péché mortel. Elles ont alors un sens propor­ tionnel et transposé, et de nouveau il y aurait catas­ trophe à l’oublier399. c) Comment la nature humaine est-elle blessée par le péché originel ? La solution que l’on donne à cette question entraîne de nombreuses conséquences. Elle décide notamment de la manière dont on entend les limbes des enfants. 1. Le péché originel consiste directement dans la «privation» de cette grâce ou justice originelle qui devait, selon le plan primitif, passer jusqu’à eux. Par voie de conséquence, le péché originel entraîne la dissolution de l’harmonie que la justice originelle instaurait : 1° dans leurs puissances, d’où blessure de l’intelligence (vulnus ignorantiae), de la volonté (vulnus malitiae), et des puis­ sances sensibles (vulnus infirmitatis et concupiscentiae) ; 2° dans leur corps, d’où les infirmités et la mort ; 3° dans leur rapport avec le monde, d’où l’âpreté de la lutte avec la nature400. 399. Le Canon 3 du Concile de Carthage, en 418, qui ne se trouve que dans un codex et qui est cité en note du n° 102 de Denzinger, nie que les enfants qui meurent avant le baptême soient bienheureux et affirment qu'ils relèvent du diable. Si ce Canon est authentique, il signifie que la béatitude refusée aux enfants est celle de la vision divine, à laquelle prépare la grâce du baptême ; et que ces enfants relèvent du diable en ce sens qu’ils sont touchés par la faute originelle et la peine du dam. A la question : ces enfants sont-ils, en fin de compte, séparés de Dieu ou unis à lui ? nous laisserons saint Thomas répondre un peu plus bas p. 1280. 400. Cf. S. Thomas, I-II, qu. 83 ; 85, a. 3. 1270 VI/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE Quand on dit que par le péché originel l’homme a été non seulement privé de la grâce, mais encore blessé dans sa nature, « amoindri dans son corps et dans son âme»401, que son libre arbitre, sans être le moins du monde éteint, est cependant affaibli et appesanti, atte­ nuatum et inclinatum^2, - cela pourrait à la rigueur s’entendre simplement en ce sens qu’il a perdu ses privi­ lèges pour être rendu à sa seule nature, et qu’il est par rapport à l’homme de la pure nature comme un être dévêtu par rapport à un être qui a toujours été nu, sicut nudatus a nudo. « Trouvait-on Paul-Émile malheureux de n’être plus consul ?... Mais on trouvait Persée si malheu­ reux de n’être plus roi, parce que sa condition était de l’être toujours, qu'on trouvait étrange de ce qu’il suppor­ tait la vie »403. 2. Il semble cependant que l’on serre de plus près le sens du message chrétien lorsqu’on dit que cette bles­ sure, cet amoindrissement, cette débilitation atteignent en outre l’homme dans ses propres ressources naturelles, qui, sans doute en raison de ses péchés mortels, mais déjà en raison du seul péché originel, sont inférieures à celles de la nature pure. Telle est du moins la pensée de saint Thomas404, qui enseigne que l’enfant, au moment où il parvient à l’âge adulte, ne peut choisir tout le bien 401. Concile de Trente, session V, can. 1, Denz., n° 788. 402. Ibid., session VI, ch. I, Denz., n° 793. 403. Pascal, Pensées, édit. Brunschvicg, n° 409. 404. Et de nombreux théologiens. Cf. saint BELLARMIN, De gratia et libero arbitrio, livre VI, ch. vil : « Sans le secours de Dieu, Dieu ne peut être aimé ni comme auteur de la nature, ni comme donateur de la grâce, ni parfaitement ni imparfaitement.... et nous ne doutons pas que cette vue ne vienne de saint Augustin, de l’Écriture et des conciles, quoi qu’on ait pu, trop légèrement, écrire en sens contraire ». DE L’IGNORANCE AU DILEMME 1271 que lui montre sa raison qu’avec le secours de la grâce justifiante40^ Il suit de là, qu’il faut entendre même de l’enfant qui n’a que le péché originel, ce que le saint doc­ teur dit plus loin de la nature déchue livrée à elle-même, à savoir qu’elle reste capable de faire quelque bien, mais non tout le bien qui lui est connaturel, comme serait d’aimer Dieu par-dessus toutes choses d’un amour natu­ rel, ou d’accomplir tous les préceptes naturels de la loi405 406. 3. Ni X essence de l’homme, ni les racines de ses activi­ tés qui sont les puissances, ne sont elles-mêmes atteintes. Seule, leur inclination au bien moral est diminuée407. Comment est-ce possible chez l’enfant qui n’a que le seul péché originel et n’a pas commis de faute volontaire ? d) Les solutions écartées 1. N’allons donc pas imaginer que, par le péché origi­ nel qui est une privation, la nature puisse être blessée intrinsèquement et positivement, comme par une sorte d’infection de son essence ou de ses puissances. Elle n’est blessée qu’extrinsèquement, en raison d’un obstacle qui se dresse entre elle et le bien moral, extrinsece et ex appo­ sitione impedimenti408. 2. Plusieurs apportent ici en explication l’axiome sui­ vant lequel « on ne peut être détourné de Dieu, Fin 405. S. Thomas, I-II, qu. 89, a. 6. 406. MI, qu. 109, a. 2, 3, 4. 407.1-II, qu. 85, a. 1. 408. BlLLUART, De gratia, dissert. 2, a. 3 ; édit. Brunet, t. III, pp. 48-50. « Le péché dresse un obstacle entre la puissance et son terme, et l’empêche, en tout ou en partie, de passer à l’acte». SALMANTICENSES, De gratia, disp. 2, dub. 4, n° 130; édit. Palmé, t. IX, p. 208. 1272 VI/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE ultime surnaturelle, sans être détourné de Dieu, Fin ultime naturelle»409410 . L’enfant non baptisé, détourné de sa Fin surnaturelle, lest donc aussi de sa Fin naturelle ; ce serait la raison pour laquelle, au moment de son premier acte libre, il est incapable d’aimer Dieu naturellement par-dessus toutes choses, sans un secours spécial de la grâce. Telle quelle, nous ne tenons pas cette raison pour satisfaisante. Sans doute, l’axiome en question vaut dans le cas d’une faute personnelle : je ne puis désobéir à Dieu, Fin surnaturelle, sans désobéir à Dieu, Fin natu­ relle, la loi naturelle prescrivant en effet de lui obéir quoi qu’il puisse ordonner. Mais si l’axiome était appliqué au péché originel, il faudrait dire que les enfants des limbes, éternellement privés de leur Fin surnaturelle, seraient éternellement privés de leur Fin naturelle, incapables d’aimer Dieu par-dessus toutes choses d’un amour natu­ rel, capables seulement d’aimer les choses créées et euxmêmes plus que Dieu110. Mais alors leur déordination 409. « In statu naturae lapsae, homo est avenus a Deo voluntate capitis et voluntate personali, eaque voluntate ad creaturam conver­ sus ». BillüART applique ce principe à l'enfant avant son premier acte de liberté. Loc. cit., p. 50. Cf. SALMANTICENSES, loc. cit., n° 141-143, pp. 214-215. R. Garrigou-Lagrange, De gratia, Turin, 1947, p. 410. 410. « La volonté de l’enfant touché par le péché originel est tour­ née habituellement, habitualiter conversa, vers son bien propre comme vers sa fin ultime ». SALMANTICENSES, loc. cit., n° 143, p. 215. Saint THOMAS écrit: «Dans le péché originel, il y a, non pas conversio au bien périssable, mais seulement aversio du bien impéris­ sable, ou plutôt quelque chose qui correspond à Vaversio à savoir la destitution de la justice originelle : c’est pourquoi le péché originel appelle, non pas la peine du sens, mais seulement la peine du dam, à savoir la privation de la vision divine ». De malo, qu. 5, a. 2. - Les SALMANTICENSES gloseront : dans le péché originel, il n’y a pas de conversio qui résulte de 1 essence même de ce péché ; mais il y a tout DE L’IGNORANCE AU DILEMME 1273 par rapport à Dieu s’accompagnerait d’une déordination par rapport aux créatures, qui appellerait infailliblement la peine du sens. Il n’y aurait, croyons-nous, qu’un moyen d’échapper à ces conséquences, que cependant personne n’admet telles quelles411 : ce serait de concevoir la vie des limbes comme un sommeil de toutes les activi­ tés spirituelles, une éternisation de l’inconscience du berceau412. de même une conversio, puisque la volonté ne peut demeurer en sus­ pens. Loc. cit. 411. Voir plus loin, p. 1276-1277. 412. Cette impasse est signalée par saint THOMAS, De malo, qu. 5, a. 3 : « Certains prétendent que les âmes des enfants qui meurent avec le péché originel tombent en de telles ténèbres d’ignorance quelles ne savent même pas qu’elles ont été faites pour la béatitude et n'en ont aucune idée. Ce serait la raison pour laquelle elles n’éprou­ vent aucune affliction. Mais nous ne croyons pas qu’on puisse accep­ ter ces vues. Ces enfants n’ayant point péché actuellement ou person­ nellement, rien ne leur est retranché des biens naturels. Or il est naturel à l’âme séparée d’avoir, non pas moins, mais plus de vigueur de connaissance qu’ici-bas ». On pourrait admettre, en suivant saint Thomas, I, qu. 89, a. 1 et 2, et De anima, a. 17 et 18, un certain « sommeil » dans les limbes avant la résurrection, mais relatif. Du point de vue philosophique, il apparaît en effet que ces âmes séparées ne pourront connaître qu’à la manière des anges, en prenant conscience de leur propre nature, et par le moyen d’idées quelles recevront des anges et de Dieu, mais qui, étant trop fortes pour elles, les éblouiront jusqu’à un certain point et les laisseront dans une connaissance en partie confuse et générale : en sorte que, si la condition et la connaissance des âmes séparées sont, sous un aspect, supérieures, la condition et la connais­ sance des âmes unies au corps sont au total préférables. Cependant, quand viendra la résurrection, elle trouvera les âmes des limbes confortées par le régime de vie séparée quelles auront traversé. Sur la vie de l’âme séparée dans une condition purement naturelle, cf.Jacques MaritàIN, «L’immortalité du Soi», dans De Bergson à Thomas d’Aquin, New York, 1944, p. 140 [O. C., VIII, p. 61]. 1274 VI/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE e) La solution adoptée : la nature humaine est blessée par rapport a l'univers présent 1. Il faut donc trouver une autre explication. L’enfant qui hérite du péché originel est détourné de Dieu, Fin ultime surnaturelle, mais il n'est pas encore détourné de Dieu, Fin ultime naturelle. Il ne s’en détournera que si, au moment de son premier acte libre, il choisit le mal ; alors ce choix mauvais et tous ceux qui suivront pèseront sur son cœur : il y aura conversio actuelle ou habituelle au bien périssable413. En attendant, il est seulement blessé'. c’est-à-dire que ses forces humaines restent inférieures à la totalité de la tâche humaine qui l’attend ; et que, lorsque viendra l’heure d’agir, il ne pourra, laissé à lui seul, que défaillir414. Voici, en conséquence, les données du problème à résoudre : avec les forces naturelles dont il dispose après avoir été touché par le péché originel, l’enfant ne serait pas blessé dans un univers de la nature pure ; il ne sera pas blessé dans l’univers des limbes ; il est blessé dans notre univers présent, concret, historique. La seule solution possible ne sera-t-elle pas d’affirmer que le poids de notre univers est plus lourd à porter pour une volonté humaine que le poids, soit d’un univers de la nature pure, soit de l’univers des limbes ? 2. Du point de vue de la théologie de l’histoire, cela est aisé à comprendre. L’univers de la création était prévu et aménagé pour un homme revêtu de la justice origi­ 413. Pour l’instant cette conversio n’est qu’un futurible. 414. «La notion d’acte libre inévitablement défaillant n’est pas contradictoire, pas plus que celle d’acte libre inévitablement bon dont les théologiens font usage à propos de l’impeccabilité du Christ et des bienheureux ». Jacques Maritain, « La dialectique immanente du premier acte de liberté », n° 4, dans Raison et raisons, Paris, 1947, p. 143 [O. C., IX, p. 3331. DE L’IGNORANCE AU DILEMME 1275 nelle, non pour l’homme de la nature pure. L’univers d’après la chute est univers de rédemption, il n’est pas non plus prévu et aménagé pour l’homme de la nature pure, il comporte une charge de lumière et une charge de mal que n’eût point connues un univers de la nature pure, il verra Jésus entrer en conflit avec la puissance amplifiée de celui qui est dénommé « le prince de ce monde» (Jean, XIV, 30), la nature entière apparaîtra à saint Paul comme assujettie au mal et attendant une délivrance (Rom., VIII, 20). Dans cet univers, les forces du mal sont prêtes à faire irruption partout où il y a brèche, partout où il y a « privation de la grâce ». A l’en­ fant de la nature pure, un autre univers eût été préparé ; en outre, la privation de la grâce ne l’eût pas effleuré. L’enfant né d’Adam entre dans un monde plus drama­ tique et plus déchiré ; en outre, étant privé de la grâce, il est en butte à de violents assauts du mal. 3. Nous retrouvons ici, en les rapprochant dans la même perspective, deux vues théologiques, l’une des Salmanticences et l’autre de Billuart, qui permettent, nous semble-t-il, d’expliquer adéquatement la blessure du péché originel et de fonder en même temps une exacte doctrine des limbes : Γ La première est développée par les Salmanticenses415. Ils distinguent avec netteté : a) notre état actuel, où le précepte d’aimer Dieu naturellement par­ dessus toutes choses sous-entend une acceptation indi­ recte du précepte de l’aimer même surnaturellement par­ dessus toutes choses. En effet, la loi naturelle me com­ mande d’obéir à Dieu quoi qu’il puisse ordonner et compte tenu d’une élévation éventuelle à la vie surnatu- 415. De gratia, disp. 2, dub. 4, n° 144-151 ; t. IX, pp. 215-219. 1276 VI/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE relie ; je pécherais en me refusant à cette exigence éven­ tuelle. Or, dans notre univers, cette éventualité est deve­ nue réalité. Le secours de la grâce, voire la présence de la grâce justifiante, me sera donc nécessaire pour aimer Dieu d’un amour même simplement naturel, mais qui inclue l’acceptation efficace indirecte de préceptes que la grâce seule me donnera d’accomplir ; b) l'état de nature pitre, où le précepte d’aimer Dieu naturellement par-des­ sus toutes choses ne sous-entendrait l’acceptation, même indirecte, d’aucun précepte surnaturel, et où les seules ressources naturelles de l’homme suffiraient à sa tâche416417 ; c) l'état des limbes, où l’amour naturel de Dieu n’a plus à sous-entendre, comme dans notre état de vie, l’acceptation de préceptes surnaturels, et où même il semble être davantage un acte « spontané » que l’accom­ plissement d’un « précepte »41 . Là, les âmes de ceux qui furent des enfants, sans avoir besoin d’aucun secours de la grâce, aiment et aimeront par-dessus toutes choses Dieu qui sera leur fin naturelle. 416. Dans l’état de pure nature, disent les Salmantiœnses, ibid., n° 140, p. 213, où nul précepte surnaturel n’eût été imposé aux hommes, nul n’eût été enfreint : impossible d’enfreindre ce qui n’existe pas. Il eût donc été possible aux hommes de former un pro­ pos efficace d’observer tous les préceptes dictés par la lumière natu­ relle, et plus généralement tous les préceptes divins sans restriction : donc celui d’aimer Dieu naturellement par-dessus toutes choses. Mais, ajoutent ces théologiens, il faut raisonner différemment dans l’hypothèse d’un homme qu’attendent des préceptes et des secours naturels. Chez un tel homme, il n’y aura acceptation intégrale des préceptes naturels par la volonté, que s’il y a acceptation simulta­ née, sur un plan supérieur, des préceptes surnaturels par la grâce. 417. « Tout ce qui se fait dans le status termini, soit par les enfants des limbes soit par les bienheureux, est plus l’effet d’une inclination -de la nature ou de la grâce - que l’accomplissement d’un précepte ». Ibid.,tf 148, p. 217. DE L’IGNORANCE AU DILEMME 1277 Selon cette vue des Salmanticenses418, la blessure du péché originel, l’infirmité de la nature humaine à l’égard de son bien moral, n’a trait qu’aux conditions de l’exis­ tence charnelle dans le temps. Elle ne concerne pas la vie des limbes. 2° Une vue complémentaire est développée par Billuart419. L’atténuation de nos forces morales est, dit-il, «attribuée non sans vraisemblance par certains théolo­ giens à l’empire et à la tyrannie du diable. On est esclave, dit l’Écriture, de celui par qui on s’est laissé vaincre (II Pierre, II, 19). Le Concile de Trente frappe d’anathème ceux qui prétendraient que le premier homme, en transgressant la loi de Dieu, ria pas été Livré, en meme temps qu’à la mort, à Γempire de celui qui a désormais pouvoir sur la mort, à savoir le diable 420. Cette captivité, qui est un effet du péché, n’aurait pas existé dans l’état de nature pure. Le diable exerce sa tyrannie en sollicitant au mal de mille manières ceux qui lui sont soumis, leur proposant au-dehors des pièges, enflam­ mant leur imagination, excitant leurs passions, etc. Et bien qu’il eût pu tenter l’homme de la nature pure - n’at-il pas tenté l’homme de la justice originelle ? — il est vraisemblable qu’il exerce maintenant sa tyrannie avec une puissance et une efficacité accrues, et que c’est là, Dieu le permettant, une conséquence du péché ». Mais cette tyrannie ne franchira pas le seuil des limbes, et les enfants y pourront aimer Dieu d’un amour libre et désentravé. 418. On peut, croyons-nous, l’adopter sans être contraint de dire, avec ces auteurs, que, chez l’enfant touché par le péché originel, il y a conversio au bien périssable. 419. De gratia, dissert. 2, a. 3 ; t. III, p. 51. 420. Session V, can. 1, Denz., n° 788. 1278 VI/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE f) Le point d'insertion de la grâce dans la nature S’il est vrai que notre univers historique, étant un uni­ vers de rédemption, est prévu et aménagé, non pour un homme de la nature pure, mais pour des hommes que la grâce aura du même coup à relever dans leur propre vie et à ressusciter à la vie divine ; s’il est vrai que, dès son premier acte libre, l’enfant ne peut déployer pleinement les ressources de sa nature sans être guéri par un secours qui en outre le ressuscite à la grâce et le divinise, on comprend à quel point, dans notre présent univers, la nature et la grâce s’enchevêtrent et se fondent en quelque sorte l’une dans l’autre. La blessure du péché originel, la privation de la grâce sanctifiante, ouvre en nous une brèche dans laquelle il est nécessaire que s’engouffre la surnature, celle de la grâce ou celle du péché mortel. Ceux des scolastiques qui, méconnaissant la profon­ deur de la blessure originelle, se contentaient d’opposer l’homme déchu et l’homme de la nature pure sicut nuda­ tus a nudo, perdaient de vue le point d’insertion de la grâce dans la nature, et risquaient d’imaginer une nature humaine close sur elle-même à laquelle la grâce viendrait se superposer sans la pénétrer. Ils préparaient la réaction de théologiens qui, désireux aujourd’hui d’insister sur la compénétration de la nature et de la grâce, pensent pou­ voir introduire dans la nature une postulation incondi­ tionnelle de la grâce et de la vision divine. g) Parallèle entre l'enfant des limbes et l'enfant de la nature pure: la carence de la grâce et de la vision divine Essayons de comparer la condition de deux enfants, 1 un ne d Adam, et 1 autre que nous imaginerons créé dans l’état de pure nature. Quels sont leurs rapports res­ pectifs à la grâce et à la vision divine ? DE L’IGNORANCE AU DILEMME 1279 Ni l’un ni l’autre n’a la grâce et n’aura la vision béatifique. Mais chez le second enfant, ce serait pure absence. Tandis que chez le premier c’est privation d’un privilège qui par la bonté divine devait lui échoir. « Un homme dans l’état de nature pure, dit saint Thomas, n’aurait pas, après sa mort, la vision divine, mais ce ne serait pas une sanction : autre chose est de n’avoir pas un droit, ce qui n’est qu’un manque, non pas une peine ; autre chose d’être privé d’un droit, ce qui est une peine »421. Rappelons que le mot de « privation » lui-même n’a pas le même sens pour un adulte et pour un enfant. Chez l’adulte, le péché est un refus personnel, qui s’ins­ crit en creux dans son libre arbitre : en conséquence, la privation de la grâce est connue, et la privation de la vision béatifique torturante. Chez l’enfant, au contraire, le péché n’est pas un refus personnel, pervertissant son libre arbitre : en conséquence, la privation de la grâce n’est pas connue et la privation de la vision béatifique n’est pas torturante. En outre, l’enfant, ne s’étant pas tourné perversement vers les choses créées, ignore la peine du sens422. 421. De malo, qu. 5, a. 1, ad 15. Même pensée un peu plus haut, qu. 4, a. 1, ad 14 : l’absence de la vision divine, chez l’homme in solis naturalibus ne serait qu’un manque·, chez l’homme touché par le péché originel ou actuel, elle est une privation. — P.-A. WÀLZ place le De malo entre les années 1269-1272. Il est donc contemporain de la PII*, 1269-1270. Dictionnaire de Théologie Catholique, «Thomas d’Aquin », col. 639. 422. La peine du dam correspond à l’abandon de Dieu, la peine du sens à la conversion désordonnée vers les choses créées. Dans le péché originel, il y a bien, chez l’enfant, perte de la justice originelle, mais non pas conversion désordonnée vers les choses créées. C’est pourquoi « le péché originel ne comporte pas de peine du sens, mais seulement la peine du dam, à savoir la privation de la vision divine ». De malo, qu. 5, a. 2. - Cf. le « citra poenam ignis » dans la condam­ nation de la 26e erreur du Synode de Pistoie, Denz., n° 1526. 1280 VI/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE Cette doctrine de la coexistence aux limbes d’une infi­ nie et irrémédiable privation non connue comme telle, et pourtant d’un grand bonheur, est de saint Thomas: « Certains, dit-il, ont pensé que les enfants ressentiront une douleur ou affliction intérieure, dolorem vel afflictio­ nem interiorem, de la privation de la vision divine, sans que cette douleur puisse être cependant assimilée à un remords, au ver rongeur, vermis conscientiae... Mais d’autres pensent plus justement qu’ils n’éprouveront aucune affliction ni extérieure ni intérieure, nullam afflictionem etiam interiorem... Les âmes des enfants ne sont pas privées de la connaissance naturelle, due à l’âme séparée en raison même de sa nature ; elles ne sont pri­ vées que de la connaissance surnaturelle, plantée en nous ici-bas par la foi : elles n’ont en effet, ici-bas, ni fait acte de foi ni reçu le sacrement de la foi. Or, en vertu de la connaissance naturelle, l’âme sait quelle est créée pour la béatitude, propter beatitudinem, et que la béatitude consiste dans l’obtention du bien parfait, in adeptione perfecti boni. Mais, que ce bien parfait, auquel l’homme est destiné, soit cette gloire que possèdent les saints, cela est au-dessus de la connaissance naturelle. L’apôtre déclare que l’œil n’a pas vu, ni l’oreille entendu, ni le cœur découvert ce que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment. Et il ajoute : pourtant Dieu nous l’a révélé par son Esprit, I Cor., Il, 9. Or, cette révélation relève de la foi. Aussi les âmes des enfants ne connaissent pas de quel bien elles sont privées, et c’est pourquoi elles n’en souf­ frent pas. C’est sans douleur quelles possèdent ce qui leur revient par nature»423. Elles pourront connaître imparfaitement et indirectement l’existence d’un monde supérieur à elles, d’où leur arriveront des messages et des lumières, mais dont elles ne se sentiront pas privées. 423. De malo, qu. 5, a. 3. Ki '— DE L’IGNORANCE AU DILEMME 1281 A la question de savoir si, en fin de compte, les âmes sont, dans les limbes, séparées de Dieu ou unies à lui, saint Thomas répond, dans le De malo, qu. 5, a. 3, ad 4 : « Les enfants qui meurent avec le péché originel sont à jamais séparés de Dieu, si l’on regarde à la perte d'une gloire qu'ils ignorent} mais non, si l’on regarde à la posses­ sion des biens naturels qu'ils connaissent »424425 . b) Le désir de voir Dieu Ni l’enfant né d’Adam, ni l’enfant que nous imagi­ nons créé dans l’état de nature pure, ne peut avoir dans l’au-delà la connaissance (surnaturelle) de Dieu comme Trinité, et donc le désir (surnaturel) de voir Dieu, comme Trinité, ce qui est proprement le désir de la vision béatifique42'. Mais l’un et l’autre auront le désir (naturel) de voir Dieu, comme Cause première de l’univers. C’est là un désir qui, à la réflexion, apparaîtra comme conditionnel, voire comme irréalisable. Ce n’est pas cependant un désir artificiel, comme celui d’avoir une paire d’ailes ; c’est un désir profond, inéluctable, naturel (ce mot étant opposé cette fois à ce qui est artificiel, arbitraire, sans 424. Saint THOMAS reprend ici ce qu’il avait écrit II Sent., dist. 33, qu. 2, a. 2, ad 5 : « Bien que les enfants non baptisés soient séparés de Dieu, si l’on songe à l’union qui résulte de la lumière de gloire, ils n’en sont pas cependant séparés complètement, ils lui sont au contraire unis, par la possession des biens naturels : en sorte qu’ils pourront être heureux en lui par la connaissance et l’amour naturels, etiam de ipso gaudere poterunt naturali cognitione et dilectione·». — PA. WALZ place le commentaire des Sentences entre les années 12531255. 425. SYLVESTRE DE Ferrare admet l’existence d’un désir naturel de voir Dieu, en tant qu’il est Cause première du monde, mais non pas en tant qu’il est Objet de la béatitude surnaturelle. III Contra Gent., ch. LI, n° 2. Sur cette distinction, voir Jacques Maritain, Les degrés du savoir, 1932, p. 562, note 1 [O. C., IV, p. 773]. 1282 \Π/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE racines dans le cœur même de l’homme), qui travaillera leur âme : non pas sans doute comme une douleur, mais néanmoins comme une espèce de nostalgie. Au deuxième livre des Sentences, saint Thomas demande « si les enfants non baptisés éprouveront dans leur âme quelque affliction spirituelle » ? La réponse est négative. « Ces enfants n’ont jamais été proportionnés à la vie éternelle : elle ne leur était due ni en raison des principes de la nature, ni en raison d’un acte personnel qui aurait pu les proportionner à un si grand bien. Aussi ne souffriront-ils absolument pas, nihil omnino dolebimt, de la privation de la vision divine ; au contraire, ils se réjouiront de tout ce qu’ils participeront de la bonté divine dans les biens naturels »426. On objecte qu’ils vou­ dront avoir la vision divine et qu’ils souffriront qu elle ne leur soit pas donnée. Saint Thomas répond : « Une volonté pleine et ordonnée, ordinata et completa, ne peut être que d’un bien auquel nous sommes en quelque sorte ordonnés, et si ce bien nous manque nous souffrons. Mais nous ne souffrons pas que soit frustrée en nous cette volonté des choses impossibles, qui est mieux nom­ mée velléité que volonté »427. Ainsi les enfants dans les limbes ne sont pas ordonnés à la vision de Dieu Trinité, comme à une béatitude pos­ tulée par leur nature : et c’est pourquoi ils ne souffriront pas d’en être privés. Mais ils auront le désir de la vision de Dieu Cause première : et c’est pourquoi on peut par­ ler de nostalgie428. 426. Disc 33, qu. 2, a. 2. 427. Ibid., ad 2. 428. A propos de l’étude de L. Malevez, « L’esprit et le désir de Dieu », dans Nouvelle Revue Théologique, janvier 1947, pp. 3 et suiv., rappelons la position traditionnelle des thomistes, suivant laquelle le désir naturel de voir Dieu : DE L’IGNORANCE AU DILEMME 1283 Suite de la note 428 : 1° est un désir conditionnel (le Père Malevez le dit très bien, pp. 11 et 26) ; traduisons : un élan, une aspiration vers la vision directe de la Cause première, si cela est possible, pour autant que cela est réalisable. Ajoutons (en nous séparant peut-être du Père Malevez, pp. 11 et 28) qu’il est impossible qu’un esprit créé connaisse la Cause première de l’univers sans aspirer à la voir directement, si la chose est réalisable; et que le bienfait incomparable que représenterait cette réalisation éventuelle éclate aux yeux de toute nature. Mais peut-être qu’à l’expérience ce désir se révélera irréalisable, contradictoire ? Icibas, on peut supposer qu’il n’en est rien. N’est-ce pas lui qu’on ren­ contre, en effet, même chez les sages et les prudents ? Dès lors, il n’est pas vraisemblable qu’il soit contradictoire, et frustré : toutefois la rai­ son ne saurait démontrer rigoureusement cette conclusion. Peut-être d’ailleurs ce désir des sages et des prudents n’est-il si fort en eux que parce qu’il y est doublé et soutenu par une motion secrète de la grâce qui, elle, sait quelle tend à la vision béatifique ? Dans les limbes, le désir de voir la Cause première apparaîtra du moins privé de la grâce et dans sa nudité. Il y sera plus évident qu’il est frustrable. Qu’il n’y soit pas exaucé n’y sera pas une souffrance. La présence au-dessus de la fin ultime accessible aux enfants, d’une béatitude qui leur paraîtra inaccessible, à laquelle ils ne sauront pas qu’ils étaient primitivement destinés, aura, si l’on veut, pour effet de les agiter, de les rendre irre­ quieti, c’est-à-dire de les mettre en mouvement : parlons, faute de mieux, d’une nostalgie. Sur un tout autre plan sans doute, mais ce rapprochement peut éclairer, rappelons-nous que les élus aiment Dieu tout entier, mais non pas totalement, autant qu’il est aimable ; dira-t-on que l’existence d’une infinité de bonté, qui déborde la prise concrète de leur propre amour, reste sans effet sur eux ? 2° n’est pas, comme le pense pour son compte le Père de Lubac, une postulation inconditionnelle et absolue, à savoir une postulation inscrite dans notre nature même, qui se porterait sur son terme abso­ lument, et que la grâce sanctifiante et plus tard la lumière de gloire auraient donc, non pas à faire naître en nous, mais simplement à conserver et à épanouir (Malevez, pp. 9 et 10). Le Père DE LUBAC écrit, Surnaturel, Études historiques, Paris, 1946, p. 459 : « La notion d’une fin naturelle extra terrestre est absente de l’œuvre de saint Thomas... Jamais notre saint docteur n’a imaginé un bonheur tel qu’il sied à des âmes séparées ou dans un ordre naturel. Il ne s’agit là que d’une abstraction forgée plus tard par des théologiens qui 1284 VI/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE i) Le désir de ressusciter La résurrection trouverait-elle place dans l’état de nature pure ? Répondons que « dans la mesure où elle se rapporte à la partie spirituelle du tout humain, à l’âme, l’aspiration à ne pas mourir est connaturelle à l’homme, et elle ne peut pas être frustrée. Dans la mesure où elle se rapporte au tout lui-même, à la personne humaine com­ posée de l’âme et du corps, cette aspiration est une aspi­ ration transnaturelle429, elle peut être frustrée. Nous la voyons à chaque instant frustrée. Cependant elle a beau souffrir le plus évident et le plus universel démenti, elle reste présente en nous, elle en appelle à on ne sait quelle puissance, elle en appelle au principe même de l’être pour on ne sait quelle sorte d’accomplissement par delà la mort... »430. Cette aspiration transnaturelle serait-elle finalement exaucée ? Si oui, ce serait par un miracle. Ce miracle aurait pour seule fin de rendre l’homme à la plé­ nitude de sa nature431 : « miracle d'ordre naturel (surna­ turel quoad modum) appelé par Γincomplétude natu­ relle de l’âme séparée ». Il ne serait question ni du Christ ni d’une conformation au Christ. Mais quand Dieu, surélevant miraculeusement les forces de la nature pour les faire aboutir sur leur propre n’avaient plus les mêmes soucis que lui ». Dans ce cas, selon saint Thomas, les enfants qui sont aux limbes porteraient en eux une pos­ tulation absolue, à jamais frustrée, de la vision béatifique, dont ils sauraient, au moins confusément, qu’elle est leur vraie fin dernière, et leur désir de nature déboucherait sur un vide éternel. 429. Un désir naturel à la personne en tant que personne, peut être transnaturel et frustré dans la personne en tant qu’humaine. 430. Jacques Maritain, « L'immortalité du Soi », dans De Bergson à Thomas d’Aquin, New York, 1944, p. 133 [O. C., VIII, p. 55]. 431. S. Thomas, IVSent., dist. 43, qu. 1, a. 1, quaest. 3, et ad 4, où l’on voit que l’univers de la nature aurait besoin d’un miracle pour s’achever dans la résurrection (cf., Suppl., qu. 75, a. 3 et ad 4). DE L’IGNORANCE AU DILEMME 1285 plan à l’achèvement de l’univers, ressuscitera les enfants des limbes, ce sera d’abord et avant tout pour les rassem­ bler autour du Christ et pour les conformer à lui, non sans doute en tant qu’il est principe de la grâce et de la gloire, mais en tant qu’il est devenu, dès l’incarnation, le Chef de toute l’humanité432. Le péché originel entraîne pour eux la mort, mais n’exige pas qu’ils en restent cap­ tifs433. En prenant notre nature pour la ressusciter en lui, le Christ est devenu la cause efficiente et exemplaire de la résurrection de tous les hommes, même des enfants des limbes et même des réprouvés qui lui seront configu­ rés, du moins en ceci qu’ils seront par lui rendus pour toujours à la plénitude de leur nature spécifique434. 432. « Les bons et les mauvais sont tous configurés ici-bas au Christ par la constitution de leur nature, sinon par la grâce ; tous lui seront donc configurés plus tard quant à la reconstitution de la vie naturelle, et les bons seuls en outre quant à la ressemblance de la gloire ». S. Thomas, ibid., dist. 43, qu. 1, a. 1, quaest. 2, ad 3. 433. Ibid., ad 4. 434. « Propter conformitatem naturae ad ipsum ». Ibid., ad 5. Dans la Somme, III, qu. 56, a. 1, ad 3, il est dit que la résurrection glorieuse du Christ est cause efficiente des bons et des mauvais, et cause exemplaire des bons seulement. C’est à tort qu’on cite sans explications, à propos des enfants des limbes, IVSent., dist. 47, qu. 1, a. 3, quaest. 1, ad 3 {Suppl., qu. 89, a. 5, ad 3), où saint Thomas dit que « les enfants morts avant l’âge adulte», et qui n’ont pu ni mériter ni démériter, comparaîtront néan­ moins au jugement « pour voir la gloire du Juge ». En propre, ce texte ne vaut que pour ceux de ces enfants qui auront reçu le baptême ou ce qui l’annonçait. Il vaut pour les autres aussi, mais directement en ce sens qu’ils éprouveront et manifesteront, en ressuscitant, les effets du triomphe final du Christ. Rien n’empêche d’ailleurs que le Christ en gloire, connu imparfaitement et comme du dehors, apparaisse parfois dans leur firmament comme un astre éblouissant. 1286 VI/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE j) La signification des limbes Nous avons dit que les enfants des limbes sont en dehors de l’Église sans 1’avoir jamais déchirée. Ils seront éternellement dans l’ignorance invincible, dans l’« infide­ litas negativa » des anciens. Et cependant l’influence de la résurrection du Christ se fera sentir jusqu’à eux. Cela seul suffirait à nous faire entrevoir que, bien qu’ils soient pour toujours exclus de l’ordre de la grâce, ils ne sont pas pour autant exclus de l’économie du royaume de la fin des temps. Pour tourner les regards vers cette divine perspective, pour préciser aussi ce qui sépare la félicité naturelle des âmes des limbes de la béatitude surnaturelle des élus, transcrivons cette citation finale : « Elles aimeront Dieu plus qu’elles-mêmes, d’un amour naturel parfait dans son genre, incapable d’at­ teindre à la communauté de vie avec Dieu, mais qui néanmoins chérira plus que tout le Tout. Pour ces créa­ tures-là sera réalisé ce qu’on nomme très improprement la « béatitude » philosophique ou naturelle, celle que Leibniz appelait un chemin par des plaisirs - et qui n’est pas la béatitude, car ce mot désigne le bonheur absolu (donc surnaturel) ; disons donc la félicité naturelle, bon­ heur en mouvement, connaissance naturelle de Dieu, contemplation philosophique qui grandira sans terme et n’atteindra jamais l’essence divine en elle-même. L’amour naturel qui l’accompagne grandissant sans doute aussi sans fin, dans son ordre. » Mais si grand que puisse être l’amour naturel de Dieu, il n’atteindra jamais au plus petit grain de charité. Est-ce qu’un seul bien de la grâce ne vaut pas plus que tous les biens de la nature réunis ? De ces biens de la grâce, de la vie éternelle, les âmes dont nous parlons res­ teront éternellement privées. Leur félicité n’est pas la béatitude, elle en reste infiniment loin, elles sont rivées DE L’IGNORANCE AU DILEMME 1287 au relatif, elles ne connaîtront jamais le bonheur absolu. C’est pourquoi, tout en étant comblées de tous les biens auxquels la nature a droit quand elle est droite, tout en jouissant de la félicité selon la nature, elles sont « dam­ nées », « perdues » (et voilà que nous apparaît la polyva­ lence analogique de ces vocables), elles habitent l’hémi­ sphère de la nuit, l’enfer — la région supérieure des enfers. Ni feu, ni peine de sens. La peine du dam - la peine de ne pas voir Dieu - dont elles ne souffrent pas d’une manière afflictive, parce que: 1° il n’y a pas en elles les aspirations inconditionnées de la grâce, comme dans les âmes du purgatoire (elles n’ont jamais eu la grâce) ; 2° elles ne sont pas envieuses, et ayant ellesmêmes tout ce que leur nature comme telle peut récla­ mer, se réjouissent plutôt du bonheur des élus. Mais c’est une peine quand même, eu égard à la destination du genre humain, et à la faute d’Adam. Felix culpa quand même : car sinon elles, du moins leurs sœurs plus heureuses, bien-heureuses, ont profité de la rédemption que cette faute a attirée. Et elles sont heureuses que leurs sœurs soient bienheureuses, et elles admirent et aiment Jésus - d’un amour naturel - comme elles aiment la Beauté et la Bonté. Et les saints anges - qui peuvent franchir le chaos, et qui éclairent comme des étoiles la nuit des limbes - leur racontent les histoires du paradis. » O petits enfants morts sans baptême, réprouvés qui n’avez jamais fait le mal, vous n’êtes pas un accident dans l’économie divine, un cas singulier dont les théologiens, pressés de-ci de-là, se tirent comme ils peuvent, une parenthèse insignifiante. Votre rôle est grand ; et votre destinée bien déterminée, bien significative. Vous êtes les prémices de la félicité naturelle, de la nature divinement restituée ».[Extrait d’un texte, alors inédit, de J. Maritain : cf. O. C., XIII, pp. 460-464.] 1288 VI/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE 5. Les adultes normaux : selon certains théologiens, ils pourraient être dans l’ignorance invincible absolue L’ignorance invincible des premières données de la foi peut-elle s’étendre jusqu’aux adultes qui d’un point de vue humain apparaissent normaux ? Il s’est trouvé à toutes les époques des théologiens pour le penser. Leurs préoccupations n’étant pas identiques, ils se sont engagés dans des voies divergentes. On peut en signaler trois. a) L'hypothèse de la nature pure et des limbes des adultes Selon certains apologistes comme Trithème, Claude de Seyssel, Lenoir, il y aurait, dans les régions où le christianisme n’a pas été prêché, des adultes qui, usant de leur libre arbitre, observeraient par leurs propres forces, sans que la grâce divine ait à les guérir d’aucune blessure, tous les préceptes de la loi naturelle. Après leur mort, ils entreraient dans une félicité naturelle, pareille à celle des enfants morts sans avoir usé de la raison. Il fau­ drait imaginer pour eux, comme dans la Divine Comédie43\ des limbes d’adultes435 436. b) L'hypothèse de peuples qui seraient adultes culturellement sans l'être spirituellement Elle apparaît comme hypothèse fictive chez le cardinal Sfondrate*3 , comme possible chez Bergier438, Actorie, Balmès439, comme probable chez Saint-Georges Mivart440 435. Inferno, II, 30. 436. Cf. Louis CAPÉRAN, Le problème du salut des infidèles, Toulouse, 1934,1.1, pp. 220, 480. 437. Ibid., pp. 358 et 361. 438. Ibid., p. 430. 439. Ibid., p. 512. 440. Ibid., p. 484. DE L’IGNORANCE AU DILEMME 1289 et le cardinal Billot441. Dans l’ordre spirituel, disait ce dernier, la condition d’adulte ne commence qu’à partir du moment où la raison est parvenue à la connaissance de Dieu et de sa loi. Mais, continuait-il, des multitudes innombrables ne sortent pas de l’ignorance invincible du vrai Dieu et de sa loi. Elles ne sont pas adultes au sens moral ou théologique. «Au sein même des civilisations les plus brillantes, comme furent celles de Rome, d’Athènes, de Babylone, et tant d’autres, il n’y avait plus, pour la grande masse, possibilité aucune d’arriver à la notion du vrai Dieu et de sa loi ; c’était donc l’ignorance invincible, avec toutes les conséquences qui s’ensuivent, au point de vue de la responsabilité morale et des sanc­ tions de la vie future »442. A ces foules spirituellement et moralement dans l’enfance, sont réservés les limbes des enfants. Il est peu vraisemblable que l’usage de la raison requis pour la vie en société — relativement assez développé puisqu’il suppose un certain sens du bien et du mal, de l’autorité et de la liberté, du droit, de la justice, du dévouement, etc. - n’ait pas commencé par l’acte de «délibérer de soi-même», dont saint Thomas dit qu’il est le premier qui s’offre à l’homme adulte. Si les auteurs dont nous parlons ont cru pouvoir en douter, c’est peutêtre parce qu’ils pensaient que cet acte exigeait une connaissance conceptuelle et en quelque sorte réflexe de Dieu et de sa loi. Nous verrons au contraire qu’une connaissance spontanée et préconceptuelle y peut suffire. 441. ζω,ρ. 512 ; t. II, p. 34. 442. Ibid., 1.1, p. 515. 1290 VI/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE c) Lhypothèse d'adultes qui seraient dans une igno­ rance invincible absolue de la foi, mais capables pour­ tant de péchés mortels 1. Saint Thomas parle d'adultes, capables de péché et de damnation, qui, en raison du péché originel, vivent dans une ignorance invincible des données de la foi. Estce ignorance même des premières données de la foi, comme l’ont cru certains thomistes ? Est-ce ignorance seulement des mystères de la foi chrétienne, de la Trinité et de l’incarnation rédemptrice, comme le pensent d’autres commentateurs ? Voici deux textes de la Somme théologique. Dans le premier443, saint Thomas rappelle qu’il est nécessaire de croire quelque chose explicitement pour être sauvé444. Mais il est impossible de croire sans prédi­ cateurs (Rom., X, 14-15). Et s’ils font défaut? Seronsnous tenus à l’impossible ? La réponse est que « nous sommes, en effet, tenus à bien des choses qui nous sont impossibles sans la grâce réparatrice : à aimer Dieu et le prochain, à croire les articles de la foi, etc. Mais ces choses deviennent possibles avec le secours de la grâce. Est-il donné d’en haut, saint Augustin dira que c’est miséricorde. Est-il refusé, c’est justice, en punition d’un péché précédent, ou du moins du péché originel ». Le second texte445 est celui où, après avoir distingué l’infidélité par pure négation et l’infidélité par contra­ riété, saint Thomas ajoute : « L’infidélité négative, telle qu’on la trouve en ceux qui n’ont rien entendu de la foi, 443. II-II, qu. 2, a. 5, ad 1. Écrit vers 1271. 444. C’est la croyance conceptuelle, à laquelle pense saint Thomas, qui se divise en explicite et implicite. Avant elle, il y a place, nous le verrons plus loin, pour une croyance préconceptuelle, vraiment actuelle et formelle, mais qui est, à proprement parler, antérieure à la division en explicite et en implicite. 445. II-II, qu. 10, a. 1. DE L’IGNORANCE AU DILEMME 1291 qui nihil audierunt de fide, est non pas un péché, mais plutôt une peine : une telle ignorance des choses divines est, en effet, la conséquence du péché du premier homme. De tels infidèles se damnent en raison d’autres péchés, qui ne peuvent être remis sans la foi ; mais ils ne se damnent pas en raison d’un péché d’infidélité. Quand Jésus dit : Si je n’étais pas venu, et que je ne leur eusse point parlé, ils seraient sans péché (Jean, XV, 22), cela signifie, selon saint Augustin, qu’ils seraient, non pas sans aucun péché, mais sans ce péché qui est de ne pas croire en le Christ venu ». 2. Faut-il dire que, selon saint Thomas, il y a des adultes à qui les « prima credibilia » ne sont jamais pro­ posés, et qui, de ce fait, sont écartés d’emblée de l’appar­ tenance à l’Eglise ? que cette ignorance est la consé­ quence lointaine du péché originel sans lequel tous les hommes sans exception seraient nés dans la grâce origi­ nelle et la foi446 ? que la grâce suffisante pour croire et être sauvé est sans doute donnée, cest-à-dire comrmmément offerte à tous les hommes dans la Rédemption et dans la prédication de l’Eglise, mais quelle n’est pas don­ née, cest-à-dire concrètement appliquée à chaque homme particulier, quelle est au contraire concrètement refusée à certains par un effet de la réprobation ? Il est des théo­ logiens de l’âge baroque, parmi lesquels Jean de SaintThomas, qui n’ont pas reculé devant ces consé­ quences44 . Nous ne les suivrons pas448. 446.1, qu. 100, a. 1. 447. « Le secours suffisant pour le salut est refusé à certains quant à Γapplication et la réception en eux d’un tel secours. Je crois vraie la doctrine que formulent ici Banez et Gonzalez : si l’expression donner un secours suffisant implique que ce secours soit reçu, si elle signifie que le secours est donné par Dieu de telle manière qu’il soit reçu et appliqué en l’homme, - alors il faut dire que le secours suffisant n’est 1292 VI/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE 6. Les adultes normaux sont fidèles ou infidèles: l’ignorance invincible absolue est impossible pour eux Les premières données de la foi, sans lesquelles les adultes ne sauraient faire acte de foi ni être sauvés, leur sont toujours concrètement proposées de quelque ma­ nière. Elles seront donc toujours ou acceptées ou refitsées\ jamais purement et simplement ignorées. L'ignorance invincible (ou infidélité négative) n’est possible chez les adultes qu’à l’égard des vérités explicites du message chrétien449. pas donné à tous les hommes. Mais si donner signifie simplement offrir, — alors le secours suffisant est de la part de Dieu proposé et offert à tous les hommes... La dénégation par Dieu du secours suffi­ sant pour parvenir au salut est un effet de la réprobation. Elle est, en effet, la peine d’un péché, au moins du péché originel, comme saint Thomas l’enseigne quand il parle de l’infidélité négative. C’est donc bien une dénégation punitive et réprobative ». I, qu. 24 ; Vives, disp. 10, a. 3, nos 33 et 37, t. III, pp. 876 et 879 ; Solesmes, disp. 30, a. 3, n“ 33 et 37, t. III, pp. 563 et 566. Nous pensons qu’il faut discuter à part — encore que saint Augustin lui-même les bloque, par exemple dans le De correptione et gratia, n° 12 -, le problème de la privation de la grâce chez les petits enfants, qui meurent avec le seul péché originel, et le cas des adultes qui, sans la grâce, pécheraient mortellement. Ici et là, les notions de péché et de damnation ne s’appliquent pas univoquement. 448. La grâce suffisante est-elle seulement offerte à tous du dehors, ou est-elle reçue au-dedans de chaque adulte ? Les SALMANTICENSES, qui semblent hésiter, résolvent finalement la question de la bonne manière : les secours divins surnaturels nous sont, disent-ils, non seu­ lement promis et préparés, mais ils sont effectivement conférés à tous ceux qui arrivent à l’âge de raison, en sorte qu’il dépendra d’eux d’ac­ complir la loi et qu’ils seront coupables de s’y soustraire. De gratia, disp. 2, dub. 4, n° 133, Palmé, t. IX, p. 209. Ces premiers secours divins contiennent-ils déjà la grâce de la foi, et peut-on les refuser sans être positivement infidèle ? C’est une question qu’il faudra poser. 449. C est la pensée de nombreux théologiens. Citons parmi les thomistes BlLLUART, De Deo, dissert. 7, a. 8, solv. obj. ; édit. Brunet, t. I, p. 293 : « Beaucoup d infidèles manquent sans doute de ce DE L’IGNORANCE AU DILEMME 1 293 Saint Thomas ne peut vouloir dire que des adultes soient exclus de la foi en raison du seul péché originel. Les passages que nous avons cités ne peuvent être en désaccord avec ceux où il enseigne ex professo qu’au seuil de l’âge adulte l’homme est mis en demeure de délibérer de lui-même et que, s’il fait ce qui est en lui, il reçoit la grâce de la foi. Son premier texte450 parlait d’un secours surnaturel qui est, soit donné par miséricorde, soit refusé par jus­ tice, en punition d’un péché antérieur, ou du moins du péché originel. Le secours qui n’est pas offert à tous, explique Billuart, c’est la grâce d’une foi explicite aux mystères de la Trinité et de l’incarnation ; ce n’est pas la grâce d’une foi implicite en ces mêmes mystères en tant que contenus dans les « prima credibilia ». Ceux-ci sont secours suffisant prochain qu’est la prédication évangélique. Mais ils ne manquent pas d’un secours éloigné. Il n’y a pas chez les infidèles un seul adulte qui soit privé du secours capable de l’amener à une cer­ taine connaissance de Dieu, de le tourner vers ce Dieu dans la mesure où il le découvre. Si donc il se tourne vers Dieu selon qu’il le peut, il faut tenir en toute certitude, dit saint Thomas, De veritate, qu. 14, a. 11, ad 1, que Dieu, ou bien lui révélera par une inspiration inté­ rieure les choses nécessaires à croire, ou bien lui enverra un messager, comme il envoya Pierre à Corneille. » Il ne s’ensuit aucunement qu’il n’y ait pas d’infidélité négative. Car, encore que les hommes dont nous parlons puissent avoir quelque connaissance imparfaite de Dieu et savoir par exemple son existence et sa providence salvatrice selon Hébr., XI, 6, en sorte qu’ils pécheraient en ne se tournant pas vers Dieu dans la mesure où ils le connaissent, ils ne pèchent aucunement en ne croyant pas explicite­ ment d’autres vérités pourtant nécessaires, comme la Trinité et l’incarnation, qui ne leur ont pas été explicitement proposées. Ils sont ainsi dans l’infidélité négative, non par rapport aux premières données de la foi, mais par rapport à ces autres vérités, quamvis res­ pectu primorum credibilium non sit infidelis negative, est tamen respectu istorum ». 450. II-II, qu. 2, a. 5, ad 1. 1294 VI/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE proposés en effet à chaque adulte par une grâce interne451. Son second texte452453 doit s’entendre des hommes qui n’ont pas connu la prédication de la foi chrétienne. C’est par rapport à la Trinité et à l’incarnation rédemptrice qu’ils sont dans l’ignorance invincible. Mais Dieu a pu leur manifester les premiers « credibilia ». Comme exemple de l’ignorance dont il parle, saint Thomas cite celle des Juifs d’avant le Christ. Dieu ne leur reprochera certainement pas de n’avoir pas professé explicitement la foi chrétienne. Ils risquaient cependant de tomber dans des fautes dont elle les eût gardés ou délivrés. Et leur ignorance était bien une peine du péché originel, sans lequel tous les hommes eussent pleinement connu les vérités divines concernant leur condition"'. Il reste que cette ignorance n’excluait a priori ni la foi ni une cer­ taine appartenance même salutaire à l’Église. 7. Conclusions Ainsi l’ignorance invicible absolue, concernant même les premières données de la foi, est la part des petits enfants et des anormaux, soit baptisés soit non baptisés. 451. « Nec enim fas est de mente D. Thomae dubitare...» De Deo, dissert. 7, a. 8, § 2 ; édit. Brunet, t. I, p. 291 ; et dissert. 8, a. 4, § 3, t. I, pp. 335-336. - Saint AUGUSTIN, dans le De correptione et gratta, n° 32, dit pareillement de la grâce de persévérer qu’elle avait été donnée au premier homme, et que, lorsqu’elle nous est refusée, c’est déjà à cause d'un péché. Est-ce le péché originel ? - Oui, répond BlLLUART, si l’on songe à la grâce extraordinaire de persévérer, que possédait Adam. Mais, ajoute-t-il, le secours nécessaire au pécheur pour ressusciter à la grâce, et au juste pour y persévérer, ne leur est jamais refusé sans leur résistance personnelle. 452. II-II, qu. 10, a. 1. 453. Cajetan, III, qu. 61, a. 2, n° IV. DE L’IGNORANCE AU DILEMME 1295 Elle ne se rencontre pas chez les êtres normaux parve­ nus à l’âge de raison. Ils sont mis en demeure de choisir pour ou contre la grâce de la foi, qui les sollicite à la fois par des motions intérieures secrètes, et par une présenta­ tion objective, qui peut être très mystérieuse, soit du message évangélique, soit au moins des premières don­ nées de la foi. D’aucun d’eux il ne sera vrai de dire qu’il peut être exclu de la foi et d’une appartenance au moins initiale à l’Église, en punition du seul péché originel. C’est de la présentation objective des données de la foi qu’il nous faut parler maintenant. IL La première présentation DES DONNÉES DE LA FOI Nous traiterons de la prédication du message chré­ tien, qui est devenue depuis Pentecôte le régime normal de diffusion de la vérité révélée. Puis de la présentation des premiers « credibilia », antérieure au message chré­ tien et qui continue, en certaines circonstances fré­ quentes mais anormales, de le suppléer. Enfin de la pos­ sibilité d’une connaissance préconceptuelle des premiers « credibilia ». 1. Le message chrétien nous est présenté médiatement par voie d’enseignement Saint Thomas distingue les vérités qu’il est nécessaire de croire explicitement depuis la promulgation de la foi chrétienne et dont les deux premières sont la Trinité et l’incarnation, et les vérités qu’il a toujours été nécessaire 1296 VI/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE de croire explicitement, à savoir que Dieu est et que sa providence s’étend aux choses humaines454455 . 456 Pour les vérités de la foi chrétienne, elles ont été pro­ posées aux prophètes4^ et aux apôtres immédiatement par Dieu ; elles sont proposées au monde entier médiatement par la prédication autorisée de l’Eglise, selon Rom., X, 14 : « Comment croirait-on en Celui dont on n’a rien entendu ? et comment entendrait-on quelque chose, s’il n’y a pas de prédicateurs ? et comment ceux-ci prêche­ raient-ils, s’ils n'ont été envoyés ? »4Il résulte de cette différence entre les prophètes et les apôtres d’une part, et le peuple chrétien d’autre part, que la raison de croire, ou le motif formel de la foi, n’est pas entièrement iden­ tique ici et là : le motif formel de la foi des apôtres est uniquement l’Autorité incréée de la révélation divine ; le motif formel de notre foi - de la foi que nous professons en les vérités révélées par Dieu aux apôtres, et confiées par eux à l’Église, dans le dépôt sacré de l’Écriture et de la Tradition -, c’est encore l’Autorité incréée de la révéla­ tion divine, mais en tant que son message nous est pré­ cisé par l’autorité créée et divinement assistée de l’Église. La proposition de l’Église entre ainsi dans la définition du motif formel de notre foi à titre de condition inté­ grante « sine qua non », non certes pour en fonder la 454. De veritate\ qu. 14, a. 11. 455. Qu’on songe par exemple à Simeon, à Jean Baptiste, surtout à la Vierge. 456. Cf. S. THOMAS, II-II, qu. 6, a. 1. - Même quand les apôtres ont été instruits médiatement, la lumière de la révélation les a ensuite touchés immédiatement. Cf. plus haut, p. 1071. Ex parte personae., la révélation est dite immédiate quand elle est reçue de Dieu directement et médiate quand elle est reçue de Dieu par l’intermédiaire d’autres hommes. Ex parte objecti, mais ce n’est pas le point de vue qui nous intéresse ici, la révélation est dite immé­ diate quand elle est explicite, et médiate quand elle n’est qu’implicite. DE L’IGNORANCE AU DILEMME 1297 valeur mais pour en déterminer le contenu, pour nous dire infailliblement ce que nous devons croire sur le témoignage même de Dieu457. Il suit de là que vouloir adhérer à la révélation chré­ tienne indépendamment de l’autorité de l’Église, règle infaillible de notre foi, c’est vouloir substituer, au motif de croire qui nous est assigné par Dieu même, un motif de croire de notre propre choix. Si, ayant d’abord pro­ fessé la foi chrétienne, on agit ainsi en connaissance de cause et avec pertinacité, on tombe dans le péché d’héré­ sie, qui consiste à professer les choses de la révélation chrétienne, non par foi divine, en tant qu’elles sont pro­ posées par l’Église divinement assistée, mais par foi humaine458, en tant quelles font l’objet d’une simple préférence de la volonté propre. Pour nous autres, explique saint Thomas, « l’objet for­ mel de la foi est la Vérité première selon quelle est manifestée dans l’Écriture sainte et dans l’enseignement de l’Église, lequel procède de la Vérité première. Celui donc qui ne regarde pas l’enseignement de l’Église comme une règle infaillible et divine... n’a pas la vertu de foi : il tient ce qui est de foi autrement que par la foi... L’hérétique qui refuse avec pertinacité ne fût-ce qu'un seul article de foi montre qu’il n’est pas prêt à 457. La théorie de saint Thomas sur les rapports de l’autorité de l’Église avec notre foi, ou en d’autres termes sur le caractère médiat de la révélation qui nous vient des apôtres et la nature précise de la médiation du magistère, n’a pas été pleinement retenue par le cou­ rant théologique de Vasquez, Suarez, Lugo, Ripalda. Cf. MARINSOLA, L'évolution homogène du dogme catholique, t. I, pp. 206-215. 458. Les anciens appelaient parfois opinion la foi qui n’est qu’Awmaine. C’est de cette manière que le théologien sauverait en le com­ mentant le mot de BOSSUET, Préface à l’Histoire des variations des Églises protestantes, n° 29 : « Le propre de l’hérétique, c’est-à-dire de celui qui a une opinion particulière, est de s’attacher à ses propres pensées... » Voir plus loin le § sur l’hérésie, p. 1347. 1298 VI/2 - DÉCHIRURES DE L ÉGLISE suivre en tout l’enseignement de l’Église..., et ce n’est plus la foi qui lui fait garder les autres articles, c’est une opinion fondée sur sa volonté propre »459. Cependant on peut agir alors sous l’empire d’une erreur invincible. On peut très bien savoir en gros que la révélation chrétienne nous est transmise médiatement par le moyen de l’Écriture sainte et de l’Église, mais se tromper de bonne foi sur les rapports de l’Écriture et de l’Église, sur la vérité de l’Église, sur son rôle magistériel. C’est ce qui se passe par exemple dans les Églises dissidentes, où fort heureusement l’habitus de la foi divine peut subsister bien que son déploiement s’y trouve officiellement contrarié par l’erreur et constamment menacé. En proposant au monde les diverses vérités de la révé­ lation chrétienne, Trinité, Incarnation, etc., la prédica­ tion évangélique se présente elle-même comme règle de la vraie foi. On pourra faire une constatation semblable jusque dans les Églises dissidentes : la prédication évan­ gélique telle quelles la conçoivent continue d’y être règle de la foi. 2. Les premiers « credibilia » Là où la révélation chrétienne n’est pas ou n’est plus promulguée, c’est-à-dire là où elle est ignorée invincible­ ment460, la foi aux deux premiers « credibilia » pourra 459. II-II, qu. 5, a. 3. Voir le commentaire de CAJETAN et celui de F. MaRIN-Sola, L'évolution homogène du dogme catholique, t. I, pp. 202 et ss. 460. Sous l’ère de la loi de nature et même de la loi ancienne, une telle ignorance invincible était normale et l’on peut dire dès lors quelle ne représentait qu’une absence. Mais depuis la fondation de la loi nouvelle, elle est devenue anormale et représente une privation. Il DE L’IGNORANCE AU DILEMME 1299 suffire à soutenir la charité et à agréger les hommes à l’Église d’une manière déjà salutaire bien qu’encore ini­ tiale et imparfaite. a) Ils peuvent être présentés médiatement par voie d'enseignement Ces deux premières vérités, à savoir que Dieu est et qu’il est rémunérateur pour ceux qui le cherchent, pour­ ront faire l’objet d’une présentation médiate, d’un ensei­ gnement : soit qu’elles aient été dégagées par la raison naturelle de quelque sage qui les aura formulées et com­ muniquées autour de lui ; soit plutôt quelles aient été révélées par un prophète et véhiculées par une tradition dont l’origine se perd dans la nuit des temps. Quant à son contenu, cette révélation primitive a pu se corrompre et se perdre à plusieurs reprises au cours des âges461. Elle a pu aussi renaître de ses cendres, se parfaire, resplendir à nouveau grâce aux prophètes que Dieu a pu susciter sous la loi de nature au sein même des Gentils, comme l’en­ seigne l’exemple de Job, et qui ont pu ressembler aux prophètes d’Israël, et même les préfigurer : il n’y a pas besoin de croire aux oracles sibyllins pour admirer la profondeur et la vérité de la vue théologique peinte au plafond de la Sixtine, où les prophètes et les sibylles se donnent en quelque sorte la réplique pour annoncer la venue de Celui qui fera des deux peuples un seul peuple. est donc vrai que la Trinité et l’incarnation doivent être crues explici­ tement depuis l’avènement de la loi nouvelle ; mais anormalement, dans les cœurs où la loi nouvelle n’a pas été suffisamment promul­ guée, la Trinité et l’incarnation pourront être crues implicitement dans les deux premiers « credibilia ». 461. Ce que nous dirons plus loin d’une connaissance préconcep­ tuelle des premiers « credibilia », offerte à chaque âme particulière, rend possible le salut de ces âmes, même au sein d’une éclipse de la connaissance collective du vrai Dieu. 1300 W2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE L’essentiel est ici de rappeler que ces énoncés sur l’existence et la providence de Dieu devront être lus non plus dans la lumière de la seule raison, mais dans celle de la foi divine, et que le rayon d’intelligibilité de la foi doit découvrir sous leur écorce une profondeur de significa­ tion qui resterait toujours cachée à la raison naturelle. Ce ne sont pas les concepts de Dieu et de sa providence en tant qu’ils offrent une signification analogique acces­ sible à la simple raison naturelle, ce sont ces mêmes concepts en tant qu’ils détiennent une signification de salut, transanalogique, accessible à la seule foi surnatu­ relle, qui ouvrent les portes de l’Église41’2. b) Ils peuvent être présentés immédiatement par voie de révélation : « les hommes élevés dans les forêts » Selon saint Thomas, « les hommes élevés dans les forêts » sont eux-mêmes conviés à se tourner vers Dieu et s’ils ne résistent pas aux invitations de la grâce préve­ nante, ils parviendront à la foi justifiante. Rapportons trois textes classiques, en les rangeant d’après la richesse progressive de leur contenu. 1. A propos de Rom., X, 18, saint Thomas462 463 demande si ceux qui n’ont pas entendu la prédication apostolique seront excusés du péché d’infidélité. Voici sa réponse : « D’après Jean, XV, 22 : Si je nétais pas venu et que je ne leur eusse point parlé, ils seraient sans péché, il faut dire que ceux qui n’ont pas entendu la prédication du 462. Cf. la 23' proposition condamnée par INNOCENT XI, le 4 mars 1679 : « La foi au sens large, fondée sur le témoignage fourni par la création ou sur quelque motif de cet ordre, suffit à la justifica­ tion ». Denz., n° 1173. 463. Ad Romanos, X, 18, écrit vers 1272-1273. DE L’IGNORANCE AU DILEMME 1301 Seigneur et de ses disciples sont en effet excusés du péché d’infidélité. Mais ils ignorent le bienfait de Dieu qui les aurait justifiés du péché originel et des péchés qu’ils y ont eux-mêmes ajoutés, et c’est en raison de ces péchés qu’ils seront condamnés. » Cependant, ceux d’entre eux qui font ce qui est en eux, Dieu les secourra dans sa miséricorde en leur envoyant un prédicateur de la foi, comme il envoya Pierre à Corneille (Actes, x) ou Paul aux Macédoniens (Actes, XVI, 9). »Mais qu’ils aient fait ce qui est en eux et se soient tournés vers Dieu, cela même est venu de Dieu qui a mû leurs cœurs vers le bien, selon les Lamentations, V, 21 : Fais-nous venir à toi, Seigneur, et nous viendrons ». Ainsi donc, ces hommes sont dans une ignorance invincible relative, concernant les mystères du message chrétien. Mais ils sont visités par la grâce prévenante. S’ils la rejettent, ils n’entreront pas dans l’Eglise et seront condamnés. S’ils font ce qui est en eux, ils seront éclai­ rés. Comment ? Saint Thomas se contente ici de ren­ voyer à l’Ecriture qui nous montre Pierre envoyé à Corneille et Paul aux Macédoniens. 2. Qu’il y ait un accès à la foi justifiante pour les habi­ tants des régions que la prédication apostolique n’a pas touchés, cela est hors de doute. Peu seront visités privément par les missionnaires. On peut avec saint Thomas et d’autres théologiens, antérieurs ou postérieurs, recourir ici au ministère des anges 464. Mais la lumière divine qui prévient tous les hommes peut leur apporter, s’ils ne la repoussent pas, une révélation immédiate. Non pas une 464. S. THOMAS, I, qu. Ill, a. 1, ad 1 ; II-II, qu. 2, a. 7, ad 1. Ailleurs, il hésite à croire que les anges soient ministres des sacre­ ments, III, qu. 64, a. 7 ; IV Contra Gent., chap. 74. 1302 VI/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE révélation majeure, à fins universelles, ordonnée comme celle des prophètes et des apôtres à constituer le dépôt de la prédication chrétienne ; mais une révélation mineure, à fins particulières, destinée à suppléer imparfaitement à l’absence de cette prédication46^ C’est ici qu’il faut citer un second texte de saint Thomas465 466467 , où il suppose un homme élevé dans les forêts au milieu des loups : « Il appartient, dit-il, à la divine providence de pour­ voir chaque homme des choses nécessaires au salut, tant qu’il n’y met pas lui-même obstacle. Si donc l’homme dont nous parlons suit l’indication de sa raison naturelle dans la recherche du bien et la fuite du mal, il faut tenir très certainement que Dieu lui révélerait par une inspira­ tion interne les choses qu’il est nécessaire de croire (per internam inspirationem revelaret ea quae sunt ad creden­ dum necessaria), ou bien qu’il lui enverrait un prédica­ teur de la foi, comme il envoya Pierre à Corneille ». Il ressort de ces lignes qu’une révélation divine immé­ diate peut suppléer partiellement la prédication évangé­ lique chez les peuples où celle-ci devrait être normale­ ment promulguée et connue46^. 465. C’est en nous référant à saint Thomas qui distingue la foi des majores et des minores, II-II, qu. 2, a. 7, que nous parlons de révéla­ tion majeure et de révélation mineure. 466. De veritate, qu. 14, a. 11, ad 1. Écrit vers 1256-1259. 467. Le P. GaRDEIL a bien vu que, dans ce texte, saint Thomas parle « d’illuminations et d’inspirations pouvant avoir force de révéla­ tions ». * Réponse à M. Bainvel », dans Revue Pratique d'Apologétique, 1er novembre 1908, pp. 183 et 199. Bien que ces illuminations soient extraordinaires, dit BlLLUART, De fide, dissert. 3, a. 2, solv. obj. ; édit. Brunet, t. III, p. 237, « elles ne doivent pas être considérées comme miraculeuses, car elles sont la conséquence naturelle de la volonté divine de sauver l’homme ». DE L’IGNORANCE AU DILEMME 1303 3. Le texte le plus complet et le plus audacieux sur le problème qui nous occupe, se trouve dans la Somme468. Saint Thomas y dégage la signification théologique du premier acte humain d’un enfant non baptisé : « Tant que cet enfant n’a pas atteint les années de dis­ cernement et qu’il n’est pas en âge de faire usage de sa raison, il demeure avec le seul péché originel, et il est excusé de toute faute actuelle, mortelle ou à plus forte raison vénielle. Mais quand il commencera d’user de sa raison, sa faiblesse ne suffira plus à l’excuser de tout péché, véniel et mortel. La première chose qui se pré­ sente alors à la pensée d’un homme est de délibérer de lui-même. Et s’il s’ordonne lui-même vers la droite fin, il obtiendra par la grâce la rémission du péché originel. Mais s’il ne s’ordonne pas à la droite fin selon qu’il est capable de la discerner à son âge, il péchera mortelle­ ment, n’ayant pas fait ce qu’il lui était possible de faire. Dès lors, tant que la grâce ne l’aura pas purifié tout entier, un péché mortel précédera ses péchés véniels...469 L’enfant qui atteint l’âge de raison peut s’abstenir pen­ dant un certain temps des autres péchés mortels. Mais il n’évitera pas le péché d’omission, s’il ne se tourne vers Dieu dès que cela lui est possible. En effet, ce qui en pre­ mier se présente à l’homme doué de discernement, c’est de penser à cela même à quoi il pourra ordonner tout le reste, comme à une fin. Car la fin est première dans l’in­ tention. C’est alors le temps où l’homme est tenu d’agir en raison du précepte affirmatif de Dieu, Zach., I, 3 : Tournez-vous vers Moi, et Je me tournerai vers vous »470. 468.1-II, qu. 89, a. 6. Écrit vers 1269-1270. Cf. De malo, qu. 7, a. 10, ad 8. 469. Ibid. 470. Ibid., ad 3. 1304 Vl/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE Il y aura donc en chaque personne humaine normale, à un moment donné, un premier acte de liberté qui débouchera sur la foi justifiante ou sur un péché mortel. S’il débouche sur la justification, c’est le signe que les premiers « credibilia » au moins ont été proposés et qu’ils sont crus sur l’attestation intime de la Lumière divine, qui est ensemble ce qui est cru, quod credittcr, et ce par quoi tout est cru, quo creditur, objet et motif de la foi théologale : comme la lumière naturelle est ensemble ce qui est vu et ce par quoi tout est vu. S’il débouche sur le péché mortel, est-ce possible sans qu’il y ait péché d’infi­ délité ? Nous ne le croyons pas. c) On ne peut refuser la première invitation divine sans pécher contre la foi Le premier acte de liberté est un tout moral indivis qui débouche sur la justification ou la catastrophe, et où l’on peut distinguer deux instants, séparables sinon peutêtre dans la réalité, du moins par la raison1'·. Au premier instant, la grâce commence de soutenir le mouvement de la volonté vers le bien raisonnable qui apparaît alors au premier plan de la conscience, et « de la stimuler secrètement par un motif grand et supérieur» où déjà quelque chose du surnaturel qui est l’objet de la foi est présent obscurément : c’est le commencement de la foi, la « pia affectio ad credulitatem »4 2. Au second 471. Cf. Jean de Saint-Thomas, I, qu. 24, disp. 10 (Vives) ou 30 (Solesmes), a. 3, n°* 40 et 41. Le mot « instant », dit BlLLUART, peut désigner ici une certaine durée, De fide, dissert. 3, a. 2 ; t. Ill, p. 237. 472. Le canon 5 du concile d’Orange enseigne que non seulement 1 accroissement de la foi, mais même son commencement et la pre­ mière inclination à croire sont un don de la grâce. Denz., n° 178. Suivant plusieurs théologiens, c’est à ces commencements de la foi que songerait d’abord le concile de Trente, session VI, ch. VI, Denz., DE L’IGNORANCE AU DILEMME 1305 instant, la grâce apparaît au premier plan pour mouvoir la foi à adhérer aux premiers « credibilia » formellement présents et attestés par la Lumière divine. Supposons, comme il nous paraît vraisemblable, que les deux instants soient simultanés et en quelque sorte superposés. Si l’invitation divine est refusée, c’est contre l’objet de la foi actuellement proposé et attesté, c’est contre la pleine lumière de la foi qu’il y a péché : l’infidé­ lité révèle du coup toute sa malice. Supposons, au moins par un artifice de l’esprit, que les deux instants soient successifs et que l’invitation divine puisse être refusée au premier instant, alors quelle n’a pas encore manifesté tout son contenu de lumière. Ce qui est alors brisé par le refus de la volonté, ce n’est pas seulement l’élan de la nature vers le bien raisonnable, c’est en même temps le mouvement de la grâce par lequel l’âme est portée à la rencontre des biens de la foi déjà obscurément présents derrière le bien raisonnable, mouvement que les théologiens appellent le commence­ ment de la foi, la pieuse inclination à croire. Il y a donc péché contre la lumière qui conduit à la foi, contre la foi commençante : ce péché est réductible au péché d’infidé­ lité, comme un processus de décomposition est réduc­ tible à son terme. Sans doute les deux premiers « credibi­ lia » ne sont pas encore ouvertement manifestés. Mais ils sont sur le point de l’être. Leur ignorance n’est pas du tout invincible. Elle est même en voie d’être surmontée par la motion divine. Elle ne peut être consentie et per­ pétrée par la volonté qu’au mépris de la grâce473. La résis- n° 798, lorsqu’il énumère la suite des sentiments qui disposent le pécheur à la justification : foi, crainte, espérance, pénitence. Cf. BlLLUART, De Deo, dissert. 7, a. 8, § 2, solv. obj. 5a ; 1.1, p. 293. 473. L’infidélité, disent les Salmantiœnses, De fide, disp. 9, dub. 2, n° 24 ; t. XI, p. 420, est, non pas n’importe quel péché contre 1306 VI/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE tance à Γ« initium fidei », à la pieuse inclination à croire est, au moins réductivement, une faute d’infidélité474. Le secours surnaturel donné à « l’enfant élevé dans les forêts » a pour fin immédiate, dit Billuart, « non de le conduire à la profession de la foi chrétienne explicite, mais seulement d’illuminer son cœur par rapport aux premiers credibilia. Cette croyance aux premiers credibi­ lia, ajoute-t-il, sera compatible avec l’infidélité négative la foi, mais l’erreur volontaire de celui qui résiste à la foi avec pertinacité. Or, c’est précisément cette erreur et cette pertinacité que nous croyons constater dans le fait de briser 1’« initium fidei ». 474. D’une part JEAN DE SAINT-THOMAS, loc. cit., admet qu’on peut refuser la grâce au premier instant, et ignorer le second instant. L’enfant, dit-il, qui refuse le bien raisonnable, se soustrait à la pensée de la grâce, brise 1’« initium fidei », se rend indigne par sa faute d’en­ tendre la proposition expresse de la foi. Cependant, ajoute-t-il, il ne commettrait pas de péché d’infidélité parce que les deux premiers « credibilia » n’auraient pas encore été dégagés devant son esprit assez nettement pour qu’il puisse les accepter sur le témoignage de Dieu ou les refuser. Il resterait dans l’infidélité négative. Il pécherait contre ce qui est dispositivement la foi, non contre ce qui est formellement la foi. Même doctrine chez les SaLMANTICENSES, De gratia, disp. 6, dub. 3, n° 97 ; t. IX, p. 781. Cette manière de voir, que nous rejetons, intro­ duirait une nouvelle définition de l’infidélité négative : première défi­ nition qui est de saint Thomas, elle est une ignorance invincible et non coupable, non habet rationem peccati ; deuxième définition, elle serait une ignorance vincible et coupable des premiers « credibilia » eux-mêmes. D’autre part, Jean de Saint-Thomas n’admet pas qu’on puisse accepter la grâce au premier instant et mourir avant l'illumination du second instant. A qui objecte que l’homme qui a consenti au bien rai­ sonnable pourrait mourir ou pécher avant la justification, B1LLUART répond, lui aussi, qu’à ceux qui, moyennant la grâce, font ce qui est en eux, Dieu ne refuse jamais une grâce ultérieure, De Deo, dissert. 7, a. 8, § 2 ; t. I, p. 294. Il faut donc, ou bien considérer les deux ins­ tants du premier acte de liberté comme réellement inséparables et comme intégrant un seul acte moral indivisible ; ou bien faire appel à une intervention particulière de la providence divine qui ne permet­ tra pas qu’une acceptation initiale reste sans aboutir. DE L’IGNORANCE AU DILEMME 1307 touchant les autres vérités de la foi »475476 . Bref, chez les adultes normaux, l’ignorance invincible des premières données de la foi est impossible ; mais l’ignorance invin­ cible du message chrétien, jadis normale et aujourd’hui anormale, est fréquente. 3. D’une connaissance préconceptuelle des premiers « credibilia » 1. C’est dans la perspective d’une foi normale, achevée et donc conceptuellement exprimée que saint Thomas se place chaque fois qu’il demande quelles sont les données indispensables de la foi. Et comme la connaissance conceptuelle se divise en explicite, qui porte sur une donnée à quoi on pense immédiatement, et en implicite, qui porte sur ce qui se trouve obscurément inclus et ramassé dans cette donnée, il répond que partout et tou­ jours il a été requis de croire explicitement les deux pre­ miers « credibilia », dans lesquels les mystères de la foi chrétienne sont implicitement contenus4 6. Son intention n’est pas alors de rechercher s’il y a possibilité, antérieu­ rement à ce stade normal et parfait de la foi, d’un stade imparfait et provisoire, où les deux premiers « credibilia » seraient crus actuellement, formellement, quant à leur substance et contenu, mais dime manière encore précon­ ceptuelle, prénotionnelle, volitionnelle, et en ce sens incons­ ciente, c’est-à-dire non réflexivement consciente. Il suggère cependant l’existence de ce stade préparatoire, car, pour expliquer que l’enfant qui s’ordonne à la droite fin de la raison rencontre le Dieu Sauveur, il semble ne réclamer qu’une révélation tout intérieure et ne faire appel qu’aux 475. De peccatis, dissert. 8, a. 7, § I ; t. II, p. 569. 476. De veritate, qu. 14, a. 1 ; II-II, qu. 2, a. 5, etc. 1308 VI/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE exigences internes de déroulement d’un acte sans doute très pur, très spirituel, très intense, mais dont les don­ nées notionnelles sont réduites à fort peu de chose. Cette suggestion peut être écoutée. Il est possible de mettre à profit les données de la psychologie sur la vie incons­ ciente ou préconsciente de l'esprit pour éclairer le dyna­ misme secret, la dialectique interne du premier acte de liberté, et formuler en termes de connaissance spécula­ tive ce qu’il contient dans son indivisible vitalité, à la fois volontaire et intellectuelle4 . Il met en cause simultanément des valeurs d’ordre naturel et d’ordre surnaturel. 2. Commençons par les valeurs d'ordre naturel. A un moment donné l’enfant est mis en demeure de choisir pour ou contre le bien humain raisonnable, le bien hon­ nête. Le bien à faire, le mal à éviter, lui apparaît alors consciemment et explicitement, bien que d’une manière confuse, dans une notion, et un jugement impératif. Qu’il choisisse ce bien, sans même penser déjà explicite­ ment ni à Dieu ni à sa fin dernière, que se passe-t-il en lui ? Il se porte de fait et du premier coup sans même en avoir conscience jusqu’à la valeur sans laquelle le bien honnête ne subsisterait pas un seul instant, jusqu’à Dieu, Fin dernière de la vie humaine. Il atteint Dieu actuelle­ ment et formellement, mais à l’aveugle, en vertu du dynamisme secret de la volonté, ne le rejoignant et ne le connaissant qu’en se fiant au mouvement de sa volonté droite. L’intelligence « démunie de ses propres armes, ne peut, là, être en acte qu’au-dessous du seuil de la conscience, dans une nuit sans concept et sans connais477. Nous nous référons à l’étude capitale de Jacques MàRITAIN sur « La dialectique immanente du premier acte de liberté », dans Raison et raisons, Paris, 1947, pp. 131-165 [O. C., IX, pp. 323-351], DE L’IGNORANCE AU DILEMME 1309 sance exprimable... Connaissance purement pratique de Dieu dans le mouvement de l’appétit vers le bien moral en tant même que bien. Sans doute elle est prégnante d’un contenu métaphysique, mais non saisi comme tel, non spéculativement libéré. Connaissance purement pratique, non-conceptuelle et non-consciente, qui peut coexister avec l’ignorance théorique de Dieu. Ainsi, un homme, en vertu d’un acte libre premier ayant pour objet le bien honnête, peut sans connaître Dieu tendre à Dieu comme à la fin de sa vie, et du même coup connaître (inconsciemment) Dieu sans le connaître (consciemment) »478. 3. Mais les valeurs d'ordre surnaturel interviennent en même temps. L’enfant dont nous parlons est un être que le péché du premier Adam a privé de la vie divine et blessé dans sa nature, et que prévient la grâce du second Adam. Dès le premier acte de liberté, cette grâce divine entre en jeu. S’il choisit le bien honnête et fait ce qui est en lui, c’est, selon saint Thomas, quelle l’a secrètement secouru en guérissant sa nature. Pourtant c’est le moindre rôle de la grâce. Son rôle suprême est d’être élevante, de restaurer l’homme dans l’état d’enfant de Dieu dont il est déchu : non pas seulement de « guérir » ses forces naturelles, mais de le « ressusciter » à la vie surnaturelle. Comment, dès le premier acte de liberté de l’enfant, cette résurrection est-elle rendue possible ? Nous disions que l’enfant a découvert la notion de bien honnête. Maintenant, la grâce intervient pour utiliser cette notion, l’éclairer d’un rayon nouveau d’intelligibilité, y lire une signification encore inaperçue479. Le concept de 478. Ibid., n° 3, pp. 138-139 [O. C., IX, pp. 328-330]. 479. On pourrait appliquer à cette situation ce que saint François de Sales dit en général de la foi : « Comme il arrive quel- 1310 VI/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE bien, transvalue, apparaît alors non pas dans la simple lumière de l’analogie métaphysique, mais dans la lumière de la transanalogie de la foi. Il y a intuition nouvelle plu­ tôt que concept nouveau, intuition qui fait corps avec la notion de bien honnête, lui apportant une note et une richesse nouvelles, et l’ouvrant sur une perspective in­ connue. L’enfant fait alors l'expérience du besoin d’être sauvé, le bien honnête lui apparaît comme le bien salu­ taire, comme le bien par lequel il sera sauvé. C’est à partir de cette notion, de cette intuition consciente mais confuse, que le dynamisme ou la dialec­ tique du premier acte de liberté va se dérouler sur le plan surnaturel. Que je consente à la notion du bien sa­ lutaire : le Terme réel auquel mon désir, passant à travers cette notion, se porte, est lui aussi surnaturel et salutaire, c’est le Dieu sauveur. Je ne le connais pas encore d’une connaissance consciente et conceptuelle ; la connaissance que j’en ai n’est pour l’heure que volitionnelle et incons­ ciente. C’est pourtant une connaissance actuelle et for­ melle, une connaissance en acte vécu ; et si je savais alors en conceptualiser la substance et le contenu, j’énonce­ rais, tels qu’ils sont formulés dans l’Épître aux Hébreux, les deux premiers « credibilia ». Ainsi sous le rayon de la lumière divine, l’idée du salut sortie des profondeurs de la conscience morale est exhaussée ; le concept de bien moral est transvalué en quefois que, la terre étant couverte de brouillards, nous ne pouvons voir le soleil, mais nous voyons seulement un peu plus de clarté du côté où il est, de façon que, par manière de dire, nous le voyons sans le voir... Et néanmoins, cette obscure clarté de la foi étant entrée dans notre esprit, non par force de discours ni apparence d’arguments, mais par la seule suavité de sa présence, elle se fait croire et obéir à l’entendement avec tant d’autorité, que la certitude quelle nous donne de la vérité surmonte toutes les autres certitudes du monde... » Traité de l'amour de Dieu, livre II, ch. XIV; Œuvres, Annecy, 1894, t. IV, p. 133. •9^ — DE L’IGNORANCE AU DILEMME 1311 celui de bien par lequel je serai sauvé. Si j’adhère à cette notion, mon esprit débouche, du même coup, par une connaissance volitionnelle et non exprimable sur le Dieu sauveur. L’intelligence, en effet, se fie à l’appétit, elle devient vraie par conformité et connaturalité au droit mouvement du vouloir. Mais l’appétit, étant surnatura­ lisé, est adapté à son Terme. De ce fait il sert à l’intelli­ gence d’instrument pour connaître ce Terme. C’est ce qu’on exprime en disant que l’appétit a valeur d’objet, transit in conditionem objecti : non qu’il soit ce qui est connu, mais il est ce par quoi son Terme est connu. Ce Terme est Dieu atteint ici dans sa transcendance surna­ turelle, comme Sauveur et comme Vérité première, objet et motif de la foi, auquel l’intelligence adhère « par une connaissance spéculative non conceptuelle, vraie par conformité au droit mouvement du vouloir. C’est par un acte de foi surnaturelle, qui s’exprime non dans des concepts et dans une assertion notionnellement formu­ lée, mais dans unyl· crois vécu, (...) que l’esprit assentit, sur le témoignage intérieur de Dieu, à la révélation qui lui est faite de la réalité divine »480. Si cette analyse est exacte, la première acceptation de la foi ou son premier refus, la première adhésion à l’Église ou la première déchirure, constituent, comme le pensent la plupart des théologiens, une alternative que nul adulte normal n’élude. Mais ce que l’on peut ajouter, c’est que le choix qui inclinera la liberté dans l’un ou 480. Jacques Maritain, loc. cit., nM 5 et 6, pp. 147-157 [O. C., IX, pp. 336-344]. - L’appétit, éclairé à son départ par la notion confuse du bien par lequel je serai sauvé, devient un instrument faisant connaître le Dieu sauveur, sans que l’âme sache quelle le connaît. A un plan supérieur, dans la connaissance mystique, l’appétit, éclairé à son départ par la pleine révélation conceptuelle du Dieu sauveur, devient un instrument faisant connaître l’intimité du Dieu sauveur, d’une manière souverainement consciente. Ibid., n° 7, p. 159 [pp. 345-346]. 1312 VI/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE l’autre sens et décidera du salut éternel de l’âme se fait en des régions de l’être si profondes quelles peuvent demeurer, au moins un certain temps, impénétrables à la conscience claire. Beaucoup pourront être membres de l’Eglise, d’une manière commencée, sans quelle le sache et sans qu’ils le sachent. i I 4. Conclusions Il est sûr que, depuis la promulgation de la loi nou­ velle, il est nécessaire aux hommes pour être sauvés de croire explicitement les mystères de la Trinité et de l’incarnation rédemptrice. Voilà le seul régime de salut normal pour l’humanité tout entière. Tout autre régime est anormal et déficient. Tel est, sans nul doute, le sens des thèses de saint Thomas sur l’obligation, aujourd’hui universelle, d’une foi explicite en la Trinité et en l’incarnation481. Pourtant, partout où la promulgation de la loi nou­ velle est entravée, par suite de la malice des uns, de la misère et de l’ignorance des autres, les adultes normaux ne sont pas la proie d’une ignorance absolue ou totale des énoncés de la foi. La lumière de ce Dieu « qui veut que tous les hommes soient sauvés et viennent à la connaissance de la vérité » (I Tim., II, 4) les presse inté­ rieurement et leur présente objectivement les données sans lesquelles nul acte de foi ne serait possible, à savoir que Dieu est et qu’il est rémunérateur pour ceux qui le cherchent. En sorte que nul d’entre eux n’échappe au dilemme de la foi ou de l’infidélité. Cette connaissance des toutes premières données de la foi est encore préconceptuelle et préconsciente. Elle est 481. II-II, qu. 2, a. 7, et 8. — DE L’IGNORANCE AU DILEMME 1313 donc antérieure à la division de la connaissance (concep­ tuelle et consciente) en explicite et implicite. Elle est postulée par le déroulement de l’acte dans lequel l’enfant va décider pour ou contre le bien de sa raison, derrière lequel en effet transparaît déjà le bien mystérieux de la foi. III. La première rencontre personnelle AVEC L’ÉGLISE La première rencontre personnelle avec l’Église se fait au moment de ce premier acte de liberté dont nous avons parlé à la suite de saint Thomas d’Aquin. L La profondeur du premier acte de liberté Précisons que l’expression « premier acte de liberté » ne signifie pas ici « premier acte où le libre arbitre entre en jeu ». Elle se rapporte à un acte profond, radical, où la liberté engage l’être même de la personne par un choix majeur, qui tant qu’il ne sera pas révoqué, décide de sa destinée. « Dans les années qui ont précédé son premier acte de liberté, l’enfant a eu une histoire, où sa vie morale s’est préparée comme dans un crépuscule de l’aube, et où il n’a pas été livré à sa seule nature déchue ; même non baptisé il a été sollicité par la grâce actuelle en des occa­ sions et sous des modalités variées, comme les contin­ gences de la vie humaine et les détours de la générosité divine ; il a pu accueillir ces sollicitations, dans les mou­ vements de liberté ébauchée dont il était capable, il a pu les refuser ; il a été ainsi préparé plus ou moins bien ou 1314 VI/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE plus ou moins mal à l’épreuve, sans commune mesure avec ces préparations, qui aura lieu quand pour la pre­ mière fois il décidera du sens de sa vie. » En tout cas, à ce moment décisif où il entre dans sa vie de personne (en attendant les autres occasions cru­ ciales qui se présenteront jusqu’à l’heure de la mort), la grâce le sollicitera encore, emmêlée avec plus ou moins de force aux dispositions plus ou moins bonnes et aux obstacles plus ou moins grands qui viennent de la nature, de l’hérédité, du milieu humain : de sorte que s’il ne prend pas le parti du bien, c’est qu’il se sera soustrait au secours qui aurait donné en lui à la nature déchue, en la guérissant, et en l’élevant à la participation de la vie divine, la force de choisir le bien pour le bien et de s’or­ donner vers la vraie fin de l’homme »482* . 2. C’est en lui que se fait la première rencontre per­ sonnelle avec l’Eglise On a dit du texte de saint Thomas"183 que son impor­ tance est extrême, car « il envisage comme normal et inévitable que pour l’immense multitude des enfants non chrétiens le choix entre la grâce et le péché se fait avant toute rencontre avec l’Église catholique »484. C’est sans doute avant toute rencontre avec la prédication chrétienne, avec X enseignement magistériel de l’Église catholique, que se fait ce choix. Mais disons que ce n’est pas avant toute rencontre avec XÉglise catholique. 482. Jacques MaRITAIN, loc. cit., n° 4 ; cf. n° 1 ; pp. 144 et 132 [pp. 333-334 et 324]. 483.I-1I, qu. 89, a. 6. 484. M. Labourdette et M.-J. Nicolas, « Le problème de l’infi­ délité », dans Revue Thomiste, 1946, p. 596. DE L’IGNORANCE AU DILEMME 1315 Pour les enfants non baptisés, c’est en vérité à l’inté­ rieur même de leur premier acte de liberté qu’ils rencon­ trent l’Église. Cette grâce qui vient au-devant d’eux pour leur montrer le bien par lequel ils seraient sauvés et les presser d’y adhérer, est déjà une présence réelle en eux de l’Église catholique. Qu’ils y consentent, et les voilà ratta­ chés sans doute initialement, imparfaitement, mais déjà salutairement à la grande Église, confiée ici-bas à la juri­ diction de Pierre et du souverain pontife (ils ne le connaissent pas, et lui non plus ne les connaît pas nom­ mément), et dont le Christ est la Tête (ils ne le connais­ sent pas, mais lui les connaît nommément). Qu’ils s’en détournent, et c’est l’Église qu’ils déchirent en eux par leur premier péché d’infidélité. Pour les enfants baptisés, l’Église est venue les rencon­ trer dans leur berceau. Elle est entrée tout entière en eux avec le caractère et la grâce du baptême. Au moment où ils vont pour la première fois rencontrer personnelle­ ment l’Église, il ne leur reste qu’à franchir le pas qui sépare l’habitus de Pacte, le sommeil du réveil. Ils peu­ vent réussir ce pas. Ils peuvent aussi le manquer et à leur tour déchirer l’Église. 3. Il est secouru ou contrarié du dehors C’est un enfant quelconque, de milieu païen ou chré­ tien, religieux ou irreligieux, qu’il ait ou non déjà l’idée de Dieu, mais en tout cas indépendamment de l’usage qu’à ce moment il peut faire ou ne pas faire de cette idée, qui a été considéré ici, du seul point de vue du dynamisme interne de son premier acte de liberté48^ 485. Cf. Jacques MaRITAIN, loc. rit., nos 3 et 5, pp. 137 et 147 [pp. 328 et 336]. 1316 VI/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE Chez l’enfant chrétien, tout ce qu’il a pu entendre et retenir du message chrétien est présent autour de lui pour éclairer son premier acte de liberté, et la grâce du baptême le presse en outre de l’intérieur. « Un enfant qu'une éducation religieuse a instruit de la parole de Dieu, et qui connaît et aime Dieu avant d’accomplir son premier acte de liberté, où il délibère de lui-même, est aidé comme il se doit par la tradition religieuse de la famille humaine dans ce premier acte décisif. Et prévenu ainsi de la connaissance de Dieu, c’est dans la vertu de la divine charité, reçue avec la grâce au baptême, et en commençant par la Fin, je veux dire en dirigeant plus ou moins consciemment son cœur vers sa vraie Fin dernière avant de prendre et en prenant le parti du bien honnête, qu’il accomplit son premier acte de liberté, si celui-ci est bon »486. L’enfant élevé dans un milieu indifférent ou hostile au christianisme, ne sera secouru que par les lumières inté­ rieures de la raison et de la grâce, et s’il choisit le bien, il lui faudra plus tard remonter beaucoup de pentes et redresser, à mesure quelles lui paraîtront erronées, beau­ coup de doctrines et de coutumes. « Un enfant qui a reçu une éducation areligieuse ou antireligieuse, s’il choi­ sit pour le bien honnête dans son premier acte de liberté, est pratiquement et vitalement entraîné par la dialec­ tique immanente de cet acte mais se trouve alors, sans le savoir, en désaccord avec le registre de concepts spécula­ tifs qui lui a été inculqué »487. 486. Ibid., n° 5, p. 147 [p. 336]. 487. Ibid., n° 5, p. 147 [p. 336]. l’infidélité 1317 4. Conclusion Il faut admettre, dans le cas des enfants en bas âge et des anormaux, une ignorance invincible (infidelitas negativa) absolue ou totale, qui obscurcit tout le champ des vérités révélées, y compris les deux vérités élémen­ taires sans lesquelles on ne saurait « approcher de Dieu ». Dans le cas des adultes normaux, il n’y a place que pour une ignorance invincible relative ou partielle. Elle peut porter même sur les mystères fondamentaux du message chrétien, comme la Trinité ou l’incarnation rédemptrice. Mais les deux vérités élémentaires dans les­ quelles ces mystères sont contenus implicitement, se sont manifestées, au moins dans une connaissance pré­ conceptuelle et préconsciente. Elles ont dès lors passé à l’état de vérités crues de foi divine, ou rejetées par infidélité. A cet instant s’est faite, dans les régions les plus pro­ fondes de son être, la première rencontre personnelle de l’homme avec l’Église catholique : par un consentement, initial sans doute, mais déjà salutaire ; ou par un refus trop intérieur pour ne pas être déjà une déchirure. III. L'INFIDÉLITÉ Ayant été créé dès le principe en vue d’être admis au consortium de la vie divine, l’homme ne peut feindre d’ignorer cet honneur pour se replier sur sa seule nature. Il est embarqué. Il lui faut accepter ou refuser l’invita­ tion divine qui lui est proposée. Il lui faut choisir soit la divinisation, soit la révolte dont un des effets sera de sac- 1318 W2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE eager sa nature488. Il lui faut consentir à la grâce qui l’en­ traînera vers l’unique vraie Église et l’y incorporera au moins initialement, ou se disjoindre de cette grâce par une rupture, un acte de violence, une déchirure. Cette rupture, cette déchirure est un acte complexe, autant que la grâce quelle brise. Elle implique d’abord un refus de la foi, puis aussi de l’espérance et de l’amour. Le refus de la foi constitue le péché d’infidélité (incre­ dulitas, infidelitas, perfidia)^'. Il présente une gravité spéciale. 488. « Du fait que l’homme a été constitué pour que la nature divine soit en lui d’une manière participée, il est tenu de se soumettre aux préceptes de la foi, de l’espérance, de la charité, qui sont ordon­ nés à une telle participation. Et de même qu’il ne peut reprocher à Dieu de l’avoir fait raisonnable, il ne peut lui reprocher de l’avoir fait participant de la nature divine. En conséquence de sa nature raison­ nable, il ne peut refuser les préceptes quelle comporte ; pareillement, en conséquence de sa participation à la nature divine, il ne peut refu­ ser les préceptes qu elle entraîne... Les créatures raisonnables ont été instituées dès le principe pour être et vivre, non seulement selon leurs propres natures, mais selon la participation de la nature divine. Si donc elles ne veulent pas croire, il est juste qu elles soient non seule­ ment privées des biens gratuits, mais encore qu’elles soient condam­ nées comme ayant refusé de vivre selon la loi de participation à la divinité qui leur a été assignée par Celui qui donne et distribue les natures et les degrés de l’être ». CAJETAN, II-II, qu. 10, a. 1, n" 2 et 3. 489. Sur l’équivalence des mots infidelitas et perfidia, voir Erik PETERSON, «Perfidia judaica», Ephemerides Liturgicae, 1936, p. 296; John M. Oesterreicher, « Pro perfidis Judaeis », dans Theological Studies, Manhattanville, 1947, p. 80. Cette étude a paru en français dans les Cahiers Sioniens, Paris, 1er octobre 1947, p. 85. L’abandon de la foi est appelé par saint THOMAS, II-II, qu. 12, a. 1, apostasia perfi­ diae, par opposition à l’abandon des vœux, ou apostasia religionis. Une déclaration de la S. Congrégation des Rites, en date du 10 juin 1948, autorise de traduire en langue vulgaire dans les Missels, les mots « perfidia judaica » et « perfidi judaei » par « infidelitas, infideles in cre­ dendo », dans A. A. S., 1948, p. 342. C’est d’ailleurs la seule traduc­ tion possible. Mais cela ne signifie pas, nous allons le voir, que tous les Juifs soient aujourd'hui regardés par l’Église comme des infidèles. l’infidélité 1319 Où la foi est acceptée, même si l’amour manque encore, il y a déjà un commencement d’appartenance à l’Église. La foi elle-même, en raison de son propre dyna­ misme et de ses exigences, tendra à susciter l’espérance, puis la charité avec laquelle l’appartenance initiale à l’Église devient salutaire. C’est pourquoi le Concile de Trente déclare que la foi est « le commencement du salut de l’homme, le fondement et la racine de toute la justifi­ cation »490. Si la foi vient à manquer, le dernier lien libre et volon­ taire qui rattachait un homme à l’Église est brisé. Il ne pourra plus y avoir en lui, s’il a été chrétien, qu’une persistance des caractères sacramentels qui témoigne­ ront encore d’une appartenance, maintenant répudiée, à l’Église. Nous parlerons d’abord du péché d'infidélité et de ses espèces, puis des patrimoines d'infidélité. I. Le péché d’infidélité et SES TROIS ESPÈCES MAJEURES Si l’on regarde aux erreurs concrètes auxquelles conduit l’infidélité, il faudra reconnaître quelles sont innombrables. Mais si l’on regarde à la manière dont elle s’oppose à la foi, on pourra distinguer, comme le font communément les théologiens491, trois grandes espèces 490. Session VI, ch. VIII, Denz., n° 801. 491. Et, avant eux, les Pères et la liturgie, par exemple au jour du Vendredi saint. - Contrairement à l’ancien Corpus Juris Canonici, le nouveau Code de Droit Canon n’a pas de prescriptions spéciales visant les Gentils ou les Juifs. Cela est nettement significatif de l’avènement d’une nouvelle chrétienté. 1320 VI/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE d'infidélités, qu’ils appellent l’infidélité « des Gentils », l’infidélité « des Juifs », l’infidélité « des hérétiques »492. Cette division tripartite de l’infidélité soulève quelques difficultés. D’une part, elle emploie des déno­ minations qui semblent trop matérialisées pour être irré­ prochables. D’autre part, elle n’est pas interprétée d’une façon concordante par les divers auteurs. Essayons de montrer quelle recouvre néanmoins une vue théolo­ gique authentique. Elle est établie, cela est évident, en fonction de la triple manifestation historique de la révélation divine qui s’est accrue en passant du régime de la loi de nature à celui de la loi mosaïque puis à celui de la loi évangélique. Mais elle tient compte davantage encore, et plus immé­ diatement, de la sorte de refis qui est opposée à cette révélation divine. On peut refuser soit d’y accéder, soit d’y progresser, soit d’y persévérer. D’où trois grandes sortes d’infidélités, qu’on pourrait peut-être dénommer l’infidélité par simple refus ou inhibition, l’infidélité par régression, l’infidélité par désertion. 1. L’infidélité par simple refus ou inhibition C’est le refus d’accueillir la révélation divine, au moment même où pour la première fois elle apparaît comme suffisamment proposée. Renititur fidei nondum susceptae, écrit saint Thomas493. Il y aura des degrés innombrables dans cette forme d’infidélité. Elle sera d’autant plus grave que l’illumina­ 492. S. THOMAS, II-I1, qu. 10, a. 5. Nous pensons toutefois qu’il peut y avoir, à l’origine des grandes déviations religieuses, non tou­ jours un péché, mais aussi parfois une erreur invincible. Voir plus haut Préface à la seconde édition [vol. II, pp. 5-8]. 493. Loc. cit. l’infidélité 1321 tion intérieure de la grâce se sera faite concrètement plus intense et plus pressante. Elle sera d’autant plus grave aussi, que la révélation se sera manifestée à un stade plus explicite de son développement : stade de la loi de nature, ou de la loi mosaïque, ou de la loi évangélique. L’homme qui a déjà refusé la révélation de la loi de nature accroît son infidélité si, éclairé sur le sens de la révélation mosaïque, il décide de la repousser. Et s’il rejette la révélation sous sa forme chrétienne, son infidé­ lité est encore plus grave. Plus la Vérité première se manifeste, plus la blessure de l’âme qui se révolte contre elle est fatale et empoisonnée. Mais ce sera chaque fois la même forme d’infidélité. Ce n’est pas sans doute la seule qui puisse se rencontrer chez ceux qu’on appelle les Gentils. Nous le verrons dans un instant. Mais peut-être est-elle plus commune chez eux que dans le peuple juif ou dans les peuples dits chré­ tiens. Cela justifie en gros l’appellation traditionnelle d’infidélité des païens ou des Gentils, adoptée par saint Thomas : Et talis infidelitas est paganorum, sive genti­ lium 494. Plus exactement, elle règne où la grâce de la foi divine a été purement et simplement inhibée495 : nous préférons parler d’infidélité par simple refus. 2. L’infidélité par régression C’est le refus conscient et coupable de suivre le mou­ vement normal de progression de la révélation divine, au 494. Loc. cit. 495. L’enfant circoncis ou baptisé qui, dans son premier acte de liberté, refuse de croire pèche lui aussi par inhibition. Il ne pèche pas formellement par désertion, il n’est pas hérétique. C’est l’attitude prise à l’égard de la révélation divine qui définit formellement l’infi­ délité, quoi qu’il en soit de l’habitus de foi. SALMANTICENSES, De fide, disp. 9, dub. 2, n° 19 ; édit. Palmé, t. XI, p. 415. 1322 VI/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE moment où elle passe du stade de la loi de nature au stade de la loi mosaïque, ou à celui de la loi évangélique. Ce n’est donc pas, comme précédemment, un refus pur et simple de la révélation divine. C’est un refus d’appa­ rence vertueuse, qui consiste précisément à se prévaloir de la fidélité à un stade inférieur de la révélation pour se dérober au devoir de monter à un stade supérieur. Saint Thomas écrit : Renititur fidei christianae susceptae in figura496. Là encore l’infidélité sera d’autant plus grave que l’il­ lumination de la grâce aura été dans chaque cas plus intense. Mais on peut distinguer deux sous-espèces de cette infidélité : a) celle du croyant qui se prévaudrait de la révélation de la loi de nature pour refuser, selon les circonstances, soit la révélation mosaïque, soit la révélation évangé­ lique. Un tel croyant saccagerait sa foi jusqu’alors authentique, en méconnaissant ce quelle était, à savoir une certaine figure, une certaine annonce et anticipa­ tion d’une foi plus explicite, réservée d’abord à Israël, puis offerte sous une forme meilleure au monde entier497 ; b) celle du croyant qui se prévaudrait de la révélation mosaïque pour refuser en connaissance de cause la révéla­ tion évangélique. Toutes choses égales d’ailleurs, la faute est ici plus grave : les figures et les promesses, qui sont alors méconnues, étant plus claires et plus pressantes. Telle est, s’il y a pertinacité, l’infidélité des Juifs : Et sic est infidelitas Judaeorum 498. Elle croit aux « figures », mais pour refuser de croire au « figuré, devenu présent, depuis 496. II-II, qu. 10, a. 5. 497. L’infidélité dun tel Gentil ressemblerait à celle «des Juifs», non à celle « des Gentils ». 498. Loc. cit. 3^----- l’infidélité 1323 la manifestation de l’Évangile »499 ; elle croit à la vérité du Christ en tant que « promise », mais pour la rejeter en tant que « venue ». Ces deux sous-espèces rentrent dans ce que nous avons appelé l’infidélité par régression. Ce n’est que d’une manière très approximative, insistons-y, qu’on peut la désigner comme étant l’infidélité des Juifs. Tout d’abord, nous venons de le voir, parce que des Gentils ont pu être infidèles eux aussi d’une manière analogue, par régression. Ensuite parce que les Juifs peuvent être infidèles d’une tout autre manière, soit en refusant d’em­ blée toute révélation (infidélité par inhibition), soit, nous allons le dire, en reniant leur propre foi (infidélité par désertion). Enfin, parce que, sans nul doute, beau­ coup de Juifs sont fidèles et relèvent, même sans le savoir, de l’Église. Nous parlerons donc d’infidélité par régression. 3. L’infidélité par désertion 1. C'est le refus coupable de persévérer dans la foi divine d’abord professée. Refus coupable signifie, d’une part, refus conscient: il n’y a pas infidélité si l’abandon d’une croyance révélée est dû à une erreur invincible ; et, d’autre part, refus absolu ou inconditionné : il n’y a pas infidélité si le refus de persévérer dans un stade inférieur de la révélation divine conditionne l’entrée dans un stade supérieur, 499. « Judaïsmus... renititur fidei non utcumque, sed fidei quam determinate profitetur in figura, et determinate negat in figurato praesenti et post manifestationem Evangelii ». SALMANTICENSES, De fide, disp. 9, dub. 2, n° 19 ; t. XI, p. 416. - Il faudra veiller à distin­ guer soigneusement le judaïsme comme péché, et le judaïsme comme erreur-, le judaïsme comme infidélité, et le judaïsme comme héritage ou patrimoine d’infidélité. 1324 VI/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE comme lorsqu’il y a passage de la loi de nature à la loi mosaïque et à la loi évangélique. 2. Ces précisions n’ont pas échappé à l’attention du Concile du Vatican lorsqu’il a défini la doctrine de la persévérance des catholiques dans leur foi. Dieu, dit-il, « donne aussi sa grâce à ceux qu’il a fait passer des té­ nèbres dans son admirable lumière, pour les confirmer dans une persévérante fidélité à cette lumière, n’aban­ donnant que ceux qui l’abandonnent, non deserens nisi deseratur. C’est pourquoi tout autre est la condition de ceux qui par le don céleste de la foi ont adhéré à la vérité catholique et de ceux qui, conduits par des données tout humaines, professent une fausse religion ; car ceux qui ont reçu la foi par les enseignements de l’Eglise, ne peu­ vent jamais avoir aucune cause juste de changer cette foi ou de la révoquer en doute »>0°. Ce qu’il faut regarder comme défini, c’est, selon Vacant, « qu’on ne saurait avoir de raison objectivement valable de mettre en doute la foi catholique »500 501. Mais la note du schéma prosynodal rappelle à ce propos que, de cet enseignement, « on ne saurait tirer aucune conséquence contre cette doctrine admise universellement, que les fidèles catholiques euxmêmes peuvent tomber dans des erreurs invincibles pour eux, et par conséquent non coupables relativement à la matière de la foi, de telle sorte qu’ils regarderont comme révélé un point qui n’est ni révélé ni exact »502. Elle pré­ cise encore qu’on n’a pas touché non plus « au sentiment que quelques anciens théologiens n’hésitent pas à admettre, savoir que, per accidens, et dans certaines circonstances, 500. Session III, ch. III ; Denz., n° 1794. 501. Études théologiques sur la Constitution Dei Filius, t. II, p. 166. 502. Collectio lacensis, t. VII, col. 534. Cf. VACANT, loc. cit., p. 169. — l’infidélité 1325 la conscience d’un catholique ignorant peut être induite en une erreur invincible telle, qu’il embrassera une secte hétérodoxe sans péché formel contre la foi, hypothèse où le catholique ne perdrait pas la foi tout en devenant matériellement hérétique »>03, disons, - pour bannir l’expression matériellement hérétique que nous n’aimons pas - tout en professant une erreur expresse en matière de foi. 3. On distinguera plusieurs sous-espèces de l’infidélité par désertion. Car on peut déserter la révélation de la loi de nature, ou la révélation de la loi mosaïque, ou la révé­ lation de la loi chrétienne. Il y a proportion ou analogie entre la désertion du Gentil, du Juif et du chrétien. Faut-il parler éé hérésie dans les trois cas ? Ou faut-il réserver le nom d’hérésie au troisième ? Les Salmanticenses identifient l’infidélité par déser­ tion et l’hérésie. Pour eux, l’hérésie est essentiellement un abandon de la vraie foi, sous quelque forme qu’on l’ait professée?(n. En conséquence, disent-ils, « un Hébreu qui rejetait un article de la foi mosaïque était hérétique »503 505. 504 Ils donnent au mot hérésie un sens générique. Mais on peut réserver le nom d’hérésie à la troisième des infidélités par désertion. Saint Thomas écrit : Reni­ titur fidei christianae susceptae... in ipsa manifestatione veritatis, et sic est infidelitas haereticorum 5O6. Et un peu 503. Collectio lacensis, t. VII, col. 534. Cf. VACANT, loc. cit., pp. 169-179. 504. « Hujus conceptus essentialis consistit in renitendo verae fidei absolute susceptae ; non vero in repugnando determinate fidei susceptae in professione christianismi ». De fide, disp. 9, dub. 2, n° 19; t. XI, p. 416. 505. « Hebraeus in lege veteri aliquem articulum discredens erat haereticus ». Ibid. 506. II-II, qu. 10, a. 5. 1326 VI/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE plus loin : « Est hérétique celui qui veut adhérer au Christ mais qui faut dans le choix des moyens, retenant non pas ceux qui ont été vraiment laissés par le Christ, mais ceux que lui suggère son esprit propre. Aussi l’héré­ sie est-elle l’espèce d'infidélité de ceux qui professent la foi du Christ, mais corrompent ses enseignements»507508 . On connaît la définition du Code du Droit Canon, can. 1325, § 2: «Est hérétique celui qui, après le bap­ tême, tout en retenant le nom chrétien, nie ou met en doute avec pertinacité quelqu’une des vérités qu’il faut croire de foi divine et catholique. Est apostat, celui qui déserte totalement la foi chrétienne ». Au fond cette question est secondaire. L’essentiel était de caractériser l’infidélité par désertion et ses trois sousespèces. 4. La désertion des données de la foi peut être partielle ou totale. Elle ne change pas d’espèce pour être, quant à sa matière, plus ou moins universelle. Quand elle est totale, elle reçoit le nom à'apostasie. « L’apostasie, dit saint Thomas, ne constitue pas une espèce particulière de l’infidélité. Elle n’en est qu’une circonstance aggra­ vante »50S. Les Salmanticenses en concluent que l’aposta­ sie ne diffère qu’accidentellement de l’hérésie509. 5. On peut comparer entre elles les trois formes d’infi­ délités que nous avons signalées. Soit sous le rapport de l'intensité de la faute : ordinairement, il y a plus de déter­ mination, et donc de gravité, dans l’infidélité par déser507. 11-11, qu. 11, a. 1. L’hérétique n’est pas nécessairement un hérésiarque : il peut n’avoir pas de sectateurs, ou même demeurer occulte. 508. II-II, qu. 12, a. 1, ad 3. 509. « Distinguuntur penes magis et minus intra eandem spe­ ciem ». Loc. cit., n° 20, p. 417. l’infidélité 1327 tion que dans l’infidélité par régression, et dans celle-ci que dans l’infidélité par inhibition. Soit sous le rapport de rétendue des erreurs quelles entraînent, et alors l’ordre est renversé : ordinairement, ces erreurs seront plus nom­ breuses dans l’infidélité par inhibition, elles le seront moins dans l’infidélité par régression, et moins encore dans l’infidélité par désertion^10. C’est sans doute parce quelle est plus foncière, et peut-être aussi parce quelle est la première, du moins dans l’ordre logique, que l’infidélité d’inhibition s’approprie assez souvent pour elle seule par antonomase le nom d’infidélité. 6. Ainsi les trois espèces de l’infidélité se distinguent selon les trois formes du refus de la révélation divine : refus par inhibition, refus par régression, refus par déser­ tion ou arrachement. On se tromperait à vouloir les distinguer selon la nature des vérités mises en cause. Une proposition, dit avec pénétration Cajetan, peut être de soi « contraire à la foi » ; mais à proprement parler nulle proposition n’est de soi « hérétique », c’est la nature de l’adhésion dont elle est l’objet qui la rend telle ; la même proposition, par exemple les morts ne ressuscitent pas, peut relever de chacune des trois formes de l’infidélité ; elle sera héré­ tique chez un hérétique, perfida chez un juif, gentilis chez un païen510 511. Melchior Cano, que nous avons cité aussi, rappelle que la proposition le Christ nestpas Dieu peut relever pareillement de l’infidélité païenne, ou de l’infidélité juive, ou de l’hérésie512. 510. S. 7 HOMAS, II-II, qu. 10, a. 6. Voir plus haut, p. 1182. 511. II-II, qu. 11, a. 1, n° IL Saint THOMAS lui-même écrit: «Ceux qui n’ont jamais partagé la foi de l’Église ne sont pas héré­ tiques en soutenant une doctrine perverse, tels les Juifs ou les Gentils». IVSent., dist. 13, qu. 2, a. 1, ad 7. 512. De locis, livre XII, ch. VII, fin. 1328 VI/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE Chaque fois que les erreurs de Mani ont été professées avec pertinacité par des chrétiens, elles sont devenues chez eux des hérésies"13. Et il est vrai que la foi musul­ mane en « Dieu seul » et en « son prophète » est destinée à renverser la foi chrétienne à la Trinité et à l'incar­ nation ; mais puisque Mahomet n’a pas professé la foi chrétienne, son infidélité sera néanmoins rangée dans la même espèce que celle des Gentils513 514515 . Tel était le point de vue des anciens"’". Il faudra le compléter pour rejoindre les préoccupations des modernes. IL Les grandes déviations religieuses OU LES PATRIMOINES d’INFIDÉLITÉ Dans la mesure où la révélation divine, prêchée d’abord au stade de la loi de nature, puis au stade de la loi mosaïque, puis au stade de la loi évangélique, est 513. Les Pères regardaient le manichéisme comme une hérésie chrétienne. Reirzenstein y voyait originairement un pur mythe iranien. Les documents découverts à Fayoum nous ramènent à la conception des Pères : « Certains avaient douté de la justesse des critiques adres­ sées par les hérésiologues anciens à la prétention de Mani à être le Saint-Esprit et le Paraclet dont la venue avait été promise par Jésus. Or les nouveaux textes coptes, en particulier, confirment cette identi­ fication ». Henri-Charles Pb’ECH, « Le manichéisme », dans Histoire Générale des Religions, Paris, 1945, t. I, pp. 88-92. 514. Même si la foi n’a été professée qu’intérieurement, celui qui la nie ensuite est hérétique. Mais il faut qu elle ait été professée exté­ rieurement pour que son abandon puisse apparaître avec une certi­ tude morale comme une hérésie. Cette profession extérieure aura été, pour un catéchumène, la réception du baptême ; pour un enfant baptisé, la première manifestation de sa libre appartenance à l’Église. Cf. Salmanticenses, De fide, disp. 9, dub. 2, n° 20 ; t. XI, p. 417. 515. Cajetan, II-II, qu. 10, a. 5, n° IV. l’infidélité 1329 acceptée et professée sous les motions de la grâce préve­ nante, c’est l’Église qui apparaît, d’abord dans sa période de préparation, puis dans sa période d’éclosion. Mais la révélation divine peut être refusée, et chacun de ces refus peut ériger en face d’elle en vue de se perpé­ tuer une croyance qui se proclamera elle-même divine, avec parfois ses écritures saintes, ses professions de foi, ses théologies, ses miracles516, et qui pourra entraîner dans son sillage de grandes foules humaines pendant une suite de générations. Voilà l’origine de ce qu’on appelle communément les religions. Elles apparaissent aux yeux du théologien comme de grandes déviations religieuses, comme de grandes déchirures de l’Église. Après avoir caractérisé les péchés d’infidélité qui sont personnels, il faut indiquer brièvement la nature théolo­ gique de ces patrimoines ou héritages d’infidélité qui sont collectifs. On pourra les ranger en trois groupes : les déviations religieuses d’origine préchrétienne, la dévia­ 516. «Tous les livres sacrés, de tous les temps et de tous les peuples... Chacun décrète que tous les autres sont des fables... ». Paul VALÉRY, Mon Faust, Paris, 1946, p. 180. - PASCAL disait: «Il ne serait pas possible qu’il y eût tant de faux miracles s’il n’y en avait de vrais, ni tant de fausses révélations s’il n’y en avait de vraies, ni tant de fausses religions s’il n’y en avait une véritable. Car s’il n’y avait jamais eu de tout cela, il est comme impossible que les hommes se le fussent imaginé, et encore plus impossible que tant d’autres l’eussent cru...». Pensées, édit. Brunschvicg, n° 818. - Allons plus loin. Si la révélation divine, avec sa manifestation par des prophètes et des écri­ tures sacrées, a été dans le dessein de Dieu avant d’être dans la pensée des hommes, il convenait que Dieu leur en donnât lui-même le désir et le pressentiment. Ce désir s’égarait lorsqu’il passait présomptueuse­ ment à canoniser des écritures qui semblaient parler bien de Dieu, et où d’ailleurs nous ne décréterions pas toujours que tout est fable. Ceux qui les croyaient divines se trompaient peut-être moins que ceux qui n’en veulent croire aucune. Voilà pour l’aspect a priori de l’objection. A posteriori, il faudra juger de la crédibilité de ces révéla­ tions. 1330 VI/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE tion religieuse du judaïsme, les déviations religieuses postchrétiennes. 1. Les déviations religieuses d’origine préchrétienne Il y a, à leur source, un péché d'infidélité (par inhibi­ tion ou désertion) qui s’attaque à la révélation divine proposée sous les espèces de la loi de nature^1 et tente de Γutiliser, de l’assujettir aux fins des passions humaines. Elles succombent à la tentation générale de l’idolâtrie, qui consiste précisément, non pas à n’avoir aucune notion de l’unité et de la transcendance du divin, mais à mêler le divin aux créatures, à l’immerger et confondre en elles. Les hommes qui sont groupés sous ces grands ensembles religieux où sont amalgamées les vérités et les erreurs, sont appelés, par opposition aux Juifs, les Gentils, les nations™. Ils comprennent des « Grecs » et des « bar­ bares »517 519. Les Juifs et les Gentils sont les deux parties de 518 l’humanité, tout à fait inégales quantitativement, mais plus encore peut-être qualitativement^20, qui sont appe­ lées à former le corps du Christ521522 . Les Gentils ne sont point privés de tous secours divins·22. Il est sûr qu’ils sont visités, nommément et en secret, par la grâce divine. 517. Ce régime de proposition de la révélation divine était normal, antérieurement, et même parallèlement, à celui de la loi mosaïque. Depuis l’avènement de la loi évangélique il est devenu anormal, et n’a plus qu’un rôle subsidiaire. 518. Cf. Mt., xxvni, 19; Act., xni, 46; xv, 23; Rom., i, 13; II, 14 ; ni, 29 ; I Cor., I, 23, etc. 519. Rom., I, 14. 520. Rom., Ill, 1 ; IX, 4-5. 521. Act., XIII, 45-46 ; Éphés., n, 13-18. 522. Act., Xiv, 16 ; Rom., n, 10, 14-15. l’infidélité 1331 S’ils y consentent, ils peuvent avoir la vraie foi et appartenir initialement, mais déjà salutairement, à la vraie Église : saint Augustin insiste sur le fait que l’Écriture elle-même témoigne, par le cas de Job, qu’il y a parmi eux des élus523. Un instinct secret, qu’une observa­ tion attentive pourra parfois déceler, les poussera alors à séparer, dans le patrimoine qui leur est transmis, les aspects de vérité pour y insister, et les aspects d’erreur pour s’en détacher524. S’ils résistent au contraire à la grâce prévenante, ils succomberont à la suggestion environnante de l’idolâ­ trie. Elle pourra les jeter au panthéisme et finalement à l’athéisme ou à l’acosmisme. 2. La déviation religieuse du judaïsme 1. Elle résulte d’un péché d’infidélité par régression. On n’a pas rejeté la loi ancienne. On a affecté au con­ traire de l’observer. Mais on s’est égaré en préférant les promesses aux choses promises, la préparation à l’accom­ plissement, le moyen à la fin. Comme tout à l’heure, plus encore, il faut dire que les hommes groupés sous cette religion sont visités nommé­ ment par la grâce divine. S’ils y consentent, ils peuvent appartenir initialement et salutairement à la vraie Église 523. De civitate Dei, livre XVIII, ch. 47. 524. Cf, par exemple, ces mots de Toukaram, prononcés en plein milieu païen : « Le soin de l’univers n’est pas une fatigue pour Dieu : notre charge n’est rien pour lui... Il n’est pas nécessaire que nous lui exprimions nos désirs : il connaît et donne ce dont nous avons besoin... C’est votre gloire, ô Dieu, d’être appelé le Sauveur des pécheurs. Oh ! que cette gloire vous demeure ! Les saints vous appel­ lent le Seigneur des désespérés. J’ai pris confiance en l’entendant... » Cité par Michel LEDRUS, L'Inde profonde, Louvain, 1933, pp. 25-26. 1332 VI/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE bien plus aisément que les membres des religions pré­ chrétiennes. On les verra alors donner spontanément leur cœur aux révélations de Γ Ancien Testament pour autant précisément qu’elles s’ouvrent mystérieusement sur le Nouveau Testament. On les verra, comme les hassidimsl\ se passionner pour le culte en esprit et en vérité, pour la religion de l’amour divin, pour les pro­ messes d’un salut spirituel présenté dans la croix à tous les hommes, pour une eschatologie coïncidant dans ses traits principaux avec la parousie annoncée par le Sauveur. Si, au contraire, ils résistent aux grâces prévenantes, ils peuvent être repris par la tentation de l’infidélité par régression, de l’« infidélité juive » qui préfère la figure au figuré, le royaume de ce monde au Royaume qui est bien dans ce monde mais sans être de ce monde. Ou encore, ils pourront pécher par désertion comme ceux des juifs qui ne croient plus à la Bible et en leurs propres pro­ phètes, ou qui même s’enfoncent dans l’athéisme : ce ne sont plus que des épaves. 2. Ce qu’il ne faut pas omettre, quand on parle de la déviation religieuse du judaïsme, c’est d’ajouter quelle est radicalement insuffisante à elle seule à définir la reli­ gion de tout Israël. Elle ne représente qu’une étape de sa destinée. Du point de vue théologique - et c’est ici la « théologie de l’histoire du salut »525 526 qui est compétente il est impossible, sans fausser toutes les perspectives, de porter un jugement sur la religion d’Israël sans la suivre depuis l’Ancien Testament où elle représente le point suprême de condensation de la vraie Église encore en 525. Cf. P. J. DE MENASCE, Quand Israël aime Dieu, Paris, 1931. 526. Introduction à la théologie, Paris, 1947, pp. 157 et suiv. [IVe section de l’ouvrage : « La théologie historique »]. l’infidélité 1333 devenir, puis au temps du malentendu tragique qui lui fait méconnaître le salut de son Messie, et jusqu’au jour de sa réintégration où elle viendra prendre dans l’Église une place restée vide. 3. Les déviations religieuses postchrétiennes : les dis­ sidences, ΓIslam, les formations athées Nous ferons trois groupes des déviations religieuses qui se sont constituées en fonction du christianisme. Γ Dans le premier, nous rangeons les Églises dissi­ dentes, dont les principales sont les Églises orthodoxes et les Églises protestantes527. Elles ont d’abord connu et professé le christianisme authentique. Elles ont la pré­ tention de l’avoir conservé ou restauré. Elles entendent déposséder de ces droits le christianisme catholique. Du point de vue de ce dernier, elles se sont disjointes du christianisme intégral par un péché de désertion ou d’hé­ résie. Elles transmettent en conséquence à leurs adeptes un patrimoine, une forme ecclésiologique, où sont amal­ gamés la foi traditionnelle et un principe d’erreur. Il importe de relever que le péché d’hérésie initial est de même espèce, quels qu’aient été le nombre et l’impor­ tance des vérités niées. Mais il n’en va pas ainsi du patri­ moine d’une hérésie. Il change d’espèce selon le nombre et l’importance des vérités divines conservées ou mécon­ nues. Il y a beaucoup plus qu’une différence accidentelle entre une Église dissidente où sont dispensés validement les sept sacrements et une Église dissidente qui n’a plus 527. Il y faudrait joindre, mais en les mettant chacune sur un plan différent, les sectes dissidentes du passé comme les ariens, les donatistes, les manichéens, etc. 1334 VI/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE que le baptême et le mariage, ou qui n’a plus aucun sacrement. S’ils sont dociles aux motions de l’Esprit saint qui les visite, les membres d’une Église dissidente peuvent appartenir initialement et salutairement à la vraie Église. Ils sont alors portés à vivre toujours plus intensément du trésor des vérités maintenues dans leur Église, et à se dé­ tacher instinctivement du principe d’erreur qui menace de les y altérer. Si, au contraire, ils résistent aux invitations de la grâce divine, ils pourront se laisser séduire par ce principe d’er­ reur jusqu’à reprendre pour leur compte personnel le péché de l’hérésie initiale. 2° Il faut placer l'Islam à parC28. Les religions dissi­ dentes se sont constituées en s’opposant au christianisme intégral quelles ont d’abord connu et professé et qu’elles prétendent continuer. L’Islam s’est constitué en s’oppo­ sant au christianisme connu mais non pas professé. Le péché qui est à l’origine des religions dissidentes est un péché d’infidélité par désertion, un péché d’héré­ sie. Le péché qui est à l’origine de l’Islam est un péché d’infidélité, soit par inhibition, soit peut-être par régres­ sion. Il y a irréductibilité entre ces deux formes d’infidé­ lité. C’est l’aspect sur lequel insistaient les anciens528 529. Mais l’Islam s’est constitué comme les hérésies en ce sens qu’il s’est dressé contre le christianisme. Sans l’avoir 528. Voir Préface à la seconde édition [vol. II, pp. 5-8] où l’Islam est présenté d’une manière qui nous semble préférable. 529. « Celui-là seul professe l’Évangile qui le professe absolument. Et cela se fait quand le baptême est reçu dans la foi de l’Église. Aussi les musulmans, qui ne reçoivent de l’Évangile et de la loi de Moïse que ce que leur chef en a retenu, sans confesser absolument ni l’un ni l’autre, doivent être rangés sous l’infidélité des païens... ». CAJETAN, II-II, qu. 10, a. 5, n° IV. l’infidélité 1335 professé, il le connaissait assez pour le combattre. Sa doctrine est une négation directe de la révélation chré­ tienne fondamentale de la Trinité et de l’incarnation. C’est pourquoi les modernes, tant catholiques que pro­ testants, qui essaient de caractériser avec profondeur l’Islam comme religion, - comme patrimoine d’infidélité — s’accordent à le ranger parmi les hérésies 53°. Nous dirions : parmi les dissidences, puisque nous nous sommes interdit de parler d’hérésie-doctrine et que nous ne connaissons que l’hérésie-péché. L’Islam est une simili-dissidence du christianisme. Ceux qui, à l’intérieur de l’Islam, sont ouverts aux rayons de cette vraie lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde, peuvent appartenir initialement et salutairement à l’Eglise du Christ, qu’ils combattent peut-être encore, par ignorance invincible. Ils seront alors poussés à substituer progressivement la religion de l’amour à la religion de la lettre, et cela deviendra per­ ceptible chez les meilleurs d’entre eux530 531. 530. « L’Islam, à n’en pas douter, est à ranger parmi les hérésies : la Révélation biblique, pour être mal connue, n’y est pas ignorée, elle y est formellement rejetée quant aux vérités essentielles : l’incarnation et la Trinité ; mais c’est bien à la Révélation que le Coran entend se rattacher... Je crois qu’il est impossible de vivre en contact prolongé avec l’Islam sans ressentir X exclusion qu’il inflige au christianisme authentique, et cela d’autant plus vivement qu’il fait une place plus importante à la personne de Jésus, prophète et saint. Que l’Islam se soit chargé de toutes sortes d’éléments adventices..., qu’il se soit enri­ chi d’une mystique qui, pour s’appuyer sur le Coran, se nourrit cependant de fait à des sources plus pures, rien de cela n’empêche qu’il assure son unité en faisant bloc contre la Révélation biblique, en tant même que le Coran prétend l’accomplir et la rectifier ». P. DE Menasce, « La théologie de la mission selon M. Kraemer », dans Nouvelle Revue de Science Missionnaire, 1945, p. 251. 531. Louis Massignon cite ces mots de Hallâj : « S’il était jeté un atome de ce que j’ai dans le cœur sur des montagnes, elles fon­ draient... Quand Dieu prend un cœur, Il le vide de ce qui n’est pas 1336 VI/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE Ceux qui, au contraire, résisteront à cette vraie lumière, pourront pécher peut-être par simple inhibi­ tion. Mais s’ils ont commencé par croire véritablement et que l’influence de l’Islam saccage en eux cette vraie foi, ouverte secrètement sur la Trinité et l’incarnation, c’est bien par désertion qu’ils pécheront. Comme tel, et en outre par son intention d’antichristianisme, leur péché ressemblera à celui des hérétiques. Nous pensons ainsi concilier à la fois les anciens, qui voyaient à l’origine de l’Islam un péché d’infidélité, et ceux des islamisants modernes qui lui trouvent des res­ semblances avec les dissidences. Du point de vue d’une philosophie chrétienne des religions, il faudrait dire que l’Islam apparaît dans son fond comme un essai de reli­ gion naturelle, comme une expérience religieuse de la reli­ gion naturelle, qui, en refusant les grâces de la révélation divine au moment où celle-ci avait atteint sa plénitude évangélique, s’est durcie d’une manière qui diffère de celle des déviations religieuses préchrétiennes, et lui confère, par rapport à elles, un caractère particulier. 3° Isolons, dans un troisième groupe des déviations religieuses postchrétiennes, cette forme conquérante de l'athéisme déclaré apparue sur la scène du monde au seuil des temps modernes. A l’origine de cet athéisme, il y a un refus de christia­ nisme et un péché d’apostasie. Ce n’est pas un refus du vrai Dieu pareil à celui qui avait précipité les peuples Lui ; quand II aime un serviteur, Il incite les autres à le persécuter pour que ce serviteur vienne se serrer contre Lui seul... Ne convoite pas Son amour, et pourtant ne te résigne point à ne pas L’aimer... Le parfum de Ton approche suffit à me faire mépriser toute la création, et l’enfer n’est rien au prix de mon vide quand Tu me désertes... » « Étude sur une courbe personnelle de vie : le cas de Hallâj, martyr mystique de l’Islam », dans Dieu Vivant, cahier 4, pp. 17, 18, 21. l’infidélité 1337 antiques à l’idolâtrie. C’est un refus incomparablement plus virulent : non pas à proprement parler un athéisme mais un antithéisme. Plus précisément, un rejet de ce Dieu qui a tant aimé le monde qu’il lui a donné son Fils unique : donc un antithéisme qui est un antichristia­ nisme et comme une religion de Γ Antéchrist532. Les scolastiques disaient que le péché du chrétien qui déserte la foi est le même, quels que soient le nombre et l’importance des vérités niées, et ils ne voyaient qu’une différence accidentelle entre l’hérésie qui ne refuse que quelques-unes des vérités révélées et l’apostasie qui les refuse toutes. Mais du point de vue des grandes dévia­ tions religieuses collectives et de ce que nous avons appelé les patrimoines d’infidélité, il faudra tenir au contraire, répétons-le, qu’il y a une différence immense, incom­ mensurable, entre le patrimoine d’une hérésie, si grave soit-elle, et le patrimoine d’une apostasie. La toute-puissance de l’Amour divin envoie néan­ moins les illuminations de la grâce jusqu’à l’intérieur de ces formations athées, et malgré elles, nous avons dit qu’il n’est pas d’âme qui ne soit privément visitée533. Ajoutons que ces formations athées devront être vues elles aussi dans l’éclairage de la « théologie de l’histoire du salut» où elles apparaîtront comme des achemine­ ments vers l’établissement de cette « apostasie » dont saint Paul annonce quelle provoquera la parousie du Seigneur (II Thess., II, 3). 532. Jacques MaRITAIN, La signification de l'athéisme contem­ porain, Paris, 1949 [O. C., IX, pp. 443-469]. 533. Voir Jacques MaRITAIN, « La dialectique immanente du pre­ mier acte de liberté », n° 8. Et : « Une nouvelle approche de Dieu ». Voir Raison et raisons, Paris, 1947, pp. 160 et 185 [O. C., IX, pp. 347 et 367 s.]. 1338 III. Encore la terminologie : LÀ PRIÈRE POUR LES « ERRANTS » ET LA PRIÈRE POUR LES « INFIDÈLES » « Pour que vous daigniez appeler à l'unité de l’Église tous les errants, et amener à la lumière de l’Evangile tous les infidèles, nous vous prions, écoutez-nous, Sei­ gneur »534. Une des tâches principales de la prière chré­ tienne est de supplier Dieu d’écarter des hommes ces deux formes du mal que sont Γerreur et le péché. Cette prière s’exerce pour les Gentils, pour les Juifs, pour les dissidents. 1. La prière pour les Gentils 1. Les « Gentils » sont les nations, les peuples qui sont restés jusqu’ici étrangers à la révélation judéo-chrétienne, et auxquels la révélation divine n’a été proposée que sous les espèces de la loi de nature. Ceux d’entre eux qui la refusent ou la désertent sont des infidèles (infidélité par inhibition ou désertion). Leur faute aura pour conséquence d’accréditer certaines erreurs, certaines aberrations d’ordre spéculatif et pra­ tique qu’ils légueront à leurs descendants. Ceux-ci, encore qu’ils soient personnellement sollici­ tés par la grâce de la foi, ignorent donc la pure révélation judéo-chrétienne et héritent d’un patrimoine où les véri­ tés et les erreurs sont indissolublement confondues. Ils sont dans l’ignorance et l’erreur, mais ils ne sont pas tous 534. Cette invocation a été ajoutée aux Litanies des saints par PieXI, le 22 mars 1922. Cf. l’oraison du 3e dimanche après Pâques: « Deus qui errantibus ut in viam possint redire justitiae veritatis tuae lumen ostendis... » l’infidélité 1339 dans l’infidélité, car leur ignorance et leur erreur peuvent être invincibles. On signifiera la misère de la condition des Gentils sans rien préjuger cependant de l’état intime de leur âme, en parlant de X ignorance, de X erreur, de X aberration des Gentils. On peut prier pour que Dieu guérisse l’infidélité, et cette prière concerne trop de Gentils : ut infideles ad Evangelii lumen perducere digneris. On peut prier pour que Dieu dissipe l’ignorance et l’erreur, et cette prière concerne tous les Gentils : ut omnes errantes ad unitatem Ecclesiae revocare digneris. Le mot de « conversion » sera toujours exact, car il peut signifier le passage du péché à la grâce, de l’infidé­ lité à la foi : en ce sens on prie pour la conversion des infidèles ; ou le passage de l’erreur à la vérité : en ce sens on prie pour la conversion de tous les errants. 2. Quel usage faire du mot de « païens » ? On peut le prendre comme synonyme de Gentils. On parlera alors de l’ignorance, de l’erreur, de l’aberration des païens. Et aussi d’un salut possible des païens. Mais ce parti ne nous paraît pas le meilleur. On peut le prendre aussi, comme on faisait souvent jadis, pour signifier ceux des Gentils qui sont infidèles 535. Alors c’est seulement par figure de style qu’on parlera du «salut des païens», du «salut des infidèles». A la manière dont on dit que les aveugles voient. 535. C’est, ordinairement, l’emploi du mot chez saint AUGUSTIN : «... deorum falsorum multorumque cultores, quos usitato nomine paganos nominamus ». Rétractations, livre II, ch. XLIII. Il parle cepen­ dant de païens qui, dans l’empire, croient au Christ de cœur, sans oser le confesser de bouche : « Multi credunt corde, et erubescunt confiteri ore. Sciatis, fratres, propre jam neminem esse paganorum, qui non apud seipsum miretur, et sentiat impleri prophetias de Christo ». Sermo CCLXXIX, n° 7. 1340 VI/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE Mais si le mot de païens peut être employé comme synonyme de Gentils, sans désigner nécessairement des «infidèles», le mot d'« idolâtres » est toujours pris en mauvaise part. Cependant, les idolâtres ont pu laisser après eux un patrimoine de pratiques et de rites d’abord nettement idolâtriques, mais qui, peu à peu, ont pu perdre leur signification originelle, pour tomber au rang de simples coutumes sociales. Il s’ensuit que la foi surna­ turelle peut subsister même à côté de pratiques d’appa­ rence idolâtriques, que le temps a pour une part ou tota­ lement dévalorisées et qui, soit par suite d’une erreur invincible, soit en vérité536, ne semblent plus nocives. 3. Les « païens », regardés comme des infidèles, sont mentionnés plusieurs fois dans la prière liturgique. La Missa contra paganos, qui est fortement engagée dans les perspectives temporelles, se contente d’implorer la vic­ toire des armées chrétiennes contre l’envahisseur. Les oraisons du Vendredi saint sont plus vastes. Elles deman­ dent que Dieu « enlève l’iniquité du cœur des païens afin que, délaissant leurs idoles, ils se convertissent au Dieu vivant et vrai et à son Fils unique Jésus-Christ, notre Dieu et Seigneur » ; puisqu’il ne veut pas la mort des 536. Une instruction de la S. Congrégation de la Propagande, du 26 mai 1936, autorise les catholiques japonais à participer à des céré­ monies qui, « bien quelles soient peut-être d’origine superstitieuse (shintoïsme), ne revêtent plus cependant, en raison des lieux et des per­ sonnes, comme aussi de l’opinion actuelle commune, qu’une signifi­ cation d’urbanité et de mutuelle bienveillance ». Acta Apostolicae Sedis, 1936, p. 406. Une autre instruction, du 8 décembre 1939, autorise les catholiques chinois à rendre les honneurs d’usage aux images de Confucius ou des ancêtres défunts, sous réserve, s’il en était besoin, de déclarer que leur intention est profane. Acta Apostolicae Sedis, 1940, p. 24. Cf. Nouvelle Revue de Théologie, Louvain, 1937, p. 105 ; 1940, p. 207. l’infidélité 1341 pécheurs, qu’il daigne « les délivrer du culte des idoles et les agréger à sa sainte Église ». Ailleurs, le mot de païens n’est pas prononcé, mais la pensée de l’idolâtrie, si souvent signalée par l’Écriture537*, subsiste. C’est ainsi que la formule de consécration du genre humain au Sacré-Cœur, selon le texte de LéonXIII, 25 mai 1899, parle d’hommes qui «n’ont jamais connu » le Christ ; elle souhaite qu’il devienne « le Roi de tous ceux qui vivent encore dans l’antique super­ stition des Gentils, et qu’il ne refuse pas de les tirer des ténèbres pour [les gagner] à la lumière et au règne de Dieu». A l’expression « dans l’antique superstition des Gentils », le texte de Pie XI, 17 octobre 1925, substitue «dans les ténèbres de X idolâtrie . Bref, ces oraisons539 demandent que les Gentils soient délivrés du péché d’idolâtrie, qui est, selon saint Thomas, une profession extérieure d’infidélité540. 537. Par exemple, Act., XVII, 16 ; Rom., I, 23. 538. Il ajoute : « et de l’Islam », réunissant, comme le faisaient les anciens théologiens, le paganisme et l’Islam sous une même forme d’infidélité. 539. C’est l’infidélité des envahisseurs Gentils que désigne l’hymne de la Toussaint : Auferte gentem perfidam Credentium de finibus Ut unus omnes unicum Ovile nos Pastor regat. Cf. Saint LÉON LE Grand, Sermon III, ch. Ill ; P. L., t. LIV, col. 146 : La foi par laquelle Pierre confesse chaque jour la divinité du Christ dans l’Église « est soutenue par une force si grande et si divine quelle ne peut être ni corrompue par la perversion de l’hérésie, ni vaincue par l’infidélité païenne, pagana perfidia ». 540. « La superstition est une sorte de protestation d’infidélité par le moyen d’un culte extérieur... L’idolâtrie est une forme de supersti­ tion». II-II, qu. 94, a. 1, ad 1. 1342 VI/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE 4. Toutefois, il va de soi que Gentils et idolâtres ne sont pas synonymes. La Missa pro fidei propagatione, toute attentive à rappeler l’universalité du salut chrétien préparé dans l’Ancien Testament et promulgué dans le Nouveau, demande la conversion de tous les Gentils, sans parler ni de leur idolâtrie ni de leur infidélité. S’ils avaient considéré d’emblée les Yamana de la Terre de Feu comme des infidèles ou des idolâtres, les mission­ naires du Verbe divin n’auraient jamais pu découvrir chez eux la croyance en un Dieu suprême. « Nous de­ mandâmes également à nos Yamana pourquoi ils n’avaient pas dit tout cela plus tôt aux missionnaires pro­ testants qui avaient séjourné de longues années parmi eux. Nous reçûmes toujours la même réponse : Les mis­ sionnaires ne nous l’ont jamais demandé ! Bien au contraire, ils répétaient sans cesse que tout ce que nous avions chez nous n’était qu’un ensemble d’absurdités que nous devions oublier. Cependant, nous sentions bien que le Dieu des chrétiens, dont ils parlaient, était, au fond, semblable à notre Watauinéwa. Ces paroles et cette manière d’agir des missionnaires nous a fait de la peine »541. 2. La prière pour les juifs 1. Le péché qui est à l’origine de la déviation reli­ gieuse d’Israël est cette forme d’infidélité qui a préféré la figure à la réalité, la promesse à l’accomplissement : infi­ délité par régression, infidelitas (perfidia) judaica 542. 541. Wilhelm KOPPERS, « Sur l’origine de l’idée de Dieu, A pro­ pos de la croyance en Dieu chez les Indiens de la Terre de Feu », dans Nova et Vetera, 1943, p. 283. 542. Le déicide, d'ailleurs non connu comme tel, n’a été qu’une conséquence. « Je sais bien, frères, dit saint Pierre, que vous avez agi l’infidélité 1343 Il a laissé après lui ce qui, à des yeux chrétiens, appa­ raît comme un héritage ou patrimoine d’infidélité, à savoir le judaïsme, où sont bloquées indissolublement des vérités divines et des déviations ; en sorte que lorsque les Juifs lisent Moïse, « un voile reste étendu sur leur cœur », II Cor., Ill, 15. Mais il serait souverainement injuste de regarder tous les sectateurs du judaïsme comme coupables de l’infidé­ lité judaïque originelle. Il y a parmi eux d’authentiques croyants, dont la foi est, il est vrai, pour une part entra­ vée par des erreurs qui sont invincibles pour eux. Il y a aussi des athées. Du point de vue chrétien, on sera sûr d’être dans le vrai en parlant de (erreur des Juifs, et, si l’on veut rappe­ ler qu’ils ont été les premiers invités à l’Évangile, de leur méprise tragique. 2. Lorsqu’elles rangent (infidélité juive, par ordre de malice, entre l’infidélité des hérétiques et celle des païens, les grandes oraisons du Vendredi saint pensent au péché dont se sont jadis rendus coupables ceux qui ont entraîné Israël dans le malheur, et dont peuvent se rendre aujourd’hui coupables ceux des Juifs qui reprendraient à leur compte, en pleine clarté de conscience, l’antichristianisme originel : « Prions aussi pour les Juifs infidèles, pro perfidis Judaeis, afin que notre Dieu et Seigneur ôte le voile qui couvre leur cœur et qu’ils reconnaissent eux aussi Jésus-Christ notre Seigneur». Et la prière continue sans interrup- par ignorance, ainsi que vos magistrats» (Act., Ill, 17). Cf. Saint AUGUSTIN, Enarr. in Ps. LXV, n° 5 : « Le sang du Seigneur qu’ils avaient répandu a été pardonné aux homicides ; je ne dis pas aux déi­ cides, car s’ils avaient compris, ils n’auraient pas crucifié le Seigneur de la gloire, I Cor., II, 8. » 1344 VI/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE tionM3 : « Dieu tout-puissant et éternel, qui n’écartez pas de votre miséricorde l’infidélité juive elle-même, exaucez les prières que nous vous présentons pour [dissiper] l’aveuglement de ce peuple, afin que, confessant la lumière de votre vérité qui est le Christ, ils soient déli­ vrés de leurs ténèbres ». Pourtant il va de soi que tous les Juifs ne sont pas infidèles, et que, si judaïsme est syno­ nyme d’erreur, de malentendu, de déviation religieuse, il n’est pas synonyme d’infidélité. 3. Quand donc, sans vouloir rien préjuger au sujet de la foi ou de l’infidélité de chacun des Juifs, on priera pour la religion juive comme telle, pour le judaïsme comme tel, pour ce qui, du point de vue chrétien, appa­ raît comme \ erreur ou la méprise juive, on demandera encore que tombe le voile qu’ils ont sur le cœur lorsqu’ils expliquent les prophéties, et que se dissipent les ténèbres qui les empêchent de reconnaître la divinité de Jésus. Ainsi formulée, cette prière continuera de secourir ceux des Juifs qui sont vraiment infidèles ; mais elle sera plus attentive encore à aider ceux d’entre eux qui sont déjà dans la foi divine, à rejoindre la plénitude évangélique. La consécration du genre humain au Sacré-Cœur de Jésus, dans le texte de Pie XI, considère les Juifs non comme tous infidèles, mais comme tous appelés à parti­ ciper à la plénitude de la Rédemption : « Regardez enfin avec miséricorde les enfants de ce peuple qui fut si long­ temps votre élu, illius gentis quae tamdiu populus electus fuit', et que le Sang autrefois invoqué sur eux, descende sur eux aussi maintenant, en baptême de rédemption et de vie ». 543. Sur le sens, encore incertain, de cette rubrique, cf. J.-M. OESTERREICHER, article cité, dans Cahiers Sioniens, pp. 91-99. l’infidélité 1345 3. La prière pour les dissidents 1. Les oraisons du Vendredi saint commencent de prier « pour les hérétiques et schismatiques, afin que notre Dieu et Seigneur les délivre de toutes leurs erreurs et daigne les ramener vers leur sainte Mère, l’Église catholique et apostolique ». Elles ajoutent : « Dieu toutpuissant et éternel, qui sauvez tous les hommes et ne voulez pas qu’aucun d’eux périsse, regardez vers les âmes trompées par le mensonge du diable, afin qu’après avoir écarté toute perversité hérétique, les cœurs des égarés se ressaisissent et reviennent à l’unité de votre vérité ». Ces grandes oraisons du jour de la mort du Sauveur vont toutes aux sources du mal qui est le péché, et d’abord au péché d’infidélité, par lequel est détruite la racine même de la vie spirituelle. Elles n’envisagent pas les conséquences sociales de l’infidélité en elles-mêmes. Elles ne visent ni les religions préchrétiennes en ellesmêmes, en tant que distinctes du péché d’infidélité qui les a provoquées et marquées ; ni le judaïsme en luimême, en tant que distinct de la perfidia judaica 544 ; ni les formations dissidentes en elles-mêmes, en tant que distinctes de l’hérésie et du schisme dont pourtant elles dérivent. Elles ne songent pas à faire mention de deux catégories de maux : ceux qui ne sont dus qu’à Verreury et ceux qui sont dus au péché. 2. C’est précisément ce partage entre errants et infi­ dèles que nous trouvons rappelé dans la récente invoca­ tion ajoutée aux Litanies des saints. Il est encore présupposé par la rédaction de la formule de consécration de tout le genre humain au Sacré-Cœur 544. J.-M. OESTERREICHER, article cité, p. 98, ne pense pas que l’Église désire, dans sa liturgie du Vendredi saint, modifier cette expression. Il a raison, car l’Église ne prie alors que pour le péché. 1346 Vl/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE de Jésus. Dans le texte de Léon XIII, repris tel quel par Pie XI, les mots d’hérétiques et de schismatiques ne se trouvent pas. D’autres expressions, qui correspondent à celles de dissidents, leur ont été substituées : « Soyez le Roi, soit de ceux que l’erreur de leurs opinions retient captifs dans l’illusion, quos aut opinionum error deceptos habet, soit de ceux qu’un désaccord retient séparés (de l’unité), aut discordia separatos ; ramenez-les au port de la vérité et à l’unité de la foi, afin qu’il n’y ait bientôt qu’un troupeau et qu’un pasteur ». En parlant des déchirures de l’Église, nous avons dit que ce n’est pas en elle-même que l’Église est déchirée. C’est seulement en ceux qui se déchirent d'avec elle et qui emportent avec eux quelqu’un de ses trésors, quelque trace de ce qui est en elle : au moins ces motions de la grâce prévenante dont nul adulte n’est privé. L'Église catholique est ainsi présente par quelque chose d'elle-même jusque dans les formations où elle n'est pas reconnue. Pour ce qui est des Églises dissidentes comme telles, nous avons dit de quelle manière elle peut les pénétrer et les envahir. Mais elle est présente, sans doute imparfaitement, jusqu’au sein des déviations religieuses d’origine préchrétienne ; elle peut l’être malgré elles au sein même des formations athées. Elle les déchire a son tour, elle les atomise. Car le bien déchire le mal plus sûrement qu’il n’est déchiré par lui. Elle fait surgir au milieu d’elles des milliards de points lumineux, qui ne s’éteignent pas tous, qui peuvent être déjà des points de foi et de charité, et qui attendent pour se réunir « le moment de la manifestation des enfants de Dieu ». 1347 IV L’HÉRÉSIE Fidèles à la terminologie ancienne, nous entendons par hérésie, non une doctrine, mais un péché, à savoir le péché de ceux qui désertent la vraie foi, plus précisément la foi de la loi nouvelle. 1. Les trois notes constitutives de l’hérésie Toute infidélité suppose deux éléments : 1° une erreur en matière de foi ; erreur qui peut porter sur ce qui est de foi directement (par exemple : le Christ est vrai homme) ; ou sur ce qui est de foi indirectement'4’ (par exemple : Abraham est père d’Isaac, ou : le Christ pou­ vait sourire) dans la mesure où la négation de ces propo­ sitions ferait nier les propositions directement révélées dont elles dépendent (l’inerrance de l’Ecriture ou l’hu­ manité du Christ) ; 2 ° la pertinacité ou obstination, qui signifie ici, comme le note Cajetan, non pas toujours cette forme particu­ lière de résolution et d’entêtement que les moralistes ont coutume d’opposer au péché commis par l’entraînement des passions, mais aussi, simplement, le vrai consente­ ment donné à ce qu’on sait être une erreur en matière de foi545 546. Il suit de tout cela que l’infidèle rejette la règle de la Vérité première pour lui préférer la règle de son juge­ ment propre ; et comme il n’y a pas d’évidence contre le vrai, l’infidèle, en se détournant du plan des certitudes divines, ne peut que tomber sur le plan de la conjecture et de l’opinion. En sorte que, modifiant une phrase 545. Saint THOMAS, II-II, qu. 11, a. 2. Cf. le commentaire de Marin-Sola, L’évolution homogène du dogme catholique, t. II, p. 252. 546. II-II, qu. 11, a. 2, n° I. 1348 \Π/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE connue, on pourrait dire : « l'infidèle est celui qui a une opinion ». Aux deux éléments communs à toute infidélité, l’héré­ sie en ajoute un troisième qui la spécifie, à savoir la désertion de la foi en la révélation chrétienne : ce qui entraîne la déchirure de l’unité résultant de la foi chré­ tienne expressément professée, en d’autres mots de la plus fondamentale unité qui soit. 2. L’hérétique ne rejette souvent qu’une partie du dépôt révélé Souvent cette désertion sera partielle, en ce sens du moins qu’on ne rejettera que quelques articles de foi. Et ce sera, pensera-t-on, pour ramener la révélation chré­ tienne à sa pureté primitive547. En tout cas, quelque variées que soient les hérésies, elles commenceront toutes par répudier ce qui doit être, depuis l’avènement du christianisme, le motif formel de notre foi : a savoir [’Autorité de la Vérité première (voilà le motif formel de toute foi divine) pour autant quelle a voulu que le contenu de son message nous fût infailliblement révélé par le magistère des apôtres et infailliblement transmis par le magistère romain (voilà la condition intégrante nécessaire de la foi divine sous la loi nouvelle548 : là où cette condi­ tion nécessaire est coupablement répudiée - et c’est le cas dans l’hérésie -, aucun acte de foi divine n’est plus pos­ 547. « L’hérésie est la sorte d’infidélité de ceux qui professent la foi du Christ, mais corrompent sa doctrine». S. THOMAS, II-II, qu. 11, a. 1. « Est hérétique celui qui, après le baptême, tout en retenant le nom chrétien, nie ou met en doute avec pertinacité quelqu’une des vérités qu’il faut croire de foi divine et catholique ». Code de Droit Canon, can. 1325, § 2. 548. Cf. S. Thomas, II-II, qU. 5, a. 3. l’hérésie 1349 sible ; là où elle est invinciblement méconnue — et ce peut être le cas dans la dissidence et même au sein des forma­ tions religieuses non chrétiennes - la foi divine reste possible, mais elle est mutilée et menacée dans son donné et dans son déploiement). 3. L’hérésie s’attaque immédiatement à la foi divine et conséquemment à la communion ecclésiastique « Il n’y a qu’un Seigneur, une foi, un baptême, un Dieu, Père de tous, qui est au-dessus de tous, qui agit par tous, qui est à tous» (Ephés., IV, 5). C’est la même foi chrétienne qui est prêchée à tous les hommes, qui est donc par essence universelle (unum versus omnes) ou catholique, et qui fonde l’unité du corps mystique du Christ549. En répudiant la foi surnaturelle pleinement révélée, l’hérétique répudie du même coup l'unité surnaturelle pleinement constituée. Il tombe, d’une part, de la foi sur­ naturelle dans l'opinion ; et, d’autre part, de lunité sur­ naturelle dans la désagrégation, même quand il trouverait des foules pour l’entourer et le suivre. Ce qui le qualifie, c’est donc, avant tout, l’abandon de la foi - et c’est, conséquemment, l’abandon de l’unité que fonde la foi. Ce n’est pas l’abandon de n’importe quelle communauté de pensée. Quand Bossuet, à la fin de la Préface à l'histoire des variations des Eglises protestantes, dit : « Le propre de l’hé­ rétique, c'est-à-dire de celui qui a une opinion particulière, est de s’attacher à ses propres pensées ; et le propre du catholique, c'est-à-dire de l'universel, est de préférer à ses sentiments le sentiment commun de toute l’Église », ce 549. «L’unité du corps mystique repose tout d’abord sur l’unité de la vraie foi ». IVSent., dist. 13, qu. 2, a. 1. 1350 W2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE qu’on pourrait lui reprocher, encore que sa vraie pensée soit visible et reconnaissable, c’est de paraître justifier le conformisme plutôt que le catholicisme. A la vérité, il s’agit, pour vaincre l’hérésie, non pas de préférer sur tous les plans le collectifau particulier, mais d’opposer une cer­ taine communion, née de la foi, à une certaine singularité, née de son rejet ; bref, de décider d’abord si l’on choisit pour la foi divine (avec ses communions et ses solitudes) ou contre elle. Le langage de saint Thomas est plus précis que celui de Bossuet. Cherchant à ordonner les diverses notes rassemblées dans la notion d’hérésie, il écrit que « l’hérétique est celui qui rompt avec la foi commune et catholique, pour choisir de se fixer avec ténacité dans une opinion contraire, qtd a communi fide, quae catholica dicitur, discedit, contrariae opinioni vehementer inhaerens per electionem »5>0. La catastrophe fondamentale de l’hé­ rétique, qui est celle de tout infidèle, est de tomber de la foi divine dans X opinion, non de ce qui est commun dans ce qui est particulier. 4. L'apostasie, ou hérésie qui rejette la totalité du dépôt révélé Mais l’hérésie, au lieu de se restreindre à quelques négations, peut s’étendre à l’ensemble de la révélation chrétienne. Elle reçoit alors le nom d’apostasie5^1. C’est 1’apostasia perfidiae, que saint Thomas oppose à Γaposta­ sia religionis du moine qui rompt ses vœux5·2. Toute hérésie, fût-elle limitée à une seule négation, suffit déjà à détruire complètement, en celui qui en est 550. IV Sent., loc. rit. 551. « Est apostat celui qui déserte totalement la foi chrétienne ». Code de Droit Canon, can. 1325, § 2. 552. II-II, qu. 12, a. 1. l’hérésie 1351 coupable, l'acte et la vertu de la foi divine. En sorte que l’apostasie, pour nier un plus grand nombre de vérités de foi, ne constitue pas un péché d’une nouvelle sorte. Elle n’ajoute à l’hérésie qu’une circonstance aggravante553. 5. L’hérésie saccage l’âme créée de l’Église La communion dans la foi étant le fondement de la communion dans la charité554, l’effondrement de la foi intérieure entraîne celui de l’âme créée de l’Église tout entière. L’hérésie ne laisse, dans le chrétien quelle dévaste, que les marques des caractères sacramentels, qui sont des participations indélébiles au pouvoir sacerdotal du Christ. On peut dire, en reprenant une comparaison de saint Thomas, que les caractères sacramentels, qui sont des éléments préordonnés à l’apparition de l’âme créée de l’Eglise, appellent de soi la floraison de cette âme, comme une cause appelle son effet555. Mais cette ordina­ tion normale des caractères à la grâce est contrariée par l’hérésie. L’hérétique est un être écartelé. De par l’exi­ gence en quelque sorte ontologique des caractères sacra­ mentels - et de par les visites de l’Esprit saint - il est encore membre de l’Église d’une certaine manière, secundum quid ; mais de par sa volonté libre, il s’en est exclu absolument parlant, simpliciter. 553. Le point de vue change, nous l’avons vu, si l’on considère, non plus les péchés d’hérésie, mais les patrimoines d’hérésie ; non plus les catastrophes de la foi personnelle, mais les altérations de la foi collective. 554. S. Thomas, IVSent., dist. 13, qu. 2, a. 1, ad 1 : « Amor facit completam unionem ; sed principium unionis est ex cognitione » ; a. 2, ad 2 : « In ordinatis ad invicem destructio prioris semper est pejor, sive illud sit melius, sive non » ; a. 3, ad 1 : « Consensus in unitate fidei est principium communionis in charitate ». 555. III, qu. 69, a. 10. 1352 VI/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE 6. Même occulte, l’hérésie exclut de l’appartenance à l’Église Nous avons dit qu’à la différence de l’hérésiarque, l’hérétique peut ne pas avoir de sectateurs. Et même, son hérésie peut rester occulte. A la ressemblance de la foi, dit saint Thomas, l’hérésie est premièrement dans le cœur et secondement dans la bouche>xL Il faudra tenir compte de cette remarque quand on débattra la question de savoir si les hérétiques occultes sont encore absolument parlant membres de l’Eglise, et se ranger du côté des théologiens qui répondront par la négative. Ces hérétiques n’ont peut-être accompli aucun acte extérieur capable d’attirer sur eux une sentence canonique d’excommunication. Mais ils se sont excom­ muniés eux-mêmes, d’une manière plus profonde et en quelque sorte théologale, dans le silence de leur cœur556 557. 7. Les critères de l’héréticité S’il est vrai que l’hérésie est un péché, non une erreur, et qu'une doctrine de soi contraire à la foi ne devient hérétique qu’au moment où il se trouve un chrétien pour la soutenir avec pertinacité, on ne devra parler 556. IVSent., dist. 13, qu. 2, a. 1, ad 5. 557. Nous pensons que, bien qu’ils ne soient plus membres de l’Église, les hérétiques occultes continuent d’exercer validement les pouvoirs juridictionnels que l’Église leur avait confiés et qu’elle ne leur a pas encore retirés. La juridiction, qui de soi suppose la foi, peut résider par accident en ceux qui ne l’ont plus. Pour en venir au cas extrême d'un pape hérétique ou schismatique, envisagé expressément par les anciens théologiens, nous dirions qu’il garde ses pouvoirs, - lesquels survivent à sa catastrophe intérieure, - en vertu de l’axiome assurant, non pas qu’il est ipso facto déposé, mais qu’il doit être déposé. l’hérésie 1353 d’hérétiques et d’hérésies qu’à propos d’une doctrine : 1° contraire à la foi divine et catholique, 2° soutenue par un chrétien, 3° avec pertinacité’58. Le premier point est tranché par le magistère ecclé­ siastique qui peut déclarer infailliblement que telle doc­ trine, avec le sens quelle a dans tel ouvrage, est contraire à la foi divine et catholique5’9. Le second point sera le plus souvent aisé à déterminer. C’est le troisième point surtout qui fera difficulté. Il sensuit que le critère de l’héréticité sera finalement le critère de la pertinacité, ou en d’autres termes de la culpabilité. On est donc rejeté sur le plan du probable et du vrai­ semblable. Même dans les cas les plus nets on ne dépas­ sera pas les assurances de l’ordre moral. Un tel jugement ne saurait relever du magistère infaillible. L’homme qui se comporte comme un hérétique, et qui est selon toute vraisemblance un hérétique, n’est peut-être au vrai qu’un psychopathe. C’est Dieu qui juge les consciences, non les canonistes. Ils n’échappent pas à l’erreur judiciaire. Ils le savent : « Ces genres de décisions, dans lesquelles les juges s’efforcent, à partir d’indices et de vestiges, de pénétrer dans le cœur des hommes, ne sont guère que conjecturales »558 560. 559 558. Cajetan, II-II, qu. 11, a. 1, n° II. 559. Quand INNOCENT X condamne les cinq propositions de Jansénius comme hérétiques, ce mot est pris selon le sens de la termi­ nologie moderne : il désigne les erreurs de Jansénius, qui sont décla­ rées contraires aux énoncés formels de la foi divine, non les péchés de Jansénius. Denz., nos 1092-1096. ALEXANDRE VII précise que les cinq propositions, tirées quant à leur substance de XAugustinus, sont condamnées au sens visé par Jansénius dans son livre ; il ne définit pas que Jansénius est tombé dans le péché d’hérésie en les formulant. Denz. n° 1098. 560. Melchior CANO, De locis, livre XII, ch. IX, fin ; Padoue, 1734, p. 387. 1354 VI/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE Les anciens canonistes énuméraient les signes aux­ quels, de leur temps, les tribunaux ecclésiastiques conve­ naient de s’en remettre pour déceler le crime d’hérésie^61. Ils décrivaient de la sorte une notion jurisprudentielle, toute pragmatique et phénoménale, disons - si les cano­ nistes y consentent - une notion purement canonique de l’hérésie, destinée à sous-tendre la notion théologique en vue des exigences de la vie pratique7*62. Même ceux qui s’efforçaient d’en user prudemment n’étaient pas garantis contre les erreurs. Elles ont été nombreuses, tragiques. En un sens toutes les erreurs des chrétiens sont tra­ giques. Dans le système de la chrétienté sacrale, les erreurs en matière d’hérésie, comme celles aussi des pro­ cès de sorcellerie, étaient sanglantes, monstrueuses. Aujourd’hui, le système de la chrétienté sacrale est définitivement révolu. On pourra, on devra continuer de juger de l’héréticité, de dire d’un tel homme qu’il est coupable d’hérésie561 563, et d’agir en conséquence : « Après 562 un ou deux avertissements, éloigne-toi de Γhomme héré­ tique, sachant qu’un homme de cette espèce est perverti 561. Le premier de ces signes que mentionne Cano est l’aveu spontané. Il sait qu’il n’est pas infaillible et peut provenir de troubles mentaux. Il ajoute sans protester que les tribunaux ecclésiastiques de son temps, suivant en ceci l’usage des tribunaux civils, reconnaissent la validité de l’aveu arraché par la torture, p. 384. 562. C’est dans un tout autre sens que certains ont tenté, à pro­ pos du procès de Galilée, d’opposer la notion canonique et la notion théologique de l’hérésie. Cf. L’Église du Verbe incarné, t. I, p. 432 [vol. I, p. 730]. 563. Ceci vaut aussi pour ceux qui usent de la « terminologie moderne >». On se souvient, en effet, qu elle s’est montrée incapable d’abolir la « terminologie ancienne » et qu elle a dû lui faire une place dans son sein, d’où l’équivoque dont elle souffre, et quelle doit lever - d ailleurs imparfaitement — en recourant chaque fois aux dis­ tinctions d’hérétiques formels ou matériels, d’hérésies formelles ou matérielles. LE SCHISME 1355 et qu’en péchant il se condamne lui-même » (Tit., III, 10-11). Mais, dans le régime de la chrétienté présente, les conséquences et les sanctions de l’hérésie sont redeve­ nues ce quelles étaient aux temps apostoliques. Sur le texte de saint Paul que nous venons de citer, saint Augustin écrit : « Ceux qui défendent leur opinion, même fausse et funeste, sans esprit de pertinacité, nulla pertinaci animositate, surtout lorsqu’elle est, non pas le fruit de leur audace et de leur présomption, mais l’héri­ tage de parents séduits et tombés dans l’erreur, s’ils cher­ chent la vérité avec une prudente sollicitude et sont prêts, quand ils l’auront trouvée, à corriger leurs erreurs, ne doivent d’aucune façon être rangés parmi les héré­ tiques »564. V. LE SCHISME L’unité de l’Église est déchirée d’une manière plus profonde par l’hérésie, mais d’une manière plus révéla­ trice par le schisme. 1. Le péché de schisme «Schisme signifie scission. La scission s’oppose à l’unité. Le péché de schisme est donc celui qui s’oppose directement et de soi à l’unité, peccatum schismatis, dici­ tur quod directe et per se opponitur unitati »565. 564. Épître XLIIL n° 1. 565. S. Thomas, II-II, qu. 39, a. 1. 1356 VI/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE LE SCHISME Il faudra donc savoir exactement en quoi consiste l’unité créée de l’Eglise, quel est le principe formel ultime de l’unité de l’Église pour définir exactement le schisme. Toute définition du schisme se réfère à une définition de ce principe formel ultime, à une définition latente ou expresse de l’âme créée de l’Église. 2. L’unité de l’Église est détruite radicalement par l’hérésie et formellement par le schisme L’unité de l’Église est détruite soit par l’infidélité (donc par l’hérésie), soit par le schisme, mais inégale­ ment. L’infidélité la détruit fondamentalement, radicale­ ment. Le schisme la détruit directement, formellement. L’infidélité sape l’unité de l’Église d’une manière plus lointaine et plus irrémédiable. « L’hérésie, dit saint Thomas, est plus destructrice que les autres péchés, ren­ versant le fondement de tous les biens (surnaturels), sans lequel nul d’entre eux ne peut plus subsister »566. Certes, la charité est meilleure que la foi, mais elle n’est jamais sans la foi, en sorte que le péché d’infidélité qui renverse du même coup la charité et la foi est plus désastreux que le péché de schisme, qui détruit la charité pour autant précisément quelle est le principe formel ultime de l’unité de l’Église, mais laisse subsister la foi, principe radical de cette unité. « Quand plusieurs éléments sont ordonnés l’un à l’autre, la destruction de l’élément de base, même s’il n’était pas le plus précieux, est toujours la pire, car elle entraîne tout à la ruine»567. L’infidélité est donc, absolument parlant, plus grave que le schisme568. 566. IVSent., dise 13, qu. 2, a. 2. 567. Ibid., ad 2. 568. S. Thomas, II-II, qu. 39, a. 2. 1357 Mais le schisme est le destructeur immédiat et en quelque sorte spécifique de l’unité de l’Église. Il s’attaque à la charité en tant quelle est le principe formel ultime, l’âme créée et indivisible de l’Église. Il peut laisser intacte, au moins pendant un certain temps, la foi où elle s’enracine ; c’est à la fleur elle-même de l’unité qu’il s’en prend directement. Il comporte de ce fait une dif­ formité spéciale. Peut-être cette raison a-t-elle incliné les Pères à penser, ce qui nest vrai quen un certain sens, que le schisme, qui détruit ce qui est meilleur, était pire que l’infidélité ? Une autre raison pourtant les y a décidés : «C’est le fait biblique d’un traitement extrême réservé aux schismatiques, Nombres, XVI, 28-35, qui a, ainsi qu’ils le disent eux-mêmes, motivé le jugement des Pères sur la gravité suprême du péché de schisme »569. 3. Haine de Dieu, infidélité, schisme Si l’on cherche à ranger l’infidélité et le schisme dans l’ensemble des péchés selon leur degré de gravité, il fau­ dra dire que le pire de tous les péchés est le refus pur et simple de Dieu, la haine de Dieu. Dans tous les autres péchés mortels se cache un refus de Dieu, mais en raison de tel de ses aspects, de telle de ses exigences : c’est un refus conditionnel. Il se pourra que Dieu lui-même soit 569. M.-J. CONGAR, article « Schisme », dans Dictionnaire de Théologie Catholique, col. 1305. Cf. par exemple saint AUGUSTIN, dans le De baptismo contra donatistas, livre I, ch. VIII, n° 10 : « Ceux qu’ils baptisent, ils les guérissent de la plaie de l’idolâtrie ou de l’infi­ délité, mais ils les blessent plus gravement de la plaie du schisme. Pour les idolâtres, c’est le glaive de Dieu qui les a exterminés, mais pour les schismatiques, la terre s’est ouverte pour les engloutir ». Mais rien n’empêche, expliqueront les scolastiques, qu’un péché de soi moins grave acquière, en raison des circonstances, une malice particu­ lière. 1358 VI/2 - DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE directement rejeté ; mais en tant qu’il est la toute-puis­ sance secourable (voilà le désespoir), ou la Vérité pre­ mière, règle suprême de nos intelligences (voilà l’infidé­ lité). Mais le refus peut porter sur un bien créé auquel Dieu nous a ordonnés par un effet de son Amour infini que nous heurterons : ce peut être le bien général de l’unité ecclésiastique, de l’Église en tant quelle est le corps dont le Christ est la tête (voilà le schisme) ; ce peut être le bien particulier d’un homme ou d’un groupe d’hommes (voilà les péchés contre le prochain)· 7°. 4. Deux conceptions de l’unité de l’Église et du schisme : la conception empirique Il y a deux conceptions théologiques diverses du schisme, comme il y a deux conceptions théologiques diverses de l’unité essentielle de l’Église. La première, rela­ tivement récente, est d’abord soucieuse d’expliquer que les pécheurs peuvent être membres de l’Église, et c’est en conséquence quelle définit l’unité de l’Église. La seconde, vraiment traditionnelle, s’empare d’abord des données révélées et patristiques sur le mystère d’unité de l’Épouse du Christ et explique en conséquence l’apparte­ nance des pécheurs à l’Église. La première conception part donc de cette vérité incontestable, mais souvent attaquée au cours du temps, que les pécheurs peuvent encore être membres de l’Église. A quel titre est-ce possible ? Quels sont les élé­ ments qui subsistent en eux pour justifier cette apparte­ nance ? Il n’y aura qu’à les énumérer pour définir une unité minima de l’Église, commune à la fois aux pécheurs570 570. Pour cette ordonnance des péchés, cf. saint THOMAS, ΙΙ-Π, qu. 34, a. 2 et ad 2 ; qu. 39, a. 1 et a. 2, ad 3. LE SCHISME 1359 et aux justes. La méthode empirique y suffira, croit-on, mais c’est justement en quoi on s’illusionne. Certains en comptent deux, d’autres trois : 1° tout d’abord le caractère sacramentel fondamental du baptême et, éventuellement, les deux autres caractères sacramentels. Mais ces caractères subsistent chez les hérétiques, dont tout le monde s’accorde à dire qu’ils ne sont plus membres de l’Église. Les caractères sacramen­ tels sont donc, sans aucun doute, présupposés à l’unité de l’Église - sans eux tout le culte chrétien s’écroule­ rait- mais sans pouvoir la constituer. D’où la nécessité d'un nouvel élément. 2° la foi théologale, qui peut subsister dans les pécheurs à l’état informe, sans la charité. Suffit-elle à les constituer membres de l’Église ? En d’autres termes, l’unité spécifique de l’Église résulte-t-elle, à titre présup­ posé des caractères sacramentels, et à titre direct de la foi théologale informe ? Certains théologiens de grand nom l’ont cru. Et, en conséquence, ils ont déclaré, comme Suarez, que les schismatiques, tant qu’ils ne sont que schismatiques et n’ont pas glissé à l’hérésie, sont encore membres de l’Église"’ 1 : il ne leur manque en effet ni les 571. Suarez, De fide, disp. 9, sect. 1, n“ 13-15; édit. Vivès, t. XII, p. 248. - Pour Suarez même, la foi informe seule suffit à consti­ tuer l'unité substantielle de l’Église, en sorte que les catéchumènes sont membres de l’Église purement et simplement. Il ne leur manque que ■ *T fureur. - Mais, dit-on, pourquoi ces miracles dont vous parlez ne se font-ils plus aujourd’hui ? — C’est, pourrais-je répondre, qu’ils étaient nécessaires quand le monde ne croyait pas encore, afin qu’il pût croire »33. Et, en effet, quand, dans la suite des âges, se reproduiront jusqu’à un certain point les conditions exceptionnelles des âges apostoliques, par exemple avec un saint François Xavier, on verra les effusions de l’Esprit saint sur son Église s’en­ tourer, un peu comme au début, d’une multitude de miracles34. Il semble que nous soyons peut-être à la veille d’une semblable époque. « Plus je médite sur l’état présent de l’humanité, nous écrit aujourd’hui un ami qui est un contemplatif, et sur les faux prestiges qui de toutes parts éblouissent et aveu­ glent l’esprit des hommes, plus je me persuade que comme aux siècles apostoliques le monde a besoin d’une pure effusion de la bonne nouvelle évangélique prêchée dans la pauvreté et dans la liberté de l’Esprit saint, sequentibus signis. Le monde a besoin de miracles. Il a besoin de thaumaturges, il a besoin d’apôtres enflammés du pur amour de Dieu, détachés de tout, et vivant de la même vie de travail et de dénuement que le peuple qu’ils évangélisent, et qui témoignent de la vérité de Dieu non dans la vertu de l’éloquence et des raisonnements humains, mais par la puissance des signes. » Qu’on pense aux « apôtres véritables des derniers temps » qu’attendait Grignion de Montfort. 1462 VII/1 - NATURE DU CORPS DE L’ÉGLISE 2. Les miracles en temps ordinaire Cependant même en temps ordinaire le don des miracles n abandonne jamais ΓÉglise : « Aujourd’hui encore, disait saint Augustin, il se fait des miracles au nom du Christ, soit lors de l’accomplissement de ses mystères (sacra­ menta), soit par les prières ou les mémoires (tombeaux, reliques) de ses saints »3>. Il se peut qu’ils soient accom­ plis par des messagers qui manquent de sainteté : « Beaucoup me diront en ce jour-là : Seigneur, Seigneur, n’est-ce pas en ton nom... que nous avons fait beaucoup de miracles ? » (Mt., VII, 22). Quoi qu’il en soit, c’est toujours en faveur de la vérité évangélique que témoignent les vrais miracles : « Il n’est personne, dit Jésus, qui fasse un miracle en mon nom et qui puisse, aussitôt après, parler mal de moi » (Marc, IX, 39). Et nulle part les miracles ne se multiplient comme autour des saints : ils sont l’accompagnement et l’ombre de la sainteté transcendante, as the attendant and shadow oftranscendant sanctityiG. 3. Rapports de la hiérarchie et des miracles Le pouvoir permanent qu’il avait de les accomplir était propre au Sauveur. Il ne l’a point transmis directe­ ment à la hiérarchie. Elle dispose directement des pou­ voirs de prêcher la vérité évangélique, de prescrire comme un but à atteindre la perfection de l’amour, de communiquer par les sacrements la sainteté évangé­ lique: toutes choses qui indirectement appelleront les miracles. Elle ne dispose pas du pouvoir direct de faire des miracles, ni de commander de faire des miracles. Les 35. De civitate Dei, livre XII, ch. Vin. 36. Newman, Apologia, p. 25. ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS 1463 miracles quelle suscitera sur son passage, l’Église, comme les apôtres, ne les fera que par à-coups, sous l’ir­ ruption souverainement libre et imprévisible de l’Esprit saint: elle sait bien néanmoins que, possédant la pléni­ tude des valeurs évangéliques de vérité et de sainteté aux­ quelles les miracles sont appelés à rendre témoignage, elle peut compter sur de nombreux miracles. Elle le montre par exemple lorsque, s’armant d’une sainte audace, elle met pour ainsi dire Dieu en demeure de se prononcer dans les procès de canonisation, et de ré­ pondre par quelque signe, quelque guérison miraculeuse, aux prières que les fidèles lui adressent alors en considé­ ration de ses serviteurs défunts37. Et quand le pape, au nom du Christ dont il est le vicaire, et en vertu du pou­ voir des clefs, donne mission aux saints prédicateurs d’évangéliser le monde, il sait que « les signes suivront ». 4. Signification messianique et eschatologique des miracles La finalité des miracles de l’Église n’est pas seulement de dénoncer aux hommes le voisinage immédiat des mystères évangéliques : Dieu, auteur de l’ordre invisible de la grâce, modifiant l’ordre visible de la nature afin, dit Pascal, qu’on juge qu’il peut faire l’invisible, puisqu’il fait bien le visible38. Elle est encore de former ainsi à travers les âges une suite aux miracles du Sauveur. Les miracles de l’Église semblent vouloir, en effet, le plus souvent imiter les 37. BENOÎT XIV, De servorum Dei beatificatione et beatorum canonizatione, livre I, ch. XXXVII, n° 4. Sur la signification exacte de cette démarche, voir Saint Nicolas de Flue, Neuchâtel et Paris, 1947, p. 187 [cité plus haut, p. 1442, n. 9]. 38. Pensées, édit. Brunschvicg, n° 643. 1464 VTI/1 - NATURE DU CORPS DE L’ÉGLISE miracles évangéliques et leur donner réplique : guérisons et parfois résurrections, multiplication des aliments, luminescence, lévitations, etc. Il y a là un beau mystère qui a été plusieurs fois signalé39. En outre, en même temps qu’ils perpétuent en quelque sorte un des aspects de la première présence du Christ, les miracles de l’Eglise sont les signes avant-cou­ reurs de sa parousie glorieuse et des transfigurations réservées à l’univers matériel pour l’époque eschatologique. 5. Les miracles aiment à se cacher Chose étrange, pour des raisons diverses la visibilité même du miracle sera parfois compromise. Tout d’abord, nous l’avons dit, le miracle échappe au regard superficiel et ne tombe que sous les prises d’un regard métaphysique. Jésus pourrait faire, sous les yeux distraits ou fatigués des apôtres, des miracles qu’ils ne sauraient pas reconnaître : il semble, lors de la première multiplication des pains, qu’il n’interroge Philippe que pour éveiller son attention: «Jésus dit à Philippe: Où achèterons-nous des pains pour que ces gens mangent ? Il disait cela pour l’éprouver, car il savait bien ce qu’il allait faire » (Jean, VI, 5-6). Ensuite, hors le cas des témoins oculaires, le miracle ne nous arrive que dans l’enveloppe de témoignages qui voilent nécessairement l’éclat de son exceptionnelle visi­ bilité. 39. Voir Olivier LEROY, La lévitation, Paris, 1928 ; La splendeur corporelle des Saints, Paris, 1936 ; « De la multiplication miraculeuse des biens», dans Vie Spirituelle, mars 1937, p. [148] ; avril 1937, p. [14] ; avril 1938, p. [43]. Les miracles eux-mémes du Sauveur semblent continuer ceux de ses prophètes : d’Élie, I Rois, XVII, et d’Élisée, Il Rois, IV. ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS 1465 ·*·><. 4 * r * 40. Vie Spirituelle, 1938, p. [50]. • Enfin les miracles cherchent la retraite et le silence. Après avoir été confirmé dans sa pensée que « les annales des communautés religieuses contemporaines devaient certainement contenir des miracles de multiplication aussi remarquables que ceux du passé », Olivier Leroy conclut son étude sur Quelques faits récents de multiplica­ tion des biens40 par les réflexions suivantes : « Ces miracles restent cachés parce que ceux qui les obtiennent mènent eux-mêmes des vies jalousement cachées et que leur humilité ne redoute rien tant que le bruit qui se pourrait faire autour des faveurs insignes qu’ils obtien­ nent. Le croyant, tout d’abord, le regrette. Il voudrait pouvoir donner au monde ces preuves éclatantes que le bras de Dieu ne s’est point raccourci. C’est peut-être manque de sagesse. Si c’est dans l’obscurité que s’affir­ ment le plus magnifiquement ici-bas les témoignages de la prédication divine, n’y verrons-nous qu’un pur hasard? Non, soyons, au contraire, assurés que, cela fut-il possible, une vaste publicité ne doit pas être don­ née à de telles merveilles. Accordées aux croyants, elles ne peuvent être divulguées utilement qu’aux croyants, ou au moins aux âmes de très bonne volonté. Ailleurs, elles ne feraient qu’exciter le sourire, le rire, la contradic­ tion, peut-être le blasphème. Le temps n’est point révolu où le Sauveur, après chacun de ses miracles, enjoignait aux témoins de se taire... Maintenir le miracle dans la pénombre, écrivais-je naguère, comme si l’on craignait de le voir s’évanouir au grand jour, c’est ne guère croire au miracle. Je pense que je ne récrirais plus cette phrase aujourd’hui, après avoir reçu certaines confidences. Il me faudrait pour cela croire que la discrétion que l’on exige de moi, est moins propice que les divulgations que sou­ haitait mon empressement, aux vraies nécessités de 1466 \ΊΙ/1 - NATURE DU CORPS DE L’ÉGLISE l’apologétique. Cela je ne puis le croire. J’ai pour moi une apparence de vérité rationnelle. Mes correspondants ont pour eux la vérité spirituelle ». Ainsi, même dans les moments où elle atteint son maximum, la visibilité de l’Eglise semble vouloir parfois se dérober à beaucoup de regards. Le Sauveur n’a-t-il pas autant de souci de manifester sa Transfiguration à Pierre, Jacques et Jean, que de la cacher à la foule (Ml, XVll, 9)41 ? C. L’aspect sainteté Avant d’être prêtre de la loi nouvelle, avant même d’être roi-prophète-thaumaturge, Jésus est saint et dis­ pensateur de sainteté. Sa sainteté est son premier privi­ lège et son dernier recès. Elle illumine tant son sacerdoce que sa royauté ; tant le culte qu’il instaure en mourant sur la croix et en instituant les sacrements, que l’ensei­ gnement qu’il dispense sur la montagne, dans les para­ boles, la prière sacerdotale, le discours eschatologique, les entretiens d’entre Pâques et l’Ascension. 41. Olivier LEROY conclut ainsi son plus récent ouvrage : Miracles, paru aux « Questions Disputées », 1951, pp. 136 et 138 : « La crédi­ bilité de tous ces faits n’est pas égale. Dans les guérisons, elle équivaut à une certitude. La certitude qu’un cancéreux sur le point de mourir s’est mis à revivre après avoir invoqué Sœur Thérèse, et qu’un vari­ queux invétéré est sorti de la piscine de Lourdes avec des jambes régé­ nérées est aussi grande que celle que nous savons que Jeanne d’Arc a été brûlée vive ; et la certitude que cette même Jeanne a prédit un fait imprévisible n’est pas moindre. Les présences d’argent et les multipli­ cations ont une atmosphère plus secrète, et c’est une faiblesse ; mais cette faiblesse est compensée par la valeur morale des témoins... » 1467 1. Trois modes d'extériorisation de la sainteté MYSTÉRIEUSE DU CHRIST ET DE CELLE DE SON ÉGLISE : PAS DE MIRACLE, MIRACLE MORAL, MIRACLE PHYSIQUE Comme la sainteté mystérieuse du Christ s’est mani­ festée au-dehors par sa vie au milieu des hommes, la sainteté mystérieuse de l’Église, elle aussi, se manifeste au-dehors par son comportement visible. Mais ici et là, dans le Christ et dans l’Église, on peut distinguer plu­ sieurs modes d’extériorisation de cette sainteté mysté­ rieuse : certaines saintes actions ou passions du Christ et de l’Église n’apparaissent pas comme proprement mira­ culeuses, d’autres au contraire représentent un miracle moral, et d’autres même un miracle physique. 1. La sainteté du Christ et ses modes d’extériorisation 1. Il s’agit d’une sainteté profondément mystérieuse qui ne nous est connue que par la révélation et qui ne peut être saisie directement par nous que dans la nuit théologale de la foi. Il y a d’abord en Jésus, mais portée à son maximum d’intensité et de plénitude possibles, en sorte quelle devient une source capable de se répandre indéfiniment sur le monde et qu’en ce sens on peut la dire inépuisable et infinie, la sainteté créée et communi­ cable de la grâce et de la vérité : il est le premier-né de beaucoup de frères (Rom., VIII, 29) ; et il y a surtout en lui la sainteté incréée, substantielle, incommunicable de l’union hypostatique, qui le rend proprement adorable : il est le Fils unique qui est dans le sein du Père (Jean, I, 18). La sainteté du Fils unique, qu’il répand sur les hommes pour faire d’eux ses frères et des fils d'adoption, tel est le dernier fond du message évangélique : « Il était la lumière, la vraie, qui illumine tout homme venant en 1468 VII/1 - NATURE DU CORPS DE L’ÉGLISE ce monde... Et le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous, et nous avons contemplé sa gloire, gloire comme d’un Fils unique du Père, plein de grâce et de vérité... C’est de sa plénitude que nous avons tous reçu, et grâce après grâce : la loi a été donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ» (Jean, I, 9, 14, 16-17). Même révélation dans saint Paul : «Il a plu à Dieu de faire habiter en lui toute la plénitude et de tout se réconcilier, ce qui est sur terre et ce qui est au ciel, en faisant la paix par son sang versé sur la croix... Car toute la plénitude de la divinité habite en lui corporellement ; en lui vous avez été comblés, car il est le chef de toute principauté et de toute puissance» (Col., 1,19 ; π, 9). C’est le rayonnement extérieur, visible, de cette sain­ teté tout intime, tout invisible, toute mystérieuse, qui frappera la pécheresse de saint Luc (vil, 37), la Chananéenne (Mt., XV, 22), la Samaritaine (Jean, iv) et finale­ ment tous ceux qui s’approchent du Sauveur. 2. Tous les actes de Jésus étaient saints, divinohumains, théandriques. De ce chef, tous étaient profon­ dément mystérieux. K les prendre isolément, tous pour­ tant n’apparaissaient pas comme miraculeux. a) La plupart dissimulaient leur éclat sous le voile du comportement humain ; Jésus, dit saint Paul, « s’est anéanti lui-même en prenant la condition d’esclave, se rendant semblable aux hommes, et reconnu pour homme par tout ce qui a paru de lui » (Phil., Il, 7). Certains même étaient secrets, comme ses prières noc­ turnes ; b) Cependant l’ensemble de leur enchaînement, le comportement général et l’attitude du Sauveur représen­ taient, aux yeux de ceux qui savaient juger de la qualité ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS 1469 d’une vie humaine, un miracle de sainteté, un miracle moral ; c) En outre, en certaines circonstances, à certains moments de sa vie, la sainteté du Christ a éclaté brus­ quement au-dehors dans un miracle physique. Qu’on pense aux miracles qui ont accrédité sa mission, par exemple Mt., IX, 6 : « Or, afin que vous sachiez que le Fils de l’homme a sur terre le pouvoir de remettre les péchés: Lève-toi, dit-il au paralytique, prends ton gra­ bat, et va dans ta maison ». Qu’on pense, plus encore, aux miracles de sa glorification progressive : transfigura­ tion (Mt., XVII, 5), résurrection (Rom., I, 4 ; Act., Il, 27), ascension (Marc, XVI, 19). Ces derniers miracles se sont imprimés le plus avant dans la mémoire des apôtres : «C’est en témoins oculaires de sa majesté que nous vous avons fait connaître la puissance et la présence de notre Seigneur Jésus-Christ. En effet, il reçut honneur et gloire de Dieu le Père lorsque, de la gloire magnifique, une voix se fit entendre qui disait : Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je me suis complu. Et nous, nous en­ tendîmes cette voix venue du ciel lorsque nous étions avec lui sur la montagne sainte » (II Pierre, I, 16-18). Le témoignage de saint Jean est pareil : « Ce qui était au commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons contemplé et ce que nos mains ont touché du Verbe de la vie — car la vie s’est manifestée et nous avons vu... - voici que nous vous l’annonçons » (I Jean, I, 1-3). 2. La sainteté de l’Église et ses modes d’extério­ risation 1. Plus que le pouvoir cultuel, plus que le pouvoir prophétique, c’est avant tout la sainteté communicable 1470 VII/1 - NATURE DU CORPS DE L’ÉGLISE du Christ, la grâce et la vérité du Christ42, qui, en s’épanchant sur le monde, forment l’Église : « C’est de sa plénitude que nous avons tous reçu, grâce pour grâce..., car la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ» (Jean, I, 16-17). Si le Christ ne donne pas à l’Église la grâce incréée de l’union hypostatique, il lui communique du moins une grâce créée qui, en passant à travers lui, a été colorée par la grâce de l’union hypostatique. Dans cette grâce est donnée, avec une perfection jusqu’alors inconnue, l’inhabitation des trois personnes divines. 2. Cette sainteté toute mystérieuse et cachée de l’Église se manifestera, elle aussi, au-dehors : a) Les miracles physiques ne lui feront pas défaut : à la fin du monde toute la sainteté intérieure de l’Église fusera au-dehors dans le miracle, intrinsèque à l’Église, de la résurrection et de la glorification des élus ; et dès le cours du temps, cette même sainteté est attestée par les miracles extrinsèques dont il arrive que les prédicateurs de l’Évangile accompagnent et accréditent leur message ; b) Outre ces miracles physiques, la sainteté de l’Église est attestée au-dehors avec évidence par le miracle moral permanent que constitue la transcendance, à l’égard de toutes les formations humaines, de son comportement. A l’exemple de la vie du Christ, la vie de l’Église est, dans son ensemble, un miracle : « L’Église elle-même, dit le concile du Vatican, est de soi, en raison de son admi­ rable propagation, de son éminente sainteté et de sa fécondité inépuisable en toutes sortes de biens..., un per­ 42. Nous parlons maintenant de la vérité en tant que sanctifiante, de la vérité en tant qu’intériorisée par la foi théologale et l’obéissance morale ; non plus de la vérité en tant que prophétiquement annon­ cée, dont nous avons déjà traité. ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS 1471 pétuel motif de crédibilité et un témoignage irréfragable de son mandat »43 ; c) Enfin nous avons dit que chacun des actes du Christ était saint, mais que chacun d’eux pris isolément ne pouvait pas toujours apparaître comme tel avec évi­ dence à ses contemporains. Pareillement, et à plus forte raison, chacun des actes de l’Église, c’est-à-dire chacun des actes produits par les hommes en tant même qu’ils sont dociles aux motions de l’Esprit saint qui la régit, en tant même surtout qu’ils se laissent informer par l’âme plé­ nière de l’Eglise, à savoir par la charité sacramentelle et orientée, est saint, au moins initialement, bien quil ne puisse toujours apparaître extérieurement comme tel avec évidence. Il arrivera même que l’obscurité des conjonc­ tures opposera entre eux, sur certains points, de grands saints, voire des docteurs de l’Église, voire des apôtres, tels Paul et Barnabé (Actes, XV, 39), Pierre et Paul (Gal., Il, 11). 3. Absolument sûr de la charité de l’Église, le fidèle n’en peut que conjecturer sa présence en lui et dans les autres fidèles Nous savons de foi divine que l’Église a toujours la grâce. Mais aucun de ses membres, hors le cas d’une révélation expresse, ne peut avoir pour lui-même pareille assurance. 43. Session III, ch. 3, Denz., n° 1794. - Considérée comme note de la véritable Église, la sainteté réside dans le miracle du comporte­ ment moral de l’Église. Comme nous l’avons fait pour l’apostolicité, cette note pourra être étudiée de deux manières : 1° directement, en tant que phénomène social manifestement transcendant ; 2° indirec­ tement, en tant que phénomène social prophétisé. 1472 VII/1 - NATURE DU CORPS DE L’ÉGLISE La doctrine catholique rejette ici la thèse luthérienne qui, ayant commencé par affirmer la coexistence en chaque chrétien du péché mortel et de la grâce, simul peccator et justus, déclarait ensuite : 1° qu’à cause de l’or­ gueil secret qui le ronge, personne n’est sûr de ne pas pécher sans cesse mortellement44 ; et 2° que l’homme justifié doit cependant croire de foi divine à sa propre justification45. Sans doute, enseigne le concile de Trente, « on ne sau­ rait douter de la miséricorde de Dieu, du mérite du Christ, de l’efficacité des sacrements »46. En sorte que, dans le cas d’un petit enfant baptisé, la certitude de son accession à la grâce est pratiquement absolue4 . Mais, ajoute le concile, l’adulte qui s’approche des sacrements, « s’il considère sa propre infirmité et sa misère, peut tou­ jours craindre et trembler de ne pas recevoir la grâce »48. Le chrétien fidèle à son Dieu, expliquent les théolo­ giens, n’expérimente que d’une manière imparfaite la présence de Dieu en lui-même et n’a normalement 44. C’est la 35e proposition de la bulle Exsurge Domine, Denz., n° 775. 45. Concile de Trente, Session VI, ch. 9 et ca.n. 13, Denz., n°* 802 et 823. 46. Ibid., Session VI, ch. 9, Denz., n° 802. 47. L’intention de celui qui baptise ne peut être l’objet d’un doute raisonnable et la validité du rite a pu être contrôlée. 48. Concile de Trente, Session VI, ch. 9, Denz., n° 802. Plus loin, Session VI, ch. 16, Denz., n° 810, on lit : « Et parce que nous péchons tous en beaucoup de choses, Jacques, III, 2, chacun, avec la miséricorde et la bonté, doit aussi avoir devant les yeux la sévérité et le jugement, et ne pas se juger soi-même, même s’il n’a conscience d’aucune faute. Car toute la vie des hommes doit s’apprécier et être jugée au jugement, non des hommes, mais de Dieu, qui, I Cor., IV, 5, éclairera les ténèbres cachées et révélera les desseins des coeurs, et chacun recevra sa propre louange de Dieu, lequel, comme il est écrit, Rom., II, 6, rendra à chacun selon ses œuvres ». ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS 1473 qu’une certitude morale d’être en état de grâce49. A plus forte raison, n’est-ce que par une connaissance morale qu’il s’assure, dans la plupart des cas, de la présence de la charité théologale chez les autres50, de l’authenticité secrète de leur foi ou de leur espérance, bref de leur appartenance à l’Eglise et de leur titre à représenter, hic et nunc, sa sainteté dans le monde. IL Les manifestations de la sainteté de l’Église C’est en tant que christique, en tant que sacramen­ telle et orientée, que la charité est l’âme de l’Eglise ; c’est donc comme christique, comme sacramentelle et orien­ tée, que la sainteté de l’Eglise s’extériorise. Cependant, quelque chose de cette sainteté commence d’apparaître partout où l’Eglise est en formation, là même où la grâce n’est pas encore sacramentelle et orientée. 1. L’Église est sainte formellement Abstraction faite de son lien au Christ, source de toute sa sainteté, l’Église elle-même est sainte. Non seu­ 49. « On peut connaître une chose conjecturatement par signes. C’est ainsi que celui qui se délecte en Dieu, méprise les choses mon­ daines, n’a pas conscience d’aucun péché mortel, peut savoir qu’il a la grâce... Il peut expérimenter la douceur du don divin... Mais cette connaissance reste imparfaite, et l’apôtre peut dire, I Cor., IV, 4 : Je n’ai conscience de rien contre moi-même, mais ce nest point pour cela que me voilà déclaré irréprochable ». S. THOMAS, I-II, qu. 112, a. 5. 50. L’homme qui n’a pas la charité, dit saint THOMAS, « peut connaître conjecturalement, à partir des actes extérieurs, qu’un autre a la charité». Quant à l’homme qui a la charité, il ne peut lui-même s'en assurer suffisamment pour avoir la certitude absolue « que ses 1474 VII/1 - NATURE DU CORPS DE L’ÉGLISE lement virtuellement, ou causalement, en raison de son enseignement doctrinal et de ses moyens cultuels de sanctifi­ cation, mais encore formellement, en raison de toute la vie spirituelle qu elle suscite en ses enfants. De cette vie spirituelle elle-même, il faut dire quelle est visible. 2. L’Église est sainte en tant que tout personnel En outre, l’Église est sainte, non seulement en raison de la sainteté particulière de ses multiples enfants, mais en tant que telle, en tant quelle est l’Église, l’épouse de Jésus-Christ, le lieu de l’Esprit saint. 1. L’axiome suivant lequel le bien commun du tout et le bien particulier de la personne humaine se distinguent non seulement comme le plus et le moins, mais suivant une différence formelle'1, peut, du point de vue entitatif dont nous considérons ici la sainteté, être appliqué à l’Église. Mettons à part la Vierge en qui l’Église considé­ rée comme Épouse du Christ voit se condenser toute sa sainteté, et ne regardons qu’au rapport de l’Église et de ses simples membres : il faudra dire que sa sainteté dif­ fère de celle de chacun de ses propres enfants, non seule­ ment comme le plus et le moins, mais qualitativement: elle ajoute à leur somme un ordre pareil à celui que la symphonie ajoute aux voix multiples des instruments. Én d’autres mots, l’Église est sainte, non comme un actes proviennent vraiment de la charité, à cause de la ressemblance entre la dilection qui vient de la nature et la dilection qui vient de la grâce». QuodlibetWW, qu. 2, a. 4. 51. « Le bien commun de la cité et le bien particulier de chaque personne ne different pas seulement selon le plus et le moins, mais par une différence formelle. Autre est la raison de bien commun et la raison de bien particulier, comme autre est la raison de tout et la rai­ son de partie». S. THOMAS, II-II, qu. 58, a. 7, ad 2. ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS 1475 simple agrégat, mais en tant même que tout personnel ; sa sainteté, bien qu’existant dans ses divers enfants, et non en dehors d’eux'’2, est celle d’un tout personnel. 2. A son moindre degré, la sainteté de l’Église sera faite de tout ce qu’il y a de foi, d’espérance, de remords, de saints propos, d’actes généreux, bref de vertu authen­ tique jusque chez ses plus pauvres enfants, fussent-ils à d’autres moments pécheurs et même grands pécheurs. « Les fidèles en effet, qui sont devenus le peuple de Dieu et se sont consacrés au Christ en recevant le baptême et la foi, sont appelés saints, bien qu’en maintes circons­ tances ils pèchent et se montrent infidèles à leurs pro­ messes : un peu à la manière dont on continue de nom­ mer artisans ceux qui n’observent pas les préceptes de leur art. Et saint Paul ne craint pas d’appeler sanctifiés et saints les Corinthiens, parmi lesquels plusieurs étaient charnels et méritaient même de plus graves reproches »52 53. Mais la sainteté de l’Église est faite bien davantage, sans aucun doute, de la sainteté de ses vrais enfants, de ses grands saints. A ces éléments particuliers se joint un élément ordon­ nateur et unificateur. Le souffle de Pentecôte, envoyé par le Christ, continue d’animer l’Église, lui conférant une sainteté dont l’ampleur et la continuité débordent celle de chacun de ses membres ; en sorte que, plus ils sont saints, plus ils sentent et proclament eux-mêmes qu’ils sont dans l’Église comme des disciples, et non comme des maîtres : « Les saints le disent et le redisent : leur 52. « La multitude en dehors des individus, praeter multa, n’est qu’un concept abstrait ; mais la multitude avec ses individus, in mul­ tis, est une réalité existante». S. THOMAS, De potentia, qu. 3, a. 16, ad 16. 53. Catéchisme romain, Ie Partie, ch. X, n° 15. ■■i 1476 VII/1 - NATURE DU CORPS DE L’ÉGLISE humilité, leurs insuffisances parfois, un quelque chose d’inachevé et de reçu qui est en eux et qui est tourné vers un autre, le font assez voir : ils sont saints par le milieu dont ils vivent, par le Christ dont tout leur vient et qui est continué dans toute l’Église, et leur sainteté en consé­ quence par sa racine est commune avant d’être la leur propre. Aussi, par essence, rend-elle témoignage à la sainteté catholique de l’Église et non proprement à elle-même »54. De ce fait, la sainteté de l’Église apparaît manifeste­ ment comme étant la sainteté d’un tout personnel. 3. Principales lignes de force de la sainteté de l’Église Ce qui rend l’Église de Dieu visible comme telle, visible comme sainte, soit à la foi pour qui elle est un mystère, soit à la raison pour qui elle est un miracle, c’est, peut-on dire, parmi beaucoup d’autres signes: 1° sa constance à confesser les grandeurs de Dieu ; 2° sa soif de le joindre dans l’au-delà ; 3° son zèle à le donner aux hommes. 1° Qu’est-ce, en effet, que l’Église? Avant tout une voix qui crie dans le monde sans défaillance les grandeurs de Dieu. On la trouve à l’endroit où l’on sait que Dieu « habite une lumière inaccessible» (I Tim., VI, 16), mais qu’il est néanmoins si proche que c’est « en lui que nous avons la vie, le mouvement et l’être» (Act., XVII, 28). Où l’on sait, d’une part, que Dieu est infiniment bon et puissant et, d’autre part, que le mal dépasse en horreur ce que 54. Émile MERSCH, S. J., La théologie du corps mystique, Paris, 1944, t. II, p. 229. ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS 1477 nous en pouvons concevoir ; qu’avant d’être une ques­ tion que l’homme pose à Dieu, le mal est une question que Dieu pose à l’homme (Job, XL, 2) ; qu’on ne descend dans la découverte du mystère du mal qu’en s’élevant d’autant dans la découverte du mystère de Dieu. A l’endroit où l’on sait que Dieu s’est follement épris des hommes, leur révélant tout son secret : sa paternité qui les a comblés dès l’origine ; son Fils unique, qui s’est anéanti pour les racheter d’une immense catastrophe ; son Esprit saint, qui leur apporte les grâces rédemptrices et fonde en eux l’Église, où résideront les trois per­ sonnes divines (Jean, XIV, 23). A l’endroit où cette conviction résiste au flux des erreurs humaines, triomphe de terribles tentations, est éprouvée par des contradictions de toutes sortes et l’ap­ proche solennelle de la mort, scellée même par l’effusion du sang, où ceux qui confessent la foi sont entraînés par un souffle qui vient de la Croix et tend vers la parousie, car la foi de l’Église est plus forte que celle de chacun de ses enfants. 2° Qu’est-ce encore que l’Église ? Avant tout un désir incoercible de joindre Dieu. On la trouve à l’endroit où l’on aspire ardemment au jour où Dieu manifestera son visage et sera tout en tous (I Cor., XV, 28), où le Christ viendra de sa gloire pour établir toutes choses (Actes, III, 21), triompher des forces adverses (I Cor., XV, 24), détruire la mort, ressusciter l’humanité (I Cor., XV, 42 et 55), instaurer de nouveaux deux et une nouvelle terre où la justice habitera (II Pierre, III, 13). Où l’on sait que les douleurs de la création sont celles de son mystérieux enfantement à la liberté et la gloire des enfants de Dieu (Rom., VIII, 21-22), où les souffrances du temps présent sont regar­ dées comme sans proportion avec la gloire future 1478 VII/1 - NATURE DU CORPS DE L’ÉGLISE (Rom., VIII, 18), où Ton supplie chaque jour qu’arrivent le règne de Dieu, la résurrection des morts, la vie du siècle nouveau. Où Ton sait que la justice immanente est boiteuse, que la dernière instance n’est pas comme le veut Hegel, le jugement de l’histoire, mais que le juge­ ment dernier jugera l’histoire. A l’endroit où chaque vie est regardée comme une préparation à la mort, et celle-ci comme une porte ouverte soudain sur la sainteté de Dieu : « Nous savons que, logés dans le corps, nous sommes exilés loin du Seigneur, marchant dans la foi, non dans la vue ; ayant l’assurance qu’il nous est meilleur de déloger du corps pour habiter chez le Seigneur » (II Cor., V, 6-8). Où l’on sait qu’il ne sert pas à l’homme de gagner l’univers s’il vient à perdre son âme (Marc, VIII, 36), que les demeures du temps présent sont des demeures d’exil. A l’endroit où l’on tient que pourtant l’exil est visité par la présence mystique de Dieu, que le temps de pos­ session des personnes divines dans les clartés de la vision est préparé par un temps de possession dans la nuit de l’amour, qui peut donner parfois l’avant-goût du ciel; qu’au soir de la vie on sera jugé sur cet amour ; que ceux-là sont dans la vérité de vie, ont raison contre nous, sont nos juges et nos modèles, qui vendent tout pour acheter cet amour ; que nous valons dans la mesure où nous commençons de subir leur contagion. A l’endroit où l’on se serre spontanément autour de celui qui est le foyer de ce pur amour, le Christ Jésus « venu pour jeter le feu sur la terre » (Luc, XII, 49) ; où l’on se souvient que Dieu, qui a tant aimé les hommes qu’il leur a donné pendant ces trente-trois ans la pré­ sence corporelle de son Fils unique, les a aimés assez pour ne pas la leur arracher et pour la leur laisser, mais voilée dorénavant sous les apparences étrangères du pain et du vin. Où l’on sait que les grâces formatrices de ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS 1479 l’Église qui émanaient de son contact, le Christ conti­ nue, par les sacrements, de les verser sur le monde. Où toutes les générations proclament bienheureuse la Mère virginale de Jésus (Luc, I, 28 et 48) et la supplient d’in­ tercéder, comme jadis à Cana (Jean, II, 3), pour la détresse des hommes. A l’endroit où le péché est en horreur et regardé comme le seul mal absolu ; où sont en honneur les rap­ pels évangéliques sur la porte étroite, le renoncement, la croix, la pauvreté, la chasteté, l’obéissance. 3° Qu’est-ce enfin que l’Église ? Avant tout un grand mouvement pour donner Dieu aux hommes. On la trouve à l’endroit où l’attente de la parousie et l’imminence de l’éternité révèlent le prix inestimable de l’instant présent, du mouvement de l’histoire, de l’effort des hommes, de leur condition, de leur souffrance, de leur naissance et de leur mort ; où l’on croit que la mois­ son sera, pour toujours, ce que les semailles auront été dans le temps ; où le zèle du ciel engendre un désir brû­ lant de convertir la terre. A l’endroit où les hommes, sachant que l’Amour a donné sa vie pour eux, essaient à leur tour de donner leur vie pour leurs frères (I Jean, III, 16) et leurs biens s’ils en ont (I Jean, III, 17), et de porter leur fardeau (Gal., VI, 2), et de ne point mentir (Col., III, 9) ; où se perpétue la mission évangélique inaugurée par le Sauveur et ses apôtres ; où, imitant les anéantissements du Christ-Dieu, fait esclave et devenu pareil à nous (Phil., II, 6-7), les missionnaires quittent leur patrie, prennent la langue, les vêtements, la nourriture, les cou­ tumes de peuplades étrangères, pour leur apporter l’eau de la vie dans un vase quelles puissent reconnaître ; où l’on embrasse la condition des galériens comme Vincent de Paul, ou des fous comme Jean de Dieu, ou des 1480 VII/1 - NATURE DU CORPS DE L’ÉGLISE esclaves comme les frères de Notre-Dame de la Merci, ou des sauvages comme les missionnaires jésuites de la Nouvelle France, ou des lépreux comme le père Damien, afin de rendre témoignage partout de l’Amour de Dieu qui est dans le Christ Jésus ; où les pauvres sont vêtus et nourris, les étrangers hospitalisés, les malades et les pri­ sonniers visités (Mt., xxv, 37-40). A l’endroit où les petits enfants dont la naissance est joie (Jean, XVI, 21) sont reçus au nom de Jésus (Mt., XVIII, 5) et entourés de respect ; où la bénédiction par laquelle le Sauveur aimait à les introduire dans son royaume (Luc, XVIII, 16-17) continue de les toucher par le baptême, où l’on sait que c’est chose terrible de les scandaliser (Ml, XVIII, 6). A l’endroit où le péché est haï et le pécheur mer­ veilleusement pardonné, où l’on pense que l’erreur doit être détestée et celui quelle égare aimé, où l’obéissance est sans bassesse et le commandement sans orgueil, car c’est Dieu qui parle et qu’on écoute, où se rencontrent la magnanimité de posséder le vrai Dieu et l’humilité de porter ce trésor dans un vase fragile (II Cor., IV, 7), la simplicité de la colombe et la prudence du serpent (Ml, X, 16), la crainte profonde de l’enfer et la confiance amoureuse en Jésus qui veut nous en préser­ ver, le sens de ce qui manque aux non-chrétiens et des grâces qui peuvent les prévenir. A l’endroit où les structures humaines profondes sont respectées et bénies ; où sont reconnues la sainteté du mariage et celle de la virginité (I Cor., Vil) ; où le royaume qui n’est pas de ce monde et qui transcende par essence toutes les activités culturelles reste capable de les illuminer et de les purifier. 4. Les traits que nous venons d’énumérer, comme beaucoup d’autres qui leur sont pareils, se rattacheront ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS 1481 aisément aux trois grandes lignes de force suivant les­ quelles se manifeste au-dehors la sainteté de l’Église. Plusieurs d’entre eux pourront s’observer à l’état séparé : pourtant, ils demandent normalement à se rejoindre tous, dans la charité sacramentelle et orientée, qui est leur plus profonde racine. Certains apparaîtront chez les pécheurs, non pas en tant qu’ils sont pécheurs, mais en tant qu’ils détiennent encore en eux des valeurs qui les lient à l’Église et les tirent dans son sillage. Beaucoup naîtront de l’humble peuple fidèle. Chez les saints, l’Évangile sera comme à l’état pur. Avec les premiers martyrs chrétiens, plus tard au Japon et au Canada, de nos jours dans l’Ouganda : le sang versé pour l’amour de Jésus ne s’interrompt pas. Qu’on prenne les prières de la liturgie, les règles des fon­ dateurs d’ordres religieux, les avis des grands spirituels : c’est l’esprit de l’Évangile dont tout se fait. Les saints les plus personnels des divers temps et lieux se sentent eux-mêmes entraînés par un courant plus puissant que chacun d’eux, qui les relie merveilleusement les uns aux autres. Il avait fallu beaucoup de fleurs, dit saint Ambroise, pour composer le parfum dont parle l’Évangile ; seule aujourd’hui l’Église, où l’Esprit fait éclore des fleurs innombrables, peut verser un tel parfum sur les pieds du Seigneur : « Aucun saint, en effet, ne peut aimer autant quelle, car c’est elle qui aime en tous les saints, nemo tantum potest diligere quantum illa, quae in pluribus diligit»55. Plus sainte que chacun de ses membres, l’Eglise c’est Jésus continuant en ses membres une vie qu’il a commencée en soi-même et qui ne finira jamais56. 55. Expositio in Lucam, vu, 46-47, P. L., t. XV, col. 1674. 56. J.-P. DE CAUSSADE, L’abandon à la divine providence, réédit, de 1928,1.1, p. 34. 1482 VTI/l - NATURE DU CORPS DE L’ÉGLISE Il nous reste à rappeler deux axiomes qui, en dissipant les malentendus relatifs à la sainteté de l’Église, achève­ ront de la rendre pleinement manifeste. III. Deux axiomes destinés à mettre la sainteté de l'église en pleine lumière. Premier axiome dégageant lÉglise des péchés de CEUX QUI LUI APPARTIENNENT CORPORELLEMENT Le premier axiome, c’est que l’Église, tout en compre­ nant une multitude de pécheurs qui lui appartiennent corporellement'’ , est néanmoins sans péché57 58, le second axiome, c’est que tout ce qu’il y a de sainteté dans le monde relève déjà à quelque titre de l’Église, de cette Église que le Christ a confiée à Pierre. 1. L’Église, qui n’est pas sans pécheurs, est néan­ moins sans péché 1. L’Église n’est pas sans pécheurs. Elle est le royaume du Fils de l’homme dont ne seront chassés qu’à la fin du temps ceux qui causent des scandales et commettent l’iniquité (Mt., XIII, 41-43) ; le filet qui retient en lui jus­ qu’à la fin du temps de bons et de mauvais poissons (Mt., XIII, 47-50). Elle ne bannit les pécheurs de son sein que dans les cas extrêmes : « Si ton frère a péché contre toi, va et reprends-le entre toi et lui seul. S’il ne 57. Saint THOMAS distingue ceux qui sont incorporés au Christ seulement spirituellement, mentaliter, et ceux qui lui sont incorporés encore corporellement, corporaliter, III, qu. 69, a. 5, ad 1. 58. Au lieu de dire, comme on l’a fait : Sainteté et péché dans I'Église, nous dirions : Sainteté et pécheurs dans l’Église. ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS 1483 t’écoute pas, prends avec toi encore une ou deux per­ sonnes... S’il ne veut pas les entendre, parle à l’Église ; s’il ne veut pas entendre même l’Église, qu’il soit pour toi comme le gentil et le publicain » (Mt., XVIII, 15-17 ; cf. I Cor., V, 1-2). Elle peut en certains lieux se relâcher comme à Éphèse de son premier amour (Apoc., II, 5), ne compter comme à Sardes que quelques fidèles qui n’ont pas souillé leurs vêtements (Apoc., III, 4), se laisser gagner comme à Laodicée par la tiédeur (Apoc., Ill, 15)59. Il y a toujours beaucoup de pécheurs dans l’Église60. 2. Mais l’Église considérée théologiquement est sans péché61. « Le Christ a aimé l’Église et s’est livré pour elle, afin de la sanctifier en la purifiant par le bain de l’eau, dans la parole, pour se la présenter à lui-même cette Église, glorieuse, sans tache ni ride ni rien de semblable, mais sainte et immaculée» (Éphés., V, 25-27). Ce texte 59. C’est la doctrine rappelée dans l’encyclique Mystici corporis, 29 juin 1943: «Il faut admettre que l’infinie miséricorde de notre Sauveur ne refuse pas maintenant une place dans son corps mystique à ceux auxquels il ne la refusa pas autrefois à son banquet, Mt., XXII, 9-10... Toute vie ne disparaît pas de ceux qui, ayant perdu par le péché la charité et la grâce sanctifiante..., conservent pourtant la foi et l’espérance chrétienne, et à la lumière de la grâce divine, sous les inspirations intérieures et l’impulsion de l’Esprit saint, sont poussés à une crainte salutaire et excités par Dieu à la prière et au repentir de leurs fautes ». Acta Apostolicae Sedis, 1943, p. 203. 60. Ne disons pas que l’Église est « pleine de pécheurs » : cela signifierait que les justes trouveraient à peine place en elle. En des sujets aussi graves, la moindre inexactitude d’expression devient catastrophique. 61. Sur l’Église telle quelle apparaît au théologien, et l’Église telle que la circonscrivent empiriquement l’historien ou parfois le spirituel lorsqu’ils incluent en elle les pécheurs tout entiers, y compris leur malice et leurs péchés, voir L'Église du Verbe incarné, t. I, pp. XIIIXVï [vol. I, pp. 8-13]. 1484 \ΠΙ/1 — NATURE DU CORPS DE L’ÉGLISE concerne directement l’Église présente, telle quelle sort du baptême, dont la grâce - avec celle de l’eucharistie et des autres sacrements - a pour fin de l’incorporer onto­ logiquement au Christ son chef qui pour elle souffre, meurt, ressuscite, et par là de l’habiliter et provoquer, de l’intérieur, à souffrir avec lui, mourir avec lui, ressusciter avec lui62. Qu’il y ait des pécheurs dans l’Église, l’apôtre le sait bien, puisqu’il lui faut sans cesse réprimander ceux qu’il a engendrés au Christ ; mais à ses yeux pourtant, l’Église est sainte et immaculée. C’est donc que les pécheurs appartiennent à l’Église, non point par leur péché, mais par les valeurs de sainteté qu’ils portent en eux et qui les lient à l’Église63. 3. La même révélation de la pureté de l’Église se trouve en substance, mais sans que l’Église soit nommée, dans la première épître de saint Jean. L’apôtre ayant écrit que le Christ s’est manifesté afin d’ôter les péchés et qu’il n’y a pas de péché en lui, ajoute que « quiconque 62. C’est indirectement que ce texte s’applique à l’Église du ciel. L’exégèse qui veut en limiter le sens à l’Église céleste et qui com­ mence avec la controverse pélagienne, n’a jamais été universelle. Voir Excursus VI, Sur l’Église sans tache ni ride : p. 1804. 63. Les chrétiens imparfaits, et c’est l’immense majorité, car les parfaits sont rares, ne sont que partiellement identifiés au Christ, le Christ ne vit en eux que partiellement, ils ne sont que partiellement le corps du Christ. Tantôt, ils agissent selon l’ordre de la charité, en tant que membres de l’Église, in persona Ecclesiae’, tantôt ils agissent selon le désordre du péché, en tant que pécheurs, in persona propria peccatoris. Dans le premier cas, leur action remonte, comme à son premier principe, à l’Esprit saint, personnalité suprême et hôte suprême de l’Église ; dans le second cas, la faute remonte comme à sa cause adéquate, non à Dieu, mais au libre arbitre. Cf. « Remarques sur la sainteté de l’Église militante», dans Nova et Vetera, 1934, p. 309 [texte recueilli dans le vol. V de la présente édition]. ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS 1485 demeure en lui ne pèche pas ; quiconque pèche ne l’a pas vu et ne l’a pas connu » (ill, 6). « Celui qui fait le péché est du diable, parce que dès le commencement le diable pèche. Si le Fils de Dieu s’est manifesté, c’est afin de détruire les œuvres du diable. Quiconque est né de Dieu ne fait pas de péché, car la semence de Dieu demeure en lui ; et il ne peut pas pécher, car il est né de Dieu» (ill, 8-9). « Nous savons que quiconque est né de Dieu ne pèche pas, [mais que le Christ qui est] l’engen­ dré de Dieu le garde, et que le malin ne le touche pas » (v, 18). « Celui qui fait le bien est de Dieu ; celui qui fait le mal n’a pas vu Dieu » (III Jean, 11). Et pourtant saint Jean sait, lui aussi, que les chrétiens pèchent : « Si nous disons que nous n’avons pas de péché, nous nous trompons nous-mêmes et la vérité n’est pas en nous» (I, I, 8). Mis à part le cas apparem­ ment désespéré du péché « pour la mort », comme l’apo­ stasie, il y a parmi les frères, des péchés privant de la vie, mais pourtant pardonnables : « Si quelqu’un voit son frère commettre un péché qui n’est pas pour la mort, il demandera, et donnera la vie à ce frère — à ceux dont le péché n’est pas pour la mort... Toute iniquité est péché, mais il y a un péché qui n’est pas pour la mort » (v, 16-17). Toutes les contradictions sont levées64 dès qu’on sait que les membres de l’Église pèchent, mais en tant qu’ils trahissent l’Église ; que l’Église n’est donc pas sans pécheurs, mais quelle est sans péché. 64. « Loisy parle ici (à propos de la première épître johannique) de contradiction flagrante... » Joseph CHAINE, Les épîtres catholiques. Paris, 1939, p. 221. 1486 VII/1 - NATURE DU CORPS DE L’ÉGLISE 2. L’Église s’inquiète du péché Dire que l’Église est sans péché, c’est dire quelle ne cotisent jamais au péché ; que c’est non pas en lui obéis­ sant, mais en la trahissant que ses enfants pèchent ; que plus ils pèchent, moins ils lui appartiennent. Ce n’est pas dire toutefois que l’Église ne s inquiète pas du péché. Une telle paix sera son privilège dans la gloire ; elle ne saurait l’être dans la grâce. L’Église a pour mission d’aller chercher ses enfants au sein du péché, de lutter sans cesse pour reculer en eux et dans le monde les bornes du péché, de réparer les ruines du péché par la pénitence, le repentir, la satisfaction. L’Église est toute mêlée au péché. Non que le péché soit l’étoffe dont elle est faite, mais il est l’adversaire avec lequel elle est aux prises jusqu’à la fin du temps ; il est, comme le disent les théologiens à propos du sacrement de pénitence, la matière dont on s’inquiète, qu’on s’ef­ force de refouler et de détruire, la materia circa quam. Une crainte, une douleur, une préoccupation constante du péché veillent au cœur de l’Église. 3. L’Eglise qui ne pèche pas, se repent et se convertit 1. Certes l’Église doit s'humilier, puisqu’elle est l’Église de Celui qui s’est humilié devant son Père (Jean, V, 19; XIV, 28), devant les hommes (Jean, XIII, 14), devant la mort (Phil., II, 8). Mais peut-on dire en outre quelle doive se repentir, se convertir, faire pénitence ? Le Sauveur qui était sans péché pouvait expier pour le monde ; il ne pouvait se repentir ni faire pénitence6?. Mais l’Église comprend des pécheurs qui pour autant ne 65. « A proprement parler, on ne fait pénitence que des fautes quon a volontairement commises. » S. THOMAS, III, qu. 74, a. 2, ad 3. ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS 1487 lui appartiennent que partiellement et que l’action divine tend à dégager de leurs péchés par le repentir et la pénitence, afin qu’ils lui appartiennent toujours plus totalement. Ce n’est pas un péché pour eux de pleurer leurs péchés66. C’est une grandeur, née sans doute d’une misère dont Jésus fut toujours exempt ; une grandeur pourtant du royaume de Dieu. Même les commence­ ments de la pénitence et ce qu’on appelle la contrition imparfaite, où la foi, l’espérance, la crainte ne sont pas encore réchauffées par la charité, ne sont pas des péchés ; ce sont des visites de l’Esprit saint, en raison desquelles le fidèle, encore privé de la charité, commence de parti­ ciper davantage à la sainteté de son Église67. En ses enfants pécheurs, qui à son instigation renient leur péché, c’est bien l’Église elle-même qui se repent et fait pénitence68. 66. « Ce n’est pas celui qui fait pénitence, c’est celui qui continue de pécher qui est du diable. » Saint JEAN CHRYSOSTOME, In primam Epist. Joannis, III, 8 ; P. G., LXIV, col. 1060. 67. Concile de Trente, Session VI, can. 7, Denz., n° 817: «Si quelqu’un dit que toutes les œuvres qui précèdent la justification, quelque motif qui les inspire, sont vraiment des péchés et méritent la haine de Dieu ; ou qu’on pèche d’autant plus gravement qu’on se dis­ pose plus ardemment à la justification, a. s. » Session XIV, de pœnittntia, can. 5, Denz., n° 915 : « Si quelqu’un dit que cette contrition qui naît de l’examen, souvenir, détestation de nos péchés ; de la méditation de notre passé dans l’amertume de notre âme ; de la considération de la gravité, multitude, malice de nos fautes, de la perte de la béatitude éternelle et de la menace de la damnation éter­ nelle, lorsqu’elle s’accompagne du propos d’une vie meilleure, n’est )as une douleur vraie et utile, ne prépare pas à la grâce, mais rend homme plus hypocrite et pire ; qu’enfin elle n’est qu’une douleur contrainte, ni libre ni volontaire, a. s. » 68. Nous corrigeons ici ce que nous avons écrit Nova et Vetera, 1934, p. 303, première ligne [dans le texte cité plus haut, note 63]. 1488 VH/1 - NATURE DU CORPS DE L’ÉGLISE 2. Comment l’Église peut-elle faire pénitence puis­ qu’elle ne pèche pas ? N’est-ce pas à celui qui a péché, saint Thomas le notait il y a un instant, de se repentir ? Oui, ce sont les mêmes êtres réels, les mêmes sujets concrets, qui ont péché et qui font pénitence ; mais agis­ sant alors par des actes et des habitus contraires, et tenant successivement des rôles adverses. Ce sont les mêmes hommes baptisés, dont chacun est un tout sub­ stantiel et une personne, qui appartiennent à la fois mais partiellement à deux cités contraires, qui tantôt pèchent en tant qu’ils relèvent de la cité du diable, et qui tantôt font pénitence en tant qu’ils relèvent de la cité de Dieu. Us pèchent en tant qu’ils sont de la semence du diable et lui servent d’instruments : « Celui qui commet le péché est du diable» (I Jean, III, 8 ; cf. Jean, VIII, 44), et, dans cette mesure, ils travaillent à détruire l’Église en eux et dans le monde. Et ils font pénitence pour ces péchés, en tant qu’ils sont de la semence de Dieu et les instruments du Christ, et dans cette mesure ils travaillent à édifier l’Église en eux et dans le monde. C’est en trahissant le Christ et l’Église qu’ils pèchent, et c’est au nom du Christ et de l’Église qu’ils font pénitence. Et c’est pour­ quoi il faut dire que l’Église, qui ne pèche pas, fait péni­ tence. C’est bien elle qui fait pénitence, en et par ses enfants; mais pour des péchés quelle n’a pas commis, quelle leur interdisait de commettre, qu’ils n’ont com­ mis qu’en la contrariant, qu’en cessant partiellement et dans cette exacte mesure d’être ses enfants. 3. L’Église comme personne prend donc la responsa­ bilité de la pénitence. Elle ne prend pas la responsabilité du péché. Si elle ressemble alors à la pécheresse de l’Évangile, ce n’est qu’au moment où celle-ci répand son parfum sur les pieds de Jésus. Ce sont ses membres eux-mêmes, laïques, clercs, prêtres, évêques, papes, gens ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS 1489 du peuple ou gens d’Église qui, en lui désobéissant, prennent la responsabilité du péché ; ce n’est pas l’Église comme personne. On tombe dans une grande illusion, contre laquelle les protestants semblent sans défense et qui les fascine lors de leurs congrès œcuméniques, quand on invite l’Église comme personne à reconnaître et à proclamer ses péchés. On oublie que l’Église comme personne est î’Épouse du Christ, qu’il « se l’est acquise par son propre sang» (Actes, XX, 28), qu’il l’a purifiée pour quelle fut devant lui « glorieuse, sans tache ni ride ni rien de sem­ blable, mais sainte et immaculée» (Éphés., V, 27), quelle est « maison de Dieu, colonne et base de la vérité » (I Tim., III, 15-16). Quand l’humilité met en péril la magnanimité, c’est quelle a cessé d’être une vertu. 4. Quand l’Église, docile au Christ, met sur nos lèvres le Pater, quand elle nous fait dire au Père : «Remettez-nous nos dettes» (Mt., VI, 12), c’est bien en son nom que chaque jour nous prions et demandons pardon ; mais pour des fautes commises en notre nom à nous, et non pas en son nom à elle. Personne n’a com­ pris cela mieux que saint Augustin lui-même : « Même ceux qui marchent dans les voies du Seigneur disent : Remettez-nous nos dettes, car la prière et la confession plaisent au Seigneur ; mais non pas les péchés dont elles prennent occasion ; quoniam ad vias Domini et ipsa ora­ tio pertinet, et ipsa confessio ; quamvis non ad eas peccata pertineant®. » Tel est encore l’enseignement de l’encyclique Mystici corporis·. «Si l’on aperçoit dans l’Église quelque chose qui dénonce l’infirmité de notre condition humaine, il faut l’attribuer non pas à sa constitution juridique, mais 69. Enarr. in Ps. CXVIII, Sermo 3, n° 2. 1490 VII/1 - NATURE DU CORPS DE L’ÉGLISE plutôt à ce malheureux penchant de chacun vers le mal, que son divin Fondateur souffre jusque dans les mem­ bres les plus élevés de son corps mystique, pour éprouver la vertu des ouailles et des pasteurs et faire croître en tous les mérites de la foi chrétienne. Le Christ en effet, nous l'avons dit, n’a pas voulu que les pécheurs fussent exclus de la société qu'il a formée ; si donc certains mem­ bres souffrent de maladies spirituelles, ce n’est pas une raison de diminuer notre amour envers l’Eglise, mais plutôt d’accroître notre bonté, pietatem, envers ses membres. » Certes notre pieuse Mère brille d’un éclat sans tache dans les sacrements où elle engendre ses fils et les nourrit; dans la foi quelle garde toujours à l’abri de toute atteinte ; dans les lois très saintes quelle impose à tous, dans les conseils évangéliques par lesquels elle nous exhorte ; enfin dans les dons célestes et les charismes par lesquels elle engendre, avec une inépuisable fécondité, les troupes des martyrs, des vierges, des confesseurs70. 70. Notre dessein, dans cette section sur le corps de l’Église, est de dégager les principaux aspects de la VISIBILITÉ de l’Église : nous avons parlé de son aspect cultuel, puis de son aspect juridictionnel, et nous insistons maintenant sur la visibilité de son aspect salutaire ou sur la visibilité de sa sainteté formelle. Dans le paragraphe que nous venons de citer, l’encyclique Mystici corporis traite directement de la SAINTETÉ de l’Église. Elle rappelle la sainteté virtuelle des pouvoirs sacramentels, puis des pouvoirs juridic­ tionnels, du pouvoir infailliblement assisté de déclarer la foi et des pouvoirs canoniques qui ne sont assistés que prudentiellement. Puis elle revient au thème de la sainteté formelle de l’Église, constituée par la grâce sanctifiante et les vertus infuses. De la SAINTETÉ des pouvoirs cultuels et des pouvoirs juridiction­ nels, comme aussi de la sainteté formelle de l’Église et du mystère de ses profondeurs, nous nous proposons de parler dans la troisième par­ tie de notre traité. En attendant, à propos de la sainteté des pouvoirs juridictionnels, voir dans Nova et Vetera, 1934 : « La sainteté du mes- ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS 1491 » En tout cas, ce n’est pas sa faute si certains de ses membres languissent dans leurs infirmités ou leurs bles­ sures, attamen eidem vitio verti nequit, si quaedam mem­ bra vel infirma vel saucia languescant. C’est en leur nom quelle dit chaque jour à Dieu : Remettez-nous nos dettes ; c’est à les guérir spirituellement quelle se consacre sans relâche, avec toute la force de son amour maternel »71. 4. L’Église demande chaque jour de ne pas pécher L’Église comme telle demande chaque jour de ne pas pécher, de ne pas chanceler dans la foi, de ne pas tomber dans l’avarice, l’impureté, l’orgueil, le désespoir, la haine, de persévérer jusqu’à la fin dans la charité. Mais elle sait que sa prière pour elle-même sera toujours exaucée : que comme telle elle ne péchera pas, ne chancellera pas dans la foi, ne tombera pas dans l’avarice, l’impureté, l’or­ gueil, le désespoir, la haine, et persévérera jusqu’à la fin dans la charité. Elle sait aussi, cependant, que chacun de ses enfants peut faillir, que le mal exerce sur chacun d’eux une constante et parfois terrible fascination, que des groupes entiers, des Eglises particulières entières peuvent sombrer dans ces épreuves : « Je connais tes œuvres et ton travail et ta patience », écrit l’apôtre à l’ange de l’Église d’Éphèse: «Mais j’ai contre toi que ta charité première s’est relâchée. Souviens-toi donc d’où tu es tombé et convertis-toi et reviens à tes premières œuvres. Sinon je sage dogmatique de l’Église», n° 1, p. 59 ; « La sainteté du message secondaire de l’Église », n° 2, p. 180 ; « Remarques sur la sainteté de l’Église militante », n° 3, p. 299 [ces trois articles sont réunis dans le vol. V de la présente édition]. Et plus loin : « Sainteté instrumentale et sainteté formelle », p. 1515. 71. Acta Apostolicae Sedis, 1943, p. 225. 1492 VII/1 - NATURE DU CORPS DE L’ÉGLISE viendrai à toi, et si tu ne te convertis, je changerai ton flambeau de place » (Apoc., Π, 4-5). Il en résulte que la même prière de ne pas pécher, et de persévérer jusqu’à la fin, que l’Église adresse à Dieu pour elle-même comme Épouse du Christ, avec la certi­ tude d’être exaucée, elle l’adresse encore pour chacun de ses enfants, mais cette fois en tremblant de n’être jamais assez exaucée, suppliant que chacun d’eux soit gardé du mal, et qu’aucun d’eux ne se perde (cf. Jean, XVII, 12, 15). C’est donc d’une part pour elle comme Épouse du Christ, et d’autre part pour chacun de ses enfants - avec des certitudes différentes d’être entendue - quelle redit chaque jour au Père : « Et ne nous induisez pas en tenta­ tion, mais délivrez-nous du mal» (Mt., VI, 13); ou quelle compose l’oraison du Missel romain : « Donnez, Seigneur, à votre Église, nous vous en prions, par l’inter­ cession de vos saints martyrs, de ne point s’enorgueillir, superbe non sapere, mais de grandir en vous, en vous plai­ sant par son humilité » 2. 5. L’Église peut-elle se purifier ? Mais comment entendre que l’Église demande d’être purifiée ? Ou bien elle le demande pour ses enfants et il s’agit alors de purification au sens propre, de purification des péchés. « Les oraisons du Missel qui s’élèvent vers Dieu pour lui demander de purifier son Église (Deus qui Ecclesiam tuam annua quadragesimali observatione purifi­ cas...} n’ont point pour fin de nier la sainteté indéfectible et la pureté virginale de l’épouse du Christ ; mais de nous faire nous souvenir, nous qui sommes ses membres 72. Messe des saints martyrs, Vite, Modeste et Crescentia, 15 juin. ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS 1493 pécheurs, de nos indigences (Haec nos communio Domine purget a crimine...} »73. Ou bien elle le demande pour elle-même, en tant qu’épouse du Christ, afin de passer à une charité de jour en jour plus pure, plus intense, plus profondément enra­ cinée dans ses membres. La contrition imparfaite n’est pas un péché, mais l’Église s’épure quand ses membres passent à la contrition parfaite ; elle s’épure encore quand ils passent de la charité de la voie purgative, à celle de la voie illuminative, et à celle de la voie unitive 4. 6. Appartenance salutaire des justes malgré leurs fautes vénielles et appartenance non salutaire des pécheurs Nous disons que l’Église inclut en elle tout ce qu’il y a de saint, jusque dans ses membres pécheurs, et quelle exclut d’elle tout ce qu’il y a d’impur, jusque dans ses membres justes. Pourtant les justes et les pécheurs lui appartiennent inégalement. Les membres justes relèvent de l’Église par la meil­ leure et la principale partie d’eux-mêmes, c’est-à-dire par le libre choix que, dociles à la motion de l’Esprit, ils ont fait de Dieu commet dernière. Néanmoins, ils ne sont pas complètement à l’abri des fautes vénielles75. Celles-ci 73. « Remarques sur la sainteté de l’Église militante », dans Nova et Vetera, 1934, p. 303 [cité plus haut, note 70]. 74. La charité de la vie présente peut toujours croître essentielle­ ment, par un enracinement toujours plus profond dans le sujet, ou, en d’autres termes, parce que le sujet se laisse toujours davantage informer par elle. C’est ainsi qu’elle devient plus fervente. S. Thomas, II-II, qu. 24, a. 4 et 5. 75. Concile de Trente, Session VI, ch. 11, Denz., n° 804 : « Bien que, dans cette vie mortelle, même les plus saints et les plus justes tombent parfois dans des fautes légères et quotidiennes qu’on appelle 1494 VII/1 - NATURE DU CORPS DE L’ÉGLISE pourtant ne portent que sur les moyens de tendre à la fin ; elles laissent intact l’amour de la fin76. Aussi seront-ils sauvés, et c'est ce que Ton exprime en disant qu’ils ap­ partiennent à l’Église salutairement. Tandis que les membres pécheurs ou charnels relèvent du mal par la meilleure et la principale partie d’euxmêmes, c’est-à-dire par le libre choix d’un bien péris­ sable, qu’en résistant aux motions prévenantes de l’Ésprit saint, ils ont préféré à Dieu, et dans lequel ils ont mis leur fin dernière. Ils ne tiennent à l’Eglise que par des valeurs qui, si précieuses soient-elles, restent secondaires et incapables de décider de leur destinée. Leur apparte­ nance à l’Église n’est pas salutaire. 7. Deux définitions théologiques incompatibles : l’une « matérielle », où l’Église inclut beaucoup de pé­ chés ; l’autre « formelle », où l’Église est sans péchés Nous avons à plusieurs reprises dégagé trois manières de regarder l’Église : l’une empirique, l’autre philoso­ phique ou métaphysique (philosophie, métaphysique qui peut être toute spontanée), la troisième théologique. A ces trois manières de regarder l’Église répondent trois manières de la saisir et de la définir. Le premier regard ne peut conduire qu’à une saisie, qu’à une définition descriptive, phénoménale, superfi­ cielle. Le second regard peut aller jusqu’à saisir et définir l’Église par ses notes, c’est-à-dire par ses propriétés mys­ térieuses, potir autant quelles comportent des manifestations vénielles, ils ne cessent pas néanmoins d’être justes. Et c’est en toute humilité et vérité qu’ils disent Remettez-nous nos dettes. » Cf. can. 23, Denz., n° 833. 76. S. Thomas, I-II, qu. 88, a. 1. ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS 1495 extérieures qui peuvent être d'ordre miraculeux 7. Le troi­ sième regard permet seul de saisir et de définir l’Église en elle-même. La question que nous avons présentement à éclaircir est de savoir si, sur le plan théologique, l’Église doit être définie « matériellement », c’est-à-dire comme renfermant en elle des pécheurs y compris leurs péchés, ou « formelle­ ment », c’est-à-dire comme renfermant en elle des pécheurs à l'exclusion de leurs péchés. a) Le point de vue des historiens Les historiens, qui par vocation se meuvent sur le plan des sciences positives, empiriques, phénoménales, n’at­ teignent l’Église que matériellement. Ils incluent en elle, sans considérer quelle est l’épouse et le corps du Christ et le royaume de Dieu sur terre, les chrétiens avec toutes leurs activités, bonnes et mauvaises. Ils représentent dans le même cadre et sur la même toile les scandales d’Alexandre VI et sa dignité pontificale, les grandeurs des saints et les crimes des baptisés qui ont souillé et ensanglanté le monde. De tous les historiens, ce qu’on peut demander, c’est qu’ils prennent conscience, à certains moments, du carac­ tère avant tout descriptif, phénoménal et donc superfi­ ciel de leur point de vue, et qu’ils veuillent bien alors con­ sidérer l’Église non plus seulement en purs historiens, mais en hommes, levant sur elle ce regard qui, sans atteindre encore la pénétration du regard de la foi, sait déjà reconnaître et évaluer les suprêmes valeurs humaines, à savoir les valeurs morales et métaphysiques. Alors l’Église leur apparaîtra, non seulement dans ses membres fidèles, mais jusque dans ses membres pécheurs dont elle 77. Cf. L’Église du Verbe incarné, t. I, pp. 647-648 [vol. I, pp. 1070-1071]. 1496 VII/1 - NATURE DU CORPS DE L’ÉGLISE flétrit les trahisons, comme une réalité sainte. Elle se manifeste en effet comme telle à qui considère l’in­ fluence quelle exerce sur les plus hautes activités humaines78. Des historiens chrétiens, on pourra demander qu’ils dépassent même ce point de vue, et qu’en achevant leur exposé ils fassent tomber sur les faits, dans la mesure où ceux-ci le requièrent, quelque chose de l’éclairage de la foi. Il reste que le point de vue des historiens leur est dicté d’abord par la nature de leurs méthodes et de leurs recherches documentaires, et qu’ils sont, de ce fait, ramenés par vocation à une considération descriptive et phénoménale de l’Eglise. b) La question théologique 1. Quittons maintenant le plan des sciences histo­ riques et phénoménales pour monter au plan théolo­ gique. Nous nous trouverons en présence de deux vues, de deux définitions de l’Église, l’une matérielle, l’autre formelle. Aucun catholique ne dira jamais que les pécheurs sont dans l’Église en raison de leurs péchés. Ils sont dans l’Église en raison de ce qu’il y a encore en eux de saint. Mais sont-ils dans l’Église avec leurs péchés ? introdui­ sent-ils en elle leurs péchés mêmes ? C’est ici toute la question. Si l’on répond oui, l’Église est définie matériel­ le. A propos de la note d'apostolicité, nous avons cité l’historien protestant Frédéric HURTER qui, disait-il, sans vouloir tenir compte des formules dogmatiques, voyait cependant dans la papauté médié­ vale « une puissance spirituelle dont l’origine, le développement, l’ac­ croissement et l’influence est le phénomène le plus extraordinaire de l’histoire du monde». L’Église du Verbe incarné, t. I, p. 669, note 2 [vol. I, p. 1104, n. 53]- La sainteté de l’Église est, elle aussi, recon­ naissable, comme son apostolicité. ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS 1497 lement, elle enferme dans ses frontières les pécheurs y compris leurs péchés. Si l’on répond non, l’Église est définie formellement, elle retient en elle les pécheurs à l’exclusion de leurs péchés. Ces deux définitions ne sont pas équivalentes. Elles obligent le lecteur à se prononcer sur l’essence même de l’Église et sur la nature de sa pro­ priété la plus foncière, à savoir de sa sainteté. 2. Si l’on accepte de définir l’Église matériellement, on devra tenir: 1° quelle est non point toute pure, toute sainte, mais mêlée de souillure et de péché ; 2° qu’en conséquence, elle prend corps, s’incarne et devient visible comme Église, non seulement par et dans ce qu’il y a de pur et de saint dans l’être et le comportement extérieur de ses membres, mais aussi par et dans cela même qui, dans leur être et leur comportement exté­ rieur, est impur et souillé ; 3° que ses frontières propres, précises et véritables sont dès lors dilatées non seulement par les vertus de ses membres, mais encore par leurs péchés, pourvu qu’il ne s’agisse pas de péchés comme le schisme ou l’hérésie qui leur ôteraient la qualité de membres de l’Église ; 4° enfin que si le Christ indivi­ duel est la tête, et l’Église, avec les péchés de ses membres, le corps, il faudrait dire, en rigueur de logique, que le Christ total, à savoir la tête et le corps, pèche dans ses membres pécheurs : et alors on risquerait de se heurter à la condamnation du concile de Bâle reprochant à Augustin de Rome d’avoir enseigné que le Christ pèche chaque jour et qu’il a toujours péché dans ses membres79. 79. AUGUSTIN DE Rome, archevêque de Nazareth, avait publié un ouvrage contenant, entre autres, un traité intitulé : Le mystère de l’unité de Jésus-Christ et de l’Église, ou le Christ intégral. Dans sa 22e session, le concile de Bâle signale surtout comme « scandaleuse, erro­ née dans la foi, blessant les oreilles pieuses, l’assertion suivant 1498 VII/1 - NATURE DU CORPS DE L’ÉGLISE 3. Que si, au contraire, l’on définit l’Église formelle­ ment, on tiendra: Γ que bien quelle comprenne de nombreux pécheurs, elle est toute pure et toute sainte, sans mélange de souillure et de péché ; 2° quelle prend corps, s’incarne et devient visible, non seulement certes par et dans l’être et le comportement extérieur de ses enfants justes, mais aussi par et dans ce qui, dans l’être et le comportement extérieur de ses enfants même pécheurs, reste pur et saint, à savoir par et dans tout ce qui, en dépit de leur péché, résulte en eux d’un don céleste : d’une part, les caractères sacramentels, d’autre pan la foi divine, la crainte de la sainte Justice, l’espé­ rance théologale, la douleur de leurs péchés, même quand ces motions et ces vertus sont encore informes, c’est-à-dire privées des feux de la charité ; 3° que ses frontières propres, précises et véritables, ne circonscri­ vent que ce qui est pur et bon dans ses membres, justes laquelle: le Christ pèche chaque jour, et a péché chaque jour, dès l’ins­ tant où il a été Christ, bien que son auteur déclare l’entendre, non de celui qui est la tête de l’Église, le Christ Jésus notre Sauveur, mais de ses membres qui, en tant qu’unis au Christ-tête, sont avec lui un seul Christ ». Le concile précise qu « il n’entend pas condamner la per­ sonne de l’auteur qui, dûment convoqué, a justifié son absence et a, en d’autres écrits, soumis sa doctrine au jugement de l’Église». MANSI, Sacrorum Conciliorum nova et amplissima collectio, t. XXIX, col. 108-110. Examinant, dans le rapport que les Pères du concile de Bâle lui avaient demandé sur l’écrit d'Augustin de Rome, la proposition la plus critiquée : Christus quotidie peccat, ex quo fuit Christus, continuo peccavit, le cardinal Jean DE TURRECREMATA établit qu’elle est suscep­ tible d’un bon sens, et que souvent, en raison de l’unité mystique des membres du Christ avec leur Tête, les écrivains spirituels ont attribué au Christ jusqu’aux péchés de ses membres. Il cite, parmi beaucoup de textes, saint AUGUSTIN, Enarr. in Ps. XXXVII, n° 16 : « C’est en quelque sorte le Christ qui pèche dans nos défaillances, tanquam pec­ cavit in infirmitate tua Christus..., et comme il a voulu que nos péchés soient siens puisque nous sommes son corps, il faut que nous vou- ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS 1499 et pécheurs, prenant au-dedans d’elles tout ce qui est saint, même dans les pécheurs, laissant au-dehors d’elles tout ce qui est impur, même dans les justes ; c’est en notre propre comportement, en notre propre vie, en notre propre cœur que s’affrontent l’Église et le monde, le Christ et Bélial, la lumière et les ténèbres ; car l’Église est à sa manière un Jugement de Dieu, une Parole qui sépare : « La parole de Dieu est vivante et efficace ; elle tranche plus sûrement qu’aucune épée à deux tran­ chants ; elle pénètre jusqu’à la division de l’âme et de l’esprit, des articulations et des moelles ; elle démêle les sentiments et les pensées des cœurs ; nulle créature n’est impénétrable pour Dieu ; tout est à nu et à découvert aux yeux de celui à qui nous devons rendre compte » (Hébr., IV, 12-13) ; 4° que le Christ total, tête et corps, est saint dans tous ses membres justes et pécheurs, atti­ rant à lui toute sainteté, même celle de ses membres pécheurs, rejetant de lui toute impureté, même celle de ses membres justes. lions que ses souffrances soient nôtres puisqu’il est notre tête » (rap­ pelons que le Christ a fait sienne, non la souillure, mais la dette de notre péché) ; saint THOMAS, III, qu. 15, a. 1, ad 1 : « Certains attri­ buts conviennent au Christ in persona nostra, qui ne lui conviennent d’aucune manière secundum se... Ainsi le Christ en croix, qui était sans péché, peut reprendre en notre nom les paroles du psalmiste : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? le cri de mes péchés m’a séparé de toi ». Turrecremata conclut néanmoins que la proposition d’Augustin de Rome ne saurait être admise telle quelle, et qu’il faut ou l’éviter résolument ou la modifier pour en dissiper le scandale. Cf. Mansi, t. XXX, col. 993-1006. Mais pourquoi la proposition : « le Christ souffre ou mérite dans son corps mystique » est-elle évidente, tandis que la proposition : « le Christ pèche dans son corps mystique » est scandaleuse ? La réponse, c’est précisément que, dans le premier cas, la loi d’homogénéité du Christ et de l’Église, de la Tête et du Corps, de l’Époux et de l’Épouse, est sauvegardée ; dans le second cas, elle est, au contraire, violée. 1500 ναΐ/1 - NATURE DU CORPS DE L’ÉGLISE . Eglise maculée ou Église immaculée ? Si l’on regarde l’Église matériellement, sa sainteté est maculée ; si on la regarde formellement, sa sainteté est immaculée. Arrêtons-nous, un instant encore, à cette opposition qui commandera l’étude théologique de la sainteté de l’Eglise. a) L'Eglise est sainte non seulement indirectement mais encore directement A la question : l’Église est-elle sainte ? il ne suffit pas de répondre que l’Église est sainte dans son principe, parce que le Christ son fondateur et son chef est saint. Il faut répondre en outre que l’Église est sainte en elle-même, et dire en quoi consiste la sainteté qui est propre à l’Église comme épouse du Christ et donc comme distincte du Christ. Il ne suffit pas non plus de répondre que l’Église est sainte parce que sa doctrine enseigne la sainteté et que ses sacrements la communiquent. La sainteté de l’Église ne se trouve dans sa doctrine et dans ses sacrements que médiatement, causalement, instrumentalement, ministériellement. Immédiatement, directement, formelle­ ment80, c’est dans les personnes que la sainteté existe. Pour qu’on puisse dire que l’Église est sainte, il faut, en fin de compte, en venir aux personnes. On dit souvent : l’Église est sainte parce quelle produit des saints. Or, cela peut signifier : l’Église est sainte dans certains de ses membres, et pécheresse dans d’autres ; elle est à la fois sainte et souillée. Voilà la thèse de l’Église maculée. Mais cela peut signifier, et c’est alors, 80. Formel est opposé ici, non pas à matériel, mais à causal et à virtuel. En ce sens, nous avons déjà dit plus haut, que l’Église est sainte, non seulement causalement et virtuellement, mais formelle­ ment. ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS 1501 croyons-nous, la seule vraie réponse : L’Église est sainte en tous ses membres pour autant qu’ils sont ses membres, l’Église est sainte parce quelle rend saints tous ceux qui lui appartiennent pour autant qu’ils lui appartiennent. Voilà la thèse de l’Église immaculée. On n’oubliera pourtant pas un instant, en la soutenant, que ceux qui appartiennent à l’Église sont, pour la plupart et à divers titres, touchés par le péché. b) D’un choix entre deux contradictoires 1. Le conflit de l’Église et du monde est du même ordre que le conflit de Jésus et du monde, et durera jus­ qu’à la fin du temps historique. Mais tandis que la sain­ teté de Jésus était infinie et quelle envahissait tout son être et tout son comportement, la sainteté de l’Église est, au contraire, finie et elle n’envahit ni tout l’être ni tout le comportement de ceux qui lui appartiennent : tous à quelque degré sont pécheurs et ont part avec le monde. De ce fait le conflit se complique, une question nouvelle se pose: l’Église rassemblant des justes et des pécheurs, des justes qui ne sont pas sans péchés véniels et des pécheurs qui ne sont pas sans dons divins, est-elle macu­ lée ou immaculée ? Qu’on ne réponde pas quelle est maculée dans les pécheurs et immaculée dans les justes, ou plus exacte­ ment quelle est maculée en raison des péchés des justes et des pécheurs et immaculée en raison des dons divins des uns et des autres. Ce serait considérer l’Église comme un agrégat ou une marqueterie. Nous parlons d’elle comme d’une personne unique et d’un corps unique, comme de l’épouse du Christ et du corps du Christ. La même personne, le même corps ne peut être à la fois maculé et immaculé. Il faut choisir. 1502 VII/1 - NATURE DU CORPS DE L’ÉGLISE 2. Ceux qui tiennent que Γ Église est maculée recou­ rent ici volontiers à un mode de penser platonicien. Ils distinguent d'une part le christianisme idéal, et d’autre part le christianisme historique ; d’une part \'Eglise idéale, telle quelle est dans la pensée de Dieu (telle qu’en elle-même enfin l’éternité la changera) et, d’autre part, XEglise historique. Seule l’Église idéale serait à leurs yeux sans tache ni ride. Car la grâce divine, qui vient soulever les hommes et les tourner vers le ciel, s’amalgame, en tombant dans le temps, à beaucoup de péchés. Voilà, dit-on, l’Église historique. Elle est un conglomérat. Elle unit en son sein, d’une part un élan irrépressible vers la sainteté, et d’autre part un monde de tendances déviées. Elle est mêlée de pureté et de souillures, d’amour de Dieu et d’amour du monde, de bien et de mal. Il fau­ drait même ajouter, en toute droiture, que le mal perpé­ tré au sein d’une Église où tant de grâces sont dispensées est, toutes choses égales d’ailleurs, plus grave et plus odieux, devant Dieu et devant les hommes, que le même mal qui se produit hors de ses frontières. Ainsi, dans son existence historique, l’Église serait toute blessée et tout obscurcie par le péché81. 81. Nous avons signalé ailleurs, pour l’écarter, cette manière de voir: «À l’opposition erronée entre un christianisme idéal absolu­ ment pur et un christianisme historique souillé de péchés, substituons donc l’opposition entre le christianisme existant qui, à parler propre­ ment, est absolument pur - c’est l’Église croyante et aimante - et les nombreux chrétiens existants qui, hélas, ne lui appartiennent point totalement parce qu’ils sont encore captifs du péché... À la manière erronée d’opposer le christianisme et l’Église (ou, comme cer­ tains disent, les Églises), substituons donc l’opposition exacte entre, d’une part le christianisme, ou le corps visible du Christ, ou lÉglise : ici tout est pur; et d’autre part, les chrétiens pécheurs, les membres pécheurs du corps du Christ et de l’Église : ici les taches sont innom­ brables. » «Remarques sur la sainteté de l’Église militante», dans Nova et Vetera, 1934, p. 301 [cité plus haut, note 70]. ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS 1503 Il est vrai que des hommes apostoliques ont pu crier aux mauvais chrétiens qu’ils souillaient l’Église. Nous pensons toutefois que leur intention était alors moins de défendre la thèse théologique de l’Église maculée, que de faire entendre aux chrétiens qu’ils appartiennent de droit tout entiers à l’Église (ce qui est vrai), que le monde la tiendra pour responsable de leurs fautes (cela aussi est vrai, mais c’est une injustice), et qu’en ce sens ils la souillent en se souillant. Loin de scandaliser, ce paradoxe au contraire bouleverse, quand il a pour fin de rappeler les chrétiens pécheurs aux exigences de leur vocation82. 3. Ceux qui tiennent que l’Église est immaculée insis­ tent sur sa ressemblance avec le Christ. Ce n’est pas seu­ lement, disent-ils, le Christ idéal et tel qu’il est dans la pensée de Dieu, qui est sans péché ; c’est aussi le Christ ie l'histoire, et l’on touche ici au mystère même de l’incarnation. Pareillement, ce n’est pas seulement l’Eglise idéale et telle quelle est dans la pensée de Dieu, qui est sans tache ni ride ; c’est aussi l’Église de l’histoire, et voilà précisément le mystère de l’Église, dès ici-bas épouse et corps du Christ, dès ici-bas temple de l’Esprit saint, dès ici-bas christoconforme et théophore. Elle contient de nombreux pécheurs, mais elle est sainte jus­ qu’en eux, transportant au sein même de leur cœur, de leur être, de leur comportement, le conflit du Christ avec Bélial, de la lumière avec les ténèbres, du ciel avec l’enfer. Ils ajoutent que cette sainteté sans tache ni ride est perceptible, indépendamment même du regard de la foi, à un certain regard profond et métaphysique qui veille (ou, hélas, qui dort) en chaque homme. Elle peut même, 82. Cf. L’Église du Verbe incarné, t. I, p. XV [vol. I, pp. 11-12]. Voir plus haut, p. 1133. 1504 VII/1 - NATURE DU CORPS DE L’ÉGLISE selon le concile du Vatican, éclater au-dehors avec l’évi­ dence d’un miracle. Quand les convertis l’entrevoient, ni les fautes personnelles ni les tares collectives des catho­ liques, qui pourtant les scandalisent, ne sont plus capables de retarder leur marche vers l’Église83. c) Deux situations apologétiques Il est évident que les chrétiens sont tenus, en raison des exigences et des grâces de leur vocation, de vivre chrétiennement, de témoigner, par tout leur être et com­ portement, de la sainteté de l’Église. Toutes choses égales d’ailleurs, leurs péchés sont plus graves, ils scandalisent plus que ceux des autres hommes. Où commence l’in­ justice, c’est quand les adversaires font retomber sur l’Église la responsabilité et le scandale de fautes qu’elle ne cesse de haïr et de réprouver. 83. « S’il a plu à Dieu de cacher sa vérité dans un tas de fumier, c'est là que nous irons la chercher. » Cité par Raïssa MaRITAIN, Les grandes amitiés, Paris, 1948, p. 187 [O. C., vol. XIV, p. 779]. Nul des écrivains de notre temps n’a plus insisté sur la totale pureté de l’Église que Jacques MaRITAIN : « Les catholiques ne sont pas le catholicisme. Les fautes, les lourdeurs, les carences et les som­ meils des catholiques n’engagent pas le catholicisme. Le catholicisme n’est pas chargé de fournir un alibi aux manquements des catho­ liques. La meilleure apologétique ne consiste pas à justifier les catho­ liques ou à les excuser quand ils ont tort, mais au contraire à marquer ces torts, et qu’ils ne touchent pas la substance du catholicisme, et qu'ils ne mettent que mieux en lumière la vertu d’une religion tou­ jours vivante en dépit d’eux. L’Église est un mystère, elle a sa tête cachée dans le ciel, sa visibilité ne la manifeste pas adéquatement ; si vous cherchez ce qui la représente sans la trahir, regardez le pape et l’épiscopat enseignant la foi et les mœurs, et regardez les saints au ciel et sur la terre ; ne nous regardez pas nous autres pécheurs. Ou plutôt regardez comment l’Église panse nos plaies et nous conduit clopin-clopant à la vie éternelle... La grande gloire de l’Église c’est d’être sainte avec des membres pécheurs. » Religion et culture, Paris, 1930, p. 60 [O. C., vol. IV, pp. 224-225]. ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS 1505 1. La première réponse à faire à ces attaques, et elle est commune à tous les catholiques, c’est que ceux qui nient ou contestent la sainteté de l’Église ferment très certaine­ ment les yeux, le voulant ou sans le vouloir, sur l’exis­ tence de cette sainteté. Même s’ils n’ont pas la foi surna­ turelle, qui n’est pas ici en cause, il leur suffirait, pour l’apercevoir, de lever sur l’Église ce regard pénétrant de l’intelligence spontanée qui, sous le rideau des phéno­ mènes, sait discerner les valeurs profondes de vie, le bien et le mal avec leurs degrés, l’être moral et ses déviations, l’héroïsme et le sublime, les lois des comportements sociaux ordinaires et ce qui les transcende : bref, ce que nous avons appelé, par opposition au regard empirique, un regard philosophique, métaphysique. Faute de quoi, ils ne verront jamais la réalité de l’Église, ils seront devant elle comme un aveugle qui nie les couleurs ; et, du point de vue de ceux qui sont à l’intérieur de l’Église, leur attitude apparaîtra comme viciée par l’ignorance ou la mauvaise foi. 2. Cela dit, les théologiens qui définissent l’Église for­ mellement expliqueront quelle n’est pas souillée par les «L’Église comme telle a les promesses de la vie éternelle, et le prince de ce monde n’a pas de part en elle ; il a, nous l’avons dit, sa part dans le monde chrétien... Le monde chrétien issu de la décom­ position de la chrétienté médiévale a consenti à beaucoup d’iniqui­ tés..., c’est ce monde-là que, tout en préparant d’autres naissances, Dieu laisse aller à son poids de mort. La mission d’un Léon Bloy a été d’annoncer ces choses, et de les crier sur les toits. Il est singulier d’observer à quel point les aveux de cette sorte semblent en quelque manière indécents à beaucoup de chrétiens d’aujourd’hui ; on dirait qu’ils redoutent de gêner l’apologétique... Les anciens Juifs et même les Ninivites ne faisaient pas tant de façons. » Du régime temporel et de la liberté, 1933, p. 139 [O. C., vol. V, pp. 425-426]. Voir Humanisme intégral, 1936, pp. 51, 137, 261 [vol. VI, pp. 343-344, 434, 563-564]. 1506 VII/1 - NATURE DU CORPS DE L’ÉGLISE fautes de ses membres pécheurs ; quelle ne les considère pas comme siennes ; qu’au contraire, par les exigences de pureté qui sont en elle, les rappels de sa doctrine, l’exem­ ple de ses saints, les remords quelle éveille, elle les ré­ prouve plus véritablement que ses adversaires ne pour­ ront jamais le faire. Cette position est nette et inébran­ lable. 3. Mais que feront les théologiens qui définissent l’Église matériellement ? Si vraiment l’Église renferme en elle des pécheurs y compris leurs péchés, si vraiment elle est maculée, si elle accumule en son sein au cours des siècles d'innombrables crimes et forfaits, peut-elle vrai­ ment prétendre au titre d’épouse et de corps du Christ, de demeure de l’Esprit saint84 ? Quel parti restera-t-il à ses défenseurs, sinon celui de s'employer par piété filiale à voiler ses difformités et à exalter ses grandeurs, à atténuer ses crimes ou du moins à les ensevelir dans la douleur silencieuse de leur cœur ? 84. Les adversaires de l’Église n’en finiront jamais de se prévaloir des défaillances de ses enfants, laïques, prêtres, évêques, papes, pour se dérober aux secrètes sollicitations de l’Esprit. « Cher Gide, écrivait récemment François MAURIAC, qu elle est cruelle cette malice de juger l’arbre catholique sur les fruits que nous sommes ! Votre démon a trop d’intérêt à ce que jusqu’à la fin le catholicisme ne se distingue pas pour vous de Claudel, de Jammes, de moi-même, des convertis de la littérature, qu’il ne se confonde jamais avec ce pauvre prêtre de banlieue qui s’est fait pauvre parmi les pauvres et qui porte sur ses épaules toute la douleur des hommes ». « Les derniers feuillets de Faust», Figaro, 20-21 juin 1948. Du point de vue théologique que nous avons adopté, l’attaque de Gide est vaine ; et Mauriac peut répondre encore que tout n’est pas pourri dans les pécheurs. De Gide, Maritain écrivait, dans La clefdes chants, 1935 [O. C., vol. V, p. 781] : « La naïve injustice avec laquelle il impute à la foi les défauts des fidèles, comment au surplus lui en ferions-nous grief? Il montre ainsi ce qu’il attendait de nous, et nous rappelle à notre loi. Rendons grâce à qui nous signale la poutre que nous avons dans l’œil... » ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS 1 507 En sorte que c’est eux, maintenant, qui donneront dans le défaut commun à tous les plaidoyers en taisant ce qui est défavorable, et qui, aux yeux de leurs adversaires, feront figure d’hommes ignorants ou de mauvaise foi. A moins que, par une conduite contraire, ils ne se mettent à révéler publiquement les péchés de leur mère. Allons plus loin. Peuvent-ils vraiment la croire divine ? Ils répondent quelle est divine et humaine : ce qui est vrai, mais humaine prend alors pour eux la signi­ fication de pécheresse : et ceci n’est plus vrai. Les voilà donc contraints de ne l’aimer qu’avec des restrictions et de ne la défendre qu’avec des réserves ou des réticences. Leur position n’est pas nette. L’ennemi est à l’intérieur de la place. ÏV Deuxième axiome rattachant À l'Église LA SAINTETÉ DE CEUX QUI NE LUI APPARTIENNENT QUE SPIRITUELLEMENT «Les adultes qui, dès avant le baptême, croient au Christ, lui sont incorporés spirituellement, sunt ei incor­ porati mentaliter ; après le baptême, ils lui sont incorpo­ rés en quelque sorte corporellement, incorporantur ei quodammodo corporaliter, à savoir par le sacrement visible, sans le désir duquel ils n’auraient pu être incor­ porés au Christ spirituellement »85. Continuons d’utili­ ser, en l’élargissant, cette distinction de saint Thomas, et comme nous avons indu dans l’appartenance ou incor85. III, qu. 69, a. 5, ad 1. On peut déduire de ce passage l’équiva­ lence de l’opposition entre, d’une part, l’appartenance visible (per visibile sacramentum) et l’appartenance invisible-, et, d’autre part, l’appartenance corporelle et l’appartenance spirituelle, par le propos ou désir. 1508 VII/1 - NATURE DU CORPS DE L’ÉGLISE poration corporelle ou visible même des pécheurs, in­ cluons maintenant dans l’appartenance ou incorporation spirituelle ou invisible, non seulement les justes non bap­ tisés, mais encore les justes dissidents. 1. Tout ce qu’il y a de vraie sainteté dans le monde relève déjà de l’Eglise de Pierre Le premier axiome, en dégageant l’Église du Christ des péchés de ceux qui lui appartiennent corporelle­ ment, visiblement (re)> renversait les malentendus qui empêchaient de voir sa sainteté. Le deuxième axiome, en rattachant à l’Église du Christ la sainteté de ceux qui lui appartiennent spirituellement, par le désir (voto), ren­ verse les malentendus qui empêchent de voir que tout ce qu’il y a de sainteté authentique dans le monde, soit dans les religions pré-chrétiennes, soit dans le judaïsme, soit dans les formations dissidentes, témoigne, en réalité, de près ou de loin, non pas en défaveur, mais en faveur de cette Église dont le Christ a fait son corps et son épouse et qu’il a confiée à Pierre. L’enseignement de l’Église catholique est qu’en dehors de son influence immédiate il y a, en fait de sainteté, non pas rien, mais rien qui ne mette en marche vers elle. Ceux qui ne lui appartiennent pas encore pleinement, corporellement (re), manqueront toujours soit de la plé­ nitude des grâces sacramentelles, soit de la plénitude de l’orientation juridictionnelle ; et dès lors leur sainteté ne sera jamais parfaite. Cependant, ils peuvent appartenir à l’Église initialement, spirituellement, par le désir de la charité théologale (voto). Cette sainteté imparfaite est authentique et parfois profonde. D’elle-même, sans tou­ jours en prendre conscience, elle est ordonnée à la sain­ teté plénière de l’Église comme la tige à sa fleur et la ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS 1509 fleur à son fruit. Procédant vraiment du Christ, elle tend vraiment vers l’achèvement de son corps mystique, qui n’est possible que là où la hiérarchie est plénière. Dès lors c’est en faveur de la plénitude de ce corps mystique quelle témoigne, à la manière dont les choses de l’exil témoignent des choses de la patrie. Le témoignage des saints des Eglises orthodoxes, ou des Eglises protestantes, ou du judaïsme, ou de l’islam, ou de l’Inde, si leur sain­ teté est authentique, n’affaiblirait l’éclat de la sainteté de l’Église catholique que si elle enseignait qu’il n’y a de vie surnaturelle et de sainteté authentique que dans ceux qui lui sont incorporés corporellement (re), et qu’il n’y a ni vie surnaturelle ni sainteté authentique - bien qu’imparfaitement éclose86 - dans ceux qui lui sont incorporés seulement spirituellement (voto\ Elle enseigne le contraire87. 2. Rappel méthodologique w rv t 86. Quand nous étudierons ex professo la sainteté de l’Église, nous aurons à déterminer théologiquement si la vie mystique et si les mirades sont possibles en ceux qui n’appartiennent pas corporelle­ ment (ou visiblement) à l’Église. Cf. Nova et Vetera, 1934, p. 82 [article cité plus haut, note 70, sur « la sainteté du message de l’Église»] ; 1931, p. 285-300 [« L’argument du martyre »]. 87. C’est à bon droit que Jacques Maritain écrit : « Le catholi­ cisme n’est pas un parti religieux, il est la religion, l’unique religion véritable, et il se réjouit sans jalousie de tout bien, même produit hors de ses frontières, car ce bien n’est hors des frontières catholiques qu’en apparence ; en réalité il lui appartient invisiblement. Tout, en effet, n’est-il pas à nous, qui sommes au Christ ? » Religion et culture, p. 65 [O. C.,IV, p. 227]. *<-♦·· 1. Va t-on nous reprocher de circonscrire arbitraire­ ment l’Eglise, en ôtant d’elle tout péché, en lui ratta­ chant toute sainteté ? Va t-on nous objecter que l’Église catholique se présente empiriquement comme un tout, 1510 VII/1 - NATURE DU CORPS DE L’ÉGLISE qui d’une part renferme des pécheurs, et donc leurs péchés, et qui d’autre part exclut d’autres touts religieux, et donc la sainteté qu'ils peuvent représenter ? En demeurant sur le plan de la controverse, nous répon­ drons que, pour être en droit de circonscrire l’Eglise d’une manière aussi empirique, il faudrait que deux points au moins fussent clairs : 1° que cette Église chérît le péché des catholiques comme sa propre chair, ou simplement le tolérât; 2° que cette Église hait la sainteté des noncatholiques, ou simplement la dédaignât. Or, on trahit l’Église en l'imaginant ainsi. Telle est la réponse immé­ diate. Ce n’est pas la réponse ultime. Celle-ci ne se donnera que sur le plan théologique. On ne circonscrit pas l’Église à son gré. On la circonscrit à partir de la révélation. C’est à partir de la révélation que nous définissons l’Église, d’une part comme haïssant le péché jusque dans ses propres membres ; et d’autre part comme attirant à elle toute la sainteté du monde. C’est à partir de la révélation que nous pouvons dire, en effet, par exemple, que la sainteté initiale de la grâce non encore sacramentelle, ou non encore orientée, est ordon­ née véritablement et ontologiquement à la sainteté ache­ vée de la grâce sacramentelle et orientée ; que pareille­ ment l’Église en préparation est ordonnée à l’Église accomplie. Un peu comme la plante est ordonnée à sa floraison. 2. Il en est de la manière de connaître l’Église comme de la manière de la circonscrire et de la définir. C’est encore à la révélation et à la théologie qu’il faut deman­ der comment, par exemple, la sainteté de l’Église est connue : la foi est-elle pour cela requise ? la raison en saisit-elle quelque chose ? que perçoit la simple observa­ tion empirique? On connaît déjà la réponse qu’il faut ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS 1511 donner, du point de vue théologique, à cette triple ques­ tion : Γ L’existence du mystère de sainteté de l’Église nous est affirmée par la révélation. Nous ne la connaissons adéquatement que par la foi surnaturelle. Dans quelle mesure les diverses manifestations privées ou collectives de la vie des chrétiens incarnent ce mystère de sainteté, participent à la grâce chrétienne et la manifestent, nous le saurons parfois d’une certitude absolue, mais bien souvent d'une manière seulement humaine, ne dépassant pas la certitude morale, voire la connaissance probable. 2° L’existence du miracle de sainteté de l’Église, c’est-à-dire du rayonnement dont s’entoure l’Église en exhaussant extraordinairement les valeurs humaines dont elle se saisit, tombe de soi sous ce regard métaphysique de l’intelligence naturelle qui persiste, mais souvent refoulé, contrarié, inhibé, au fond de chaque homme. Même quand il échouera à proclamer le miracle, ce même regard suffira du moins à discerner l’exception­ nelle qualité morale des valeurs humaines qui passent sous l’influence de l’Église : c’est ainsi, par exemple, que les mystiques catholiques retiennent, parmi tous les autres, l’attention de Henri Bergson. 3° Mais c’est l’enseignement de la théologie que soit le mystère, soit même le miracle de la sainteté de l’Église échappent par leur nature au pur regard empirique, pré­ occupé de la seule écorce des choses, et incapable d’éva­ luer leur profondeur. A la manière dont un cube, vu sous un certain angle, se réduit à une simple surface, ainsi l’Église, vue sous l’angle de l’empirisme, apparaît comme privée de ses dimensions spécifiques et comme projetée sur le plan des formations religieuses et sociologiques purement humaines. Pour l’œil de chair, isolé du regard de la foi et du regard de l’intelligence, il n’y a plus, nulle 1512 VII/1 - NATURE DU CORPS DE L’ÉGLISE pan, ni mystère ni miracles ; seul subsiste l’écran des phénomènes88. 3. Résumé Des trois aspects que présentent les éléments constitu­ tifs du corps de l’Église : aspect cultuel, aspect magistériel et prophétique, aspect sainteté, c’est ce dernier qui est l’as­ pect suprême, justifiant les deux autres, les enveloppant et les pénétrant. 88. Un empirisme rigoureux, d’ailleurs impossible à l’être humain: 1° ne pourrait même plus distinguer, dans une formation sociologique naturelle, son dynamisme propre, des forces étrangères occupées à le contrarier ou à le détruire ; il devrait par exemple ratta­ cher au marxisme, soit les régressions bourgeoises soit les mouve­ ments de foi religieuse de ceux qui se disent marxistes ; 2° à plus forte raison, un tel empirisme est-il incapable de faire cette distinction à propos d’une formation surnaturelle comme l’Église. Qu’on critique par ces remarques des textes aussi sommaires que celui de James Burnham, Uere des organisateurs, Paris, 1947, p. 48 : « Quand je parle du mouvement marxiste ou des marxistes, j’entends tous les groupes et individus qu’on dénomme vulgairement marxistes et qui, théoriquement et historiquement, ont avec Marx et ses théories un lien plausible. Il est indispensable de donner une définition claire de ce terme, à cause d’une habitude que les marxistes ont peut-être empruntée à l’Église. Chaque fois qu’une analyse des actes des membres de l’Église ou de ses institutions risque de porter atteinte à son renom et à ses prétentions divines, on nous réplique que ces actes ne sont pas vraiment ceux de l’Église, qui est un corps mystique et surnaturel, mais seulement les agissements d’un humain en tant qu'individu, d’une nature pécheresse. Grâce à cette méthode, l’Église demeure infaillible. De même, chaque espèce de marxiste se déclare non responsable des actions des autres espèces, voire des actions de ses membres quand elles ne réussissent pas ou quelles semblent s’éloigner du socialisme. Le marxisme, comme l’Église, est irrépro­ chable au moyen de ce procédé, mais nous ne permettrons son emploi ni à l’un ni à l’autre ». Joseph LORTZ, Die Reformation in Deutschland, Fribourg en Brisgau, 1941, t. II, pp. 296-297, écrit que, dans la première moitié ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS 1513 Suite de la note 88 : du XVIe siècle, « 1° la splendeur de l’Église comme réalité historique­ ment reconnaissable était à cette époque presque inexistante ; 2° néan­ moins cette constatation ne touche en rien à la splendeur substan­ tielle de l’Église, enracinée dans le divin. D’ailleurs, même aux temps les plus glorieux de l’histoire de l’Église, cette dernière splendeur ne se manifeste pas d’une manière adéquate dans l’historique : enracinée dans une sainteté et une vérité qui sont autonomes et de nature divine, elle est avant tout objet de foi, bien quelle transparaisse dans les signes de la divinité de l’Église. Avec ces vues concorde 3° l’atti­ tude des polémistes chrétiens du XVIe siècle. Tous ceux d’entre eux qui, capables de porter un jugement, demeurèrent fidèles à l’Église et qui nous ont renseignés sur leur manière de voir, ne restèrent pas catholiques parce que la forme visible de l’Église leur donnait l’appa­ rence de vigueur, de force, de beauté, de splendeur propres à un orga­ nisme sain. Ils ont bien plutôt avoué mille fois qu’ils ne découvraient guère dans le visage de leur mère l’Église que des rides et dans tout son être qu’une immense débilité, en sorte, comme l’expriment le cardinal Hosius et Paul III dans la bulle de convocation du concile de Trente quelle leur semblait près de tomber en ruines et de dispa­ raître. Tous ces fidèles serviteurs ont alors déclaré avec force, beau­ coup avec une très grande force, et plusieurs avec une lassitude découragée, que la forme et la beauté avaient déserté l’Église visible. Ils lui restaient malgré tout fidèles parce que, en dépit de ces inconvénients, ils croyaient à la splendeur essentiellement invisible de l’Église... Nous n’oublions d’ailleurs nullement les témoignages en partie émouvants de piété ecclésiale que nous avons rencontrés sur­ tout dans la piété catholique populaire (littérature édifiante, art reli­ gieux) du temps de la préréforme et de la réforme ». Ce texte appelle, à notre avis, plusieurs remarques: 1° l’auteur signale avec raison d’abord une sainteté de l’Église accessible à la seule foi, puis les notes dans lesquelles transparaît la divinité de l’Église, enfin le plan des apparences phénoménales. 2° Mais il est impossible que l’Église existe comme mystère de foi sans que sa présence puisse être décelée par une connaissance humaine, certaine ou probable, des signes qui l’ac­ compagnent : le baptême d’un enfant, le chant du Credo, la prière liturgique ou spontanée, le spectacle de la souffrance et de la mort chrétiennes, etc. 3° Il est impossible que l’Église existe comme mys­ tère de foi sans que, même aux yeux d’un chercheur exigeant, sa sain­ teté transparaisse dans les notes miraculeuses dont elle s’entoure, et qu’il percevra soit avec certitude soit avec probabilité. 4° Il est impos- 1514 VII/1 - NATURE DU CORPS DE L’ÉGLISE C’est lui qu’il fallait surtout tâcher de mettre en lumière. Nous l’avons essayé : 1° en indiquant les trois principales lignes de force suivant lesquelles s’extériorise la sainteté de l’Église: confession des grandeurs de Dieu, désir de le joindre dans l’au-delà, zèle à le donner aux hommes ; sible que la forme et la beauté visibles désertent jamais l’Église (pre­ nons garde de ne pas opposer une Église mystérieuse à une Église visible). 5° U est possible que l’Église cesse d’exister dans certains milieux sociaux ou dans certaines régions particulières. 6° Les témoi­ gnages des défenseurs de l’Église qui, au XVIe siècle, ne voient en elle que des rides et jugent sa cause désespérée, doivent être interprétés. Tout d’abord, nous avons dit que les hommes apostoliques ont souvent tendance à inclure dans l’Église les péchés des pécheurs, et à leur crier qu’ils souillent l’Église, afin de réveiller en eux le sens de leurs responsabilités. 7° En outre, ces défenseurs de l’Église qui parlent de son effondrement bloquent indubitablement l’Église et le monde chrétien d’alors, le christianisme et la chrétienté médiévale: c’est cette dernière dont l’état est désespéré et qui commence à s’écrouler. Pour l’Église, si méconnue, mal servie, abandonnée quelle soit, elle reste en elle-même sans tache ni ride. Des événements comme ceux du XVIe siècle ou comme la sécession de l’Église d’Orient, plus géné­ ralement toutes les catastrophes qui s’abattent sur l’Église, ne sont pas sans instruire ceux de ses enfants qui leur survivent. Ils leur appren­ nent à lever sur elle, à parité de foi, des yeux plus purs, à mieux cer­ ner son contour, à la dégager toujours plus rigoureusement de ce qui n’est pas elle. 8° Qui croira jamais que, dans la première moitié du XVIe siècle, la forme et la splendeur visibles aient déserté l’Église? Rappelons quelques dates, presque au hasard : 1510 : mort de sainte Catherine de Gênes et naissance de saint François Borgia; 1515: naissance de saint Philippe Néri et de sainte Thérèse d’Avila; 1517: fondation par saint Gaëtan de la Société du Divin Amour; 1521: conversion de saint Ignace de Loyola et naissance de saint Pierre Canisius; 1525: fondation des capucins; 1538: naissance de saint Charles Borromée ; 1539 : fondation des barnabites par saint Antoine Marie Zaccaria; 1540: départ de saint François Xavier pour les Indes; 1542: naissance de saint Bellarmin et de saint Jean de la Croix; 1550: mort de saint Jean de Dieu et naissance de saint Camille de Lellis. ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS 1515 2° en dissipant deux malentendus venant : a) l’un, de ceux qui pensent que les péchés de ses membres souillent la sainteté immédiate, directe, formelle de l’Église ; b) l’autre, de ceux qui croient devoir opposer les signes de sainteté rencontrés, soit dans les Églises dissidentes, soit dans les formations non chrétiennes, à la sainteté de l’unique Église habitée par le Christ, et confiée par lui à Pierre. V Sainteté instrumentale et SAINTETÉ FORMELLE 89 1. La sainteté instrumentale du message juridiction­ nel est ordonnée à la sainteté formelle de l’Église On achèvera de mettre en lumière la grande question de la sainteté de l’Église en opposant la sainteté seule­ ment tendancielle et instrumentale de l’Église ensei­ gnante, ou plus exactement de la fonction enseignante de l’Église, qui est instrument de sainteté, à la sainteté formelle et terminale de l’Église croyante et aimante, qui est sujet de sainteté et de laquelle relèvent, en tant que fidèles, non seulement les laïques, mais aussi les prêtres, les évêques, les papes. La première est au service de la seconde : « Il a établi les uns apôtres, les autres pro­ phètes, les autres évangélistes, les autres pasteurs et doc­ teurs, en vue du perfectionnement des saints... » (Éphés., IV, 11-12). 89. Nous utilisons dans ce résumé les pages sur « Le message par­ ticulier et faillible» parues dans Nova et Vetera, 1934, pp. 194-205 [article cité plus haut, note 70]. 1516 VII/l - NATURE DU CORPS DE L’ÉGLISE 2. La sainteté instrumentale du message juridiction­ nel se mesure selon les degrés de l’assistance divine S ·JB 1 ' WR. M . · * i I ir 1 La sainteté du message juridictionnel, qui ne peut être que tendancielle et instrumentale, est assurée par l’assis­ tance divine. Mais l’assistance comporte des degrés, en sorte que les directives juridictionnelles se distribueront sur plusieurs plans : 1° Sur un premier plan, l’assistance divine est infaillible d’une manière absolue. C’est le plan des vérités définies irréformablement soit comme révélées, soit comme simplement infaillibles. Elles sont de beaucoup les plus importantes. Ce secteur du message de l’Eglise est absolument pur. C’est la parole de Dieu sans ombre de mélange. On peut, bien sûr, imaginer qu’un zèle plus ardent des ministres de l’Église aurait permis de prêcher plus saintement, de porter plus loin, ou d’expliciter plus vite telle ou telle de ces vérités. Mais ces réserves ne tou­ chent en rien à la sainteté du message même. On ne sau­ rait parler ici de défaillances. 2° Sur un second plan, l’assistance divine est encore infaillible, mais d’une manière prudentielle. C’est le plan des lois ecclésiastiques universelles. Tant qu’elles sont maintenues en vigueur, elles sont infailliblement bonnes, prudentes ; ce qui ne veut pas dire quelles soient néces­ sairement les meilleures, les plus prudentes possibles : on pourra plus tard leur substituer peut-être des lois meilleures et plus prudentes. Mais ce second secteur du message de l’Église est lui aussi sans reproche. 3° Sur un troisième plan, l’assistance divine est faillible. Si les directives des deux plans précédents sont garanties infailliblement, on peut prévoir sans témérité que les directives du troisième plan, qui visent à les appliquer dans le concret, seront bonnes et prudentes dans la majorité des cas, ut in pluribus. Le salut des âmes ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS 1517 est en effet incomparablement mieux procuré si les lois de l’Église sont appliquées que si elles demeurent lettre morte. A ce plan appartiennent les directives de beau­ coup les plus nombreuses. Il faut ranger ici : a) d’une part, toutes les mesures d’intérêt particulier, c’est-à-dire qui n’engagent ni la responsabilité ni la desti­ née de toute l’Église. Telles sont les applications, faites dans les diverses conjonctures de temps et de lieu, des lois universelles de l’Église. Telles sont encore les lois et les décisions, dites particulières : soit parce quelles éma­ nent de l’autorité suprême mais sans l’engager pleine­ ment même en matière prudentielle (c’est le cas des « actes du pape » - que nous opposons aux « actes ponti­ ficaux » toujours infaillibles au moins prudentiellement et parmi lesquels nous rangeons les décisions doctrinales des congrégations romaines qui n’ont été approuvées par le pape qu’« en forme commune », les décisions des tri­ bunaux de la curie romaine, les préceptes particuliers, etc.) ; soit parce quelles émanent d’une autorité subal­ terne (lois promulguées par un synode provincial, décrets d’un évêque isolé, etc.). Telles sont enfin les lois universelles que l’Église aurait laissé légitimement pres­ crire, quelle cesserait d’appuyer de son autorité, et qui par là même deviendraient particulières. b) d’autre part, les mesures visant à assurer l’existence empirique de l’Église, c’est-à-dire les conditions tempo­ relles de sa vie spirituelle, et qu’on désigne parfois sous le nom de politique des papes et des évêques. (On peut désigner par « politique des papes » les mesures spiri­ tuelles touchant le temporel soit en vue de l’illuminer lui-même, soit en vue de défendre le spirituel contre ses incursions. Mais nous entendons ici simplement par ce mot les mesures destinées à assurer la continuation empirique de l’Église.) L’assistance divine, qu’on peut appeler « assistance biologique », n’est ici infaillible que 1518 VII/1 - NATURE DU CORPS DE L’ÉGLISE pour assurer l’existence de l’Église dans le monde, non nécessairement dans chaque region du monde ; elle ne lui épargne ni les essais ni les tâtonnements, ni non plus les erreurs de gouvernement : elle pourra même, par une divine alchimie, utiliser ces erreurs. C’est la manière dont la sainteté tendancielle et instrumentale est réalisée dans ce secteur inférieur mais innombrable du message de l’Église, que nous avons à caractériser. Auparavant, il est une question à résoudre. 3. Pourquoi le secteur des directives particulières n’est-il assisté que d’une manière faillible ? On doit répondre d’abord que, du fait précisément que les directives de ce secteur sont particulières, en ce sens qu’elles n’engagent ni la responsabilité suprême de la hiérarchie, ni la destinée de toute l’Église, il n’est pas nécessaire, pour assurer le bien commun essentiel de l’Église, quelles soient assistées pour chaque cas, il suffit qu’elles le soient pour la majorité des cas, ut in pluribus. Même lorsqu’il permet une défaillance en ces matières, par exemple une erreur des tribunaux ecclésiastiques, Dieu ne cesse pas d’assister étroitement son Église pour autant quelle enseigne la révélation divine, légifère en matière générale, et tranche une foule d’autres cas parti­ culiers. C’est en raison sans doute de son union personnelle avec le Verbe que le Christ était radicalement impec­ cable, et qu’il agissait en toute circonstance avec une sûreté absolue. Mais n’aurait-il pu, jusque dans le domaine des mesures particulières, préserver les pouvoirs juridictionnels de toute erreur et de toute injustice? Pourquoi permet-il que ceux qui parlent habituellement ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS 1519 en son nom puissent quelquefois faillir ? C’est son secret. Nous avons à le constater, plus encore qu’à l’expliquer. Tout ce qu’il y a à répondre aux questions de cette nature, c’est que Dieu ne permettrait pas que le mal pût venir à la traverse de son œuvre rédemptrice s’il n’était assez puissant pour en tirer quelques très grands biens. Quels sont-ils ? Ils restent cachés et n’apparaissent ici-bas qu’imparfaitement. On dira par exemple que Dieu, en faisant, dans le gouvernement de son Église, une si grande part à la responsabilité de ses serviteurs, honore en eux jusqu’à l’extrême la condition humaine ; qu’en les laissant parfois se tromper lorsqu’ils entrent en contact avec les réalités concrètes et mouvantes, qu’en les invi­ tant par là à s’instruire de l’expérience, à se corriger, à marcher constamment au pas de l’histoire pour ensei­ gner les choses qui constamment transcendent l’histoire, il leur apprend à « exister avec le peuple », « à user d’in­ dulgence envers ceux qui pèchent par ignorance et par erreur » puisqu’ils sont eux aussi « entourés de faiblesse » (Hébr., V, 2). On dira encore que, si les ministres de l’Eglise, même lorsqu’ils croient agir comme tels, ne sont pas toujours, en certaines matières, délivrés de l’erreur, c’est qu’ils ont besoin d’être provoqués à méditer sur leur misère, et à supplier humblement pour obtenir les lumières du ciel. On dira finalement que les plus ter­ ribles erreurs des hommes d’Église ont été l’occasion, la grâce étant survenue, de l’extraordinaire sainteté de Jeanne d’Arc, ou de l’union transformante de saint Jean de la Croix dans son cachot de Tolède. Parlant de Justes, chassés par erreur de la communauté chrétienne, saint Augustin écrit : « S’ils supportent dans une grande patience cet affront et cette injustice pour la paix de l’Église, sans fomenter aucune des nouveautés du schisme ou de l’hérésie, ils enseigneront aux hommes de quel vrai amour et avec quelle grande charité il faut ser- ■B··*’’’ 1520 VII/1 - NATURE DU CORPS DE L’ÉGLISE vir Dieu. Ils défendent jusqu’à la mort et soutiennent de leur témoignage la foi qu’ils savent prêchée dans l’Église catholique. Le Père les couronne dans le secret, qui les voit dans le secret. Une telle race semble rare, pourtant les exemples ne manquent pas : ils sont même plus nom­ breux qu'on ne peut croire »90. L’Esprit saint, Maître souverain de l’Eglise, ultime personnalité responsable de sa sainteté définitive, opère le perfectionnement des saints, l’unité de la croyance et de la vie collective des chrétiens, avant tout certes et direc­ tement par les pouvoirs sacramentels, et par le moyen des instruments juridictionnels qu’il assiste de sa lumière, à savoir: les vérités définies d’une manière infaillible et irrévocable, les lois universelles qui sont infaillibles d’une manière relative et prudentielle, les directives particu­ lières qui, bien que faillibles, sont, dans la majorité des cas, bonnes et prudentes ; mais l’Esprit saint, en vertu de sa toute-puissance, réussit à utiliser en outre, selon des voies incompréhensibles, même les erreurs et les injus­ tices de ces directives particulières, en vue de l’édifica­ tion du corps du Christ. Au total, les défaillances de la sainteté tendancielle et instrumentale de l’Église enseignante - nous parlons de défaillances, de mesures injustes, d’erreurs, ici même où il est question du message juridictionnel ; nous réservons les noms de péché, de tache, de souillure pour qualifier les péchés, les fautes des personnes, des sujets de sainteté ne sont permises qu’en vue de quelque mystérieux accroissement de la sainteté formelle et terminale de l’Église croyante et aimante, afin que « faisant la vérité dans la charité, nous croissions de toute manière en Celui qui est la tête, le Christ » (Éphés., IV, 15). 90. De vera religione, ch. VI, n° IL ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS 1521 4. L’assistance faillible et les défaillances en matière de directives particulières Γ Considérons une première éventualité : les direc­ tives juridictionnelles en matière faillible sont justes dans leur teneur (ex parte operis}, mais immorales dans l’in­ tention de celui qui les impose (ex parte operantis}. Les calculs de l’ambition peuvent en effet faire promulguer une loi juste. Sous l’aspect où elles sont des actions immorales, elles constituent un péché et sont hors de l’Église. Sous l’aspect où elles sont des directives justes, elles émanent des pouvoirs juridictionnels et doivent être obéies. Ici, tout est simple. L’erreur de Wicleff, puis de Jean Hus, a été de confondre ces deux aspects, et de pré­ tendre que le dépositaire d’une autorité légitime, s’il est en péché mortel, perd, de ce fait, tout droit de comman­ der91. 2° Selon l’autre éventualité, les directives juridiction­ nelles en matière faillible sont elles-mêmes déviées (ex parte operis}. Cette éventualité n’a rien de chimérique, car il est de la nature d’un pouvoir faillible, s’il n’est assisté que failliblement, de faillir quelquefois. Cela se produira s’il impose ou une erreur (malum erroris}, ou un péché (malum culpae}, ou une peine injuste, une vio­ lence (maltim poenae}. Les deux décrets antigaliléens tiennent expressément l’héliocentrisme pour contraire à la Bible; Innocent III a lui-même tranché le cas de l’homme à qui les tribunaux ecclésiastiques enjoin­ draient par erreur un péché ; Jeanne d’Arc a rendu l’évêque de Beauvais responsable de sa mort. 91. «Personne n’est chef civil, personne n’est prélat, personne n’est évêque, tant qu’il est en péché mortel». Proposition 15e de Wicleff et 30e de Jean Hus, condamnée au Concile de Constance, le 22 février 1418, Denz., nos 595 et 656. Μ* 1522 VII/1 - NATURE DU CORPS DE L’ÉGLISE Tant que subsiste le doute, la présomption est en faveur de l'autorité juridictionnelle. Mais s’il devient évi­ dent que les prescriptions particulières du message faillible de l’Eglise imposent ou une erreur, ou un péché, ou une peine injuste, elles sont d’avance annulées par la prescription supérieure de son message infaillible, sou­ vent expressément rappelée et toujours présupposée, sui­ vant laquelle on ne saurait en aucun cas contredire à une loi naturelle ou à une loi évangélique certaines. En appe­ ler, comme Jeanne d’Arc, au tribunal de Dieu contre des décisions de cette nature, décider « d’obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes », ce ne sera donc pas le moins du monde opposer Dieu à l'Eglise, ce sera au contraire opposer la volonté de l’Église infaillible, qui n’est pas autre que celle de Dieu, à l’erreur évidente, d’avance désavouée, de ses tribunaux inférieurs et de ses ministres. Le message supérieur de l’Église, qu’il faut accepter abso­ lument et sans réserve, a en lui de quoi redresser les déviations éventuelles, toujours moins nombreuses d’ailleurs que les réussites, de son message inférieur. En ce sens, la sainteté instrumentale et tendancielle du mes­ sage juridictionnel de l’Église est au total sauvegardée. 5. La sainteté instrumentale et tendancielle du mes­ sage juridictionnel n’est pas substantiellement renver­ sée par les défaillances particulières et les scandales Les pouvoirs faillibles de l’Église ne peuvent jamais me fourvoyer en m’imposant de pécher malgré moi: pour que je pèche, il faut que je voie le péché et que je le veuille. Si, par exemple, ils m’imposent de torturer les hérétiques et les sorciers et que je voie — ce que saint Augustin ne voyait pas encore clairement - que l’emploi de la torture par les tribunaux est contraire au droit soit ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS 1523 naturel soit évangélique, comme l’a de fait déclaré le pape Nicolas Ier, c’est moi qui pèche en acceptant de tor­ turer; si, au contraire, sans qu’il y ait de ma faute, par suite d’un recul général du sens moral dû à une recrudes­ cence du paganisme, je ne vois plus l’immoralité du recours à la torture par les tribunaux, ce qui est, semble-t-il, le cas de beaucoup de chrétiens vers les temps d’Innocent IV, je ne pèche pas en acceptant de torturer. Il reste que je suis induit en erreur, sur un point de morale, et à la faveur même de la confiance que je fais aux pouvoirs juridictionnels. Il en va de même si des évêques déclarent juste une guerre de fait injuste, etc. L’erreur peut être spéculative, par exemple si l’on me dit que je dois croire au géocentrisme sous peine de contre­ dire la doctrine révélée affirmant l’inerrance de l’Écriture. Les pouvoirs faillibles, incapables de nous faire pécher contre notre volonté, peuvent donc nous faire errer contre notre volonté. Et ils peuvent prononcer des peines injustes qui, bien quelles soient comme telles inva­ lides, sont parfois suivies d’effets. Dès que la défaillance des directives juridictionnelles faillibles est découverte, ces directives, nous l’avons dit, sont invalides, elles sont désavouées et annulées par les doctrines supérieures et infaillibles, et elles cessent intrinsèquement de relever du pouvoir juridictionnel de l’Église92. Si ce quelles prescrivent apparaît comme un péché à commettre, une peine injuste à appliquer, il est, de plus, interdit d’obéir93. Si elles me frappent dans un 92. Ceux qui auraient été retenus hors de l’Église pour la seule raison qu’ayant vu ces défaillances ils ne pouvaient se résoudre à sem­ bler les ratifier en entrant ouvertement en elle, pourraient déjà, d’une manière intense, être ses enfants par le désir. 93. «Si l’exécuteur d’une sentence découvre quelle est manifeste­ ment injuste, qu’il s’abstienne de l’appliquer et qu’il remette la cause entre les mains de son supérieur ». Code de Droit Canon, can. 1921, § 2. 1524 VII/1 - NATURE DU CORPS DE L’ÉGLISE avantage auquel je peux renoncer sans péché, et que l’obéissance, au prix d’un sacrifice supportable, me per­ mette d’éviter de plus grands maux, je devrai choisir d’obéir94. Mais tant que la défaillance des directives juridiction­ nelles faillibles reste encore cachée, ces directives relèvent provisoirement du message juridictionnel de l’Église. Elles appartiennent au corps de l’Eglise conditionnelle­ ment, c’est-à-dire pour autant qu’il n’apparaît pas quelles imposent des péchés ou des mesures injustes, ou des erreurs. Bref, pour autant qu’elles ne sont pas encore scandaleuses. Elles sont valides : sans doute, d’une manière fragile, précaire ; mais néanmoins capables d’in­ duire en erreur et de décréter des peines injustes. Quand le temps aura révélé leur vice, elles apparaîtront, aux yeux de l’historien qui les connaîtra dans cette lumière, comme autant de scandales. Et ceux qui disent que l’Église est sans péché pourront sembler, mais aux yeux de qui n’a pas compris le fond de son mystère, défendre une cause d’avance perdue. Il reste cependant que, même sur le plan où les pou­ voirs juridictionnels ne sont que failliblement assistés, ils sont dans la majorité des cas, ut in pluribus, une cause d’immenses bienfaits pour la communauté spirituelle. Les défaillances, si nombreuses soient-elles, sont par94. Ici s’applique la solution de saint GRÉGOIRE : « Que l’inférieur ne s’élève pas témérairement contre la sentence de son pasteur, de peur qu’étant frappé dans son innocence, l’orgueil d’une réponse insolente ne le rende coupable ». Homiliae in Evangelia, livre II, homélie XXVI, n° 6 ; P. L., t. LXXVI, col. 1201. Sur la distinction entre les lois injustes comme contraires à un bien divin, auxquelles il n’est jamais permis d’obéir; et les lois injustes comme contraires à un bien humain, auxquelles, bien qu elles soient invalides, la prudence peut demander d’obéir pour évi­ ter un grand scandale, voir S. THOMAS, I-II, qu. 96, a. 4. ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS 1525 tielies et précaires, et les principes capables de les réduire et de les évacuer un jour, demeurent secrètement actifs9596 . Et si l’on passe au plan supérieur des lois universelles de l’Église, puis au plan encore supérieur des vérités infailli­ blement définies, on ne trouve plus que la lumière de l’Évangile. 6. L’enseignement catholique sur l’obéissance et la prudence chrétiennes < >4 95. Nous ne regardons pas comme défaillance la nécessité, fré­ quente dans la pratique, de tolérer le moindre mal, et nous ne croyons aucunement que l’Église est souillée par l’emploi de moyens bons en eux-mêmes, lorsqu’ils sont mêlés accidentellement à un contexte historique que les hommes ont rendu impur : « La peur de se souiller en entrant dans le contexte de l’histoire est une crainte pharisaïque. On ne peut pas toucher à la chair de l’être humain sans se salir les doigts. Se salir les doigts n’est pas se salir le cœur. L’Église catholique n’a jamais eu peur de cesser d’être pure en touchant nos impuretés». Jacques MARITAIN, Htimanisme intégral, p. 264 [O. C., vol. VI, p. 568]. 96. Nous avons abordé ailleurs la question disputée de la sorte d’obéissance due aux vérités définies simplement comme infaillibles, voir L’Église du Verbe incarné, t. I, p. 412 [vol. I, p. 698]. * Γ Les vérités définies comme révélées doivent être reçues dans l’obéissance de la foi, fondée immédiatement sur l’autorité incréée de Dieu, non sur l’autorité créée de l’Église. C’est là une obéissance d’ordre proprement théologal%. Les lois générales de l’Eglise, qui sont garanties infailliblement comme prudentes, et les directives du message particulier, qui ne sont plus assistées que failliblement, sont reçues immédiatement, les unes et les autres, sur l’autorité créée de l’Église. C’est là une obéis­ sance qui est d’ordre proprement moral, non théologal. 1526 VII/1 - NATURE DU CORI’S DE L’ÉGLISE Rappelons que l’enseignement, qui est une grandeur de hiérarchie, est ordonné à l’obéissance, qui est une grandeur de sainteté. 2° L’obéissance ne doit jamais être aveugle ; ni dans le cas où elle est théologale ni dans le cas où elle est morale. Elle doit toujours être affaire de conscience, elle doit toujours être éclairée par la prudence. Mais la visée de la prudence ne sera pas la même dans tous les cas. Dans le cas des vérités garanties infailliblement comme absolues et irrévocables, et dans le cas des lois générales garanties infailliblement comme prudentes, la visée de la prudence ne porte pas sur la valeur de ces directives pour elles-mêmes ; comment aurait-elle à déli­ bérer sur la justesse de directives qui sont infailliblement garanties ? Elle porte uniquement sur la valeur de ces directives pour moi : de quelle manière vais-je personnel­ lement m’en emparer pour les faire passer hic et mine dans ma vie concrète quotidienne ? Mais dans le cas des directives garanties d’une ma­ nière seulement faillible, la visée de la prudence est plus vaste; elle doit porter éventuellement jusque sur la valeur de ces directives pour elles-mêmes : non certes pour contester aux pouvoirs légitimes leur mission et nier leur autorité, ce serait folie; mais, lorsqu’il y a des raisons graves de le faire, pour s’assurer de la crédibilité hic et nunc de cette autorité, dans tel cas douteux particulier. Quand saint Thomas, cité par Léon XIII, dit que la prudence est dans le prince comme architecte et dans le sujet comme exécutant7, quand Léon XIII lui-même dit que « la prudence politique des particuliers semble consister tout entière à exécuter fidèlement les ordres de 97. II-II, qu. 47, a. 12. 98. Encyclique Sapientiae christianae, 10 janvier 1890. ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS 1527 l’autorité légitime »98, ils visent ce qui, dans la supposi­ tion d’un bon prince, se passe normalement et ut in plu­ ribus, Encore que beaucoup d’initiatives prudentielles concernant le bien commun, d’abord proposées et inau­ gurées par des particuliers, aient été ensuite adoptées et consacrées par l’autorité. 3° C’est pour tout homme un devoir d’agir en toutes circonstances avec une conscience sûre. Comment pour­ rait-il obéir les yeux fermés, en matière faillible, où des erreurs se sont produites, continuent et continueront de se produire, lorsqu’il a précisément, en tout esprit de foi, droiture de conscience, humilité de cœur, des raisons graves de penser qu’il se trouve en présence de l’une de ces erreurs" ? Dans ces circonstances exceptionnelles, où le croyant peut être en opposition avec des autorités divinement assistées - l’opposition se situant unique­ ment sur le plan où l’assistance divine qui soutient ces autorités devient faillible et sur les points où Dieu peut les laisser errer si elles le veulent, — la conscience catho­ lique sera comme déchirée ; mais, si elle reste catholique, ses déchirements pourront être bénis et accroître la splendeur de la sainteté de l’Église, tandis que ses abdi­ cations pèseraient sur le monde comme autant de poids morts.99 99. Certaines autorités ecclésiastiques, d’ailleurs contredites par d’autres, ont pu, pour des raisons d’opportunité, et l’estimant un moindre mal, ratifier des baptêmes faits par contrainte royale, se pro­ noncer en faveur de la continuation de l’esclavage des noirs ou du système des maisons de tolérance ; elles pourront déclarer juste une guerre qui apparaît manifestement à d’autres comme une guerre de conquête co oniale, approuver une guerre préventive entreprise par leur parti contre le parti adverse, par leur nation contre la nation adverse, condamner le principe de la résistance à l’occupant au nom du principe de la collaboration, etc. 1528 VII/1 - NATURE DU CORPS DE L’ÉGLISE 4° Si les directives juridictionnelles particulières sont déviées, c'est accidentellement et exceptionnellement. De soi, elles ont pour fin d’appliquer à la vie concrète le contenu des lois universelles qui sont infailliblement bonnes, prudentes, saintes. Et celles-ci reçoivent toute leur valeur des définitions infaillibles et irrévocables qui nous apportent dans sa pureté et son intégrité la parole même de Dieu, l’Evangile capable de sauver le monde. Une connexion étroite relie ainsi entre elles les décisions extrêmes du message juridictionnel : à partir des révéla­ tions suprêmes, la lumière divine descend jusque dans les plus humbles dispositions concernant l’existence quotidienne, comme dans notre corps le sang passe des artères aux vaisseaux capillaires. Les saints ont eu de cette merveilleuse continuité une connaissance concrète et pratique. Dans le testament qu’il laisse à ses frères mineurs, saint François dit : « Le Seigneur me donna et me donne encore une si grande foi aux prêtres qui vivent selon la forme de la sainte Église romaine, à cause de leur caractère, que s’ils me persécutaient, c’est à eux-mêmes que je veux recourir. Et si j’avais autant de sagesse qu’en eut Salomon, et si je trouvais des pauvres prêtres de ce siècle, je ne veux pas prêcher contre leur volonté dans les paroisses où ils demeurent... »100. 7. La sainteté formelle et terminale de l’Église est sans tache ni ride Le message de l’Église enseignante est un instrument, non un sujet de sainteté. Ceux dont il émane peuvent être justes ou pécheurs ; ce n’est pas d’eux, c’est de lui que nous parlons. Sa sainteté, qui est instrumentale et 100. Les opuscules de saint François d’Assise, trad, du P. Ubald d’Alençon, Couvin, 1905, p. 94. ÉLÉMENTS ADJACENTS 1529 tendancielle, est pure et sans mélange sur les deux plans supérieurs, celui des vérités définies et celui des lois uni­ verselles. Sur le troisième plan, celui des directives parti­ culières, il y a mélange : ordinairement, ut in pluribus, elles sont bonnes, prudentes, saintes ; exceptionnelle­ ment, ut in paucioribus, il y a erreur, mesure injuste, disons scandale. Mais on ne relèvera pas une seule tache, une seule souillure, un seul péché dans l’Église considérée comme sujet d’inhérence de la sainteté formelle et terminale, c’est-à-dire dans l’Église croyante et aimante, composée de clercs et de laïques, et qui est la communauté humaine issue des pouvoirs sacramentels et des pouvoirs juridictionnels - lesquels, même en cas d’erreur, ne m’autorisent jamais à faire ce que je vois être un péché, — unifiée par la grâce pleinement christique, c’est-à-dire la grâce sacramentelle et orientée et où l’Esprit saint peut habiter pleinement. Il reste maintenant à indiquer quels sont les éléments adjacents du corps de l’Église. IV. LES ÉLÉMENTS ADJACENTS DU CORPS DE LÉGLISE Les éléments auxiliaires ou adjacents sont pour l’Église ce que sont pour l’homme les vêtements et les choses dont il a besoin de s’entourer pour entretenir sa vie. 1530 VII/1 - NATURE DU CORPS DE L’ÉGLISE 1. Royaume de Dieu et royaumes de ce monde Avant toutes choses, il importe de départager ici très nettement le plan spirituel, où se situe l’Égfise, royaume qui n’est pas de ce monde, et le plan temporel, où se meuvent les cultures, les civilisations, les royaumes de ce monde. Si profondément influencé par le spirituel qu’on le suppose, le plan du temporel lui demeure de soi exté­ rieur ; nous n’essayons donc de le définir ici qu’afin de pouvoir l’écarter délibérément de notre préoccupation. a) Distinction du spirituel et du temporel 1. «Sur un premier plan d’activité, qui est le plan du spirituel au sens le plus typique du mot, nous agissons comme membres du corps mystique du Christ. Que ce soit dans l’ordre de la vie liturgique et sacramentelle, du travail des vertus ou de la contemplation, de l’apostolat ou des œuvres de miséricorde, notre activité vise comme objet déterminant la vie étemelle, Dieu et les choses de Dieu, l’œuvre rédemptrice du Christ à servir en nous et dans les autres. C’est le plan de l’Eglise elle-même. «Sur un second plan d’activité, qui est le plan du temporel, nous agissons comme membres de la Cité ter­ restre et comme engagés dans les affaires de la vie ter­ restre de l’humanité. Quelle soit d’ordre intellectuel ou moral, scientifique ou artistique ou social et politique, notre activité, tout en étant, si elle est droite, rapportée à Dieu comme à sa fin dernière, vise de soi, comme objet déterminant, des biens qui ne sont pas la vie étemelle, mais qui concernent d'une façon générale les choses du temps, l’œuvre de la civilisation ou de la culture. C’est le plan du monde »101. 101. Jacques NÎARITAIN, Humanisme intégral, 1936, p. 312 [O. C., vol. VI, pp. 617-618]. ÉLÉMENTS ADJACENTS 1531 2. La distinction du spirituel et du temporel peut se prendre soit du point de vue de la causalité motrice et efficiente, soit du point de vue de la causalité finale. Du point de vue de la causalité motrice et efficiente, on distingue deux sortes, deux styles de motions. Tantôt, sous la motion des puissances surnaturelles de grâce et de hiérarchie, les ressources et énergies humaines fonc­ tionnent comme élevées à un plan supérieur, tel un ins­ trument dans la main d’un artiste ; alors, elles se dépas­ sent elles-mêmes, reçoivent en quelque sorte des ailes pour voler, introduisent l’homme dans la vie divine, visent immédiatement les fins du royaume de Dieu, constituent l’étoffe même dont est faite l’Église ou le christianisme. Tantôt au contraire, sous la motion des puissances surnaturelles de grâce et de hiérarchie, les res­ sources et énergies humaines fonctionnent sur leur propre plan, selon leur propre style, à la façon d’une cause seconde, telle une plante sous la pluie et le soleil ; alors, elles sont aidées et illuminées en vue des tâches humaines, reçoivent en quelque sorte des ailes pour cou­ rir, visent immédiatement les choses du temps, consti­ tuent l’étoffe même dont sont faites les cultures et les civilisations, dans la mesure, toujours partielle, où elles sont chrétiennes. Du point de vue de la causalité finale, il est clair que toutes les activités et oeuvres du chrétien doivent être ordonnées à la fin de la béatitude éternelle. Mais, ou bien cette ordination est directe et immédiate : et voilà le domaine spirituel des choses qui ne sont qu’à Dieu, qui constituent l’Église, royaume qui est dans ce monde sans être de ce monde. Ou bien cette ordination est indirecte et médiate, il faut rendre directement et immédiatement à César ce qui est à César, mais il est entendu qu’en der­ nier ressort c’est pour Dieu qu’on le rend à César : voilà le domaine des choses de soi temporelles et culturelles. 1532 VII/1 - NATURE DU CORPS DE L’ÉGLISE Elles valent pour elles-mêmes, elles sont de vraies fins, des fins intermédiaires, infra-valenies. Elles ne sont pas de purs moyens, comme serait un remède désagréable. Dans la mesure où elles sont chrétiennes, elles le sont par une ordination ultérieure, sans doute intrinsèque, mais seule­ ment médiate, indirecte, à la fin suprême de l’homme102. 3. La prudence par laquelle un pape régit saintement ΓÉglise, ou la sainte obéissance qu’il reçoit des fidèles, vise immédiatement une fin spirituelle, elle relève, dans son principe, son exercice, son œuvre ou résultat, du royaume de Dieu, elle est surnaturelle dans sa substance même, quoad substantiam : c’est une prudence (ou une obéissance) infuse103. Au contraire, la prudence par laquelle un chef de gouvernement régit droitement son peuple, ou l’obéissance vertueuse des citoyens, vise 102. A l'intérieur du domaine spirituel ou ecclésial, peuvent se réin­ troduire, mais avec des significations nouvelles, les distinctions qui nous ont permis de l’opposer au domaine temporel. Le théologien spéculatif pourra, par exemple, caractériser le pou­ voir d'ordre comme strictement instrumental, et le pouvoir juridic­ tionnel comme assimilable à une cause seconde. Les canonistes opposent à leur manière le spirituel et le temporel. D'une part, ils interdisent d’acheter ou de vendre: 1° des «choses intrinsèquement spirituelles », comme les sacrements, la juridiction ecclésiastique, une consécration, des indulgences ; 2° une « chose temporelle annexée à une chose spirituelle », en d’autres termes, une chose « mixte » : soit par exemple un bénéfice, à savoir un ensemble comportant un office sacré et le droit à un revenu ; soit encore un calice avec sa consécration, Code de Droit Canon, can. 727. D’autre part, ils parlent des « biens temporels » de l’Église, appelant « biens ecclésiastiques » les biens «temporels» qui appartiennent soit à l’Église universelle, soit au Siège apostolique, soit à quelque personne morale existant dans l’Église, can. 1497, 1. 103. Quand elle utilise la prudence ou les autres vertus acquises, ce n'est pas pour les laisser agir comme des causes secondes et selon leurs lois propres, c’est pour les manier comme des instruments en les tirant sur son plan à elle, et les ordonner immédiatement aux finalités ÉLÉMENTS ADJACENTS 1533 immédiatement une fin temporelle, elle relève dans son principe, son exercice, son œuvre, des choses humaines : c’est une prudence (ou une obéissance) politique et acquise104. Mais le politique en gouvernant, le citoyen en payant l’impôt à César, doivent tendre médiatement à la béatitude éternelle, et sous cet aspect ils appartiennent au royaume qui n’est pas de ce monde. Ainsi les disposi­ tions, actions, opérations qui débouchent immédiate­ ment sur des œuvres culturelles seront temporelles par leur spécification, mais spirituelles par le mode salutaire dont elles seront accomplies et médiatement ordonnées à la vie éternelle. b) Subordination du temporel Le plan de l’Église et le plan du monde sont nette­ ment distincts, ils ne sont pas séparés. « Le bien com­ mun de la civilisation demande de soi à se référer au bien commun de la vie éternelle, qui est Dieu lui-même. d’un royaume qui n’est pas de ce monde. Sur cette utilisation, cf. Jacques MARITAIN, Science et sagesse, Paris, 1935, p. 352 [O. C., vol. VI, pp. 219-220]. 104. «Les vertus morales acquises proportionnent de soi notre action à des fins temporelles, leur domaine propre est celui de la vie civile ou politique, nous dirions aujourd’hui de la culture ou de la civilisation... Et lorsqu’elles s’exercent en ce domaine dans une âme en état de grâce, les vertus morales acquises sont surélevées par la cha­ rité et par les vertus morales infuses qui leur correspondent, mais sur­ élevées non instrumentalement. Car c’est la vertu acquise qui a alors l’initiative du mouvement à l’égard de ses fins propres, qui sont civiles ou temporelles, tout en ayant besoin de la vertu infuse pour être portée ultra suum specificum, au-delà de son point de spécifica­ tion purement naturel, comme il convient dans une vie civile ou temporelle sainement finalisée, c’est-à-dire indirectement référée à la fin ultime surnaturelle. La vie civile en effet appartient de soi à l'ordre naturel, mais cet ordre naturel lui-même de la vie civile est surélevé participativement du fait de sa référence (explicite ou seule­ ment “vécue”) aux fins supra-temporelles des personnes humaines, 1534 VII/1 - NATURE DU CORPS DE L’ÉGLISE Sur 1 un et l’autre plan, je ne ferai bien mon travail qu’en ayant à l’égard de l’objet visé la compétence et les armes voulues ; mais là même où j’agis comme membre d’une autre cité que l’Église du Christ, la vérité et la vie chré­ tienne doivent pénétrer au-dedans de mon activité, être l’âme vivifiante et rectrice de tout le matériel de connais­ sances et de moyens de réalisation que je mettrai en œuvre ; soit que l’objet auquel je travaille, comme plan­ ter une vigne ou bâtir une maison, relève d’une tech­ nique indépendante en elle-même de la foi chrétienne, soit que lui-même, et si grande que puisse être la part de technique drainée par lui, il soit essentiellement d’ordre éthique, comme les choses du domaine social et poli­ tique, et dépende dès lors intrinsèquement de principes supérieurs que la foi chrétienne et la sagesse chrétienne assignent d’en haut »105. D’où une nécessaire distinction : « Si je me tourne vers les hommes pour leur parler et agir au milieu d’eux, disons donc que sur le premier plan d’activité, sur le plan du spirituel, je parais devant eux en tant que chréréférence sans laquelle l’ordre civil ou temporel n’a pas sa rectitude propre. Ainsi le père de famille que l’amour naturel de ses enfants rend soucieux d’établir sa fortune poursuivra cette fin temporelle avec les vertus acquises de prudence et de tempérance, mais surélevées par les vertus infuses correspondantes, et en se rappelant par exemple la parabole du lis des champs ; ainsi le lien social par excellence, l’amitié entre citoyens, se trouvera, dans les âmes en état de grâce, surélevé par la charité ; ou encore, s’il est en état de grâce, le politique qui voit les dangers immédiats que le refus d’une perfidie fait courir à sa patrie sera fortifié dans sa justice et dans sa prudence acquises par les vertus infuses correspondantes, qui le feront s’appuyer surnaturellement sur la providence du gouvernement divin ». Jacques MARITAIN, Science et sagesse, pp. 353-356 [pp. 220-222]. Il faut corriger confor­ mément à ces vues ce que nous avions écrit dans La juridiction de l’Église sur la cité, 1931, pp. 57-58 [ch. III, § 3, b]. 105. Jacques MARITAIN, Humanisme intégral, p. 313 [O. C., vol. VI, pp. 619-620]. ÉLÉMENTS ADJACENTS 1535 tien, et pour autant j’engage l’Église du Christ ; et que sur le second plan d’activité, sur le plan du temporel, je n’agis pas en tant que chrétien, mais je dois agir en chrétien, n’engageant que moi, non l’Église, mais m’en­ gageant moi-même tout entier et non pas amputé ou désanimé, - m’engageant moi-même qui suis chrétien, qui suis dans le monde et travaille dans le monde sans être du monde, qui de par ma foi, mon baptême et ma confirmation, et si petit que je sois, ai la vocation d’infu­ ser au monde, là où je suis, une sève chrétienne »106. c) Autonomie du temporel dans son ordre propre La dualité du royaume de Dieu et des royaumes de ce monde, de l’Église et de la cité, la spécificité de leurs fins et de leurs activités, l’impossibilité de remplacer l’une par l’autre, d’absorber l’une dans l’autre ont été rappelées par Léon XIII : « Dieu a divisé le soin de gouverner le genre humain entre deux puissances, l’une ecclésiastique, l’autre civile, l’une préposée aux choses divines, l’autre aux choses humaines. Chacune d’elles est suprême en son ordre ; chacune d’elles est contenue dans des limites précises, qui lui sont tracées par sa nature et sa fin pro­ chaine; ainsi se circonscrit un domaine sur lequel cha­ cune exerce son action de plein droit »107. « Sans aucun doute, l’Église et la cité ont chacune leur suprématie ; aussi, dans la gestion de leurs propres affaires, aucune n’obéit à l’autre, à l’intérieur cela s’entend des limites qui lui sont tracées par ses fins prochaines. Il ne s’ensuit d’ailleurs aucunement quelles soient désunies, moins encore ennemies»108. Ici, comme ailleurs, la vérité n’est ni de confondre ni de séparer, mais de distinguer pour \M.Ibid., p. 314 [p. 620]. 107. Encyclique Immortale Dei, 1er novembre 1885. 108. Encyclique Sapientiae christianae, 10 janvier 1890. 1536 VII/1 - NATURE DU CORPS DE L’ÉGLISE unir. L’Église a donc des limites, mais elles sont vers le monde. Là commence la cité : elle est autonome, d’une autonomie de distinction au sens de saint Thomas d’Aquin, non d’une autonomie de séparation au sens de Kant. d) Incidences du spirituel dans le temporel Le spirituel et le temporel nettement définis, il est possible de déterminer les interventions directes ou inci­ dences du spirituel dans le temporel, principalement en ce qui regarde la politique. Elles se produisent à deux titres : d’une part en vue de l’illumination du temporel, d’autre part en vue de la défense du spirituel. 1° De même que dans l’ordre spéculatif le magistère de l’Église descend normalement jusque sur le plan rationnel pour y sauvegarder des vérités de soi connais­ sables par la raison, mais présupposées par la foi et que les anciens nommaient praeambula fidei '°9, ainsi, dans l’ordre de l’éthique et de la morale sociale, le magistère de l’Église descend normalement jusque sur le plan tem­ porel pour y sauvegarder des principes qui sont en connexion avec le dépôt révélé. « Par là même, en effet, que l’ordre spirituel est à la fois supérieur à l’ordre tem­ porel et en liaison vitale avec lui, il y a dans le temporel, à l’égard de l’ordre temporel lui-même, une zone de véri­ tés connexes aux vérités révélées dont l’Église a le dépôt, et qui commandent d’en haut la pensée et l’activité tem­ porelles du chrétien ; c’est ainsi que les encycliques de Léon XIII et de Pie XI ont élaboré les principes d’une sagesse chrétienne politique, sociale, économique, qui ne descend pas jusqu’aux déterminations particulières du concret, mais qui est comme un firmament théologique 109. Cf. S. THOMAS, I, qu. 2, a. 2, ad 1 ; II-II, qu. 1, a. 5, ad 2. ÉLÉMENTS ADJACENTS 1537 pour les doctrines et les activités plus particulières enga­ gées dans les contingences du temporel »110. Les praeam­ bula fidei et les principes de cette sagesse relèvent de soi de l’ordre naturel ou temporel ; mais le rayon qui tombe sur eux du magistère pour les éclairer, les purifier, les sauvegarder, relève directement du royaume qui n’est pas de ce monde. A cette fin d’illuminer le temporel se rapportent les nombreuses instructions pastorales visant à éclairer la conscience morale des citoyens catholiques sur leurs devoirs publics (sauvegarde des libertés religieuses, main­ tien des structures familiales, maintien de la paix civile et internationale, établissement de la justice sociale, respect des droits de la personne humaine, rejet des moyens de violence, etc.), en leur laissant la responsabilité de l’ul­ time décision pratique à prendre. Il est clair que plus l’éducation éthico-politique d’une population est par­ faite et plus les citoyens catholiques d’un pays sont capables d’agir comme des personnes politiquement majeures (à quoi l’action catholique peut grandement les préparer), plus aussi l’autorité religieuse peut concentrer son effort sur sa tâche essentielle qui est de conduire les âmes à la vie éternelle et de les aider à continuer l’œuvre de l’incarnation rédemptrice111. 110. Jacques Maritain, Humanisme intégral, p. 316 [pp. 622623]. Cf. p. 286 [p. 591] : « Ce serait brouiller le spirituel et le tem­ porel que d’imaginer que la doctrine commune de l’Église suffit à elle seule à résoudre les conflits de l’histoire temporelle et à apporter les solutions temporelles concrètement déterminées dont les hommes ont besoin hic et nunc. Sous ce ciel doctrinal, une philosophie sociale et politique et des élaborations politiques sont nécessaires. Et il en va de même dans le domaine de l’action ». 111. Jacques MARITAIN, Questions de conscience, Paris, 1938, p. 189, note 2 [O. C., vol. VI, p. 757, n. 24]. 1538 VII/1 - NATURE DU CORPS DE L’ÉGLISE 2° L’autre cas d’incidence du spirituel dans le tempo­ rel se rattache à la défense du spirituel. a) Il existe une zone de questions qui sont mixtes de soi et par elles-mêmes, comme le mariage, l’éducation, l’école, etc. Sous un aspect, elles relèvent directement de l’Église ; sous un autre aspect, elles relèvent directement de l’État. Le chrétien comme membre du corps mys­ tique, « a à les considérer, d’abord et avant tout, non pas selon quelles intéressent l’ordre temporel et le bien de la cité terrestre (lequel du reste souffre détriment lui-même si les biens supérieurs sont violés), mais selon quelles intéressent les biens supra-temporels de la personne humaine et le bien commun de l’Eglise du Christ »112. b) Il y a des démarches de soi et ordinairement tem­ porelles qui, exceptionnellement et en vertu des circons­ tances de fait, mettent directement et immédiatement en cause le bien commun de l’Église du Christ. Le chrétien aura à les considérer d’abord et avant tout sous cet aspect113. Exceptionnellement, elles deviennent spiri­ tuelles. Les citoyens catholiques les accompliront au nom de l’Église, comme instruments de l’Église, en tant même que catholiques. Chaque fois donc que la poli­ tique touchera directement à l’autel, l’Église pourra prendre elle-même l’initiative de l’acte politique. Ces démarches relèveront de ce qu’on a appelé « l’action civique pour la défense des valeurs propres de la cité de Dieu engagées dans le temporel»114, «l’action civique catholique», par laquelle le chrétien « intervient dans les choses politiques pour y défendre les intérêts religieux et dans la stricte mesure exigée par cette défense, ce qui n’est pas du tout la même chose que travailler à une 112. Jacques Maritain, Humanisme intégral, p. 317 [p. 623]. 113. Ibid. M.Ibid., p. 320 [p. 626]. ÉLÉMENTS ADJACENTS 1539 œuvre proprement politique dirigée par une certaine conception du bien commun temporel à procurer »115. Certes il ne sera pas toujours aisé de discerner, dans l’activité concrète des hommes, ce qui revient à la cité de Dieu, ou à la cité humaine, ou à la cité du diable. Ici comme ailleurs, la part de la conjecture sera grande. 2. Des choses ou vêtements de l’Église Après avoir écarté d’elle ce qui lui demeure étranger, nous pouvons revenir à l’Église. De même que l’humain est premièrement dans l’homme, et secondairement dans les choses que l’homme utilise et sur lesquelles il laisse son empreinte, ainsi l’Eglise est premièrement dans les hommes en tant que touchés par les dons surnaturels, et secondairement dans les choses quelle utilise et sur lesquelles elle laisse, elle aussi, son empreinte. Celles-ci sont alors, en raison de leur visibilité, comme un prolongement de son corps. Trois points sont à noter : Γ Nous ne parlons donc pas des choses visibles civiles, culturelles, temporelles, immédiatement ordonnées au bien commun de la civilisation et donc par nature hors de l’essence de l’Église bien quelles puissent être prérequises à son existence et à ses activités à titre de conditions nécessaires, et quelles ne soient pas hors de son influence116. Nous parlons des choses visibles ecclé­ siales ou spirituelles, que l’Église possède à titre de per­il * il 5. Ibid., p. 318 [p. 624]. 116. Nous laissons donc ici de côté la question du dominium altum, revenant au pape au titre ancien de tuteur de la chrétienté et de prince des États de l’Église, et au titre actuel de souverain de la petite Cité vaticane. Sur ces points, voir L’Église du Verbe incarné, t. I, ch. VI et vin. 1540 VII/1 - NATURE DU CORPS DE L’ÉGLISE sonnalité surnaturelle vivant dans ce monde sans être de ce monde, et quelle ordonne immédiatement à ses fins spécifiques11 . 2° Nous ne considérons pas ici l'usage actuel qui est fait de ces choses ecclésiales et spirituelles : sous cet aspect, en effet, elles s’intégrent dans les actes humains surnaturels par lesquels les chrétiens tendent au salut, en s’aidant de tout ce qu’ils sont et de tout ce qu’ils ont, et en fournissant à l’Église son corps même. Nous considérons ces choses comme au repos, comme en puissance d'être utilisées, comme constituant une réserve permanente où l’on peut puiser. Une cathédrale peut être considérée, soit en tant que prise et intégrée dans les activités d’un culte liturgique, soit en elle-même, comme une œuvre subsistante, capable de servir au temps voulu. Pareillement, les livres saints, les écrits spi­ rituels, le corpus juris, les constitutions monastiques, les possessions ecclésiastiques, peuvent être considérés, soit dans les actes humains qu’ils conditionnent, soit pour eux-mêmes, en tant qu’ils représentent un trésor utili­ sable à volonté. 3° Cependant, c'est bien de lusage que l'Eglise a fait ou fera d'elles, que ces choses tiennent leur valeur ecclésiale ; et c’est la qualité de cet usage qui mesure le degré de leur valeur, de leur transparence, de leur spiritualité.117 117. « L’Église catholique et le Siège apostolique ont le droit inné, nativum jus, en vue de procurer les fins qui leur sont propres, d’ac­ quérir, retenir et administrer des biens temporels, librement et indé­ pendamment du pouvoir civil». Code de Droit Canon, can. 1495, § 1. Le mot Église pourra désigner « non seulement l’Église univer­ selle ou le Siège apostolique, mais encore toute personne morale dans l’Église », can. 1498. Les biens que le Code appelle temporels sont, aux yeux du théologien, une espèce dans le genre des biens spirituels ou ecclésiaux. ÉLÉMENTS ADJACENTS 1541 Du point de vue qui nous préoccupe, qui est de reconnaître en elles leurs titres de spiritualité, les choses ecclésiales peuvent se répartir en plusieurs catégories. Essayons de les indiquer. a) Les biens extérieurs D’abord les biens extérieurs qu’on pourrait appeler simples oti communsn8. Peu importe qu’ils soient des biens du domaine public (églises, évêchés, séminaires, presbytères, orphelinats, hôpitaux, couvents, écoles, etc.), ou des biens du domaine privé (biens fonds, titres, etc.). Dans la mesure où il apparaîtra que ces biens sont destinés à procurer des fins évangéliques, ils seront trans­ parents et il apparaîtra qu’ils sont le prolongement même du corps de l’Eglise. Dans la mesure, au contraire, où ils déclineront vers des fins temporelles, ils devien­ dront opaques et d’un maniement périlleux. Ce qui fera le degré de leur transparence, et partant de leur incorpo­ ration à l’Eglise, ce sera donc, avant tout, moins leur nature, leur importance, leur consistance, que l’efficacité de leur ordination au salut spirituel du monde. 118. Les canonistes distinguent les biens temporels ou ecclésiastiques en biens corporels, qui sont soit meubles soit immeubles ; et en biens incorporels, ou droits ou créances qu’une personne morale ou phy­ sique peut avoir sur une autre personne, Code de Droit Canon, can. 1497. Ces biens ecclésiastiques sont sacrés s’ils ont été bénits et consacrés en destination du culte divin ; ils sont non sacrés ou communs, dans le cas contraire, can. 1497, § 2. «Une chapelle domestique, des objets tels que statues, croix, ornements d’église, calices, ciboires, linges d’autel, etc., sont en eux-mêmes des biens quelconques, tant qu’ils n’ont pas été bénits ou consacrés en destination du culte divin... Un objet bénit pour de simples particuliers, sans relation avec le culte proprement dit, ne saurait être classé, par cela seul, parmi les objets sacrés ». R. Naz, article « Biens ecclésiastiques », dans Dic­ tionnaire de Droit Canonique, col. 837. 1542 VII/1 - NATURE DU CORPS DE L’ÉGLISE Certaines possessions ecclésiastiques peuvent n’être plus aujourd’hui qu’un anachronisme, un résidu d’une époque révolue, peut-être un scandale. D'autres, tout en étant conformes aux usages de notre temps, y représen­ tent mal ce qu’est l’Église. D’autres, au contraire, agis­ sent comme une prédication : une église de village avec son petit presbytère, les bâtiments paisibles d’une trappe ou d’une chartreuse. D’autres enfin sont proprement bouleversantes en raison de ce quelles signifient: la petite cellule du vieux couvent de Fiesole où vécut saint Bernardin de Sienne, le saint presbytère du curé d’Ars, la Piccola casa de Cottolengo, les reliques de Benoît-Joseph Labre qu’on voit à Rome dans la chambre où il mourut. b) Les choses d’art Puis les biens ecclésiastiques en tant que spiritualisés par leur valeur d’art. Peut-être les canonistes, quand ils distinguent les biens précieux — en raison de l’art, de l’histoire, de la matière - des biens non précieux™, sont-ils préoccupés avant tout de la valeur d’échange. Mais ici nous ne désirons retenir que la transfiguration par laquelle le grand art chrétien charge la matière d’es­ prit et l’emploie, comme à Chartres, dans les mosaïques byzantines, dans la Pietà d’Avignon (maintenant au Louvre), à proclamer la sainteté du Credo. Toutefois, cette transfiguration par l’art reste secondaire et il pourra suffire d’une croix de bois ou d’un crucifix de plâtre de la rue Saint-Sulpice, pour susciter un acte héroïque; c’est donc premièrement en raison de leur assomption par l’Église et de leur ordination au salut éternel que les choses matérielles, avec ou sans valeur d’art, sont spiri­ tualisées, qu’elles deviennent comme quelque chose de 119. Code de Droit Canon, can. 1497, § 2. ÉLÉMENTS ADJACENTS 1543 l’Église et le prolongement de son corps. Notons que le langage de fart, utilisant dans l’architecture, la sculpture, les verrières, la peinture, une matière de moins en moins lourde, s’achemine par degrés vers le langage de la parole. c) Les biens consacrés Mais les biens ecclésiastiques, meubles ou immeubles, peuvent être des biens consacrés. Ils ne le sont pas, nous l’avons vu, du fait d’une simple bénédiction. Il faut qu’ils aient été « affectés au culte divin par consécration ou bénédiction »120. Une église consacrée ou bénite, une chapelle bénite relevant d’une personnalité morale ecclé­ siastique, un autel consacré, des ornements, objets, vête­ ments, consacrés ou bénits en vue du culte, un calvaire ou une statue bénits et servant au culte public, etc., sont des biens sacrés121. Les cimetières, quand ils ont été consacrés ou bénits, sont des lieux sacrés122. En raison des prières liturgiques de consécration et de bénédiction par lesquelles ils sont spécialement affectés au culte divin et à la dispensation des grâces rédemptrices, les biens sacrés, quoique de nature matérielle, se chargent de significations spirituelles. Ils deviennent, aux yeux des chrétiens, comme les vêtements de prix dont l’Église s’entoure dans sa mission d’épouse. d) Les trésors littéraires Les biens signalés jusqu’ici sont, pour la plupart, des réalités matérielles revêtues d’une signification spi­ rituelle ; ils sont à la fois choses et signes. Les trésors littéraires sont de purs signes. Ils constituent une réserve 120. Code de Droit Canon, can. 1497, § 2. 121. Cf. R. Naz, loc. cit., col. 837. 122. Code, am. 1154, 1155, 1205. 1544 I * I 4 ( VII/1 - NATURE DU CORPS DE L’ÉGLISE illimitée, encore qu’ils ne soient ni d’égale valeur ni d’égale transparence. On peut distinguer : Le domaine des décisions législatives ou canoniques : code de droit canon, constitutions monastiques, institu­ tions ecclésiastiques, etc., considérées, non pas en tant qu’actuellement appliquées, mais en tant qu’aptes à régir l’action des chrétiens. Le domaine des dispositions liturgiques. Le domaine des écrits des Pères, des Docteurs, des auteurs spirituels, dans la mesure où ces écrits sont approuvés par l’Eglise et où elle reconnaît en eux un reflet d’elle-même. Le domaine surtout des Symboles de la foi chrétienne, plus généralement des décisions où sont déclarées, avec infaillibilité, les vérités de la foi et de la morale chré­ tienne. e) Les livres saints et les espèces eucharistiques Il faut mettre dans une classe privilégiée deux signes éminents, souverainement nécessaires aux chrétiens et sans lesquels cette misérable vie ne leur serait plus tolé­ rable123 : l’Écriture sainte, qu’on peut résumer en disant quelle est le signe de la prédication du Sauveur124 ; et les espèces eucharistiques, qui sont le signe de sa passion rédemptrice 12L « Sans ces deux choses, je ne pourrais 123- De imitatione Christi, livre IV, ch. 11, n° 4. 124. On en pourra mal user, puisque le diable l’oppose à Jésus, Mt, IV, 3, et que des imprudents abusent des textes de saint Paul, II Pierre, III, 16. 125. Nous ne parlons pas ici des autres signes sacramentels, parce qu’ils sont à proprement parler une action, une application instru­ mentale de la vertu de la passion du Sauveur, et qu’ils appartiennent de ce fait au corps même de l’Église. Tandis que dans l’eucharistie les espèces qui, après l’action consecratrice et antérieurement à l'action de communier, subsistent en tant que consacrées, sont une invitation ÉLÉMENTS ADJACENTS 1545 bien vivre, car la parole de Dieu est la lumière de mon âme, et ton sacrement le pain de vie. Elles peuvent aussi être dites deux tables, placées de deux côtés, dans le tré­ sor de la sainte Église ; l’une est celle du saint autel ayant le pain sacré, c’est-à-dire le précieux corps du Christ, l’autre est celle de la loi divine, contenant la doctrine sainte, enseignant la foi droite, et conduisant avec sécu­ rité jusqu’au-delà du voile, où est le saint des saints »126. 3. Sur l’histoire de la possession ecclésiastique La possession ecclésiastique est celle qui est exercée au nom même de l’Église, non seulement par le Siège apos­ tolique, mais par toute personne morale reconnue par l’Église127. Cette personne morale peut être représentée par des clercs ou des laïques128. Dans les deux cas, la pos­ session ecclésiastique devra porter, plus encore que la possession que les chrétiens exercent dans le monde pour leur propre compte, l’empreinte de la pauvreté et de la liberté évangélique. permanente à contempler et à rejoindre la passion du Sauveur, dont les chrétiens peuvent user à leur gré. Cf. S. THOMAS, III, qu. 66, a. 1 : « Certains ont estimé que (pour le baptême) c’est l’eau qui est sacrement... Cependant le sacrement s’achève, non pas dans l’eau, mais dans l’application de l’eau à l’homme, à savoir dans l’ablution » ; qu. 73, a. 1, ad 3: «Le sacrement de l’eucharistie s’achève dans la consécration même de la matière ; tandis que les autres sacrements s’achèvent dans l’application de la matière à l’homme qui doit être sanctifié». C’est par commodité que les canonistes rattachent les sacrements à ce qu’ils appellent des « choses » : beaucoup de « choses » sont en effet prérequises à l’administration d’un sacrement. 126. De imitatione Christi, loc. cit. 127. Code de Droit Canon, can. 1498. 128. Ibid., can. 1504. y· · * · ■ * 1546 VII/1 - NATURE DU CORPS DE L’ÉGLISE a) Origine et nature de la possession ecclésiale Dans son ouvrage sur les biens temporels de l’Eglise129, Louis Thomassin a soin d’insister sur deux vérités com­ plémentaires, qui ne peuvent être séparées sans malheurs : d’une part, la nécessité de ces biens, - s’il est vrai que l’Église est un royaume qui est dans ce monde; d’autre part, l’esprit de pauvreté avec lequel elle doit en user, - s’il est vrai quelle est un royaume qui n’est pas de ce monde. C’est avec Jésus que l’Église commence d’avoir ses premiers biens130. Outre l’hospitalité (Luc, X, 7) et les aumônes (Luc, VIII, 3), ces biens s’accroissent, au temps des apôtres, des héritages vendus par les fidèles (Actes, II, 45) et des quêtes dominicales (I Cor., XVI, 2). «Les fidèles, dit Thomassin, considéraient comme des dettes des obligations indispensables les mêmes largesses que les ministres de Jésus-Christ recevaient comme des aumônes »131. Il allègue le commentaire de saint Augustin sur saint Jean, XII, 6, traité 62, n° 5, pour justifier par l’Évangile la possession ecclésiastique : « Le Seigneur, dit saint Augustin, avait donc une bourse, il conservait ce que lui offraient les saints subvenant aux nécessités tant des siens que des autres pauvres. Voilà la première forme des biens ecclésiastiques. Partant, nous devons com­ prendre que le précepte de ne pas s’inquiéter du lende­ main interdit aux fidèles, non pas de réserver quelque 129. Louis Thomassin, prêtre de l’Oratoire, Ancienne et nouvelle discipline de l’Église touchant les bénéfices et les bénéficiers., t. III, divisé en trois livres'. 1° des biens temporels de l’Église, 2° de leur distribution, 3° de leur usage suivant les canons, Paris, édition de 1725. 130. « Ses disciples étaient allés à la ville pour acheter des vivres», Jean, IV, 8. « Quelques-uns pensaient que, Judas ayant la bourse, Jésus voulait lui dire : Achète ce qu’il faut pour la fête ; ou : Donne quelque chose aux pauvres», Jean, XIII, 29 et XII, 6. Cf. S. THOMAS, II-II, qu. 188, a. 7. 131. Thomassin, loc. cit., col. 8. ÉLÉMENTS ADJACENTS 1547 argent, mais de servir Dieu pour l’argent, ou de s’écarter de la justice par crainte d’en manquer. L’apôtre aussi conseille la prévoyance, I Tim., V, 16: Si, dit-il, un fidèle, homme ou femme, a des veuves dans sa parenté, qu’il en prenne soin, et n’en impose pas la charge à l’Église, afin quelle puisse assister les vraies veuves Faire fond sur les miracles pour mépriser les nécessités matérielles, serait tenter Dieu. L’Église, sans aucun doute, sait que l’héroïsme des dons de l’Esprit saint permet de triompher de conditions de vie très au-dessus des forces normales de l’homme. Elle sait pourtant quelle ne doit pas provoquer ni multiplier les situations inhumaines si elle ne veut pas voir beaucoup de ses ministres, même d’une vertu sincère, oublier à la fin leur dignité, perdre leur indépendance à l’égard des pouvoirs publics ou de certains donateurs, s’embarrasser dans les affaires sécu­ lières. Elle doit, de plus, mendier pour les pauvres. A l’aide des Pères, Thomassin explique que les biens de l’Église sont le patrimoine des pauvres, et que les bénéfi­ ciers, après avoir pourvu à leurs propres nécessités, n’en sont que les dispensateurs132 133. La loi difficile étant, pour l’Église plus encore que pour les chrétiens du monde, de posséder « comme ne possédant pas » (I Cor., VIII, 30), on devine quelles inquiétudes assiégeront le cœur des saints évêques : Augustin souhaitait, mais en vain, « que les habitants d’Hippone voulussent reprendre les fonds et toutes les terres de son Église, et se charger du soin de la nourriture des pauvres et du clergé, qui trouverait le comble de ses richesses à vivre d’aumônes et à ne possé­ der rien qui pût troubler la paix et la tranquillité du cœur»134. 132. Ibid, col. 9. 133. /^., col. 1221 et 1222. 134. Ibid, col. 1044. Tiré de POSSIDIUS, Vie d'Augustin, ch. XXIII, P. L, t. XXXII, col. 53. On lit, un peu plus loin, dans Possidius, 1548 VII/1 - NATURE DU CORPS DE L’ÉGLISE b) Sens de son histoire L’histoire de la possession ecclésiastique, qu’il faut dégager de la possession qui a pu échoir aux clercs en raison de titres temporels ou féodaux est, pour le théolo­ gien, l'histoire de l'immense effort que fait l’Église, sainte, immaculée, intérieurement habitée par l’Esprit saint, d'une part, pour réclamer l’honnête subsistance de ses clercs, les moyens d’apostolat qui lui font besoin, la part des pauvres ; d’autre pan, pour redresser perpétuel­ lement, dans le cœur même de ses clercs, les déviations et les abus qui tendent à transformer en possession mon­ daine ou simplement temporelle une possession par ori­ gine et par destination tout évangélique et toute spiri­ tuelle135. ch. XXIV, col. 54 : « Augustin n'appliqua jamais son zèle à de nou­ velles constructions, pour ne pas y occuper son esprit qu’il tenait à garder libre de tout souci temporel. Il ne blâmait pas néanmoins ceux qui le faisaient sans dépasser la juste mesure. Quand les fonds de l’Église s’épuisaient, il annonçait aux fidèles qu’il n’avait plus rien pour les pauvres. Alors il faisait briser et fondre les vases sacrés, pour secourir les captifs et les grands indigents. Je ne parlerais pas de ces choses, mais je prévois quelles heurteront le sens charnel de cer­ tains ». 135- C’est à l’Église, mue par l’Esprit saint, de juger de ce dont elle a besoin. Ce n’est pas aux gouvernements ; ni à la cupidité des gens d’Église ou des gens de gouvernement. Il pourra cependant se faire que les lois civiles, limitant des possessions ecclésiastiques qu’il y aurait abus à conserver ou à accepter, soient accidentellement justi­ fiées. «J’ai honte de le dire, écrit saint jÉRÔJvfE, les prêtres des idoles, les mimes, les cochers, les gens de mauvaise vie, peuvent hériter. Aux seuls clercs et moines, cela est interdit. Est-ce par des persécuteurs? Non, c’est par des princes chrétiens ! Cette loi, je ne m’en plains pas; ma douleur est que nous l’ayons méritée. Le cautère est bon, mais pourquoi cette blessure qui le rend nécessaire ? Elles étaient pré­ voyantes et sévères, les dispositions de cette loi, et pourtant elles n’ont pas réfréné l’avarice. Par des fideicommis, nous nous jouons des lois. Plus attentifs aux empereurs qu’au Christ, nous craignons les lois et méprisons l’Évangile». Epistola III, n° 6, P. L., t. XXII, col. 532. Sur ÉLÉMENTS ADJACENTS 1549 4. Biens purs et biens avariés par un usage défec­ tueux C’est une aberration de penser que les dépositaires des pouvoirs d’ordre et de juridiction les perdraient ipso facto, pour en user d’une manière peu sainte ou scanda­ leuse, ou même pour être tombés dans l’état de péché mortel136; mais, nous l’avons vu, ce serait une autre forme d’erreur de croire que l’usage imprudent ou scan­ daleux des pouvoirs d’ordre et de juridiction contribue, en tant que tel, en tant qu’imprudent et scandaleux, à former le corps de l’Eglise. Quand ces distinctions ne sont pas faites, des catastrophes sont imminentes. Pareillement, c’est une aberration de penser que les possesseurs de biens ecclésiastiques perdraient ipso facto leur droit, pour en user d’une manière peu sainte ou scandaleuse, ou même simplement pour être tombés dans l’état de péché mortel ; mais ce serait une autre forme d’erreur de voir l’empreinte de l’Eglise, ses vête­ ments, le prolongement de son corps dans des biens qui, vu les circonstances, semblent faits moins pour soutenir Particle où saint Thomas justifie la loi du jubilé, Lévitique, XXV, 10, qui prévenait la constitution des latifundia, en faisant revenir la terre à son premier propriétaire tous les cinquante ans, CAJETAN écrit : « Il résulte de l’autorité, soit de PAncien Testament, soit d’Aristote et de saint Thomas, qu’il ne faudrait pas considérer comme déraisonnable une loi stipulant que, dans un pays, les biens fonciers de l’Église ni d’aucun particulier ne pourront pas dépasser une certaine limite, et que ce qui viendrait en surplus, par don ou héritage, devra se vendre, de peur que les biens fonciers ne s’accumulent dans les mains de quelques propriétaires, comme on le voit, en bien des lieux ». I-II, qu. 105, a. 2, ad 3. 136. Cf. la condamnation, par le concile de Constance, Session VIII, de la 15e erreur de Wicleff: « Personne n’est chef civil, personne n’est prélat, personne n’est évêque, s’il est en péché mor­ tel». Denz., n° 595. 1550 VII/1 - NATURE DU CORPS DE L’ÉGLISE que pour infléchir les démarches des fidèles. La posses­ sion légitime est de soi ordonnée à un usage légitime; elle peut être ternie - et cela est vrai surtout de la posses­ sion ecclésiastique - par un usage égoïste, ou même négligent ou peu zélé. Pour autant, elle reflète, non plus l’Église sainte et immaculée, mais les fautes, les omis­ sions, les déficiences, les lourdeurs, les trahisons de ses enfants. Il faudra que des saints reviennent la clarifier. L’empreinte de l’Église, son vêtement, le prolongement de son corps se découvrent dans ces biens ecclésiastiques et vraiment ecclésiaux que Ton voit tout prêts à servir le progrès de la grâce et de la vérité évangélique13 . Ce ne sont pas toujours les plus misérables, ce sont toujours les plus transparents137 138. 137. * Ce serait une hypocrisie de nier que l’apostolat lui-même et toute œuvre spirituelle a besoin d’argent, comme l’homme a besoin d’aliments. Il faut beaucoup d’argent pour les missions, pour les ur les œuvres. Mais l’argent peut être employé à la manière écoles, d’un moyen temporel pauvre (il est alors dépensé pour se procurer des choses) ou à la manière d’un moyen temporel riche (alors on crée avec lui des mécanismes pour avoir plus d’argent). Avec le sans-gêne divin de la sainteté, un bienheureux Cottolengo atteste à quel point l’argent, même s’il afflue en abondance, peut rester un moyen de pauvreté. Ce qui fait du monde moderne un terrible tentateur, c’est qu’il propose, il vulgarise tellement les moyens temporels riches, lourds, écrasants, il les emploie avec une telle ostentation et une telle puissance qu’il fait croire que ce sont là les moyens principaux. Ils sont principaux pour la matière, ils ne sont pas principaux pour l’es­ prit». Jacques MaRITAIN, Religion et culture. Paris, 1930, p. 77 [O. C., vol. IV, p. 234]. 138. S. THOMAS explique que la meilleure pauvreté religieuse n’est pas nécessairement la plus indigente ; c’est la plus libre, c’est-à-dire la mieux adaptée aux fins de l’ordre : les ordres actifs ayant besoin de grandes ressources, les ordres contemplatifs de moindres, et les ordres mendiants pouvant être les plus pauvres, II-II, qu. 188, a. 7. ÉLÉMENTS ADJACENTS 1551 5. La notion de propriété et de possession est appli­ cable à l’Église en propre, mais analogiquement La notion de société s’applique en propre, mais d’une manière analogique, à l’Église sur le plan spirituel et à l’État sur le plan temporel. Il en va de même de la notion de pouvoir législatif, de la notion de loi139, de la notion de pouvoir coercitif, de la notion de possession. Toutes ces notions conviennent à l’Église d’une manière plus haute, plus sainte, plus pure qu’à l’État. Cajetan a écrit, du pouvoir de régir : « Prends garde, ô recteur ecclésiastique, - s’il est vrai que tu dois régir principalement selon les lois divines et que la fin princi­ pale de la loi divine est l’amitié des hommes avec Dieu, — de vouer ta pensée, ton application, ta sollicitude au salut des âmes. La tranquillité extérieure peut contenter le recteur séculier qui veille sur son peuple. Elle ne sau­ rait te suffire. C’est de l’art des arts que tu dois user dans le gouvernement des âmes, veillant sur cette portion de l’Église qui t’est confiée, y procurant l’amitié avec Dieu de chacun et de tous, assez pour quelle puisse entendre un jour ces paroles : Tu es belle, ô mon amie ! »140 Il faut dire, pareillement, que l’Église est une per­ sonne surnaturelle, possédant pour un peu de temps, à des titres divins et pour des fins divines, une part des biens périssables d’ici-bas. Quand elle communique, aux personnalités morales quelle reconnaît, le droit de possé139. « Si l’homme était ordonné seulement à une fin n’excédant pas la proportion de sa faculté naturelle, il n’y aurait pas besoin que sa raison fut dirigée par rien de supérieur à la loi naturelle et à la loi positive qui en dérive. Mais l’homme étant ordonné à la fin de la béa­ titude éternelle, qui excède la proportion de la faculté naturelle humaine, il a été nécessaire, qu’outre la loi naturelle et humaine, il fut dirigé vers sa fin par une loi donnée divinement». S. THOMAS, MI, qu. 91, a. 4. 140.1-II, qu. 99, a. 4, n° V. —Ιφ - 1552 VII/1 - NATURE DU CORPS DE L’ÉGLISE der, elle leur impose en même temps l’obligation de pos­ séder saintement, et sans trahir sa confiance. Ses ri­ chesses authentiques sont toujours des richesses de pau­ vreté et de liberté : elles ramènent nos cœurs à l’Évangile. La signification qui leur vient du royaume quelles essaient de servir, oblige les choses visibles à avouer fina­ lement leurs limites, leur impuissance à égaler l’Esprit et ses libertés, leur besoin de s’effacer. Qu’il s’agisse du vase de grand prix brisé aux pieds du Sauveur, du dôme de Strasbourg ou de la rose de Notre-Dame de Paris, de l’Annonciation de Saint-Marc de Florence ou de la Rédemption du retable d’Issenheim, d’un introït de Noël ou d’un brouillon de saint Jean de la Croix, d’une école de village ou du jardin fermé d’un monastère, d’une page de l’Ecriture sainte ou des espèces eucharis­ tiques, ce qui nous frappe au cœur, c’est partout l’invita­ tion anagogique à toujours passer outre et à remonter du signe à la réalité, de la création à son Créateur. 1553 SECTION II LES PROPRIETES DU CORPS DE L’ÉGLISE Le corps de l’Église est coextensif à l’âme de l’Église (I). Il est une partie composante essentielle de l’Église (II). Par lui, l’Église est visible en transparence (III). Il est orga­ nique et différencié (IV). L COEXTENSIVITÉ DE DAME ET DU CORPS DE LEGLISE Comme il est impossible, ou bien qu’une racine vivante ne donne pas au-dehors une tige, des feuilles et des fleurs, ou bien que les feuilles et les fleurs apparais­ sent là où il n’y a pas de racines ; ainsi il est impossible, ou bien que l’âme de l’Église, en tant que reçue dans les hommes - les anges ne pourront à proprement parler lui fournir de corps - ne travaille pas à faire apparaître audehors le corps de l’Église, ou bien que le corps de l’Église puisse apparaître là où n’est pas son âme. Voilà le principe de la coextensivité de l’âme et du corps de l’Église. Il concerne de soi et premièrement l’âme créée de l’Église (1) ; c’est moyennant elle et secondairement qu’il pourra s’entendre de l’Ame incréée de l’Église (2). L Le principe de coextensivité Le principe de coextensivité est énoncé sous sa forme la plus abrupte, et sans allusion aux diverses manières 1554 VII/2 - PROPRIÉTÉS DU CORPS DE L’ÉGLISE dont il peut s’appliquer, dans un beau texte du De sacra­ mentis où Hugues de Saint-Victor, qui ne distingue pas expressément l’Âme incréée et l’âme créée de l’Eglise, semble passer insensiblement de l’une à l’autre: «De même que l’esprit de l’homme par la tête descend vivi­ fier les membres, ainsi l’Esprit saint par le Christ des­ cend aux chrétiens. En effet, le Christ est tête et les chré­ tiens membres. La tête est une, les membres multiples; ensemble ils font un seul corps, logeant un seul Esprit. Il réside dans la tête en plénitude, et dans les membres d’une manière participée. Si donc le corps est un et l’Esprit un, celui qui n’est pas dans le corps même, ne peut être vivifié par l’Esprit, selon Rom., VIII, 9 : Si quel­ qu'un na pas l'Esprit du Christ, il ne lui appartient pas. Ne pas avoir l’Esprit du Christ, c’est en effet ne pas être membre du Christ. Dans tout corps un, l’esprit est un. Rien nest mort dans le corps, rien nest vivant hors du corps. La foi nous fait membres, l’amour nous vivifie. Sacramentellement, le baptême nous unifie, le corps et le sang du Christ nous vivifient. Le baptême nous fait membres du corps, mais le corps du Christ nous fait participer à la vivification. La sainte Église est le corps du Christ, vivi­ fiée par un seul Esprit, unifiée par une seule foi, et sanc­ tifiée. Chaque fidèle est membre de ce corps ; tous ensemble font un seul corps, à cause de l’unité d’esprit et de foi. »141 La formule de Hugues de Saint-Victor, nihil in corpore mortuum, nihil extra corpus vivum, semble ne se soucier ni de ces pécheurs qui sont dans l’Église comme des membres morts, ni de ces justes qui ne sont pas encore de l’Église pleinement, re, vel corporaliter. D’où son allure paradoxale. Elle demande, pour rester exacte, à 141. De sacramentis, livre II, partie II, ch. I et II ; P. L., r. CLXXVI, col. 415-416. COEXTENSIVITÉ 1555 a) Où est Came de l’Eglise, là est son corps Où est l’âme de l’Église, là est son corps ; inversement, où est le corps de l’Église, là est son âme. Én d’autres termes, où s’épanche pleinement la grâce capitale du Christ, où la charité est pleinement christique, à savoir sacramen­ telle et orientée, — présupposant les caractères sacra­ mentels et les pouvoirs juridictionnels, - là se forme pleinement le corps de l’Église : et là se trouve en acte achevé, sans mutilation, corps et âme, l’Église, épouse et corps du Christ. b) Le mode de présence de l’âme détermine le mode de vivification du corps Le mode de présence de l’âme de l’Église détermine le mode de vivification de son corps : inversement, le mode de vivification du corps de l’Église dénonce le mode de présence de son âme. *· r t être entendue d’une manière tout à fait formelle : dans la mesure où j’adhère au corps de l’Église, j’adhère à la vie ; dans la mesure où je m’en écarte, je m’écarte de la vie. Nous aurons besoin de tout ce que nous avons dit de l’âme créée de l’Église pour donner un sens à ces distinc­ tions. Restreint à l’âme créée de l’Église, le principe de coex­ tensivité peut se formuler ainsi : a) Où est l’âme de l’Église, là est son corps ; inversement, où est le corps de l’Église, là est son âme ; b) le mode de présence de l’âme de l’Église détermine le mode de vivification de son corps ; inversement, le mode de vivification de son corps dénonce le mode de présence de son âme ; c) où paraît quelque chose de l’âme de l’Église, paraît quelque chose du corps de l’Église. 1556 VII/2 - PROPRIÉTÉS DU CORPS DE L’ÉGLISE Dans les membres justes, la charité sacramentelle et orientée réside de soi et premièrement142, d’une manière salutaire. Mais, suivant saint Thomas, tant que dure le temps de notre pèlerinage, la charité peut grandir selon son essence : en s’enracinant toujours plus profondé­ ment dans les âmes, en les faisant ainsi participer tou­ jours plus parfaitement à l’Esprit saint, en leur faisant produire des actes toujours plus fervents143. Saint Thomas distingue trois étapes dans cet envahissement progressif des âmes par la charité : celle des commen­ çants, la charité y tend principalement à écarter l’obs­ tacle du péché (voie purgative) ; celle des progressants, la charité y tend principalement à pratiquer les vertus chré­ tiennes apparemment opposées (voie illuminative) ; celle des parfaits, la charité, s’intensifiant de jour en jour, y pousse le chrétien à se dissoudre dans le Christ pour adhérer à Dieu144. « Le moindre degré de charité, tel qu’il se trouve chez les commençants, suffit à délivrer radicalement l’Église de la servitude de la chair. Pourtant les degrés inférieurs de la charité sacramentelle et orien­ tée ne suffiraient pas à rendre compte de certaines audaces de l’Église comme telle et de sa souveraine liberté à l’égard du monde. Il faut rappeler le mystère suivant lequel chaque fidèle existe dans l’Église, non pas séparé, mais comme membre d’un peuple unique, et se comporte, jusque dans ses actions les plus intérieures, comme partie d’un ensemble. S’il est vrai qu’à l’intérieur de l’Église, les pécheurs, qui sont membres par emprunt, sont portés en quelque manière par les justes, qui sont membres par soi, on peut dire aussi et plus parfaitement que les chrétiens commençants sont portés par les chré­ 142. Voir plus haut, p. 1168. 143. II-II, qu. 24, a. 4 et 5. 144. II-II, qu. 24, a. 9. COEXTENSIVITÉ 1557 tiens progressants, et ceux-ci par les chrétiens parfaits, en sorte que la charité entière de l’Église, bien que disposée selon divers degrés, est pourtant étroitement unifiée, les degrés inférieurs recevant l’influence vivifiante de la flamme spirituelle qui brûle aux degrés supérieurs. C’est ce qui explique qu’aux moments critiques de son his­ toire, on voie l’Église prendre spontanément des initia­ tives plus magnanimes et s’engager dans des voies plus hautes que celles auxquelles la simple charité commune aurait pu la préparer »145. Dans les membres pécheurs, la charité sacramentelle et orientée, qui réside de soi et premièrement dans les membres justes, est encore présente, bien que d’une manière défaillante et non salutaire : non pas seulement improprement, par les valeurs résiduelles quelle laisse en eux en se décomposant - foi et espérance théologale, caractères sacramentels, etc. — mais même proprement, par la motion surélevante quelle continue tout entière d’exercer sur eux pour les entraîner dans le sillage de l’Eglise, à laquelle ils adhèrent encore. C’est ainsi qu’on les verra participer, sans doute bien imparfaitement, aux démarches extérieures inspirées à l’Église par l’Esprit saint, et contribuer à étendre le corps de l’Église. c) Où paraît quelque chose de Pâme de l’Église, paraît quelque chose de son corps Même où la grâce sacramentelle n’est qu’imparfaitement orientée, comme chez les justes de l’Église ortho­ doxe, même où la grâce n’est pas sacramentelle, comme chez les justes de la gentilité, bref où paraît quelque chose de l’âme de l’Église, paraît aussi quelque chose de son corps. Les justes qui appartiennent à l’Église par le désir de leur 145. Cf. « L’état de liberté de l’Église », dans Nova et Vetera, 1934, pp. 412 et suiv. [article recueilli dans le vol. V de la présente édition]. ΡΚί.- 1558 VII/2 - PROPRIÉTÉS DU CORPS DE L’ÉGLISE charité, voto, mentaliter, sans encore lui appartenir d’une manière complète, re, corporaliter146, tendent, même sans le remarquer, à extérioriser leur désir. Toutefois le sens véritable de ce désir demeurant souvent caché aux yeux et inaperçu d’eux-mêmes, on pourra parler, à propos de ces justes, d’appartenance invisible à l’Eglise visible147. Même où la charité est absente, s’il subsiste encore quelques-uns des éléments divins prérequis à l’apparition de l’âme de l’Eglise, comme la foi ou l’espérance théolo­ gale, les caractères sacramentels, ces éléments auront une tendance naturelle à se revêtir d’apparences corporelles, à se traduire au-dehors par quelques signes. d) LÉglise en acte achevé et en acte virtuel Ainsi, à l’endroit où les pouvoirs hiérarchiques tou­ chent l’humanité, la grâce sacramentelle et orientée, âme créée de l’Église, peut informer et vivifier son corps, et l’Église, Épouse et Corps du Christ, apparaît en acte achevé148. Mais à l’endroit où les pouvoirs hiérarchiques 146. L’encyclique Mystici corporis distingue, d’une part, ceux qui sont membres de l’Église reapse: « In Ecclesia autem membris reapse ii soli annumerandi sunt... », d’autre part, ceux qui, sans appartenir à la texture visible de l’Église catholique, « qui ad adspectabilem non pertinent Catholicae Ecclesiae compagem », peuvent être ordonnés au corps mystique du Rédempteur, - c’est-à-dire à l’Église, - par un certain désir et vœu inconscient, « etiamsi inscio quodam desiderio ac voto ad mysticum Redemptoris Corpus ordinentur ». Acta Apostolicae Sedis, 1943, pp. 202, 242, 243. L’équivalence de reapse, forme latine archaïque, et de reipsa, expression classique chez les théologiens, a été signalée par A. CHAVASSE, «Ordonnés au Corps mystique», dans Nouvelle Revue Théologique, juillet-août 1948, p. 692. 147. Des adultes qui sont incorporés à l’Église seulement spiri­ tuellement, mentaliter, saint THOMAS dit que, lorsqu’on les baptise, ils lui sont incorporés visiblement, corporaliter, per visibile sacramen­ tum, III, qu. 69, a. 5, ad 1. 148. A parler rigoureusement, on ne peut, croyons-nous : 1° con­ sidérer les pouvoirs hiérarchiques comme un sacrement: ils sont COEXTENSIVITÉ 1559 manquent partiellement ou totalement, la grâce ne peut être pleinement sacramentelle et orientée ; l’âme créée de l’Eglise ne peut être présente que par quelques-uns des éléments divins quelle présuppose ; le corps de l’Eglise n’arrive pas à se constituer, pourtant quelque chose en apparaît. Peut-on dire qu’ici même l’Église corps et âme, l’Église, Épouse et Corps du Christ, est présente ? Si l’on regarde aux éléments divins, encore subsistants : carac­ tères sacramentels, foi et espérance informes, grâce non sacramentelle ou non orientée, qui demandent de soi à se rejoindre149 et à s’achever, et à la poussée ascension­ nelle que l’Esprit cherche alors à exercer moyennant eux, on dira que l’Église est présente à la manière dont la fleur est présente dès le début dans la tige, en acte virtuel ; mais si l’on regarde à la disjonction et à l’inachè­ vement anormal de ces éléments, et à l’effort de désagré­ gation entrepris à la faveur de cette privation par le Prince de ce monde, cette présence imparfaite de l’Église semblera exposée aux pires périls. ministériels, les uns sacramentels, les autres juridictionnels ; 2° identi­ fier les pouvoirs hiérarchiques à ΓÉglise-institution : l’Église est insti­ tuée par le Christ, non seulement quant à ses pouvoirs hiérarchiques, mais encore quant à son essence de société surnaturelle et de corps mystique; 3° réserver à l’Église-institution (aux pouvoirs hiérar­ chiques) le nom à'Église visible : car, d’une part, l’Église issue de la hié­ rarchie, l’Église réalisation du corps mystique, l’Église-mystère de foi, est visible comme vraie Église du Christ ; et, d’autre part, les pouvoirs hiérarchiques, tout en étant visibles, sont pleins de mystère et comme tels objets de foi. Voir, en sens contraire, M.-J. CONGAR, Esquisses du mystère de lÉglise, Paris, 1941, pp. 84-88. 149. Le cas extrême est visé par saint THOMAS, qui compare le caractère sacramentel appelant la grâce, à une forme produisant son effet, III, qu. 69, a. 10. C’est là, expliquera Cajetan, une comparaison plus qu’une raison. 1560 VII/2 - PROPRIÉTÉS DU CORPS DE L’ÉGLISE 2. Le principe de coextensivité et l’Àme incréée de l’Église Où la grâce est sacramentelle et orientée, la christoconformité est plénière, et Γinhabitation de l’Esprit saint, à son tour, est plénière : l’Esprit exerce pleinement sur l’Eglise sa puissance animatrice, Au contraire, où manque la grâce sacramentelle et orientée, la christoconformité n’est pas plénière, et l’inhabitation de l’Esprit saint, à son tour, n’est pas plénière ; le rôle vivificateur, la puissance animatrice que l’Esprit désire exercer sur l’Église, se trouve partiellement entravée et mise en échec. Bref, où est l’âme créée de l’Eglise, là est son Ame incréée : l’Église est alors en acte achevé, à la fois christoconforme et déiforme, théophore. Telle est, dans son fond, la pensée traditionnelle. Sans doute la notion d’une âme créée (grâce pleinement chris­ tique, grâce sacramentelle et orientée), préparant l’Église à recevoir son Âme incréée (Esprit saint), ne se trouve pas explicitement formulée, chez les anciens, mais on la sent sourdre de partout. a) L’œuvre du Christ prépare la pleine venue de l’Esprit Tant que Jésus n’a pas été glorifié et que son œuvre n’est point achevée, l’Èsprit ne peut venir en plénitude (Jean, VII, 39). C’est l’amour que nous portons à Jésus, et notre fidélité à garder sa parole, qui attirent sur nous l’amour du Père et font descendre en nous les personnes divines (Jean, XIV, 23). Le couronnement de l’œuvre de Jésus sera l’envoi de l’Esprit, qui lui rendra témoignage (Jean, XVI, 13-14). L’Esprit est donc l’Esprit du Christ; et ceux qui l’ont, appartiennent au Christ (Rom., VIII, 9). C’est au baptême chrétien que l’Esprit nous investit, pour faire de nous tous un seul corps : « Nous COEXTENSIV1TÉ 1561 avons cous été baptisés en un seul Esprit, en vue de for­ mer un seul corps » (I Cor., XII, 13). La communion au corps et au sang du Christ entretiendra et resserrera l’unité de ce corps : « Puisque le pain est unique, nous sommes tous ensemble un corps unique ; car nous parti­ cipons tous au Pain unique» (I Cor., X, 17). L’unité interne et créée de l’Église, considérée soit dans son corps, soit dans la foi versée en elle au baptême, soit dans son être total, est le signe de son envahissement par l’unité divine et infinie des trois personnes, Père, Fils, Esprit : « Un corps et un Esprit, selon que vous avez été appelés dans l’espérance, qui est une, de votre vocation ; un Seigneur, une foi, un baptême ; un Dieu et Père de tous, qui est au-dessus de tout, à travers tout, en tout » (Ephés., IV, 4-6). Bref, où la grâce est christique, l’habi­ tation de l’Esprit est plénière. b) Où est l’Église, là est l’Esprit ; où est l’Esprit, là est l’Église Le Symbole des Apôtres nous représente le Père comme résidant dans la création (par appropriation), le Verbe dans le Christ (en propre), l’Esprit saint dans la sainte Église (par appropriation). Cette sainte Église, il ne fait aucun doute, pour Irénée et les Pères qui suivront, que c’est celle-là seule qui pos­ sède les sacrements du baptême chrétien et de l’eucharis­ tie, apportant avec eux la foi et l’amour chrétien, et qui est maintenue dans la vérité par les pouvoirs juridiction­ nels. Essayons de traduire, sur la version latine qui nous en reste, le grand texte où Irénée150 affirme expressément la coextensivité du corps de l’Église et de son Âme incréée, l’Esprit saint : « L’Esprit de Dieu ne cesse de ver­ 150. Contra haereses, livre III, ch. XXIV, n° 1 ; P. G., t. VII, col. 966-967. 1562 VII/2 - PROPRIÉTÉS DU CORPS DE L’ÉGLISE ser la foi dans l’Église comme dans un beau vase. Elle y est comme une liqueur précieuse, sans cesse rajeunis­ sante, sans cesse rajeunissant par surcroît le vase qui la renferme. Elle est un don que Dieu confie à l’Eglise pour l’inspirer et l’informer, et la rendre capable de vivifier tous ceux qui sont ses membres. En elle1 1 nous est offert ce que le Christ est venu nous communiquer1^2, à savoir l’Esprit saint, gage d’incorruption, appui de notre foi, cause de notre ascension vers Dieu. Dieu, en effet, dit l’apôtre, I Cor., XII, 28, a disposé dans [’Église des apôtres, des prophètes, des docteurs, et aussi tout l’ensemble de l’ac­ tivité de l’Esprit, à laquelle n’ont point de part ceux qui, au lieu d’accourir à l’Église, se retranchent de la vie par un fol égarement et une fatale démarche. Où est, en effet, l’Église, là est l’Esprit de Dieu ; et où est l’Esprit de Dieu, là est l’Église et toute grâce : or l’Esprit est vérité, Ubi enim Ecclesia, ibi et Spiritus Dei ; et ubi Spiritus Dei, illic Ecclesia, et omnis gratia : Spiritus autem veritas. Ceux qui ne participent pas à l’Esprit ne sont pas nourris pour la vie aux mamelles de leur Mère et ignorent la très pure fontaine qui jaillit du corps du Christ. Ils se creusent des citernes fissurées, ils boivent l’eau fétide des fosses et des marais. Ils fuient la foi de l’Église, de peur d’être guidés ; ils rejettent l’Esprit, de peur d’être instruits ». Que la fonction animatrice transcendante de l’Esprit saint soit coextensive à l’Église catholique, - à l’Église en acte achevé, composée d’une âme créée inhérente et d’un corps, - saint Augustin l’enseigne lui aussi à plusieurs reprises : « Ce que notre esprit c’est-à-dire notre âme est à nos membres, l’Esprit saint l’est aux membres du Christ, au corps du Christ, qui est l’Église, quod est spiri­ tus noster, id est anima nostra, ad membra nostra, hoc [est] 151. En la foi, ou plutôt en l’Église. 152. « Communicatio Christi ». COEXTENSIVITÉ 1563 Spiritus sanctus ad membra Christi, ad corpus Christi, quod est Ecclesia. Et c’est pourquoi l’apôtre, après avoir écrit aux Éphésiens, IV, 4 : Il ny a quun seul corps, ne nous laisse pas croire que ce corps est mort. - Ce corps vit-il donc ? - Il vit. - Par quoi ? - Par un seul Esprit. L’apôtre ajoute donc : Et il ny a quun seul Esprit. Prenez garde, mes frères, au corps qui est le nôtre, et plaignez ceux qui sont retranchés de l’Église. S’agit-il de nos propres membres, tant que nous vivons en bonne santé, chaque membre a sa fonction... Et tant que ce membre est dans le corps, il peut souffrir, il ne peut pas expirer, car qu’est-ce expirer, sinon être privé de l’esprit ? Mais si un membre est retranché du corps, l’esprit demeure-t-il en lui ? On reconnaît sans doute encore quel est ce membre : c’est un doigt, une main, un bras, une oreille ; détaché du corps, il garde sa forme, mais il lui manque la vie. Tel est l’homme séparé de l’Église. On trouve encore en lui le sacrement, le baptême, le Symbole des apôtres : voilà la forme extérieure ; c’est en vain qu’il s’en glorifie, s’il n’est vivifié intérieurement par l’Esprit»153. Toujours à propos de ceux qui se sont séparés de l’Église par un péché d’hérésie, tout en prétendant garder le Symbole et les sacrements de la foi, saint Augustin écrit : « L’Église catholique seule est le corps du Christ ; le Christ en est la tête, et le Sauveur de son corps. Hors de ce corps, l’Esprit ne vivifie personne, extra hoc corpus neminem vivificat Spiritus sanctus ; car, selon l’apôtre, Rom., V, 5, la charité de Dieu a été diffusée dans nos cœurs par l’Esprit saint qui nous a été donné ; et nul ne participe à la charité s’il est ennemi de l’unité. Ils n’ont donc pas l’Esprit saint, ceux qui sont hors de l’Église, non habent itaque Spiritum sanctum, qui sunt extra Ecclesiam... Et iis 153. Sermo CCLXVIII, n° 2, deuxième sermon pour le jour de Pentecôte. 1564 VII/2 - PROPRIÉTÉS DU CORPS DE L’ÉGLISE ne l’ont pas non plus, ceux qui font semblant d’être dans l’Église»154155 . L’Esprit et l’Église sont donc coextensifs, 156 comme l'àme et le corps dans le vivant. c) L'influence animatrice de lEsprit saint s'exerce sur les membres justes et les membres pécheurs de ΓÉglise Par la charité sacramentelle et orientée, l’Esprit saint meut tous les fidèles à vouloir être, selon le mot de Cajetan, « les parties d’un seul ensemble universel qu’il vivifie lui-même, en vue de constituer l’Église une et catholique »15\ Il réside dans les membres justes, et c’est par eux qu’il exerce directement et immédiatement sa fonction ani­ matrice transcendante. Mais sa motion s’étend jusqu’aux membres pécheurs de l’Église : non seulement parce qu’il peut encore, comme le note saint Thomas, se servir d’eux directement en certaines circonstances, par exemple pour annoncer la doctrine et dispenser les sacrements1^6; non seulement parce qu’il peut appliquer à l’acte les vertus de foi et d’espérance informe qui résident en eux, et les visiter par des pensées de crainte ou d’attrition ; mais aussi d’une manière plus mystérieuse : car les impulsions collectives vers le bien commun de l’Église, qu’il imprime d’abord et premièrement aux membres justes en qui elles sont reçues amoureusement et salutairement, réussissent, à travers eux, à atteindre indirectement même les mem­ bres pécheurs, tant qu’ils adhèrent encore à l’Église, et à les entraîner par contre-coup, d’une manière sans doute défaillante et non salutaire, vers des fins qui cependant restent divines. 154. Epistola CLXXXV, n° 50. 155. Cajetan, II-II, qu. 39, a. 1, n° III. 156. Ill Sent., dise 13, qu. 2, a. 2, quaest. 2. COEXTENSIV1TÉ 1565 d) L'influence animatrice de ΓEsprit saint est entravée chez les justes « du dehors » Mais l’Esprit saint ne vient-il pas habiter en tous les justes, même en ceux dont la grâce n’est ni sacramentelle ni orientée ? Sans aucun doute. Il est évident qu’au temps de la loi de nature, et plus tard au temps de la loi mosaïque, la grâce ni la vérité ne pouvaient déjà dériver du cœur du Christ : « La loi a été donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ» (Jean, I, 17). Et cependant l’Esprit saint habitait l’âme des patriarches, de Job, des prophètes : « Il est certain, en effet, dit Léon XIII, que l’Esprit saint a résidé par la grâce, même dans les justes qui ont précédé le Christ, ainsi que l’Écriture l’enseigne des prophètes, de Zacharie, de Jean Baptiste, de Siméon et d’Anne. L’Esprit saint, selon saint Léon, s’est donné au jour de Pentecôte, non pour commencer alors d'habiter dans les saints, mais pour enflammer d'un amour plus fervent des cœurs qui lui étaient déjà consacrés, et les inonder de ses surabondances ; pour parachever ses dons, non pour les ébau­ cher; pour enrichir ses largesses, non pour faire œuvre incon­ nue^ . Et pourtant saint Jean écrit, VII, 39 : «L’Esprit n était pas encore venu, car Jésus n’avait pas encore été glorifié». L’Eglise du Christ n’était alors qu’en devenir, l’Esprit n’en pouvait être pleinement la Forme anima­ trice transcendante. Depuis les jours de la Rédemption, la grâce, partout où elle est privée, en tout ou en partie, de sa perfection sacramentelle et de son orientation juridictionnelle, n’est pas dans l’état qui lui est normal et apparaît comme mutilée. Certes, elle conserve la propriété de disposer les 157. LÉON XIII, Encyclique Divinum illud munus, 9 mai 1897. Pour la citation de saint LÉON LE GRAND, Sermo LXXVII, ch. I, P. L., t. LIV, col. 412. 1566 VII/2 - PROPRIÉTÉS DU CORPS DE L’ÉGLISE sujets en qui elle réside à accueillir en eux, parfois très profondément, les divines personnes. Mais elle reste incapable de constituer l’âme créée de l’Église, qui éta­ blirait l’Église dans son acte achevé et permettrait à l’Esprit saint d’exercer sur elle son rôle de Forme anima­ trice transcendante. 1. L’union de l’âme au corps Quelle sorte de liens unissent l’âme et le corps de l’Église ? Peut-on leur trouver ailleurs des analogués ? χ 7*»» X tk * · **» ' * < « fc * Λ û A C .15*. -1 · 1 IL LE CORPS EST UNE PARTIE COMPOSANTE ESSENTIELLE DE L'ÉGLISE a) Union essentielle L’union de l’âme créée de l’Église et de son corps est requise essentiellement, c’est-à-dire pour que l’Église soit, simpliciter ut sit. Elle n’est pas requise accidentellement, pour que l’Église acquière un statut plus favorable, venant modifier heureusement sa manière d’être, ut sit melius. Disjoindre ici-bas l’âme créée de l’Église de son corps ; ou, ce qui revient au même, étendre l’âme audelà du corps, ou le corps au-delà de l’âme, c’est anéantir le concept même de l’Église. Au ciel, la grâce sera pleine­ ment éclose, pleinement christique, tant chez les anges que chez les élus, mais c’est en raison des élus ressuscités seulement, et non pas des anges, que l’Église tout entière, composée d’anges et d’élus, sera charnelle et, de NÉCESSITÉ 1567 ce fait, connaturalisée au Christ, comme le corps à la tête, comme l’épouse à l’époux. Sur ce premier point, l’union dans l’Église de l’âme et du corps est donc comparable, d’une part, à l’union dans l’homme de l’âme et du corps. Sans doute : 1° l’homme, la personne humaine, est un tout substantiel, tandis que les communautés humaines et l’Église sont des touts accidentels ; 2° l’homme et les communautés humaines sont des touts naturels, tandis que l’Église est un tout surnaturel. Mais l’union de l’âme et du corps est néces­ saire à la constitution même tant de l’homme, que de la cité et de l’Église. La personne humaine, la cité, l’Église, chacune à sa manière, sont par essence composées d’âme et de corps158. Et l’union dans l’Église de l’âme et du corps est comparable, d’autre part, à l’union, dans le Christ, de la divinité et d’une nature charnelle. b) Union permanente L’union dans l’Église de l’âme et du corps est néces­ saire et permanente-, elle n’est pas facultative, fortuite, occasionnelle. Pareillement, l’union de l’âme et du corps, d’une part dans la personne humaine, et d’autre part dans la com­ munauté humaine ; et l’union, dans le Christ, de la divi­ nité et d’une nature charnelle, sont des unions néces­ saires et permanentes, non fortuites ou occasionnelles. Trois de ces unions franchissent les portes de la mort : celle d’où résulte la personne humaine, celle d’où résulte le Christ, celle d’où résulte l’Église. Si la mort disjoint dans l’homme l’âme du corps, l’âme cependant ne 158. La cité et l’Église, chacune à son plan, component essentiel­ lement des personnes humaines (cause matérielle), conspirant libre­ ment (cause formelle), vers un même bien commun (cause finale), sous une même autorité (cause efficiente). 1568 VIl/2 - PROPRIÉTÉS DU CORPS DE L’ÉGLISE devient pas un ange, elle garde sa référence transcendan­ tale à son corps, et c’est comme le gage d’une résurrec­ tion future. Pour le Christ, pendant les trois jours qui suivent sa mort, son âme et son corps sont l’un et l’autre directement reliés au Verbe, mais son âme garde, elle aussi, sa référence transcendantale à son corps et ne devient pas un ange. Pour l’âme de l’Eglise, elle n’est jamais, ni dans les anges, ni dans les élus, privée du corps que lui fournissent, dans le ciel la Vierge ressuscitée1’9, et ici-bas les chrétiens fidèles. c) Union vivificatrice L’âme de l’Église est unie à son corps à la manière d’un principe connaturel, d’une forme vivificatrice faisant produire à tout le corps les opérations de la vie ; non à la manière d’un principe étranger, qui emprunterait un corps pour l’utiliser d’une manière simplement transitive. Comme, dans l’homme, l’âme s’unit au corps pour y susciter les opérations de la vie ; comme, dans le Christ, la divinité s’unit à l’humanité pour en rendre les opéra­ tions théandriques : ainsi, dans l’Église, l’âme s’unit au corps pour que ΓÉglise, âme incarnée et corps animé, puisse exercer d’une manière vitale les opérations qui conviennent à sa nature d’Épouse et de Corps du Christ. 159. Nous ne pensons pas qu’il faille adopter l’exégèse de saint THOMAS, suivant qui, les saints ressuscités le vendredi saint, seraient ressuscités, non pour mourir, comme Lazare, mais pour entrer avec le Christ au ciel. Comm, in Mt., XXVII, 53. Voir plus haut, p. 449, note 1 [dans la présente édition : vol. II, p. 751, n. 125]. NÉCESSITÉ 1569 d) Spiritualisme de la séparation d'avec la matière et spiritualisme de la transfiguration de la matière 1. Une certaine manière de concevoir les rapports du spirituel et du corporel dans l’Église, tendrait obscuré­ ment à les ramener, comme à leur idéal, aux rapports des purs esprits avec la matière. Quand l’ange Raphaël, désireux d’instruire et de gui­ der Tobie, s’entoure d’un corps, cette union, à la diffé­ rence de celle de l’âme et du corps dans le composé humain, apparaît à saint Thomas160: 1° comme pure­ ment accidentelle : elle n’affecte pas la nature intime de l’ange, qui demeure par essence un pur esprit ; 2° comme purement fortuite, occasionnelle : elle n’est ni nécessaire ni permanente ; 3° comme purement extrin­ sèque : elle donne au corps quelle actionne d’agir transi­ tivement, non pas vitalement. Selon l’erreur ecclésiologique que nous signalons, l’Eglise devient pareille à l’ange de Tobie. Sa nature cor­ porelle n’est plus considérée: 1° comme essentielle, 2° comme nécessaire et permanente, 3° comme intrinsè­ quement animée et vivifiée. Si l’Église garde un corps, il est juxtaposé à l’âme, accidentellement, fortuitement, extrinsèquement. Du coup, le divin se réfugie dans l’in­ visible, et le visible n’est plus qu’humain. 2. En comparant cette erreur ecclésiologique aux anciennes erreurs christologiques, on la rapprocherait, d’une part du docétisme, qui doutait de la réalité du corps du Sauveur, et conséquemment de sa passion, de sa mort, de sa résurrection ; d’autre part, de la tendance à nier la divinité du Christ pour ne retenir que son humanité. 160. Nous ne discutons pas ici l’exëgèse du livre de Tobie. Voir sur l’union des anges aux corps, I, qu. 51, a. 3. 1570 \ΊΙ/2 - PROPRIÉTÉS DU CORPS DE L’ÉGLISE Une secrète cohérence oppose entre elles deux grandes manières l’une authentique, l’autre aberrante, d’en­ tendre, à divers étages: 1° les rapports de l’âme et du corps dans l’homme, 2° les rapports de l’âme et du corps dans l’Église, 3° les rapports de la divinité et de l’huma­ nité dans le Christ. L’idéal qui oriente la première, c’est le spiritualisme de l'incarnation, ou de la transfiguration de la matière par l’esprit ; l’idéal qui oriente la seconde, c’est le spiritualisme de la désincarnation, ou de la sépa­ ration de la matière d’avec l'esprit. I 2. L’Église a son corps propre et autonome L’Eglise n’existe pas sur le papier ou en rêve. Elle existe dans le réel avec un corps de chair. Elle n’est ni esprit ni fantôme. Elle redit aux hommes les mots de Jésus : « Touchez et voyez, un esprit n’a pas de chair et d’os, comme vous voyez que j’ai » (Luc, XXIV, 39). a) L’Église a son corps propre, distinct dïi corps des formations temporelles Le corps de l’Église ne se confond avec le corps d’au­ cune formation temporelle. 1. Supposons un royaume entièrement peuplé de catholiques fidèles et pratiquants. Les mêmes hommes y prêteront leur être et leurs ressources corporelles à la fois à la cité et à l’Église qui, l’une et l’autre, en feront usage pour s’incarner. Mais, l’être et les ressources corporelles de ces hommes, la cité va les actualiser quant aux dispo­ nibilités politiques naturelles, et en vue d’un bien com­ mun immédiatement humain ; l’Église, elle, va les actua­ liser quant à leur puissance obédientielle de contribuer dès ici-bas à l’édification du corps du Christ, destiné à la transfiguration glorieuse. A aucun moment l’Église et la NÉCESSITÉ 1571 cité, supposées résidant dans les mêmes hommes, ne se fondront en un corps commun. Chacune se fera son corps propre. Supposons même la terre tout entière habi­ tée uniquement par des catholiques fidèles et prati­ quants, le corps de l’Église conserverait son rythme et sa visibilité propres, essentiellement distincts du rythme et de la visibilité des royaumes temporels périssables. Au Moyen Age, les mêmes hommes, à peu près, incar­ nent simultanément, d’une part l’Église ou le christia­ nisme, et d’autre part, la chrétienté d’Orient et d’Occident; d’une part, le royaume qui n’est pas de ce monde, et d’autre part, les royaumes qui sont de ce monde. Pourtant, le christianisme et la chrétienté161 n’ont pas le même corps. Attaquée injustement, la chré­ tienté lève légitimement des armées ; l’Église les bénit ; voilà la croisade, nécessairement sanglante. Mais l’Église elle-même, l’Église comme telle, royaume qui n’est pas de ce monde, ne lève pas d’armées ; son réflexe de défense caractéristique n’est pas la croisade ; c’est, visi­ blement, la contemplation et la mission : Ite, ecce mitto vos sicut agnos inter lupos (Luc, X, 3). Elle peut bénir les justes entreprises des royaumes temporels ; elle ne devient pas, de ce fait, un royaume temporel. 161. Nous appelons ici chrétienté, sans préjuger des acceptions historiques qu’a pu recevoir ce mot, toute formation temporelle, cul­ turelle, politique, influencée plus ou moins profondément par le christianisme. - 2. A parler rigoureusement on distinguera jusque dans un saint la part que peut réclamer sa patrie et la part qui revient à l’Église. Ce n’est pas la tâche des patries d’enfanter des saints, elles ne peuvent que fournir la matière, elles n’enfantent jamais plus que des génies ou des héros. C’est l’Église de Dieu, qui est dans telle ou telle patrie (saint Paul disait : « L’Église de Dieu qui est à 1572 VII/2 - PROPRIÉTÉS DU CORPS DE L’ÉGLISE Corinthe», I Cor., I, 2), qui seule enfante les saints. En tant qu’ils relèvent d’une patrie, les saints peuvent tra­ vailler à sauver cette patrie ; ils s’y sont parfois beaucoup appliqués : plus que tous les autres, saint Louis et sainte Jeanne d’Arc ; à ce titre, ils appartiennent d’abord aux hommes de cette patrie et à ses amis. Mais en tant que saints, en tant que relevant de l’Église - et beaucoup se sont appliqués à relever, autant que possible, unique­ ment d’elle : plus que tous les autres saint Benoît Labre, ou des missionnaires comme le Père Damien - c’est pour toute l’Église qu’ils se dépensent et le salut de tous les hommes ; à ce titre, ils appartiennent à tous, à ceux d’abord dont le cœur est plus fervent162. 3. L’Église, par nature, n’est pas d’un pays plutôt que d’un autre; d’une race plutôt que d’une autre; d’une langue ou d’une culture plutôt que d’une autre. Elle uti­ lise les ressources qui lui viennent de la diversité des pays, des races, des langues, des cultures. Pour autant quelles lui servent d’instruments, ces choses lui sont incorporées, elles deviennent sa chair et son être. Mais pour autant quelles ont une destinée propre et subissent la loi de vieillissement inhérente à toutes les choses cul­ turelles, elles disparaissent les unes après les autres sans pouvoir entraîner l’Épouse du Christ dans leur catas­ trophe. Quand le Verbe s’est fait chair, il est apparu dans un petit pays, habité de telle race d’hommes, parlant telle langue, mais pas un instant, même quand il se déclarait envoyé aux seules brebis perdues de la maison d’Israël ou s’émouvait de la destruction imminente de Jérusalem, il n’a voulu solidariser sa mission avec les des­ tinées temporelles de ce pays, de cette race, de cette 162. Cf. Saint Nicolas de Flue, Neuchâtel et Paris, 1947, pp. 208 et suiv. [IIIe partie, section V, § 3]. NÉCESSITÉ 1573 langue. C’étaient là choses du monde, et son royaume n’est pas de ce monde. 4. L’Église divine, société visible surnaturelle, ne pourra jamais s’identifier aux nations, sociétés visibles temporelles. Il n’y a pas, à parler rigoureusement, une idée religieuse française, allemande ou russe, ou s’il y en a une elle est fausse, car elle cesse, du fait quelle est nationale, d’être l’idée religieuse unique, supranationale, catholique, le royaume qui peut remplir le monde sans être du monde, indépendant des peuples qu’il sanctifie comme la lumière est indépendante des objets quelle touche. La religion du nationalisme, qui confond l’Église avec une patrie, et la religion de l’internationalisme, qui confond l’Église avec un conglomérat de patries, sont deux façons de méconnaître cette vérité fondamentale. Dire avec Dostoïevski que trois idées universelles pré­ parées de très loin sont aujourd’hui en présence, l’idée catholique ou française, l’idée protestante ou allemande, l’idée slave, c’est trop confondre le plan spirituel et le plan politique. La seule société universelle est l’Église du Christ, elle est supranationale, capable de faire vivre toutes les nations, mais incapable de s’immerger dans aucune d’elles, n’y en eût-il qu’une à la vouloir aimer et servir. Qu’on oublie ce rapport de l’Église aux nations, et l’on est conduit à dire qu’une nation peut enfermer dans ses flancs le salut du monde. C’est la pensée de Chatov dans Les Possédés 163 : « Si un grand peuple ne croit pas qu’en lui seul se trouve la vérité, s’il ne se croit pas seul à ressusciter et à sauver l’univers par sa vérité, il cesse immédiatement d’être un grand peuple pour devenir une matière ethnographique. Jamais un peuple vraiment 163. Traduct. Victor Derély, Plon, t. I, p. 276. 1574 VII/2 - PROPRIÉTÉS DU CORPS DE L’ÉGLISE grand ne peut se contenter d’un rôle secondaire dans l’humanité, un rôle même important ne lui suffit pas, il lui faut absolument le premier. La nation qui renonce à cette conviction renonce à l’existence. Mais la vérité est une, par conséquent un seul peuple peut posséder le vrai Dieu. Le seul peuple déifère c’est le peuple russe... » Et telle est la pensée de Dostoïevski lui-même164. Mais son âme étant trop généreuse pour s’arrêter à un rêve vul­ gaire d’impérialisme, il se jette dans un impossible para­ doxe afin d’identifier l’humanité et la Russie, dont la prérogative nationale serait moins d’être une nation en acte, qu’une disposition à devenir les autres nations, et dont le destin serait de préparer la pacification des peuples, moins en les absorbant pour les changer en soi, qu’en se changeant elle-même en eux pour devenir simultanément eux tous. La catholicité serait l’œuvre non pas d’une Russie grandissant sur l’humus des autres nations, mais d’une Russie devenant, tout en restant elle-même, l’humus des autres nations. Qu’on se rappelle au contraire que la seule société visible universelle est l’Église divine, alors les rapports des peuples avec elle et entre eux apparaissent tout diffé­ remment et la catholicité devient réellement possible. Les peuples, comme les individus, se présentent devant l’Église ayant dans leur cœur des choses belles qui doivent vivre et des choses mauvaises qui doivent mou­ rir. Leurs tendances les plus naturelles, les plus invin­ cibles seront, suivant le cas, favorisées ou contrariées par l’Église: favorisées si elles sont saines et généreuses; contrariées si elles sont égoïstes et dangereuses. A chaque tempérament national l’Église est à la fois bénigne et 164. «Que notre rêve de conciliation est en dehors de la Science», dans le Journal d'un écrivain, édit. Bossard, t. III, p. 34, et Hommage à Pouchkine, 3e Partie, t. III, p. 389. NÉCESSITÉ 1575 sévère, bienveillante et hostile, douce et amère. Il faut donc, non pas ramener l’Église aux peuples, mais les peuples à l’Église. Lorsqu’ils auront été baptisés dans sa foi et son amour et incorporés à sa vie, eux, jusqu’alors ennemis les uns des autres, pourront commencer à se retourner les uns vers les autres. Ils se verront régis par une loi qui les domine tous. Ils comprendront que leurs dispositions profondes, pour autant quelles sont légi­ times, les prédestinent à manifester davantage : a) sur le plan du royaume qui n’est pas de ce monde l’une ou l’autre des vertus spirituelles du Corps du Christ trans­ cendant à tous les peuples ; b) sur le plan des royaumes de ce monde l’une ou l’autre des richesses culturelles requises au développement historique de l’humanité. De ce point de vue, il devient évident, contre Chatov, qu’un peuple, si grand soit-il, doit se contenter d’un rôle secondaire dans l’humanité, la première place étant prise par l’Église universelle. Pour trouver la vérité qui sauvera le monde, c’est ΓEglise qu’il faut consulter, et non pas \âme russe ou latine, qui lui seront toujours inadéquates. La doctrine d’une Église visible et divine, préexistant aux peuples modernes, et qui doit être à leur égard dans le rapport de forme à matière, est une doctrine de caractère essentiellement traditionnel, que Dostoïevski ne recon­ naît point, mais que nous confessons, et avec nous, les théologiens russes eux-mêmes : « Si l’Église orthodoxe, dit l’un d’eux, a toute sa plénitude, il ne faut pas croire que nous, Russes, nous suffisions à nous la donner ; le croire serait une erreur grave, qui pourrait conduire au nationalisme d’Église, doctrine abandonnée et que le christianisme a pour toujours rejetée sous la forme du judaïsme »165. 165. Serge BOULGAKOV, «L’Ancien ec le Nouveau», dans VÀme russe, aux Cahiers de la Nouvelle Journée, Paris, 1927, p. 40. 1576 VII/2 - PROPRIÉTÉS DU CORPS DE L’ÉGLISE b) EEglise a son corps propre, distinct du corps des autres formations religieuses 1. Considérons l’Église en acte achevé. Elle est un tout, absolument indépendant de toutes les autres formations religieuses. Son âme créée et inhérente est la grâce sacra­ mentelle et orientée. Son corps est fait de l’être et du comportement visible des hommes, pour autant que cette âme le spécifie et l’informe directement (membres justes) ou au moins indirectement (membres pécheurs). Ce corps est né avec elle. Il dure avec elle. Il est impos­ sible de le confondre avec les sectes fondées au cours du temps pour offrir à l’esprit du christianisme, quelles imaginent désincarné, chacune pour son compte ou fédérées ensemble, quelque tardif et provisoire abri. 2. Considérons maintenant l’Église en devenir, l’Église en acte virtuel, et voyons si, à ce stade du moins, son corps ne se confond pas avec celui des autres forma­ tions religieuses. Nous avons défini les Églises dissidentes un ensemble d’hommes, unis par une forme religieuse antithétique, habitée par le conflit de deux principes, le principe chré­ tien et un principe d’égarement166. Il semble que cette définition puisse s’appliquer, avec toutes les transpositions requises, aux autres grandes for­ mations religieuses non catholiques actuellement exis­ tantes. Il est certain quelles se débattent contre un prin­ cipe intrinsèque d’erreur. Il est certain aussi quelles pos­ sèdent, surtout chez les meilleurs de leurs adeptes, des valeurs religieuses positives, dont prennent occasion les grâces prévenantes de ce Dieu qui, voulant que tous les hommes soient sauvés et viennent à la connaissance de la vérité (I Tim., II, 4), ne s’est pas laissé sans témoignage 166. Voir plus haut, p. 1194. NÉCESSITÉ 1577 parmi les Gentils (Actes, XIV, 16), et permet qu’ils le trouvent comme à tâtons (Actes, XVII, 27). Quel que soit l’abîme qui sépare les unes des autres les religions non catholiques, - et bien que, par exemple, les Églises orthodoxes dissidentes soient toutes proches de l’Église, le judaïsme et l’islam plus distants, les reli­ gions des gentils plus éloignées encore — il est donc pos­ sible de les définir comme des ensembles d’hommes unis par des formes religieuses antithétiques, où entrent en conflit les dons constructifs de l’Esprit saint et la logique destructive de l’esprit d’erreur. Chacune de ces forma­ tions religieuses comportera, en conséquence, des mani­ festations contradictoires, selon que ses membres céde­ ront extérieurement soit aux invitations de l’Esprit saint qui les entraîne vers l’Eglise, soit aux sollicitations de l’esprit d’erreur qui les en éloigne toujours davantage. Voici dès lors ce que nous voulons dire. A considérer une formation religieuse non catholique, en tant quelle constitue un tout historique, actuel, exis­ tentiel, elle comprend la juxtaposition en son sein de deux courants de manifestations extérieures, les unes qui sont secrètement aimantées par la véritable Eglise du Christ, les autres qui, au contraire, s’en éloignent. Un conflit insurmontable de tendances, voilà donc ce qui, pour le théologien catholique, caractérise cette forma­ tion religieuse, ce qui lui fait sa physionomie propre, ce qui lui donne son vrai corps. Mais si, au contraire, dans une formation religieuse non catholique, nous considérons, en pratiquant une abstraction volontaire, uniquement les manifestations extérieures qui entraînent ses membres justes, souvent très secrètement, vers l’Église catholique, alors cet ensemble que nous aurons ainsi isolé représentera, non plus le corps propre de cette formation religieuse, mais déjà, pour autant sans doute qu’il n’est encore qu’en 1578 \ΊΙ/2 - PROPRIÉTÉS DU CORPS DE L’ÉGLISE devenir et qu’en acte virtuel, le corps de rÉglise catholique. Ainsi : 1° il y a une distinction réelle entre le corps de l’Église en acte achevé et le corps des autres formations religieuses : c’est une distinction réelle opposant des touts divers ; 2° il y a une distinction réelle entre, d’une part, le corps d’une Église dissidente et plus générale­ ment d’une formation religieuse non catholique, et d’autre part le corps de l’Église catholique en devenir et en acte virtuel, tel qu’il peut se trouver au-dedans même de cette dissidence et de cette formation religieuse ; c’est la distinction réelle opposant le tout à la partie, le bloc contradictoire du vrai et du faux à l’élément de vérité qui s’y trouve exilé, entravé, oppressé, et qui demande de soi à se libérer et à s’épanouir. c) L’Église a son corps autonome On rend immédiatement sensible l’autonomie du corps de l’Église en comparant entre eux les états quelle a traversés successivement. Avant le Christ, l’Église était imparfaite et en devenir, et son corps ne pouvait prétendre à une pleine autono­ mie. C’est en Israël quelle trouve son expression la plus pure et la plus explicite. Elle a besoin, à ce moment de son existence, d’emprunter les cadres d’une formation ethnique et politique. Et sans doute elle ne confond pas son être spirituel avec l’être temporel d’un peuple, et la cité de Dieu déborde toujours les frontières d’une nation. Toutefois, elle accepte de solidariser le sort de la meilleure partie d’elle-même avec le sort d’Israël, ou plus exactement, en échange du service quelle demande à ce peuple, elle consent à l’attacher, par un privilège unique, à sa propre destinée, et à le faire participer dans une cer­ taine mesure à sa propre pérennité. TRANSPARENCE 1579 Mais quand viennent les jours de l’incarnation et quand l’Église, à la ressemblance du Verbe fait chair est pleine­ ment achevée, elle n’a plus besoin d’emprunter les struc­ tures sociales d’aucun peuple particulier. Son âme inhé­ rente, à savoir la grâce christique, la grâce sacramentelle et orientée, est assez puissante pour lui façonner un corps propre et autonome. Il s’ensuit, c’est un processus que nous avons déjà signalé167, que plus l’Église, en avan­ çant dans le temps, prend conscience de sa loi foncière, à savoir du principe d’incarnation qui la rend semblable à son chef, plus elle tend en conséquence, d’une part, à s'incarner davantage pour actualiser progressivement les vertus formatrices et transfiguratrices de son âme ; et, d’autre part, à transcender les formations culturelles et politiques, quelle garde néanmoins la grave et difficile mission de secourir et d’éclairer. De la sorte, elle apparaît aux hommes comme toujours plus dans ce monde et toujours moins de ce monde. III. PAR SON CORPS TOUTE L'ÉGLISE EST VISIBLE EN TRANSPARENCE Si le Verbe s’est incarné, c’est pour que la Vie éternelle pût se manifester visiblement dans sa chair et passât plus abondamment jusqu’au monde. Si l’Église, elle aussi, possède un corps de chair, c’est pour que la grâce chris­ tique qui est en elle puisse briller au-dehors d’un éclat sensible et attirer tous les regards. En sorte qu’il faut dire que le corps de Jésus, et le corps de l’Église, qui est sa 167. Voir plus haut. p. 47 [dans la présente édition : vol. II, p. 133]. 1580 VII/2 - PROPRIÉTÉS DU CORPS DE L’ÉGLISE ressemblance, ont comme propriété principale la trans­ parence. La transparence suppose la rencontre de deux élé­ ments, l’un opaque, l’autre lumineux et la victoire du second sur le premier. Ils peuvent être unis essentielle­ ment, comme le sont dans l’homme l’âme et le corps. L’âme étant plus forte, transparaît à travers le corps, elle donne au corps d’être transparent. L’âme et le corps échangent, se prêtent en quelque sorte, leurs propriétés : l’âme devenant comme visible et le corps devenant comme spirituel. L’âme incarnée est vue d’emblée par l’intelligence à travers le corps quelle vivifie : étant par soi intelligible, elle est alors par accident sensible168. A la manière dont on dit que l’âme de l’homme trans­ paraît dans son corps, on peut dire, avec les transposi­ tions exigées : 1° que, d’une part, la divinité du Christ et sa plénitude de grâces transparaissent dans son compor­ tement visible ; 2° que, d’autre part, l’Ame incréée de l’Église et son âme créée transparaissent dans son enve­ loppe corporelle. La diversité des rapports du spirituel et du corporel dans le Christ pourra nous aider à mieux entendre la diversité des rapports du spirituel et du cor­ porel dans l’Église. De part et d’autre, en tout cas, nous verrons que le corporel exprime le spirituel d’une manière nécessairement inadéquate, mais cependant pro­ portionnelle et suffisante. Ce que l’on peut appeler la transparence du corporel, dans le Christ et dans l’Église, est précisément la qualité du corporel qui réussit a expri­ mer sans équivoque une clarté qui le transcende. 168. On peut, dit saint THOMAS, appeler « sensible par accident» ce qui, étant saisi par l’intelligence dès la présentation de la chose sensible, semble en quelque sorte tomber sous les sens. Comm. de anima, lib. II, lect. 13, n° 396. C’est essentiellement que l’homme est composé d’âme et de corps ; mais son âme spirituelle est « un sensible par accident ». TRANSPARENCE 1581 1. Le mystère du corps de Jésus Plus on songe à la distance, à l’hétérogénéité infinie qui sépare Dieu de la créature matérielle, plus l’incar­ nation déconcerte notre esprit. Comment Dieu peut-il se faire chair, s’unir substantiellement et personnelle­ ment à une chair, sans pulvériser et dissoudre par un tel contact la chair et tout l’univers matériel qui la soutient ? La foi, qui nous oblige à regarder en face ce mystère, va même en multiplier les profondeurs. a) La transparence dans l'état de gloire K une première étape, en effet, l’incarnation est le mystère du Christ en gloire, du Verbe désormais lié à une chair qu’il ne détruit pas, mais transfigure et rend pareille pour l’éternité au buisson qui ne se consumait pas (Exode, III, 2). Alors la chair même du Christ, éter­ nellement et infiniment inadéquate à sa gloire et à sa divinité, leur est pourtant proportionnée, au point de les manifester sans équivoque aux yeux des élus ressuscités. Voilà le plus haut degré de transparence qu’il soit pos­ sible à un corps humain de connaître. Ce qui est mainte­ nant dans le ciel, s’est manifesté dans une certaine mesure sur la terre : à la résurrection, où le Christ cepen­ dant voilait parfois son éclat169, et à la Transfiguration. b) La transparence dans l'état de pèlerinage A une seconde étape, l’incarnation est le mystère du Christ pèlerin, du Verbe lié non plus à un corps glo- 169. Quand il se montre aux disciples d’Emmaüs, « leurs yeux étaient retenus, de sorte qu’ils ne le reconnaissaient pas » (Luc, XXIV, 16). Au matin de la pêche miraculeuse, «il se trouva sur le rivage, mais les disciples ne savaient pas que c’était Jésus » (Jean, XXI, 4). Cf., Jean, XX, 15. 1582 î VII/2 - PROPRIÉTÉS DU CORPS DE L’ÉGLISE rieux, mais à un corps mortel - à la destinée d’une nature humaine qui naît, vit et meurt dans le temps. La destinée terrestre du Sauveur, avec ses vicissitudes, ses douleurs, sa mort, est, plus encore que sa destinée glorieuse, infiniment inadéquate à la divinité du Verbe: tellement inadéquate qu elle n’a pu être que temporaire, il était impossible quelle s’éternisât. Cependant, de cette destinée terrestre, il faut dire quelle est, à son plan, pro­ portionnée au Verbe ; elle est tout ce quelle doit être ; elle manifeste la divinité et la sainteté infinie du Christ, autant qu elles peuvent l’être dans le royaume du chan­ gement et de la douleur, et sans aucune équivoque pos­ sible. Ce n’est plus ici, sans doute, la transparence de la glorification, qui élimine la douleur et la mon ; c’est la transparence de la sanctification, qui les illumine. Voilà le second degré de transparence du corps du Christ, et de son comportement extérieur ; c’est le plus haut point auquel il soit possible à une destinée terrestre d’at­ teindre. C’est celui dont fait foi le témoignage final des apôtres : « Et le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous, et nous avons vu sa gloire, gloire comme d’un Fils unique du Père, plein de grâce et de vérité » (Jean, I, 14). « Ce qui était dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et ce que nos mains ont touché du Verbe de vie... voici que nous vous l’annonçons» (I Jean, I, 1-3). c) La transparence dans le « hic et nunc » A celui qui aurait connu dans la foi, par l’intérieur et dès le principe le mystère de l’incarnation, comme la Vierge, c’est même chaque moment, chaque «mystère» de la vie terrestre du Christ : sa naissance à Bethléem, sa TRANSPARENCE 1583 présentation au Temple, sa vie cachée à Nazareth, le miracle de Cana, le Sermon sur la Montagne, qui serait apparu comme incarnant pleinement pour lors l’infinie sainteté du Verbe. Chaque hic et nunc de la vie du Sauveur, considéré dans son rapport, d’une part à la divi­ nité du Sauveur, d’autre part à l’ensemble de la vie ter­ restre où il s’enchâsse, aurait semblé comme un vase à la fois infiniment inadéquat, mais en même temps non équivoque, portant momentanément en lui toute la dignité de l’incarnation. Il s’agit d’abord, sans doute, pour chacun de ces instants, d’une transparence saisie par la foi ; mais elle pouvait apparaître au-dehors comme miraculeuse et être reconnue comme telle, tantôt avec certitude, tantôt avec probabilité. Essayons maintenant de transposer ces vues, en pas­ sant du Christ à l’Eglise. 2. Le mystère du corps de l’Église Nous rencontrerons, ici encore, trois degrés de trans­ parence. a) La transparence de l’Église de la gloire Ce n’est pas sans doute à la grâce singulière de l’union hypostatique, comme chez le Christ, qui est la Tête, c’est à la grâce moindre, mais insondable, elle aussi, de l’inhabitation de la Trinité, que la vision et l’amour béatifique proportionneront l’Église, qui est le Corps. Son pèleri­ nage achevé, l’état de terme, où elle sera à la fin du monde, entraînera pour son corps glorifié trois privi­ lèges : Γ La plénitude de la gloire comblera tellement les puissances de connaître et d’aimer des élus, qu’aucune défaillance ne sera plus possible. Tous appartiendront à 1 584 VII/2 - PROPRIÉTÉS DU CORPS DE L ÉGLISE l’Église d’une manière définitive. L’Église alors ne perdra plus aucun de ses membres. Les temps de désertion seront passés. 2° La puissance transfiguratrice de la gloire envahira l’être corporel total de chaque élu, sans plus connaître aucune résistance. Alors, la limite entre la lumière et les ténèbres ne passera plus, pour le diviser, à l’intérieur d’aucun être humain. 3° Le nombre des élus sera accompli, la moisson sera achevée, en sorte que l’Église, mêlée d’anges et de bien­ heureux, pourra enfin apparaître dans la plénitude de sa beauté organique, prédestinée dès avant la constitution du monde. Son enveloppe corporelle restera éternellement inadé­ quate à la gloire et à la charité béatifique, dans lesquelles la Trinité se donnera sans voiles, mais elle exprimera sans équivoque ces splendeurs : voilà le plus haut degré de transparence de l’Église. C’est une telle transparence que Dieu réserve à son Église ; c’est elle qui brille au terme de son exil et qui, par anticipation, éclaire mystérieuse­ ment les épreuves de son pèlerinage. b) La transparence de ΓÉglise du temps Le mystère de l’état de voie est analogue dans la tête et dans le corps, dans le Christ et dans l’Église. C’est, de part et d’autre, la présence d’une grâce qui demanderait de soi à transfigurer et glorifier l’habitation corporelle où elle réside, à en éliminer la passibilité, la douleur, la mort, mais qui néanmoins, par une dispensation divine, extraordinaire, retire en quelque sorte à soi ses rayons transfigurateurs, et ne laisse filtrer, à travers son enve­ loppe charnelle, que ses rayons sanctificateurs, qui se contentent d’illuminer la passibilité, la douleur, la mort. TRANSPARENCE 1585 La principale différence, c’est que, dans le Christ, cette grâce adapte une nature humaine particulière à l’union même hypostatique avec le Verbe, c’est-à-dire à la filiation divine, bannissant d’elle non seulement toute erreur, toute défaillance, mais encore tout trouble pas­ sionnel, toute ignorance et jusqu’à la possibilité méta­ physique du péché. Dans l’Église, au contraire, cette grâce adapte nos natures humaines à la seule union d’in­ habitation avec les personnes divines, c’est-à-dire à la filiation adoptive, compatible avec la présence en nous, non seulement de la peccabilité, mais encore de troubles passionnels, d’ignorances, et même de défaillances170. Du point de vue de la constitution du corps de l’Église, on notera, en passant de son état céleste à son état terrestre, quelques traits secondaires qui caractéri­ sent son état d’inachèvement. 1° Les membres de l’Église terrestre sont faillibles et de ce fait remplaçables. Ceux qui lui appartiennent vrai­ ment aujourd’hui pourront la quitter demain ; et d’autres qui aujourd’hui la haïssent, viendront peut-être les remplacer. « Selon la prescience de Dieu, qui connaît ceux qu’il a, dès avant la formation du monde, prédesti­ nés à être conformes à l’image de son Fils, beaucoup qui sont ouvertement hors de l’Église et sont appelés héré­ tiques, sont meilleurs que beaucoup de bons catholiques. Nous voyons ce qu’ils sont aujourd’hui ; nous ignorons ce qu’ils seront demain »171. 170. Chez les apôtres, le privilège de la confirmation en grâce, qu’ils reçoivent à la Pentecôte, exclut la survenance d’aucun péché mortel. Chez la Vierge, en qui il n’y a ni traces de péché originel, ni troubles passionnels, est exclue la survenance d’aucun péché véniel. 171. S. Augustin, De baptismo contra donatistas, livre IV, ch. III, n°4. 1586 «r* VII/2 - PROPRIÉTÉS DU CORPS DE L’ÉGLISE 2° Beaucoup de membres ne sont pas envahis totale­ ment par la grâce christique, ils portent en eux des régions non visitées par la lumière, ils sont encore des êtres divisés. Ce n’est pas toute leur activité externe, c’est seulement la part de cette activité qu’ils accomplissent en obéissant au Christ et à l’Eglise, qui contribue à former le corps de l’Église. En outre leur cœur peut toujours devenir plus pur, et, de ce fait, le corps de l’Église peut toujours gagner en transparence. Quant à la part de leur activité qui serait imputable au péché, comment pourrait-elle relever de l’Église ? Elle lui demeure exté­ rieure, elle est inutilisable pour le royaume de Dieu. Il sera relativement facile de reconnaître le corps de l’Église dans les activités manifestement pures des chré­ tiens. Et il sera relativement facile d’isoler du corps de l’Église les activités manifestement pécheresses des chré­ tiens. La difficulté est de discerner ce qui revient à l’Église, ce qui contribue à former son corps, dans les actes qui sont inspirés et commandés par elle, mais qui sont déviés en cours d’exécution par la médiocrité, les imperfections, les passions et les vices des chrétiens. Un peu à la manière dont on distingue, dans une même activité peccamineuse, ce qui, étant de l’être, a Dieu pour cause première, et ce qui, étant déviation et péché, vient tout entier de l’homme1'2, on devra disjoindre l’as­ pect qui revient alors à l’Église et l’aspect quelle réprouve. Une distinction de cette nature s’impose sans aucun doute. Mais, parce quelle sera toujours d’une application concrète délicate, les chrétiens pécheurs feront toujours beaucoup de tort à l’Église. L’on prendra toujours prétexte de leurs péchés pour la décrier. L’on feindra de considérer ces péchés comme son vrai corps, et comme l’expression authentique de son âme. 172. S. Thomas, I-II, qu. 79, a. 2. TRANSPARENCE 1587 Ajoutons cependant que, même quand les membres de l’Église seraient purs tout entiers, quand il n y aurait plus de pécheurs en elle, quand elle ne serait servie que par des saints, quand son corps serait d’une transparence inouïe, elle serait encore méconnue et persécutée : « S’ils ont appelé le maître de maison Beelzebub, combien plus ceux de sa maison ? » (Mt., X, 25). Elle aurait sans doute moins d’adversaires que présentement ; mais il y aurait moins de chances aussi qu’ils le fussent de bonne foi. 3° A aucun moment, le corps de l’Église terrestre ne peut être tout entier en acte. Il n’existe que successive­ ment. Il avance à travers la mort, le flux des générations, les ruines des cultures. L’histoire ne nous en donne pas une image complète. Le dessin de la tapisserie n’est jamais achevé nulle part, et progresse d’une manière imprévue. L’Église du temps et ses vicissitudes ne livre­ ront leur secret qu’à l’instant du passage à l’éternité. C’est en vérité un grand mystère que cette inhabita­ tion des trois personnes divines dans un vase corporel fragile, douloureux, sans cesse renouvelé, infiniment inadéquat à son contenu divin, mais pourtant apte à l’exprimer sans équivoque. Voilà le second degré de la transparence de l’Église. c) La transparence de l’Église au moment présent L’Église, quant à son essence, ne change pas. Elle est toujours l’épouse du Christ, la maison de Dieu parmi les hommes. Mais, existentiellement, l’Église est dans le temps. Plongée dans la mutabilité, faite d’individus dont chacun est périssable, elle voit les cellules de son corps se renouveler chaque jour. Un temps de l’Église n’est pas égal à tous les temps de l’Église et exprime moins parfaitement son essence que 1588 VII/2 - PROPRIÉTÉS DU CORPS DE L’ÉGLISE toute la suite des temps de Γ Église ; une région de l’Église n’est pas égale à toutes les régions que l’Église a occupées ou occupera et exprime moins parfaitement son essence que la somme de toutes ces régions ; un rit, une liturgie de l’Église n’est pas égal à tous ses rits et à toutes les liturgies quelle a employés dans le passé ou pourra employer dans l’a\'enir, et exprime moins parfai­ tement son essence que l’ensemble de ces rits et de ces liturgies ; bref un régime de vie de l’Église ou une « chré­ tienté » - en prenant cette fois-ci ce mot non plus dans un sens temporel, comme nous l’avons fait jusqu’ici, mais en désignant par là un complexe ecclésial, ou ensemble existentiel historique, avec ses formes de pensée théolo­ gique, son organisation canonique, sa sensibilité reli­ gieuse et artistique, ses rapports avec le monde de la cul­ ture et de la politique -, un régime de vie, une chrétienté exprime moins parfaitement l’essence de l’Église que toute la suite de ses régimes de vie et de ses chrétientés. Cependant nous savons par la foi que toute l’essence de l’Église, avec sa christoconformité et Γinhabitation ininter­ rompue en elle des trois personnes divines, est présente dans chaque régime de vie particulier de l’Église, comme dans un vase infiniment inadéquat à son contenu, mais cependant apte à le signifier sans équivoque, et, de ce fait, transparent. Cette transparence dont nous croyons l’existence par la foi divine - à la manière dont nous croyons la pré­ sence du Christ dans une petite hostie1 3 - nous savons 173. Cf. Paul CLAUDEL, La messe là bas... : Cet objet entre les fleurs de papier sec, c’est cela qui est la Suprême Beauté, Ces paroles si usées qu’on ne les entend plus, c’est en elles qu’était la vérité. Le voile des choses pour moi sur un point est devenu transparent. J’étreins la Substance enfin au travers de [Accident ! TRANSPARENCE 1589 en outre qu’elle se manifeste au-dehors à une observa­ tion suffisante et attentive de la seule raison, car les quatre notes de l’Église sont perceptibles à chacune des étapes de son existence. Nous savons même que son caractère miraculeux peut, à certains moments, en cer­ tains points, devenir pleinement évident. Chaque régime particulier de l’Église nous apporte donc et nous livre toute l’essence de l’Église, mais en nous faisant voir du même coup que cette essence est transcendante à chacun d’eux, et aussi à tout l’ensemble de leur succession : à la manière dont chaque hostie consa­ crée nous donne tout l’absolu du Christ. C’est là un des aspects les plus divins et les plus adorables de la catholicité de l’Église. Qui l’a compris, fut-ce dans le plus obscur hameau du monde, a senti du même coup l’esprit de l’Église chasser de son cœur l’esprit de clocher, l’esprit de catholicité exterminer l’esprit de clan. Chaque rit, chaque liturgie - latine, byzantine, slave, ou demain peut-être chi­ noise - ou encore chaque ordre religieux approuvé, ou chaque forme authentique de la vie chrétienne en un point donné de l’espace et du temps, est comme une porte par où l’on entre directement et sûrement dans le cœur même du mystère chrétien et de sa transcendance infinie. Il convient simplement ici de se rappeler que les portes ne sont pas faites pour être contemplées ou compa­ rées, mais pour être franchies avec décision, et que nul ne pénètre dans une maison par deux portes à la fois. 3. De la visibilité ou transparence de l’Église On peut dégager quelques corollaires relatifs à la visi­ bilité de l’Église du Christ comme telle, ou à sa transpa­ rence, et préciser à cette occasion la position ecclésiolo­ gique de Calvin. tt = i/ ti a R I I ♦ * ·» · 1590 VII/2 - PROPRIÉTÉS DU CORPS DE L’ÉGLISE a) Conception catholique de Li visibilité 1. C’est l'Église en acte achevé que nous avons d’abord devant les yeux quand nous parlons du corps de l’Église, de sa similitude avec le corps de Jésus, de sa transpa­ rence. Elle est issue de la hiérarchie. A l’endroit où Dieu dispense aux hommes, d’une part, à travers les pouvoirs sacramentels, la perpétuation du sacrifice rédempteur et la droite administration des sacrements, et d’autre part, à travers les pouvoirs juridictionnels, la pure prédication de l’Évangile, peut éclore, en effet, la grâce sacramentelle et orientée, qui étant Γâme inhérente de l’Église, façonne de l’intérieur et vivifie son corps charnel, inégal sans doute aux richesses spirituelles qu’il renferme, mais pourtant proportionné à les recevoir, et de ce fait transparent. Dire que ce corps charnel est transparent, c’est dire deux choses : 1° du point de vue de la foi, que ce corps, par nature inégal à son contenu spirituel, lui est pour­ tant divinement proportionné ; 2° que ce corps, quand il tombe sous un certain regard de l’intelligence humaine -plus pénétrant que le regard phénoménal, mais infé­ rieur au regard de la foi et que nous avons appelé le regard métaphysique - manifeste l’Église comme divine, comme miraculeusement soutenue de Dieu, tantôt en apportant à l’esprit une simple certitude morale de ce caractère miraculeux, tantôt en lui en donnant comme le choc et l’évidence fulgurante. 2. A l’Église en acte achevé est suspendu, parfois consciemment, plus souvent encore inconsciemment, tout ce qu’il y a dans le monde de foi vive et de charité théologale non sacramentelle ou non pleinement orien­ tée. En dehors d’elle, tout cela est exilé et comme en danger de se perdre. Il se constitue ainsi autour d’elle une vaste zone menacée, où peut souffler « tout vent de TRANSPARENCE 1591 doctrine» (Éphés., IV, 14), où dans les meilleurs cas l’Église n’est présente qu’^ acte virtuel et à l’état débauché. Pour autant, le corps de l’Église y sera, lui aussi, comme en devenir. Il apparaîtra presque formé dans les justes de l’Église orthodoxe. Il sera de moins en moins lié, de plus en plus informe et défait, à mesure qu’on s’éloignera davantage du centre ; sa transparence, sa visibilité, se brouillera pareillement de plus en plus, et finira par s’effacer presque complètement. De l’apparte­ nance à l’Église par le désir et l’amour, voto, mentaliter, on peut dire ce que Pie IX disait de l’ignorance invin­ cible: «Qui oserait en tracer les limites?»174 C’est le secret de Dieu. Quand l’Église du Christ était, avant le Christ, tout entière en préparation, son état d’inachèvement était en quelque sorte normal et ne représentait pas, comme c’est maintenant le cas partout où l’Église est encore inache­ vée, un état anormal et de privation. Mais son corps, étant pareillement en devenir, restait imparfait, confus, précaire. Cela était vrai de l’Église de l’Ancien Testa­ ment, et plus encore de l’Église de la loi de nature. L’unité de son corps était comparable à celle d’une nébu­ leuse, dont le point de condensation, le noyau solide, à savoir l’Église de la loi nouvelle, était placé dans l’avenir. Dieu seul en savait les contours. 3. Il est sûr que tous les prédestinés, tous les élus, tous les sauvés seront, au moins au moment de leur mort, dans l’Église: dans l’Église en acte achevé, s’ils lui appartien­ nent corporellement et spirituellement, re et voto ; dans l’Église en acte virtuel, s’ils lui appartiennent spirituelle­ ment seulement, voto tantum. Il n’y aura donc pas un seul 174. Allocution Singulari quadam, 9 décembre 1854, Denz., n° 1647. 1592 VII/2 - PROPRIÉTÉS DU CORPS DE L’ÉGLISE élu dans l’Église du ciel qui n’aura passé par l’Église de la terre, prise dans son acte soit achevé, soit virtuel. Mais il est évident aussi que l’Église de la terre ne peut pas se définir l’assemblée des prédestinés, des élus, des sauvés: 1° parce que ceux qui sont prédestinés à mourir dans l’Église ainsi entendue, peuvent vivre long­ temps en dehors d’elle, voire la combattre, la mépriser, la haïr; pendant tout ce temps, ils sont prédestinés, sans être néanmoins d’aucune manière membres réels de l’Église ; 2° inversement, des hommes qui sont mainte­ nant membres réels de l’Église (achevée ou inaugurée) pourront mourir dans l’hérésie, ou le schisme, ou dans quelque forme que ce soit de l’impénitence finale: ils auront été membres de l’Église sans avoir été prédestinés. Quels sont les hommes qui, à un instant de la durée, appartiennent salutairement à l’Église, c’est-à-dire vivent dans l’amour ? Et quels sont les hommes qui, au même instant de la durée, sont prédestinés, c’est-à-dire destinés à mourir dans l’amour ? Ce sont là deux questions et qui sont nettement distinctes1 5. 4. Hyménée et Philète, écrit saint Paul, se sont détournés de la vérité : « Cependant, le solide fonde175. Le 6 juillet 1415, le Concile de Constance condamne, dans sa quinzième session, les erreurs suivantes de Jean Hus : 1° « La sainte Église universelle, qui est unique, est l’ensemble des prédestinés ». 3° « Les préconnus [non prédestinés] ne sont pas membres de l’Église ; en effet, l’Église ne perdra à la fin aucun de ses membres, car la charité de prédestination, qui l’unit, ne se désagrège pas ». 5° « Le préconnu ne fait jamais partie de la sainte Église, même s’il vit dans la grâce selon la justice présente. Au contraire, le prédestiné demeure toujours membre de l’Église, même s’il perd la grâce adventice, car il ne perd pas la grâce de prédestination ». 6° « L’Église qui est un article de foi, c’est la congrégation des prédestinés, qu’ils soient ou ne soient pas dans la grâce selon la justice présente ». Denz., n01 627, 629, 631,632. TRANSPARENCE 1593 ment de Dieu subsiste, et il a pour sceau : Le Seigneur connaît ceux qui sont à lui» (II Tim., II, 19). Il les connaît avec amour16, un amour efficace, dit saint Thomas, « qui verse et crée la bonté dans les choses »176 177. Quels sont ceux que le Seigneur connaît comme siens ? L’Eglise en acte achevé est sans péché, mais non pas sans pécheurs. La frontière qui sépare les dons divins du péché divise mon être. Par mon choix le plus profond, le plus secret, suis-je en deçà de cette frontière, suis-je au-delà? Dieu le sait. Il connaît ceux qui sont à lui dans la charité sacramentelle et orientée. Je serai bien souvent pour moi-même réduit à me contenter de vrai' semblances. Autour de l’Eglise en acte achevé, l’Esprit saint cherche à rassembler, des quatre points de la terre, par la foi et par une charité qui n’est pas encore - ou qui n’est qu’imparfaitement - sacramentelle et orientée, une foule dont la christoconformité est de moins en moins visible à nos yeux. Là encore, le Seigneur connaît infailliblement ceux qui sont à lui de cette manière imparfaite, mais déjà salutaire. Enfin, le Seigneur connaît d’avance ceux qui sont à lui selon la prédestination. Pour nous, cela nous échappe totalement. S’ils ne sont pas encore dans l’Église, il connaît, dans l’immuable instant de son éternité, le moment où ils y entreront, par la foi et l’amour, pour en être, soit pleinement, soit au moins par le désir, et pour y mourir. 176. «Je ne vous ai jamais connus, retirez-vous de moi, vous qui commettez l’iniquité », Mt., VII, 23. « Si quelqu’un aime Dieu, il a été connu de Dieu », I Cor., VIII, 3. « Maintenant, je connais partielle­ ment, mais alors je reconnaîtrai comme j’ai été reconnu », I Cor., ΧΠΙ, 12. «Maintenant connaissant Dieu, bien plus, étant connus de Dieu... », Gal., IV, 9. 177.1, qu. 20, a. 2. *- 1594 VII/2 - PROPRIÉTÉS DU CORPS DE L’ÉGLISE Essayons maintenant de comprendre Calvin. b) Conception calvinienne de la visibilité 1 8 Elle tient en trois points : l’Église invisible, l’Église visible, les marques de l’Église visible. 1° L’Église invisible. - «Je crois la sainte Église catho­ lique, la communion des saints... » Le Symbole des apôtres nous demande d’abord de croire une Eglise invi­ sible 1 9, faite de tous les prédestinés180, et de tous les jus­ tifiés qui, selon le principe calviniste de l’inamissibilité de la grâce, sont tous assurés de leur prédestination181. Il n’y a dans cette Église aucun non justifié, et ceux d’entre 178. Voir plus haut, pp. 12 et suiv. [dans la présente édition : vol. II, pp. 80 s.]. 179. « Quand nous confessons au Symbole que nous croyons l’Église, cet article ne se rapporte pas seulement à l’Église visible, de laquelle nous avons maintenant à parler, mais aussi à tous les élus de Dieu, au nombre desquels sont compris ceux qui sont déjà trépassés. Pourtant (= par conséquent) ce mot de croire y est mis pour ce que souvent on ne pourrait pas noter à l’œil la diversité qui est entre les enfants de Dieu et les gens profanes, entre son saint troupeau et les bêtes sauvages ». Institution chrétienne, livre IV, ch. I, n° 7, édition de Genève et Paris, 1888, soigneusement revue et corrigée sur l’édition française de 1560. « Pourtant, comme il nous est nécessaire de croire l’Église, invisible à nous, et connue à un seul Dieu... » Institution, IV, ch. I, n° 8. 180. « Question — Qu’est-ce que l’Église catholique? Réponse C’est la compagnie des fidèles, que Dieu a ordonnés et élus à la vie éternelle ». Le catéchisme de Jean Calvin, 15e Section, Genève et Paris, 1934, p. 43. 181. «En somme, il n’y a nul vraiment fidèle, sinon celui qui, étant assuré de certaine persuasion que Dieu lui est Père propice et bien veuillant, attend toutes choses de sa bénignité ; sinon celui qui étant appuyé sur les promesses de la bonne volonté de Dieu, conçoit une attente indubitable de son salut ». Institution, III, ch. II, n° 16. Sur les trois dogmes ajoutés par Calvin à la justice imputative luthé­ rienne, à savoir la certitude absolue du salut, l’inamissibilité de la TRANSPARENCE 1595 eux qui pourraient y pécher ne perdent à aucun instant leur foi justifiante182. On ne peut croire cette Église, sans être assuré qu on en est membre 183. Sans doute, « il ne nous est point commandé de discerner les élus des réprouvés (ce qui appartient à Dieu seul et non à nous) mais d’avoir cette certitude en nos cœurs, que tous ceux qui, par la clémence de Dieu le Père et la vertu du Saint-Esprit, sont venus en la participation du Christ, sont ségrégés pour le propre héritage de Dieu ; et d’au­ tant que nous sommes en leur nombre, nous sommes héritiers d’une telle grâce »184. Cette Église ne peut être détruite : c’est à elle que le Christ a donné la promesse de son assistance185. Elle est, de soi, cachée à nos yeux186, grâce, la non-nécessité du baptême, voir BOSSUET, Histoire des varia­ tions, livre IX, n“ 2 et suivants. 182. «Toutefois je ne confesse pas, quand nous sommes débau­ chés de la crainte de Dieu, que la foi soit du tout éteinte en nous : mais comme la crainte de Dieu est oppressée par mauvaises concupis­ cences, aussi la foi en est suffoquée, tellement qu’elle n’a non plus de vigueur pour un temps, que si elle était défaillie ». Les actes du concile de Trente avec le remède contre le poison, Genève, 1547, Sur la sixième session, article seizième, dans Recueil des opuscules de M. Calvin, pré­ face de Théodore de Bèze, Genève, 1566, p. 963. En réalité c’est le ch. XV de la VT session qui est ici visé. Sur cette thèse de Calvin, voir BOSSUET, Histoire des variations, livre IX, n° 15. 183. «Car nous croyons tellement l’Église, que nous devons être assurés d’être membres d’icelle ». Institution, IV, ch. I, n° 3. 184. Institution, IV, ch. I, n° 3. 185. «Certes l’Église de Christ a vécu et vivra tant que Christ régnera à la dextre de son Père : de la main duquel elle est soutenue, de la garde duquel elle est armée, de la vertu duquel elle est fortifiée. Car sans doute, il accomplira ce qu'il a une fois promis, c’est qu’il assisterait aux siens jusques à la consommation du siècle. Contre cette Église nous n’entreprenons nulle guerre ». Institution, Épître dédicaroire à François Ier, p. 12. 186. « Question - Cette Église ne se peut-elle autrement connaître qu’en la croyant ? Réponse - Il y a bien l’Église visible, selon que Dieu nous a donné les marques pour la connaître ; mais il s’agit propre- 1596 VII/2 - PROPRIÉTÉS DU CORPS DE L’ÉGLISE ii *» ir x i comme le grain dans la paille187. Elle est une, elle est communion des saints, « car il ne se peut faire que ceux qui sont vraiment persuadés que Dieu leur est en com­ mun Père, et que Christ est leur chef seul à tous, ne soient conjoints entre eux en amour fraternelle, pour communiquer ensemble au profit l’un de l’autre»188. Mais cette unité n’est pas visible. Elle est « catholique ou universelle, pour ce qu’on n’en saurait faire deux ni trois sans déchirer Jésus-Christ, en tant qu’en nous serait»189. Mais son unité catholique, qui ravissait saint Irénée et saint Augustin, est, elle encore, invisible à Calvin190. Elle ment ici de la société de ceux que Dieu a élus pour les sauver, laquelle ne se peut voir à l’œil pleinement». Catéchisme, 16e Section, p. 45. La Confession Llelvétique, en 1566, précise qu’« on peut appeler l’Église invisible, non que les hommes dont elle est composée le soient, mais parce quelle est souvent cachée à nos yeux et que, connue de Dieu seul, elle échappe à la vue des hommes ». 187. « ... Il nous faut ici regarder à l’élection de Dieu, et aussi à sa vocation intérieure par laquelle il attire à soi ses élus : pource que lui seul connaît qui sont les siens et les tient fermés sous son cachet, comme dit saint Paul, sinon qu’il les fait porter ses enseignes, par les­ quelles ils peuvent être discernés d’avec les réprouvés. Mais pource qu’ils ne sont qu’une poignée de gens, voire contemptibles, mêlés parmi grande multitude, et sont cachés comme un peu de grain sous un grand amas de paille en l’aire, il nous faut laisser à Dieu seul ce privilège de connaître son Église, de laquelle le fondement est son élection éternelle. » Et de fait, ce ne serait point assez de concevoir en notre cerveau que Dieu a ses élus, si nous ne comprenons quant et quant (= en même temps) une telle unité de l’Église, en laquelle nous soyons per­ suadés être vraiment entés ». Institution, IV, ch. 1, n° 2. 188. Institution, IV, chap. I, n° 3. 189. Institution, IV, ch. 1, n° 2. - « Question — Que veut dire ce mot de catholique, ou universelle ? Réponse - Il signifie que, comme il n’y a qu’un chef des fidèles, aussi ils doivent être tous unis en un même corps ; de sorte qu’il n’y a pas plusieurs Églises, mais une seule, qui est répandue sur tout le monde ». Catéchisme, 15e Section, p. 44. 190. «Au reste, pour se tenir en l’unité d’icelle Église, il n’est ja métier (= il n’y a pas besoin) que nous voyons une Église à l’œil, ou TRANSPARENCE 1597 est sainte, car en elle « nuis ne sont compris, sinon ceux qui par la grâce d’adoption sont enfants de Dieu, et par la sanctification de son Esprit sont vrais membres de Jésus-Christ », et elle rassemble en elle « tous les élus qui ont été depuis le commencement du monde»191. Mais cette sainteté, encore imparfaite192, est à son tour invi­ sible193. Ainsi, pour les catholiques et la pensée traditionnelle, si fortement affirmée par les Pères, l’Eglise, à la ressem­ blance du Verbe fait chair, était une réalité divine, à la fois et indissociablement mystérieuse et miraculeuse : mystérieuse dans son essence — dans son unité essentielle d’esprit et de corps - et pour autant perceptible par la seule foi divine : je crois l’Eglise et ses profondeurs ; miraculeuse par le rayonnement même de cette essence, et pour autant perceptible à un certain regard de la rai­ son, tombant même en quelque sorte sous les sens194, que la touchions à la main ; plutôt, en tant que nous la devons croire, en cela il nous est signifié qu’il ne nous la faut point moins recon­ naître quand elle nous est invisible, que si nous la voyons évidem­ ment». Institution, IV, ch. I, n° 3. 191. Institution, IV, ch. I, n° 7. 192. « Question — Mais cette sainteté que vous attribuez à l’Église est-elle maintenant parfaite ? Réponse - Non, tandis quelle combat en ce monde : car il y a toujours des restes d’imperfection en elle, qui n’en seront point ôtés, jusqu’à ce qu’elle soit pleinement unie à son chef, Jésus-Christ, par qui elle est sanctifiée ». Catéchisme, Section 16, p. 45. 193. «Pourtant ce que les prophètes prédisent de Jérusalem, qu elle sera sainte..., il ne nous le faut pas tellement prendre comme s’il n’y avait nulle tache aux membres de l’Église : mais, d’autant que de vraie affection de cœur les fidèles aspirent à entière sainteté et pureté, la perfection qu’ils n’ont point encore leur est attribuée par la bonté de Dieu ». Institution, IV, ch. I, n° 17. 194. Cf. par exemple saint AUGUSTIN : « La véritable Église n’est cachée à personne. D’où le mot de l’Évangile, Mt., V, 14: Elle ne peut être cachée, la cité construite sur la montagne». Contra litteras 1598 VII/2 - PROPRIÉTÉS DU CORPS DE L’ÉGLISE t i it tantôt avec la fulguration de l’évidence, tantôt par simple certitude morale : je vois l’Église et quelle est divine. Ainsi l’Église est vue et crue, tout comme le Christ. Sur le mot de Jésus à l’apôtre Thomas, Jean, XX, 29, Parce que tu mas vu, tu as cru. saint Grégoire le Grand écrit : « Il a vu quelque chose, il a cru autre chose. Un mortel, en effet, ne pouvait voir la divinité. C’est donc l’homme qu’il a vu, et le Dieu qu’il a confessé, en disant: Mon Seigneur et mon Dieu!»^ C’est toute l’in­ telligence de l’incarnation, de la venue charnelle de Dieu d’abord dans son Christ, puis dans son Église, qui est ici en cause. Selon Calvin, au contraire, l’Église des promesses est séparée de la visibilité, qui passe dès lors au rang d’acci­ dent. De soi, elle est invisible 196. Cette nouvelle notion va lui permettre, pense-t-il, de répondre d’une manière décisive à l’indiscrète question des catholiques : « Si l’Eglise de Jésus-Christ est toujours visible, où était-elle avant la Réforme ? » L’Épître dédicatoire de l’Institution chré­ tienne niera précisément ce qu’on avait unanimement tenu pendant quinze siècles : « Mais eux ils sont bien loin de la vérité, quand ils ne reconnaissent point d’Église, si elle ne se voit présentement à l’œil... C’est en Petiliani, livre II, ch. XXXII, n° 74. « Explique comme tu voudras que la rosée de l’Hermon descend sur les collines de Sion : vous n’êtes pas sur les collines de Sion, car vous n’êtes pas dans la cité construite sur la montagne, et qui a pour marque certaine qu’elle ne peut être cachée. Aussi est-elle connue de toutes les nations ; mais la secte de Donat est ignorée de beaucoup ». Ibid., ch. CIV, n° 239. 195. Homiliae in Evangelia, liber II, homil. 26, n° 8; P. L, t. LXXVI, col. 1202. 196. Sur l’apparition de cette notion dans les Confessions de foi protestante, voir BOSSUET, Histoire des variations, livre XV, n05 10 et suivants. Voir plus haut, p. 17 [dans la présente édition: vol. II, p. 87]. TRANSPARENCE 1599 ces points que gît notre controverse : premièrement, qu'ils requièrent toujours une forme d’Église visible et apparente... Nous au contraire, affirmons que l’Église peut consister sans apparence visible... Ils ne sont pas contents si l’Église ne se peut toujours montrer au doigt. Mais combien de fois est-il advenu quelle a été telle­ ment déformée entre le peuple judaïque, qu’il n’y restait nulle apparence ?... Permettons cela au Seigneur que, puisqu’il est seul connaissant qui sont les siens, qu’aussi aucunes fois il puisse ôter la connaissance extérieure de son Église de la vue des hommes »197. Nous avons cité la réponse du Catéchisme de Calvin où l’Église est définie « la société de ceux que Dieu a élus pour les sauver, laquelle ne se peut voir à l’œil pleine­ ment»198. On semble ici accorder une certaine visibilité imparfaite à l’Église invisible. Réserve faite du dogme calviniste de l’inamissibilité de la justification, réserve faite encore du caractère tout accidentel attribué à la visibilité dans la perspective calvinienne, nous pourrions comparer cette visibilité réduite, à celle que nous avons accordée, dans l’Église en devenir, aux justes qui vécu­ rent sous la loi mosaïque ou sous la loi de nature, ou qui, aujourd’hui même, vivent sur ses propres confins. Pourtant, la distance entre les deux conceptions reste infinie. Car chez nous, l’Église en devenir, très peu visible à ses confins, est tout entière aimantée par l’Église en acte achevé, nécessairement visible, qui est sa divine raison d’être, son centre de cohésion, son point de condensation, bref le noyau solide de toute la nébuleuse. Tandis que chez Calvin, la visibilité n’est pas d’une autre sorte dans la nouvelle alliance que dans l’ancienne, la première visibilité est constamment réduite à ce qu’était 197. Institution, Epître au roi de France, p. 12. 198. Catéchisme, Section 16, p. 45. p»'·.. 1600 VII/2 - PROPRIÉTÉS DU CORPS DE L’ÉGLISE la seconde au temps d'Élie, bref la nébuleuse n’a plus besoin nécessairement de son noyau solide199. 2° L'Église visible. — Pressé de défendre son Église contre les attaques dissolvantes des anabaptistes, Calvin, par une volte-face dont il a donné d’autres exemples, va revendiquer pour elle des privilèges qu’il avait refusés à l’Église romaine, notamment la visibilité et l'absolue nécessité. Il n'abandonne pas sa doctrine de l’Église par essence invisible. Il lui juxtapose un morceau de la doc­ trine catholique. Le vivant a d’abord été coupé en deux. Le vivant, c’est ici la doctrine d’une Eglise à la fois mys­ térieuse et visible. On essaie ensuite d’en rejoindre les morceaux. Ce n’est pas une tentative contradictoire, du moins directement. Mais ce n’est plus la synthèse de la révé­ lation. C’est un recollage de choses qui furent divines : il ne peut être qu’arbitraire. Voici comment on le conçoit. L'Église impérissable du Christ, une, sainte, univer­ selle, est donc invisible par essence. Mais à certains 199. La méconnaissance des conséquences de l’incarnation et le retour à l’Ancien Testament est manifeste dans la doctrine calvinienne des sacrements. Selon la doctrine catholique, les sacrements de la loi ancienne diffèrent profondément des sacrements de la loi nouvelle : les premiers n’étaient que des signes pratiques de la grâce, les seconds, non seulement signifient mais encore contiennent et confèrent la grâce. Concile de Florence, Décret pour les Arméniens ; Concile de Trente, Session VII, de sacramentis, can. 6, Denz., n0' 695 et 849. Calvin a-t-il même compris cette doctrine ? En tout cas, il la rejette avec force : « De ce que les docteurs de l’École mettent une grande différence entre les sacrements de la vieille et nouvelle loi, comme si les premiers n’eussent que figuré en l’air la grâce de Dieu, les seconds la donnaient présentement : cette doctrine est du tout à rejeter... Pourtant (= par conséquent) tout ce que nous avons aujourd hui en nos sacrements, les Juifs l’avaient anciennement aux leurs, à savoir Jésus-Christ avec ses richesses spirituelles ». Institution, IV, ch. XIV, n° 23. Les sacrements « nous servent de la part de Dieu d une même chose que les messagers de bonnes nouvelles de par les TRANSPARENCE 1601 moments de sa durée, une Église visible lui est surimpo­ sée200. Qu’on pense, si l’on veut, à une doublure qui par endroits vient renforcer un vêtement. Ou encore à un portique ouvrant sur un parc : ce qui, dans la conception catholique, était le noyau solide et le point de condensa­ tion de la nébuleuse, et qui s’appelait l’Église en acte achevé, mystérieuse et visible, devient dans la conception calvinienne, sous le nom d’Église visible ou externe201, distincte de l’Église invisible, un arc de triomphe sous lequel il faut passer pour entrer dans le mystère de l’Église invisible. Au premier temps du christianisme, l’Église invisible était ainsi doublée d’une Église visible, laquelle était tout apostolique. Mais au cours des âges, la doublure s’est corrompue, et a fini par disparaître. C’était un terrible jugement de Dieu contre l’ingratitude des hommes202. A misère exceptionnelle, remède exceptionnel. Dieu suscite les réformateurs pour la reconstituer. « Il a fallu quelque­ fois, dit la Confession de La Rochelle, et même de notre hommes : c’est à savoir, non pas pour nous conférer le bien, mais seu­ lement nous annoncer et démontrer les choses qui nous sont données par la libéralité de Dieu ; ou bien nous sont arrhes pour les ratifier ». CE Institution, IV, ch. XIV, n° 17. Il n’est pas licite d’attribuer plus au baptême qu’à la circoncision. Cf. Institution, IV, ch. XIV, n° 23. 200. « Pourtant, comme il nous est nécessaire de croire l’Église, invisible à nous, et connue à un seul Dieu ; aussi il nous est com­ mandé d’avoir cette Église visible en honneur, et nous maintenir en la communion d’icelle ». Institution, IV, ch. I, n° 7. 201. Institution, IV, ch. I, n° 3. 202. « Permettons cela au Seigneur que, puisqu’il est seul connais­ sant qui sont les siens, qu’aussi aucunes fois il puisse ôter la con­ naissance extérieure de son Église de la vue des hommes. Je confesse bien que c’est une horrible vengeance de Dieu sur la terre : mais si l’impiété des hommes le mérite ainsi, pourquoi nous efforçons-nous de contredire à la justice divine ? En telles manières le Seigneur, quelques âges par ci-devant, a puni l’ingratitude des hommes ». Institution, Épître au roi, p. 12. 1602 ΧΊΙ/2 - PROPRIÉTÉS DU CORPS DE L’ÉGLISE temps auquel l’état de l’Église était interrompu, que Dieu ait suscité des gens de façon extraordinaire, pour redresser l’Église, qui était en ruine et désolation »203. Quels sont les principaux caractères de cette Église visible ? Nous venons de dire quelle peut apparaître et disparaître au cours du temps. Mais, dès quelle existe, elle est pour nous nécessaire et contraignante. Elle a mis­ sion de nous régir avec autorité non seulement pendant notre âge d’enfants, mais encore pendant notre âge d’hommes204205 . Hors de cette Église, pas de salut, ni de rémission des péchés20'’. Elle est composée de saints et d'hypocrites. Les saints sont tous prédestinés. Leur justice étant inamissible, ils restent justes même au moment où ils pèchent, nous l’avons vu, - bien que Calvin ne revienne pas ici sur cette étrange doctrine. L’Église visible se partage donc premièrement en justifiés et non 203. La Confession de foi des Églises réformées de France ou Confession de La Rochelle, article 31. Cette Confession a été composée par Calvin lui-même et adoptée avec quelques modifications par le synode national tenu à Paris en 1559. Elle est reproduite à la suite du Catéchisme, p. 167. On admet donc une désignation miraculeuse des réformateurs, mais on veut que désormais les ministres soient élus régulièrement. Voir là-dessus, BOSSUET, Histoire des variations, livre XV, n°* 30 et suivants. 204. « Apprenons du seul titre de Mère, combien la connaissance d’icelle (de l’Église visible) nous est utile, voire nécessaire : d’autant qu’il ny a nulle entrée en la vie permanente, sinon que nous soyons conçus au ventre de cette mère, quelle nous enfante, quelle nous allaite de ses mamelles ; finalement quelle nous tienne et garde sous sa conduite et gouvernement, jusques à ce qu’étant dépouillés de cette chair mortelle nous soyons semblables aux anges. Car notre infirmité ne souffre pas que nous soyons retirés de l’école, jusques à ce que nous ayons été disciples tout le cours de notre vie ». Institution, IV, ch. I, n° 4 ; cf. n° 1. 205. « Il est aussi à noter que, hors le giron d’icelle, on ne peut espérer rémission des péchés ni salut aucun ». Institution, IV, ch. I, n°4. TRANSPARENCE 1603 justifiés ou hypocrites206. Leur discernement est chose divine207. La foi, qui nous assure de notre propre prédes­ tination, ne nous dit rien de celle des autres ; nous n’avons donc, des membres de l’Église, qu’une simple connaissance de charité, regardant comme tels ceux qui confessent le même Symbole, reçoivent les mêmes sacre­ ments, donnent un bon exemple de vie208. Dans cette Église visible, « il pourra y avoir quelque vice ou en la doctrine, ou en la façon d’administrer les sacrements »209 ; l’essentiel est que soient maintenus les articles nécessaires et les « doctrines principales » de la foi chrétienne. «Quant à Γimperfection des moeurs, nous en devons beaucoup plus endurer ; car il est facile de trébucher en cet endroit, et le diable a des merveilleuses machinations 206. « En cette Église, il y a plusieurs hypocrites mêlés avec les bons, qui n’ont rien de Jésus-Christ hors que le titre et l’apparence : les uns ambitieux, les autres avaricieux, les autres médisants, aucuns de vie dissolue, lesquels sont tolérés pour un temps, ou pource qu’on ne les peut convaincre juridiquement, ou bien pource que la disci­ pline n’est pas toujours en telle vigueur quelle devrait ». Institution, IV, ch. I, n° 7. La division catholique se fait d’abord en membres justes et en membres pécheurs : les vrais hypocrites, par exemple les hérétiques occultes, ne sont, dirons-nous, pas même membres de l’Église. La division calvinienne se fait d’abord en membres justifiés et prédesti­ nés, bons ou pécheurs, et en membres non justifiés, qui sont tous, quoi qu’ils fassent, hypocrites. 207. « Touchant de ceux qui portent extérieurement sa marque, il n’y a que les yeux de lui seul qui voient lesquels sont saints sans feintise et lesquels doivent persévérer jusques en la fin ». Institution, IV, ch. 1, n° 8. 208. « Et d’autant qu’il n’était pas besoin en cela de certitude de foi, il a mis au lieu un jugement de charité, selon lequel nous devons reconnaître pour membres de l’Église, tous ceux qui par confession de foi, par bon exemple de vie et participation des sacrements, avouent un même Dieu et un même Christ avec nous ». Institution, IV, ch. I, n° 8. 209. Institution, IV, ch. I, n° 12. p· 1604 VII/2 - PROPRIÉTÉS DU CORPS DE L’ÉGLISE pour nous séduire»210. Il s’est toujours trouvé des gens pour mer au scandale devant les misères de l’Église211. Mais « celui qui de son bon gré abandonne la commu­ nion externe d’une Église en laquelle la parole de Dieu est prêchée et ses sacrements administrés, n’a nulle excuse»212, il est digne d’être foudroyé par la colère divine213. 3° Les marques de l’Église visible. — Pour les catho­ liques, l’Église est, à la fois, mystérieuse par son essence (faite d’esprit et de chair) et pour autant objet de foi, et visible ou miraculeuse par son éclat et pour autant objet de constatation. Ses propriétés : apostolicité, unité catholique, sainteté, sont d’abord objet de foi, en tant même quelles s’enracinent dans la profondeur de son essence (elles s’identifient « réellement » à cette essence, et s’en distinguent « conceptuellement », un peu comme l’inscriptibilité dans un cercle s’identifie «réellement» à la définition du triangle dont elle est inséparable, et s’en distingue «conceptuellement»). Mais ces mêmes pro210. Institution, IV, ch. I, n° 13. 211. « Il y en a eu toujours aucuns, lesquels se faisant accroire qu’ils avaient une sainteté parfaite, comme s’ils eussent été quelques anges de paradis, ont méprisé toute compagnie des hommes en laquelle ils apercevaient quelque infirmité humaine. Tels ont été jadis ceux qu’on nommait Cathares, c’est-à-dire les purs ; et aussi les Donatistes, qui approchaient de la folie des autres. Aujourd’hui, il y a quelques Anabaptistes semblables : à savoir ceux qui veulent appa­ raître les plus habiles, et qui pensent avoir profité par-dessus les autres ». Institution, IV, ch. I, η°* 13 et suivants. 212. Institution, IV, ch. I, n° 19. 213. « Quiconque se départ d'icelle renonce Dieu et Jésus-Christ. Et d’autant plus nous faut-il garder de ce divorce si énorme, par lequel nous tâchons, en tant qu’en nous est, de ruiner la vérité de Dieu ; et par ce moyen sommes dignes d’être foudroyés avec toute l’impétuosité de son ire, pour nous briser». Institution, IV, ch. I, n° 10. TRANSPARENCE 1605 priécés de l’Église sont en outre objet de constatation, en tant quelles se prolongent dans son éclat : elles prennent alors le nom de marques, de signes, de notes. C’est donc méconnaître tout l’ordre de l’incarnation que d’imagi­ ner, avec Calvin, que les marques ou notes désignent une «Eglise visible», séparable d’une autre Église, laquelle serait « invisible », et parfois resterait seule à subsister. Calvin qui divise l’Église en invisible et en visible, divise étrangement ses propriétés. L’unité, la catho­ licité, la sainteté échoient à l’Église invisible : elles sont crues par la foi, elles ne sont pas des marques ni des « en­ seignes». Il faudra donc se rabattre sur la seule note d’apostolicité, et c’est à elle, en effet, que Calvin emprun­ tera les « certaines enseignes auxquelles l’Église nous apparaît évidemment et comme à l’œil »214, à savoir la prédication de la Parole et l’administration des Sacrements215. La pure prédication de la parole - on ne le fait peut-être pas toujours assez remarquer, mais Calvin y insiste - c’est « la prédication externe », qui se fait « par la bouche et le ministère des hommes », et sans laquelle « l’Eglise ne se peut édifier ». Car il plaît à Dieu « que non seulement chacun soit attentif à lire en son particulier, 214. Institution, IV, ch. I, n° 8. 215. « Nous avons mis pour enseignes de l’Église la prédication de la parole de Dieu et l’administration des sacrements. Car ces deux choses ne peuvent être, quelles ne fructifient et quelles ne prospèrent par la bénédiction de Dieu. Je ne dis pas que partout où il y a prédi­ cation, le fruit incontinent apparaisse ; mais j’entends quelle n’est nulle part reçue pour y avoir comme certain siège, qu’elle ne produise quelque efficace. Comme que ce soit, partout où la prédication de l’Évangile est révéremment écoutée et les sacrements ne sont point négligés, là apparaît, pour le temps, certaine forme d’Église, dont on ne peut douter, et de laquelle il n’est pas licite de contemner l’auto­ rité, ou mépriser les admonitions, ou rejeter le conseil, ou avoir les castigations en moquerie ». Institutions, IV, ch. I, n° 10. 1606 VII/2 - PROPRIÉTÉS DU CORPS DE L’ÉGLISE mais qu'il y air maîtres et docteurs pour nous guider et aider », et ce serait « arrogance » de ne point « recevoir ce joug » et de prétendre ne relever que de Dieu216. La pure administration des sacrements, c’est l’administration du baptême et de la cène, en entendant ces mots de sacre­ ments, baptême, cène, selon que les réformateurs les auront définis. « C’est en ces points que gît notre controverse. Pre­ mièrement, qu'ils requièrent toujours une forme d’Église visible et apparente. Secondement, qu’ils constituent icelle forme au siège de l’Eglise Romaine et en l’état de leurs Prélats»21 . La première aberration des catholiques, selon Calvin, c’est d’avoir refusé de reconnaître deux Églises, l’une invisible qui est permanente, l’autre visible qui est sujette à des alternances, et de s’être obstinés à confesser une Église indissociablement mystérieuse par son essence et visible par son éclat. Leur seconde aberra­ tion est d’avoir saccagé l’Église visible qu’ils avaient en mains, en corrompant la prédication de la parole et l’ad­ ministration des sacrements218. :> 216. Institution, IV, ch. I, n° 5. 217. Institution, Épître au roi de France, p. 12. « Qu’est-ce que le monde honore aujourd'hui en ces évêques cornus, sinon qu’il réputé pour plus excellents ceux qui président aux plus grandes villes?» Ibid. 218. « Il a déjà été exposé quelle importance doit avoir entre nous le ministère de la parole de Dieu et des sacrements... Secondement, qu’encore qu’il y ait quelques petites fautes, ou en la doctrine ou aux sacrements, qu’icelui ne laisse point d’avoir sa vigueur... Mais s’il advient que le mensonge s’élève pour détruire les premiers points de la religion chrétienne, et détruire ce qui est nécessaire d’entendre des sacrements, en sorte que l’usage en soit anéanti, lors s’ensuit la ruine de l’Église, tout ainsi que c’est fait de la vie de l’homme, quand le gosier est coupé ou que le cœur est navré... Or puisque cela est en toute Papauté, il est facile de juger quelle Église y reste. Au lieu du ministère de la Parole, il y a un gouvernement pervers et confit de mensonges, lequel éteint ou étouffe la pure clarté de la doctrine. Au TRANSPARENCE 1607 L’Église en acte achevé est issue de la hiérarchie ; elle naît a l'endroit où le Christ touche le monde, à travers les pouvoirs sacramentels et les pouvoirs juridictionnels, conser­ vés depuis les apôtres par transmission ininterrompue. C’est de ces divins pouvoirs quelle tient sa miraculeuse stabi­ lité et constance. Mais tandis que les pouvoirs sacramen­ tels agissent comme des instruments, les pouvoirs juridic­ tionnels agissent comme des causes secondes et ont, de ce fait, besoin des secours de l’assistance divine, à ses divers degrés. Ainsi viennent à l’Église la grâce et la vérité, la pure grâce sacramentelle et la pure orientation juridic­ tionnelle. Voilà l’apostolicité, comme propriété de l’Église mystérieuse et visible. Mais l’apostolicité peut être considérée comme note, comme signe219. En la considérant comme signe mixte, qui fait appel tour à tour à la foi et à la raison, les anciens, qui confes­ saient une Église mystérieuse et visible, disaient aux hérétiques de leur temps : « Vous convenez avec nous que le Christ et les apôtres ont fondé la religion défini­ tive, ayant les promesses de pérennité. Dès lors, la conti­ nuité dans la hiérarchie et la doctrine est un signe de lieu de la sacrée Cène de notre Seigneur, il y a un sacrilège exé­ crable ». Institution, IV, ch. Il, nos 1 et 2. Et voici le début de l’article 28 de la Confession de La Rochelle : « Nous protestons que là où la parole de Dieu n’est pas reçue, où on ne fait nulle profession de s’assujetir à elle, et où il n’y a nul usage des sacrements, à parler propre­ ment, on ne peut juger qu’il y ait aucune Église. Pour cela nous condamnons les assemblées de la papauté, vu que la pure vérité de Dieu en est bannie ; que les sacrements y sont corrompus, abâtardis, falsifiés, ou totalement anéantis ; et que toutes les superstitions et idolâtries y ont la vogue. Nous tenons donc que tous ceux qui se mêlent en tels actes, et y participent, se séparent et retranchent du corps de Jésus-Christ ». Le Catéchisme de Jean Calvin, suivi de la Confession de La Rochelle, la Confession des Pays-Bas, Paris et Genève, 1934, p. 165. 219. Cf. L'Église du Verbe incarné, t. I, pp. 646 et suivants [vol. I, pp. 1070 s.]. 1608 \Ί1/2 - PROPRIÉTÉS DU CORPS DE L’ÉGLISE divinité ; l’innovation, au contraire, un signe d’intrusion humaine ». C'était l’argument de prescription. En consi­ dérant l’apostolicité comme un signe pur, faisant appel à la seule raison, ils admiraient la miraculeuse constance de l’Eglise et de son développement au cours des siècles. Mais Calvin enseigne qu’il y a deux Églises, l’une invi­ sible qui est toujours divine, l’autre visible, qui n’a aucune promesse de pérennité, qui peut sombrer dans la corruption et s’effacer de la vue des hommes, hors de laquelle, quand elle existe, il n’y a néanmoins pas de salut, et qu’il a mission extraordinaire de relever. Dès lors, l’argument de prescription, qui s’appuyait sur la continuité nécessaire d’une Eglise, fondée divinement par le Christ et les apôtres, et qui, à la ressemblance de son chef, est indissolublement mystérieuse et visible, est jeté par terre. Le fait, pourtant visible et constatable, d’une extraordinaire perpétuité de l’Église à travers les siècles est nié, et lui aussi jeté par terre. Et encore pas mal d’autres choses chrétiennes. Nous croyons que l’intuition-mère du calvinisme était impure, quelle bloquait en elle dès le départ et indisso­ ciablement, une vérité révélée et une mortelle aber­ ration220. La logique de son développement allait sans tarder faire paraître au jour ce fatal mélange. Quant à ce qui touche l’état personnel de Calvin, non pas même au moment de sa mort, mais simplement au cours de sa vie, cela ressortit au jugement prudentiel des hommes et ne dépasse pas l’ordre de la probabilité et de la conjecture. Nous n’avons pas ici à nous prononcer. On sait dans quel sens Bossuet l’a fait221. Oscar Bauhofer, qui fut longtemps calviniste, écrivait naguère : « Il est facile de mettre en évidence les nombreux traits du visage et de 220. L'Église du Verbe incarné, r. I, p. 56 [vol. I, pp. 101-103). 221. Histoire des variations, livre IX, n°* 1, 77 à 83 ; livre X, n° 57. TRANSPARENCE 1609 l’œuvre de Calvin qui sont antipathiques et nous repous­ sent : on peut les saisir à pleines mains. La grandeur de Calvin est plus difficile à saisir, pas moins peut-être pour ses partisans que pour ses adversaires. Le théologien Calvin est de beaucoup, parmi les réformateurs, le plus difficile à entendre. Jusque dans ses erreurs les plus manifestes, il garde encore un esprit théologique et reli­ gieux. Que son respect de la vérité révélée n’ait pu entiè­ rement lever le voile de son cœur (II Cor., III, 15), que son zèle passionné de l’honneur de Dieu et de l’accrois­ sement de son Royaume, n’aient fait de lui qu’un adver­ saire de l’Eglise : cela reste, à nos yeux humains, une de ces sombres énigmes, dont la clef n’appartient qu’à Dieu. Énigme qui n’est ni moins sombre, ni moins doulou­ reuse que celle de Luther »222. c) « Toutes choses sont des voiles qui couvrent Dieu » C’est tout au long de la vie publique de Jésus et non pas seulement à l’instant de sa Transfiguration, que son comportement a été transparent, manifestant au-dehors la sainteté du mystère de l’incarnation. Et n’est-ce pas comme un scandale pour la raison, que des hommes de cette époque aient pu approcher de Jésus, entendre sa voix, voir son regard sans deviner toujours, sous la cendre de son humanité, le feu de sa divinité ? Man­ quaient-ils de signes suffisants ? Ou leur cœur était-il aveuglé ? « Quiconque fait le mal hait la lumière et ne vient pas à la lumière, de crainte que ses œuvres ne soient manifestées. Mais celui qui fait la vérité vient à la lumière» (Jean, III, 20-21). En ce temps-là, dit encore l’Évangile, « il y avait à Jérusalem un homme nommé Simeon, et cet homme était juste..., et il lui avait été 222. « Kalvin und die Genfer Reformation », dans Schiueizerische Rundschau, août 1936, pp. 349-358. 1610 \3I/2 - PROPRIÉTÉS DU CORPS DE L’ÉGLISE révélé par l’Esprit saint qu’il ne verrait pas la mort avant qu'il n'eût vu le Christ du Seigneur » (Luc, II, 25-26). Ce qui vaut du comportement de Jésus, vaut propor­ tionnellement du corps et du comportement de l’Église: c’est un vase d’argile qui porte le trésor divin, c’est l’en­ veloppe sous laquelle bat son cœur. On a passé à côté du Christ sans le reconnaître, on passe à côté de l’Église sans la voir : tantôt par perversité, mais tantôt aussi par erreur invincible, provenant de causes multiples à l’infini, parmi lesquelles il faudra ranger jusqu’à la séduction qu’exerce sur des cœurs qui sont par nature magna­ nimes, les fragments de la splendeur catholique épars dans les sectes dissidentes. Les choses corporelles ne seront jamais que le véhicule imparfait, la traduction inadéquate des splendeurs spiri­ tuelles. Il y avait plus de clarté dans l’âme de Jésus que n’en pouvait porter son corps, même au jour de la Transfiguration. Il y a plus de clarté aussi dans l’âme de l’Église que n’en pourra jamais refléter son corps, même lorsque son corps resplendira dans l’éternité : « La fille du roi est vêtue de tissus d’or, mais c’est du dedans que lui vient sa beauté» (Ps., XLIV, 14, Vulgate). Les choses corporelles sont ici-bas comme des voiles transparents dont le double rôle est de révéler les réalités spirituelles et d’en assourdir l’éclat. Le monde révèle et cache l’acte créateur ; l’humanité du Christ révèle et cache le mystère du Verbe et de son amour pour les hommes ; le corps de l’Église révèle et cache le mystère de l’inhabitation de l’Esprit saint dans l’histoire. Une des raisons de cette extraordinaire dispensation, c’est que Dieu ne veut être trouvé que par ceux qui le cherchent. Toutes choses, écrivait Pascal à Ml!c de Roannez, sont « des voiles qui couvrent Dieu w223. 223· Quatrième lettre à édit. Br., pp. 213-215. de Roannez, fin octobre 1656, 1611 IV. LE CORPS DE L'ÉGLISE EST ORGANIQUE ET DIFFÉRENCIÉ Il est clair que l’Église étant un vivant, ses différencia­ tions l’engagent tout entière, avec son âme et son corps, ses causes efficientes et ses causes finales : tout est dans tout. Cependant les pouvoirs et les activités hiérarchiques se rattachent directement à la causalité efficiente, soit ins­ trumentale soit seconde. Les distinctions entre membres pécheurs et membres justes, entre membres en acte commencé et membres en acte achevé, qui relèvent de la causalité formelle et maté­ rielle, ne s’éclairent pleinement qu’à partir de la cause formelle inhérente ou âme créée de l’Église. Les distinctions de la vie de la charité en commen­ çante, progressante, consommée, en vie active, contem­ plative, apostolique, se rattachent plus directement à la causalité finale. Nous nous plaçons ici au point de vue des extériorisa­ tions, disons au point de vue de la cause matérielle ou du corps de l’Église, pour aborder celles de ses différencia­ tions que les anciens étudiaient sous le nom d’états de vie et de conditions de vie, et qu’ils n’auraient pas hésité à rattacher au traité de l’Église224. On rappellera d’abord la distinction préalable et capi­ tale, dont on a toujours dû parler, entre activités hiérar­ chiques et activités non hiérarchiques (I). Cette distinction commande la distinction entre clercs et laïques, qui semble voisine, mais qui s’inscrit, en fait, il nous paraît important de le noter, sur un tout 224. « Diversitas statuum et officiorum non impedit Ecclesiae unitatem quae perficitur per unitatem fidei et charitatis, et mutuae subministrationis... » S. THOMAS, II-II, qu. 183, a. 2, ad 1. 1612 i νΠ/2 - PROPRIÉTÉS DU CORPS DE L’ÉGLISE autre plan, celui des états de vie, qui nous intéresse ici directement (II)225. A la notion des états de vie, créateurs de différencia­ tions profondes dans la vie de l'Église, les Pères et leurs héritiers, les théologiens, ont donné des significations très précises qui sont une richesse du traité de l’Église. Nous parlerons après eux du mariage et du célibat, de ce qu’ils appelaient la vie commune et la vie parfaite, de la vie parfaite religieuse et de la vie parfaite épiscopale (III), des conditions variables de la vie chrétienne (IV). Notre intention est non pas d’exploiter à fond ces thèmes, mais de marquer leur point d’insertion dans la théologie de l’Église. En ■· ■ ·· Activités chrétiennes hiérarchiques et ACTIVITÉS CHRÉTIENNES non hiérarchiques I. Les activités chrétiennes hiérarchiques sont celles qui sont produites (élicitées) immédiatement par les pou­ voirs d’ordre et de juridiction. Les activités chrétiennes non hiérarchiques sont produites (élicitées) immédiate­ ment par les ressources chrétiennes non hiérarchiques. 225. La distinction entre activités hiérarchiques et activités non hiérarchiques ne correspond pas à la distinction entre clercs et laïques: les activités des clercs ne sont pas toutes hiérarchiques. La confusion n est pas encore débrouillée dans notre article sur « Le corps de 1 Église », dans Nova et Vetera, 1936, p. 317 [section II, § 3, b]. ORGANICITÉ 1613 1. Pourquoi la hiérarchie? sans elle, pas d’Église en acte achevé Quelle est la suprême raison de la division des activi­ tés chrétiennes en hiérarchiques et en non hiérar­ chiques ? Plus brièvement, pourquoi les pouvoirs hiérar­ chiques d’ordre et de juridiction sont-ils nécessaires à l’Église ? 1. On répond généralement que le même Dieu, qui a fait l’univers de la nature et l’univers de la grâce, les gou­ verne l’un et l’autre conformément au régime le meilleur qui est de faire participer les êtres à son gouvernement et de leur donner, en conséquence, non seulement de pos­ séder eux-mêmes les biens, mais de les distribuer autour d’eux : « Si le gouvernement doit amener à la perfection les choses gouvernées, un gouvernement est d’abord d’autant meilleur que le gouverneur communique aux choses gouvernées une perfection plus grande. Or, il y a plus de perfection à être bon soi-même et cause de bonté pour les autres, que d’être simplement bon soi-même. Aussi Dieu gouverne-t-il les choses de telle manière qu’il fait de certaines d’entre elles les causes du gouvernement des autres : tel un maître qui ferait ses disciples non seu­ lement savants mais encore docteurs des autres »226. Cette vue est authentique. Elle donne la raison suprême de la loi d’inégalité inscrite au cœur même de l’être créé et qui règne sur tout l’univers de la nature, c’est-à-dire le monde, et sur tout l’univers de la grâce, c’est-à-dire l’Église. Mais elle n’explique pas pourquoi l’économie intérieure de l’Église du temps présent exige une hiérar­ chie d’ordre et de juridiction qui est exclue de l’Église de l’au-delà du temps. Même à l’intérieur du temps, si l’état 226. S. Thomas, I, qu. 103, a. 6. 1614 VII/2 - PROPRIÉTÉS DU CORPS DE L’ÉGLISE if #» s i f îi'x:i de l’innocence avait duré, le peuple de Dieu qui, au tem­ porel, aurait eu besoin d’un régime politique227, n’aurait connu, au spirituel, que le régime de l’inspiration inté­ rieure228, ignorant toute médiation, celle du Christ et celle de la hiérarchie. 2. Quelle est donc la raison de la hiérarchie d’ordre et de juridiction ? Toute l’Église est christique. Elle est la sublime refonte, la sublime récapitulation dans le second Adam de l’univers à jamais détruit du premier Adam. L’in­ fluence rénovatrice du Christ s’exerce au sein du temps selon deux modes : 1° par mode de médiation ascendante ou de rédemp­ tion : la passion du Christ est cause méritoire et rédemp­ trice du salut de tous les hommes sans exception, par voie d’application anticipée s’ils ont vécu avant le Christ, par voie d’application subséquente s’ils vivent après le Christ ; 2° par mode de médiation descendante ou de dériva­ tion : depuis l’apparition du Christ, c’est par lui que dérivent aux hommes tous les dons du salut : « La loi a été donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ » (Jean, I, 17). Cette dérivation est par­ faite ou imparfaite : a) Elle est parfaite et donne naissance à l’Église en acte achevé, quand elle se fait par contact. C’est immé­ diatement autour du Christ, dans les endroits où il prêche et communique la grâce, que se forme l’Église. L’effet de ce contact est triple : le Christ agit sur l’Église per exteriorem gubernationem, en l’enseignant du dehors avec 227. S. Thomas, I, qu. 96, a. 4. 228. S. Thomas, III, qu. 61, a. 2, avec le commentaire de Cajetan, n°IV. ORGANICITÉ 1615 l’autorité du maître, du roi, du prophète229 ; per interio­ rem influxum, en la vivifiant secrètement par l’infusion de la grâce, dont il est source en raison de son union à la divinité230 ; per consecrationem, en lui infusant les carac­ tères sacramentels qui la rendent apte à continuer le culte de la loi nouvelle dont il est l’inaugurateur231. L’Eglise participe ainsi pleinement à la royauté et à la prophétie du Christ, à la sainteté du Christ, au sacerdoce du Christ. b) La dérivation est imparfaite et ne peut donner nais­ sance qu’à l’Eglise en acte commencé, quand elle se fait à distance seulement. C’est du Christ encore, dès son appa­ rition232, que s’épanchent au loin les dons surnaturels qui illuminent tout homme venant en ce monde. Mais, dans le champ de cette dérivation seulement à distance, les pouvoirs cultuels sont absents, la charité n’est ni sacramentelle ni pleinement orientée, les lumières pro­ phétiques sont fragmentaires. La conformité au Christ roi, prêtre et Dieu saint233, ne peut être que déficiente. 3. La dérivation par contact va-t-elle être arrachée à l’humanité au moment où le Christ monte au ciel ? Non ! Et cest ici quintervient tout le mystère de la hiérar­ chie d’ordre et de juridiction. Le Christ qui réside au ciel sous ses apparences propres, continuera de toucher son 229. S. Thomas, III, qu. 8, a. 6. 230. Ibid. 231. III, qu. 63, a. 3. 232. « C’est la Vierge qui, par un enfantement admirable, a donné le jour au Christ, notre Seigneur, source de toute vie céleste et déjà revêtu, en son sein virginal, de la dignité de chef de 1 Église ». PlE XII, Encyclique Mystici corporis, 29 juin 1943, A. A. S., 1943, p. 247. 233. Le Fils de l’homme porte la tunique du prêtre, la ceinture du roi, et sa chevelure blanche signifie sa préexistence éternelle, Apoc., I, 13-14. 1616 VII/2 - PROPRIÉTÉS DU CORPS DE L’ÉGLISE Église sous les apparences empruntées d’une hiérarchie, par laquelle il communique au monde la plénitude de sa grâce et de sa vérité. 4. Mais d’où vient que la dérivation des dons du salut, quand elle se fait par contact au lieu de se faire à dis­ tance, est ainsi privilégiée ? Saint Thomas répond à cette question en justifiant la médiation des sacrements, et sa réponse sert aussi, pro­ portionnellement, à justifier la médiation des pouvoirs juridictionnels. La dérivation par contact, suivant lui, est privilégiée déjà en raison des simples exigences de la nature humaine, qui demande normalement à s’appuyer sur le visible pour monter jusqu’à l’invisible ; et surtout en raison de l’état de désorganisation où l'humanité se trouve depuis la chute234. Mais, selon saint Thomas, ni dans l’état de l’innocence originelle235, ni à plus forte rai­ son dans l’état de la gloire céleste236, l’action par contact ne conserve ses avantages. Et c’est pourquoi la hiérarchie d’ordre et de juridiction, qui n’aurait pas trouvé de place au paradis terrestre, n’en aura pas davantage dans l’Église du ciel. * 2. L’Église participe au Christ diversement par les activités hiérarchiques et par les activités non hiérarchiques .,-.·· J Ί 1. Le Christ, qui est tête, est prêtre, il est roi, maître et prophète, il est saint. L’Église, qui est corps, est tout entière, par participation, sacerdotale, royale et prophé­ tique, sainte. Nous ne considérons maintenant que 234. Cf. III, qu. 61, a. 1. 235. III, qu. 61, a. 2. 236. III, qu. 61, a. 4. ORGANICITÉ 1617 l’Église en acte achevé, mais nous la considérons tout entière, avec ses activités hiérarchiques et non hiérar­ chiques, telle quelle nous est représentée dans le grand texte où saint Paul explique que Dieu dispose ses dons «pour le perfectionnement des saints en vue de l’œuvre du ministère, en vue de l’édification du corps du Christ, jusqu’à ce que nous parvenions tous à l’unité de la foi et de la connaissance du Fils de Dieu, à l’état d’homme parfait, à la mesure de l’âge de la plénitude du Christ, afin que... faisant la vérité dans la charité, nous crois­ sions de toute manière en celui qui est la tête, le Christ : de qui le corps tout entier, coordonné et compact grâce aux contacts mutuels, selon l’activité qui convient à cha­ cune de ses parties, reçoit son accroissement pour s’édi­ fier lui-même dans la charité» (Ephés., IV, 12 à 16). Et voici notre question. L’Eglise participe aux privilèges du Christ : dans quelle mesure le doit-elle aux activités hié­ rarchiques ? dans quelle mesure aux activités non hiérar­ chiques ? 2. Les activités hiérarchiques, réservées à quelques-uns, émanent des pouvoirs d’ordre et de juridiction. Des pouvoirs & ordre procèdent immédiatement les activités cultuelles supérieures, à savoir la célébration valide du sacrifice de la messe et la dispensation valide des sacrements, exceptions faites du baptême et du mariage. Des pouvoirs àe. juridiction procèdent immédiatement les directives autorisées concernant tout d’abord la struc­ ture interne de l’Église ; et aussi, ne l’oublions pas, quelques-uns des rapports de l’Église avec le temporel : l’Église ayant mission d’illuminer juridictionnellement le temporel et de se défendre contre ses incursions. Toutes ces activités sont ministérielles: nous voulons dire ici que celui qui les exerce est mû immédiatement 1618 VII/2 - PROPRIÉTÉS DU CORPS DE L’ÉGLISE en vue de s’acquitter d’un service, d’un ministère utile à l’Église, non en vue de son salut éternel. Dans quelle mesure ÏÉglise tout entière est-elle christique en raison de ces activités hiérarchiques ? On dit couramment que le corps tout entier voit par les yeux, entend par les oreilles, et cela signifie que le corps voit et entend uniquement par les yeux et les oreilles ; on dit aussi que le corps tout entier vit par le cœur, respire par les poumons, mais cela signifie que le corps vit et respire principalement, éminemment, par le cœur et les poumons. Si donc l'on distingue spécifiquement, technique­ ment, les privilèges du sacerdoce, de la royauté et de la prophétie, de la sainteté, comme nous l’avons toujours fait, on dira que l’Église tout entière est cultuelle et sacer­ dotale éminemment, mais non uniquement, par l’activité hiérarchique des pouvoirs d’ordre ; et quelle est prophé­ tique éminemment, mais non uniquement, par l’activité hiérarchique des pouvoirs de juridiction : il y a, en effet, des activités non hiérarchiques qui sont cultuelles et pro­ phétiques. Quant à la qualité royale, si on la réserve aux seules formes juridictionnelles et permanentes de la pro­ phétie, il faudra dire que l’Église tout entière est royale uniquement par ses pouvoirs juridictionnels. 3. Les activités non hiérarchiques, c’est-à-dire com­ munes à tous les chrétiens sans exception, comprennent des activités cultuelles et prophétiques, et des activités formellement sanctifiantes. Les activités cultuelles procèdent des pouvoirs cultuels ou « caractères » du baptême et de la confirmation23 . Les activités prophétiques et les autres manifestations cha237. Voir L’Église du Verbe incarné, t. I, pp. 90-101 [vol. I, pp. 153-170]. ORGANICITÉ 1619 rismatiques apparaissent imprévisiblement, au gré du bon plaisir du Christ et de l’Esprit258. Toutes ces activités sont, elles aussi, ministérielles. Les activités formellement sanctifiantes procèdent des venus infuses, soit théologales soit morales, des dons et motions de l’Esprit saint, de la grâce sacramentelle et orientée, ou pleinement christique. Elles ne sont pas ministérielles, elles sont ordonnées immédiatement au salut éternel de ceux qui les exercent238 239. Dans quelle mesure l’Église est-elle christiquepar ses acti­ vités non hiérarchiques ? Par les activités ministérielles non hiérarchiques, et donc communes à tous les chrétiens, l’Eglise participe tout entière au sacerdoce et à la prophétie du Christ ; mais cette participation est inférieure et subordonnée, si on la compare à la participation sacerdotale, prophétique et royale que détiennent supérieurement et éminemment les activités hiérarchiques : sans les pouvoirs d’ordre et 238. Ibid., p. 149 [pp. 284-285]. Voir plus haut, p. 1454. 239. La division entre activités immédiatement ministérielles et activités immédiatement sanctifiantes peut se fonder sur saint THOMAS, III, qu. 63, a. 3 : « Le fidèle est député à deux fins : premiè­ rement et principalement à la fruition de la gloire, en vue de quoi il est marqué du sceau de la grâce ; secondement à recevoir ou à donner aux autres les choses du culte de Dieu, et c’est à quoi le caractère sacramentel est ordonné en propre ». La nature instrumentale des lumières prophétiques données aux fidèles est marquée, par exemple, ΙΙ-Π, qu. 171, a. 2 ; qu. 172, a. 4, ad 1. Ceux qui feraient correspondre la distinction entre l’Église consi­ dérée comme Heilsanstalt et l’Église considérée comme HeilsgemeinschaftWz distinction entre activités hiérarchiques et activités non hié­ rarchiques devraient subdistinguer, dans la Heilsgemeinschafi, les acti­ vités ministérielles et les activités sanctifiantes. Mais les activités ministérielles procèdent immédiatement, pour une part, de pouvoirs cultuels comme celui du baptême et de la confirmation, qui sont tout aussi instrumentaux et tout aussi institutionnels que le pouvoir hiérar­ chique d’ordre. Aussi n’userons-nous pas de cette distinction. 1620 VII/2 - PROPRIÉTÉS DU CORPS DE L’ÉGLISE de juridiction, le culte et la prophétie chrétienne sont irrémédiablement mutilés. Mais c’est uniquement par les activités qui procèdent de la charité sacramentelle et orientée que l’Eglise parti­ cipe formellement et pleinement à la sainteté du Christ : par charité sacramentelle et orientée nous entendons, mais portés à leur plénitude christique, les motions et les dons de l’Esprit saint, les vertus théologales, les vertus morales infuses, et parmi elles la vertu de religion, qui enveloppe tout le culte, considéré du point de vue non plus de la validité, mais de la sainteté. 0> (TA j*· *4 . M w· Ml -w·· * MM M 4 *· 4. Le plus souvent, la grâce se contentera de diriger, en les élevant et en les purifiant, les activités de l’homme relatives aux biens temporels. On pourrait appeler ce régime le régime de la plus large utilisation possible de l’univers par les chrétiens. Ils useront du mariage, ils seront propriétaires, ils disposeront librement d’euxmêmes. Ils chercheront encore, mais dorénavant à l’ombre de la croix, à remplir la terre, à la soumettre, à étendre sur elle la domination de la raison : car le pre­ mier commandement de la Genèse, s’il est changé dans ses conditions de réalisation, n’est pas atteint dans sa substance. Ils s’appliqueront à l’œuvre culturelle, ils tra­ vailleront à tisser la trame de l’histoire humaine. C’est là une tâche qui demeure providentielle. Ils auront souvent à employer ce qu’on a appelé les moyens temporels riches, c’est-à-dire des moyens bons en eux-mêmes, légi­ times, normaux, mais chargés de matière et pesants: pour ordonner, pour placer tous les éléments. Ici, non content de se montrer, il veut s’unir à sa créature ; c’est-à-dire l’infini avec le fini: il n’y a plus de proportion ni de mesure à garder ; il ne s’avance plus que par des démarches insensées ; il saute les montagnes et les col­ lines, du ciel à la crèche, de la crèche par divers bonds sur la croix, de la croix au tombeau et au fond des enfers, et de là au plus haut des deux. Tout est sans ordre, tout est sans mesure. Par les mêmes démarches que l’infini s'est joint au fini, par les mêmes le fini doit s’élever à l’infini. Il doit se libérer et s’affranchir de toutes les règles de prudence qui le resserrent en lui-même, afin de se perdre dans l’infini ; et cette perte dans l’infini, parce qu’elle met au-dessus de toutes les règles, paraît un égarement. Telle est la folie de François. * Œuvres oratoires, édit. Lebarq, Paris, 1896, t. VI, p. 2. r—· ORGANICITÉ 1683 «Nous pouvons appeler moyens temporels riches ceux qui, engagés ainsi dans l’épaisseur de la matière, exigent de soi une certaine mesure de succès tangible. A cause de cela même, la loi évangélique du renversement des valeurs et d’immolation, qui est la loi suprême du spiri­ tuel, ne les atteint qu’imparfaitement, alors c’est l’ombre de la croix qui passe sur eux. Ces moyens sont les moyens propres du monde, l’esprit s’en saisit comme par un rapt, ils ne sont pas à lui ; à vrai dire, de fait et depuis le péché d’Adam, ils relèvent du domaine du prince de ce monde. Notre office est de les lui arracher, par la vertu du sang du Christ. Il serait absurde de les mépriser ou de les rejeter, ils sont nécessaires, ils font partie de l'étoffe naturelle de la vie humaine. La religion doit consentir à recevoir leur aide. Mais il convient pour la santé du monde que la hiérarchie des moyens soit sauve­ gardée et leurs justes proportions relatives »322. C’est quand la sagesse chrétienne utilise les moyens temporels riches quelle charme un plus grand nombre d’hommes ; aussi le régime de la plus large utilisation de l’univers peut-il s’appeler le régime de la « voie commune ». Il convient d’insister, avec Paul Claudel, sur la signification chrétienne profonde, trop souvent méconnue, de la voie commune : « L’idée qui domine la théorie chrétienne sur cette question, c’est celle de V Intendance, c’est l’idée que chez un homme rien, et pas même son corps et son âme, ni à plus forte raison sa famille et ses biens, ne lui appar­ tiennent, que tout est à Dieu et pour Dieu à qui il devra rendre des comptes exacts. Si tout cela lui appartenait il pourrait se montrer conciliant. Il y a même des gens plus nombreux qu’on ne croit qui, par indolence naturelle, seraient disposés à faire abandon de tout ce qu’on veut. 322. Jacques MARITAIN, Religion et culture, Paris, 1930, p. 73 [O. C.,vol. IV, pp. 231-232]. 1684 VII/2 - PROPRIÉTÉS DU CORPS DE L’ÉGLISE Mais précisément parce que rien ne lui appartient, le chrétien, quand il n’a pas opéré une démission générale et préalable entre les mains de son Créateur et reçu décharge, le chrétien ne peut rien céder si ce n’est pour des raisons fortes et par une espèce de dispense. Il ne s’agit pas de convenance momentanée, il s’agit d’une res­ ponsabilité éternelle. C’est pourquoi, au rebours de toutes les théories socialistes, le chrétien est-il tellement attaché à toute la manière de ses droits civiques, à ses biens, à ses enfants, à sa patrie. Ce n’est pas lui qui dépend de tout cela, c’est tout cela qui dépend de lui. C’est lui et non pas un autre à qui Dieu a donné charge de tout cela. Il transpose dans le domaine des intérêts matériels, sanctifiés par leur but, cette obstination inflexible dont son Église, à travers tous les siècles, depuis saint Laurent et saint Thomas Becket jusqu’aux martyrs de la Révolution et depuis Innocent jusqu’à Pie323, n’a cessé de lui donner des exemples exaltants... Le reste est du Tolstoï »324. Mais il arrive que la grâce divine, en surélevant les activités de l’homme les absorbe en quelque sorte, les confisque à son profit. Le régime qui en résulte est le régime de la moindre utilisation possible de luniverspar les chrétiens. Ils s’occuperont plus lointainement du progrès de l’œuvre culturelle et du succès de l’histoire humaine. Ils travailleront plus directement à l’avènement du royaume de Dieu, à l’expansion du corps du Christ. Ils pourront choisir de renoncer au mariage, à la propriété, à la libre disposition d’eux-mêmes. Ils utiliseront de pré­ férence les moyens purement spirituels, et les moyens 323. Cf. dans Le père humilié, le dialogue du pape Pie et du frère mineur. 324. Préface au livre de Jacques R1VIÉRE, A la trace de Dieu, 1925, p. 22. ORGANICITÉ 1685 temporels pauvres : « La croix esr en eux. Plus ils sont légers de matière, dénués, peu visibles, plus ils sont effi­ caces. Parce qu’ils sont de purs moyens pour la vertu de l’esprit. Ce sont les moyens propres de la sagesse, car la sagesse n’est pas muette, elle crie sur les places publiques, c’est le propre de la sagesse de crier ainsi, il lui faut donc des moyens de se faire entendre. L’erreur est de penser que les meilleurs moyens pour elle seront les moyens les plus puissants, les plus volumineux. Le pur spirituel est activité toute immanente ; c’est la contemplation, dont l’efficacité propre, pour toucher le cœur de Dieu, ne déplace aucun atome ici-bas. Plus on s’approche du pur spirituel, plus les moyens temporels employés à son ser­ vice s’amenuisent eux-mêmes. Et c’est la condition de leur efficacité. Trop ténus pour être arrêtés par un obs­ tacle, ils atteignent là où n’atteignent pas les plus puis­ sants équipements. Propter suam munditiam. A cause de leur pureté, ils traversent le monde d’un extrême à l’autre. N’étant pas ordonnés à réussir tangiblement, ne comportant pas dans leur essence une exigence interne de succès temporel, ils participent, pour les effets spiri­ tuels à atteindre, à l’efficacité de l’esprit »325. C’est dans l’emploi des moyens temporels pauvres que paraît le plus la folie de la croix ; aussi le régime de la moindre utilisa­ tion du monde est-il celui de la « voie parfaite ». Le régime de la plus large utilisation du monde ou « voie commune » et le régime de la moindre utilisation du monde ou « voie parfaite », représentent deux formes extérieures de la vie chrétienne authentique, deux che­ mins visibles qui conduisent l’un et l’autre au même but, à savoir la perfection de la charité, qui est amour de Dieu pour Dieu, et de toutes choses pour Dieu. 325. Jacques Maritain, Religion et culture, p. 74 [O. C., vol. IV, pp. 232-233]. 1686 VIl/2 - PROPRIÉTÉS DU CORPS DE L’ÉGLISE Il est facile relativement d’atteindre aux premiers degrés de la charité et de joindre le salut par la «voie com­ mune », et c’est pourquoi le régime de la propriété per­ sonnelle, du mariage, de la libre disposition de soi, doit être celui de l’ensemble des chrétiens. Mais il sera mal­ aisé d’atteindre par cette voie à la pleine liberté de l’es­ prit et aux degrés supérieurs de la vie d’union. Encore que beaucoup de grands saints aient vécu dans le mariage, au milieu des richesses, voire sur le trône. Et il est plus facile de joindre une haute perfection de la charité par la « voie parfaite ». Pour s’élever à la perfec­ tion de la charité, écrit saint Thomas, « il est nécessaire de se dégager parfaitement des biens du monde. Il vous aime moins, Seigneur, celui qui aime encore quelque chose quil n'aime pas pour vous, dit saint Augustin326327 328 ; et il ajoute : L'entretien de la charité est la diminution de la cupidité; sa perfection, la suppression de la cupidité511. Mais le fait de posséder les choses du monde entraîne l’âme à les aimer. D’où les mots d’Augustin : On est plus attaché aux choses terrestres quand on les possède que quand on les désire: car d'où vient que le jeune homme riche s'éloigne attristé, sinon de ce qu'il possède de grands biens ? Il nous est difficile de ne pas nous incorporer ce qui nous manque, mais il nous est plus difficile encore d'arracher ce qui nous est déjà incorporé51*... Et les mots de Chrysostome : L'accroissement de la richesse avive la flamme du désir et rend la cupidité plus véhémente329. Et c’est pour­ quoi le premier fondement à poser, en vue d’acquérir la 326. Confess., lib. X, cap. XXIX. 327. De diversis quaestionibus octogintatribus, qu. 36, n° 1. 328. Epistola XXXI, n° 5. 329. Dans le texte : « Ils ne sont pas captifs de la même manière ceux qui possèdent peu de choses et ceux qui sont plongés dans une grande abondance : alors, en effet, le désir devient plus tyrannique. Comme je ne cesse de le dire, l’accroissement des richesses allume ORGANICITÉ 1687 perfection de la charité, est la pauvreté volontaire, et une vie où l’on ne possède rien en propre, selon le mot du Seigneur (Mt., XIX, 21) : Si tu veux être parfait, va, vends tout ce que tu as, donne-le aux pauvres..., viens et suis-moi »330. Saint Thomas, qui loue ainsi la pauvreté, parlera semblablement de la continence331 et de l’obéis­ sance332. Mais si le triple renoncement de la vie religieuse est un chemin plus assuré pour parvenir à la perfection de l’amour, encore est-il vrai que, faute d’héroïsme, peu de ceux qui l’ont choisi atteignent aux degrés supérieurs de la vie d’union. Ce qui est clair, en tout cas, c’est que s’il y a deux voies vers la sainteté, il n’y a pas deux sortes de sainteté. Il n’y en a qu’une, qui consiste dans la perfection de une plus grande flamme...» In Math., homil. 63, n° 2; P. G., t. LVIII, col. 605. 330. II-II, qu. 186, a. 3 : Utrum paupertas requiratur ad perfectio­ nem religionis ? 331. « De même que Vigilance fut condamné pour avoir égalé les richesses et la pauvreté ; ainsi Jovinien, pour avoir égalé le mariage et la virginité ». Ibid., a. 4. 332. « L’homme ne peut rien donner à Dieu de plus grand que de soumettre sa volonté, à cause de lui, à la volonté d’un autre». Ibid, a. 5, ad 5. L’excellence des trois vœux de religion, notamment du vœu d’obéissance, vient d’être défendue contre les objections contempo­ raines par PlE XII, dans son Allocution du 8 décembre 1950: «Personne n’est obligé par devoir à se conformer au conseil de l’obéissance parfaite, dont la base est la règle de vie qui consiste à renoncer à sa volonté propre ; personne, disons-nous, ni les particu­ liers ni les associations. » On peut, si l’on veut, adopter la règle du dus grand usage de sa liberté. Mais on erre et on égare, si l’on oublie exemple du Sauveur, qui s’est humilié et fait obéissant jusqu’à la mort. « C’est pourquoi, si l’appel de la voix de Dieu attire quelqu’un )ar des signes certains vers le sommet de la perfection, il faut sans lésiter, pour l’accomplissement de ce haut dessein, lui proposer la libre immolation de sa liberté, selon que l’exige le vœu d’obéissance. » A. A S., 1951, p. 31. *-■· 1688 VII/2 - PROPRIÉTÉS DU CORPS DE L’ÉGLISE l’amour, et vers laquelle tous les fidèles sont obligés de tendre. Ce n’est pas là un simple conseil. C’est un pré­ cepte. « On se tromperait, si l’on se figurait que l’amour de Dieu et du prochain ne fait l’objet d’une loi que dans une certaine mesure, c’est-à-dire jusqu’à un certain degré, passé lequel il deviendrait l’objet d’un simple conseil. Non. L’énoncé du commandement est clair, et montre ce qu’est la perfection : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de TOUT ton cœur. Aimer de tout son cœur, c’est aimer parfaitement. De même, il est dit : Tu aimeras ton prochain comme toi-même, car chacun s’aime soi-même extrêmement»333. Saint Thomas expliquera en consé­ quence que certains actes, comportés par la charité par­ faite, par exemple bénir ceux qui nous maudissent, sont commandés en ce sens que nous devons être prêts à les accomplir quand la nécessité Texigera ; bien qu’il soit conseillé de les accomplir quand rien ne nous y oblige334335 . Il expliquera semblablement que l’homme qui vit dans la prospérité doit être prêt, en esprit, à supporter d’une âme égale les adversités et que, sans une telle disposition d’es­ prit, personne ne peut être vertueux33^ Cette doctrine de a nécessité pour tout chrétien de se tenir prêt à toute éventualité, n’est-elle pas celle même du « principe et fondement», en tête des Exercices spirituels de saint Ignace ? « L’homme est créé pour louer, honorer et servir Dieu, notre Seigneur, et par ce moyen sauver son âme ; et les autres choses sur la face de la terre sont créées pour l’homme, pour l’aider dans la poursuite de la fin en vue de laquelle il est créé. D’où il suit que l’homme doit en user pour autant quelles le conduisent vers sa fin, et s’en dégager pour autant quelles l’entravent. Pour cela, il est 333. S. Thomas, II-II, qu. 184, a. 3. 334. II-II, qu. 186, a. 2. 335. II-II, qu. 152, a. 3, ad 2. ORGANICITÉ 1689 nécessaire de nous rendre indifférents à toutes les choses créées, en tout ce qui est laissé au choix de notre libre arbitre et ne lui est pas défendu ; en sorte que, de notre côté, nous ne voulions pas plus la santé que la maladie, la richesse que la pauvreté, l’honneur que le mépris... »336 5. La « voie commune », comportant non pas n’im­ porte quel usage, mais l’usage chrétien, contrôlé par la croix, de la propriété, du mariage, de la liberté, est celle que l’Eglise considère comme adaptée à la condition de la grande masse des chrétiens. Il ne faut pas leur deman­ der plus qu’il ne leur est possible, ne tentet eos Satanas (cf. I Cor., VII, 5). Tout l’art des adversaires païens du christianisme, d’un Julien l’Apostat par exemple, a été, au contraire, de chercher à représenter la « voie parfaite » comme obligatoire pour le commun des fidèles, afin de les acculer au découragement, et de les forcer à convenir que la morale évangélique est inapplicable, voire dange­ reuse pour la société337. Or, la vocation du commun des fidèles n’est pas, en règle normale, de renoncer aux biens temporels. Elle est d’en user sans perdre les biens éter­ nels. Cette vocation est réalisable : Dieu ne commande jamais l’impossible. Il reste quelle est très haute. Si un reproche pouvait lui être adressé, ce serait d’être trop 336. Textus Hispanus et versio litteralis, Turin, 1928, p. 34. 337. « Écoutez-moi ce beau précepte, utile à la société : Vendez ce que vous avez et donnez-le aux pauvres ; faites-vous des bourses qui ne vieillissent point. Qui pourrait formuler ordonnance socialement plus bienfaisante que celle-là ? Si tout le monde t’obéissait, qui serait l’acheteur ? Le moyen de louer un enseignement qui, s’il prévalait, ne laisserait debout ni ville, ni nation, ni une seule famille ? Une fois tout vendu, quelle maison, quelle famille pourrait rester honorée ? Quant au fait que si l’on vendait tout à la fois dans une ville, on ne trouverait plus personne pour acheter, cela est évident et va sans dire». Contre les Galiléens, de l’empereur JULIEN ; cité dans Pierre DE LâBRIOLLE, La réaction païenne, Paris, 1934, p. 413. 1690 VII/2 - PROPRIÉTÉS DU CORPS DE L’ÉGLISE sublime pour l’ensemble des hommes. Mais le christia­ nisme n’a-t-il pas précisément pour tâche d’élever sans cesse l’humanité au-dessus d’elle-même ? Et c’est ici qu’apparaît la nécessité sociale, à l’intérieur de l’Eglise, du rôle de la « voie parfaite ». Comment les fidèles pourraient-ils, dans leur ensemble, vaincre le poids de la cupidité, de la chair, de l’égoïsme, et s’élever jusqu’à l’usage chrétien des biens extérieurs, du mariage, de la liberté ; comment pourraient-ils même se mainte­ nir longtemps sur de tels sommets si, du milieu d’entre eux, ne sortait constamment une élite qui s’élance si haut dans l’amour des choses divines, quelle choisisse de renoncer complètement aux avantages légitimes de la propriété, du mariage, de la liberté, pour affirmer la pri­ mauté des fins éternelles avec un éclat inusité, et pour donner de grands exemples de renoncement, capables de frapper l’imagination et de replacer dans l’éternel le centre de préoccupation des masses. De ce point de vue, les notions de propriété chrétienne, de mariage chrétien, de liberté chrétienne, exigent, comme notions complémen­ taires, celles de pauvreté chrétienne, de virginité chré­ tienne, d’obéissance chrétienne. Toutes ces notions sont indispensables à l’Église. Il n’y aurait pas de salut pour beaucoup par les voies de la propriété chrétienne, du mariage chrétien, de la liberté chrétienne, s’il n’y avait pas chez plusieurs la pratique de la pauvreté chrétienne, de la virginité chrétienne, de l’obéissance chrétienne. Seul l’amour qui fait renoncer à tout, pourra soutenir l’amour qui fait un instrument de tout. Et pour ceux qui, s’étant d’abord engagés dans la voie plus large de l’usage légitime des biens terrestres, du mariage, de la liberté, se voient tout d’un coup arrêtés dans leur élan et rejetés par les infortunes comme au ban de la vie, s’ils lèvent les yeux sur les merveilleux exemples de renonce­ ment que l’Église fait briller autour d’eux à toute t ORGANICITÉ 1691 époque, ne pourront-ils pas comprendre alors que Dieu, qui semblait vouloir les briser dans sa Puissance, ne fait en réalité que les appeler dans son Amour à une vocation plus sainte et plus sublime que celle qu’ils auraient osé rêver ? Le renoncement au mariage, à la propriété, à la libre disposition de soi-même est une forme extérieure de vie qui se propose à tous. Tous les chrétiens n’acceptent pas de s’y engager — encore que Dieu les y place de force à certaines heures, assez fréquentes, où il entend exiger l’héroïsme de tous les baptisés, par exemple aux heures de guerres, de famines, de déportations, de persécutions - ; mais seulement certains d’entre eux. Ces derniers peu­ vent stabiliser aux yeux de l’Eglise leur engagement par vœu. A ce moment, le triple renoncement au mariage, à la propriété, à la disposition de soi, sera érigé en état de vie. Les états de vie, au sens où nous en parlons dans tout ce chapitre, sont en effet les différenciations perma­ nentes du corps de l’Eglise, destinées à traduire visible­ ment au-dehors sa vie intime338. 6. La perfection chrétienne, nous l’avons dit, n’est pas constituée essentiellement par le non-usage des biens extérieurs, du mariage, de la libre disposition de soi339. Ce sont là des conseils évangéliques qui s’offrent à notre nature blessée comme de très précieux instruments, de 338. « Spiritualis autem libertas vel servitus potest in homine attendi dupliciter ; uno modo secundum id quod interius agitur, alio modo secundum id quod agitur exterius [...]. Secundum autem ea quae exterius aguntur, accipitur spiritualis status in homine per comjarationem ad Ecclesiam. Et sic nunc de statibus loquimur, prout sciicet, ex diversitate statuum, quaedam Ecclesiae pulchritudo consur­ git». S. Thomas, II-II, qu. 184, a. 4. 339. Cf. R. Garrigou-LaGRANGE, O. P., Perfection chrétienne et contemplation, où sont rapportés les textes de saint Thomas et de Passerini, 1.1, p. 171. 1692 «V r■r z: ’tf VII/2 - PROPRIÉTÉS DU CORPS DE L’ÉGLISE très précieux moyens pour atteindre à la perfection pro­ fonde : tout cela, mais rien que cela. La perfection chré­ tienne est au-dessus. Elle consiste essentiellement dans l'accomplissement des préceptes : spécialemetit du grand précepte qui est l’amour, d’abord de Dieu, ensuite du prochain pour Dieu ; et secondairement des préceptes concernant les autres vertus et qui écartent ce qui est contraire à l’amour. Mais il faut l’ajouter avec l’Ecriture, la perfection chrétienne consiste accidentellement et instrumentalement dans l’observation des trois conseils évangéliques ; le conseil de continence : « Les disciples lui dirent : Si telle est la condition de l’homme avec sa femme, mieux vaut ne pas se marier. Il leur dit : Tous ne comprennent pas cette parole, mais seulement ceux aux­ quels cela a été donné » (Mt., XIX, 10-11) ; le conseil de pauvreté : « Si ru veux être parfait, va, vends ce qui est à toi, et donne-le aux pauvres ; et tu auras un trésor dans les cieux ; et viens, suis-moi » (Mt., XIX, 21), c’est déjà le conseil d’obéissance ; et le Christ n’est-il pas loué pour son obéissance : « Il redescendit avec eux et vint à Na­ zareth ; et il leur était soumis » (Luc, II, 51) ; ou encore: « Il s’est fait obéissant jusqu’à la mort » (Phil., II, 8) ? Il est si vrai que l’essence de la perfection chrétienne ne consiste pas dans le triple renoncement de la vie reli­ gieuse, qu’on peut concevoir une manière tellement par­ faite d’user des biens extérieurs, du mariage, de la liberté, que la vie de l’esprit ne serait en rien appesantie. C’est ainsi qu’au temps de l’innocence originelle, le mariage eût été si pur que la virginité même ne lui eût pas été préférée : « Si Adam n’avait pas péché, dit saint Thomas, la virginité n’eût ajouté aucune perfection à la conti­ nence conjugale n540. Ou, pour choisir le plus pur et le340 * 340. « Si autem Adam non peccasset, virginitas nullam perfectio­ nem addidisset supra continentiam conjugalem ; quia fuissent tunc ORGANICITÉ 1693 plus saint de tous les exemples, Jésus qui, selon l’Évangile, mangeait et buvait avec les hommes, n’était pas inférieur à Jean Baptiste qui ne mangeait ni ne buvait : «Jean est venu, s’abstenant de manger et de boire et ils disent : Il est possédé du démon ! Le Fils de l’homme est venu, mangeant et buvant, et ils disent : Voici un homme glouton et buveur de vin, ami des publicains et des pécheurs ! » (Mt., XI, 18-19). Est-ce que la vertu de s’abstenir du manger et du boire serait moindre en Jésus qu’en Jean Baptiste ? demande saint Augustin311. Cette manière si haute et si parfaite d’user des biens temporels est celle même que l’apôtre saint Paul donne pour modèle à tous les fidèles qui vivent dans le monde : «Voici ce que je dis, ô frères : le temps est court ; il reste que ceux qui ont des femmes soient comme n’en ayant pas, et ceux qui pleurent comme ne pleurant pas, et ceux qui se réjouissent comme ne se réjouissant pas, et ceux qui achètent comme ne possédant pas, et ceux qui usent de ce monde comme n’en usant pas : car elle passe, la figure de ce monde » (I Cor., VII, 29-31). Mais est-il pos- nuptiae honorabiles, et torus immaculatus, nulla concupiscentiae foe­ ditate existente ; unde virginitas tunc servata non fuisset, nec ei tunc aureola deberetur». IVSent.., dist. 49, qu. 5, a. 3, quaest. 1, ad 3. Ce texte est inspiré de saint Augustin, qui ajoute que les hommes se seraient alors multipliés sans la trouble ardeur de la concupiscence, et sans le travail ni les douleurs de l’enfantement : « Quanquam enim jam emissi de paradiso convenisse et genuisse commorentur ; tamen non video quid prohibere potuerit ut essent eis etiam in paradiso honorabiles nuptiae et torus immaculatus : hoc Deo praestante fideli­ ter justeque viventibus, eique obedienter sancteque servientibus, ut sine ullo inquieto ardore libidinis, sine ullo labore ac dolore pariendi, fetus ex eorum semine gignerentur ». De Genesi ad litteram, lib. IX, n° 6. 341. «Num igitur non erat in illo continentiae virtus a cibo et potu quanta erat in Joanne Baptista ? » De bono conjugali, cap XXI n° 26. i * e· w i 1694 VII/2 - PROPRIÉTÉS DU CORPS DE L’ÉGLISE sible, dans notre état de nature blessée, d’observer com­ plètement ces recommandations de l’apôtre ? Les parfaits y réussissent. Saint Augustin, saint Jé­ rôme, saint Thomas d’Aquin, expliquent ainsi la sainteté des patriarches et des pères de l'Ancien Testament. « De même, dit saint Augustin, que le mérite de la patience est le même en Pierre qui fut martyr et en Jean qui ne fut pas martyr, ainsi le mérite de la continence est le même dans Jean qui resta vierge et dans Abraham qui eut des enfants. Le célibat de l’un et le mariage de l’autre ont servi le Christ en des temps différents. Mais la conti­ nence de Jean fut de plus extérieure, celle d’Abraham ne fut qu’intérieure»342. Sur quoi saint Thomas note que « le mérite tient non seulement aux choses faites, mais à l’esprit avec lequel elles sont faites. Or, Abraham avait l’esprit si parfaitement disposé qu’il était prêt à garder la virginité si les circonstances l’avaient demandé. Et c’est pourquoi le mérite de la chasteté conjugale d’Abraham égale le mérite de la chasteté virginale de Jean, quant au mérite substantiel, mais non quant au mérite acciden­ tel »343. Saint Thomas dit plus loin : « La perfection de la vie chrétienne ne consiste pas essentiellement dans la pauvreté volontaire ; mais la pauvreté volontaire con­ court instrumentalement à la vie parfaite. Ce n’est donc pas nécessairement dans la plus grande pauvreté que sera la plus grande perfection. Et même la plus haute perfec­ tion peut se rencontrer dans une grande opulence. Car Abraham, à qui il fut dit : Marche devant moi et sois par­ fait, était riche »344. Abraham, et les saints que l’Ancien Testament nous représente comme riches, écrit saint Jérôme, « du fait qu’ils utilisaient leurs richesses pour de 342. De bono conjugali, cap. XXI, n° 26. 343. II-II, qu. 152, a. 4, ad 1. 344. ΙΙ-Π, qu. 185, a. 6, ad 1. ORGANICITÉ 1695 bonnes œuvres, cessaient d’être riches : ou mieux, puis­ qu’ils étaient riches non pas pour eux-mêmes mais pour les autres, plutôt que riches, ils méritaient d’être appelés intendants de Dieu »345. Conformément à de tels exemples, il se pourra que des fidèles, qui usent du monde parce que leur vocation est d’user du monde, aient dans le cœur un tel amour de Dieu qu’ils soient disposés, comme Job, à tout sacrifier, dès que Dieu le leur demandera ; il se pourra même qu’ils obtiennent que Dieu change pour eux en amertume bien des choses qui sont douces à la nature ; ils ne vivront pas actuelle­ ment dans la pauvreté, ou dans la continence, mais ils seront tout à fait prêts dans leur cœur à obéir au premier signe de Dieu leur demandant de vivre dans la pauvreté ou dans la continence ; ils n’exerceront pas ['acte exté­ rieur des conseils évangéliques, mais ils posséderont, à un degré éminent parfois, ['esprit des conseils évangé­ liques. De tels fidèles vivront de la vie parfaite. Sur le point de la perfection essentielle, profonde, ils ne seront pas inférieurs aux fidèles qui pratiquent le renoncement. Cependant, si l’on veut bien faire abstraction du degré de charité propre à telle âme particulière, il faut convenir que, depuis la blessure du premier péché, l’usage parfait des biens extérieurs est devenu trop excep­ tionnel pour constituer un état de perfection. Le renon­ cement représente, en règle générale, un moyen plus par­ fait de tendre extérieurement à la perfection ; les chré­ tiens qui font profession de préférer le renoncement à l’usage sont donc extérieurement, par rapport aux autres, dans un état de vie plus parfait. « Lorsque ceux qui cor­ rompent les bonnes mœurs par des paroles astucieuses, usant de vains et frivoles procédés, demandent au chré345. Dialogus adversus Pelagianos, lib. I, n° 10; P. L., t. XXIII, col. 503. 1696 «•••%» ** '2 ··· VII/2 - PROPRIÉTÉS DU CORPS DE L’ÉGLISE tien continent qui a renoncé au mariage : - Tu te crois donc meilleur qu Abraham ? qu’il ne se trouble point en entendant ces paroles. Qu’il n'aille pas répondre : - Je suis meilleur! ce ne serait pas vrai. Et qu’il n’aille pas abandonner son premier dessein : ce ne serait pas bien. Mais qu’il réponde : - Non, je ne suis pas meilleur qu’Abraham, mais la chasteté des continents est meilleure que la chasteté du mariage ; Abraham les pos­ sédait toutes deux ; il exerçait l’une {in usù), il avait l’autre en préparation {in habitii)... Pour moi, il m’est plus facile de renoncer au mariage, dont Abraham a usé, que d’en user à la manière dont il l’a fait »346. Il est donc trois attitudes que le chrétien peut prendre à l’égard des biens extérieurs, du mariage, de la libre dis­ position de sa vie. Il peut en user d’une manière légitime mais encore imparfaite, c’est le cas le plus fréquent ; ou y renoncer, c’est un régime de vie parfaite ; ou en user comme rien usant pas, c’est encore, pour ceux qui y réus­ sissent, un régime de vie parfaite. Le chrétien, clerc ou laïque, qui s’oblige extérieurement par vœu à la seconde attitude est dans l’état de vie parfaite représenté d’abord et typiquement par 1’« état religieux », puis par les formes de vie qui s’y rattachent. Le chrétien, clerc ou laïque, qui ne prend pas cet engagement - et qui n’appartient pas à l’état épiscopal - reste dans 1’« état de vie commune ». Même lorsqu’il approche de la manière très haute d’user du monde proposée par saint Paul, il n’est point encore engagé solennellement envers l’Eglise à persévé­ rer dans cette manière de vivre, à préférer toujours, par exemple, l’usage au renoncement. Il reste libre. En conséquence, son activité ne représente pas encore un état de vie spécial. 346. De bono conjugali, cap. XXII, n° 27. ORGANICITÉ 1697 7. Nous venons de dire que l’état extérieur de vie par­ faite est représenté d’abord et typiquement par Γ« état religieux », puis par les formes de vie qui s’y rattachent. Ces formes de vie sont hiérarchisées avec une grande clarté par Pie XII dans la « Constitution apostolique Provida Mater Ecclesia sur les états canoniques et les ins­ tituts séculiers ordonnés à l’acquisition de la perfection chrétienne», du 2 février 1947347. Dès son début, l’Eglise se préoccupe d’organiser les fidèles qui ont entendu l’appel évangélique et désirent tendre à la vie parfaite. C’est ainsi que se constituent peu à peu les ordres religieux, dont les vœux sont solennels, qui sont ouverts aux clercs et aux laïques, et qui repré­ sentent sous son aspect le plus haut l’« état canonique de perfection ». Plus tard, en marge des ordres religieux à vœux solen­ nels, se rassemblèrent des congrégations religieuses à vœux simples, groupant également des clercs et des laïques. Ordres religieux et congrégations religieuses compo­ sent ensemble les religions proprement dites, dont les vœux, solennels ou simples, sont publics. Plus récemment apparurent des sociétés à vœux privés, cherchant, elles aussi à tendre à la perfection par la vie commune menée en dehors du monde. Sans répondre à toutes les exigences de l’état canonique de perfection, ces sociétés sauvegardent néanmoins en elles, par la pratique des trois conseils évangéliques, la substance de la vie de perfection. Aussi, tout en les distinguant des religions, le Code de Droit canon les annexe-t-il à ces dernières, can. 673-681. Enfin, récemment, se sont formées des sociétés de clercs ou de laïques, désireuses de se vouer à la recherche de la perfection chrétienne et à la pratique des trois 347. A. A. S., 1947, p. 114. 1698 VIl/2 - PROPRIÉTÉS DU CORPS DE L’ÉGLISE conseils évangéliques, non plus comme précédemment en sortant du monde, mais en restant au milieu du monde, « sans le secours extérieur de l'habit religieux et de la vie en commun ». Pour ces associations, qu’il nomme en conséquence instituts séculiers, Pie XII vient de créer un statut canonique approprié. Cette simple vue historique permet de voir avec quelle sollicitude l’Église s’emploie à porter l’état exté­ rieur de perfection au cœur même du monde. 3. Vie parfaite « religieuse » et vie parfaite « épisco­ pale » La perfection essentielle et profonde de la vie chré­ tienne, vers laquelle doit s’efforcer tout chrétien, consiste dans un exercice si parfait de la charité et des venus, qu’il bannisse jusqu’aux moindres fautes, et qu’il ne soit même pas interrompu par les moindres péchés délibérés. Pour mieux atteindre cette perfection, nous l’avons dit, différents moyens se présentent, les uns communs, c’est la grand’route et ses lacets, les autres meilleurs, ce sont les sentiers de traverse. Ce n’est donc pas par rapport à la fin principale et suprême, qui est la même pour tous les hommes, c’est par rapport aux moyens extérieurs, com­ muns ou parfaits, par lesquels on s’engage à s’en rappro­ cher, que les états de vie se diversifient en état de vie commune et état de vie parfaite. Pareillement, c’est encore par rapport aux moyens extérieurs par lesquels on s’engage à tendre à la perfection que se distinguent les deux formes extérieures de la vie parfaite, l’état de vie des religieux et l’état de vie des évêques 348. 348. Cf. PASSERINI, De hominum statibus et officiis, qu. 184, a. 5, n°*5,7, 19. ORGANICITÉ 1699 Lorsqu’un homme, consacré évêque, devient le dépo­ sitaire du plein pouvoir d’ordre et du pouvoir de juridic­ tion, et hérite par ce privilège de la dignité apostolique, il reçoit la charge de paître le troupeau de Dieu qui lui est confié. Désormais, en vertu d’une obligation exté­ rieure acceptée par lui et solennellement reconnue par l’Église, cet homme est tenu - il se peut qu’il se montre indigne, là n’est pas la question — de dépenser sa vie pour son troupeau. Le moyen qui, dès ce moment, lui est offi­ ciellement proposé de tendre à la perfection profonde, c’est de travailler avec la plénitude du pouvoir pastoral à la perfection des autres ; ce moyen de perfection est bien supérieur, disent les théologiens, au renoncement, en quoi consiste l’état religieux. « Le souci universel des âmes, dit Passerini, dans l’homme qui possède le pouvoir spirituel avec plénitude et comme une cause principale -lorsqu’il est joint au mépris non seulement des biens extérieurs mais de ceux du corps, de la réputation, de l’honneur, voire de la vie, en sorte que, pour l’utilité de son troupeau, le pasteur donnera, là où la charité com­ mune n’obligerait pas, non seulement ses biens exté­ rieurs, mais s’il le faut sa réputation, son honneur et ira même jusqu’à l’effusion de son sang et au sacrifice de sa vie -, un tel souci des âmes, la charge de paître le trou­ peau en lui dispensant les sacrements et la doctrine, s’ils sont joints au mépris dont nous avons parlé, représen­ tent une œuvre de conseil très parfaite, éminemment apte à conduire à l’acquisition de la plus haute charité. Et c’est pourquoi l’obligation perpétuelle d’exercer une telle fonction constitue un état de perfection qui dépasse de beaucoup tous les autres états. Telle est la pensée de saint Thomas, qui prouve que l’état de vie des évêques est d’une perfection plus haute que l’état de vie des reli­ gieux, non point en disant que les évêques sont déjà par­ faits, actu perfecti, mais parce qu’ils rendent les autres 1700 VII/2 - PROPRIÉTÉS DU CORI’S DE L’ÉGLISE parfaits, perfectores ; la fonction de sanctifier ainsi les autres est une œuvre, de soi et par sa nature, sublime; elle est plus haute que la pauvreté, la virginité et l’obéis­ sance volontaires ; elle est un meilleur moyen d’atteindre à la perfection. L’expérience le confirme, car l’état épis­ copal compte tant de saints, martyrs et confesseurs, qu’il n’y a presque pas de jour où le martyrologe ne fasse mention d’un saint évêque »349350 . Conséquemment à ces prémisses, dire que l’évêque est dans un état de vie parfaire ne veut pas dire qu’il doit avoir atteint par avance la perfection, en d’autres mots que l’épiscopat, comme l’ont cru quelques théologiens, supposerait acquise la plénitude de la perfection, serait un état de perfection déjà possédée, status perfectionis acquisitae. Il n’y a pas d’état de vie qui préexige la pleine perfection : « La perfection de la charité excluant sinon les péchés véniels indélibérés du moins les péchés véniels délibérés, dit Passerini, n’est possédée que par des hommes très saints et très rares ; il est normal qu’on la cherche et qu’on l’espère dans tous les états de vie, même dans celui des évêques, les bons évêques et les bons reli­ gieux travaillant jour et nuit à l’obtenir, et il en est bien peu qui l’atteignent ici-bas »3-°. Les évêques, comme les religieux, sont dans l’état de vie parfaite parce qu’ils emploient, pour tendre à la perfection profonde, des moyens extérieurs parfaits : le triple renoncement chez les religieux, l’exercice de la charge pastorale chez les évêques. La seule objection que pourraient faire, à cette inter­ prétation de Passerini, les théologiens qui opposent l’état de vie des religieux et l’état de vie des évêques comme deux états de vie dont le premier chercherait à acquérir 349. Ibid.·, qu. 184, a. 7, n° 8. 350. Ibid.., qu. 184, a. 5, n° 9. ORGANICITÉ 1701 la perfection, status perfectionis acquirendae, et le second supposerait la perfection acquise, status perfectionis acquisitae, est tirée d’un texte où saint Thomas affirme que « la perfection de vie est préexigée à l’état épiscopal [...] car, pour conduire les autres à la perfection, il faut être soi-même parfait»351352 . Mais, remarquons-le, saint Thomas ne veut pas dire que la perfection essentielle et profonde est tellement liée à l’état épiscopal quelle se rencontre en chacun des évêques. Il sait qu’un évêque imparfait, s’il s’applique à vivre selon son état, c’est-à-dire à exercer saintement sa fonction, peut devenir parfait. Il sait même qu’un évêque indigne est encore constitué dans l’état de perfection : on peut se damner dans l’état de perfection et nul chrétien n’ignore qu’on n’est point assuré de son salut pour être évêque ou religieux. Saint Thomas veut dire, pour empêcher qu’on désire l’épisco­ pat sous prétexte qu’il est un état de perfection, que de grandes qualités intérieures, dont il serait présomptueux de se flatter, et une perfection au moins initiale sont pré­ requises pour accomplir dignement les actes extérieurs de la vie épiscopale, et par là tendre plus sûrement et plus rapidement que par tout autre moyen à la plénitude de la perfection. L’état de vie des religieux et l’état de vie des évêques ne s’opposent donc pas, à parler rigoureusement, comme deux états dont l’un chercherait à acquérir la perfection, et dont l’autre posséderait déjà pleinement la perfection ; ils s’opposent, comme le dit si exactement saint Thomas, en ceci que les évêques ont à causer la perfection, se habent ut perfectores, les religieux à la recevoir, se habent ut perfecti551, la perfection étant activement dans l’évêque qui doit rendre parfait, et passivement dans le moine qui 351. II-II, qu. 185, a. 1, ad 2. 352. II-II, qu. 184, a. 7. 1702 VII/2 - PROPRIÉTÉS DU CORPS DE L’ÉGLISE doit être rendu parfait, perfectio pertinet active ad episco­ pum sicut ad perfectorem, ad monachum autem passive sicut ad perfectum 3>3. Et Ton ne saurait objecter que les ordres religieux sont exempts de la juridiction des évêques, car, dit Passerini, « absolument parlant, une telle proposition est inexacte ; les ordres religieux sont sous la juridiction du souverain pontife qui, en tant qu’évêque de funivers, est le prélat propre et le supérieur de tous les religieux »35\ C’est la raison profonde qui a poussé le nouveau Droit Canon à accentuer le rôle des évêques par rapport aux religieux. Ainsi donc il y a deux états de vie parfaite, l’état épis­ copal et l’état religieux. « Ce ne sont pas, remarque avec pénétration Cajetan, deux degrés, l’un plus parfait, l’autre moins parfait, d’un unique état de perfection, en sorte que le degré supérieur contiendrait l’inférieur. Ce sont deux perfections de genres différents. On com­ prend, dès lors, que certains vœux, comme ceux de chas­ teté et de pauvreté, puissent être de l’essence de l’état de perfection religieux, sans être de l’essence de l’état de perfection épiscopal. On comprend encore que celui qui a fait vœu d’entrer en religion, s’il est, entre temps, élu à l’épiscopat, est tenu d’abord d’accomplir son vœu et d’entrer dans l’état religieux ; ensuite seulement il pourra passer à l’épiscopat. Or cela ne serait point nécessaire si l’état épiscopal ne faisait qu’ajouter à la perfection de353 354 353. II-II, qu. 185, a. l,ad 2. 354. Passerini, De hominum statibus et officiis, qu. 184, a. 5, n° 12. - Cf. Pie XII, Allocution du 8 décembre 1950 : « L’exemption des ordres religieux... ne s’oppose nullement à la loi qui veut que le prêtre obéisse à l’évêque. Car, selon le droit canonique, les religieux exempts sont sous la dépendance de 1 évêque du lieu autant que 1 exi­ gent l’accomplissement de la charge épiscopale et la bonne organisa­ tion du service des âmes... En outre, ils sont soumis partout et tou­ jours au pontife romain... ». A. A. S., 1951, p. 28. ORGANICITÉ 1703 letat religieux [...]. L’état épiscopal et l’état religieux représentent donc deux genres de perfection : l’un est un état de perfection universelle, l’autre de perfection parti­ culière; l’un est parfait comme le soleil [qui donne la lumière et la chaleur], l’autre comme une perle ou un être vivant [qui reçoivent la lumière et la chaleur] ; l’un est ordonné [par soi ] à la sanctification d’autrui, l’autre est ordonné [par soi ] à la sanctification personnelle »355. Sur un point seulement, l’état de perfection religieux passe avant l’état de perfection épiscopal, mais ce point est accidentel. L’état religieux suppose la pratique actuelle de la pauvreté et de la continence. Ce sont là, certes, de bien meilleurs moyens de perfection que l’usage de la propriété et du mariage. Les vœux de pauvreté et de chasteté représentent en conséquence de véritables per­ fections, mais instrumentales, non pas essentielles, insiste Cajetan356. Et c’est pourquoi, absolument parlant, l’état épiscopal, même quand le vœu de continence ne lui serait pas annexé - saint Paul parle d’épiscopes mariés resterait supérieur à l’état religieux. « Les religieux, dit saint Thomas dans le De perfectione vitae spiritualis, sont obligés de renoncer aux biens temporels, de garder la chasteté et de vivre sous l’obéissance ; mais les évêques 355. CAJETAN, In II-II, qu. 185, a. 5, n° XII. Les mots [par soi], soulignés à la fin de la citation, sont une glose de Passerini, qui note que si beaucoup d’ordres religieux travaillent extérieurement au salut du prochain, ce n’est point là pourtant une clause essentielle à l’état religieux comme tel. De hominum statibus et officiis, qu. 184, a. 5, n° 11. 356. « Notandum est, ut unico verbo quaestio de perfectione pau­ pertatis et castitatis absolvatur, quodlibet horum, quantum ad ipsum actum - scilicet esse actualiter pauperem, carere actualiter uxore -, concedendum est dicere et esse perfectionem instrumentaliter tamen. Et sic non oportet multum disputare : sed ubicumque haec repereris esse perfectiones, fatere verum id esse, sed cum grano salis, scilicet instrumentaliter, non essentialiter». CAJETAN, In II-II, qu. 184, a. 7. 1704 ♦· ‘t ♦·«· VII/2 - PROPRIÉTÉS DU CORPS DE L’ÉGLISE sont tenus de donner leur vie pour le salut des autres, ce qui est chose plus grande et plus difficile »357. L’état de vie épiscopale est constitué essentiellement non par le triple vœu de renoncer au monde, mais par le plein exercice de la charge pastorale. Mais il saute aux yeux que le plein exercice de la charge pastorale, dans lequel l’évêque doit engager en cas de nécessité ses biens, son honneur, sa vie même, ne lui devient possible que s’il use des choses de ce monde comme n’en usant pas, c’est-à-dire en ayant 1’« esprit » des conseils de pauvreté, de continence, d’obéissance. On comprend pourquoi l’obligation à la continence allait être de bonne heure annexée spontanément à l’état épiscopal. S’agit-il de ['obéissance, saint Thomas fait remarquer que «le reli­ gieux par le vœu d’obéissance se soumet à un seul supé­ rieur ; mais l’évêque se constitue le serviteur de tous ceux dont il a la charge, car il doit chercher, selon le mot de l’apôtre, non pas son propre avantage, mais celui du plus grand nombre, afin qu’ils soient sauvés. L’apôtre dit encore çfiétant libre à l’égard de tous, il s’est fiait le serviteur de tous, et il ajoute : Ce n’est pas nous-mêmes que nous prê­ chons, c’est le Christ Jésus, comme Seigneur. Pour nous, nous nous disons vos serviteurs à cause de Jésus. D’où la cou­ tume du souverain pontife de s’appeler le serviteur des serviteurs de Dieu »358. S’agit-il de la pauvreté, les évêques pourront bien posséder mais dans le détachement inté­ rieur : « Le renoncement aux biens propres, écrit saint Thomas, peut exister de deux manières. Il peut être actuellement pratiqué. Alors il ne constitue pas essentiel­ lement la perfection, il est un instrument de perfection. En conséquence, rien n’empêche qu’il existe un état de perfection où ne sont actuellement exercées ni la pau357. Cap. xvii. 358. Ibid. ORGANICITÉ 1705 vreté ni les autres observances religieuses. Mais le renon­ cement aux biens propres peut exister dans les dispositions de l'âme. Alors l’homme sera prêt, s’il est nécessaire, à tout quitter et à tout distribuer. De telles dispositions d’âme relèvent directement de la perfection. C’est pour­ quoi saint Augustin pouvait écrire : Le Seigneur nous montre que les enfants de la Sagesse doivent comprendre que la justice ne réside ni dans l’abstinence ni dans la nourri­ ture, mais dans légalité d'âme à supporter la disette. Et l’apôtre disait : Je sais vivre dans le dénûment et je sais vivre dans l'abondance. Or, les évêques sont tenus au plus haut degré de mépriser, pour l’amour de Dieu et le salut du troupeau qui leur est confié, tout ce qu’ils possèdent, s’il est nécessaire, en le distribuant eux-mêmes à leurs pauvres ouailles ou en supportant avec joie qu’on leur arrache leurs biens »3Λ 4. Conclusion sur les états de vie Les considérations qui précèdent, bien qu’un peu longues, étaient cependant nécessaires puisqu’elles mani­ festent les racines lointaines de la distinction, souvent méconnue hors de l’Eglise, entre les différents états de vie. Pour les résumer, disons que les états de vie, au sens où il en est ici question, proposent tous un moyen exté­ rieur de tendre à la perfection essentielle et profonde vers laquelle tous les hommes doivent s’efforcer, et qui consiste spécialement dans la charité. L’état de vie parfaite se distingue de l’état de vie com­ mune soit par l’excellence des moyens extérieurs propo­ sés, soit encore par l’obligation officielle de recourir à ces moyens extérieurs pour tendre à la perfection profonde. 359. II-II, qu. 184, a. 7, ad 1. 1706 VII/2 - PROPRIÉTÉS DU CORPS DE L’ÉGLISE L’évêque, par le fait même qu’il reçoit l’épiscopat, s’engage solennellement à tendre à la perfection pro­ fonde en sacrifiant s’il le faut ses biens, ses forces, sa vie pour son troupeau : quoiqu’il n’y ait pas formellement un vœu, cet engagement lie comme un vœu360. Le religieux s’engage, par un vœu accepté et ratifié par l’Église - qu’il s’agisse d’un vœu simple ou d’un vœu solennel361 -, à tendre à la perfection profonde par l’exercice de la pauvreté, de la continence, de l’obéis­ sance volontaires. La pratique des trois conseils évangé­ liques, consacrée à Dieu par le vœu, lequel est un acte excellent de la vertu de religion, voilà toute l’essence de l’état religieux : le triple vœu que fait le religieux n’est d’ailleurs pas seulement une discipline, un exercice par lequel il s’efforce vers la perfection de la charité qui est au-dessus de lui ; c’est en même temps une protection contre les sollicitudes du siècle qui grondent au-dessous de lui ; et c’est un holocauste où, en s’offrant à Dieu avec 360. « Cum ergo invenitur episcopos vovere, seu votum habere ad ea quae sunt perfectionis, intellige de voto quoad effectum, non quoad essentiam : hoc est, quod habent obligationem ac si vovissent, non tamen formaliter votum ». Cajetan, In II-II, qu. 184, a. 5, n° I. 361. «Dicendum est quarto: Ad constituendum statum religio­ sum non requiri quod tria praedicta vota sint solemnia, sed sufficere vota simplicia [...]. Quia licet status religiosus, ex generali conceptu status, importer firmitatem ; haec tamen non consistit in indivisibili, sed potest esse major et minor intra latitudinem firmitatis sufficientis ad statum constituendum : vota autem simplicia sufficientem firmita­ tem in modo vivendi inducunt, cum ea emittens nequeat pro suo arbitrio a praedicto vivendi modo recedere ». Salmanticenses, De statu religioso, disp. I, dub. 1, n° 8. Cf. la décision de Grégoire XIII, relative à la Compagnie de Jésus : « Scholares et coadjutores Societatis Jesu vere et proprie religiosos existere eorumque vota, tametsi simpli­ cia, ut substantialia religionis vota ab hac Apostolica Sede fuisse admissa, iliaque emittentes, in statu religionis vere constitui ». Cité dans D. M. PRÜMMER, O. P., Manuale juris ecclesiastici, 1920, p. 226. ORGANICITÉ 1707 tout ce qu’il a, il immobilise sa volonté dans la sépara­ tion d’avec le monde et la poursuite de la perfection362. Or, si toute l’essence de l’état religieux est dans le vœu d’observer les trois conseils de pauvreté, de chasteté, d’obéissance, comme ces trois conseils sont évangéliques, il faut conclure que l’état religieux peut bien être, dans ses déterminations secondaires, de droit ecclésiastique, mais est, dans sa substance, de droit divin363. L’état reli­ gieux est donc une forme permanente de la vie exté­ rieure de l’Eglise, dans laquelle chaque fondateur d’ordre viendra verser la sorte d’amour qui brûle son propre cœur et les divines vertus nécessaires pour servir les grands besoins toujours renaissants de la chrétienté. Contemplatives ou actives, actives par dévouement aux œuvres extérieures de la miséricorde corporelle, tel le soin des malades, ou par dévouement aux œuvres exté­ rieures de la miséricorde spirituelle, tel l’enseignement de la vérité salutaire364365 , les diverses « religions », qui auront chacune leur mission nécessaire dans l’Eglise unique du Dieu vivant36\ seront comparables, selon le 362. Cf. S. THOMAS, II-II, qu. 186, a. 7 : Utrum convenienter dicatur in his tribus votis consistere religionis perfectionem ? Avec le commentaire de Cajetan. 363. « Status religiosus dupliciter considerari potest : Uno modo, praecise quantum ad substantiam, sive essentiam [...] ; secundo modo, quantum ad determinationem illius essentiae ad certum modum vi­ vendi, et quantum ad determinationem qualitatum personarum quae talem statum profiteantur, utputa quod habeant talem aetatem ». SALMANTICENSES, De statu religioso, disp. 2, dub. 2, initio. Dans le premier sens, il faut dire que l’état religieux est de droit divin, ex insti­ tutione divina ; dans le second sens, qu’il est de droit ecclésiastique, de jure ecclesiastico. 364. Cf. S. Thomas, II-II, qu. 188, a. 6. 365. Dans la « Constitution apostolique Sponsa Christi pour pro­ mouvoir l’institution sacrée des moniales », P1E XII expose l’historique de cette institution, son essence permanente, ses adaptations aux diverses nécessités des temps. A. A. S., 1951, pp. 5 et suiv. 1708 VII/2 - PROPRIÉTÉS DU CORPS DE L’ÉGLISE mot de sainte Catherine de Sienne, à des jardins de per­ fection établis par le Saint-Esprit, ou encore à des barques merveilleusement aptes à conduire les âmes au port du salut : « Le patron de la barque est l’Esprit saint lui-même, qui, pour lui, n’est jamais mis en défaut par la défaillance d’aucun religieux subordonné qui enfrein­ drait ses ordres. Un tel religieux ne peut nuire à la barque, il ne nuit qu’à lui-même. Il est vrai que, par défaillance de celui qui tient le timon, la barque prendra eau. Ainsi agissent les mauvais et misérables pasteurs, les prélats postés par le patron de la barque. Mais cette barque est, en elle-même, plus désirable que ta langue ne pourrait le dire »366. Chaque barque est chargée d’une richesse particulière. C’est toujours l’amour, mais dans ses manifestations différentes : « François, poverello, eut en propre la vraie pauvreté, et à cause de l’amour qu’il avait pour elle, il en fit la pièce principale de sa barque, sur laquelle il établit une discipline étroite, faite pour des âmes non pas communes mais parfaites, peu nombreuses mais bonnes. Je dis peu nombreuses parce qu’il n’en est pas beaucoup pour embrasser vraiment cette perfec­ tion ». Dominique, « lui aussi, avait élu pour épouse la reine pauvreté. Mais comme objet propre et plus spécial de sa religion, il avait choisi la lumière de la science, pour extirper les erreurs qui s’étaient élevées de son temps. Son office fut celui du Verbe, mon Fils unique. Il apparut surtout au monde comme un apôtre, tant étaient puissants la vérité et l’éclat avec lesquels il semait ma parole, dissipait les ténèbres et répandait la lumière. Il fut lui-même une lumière que je donnai au monde par 366. Libro della divina dottrina, cap. 158, édit. Bari, 1912, p. 373 ; cf. J. HURTAUD, O. P., Le Dialogue de sainte Catherine de Sienne, t. II, p. 268. ORGANICITÉ 1709 l’intermédiaire de Marie ; sa mission dans le corps mys­ tique de la sainte Église fut d’extirper les hérésies »367. Lun fii tutto serafico in ardore L’altro per sapienza in terra fue Di cherubica luce uno splendore avait dit Dante, dans l’un des plus beaux chants de la Divine Comédie. Le corps de l’Église apparaît, dès lors, comme aussi profondément et aussi délicatement différencié qu’il est un. 5. Autres différenciations se rattachant aux états de vie A ces différenciations permanentes appelées au sens propre les états de vie, on peut rattacher certains modes de 367. Ibid., p. 374 ; HURTAUD, II, p. 272. « Sur le rôle providen­ tiel, le caractère essentiel et la mission de chacune des grandes familles religieuses, il développait une magnifique doctrine ; il mon­ trait l’Ordre monastique archiviste et témoin vivant de l’antiquité ecclésiastique, voué à perpétuer le type de la primitive et parfaite communauté chrétienne tout ordonnée à la louange divine; les Frères Prêcheurs, missionnés pour maintenir l’intelligence chrétienne dans la lumière de la Contemplation et de la Théologie ; les fils de saint François, pour faire rayonner dans la vie chrétienne la Pauvreté, la Simplicité, l’esprit et les vertus de l’Évangile ; les Pères de la Compagnie de Jésus, envoyés pour assurer, en l’adaptant aux condi­ tions de vie des temps modernes, la discipline ascétique de la Volonté chrétienne. Et sans cesse il rendait grâce à Dieu de l’avoir mis dans la famille de saint Dominique, à cause de l’amour de cet Ordre pour la doctrine et de sa fidélité à la pure vérité. Ah ! comme il aimait que ses frères gardassent sans altération leur race intellectuelle, ainsi qu’il disait!» Vie du Père Clérissac, par Jacques MaritaiN, en tête du Mystère de ΓÉglise [O. C., vol. I, p. 1116]. : F '· •P •Γ 1710 VIl/2 - PROPRIÉTÉS DU CORPS DE L’ÉGLISE vivre extérieurs et permanents qui leur ressemblent d’une manière plus ou moins parfaite. Ainsi Turrecremata pensait que les cardinaux qui assis­ tent le souverain pontife dans le gouvernement de l’Eglise doivent être considérés - alors même qu’ils ne seraient point évêques - comme appartenant à l’état de perfection : « Ils s’obligent en effet, pour l’amour de Dieu, à défendre jusque même à l’effusion de leur sang la foi catholique, la religion chrétienne, et le pape qui est leur prince, celui de toute l’Église et le vicaire de Jésus-Christ »368. ·*·*·» IV. Les « conditions variables » DE LA VIE CHRÉTIENNE K9* »· ‘e’ m rf'w e· •f'hwi *· a· ♦.· << 1. De même que dans une armée on peut distinguer, outre la permanence de certains corps, obligés par desti­ nation à servir le bien commun d’une manière spéciale, la permanence quasi ininterrompue de certaines activi­ tés, de certaines tâches, de certains sacrifices qui peuvent échoir indifféremment à n’importe quels soldats, comme de veiller, de donner l’assaut, de mourir ; ainsi dans l’Église, à côté de la permanence des états de vie, on peut distinguer la permanence moralement continue de cer­ taines activités extérieures, de certaines tâches, de cer­ tains sacrifices, comme de confesser la foi, de souffrir ou de mourir pour elle. Ces manifestations extérieures de la vie de l’Église, fugitives lorsqu’on les considère dans leur singularité, mais durables par leur répétition, voilà ce 368. TURRECREMATA, Summa de Ecclesia, lib. I, cap. LXXX. - Cette vue semble reprise par H. BENSON, à la fin du Maître de la Terre. ORGANICITÉ 1711 qu’on appellera, en les opposant aux états de la vie chré­ tienne, les conditions de la vie chrétienne. C’est ainsi que les divers moments de la vie tempo­ relle du Christ pourront être reproduits dans le Christ total qui est l’Eglise. Des âmes isolées, mais nombreuses (ou même des ordres religieux entiers) prendront à tâche d’imiter aussi fidèlement que possible et de prolonger en quelque sorte dans l’espace et le temps telle attitude ou telle action du Sauveur : le silence, l’humilité, la contem­ plation de sa vie cachée, son jeûne de quarante jours dans le désert, ses veilles et ses longues prières nocturnes, ses prédications aux foules, ses bontés pour les malades, ses grandes souffrances expiatrices, et même son martyre sur la Croix. En expliquant le rôle de l’âme, qui donne à tout le corps la vie et à chaque membre une fonction propre, saint Augustin ajoute : « Ainsi est l’Eglise de Dieu : en tels saints elle fait des miracles, en tels saints elle prêche la vérité, en tels saints elle garde la virginité, en tels saints elle observe la pudeur conjugale, en certains ceci, en d’autres cela. Chacun a son œuvre propre, mais tous ont pareillement la vie »369. Saint Thomas d’Aquin cite, après Pierre Lombard, la glose de Cassiodore sur l’Eglise enve­ loppée de variété : « La doctrine des apôtres, la confession des martyrs, la pureté des vierges, l’affliction des péni­ tents, voilà l’ornement de la Reine, c’est-à-dire de l’Eglise »370. Cajetan, pour expliquer que les indulgences proviennent de la réversibilité sur nous non seulement des satisfactions infinies du Christ, mais encore des satis­ factions des saints, écrira : « La divine providence a dis­ posé que les membres du Christ, surtout les meilleurs, seraient assimilés au Christ autant qu’il est permis. C’est 369. Sermo CCLXVII, n° 4. 370. II-II, qu. 183, a. 2, sed contra. 4 K !’ I h. ·. 1712 VII/2 - PROPRIÉTÉS DU CORPS DE L’ÉGLISE pourquoi les saints sont envoyés les uns pour guérir les malades ; les autres pour enseigner ; d’autres pour méri­ ter {de congruo) des grâces de conversion ; d’autres pour supplier ; d’autres enfin pour compenser par leurs souf­ frances les péchés du monde. Ces derniers ressemblent au Christ en ceci même qu’il a souffert pour nous ; et, en souffrant à leur tour plus qu’ils n’ont péché, ils paient pour les autres »3 l. Tous ces témoignages ne font que reprendre, avec d’autres mots, le texte de l’épître aux Corinthiens, auquel il faut toujours revenir, sur le corps de l’Eglise fortement unifié par l’Esprit de Dieu et fortement diffé­ rencié dans ses fonctions : « Si tous étaient un seul membre, où serait le corps ? Il y a donc plusieurs membres et un seul corps... Tous sont-ils apôtres? tous prophètes ? tous docteurs ? tous thaumaturges ? tous ont-ils les grâces de guérison ? tous parlent-ils des langues? tous interprètent-ils?» (I Cor., XII, 19-20, 29-30). 2. De même que dans le corps humain les différents membres sont régulièrement et normalement les effets, les instruments, les réceptacles et les serviteurs de la vie ; ainsi dans le corps de l’Eglise les différenciations exté­ rieures, états de vie ou conditions de vie sont régulière­ ment et normalement les œuvres, les instruments, les réceptacles et les serviteurs toujours insuffisants d’un immense et mystérieux amour. Tout chrétien comprend cela. Mais les saints le voient. Où trouver plus haute intelligence de la révélation de saint Paul sur le corps de l’Église que dans ces lignes de la sainte de Lisieux: «Je me sens la vocation de guerrier, de prêtre, d’apôtre, de 371. CAJETAN, Quaestiones de thesauro indulgentiarum, quaest. 3, n° VIII ; édit, léon., t. XII, p. 362. • C" ORGANICITÉ 1713 docteur, de martyr. Je voudrais accomplir toutes les œuvres les plus héroïques, je me sens le courage d’un croisé, je voudrais mourir sur un champ de bataille, pour la défense de l’Église [...]. Je voudrais éclairer les âmes comme les prophètes, les docteurs. Je voudrais parcourir la terre, prêcher votre Nom et planter sur le sol infidèle votre croix glorieuse, ô mon Bien-Aimé ! Mais une seule mission ne me suffirait pas : je voudrais en même temps annoncer l’Évangile dans toutes les parties du monde, et jusque dans les îles les plus reculées. Je voudrais être mis­ sionnaire, non seulement pendant quelques années, mais je voudrais l’avoir été depuis la création du monde, et continuer de l’être jusqu’à la consommation des siècles. Ah ! par-dessus tout, je voudrais le martyre. Le martyre ! voilà le rêve de ma jeunesse ; ce rêve a grandi avec moi dans ma petite cellule du Carmel. Mais c’est là une autre folie, car je ne désire pas un seul genre de supplice ; pour me satisfaire il me les faudrait tous [...]. Ces aspirations devenant un véritable martyre, j’ouvris un jour les épîtres de saint Paul, afin de chercher quelque remède à mon tourment. Les chapitres XII et XIII de la première épître aux Corinthiens me tombèrent sous les yeux. J’y lus que tous ne peuvent être à la fois apôtres, prophètes et docteurs, que l’Église est composée de différents membres, et que l’œil ne saurait en même temps être la main. La réponse était claire, mais ne comblait pas mes vœux et ne me donnait pas la paix [...]. Sans me décou­ rager, je continuai ma lecture, et ce conseil me soulagea : Recherchez avec ardeur les dons les plus parfaits; mais je vais encore vous montrer une voie plus excellente. Et l’apôtre explique comment tous les dons les plus parfaits ne sont rien sans l’Amour, que la Charité est la voie la plus excellente pour aller sûrement à Dieu. Enfin j’avais trouvé le repos ! Considérant le corps mystique de la sainte Église, je ne m’étais reconnue dans aucun des VH/3 - MEMBRES DU CHRIST ET DE L’ÉGLISE 1714 v«· * membres décrits par saint Paul, ou plutôt je voulais me reconnaître en tous. La Charité me donna la clef de ma vocation. Je compris que, si l’Eglise avait un corps com­ posé de différents membres, le plus nécessaire, le plus noble de tous les organes ne lui manquait pas ; je com­ pris qu elle avait un cœur, et que ce cœur était brûlant d’amour ; je compris que l’amour seul faisait agir ses membres, que, si l’amour venait à s’éteindre, les apôtres n’annonceraient plus l’Évangile, les martyrs refuseraient de verser leur sang. Je compris que l’amour renfermait toutes les vocations, que l’amour était tout, qu’il embras­ sait tous les temps et tous les lieux, parce qu’il est éternel ! »372 SECTION III LES MEMBRES DU CHRIST ET DE L’ÉGLISE Nous diviserons cette section en deux études. Dans la première nous demanderons qui est membre du Christ et de l’Église. Dans la deuxième, plus synthétique, nous examinerons l’axiome : « Hors de l’Église, pas de salut». 372. Histoire d'une âme, ch. XI. 1715 L QUI EST MEMBRE DU CHRIST ET DE L'ÉGLISE 1. Organes et membres: membres «divisibles» et membres « indivisibles » 1. Bien qu’on appelle d’habitude membres ceux des organes qui sont plus visibles et plus indépendants, on pourrait élargir ce premier sens et faire de membres un synonyme d’organes. Les membres, les organes, désigne­ ront alors les différentes parties composantes d’un corps vivant douées d’une structure particulière et aptes à exer­ cer une fonction définie. Transposons cette notion de membres ou d’organes, de la biologie dans la sociologie, tant naturelle que sur­ naturelle. Elle peut recevoir plusieurs applications. a) On pourrait nommer membres ou plutôt organes d’une armée les différentes armes quelle utilise : infante­ rie, artillerie, aviation, etc. C’est ainsi qu’on pourrait appeler, dans un premier sens, membres ou plutôt organes de l’Eglise les états de vie qui constituent comme les différenciations permanentes de son corps, et dont chacun s’acquitte de tâches bien définies. b) Mais dans une armée, outre les différenciations plus qualitatives correspondant aux diverses espèces d’armes, on peut considérer les différenciations plus quantitatives correspondant aux grands corps d’armée homogènes entre eux, chacun réunissant d’une manière ordonnée les diverses sortes d’armes : infanterie, artille­ rie, aviation, etc., et chacun formant comme un membre vivant, un organe de l’armée totale. Pareillement, on pourra considérer les Églises particulières comme les par­ ties composantes homogènes, comme les membres vivants et interdépendants, comme les organes naturels 1716 VII/3 - MEMBRES DU CHRIST ET DE L’ÉGLISE de la grande Église catholique. C’est le second sens du mot membre. Chacune de ces Églises est particularisée par le temps, l’espace, les circonstances, les tâches : il y a un message de saint Jean pour l’Église d’Éphèse, un autre pour l’Église de Smyrne, un autre pour l’Église de Pergame, etc. (Apoc., II et III). Mais, un peu à l’image des espèces eucharistiques qui apportent en chaque lieu l’absolu du Christ, chacune de ces Églises cache, sous ses limites, ses défauts, ses insuffisances, l’essence même de l’Église catholique, la véhiculant jusqu’à chaque homme, lui en ouvrant l’accès, l’invitant à s’y incorporer : l’Église, dont saint Paul dit quelle est « la plénitude de celui qui remplit tout en tous » (Éphés., I, 23), c’est aussi « l’Église de Dieu qui est à Corinthe » (I Cor., I, 2), « l’Église des Thessaloniciens qui est en Dieu » (I Thess., I, 1). c) Enfin, on peut appeler membre d’une armée cha­ cun des soldats dont elle est faite. Et l’on appellera sem­ blablement membre de l’Église chacune des personnes qui la composent. «4HV4» »*· »*»’«♦·' »Η· 4* 2. Ces divers sens, ou du moins ces deux derniers sens du mot membre, ont été relevés par Jacques de Viterbe dans son De regimine christiano : « L’Église, dit-il, est une, d’une unité de totalité. Elle est comme un seul tout, dont les parties sont chaque fidèle. Mais on appelle aussi parties de l’Église les Églises particulières et les col­ lèges spéciaux. De même que dans le corps naturel, qui est l’exemplaire du corps mystique de l’Église, il existe des membres divisibles, qui se subdivisent en membres plus petits comme la main se subdivise en doigts [...], et des membres indivisibles, qui ne se subdivisent pas, car on ne pourrait les diviser qu’en parties qui cesseraient d’être des membres, telles sont les phalanges ; ainsi, dans l’Église, on distinguera des membres divisibles, comme QUI EST MEMBRE ? 1717 sont les Églises particulières et les collèges, et les membres indivisibles, comme sont les personnes fidèles particulières »373. C est au dernier sens qu’on entend le mot membre quand on demande qui est membre de l’Église. 2. La notion de membre est analogique, non univoque A la question : qui est membre de l’Église, il faut répondre que celui-là est membre de l’Église en qui lame créée de l’Église est présente. L’âme créée de l’Église est un épanchement de la grâce capitale du Christ. C’est la grâce pleinement christique, pour autant quelle passe de la tête dans le corps. Elle comporte indispensablement trois éléments par lesquels on peut la désigner : le caractère sacramentel, la grâce sacramentelle, l’orientation juridictionnelle. Ultime­ ment, formellement, elle consiste dans la grâce sacra­ mentelle et orientée. Mais l’âme créée de l’Église peut être présente dans un homme à divers titres et selon divers degrés. Elle est pré­ sente elle-même et tout entière dans l’Église en acte achevé, mais autrement chez les membres justes et autre­ ment chez les membres charnels. Elle n’est présente que par quelques-uns de ses éléments dans l’Église en acte virtuel, et, là encore, autrement chez les justes et autre­ ment chez les pécheurs. Ainsi, la notion de membre de l’Église admet des degrés. Ce n’est pas une notion univoque. C’est une notion analogique et proportionnelle, susceptible de se réaliser à des étages différents. 373. Édition critique, Paris, 1926, p. 109. 1718 VII/3 - MEMBRES DU CHRIST ET DE L’ÉGLISE 3. Membres déjà « en acte » au moins d’une certaine manière, et membres seulement « en puissance » C’est tout un de chercher qui est membre du Christ et qui est membre de l’Église. Il ne faut pas séparer ces expressions, si le Christ total c’est l’Église. Membre du Christ, membre de l’Église, membre du corps mystique de l’Église, saint Thomas emploie indifféremment ces expressions374. 1. Il commence par faire observer «qu’entre le corps naturel de l’homme et le corps mystique de l’Église, il y a cette différence que les membres de notre corps naturel existent toujours simultanément, tandis que les membres du corps mystique existent aussi successivement. Le corps de l’Église, en effet, se compose, pour ce qui est de la nature, d'hommes dont l’existence se place entre le commencement et la fin du monde ; en outre, pour ce qui est de la grâce, on rencontrera parmi eux, à chaque moment du temps, soit des hommes qui ont la grâce, soit des hommes qui ne l’ont pas encore, mais qui l’au­ ront plus tard. En sorte qu’il faut compter, parmi les membres du corps mystique, des membres en acte et des membres en puissance : membra corporis mystici accipiun­ tur, non solum secundum quod sunt in actu, sed etiam secundum quod sunt in potentia »375. 2. Trois remarques: 1° Cette première division oppose, d’une part, ceux qui sont membres de l’Église en acte, si initial, si inachevé, si imparfait que soit cet acte; d’autre part, ceux qui sont membres seulement en puis­ sance, sans l’être d’aucune manière en acte. 2° La puis­ sance dont il s’agit est déjà cependant une puissancephyIII, qu. 8, a. 3. 375. III, qu. 8, a. 3. QUI EST iMEMBRE ? 1719 sique-, ce n’est pas une simple puissance logique. Tant que dure cette vie, rien n’est perdu pour le pécheur : son libre arbitre reste flexible au bien, la rédemption du Christ est capable de le sauver et tout l’univers avec lui ; il est en puissance physique d’être membre du Christ. S’il meurt impénitent, il cesse totalement d’être membre du Christ ; il ne subsiste plus dans les damnés qu’une simple puissance logique, fondée sur leur nature humaine376. 3° C’est la notion de membre en acte qui va se réaliser à divers degrés, comme nous allons le voir, et c’est elle qui sera analogique. 3. Qui rangerons-nous parmi ceux qui ne sont membres de l’Eglise qu’en puissance seulement ? Il faudra faire ici deux catégories. Elles sont toutes deux réservées à ceux qui n’ont ni le caractère baptismal ni la foi : T Les adultes non baptisés et qui, par un péché per­ sonnel, ont refusé la foi, si obscurément quelle leur ait été proposée : c’est le vrai péché d’infidélité (infidélité contraire des anciens). 2° Les petits enfants privés du caractère baptismal et de la foi infuse : s’ils n’ont pas la foi, c’est ignorance non coupable, zz-fidélité plutôt qu’ôz-fidélité (infidélité néga­ tive des anciens). Il n’y a encore en eux que le péché origi­ nel. Cela vaut des petits enfants soit après, soit avant leur naissance377. 376. S. THOMAS, III, qu. 8, a. 3, ad 1. Pour la distinction entre puissance physique et puissance logique, voir le commentaire que Cajetan fait de ce texte. 377. « Il est certain que, dès avant leur naissance, les petits enfants sont membres du Christ en puissance, qu’ils sont compris sous sa très universelle rédemption, car il est mort pour eux, et relèvent de son pouvoir... Dès le sein maternel, les enfants sont dans les conditions de la vie et donc du salut, et déjà rattachés au Sauveur. Nous savons même que, par extraordinaire, ils peuvent être sanctifiés par le Christ, comme Jean Baptiste qui tressaille dans le sein de sa mère à 1720 VII/3 - MEMBRES DU CHRIST ET DE L’ÉGLISE 4. Appartenance « consentie » des fidèles, et apparte­ nance « reniée » des hérétiques, tant occultes que manifestes, et des schismatiques 1. Les membres en acte se divisent en deux catégories : 1° D’une part, les fidèles, qui possèdent au moins la simple foi théologale (fides informis) et éventuellement aussi tous les degrés de la vie chrétienne dont elle est le principe et le fondement. « La foi, dit le Concile de Trente, est le commencement du salut de l’homme, le fondement et la racine de la justification, sans quoi il est impossible de plaire à Dieu, Hébr., XI, 6, et d’entrer dans la communion de ses enfants »3 8. Même si la foi de ces fidèles est seulement informe, même si elle est encore sommaire, instinctive, préconceptuelle, on peut déjà dire que leur appartenance à l’Église est volontaire, consentie. Ùn certain influx de vie au moins, passe en eux. En ce sens, ils sont des « membres ». 2° D’autre part, les hérétiqties 379, qui possèdent encore le caractère baptismal — et peut-être aussi les caractères de la confirmation et de l’ordre - mais qui, par le péché d’hérésie, répudient sciemment leur preΓapproche du Christ (Luc, I, 15 et 44). D’autres peut-être, que nous ignorons, ont été ainsi sanctifiés». JEAN DE SAINT-THOMAS, In III, qu. 8 ; disp. 10, a. 2, n°* 2 et 3 ; édit. Vivès, t. VIII, p. 263. 378. Session VI, ch. VIII, Denz., n° 801. 379. Ce mot a le sens que lui donnaient les anciens : les héré­ tiques sont toujours des pécheurs, non de simples dissidents ; l’héré­ sie est toujours un péché, non simplement une erreur en matière de foi. «Toute hérésie est une erreur, mais non inversement»: 1° du côté de la matière, l’hérésie est une erreur, non pas quelconque, mais en matière de foi et de mœurs ; 2° « du côté du choix : si l’on adopte une erreur sans obstination, en étant prêt à être corrigé par la déci­ sion de l’Église, il y a ignorance, non malice, et l’on n’est pas héré­ tique ». S. THOMAS, In Epist. ad Titum, III, 10. Les mots corrigi parati sont déjà chez saint Augustin. QUI EST MEMBRE ? 1721 mière appartenance à l’Église. Ils ne sont plus à elle que par une contradiction et par une sorte de fatalité. Parlons d’une « appartenance reniée », d’une « apparte­ nance de servitude ». 2. Ainsi, les hérétiques sont et ne sont pas de l’Église. Pour autant qu’il dépend d’eux, ils n’en sont pas. Mais, en raison de l’indélébilité du caractère baptismal, ils por­ tent la marque de l’Église militante. Il est vrai, dit Cajetan dans le De comparatione auctoritatis papae et concilii, que, pour saint Thomas, III, qu. 8, a. 3, c’est par la foi informe que nous commençons d’être, de quelque manière, secundum quid, membres du Christ. «Mais, continue Cajetan, l’appartenance secundum quid comporte des degrés. Par le seul caractère du sacrement de la foi (caractère baptismal), et sans la foi informe, on est déjà, d’une toute première manière, membre du Christ, secundum quid™... L’homme qui ne possède que le seul caractère de la foi (caractère baptismal) est en même temps, sous différents aspects, fidèle et infidèle, membre du Christ et de l’Église, et hors des membres du Christ et de l’Église. Et c’est pourquoi la terminologie des docteurs s’oppose parfois sur ce point. D’une part, puisqu’il ne lui reste que le seul caractère de la foi et qu’il a volontairement renié la foi, il est infidèle et hors des membres du Christ et de l’Église, pour autant que cela relève de lui, quantum est ex parte sua. Mais, d’autre part, pour autant que cela relève de Jésus-Christ, ex parte autem Jesu Christi, qui, une fois donné le caractère de la foi le conserve indélébile, cet homme est un fidèle contre son gré et il reste membre du Christ et de l’Église même s’il ne le veut pas, est fidelis invitus, et est membrum Christi et Ecclesiae, velit nolit ipse, car il lui est impossible 380. De comparatione..., ch. XXII, édit. Pollet, n° 315. 1722 VII/3 - MEMBRES DU CHRIST ET DE L’ÉGLISE de renier ou de rejeter le caractère de la foi qu’il a reçu jadis. Et c’est pourquoi saint Thomas peut ranger un tel homme soit dans les fidèles, lorsqu’il explique que l’adul­ tère est puni plus gravement chez le fidèle, à cause des sacrements de la foi qu’il a reçus et qu’il outrage en péchant, que chez l’infidèle, II-II, qu. 10, a. 3, ad 3 ; soit dans les infidèles, lorsqu’il classe l’hérésie dans les espèces de l’infidélité, II-II, qu. 10, a. 53S1... Le caractère de la foi est le tout premier élément qui fait un chrétien : cela est manifeste, ce caractère étant l’effet propre et insépa­ rable, et parfois l’effet unique du seul baptême par lequel on devient premièrement membre du Christ et de l’Église ; il est donc aussi le tout dernier élément par lequel on reste encore membre du Christ et de l’Église ; tant qu’il subsiste dans un homme, cet homme ne cesse pas totalement d’être membre du Christ, non desinit esse totaliter membrum Christi »381 382. 3. La question des damnés qui sont baptisés et en qui subsiste le caractère baptismal se pose ici par manière de parenthèse. Sont-ils encore membres du Christ ? 381. Ibid., n°* 317 et 318. Saint THOMAS compare, à l’endroit cité par Cajetan, d’une part, l’adultère commis par un infidèle; d’autre part, le même adultère commis par un fidèle qui : 1° connaît la vérité par la foi, 2° outrage en lui les sacrements de la foi dont il est imbu. Le second péché est plus grave. Dans le In Boetium de Trinitate, lect. 1, circa princip., S. THOMAS écrit : « Les hérétiques ne sont pas chrétiens en vérité, secundum rei veritatem, puisqu’ils s’écartent (coupablement) de la doctrine du Christ [...]. Mais suivant les apparences et l’estimation des hommes, secundum apparentiam et hominum opinionem, on les appelle chré­ tiens, parce que, verbalement du moins, ils confessent le nom du Christ ». 382. Ibid., n° 320 ; CAJETAN écrit ailleurs, en commentant III, qu. 69, a. 10 : « Charactere formaliter homo est christianae religionis membrum et de familia Christi ». QUI EST MEMBRE ? 1723 La réponse ne fait pas de doute. Ils ne sont d’aucune manière membres du Christ. Ils ne sont pas membres en puissance, car ni la rédemption du Christ ne sauve les damnés, ni leur libre arbitre n’est encore flexible au bien; ce que saint Thomas383 et après lui Cajetan384 disent en général des damnés, vaut pour ceux d’entre eux qui sont baptisés : ils cessent totalement d’appartenir au Christ, totaliter desinunt esse membra Christi. Quant au caractère baptismal, s’il peut rattacher au Christ et à l’Église jusqu’à un hérétique, et faire de lui d’une cer­ taine manière un membre en acte, c’est seulement pen­ dant le cours de la vie présente. Chez les damnés, le caractère n’est plus ordonné à rien385. Saint Thomas le dit avec profondeur : « Le caractère sacramentel demeure chez les damnés. Mais il est contre l’intention de Celui qui imprime le caractère que les sujets auxquels il est conféré se damnent ; et c’est pourquoi le caractère se trouve en eux sans y être ordonné à aucune fin ; en effet, ce qui n’est pas voulu n’est pas ordonné à une fin. Cependant Dieu, qui n’abandonne rien au désordre, 383. III, qu. 8, a. 3. 384. III, qu. 8, a. 3, n° III. 385. Est-ce peut-être pour avoir oublié un instant ce point que CAJETAN lui-même se laisse entraîner, dans le De comparatione, ch. XXII, n° 320, à soutenir que le damné baptisé reste, en quelque façon, membre du Christ ? Tant que le caractère de la foi subsiste dans un homme, cet homme ne cesse pas d’être membre du Christ. Or, comme le caractère ne s’effacera jamais, cet homme sera toujours compris dans les membres du Christ, même lorsqu’il sera définitive­ ment rejeté dans la damnation de l’enfer, semper erit intra latitudinem membrorum Christi etiam cum abcissum totaliter est per damnationem in inferno. Il restera distinet alors des infidèles damnés par pure infi­ délité, et c’est en quoi son tourment sera plus grand, selon Hébr., X, 29 : « De quel châtiment plus sévère pensez-vous que sera jugé digne celui qui aura foulé aux pieds le Fils de Dieu ? » - Le De compa­ ratione est du 12 octobre 1511. Les commentaires de la IIP Pars, de mars 1522. 1724 VII/3 - MEMBRES DU CHRIST ET DE L’ÉGLISE tirera de là un bien, en ce sens que la damnation de ceux qui auront négligé des dons aussi grands que le caractère, apparaîtra plus juste »386387 . Le caractère perpétuera dans l’éternité le souvenir de l’indicible confiance faite par l’Amour à ceux qu’il avait appelés à être, dans le temps, les coopérateurs du sacerdoce de son Fils. 4. Que penser des hérétiques occultes, c’est-à-dire de ceux qui restent dans l’Église après avoir perdu la foi et qui, de ce fait, sont, au pire sens, des hypocrites ? L’hérésie qu’on nomme occulte de soi, per se, est pure­ ment intérieure. Un évêque, qui serait hérétique occulte, pourra, sans éveiller les soupçons, continuer d’exercer ses fonctions dans l’Église. Sera-ce validement ou invalidement ? Pour les pouvoirs d'ordre, il n’y a pas de doute, il les exerce validement. Mais qu’en est-il de ses pouvoirs juridictionnels ? Les garde-t-il ? ou les perd-il ? Quelques théologiens, comme Turrecremata, ont pensé que les hérétiques occultes perdent, du seul fait de leur faute, les pouvoirs juridictionnels qu’ils pouvaient antérieurement posséder38 . 386. IVSent., dise. 4, qu. 1, a. 3, quaest. 4, ad 2. 387. TURRECREMATA, Summa de Ecclesia, lib. IV, pars 2, cap. XX, Venise, 1560, p. 394. A l’objection que l’hérétique occulte pourrait continuer d’exercer une juridiction dont tous hors de lui ignoreraient la nullité et qu’il en résulterait pour l’Église de graves désordres - par exemple dans l’hypothèse où un évêque tombé secrètement dans l’hé­ résie approuverait des prêtres pour entendre les confessions dans son diocèse -, Turrecremata répond que le Saint-Esprit qui régit l’Église lui donnera toujours ce qui lui est nécessaire pour conduire les hommes au salut : dans le cas présent en permettant que l’hérésie occulte soit découverte à temps, ou même en suppléant directement ce qui n’a pas été fait. Turrecremata allègue ici un passage des Sentences où saint THOMAS imagine le cas d’un homme qui se croi­ rait par erreur baptisé et qu'on aurait élevé au sacerdoce, voire à 1 épiscopat : sans doute un tel homme, dit saint Thomas, n’aurait pas le pouvoir d ordre, « néanmoins la piété incline à croire que pour ce QUI EST MEMBRE ? 1725 Mais la plupart des théologiens pensent, avec Cajetan388, que, puisque de tels hérétiques n’ont pas extériorisé leur hérésie, et que l’Église ne juge pas des actes tout intérieurs, mais n’atteint l’intérieur qu’en rai­ son de l’extérieur, il faut tenir: 1° que les hérétiques occultes ne sont pas ipso facto excommuniés ; 2° qu’à plus forte raison, ils ne perdent pas ipso facto leurs pouvoirs juridictionnels. L’Église leur ayant conféré ces pouvoirs par une délégation extérieure, ils subsisteront tant quelle ne les aura pas révoqués extérieurement par une sentence389. Telle est la pensée commune. Quant à l’hérésie nommée occulte par accident, per accidens, c’est une hérésie extériorisée, mais qui n’a pas eu de témoins. Elle n’est donc ignorée que par occasion et par hasard. Elle est, tout comme l’hérésie manifeste, un délit, et tombe ipso facto sous l’excommunication390. qui est de l’effet ultime des sacrements [que cet homme croirait administrer] le Souverain Prêtre suppléerait ce qui manque, et qu’il ne permettrait pas qu'une telle erreur demeurât cachée si elle pouvait mettre l’Église en péril», IV Sent., dist. 24, qu. 1, a. 2, quaest. 3, ad 2. 388. De comparatione..., ch. XIX, nos 265 et 266. On pourrait allé­ guer Dominique SOTO, IV Sent., dist. 22, qu. 2, a. 2, Venise, 1584, p. 1086; Melchior Cano, De locis theologis, livre IV, ch. VI, ad 12, Padoue, 1734, p. 140 ; Jean de Saint-Thomas, II-II, qu. 1 ; disp. 2, a. 3, n° 5, édit. Vives, t. VII, p. 252. 389. Lorsqu’ils posaient le problème hypothétique d’un pape tombé, en tant que personne privée, dans l’hérésie, les anciens théo­ logiens le tranchaient conformément à leur opinion sur l’hérésie occulte. Les uns pensaient, comme Turrecremata, qu’un tel pape était ipso facto déposé ; les autres, comme Cajetan, qu’il n’était déposé qu’après une sentence, il est vrai seulement déclarative, de l’Église, non est depositus, sed deponendus. Cf. L'Église du Verbe incarné, t. I, p. 596 [dans la première édition ; dans la présente : vol. I, p. 981]. 390. « Tous es apostats de la foi chrétienne, tous les hérétiques ou schismatiques encourent ipso facto l’excommunication ». Code de Droit Canon, can. 2314, § 1, n° 1. L’exercice des pouvoirs juridic- « 1726 ·* 4 ΊνχβΪ %» Λ ·■ t»< \·Ί1/3 - MEMBRES DU CHRIST ET DE L’ÉGLISE 5. Absolument parlant, simpliciter, les hérétiques, hypocrites ou manifestes, sont hors de l’Église. C’est la signification du passage de la bulle Ineffabilis Deus où Pie IX déclare que ceux qui oseraient nier dans leur cœur le dogme de l’immaculée Conception de Marie se condamneraient par leur propre jugement, feraient nau­ frage en matière de foi et abandonneraient l’unité de l’Église391. Certains de ces hérétiques possèdent le pouvoir tordre, et d’autres en outre le pouvoir de juridiction'. mais cela ne modifie pas essentiellement leur rapport fondamental au Christ et à l’Église. Ce rapport est contradictoire. Ce n’est que sous un aspect, secundum quid, que les hérétiques peuvent être dits membres, membres par contrainte, inviti, du Christ et de l’Église : à savoir en raison de quelque chose de divin qui subsiste encore en eux, que pourtant leur décision profonde a renié en désertant coupablement la vraie foi, qu’ils subis­ sent à contre-gré, et qui au vrai les brûle comme un fer rouge. Quand, pour les motifs les plus divers, ils appliquent à l’acte ces restes de leur grandeur passée, c’est la fonction de ministres du Christ et de l’Église qu’ils peuvent conti­ nuer d’exercer, peut-être coupablement, peut-être même sacrilègement, parfois peut-être aussi par un mouvement de générosité humaine392. tionnels leur devient illicite ; mais ils ne perdront ces pouvoirs qu’au moment où surviendra une sentence soit par mode de condamna­ tion, soit par mode de déclaration. Même quand il n’y aura ni faute ni délit, les pouvoirs juridictionnels peuvent être enlevés, par mesure, non point pénale, mais seulement administrative : tel peut être le cas des justes dissidents. 391. Denz., n° 1641. 392. Par exemple quand un prêtre hérétique donne par bien­ veillance 1 absolution à un mourant qui la lui demande. QUI EST MEMBRE ? 1727 En vertu des pouvoirs à'ordre, ils pourront, sous la motion instrumentale du Christ, consacrer validement l’eucharistie et administrer validement certains sacre­ ments. En vertu des pouvoirs juridictionnels, qui ne sont touchés ni par le péché occulte d’hérésie, ni par le délit manifeste d’hérésie tant qu’une sentence n’est pas inter­ venue, ces hérétiques peuvent encore s’acquitter valide­ ment de leurs fonctions ministérielles. Pourtant ceux qui appliquent ainsi à l’exercice les pouvoirs sacramentels ou les pouvoirs juridictionnels ne sont traversés par aucun influx vital intérieur ; le Christ et l’Eglise ne peuvent les mouvoir qu’à la manière dont on se sert d’un bras desséché pour frapper ou déplacer un objet393. 6. Ce que nous avons dit des hérétiques s’applique proportionnellement aux schismatiques. Même s’ils n’ont point encore renié la foi, ils ont déjà répudié leur appar­ tenance à l’Église. Ils n’en sont plus membres que relati­ vement, secundum quid. L’épithète de membres à contre-cœur, inviti, par laquelle Cajetan caractérise les hérétiques, convient aussi aux schismatiques. 393. « Celui qui n’a plus que le caractère (sans la foi) est mû, non pas en vue d’un acte vital et intérieur, mais seulement en vue d’une opération extérieure : ainsi se sert-on d’un bras desséché pour frapper quelqu’un ou déplacer un objet». CAJETAN, De comparatione..., ch. XXII, n° 319. Cette même comparaison du membre desséché, appliquée ici par Cajetan à ['hérétique, qui n’est plus vivifié par la foi, est appliquée par saint THOMAS au pécheur qui a la foi, mais qui n’est plus vivifié par la charité. Cf. III, qu. 8, a. 3, ad 2 ; III Sent., dist. 13, qu. 2, a. 2, édit. Moos, n° 104. 1728 VII/3 - MEMBRES DU CHRIST ET DE L’ÉGLISE 5. L’appartenance consentie des fidèles comprend l’appartenance latente « en acte tendanciel », et l’appar­ tenance manifeste « en acte achevé » A l’appartenance de servitude des hérétiques, nous avons opposé l’appartenance consentie des fidèles, c’est-à-dire de ceux qui ont au moins la foi théologale. Mais comment diviser tout d’abord les fidèles ? Sera-ce selon qu'ils sont ou ne sont pas dans la charité ? Ou le tout premier principe de division doit-il être cherché ailleurs ? La réponse à cette question est capitale. Elle engage la manière même de concevoir le Christ total et l’Eglise394. te .il ·’ rv# 1. La toute première division des fidèles doit se faire, croyons-nous, entre, d’une part, l’Eglise en acte achevé, issue de la plénitude de la hiérarchie, et de ce fait pleine­ ment christique, pleinement éclose ; et, d’autre part, l’Église en acte virtuel ou tendanciel, l’Église à l’état inchoatif, encore en formation. On distinguera donc deux sortes d’appartenance des fidèles au Christ et à l’Église : 1° Une appartenance en acte achevé, « actu perfecto»’, ou appartenance ouverte et visible-, ou appartenance « re», c’est-à-dire manifestée. 2° Une appartenance en acte virtuel ou tendanciel, actu virtuali ; ou appartenance latente, invisible ; ou apparte­ nance « non re », c’est-à-dire non manifestée. Dans chacun de ces deux groupes, il y aura des justes et des pécheurs, mais les conditions des uns et des autres seront différentes. 394. Nous avons déjà abordé ce problème en comparant la situa­ tion du « chrétien pécheur » et du « juste du dehors » ; voir plus haut, p. 1131 ; et aussi plus loin, p. 1737. ’"■ai QUI EST MEMBRE ? I 1729 2. L’appartenance non re, c’est-à-dire non manifestée, n’est pas irréelle, simplement logique ; elle est réelle, ontologique, mais reste initiale et inachevée. Elle se pro­ duit lorsque la puissance obédientielle des sujets humains est actualisée, non point encore par l’âme créée et indivise de l’Église, mais seulement par quelques-uns de ses éléments composants. On l’appelle appartenance en acte virtuel ou ten­ danciel. Sans doute, si l’on considère les éléments com­ posants de l’âme créée de l’Église dans l’état de disjonc­ tion et de dispersion qui les affecte nécessairement hors de l’Église, il faut dire que, sous la pression des erreurs et des passions humaines, ils sont entraînés vers une désin­ tégration progressive. Mais si l’on considère leur vertu naturelle, leur tendance propre et spontanée, il faut dire que, sous l’influx de l’Esprit saint, ils demandent au contraire à se développer, à se rapprocher et à rejoindre de ce fait leur lieu naturel qui est l’essence même de l’Église. Toute la doctrine de l’appartenance tendancielle est fondée sur ce principe que, partout où se trouve quelqu’un des éléments de l’âme créée de l’Église, il tend par nature, sous la pression de l’Esprit qui « rassemble les dispersions d’Israël », à appeler tous les autres autour de lui et à construire ainsi l’âme indivise de l’Église : le caractère, dit saint Thomas395, appelle la grâce, la foi appelle la charité, et la charité appelle, plus intensément encore, son éclosion sacramentelle et orientée. On l’appelle encore latente, invisible. Dans la mesure où elle est inachevée, elle demeure, en effet, moins appa­ rente. C’est d’une façon qui n’est pas pleinement visible qu’elle unit les hommes au Christ et à l’Église qui eux, par nature, sont visibles396. 395. III, qu. 69, a. 10. 396. I! est difficile que l’appartenance en acte virtuel ne paraisse pas au-dehors par quelque signe, tenant soit au passé (si l’on a reçu, 1730 VII/3 - MEMBRES DU CHRIST ET DE L’ÉGLISE 6. L’appartenance tendancielle peut être de « foi seule », ou déjà de « charité » 1. Si l’on voulait tenir compte ici de la différence des temps, on commencerait par diviser l’appartenance en acte tendanciel : 1° En normaley comme elle le Rit avant la venue du Christ. La loi de nature et la loi mosaïque préparaient normalement l’avènement de la loi nouvelle, par laquelle elles étaient secrètement mais puissamment aimantées. 2° En anormale, comme elle l’est depuis la venue du Christ et la mission des apôtres. Il est anormal, en effet, que la loi évangélique, aujourd’hui encore, ne soit connue et pratiquée que d’une manière tendancielle par des foules innombrables, victimes à son sujet d’une igno­ rance invincible. 2. Si l’on quitte maintenant les considérations histo­ riques pour la considération des valeurs, on distinguera : 1° L’appartenance tendancielle des justes, ou apparte­ nance tendancielle d'amour, ou appartenance tendancielle salutaire, efficace. C’est une appartenance tendancielle qui doit être entendue absolument, « simpliciter». On l’appelle souvent appartenance par le désir seule­ ment, « non re, sed voto tantum ». Il ne s’agit pas d’un désir volage, d’une velléité, ni d’un désir naturel ou phi­ losophique, ni du désir déjà surnaturel mais encore inef­ ficace impliqué dans la foi et l’espérance théologales informes. Il s’agit d’un désir procédant de la charité théologale; d’une orientation spirituelle, d’un «tro­ pisme » de tout l’être tendu vers son souverain Bien ; par exemple, le rite visible du baptême) ; soit au présent (la charité, ou simplement la foi surnaturelle, se laisseront tant soit peu deviner). L'appartenance « invisible» à l’Église de soi visible est en réalité une appartenance « imparfaitement visible ». QUI EST MEMBRE ? 1731 d’un choix, si obscur, si informulé, si caché au fond du cœur qu’on l’imagine, mais puissant comme une marée, et qui décide victorieusement de la signification catho­ lique latente de toute une vie. 2° L’appartenance tendancielle des fidèles encore pécheurs, ou appartenance tendancielle de la fioi et de l'es­ pérance informe, ou appartenance tendancielle non salu­ taire, inefficace. C’est une appartenance tendancielle qui reste relative, secundum quid ; une appartenance qui n’est encore « neque re neque voto ». Par « justes », on entend ceux qui vivent dans la grâce et la charité ; par « pécheurs », ceux qui vivent en état de péché mortel. 3. Comparons l’appartenance tendancielle relative des pécheurs et l’appartenance tendancielle absolue des justes. Γ L’appartenance tendancielle par la foi seule, en entendant par ce dernier mot la foi sans la charité, la foi informe, relève déjà de l’ordre surnaturel. La foi est la foi; la charité, en venant la revêtir, ne change pas sa nature397398 . Elle est d’ordre théologal, elle est un don de Dieu393. Elle est une vraie vertu399, car d’elle-même elle atteint infailliblement son objet400 ; mais une vertu imparfaite, car elle est privée de la charité, seule capable d’ordonner tout l’agir de l’homme à la béatitude401 : elle 397. « L’habitus de la foi formée et de la foi informe est le même ». S. Thomas, II-II, qu. 4, a. 4 ; a. 5, ad 3. 398. « La foi informe est un don de Dieu ». II-II, qu. 6, a. 2. 399. « La foi informe est une vraie vertu, mais imparfaite ». B1LLUART, De fide, saint Thomas, II-II, édit. Arras, 1868, t. III, p. 247. Il faut interpréter ce que dit saint THOMAS, II-II, qu. 4, a. 5, parce qu’il dit dans le même article, ad 3, et II-II, qu. 23, a. 7. 400. II-II, qu. 4, a. 5. 401. La charité est forme des autres vertus efficiemment, en tant quelle imprime en elles l’ordre à la fin. II-II, qu. 23, a. 8. 1732 V1I/3 - MEMBRES DU CHRIST ET DE L’ÉGLISE est comparable sous ce rapport à une troupe d’élite, mais coupée du commandement central, et qui n’est plus ordonnée à la fin de toute l’armée. L’appartenance tendancielle par la foi seule est une appartenance tendancielle relative, secundum quid, ineffi­ cace, non salutaire. Elle prépare et appelle l’appartenance tendancielle absolue, efficace, salutaire, à la manière dont la foi prépare et appelle la charité : c’est beaucoup, mais c’est encore trop peu. C'est sous un rapport seulement, secundum quid, que ces pécheurs participent au salut du Christ et de l’Église, qu’ils sont membres du Christ et de l’Église, qu’ils sont dans l’Église. Absolument parlant, simpliciter, ils ne par­ ticipent pas encore au salut du Christ et de l’Église, ils ne sont pas encore membres du Christ et de l’Église, ils sont hors de l’Église. Et hors de l’Église, il n’y a pas de salut. On pourra, dans l’appartenance tendancielle de foi informe, distinguer deux groupes : a) ou bien la foi est jointe au caractère baptismal, c’est le cas chez les croyants pécheurs des Églises dissidentes en qui le baptême est validement dispensé, b) ou bien la foi demeure seule : c’est le cas chez les croyants pécheurs non baptisés, par exemple chez les catéchumènes pécheurs, etc. 2° L’homme qui passe de l’appartenance tendancielle de la foi seule à l’appartenance tendancielle de la y»/ vivi­ fiée par la charité, franchit un pas. La foi et l’espérance informes connaissent et attendent surnaturellement le vrai Dieu ; elles le laissent pourtant à jamais distant et non possédé. Elles ne peuvent que préparer et appeler la rencontre suprême : seule la charité la procure en faisant de l’aimant et de l’Aimé une seule chose, un seul esprit : « Qui adhère au Seigneur fait avec lui un seul esprit » (I Cor., VI, 17). QUI EST MEMBRE ? 1733 A l’instant où la charité naît dans un de ces hommes, elle le fait passer de la zone d’attirance non salutaire et inefficace des pécheurs dans la zone d’attirance salutaire et efficace des justes. Il ne sort pas de l’appartenance ten­ dancielle. Mais déjà, ce n’est plus relativement, secundum quid, c’est absolument, simpliciter, qu’il participe au salut du Christ et de l’Eglise, qu’il est membre du Christ et de l’Esprit, qu’il est dans l’Église, et par conséquent sauvé. A aucun moment cependant, l’appartenance tendan­ cielle de charité n’est l’appartenance en acte achevé. Elle demeure nécessairement inachevée. Avant la venue du Christ, elle était normale. Maintenant, depuis que le Christ est venu, elle est anormale, et donc privative, légi­ timée dans la seule hypothèse d’une ignorance invin­ cible, exposée à mille dangers et séductions. C’est le régime d’une charité qui désire sa pleine éclosion, mais qui, si intense qu’on la suppose, faute des conditions requises, ne pourra jamais l’obtenir ici-bas. C’est absolu­ ment sans doute, nous l’avons vu, mais c’est seulement d’une manière inachevée que ces justes participent au salut du Christ et de l’Église, qu’ils sont membres du Christ et de l’Église, qu’ils sont dans l’Église : suffisam­ ment cependant pour être sauvés, car, en raison de la charité, l’axiome « hors de l’Église pas de salut » ne les atteint pas. Si l’on désire une comparaison pour illustrer les diffé­ rents moments de l’appartenance au Christ et à l’Église, on pourrait l’emprunter à l’hypothèse aristotélicienne de l’animation successive de l’embryon402 : l’appartenance tendancielle de foi seule et d’espérance répondrait au temps de l’animation par l’âme végétative ou sensitive ; l’appartenance tendancielle de charité, au temps de l’ani­ 402. On la trouve chez saint THOMAS, I, qu. 118, a. 2, ad 2. ■—««Ί 1734 VII/3 - MEMBRES DU CHRIST ET DE L’ÉGLISE mation par lame spirituelle et immortelle; l’apparte­ nance en acte achevé, à la naissance403. 7. Trois degrés de l’appartenance tendancielle de charité %» f· »· r.4· 1. L’appartenance tendancielle de désir, voto tantum, pourrait être considérée du point de vue de Y intensité de la charité. Elle comporterait alors une infinité de degrés ; ce n’est donc pas de ce point de vue que nous la divise­ rons. Sur l’intensité de la charité tendancielle, il faut cependant noter deux points : 1° Ce n’est pas seulement avant le Christ, chez les saints de la loi mosaïque et de la loi de nature, sous un régime tendanciel normal ; c’est encore, du moins nous le croyons, après le Christ, sous un régime tendanciel devenu synonyme de privation, que la charité peut s’éle­ ver à des degrés d’intensité héroïques, sublimes. Qu’est-ce que la charité d’Abraham ou de Job, qu’est-ce, ajoutons-le, que la charité qui semble animer, non seulement les saints des Églises orthodoxes dissidentes, mais même certains amis de Dieu vivant par exemple en Israël, en terre d’Islam, si on la compare à la charité trop peu fer­ vente de nombreux catholiques ? Mais, si intense et si héroïque quelle soit, tant que la charité reste tendancielle, elle n’est pas encore, ou pas encore pleinement, sacramentelle et orientée. Elle est pareille à un rosier qui promet des fleurs de l’espèce la plus splendide, mais qui n’écloront qu’au ciel, parce qu’il leur manque ici-bas le plein soleil de cette grâce et de 403. «Saint Augustin compare les catéchumènes à des êtres humains déjà conçus, et non encore nés ». S. BELLARMIN, De Ecclesia militante, livre III, ch. ΙΠ. L’écrit de saint Augustin auquel Bellarmin nous renvoie n’est pas authentique. QUI EST MEMBRE ? 1735 cette vérité par lesquelles le Christ, à travers la hiérar­ chie, réchauffe maintenant le monde. Ces fleurs, entre temps, ont moins de richesses que la plus humble rose épanouie. Le dernier des enfants de l’Église, s’il est dans l’amour, peut déjà dire : Abraham était meilleur que moi, mais mon état est meilleur que celui d’Abraham404. Et c’est sans doute en ce sens que le Sauveur déclarait : « En vérité, parmi les enfants des femmes, il n’y en eut pas de plus grand que Jean le Baptiste ; mais le plus petit dans le royaume des cieux est plus grand que lui » (Mt.,Xl, 11). 2° Il reste que, dans l’ensemble, la charité est incom­ parablement plus intense, plus stable, plus pure, plus assurée, plus brûlante dans l’Église en acte achevé, contre laquelle ne prévaudront pas les portes de l’enfer (Mt., XVI, 18), et qui est le temple mesuré pour être épargné (Apoc., XI, 1), que dans l’Église en acte tendanciel. 2. L’appartenance tendancielle de désir peut être considérée du point de vue, non plus de X intensité, mais de la richesse de la charité, et c’est ainsi que nous pour­ rons la diviser. C’est l’influx plénier de la hiérarchie chrétienne qui donne naissance à la charité sacramentelle et orientée, et à l’Église en acte achevé. Dans la mesure où cet influx cesse de s’exercer, si intense que puisse être la charité des justes, elle cesse d’être pleinement sacramentelle et orientée; l’âme créée et indivise de l’Église, brisée et 404. A Jovinien, qui donnait en exemple aux vierges chrétiennes les femmes mariées de l’Ancien Testament, Sara, Suzanne, Anne, saint Augustin répondait que, si l’on regarde aux personnes, les mariés peuvent être meilleurs que les continents, mais que, si l’on regarde aux états de vie, la continence est meilleure que le mariage, De bono conjugali, ch. XXIII, n° 28. 1736 VII/3 - MEMBRES DU CHRIST ET DE L’ÉGLISE mutilée, n'est plus présente alors que par quelques-uns de ses éléments composants ; l’appartenance de charité ne peut être que tendancielle et imparfaite. On pourra distinguer trois degrés principaux de l’ap­ partenance tendancielle de charité : 1° La charité est toute sacramentelle bien qu’insuffisamment orientée. C’est le cas pour les justes adultes40^ des Églises orthodoxes dissidentes, où sont conservés le sacrifice et tous les sacrements de la loi nouvelle, notam­ ment le baptême où l’unité de communion et connexion s’inaugure, et l’eucharistie où elle se consomme. Nous avons vu que la charité sacramentelle demande à être une charité orientée, que l’unité de communion ou connexion appelle l’unité d’orientation405 406407 . L’unité sacra­ mentelle de communion ou connexion ne peut aller elle-même jusqu’au bout de ses propres vœux, lorsqu’elle n’est point servie, ou lorsqu’elle n’est qu’insuffisamment servie, par l’unité juridictionnelle d’orientation. C’est la plaie la plus néfaste des Églises orthodoxes dissidentes. Coupées de la catholicité, elles sont toujours, Soloviev l’a bien vu, victimes, sous quelque aspect, de l’idéologie politique d’un peuple40 . Mais que leurs saints, leurs grands saints, sont proches des nôtres ! 2° La charité n’est plus qu’incomplètement sacramen­ telle. C’est le cas pour les justes adultes des Églises dissi405. Les petits enfants baptisés validement dans les Églises dissi­ dentes relèvent de l’Église en acte achevé. 406. Voir plus haut, p. 1139. 407. On lit, dans les Résolutions de la Conférence ecclésiastique de Moscou, juillet 1948, que le Vatican «est le centre des intrigues internationales contre les intérêts des peuples, tout particulièrement des peuples slaves », « le centre du fascisme international », « l’un des instigateurs des deux guerres impérialistes », que Pie XII, en vertu de son «infaillibilité», participe «à la fomentation des guerres fratri­ cides, à la lutte contre la démocratie, à la défense du fascisme», etc. Voir le texte dans Russie et Chrétienté, 1948, p. 61. QUI EST MEMBRE ? 1737 dentes protestantes où le baptême seul (et le mariage) est validement donné. 3° La charité riest plus sacramentelle. C’est le cas des justes adultes non baptisés, relevant de certaines déno­ minations protestantes, ou vivant dans le judaïsme, l’is­ lam, les religions d’origine non chrétienne. 8. L’appartenance en acte achevé comporte des «justes » et des « pécheurs » 1. L’influx plénier de la hiérarchie chrétienne donne naissance à la charité sacramentelle et orientée, qui est l’âme créée et indivise de l’Église, et à l’Église en acte achevé, où la puissance obédientielle des sujets humains peut être pleinement actualisée. Or, l’âme créée et indivise de l’Église est tout entière présente, mais de deux manières distinctes et inégales, dans certains membres qui sont justes, et dans d’autres membres qui sont pécheurs. Et c’est pourquoi l’Église en acte achevé comporte à la fois, mais à titre inégal, des membres justes et des membres pécheurs. 1° Dans les membres justes, l’âme créée et indivise de l’Eglise est présente immédiatement, par soi, premièrement, « primo, per se, per prius » : une Église chrétienne dont accidentellement, à un heureux moment de sa durée, tous les membres seraient justes, est concevable et pour­ rait fort bien subsister. La charité sacramentelle et orien­ tée anime et informe les membres justes directement, par sa propre essence. Aussi les sanctifie-t-elle intrinsè­ quement. Ils sont de l’Église en acte achevé, par une appartenance salutaire, « re et voto ». 2° Dans les membres pécheurs, l’âme créée et indivise de l’Église n’est plus présente que d’une manière dépen- 1738 îî» y· ·» ·*·■> VI1/3 - MEMBRES DU CHRIST ET DE L’ÉGLISE dante et dérivée, « per posterius » : une Église chrétienne dont accidentellement, à un instant malheureux de sa durée, tous les membres seraient pécheurs, est inconce­ vable : les portes de l’enfer auraient prévalu contre elle. La charité sacramentelle et orientée continue d’animer et d’informer les membres pécheurs, mais seulement d’une manière indirecte, par 1 influx collectif, quelle exerce encore sur eux au travers des membres justes, auxquels ils demeurent liés, tant qu’ils n’ont péché ni par schisme ni par hérésie, et que subsistent en eux, avec les carac­ tères sacramentels, la foi et l’espérance théologales. Mais cette survivance en eux de la charité sacramentelle et orientée est défaillante et a cessé d’être personnelle­ ment vivifiante. Ils sont de l’Église en acte achevé, par une appartenance non immédiatement salutaire, « re non voto ». Ainsi l’âme indivise de l’Église est présente immédiate­ ment, par son essence, chez les justes, et efficiemment ou extensivement, par son influx, chez les pécheurs, en d’autres mots, par une motion, une impulsion qui ne peut venir que de son essence et par laquelle les pécheurs continuent, tant qu’ils n’ont pas rompu avec l’Église, d’être entraînés, dans une certaine mesure, dans le sillage de sa vie collective. 2. La présence, à l’intérieur de l’Église en acte achevé, de pécheurs privés de la charité, qui sont encore ses membres, qui ne sont pas seulement dans l’Église comme des corps étrangers, mais de l’Église comme des membres assez vivants pour échapper à la gangrène et à l’amputa­ tion, mais néanmoins paralysés, bref qui ne sont pas seu­ lement membres improprement, secundum quid, mais proprement, vere, est un mystère insondable, contenu dès le principe dans le dépôt révélé, mais dont la prise de QUI EST MEMBRE ? 1739 conscience, d’ailleurs bouleversante, semble récente et peut-être encore inachevée408. En disant que certains pécheurs sont vraiment membres du Christ et de l’Église en acte achevé, tandis que certains justes ne leur appartiennent que tendanciellement, ce qu’on affirme c’est encore le grand principe discriminateur qui nous a toujours guidé, à savoir le principe du primat de la charité sacramentelle et orien­ tée sur la charité non sacramentelle et non orientée. Tant que subsiste le lien mystérieux qui rattache ces pécheurs à la charité sacramentelle et orientée, ils sont encore, à cause d’elle, membres du Christ et de l’Église. Dès que ce lien est rompu, par le schisme, l’hérésie ou l’impénitence finale, ils cessent définitivement d’être membres du Christ et de l’Église. En quoi consiste ce lien ? Γ La charité sacramentelle et orientée, qui a pris, à un moment donné, possession de ces chrétiens, conti­ nue, depuis qu’ils l’ont perdue, d’être présente en eux, non point par simple fiction juridique, mais beaucoup plus mystérieusement, à la manière, parfois terrible, dont une privation sait être ontologique. Ces pécheurs ne sont pas des pécheurs comme les autres, ce sont des pécheurs chrétiens, c’est-à-dire déchus d’une intimité de vie avec le Christ et l’Église qui ne cesse de les réclamer, à laquelle ils restent destinés, qui n’abandonne pas ses droits sur eux tant que ne survient pas la rupture irrépa­ rable. Qu’ils renoncent à leur péché, ce qui les attend, ce n’est pas la simple grâce, qui fait appartenir tendanciellement au Christ et à l’Église, c’est la grâce sacramentelle et orientée, qui fait appartenir plénièrement au Christ et à l’Église. C’est toute sa plénitude qui s’inscrit privativement en eux. Ils sont comme un beau rosier, en très 408. Voir Excursus VI : Sur l'Église sans tache ni ride, p. 1804. 1740 VII/3 - MEMBRES DU CHRIST ET DE L’ÉGLISE grand danger de périr, mais qui, s’il reprend vie, redon­ nera les roses plénières d’an tan. 2° On a vu que la grâce sacramentelle et orientée, qui réside premièrement, par essence, salutairement dans les membres justes est encore présente dans les membres pécheurs par suraffluence, d’une manière qui cesse d’être immédiatement salutaire, mais qui a pour fin lointaine de les inciter à rejoindre la place qu’ils ont quittée, et que le Christ et l’Église ne cessent de leur garder. Cette motion que le Christ exerce à travers les membres justes sur les membres pécheurs comme une poussée sourde et permanente représente, elle aussi, bien autre chose qu’un pur titre juridique ; c’est ontologiquement, d’une ma­ nière cette fois-ci positive, bien que défaillante, quelle rattache les pécheurs au Christ et à l’Église. 3° Que le Christ continue de regarder les chrétiens pécheurs, malgré leur catastrophe, comme des membres encore marqués par leurs anciens privilèges, nous en avons un grand signe dans l’institution du sacrement de pénitence, qui n’est pas ouvert à tous les pécheurs, mais réservé aux seuls pécheurs qui sont ses membres. Ces considérations font découvrir quelque chose, d’une part, de l’atroce déchirement des chrétiens pé­ cheurs par lequel est rendue possible leur présence parmi les membres de l’Église, et, d’autre part, du mystère des fidélités de cet Amour qui, jusqu’au bout, ne se résigne pas à les renier. L’existence de pécheurs qui sont vraiment membres du Christ et de l’Église en acte achevé se justifie donc sans que nous ayons à abandonner la doctrine du primat de la charité sacramentelle et orientée ; sans que nous ayons à « compléter » ou à « corriger » notre principe de classement, qui est « ontologique », par un autre principe de classement, qui serait « juridique » ; sans que nous QUI EST MEMBRE ? 1741 ayons à distinguer réellement l’un de l’autre le corps mystique du Christ et l’Église. 3. En parlant à la fois des membres du Christ et de l’Église ; en distinguant deux appartenances au Christ et à l’Église, l’une en acte achevé, l’autre en acte ten­ danciel ; en assurant que, si certains pécheurs sont encore membres de l’Église, ils sont encore pour autant membres du Christ ; que si, d’autre part, tous les justes sont déjà membres du Christ, ils sont déjà pour autant membres de l’Église, on tient, pensons-nous, une posi­ tion-clef, qui nous paraît seule pleinement tradition­ nelle, seule pleinement respectueuse du mystère du corps mystique du Christ et de l’Église. Peut-être, cependant, pourra-t-elle ne point paraître contraignante aux yeux de ceux qui, pour résoudre les problèmes nouveaux posés par le progrès du temps, se sont orientés différemment. Il existe, en effet, une voie facile dans laquelle plu­ sieurs aujourd’hui semblent s’engager. Pourquoi, pen­ sent-ils, s’obstiner à parler indissociablement, à la suite de saint Thomas et de Cajetan, de « membres du Christ et de l’Église»? Il y a dans l’Église des membres pécheurs, privés de la grâce du Christ : va-t-on les regar­ der comme « membres du Christ » ? Et d’autre part, il y a des justes qui tiennent leur grâce du Christ, mais igno­ rent invinciblement l’Église, dont ils n’ont, en appa­ rence, rien reçu : va-t-on les regarder comme « membres de l’Église » ? N’est-il pas, au contraire, tout indiqué de dissocier ici deux formalités : celle de « membres du Christ » et celle de « membres de l’Église » ? Les « mem­ bres du Christ », ce sont tous les justes, qu’ils appartien­ nent, ou non, à l’Église ; les « membres de l’Église », ce sont tous ceux, justes et pécheurs, qui font profession de lui appartenir. Il y aurait difficulté à soutenir que des pécheurs puissent relever du Christ, qui connaît le fond 1742 Vll/3 - MEMBRES DU CHRIST ET DE L’ÉGLISE des cœurs ; mais il n’y en a plus aucune à dire qu’ils relè­ vent de l’Église, faite pour organiser le visible. En consé­ quence, il convient ici, dit-on, de reconnaître deux touts, qui pourront partiellement se recouvrir, mais qui seront distincts l’un de l’autre réellement, non pas simplement conceptuellement, à savoir : d’une part le « corps mystique du Christ », qui rassemble tous les justes, mais eux seuls; d’autre part 1’« Église », qui ne rassemble qu’un certain nombre de justes et de pécheurs. Une dissociation analogue, ou plus brutale encore, se retrouvera, sous d’autres noms, dans plusieurs doctrines ecclésiologiques aberrantes, dont certaines n’hésitent pas d’ailleurs à professer des vues manifestement condam­ nées par le magistère catholique. Certains opposeront, par exemple, 1’« âme de l’Église », conçue comme débor­ dant son corps et de laquelle relèveraient tous les justes, au « corps de l’Église », plus étroit et rassemblant des justes et des pécheurs. D’autres, l’« Église invisible» à l’« Église visible ». D’autres, Γ« Église mystique » à l’« Église juridique»409. D’autres, le « christianisme», qui est divin, aux « confessions ou dénominations », chrétiennes ou non chrétiennes, qui à leurs yeux ne peuvent être qu’hu­ maines, etc. Si diverses que soient ces vues, les premières naguère encore librement soutenues par des catholiques410, et les 409. « Nous déplorons et condamnons l’erreur funeste de ceux qui s’imaginent une Église illusoire, sorte de société nourrie et formée par la charité, à laquelle ils opposent, non sans dédain, une Église juridique ». PlE XII, Encyclique Mystici corporis, dans A. A. S., 1943, p. 224. 410. Les choses ont changé depuis la parution de l’Encyclique Mystici corporis, 29 juin 1943, qui refuse de distinguer réellement entre l’Église et le Corps du Christ. Et depuis, il a fallu que l’Encyclique Humani generis, 12 août 1950, revienne sur ce point: * Certains ne se tiennent pas pour liés par la doctrine exposée il y a peu d’années dans notre Éncyclique et qui est fondée sur les sources QUI EST MEMBRE ? 1743 dernières réprouvées par le magistère, elles ont à nos yeux le tort commun de prendre pour une distinction ce qui est, au vrai, si subtile et si masquée soit-elle, une déchirure. Avec les anciens, nous n’acceptons pas, pour notre part, de dissocier « membres du Christ » et « mem­ bres de l’Église » ; nous parlons du « corps du Christ qui est l’Église » sans sous-entendre aucune distinction qui opposerait réellement le corps du Christ et l’Église ; nous tenons qu’il n’est pas d’appartenance au Christ qui ne soit une appartenance à l’Église et réciproquement. Le corps du Christ, l’Église, existe en acte achevé ou en acte tendanciel. Les justes qui, d’une part, ignorent invinci­ blement l’Église avec sa grâce sacramentelle et orientée, lui appartiennent néanmoins, comme ils appartiennent au Christ, d’une manière seulement inchoative, par le désir de charité. Les chrétiens pécheurs, d’autre part, qui ne sont ni schismatiques ni hérétiques, et qui sont encore dans l’Église en acte achevé, sont de ce fait dans le corps du Christ, bien que d’une manière défaillante et non salutaire. C’est une vérité qu’il y a dans l’Église, dans le corps mystique du Christ, dans le Christ total, des pécheurs : en raison des dons divins qui subsistent encore en eux, non en raison de leurs péchés. Et c’est une erreur que l’Église, le corps mystique du Christ, le Christ total, pèche dans ses membres pécheurs411. Car l’Église, le corps mystique du Christ, le Christ total est, non sans pécheurs, mais sans péchés. de la révélation, selon laquelle le corps mystique du Christ et l’Église catholique romaine sont une seule et même chose. » A. A. 5., 1950, p. 571. 411. On se rappelle la proposition d’AUGUSTIN DE ROME, condamnée au concile de Bâle : « Le Christ (total) pèche chaque jour, et a péché chaque jour, dès l’instant où il a été Christ». MANSI, t.XXIX, col. 108-110. 1744 VII/3 - MEMBRES DU CHRIST ET DE L’ÉGLISE En résumé, les pécheurs sont membres de l’Église: 1° partiellement, à savoir par ce qui en eux est bon, et sans y introduire leurs souillures ; 2° vraiment, à savoir par la survivance en eux de la grâce sacramentelle et orien­ tée, qui est l’âme créée de l’Eglise ; 3° analogiquement, à savoir d’une manière qui est, non pas identique, mais seulement proportionnelle à celle dont les justes sont membres, la grâce sacramentelle et orientée étant en eux, non point par son essence, mais seulement par son influx. 9. Trois degrés de l’appartenance salutaire en acte achevé 1. L’âme créée et indivise de l’Église, à savoir la grâce sacramentelle et orientée, réside dans les justes d’une manière immédiate première, originelle, per prius. Ils sont les « membres spirituels » de l’Église. Tels sont les enfants qui ont reçu le baptême valide, soit dans la vraie Église, soit dans les Églises dissidentes ; les justes adultes qui vivent dans la communion de l’Église; enfin les catholiques qui auraient été excommuniés par suite d’une erreur, mais seraient demeurés dans l’amour. En tous ces êtres, l’âme créée et indivise de l’Église est présente par son essence. Elle est tout entière dans toute l’Église et tout entière dans chacun de ses membres. Ce qui ne signifie pas, néanmoins, quelle manifeste égale­ ment et uniformément en chacun d’eux ses multiples virtualités. Il en va ici comme en chacun de nous où l’âme, essentiellement une, est tout entière dans notre corps et tout entière dans chaque partie de notre corps, tout en déployant différemment ses virtualités en chaque organe. Et c’est pourquoi l’on pourra distinguer entre eux les justes qui sont dans l’Église. QUI EST MEMBRE ? 1745 2. Cette distinction pourra se prendre de la diversité des « fonctions ». Elle concerne alors à la fois les mem­ bres justes et les membres pécheurs. D’un côté, on met­ tra les fidèles investis d’une fonction hiérarchique (ils sont dans l’état clérical). Sous cet aspect, ce sont les membres principaux. Ceux qui, dans le corps mystique, «sont en possession des pouvoirs sacrés, en constituent les membres premiers et principaux, primaria ac princi­ palia membra, car c’est par eux que se perpétuent, selon le mandat du divin Rédempteur, les fonctions du Christ docteur, roi, prêtre»412. De l’autre côté, on mettra les fidèles exonérés des fonctions hiérarchiques (ils sont dans l’état laïque). Une seconde manière de distinguer les fidèles, qui pourra convenir, en partie du moins, aux justes et aux pécheurs, pourra se prendre de la diversité des « états de vie »413. 3. Il reste encore pourtant une distinction plus cachée, plus foncière, plus ultime. Elle est, elle aussi, tra­ ditionnelle414. Elle est propre aux membres justes, quelles que soient leurs fonctions ; et quels que soient leurs états de vie : cléricature ou laïcat, mariage ou céli­ bat, vie commune ou vie parfaite, vie religieuse ou vie épiscopale. Elle se prend du degré de leur charité (il 412. PlE XII, Encyclique Mystici corporis, dans A. A. S., 1943, p. 200. 413. Ces deux premières distinctions sont signalées simultané­ ment dans l’encyclique Mystici corporis, pp. 200-201. 414. Saint PAUL distingue: 1° des chrétiens charnels, au sens de pécheurs enfoncés dans la chair (σαρκικοί) ; 2° des chrétiens charnels, au sens à'enfants non encore pleinement émergés de la chair (σαρκικοί, νήπιοι), mais qui ont déjà les prémices et les arrhes de l’Esprit ; 3° des chrétiens parfaits ou spirituels (τέλειοι, πνευματικοί). Cf. E.-B. ALLO, Première Épître aux Corinthiens, Paris, 1935, pp. 52 et 89. 1746 WMl VII/3 - MEMBRES DU CHRIST ET DE L’ÉGLISE s’agit de la charité sacramentelle et orientée), du degré de leur liberté intérieure, par conséquent du degré d’inti­ mité de l’inhabitation de l’Esprit saint en eux. On dis­ tinguera : 1° L’état des commençants chez qui la charité doit être entretenue et protégée de peur quelle ne périsse. Leur appartenance à l’Eglise, encore fragile, est limitée par beaucoup de péchés véniels délibérés. 2° L’état des progressants, qui s’appliquent surtout à laisser la charité s’accroître et se fortifier en eux. Leur appartenance à l’Église est encore limitée par beaucoup de péchés véniels indélibérés. 3° L’état des parfaits, préoccupés d’adhérer chaque jour davantage à Dieu, de le goûter, de se dissoudre pour être avec le Christ. Leur appartenance à l’Église n’est presque plus limitée par les péchés véniels indélibérés, elle devient illimitée. « L’âme arrivée à l’union d’amour n’a même plus les premiers mouvements »41L « Les vieux amis de Dieu, ce serait merveille s’ils venaient à faillir à Dieu, car ils sont déjà au-dessus de tout ce qui peut les faire faillir »415 416. On reprendra ces vues41 pour les approfondir quand on traitera de la sainteté de l’Église418. Ce qu’il faut dire dès maintenant c’est que « les chrétiens commençants sont portés par les chrétiens progressants, et ceux-ci par 415. S. JEAN DE LA CROIX, Maximes, dans Les œuvres spirituelles, édit. Silverio, t. IV, p. 246 ; édit. Chevallier, p. 257 ; trad. LucienMarie de Saint-Joseph, p. 1319. 416. Ibid. 417. Elles sont de saint THOMAS, II-II, qu. 24, a. 9 et de son com­ mentateur Passerini, De hominum statibus et officiis, qu. 183, a. 4, n“ 7 et 20. 418. Cf. « L’état de grâce, ou l’“état de liberté” de l’Église», dans Nova et Vetera, 1934, pp. 409-411 [recueilli dans le vol. V de la pré­ sente édition]. QUI EST MEMBRE ? 1747 les chrétiens parfaits, en sorte que la charité entière de l’Église, bien que disposée selon divers degrés, est pour­ tant étroitement unifiée, les degrés inférieurs recevant l’influence déterminatrice de la flamme spirituelle qui brûle aux degrés supérieurs »419. Il faut toujours rappeler les paroles de la sainte de Lisieux : «Je compris que, si l’Église avait un corps composé de différents membres, le plus nécessaire, le plus noble de tous les organes ne lui manquait pas ; je compris quelle avait un cœur, et que ce cœur était brûlant d’amour ; je compris que l’amour seul faisait agir ses membres, que, si l’amour venait à s’éteindre, les apôtres n’annonceraient plus l’Évangile, les martyrs refuseraient de verser leur sang. Je compris que l’amour renfermait toutes les vocations, que l’amour était tout... »420 10. De deux divisions réductibles aux précédentes : les « catholiques » et les « a-catholiques » ; les « chrétiens catholiques » et les « chrétiens non catholiques » On peut proposer d’autres manières de référer les hommes à l’Église qui diffèrent verbalement des précé­ dentes, mais qui, ou bien coïncident réellement avec elles, ou du moins y sont réductibles. 1. Le Code de droit canon distingue les «catho­ liques» des « a-catholiques »421. Canoniquement, la divi­ sion est irréprochable. Mais théologiquement, elle demande à être précisée. Si l’on tient, en effet, que des a-catholiques seront sauvés, va-t-on dire qu’ils étaient chrétiens sans être catholiques, et abandonner en consé419. Ibid. 420. Histoire d’une âme, ch. XI. 421. Voir l’index du Code, au mot Acatholici. 1748 VII/3 - MEMBRES DU CHRIST ET DE L’ÉGLISE quence la synonymie profonde des mots « chrétien » et « catholique » ? Le théologien dira donc : 1° On appelle ouvertement catholiques - ou par abré­ viation « catholiques » - ceux qui, justes ou pécheurs, participent à funité de communion ou connexion et à l’unité d’orientation de l’Église, les uns d’une manière efficace et salutaire, les autres d’une manière inefficace et non salutaire. 2° On appelle non ouvertement catholiques - ou par abréviation « a-catholiques » - ceux qui, justes ou pécheurs, sont ouvertement hors de l’unité de commu­ nion ou connexion et de l’unité d’orientation de l’Église : a) certains peuvent s’y rattacher secrètement, tendanciellement, les uns d’une manière efficace et salutaire, les autres d’une manière inefficace et non salutaire ; b) d’autres ont brisé avec elle comme les schismatiques et les hérétiques ; c) d’autres enfin sont de simples membres en puissance. Dès lors, la synonymie des mots « chrétien » et « catholique » est sauvée, et nous retombons dans les dis­ tinctions déjà faites. 2. On divise fréquemment les chrétiens en « chrétiens catholiques » et en « chrétiens non catholiques ». Là encore, des explications sont nécessaires. Distinguons : 1° Les chrétiens ouvertement catholiques, qui, justes ou pécheurs, appartiennent à l’Église en acte achevé, en qui l’âme créée et indivise de l’Église est présente, soit par son essence ou salutairement, soit par son influx ou non salutairement. 2° Les chrétiens non ouvertement catholiques, qui, justes ou pécheurs, ne possèdent que quelques-uns seulement des éléments requis à l’âme créée et indivise de l’Église. QUI EST MEMBRE ? 1749 On peut les répartir en deux groupes, selon qu’ils sont chrétiens par consécration ou par les seules vertus infuses. On appellera chrétiens par consécration ceux en qui subsiste le caractère baptismal : a) chez les « chrétiens dissidents » justes, il est uni à la charité sacramentelle ; b) chez les « chrétiens dissidents » pécheurs, il ne ren­ contre plus que la foi informe ; c) chez les « chrétiens hérétiques », il subsiste seul. L’expression contradictoire de chrétiens hérétiques, qui exprime une réalité elle-même contradictoire, semble autorisée par le Code de droit canon, qui appelle héré­ tique « celui qui, tout en retenant le nom chrétien, nie ou met en doute avec pertinacité quelqu’une des vérités qu’il faut croire de foi divine et catholique»422. Il est regrettable que certains s’en servent encore parfois pour désigner, non pas de vrais hérétiques, mais des chrétiens peut-être simplement dissidents. On appellera chrétiens par les seules vertus infixes ceux qui, privés du caractère baptismal, relèvent cependant de l’Église : a) par la charité non sacramentelle : ce sont des justes ; b) par la seule foi théologale informe : ce sont des pécheurs. Les principales au moins des distinctions que nous avons proposées peuvent se résumer dans ce tableau synoptique des membres du Christ et de l’Église : 422. Code, can. 1325, § 2. C hérétique retient le nom chrétien; \ apostat le rejette : théologiquement, cela ne change pas l’espèce du péché. Voir plus haut, p. 1326. 1750 νΠ/3 - MEMBRES DU CHRIST ET DE L’ÉGLISE 11. Tableau synoptique des membres du Christ et de l’Église déjà en acte, in actu, par la pré­ sence au moins soit du baptême soit de la foi On peut être membre du Christ et de l’ÉGLISE en leur apparte­ nant •a 4» «· F Tî < ,/O appartenance consentie < des fidèles appartenance ouverte, en acte achevé « re vel actu perfecto » sup­ posant une présence, non univoque, mais analogique, de l’âme créée et indivise de l’Église appartenance latente, en acte tendanciel, « non re sed actu vir­ tual! », due à la pré­ sence de quelques-uns des éléments de l’âme \ créée de l’Église appartenance ' non salutaire \ reniée par le PÉCHÉ des schismatiques purs, en qui subsiste encore la foi et le caractère baptismal des hérétiques, en qui ne subsiste plus que le seul caractère ' baptismal seulement en / des adultes non baptisés qui ont refusé puissance, in la foi, si obscurément quelle leur ait été potentia, quand proposée, par un PÉCHÉ personnel manquent le d’infidélité baptême et la foi. Appartenance I des enfants non baptisés, retenus par le ’ seul PÉCHÉ originel \ non salutaire 1751 QUI EST MEMBRE ? / des parfaits, qui finit par exclure les péchés parson essence d’une véniels indélibérés et manière directe, salu­ devient illimitée taire, chez les mem­ bres JUSTES, qui sont / des progressants, limitée dans l’Église « re et \ par des péchés véniels indélibérés voto », visiblement et des commençants, limi­ tée par des péchés ; D’où l’appartenance \ véniels délibérés parson influx, d’une manière indirecte, non salutaire, chez les membres PÉCHEURS qui sont dans l’Église « re non voto » visiblement non spirituellement ou bien toute sacramentelle mais insuffisamment orien­ appartenance tée, chez les justes adultes salutaire de des Églises orthodoxes chanté, « non re sed voto », ou bien incomplètement spirituelle­ sacramentelle, chez les justes ment seule­ adultes des Églises protes­ ment, des tantes en qui le baptême est JUSTES dont la valide charité est ou bien non sacramentelle chez les autres justes appartenance non salutaire de foi informe * neque re neque voto » des PÉCHEURS, par la foi jointe au caractère baptismal chez les croyants pécheurs des Églises dissi­ dentes en qui le baptême est valide par la seule foi chez les croyants pécheurs non bap­ tisés : catéchumènes, etc. « catholi- \ ques », justes ou pécheurs, i. e. ouverte­ ment cathoouvertement dans la plé­ nitude de la communion « acatholiques », justes ou pécheurs, i. e. non ouvertement catholiques, non ouverte­ ment dans l’unité de communion, mais qui peuvent s’y rattacher d’une manière latente et tendancielle / Division des hommes en 1752 VII/3 - MEMBRES DU CHRIST ET DE L’ÉGLISE 12. Conclusion Ce qu'il importe par-dessus tout de comprendre, c’est que l’Eglise est le nœud de la vie spirituelle de l’humanité. Toutes les créatures tendent à se rejoindre dans l’unité de l’Église. Tous les hommes dans lesquels vit encore quelque chose de sacré sont en marche, de ce seul fait, qu’ils le sachent ou non, vers Jérusalem, au centre de laquelle est offert réellement chaque jour le Sacrifice de la Croix, qui fait descendre sur chaque génération fugitive la secrète rosée des cieux. L’Église est l’obscure bienfaitrice de toutes les âmes. Dans la nuit qui couvre le monde, elle attire à soi tout ce qui ne veut pas mourir. Elle est une Épiphanie perpétuée, l’annonce du prophète réalisée : « Voici sur toi l’aurore de lahvé et sa gloire sur toi se manifeste ; et les nations marchent à ta lumière, les rois aux clartés de ton aurore » (Isaïe, LX, 2-3). IL « HORS DE L'ÉGLISE, PAS DE SALUT» L'axiome : Hors de l’Église, pas de salut, remplit de sa présence latente tout le Nouveau Testament (I). Il est enseigné expressément par les Pères (II) et par le magis­ tère ecclésiastique (III). A la théologie de synthétiser les questions qu’il soulève et les réponses qu’il apporte (IV). 1753 I. Présence latente de l’axiome dans le Nouveau Testament Tous les textes du Nouveau Testament pourraient être en quelque sorte réordonnés autour de la maxime : Hors de l’Église, pas de salut, tellement elle lui est immanente et centrale. On n’en veut signaler ici que quelques-uns. 1. Le salut se fait par incorporation au Christ et à l’Église 1. Le message évangélique est adressé à tous les hommes, juifs et gentils (I Cor., I, 24 ; Éphés., II, 14) ; il est destiné aux nations de tous les temps (Mt., XXVIII, 19-20) ; il est une grande lumière pour ceux qui sont assis dans l’ombre de la mort (Mt., IV, 16). Ceux qui le reçoivent sont un avec le Christ (Jean, XVII, 23), ils sont les sarments de la Vigne (Jean, XV, 4), les membres du Christ (I Cor., XII, 12), ils deviennent christoconformes (cf Rom., VIII, 29), en eux vit le Christ (Gal., Il, 20). Ils font ainsi « son » Église (Mt., XVI, 18), dont il est la tête et qui est son corps (Éphés., I, 22-23), où l’on entre par le baptême (Mt., XXVIII, 19 ; Éphés., IV, 5). Ils sont dans le salut (Rom., I, 16). Recevoir le message, faire un avec le Christ, composer son Église, être dans le salut, ces expressions sont synonymes. Le salut est incorporation au Christ et à son Église. 2. Pareillement, refuser le message, être hors du Christ, hors de l’Église, hors du salut, sont des expres­ sions synonymes. On manque le salut en refusant le message : « Si l’on refuse de vous recevoir et d’écouter votre parole, sortez de cette maison et de cette ville en secouant la poussière de vos pieds. Je vous le dis, en 1754 VII/3 - MEMBRES DU CHRIST ET DE L’ÉGLISE vérité, il y aura moins de rigueur au jour [du jugement] pour la terre de Sodome et de Gomorrhe que pour cette ville » (Mt., X, 14-15). Ou en se séparant du Christ : «Si quelqu’un ne demeure pas en moi, il est jeté dehors, comme le sarment et il sèche ; puis on ramasse ces sar­ ments, on les jette au feu, et ils brûlent » Jean, XV, 6). Ou en méprisant l’Église : « S’il ne veut pas entendre même l’Église, qu’il soit pour toi comme le Gentil et le publicain » (Mt., XVIII, 17). Ou en rejetant le baptême: « En vérité, en vérité, je te le dis, nul, s’il ne renaît de l’eau et de l’Esprit, ne peut entrer dans le royaume des cieux » (Jean, III, 5) ; « Allez par tout le monde et prêchez l’Évangile à toute créature. Celui qui croira et sera bap­ tisé sera sauvé ; celui qui ne croira pas sera con­ damné» (Marc, XVI, 15-16). Hors de l’incorporation au Christ et à son Église, pas de salut. 3. Il est dit expressément aux Actes des Apôtres, IV, 11-12, que hors du Christ, il n’y a pas de salut: «Ce Jésus est la pierre rejetée par vous de l’édifice et qui est devenue la pierre angulaire. Et le salut n’est en aucun autre ; car il n’y a pas sous le ciel un autre nom qui ait été donné aux hommes, par lequel nous devions être sauvés »423. Et il est dit expressément dans saint Paul que l’Église est le corps du Christ : le Christ est « d’une manière éminente, tête de l’Église, qui est son corps, la plénitude de celui qui remplit tout en tous » (Éphés., I, 22-23). Il s’ensuit donc nécessairement que, hors de l’Église, il n’y a pas de salut. 423. Cf. Rom., III, 23-24 : « Tous en effet, ont péché et sont pri­ vés de la gloire (= approbation) de Dieu ; c’est gratuitement qu’ils sont justifiés par sa grâce, en vertu de la rédemption qui est dans le Christ Jésus ». HORS DE L’ÉGLISE PAS DE SALUT 1755 2. Trois précisions évangéliques Mais, dès l’Écriture, l’affirmation : Hors de l’Église, pas de salut, s’éclaire de trois remarques que le théolo­ gien devra scruter424. 1° L'axiome vise directement ceux qui, immédiatement éclairés par la prédication évangélique, la refusent. «Siméon... dit à Marie, sa mère : Voici qu’il est placé pour la chute et la résurrection d’un grand nombre en Israël, et pour être un signe en butte à la contradiction » (Luc, II, 34). «Voici en quoi consiste le jugement : c’est que la lumière est venue dans le monde, et les hommes ont pré­ féré les ténèbres à la lumière, car leurs œuvres étaient mauvaises » (Jean, III, 19). « Et Jésus dit : Je suis venu en ce monde pour que se produise le discernement ; afin que ceux qui ne voient pas, voient ; et que ceux qui voient, deviennent aveugles » (Jean, IX, 39). Le roi s’irrite contre ceux qui ont injurié et tué ses messagers : « Le fes­ tin des noces est prêt, mais les conviés n’en étaient pas dignes ; allez donc dans les carrefours... » (Mt., XXII, 8). L’axiome vise, plus directement encore, ceux qui, ayant compris et accepté la prédication évangélique, la renient par ce qu’on appellera plus tard les péchés de schisme et d’hérésie. Certains, dit saint Paul, « ont fait naufrage dans la foi : de ce nombre sont Hyménée et Alexandre, que j’ai livrés à Satan, afin de leur apprendre à ne point blasphémer» (I Tim., I, 20). Saint Jean appelle antéchrists ceux qui renient Jésus comme Christ : « Il y a maintenant de nombreux antéchrists, par là nous connaissons que c’est la dernière heure ; ils sont sortis de parmi nous, mais ils n’étaient pas des nôtres » 424. Ne parlons pas d’atténuations de la maxime : « Hors de l’Église... », avec Pierre BATIFFOL, Le catholicisme de saint Augustin, Paris, 1920,1.1, p. 247. Parlons d'approfondissements. 1756 VII/3 - MEMBRES DU CHRIST ET DE L’ÉGUSE (I Jean, II, 18-19). «Si quelqu’un vient à vous et n’ap­ porte pas cette doctrine, ne le recevez pas dans votre maison, et ne lui dites pas : salut ! » (II Jean, 10). 2 ° L’axiome ne signifie pas que toute appartenance au Christ et a l’Église est salutaire. Au contraire, s’ils ne se convertissent à temps, les chrétiens pécheurs seront condamnés. « Le Fils de l’homme enverra ses anges, et ils enlèveront de son royaume tous les scandales et ceux qui commettent l'iniquité, et ils les jetteront dans la four­ naise du feu » (Mt., XIII, 41-42). « Alors le roi dira à ceux qui sont à sa gauche : Allez, maudits, au feu éternel qui a été préparé pour le diable et ses anges. Car j’ai eu faim et vous ne m’avez pas donné à manger... » (Mt., XXV, 41). « Le roi entra pour voir ceux qui étaient à table, et ayant aperçu là un homme qui n’était point revêtu de la robe nuptiale..., il dit : Liez-lui les mains et les pieds, et jetez-le dans les ténèbres extérieures » (Mt., XXII, 11-14). De quoi servirait au chrétien sa foi, s’il n’a pas la cha­ rité ? « Quand j’aurais même toute la foi, jusqu’à trans­ porter les montagnes, si je n’ai pas la charité, je ne suis rien » (I Cor., XIII, 2). Ce qui compte, «dans le Christ Jésus », c’est « la foi qui est agissante par la charité» (Gal., V, 6). «Que sert-il, mes frères, à un homme de dire qu’il a la foi, s’il n’a pas les œuvres? Est-ce que cette foi pourra le sauver ? » (Jacques, II, 14). Dieu est patient et longanime à attendre les œuvres des chrétiens, et le Christ intercède pour eux : « Un homme avait un figuier planté dans sa vigne ; il vint pour y cher­ cher des fruits, et n’en trouvant point, il dit au vigneron : Voilà trois ans que je viens chercher du fruit à ce figuier, et je n’en trouve point : coupe-le donc... Le vigneron lui répondit : Seigneur, laisse-le encore cette année, jusqu’à ce que j’aie creusé et mis du fumier tout autour. Peut-être portera-t-il du fruit alors ; sinon, tu le HORS DE L’ÉGLISE PAS DE SALUT 1757 couperas» (Luc, XIII, 6-9). Il arrive en effet que le chré­ tien pécheur se convertisse : « Si quelqu’un voit son frère commettre un péché qui n’est pas pour la mort, il sup­ pliera, et il lui donnera la vie... » (I Jean, V, 16). 3° L'axiome n exclut pas une appartenance au Christ et à l’Église, latente, tendancielle et déjà salutaire. D’une part, normalement et par anticipation, tous les justes des âges antérieurs relèvent du Christ. C’est le jour du Christ qui les éclaire, comme il éclairait Abraham (cf.Jean, VIII, 56). La Femme qui met au monde ΓEn­ fant mâle (Apoc., XII, 5), c’est l’Église encore en formation. D’autre part, auprès des milliards d’êtres à qui, depuis lere nouvelle, la prédication apostolique ne peut se faire entendre, et qui vivent par conséquent sous un régime anormal, victimes d’une ignorance invincible dont les causes et les degrés peuvent varier autant que les indivi­ dus, le Christ supplée à l’absence d’une proposition expresse et suffisante du message évangélique, par des illuminations et des motions de sa grâce qui, lorsqu’elles sont reçues, peuvent être salvifiques et lui rattacher, par une appartenance initiale, latente, tendancielle, tout ce qu’il y a sur la terre d’hommes de bonne volonté. Ce dessein miséricordieux de Dieu est caché dans l’Écriture comme une racine profonde. Dieu, notre Sauveur, dit saint Paul, « veut que tous les hommes soient sauvés et viennent à la connaissance de la vérité ; car il y a un seul Dieu, et aussi un seul médiateur entre Dieu et les hommes, qui s’est donné lui-même en rançon pour tous» (I Tim., II, 4-6). Même pensée dans saint Jean: « Il était la lumière, la vraie, celle qui éclaire tout homme venant en ce monde» (Jean, I, 9). C’est l’enseignement même du Sauveur : « Et moi, quand j’aurai été élevé de terre, je les tirerai tous à moi» (Jean, XII, 32). «J’ai d’autres brebis qui ne sont pas de ce bercail [d’Israël] ; il ■w 1758 VU/3 - MEMBRES DU CHRIST ET DE L’ÉGLISE faut aussi que je les dirige, et elles entendront ma voix, et il y aura un seul troupeau, un seul pasteur» (Jean, X, 16). Saint Marc nous a rapporté un trait émouvant: «Jean lui dit : Maître, nous avons vu quelqu’un qui chas­ sait les démons en ton nom, qui ne nous suit pas, et nous l’avons empêché. Mais Jésus dit : Ne l’empêchez pas, car il n’est personne qui fasse un miracle en mon nom et qui puisse aussitôt parler mal de moi : qui n’est pas contre vous est pour vous » (Marc, IX, 38-40). Jésus est deviné par les mages (Mt., II, 1). Il loue la foi d’étran­ gers, comme le centurion (Mt., VIII, 10) et la Cananéenne (Mt., XV, 28). 3. Le mystère de l’axiome Ainsi, il faut tenir: 1° qu’il n’v a pas de salut sans appartenance au Christ et à son Eglise ; 2° que certains pécheurs, privés de la charité, appartiennent encore cor­ porellement au Christ et à l’Église sans les souiller, mais d’une manière pour eux stérile, non immédiatement salutaire : ils sont pareils à ce figuier dont on attend chaque année des fruits avant de le couper ; 3° que cer­ tains justes, qui n’appartiennent pas encore corporelle­ ment au Christ et à l’Église, leur appartiennent déjà spi­ rituellement, d’une manière seulement initiale, latente, tendancielle, mais immédiatement salutaire : ils sont pareils à ces brebis de bonne volonté qui, entravées par quelqu’une des formes de l’ignorance invincible, sont en marche, sans toujours le savoir, vers le seul troupeau régi par le seul berger. La nécessité de l’appartenance au Christ et à son Église, que nous révèle l’Écriture, est un mystère unique et simple, mais si profond, que nous ne pouvons le saisir que par une suite de propositions complémentaires, HORS DE L’ÉGLISE PAS DE SALUT 1759 contraignant l’intelligence du croyant à passer par-delà jusqu’au silence d’un regard de foi. Pour ceux qui ne s’élèvent pas si haut, qui, distinguant réellement l’Église et le corps du Christ, disjoignent ainsi la cause de l’Église de celle du Christ et de sa grâce, ou qui conçoi­ vent l’Église sur le patron des pures sociétés humaines, l’axiome : Hors de l’Église, pas de salut, perd aussitôt toute sa lumière. Il ne peut plus être qu’un slogan dont s’emparent en des sens contraires, pour le durcir ou le répudier, les fanatiques. II. L’axiome chez les Pères De nouveau, c’est toute l’ecclésiologie des Pères qu’on pourrait ici évoquer. Contentons-nous de quelques traits. 1. Se retrancher de l’Église, c’est se retrancher de la vie C’est à ceux qui se séparent de l’Église par un péché de schisme ou d’hérésie, que pensent d’abord les Pères, pour les déclarer hors du salut. Ainsi saint Ignace d’Antioche (t 107) : «Tous ceux qui sont à Dieu et à Jésus-Christ, sont avec l’évêque. Et tous ceux qui, repentants, viennent à l’unité de l’Église, seront eux aussi, à Dieu, pour vivre selon Jésus-Christ. Ne vous y trompez pas, mes frères : quiconque suit celui qui fait schisme, n’héritera pas le royaume de Dieu »425. 425. Épître aux Philadelphiens, ch. III, nOi 2 et 3 ; P. G., t. V, col. 700. 1760 VII/3 - MEMBRES DU CHRIST ET DE L’ÉGLISE De même, saint Irénée (environ 140-202), dans le texte célèbre où il explique que Dieu a disposé dans l’Église des apôtres, des prophètes, des docteurs, bref tout l’ensemble de l’activité de l’Esprit, « à laquelle n’ont point de part ceux qui, au lieu d’accourir à l’Église, se retranchent de la vie par un fol égarement et une fatale démarche. Où est, en effet, l’Église, là est l’Esprit de Dieu ; et où est l’Esprit de Dieu, là est l’Église et toute grâce : or, l’Esprit est vérité »426. 2. La formule « extra Ecclesiam... » est chez Origène et Cyprien La formule apparaît expressément, toujours avec la même préoccupation, dans la troisième homélie d’Origène sur Josué (249-251), dont nous n’avons qu’un texte latin. La maison de Rahab, l’ancienne pécheresse, qui sera marquée d’un fil écarlate et dont tous les habitants seront épargnés lors de la prise de Jéricho (Josué, II, 17-19), c’est l’Église teinte du sang du Christ : « Si donc quelqu’un veut être sauvé, qu’il entre en cette maison, qui fut autrefois celle d’une péche­ resse... Que personne ne s’illusionne, que personne ne s’abuse : hors de cette maison, c’est-à-dire hors de l’Église, personne n’est sauvé; car si quelqu’un sort dehors, il signe l’arrêt de sa propre mort, extra hanc domum, id est extra Ecclesiam nemo salvatur ; nam si quis foras exierit, mortis suae ipse fit reus ». Le fil écarlate, qui représente le Christ, signifie que « tous ceux-là seront sauvés, qui auront été trouvés dans la maison de la femme naguère pécheresse, purifiés dans l’eau et l’Esprit 426. Contra haereses, livre III, ch. XXIV, n° 1 ; P. G., t. VII, col. 966-967. HORS DE L’ÉGLISE PAS DE SALUT 1761 saint et dans le sang de notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ »427428 . A la même époque, saint Cyprien écrit, dans le De catholicae Ecclesiae unitate™ (251): «Quiconque, se séparant de l’Église, s’unit à une adultère, se frustre des promesses de l’Église. Il n’aura pas accès aux récom­ penses du Christ, celui qui abandonne l’Église du Christ. Il est un étranger, un profane, un ennemi. Il ne peut avoir Dieu pour Père, celui qui n’a pas l’Église pour mère. Si quelqu’un a pu échapper en étant hors de l’arche de Noé, celui qui sera hors de l’Église pourra, lui aussi, échapper ». Comment une unité, émanée des trois personnes divines « pourrait-elle être brisée dans l’Église et déchirée par le conflit des volontés contraires ? Qui ne garde pas cette unité, ne garde ni la loi de Dieu, ni la foi du Père et du Fils, ni la vie ni le salut, hanc unitatem qui non tenet..., vitam non tenet et salutem». Dans la lettre adressée à Jubaianus, en 256, (où pourtant il s’égare en déniant toute portée au baptême des hérétiques), Cyprien écrit : « Que si le baptême même de la confes­ sion publique et du sang répandu ne peut profiter à l’hé­ rétique au point de vue du salut, attendu qu’il n’y a point de salut hors de l’Église, quia salus extra Ecclesiam non est, à combien plus forte raison ne lui servira-t-il de rien d’avoir été lavé d’une eau corrompue dans les ténèbres d’une caverne de voleurs »429. 427. In librum Jesu Nave, homél. III, n° 5 ; P. G., t. XII, col. 841-842. 428. Ch. VI ; P. L., t. IV, col. 503. C’est tout le traité qu’il faudrait citer. 429. Epistula LXXIII, ch. xxi, n° 2 ; P. L., t. Ill, col. 1123. 1762 ΥΊΙ/3 - MEMBRES DU CHRIST ET DE L’ÉGLISE 3. L’arche de Noé 1. Dire avec Cyprien que l’Église est l’arche de Noé, c'est dire, à la fois, qu’il est insensé d’en sortir et requis d’y entrer. De l’Eglise catholique, Lactance écrit (vers 305-310): « Elle est la fontaine de la vérité, la demeure de la foi, le temple de Dieu : quiconque n’y entre pas, ou quiconque en sort, s’exclut de l’espérance de la vie et du salut, a spe veniae ac salictis alienus est»450. Aux hérétiques, qui se disent chrétiens et proclament leur Eglise catholique, Lactance répond que la vraie Église possède comme signe la confession et la pénitence, qui remédient aux péchés. 2. Le signe de la véritable Église, c’est pour saint Ambroise le primat de Pierre : Hors de Pierre, et donc hors de l’Église, c’est la mort. Ambroise écrit, vers 393 : « C’est à Pierre que le Christ a dit : Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église. Où donc est Pierre, là est l’Église ; et où est l’Église, il n’y a plus de mort, mais la vie éternelle. Et c’est pourquoi, il ajoute : Les portes de l’enfer ne prévaudront contre elle, et je te donnerai les clef du royaume des deux »430 431. C’est au même signe que se réfère saint Jérôme dans sa lettre au pape Damase (vers 374-379) : « Pour moi, ne suivant pas d’autre Premier que le Christ, je m’associe à votre Béatitude, c’est-à-dire à la chaire de Pierre. C’est sur cette pierre, je le sais, que l’Église est fondée. Quiconque mange l’Agneau hors de cette maison, est profane. Si quelqu’un n’est pas dans l’arche de Noé, il périra quand viendra le déluge »432. 430. Divinae institutiones, livre IV, ch. ΧΧΧ ; P. L., t. VI, col. 543. 431. Enarr. in Ps., XL, n° 30 ; P. L., t. XIX, col. 1082. 432. Épître XV, n° 2 ; P. L., c. XXII, col. 355. Sur la nécessité de recevoir dans la véritable Église l’eucharistie, qui est le sacrement de HORS DE L’ÉGLISE PAS DE SALUT 1763 3. Utilisant, après Cyprien, la comparaison de l’arche, saint Augustin rappellera, d’une part, que l’arche n’est porteuse de salut que pour ceux qui sont dans son unité par le cœur, qui corde sunt intus, tandis que ceux qui sont hors d’elle par le cœur, qui corde sunt foris, même s’ils sont en elle par le corps, corpore, et conservent en eux le principe du baptême, périssent433. D’autre part, dit-il, Cyprien lui-même a enseigné que, non seulement le martyre, mais la foi et la conversion du cœur, fidem conversionemque cordis, peuvent suppléer invisiblement, invisibiliter, au baptême, quand fait défaut le temps de le recevoir434. Au moins dans une cer­ taine mesure ; car il manque encore quelque chose à cette foi et à cette conversion du cœur ; et c’est pourquoi Corneille doit être baptisé par Pierre435. C’est ici un des nœuds de l’ecclésiologie d’Augustin : « Pour inquiéter la justice des catéchumènes, il est dit : Si quelqu'un ne renaît de l'eau et de l'Esprit, il n'entrera pas dans le royaume des deux. Et pour inquiéter la mauvaise vie des baptisés, il est dit : Si votre justice ne l'emporte sur celle des scribes et des pharisiens, vous n'entrerez pas dans le royaume des deux »436. Mais ce qui, dans la figure de l’arche, séduira surtout le génie catholique d’Augustin, c’est que tous les anil’imité, cf. saint IGNACE D’ANTIOCHE, Épître aux Philadelphiens, ch. IV : « Ayez soin de ne participer qu’à une seule eucharistie ; car il n’y a qu’une seule chair de notre Seigneur Jésus-Christ, et un seul calice pour nous unir à son sang, un seul autel, comme un seul évêque avec le presbytérium et les diacres... » P. G., t. V, col. 700. 433. De baptismo contra Donatistas, livre V, ch. XXVIII, n°39. Cf. livre VI, ch. XIV, n° 23. 434. Ibid., livre IV, ch. XXII, n° 29. Tel était aux yeux de Cyprien, le cas du bon larron, crucifié pour ses crimes, non pour l’amour du Christ, mais visité par la foi. 435. Ibid., livre IV, ch. XXI, n° 28. 436. Ibid. 1764 VII/3 - MEMBRES DU CHRIST ET DE L’ÉGLISE maux, que Dieu aurait pu si facilement créer à nouveau après le déluge, ne sont dans l’arche qu’en vue de signi­ fier, comme la nappe que Pierre apercevra plus tard en vision, qu'il faudra des hommes de tous les peuples pour former l’Église437. 4. Il faut s’aider des comparaisons, non en être vic­ time. La comparaison de l’arche signifie qu’on n’est sauvé qu’en appartenant au Christ et à l’Église. Elle ne dit pas que toute appartenance au Christ et à l’Église est salutaire ; et elle ne nie pas qu’il y ait des degrés dans l’appartenance salutaire. Il ne serait même pas si difficile de la retoucher dans le style des Pères, pour lui faire exprimer tout cela. On dirait, par exemple, qu’il y avait des animaux impurs dans l’arche, et quelle était, sans nul doute, escortée de bons poissons438. 4. Le Christ illumine partiellement les Gentils selon Justin et Clément d’Alexandrie Ce sont d’abord ceux qui se détachent eux-mêmes de l’Église, qui sont visés par l’axiome : Hors de l’Église, pas de salut. Mais que penser des Gentils qui ont précédé les temps du Christ ? 1. On connaît la doctrine de saint Justin. Les Gentils qui haïssent les chrétiens, déclare-t-il dans la Première Apologie (vers 152), seront condamnés. Mais un pro­ blème se présente aussitôt à son esprit : « Nous disons 437. Enarr. in Ps. CIII, Sermo 3, n° 2. 438. Tel ce centurion de Capharnaüm pour qui les Juifs intercè­ dent auprès de Jésus : « Il est digne que tu fasses cela pour lui, car il aime notre nation, c’est lui qui nous a bâti la synagogue» (Luc, VU, 4-5). Ou le centurion Corneille (Act., x). HORS DE L’ÉGLISE PAS DE SALUT 1765 que le Christ est né il y a cent cinquante ans sous le gou­ verneur Quirinius, et qu’il a enseigné ensuite sous Ponce Pilate la doctrine que nous avons rapportée. On nous objecte, dès lors, que tous les hommes qui ont vécu auparavant, l’ont ignoré sans qu’il y ait de leur faute. Hâtons-nous de répondre. Le Christ est le premier né de Dieu, il est le Verbe dont tout le genre humain participe : voilà ce que nous avons appris et enseigné. Or, ceux qui ont vécu selon le Verbe sont chrétiens, eus­ sent-ils passé pour athées, comme chez les Grecs, Socrate, Héraclite et leurs semblables, et, chez les Barbares, Abraham, Ananias, Azarias, Misaël, Élie et tant d’autres dont il serait trop long de citer ici les actions et les noms. En sorte que ceux qui ont vécu contrairement au Verbe, ont été vicieux, ennemis du Christ, meurtriers de ceux qui vivaient selon le Verbe ; tandis que ceux qui ont vécu ou vivent selon le Verbe sont chrétiens, sans peur et sans trouble »439* . Justin revient sur ce thème dans la Deuxième Apologie (autour de 160): «Notre doctrine surpasse toute doctrine humaine, parce que tout ce qui peut rele­ ver du Verbe a paru au milieu de nous dans le Christ, à la fois corps, verbe et âme. Tout ce que les philosophes et les législateurs ont découvert et exprimé de juste, ils le doivent à ce qu’ils ont trouvé et contemplé partiellement du Verbe. C’est pour n’avoir pas connu tout le Verbe, qu’est le Christ, qu’ils se sont souvent contredits eux-mêmes. Ceux qui vécurent avant le Christ, et qui cherchèrent à la lumière de la raison humaine à connaître et à se rendre compte des choses, furent mis en • · _ 440 prison comme· impies et· importuns » . 439. Première apologie, ch. XLV, n° 6 et ch. XLVI, n°* 1-4; P. G., t. VI, col. 397. 440. Deuxième apologie, ch. X, nos 1-4 ; P. G., t. VI, col. 460. 1766 VI1/3 - MEMBRES DU CHRIST ET DE L’ÉGLISE 2. Clément d’Alexandrie affirme avec force, lui aussi, que tous les hommes sont illuminés par le Verbe. Il ne réussit pas encore à opposer d’une manière expresse l’illumination naturelle, qui résulte de la raison et de la « foi innée », et l’illumination surnaturelle, qui relève de la foi théologale, de l’amour, de la grâce. Pourtant, à l’entendre exhorter les païens (vers 200), on sent com­ bien il est persuadé à la fois de l’absolue transcendance et de l’absolue nécessité pour le salut, de la révélation du Christ : « Écoutez donc, vous qui êtes loin ; écoutez, vous qui êtes près. Le Verbe ne s’est caché de personne. C’est une lumière commune, il brille pour tous les hommes ; il n’y a pas de Cimmérien par rapport au Verbe441... Les temples des idoles ne sont que des tom­ beaux ou des prisons... N’irez-vous pas vous réfugier, pour échapper à ces prisons, vers la piété descendue du ciel ? Car Dieu, dans son grand amour de l’humanité, s’attache à l’homme, comme l’oiseau vole à son petit quand il est tombé..., l’encourageant à revoler jusqu’au nid442... Tu es homme, c’est ce qu’il y a de plus universel, recherche donc ton Créateur ; tu es fils, c’est ce qu’il y a de plus personnel, reconnais ton Père443... Contemplons celui qui est réellement Dieu, et faisons d’abord monter vers lui cette acclamation : Salut ô Lumière !... C’est lui qui a changé le couchant en orient, qui a crucifié la mort à la vie444... Pourquoi donc t’exhorté-je ? J’ai hâte que tu sois sauvé ! Et cela le Christ le veut445... Hâte-toi, Tirésias, crois et tu verras. Le Christ brille plus que le soleil, lui qui illumine les yeux des aveugles. La nuit 441. Protreptique (ou Exhortation), ch. IX, trad. Mondésert, Paris, 1941, p. 147. Les Cimmériens habitaient une perpétuelle obscurité. 442. Ibid., ch. X, p. 150. 443. Ibid., ch. X, p. 159. 444. Ibid., ch. xi, p. 175. 445. Ibid., ch. xi, p. 179. HORS DE L’ÉGLISE PAS DE SALUT 1767 fuira loin de toi... Tu verras les cieux, ô vieillard, toi qui ne vois pas Thèbes446 ! » 3. Même si leur confrontation de la révélation chré­ tienne et du monde païen reste trop hâtive, même si leur désir de rattacher au Verbe tous les fragments de la sagesse antique est trop pressé pour leur laisser le temps de distinguer, aussi nettement qu’il le faudrait, 1 illumi­ nation de la raison et l’illumination de la foi, l’orienta­ tion de pensée et l’effort d’interprétation d’un saint Justin et d’un Clément d’Alexandrie sont authentique­ ment évangéliques et catholiques. 5. Le désir du baptême selon saint Ambroise On trouve dans le discours de saint Ambroise sur la mort de l’empereur Valentinien II, assassiné en 392, avant d’avoir pu recevoir le baptême, un texte capital qui, après les déclarations de Cyprien sur le baptême de désir447, achève d’ouvrir la droite intelligence de l’axiome : Hors de l’Église, pas de salut : « Pour moi, dit le saint évêque, j’ai perdu celui que j’allais engendrer à l’Évangile. Mais lui n’a pas perdu la grâce qu’il a deman­ dée, sed ille non amisit gratiam quam poposcit... J’apprends votre affliction de ce qu’il n’ait pas reçu les mystères du baptême. Mais, dites-moi, qu’avons-nous en notre pou­ voir, sinon la volonté et le désir, nisi voluntas, nisi petitio? Or, naguère encore, il a manifesté ce désir, hoc voti habuit, de se faire initier avant d’entrer en Italie, et déclaré son dessein de se faire aussitôt baptiser par moi. C’est pourquoi surtout il avait songé à m’appeler. Il n’a 446. Ibid., ch. XII, p. 182. 447. Harnack croit que saint Ambroise n’avait pas lu les œuvres de saint Cyprien, Dogmengeschichte, 3e édit., t. III, p. 43. 1768 VII/3 - MEMBRES DU CHRIST ET DE L’ÉGLISE donc pas la grâce qu'il a désirée, qu’il a demandée? Certes, s’il l’a demandée, il l’a reçue, certe quia poposcit, accepit. Et c’est pourquoi il est écrit, Sagesse, IV, 7 : Quelle que soit la mort du juste, son âme sera dans le repos »448. Il restera certes au théologien à définir en quoi l’ap­ partenance seulement initiale et tendancielle du catéchu­ mène diffère de l’appartenance achevée du fidèle, qui reçoit effectivement le baptême et l’eucharistie. Mais, si la différence entre un désir formulé et un désir infor­ mulé n’est pas, de soi et toujours, essentielle ; et si l’on peut désirer intensément un salut surnaturel dont la for­ mulation conceptuelle reste, par suite d’une ignorance invincible, déficiente, la pensée de saint Ambroise ouvre, on le pressent, des perspectives infinies. 6. Quelques traits de la synthèse augustinienne Tous les aspects principaux de la doctrine évangé­ lique de l’appartenance à l’Eglise sont touchés par saint Augustin. Il sait que c’est une même chose d’être membre du Christ et membre de l’Eglise, que l’Eglise est exactement le corps du Christ, que le « Christ total » est tête et corps, Christ et Église. Il sait qu’il n’y a pas de salut pour ceux qui se séparent de l’Église par un péché de schisme ou d’hérésie ; ils peu­ vent emporter avec eux tout ce qu’ils voudront, le Symbole de la foi, les sacrements de l’Église, la liturgie de l’Église : tout sauf la charité449, tout sauf le salut450. HORS DE L’ÉGLISE PAS DE SALUT 1769 Il sait que l’Église, qui est une par la charité, contient néanmoins de nombreux pécheurs, qui ne lui appartien­ nent qu’imparfaitement, et qui, s’ils ne se convertissent, seront séparés d’elle éternellement451. Il sait l’absolue nécessité du baptême et de l’eucharis­ tie pour constituer l’Église, et cependant il reconnaît sans cesse, équivalemment, ce que nous avons appelé l’appartenance initiale ou tendancielle de charité et de désir. En effet, d’une part, pour ce qui est de l’appartenance au Christ dans le temps, l’Église a commencé avec Abel, elle comprend tous les fidèles du passé, du présent, de l’avenir452, non seulement du peuple élu, mais encore de la gentilité, comme Job4>3. D’autre part, un catéchumène catholique, brûlant de charité, comme Corneille, à qui manque le baptême et qui, de ce fait, n’est pas encore uni à l’Église, ni en pos­ session du royaume des cieux, est cependant préférable à un baptisé pécheur comme Simon le magicien, à qui manque la conversion454. vaut pour le salut ». De baptismo contra Donatistas, livre IV, ch. XVII, n° 24. 451. Les pécheurs «qui semblent dedans, non seulement sont dehors spirituellement, mais ils seront détachés même corporellement à la fin ». Ibid., livre VI, ch. XIV, n° 23. 452. « De ce corps, celui-là est la tête, qui est monté au ciel ». Enarr. in Ps. LXII, n° 2. 453. « Je ne doute pas que ce ne soit par un dessein divin, afin que nous apprenions par ce seul exemple, qu’il a pu se trouver, dans les autres nations, des hommes selon Dieu et agréables à Dieu, apparte­ nant à la Jérusalem spirituelle ». De civitate Dei, livre XVIII, ch. XLVII. 448. De obitu Valentiniani consolatio, n°* 29 et 51 ; P. L, t. XVI, col. 1368 et 1374. 449. « Aucun de ceux qui ont la charité ne peut être schismatique ou hérétique». Contra Cresconium, livre II, ch. XIII, n° 16. 450. « Hors de ΓÉglise, rien de ce qu’on peut prendre à l’Église ne 454. De baptismo contra Donatistas, livre IV, ch. XXI, n° 28. - La condition du catéchumène juste est incomparablement moins rérilleuse. Mais le Christ et l’Église ont plus de droits sur le pécheur japtisé, dont ils ne veulent juger que par rapport à la charité sacra­ mentelle et orientée qu’il a perdue. 1770 VII/3 - MEMBRES DU CHRIST ET DE L’ÉGLISE La distinction entre le péché d’hérésie, qui fait les hérétiques, et le patrimoine d'une hérésie, qui fait les dis­ sidents, est esquissée par le saint docteur dans le passage où il est dit que « celui qui défend son opinion, encore quelle soit erronée et perverse, mais qui la défend sans s’y obstiner, surtout quand elle n’est pas le fruit de son audacieuse présomption, mais héritée de parents tombés dans l’erreur, et qui cherche la vérité avec scrupule, prêt à se rendre à elle quand il la connaîtra, n’est pas à ranger parmi les hérétiques »45\ Ailleurs, il déclare que plusieurs de ceux qui ont été baptisés dans les sectes, hors de l’Église, peuvent cependant porter des fruits de charité: alors, ils sont pareils à ce rameau vivant d’olivier que la colombe, vers le soir, amène à l’Arche455 456. III. L’axiome dans le magistère ecclésiastique W· L* ·· Sous une forme ou sous une autre, l’axiome : Hors de l’Église, pas de salut, est présent au cœur de l’enseigne­ ment magistériel. 1. Rappels de la gravité du schisme et de l’hérésie La nécessité de l’appartenance à l’Église est exprimée dans tous les Symboles de la foi. L’Église y est représen­ tée comme le lieu où l’Esprit saint vient toucher le monde pour le rassembler dans la sainteté, l’unité, la communion du Christ. 455. Epist. XLIII, n° 1. 456. Contra Faustum, livre XII, ch. XX. HORS DE L’ÉGLISE PAS DE SALUT 1771 Au cours des âges, le magistère ne cessera d’intervenir pour mettre les fidèles en garde contre ceux qui, suivant le mot de saint Paul aux Galates, I, 7, « veulent changer l’Évangile du Christ», et pour rappeler la gravité des péchés de schisme et d’hérésie. L’Épître de saint Clément aux Corinthiens, vers 96-98, a déjà pour but de dénoncer les méfaits de l’Esprit de schisme457. 2. Innocent III : nul salut hors de l’Église où se per­ pétue le sacrifice eucharistique La profession de foi soumise, le 18 décembre 1208, par Innocent III, à Durand de Osca et aux Vaudois porte : « Nous croyons de cœur et confessons de bouche une seule Église, non celle des hérétiques, mais celle qui est sainte, romaine, catholique et apostolique, hors de laquelle nous croyons que personne n’est sauvé, extra quam neminem salvari credimus »458. Un peu après, le IVe concile de Latran, répondant à des préoccupations analogues, définit : « L’Église univer­ selle des fidèles est unique, hors de laquelle absolument personne n’est sauvé, extra quam nullus omnino salvatur, en laquelle Jésus-Christ lui-même est à la fois prêtre et sacrifice, nous donnant vraiment son corps et son sang dans le sacrement de l’autel sous les apparences du pain et du vin, le pain étant transsubstancié au corps, et le vin au sang, par la puissance divine... »459 On voit, par ces professions de foi, que c’est, non pas d’« atténuations », mais d’approfondissements qu’a besoin la maxime : Hors de l’Église, pas de salut. 457. Épître aux Corinthiens, ch. XLVI, n° 6 et suiv. 458. Denz., n° 423. 459. Ch. I, De fide catholica, Denz., n° 430. 1772 VII/3 - MEMBRES DU CHRIST ET DE L’ÉGLISE 3. Boniface VIII : nécessité de la soumission au pontife romain Dans la fameuse bulle Unam sanctam de Boniface VIII, du 18 novembre 1302, on peut reconnaître deux sortes de considérants : ceux qui concernent la constitution spirituelle de l’Eglise ; et ceux qui concer­ nent les rapports de l’Eglise avec le temporel. Ce sont les considérants du premier groupe, et la définition dogma­ tique qui les résume, qui retiennent maintenant notre attention460. 460. Pour la partie de la bulle qui traite des rapports du spirituel et du temporel, Jean Rivière, Le problème de l’Église et de l’État au temps de Philippe le Bel, Paris, 1926, s’applique à montrer quelle est rédigée en fonction de la théorie, aujourd’hui insoutenable, du pou­ voir direct du pape sur le temporel. Il a soin pourtant d’ajouter que les interventions des papes médiévaux dans la politique trouvaient, dans la tradition de l’Église, une justification authentique. Voici deux de ses textes. Le pape portait plus ou moins confusément en son esprit un « système qui ne fut jamais à aucun titre une doctrine d’Église, mais qui n’en a pas moins traversé la pensée personnelle de plusieurs papes et, en une heure particulièrement grave, coloré le fond tradi­ tionnel des revendications pontificales dans le document solennel où s’expriment les vues directrices de Boniface VIII», p. 91. «Les nuances qui peuvent exister entre ces divers papes (Grégoire VII, Innocent III, Boniface VHI) sur la manière de comprendre le droit pontifical n’entament pas leur accord sur son existence, ni leur com­ mune intention d’en user. Il faut se garder de confondre le fait de l’intervention de l’Église en matière politique avec les doctrines d’école qui s’efforcent d’en rendre compte. Tandis que celles-ci n’intéressent que l’histoire des systèmes théologiques, le principe de celle-là appartient à la tradition même de l’Église. Chez Boniface VIII, comme chez tous les autres papes du Moyen Age, les vues du docteur privé ont beaucoup moins d’importance que les actes publics du chef », p. 94. (Relevons que le mot sur les doctrines qui « n’intéres­ sent que l’histoire des systèmes théologiques » ne peut concerner que les doctrines insuffisantes et aujourd’hui indéfendables.) Soit, dirons-nous. Mais c’est ici précisément que commence le travail du théologien. Quelle est cette doctrine traditionnelle qui, en HORS DE L’ÉGLISE PAS DE SALUT 1773 1. Les grands traits de la doctrine traditionnelle, mêlés à des exégèses accommodatices, sont rappelés dans les premières lignes : « Une [unique] sainte Église catho­ lique, qui est apostolique — voilà ce que, sous la pression de la foi, nous sommes contraints de croire et de confes­ ser: et nous le croyons fermement et confessons sans réticence - hors de laquelle il n’y a ni salut ni rémission des péchés, ΓÉpoux disant dans les Cantiques : Une est ma colombe, ma bien aimée. Elle représente un seul corps mystique, lequel a pour tête le Christ, qui a pour tête Dieu. En elle, il n’y a qu’un Seigneur, une foi, un baptême. Il n’y eut, au temps du déluge, qu’une seule dépit des références malheureuses à la fausse donation de Constantin, en dépit des justifications inexactes ou contestables qu’ils pouvaient peut-être apporter, justifiait réellement les interventions des papes médiévaux dans le temporel ? A cela nous répondons que ce n’est ni la thèse de la potestas directa, ni la thèse de la potestas direction : tel est le sens, que nous maintenons, de notre petit livre sur La juridiction de l’Église sur la cité, - où plusieurs points nous semblent pourtant à modifier. C’est la doctrine d’origine évangélique, latente chez les Pères, formulée en partie par saint Thomas et ses meilleurs disciples, puis par Léon XIII, d’une distinction réelle entre le spirituel et le temporel, d’une subor­ dination intrinsèque des fins temporelles aux fins spirituelles, d’un droit d’intervention du spirituel dans le temporel ratione moralitatis : 1° pour défendre le spirituel quand il est menacé par le temporel ; 2° pour illuminer le temporel lui-même. Cette doctrine demande à s’appliquer proportionnellement à une cité sacrale, composée unique­ ment de citoyens catholiques, et à une cité profane, composée de citoyens de toutes les dénominations. Si l’on ajoute qu’à ce pouvoir spirituel, qui leur revenait comme aux vicaires du Christ, était annexé provisoirement, chez les papes du Moyen Age, en raison des condi­ tions de la chrétienté sacrale, un double titre temporel, comme princes des États de l’Église, et comme tuteurs de la chrétienté, on pourra, sans recourir à la thèse insoutenable de Ia potestas directa, jus­ tifier toutes les grandes interventions pontificales dans le temporel et, croyons-nous, toutes les assertions de la bulle Unam sanctam relatives au temporel. Cf. L’Église du Verbe incarné, t. I, ch. VI. 1774 VII/3 - MEMBRES DU CHRIST ET DE L’ÉGLISE j Vi i« ? ί i wwi arche de Noé pour préfigurer l’Église, achevée par une fenêtre d’une seule coudée, régie par un seul chef, à savoir Noé, et hors de laquelle tout ce qui était sur la terre fut détruit... Cette Église une et unique ne fait qu’un seul corps, ayant non pas deux têtes comme un monstre, mais une seule, à savoir le Christ avec le vicaire du Christ, Pierre et son successeur, le Seigneur ayant dit à Pierre : Pais mes brebis. Par où sont désignées toutes les brebis, et non seulement telles brebis particulières. Si donc les Grecs ou quelques autres assuraient qu’ils n’ont pas été confiés à Pierre et à ses successeurs, il faudrait qu’ils avouent, en conséquence, qu’ils ne sont pas des brebis du Christ, le Seigneur parlant, dans saint Jean, d’un bercail et d’un pasteur»461. La conséquence indi­ quée ici par le pape est, en effet, nécessaire et inébran­ lable. Mais ce qu’il ne dit pas et demande d’être ajouté, c’est que, par une inconséquence due à l’ignorance invincible, le Christ et Pierre son vicaire ont beaucoup de brebis qui, hélas, se méprennent, les unes sur la mis­ sion de Pierre, les autres sur la nature même et la mis­ sion du Christ. Ce sont des brebis qui n’ont pas encore rejoint le troupeau et le pasteur, mais qui déjà peuvent leur appartenir initialement, tendanciellement. m « 2. La définition solennelle qui termine la bulle est préparée par le rappel de l’origine divine du pouvoir donné par le Christ à Pierre et à ses successeurs. Elle est ainsi conçue : « Nous déclarons, disons, définissons, pro­ nonçons pour toute créature humaine, que la soumis­ sion au pontife romain est une absolue nécessité de salut »462. 461. Denz., n° 468. 462. « Porro subesse Romano Pontifici omni humanae creaturae declaramus, definimus et pronuntiamus omnino de necessitate HORS DE L’ÉGLISE PAS DE SALUT 1775 Elle signifie qu’il est de nécessité de salut pour toute créature humaine d’appartenir au Christ, et à son Église qu’il régit par Pierre. Elle ne distingue pas deux apparte­ nances : l’une manifeste et plénière, l’autre latente et ini­ tiale, toutes deux salutaires. Elle ne parle pas non plus de l’appartenance non salutaire des membres pécheurs. 3. L’acceptation du primat de Pierre, tout comme l’appartenance au Christ et à l’Église, peut être latente et tendancielle et pourtant déjà salutaire. Il se peut qu’un homme droit sente sa conscience protester et se révolter contre la doctrine du primat de Pierre. En raison d’une série de malentendus accumulés depuis des siècles et dont il est victime sans nulle faute de sa part, cette doc­ trine peut lui apparaître aujourd’hui, non plus pour ce quelle est, à savoir comme le testament d’amour du Christ organisant ses brebis avant de remonter au ciel, mais comme une reviviscence du paganisme, un sacri­ lège, une offense à la sainteté de Dieu et de l’Évangile. Que dira le théologien catholique ? Il dira que si vrai­ ment cet homme est droit et humble de cœur, docile aux grâces divines qui viennent secrètement le visiter, soumis sans réserve aux desseins de Dieu et du Christ, il a déjà accepté, dans sa source et radicalement, une doctrine qu’il ne nie dans sa teneur directe et formellement, que faute d’en apercevoir la divine origine. Il pourra se faire pourtant que cet homme voie se dis­ siper progressivement, sous la lumière de la grâce, des erreurs qui jusqu’ici avaient été pour lui insurmontables. salutis » Denz., n° 469. - Saint THOMAS, vers la fin du Contra errores Graecorum avait écrit : « Ostenditur etiam quod subesse Romano Pontifici sit de necessitate salutis ». Il avait raison d’alléguer, en faveur de la primauté romaine, saint Maxime dont V. GRUMEL rapporte deux beaux textes, cf. article « Maxime le Confesseur », col. 458, dans Dictionnaire de Théologie Catholique. 1776 VII/3 - MEMBRES DU CHRIST ET DE L’ÉGLISE C’est ce qui advint à Newman, à Soloviev, à des milliers d'autres. Alors il entendra se prononcer d’elle-même au fond de son cœur, avec une insistance divine et chargée d’un sens qu’il n’avait pas encore pu soupçonner, la parole du Christ à Pierre : Pais mes brebis. A ce mo­ ment, la définition catholique de la primauté romaine, cessant de lui être un scandale, lui sera un pur trait de lumière. 4. Pie IX : la part de l’ignorance invincible 1. Dans son allocution Singulari quadam, du 9 décem­ bre 1854, Pie IX rappelle à la fois, dans un beau texte, la nécessité d’appartenir à l’Église, et l’existence d’une ignorance invincible, c’est-à-dire non coupable, dont il s’interdit de chercher quels peuvent être soit les sujets, soit les limites : « Il faut regarder comme de foi que, hors de l’Église apostolique romaine, personne ne peut être sauvé, quelle est l’arche unique du salut, que celui qui n’y sera point entré périra par le déluge. » Et il faut pareillement tenir pour certain que ceux qui sont dans l’ignorance de la vraie religion, si cette ignorance est invincible, n’en portent point la faute aux yeux du Seigneur. Qui maintenant serait assez présomp­ tueux pour oser indiquer les limites de cette ignorance, étant donnés le caractère et la diversité des peuples, des pays, des esprits et de tant d’innombrables facteurs? Certes, lorsque, délivrés des liens du corps, nous verrons Dieu tel qu’il est, nous comprendrons combien il est étroit et merveilleux le lien qui unit la miséricorde et la justice divine. Mais, tant que nous vivons sur terre, acca­ blés par ce poids mortel qui obscurcit l’âme, tenons fer­ mement selon la doctrine catholique qu’il n’y a qu’un HORS DE L’ÉGLISE PAS DE SALUT 1777 Dieu, qu’une foi, qu’un baptême (Éphés., IV, 5) ; ques­ tionner davantage n’est plus permis. En même temps, selon que la charité le demande, répandons des prières assidues pour que toutes les nations, où qu’elles se trou­ vent, se convertissent au Christ ; et travaillons de toutes nos forces au salut commun de tous les hommes. Car le bras du Seigneur ne s’est pas raccourci (Isaïe, L, 2), et jamais les dons de la grâce céleste ne manqueront à ceux qui désirent et demandent, avec un cœur droit, d’être réconfortés par sa lumière »463. 2. Pie IX revient sur ces pensées dans l’encyclique Quanto conficiamur, du 10 août 1863. Il réprouve, comme tout à fait contraire à la doctrine catholique, le dogme de l’indifférence doctrinale en matière de reli­ gion, suivant lequel on peut accéder à la vie éternelle hors de la vraie foi et de l’unité catholique. Sans doute, «ceux qui sont dans l’ignorance invincible de notre très sainte religion, s’ils s’efforcent de suivre la loi naturelle et ses préceptes divinement gravés dans tous les cœurs, s’ils sont prêts à obéir à Dieu et mènent une vie droite et honnête, peuvent, par la vertu de la lumière et de la grâce divine, entrer dans la vie éternelle ; car Dieu, qui voit à découvert, sonde, connaît tous les esprits, inten­ tions, pensées, dispositions des hommes, ne permettrait jamais, dans sa bonté souveraine et dans sa clémence, qu’un être qui n’est pas coupable de faute volontaire soit châtié de peines éternelles. » Mais d’autre part, c’est un dogme catholique bien connu, que personne ne peut être sauvé hors de l’Église catholique ; que ceux qui se rebellent contre l’autorité et les dispositions de cette Église, se séparant avec pertinacité de l’unité de l’Église et du pontife romain successeur 463. Denz., nos 1647-1648. HORS DE L’ÉGLISE PAS DE SALUT 1778 1779 VII/3 - MEMBRES DU CHRIST ET DE L’ÉGLISE de Pierre, commis par le Sauveur à la garde de sa vigne, ne peuvent atteindre au salut éternel. Car les paroles du Christ Seigneur sont claires »464. Le pape cite ici Matthieu, XVIII, 17 : S’il n’écoute pas l’Église, qu’il soit pour toi comme le Gentil et le publicain ; Luc, X, 16: Qui vous écoute, m’écoute ; et qui vous méprise, me méprise...; Marc, XVI, 16: Qui ne croira pas, sera condamné ; Jean, III, 18 : Qui ne croit pas, est déjà jugé; Matthieu, XII, 30 : Qui n’est pas avec moi est contre moi, et qui n’amasse pas avec moi disperse ; Tite, III, 11 ; II Pierre, II, 1. Et il conclut : « Que jamais cependant, les enfants de l’Église catholique, ne soient en rien ennemis de ceux qui ne leur sont pas unis par les liens de la foi et de la charité. Bien plus, s’ils sont pauvres, ou malades, ou affligés de quelque infortune, qu’ils s’efforcent, en toute circonstance, de les assister et de les secourir, avec toutes les ressources de la charité chrétienne. Qu’ils s’in­ génient surtout à les arracher aux ténèbres de l’erreur où ils sont retenus prisonniers, pour les conduire à l’Eglise comme à une mère très aimante, qui ne cesse de tendre vers eux ses mains compatissantes, et de les rappeler à elle, afin que, fondés définitivement dans la foi, l’espé­ rance et la charité, et féconds en toute œuvre bonne, ils obtiennent le salut éternel »465. 464. Cité en partie dans Denz., n° 1677. 465. Denz., 1678. On peut se demander si ces deux importants documents de Pie IX sont suffisamment et même exactement repré­ sentés par la condamnation des propositions 16 et 17 du Syllabus, qui ne font même pas mention de l’ignorance invincible : « Dans le culte de n’importe quelle religion, les hommes peuvent trouver la voie du salut éternel, et joindre ce salut. Du moins, faut-il avoir bon espoir du salut éternel de ceux qui ne sont d’aucune manière, nequaquam, dans la vraie Église du Christ ». Denz., nos 1716 et 1717. 3. Insistons encore une fois sur le fait que, ce qui est dit ici de l’ignorance invincible, n’est pas une atténua­ tion de la maxime Extra Ecclesiam nulla salus, mais son approfondissement. Il faut bénir Pie IX d’avoir proclamé à nouveau, simultanément, trois points de la doctrine évangélique et patristique : Γ L’absolue nécessité pour tout homme d’appartenir à l’Église, s’il veut être sauvé. 2° L’existence d’une ignorance invincible, c’est-à-dire non coupable, relativement à la pleine révélation de cette Église. (Le pape parle d’ignorance invincible « de la vraie religion », « de notre très sainte religion ».) 3° L’existence, derrière le rideau de cette ignorance invincible, d’une activité cachée de Dieu (le bras du Seigneur n’est pas raccourci), de visites secrètes de la lumière et de la grâce divine, de dons de la grâce céleste, qui ne manquent jamais à ceux dont le cœur est droit, et qui peuvent les conduire dans la vie éternelle. En d’autres mots, l’existence, derrière le rideau d’une igno­ rance invincible touchant la pleine révélation de l’Église, d’une appartenance ignorée, initiale, tendancielle, déjà salutaire, à cette même Église"166. 466. « Hors de l’Église point de salut n’a pas d’autre signification que le mot de saint Paul : Sans la foi il est impossible de plaire à Dieu ; c’est-à-dire qu’il n’y a pas de salut pour celui qui résiste à la vérité connue... Il y a dans cette sentence un mot qui se supplée, c’est le mot volontairement... A cette question : l’Église croit-elle à la perte de ceux qui, nés et élevés là où ils n’ont pu la connaître, sont dans une ignorance invincible de la loi de Jésus-Christ, mais ont fidèlement pratiqué tout le bien qui leur était connu ? Il faut répondre : Non ! Et y a-t-il sur cette question diversité d’opinions parmi les docteurs de l’Église? Encore une fois, non!... Quand on dit: Hors de l’Église point de salut sans ajouter les explications élémentaires qui viennent d’être données, c’est qu’on s’adresse à ceux qui, comme vous et moi, seraient inexcusables d’être hors de l’Église, puisqu’ils ne pourraient l'abandonner sans fermer les yeux à la lumière... La difficulté se 1780 HORS DE L’ÉGLISE PAS DE SALUT VII/3 - MEMBRES DU CHRIST ET DE L’ÉGLISE Pas de salut, sinon dans l’Église. Cependant certains peuvent être dans l’Eglise d’une manière encore impar­ faite, mais déjà salutaire. Cette appartenance peut être ignorée du reste des hommes, ignorée même du souve­ rain pontife, ignorée même d’eux-mêmes. Il suffit quelle soit vue de Dieu. ■ 5. Pie XII La reconnaissance d’une appartenance latente et ten­ dancielle à l’Eglise apparaît de bien des manières dans les documents des derniers papes. 1. Dès l’encyclique Summi pontificatus, 20 oc­ tobre 1939, Pie XII écrivait: «Nous ne voulons point passer sous silence la joie que nous ont apportée les sou­ haits et les vœux de ceux qui, sans appartenir au tissu visible de l’Église catholique, etsi ad aspectabilem non per­ tinent catholicae Ecclesiae compagem, n’ont pas voulu, dans la noblesse et la sincérité innée de leur âme, que fut jeté à l’oubli tout ce qui les lie à Nous, soit dans l’amour de la personne du Christ, soit dans la foi en Dieu. Qua tous aille l’expression de nos sentiments de gratitude. Nous les confions tous et chacun à la protection et au gouvernement divin, en donnant l’assurance solennelle qu’une seule pensée Nous anime et Nous dirige, celle résout donc en une simple question de bonne foi, non en ce sens que la bonne foi excuse d’être hors de l’Église, mais en ce sens quelle fait qu’on n’est pas véritablement hors de l’Église... On peut être dans l’Église de cœur sans y être de corps. N’est-il pas bien clair que tout homme de bonne foi appartient à l’Église par le cœur, puisqu’il y entrerait si elle lui était connue ? » Cardinal DECHAMPS, archevêque de Malines, « 4e entretien sur la démonstration catholique de la révé­ lation chrétienne», dans Œuvres complètes, Malines, 1874, t. I, p. 362. i 1781 d’imiter en tout l’exemple du bon Pasteur, en vue de conduire tous les hommes à la vraie félicité, afin que tous aient la vie et qu’ils l’aient plus abondamment »467. L’encyclique Mystici corporis, 29 juin 1943, revient sur la même pensée : « Pour ceux qui n’appartiennent pas au tissu visible de l’Église catholique, qui ad aspectabilem non pertinent catholicae Ecclesiae compagem 468, vous savez bien, vénérables frères, que dès le début de notre pontifi­ cat, Nous les avons confiés à la protection et au gouver­ nement d’en-haut, en donnant l’assurance solennelle, qu’à l’exemple du bon Pasteur, Nous n’avions pas de plus grand désir, sinon qu’ils aient la vie et qu’ils Paient plus abondamment. Cette assurance solennelle, Nous désirons la renouveler ici..., les invitant tous et chacun avec amour, à consentir de plein gré aux impulsions de la grâce divine, et à s’efforcer de sortir d’un état où nul ne peut être sûr de son salut éternel. Car même si, par un certain désir et vœu inconscient, ils se trouvent ordonnés au corps mystique du Rédempteur, etiamsi inscio quo­ dam desiderio et voto ad mysticum Redemptoris Corpus ordinentur, ils sont pourtant privés de ces nombreux secours et de ces dons si précieux du ciel, qu’on ne trouve que dans l’Église catholique, tot tamen tantisque caelestibus muneribus adjumentisque carent, quibus in catholica solummodo Ecclesia firui licet. Qu’ils entrent donc dans l’unité catholique, et que réunis tous avec Nous dans l’unique tissu du Corps de Jésus-Christ, ils s’approchent avec Nous du Chef unique, dans la com­ munion du plus bel amour, in gloriosissimae dilectionis 467. A. A. S., 1939, pp. 418-419. 468. L’encyclique parle plus haut d’Église visible, adspectabilem Ecclesiam, mais se garde de l’opposer à une Église invisible. Cf. Acta Apostolicae Sedis, 1943, p. 199. Compago, qui est un mot de saint Augustin, est rendu, dans les traductions, par organisme ; on pourrait dire aussi complexion. 1782 1783 VI1/3 - MEMBRES DU CHRIST ET DE L’ÉGLISE societate. Sans interrompre jamais nos prières à l’Esprit d’amour et de vérité, Nous les attendons les bras ouverts, non pas sur la porte d’une maison étrangère, mais sur la porte de leur propre demeure paternelle »469470 . 2. Il appartient au pape comme docteur de l’Église de signaler le rapport de l’appartenance latente et initiale à l’appartenance ouverte et achevée. Il ne lui appartient pas, il le sait, il l'a dit par la bouche de Pie IX, de définir les limites de l’ignorance invincible, ni de donner des assurances prématurées. Quand le prédicateur de ΓÉvangile parle à ceux qui ne sont pas encore ouvertement de l’Église, il essaie de faire ce que font avec nous les saints : rassurer ceux qui sont troublés, troubler ceux qui sont rassurés4 °. 469. A. A. S., 1943, pp. 243-244. Dans le Radio-message de Noël 1948, Pie XII dit de l’Église : « Elle est prête à tout. A tout sauf à une chose. Qu’on ne lui demande pas d’obtenir le retour de ces fils sépa­ rés d’elle, soit dans les temps passés, soit récemment, au prix de quelque diminution ou obscurcissement que ce soit, du dépôt de la foi chrétienne confié à sa garde ». A. A. S., 1949, p. 9. Voir en Annexe I, à la fin de ce volume, l’importante Lettre du Saint-Office à l’archevêque de Boston, en date du 8 août 1949, rendue publique le 4 septembre 1952. 470. « Craignez avec confiance ». Saint JEAN DE LA CROIX, Œuvres spirituelles, Maximes, édit. Silverio, t. IV, p. 240 ; édit. Chevallier, p. 215 ; trad, Marie-Lucien de Saint-Joseph, p. 1308. « Une personne me disait un jour qu’il avait une grande joie et confiance en sortant de confession. L’autre me disait qu’il restait en crainte. Je pensai, sur cela, que de ces deux on en ferait un bon, et que chacun manquait en ce qu’il n’avait pas le sentiment de l’autre. Cela arrive de même souvent en d’autres choses». PASCAL, Pensées. édit. Br., n° 530. IV. Les éléments de la synthèse théologique Tout l’effort de la théologie sera de rassembler ces données multiples dont chacune est précieuse, de les ordonner et de les hiérarchiser, de s’élever ainsi à quelques vues de plus en plus riches, débouchant, comme le discursif sur le non discursif, sur une intuition de foi, qui dans sa simplicité éminente les précontiendra toutes, et bien d’autres encore qui pourront apparaître au cours des siècles. Quelles sont donc ici les vues majeures, résumant toutes les autres, qui permettent au théologien, s’il les tient à la fois en mémoire, de mieux faire apparaître la vérité du mystère de l’Église et de son appartenance. On peut les grouper sous trois titres, car l’appartenance au Christ et à son Église peut être : soit achevée, et ici le principal problème sera de savoir com­ ment les pécheurs peuvent être membres de l’Église ; soit normalement latente, comme elle l’était avant la venue du Christ ; soit anormalement latente, comme elle l’est depuis la venue du Christ. 1. Qu’est-ce que l’Église ? En vue d’être au-delà du temps, autour du Christ en gloire, un univers ressuscité dans le plein jour de la vision bienheureuse, l’Église commence d’être, au sein du temps, autour du Christ en croix, un univers réconci­ lié (mundus reconciliatus) dans la nuit de la foi et de l’amour. 1784 \ΊΙ/3 - MEMBRES DU CHRIST ET DE L’ÉGLISE a) L'Église, nouée autour du Christ, est l'habitation de la Trinité parmi les hommes Le Christ est le seul salut du monde. Au point du temps et de l’espace où il apparaît, s'ouvre « une source pour la maison de David et les habitants de Jérusalem» (Zacharie, XIII, 1). Tous sont conviés: «Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi et qu’il boive » (Jean, VII, 37). Tous sont sauvés par la Croix : « Et moi, quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai tous les hommes à moi » (Jean, XII, 32). Ceux qui se groupent immédiatement autour de lui deviennent ses brebis, ils font un troupeau, ils forment son Église. Ils sont les sarments de la vigne, les membres de son corps. C’est tout le ciel qu’il fait descendre en eux. Il envoie sur eux son Esprit saint comme il ne l’avait encore jamais envoyé ici-bas (Jean, VII, 39). En même temps son Père et Lui viennent résider en eux (Jean, XIV, 23). L’Église est la maison du Dieu vivant (I Tim., III, 15). b) Elle y est préparée par une grâce de contact Une habitation si profonde de la Trinité, encore inouïe sur la terre, suppose que les hommes qui en sont les sujets y sont adaptés et ultimement disposés par une effusion de grâce, elle aussi, inouïe sur la terre. A cet effet, il faut que le Christ, qui est la tête, trans­ fuse dans l’Église, qui est son corps, par son propre contact, quelque chose de cette plénitude de grâce et de vérité apparue avec lui pour la première fois dans le monde. « Ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé, et ce que nos mains ont touché du Verbe de vie..., nous vous l’annonçons à notre tour, afin que vous aussi soyez en communion avec nous » (I Jean, I, 3). « Nous avons HORS DE L’ÉGLISE PAS DE SALUT 1785 vu sa gloire, comme d’un Fils unique du Père, plein de grâce et de vérité... De sa plénitude nous avons tous reçu, grâce pour grâce » (Jean, I, 14, 16). C’est le toucher du Christ qui, en communiquant aux disciples une grâce pleinement christique et christoconformante, fait naître l’Église en Palestine. Avant de remonter au ciel, le Christ institue ici-bas les pouvoirs sacramentels et juridictionnels, sous l’enve­ loppe desquels il continuera de toucher les hommes. Ils sont comme les mains et la voix sensible du Christ à tra­ vers le temps et l’espace. La grâce pleinement christique et christoconformante, qui nous arrive à travers eux, pourra donc désormais s’appeler la grâce sacramentelle et orientée. Voilà l’âme créée et inhérente de l’Église, qui lui façonne son corps et transparaît au travers de ce corps. c) Mystérieuse et visible, elle est le noyau solide de la nébuleuse du salut Telle est l’Église en acte achevé. Elle n’est ni une âme sans corps ni un corps sans âme ; elle est un composé indivisible où l’âme et le corps sont coextensifs. Elle est, tout comme le Christ, indissociablement mystérieuse et visible. Elle est, cela est visible, porteuse d’un profond mystère ; pour autant, ce mystère même est rendu, jus­ qu’à un certain point, visible. Dans l’ordre du salut, serrée autour du Christ qui la favorise de son contact, elle est le point de condensation d’une immense nébuleuse, le noyau solide qui, par sur­ croît, attire, soutient, entraîne dans son sillage, de plus ou moins près, des milliards d’hommes répandus comme des atomes à travers l’espace et le temps. 1786 Vll/3 - MEMBRES DU CHRIST ET DE L’ÉGLISE 2. Comment les pécheurs peuvent-ils être membres de l’Église ? De cette Église qui est l’épouse et le corps du Christ, qui est « glorieuse, sans tache ni ride ni rien de sem­ blable, mais sainte et immaculée» (Éphés., V, 27), com­ ment les pécheurs peuvent-ils être membres ? Il s’agit de pécheurs baptisés, en qui subsiste la foi, qui ont perdu la charité, mais n’ont point péché par schisme. Il faut répondre qu’ils en sont membres d’une manière partielle, véritable pourtant, mais analogique. Expliquons ces trois mots. ’« 9*t9* «·«>»· a) Les pécheurs sont membres de ΓÉglise d'une manière partielle, donc sans la souiller Ils sont membres d’une manière partielle, par ce qui subsiste encore de dons divins en eux, et qui représente, à la vérité, la moindre partie de leur être. En effet, par leur péché, qui représente leur choix le plus secret et la partie principale de leur être, ils sont hors de l’Église et relèvent du Prince de ce monde. Il s’ensuit qu’il y a des pécheurs dans l’Église, mais qu’ils n’y introduisent pas leur péché. L’Église n’est pas sans pécheurs, mais elle est sans péché, « glorieuse, sans tache ni ride ni rien de semblable mais sainte et imma­ culée ». Ses frontières traversent notre cœur pour y sépa­ rer la lumière d’avec les ténèbres. b) Les pécheurs sont membres de lÉglise d'une manière propre et véritable, en vertu d'une survivance en eux de la charité sacramentelle et orientée Ils sont membres d’une manière propre et véritable, car la grâce sacramentelle et orientée, qui est l’âme créée et indivise de l’Église, est tout entière présente en ces pécheurs : 1° par l’influx qu’à travers les membres justes HORS DE L’ÉGLISE PAS DE SALUT 1787 elle continue d’exercer sur eux ; 2° par sa disposition à réapparaître en eux dès que cessera leur péché. Il s’ensuit que le dilemme est brisé qui proposait : ou bien de tenir les pécheurs comme vrais membres de l’Église, et en conséquence d’exclure la charité (sacra­ mentelle et orientée) de l’essence et de la définition de l’Église ; ou bien, au contraire, d’inclure la charité (sacra­ mentelle et orientée) dans l’essence et la définition même de l’Église, et en conséquence de renoncer à tenir les pécheurs pour de vrais membres de l’Église. c) Les pécheurs sont membres de lÉglise d'une manière analogique, donc non salutaire Ils sont membres d’une manière analogique. Si la grâce sacramentelle et orientée est présente dans les membres justes et dans les membres pécheurs, ce n’est pas d’une manière univoque ; c’est seulement d’une manière proportionnelle, analogique. Chez les justes, elle est présente premièrement, par son essence', chez les pécheurs, elle est présente extensivement, par dérivation ou influx, et privativement par sa disposition prochaine à réapparaître. Il s’ensuit que l’appartenance des membres justes, qui est directe, est salutaire ; tandis que l’appartenance des membres pécheurs, qui n’est que dérivée, n’est pas immédiatement salutaire. En outre, l’appartenance des pécheurs n’est que provisoire : s’ils refusent de se conver­ tir, l’impénitence finale rompt leurs derniers liens avec l’Église. 1788 VII/3 - MEMBRES DU CHRIST ET DE L’ÉGLISE d) Les pécheurs sont dans ΓÉglise corporellement, mais hors de ΓÉglise spirituellement, et donc hors du salut L'Église, le corps du Christ, est l’organisme de l'amour; plus précisément l'organisme de la charité sacramentelle et orientée. C'est parce que cette charité sacramentelle et orientée est encore présente dans certains pécheurs, indirecte­ ment, analogiquement, par son influence, qu’ils sont vraiment membres de l’Église. C’est parce quelle est hors d'eux directement, premièrement, par son essence, qu’ils ne sont pas sauvés. Pour parler comme les anciens, ces pécheurs sont dans l’Église par le corps, corporaliter, et donc tout proches des sources du salut ; mais hors de l’Église par le cœur, spiritualiter, mentaliter, invisibiliter, et donc hors salut. riW· e) Pourquoi ΓÉglise est-elle mêlée de bons et de méchants ? 1. C’est dans les membres justes de l’Église, malgré les fautes vénielles qui peuvent encore les surprendre, que l’âme créée de l’Église réside premièrement, par son essence, et que l’Esprit saint, la Trinité tout entière, habite d’une manière plénière au sein même du monde. Ils sont le meilleur de l’Église, son cœur, sa réserve de vie. Si l’on peut dire, en philosophie, que la conservation des êtres est une création continuée, il faut dire des justes et des saints de l’Église, réunis par la grâce chris­ tique, qu’ils sont la continuation, minute après minute, de la charité de Pentecôte. Si, à un seul moment de sa durée, ils venaient à manquer à l’Église, elle s’écroulerait aussitôt ; les portes de l’enfer auraient prévalu contre elle. Une Église faite de seuls membres pécheurs est un concept contradictoire, qui se détruit lui-même. Dans l’Église d’ici-bas, faite de justes et de pécheurs, tout le HORS DE L’ÉGLISE PAS DE SALUT 1789 poids des pécheurs pèse sur les justes, qui pèsent à leur tour sur le Christ. Saint Augustin compare les justes au jardin fermé du paradis terrestre: «L’Église, dit-il, est dans le Cantique des Cantiques, un jardin fermé, une fontaine scellée, un puits d’eau vive, un verger chargé de fruits. C’est de là que sont tombés, par une séparation ouverte et corporelle, aperta et corporali separatione, tous les hérétiques. C’est de là que sont tombés, par une sépa­ ration occulte et spirituelle et bien qu’ils semblent y demeurer corporellement, (separatione) occulta et spiri­ tuali, quamvis in ea corporaliter esse videantur, ceux qui, après avoir reçu la rémission de tous leurs péchés et mar­ ché un peu dans la voie de la justice, sont retournés à leur vomissement... »471 Vers ces membres justes, en qui réside pleinement l’Église, sont en marche tous les autres justes qui, dans la nuit du monde, ne lui appartiennent encore que d’une manière latente, initiale, tendancielle. Le Christ, qui est tête, invite immédiatement cette Église, qui est son corps, à prier avec lui, à souffrir et mourir avec lui, à entrer avec lui dans le drame de la ré­ demption du monde. La Vierge est dite corédemptrice d’une manière éminente et réservée. Tous les membres justes qui forment le corps du Sauveur, sont conviés à être à leur manière, corédempteurs avec lui. La tâche des justes qui sont dans l’Église n’est donc pas seulement d’être sauvés, par et dans le Christ ; ils reçoivent la mis­ sion d’être sauveurs de leurs contemporains, par et dans le Christ. 2. Mais pourquoi l’Église est-elle composée aussi de membres pécheurs, de tant de pécheurs, dont on prendra occasion de se méprendre et scandaliser à son sujet472 ? 471. De Genesi ad litteram, livre XI, ch. XXV, n° 32. 472. Cf. le mot de GANDHI : « Les musulmans sont incapables de nuire à l’hindouisme, seul un hindou peut nuire à l’hindouisme. De 1790 » T*.·· tt<·» Vll/3 - MEMBRES DU CHRIST ET DE L’ÉGLISE La première raison, c’est quelle est faite pour aller porter la rédemption au sein même du mal, c’est-à-dire dans un monde dont l’apôtre dit qu’il est tout entier sous l'empire du Malin (I Jean, V, 19). Elle rencontre partout des pécheurs. Elle ne se contente pas de les exhorter de loin. Elle les serre contre son sein pour les guérir par son contact et par intussusception. Elle s’ef­ force peu à peu de leur communiquer sa vie, de lutter avec eux-mêmes et jusqu’en eux-mêmes contre le péché qui les détruit. Aussi longtemps qu’il reste une espé­ rance, elle se dépense pour que ce qui était mort renaisse, ce qui était stérile fructifie. Et c’est pourquoi elle consent, elle aussi, « à manger avec les publicains et les pécheurs » (Mt., IX, 11). La seconde raison, c’est que, portant en elle la lumière même du Christ et le sang versé pour la rédemption du monde, elle sent quelle est plus forte que le péché. Elle est par excellence le lieu de la rémission des péchés. Elle possède le pouvoir merveilleux, non seulement de faire reculer l’enfer, mais encore de faire apparaître dans les cœurs qu’avaient brûlés l’orgueil ou le désespoir, des fleurs encore inconnues d’humilité et d’espérance. La troisième raison, qui explique les patiences de l’Église à l’égard des pécheurs, c’est quelle craint, en arrachant l’ivraie, d’arracher en même temps le bon grain. C’est une raison de saint Augustin. Il loue saint Cyprien de n’avoir pas rompu la communion avec des évêques coupables d’avarice, de rapines, d’usures: «A cause du Christ, mort pour les infirmes, et de peur, en arrachant avant le temps l’ivraie, d’arracher à la fois le même que seul un musulman peut nuire à l’islam, et un chrétien au christianisme. Chaque homme est responsable de sa religion ». Jules MONCHANIN, « Hommage à Mahatma Gandhi », dans Le Bulletin des Missions, Abbaye de Saint-André-lez-Bruges, 1948, n° 3, p. 108. HORS DE L’ÉGLISE PAS DE SALUT 1791 blé, il les tolérait dans les entrailles de sa charité pater­ nelle et maternelle, imitant en cela l’apôtre saint Paul, Philip., 1, 17, qui, avec une immuable charité pour l’Église, supportait ceux qui l’attaquaient et le jalou­ saient »473474 . II y a une quatrième raison, sur laquelle saint Augustin aime à insister. Les méchants sont dans l’Église pour provoquer une plus grande charité des bons : « A cette Église qui porte le poids d’une chair mortelle et marche encore loin du Seigneur, le diable a reçu le pou­ voir de mêler de l’ivraie, c’est-à-dire des méchants, et cette permission lui a été donnée pour le bien même de l’Église en pèlerinage, afin quelle désirât plus ardem­ ment le repos de la patrie dont jouissent les saints anges»44. Il écrit ailleurs: « Sois bon et supporte le mal... Sois bon simplement et supporte le mal double­ ment. Je veux dire : sois bon en restant à l’intérieur de l’Église, car si tu n’es pas à l’intérieur, jamais tu ne seras bon ; et supporte le mal deux fois, à l’extérieur et à l’in­ térieur. A l’extérieur, supporte l’hérétique, le païen, le juif; et à l’intérieur, supporte le mauvais chrétien, car les ennemis de l’homme se trouvent jusque dans sa mai­ son... »475 Voilà le paradoxe de l’Église d’ici-bas. Si parfaite quelle puisse devenir, elle restera toujours mélangée de justes et de pécheurs. D’une part, elle est « glorieuse, sans tache ni ride ni rien de semblable, mais sainte et immaculée » (Éphés., V, 27) ; elle est la patrie de la cha­ rité. D’autre part, cependant, elle compte d’innom­ brables pécheurs ; et elle a tellement besoin de pécheurs à purifier, que le jour où il n’y aura plus de pécheurs en 473. De baptismo contra Donatistas, livre IV, ch. IX, n° 12. 474. Ibid., livre IV, ch. IX, n° 13. 475. Sermo XV, ch. VI, n° 6. 1792 VII/3 - MEMBRES DU CHRIST ET DE L’ÉGLISE elle, elle aura changé d’état, elle ne sera plus l’Église pérégrinale, elle sera muée en Eglise du ciel. 3. Le régime « normal » de l’appartenance latente « avant » le Christ Si la chute n’a été permise qu’en vue de la rédemp­ tion, celle-ci est, avant même d’exister, le centre de l’uni­ vers du salut, une lumière capable d’éclairer tous les siècles qui la précèdent. a) L’Église du Christ avant le Christ H r·/·* ►·»<· Dès avant le Christ, existe déjà l’Église du Christ, encore confuse, ébauchée, préparatoire, d’une existence en devenir qui se précise progressivement. A travers les mille réseaux de la cité du mal, elle élève jusqu’à elle, les rassemblant par des liens souvent très ténus, tous ceux qui, le sachant ou sans le savoir, seront sauvés au nom du Christ futur. Le régime normal de l’humanité est alors un régime d’appartenance latente et tendancielle au Christ futur et à son Église. b) La grâce christique par anticipation forme une Eglise non pleinement éclose C’est, en effet, en considération du sang de la croix future (cf. Col., I, 20-21), de la future prière du Christ en croix (cf. Hébr., V, 7), que Dieu, dès après la chute, pardonne à l’homme et répand sur le monde la grâce du salut. De cette grâce qui précède le Christ, mais qui sera méritée un jour par le Christ, on peut déjà dire quelle est christique, elle l’est par anticipation. C’est bien l’Église du Christ quelle forme avant le Christ ; mais cette Église en acte tendanciel est, à l’Église en acte achevé, comme la clarté de l’aube au soleil i I {ORS DE L’ÉGLISE PAS DE SALUT 1793 levant, comme l’enveloppe de la nébuleuse à son noyau solide. Les plus hautes grâces qui la composent y sont comme des plantes magnifiques, mais qui ne trouvent pas, ici-bas, le climat de leur éclosion. «Je vous le dis, en vérité, beaucoup de prophètes et de justes ont désiré voir ce que vous voyez, et ne l’ont pas vu; entendre ce que vous entendez et ne l’ont pas entendu» (Mt., XIII, 17). Abraham a vu à distance le jour du Christ, et s’en est réjoui (Jean, VIII, 56) ; pour­ tant si inégalable que soit la sainteté d’Abraham, le plus petit dans le royaume peut dire que son état est meilleur que celui d’Abraham. Abraham attendra dans les limbes la venue du Christ ; c’est alors seulement, que les grâces encore captives qu’il porte en lui pourront soudain fleurir. c) Loi mosaïque et loi de nature On distingue deux régimes normaux d’appartenance latente et tendancielle au Christ futur : celui de la loi mosaïque, et celui de la loi de nature, où la grâce s’in­ filtre secrètement dans les cœurs par manière d’instinct. Ils sont symbolisés, au plafond de la Chapelle Sixtine, comme aimaient à le faire l’Antiquité chrétienne et le Moyen Age, par les Prophètes et les Sibylles. Tant ici que là, l’appartenance salutaire au Christ futur n’est possible que par la foi vive en un Dieu sau­ veur (Hébr., XI, 6). d) La présentation des premiers « credibilia » Mais le chrétien qui songe d’une part à la volonté salvifique universelle de Dieu, et d’autre part aux millions, aux milliards d’hommes qui semblent avoir vécu, dans Thistoire et la préhistoire au sein d’épaisses ténèbres et assis à l’ombre de la mort, est conduit à penser, s’il scrute 1794 Vn/3 - MEMBRES DU CHRIST ET DE L’ÉGLISE la doctrine de saint Thomas sur le premier acte de liberté de l’enfant et sur l’éveil de la conscience morale476, que tout le contenu des deux premiers credibilia peut être réellement présent à la conscience, soit de l’enfant, soit même de l’adulte - au moment où se fait le choix qui décide de sa vie spirituelle et de son salut - d’une manière seulement volitionnelle et aconceptuelle, sous l’aspect d’un bien mystérieux et transcendant par lequel il sera sauvé. Il sait aussi qu’au dernier instant de leur vie, Dieu peut presser les hommes par des grâces exceptionnelles, qui resteront, jusqu'à la fin, ignorées de ceux qui les entourent. e) « Afin qu'ils ne parvinssent pas sans nous a la per­ fection » Ainsi personne n’est sauvé hors de l’Église du Christ. Mais l’Église du Christ existe avant le Christ d’une manière latente et tendancielle. On en est alors par le désir, voto, c’est-à-dire par un mouvement de la foi vive. La lumière de la foi vive est proposée à tout homme venant en ce monde, dans l’intimité de son cœur. Peu importe qu’il appartienne à l’histoire ou à la préhistoire, qu’il vive chez les Grecs, ou chez les Barbares. S’il accepte cette lumière, quels que soient les usages païens qui lui viennent de son milieu et qu’une ignorance invincible peut seule lui persuader de conserver, il n’est plus un païen, il n’est plus un idolâtre. Il reste un Gentil, mais déjà, spirituellement et initialement, il est chrétien (cf. Rom., il, 9-16). Tous les justes de la loi de nature et tous les justes de la loi mosaïque, que vivifie une grâce déjà christique par 476.1-II, qu. 89, a. 6. Voir plus haut, pp. 1313 et suiv. HORS DE L’ÉGLISE PAS DE SALUT 1795 anticipation, sont comme les points d’une nébuleuse en formation qui attend encore et semble pressentir obscu­ rément son centre futur de condensation. Ils sont portés, soutenus, finalisés par quelque chose qui ne viendra à l’existence qu’après eux, à savoir le Christ et son Église en acte achevé477. C’est ce que signifie un extraordinaire passage de l’Épître aux Hébreux, où il est parlé des anciens Pères : « C’est dans la foi qu’ils sont tous morts, sans avoir obtenu les choses promises ; mais ils les ont vues et saluées de loin, reconnaissant qu’ils étaient étran­ gers et voyageurs sur la terre. Ceux qui parlent ainsi montrent bien qu’ils cherchent une patrie... Dénués de tout, persécutés, maltraités, eux dont le monde n’était pas digne, ils ont erré dans les déserts et les montagnes, dans les cavernes et les antres de la terre. Et cependant tous ceux-là, marqués par le témoignage de la foi, rïont pas obtenu ce qui leur était promis, Dieu ayant en vue quelque chose de meilleur pour nous, afin qu’ils ne parvien­ nent pas sans nous à la perfection» (Hébr., XI, 13-14; 37-40). 4. Le régime « anormal » de l’appartenance latente « après » le Christ «Il n’y a qu’un seul médiateur de Dieu et des hommes, l’homme Christ Jésus, qui s’est donné lui-même en rançon pour tous » (I Tim., II, 5-6). 477. CE, aujourd’hui, ce texte de Jules MONCHANIN, « L’Inde et la contemplation», dans Dieu vivant, n° 3, p. 49: «Ainsi..., notre vision de la Chine et de l’Inde futures ne seraient pas seulement un désir ou une induction à partir du présent et du passé, mais pour­ raient provenir de cet avenir même : un appel descendu jusqu’à nous de cette future Église - déjà agissante, déjà présente ». 1796 VII/3 - MEMBRES DU CHRIST ET DE L’ÉGLISE a) Grâces christiques par voie de seul mérite, et grâces christiques aussi par voie d 'efficience Dès le lendemain de la chute, les grâces de salut don­ nées à l’homme sont déjà christiques, mais seulement par anticipation, parce qu'elles seront méritées un jour par la prière du Christ en croix (causalité méritoire). Quand vient la plénitude du temps (Gal., IV, 4) et que paraît le Christ, c’est en outre à travers lui et par dérivation de sa plénitude (Jean, I, 16) que la grâce découle jusqu’au monde (causalité efficiente). b) Dérivation par contact et dérivation a distance *»w ► μ-λ *· Tr* Cette dérivation peut se faire de deux manières. De même que le Christ a guéri les corps tantôt par contact et tantôt à distance, il sauve les âmes en agissant soit par son contact, soit à distance. Par contact sur ceux-là seuls qui l’approchent. Il leur communique une grâce privilégiée, pleinement christique, pleinement christoconformante, qui fait éclore enfin l’Église autour de lui, et la constitue en acte achevé. Nous le disions tout à l’heure, c’est afin de pou­ voir continuer au monde ces grâces de contact que le Christ, sur le point de remonter au ciel, laisse sur la terre une hiérarchie visible, assistée et dirigée par lui et qui, étant placée au milieu de nous, peut lui servir d’instru­ ment pour entrer en contact avec nous : il nous touche par son action, sous les apparences étrangères de la hié­ rarchie ; et par sa substance, sous les apparences étran­ gères de pain et du vin478. C’est, au contraire, seulement à distance que le Christ agit sur les millions de ses contemporains qui ne le connaissent pas, mais qu’il visite secrètement par les 478. L’Église du Verbe incarné, t. I, p. 14 [dans la présente édition : vol. I, p. 39]. HORS DE L’ÉGLISE PAS DE SALUT 1797 rayons de grâce sortis de son cœur. Cette grâce d’illumi­ nation et d’amour est destinée à les sauver. Elle est si précieuse quelle abolira les limbes de l’Ancien Testament et sera, d’elle-même, capable d’introduire tout de suite dans le ciel, après leur mort, ceux quelle aura touchés. Mais elle n’a cependant pas les privilèges de la grâce de contact. Partout où elle est reçue, l’Église est sans doute latente, en devenir, en acte tendanciel. Nulle part cepen­ dant, elle n’est en acte achevé. c) Depuis la vernie du Christ, la dérivation par contact est le seul régime normal du salut pour le monde entier Le régime des grâces de contact, qui suscite l’Église en acte achevé, pleinement christoconforme, et qui rend possible au sein du temps la pleine inhabitation de l’Esprit saint, est devenu avec le Christ, le régime normal et définitif du salut pour le monde entier. Il est destiné, en effet, par le Sauveur même, à être porté à tous les hommes et à tous les temps : « Allez, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, leur apprenant à gar­ der tout ce que je vous ai commandé. Et voici que je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde» (Mt.,XXVIII, 19-20). d) La contre-offensive du Prince des ténèbres 1. L’incarnation de la Vérité dans le monde va provo­ quer, Dieu le permettant, une terrible contre-offensive des forces du mensonge. Le moment où la Femme met au monde le Christ, est celui où commencent de se déclencher les attaques désespérées du grand Dragon, du Serpent ancien, de celui qui est appelé Satan, le séduc­ teur de toute la terre (Apoc., XIl). 1798 VII/3 - MEMBRES DU CHRIST ET DE L ÉGLISE 2. La prédication apostolique, que l’élan de Pentecôte devait porter d'un seul mouvement - les apôtres le sen­ taient vivement (cf. Rom., X, 18) - jusqu’aux extrémités de la terre, pour dissoudre le bloc des religions païennes, sera entravée de mille manières par les résistances du dehors, et peut-être davantage encore par les misères et les scandales de trop nombreux chrétiens. Après vingt siècles, qui ont vu la découverte de l’imprimerie, les pro­ grès extraordinaires des communications et des échanges culturels, l’élargissement de nos connaissances histo­ riques, et surtout tant de saintes tentatives missionnaires et tant de martyrs, l’Église en acte achevé n’est encore, en Afrique, en Extrême-Orient, disons même dans le monde entier, qu’un petit troupeau (cf. Luc, XII, 32). De plus, au lieu même où naissait le christianisme, l’esprit d’erreur suscitait une forme d’infidélité encore ignorée du paganisme. Celui-ci était un simple refus de la lumière intérieure de la foi, dont nous savons quelle est proposée à tout homme. La nouvelle infidélité, plus subtile, consistait à se prévaloir de l’Ancien Testament pour nier le Nouveau ; des figures, pour nier le figuré ; de l’attente, pour nier l’accomplissement ; de la tige de Jessé, pour en nier la fleur. Voilà l’infidélité par régres­ sion, qui est à l’origine de la forme religieuse actuelle du judaïsme. Ce n’est pas tout. Le prince des ténèbres a été assez audacieux pour porter le désarroi jusqu’au milieu de ceux qui s’appellent chrétiens, pour les diviser au nom même du Christ et de son Église. De son Église, qu’il a voulue unique, se détacheront au cours du temps, des formations dont le succès apparent sera parfois extraor­ dinaire, qui prétendront la continuer, l’épurer, la restau­ rer, et qui pourront même emporter avec elles son Symbole de foi, sa liturgie, ses sacrements. Voilà l’infidé­ lité par désertion, l’infidélité de l’hérésie, la plus perfide HORS DE L’ÉGLISE PAS DE SALUT 1799 de toutes, et qui est à l’origine des formes actuelles de dissidence. 3. Dire qu’il y a un péché d’infidélité, de nature diffé­ rente, à l’origine des grandes déviations religieuses pré­ chrétiennes, à l’origine du judaïsme, à l’origine de dissi­ dences comme l’orthodoxie et le protestantisme, ce n’est pas dire que les adeptes des religions préchrétiennes héri­ tent du péché d’infidélité par simple refus de la foi et par idolâtrie, que les adeptes du judaïsme héritent du péché d’infidélité par régression, que les adeptes des dissidences héritent du péché d’infidélité par désertion. Les péchés d’infidélité ne s’héritent jamais ; ils sont aussi libres, aussi spontanés, aussi personnels, aussi intérieurs que les actes de foi. Ce sont les patrimoines d’infidélité qui s’héritent, c’est-à-dire des blocs religieux où le vrai et le faux sont inextricablement mêlés l’un à l’autre, dont les adeptes, tout en étant victimes d’erreurs pour eux insurmontables et de ce fait non coupables, pourront cependant, s’ils s’ouvrent aux grâces de la foi vive, appartenir d’une manière latente, initiale et déjà salutaire, au Christ et à son Église. Corporellement, ils relèveront encore de for­ mations religieuses égarées ; spirituellement, ils relève­ ront déjà de l’Eglise. e) Le dessein immédiat de Dieu : le rôle anormal et supplétifde la dérivation à distance 1. Dieu a donc permis au prince des ténèbres de pro­ duire ses formidables assauts. Il a souffert que les hommes puissent refuser la grâce de la foi à chacune des grandes instances qu’elle a faites pour illuminer davan­ tage leurs ténèbres ; il n’a pas songé à faire descendre sur eux le feu du Ciel pour les exterminer (cf. Luc, K, 52-55). H a laissé se former librement et durer de 1800 νΠ/3 - MEMBRES DU CHRIST ET DE L’ÉGLISE grandes déviations religieuses, scandaleuses pour nos esprits, déchirantes pour nos cœurs. Son dessein suprême est sans doute de faire tourner toutes ces résistances à quelque avantage secret de l’unité finale de son Eglise, à faire qu'un jour tous soient un d’une manière plus émouvante pour eux et plus glorieuse pour sa miséri­ corde infinie. 4 ··’» 2. Mais quel est le dessein immédiat de Dieu ? Nous savons qu’il veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité (I Tim., II, 4). Là donc où la dérivation par contact, nor­ male depuis la venue du Christ, est entravée, la dériva­ tion à distance, qui ne connaît pas d’obstacle, continue d’atteindre chaque homme dans le secret, le contrai­ gnant à répondre par oui ou par non à la prévenance divine. Elle assume alors, outre son rôle propre et normal, qui est de préparer à recevoir l’action hiérarchique et d’en conserver les effets, un rôle anormal et supplétif, qui est de communiquer, à ceux que les grâces de contact n’at­ teignent pas ou n’atteignent qu’incomplètement, les grâces de salut qui leur sont nécessaires4 9. Des millions d’hommes, qui devraient avoir libre accès à la pleine révélation de l’Évangile, sont emprison­ nés dans des blocs religieux où le vrai et faux sont si étroitement emmêlés que les efforts les plus droits et les mieux intentionnés n’aboutiront que rarement à les dis­ socier correctement. Chacun de ces hommes, pourtant, est visité par la grâce de la foi vive. S’il y acquiesce, un instinct s’éveille en lui, qui lui donnera de découvrir peu à peu, ou du moins de pressentir obscurément, ce qu’il y a, dans la forme religieuse à laquelle il appartient, de 479. L'Église du Verbe incarné, t. I, p. 20 [vol. I, p. 47]. HORS DE L’ÉGLISE PAS DE SALUT 1801 vérité à chérir et d’erreur à prétériter. En sorte qu’au sein même des déviations religieuses, Dieu se suscite de vrais disciples qui, sans le savoir et peut-être même contre leur dessein conscient, travaillent à les redresser et tendent, à force de dissocier en elles le vrai et le faux, le bien et le mal, à les dissoudre de par l’intérieur. Corporellement, ces justes appartiennent encore soit aux religions pré­ chrétiennes, soit au judaïsme, soit à l’islam, soit aux dis­ sidences. Mais, spirituellement, ils sont dans l’Église. Le Seigneur, qui connaît ceux qui sont à lui, ne s’y trompe pas. Ils sont sauvés. f) Tandis que Tancienne appartenance tendancielle était noi~male, Tactuelle appartenance tendancielle est anormale 1. C’est l’action du Christ par contact qui commu­ nique la grâce pleinement christique et christoconformante, et qui fait apparaître l’Église en acte manifeste et achevé. L’action du Christ à distance ne peut communiquer, même dans sa fonction supplétive, qu’une grâce impar­ faitement christique et christoconformante : elle ne fait apparaître l’Église qu’en acte latent, initial, tendanciel. 2. Avant l’avènement du Christ, le régime de l’apparte­ nance latente et tendancielle au Christ et à l’Église était normal et seul possible. La grâce qui visitait alors le monde était une grâce que Dieu donnait en vue des mérites futurs du Christ en croix. Elle n’était christique qu’imparfaitement par anticipation. Après l’avènement du Christ, le régime de l’apparte­ nance ouverte et achevée au Christ et à l’Église est seul normal. La grâce qui visite le monde est christique par dérivation. Elle est non seulement méritée par le Christ, 1802 VII/3 - MEMBRES DU CHRIST ET DE L’ÉGLISE mais elle découle de lui, par mode de causalité efficiente. A la manière dont les miracles émanaient de lui : « Toute la foule cherchait à le toucher, car une vertu sortait de lui, qui les guérissait tous» (Luc, VI, 19); «Quelqu’un m’a touché, car j’ai senti qu’une vertu sortait de moi » (Luc, vni, 46). Or, la dérivation de la grâce à partir du Christ se fait normalement de deux manières, le Christ agissant soit par contact pour susciter l’Eglise en acte achevé; soit à distance, pour préparer les hommes aux grâces de contact et leur en conserver les effets. * 3. Mais anormalement, là où les grâces de contact ne peuvent parvenir, les grâces à distance ont la fonction de les suppléer, dans la mesure où elles le peuvent, en por­ tant au moins à chaque âme les secours divins sans lesquels elle ne pourrait être sauvée. Cette suppléance est toujours un pis aller. Elle est incapable, nous l’avons dit, de susciter l’Église en acte manifeste et achevé; elle ne la forme qu’en acte latent, initial, tendanciel. La grâce de suppléance, puisqu’elle dérive du Christ, est plus parfaitement christique que la grâce donnée aux hommes, avant le Christ, et c’est pourquoi elle évacue les limbes de l’Ancien Testament. Mais, d’autre part, elle connote la privation des grâces de contact pleinement christiques et christoconformantes, qui sont le grand tré­ sor de la loi nouvelle. Aussi tandis que l’ancienne appartenance tendancielle au Christ et à l’Église était normale, l’actuelle apparte­ nance tendancielle au Christ et à l’Église est anormale. 1803 V. Conclusion Ainsi, l’Église, l’Église du Christ confiée à Pierre, est à la fois plus pure et plus vaste que nous ne savons. Plus pure, puisqu’elle est, non certes sans pécheurs, mais sans péché, et que les fautes de ses membres ne la souillent pas. Plus vaste, puisqu’elle rassemble autour d’elle tout ce qui dans le monde est sauvé. Elle sait que, du fond de l’espace et du temps se rattachent à elle par le désir, d’une manière initiale et latente, des millions d’hommes qu’une ignorance invincible empêche de la connaître, mais qui n’ont pas refusé, au sein des erreurs où ils vivent, la grâce de la foi vive que leur offre, dans le secret du cœur, le Dieu qui veut que tous les hommes soient sauvés et viennent à la connaissance de la vérité. Elle-même ne les connaît pas non plus nommément, mais elle sent autour d’elle leur présence innombrable, et parfois, entre les silences de sa prière, elle entend monter dans la nuit la rumeur confuse de leur marche480. 480. Nous résumons, en Annexe II, à la fin de ce volume, la réponse à la question : Qui est membre de ΓÉglise ? 1804 EXCURSUS VI Sur l'Église sans tache ni ride ;"1 Comment faut-il lire le texte de saint Paul sur « l’Église qui est glorieuse, sans tache ni ride ni rien de semblable, mais sainte et immaculée» ? (Éphés., V, 27). Il semble que l’apôtre pense à l’Église présente, telle quelle sort du baptême. Mais ne savons-nous pas qu’elle contient beaucoup de pécheurs, voire de grands pécheurs ? Dès lors, comment dire quelle est sainte et immaculée ? Ne conviendrait-il pas plutôt, si l’on veut garder au texte de l’apôtre toute sa valeur, de l’entendre de l’Église telle quelle sera dans la patrie du ciel ? Notre intention dans cette brève note est simplement de dégager les exégèses ecclésiologiques que les Pères et les théo­ logiens ont suggérées ou proposées, directement ou indirecte­ ment, du texte de saint Paul. Saint Jean Chrysostome • w,? 4 C’est sans aucun doute de l’Église du temps présent que saint Jean Chrysostome (344-407) entend le texte de saint Paul aux Éphésiens481 : « Il s est livré pour elle afin, l'ayant puri­ fiée, de la sanctifier. Elle était donc impure, souillée, sans beauté, vile. Si disgraciée que soit l’épouse que tu prennes, ton union ne saurait être rapprochée de celle du Christ et de l’Église, la distance reste incomparable. Veux-tu connaître sa laideur ? Écoute l’apôtre disant aux Éphésiens, V, 8 : Autrefois vous étiez ténèbres... Et l’ayant épousée en cet état, il la fait toute belle et la purifie, il ne dédaigne pas cette tâche : Afin de la sanctifier en la purifiant dans le bain de l'eau, dans la parole, pour se la présenter à lui-même cette Église, glorieuse, sans tache ni ride ni rien de semblable, mais sainte et immaculée. Il la puri481. Ad Ephesios, homélie XX, ch. V, n° 2; P. G., t. LXII, col. 137. l’église sans tache ni ride 1805 fie de son impureté dans le bain. Et dans la parole. Laquelle, sinon : Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit ? Et non seulement il l’orne, mais il la rend glorieuse, sans tache ni ricle ni rien de semblable. Pour nous, maintenant, désirons donc cette beauté, et nous pourrons en devenir les ouvriers (les demiurges') ». C’est bien l’Église de la terre qui est glorieuse et sans tache. Sans doute la préoccupation de saint Chrysostome n’est pas directement d’enseigner comment il faut parler de la pureté ou de l’impureté de l’Église. Dans un autre texte Quelles épouses choisir? 482 où l’on trouve les mêmes pensées, il est dit que le plus admirable, c’est que le Christ ne répudie pas l’Église quand elle s’est de nouveau et fréquemment souillée, mais qu’il continue de la soigner et de la servir. On voit bien cepen­ dant que le saint docteur pense alors non pas à l’Église comme telle, mais à ses membres, ou à des groupes de ses membres : « Combien, après avoir cru, ont-ils péché ? Et pourtant le Christ ne s’est pas détourné. Le fornicateur de Corinthe était membre de l’Église, le Christ ne l’a pas amputé, il l’a guéri. L’Eglise de Galatie tout entière s’est écartée en judaïsant ; mais Paul ne l’a pas rejetée, il l’a soignée et ramenée à sa première vie ». Saint Ambroise Sur Luc, I, 6, où il est dit que Zacharie et Élisabeth «étaient justes devant Dieu, marchant dans tous les comman­ dements et ordonnances du Seigneur d’une manière irrépro­ chable», saint Ambroise (333-397) fait une remarque péné­ trante, qui vise directement la pureté de l’Église483. Est-il pos­ sible à l’homme de vivre sans péché, demande-t-il, et n’est-il pas écrit en Job, XIV, 4, que personne n’est sans souillure ? Et voici la réponse. Qu’entend-on par vivre sans péché ? « Est-ce n’avoir jamais péché, ou est-ce avoir cessé de pécher ? Utrum 482. Laus Maximi, et quales ducendae sint uxores, P. G., t. LI, coi. 228. 483. Expositio Evang. see. Lucam, livre I, n° 17 ; P. L., t. XV, coi. 1540-1541. Vers 386-388. 1806 VU - CORPS DE L ÉGLISE nunquam omnino peccasse, an desiisse peccare ?» Il est impos­ sible de n'avoir jamais connu le péché : « Tous, dit l’apôtre, ont péché et sont privés de la gloire de Dieu » (Rom., Ill, 23). Mais on peut être sans péché quand, ayant changé de vie, on s’abstient de pécher, « puisque l’apôtre écrit que le Seigneur a aimé l'Église... au point de se la présenter à lui-même glorieuse, sans tache ni ride ni rien de semblable, mais sainte et immaculée. Car l'Église étant rassemblée de Gentils, c’est-à-dire de pécheurs, comment, de souillée quelle était, pourrait-elle être immaculée ? Il faudra d’abord que la grâce de Dieu la purifie du péché et qu’ensuite, par sa profession de ne plus pécher, per qualitatem non peccandi, elle s’abstienne de faillir. Elle n’est donc pas d’emblée immaculée, cela est impossible à la nature humaine ; mais elle est immaculée parce que, en vertu de la grâce de Dieu et de sa profession, qualitatem, elle ne pèche plus, jam non peccat». Un peu plus loin, saint Ambroise nous montre dans la guérison de Naaman le type du salut futur des Gentils484485 : « Il faut que le peuple vienne à l Église. Le peuple fait d’étrangers et qui, avant d’être plongé dans le fleuve mys­ tique, était lépreux et souillé, est lavé par les mystères du bap­ tême de ses taches du corps et de l’esprit. Alors il n’est plus une lèpre, il a commencé d’être une vierge immaculée sans ride, immaculata virgo coepit esse sine ruga ». Il est vrai que saint Ambroise parle dans le De poenitentia (vers 384) des blessures de l’Église : « Votre famille, ô Seigneur, ne dit pas : - Je suis saine, je n’ai pas besoin de médecin ! Elle dit : — Guérissez-moi, Seigneur, et je serai guérie ; sauvez-moi, et je serai sauvée ! (Jérém., XVII, 14). Et votre Église est figurée par cette femme qui, vous approchant par derrière, touche la frange de votre vêtement, disant en elle-même : - Si je touche seulement son vêtement, je serai guérie! (Mt., IX, 21). Voilà cette Église qui confesse ses blessures, et qui désire être gué­ rie »48?. Mais il avait dit dans le De virginitate (vers 378) : « Ce n’est pas en elle-même, ô filles, c’est en nous, que l’Église est blessée, non, inquam, in se, filiae, sed in nobis vulneratur 484. Loc. cit., livre IV, n° 50 ; P L., t. XV, col. 1627. 485. De poenitentia, livre I, n° 31 ; P. L., t. XVI, col. 476. l’église sans tache ni ride 1807 Ecclesia. Prenons donc garde que notre chute ne devienne une blessure de l’Église »486487 . Il n’y a pas de doute : pour saint Ambroise, l’Église présente est par état sans péché. Il a, dans son commentaire du psaume CXVIII, un texte remarquable sur la sainteté de l’Église : « En voyant l’extrême beauté de l’É­ glise, étincelante du sang du Christ, l’Esprit saint s’écrie, Cantique, VII, 7 : Que tu es belle et douce, ô Charité, dans tes délices ! L’Église est belle par l’éclat de sa vertu, douce par la beauté de la grâce et une rémission des crimes que ne vient plus troubler aucune amertume de péché, quam nulla vexat amaritudo peccati. L’Église elle-même est déjà Charité, car à force d’aimer Dieu elle en a pris même le nom, car Dieu est charité : et ipsa jam charitas, quae diligendo Deum, ipsius et nomen acceperit, quia Deus charitas est»™7. C’est là un des très beaux textes que peuvent produire ceux qui pensent que la charité est l'âme créée de l’Eglise. Saint Jérôme Saint Jérôme (347-419) écrit dans son Commentaire aux Galates, I, 2 : « Paul écrit aux Églises de Galatie. Notons qu’il s’adresse ici, non pas à l’Église d’une seule ville, mais en géné­ ral aux Églises de toute la province. Il les appelle Églises, et c’est elles qu’il réprimande plus loin, à cause de l’erreur qui les égare. Il nous fait connaître par là que l’Église peut avoir deux sens : 1° l’Église sans tache ni ride qui est vraiment le corps du Christ, eam quae non habeat maculam aut rugam et vera corpus Christi sit ; 2° l’Église rassemblée au nom du Christ sans que ses vertus soient pleines et parfaites, earn quae in Christi nomine absque plenis et perfectis virtutibus congregatur. De même, on appelle sages, soit ceux dont la vertu est pleine et parfaite, soit ceux qui débutent et sont en train de progresser. Des parfaits, il est écrit : Je vous enverrai des sages, Luc, XI, 49 ; des commençants : Reprends le sage et il t'aimera, Prov., IX, 8. 486. De virginitate, ch. VIII, n° 48 ; P. L., t. XVI, col. 278. 487. Expositio in Ps. CXVIII, Sermo 17, n° 21 ; P. L, t. XV, col. 1447. Après 387. 1808 VU - CORPS DE L’ÉGLISE Celui dont la vertu est pleine et consommée, n’a pas à être repris »488. Ainsi, semble-t-il, selon saint Jérôme, l’Église est composée de parfaits et d’imparfaits. Elle n’est immaculée que dans ses membres parfaits, mais peut être reprise dans ses membres imparfaits. Une question vient alors à l’esprit : l’Église est-elle immaculée comme telle ? est-elle repréhensible comme telle ? N'est-elle pas sainte jusque dans les dons surnaturels qui sub­ sistent en ses enfants pécheurs ? Les Églises de Galatie ont-elles failli en tant que fidèles ou en tant qu’infidèles à l’Église qui est l’Épouse du Christ ? Ont-elles souillé cette dernière ? La folie des Galates est-elle sa propre folie ? Saint Augustin 1. En suivant le cours naturel de la pensée de l’apôtre, saint Augustin (354-430), dans ses premiers écrits, interprète Éphésiens, V, 26-27, de l’Église de la vie présente, telle quelle sort du baptême, et oppose sa sainteté et ses mœurs aux mœurs des sectes hérétiques. Mais les pélagiens s’emparent de ce texte pour en tirer que, si l’Église est sainte et immaculée, l’homme peut donc vivre ici-bas sans aucun péché. C’était conclure indûment de l’Église comme telle à ses membres particuliers. Il aurait suffi de le leur faire remarquer pour ruiner leur exé­ gèse. Cependant saint Augustin les attaquera d’une autre manière. Répudiant, ou plus exactement restreignant l’inter­ prétation qu’il avait d’abord proposée, il avance que l’Église glorieuse et sans tache dont parle l’apôtre est, non pas l’Église de la terre, mais l’Église du ciel. Pour l’Église de la terre, ne doit-elle pas demander chaque jour au Père de lui remettre ses dettes ? La charité, dit-il dans les Rétractations, livre I, ch. 7, n’atteint pas ici-bas sa perfection : « De même que le bain de la régénération nous purifie du lien de tous les péchés que nous apportons en naissant et que nous contractons par malice, ainsi la perfection de la charité nous purifie de toute la souillure des défaillances sans lesquelles l’infirmité humaine ne peut vivre ici-bas. C’est ainsi qu’il faut entendre les paroles de 488. P. L, t. XXVI, col. 313. l’église sans tache ni ride 1809 l’apôtre, Éphésiens, V, 25-27. Voilà le bain de l’eau dans la parole qui purifie l’Église. Mais comme elle dit tout entière (cum tota dicat) tant qu’elle est ici-bas : Remettez-nous nos dettes, elle n’est donc pas sans tache ni ride ni rien de semblable. Le don présent la prépare à une gloire et une perfection incon­ nues ici-bas». Un peu plus loin, livre II, ch. 18, on lit: «Partout où j’ai dit que l’Église est sans tache ni ride, il faut entendre non qu’elle le soit déjà, quasi jam sit. mais quelle se prépare à l’être, sed quae praeparatur ut sit, quand elle paraîtra dans la gloire. Car maintenant, à cause de certaines ignorances et infirmités de ses membres, elle a de quoi dire tout entière chaque jour : Remettez-nous nos dettes ». C’est donc à cause des infirmités de ses « membres » que l’Église « tout entière », l’Eglise comme telle, implore le pardon. Mais ce n’est pas une infirmité d’implorer ce pardon. N’est-ce même pas précisé­ ment le rôle d’une Église qui est déjà sans tache ni ride, mais qui est tout appliquée à sauver des pécheurs, à les arracher à leurs péchés, à les attirer à sa sainteté ? Et si saint Augustin luimême assure que c’est marcher dans les voies du Seigneur de dire, au nom des pécheurs : Remettez-nous nos dettes 489, pour­ quoi une Église, dès maintenant sans tache ni ride ni péché, ne le ferait-elle pas au nom de ses membres pécheurs ? 2. La pensée de la sainteté sans tache de l’Église d’ici-bas, nous la rencontrons d’ailleurs constamment, sinon verbis, du moins re. chez saint Augustin. Sur Jean, XV, 7 : « Si vous demeurez en moi et que mes paroles demeurent en vous, vous demanderez ce que vous voudrez et cela vous sera accordé », il écrit par exemple : « Autre chose est ce que nous voulons parce que nous sommes dans le Christ, et autre chose ce que nous voulons parce que nous sommes encore dans le siècle, aliud quippe volumus quia sumus in Christo, et aliud volumus quia sumus adhuc in hoc saeculo. Par suite de notre demeure en ce siècle, il nous arrive parfois de demander ce qui ne nous est pas avantageux. Pourtant ne croyons pas qu’alors nous serons exaucés, si nous demeurons dans le Christ ; car, lorsque nous 489. Enarr. in Ps. CXVIII, Sermo 3, n° 2, (cité plus haut), p. 43. 1810 VU - CORPS DE L’ÉGLISE prions, il ne nous accorde que ce qui nous est expédient. Mais si nous demeurons en lui et si ses paroles demeurent en nous, nous pouvons lui demander tout ce que nous voudrons, et il nous l’accordera. Car si nous demandons quelque chose et qu’il ne nous l’accorde pas, c’est que nous ne demandons pas ce que comporte notre demeure en lui, non hoc petimus quod habet mansio in eo. ni ce que comportent ses paroles qui demeurent en nous ; c’est que nous demandons, au contraire, ce que nous inspire le désir et l'infirmité de la chair, qui ne demeure pas en lui et en qui ne demeurent point ses paroles »490. Nous sommes donc à la fois dans le Christ et dans le siècle, nous sommes divisés, les frontières passent à travers notre cœur. Voilà la thèse que nous soutenons. 3. Il arrive d’ailleurs souvent à saint Augustin de dire expressément que l’Église n’est point souillée par les fautes de ses membres pécheurs. Plus tard, ils seront séparés d’elle; maintenant ils sont en elle. « Maintenant le corps du Christ, qui est l’Église, s’écrie : Pourquoi les orgueilleux travaillent-ils à me calomnier, comme si les péchés des autres pouvaient me souiller ? et pourquoi, se séparant de moi, veulent-ils fonder des cités de vanité ? Nunc autem dicit corpus Christi, quod est Ecclesia : Quid est quod mihi calumniantur superbi, quasi me maculent aliena peccata?.. Pourquoi les pires veulent-ils me forcer à me séparer corporellement d’avec les mauvais, me faire arracher avant le temps de la moisson l’ivraie et le bon grain, me dissuader de supporter la paille tant que l’aire n’est pas vannée, me faire déchirer le filet de la paix et de l’unité avant que toutes les sortes de poissons soient tirées pour le dis­ cernement sur le rivage de la fin des siècles ? Leurs sacrements que je reconnais, viennent-ils des méchants ? Tolérer leur vie et leurs mœurs, est-ce y communier ?... Est-ce que la tristesse ne s’est pas emparée de moi, à la vue de ceux, ô Dieu, qui ont délaissé votre voie ?491 » Voilà donc, selon Augustin lui-même, l’Église, le corps du Christ, sans péché, mais non pas sans pécheurs. 490. In Joannis Evang., traité 81, n° 4. 491. Enarr. in Ps. CXXXVIII, n° 27. l’église sans tache ni ride 1811 4. Comment concilier la totale pureté de l’Église et la pré­ sence en elle des pécheurs ? Au lieu d’utiliser la distinction que nous lui avons vu faire entre ce qui, en chacun de nous, juste ou pécheur, vient d’une part du Christ et d’autre part du siècle, saint Augustin invente une autre distinction, qui ne vaut que pour les pécheurs, et qui consiste à dire que les pécheurs sont clans l’Église sans être de l’Église. Pour ceux, dit-il, qui font les œuvres de la chair, Gal., V, 19-21, et pour les hérétiques, « qu’on ne pense pas qu’ils soient dans le corps du Christ, qui est l’Église, du fait qu’ils participent corporelle­ ment à son baptême et à ses mystères... Ils ne sont pas engagés dans cette complexion même de l’Église qui, par connexion et contact, croît comme une extension de Dieu »492. Pour les méchants, « qu’ils n’appartiennent pas à la sainte Église de Dieu bien qu’ils paraissent être au-dedans d’elle, quos non per­ tinere ad sanctam Ecclesiam Dei, quamvis intus esse videantur, cela est manifeste du fait qu’ils sont avares, voleurs, usuriers, envieux, malveillants, etc. ; tandis qu’elle est la colombe unique, pudique et chaste, l’épouse sans tache ni ride, le jardin fermé, la fontaine scellée... Ce qui ne s’entend que des bons, des saints, des justes, en raison non seulement des dons de Dieu qui leur sont communs avec les méchants, mais en rai­ son encore de la charité intime et suréminente, propre à ceux qui ont l’Esprit saint »493. « Je ne pense pas avoir été téméraire en disant que certains sont dans la maison de Dieu, de telle sorte qu’ils sont la maison même de Dieu, édifiée sur pierre, qui est la colombe unique, l’épouse belle, sans tache ni ride... Cette maison est dans les bons fidèles et les saints serviteurs de Dieu, dispersés partout et unis spirituellement dans la com­ munion des mêmes mystères, qu’ils connaissent leurs visages, ou non. Mais d’autres sont dans la maison sans entrer dans sa complexion même, ni dans la société de la justice féconde et pacifique, à la manière dont la paille est dans le froment... »494, ou à la manière dont les vases vils sont mêlés aux vases pré­ 492. Contra litteras Petiliani, livre II, ch. CVIII, n° 247. 493. De baptismo contra Donatistas, livre VI, ch. III, n° 5. 494. Ibid, livre VII, ch. LI, n° 99. 1812 Vil - CORPS DE I.'ÉGLISE cieux. « Nous sommes parmi les membres ou parmi les humeurs malignes. Celui qui devient meilleur est membre dans le corps ; celui qui persévère dans le mal est humeur maligne »495. Tout cela établit qu'il y a dans l’Église des saints et des pécheurs. Mais faut-il dire que les péchés véniels des saints sont dans l’Église ? Et les dons surnaturels qui subsistent dans les pécheurs, sont-ils des humeurs malignes ? Ne sont-ils pas plutôt une communion, sans doute imparfaite, à sa vie et à sa sainteté ? Saint Bède Dans son beau Commentaire du Cantique, IV, 7 : Tota pul­ chra es, arnica mea, et macula non est in te, saint Bède (673-735) fait les distinctions libératrices496. C’est à saint Jean, non pas à saint Paul, qu’il se réfère alors, mais il mentionne expressément l’Église : « Tu es toute belle, c’est-à-dire non seu­ lement dans les membres excellents des élus ; mais, même en ceux qui semblent humbles et fragiles, tu resplendis de l’éclat des vertus et tu es exempte de la souillure des vices, etiam in illis qui pusilli videntur et fragiles, et decore refulges virtutum et vitiorum macula cares. Parlant de la patrie céleste de l’Église, saint Jean écrit, Apoc., XXI, 27 : Rien d'impur nentrera en elle, ni celui qui fait l'abomination et le mensonge, mais seulement ceux qui ont été inscrits dans le Livre de vie de l'Agneau. Non certes que, dès cette vie, un saint puisse être absolument exempt de toute faute et d’une vertu parfaite, puisqu’il est écrit, Ecclésiaste, VII, 20, qu’il n’y a pas de juste sur la terre qui fasse le bien sans aucun péché. Mais l’Église est sainte en tant qu’Église du Christ, Ecclesia sancta, in quantum Ecclesia Christi, en tant que sa foi est droite et son opération pure. Et si quelque chose d’impur ou de pervers la touche, que cela ne la concerne pas, non hoc ad eam pertineat, mais qu’on le rejette aussitôt et à tout prix loin d’elle, comme étranger et impur. La même doctrine se rencontre I Jean, III, 9 : Celui qui est né de 495- In Epist. Joannis, traité III, n° 5. 496. P. L, t. XCI, col. 1136-1137. l’église sans tache ni ride 1813 Dieu ne fait pas de péché, car la semence de Dieu demeure en lui. En tant que semence de la grâce de Dieu qui nous a régénérés, nous ne pouvons pécher ; et en tant que nous péchons, la grâce de la régénération nous abandonne momentanément, afin que nous sentions de quoi nous sommes faits, nous qui n étions justes que par elle. Après cette vie, la grâce nous intro­ duira, purs de tout mal et resplendissants d’une beauté inté­ grale, integra pidchritudine renitentes, dans la cité où n’entrera rien d’impur. Alors, en l’Amie de l’Époux, s’accomplira ce à quoi elle tend de tout l’élan de sa vertu, et elle sera toute belle et il n’y aura en elle aucune tache ». Saint Bernard Il y a, dit saint Bernard (1090-1153) dans le troisième ser­ mon pour la fête de Toussaint, trois états des âmes saintes : dans leur corps corruptible, dans le repos d’avant la résurrec­ tion, dans la béatitude d’après la résurrection. « En ceux qui militent encore, l’Eglise nestpas sans tache, car personne n’est exempt de souillure, pas même l’enfant d’un jour sur la terre, où la vie est un combat», Job, VII, 1. En ceux qui reposent sous l’autel de Dieu, Apoc, VI, 9-11, en attendant la résurrec­ tion, l’Eglise est sans tache : « Ils sont sans tache devant le trône de Dieu », Apoc., XIV, 5. Mais elle nestpas sans ride, car le désir naturel qu’ils ont de retrouver leur corps et la préoccu­ pation d’eux-mêmes diminue et contracte la liberté de leur affection49 . Jusqu’au jour de la résurrection, où le Christ fera paraître enfin devant lui l’Église glorieuse, sans tache ni ride497 498. Seule donc, d’après ce texte, l’Église du ciel serait sans tache. Dans les sermons sur le Cantique des Cantiques, saint Bernard explique qu’il n’y a pas contradiction dans la parole de l’Église disant : Je suis noire, mais je suis belle. « A la beauté de son être, elle peut allier le défaut d’un teint noir. Mais seu497. A proprement parler, l’âme bienheureuse n’est pas entravée dans sa béatitude ni dans son amour, mais elle désire que le corps y soit admis. S. THOMAS, I-II, qu. 4, a. 5, ad 4. 498. Sermo III, nos 1 et 2 ; P. L., t. CLXXXIII, col. 468 et 469. 1814 VII - CORPS DE L’ÉGLISE lenient dans le lieu de son pèlerinage. Il en sera différemment quand, dans la patrie, son Époux de gloire la fera paraître devant lui glorieuse, sans tache ni ride ni rien de pareil. Mais à présent, si elle disait qu elle n'est point noire, elle se ferait illu­ sion à elle-même, et la vérité ne serait pas en elle. Ne sois donc pas surpris quelle dise : Je suis noire, et quelle se glorifie d’être belle. N’est-ce pas d'elle qu'il est écrit : Viens, ô ma toute belle! (Cantique, II, 10.) Celle à qui l’on dit : Viens, n’est pas encore au terme. Il ne faut donc point s’imaginer que ces paroles s’adressent à l’Épouse déjà bienheureuse qui règne dans la patrie, ayant perdu le hâle de son teint, et non à celle qui, hâlée par l’épreuve, marche encore sur le chemin »499500 . Le hâle, ce n’est pas la vie quelle a passée jadis sous l’empire du prince de ce monde ; car alors elle dirait plutôt : Je Jus noire. Ce sont les misères, les maladies, les afflictions, la faim, la soif, la nudité, les persécutions qui ont accablé l’apôtre Paul. « Elle est noire à votre jugement, mais belle au jugement de Dieu et des anges... Heureuse obscurité, qui produit la blancheur de l’es­ prit, la lumière de la science, la pureté de la conscience»·00. «Jésus lui-même n’aurait-il pas pu dire: Je suis noir, mais je suis beau, ô filles de Jérusalem ?»501 Un peu plus loin le saint s’écrie: «O humilité! ô sublimité! L’Église est tout ensemble le tabernacle de Cédar et le sanctuaire de Dieu ; une habita­ tion terrestre et un palais céleste ; une maison de boue et une cour royale ; un corps de mort et un temple de lumière ; une dérision pour les superbes et l’épouse du Christ. Elle est noire mais elle est belle, filles de Jérusalem : décolorée par le travail et la douleur d'un long exil, mais revêtue d’une beauté céleste et des vêtements de Salomon »502. Ainsi la noirceur qui n’altère pas la beauté de l’Église, ce n’est pas, selon ces textes, celle du péché, c’est seulement, comme dans le Christ, celle de l’épreuve. 499. Sermones in Cantica, Sermo XXV, n° 3 ; P. L, t. CLXXXIII, col. 840. 500. Ibid., n° 5, col. 901. 501. Ibid., n° 9, col. 902. 502. Sermo XXVII, n° 14, col. 920. l’église sans tache ni ride 1815 Saint Thomas d'Aquin Selon saint Thomas d’Aquin503504 (1224-1274), le texte de saint Paul sur l’Église glorieuse se vérifie, soit de l’Église pré­ sente, soit de l’Église future. En effet : « Il ne convient pas, semble dire l’apôtre, que, l’Époux étant immaculé, l’Épouse soit souillée. Aussi la rend-il pour lui immaculée, ici par la grâce, et plus tard par la gloire ». Et sur les mots : sans tache ni ride ni rien de pareil, saint Thomas écrit : « Cela peut s’en­ tendre a) de ce que le Christ fera de l’Église plus tard par la gloire. Mais si on l’entend b) de ce que le Christ fait d’elle par la foi, on dira que le Christ se fait pour lui une Église, qui est glorieuse par sa foi, car c’est une grande gloire d’être fidèle au Seigneur ; sans tache, c’est-à-dire sans péché mortel ; ni ride, c’est-à-dire sans duplicité de visée, et tels sont ceux qui sont unis dans la droiture au Christ et à l’Église ; mais sainte par sa visée et immaculée par son absolue pureté ». Ainsi saint Thomas, d’une part, conserve la seconde exégèse de saint Augustin qui, sans être immédiate, reste théologiquement valable. Mais, d’autre part, il réhabilite la première exégèse, seule directe. L’Église lui apparaît donc, dès ici-bas, comme glorieuse, sans péché mortel, non habentem maculam scilicet criminis mortalis, et immaculée par son absolue pureté, imma­ culatam per omnimodam puritatem >04. C’est l’interprétation qui, en ecclésiologie, nous semble serrer de plus près la diffi­ culté et qui se révèle la plus féconde. Cependant dans la Somme, III, qu. 8, a. 3, ad 2, qui est peut-être de la même époque, saint Thomas s’arrête à la seconde des exégèses augustiniennes : « De former une Église glorieuse, sans tache ni ride, c’est la fin ultime à laquelle nous achemine la passion du Christ. Ce sera la condition de la patrie, ce n’est pas celle de l’exil, où, selon I Jean, I, 8, si nous disons que nous n’avons pas de péché, nous nous trompons nous-mêmes ». 503. Ad Ephesios, v, 27-28. 504. Sur Col, I, 24, saint THOMAS va même jusqu’à écrire: «Christus et Ecclesia est una persona mystica, cujus caput est Christus, corpus omnes justi : quilibet autem justus est quasi membrum hujus capitis ». Comm. ad Coi. 1816 VU - CORPS DE l’église Sans doute, ajouterons-nous, mais il est écrit aussi, I Jean, III, 9, que « celui qui est né de Dieu ne fait pas de péché, car la semence de Dieu demeure en lui ». Et alors, la solution n est-elle pas de tenir que, si l’Église est faite de membres dont aucun n'a été ou n’est sans péché, - sinon la bienheureuse Vierge Marie50'' - elle est elle-même et comme telle sans péché, à l’image de la bienheureuse Vierge Marie ? En conséquence de sa position, saint Thomas, pour sauve­ garder la sainteté de l’Église, est porté, dans le même article de la Somme, ad 2, à considérer les pécheurs comme n’étant pas membres de l’Église actuellement mais seulement potentielle­ ment', ou, du moins, s’ils en sont membres, c’est imparfaite­ ment et non absolument : non sunt membra Christi actualiter, sed potentialiter ; nisi forte imperfecte per fidem informem, quae unit Christo secundum quid, et non simpliciter ut scilicet per Christum homo consequatur vitam gratiae. Dans III Sent., dist. 13, qu. 2, a. 2, quaest. 2, saint Thomas regardait les chrétiens pécheurs comme n’étant pas vraiment, mais comme étant seulement équivoquement, membres du corps mystique. Ils n’appartiennent pas à l’unité du corps de l’Église, ils appartiennent seulement à l’unité de l’Église. Pen­ sons ici aux humeurs qui sont dans le corps sans être du corps. Turrecremata Le cardinal Turrecremata (1388-1468) traite ex professo de la sainteté de l’Église dans sa Summa de Ecclesia, livre I, ch. 9 à 11, Venise, 1560, pp. 12 et suiv. Il sait bien que cette sainteté n’est pas détruite par les pécheurs. Mais il nous paraît que les distinctions qu’il propose pour séparer l’Église du monde, et le bien du mal, quoiqu’on les rencontre fréquemment, ne sont pas suffisamment formelles et quelles conduisent à des consé­ quences difficilement acceptables. Essayons d’opposer ici briè­ vement deux points de vue ; nous citerons ensuite quelques textes de Turrecremata qui s’éclaireront, croyons-nous, par ce rapprochement. 505. Concile de Trente, Session V, can. 6; Session VI, can. 23; Denz., n° 792 et 833. l’église sans tache ni ride 1817 1. Nous croyons, pour nous, que si l’Église est sainte, si la sainteté est une propriété inséparable de l’Église, partout où est l’Église sa sainteté l’y accompagne et que, dès que la pré­ sence de l’Église s’intensifie, la présence de sa sainteté s’intensi­ fie dans la même mesure. Or l’Église avec sa sainteté se trouve d’une manière parfaite là où la grâce sacramentelle et orientée l’informe et l’entraîne à la suite du Christ souffrant, mourant, ressuscitant, dans le sillage de la destinée temporelle qu’il lui a ouverte. Et elle se trouve avec sa sainteté, d’une manière imparfaite, dans ses membres pécheurs privés de charité, mais en qui subsistent des dons divins qui de soi tendent à faire naître en ces pécheurs la charité : ces dons divins, ce sont : 1° les caractères sacramentels ; 2° les vertus et les motions déjà surnaturelles mais encore informes de foi, d’espérance, de crainte, de contrition ; et 3° cette impulsion que l’Église comme telle, en raison de sa sainteté qui est éclose et pleine­ ment formée chez les justes, imprime jusque dans ses enfants pécheurs506. Ainsi toute l’Église est sainte : des dons d’une sainteté éclose, plénière, salutaire, quand elle peut s’épanouir librement ; des dons d’une sainteté imparfaite, non salutaire, mais tout ordonnée à la précédente, quand son épanouisse­ ment est entravé par les résistances de péchés graves. Mais les frontières qui séparent l’Église et le monde, le royaume de Dieu et les ténèbres extérieures, divisent l’être, le comportement, le cœur même de ses membres, justes et pécheurs. Elle prend au-dedans d’elle la sainteté des justes, qui est salutaire, pour laisser dehors leurs péchés véniels ; et elle prend aussi au-dedans d’elle la sainteté des pécheurs, - à savoir ce qu’il y a en eux de dons surnaturels hélas non encore salu­ taires, mais qui ne sont pourtant pas des péchés même vé­ niels -, pour laisser dehors leur péché mortel. Justes et pécheurs sont ainsi traversés par la frontière de l’Église. La dif­ férence est que les justes lui appartiennent salutairement, c’est-à-dire par le principal d’eux-mêmes, ayant mis en Dieu leur fin suprême : leur centre de gravité, leur cœur, est en deçà ; tandis que les pécheurs, qui ont mis leur fin suprême 506. Cf. plus haut, p. 1166. 1818 VU - CORPS DE L'ÉGLISE dans un bien périssable, ne lui appartiennent que par des valeurs secondaires, non salutairement : leur centre de gravité, leur cœur, est au-delà. L’Église s'efforce de progresser jour par jour en chacun de ses membres en colonisant les régions encore insoumises de leur être. On n’a aucune difficulté, de ce point de vue, à soutenir d’une part que l’Église est sans aucun péché, et d'autre part que les pécheurs en peuvent être membres vraiment et proprement507. 2. La division adoptée par Turrecremata est moins formelle, et pour cette raison nous ne croyons pas quelle puisse lever toutes les difficultés. De ce point de vue, on n’essaie plus de faire passer la frontière de l’Église à l’intérieur même de ses membres, justes ou pécheurs. D’une part, au lieu de diviser dans les justes ce qui est saint et ce qui est péché véniel, on les inclut entiers dans la sainteté de l’Église, y compris leurs péchés. La sainteté prévalant en eux sur les péchés, on pense qu’ils peuvent être bloqués avec elle, et l’on enferme le tout dans l’Église en tant que sainte. Il nous semble que cette manière de faire amoindrit au vrai la sainteté de l’Église : c’est une pureté totale que lui attribuent Paul et Jean et que les saints aiment en elle, lorsqu’ils s’oppo­ sent avec larmes même au péché véniel et disent avec Nicolas de Flue : « O mon Dieu et mon Maître, arrache de moi tout ce qui m’entrave dans ma route vers toi »508. 507. Sur ce point saint THOMAS ne semble pas avoir fixé son voca­ bulaire : « Ceux qui sont en état de péché mortel, dit-il, ne sont pas membres du Christ actuellement, mais seulement en puissance ; ou du moins ils ne sont membres du Christ qu imparfaitement, par la foi informe, qui n’unit au Christ que sous un aspect, non absolument, nisi forte imperfecte per fidem informem, quae unit Christo secundum quid et non simpliciter». Ill, qu. 8, a. 3, ad 2. Dans les Sentences, les chrétiens pécheurs « non pertinent ad unitatem corporis Ecclesiae», ils ne sont membres du vrai corps du Christ que « aequivoce et secun­ dum similitudinem tantum et situm ». Ill Sent., dist. 13, qu. 2, a. 2. quaest. 2. 508. Cf. Saint Nicolas de Flue, Neuchâtel et Paris, 1947, p. 27 [P" partie, § II]. l’église sans tache ni ride 1819 D’autre part, au lieu de diviser dans les membres pécheurs ce qui est péché et ce qui est don surnaturel, on bloque leur péché mortel, qui absolument parlant l’emporte, avec leurs dons surnaturels, pour enfermer le tout dans l’Église, qui contient en effet des pécheurs. Mais on n’ose inclure ces pécheurs dans la sainteté même de l’Église, d’autant qu’on ne pense qu’à sa sainteté éclose et pleinement formée, telle quelle est dans les justes. Ainsi ΓÉglise apparaît composée d’un noyau de justes en qui seuls elle est sainte, et encore d’une sainteté obscurcie de péché véniel ; et d’une zone de pécheurs en qui elle est au contraire pécheresse, mais d’un péché lui aussi mélangé, qui enveloppe en ses replis des dons surnaturels. Elle est sainte et pécheresse. Mais alors surgit une grosse difficulté. Plus on sera soucieux de dire que l’Église présente est sainte, et de la recon­ naître dans le texte où Paul nous la montre immaculée, plus aussi on sera porté à dire que la zone de pécheurs qui entoure sa sainteté adhère peu à elle. En les rejetant hors de la sainteté de l’Église, il est difficile de ne pas les rejeter du même mouve­ ment hors de l’Église. Turrecremata expliquera que si l’Église n’est pas souillée par les pécheurs quelle renferme, c’est que ces pécheurs ne sont pas ses membres vraiment et proprement, vere et proprie. 3. Turrecremata distingue: 1° la sainteté de la patrie, excluant toute espèce de péché, d’imperfection, de peine, et qui sera le privilège de l’Église glorieuse ; 2° la sainteté de la grâce et de la charité, excluant le péché originel et le péché mortel, mais non les péchés véniels : elle est le partage de l’Église pré­ sente, en ses membres justes. Pour les membres pécheurs, carnaliter viventes, bien qu’on les regarde comme étant dans l’Église, ils ne lui appartiennent pas merito, vere et proprie, par l’unité parfaite qui vient de la charité ; ils ne lui appartiennent que numero, en sorte qu’on ne doit pas concéder, absolument parlant, que l’Église soit par eux souillée, changée en caverne de voleurs, etc. 1820 VII - CORPS DE L’ÉGLISE Cajetan Suivant le commentaire de Cajetan, 1468-1534, c’est bien l’Église présente qui est visée, Éphésiens, V, 25-27. Elle est glo­ rieuse « par ses mérites dignes d’être loués et admirés », sans tache «de péché», sans ride «de fiction ou de duplicité», sainte « c’est-à-dire pure » et immaculée « c’est-à-dire irrépré­ hensible dans ses actions ». Il ajoute sur Éphés., V, 30 : « Il est manifeste par là que l’Église est le corps du Christ. Plus encore, elle est le corps formé de la chair et des os du Christ en croix. Ils ont contribué bien plus à former le corps mys­ tique du Christ, que la chair et les os d’Adam à former Ève. La chair et les os du Christ en croix, en formant le corps de l’Église, lui ont en effet communiqué la propre vie du Christ, tandis que la chair et les os d’Adam n’ont pu donner à Ève la propre vie d’Adam ». Ailleurs, Cajetan écrit, III, qu. 8, a. 3, n° IV, que, « formel­ lement, l’Église militante est la congrégation des fidèles qui sont dans l’amour, quod intellige formaliter de Ecclesia mili­ tante, hoc est de congregatione fidelium existentium in caritate. Ici-bas, dit-il, en raison du péché véniel, elle a comme une ride de vieillesse en tous ses membres, mais pas toujours en chacun d’eux. Car le chrétien peut vivre un certain temps sans aucun péché (véniel) actuel ; mais il ne peut absolument pas passer toute sa vie ainsi, selon I Jean, I, 8 ». Cajetan inclut donc ici les péchés véniels des justes dans l’Église. Estius Estius (1542-1613) rappelle que Éphés., V, 25-27 a été entendu d’abord de l’Église présente, puis de l’Église glorieuse. Il préfère cette dernière interprétation. L’Église, dit-il, est puri­ fiée et sanctifiée initialement ici-bas par le baptême et la foi, sans pourtant qu’on puisse la dire parfaitement sainte, tout à fait immaculée. Elle ne sera sans tache ni ride que dans la vie glorieuse. Il fait remarquer que même si l’on entend le texte de Paul de l’Église présente, il n’a rien qui favorise les pélagiens: « L’Église présente est alors appelée non seulement sainte mais immaculée, non pas quelle soit exempte de toute tache, mais L’ÉGLISE sans tache ni ride 1821 parce que dans ses membres excellents elle n’a aucune de ces taches qui, absolument parlant, puissent la souiller. Et telles sont les seules taches des péchés mortels : non quod, omni pror­ sus macula careat, sed quod in praestantioribus suis membris nul­ lam habeat ejus modi maculam a qua simpliciter quis appellari possit maculatus. Tales enim solae sunt maculae mortalium pecca­ torum ». Saint Bellarmin Saint Bellarmin (1542-1621), De Ecclesia militante, livre III, ch. 9, rappelle la doctrine de théologiens comme Turrecremata, Pierre Soto, Melchior Cano, suivant lesquels les pécheurs ne sont pas vraiment, proprement, absolument de l’Église, ni membres de son corps : on ne les appelle mem­ bres que sous un aspect et d’une manière équivoque. Mais ils sont vraiment, proprement, absolument dans l’Église, non pas à titre de membres, mais au même titre que les humeurs, les dents, les cheveux ; ils sont vraiment des fidèles, des chré­ tiens, car c’est par la foi qu’on est tel. Saint Bellarmin essaie d’atténuer cette doctrine, du moins en faveur des dépositaires du pouvoir d’ordre et du pouvoir de juridiction. Si l’on appelle membre une partie du corps vivant, dit-il, un évêque et un prêtre mauvais ne sont pas vraiment membres du corps du Christ ; mais si l’on appelle membre ce qui sert ü instrument au corps, alors ils sont vraiment membres de l’Église. Sur quoi nous pourrions faire observer: 1° qu’un laïque pécheur peut être lui aussi instrument et donc vrai membre de l’Église. 2° Plus profondément, est-ce que, même informes, la foi et l’espérance théologales, la crainte et la contrition qui inhérent dans le pécheur ne le font point participer, d’une manière encore imparfaite et non salutaire, à la vie même de l’Église et du Christ ? 3° Et le pécheur qui n’est ni hérétique ni schismatique, ne reçoit-il pas des motions qui lui viennent des membres justes de l’Église ? Pour gloser Éphés., V, 25-27, saint Bellarmin recourt aux explications données par saint Jérôme dans son commentaire 1822 VII - CORPS DE L’ÉGLISE sur l’Épître aux Galates509. Il n'y a pas deux Églises, mais une seule, composée de parfaits et d’imparfaits ; et l’Écriture attri­ bue à l’Église entière tantôt ce qui est le propre des parfaits, tantôt ce qui est le propre des imparfaits, à savoir le péché. Il y aurait donc dans l’Église une sorte de « communication des idiomes » entre les justes et les pécheurs. Nous ne croyons pas que, lorsque Paul réprimande les Galates, il veuille étendre le péché à l’Église entière, qui est l’Épouse du Christ. Et a-t-on le droit de passer de la notion d’une Église mêlée de justes et de pécheurs, à la notion d’une Église mêlée de sainteté et de péché ? Cornélius a Lapide Dans son Commentaire sur Éphésiens, V, 27, Cornélius a Lapide (1565-1637) explique que «l’Église est sainte, sans tache ni ride, non que soient tels tous ceux quelle contient, mais parce que sa partie principale, qui adhère immédiate­ ment au Christ, à savoir les saints, sont tels, possédant non seulement la foi, mais encore la grâce et la charité du Christ. Toute l’Église donc est dite sainte, parce que son chef, le Christ, et ses membres principaux sont saints. Aussi dit-on parfois que seuls les saints sont le corps du Christ, qui est l’Église, à savoir considéré dans sa perfection et dans le meilleur de lui-même. De même que tout l’homme est dit rai­ sonner, voir, écouter, à savoir par la tête..., ainsi toute l’Église est dite sainte par sa tête et son cou, à savoir le Christ et les saints qui adhèrent à lui. Pareillement, on dit qu’Anvers est riche, à cause de ses marchands, bien qu’il s’y trouve beaucoup de pauvres ; que l’université de Louvain est savante, à cause de ses éminents docteurs, bien qu’il s’y trouve beaucoup de gens moins instruits ». C’est la thèse courante d’une Église compo­ sée non seulement de justes et de pécheurs, mais de sainteté et de péché. 509. Voir plus haut : S. JÉRÔME, p. 1807. l’église sans tache ni ride 1823 Bossuet C’est l’Église présente, dit Bossuet (1627-1704), qui est décrite, Éphésiens, V, 27. Les ministres « ne veulent pas que ce passage de saint Paul, où il est dit que Jésus-Christ s est fait une Eglise glorieuse qui na ni tache ni ride ni rien de semblable, mais quelle est sainte et sans tache, ils ne veulent, dis-je, pas que ce passage puisse être entendu de l’Église visible, ni même de l’Église sur la terre, parce que l’Église ainsi regardée, loin d’être sans tache, a besoin de dire tous les jours : Pardonnez-nous nos péchés. Et moi je dis, au contraire, que c’est parler mani­ festement contre l’apôtre, que de dire que cette Église glo­ rieuse et sans tache ne soit pas l’Église visible. Car voyez de quelle Église parle saint Paul : c’est de celle que Jésus-Christ a aimée, pour laquelle il s'est donné, afin de la sanctifier, la purifiant dans l’eau où elle est lavée par la parole de vie. Cette Église lavée dans l’eau et purifiée par le baptême, cette Église sanctifiée par la parole de vie, soit par celle de la prédication soit par celle qui est employée dans les sacrements, cette Église est sans doute l’Église visible »510. Mais quand il veut montrer que cette Église est sainte bien quelle renferme des pécheurs, Bossuet n’entre pas dans le cœur du problème : « Cette Église est glorieuse, parce quelle glorifie Dieu publiquement, parce quelle annonce à toute la terre la gloire de l’Évangile et de la croix de Jésus-Christ. Cette Église est sainte, parce quelle enseigne toujours, constamment et sans varier, la sainte doctrine, qui enfante continuellement des saints dans son unité. Cette Église n’a ni tache ni ride, parce quelle n’a ni erreur, ni aucune mauvaise maxime; et encore parce quelle instruit et contient en son sein les élus de Dieu qui, quoique pécheurs sur la terre, trouvent dans sa commu­ nion des moyens extérieurs de se purifier, en sorte qu’ils vien­ dront un jour en un état très parfait devant Jésus-Christ »511. M. Claude l’accusant de penser « que, quand il n’y aurait ni fidèles ni justes (dans l’Église), et qu’elle fût toute composée 510. Conférence avec M. Claude, ministre de Charenton, sur la matière de l’Église. 511. Réflexions sur un écrit de M. Claude. 1824 : 4·* H ’» ^t· » WVrf· νπ - CORPS DE L ÉGLISE d'hypocrites, elle ne laisserait pas d’être la vraie Église», Bossuet réplique que c’est là chose aussi absurde que de pré­ tendre qu'il « pourrait y avoir un corps humain qui ne serait que cheveux, et ongles et membres pourris et humeurs pec­ cantes, sans qu'il y eût rien en effet de vivant » 512. On recon­ naît la comparaison dont certains théologiens se servaient pour expliquer que les pécheurs sont dans l’Église sans être de l’Église. Mais ici, les humeurs peccantes désignent des hypo­ crites plutôt que de simples pécheurs. Dans sa Lettre sur le mystère de l'unité de l’Église, Bossuet écrit : « L'Église est comme inondée par le déluge des mau­ vaises mœurs ; l’Église semble quelquefois être donnée en proie à l’erreur qui menace de la convertir toute ; cependant sa sainteté demeure entière, sa foi éclate toujours avec tant de force que même ses ennemis sentent bien, par une céleste vigueur, qu’ils ne peuvent point l’abattre, mais par là, elle-même sent bien qu’il n’y a que Dieu qui la soutienne ». Dire de l’Église quelle est comme inondée par le déluge des mauvaises mœurs, c’est la considérer matériellement, et inclure en elle non seulement des pécheurs, mais les péchés mêmes de ses enfants. Dire que sa sainteté demeure entière, même dans ses membres pécheurs, et éclate visiblement au-dehors, c’est la considérer formellement, telle quelle nous est révélée. Conclusion L’Eglise est sainte et elle contient des pécheurs. On voit les théologiens attentifs à mettre en lumière sur­ tout la première, puis la seconde de ces vérités. Jusque vers le XVIe siècle, utilisant des comparaisons et des formules augustiniennes, ils inclinent à parler des pécheurs chrétiens comme étant dans, mais non de l’Église, comme n’en étant membres qu’improprement, équivoquement, secundum quid, non propre­ ment, vraiment, simpliciter. La thèse de la foi justifiante pousse la Réforme à avancer, en essayant évidemment d’utiliser saint Augustin, que l’Église du Christ, celle quelle appelle invisible en la contredivisant d’avec l’Église visible, n’est faite que de 512. Idem. 1 1 l’église sans tache ni ride 1825 justifiés (Luther) et de prédestinés (Calvin). Une innovation si radicale aidera grandement les théologiens à prendre conscience de la profondeur des liens qui, malgré la difformité de ses fautes, rattachent encore le chrétien pécheur à l’Église. Le Concile de Trente condamne ceux qui disent que « qui a la foi sans la charité n’est pas chrétien », Session VI, can. 28 ; Denz., n° 838. Plus tard, les propositions 72 à 78 de Quesnel, qui ne sont augustiniennes qu’apparemment, seront à juste titre condamnées, parce quelles refusent implicitement de considérer les chrétiens pécheurs comme étant « membres » du Christ et de l’Église. Comment donc concilier que l’Église soit sainte et quelle contienne des pécheurs ? 1. Beaucoup commencent par supposer que les justes et les pécheurs sont dans l’Église avec leurs péchés. On peut recon­ naître dans ce groupe deux tendances. a) La première tendance, qui est plus ancienne, cherche avant tout à sauvegarder la sainteté de l’Église et à cet effet à détacher d’elle le plus possible les pécheurs, de peur qu’ils ne la souillent. On dira donc qu’ils sont dans l’Église, mais non pas de l’Église. Ils ne sont pas vraiment et proprement son corps, ni ses membres. On ne les appelle membres que dans un sens impropre et équivoque. Plutôt qu’à des membres, ils sont comparables à des humeurs malignes. Bref, pour sauver la sainteté de l’Église, on exténue le lien qui la rattache aux pécheurs. A la limite, on rencontrerait l’erreur de Quesnel. Les sept propositions relatives à l’Église, de la 72e à la 78e, con­ damnées par Clément XI dans la bulle Unigenitus, le 8 sep­ tembre 1713, sont viciées par le sous-entendu que les pécheurs ne peuvent être membres de l’Église, ni avoir le Christ pour tête. « L’Église, dit par exemple la 74e proposition, ou le Christ intégral, a le Verbe incarné pour tête, et tous les saints pour membres »513. A-t-on même sauvé pleinement la sainteté de l’Église ? Il ne semble pas : 1° sa sainteté la plus pure est, en effet, ternie par 513. Denz., nos 1422-1428. 1826 VII - CORPS DE L’ÉGLISE le péché véniel des justes, qui se situant au-dedans de la sain­ teté de l’Église, en devient comme une partie intégrante; 2° on méconnaît ce qui subsiste de la sainteté de l’Église dans les pécheurs, qui malgré ce trésor sont rejetés au rang de membres impropres et équivoques, au rang d’humeurs malignes plutôt que de membres. b) La seconde tendance, qui est plus récente, cherche au contraire avant tout à sauvegarder l'appartenance des pécheurs à l’Église. Ils sont regardés comme étant vraiment et propre­ ment ses membres. Mais comme on ne distingue pas le pécheur de son péché, en le réhabilitant dans l’Église, c’est son péché qu’on y introduit avec lui. La sainteté de l’Église, amal­ gamée à de nombreux péchés mortels, n'est plus qu’une sain­ teté relative. L’Église est sainte à cause de ses justes et malgré le poids énorme de son péché, comme Anvers est riche à cause de ses marchands et malgré le poids de sa pauvreté, comme Louvain est savante à cause de ses docteurs et malgré le poids de son ignorance. Les amis de l’Église la chériront à cause de sa sainteté ; ses ennemis la haïront prenant prétexte de son péché. Les raisons pourtant ne seront pas égales : car, diront ses amis, l’Église apparaît, malgré tout, au milieu des péchés qui l’enserrent et où elle est prise elle-même et par lesquels elle est partiellement souillée, comme un grand effort vers la sain­ teté. Il est clair en tout cas que, selon cette seconde opinion, c’est la doctrine de l’Église sans tache ni ride qui est exténuée. 2. Mais on peut supposer, au contraire, que les justes et les pécheurs sont dans l’Église uniquement par ce qui en eux, dans leur être, dans leur cœur, dans leur comportement, est saint ; à l’exclusion de ce qui en eux, dans leur être, dans leur cœur, dans leur comportement, est péché. Alors l’Église est toute sainte dans les justes et dans les pécheurs : ici d’une sain­ teté imparfaite, là d’une sainteté parfaite. Les justes et les pécheurs sont vraiment et proprement ses membres ; les uns par le principal d’eux-mêmes et salutairement, les autres par le secondaire d’eux-mêmes et non salutairement. Nous croyons que cette notion d’une Église sans péché mais non pas sans pécheurs, et dont la sainteté est visible l’église sans tache ni ride 1827 jusque dans les pécheurs par les remords qu’elle soulève en eux, est celle qui répond le mieux aux révélations de saint Paul sur l’Église sans tache ni ride, et de saint Jean sur l’impossibi­ lité de pécher de ceux qui sont nés de Dieu. Nous croyons quelle peut apporter en sa faveur de beaux textes de Pères, notamment de saint Ambroise, de saint Augustin lui-même, de saint Bède. Et même plusieurs passages de l’encyclique Mystici corporis : « Le Christ, du haut du ciel, regarde toujours avec un amour spécial son Épouse immaculée, intemeratam Sponsam, qui peine dans l’exil sur cette terre... »514. « Pour le plus grand honneur de son Épouse immaculée, intemeratae Sponsae, le Christ a disposé ainsi les choses : en mourant sur la croix, il a communiqué à son Église, sans aucun apport de sa part, le trésor illimité de sa rédemption ; mais, quand il s’agit de distribuer ce trésor, non seulement il communique à son Epouse sans tache, intaminata Sponsa, l’œuvre de la sanctifica­ tion, mais il veut encore que celle-ci naisse en quelque sorte de son effort»515. « Ce n’est pas la faute de l’Église si certains de ses membres languissent dans leurs infirmités ou leurs bles­ sures. C’est en leur nom quelle dit chaque jour à Dieu : Remettez-nous nos dettes', c’est à les guérir spirituellement quelle se consacre sans relâche, avec toute la force de son amour maternel»516. Que pense de l’Église la sainte de Lisieux ? « Je compris quelle avait un cœur, et que ce cœur était brûlant d’amour ; je compris que l’amour seul faisait agir ses membres... »517. Si l’on adopte ce point de vue, on comprend plus dramati­ quement le sens de l’imploration quotidienne du prêtre au seuil du saint sacrifice de la messe : Judica me, Deus, et discerne causam meam de gente non sancta : ab homine iniquo et doloso erue me. On comprend plus profondément aussi, nous l’avons déjà dit, la mystérieuse ressemblance qui unit entre elles l’Église sans tache ni ride et la Vierge Marie, en qui elle a trouvé sa suprême réalisation. 514. A. AS., p. 210. 515. Ibid., p. 213. 516. Ibid., p. 225. 517. Histoire d’une âme, chap. XI. 1828 EXCURSUS VII L'ecclésiologie de Karl Barth>!S 1. Analogie oit univocité ? «Je tiens analogia entis pour l’invention par excellence de FAntéchrist, et je pense que c’est à cause délie qu’on ne peut pas devenir catholique. En conséquence, je me permets de considérer tous les autres motifs que l’on peut avoir de ne pas devenir catholique comme dépourvus de perspicacité et de sérieux »519. Le suprême rempart à opposer au catholicisme, c’est donc, de l’aveu de Karl Barth, une théologie et une dia­ lectique de l’univocité. Faut-il dire qu’il ait compris vraiment la doctrine thomiste de l’analogie ? Ce serait le flatter, et il déteste cela. De fait, cette doctrine prétend s’opposer aussi 518. Les soulignements qu’on trouvera dans nos citations de Barth, sont tous de Barth lui-même. 519. Dans l’Avant-Propos de sa Dogmatik, Munich, 1932, t. I, p. VIII, Karl BaRTH explique comment, suivant sa seconde manière, il a été amené à répudier tout ce qui pouvait paraître un recours à la philosophie existentialiste aux fins de fonder, confirmer, justifier la théologie. Ce serait là, dit-il, continuer la voie suivie par Schleiermacher, Ritschl, Herrmann, et achever de corrompre la théo­ logie et l’Église protestante. Entre la Parole et V Existence, son choix aujourd’hui est fait, et il espère que le lecteur s’en rendra compte. Ici se place notre texte : « Parce que je ne vois pas de troisième terme possible entre, d’une part, le jeu de V analogia entis, qui n’est légitime que sur le terrain catholique romain ; entre, d'une part, la grandeur et la misère d’une soi-disant connaissance naturelle de Dieu, telle que l’a définie le concile du Vatican ; et entre, d’autre part, une théologie protestante enfin délivrée de cette misère du siècle, qui se nourrit de ses propres sources et marche sur ses propres jambes - je ne puis ici opposer qu’un non. Je tiens V analogia entis pour l’invention par excellence de l’Antéchrist (fur die Erfindung des Antichrist), et je pense que c’est à cause d'elle qu’on ne peut pas devenir catholique. En conséquence, je me permets de considérer tous les autres motifs que l’on peut avoir de ne pas devenir catholique, comme dépourvus de perspicacité et de sérieux, kurzsichtig und unemsthafi ». ECCLÉSIOLOGIE DE KARL BARTH 1829 violemment à celle de Calvin qu’à celle de Pelage, avec laquelle cependant Barth l’identifie spontanément. Malgré tout, c’est un sûr instinct qui avertit Barth de s’en défier, car elle suffit, en effet, à ruiner son système et son interprétation del'Écriture. Si Barth rejette X analogie, ce n’est pas pour adopter Xéquivocité, qui, séparant Dieu et les hommes, laisserait Dieu tran­ quille dans le ciel et l’homme tranquille sur la terre. C’est pour adopter la théologie d’une univocité agressive, qui, accordant à Dieu seul la sainteté, la refuse à l’homme, refoulé dès lors tota­ lement dans le péché, et qui regarde comme un sacrilège l’idée que nous puissions ici-bas participer par grâce à la sainteté divine. Nous voilà donc, d’emblée, en présence de deux théologies, de deux ecclésiologies : l’une, de l’analogie ; l’autre, de l’univo­ cité. La première professe le principe de la subordination de la causalité humaine à la causalité divine dans l’acte bon ; la seconde croit au conflit et à la rivalité de la causalité humaine et de la causalité divine au sein même de l’acte bon. 2. Le principe de la subordination causale et Γillusion dune rivalité causale dans Vacte bon 1. La pensée chrétienne traditionnelle accepte comme un principe universel, dont les applications sont innombrables, que Dieu a voulu communiquer à ses créatures, non seule­ ment la dignité de Xêtre, mais encore la dignité de X agir et de la causalité. Ce principe fournit une explication générique des gran­ deurs de la hiérarchie chrétienne, appelée, par les pouvoirs juridictionnels et sacramentels, à dispenser au monde la vérité et la grâce du Christ : « Allez donc, enseignez toutes les nations, les baptisant...» (Mt., XXVIII, 19); «Qui vous écoute, m’écoute ; qui vous méprise, me méprise... » (Luc, X, 16)520. 520. S. THOMAS, I, qu. 22, a. 3 : « Dieu gouverne les choses infé­ rieures par les supérieures, non par manque de puissance, mais par surabondance de bonté, pour communiquer même aux créatures la dignité de la causalité, ut dignitatem causalitatis etiam creaturis com- 1830 VII - CORPS DE L’ÉGLISE Plus mystérieusement, et dans l'ordre cette fois-ci des gran­ deurs de sainteté, il explique que Dieu nous donne de porter de vrais fruits de grâce et de vérité : « Je suis la vigne, vous êtes les sarments ; celui qui demeure en moi et en qui je demeure porte beaucoup de fruits... » (Jean, XV, 5). Ainsi, comme la rose est tout entière de Dieu et tout entière du rosier, l’acte bon est tout entier de Dieu comme Cause première et tout entier de l’homme comme cause seconde. Voilà le principe de la subordination causale. L’aberration, - et elle est fréquente - c’est d’imaginer au sein de l’acte bon, un conflit, une opposition entre la causalité infinie de Dieu et la causalité finie de l’homme, et de penser que la liberté humaine évacue la causalité divine (pélagia­ nisme) ; ou, au contraire, que la causalité divine évacue la libre causalité humaine, Dieu produisant seul l’acte salutaire à l’oc­ casion des manifestations humaines (occasionalisme). Voilà le principe de la rivalité causale de Dieu et de ses créatures au sein même de l’acte bonS21. Le principe de la subordination causale dans l’acte bon s’inscrit dans une doctrine de l’analogie ; le principe, ou plus exactement l’illusion d’une rivalité causale dans l’acte bon, s’inscrit dans une doctrine de l’univocité. .vh» municet ». Cf. IV Sent., dist. 24, qu. 1, a. 1, quaest. 1 : «Afin que la beauté de la subordination des causes ne manquât pas à son Eglise, Dieu a institué le sacrement de l’ordre, pour que certains puissent dispenser aux autres les sacrements, rendus sous ce rapport sem­ blables à Dieu et comme coopérateurs de Dieu ». Ce n’est là qu’une justification générique de la hiérarchie chrétienne ; pour sa justifica­ tion spécifique et immédiate, voir L’Église du Verbe incarné, t. I, pp. 11 et suiv [dans la présente édition : vol. I, pp. 33s.]. La phrase de saint Thomas se retrouve textuellement dans PASCAL, Pensées, édit. Br., n° 513: «Pourquoi Dieu a-t-il établi la prière. 1° Pour communiquer à ses créatures la dignité de la causalité... Objection : - Mais on croira qu’on tient la prière de soi ? - Cela est absurde... » 521. C’est au sein de Xacte mauvais qu’il y a conflit entre la causa­ lité divine et la liberté humaine. Cf. S. THOMAS, I, qu. 19, a. 9 : Dieu veut-il les maux? Et I-II, qu. 79, a. 2 : L’acte du péché vient-il de Dieu ? En français, lire Jacques MaRITAIN, « L’existant libre et les ECCLÉSIOLOGIE DE KARL BARTH 1831 2. Passons, pour un instant, du registre de la causalité et de l’activité au registre de \’être. Suivant une doctrine rigoureuse de l’univocité, si l’être appartient d’une manière absolument pareille et univoque à Dieu et au monde, il y aura inévitablement conflit et rivalité entre eux. Alors, ou bien la grandeur du monde s’élèvera sur les ruines de Dieu (athéisme) ; ou bien la grandeur de Dieu s’élèvera sur les ruines du monde (acosmisme). S’il est vrai, au contraire, que l’Être incréé, loin d’extermi­ ner l’être créé, le fait apparaître, le nourrit, le soutient dans l’existence; si un être est d’autant plus riche, d’autant plus existant que Dieu le remplit davantage, c’est donc que notre notion de l’être convient vraiment, formellement à Dieu et à ses créatures, mais suivant une proportion {analogia) qui jette l’esprit de l’infini au fini et du fini à l’infini, Dieu ayant l’Être en source, et ses créatures n’ayant qu’un être mendié. Voilà la doctrine de l’analogie. 3. Dans une théologie de l’analogie, il existe donc des rap­ ports qui ne sont pas de conflit mais de participation, c’est-à-dire de dépendance infinie et permanente, entre l’Être, l’Autorité, la Sainteté, la Liberté de Dieu, et l’être vrai, l’auto­ rité vraie, la sainteté vraie, la liberté vraie de l’homme. Dieu seul a l’Être, l’Autorité, la Sainteté, la Liberté d’une manière absolue, infinie ; en d’autres mots, Dieu seul est l’Être même, l’Autorité même, la Sainteté même, la Liberté même. Et il donne aux créatures d'avoir l’être, l’autorité, la sainteté, la liberté d’une manière dépendante, finie, mendiée. Au contraire, suivant une théologie de l’univocité cohé­ rente, dans la mesure où elle est possible, il faudra, pour sau­ ver la transcendance de Dieu, tenir que l’Être, l’Autorité, la Sainteté, la Liberté appartiennent à Dieu seul à l’exclusion de toute participation. Tu solus Sanctus ! Soli Deo Gloria! Ce que libres desseins éternels », dans le Court traité de l’existence et de l’exis­ tant, Paris, 1947, pp. 141 et suiv. [O. C., IX, pp. 87 s.]. Mais, si l’on soutient que l’homme est radicalement corrompu, que tous ses actes sont de soi mauvais il faudra dire, en effet, que, dans le registre de la moralité, il y a toujours rivalité entre Dieu et la liberté humaine. 1832 VH - CORPS DE L’ÉGLISE Ton appelle, chez les créatures, être, autorité, sainteté, liberté, c’est, au vrai, non être, non autorité, non sainteté, non liberté ; c'est un mirage de maya, c’est tout au plus un écran de ténèbre et de péché dont Dieu, s’il le veut, peut prendre occasion pour le frapper par un rayon de son Être, de son Autorité, de sa Sainteté, de la Liberté522. A moins, quod Deus avertat! qu’on ne préfère, avec les catholiques, s’aveugler au point de prétendre partager entre Dieu et l’homme l’être vrai, l’autorité vraie, la sainteté vraie, la liberté vraie ! Réserve faite du drame infiniment secret par lequel une âme se débat dans les mains de son Dieu, situons-nous sur le plan encore très secret mais déjà discernable où se forme Γidée-mère d’une théologie comme celle de Calvin ou de Barth. Du point de vue d’une doctrine de l’analogie, il est maintenant clair - du moins nous l’espérons - que la raison séminale, l’intuition originelle du calvinisme ou du barthisme, à savoir l’idée calvinienne ou barthienne de la transcendance divine, du Soli Deo Gloria, apparaît, non pas comme ïa. juxta­ position de deux idées, de deux expériences, l’une vraie et l’autre fausse ; mais comme une idée unique et indivisible, complexe sans doute, Vidée unique et l’expérience unique d’une vérité déformée, l’idée et l’expérience d'une transcendance de l’univocité\ d’un Tu solus Sanctus qui laisse ici-bas tous les hommes et les saints et la Vierge formellement et intrinsèque­ ment pécheurs ; d’un Soli Deo Gloria qui exclut ici-bas comme blasphématoire toute possibilité de la grâce créée523. 522. « Dieu seul a des mains, l’homme a des pattes ». Dans ce mot, qui doit bien être de Barth, il y a plus qu’une boutade: une doctrine. 523. Cf. L'Église du Verbe incarné, t. I, pp. 56-57 [vol. I, p. 102]. Cf. Jérôme HâNIER, O. P., Loccasionnalisme théologique de Karl Barth, Paris, 1949, p. 234 : « En associant inséparablement la transcendance et la non-communication de la sainteté divine... la théologie bar­ thienne repose ainsi tout entière sur une vérité déformée, sur une déviation philosophique d’un grand thème scripturaire. Une trans­ cendance qui ne se communique pas, qui ne se donne pas, qui ne s’incarne pas dans la continuité et dans le temps, est-ce encore la transcendance d’un Dieu qui aime le monde et veut le sauver ? » ECCLÉSIOLOGIE DE KARL BARTH 1833 3. Le principe de rivalité gagne en passant de Vecclésiologie de Calvin à celle de Barth : une ecclésiologie de l'occasion­ nalisme Du point de vue catholique, toute Église dissidente forme un seul bloc où s’unissent indissolublement, comme la vie et la maladie dans un même organe, une portion plus ou moins vaste de l’héritage chrétien et un pouvoir actif de désagréga­ tion. A l’origine du protestantisme, chez Calvin si l’on veut, il n’est par exemple pas difficile de reconnaître la présence simul­ tanée, d’une part, du principe de subordination causale, par lequel on continue de justifier certains usages et comporte­ ments chrétiens ; et, d’autre part, du principe de rivalité cau­ sale, grâce auquel : a) on commence de construire la doctrine occasionnaliste protestante ; b) on dresse en face d’elle comme repoussoir une doctrine que l’on accrédite comme catholique et que l’Église catholique a toujours condamnée comme pélagienne. On trouvera dans la théologie de Barth, comme dans celle de Calvin, des portions considérables de l’héritage chrétien, notamment la croyance sans équivoque à la divinité du Christ, à l’inspiration divine des Écritures, etc. Mais le trait le plus caractéristique sans doute de son ecclésiologie, c’est qu’elle tente d’éliminer radicalement le principe de subordination causale dont Calvin faisait encore quelque usage, pour se construire tout entière sur le principe de la rivalité causale'24. Elle devient, de ce fait, une pure ecclésiologie de l’occasionna­ lisme. Le drame humain de la justification et de la sanctifica-524 524. Pour le théologien catholique, nous l’avons indiqué et nous y reviendrons plus loin, le principe de rivalité causale ne vaut que pour le péché, qui est, dans son plus profond mystère, une offense à Dieu. Dire que Barth applique ce principe plus rigoureusement que ne l’a fait Calvin, cela pourrait donc donner à entendre que son pessimisme est plus sombre, plus luthérien que celui de Calvin, qu’il éprouve plus profondément que Calvin la tragédie du chrétien simul peccator et jus­ tus, simul peccator et sanctus. « Cela pourrait donner à entendre » disons-nous : car nous verrons plus loin ce que devient en fait chez Barth la notion du péché. 1834 VII - CORI’S DE L’ÉGLISE tion, le drame eucharistique lui-même ne sont que des écrans opaques destinés à réfléchir la splendeur divine. Toute leur réalité est celle d'un signe. Une ecclésiologie de l’occasionna­ lisme est une ecclésiologie du signe. 4. Visibilité et invisibilité de l’Église : de Calvin a Barth d* 1. Selon Calvin, il faut reconnaître deux Églises du Christ. D’abord une Église qui subsiste toujours, mais qui est invisible525. Puis une Église visible, qui vient par moments la doubler. Alors, hors de cette Église visible, il n’y a pas de salut. Elle est universelle et rassemble toute la multitude de ceux qui consentent à la parole divine. Sous elle, chaque Église régio­ nale a le titre et l’autorité d’Église526. Dans cette Église visible, Dieu nous enseigne par des hommes, à qui nous devons obéir527528 . Ces hommes ne devront plus désormais s’imposer d’eux-mêmes, au nom d’une voca­ tion prophétique exceptionnelle, comme seuls les réformateurs (et donc Calvin) ont pu le faire. Ils devront être désignés régu­ lièrement par élection^28. Ainsi, pour ce qui est du ministère <*?*· • ·Μ· 525. Institution chrétienne, nouvelle édition soigneusement revue et corrigée sur l’édition française de 1560, Genève et Paris, 1888, Épître au roi de France, p. 12 ; et livre IV, ch. I, nos 2 et 7. 526. Institution, IV, ch. I, n° 9. 527. « ... Aussi aujourd’hui, il nous veut enseigner par le moyen des hommes... Ceux qui estiment que l’autorité de la Parole est anéantie par le mépris et basse condition des ministres qui l’annon­ cent, découvrent leur ingratitude... Car combien que sa vertu ne soit point attachée à nuis moyens externes, si nous a-t-il voulu astreindre à cette façon ordinaire, laquelle si on rejette, comme font plusieurs fanatiques, on s’enveloppe en beaucoup de liens mortels... Les pro­ phètes et saints docteurs ont toujours eu grands combats et difficiles contre les méchants, pour les assujettir à la doctrine qu’ils prê­ chaient : pour ce que leur arrogance ne peut recevoir ce joug, qu’ils veuillent être enseignés par la bouche et ministère des hommes... » Institution, IV, ch. I, n° 5. 528. Confession de la Rochelle, an. 31 : « Nous croyons que nul ne se doit ingérer, de son autorité propre, pour gouverner l’Église, mais que cela doit se faire par élection, autant qu’il est possible et que ECCLÉSIOLOGIE DE KARL BARTH 1835 de la parole, Calvin essaie d’acclimater dans son Église visible la doctrine de la subordination causale. La seconde marque de l’Église visible est la pure dispensation des sacrements à savoir du baptême et de la cène. Ces sacrements, pour Calvin, an­ noncent, mais ne confèrent pas la grâce. Ils n’en sont, comme les sacrements judaïques, que des signes pratiques. La doctrine catholique de Dieu, Cause première de la grâce, utilisant les sacrements de la loi nouvelle comme des causes instrumen­ tales, lui reste impénétrable. C’est suivant lui, ou bien Dieu, ou bien les sacrements qui causent la grâce : il nous fait choi­ sir. Sur ce point, le principe de la rivalité causale et l’occasion­ nalisme triomphent'129. Dans la justification, toujours selon Calvin, c’est, par un acte de foi, qui est de soi sans nulle dignité ni valeur, que j’appréhende la justice de Jésus-Christ, comme on prend de l’or avec un pot de terre. Ici encore, nous enregistrons un triomphe de l'occasionnalisme530. Dieu permet ; nous ajoutons cette exception, parce qu’il a fallu quelquefois, et même en notre temps (auquel l’état de l’Église était interrompu), que Dieu ait suscité des gens d’une façon extraordi­ naire, pour redresser l’Église, qui était en ruine et désolation... » Le texte de cette Confession, composé par Calvin, est reproduit à la suite du Catéchisme de Jean Calvin, Genève et Paris, 1934, p. 167. 529. Les sacrements « nous servent de la part de Dieu d’une même chose que les messagers de bonnes nouvelles de par les hommes : c’est à savoir non pas pour nous conférer le bien, mais seu­ lement nous annoncer et démontrer les choses qui nous sont données par la libéralité de Dieu. Ou bien, nous sont arrhes pour les ratifier ». Institution, IV, ch. XIV, n° 17. « Dieu donc accomplit ce qu’il promet en figures et les signes ne sont pas sans leur effet, pour montrer en tant que besoin est, que l’auteur d’iceux est véritable et fidèle. Seulement il est question de savoir si Dieu besogne par sa vertu propre et intrinsèque, comme on dit, ou s'il résigne son office aux signes externes. Or, j’ai ceci pour résolu que quelques instruments qu’il applique à son usage, ce nest point pour déroger en façon qui soit à sa vertu souveraine ». Ibid. C’est nous qui soulignons. 530. « Quant à d’autres folies extravagantes d’Osiander, tout homme de sain jugement les rejettera. Comme quand il dit que la foi est Jésus-Christ : autant que s’il disait qu’un pot de terre est le trésor qui est caché dedans. Car il y a pareille raison que la foi, combien 1836 VII - CORPS DE l’église Suite de la note 530 : η »·»> ,ΛΚ •I h *<·* que de soi elle n’ait nulle dignité ni valeur, nous justifie en nous offrant Jésus-Christ ; et qu’un pot plein d’or enrichisse celui qui l'aura trouvé. Je dis donc que c’est trop lourdement fait à lui de mêler la foi qui n’est qu’instrument, avec Jésus-Christ qui est la matière de notre justice et est tant auteur que ministre d’un tel bien». Institution, III, ch. XI, n° 7. - Ainsi, dans l’acte de foi justifiante, CALVIN distingue et juxtapose ce qui vient de moi et ce qui vient du Christ : cest par un acte antérieur à la justification, et donc peccamineux, que je m'empare du Christ qui me justifie. C’est par un acte de péché que je m’empare du salut, c'est pour refuser cet acte de péché que je me damne. De cette difficulté, Calvin ne sortira pas. Barth non plus : sinon en laissant entendre que pour Jésus notre péché n’est pas une chose grave, qu’il a pris notre incrédulité au sérieux en ne la prenant pas au sérieux. Alors le cercle sera près de se refermer, le péché sera proche de son contraire, le pessimisme absolu proche de l’optimisme absolu. Est-ce une issue, ou est-ce un cercle ? Il est absurde certes de dire avec les pélagiens que l’acte par lequel je m’empare de la justice est de moi seul, il est criminel de recom­ mencer la prière du pharisien (Luc, XVIII, 12). Il n’est pas moins absurde de dire avec les calvinistes que l’acte par lequel je m’empare de la justice est un péché. C’est, au contraire, un acte salutaire. C’est mon acte à moi, que, pourtant, Dieu m’a donné. En vertu du prin­ cipe de la subordination causale, saint THOMAS avait écrit: «Il ne faut pas distinguer quelque chose qui viendrait du libre arbitre et quelque chose qui viendrait de la prédestination ; pas plus qu’il ne faut distinguer ce qui vient de la cause seconde de ce qui vient de la Cause première. Car la providence divine - dans l’acte bon - produit ses effets en actionnant les causes secondes ». I, qu. 23, a. 5. A d’autres endroits, Calvin louvoie. Quand il écrit : « Tout ainsi donc que nous apparaissons justes devant Dieu après que nous sommes faits membres du Christ, en tant que par son innocence nos fautes sont cachées : ainsi nos œuvres sont tenues pour justes, en tant que ce qu’il y a de vice en icelles étant couvert par la pureté de Christ, ne nous est point imputé. Par quoi nous pouvons dire à bon droit, que par la seule foi, non seulement l’homme, mais aussi ses œuvres sont justifiées ». Institution, livre III, ch. XVII, n° 10, cela peut s’entendre, comme y invite la thèse luthérienne, selon le principe de la rivalité causale et signifier : les justes et leurs œuvres sont intrinsè­ quement viciés, bien que cependant Dieu les tienne pour justes. Mais cela pourrait s’entendre aussi, comme le contexte qui a précédé pour- ECCLÉSIOLOGIE DE KARL BARTH 1837 2. La distinction calvinienne de deux Églises divines, l’une invisible et permanente, l’autre visible et périssable, n’appa­ raît plus chez Karl Barth. Il n’y a, pour lui, qu’une seule Église, qu’il déclare, tantôt à la fois visible et invisible531, et tantôt tait y inviter, selon le principe de la subordination causale et signi­ fier: les justes et leurs œuvres sont intrinsèquement purifiés, en dépit des fautes vénielles qui continuent de les affecter sans pourtant réussir à prévaloir, plus généralement en dépit des imperfections morales de cette justice intrinsèque, qui, selon l’école augustinienne médiévale, exigeait, pour que Dieu s’en contentât, un complément de justice imputée. BaRTH choisit la première interprétation. La sanctification, dit-il, transforme le pécheur : « Cette transformation du pécheur est une réa­ lité. Une réalité, qui, comme le pardon des péchés, est une grâce. En elle ne s’opère aucune suppression du péché, mais incontestablement un mouvement dans l’existence du pécheur. Sur le pécheur en tant que pécheur repose la main de Dieu. En tant que pécheur il est placé entre les mains de Dieu. Semper peccator, peccator manens, c’est ainsi qu’il est sanctus, saint, c’est-à-dire appartenant à Dieu... La grâce en nous rendant justes, nous rend aussi saints. Peccator sanctus, ce deuxième prédicat appartient aussi au sujet ; il ne faut jamais l’ou­ blier si l’on veut décrire complètement ce que la grâce signifie pour l'homme quelle touche ». « Justification et sanctification », juin 1927, dans Le culte raisonnable, Paris, 1934, p. 87. Le P. Léopold MALEVEZ, S. J., pense que certaines formules barthiennes sur la transformation de l’homme renouvelé et sanctifié par l’Esprit saint pourraient avoir un bon sens et « s’accorder substantiel­ lement avec la conception de la théologie catholique » ; il doit cepen­ dant reconnaître aussitôt que, telle que l’entend Barth, cette transfor­ mation de l’homme nouveau n’est rien de plus qu’un signe, aucune­ ment \z germe et X inauguration de la vie future. « La vision chrétienne de l’histoire dans la théologie de Karl Barth », dans Nouvelle Revue Théologique, février 1949, pp. 116-118. 531. «On sait que le protestantisme affirme cette distinction (entre Église visible et Église invisible). Mais, du côté adverse, on ne doit pas méconnaître que, même selon la doctrine protestante, l’Église invisible et l’Église visible ne sont qu’une seule et même Église, non pas deux espèces d’un même genre, mais deux prédicats d’un même sujet et que le coetus electorum, ou Église invisible faite non seulement des appelés mais des élus, n’est donc pas une civitas 1838 VU - CORPS DE L’ÉGLISE visible532. De fait, l'Église du Christ telle que Barth la conçoit est visible, à la façon dont, aux yeux de Barth, elle était visible dans la personne même et la vie prophétique de Calvin. Mais elle n'est sûrement pas visible à la façon dont il faut quelle le soit suivant {'enseignement de Calvin533. L’Église prophétique et discontinue de Barth pourrait fort bien, aujourd’hui, don­ ner des armes à ces « méchants », que Calvin rabrouait parce qu’ils ne souffraient pas d’être enseignés avec autorité par des ministres élus régulièrement. L’Église visible de Barth res­ semble assez, nous le verrons, à l’Église invisible de Calvin. Elle en diffère surtout en ceci, qu’étant discontinue, elle peut platonica flottant au-dessus de l’Église visible : elles font ensemble une seule réalité ambivalente ». « Der Begriff der Kirche », 1927, dans Die Théologie und die Kirche, Munich, 1928, pp. 289-290. 532. « En face du monde — qui comprend ou ne comprend pas l’Église est la congrégation vivante et visible qui écoute la Parole divine et lui répond, et la propose au monde, mais par là le scandalise inévitablement ». « La nature et la forme de l’Église », dans Les Cahiers Protestants, Lausanne, mars 1948, p. 77. «L’Église une, sainte, universelle et apostolique existe dans la congrégation visible qui est rassemblée, consolée et exhortée par la Parole divine. L’Église est là seulement où deux ou trois sont réunis en mon nom, Mt., XVIII, 20. Voilà ce dont l’organisation de l’Église doit tenir compte avant tout le reste, et non pas de la somme invisible et amorphe de tous les croyants vivant à un moment donné, etc... » Ibid., p. 81. 533. Selon le Père Jérôme H AMER, o. P., L’occasionnalisme théolo­ gique de Karl Barth, Paris, 1949, l’Église barthienne est en définitive et sans aucun doute invisible : « L’originalité de la position de Barth sera de faire de cette Parole de Dieu à la fois l’élément constitutif d’une Église invisible et la marque distinctive d’une Église visible. Ce n’est possible, on le devine, qu’en accordant à Parole de Dieu deux sens nettement différents. La Parole de Dieu des réformateurs était simplement la révélation consignée dans des livres. Il n’y avait aucune distinction entre Parole de Dieu et Bible. Chez Barth, au contraire, la distinction est clairement marquée. D'un côté, nous avons la Parole de Dieu, événement spontané et discontinu, imperceptible et mysté­ rieux. De l’autre, nous avons le témoignage de la Parole de Dieu, recueilli et transmis par la Bible. Sur la Parole de Dieu se fonde l’Église proprement dite (invisible), sur le témoignage de la Parole de Dieu (Bible) se fonde la société visible... Barth déclare que l’Église ne ECCLÉSIOLOGIE DE KARL BARTH 1839 - sans cesse - mourir et ressusciter : ce que Calvin n’affirmait expressément que de l’Église visible. Barth enseigne, en effet, que l’Église du Christ peut se corrompre, disparaître, mou­ rir534. Elle peut même faire place insensiblement, comme cela s’est vu dans l’histoire, à des contrefaçons diaboliques, à une Église de l’Antéchrist'155 : telle est l’Église catholique. Dès lors, la loi de l’Église est de se réformer sans cesse, de ressusciter sans cesse536. Essayons de souligner les principales étapes et les princi­ paux traits de l’ecclésiologie de Karl Barth. peut être ni constante dans l’histoire ni continue, puisqu’elle n’existe que dans l’événement même de la Parole et de la foi... De plus elle est invisible. Barth se refuserait à l’admettre ; le fait néanmoins est évi­ dent... Il n’en reste pas moins que l’Église véritable est fondée uni­ quement sur l’événement de la Parole de Dieu, et que ce dernier ne peut être ni contrôlé ni perçu », pp. 137 à 139. 534. « En se réalisant, les dangers qui menacent l’Église pour­ raient conduire à ceci : que l’Église cesse d’être l’Église, et même qu’elle disparaisse. Le cancer dont elle serait atteinte pourrait s’étendre rapi­ dement et causer la mort du corps entier, si la patience de Dieu et le fait que son Seigneur ne meurt pas, ne rendaient des résurrections possibles ». Ibid., p. 79. 535. «Même si l’Église meurt, quelque chose qui rappelle l’Église subsiste. Ce quelque chose qui n’est plus l’Église peut, d’une manière ou d’une autre, reprendre vie et recevoir puissance, éclat et significa­ tion universelle. N’étant plus qu’une apparence d’Église, elle ferait bien alors de se demander si ce n’est pas en vertu de quelque adhé­ sion secrète au Diable qu’elle existe encore et si elle n’est pas devenue l’objet d’un jugement mérité de Dieu ». Ibid., p. 79. 536. « En tant que Réformés, nous ne pouvons pratiquer un confessionalisme strict, donnant à nos Églises une valeur absolue, comme on fait à notre droite et à notre gauche. La Réforme de notre Église est toujours devant et non pas seulement derrière elle ». « Les Églises réformées au sein du Conseil œcuménique », dans Foi et Vie, Paris, août-octobre 1948, p. 495. A droite, ce sont les luthériens, les anglicans, et enfin les orthodoxes ; au milieu, les réformés ; à gauche, les congrégationalistes, les méthodistes, les baptistes et finalement l’Armée du Salut. Barth écrit ailleurs : « En vérité, la Réforme n’est pas moins pos­ sible ni moins nécessaire aujourd’hui qu’il y a quatre cents ans ». Et il 1840 Vil - CORPS DE L’ÉGLISE 5. L'Eglise au banc des accusés: elle serait par essence contraire à l'Evangile 1. Une première notation, de coloration très kierkegaardienne, qu'on trouve dans le Romerbrief>y?, oppose irréducti­ blement l’Évangile et l’Église. L’Évangile, ou le royaume de Dieu, est la manifestation de Dieu en tant qu’opposé au créé, en tant que oui dans notre non, en tant que non dans notre ou?38. L’Église, au contraire, le monde de la religion, est par essence une divinisation du créé539, D'où un conflit essentiel entre l’Évangile et l’Église, entre l’existentiel et l’ecclésiastique, entre Dieu et Paul qui, cite ici Calvin : « Soyons-en convaincus : la vie de l’Église ne va pas sans résurrection ; davantage, sans beaucoup de résurrections, tenen­ dum est, Ecclesiae vitam non esse absque resurrectione, imo absque mul­ tis resurrectionibus ». « Détresse et promesse de la prédication », juillet 1922, dans Parole de Dieu et parole humaine, Paris, 1933, p. 156. 537. Der Romerbrief, Munich, 1933, p. 315. La 1*" édition est de 1918. 538. «Voilà ce qu'est l’Évangile, le message de salut de JésusChrist : que ce Dieu caché, Celui qui vit, se manifeste comme tel ; que l’impossible comme tel, brille comme un éclair au-dessus du royaume apparemment infini du possible, l’inconnaissable au-dessus du connaissable, l’Au-delà au-dessus de l’en-deçà, non certes comme un Autre, un Deuxième, un Séparé, mais comme sa vérité hic et nunc voilée, comme le Principe auquel tout se réfère, comme la suppres­ sion de toute relativité et donc comme la Réalité de toutes les réalités relatives ; que le royaume, l’inévitabilité, l’existentialité, la victoire et la splendeur de Dieu ne puissent pas rester cachés à l’homme, en dépit, ou plutôt non, en raison même de sa temporalité, de sa finitude, de sa caducité ; que la connaissance de ce Dieu, la foi en lui, qui devient dans l’amour énergie, soit offerte à l’homme comme une possibilité à nul instant déjà réalisée, à chaque instant réalisable, et demandant à chaque instant d’être à nouveau réalisée: possibilité d’être ce qu’il est en Dieu, à savoir enfant de Dieu - et par consé­ quent, en tant qu’il est cet homme-ci dans ce monde-ci, d’être sou­ mis au jugement, attentif à la justification, aspirant au salut, et déjà délivré par grâce ». Ibid., pp. 315-316. 539. « Et maintenant, au message de salut de Jésus-Christ, s’op­ pose Israël, l'Église, le monde de la religion, telle qu elle apparaît dans ECCLÉSIOLOGIE DE KARL BARTH 1841 Suite de la note 539 : l’histoire et, ajoutons-le immédiatement, telle quelle est dans sa plus grande pureté, dans sa plus grande force, dans les conditions les plus favorables à sa nature ; car nous ne parlons pas de l’Église dégénérée, mais de l’Église parfaite, de l’Église idéale... L'Église s’oppose à l’Évangile comme une incarnation de l’ultime possibilité humaine en deçà de l’impossible possibilité de Dieu. Ici le principe s’entr’ouvre comme nulle part ailleurs. Ici éclate la maladie de l’homme à l’égard de Dieu. Car l’Église est le lieu où, en deçà du principe qui sépare l’homme de Dieu, la révélation est devenue précisément, d’une éternité une tem­ poralité, c’est-à-dire quelque chose de donné, d’ordinaire, qui va de soi ; où l’éclair céleste est changé en durable flambeau terrestre, l’indi­ gence et la recherche en propriété et jouissance, le repos divin en inquiétude humaine et l’inquiétude divine en repos humain, l’“audelà’ en une seconde réalité métaphysique opposée à l’“en-deçà” et donc en un simple prolongement de l’en-deçà. L’Église est le lieu où l’on connaît et où l’on a Dieu en toute façon et où aussi par consé­ quent on ne le connaît ni ne l’a ; où, de son mystère de Commen­ cement et de Fin, il semble avoir glissé dans un entre-deux qui nous est familier; où l’on n’a plus pour devenir sage à se préoccuper à chaque instant de mourir, mais où l’on a tout à fait directement la foi, la charité et l’espérance, où l’on est tout à fait directement l’en­ fant de Dieu, où l’on attend et où Conjoint tout à fait directement le royaume de Dieu - comme si tout cela était des choses qu’on peut être, qu’on peut avoir, attendre et joindre. L’Église est plus ou moins une vaste et énergique entreprise d’humaniser, de temporaliser, de réifier, de séculariser le divin, de le réduire à quelque chose de pra­ tique, et tout cela pour le bien des hommes qui ne peuvent ni vivre sans Dieu ni non plus vivre avec le Dieu vivant (conférer le Grand Inquisiteur), bref une tentative de rendre saisissable le chemin insai­ sissable et cependant si inévitable. A quoi l’Église catholique a certes mieux réussi, tandis que le protestantisme éprouve comparativement plus de difficulté du fait que, ce que l’homme ferait volontiers comme homme d’Église, il ne réussit finalement pas à le faire. Il est clair que l’opposition (Gegensatz) de l’Évangile et de l’Église est fon­ damentale et infinie sur toute la ligne. En conséquence, ici un point de vue s’oppose à l’autre, ici quelqu’un a raison et quelqu’un a tort ». Ibid., pp. 316-317. Le principe de rivalité étant, nous l’avons dit, commun au péla­ gianisme et à l’occasionnalisme, à l’athéisme et à l’acosmisme, on ne s’étonnera plus que Karl Marx et Karl Barth puissent considérer tous 1842 VU - CORPS DE L’ÉGLISE étant homme, ne peut parler de Dieu qu’ecclésiastiquement, c'est-à-dire non-existentiellement^40. Et « qui nous enseigne à parler de Dieu non-ecclésiastique­ ment et existentiellement ? Personne ! Dieu seul. Mais quand il le fait, il demeure dans l'incognito. Nous n’avons, nous, aucune occasion d’avoir raison contre d’autres, qui par rapport t y ■ ». deux, sans doute avec des résonances différentes et par un dessein tout opposé, la religion et l’Église comme une maladie : « La religion est le soupir de la créature accablée, le cœur d’un monde sans cœur, comme elle est l’esprit d’un temps sans esprit. Elle est l’opium du peuple ». Karl MARX, Morceaux choisis, dans N. R. E, 1934, p. 221. 540. « L’Évangile est la suppression de l’Église, comme l’Église est la suppression de l’Évangile. Mais qui s’oppose ici? Dieu et l’homme ! Non des hommes et des hommes ! Ce n’est donc pas saint Paul d’une part et les autres Pharisiens d’autre part ! Ce n’est pas le messager de l’Évangile et l’homme d’Église : car cette opposition-d n’est pas infinie, elle est tout à fait finie. Il n’y a dans la bouche des hommes aucune annonce pure, aucune annonce non ecclésiastique de l’Évangile. Le messager de l’Évangile est, comme tel, toujours aussi un homme d’Église, atteint par la détresse même, et coupable de la faute même de l’Église. Quelles que soient la clarté et la préci­ sion de l’Évangile, l’incognito divin demeure rigoureusement sauve­ gardé. Personne, même parlant en langues de feu, ne peut parler de Dieu autrement que par images empruntées à la pensée humaine, à l’agir, à l’avoir, à l’avoir-raison humains». Ibid., p. 317. Aucune dis­ tinction n’est esquissée, à propos de la manière de parler de Dieu, entre l’analogie métaphorique, l’analogie métaphysique, la transana­ logie de la foi. Dans un langage plus juste, qui aura cessé d’opposer l’Évangile à l’Église, l’ecclésiastique à l’existentiel, Barth dira, à Amsterdam : « Il y a tant d’hommes sur la terre qui n’ont jamais entendu la bonne nou­ velle de la Grâce de Dieu en Jésus-Christ, ou qui l’oublient, et qui l’ont oubliée précisément parce que nos Églises n’ont pas su la leur présenter de la bonne manière ! Beaucoup de prière et de travail sont nécessaires pour que notre témoignage soit réellement l’Évangile de Jésus-Christ et non pas une parole pieuse ou moralisante. Et il est si difficile d’acquérir, dans cette vocation, cette manière simple et directe qu’exige le message. Mais ici également, nous pouvons trouver aide et réconfort dans une attitude de liberté spirituelle, puisqu'il s’agit de servir la cause déjà victorieuse de notre Seigneur, et non pas ECCLÉSIOLOGIE DE KARL BARTH 1843 à nous auraient tort. Le point de vue de Dieu demeure vrai contre les points de vue de nous tous. Il a raison et nous tous tort»541. Que faire ? « Oublier Dieu ? Mettre de côté notre outil (Werkzeug) et servir l’Église, c’est-à-dire les hommes comme s’il n’y avait pas d’Évangile ? Non ! Mais, en nous souvenant de Dieu, en utilisant notre outil, en annonçant l’Évangile, pré­ cisément parce que l’Église est jugée par le royaume de Dieu, nous accommoder de la situation suivante : avec la pleine et ardente conscience d’une opposition infinie entre Évangile et Église, ne pas cependant nous désintéresser de l’Église, nous désolidariser d’elle, mais nous agréger à elle et nous confesser participants, garants, responsables de ce qui, à l’Église, manque et doit manquer »542. une cause humaine conduisant à une victoire humaine ». « Désordre de l’homme et dessein de Dieu », dans Foi et Vie, août-octobre 1948, p. 423. Le texte original de cette étude, auquel nous nous référons parfois a pour titre : Die Unordnung der Welt und Gottes Heilsplan, Zollikon, 1948. 541. Der Romerbrief, p. 318. 542. Ibid., p. 318. Cf. p. 319: «Celui qui écoute et enseigne l’Évangile n’est pas à côté de l’Église ; ni il ne la repousse sans la com­ prendre, ni il ne sympathise pleinement avec elle... Il sait de quoi il retourne dans l’Église. Il la prend au sérieux, amèrement au sérieux. Il n’a pas la consolation facile de penser quelle est une création humaine, quelle pourrait éventuellement n’être pas là, et que la pastoration est une profession comme les autres. Il sait qu’il faut qu’on croie, prêche, explique, exhorte, prie ; il sait qu’il est inévitable que la maladie de l’homme à l’égard de Dieu éclate juste à cet endroit en des formes toujours nouvelles et inlassablement ; il sait l’inéluctabilité de la possibilité ecclésiastico-religieuse. Il sait qu’un rapport non ecclésiastique de l’homme à Dieu n’existe pas plus, hic et nunc, que l’innocence paradisiaque. Il porte sa toge de pasteur sans loucher vers les laïques” soi-disant plus heureux et meilleurs. Mais il sait aussi l’impossibilité de l’entreprise ecclésiastico-religieuse. Il sait qu’elle doit échouer, car elle est l’irréalisable même, das an sich Unausführbare... Il sait que là précisément où l’Église, considérée comme service des hommes aux hommes, atteint son but le but de Dieu est manqué, et que le jugement se tient à la porte. Il se tient donc dans 1844 » ·· f» ►*44 VU - CORPS DE L’ÉGLISE 2. Cette notation de Barth, qui institue un conflit absolu entre l’Evangile et l’Église, apparaît comme doublement fausse. D’abord en ce qui concerne {'Évangile. Avant d’être le oui de Dieu dans notre non, le non de Dieu dans notre oui, bref une initiative de Dieu contre nous et notre péché, il est - ce que le principe de rivalité ne permet pas de saisir - il est essen­ tiellement le oui de Dieu dans notre oui, une initiative de Dieu venant éveiller, soulever et transfigurer notre pauvre consentement et notre pauvre amour, et c’est à ce titre premier qu’il constitue l’Église, avec laquelle il s’identifie. Ensuite, en ce qui concerne {'Église. Elle nous est représen­ tée dans l’Écriture comme le temple de Dieu, non comme un temple païen ; son épouse, non une étrangère ; son corps vivant, non une matérialisation ; la colonne et le soutien de la vérité, non sa caricature ou sa corruption. La tentative d’identifier l’Église apostolique elle-même à une formation religieuse visible païenne, est en opposition si flagrante avec l’Écriture, que Barth lui-même va l’abandonner, tout en s’appliquant à sauver la substance de son intention primitive. VÉglise, en perdant sans doute un peu de sa visibi­ lité, va passer maintenant des ténèbres dans la lumière. Elle va se séparer d’avec la religion. Elle va rejoindre l’Évangile. On donnera un autre nom à ce qu’on appelait jusqu’ici l’Église, par exemple celui de comportement ecclésiastico-chrétien'43. l’Église, d’autant plus attristé, pensif, interrogateur, effrayé, quelle est davantage Église. Mais c’est dans l’Église qu’il se tient, il n’est pas à côté comme un spectateur. Sa propre possibilité est pleinement celle de l’Église, et l’impossibilité de XÉglise est la sienne. Le malaise de l’Église est le sien, sa détresse est la sienne. Il se solidarise avec elle, précisément en ce qui fonde avant tout la solidarité et la communion entre les hommes, à savoir qu’ils sont privés de la gloire de Dieu. Rom., ΙΠ, 23 ». 543. La traduction française : « machinerie ecclésiastico-chrétienne », « Désordre de l’homme et dessein de Dieu », dans Foi et Vie, 1948, p. 421, force le texte allemand, qui porte : christlich-kirchlichen Wesen. ECCLÉSIOLOGIE DE KARL BARTH 1 845 6. L Eglise réhabilitée : elle est Γappareil ecclésiastique en tant que visité par réclair de ΓÉvangile 1. C’est l’Église apostolique qui va d’abord passer de la région des ténèbres dans celle de la lumière. L’exposé sur La parole de Dieu, tâche de la théologie™*, octobre 1922, caractérise la « situation réelle» des pasteurs et des théologiens et « la détresse essentielle de la théologie » par trois propositions : « Comme théologiens, nous devons parler de Dieu. - Mais nous sommes des hommes et, comme hommes, nous ne pouvons pas parler de Dieu. — Nous devons connaître ce double état (notre devoir et notre impuissance) et par là même rendre gloire à Dieu. Tel est notre embarras, tout le reste n’est que jeu d’enfant »544 545. Pour établir que « nous ne pouvons pas parler de Dieu », Barth - qui n’a pas encore renoncé à ce moment au langage existentialiste - va définir « parler de Dieu », non point par prêcher, mais par convertir ; non point par annoncer Dieu, mais par faire descendre Dieu miraculeusement : en sorte qu’il nous faudra conclure, du moins il le semble, que chaque fois que Paul n’aura point provoqué la conversion de ses auditeurs, il n’aura point « parlé de Dieu »546. Aucune des voies humaines, ni la voie de l’affirmation dogmatique547, ni la voie de la négation mystique, ni la voie de la théologie dialectique 544. Dans Parole de Dieu et parole humaine, Paris, 1933, pp. 194 et suiv. 545. Ibid., p. 196. 546. « Car toutes les fois où une affirmation dialectique a vraiment rendu témoignage à la réalité — et il semble que tel ait été le cas pour certains interlocuteurs de Platon, de Paul et des Réformateurs — ce n’est pas à cause de son affirmation, en elle-même sujette à caution, plus sujette à caution que le spectateur dédaigneux de ces jeux logiques ne le suppose... » Ibid., p. 216. Ainsi donc, les affirmations dialectiques de saint Paul, sujettes à caution, n’ont rendu témoignage à la réalité que dans certaines situations. 547. Le dogme délivre du modernisme. Il remplace le subjectif par Γobjectif. Mais il met Dieu devant nous ; en nous demandant de croire. Il est incapable de mettre Dieu en nous, c’est-à-dire de nous 1846 \ΊΙ - CORPS DE L’ÉGLISE qui nous jette du oui au non et du non au oui548, n’est capable de parler de Dieu. Mais il peut arriver que Dieu parle dans ce que disent les dogmaticiens, les mystiques, les dialecticiens, « et de bien plus primitifs parleurs de Dieu »549. Ainsi, la prédi­ cation de la parole de Dieu est une tâche nécessaire, mais c’esr une tâche impossible550. Et l’Église, qui est la prédication de la parole de Dieu est proprement une impossibilité5^1. Pour que l’Église soit pos­ sible, il faudrait que, dans l’appareil quelle dresse au milieu de nous, la foudre du ciel descende à chaque coup et terrasse les auditeurs ; que, quand elle parle de Dieu, sa parole soit, non faire croire, Ibid.., p. 216. Ailleurs, BARTH distingue, dans la Révé­ lation divine, un côté objectif et un côté subjectif : « Tout en prenant garde à la rigidité des concepts philosophiques, on peut dire que la christologie indique l’aspect objectif et la doctrine du Saint-Esprit l’aspect subjectif de cette réalité. Ajoutons qu’il faut distinguer ces deux aspects, mais ne jamais et en aucun cas les séparer. » Credo, Paris, 1936, p. 167. 548. La doctrine luthérienne de la justice imputative favorise ce jeu dialectique : « C impius, au moment où il lui est dit qu’il n’est que cela, qu'il n’est que pécheur et rien d’autre, doit savoir et se laisser redire aussi qu’il est précisément un justus ». La parole de Dieu, tâche de la théologie, loc. cit., p. 214. - Karl BARTH ne distingue pas entre ce que nous avons appelé la voie négative des théologiens et la théologie négative des mystiques, voir Introduction à la théologie, p. 45 [IIe par­ tie, § I, 7]. 549. La parole de Dieu, tâche de la théologie, loc. cit., p. 217. 550. « La Parole de Dieu est la tâche tout aussi nécessaire qu’im­ possible de la théologie ». Faut-il donc, du service de la parole, passer au service du silence ? « Comme s’il était plus facile ou plus possible de se taire devant Dieu (devant le vrai Dieu), que de parler devant lui ! » Faut-il « dire adieu à la théologie, suspendre à un clou notre robe de pasteur, et devenir n’importe quoi, comme les autres, ces bienheureux autres ? Mais les autres ne sont pas heureux... L’inquiétude et la détresse de notre tâche témoignent seulement de l’inquiétude et de la détresse de toutes les tâches humaines». Ibid., p. 218. 551. «Toute la situation de l’Église ne comporte-t-elle pas une surestimation inouïe de l’homme, bien pire ici que son arrogance ECCLÉSIOLOGIE DE KARL BARTH 1847 Suite de la note 551 : dans d’autres domaines ? Je répondrai : avec Dieu il est possible qu’il n’en soit pas ainsi ; il est possible que comme pasteurs et dans la situation de l’Église, nous soyons sauvés, tel un tison arraché au feu. Mais aux hommes c’est impossible. Quand nous y réfléchissons, nous ne pouvons que nous dire : à propos de qui peut-il être plus sérieusement question de la colère de Dieu qu’à propos de nous pas­ teurs ? Ignorerions-nous combien nous encourons son jugement ? Et je ne dis pas jugement en un sens spirituel, religieux et après tout inoffensif; je le dis au sens le plus réaliste. Moïse, Isaïe, Jérémie ou Jonas ont certainement su pourquoi ils ne voulaient pas se mettre dans la situation du prédicateur. A vrai dire, l’Église est une impossi­ bilité. A proprement parler, on ne peut pas être pasteur. Qui a le droit de prêcher, qui peut prêcher quand il sait de quoi il s’agit dans la prédication ?... Dans laquelle de toutes les objections qui sont faites à l’Église et au christianisme par ses détracteurs, cultivés ou incultes ne se cache pas, en fin de compte, l’objection que nous devrions élever nous-mêmes contre nous-mêmes si nous étions plus conscients de ce que nous osons en tant que pasteurs ? Que ces objections soient fondées ou non, habiles ou stupides, plutôt que de partir en guerre contre elles..., ne vaudrait-il pas mieux les supporter d’abord et examiner ce qu’elles contiennent de fondé ? Ne serait-il pas plus avisé de laisser, une bonne fois et tranquillement, se déchaî­ ner sur nous la force purificatrice de certains orages qui nous mena­ cent, au lieu de leur opposer aussitôt quelque paratonnerre ecclésias­ tique? En lieu et place de nos revues de théologie pratique ne ferions-nous pas bien de lire, par exemple, les ouvrages de Feuerbach, et de les lire sans essayer, tout aussitôt, de tirer notre épingle du jeu ? Si Dieu - le miracle est possible par lui - nous a élus et nous veut justifier, en tant que pasteurs et dans la situation de l’Église, il ne le fera que là où s’exerce un jugement sur nous-mêmes, sur l’Église, sur notre ministère... » « Détresse et promesse de la prédication chrétienne», juillet 1922, dans Parole de Dieu et parole humaine, Paris, 1933, pp. 149-150. Une question aux protestants : Suffit-il, dans une pareille perspective, que les Églises s’accusent elles-mêmes, pour que s’exerce sur elles le jugement de Dieu ? Pour départager le vrai et le faux dans cette émouvante citation, nous ne voyons qu’un principe, mais il est, à nos yeux décisif : l’Église n’est pas sans pécheurs, mais elle est sans péché. 1848 VII - CORPS DE L ÉGLISE plus du tout sa parole à elle, mais exclusivement la parole de Dieu qui seul peut parler de Dieu552 ; ou encore, et ici Barth reprend l’image calviniste où s’exprime par excellence la thèse occasionnante, que la parole de l’Église soit le pot de terre, sans dignité ni valeur, où surviendrait miraculeusement le tré­ sor de la parole de Dieu>53. Mais comment saurons-nous que le trésor est maintenant dans le pot de terre, que la foudre qui terrasse l’auditeur est vraiment la foudre de Dieu ? Nous ne saurons jamais qu’une chose, c’est que Dieu est descendu dans l’Église apostolique. Essayons de rendre témoignage à l’Église apostolique. Peut-être la parole de Dieu descendra-t-elle dans notre parole comme le trésor dans le pot de terre554. 552. « Nous devons, à propos de notre ministère, nous rappeler que Dieu seul peut parler de Dieu... Fussions-nous Luther ou Calvin, quelque chemin que nous puissions prendre, il n’y a pas plus d’espoir pour nous d’arriver au but que pour Moïse d’entrer dans la terre pro­ mise. Aussi certainement... qu’il vaut la peine de faire un choix et de ne pas prendre n’importe quel chemin libre, aussi certainement nous devons savoir que le but de notre route, c’est que Dieu lui-même parle. Et que, par conséquent, nous n’aurons pas à être surpris si, au terme de tous nos chemins..., la plupart du temps la bouche nous soit fermée». « La parole de Dieu, tâche de la théologie », 1922, dans Parole de Dieu et parole humaine, pp. 219-220. 553. « Notre détresse est aussi notre promesse. Cette phrase, quand je la dis, est une proposition dialectique comme une autre, et nous savons ce qu’il en est de la dialectique !... Mais il se pourrait que ce ne fut pas moi qui dise que notre détresse et notre embarras sont notre promesse. Il se pourrait que ce fût la Vérité vivante, qui est audelà du oui du non, la réalité de Dieu qu’aucun procédé ni aucun renversement dialectique ne met à ma disposition, mais qui nous a à Sa disposition dans Sa puissance et Son amour... Il se pourrait que la Parole, la Parole de Dieu que nous ne pouvons jamais parler, tienne compte de notre faiblesse et de notre folie, si bien que notre parole, dans sa faiblesse et sa folie, devienne ce vase de terre où est\e trésor, le lieu de la parole de Dieu ». Ibid., pp. 220-221. 554. « Il se pourrait, dis-je... Toutes mes pensées gravitent autour d’un point qui, dans le Nouveau Testament, s’appelle : Jésus-Christ. Qui dit : Jésus-Christ, n’a pas le droit de dire : Il se pourrait que..., mais bien : C’est un fait que... Mais lequel d’entre nous est capable, ECCLÉSIOLOGIE DE KARL BARTH 1849 Suite de la note 554 : de lui-même, de dire : Jésus-Christ ? Peut-être faut-il que nous nous contentions de cette évidence que les premiers témoins ont dit, eux : Jésus-Christ. Sur leur témoignage, croire à la promesse, et donc être témoins de leur témoignage, c’est-à-dire des théologiens de l’Écriture, telle serait alors notre tâche ». Ibid., p. 221. Cf. Jacques MARITAIN, De Bergson à Thomas d’Aquin, New-York, 1944, p. 99 [O. C., VIII, p. 24] : « Karl Barth a affaire au fond de lui-même à une antinomie en quelque sorte substantielle. Rien au monde ne vaut pour lui que la seule parole de Dieu entendue par l’homme au fond du cœur. Pourtant il est théologien et il lui faut bien parler lui-même. Il me semble qu’il doit s’interroger avec angoisse et se demander constamment, sans avoir jamais le moyen de répondre, si cette parole ardente qui stimule ses disciples et qui a renouvelé la théologie protestante, est la parole de Karl Barth ou la parole de Dieu ». Sur le sujet Parole divine et parole humaine, qu’on nous permette un bref rappel théologique. Considérée en Dieu qui nous l’adresse, la Parole de Dieu est rigoureusement infinie : essentiellement, elle est la nature divine elle-même ; notionnellement, elle est le Verbe divin, le Logos. Considérée dans les hommes en qui elle est reçue, la Parole de Dieu est absolument ou entitativement finie, multiple ; c’est relative­ ment ou intentionnellement qu’elle est infinie, une, à savoir en tant quelle nous réfère à Dieu. Il faudra distinguer ici les paroles prophé­ tiques et les paroles sanctifiantes. Les paroles prophétiques sont pro­ noncées par Dieu dans le prophète pour qu’il les prononce à son tour aux autres hommes : Jean et Paul écrivent l’Apocalypse et l’Épître aux Romains. Les paroles sanctifiantes sont prononcées par Dieu dans le cœur même de l’homme pour le purifier et le sanctifier : quand Dieu prononce qu’un homme est juste et saint, il le rend juste et saint; à un degré plus avancé, quand Dieu bénit ses amis, dès ici-bas, selon le mot de saint Paul, II Cor., Ill, 18, il les «transforme de gloire en gloire». Les mystiques connaissent des paroles substantielles. Saint Jean DE LA Croix écrit : « La parole de Dieu est puissante et opère substantiellement dans l’âme ce quelle exprime ; ces paroles substan­ tielles sont irrésistibles, elles sont pour l’âme une vie, une force, un bien incomparable », Montée, livre II, ch. XXVIII et XXXI. Et MARIE DE L’INCARNATION, ursuline : « La parole intérieure se dit subitement au fond de l’âme et porte en un moment ses effets ; l’âme expérimente alors la vérité de ce que dit notre Seigneur : Mes brebis entendent ma 1850 VII - CORPS DE L’ÉGLISE 2. On remarquera que, cant que l’Église signifiait pour Barth, une entreprise de matérialisation du divin, elle était pleinement visible, mais qu’elle perd en visibilité à mesure qu elle s’identifie à l’Évangile. Au point où nous en sommes, l’Église apostolique est tenue pour l’Église du Christ. Quant à l’appareil ecclésiastique, auquel Calvin reconnaissait le titre et l’autorité d'Église, il ne représente l’Église du Christ que dans la mesure où il est évacué par Dieu, dans la mesure où sa pré­ dication n’est pas sa prédication, mais uniquement celle de Dieu. On remarquera encore cette notion, nouvelle dans le monde chrétien, d’une Église discontinue. Bien quelle ait une origine plus haute5-\ elle est en accord avec la philosophie existentialiste. Il est impossible, en effet, du point de vue exis­ tentialiste, de distinguer correctement l’essence et l’existence, voix », édit. Jamet, t. II, p. 497. Ces paroles ne sont prononcées que par Dieu ; l’homme n’en peut être que l’occasion, ou dans le cas exceptionnel des sacrements que la pure cause instrumentale. Elles sont personnelles et incommunicables : quand Paul me prêche ou me baptise, ce n’est pas sa sainteté qu’il me communique ; c’est, pourvu que je n’y fasse pas obstacle, la sainteté qu’à ce moment même, à l’oc­ casion ou par le ministère de Paul, Dieu prononce en moi et pour moi. Quand donc Barth se bat pour faire entendre que l'homme ne peut prononcer la parole de Dieu, ou bien il s’agit d’une parole prophé­ tique, et alors : c’est vrai en ce sens que l’homme ne peut communi­ quer son expérience prophétique ; et c’est faux en ce sens que l’homme peut et doit communiquer le contenu, le message de sa pro­ phétie. Le sophisme est de confondre ces deux aspects. Ou bien, il s’agit d’une parole sanctifiante, et alors, dans la perspective barthienne d’une humanité essentiellement pécheresse, c’est Dieu lui-même qui ne peut pas la prononcer ; Dieu ne peut prononcer que des paroles décla­ ratives, donner des signes, des promesses ; il ne peut prononcer aucune parole substantielle, intrinsèquement justifiante et sancti­ fiante. 555. Du point de vue d’une ecclésiologie catholique, on distingue les grâces prophétiques et les grâces sanctifiantes. Les grâces prophé­ tiques, même quand elles sont promises comme normales et constantes - c’est le cas pour l’inspiration jadis concédée aux apôtres, ECCLÉSIOLOGIE DE KARL BARTH 1851 Suite de la note 555 : et aujourd'hui pour les diverses espèces de l’assistance juridictionnelle - ne viennent que par manière d’influx transitoire, et tel un rayon qui traverse une vitre sans y rien laisser. Il n’y a pas, dit saint THOMAS, d’habitus prophétique, II-II, qu. 171, a. 2. Les grâces sanc­ tifiantes, au contraire, nous sont données en quelque sorte avec leurs racines, à la manière de principes d’agir vivants et permanents tou­ jours prêts, sous le souffle divin, à passer à l’exercice, I-II, qu. 62, a. 1. La charité, notamment, réside en nous comme une forme connaturelle surélevante, II-II, qu. 23, a. 2. Toutes les grâces prophé­ tiques, même les plus hautes, sont dans l’Église au service des grâces sanctifiantes. Du point de vue barthien, les valeurs ecclésiologiques fondamen­ tales sont pareilles aux grâces prophétiques, par nature discontinues. Et elles n’ont pu être promises comme normales et constantes à aucune autorité hiérarchique au monde. D’où la notion d’une Église prophétique, problématique, discontinue, aussi indifférente à la con­ tinuité historique qu’aux structures métaphysiques : « L’outrecuidance religieuse se permet simplement tout... C’est l’histoire de la religion qui commence, c’est-à-dire l’histoire de l’infidélité de la religion envers sa propre signification. Car aussitôt que la religion prend conscience d’elle-même, aussitôt qu ’elle devient dans le monde une grandeur psycho­ logique et historique saisissable ou visible, elle est déchue de sa tendance la plus profonde, de sa vérité, elle est devenue idolâtre. Sa vérité, cest son sens de l'Au-delà, son caractère profane et sa non historicité. Pour moi, le caractère distinctif de la Bible par opposition à l’histoire des reli­ gions - à laquelle il va bien de soi que l’Église chrétienne appar­ tient, elle aussi et peut-être elle surtout - c’est que dans ce livre appa­ raît une continuité saisissante de fidélité, de patience, d’attente, une attitude de naïf réalisme vis-à-vis de l’incompréhensible vérité de Dieu, qui ne relève ni de la psychologie, ni de l’histoire... C’est ainsi que Γhistoire biblique, dans l’Ancien et le Nouveau Testament, n’est précisément pas une histoire. Vue d’en haut, c’est une série de libres actions divines ; vue d’en bas, une série d’essais sans résultats au cours d'une impossible entreprise». « Questions bibliques», 1920, dans Parole de Dieu et parole humaine, 1933, pp. 104 à 107. (On l’aura remarqué, « l’Église chrétienne » est encore, dans cette étude, opposée à l’Évangile.) L’essentiel est ici de noter que Barth pourra se défaire de 1’« existentialisme » sans renoncer à sa doctrine de la discontinuité de l’Église. 1852 VII - CORPS DE L’ÉGLISE la nature et l’opération, le pouvoir permanent d’agir (acte pre­ mier) du passage à l'action (acte second), la grâce habituelle ou permanente de la grâce actuelle ou passagère. De ce fait, la notion jusqu'ici commune d'une Église du Christ permanente et impérissable, doit faire place à la notion nouvelle d’une Église du Christ impermanente, discontinue, qui peut dispa­ raître, réapparaître, ressusciter à chaque fois. * vx λι ha 7. L’Église-événement C’est à cette notion d’une Église «problématique», pro­ phétique, discontinue, d’une Église-événement, survenant à certains moments dans l’appareil ecclésiastique, que Barth s’ar­ rête. i n m ιρ α α ρ λ ι ι 1. Il la définit, en bon théologien, par les quatre causes: « L’Église est la communauté vivante du Christ vivant, com­ munauté dynamique d'hommes que Dieu fait vivre de sa grâce, qu’il dirige par sa Parole et par son Esprit, en vue de son Royaume »5?6. Il précise son caractère discontinu : « L’essence de l’Église est l’événement par lequel l’Écriture sainte, en tant que témoignage prophétique et apostolique de Jésus-Christ, produit la démonstration d’Esprit et de puissance, et par là, la preuve de sa vérité intrinsèque »557. Il insiste sur l’importance de l’événement : « Considérée à partir de son Seigneur unique et toujours vivant, la communauté chrétienne ne peut être qu’z/Tze et vivante, non sujette aux divisions. HÉ^Yise-événe­ ment, la communion du Saint-Esprit est la seule garantie de son unité. Si elle croit pouvoir exister en dehors de l’événe- 556. « La nature et la forme de l’Église », dans Les Cahiers Protestants, Lausanne, 1948, p. 76. 557. Ibid., p. 77. Saint Paul donne aux Corinthiens, comme preuve de sa mission, les transformations opérées en eux par la puis­ sance de l’Esprit : « Mon discours et mon message ont consisté non dans les paro es persuasives de la sagesse, mais dans la démonstration d’Esprit et de puissance, afin que votre foi Fût fondée, non sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu » (I Cor., II, 4-5). ECCLÉSIOLOGIE DE KARL BARTH 1853 ment du Saint-Esprit, elle n’a de l’Église que l’apparence et son unité est nécessairement détruite »558. 2. Dans quel appareil ecclésiastique, l’Esprit saint va-t-il survenir, pour manifester l’Église, ce mot Église étant pris ici pour désigner l’Église du Christ, l’Église de l’Écriture559 ? C’est, pour Barth, encore qu’il ne lui accorde pas de valeur absolue, l’appareil ecclésiastique reconnu par l’Église réfor­ mée^*0. Et quelles en sont les caractéristiques ? On en signale deux. Tout d’abord, on exige l’administration du baptême et 558. Ibid., p. 80. 559. « Notre Église réformée a été dès son origine l’Église de l’Écriture sainte, celle dont le fondement est le témoignage des pro­ phètes et des apôtres de la révélation de Dieu. Cela signifie que si nous parlons à'Églises, nous ne pouvons désigner par ce terme les dénominations. Lorsque l’Écriture sainte parle d’Églises, elle désigne par là les paroisses, mais en aucun cas ce que nous appelons du terme affreux : dénominations. Lorsqu’elle parle de l’Église, l’Écriture sainte désigne l’Église une et sainte à laquelle nous pouvons et devons croire. Si nous prenons la Bible au sérieux, nous ne pourrons jamais dire sérieusement : Churches, nous laisserons toujours ce mot entre guillemets. De même aussi, nous mettrons un grand point d’interro­ gation sur nos : chères Églises réformées. L’Église, chacun de nous doit la chercher dans sa propre paroisse: c’est là que vit, c’est là qu’existe l’Église de Jésus-Christ ». « Les Églises réformées au sein du Conseil œcuménique », dans Foi et Vie, 1948, p. 490. 560. « En tant que Réformé, nous ne pouvons pratiquer un confessionalisme strict, donnant à nos Églises une valeur absolue comme on le fait à notre droite et à notre gauche. La Réforme de notre Église est toujours devant, non pas seulement derrière elle ». Ibid., p. 495. Cela va permettre à Barth, à sa grande joie, d’adopter au sein du Conseil œcuménique une position dialectique : « Cette longue ligne qui s’étend de la droite à la gauche, dans son infinie diversité, c’est le World Council of Churches. Et nous, Réformés, nous sommes au milieu, avec les Luthériens immédiatement à droite et les congrégationalistes immédiatement à gauche... A droite, on insiste particulièrement sur la continuité historique de l’Église et sur la transmission par succession de l’héritage apostolique. A gauche, on souligne avant tout le mouvement libre et souverain de la parole et de l’Esprit de Dieu... Nous affirmons que certes, une fois pour toutes, 1854 t» b Vil - CORPS DE L’ÉGLISE de la cène%l. Ensuite on proscrit, comme faisant obstacle à la manifestation de l’Esprit, toute organisation hiérarchique, pour ne tolérer que la forme appelée congrégation^2. Les congrégations locales pourraient s’unir en une congrégation synodale conçue comme un unique organe œcuménique. Cette congrégation synodale ne saurait cependant avoir autorité pour commander ; elle ne pourrait que conseiller, avertir, Dieu a prononcé dans l’histoire de ce monde sa Parole éternelle et en a confié le dépôt à son Église... Mais nous disons aussi que l’Église est là où retentit la libre parole de Dieu qui, chaque jour crée à neuf l’Église... Nous sommes, en tant que Réformés, dans une vraie situa­ tion œcuménique, dans une tension de tous les instants ; et il s’agit de ne pas renoncer à cette tension, c’est-à-dire de ne lâcher ni à droite ni à gauche ». Ibid., pp. 492-493. Quel cas Barth peut-il bien faire de « la continuité historique de l’Église » dont se prévalent ses voisins de droite ? Ce qui le ravit dans la Bible, on s’en souvient, par opposition à l’histoire des religions et à l’histoire de l’Église, c’est quelle riestpré­ cisément pas une histoire ! 561. «A notre gauche se trouvent les congrégationalistes, les méthodistes, les baptistes, les disciples du Christ et l’on entre à nou­ veau dans une zone de brouillard où se trouvent les mennonites, les quakers, l’Armée du Salut ; et l’on se demande : peut-on vraiment, dans ce brouillard de gauche, prononcer avec bonne conscience le mot : Église, puisque l’on se refuse à y parler du baptême et de la sainte cène ? » Ibid., p. 492. « L’Église est là où le baptême et la sainte cène groupent les hommes sous la souveraineté de Jésus-Christ, qui est en même temps le Seigneur de l’univers ». « La nature et la forme de l’Église », dans Les Cahiers Protestants, 1948, p. 77. Pour Barth, comme pour Calvin, le baptême ne cause pas la grâce, il n’est qu’un faire-part du salut auquel le baptisé répond par la foi. De cette doctrine, Barth déduit l’inutilité du baptême des petits enfants. Voir, en sens contraire, chez les protestants, Oscar CüLLMANN, Le baptême des enfants, Neuchâtel, 1948, p. 20. 562. Il faudra d’ailleurs user de toute la liberté que prêche l’Écriture et prendre ses libertés... à l’égard même de l’Écriture : « Inorga­ nisation ecclésiastique... doit être adaptée entièrement et absolument aux nécessités de la Parole de Dieu, ce qui ne signifie pas qu’il faille la copier sur la Bible. L’Église une, sainte, universelle et apostolique existe dans la congrégation visible qui est rassemblée, consolée et exhortée par la Parole divine. L’Église est là seulement où deux ou ·. ECCLÉSIOLOG1E DE KARL BARTH 1855 réprimander563. La congrégation évacue tout pouvoir hiérar­ chique comme faisant obstacle à la venue de l’Esprit saint564. En supprimant toute possibilité de distinguer divinement entre les grandeurs de hiérarchie et les grandeurs de sainteté, ou bien elle laisse la place libre aux usurpations humaines, ou bien elle élève les grandeurs de sainteté au rang de grandeurs hiérarchiques improvisées"165. trois sont réunis en mon nom (Mt., XVIII, 20). La congrégation n’est pas nécessairement et exclusivement la congrégation locale, bien que celle-ci, reconnaissable à l’existence de cultes communs réguliers, soit la forme normale et normative de l’Église. Congrégation signifie communion dans la prière, et dans la confession de foi, dans l’action du baptême et de la sainte cène, réception et proclamation commu­ nautaires du message évangélique ». « La nature et la forme de l’Église», loc. cit., pp. 80 à 82. 563. Ibid., p. 83. - En d’autres mots, elle n’a pas autorité divine, mais seulement autorité humaine, pour commander, réprimander, prendre des sanctions. Elle n’a qu’une autorité humaine à opposer aux congrégations locales qui, au nom de leur propre autorité humaine, affirment, par exemple, que Jésus n’est pas vraiment Dieu, ou que le baptême des petits enfants est une superstition. Ce qui s’est produit jusqu’à Amsterdam. C’est donc à l’Écriture seule de parler. Mais que dit-elle ? 564. Parlant, entre autres choses, « d’un pouvoir élevé au-dessus des congrégations (évêque ou hiérarchie d’évêques, synode ou hiérar­ chie de synodes, etc.) », BARTH ajoute : « De telles instances intermé­ diaires ne peuvent qu’entraver et non favoriser le libre cours de la Parole de Dieu et du Saint-Esprit. Le Seigneur vivant veut avoir affaire directement, immédiatement, avec Sa communauté vivante, et non médiatement, à travers un système représentatif. Une organisa­ tion ecclésiastique qui n’est pas construite selon la notion de congré­ gation, n’est pas digne de ce nom ». « La nature et la forme de l’Église», loc. cit., p. 81. «L’objection fondamentale que l’on doit faire aux constitutions papales, mais aussi épiscopales et presbytériennes-synodales, c’est qu’elles ne favorisent pas la disponibilité, l’ouverture d’esprit et la liberté de la congrégation en face de la Parole de Dieu, ni la réformation de l’Église, mais elles leur font obstacle ». Ibid, p. 83. 565. « Il ne saurait être question d’une autorité ecclésiastique qui serait autre que la Parole de Dieu dans son témoignage biblique. La 1856 VU - CORPS DE L’ÉGLISE 8. Amsterdam, « démonstration d'Esprit et de puissance »i Répotise barthienne et réponse catholique. Mais peut-on savoir à quels moments l’appareil ecclésias­ tique protestant est visité par Dieu pour devenir l’Église du Christ ? Plus précisément, le Conseil œcuménique des Églises, rassemblé à Amsterdam du 21 août au 4 septembre 1948, a-t-il été « une démonstration d’Esprit et de puissance », une manifestation de l’Église du Christ ? A cette question, répon­ dons d’abord du point de vue barthien, puis du point de vue catholique. 1. Pour Barth, la venue prophétique de l’Esprit saint, qui constitue l’Église-événement, quelle se fasse à l’occasion de la prédication de saint Paul, ou dans l’appareil ecclésiastique pro­ testant, porte en elle-même la preuve de sa vérité intrinsèque. Cette manifestation devient éclatante aux moments où «le domaine humain de l’Église » est renouvelé profondément par son Seigneur, aux heures de persécution, quand « les hommes d’Église ne tiennent plus d’assises ». L’Église-événement, Barth congrégation entière est donc, dans ses divers services la servante de la Parole divine. Il ne saurait y avoir de suprématie ni de subordination des services les uns à l’égard des autres. Le pasteur ne trônera pas au milieu des anciens, ni la professeur de théologie au-dessus du sonneur de cloches. Il ne saurait y avoir ni ecclésiastiques ni laïques, ni une Église seulement enseignante et une Église qui se bornerait à écouter. Quand le renouvellement de l’Église se produit, les corps d’évêques ou d'autres hommes d’Église ne tiennent plus d'assises, les sociétés de pasteurs ne traitent plus de leurs affaires à l’écart, les conseils et les consistoires n’émettent plus de décrets, mais la congrégation devient une réalité, généralement comme congrégation locale ». Ibid., p. 82. Sur la distinction entre l’Église enseignante et l’Église croyante et aimante, voir L'Église du Verbe incarné, t. I, pp. 36-38 [dans la pré­ sente édition : vol. I, pp. 71-74]. « Une Église qui se bornerait à écou­ ter... » Même ceux qui parlent d’« Église enseignée » ne la confondent pas avec un appareil enregistreur : ils n’oublient ni saint Justin ni saint Thomas More, ni Dante ni Pascal. Ailleurs, Barth recourt lui-même à la distinction entre Xecclesia docens et Xecclesia audiens : cf. Credo, Paris, 1936, p. 222. ECCLÉSIOLOGIE DE KARL BARTH 1857 le dit, était possible à Amsterdam. Elle pouvait s’y manifester au moins imparfaitement, par une reconnaissance vécue de l’absolue souveraineté du bon plaisir divin566. Pourtant, un tel témoignage à la transcendance divine ne pourrait-il être rendu déjà du point de vue du judaïsme et de l’islam? Suffit-il donc à manifester l’Église du Christi N’implique-t-elle pas une unité plus exigeante ? Barth lui-même a répondu. D’une part, en face de ce qu’il appelle le brouillard de droite, où sont les orthodoxes, il demande : « Pouvons-nous nous comprendre, sommes-nous vraiment ensemble ? » D’autre part, en face du brouillard de gauche où sont les sectes, il demande : « Peut-on vraiment y prononcer avec une bonne conscience le mot : Église, puisque l’on se refuse à y parler du baptême et de la sainte cène ? » 566. L’appel de BARTH est ici pathétique : « Ce qui nous est demandé au cours de ces journées, c’est simplement de fournir à nos Eglises et au monde entier un signe — lequel, nous l’espérons, pourra être une démonstration d’Esprit et de puissance — de ce qui se pro­ duit lorsque des milliers de chrétiens de tous pays, de toutes langues et de toutes confessions, rassemblés au milieu des conjonctures de ce temps en une seule communauté, s’en tiennent uniquement à cette parole qu’ils ont si souvent entendue ou prêchée eux-mêmes : Recommande tes voies à l’Éternel et espère en lui, et tes projets réus­ siront. Pourquoi ne pourrions-nous pas le faire ?... Une attitude de liberté spirituelle consisterait ici à oublier quelque peu nos intérêts, nos préoccupations et nos désirs — confessionnels et œcuméniques — pour nous demander ce que pense et veut de nous Celui dont le nom est au centre de toutes nos confessions et qui seul possède, en défini­ tive, le droit et le pouvoir de nous appeler à former sa sainte Église universelle... Il nous est permis d’écouter sa parole. Il nous est permis de nous en tenir au simple fait qu’il est, en action et en parole, notre Seigneur et que ce n’est pas nous, avec toutes nos idées chrétiennes, qui sommes ses seigneurs. Nous ne pouvons pas savoir ce qui arrivera si nous acceptions de l’écouter. Nous ne savons pas comment nos idées confessionnelles ou œcuméniques supporteront l’épreuve de sa parole. 11 ne nous est pas permis de vouloir le savoir d’avance. Mais il nous est permis de savoir que cette épreuve ne pourra que nous être salutaire à nous, à nos idées et à nos Églises ». « Désordre de l’homme et dessein de Dieu », dans Foi et Vie, 1948, pp. 421-422. 1858 \ΊΙ - CORPS DE L’ÉGLISE Mais alors, la question revient, est-ce que l'Église du Christ a paru, à Amsterdam, au moins dans les Églises réformées? Comment le dire, s'il est vrai que plusieurs de leurs membres ont fait savoir qu’ils rejetaient la divinité du Christ567 ? Reste donc l'Église réformée telle que la conçoit K. Barth. Est-elle vraiment pour Dieu, comme elle l’est pour Barth, au centre du Conseil œcuménique des Églises ? Aux yeux de Dieu, son influence est-elle, comme aux yeux de Barth, propre à faire avancer, non à faire reculer, la cause de l’Église de l’Écriture? Barth nous assure que l’Église réformée peut être, plus qu’au­ cune autre, l'Église du Christ. L’a-t-elle été à Amsterdam ? Qui va répondre563 ? Ce que diront les hommes peut être ce que Dieu pense ; mais aussi tout autre que ce que Dieu pense. Sur 567. L’expression : Jésus-Christ, Dieu et Sauveur, base doctrinale du Conseil œcuménique a été vivement contestée en Suisse. La Com­ mission théologique du Conseil de la Fédération des Églises suisses, au cours des années 1938-1939, l’a déclarée recevable, mais en demandant que l’on réservât aux Églises suisses le droit de l’interpré­ ter. Le Consistoire de l’Église nationale protestante de Genève, le 3 février 1940, «éprouve quelque embarras à donner son adhésion, même indirecte, à une formule d’allure dogmatique comme celle qui nous est représentée, et charge ses délégués à la Fédération des Églises suisses d’insister auprès de la Fédération pour que les réserves faites par les Églises cantonales soient communiquées au Conseil œcumé­ nique au moment où l’adhésion lui sera notifiée ». L’Assemblée de la Fédération des Églises suisses, 19 juin 1940, «charge les délégués suisses d’insister, dès la première réunion officielle du Conseil œcu­ ménique, pour que cette base soit modifiée de façon à la rendre plus conforme à la tradition et aux principes des Églises réformées». Les délégués suisses, à Amsterdam, ont obtenu que la base doctrinale soit réexaminée à la prochaine assemblée œcuménique de 1954. Voir La Vie Protestante, Genève, 4 et 11 mars 1949. 568. BaRTH n’osera jamais faire, comme saint Paul, son propre éloge, un si intraitable adversaire de l’humain n’osera jamais recourir à 1’humanum dico. Mais ses amis penseront, sans doute, que l'Église-événement était visiblement présente dans son témoignage, et jusque dans son souci de refuser les compliments : « Mon dernier point est délicat : j’ai été nommé ce soir, au début de cette séance, en tête d’une longue liste de noms de grands leaders réformés. Je vou- ECCLÉSIOLOGIE DE KARL BARTH 1859 ce plan, c’est-à-dire sur le plan d’une estimation humaine des événements et d’une connaissance rationnelle des signes, la question, si l’on ne triche pas - et Barth entend bien ne pas tricher - est donc sans réponse. Il faut même quelle soit sans réponse, et qu’elle reste question, c’est-à-dire torture, et quelle prépare ainsi la desperatio fiduciatis, dans laquelle enfin Dieu seul parle à l’homme, mais par la foi569. 2. Du point de vue catholique, nous savons, d’une part -mais comment le dirions-nous sans souffrir - qu’Amsterdam n’a pas été une démonstration, en Esprit et en puissance, de l’Église du Christ considérée dans sa plénitude, dans son acte achevé. Les ravages du principe de dissidence, qui a divisé d’abord le protestantisme du catholicisme, se sont fait sentir si gravement pendant quatre cents ans, à l’intérieur du protes­ tantisme lui-même, qu’ils ont réussi à opposer entre elles les Églises protestantes sur des points primordiaux et évidents du message chrétien : la révélation du mystère de la sainte Trinité, de la divinité du Christ, d’un Dieu donc qui a tant aimé le monde qu’il lui a donné son Fils unique, de la nature du bap­ tême et de l’eucharistie, de la distinction entre grandeurs de hiérarchie et grandeurs de sainteté, etc. Mais, toujours du point de vue catholique, nous savons, d’autre part - et comment le dire sans joie - que l’Esprit saint drais tout simplement vous demander, qu’en tant que Réformés, nous renoncions à toute glorification de l’homme, même de l’homme chrétien... L’Église réformée, d’où nous venons, et l’Église œcumé­ nique, vers laquelle nous allons, ne peut savoir qu’une seule chose et cela lui suffit : Soli Deo gloria ». « Les Églises réformées au sein du Conseil œcuménique », dans Foi et Vie, 1948, p. 496. 569. « Dieu n’attend de nous - si l’on peut parler d’une attente de Dieu - que... la desperatio fiduciatis, ce désespoir confiant, dans lequel l’homme joyeusement se reconnaît perdu ; joyeusement parce qu’il a compris le sens de cette perdition ; Dieu n’attend que cela pour réali­ ser, dans sa signification positive, c’est-à-dire comme amour, pardon, vie, miséricorde et grâce, notre rapport avec lui ». « Le problème éthique à l’heure actuelle», septembre 1922, dans Parole divine et parole humaine, 1933, p. 184. 1860 Vil - CORPS DE L ÉGLISE souffle sur la face de coure la terre, et qu’il s’efforce sans cesse, à l’encontre de toutes les résistances et de routes les erreurs, de rassembler les hommes autour de leur Sauveur. Dans tous les mouvements, dans tous les actes, dans tous les consentements de foi et d’amour — amour de Dieu et du prochain - dans tous les beaux oui qu'il provoque en eux, et par lesquels il tente de les acheminer vers la plénitude de l’unique Christ et de son unique Église, passe déjà un témoignage de la puissance de l’Esprit, un témoignage d’Esprit et de puissance. Non celui qui manifeste l’Église du Christ dans sa plénitude, dans son acte ouvert et achevé ; mais celui qui manifeste, avec une visi­ bilité affaiblie, souvent ambiguë, incertaine, discontinue - est-ce cette ambiguïté-Âz, cette incertitude-^, cette disconti­ nuité-^ que la raison de Barth aurait, sans qu’il s’en rende compte, obscurément saisies ? - l’Église du Christ dans son acte inchoatif, latent et tendanciel. Ainsi, au sein des dissidences éclate une double puissance : celle du principe même de dissidence qui tend à aggraver tou­ jours les divergences ; et la puissance contraire de l’Esprit saint, qui travaille sans cesse, au moins dans le secret des cœurs, à rassembler une certaine divine unité. Cela est clair dans l’ensemble. Mais le théologien hésitera souvent à se pro­ noncer d’une manière plus circonstanciée. Il réserve avec amour le secret de Dieu. 9. Trois doctrines de la visibilité de TÉglise : saint Thomas, Calvin, Barth 1. «Mon langage et ma prédication n’ont pas consisté en paroles persuasives de sagesse, mais en manifestation (apodeixis) d’Esprit et de puissance, afin que votre foi ne soit pas fondée sur une sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu » (I Cor., II, 4-5). L’Église porte en elle-même sa preuve, du fait quelle appa­ raît au milieu de nous comme le corps qui contient l’Esprit du Christ. A la manière, d’une part, dont l’homme, composé d’âme et de corps, est visible en raison de son essence et de sa constitution organique, et non seulement comme un être ECCLÉSIOLOGIE DE KARL BARTH 1861 inanimé, ou végétal, ou animal, mais formellement comme un homme; à la manière, d’autre part, dont le Christ, en qui s’unissent les deux natures divine et humaine, était visible en raison de son essence et de sa constitution organique, et non seulement comme un homme parmi les autres, mais formelle­ ment et miraculeusement comme un homme manifesté par Dieu (apodedeigmenos, Act., II, 22) ; ainsi l’Église, composée d’Esprit et de corps, est visible en raison de son essence et de sa constitution organique, comme formellement et miraculeu­ sement porteuse de Dieu. Voilà la doctrine catholique de la visibilité de l’Église. Elle représente une synthèse des contrastes. 2. La synthèse est brisée et les contrastes se changent en contradictions dans l’enseignement protestant. Calvin et Barth parleront encore de l’Église visible ; mais le sens du mot visible aura perdu chez eux sa primitive, son extraordinaire significa­ tion. Selon Calvin, il y a deux Églises du Christ, l’une invisible, l’autre visible. L’Église invisible est impérissable. L’Église visible, qui la double à certains moments de l’histoire, peut disparaître et réapparaître. Le Moyen Age l’avait laissé périr, Calvin l’a redressée. Ce n’est donc plus essentiellement, constitutivement, organiquement que l’Église impérissable du Christ est visible; c’est seulement accidentellement, par adjonction et juxtaposition d’une Église visible, hors de laquelle, dès qu’elle existe, nul n’est sauvé. A cette Église visible, tant qu’elle n’est pas déchue, Calvin reconnaît - et c’est chez lui un reste de catholicisme - une autorité permanente pour prêcher la parole de Dieu. De ce seul fait, l’Église entière devra appa­ raître au-dehors comme chargée d’un message divin. Sa visibi­ lité, tout en demeurant accidentelle et précaire, sera ministé­ rielle, et pour autant, intrinsèque, régulière, continue. Selon Barth, il n’y a qu’une Église du Christ, qu’il appelle visible, parce quelle peut se manifester, d’une manière « pro­ blématique », « prophétique », discontinue, à l’occasion sur­ tout des organisations ecclésiastiques de forme congrégationaliste. Il ne s’agit plus d’une visibilité essentielle, constitutive, 1862 VII - CORPS DE L’ÉGLISE organique, comme est, dans l'homme, celle de l’âme à travers le corps, ou comme est, dans le Christ, celle de la divinité à travers son humanité. Il ne s’agit même plus de la visibilité accidentelle sans doute, mais cependant ministérielle, intrin­ sèque, continue, que confère l’accomplissement momentané d'une mission à celui qui s’en trouve chargé. Il s’agit de la visi­ bilité accidentelle, cette fois-ci purement occasionnelle, extrin­ sèque, discontinue, que confère l’éclair à l’objet qu’il touche. Visibilité d’ailleurs essentiellement ambiguë pour la raison, et donc inexistante pour elle ; « visibilité » qui vaut pour la foi seule ! 3. Du point de vue catholique, on distingue trois regards que l’homme peut lever sur l’Église, comme d’ailleurs sur le Christ : 1° au regard de la raison empirique, elle apparaît comme une société parmi les autres, ayant comme les autres ses statistiques et ses vicissitudes historiques : elle ne révèle alors ni son miracle ni son mystère ; 2° au regard de la raison profonde, de la raison métaphysique, tant spontanée que réfléchie, elle apparaît, à ceux qui ont des yeux pour voir, comme un signe levé au milieu des nations, comme un perpétuel motif de cré­ dibilité : elle révèle alors son miracle ; 3° au regard de la foi surnaturelle, elle apparaît comme le corps du Christ vivant et l’habitation de la Trinité : elle révèle alors son mystère. La démonstration de la puissance de l’Esprit, qui accompagne la prédication de Paul et celle de l’Église, relève sous des aspects différents à la fois du deuxième et du troisième de ces regards. Du deuxième, car elle comporte des signes : « Les preuves accompagnant l’apôtre ont paru au milieu de vous par une patience à toute épreuve, par des signes, des prodiges, des miracles» (II Cor., XII, 12). Du troisième, car elle comporte des conversions surnaturelles : « Il a plu à Dieu de sauver les croyants par la folie de la prédication » (I Cor., I, 21). Pour Barth, la distinction du deuxième et du troisième regard, ou si l’on veut la distinction du miracle et du mystère, s’efface. Le regard de la raison par lequel l’Église est vue comme miracle, est supprimé. Il ne reste que le regard de la foi par lequel l’Église est crue, à la fois comme miracle et ECClTSIOLOGIE DE KARL BARTH 1863 comme mystère. En sorte que, de notre point de vue, l’Église que Barth continue d’appeler visible, n’est pas vue, elle n’est plus visible. Elle est seulement crue par ceux qui ont la foi, elle est seulement mystérieuse, et son mystère, par rapport à celui de Dieu, est non une participation mais un reflet. La notion chrétienne d’une Église qui, à la ressemblance du Christ, est à la fois vue par la raison comme miracle, et crue par la foi comme mystère, d’une Église qui est à la fois visible et mystérieuse, n’est, dans la perspective barthienne, plus pos­ sible. 10. L’Eglise dans le monde 1. La règle, qu’enseigne l’étude capitale sur Le chrétien dans la société ' °, septembre 1919, est de ne pas s’embourber dans la vie profane, et de ne pas la refuser, comme Tolstoï, par un non tout aussi absurde. Elle est de collaborer avec la société, sans accepter ses idoles ; et de l’attaquer, sans espoir d’en faire le royaume de Dieu. Le grand docteur est ici l’Ecclésiaste, dont la sagesse n’est « épicurienne qu’en apparence », et ce serait « mal connaître Jésus » de penser qu’il n’aurait pu en pronon­ cer les paroles51. Placé au point de vue de Dieu et ayant l’éter- 570. Dans Parole divine et parole humaine, 1933, pp. 47 et suiv. 571. Barth cite ici, EccL, IX, 7-10, où on lit: «Jouis de la vie avec la femme que tu aimes pendant tous les jours de la vie de vanité que Dieu t’a donnée sous le soleil ». Relisons Mt., XIX, 10 : « Il n’est )as avantageux de se marier », et I Cor., VII, 1 : « Il est bon pour homme de ne pas toucher de femme ». Ce rapprochement suffit à renverser le sophisme. Par rapport au Royaume il n’y a pas seule­ ment, ici-bas, des diversités de situations existentielles ; il y a des diver­ sités et des inégalités à'états de vie, des diversités et des inégalités de valeurs. C’est tout le monde de la morale qui est réhabilité, par l’au­ torité même de l’Évangile. La thèse barthienne est ici celle-même que saint Augustin reprochait à Jovinien. Quant à l’Ecclésiaste, il est ins­ piré pour rapporter une certaine sagesse de sens commun, sur laquelle tranchera la sagesse du Sermon sur la Montagne. Après la notion de morale, c’est la notion à'histoire, et de théologie de l’histoire du salut, qu’il convient donc ici de réhabiliter. 1864 VII - CORPS DE L’ÉGLISE :·» i nité dans son cœuf'2 (synthèse), le chrétien s’efforce de com­ prendre, d'éprouver en lui-même le jugement que Dieu a pro­ noncé, dans le Christ mort et ressuscité, sur la vie, le monde, l'histoire'' \ Il ne saurait demeurer spectateur. Il lui faut s’en­ gager. Il lui faut commencer par une affirmation, une accepta­ tion naïve du monde tel qu’il est (thèse) : non du monde sans Dieu, mais du monde de Dieu « qui est et reste le Créateur de sa création même déchue », du monde de la nature, de l’art, de la science, de la société, des organisations ecclésiastiques, Μ Η Λ f li Ιϋ Η* ? *Λ ίΤ η / ί ΙΛ Λ « 572. EccL, III, 11, dans la traduction des Septante. 573. Ce désir de tout comprendre, de comprendre tous nos contemporains dans une si haute lumière est émouvant: «Permettez-moi de résumer tout le sens de ce mouvement multiple de la Vie dans la mort et de la mort vers la Vie qui nous entraîne, dans ce seul mot : comprendre. Ce que nous voulons, c’est comprendre la grande inquiétude que Dieu suscite dans l’homme, et le profond ébranlement des fondements de ce monde, qui en résulte... Com­ prendre nos contemporains..., de Wilson à Lénine, tous à leurs diffé­ rents stades, emportés par le même mouvement. Comprendre notre temps et ses signes... Comprendre, c'est-à-dire voir, du point de vue de Dieu, qu’il doit en être ainsi, qu’il ne peut pas en être autrement. Comprendre, c’est-à-dire dans la crainte de Dieu, accepter toute la situation ; et dans la crainte de Dieu entrer dans le mouvement de l’époque ». Le chrétien dans la société, p. 64. Barth ne s’intéresse aucunement à l'histoire en elle-même à la manière d’un historien, d’un humaniste, d’un philosophe de l’his­ toire : « le glorieux moyen âge chrétien » opposé « à la sécularisation et à l’athéisme de notre époque» n’est pour lui qu’un mythe: « Comme si nous avions le droit de considérer nos contemporains autrement que dans la lumière de Jésus-Christ qui est mort et ressus­ cité pour eux aussi, et qui est devenu à eux aussi leur frère et leur Sauveur», « Désordre de l’homme et dessein de Dieu», 1948, dans Foi et Vie, 1948, p. 424. Le paradoxe est ici facile à lever. La valeur humaine de l’histoire laisse Barth indifférent. Ce qu’il cherche avec passion dans l’histoire, ce ne sont que les signes de l’imminence de l’éternel. Il ressemble ici à quelqu’un qui est même plus fort que lui et qui, étant catholique, a su par surcroît comprendre le moyen âge avec ses gloires et ses misères : Léon Bloy. La position catholique est dominatrice. Elle croit que le flux de l’histoire humaine et ses vicissitudes importent pour l’éternité. « Elle ECCLÉSIOLOGIE DE KARL BARTH 1865 cherchant à y faire son travail parfaitement, pouvant se per­ mettre d’être plus romantique que les romantiques et plus humaniste que les humanistes : car, qui sait ? « l’étincelle pour­ rait jaillir d’en haut, et faire apparaître l’éternel dans tout notre éphémère ». Et il lui faut ensuite et parfois en même temps passer dialectiquement à la négation critique du monde (antithèse)^, sachant avec l’Ecclésiaste que tout est complète vanité, et que la vie elle-même, étant douleur et injustice, appelle le jugement dernier et doit être, dès maintenant, atta­ quée par nous aussi. Le sens final de cette dialectique sera de nous rappeler que « nous ne pouvons faire qu’une chose. Et cette chose, ce n’est pas nous qui la faisons. Car que peut faire s’inquiétera du sens de l’histoire humaine, non seulement quant à l’œuvre du salut éternel à laquelle celle-ci collabore, mais quant à l’œuvre terrestre et immanente au temps qui s’y accomplit ». Le chré­ tien « ne se console pas de la perte irréparable de la moindre réalité fugitive, d’un visage, d’un geste de la main, d’un acte de liberté ou d’un accord de musique, où passe un peu d’amour ou de beauté... Il croit que rien de tout cela ne passe, parce que la mémoire des anges garde toutes ces choses, et que choisies et proférées par et dans des esprits, elles sont là mieux qu’en elles-mêmes, il croit que les anges ne cesseront pas de se raconter les uns aux autres et de faire revivre en eux sous mille formes l’histoire de cette pauvre terre ». Jacques MaRITAIN, Science et sagesse, Paris, 1935, pp. 208-209 [O. C., VI, p. 130]. 574. « L’antithèse est davantage qu’une simple réaction contre la thèse. Elle aussi, avec une force propre et première, jaillit de la syn­ thèse, embrassant la thèse, lui mettant un terme et donc, à chaque instant imaginable, la dépassant en dignité et en importance. Il n’y a de repos qu’en Dieu... Pour nous les larmes sont plus proches que le sourire. Nous sommes plus profondément engagés dans le non que dans le oui ; dans la critique et la protestation que dans l’acceptation ; dans le désir de l’avenir que dans la participation au présent. Pour nous, adorer le Créateur du monde primitif ne peut consister qu’en un appel ardent vers le Rédempteur du monde actuel. Notre oui à la de contenait, et dès le début, le non divin qui maintenant surgit dans l’antithèse et qui nous fait nous détourner de la thèse, présente et provisoire, vers la synthèse, primitive et finale ». Le chrétien dans la société, pp. 77-78. 1866 VII - CORPS DE L’ÉGLISE le chrétien dans la société, sinon regarder avec toute son atten­ tion ce que Dieu y fait, et le suivre ? »‘>75 Essayons de résumer en mots encore plus simples et sous une forme non « dialec­ tique » ces pages très denses et sans aucun doute très brillantes. Le monde créé par Dieu est devenu un monde de péché. Dieu l’a sauvé en Jésus-Christ. Il ne continue de le supporter, encore un peu de temps, qu’en vue de la transfiguration, tou­ jours imminente, du dernier jour. Le chrétien doit donc, chaque jour, apprendre de Dieu dans le Christ comment il doit, lui aussi, supporter le monde. Il ne doit pas faire ce qui est défendu dans l’Écriture: opprimer les pauvres, etc. Néanmoins il sait que, inévitablement, toute son activité reste péché, en ce sens qu’elle ne peut être intrinsèquement sancti­ fiée, qu’elle ne peut inaugurer ici-bas le royaume de Dieu, quelle ne peut être qu’un écran opaque que l’éclair de Dieu voudra peut-être venir frapper^76. Il lui reste donc à accepter les nécessités de la vie profane et sociale mais à les accepter en soupirant après le jour où elles éclateront, en sachant que les bouleversements d’ici-bas, les révoltes et les révolutions humaines, même athées, ne sont que les inconscientes pré­ mices de la bienheureuse catastrophe et délivrance finale. Dans ce mélange de révélations divines et de quelque chose d’autre, dans cet « éclairage » des plus authentiques vérités divines par l’idée de la « transcendance de l’univocité », ce qui est volatilisé, c’est la notion d’un royaume de Dieu déjà inau­ guré au sein même de nos misères par la foi et l’amour : « Si quelqu’un m’aime..., nous viendrons à lui, et nous ferons notre résidence chez lui » (Jean, XTV, 23) ; la notion d’une Église qui, au sortir même du baptême, est « glorieuse, sans tache ni ride ni rien de semblable, mais sainte et immaculée » (Éphés., v, 27), qui donne à ses fidèles le corps et le sang du Christ, et dès ici-bas la «vie éternelle» (Jean, VI, 54) ; la notion d’une justification et d’une sanctification 575. Ibid., p. 90. 576. Il y a donc le péché défendu par l’Écriture ; et l’autre péché, le péché inévitable « d’une nuit où tous les chats sont gris ». De nou­ veau, ce sont les valeurs morales qui réapparaissent. ECCLÉSIOLOGIE DE KARL BARTH 1867 intrinsèques. Ce qui est volatilisé, c’est encore la distinction que fait la théologie entre, d’une part, les vertus divines et infuses, qui rendent à Dieu ce qui est à Dieu, sont surnatu­ relles dans leur étoffe même, quoad substantiam, et donnent naissance à l’Église qui est le corps du Christ ; et, d’autre part, les vertus humaines et politiques, qui rendent à César ce qui est de César (voilà leur espèce et leur mesure) et qui ne sont surnaturelles que dans leur manière d’honorer César : c’est pour Dieu, pour Jésus, quelles rendent à César ce qui est de César (voilà leur mode surnaturel). Bref, ce qui est volatilisé, c’est le surnaturel créé, tant substantiel que modal. La perspec­ tive barthienne est une perspective de la seule nature péche­ resse, à qui des signes et des promesses ont été donnés. 2. Dans le monde, le rôle de l’Église sera pareil à celui du chrétien. Barth le résume dans La nature et la forme de l’Église, mars 1948 : « En face du monde — qui comprend ou ne com­ prend pas - l’Église est la congrégation vivante et visible qui écoute la Parole divine et lui répond, et la propose au monde, mais par là, le scandalise inévitablement. L’Église ouvre au large ses portes et ses fenêtres, afin de participer non au vertige et aux illusions du monde, mais à ses détresses et à ses tâches. Elle est, au sein de l’activité fiévreuse du monde (ou de sa paresse), un lieu paisible où est rendu possible un retour sur soi-même et une réflexion sérieuse, mais elle est aussi un foyer de saint tourment, d’avertissement et de stimulant prophé­ tiques, sans lequel le monde ne pourrait subsister. L’Église pro­ jettera la lumière du Royaume de Dieu sur tous les mouve­ ments, efforts, progrès, reculs, ascensions et effondrements des hommes »577. 577. Les Cahiers Protestants, 1948, p. 77. Cf. «Désordre de l'homme et dessein de Dieu », dans Foi et Vie, 1948, pp. 425 et 427 : «Le désordre social et international n’est aujourd’hui ni moindre ni pire qu’il a toujours été. Dresser, au sein de ce désordre, le signe du Royaume de Dieu comme le royaume de la justice et de la paix, telle est la vocation prophétique de l’Église : vocation de sentinelle sur le plan politique, et de bon Samaritain dans le domaine social... Il fau­ dra veiller à ne pas vouloir faire plus qu’indiquer le Royaume de 1868 VU - CORPS DE L’ÉGLISE 3. Nous avons dit que la perspective barthienne était celle de la seule nature pécheresse à qui des promesses ont été faites. Du point de vue du protestantisme primitif, bien que toute activité humaine reste intrinsèquement pécheresse, il convient de reconnaître trois sphères d’activités bien distinctes. La pre­ mière est constituée par les pécheurs qui annoncent aux autres les promesses du Christ en leur dispensant la prédication et les sacrements : voilà la sphère des activités de l’Église, des activi­ tés christologiques, des activités de la justification. La seconde est représentée par les nécessités de ce monde créé par Dieu et maintenant déchu : c’est la sphère des activités relevant du Créateur (premier article du credo) non du Rédempteur (second article du credo). La troisième est celle des activités nommément condamnées par l’Écriture. Où faut-il ranger le domaine politique, son ordre, sa paix, ses libertés ? C’est la question traitée dans Justification divine et justice humaine578. Barth, qui reproche à Calvin et à Luther de l’avoir refoulé dans la seconde et même dans la troisième sphère, établit, Nouveau Testament en mains, que le domaine politique appartient de soi à la sphère christologique, dans laquelle il faudra distinguer deux plans, le plan de l’Église et le plan de l’État : « Quand le Nouveau Testament parle de l’État, nous sommes fondamentalement dans le domaine christologique ; sur un autre plan que lorsqu’il est question de l’Église, mais parallèlement et en liaison avec les affirmations relatives à l’Église, dans le même et unique domaine, le domaine christologique . Sans doute, l’État peut être «démonisé» par Dieu. En exerçant notre fonction politique de sentinelle et en accom­ plissant notre tâche sociale de bon Samaritain, nous attendons la Cité aux solides fondements que Dieu édifie, et, par conséquent, nous n’attendons pas l’établissement d’une cité idéale libérale ou autocra­ tique, érigée grâce au concours des chrétiens... » 578. Cahiers Bibliques de Foi et Vie, 3e année, n° 5, pp. 2 et suiv. 579. Ibid., p. 19. - Il ne peut s’agir, chez Barth, que d’une distinc­ tion dénominative, établie uniquement du dehors. Ce n’est pas notre distinction intrinsèque entre l’Église qui est chrétienne dans son étoffe même, quoad substantiam, et la politique qui ne peut être chrétienne que dans son mode, quoad modum. ECC LÉS IO LOG IE DE KARL BARTH 1869 renonciation à sa dignité ; mais il peut aussi demeurer fidèle à lui-même, prononcer ce qui est juste, protéger le droit, et donc certainement - volontairement ou non, très indirecte­ ment, mais en fait - permettre, assurer la prédication de la jus­ tification580. Dès lors, « il n’est pas possible de dire que l’ordre de l’État n’a rien à faire avec les ordres de la rédemption581 » ; il faut suivre Zwingli « qui, pour les distinguer, mais aussi pour les unir, parle dans une seule formule de la justice divine et de la justice humaine »582. Après avoir dit luthériennement qu’il n’y a pas de politique ou de culture chrétienne, mais seu­ lement des chrétiens qui se débattent dans la politique et la culture, voici qu’il faut parler zwingliennement, le Nouveau Testament y contraint, d’une notion chrétienne de la politique et de la culture. La politique, — et à propos d’elle comme il convient à des Suisses - la culture, est réhabilitée dans le domaine secondairement christologique. Mais alors... a quand le tour de la raison et de la philosophie ? 580. Ibid., p. 18. «Du point de vue de l’Église, il serait donc insensé de faire comme si, en face de l’État et des États, cette Église se trouvait dans une nuit où tous les chats sont gris. Pour l’Église, les États qu’elle affronte représentent des décisions à prendre, donc des distinctions à faire entre tel État et tel autre, entre l’État d’hier et l’État d’aujourd’hui ». Ibid., p. 19. 581. Ibid., p. 14. 582. Ibid., p. 3. - Essayant de préciser les devoirs politiques des chrétiens, Barth demande si l’on peut prêter serment à l’État ; puis si le service militaire appartient à ces devoirs qui vont de soi : « Ici encore les Réformateurs ont répondu positivement et l’on aimerait aussi qu’ils l’aient fait avec un peu moins d’entrain. Que l’État parti­ cipe à la nature meurtrière du siècle présent, cela paraît très visible­ ment dans le fait que, d'après Rom., XIII, il porte l’épée. Et cepen­ dant, tout au moins en principe, on ne saurait arriver à une autre conclusion que les Réformateurs... Il ne saurait, en tout cas, y avoir en cette matière un refus chrétien de principe. Car ce refus de prin­ cipe serait le refus de l’État comme tel (ce qui) est chrétiennement impossible». Surtout, ajoute Barth, qui pense à la petite Suisse en face du Troisième Reich, quand un État qui essaie d’être juste doit se défendre contre un État qui est comme la Bête de l’Abîme. Ibid., p. 42. 1870 VIi - CORPS DE L’ÉGLISE Est-ce que du moins la notion barthienne de politique (et de culture) coïncide avec la notion catholique ? Comment serait-ce possible ? Selon Barth, les activités politiques sont intrinsèquement pécheresses, imperméables au surnaturel. Avec sa lucidité coutumière, Jacques Maritain écrit : « Pour Karl Barth ce qui intéresse l’ordre de la rédemption dans l’ordre politique reste avant tout négatif, et consiste seule­ ment en ceci que l'État n’empêche pas la liberté de la prédica­ tion de Γ Évangile. A notre avis cette vue trop simple implique encore une méconnaissance du dynamisme de la nature blessée, comme du pouvoir du ferment évangélique. C’est d’une façon positive et intrinsèque que la civilisation doit être chrétienne, je dis dans son ordre propre, dans ses structures profanes et temporelles elles-mêmes, et non pas seulement dans ses rela­ tions avec l’ordre sacré, et dans l’appui quelle offre à l’Église »583584 . IL Le principe de rivalité et la dialectique barthienne de ïunivocité Pour Karl Barth comme pour les réformateurs, l’Église catholique est l’Église de l’Antéchrist’84. Il s’applique à justifier ce verdict, non à le réviser. Sa position-clef, revenons-y, est le principe d’une rivalité absolue, dans l’acte référible au salut, entre la part de Dieu, Cause première, et la part de l’homme, cause seconde ; notam­ ment, dans la justification, entre la part de la grâce divine et de la liberté humaine. L’acte référible au salut est tout entier de Dieu ou tout entier de l’homme ; s’il est de Dieu, il n’est pas de l’homme, s’il est de l’homme, il n’est pas de Dieu : la transcendance de Dieu ne peut s’établir que sur les ruines de l’initiative de l’homme. 583. De Bergson à Thomas d’Aquin, New-York, 1944, p. 112 [O. C.,VIII, p. 37]. 584. « Les réformateurs du XVIe siècle, dans la langue énergique de leur temps, ont stigmatisé l’Église romaine, comme étant l’Église de l’Antéchrist...» « Der BegrifF der Kirche », 1927, dans Die Theologe und die Kirche, 1928, p. 293. ECCLÉSIOLOGIE DE KARL BARTH 1871 Tel est le principe suprême qui va permettre à Barth de dis­ criminer a priori le protestantisme du catholicisme. Le protes­ tantisme choisit de donner l’acte salutaire à Dieu seul, sans nulle réserve. Le catholicisme, au contraire, réserve, dans l’acte référible au salut, une part de l’homme, et, de ce fait, empiète sacrilègement sur la part de Dieu. Une fois admis le principe de rivalité, le dilemme est, en effet, infrangible ; il n’y a qu’à le mettre en œuvre avec assurance, soit pour définir le protestan­ tisme, soit pour révéler au catholicisme ce qu’il est, sans peut-être qu’il s’en doute. On se rappelle que, dans le Romerbrief, Barth considérait l’Église comme étant par essence une entreprise de divinisa­ tion de l’humain. Cette définition n’affecte plus, dans sa pen­ sée, l’Eglise comme telle, qu’il a réhabilitée, mais elle s’ap­ plique adéquatement à l’Église romaine. Par opposition à l’Église protestante qui se contente de recevoir le don divin, l’Église catholique est représentée comme portant la main sur ce don pour se l’approprier^85. Elle cède à l’opinion ridicule,585 585. L’étude Der Begriff der Kirche oppose la conception protes­ tante de l’Église à la conception catholique, en définissant l’Église comme le lieu où la Grâce divine (= la Faveur divine incréée) dispose de l’homme qui la perçoit, la reconnaît, l’expérimente dans la Parole et les sacrements, « sans que, et c’est là le point décisif, l’homme puisse, le moins du monde disposer de la Grâce divine comme il dis­ pose des autres réalités qu’il perçoit, reconnaît, expérimente. Il n’en dispose pas, parce que, dans la Grâce, c’est avec le Dieu saint qu’il a affaire, qui, même lorsqu’il nous est favorable, demeure dans une lumière inaccessible, et parce que lui, homme, est un pécheur dont la société avec Dieu n’est à aucun instant et sous aucun rapport possible ni réelle, autrement qu’issue de Dieu, sans réciprocité (ohne Reciprozitat), sans que l’homme soit jamais en état de porter la main sur Dieu comme Dieu porte la main sur lui ; et donc en telle sorte que, à tout instant et sous tout rapport, l’homme est tenu par Dieu et par Dieu seul, et en aucune manière par lui-même ». Loc. cit., p. 295. On voit le sophisme. On nous fait choisir entre, d’une part, une relation de Dieu au pécheur, sans réciprocité : voilà le protestantisme ; et, d’autre part, un homme tenu par lui-même, portant la main sur Dieu et disposant de Dieu comme il dispose des autres réalités·, voilà ce que serait le catholicisme! (En descendant au trivial, on aurait 1872 U .F :r> «* p*· ~î VII - CORPS DE L’ÉGLISE funeste et impie que l'homme serait le géant Atlas à qui il est ordonné de soutenir la voûte des deux. Elle commence par proclamer que Dieu seul est saint, Tu solus sanctus, mais elle oublie bientôt cette vérité pour dresser, à côté de la sainteté cachée de Dieu, des saintetés tangibles^86. Elle proclame l’au­ torité incréée et l'infaillibilité de Dieu, mais elle dresse à côté d’elle, des autorités créées et rivales. Elle proclame l’unique l’« ironie » de Gide sur le chrétien qui, par la prière, « appelle Dieu au téléphone». André GlDE, Journal, 1889-1939, p. 774.) Barth insiste sur l'absence de réciprocité dans les rapports entre Dieu et l’homme : « Partout ailleurs, chaque promesse (Zusprudi} peut faire naître en nous un droit (Anspruch) corrélatif, un droit à considérer et à revendiquer la chose promise comme nôtre. Mais la promesse de Dieu ne donne lieu en nous à aucun droit. A la diffé­ rence de tous les autres rapports, le rapport divin est un rapport irré­ versible, ein unumkehrbares Verhaltnis». Ibid., p. 296. A quoi saint THOMAS avait répondu d’avance que les rapports du supérieur à l’in­ férieur ne sauraient être des rapports d’égalité. C’est vrai déjà du père et de l’enfant ; c’est infiniment plus vrai du Créateur et de la créature. Mais absence à'égalité ne signifie pas, bien au contraire, absence de réciprocité, III, qu. 85, a. 3. Il avait même expliqué que la charité, étant selon l’Évangile un amour d’amitié, ne va pas sans intercommu­ nication des mêmes biens, et donc sans une certaine égalité, sans dia­ logue, sans intimité mutuelle, II-II, qu. 23, a. 1. 586. Pour le catholicisme, écrit Barth, dans « Der rômische Katholizismus als Frage an die protestantische Kirche», 1928, voir Die Théologie und die Kirche, 1928, p. 339, ce qui est premier, c’est Dieu manifesté en Jésus-Christ : « C’est sa présence qui fait de l’Église ce quelle est, c’est lui qui prêche, c’est lui qui offre et qui est offert, c’est lui qui prie, c’est lui qui croit, c’est lui qui est le propre Moi de l’Église. Cette manière de voir conduit aussitôt à des consé­ quences dangereuses et plus que dangereuses. Ce Moi divin de l’Église a, en effet, des répondants (Gegenbilder) terrestres et humains: dans la charge de son vicaire sur le siège épiscopal de Rome, dans le prêtre qui offre et dans l’hostie offerte, enfin dans la visibilité totale de l’Église comme telle. Entre lui et ces répondants il existe des iden­ tités (Identitateri) très difficiles à préciser logiquement, et qu’il fout néanmoins comprendre, de loin pas comme indirectes, mais comme tout à fait directes », p. 339. Il s’ensuit que la substance de l’Église, sans être perdue dans le catholicisme, s’y trouve cependant à l’état ECCLÉSIOLOGIE DE KARL BARTH 1873 Suite de la note 586: défiguré et corrompu. « Si donc la Réformation a été la restauration del’Église, précisément parce quelle a adopté et souligné ce Tu solus ; si elle l’a rendu concret comme il ne l’avait ni ne l’a jamais été dans le catholicisme, en déclarant logiquement la guerre à toutes les identifi­ cations directes ; si elle a référé le Tu solus à Jésus-Christ qui est le Seigneur en opposition irréductible à tous ses serviteurs, la Parole en opposition irréductible à tout ce que nous disons nous-mêmes, [Esprit en opposition irréductible à toutes les choses ; si elle a rénové la vérité de ce Tu solus en le contrepointant par la sola fides moyen­ nant laquelle elle a voulu reconnaître et confesser la présence de Dieu dans son Église ; - c’est donc la preuve quelle a voulu, non pas amoindrir mais exalter ce Tu ; non pas le volatiliser en symboles, mais le placer au milieu de nous plus réellement », p. 340. Sur quoi on peut faire remarquer que, ce que Barth, usant d’un langage de maçon plutôt que de théologien, appelle des identités et des identifications, comporte deux ordres de réalités absolument dis­ tinctes, à savoir: 1° l'union hypostatique de la nature humaine du Christ avec le Verbe divin. Pour les catholiques, l’hostie qui est offerte est le Christ lui-même, présent substantiellement sous les espèces du pain et du vin : « Ceci est mon corps, ceci est mon sang... » (Mt., XXVI, 26 et 28). Il n’y a pas ombre d’une identification de la nature humaine du Christ, qui est créée, avec la divinité. Il y a union personnelle de cette nature créée avec le Verbe, qui rend le Christ adorable. Puisque Barth admet l’union hypostatique, ses iro­ nies sur l’identification du créé et de l’incréé pourraient ici se retour­ ner contre lui ; 2° la participation des chrétiens à la royauté, au sacer­ doce, à la sainteté du Christ par les grandeurs de hiérarchie et de sainteté. Dans une théologie de l’univocité, la notion si profondé­ ment évangélique et traditionnelle de participation devient impos­ sible. Elle est remplacée par le dilemme : exclusivité ou partage. L’autorité de prêcher, la puissance de sanctifier, la sainteté, ou bien appartiennent à Dieu seul : voilà le protestantisme ; ou bien sont par­ tagées équitablement - et sacrilègement - entre Dieu et l’homme : voilà le catholicisme. Conformément à ces vues, il faudrait dire, en théologie : ou bien la charité est en Dieu seul, ou bien elle est parta­ gée équitablement - et sacrilègement — entre Dieu et ses amis, comme semble le dire l’Évangile: «Si quelqu’un m’aime, mon Père l'aimera... » (Jean, XIV, 23). Et il faudrait dire, en métaphysique : ou bien l’étre est en Dieu seul ; ou bien la création l’a partagé équitable­ ment - et sacrilègement - entre le Créateur et les créatures. 1874 VII - CORPS DE L'ÉGLISE médiation du Christ, mais elle dresse, à côté d’elle, des média­ tions créées"'87. Elle fait cause commune avec ceux qui, sous prétexte que l’Église est le corps du Christ, imaginent que les privilèges de la tête sont participés par le corps, et remplacent pratiquement le règne du Christ par le règne de l’Église’88. Il nr, B* 587. La notion d'une médiation subordonnée, d’une intercession subordonnée échappe totalement à l’esprit de Barth. Ou bien la médiation et l’intercession du Christ sont seules, elles exterminent toutes les autres intercessions et médiations : voilà le protestantisme. Ou bien la médiation et l’intercession doivent être conçues comme partagées équitablement - et sacrilègement — entre le Christ et les saints : voilà ce que serait le catholicisme. Dans l'article « Un saint », paru dans Leben und Glauben, 4 novembre 1944, et traduit dans la Vie Protestante, Genève, 5 et 12 janvier 1945, BaRTH écrit : « Le Dieu saint s'étant fait en Jésus-Christ le médiateur de toute grâce, notre intercesseur, notre protecteur, notre patron, nous n’avons besoin d’aucun autre. C’est même offenser Dieu que d’en invoquer un autre à côté de lui ou de l’invoquer sous le nom et l’aspect d’un autre. Que pourrait bien cet autre, fut-il un saint ou fût-ce une armée de saints, après que la médiation d’une grâce parfaite a été accomplie définiti­ vement... Comment se pourrait-il que des rachetés devinssent tout à coup des sauveurs ou des collaborateurs du salut ? Que des pères et des frères dans la foi devinssent nos intercesseurs et nos protecteurs? Il est clair comme le jour qu’en les promouvant à cette dignité, on ne les suit pas, qu’on leur enlève ce qui seul précisément a fait leur gran­ deur ». Mais, demandons-nous, puisque le Dieu saint lui-même a, en Jésus-Christ, prié pour que son règne arrive et que sa volonté soit faite, de quoi sert-il donc que nous priions, et que nous disions le Pater ? Nous avons relevé ces textes, qui n’ajoutent pas à la gloire de BaRTH, dans Saint Nicolas de Flue, Paris, 1947, pp. 171, 186, 195 [IIIe partie, § « La canonisation de Nicolas de Flue »]. Jésus et Marie : quand les catholiques associent ces noms, ce sera nécessairement, selon Barth, pour les égaler sacrilègement. 588. C’est au pélagianisme protestant que BaRTH s’en prend ici directement et auquel il rappelle que le plan divin du salut n’est pas « un plan Marshall chrétien». Mais il vise aussi d’autres adversaires: « Sous l’influence de l’image biblique de l’Église, présentée comme le corps du Christ, nous avons peu à peu été amenés à parler d’une manière très peu biblique de l’incarnation continue de la Parole de Dieu au sein de l’Église. S’il en était ainsi, il faudrait admettre que le ECCLÉSIOLOGIE DE KARL BARTH 1875 n’y a pas de communion possible, même imparfaite, entre le protestantisme et le catholicisme, entre le règne du Christ et celui de l’Antéchrist. Le seul rapport possible, du protestan­ tisme au catholicisme, est, Barth le dit sans fard, celui de la mission et de l’évangélisation589. règne de Jésus-Christ à la droite du Père, et même le gouvernement de la providence de Dieu, seraient dans une certaine mesure transfé­ rés à la régie et à l’administration de la chrétienté, et c’est de nousmêmes en définitive que l’humanité souffrante devrait attendre son salut, de notre sens aigu de l’histoire universelle, de nos programmes et de nos actions, grâce auxquels, dans un avenir plus ou moins rap­ proché, nous pourrions assister au triomphe de l’Église, incarnation et vicaire de Jésus-Christ, et donc de Dieu lui-même. Dans ce cas, on en arrive très vite à agir comme si le bon Dieu {der liebe Gott) était mort, comme si, en tout cas, il n’y avait pas, bien au-dessus de tout notre comportement ecclésiastico-chrétien, une propre Sagesse, Justice et Bonté, une Volonté et un Plan de Dieu lui-même, et comme si toutes ces choses divines s’identifiaient sans plus avec nos idées, nos vues, nos intentions, et avec nos tentatives chrétiennes de rendre justice à Dieu et au prochain ». Die Unordnung der Welt und Gottes Heilsplan, Zollikon, 1948, pp. 6 et 7 ; cf. la traduction de Foi et Vie, 1948, pp. 419-420. 589. Dieu «veut peut-être également nous préserver de parte­ naires avec lesquels nous ne pourrions même pas former ici une com­ munauté imparfaite, parce que, quoique pour des raisons différentes, ces partenaires ne veulent pas faire le pas qui les conduirait du cléri­ calisme à Jésus-Christ, gerade die Bewegung von allem Kirchentum weg zu Jesus Christus hin, nicht vollziehen tuollen — seule condition qui puisse permettre un dialogue ou même une simple rencontre entre chrétiens de tradition et d’origine différentes. Enfin, peut-être Dieu nous place-t-il dans une excellente position du fait que ce soit précisément Rome et Moscou qui ne veulent rien savoir de nous ». * Désordre de l’homme et dessein de Dieu », Amsterdam, 23 août 1948, dans Foi et Vie, 1948, p. 423. Die Unordnung..., p. 14. «Êtes-vous d’accord, en tant que Réformés, de reprendre avec moi la parole que je disais à mon ami anglo-catholique Ramsay : Je regrette que vous ne détestiez pas le Pape ?... Aussi vous proposé-je de renoncer aux larmes inutiles que certains sont tentés de verser sur l’absence de Rome parmi nous. Là où on dit, non pas Jésus seule­ ment, mais Jésus et Marie ; là où on reconnaît à une autorité terrestre 1876 VII - CORPS DE L’ÉGLISE La corruption progressive de la substance du christianisme par la juxtaposition, et donc par la substitution larvée du créé à l’incréé, voilà la ruse de l’Antéchrist, et voilà ce qu’est, voilà ce que doit être l’Église catholique, à la lumière du principe de rivalité et de la dialectique barthienne de l’univocité590. 12. Que vaut le principe de rivalité et la dialectique de l’univocité ? Mais que penser du principe de rivalité ? Vaut-il quelque chose ? 1. Il vaut pour l’acte du péché. Quand l'homme veut le péché, il le veut contre Dieu ; d’aucune manière, nullo modo, un caractère infaillible, nous ne pouvons que dire un Non résolu. Notre attitude à l’égard du catholicisme est celle de la mission, de l’évangélisation ; mais non de l’union. Celui qui connaît Calvin devrait être d’accord avec moi sur ce point et ne pas prétendre qu’il s’agit là d’une marotte barthienne ». « Les Églises réformées au sein du Conseil œcuménique », dans Foi et Vie, 1948, p. 495. 590. A l’exhortation de Barth à détester le pape, le Père Jean DaNIÉLOU, S. J., a répondu par une lettre ouverte, parue dans Réforme, Paris, 16 octobre 1948: «Ces paroles ont profondément blessé le cœur catholique; on doit dire qu’elles ne sont pas chré­ tiennes. Ce sont des paroles où la séparation des Églises est acceptée avec indifference, presque avec allégresse, et où sonne un rire sardo­ nique, qui est plus proche de Nietzsche que de Jésus... On y sent je ne sais quel contentement de soi, et comme la satisfaction de trouver dans la tragique division des chrétiens la justification et la vérification de ses propres théories... Barth nous a scandalisé. Une seule chose nous console, c’est qu’il a scandalisé aussi beaucoup de nos frères pro­ testants ». BARTH qui n’est guère en bonne posture, réplique, dans Réforme du 23 octobre, que les catholiques eux-mêmes ne pouvant pas, sans désobéir au pape, déplorer que leur Église n’ait pas été représentée à Amsterdam, il ne voir pas pourquoi les protestants auraient à le faire. Il joue à l’homme qui ne comprend pas. Les catholiques, en effet, y compris le pape, déplorent de tout leur cœur que des motifs de conscience et de fidélité à l’Évangile ne leur permettent pas d’adhérer à une assemblée de chrétiens où, d’une part, tant de bonnes volontés sont à l’œuvre, mais où, d’autre part, la divinité même de Jésus est ECC LÉS IO LOG IE DE KARL BARTH 1877 Dieu n est cause du péché. C’est de Dieu que le pécheur tient tout ce qu’il y a d’être en lui et dans son action, mais la désordination morale de son action ne vient que de lui. Dieu est Cause, Cause première, de tout ce qu’il y a d’être dans l’action du pécheur ; mais le pécheur est cause, cause première, de la déviation par laquelle l’intention divine est frustrée : l’unique cas où l’homme pouvant être cause première étant celui d’une défaillance et d’un néantement591. 2. Mais que vaut le principe de rivalité appliqué à l’acte bon, à l’acte référible au salut ? Il ne vaut rien, Il est un pur sophisme. Quand le chrétien dit oui à Dieu, quand il adhère et consent librement à Dieu, c’est Dieu qui donne au chrétien de dire ce oui avec toute la profondeur de son libre arbitre créé ; comme il donne à l’arbre de produire ses fleurs ; et le premier mouvement du chrétien est de reconnaissance : Merci, mon Dieu, de m’avoir donné de dire oui ! « Quand mise en cause. Ils supposaient que tous leurs frères chrétiens déplore­ raient avec eux ce douloureux non possumus. Ils ne supposaient pas qu’aucun d’eux pût s’en réjouir. Ils se sont trompés hélas pour ce qui est de M. Karl Barth. 591. «Qu’arrive-t-il quand mon acte est mauvais? Du mal lui-même ou de la privation, de la mutilation qui déforme cet acte, Dieu ne peut pas être cause, de cela c’est moi qui suis cause pre­ mière; le mal comme tel est la seule chose que je peux faire sans Dieu, me soustrayant alors comme par une initiative émanée de mon néant au flux de la causalité divine. Dans la ligne du mal c’est la créa­ ture qui est cause première. Sine Me nihil potestis facere, cette parole est vraie dans les deux sens : sans Dieu nous ne pouvons rien faire, nous pouvons sans lui faire le rien. La première initiative vient donc toujours de Dieu dans le cas du bien, alors l’initiative de la liberté créée relève elle-même de l’initiative divine. Mais à cause du pouvoir de refus qui fait naturellement partie de toute liberté créée, la pre­ mière initiative vient toujours de la créature dans le cas du mal, Dieu pouvant mais ne voulant pas empêcher la créature d’opposer son refus, quand elle veut. Car les mains de Dieu sont liées par les inscrutables desseins de son amour, comme celles du Fils de l’Homme sur la croix ». Jacques MARITAIN, Du régime temporel et de la liberté, Paris, 1933, p. 32 [O. C.,V, p. 346]. 1878 VU - CORPS DE L’ÉGLISE Dieu couronne nos mérites, dit saint Augustin, il couronne ses dons ». Sont-ce nos mérites ou ses dons ? Mais précisément l'aberration est de choisir’’02. Dieu nous donne nos mérites, comme il donne à l'arbre ses fleurs. Voilà la dialectique de la subordination, dans l'acte bon, de la cause seconde à la Cause première, de la liberté à la grâce. Elle sait que la grâce divine est si transcendante par rapport à la liberté humaine quelle se manifeste plus encore en la mouvant et en l’élevant qu’en la brisant. 592. Pour les pélagiens, tout comme pour Calvin, les mérites de l’homme s’opposent au don de Dieu. Mais les pélagiens choisissent pour les mérites de l’homme contre le don de Dieu. CALVIN choisit pour le don de Dieu contre les mérites de l’homme ; et, naturelle­ ment, il impute aux catholiques la notion pélagienne : « Quand Dieu te rendra le loyer de vie, il couronnera ses dons, non pas tes mérites ». Institution, livre II, ch. V, n° 2. La notion catholique, c’est qu’au soir de notre vie, nous serons jugés sur notre amour, c’est-à-dire sur notre mérite. C’est la notion de saint AUGUSTIN : « Si les pélagiens comprenaient que nos mérites sont eux-mêmes des dons de Dieu, il ne faudrait point combattre leur opinion ». De gratia et libero arbitrio, ch. VH, n° 15. « La vie éter­ nelle, que nous aurons sans fin à la fin de cette vie, est accordée aux mérites qui auront précédé. Mais ces mérites ne viennent pas de notre propre suffisance, ils sont faits en nous par la grâce. C’est pour­ quoi la vie éternelle est elle-même grâce, c’est-à-dire un don gratuit. Non, encore une fois, quelle ne soit pas donnée aux mérites ; mais parce que les mérites auxquels elle est donnée, sont eux-mêmes des dons ». Epistola CXCIV, ch. V, n° 19. L’acte même de la justification, selon saint Augustin et saint Thomas, n’est ni de Dieu seul, ni de l’homme seul. Il est tout entier de Dieu comme Cause première et tout entier de l’homme comme cause seconde. La justice conférée à l’homme, n’est donc pas sa jus­ tice, en ce sens qu elle serait autonome, comme le prétendaient les pélagiens ; elle n’est sa justice qu’en tant qu’il la reçoit de Dieu par le Christ : « Tu seras l’œuvre de Dieu, non seulement en tant qu’homme, mais encore en tant que juste. Il est meilleur d’être juste que d’être homme. Dieu t’a fait homme ; si c’est toi qui te faisais juste, tu ferais donc une œuvre meilleure que celle de Dieu. Mais Dieu fa fait sans toi. Tu n’as pas eu à consentir à ta formation. Comment, en effet, n’étant pas, aurais-tu consenti ? Celui donc qui ECCLÉSIOLOGIE DE KARL BARTH 1879 3. Le principe de la rivalité causale vaut pour l’acte mau­ vais, et le principe de la subordination causale pour l’acte bon. Ni Pélage ni Calvin n’ont su faire cette distinction593. Ni Karl Barth. Pour expliquer l’Église, il ne dispose que du principe de rivalité. D’où deux Églises : celle du Christ, qui est l’œuvre de Dieu seul ; et celle de l’Antéchrist, qui est l’œuvre des hommes empiétant sur les droits divins. Du point de vue catholique, sur quoi la critique, que Barth institue de l’Église catholique, va-t-elle donc, de ce fait, tomber ? Elle passe tout entière à côté de l’Église dont l’apôtre écrit que, sortie du baptême, elle est « glorieuse, sans tache ni ride t’a fait sans toi ne te justifie pas sans toi ; il t’a fait sans que tu le saches, il ne te justifie pas sans que tu le veuilles. Qui ergo fecit te sine te, non te justificat sine te; ergo fecit nescientem, justificat volentem. C’est lui néanmoins qui justifie, non par une justice qui serait tienne et te ramènerait alors à tes misères, à tes maux, à ta pourriture ; mais pour que tu te trouves en lui, ayant non pas ta propre justice, qui vient de la loi, mais une justice par la foi du Christ, qui vient de Dieu; une justice venant de la foi, pour le connaître, et pour connaître la vertu de sa résurrection, et la communication de ses souffrances, Philip., III, 9. Voilà quelle sera ta vertu ; la communica­ tion des souffrances du Christ, sera ta vertu ». S. AUGUSTIN, Sermon CLXIX, ch. il, n° 13. Pensant à une justice de la Loi, qu’on voudrait juxtaposer à celle du Christ, saint Paul écrit, Philip., III, 8-9, qu’il a voulu la perdre «afin de gagner le Christ, afin d’être trouvé en lui, non avec ma jus­ tice à moi qui me venait de la Loi, mais avec celle qui vient par la foi au Christ, la justice sortant de Dieu et basée sur la foi ». Pensant à la justice et au salut que Dieu fait en nous, il écrit, Philip., II, 12 : « Tra­ vaillez à votre salut avec crainte et tremblement, car c’est Dieu qui opère en vous le vouloir et l’agir selon son bon plaisir ». 593. Sur les positions respectives de Pélage et de Calvin, et sur la position dominatrice de saint Augustin, puis de saint Thomas par rapport à ces erreurs contraires, on lira la passionnante et magistrale Introduction que Norbert DEL PRADO a placée en tête de son monu­ mental De gratia et libero arbitrio, Fribourg, 1907, t. I, pp. I-LXXXIV. Sur les rapports de la motion divine et de la liberté humaine dans Pacte du péché, et sur le rôle de l’homme comme cause première dans la ligne du mal, voir F. MARIN-SOLA, El sistema tomista sobre la motion 1880 VII - CORPS DE L’ÉGLISE ni rien de semblable, mais sainte et immaculée» (Éphés., V, 27), et dont nous répétons quelle est, non sans pécheurs, mais sans péché. Elle ne peut tomber que sur les membres pécheurs de cette Eglise, dans la mesure où ils la trahissent, donnant au monde l’occasion de s’en faire une image déformée. Les attaques de fond de Feuerbach ou Marx contre la religion, de Nietzsche contre le christianisme, de Barth contre le catholicisme man­ quent pareillement le but. Quand elles frappent, ce qu’elles atteignent, ce sont nos prévarications de croyants, de chré­ tiens, de catholiques. 4. Sera-t-il possible à Barth de soutenir jusqu’au bout, sans se dédire, que l’acte référible au salut est l’œuvre de Dieu seul ? Il lui faudra recourir au schéma de Calvin. On sait com­ ment Calvin croyait pouvoir expliquer la justification. Il décomposait l’acte de la foi justifiante en deux actes : 1° l’acte de Dieu offrant Jésus-Christ : voilà l’or ; 2° l’acte de l’homme appréhendant la justice de Jésus-Christ : voilà le pot de terre594. Mais, dirons-nous, l’acte par lequel je m’empare de divina, Madrid, 1925. Du point de vue métaphysique, l’effort le plus puissant qui ait été tenté nous paraît celui de Jacques Maritain, « L’existant libre et les libres desseins éternels », dans le Court traité (k l'existence et de l’existant, pp. 141-195 [O. C., IX, pp. 87-118]. 594. «Au contraire, celui qui sera dit justifié par foi, lequel étant exclu de la justice des œuvres, appréhende par foi la justice de Jésus-Christ : de laquelle étant vêtu, il apparaît devant la face de Dieu, non pas comme pécheur, mais comme juste». Institution, livre III, ch. XI, n° 2. - « A parler proprement, c’est Dieu seul qui jus­ tifie. Puis nous transférons cela à Jésus-Christ, lequel nous est donné pour justice. Tiercement, nous accomparons la foi à un vaisseau. Car si nous ne venons à Jésus-Christ vides et affamés, ayant la bouche de l’âme ouverte, nous ne sommes point capables de lui. Dont il appert que nous ne lui ôtons point la vertu de justifier, vu que nous disons qu’on le reçoit par foi, devant que recevoir sa justice... Il y a pareille raison que la foi, combien que de soi elle n’ait nulle dignité ni valeur, nous justifie en nous offrant Jésus-Christ : et qu’un pot plein d'or enrichisse celui qui l’aura trouvé ». Ibid., livre III, ch. XI, n° 7. ECCLÉSIOLOGIE DE KARL BARTH 1881 Jésus-Christ est, au moins par nature, antérieur à l’acte de le posséder. C’est donc un acte qui est encore peccamineux. Et ainsi, c’est en faisant un acte intrinsèquement et de soi pecca­ mineux que je serai sauvé ; et c’est pour refuser de faire cet acte que je serai damné. On relèverait sans difficulté la pré­ sence dans {Institution chrétienne de ce schéma occasion­ nante^5. LUTHER, trad. Maurice Goguel, Paris, p. 49, écrivait en 1520 : « La meilleure, la plus noble, la plus excellente des bonnes œuvres est la foi au Christ, ainsi qu’il le dit, Jean, VI, 28 ». Il est clair qu’il y a dans la foi un libre don de l’homme. Dieu donne-t-il à l’homme de se don­ ner librement ? Ce serait la réponse catholique. La réponse protestante ne concilie rien. Elle oppose dans la foi ce qui est de Dieu seul et ce qui est de l’homme seul. BARTH cite un autre texte de Luther : « Je crois que je ne puis par ma raison et mes propres forces croire en Jésus-Christ mon Seigneur ni aller à lui », et il ajoute : « Quiconque croit, sait que la foi est une œuvre et un don de Dieu, qu’il ne peut en trouver le fondement en lui-même, qu’il ne peut le concevoir comme son œuvre, qu’il ne peut que croire». Credo, Paris, 1936, p. 168. L’homme est donc justifié par la foi, qui est sans valeur (pour la part qui vient de lui) et excellente (pour la part qui vient de Dieu). La foi, pour Barth (et Calvin) se témoigne par les œuvres. Au jugement dernier toutes les hypocrisies tomberont ; les orthodoxes, lespiétistes n’entreront pas tous au ciel. La «justice des œuvres» qui est le péché irrémissible sera démasquée. « Chacun sera réellement jugé selon ses œuvres, c’est-à-dire d’après la réalité vécue de sa foi ou de son incrédulité ; de son incrédulité ou de sa foi en la miséricorde de Dieu, certes, mais d’après la réalité vécue et non un reflet aussi remar­ quable soit-il de cette foi ou de cette incrédulité!» Credo, p. 162. Ainsi, à côté d’œuvres hypocrites, que Dieu punira, il y a des œuvres salutaires que Dieu récompensera. Et notre question revient : ces œuvres salutaires sont-elles, comme telles, de Dieu seul et nullement de l’homme ? Ou sont-elles, comme telles, tout entières de Dieu (cause première) et tout entières de l’homme (cause seconde) - à la manière un peu dont le tableau est tout entier du peintre et tout entier du pinceau ? 595. Notons comme très symptomatique l’explication de la para­ bole du sarment qui porte du fruit. Calvin oppose, d’une part le Christ ; et, d’autre part, le sarment séparé du Christ, et qui, comme séparé, ne peut rien faire. Et il conclut que, quand le sarment est uni 1882 vii - corps de l’Eglise On devra dire pareillement, toujours au nom du principe de rivalité causale que, quand l’Église prie, fait pénitence, loue Dieu, lui rend grâces, l’aime, prêche la parole, dispense les sacrements, elle pose des actes intrinsèquement peccamineux, que Dieu décide, l’ayant justifiée, de regarder comme une vraie prière, une vraie pénitence, une vraie louange, une vraie action de grâce, une vraie charité, une vraie prédication et un vrai service évangélique"'1’. Mais, demandons-nous, pourquoi s’arrêter ? Pourquoi ne pas dire encore que, quand saint Paul lui-même prophétise, écrit ses épîtres, porte la sollicitude de s h in / ; •Cji 3 J (it au Christ, il continue de ne rien faire, le Christ faisant tout: «Si nous ne fructifions de nous, non plus que fait un cep arraché de terre et privé de toute humeur, il ne faut plus maintenant enquérir com­ bien notre nature est propre à bien faire. Et aussi cette conclusion n’est point douteuse, que sans lui nous ne pouvons rien faire. Il ne dit pas que nous soyons tellement infirmes que nous ne pouvons suffire : mais en nous réduisant du tout à néant, il exclut toute fantaisie de la moindre puissance du monde. Si étant entés en Christ, nous fructi­ fions comme un cep de vigne, lequel prend sa vigueur tant de l’hu­ meur de la terre, comme de la rosée du ciel et de la chaleur du soleil, il me semble qu’il ne nous reste aucune portion en toutes bonnes œuvres, si nous voulons conserver à Dieu son honneur entièrement. C’est en vain qu’on prétend cette subtilité qu’il y a quelque humeur enclose au cep, qui est pour le faire produire fruit : et pourtant qu’il ne prend pas tout de la terre, ou de la première racine, mais qu’il appone quelque chose du sien. Car Jésus-Christ n’entend autre chose, sinon que nous sommes du bois sec et stérile et de nulle valeur, sitôt que nous sommes séparés de lui : pour ce qu’il ne se trouvera à part en nous aucune faculté de bien faire ». Institution, livre II, ch. III, n° 9. Les soulignements sont de nous. Ayant commencé par opposer la part de Dieu et la part de l’homme, Calvin ne sauve l’honneur de Dieu qu’en sacrifiant la part de l’homme. 596. « Peccator sanctus, ce deuxième prédicat appartient aussi au sujet... Paradoxe encore, et paradoxe qui attend sa solution, mais qui n’en est pas moins valable pour cela. Ce ne peut être le terme de la voie de Dieu que nous lui appartenions de cette façon, et seulement de cette façon. Mais nous ne sommes pas parvenus au terme. Veillons, pour le moins, à être en route. Et. en route, c’est le paradoxe qui vaut. Ainsi le péché est encore là, mais, dans le péché, la péni­ tence qui se courbe devant le droit de Dieu, qui accepte le jugement ECCLÉSIOLOGIE DE KARL BARTH 1883 toutes les Églises, brûle de zèle pour ses frères, il pose, lui aussi, autant d’actes intrinsèquement peccamineux que Dieu décide, l’ayant justifié, de regarder comme bons, saints, exem­ plaires, et de récompenser par la gloire céleste ? Et alors le péché garde-t-il encore un sens597? Est-ce vraiment cela, le message de l’Évangile ? prononcé sur nous et qui reconnaît et confesse le péché. Dans le péché, la foi elle aussi est là, l’obéissance qui ne désire pas d’autre place que celle de la vérité, et sur lesquelles repose la bienveillance de Dieu. Et, par là même, la nouvelle vie est là, dans la direction qui nous est donnée par le jugement. Dans le péché? Certes! Ou bien serait-ce que les chrétiens de Corinthe n’étaient pas des pécheurs ? C’est justement à de telles communautés en Christ d’hommes per­ dus, que Paul s’adresse comme à des saints et à des élus ». «Justification et sanctification », juin 1927, dans Le culte raisonnable, 1943, pp. 87-88. Barth vient d’opposer ici la route et le terme. Chose remarquable, aux yeux de Barth lui-même, la dialectique de l'univocité et le principe de rivalité s'effondreront dans l'au-delà ; ce que les catholiques disent inauguré ici-bas, Barth le regarde comme réalité dans la vie éternelle : « La résurrection de la chair veut dire simplement que l’homme deviendra en lui-même ce qu’il est déjà en Christ : une nouvelle créa­ ture, II Cor., V, 17. Il se dépouillera de son injustice et la justice qu’il avait secrètement revêtue depuis longtemps, apparaîtra. La résurrec­ tion de la chair signifie donc que notre existence, en tant qu’existence chamelle, notre ciel et notre terre, en tant que temps de Ponce-Pilate, cesseront d’exister et se changeront en une existence, en un ciel et une terre, en un temps de paix avec Dieu, sans conflit, de cette paix qui, cachée à nos yeux dans la chair du Christ, est déjà une réalité... La vie éternelle, selon l’Écriture sainte, désigne notre vie présente telle que nous la vivons dans notre monde actuel, une vie créée dis­ tincte, avant comme après, de la vie de Dieu, mais une vie devenue vie nouvelle, sur une terre nouvelle, sous un ciel nouveau, c’est-à-dire nouvelle dans ses rapports avec Dieu son Créateur, son Réconci­ liateur et son Sauveur. Vie devenue nouvelle en ceci qu’il n’y aura plus en elle de distinction entre notre vie en Christ et notre vie propre, mais qu’elle sera désormais, - soulignons désormais — en tant que vie éternelle, notre propre vie, une vie réconciliée avec Dieu, et ainsi juste et sainte ». Credo, Paris, 1936, pp. 214 et 215. 597. En raison de la coexistence, en l’homme, du péché avec, d’autre part, la justice et la sainteté, l’universelle condamnation de 1884 Vil - CORPS DE L’ÉGLISE Sinon il faudrait, mais au prix d une contradiction radi­ cale, admettre le principe d’une subordination causale au sein même de l’acte rélérible au salut, substituer, à la dialectique de la rivalité et de l’univocité, la dialectique opposée de l’analogie. 13. Le principe de subordination causale et Cecclesiologie catholique C’est la doctrine catholique que rappellent saint Thomas et Pascal quand ils disent que Dieu a voulu communiquer aux créatures la dignité de la causalité, et étendre cette mer­ veilleuse libéralité du plan de la nature à celui de son royaume. l’homme est toute proche d’une universelle absolution de l’homme (et peut-être d’une doctrine de la réintégration finale de tous les hommes). Le pessimisme absolu est tout proche de l’optimisme absolu : « Il n’est pas en notre pouvoir de nous convertir les uns les autres, ni par la parole de la prédication, ni par la parole de nos oeuvres. Qu est-ce qui est donc en notre pouvoir ? Nous ne pouvons que nous entendre dire ce que nous sommes et la conséquence de cette condition. Jésus-Christ a pris notre incrédulité au sérieux, en ce qu’il ne l’a pas prise au sérieux. Si notre incrédulité était pour lui une chose grave, si elle était pour lui un obstacle, qui de nous pourrait penser qu’il lui appartient ? Croire en lui, veut dire : croire toujours qu’il est plus grand que notre péché. Mais comment aurions-nous le droit de croire ainsi en lui, si nous faisions ensuite du péché et de l’incrédulité de nos semblables, une chose grave. Croire veut toujours dire : avec le plus profond sérieux et sans aucune hésitation, ne pas croire à l’incrédulité des autres. Et par conséquent ne pas vouloir être quittes du service que nous leurs devons. Et donc, ne pas les aban­ donner, de même que Jésus ne nous abandonne plus, malgré notre incrédulité ». « Joie et douceur », décembre 1932, dans Le culte raison­ nable, 1934, pp. 171-172. Ainsi, notre incrédulité n’est pas pour Jésus un obstacle. Le mystère du mal est amputé de ses profondeurs. Et donc le mystère de l’Amour qui vient nous racheter. Est-ce que, sans attaquer de front comme Berdiaev le dogme de l’éternité de l’Enfer, Barth y aurait renoncé ? On lit toutefois dans Credo, p. 161, que le Christ « récompensera les bons et châtiera les méchants, conduira à la joie infinie ou précipitera dans les supplices éternels»; ECCLÉSIOLOGIE DE KARL BARTH 1885 1. Le je du magistère qui enseigne, à ses divers degrés d’au­ torité et d’assistance, est, par rapport au Je du Christ, non pas un je de juxtaposition, mais un je de subordination. « Toute puissance m’a été donnée au ciel et sur la terre. Allez donc, instruisez toutes les nations... » (Mt., XXVIII, 18) ; « Qui vous écoute, m’écoute ; qui vous méprise, me méprise... » (Luc, X, 16)598. Et comment entendre autrement Actes, XV, 28 : « Il a paru bon à l’Esprit saint et à nous... » ? et un peu plus loin, p. 162: «Cette décision prononcée sur nous, cette séparation faite entre nous seront une décision et une séparation sans appel, totales et définitives. Comment ne pas craindre ce jour et ce jugement ? Mais la doctrine chrétienne ne nous partage pas entre la crainte et l’espérance. Nous ne pouvons qu’espérer, espérer pleine­ ment. Car nous allons au-devant du jour et du jugement de Jésus-Christ ». 598. Dans « Questions bibliques », avril 1920, voir Parole de Dieu et parole humaine, 1933. p. 103, BARTH, fidèle disciple des réforma­ teurs, restreint cet ordre du Christ aux seuls apôtres, et trouve intolé­ rable qu’on puisse envoyer aujourd’hui des missionnaires à des peuples que Dieu lui-même a abandonnés. Il distingue dans ce qu’on appelle la « religion », quand on parle par exemple de l’histoire des «religions», deux éléments : 1° une authentique tendance à l’Au-delà, 2° de l’humain. Cependant « toujours et partout » la religion devient vite infidèle à cette tendance quelle porte en elle. Oubliant quelle n’a de droit à l’existence que si constamment elle se supprime elle-même, elle se réjouit de sa propre existence... Elle ne se contente plus d’indi­ quer le grand X qui est au-dessus de l’Église et du monde... Elle envoie des missions comme si elle en possédait le droit. Ailleurs, Barth explique que l’action missionnaire est « l’action de réponse et d’appel par laquelle l’Église se tourne vers le monde qui n’est pas encore rassemblé en elle. Comment l’Église pourrait-elle se définir et se défendre, chercher et gagner des âmes, faire des conquêtes, sinon en confessant sa foi?... L’Église se tourne vers l’objet dont elle tire sa vie. Le Credo devra toujours être le contenu objectif de la pré­ dication de l’Église. Seule parmi tous les phénomènes humains, la foi est le fait qui peut provoquer la foi. Dans le Credo, l’Église essaie de faire ressortir ce fait». Credo, Paris, 1936, p. 16. Du point de vue catholique, la mission suppose les deux activités : la hiérarchique et la sanctifiante. 1886 VII - CORPS DE L’ÉGLISE 2. Dire, avec le concile de trente, que les sacrements de la loi nouvelle contiennent et confèrent la grâce à ceux qui n’y opposent pas d’obstacle, ce n’est pas leur attribuer une effi­ cience juxtaposée, mais subordonnée à celle de Dieu et de son bon plaisir. Quand le Sauveur enseigne que, sans renaître de l'eau et de l’Esprit, on n'entre pas dans le royaume de Dieu Qean, III, 5), il ne juxtapose sûrement pas l’efficience de l’eau et celle de l’Esprit, il subordonne l’une à l’autre, comme la cause instrumentale à la cause principale. Et c’est sans rien abdiquer de sa dignité de Cause première que Dieu peut lais­ ser à ses ministres la libre initiative de baptiser. Prétendre, qu’en donnant à des êtres qui, à chaque instant de leur durée, ne peuvent subsister que par lui, la liberté d’agir ou de ne pas agir, Dieu s’est, une fois pour toutes, démis à leur égard de sa dignité de Cause première et asservi à leur caprice, Pascal répond simplement que « cela est absurde ». Et dire, avec le concile de Trente, que les sacrements de la loi nouvelle agissent ex opere operato, cela signifie, selon la théologie catholique^99, qu’ils agissent: 1° non certes indépen­ damment, mais au contraire dépendamment des dispositions du sujet, dispositions qui seront simplement négatives dans le petit enfant, mais qui devront être positives chez l’adulte; 2° ni seulement à la mesure {juxta), mais au contraire par-delà {ultra) ces dispositions, en raison de l’efficience surabondante du Sauveur ; 3° conformément néanmoins et proportionnelle­ ment à ces dispositions, en sorte que, à la ressemblance de la pécheresse à qui il est d'autant plus pardonné quelle a plus aimé (Luc, VII, 47), celui qui vient avec deux reçoit quatre, et celui qui vient avec trois, reçoit six. N’est-il pas écrit, en effet, qu’à celui qui a, on donnera, et qu’à celui qui n’a pas, on ôtera même ce qu’il croit avoir (Luc, VIII, 18) ? Toute cette doctrine599 599. Jean de Saint-Thomas, III, qu. 62 ; disp. 24, a. 6, n° 21 et suiv. ; édit. Vivès, t. XI, p. 311. Pour une foule innombrable de pro­ testants, ex opere operato signifie magiquement. Vous aurez beau expli­ quer ce que vous voudrez, ils ne vous écouteront pas. Pourquoi? Quelle force les empêche métaphysiquement d’entendre les notions catholiques du sacrement, de ['intercession, du mérite? Toujours leur dialectique de l’univocité. ECCLÉSIOLOGIE DE KARL BARTH 1887 tenait déjà dans l'image de sainte Catherine de Sienne, voyant ceux qui s’approchaient de la table sainte avec de petits ou de grands cierges en revenir avec de petites ou de grandes lumières. 3. Enfin c’est la grande révélation de l’Écriture que, par la prière, Dieu nous a donné, si scandaleux, sacrilège, absurde que cela puisse paraître, puissance sur lui : « Demandez et l’on vous donnera ; cherchez, et vous trouverez ; frappez, et l’on vous ouvrira » (Luc, XJ, 9) ; « Là où deux ou trois sont assem­ blés en mon nom, je suis au milieu d’eux » (Mt., XVIII, 20) ; «Jusqu’ici, vous n’avez rien demandé en mon nom : demandez et vous recevrez, afin que votre joie soit pleine » (Jean, XVI, 24). Il nous a donné puissance sur son royaume même, puisqu’il nous faut demander que son Nom soit glorifié et que son règne arrive (Mt., VI, 9-10) ; et puisqu’il attend que nous le suppliions d’envoyer des ouvriers à sa moisson (Mt., IX, 38). Et l’une des plus étonnantes surprises de l’Évangile, c’est que la charité instaure, entre Dieu et l’homme, l’amitié, la récipro­ cité, le dialogue, l’intercommunication des mêmes biens, l’égalité non certes de nature mais de grâce, l’intimité mutuelle : « Je ne vous appelle plus des serviteurs parce que le serviteur ne sait pas ce que fait son maître ; mais je vous ai appelés amis, parce que je vous ai fait connaître tout ce que j’ai entendu de mon Père» (Jean, XV, 15). «Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera, et nous viendrons à lui, et nous ferons chez lui notre demeure » (Jean, XIV, 23). « Voici que je suis debout à la porte, et je frappe ; si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui, et je souperai avec lui, et lui avec moi» (Apoc., III, 20). Est-ce une inerte statue d’argile que Dieu a créée et aimée au com­ mencement du monde, ou est-ce une âme vivante qui puisse lui rendre amour pour amour ? Est-ce une masse pécheresse que le Christ a coloriée par le sang de sa Croix, ou est-ce une âme qu’il a lavée, purifiée en son centre, rendue participante de la nature divine ? Et dans quel cas la transcendance divine éclate-t-elle davantage ? Dans le premier ou dans le second ? 1888 Vil - CORPS DE L’ÉGLISE Tour exposé du christianisme qui méconnaît la profondeur de cette réciprocité et de ces échanges mutuels repose sur une méprise. Si brillant, disons plus, si génial qu’il puisse être, il est essentiellement fourvoyé. 14. Le drame d'une théologie Nulle part peut-être le drame inhérent à toute théologie dissidente n’est aussi saisissant que chez Karl Barth. Comment cet homme qui aime passionnément Γ Écriture, qui ne veut parler que d’elle, qui sait et répète quelle tient tout entière dans ces deux mots Jésus Christ et qu’on ne peut les prononcer que si cela est donné librement d’en haut par l’Esprit saint, peut-il dire autre chose que Γ Écriture ? Il ne veut entendre que la Parole de Dieu, la pure, la seule Parole de Dieu, il veut détruire en lui l’humain pour que cette seule Parole y puisse retentir et régner, et ce qu’il entend en lui, ce n’est pas cette seule Parole, c’est cette Parole telle quelle a retenti dans le cœur de Luther et de Calvin. C’est cette Parole révérée comme divine, adorée comme transcendante, mais dont la transcen­ dance même est affectée d’un indice perturbateur ; c’est cette Parole réfractée dans le monde de la dialectique de l’univocité et dont la transcendance ne peut dès lors être sauvée que par le principe d’une rivalité causale entre Dieu et l’homme, entre la grâce et la liberté au cœur même de l’acte référible au salut. 1. Barth se situe dans le protestantisme à la hauteur de Luther et de Calvin. Il a leur résistance et leur envergure. Il est comme eux un magnifique écrivain, il s’est forgé une langue à lui, soulevée par une poésie âpre et puissante, une éloquence passionnée ; ce sont les ténacités, les violences, les ironies de Luther et de Calvin, et celles encore de Nietzsche, qui revivent en lui et qui sont convoquées par lui à plaider devant les hommes la cause de la Parole de Dieu. Mais il est plus pure­ ment, plus spontanément, plus librement théologien que l’un et l’autre. Il n’y a rien chez lui des sautes d’humeur et des « impuretés » de Luther, il ne se moque pas de la cohérence doc­ trinale, il est résolu à ne jamais tricher avec la logique. Et il est ECCLÉSIOLOGIE DE KARL BARTH 1889 tellement plus attachant que Calvin ! Parce que sa théologie, et cela se sent d’emblée, n’est pas celle d’un hérésiarque, mais d’un dissident ; et parce que cette fois-ci c’est vraiment la croyance en un Dieu unique en trois personnes, c’est vrai­ ment et sans équivoque la croyance en la divinité du Sauveur, pour lesquelles on se bat contre un monde qui a cessé de s’en soucier600. 2. Au sein d’un protestantisme vidé, naturaliste, pragma­ tiste, où Rousseau et son immanentisme avait depuis long­ temps détrôné Calvin et son transcendantalisme, et qui n’avait à proposer pendant la catastrophe sanglante de la première guerre mondiale que son optimisme dérisoire, son christia­ nisme décoloré, Barth, seul ou à peu près, est apparu soudain comme un prophète des splendeurs de la révélation bi­ blique601, comme le porte-parole d’un Message inouï auquel les hommes étaient redevenus sourds602. Avec un don prodi­ 600. « Que pensez-vous de la base du mouvement œcumé­ nique ? » lui demande-t-on à brûle-pourpoint à Genève. (La base est : Jésus-Christ, Dieu et Sauveur, et beaucoup à Genève voudraient faire tomber le mot : Dieu, en le remplaçant par : Seigneur.} « Qu’elle est parfaitement logique ! Si Jésus est vraiment Seigneur et Sauveur, com­ ment ne serait-il pas Dieu ? Peut-il y avoir un autre Seigneur à côté de Dieu ? » La Vie Protestante, Genève, 22 avril 1949. 601. « Dans la Bible, il y a un nouveau monde, le monde de Dieu. Cette énorme réponse dit la même chose que l’affirmation du pre­ mier des martyrs, Étienne : - Voici, je vois les cieux ouverts et le Fils de l’homme à la droite de Dieu... Le propre de la Bible n’est pas seu­ lement que chacun reçoive d’elle ce qu’il mérite, l’un beaucoup, l’autre peu, le troisième rien. C’est aussi qu’elle nous ôte tout repos si nous sommes sincères, si avec nos yeux myopes et notre tact épais, nous cherchons en elle la réponse qui nous est destinée ». « Le nou­ veau monde de la Bible», automne 1916, dans Parole de Dieu et parole humaine, 1933, p. 32. 602. « Paul - ou peu importe le nom qu’on lui donne, l’auteur de l’Épître aux Éphésiens, si l’on veut - voit et entend quelque chose de tel et d’une telle façon que, pour décrire cette réalité, des termes comme enthousiasme, effroi, saisissement, confusion, semblent déri­ sion. Derrière le transparent d’un pareil document m’apparaît une 1890 Vil - CORPS DE L’ÉGLISE gieux de renouvellement et une richesse culturelle peu com­ mune, qui lui donnaient audience dans tous les milieux, il a confessé, d’une manière souvent déchirante, le dogme de la transcendance incompréhensible de Dieu, le dogme de la divi­ nité du Christ, Seigneur et Sauveur des hommes005, le dogme du royaume eschatologique et des destinées glorieuses de notre planète défigurée et ensanglantée. Il l’a fait en des pages libérapersonnalité, qui, par ce qu’elle voit et entend - et que je ne puis, moi, ni voir ni entendre - est jetée hors des voies ordinaires, hors de ses propres voies surtout ; une personnalité qui, justement en tant que personnalité, se voit comme arrêtée, suspendue, annihilée...» «Questions bibliques», avril 1920, dans Parole de Dieu et parole humaine, 1933, p. 100. Nous croyons Aarau plus honoré par ces seules paroles qu’y a prononcées Barth, que par toutes ses installa­ tions bancaires ! « Il y a eu, une fois, quelques siècles plus tôt, quelques siècles plus tard, des hommes qui avaient la même foi qu’Abraham, des hommes comme Isaac et Jacob, qui se sentaient étrangers dans le pays de la promesse, et donnaient à entendre qu’ils cherchaient leur patrie; des hommes comme Moïse, qui se cramponnaient, comme s’ils le voyaient, à Celui qu’ils ne voyaient pas... Ce mouvement lui-même qui les entraînait tous, les nommés, les anonymes et les pseudo­ nymes, nous pouvons aussi peu le mettre en doute ou le nier que la rotation d’un firmament d’étoiles fixes autour d’un soleil central inconnu. Je pense au Baptiste de la Crucifixion de Grünewald, et à sa main, à cette main qui montre d’un geste si étrange. C’est de cette main que la Bible nous apporte le témoignage». Ibid., p. 102. Barth, qui aime la grande Crucifixion de Grünewald, a-t-il remarqué que la réalisation de la prophétie, désignée par l’index de Jean Baptiste, c’est l’unique sacrifice de la Croix dont la douceur de l’Agneau continue de faire couler le sang dans nos calices ? 603. «Je suis le chemin. Tous nos chemins conduisent ailleurs. Jésus-Christ n’est pas la clef de voûte qui couronne l’arc de notre pen­ sée. Jésus-Christ nest pas un miracle surnaturel que nous pourrions entreprendre de penser. Jésus-Christ n’est pas le but que nous trouve­ rions à la fin de nos histoires de cœur, de conscience ou de conver­ sion. Jésus-Christ n’est pas une figure de notre histoire à qui nous pourrions rapporter notre vie. Et surtout Jésus-Christ nest pas un objet d’expériences religieuses ou mystiques. Dans la mesure où il est pour nous tout cela, il n’est pas Jésus-Christ. Ce qu’il est : le Dieu qui ECCLÉSIOLOGIE DE KARL BARTH 1891 trices, qu’il a voulues par surcroît constamment dures et sar­ castiques à l’égard d’une littérature fade, pieuse, moralisante, -ou au contraire trop habile et modernisante - qui l’irritait autant quelle avait irrité Nietzsche604. Nous ne demandions qu’à croire que la transcendance du Soli Deo Gloria était celle même qui est révélée dans ΓÉcriture devient homme, le Créateur de toutes choses qui est couché dans la crèche comme un petit enfant. Mais en éclairant aussitôt cette parole par une autre : Celui qui a été crucifié, qui est mort, qui a été ense­ veli, qui est descendu aux enfers, qui est ressuscité des morts. C’est cela et rien d’autre que Paul et les autres voulaient dire quand ils disaient Jésus-Christ ». « Le problème éthique à l’heure actuelle », septembre 1922, dans Parole divine et parole humaine, 1933, p. 193. Mais le contexte qui précède avertissait que Jésus est un chemin n’ayant qu’ww sens : « La foi et la révélation sont la négation qu’il y ait un chemin qui aille de l’homme à la grâce de Dieu, à l’amour et à la vie. Ces deux mots signifient que le seul chemin qui existe va de Dieu à l’homme», p. 192. Pour nous, le chemin a deux sens. Il va aussi, mais ensuite et dépendamment, de l’homme à Dieu : « Je suis la porte, si quelqu’un entre par moi, il sera sauvé, et il entrera et il sortira et il trouvera des pâturages » (Jean, X, 9). 604. « A la lumière de ce monde qui vient, David est un grand homme malgré son adultère et son épée dégouttante de sang. Heureux est l’homme, à qui Dieu n’impute point son crime ! Dans ce monde, les péagers et les prostituées entreront avant vous, vous les bien élevés et les justes, dix fois bien élevés et dix fois justes, de la bonne société. Dans ce monde, le vrai héros, c’est l’enfant prodigue, qui n’est rien que perdu, au milieu de ses porcs, et non pas son hon­ nête homme de frère aîné. Voyez-vous, c’est cela qu’il y a derrière Abraham et Moïse, derrière le Christ et ses apôtres, le monde du Père, dans lequel la question morale est résolue parce quelle va de soi». «Le nouveau monde de la Bible», loc. cit., p. 38. Pourquoi nous courbons-nous sous le message du Sermon sur la Montagne, où nous est opposé sans cesse un Mais moi je vous dis « inapplicable à la société d’aujourd’hui comme à toute société imaginable, et qui annonce une morale dont la présupposition première est qu’il ne doit plus y avoir de morale ? » « Le chrétien dans la société », septembre 1919, dans Parole de Dieu et parole humaine, 1933, p. 80. On recon­ naît ici Kierkegaard, avec sa grandeur et sa déviation. « La grande erreur de Kierkegaard, au milieu de ses grandes intuitions, a été de 1892 VU - CORPS DE L’ÉGLISE et qui n’en finit pas de ravir en extase le cœur des saints. Mais des fêlures, à peine perceptibles parfois005, nous inquiètent et nous obligent à remettre en question le premier don que nous avions fait de notre confiance. Ce n’est pas la vraie transcen­ dance chrétienne de Dieu, que Barth glorifie ; c’est une sorte de transcendance musulmane, qui se manifeste, non pas dans le oui de l’homme - à qui Dieu donnerait de se donner - mais à propos de l'homme, et qui s’établit sur la ruine des relations de réciprocité et d'amitié entre Dieu et l’homme. Ce n’est pas la transcendance évangélique du Christ rédempteur, associant dans une certaine mesure à sa prière, à son œuvre, à sa passion séparer et d’opposer comme deux mondes hétérogènes le monde de la généralité, ou de la loi universelle, et celui du témoignage unique, injustifiable devant la raison des hommes, rendu par le chevalier de la foi. Alors il lui fallait sacrifier l’éthique, ou du moins la suspendre. En réalité ces deux mondes sont en continuité, ils font tous deux partie de l’univers de l’éthique... Non seulement le héros tragique comme Agamemnon, mais Abraham lui-même sacrifiant Isaac appartient toujours à l’univers de l’éthique, - Abraham, atteint en plein cœur par l’ordre personnel de Dieu et la contradiction qui le déchirait avait encore une loi universelle, et la première de toutes : Tu adoreras Dieu incompréhensible et tu lui obéiras. Et Abraham savait obscurément... que le meurtre de son fils échappait à la loi défendant l’homicide, parce qu’il était commandé par le maître de la vie. » Jacques MaRITAIN, Court traité de l'existence et de l'existant, Paris, 1947, p. 93 [O. C., IX, p. 61]. 605. « Mieux encore que chez Socrate, on distingue chez Jésus cette patience souriante et large qui lui fait placer tout l’éphémère - et même sous ses formes anormales - dans la lumière de l’étemel. Car le Seigneur n’a pas loué seulement le bon médecin ou le pilote habile, mais aussi l’économe infidèle. Plus clairement encore, Jésus a regardé tout l’éphémère uniquement comme une parabole. Son parfait déta­ chement à l’égard de l’objet montre clairement que ce qui est primi­ tif, conforme à la Création dans les choses et les faits, ne doit jamais être recherché dans l’objet lui-même, mais dans son idée, dans son analogue céleste ». « Le chrétien dans la société », loc. oit., p. 73. Un peu plus loin, on explique qu’à notre égard cette parabole du monde est plus qu une parabole, étant destinée, à force de nous faire perdre notre équilibre de créatures, à nous jeter, non à l’inaction du pessi­ misme, mais à l’Éternel : « Il nous est impossible de ne voir dans notre ECCLÉSIOLOGIE DE KARL BARTH 1893 et à sa mort pour le salut du monde, l’Église qui est son corps; c’est la transcendance luthérienne d’un Christ rédemp­ teur qui, en laissant son Église dans le péché jusqu’à la fin du monde, consent néanmoins à la considérer simultanément comme justifiée et sanctifiée. Ce n’est pas la transcendance johannique et paulinienne d’un royaume de Dieu, d’une Jérusalem céleste déjà inaugurée à l’intérieur du temps par la grâce; c’est la transcendance réformée d’un royaume de Dieu, d’une Jérusalem céleste que l’Église d’ici-bas ne peut qu’an­ noncer à la manière dont le fait un pur signe, quelle ne saurait inaugurer, et dont elle diffère aussi totalement que le péché diffère de la gloire, que ce qui est avant-dernier diffère de ce qui est dernier. Toujours donc une transcendance qui ne souffre en face d’elle que le péché de l’homme et qui, loin de faire naître la participation, la traque devant elle comme une rivale. 3. A Amsterdam, la conception barthienne s’est heurtée de front à la conception activiste des œuvres et des organi­ sations606. monde éphémère ^w’une parabole... La parabole et la promesse demandent l’accomplissement... Nous ne pouvons pas nous contenter d’images et de paraboles. Ce n’est pas en vain que l’éphémère nous a offert la parabole de ΓÉternel. Voici que nous ne pouvons plus oublier l’Éternel et qu’il n’y a plus de repos pour nous hors du Royaume de Dieu». Ibid., p. 82. En d’autres mots, la parabole est devenue un signe, une promesse qui ne saurait avoir l’ombre d’un exaucement dans ce monde de péché. 606. « Le dessein de Dieu est d'en haut, le désordre de l’homme et du monde, y compris nos diagnostics, nos projets et nos plans de campagne, est d’en bas... Dans aucune de nos sections, nous ne devrions accepter de partir d’en bas : de l’unité ou de la division de nos Églises; de l’attitude ou du manque d’attitude de l’homme moderne; de l’image effrayante d’une civilisation orientée tout entière vers les techniques et conçue uniquement pour la produc­ tion ; du choc d’un Occident sans Dieu avec un Orient sans Dieu ; de la menace que la bombe atomique fait peser sur le monde ; et, dans tous les cas, pas des pauvres réflexions que nous pouvons formu­ ler, et des pauvres mesures que nous envisageons pour faire face à toute cette adversité ». « Désordre de l’homme et dessein de Dieu », 1894 Vil - CORPS DE L’ÉGLISE Dans le cœur de ceux qui travaillaient, avec la meilleure intention et le plus louable désintéressement, à redresser les folies de notre monde, il y avait sans aucun doute - comment en auraient-ils été exempts ? aucun de nous ne l’est ! - un per­ pétuel danger de succomber à la tentation pélagienne. Et il était souverainement opportun de leur rappeler, avec Karl Barth, que le corps du Christ se compose de tous ceux qui « ont placé toute leur espérance et toute leur confiance en Jésus-Christ, en son œuvre de réconciliation accomplie une fois pour toutes sur la Croix ; en sa résurrection, signe du nou­ vel éon qui a déjà fait irruption en lui dans notre monde; en son Saint-Esprit, par lequel il réconforte son Eglise menacée et juge et gouverne le monde tout autrement et beaucoup mieux que nous ne pourrions le faire ; et finalement en son retour en gloire, qui manifestera devant toutes les créatures le salut déjà accompli en lui »60 . De leur rappeler encore, que le dessein de Dieu, c’est « son règne déjà présent, déjà victorieux, déjà dressé dans toute sa majesté sur le monde », c’est « notre Seigneur Jésus-Christ lui-même, qui a déjà neutralisé la puissance du péché et de la mort, du diable et de l’enfer, et parfaitement satisfait dans sa personne aux exigences du droit de Dieu et des droits de l’homme ; bref, que le dessein de Dieu ne doit pas être compris comme une sorte de Plan Marshall chrétien λ608. Mais était-il vrai, évangélique, d’opposer à cette formidable poussée pélagienne, la réponse réformée, qui refuse à Dieu le droit de communiquer dès ici-bas à l’homme la dignité de la causalité ? Était-il vrai, évangélique de taire que, si le royaume de Dieu est parfaitement accompli quant au Christ, qui est la tête, il n’est pas encore accompli, il est chaque jour en cours d’accomplissement quant à l’Église, qui est le corps, l’apôtre ayant dit, Col., I, 24 : « Maintenant, je me réjouis dans les dans Foi et Vie, 1948, p. 418. On aura remarqué l’expression: le désordre du monde, y compris nos projets. Le texte allemand, con­ sulté, ne marque pas de différence entre l’athéisme de l’Ouest et celui de l’Est, Die Unordnung..., p. 4. 607. Ibid., p. 420. 608. Ibid., p. 419. ECCLÉSIOLOG1E DE KARL BARTH 1895 souffrances que j’endure pour vous, et j’accomplis ce qui manque aux tribulations du Christ, dans ma chair, pour son corps qui est l’Église ? »°09 Était-il vrai, évangélique, de glorifier la transcendance de Dieu en assurant qu’à ses yeux tous les sarments demeurent desséchés, et que la loi de sa providence est précisément, ici-bas, de faire venir les fruits sur des sar­ ments desséchés ? Tout cela, sans doute, rendait le conflit 609. « L’expression : plan divin de salut, ne peut pas signifier : l’existence des Églises dans le monde, ni ce quelles font pour lutter contre le désordre du monde, ni leur activité intérieure et extérieure en tant qu’organes d’une meilleure vie humaine, ni le succès final quelles pourraient rencontrer dans leur effort de christianisation de toute l’humanité, et conséquemment, dans l’instauration d’un ordre capable de faire régner la justice et la paix sur toute notre planète ». Ibid., p. 419. Nous avons retraduit plus littéralement ce texte impor­ tant, Die Unordnung der Welt und Gottes Heilsplan, Zollikon, 1948, p. 5. On aura remarqué que les Églises sont rangées par Barth à côté des efforts de christianisation du temporel, et qu’elles sont exté­ rieures au plan divin de salut. Il y a coupure entre l’Église-événement, qui est seule divine, et les Églises permanentes qui ne sont qu’humaines, et relèvent par conséquent, elles aussi, du désordre du monde. Un mot sur la Vierge. Plutôt que d’aboutir à une « théologie natu­ relle» opposée à celle de la libre grâce, Barth maintient la naissance virginale du Christ, natus ex Maria Virgine, comme un corollaire de l’incarnation. Ce dogme est un « jugement qui frappe l’être mas­ culin », sans comporter d’ailleurs aucune « exaltation de la femme ». Marie est élue sans nul mérite de sa part, pour manifester ce que la créature humaine peut être et peut faire, malgré et dans son péché, lorsque Dieu se penche sur elle, Credo, Paris, 1936, p. 95. Barth, en vrai théologien, a vu les rapports qui unissent Marie et l’Église. Mais, chez lui, Marie et l’Église sont protestantes. Dieu jette un regard sur la petite Marie et la pauvre Église : « Si jamais dans l’histoire univer­ selle, quelque chose de capital s’est passé c’est bien ce regard. Nous parlons de Marie, mais ceci est vrai en même temps de l’Église, vrai de nous aussi... Notre vocation c’est d’être aux côtés de Marie». Là où sont Marie et Élisabeth, ces « deux êtres insignifiants », ces « deux simples femmes », là est l’Église et Celui qui est l’espérance de l’Église. « S’il est quelqu’un qui soit des nôtres, tout proche, enfoncé au plus profond de la misère humaine et de la Promesse, c’est bien Marie que l’ange de Dieu vient visiter chez elle et appelle à la place 1896 VII - CORPS DE L’ÉGLISE d'Amsterdam plus âpre, plus brutal, plus dramatique. Mais c’est autre chose que nous demandons : tout cela était-il vrai, évangélique ? Nous ne le pensons pas. A nos yeux, la dialectique de l’uni­ vocité débouche sur une tragédie. C’est une dialectique de la mort. Elle renvoie de Mani à Pélage, de Pélage à Luther et à Calvin, de Calvin à Rousseau et à Schleiermacher, de Schleiermacher à Karl Barth... Elle peut, par accident, préparer des délivrances : l’Esprit de vie peut dérouter même une dialec­ tique de la mort. De soi, elle est propre à désespérer les pauvres hommes. extraordinaire que Dieu lui fait la grâce d’occuper. Cette place extra­ ordinaire, c’est précisément la preuve qu’il n’y a pas de surhumanité, qu’il n’existe aucune possibilité humaine de devenir divin, aucune aptitude chez l’homme à se faire le médiateur entre Dieu et lui. La seule médiation, c’est la grâce de Dieu qui accepte et saisit l’homme ». « C’est par un profond malentendu que Marie a été exal­ tée, mise à une place qui pouvait être, même de loin, rapprochée de la place du Christ ». « Quatre études bibliques », dans Foi et Vie, août-octobre 1936, n“ 85-86, pp. 487-488, 502, 509-510. Péche­ resse ou déesse ? Selon Barth il faudrait choisir. CHAPITRE VIII DÉFINITIONS MINEURES DE L’ÉGLISE L’Église peut être définie directement en fonction de ses causes incréées, Dieu, l’Esprit saint, le Christ : voilà ce que nous avons appelé les définitions majeures L Elle peut être définie directement en fonction des causes créées, qui la constituent dans sa réalité entitative et ontologique, et qui conditionnent et rendent possible son essentielle référence à ses causes suprêmes. Voilà les définitions mineures. Elles s’efforcent de dessiner les fron­ tières de l’Église, de déterminer avec précision quels sont ses membres et à quel degré ils lui appartiennent, etc. Tout en coïncidant dans les points essentiels, les défi­ nitions mineures pourront varier à l’infini suivant la multiplicité des textes scripturaires auxquels on peut les emprunter; la diversité des perspectives adoptées pour les formuler (sainteté et péché ; éternité et temps ; passé, présent, avenir ; spirituel et temporel, etc.) ; le nombre des éléments exprimés ou au contraire sous-entendus, les différentes manières de les grouper, etc. Nous n’en pro­ poserons que quelques-unes. 1. Voir plus haut, p. 581 [dans la présente édition: vol. II, P· 9531. 1898 VUI - DÉFINITIONS MINEURES DE L’ÉGLISE 1. Les origines « Ekklesia » vieux-testamentaires du mot 1. Le peuple de Dieu était souvent appelé dans ΓΑηcien Testament Qehal lahvé, que les Septante traduisent habituellement, non par synagogue, mais par Église, Église du Seigneur2 : « Ni l’eunuque ni celui qui est châ­ tré n’entreront dans l’Église du Seigneur : et jusqu’à la dixième génération il n’entrera point dans l’Église du Seigneur, et jusqu’à toujours... Tu n’auras point en abo­ mination l’Édomite, car il est ton frère ; tu n’auras point en abomination ΓÉgyptien, car tu as été étranger dans sa terre ; si des fils leur naissent, à la troisième génération ils entreront dans l’Église du Seigneur » (Deut., XXIII, 1-9). Il est parlé dans le discours d’Étienne du rôle de Moïse dans l’Église du désert (Actes, VU, 38). C’est ce mot d’Église qui, passant de l’Ancien Testa­ ment au Nouveau, va désigner la communauté des dis­ ciples du Christ3. A ce moment, sa signification se trans­ forme. Le peuple messianique, lié dans l’Ancien Testament à la formation ethnique d’Israël, devient, dès le mystère de Pentecôte, un peuple messianique trans­ 2. Cf. L. CERFAUX, La théologie de l’Église suivant saint Paul, Paris, 1942, p. 78. «La pratique du livre des Psaumes est révélatrice. Le psautier est constant dans sa traduction de Γédah par sunagogè et de qahal par ekklesia. Rappelons que edah et donc sunagogè peuvent se dire des animaux et tendent à un sens péjoratif... Sunagogè en son déprécié et ekklesia en plus-value ». Ibid., p. 81. 3. Ibid. p. 83. - « En langage biblique, le Qehal lahvé était le peuple de Dieu, choisi entre les nations infidèles pour adorer et pour servir le Très-Haut. Résidu lui-même de l’expression plus complète Ekklesia tou Theou le mot Ekklesia du Nouveau Testament serait son correspondant exact. Il représenterait le nouveau groupement de l’humanité où Dieu entend établir son règne : le peuple saint ou le nouvel Israël des temps messianiques ». F. M. BRAUN, O. P., Aspects nouveaux du problème de l’Église, Fribourg en Suisse, 1942, p. 34. L’auteur résume ici la pensée du protestant Karl Ludwig Schmidt. DÉFINITIONS NOMINALES 1899 ethnique, dégagé par essence de toutes les formations politiques et temporelles. L’« Église du Seigneur» de l’Ancien Testament devient l’« Église de Dieu » du Nouveau Testament. 2. En tant que porteur des promesses messianiques, le peuple de Dieu était saint, d’une sainteté inaugurée’. «Tu es un peuple saint à lahvé, ton Dieu. lahvé, ton Dieu, t’a choisi pour être son peuple particulier parmi tous les peuples qui sont sur la face de la terre » (Deut., VII, 6). Én tant que dépositaire des grâces messianiques, l’Église de Dieu est sainte, d’une sainteté accomplie''. En apposition au mot Église de Dieu, saint Paul parlera des sanctifiés dans le Christ Jésus, de ceux qui par convoca­ tion de Dieu sont saints'1 : « Paul, par vocation apôtre du Christ Jésus, par la volonté de Dieu, et Sosthène son frère, à l’Eglise de Dieu qui est à Corinthe, aux sanctifiés dans le Christ Jésus, à ceux qui par vocation sont saints... » (I Cor., I, 1-2). 4. « Nous voyons souvent qu’ils sont, eux aussi appelés enfants de Dieu. Non par la grâce du Nouveau Testament mais par celle de l’Ancien. C’est par grâce, en effet, que se fait le choix d’Abraham, de qui naît un grand peuple ; le discernement, avant leur naissance, de Jacob qui est préféré, et d’Ésaü qui est rejeté ; la libération de l’Égypte ; l’entrée dans la Terre promise et la défaite des Gentils. Si ce n’était par grâce, il ne serait pas dit dans l’Évangile, de nous autres, qui pouvons devenir enfants de Dieu en vue d’un royaume non plus terrestre, mais céleste, que nous avons reçu grâce pour grâce, Jean, I, 16, à savoir les promesses du Nouveau Testament pour les pro­ messes de l’Ancien ». S. AUGUSTIN, Enarr. in Ps. LXXXJ, n° 1. Il faut entendre que la grâce, déjà intérieure mais imparfaitement christique, de l’Ancien Testament, s’accompagnait de promesses temporelles qui, avec l’avènement de la grâce pleinement christique du Nouveau Testament, et le Sermon sur la Montagne, ont été vidées de leur signification. 5. C’est le mot Klètè hagia, signifiant dans les Septante la convoca­ tion sainte et liturgique des Hébreux, qui serait à l’origine de l’expres- 1900 VIII - DÉFINITIONS MINEURES DE L’ÉGLISE 2. Définitions générales de l’Église On peut donner à l’Église toute son extension, ou la réduire à l’Église pérégrinant dans le temps. a) Les trois états simultanés de ΓÉglise : triomphante, souffrante, militante En pensant aux conditions diverses faites à l’Église dans le temps présent et dans l’au-delà, on pourra dire : LÉglise est la communauté qui, sous ses trois états, est rassemblée en Dieu par le Christ : au ciel, dans la clarté de la vision et dans la charité béatifiques, où sont les anges et les élus (Église triomphante) ; auparavant, dans la nuit de 4/ f°i> Par une c^ardé qui se forme et grandit en ce monde (Église militante), et achève souvent de se purifier en pur­ gatoire (Église souffrante)6. Tels sont les trois états simul­ tanés de l’Église, qui lutte dans les épreuves de la terre, libère ses enfants de leurs dettes en purgatoire, triomphe auprès du Christ ressuscité7. sion paulinienne klètoi hagioi: ceux qui, convoqués par Dieu, sont saints. L. CERFAUX, op. cit., p. 96. 6. Il est clair que, dans un catéchisme, chaque membre de cette définition devrait être isolé et rangé sous une question appropriée. 7. Considérant l’Église d’une manière générale, en tout état, lieu, temps, BlLLUART, De regulis fidei, dissert. 3, art. 1, édit. Brunet, t. III, p. 296, la définit : « la congrégation des fidèles, rassemblés dans le vrai culte de Dieu, sous le Christ chef. Elle comprend ainsi les fidèles de l’Ancien Testament, appartenant non seulement à la synagogue, comme les Juifs, mais encore étrangers à la synagogue, comme Job, Melchisédech, etc. Elle comprend encore les bienheureux, les anges dans le ciel, les âmes souffrant au purgatoire, les fidèles encore voya­ geurs. Elle est triomphante dans les bienheureux, souffrante dans les âmes du purgatoire, militante dans les voyageurs. Ce ne sont pas là diverses Églises, mais seulement diverses parties, ou divers états de la même Église ». Billuart explique que les bienheureux peuvent être appelés fidèles sans inconvénient, en raison de la foi qu’ils ont eue. Sa définition ne mentionne pas la charité. DÉFINITIONS GÉNÉRALES 1901 Les quatre causes de l’Église sont indiquées. La cause matérielle, à savoir les anges : « ... trônes, dominations, principautés, puissances, tout a été créé par lui (le Christ) et pour lui» (Col., I, 16); les âmes séparées, maintenant au ciel et au purgatoire ; les hommes, main­ tenant voyageurs et plus tard ressuscités. La cause for­ melle, à savoir le lien permanent de la charité qui fait l’indestructible unité de l’Église sous la multiplicité de ses états : « La charité ne périt jamais ; les prophéties prendront fin, les langues cesseront, la gnose disparaî­ tra... Maintenant donc demeurent la foi, l’espérance, la charité, ces trois choses ; mais la plus grande d’entre elles est la charité» (I Cor., XIII, 8 et 13). Les causes efficiente et finale, à savoir le Christ qui ramène l’univers à Dieu : « Ensuite viendra la fin, quand il remettra le royaume à Dieu et au Père » (I Cor., XV, 24). Dieu a voulu « récon­ cilier par lui et en lui (le Christ) toutes choses, celles qui sont sur la terre et celles qui sont dans les cieux, en fai­ sant la paix dans le sang de sa croix » (Col., I, 20). Dans ΓEnchiridion de fide, spe et caritate, η ° 15, ch. LVI, saint Augustin pense que l’Église, nommée dans le Credo après les trois personnes divines, est celle du ciel et de la terre, de l’Ancien et du Nouveau Testament : « Le bon ordre de la confession de foi demandait qu’à la Trinité fut jointe l’Église, à l’Hôte sa maison, à Dieu son temple, au Créateur sa cité. L’Église est prise ici tout entière, non seulement dans la partie d’elle-même en pèlerinage sur la terre, qui loue le nom du Seigneur de l’Orient à l’Occident, et qui, après la captivité du vieux Testament, chante le cantique nouveau ; mais encore dans sa partie toujours céleste, qui adhère à Dieu dès sa création et n’a pas connu le mal de la catastrophe. Cette dernière, demeurée bienheureuse dans les saints anges, vient au secours de la partie pérégrinante, car plus tard les deux parties seront une dans la possession de l’éter- 1902 VIII - DÉFINITIONS MINEURES DE L’ÉGLISE nité, consortio aeternitatis, comme elles sont une mainte­ nant dans le lien de la charité, vinculo charitatis ». Il est clair par ce texte que l’Église, le Royaume des cieux, la Cité de Dieu sont une même chose. Il est clair aussi que la charité est essentielle à l’Église. b) Les trois régimes de ΓÉglise du temps: loi de nature, loi mosaïque, loi nouvelle Considérons maintenant toute la suite de l’Église qui est dans le temps. 1. Sous l’aspect du conflit de la sainteté et du péché, on pourra dire, d’une manière encore très générale: L’Eglise est la cité de l’amour divin accepté ; le monde est la cité de l’amour divin refiisé·. « monde » est ici synonyme de « péché », comme dans I Jean, V, 19 : « Nous savons que nous sommes de Dieu, et que le monde entier est soumis au Malin ». On rejoint ainsi le suprême dilemme de saint Au­ gustin : « Deux amours ont bâti deux cités : l’amour de soi jusqu’au mépris de Dieu, la cité terrestre ; l’amour de Dieu jusqu’au mépris de soi, la cité céleste. L’une se glo­ rifie en soi, l’autre dans le Seigneur. L’une attend sa gloire des hommes ; pour l’autre, sa gloire suprême est Dieu, témoin de sa conscience. L’une lève sa tête dans son orgueil ; l’autre dit à son Dieu : Tu es ma gloire et c’est toi qui lèves ma tête. L’une, jusque dans ses princes et son désir de subjuguer les nations, est dominée par la passion de dominer, dominandi libido ; dans l’autre, règne le service mutuel de la charité, serviunt invicem in charitate, par laquelle les supérieurs veillent et les infé­ rieurs obéissent »8. Comment, en définissant l’Église, 8. De civitate Dei, livre XIV, ch. XXVUI. - « Deux cités, l’une des méchants, l’autre des saints, traversent le temps depuis le commence- DÉFINITIONS GÉNÉRALES 1903 pourrait-on faire abstraction de la charitas, de Xagapè évangélique: «Si quelqu’un m’aime..., mon Père aussi l’aimera, et nous viendrons en lui, et nous ferons notre demeure chez lui » (Jean, XIV, 23). 2. Si l’on s’applique à distinguer expressément les trois régimes normaux que l’Église perdurable, par un dessein divin, traverse dans le temps, on dira : L'Église est la communauté surnaturelle, destinée à la vie du ciel, que Dieu rassemble au lendemain de la chute: 1° d'abord sous le régime universel de la loi de nature ; T puis sous le régime privilégié de la loi mosaïque ; 3° enfin sous le régime définitifde la loi évangélique. C’est l’unité substantielle de la croyance et de la cha­ rité surnaturelles qui fait la permanence de l’Église sous ces trois régimes ; mais les conditions de cette croyance et de cette charité varient profondément. L’Église est ras­ semblée : 1° d’abord dans la croyance surnaturelle au mystère, encore très voilé, d’un Dieu secourable « qui veut que tous les hommes soient sauvés et viennent à la connaissance de la vérité » (I Tim., II, 4) ; et dans la cha­ rité surnaturelle, donnée tout de suite par anticipation, au nom du Christ qui ne la méritera que plus tard sur la croix, et qui affecte de se masquer sous les instincts géné­ reux de la nature (voilà le régime de la loi de nature) ; 2° puis dans la croyance, manifestée de plus en plus expressément par les prophètes d’Israël, au Dieu secou­ rable et à son Messie ; et dans une charité de jour en jour plus éclairée, donnée par avance au nom du Christ futur (voilà le régime de la loi mosaïqué) ; 3° enfin dans la croyance explicite au seul vrai É)ieu et à Celui qu’il a ment du genre humain jusqu’à la fin du monde. Maintenant, elles sont entremêlées par les corps, mais séparées par les volontés ; au jour du jugement, elles seront séparées aussi corporellement ». De catechizandis rudibus, n° 31, ch. XIX ; n° 37, ch. XXI. 1904 Mil - DÉFINITIONS MINEURES DE L.’ÉGLISE envoyé ; et dans une charité non seulement méritée, mais encore dispensée par le Christ en croix (voilà le régime de la loi nouvelle ou évangélique). Les deux premiers régimes, provisoires, sont incomplè­ tement chrétiens : la révélation est encore inachevée9, la grâce n’est donnée qu’en considération des mérites futurs du Christ10. Le troisième régime, définitif, est seul plei­ nement chrétien : la révélation est achevée, la grâce a été méritée sur la croix, et de plus elle est dispensée par le Christ et ses sacrements. Ce qu’il faut souligner, c’est que les deux premiers régimes tendent au troisième. Ils sont portés par le troisième qui leur donnera leur pleine signification, et auquel ils aboutissent comme l’aube au jour, comme la plante à son fruit, en sorte que l’unité de ces trois régimes dans le temps est vitale et dynamique. La distinction de ces trois régimes remplit l’Ecriture. Elle est rappelée par saint Paul : « Gloire, honneur et paix pour quiconque fait le bien, pour le Juif d’abord, puis pour le Grec. Car devant Dieu il n’y a pas acception de personnes... Quand les Gentils, qui n’ont pas la loi, font par nature ce que prescrit la loi, ils sont, privés de loi, une loi pour eux-mêmes ; ils montrent que ce que la loi commande est écrit dans leurs cœurs... C’est ce qui paraîtra au jour où Dieu jugera les actions cachées des hommes, selon mon évangile, par le Christ Jésus» (Rom., Il, 10 à 16). « C’est lui qui est notre paix, qui a fait des deux peuples (Juifs et Gentils) un seul peuple et qui a renversé le mur de séparation, l’inimitié... Il est 9. « Ce que l’on a cru plus tard était contenu dans la foi primitive, mais seulement implicitement. Le nombre des articles de foi s’est accru par explicitation. Certaines vérités, qui d’abord n’étaient pas connues explicitement, l’ont été dans la suite». S. THOMAS, II-II, qu. 1, a. 7. 10. Avant 1 Incarnation, « non erat tanta gratiae plenitudo sicut et post ». S. THOMAS, De veritate, qu. 29, a. 4, ad 10. DÉFINITIONS GÉNÉRALES 1905 venu annoncer la paix à vous qui étiez loin et la paix à ceux qui étaient près ; car par lui nous avons les uns et les autres accès auprès du Père dans un seul Esprit » (Éphés., Il, 14 à 18). Les quatre causes de l’Église ont été mentionnées. Les causes efficiente et finale, à savoir Dieu rassemblant dans le temps la communauté qu’il destine à la vie éternelle. La cause matérielle, à savoir la communauté des hommes en pèlerinage dans le temps. La cause formelle, à savoir la vérité et la charité, d’abord incomplètement, puis enfin pleinement, chrétiennes. Un pécheur, qui a perdu la cha­ rité, s’il évite les péchés de schisme et d’hérésie, peut encore s’accrocher à la véritable Église et lui appartenir d’une manière défaillante ; mais la véritable Église, la cité de Dieu, ne peut ni subsister une seconde, ni par consé­ quent être définie, sans la charité. 3. A ces définitions de l’Église du temps se rattache­ ront les désignations générales, fréquemment employées par les Pères et les Docteurs : l’Église est le rassemble­ ment des fidèles11, le rassemblement des hommes fidèles12, sous quelque régime qu’ils aient vécu : les patriarches, patres antiqui, « appartenaient à ce même corps de l’Église que nous sommes »13. « L’Église entière, partout diffusée, est le corps dont il (le Christ) est la 11. «In fidelium collectione consistit», S. THOMAS, IV Contra Gent., ch. LXXVIII. « Cum Ecclesia sit congregatio fidelium », IVSent., dist. 20, qu. 1, a. 4, quaest. 1. «Ecclesia sancta idem est quod congregatio fidelium, et quilibet christianus est sicut membrum ipsius Ecclesiae », Expositio super Symbolum Apostolorum. « Ecclesia secundum statum viae est congregatio fidelium ; sed secundum sta­ tum patriae est congregatio comprehendentium », III, qu. 8, a. 4, ad 2. 12. S. Thomas, I, qu. 117, a. 2, obj. 1 : hommes est ici opposé à anges. 13. S. Thomas, III, qu. 8, a. 3, ad 3. 1906 VIII - DÉFINITIONS MINEURES DE L’ÉGLISE tête : non seulement les fidèles maintenant vivants, mais aussi ceux qui ont été avant nous, et ceux qui viendront après, jusqu’à la fin du monde, tous forment son corps; il en est la tête, lui qui est monté au ciel »14. Dans ces formules, le mot « fidèles », au lieu de faire abstraction de la charité, se rapporte plutôt à la foi vive, si souvent désignée dans l’Évangile. C’est la pensée de saint Augustin : « Tous les saints qui ont été sur la terre avant la nativité de Notre-Seigneur Jésus Christ, bien qu’ils soient nés avant lui, ont adhéré au corps universel dont il est la tête»l\ On trouverait des expressions ana­ logues chez saint Thomas : « Le Christ et l’Église font une seule personne mystique, dont la tête est le Christ, et le corps tous les justes : chacun des justes est comme un membre de la tête, caput est Christus, corpus omnes justi : quilibet autem justus est quasi membrum hujus capi­ tis»16. Cajetan, qui pense que l’Église militante n’est pas sans péchés véniels, la définit néanmoins « la congréga­ tion des fidèles qui sont dans la charité, congregatio fide­ lium existentium in charitate »17. Mais depuis les erreurs qui, au XVIe siècle, ont refusé de regarder les pécheurs comme membres de l’Église, ces manières de parler, trop imprécises, sont devenues équi­ voques. C'est à l’Église elle-même, non à chacun de ses membres, qu’il faut attribuer une sainteté, une justice, une charité, à laquelle participent diversement’, d’une pan, d’une façon plénière, formelle, salutaire, les justes; et d’autre part, d’une façon défaillante, instrumentale, non salutaire, les pécheurs18. 14. S. Augustin, Enarr. in Ps. LXII, n° 2. 15. De catechizandis rudibus, n° 33. 16. Comm. ad Colossenses, I, 24. 17. Ill, qu. 8, a. 3, n° IV. 18. C’est vers une solution de ce genre, nous l’avons dit plus haut, p. 1164, que semble s’orienter CAJETAN, quand il écrit, II-II, qu. 39, l’église de la loi nouvelle 1907 Il faudrait donc modifier un peu la formule de Cajetan et dire : « L’Église est la congrégation des fidèles qui est dans la charité, congregatio fidelium existens in cbaritate» ; ou, pour préciser davantage : « L’Église est la congrégation des fidèles, unie dans la charité sacramen­ telle et orientée, congregatio fidelium, in charitate ex sacramentis fluente, et jurisdictione directa ». Mais c’est déjà une définition de l’Église de la loi nouvelle. 3. L’Église de la loi nouvelle Nous présenterons quelques types de définitions de l’Eglise de la loi nouvelle, et nous rencontrerons, chemin faisant, la célèbre définition proposée par saint Bellarmin. a) Définitions analytiques 1. En cherchant à définir l’Église d’une manière ana­ lytique et descriptive19, où sont énumérés les principaux des éléments qui lui sont nécessaires, on pourra dire : L’Église est le corps dont le Christ est la tête. Elle est la communauté christoconformante, que le Christ, en vue de rénover ultimement l’univers, fait participer: 1° à sa royauté par les pouvoirs juridictionnels divinement assistés ; 2° a son sacerdoce par les pouvoirs ou caractères sacramen­ tels ; 3° à sa sainteté par la grâce pleinement chrétienne. Chacun de ces points peut être explicité. 1° La royauté et la prophétie du Christ sont participées premièrement et essentiellement par une autorité enseignante, spiria. 1, n° III : «Unitas ecclesiastica, licet simpliciter sit formata, sicut Ecclesia semper est in gratia ; ut tamen est in hoc vel illo, potest esse informis ». 19. Cf. Définition causale et analytique de l’âme créée de l’Église, plus haut, p. 1020. 1908 VIH - DÉFINITIONS MINEURES DE L’ÉGLISE ruelle et divinement assistée, bref par les pouvoirs juri­ dictionnels divinement assistés. Les apôtres, qui ont eu pour fonder l’Église une juridiction extraordinaire (apos­ tolat), ont laissé pour la conserver, aux évêques leurs suc­ cesseurs, une juridiction permanente (pontificat), dont le primat réside dans le souverain pontife, et qui peut soit définir la foi soit régler la discipline20. La royauté du Christ est participée secondairement et accessoirement par les lumières prophétiques particulières, données non en vue de définir la foi, mais de diriger la conduite des hommes. 2° Le sacerdoce du Christ est participé par les trois pouvoirs ou caractères sacramentels du baptême, de la confirmation, de l’ordre, qui permettent la célébration valide du sacrifice de la messe, la dispensation et la réception valides des sacrements de la loi nouvelle. 3° La sainteté du Christ n’est participée pleinement que par la grâce pleinement chrétienne, c’est-à-dire par la grâce revêtue de ses modalités sacramentelles et orientée par les directives juridictionnelles librement intériorisées. Les quatre causes de l’Église ont été touchées. La cause efficiente, à savoir le Christ ; la cause finale, à savoir la récapitulation de l’univers dans le Christ; la cause matérielle, à savoir la communauté des hommes voya­ geurs dans le temps ; la cause formelle, signifiée en elle-même par la grâce sacramentelle et orientée, et dans ses éléments prérequis par les pouvoirs juridictionnels et cultuels. 20. N’allons pas réduire le pouvoir juridictionnel au simple pou­ voir canonique ou disciplinaire : « Si quelqu’un dit que le pontife romain... n’a pas la pleine et suprême puissance de juridiction sur l’Église universelle, non seulement dans les choses qui regardent la foi et les mœurs, mais encore dans celles qui regardent la discipline et le gouvernement de l’Église répandue sur toute la terre... qu’il soit ana­ thème ». Concile du Vatican, Sess. IV, ch. III, Denz., n° 1831. l’église de la loi nouvelle 1909 2. Sous une formulation légèrement différente, on pourra dire : L’Église est la communauté, destinée à la vie éternelle, que l’Esprit saint rassemble dès maintenant'. 1° sous un meme chef qui la dirige ; 2° dans un même culte qui la consacre ; 3° dans une même communion intérieure qui la sanctifie. Ces trois points peuvent être explicités. 1° Le chef unique qui la dirige, c’est du haut du ciel le Christ et sur terre son vicaire suprême, le souverain pontife, assisté infailliblement pour définir la foi et prudentiellement pour régler la discipline. 2° Le culte unique qui la con­ sacre, c’est le culte de la loi nouvelle, instauré par le Christ prêtre pour être continué par la célébration valide du sacrifice de la messe et la dispensation valide des sept sacrements. 3° La plénitude de communion intérieure qui la sanctifie est la sainteté du Christ en tant que commu­ niquée dans la charité sacramentelle et orientée. Les quatre causes de l’Eglise ont été signalées. La cause efficiente première, c’est-à-dire l’Esprit saint ; la cause finale, c’est-à-dire la vie éternelle. La cause maté­ rielle, c’est-à-dire la communauté des voyageurs. La cause formelle, touchée en elle-même : c’est la grâce sacramentelle et orientée, et dans ses éléments prérequis, à savoir la perpétuité de la direction du Christ spécula­ tive et pratique, et la perpétuité du culte chrétien. b) Critique de la définition bellarminienne 1. En définissant l’Église : « une communauté rassem­ blée sous un même chef, à savoir le Christ et son vicaire sur la terre ; dans un même culte, centré sur le sacrifice de la messe et les sacrements ; dans une même sainteté, celle de la grâce sacramentelle et orientée », il semble qu’on soit tout proche de la définition bellarminienne, 1910 VIH - DÉFINITIONS MINEURES DE L’ÉGLISE partout répandue, qui en appelle aussi à l’unité de foi, à l'unité de culte, à l'unité de chef. Il faudrait alors entendre l'unité de foi, d'une foi vivifiée par la charité; et l'unité de chef, d’une autorité, d’une juridiction capable soit de définir la foi, soit de régler la discipline. On retrouverait ainsi les trois membres de notre défini­ tion : juridiction, culte, sainteté. Mais la définition bellarminienne aurait perdu son sens originel. En réalité, elle n’est qu’une définition à deux membres. Elle se contente d’en appeler à l’unité de culte et à l’unité d’autorité ou de juridiction, celle-ci étant subdivisée selon quelle s’applique soit à définir la foi, soit à régler la discipline. D’où une division apparem­ ment tripartite, où le pouvoir juridictionnel est compté deux fois, comme dictant la profession de foi et comme fixant la discipline. C’est sans mentionner ni la charité ni même la vertu surnaturelle de foi que saint Bellarmin cherche à définir l’Église. Préoccupé, dans le feu de la controverse, d’opposer à l’erreur protestante de l’Église invisible la vérité catholique de l’Église visible, il s’efforce de mettre le plus possible entre parenthèses ce qu’il y a de mystérieux dans l’Église : la grâce, les vertus infuses, les trois divines personnes, pour ne retenir qu’une écorce. Au point d’ou­ blier momentanément ce qu’il sait dans son cœur mieux que personne, étant un saint : à savoir que, si l’Église est visible, ce n’est pas à la manière d’une société naturelle ou de la république de Venise ; c’est comme étant une société surnaturelle et le corps même du Christ. L’Église est visible comme mystérieuse, comme porteuse de sain­ teté, comme porteuse du salut surnaturel du monde. Le Christ était visible comme porteur de tout le mystère des cieux, non comme Caïphe ou Pilate. l’église de la loi nouvelle 1911 2. Voici le texte de saint Bellarmin21 : « Il n’y a qu’une Église, non deux (l’une visible, l’autre invisible). Et cette unique vraie Église est la communauté des hommes ras­ semblée par la profession de la vraie foi chrétienne, et la communion des mêmes sacrements, sous le gouvernement (regimen) des pasteurs légitimes et principalement de l’unique vicaire du Christ sur la terre, le pontife romain. »De cette définition, il est facile de déduire quels hommes appartiennent, ou non, à l’Église. Elle énumère trois conditions : la profession de la vraie foi, la commu­ nion des sacrements, la soumission au pasteur légitime, le pontife romain ». Certaines catégories d’hommes, à qui font défaut ces conditions, sont exclues de l’Église22. En revanche, des pécheurs, « même réprouvés, scélérats, impies», appartiennent à l’Église. A quel titre, on va nous le dire. « Ce qui sépare notre définition de toutes les autres, continue Bellarmin, c’est que toutes les autres requièrent des vertus intérieures pour déclarer quelqu'un membre de l’Eglise ; et elles diront en conséquence que la vraie Eglise est invisible. Pour nous, bien que nous croyions que toutes les vertus se trouvent dans l’Église : foi, espérance, cha­ rité, etc., néanmoins, pour que quelqu’un puisse être d’une certaine manière déclaré membre de cette vraie Église, dont parlent les Écritures, nous ne pensons pas que soit requise de lui aucune vertu intérieure. Il suffit de la 21. De Ecdesia militante, ch. II. Le De Ecclesia militante forme le livre III du De Conciliis et Ecdesia militante, Primi tomi quarta contro­ versia generalis, dernière édition, revue par l’auteur, Ingolstadt, 1599, tome IV, pp. 189-194. 22. Faute de la première condition : les infidèles (Juifs, Turcs, païens), les hérétiques et les apostats. Faute de la seconde : les caté­ chumènes et les excommuniés. Faute de la troisième : les schisma­ tiques. Tout cela est extrêmement sommaire. Mais nous nous sommes suffisamment expliqué ailleurs sur tous ces points. 1912 VIII - DÉFINITIONS MINEURES DE L’ÉGLISE profession extérieure de la foi et de la communion des sacrements, choses que les sens mêmes peuvent consta­ ter. L'Église en effet est une communauté d’hommes aussi visible et palpable que la communauté du peuple romain, ou le royaume de France, ou la république de Venise ». Un peu plus bas, on précise pourtant que « ceux qui, sans aucune venu intérieure, confessent néanmoins la foi sous l’impulsion de quelque espoir ou de quelque crainte temporelle, et communiquent dans les sacrements sous le gouvernement de leurs pasteurs, sont du corps de l’Église, non de son âme\ ils sont dans l’Église ce que les cheveux, les ongles, les humeurs malignes sont dans le corps humain »23. 3. On dirait que, dans cet infortuné chapitre De defi­ nitione Ecclesiae, Bellarmin lui-même se rend compte qu’il s’est mal engagé24. En effet, ce qu’il avait tout d’abord défini comme l’unique vraie Église, à savoir la communauté où la foi est extérieurement professée, les sacrements extérieurement reçus, le gouvernement exté­ rieurement obéi, voici qu’il déclare, maintenant, que cela ne représente en vérité que le corps de l’Église. Quant à 23. Il y a ici de nouvelles confusions. Les anciens, songeant à des pécheurs baptisés en qui se trouvait encore au moins la foi surnatu­ relle informe, disaient que ces pécheurs étaient dans le corps de l’Église, mais non du corps de l’Église, et ils les comparaient aux humeurs malignes qui sont dans notre corps, sans être de notre corps. Mais Bellarmin songe ici à des pécheurs baptisés, en qui il n’y a même plus la foi et l'espérance surnaturelles informes, bref à de purs hypocrites, et il déclare qu’ils sont du corps de l’Église, de corpore Ecclesiae. 24. BOSSUET, qui a emprunté la définition bellarminienne dans sa controverse avec M. Claude, doit bientôt l’abandonner : « Il ne s’agis­ sait pas, comme M. Claude le suppose, de donner une parfaite défi­ nition de l’Église... » l’église de la loi nouvelle 1913 ïâme de l’Eglise, ce sont les dons intérieurs de l’Esprit saint, la foi, l’espérance, la charité. Ainsi l’âme et le corps de l’Église seraient séparables, en sorte qu’on pourrait être du corps de l’Église sans être de son âme, de son âme sans être de son corps, etc...25 4. En résumé : 1° Introduire des données surnaturelles dans la définition de l’Église, ce n’est pas convenir que l’Église est invisible. Pareillement, introduire des don­ nées surnaturelles dans la définition du Christ, ce n’est pas convenir que le Christ était invisible. L’Église et le Christ, précisément, sont visibles comme tels, à savoir comme porteurs d’une mission surnaturelle, et non pas in communi, comme de simples réalités naturelles. 2° A nos yeux, ni les purs hypocrites, ni les hérétiques occultes n’appartiennent à l’Église. Ils ne sont ni de son corps ni de son âme. Le corps et l’âme de l’Église sont inséparables et coextensifs. 3° Les pécheurs baptisés qui ont encore la foi surnaturelle informe, tant qu’ils n’ont point eux-mêmes commis le péché de schisme, appar­ tiennent à l’Église. Pour autant, nous disons qu’ils parti­ cipent d’une certaine manière, non immédiatement salu­ taire, à la charité collective de l’Église. Mais définir l’Église sans la charité, et sans cette union qu’a deman­ dée pour elle le Sauveur avant sa Passion, cela équivaut à définir un homme par son cadavre. 5. Aux donatistes, qui ont arraché à l’Église sa profes­ sion de foi, son culte, ses sacrements, mais qui conti­ nuent de se séparer d’elle par un péché mortel de schisme, saint Augustin explique qu’ils ont tout de l’Église, sauf le principal, à savoir la charité : « Quel est 25. Voir plus haut, pp. 566 et 569 [dans la présente édition : vol. II, pp. 929 et 934]. 1914 VIH - DÉFINITIONS MINEURES DE L’ÉGLISE le bien qu’on ne peut recevoir en propre que dans l’Église, laquelle est le saint corps du Christ, et qu’on ne peut recevoir indépendamment d’elle ?... Lis la première Épître aux Corinthiens, et tu trouveras. Le baptême est le sacrement de la vie nouvelle et du salut éternel ; pour­ tant beaucoup l'ont, non pour la vie éternelle, mais pour la peine éternelle, usant mal d’un si grand bien. Mais la sainte charité, qui est le lien de la perfection, nul ne l’a sans être bon, nul ne l’a s’il est ou schismatique ou héré­ tique. Lors donc que quelqu’un, venant à l’unité de l’Église, s’agrège vraiment à ses membres, qu’il reçoive l’Esprit saint, par qui la charité est diffusée dans nos coeurs... »2627 A cet endroit, saint Augustin n’envisage pas le cas de dissidents de bonne foi. Ils pourraient avoir la charité, même sacramentelle, mais elle ne serait pas encore plei­ nement chrétienne, pas encore orientée par le pasteur à qui le Christ a confié ses brebis. Il n’y a donc pas à abandonner la définition de saint Augustin et à abstraire de la charité en définissant l’Église. Il faut simplement la compléter. c) Définitions synthétiques 1. En cherchant à définir l’Église d’une manière plus brève et synthétique2 , où l’on hiérarchise et sous-entend beaucoup de ses éléments nécessaires, pour mettre en lumière son élément formel, on dira, en retouchant une formule déjà signalée de Cajetan : L'Église est la communauté rassemblée par la charité pleinement chrétienne, c’est-à-dire par la charité sacramen­ telle et orientée. 26. Contra Cresconium donatistam, livre II, ch. XIII, n° 16. 27. Cf. Définition synthétique de l’âme créée de l’Église, plus haut, p. 1085. l’église de la loi nouvelle 1915 C’est une définition par les seules causes intrinsèques : la cause matérielle, à savoir une communauté d’hommes voyageurs ; et la cause formelle, à savoir la charité sacra­ mentelle et orientée, dont nous avons dit quelle est lame créée de l’Église. Les pouvoirs cultuels sont prérequis pour que la charité soit sacramentelle ; les pouvoirs juridictionnels, parmi lesquels le primat du pontife romain, sont prérequis pour quelle soit orientée. La foi et l’espérance théologales sont prérequises pour qu’il y ait charité. Mais il y a des pécheurs dans l’Église ? et des justes hors de l’Église ? Certes, les pécheurs baptisés qui conservent la foi sur­ naturelle informe, et qui n’ont pas commis personnelle­ ment le péché de schisme, sont encore membres de l’Eglise ; mais ils ne le sont plus à la manière des justes. Justes et pécheurs ne sont pas ex aequo membres de l’Église : une Église toute de justes serait concevable, ce sera l’Église du ciel ; une Église toute de pécheurs, privée de la charité, ne représenterait plus, en regard de la révé­ lation évangélique, qu’un concept impossible, contradic­ toire. Pour autant qu’ils adhèrent encore à l’Église et refusent le péché de schisme, c’est à la charité collective de l’Église, à sa charité sacramentelle et orientée, que participent ces pécheurs, non pas certes comme les justes d’une manière formelle et salutaire, mais d’une manière fluente, instrumentale, non immédiatement salutaire, en tant qu’ils continuent pour une part d’être entraînés dans le sillage de cette Église avec laquelle, intérieure­ ment, ils ne veulent pas rompre. Et les justes qui ignorent encore, méconnaissent, ou même combattent, l’Église, puisqu’ils ont par définition la vraie charité théologale au cœur, convergent tous, à leur su ou insu, vers ce lieu spirituel où la charité théolo­ gale et pleinement épanouie, pleinement chrétienne, 1916 VIII - DÉFINITIONS MINEURES DE L’ÉGLISE c’est-à-dire pleinement communiquée par les sacrements du Christ et pleinement orientée par la juridiction du Christ : à la manière dont une tige tend réellement vers sa fleur quelle ne saurait pourtant imaginer ni si diffé­ rente d’elle, ni si pareille à elle. Ils appartiennent déjà maintenant, en acte commencé, à l'unique Eglise de Pierre, en qui seule la charité théologale peut s’achever. Elle ignore peut-être encore leurs noms, ils ignorent peut-être encore le sien ; mais déjà « le Seigneur connaît ceux qui sont à lui » (II Tim., II, 19)28. 2. En faisant appel aux causes extrinsèques on pourra dire : L'Eglise est la communauté que le Christ, par la hiérar­ chie, unit dans la charité sacramentelle et orientée, en vue de rassembler l’univers d’après la chute, tout d’abord dans le sang de sa croix, ptcis dans la gloire de sa parousie. Les quatre causes de l’Église sont touchées, auxquelles correspondent ses quatre grandes propriétés. 1° La cause efficiente suprême, c’est-à-dire le Christ ; et les causes ministérielles, c’est-à-dire les pouvoirs hiérarchiques, confiés aux apôtres et à leur succession ininterrompue: d’où Γapostolicité. 2° Les causes matérielle et formelle, c’est-à-dire l’humanité d’après la chute, à réunir dans la charité pleinement chrétienne : d’où Γunité catholique ou universelle. 3° La cause finale, c’est-à-dire l’humanité 28. Les définitions de HUGUES DE SAINT-VICTOR, De sacramentis, livre II, pars 2a, ch. I et Π, sont encore flottantes. Après avoir rappelé que l’Église est le corps du Christ, vivifié par l’Esprit saint, passant aux causes créées, il précise que ce corps est uni par la foi donnée au baptême, et vivifié par la charité donnée par le corps et le sang du Christ. Voici une des formules auxquelles il aboutit : « L’Église sainte est le corps du Christ ; elle est vivifiée par un seul Esprit, unie par une foi unique, et sanctifiée». P. L., t. CLXXVI, col. 416. Voir plus haut, p. 1554. l’église de la loi nouvelle 1917 déchue à incorporer d’abord au Christ en croix, puis au Christ en gloire : d’où la sainteté. Reprenons ce rattachement des quatre propriétés de l’Eglise à ses quatre causes29. 1° C’est une puissance plus haute que tout l’univers qui, partant du Christ-Dieu, et traversant la succession ininterrompue de la hiérarchie apostolique, forme et soutient l’Église dans le temps à l’encontre de toutes les forces naturelles et préternatu­ relles de désintégration. L’Église, du côté de ses causes efficientes, est donc apostolique par essence : la propriété de l’apostolicité est un grand mystère de foi. L’effet, constatable dans l’histoire, de cette mystérieuse propriété de l’Eglise, c’est le miracle de sa constance : voilà la note de l’apostolicité. 2° C’est toute l’humanité déchue que les prévenances divines convient à s’unir dans la grâce pleinement chrétienne, c’est-à-dire sacramentelle et orientée. Ces prévenances atteignent en effet tous les hommes, dès l’éveil de leur conscience morale, soit à tra­ vers la hiérarchie par des grâces de contact, capables de les incorporer tout de suite pleinement au Christ ; soit au moins par des grâces à distance, capables de les incor­ porer au Christ initialement et déjà salutairement : l’in­ corporation initiale par les grâces à distance, étant de soi ordonnée à l’incorporation achevée des grâces de con­ tact. Présentée à tous les hommes, soit dans sa plénitude, soit au moins dans ses préparations, aux fins de les unir dans la pleine charité du Christ, l’Église est donc par essence une et catholique, absolument transpolitique et transculturelle : la propriété de l’unité catholique est un grand mystère de foi. Le signe constatable de cette mysté­ rieuse unité catholique, c’est le miracle, discernable dès que l’observateur s’élève au-dessus du plan des purs phé­ nomènes, d’une certaine qualité de rassemblement dans 29. Voir plus loin, p. 1930. 1918 Vlll - DÉFINITIONS MINEURES DE L’ÉGLISE le Christ qui triomphe de la diversité, de la médiocrité et de la méchanceté des hommes : voilà la note de l’unité catholique. 3° C’est par le dessein même qui l’a fondée que l'Eglise a pour fin d'incorporer l’humanité déchue d'abord à la sainteté du Christ en croix, puis à la sainteté du Christ en gloire. Elle est donc, par sa destination fon­ cière, christoconformante et déiconformante : la pro­ priété de sainteté et de christoconformité est un grand mystère de foi. Le signe de cette mystérieuse sainteté est l’apparition au sein d’un monde dont la pesanteur s’ac­ croît, d’un miracle toujours renouvelé de fraîcheur et de liberté intérieure dont le Christ est, aujourd’hui, hier, éternellement, le pôle : voilà la note de la sainteté. d) Définitions comparatives : l’Église et la cité poli­ tique 1. La définition comparative est rendue nécessaire par la dualité des choses qui doivent aller immédiatement à Dieu (ce sont les choses spirituelles) et des choses qui doivent aller immédiatement à César et médiatement à Dieu (ce sont les choses temporelles). Cette dualité est faite pour durer autant que notre temps historique. Mais elle est provisoire. Au dernier jour, l’ordre des choses de César sera englouti dans l’ordre des choses divines: « Ensuite viendra la fin, quand il remettra le royaume à Dieu et au Père, après avoir détruit toute domination, toute autorité et toute puissance..., afin que Dieu soit tout en tous» (I Cor., XV, 24 et 28). L’Église de Dieu, simplement en laissant paraître au-dehors un rayon de sa propre gloire, dissipera pour jamais l’ordre de César. 2. Il y a, dans l’ordre spirituel, une société suprême, subsistant par soi, c’est l’Église. Et il y a, dans l’ordre tem­ porel, une société suprême, subsistant par soi, l’État, l’église de la loi nouvelle 1919 considéré ici clans ses prétentions légitimes. Nous appe­ lons État, la société, plus exactement la puissance poli­ tique suprême, quelle soit nationale, internationale, supranationale30. Le mot de « société parfaite » convient dès lors à l’Église et à l’Etat. Non certes d’une manière univoque, mais d’une manière proportionnelle et analo­ gique. Il n’y a qu’une similitude de proportionnalité et d’analogie entre : a) le bien commun spirituel de la vie de la grâce et de la gloire, qui seul est fin ultime ; et le bien commun temporel de la culture qui n’est qu’une fin infravalente et provisoire ; b) entre la vertu surnaturelle communiquée au Christ et aux apôtres pour fonder et soutenir l’Église, en qui le monde déchu est réconcilié avec Dieu ; et la vertu naturelle communiquée aux hommes pour fonder et soutenir leurs cités ; c) entre la charité pleinement chrétienne, lien interne de l’Église, et la convergence des volontés en vue d’intérêts purement humains, lien interne de l’État ; d) entre la puissance passive naturelle de l’homme à l’égard du bonheur humain, et la puissance passive obédientielle ou capacité passive de l’homme d’être élevé, si Dieu le veut, jusqu’à la béatitude céleste. 3. Les mêmes hommes devront donc appartenir simultanément à deux sociétés dont chacune est parfaite dans son ordre : l’une intrinsèquement territoriale et 30. Pour la définition exacte, telle que la requiert une saine philo­ sophie politique, des notions de nation, de corps (ou société) politique, à État, et pour la critique de la notion de souveraineté comme préro­ gative de l’État, voir Jacques Maritain, Man and the State, Chicago, 1951, pp. 1-53 [O. C., DC, pp. 481-539]. L’auteur constate qu’en l’absence d’une société politique mondiale de nature pluraliste, ce sont les corps politiques historiques qui représentent aujourd’hui, d'une manière sans doute déficiente, le concept ancien de société par­ faite. Ibid., p. 199 [ibid., p. 716]. 1920 r VIII - DÉFINITIONS MINEURES DE L’ÉGLISE temporelle, qui est infravalente et provisoire; l’autre, intrinsèquement aterritoriale31 et spirituelle, qui est ultime et définitive. Cette coexistence de l’Église et de l’Etat, comme deux sociétés parfaites, que le Christ a créée par sa distinction des choses qu’il faut donner directement à Dieu et des choses qu’il faut donner direc­ tement à César et indirectement à Dieu, ne va malheureusement pas sans conflits32. En regard de l’État et des prétentions injustifiées qu’il pourra formuler, l’Église aura donc à se définir. On pourra dire, par exemple, en empruntant tous les éléments de cette définition aux textes de l’Encyclique Immortale Dei, de Léon XIII, du 1er novembre 1885 : a) L’Église est une société juridiquement parfaite dans son ordre {societas genere et jure perfecta) ; composée d’hommes comme la société civile (ex hominibus constat non secus ac civilis communitas) ; mais adressée à l’huma­ nité tout entière sans limites de temps et de lieu (porrigit se ad totius complexum gentis humanae, nullis nec locorum nec temporum limitibus circumscripta). Voilà pour la cause matérielle ; 31. Cf. L’Église du Verbe incarné, r. I, p. 226 [dans la présente édi­ tion : vol. I, p. 408]. 32. Aussi Jean-Jacques ROUSSEAU déplorait-il l’innovation du Sauveur : « Ce fut dans ces circonstances que Jésus vint établir sur la terre un royaume spirituel : ce qui, séparant le système théologique du système politique, fit que l’État cessa d’être un, et causa les divi­ sions intestines qui n’ont jamais cessé d’agiter les peuples chrétiens... Il a résulté de cette double puissance un perpétuel conflit de juridic­ tion, qui a rendu toute bonne politic impossible dans les États chré­ tiens ; et l’on n’a jamais pu venir à bout de savoir auquel, du maître ou du prêtre, on était obligé de servir». Contrat social, livre IV, ch. Vin, De la religion civile. La « bonne politic » serait donc totali­ taire, par élimination d’un des deux termes en présence, disons du christianisme. l’église ωε la loi nouvelle 1921 b) elle se distingue en outre de la société civile {distin­ guitur ac differt a societate civili ) : d’abord par son Fondateur, qui est le Fils unique de Dieu {unigenitus Dei Filius societatem in terris constituit, quae Ecclesia dicitur) ; puis par son pouvoir juridictionnel - le pouvoir cultuel, n’entrant pas directement en ligne de comparaison, n’est pas nommé - qui, étant le plus élevé qui soit, ne saurait être soumis au pouvoir civil {potestas omnium praestantissima, neque imperio civili inferior, aut ullo modo obnoxia), et qui comporte entre autres - le magistère n’est pas nommé - des pouvoirs législatifs, judiciaires, coercitifs propres {facultas ferendarum legum, potestas judicandi puniendiqué). Voilà pour les causes efficientes ; c) elle se distingue encore de la société civile par sa fin, la plus noble de toutes ( finis quo tendit Ecclesia, longe nobilissimus est), à savoir le salut éternel des âmes {habet propositum, tamquam finem, salutem sempiternam animo­ rum). Voilà pour la cause finale ; d) elle se distingue enfin de la société civile par sa manière de tendre à la fin, c’est-à-dire par son lien interne, en raison duquel elle est surnaturelle et spiri­ tuelle {supernaturalis et spiritualis propter... instrumenta quibus adfinem contendit). 4. Plus succinctement, on pourra dire, en condensant et en même temps complétant cette définition : La notion de société parfaite, lorsqu’on la transpose de l’État à l’Église, royaume de Dieu qui est dans ce monde sans être de ce monde, doit être prise certes au sens propre, mais d’une manière analogique, l’Église étant essentiellement distincte de l’État : 1° par ses causes efficientes, qui sont, non pas les initia­ tives naturelles et culturelles des hommes, mais les initia­ tives surnaturelles et spirituelles : tout d’abord du Christ, puis des pouvoirs hiérarchiques émanés de lui, à savoir 1922 VIII - DÉFINITIONS MINEURES DE L’ÉGLISE les pouvoirs d'ordre, et les pouvoirs de juridiction, divinement assistés, soit pour définir le dogme (pouvoir déclaratif infaillible), soit pour régler la discipline (pouvoirs canoniques prudentiels : législatif, judiciaire, coercitif) ; 2° par sa cause finale, qui est non pas le bien commun périssable de la paix du temps, mais le bien commun impérissable de la paix de la vision béatifique ; 3° par sa cause matérielle, qui est non pas la capacité passive naturelle des hommes à être rassemblés en com­ munautés territoriales en vue de leurs intérêts d’un moment, mais leur capacité obédientielle à être rassem­ blés en une communauté unique, intrinsèquement aterritoriale en vue de leur béatitude suprême ; 4° par sa cause formelle, qui est non pas le convivium des cités politiques, mais le convivium de la cité des élus, des anges, des personnes divines : « Vous êtes les conci­ toyens des saints et les familiers de la maison de Dieu» (Ephés., Il, 19). «Vous vous êtes approchés de la mon­ tagne de Sion et de la cité du Dieu vivant, la Jérusalem céleste, et des myriades des anges... » (Hébr., XII, 22). 4. Conclusion « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole..., et nous viendrons vers lui et nous ferons notre demeure chez lui» (Jean, XIV, 23). Une certaine qualité d’amour, à'agapè, impossible avant le Christ, et une certaine manière de garder sa parole, appellent une venue, et une inhabitation des personnes divines dans le monde, impossible avant le Christ: «Jésus dit cela de l’Esprit que devaient recevoir ceux qui croyaient en lui : car l’Esprit n’était pas encore donné, car Jésus n’avait pas encore été glorifié » (Jean, VII, 39). L’ÉGLISE DE IA LOI NOUVELLE 1923 Où la grâce créée est pleinement chrétienne, la grâce incréée de I’inhabitation des personnes divines est par­ faite. Réciproquement, où I’inhabitation des personnes divines est parfaite, la grâce est pleinement chrétienne. Ces deux grâces, l’une créée, l’autre incréée, sont simul­ tanées et inséparables. Du point de vue de la causalité matérielle et dispositive, c’est la grâce créée qui prépare les cœurs à I’inhabitation divine : il faut que les ténèbres se dissipent pour faire place à la lumière. Mais, du point de vue de la causalité efficiente et formelle, ce sont les personnes divines qui, en venant dans les cœurs, les rem­ plissent de la grâce créée : c’est la lumière elle-même, en effet, qui, par sa venue, dissipe les ténèbres. On peut donc définir l’Eglise par ses causes créées, principalement par la grâce pleinement chrétienne ; ou par ses Causes incréées, le Christ, l’Esprit, les personnes divines. Dans le premier cas, on aboutit aux définitions mineures, qui sont plus aisées à préciser et à circonscrire. Dans le second cas, on aboutit aux définitions majeures, qui ouvrent au-dessus de nos têtes les dernières profon­ deurs du mystère de l’Église. La formule de saint Ambroise : « Où est Pierre, là est l’Église ; où est l’Église, il n’y a pas de mort, mais la vie éternelle »33, est une défini­ tion mineure. La formule de saint Irénée : « Où est l’Église, là est l’Esprit de Dieu ; et où est l’Esprit de Dieu, là est l’Église, et toute la grâce »34, est une définition majeure. Les deux sortes de définitions sont entremêlées par saint Paul, quand, à l’unité des trois personnes divines : l’Esprit, le Seigneur, le Père, il joint l’unité de rassemblement des chrétiens, l’unité d’espérance de leur vocation, l’unité de leur doctrine de foi, l’unité de leur 33. Enarr. in Ps. XL, n° 30 ; P. L., t. XIV, col. 1082. 34. Contra haereses, livre III, ch. XXIV, n° 1 ; P. G., t. VII, col. 966. i 1924 VIII - DÉFINITIONS MINEURES DE L’ÉGLISE baptême : « Il y a un seul corps et un seul Esprit, comme aussi vous avez été appelés à l’espérance, qui est une, de votre vocation ; un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême ; un seul Dieu et Père de tous, présent au-dessus de tous, à travers tous, et en tous » (Éphés., IV, 4-6). TROISIEME PARTIE îl· «» PROPRIÉTÉS DE L’ÉGLISE EN TANT QUE COMPOSÉE D’ÂME ET DE CORPS J CHAPITRE IX L’UNITÉ CATHOLIQUE Après avoir décrit l’essence de l’Église, c’est-à-dire sa personnalité, son âme incréée et son âme créée, son corps, il reste à parler de deux propriétés qui découlent immédiatement de cette essence et dont l’Église est, pour ainsi parler, tout entière imbibée : l’unité, quelle tient de son âme et la catholicité, quelle tient de son corps. Ces deux propriétés mystérieuses sont comme manifestées au-dehors par l’éclat miraculeux des deux notes d’unité et de catholicité qui leur correspondent. I. DE L'ÉGLISE COMME MYSTÈRE ET COMME MIRA CLE A la ressemblance de Jésus, l’Église est à la fois mysté­ rieuse par son essence et miraculeuse par son éclat. 1. Le mystère en Jésus et en son Église ; le miracle en Jésus et en son Église Comme le Christ, l’Église est, d’une part, un mystère pour la foi divine, et d’autre part un miracle pour la rai­ son naturelle. 1928 IX - l’unité catholique Le mystère de Jésus est le mystère, non simplement de sa divinité, mais de cette divinité unie hypostatiquement ou personnellement à un corps pareil au nôtre : ce n’est pas un mystère tout spirituel, comme la Trinité ; c’est un mystère mixte, le mystère de l’incarnation. De même, le mystère de l’Eglise est le mystère, non simplement de l’Esprit saint, de la divinité, mais de cet Esprit saint, de cette divinité unie aux hommes par l’inhabitation de la charité : ce n’est pas, ici encore, un mystère tout spirituel ; c’est un mystère mixte, qui se rattache au mys­ tère de l’incarnation, selon la comparaison de l’apôtre, comme le corps se rattache à la tête. Du fait que Jésus était le Verbe fait chair, son compor­ tement extérieur, au regard de ceux qui, même en igno­ rant son mystère, restaient cependant capables de com­ parer entre elles les vies humaines et de porter sur elles des jugements de valeur, apparaissait comme un miracle : c’est le miracle de Jésus. De même, du fait que l’Église est la résidence de l’Esprit saint, son comporte­ ment extérieur, au regard de ceux qui, même en ignorant son mystère, restent pourtant capables de comparer entre elles les diverses formations humaines et de porter sur elles des jugements de valeur, apparaît comme un miracle : c’est le miracle de l’Église ; il se rattache au miracle de Jésus comme les rayons du soleil à leur source. La même réalité incarnée, à savoir d’une part la vie de Jésus et d’autre part la vie de l’Église, est saisie adéquate­ ment dans son essence comme un mystère par la foi théo­ logale, et inadéquatement dans son éclat comme un miracle par la raison naturelle. LE MYSTÈRE DE L’UNITÉ CATHOLIQUE 1929 2. Propriétés mystérieuses et notes miraculeuses de l’Église Si l’on appelle propriétés de l’Eglise ses quatre grandes manières d’être caractéristiques qui résultent immédiate­ ment de ses quatre causes et tiennent intimement et inséparablement à sa constitution, on dira que les pro­ priétés de l’Église sont mystérieuses, comme son essence, et quelles ne peuvent tomber que sous le regard de la foi divine théologale. En ce sens, le Symbole de Nicée-Constantinople proclame: « Je crois... l’Église une, sainte, catholique et apostolique ». Si l’on appelle signes ou notes de l’Église les quatre mêmes propriétés, saisies non plus adéquatement par la foi dans leur totalité mystérieuse, mais inadéquatement dans leur éclat extérieur, on dira que les quatre notes de l’Église sont miraculeuses et quelles tombent en tant que telles sous ce regard de notre raison naturelle qui est capable de discerner et de peser les valeurs métaphy­ siques et morales. En ce sens, le concile du Vatican déclare que « l’Église, elle-même, par soi : à cause de son admirable propagation, de sa sainteté éminente et de son inépuisable fécondité en toutes espèces de biens ; à cause de son unité catholique ; et à cause de sa stabilité invin­ cible, est comme un grand et perpétuel motif de crédibi­ lité, et un témoignage irréfragable de la divinité de sa mission. En sorte quelle apparaît comme un signe levé au milieu des nations, invitant à elle ceux qui n’ont pas encore la foi, et assurant ses propres enfants que la foi qu’ils professent s’appuie sur le plus ferme des fonde­ ments »’. Nous parlerons d’abord de l’unité catholique comme propriété mystérieuse de l’Église, tombant sous le regard 1. Session III, ch. III, Denz., n° 1794. 1930 IX - l’unité catholique de la foi théologale ; puis de l’unité catholique comme note miraculeuse de l’Église, tombant sous le regard de la raison métaphysique. IL DE L'UNITÉ CATHOLIQUE COMME PROPRIÉTÉ MYSTÉRIEUSE DE LÉGLISE Définir le mystère de l’unité catholique, c’est encore définir le mystère de l’Église elle-même, mais sous l’angle de son unité catholique. En effet, entre l’essence d’un être et ses propriétés métaphysiques, l’identité est réelle et la distinction seulement conceptuelle. 1. Rattachement aux quatre causes de l’Église, de SES QUATRE PROPRIÉTÉS, ET DE SES QUATRE NOTES2 1° C’est XEsprit saint, c’est la Trinité, personnalité effi­ ciente suprême de l’Église, qui, moyennant l’humanité du Christ, personnalité efficiente instrumentale, utilise non pas exclusivement - car bien des grâces sont don­ nées par le Christ à distance - mais nécessairement la hiérarchie apostolique conservée par une succession inin­ terrompue, pour former et maintenir son Église dans le monde, et la conduire, avec une infaillible vertu, du sein des tribulations présentes jusqu’à la rencontre de la parousie glorieuse du Seigneur. L’Église, par la hiérarchie apostolique, est constitutivement suspendue à ses causes divines. Voilà ce qu’on veut dire quand on confesse dans 2. Voir plus haut, p. 1917. LE MYSTÈRE DE L’UNITÉ CATHOLIQUE 1931 le Credo que l’Église est, en raison de ses causes effi­ cientes, apostolique ; voilà la propriété mystérieuse de l’apostolicité. L’effet de cette propriété, c’est la note de l’apostolicité, à savoir la stabilitas, la constance, d’ailleurs prophétisée, d’une communauté ininterrompue qui, dans les catastrophes de l’histoire, se réclame du Christ, de son pouvoir cultuel, de son autorité spirituelle, de sa sainteté intérieure. 2° L’Esprit saint, la Trinité, agissant à travers le Christ et la hiérarchie apostolique, a pour fin de rassembler toute ï humanité déchue dans la charité pleinement chris­ tique, qui lui prépare ici-bas le seul lieu de sa pleine rési­ dence: «Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera, et nous viendrons à lui et nous ferons notre demeure chez lui » (Jean, XIV, 23). Les prévenances de la grâce atteignent en effet tous les hommes, au moins à l’éveil de leur conscience morale, pour les incor­ porer au Christ, soit pleinement par les grâces de contact, soit initialement par les grâces à distance ; les hommes mêmes qui ont précédé le Christ ont été visités par des grâces destinées à les incorporer à lui par antici­ pation, initialement. Toutes ces grâces, ayant pour effet, dans la mesure où elles sont accueillies, d’associer de près ou de loin tous les hommes de l’univers à la pleine cha­ rité que le Christ est venu apporter sur la terre, il est clair que l’Église, qu’il prépare depuis le commencement du monde, qu’il rassemble lui-même autour de Pierre, et par qui sont secrètement aimantées toutes les grâces données au monde, est, par sa structure essentielle, abso­ lument catholique (cause matérielle) et absolument une (cause formelle). Voilà ce qu’on veut dire quand on confesse avec le Credo, dans la nuit translumineuse de la foi, le mystère de l’unité catholique de l’Église. L’éclat extérieur, constatable par la raison naturelle, de cette 1932 LX - l’unité catholique unité catholique, s’appellera la note, le miracle de l’unité catholique. 3° Si l’Esprit saint, moyennant le Christ et la hiérar­ chie, s’efforce de rassembler l’humanité déchue, comme en zones concentriques, sous le lien de la grâce pleine­ ment christique, c’est-à-dire sacramentelle et orientée, c’est en vue de l’incorporer, de la configurer toujours plus intimement au Christ d’abord souffrant et mou­ rant, puis ressuscité et glorifié. La conformité progressive à la sainteté d’abord crucifiée, puis ressuscitée, du Christ, spécifie l’Église du côté de sa cause finale ; elle s’inscrit dans la destinée structurelle de l’Église : l’Église ne sau­ rait exister, fût-ce un instant, sans cette ouverture sur le Christ, sans cette irrépressible tendance à la christoconformité, ici-bas par les épreuves de la foi, plus tard par la gloire de la vision. Voilà ce qu’on veut dire quand on confesse dans le Credo, avec la certitude absolue de la foi, que l’Église par sa constitution est sainte. L’éclat extérieur, constatable par la raison naturelle, de cette mystérieuse propriété de l’Église, est la note ou le miracle de la sainteté. IL Solidarité de destinée des causes, des propriétés, DES NOTES, DANS L’ÉGLISE, LES DISSIDENCES, LES FORMATIONS NON CHRÉTIENNES C’est parce que l’Église est apostolique quelle peut unir dans la grâce pleinement christique toute l’humanité déchue, en vue de la rapprocher chaque jour de la sainteté du Christ. Si les quatre causes constitutives de l’Église sont métaphysiquement inséparables, les quatre propriétés essentielles de l’Église sont, elles aussi, insépa- LE MYSTÈRE DE L’UNITÉ CATHOLIQUE 1933 râbles ; et les quatre notes, qui découlent des quatre pro­ priétés, seront inséparables. Quand l’une des propriétés est plénière, les trois autres sont plénières ; et les quatre notes, pareillement. C’est le lieu de l’Église en acte achevé, vue dans la pléni­ tude de son mystère et de son miracle. Dans la mesure où, chez les justes dissidents, ou chez les justes du judaïsme, ou chez les justes de l’islam et des formations non chrétiennes, se rencontre quelque chose de l’une des propriétés de l’Église, se rencontrera pareillement quelque chose des trois autres, et pour autant des quatre notes. C’est le lieu de l’Église en acte commencé, vue dans l’aube seulement de son mystère et de son miracle. Dans la mesure, au contraire, où l’une des causes de l’Église est mutilée, la propriété correspondante est mutilée, et les trois autres pareillement ; et aussi les quatre notes. III. Explication de l’unité catholique On peut essayer de définir davantage l’unité catho­ lique. 1. Définition étymologique 1. L’expression d’unité catholique, dans laquelle on bloque deux propriétés corrélatives de l’Église, l’unité tenant à son âme et la catholicité tenant à son corps, est presque un pléonasme : on a déjà tout dit en disant catholicité. Étymologiquement, en efifet, le mot grec catholique, comme l’équivalent latin universel, signifie ce 1934 IX - l’unité catholique qui embrasse et lie la multiplicité, l’un qui, en se com­ muniquant, rassemble le divers. 2. Le mot catholique est appliqué à l’Église pour la première fois par saint Ignace d'Antioche, dans XÉpître aux Smyrniotes 3, précisément pour désigner l’Église uni­ fiée par le Christ et partout répandue dans le monde: «Attachez-vous à X évêque comme Jésus Christ à son Père, attachez-vous au presbyterium comme vous le seriez aux apôtres ; et pour les diacres, vénérez-les comme un commandement de Dieu. Que personne ne fasse jamais rien sans l’évêque de ce qui concerne l’Église. Ne regar­ dez comme valide que l’Eucharistie célébrée sous la pré­ sidence de l’évêque ou de son délégué. Que partout où paraît l’évêque, là aussi soit la multitude ; de même que partout où est le Christ Jésus, là est l'Église catholique. » Dans le Martyre de saint Polycarpe, l’expression d’Église catholique au sens d’Église universelle revient deux fois : « L’Église de Dieu qui séjourne à Smyrne, à l’Église de Dieu qui séjourne à Philomélium, et à toutes les résidences (paroikiai) partout dispersées de l’Eglise sainte et catholique, etc...45» Un peu plus loin, on déclare que Polycarpe, maintenant, « glorifie Dieu, le Père tout puis­ sant, et bénit notre Seigneur Jésus-Christ, le Sauveur de nos âmes, le Pilote de nos corps, le Pasteur de l’Église répandue sur toute la terre (oikouménè) et catholique P. 3. Ch. vin. 4. Suscription. 5. Ch. XIX, n° 2. - Toute Église particulière appartenant à l’Église catholique peut être à son tour appelée catholique, pour autant quelle représente d’une manière authentique et orthodoxe la grande Église. C’est en ce sens qu’après avoir opposé les infidèles et les élus, le Martyre, ch. XVI, n° 2, range, parmi les élus, Polycarpe, l'évêque de l'Église catholique de Smyrne. La catholicité devient signe de vérité es à' orthodoxie. LE MYSTÈRE DE L’UNITÉ CATHOLIQUE 1935 2. Définitions théologiques 1. On pourrait dire, en fonction des définitions mineures de l’Église : Limité catho liqueou catholicité, cest lÉglise, en tant que rassemblant, dans la communion de la charité sacra­ mentelle et orientée (voilà l’unité), la dispersion de l'huma­ nité déchue (voilà la diversité). D’une manière plus analytique, on dira : L’unité catholique est l’unité de ceux qui participent au sacerdoce du Christ par les pouvoirs ou caractères sacramentels ; à sa royauté par les pouvoirs juridiction­ nels capables de définir la foi et de régler la discipline ; à sa sainteté par la grâce pleinement chrétienne, c’est-à-dire reçue par les sacrements et orientée par les pouvoirs juri­ dictionnels. Ou encore : C’est l’unité rassemblée dans le culte inauguré par le Christ et continué validement par le sacrifice de la messe et la dispensation des sacrements ; dans l’autorité spirituelle assistée par le Christ pour définir la foi et régler la discipline ; dans la sainteté d’une charité pleinement chrétienne, c’est-à-dire issue des sacrements du Christ et orientée par les directives du Christ. 2. En fonction des définitions majeures de l’Église, on dira, en empruntant les formules de saint Paul : l’unité catholique, ou catholicité, c’est le mystère de la volonté divine, décidant, quand viendrait la plénitude des temps, « de récapituler dans le Christ (voilà l’unité) toutes choses (voilà la diversité), celles qui sont dans les deux et celles qui sont sur la terre » (Éphés., I, 10). C’est le bon plaisir divin, « par et dans le Christ, en faisant la paix dans le sang de sa croix, de réconcilier (voilà l’unité) toutes choses (voilà la diversité), celles qui sont sur la terre et celles qui sont dans les deux» (Col., I, 20). 1936 IX - l’unité catholique Ailleurs, l’apôtre explique que les deux régimes distincts qui formaient l’Eglise vers la fin de son temps de prépa­ ration, à savoir le régime de la loi de nature et le régime de la loi mosaïque, sont assumés dans le régime supé­ rieur de la loi nouvelle ; cette assomption, c’est l’Église dans son acte achevé, pleinement une et catholique: « C’est lui le (Christ) qui est notre paix, ayant fait des deux (peuples) un seul (peuple), et ayant renversé le mur de séparation, l'inimitié... Il est venu évangéliser la paix à vous qui étiez loin, et la paix à ceux qui étaient proches ; car par lui nous avons accès les uns et les autres, en un seul Esprit, jusqu'au Père» (Ephés., II, 14 à 18). Saint Jean, ayant rapporté le mot de Caïphe, ajoute : « Or il ne dit pas cela de lui-même ; mais, étant grand prêtre cette année-là, il prophétisa que Jésus devait mourir pour sa nation ; et non seulement pour sa nation, mais encore afin de rassembler en un seul (tout) les enfants de Dieu qui sont dispersés » (Jean, XI, 51-52). 3. On pourra dire, dans une formule explicitée : L'unité catholique, la catholicité, c'est Pacte de l'Esprit saint, de la Trinité, qui, par la croix du Christ et les voies que le Christ nous a découvertes (causes efficientes incréées et créées), restaure si mystérieusement dans la grâce chré­ tienne (cause formelle inhérente) les hommes déchïts (cause matérielle), qu'ils lui deviennent dès ici-bas une habitation de surcroît (causes formelle et finale incréées). Plus brièvement : La catholicité, c'est le Dieu d'Amour qui, à travers la croix, embrasse l'humanité. C’est presque mot pour mot la mystérieuse révélation du Sauveur : « Et moi, quand j’aurai été élevé de terre, je tirerai tous les hommes à moi » (Jean, XII, 32). LE MYSTÈRE DE L’UNITÉ CATHOLIQUE 1937 3. La base des définitions théologiques Voilà l’unité catholique de l’Église. Elle n’est pas l’unité du brahmanisme, du bouddhisme, du confucia­ nisme, de l’islam. Elle n’est ni l’unité du capitalisme ni celle de l’hitlérisme ou du communisme. Ce n’est pas la science historique qui a mission de nous enseigner ce qu’est en elle-même cette unité : qu’il s’agisse de l’histoire des sociétés humaines, ou de l’his­ toire des religions, ou même de l’histoire de l’Église6. Seule la révélation divine a pu nous annoncer les pro­ fondeurs d’un mystère que nous tenons par les certitudes de la foi théologale. Les pouvoirs sacramentels et leur mystérieuse efficacité, les pouvoirs juridictionnels et leur divine assistance, la réalité de la grâce et de ses vertus sacramentelles, tout cela relève de la révélation crue dans la nuit translumineuse de la foi. 4. L’unité catholique est essentiellement une unité de charité On l’a vu, définir l’unité catholique, c’est définir l’Eglise elle-même, considérée comme un rassemblement dans le Christ de l’humanité déchue. Et s’il est impos­ sible de définir l’Église sans y inclure la charité, il est pareillement impossible de définir le mystère de l’unité catholique sans faire appel à l’amour : « Je ne prie pas seulement pour ceux-ci, mais aussi pour ceux qui sur leur parole croiront en moi : afin que tous soient un, comme toi-même, Père, tu es en moi et moi en toi ; afin qu’eux aussi soient en nous, en sorte que le monde croie 6. Sur l’histoire de l’Église considérée comme discipline scienti­ fique et distincte de la théologie de l’histoire du salut, cf. Introduction à la théologie, Paris, 1947, p. 168 [IVe partie, § I, n° 6]. 1938 IX - l'unité catholique que tu m’as envoyé. Pour moi, je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée : afin qu’ils soient un comme nous sommes un, moi en eux et toi en moi ; afin qu’ils soient consommés dans l’unité, en sorte que le monde sache que ru m’as envoyé et que tu les as aimés comme tu mas aimé» (Jean, XVII, 20-23). On a écrit : « Dans le discours où Jésus a le plus parlé de l’unité, où il n’a parlé que d’elle, il n’a parlé non plus, peut-on dire, que d’amour » . De l’amour qu’il a pour nous, et qui est tout puissant pour transformer le cœur des hommes, plus encore que de l’amour que nous avons pour lui, et qui est une réplique. Pour explorer davantage l’unité catholique au sens de propriété mystérieuse de l’Église du Christ, nous établi­ rons deux points : l’unité catholique est dans ce monde sans être de ce monde ; l’unité catholique est déjà réali­ sée par son essence, mais toujours en devenir par son dynamisme. IV. L’unité catholique est dans ce monde SANS ÊTRE DE CE MONDE Dire que l’unité catholique n’est pas de ce monde, cela signifie quelle relève de l’ordre de la grâce, non de l’ordre de la nature ; dire quelle est dans ce monde, cela signifie quelle existe au sein même de notre temps histo­ rique. 7. Émile MERSCH, S. J., La théologie du corps mystique, Paris, 1944, t. II, p. 217. LE MYSTÈRE DE t’UNITÉ CATHOLIQUE 1939 1. L’unité catholique n’est pas « de » ce monde 1. «Je leur ai donné ta parole et le monde les a haïs, parce qu’ils ne sont pas du monde, comme moi je ne suis pas dit monde... Ils ne sont pas du monde, comme moi je ne suis pas du monde » (Jean, XVII, 14 et 16). « Et il leur disait : - Vous, vous êtes à'en bas ; moi, je suis à'en haut; vous, vous êtes de ce monde; moi, je ne suis pas de ce monde » (Jean, VIII, 23). La loi suprême des adver­ saires de Jésus est la nature alourdie par le péché ; la loi suprême de Jésus et de ses disciples est la grâce qui remonte les pentes de la nature. «Jésus répondit : - Mon royaume n’est pas de ce monde ; si mon royaume était de ce monde, mes serviteurs auraient combattu pour que je ne sois pas livré aux Juifs. Mais maintenant mon royaume n’est pas d'ici» (Jean, XVIII, 36). Au contraire, le pouvoir de Pilate sur Jésus, bien qu’il soit «donné d’en haut» (Jean, XIX, 11), est un pouvoir de ce monde. 2. Les royaumes de ce monde relèvent de la nature et de la culture, bref de ce qui, après la chute, a subsisté de [ordre de la création. Le royaume qui n’est pas de ce monde relève de la grâce de Jésus et de Y ordre de la rédemption. Les royaumes de ce monde se constituent par les ini­ tiatives de l’homme fonctionnant sur leur propre plan comme des causes secondes en vue de fins immédiatement temporelles et infravalentes. Le royaume qui n’est pas de ce monde se constitue par les initiatives de la grâce, qui s’empare d’une partie des ressources de la nature et de la culture, pour les utiliser instrumentalement en vue de fins immédiatement spirituelles et transculturelles, les trans­ férant ainsi du plan de la création sur le plan de la rédemption : un peu comme un musicien s’empare des 1940 « *w ·« »*'** h *·»* •t* U«4* IX - l’unité catholique sons d’un instrument inanimé pour leur faire exprimer toutes les passions du cœur humain. C’est à'une partie seulement des ressources de la nature et de la culture, que s’empare la grâce pour les attirer à elle et les incorporer au royaume qui n’est pas de ce monde. Cette partie est toujours qualitativement la plus intime, la plus pénétrante, la plus profonde ; mais elle est toujours quantitativement la plus petite: avec saint François ou saint Benoît Labre, elle se réduit à un minimum. La grande part des activités de l’univers de la nature : sidéral, atomique, biologique, et de l’univers de la culture, continue sa course horizontale vers la fin de notre aventure historique et ne débouchera dans l’au-delà qu’à l’heure de la parousie8. Ainsi la pauvreté évangélique des moyens restera toujours ici-bas la marque authentique du royaume qui n’est pas de ce monde9. 3. Le royaume qui n’est pas de ce monde ne se construit pas en évacuant les royaumes de ce monde: non eripit mortalia, qui regna dat caelestia, chantait le H U-W* 4 ’.ia» 8. Cf. « Le sens de l’histoire du temporel-chrétien et sa confluence dans l’éternité », dans Exigences chrétiennes en politique, Paris, 1945, p. 521 [texte « Résurrection », § 9]. 9. «Autant je vois que toute l’histoire temporelle est pour le royaume éternel, autant cela ne me paraît vrai qu’ew un certain sens (c’est cela qu’il faudrait préciser) à l’égard de l’Église militant dans le temps. Même pour l’incarnation, peut-on dire qu’elle était le but de l’histoire ? But disproportionné, méta-historique, surordonné d’en haut et ne prenant de l’histoire, avec une discrétion divine, que ce qui lui était nécessaire, oui... mais qui laissait l’histoire singulière­ ment indifférente. Il ne faut pas que le théologien de l’Église oublie l’étable de Bethléem. » Nous avons cité ailleurs ces mots de Jacques MaRITAIN, cf. « D’une philosophie chrétienne de l’histoire et de la culture», dans L'œuvre philosophique de Jacques Maritain, Paris, 1949, p. 59 [cf. plus haut : vol. II, pp. 306 et 308, et note 155]. LE MYSTÈRE DE L’UNITÉ CATHOLIQUE 1941 vieux poète10. Sa catholicité est le contraire d'un totalita­ risme', elle n’est rivalité sans merci qu’à l’égard du péché et du royaume du Prince de ce monde. S’il emprunte ses matériaux au monde de la nature et de la culture, c’est pour se constituer sur un plan que ne peuvent occuper ni la nature ni la culture. Il est par essence transeth­ nique, transpolitique, transculturel. Il laisse en place les lois du cosmos. Il laisse en place les formations humaines légitimes : les arts, les métiers et les tech­ niques, les familles, les groupes ethniques et les cités. Il laisse même en place les misères physiques de la nature déchue : la faim et la soif, les processus de vieillissement et de naissance, la souffrance et la mort ; - les miracles de la multiplication des pains et de la résurrection des morts, dans la vie de Jésus comme dans celle de son Eglise, ne sont que des épisodes : c’est une autre faim qu’il s’agit de rassasier, une autre vie qu’il s’agit de susci­ ter. Le royaume qui riest pas de ce monde est catholique de par sa nature évangélique, en raison même de sa transcen­ dance : aucune formation humaine ne peut espérer l’em­ prisonner, ni prétendre jamais s’identifier à lui, ou l’identifier à soi. Il passe librement à travers elles comme Jésus à travers les portes du Cénacle (Jean, XX, 19 et 26). Il découvre dans chacun des enfants des hommes des blessures pour lesquelles aucune des formations humaines ne saurait avoir de remède, qui ne peuvent être guéries que par le sang de la rédemption du Christ, et c’est à chacun de ces enfants des hommes qu’il est envoyé, par destination. Telle est la catholicité essentielle et constitutive de l’Eglise. 4. Une fois constitué dans le monde, le royaume qui n’est pas de ce monde est comme un soleil qui demande 10. SEDULIUS (entre 430 et 450), Hymne des vêpres de l’Épiphanie. 1942 IX - l’unité catholique à illuminer d’en haut, sans aucunement le désessencier ni se l’incorporer, tout l’ordre des royaumes de ce monde et de la culture : soit intrinsèquement, s’il s’agit d’activi­ tés qui, si grande que puisse être la part de technique drainée par elles, sont essentiellement d’ordre philoso­ phique et éthique, comme les activités morales, sociales, politiques ; soit du moins extrinsèquement, s’il s’agit de techniques indépendantes en elles-mêmes de la foi chré­ tienne. Telle est la catholicité rayonnante de l’Église. 2. Les deux aspects de la catholicité surnaturelle de l’Église, relatifs l’un à sa constitution, l’autre à son rayonnement En résumé, disons11 que «le christianisme influence l’histoire en vue d’une double tâche relevant de sa catho­ licité : » 1° usant d’abord des réalités historiques comme & instruments en vue de ses propres fins divines, il s’em­ pare de ce qui lui est nécessaire pour constituer son corps, sa visibilité. Ce n’est pas sur toute l’histoire qu'il désire agir ainsi, c’est sur une partie seulement de l’histoire. L’Église, qui réclame toujours toutes les âmes pour les sauver, ne réclame alors de l’histoire que le minimum de substance visible dont elle a besoin pour continuer au milieu d’elle sa propre vie divine de corps mystique du Christ, de cité pérégrinale, ou, selon le mot de Bossuet, de “Ville des pauvres”. (S’il y a des trésors dans les cathé­ drales, et elles-mêmes ne sont-elles pas d’admirables tré­ sors, cela n’est supportable que pour autant que ce sont des trésors pauvres, je veux dire des trésors d’art, non des trésors d’or). Alors l’Église n’a le droit de prendre du 11. Ce passage est reproduit de «Résurrection», dans Exigences chrétiennes en politique, pp. 515-516. LE MYSTÈRE DE L’UNITÉ CATHOLIQUE 1943 monde, par un processus d’assimilation, que ce qui lui est nécessaire pour constituer, entretenir, déployer sa catholicité surnaturelle, la catholicité spirituelle-chrétienne du royaume suprapo Litique et supraculturel destiné à toutes les âmes. Quand on lui dispute ou qu’on lui ravit ce minimum quelle juge elle-même nécessaire, elle est atta­ quée et meurtrie dans son essence même ; » 2° quant aux réalités historiques qu’il traite comme des causes secondes, le christianisme essaie de les influen­ cer non plus en vue d’en faire son propre corps, mais en vue de les aménager et de les orienter suivant les exi­ gences les plus intimes et les plus hautes déposées au fond d’elles-mêmes par le Créateur. Il sait que, dans la mesure où elles obéiront à leur vraie loi, elles cesseront pour autant de lui être hostiles, et commenceront de devenir pour lui, au lieu d’une chambre de torture, une demeure, une demeure d’exil sans doute. De ce point de vue, ce n’est plus une partie seulement de l’histoire, c’est toute Ihistoire universelle vers quoi l’Eglise, en raison d’une mission divine absolument inéluctable, est tournée', non point certes en vue de l’assimiler ni de l’incorporer à soi, mais en vue de la purifier, de l’illuminer, de la spirituali­ ser. Voilà le rayonnement de la catholicité surnaturelle de l’Eglise par rapport au temporel chrétien, le rayonne­ ment divin que le royaume qui n’est pas de ce monde demande à exercer sur tous les royaumes qui sont de ce monde. Quand on conteste à l’Église ce maximum qu’elle réclame, quand on l’entrave dans sa mission divine tou­ chant le temporel, elle est attaquée non plus dans la catholicité de sa constitution, mais dans la catholicité de son rayonnement ». L’Église est destinée à toucher tous les hommes sans exception, mais de deux manières bien différentes : 1° en vue de s’incorporer la part de leurs activités qui regarde immédiatement Dieu et les choses de l’éternité ; 2° en 1944 ix - l’unité catholique vue simplement d'illuminer la part de leurs activités qui regarde immédiatement César et les choses du temps. Elle est catholique, elle n est pas totalitaire. 3. Lunité catholique est « dans » ce monde C»-W • 1 t-w *U|M| Λ contenir et de l’abriter complètement, de fournir à notre âme cette habitation permanente dont elle a besoin... Le voisinage de l’éternité est dangereux pour le périssable et celui de l’universel pour le particu­ lier ». Paul CLAUDEL, « A la trace de Dieu », dans Positions et Propositions, Paris, 1934, t. II, pp. 79 à 83. 15. Parlant de la propagande qui a précédé la première guerre mondiale, F. W. FOERSTER écrit : « Pourquoi cette prodigieuse fabri­ cation d’impostures ? Nabuchodonosor n’a jamais rien essayé de pareil. C’est seulement l’avènement du christianisme qui a rendu nécessaire ce genre de justification... Combien mystérieux sont les desseins de la Providence, pour que ce soit justement la plus haute vérité jamais descendue sur le monde qui ait mis en mouvement cette immense vague de mensonge - une vague qui peut-être pendant des siècles va empoisonner les relations de peuple à peuple et empêcher la démonstration des faits et des causes, sans laquelle il n’y aura pas de guérison ». L'Europe et la question allemande, Paris, 1937, pp. 3 et 4. LE MYSTÈRE DE L’UNITÉ CATHOLIQUE 1947 1. Parallélisme entre la réalisation du mystère de l’incarnation et celle du mystère de l’Église 1. Dès l’instant où la Vierge prononce le Fiat, le Verbe se fait chair, le mystère de l’incarnation s’accom­ plit, s’achève. Jésus est pleinement lui-même, vrai Dieu et vrai homme, sans progrès possible dans la ligne de cette union, à chaque moment de sa vie terrestre, de l’instant de sa conception à celui de son ascension. Dans son essence, dans sa structure constitutive, le mystère de l'incarnation est réalisé, est un fait, dès le principe de la vie terrestre de Jésus. Mais, sous un autre aspect, le mystère de l’incarnation n’est pas seulement un des moments de Jésus ; c’est tout le déroulement de sa vie terrestre, tout le temps de son habi­ tation parmi nous. De ce point de vue, il y a plus dans tout le cours de la vie de Jésus que dans chacun des ins­ tants de cette vie que l’on pourrait isoler par la pensée. On mutilerait le mystère de l’incarnation en l’arrêtant après Noël, ou après le Sermon sur la Montagne, ou même avant Pâques et l’Ascension. En sorte qu’il devient juste de dire que, pendant toute la durée de la vie terrestre de Jésus, le mystère de l'incarnation est en devenir quant à son déploie­ ment'. il n’est accompli, achevé, réalisé, qu’à l’Ascension. 2. Dès le jour de Pentecôte, l’Église est réalisée avec son unité catholique. Elle possède, en effet, d’une part, la grâce et la charité pleinement christique : voilà son unité, son lien formel créé ; et, d’autre part, des membres en qui se rencontre, par rapport à cette grâce, une capa­ cité obédientielle commune à tous les hommes déchus et plus foncière que leurs diversités : voilà sa cause maté­ rielle et le fondement de sa catholicité16. Dans son 16. L’humanité déchue et sa capacité obédientielle fonde la catho­ licité, elle ne la constitue pas. C’est l’âme de l’Église qui, par l’éléva- 1948 IX - l’unité catholique essence, dans sa structure constitutive, le mystère de ÏÉglise et de sa catholicité est réalisé, est un fait, à partir du moment même où ÏEsprit saint descend sur elle pour lui communiquer la vie. Mais l’Église est envoyée à tous les peuples dans l’es­ pace et le temps. La vertu divine de Pentecôte ne cesse d’agir sur elle pour la pousser en avant. Tant qu’il restera sur la terre une seule créature humaine qui ne lui appar­ tient pas, ou qui ne lui appartient qu’imparfaitement, son unité catholique sera en devenir, non pas sans doute sous le rapport de sa structure essentielle et constitutive, mais sous le rapport de Γaccomplissement dynamique de sa mission. Quand la moisson sera mûre, quand l’Église aura parcouru la route qui la conduit de Pentecôte à la Parousie, elle sera tout entière réalisée : non seulement dans la ligne de son essence et de sa constitution, mais encore dans la ligne de son exercice, de son dynamisme, de sa mission ; non seulement par la catholicité spécifique de sa structure, mais encore par la catholicité extensive de son déploiement. A la lumière de cette catholicité finale, chacun des fragments du passé de l’Église révélera la signification historique de son rôle dans l’ensemble. 2. La catholicité fonde l’élan missionnaire Précisons les rapports de la catholicité et de l’élan mis­ sionnaire. tion et la compréhensivité de son unité, peut actualiser la puissance obédientielle des hommes déchus et constituer la catholicité de l’Église. Dans l’ordre biologique, il est facile de constater que plus l’âme d’un vivant est élevée, plus elle est compréhensive, et plus le vivant est complexe. LE MYSTÈRE DE L’UNITÉ CATHOLIQUE 1949 a) Le dynamisme missionnaire est adossé à la catholi­ cité constitutive de ΓEglise De ce point de vue, l’élan missionnaire incoercible de l’Église apparaît comme la mise en oeuvre, dans le registre dynamique de l’agir, de sa catholicité structurelle et constitutive. A la manière dont on dit que l’homme doit devenir ce qu’il est, que sa tâche est de mettre en œuvre dans le registre psychologique la personnalité métaphysique qu’il reçoit au berceau et la personnalité d’enfant de Dieu qu’il reçoit au baptême ; à la manière dont on dit que le Christ est devenu jour par jour durant trente-trois ans ce qu’il était dès l’incarnation, notre Seigneur et notre Sauveur ; on dira que la catholicité de l’Église doit devenir (extensivement) jusqu’à la Parousie ce quelle était déjà (structurellement) depuis Pentecôte. Le dynamisme missionnaire de l’Église est adossé à sa catholicité constitutive, il en sort comme le rayon lumi­ neux de son foyer. L’Église le reçoit en don en même temps que sa propre essence. A l’origine de l’un et de l’autre, ce qu’on rencontre, c’est le mystère même de la vie divine. b) Le dynamisme missionnaire procède des missions divines On ne peut en effet comprendre l’Église, sa catholi­ cité essentielle, son dynamisme missionnaire sans recou­ rir à la grande doctrine théologique des missions des per­ sonnes divines1 qui sont comme le déversement de l’éternité dans l’histoire, les irruptions de la vie trinitaire dans le silence du temps. 17. Saint Thomas, I, qu. 43. 1950 IX - L’U NITÉ CATH O LIQU E Le Père, qui engendre le Fils, en vertu même de la surabondance infinie de cette génération et comme s’il n'en pouvait plus contenir le Terme dans le sein de son éternité, le missionne par surcroît visiblement dans le monde au jour de l’incarnation : voilà le Christ avec l’élan qui le portera jusqu'à la mort et à l’Ascension. « C’est de Dieu que je suis sorti et que je suis venu, car je ne suis pas venu de moi-même, mais c’est lui qui m’a envoyé» (Jean, VIII, 42). «Quand vint la plénitude du temps, Dieu envoya son Fils, né d’une femme..., afin que nous reçussions l’adoption » (Gal., IV, 4-5). Le Père et le Fils, qui « spirent » ou produisent l’Esprit, en vertu même de la surabondance infinie de cette spiration et comme s’ils n’en pouvaient plus conte­ nir le Terme dans le sein de leur éternité, le missionnent par surcroît visiblement dans le monde au jour de Pentecôte : voilà l’Église avec l’élan qui la portera jusqu’à la Parousie. « Lorsque sera venu le Paraclet que je vous enverrai d’auprès du Père, l’Esprit de vérité qui procède du Père... Lorsqu’il sera venu, lui, l’Esprit de vérité, il vous guidera vers la vérité tout entière... Tout ce qu’a le Père est à moi ; voilà pourquoi j’ai dit qu’il prend de ce qui est mien et qu’il vous l’annoncera» (Jean, XV, 26; XVI, 13 à 15). « En preuve que vous êtes des fils, Dieu a envoyé l’Esprit de son Fils dans nos cœurs, criant: Abba ! Père ! » (Gal., IV, 6). Le Christ est tête, l’Église est corps. L’itinéraire du Christ sera l’exemple de celui de l’Église : à la manière dont le Verbe a conduit l’humanité du Christ, l’Esprit conduira l’Église. « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie. Ayant dit cela, il souffla sur eux et leur dit : Recevez l’Esprit saint... » (Jean, XX, 21-22). «Si l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts habite en vous, celui qui a ressuscité le Christ Jésus LE MYSTÈRE DE L*UNITÉ CATHOLIQUE 1951 d’entre les morts rendra aussi la vie à vos corps mortels, par son Esprit qui habite en vous » (Rom., VIII, 11). c) Le dynamisme missionnaire peut se rattacher à l’apostolicité, à l'unité catholique, à la sainteté Nous avons dit que les quatre propriétés de l’Église, son apostolicité, son unité, sa catholicité, sa sainteté, sont identiques réellement à son essence et quelles ne diffèrent entre elles que conceptuellement. L’élan missionnaire, que nous avons rattaché directe­ ment à X unité catholique de l’Église, et donc à ses causes intrinsèques, formelles et matérielles, peut, tout aussi bien, être rapporté à l’apostolicité et à la sainteté, et donc à ses causes extrinsèques, efficientes et finales. C’est la même vertu divine qui sort de la Trinité, tra­ verse tout entière le Christ, passe ensuite nécessairement pour une part importante d’elle-même par la hiérar­ chie18, et qui non seulement forme l’Église, mais encore la maintient chaque jour et la porte en avant à la ren­ contre de ses destinées. De ce point de vue, l’élan mis­ sionnaire doit être référé à Γapostolicité de l’Église et à ses causes efficientes19. 18. Sur les rôles complétif et supplétif de 1’« action à distance», voir L'Église du Verbe incarné, t. I, p. 20 [dans la présente édition : vol. I, p. 47]. 19. «A quelle note de l’Église faut-il rattacher les missions ? Mon premier mouvement fut de répondre : A la catholicité. Puis, en y réfléchissant, je me rendis compte que toutes les notes de l’Église sont intéressées par les missions. Mais je crois que beaucoup auraient d’abord donné instinctivement la même réponse que moi et défini ainsi la mission par ses destinataires ». L.-M. DEWAiLLY, O. P., - Qu’est-ce qu’une mission ? » dans Le Bulletin des Missions, Saint-André-lez-Bruges, 1947, p. 6. Cependant, le mot même de mission incline finalement l’auteur vers la note d’apostolicité : « Que la mission soit essentiellement la diffusion de l’Évangile et l’établisse­ ment de l’Église, fort bien. Mais qui donc entreprend l’évangélisation 1952 IX - l’unité catholique Et le but de l’Église est de conformer toujours davan­ tage l'humanité pécheresse à la charité du Christ, et de la préparer ainsi à être, dès ici-bas dans la nuit de la foi, et plus tard dans la clarté de la vision, la parfaite demeure de la Trinité. De ce point de vue, l’élan missionnaire doit être attribué aux causes finales de l’Église et à sa sainteté. Ces divers points de vue, qui rattachent l’élan mis­ sionnaire tantôt à l’unité catholique de l’Église, tantôt à son apostolicité, tantôt à sa sainteté, sont également authentiques et également féconds, et ils pourront être tour à tour envisagés. Le Concile du Vatican semble joindre l’« admirable propagation » de l’Église à sa sain­ teté20. La sainteté est la propriété qui ordonne immédia­ tement l’Église à sa cause finale ; mais si la cause finale est la cause par excellence, la cause des causes, c’est en effet la sainteté qu’il faut regarder comme la propriété suprême de l’Église. 3. La catholicité extensive ou l’expansion de l’Église 0ΛΜΙ On peut relever quelques-uns des traits généraux qui caractérisent l’expansion de l’Église. a) Le désir brûlant de ΓÉglise L L’Église, qui possède dès le début sa catholicité spé­ cifique, doit être en travail, dans l’espace et le temps, jus­ qu’à l’heure de la Parousie, pour conquérir sa catholicité extensive : « Que le juste fasse encore la justice, et que le saint se sanctifie encore. Voici que je viens promptement du monde et la construction de l’Église ?... Dans la mission qui nous occupe, le principe a plus d’importance que l’aboutissement, puis­ qu’il s’agit de Dieu... » Ibid., pp. 10 et 12. 20. Session III, ch. III, Denz., n° 1794. LE MYSTÈRE DE L’UNITÉ CATHOLIQUE 1953 et ma récompense est avec moi, pour rendre à chacun selon ce qu’est son oeuvre » (Apoc., XXII, 11-12). Elle doit supplier chaque jour pour que le règne de Dieu, déjà au milieu de nous (Luc, XVII, 21), ne cesse cependant de venir (Luc, XI, 2). Elle doit se déchirer le cœur pour ceux qui ne lui appartiennent pas encore, comme les petits enfants non baptisés ; pour ceux qui ont rompu secrètement ou ouvertement avec elle par un péché personnel d’infidélité, d’hérésie, de schisme ; pour tous les pécheurs qui ont gardé la foi mais ont perdu l’amour ; pour les justes en qui la charité n’est pas encore pleinement christique ; pour ses membres bons qui devraient être meilleurs et pour les meilleurs qui devraient être consommés dans la sainteté ; pour les âmes dont la délivrance tarde en purgatoire ; pour la création tout entière qui attend « d’avoir part à la liberté de la gloire des enfants de Dieu » (Rom., VIII, 21). Sans cette distension intérieure de son être, sans ce désir de la gloire divine qui la consume, sans ce zèle qui est celui du Christ et des apôtres, l’Eglise, dont nous avons assez dit quelle n’était pas faite des négligences de ses enfants, ne serait pas l’Eglise : « Mes petits enfants, pour lesquels je souffre de nouveau les douleurs de l’enfantement, jus­ qu’à ce que le Christ soit formé en vous... » (Gal., IV, 19). «Je dis la vérité dans le Christ, je ne mens pas, ma conscience m’en rend témoignage dans l’Esprit saint, il y a en moi une grande tristesse et dans mon cœur une douleur incessante : car je voudrais moi-même être ana­ thème et loin du Christ pour mes frères, mes parents selon la chair... » (Rom., IX, 1-3). 2. En se faisant homme, ce que le Verbe est venu chercher, c’est en effet toute la descendance d’Adam, toute l’espèce humaine ; non pas, ne nous lassons jamais de ces précisions, comme ordonnée aux royaumes de ce 1954 IX - l'unité catholique monde, mais comme ordonnée au royaume qui n’est pas de ce monde ; non pas sous le rapport direct de ses possi­ bilités culturelles, mais sous le rapport direct de ses pos­ sibilités surnaturelles, encore plus précieuses et plus menacées. L’ordre d'aller jusqu’aux confins de l’espace et du temps pour éveiller à la vie de la grâce les puissances déposées au fond de chaque cœur humain21, comment le Christ aurait-il pu ne pas l’inscrire dans la structure même de son Eelise ? 21. De la Pentecôte de Vézelay, Émile Male écrit: «L’idée pre­ mière de cette grande composition est byzantine, mais l’artiste de Vézelay l’a animée d’une vie quelle n’eut jamais dans les mosaïques des coupoles, encore moins dans les miniatures des manuscrits. Dans ce tympan que domine la formidable figure du Christ, tout est pas­ sion, souffle et flamme. Les tuniques des Apôtres sont soulevées par ce grand vent qui entra dans le cénacle, disent les Actes, en même temps que les rayons de feu. Mais il y a surtout une flamme de cha­ rité. Ces peuples au visage de bête ne font pas sourire ceux qui ont compris la grave pensée de l’artiste. Il veut nous dire que la parole divine doit descendre jusqu’aux limites de l’animalité ; d’un être déchu l’Évangile fera un fils de Dieu. On respire là l’enthousiasme du missionnaire chrétien prêt à donner sa vie pour sauver l’âme du sau­ vage le plus dégradé. Ainsi, à Vézelay, grâce au génie clunisien, la fabuleuse ethnographie des anciens a pris une signification pro­ fonde ». L’Art religieux du XIIe siècle en France, Paris, 1922, p. 332. «Tous ces peuples, et d’autres qu’il n’est pas possible de nommer, sont en marche vers deux hautes figures debout presque au milieu du linteau. On reconnaît saint Pierre à ses clefs et à ses pieds nus; quant à la figure voisine, ce n’est pas sainte Madeleine, comme on le répète, c’est un autre apôtre, car il a lui aussi les pieds nus. L’apôtre associé à saint Pierre ne peut être que saint Paul. Saint Pierre et saint Paul ont ici une haute signification ; ils sont le symbole de Rome elle-même et de l’unité de la foi. C’est l’Église romaine accueillant tous les peuples ». Ibid., p. 331. LE MYSTÈRE DE L’UNITÉ CATHOLIQUE 1955 b) L'expansion de UÉglise la révèle à elle-meme 1. L’expansion de l’Église peut se définir une intégra­ tion incessante d’éléments qui, sous un aspect au moins, lui étaient encore étrangers, ou même opposés. Pour préciser que cette intégration représente une vic­ toire de la forme spécifique de l’Église, de la charité plei­ nement christique, autrement dit sacramentelle et orien­ tée, sur ces éléments incorporés ; quelle se fait par leur transformation ou changement en la nature comme telle inchangée de l’Église, on peut la comparer à un proces­ sus biologique d’assimilation : « Le royaume des cieux est semblable à un grain de sénevé qu’un homme a pris et semé dans son champ ; c’est la plus petite de toutes les graines, mais lorsqu’elle a crû, elle est plus grande que les autres plantes ligneuses et devient un arbre, en sorte que les oiseaux du ciel viennent et font leur nid dans ses branches... Le royaume des cieux est semblable à du levain, qu’une femme a pris et caché dans trois mesures de farine, jusqu’à ce que tout ait fermenté » (Matth., XIII, 31-33). Mais la forme de vie de l’Église, à savoir sa charité sacramentelle et orientée, est trop spirituelle pour être rapprochée sous tous les rapports des manifestations inférieures de la vie22. La comparaison biologique risque d’être brutale et de laisser dans l’ombre certains aspects qui seront décisifs en matière soit de théologie mission­ 22. En particulier, pour rendre compte de l’évolution homogène du dogme catholique par la voie d’un pur désenveloppement de la révélation évangélique, que les disputes humaines peuvent bien pro­ voquer du dehors, mais où elles ne sauraient entrer à titre d’élément composant, il faudra recourir aux exemples tirés du progrès des sciences purement spéculatives, comme la mathématique et la méta­ physique. Cf. F. Marin-Sola, O. P., « Peut-il y avoir évolution du dogme par assimilation ? » dans L’évolution homogène du dogme catho­ lique, Fribourg (Suisse), 1924, t. I, pp. 341-353. 1956 IX - l’unité catholique naire, soit de ce qu on appelle aujourd’hui « l'ecclésiologie unioniste »23 25, ou « Γœcuménisme catholique »24. 24 2. Il sera préférable de recourir à des comparaisons prises de la vie de l’esprit. Supposons, par exemple, un homme visité par une intuition de génie. Elle se saisit de lui tout entier, de ses lectures, de ses expériences. Loin de se diluer dans ces données, elle leur impose sa forme inchangée et souveraine et les transfigure2'. Mais, et c’est précisément ce côté-là qui nous retient maintenant, l’in­ tuition du génie est stimulée en retour par les matériaux dont elle s’empare. Il lui faut les analyser, les discriminer, les purifier de leur gangue, ne retenir que ce qu’ils peu­ vent offrir d’authentique, pour en faire son bien et son aliment. Elle trouve en eux l’occasion de donner un corps à des virtualités qui certes lui appartiennent en propre, mais qui sans eux seraient restées, encore long23. S. TYSZKIEWICZ, S. J., La sainteté de l’Église christoconforme, Ébauche d’une ecclésiologie unioniste, Rome, 1945. 24. M.-J. CONGAR, O.P., Chrétiens désunis, Principes d’un « œcumé­ nisme » catholique, Paris, 1937. 25. Henri BERGSON insiste sur la transcendance de l’intuition phi­ losophique par rapport au milieu culturel, et même par rapport à tout l’ordre de la conceptualisation, en quoi nous ne le suivons qu’avec réserves : « Un philosophe digne de ce nom n’a jamais dit qu’une seule chose : encore a-t-il plutôt cherché à la dire qu’il ne l’a dite véritablement... Si ce mouvement, qui est comme un certain tourbillonnement d’une certaine forme particulière, ne se rend visible à nos yeux que par ce qu’il a ramassé sur sa route, il n’en est pas moins vrai que d’autres poussières auraient aussi bien pu être soule­ vées et que c’eût été encore le même tourbillon... Le philosophe eût pu venir plusieurs siècles plus tôt ; il aurait eu affaire à une autre phi­ losophie et à une autre science ; il se fût posé d’autres problèmes ; il se serait exprimé par d’autres formules ; pas un chapitre, peut-être, des livres qu’il a écrits n’eût été ce qu’il est ; et pourtant il eût dit la même chose». « L’intuition philosophique», dans La pensée et le mouvant, Paris, 1934, p. 141. LE MYSTÈRE DE L’UNITÉ CATHOLIQUE 1957 temps peut-être, inemployées. En revanche, d’autres données auraient pu éveiller d’autres virtualités de cette même intuition, qui sommeillent encore. En sorte que l’on dira quelle dépend d’une certaine manière des matériaux qui l’entourent. Ainsi l’Église, au contact des multiples ressources des personnes humaines, des diverses formations ethniques, culturelles, religieuses, loin de se diluer dans la masse de ces matériaux, cherche à s’en emparer, pour les transfor­ mer en elle. Mais, en retour, elle est stimulée par eux, elle trouve en eux l’occasion de donner corps à des vir­ tualités qui lui sont propres, mais qui sans eux seraient restées inexercées, et qui, s’ils avaient paru dans un ordre différent, auraient pu être éveillées pour une part dans un ordre différent. Elle dépend pour autant du milieu quelle doit transformer, non comme d’une matière inerte, mais comme d’un excitant aussi divers et variable que l’homme et que l’histoire26. c) Les multiples virtualités de la grâce ecclésiale 1. Il n’y a pas « de participation entre la justice et l’ini­ quité, de communion entre la lumière et les ténèbres, d’accord entre le Christ et Bélial » (II Cor., VI, 14), entre l’Eglise et la cité de l’erreur et du péché. 26. « Les valeurs qui sont le trésor spirituel de l’Église reçoivent à telles ou telles époques, dans telles conditions, au sein de tel peuple ou de telle culture, enfin dans telle âme ou telle famille d’âmes, un développement spécial et qui, du point de vue de la réalisation effec­ tive de ses capacités vivantes, enrichit véritablement l’Église et la révèle à elle-même : car l’Église, encore une fois, est un vivant, qui ne se connaît lui-même qu’en vivant et ne prend une conscience expli­ cite de sa propre loi et de ses possibilités qu’en les exerçant ». M.-J. CONGAR, O. R, Chrétiens désunis, Principes d’un « œcuménisme » catho­ lique, Paris, 1937, p. 317. 1958 IX - l’unité catholique Mais, en revanche, tout ce qu’il y a de diversités légi­ times chez les hommes pourra servir à l’expansion de l’Église. Le philosophe et le poète pressentent déjà que la création est comme un chant dont il faut que les notes se succèdent pour livrer leur sens2" ; mais le chrétien sait que la grâce a besoin, plus impérieusement encore que la nature, de cet écoulement de l’univers pour y manifester la surabondance de ses virtualités. Il faut quelle soit reçue dans des vases aussi divers dans le temps que dans l'espace, qui la laisseront diversement transparaître. 2. Elle varie selon que les natures sont masculines ou féminines. Elle prend des formes différentes chez saint Thomas d’Aquin et chez sainte Catherine de Sienne, pourtant amants d’une identique lumière ; chez sainte Thérèse et chez saint Jean de la Croix, qui gravissent ensemble le Carmel. Elle varie selon les tempéraments nationaux : François d’Assise est Italien, et François de Sales, Savoyard; Jeanne d’Arc est Lorraine, et Gertrude, Saxonne; Thomas More est Anglais, et Ignace, Espagnol. Elle a révélé, elle révélera encore, d’autres de ses aspects en Russie, dans l’Inde, en Extrême-Orient. 27. Cf Paul Claudel, La messe là-bas : Qu’est-ce qu’elles feraient, mon Dieu, toutes ces pauvres choses qui ne subsistent pas, Sinon, par leur nature qui est de naître et de cesser, témoigner que vous êtes ici et là?... Comment les choses auraient-elles un « sens », si leur sens n’était de passer ? Comment seraient-elles complètes, si leur sort n était de commencer et de finir ? Nous emprunterons plus loin au poète une image montrant la nécessité du temps pour faire mûrir la moisson de l’Église. LE MYS TÈRE DE L’UNITÉ CATHOLIQUE 1959 Elle varie selon les familles d’âmes : « Vois avec quelle belle ordonnance Benoît sut disposer sa barque. Considère quelle perfection, quel parfum de pauvreté, quelles perles de vertu sur la barque de François... Regarde maintenant la barque de ton père Dominique... Il a voulu que ses frères n’eussent point d’autre pensée que mon honneur et le salut des âmes, par la lumière de la science... »28. Elle varie selon les temps, chez Antoine l’ermite et chez Benoît ; chez François d’Assise au XIIIe siècle et chez Philippe Néri au XVIe ; chez les martyrs de l’Afrique chrétienne et chez ceux de l’Ouganda. C’est toujours la même sainteté, mais les styles de la sainteté changent29. 3. La vie collective de l’Église donne lieu à des remarques analogues. L’Église des seuls Juifs fait place à l’Église des Juifs et des Gentils ; l’Église des persécutions, à l’Église des conciles œcuméniques ; l’Église du Moyen Âge avec son expansion européenne, à l’Église de la Renaissance et à son expansion planétaire ; l’Église des grands États pontificaux et de la chrétienté sacrale, à l’Église de la petite Cité vaticane et de la chrétienté pro­ fane. Au sein même de son identité spécifique, l’Église 28. Sainte CATHERINE DE SIENNE, Libro dette divina dottrina, ch. CLVlll, Bari, 1912, pp. 374-375; trad. Hurtaud, t. II, pp. 271-272. 29. « Ne parlons pas d’un nouveau type de sainteté ; ce mot serait équivoque, - le chrétien ne reconnaît qu’un type de sainteté éternelle­ ment manifesté dans le Christ. Mais les conditions historiques chan­ geantes peuvent donner lieu à des modes nouveaux, à des styles nou­ veaux de sainteté. La sainteté de François d’Assise a une autre physio­ nomie que celle des Stylites, la spiritualité jésuite, la spiritualité dominicaine ou bénédictine répondent à des styles différents ». Jacques MâRITAIN, Humanisme intégral, Paris, 1936. p. 133 [O. C., VI, p. 430]. 1960 ix - l’unité catholique voit se produire, non seulement des changements quan­ titatifs, mais de profonds changements qualitatifs. Tout se transforme, et le mystère est que tout demeure. «Est alius status Ecclesiae nunc et tunc, non tamen est alia Ecclesia »30. d) L'intégration d'éléments chrétiens préexistants peut exiger des renoncements Dans son mouvement d’expansion, l’Église rencontre constamment, avec un émoi fait de joie et de douleur, des formations religieuses où le vrai et le faux sont inex­ tricablement mêlés l’un à l’autre comme dans une clau­ dication la part de vie et d’infirmité, et dont les adeptes, tout en étant victimes d’erreurs pour eux insurmontables et donc non coupables, peuvent lui appartenir d’une manière initiale et déjà salutaire, s’ils ouvrent leur cœur à la foi vive. Telles sont les dissidences, comme l’ortho­ doxie, encore très proche, et le protestantisme, sur bien des points plus distant. Puis le judaïsme. Puis l’islam et les religions préchrétiennes. En présence de ces blocs religieux la tâche de l’Eglise est de dissocier les ressources de vie qu’elles détiennent, des erreurs qui les infléchissent et les parasitent. Parfois la part de vérité est immense et l’altération peut sembler minime. Dans le grand déploiement de la liturgie ortho­ doxe, et les formes traditionnelles du monachisme orien­ tal, l’Église n’aura peut-être presque rien, ou rien, à écar­ ter ou à redresser. Elle pourra intégrer ces richesses telles quelles dans son sein ; et, de ce fait, les préserver d’une superstition de la lettre qui est à l’origine de la grande déchirure du Raskol, les ouvrir vers les apports de l’ave­ nir, leur donner, en exorcisant la hantise d’une « Eglise slave », le coefficient d’organicité et de catholicité qui 30. Saint THOMAS, Quodlibet XII, qu. 13, a. 19, ad 2. LE MYSTÈRE DE L’UNITÉ CATHOLIQUE 1961 leur manque encore. D’autres fois, la part que l’erreur aura contaminée sera plus grande. Il faudra procéder comme le chirurgien qui met la plaie à vif afin de la gué­ rir. Cela ne se fait pas sans renoncements. Mais, il conviendra de le montrer chaque fois, ce sont finalement des renoncements à des entraves, et la souffrance qui les accompagne est celle des naissances et des délivrances31. VI. Il ne manque rien dans l’Église. Il manque à l’Église tout ce que lui ravit LA CITÉ DU MAL. Le BIEN QUI SE FAIT CHEZ LES DISSIDENTS NE MANQUE PAS À L’ÉGLISE La manière de parler des mystères de la foi fait sou­ vent chez saint Thomas l’objet d’un examen spécial et minutieux, par exemple pour la Trinité32, l’incarnation33, la transsubstantiation34. On peut dès lors passer en revue quelques expressions concernant la catholicité de l’Église. 1. Il ne manque rien « dans » l’Église : la catholicité de son être est intacte Sous chacun des moments de sa durée, l’Église existe avec toutes ses parties essentielles, avec tout le mystère simultané de son être ; et c’est comme telle quelle est 31. « Oh ! C’est si dur de vous laisser tous, de m'en aller vers des étrangers... je ne le désire pas, mais je ne puis faire autrement ; je suis appelé, je suis saisi. » John-Henri NEWMAN, Perte et gain, Paris, 1948, p. 348. 32.1, qu. 31, a. 2. 33. III, qu. 16. 34. III, qu. 75, a. 8. 1962 ix - l’unité catholique reconnue par la foi du plus humble chrétien partout où se célèbre une messe et où se cache la présence eucharis­ tique. Ainsi, à chacun des moments de son pèlerinage, le Christ existait avec tout le mystère simultané de son être ; et c’est comme tel qu'il était connu par la foi : à la crèche et sur la croix par la Vierge, au temple par Siméon, à la Transfiguration par les apôtres. La diversité des comportements et de l’agir du Christ et de l'Église résulte de leur être essentiel donné plénièrement et indivisiblement à chaque instant et dès le début. Il n’y a pas de manque dans la plénitude du Christ ; il n’y a pas non plus de manque dans la catholicité de l’Église. L’âme fidèle, quand elle épouse le Christ et son Église, n’épouse aucun manque, aucun vide. 2. Il manque « à » l’Église tout ce que lui ravit la cité du mal, et cependant la catholicité de son agir est, elle aussi, intacte Considérons maintenant, dans le Christ et l’Église, non plus la catholicité de V être, mais la catholicité de Vagir : au principe de cet agir, il y a un désir, c’est-à-dire un manque ; de plus, les extériorisations de ce désir sont entravées ; et même sur un double plan. Et cependant à aucun moment la notion de catholicité de l’agir, telle quelle résulte de l’analyse de ces divers points, n’est éclipsée. a) La catholicité de l'agir du Christ et de l'Église nest pas altérée par l'amplitude indéfinie de leur désir Le principe de l’agir du Christ et de son Église est un désir de salut inépuisable autant que la détresse du monde, une flamme avide de changer en elle tout ce qui LE MYSTÈRE DE L’UNITÉ CATHOLIQUE 1963 lui esc combustible: «Je suis venu jeter un feu sur la cerre, ec combien je désire qu’il soit déjà allumé ! mais je dois recevoir un baptême, et combien je suis angoissé, jusqu’à ce qu’il soit accompli ! Pensez-vous que je sois venu apporter la paix sur la terre ? Non, je vous le dis, mais la dissension. Car désormais dans une seule maison cinq personnes seront divisées, trois contre deux, deux contre trois... » (Luc, XII, 49-52). Le désir dans les créa­ tures est le signe d’une incomplétude ; plus elle est vive, plus il est intense : «J’ai désiré d’un grand désir de manger cette Pâque avec vous avant de souffrir» (Luc, XXII, 15). Et plus aussi il est douloureux: «Jérusalem, Jérusalem, qui tues les prophètes et qui lapides ceux qui te sont envoyés, combien de fois j’ai voulu réunir tes enfants comme l’oiseau rassemble sa couvée sous ses ailes, et vous ne l’avez pas voulu ! » (Luc, XIII, 34). « Et lorsqu’il se fut approché, voyant la ville, il pleura sur elle, disant : - Ah ! si dans ce jour tu connaissais, toi aussi, ce qui serait ta paix !... » (Luc, XIX, 41-42). L’incomplétude dont nous parlons témoigne de l’in­ tensité de ce désir du Christ et de l’Eglise, non de son infirmité ; de sa perfection, non de son imperfection. Elle est faite de ce qui manque à ce désir, à savoir l’évan­ gélisation du monde : « Ils voulaient le retenir pour qu’il ne les quittât point ; mais il leur dit : - Il faut que j’aille évangéliser le royaume de Dieu aux autres villes, car j’ai été envoyé pour cela » (Luc, IV, 42-43) ; non de ce qui manque dans ce désir. Il ne manque rien dans ce désir : le désir du Christ est d’emblée parfait comme son amour et ne peut grandir; le désir, l’amour de l’Eglise est parfait, c’est-à-dire pur de tout péché, mais il est mobile, il oscille au cours des siècles comme la flamme toujours vive bien qu’inégale d'un foyer. 1964 ix - l’unité catholique b) La catholicité de l'agir du Christ et de ΓÉglise n’est pas altérée par les entraves que la cité du mal oppose à son extériorisation Le désir évangélique du Christ et de l’Église est entravé dans ses extériorisations par l’effort contraire du Prince de ce monde (Jean, XII, 31 ; XIV, 30 ; XVI, 11) et de son royaume3'. Quelque chose va manquer au Christ et à l’Eglise dans Tordre des réalisations. La catholicité de leur agir va-t-elle être altérée ? Nous voici obligés de creuser cette notion de la catholicité de l’agir. Π 1. On parle de la toute puissance divine, et pourtant d’une certaine manière elle est tenue en échec par la liberté créée. Dans l’ordre particulier de la liberté et de la moralité, résultant de la libre activité des esprits, « Dieu a des adversaires, il permet que des esprits créés résistent à sa volonté, telle quelle se manifeste idéalement à eux comme règle suprême de leur liberté ». Mais dans l’ordre universel, comprenant le royaume des choses sensibles et le royaume des esprits, « Dieu n’a pas de contraire, rien ne résiste à sa volonté ; le mal comme le bien, la mort comme la vie, les défaillances comme les splendeurs de la créature, ce qu’il lui plaît de permettre et ce qu’il lui plaît d’appeler à l’être, tout est emporté invinciblement dans le torrent de réalité où s’exprime la souveraine 35. Dans II Thess., II, 5-8, le point de vue est renversé. C’est l’homme d’iniquité, l’Antéchrist, et son mystère, qui est entravé par Celui qui le retient et son œuvre, c’est-à-dire par le Christ et son Église : « Ce qui le retient, maintenant, pour qu’il n'entre en scène qu’en son temps à lui, vous le savez. Car le mystère d’iniquité est déjà en activité. Que Celui qui le retient jusqu’à présent soit seulement écarté, et alors se manifestera l'impie, que le Seigneur doit détruire du souffle de sa bouche, et anéantir par l’éclat de son avènement». Cf. E.-B. Allô, O. P., L’Apocalypse, Paris, 1933, p. CXXVH. LE MYSTÈRE DE I.’UNITÉ CATHOLIQUE 1965 sagesse»36. La victoire est toujours à l’ordre universel, mais différemment selon qu’il s’agit du mal physique ou du mal moral. Le mal physique est réel en tant qu’il affecte un être particulier, mais il est réductible à l’ordre universel, et par conséquent relatif. Le mal moral, par lequel nous offensons le Dieu qui nous aime, est au contraire un mal absolu ; la faute morale ne sera jamais, sous aucun rapport, un bien ; en elle-même elle restera toujours un mal, c’est un élément de la tragédie du monde. Et comme elle dresse la créature libre contre l’indestructibilité de l’ordre divin, elle la précipite dans une catastrophe où il ne lui restera qu’à manifester ou la justice divine ou la miséricorde divine. Ainsi la toute-puissance est mise en échec par le péché, même éternellement si le péché est éternel ; mais personne cependant n’osera dire quelle est altérée. Bien au contraire, cet échec la provoque à produire au-dehors des manifestations d’elle-même qui, sans cela, nous seraient restées inconnues. 2. On peut essayer d’éclairer le problème ou plutôt le mystère de la catholicité de l’agir du Christ et de l’Église en le rapprochant du mystère de la toute-puissance. Les victoires du Prince de ce monde, qui retiennent les âmes captives, font obstacle à la catholicité de l’agir du Christ et de l’Église : non seulement quantitative­ ment, en leur soustrayant des disciples ; mais même, comme nous l’avons dit, qualitativement, en refoulant 36. Jacques Maritain, « Une philosophie de la liberté », dans Du régime temporel et de la liberté, Paris, 1933, p. 28 [O. C., V, p. 343]. Ces vues ont été approfondies dans le Cours sur la philosophie morale donné à l’Eau-Vive, près de Paris, en août 1949 et qu’on vient de publier: Neuf leçons sur les notions premières de la philosophie morale, Paris, 1951, pp. 67 et suiv. [O. C., IX, p. 809 s.]. On peut lire saint THOMAS, I, qu. 19, a. 9; qu. 103, a. 8. 1966 IX - l’unité catholique dans le Christ et dans l’Église des virtualités sanctifiantes originales, prêtes à se manifester, et qui seront dès lors privées de leur extériorisation. Comment, dans ces conditions, pouvons-nous dire que la catholicité de l'agir du Christ et de l’Église n’est pas altérée ? La réponse est analogue à celle qui nous per­ mettait de confesser l’intégrité de la toute puissance divine : les échecs extérieurs du Christ et de l’Église pro­ voquent en eux des réactions vitales qualitativement nouvelles et si profondes qu’au total ils vont être l’occa­ sion non d’un appauvrissement mais d’un enrichisse­ ment de l’agir du Christ et de l’Église. 3. Considérons à part d’abord l’agir du Christ, puis l’agir de l’Église. La catholicité de l’agir du Christ ne consistait évidem­ ment pas à épuiser tous les possibles. Il aurait pu vivre davantage, évangéliser Tyr et Sidon qui se seraient convenies (Mt., XI, 21), pousser jusqu’en Extrême-Orient. Sa vie publique ne dure que trois ans, c’est Corozaïn, Bethsaïda, Capharnaüm, qu’il évangélise sans succès (Mt., XI, 21-23), il ne s’éloigne pas de la Palestine. Sous cet aspect trop superficiel, comment parler de la catholi­ cité de l’agir du Christ ? Mais les résistances qu’il éprouve dans les villes mêmes qui sont témoins de ses miracles provoquent l’ex­ tériorisation d’autres virtualités, qualitativement plus diverses, qui sans cela nous seraient demeurées incon­ nues : « En ce temps-là, Jésus, prenant la parole, dit : - Je te loue, Père, Seigneur du ciel et de la terre, de ce que tu as caché ces choses aux sages et aux habiles, et de ce que tu les as révélées aux enfants. Oui, Père, car tel a été ton bon plaisir» (Mt., XI, 25-26). Et, tout de suite après, vient cette parole aussi mystérieuse que décisive sur la catholicité de son agir : « Toutes choses mont été livrées par LE MYSTÈRE DE L’UNITÉ CATHOLIQUE 1967 mon Père... » (Mt., XI, 27). Est-ce qu’il ne manquerait pas le principal à son agir, à son œuvre, s’il n’avait pas dû pleurer sur l’endurcissement de Jérusalem et de nos cœurs, si la haine ne l’avait pas obligé à mourir crucifié ? On entrevoit le mystère de la catholicité de l’agir du Christ. Il consiste dans la plénitude absolue, théandrique, de son agir à chacun des moments de son évangélisation, en sorte qu’il conduira sans défaillance l’œuvre que lui a confiée le Père jusqu’au point de plénitude et de perfec­ tion fixé de toute éternité par le Père, c’est-à-dire jusqu’à sa catholicité finale. Vers la fin de sa vie, quand il se tournera vers le Père, il pourra dire : « Père, l’heure est venue: glorifie ton Fils, afin que ton Fils te glorifie, puisque tu lui as donné autorité sur toute chair, afin que tout ce que tu lui as donné, il leur donne la vie éter­ nelle... Pour moi, je t’ai glorifié sur la terre,7’^/ consommé l’œuvre que tu mas donnée à faire... J’ai manifesté ton nom aux hommes que tu m’as donnés du sein du monde... Lorsque j’étais avec eux, je les gardais en ton nom, que tu m’as donné ; j’ai veillé sur eux, et aucun d’eux ne s’est perdu, sinon le fils de perdition, afin que l’Ecriture soit accomplie... » (Jean, XVII, 1-3, 6, 12). Et sur la croix, « lors donc que Jésus eut pris le vinaigre, il dit : - Tout est consommé. Et ayant incliné la tête, il ren­ dit l’esprit» (Jean, XIX, 30). Jésus a autorité sur toute chair, tous pourtant ne viennent pas à lui, le fils de per­ dition se dérobe : et néanmoins son œuvre est pleine, consommée, catholique. 4. De la catholicité de l’agir de l’Église, il faudra juger comme de celle du Christ : « Comme tu m’as envoyé dans le monde, moi aussi je les ai envoyés dans le monde» (Jean, XVII, 18). Elle ne consiste pas à épuiser les possibilités : la date de la fin du monde pourrait être reculée ; l’Esprit saint 1968 n U4« ιχ - l’unité catholique pourrait rouvrir soudain le cœur des multitudes à la pré­ dication apostolique comme aux jours de Pentecôte ; au XIIIe siècle les Franciscains ont failli gagner le Grand Khan ; au XVIe siècle les Jésuites étaient en voie de convertir la Chine et l'Inde. Ni l'invasion de l’Afrique chrétienne, ni la dissidence de l’Orthodoxie, ni celle de la Réforme protestante n'étaient fatales. Sous un aspect aussi superficiel, comment parler de la catholicité de l’agir de l’Eglise ? Mais, en échange de toutes ces virtualités de l’Eglise qui ne sont pas extériorisées, le Christ, qui veut se prépa­ rer une Épouse selon son cœur, et qui a devant lui toute la durée du temps, en fera éclore d’autres, pour une part encore cachées maintenant à nos yeux, et qui, par une compensation mystérieuse, rendront très pareille à la sienne la vie missionnaire de son Église. Un jour, la mesure de perfection fixée par Dieu de toute éternité pour son Église sera atteinte, la moisson sera mûre, l’heure viendra de la consommation et de la catholicité finale, où le Christ remettra le monde à son Père et «dira: -Tout est soumis» (I Cor., XV, 27). Alors apparaîtra le mystère de la catholicité de Pagir de l’Église. Il consiste dans la plénitude, non pas certes absolue et théandrique, mais relative, de son agir à chacun des moments de son évangélisation missionnaire : car, si les chrétiens sont coupables d’une infinité de péchés et de négligences, l’Église, elle, pareille à la Vierge, est « sans tache ni ride ni rien de semblable, mais sainte et immaculée» (Éphés., V, 27)37. 37. « L’Église seule ici-bas joue avec une entière exactitude et appropriation le rôle de son personnage, parce que ce rôle et ce per­ sonnage sont divins tous deux ». J. Maritain, Religion et culture, p. 101 [O. C., IV, p. 247]. LE MYSTÈRE DE L’UNITÉ CATHOLIQUE 1969 c) L'affrontement des deux cités antagonistes L’Église, la cité de Dieu, de l’amour de Dieu jusqu’au mépris du soi pécheur, et la cité du mal, de l’amour du soi pécheur jusqu’au mépris de Dieu, s’affrontent sur deux plans : directement, sur le plan de leur être ; indi­ rectement, sur le plan de leur rayonnement. Sur le plan où elles se constituent, qui est pour l’Église celui de sa catholicité essentielle et constitutive, elles s’opposent pour une guerre d’extermination, comme l’amour et la haine, la grâce et le péché, le ciel et l’enfer : « Quelle participation y a-t-il entre la justice et l’iniquité, quelle communion entre la lumière et les ténèbres, quelle harmonie entre le Christ et Bélial ? » (II Cor., VI, 14-15). Elles se disputent chaque destinée d’homme, l’obligeant à maintes reprises au choix inéluc­ table : « Car la parole de Dieu est vivante et efficace, plus tranchante qu’une épée à deux tranchants ; elle pénètre jusqu’à la division de l’âme et de l’esprit, des jointures et des moelles ; elle discerne les désirs et les pensées du cœur» (Hébr., IV, 12). Au dernier jour, c’est le nombre des victoires de la miséricorde divine et de la grâce, qui surprendra. Sur le plan de son influence sur le temporel, qui est celui de sa catholicité rayonnante^, la cité de Dieu, que certains de ses enfants peuvent trahir — ils passent alors à la cité du mal, - n’est jamais totalitaire. Elle n’intervient dans le temporel que pour lui rappeler ses limites, qu’il ne transgresse qu’en préparant des catastrophes, et pour l’illuminer. Le soleil de Satan et de la cité du mal agit différemment. Il vise directement à hypertrophier le temporel, à l’enivrer de sa propre puissance, à l’ériger en réalité suprême, pour finalement le faire éclater par le dedans. 38. Voir plus haut, p. 1942. 1970 IX - l’unité catholique Dans l'affrontement des deux cités transcendantes, l'une, qui n’est jamais totalitaire, connaît deux plans; l’autre, qui tend de soi au totalitarisme, ne prétend connaître qu’un plan. L’une semble affaiblie par sa dis­ tinction entre les choses de Dieu et les choses de César; mais elle sait qu'on ne lutte avec l’Ange qu’en boitant d'une jambe (Genèse, XXXII, 24-34). L’autre semble affermie par sa réduction des choses de Dieu aux choses de César et par une confusion qui, le moment venu, la fera sauter comme une poudrière. • t*w N J* • «·♦·<» M U4t« LJ îi i .iat* 3. Le bien qui se fait chez les dissidents ne manque « pas » à l’Eglise, il enrichit la catholicité de son agir Le bien qui se fait chez les dissidents, et plus générale­ ment dans les formations religieuses aberrantes, manque-t-il à l’Eglise ? S’inscrit-il en creux dans sa ca­ tholicité ? Pensons à une messe pascale célébrée dans l’amour au cœur de la Russie. Il y a là, au regard de la foi catho­ lique, trois choses liées inextricablement : une richesse chrétienne profonde et authentique, la déviation d’une dissidence, un manque de plénitude consécutif à cette déviation. 1. D’abord une richesse chrétienne profonde, authen­ tique, qui, s’exprimant depuis plusieurs siècles dans le peuple russe, y a revêtu des couleurs, des modalités, une splendeur qui n’auront peut-être pas leurs pareilles dans les communautés rattachées à Rome. Comment nier qu’une telle richesse, reçue dans l’amour, soit une joie pour le cœur du Christ, un gain pour sa cause ? Dès lors, comment nier quelle soit une joie et un gain pour l’Église du Christ, qu’il a lui-même confiée à Pierre, et LE MYSTÈRE DE L’UNITÉ CATHOLIQUE 1971 qui est devenue de ce fait romaine ? Tout le bien surna­ turel que font les dissidents, ou les non-chrétiens, en uti­ lisant spontanément les ressources originales et leurs tempéraments personnels ou nationaux, enrichit la catholicité de ΓÉglise du Christ, dont le vicaire est à Rome, même quand ce bien n’aurait pas et ne pourrait jamais avoir de correspondance adéquate dans les exté­ riorisations qui relèvent ouvertement d’elle-même. De ce bien, elle est heureuse et exultante, elle n’est pas envieuse. 2. Mais, et voici la douleur, selon le Christ et son Église, cette richesse du Christ est parasitée par un prin­ cipe de dissidence travaillant pour le compte du Prince du mal et de sa cité. Il utilise lui aussi les ressources des tempéraments personnels et nationaux. Il entretient des équivoques funestes qui tendent, même quand la bonne foi est certaine, à aggraver les séparations. Il provoque même, mais alors il n’y a plus de bonne foi, la revivis­ cence du péché primordial de schisme, d’hérésie, d’infi­ délité, qui est à l’origine de ces séparations. Ainsi tout le bien surnaturel qui se fait, sous les modalités les plus originales, dans les formations reli­ gieuses aberrantes, est un gain pour la catholicité de notre Église ; mais tous les effets du principe de sépara­ tion sont un gain pour la cité du mal. Le tragique est que, dans ces religions, le bien surnaturel, qu’il faut rat­ tacher au Christ et à son Église, et le mal, qui résulte de leur déviation, peuvent sembler liés ensemble d’une manière aussi indissociable que le sont dans la claudica­ tion la part de la vie, qui remonte jusqu’à la vertu loco­ motrice, et la part de l’infirmité, qui s’arrête au tibia courbé. C’est, on se souvient, la comparaison dont use saint Thomas pour expliquer que, dans l’acte indisso­ ciable du péché, tout ce qu’il y a d’être remonte jusqu’à 1972 IX - l’unité catholique Dieu, cause première de tout l’être, tandis que toute la déviation s'arrête au libre arbitre39. 3. Il reste un point à éclairer. Fout le bien surnaturel qui passe à travers des peuples dissidents est, de ce fait, entravé et encore imparfait; il n’aboutit à former l’Église que dans son état initial, non dans son état achevé. Si, toutes choses égales d’ailleurs, le même bien divin était passé à travers les mêmes peuples, mais cette fois-ci pleinement intégrés dans l’Église, le résultat eût été infailliblement plus pur et plus étendu. Nous avons dit que, dans le premier cas déjà, la catholicité de l’Église se trouvait accrue et enrichie; mais elle le serait bien davantage encore dans notre supposi­ tion. On pourra dire dès lors, en toute vérité, que, tant que ces peuples restent dissidents, il manque quelque chose à la catholicité de l’Église, au point de vue de sa réalisation actuelle et effective. Mais attention ! Ce qui manque alors à la catholicité de ΓÉglise, ce nest pas ce que détiennent les dissidents; cest précisément ce qui leur manque encore, et qu’ils détien­ draient s’ils étaient pleinement intégrés dans l’Église. Sans doute, ce qui appartient à l’Église, voto tantum, seulement spirituellement, seulement en acte initial, ne lui appartient pas encore re et voto, spirituellement et corporellement, en acte achevé. Toutefois, ce qui manque alors à la catholicité de l’Église au point de vue de sa réa­ lisation actuelle, effective, explicite, ce n’est justement pas cela, c’est la marge qu’il y a entre cela et ceci, entre l’acte initial et encore entravé, et l’acte achevé et pleine­ ment épanoui. En sorte qu’on ne peut dire d’aucune 39.1-II, qu. 79, a. 2. LE MYSTÈRE DE L* UNITÉ CATHOLIQUE 1 973 manière que les dissidents détiennent de vrais biens de la foi vive qui manqueraient encore à l’Église. En des matières si délicates, où cependant le moindre flottement de langage peut donner lieu, de la part des non-catholiques, à des interprétations erronées, fâcheuses pour la cause de l’unionisme, la précision semble d’au­ tant plus nécessaire quelle est plus difficile. On nous pardonnera de l’avoir cherchée40. 40. Malgré une identité foncière de la pensée, la manière de parler que nous adoptons ne coïncide pas entièrement avec celle du Père CONGAR, Chrétiens désunis, Principes d'un « œcuménisme » catholique, Paris, 1937, pp. 316 à 319. Signalons quelques différences : Nous sommes amenés à dire que l’Église du Christ, notre Église, plei­ nement catholique au point de vue des possibilités dynamiques de sa sub­ stance vivante, ne réalise explicitement cette catholicité que d’une manière imparfaite. Selon nous, la plénitude ou catholicité de l’agir du Christ et de son Église, parfaite à son terme, est en outre parfaite à chacun de ses moments : d’une manière absolue et théandrique pour le Christ, d’une manière relative pour l’Église. Ce qui manque à cette catholicité sous un aspect, est compensé sous un autre, et ne saurait l’altérer. Ce que nos frères séparés ont soustrait à l’Église et réalisé en dehors de nous, manque à notre catholicité explicite et visible. Selon nous, ce n’est pas le bien surnaturel de nos frères séparés, c’est ce qui manque encore à ce bien, qui manque aussi à l’Église, à sa catholicité explicite et visible. Aussi notre auteur peut-il ajouter aussitôt : Et certes, par une communication vivante toute secrète, ce qu’il y a de pur et de chré­ tien chez les dissidents appartient spirituellement à l’Église. Parce que la Russie est orthodoxe et les Pays Scandinaves luthériens, il manque à l’Église une expression slave, une expression nordique de la grâce une et « bariolée » du Christ. Selon nous, pour autant que la vraie grâce du Christ trouve malgré tout dans ces pays une expression slave et nordique, cette expression, loin de manquer à l’Église, l’enri­ chit. Mais, pour autant que cette expression est entravée par un prin­ cipe de dissidence, alors qu’elle pourrait être parfaite, il lui manque quelque chose, que l’Église pourrait lui donner. 1974 IX - l’unité catholique Suite de lu note 40 : Λ //y a dans ces tempéraments, et en d'autres encore, une manière origi­ nale d'être homme et de vivre humainement qui doit, pour autant, deve­ nir, dans l'unité de l'Église, une manière originale d'être au Christ... Tant que cela n'est pas, comme tel, intégré à l'Église visible, il manque évidemment quelque chose à la catholicité de celle-ci, au point de vue de sa réalisation actuelle et effective. Selon nous, dans la mesure où cela est intégré initialement par la grâce, qui agit jusque dans les dissi­ dences, cela ne manquera pas à la catholicité de l’Église. Mais cela aurait pu être intégré pleinement. La marge entre l’initial et l’achevé, voilà ce qui manque au bien surnaturel que font les dissidents, et par conséquent aussi à l’Église, au point de vue de sa réalisation actuelle et effective. Il nous semble que, du trésor chrétien, dont la substance vivante se trouve tout entière dans l’Église catholique, mais dont l’explicitation n'est que progressive et encore imparfaite, certains éléments, parfois de très grand prix, ont trouvé une mise en valeur particulière en dehors du corps visible de l’Église en une prolifération (illégitime) de formes dissidentes de christianisme. Selon nous, ce qui, dans les dissidences, relève de la grâce du Christ forme l’Église catholique en acte initial et enrichit son extériorisation et sa catholicité ; mais ce qui relève du principe de dissidence mutile la grâce du Christ, empêche la formation de l’Église en acte achevé, tend de soi à appauvrir son extériorisation et sa catholicité. Ce qu'il y a de vrai dans l'expérience religieuse luthérienne manque à l’Église catholique et réclame, par sa nature même, de lui être intégré. Ce qu ’il y a de pur dans la piété protestante ou orthodoxe, ou dans cette « Pietas anglicana » qui donne à l’anglicanisme sa continuité réelle, manque à l’Église catholique ; non à sa substance, bien sûr, qui est réelle­ ment catholique, mais à l'expression, à l’explicitation, à l’incarnation de ses principes vivants, ou du moins à la plénitude de cette expression et de cette incarnation. Écartons le cas d’une expérience religieuse schisma­ tique ou hérésiarque. Disons : ce qu’il y a d’authentique dans l’expé­ rience religieuse de la dissidence luthérienne, orthodoxe, anglicane, appartient déjà initialement à l’Église catholique ; mais ce qui manque encore à cette expérience religieuse mutilée, à savoir sa propre plénitude, voilà ce qui manque encore, sans pourtant l’altérer, à la catholicité de l’agir et de l’extériorisation de l’Église : au sens seu­ lement où il pouvait manquer quelque chose à la catholicité de l’agir et de l’extériorisation du Christ. 1975 VIL Missiologie Nous avons dit que l’élan missionnaire de l’Église, qui la porte de Jérusalem aux extrémités de la terre (Actes, I, 8), de Pentecôte à la Parousie, était adossé à sa catholi­ cité, qu’il était la réalisation dans le registre de l’agir de sa catholicité structurelle et constitutive, et qu’il procé­ dait ultimement des deux grandes missions visibles des personnes à notre monde, celle de l’incarnation, termi­ née au Christ, qui est la tête, et celle de Pentecôte, ter­ minée à l’Église, qui est le corps. Dans ce grand mouvement d’expansion missionnaire, on peut isoler par la pensée un domaine particulier, qui diffère de l’ensemble pour des raisons, non pas formelles, mais seulement matérielles, et pose cependant des pro­ blèmes urgents et originaux : c’est le domaine de ce qu’on appelle ordinairement « l’activité missionnaire », ou « les missions », de l’Église. L’étude théologique de cette activité missionnaire, la missiologie, forme un cha­ pitre, ou plutôt un corollaire, de celle de la catholicité, dont elle développe les conséquences, et relève comme elle de la théologie de l’Église. Nous étudierons successivement ce qui a trait au prin­ cipe de l’activité missionnaire, c’est-à-dire à ses causes efficiente et formelle ; puis au but de l’activité mission­ naire, c’est-à-dire à sa cause finale ; enfin au milieu de l’activité missionnaire, c’est-à-dire à sa cause matérielle. 1. Le principe de l’activité missionnaire La question du principe de l’activité missionnaire, qui semble la plus aisée à résoudre, a été pourtant vivement débattue entre missiologues. 19% IX - l’unité catholique a) La vertu d’apostolicité L'activité missionnaire a lEsprit saint comme Principe incréé et suprême, et la vertu théologale de charité comme principe créé, inhérent à l'Eglise. Du sein de la Déité (Cause première) sort la venu fabricatrice de l’Église, la vertu d’apostolicité, qui passe tout entière par l'humanité du Christ (cause instrumen­ tale conjointe au Verbe), traverse non pas exclusive­ ment41 mais nécessairement la hiérarchie apostolique conservée par une succession ininterrompue (cause ministérielle), pour verser dans le monde le feu d’une grâce et d’une charité pleinement christique et christoconformante : voilà la cause formelle de l’Église, et le principe quo de toute son activité missionnaire. Voilà la flamme qui va chercher à faire sa proie, non certes de tout ce qu’il y a dans le monde - elle épargne ce qui n’est qu’en puissance naturelle à constituer les royaumes de ce monde ; mais de tout ce qui, dans ce monde, est en puis­ sance obédientielle (cause matérielle) à devenir le règne du Christ, l’Église pleinement christoconforme, l’Église dans son acte achevé (cause finale). Le flux de la vertu d’apostolicité constitue l’Église en répandant et en extravasant sur les hommes les richesses de la grâce capitale du Christ. Il les fait participer ainsi aux grandes prérogatives du Christ : à sa royauté et à sa prophétie, avant tout par les pouvoirs juridictionnels ; à son sacerdoce, par les pouvoirs sacramentels ; à sa sainteté surtout, par une grâce qui, reçue par le contact des sacre­ 41. Les grâces données par le Christ à distance, c’est-à-dire sans passer par le contact de la hiérarchie, ne sont pas seulement les grâces exceptionnelles et supplétives par lesquelles il suscite l’Église dans son état initial, mais d’abord les grâces normales et complétives par les­ quelles il conserve et même accroît l’Église dans son acte achevé. Cf. L'Église du Verbe incarné, t. I, pp. 18-20 [dans la présente édition: vol. I, pp. 44-47]. LE MYSTÈRE DE L’UNITÉ CATHOLIQUE 1977 ments et orientée par le contact de la juridiction, est seule pleinement christique et christoconformante. Dans la marche en avant de l’Église, tous les dons charismatiques de la hiérarchie sont en activité. Chacun est premier dans son ordre. Chacun lui est indispen­ sable : le pouvoir de juridiction pour orienter du dehors ses démarches, le pouvoir & ordre pour perpétuer valide­ ment son culte ; mais ces dons charismatiques sont au service du don qui les dépasse tous, à savoir de la charité (I Cor., XII, 31), qui, grâce à eux, peut être pleinement christique. Les apôtres, en qui les richesses de la vertu d’apostoli­ cité préexistaient à l’état primordial et indivisé, étaient non seulement princes de la hiérarchie, mais encore princes de la charité42 : « Il lui dit une troisième fois : -Simon, fils de Jean, m’aimes-tu...? Pais mes brebis» (Jean, XXI, 17). Quand cette charité, nourrie de la contemplation des profondeurs « de la richesse, de la sagesse et de la science de Dieu » (Rom., XI, 33), redes­ cend inaltérée vers le monde, pour surabonder en prédi­ cation et en désir brûlant de l’arracher à la cité du mal et de le gagner au Christ et à son royaume, elle constitue ce que les théologiens appellent l’esprit ou la vie aposto­ lique43. C’est la forme de vie de Jésus et des apôtres ; c’est aussi la forme de vie propre à l’Église44. C’est la plus haute des formes de vie. 42. Cf. L’Église du Verbe incarné, t. I, p. 162 [vol. I, p. 306]. 43. Cf. saint Thomas, II-II, qu. 188, a. 6. «Je compris que l’amour seul faisait agir tous ses membres, que, si l’amour venait à s’éteindre, les apôtres n’annonceraient plus l’Évangile, les martyrs refuseraient de verser leur sang ». Sainte THÉRÈSE DE LISIEUX, Histoire d'une âme, chap. XII. 44. Cf. « L’occupation dominante ou la “forme de vie” de l’Église», dans Études Carmelitaines, avril 1934, pp. 1-17 [texte recueilli dans le vol. V de la présente édition]. 1978 LX - l’unité catholique b) La charité christique est auto-diffusive Dieu est charité, Agapè (1 Jean, IV, 16), et cette charité dont il nous aime, il la manifeste en nous envoyant son Fils unique en victime de propitiation pour nos péchés (IV, 9-10). Parce quelle s’est embrasée au contact de cette Agapè infinie, la sainte humanité du Christ a été dévorée du désir de se donner en victime propitiatoire pour nos péchés, « et non seulement pour les nôtres, mais encore pour ceux du monde entier » (il, 2). C’est le feu consumant de cette agapè que le Christ, avant de monter au ciel, verse dans le cœur de son Épouse, et c’est pourquoi l’Église à son tour est embrasée du désir d’arracher le monde au mal pour le réconcilier avec le Christ. Ecclesia mundus reconciliatus: c’est en réconci­ liant les hommes au Christ, en les lui incorporant, en ne pensant qu’à lui à la manière d’une épouse éprise de son époux, que l’Église, en raison même de son amour de charité pour le Christ, se constitue comme par surcroît: apparaissant où elle est absente ou méconnue, s’enraci­ nant où elle apparaît, fleurissant et fructifiant où elle s’enracine. La charité christoconformante est le principe suprême de l’activité missionnaire, comme de toute l’activité de l’Église. Tout d’abord, elle a son acte propre, qui est de 45. « Le monde damné persécute, le monde réconcilié souffre per­ sécution. Le monde damné, c’est tout ce qui est hors de l’Église ; le monde réconcilié, c’est l’Église, mundus damnatus, quidquid praeter Ecclesiam ; mundus reconciliatus, Ecclesia. A l’intérieur de ce monde saint, bon, réconcilié, sauvé, disons plutôt : à sauver, mais déjà main­ tenant sauvé en espérance ; à l’intérieur donc de ce monde, c’est-à-dire de l’Église, qui tout entière suit le Christ, il est dit pour tous : Celui qui veut me suivre, qu’il se renonce lui-même ». Saint AUGUSTIN, Sermo XCVI, n°* 8 et 9. C’est, aussi nettement que dans saint Paul, l’opposition des deux cités, de la lumière et des ténèbres, du Christ et de Bélial. LE MYSTÈRE DE L*UNITÉ CATHOLIQUE 1979 nous revêtir du Christ (Gal., III, 27) et de nous cacher en lui (Col., III, 3), en vue de nous faire aimer, en lui, Dieu pour Dieu et toutes choses pour Dieu : les hommes d’abord, puis le reste de l’univers. De plus, elle ébranle, elle « informe » toutes les autres vertus, théologales et morales, et toutes les techniques missionnaires : non certes essentiellement et en se substituant à elles, mais efficiemment en les ordonnant à sa propre fin, qui est la fin ultime4647 . Ainsi l’activité missionnaire, comme d’ailleurs l’activité de l’Église entière, est d’abord d’ordre théologal, et ensuite seulement d’ordre moral4 . c) Toute TÉglise est missionnaire Si la charité christoconformante, qui est l’âme créée de l’Eglise, est missionnaire, toute l’Église est missionnaire. 46. «Charitas dicitur esse forma aliarum virtutum, non quidem exemplariter aut essentialiter, sed magis effective, inquantum scilicet omnibus formam imponit... Per charitatem ordinantur actus omnium aliarum virtutum ad ultimum finem». Saint THOMAS, II-II, qu. 23, a. 8 et ad 1. 47. C’est dans l’espoir de mieux montrer que le but des missions est de planter l’Église que certains missiologues comme P. CHARLES, S. J., Les dossiers de l’action missionnaire, Louvain, 1939, et Albert PERBAL, Ο. Μ. I., Premières leçons de théologie missionnaire, Paris, 1937, ont cru devoir attaquer la thèse théologique de la priorité de la cha­ rité. Celle-ci est défendue par P. DE MENASCE, O. P., « Compte rendu bibliographique» paru dans le Divus Thomas, Fribourg, 1942, pp. 199-202: « Bien d’accord avec le Père Charles pour faire de la pantation de l’Église \’œuvre spécifiquement missionnaire, nous ne voyons pas de raison de lui attribuer un motif formel distinct de celui qui commande toute l’activité de l’Église ». Selon le Père Perbal, ajoute le Père de Menasce, « la fonction première de l’Église serait d’ordre moral, non théologal. L’Église serait avant tout société cultuelle. Nous avons montré ailleurs l’insuffisance de cette conception ». Henri DE LUBAC, S. J., rectifie lui aussi la thèse du Père Charles : « On le voit, fonder le devoir missionnaire sur l’idée de charité, est 1980 LX - l’unité catholique On a signalé cetce participation de toute l’Église à l’entreprise missionnaire48 : « Nous qui sommes ses amis, il lui plaît de nous charger de lui gagner des amis : c’est le privilège qu’il accorde à ceux qu’il nomme spéciale­ ment ses Amis dans le Discours après la Cène. C’est qu’il veut les faire participer à une oeuvre qui est par excel­ lence la sienne, l’acquisition de son peuple, la formation et la croissance de son corps : ce n’est pas à notre sys­ tème, à notre idée, que nous partons gagner des partitout autre chose que lui assigner comme unique motif la pitié envers l’infidèle ». Mais sa théologie reste volontairement équivoque et déce­ vante : « Il se peut, à considérer la charité et la religion comme deux vertus particulières, qu’on doive assigner à celle-ci plutôt qu’à celle-là l’activité missionnaire, et il a pu être utile de le préciser pour redresser certaines idées inexactes sur les missions. Il n’en reste pas moins vrai que, si la charité est autre chose qu’une vertu parmi les autres, si elle est au centre de la vie de l’Église comme son âme, on est en droit d’expliquer par elle cette vie et ses principales manifestations ». Le fondement théologique des missions, Paris, 1946, p. 44. A la question : La charité est-elle une vertu spéciale ? saint THOMAS répondait sans hésiter qu’ayant un objet spécial, à savoir le Bien divin qui béatifie, elle est une vertu spéciale ; c’est même à ce titre quelle peut donner le branle à toutes les autres vertus, II-II, qu. 23, a. 4 et 8. A l’endroit même où il explique que la charité inspire toutes les vertus, saint Paul la caractérise comme une vertu distincte, voire séparable, de la foi et de l’espérance (I Cor., XIII, 13). André SEUMOIS, Ο. Μ. I., Vers une définition de l'activité mission­ naire, Beckenried, 1948, p. 24 : «Toutes les raisons apportées (parle Père Charles) pour prouver que la mission n’est pas une œuvre de charité n’ont aucune valeur » : ce qui est critiqué sous le nom de charité n’en est que la caricature. (On pense en effet, à lire le Père Charles, à l’ouvrier qui réclame de son patron « la justice, non la charité ».) 48. Nous nous référons plusieurs fois, dans ces pages, aux études de missiologie du Père Pierre Jean DE MENASCE, O. P., qui sont d’une qualité théologique exceptionnelle, mais qui malheureusement n’ont pas été réunies en volume [Depuis lors, ces études ont été réunies sous le titre : Permanence et transformation de la mission, Paris, Cerf, 1967, avec une préface de C. Journet]. Voici la liste de quelques-unes d’entre elles. - Dans XAnnuaire Missionnaire Catholique de la Suisse, LE MYSTÈRE DE L’UNITÉ CATHOLIQUE 1981 sans, c’est à notre Dieu et à notre Sauveur que nous allons faire de nouveaux amis en leur annonçant sa vérité et son amour... Tous apôtres ! veut donc dire que la cha­ rité demande à croître en nous et parmi nous... »Cela ne veut évidemment pas dire que nous ayons chacun le même rôle dans cette croissance de l’Église que tous et chacun nous devons vouloir de tout notre cœur. L’Eglise a une diversité de fonctions... Quand elle s’avance à la conquête du monde, ce sont ses apôtres en titre, ses prédicateurs et ses pasteurs qui ont la charge de l’établir là où elle n’est pas et de régir cette cellule nou­ velle de manière à la conduire jusqu’à l’âge adulte. Autre chose est donc d’être officiellement investi de cette fonc­ tion par l’Église missionnaire, autre chose de contribuer à son succès par des moyens spirituels (prières, sacrifices) ou matériels (aumônes) spécialement ordonnés à cette fin. Mais toute âme qui répond fidèlement à la gratuité de l’amour divin entre tôt ou tard dans le désir mission­ naire de l’Église et de son Chef, tout de même qu’un chrétien qui réfléchit à sa vocation de membre du Christ en vient à aspirer à s’unir, selon ses forces, au Christ souffrant49... L’Église reconnaît elle aussi l’orientation missionnaire de certains ordres contemplatifs dénués de Fribourg : « Catholicité de l’Église et ordre de la charité », 1939, p. 8 ; «Islam et universalisme », 1940-1941, p, 8 ; «Apostolat civilisateur et colonisation chrétienne, Considérations rétrospectives sur les réduc­ tions du Paraguay», 1942, p. 68 ; « Du rôle des laïcs en pays de mis­ sion», 1943, p. 8; «Les missions et l’après-guerre», 1944, p. 6. Dans Acta Tropica, Bâle, « La doctrine sociale catholique et les mis­ sions d’Afrique », 1945, p. 193. - Dans la Nouvelle Revue de Science missionnaire, Beckenried : « Polarité de l’activité missionnaire », 1945, p. 81 ; « La théologie (protestante) de la mission selon M. Kraemer », 1945, p. 241 ; « Une voix de la jeune Afrique », 1946, p. 161 ; « Sur le nationalisme des pays de mission », 1947, p. 1. 49. « Il importe que les fidèles se rendent compte du devoir sacré qui leur incombe d’aider les missions chez les infidèles ». BENOÎT XV, 1982 IX - l’unité catholique toute activité apostolique extérieure : qu’une carmélite cloîtrée ait été constituée patronne universelle des mis­ sions, aux côtés de saint François Xavier, n’a pas pour raison de flatter une dévotion à la mode. » Il y a donc chez tous les chrétiens enrichis de la grâce une ordination plus ou moins explicite à l’inten­ tion missionnaire de l’Eglise, qui a la même extension que la volonté salvifique du Christ. Le chrétien qui prie avec l’Église prie pour toute l’Église ; quand il s’unit au Sitio de l’Église, c’est jusqu’aux confins de la terre que porte son aspiration. Elle vise donc aussi non seulement la toute première agrégation d’une âme individuelle au corps mystique du Christ par la foi qui lui est proposée, mais, par voie de conséquence et d’achèvement, la constitution parfaite de l’organisme ecclésiastique qui confère à ce croyant, à tous ces croyants parmi lesquels il vit, la plénitude des moyens surnaturels de sanctification que le Christ a déposés dans son Église visible. Nous prions et peinons pour la conversion des non-chrétiens mais aussi, par le fait même, pour leur accession à la vie chrétienne plénière, pour leur agrégation au troupeau de l’Église, pour toutes les étapes qui vont de la conception et de la naissance à la maturité »?0. d) L’état apostolique de la charité christique Le principe de l’activité missionnaire est la charité pleinement christique et christoconformante qui, en rai­ son des énormes difficultés à vaincre, demande à se trouLettre Maximum illud, 30 novembre 1919. Ou, à plus forte raison chez les Gentils qui appartiendraient déjà à l’Église par le désir, et ne seraient donc plus des infidèles. PlE XI, dans son Encyclique Rerum Ecclesiae, 28 février 1926, a substitué, presque partout, au mot infi­ dèles celui de ethnici, que la traduction française rend chaque fois, catastrophiquement, par païens. 50. P. DE MENASCE, « Catholicité... », pp. 11 à 13. LE MYSTÈRE DE L’UNITÉ CATHOLIQUE 1983 ver à l’état de pureté qu’elle avait chez les apôtres et qu’on appelle l’état apostolique. « S’il s'agit bien d’édifier l’Église, le fondement en est la foi, la foi vive s’entend, et ce n’est que par une sur­ abondance de cette foi dans le missionnaire quelle par­ viendra à se répandre avec le degré d’intensité requis par l'état naissant qui est celui de la mission. Il ne s’agit pas seulement de foi dans les promesses faites par le Christ à ses apôtres, de recours à la prière pour le succès de l’œuvre surnaturelle ; il s’agit de cette vie de foi vive, en plénitude, qui est la condition d’une certaine prédica­ tion, précisément de la prédication apostolique qui pénètre pour la première fois dans une matière inerte ou hostile. » Cet état virulent de la foi, cette plénitude de contemplation, c’est là, on le sait, la condition et le prin­ cipe de la plus haute forme de la prédication chrétienne : celle qui tend à élever le fidèle jusqu’aux sommets, à répandre sur lui cette illumination qui, l’attirant vers la Vérité divine, le dispose plus directement à la vie du ciel. L’auditoire, le troupeau du missionnaire, ne représente pas une terre ainsi préparée ; mais l’obstacle qu’il oppose, étant précisément de l’ordre de la foi, et donc radical, fait appel, de la part du missionnaire, à une plénitude analogue de la vertu de foi étayée des dons du Saint-Esprit. Et il s’agit ici formellement de la première vertu théologale, dont l’objet découvre le mystère intime de la Vérité première, et non de ce que l’on appelle 1’#prit de foi, par où l’on entend d’ordinaire un acte parti­ culier de la vertu d’espérance, celui qui, entre autres, anime la prière de demande. La prédication du contem­ platif se définit en effet par cette plénitude débordante. Par là, c’est une cause proportionnée à l’effet qu’on en attend : percée initiale de la foi chez l’infidèle, élévation éminente chez le chrétien ; de toutes façons, c’est un 1984 IX - l’unité catholique régime où l’objet cru et aimé l’emporte sur l’application pratique, et contient celle-ci d’une manière éminente... » Il ne suffit pas que le missionnaire sache que tout est grâce, qu’il prie et demande des prières, qu’il fasse adop­ ter sa mission par des contemplatives ou invite celles-ci à s’établir sur son territoire^1, c’est à lui-même qu’il incombe de vivre de cette plénitude, de ne pas oublier trop tôt... que la prédication qu’il exerce est, en raison de la résistance des auditeurs, la plus difficile de toutes... L’esprit contemplatif n’est pas la chose la mieux partagée du monde parmi les ouvriers évangéliques. L’espérance, le zèle, l’endurance, le sens pratique ne suffisent pas à en tenir lieu. Sans doute ne saurait-on exiger de tous les missionnaires qu’ils soient, à degré égal, des contempla­ tifs, apostoliques en tant que débordants, et ne faut-il pas faire fi de l’action en matière de mission. Mais il nous semble que le ton doit être donné par cet esprit apostolique au sens où il est défini par la grande théologie51 52» Seul l’excès, l’héroïsme, permettra à la divine charité d’être vraiment manifeste selon son mode, à la fois doux et fort, ferme et souple, qui ne se juge qu’à la longue; le monde, lui, s’organise de plus en plus selon un temps qui ignore X épreuve du temps, parce que c’est celui de la jeunesse, cette jeunesse qu’on craint et qu’on flatte et qui, manquant d’expérience, sinon d’ardeur et de pureté, a tant de peine à rester dans la vérité et la justice. Je veux dire que l’apostolat actuel doit être plus que jamais un apostolat où les valeurs de l’esprit, donc de la foi surna­ turelle, soient au premier plan : la lutte n’est pas tant sur 51. On trouvera une liste des « Ordres contemplatifs dans les pays de missions », dressée par Mgr L. BOSSENS, dans X Annuaire mission­ naire catholique de la Suisse, 1946, pp. 30-42. 52. P. DE Menasce, « Polarité... », pp. 82 à 83. LE MYSTÈRE DE L’UNITÉ CATHOLIQUE 1985 le plan pratique que sur le plan de la vérité ; en le procla­ mant, nous n’oublions pas que la vérité surnaturelle est éminemment pratique »53. Nous n’avons qu’un mot à ajouter. La pureté et la virulence de la charité apostolique sont exigées en terre de mission au titre spécial des difficultés énormes à sur­ monter et de la hauteur du but à atteindre. La même pureté et la même virulence de la charité apostolique sont exigées en terre chrétienne, au titre général de la détresse du monde et de la sublimité permanente des fins de l’Église. e) Passer par Dieu pour toucher le monde. Un discours de Pie XI Le propre de l’esprit apostolique est de descendre de Dieu au monde, de toucher Dieu d’abord et le monde à travers lui. La contemplation des saints, « précisément parce quelle ne s’arrête pas dans l’intellect et parce quelle est l’œuvre de l’amour en acte rendant la foi comme expérimentale, et les profondeurs de Dieu sen­ ties dans des ténèbres translumineuses, passe aussi dans l’action en vertu de la générosité même et de l’abon­ dance de l’amour, qui est don de soi. L’action procède alors de la surabondance de la contemplation, ex superabundantia contemplationis, — soit à raison de la nature même de l’œuvre produite, comme la prédication des choses divines, qui demande de soi à déborder d’un cœur uni à Dieu, et qui sans cela reste vaine, - soit à rai­ son du mode selon lequel l’œuvre est produite, et qui fait d’elle, quelle quelle soit, un instrument par où passe le souverain amour pour toucher et vivifier... Le don de sagesse n’a pas pour acte une contemplation qui s’arrête en elle-même, mais qui marche vers ceux qui sont au53. Ibid., pp. 85 à 86. 1986 IX - l’unité catholique dehors et qui rachète le temps... Expliquant les paroles de Jésus : Ignorez-vous qu'il me faut être dans les choses qui sont l'affaire de mon Père, saint Jean de la Croix aimait à citer la sentence de Denys : De totites les choses divines, la plus divine est de coopérer à Dieu pour le salut des âmes... Dieu n’a jamais fini de se donner, il se donne par l’incarnation, il se donne par la mission de l’Esprit. Ce n’est pas pour lui, dit saint Thomas, c’est pour nous que Dieu a fait toutes choses pour sa gloire. Que la contem­ plation surabonde en amour efficace et en action, c’est en nous la correspondance de cette surabondance com­ municative de soi »5455 . De ce point de vue se comprend l’attitude générale que Pie XI, à la fin de sa vie, « peut-être avec un instinct prophétique », recommandait aux chrétiens en pleurant de douleur et de compassion^ : « On parle beaucoup aux catholiques de France de la main tendue. Cette main qui nous est tendue, pouvons-nous la prendre ? Je le vou­ drais bien : une main tendue ne se refuse pas, mais ce ne saurait être au détriment de la vérité. La vérité est Dieu, et Dieu ne peut être sacrifié. Or, ceux qui parlent de la main tendue ne s’expliquent pas nettement à ce sujet. Il y a dans leur langage des confusions et des obscurités qu’il faudrait dissiper. Prenons donc leur main tendue, mais pour les tirer à la doctrine divine du Christ. Et comment les amènerons-nous à cette doctrine ? En la leur exposant ? Non, en la vivant dans tout ce quelle a de bienfaisant. 54. Jacques MARITAIN, «Action et contemplation», dans Questions de conscience, Paris, 1938, pp. 133-137 [O. C., VI, pp. 711-714]. 55. On trouvera ces paroles, adressées aux évêques de France et citées de L'Aube, 15 décembre 1937, vers la fin du livre de Jacques MARITAIN, Christianisme et démocratie, New-York, 1943, p. 96 [O.C.,VII, pp. 754-755]. LE MYSTÈRE DE L’UNITÉ CATHOLIQUE 1987 » La prédication de la vérité n’a pas fait faire beaucoup de conquêtes au Christ ; elle l’a conduit à la croix. C’est par la charité qu’il a gagné les âmes et les a entraînées à sa suite. Il n’y a pas d’autres moyens pour nous de les gagner. Voyez les missionnaires ; par quoi conver­ tissent-ils les infidèles ? Par des bienfaits qu’ils multi­ plient autour d’eux. Vous convertirez ceux qui sont séduits par les doctrines communistes dans la mesure où vous leur montrerez que la foi au Christ et l’amour du Christ sont inspirateurs de dévouement et de bienfai­ sance, dans la mesure où vous leur montrerez que nulle part ailleurs on ne trouvera pareille source de charité. Mettez l’accent sur ce point. Oh ! je sais bien que vous faites beaucoup déjà, vous et vos fidèles, à cet égard, mais il faut aller jusqu’au sacrifice. Vous n’avez pas oublié saint Ambroise demandant qu’on vendît même les vases sacrés pour venir en aide à la misère humaine ». Le principe de l’activité missionnaire, c’est l’Agapè de Dieu pour nous, qu’il a diffusée dans nos cœurs par l’Esprit saint qui nous a été donné (Rom., V, 5). C’est elle qui, s’étant emparée de Paul, le contraint invincible­ ment à évangéliser: «Car, si j’évangélise, ce n’est pas pour moi un titre de gloire. C’est une nécessité qui a fondu sur moi. Et malheur à moi si j’allais ne pas évan­ géliser! » (I Cor., IX, 16). 2. Le but de l’activité missionnaire La question plus délicate du but de l’activité mission­ naire a été vivement discutée par les missiologues ; mais leurs travaux n’ont pas été vains56 : il est possible de 56. On les trouvera pour une part indiqués et discutés par André SeUMOIS, O. M. L, Vers une définition de l’activité missionnaire, Beckenried, 1948, passim. On n’oubliera pas les vues d’un mission- 1988 »·. ix - l’unité catholique dégager des lignes de convergence, et d’assigner la place particulière de la missiologie dans le traité de l’Église. Quant aux divergences qui subsistent, elles sont, croyons-nous, réductibles par une explication plus approfondie de la notion de l’Église. Tout le but spécial de l’activité missionnaire tient en une seule phrase : dans la nuit du monde, partout où l'Eglise nexiste encore qu'en puissance ou qu'en acte initial et entravé, l'établir en son acte achevé, selon les exigences de la charité catholique, c'est-à-dire sous des formes indigènes. A aucun moment cette formule, que nous avons à expliquer, ne fait abstraction de la vertu théologale de charité. C’est le royaume de la charité qu’il faut opposer au royaume du Prince de ce monde. Mais d’une charité issue de la hiérarchie et qui est, de ce fait, sacramentelle et orientée, c’est-à-dire pleinement christique et christoconformante ; ainsi se dissipe une difficulté contre laquelle plusieurs semblent avoir achoppé : ce n’est pas la vertu de religion, c’est notre charité elle-même, qui, pour éclore et être en continuité intime avec celle du Christ, connaturalis et conjuncta charitati Christi, sicut vita membri vitae Capitis, doit être sacramentelle et orientée, et préexige ainsi la hiérarchie apostolique. Et cette charité christique demande, selon ses postulations les plus profondes, à naître d’un laïcat et d’une hiérar­ chie non pas importés de l’étranger, mais indigènes. naire comme le Père Lebbe, qui ont conditionné la parution de la Lettre apostolique Maximum illud, de BENOÎT XV, sur la nécessité de propager la foi catholique par le globe terrestre, 30 novembre 1919; de 1 Encyclique Rerum Ecclesiae, de PlE XI, sur la nécessité de pro­ mouvoir les missions, 28 février 1926 ; et la consécration par Pie XI des six premiers évêques chinois, 28 octobre 1926; voir Léopold Levaux, Le Père Lebbe, Apôtre de la Chine moderne, Bruxelles, 1948. Ni celles de Dom Pierre Célestin Lou TsiENG-TsiANG, Souvenirs et pensées, Paris, 1948, pp. 161 et suiv. LE MYSTÈRE DE L’UNITÉ CATHOLIQUE 1989 a) Dans la nuit du monde, partout où l’Église n existe encore quen puissance ou qu’en acte initial et entravé... 1. Il s’agit, avec les missions, des fins suprêmes de l’Eglise, de prendre place dans le suprême antagonisme de l’Enfant mâle et du Dragon (Apoc., XII, 4), du Christ et de Bélial, de la justice et de l’iniquité, de la lumière et des ténèbres (II Cor., VI, 14-15). Les récents documents des souverains pontifes expri­ ment de mille manières équivalentes le souci mission­ naire de l’Eglise. En voici quelques-unes prises de la Lettre apostolique Maximum illud, 30 novembre 1919, de Benoît XV : envoyer partout des messagers et des ministres de la doctrine révélée et du salut éternel acquis par le Christ au genre humain, aller aux foules assises dans les ténèbres et l’ombre de la mort (Luc., I, 79), communiquer les bienfaits de la rédemption, dilater le royaume de Dieu, gagner des âmes au Christ, promou­ voir le salut éternel, communiquer la vérité et la vie du Christ, sous la pression de la charité du Christ chercher la gloire du Christ, diffuser la sagesse chrétienne pour sauver les âmes, être l’ambassadeur du Christ (II Cor., V, 20), avant tout expliquer la doctrine chrétienne et prêcher l’Evangile, disputer les âmes à l’enfer, secourir ceux qui sont sous la servitude du diable..., etc. Ou de l’Encyclique Rerum Ecclesiae, 28 février 1926, de Pie XI : dilater par toute la terre le règne du Christ, rendre tous les hommes participants du salut de la rédemption, gagner au Christ ceux qui lui sont étrangers, diffuser la vérité évangélique et ouvrir l’unique voie vers le salut, soumettre les multitudes à l’empire de notre très aimant Rédempteur, sauver les hommes et les conduire à la connaissance de la vérité (I Tim., Il, 4-7..., etc.). Ou de ΓAllocution Vivamente gradito, 24 juin 1944, de 1990 3· η» 1» μ-·**· ;ι :»«· IX - l’unité catholique Pie XII : « L'œuvre missionnaire vise à porter le règne du Rédempteur ressuscité à qui toute puissance a été don­ née au ciel et sur la terre, et son empire sur les cœurs, à travers toutes les régions, jusqu'à la dernière chaumière et jusqu'au dernier homme de notre planète'’7... Tout cela afin de rendre des nations étrangères et inconnues, en des terres et continents lointains, participantes de la rédemption et du salut dans le temps et dans l'éternité, de la paix avec Dieu et entre elles-mêmes, de la dignité des chrétiens, qui seule représente la pleine dignité humaine...57 58 ». Ce rappel des documents pontificaux n’est pas inutile : il suffit à redresser les outrances de langage de certains missiologues contemporains^9. 2. Mais dans le vaste affrontement des deux cités antagonistes, il est possible d’isoler un secteur plus res­ treint, particulièrement difficile, qui va faire l’objet pré­ cis de l’entreprise missionnaire et de ce qu’on appelle parfois les « missions étrangères »60. On peut, en effet, avec une suffisante précision, divi­ ser la terre en deux sortes de régions : d’une part, celles où l’Église existe, non pas uniquement en puissance ou 57. Acta Apostolicae Sedis, 1944, p. 208. 58. Ibid., p 209. 59. « Le missionnaire est chargé non de sauver les âmes mais d’ins­ taller là où il n’existe pas encore l’établissement du salut : c’est-à-dire l’Église visible, avec la source jaillissante de sa doctrine et des sept sacrements... Sauver les âmes ou planter l’Église... rien de plus faux que cette confiision... » Pierre CHARLES, S. J., Missiologie, Louvain, 1939, pp. 140 et 81. Les soulignements sont de nous. 60. La notion de mission peut être étendue, et désigner, non plus les missions externes ou étrangères, mais les missions internes. Ainsi le Code de Droit canon parle des « missions » décennales que les curés doivent organiser dans leurs paroisses, can. 1349 ; 1350, § 1. L’abbé GODIN, dans France, pays de mission, 1944, propose de distinguer les LE MYSTÈRE DE I.’UNITÉ CATHOLIQUE 1991 en acte initial et mutilé, mais encore en acte achevé ; d’autre part, celles où, en regard de la cité du mal, l’Église existe uniquement en puissance ou en acte initial et mutilé. Ce sont ces dernières régions, particulièrement mena­ cées, qui constituent le champ propre de l’entreprise missionnaire. b)... rétablir en son acte achevé... 1. Dans les régions où l’Église n’existe qu’en puissance ou qu’en acte initial et mutilé, l’activité missionnaire a pour fin précise et immédiate de la faire passer à l’acte achevé. Là où l’Église n’existe qu’en puissance, c’est le règne de la cité du mal et des ombres de la mort. Là où l’Église n’existe qu’en acte initial et entravé, la grâce et la charité surnaturelle sont présentes ; mais, ou bien elles ne sont pas encore sacramentelles et orientées, ou elles ne le sont que d’une manière insuffisante. Nulle part la grâce du Christ n’est pleinement christique, pleinement christoconformante ; partout elle est mutilée. Avant le Christ, quand l’Église était en préparation, - d’abord sous le régime de la loi de nature, qui s’étendait au monde entier, puis sous le régime de la loi mosaïque, qui restait le privilège du peuple élu, - la grâce ou la cha­ rité, n’étant christique que par anticipation, non par dérivation, ne pouvait être ni sacramentelle ni juridictionnellement orientée, ni donc pleinement christique ; «pays de chrétienté», et les régions ou milieux déchristianisés, qu’il nomme « pays de mission », où le prêtre ne peut se contenter d’être pasteur, mais doit se refaire missionnaire. Sur cette extension du mot de mission, cf. M. LaboüRDETTE et M.-J. NICOLAS, « Théologie de l’apostolat missionnaire», dans Revue Thomiste, 1946, pp. 576 et suiv. 1992 ·· Me π O IX - l’unité catholique pourtant ce stade d’imperfection et d’incomplétude était normal : il représentait une croissance, non une mutila­ tion. Mais le Christ est venu, annonçant la paix aux Gentils, qui étaient distants, et aux Juifs, qui étaient proches, faisant des deux peuples un seul peuple, et fondant l’Eglise, qui est son corps et la plénitude de celui qui remplit tout en tous (Éphés., I, 23 ; II, 14, 17). Désormais, il ny a plus qu 'un seul régime normal pour le monde entier, le régime de la loi évangélique. C’est le régime d’une grâce et d’une vérité qui, dérivant du Christ par contact, c’est-à-dire par le moyen des pou­ voirs hiérarchiques d’ordre et de juridiction, est pleine­ ment sacramentelle et orientée, pleinement christique et christoconformante61. Sans doute, les peuples que n’a pas touchés la hiérar­ chie ne sont pas abandonnés. Dieu, qui veut que tous les hommes soient sauvés et viennent à la connaissance de la vérité (I Tim., Il, 4-7), fait dériver du Christ des grâces de lumière et de sanctification qui les atteignent à dis­ tance, par des voies extra-hiérarchiques, et leur permet­ tent, s’ils les accueillent, d’appartenir à l’Église par le désir et d’être sauvés. Mais ces grâces ne sont que des suppléances. Dans la mesure où elles ne sont pas sacra­ mentelles et orientées, elles ne sont pas pleinement christiques et christoconformantes. Elles souffrent violence, elles sont mutilées. Elles ne donnent naissance qu’à un état initial, précaire, anormal de l’Église. 61. «La loi nouvelle dans ce qu’elle a de principal, quoad suum principale, à savoir la grâce de l’Esprit saint, a été donnée dès le com­ mencement du monde. Mais la loi nouvelle prise dans son intégrité, secundum se totam, en tant qu’elle inclut la grâce de l’Esprit saint et la doctrine du Nouveau Testament, contient l’abondance de la grâce, la perfection de la vie, les sacrements de la grâce». CAJETAN, I-II, qu. 106, a. 3. LE MYSTÈRE DE L’UNITÉ CATHOLIQUE 1993 2. A la question de la nécessité des missions, il ne suffit donc pas de répondre, comme quelques-uns l’ont fait, que les missions ne sont nécessaires que relativement, pour que le plan divin du salut du monde s’accomplisse mieux, ad melius esse salutis. Il faut répondre qu’elles sont nécessaires absolument, pour que le plan final du salut du monde s’accomplisse vraiment et que la loi évangélique soit promulguée, ad esse simpliciter salutis novae legis ; pour arracher les hommes à une condition viciée et anormale, où le salut du Christ ne leur est accessible que «par le désir », d’une façon seulement inchoative, impar­ faite, périlleuse ; où ils peuvent être sans doute, dans les meilleurs cas, des « sauvés » par le Christ et l’Église, mais pas encore, du moins pleinement, des « sauveurs » d’au­ trui, dans le Christ et l’Église. La tâche urgente des missions, toujours et partout, est d’affronter la cité du mal, d’opposer le Christ à Bélial, la lumière aux ténèbres, la vie à la mort. Les missions n’ont aucunement pour fin de remplacer un régime de salut normal mais imparfait par un autre régime de salut nor­ mal mais parfait : elles ne seraient alors en effet qu’une question de plénitude de vie. Les missions ont de soi pour fin d’opposer à la cité de la mort le seul régime de salut aujourd’hui normal, celui de la loi nouvelle et de l’Église en acte achevé : elles sont d’abord et de soi une question de vie et de mort. C’est par accident, et cet acci­ dent est heureusement rendu très fréquent par les secours de suppléance que le Christ envoie à distance dans les régions que n’a pas encore touchées la hiérar­ chie, - c’est par accident que les missions rencontrent, soit des âmes isolées, soit des formations entières où la grâce est vivante, mais captive et mutilée ; elles s’em­ ploient alors à dégager cette grâce : ce n’est plus sans doute ici une question de vie et de mort, mais ce n’est pas non plus une simple question de plénitude de vie, 1994 IX - l’unité catholique c'est une question de désent ravement de la grâce captive et de purification des erreurs qui la mutilent62. 3. «A quoi tendent les saintes missions, demande Pie XI dans PEncyclique Rerum Ecclesiae, sinon, dans l’immensité de ces régions, à instituer et à établir l’Église du Christ, nisi ut in tanta immensitate locorum Ecclesia Christi instituatur ac stabiliatur ? »63 Instaurer et établir l’Église, la faire passer de la puis­ sance à l’acte, ou de l’acte initial et entravé à l’acte achevé, dans lequel seul la grâce est pleinement christique, c’est-à-dire sacramentelle et orientée, cela suppose l’instauration et l’établissement de deux données corréla­ tives et indissociables : d’une part, d’un peuple fidèle en qui la vie et la sainteté du Christ existe à l’état formel et terminal ; d’autre part, des pouvoirs hiérarchiques régu­ liers d’ordre et de juridiction en qui la vie et la sainteté 62. « Ce qu’on trouve à la base de l’apostolat missionnaire, pour le légitimer et l’expliquer, ce n’est pas tant une question de vie et de mort pour les païens, qu’une question de plénitude de vie ». Même si l’on ajoute, avec son auteur, que la question de vie et de mort inter­ vient fréquemment dans le salut des Gentils — ne disons pas des païens - cette vue du chanoine GLORIEUX, citée dans André SEUMOIS, Vers une définition de l’activité missionnaire, pp. 11, 14, 41, ne nous paraît pas exacte, faute de laisser entendre qu’en raison du progrès de la révélation divine, le seul régime de salut aujourd’hui normal est celui de la loi évangélique et de l’Église en acte achevé. Tant que la cité du mal réussit à contrecarrer le plan suprême de salut voulu par Dieu pour le monde, la nécessité de lutter contre elle et de lever l’obstade est, non pas seulement relative, ad melius esse ; elle est absolue, ad esse simpliciter. Dire que la fin des missions est d’abord et en soi d’épa­ nouir le monde des Gentils, et ensuite et par accident de le sauver, c’est, à nos yeux, d’une part renverser l’ordre des fins et des valeurs, et d’autre part oublier que le régime jadis normal de la loi de nature a fait place aujourd’hui chez les Gentils au régime anormal des grâces de suppléance données à distance. 63. Acta Apostolicae Sedis, 1926, p. 74. LE MYSTÈRE DE L’UNITÉ CATHOLIQUE 1995 du Christ n’existent qu’à l’état virtuel, ministériel, ins­ trumental. L’apostolat missionnaire tend simultanément à cette double instauration corrélative d’une Église issue de la hiérarchie et d’une hiérarchie donnant naissance à l’Église. Il est d’abord une œuvre d’enfantement, Réduction de la puissance à l’acte : il faut, dit Pie XI, éduire le pro­ chain des ténèbres qui s’accumulent sur lui, e superstitio­ nis tenebris educendos, pour le pénétrer de la foi authen­ tique du Christ64 ; et il est ensuite une œuvre (^edu­ cation, conduisant l’Église de l’âge naissant à l’âge adulte, où elle apparaîtra comme vraiment fondée65. Quand les missionnaires, dit Benoît XV, auront réussi « à faire pas­ ser un peuple des impuretés de son héritage, ab impura superstitione, à la sagesse chrétienne, et à fonder en lui solidement l’Église, Ecclesiamque ibi satis firme fundasse, qu’ils passent eux-mêmes, comme des soldats d’élite du Christ, à d’autres nations pour les arracher des mains du diable»66. Dans son Allocution du 24 juin 1944, Pie XII rappelle que « le grand but des missions est d’éta­ blir l’Église dans des terres nouvelles et de lui faire pous­ ser là-bas des racines assez profondes pour quelle puisse 64. Ibid., p. 68. 65. André SEUMOIS, Vers une définition..., pp. 7 et 8, transcrit plu­ sieurs passages de Th. GRENTRUP, S. V. D., Jus Missionarium, Steyl, 1925 : « Deux choses sont requises : 1° il faut planter la foi, ou faire de nouveaux fidèles ; 2° il faut consolider la foi plantée. D’où il résulte que le ministère du missionnaire ne saurait s’achever à l’ins­ truction des catéchumènes et à l’administration du baptême... L’activité de la mission commence par la prédication de l’Évangile et s’étend progressivement au plein exercice du ministère sacerdotal et pastoral... La terre des missions est celle où la religion catholique, bien qu elle réside déjà dans le peuple, demeure encore à l’état nais­ sant et n’est point encore parvenue à son existence parfaite. L’Église, en terre de missions, n’est pas encore adulte... » 66. Lettre Maximum illud, dans Acta Apost. Sedis, 1919, p. 453. 1996 IX - l’unité catholique un jour vivre et se développer sans le secours de l’œuvre des missions. L’œuvre des missions n’est pas à elle-même son but : elle tend ardemment à cette haute fin, mais elle se retire quand ce niveau est atteint »67. Alors, à la période de mission succédera la période de pastoration68. Mais la mission et la pastoration s’opposent comme l’imparfait et le parfait, non comme le mouvement et le repos, le dynamique et le stagnant. L’élan missionnaire qui porte l’Eglise de Pentecôte à la Parousie les traverse l’une et l’autre. Saint Athanase et saint Augustin étaient des pasteurs. c) ... selon les exigences de la charité catholique, c’est-à-dire sous des formes indigenes 1. Il s’agit d’établir l’Église selon la loi de la charité du Christ, qui est l’âme créée de l’Église, et qui de sa nature est catholique. ·<· J 5# i 67. « Il grande scopo delle missioni è di stabilire la Chiesa nelle nuove terre e di farle ivi mettere salde radici tanto da poter un giorno vivere e svilupparsi senza il sostegno dell’ Opera delle missioni...» Acta Apost. Sedis, 1944, p. 210. 68. « Si l’on pose comme fin de la mission la prédication de la foi, purement et simplement, le panage est tout indiqué : le missionnaire doit prêcher, convertir quant à la foi et quant aux mœurs, et passer à de nouveaux champs d’évangélisation. Mais personne ne conçoit ainsi l’apostolat : les Apôtres eux-mêmes, qui en seraient l’exemple le plus approché, ont complété par l’institution des pasteurs ce qui était requis pour assurer la stabilité, la conservation et le progrès de leur œuvre ; ils ont été eux-mêmes, en bien des cas, les premiers pasteurs. Aujourd’hui que nous apparaissent mieux les exigences de la cause matérielle de la mission..., l’aspect pastoral de la mission passe au pre­ mier plan. C’est le signe d’une réalité profonde : à savoir que la mis­ sion, dès le début, sait quelle cessera d’être mission pour devenir église constituée, in facto esse·, une vie pleine, douée de tous ses organes et usant de sa liberté pour inspirer des institutions et diriger les techniques... Ce que je voudrais suggérer, c’est que l’état de mis- LE MYSTÈRE DE 1,’UNITÉ CATHOLIQUE 1997 Les missionnaires, clercs ou laïques, n’ont point pour fin d’importer avec eux des populations chrétiennes étrangères, et de refouler les populations indigènes : leur souci n’est pas de faire la croisade, de conquérir la terre par une guerre sanglante, de fonder de nouveaux États de l’Église, ou à défaut quelque « royaume franc de Jérusalem »69. Ils ont pour fin, sans verser d’autre sang que le leur, de faire sortir l’Église du sein même des populations indigènes, de la faire passer par leurs services ministériels de la puissance à l’acte achevé. C’est l’erreur et le péché qui sont évacués ; tout le reste est gardé pour être illuminé. 2. La loi de la charité est double et va, de ce fait, don­ ner lieu à une dialectique intérieure à l’Église, dont les missions offrent un bel exemple ; mais ceux qui regar­ dent l’Église sans la voir n’aperçoivent que de l’incohé­ rence. sion a plus de durée qu’il ne semble, et que la mentalité du mission­ naire risque de céder trop tôt le pas à celle du pasteur... » Pierre Jean DEiVÎENASCE, « Polarité... », p. 82. 69. L’opposition entre la croisade et la mission est indiquée par P1E XII, dans son Allocution du 24 juin 1944, Acta Apost. Sedis, 1944, p. 208. Elle pourrait être développée rigoureusement. La croisade est une entreprise de la chrétienté, la mission une entreprise du christia­ nisme. La croix que les croisés opposent au croissant est le signe d’une formation temporelle chrétienne, et c’est pourquoi elle n’exclut pas le glaive ; la croix des missionnaires est toute spirituelle, elle exclut le glaive: « Remets ton glaive à sa place» (Mt., XXVI, 52). Le saint de la croisade, c’est saint Louis ; le saint de la mission, à la même époque, c’est François d’Assise. Le temps de la croisade, qui était celui d’une chrétienté, était temporaire, et il est passé ; le temps de la mission, qui est celui du christianisme, est permanent, il sub­ siste seul. Cf. Exigences chrétiennes en politique, Paris, 1945, p. 271 [* Politique divine ou politique chrétienne ? », § 2]. 1998 LX - l’unité catholique Il y a d’une part une loi de la charité, qu’on peut appeler fondamentale ou commune, qui est d’accueillir tout ce qu’il y a de légitime chez les hommes pour le purifier, le pénétrer du dedans ou d’illuminer du dehors. Elle s’applique dans la majorité des cas, ut in pluribus. C’est elle qui régit, non pas certes exclusivement, mais du moins principalement, ce que les anciens appelaient l’état de la vie commune, où l’homme garde le droit de posséder, de se marier, d’organiser ses occupations. Elle ouvre la voie des préceptes évangéliques. Et il y a d’autre part une autre loi de la charité, qu’on peut appeler exceptionnelle ou héroïque, qui est de demander le sacrifice même des biens légitimes et authentiques en vue de biens plus hauts et plus purs. Elle s’applique souvent, elle intervient même dans chaque vie, mais elle n’est pas la plus fréquente : quand l’héroïsme est demandé d’une façon constante à l’en­ semble des hommes, les temps sont anormaux et les défaillances innombrables. C’est cette loi qui domine dans ce que les anciens appelaient l’état de la vie parfaite, où l’homme renonce aux biens extérieurs, au mariage, à la libre disposition de lui-même. Elle ouvre la voie des conseils évangéliques70. C’est le jeu de cette double loi qui donne naissance à la dialectique intérieure de la charité missionnaire. Obéissant à la loi de l’héroïsme, le missionnaire s’arrache aux siens, à sa patrie, à sa culture, « il oublie son peuple et la maison de son père », il s’efforce de prendre la langue, les coutumes, la vie d’un peuple lointain, d’imi­ ter notre Sauveur qui s’est dépouillé lui-même en pre­ nant une forme de serviteur et en devenant semblable à nous (Philipp., II, 7) : voilà le fortiter de la charité. Le 70. Sur l’état de la vie commune et l’état de la vie parfaite, voir plus haut, p. 1675. LE MYSTÈRE DE L’UNITÉ CATHOLIQUE 1999 but du missionnaire n’est pas seulement d’apporter à ce peuple la vie divine, mais de tout préparer pour qu’un jour elle puisse lui être dispensée d’une manière pleine­ ment connaturelle, par la médiation d’une hiérarchie qui, étant prise des enfants de ce peuple, n’offre plus rien qui, même involontairement, puisse l’humilier, le heur­ ter, le surprendre : voilà les condescendances et le suavi­ ter la charité. « Étant catholique, l’Église de Dieu n’est étrangère en aucun peuple, en aucune nation : il convient donc que tous les peuples lui donnent des ministres sacrés qui enseigneront la loi divine à leurs semblables et les conduiront dans la voie du salut. Partout où se trouve en suffisance un clergé indigène dûment formé et digne de sa sainte vocation, on pourra dire que l’œuvre du missionnaire est heureusement ache­ vée, et que l’Église y est vraiment fondée » ’. Il faut qu’il y ait une Église chinoise 2 : non pas certes une Église qui se confonde avec la nation chinoise ; mais une Église qui utilise pleinement et librement, pour les fins du royaume qui n’est pas de ce monde, les ressources de la nation chinoise 3. 71. BENOÎT XV, Lettre Maximum illud, A. A. S., 1919, p. 445. 72. Père LEBBE, dans Léopold LEVAUX, op. cit., p. 208. 73. « Les missionnaires de ces premiers âges constituèrent l’Église avec la hiérarchie originaire du pays et ils utilisèrent pour la liturgie la langue qu’ils trouvèrent sur place... Nous avons tenté de faire passer l’Orient à travers une hiérarchie étrangère et à travers le latin, et l’Orient n’a pas passé. En 1615 le pape Paul V, en concordance avec le vœu de saint Bellarmin, avait accordé à la Chine l’usage de la langue littéraire chinoise pour la liturgie, qui eût été conforme au rit latin. La concession n’a pas été mise en acte. Cet aspect du problème, lui aussi, n’échappa guère à Mgr Pallu. Et il attendait qu’on lui accor­ dât, en 1673, l’induit qui précédemment avait été concédé aux Jésuites. Que de missionnaires ont consumé leur vie en ces régions d’antique civilisation, y prêchant l’Évangile! Ils forment une armée immense ; la sainteté, le zèle, la science, la faveur des pouvoirs poli­ tiques ne leur ont pas manqué. Mais quels sont les résultats ? Et erat 2000 IX - l'unité catholique 3. Cette dialectique de la charité 4 est reconnaissable dans les documents où les souverains pontifes signalent la nécessité du clergé indigène. Comment les apôtres et les missionnaires de l’âge sub­ apostolique ont-ils converti le monde antique ? « On n’a peut-être jamais suffisamment réfléchi, écrit Pie XI dans l’Encyclique Rerum Ecclesiae, à la méthode et à la manière dont a commencé dans tous les peuples la providere miseriam ». Conférence de Mgr Celso COSTANTINI, Secrétaire de la S. C. de Propaganda Fide, publiée dans ï'Osservatore Romano du 25 janvier 1940 ; cité par Dom Pierre Célestin LOU, Souvenirs et pen­ sées, 1948, p. 108. 74. Elle est analysée avec pénétration par Pierre Jean DE Menasce, «Catholicité de l’Église...», pp. 14 et 15: «Peut-on concevoir que la hiérarchie d’une Église soit entièrement étrangère? N’y aurait-il dans cette hypothèse que des inconvénients pratiques, réels certes mais accidentels ? A la rigueur, par exemple dans le cas exceptionnel des Églises du temps des Apôtres, rien ne s’oppose à ce que la hiérarchie soit tout entière d’importation. Encore n’est-ce qu’un état de soi temporaire : l’âge apostolique est un âge de mission. Mais nous aurions sans doute tort de croire, parce que les pouvoirs hiérarchiques de l’Église sont surnaturels, qu’il est absolument indif­ férent à sa constitution, en tant qu’Église militante, que les porteurs de ces pouvoirs viennent de loin ou de près, soient missionnaires ou indigènes... Si la loi d’expansion de la charité chrétienne tend à repousser les limites où nous retiennent nos proximités sociales, elle ne violente pas pour autant l’intimité et l’intensité inhérentes à l’amour de nos proches ; bien plus, elle l’assume, elle le surnaturalise intrinsèquement. Le mystère que constitue pour nous l’ordre de la charité est précisément cette conciliation des deux directions, ce res­ pect de l’individuel et de l’universel, du tout proche et du très loin­ tain. Ainsi le précepte apostolique du Christ nous fait-il quitter les nôtres pour l’annoncer, comme étrangers, à d’autres en d’autres pays ; mais c’est, au terme, pour susciter ailleurs que chez nous une Église de proches, une unité en laquelle se retrouve cette même proximité à laquelle nous, pour l’amour du Christ, nous avions renoncé... Tout le but de notre exil n’a été que de transférer des hommes appartenant à une patrie terrestre autre que la nôtre, dans une nouvelle patrie qui est de tous les lieux et qui pourtant est bien la leur, qui n’est pas ce LE MYSTÈRE DE L* UNITÉ CATHOLIQUE 2001 pagation de l’Évangile et la constitution de l’Eglise de Dieu... Nous avons déjà rappelé que, d’après les premiers documents littéraires de l’antiquité chrétienne, il appa­ raît clairement que les apôtres préposaient à chaque nou­ velle communauté de fidèles un clergé non pas importé d’ailleurs, mais choisi et élu parmi les enfants de la région... A quoi tendent les saintes missions, sinon, dans l’immensité de ces régions, à instituer et à établir l’Église du Christ ? Et comment se constituera-t-elle chez les Gentils, sinon par tous les mêmes éléments qui l’ont jadis formée parmi nous, c’est-à-dire en demandant à chaque région des fidèles, son clergé, ses religieux et ses religieuses ? »75 Le prêtre indigène connaît le cœur du peuple qu’il évangélise et parle sa langue. « Le prêtre indigène, que quelle est pour nous, un exil. La raison d’être de l’exilé du Christ est de préparer en son nom l’avènement d’une nouvelle vie de famille... Le sacerdoce chrétien n’est pas lié à une race, à une caste, à une magistrature : tout peuple, dès là qu’il est chrétien, a le privilège de se donner des prêtres, c’est-à-dire de présenter de ses enfants à la consé­ cration sacerdotale du Christ. Relisons l’Épître aux Hébreux : le prêtre est pris, assumptus, du sein du peuple... Ainsi le sacerdoce chré­ tien, unique en ce sens qu’il dérive par les Apôtres du Christ lui-même, ce même sacerdoce, en tant qu’il se recrute dans tous les peuples, exprime merveilleusement et l’unité et la catholicité de l’Église dont il est l’agent privilégié ». Cf., même auteur, « Sur le nationalisme... », p. 1 : « L’épiscopat est, de soi, indigène ; tant qu’il ne l’est pas, c’est un signe que l’Église n’est pas encore parvenue à la plé­ nitude de son âge... » 75. A. A. S., 1926, p. 74. - Le Père Lebbe écrivait de Ning-pô, le 18septembre 1917, à son évêque Mgr Reynaud : «Toute l’histoire de l’Église le dit, depuis ce fait qu’un clergé national peut seul com­ prendre, pénétrer, convertir l’âme d’un peuple; qu’il ne s’est pas vu une nation, pas une, convertie sous un clergé étranger. Voilà qui est frappant. Si Votre Grandeur doutait de la nécessité absolue d’un clergé national complet pour arriver à la conversion d’un pays (non pas d’unités sporadiques, mais d’un pays), je voudrais reprendre avec Elle l’histoire de l’évangélisation des peuples. C’est concluant comme un 2002 IX - l’unité catholique tout, naissance, esprit, sensibilité, tendance, rattache à ses ouailles, est merveilleusement instruit pour acclima­ ter la foi dans leurs âmes ; bien mieux que tout autre, il sait par quels moyens gagner leur cœur. Il a ainsi un accès facile, là où le prêtre étranger ne peut entrer»76. Pie XI, qui cite ces paroles de son prédécesseur, ajoute que « les missionnaires étrangers, faute d’une connais­ sance parfaite de la langue, sont parfois si empêchés de traduire leur pensée, que la force et l’efficacité de leur prédication en sont considérablement affaiblies »7 . Le troisième argument, commun à Benoît XV et à Pie XI, c’est que, lorsque les étrangers sont chassés d’un pays, l’Église n’y subsiste plus que grâce au clergé indi­ gène78. Quand la hiérarchie est indigène, l’œuvre de la mis­ sion est accomplie ; l’œuvre de la pastoration peut s’exerfait. Que penser donc de la Chine, qui diffère non seulement de nationalité, mais de race, et dont nous aimons à noter les susceptibili­ tés ombrageuses à l’égard de l’étranger ». Léopold LEVAUX, op. rit., p. 200. 76. Benoît XV, A. A. S., 1919, p. 445. 77. A. A. S., 1926, p. 75. 78. « La tragique expérience du Japon ne doit jamais être perdue de vue. Si le Japon avait eu un évêque japonais lorsque son territoire fut interdit aux missionnaires étrangers, peut-être aujourd’hui serait-il complètement ou au moins en grande partie chrétien». Mgr Celso COSTANTINI, Bulletin des Missions, St André-lez-Bruges, 1945, p. 87. « En dépit des immenses et incontestables mérites des Jésuites du Paraguay..., il y avait dans leur œuvre deux grosses lacunes : ils n’ont pas donné aux Guaranis un clergé sorti de leurs rangs et ils ont négligé de former une élite sociale capable de prendre en main la direction de la nation... Privés de leurs Pères au spirituel et au tempo­ rel par l’inique décret de bannissement de 1768, les Guaranis se trou­ vèrent... sans les cadres ecclésiastiques et civils qui auraient permis à leur république de traverser cette crise et de subsister». Dom DE W1TTE, Bulletin des Missions, 1949, p. 228. LE MYS TÈRE DE Ü UNITÉ CATHOLIQUE 2003 cer à plein ; les souverains pontifes invitent les mission­ naires à passer à d’autres régions. 4. Tant que l’Église n’a pas encore passé de la puis­ sance, ou de l’acte initial et entravé, à l’acte achevé, et cela selon le vœu de la charité catholique qui réclame des réalisations indigènes, elle n’existe pas encore sous une forme connaturelle, elle est dans un état provisoire. Elle peut être déjà achevée du côté de sa cause formelle et posséder la grâce sacramentelle et orientée ; mais cette cause formelle n’est pas suffisamment enracinée dans l’âme des peuples quelle vivifie. C’est en pensant à l’enracinement de l’Église dans l’âme d’un peuple, c’est-à-dire en se plaçant au point de vue de la causalité matérielle, que les missiologues parlent, pour une Eglise particulière, d’un âge ou d’un état naissant, ou au contraire d’un âge ou d’un état adulte, selon que sa hiérarchie est encore d’importation étrangère, ou au contraire déjà de provenance indigène. «Nous prions et peinons pour la conversion des infi­ dèles, mais aussi, par le fait même, pour leur accession à la vie chrétienne plénière, pour leur agrégation au trou­ peau de l’Église, pour toutes les étapes, qui vont de la conception et de la naissance à la maturité. Qu’est-ce donc que l’âge adidte d’une Eglise ? — Le moment où elle se trouve constituée dans son intégrité, dans son indé­ pendance relative, dans sa subsistance de partie à l’inté­ rieur du corps de l’Église universelle où se perpétuent l’unité du bercail de Pierre et la multiplicité des trou­ peaux régis par les successeurs des apôtres. Le Christ a fondé l’Église dans ses pasteurs. Elle croît en tant que les fidèles quelle s’agrège sont en mesure de constituer non seulement un tissu nouveau, mais une véritable par­ tie, informée par une hiérarchie capable de se renouveler et de se perpétuer sur place. Ainsi, le but de la mission, 2004 IX - l’unité catholique c'est bien l’établissement de l’Église visible (et l’Église commence avec le premier homme qui reçoit la foi et le baptême), mais elle n’est achevée comme Église qu’au moment où elle se trouve dotée d’une hiérarchie propre » 9. Les deux sacrements que saint Thomas appelle sociaux à un titre particulier, parce qu’ils réparent l’usure que l’existence dans le temps inflige au corps mystique79 80, à savoir l’ordre et le mariage, demandent à être pleine­ ment acclimatés dans l’Église à l’âge adulte, pour en assurer la stabilité et la fécondité : « L’épiscopat est, de soi, indigène ; tant qu’il ne l’est pas, c’est un signe que l’Église locale n’est pas encore parvenue à la plénitude de son âge, qu’elle n’a pas encore acquis ses organes essen­ tiels, seuls capables d’assurer sa stabilité et sa fécondité : la famille et le sacerdoce chrétien, fruits l’un et l’autre d’un sacrement social. Adulte, l’Église devient une partie intégrante de la Catholica. La mission préparait cette intégration et n’a plus qu’à disparaître »81. d) La métaphore : « planter l Eglise » 1. D’une manière générale, \'apôtre, le missionnaire, ou si l’on veut le missionné, qui pénètre en des régions nouvelles ou interdites pour y faire lever l’Église en acte 79. Pierre Jean DE MENASCE, « Catholicité de l’Église... », p. 13. 80. III, qu. 65, a. 1 : « Ordo contra dissolutionem multitudinis... Matrimonium contra defectum multitudinis qui per mortem acci­ dit ». Voir plus haut, p. 1117. 81. Pierre Jean DE MENASCE, «Sur le nationalisme...», p. 1. Mgr Celso COSTANTINI, Le Bulletin des Missions, 1945, p. 86: « Quand une mission devient sédentaire et se fixe dans un lieu déterminé pendant un, deux, ou trois siècles, elle vieillit et décline, parce quelle perd son véritable caractère. Au lieu de donner nais­ sance à l’Église, elle crée une colonie religieuse étrangère ». Et encore, p. 85 : « Quand j’annonçai au Ministre des Affaires Étrangères de Chine LE MYSTÈRE DE L’UNITÉ CATHOLIQUE 2005 achevé, avec la grâce pleinement christique, c’est-à-dire sacramentelle et orientée, peut être comparé au grain de blé qui meurt et donne beaucoup de fruit, à la semence qui prépare une moisson, au grain de sénevé qui donne une grande plante ligneuse où les oiseaux du ciel vien­ nent se reposer. « Ils sont ceux qui, au temps de leur vie charnelle, ont planté l’Église en donnant leur sang, plantaverunt Ecclesiam sanguine suo ; ils ont bu le calice du Seigneur et sont devenus les amis de Dieu », chante la liturgie de la fête des apôtres82. Ce ne sont pas tous les fidèles du Nouveau Testament, mais seulement les premiers d’entre eux, qui, au jour de Pentecôte, sont touchés par une mission visible de l’Esprit saint ; mais cela suffit, explique saint Thomas, « car ces fidèles de la primitive Eglise étaient en quelque sorte comme une semence spi­ rituelle, semen quoddam spirituale, par qui la foi allait se propager dans toutes les nations ; s’ils sont l’objet d’une mission visible, c’est pour manifester qu’ils ont à planter l’Eglise dans la connaissance de Dieu par le monde entier, per eos plantanda erat Ecclesia in cognitione Dei per universum mundum »83. C’est la tâche de «fonder l’Eglise », plutôt que de «planter l’Église» que saint Thomas laisse aux succes­ seurs des apôtres84. Chaque fois qu’il rencontre le texte que le pape Pie XI avait décidé de consacrer six évêques chinois, il me dit: Eh bien, aujourd’hui un grand pas est fait dans l’histoire des missions. Vous avez, depuis trois siècles, apporté le christianisme en Chine comme autant de plantes dans des pots séparés. Vous pouvez multiplier ces pots, ils ne deviendront jamais forêt. Mais maintenant, en enracinant les plantes au sol, elles se multiplieront d’elles-mêmes naturellement et pourront un jour faire une forêt ». 82. Premier répons du troisième nocturne. 83.1 Sent., dist. 16, a. 2, ad 2. 84. André SEUMOIS, Vers une définition..., p. 28, cherche, lui aussi, à réserver aux apôtres l’expression de planter l’Église : « Constituer, 2006 3» IX - l'unité catholique de Mt., XXIV, 14 : « Et cet Évangile du royaume sera prêché dans tout l'univers, pour prendre à témoin toutes les nations, et alors viendra la fin », - après avoir écarté la folle, stultissima, distinction entre l’Évangile du Christ et un soi-disant Évangile de l’Esprit et du royaume, qui viendrait annoncer la fin du monde, - il rapporte les deux seules interprétations possibles: 1° la prédication de l’Évangile dans le monde antique est achevée au temps des apôtres, au moins confusément, secundum famam, et la fin est la ruine de Jérusalem : c’est l’inter­ prétation de Chrysostome, que semblent préférer les exé­ gètes ; 2° la prédication de l’Évangile ne sera pleinement achevée, secundum fundationem, que lorsque l’Église aura été fondée dans chaque peuple, ita quod in qualibet gente fundetur Ecclesia, alors viendra la fin du monde : c’est l’interprétation d’Augustin8\ Récemment, Mgr Celso Costantini éclairait la méta­ phore aujourd’hui fréquente de la plantation de l’Église, par les images évangéliques : « Planter l’Église, cela veut dire porter en main le grain de sénevé, le semer et le lais­ ser ensuite se développer de lui-même. Il ne s’agit pas de transporter un arbre adulte et de le transplanter tel quel, non. Un arbre adulte prend difficilement et s’acclimate difficilement, tandis qu’une semence pousse tout de suite des racines, se développe et se multiplie naturelie­ planter, fonder, stabiliser, etc., sont des expressions qui répondent au même concept. Le P. Grentrup utilise de préférence l’expression plan­ ter et stabiliser, et le P Charles celle de planter stablement. Nous pré­ férons cependant implanter ou implantation de l’Église, pour mieux distinguer la fonction missionnaire de la plantation initiale de l’Église par le collège apostolique, et parce que ce terme marque mieux à la fois l’origine étrangère de la mission, l’identité de nature entre l’Église mère et la jeune Église..., la stabilité et l’indigénéité auxquelles l’effort missionnaire doit aboutir dans la constitution de la nouvelle Église ». 85. Saint THOMAS, I-II, qu. 106, a. 4, ad 4; Comm, in Mt., XXIV, 14 ; Comm. in Rom., X, 18 ; Comm, in Col., I, 6. LE MYSTÈRE DE l’UNITÉ CATHOLIQUE 2007 ment, s’adaptant aux conditions du terrain et de l’atmo­ sphère. C’est ainsi que firent les apôtres et les mission­ naires qui leur succédèrent, et, en trois siècles, ils conver­ tirent l’empire romain ou du moins l’acheminèrent vers la conversion »86. Jusqu’ici, nulle dissociation n’apparaît entre la tâche de sauver les âmes et celle de fonder l’Église. Pie XI ne sépare pas « la prédication de l’Évangile et la constitution de l’Église de Dieu »87. 2. Mais on peut reconnaître par la pensée plusieurs stades dans le progrès du travail missionnaire. Tout d’abord le missionnaire annonce l’Évangile, bap­ tise, dispense la confirmation, la pénitence, l’extrême-onc­ tion, et surtout l’eucharistie. Là où l’Église n’existait qu’en puissance ou qu’en acte initial entravé, il la fait apparaître dans son acte achevé, dans la plénitude de la grâce chris­ tique88. C’est le premier stade de l’œuvre du missionnaire, il sauve les âmes en les agrégeant au Christ et à l’Église. L’Église ainsi constituée peut faire de nombreuses conquêtes, comme c’est le cas chez certaines populations de l’Afrique, et s’étendre au loin. Mais le missionnaire sait quelle n’est encore que posée sur le sol. Elle est, si l’on veut, pareille à une tige de fraisier qui court à terre et n’a pas encore trouvé où prendre racine. Elle peut être balayée par la première grande tempête qui surviendra, et toute l’œuvre du salut de ces peuples pour laquelle il avait tant prié et peiné peut être sans lendemain. Tant que subsiste cette menace, il n’aura pas de paix. Il sait qu’à la manière dont la tige rampante s’enracine 86. Bulletin des Missions, 1945, p. 85. 87. Acta Apost. Sedis, 1926, p. 74. 88. «Gratia Novi Testamenti est gratia plenitudinis, inquantum de plenitudine Christi omnes accepimus». Saint THOMAS, / Sent., dist. 16, qu. 1, a. 2, obj. 2. 2008 IX - l'unité catholique dès qu'elle trouve un terrain favorable, l’Église qu’il a commencé de fonder doit s'enraciner dans les peuples qu’il évangélise, par une hiérarchie indigène, des reli­ gieux et religieuses indigènes, des œuvres de bienfaisance indigènes, et se propager comme par marcottage. Il est convaincu que c’est seulement en passant de l’âge naissant à l’âge adulte, de l'état de mission à X état de pastoration, que son Église particulière manifestera toute sa vertu, et s’intégrera pleinement dans le grand élan missionnaire de Pentecôte, qui est le déploiement dynamique de la catholicité essentielle de l’Église. Il faut d’abord que se constitue un peuple fidèle indi­ gène ; une hiérarchie indigène en pourra sortir ; et elle assurera l’avenir du peuple fidèle indigène. Ainsi la hié­ rarchie (indigène) est un moyen ; c’est l’Église (indigène) qui est une fin. Dans ce processus, la constitution de la hiérarchie indigène ne marque que le terme d’une étape, le moment où le missionnaire étranger est relevé par le pasteur indigène. La fin spécificatrice de tout ce mouve­ ment de naissance et de croissance, c’est ce à l’égard de quoi la hiérarchie indigène est un moyen, à savoir que ces peuples indigènes « parviennent tous à l’unité de la foi et de la connaissance du Fils de Dieu, pour former un homme parfait, selon la mesure de l’âge de la pléni­ tude du Christ », et que, « professant la vérité dans la charité », ils croissent « à tous égards en celui qui est la tête, le Christ» (Éphés., IV, 13 et 15). Dès lors, com­ ment envisager l’établissement de la hiérarchie indigène, sinon dans la perspective du salut des indigènes et de leur agrégation au Christ ? 3. Ainsi, ce qui pousse l’apôtre à partir pour évangéli­ ser les terres de mission, c’est le désir de sauver les âmes, de les arracher à l’emprise totale ou partielle de la cité du mal, pour les intégrer pleinement dans le Christ et son LE MYSTÈRE DE L’UNITÉ CATHOLIQUE 2009 Église. Ce qui le pousse ensuite à enraciner son Église dans ces terres nouvelles par l’établissement d’une hiérar­ chie et d’œuvres indigènes, c’est toujours le désir de sau­ ver les âmes, d’une manière moins précaire et moins menacée. Et ce qui poussera à son tour le pasteur indi­ gène qu’il établit à sa place à prendre en main la direc­ tion du nouveau troupeau, c’est encore le désir de sauver davantage les âmes et de les configurer toujours plus intimement au Christ. Aux missionnaires qui, faute de zèle, de clairvoyance, de prévoyance, s’arrêtent au premier stade de l’évangéli­ sation sans travailler d’une manière suffisamment effi­ cace à l’instauration d’une hiérarchie indigène ; à ceux qui, ayant commencé de former un clergé indigène, le maintiennent dans un état subalterne ; il faut reprocher, non pas de perdre leur temps à sauver les âmes au lieu de s’employer à planter la hiérarchie, et finalement toute leur Eglise. Il faut leur reprocher au contraire de ne pas assez penser au salut des âmes et de négliger, pour cette rai­ son même, de planter leur Église. A la maxime de combat d’un missiologue de mérite et de renom : « Sauver les âmes ou planter l’Église.... rien de plus faux que cette confusion... », nous opposons la raison suprême, par laquelle le missionnaire qui a le plus efficacement lutté pour l’instauration du clergé indigène en Chine, le Père Lebbe, essayait de gagner son évêque à sa cause : «Lorsque je réfléchis que cette situation n’est pas seule­ ment une injustice contraire à l’esprit des directions pontificales, mais que c’est encore là la plaie qui tarit en Extrême-Orient les eaux vives de la grâce, et arrête Γépa­ nouissement de lÉvangile, le rachat des âmes par le Christ... »89 C’est une pure raison de charité. Ici, comme 89. Lettre du 18 septembre 1917, dans Léopold Levaux, op cit. p. 203. 2010 IX - l’unité catholique toujours dans l’Église, ce qui emporte tout, c’est la cha­ rité : la charité pour les âmes privées du Christ, et la cha­ rité pour le Christ privé des âmes, caritas Christi urget nos (II Cor., V, 14). 3. Le milieu de l’activité missionnaire Nous toucherons à deux points : la délimitation des terres de mission, et le conditionnement culturel des missions. a) Les terres de missions 1. Ce sont les régions où, en face de la cité du mal, l Église n existe pas encore en acte achevé, du moins sous une forme indigène. Elle y est seulement en puissance; ou seulement en acte initial et entravé ; ou, si elle y est en acte achevé, c’est seulement à l’aide d’une hiérarchie importée du dehors, sous ce que les missiologues appel­ lent son « état naissant »90. Le Code de Droit Canon, où il est normal de voir l’Église définie en fonction de la hiérarchie, ne propose pas une notion différente : « La Congrégation pour la Propagation de la Foi est à la tête des missions destinées à la prédication de l’Évangile et de la doctrine catho­ lique... Sa juridiction est limitée aux régions où la hiérar­ chie sacrée n’est pas encore établie et où l’état de mission 90. « Une terre de mission est celle dans laquelle la religion catho­ lique, bien qu’elle réside déjà dans le peuple, demeure encore a l’état naissant et n’est point encore parvenue à son existence parfaite». GRENTRUP, dans André SEÜMOIS, Vers une définition..., p. 8. André SEÜMOIS : « L’objet matériel de l’activité missionnaire est toute région où l’Église indigène n’est pas encore stablement constituée. Cette conclusion est celle des PP. Grentrup et Charles ; mais nous l’admettons pour les raisons (documentaires) de Grentrup, et non pas pour celles (théoriques) de Charles ». Ibid., p. 22. LE MYSTÈRE DE L’UNITÉ CATHOLIQUE 2011 persiste. Elle s’étend également aux régions qui, bien qu’ayant une hiérarchie déjà constituée, ont encore leur organisation ecclésiastique dans un stade initial, adhuc inchoatum aliquid prae se ferunt... »91 2. On peut donc appeler terres de missions : Γ les régions habitées par des dissidents (ne disons pas : par des hérétiques et des schismatiques) et dans les­ quelles l’Église catholique n’a pas encore trouvé sa forme indigène92 ; 2° les régions habitées par des peuples fermés au chris­ tianisme, qui ont hérité d’un patrimoine d’infidélité, mais dont les membres ne sont pas nécessairement cou­ pables du péché d’infidélité ou de paganisme. 91. Can. 252, § 1 et 3. - Les Noirs des États-Unis y sont trop mêlés aux Blancs pour n’avoir pas un jour une hiérarchie mêlée à la leur, sur le même territoire. Les Indiens des réserves canadiennes ne semblent pas préparés à pouvoir se donner un clergé indigène. « Il y aurait donc lieu de considérer, comme le font les Œuvres Pontificales Missionnaires, les réserves indiennes comme terres de mission, tandis que les Noirs des U. S. A. ne rentreraient pas dans le compartiment missionnaire ». A. SEÜMOIS, Vers une définition..., p. 22. 92. Sont destinataires des missions « également ceux qui ne connaissent pas tout le don du Christ » et qui « appartiennent à une chrétienté séparée de Rome », écrit de Stockholm le Père Dewailly, Bulletin des Missions, 1947, p. 15. « Un point très clairement indiqué est que les missions étrangères s’adressent non seulement aux païens mais aussi aux hérétiques et schismatiques, c’est-à-dire en général aux non-catholiques ». A. SEÜMOIS, op. cit., p. 20. Mais pourquoi préjuger que ces Gentils sont tous païens, que ces dissidents sont tous hérétiques et schismatiques ? On se réfère parfois à PlE XI déclarant que le manque de prêtres se fait d’autant plus sentir en Europe qu’il y est plus nécessaire « de ramener les frères dissidents, dissidentes fratres, à l’unité de l’Église et de délivrer les non-catholiques de leurs erreurs ». Acta Apost. Sedis, 1926, p. 76. Mais le pape ne dit pas expressément que c’est là une tâche missionnaire : il se contente de décrire ici la situation de l’Europe, « d’où partent la plupart des missionnaires ». 2012 IX - l’unité catholique b) Le conditionnement culturel des missions 1. Dès l’Encyclique Summi pontificatus, 20 octobre 1939, le pape Pie XII rappelle que l’unité de charité est le contraire d’une unité de force, et que l’Eglise, dans son apostolat universel, a pour étoile rectrice de favoriser en chaque peuple tout ce qui est pur, légitime, conci­ liable avec la communauté d’origine et de destinée de l’humanité93. ^Allocution du 24 juin 1944 précise ces vues : « Le missionnaire est un apôtre de Jésus-Christ. Sa tâche n’est pas de transplanter la civilisation spécifique­ ment européenne dans les terres des missions ; mais de permettre à des peuples qui se glorifient parfois de cul­ tures millénaires, d’accueillir aisément les éléments de vie et de coutume chrétienne qui s’accordent sans diffi­ cultés et spontanément avec toute saine civilisation, et lui confèrent la pleine capacité et vertu d’assurer et de garantir la dignité et la félicité humaines. Les catholiques indigènes doivent être vraiment membres de la famille de Dieu et concitoyens de son royaume, sans cesser aucunement d’être en même temps concitoyens de leur patrie terrestre »94. On pourrait dire que lorsqu’une civilisation particu­ lière a des valeurs où s’exprime ce qu’il y a de plus haut, de plus spirituel, et par conséquent de plus universel en l’homme, ces valeurs passent en droit dans le patrimoine commun de l’humanité ; elles deviennent des valeurs, non plus à'une civilisation, mais de la civilisation; elles sont, à l’égard de ce qu’il y a d’authentique dans les autres civilisations, non pas opprimantes, mais exaltantes et nourrissantes ; elles entrent en elles sans les violenter, comme le soleil dans les clartés de l’aube : qu’il s’agisse de valeurs d’art, comme la peinture chinoise ou le 93. A. A. S., 1939, p. 429. 94. A. A. S., 1944, p. 210. LE MYSTÈRE DE I.’UNITÉ CATHOLIQUE 2013 Parthénon ; de valeurs métaphysiques, comme la connaissance des premiers principes, de l’analogie de l’être, des quatre causes, de la spiritualité de l’âme, de l’aséité divine ; de valeurs morales, comme le sens de la dignité humaine, le respect de la parole donnée, la connaissance des rapports de la personne et du bien commun, etc.95. Ce que nous venons de dire vaut de toutes les civilisa­ tions, pré-chrétiennes ou post-chrétiennes. Il reste que, dans la mesure où une civilisation se laisse éclairer par le christianisme, malgré tout ce qui subsiste nécessairement en elle d’individuel, d’inassimilable pour les autres peuples, et même, hélas, de perverti, elle est secourue dans le mouvement qui la porte à la rencontre des valeurs universelles de civilisation 96. 95. La distinction que nous proposons entre les valeurs particu­ lières des civilisations et les valeurs universelles de civilisation se retrouve sous d’autres termes chez M.-A. CRAS, O. P., dans l’étude sur h L’Église missionnaire et la culture occidentale», qu’il envoie de Hanoï à la Vie Intellectuelle, janvier 1947, et où il oppose, page 9, deux acceptions du mot de culture: 1° celle qui fait «l’homme concret, particularisé selon tout un ensemble d’habitudes qu’il tient du sol, du climat, du milieu social, etc. » ; 2° celle qui fait « l’homme cultivé, apte à dépasser le concret, pour s’approprier toutes sortes de valeurs humaines qu’il découvre à l’étranger ou dans l’antiquité... Dès ce moment, la culture n’emprisonne plus un homme, elle le libère... Qu’il s’agisse d’apostolat dans les masses prolétariennes d’Europe ou au milieu des nations éloignées de la Méditerranée, ce n’est pas tant sa culture gréco-latine qui gêne le missionnaire, que son défaut de culture ». 96. « De même qu’il y a une diffusion universelle de la technique, européenne dans ses origines, mais à la disposition de tous ; de même y a-t-il un certain humanisme d’origine européenne (méditerra­ néenne, plus exactement, car il y faut faire la part du christianisme aussi bien que de la Grèce), que l’Européen ne peut pas ne pas trans­ porter, surtout si, missionnaire ou non, il tient école, et qui est une acquisition définitive de l’esprit humain tout entier ». Pierre Jean DE MENASCE, « Sur le nationalisme... », p. 5. 2014 IX - l’unité catholique 2. L'attitude du missionnaire à l’égard du problème culturel est double. Il doit tendre à se défaire des formes culturelles dans lesquelles il a lui-même reçu le christianisme, dans la mesure où elles sont trop particulières pour compter comme étant valeurs de la civilisation, où elles restent inassimilables à son entourage, et paralysent sa prédica­ tion97. Et il doit adopter, dans la mesure du possible, les formes culturelles de son entourage, mais sans servilité, sans flatterie, en toute « vérité de vie »98. 97. « A certaines époques, le missionnaire s’est peu soucié de scru­ ter les cultures humaines des peuples qu’il évangélisait et de leur rendre justice ; il tendait à passer outre, considérant avant tout la transcendance de son message, n’osant s’arrêter aux étrangetés où il flairait superstition ; et, par là même, d’autant moins accessible aux valeurs culturelles qu'il sentait, non sans raison, sous la mouvance des religions païennes. Peut-être aussi le missionnaire avait-il peine à débloquer le christianisme de l’aura culturelle de l’Europe de son temps... Aujourd’hui, le pendule est parvenu à l’autre extrémité de sa course : il n’est question que de méthodes d’approche, d’adaptation... A l’âge de la mission conçue comme pure prédication, succède aujourd’hui l’âge de l’école ; et c’est fort bien, à condition de mainte­ nir le primat de ce qui fait le cœur de la prédication, c’est-à-dire de faire appel non seulement aux dons et à la science pédagogique du missionnaire..., mais plus encore à sa vie théologale proprement dite ». Pierre Jean DE MENASCE, « Polarité... », p. 84. 98. « Le missionnaire à l’âme apostolique, auquel on a enseigné qu’il fallait utiliser les cultures humaines aux fins de l’apostolat, risque souvent de voir dans les biens de la culture de pures utilités, de simples appâts dont il revêt sa prédication, sans en respecter, sans en soupçonner la finalité propre. La finalisation surnaturelle n’abolit pourtant pas la distinction entre l’utile et l’honnête... Que de fois, en lisant au sujet de la culture ou de la civilisation d’un pays non chré­ tien, l’éloge que croit devoir en faire un missionnaire soucieux d’adaptation, est-on saisi par un sentiment de malaise, comme si l’au­ teur jouait, mimait la sympathie de la compréhension... C’est qu’il n’est pas facile d’adopter habituellement une attitude qui relève essentiellement du don de science... » Ibid. LE MYSTÈRE DE L* UNITÉ CATHOLIQUE 2015 3. La difficulté est accrue par le fait que le mission­ naire, comme les papes du moyen âge, se trouve souvent contraint par charité, mais non sans périls, d’assumer à titre de suppléance des tâches purement civilisatrices". En vue de christianiser le monde, l’Église n’hésite pas, s’il le faut, pour l’apprivoiser moralement et culturellement, à «s’alourdir, pour un temps, d’organisations proprement temporelles, qu’on lui reproche comme une hypocrisie. Elle témoigne ainsi de sa surabondance, et non d’une dépendance de droit à l’égard de ces moyens secon­ daires... Quand les civilisations croulent, l’Église se fait, volens nolens, civilisatrice, au moins par les sommets. 99. Au temps de la conquête du Nouveau Monde, « on assiste à cette conjonction singulière entre le pouvoir séculier tout au service de l’apostolat, suppléé dans sa tâche séculière par un clergé, contraint, en raison des fautes d’exécution, à intervenir sur ce plan, au nom des principes du droit des gens non moins que des principes chrétiens, à proposer des solutions pratiques, ou à s’en faire l’exécu­ teur jusque dans le détail concret des réalisations temporelles... Le paternalisme politique et économique des Jésuites du Paraguay a rendu possible plus d’un siècle de vie chrétienne. L’Église est habituée à voir les instruments humains dont elle est parfois contrainte de se servir se briser entre ses doigts ; elle sait que son action ne dépend pas d’eux de manière exclusive ; ses apôtres, quand ils voyagent dans les navires de la civilisation, se tiennent prêts à achever la traversée en radeau ou à la nage ». Pierre Jean DE MENASCE, « Apostolat civilisa­ teur... », pp. 75 et 76. « L’Église elle-même ne considère pas comme caractéristique de son activité sociale des institutions telles que les fameuses réductions du Paraguay, ou les villages d’orphelins algériens du Cardinal Lavigerie, ou même ces communautés intertribales du Congo belge où sont réunies des familles chrétiennes désireuses d’échapper à leur milieu païen. Ces réalisations ne sont, au contraire, que des pis-allers, des expédients temporaires par lesquels l’Église supplée à la société coloniale, impuissante à intégrer les groupements d’indigènes chré­ tiens selon une norme vraiment humaine. Le paternalisme ecclésias­ tique donne la mesure de l’insuffisance de l’État ». « La doctrine sociale... », p. 199. 2016 IX - l’unité catholique Aux apôtres du Christ de comprendre que leur tâche est infiniment plus haute que celle-là, et exige d’eux, plus que jamais, discernement et liberté »100. 4. Définition des missions 1. Les logiciens reconnaissent deux sortes de défini­ tions qu’ils appellent essentielles. La définition métaphy­ sique, par le genre prochain et la différence spécifique, c’est-à-dire par des parties qui, étant des vues de l’esprit, fondées dans la réalité, n’existent cependant pas comme telles dans la réalité : l’homme est un animal (genre) rai­ sonnable (différence) ; et la définition physique, par la matière et la forme : l’homme est une substance, physi­ quement composée d’âme raisonnable (forme) et de corps organique (matière). J □ J «MW 2. Du point de vue d’une définition métaphysique, on pourrait dire : les missions étrangères sont le mouvement expansionnel de l'Eglise (quasi-genre) considéré dans l'effort qui tend à la création d'une hiérarchie indigène (quasi dif­ férence). Nous parlons de quasi-genre et de quasi-différence, parce que, dans le mouvement expansionnel adossé à la catholicité de l’Eglise, l’activité missionnaire est ainsi iso­ lée, nous semble-t-il, pour de simples raisons de division du travail, et par une délimitation seulement matérielle. Une définition métaphysique rigoureuse, par le genre et la différence, diviserait, par exemple, le mouvement expan­ sionnel de l’Église (genre prochain), selon qu'il a précédé les missions visibles de l’incarnation et de Pentecôte101, 100. « Apostolat civilisateur... », p. 78. 101. On parlerait alors d’une « théologie missionnaire de l’Ancien Testament ». LE MYSTÈRE DE 1.’UNITÉ CATHOLIQUE 2017 ou qu’il les a suivies (voilà les deux différences spéci­ fiques). Depuis l’incarnation et Pentecôte, on distingue­ rait le mouvement expansionnel de ΓÉglise au temps de la fondation de l’Eglise par les apôtres, puis au temps de sa conservation par leurs successeurs (voilà les deux diffé­ rences spécifiques). 3. L’autre définition essentielle est la définition phy­ sique, qui se prend de la matière et de la forme. En défi­ nissant un objet par ses quatre causes, on donne donc : d’une part, sa définition essentielle physique, par les causes matérielle et formelle ; d’autre part, sa définition extrinsèque, par les causes efficiente et finale. De ce point de vue, on pourrait dire : les missions étrangères sont le mouvement expansionnel de l’Église (cause formelle), en vertu duquel, portée par l’Esprit saint, le Christ, et la charité apostolique de Pentecôte (causes effi­ cientes), elle entre dans une région où elle n’existait qu’en puissance ou qu’en acte initial et entravé (cause maté­ rielle), pour y passer à l’acte achevé, puis substituer, à sa hiérarchie importée, une hiérarchie indigène (terme immé­ diat de l’activité missionnaire) et ouvrir aux âmes une voie libre et stable vers les profondeurs de la rédemption du Christ (fin permanente de toute l’Église : « Pour nous, le visage découvert, réverbérant comme un miroir la gloire du Seigneur, nous sommes métamorphosés en la même ressemblance, de gloire en gloire, comme par le Seigneur, qui est Esprit », II Cor., Ill, 18)102. 102. Nous avons dit ailleurs sur quel plan de conceptualisation la théologie pastorale missionnaire, qui est encore à fonder, aurait à se constituer. « Il n’y est plus seulement question de transmettre une doc­ trine conceptuelle, même ordonnée à régler de loin l’agir : une telle doctrine sera sans doute rappelée et constamment présupposée, mais à elle seule elle nous laisserait encore sur le seuil. Il n’est pas question non plus de transmettre une connaissance expérimentale... Qu’on sup- 2018 VIII. La catholicité finale C'est en parlant de l’Église dans sa consommation, du Christ remettant l’univers à Dieu qui sera tout en tous (I Cor., XV7, 28), qu’on pourra traiter expressément de la catholicité finale. Elle apparaîtra, non pas comme une création ex nihilo, mais comme une maturation, comme la fructification suprême du processus de croissance de l’Église pendant toute la durée du temps historique : « La moisson, c’est la fin du monde» (Mt., XIII, 39). Le temps de l’Église, pareil à celui du blé, transforme tout ce qu’il touche et le change en moisson. Et ce mystère, la poésie peut l’évoquer. Dans la Cantate à trois voix, Fausta, l’exilée, qui chante le Cantique de l'or, c’est l’Église. Voici longtemps que son Époux l’a quittée en lui laissant la charge de ses biens à administrer. Tout ce quelle a pu prendre du monde dans ses bras, de sa nuit et de ses couleurs, c’était pour le changer par l’amour en moisson, en l’or de la moisson. Mais n’a-t-elle pas changé, elle aussi ? Quand l’Époux reviendra, est-ce qu’il la reconnaîtra ? Il lui dira: Est-ce là cette Fausta que j'ai aimée ! Où est le printemps ? Où est la couleur de l'enfance ? pose un maître ayant fait avec un génie exceptionnel et une authen­ tique sainteté l’expérience de la pastoration en des milieux humains suffisamment diversifiés. Qu’on lui confie des élèves avec tâche de les préparer à missionner dans le monde. La discipline qu’il leur ensei­ gnera sera suffisamment générale pour constituer une science, aura pour fin de les conduire à éprouver ce quest un pasteur qui donne sa vie pour ses brebis, et à connaître d'un savoir incommunicable». Introduction à la théologie, Paris, 1947, p. 152 [IT partie, § II, n° 11,6). Le plan de conceptualisation propre à la théologie pastorale, son type épistémologique, ne se déterminera que par un effort analogue à celui qui a permis à Jacques MaritaIN, dans Les Degrés du Savoir, de carac­ tériser le plan de doctrine de « Saint Jean de la Croix, praticien de la contemplation», p. 615 [O. C., IV, pp. 819 s.]. LE MYSTÈRE DE L* UNITÉ CATHOLIQUE 2019 Où est ce bleu si pur ? ce vert presque incandescent ? Où est la fraîcheur de l’églantine ? où sur ta face cet éclat vermeil de la Pentecôte ? L'ardente couleur de la pourpre Comme le soir dans un bois de pins et le rayon du soleil de mai ! Alors, elle lui répondra : Il n'y a plus que de l’or ! C'est moi, ô mon époux ! Et le jour nest pas levé encore, mais tout est là dans la nuit, l immense manne dans la nuit et le montueux océan ! Et tu sais trop que cette terre nestpas la nôtre, et que ce vent nestpas lhaleine de la patrie, Et que ce fleuve nest pas sa voix, dont tu entends le bruit étemel. Mais moi du moins, je suis là, et tu es là aussi à la fin ! Moi du moins je ne fais pas défaut, moi aussi je suis comme de l'or, Comme un trésor sur ton cœur et comme une grande moisson entre tes bras ! Moi du moins je suis véritable ! Tout ce qui était de la nuit est devenu comme de l'or. Comme le ciel qui est rouge d’abord, puis violet, puis bleu, puis vert, et la couleur enfin de l’or inaltérable ! Tout ce qui était de la nuit en moi est devenu comme de l’or. Tous ces grands biens sont à moi et rien n’a duré de ce que j’ai acquis en ton absence, mais tout a changé et mûri entre mes mains, et je le vois qui devient de l'or ! Alors, tandis que l’Église et sa moisson passe enfin à son Époux, tout ce qui en elle était grâce devient gloire, tout ce qui était or devient neige : 2020 IX - l’unité catholique Et voici le jour bientôt de la femme qui est montée vers Dieu, revêtue d une grande moisson, la moisson qui ruisselle de ses épaules, Et dans le moment quelle passe à son Époux et à son Père ; Ce qui était comme de Tor devient comme de la neige! III DE L'UNITÉ CATHOLIQUE COMME NOTE MIRACULEUSE DE LÉGLISE On parlera d’abord brièvement des rapports du miracle et de la visibilité ; puis directement du miracle de l’unité catholique ; enfin de l’annonce prophétique de ce miracle. Notre but n’est pas de mettre en valeur le miracle de l’unité catholique en réponse aux questions de telle ou telle famille d’âmes qui cherchent la vraie Église, et de descendre ainsi sur le plan de l’apologétique pratique. Il est, plus profondément, d’éclairer la note miraculeuse de l’unité catholique en la rattachant à la propriété mysté­ rieuse de l’unité catholique. I. Rapports du miracle et de la visibilité Deux points sont à rappeler : celui des trois visibilités de l’Église, et celui de la connexion des notes de l’Église. LE MIRACLE DE I.’UNITÉ CATHOLIQUE 2021 1. Les trois visibilités de l’Église 1. Elles correspondent aux trois regards qu’on peut lever sur l’Église. Le regard empirique discerne la pre­ mière visibilité, celle de X enveloppe phénoménale de l’Église comme de toutes les sociétés humaines, surnaturelles ou naturelles, religieuses ou profanes. Le regard métaphy­ sique discerne, avec plus ou moins de pénétration, la deuxième visibilité de l’Église, celle qui est sa note mira­ culeuse103. Le regard de la foi théologale se fixe sur la troisième « visibilité » de l’Église, celle qui est sa propriété, aussi mystérieuse que son essence. Parler du miracle de l’Église, c’est donc parler exclusi­ vement de la seconde visibilité de l’Église, par laquelle elle apparaît manifestement comme porteuse d’un message surnaturel. Ce n’est donc point parler de toute l’Église. 103. L’opposition de ces deux regards, tous deux naturels, l’un quantitatif, qui au besoin serait prêt « à débiter en pavés la Vénus de Milo», l’autre qualitatif, qui juge des valeurs spirituelles d’art, de morale, de métaphysique, nous fait retrouver, mais en doctrine tho­ miste et sans opposer l’intelligence à l’intuition, une vérité bergsonienne: «Écoutez discuter ensemble deux philosophes dont l’un tient pour le déterminisme et l’autre pour la liberté : c’est toujours le déterministe qui paraît avoir raison. Il peut être novice, et son adver­ saire expérimenté. Il peut plaider nonchalamment sa cause, tandis que l’autre sue sang et eau pour la sienne. On dira toujours de lui qu’il est simple, qu’il est clair, qu’il est vrai. Il l’est aisément et natu­ rellement, n’ayant qu’à ramasser des pensées toutes prêtes et des phrases déjà faites : science, langage, sens commun, l’intelligence entière est à son service. La critique d'une philosophie intuitive est si facile, et elle est si sûre d’être bien accueillie, que le tentera toujours le débutant. Plus tard pourra venir le regret, - à moins pourtant qu’il n’y ait incompréhension native et, par dépit, ressentiment personnel à l’égard de tout ce qui n’est pas réductible à la lettre, de tout ce qui est proprement esprit. Cela arrive, car la philosophie, elle aussi, a ses scribes et ses pharisiens». Henri BERGSON, La pensée et le mouvant, Paris, 1934, p. 41. On retrouverait dans la même ligne la distinction pascalienne entre 1’« esprit de géométrie » et l’« esprit de finesse ». 2022 IX - l'unité catholique 2. Quand nous affirmons que l’Église est visible comme miracle, nous savons que cette visibilité du miracle, que le concile du Vatican déclare accommodée à l’intelligence de tous les hommes, « signa certissima et omnium intelligentiae accommodata»104, reste néan­ moins, par définition, absolument inaccessible à tous ceux qui, en raison d’une option fondamentale, décident de n’aborder l’examen des problèmes de la vie que sous l’angle de l’empirisme. Ils ne percevront qu’une succes­ sion de phénomènes là où il y a un miracle : « Malgré tant de miracles qu’il avait faits en leur présence, ils ne croyaient pas en lui » (Jean, XII, 37). Ils ne percevront que l’enveloppe d’un discours là où il y a un sens: «A celui qui a, on donnera, et il sera dans l’abondance; mais à celui qui n’a pas, même ce qu’il a lui sera ôté. Si je leur parle en paraboles, c’est parce que, en voyant ils ne voient point, et en écoutant ils n’écoutent et ne com­ prennent point » (Mt., XIII, 12-13). Quand nous affirmons que l’Église est visible par la raison comme miracle, c’est-à-dire comme attestée par Dieu, nous savons quelle est en outre visible par la foi comme mystère, c’est-à-dire comme Épouse et Corps du Christ et comme habitation corporelle de l’Esprit saint. 2. La connexion des notes de l’Église 1. C’est la vertu émanée de Dieu, du Christ, puis de la hiérarchie ininterrompue, et qu’on nomme pour cette dernière raison apostolique, qui forme et soutient dans le monde X unité catholique, laquelle est une unité de confi­ guration progressive à la sainteté du Christ : « Pour nous, le visage découvert, réverbérant comme un miroir la 104. Session III, ch. ni, Denz., n° 1790. LE MIRACLE DE L’UNITÉ CATHOLIQUE 2023 gloire du Seigneur, nous sommes métamorphosés en la même ressemblance, de gloire en gloire, comme par le Seigneur, qui est Esprit » (II Cor., III, 18). 2. Les quatre propriétés mystérieuses de l’Église sont connexes et indisjonctibles. Elles sont quatre vues de la foi, portant sur la réalité d’un mystère unique, le mystère constitutif de l’Église. Elles sont, disent les théologiens, réellement identiques, mais conceptuellement distinctes. A la manière dont ils disent qu’en Dieu la bonté et la vérité, la miséricorde et la justice, sont réellement iden­ tiques, mais conceptuellement distinctes. Les quatre notes miraculeuses de l’Église sont pareille­ ment connexes et indisjonctibles. Elles sont quatre vues différentes de l’esprit, s’emparant d’un miracle unique, le miracle du comportement extérieur de l’Église, qui n’est que l’éclat de son mystère. Elles sont, elles aussi, réelle­ ment identiques, mais conceptuellement distinctes™5. 105. Dans le Dictionnaire Apologétique de la Foi catholique, article « Église (question des notes) », Yves DE LA BriÈRE écrit : « Ce sont vraiment des notes ; c’est-à-dire des propriétés essentielles à la véri­ table Église ; et des propriétés visibles : plus apparentes, plus faciles à reconnaître que la vérité même de l’Église», col. 1278. Disons plu­ tôt: le miracle de l’Église, réellement identique à ses notes, fait connaître le mystère de l’Église, réellement identique à ses propriétés. Plus loin, col. 1288, on oppose à la sainteté les trois autres notes qui, «considérées chacune séparément, ne paraissent pas avoir une signification aussi péremptoire et décisive. Elles fournissent trois notes négatives possédant une valeur d’exclusion contre toute Église chrétienne qui manquerait de l’un ou l’autre de ces trois signes dis­ tinctifs. En outre, au point de vue de la démonstration positive, cha­ cune des trois notes en question apportera, par elle-même, un indice précieux, quoique non pas suffisant ». Mais un miracle n’est pas un signe négatif; et les quatre notes désignent un unique miracle. L’auteur relève de l’époque où l’on nous enseignait que chacune des cinq «voies vers Dieu » de saint Thomas n’était qu’une preuve fragile, mais que les cinq ensemble formaient un faisceau résistant. .../... 2024 *» IX - l’unité catholique Dans la mesure exacte où se discerne le miracle de \'unité catholique, (autre que celle du bouddhisme, de l'islam, du communisme, etc.), se discernent simultané­ ment, d’une manière au moins implicite, deux autres miracles, ou plutôt deux autres aspects du même miracle : le miracle de la force divine qui soutient cette unité dans le monde, c’est-à-dire de Γapostolicité; et le miracle de l'élan qui l’emporte vers sa fin, c’est-à-dire de la sainteté. 3. Partout où apparaît le mystère de ΓÉglise et de la charité théologale, ne fut-ce qu’en acte initial et entravé, le miracle de l’Église apparaîtra dans la même proportion. Saint Augustin et saint Thomas n’excluaient pas la pensée que Dieu ait pu faire un miracle pour glorifier une vestale fidèle à son vœu de virginité106. Il pourra glo- U4« Le cardinal ZlGUARA, Propaedeutica ad sacram theologiam, Rome, 1903, p. 435, usait d’une théologie plus sûre: « Les propriétés dont l’Église a été dotée par son fondateur le Christ Jésus, sont si étroite­ ment connexes entre elles que l’une ne peut exister sans l’autre; et puisque, de l’une, l'autre est légitimement inférée, dès que l’une existe, on peut conclure légitimement à la présence de la vraie Église du Christ... Dans l’Église du Christ, pas d’unité sans sainteté, pas de sainteté sans unité, pas d’apostolicité et de catholicité sans sainteté et unité, et vice-versa. Et la raison en est que l’Église est le corps du Christ, et que le Christ est un, saint, envoyé à tous par le Père, annoncé à tous par les apôtres ». Cf. p. 404 : « Les propriétés sont appelées notes dans la mesure où, en se manifestant et se faisant connaître au-dehors, elles nous notifient la vraie Église du Christ ». 106. Elle aurait été puiser de l’eau au Tibre avec un crible pour la porter à ses juges. Saint AUGUSTIN attribue le prodige à un ange ou à un démon ; mais, dit-il, qu’est-ce que cela en regard de la création du monde par le vrai Dieu? De civitate Dei, livre XXII, ch. XI, n° 3; cf. livre X, ch. xvr, n° 2. Saint THOMAS est plus explicite : « Il n’est pas exclu, non est remotum, qu’à la louange de la chasteté, le vrai Dieu, par ses bons anges, ait fait ce miracle de conserver l’eau dans un vase percé ; car, si quelques biens ont existé chez les Gentils, in gentilibus, c’est de Dieu qu’ils venaient ». De potentia, qu. 6, a. 5, ad 5. LE MIRACLE DE L’UNITÉ CATHOLIQUE 2025 rifier, non seulement par des miracles extérieurs, mais même par le miracle moral du martyre, ceux qui, dans les dissidences, le judaïsme, l’islam, les religions pré-chrétiennes, l’aimeront d’un amour si authentique, qu’ils aimeront mieux mourir plutôt que de taire son nom autour d’eux, ou de le trahir en temps de persécu­ tion. Il n’est pas exclu que, dans les Eglises dissidentes, «il puisse se rencontrer de véritables martyrs. Mais, au vrai, ils seront des martyrs de l’Eglise véritable, non des Eglises dissidentes. Car ils témoignent en faveur d’un dépôt divin qui appartient de soi à la véritable Eglise, et que les Eglises dissidentes possèdent non point par soi, c’est-à-dire en vertu de leur principe propre et distinctif, le principe de dissidence, mais par accident, c’est-à-dire en vertu de ce quelles ont retenu de la véritable Eglise, malgré la logique interne du principe de dissidence, à la faveur d’une contradiction pratique, due peut-être par­ fois à quelques remous secrets de la grâce salvatrice, dont il est dit quelle est offerte à tous les hommes. Ils sont nos martyrs du dehors, ils ne sont pas les martyrs des Eglises du dehors. De quelque ignorance invincible, de quelques préjugés non coupables à l’égard de notre Eglise quelle puisse s’accompagner, leur sainteté héroïque témoigne en faveur d’un complexe religieux authen­ tique, qui tend de soi à dépérir au milieu de la dissidence et demande de soi à être restitué à l’Eglise authen­ tique»10. Corporellement ou extérieurement, ils appar­ tiennent encore à des dissidences ; spirituellement ou intérieurement et par le désir, ils appartiennent déjà à l’unité de l’Eglise catholique.107 107. «L’argument du martyre, A propos du martyrologe protes­ tant de Jean Crespin », dans Nova et Vetera, 1931, p. 293. 2026 IL Le miracle de l’unité catholique 1. L’unité catholique est un fait collectif de caractère miraculeux 1. Au regard de la seule raison, lorsqu’elle s’élève au plan où se découvrent les valeurs spirituelles de l’art, de la morale, de la métaphysique108109 , limité catholique appa­ raît, avec une vraisemblance d’autant plus contraignante que la vision est plus pénétrante, comme un fait social dune qualité humaine non seulement exceptionnelle mais proprement miraculeuse, qui met sur l’Eglise le sceau de l’approbation divine, digitus Dei est hicXQ(), et garantit l’origine divine de son message, tout plein de la nuit transcendante du mystère, étant non pas raisonnable, ni certes déraisonnable, mais supraraisonnable. 108. Au début d’une leçon faite le 6 août 1949, à Soisy-sur-Seine, sur Les jugements de valeur, Jacques MaRITAIN établit qu’« il y a d’au­ thentiques jugements de valeur en philosophie spéculative » ; que « les valeurs morales sont un secteur particulier, particulier à la conduite humaine, dans le domaine général des valeurs nécessairement recon­ nues par la raison spéculative » ; qu’« il y a lieu de distinguer entre une connaissance philosophique des valeurs morales et une connais­ sance naturelle, préphilosophique de ces valeurs ». Il montre ensuite « comment un homme quelconque, un homme qui n’a pas fait de philosophie, qui se contente de tâcher de vivre le mieux possible, un homme commun, connaît les valeurs morales ». Cf. Neufleçons sur les notions premières de la philosophie morale, Paris, 1951, pp. 47-48 [O. C., IX, pp. 785, 789-790]. 109. « Les magiciens voulurent faire la même chose par leurs enchantements pour produire les moustiques, mais ils ne le purent pas. Les moustiques étaient donc sur les hommes et sur les bêtes. Alors les magiciens dirent au Pharaon : Le doigt de Dieu est là, dis­ tus Dei est hic ». Exode, VIII, 18-19. LE MIRACLE DE L’UNITÉ CATHOLIQUE 2027 2. Un seul fait, par l’éclat de sa valeur morale, peut faire reconnaître avec certitude la transcendance divine du mystère dont il est porteur. Ou bien c’est un fait particulier : un acte d’exception­ nelle magnanimité, d’exceptionnelle charité, la réalisa­ tion de l'une des béatitudes du Sermon sur la Montagne, peut attester subitement à l’incroyant, à l’athée qui en est le témoin, la vérité d’un ordre de valeurs qu’il oubliait ou niait. Ou bien c’est un fait collectif. Lors de la résistance de Varsovie, des Polonais, torturés dans les prisons par les Nazis, craignant de faiblir et de trahir, suppliaient qu’on leur envoie du poison. On leur en faisait passer. Mais pas les organisations de résistance catholiques. Elles répon­ daient : « On priera ! Et l’on priait, des prêtres se flagel­ laient». Nul de ces prisonniers n’a trahi110. L’unité catholique appartient à cette seconde catégo­ rie, celle des faits collectifs ou sociaux. 3. Le comportement d’un groupe est miraculeux quand, par sa qualité et son élévation spirituelle, il appa­ raît comme transcendant par rapport aux comporte­ ments que peuvent animer les seules ressources de la rai­ son et des passions humaines. Nous sommes loin de connaître toutes les lois du monde physique, plus loin encore de connaître toutes les possibilités du monde moral et du monde social, où la liberté humaine intervient avec ses ressources indéfinies. Cependant, dans certains faits de l’ordre soit phy­ sique, soit moral, soit social, l’intuition de l’intelligence spontanée discerne, obscurément mais irrésistiblement, un effet propre de Dieu, une touche immédiate de cette 110. Conférence de Mmc Zofia Kossak, le 29 octobre 1947, à Genève. 2028 IX - l’unité catholique Toute Puissance qui seule peut mouvoir ab intrinseco l'être, la liberté humaine et le cours de I’histoire11 Même quand les valeurs humaines d'une qualité exceptionnelle que l’Eglise fait éclore autour d’elle ne seraient pas toutes miraculeuses, ou que, tout en l’étant, elles n’apparaîtraient pas encore évidemment comme telles, elles disposeraient déjà l'esprit à accueillir favora­ blement les mystères de la révélation chrétienne112. 111. « La raison spontanée saisit vaguement dans un fait miracu­ leux, comme la résurrection d’un mort, une relation immédiate à l’être, son objet formel, et à la Cause propre de l’être en tant qu’être, c’est-à-dire à Dieu. C’est cette intuition qui empêche le sens com­ mun de s’émouvoir de l’objection des philosophes ennemis du miracle : nous ne connaissons pas toutes les forces de la nature. Sans doute, mais nous connaissons l’effet propre du Dieu créateur, l’être même... Pour voir ainsi dans un fait miraculeux le doigt de Dieu, il n’est pas nécessaire d’avoir la foi..., il suffit de la raison naturelle, de ce sens inné de l’être ». R. GarRIGOU-LàGRANGE, O. P., Le sens com­ mun, la philosophie de l'être et les formules dogmatiques, Paris, 1922, p. 127. « Nous ne connaissons pas les limites positives des forces natu­ relles, mais nous en connaissons certaines limites négatives. Nous ne savons pas bien jusqu’où elles vont, nous croyons pouvoir affirmer quelles ne vont point ici et là. En combinant de l’oxygène et de l’hy­ drogène, on n’obtiendra jamais du chlore ; en semant du blé, on n’obtiendra jamais des roses ; et de même une parole humaine ne suf­ fira jamais par elle-même à calmer les tempêtes ou à ressusciter les morts... Si quelqu’un, en semant du blé, croit que peut-être des rosiers vont sortir de ses graines..., c’est un anormal». Joseph DE TONQUÉDEC, S. J., Introduction à l’étude du merveilleux et du miracle, Paris, 1916, p. 230. 112. C’est la valeur humaine de l’expérience des mystiques chré­ tiens qui incline Henri BERGSON à les croire, quand ils annoncent un Dieu qui est Amour. Les deux sources de la morale et de la religion, Paris, 1932, p. 273. Une religion qui exalte si merveilleusement la nature, bien quelle annonce des mystères qui dépassent la nature, de qui viendrait-elle, sinon de l’Auteur de la nature ? Mais Bergson sera empêché par son système de conceptualiser pleinement et exactement son intuition. LE MIRACLE DE L’UNITÉ CATHOLIQUE 2029 4. Entre les hommes, séparés par l’espace et le temps, si divers et opposés sur une infinité de points, le Christ a créé une communion de croyance, d’amour, d’effort, sans doute trop pure et trop haute pour n’être pas constamment trahie par les défaillances particulières de chacun de ses propres disciples, mais jamais reniée par eux tous ; contre laquelle se déchaînent les ruses et les violences de l’esprit de haine, « la convoitise de la chair, la convoitise des yeux et l’orgueil de la vie » (I Jean, II, 16); qui, depuis le temps où elle a commencé de briller dans le monde, n’a point été abolie ; et à laquelle vient s’accorder sans violence, comme par une harmonie préétablie, tout ce qu’il y a de pur dans les temps qui l’ont précédée et dans les pays qui ne l’ont point connue. Seule une force de cohésion divine peut rendre compte de la constitution et de la puissance d’attraction d’un tel foyer d’universalité. Puisque le Christ, avant de quitter la terre, a voulu confier toutes ses brebis à Simon Pierre, le théologien peut: 1° d’une part, prédire que c’est autour de Pierre que le miracle de l’unité catholique aura son plein éclat ; 2° il sait d’autre part que, même ceux qui rejettent la primauté de Pierre par une erreur invincible et non coupable, s’ils adhèrent réellement au Christ par la charité théologale et commencent ainsi de constituer un foyer d’unité catholique, se rapprochent sans le savoir du centre d’unité effectivement préposé par le Christ à son Eglise : dans la même mesure, leur foyer initial de catholicité pourra briller de l’éclat du miracle - qu’on pense par exemple aux fidèles orthodoxes qui sont morts martyrs dans la persécution bolchevique ou qui l’ont tra­ versée sans trahir. Pourtant même le lien de l’Église orthodoxe dissidente reste par nature imparfait : au XVIIe siècle, elle n’a point de principe interne d’unité qui permette de choisir avec certitude entre Nicon et Avvakum ; aujourd’hui, comme par le passé, elle reste 2030 ix - l’unité catholique oppressée par le dilemme : Église nationale ou Église universelle. 2. Le miracle de l'unité catholique chez les Pères Nous nous contenterons d’apporter deux témoignages majeurs, celui de saint Irénée, vers l’an 200, et celui de saint Augustin, vers l’an 400. a) Saint Irénée: la puissance de catholicité de la transmission apostolique 1. « Bien quelle soit dispersée dans le monde entier et jusqu’aux extrémités de la terre», dit saint Irénée113, l’Église garde avec soin la foi quelle a reçue des apôtres et de leurs disciples, « comme si elle n’habitait qu’une seule maison. Elle croit à ces choses comme si elle n’avait qu’une seule âme et un cœur unique. Elle les annonce, les enseigne, les transmet d’une seule voix, comme si elle n’avait qu’une seule bouche. Et certes les langues parlées par le monde sont dissemblables, mais la puissance de la tradition (paradosis) est une et la même. Ni les Églises fondées dans les Germanies ne croient autrement ou ne transmettent une autre tradition, ni celles qui sont dans les Ibéries, ni celles qui sont chez les Celtes, ni celles qui sont en Orient, ni celles qui sont en Égypte, ni celles qui sont en Libye, ni celles qui sont au milieu du monde (Jérusalem). Mais comme le soleil, créature de Dieu, est un et le même dans le monde entier, ainsi le message de la vérité brille partout et illumine tous les hommes qui veulent venir à la connaissance de la vérité. L’homme le plus éloquent parmi ceux qui sont à la tête des Églises ne 113. Adversus haereses, livre I, ch. X, n“ 1 et 2; P. G., t. VII, col. 549, 552, 553. LE MIRACLE DE L’UNITÉ CATHOLIQUE 2031 dira pas d’autres choses, car personne n’est au-dessus du Maître ; et l’homme le moins doué pour la parole ne minimisera pas la tradition (le dépôt, paradosis), car la foi étant une et la même, ni celui qui est éloquent ne l’enrichit, ni celui qui est malhabile ne l’appauvrit »114115 . Plus loin1H, Irénée écrit : « La route de ceux qui sont enfants de l’Église fait le tour de l’univers, car ils ont la sûre tradition des apôtres. Elle nous donne de voir que nous avons tous une seule et même foi. Nous enseignons tous un seul et même Père, nous croyons tous la même économie de l’incarnation du Fils de Dieu, nous connaissons tous la même donation de l’Esprit. Nous suivons tous les mêmes préceptes, nous retenons la même forme dans l’organisation de l’Église, nous atten­ dons le même avènement du Seigneur, nous croyons au même salut de l’homme tout entier, âme et corps. La prédication de l’Église est vraie et sûre ; c’est en elle qu’est proposée au monde entier une même et unique voie vers le salut116. C’est à elle qu’a été confiée la lumière de Dieu... L’Église, en effet, annonce partout la vérité, en elle est le flambeau aux sept branches, qui porte la lumière du Christ... L’Église a été plantée 114. Vers la même époque, TERTULLIEN essaie de persuader les Juifs que le Messie, dont il est dit dans les prophètes qu'il doit régner sur tous les peuples, est déjà venu, car le nom du Christ règne, en effet, chez les Gétules et chez les Maures, en Espagne, en Gaule, en Bretagne, chez les Sarmates, les Germains, les Scythes... Qui donc pourrait régner ainsi sur toutes les nations, sinon le Christ, le Fils de Dieu ? Adversus Judaeos, ch. vil ; P. L., t. II, col. 610-611. La preuve de Tertullien ne pouvait toucher que ceux des Juifs qui avaient déjà compris que le royaume messianique annoncé par les prophètes était avant tout spirituel, et non pas nécessairement temporel et de ce monde. 115. Livre V, ch. XX ; P. G., t. VII, col. 1177 et 1178. 116. « ... apud quam una et eadem salutis via in universo mundo ostenditur ». Le sujet peut être la prédication ou l’Eglise. 2032 LX - l’unité catholique comme un paradis dans ce monde, plantata est enim Ecclesia, paradisus in hoc mundo ». 2. Ce qui ravit Irénée, ce n'est pas le spectacle d’une force sociale temporelle capable d’unifier une immense masse d’hommes : à ce compte, l’empire romain eût été plus étonnant que l’Église. Ce n’est pas non plus le spec­ tacle d’une force philosophique ou religieuse qui réussirait à se trouver des disciples un peu partout sur la terre, comme l’ambitionnait en ce temps-là le gnosticisme. C’est le spectacle d’une force merveilleuse, qu’il appelle la puissance de la transmission, ή δύναμις της παραδόσεως, qui vient du Christ et a pour mission de rassembler les hommes sur le plan de la doctrine et de l’espérance apportées par le Christ, de faire éclore une unité trans­ politique, transculturelle et proprement messianique, de planter le paradis de l’Esprit au sein des erreurs et des conflits de ce monde. A vrai dire, le rayonnement de cette force intérieure qui anime l’Église pouvait être perçu dans les Douze dès le jour de Pentecôte. L’Église, à son principe, alors qu elle ne compte encore que quelques membres, est déjà constitutivement une et catholique. Le miracle de cette unité catholique pouvait apparaître à tous ceux qui étaient capables de saisir la transcendance, par rapport à l’ordre des forces en conflit dans le monde, du message des apôtres et du souffle qui les habitait. C’est pour le manifester davantage qu’il est donné à Pierre de passer par delà le langage même qu’il profère au-dehors, et de transporter directement dans les esprits, un peu comme font les anges, le pur sens intellectuel de son message, en sorte que chacun entend résonner son discours dans le fond de son cœur : « Ces gens qui parlent ne sont-ils pas tous Galiléens ? Et comment les entendons-nous dans notre propre langue à chacun, dans laquelle nous LE MIRACLE DE L’UNITÉ CATHOLIQUE 2033 sommes nés ? Parthes, Mèdes, Élamites, ceux qui habi­ tent la Mésopotamie, la Judée, la Cappadoce, le Pont, l’Asie, Ia Phrygie, la Pamphylie, l’Égypte, les régions de la Libye qui confinent à Cyrène, et ceux qui sont venus de Rome, Juifs et prosélytes, Crétois et Arabes, nous les entendons annoncer dans nos propres langues les gran­ deurs de Dieu » (Actes, II, 7-11). Dès que paraît l’Esprit, la catholicité commence. Elle commence dès là que deux ou trois sont rassem­ blés de telle manière que c’est le Christ, non son simu­ lacre, qui est au milieu d’eux (Mt., XVIII, 20). Mais en se diffusant, en s’étendant à travers l’espace et le temps, en triomphant des diversités et des oppositions de toute nature légitimes et illégitimes, qui séparent les hommes, elle éclate comme une victoire du Christ sur le Dragon, avec une évidence qui exaltait Irénée, et qui, avec le pro­ grès de l’histoire, semble devenir de plus en plus irrésis­ tible à ceux qui ont une âme pour désirer le royaume de Dieu, et des yeux pour en voir les signes. b) Saint Augustin : le sens de la formule : « L’Église catholique est diffusée par toute la terre ». La supério­ rité numérique est-elle un signe de vérité ? 1. L’unité catholique de l’Église est un signe de sa divinité. Cela est vrai de deux manières. On peut dire : l’unité catholique, telle que nous la constatons, est la réalisation de la prophétie qui se lit dans l’Ancien et plus expressément dans le Nouveau Testament, elle est donc la marque de l’Église même de Dieu. Et l’on peut dire : l’unité catholique, telle que nous la constatons, représente elle-même une force de cohésion d’une qualité si exceptionnelle, quelle dénonce l’intervention du doigt de Dieu. 2034 ix - l’unité catholique Ce sont là deux aspects d’une même réalité ; ils sont non pas séparables l'un de l'autre, mais conceptuelle­ ment distincts et s’impliquent mutuellement ; ainsi les propriétés du triangle, d’avoir ses trois angles égaux à deux droits et d’être inscriptible dans un cercle, sont non pas séparables, mais distinctes conceptuellement et s’im­ pliquent l’une l’autre. D'une part, les prophéties annon­ cent non pas n’importe quelle catholicité, mais une catholicité qui s’entourera de l’éclat du miracle. D’autre part, l’éclat miraculeux de la catholicité émane d’une vertu reçue du Christ et des apôtres. 2. C’est du premier aspect que s’empare Augustin dans la controverse donatiste117. Les donatistes, qui acceptent l’Ancien et le Nouveau Testament, prétendent être la vraie Eglise du Christ. Augustin répond : l’Ancien et le Nouveau Testament annoncent l’Eglise catholique, la Catholica, c’est-à-dire l’Église diffusée par toute la terre, toto orbe diffusa : votre Église n’est qu’une secte régionale. Que vont faire les donatistes ? Au début, ils prétendent à la catholicité ; mais, dès 393, ils se récla­ ment de la seule vérité de l’Évangile, ils deviennent évan­ géliques ; « ils déclinent 1’argument tiré des prophéties en faisant valoir que les prophéties qui annoncent l’Église et la catholicité de l’Église sont véridiques et ont été accom­ plies, mais qu’elles n’ont été accomplies qu’un temps, et que l’Église n’a pas survécu à leur accomplissement : la Catholica a péri, il n’en subsiste plus qu’un reste, la pars Donati »118. Il sera aisé de leur répondre que l’Église a les promesses d’une assistance perpétuelle. 117. On trouvera un essai de synthèse de la doctrine augustinienne de la catholicité, dans Pierre BATIFFOL, Le catholicisme de saint Augustin, Paris, 1920, pp. 211 et suiv. 118. Ibid., p. 234. LE MIRACLE DE L’UNITÉ CATHOLIQUE 2035 «Les prophéties annoncent une Eglise catholique, c'est-à-dire diffusée par toute la terre ». Quel sens donner à cette expression ? Augustin veut-il dire que les prophéties annoncent une Église partie de Jérusalem et dispersée à travers le monde, mais qui trouve, en face d’elle et jusque dans les trahisons de ses propres membres, les furieuses résistances de la cité du mal ? Dès le début, avant même d’avoir conquis le monde méditerranéen, cette Église est catholique en fait et non seulement en droit119 : elle est catholique constitutioement, par la manière dont elle rassemble les hommes dans un royaume qui est dans ce monde sans être de ce monde, dont la grâce du Christ est la forme, et leurs besoins les plus profonds la matière ; et elle est catholique extensive­ ment par la plénitude de l’élan missionnaire qui l’habite, en dépit des négligences et défaillances de ses propres membres ; enfin elle est catholique par attraction, parce quelle est le point d’aimantation vers lequel déjà s’oriente, obscurément mais puissamment, tout ce qu’il y a de vraie sainteté éparse dans les régions qu’elle n’a pas encore abordées. Et cette Église qui, dès le début, porte en elle-même le mystère de la catholicité, laisse paraître au-dehors, dès le début, le miracle de la catholicité. Cette vision de la catholicité, nous montrerons tout à l’heure quelle habitait au cœur de la pensée d’Augustin et qu’il ne l’a jamais reniée120. 119. Ceux qui disent que l’Église est maintenant catholique en droit, mais non en fait, devront dire pareillement que l’apostolat de Jésus a été catholique en droit, mais non en fait. L’expression catho­ lique en fait reçoit alors une signification purement quantitative. A quoi l’on peut objecter que, dans cette perspective, l’Église n’a jamais été catholique en fait, et qu ’elle ne le sera jamais, même dans l’éternité, car elle ne s’étendra pas à la géhenne. 120. L’Église est en outre catholique par son rayonnement sur la culture, voir plus haut, p. 1942. /jtu v u u i i /w u u « i/u tii i wn tu i âî 2036 l.X - l’unité catholique « Les prophéties annoncent une Église catholique, c'est-à-dire diffusée par toute la terre». Après la période apostolique de l’expansion méditerranéenne, l’Église est entrée à peu près dans toutes les nations du monde alors connu ; les sectes, qui sans cesse ont tenté de la déchirer, n'ont guère pu donner lieu qu’à des formations régio­ nales et sans lendemain ; l’Eglise a toujours gardé sur ces sectes la supériorité numérique. Voilà le fait. Faut-il lui donner une valeur de droit ? Faut-il ériger la situation historique de l’Eglise chrétienne vers l’an 400, telle quelle apparaissait aux yeux des contemporains, en cri­ tère de l’unité catholique ? Donne-t-elle le sens adéquat, le sens authentique de l’expression qui définit comme catholique l’Eglise diffusée par toute la terre ? Augustin, dans le feu de la polémique donatiste, a cédé à cette ten­ tation, non sans pressentir obscurément le piège des interprétations quantitatives121. Mais alors, il faudra dire qu’au temps d’Augustin, l’Église, qui était très loin d’être répandue sur toute la terre habitée, n’était pas encore catholique ; quelle ne le serait même pas de nos jours, où les terres de missions sont si vastes, et où la réintégra­ tion d’Israël, qui, selon l’apôtre (Rom., XI, 15 et 25), doit couronner l’entrée en masse des Gentils, est encore à attendre. Il faudra dire que toutes les « hérésies », disons plus exactement toutes les dissidences détachées 121. « S’il faut croire au nombre, quoi de plus innombrable que l’Église répandue par toute la terre, si multitudini credendum est, quid copiosius Ecclesia toto orbe diffusa?» Sermo LI, ch. III, n° 4. Le «s’il faut croire au nombre » est significatif. Ailleurs, à propos de ceux qui calculent la date de la fin du monde, AUGUSTIN dit, dans le De civi­ tate Dei, livre XVIII, ch. LUI : « Il réprouve le mouvement calculateur des doigts celui qui a dit : Il ne vous appartient pas de connaître les temps dont le Père a disposé dans sa puissance ». On sait d’autre part combien fréquemment Augustin parle du petit nombre des bons perdus dans le grand nombre des méchants, comme le grain dans la paille. LE MIRACLE DE L’UNITÉ CATHOLIQUE 2037 du tronc chrétien, ne peuvent être que des formations sans lendemain, alors que la dissidence orthodoxe dure depuis neuf siècles et la dissidence protestante depuis quatre siècles ; et qu’elles ne peuvent donner lieu qu’à des Églises régionales, alors que le protestantisme, sous des formes qui sans doute ne sont pas toujours compa­ tibles entre elles, est diffusé par toute la terre. Même au temps d’Augustin, l’arianisme et le manichéisme seraient enracinés dans bien des régions du monde connu. On le voit, ce sont les prémisses qui sont erronées. La supériorité numérique de la Catholica de l’an 400, le privilège de sa diffusion parmi tous les peuples alors connus, dont Augustin tire argument contre les donatistes, tout cela n’était pas le signe direct et immédiat, le signe per se primo de la catholicité de l’Église du Christ. Ce n’était qu’un signe occasionnel et aléatoire, un signe au second degré, le signe d’un signe, l’ombre d’un signe : l’ombre peut révéler le corps, mais la même ombre peut venir de corps différents, c’est le corps lui-même qu’il faut regarder si l’on cherche la certitude. Il se pourrait, dans une région ou à un moment du monde, que la Catholica fût entravée et dût reculer, et que, soit les hérésies soit les dissidences fussent triomphantes ; mais alors les forces qui s’opposent à la Catholica, et feraient triompher ses adversaires, témoigneraient, par leur nature même, de la vérité de la Catholica122. Et il est vrai 122. Le succès de l’arianisme, selon Jean Adam MOEHLER, ne s’ex­ plique que par un affaissement préalable de la spiritualité chez beau­ coup de chrétiens : « Un abattement intérieur, un mensonge intérieur avait empesté l’esprit de beaucoup d’hommes. Ils ne pouvaient plus comprendre Jésus-Christ, qui devenait une énigme pour eux. Et il en est réellement une chez les ariens. Sans appui dans la raison et privé de l’autorité de la tradition, l’arianisme, si ses causes n’avaient eu qu’une existence extérieure, n’aurait jamais pu avoir des conséquences 2038 IX - l’uni té catholique que les promesses annoncent que l’Église, partie de Jérusalem, sen ira jusqu’aux extrémités du temps et du monde : à chaque moment de sa lutte contre la cité du mal, nous l’avons dit, elle est catholique, constitutivement et extensivement ; mais les vicissitudes de cette lutte ne nous sont connues qu imparfaitement et restent le secret de Dieu : « Il ne vous appartient pas de connaître le temps et les moments dont le Père a disposé dans sa puissance » (Actes, I, 7). Il y a le temps des persé­ cutions et le temps des expansions, le temps de ceux dont la charité se refroidira (Mt., XXIV, 12) et le temps de ceux qui persévéreront jusqu’à la fin (Mt., XXIV, 13). 3. Attirons encore l’attention sur deux points. L’argument de la supériorité numérique est limité par Augustin aux rapports de la Catholica et des sectes dissi­ dentes. Vouloir l’appliquer aux rapports de la Catholica et des religions non chrétiennes, comme par exemple aujourd'hui au bouddhisme, à l’islam, au communisme athée, etc., est encore plus aventureux123. aussi larges ni des effets aussi terribles. Il aurait bientôt disparu comme d’autres tentatives semblables, qui avaient déjà été étouffées dans leur germe ; la force du cœur, retrempée dans la foi, l’aurait rejeté après quelques années : l’Église (nous dirions : la chrétienté) serait restée saine. Mais le mal a dû se répandre comme la peste, parce qu’il y avait partout des prédispositions... Beaucoup de Gentils se convertirent au christianisme sans vocation intérieure, quand la dynastie impériale eut adopté la religion chrétienne. Ils s’étaient atta­ chés à l’Église victorieuse, mais ils n’avaient pas vaincu en eux l’atta­ chement au monde... » Athanase le Grand et l’Église de son temps, livre II, Tubingue, 1827 ; trad, française, Bruxelles, 1841,1.1, p. 172. 123. D’un article de G. MAIDENOV, S. J., paru dans Témoignage Chrétien, et reproduit dans la Documentation Catholique, 1er janvier 1950, col. 51-54, nous détachons ces lignes: «Si nous questionnons les chiffres, ils nous disent : déclin numérique de l’Église. Nous avons déjà constaté que la prodigieuse natalité du monde non chrétien accentue de jour en jour le caractère minoritaire du bloc chrétien. LE MIRACLE DE L’UNITÉ CATHOLIQUE 2039 Ensuite l’argument de la supériorité numérique consiste à comparer le nombre de ceux qui, justes ou pécheurs, appartiennent visiblement, corporellement, re, à l’Église catholique, avec le nombre de ceux qui, justes ou pécheurs, appartiennent visiblement, corporellement, re, aux sectes et aux dissidences. Mais, parmi ces der­ niers, certains, Augustin n’en aurait pas disconvenu, beaucoup peut-être, appartiennent déjà à l’Eglise catho­ lique invisiblement, spirituellement, voto tantum. Et cette seule considération suffit à révéler tout ce qu’il y a de fallacieux dans la comparaison des statistiques. 4. Le sens véritable de la formule « l’Église catholique est diffusée par toute la terre », Augustin, même dans la controverse donatiste, ne le perdra jamais de vue. C’est l’authentique mystère de la catholicité qui nourrit sa foi, et l’authentique miracle de la catholicité qui ravit sa raison. Ce n’est pas une simple force de cohésion capable de rassembler des multitudes, qu’il admire dans la croisBien plus, dans ces pays à forte natalité, dits pays de mission, la pro­ gression chrétienne, à quelques exceptions près, est proportionnelle­ ment plus faible que celle de l’ensemble. Impossible d’éluder à pré­ sent une troisième constatation : numériquement, les chrétiens (catholiques et protestants) diminuent et vont diminuer dans les années prochaines. «Quand nous dénombrons 800 millions de chrétiens et un mil­ liard 400 millions de non-chrétiens, l’opposition de ces chiffres, si effarante soit-elle, reste très au-dessous de la vérité. En effet, si nous défalquons les athées actifs, les indifférents qui, ayant reçu, sans l’avoir demandé, le baptême et la sépulture chrétienne, n’incluent aucun geste chrétien entre ces deux extrémités de leur vie, il faut réduire à 50 ou 60 millions les orthodoxes pratiquants, à 60 ou 70 millions les protestants fidèles, à un grand maximum de 200 mil­ lions les catholiques pratiquants. Ces chiffres ramènent le bloc chré­ tien à environ 350 millions d’individus sur deux milliards 200 mil­ lions d’humains ». 2040 ’> IX - l’unité catholique u '.« r i γμ iîa ! lu iu r r w r v ι ιη η Α Π . ’ Γ Ό sance de l’Eglise ; c’est la vertu du Christ capable de sus­ citer des enfants à Abraham. Il compare l’Église à la pierre mystérieuse, Daniel, II, 34-35, qui brise la statue des empires et devient une grande montagne : « Est-ce que cette pierre ne s’est pas accrue, n’est-elle pas devenue une grande montagne, n’a-t-elle pas rempli tout l'univers ? Est-ce qu’il nous faut montrer cette montagne comme on montre la lune tierce ?... N’est-elle pas évi­ dente, n’est-elle pas manifeste, ne s’étend-elle pas à tous les peuples ? et ce qui avait été depuis si longtemps pro­ mis à Abraham, à savoir que toutes les nations seraient bénies en sa descendance, n’est-il pas accompli ? La promesse a été faite à un seul croyant, et le monde s’est rempli de milliers de croyants. Voici la montagne cou­ vrant toute la face de la terre, voici la cité dont il est écrit : Elle ne peut être cachée la cité bâtie sur la 174 montagne » . L’auteur de cette unité transpolitique et mystérieuse est l’Esprit saint. Quand il vient sur les apôtres à Pentecôte, il leur donne de parler toutes les langues (Actes, II, 11). Il vient maintenant sur chacun de nous au baptême, pourquoi ne donne-t-il pas à chacun de parler les langues ? Voici la réponse d’Augustin : « Il continue de nous donner de parler les langues. Au temps des apôtres, l’Église n’était pas encore diffusée par toute la terre, et le Christ n’avait pas encore dans chaque nation des membres pour en parler la langue. C’est pourquoi, en signe de ce qui devrait bientôt se produire, chacun des apôtres parlait à lui seul toutes les langues. Mais, maintenant déjà, le corps entier du Christ parle presque toutes les langues. Que croisse encore l’Église, quelle achève de s’emparer de toutes les langues... J’ose 124. In Epist. Joannis, traité I, n° 13. LE MIRACLE DE L’UNITÉ CATHOLIQUE 2041 te le dire : - Je parle toutes les langues. Je suis dans le corps du Christ, dans l’Église du Christ. Si le corps du Christ parle toutes les langues, toutes sont miennes : grecque, syrienne, hébraïque, toutes les lan­ gues sont miennes, car l’unité de tous les peuples est mienne »125. La charité parvient donc à unir entre eux des hommes qui n’arrivent même pas à se parler, et d’une manière si profonde que leurs diversités deviennent complémen­ taires. Cette vue est celle même de l’apôtre nous révélant la communion des saints et la complémentarité de tous les membres du corps du Christ (I Cor., XII, 14-26). Ceux qui croient en le Christ, dit ailleurs Augustin, sont les pierres avec lesquelles se fait la maison de Dieu, mais elle ne s’édifie que si la charité les cimente, domum Domini non faciunt, nisi quando charitate compa­ ginantur 126. C’est encore la qualité de l’unité catholique, qui lui fait dire, dans le De vera religione 12 , que si quelque dis­ ciple de Platon avait demandé au maître quelle force serait capable de persuader aux peuples de préférer les choses d’en haut à celles d’en bas, il aurait sans doute répondu qu’aucun homme n’y pouvait prétendre, sinon peut-être celui que la Force et la Sagesse de Dieu vien­ draient illuminer dès son berceau. Et c’est elle qui lui inspire la grande prosopopée du De moribus Ecclesiae catholicae128 : « O Église catholique, Mère très véritable des chrétiens, tu nous enseignes non seulement à rendre un culte très pur et très chaste à ce Dieu dont la posses­ sion est la vie bienheureuse..., mais encore ta dilection et 125. Enarr. in Psalm. CXLVII, n° 19. 126. Sermo CCCXXXVI, n° 1. 127. Ch. Ill, n° 3. 128. Livre I, ch. XXX, n° 62. 2042 IX - l’unité catholique ta charité pour le prochain sont telles que tu possèdes en toi des remèdes pour toutes les maladies des âmes rava­ gées par leurs péchés. Tu es candeur avec les enfants, force avec les jeunes gens, paix avec les vieillards, selon que le demande l’âge, non seulement des corps, mais aussi des âmes... » 5. Il reste vrai pourtant que, par opposition à la Catholica, qui descend de la croix du Christ à la ren­ contre de l’humanité tout entière, les formations qui se détachent d’elle, quelque diffusion qu elles puissent avoir par la suite, apparaissent dans leur origine comme stig­ matisées par des particularismes d’ordre géographique, ethnique, politique, etc. Ici les remarques d’Augustin sur le particularisme des sectes prennent toute leur valeur. Ces remarques se présentent avec une insistance singu­ lière à l’esprit de Newman étudiant la naissance des hérésies des premiers siècles. Il est bouleversé quand il entrevoit soudain, comme dans la clarté d’un éclair, une extraordinaire similitude entre, d’une part, le particula­ risme qui est à l’origine de ces sectes et, d’autre part, le particularisme qui est à l’origine soit du protestantisme, soit de l’anglicanisme. En même temps, l’attitude de la Catholica des premiers siècles à l’égard de ces sectes lui semble identique à l’attitude de la Catholica du XVIe siècle à l’égard du protestantisme et de l’anglica­ nisme. Il croit encore, à ce moment-là, que l’Église angli­ cane détient pour elle l’antiquité, c’est-à-dire la fidélité à la tradition apostolique. Voici que l’Église romaine lui apparaît comme possédant la catholicité. L’Église du Christ est-elle donc déchirée ? Cet impossible conflit de « notes » va faire son martyre. Jusqu’au jour où, ayant repris à fond, dans un livre qu’il n’achève même pas et qui est son dernier ouvrage anglican, l’examen de la note de l’apostolicité, il voit avec certitude quelle est LE MIRACLE DE L’UNITÉ CATHOLIQUE 2043 le privilège, non pas de l’Église anglicane, mais de l’Église romaine129. 3. La force de cohésion miraculeuse de l’Église catholique selon Jean Adam Moehler 1. Le caractère miraculeux de l’unité catholique a beaucoup frappé Jean Adam Moehler130. «Le mystère de toute vie authentique, dit-il, réside dans la compénétration d’éléments contrastants ». Les contrastes (Gegensdtzé) coexistent dans l’unité d’un même tout, à la différence des contradictions ( Widerspruchè) qui déchirent l’unité du tout. L’unité de l’Église est assez puissante pour s’emparer des diversités légitimes des hommes et les élever en son sein au rang d’authentiques contrastes, autrement dit d’éléments complémentaires les uns des autres : réalisme et idéalisme, mysticisme et spéculation, etc. Mais dès qu’ils échappent à la force de régulation de l’Église, ces divers éléments entrent en conflit les uns avec les autres, les contrastes deviennent des contradic­ tions. C’est ce qui se passe, non seulement dans les héré­ sies, comme le fait remarquer Moehler, mais encore dans les dissidences. 129. On trouvera des textes de Newman dans L’Église du Verbe incarné, 1.1, p. 684 [dans la présente édition : vol. I, pp. 1126 s.]. On voit quelle est notre réponse à ceux qui nous ont reproché de donner, dans la conversion de Newman, la prééminence à la note de l’apostolicité. 130. Die Einheit in der Kirche, Tubingue, 1825, n° 46, pp. 173 et suiv. La version de A. de Lilienfeld, Paris, 1938, pp. 143 et suiv., ne nous semble pas pleinement satisfaisante, notamment dans la manière de rendre les mots conducteurs : entgegengesetzt, Gegensatz, Widerspruch. 2044 ‘•«K ix - l’unité catholique On demandait à Moehler si l’Eglise ne devait pas s’unir aux hérésies, - disons aux dissidences, - pour composer avec elles une unité plus riche et plus élevée. Il lui est aisé de répondre qu’en s’unissant aux dissi­ dences comme telles, l’Eglise accueillerait en elle non pas des contrastes, mais des contradictions. Elle renferme dans son unité tous les contrastes, toutes les richesses chrétiennes, qui, lors de l’apparition des dissidences, entrent en conflit les unes avec les autres ; mais les prin­ cipes de dissidence ne sauraient être inclus en elle. Elle forme ainsi l’unité initiale de laquelle se détachent toutes les dissidences, et l’unité terminale en laquelle ces dissi­ dences, venant des régions les plus opposées, pourront enfin se rencontrer. Mais tant que durent ces dissidences, le principe qui les entretient est en contradiction avec l’Église. Ce qui constituait, comme telles, des sectes aussi opposées entre elles que le gnosticisme et le monta­ nisme, n’offrait absolument rien de chrétien, ni dans sa forme ni dans son contenu, et ne pouvait être assumé à titre de contrastes dans l’unité de la vie chrétienne. 2. Il faut compléter ces remarques de Moehler en rap­ pelant que les dissidences, et aussi plus généralement les formations religieuses aberrantes, sont sollicitées simul­ tanément, en des sens contraires, d’une part par la dia­ lectique du principe d’erreur qui est en elles et qui les pousse à la catastrophe, d’autre part par la dialectique des éléments de vérité quelles détiennent encore et qui les oriente vers la délivrance. Parfois, les ravages du prin­ cipe d’erreur sont restreints, comme dans l’orthodoxie, et la force de cohésion de la catholicité peut encore se manifester dans une certaine mesure. D’autres fois, c’est la part des vérités captives, que l’Esprit saint tente perpé­ tuellement de raviver par son souffle, qui est restreinte: LE MIRACLE DE L’UNITÉ CATHOLIQUE 2045 alors la force de cohésion de la catholicité n’est plus guère perceptible. Surtout, il conviendrait d’illustrer cette coexistence des contrastes, cette puissance de « distinguer pour unir », qui est, à chaque instant, la signature authentique du catholicisme. L’Église unit en elle la visibilité et la spiri­ tualité, le corps et l’âme, la foi et la raison, la contempla­ tion et l’action, l’espérance et la crainte, la haine de l’er­ reur et du péché et l’amour des errants et des pécheurs, l’autorité et la liberté, la thébaïde et la cité, l’art et la morale, le serpent et la colombe, la propriété chrétienne et la pauvreté chrétienne, la virginité et les nombreuses familles... 4. Les aspects de l’unité catholique On peut considérer plus en détail, sous le rapport de leur éclat extérieur, l’unité de culte de l’Église, son unité d'orientation tant spéculative que pratique, son unité de communion ou de charité. Cette division est prise de la nature même de l’Église qui est comme un épanchement de la grâce capitale du Christ, une participation au sacerdoce du Christ, à la royauté et à la prophétie du Christ, à la charité du Christ. On rencontre fréquemment une autre manière de distinguer l’unité de l’Église. On parle alors de l’unité de culte, de l’unité de croyance, de l’unité de communion. On entend par unité de communion, non pas l’unité de la charité théologale dont parle le Sauveur dans sa prière sacerdotale : « Je leur ai donné la gloire que tu m’as don­ née, afin qu’ils soient un comme nous sommes un..., afin qu’ils soient consommés dans l’unité, en sorte que le monde sache que... tu les as aimés comme tu m’as aimé... Je leur ai fait connaître ton nom, et je le leur ferai 2046 IX - l’unité catholique connaître, afin que l'amour dont tu m’as aimé soit en eux, et que je sois en eux » (Jean, XVII, 22 à 26) ; mais l’unité de l’orientation juridictionnelle, concernant tout particulièrement les matières canoniques et discipli­ naires131. A cette manière de distinguer l’unité de l’Église, nous adressons deux reproches: 1° elle fait entrer deux fois en ligne de compte l’unité de l’orientation juridic­ tionnelle : une première fois, comme régulatrice de la croyance ; une seconde fois, comme régulatrice de la conduite ; 2° et surtout, elle laisse de côté l’unité fon­ cière de l’Église, due primo et per se à la charité théolo­ gale en tant que sacramentelle et orientée ; si l’on cherche à réparer cette omission, l’on n'aura que la res­ source de bloquer, sous la rubrique « unité de culte », deux formalités tout à fait distinctes : la validité cul­ tuelle, qui relève des caractères sacramentels, par lesquels nous participons selon saint Thomas au sacerdoce du Christ ; et la moralité cultuelle, qui relève de la vertu de religion, et ultérieurement de la charité, par lesquelles nous participons selon saint Thomas à la sainteté du Christ132. 131. « Quand nous disons que la note de l’unité suppose ou com­ porte l’unité de charité, il ne s’agit pas du tout de la charité, vertu per­ sonnelle et privée par laquelle nous devons nous aimer mutuellement et qui doit nous unir même aux infidèles qui sont hors de l’Église. Nous voulons désigner la charité spéciale, propre à tout le peuple chrétien, par laquelle nous adhérons tous et sans division à nos pas­ teurs et à nos évêques pour former un même corps, professant la même foi et tenant la même communion. C’est en ce sens que les Pères désignent, comme note essentielle de l’Église, l’unité de charité. Et c’est pourquoi nous avons parlé de l’unité de charité ou de commu­ nion». PERRONE, Praelectiones theologicae, De locis theoL, pars I, cap. Ill, n° 157, note 3, Paris, 1856, t. IV, p. 56. Voir plus haut, pp. 1159 et 1911-1912. 132. « Le fidèle est ordonné à deux choses : premièrement et prin­ cipalement à la possession de la gloire, et il reçoit à cet effet le sceau LE MIRACLE DE L’UNITÉ CATHOLIQUE 2047 a) L'unité de culte 1. Que l’unité de culte, au niveau où elle est faite dans l’Église, est une œuvre qui transcende les lois de la psy­ chologie religieuse des peuples, et porte le caractère du miracle, on pourrait essayer de le manifester de la manière suivante. Le culte chrétien est fondé sur la médiation de Jésus, considéré à la fois comme vrai Dieu et vrai homme. C’est la donnée sur laquelle se fait l’unité du culte chré­ tien. - Mais, livrée à elle seule, l'humanité est incapable de porter l’unité de ses membres à un tel niveau, ou de l’y maintenir, a) Quand elle veut formuler le rapport de Dieu avec le monde, et surtout avec le monde visible, elle oscille toujours entre deux tentations également fatales, puisqu’elle ne triomphe de l’une qu’en succom­ bant à l’autre. Ou bien elle confond Dieu et le monde : c’est le vertige du confusionnisme, de là l’idolâtrie, le panthéisme. Ou bien elle sépare Dieu et le monde : c’est le vertige du séparatisme, de là des erreurs aussi opposées que l’athéisme et l’acosmisme, le matérialisme et le manichéisme, b) Quand l’humanité aura entendu la révélation de la médiation du Christ, elle ne sera pas immunisée contre ce double vertige. Ou bien elle cher­ chera à faire du Christ un intermédiaire en qui sont mélangées la nature divine et la nature humaine : c’est l’erreur confusionniste ; ou bien elle en fera un Etre qui sera soit seulement Dieu, soit seulement homme : c’est l’erreur séparatiste. Elle se révélera incapable de conce­ de la grâce ; secondairement à recevoir ou à transmettre les choses qui regardent le culte de Dieu. Mais tout le rit de la religion chrétienne dérive du sacerdoce du Christ. D’où il apparaît que le caractère sacra­ mentel vient spécialement du Christ. Les fidèles sont configurés au sacerdoce du Christ par les caractères sacramentels, qui ne sont pas autre chose que des sortes de participations du sacerdoce du Christ, déri­ vées du Christ lui-même ». S. THOMAS, III, qu. 63, a. 3. 2048 ix - l’unité catholique voir longtemps le Christ comme étant à la fois vrai Dieu, consubstantiel à son Père selon sa nature divine, et vrai homme, consubstantiel à nous selon sa nature humaine. - Or l'unité du culte chrétien se fait précisément sur la notion d'un médiateur vrai Dieu et vrai homme. Le miracle est qu’une telle notion, où l'humanité ne peut se hausser, unisse d'une manière stable et intime dans un même culte les Grecs et les Latins, les poètes et les théo­ logiens, les anciens et les modernes, les milliers de croyants célèbres et les millions de croyants obscurs. Un même culte, essentiellement un et distinct de tous les autres, paraît partout sous les différences des langues et des liturgies, des cultures et des mœurs, ici plus exubé­ rantes et là plus réservées. Voilà l'unité transcendante du culte que l’Eglise a prétendu célébrer pour toujours sur la terre et dont elle offre le spectacle au monde sans discontinuité depuis vingt siècles. Il ne sert de rien d’objecter ici les pratiques inintelli­ gentes ou superstitieuses qu’on aurait observées dans les petites âmes : les impurs ne font pas que l’Eglise soit impure, ni les superstitieux quelle soit superstitieuse. Il ne sert de rien non plus d’objecter que l’unité des croyants dans le culte du Christ vrai Dieu et vrai homme, si elle est un miracle, témoignerait en faveur d’autres Églises que de l’Église catholique, car elle se ren­ contre dans l’orthodoxie, et le protestantisme en a gardé quelque chose : ce n’est point parce qu’ils recommandent le culte du Christ vrai Dieu et vrai homme que l’orthodoxie et le protestantisme sont des dissidences ; pour autant qu’ils demeurent sur ces hauteurs, ils participent à l’auréole de miracle qui entoure la véritable Église. 2. En considérant le culte chrétien dans ses deux manifestations principales, qui sont le sacrifice et les sacrements, on ferait des constatations analogues. LE MIRACLE DE 1,’UNITÉ CATHOLIQUE 2049 Au sujet du sacrifice, deux tendances sollicitent les hommes. L’une qui les porte à reconnaître leur solidarité avec le monde visible, et à immoler à la divinité, en signe d’adoration, d’action de grâce, de propitiation, d’impé­ tration, les choses qu’ils possèdent, et même, en des cir­ constances tragiques où ces offrandes paraissent trop insuffisantes, des sacrifices humains. L’autre qui les porte à protester, non seulement contre la perversion des sacri­ fices humains, mais encore contre l’idée même d’un sacrifice extérieur : soit au nom du matérialisme qui nie l'exigence divine, soit au nom du manichéisme qui méconnaît la valeur de signification des choses visibles. — Or le christianisme a fiait, par toute la terre et depuis vingt siècles, Γunité de culte en affirmant la nécessité pour l'homme pécheur de reconnaître les droits infinis du Dieu d'amour, par un sacrifice d’adoration, d’action de grâce, de propitiation, d’impétration, qui, étant parfait, serait unique, auquel toutes les générations viendraient se joindre, et d’où seraient bannies l’impuissance et l’hor­ reur des sacrifices antiques : c’est un sacrifice humain si l’on regarde à la vie immolée, et de ce fait tragique ; mais divin si l’on regarde à celui qui immole et est immolé, et de ce fait d’une pureté infinie. Dans le mystère de la sacramentalité, qui s’étend aux sept sacrements de la loi nouvelle, du baptême à l’eucha­ ristie, c’est, comme dans le mystère de l’incarnation lui-même, la transcendance divine qui, avec une liberté souveraine et une merveilleuse condescendance, utilise le canal des réalités visibles pour communiquer les dons de la grâce, d’une manière qui leur sera connaturelle, à ces êtres de chair et d’esprit que nous sommes. Les deux déviations qui menacent le culte que l’homme doit rendre à Dieu sont écartées·, d’une part, la magie, qui est une matérialisation, et qui oublie la transcendance de la condition divine et des dons divins ; d’autre part, le faux 2050 IX - l’unité catholique spiritualisme, coloré de manichéisme, qui oublie l’infir­ mité de la condition humaine et les condescendances messianiques de l’incarnation. b) L'unité d'orientation 1. Qu’on songe d'abord à l'unité d'orientation spécu­ lative. Il est déjà surprenant de constater que les plus hautes vérités de l'ordre naturel, que les philosophes n’ont décou­ vertes qu’à grand'peine, devant lesquelles ils ont parfois hésité, sont enseignées par l'Église aux foules, aux savants et aux ignorants, aux adultes et aux enfants : la dépendance radicale du monde par rapport à un Dieu créateur, l’énigme de l’homme, corruptible par son corps, incor­ ruptible par son âme, sa place dans l’univers de la créa­ tion, la coexistence en Dieu de l’immutabilité et de la liberté créatrice, d’une bonté infinie et de la permission du mal, d’une prescience infaillible et du respect absolu de la liberté humaine, etc. On a dit que si les vérités mathématiques comportaient des conséquences morales, il y a longtemps quelles seraient contestées : or, toutes ces vérités comportent des conséquences morales. Mais l’Eglise annonce encore une sagesse plus haute, « qui n’est pas de ce siècle, ni des chefs de ce siècle, réduits ici au silence..., une sagesse de Dieu, mystérieuse et cachée, que Dieu avant les siècles a destinée pour notre gloire... Ce sont des choses que l’œil de l’homme n’a point vues, que son oreille n’a point entendues, qui ne sont pas montées de son cœur, mais que Dieu a pré­ parées pour ceux qui l’aiment » (I Cor., II, 6-9) : le mys­ tère d’une pluralité réelle des personnes divines à l’inté­ rieur de l’identité absolue de l’être divin, le mystère du Père qui a tant aimé le monde qu’il lui a donné deux fois son Fils unique, à Noël et le Vendredi saint, le mystère LE MIRACLE DE L* UNITÉ CATHOLIQUE 2051 de la dispensation du sang du Christ à toutes les nations et à tous les âges, le mystère de la toujours prochaine parousie du Christ, etc. Le caractère miraculeux dont s’en­ toure le mystère du message chrétien peut se manifester de deux manières', a) d’une part, la théologie, à mesure qu elle en scrute davantage la profondeur, est frappée par l’extraordinaire connexion de dogmes en apparence les plus opposés : par exemple, le dogme du mal infini que représente le péché mortel, et c’est déjà tout le dogme de l’enfer, fait comprendre la folie d’un Dieu qui vient mourir sur la croix pour nous en délivrer ; et, en retour, le mépris de cet Amour crucifié fait comprendre les pro­ fondeurs du péché mortel133 ; b) d’autre part, cette révé­ lation chrétienne, si gratuite, si transcendante, si étran­ gère à nos exigences humaines quelle ne peut être accueillie qu’au prix d’une soumission intérieure qui est comme une mort de l’intelligence, « Si le grain ne meurt... », devient ensuite pour nous si illuminatrice, si indispensable, si connaturelle, qu’il semble que nous ne 133. On devine la puissance assimilatrice, la puissance de catholicité d’une synthèse si haute et si pure. L’abbé Monchanin pense que, le dan­ ger de l’Inde étant l’acosmisme plutôt que l’athéisme, on ne la convertira et on ne sauvera ses valeurs qu’en partant de la plus haute révélation divine, pour éclairer à ses yeux la vraie signification du monde. Le dogme de la Trinité, en lui enseignant la pluralité de per­ sonnes infiniment parfaites au sein même de l’Absolu, la conduira à comprendre la vraie distinction du toi et du moi dans les créatures. Le dogme de l’incarnation rédemptrice, en lui enseignant un sacrifice divin qui ne réduit pas le monde en fumée, mais qui le sanctifie sans le consumer - c’était déjà le sens de la révélation du buisson ardent la conduira à comprendre le vrai prix de la création. Et il ajoute qu’une telle vue sur l’avenir de l’Inde est, en ceux qui sont travaillés et portés par elle, non seulement un désir ou une induction à partir du présent et du passé, mais déjà une anticipation de cet avenir même, « un appel descendu jusqu’à nous de cette future Église, déjà agissante, déjà présente ». Jules MONCHANIN, « L’Inde et la contem­ plation », dans Dieu Vivant, n° 3, pp. 13 à 49. 2052 IX - l’unité catholique pourrions plus vivre sans elle. C’est le paradoxe de l'homme qui, mourant à ses suprêmes limites natu­ relles, entre dans une sphère de vie qu’il sent divine et universelle. 2. Venons-en à l’unité d'orientation pratique. Deux traits pourraient servir à illustrer le caractère miraculeux de cette unité : la forme organique de l’Eglise, la nature des conflits opposant ΓEglise aux Etats. « Il y a un seul corps et un seul Esprit, comme aussi vous avez été appelés dans l’espérance unique de votre vocation ; il y a un seul Seigneur, une foi unique, un seul baptême ; il y a un seul Dieu et Père de tous, qui est au-dessus de tous, à travers tous, en tous » (Éphés., IV, 4-6). Les trois personnes divines lient ainsi l’Eglise dans une même espérance, une même foi, une même solidarité. Cette Eglise garde son unité profonde en se diffusant dans le monde : « L’Eglise de Dieu qui est à Corinthe », « les saints dans le Christ Jésus qui sont à Philippes », « l’Eglise des Thessaloniciens en Dieu le Père et en le Seigneur Jésus-Christ », dira l’apôtre. Ignace écrira pareillement « à l’Église de Dieu le Père et du Seigneur Jésus-Christ, qui est à Philadelphie d’Asie». L’Église est un corps un, c’est-à-dire indivisé en lui-même et divisé de tous les autres. Sa forme sociale propre est organique. Mais celle-ci ne pourra se maintenir que par la force du miracle. L’unité divine et originelle de l’Église, livrée aux seules mains des hommes, sera bien vite fragmentée : les recherches spéculatives qui entraînent les esprits dans toutes les directions où brille quelque parcelle de vérité, les poussées contraires des diverses formations ethniques et historiques, les conflits des tempéraments individuels et nationaux, auront tôt fait de la particulariser en Églises autocéphaliques, dissidences, dénominations, etc. Et alors, quand le besoin de l’unité se fera de nouveau LE MIRACLE DE L’UNITÉ CATHOLIQUE 2053 sentir, les différences en matière de dogme, de culte, d’organisation seront devenues telles, que la seule forme d’unité qui restera possible sera, non plus celle d’un vivant, mais celle d’une colonie, non plus la forme organique de l'unité, mais une forme fédérative de l’unité134. La fréquence des conflits opposant l’Église aux États est instructive. « Rivière remarque, après beaucoup d’autres, que l’Église s’accommode avec indifférence de tous les régimes, pourvu qu’ils lui laissent la liberté de suivre sa vocation divine. Mais il ne peut s’empêcher de mettre le doigt sur un fait très significatif : c’est que, depuis son institution, l’Église n’a pas cessé, sur tous les points du globe et à tous les instants de sa durée, d’avoir des difficultés avec toutes les formes de la société et de l’Etat, même celles qui paraissaient lui emprunter leurs principes constitutifs. Qu’il s’agisse des Empereurs Romains ou Byzantins, ou des Princes Barbares, ou des chefs féodaux, ou des communes, ou des rois très chré134. On pourrait faire comme une contre-épreuve de ces vues en montrant à quel point l’unité de l’Eglise romaine demeure une énigme pour certains orthodoxes. Dostoïevski imagine Pie IX sous les traits du Grand Inquisiteur athée : « Il était persuadé que le pape s’al­ lierait finalement au communisme, parce que l’idée papale et l’idée socialiste sont une seule et même conception de l’organisation obliga­ toire du royaume terrestre. Et, à ses yeux, la religion catholique et la religion socialiste nient pareillement la liberté de la conscience humaine». Nicolas BERDIAEV, L'esprit de Dostoïevski, Paris, 1929, p. 168. Aujourd'hui, c’est sous les traits du fascisme international qu’on préfère se représenter l’unité de l’Église romaine. On lit, en effet, dans les résolutions de la Conférence de Moscou, juillet 1948 : « L’oubli, par le Vatican, des traditions de l’Orthodoxie universelle a conduit le vaisseau de l’Église catholique-romaine dans les eaux, étrangères à l’Église du Christ, du papisme antichrétien... L’activité du Vatican est le centre des intrigues internationales contre les inté­ rêts des peuples, tout particulièrement des peuples slaves, le centre du fascisme international ». Voir Russie et Chrétienté, 1948, p. 77. 2054 IX - l’unité catholique tiens, ou de la Révolution, ou de l’empereur Napoléon, ou de Louis-Philippe, ou de Victor-Emmanuel, ou de la République française, ou des tzars, ou des bolcheviks, ou des souverains protestants, ou des Chinois, des Indiens, des Japonais, des Arabes, des Turcs, des Peaux-Rouges, des sauvages de l’Afrique ou de l'Océanie, il y a toujours eu quelque chose qui ne collait pas et qui finissait par des disputes, des persécutions et des martyres »135. La rai­ son de ces conflits, qui dressent les États contre l’Église catholique plus violemment et plus persévéramment que contre n’importe quelle dissidence, vient de ce quelle apporte, dans le monde, le royaume qui n’est pas de ce monde avec son organisation plénière et autonome. Elle est, sur le plan spirituel, ce que l’Etat est sur le plan tem­ porel, une société parfaite et indépendante. Cela sup­ pose, entre l’Église et l’État, d’abord une distance infran­ chissable, une essentielle différence de plan ; mais aussi une ressemblance, non certes univoque, mais propor­ tionnelle et analogique : de même que l’État, en vue de ses fins qui sont terrestres et temporelles, possède son unité de gouvernement avec le triple pouvoir législatif, judiciaire, coercitif ; ainsi l’Église, en vue de ses fins qui sont célestes et spirituelles, aura son unité de gouverne­ ment, avec ses trois pouvoirs, non plus politiques mais canoniques : un pouvoir législatif, un pouvoir judiciaire, un pouvoir coercitif136. C’est cette instauration dans le 135. Paul CLAUDEL, « Préface du livre de Jacques Rivière: A la trace de Dieu », dans Positions et propositions, Paris, 1934, t. II, p. 79. 136. « Bien que composée d’hommes comme la société civile, cette société de l’Église, soit pour la fin qui lui est assignée, soit pour les moyens qui lui servent à l’atteindre, est surnaturelle et spirituelle. Elle se distingue donc et diffère de la société civile. Et, ceci est de la plus grande importance, elle est une société en droit et en son genre parfaite, parce que, par la volonté et les largesses de son fondateur, elle possède en soi et par elle-même toutes les ressources qui sont nécessaires à son LE MIRACLE DE L’UNITÉ CATHOLIQUE 2055 monde du royaume qui n’est pas de ce monde, sous sa forme plénière, avec un pouvoir central qui réside ailleurs, que l’État supporte difficilement et contre laquelle il s’insurge. Si l’Église pliait, elle serait moins persécutée. Si elle ne for­ mait point une unité organique, si elle se contentait de former une unité fédérative, les Etats ne l’accuseraient plus autant de travailler à soumettre leurs propres ressor­ tissants à une « puissance étrangère ». Si elle ne se décla­ rait pas ouvertement une « société parfaite », si elle cédait sur les questions où le spirituel touche au temporel et l’Evangile à la politique13 , si elle se renfermait dans les sacristies, si elle se contentait de susciter des sentiments individuels, si elle fléchissait, si elle trahissait, on la lais­ serait tranquille, ou même on la nationaliserait. Le miracle, c’est que, étant ce quelle est, elle tient dans le monde depuis deux mille ans. existence et à son activité. Comme la fin à laquelle tend l’Église est de beaucoup la plus noble de toutes, ainsi son pouvoir l’emporte sur tous les autres, et ne peut d’aucune façon être inférieur ou assujetti au pouvoir civil. En fait, Jésus-Christ a donné plein pouvoir à ses apôtres dans la sphère des choses sacrées, en y joignant, tant le véri­ table pouvoir de faire des lois, que le double pouvoir qui en découle, de juger et de prendre des sanctions». LÉON XIII, Encyclique Immortale Dei, 1er novembre 1885. 137. Enregistrons quelques déclarations orthodoxes: «Pour la bourgeoisie religieuse, la persécution réside principalement dans le renoncement, par le gouvernement, à son union séculaire avec l’Église, en conséquence de quoi l’Église, ou plus exactement les ins­ titutions ecclésiastiques (par exemple les monastères) et le clergé en tant que classe et profession ont été privés de certains droits, posses­ sions de la terre, entreprises commerciales, et ont été ramenés au niveau du menu peuple. Cependant le peuple orthodoxe simple... est enclin à voir dans le changement survenu non pas une persécution, mais bien plutôt un retour aux temps apostoliques... » Préface du métropolite Serge, plus tard patriarche, à l’ouvrage La vérité sur la reli­ gion en Russie, paru en 1942, à Moscou. Voir Russie et Chrétienté, Paris, 1946, p. 74. 2056 . .M·* i IX - l’unité catholique c) Limité de communion dans la charité ou la catho­ licité de la sainteté « L'unité de l’Église, dit saint Thomas, consiste dans un double rapport : 1° dans la connexion des membres de l’Église entre eux, ou dans leur communion, in com­ municatione ; 2° dans le rapport de tous les membres de l'Église à un seul chef... le Christ, dont le vicaire dans l’Église est le souverain pontife. On appellera donc schis­ matiques ceux qui refusent de se soumettre au souverain pontife, et qui refusent d’être en communion, communi­ care, avec les membres de l’Église qui lui sont soumis... Le péché de schisme est un péché propre et spécial, par lequel on entend se séparer de l’unité que fait la charité; car la charité unit non seulement une personne à l’autre par un lien spirituel de dilection, elle rassemble en outre toute l’Église dans l’unité de l’Esprit »138. Ainsi deux réa­ lités complémentaires constituent simultanément l’unité de l’Église : l’unité de soumission au chef considéré comme docteur et recteur, voilà l’unité de direction ou à'orientation, dont nous avons parlé ; et l’unité de comDéclaration faite par le patriarche Alexis à lAgence Reuter, mai 1948 : « Question. — Existe-t-il un conflit quelconque entre le com­ munisme, théorique et pratique, d’une part, et les croyances reli­ gieuses, d'autre part ? Réponse. — Cette question n’est pas claire. L’Église orthodoxe ne se trouve en conflit avec personne à l’intérieur de l’État soviétique ». Voir Russie et Chrétienté, 1948, p. 50. Lettre du patriarche Alexis au correspondant de lAgence Reuter à Moscou, 1er août 1949 : « Question. — Pensez-vous qu’il y ait conflit entre le loyalisme à l’égard de l’État soviétique et le loyalisme à l’égard de l’Église orthodoxe russe ? Réponse. — A cette question il ne peut y avoir qu’une réponse : un tel conflit, non seulement n’existe pas, mais ne peut pas même exister si le peuple croyant s’en tient au sens exact des préceptes évangéliques et des commandements des apôtres ». Voir Russie et Chrétienté, 1949, p. 148. 138. II-II, qu. 39, a. 1. Nous avons étudié ce texte, plus haut, p. 1372. LE MIRACLE DE L* UNITÉ CATHOLIQUE 2057 munion ou de communication dans une charité qui dérive du Christ. La charité théologale, âme créée de l’Église et forme de son unité, est, en effet, la charité pleinement christique, dérivée des sacrements du Christ et orientée par la juridiction du Christ. Le modèle, le type de toute sainteté sur la terre, c’est Jésus. Sa sainteté, prise en elle-même, est le plus profond des mystères, et elle s’entoure du plus rayonnant des miracles. Tout le mystère de l’Église est un épanchement du mystère de Jésus, et tout le miracle de l’Église, un épanchement du miracle de Jésus. Ce que nous voulons dire maintenant, c’est que la sainteté de Jésus rassemble autour d’elle, en les réunissant sur le plan du Sermon sur la Montagne, sur le plan de la foi aux exigences, aux rigueurs et aux tendresses d’un Dieu d’Amour, sur le plan d’une invitation permanente au don de soi pour le salut des hommes et du monde, des valeurs humaines si nombreuses, si riches, si différentes dans l’espace et dans le temps, quelle manifeste, par la puis­ sance et la constance de cette force d’attraction, un aspect nouveau de son éclat miraculeux, en sorte qu’on peut par­ ler du miracle de la catholicité de la sainteté chrétienne. Il y a une unité de communion dans la charité de Jésus, qui est non seulement un mystère, mais encore un miracle d’unité catholique. C’est la sainteté de Jésus qui provoque comme par anticipation et attire à elle tout ce qu’il y a de plus saint dans l’Ancien Testament, la prière d’intercession d’Abraham, la magnanimité de Joseph rendant à ses frères le pardon pour la haine, la vie pour la mort, les extraordinaires prophéties du Serviteur de lahvé, le désir missionnaire du livre de Jonas. C’est vers elle que tend obscurément ce qu’il y a de pur dans les pressentiments ou dans les ébauches des religions préchrétiennes ou dans les désirs de l’islam. C’est elle qui est l’âme de ce 2058 IX - L UNITÉ CATHOLIQUE que Henri Bergson appelle le mysticisme complet, c'est-à-dire d'un amour entrant si profondément en Dieu qu’il peut, sans s’altérer, redescendre vers l’univers, épousant l’effort ascensionnel par lequel Dieu tente de faire monter le niveau spirituel de toute l’humanité139. C’est elle qui enflamme le cœur des saints les plus sépa­ rés par la différence des siècles, des langues, des cultures, des dons, des vocations : quand nous les approchons et que nous constatons soudain quils sont les fils de cette immense famille dont nous désirons tant être les enfants, chaque fois la rencontre nous bouleverse. Le foyer de cette catholicité de la sainteté, c’est la région où la charité est pleinement christique, c’est-à-dire sacramentelle et orientée, et les tombes des saints des diverses nations qui à toutes les époques viennent mourir à Rome semblent attester la vraie destination et la perpétuelle fécondité du privilège de Pierre. Mais, partout où brille quelque grâce authen­ tique du Christ, fut-ce au sein des dissidences, du judaïsme, de l’islam, des religions préchrétiennes, la force des déterminismes est brisée, et déjà l’unité catho­ lique de la sainteté est commencée. 139. «Concluons donc que ni dans la Grèce ni dans l’Inde antique il n’y eut de mysticisme complet... Le mysticisme complet est en effet celui des grands mystiques chrétiens... Il n’est pas douteux que la plupart aient passé par des états qui ressemblent aux divers points d’aboutissement du mysticisme antique. Mais ils n’ont fait qu’y passer : se ramassant sur eux-mêmes pour se tendre dans un tout nouvel effort, ils ont rompu une digue ; un immense courant de vie les a ressaisis ; de leur vitalité accrue s’est dégagée une énergie, une audace, une puissance de conception et de réalisation extraordinaires. Qu’on pense à ce qu’accomplirent, dans le domaine de l’action, un saint Paul, une sainte Thérèse, une sainte Catherine de Sienne, un saint François, une Jeanne d’Arc, et tant d’autres ». Les deux sources de la morale et de la religion, Paris, 1932. « Qu’un génie mystique sur­ gisse ; il entraînera derrière lui une humanité au corps déjà immense- 2059 III. La catholicité de l’Église ÉTAIT PROPHÉTISÉE L’unité catholique de l’Église, sans comporter néces­ sairement et directement sa constante supériorité numé­ rique sur les religions non chrétiennes, ou même sur les formations dissidentes qui pourront se séparer d’elles, a été prophétisée. 1. La valeur de l’argument prophétique On peut envisager l’argument prophétique de deux façons : dans une perspective où se mêlent la foi et la rai­ son ; dans une perspective purement rationnelle. a) L'argument mixte L’argument prophétique prend toute sa force à l’égard de ceux qui reçoivent, par la foi divine ou même simplement humaine, la doctrine de l’autorité divine des Écritures : soit de l’Ancien Testament (Juifs), soit des deux Testaments (catholiques et dissidents). Les valeurs de foi et les valeurs de raison entrant alors simultané­ ment dans l’appréciation de l’argument prophétique, on dira que l’argument est mixte. 1. Si c’est Dieu, souverain maître des destinées de l’histoire, qui, dans l’Ancien Testament, annonce une unité catholique, une catholicité, sa promesse ne sera pas ment accru, à l’âme par lui transfigurée... Nous ne le suivrons pas tous, mais tous nous sentirons que nous devrions le faire, et nous connaîtrons le chemin, que nous élargirons si nous y passons ». Ibid., pp. 337-338. 2060 Ί □ *«* □ ix - l’unité catholique frustrée. Un jour, apparaîtra dans le monde une catholi­ cité digne de ce Dieu. Les prophéties permettront de la reconnaître. Ainsi, pour des cœurs sans voile, la prophé­ tie de l’Ancien Testament était destinée à faire espérer, puis à faire reconnaître, la catholicité du fait chrétien. Le voile qui couvre aujourd’hui encore le cœur des Juifs croyants quand ils lisent l’Ancien Testament (II Cor., III, 15), c’est la persuasion, où ils sont, que Dieu veut fonder par eux la catholicité d’un royaume de ce monde. Il est vrai sans doute, et Jésus le dit, que le salut doit venir des Juifs (Jean, IV, 22). Mais c’est un salut d’abord spirituel, et ce que Jésus fonde, c’est la catholicité d’un royaume qui n’est pas de ce monde (Jean, XVIII, 36). Dès que le cœur des Juifs se convertit au Seigneur, c’est-à-dire à Jésus, le voile est ôté (II Cor., III, 16); ils comprennent soudain que la prophétie de l’Ancien Testament, notamment celle du serviteur de lahvé, annonce la catholicité d’un royaume qui certes est dans ce monde, mais non pas de ce monde. Ainsi, à ceux qui en savent lire le sens principal, qui est spirituel, non temporel, la prophétie de l’Ancien Testament annonce et désigne le fait chrétien. Mais le fait chrétien, par sa sublimité, illumine rétrospective­ ment la prophétie de l’Ancien Testament, et en révèle, à ceux qui ne savaient pas le lire, le vrai sens, qui, princi­ palement, est spirituel, non temporel. 2. A ceux qui acceptent l’autorité divine du Nouveau Testament, on dira : Si le Christ-Dieu a annoncé la catholicité du royaume spirituel issu de lui, sa promesse ne sera pas frustrée. Il y aura quelque part dans le monde une catholicité digne de Jésus : c’est là que se trouvera son Église. Où manquera cette catholicité, manquera son Église. Aux donatistes, qui se réclamaient du Christ, mais qui ne formaient qu’une secte, Augustin, on s’en LE MIRACLE DE L’UNITÉ CATHOLIQUE 2061 souvient, opposait la prophétie du Christ sur la catholi­ cité de son royaume. Ici encore on peut dire que, d’une part, la prophétie du Christ sur la catholicité, à ceux qui en savent lire le sens, manifeste l’Eglise. Mais que, d’autre part, la catho­ licité de l’Eglise, telle quelle existe depuis vingt siècles, illumine rétrospectivement et persévéramment à nos yeux le contenu de la prophétie évangélique. Il y a ici, non pas cercle, mais progrès : la prophétie du Christ pré­ pare une première intelligence de l’Église, et l’intelli­ gence de l’Église introduit dans une nouvelle et plus pro­ fonde intelligence de la prophétie du Christ. C’est en pensant à ce va-et-vient de la pensée croyante, que Vladimir Soloviev, parlant du souverain pontife, foyer de l’unité d’orientation de l’Église, peut écrire : « La parole du Christ ne pouvait rester sans effet dans l’histoire chré­ tienne; et le principal phénomène de cette histoire devait avoir une cause suffisante dans la parole de Dieu. Qu’on nous trouve donc, pour la parole du Christ à Pierre, un effet correspondant autre que la chaire de Pierre; et qu’on découvre, pour cette chaire, une cause suffisante autre que la promesse faite à Pierre »140. b) L’argument simple Du seul point de vue d’une raison capable d’apprécier les valeurs morales et métaphysiques141, la prophétie de 140. La Russie et l’Église universelle, Paris, 1922, p. 131. Voir L’Église du Verbe incarné, t. I, p. 591 [vol. I, pp. 970-971]. 141. Certe perspective est celle qu’adopte Pascal, et, après lui, M.-J. LAGRANGE, O. P., dans son étude sur « Pascal et les prophéties messianiques », dans Revue Biblique, 1906 : « Le plus souvent les pro­ phéties ont été discutées avec les Juifs. Professant comme les chrétiens que les livres de l’Ancien Testament ont une autorité divine, ils épar­ gnent à l’apologiste une bonne partie de sa tâche. Or cette polémique 2062 IX - l’unité catholique l’unité catholique apparaît comme miraculeuse. Elle pré­ sente deux étapes : ΓAncien Testament annonce le chris­ tianisme ; l’Évangile annonce l’Église. 1. L’espérance messianique d’Israël est elle-même un fait exceptionnel, qui se donne comme ayant une origine avait précisément reçu au temps de Pascal un nouvel éclat par la publication du très remarquable Pugio fidei... Pascal l’a connu et l’a certainement employé ; aussi quelques-uns de ses traits sont-ils diri­ gés contre les Juifs. Ils ne sont pas cependant, comme par exemple dans le dialogue de saint Justin avec Tryphon, ses interlocuteurs directs. Le soin que prend Pascal de prouver l’autorité humaine des Livres Saints montre assez qu’il ne les vise pas les premiers. Il est apo­ logiste, comme on l’est encore aujourd’hui », p. 534. « L’apologiste entend donner des preuves solides. Le fait des pro­ phéties, à prendre ce mot pour sa simple valeur littéraire, est reconnu de tous. Il s’est trouvé des hommes, dans Israël, et nulle part ailleurs, pour annoncer à leur nation un Roi, consacré par l’huile sainte, un Oint ou Messie, dont ils ont décrit le rôle, et c’est surtout par lui que devrait se produire une grande rénovation religieuse qui, partie du peuple juif, s’étendrait à l’humanité tout entière. Ce Messie est-il venu ? est-ce Jésus de Nazareth ? Voilà la question », p. 535. « L’Orient, longtemps inconnu, se révèle ; on y retrouve partout, même dans les usages religieux, des points de contact avec Israël; mais rien, absolument rien, n’y rappelle cette aspiration suppliante (du christianisme), garantie par une promesse de Dieu, vers le par­ don, la justice, la sainteté. En dépit de toutes les enquêtes provoquées ?ar l’histoire des religions, ce grand fait demeure unique. Il y a à de a part de Dieu une promesse qui a été tenue, en d’autres termes, un fait prédit », p. 555. « Si les Juifs n’ont pas compris les prophéties parce qu’ils étaient charnels, si les apôtres ont levé le voile parce qu’ils ont mis à sa place, qui est la première, le sens religieux, le seul digne de Dieu, c’est qu’il faut, pour juger en ces matières, avoir un certain sentiment de ce que Dieu est pour nous et de ce que nous devons être envers lui ; il faut pénétrer en quelque façon dans ses pensées ou du moins souhaiter de les connaître pour en inspirer sa vie. Sans un certain sentiment reli­ gieux, - quelle que soit la part qu’y prend la grâce, - il est inutile d’aborder l’exégèse des prophéties ; on n’y trouverait pas de lumières », p. 559. LE MIRACLE DE L’UNITÉ CATHOLIQUE 2063 divine, et qui reste, en effet, inexplicable par le seul jeu des causes naturelles142. Le fait chrétien est, lui aussi, exceptionnel, et irréduc­ tible au jeu des causes naturelles. La prophétie messianique d’Israël jette sa lumière sur le miracle du fait chrétien dans lequel elle trouve son accomplissement. En retour, le miracle du fait chrétien confirme l'origine divine de cette prophétie ; il en éclaire rétrospectivement les traits obscurs ou ambivalents. 2. Les prophéties du Nouveau Testament, qui annon­ cent l’unité catholique du royaume spirituel issu du Christ, jettent leur lumière sur le miracle permanent de la Catholica. En retour, le miracle permanent de la Catholica, en accomplissant les prophéties du Nouveau Testament, confirme leur vérité et permet de préciser rétrospectivement leur signification. 2. La catholicité Testament143 prophétisée dans LAncien 1. Le monothéisme d’Israël se donne, non pas comme philosophique, mais comme révélé', c’est là son premier 142. Si le monothéisme d’Israël apparaît comme un miracle, ce n’est pas seulement parce qu’il se maintient en contrariant les ins­ tincts d’un peuple toujours prêt à retourner aux idoles ; c’est plus encore en vertu de son caractère intrinsèque : il s’agit, non pas d’un monothéisme philosophique, auquel pourrait s’élever la raison ; mais d’un monothéisme messianique. 143. Nous nous limitons à quelques traits. On trouvera un exposé moins succinct de l’argument prophétique dans Destinées dlsraël, Paris, 1945; voir: «Le peuple de l’espérance messianique», p. 50; -Le royaume messianique », p. 59 ; « Le Roi-Messie», p. 68 ; « Si le Messie est venu en Jésus ou s’il faut en attendre un autre», p. 83 ; «Une Église précipitée», p. 147; «La tragédie d’Israël», p. 283; « L'équivoque des prophéties », p. 366. 2064 IX - l'unité catholique caractère ; à son principe, ce qu’on rencontre, c’est l'ins­ piration de Moïse et des prophètes, qui, en donnant des signes de leur mission, déclarent parler au nom même de Dieu. Pourquoi ce Dieu unique et transcendant, créa­ teur du ciel et de la terre, se manifeste-t-il d’une manière privilégiée à Israël, sinon parce qu'il a dessein de se servir de cette petite nation, qui n’est rien par elle-même, pour se faire connaître, au jour fixé par lui, de toutes les grandes nations de la terre ? Voilà le second caractère du monothéisme d’Israël, il est à destination missionnaire et messianique, il annonce une catholicité. 2. La première promesse divine laisse voir que Dieu prend parti dans la lutte qui, au lendemain de la chute, oppose d’une part le Serpent, et d'autre part toute la postérité de la femme (Genèse, III, 15). La promesse faite à Abraham est universelle : «Je bénirai ceux qui te béni­ ront, et je maudirai celui qui te maudira. Et toutes les familles de la terre seront bénies en toi » (XII, 3 ; XVII, 4, etc.). L’intercession d’Abraham s’étend jusqu’à Sodome et Gomorrhe (XVIII, 20). C’est de Juda que sortira celui qui réunira tous les peuples : « Le sceptre ne sortira pas de Juda, ni le bâton de commandement d’entre ses pieds, jusqu’à ce que vienne celui auquel il appartient: à lui l’obéissance des peuples ! » (XLIX, 10). Mêmes résonances chez les prophètes : « Il arrivera à la fin des jours que la Montagne de la maison de lahvé sera établie au sommet des montagnes et élevée au-des­ sus des collines. Et les nations afflueront vers elle, des peuples nombreux viendront et diront : - Venez, mon­ tons à la montagne de lahvé et à la maison du Dieu de Jacob ; il nous instruira de ses voies, nous marcherons dans ses sentiers » (Michée, IV, 1-2 ; Isaïe, II, 2). L’amour de lahvé s’étendra, suivant une extraordinaire prophétie, même aux ennemis héréditaires d’Israël : « En ce jour-là, LE MIRACLE DE t’UNITÉ CATHOLIQUE 2065 Israël s’unira, lui troisième, à l’Égypte et à l’Assyrie, pour être une bénédiction au milieu de la terre. lahvé des armées les bénira en disant : — Bénis soient l’Égypte, mon peuple ; et Assour, l’ouvrage de mes mains ; et Israël, mon héritage » (Isaïe, XIX, 24-25). lahvé en appelle, des sacrifices sanglants des animaux, à un sacrifice mystérieux qui sera offert au milieu de tous les peuples : «Je ne prends pas plaisir en vous, dit lahvé des armées, et je n’agrée pas l’offrande de votre main. Car du lever du soleil à son coucher, mon nom est grand parmi les nations, et en tout lieu on offre à mon nom de l’encens et une oblation pure » (Malachie, I, 11). Le livre de Jonas semble donner le signal du passage de la révélation divine aux Gentils : « Tu t’affliges au sujet d’un ricin pour lequel tu n’as pris aucune peine, que tu n’as point fait pousser, qu’une nuit a vu naître et qu’une nuit a vu périr. Et moi, je ne m’affligerais pas au sujet de Ninive, la grande ville, dans laquelle il y a plus de cent vingt mille créatures humaines qui ne savent pas distinguer leur droite de leur gauche, et des animaux en grand nombre ! » (Jonas, IV, 10-11). 3. Le roi de ce nouveau royaume régnera sur tous les peuples. «Voici mon serviteur que je soutiens, mon élu en qui mon âme se complaît ; j’ai mis mon esprit sur lui, il répandra la justice parmi les nations » (Isaïe, XLII, 1). « Il ne faiblira pas et ne se laissera point abattre, jusqu’à ce qu’il ait établi la justice sur la terre, et les îles seront dans l’attente de sa loi » (XLII, 3-4). «Je l’établirai lumière des nations, pour que mon salut arrive jusqu’aux extrémités de la terre » (XLIX, 6). La perspective des psaumes est, elle aussi, universelle : « lahvé m’a dit : — Tu es mon Fils, moi-même aujour­ d’hui je t’engendre. Fais-m’en la demande, et je te don- 2066 IX - l’unité catholique nerai les nations pour héritage, et pour domaine les extrémités de la terre» (il, 7-8). Au temps du Messie, la justice fleurira, « il dominera de la mer à la mer, et du fleuve jusqu’aux extrémités de la terre » (LXXII, 7-8). « Toutes les extrémités de la terre se souviendront, et elles se tourneront vers lahvé. Toutes les familles des nations se prosterneront devant ta face » (XXII, 28). C’est Dieu qui, dans le livre de Daniel, donne au Messie la domination sur tous les peuples : «Je regardais dans les visions de la nuit, et voici que sur les nuées vint comme un Fils d’homme. Il s’avança jusque vers l’Ancien des jours, et on le fit approcher de lui. Et il lui fut donné domination, gloire et règne. Et tous les peuples, nations, langues le servirent. Sa domination est une domination éternelle, qui ne passera point ; et son règne ne sera jamais détruit » (vil, 13-14). 4. Ainsi, selon l’Ancien Testament, les promesses sont données à Israël, mais pour être étendues à tous les peuples. Elles annoncent un temps où la qualité messia­ nique passera à une formation transethnique et transcul­ turelle. Elles annoncent la catholicité d’un seul roi, d’un seul royaume, d’un seul esprit, d’un seul sacrifice. 3. La catholicité prophétisée dans le Nouveau Testament C’est tout le Nouveau Testament qu’il faudrait relire pour souligner à chaque phrase la catholicité de sa desti­ nation. Limitons-nous à quelques repères. LE MIRACLE DE L’UNITÉ CATHOLIQUE 2067 a) Le Christ, selon le Nouveau Testament, est Tunique salut de tous les hommes Si le Messie est le Fils unique de Dieu, le salut qu’il apporte ne saurait être restreint à son peuple. C’est toute l’humanité qu’il vient sauver : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que qui­ conque croit en lui ne périsse pas, mais ait la vie éter­ nelle» (Jean, III, 16). En signe de quoi les Gentils voisi­ neront avec les Juifs près de son berceau (Mt., II, 1-11). Sans comprendre ce qu’il dit, Caïphe, « étant grand prêtre de cette année-là, prophétisa que Jésus devait mourir pour sa nation, et non pas seulement pour sa nation, mais aussi pour amener à l’unité les enfants de Dieu qui sont dispersés» (Jean, XI, 52). Jésus va jeter dehors le Prince de ce monde : « Et moi, dit-il, quand j’aurai été élevé de terre, je les tirerai tous à moi » (Jean, XII, 32). C’est tout ce qui a été perdu en Adam qui est destiné à être sauvé dans le Christ : « Comme par la faute d’un seul, la condamnation est tombée sur tous les hommes, ainsi, par la justice d’un seul, la justification qui donne la vie parvient à tous les hommes» (Rom., V, 18). Il a plu à Dieu « de faire habiter en lui toute la plénitude, et de réconcilier par lui et en lui toutes choses, celles qui sont sur la terre et celles qui sont dans les cieux, en fai­ sant la paix par le sang de sa croix » (Col., I, 19-20). « Il est notre paix, lui qui, des deux peuples (Juifs et Gentils) a fait un seul peuple, ayant renversé le mur de sépara­ tion..., afin de fondre en lui les deux peuples en un seul homme nouveau, en établissant la paix, et de les réconci­ lier tous deux en un seul corps, pour Dieu, par la Croix » (Ephés., II, 14-16). « Vous êtes tous des enfants de Dieu par la foi dans le Christ Jésus. Car vous tous, qui avez été baptisés en le Christ, vous avez revêtu le Christ : il 2068 ιχ - l’unité catholique n y a plus ni Juif ni Grec, ni esclave ni libre, ni homme ni femme... » (Gal., Ill, 26-28). Le jugement du Christ tombera sur tous: «Alors apparaîtra dans le ciel le signe du Fils de l’homme, et toutes les tribus de la terre se lamenteront, et elles verront le Fils de l’homme venant sur les nuées du ciel avec une grande puissance et une grande majesté » (Mt., XXIV, 30). • η* b) LÉglise du Christ sera transethnique et transculturelle Dès le jour de Pentecôte, l’Église se donne comme l’accomplissement de la prophétie messianique. Le jour du Seigneur, prédit par le prophète Joël, III, 1-5, où qui­ conque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé, est désormais inauguré (Actes, II, 16; Rom., X, 13). «Tous les prophètes qui ont parlé successivement depuis Samuel ont annoncé ces jours » (Actes, III, 24). Aussi, dès le principe la catholicité de l’Église se mani­ feste. Elle est figurée par le miracle d’une même révéla­ tion que chacun comprend dans sa propre langue (il, 6-11). La puissance de l’Esprit saint survient sur les apôtres pour qu’ils soient les témoins du Christ «à Jérusalem, en toute la Judée, en Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre » (l, 8). La vision de Pierre, à Joppé, qui le prépare à accueillir Corneille dans l’Église, est une vision de catholicité: «Il vit le ciel ouvert, et quelque chose en descendre, comme une grande nappe, attachée par les quatre coins, et s’abaissant vers la terre. A l’intérieur se trouvaient tous les quadrupèdes et les reptiles de la terre, et les oiseaux du ciel. Et une voix lui dit : — Lève-toi, Pierre, tue et mange ! Pierre répondit : - Oh ! non Seigneur, car jamais je n’ai rien mangé de profane ni d’impur. Et une voix lui parla de nouveau : - Ce que Dieu a déclaré pur, ne l’ap- LE MIRACLE DE L’UNITÉ CATHOLIQUE 2069 pelle pas profane. Cela arriva jusqu’à trois fois ; et aussi­ tôt après la nappe fut retirée dans le ciel » (x, 11-16). Et Pierre dira : « Dieu m’a appris à ne regarder aucun homme comme souillé et impur » (x, 28). A Corinthe, Paul se détourne délibérément des Juifs pour aller aux Gentils (XVIII, 6) ; mais, même comme apôtre des Gentils, il n’oublie pas les Juifs : il espère pro­ voquer en eux une sainte jalousie qui les amènera à la conversion (Rom., XI, 13-14). On peut préciser quelques-uns des traits qui caracté­ riseront la catholicité de l’Eglise du Christ. c) L'Eglise du Christ sera marquée par l'unité d'une charité dérivée du Christ Elle sera liée par une unité de charité, venue du Christ, que le monde pourra constater: «Afin qu’ils soient un, comme nous sommes un, moi en eux et toi en moi, afin qu’ils soient consommés dans l’unité, de façon que le monde sache que tu m’as envoyé et que tu les as aimés comme tu m’as aimé» (Jean, XVII, 23). «C’est à cela que tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez l’amour {agape) les uns des autres » (XIII, 35). «J’ai eu faim et vous m’avez donné à manger, j’ai eu soif et vous m’avez donné à boire, j’étais étranger et vous m’avez recueilli, j’étais nu et vous m’avez vêtu, j’étais malade et vous m’avez visité, j’étais en prison et vous êtes venus vers moi» (Mt., XXV, 35-36). «Au reste, frères, tout ce qui est vrai, tout ce qui est digne, tout ce qui est juste, tout ce qui est pur, tout ce qui est aimable, tout ce qui est de bon renom, s’il est quelque vertu et s’il est quelque louange ; voilà ce qui doit occuper vos pensées » (Philipp., IV, 8). Pour autant qu’ils pèchent contre ces lois, les chrétiens, les catholiques représentent, non pas l’Église du Christ, sans tache ni ride, mais l’esprit du monde, qui est son contraire. 2070 LX - L UNITÉ CATHOLIQUE d) L'Eglise du Christ sera marquee par Γunité d'un culte dérivé du Christ n Malachie en avait appelé des sacrifices sanglants des animaux à une offrande pure et universelle. Il y aura, dans l’Église, un seul sacrifice, numériquement un, celui de la Croix sanglante, perpétué et rendu présent à cha­ cune des générations qui se succèdent, grâce au rite non sanglant, inauguré par le Christ lui-même, le jeudi saint : « Et ayant pris du pain et rendu grâces, il le rom­ pit et le leur donna en disant : - Ceci est mon corps donné pour vous. Faites ceci en mémoire de moi » (Luc, XXII, 19). Ces derniers mots sont déjà rapportés par saint Paul qui ajoute : « Toutes les fois que vous mangerez ce pain et que vous boirez ce calice, vous annoncerez la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne. C’est pourquoi celui qui mangera le pain ou boira le calice du Seigneur indignement sera coupable envers le corps et le sang du Seigneur» (I Cor., XI, 26-27). Un peu avant l’apôtre avait dit : « Le calice de bénédiction que nous bénissons, n’est-il pas une participation au sang du Christ ? Le pain que nous rompons, n’est-il pas une participation au corps du Christ ? Puisqu’il n’y a qu’un seul et même pain, nous sommes un seul et même corps, malgré notre multitude ; car tous tant que nous sommes, nous avons part au Pain unique» (I Cor., X, 16-17). L’Épître aux Hébreux annonce dans les mêmes termes le culte de la Nouvelle Alliance : « Nous avons un autel dont ceux qui sont attachés au service du Tabernacle ne peuvent pas manger» (Hébr., XIII, 10; cf. I Cor., X, 21, où Paul oppose la table du Seigneur à la table des démons)144. 144. Voir l’opuscule sur La sainte messe ou la permanence du sacri­ fice de la loi nouvelle, Fribourg (Suisse), 1951. LE MIRACLE DE L’UNITÉ CATHOLIQUE 2071 Et la rédemption, méritée par le Christ en croix, sera dispensée à chaque fidèle, aux moments essentiels de sa vie, par la voie de la sacramentalité, non pas certes indé­ pendamment de ses dispositions, mais au contraire en dépendance de ses dispositions, bien que supérieurement et proportionnellement à elles, en sorte que, qui viendra avec trois recevra six, qui viendra avec quatre recevra huit, etc., selon le mot de l’Evangile : «A celui qui a, il sera donné ; à celui qui n’a pas, même ce qu’il croit avoir sera ôté» (Luc, VIII, 18). Les sacrements sont répartis entre le baptême, sacrement de l’inchoation de la vie surnaturelle : « En vérité, en vérité, je te le dis, nul, s’il ne renaît de l’eau et de l’esprit, ne peut entrer dans le royaume des cieux » (Jean, III, 5) ; et l’eucharistie, sacre­ ment de la consommation de la vie surnaturelle : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang, demeure en moi, et moi en lui » (VI, 56). Voilà le culte, issu du Christ, pur à la fois de magie et de manichéisme, prophétisé par l’Écriture. e) L'Église du Christ sera marquée par Vunité d’une orientation dérivée du Christ Elle aura l’unité de croyance, ou de convergence des convictions dans le même ensemble de vérités, annon­ cées infailliblement du dehors, au nom du Christ, par les apôtres et leurs successeurs : « Toute puissance m’a été donnée dans le ciel et sur la terre. Allez donc, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit ; leur apprenant à pratiquer tout ce que je vous ai commandé. Et voici que je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la consommation du siècle » (Mt., fin). Ce n’est pas pour que les hommes fassent eux-mêmes leur vérité, que Jésus prie ; mais pour qu’ils unissent leurs intelligences dans la plénitude de la vérité 2072 IX - l’unité catholique très haute qui leur sera proposée du dehors: «Je prie, non seulement pour ceux-ci, mais aussi pour ceux qui, sur leur parole, croiront en moi » (Jean, XVII, 20). Et encore : « Celui qui vous écoute, m’écoute ; celui qui vous rejette, me rejette ; or celui qui me rejette, rejette Celui qui m’a envoyé» (Luc, X, 16). Aussi faudra-t-il s’interdire de composer, sous couleur de charité, avec les erreurs des hommes : « Après un ou deux avertissements, éloigne-toi de l’homme hérétique, sachant qu’un homme de cette espèce est perverti, et qu’en péchant il se condamne lui-même» (Tit., III, 10-11). «O Timothée, garde le dépôt, évitant les nouveautés profanes et les antithèses d’une science larvée ; quelques-uns, pour l’avoir annoncée, ont erré dans la foi » (I Tim., VI, 20-21). Elle aura, non pas l’unité fédérative d’une colonie, mais l’unité organique d’un vivant unique. Le Christ n’a qu’un corps, qui est l’Eglise. C’est du Christ que «tout le corps, entretenu et uni ensemble au moyen des join­ tures et des ligaments, reçoit la croissance voulue de Dieu» (Col., Il, 18-19), «afin que nous ne soyons plus des enfants, flottants et emportés à tout vent de doctrine par la tromperie des hommes et par leur astuce pour séduire en erreur, mais que, adhérant à la vérité dans la charité, nous croissions de toute manière en Celui qui est la tête, le Christ» (Éphés., IV, 14-15). «J’ai d’autres brebis, qui ne sont pas de ce bercail ; il faut aussi que je les régisse, et elles entendront ma voix, et il y aura un seul troupeau, un seul pasteur » (Jean, X, 16). Ce sont ses agneaux à lui, ses brebis à lui, qu’avant de remonter au ciel il va demander à Simon Pierre de faire paître: « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu plus que ceux-ci ? Il lui dit: - Oui, Seigneur, tu sais que je t’aime! Il lui dit: - Pais mes agneaux... » (xxi, 15). Un peu avant (XXI, 4-14) est raconté le récit de la pêche miraculeuse. Simon Pierre LE MIRACLE DE L’UNITÉ CATHOLIQUE 2073 et les apôtres sont dans la barque. Jésus est sur le rivage de leternité. C’est lui qui, du rivage, leur dit où jeter leur filet. Alors il se remplit tellement qu’ils ne peuvent le lever. Ils le traînent jusqu’à la rive. Simon Pierre mon­ tera dans la barque et le tirera de l’eau. Il était plein de cent cinquante-trois gros poissons : suivant une opinion courante, dit saint Jérôme, il existait cent cinquante-trois espèces de poissons. Malgré ce grand nombre, le filet ne se rompt pas. Le filet de l’Église, jeté sur l’ordre de Jésus, est ramené par Simon Pierre aux pieds de Jésus. Il est plein, mais les mailles de son unité, qui contiennent toutes les catégories des hommes, ne se rompent pas. IV. Conclusion On voit comment nous utilisons l’argument prophétique 145 . Γ Un fait de qualité exceptionnelle, miraculeux, comme l’espérance messianique d’Israël, trouve son accomplissement dans un autre fait, de qualité excep­ tionnelle, miraculeux, à savoir l’apparition du christia­ nisme145 146. Ces deux faits, dont chacun est miraculeux, et 145. Cette manière «est simple et facile; c’est celle des apôtres; c’est aussi celle de Pascal; c’est la bonne». M.-J. LAGRANGE, O. P., Pascal et les prophéties messianiques», dans Revue Biblique, 1906, p. 535. L’autre manière, qui accumule des prophéties de détail pour vérifier ensuite leur accomplissement dans le Christ, est fallacieuse. Ibid. 146. « Prédictions. — Il est prédit qu'au temps du Messie, il vien­ drait établir une nouvelle alliance, qui ferait oublier la sortie d Égypte, Jérémie, XXXI, 32 ; Isaïe, XLIII, 16, qui mettrait sa loi, non dans l’extérieur, mais dans les cœurs ; qu’il mettrait sa crainte, qui n’avait été qu’au-dehors, dans le milieu du cœur. Qui ne voit la loi chrétienne en tout cela ?» ...I... 2074 IX - l’unité catholique qui sont perçus comme tels avec plus ou moins de péné­ tration, s'éclairent l’un l'autre d’une nouvelle lumière. 2° Un fait de qualité exceptionnelle, miraculeux, comme le fait évangélique, prédit un autre fait, de qua­ lité exceptionnelle, miraculeux, dans lequel il se conti­ nueraH . Ces deux faits, dont chacun est miraculeux, et qui sont perçus comme tels avec plus ou moins de péné­ tration, s’éclairent l’un l’autre d’une nouvelle lumière. Au regard d'une raison qui sait discerner et apprécier les valeurs morales et métaphysiques, l’argument est « simple et facile ». Sa portée est de tous les temps. r** ΖΊ :) :υ<> □ • n o « Qu’il enseignerait aux hommes la voie parfaite. Et jamais il n’est venu, ni devant, ni après lui, aucun homme qui ait enseigné rien de divin approchant de cela ». PASCAL, Pensées, édit. Brunsvicg, n“ 729 et 733. 147. « Ce que les prophètes ont dit devoir avenir dans la suite des temps, je vous dis que mes apôtres vont le faire. Les Juifs vont être rebutés, Jérusalem sera bientôt détruite ; et les païens vont entrer dans la connaissance de Dieu. Mes apôtres le vont faire après que vous aurez tué l’héritier de la vigne ». Ibid., n° 770. CONCLUSION « POUR QUE TOUS SOIENT UN » : LES RÉALISATIONS DE LA PRIÈRE DU SAUVEUR POUR L’UNITÉ L Limité sans ombre de déchirure «Je ne prie pas seulement pour ceux-ci, mais aussi pour ceux qui sur leur parole croient en moi : afin que tous soient un, à la manière dont toi, Père, tu es en moi et moi en toi, afin qu’eux aussi soient en nous... » (Jean, XVII, 20-21). L’apôtre écrira: «Afin que notre commu­ nion soit avec le Père et avec son Fils Jésus-Christ » (I Jean, I, 3). C’est au ciel, dans l’au-delà du temps, que la prière du Sauveur pour l’unité sera pleinement exaucée. Devenus pleinement conformes au Christ de gloire, transformés intérieurement, ontologiquement, par la lumière de gloire qui leur rendra possible la vision et l’amour béatifiques, les bienheureux verront se refléter en eux, comme en un pur et vivant miroir, l’unité infinie, incirconscriptible que forment éternellement ensemble le Père, le Fils, l’Esprit. Ils seront un, non seulement d’une manière finie et ontologique, par la transformation de la grâce et de la gloire, mais encore d’une manière infinie et inten­ tionnelle, parce qu’ils verront se réfléchir dans le fond le plus secret d’eux-mêmes, tout entière en chacun d’eux et tout entière dans tout l’ensemble, - comme le soleil se 2076 CONCLUSION réfléchit rout entier dans un miroir et tout entier dans chacune de ses parcelles - l’indicible, l’adorable Superunité du Père, du Fils, de l’Esprit. « Pour moi, dit encore Jésus, je leur ai donné la gloire que tu m’as don­ née, afin qu'ils soient un, moi en eux et toi en moi, afin qu’ils soient consommés dans l’unité... » (Jean, XVII, 22-23). Unité sans limite, rendant impossible toute ombre de déchirure, où il n’y aura plus de part pour le mal ni pour le péché, plus de dissentiment, plus de douleur, plus de décrépitude, plus de mort. Unité véritablement inef­ fable, qui ne peut être décrite ici-bas en termes positifs et que nous ne pouvons signifier efficacement que par négation de toutes les servitudes de notre exil : « Et je vis un ciel nouveau et une terre nouvelle, car le premier ciel et la première terre s’en étaient allés, et il n’y avait plus de mer. Et je vis la Ville sainte, la Jérusalem nouvelle, qui descendait du ciel, d’auprès de Dieu, parée comme une fiancée pour son époux. Et j’entendis une grande voix venant du trône, qui disait : “Voici le tabernacle de Dieu avec les hommes, et il dressera sa tente avec eux ; et pour eux, ils seront ses peuples ; et pour lui, il sera Dieu-avec-eux, et il essuyera toute larme de leurs yeux, et la mort ne sera plus, et il n’y aura plus ni deuil ni cri ni douleur, car les premières choses s’en sont allées”. Et celui qui était assis sur le trône dit : “Voici que je fais toutes choses nouvelles” » (Apoc., XXI, 1-5). Voilà l’exaucement suprême, la réalisation suprême de la prière du Sauveur pour l’unité. C’est la réalisation de la Patrie. « POUR QUE TOUS SOIENT UN » 2077 2. L’unité qui déchire, mais n’est pas déchirée 1. Mais la prière du Sauveur pour l’unité est exaucée déjà dans cet exil du temps, où, suivant l’apôtre, « nous marchons par la foi, non par la vue » (II Cor., V, 7). Car, après avoir dit : « Afin qu’eux aussi soient en nous », le Sauveur a ajouté : « en sorte que le monde croie que tu m’as envoyé » (Jean, XVII, 21). Et, après avoir dit : «Afin qu’ils soient consommés dans l’unité », il a ajouté : « en sorte que le monde sache que tu m’as envoyé » (Jean, XVII, 23). Il demande donc une unité qui, dès ici-bas, puisse être un signe, afin que le monde croie, afin que le monde sache. Ce qui apparaîtra à découvert et pleinement épanoui dans le jour de la patrie, la foi nous enseigne en effet que cela est déjà réalisé obscurément et en sa substance, dès la nuit de l’exil. Du haut du ciel où il réside, le Christ continue d’agir sur le monde. A l’endroit où il touche les hommes par le contact des pouvoirs sacramentels et juri­ dictionnels, ce qu’il verse en eux, c’est la grâce pleine­ ment christique et christoconformante, à savoir la grâce sacramentelle et orientée, qui a pour fin de faire d’eux par vocation, non seulement des membres sauvés par et dans le Christ, mais encore, s’ils lui sont fidèles, des membres sauveurs des autres hommes par et dans le Christ. A cet endroit même où la grâce est pleinement christique et pleinement christoconformante, l’Esprit saint est donné au monde comme jamais encore il n’avait été donné (Jean, Vil, 39), les trois personnes divines vien­ nent habiter parmi les hommes comme jamais encore elles n’y avaient habité : « C’est par lui que, les uns et les autres (Juifs et Gentils), nous avons dans un seul Esprit, accès jusqu’au Père... Vous avez été édifiés sur le fonde­ ment des apôtres et des prophètes, qui a pour pierre 2078 CONCLUSION angulaire le Christ Jésus ; c’est en lui que toute la construction bien ordonnée s’élève pour former un temple saint dans le Seigneur ; c’est en lui que, vous aussi, vous êtes coédifiés pour devenir, dans l’Esprit, un habitacle de Dieu » (Éphés., II, 18 et 20-22). A cet endroit précis, l’Eglise, qui est ici-bas la maison du Dieu vivant (I Tim., III, 15) existe en acte ouvert et achevé. Elle est une, non seulement d’une manière finie et ontologique, par la diffusion en elle de la grâce pleine­ ment christique et pleinement christoconformante, mais encore d’une manière infinie et intentionnelle, parce que l’unité infinie et incirconscriptible de la Déité qui habite en elle, se reflète dans les profondeurs secrètes de sa foi vive et de son amour, comme le ciel étoilé dans un lac de montagne, tout entière en chacun de ses justes et tout entière dans eux tous. 2. Seuls ses grands saints lui appartiennent tout entiers. Ils sont son jardin fermé, sa fontaine scellée. Il n’y a plus en eux de place pour les pièges du démon1. Brûlés par l’Esprit que le Christ leur envoie, transformés en une flamme d’amour en laquelle le Père, le Fils et le Saint-Esprit se communiquent, ils goûtent un peu de la vie éternelle, mais non parfaitement, parce que la condi­ tion de cette vie ne le permet pas2. Mais cette union même est pour eux déchirante. Car pour grandes que soient leur conjonction et leur union avec Dieu, ils n’ont ni repos ni rassasiement tant qu’ils ne voient pas sa gloire, et ils supplient afin que soit enfin rompue la toile 1. Saint JEAN de LA Croix, Cantique spirituel, str. 40, vers 2; Silverio, t. III, p. 426 ; édit. Chevallier, p. 324 ; trad. Lucien-Marie de Saint-Joseph, p. 915. 2. Saint JEAN DE LA CROIX, La vive flamme d’amour, str. 1, vers 1 ; Silverio, t. IV, p. 10, note 5; trad. Lucien-Marie de Saint-Joseph, p. 961. « POUR QUE TOUS SOIENT UN » 2079 qui les sépare encore de Dieu : « Que ton règne arrive, que ta volonté soit faite »3. En les justes qui ne sont pas encore tout entiers résor­ bés dans l’Eglise, plus s’accroît la charité divine, plus s’accroît aussi la douleur et la confusion des blessures de leurs anciens péchés, et de leurs défaillances quoti­ diennes. Ils aspirent à franchir les limites de la Patrie où ils verront leurs propres faiblesses enfin vaincues, où il leur sera enfin donné d’aimer Dieu sans nulle trahison, et sans nulle déchirure de leur être. Ils aspirent au temps où ils ne verront plus autour d’eux les triomphes du Prince de ce monde ; où seront dissipées toutes les igno­ rances invincibles qui dressent d’insurmontables bar­ rières entre les âmes de bonne volonté et le désir du Christ, qui les réclame pour son Église ; où ils ne verront plus mourir ceux qu’ils aiment, ni souffrir les petits enfants, ni régner le mensonge, ni la terre se couvrir de sang, de haine, de désespoir, ni aucun homme marcher à sa damnation. C’est à tout cela qu’ils pensent quand ils disent le Pater, ou quand ils reprennent le cri de saint Paul: « Marana tha, ô notre Seigneur, viens!» (I Cor., XVI, 22), ou l’appel de saint Jean : « Moi Jésus..., je suis la racine et la race de David, l’étoile éclatante du matin. Et l’Esprit et la Fiancée disent : Viens ! Et que celui qui écoute dise : Viens ! » (Apoc., XXII, 16-17). Cette Église, destinée à porter la rédemption au sein même du mal, comptera fatalement beaucoup de membres pécheurs. Elle les retient en elle par ce qui sub­ siste en eux de dons divins, et tant qu’il reste encore quelque espoir de les arracher à leur perdition définitive. Elle n’est donc pas sans pécheurs, mais elle est sans péché, « glorieuse, sans tache ni ride ni rien de sem3. Ibid., str. 1, vers 5 ; Silverio, t. IV, p. 22 ; trad. Lucien-Marie de Saint-Joseph, p. 980. 2080 CONCLUSION blable, mais sainte et immaculée ». Ses frontières divisent au fond de chacun de nous ce qui est du ciel et ce qui est de Tenter ; elles déchirent les pécheurs. 3. Tel est, dès ici-bas, l'infaillible exaucement de la prière du Christ pour Tunité. C’est l’Eglise en acte achevé: plus ou moins ardente au cours des âges selon le rythme des effusions en elle de l’Esprit4, mais portant toujours dans son cœur un foyer d’amour inextinguible; plus ou moins nombreuse dans ses membres, mais toujours une par nature d’une unité divine et catholique. Il est impos­ sible que quelque signe de sa mystérieuse unité ne passe pas jusqu’au monde, afin, s’il le veut, qu’il puisse « croire », qu’il puisse « savoir ». 3. L’unité mutilée ou déchirée 1. Dans l’univers du salut, l’Église en acte achevé, ser­ rée autour du Christ, est comme le noyau solide de la nébuleuse. Elle entraîne dans son mouvement tous ceux en qui peut résider la foi vive et la charité divine, tous les justes, tous les sauvés qui sont dispersés dans la nuit d’une erreur pour eux invincible. Ils sont comme les enveloppes adhérant à la nébuleuse. Si l’on essayait de les ranger selon la plus ou moins grande perfection christique de leur amour, - en imagi­ nant en eux par hypothèse une égale intensité de la cha­ rité —, on rencontrerait d’abord les justes des Eglises orthodoxes dissidentes, en qui la grâce n’est pas pleine­ ment orientée ; puis les justes baptisés du protestan­ tisme, en qui la grâce n’est pas pleinement sacramen­ telle ; puis les justes des groupes monothéistes qui n’ont 4. Voir plus haut : « Les effusions de l’Esprit », p. 462 [dans la pré­ sente édition : vol. II, pp. 771 s.]. « POUR QUE TOUS SOIENT UN » 2081 même pas le baptême : sectes protestantes, judaïsme, islam ; puis les justes des religions préchrétiennes. En tous ces justes, qu’ils le sachent ou non, la grâce aspire secrètement à rencontrer son centre qui est le Christ et à former autour de lui l’Église en acte achevé. C’est ce que l’on veut signifier quand on dit qu’ils appar­ tiennent à l’Église en acte initial, latent, tendanciel. Mais, en tous ces justes, des malentendus, pour eux insurmontables, entravent le mouvement spontané de la grâce, l’empêchent de rejoindre le seul lieu où elle pour­ rait pleinement éclore. Elle est en eux comme contrariée, mutilée ; elle ne donnera pas ici-bas sa pleine floraison. Et l’unité qui les attache à l’Église, quoique profonde et divine, est, elle aussi, contrariée, mutilée. Elle non plus ne donnera pas ici-bas ses pleins fruits. En vertu du mouvement authentique de la grâce qui est en eux, ces justes tendent donc à joindre le Christ et son unique Église. Mais en vertu de leur ignorance invincible, ils restent fidèles à des formations religieuses diverses où leur foi est toujours en péril. Spirituellement, aux yeux des anges et des quelques hommes qui sauront voir, ils sont, initialement, dans l’Église. Corporel­ lement, aux yeux du monde qui s’arrête aux apparences, et à leurs propres yeux couverts d’un bandeau, ils appar­ tiennent aux dissidences de l’orthodoxie ou du protes­ tantisme, au judaïsme, à l’islam, au brahmanisme, au bouddhisme. Quel déchirement, quelle tragédie ! 2. Plus on croit au prix des grâces qui attirent secrète­ ment au Christ et à son Église tout homme venant en ce monde, plus aussi on croit à la réalité, à l’étendue, à la splendeur cachée de l’Église en acte initial et tendanciel : elle est comme une troisième réalisation, mais inchoative, inachevée, mutilée, déchirée de la prière du Sauveur pour l’unité. Et plus aussi on souffre à la pensée de tant 2082 • w CONCLUSION d'ignorances, devenues invincibles pour tant d’hommes de bonne volonté, qui les empêchent si durablement de reconnaître le vrai visage de l’Eglise. Quelle résurrection pour le monde entier, si, tout d’un coup, l’Église en acte tendanciel, pouvait passer, avec toutes ses ressources, dans la pleine lumière de ΓÉglise en acte achevé ! Quant au monde, il ne sait que prendre occasion, pour se scandaliser, de la division de ceux qui se récla­ ment du même Dieu et du même Christ, pour tourner en dérision la révélation de Dieu et de son Christ. Comme il prend occasion des disputes et des contradic­ tions des philosophes pour nier la vérité5. ! μ tn 4. L’avenir rrn n m / 1 in n s π Est-ce que l’ignorance invincible aura toujours le pou­ voir d’élever une barrière aussi néfaste entre l’Église en acte tendanciel et l’Église en acte achevé ? Est-ce qu’il y aura toujours, autour de l’Église en acte achevé, une zone aussi nombreuse de justes, - pareils à ceux qui pour­ raient aujourd'hui se dire orthodoxes, protestants, juifs, musulmans, bouddhistes, etc. -, qui ne lui appartien­ dront que spirituellement, d’un élan brisé, en la mécon­ naissant, parfois même en la combattant ? Est-ce que la division des croyants au sujet de la révélation divine, des chrétiens mêmes au sujet du Christ et de son Église, 5. « Ceux qui n’aiment pas la vérité prennent le prétexte de la contestation, de la multitude de ceux qui la nient. Et ainsi leur erreur vient de ce qu’ils n’aiment pas la vérité ou la charité ; et ainsi ils n’en sont pas excusés». PASCAL, Pensées, édit. Br., n° 261. - En présence des dissidences, il est facile d’objecter que le christianisme est « un fleuve fatigué qui fait delta ». Et facile aussi de répondre que l’essence d’une tendance vitale comme le dit Bergson, « est de se développer en forme de gerbe ». Il convient pourtant éminemment, quand on pense au royaume qui n’est pas de ce monde, de transcender les images. « POUR QUE TOUS SOIENT UN » 2083 continuera jusqu’à la fin du temps de scandaliser les faibles et de fournir des prétextes faciles, trop faciles, à ceux qui, au vrai, ne cherchent ni Dieu ni son Christ ? Que répondre à ces immenses questions ? 1° Nous savons, hélas, que, plus les divisions durent, plus elles tendent à se creuser. Tout marche avec le temps. L’Église ne peut conserver le trésor vivant de la révélation qu’en le désenveloppant. D’autre part, dans les formes religieuses séparées d’elle, les principes d’erreur développent inexorablement leurs conséquences. Ce n’est pas seulement la persistance de l’immense bloc toujours actif des religions préchrétiennes, ce n’est pas seulement le spectacle de la bimillénaire irréductibi­ lité du judaïsme, c’est encore le spectacle de l’extraordi­ naire apparition d’une religion postchrétienne comme l’islam, qui dure depuis treize siècles ; c’est le spectacle de l’apparente réussite de formidables déchirures comme l’orthodoxie dissidente, qui dure depuis dix siècles, mal­ gré une persécution terrible qui n’est pas encore finie ; ou comme le protestantisme qui dure, sans doute en se modifiant, depuis quatre siècles, qui nous obligent à réfléchir à nouveau sur la mystérieuse réponse du Maître du champ à ses serviteurs : « Non, de peur qu’avec l’ivraie, vous n’arrachiez aussi le froment. Laissez croître l’un et l’autre jusqu’à la moisson... » (Mt., XIII, 29-30) ; ou sur l’étrange parole de saint Paul aux Corinthiens : «J’entends dire que des scissions (schismata) se font parmi nous, et j’en crois bien quelque chose ; il faut même, en effet, qu’il y ait parmi vous des sectes (haereses), afin que ceux qui sont éprouvés soient mani­ festés au milieu de vous » (I Cor., XI, 18-19). Qu’est-ce que Dieu veut de nous par ces défaites si humiliantes pour nous, et par ces déchirures toujours 2084 CONCLUSION saignantes ? Avons-nous besoin d'être constamment repris par des adversaires dont beaucoup pourront être de bonne foi, afin d'apprendre à ne pas confondre prati­ quement nos misères, nos routines humaines, nos étroi­ tesses de cœur, nos manques, nos péchés, avec cette Eglise « glorieuse, sans tache ni ride ni rien de semblable, mais sainte et immaculée », à laquelle nous avons donné le meilleur de notre cœur, mais en laquelle nous sommes encore bien loin d’être totalement résorbés ? Avons-nous besoin d’être constamment provoqués à de nouveaux examens de notre foi afin de ne pas nous endormir sur le trésor des vérités qui nous sont confiées ? « Quand l’ar­ dente inquiétude des hérétiques, écrit saint Augustin, - et ce qu’il dit des hérétiques peut valoir des dissidents se jette sur différents points de la foi catholique, alors, pour les défendre contre eux, on les examine avec plus de soin, on les saisit avec plus de netteté, on les enseigne avec plus de zèle, et chaque question qu’un adversaire soulève est une occasion de s’éclairer, et ab adversario mota quaestio, discendi exsistit occasio^. Aurons-nous toujours besoin de la présence diffuse autour de nous d’une vaste Eglise à l’état latent et tendanciel, pour nous ressouvenir constamment, comme les Juifs au temps de Jésus, que « beaucoup viendront de l’Orient et de l’Occident et auront place au festin avec Abraham, Isaac 6. De civitate Dei, livre XVI, ch. II. — « L’homme, fait pour la vérité, est si malaisément capable d’elle, il va si naturellement au facile, que ceux qui possèdent les principes du vrai s’abstiennent d’or­ dinaire d’avancer beaucoup, quand ils ne s’enkystent pas dans les for­ mules acquises, - et c’est une grande vertu déjà de conserver et de transmettre des formules de vérité ; - et que ceux qui s’inquiètent d’avancer, ignorant les principes ou portant sur eux leur inquiétude, avancent le plus souvent dans l’erreur ». Jacques Maritain, Réflexions sur l'intelligence et sur sa vie propre, Paris, 1924, p. 305 [O. C., III, p. 352]. « POUR QUE TOUS SOIENT UN » 2085 et Jacob, dans le royaume des cieux, tandis que les fils du royaume seront rejetés dans les ténèbres extérieures » (Mt., Vin, 11-12) ? Pour évoquer la part en quelque sorte infinie que Dieu, tout en restant le Maître absolu de l’univers, peut laisser prendre au mal dans son œuvre, il faudrait savoir combien ses jugements sont insondables et ses voies incompréhensibles, et entrevoir l’Abîme, cette fois-ci rigoureusement infini, de sa Sagesse et de sa Science. 2° Mais, si l’homme marche de catastrophe en catas­ trophe, l’Esprit saint ne cesse de descendre d’étage en étage pour le relever. Les saints nous disent que plus les temps sont désespérés, plus les providences divines sont merveilleuses : « Le Seigneur, dit saint Jean de la Croix, a toujours découvert aux mortels les trésors de sa Sagesse et de son Esprit, mais maintenant que la malice découvre davantage son visage, il les découvre bien davantage »7. Est-ce que l’irruption massive sur l’avant-scène de l’histoire, pour la première fois depuis que le monde existe, de ce qu’on appelle l’athéisme mais qui est au vrai un antithéisme, plus précisément un antichristianisme, ne serait pas ordonnée, dans le plan du Dieu tout puis­ sant, qui peut prendre occasion de maux effrayants pour susciter des biens adorables, à préparer quelque vaste regroupement de tous les croyants ? L’esprit lucide du grand Dragon, du Séducteur de toute la terre, n’a pas de peine à discerner les vrais contours de l’Église, et l’em­ placement de la Femme vêtue de soleil. Est-ce qu’en jetant sur elle les Bêtes, plus sauvagement que par le 7. Maximes, Silverio, t. IV, p. 232; édit. Chevallier, p. 171; trad. Lucien-Marie de Saint-Joseph, p. 1296. 2086 CONCLUSION passé, il ne va pas, sans le vouloir, révéler à tous les vrais fidèles le lieu de leur vraie patrie ? Ce que saint Paul nous annonce d’Israël, à savoir qu’il n'a été retranché que pour un temps et qu’il sera un jour réintégré, pour une merveilleuse résurrection de toute l’Église (Rom., XI, 12-15), - qu’il faut placer peut-être longtemps avant la fin du monde, avant même la grande apostasie laquelle précédera de peu la venue du Sauveur (II Thess., II, 3) ; ou peut-être tout à la fin du monde et juste après l’apostasie8 - est-ce que cela vaudrait aussi pour les dissidences, pour toutes les dissidences ? Est-ce qu’il y aura un jour de notre temps terrestre où tous les fidèles d’Israël et tous les fidèles des dissidences avec eux, ne feront plus, autour du Christ, qu’une seule Ville bienaimée, contre laquelle monteront les armées de Gog et de Magog9 ? A vrai dire le sens direct de ce passage de l’Apocalypse est un peu différent : « Quand les mille années seront accomplies, dit l’apôtre, Satan sera relâché de sa prison, et il en sortira pour séduire les nations qui sont aux quatre extrémités de la terre, Gog et Magog, afin de les rassembler pour le combat : leur nombre est comme le sable de la mer. Elles montèrent sur la surface de la terre et elles cernèrent le camp des saints et la Ville bien-aimée, mais Dieu fit tomber un feu du ciel, qui les dévora» (Apoc., XX, 7-9). Les mille années représentent toute la durée du temps messianique, qui va du premier avènement du Christ comme Sauveur, au second avène­ ment du Christ comme Juge. La Ville bien-aimée est 8. Cf. « Le royaume de Dieu sur terre », dans Nova et Vetera, 1935· pp. 201-209 [texte recueilli dans le vol. V de la présente édition]. 9. C’est la vision de la fin du monde qu’essaie de décrire Vladimir SOLOVIEV, dans sa Courte relation sur l’Antéchrist. « POUR QUE TOUS SOIENT UN » 2087 l’Église, rassemblée autour du Christ et assaillie avec le Christ. Gog et Magog symbolisent toutes les attaques successives de la Bête, qui sans doute connaîtront leur paroxysme à la fin du monde. Pourtant il est possible que les croyants des quatre extrémités de l’horizon, peut-être sous la pression ter­ rible des assauts qu’il leur faudra soutenir, voient sou­ dain leurs cœurs s’ouvrir pleinement à la transcendance et à l’humanité (Tite, III, 4) de la révélation qui est dans le Christ Jésus. Il est possible que notre terre, avant d’être engloutie dans l’apocatastase universelle (Actes, III, 21) voie tous les justes quelle porte, manifestement rassemblés pour une dernière floraison de l’unité chré­ tienne. Alors, toute l’Eglise en acte tendanciel passerait dans la pleine lumière de l’Eglise en acte achevé. Ce serait une réalisation encore inouïe ici-bas de la prière du Sauveur pour lunité. Faut-il, dans ce cas, l’espérer avant la grande apostasie, longtemps avant la fin du temps ? Faut-il plutôt la reculer après l’apostasie, juste avant le dernier instant du monde ? Ce sont là les secrets du Sauveur et de sa providence sur son Église. Il nous est bon de les méditer dans notre cœur pour être toujours disponibles à ce qu’il lui plaira, dans sa bonté, de décider. Une chose est sûre, c’est qu’il ne tardera pas : « Oui, je viens promptement ». Et aussi qu’il nous faut lui répondre, avec l’Esprit qui remplit toute l’Église, dans la suprême tension de notre commun désir de l’Unité finale : « Amen ! Viens, Seigneur Jésus ! » (Apoc., XXII, 20). 2089 ANNEXE I Lettre de la S. Congrégation du Saint-Office à Son Exc. Mgr. Richard James Cushing Archevêque de Boston1 Palais du Saint-Office, le 8 août 1949 Excellentissime Seigneur, Notre Suprême Sacrée Congrégation a suivi très attentive­ ment les débuts et le progrès de la grave controverse, soulevée par certains membres du St. Benedict Center et du Boston College, concernant l’interprétation de la maxime : Hors de l’Église, point de salut. Après avoir examiné tous les documents nécessaires ou utiles sur ce sujet - entre autres le dossier envoyé par votre chancellerie, les recours et rapports où les membres du St. Benedict Center exposent leurs opinions et leurs réclama­ tions, et en outre d’autres documents de source officielle se rapportant à cette controverse, - la Sacrée Congrégation a acquis la certitude que cette malheureuse question est née du fait que le principe «hors de l’Église point de salut» n’a été correctement ni compris ni pénétré et que la controverse s’est envenimée par suite d’un grave manquement à la discipline, 1. Certains membres du St. Benedict Center et du Boston College, dont trois laïques et un prêtre, le R. P. Léopold Feeney, S. J., ayant jrétendu que tous ceux qui ne sont pas explicitement membres de Église étaient damnés, et ayant refusé de reconnaître leur erreur et d’obéir à leur archevêque, celui-ci en référa au Saint-Office, dont on va lire la réponse. Datée du 8 août 1949, elle n’a été rendue publique que le 4 septembre 1952. Le texte latin a paru dans The American Ecclesiastical Review, col. CXXVII, n° 4, octobre 1952, pp. 307-311. On en trouvera une traduction, que nous modifions, dans la Docu­ mentation Catholique, 2 novembre 1952, n° 1133, col. 1395-1398. 2090 ANNEXE I dû au fait que certains membres des associations mentionnées ont refusé respect et obéissance aux autorités légitimes. En conséquence, les Éminentissimes et Révérendissimes cardinaux de notre Suprême Congrégation ont décrété en ses­ sion plénière, le mercredi 27 juillet 1949, - et le Souverain Pontife, en l’audience du jeudi suivant 28 juillet 1949, a dai­ gné en approuver l’envoi, - les explications doctrinales, l’invi­ tation et les exhortations suivantes : Nous sommes tenus de croire de foi divine et catholique toutes les vérités que contient la Parole de Dieu, Écriture ou Tradition, et que l’Église propose à notre foi comme divine­ ment révélées, non seulement par une définition solennelle, mais encore par son magistère ordinaire et universel (Denzinger, n° 1792). Or, parmi les doctrines que l’Église a toujours prêchées et ne cessera pas d’enseigner, se rencontre notamment cet énoncé infaillible, suivant lequel il ny a pas de salut hors de ÏEglise. Ce dogme cependant, doit s’entendre dans le sens que lui attribue l’Église elle-même. Le Sauveur, en effet, a confié l’ex­ plication des doctrines contenues dans le dépôt de la foi, non pas au jugement privé, mais au magistère ecclésiastique. Or, en premier lieu, l’Église enseigne qu’en cette matière il s’agit d’un précepte très strict de Jésus-Christ, car c’est en termes exprès qu’il a chargé ses apôtres d’enseigner toutes les nations à observer tout ce qu’il avait lui-même prescrit (Matth., xxviii, 19-20). Le moindre de ces commandements n’est pas celui qui nous ordonne de nous incorporer par le Baptême au Corps mystique du Christ qui est l’Église, et de rester unis au Christ et à son Vicaire par qui lui-même gouverne ici-bas son Église de façon visible. C’est pourquoi nul ne sera sauvé si, sachant que l’Église est instituée divinement par le Christ, il refuse malgré cela de se soumettre à elle, ou se sépare de l’obédience du Pontife romain Vicaire du Christ sur la terre. Le Sauveur ne s’est pas contenté de prescrire que tous les peuples devaient entrer dans l’Église, il a en outre constitué ANNEXE I 2091 son Église comme un moyen de salut sans lequel nul ne peut entrer dans le royaume de la gloire céleste. Dans son infinie miséricorde, Dieu a voulu que, puisqu’il s’agissait des moyens de salut ordonnés à la fin ultime de l’homme non par nécessité intrinsèque, mais seulement par institution divine, leurs effets salutaires puissent aussi être obtenus dans certaines circonstances, lorsque ces moyens sont seulement objets de vœu ou de désir, voto vel desiderio. Ce point est clairement établi au Concile de Trente aussi bien à propos du sacrement de Baptême qu’à propos du sacrement de Pénitence (Denzinger, nos 796 et 807). Il faut en dire autant, à son plan, de l’Église en tant que moyen général de salut. C’est pourquoi, pour qu’une personne obtienne le salut éternel, il n’est pas toujours exigé quelle soit visiblement, reapse1, incorporée à l’Église à titre de membre, mais il faut quelle lui soit unie tout au moins par le vœu et le désir, voto et desiderio. 2. Reapse, opposé à voto et desiderio, est donné dans la traduction anglaise par actually et en français par de fait. La meilleure manière de rendre la distinction entre appartenance re ou seulement voto, est, nous semble-t-il, de distinguer entre appartenance visible ou seule­ ment spirituelle. Saint THOMAS, en effet, enseigne, III, qu. 68, a. 2, que ceux qui sont empêchés de recevoir le baptême re peuvent être sauvés sine baptismo actuali, « par le désir du baptême qui procède de la foi opérant par la charité ». L’incorporation au Christ peut se faire ou sacramentellement, sacramentaliter, ou seulement spirituellement, mentaliter. Le Sed contra du même article distingue, en s’appuyant sur saint Augustin, la sanctification visible donnée lors du baptême, et la sanctification invisible, possible sans le baptême. Plus loin, saint Thomas précise que le désir du baptême capable de sanctifier peut être soit explicite, soit implicite ; mais, dit-il, quand le baptême est reçu realiter, la rémission de la peine due au péché est plus parfaite, III, qu. 69, a. 4, ad 2. D’où la double manière dont les fidèles peu­ vent être incorporés au Christ, soit seulement spirituelle, mentaliter, soit en outre corporelle par le sacrement visible, corporaliter per visi­ bile sacramentum, sans le désir duquel l’incorporation spirituelle eût été impossible, III, qu. 69, a. 5, ad 1. L’expression reipsa se rencontre chez saint BELLARMIN : « L’axiome : hors de l’Église pas de salut, doit s’entendre de ceux qui ne sont de l’Église neque reipsa neque deside- 2092 ANNEXE I Cependant il n'est pas toujours nécessaire que ce désir soit explicite comme il l'est chez les catéchumènes. Dans le cas de l'ignorance invincible, Dieu accepte un désir implicite, ainsi appelé parce qu’il est inclus dans la bonne disposition de l'âme, par laquelle elle désire conformer sa volonté à celle de Dieu. Ces choses sont clairement exprimées dans la Lettre dog­ matique publiée par le Souverain Pontife Pie XII, le 29 juin 1943, sur le Corps mystique de Jésus-Christ (A. A. S., vol. XXXV, ann. 1943, p. 193 et s.). Dans cette Lettre, en effet, le Sou­ verain Pontife distingue clairement ceux qui sont visiblement, re, incorporés à l’Église comme membres et ceux qui lui sont unis par le désir seulement, voto tantummodo. Parlant des membres qui forment ici-bas le Corps mys­ tique, le même auguste Pontife dit : « Parmi les membres qui sont visiblement, reapse, de l’Église, seuls doivent être comptés ceux qui ont reçu le Baptême de régénération et professent la vraie foi, et qui, d'autre part, ne se sont pas pour leur malheur séparés de l’ensemble du Corps, ou n’en ont pas été retranchés pour des fautes très graves par l’autorité légitime » (A. A. S., p. 202). rio». De Ecclesia militante, livre III, chap. 3. Au même endroit, expli­ quant un passage authentique de saint Augustin qui range les caté­ chumènes dans l’Église : « Futuri erant aliqui in Ecclesia excelsioris gratiae catechumeni » (In Evang. Joan., tract. 4, η ° 13), saint Bellarmin écrit : « Voluit ergo dicere esse in Ecclesia non actu sed potentia, quod idem ipse explicuit initio libri II De symbolo (mais ce texte n’est pas de saint Augustin) ubi comparat catechumenos homini­ bus conceptis, non natis». Regardons, dès lors, les catéchumènes comme des chrétiens déjà conçus, déjà spirituellement et invisible­ ment incorporés au Christ et à l’Église par la foi et la charité qui les vivifient, mais non encore enfantés, non encore sacramentellement et visiblement incorporés. Pour Émile MerSCH, au contraire, les caté­ chumènes étaient membres du Christ sans être membres de l’Église, et il en prenait occasion de conclure qu’il n’y a pas identité entre le corps mystique du Christ et l’Église. Le corps mystique du Christ, Louvain, 1933, t. II, pp. 219 et 331. ANNEXE I 2093 Vers la fin de la même Encyclique, invitant à l’unité, avec la plus grande affection, ceux qui n’appartiennent pas à l’orga­ nisme, compago, de l’Église catholique, il mentionne ceux qui, « par un certain désir et vœu inconscient, se trouvent ordon­ nés au Corps mystique du Rédempteur ». Il ne les exclut aucu­ nement du salut éternel, mais il affirme pourtant qu’ils se trouvent dans un état « où nul ne peut être sûr de son salut éternel... car ils sont privés de ces dons et secours célestes, si nombreux et si précieux, qu’on ne rencontre que dans l’Église catholique» (A. A. S., p. 243). Par ces paroles, le Pape condamne aussi bien ceux qui excluent du salut éternel les hommes qui ne sont unis à l’Église que par le désir implicite, que ceux qui affirment à tort que les hommes peuvent être sauvés à titre égal dans toute reli­ gion (cf. PlE IX, Singulari quadam, Denz., n° 1646 s. ; PlE IX, Quanto conficiamur moerore, Denz., η ° 1677). Cependant, il ne faudrait pas croire que n’importe quel désir d’entrer dans l’Église suffise pour le salut. Le désir par lequel quelqu’un s’ordonne à l’Église doit être informé par la vraie charité3. Un désir implicite ne peut pas non plus produire son effet si l’on ne possède pas la foi surnaturelle « car celui qui s’approche de Dieu doit croire qu’il existe et qu’il rémunère ceux qui le cherchent» (Hébr., XI, 6). Le Concile de Trente déclare en effet (session VI, ch. VIIl) : « La foi est le principe du salut de l’homme, le fondement et la racine de toute justification. Sans elle, il est impossible de plaire à Dieu et de compter parmi ses enfants » (Denz., n° 801). Il est évident, d’après ce qui précède, que les idées propo­ sées par le périodique From the Housetops (n° 3) comme l’en­ seignement authentique de l’Église catholique, sont loin de l’être, et quelles sont pernicieuses, tant pour ceux qui sont dans l’Église que pour ceux qui vivent en dehors d’elle. 3. Nous traduisons par vraie ou authentique charité l’expression perfecta cantate, qui ne signifie pas nécessairement ici les degrés suprêmes de la charité, la charité parfaite. 2094 ANNEXE I De cet expose doctrinal découlent certaines conclusions touchant à la discipline et à la conduite, que ne peuvent méconnaître ceux qui défendent avec vigueur la nécessité d’appartenir à la véritable Église et de se soumettre à l’autorité du Pontife romain et des évêques « que l’Esprit-Saint a dési­ gnés pour gouverner l’Église » (Act., XX, 28). C’est pourquoi il est inexplicable que le St. Benedict Center puisse prétendre être un groupe catholique et désirer être considéré comme tel, alors qu’il refuse de se conformer aux prescriptions des canons 1381 et 1382 du Code de droit cano­ nique, et continue d’être une cause de discorde, de révolte contre l’autorité ecclésiastique, de trouble pour beaucoup de consciences. En outre, il est difficile de comprendre qu’un religieux, le P. Feeney, se présente comme « défenseur de la foi » et qu’en même temps il n’hésite pas à attaquer l’enseignement donné par les autorités légitimes et ne craigne même pas d’encourir les graves sanctions dont le menacent les sacrés canons pour la violation grave de ses devoirs de religieux, de prêtre et de simple membre de l’Église. Enfin, il n’est pas acceptable que certains catholiques s’attri­ buent le droit de publier un périodique, dans l’intention d’y exposer des doctrines théologiques, sans solliciter de l'autorité ecclésiastique compétente, l'imprimatur, ou permission pres­ crite par les sacrés canons. Ceux, donc, qui s’exposent au grave danger de s’opposer à l’Église, doivent méditer sérieusement qu’une fois que « Rome a parlé », ils ne peuvent passer outre même pour des raisons de bonne foi. Leur lien à l'Église et leur devoir d’obéissance sont pour eux certainement plus stricts que pour ceux qui sont ordonnés à l’Église «seulement par un désir inconscient». Qu’ils comprennent qu’ils sont les enfants de l’Église, affec­ tueusement nourris par elle du lait de la doctrine et des sacre­ ments ; et que, après avoir entendu la voix de leur Mère, ils ne peuvent plus échapper au reproche d’ignorance coupable. Qu’ils comprennent que le principe suivant s’applique à eux sans restriction : La soumission due à ANNEXE I 2095 [Église catholique et au Souverain Pontife est nécessaire au salut4. En lui adressant la présente lettre, j’exprime à Votre Excellence mes sentiments de profonde estime et de dévoue­ ment. F Cardinal MaRCHETTI-SELVAGGIANI A. OTTAVIANI, assesseur. 4. Le Père Léonard Feeney s’étant néanmoins obstiné, a été atteint, le 4 février 1953, par un décret d’excommunication. A. A. S., 1953, p. 100. 2096 ANNEXE II Qui est membre de l’Église ?’ 1. Membres du Christ et de l’Église. — Adhérer au Christ, qui est Tête, qu'est-ce, sinon devenir, pour autant et dans la même mesure. partie composante de son Corps, qui est l’Église ? Les deux expressions : « membre du Christ » et « membre de l’Église », l’une indiquant le point de départ de l’influx sancti­ ficateur et l’autre son point d’arrivée, ne doivent jamais être disjointes. Voilà un lien primordial qu’il est requis d’avoir tou­ jours présent à l’esprit. L’expression «membre de l’Église» signifiera donc en toutes circonstances pour nous « membres du Christ et de l’Église12 ». 2. Comment circonscrire l’Église ? — Considérée sous ses trois états simultanés, l’Église est la communauté rassemblée en Dieu par le Christ : 1° au ciel, dans la clarté de la vision et de la charité béatifiques, où sont les anges et les élus : c’est la par­ tie triomphante de l’Église ; 2° auparavant, dans la nuit de la foi, par une charité, qui se forme et grandit dans ce monde: c’est la partie militante de l’Église ; 3° et achève souvent de se purifier en purgatoire : c’est la partie souffrante de l’Église. C’est en y incluant l’Église du ciel que saint Thomas circons­ crit l’Église, quand il demande, dans la Somme, III, qu. 8, a. 3, « si le Christ est chef de tous les hommes ». Considérée sous son état militant et selon toute sa durée dans le temps, comme préparée avant le Christ et comme formée depuis le Christ, l’Église est la communauté surnaturelle, 1. Voir plus haut, pp. 1200-1215 ; 1714-1803. - Nous essayons ici de répondre sans recourir expressément à la distinction entre appartenance re ou voto. 2. Dans la Somme, III, qu. 8, a. 3, saint Thomas emploie indiffé­ remment les mots membra Ecclesiae, membra Corporis mystici, mem­ bra Christi. ANNEXE II 2097 destinée à la vie du ciel, que Dieu rassemble, au lendemain de la chute : 1° d’abord sous le régime de la loi de nature ; 2° puis sous le régime particulier de la loi mosaïque ; 3° enfin sous le régime définitif de la loi évangélique. C’est en la considérant sous ce dernier régime que nous pourrons donner de l’Église sa définition la plus précise. 3. Comment définir l'Église présente ? — L’Église, corps du Christ, se définit par les dons que le Christ a déposés en elle : 1° le pouvoir cultuel d’offrir le saint sacrifice de la Messe et de dispenser les sacrements de la loi nouvelle ; 2° le pouvoir juri­ dictionnel divinement assisté pour enseigner avec autorité (pouvoir prophétique et royal) ce qu’il faut croire et ce qu’il faut faire ; 3° et surtout, la grâce ou la charité qui, en tant que venue par les sacrements et guidée par l’enseignement juridic­ tionnel, est sacrementelle et orientée, c’est-à-dire pleinement christique et christoconformante. Ici seulement pourra se trouver la pleine habitation de l’Esprit saint, et vaudra pleine­ ment l’axiome : Ubi Ecclesia, ibi et Spiritus Dei, et ubi Spiritus Dei, illic Ecclesia et omnis gratia (saint Irénée). Ne l’oublions jamais. L’Église n’est pas seulement le moyen de nous introduire dans la plénitude de la charité ; elle est beaucoup plus que cela ; elle est la résidence de la charité plé­ nière et de l’Esprit. L’Église présente se définira dès lors : la communauté que le Christ veut rassembler, en vue de la vie éternelle, dans la com­ munion intérieure de la charité pleinement christoconfor­ mante. Ou, en explicitant davantage : la communauté, destinée à la vie éternelle, que le Christ, Prêtre, Roi, Saint, rassemble depuis sa venue : sous une même azitorité-. celle du pape et des évêques ; pour un même culte-, le sacrifice de la messe et les sacre­ ments ; dans une même communion intérieure, celle de la charité sacramentelle et orientée ou pleinement christoconformante : -Afin que l'amour (agapè) dont tu mas aimé soit en eux, et que je sois en eux» (Jean, XVII, 26). 2098 .ANNEXE II 4. Qui est membre de cette Église ? - Tout d’abord, tous les hommes vivant en ce monde sont invités à s’unir au Christ et à son Église. Tous en sont membres, au moins en puissance et virtuellement. « On peut parler des membres du Corps mys­ tique, dit saint Thomas, non seulement selon qu’ils le sont en acte, mais encore selon qu’ils le sont en puissance' ». Mais qui est en acte membre de l’Église ? Ici commencent les difficultés. La première est soulevée par l’existence, dans l’Église, de membres justes, en possession de la charité, et de membres pécheurs, qui en sont privés. Comment dès lors défi­ nir l’Église ? Deux voies se proposent. Ou bien Ton se résigne à minimiser. On partira donc, pour construire la définition de l’Église, des membres pécheurs quelle contient. Il faudra, par conséquent, exclure de son essence la charité. On dira, par exemple, que l’Église est « l’as­ semblée des hommes unis par la même profession de foi chré­ tienne, et par la communion des mêmes sacrements, sous le gouvernement des pasteurs légitimes et notamment du seul vicaire du Christ sur la terre, le pontife romain ». Ou bien l’on continuera d’inclure dans la définition de l’Église la charité sacramentelle et orientée ; mais l’on distin­ guera, dans l’appartenance à l’Église, deux degrés, deux manières : celle des justes, plénière et salvatrice, celle des pécheurs, dépendante, déficiente et non salvatrice. Suivant la première voie, on dira que, pour être sauvé, il ne suffit pas d’appartenir à l’Église - et donc au Christ ! - il faut en plus être dans la charité. Suivant la seconde voie, on dira que quiconque a la charité appartient déjà, au moins initiale­ ment, au Christ et à l’Église. 5. Le pécheur baptisé et le catéchumène juste. — Si l’on suit la première voie, on sera porté à dire que le pécheur baptisé est membre de l’Église, mais non pas du Corps mystique ; et que le catéchumène juste, au contraire, est déjà membre du Corps mystique, mais pas encore de l’Église. On sera donc incliné à distinguer réellement, sans doute en recourant à une distinc3. Somme, III, qu. 8, a. 3. ANNEXE II 2099 tion inadéquate, l’Église et le Corps mystique. En d’autres mots, on aboutit à une impasse. Si l’on suit la seconde voie, on récusera d’emblée toute dis­ tinction réelle, même inadéquate, entre Église et Corps mys­ tique. Ce sont deux aspects, deux vues d’une même réalité, nommée Église, en tant que répondant à un appel, à une convocation divine ; et nommée Corps, en tant que rattachée au Christ qui est sa Tête. On dira donc qu’appartenir à l’Église, c’est pour autant et dans la même mesure, appartenir au Corps mystique, et inversement. Le pécheur baptisé appar­ tient d’une manière déficiente coupable, non salvatrice, et le catéchumène juste d’une manière elle aussi déficiente mais non coupable et déjà salvatrice, à l’Église et au Corps mys­ tique. Ces différents degrés dans l’appartenance à l’Église, qui est le Corps mystique, demandent à être précisés. 6. L'Église catholique. — L’Église, issue de la hiérarchie4, se réalise d’une manière normale, absolue, in actu perfecto, là où la charité est sacramentelle et orientée, c’est-à-dire pleinement christique et christoconformante. C’est là seulement que l’Esprit saint peut habiter en plénitude. Les justes en sont membres d’une manière plénière. Les pécheurs — tant qu’ils gardent, outre les caractères sacramentels, la foi théologale, et qu’ils n’ont pas rompu et renié, par l’hérésie ou le schisme5, leur soumission à la hiérar­ chie et leur solidarité avec les membres justes - sans lesquels l’Église, vaincue par les Portes de l’Enfer, cesserait d’exister en sont membres d’une manière déficiente et non salvatrice. Telle est l’Église catholique, l’Église qui rassemble les catho­ liques, c’est-à-dire ceux qui sont visiblement et « ouvertement » catholiques. A cette Église catholique appartiennent invisible­ ment, secrètement, inchoativement, dans la foule des acatho- 4. La distinction entre membres doués ou non de pouvoirs hiérar­ chiques est ultérieure et secondaire. 5. Là où il y a vraiment péché d’hérésie ou de schisme, on pourra parler, en raison de la persistance du caractère baptismal, d’une appartenance reniée. Voir plus haut, tableau synoptique, p. 1750. 2100 .ANNEXE II liques - ou plus exactement des « non-ouvertement » catho­ liques - tous ceux que les motions de la grâce, sans peut-être qu’ils s'en doutent, inclinent vers elle. 7. L'Eglise sans péché, mais non sans pécheurs. - Comment l’Église, qui contient des pécheurs, peut-elle être immaculée ? Les anciens, qui insistaient sur la sainteté de l’Église, avaient tendance à détacher d’elle le plus possible les pécheurs, de peur qu’ils ne la souillent. Ils étaient dans l’Église, mais non de l’Église, comme des corps étrangers dans le sang. Ils n’étaient membres du Christ et de l’Église qu'au sens «impropre» et « équivoque ». En poussant à la limite, on rencontrerait l’er­ reur de Quesnel, suivant qui les pécheurs ne peuvent être membres de l’Église ni avoir le Christ pour Tête6. La tendance moderne a cherché surtout, au contraire, à sauvegarder l’appartenance des pécheurs à l’Église. Ils sont regardés comme « vraiment » et « proprement » ses membres7. Mais comme on n’a pas pris soin de distinguer nettement le pécheur et son péché, en le réhabilitant dans l’Église on y a introduit son péché. Dès lors, la sainteté de l’Église, amalga­ mée à de nombreux péchés, mortels et véniels, n’est plus qu’une sainteté relative. « L’Église est sainte comme Anvers avec ses misères est riche, et Louvain avec ses ignorances savant !» A la limite, on rencontrerait la thèse d’Augustin de Rome, qui inquiétait le concile de Bâle, suivant laquelle le Christ total, Tête et corps, pèche chaque jour dans ses membres pécheurs. La réponse est que les justes et les pécheurs sont dans l’Église uniquement par ce qui en eux, dans leur être, dans leur cœur, dans leur comportement, est saint ; à l’exclusion de 6. Cf. Denz., proposition 77, n° 1427. 7. « Si quelqu’un dit... que celui qui a la foi sans la charité n’est pas chrétien, qu’il soit anathème». Co ne. Trid., Sess. VI, can. 28; Denz., n° 838. La 15e thèse du Synode de Pistoie suivant laquelle « n’appartiennent au corps de l’Église que les seuls fidèles qui sont parfaits adorateurs en esprit et en vérité» est condamnée comme hérétique. Denz., n° 1515. ANNEXE II 2101 ce qui est péché. L’Église est toute sainte dans les justes et dans les pécheurs : ici d’une sainteté opprimée et amputée, là d’une sainteté libérée. Les justes et les pécheurs sont vraiment et pro­ prement ses membres mais non à titre égal : les uns par le principal d eux-mêmes, d’une manière salvatrice ; les autres, à qui manque la charité, par la moindre partie d’eux-mêmes, d’une manière non salvatrice. Le Christ total, Tête et Corps, est saint dans tous ses membres, pécheurs et justes, attirant à lui toute sainteté, même celle de ses membres pécheurs, reje­ tant de lui toute impureté, même celle de ses membres justes. « Le Christ, du haut du ciel, regarde toujours avec un amour spécial son Épouse immaculée, intemeratam Sponsam, qui peine dans l’exil sur cette terre ». (Pie XII, Encyclique Mystici corporis). 8. Les Églises chrétiennes acatholiques ou dissidentes. — Ce sont les formations religieuses véritablement chrétiennes, en raison de ce qu’elles ont conservé des richesses données par le Christ à son Église; mais jadis déviées, et de ce fait incom­ plètement chrétiennes, où manquent maintenant : soit la plénitude de la prédication évangélique (orientation juridictionnelle) ; soit la plénitude de la dispensation des sacrements (grâce sacramentelle). Comment regardons-nous les fidèles qui sont visiblement, ouvertement, membres de ces formations dissidentes ? D’une part, tant que n’a pas été révélée la déviation originelle de ces formations, l’erreur est ici inévitable, invincible, non cou­ pable. D’autre part, dans la mesure où, dociles à l’inspiration de l’Esprit saint, ces fidèles s’attachent à ce que leurs forma­ tions dissidentes ont conservé de richesses chrétiennes, ils s’ap­ prochent vraiment du Christ, et pour autant, sans même qu’ils le sachent, en raison de la droiture même de leur intention, ils appartiennent déjà, secrètement, spirituellement, d’une manière sans doute plus ou moins déficiente, à l’Église pleinement chrétienne ou catholique : quand elle procède, comme chez les justes, d’une impulsion de la charité, cette appartenance est 2102 ANNEXE II salvatrice8 ; elle ne l'est pas encore quand elle procède, comme chez les pécheurs, de la seule foi informe. Considérons maintenant les justes d'une Eglise dissidente donnée. Ce n’est pas seulement à titre isolé, en tant que simple agrégat de personnes, c’est aussi à titre collectif, en tant que groupe ayant sa physionomie propre, que déjà ils relèvent de la communion romaine : non certes ouvertement, visiblement, d'une appartenance plénière, mais secrètement, spirituellement, d'une appartenance nécessairement entravée et mutilée. 9. Les Eglises orthodoxes. - Elles ont gardé presque tout l’hé­ ritage chrétien. Elles sont remplies par la septuple grâce sacra­ mentelle. Seule la brèche ouverte par la dissidence, à savoir le rejet de la primauté romaine, met chez elles en péril la pléni­ tude de la prédication évangélique. Quel est leur drame ? Il réside dans le mystérieux conflit où viennent se heurter, d'une part les conséquences du principe de dissidence, et d’autre part les initiatives de l’Esprit de com­ munion. D'une part donc, en vertu de l’Esprit saint, du Christ, de ses sacrements, de son message livré par l’Écriture et la Tradition et gardé par la succession apostolique, en vertu de la Vierge, de toute l’Église céleste des anges et des saints quelles accueillent en elles, elles sont divinement inclinées vers la plénitude de l’unité et, dès lors, conviées à reconnaître l’unique pasteur auquel le Christ a voulu confier ici-bas ses brebis. Et d’autre part, en vertu de la blessure de la dissidence, elles sont portées à refuser instinctivement d’être sub uno’. pour autant, elles sont exposées au danger de fractionnement en autocéphalies nationales, et entravées dans l’œuvre de déve­ loppement dogmatique qu’avaient commencée les sept pre­ miers conciles œcuméniques. 8. Ceux qui sont empêchés de recevoir le baptême peuvent néan­ moins être sauvés par « le désir du baptême, qui procède de la foi opé­ rant par la charité». S. THOMAS, III, qu. 68, a. 2. Ce désir du bap­ tême peut être soit explicite soit seulement implicite (qu. 69, a. 4, ad 2). D’où la double manière dont les fidèles peuvent être incorpo­ rés au Christ : soit seulement spirituellement ; soit en outre corporelle­ ment (qu. 69, a. 5, ad 1). ANNEXE II 2103 10. Les Églises protestantes. - Il faut tracer une ligne de par­ tage entre le protestantisme qu’on peut appeler traditionaliste, où se conserve la foi dans les mystères primordiaux de la Trinité et de la divinité du Christ, et le protestantisme dit libé­ ral, où se dissout la substance même de la révélation chré­ tienne. C’est au premier que nous prêtons ici attention. Dans l’ordre de la prédication évangélique, c’est l’honneur des Églises protestantes d’avoir tenu les Écritures en vénération et de les avoir scrutées. Mais toute croyance en l’autorité d’un magistère assisté infailliblement pour en ouvrir le sens s’est effondrée en elles. Il s’ensuit, car c’est une conséquence, que l’ordre de la dis­ pensation sacramentelle a été ravagé. II ne subsiste plus en elles, à titre valide, que les deux sacrements de baptême et de mariage. Faudrait-il se résigner, dès lors, à parler de vestiges de [Église du Christ ? Le drame de ces Églises est incomparable­ ment plus grave que celui des Églises orthodoxes. D’une part l’Esprit saint, illuminant ces précieux vestiges de l’Écriture sainte et de la grâce baptismale, pousse ces Églises elles-mêmes et leurs fidèles vers l’unité perdue. D’autre part l’héritage de dissidence, se prévalant de fidélité à cette même Écriture sainte, tend à en opposer le texte au sens plénier qu’il recouvre, et aux mystères de salut qu’il véhicule. C’est ainsi par exemple qu’on voit aujourd’hui, au nom des mêmes Écri­ tures, et avec la même bonne foi, le baptême des enfants pro­ clamé par les uns conforme, et par les autres contraire, à l’Évangile. 11. L'Église en acte achevé et en acte tendanciel. — C’est à l’endroit où réside la plénitude des pouvoirs sacramentels et juridictionnels, où donc la charité peut être pleinement chris­ tique et l’habitation du Saint-Esprit plénière, que l’Église existe dans son acte normal et achevé. Mais, au sein même de leur déviation, les formations dissi­ dentes retiennent d’authentiques richesses chrétiennes, parfois immenses (orthodoxie), parfois plus réduites (protestantisme). Dans la mesure où, sous la motion de l’Esprit, les fidèles de 2104 ANNEXE II ces Églises mettent ces richesses en œuvre, ils se rapprochent du Christ, avons-nous dit, ils appartiennent à son Église, ils la rendent présente, d'une manière sans doute déficiente, à l'intérieur même des dissidences. En sorte qu’autour de l'en­ droit où ΓÉglise catholique existe en acte normal et achevé, se forme mystérieusement dans les dissidences une zone où elle existe en acte déficient, disons en acte entravé ou tendanciel. En raison de cette double existence, l’une normale et ache­ vée, l'autre entravée et tendancielle, l’Église catholique est donc plus étendue et plus nombreuse qu’il ne paraît audehors. La miséricorde du Christ triomphe ainsi partiellement des déchirures dues aux erreurs et aux passions des chrétiens. Il reste que cet état diminué sous lequel l’Église du Christ existe parmi ceux-mêmes qui se réclament du Christ, est un immense malheur, un scandale pour la charité évangélique, une énigme incompréhensible pour le monde. Il faut supplier pour que, dans toute son étendue, l’Église passe à son acte normal et achevé. N’est-ce pas ici l’étape préparatoire à fran­ chir « pour que tous soient un » ? 12. Formations religieuses qui ne se réclament pas du Christ. Nous entrons dans une zone nouvelle, celle des formations religieuses qui ne se réclament pas du Christ. Il ne sera plus question dès lors de grâce sacramentelle ou juridictionnellement orientée. Ceux qui en font partie sont certes encore nos frères : non plus des frères « séparés » de nous à l’intérieur du christianisme, mais des frères « non-chrétiens » qui ne nous ont jamais rejoints, du moins visiblement, dans le chemin que nous essayons de faire avec le Christ. Ils relèvent néanmoins, sans le savoir, du Christ qui, « élevé de terre, attire tous les hommes à lui » (cf. Jean, XII, 32). Le Dieu « qui veut que tous les hommes soient sauvés et parvien­ nent à la connaissance de la vérité » (I Tim., II, 4), leur envoie secrètement par son Christ, sans attendre qu’ils soient touchés par les secours normaux de la hiérarchie, des grâces suffisant, s’ils n’y résistent pas, à les rapprocher de ce Christ et de cette Église dont ils méconnaissent le mystère, et à les ordonner à la vie éternelle. annexe II 2105 De nouveau, on parlera de l’existence, au milieu de ces non-ouvertement chrétiens, de l’unique Église du Christ, sous son état imparfait d’acte entravé et tendanciel. Mais ici encore vont se présenter plusieurs paliers. 13. Formations religieuses qui se réclament du monothéisme d’Abraham. - C’est d’abord le monothéisme d’Israël. Non plus, sans doute, de l’Israël de l’Ancien Testament, cherchant son accomplissement dans le Nouveau où sont révélés les mystères de l’incarnation et de la Trinité ; mais de l’Israël qui a méconnu son Messie, qui garde encore les Écritures inspi­ rées, mais pour qui, hélas ! ces Écritures sont recouvertes d’un voile (II Cor., III, 13-16). C’est ensuite, mais à un degré inférieur, car les Écritures inspirées y sont remplacées par le Coran, le monothéisme que l'Islam a reçu de cet Israël déjà détourné de sa mission. Il est indubitable que cette double adhésion au mono­ théisme, bien qu’une erreur invincible et non coupable ne cesse pourtant de s’en prévaloir contre les mystères chrétiens de la Trinité et de l’incarnation, crée un climat religieux de qualité supérieure. L’Église en acte tendanciel y pourra même faire fleurir des saints, chez les hassidim, par exemple, et chez les soufis. 14. Formations religieuses qui ne se réclament pas de la foi d’Abraham. - Ces grands ensembles religieux, étrangers au judéo-christianisme, plus ou moins déviés de l’économie de la Loi de nature, et où sont comme confondues les vérités et les erreurs, peuvent constituer des patrimoines ou héritages d’infi­ délité. Mais il serait injuste d’attribuer à tous leurs membres le péché d’infidélité, de voir, en eux tous, des « infidèles ». Le mot de « païens » lui-même reste trop associé aux idées d’idolâtrie et de superstition. Parlons, avec l’Évangile, des « nations », des «gentils». Ou, comme l’Écriture disait « les Grecs », disons les Hindous, les bouddhistes, les confucianistes, etc. Les hommes groupés dans ces religions aberrantes ne sont pas privés de tous secours divins. Il est sûr qu’ils sont visités, nommément et en secret, par la grâce. S’ils consentent à ces 2106 ANNEXE II motions prévenantes, ils peuvent avoir les vertus théologales de foi et de charité et appartenir inchoativement, d’une manière déjà pourtant salvatrice, à la vraie et unique Église: saint Augustin se plaît à rappeler que l'Écriture témoigne, par le cas de Job, qu’il y a, parmi les Gentils, des élus. Un instinct secret les poussera alors à séparer, dans le patrimoine qui leur est transmis, les aspects de vérité et les aspects d’erreur. Ils appartiendront encore corporellement, c’est-à-dire d’une manière extérieure et visible, à une formation religieuse aber­ rante ; ils appartiendront déjà, spirituellement, c’est-à-dire d'une manière intérieure et invisible, à l’Église mystérieuse et visible. 15. Conclusions. — I. On distinguera trois présences de l’Église : 1. L’Église une, sainte, catholique, apostolique, et romaine - « romaine » et « nazaréen », ce sont, pour l’Église catholique et le Christ-Dieu, leurs beaux noms d’humilité - est en acte normal et achevé, à l’endroit où s’exercent les pouvoirs sacra­ mentels et juridictionnels, et où, dès lors, la charité peut être pleinement christoconformante et l’habitation du Saint-Esprit plénière. On parlera de l’appartenance ouverte des catholiques à la véritable Église. 2. Elle reste encore présente, d’une manière imparfaite, en acte tendanciel, dans les confessions ouvertement chrétiennes, mais dissidentes, partout où sont accueillies les visites de l’Esprit saint. On parlera de l’appartenance spirituelle (entra­ vée, mutilée) des chrétiens dissidents à la véritable Église. 3. Elle continue d’être présente, en acte tendanciel, tant que les prévenances secrètes de la grâce du Christ n’y sont pas reje­ tées, jusque dans les formations religieuses non-chrétiennes, dont les unes se réclament du monothéisme d’Abraham, et dont les autres sont étrangères à la perspective biblique. On parlera d’une appartenance spirituelle (entravée, mutilée) des non ouvertement chrétiens à la véritable Église. II. A chacun de ces trois étages, 1’appartenance au Christ et à l’unique véritable Église peut résulter : ANNEXE IJ 2107 soit d’un désir procédant de la foi vive opérant par la cha­ rité, ou pleinement ou incomplètement christique : elle est alors salvatrice ; soit d’un désir procédant de la seule foi informe', et alors, elle n’est pas encore salvatrice. III. Enfin, à chacun de ces trois étages, l’Église, sainte et immaculée, ne reçoit, à l’intérieur de ses frontières, que ce qui est pur et bon dans ses membres, justes et pécheurs, tirant à elle tout ce qui est saint, même dans les pécheurs, laissant audehors d’elle tout ce qui est impur, même dans les justes. IV. Qui s’ouvre au mystère de l’Église comprend tous les jours davantage quelle est ainsi, d’une part, plus vaste, dans l’espace et le temps, que nous ne pouvions imaginer ; et, en même temps, d’autre part, immaculée, plus pure aussi que nous ne pouvions penser. 16. Note complémentaire sur les deux manières possibles d’en­ visager la question des membres de l’Eglise. - La différence entre ces deux manières ne porte pas en réalité sur la doctrine elle-même, mais plutôt sur le mode de sa présentation. De part et d’autre en tout cas l’Église - une, sainte, catholique, aposto­ lique et romaine - est regardée comme étant le Corps mys­ tique lui-même du Christ. On peut, c’est la voie que nous avons suivie, s’inspirer de saint Thomas qui, demandant si le Christ est Chef de tous les hommes, répond sans hésiter par l’affirmative9, mais distingue aussitôt « divers degrés » dans la manière dont les hommes sont «membres du Christ», «membres de l’Église», « membres du Corps mystique » — tous ces termes étant pour lui équivalents. Le mot de « membre » ne saurait donc être 9. III, qu. 8, a. 3. Cf. Sed contra : C’est comme étant leur Chef que le Christ est « Sauveur de tous les hommes, et d’abord des croyants» (I Tim. IV, 10) ; et qu’il est «victime de propitiation pour nos péchés, non seulement pour les nôtres, mais aussi pour ceux du monde entier » (I Jean, II, 2). 2108 ANNEXE Π entendu d'une façon univoque ; il recouvre plusieurs sens, il se dégrade selon que les richesses du Christ et de son Corps mys­ tique sont reçues de moins en moins pleinement. La consé­ quence, c'est que l’Eglise, le Corps mystique du Christ, se trouvera exister sous plusieurs états : d’abord en acte normal et achevé, chez ceux qui sont ouvertement catholiques, mais pre­ mièrement chez les justes, puis chez les pécheurs en tant qu’ils se suspendent ici-bas à la communion des justes ; puis en acte entravé et tendanciel, dans la mesure même où le souffle de l’Esprit y est accueilli, chez ceux qui, ouvertement, se décla­ rent non-catholiques ; et alors, à égale intensité du désir de Dieu, la présence de l’Eglise sera plus forte et plus discernable chez ceux qui ouvertement sont chrétiens, que chez ceux qui ouvertement se disent non-chrétiens. Suivant une telle perspec­ tive, personne ne sera sauvé qui naît donc appartenu — ne fut-ce qu’au dernier moment, par un désir au moins implicite procédant de la foi vive — au Christ, à son Église, à son Corps mystique. Voilà le sens de l’axiome : « Hors de l’Église pas de salut ». Mais on peut adopter un autre parti. Au mot de « mem­ bre » de l’Église. de « membre » du Corps mystique, on don­ nera un sens univoque. Seuls les catholiques seront membres de l’Église, membres du Corps mystique du Christ. On pour­ rait même, par souci d’univocité, définir l’Église par ce quelle est chez les seuls pécheurs, sans donc inclure la communion de charité dans ses notes essentielles ; l'on serait alors porté à dire que les pécheurs en sont membres à l’égal des justes, et non plus comme suspendus à la communion de leur charité10. Quoi qu’il en soit, pour ce qui est des non ouvertement catho­ liques, ils seront considérés comme étant en dehors de l’Église catholique, en dehors du Corps mystique ; mais comme pou­ vant néanmoins lui être ordonnés par un désir soit explicite, comme chez les catéchumènes, soit même seulement impli- 10. PÉGUY a exprimé à sa manière cette suspension des pécheurs aux saints : « Celui qui ne donne pas la main, c’est celui-là qui n’est pas chrétien... Le pécheur tend la main au saint, donne la main au saint, puisque le saint donne la main au pécheur. Et tous ensemble, l’un par l’autre, l’un tirant l’autre, ils remontent jusqu’à Jésus, ils font ANNEXE II 2109 cite, qui, s’il procède de la foi, de l’espérance et de la charité, les conduira jusqu’au salut de la vie éternelle. Selon cette pers­ pective, et cela pourra sembler étrange : 1 ° La charité, qui sauve et qui est le don le plus précieux du Christ, ne nous introduit par elle-même d’aucune façon dans l’Église, Corps mystique du Christ ; 2° On peut l’avoir, être membre du Christ, sans être membre de l’Église, Corps mystique du Christ ; 3° L’axiome : « Hors de l’Église, hors du Corps mystique du Christ, pas de salut », a cessé d’être universel. Trois principes nous semblent commander le débat sur l’Eglise et ses membres. Le premier est qu’il n’y a de salut que par appartenance au Christ : « Le salut n’est en aucun autre ; car il n’y a pas sous le ciel un autre nom donné aux hommes par lequel nous devions être sauvés» (Actes, IV, 12). Le second est que, dans la mesure où l’on « appartient au Christ », on forme son Corps mystique, qui est l’Église ; dans la mesure où l’on est « membre du Christ », on est membre de son Corps mystique, et de l’Église. Le troisième, qui en découle directement, est que, hors de cette appartenance au Christ, c’est-à-dire hors de l’Église, il n’y a pas à espérer de salut. Mais il faut alors, nous avons tenté de le faire, révéler toute l’étendue de l’Église. Août-novembre 1961. une chaîne qui remonte jusqu’à Jésus, une chaîne aux doigts indéliables. Celui qui n’est pas chrétien, celui qui n’a aucune compétence en christianisme, en chrétienté, en matière de chrétienté, c’est celui qui ne donne pas la main. Peu importe ce qu’il fasse ensuite de cette main...» Un nouveau théologien, Paris, Gallimard, 1936, p. 205. » t» *t NOTE DE L’ÉDITEUR La table alphabétique qui suit est celle confectionnée par Charles Journet, sous le titre : « Table alphabétique des noms propres et des matières», pour la première édition du tome II ^/ïglise du Verbe incarné. Elle n intègre pas le relevé des thèmes des deux annexes ajoutées dans la seconde édition de l'ouvrage. La mise à jour des renvois aux pages de la présente édition a suivi les mêmes principes, et rencontré les mêmes incertitudes, que pour la table alphabétique du tome I où nous indiquions que « nous avons conservé dans cette table les renvois aux noms propres sélectionnés par C. Journet; le relevé systématique des noms propres est fait plus loin dans l'index des noms cités. » En plusieurs cas, l'incertitude ou le recouvrement inégal des pages au fil des diverses éditions nous ont conduit à élargir le ren­ voi aux pages voisines, occasionnant ainsi une perte dans la préci­ sion, dont nous prions le lecteur de bien vouloir nous excuser. » En outre, la méthode suivie par C. Journet pour confection­ ner cette table s'avère assez souple, car s'il cernait parfois précisé­ ment des ensembles de plusieurs pages consécutives relatives à un thème, il lui arrivait aussi de faire simplement le renvoi à la page d'un titre, sans désigner davantage les pages de la section - parfois longue - ouverte par ce titre et manifestement visée par le renvoi. En chaque cas cette table fait appel à la bienveillance intelligente de ses utilisateurs. ». TABLE ALPHABÉTIQUE1 Abraham, était meilleur que moi, mais mon état est meilleur que le sien, 1735 ; favorisé selon saint Thomas d’une appari­ tion, non d’une mission visible, *782. ACATHOLIQUES, justes ou pécheurs, ne sont pas ouvertement catholiques, mais peuvent l’être d’une manière latente et tendancielle, *49-50, 1747-1751Action CATHOLIQUE, au sens large ou transtechnique, 16551657 ; au sens technique, elle est une organisation des acti­ vités spirituelles des laïques, dirigée par la hiérarchie, en vue de promouvoir le règne du Christ d’une façon appropriée à l’état nouveau de l’humanité, *48, 1655-1665 ; l’Action civique catholique en relève, 1664-1665. Activités CHRÉTIENNES, comprennent les activités chré­ tiennes temporelles et profanes et les activités chrétiennes spirituelles et ecclésiales, hiérarchiques ou non hiérarchiques, celles-ci étant soit ministérielles soit sanctifiantes ; par les activités chrétiennes ecclésiales, les chrétiens participent aux activités sacerdotales, royales, sanctifiantes du Christ, *4548, 1612-1637 ; c’est une différente distribution de ces acti­ vités chrétiennes qui caractérisera l’état de vie des clercs et l’état de vie des laïques, 1637-1642. Adam, parallèle entre notre solidarité dans le péché du pre­ mier Adam et notre solidarité dans la rédemption du second Adam, *344 ; si le second Adam n’avait été qu’un pur homme, une délivrance était possible, mais non une rédemption, 1. On voudra bien ne demander à cette table que quelques repères. [Note de l’auteur.] Pour faciliter la recherche, le tome II de L’Église du Verbe incarné étant partagé ici en deux volumes (le volume II et le présent volume III), les chiffres renvoyant aux pages du volume II sont précédés d'un astérisque. [Note de l'éditeur.] 2114 TABLE ALPHABÉTIQUE *344-346 ; délicatesse du dessein qui tire le second Adam du premier, *652-654 ; combien le second Adam, chef de l'univers de rédemption, l’emporte sur le premier, chef de l’univers de création, *11-12, *280-281, *286-287, *468473 ; voir adoption, âges du monde, grâce de l'innocence, uni­ vers de rédemption. Adoptlanisme, *454-455. ADOPTION DIVINE, est plus parfaite que l’adoption humaine, *456, sans qu’il faille aller jusqu’à parler avec Thomassin d’une génération, *456-457, ni avec Naclantus d’une sorte de filiation naturelle, *478 ; elle découle de la grâce sancti­ fiante comme une propriété non pas métaphysique, *457, mais seulement connaturelle, *468, sortant d'elle comme un effet secondaire et séparable, *468 ; elle a été conférée dès le début aux anges, *469, et à Adam dans l’état d’innocence, *469, puis sous la loi ancienne, *493-495, mais elle reçoit un mode plus parfait du fait qu’elle nous est apportée par une personne divine incarnée, *470-479, qui est le Fils unique, *480-485 ; à ce mode parfait participent désormais les anges, *485 ; l’adoption est l’œuvre commune des trois personnes divines, *464-468, *633, mais peut être appro­ priée au Père, ou au Fils, ou à l’Esprit, *461, *465-466; similitude et différence de la filiation adoptive des chrétiens et de la Filiation naturelle du Christ, *461-464, *466; voir appropriation, Dorsaz, filiation adoptive. AFFINITÉ de la Vierge avec Dieu, qui n’est peut-être pour saint Thomas qu’une expression métaphorique, est expliquée rigoureusement par Cajetan, *661. ÂGES DU MONDE, les trois âges existentiels de la grâce corres­ pondent aux trois grands mystères de la création dans l’in­ nocence par le Père, de la rédemption par le Fils, de la sanc­ tification par l’Esprit, *487-488, *732-733, *768 ; l’âge du Père, antérieur à notre temps historique, est l'âge de l’univers de création, de la grâce des anges et de la grâce de l’innocence ; cette grâce est l’œuvre de la Trinité tout entière, mais peut être attribuée spécialement au Père, *488490 ; elle entraîne la filiation adoptive, *469, et l’inhabita- FABLE ALPHABÉTIQUE 2115 tion de la Trinité, *522 ; elle n’est pas encore christique, n étant ni méritée par le Christ, *291, *294, ni formatrice du corps mystique du Christ, *489-490 ; elle sera conservée chez les anges, et dès l’instant de l’incarnation deviendra en eux pleinement christique, *289-294 ; elle sera perdue en Adam, et après la chute, au seuil de notre âge historique, il ne subsistera de l’univers de création que l’ordre du cosmos et les lois de ses natures, *300-302, *306, *490 ; l’âge du Fils, avec lequel commence notre temps histo­ rique, *490, est l’âge de l’univers de rédemption qui sera meilleur au total que l’univers de création, *279-286, *389390, *499, etc. ; c’est d’abord l’âge de l’attente du Christ, *491-495 ; la grâce, qui sera méritée plus tard par le Christ, et qui en ce sens est déjà christique, est offerte à chaque homme par anticipation, comme une rosée secrète sous la loi de nature et d’une manière plus manifeste sous la loi mosaïque, meilleure que la loi de nature, *491-493, 1792-1793; elle entraîne la filiation divine, *493-494, et l’inhabitation de la Trinité, *767, *885, mais ne peut former l’Église qu’en acte initial et tendanciel, 1792-1793 ; avec la mission visible du Verbe, qui se termine au Christ, tête de l’Église, commence l’âge de la présence du Christ, où la grâce est christique par dérivation, *495-503 ; pour faire face, de l’Annonciation à l’Ascension, à la courbe de la vie du Christ, en qui toutes les grandeurs de hiérarchie sont encore repliées, l’Église est tout entière rassemblée dans la Vierge, les autres contemporains de Jésus se tenant soit encore sur le versant de l’Ancien Testament, soit déjà sur le versant de l’âge de Pentecôte, *732-757 ; avec la mission visible de l’Esprit saint, qui avant que le Christ fut glorifié n’avait pas encore été donné au monde plénièrement, *515, *520-521, *767, commence l’âge eschatologique, le dernier âge du monde, *155, *161-162, *761767 ; l’âge de l’Esprit, loin d’abolir l’âge du Christ, va déver­ ser sur les hommes, par le contact de la hiérarchie, le trop-plein de la grâce capitale du Christ, *504, 1021, 1035, 1784; dès lors, l’Église, rendue pleinement homogène au Christ qui est sa tête, apparaît dans son acte achevé avec sa 2116 TABLE ALPHABÉTIQUE catholicité et l'élan missionnaire qui la portera jusqu’à la parousie, 1949-1951 ; en elle, la grâce christique et christo­ conformante, et du même coup l’inhabitation de la Trinité, atteignent une perfection inouïe, *922-927, que révélera la transfiguration de l'univers, *767-768 ; les « spirituels », qui attendent après le Nouveau Testament le troisième âge de l’Esprit, n’ont pas deviné la profondeur du mystère de Pentecôte, *768 ; prétention de Mani à être le Paraclet promis par Jésus, 1328 ; voir Esprit saint, grâce chris­ tique, Pentecôte, régimes divins. ALBERT le Grand, S., l'eucharistie contient la grâce de l’in­ corporation au Christ, 1126. Alexandre ATI, le sens de sa condamnation du jansénisme, 1353. ALEXANDRE de Halés, les méchants sont de l'Église, mais non du corps de l’Église, *943. ALEXIS, patriarche de Moscou, pas de conflit entre l’orthodoxie et l’Union soviétique, 2056. ALLO, E.-B., l’Apocalypse est une révélation de Jésus sur Jésus, *426, la cité sainte est déjà descendue dans le temps, *161, la Fiancée sous ses deux états, présent et futur, *163, toute l’Apocalypse est eschatologique, *161-162, la Femme vêtue de soleil, *716 ; selon saint Paul, l’Église est le Christ mys­ tique, *254, en quel sens le Christ a pris notre péché, *396, la hiérarchie des dons et des charismes, *423-424, *604, la hiérarchie doit régler la prophétie, *433-434, chrétiens char­ nels qui sont des pécheurs et chrétiens charnels qui sont des commençants, 1745, le mystère d’iniquité, 1964, la soumis­ sion finale au Père du Christ et de son corps mystique, *279. AMANN, E., son jugement sur Michel Cérulaire, 1225. AMBROISE, S., le Christ porte le salut des peuples, *227 ; en lui sont ressuscités le ciel et la terre, *328 ; l’Église sans tache ni ride, 1805-1807; c’est elle qui aime en tous les saints, 1481 ; la prière commune de l’Église, 1387 ; le primat de Pierre, 1762, 1923 ; le baptême de désir, 1767-1768. TABLE ALPHABÉTIQUE 2117 Ame DE L’ÉGLISE, il faut reconnaître deux âmes de l’Église, l’une incréée et transcendante, qui est l’Esprit saint, l’autre créée et inhérente, qui est la charité en tant que pleinement christique et christoconformante, c’est-à-dire en tant que sacramentelle et orientée ; cette distinction, contenue impli­ citement dans la doctrine commune, est d’une grande por­ tée théologique, *928-952 ; au sens large, l’Âme incréée de l’Église, c’est la Déité ou l’Esprit saint, considéré, conformément aux trois sortes de causalité, efficiente, formelle, finale, qui conviennent à l’âme, *795, *862, *949, non seulement comme Principe efficient, mais encore comme Forme intentionnelle et comme Hôte de l’Église, *23-24, *787, *793-799, *862-864 ; au sens strict, c’est la Déité en tant que Forme intention­ nelle de l’Église, *864-866 ; dans l’Église du ciel, pour que soit possible l’union réelle de la vision béatifique, Dieu devient, selon l’être intentionnel de la connaissance, la Forme de l’intelligence des bienheureux, *866-871, *883884 ; proportionnellement, dans l’Église du temps, pour que soit possible l’union réelle de l’inhabitation divine, Dieu devient, selon l’être intentionnel de l’amour, la Forme de la volonté des saints, *871-880, *898-922 ; l’âme créée et inhérente de l’Église peut être définie d’une manière analytique : en son foyer, elle est la grâce capitale du Christ, avec le triple privilège de son sacerdoce, de sa royauté prophétique, de sa sainteté ; en elle-même, elle consiste dans les trois privilèges du sacerdoce, de la royauté prophétique, de la sainteté du Christ, en tant qu’extravasés dans les caractères sacramentels, les pouvoirs juridictionnels, les grâces sacramentelles, 1034, 1080-1084; d’une manière synthétique, l’âme créée de l’Église, c’est la grâce ou la cha­ rité en tant que pleinement christique et christoconfor­ mante, c’est-à-dire la charité en tant que cultuelle, sacra­ mentelle, orientée, plus brièvement la charité sacramentelle et orientée, 1085-1153 ; ainsi définie, l’âme créée de l’Église est tout entière dans le tout et tout entière dans chaque par­ tie, mais différemment : elle est présente dans les membres justes premièrement, par son essence, d’une manière salu­ 2118 TABLE AL PHABÉTIQUE taire, et dans les membres pécheurs extensivement, par son influx, d’une manière non salutaire, 1166-1171, 14931494, 1555-1557, 1737-1738, 1755-1757, 1786-1787, 1906; elle peut être considérée soit au repos soit en exercice, et c'est en raison de sa permanence que l’Église est non pas discontinue, mais continue, 1171-1175; au ciel elle sera constituée par la lumière de gloire et la charité béatifique, *882, 1026; avant le Christ cette âme était normalement en forma­ tion, et l’Église n’existait normalement qu’en acte initial et tendanciel, 1729-1730, 1792-1793 ; depuis le Christ elle est la forme animatrice de l’Église considérée dans son acte achevé ; partout et dans la mesure où elle est déchirée, l’Église, en son mystère et son miracle, est, dans la même mesure, déchirée, *78, 1730, 1795-1802, 1933, 1971, 2044, 2058 ; c’est la définition de l’âme créée de l’Église qui permet de déterminer avec précision et de hiérarchiser ce qu’on peut appeler les déchirures de l’Église, 1175; voir charité, Esprit saint, grâce christique. AMIS DE Dieu, le sens de cette expression au moyen âge, *562. AMSTERDAM, Conseil œcuménique de 1948, août-septembre, 1856-1860. ANGES, leur grâce sanctifiante est de même espèce que la nôtre, 1043, ils ont reçu l’adoption les premiers, *469, mais notre grâce christique est meilleure que n’eût été sans le Christ la grâce des anges, *499 ; selon Augustin et Thomas, les anges étaient tenus de croire au futur mystère du Christ, mais leur péché n’a pas été de se scandaliser de l’incarnation, *294 ; en quels sens le sang de la croix a pacifié toutes choses dans les cieux, *278 ; c’est une erreur de penser que le Christ est mort pour délivrer les anges de la damnation, *276, il faut même rejeter l’opinion suivant laquelle le Christ aurait mérité aux anges leur gloire actuelle, *291, *294 ; dès l’instant de l’incarnation, le Christ apparaît comme la tête des anges qui lui sont incorporés, *289-291, c’est à lui qu’ils étaient préor­ donnés comme à leur cause finale, *292-294, c’est de lui qu’ils reçoivent désormais même leur grâce essentielle, TABLE ALPHABÉTIQUE 2119 *289-292, leur perfection est alors consommée, c’est à notre grâce christique d’adoption qu’ils participent, *485 ; ils sont membres de l’Église, cependant ce n’est pas par eux quelle est épouse du Christ, *235, 1301, Angèle de Foligno, *677. ANGLICANS, sont à l’aile droite au Conseil œcuménique d’Amsterdam, 1839; une définition de la notion de schisme, 1379 ; la doctrine des effusions de l’Esprit chez Joseph Milner, *772, la « pietas anglicana » manque-t-elle à l’Église? 1974; condamnation de la théorie anglicane des trois branches, 1202; le jugement de Newman sur l’Église d’Angleterre, 1203-1205 ; voir Newman, Spencer. ANNONCIATION, le consentement de la Vierge est attendu au nom de toute l’humanité, *744 ; la mission visible du Fils dans le Christ s’accompagne de deux missions invisibles de l’Esprit, l’une au Christ, l’autre à la Vierge, *764, *782784 ; voir Ascension, Incarnation, Marie, missions divines. Anselme de CantoRBÉRY, S., pourquoi fallait-il que Dieu s’incarnât, *349, *351, *354 ; comment la justice et la misé­ ricorde se sont rencontrées dans l’incarnation, *357 ; la doc­ trine de la rédemption, que les Pères n’avaient pu qu’ébau­ cher, s’explicite dans le « Cur Deus homo » par le seul effort de la pensée chrétienne sans la menace de l’hérésie, *219. Anthime, patriarche de Constantinople, oppose 1’ « Église des sept synodes œcuméniques » à 1’ « Eglise papique », 1235. APOCATASTASE, la création revient à Dieu meilleure quelle n’en est sortie, *295. APOSTASIE, saint Thomas oppose l’apostasie des vœux de reli­ gion à l’apostasie de l’infidélité, 1318, ou rejet total de la foi ; celle-ci n’est pas une espèce spéciale d’infidélité, mais une circonstance aggravante de l’infidélité, 1326 ; tandis que l’hérétique retient le nom chrétien, l’apostat le rejette, 1749 ; voir infidélité. ApOSTOLICITÉ, c’est l’Esprit saint, premier principe d’efficience, qui, par le moyen du Christ et d’une hiérarchie remontant aux apôtres, maintient l’Église dans le monde et la pousse 2120 TABLE ALPHABÉTIQUE en avant à la rencontre de ses destinées ; en sorte que l’Église a pour propriété mystérieuse d’être apostolique, et que son élan missionnaire peut être rattaché à son apostolicité, 1930-1932, 1951-1952 ; 1’eftusion de l’Esprit tend de soi à rendre la charité christique vraiment apostolique, c’est-à-dire à la porter à un état de virulence pareil à celui qu’elle avait chez les apôtres, princes en même temps de la hiérarchie et de la charité, et qui est requis pour l’expansion missionnaire de l’Église, 1954, 1976-1985; la mystérieuse vertu qui soutient l’Église la rend miracu­ leusement stable, d’où la note d’apostolicité, connexe avec les notes de l’unité catholique et de la sainteté, 1932, 2022, 2029 ; Newman ne se convertit pas tant que l’Église romaine lui apparaît comme catholique, et l’Église anglicane comme apostolique ; c’est la découverte de l’apostolicité au sein même de l’Église romaine qui est pour lui décisive, 2042; selon Calvin, l’unité, la catholicité, la sainteté échoient à l’Église invisible et sont comme elle invisibles ; seule l’apostolicité, qu’il rattache à l’Église visible, peut être une note, 1605, mais il ne peut plus la définir que d’une manière rui­ neuse, 1608-1609 ; voir Église, notes, propriétés. APPARITIONS, avant le Christ la plénitude de la grâce ne pou­ vait être signifiée comme présente, par des missions visibles des personnes divines, mais comme future, par des appari­ tions, *764-765 ; l’apparition de la Trinité à Abraham est admise par saint Thomas comme une apparition, non comme une mission visible, ’782 ; la différence entre les apparitions et les missions visibles, ’765-766, ’782. Appartenance au Christ et appartenance à l’Église: il ne faut pas dissocier ces deux expressions, elles se recouvrent exactement, 1718, 1753-1754; classification et tableau synoptique des divers degrés de l’appartenance au Christ et à l’Église, 1715-1751 ; l’appartenance tendancielle, normale avant le Christ, est anormale depuis le Christ, 1730, 1757 ; part, dans l’appar­ tenance tendancielle : des caractères sacramentels, 1096-1100, TABLE ALPHABÉTIQUE 2121 de la grâce sacramentelle, 1132-1133, de l’orientation juri­ dictionnelle, 1148 ; appartenance salutaire des justes malgré leurs péchés véniels et non salutaire des pécheurs, 1493, 1755, 1817; parallèle entre le juste non baptisé et le pécheur baptisé, *183, 1131-1133, 1728, 1738-1740, 1763, 1769; l’appartenance à l’Eglise de ses enfants pécheurs est partielle, propre, analogique, 1744, 1786-1787 ; saint Augustin distingue ceux qui sont : hors de l’Église, dans l’Église par l’apparence, dans l’Église par le cœur et spirituellement, *169; ceux qui sont dehors actuellement, mais dedans selon la prescience divine, *173, 1585; ceux qui sont baptisés dans les sectes mais portent des fruits de charité, 1770 ; ceux qui sont de l’Église comme ses membres, ou dans l’Église comme des humeurs malignes, 1812; il compare le bon catéchumène au mauvais baptisé, *183; conformément aux principes de saint Thomas, on peut dis­ tinguer trois appartenances à l’Église qui, elle, est indissocia­ blement mystérieuse et visible, spirituelle et corporelle : l’une seulement corporelle (ou visible), l’autre corporelle et spirituelle, la troisième seulement spirituelle (ou invisible), par le désir, *169, 1507, 1779-1780, 1788 ; saint Bellarmin pense sans doute faire sienne cette triple distinction, en opposant ceux qui sont : seulement du corps de l’Église, du corps et de l’âme de l’Église, seulement de l’âme de l’Église ; ce qui en réalité modifie dangereusement la distinction pré­ cédente et permet d’imaginer dans l’Église un corps sans âme, un corps animé, une âme sans corps, *169, *929, *934, *942, 1912-1913; l’encyclique « Mystici corporis » distingue ceux qui sont réellement membres de l’Église et ceux qui, par un certain désir et vœu inconscient, sont ordonnés au corps mystique du Rédempteur, 1558 ; Pie IX avertit qu’on ne saurait tracer sans présomption les limites de l’ignorance invincible, 1405, 1591, 1776-1780; voir foi (bonne), ignorance invincible, membres du Christ, pape. APPROPRIATION, pourquoi l’effet commun aux trois personnes divines peut-il être rattaché particulièrement à l’une d’entre elles ? définition de l’appropriation selon saint Thomas, 2122 TABLE ALPHABÉTIQUE *789 ; il n’est pas rare que l’Écriture attribue à l’une des trois personnes divines ce qui est commun à la Trinité tout entière, *849-850 ; l'appropriation permet de référer la sagesse et la charité de l’Église au Verbe et à l’Esprit, *760 ; les missions invisibles sont toujours inséparables, mais selon que la prédominance sera à la lumière ou à l’amour on parlera de mission du Verbe ou de l’Esprit, *777-778 ; l’unité de l’Église peut être appropriée à chacune des trois personnes divines, *791-792, mais on peut avec saint Augustin la rattacher plus étroite­ ment à l’Esprit, *790-791, *975-976 ; c’est uniquement par appropriation que notre filiation adoptive, qui est l’œuvre commune des trois personnes divines, peut être rattachée à l’une ou à l’autre, *480-482 ; la part du propre et la part de l’appropriation dans l’événement de Pentecôte, *508-510 ; le mystère de la doctrine de l’appropriation, *479 ; ses suprêmes justifications théologiques, *621-630; certains théologiens ont tenté de s’élever au-dessus de l’appropria­ tion, pour affirmer une parenté spéciale des justes avec cha­ cune des personnes divines considérée dans ce qui lui est propre, *468-477, mais cette tentative semble vouée à l’échec, *477-479. ARCHE DE NoÉ, dans quelle mesure elle est l’image de l’Église, 1762-1764, 1774. Arianisme, les raisons de son succès selon J. A. Moehler, 2037-2038. ASCENSION, le temps de la présence du Christ dure de l’Annonciation à l’Ascension, *737 ; l’Ascension glorieuse est la raison pour laquelle le Christ est préservé de la corrup­ tion du tombeau, *746-747 ; l’Ascension devait précéder Pentecôte, l’aventure temporelle du Christ, qui est la tête, devait s’accomplir pleinement avant que pût commencer la suprême aventure temporelle de l’Église, qui est le corps, *514-521 ; au moment de l’Ascension, les âmes des justes des anciens limbes, béatifiées dès l’instant de la descente aux enfers, entrent en ce ciel dont le Christ devient le centre auquel TABLE ALPHABÉTIQUE 2123 elles sont référées comme à leur lieu propre, et où elles revê­ tiront leurs corps, *735-736 ; la loi d’ascension du Christ a pour corollaire la loi de co-ascension des membres du Christ, réalisable tout de suite dans la Vierge, exempte du péché originel, et à la fin du temps pour les membres touchés par le péché originel, *746-753 ; voir Assomption, Marie, résurrection du Christ. ASSISTANCE promise à l’Église est de deux sortes : il y a une assistance prophétique promise aux pouvoirs juridictionnels, elle est une participation à la prophétie du Christ, *421428, 1073, 1454 ; elle comprend plusieurs degrés, 1516-1518; raisons pour lesquelles elle reste faillible dans le domaine des directives particulières, 1518-1520 ; et il y a une assistance sanctifiante, par laquelle l’Esprit, en vertu d’une providence spéciale, conserve son Église sans tache ni ride, *829-832, 1529, imprime en elle la plénitude de la grâce christique et christoconformante, *449-550, fait d’elle la demeure continue des trois personnes divines, ‘844-848, *857-862, la visite par ses missions invisibles, ‘771-782, lui communique l’élan missionnaire qui la porte de Pentecôte à la parousie, sans que les portes de l’enfer puissent prévaloir contre elle, *524, 1949-1951, 1975. Assomption, son fondement scripturaire : pour tous les membres du Christ touchés par le péché originel, la loi de corésurrection et de conglorification dans le Christ est entravée jusqu’à la fin du monde ; pour la Vierge, membre du Christ sans avoir été touchée par le péché originel, la loi de corésurrection et de conglorification dans le Christ s’applique tout de suite ; en l’Église comme telle, qui est sans nul péché, la loi de conglorification n’a pas d’entraves, elle s’appliquera dès que l’Église comme tout collectif sera achevée, *746-757 ; raison profonde de l’opportunité de la définition de l’Assomption, *723-724. Athanase, S., il faut adorer le Père en esprit et en vérité, c’est-à-dire en l’Esprit et en le Verbe, *90 ; Dieu s’est fait homme pour nous diviniser, *221-222, *275 ; la chair a été verbifiée quand le Verbe s’est fait chair, *221, *268; en le 2124 TABLE ALPHABÉTIQUE Christ la creation est adoptée comme fille, *230 ; le Christ nous sauve par sa mort, *219 ; Marie, notre sœur, *655, est Theotokos, *656. AUGSBOURG, Confession d’, condamne la doctrine de l’inamissibilité de la grâce, *175. AUGUSTIN, S., il n’ignore pas la distinction entre la fin infravalente de la cité humaine et la fin suprême de la cité de Dieu, *70 ; si le livre de la « Cité de Dieu » est centré sur l’opposi­ tion de la cité de Dieu et de la cité du diable, définies par rapport aux fins dernières, jointes ou manquées, et si le nom de cité terrestre y enveloppe fréquemment la cité du mal et la cité politique, cependant on y voit affleurer une troisième cité, celle de l'homme, qui est sollicitée en sens contraires par les deux cités mystiques, *104-114, en sorte qu’il faut se garder d’attribuer à Augustin 1’« augustinisme politique», *110-112; à la suite de l’Écriture, il applique à l’Eglise, en le transpo­ sant, le nom de cité, *151, la cité sainte qui descend du ciel ne fait qu’un avec l’Église, *161-162; l’Église, comme la cité sur la montagne, est visible et ne peut être cachée, *99, 1597-1598; deux amours contraires ont bâti les deux cités contraires, *106, qui s’opposent depuis le commencement de notre temps historique, 1902-1903, comme un univers réconcilié et un univers de damnation, *970, 1978; la Femme vêtue de soleil et assaillie par le Dragon figure l’Église éternelle, *716, c’est elle qui subsiste, d’abord sous l’Ancien Testament qui mettait l’accent sur les biens char­ nels, *139, puis sous le Nouveau; les deux Testaments répondent, en effet, à deux époques de la même révélation : les triomphes charnels de l’Ancien Testament figurent les triomphes spirituels du Nouveau ; les victoires de Moïse prouvent que Dieu dispose des royaumes de ce monde, mais la douceur du Christ et des martyrs enseigne que la plus belle victoire est de mourir pour le royaume qui n’est pas de ce monde, *133-134; dans le Nouveau Testament lui-même, il y a les temps apostoliques, où les miracles étaient nombreux, 1460-1461, où l’on voyait le Christ et ['ABLE ALPHABÉTIQUE 2125 croyait l’Église, et nos temps, où Ton voit l’Église et croit le Christ, *99-100, *258-259, 1438; l’Église est maintenant le royaume du Christ et le royaume des cieux, *160 ; il fallait un médiateur divin pour nous sauver, *354 ; il devait ressembler à Dieu et aux hommes, mais c’est comme homme qu’il est médiateur, *223; le Christ et l’Église sont une seule personne, *259, *831 ; quand l’Église prêche le Christ, c’est le Christ qui prêche le Christ, *255 ; le Christ total, c’est la tête et le corps, *257-259, l’époux et l’épouse, *163, *233 ; le Christ purifie son Église pour l’épouser, *238-241 ; l’Église apprend du Christ à s’offrir elle-même, *406, *965 ; toute la cité sainte est offerte à Dieu dans le Christ, *968 ; Marie est mère de Dieu par l’esprit plus encore que par le corps, *663 ; texte mystérieux sur la médiation de Marie : elle a coopéré par sa charité à faire naître dans l’Église les fidèles, qui sont membres du Christ, *699 ; l’Église est, elle aussi, vierge et mère, *719 ; est-elle sans tache ni ride ? saint Augustin a varié dans l’interprétation de ce texte, *156-157, 1808-1812; l’Église est rassemblée des quatre vents par le baptême en la Trinité, *139 ; par toute la terre les mères avec leurs petits enfants courent au baptême, 1031 ; l’Esprit est l’âme de l’Église, *796-797 ; coextensivité du rôle vivificateur de l’Esprit et de l’Église, 1562-1564; par appropriation, l’union de l’Église se rattache plus étroitement à l’Esprit qu’aux deux autres personnes, *975 ; l’attitude de l’Église à l’égard des biens ecclésiastiques, 1547-1548; l’état du célibat est meilleur que celui du mariage, 1673, 1735 ; il appelle « jardin fermé » l’Église considérée dans ceux de ses enfants qui meurent dans la persévérance finale, *169, mais il est loin de l’erreur de Hus qui définit l’Église, à chaque moment de son existence, comme l’assemblée des prédestinés, *170-178 ; dire que les hérétiques peuvent être membres de l’Église selon la prescience divine, cela veut dire qu’ils ne sont pas membres maintenant, et ne commence­ ront de l’être qu’à leur conversion, 1585; les justes sont comme le jardin fermé du paradis terrestre, d’où se déta- 2126 TABLE ALPHABÉTIQUE client les hérétiques et les pécheurs, 1789; certains sont dans l’Église par le cœur et spirituellement, d’autres seule­ ment par l'apparence, *169; ce qui manque au bon caté­ chumène et au mauvais baptisé, *183, 1763; pourquoi l’Église est mêlée de pécheurs, 1790-1791 ; l’hérésie est un schisme invétéré, 1383 ; les hérétiques ont le baptême sans la Colombe, 1196, mais celui qui erre sans pertinacité n’est pas hérétique, 1198-1199, 1209-1210, et le baptisé dans une secte peut porter des fruits de charité, 1210, 1770 ; Dieu permet des excommunications injustes pour couron­ ner ceux qui en sont victimes, 1395; l’usage du mot « païens », 1339 ; il passe aisément du sens propre au sens appropriatif du nom de Père, *465 ; la grâce de la persévérance pourrait-elle nous être refusée en raison du seul péché originel? 1294; Dieu, qui nous a créés sans nous, ne nous justifiera pas sans nous ; en couronnant nos mérites, il couronne ses dons, 1878 ; biens que Dieu accorde communément aux bons et aux méchants, *312; le superflu doit être donné aux pauvres, *273 ; il est plus difficile d’arracher ce qu’on a que de ne pas désirer ce dont on manque, 1686 ; les anciens phi­ losophes ont connu le Père et le Verbe, *629 ; voir appar­ tenance au Christ, cité de Dieu, hérésie, jardin fermé, pré­ destinés. AUGUSTIN DE Rome, sa doctrine, suivant laquelle le Christ pèche chaque jour dans ses membres, condamnée au concile de Bâle, 1497-1498, 1743. AUTORITÉ, voir enseignement, juridiction, obéissance, pape. BaCKES, Ignace, la connaissance des Pères grecs chez saint Thomas, *286, *647. Banez, l’Église est principalement spirituelle et secondaire­ ment visible, *125; l’unité de communion de l’Église est celle d’un tout mystique, 1107, 1141 ; beau texte sur la communion des saints, 1112-1113; son erreur de penser définir l’essence de l’Église sans y inclure la charité, 11541155, 1165. TABLE ALPHABÉTIQUE 2127 Baptême, c’est le sacrement de l’incorporation première au Christ, 1102; le caractère baptismal commence de nous incorporer au Christ prêtre, *13, *438, 1035, 1038-1040, et nous fait participer à son sacerdoce en nous députant au culte chrétien d’une manière non seulement passive, *441, mais déjà active, quand le baptisé se marie, *442, s’unit à l’offrande de la messe, 1448, ou même à la prière liturgique, 1038 ; à ce premier titre nous sommes déjà membres de la religion chrétienne, c’est-à-dire du culte chrétien, "142, et de la famille du Christ, 1097 ; les hérétiques ont le baptême, mais non la Colombe, 1196; c’est surtout la grâce baptismale qui opère notre incorporation première au Christ, 1102, nous confère la filiation adoptive, 1097, nous transforme par la mission invisible des personnes divines, *774-775, nous configure au Christ par une grâce sacramentelle qui nous plonge si merveilleusement dans la passion du Christ, que cela entraîne en nous la rémission de toute faute et de toute peine, 1116, et finalement nous tourne vers la grâce sacra­ mentelle de l’eucharistie ou de la consommation de l’union au Christ, dont elle est, même chez les petits enfants incons­ cients, comme un vœu et une anticipation ontologique, 1120; pour la Vierge, elle restait au-dessus du baptême, *739-740 ; le caractère baptismal chez les pécheurs appelle la grâce, 1729 ; par lui les apostats appartiennent encore au Christ contre leur volonté et d’une appartenance déchirée, 10991100, 1720-1721 ; droits de l’Église sur tous les baptisés, 10991100; le caractère subsiste dans les damnés qui cependant cessent totalement d’être membres du Christ, 1721-1722 ; le baptême de sang et le baptême d’eau viennent d’un même Seigneur, *546 ; selon Cyprien la foi et la conversion du cœur peuvent suppléer invisiblement au baptême, 1763 ; selon Ambroise, le désir du baptême peut être salutaire, 1767 ; selon Augustin, ceux qui sont baptisés dans une secte pourront produire des fruits de charité, 1770 ; 2128 TABLE ALPHABÉTIQUE le cas d'un non-baptisé élevé au sacerdoce, 1724 ; le bap­ tême des petits enfants est inutile selon Karl Barth, mais salutaire selon Oscar Cullmann, 1854. BARDY, Gustave, son jugement sur la connaissance des Pères grecs chez saint Thomas, ’286. Barth, Karl, la vie de ΓÉglise ne va pas sans beaucoup de résurrections, *76, 1839-1840; sa notion d’une Église dis­ continue, 1172, 1852-1855 ; le thème de l’Église contraire à l’Évangile avait chez lui un autre sens que chez Tolstoï, *92 ; pourquoi Ponce Pilate est nommé dans le credo, *366 ; rap­ ports de l’ordre culturel, et de l’ordre de rédemption, *309, 1863-1864, 1868-1870; étude de son ecclésiologie, 1828-1896; la Vierge : c’est par un profond malentendu que l’Église catholique l’a exaltée, au vrai Marie est élue pour manifester ce que peut faire la créature humaine malgré et dans son péché, quand Dieu se penche sur elle, *666, 1895-1896; l’Église catholique: elle est l’Église de l’Antéchrist, 1828, 1870 ; le pape : il faut le détester, 1875. BASILE, S., un pur homme n’aurait pu nous racheter, *353 ; la circuminsession : en tirant un anneau on tire toute la chaîne, ainsi qui saisit le Fils, tire à soi le Père et l’Esprit, *413 ; l’Esprit exerce dans l’Église le rôle de Forme, *874; l’union dans l’Église, 1110. Batiffol, Pierre, 1755. Baudelaire, Charles, *319. BÉATITUDE, félicité naturelle des enfants dans les limbes, 1272-1273 ; ils ressusciteront par la vertu du Christ, *224225, *332, 1284-1285 ; la privation de la béatitude surnatu­ relle ne leur causera aucune affliction intérieure, 1279-1282, 1286-1287 ; voir limbes des enfants. BÈDE, S., même en ses enfants fragiles l’Église est toute pure, 1812. BELLARMIN, S., le Christ est le suppôt mystique de l’Église, *959-960, il est non seulement la tête de l’Église, mais encore comme un grand corps fait de membres multiples, TABLE ALPHABÉTIQUE 2129 ‘958 ; sa définition nominale de l’Église est excellente, *139, de même sa définition hylémorphique : l’âme de l’Église, ce sont les dons intérieurs de l’Esprit, la foi, l’espé­ rance, la charité ; le corps de l’Église, ce sont la profession externe de la foi et la communication des sacrements, *929 ; il énumère les diverses manières dont l’Église est une, 1158 ; il tâche d’améliorer la manière dont on expliquait que les pécheurs sont dans l’Église, 1821 ; sa manière de distinguer les trois façons d’appartenir à l’Église, en étant seulement de son corps, ou seulement de son âme, ou de son âme et de son corps, est une altération, sans doute inconsciente mais dangereuse, de la doctrine de saint Thomas, et va permettre d’imaginer, au sein de l’Église, un corps sans âme, une âme sans corps, un corps animé, *169-170, *929, *942; enfin son dessein d’apologiste entrave son ecclésiologie : sans nier jamais le caractère mystique de l’Église, il omet de l’exposer, *154, il ne dit rien des rapports de l’eucharistie et de l’Église, 1127, surtout, afin d’insister sur la visibilité de l’Église, il propose d’elle une définition empirique et pure­ ment extérieure, qui, en raison de sa clarté, sera accueillie avec faveur dans les catéchismes, mais qui causait déjà des ennuis à Bossuet, *96, accréditera chez les protestants l’idée que pour nous l’Église se réduit au visible, *143, et qu’il est nécessaire, ou de refondre comme faisait Scheeben, *97, ou simplement de rejeter, 1909-1914. BENOÎT XV, au pied de la croix, Marie a racheté avec son Fils le genre humain, *703 ; il emploie le mot d’orthodoxes pour désigner les dissidents de l’Église orientale, 1148, 1221 ; ses directives missiologiques, 1981-2002. Benson, Hughes, 1710. Berdiaev, Nicolas, 1884, 2053. BERGSON, Henri, un philosophe ne dit qu’une chose, 1956; sa réponse au problème du mal, *307 ; déterminisme ou liberté ? 2021 ; les mystiques, 1055, 2028, 2058. Bernard, S., l’âge de la rédemption meilleur que l’âge de l’in­ nocence, *281 ; l’Église sans tache, 1813-1814. 2130 TABLE ALPHABÉTIQUE BÉRULLE, cardinal de, le divin mouvement du Père produisant son Fils est l'origine de l'incarnation, *526 ; aux pieds du Christ s’est rallumé un amour meilleur que l'amour perdu par les anges, *499 ; l’ordre de la rédemption meilleur que celui de l’innocence, 1040-1042 ; en quel sens il explique la permanence des mystères de la vie du Christ, *323-324, *329-330, *538-541 ; l'amour de Jésus porte les qualités et les couleurs de Jésus, 1063. Besson, Mgr Marius, controverse avec le pasteur Franz-J. Leenhardt, 1400-1412. BlEL, Gabriel, Luther, qui rencontre son exposé sur le Canon de la Messe, n’en retient que les objections, sans mentionner ni réfuter les réponses que Biel leur opposait, *583, *597. BIENS DE L'ÉGLISE, le théologien opposera d’abord les biens civils, temporels, profanes, aux biens ecclésiaux, spirituels, religieux, 1539 ; en ces derniers, il distingue les biens qui sont spirituels purement ou intrinsèquement (grâce, sacrements, pouvoirs juridictionnels, suffrages de l’Église, etc.), des biens qui sont spirituels par leur destination, quoique temporels en eux-mêmes ; ce sont ces biens spirituels par destination que le canoniste subdivise en choses mixtes (bénéfices ecclé­ siastiques) et en choses temporelles, à savoir les biens tem­ porels ou ecclésiastiques, 1385, 1539; la notion de propriété et de possession s’applique en propre mais d’une manière analogique sur le plan du temporel-profane et du spirituel-ecclésial, 1551 ; en tant que royaume qui est dans ce monde, l’Église doit posséder, mais en tant que royaume qui n'est pas de ce monde, elle doit posséder dans la pauvreté évangélique, *42, 1546-1547; la possession ecclésiastique trahit dans la mesure où elle cesse de refléter l’Église sainte et immaculée, *42-43, 1548 ; la suprême dignité des choses du temps est de pouvoir devenir les vêtements de l Église et comme le prolongement de son corps, 1539-1544. Billot, cardinal Louis, le corps de l’Église est son organisme social, son âme consiste dans les dons intérieurs de la grâce habituelle et de la vie surnaturelle, *932. TABLE ALPHABÉTIQUE 2131 BlLLUART, René, si l’homme n’avait pas péché, le Christ ne serait pas venu, *212 ; le Christ était à la fois compréhenseur et voyageur, 1045 ; la grâce demeure de même espèce sous les différents états de l’humanité, 1051-1052; la bles­ sure du péché originel, 1271-1272, 1277 ; Dieu confère des grâces suffisantes à chaque homme particulier, *214, 12921293 ; la grâce de la persévérance ne peut pas nous être refu­ sée en raison du seul péché originel, 1294; la présentation immédiate des premiers credibilia est extraordinaire, mais n’est pas miraculeuse, 1302 ; comment agir pour demeurer dans la bonne foi, 1408 ; l’âme de l’Eglise est la foi, son corps est la société extérieure de ceux qui professent la même foi, communient aux mêmes sacrements, obéissent aux mêmes chefs, *930 ; sa définition de l’Église ne men­ tionne pas la charité, 1900. Bloy, Léon, la communion des saints, 1114. BOISSIER, Gaston, comment le sens du mot cité se transforme chez saint Augustin, *152. BONAVENTURE, S., si l’homme n’avait pas péché, le Christ ne serait pas venu, *210 ; l’ordre de l’incarnation est au-delà de la perfection de l’univers, *307 ; la chute n’est permise que pour la rédemption, *210; l’âge de la rédemption est meilleur que l’âge de l’innocence, *281 ; ombres, vestiges, images de la Trinité, *622-623 ; les philosophes n’ont pas connu la Trinité comme telle, *629-630. BONIFACE VIII, la bulle « Unam Sanctam » et la nécessité de la soumission au pontife romain, 1772-1776 ; le Christ et son vicaire ne forment ensemble qu’une seule tête de l’Église, *249, *941. Bossens, L, 1984. BOSSUET, J. B., ceux qui ont déchiré l’Église n’ont pas même su ce quelle était, ‘100 ; comment elle est corps et com­ ment elle est épouse et mère, *146-148 ; l’Église c’est JésusChrist répandu et communiqué, Jésus-Christ dans sa plé­ nitude, *259, *958 ; il a vu le caractère mystique de l’Église, ’154 ; le trouble de Jésus, *530 ; la loi de la croix chez saint François d’Assise, 1681-1682 ; le fond de l’Église est la corn- 2132 TABLE ALPHABÉTIQUE munion intérieure, *929-930 ; l’Église sans tache ni ride, c'est l'Église présente, 1823-1824 ; le caractère cosmique de l'Église, *314-317 ; le propre de l’hérétique est de s’attacher à une opinion particulière, 1297, 1349 ; la thèse protestante de l'invisibilité de l’Église, *87 ; les trois dogmes ajoutés par Calvin à la justice imputative luthérienne, 1594-1595 ; dans sa controverse avec le ministre Claude sur la nature de l’Église, on voir bien que sa pensée est au-dessus de tout reproche, mais son tort est d’avoir fait confiance à la défini­ tion bellarminienne de l'Église, *96, *592. BOULGAKOV, Serge, le miracle de l’Église orthodoxe, 1212; il en appelle à la tradition, 1250 ; les Russes ne sont pas l’or­ thodoxie, 1575. BRAUN, F.-M., le mot Église a désigné d’abord le peuple uni­ versel des fidèles, *141, 1898; les trois grandes étapes de l’exégèse protestante en ecclésiologie durant ces quarante dernières années, *179-181 ; selon le nouveau consensus de l’exégèse protestante, l’Église n’est pas le royaume, mais l’an­ nonciatrice du royaume, *190 ; les deux missions visibles de l’Esprit au cénacle, à Pâques et à Pentecôte, *763. Bremond, Henri, *323. BriÈRE, Yves de la, son opinion sur la non-connexité métaphysique des notes de l’Église, 2023. BURNHAM, James, sa tentative d’un empirisme absolu, 1512. BUZY, Denis, l’Église ne serait pas pour le Christ une « huma­ nité de surcroît », mais une « humanité de complément », *962. Cabasilas, Nicolas, les trois sacrements donnant l’être, le mouvement, la vie du Christ, 1060-1064, 1118 ; 1 eucharis­ tie et l’union au Christ, 1122. Cajetan, Thomas, l’incarnation est l'élévation de tout l’uni­ vers jusqu’à la personne divine, *260, *472 ; métaphore de l’affinité de la Vierge avec Dieu, *661 ; le Christ est le suppôt mystique de 1 Église, '262, *815, *959; la grâce capitale du Christ s’étend même aux anges, *288 ; homogé­ TABLE ALPHABÉTIQUE 2133 néité de l’Église et du Christ, *957 ; l’Église n’est pas un corps politique, mais comme un corps naturel, *975 ; le Christ est tête, non partie de l’Église, *962 ; c’est dans l’acte de sa passion et de sa mort que le Christ nous sauve, *335 ; nos mérites sont les mérites du Christ en nous, *382-383, *399-403 ; le rôle corédempteur des saints, *399-400, 1711-1712; c’est au sens impropre que la mort des chré­ tiens est un sacrifice, *387 ; le caractère baptismal nous fait membres de la religion chrétienne et de la famille du Christ, *142, 1097 ; la papauté est pour l’Église, non inversement, le pape est serviteur, non seigneur, l’Église est plus grande que le pape en bonté et en noblesse, 1083-1084, l’Église est le corps du Christ, non le corps de Pierre, *252, *589 ; la charité modifie les autres vertus sans se substituer à elles, et, en ce sens, extrinsèque­ ment, *71 ; son opinion sur la grâce sacramentelle, 1103 ; la grâce sacramentelle du baptême, 1116 ; analyse de l’unité de communion, 1105-1107; les trois unités superposées de l’Eglise, l’une de similitude, l’autre de chef, l’autre de com­ munion, 1135, 1141 ; l’unité de l’Église est procurée for­ mellement par les membres justes et matériellement par les membres pécheurs, 1165 ; les états de vie dans l’Église, 1672-1673 ; pour lui la cléri­ cature serait une fonction, non un état de vie, 1637 ; les chefs ecclésiastiques ne sauraient se contenter de l’idéal qui suffit aux chefs séculiers, 1551 ; les biens fonciers de l’Église pourraient être limités justement par l’Etat, 1549; l’Église est sans tache ni ride, 1820-1821 ; elle est l’assemblée de ceux qui sont dans l’amour, 1906 ; la loi nouvelle, quant au principal, qui est l’amour, dure depuis le commencement du monde, mais quant à son intégrité, elle commence avec la grâce de l’Évangile et de Pentecôte, 1992. définition de l’infidélité, 1188; l’homme doit choisir entre la foi et l’infidélité, 1318 ; le chrétien peut avoir la cer­ titude de foi qu’il a la foi, *590 ; l’islam relève de l’infidélité, 1328, 1334 ; définition de l’hérésie, 1347 ; une proposition peut être de soi contraire à la foi, mais il faudra voir qui la soutient pour savoir de quelle espèce d’infidélité elle relève, 2134 TABLE ALPHABÉTIQUE nulle proposition n'est de soi hérétique, 1327 ; les héré­ tiques occultes ne perdent pas ipso facto leurs pouvoirs juri­ dictionnels, 1725; le baptisé qui renie la Foi reste membre du Christ et de l’Église malgré lui, 1721-1722 ; l'hypothèse d’un pape hérétique, 1725 ; comment le schisme est un péché contre la charité, 1163, 1362-1365, 1368-1370, 1374-1380; deux brisures peuvent causer le schisme, 1143, la possibilité d'un pape schismatique, 1379-1380; bien qu’ils aient encore les caractères sacramentels, les bap­ tisés cessent totalement d’être membres du Christ et de l’Église, 1722. CALVIN, Jean, son intuition-mère de la transcendance divine est faussée, 1608-1609 ; il reçoit de Luther la doctrine de la justice imputative et du mérite, 1880-1882 ; il y ajoute les trois dogmes de la certitude absolue du salut, de l’inamissibilité de la grâce, de la non-nécessité du baptême pour les petits enfants, 1594-1595; les conséquences de son dogme de l’inamissibilité de la grâce, *175-177, *591, 1602-1603; sa doctrine des deux Églises, l’une invisible, l’autre visible, est un corollaire de ses doctrines sur la grâce, *80-87, *100 ; « le Seigneur connaît ceux qui sont à lui » est un texte qu’il tourne, mais à tort, à justifier l’invisibilité de l’Église, *8283, *104; il pense que l’Église divine peut être privée de toute visibilité, et quelle était ainsi au temps d’Élie, *87, *136; l’unité, la catholicité, la sainteté échoient à l’Église invisible et sont, elles aussi, invisibles, 1596-1597 ; l’Église visible a dès lors pour seule marque l’apostolicité, 1605, dont la définition est fatalement faussée, 1607-1608 ; cette Église visible, qui peut disparaître, ne va pas sans beaucoup de résurrections, *76 ; opposition de la conception calvinienne de la visibilité et de la conception catholique, 1590-1609, 1860-1863; comparaison de l’ecclésiologie de Calvin et de l’ecclésiologie de Karl Barth, 1833-1839, 18601863, 1879-1881. CAMELOT, Th., la tradition latine primitive sur la procession de l’Esprit à partir du Fils, 1428. TABLE ALPHABÉTIQUE 2135 Cano, Melchior, la visibilité de l’Église dans l’Ancien Testa­ ment était celle d’une lumière qui vacille avant de s’éteindre, *136; il emploie la terminologie des anciens scolastiques relative à l’hérésie, au schisme, à l’infidélité, 1179-1188 ; la même proposition contraire à la foi peut relever, suivant l’état du sujet qui la profère, des diverses espèces de l’infi­ délité, 1327 ; il ne dégage pas le concept d’Église dissidente, 1181 ; sa définition de l’hérésie, 1180 ; ses règles pour juger de l’hérésie, 1183 ; il tolère, avec tous les tribunaux d’alors, l’usage de la torture, 1183. CAPÉRAN, Louis, l’appartenance à l’Église, 1217 ; l’hypothèse des limbes pour adultes, 1288-1289. CARACTÈRES SACRAMENTELS, ils impriment dans l’Église une participation du sacerdoce du Christ, *13, *436-439, 1026-1030, 1448; comment ils nous rattachent aux per­ sonnes divines, *444-449 ; leur dépendance instrumentale par rapport au Christ, *439-444, 1037-1040 ; ils nous font membres de la famille du Christ et de la religion ou liturgie chrétienne, *142, *447-449, 1097; des trois caractères sacramentels, 1037-1038, celui du baptême est principale­ ment passif, ceux de la confirmation et de l’ordre sont principalement actifs, *442-443 ; degré de l’appartenance à l’Église, en raison des seuls caractères, de ceux-là même qui ont renié la foi, 1096-1100, 1721-1722 ; persistance des caractères chez les damnés, qui cependant cessent totale­ ment d’être membres du Christ, 1722-1724. CATÉCHISME ROMAIN, ses belles définitions de l’Église, qui est le troupeau des brebis du Christ, l’épouse du Christ, le corps du Christ, la maison de Dieu, *969, *981 ; il oppose l’Église aux autres sociétés, *137-138 ; il force une pensée de saint Augustin sur l’opposition entre l’Ancien et le Nouveau Testament, *139 ; on doit dire: je crois la sainte Église, et non : je crois en la sainte Église, *976 ; la communion des saints, 1111-1113, pourquoi les fidèles sont appelés saints, 1475. 2136 TABLE ALPHABÉTIQUE CATÉCHUMÈNE, ce qui manque d’une part au bon catéchu­ mène et d'autre part au pécheur baptisé, *183, 1132, 1728, 1737, 1763, 1769. CATHERINE de Gênes, Stc, elle comprend qu’elle ne peut satis­ faire qu’avec ce que le Seigneur lui a octroyé gratuitement, *398-399. CATHERINE de Sienne, Ste, sa prière d'intercession pour le monde, *563-565, *689 ; elle appelle l’Église « corps univer­ sel de la religion chrétienne » et réserve à la hiérarchie le nom de «corps mystique», *250-251 ; l’Église est l’épouse de Dieu, *977 ; le rôle des divers ordres religieux, 1708, 1959. Catholicité de l’Église, sa définition étymologique, 19331934; ses définitions théologiques, *51-52, 1935-1936; l’Église est universelle par transfiguration du concret, non par abstraction du concret, * 189 ; la catholicité est le contraire du totalitarisme, 1941 ; l’Église est catholique tout d’abord intrinsèquement, 1941, soit dans son être, sa structure, sa constitution, 1946-1948, soit dans son agir, son dynamisme, son expan­ sion missionnaire, 1948-1951, 1996; il manque au Christ et à l’Église tout ce que leur ravit la cité du mal, et cepen­ dant la catholicité non seulement de leur être, mais encore de leur agir, demeure intacte, 1961-1964 ; le bien qui se fait chez les dissidents ne manque pas à l’Église mais enrichit la catholicité de son agir, 1970; l’Église est en outre catho­ lique extrinsèquement par son rayonnement sur le temporel et sur la culture, 1942-1944 ; la catholicité de l’Église est d’abord une propriété mysté­ rieuse, objet de foi surnaturelle, 1929-1961 ; elle est en outre une note miraculeuse, objet de constatation ration­ nelle, 2020-2022 ; comment le fait même de la catholicité est un signe miraculeux, 2026-2055 ; comment en outre ce fait était prophétisé, d’une part dans l’Ancien Testament, d’autre part dans le Nouveau, 2059-2071 ; TABLE ALPHABÉTIQUE 2137 la catholicité finale au moment de l’apocatastase, *295, *297-299, 2018; voir cité de Dieu, cosmique, Dostoïevski, unité catholique. CAUSSADE, J.-P., l’Église, c’est Jésus continuant en ses membres une vie qu’il a commencée en soi-même et qui ne finira jamais, 1481. Cayré, E, *351. CÉLESTIN Ier, Dieu veut que nous ayons des mérites qui sont ses dons, *382. CERFAUX, L, les mots « église » et « synagogue » dans l’Ancien Testament, 1898-1900 ; le royaume de Dieu est déjà présent dans notre temps historique, *149, 1624. CERTITUDE, nous avons une certitude de foi divine de la cha­ rité, persévérance, prédestination de l’Église, mais de notre propre justification, persévérance, prédestination, nous n’avons qu’une connaissance humaine, morale, conjecturale, *81, *100-104, *811, *859, 1471-1473; il faut craindre avec confiance, *103, *859, 1782 ; les frontières qui séparent l’Église de ce qui est non pas elle mais la cité du diable ou celle de l’homme, sont nettes devant Dieu et les anges, mais est-il question de les assigner, les degrés de notre connaissance varient : sur certains points, notre certitude est celle de la foi divine, sur d’autres points, où le miracle est manifeste, elle est humaine, mais absolue, sur d’autres points elle reste conjecturale, 1440-1444, 1862, 2021-2025 ; signes qui permettent de discerner où se trouve l’Église et de tracer ses contours, 1476-1481 ; il nous est impossible sans présomption d’arrêter ces contours et de fixer les limites de l’ignorance invincible et de l’appartenance à l’Église par le désir, 1405, 1591, 17761779 ; nous pouvons savoir de foi divine que telle assertion est contraire à la foi, que telle démarche crée une dissidence, mais notre connaissance de l’état d’âme de leurs auteurs reste conjecturale, les critères du péché d’hérésie et du péché de schisme restent de l’ordre du probable, 1226, 13521353, 1376; comment doit agir pour ne pas pécher celui qui doute s’il est dans la vraie religion, 1408 ; si les Indiens 2138 TABLE ALPHABÉTIQUE pouvaient avoir la certitude de la divinité de l’Évangile que leur prêchaient les Espagnols, 1407-1408. CÉRULAIRE, sa responsabilité dans le schisme byzantin, 1224-1226. CERVANTES, Miguel de, s’il faut tirer l’épée pour la défense de la foi catholique, 1650. Chaîne, Joseph, *386. CHARDON, Louis, Jésus est la subsistence mystique de son Église, *262 ; les supérieurs dans l’Église doivent toucher les inférieurs comme la Vierge touchait les membres du Christ, *263-264 ; Jésus prend nos misères et nous revêt de sa gloire, *270 ; le poids de gloire et le poids de croix en Jésus, *533-535 ; la grâce en passant par Jésus en retient les pro­ priétés, 1063-1064. CHARITÉ, inséparable de la grâce, la charité ou agapè créée de l’Église, est l’impression en elle de la charité incréée de Dieu, 1978 ; dans la mesure où elle est christique et christo­ conformante, elle est l’âme créée inhérente de l’Église, *936939; avant le Christ, sous la loi de nature et sous la loi mosaïque, elle est christique seulement initialement et par anticipation, en tant quelle est donnée en prévision du mérite futur du Christ en croix, 1792-1793; depuis le Christ, sous la loi nouvelle, elle est christique pleinement, en tant qu'elle dérive jusqu’au monde par les sacrements du Christ et quelle est orientée par les directives du Christ, *885, 1040-1060, 1629-1631 ; elle est l’empreinte de la charité et de la sainteté du Christ, 1038-1040, modalités de la charité en tant que sacramentelle, *451, 1043, 1095, 1101, 1134; modalités de la charité en tant qu’orientée, 1135; en tant que sacramentelle, elle cause l’unité de connexion, qui commence l’unité de communion de l’Église, en tant qu’orientée elle achève cette unité de communion, 1139, 1366 ; elle est le principe inhérent de l’expansion mis­ sionnaire, 1976, 1996; la charité sacramentelle et orientée est présente d’une manière salutaire chez les membres justes, et d’une manière non salutaire chez les membres pécheurs, TABLE ALPHABÉTIQUE 2139 1166, 1786-1787 ; elle s’inquiète de tous les hommes pour en faire le prochain, *563, 1114 ; elle ne doit pas être omise dans les définitions mineures de l’Église, *143, *272-273, *950-951, 1907-1914 ; où la charité n’est pas encore sacra­ mentelle et orientée, elle crée une appartenance à l’Église par le désir qui est déjà salutaire, 1730; c’est en tant que pleinement christique que la charité conditionne la pleine inhabitation des personnes divines dans le monde, *922927; en plus de son aspect entitatif, elle présente un aspect intentionnel, la gloire que Dieu possède en propre étant communiquée spirituellement à ceux qui l’aiment, en sorte qu’ils deviennent un seul esprit avec lui, et sont un avec le Fils comme le Fils est un avec le Père, *871, *900-901 ; la charité revêt ainsi l’Église d’une unité de surexistence imma­ térielle d’amour, par laquelle chacun est dans le tout et le tout en chacun, *119-121, *149-151, *902-918. Charles, P., 1979, 1990, 2006, 2010. CHARRIÈRE, François, les dissidents de bonne foi ne sont pas excommuniés, 1192. Chavasse, A., 1558. Chenu, M.-D., *295. CHEVALLIER, Dom, un conflit de juridictions provoque l’em­ prisonnement de saint Jean de la Croix, *839. CHINE, nécessité d’une Église chinoise, 1999, 2001, 2009 ; les erreurs de méthode missionnaire, 1999, 2004. CHRIST, la chute d’Adam n’est permise qu’en vue de l’incarnation rédemptrice, *209-216; l’incarnation est une mission visible par laquelle le Verbe est une fois pour toutes donné au monde, *760-761 ; l’humanité du Christ est l’oeuvre de la Trinité tout entière, mais elle est d’emblée enracinée dans la seule personne du Verbe, *461-462, *641 ; les deux autres personnes sont présentes dans le Christ, non point comme incarnées, mais par simple circuminsession, à la manière dont celui qui saisit un anneau tire à soi, sans les toucher, les autres anneaux de la chaîne, *413; les théolo­ giens diront que l’humanité du Christ est unie immédiate­ 2140 TABLE .ALPHABÉTIQUE ment au Verbe, médiarement et formellement à l’existence divine, médiarement et matériellement à la nature divine, x412; au-dessus de la présence d’immensité, et de la pré­ sence d'inhabitation dans les justes, la présence du Verbe dans le Christ par union hypostatique ou personnelle constitue un ordre suprême, *617, *641, qui entraîne les deux ordres précédents dans son orbite, *470-473 ; quant à son essence, le mystère de l'incarnation est réalisé dès le principe de la vie terrestre de Jésus ; quant à son déploie­ ment, il est en devenir pendant toute la durée de cette vie terrestre, 1947 ; en quel sens l’union hypostatique entraînait dans le Christ la grâce sanctifiante, *659, 1176; le Christ était à la fois compréhenseur et voyageur, *295, 1043, il avait la vision béatifique, 1045, il n'a eu ni la foi ni l’espé­ rance théologale, *296-297 ; la catholicité de son agir a été plénière et n’a pu être altérée par les obstacles qu’il a rencon­ trés dans sa prédication, 1962-1967 ; comme Dieu, le Christ est conjointement avec le Père et l’Esprit une seule Cause première, un seul Principe efficient de l’Église sans tache ni ride, *618-622, disons une seule Personnalité efficiente, responsable, par une providence spé­ ciale, de son être et de sa conservation, *810-813, *830, en sorte que l’unité de communion de l’Église, œuvre com­ mune des trois personnes, peut être attribuée par appropria­ tion soit au Père, soit au Éils, soit à l’Esprit, *790-792 ; de plus, les trois personnes sont, ensemble et au même titre, l’Hôte qui réside en l’Église, au ciel par le mystère de la vision béatifique, *844, *882, ici-bas par le mystère de l’in­ habitation d’amour, x846, x885 ; enfin, la nature divine, qui, en devenant la Forme intentionnelle de l’Église, rend possible ce double mystère de la vision et de l’inhabitation, est, elle aussi, commune aux trois divines personnes, *866875 ; ainsi l’Âme incréée de l’Église, prise au sens large pour désigner le Principe, l’Hôte, la Forme de l’Église, ou au sens strict pour désigner la seule Forme, est la Déité tout entière et ne peut être que par appropriation l’une des trois per­ sonnes divines, *882, *885 ; TABLE ALPHABÉTIQUE 2141 celui qui est Médiateur entre Dieu et les hommes est Dieu, mais c’est comme homme qu’il est médiateur, *223, *830, dès l’instant même de l’incarnation, *498, *735, 1048, à ce titre le Christ devient tête de l’Église d’une manière qui lui est propre et qui n’est pas communicable au Père ni à l’Esprit, *202 ; et tout d’abord, il est médiateur substantiellement ou ontologiquement, en raison même du mystère de l'incarnation qui unit en lui la nature humaine et la nature divine, *220-223, *340 ; c’est le point sur lequel commenceront d'insister les Pères, *220-276 ; en s’incar­ nant dans une nature humaine individuelle, c’est déjà dans toute l’humanité qu’il habite pour la renouveler, *224-228, *256-257 ; il est chef de tous, c’est en lui que ressusciteront, non seulement les méchants, mais même les enfants non baptisés, *225, *332, 1284-1285; toutes les créatures lui deviennent fraternelles, *230-231 ; il est ensuite médiateur fonctionnellement, dans l’ordre de l’agir, et sa médiation sera suprême lors de sa mort rédemptrice sur la croix, *340 ; ce point déjà fortement sou­ ligné par les Pères, *321-326, sera pleinement explicité par les docteurs médiévaux, *216-220, *349-355 ; la médiation fonctionnelle s’exerce dans deux sens, selon quelle est ascen­ dante ou descendante, *12, *205-206, *361 ; les actions du Christ peuvent être pareillement théandriques de deux manières, *359-360 ; dans l’ordre de la médiation ascen­ dante, la supplication du Christ reçoit, du fait que celui qui supplie est le Verbe, une valeur rigoureusement infinie, *357-358, à elle est suspendue toute la supplication de l’Église, *372, *385, en sorte que c’est le Christ, à l’exclu­ sion du Père et de l’Esprit, qui est la personnalité mystique rédemptrice de l’Église, *205, le Verbe personnalise immé­ diatement le Christ rédempteur, en raison de l’union hypo­ statique, et extensivement l’Église corédemptrice, en raison de l’union de charité, *814; dans l’ordre de la médiation descendante, l’humanité du Christ est, par rapport à la Déité tout entière, une Cause instrumentale, suprêmement intelligente et libre, une personnalité efficiente instrumen­ tale qui façonne l’Église à sa ressemblance, *417, en répan- 2142 TABLE ALPHABÉTIQUE dant sur elle le trop plein de sa grâce capitale et en la faisant participante de son sacerdoce, de sa royauté prophétique, de sa sainteté, *420, 1021, 1446; en quel sens les notions de tête et de corps, appliquées au Christ et à ΓÉglise, sont métaphoriques et analogiques, *940-941, le Christ est tête de l’Église d’une manière supersubstantielle, et possède le pouvoir d’excellence d’une manière incommunicable, *252-253, 1022-1024, 1030, 1042 ; les définitions majeures de l’Église en fonction du Christ, *954-970 ; voir annoncia- tion, ascension, grâce capitale, incarnation, médiation, mis­ sions divines, personnalité de l'Eglise, récapitulation, rédemp­ tion, résurrection, théandriques, visibilité de ΓÉglise. ChrysOSTOME, S. Jean, si nous sommes frères du Christ, nous ne sommes pas fils de Dieu à la manière dont il l’est, *466467 ; le corps est plérome de la tête, et la tête plérome du corps, *142; égalité des chrétiens en tant que membres du Christ, 1110; l’Église subsiste par l’Esprit, *830; pécher est du diable, mais non faire pénitence, 1487 ; l’Église sans tache ni ride, 1804 ; « noli me tangere », *516-517. ClRCUMINSESSION, sa définition, *612 ; oppositions imaginaires créées par de Régnon entre les visées latines et les visées grecques, *613-614 ; l’image de saint Basile pour signifier la circuminsession, *413. ClTÉ DE Dieu, comment le sens du mot cité, emprunté par saint Augustin à l’Écriture, est transposé, *151-152; deux amours ont bâti deux cités, *106; l’opposition des deux cités suprêmes est déjà dégagée chez Tyconius, *152, l’Église est la cité de Dieu, *104, *113-114, *152, *182; la cité sainte qui descend du ciel ne fait qu’un avec elle, *162 ; ses rapports avec la cité du mal sont régis par la loi d’opposi­ tion, *303-304, *312; l’affrontement des deux cités dure depuis le commencement du monde, 1647, 1797, 19021903, 1969 ; les deux cités spirituelles, relatives aux fins der­ nières, s’opposent moins comme le camp des bons au camp des méchants que comme le camp des valeurs qui relèvent du Christ au camp des valeurs qui relèvent du Prince de ce monde, *101 ; la frontière passe à travers notre cœur, *101, TABLE ALPHABÉTIQUE 2143 1482-1485, 1493-1494, 1501, 1647, 1786, 1824-1827, 2078-2080, mais le diable est loin d’être chef des méchants autant que le Christ est chef des bons, *318-319 ; si le livre de saint Augustin est centré sur l’opposition de la cité de Dieu et de la cité du diable, on y voit cependant affleurer constamment une troisième cité, celle de l’homme, sollicitée en sens contraires par les deux cités suprêmes, *104-114 ; les rapports de la cité de Dieu à la cité humaine sont régis normalement par une loi antitotalitaire de distinc­ tion et d’union, *300-302, 1530-1539, 1570-1575, 1636, 1647-1648, 1666-1668, 1772-1773, 1920, 1940-1941, 1942-1944, 1969-1970, encore imparfaite sous la loi ancienne, *129-130, et dont le Prince de ce monde cherche à faire une loi d’opposition, *108-109, 1920, 1946, 19691970; voir Augustin, Église royaume de Dieu, univers de rédemption. ClTÉ POLITIQUE, elle s’adresse à notre puissance passive natu­ relle, non comme la cité de Dieu à notre puissance passive obédientielle, *318 ; elle relève de l’ordre de la création, non de l’ordre de la rédemption, 1632, 1939, des vertus morales acquises, non des vertus infuses, *310-311 ; elle est l’objet d’une providence divine générale, non d’une providence divine spéciale, *808-817 ; elle est une société parfaite sur le plan naturel, comme l’Église sur le plan surnaturel, *72, 1919 ; elle est un corps moral naturel, non un corps moral surnaturel ou mystique, *808-809 ; son bien commun est une fin humaine infravalente, *70, *105, 1631, subordon­ née à la fin divine ultime, *71, 1533, 1919-1920, illuminée par cette subordination, 1942-1944 ; c’est positivement que la cité doit être chrétienne, non seulement négativement : en n’entravant pas l’Église, 1870 ; le mot chrétien n’a pas le même sens lorsqu’il qualifie la cité humaine ou la cité de Dieu, 1629, sur le plan politique je dois agir en chrétien, sur le plan spirituel j’agis en tant que chrétien, 1631, 1633 ; sur le plan politique la loi profonde est le pluralisme, sur le plan religieux elle est l’unité, 1635-1636 ; la cité politique se partage l’homme avec l’Église, *70, *72, 1648, 1919; aucune cité n’est messianique, 1573-1575 ; la loi de dualité 2144 TABLE ALPHABÉTIQUE des royaumes de ce monde et du royaume qui n’est pas de ce monde est ici-bas irréductible, *300-301, 1636, elle est contraire au totalitarisme, 1945, 1969-1970, d’où les conflits entre les royaumes de ce monde et le royaume qui n’est pas de ce monde, 1920, 1945-1946, 2053-2055 ; il ne faut pas se méprendre sur les définitions médiévales qui incluent l’État dans l’Église, *110-112, 1638 ; c’est au der­ nier jour que tout ce que la cité temporelle aura pu sauver de valable confluera dans la cité de Dieu, 1637 ; étrange résorption de la cité politique dans l’Église chez Othon de Freysing, *111-112; voir spirituel et temporel. Claeyes-Bouart, E, 1639. CLAUDE, ministre, sa controverse avec Bossuet, *94-96 ; il conteste la doctrine des Pères à la fois sur l’eucharistie et sur l’Église, 1128. CLAUDEL, Paul, la profusion déployée dans l’œuvre créatrice, *306; la prière commune de l’Église, 1387; l’idée chré­ tienne de 1 intendance, 1683-1684 ; conflits entre l’Église et les pouvoirs politiques, *302, 1945-1946, 2053-2054; valeur de l’écoulement du temps, 1958, 2018-2020. Clément d’Alexandrie, par le Christ nous sommes sauvés et sauveurs, *558 ; l’anneau de fer attire dans la mesure où il est attiré par l’aimant, *687 ; bien que non abandonnés de Dieu, les Gentils sont appelés à la communion meilleure du Christ, 1766. CLÉMENT VI, une goutte du sang du Christ, en raison de l’union au Verbe, eût suffi à sauver le genre humain, *406. ClÉRICATURE, la distinction entre clercs et laïques ne corres­ pond pas à la distinction entre activités hiérarchiques et activités non hiérarchiques, 1611 ; elle est un état de vie caractérisé par une certaine répartition des activités chré­ tiennes, 1637-1652. ClÉRISSAC, Humbert, la personnalité divine de l’Église, *828826 ; nous pouvons souffrir par l’Église à la manière dont nous pouvons souffrir par Dieu, *840. TABLE ALPHABÉTIQUE 2145 COEXTENSIVITÉ, elle est une propriété du corps de l’Église, ’941, 1553; l’âme ne déborde pas le corps, ni le corps, lame, *942 ; les hésitations de certains théologiens, *929, ’941-945, 1217 ; coextensivité du corps et de l’âme créée de l’Église, 1553; l’âme est tout entière dans le tout et tout entière dans chaque partie, *937, 1092-1093, 1166-1171 ; le principe de coextensivité et l’Âme incréée de l’Église, 1560-1566. COMMUNION, voir unité de communion. COMMUNION DES SAINTS, elle est un point de vue sous lequel l’Église entière peut être envisagée, 1108; la première fois quelle apparaît dans le Symbole, c’est comme apposition au mot Église, 1108 ; je crois en l’Esprit saint, lequel réside dans l’Église ou communion des saints, *927 ; identité réelle de l’Église et de la communion des saints, *149-151 ; le Caté­ chisme Romain rappelle pourquoi les fidèles peuvent être appelés saints, 1475 ; les membres pécheurs de l’Église parti­ cipent à la communion des saints dans la mesure même où ils participent à l’Église, 1113, pareillement pour les justes non baptisés, 1113; on peut reposer ici le problème de savoir qui relève davantage de la communion des saints : le catéchumène juste ou le pécheur baptisé, 1132-1133 ; aperçu d’ensemble sur la communion des saints, 1108-1115. CONCEPTION IMMACULÉE, voir immaculée conception. Conciles Œcuméniques, le 8e concile peut-il être rayé? 1425-1427. Confessions PROTESTANTES, selon la Confession de la Rochelle, les sacrements sont corrompus dans les assemblées de la papauté et l’idolâtrie y est en vogue, 1607 ; les réfor­ mateurs ont été désignés miraculeusement par Dieu pour redresser l’Église, mais désormais les ministres seront dési­ gnés régulièrement, 1602; selon la Confession Helvétique, l’Église est invisible, bien quelle soit composée d’hommes visibles, parce quelle est cachée à nos yeux et se dérobe au jugement des hommes, *87, *136. CONFIRMATION, sacrement de, le caractère de la confirmation est à la fois actif et passif, 1037 ; la grâce de la confirmation 2146 TABLE ALPHABÉTIQUE permet de confesser la foi en conjonction avec le Christ, 1116; selon Cabasilas, elle est le sacrement qui donne le mouvement, 1061, 1062, 1118; selon Soloviev, elle se range parmi les sacrements des droits de l’homme, 11171118. CONFIRMATION en GRÂCE, fimpeccabilité est métaphysique chez le Christ, qui est Dieu ; physique, chez les élus qui sont dans la vision béatifique ; morale, quand elle résulte d’un secours providentiel, *674 ; un tel secours a préservé la Vierge de tout péché même véniel, *670, *674 ; Dieu pourra concéder une faveur semblable aux grands saints vers la fin de leur vie, *671, et les assurer de leur persévérance finale, *859, 1746, peut-être même par quelque révélation spéciale, *102. CONGAR, M.-J., le Christ possède toute la grâce de l'espèce humaine, *500 ; l’Église prend conscience de sa vie en vivant, 1957 ; critique de l’opinion suarézienne de l’apparte­ nance à l’Église par la seule foi, 1158 ; parallèle entre le bon dissident et le mauvais catholique, 1131 ; il nomme ortho­ doxes les dissidents orientaux, 1228 ; emprunts à son étude sur le schisme, 1210-1211, 1357-1380, la notion anglicane de schisme, 1379 ; définition de l’Action catholique, 16621663 ; faut-il distinguer entre Église-institution et Églisecommunauté ? 1558-1559, 1619 ; l’Église n’est-elle pas déjà le royaume ? 1624 ; le bien qui se fait chez les dissidents manque-t-il d’une certaine manière à l’Église romaine? 1973-1974. CONNELLY, Marc, les Verts Pâturages, *496. CORÉDEMPTION, critiques de la terminologie en usage, *676 ; la médiation corédemptrice des chrétiens est portée par la médiation rédemptrice du Christ, *16, *351, *385, *397406, *549-550, *686 ; elle suppose la médiation d’un sujet interposé entre le péché et le rédempteur, mais avec immé­ diation de la charge, le corédempteur étant comme tel porté par le rédempteur, *686-687 ; pourquoi la rédemption du Christ demande à se prolonger dans son corps, *680-681 ; dans la ligne de la corédemption, le Verbe personnalise TABLE ALPHABÉTIQUE 2147 l’Église extensivement en raison de l’union de charité, *814; membres simplement rachetés et membres corédempteurs, *559, *687-689 ; la prière corédemptrice des saints, *385, *400, *562-571, *688-689 ; la médiation coré­ demptrice de l’Église est plus vaste que celle de chacun de ses membres, *16, *690, toute l’Église est corédemptrice, ’94-97, *397-406, *550-570, elle s’offre avec le Christ, ’406, *965, *968-969 ; en Marie, la grâce corédemptrice de l’Église atteint son sommet, *568-571, la médiation coré­ demptrice de la Vierge est universelle, *16, *692, *745, pro­ grès de la doctrine de la corédemption universelle de la Vierge, *696-705, toute cette doctrine est centrée sur le pas­ sage où l’Évangile nous parle de la mystérieuse présence de Marie auprès de la croix, *704 ; voir Marie, médiation, rédemption. CORNÉLIUS A Lapide, on dit que l’Église est sainte, comme on dit qu’Anvers est riche et Louvain savant, 1822. CORPS DE l’Église, dans la mesure où l’âme créée de l’Église est reçue dans les hommes, elle donne naissance au corps de l’Église, *44, 1435 ; ce corps a dans l’Église le rôle que la chair a dans le Christ, 1438, à la transparence du corps de Jésus correspond la transparence du corps de l’Église, 1579, il est comme une extension dans l’espace et le temps du corps et des démarches corporelles du Christ, *37 ; dans ses éléments constitutifs, on dira qu’il est le comportement visible et extérieur des hommes, en tant qu’ils sont informés par l’épanchement de la grâce capitale du Christ et des pri­ vilèges de son sacerdoce, de sa royauté, de sa sainteté, *41, 1434-1435, 1445-1529; dans ses éléments adjacents, il est représenté par les choses extérieures que l’Église utilise et sur lesquelles elle laisse son empreinte, *41, 1539-1550 ; il peut être connu par trois regards : empirique, métaphysique, sur­ naturel, et ses contours peuvent être tracés avec une assu­ rance qui variera selon la nature des choses, 1439-1444, 1494-1497; il est coextensifs l’âme de l’Église, *43, *941, 1553-1566; il est une partie composante essentielle, perma­ nente, propre de l’Église : jamais elle n’est séparée de son 2148 TABLE ALPHABÉTIQUE corps, qui ne se confond avec le corps d'aucune des autres formations soit temporelles soit religieuses, 1566-1579; par son corps, toute l’Église est visible en transparence : qu’il s’agisse de la transparence de sa gloire au ciel, ou de la trans­ parence de l'ensemble de sa vie historique, ou de la transpa­ rence de chacun de ses instants, 1579-1610 ; enfin le corps de l’Église est organique, il est différencié, soit en raison des diverses activités ecclésiales, les unes hiérarchiques, les autres non hiérarchiques, soit en raison de la variété des états exté­ rieurs de vie, 1611-1629, 1637-1710 ; voir catholicité, certi­ tude, coextensivité, visibilité de l'Eglise. CORPS MYSTIQUE DU Christ, ce qu’on appelle après saint Paul le corps du Christ, *245-247, ou avec les théologiens le corps mystique du Christ, *247-253, c’est l’Église entière, composée d’esprit et de chair, d’âme et de corps, d’invisible et de visible, 1437 ; l’identification de l’Église et du corps mystique, dont le Christ est tête, est affirmée dans le Projet du concile du Vatican, *142 ; selon ce Projet, c’est amoin­ drir et défigurer l’Église que de refuser l’identification, *142-143; insistance du magistère à enseigner la même doctrine, *145 ; les résistances à l’identification naissent de deux difficultés : les justes qui sont hors de l’Église, sont-ils hors du Christ ? les pécheurs qui sont dans l’Église, sont-ils dans le Christ? *144-145; comme les erreurs christologiques altéraient la vérité du Verbe fait chair, on méconnaît les rap­ ports unissant dans l’Église le divin et l’humain, le spirituel et le visible, *187-189; danger de disjoindre la notion de membre du Christ et celle de membre de l’Église : cela même qui nous fait membre du Christ, nous fait dans la même mesure membre de l’Église, et réciproquement, *185, 1718, un mot de Schleiermacher propre à égarer, 1626 ; l’al­ tération de la doctrine du corps mystique chez Luther, *581-610; le corps mystique qui existe maintenant sous son état pérégrinal, existera plus tard sous son état glorieux, *158-159 ; l'image de l’Église corps du Christ peut s’entendre selon la comparaison biologique, *141-144, *242, *956, ou selon la FABLE ALPHABÉTIQUE 2149 comparaison nuptiale, *146-148, *233, *955; on peut dire indifféremment que l’Église est pour le Christ une humanité de surcroît, ou une humanité de complément, *962. COSMIQUE, le caractère cosmique de l’Église, *305-321. COSTANTINI, Mgr Celso, un clergé indigène pour la Chine, 1999-2005. CRAS, M.-A., l’Église missionnaire et la culture occidentale, 2013. CRÉATION, voir univers de rédemption. CREDIBILIA, les deux premiers credibilia, à savoir que Dieu est, et qu’il est rémunérateur pour ceux qui le cherchent, contiennent en eux implicitement tous les articles de la foi, 1264-1265 ; personne n’est sauvé sans les croire, 1290; ils sont proposés concrètement à tous les adultes, 1291-1294, soit par voie d’enseignement, 1299-1300, soit immédiate­ ment par voie de révélation, 1300-1304; d’une connais­ sance préconceptuelle et vécue des deux premiers credibilia, 1307-1317, 1793-1794; voir foi (bonne), ignorance invin­ cible, révélation. CREDO, pourquoi Ponce Pilate est-il mentionné dans le Credo, *366 ; pourquoi l’Église est jointe à la Trinité dans le Credo, 1901 ; les derniers articles s’enchaînent ainsi : je crois en l’Esprit saint, qui réside dans la sainte Église catholique, ou communion des saints, en vue de la rémission des péchés, de la résurrection de la chair, de la vie éternelle, *927 ; c’est vers 400 que l’Église est appelée communion des saints, 1108 ; on doit dire : je crois la sainte Église, et non : je crois en la sainte Église, *976 ; la controverse sur l’addi­ tion du Filioque dans le Symbole de Nicée-Constantinople, 1242. CROISADE et MISSION, la croisade est une entreprise de la chrétienté, la mission une entreprise du christianisme ; le saint de la croisade est saint Louis, le saint de la mission, saint François ; la croisade est temporaire, la mission est per­ manente, *527, 1571, 1997. 2150 TABLE ALPHABÉTIQUE CULLMANN, Oscar, le cuite chrétien est eschatologique, 14521453 ; le baptême des enfants, 1854. CULTE, le culte inauguré par le Christ sur la croix doit être perpétué par l'Église ; à cet effet le Christ la configure à son sacerdoce en imprimant en elle les caractères sacramentels, *436-448, *964-967, 1026-1030, 1035-1040, 1446-1453, 2047-2050 ; le sacerdoce royal des fidèles, 1624-1626; le culte est centré sur la messe, les sacrements, la prière litur­ gique, *38, 1448-1452 ; il est à la fois messianique, en tant qu'il prolonge le culte inauguré par le Christ, et eschatolo­ gique, en tant qu’il annonce la parousie, *38, 1452 ; histori­ quement référée au culte instauré par le Christ sur la croix et perpétué dans la messe et les sacrements, la charité de la loi nouvelle se colore d’une modalité encore inconnue, *2627, 1094-1096. Culturel, voir spirituel et temporel. CïPRIEN, S., les martyrs rachètent la peine des pénitents publics, *587 ; hors de l'Église, pas de salut, 1761 ; le bap­ tême de désir, 1763. CYRILLE d’Alexandrie, S., le Christ est médiateur non seule­ ment par son activité, mais encore par sa nature, *222 ; l’in­ carnation, terminée à la nature particulière du Christ, a des effets sur la nature humaine tout entière, *225-226; le Christ a renouvelé en lui toute la nature humaine, *228, *232 ; le Fils de Dieu s’est fait homme pour nous diviniser, *275 ; l’âge du Christ est plus saint que l’âge d’Adam, *280 ; si l’Emmanuel avait été un pur homme, il n’aurait pu nous racheter, *353-354 ; Marie est Théotokos, *656-657 ; l’Esprit illumine l’Ancien Testament, mais habite dans le Nouveau, *766, 1175-1176 ; par la foi et l’eulogie mystique, nous devenons concorporels au Christ, en sorte que nos corps eux-mêmes seront entraînés à la suite du Christ pour parti­ ciper à ses destinées, *824. DABIN, Paul, enquête sur le sacerdoce royal des fidèles, 1624; une opinion sur l’Action catholique, 1666. DaniÉLOU, Jean, lettre ouverte à Karl Barth, 1876. TABLE ALPHABÉTIQUE 2151 DANTE, il pense qu’il n’y aurait pas eu de rédemption si le Christ n’avait pas été condamné par l’autorité juridique impériale, *366 ; un excommunié peut mourir dans la cha­ rité, 1394 ; saint François et saint Dominique, 1709. DANZAS, J. N., la crise du raskol est un jugement prononcé sur l’Église russe, 1252. DECHAMPS, cardinal, tout homme de bonne foi appartient à l’Église par le cœur, 1779-1780. DÉFINITIONS, définition nominale de l’Église, opposée à la synagogue, *137-141, 1898-1900; le mot désigne d’abord non pas les assemblées particulières, mais tout le peuple de Dieu, *141 ; définitions majeures de l’Église, en fonction de ses causes transcendantes, *24, *50, *953-982 ; définitions mineures, en fonction de ses causes inhérentes, *50, *953, 1897-1924, nécessité d’y faire mention de la charité, *143, 1909-1914; définition comparative de l’Église en fonction de la cité politique, 1918-1922, en quel sens le moyen âge a parfois inclus la cité politique dans l’Église, *110-111, 1638; définitions analytiques et synthétiques de l’âme créée de l’Église, 1020-1034, 1080-1084, 1088, 1092-1094, 1171, 1175, 1783-1785; définitions du corps de l’Église, 1445, 1555 ; définitions étymologiques et théologiques de l’unité catholique, 1933-1937; définition de l’activité mission­ naire, 2016-2017 ; définition de l’Action catholique, 1657, et de l’Action civique catholique, 1664; rattachement des quatre notes et des quatre propriétés de l’Église à ses quatre causes, 1930, 1951 ; d’un choix entre deux définitions théo­ logiques de l’Église incompatibles : l’une où elle inclut beau­ coup de péché, l’autre où elle est sans péché, 1494; les Gentils sont-ils tous païens, les Juifs tous infidèles, les dissi­ dents tous hérétiques ou schismatiques? 1178-1208, 1321, 1344 ; voir terminologie. DESCENTE AUX ENFERS, la vision béatifique est alors donnée aux justes, mais c’est seulement à l’Ascension que le ciel leur est ouvert, *735-736. DÉVIATIONS RELIGIEUSES, voir formations religieuses aberrantes. 2152 TABLE ALPHABÉTIQUE ÜEWAILLY, L.-M., à quelle propriété de l’Église rattacher l’acti­ vité missionnaire, 1951 ; l’activité missionnaire s’adresse non seulement aux Gentils, mais encore aux dissidents, 2011. DlDACHÈ, sur l'eucharistie, 1123. DiLLENSCHNEIDER, Clément, *701. DISSIDENCES, les formations dissidentes sont constituées non par le péché de schisme et d'hérésie, mais par un patrimoine de schisme et d’hérésie, ’30, 1199-1200, 1333-1334; à l'origine il est difficile qu’il n’y ait pas pertinacité et donc péché, mais ce n'est pas ce péché qui se transmet, *30, 1226; les critères de dissidence sont donc manifestes, *35; définition d’une Église dissidente, 1194, 1576 ; la forme des Églises dissidentes est antithétique et tra­ gique, 1200-1202 ; en vertu du principe de dissidence elles tendent à s’éloigner toujours davantage de l’Église, en vertu des motions de l’Esprit saint et de ce quelles ont conservé de la révélation, elles tendent à s’en rapprocher, *723-724, 1151-1153, 1200-1202, 1209-1211,2044-2045, 2082-2087; ce qu’on dit des privilèges de la vraie Église, convient aux dissidences, à proportion de ce qu’elles ont gardé de la vraie Église, *79 ; cela vaut pour la visibilité, *79, les propriétés et les notes, 1932-1933, le miracle et le martyre, 2024-2025 ; les membres d’une Église dissidente peuvent être justes ou pécheurs, fidèles ou infidèles, 1209-1215; les justes tra­ vaillent toujours, fut-ce inconsciemment, contre le principe de dissidence, 1800-1801 ; ils peuvent constituer des blocs qui inaugurent l’Église romaine au sein même des dissi­ dences, 1211-1215, 1576-1578; elle est présente, en effet, au cœur des dissidences, soit en acte achevé, par les petits enfants validement baptisés 1197-1199, soit en acte initial, par tout le bien qui s’y fait, qui ne lui manque pas, 1970-1974, mais qui reste inextricablement mêlé au prin­ cipe de dissidence, comme la vie et l’infirmité sont inextri­ cablement mêlées dans la claudication, 1960-1961, 1970-1973; TABLE ALPHABÉTIQUE 2153 en raison même de la forme antithétique qui les habite, les Églises dissidentes ne peuvent être regardées comme les branches de la Catholica, 1202-1203, 2043-2044; disposi­ tions canoniques concernant les dissidents eux-mêmes, 1215-1217, et ceux qui participent à leur culte, 1217-1222; jugement de Newman sur l’Église anglicane, 1203-1205 ; Soloviev n’a pas su dégager le concept de dissi­ dence, 1241 ; voir anglicans, formations religieuses aberrantes, orthodoxes, protestants. DONATISTES, ils sont les brebis errantes du Christ, 1099; Augustin leur oppose les prophéties qui annoncent une Église catholique, c’est-à-dire diffusée par toute la terre, 2034-2038. Dondaine, A., *766. DORSAZ, A., il voit très bien que l’union d’inhabitation est non seulement morale mais réelle, *474 ; critique de sa thèse sur notre parenté avec les personnes divines, *467, *475479. DOSTOÏEVSKI, Fiodor, le Christ descendu de la Croix, *747 ; impasse où le jette sa méconnaissance de la catholicité trans­ politique, 1573-1575 ; Pie IX lui apparaît comme le grand inquisiteur, 2053. Dublanchy, E., 1406. DüCHESNE, Louis, sa réponse au patriarche Anthime de Constantinople, 1235. DUHR, Joseph, *748, 1651. Dumont, C.-J., 1213, 1230, 1419. DURAND de Saint-PoURÇAIN, voulait ajouter une filiation adoptive à la filiation naturelle du Christ, *455. DVORNIK, Fr., son livre sur le schisme de Photius, 1421-1430. DïOVOUNIOTÈS, K. I., nécessité d’un concile œcuménique dans l’Église orthodoxe, 1237. 2154 TABLE ALPHABÉTIQUE ECKART, le juste serait générateur du Verbe, *463-464, *917. ÉGLISE romaine, elle est issue de la hiérarchie, mais est plus vaste et meilleure que la hiérarchie, *9-10, *449, 1083-1084; on ne doit pas la scinder en deux parties, en opposant en elle société et communauté, visible et spirituel, juridique et mystique, danger de ces dichotomies, *10, *152-154, *183184, *187, 1569-1570; elle est comme le Christ mysté­ rieuse et visible, c’est-à-dire visible comme porteuse du mys­ tère du salut du monde, *10, *75-77, 1579-1580, 2021 ; il y a distinction seulement conceptuelle, mais identité réelle entre l’Église et le corps du Christ, l'épouse du Christ, la cité de Dieu, le royaume de Dieu, la communion des saints, *11, *141-162, *202, *926-927, 1105, 1623; son état pré­ sent de l’exil est ordonné à son état futur de la patrie, *164 ; elle est d’abord les prémices de l'univers rassemblées autour de la croix du Christ, avant d’être la plénitude de l’univers rassemblé dans la gloire du Christ, *12, *200-201, *295304, *336-337 ; elle ne forme avec le Christ suppliant qu’une seule per­ sonne mystique suppliante, dans l’ordre de la supplication le Christ est la personnalité mystique rédemptrice suprême de l’Église, *12, *368, *400; dans l’ordre de l’efficience, la Trinité, l’Esprit saint, est sa personnalité efficiente suprême, *13-14, *829-841, *886, qui la conduit suivant une provi­ dence spéciale, *20, *810-813, 1516, en sorte quelle est non pas sans pécheurs, mais sans péché, *156-157, 14821486, 1528-1529, 1804-1827; la sainte humanité du Christ est sa personnalité efficiente instrumentale, *13-14, *417-420; en répandant sur elle le trop plein de sa grâce capitale et du triple privilège de son sacerdoce, de sa royauté, de sa sainteté, il la rend pleinement christique et christoconforme, *420-571, *963-969, 1026-1034, 1035-1080; et il fait d’elle, à un degré inconnu avant la loi nouvelle, d’une manière non pas discontinue, mais continue, 1172, la demeure collective de la Trinité, *889-898, *922-927 ; elle est la Femme vêtue de soleil qui existe depuis le com­ mencement de notre temps historique, sous les régimes de la loi de nature et de la loi mosaïque, *491-495, *713-717, TABLE ALPHABÉTIQUE 2155 1792-1793, qui atteint sa plénitude comme collectivité avec les missions visibles du Verbe et de l’Esprit, *759-767, au temps de la présence du Christ, où elle est tout entière condensée dans la Vierge, *733-738, et au temps de l’Esprit saint, qui ne cessera de la visiter invisiblement, *771-784, et dont la puissance la portera de Pentecôte à la Parousie, 1949 ; elle entre dès lors dans les derniers jours, où elle est tout entière messianique puisqu’elle ne vit que de la pre­ mière venue du Christ, et tout entière eschatologique puis­ qu’elle ne soupire qu’après sa seconde venue, *38-39, *148149, *155, *161-162, *319-321, 1452; elle peut connaître diverses réalisations historiques, mais a désormais passé sous son régime définitif, et ces réalisations ne seront que les divers états d’une même Église, 1959-1960 ; constituée en se serrant autour du Christ, prêtre, roi, saint, elle est le noyau solide de la nébuleuse du salut, 1785 ; elle rassemble autour d’elle tout ce qu’il y a de vie surnatu­ relle dans le monde, 1508-1509, 1730-1737 ; hors d’elle, pas de salut, 1752-1803 ; elle est présente à l’état inchoatif au sein des dissidences, du judaïsme, de l’islam et des for­ mations religieuses préchrétiennes, par tout ce qu’ils peu­ vent contenir de valable, 1328-1346; elle est plus vaste et plus pure que nous ne savons, 1803 ; elle franchit les fron­ tières de ce monde, elle est souffrante en purgatoire et glo­ rieuse au ciel, 1109-1111, 1900-1902 ; elle est transcendante à toutes les formations politiques, 1570-1575 ; tant que dure notre temps historique, son rap­ port avec l’ordre des cités temporelles est régi par une loi antitotalitaire infrangible de dualité, *69-72, *300, 1535, 1636, 1647, 1970 ; c’est à la fin du temps que tout ce qui méritera d’être sauvé des acquisitions de l’ordre culturel confluera dans l’Église, et que régnera seule la loi d’unité, *301-302, *312-314 ; voir âme de l'Église, cité de Dieu, corps de l’Église, corps mystique du Christ, définitions, épouse, peuple de Dieu, prophétie, royaume de Dieu, royauté, sainteté, spiri­ tuel et temporel, univers de rédemption. ENFANTS, les petits enfants privés du baptême et de la foi ne sont membres du Christ et de l’Église qu’en puissance, 2156 TABLE ALPHABÉTIQUE 1719 ; le sort des enfants non baptisés, 1267-1287 ; l’enfant baptisé est l'objet d'une mission invisible des personnes divines, *774-775, et la Trinité vient habiter en lui, *848849 ; les petits enfants baptisés validement dans les dissi­ dences, ou même dans les sectes hérétiques, sont catho­ liques, 1197-1199, 1736; la première enfance est le seul temps où soit possible une ignorance absolue non coupable des données de la foi, 1266 ; le premier acte de liberté met l'enfant en demeure de choisir pour ou contre Dieu et son Église, 1303, 1307-1317; un enfant baptisé qui, dans son premier acte de liberté, refuserait de croire pécherait par infidélité, non par hérésie, 1321, mais si, après avoir pro­ fessé la foi, il la refusait, il y aurait hérésie, 1328 ; voir béati­ tude, limbes des enfants. Enseignement, la vérité divine est communiquée aux hommes immédiatement par voie de révélation ou médiatement par voie d’enseignement, 1070, 1137-1140, 1295, 1299-1302; le magistère lui-même est enseigné du dehors pour être enseignant au-dehors, 1070-1073 ; la proposition de l’Église entre normalement dans l’objet formel de notre foi, non pour en fonder la valeur mais pour en déterminer le contenu, 1295-1298; l’enseignement de l’Église est la forme suprême de la prophétie, *427 ; il est assisté à divers degrés, 1073, 1453-1456, 1515-1528; par son contenu il est messianique et eschatologique, *425-427, 1459; la nécessité évangélique d’une instruction extérieure pour le salut du monde, 1066-1069 ; le mystère de la communica­ tion de la vérité par voie d’enseignement est scruté par les saints, *838-839, 1068-1069; l’enseignement de l’Église doit être intériorisé suivant le cas par l’obéissance théologale de la foi, ou par l’obéissance morale surnaturelle, 1074-1076, 1140 ; il est meilleur pour le pape d'adhérer par la foi théologale à une vérité que de la définir solennelle­ ment, 1076; l’enseignement de l’Église est appuyé par les miracles, *421-422, *435, 1459-1463 ; voir credibilia, igno­ rance invincible, juridiction, obéissance, révélation. TABLE ALPHABÉTIQUE 2157 ÉPOUSE du Christ, on peut parler du mariage de la nature humaine et de la nature divine dans le Christ, mais il est préférable de réserver ce nom à l’union du Christ et de l’Église, *233-234 ; la grâce de 1 Épouse est la grâce, en tant que donnée par le Christ à la créature qui l’aime en retour, *571-575, *724; cette grâce offre deux réalisations, l’une personnelle en la Vierge, l’autre collective en l’Église, *725 ; la Vierge et l’Église sont immaculées, *669-675, *742-743 ; la Vierge et l’Église sont corédemptrices du monde entier, *675-713, *745 ; la Vierge et l’Église ont pour loi de ressusciter et de monter au ciel dès que leur vie est achevée, *746-753 ; comment l’Église est corps et comment elle est épouse, *146-148 ; la comparaison biologique et la comparaison nuptiale, *233, *242 ; selon la première comparaison l’Église est mystiquement le Christ, selon la seconde, elle est mystiquement un autre Christ, *959-961 ; l’humanité tout entière est conviée, mais c’est dans l’Église quelle est Épouse, *234 ; liens de l’Esprit et de l’Épouse : les anciens considéraient la Vierge, réceptacle de l’Esprit, comme Épouse du Christ, *718 ; entre le Verbe et le Christ, qui sont un par l’union d’incarnation, et l’Esprit et l’Église, qui sont un par l’union d’efficience et d’inhabitation, il y a parallélisme : le dialogue du Christ et de l’Église, de l’Époux et de l’Épouse, est au sommet un dialogue du Verbe et de l’Esprit, *717-719, *813-814, *841-843 ; le Verbe a conduit le cours temporel de la vie du Christ, de l’Annonciation à l’Ascension, comme l’Esprit conduit le cours de la vie tem­ porelle de l’Église, de Pentecôte à la Parousie, *532-538, *951, 1059-1060 ; le culte messianique et eschatologique de l’Épouse, 1452; le prix de sa prière d’intercession, 1387, 1390 ; de deux manières dont l’âme est épouse, l’une com­ mune, l’autre suprême, *571-575· Eschatologie, en quel sens on peut distinguer les mots eschatologique et anagogique, *155, *164 ; l’eschatologie est entrée dans le temps avec le Christ, *149, *161-162, 1624 ; le temps eschatologique va de la première à la seconde venue du Christ, *155; toute l’Apocalypse est eschatolo- 2158 TABLE .ALPHABÉTIQUE gique, *161-162; la parousie en tant qu'intériorisée réunit les deux aspects du christianisme, l’eschatologique et le moral, *203-204, *320 ; un mot résume tout le christia­ nisme : le Seigneur est proche, *320 ; le culte, l’enseigne­ ment et les miracles, la sainteté de l’Eglise sont messia­ niques, en tant qu'ils continuent la première venue du Christ, et eschatologiques, en tant qu’ils annoncent la seconde, 1452, 1459, 1463 ; la place de l’eschatologie dans l'ecclésiologie protestante de ces dernières années, *179181, 1452-1453. ESPRIT saint, sa procession à partir du Père et du Fils, 14221423, 1428-1429; il signifie souvent par appropriation la Trinité tout entière, *787-793 ; il était présent dans l’Ancien Testament, mais pas avec la même plénitude que dans le Nouveau, *765-767, *782, *886, *924-925, 1175; les quatre missions visibles de l’Esprit sont consécutives à la mission visible du Verbe et sont ordonnées à la fondation de l’Église, *505, *510, *761-764 ; elles s’achèvent dans la mis­ sion de Pentecôte, *783-784 ; ce qui dans cette dernière mission convient à l’Esprit soit en propre, soit par appro­ priation, *508-510 ; la mission visible de Pentecôte ouvre le troisième âge du monde, où les richesses de la grâce capitale du Christ, qui est la tête, sont reversées par l’Esprit sur l’Église, qui est le corps, *504-505 ; pourquoi le Christ devait remonter au ciel avant de nous envoyer l’Esprit, *514-521 ; en tant qu’il désigne la Trinité tout entière, l’Esprit saint est l’Âme incréée de l’Église, *787, *980 ; tout d’abord, il est le suprême Principe efficient de l’Église, *793-799, *886887 ; il la conduit par une providence toute spéciale, *810815, pour quelle soit sans tache ni ride, 1482-1485, il est à ce titre le suprême sujet d’attribution de ses démarches, *808-814, *829-841, disons: sa Personnalité efficiente suprême, *798-799, *815; il la régit et la remplit, *832841, il meut chaque membre comme une partie du tout, 1105-1107 ; il y a analogie, proportion, entre la manière dont le Verbe a conduit le cours de la vie temporelle du Christ et celle dont l’Esprit conduit le cours de la vie tem­ porelle de l’Église, *530-538, *951, 1059-1060; puis il est TABLE ALPHABÉTIQUE 2159 l’Hôte de l’Église, dont elle s’empare, au ciel par la vision béatifique, et ici-bas par la charité et les dons, *866-875, *887-891, ce n’est pas assez, en effet, de la remplir de ses dons, il se donne lui-même à elle, ses dons christoconformants étant l'ultime disposition qui la rend apte à l’ac­ cueillir en elle, *536-537, *885, *922-927, 1175-1176, 1784-1785 ; la double sigillation créée du caractère et de la grâce sacramentels est le gage de sa propre Sigillation incréée, *855-857, 1038, 1064; enfin, pour que soit pos­ sible l’union d’inhabitation, qui est non seulement affective mais effective, il faut que la Déité devienne intentionnelle­ ment et immatériellement la Forme cognoscitive de la vision du ciel, et la Forme amative de la charité de la terre, *866875, *894-901 ; l’Esprit saint ne cesse de visiter et de renouveler l’Église par des missions invisibles, *771-784; il exerce son influence animatrice sur toute l’Église, mais directement sur les membres justes, et indirectement sur les membres pécheurs, 1166-1171, 1555-1557, 1564, 1786-1788 ; cette influence reste entravée chez les justes des dissidences et des formations religieuses non chrétiennes, 1565, 1991-1992; voir âges du monde, habitation de la Trinité, missions divines, Pentecôte, personnalité de l’Eglise, Trinité. ESTIUS, l’Église n’est sans tache que dans ses membres excel­ lents, 1820. ÉTATS de VIE, les états extérieurs de vie créent des différencia­ tions profondes dans le corps de l’Église, 1612 ; leur défini­ tion, 1670-1671 ; la cléricature et le laïcat sont des états de vie, caractérisés par une inégale répartition des activités chrétiennes, 1637-1669 ; le mariage et le célibat, 1669-1675 ; la vie commune et la vie parfaite, 1675-1698 ; la vie parfaite religieuse et la vie parfaite épiscopale, 1698-1705 ; au cœur de toutes ces différenciations du corps de l’Église doit brûler l’amour, 1712-1714 ; pour Luther, laïques et clercs relèvent du même état de vie, *602. EUCHARISTIE, l’âge de l’Esprit saint est l’âge de l’eucharistie, *519-521 ; le baptême et la confirmation donnent l’être et 2160 TABLE ALPHABÉTIQUE le mouvement dans le Christ, l'eucharistie la plénitude de la vie, 1118-1119 ; la grâce du baptême est ordonnée à celle de l’eucharistie, dont elle est comme un vœu et une anticipa­ tion ontologique, 1120; l'eucharistie est, en effet, la consommation de la vie spirituelle et la fin de tous les sacre­ ments, 1120 ; la réalité quelle effectue est l'unité du corps mystique hors duquel il n'y a pas de salut, 1120-1121 ; elle nous rend concorporels au Christ en solidarisant jusqu’à nos destinées corporelles avec les destinées corporelles du Christ, *824 ; participer à l’eucharistie de l’évêque, c’est participer à l'Église de l'évêque, 1377 ; exténuer le mystère de l’eucharis­ tie, c’est exténuer le mystère de l’Église, 1127-1129; sur l’eucharistie comme sacrifice, voir messe. ÈVE ET MARIE, le parallèle de la première et de la seconde Eve rappelle d’abord que l’une et l’autre ont été créées sans péché, immaculées, *675 ; le même parallèle est utilisé par les Pères pour opposer les sorts contraires d’Ève et de Marie, préparant, l’une, docile au Serpent, notre catastrophe, l’autre, docile à l’Ange, notre rédemption, *696-699 ; enfin le parallèle peut porter sur la coopération immédiate de l’une à l’acte du péché d’Adam, et de l’autre à l’acte de la rédemption du Christ, *704 ; Marie et l’Église sont les deux réalisations, l’une personnelle, l’autre collective, de l’Ève de lumière, *742-742, *744, *753. Excommunication, à la différence du schisme, elle n’est qu’une mesure canonique, déchirant directement un lien canonique, à savoir l’unité du comportement social, *35, 1383-1386; elle a des effets spirituels très graves, mais atteints moyennant les dispositions canoniques, 1386-1394; l’éventualité d’une excommunication injuste, 1394, 15191520. EïCK, Hubert et Jean van, le retable de l’Agneau mystique, *341-343. FaUSTUS, le manichéen, oppose les guerres de Moïse à la dou­ ceur du Christ, *133-134, le charnel de l’Ancien Testament au spirituel du Nouveau, *134. TABLE ALPHABÉTIQUE 2161 Feckes, Karl, *761, *794. FEMME, vêtue de soleil, qui enfante, est l’Église éternelle au moment suprême de son existence, *713-717 ; par là est introduite la question de la place de la Vierge dans le temps de l’Église, *732 ; voir épouse, Esprit. Filiation adoptive, le Christ n’est pas fils adoptif, *454-462, *468 ; parallèle entre la filiation naturelle du Christ et notre filiation adoptive, *460-462, *464-467 ; la filiation adoptive n’est pas une propriété métaphysique de la grâce, *457, *468 ; nous sommes fils de toute la Trinité, c’est par appro­ priation que nous sommes fils du Père, *461 ; la filiation adoptive chez les anges, *469, chez Adam, dans la loi ancienne, dans la loi nouvelle, *492-495 ; la grâce de la filia­ tion reçue du second Adam est meilleure que celle du pre­ mier, *378-379, *480-485 ; « en preuve que vous êtes fils, Dieu a envoyé l’Esprit de son Fils dans vos cœurs », *854 ; en quel sens nous sommes frères du Christ, *465-467 ; « je monte vers mon Père et votre Père», *477, *616; en quel sens la grâce qui vient du Christ est filiale, *454, *528, 1051-1052 ; voir adoptianisme, adoption. FOERSTER, F. W., l'incarnation suscite une réplique de l’Antéchrist, 1946. Foi, le contenu de la foi est proposé à tout homme par voie de révélation ou d’enseignement, 1066-1068, 1295-1307; depuis le Christ, la proposition de l’Église entre normale­ ment dans le motif formel de notre foi, non pour en fonder la valeur, mais pour en déterminer le contenu, 1296-1298 ; l’unité de l’Église repose d’abord sur la foi, 1349, mais la foi sans la charité est incapable de définir l’unité essentielle de l’Église, 1154-1162; foi implicite et foi explicite, 1265, possibilité d’un stade imparfait où la foi est encore précon­ ceptuelle, volitionnelle, inconsciente, 1307-1317; la foi divine et catholique, 1195; voir credibilia, enseignement, obéissance, révélation. Foi (BONNE), elle suppose une ignorance invincible, c’est-à-dire non coupable, laquelle est absolue ou totale, quand elle porte sur les premiers credibilia, relative ou partielle, quand 2162 TABLE ALPHABÉTIQUE elle porte sur d'autres points de foi, 1263-1265 ; l’ignorance de bonne foi des premiers credibilia n’est possible que dans l'enfance, 1266, non chez les adultes, 1288-1291 ; antérieu­ rement à la connaissance notionnelle il y a place pour une connaissance volitionnelle, 1307-1317; l’ignorance de bonne foi des autres points de la révélation reste fréquente, 1290, 1293 ; on peut connaître même assez bien la doctrine chrétienne sans se convertir ni être nécessairement de mau­ vaise foi, 1404-1409 ; voir ignorance invincible. Florand, E, *260-261. Formations religieuses aberrantes, elles sont constituées par la transmission non pas du péché d’infidélité, mais d’un patrimoine d'infidélité, 1198, 1799; outre les Églises héré­ tiques et schismatiques, qui sont possibles, 1195-1196, mais que leur dialectique interne tend à transformer en Églises dissidentes, 1197-1215, 1345-1346, on rangera dans les formations religieuses aberrantes: le judaïsme, 1321-1323, 1331-1333, 1342-1344, l’islam, 1334-1336, les déviations religieuses d’origine préchrétienne, 1330-1331, 1338-1342; dans toutes ces formations le blé et l’ivraie croissent ensemble, 1799-1801, le bien et le mal sont joints comme la vie et l’infirmité dans la claudication, 1971, mais le bien qui s’y fait ne manque d’aucune manière à l’Église, 19721974, 2080-2082; voir dissidences, Gentils, infidélité, islam, judaïsme. FRANÇOIS D’Assise, en face de saint Louis qui est le saint de la croisade, il est le saint de la mission, 1997 ; son panégyrique par Bossuet, 1681. FRANÇOIS de Sales, l’âge de la rédemption est meilleur que l’âge de l’innocence, *282 ; la mort de Marie, *749 ; l’obéis­ sance au magistère, *839 ; au ciel la divinité elle-même s’ap­ pliquera à notre entendement pour lui tenir lieu de repré­ sentation, *22, *870. Frankl, Stanislas, *97. FROGET, Barthélemy, *851. TABLE ALPHABÉTIQUE 2163 Gandhi, 1789. Gardeil, A., la présence d’immensité conditionne la présence d’inhabitation, *844-845 ; Dieu habite en nous par la charité, ’850 ; la présentation immédiate des premiers credibilia, 1302. GarriG0U-LaGRANGE, R., si l’homme n’avait pas péché Dieu ne se serait pas incarné, *658 ; l’incarnation n’est pas subor­ donnée à la rédemption, *216; en quel sens la maternité divine est cause de toutes les grâces de Marie, *664-665 ; la raison théologique de l’Assomption, *749-750 ; la Trinité habite dans l’enfant baptisé, *849 ; c’est un précepte de tendre à la perfection de l’amour, *567 ; en quoi consiste la perfection chrétienne, 1691 ; en quel sens la persévérance finale demande un secours spécial, *174-175 ; la cognoscibilité du miracle, 2028 ; vocabulaire scolastique et vocabulaire mystique, *878-879. GaSPARRI, cardinal, l’âme de l’Église, *933, 1079; définition de l’Eglise, *954 ; le clergé et les partis politiques, 1665. GAUVAIN, Jean, *430, 1212, 1250, 1417. Gay, Mgr, l’Église est pour le Christ une humanité de sur­ croît, ’962. GENTILS, ce sont les peuples groupés dans les grandes dévia­ tions religieuses d’origine préchrétienne, 1330-1331 ; ils ne sont pas nécessairement des païens, des infidèles, des ido­ lâtres, 1338-1342; Pie XI substitue le mot «ethnici» au mot « infideles » dans son encyclique, 1982 ; ils sont illumi­ nés partiellement par le Christ selon Justin et Clément d’Alexandrie, 1764; l’infidélité païenne, 1320, ou perfidie païenne, 1341; la prière pour les Gentils, 1338-1342; réponse de saint Thomas à la question des Gentils : pour­ quoi le Christ a-t-il tant attendu, *495-496 ; voir formations religieuses aberrantes, infidélité, missiologie, révélation. Gide, André, 1506, 1872. GlLSON, Étienne, certains ont inclus l’État dans la définition de l’Église, *110, est-il vrai que pour Augustin l’Église n’est pas la cité de Dieu ? *112-114, *182 ; le rôle pentecostal du Christ dans la Quête du Graal, *514. 2164 TABLE ALPHABÉTIQUE Glorieux, chanoine, 1994. Godin, abbé, 1990. GODOI, Pierre de, le Christ aurait mérité la grâce essentielle des anges, *294. GONET, J.-B., l’âge de la rédemption est meilleur que l’âge de l'innocence, *284-285 ; le Christ aurait mérité pour les anges des grâces d’illumination, *289 ; la peine du dam est finie absolument, et infinie sous un aspect, *349 ; le mérite diffère de la satisfaction : nous méritons pour nous, nous satisfaisons à Dieu, *380 ; en quel sens la satisfaction du Christ lui paraît de tout point surabondante, *388. GRABMANN, Martin, les âges du monde, *487-488, *768 ; la conception du cœur chez saint Thomas, *794. GRACE CAPITALE du Christ, au sens large, elle inclut les trois privilèges majeurs du Christ : son sacerdoce, sa royauté pro­ phétique, sa sainteté, *436, 1021-1034; au sens strict, elle désigne le troisième et le meilleur de ces trois privilèges du Christ, à savoir sa sainteté ou grâce sanctifiante, 1022, 1030 ; cette grâce sanctifiante est un effet de la filiation naturelle du Christ, *454, elle résulte de l’union hypostatique, *659, 1044 ; du fait de cette union, elle reçoit, dans le Christ, une perfection exceptionnelle, qu’il n’aurait pu com­ muniquer, même s’il avait conféré à un pur homme son pouvoir d’excellence, 1023, 1030, 1042; on peut dire quelle est infinie, *471, car elle est la source inépuisable de toutes les grâces, *487, *499-501, *661, 1031-1032, 1044, 1057-1059 ; elle avait la puissance de transfigurer le Christ, *530 ; on peut reconnaître en elle trois modalités fonda­ mentales : connaturalité, plénitude, filialité, *451-454, et trois modalités temporaires : elle illuminait sans les éliminer les épreuves du Christ, *530-531, elle était en lui comme un poids de gloire et comme un poids de croix, *533-534, elle était au principe de son œuvre rédemptrice, *550 ; ces six modalités peuvent se réduire à trois : connaturalité, pléni­ tude, dynamisme, 1043-1047; la grâce du Christ est la grâce en source, c’est la grâce de l’Époux, la grâce de l’Église est la grâce de qui est d’abord aimé et aime en retour, c’est la TABLE ALPHABÉTIQUE 2165 grâce de l’épouse, *571, *724; similitude de la grâce du Christ et de la grâce de l’Église, 1042-1043. christoconformante, qui fait l’Église, peut être christique simplement parce quelle est méritée par la passion du Christ en croix, *491, telle était la grâce don­ née au monde par anticipation, sous les régimes imparfaits mais normaux de la loi de nature et de la loi mosaïque, *491-492, l’Église n’existait alors qu’en acte initial, *492493, 1047-1048, 1792-1796, 1801 ; depuis le Christ, la grâce devient en outre christique par dérivation, en ce sens que partant de Dieu elle traverse la sainte humanité du Christ avant de toucher le monde, ’204-207, *450, 1801, dès l’instant de l’incarnation, en effet, le Christ est tête de l’Église d’une manière nouvelle, ’498, *735, 1048, 1614; mais la dérivation peut se faire imparfaitement et à distance, *501, *735, c’est ainsi qu’au temps où le Christ était en Palestine la grâce qui sortait de son cœur se répandait sur toute la terre, 1048, 1796, ce n’était là qu’un régime temporaire, destiné à s’effacer devant un régime meilleur, *516-519, *519-520, 1797, il repré­ sente, partout où il subsiste encore, un statut anormal, où l’Église ne peut exister qu’en acte entravé, *501, 1798, 1802, 1991 ; la dérivation peut se faire parfaitement et par contact, ’501-503, 1802, et tout d’abord, il y a le contact unique, supérieur à toute l’économie sacramentelle, du Christ avec sa Mère, en qui toute l’Église de l’âge de la présence du Christ, de l’Annonciation à l’Ascension, est alors rassemblée, ’738-741, jamais la grâce de l’Épouse n’aura été si intensé­ ment christique et christoconformante, *742 ; il y a le contact commun, mais provisoire, du Christ avec ceux qui l’approchent avant le temps de sa passion et de son ascension, *498, *501, la grâce n’est pas encore pleinement christique, *502, *735 ; il y a enfin le contact qu’il va rendre définitif avant son ascension, en laissant sur terre, comme moyen par lequel il continuera de nous toucher, les signes et vertus sacramentels, surtout de l’eucharistie, et les directives juridictionnelles divinement assistées, *519-521, 1052-1060, GRÂCE CHRISTIQUE ou 2166 TABLE ALPHABÉTIQUE 1101-1102, 1115-1129, 1135-1147; la grâce donnée aux hommes de cette manière est pleinement christique et christoconformante, *966-968, 1040-1043, 1047-1064, c’est la grâce sacramentelle et orientée, qui est l’âme créée de l'Église, 1085 ; voici donc, après l’âge de la présence du Christ, ou de la grâce unique de la Vierge, l'âge de l’Esprit saint, ou de la grâce formatrice de l'Église en acte achevé, *501, *520523, *741 ; toutes les modalités que la grâce sanctifiante a dans le Christ se retrouvent dans la grâce qu’il communique à son Église : connaturalité, plénitude, filiation, *451-454, elle est sanctificatrice des épreuves, *530-532, elle est dans l’Église comme un poids de gloire et un poids de croix, *533-550, elle est corédemptrice, *550-568, la connatura­ lité, la plénitude, le dynamisme de la grâce du Chef se retrouvent dans la grâce du corps, 1040-1047, 1050-1060, 1101-1102 ; la difference entre la dérivation par contact et la dérivation à distance s’efface au ciel, et depuis quelle a commencé de dériver en eux du Christ, toute la grâce des anges est devenue christique, *289-292, *485 ; la grâce sanctifiante est de même espèce chez les anges et chez les hommes, 1043, et sous les divers états de la nature humaine, 1051-1052, elle est une participation formelle immédiate de la nature divine en tant que nature, formelle médiate de certains attributs divins, virtuelle des autres attributs divins, *456-460 ; la grâce chrétienne est plus enra­ cinée en nous que la grâce même de l’innocence, 1054; la grâce sacramentelle n'est pas discontinue (Cajetan) mais continue (Jean de Saint-Thomas), 1102-1103; voir âge du monde, charité, sacrements. GRÉGOIRE le Grand, S., faut-il obéir aux sentences injustes ? 1524. GRÉGOIRE de Nazianze, S., Dieu s’est fait homme pour nous diviniser, *275 ; Marie est Théotokos, *656. Grégoire DE Nysse, S., l’Église est le Christ, *255 ; échange des propriétés divines et des propriétés humaines dans l’incarnation, *269 ; comment toutes choses sont récapitu­ lées dans le Christ, *278-279. TABLE ALPHABÉTIQUE 2167 Grentrup, Th., 1995, 2006, 2010. GriGNION DE MONTFORT, S., les apôtres des derniers temps, *728-729 ; les trois déluges, *733. Grisar, Hartmann, variations de Luther sur le point de la visibilité de l’Église, *81 ; témoignages protestants réagissant contre la thèse de l’invisibilité, *81 ; Luther volatilise le corps mystique, *582. GROOT, J. V. de, comment entendre la visibilité de l’Église, *75 ; l’âme créée de l’Église, *931. GROSCHE, Robert, signale l’opposition, que certains n’auraient pas encore surmontée, entre deux concepts de l’Église, l’un posttridentin, polémique, juridique, l’autre paulinien, pri­ mitif, mystique, *153-154, *183; comment triompher de cette opposition, *186-187 ; son opinion sur le livre Pilgernde Kirche, *194 ; sa critique de Dom Ansgar Vonier, *201, *337. GuÉRARD DES LAURIERS, L. B., l’Esprit procède du Père et du Fils, 1428. GUERRY, E., une opinion sur l’Action catholique, 1666. Guillaume de Saint-Thierry, l’homme devient par grâce ce que Dieu est par nature, *208. HABITATION de la Trinité, ou, par appropriation, habitation de l’Esprit saint, *849-850, *882 ; elle est désirée par Dieu, *881 ; elle est conditionnée par l’apparition de la grâce, *537, 1175-1176 ; causalités réciproques de I’inhabitation et de la grâce, ’853-857, 1175-1177 ; l’habitation et sa pléni­ tude sont fonction de la grâce christique et de sa plénitude, *857-862, *885, *922-927, 1019-1020, 1177, 1561, 1784; elle existait chez Adam et avant le Christ, mais non comme maintenant sous la loi nouvelle, *536, *886, 1175-1176, elle n’est plénière que dans l’Église en acte achevé, *857862, ‘922-927 ; « l’Esprit n’avait pas encore été donné car Jésus n’avait pas encore été glorifié», *764-767, *886, *925, 1176; 2168 TABLE ALPHABÉTIQUE l'habitation est une union d’amour réelle et affective, *851-852, *872-873, *892-898, l’âme s’emparant de Dieu par la charité et les dons, *873, *896 ; elle se fait suivant l’être intentionnel de la charité, *457-468, *871-875, *898901 ; le mystère de l'inhabitation dans la nuit de la foi ne s’éclaire que par le mystère de l'inhabitation dans la clarté de la vision, *844-846, *866-875, *882-885 ; l’Église du temps est l’habitation où les hommes, en tant que surélevés par la grâce christique, accueillent la Déité, *885, l’Église du ciel est l’habitation où les anges et les élus, divinisés par la lumière de gloire et la charité béatifique, accueillent la Déité, *882 ; voir âme de lTgli.se, missions divines, Trinité. HaLLAJ, un texte sur l’amour divin, 1335-1336. Hamer, Jérôme, 1832, 1838. Herbigny, Mgr d’, 1240-1251. HÉRÉSIE, pour les anciens, elle est toujours un péché contre la foi, *29, 1179-1187 ; les modernes ont voulu distinguer une hérésie-erreur et une hérésie-péché, des hérétiques matériels et des hérétiques formels, 1188-1193 ; l’hérésie est une infidélité par désertion ou arrachement, 1323-1328, 1719-1720; les Salmanticenses donnent un sens générique au mot hérésie, mais on peut le réserver au rejet du christianisme, 1325 ; les trois éléments requis pour qu’il y ait hérésie : erreur en matière de foi, pertinacité, rejet d’une révélation d’abord professée, *32-33, 1180-1181, 1347 ; que signifie le mot de Bossuet: l’hérétique est celui qui a une opinion particulière, 1349 ; la pertinacité ne peut être connue que d’une manière probable, 1353, la notion empirique des canonistes, 1183, 1354 ; l’hérésie détruit l’unité de l’Église radicalement, 1351, 1356; le concept d’Église hérétique, 1195-1197; l’héré­ tique tient encore à l’Église, mais par une appartenance qu’il renie, 1096-1100, 1720-1721 ; la situation des hérétiques occultes, *945, 1352, 1724-1727 ; le diable et les hérésies, 1211 ; en quel sens l’hérésie est un schisme invétéré, 1383 ; TABLE ALPHABÉTIQUE 2169 nécessité de distinguer entre le péché d’hérésie et le patri­ moine d’une hérésie, 1198 ; si une proposition peut être de soi hérétique, ou si l’héréticité est toujours une situation ? 1327 ; selon saint Augustin, ceux qui soutiennent sans perti­ nacité une doctrine contraire à la foi ne doivent d’aucune façon être rangés parmi les hérétiques, 1355 ; voir dissidences, foi, infidélité. HIÉRARCHIE, elle donne naissance à l’Église, *65 ; sans elle il n’y a pas d’Église en acte achevé, 1613-1616, mais elle n’est pas l’Eglise, ni même sa part la plus précieuse, *119, 1083-1084, 1515-1529, 1620-1626 ; le traité de la hiérar­ chie ne saurait être le traité de l’Église, *9 ; elle prolonge au milieu de nous le sacerdoce et la royauté du Christ, *46, 1616; par elle, le culte inauguré sur la croix du Christ, et qui reste jusqu’à la parousie l’axe de l’Église militante, se continue dans le sacrifice de la messe et la dispensation des sacrements, *436-439, 1026-1030, 1036-1037, 1446-1453, 2047-2050, 2070-2071 ; par elle encore, l’enseignement royal et prophétique du Christ, qui reste jusqu’à la parousie la lumière de l’Église militante, se continue dans les direc­ tives juridictionnelles, *423, 1032-1034, 1066-1080, 1145-1147, 1454, 2050, 2071-2073; l’assistance qui sou­ tient les pouvoirs juridictionnels est, à ses divers degrés, la réalisation suprême de la prophétie chrétienne, *427-429, 1455-1456 ; rapports de la prophétie hiérarchique à la pro­ phétie privée, *433-435, *838-841 ; division des activités chrétiennes en activités hiérarchiques et en activités non hiérarchiques, 1620-1621 ; dans quelle mesure l’Église tout entière est-elle christique en raison des activités hiérarchiques ? 1618 ; l’ordre de la charité exige la création de hiérarchies indigènes, 1996-2004; les attaques de Luther contre la hiérarchie, *600-605 ; voir caractères sacramentels, enseignement, juridiction, obéissance, prophétie. HlLAIRE, S., les effets de l’incarnation sur toute l’humanité, *226-228 ; le mystère de notre unité naturelle avec Dieu dans le Christ, *823 ; il attribue l’éternité au Père, la forme à l’image, l’action au Don, *624. 2170 TABLE ALPHABÉTIQUE HIPPOLYTE, sa doctrine de l’Esprit saint, *926. HOLBEIN, Hans, la prédelle du musée de Bâle, *747. Holl, Karl, *582. HOSIUS, cardinal, l’Église est vue et crue, *97 ; décadence des mœurs avant la Réforme, 1513. HUBY, Joseph, *231. HUIJBEN, Dom J., Bérulle et saint Thomas, *324. Hugues de Saint-Victor, la coextensivité de l’âme et du corps de l’Église, *941, 1554; sa définition de l’Église, 1916; sa division défectueuse entre clercs et laïques, qui passera chez Luther, *602, est inacceptable, 1638; les âges du monde, *488. Hurter, Frédéric, 1496. HUS, Jean, ne voyant pas que les prédestinés peuvent hic et nunc n’être membres de l’Église qu’en puissance, *171, il fausse une pensée de saint Augustin et définit l’Église l’as­ semblée des prédestinés, *81, *171, 1592; faute de subor­ donner le pape au Christ, il nous accuse de faire l’Église bicéphale, *592 ; tout prélat perd ses pouvoirs en péchant, 1521 ; son influence sur Luther, *589-593. Hyperdulie, culte d’, *660. IGNACE d’Antioche, S., partout où est le Christ Jésus, là est l’Église catholique, 1934 ; le schismatique n’héritera pas le royaume, 1759, 1763 ; c’est par rapport à l’évêque et à l’Église particulière qu’il définit le schisme, 1377-1378. IGNORANCE invincible, ou non coupable, des données de la foi : elle était appelée infidélité négative par les anciens, 1187, 1194, 1264 ; Baïus est condamné pour avoir soutenu que l’infidélité négative de ceux à qui le Christ n’a pas été annoncé, était un péché, 1264; elle est absolue et totale quand elle porte même sur les premiers credibilia, elle est relative et partielle quand elle porte sur d’autres points de foi implicitement contenus dans les premiers credibilia, par exemple sur les mystères de la Trinité et de l’incarnation, 1264-1265 ; l’ignorance absolue non coupable de la foi n’est TABLE ALPHABÉTIQUE 2171 possible que chez les petits enfants et les anormaux, 1266, non chez les adultes normaux, qui seront ou bien fidèles, ou bien infidèles, 1288-1294; on ne peut refuser la première invitation divine sans pécher contre la foi, 1304-1307 ; la part de l’ignorance invincible est affirmée avec force par Pie IX, 1405, 1407, 1591, 1776-1780, il appartient à Dieu, non au pape lui-même, d’en assigner les limites, 1782; cet enseignement de Pie IX est malheureusement omis dans le Syllabus, 1778 ; là même où les premiers credibilia ne sont pas connus d’une connaissance conceptuelle, notionnelle, consciente, ils peuvent être connus d’une connaissance pré­ conceptuelle, prénotionnelle, non réflexivement consciente, 1307-1316, 1794 ; l’ignorance invincible relative et partielle des points de la foi catholique peut se rencontrer même chez des gens à qui ces points ont été proposés, 1404-1409, ils pourront combattre ces points sans être pour autant des hérétiques, 1355. IMMACULÉE CONCEPTION, saint Thomas ne veut pas qu’on soustraie la Vierge à la rédemption du Christ, *662 ; la notion de rédemption préservatrice va permettre de conci­ lier le dogme de l’universalité de la rédemption du Christ et le dogme de la totale pureté de Marie, *671-674 ; l’immacu­ lée conception est la raison de la résurrection et de la glorifi­ cation de la Vierge, *748-756 ; les résurrections contempo­ raines de la passion du Sauveur ne sauraient dès lors être comparées à celle de la Vierge, *751-752; voir Marie, rédemption. DE LA GRÂCE, erreur signalée par saint Thomas, *175, condamnée par la Confession d’Augsbourg, *175, mais que Calvin fait sienne, *175, *591. INCARNATION, l’union de l’incarnation étant principe de la grâce n’a pu être méritée, *658 ; l’incarnation est une mis­ sion visible par laquelle le Verbe est une fois pour toutes donné au monde, '760 ; l’humanité du Christ est l’œuvre de toute la Trinité, mais est personnalisée par le Verbe seul, *461-462 ; la présence du Verbe dans le Christ, *641-644 ; l’union hypostatique entraîne l’impeccabilité métaphysique INAMISSIBILITÉ 2172 TABLE ALPHABÉTIQUE du Christ, *674 ; en quel sens elle entraîne en lui la présence de la grâce sanctifiante, *659 ; c'est parce quelle connote l'union hypostatique que la grâce sanctifiante du Christ devient grâce capitale, 1021-1024, 1042; parallèle entre la filiation naturelle du Christ et notre filiation adoptive, *460-468 ; le Christ est tête de l’Église dès l'instant de l’incarnation, *498, *735, 1048, 1614 ; le mystère de l’incarnation et de la médiation substantielle du Christ représente la première étape de notre délivrance, le mystère de la rédemption et de la médiation fonctionnelle représente la seconde étape, *216, *220, *676 ; on ne peut séparer dans l'œuvre du salut ces deux mystères, *217, le concept concret évangélique de l’incarnation précontient la rédemption et toute la christo­ logie, *657-660 ; les Pères rapportent le salut du monde tantôt au mystère de l’incarnation, tantôt au mystère de la Croix, *216-218, ils développent surtout la première consi­ dération, *218-220, *220-233, *266-276, *575-576, *696, mais n’oublient pas la seconde, *218-220, *325-326, *353354 ; la notion de rédemption sera approfondie par les médiévaux, *354-358, *576, *696 ; la doctrine catholique lie organiquement l’effort des Pères grecs et celui des Docteurs latins, *217, *579 ; il y a un abîme entre l’union du Verbe au Christ et l’union de l’Esprit à l’Église, on ne saurait donc les égaler, *888, *951-952; mais le parallèle entre ces deux unions, l’une infinie, l’autre finie, est illuminateur : à la manière dont le Verbe conduit la vie temporelle du Christ, l’Esprit conduit la vie temporelle de l’Église, *532, *841, 1045-1047, 1059-1060; le dialogue apocalyptique de l’Époux et de l’Épouse est en quelque sorte un dialogue entre le Verbe et l’Esprit, *717-719, *842-843; parallèle entre la réalisation effective du mystère de l’incarnation et la réalisation effec­ tive du mystère de l’Église, 1947-1948, entre la transpa­ rence du mystère de l’incarnation et la transparence du mys­ tère de l’Église, 1579-1589, entre la catholicité de l’agir du Christ et la catholicité de l’agir de l’Église, 1962-1968; comment la loi d’incarnation ou de sanctification de la TABLE ALPHABÉTIQUE 2173 matière par l’esprit, après avoir passé du Christ dans la structure de son Église, ne cesse de s’y développer, *127136; si l’on considère l’Église non plus comme épouse, mais comme formant une seule personne mystique avec le Christ, on précisera que le Verbe personnalise le Christ rédempteur immédiatement, en raison de l’union hyposta­ tique, qui est substantielle, tandis qu’il personnalise l’Église corédemptrice extensivement, en raison de l’union de cha­ rité, qui est accidentelle, *260-261, *403-405, *814; voir adoptianisme, Annonciation, Christ, filiation divine, grâce capi­ tale, missions divines. INDE, le culte des images n’y est pas toujours idolâtrie, 1330-1331 ; comment l’idée de l’Inde pourrait s’accomplir dans le christianisme, 1795, 2051. INDULGENCES, la doctrine des indulgences suppose la réversi­ bilité des souffrances satisfactoires par voie de direction d’intention, *587, 1387-1393, laquelle est méconnue par Luther, ’587 ; les excommuniés exclus de la participation aux indulgences, 1393 ; voir réversibilité, satisfaction. INFIDÉLITÉ, appelons ignorance invincible ou non coupable ce que les anciens appelaient infidélité négative, 1187, 11931194, 1264 ; l’infidélité est parfois distinguée en privative et en contraire, 1188-1189 ; tout homme, au moment de son premier acte de liberté, choisit la foi ou l’infidélité, 13001301, 1307, 1313-1314, il ne peut refuser la première invi­ tation divine sans pécher contre la foi, 1304-1307 ; l’hypo­ thèse d’adultes normaux qui ne seraient ni fidèles ni infi­ dèles est à rejeter, 1288-1291, 1311-1312; les trois espèces majeures de l’infidélité ou perfidia, 1319 ; à la distinction trop matérialisée entre infidélité des Gentils, ou des Juifs, ou des hérétiques, il faut substituer la division plus formelle entre infidélité par simple refus, ou par régres­ sion, ou par désertion, 1319-1328; la même proposition peut relever, selon les situations, des trois formes d’infidé­ lité, 1327-1328; il faut distinguer soigneusement entre les péchés d’infidé­ lité, qui restent personnels, et les patrimoines d’infidélité, 2174 TABLE ALPHABÉTIQUE qui se transmettent, 1329 ; aux divers patrimoines d’infidé­ lité correspondent diverses formations religieuses aberrantes, 1329-1337 ; tous les Gentils ne sont pas païens et idolâtres, ni tous les Juifs infidèles, ni tous les dissidents hérétiques ou schismatiques, 1338-1346 ; la prière de l’Eglise pour les Gentils, ou pour les Juifs, ou pour les dissidents ne coïncide pas avec sa prière du Vendredi saint pour les païens, pour les Juifs infidèles, pour les hérétiques et les schismatiques, 1345-1346 ; voir foi. hérésie, ignorance invincible, révélation. INNOCENT III, pas de salut hors de l’Église romaine en laquelle Jésus est à la fois prêtre et sacrifice, 1771. INTERCOMMUNICATION DES PROPRIÉTÉS divines et humaines : dans le Christ individuel, *266, dans le Christ mystique, *267-273, au sens impropre le Christ est fait péché pour nous, *273-274 ; parce qu'il ne dépasse pas le plan juri­ dique, Luther peut considérer les mêmes hommes à la fois comme pécheurs et comme justifiés, *392-394. IRÉNÉE, S., la matière est susceptible de salut, *89 ; le Fils de l’homme s’humanise pour nous diviniser, *221 ; Dieu a livré son propre Fils en sacrifice pour notre rédemption, *219 ; le Fils de Dieu a été crucifié et a tracé le signe de la croix sur toutes choses, *322 ; la récapitulation du monde se fait dans le sang du Christ, *325 ; pourquoi le Christ est né de Marie, *652, *655 ; nous allons dans l’Esprit par le Fils jusqu’au Père, *520 ; où est l’Esprit, là est l’Église, *830, 1923 ; son grand texte sur l’Esprit et l’Église, 1561-1562 ; se retrancher de l’Église, c’est se retrancher de la vie, 1760 ; la catholicité de l’Église, l’Église est plantée comme un paradis en ce monde, 2030-2032. ISAAC DE L’ÉTOILE, le Christ ne veut rien faire sans l’Église, *575. Isidore de Kiew, 1229. ISIDORE DE Séville, définition des mots église et synagogue, *137. ISLAM, relevait pour les anciens de l’infidélité, 1328, 1336, 1341, apparaît comme une simili-dissidence du christia­ nisme, 1335, comme un essai de religion naturelle refusant TABLE ALPHABÉTIQUE 2175 l’Évangile, 1336 ; ses théologiens ont vu ce qui distingue la prophétie et la sainteté, *420-421. JACQUES DE Viterbe, la cause de l’Église est en propre la Trinité et par appropriation chacune des trois personnes divines, *791-792. JANIN, Raymond, 1228. n’était pas personnellement hérétique, 1201, 1353 ; condamnation de ses écrits, 1183, 1186, 1353. JARDIN fermé, en un premier sens c’est l’Église tout entière, en acte achevé, qui est non sans pécheurs, mais sans péché, *170, elle a été plantée comme un paradis dans ce monde, 2032; mais elle est jardin fermé, fontaine scellée, avant tout et au sens suprême, par la charité de ses justes et de ses grands saints, *170, *947, en raison, dit saint Augustin, de la cha­ rité intime et suréminente des bons, 1811 ; entendons ainsi le mot de saint Thomas déclarant que le corps du Christ ce sont tous les justes, 1815, et Cajetan définissant l’Église la congrégation des fidèles qui sont dans la charité, 19061907; en un troisième sens, plus étendu, tous les justes consti­ tuent le jardin fermé : soit en acte achevé s’ils appartiennent à l’Église visiblement et spirituellement, soit en acte tendan­ ciel s’ils appartiennent à l’Église spirituellement seulement ; en conséquence, tous ceux qui meurent dans l’amour, c’est-à-dire tous les prédestinés, constituent à ce moment-là le jardin fermé, soit en acte achevé, soit en acte tendanciel, *166-170; mais les justes non prédestinés sont, eux aussi, avant leur catastrophe, le jardin fermé, soit en acte achevé soit en acte tendanciel, *167, 1592. Jean VIII, et Photius, 1425-1428. JEAN Baptiste, S., il relève de l’âge de l’attente du Christ, *17, *502, *734-736. JEAN XXII, condamnation des Fraticelles et de leur doctrine des deux Églises, l’une sainte, l’autre pécheresse, *93. JANSÉNIUS, 2176 TABLE ALPHABÉTIQUE Jean Damascene, S., le Verbe s’incarne dans une nature indi­ viduelle, *257 ; en quel sens notre nature est ressuscitée et présente au ciel, *270 ; en quel sens le Christ a pris nos péchés, *273-274 ; l'eucharistie est un charbon ardent, 1123-1124. JEAN DE LA Croix, S., la foi doit être préférée à la prophétie, *434; nécessité de la voie d'enseignement, 1068-1069; le diable et les hérésies, 1211 ; crains avec confiance, *103, *859, 1782 ; les paroles intérieures, 1849 ; la transformation en Dieu par amour, deux natures en un seul esprit, *23, *877-878, *904-906 ; le mariage spirituel, *572-573, *979 ; en quel sens l’âme participe à la spiration divine, *464, *511, *633; les réveils de Dieu, *779; la transfixion du cœur, *570 ; les âmes exemptes de la tentation, *671 ; le Seigneur découvre sa sagesse, *721. JEAN DE Saint-Thomas, l’humanité du Christ est unie immé­ diatement au Verbe, médiatement et formellement à l’exis­ tence divine, médiatement et matériellement à la nature divine, *412; en quel sens l’union hypostatique entraîne dans le Christ la grâce sanctifiante, *252-253, *659, en quel sens la rédemption est motif de l’incarnation, *215 ; l’infi­ nité du mérite du Christ, *376 ; le Verbe confère une valeur infinie aux actions non instrumentales du Christ, non en leur envoyant un influx, mais seulement en terminant la nature humaine du Christ comme principe qui agit, *412415; le péché comme souillure et comme offense, *347; l’infinité du péché est soit absolue, soit en tout cas d’un ordre de grandeur supérieur à ce que pourrait obtenir la charité d’un pur homme, *35 ; dans l’ordre de la causalité ascendante morale, le Christ, comme homme, est la cause principale de notre salut, *361362, *409-410, *414, dans l’ordre de la causalité descen­ dante physique le Christ, comme homme, est la cause ins­ trumentale de notre salut, *361-362, *409-410, *414; le Christ est tête de l’Église et possède le pouvoir d’excellence d’une manière incommunicable, *252-253 ; les principes de Jean de Saint-Thomas permettent d’étendre l’action du TABLE ALPHABÉTIQUE 2177 Christ sur les anges plus qu’il ne le fait, *288 ; à la différence de la grâce des anges, la grâce de l’innocence a été détruite, en sorte que l’Église n’existait alors que matériellement, non formellement, *291 ; le pouvoir sacerdotal du Christ réside dans l’intelligence, *437-438, les caractères sacramentels en dérivent, 1030, le rôle du caractère baptismal, *442 ; la grâce du Christ est de même espèce que la nôtre, 1042 ; définition de la grâce capi­ tale sanctifiante, 1024 ; la grâce vient du Dieu un, mais nous réfère aux trois personnes distinctes, *847 ; elle nous fait par­ ticiper objectivement, non subjectivement, à l’infinité divine, *458 ; l’adoption n’est pas une propriété métaphysique de la grâce, *457 ; modalités sacramentelles de la grâce, 1052, 1103, 1116 ; comme l’ultime disposition précède la forme et en résulte, la grâce précède l’inhabitation de l’Esprit et en résulte, 1177; l’union d’inhabitation est réelle et effective, *872, *896 ; la manière dont l’ange est présent à lui-même en se connaissant peut aider à la faire saisir, *864-865 ; comment Dieu est la forme de l’intelligence des bienheureux, *869 ; les petits enfants sont membres du Christ en puissance, 1719-1720; l’infidélité négative correspond à l’ignorance invincible en matière de foi, 1264 ; nous nous séparons de lui quand il pense d’une part que le secours suffisant au salut serait refusé à certains adultes quant à l’application, 1291-1292, et d’autre part qu’on pourrait refuser l’initium fidei sans pécher contre la foi, 1306. JEANNE D’Arc, Sainte, elle appartient à l’Église et à sa patrie à des titres divers, 1572 ; il y a en elle, outre sa sainteté, un don prophétique surnaturel concernant sa mission tempo­ relle, *430 ; son conflit avec la hiérarchie, *434, 1519-1522. JÉRÔME, S., le royaume des cieux enlevé aux Juifs est l’intelli­ gence de l’Écriture, *160; tous les événements du monde sont récapitulés dans la passion du Christ, *325-326 ; l’Église n’est immaculée que dans ses membres parfaits, 1807-1808 ; l’Église, dans laquelle le Christ seul est premier, est fondée sur la chaire de Pierre, 1762 ; différence entre le schisme et l’hérésie, 1382-1383. 2178 TABLE .ALPHABÉTIQUE JOACHIM DE Flore, son erreur sur le troisième âge, *768 ; son erreur sur l’unité des personnes divines, *821. JOSEPH, S., il est avec Jean Baptiste sur le versant de l’âge de l'attente du Christ, *736. JOVINIEN, 1673, 1687, 1735, 1863. JUDAÏSME, l'expression «perfidia pagana» signifie l’infidélité des Gentils, comme l’expression « perfidia judaica » l’infidé­ lité des Juifs, 1318, 1342, 1345 ; la première est une infidé­ lité par simple refus, la seconde une infidélité par régression, 1320-1323 ; la première est loin de toucher tous les Gentils et toute la Gentilité, et la seconde est loin de toucher tous les Juifs et tout le judaïsme, 1319-1323, 1342-1344, 1398; il faut distinguer avec force le péché d’infidélité dont sont coupables certains Juifs, du patrimoine ou héritage d’erreur transmis au peuple juif, 1323, 1331-1333; le voile qui couvre le cœur des Juifs croyants quand ils lisent l’Ancien Testament, 2060, 2061-2066; la prière de l’Église pour le judaïsme ne coïncide pas avec sa prière du vendredi saint pour les Juifs infidèles, 1344-1345 ; tout le bien qui se fait dans le judaïsme est déjà de l’Église, 1973-1974 ; voir for­ mations religieuses aberrantes, infidélité, vendredi saint. JUGIE, Martin, il pense que la Vierge ne serait pas morte, *748; comment nommer les orthodoxes dissidents, 1148; si les Églises dissidentes orientales sont véritablement schis­ matiques et hérétiques, 1206-1208; fluctuation des ortho­ doxes sur la doctrine des caractères, 1097 ; impossibilité d’un concile œcuménique dans l’Église orthodoxe, 1152; utilisation de ses dernières recherches sur les Églises ortho­ doxes dissidentes, 1222-1246; pourquoi l’union avec les orientaux lui paraît facile, 1238 ; Pie IX appelle les angli­ cans, non pas hérétiques, mais acatholiques, 1193. JULIEN, empereur, 1689. Julienne de Norwich, *956. JURIDICTION, impossible de restreindre le pouvoir juridiction­ nel au pouvoir canonique, 1908 ; le pouvoir juridictionnel est une participation au pouvoir royal et prophétique du Christ, *420, 1032, 1066; juridiction extraordinaire des TABLE ALPHABÉTIQUE 2179 apôtres, 1146, 1908; juridiction permanente de l’Église: elle doit être enseignée du dehors pour être enseignante audehors, 1070-1073, elle a deux fonctions : déclarative, cano­ nique, 1076, elle a pour sujet suprême non pas la concilia­ nte, mais le pape, 1146-1147, toute la juridiction de la hié­ rarchie vient de Pierre, *594, peut-elle avoir comme sujets des laïques? 1653, des hérétiques occultes? *945, 1352, 1724-1726; rôle, contenu, formes de la prophétie chrétienne, *420435 ; nécessité, mode de transmission, assistance des pou­ voirs juridictionnels, 1066-1079; le secteur des directives particulières n’est assisté que d’une manière faillible, 1515-1529; les pouvoirs juridictionnels rendent possible l’unité d'orientation de l’Église, 1135-1147; la sainteté ministérielle du message juridictionnel est ordonnée à la sainteté terminale de l’Église, 1515-1518, 1525-1529; le caractère messianique et eschatologique du message juridic­ tionnel, 1454-1459; caractère miraculeux de l’unité d’orientation de l’Église, 2050-2055, 2071-2073; place de la juridiction dans les définitions mineures de l’Église, 1907-1924; mesures canoniques concernant les dissidents 1215-1222; effets canoniques de l’excommunication, 1386-1397 ; voir enseignement, foi, hiérarchie, obéissance, prophétie, révélation. JURIEU, ce qu’il pense de la thèse de l’invisibilité de l’Église, *87 ; il prête aux catholiques une notion purement exté­ rieure de l’Église, *143. JUSTIN, S., les Gentils étaient illuminés par le Verbe, 1764-1767. KHOMIAKOV, A. S., définit l’Église l’organisme de la vérité et de l’amour, *97; la conciliarité, 1146, 1238; il sera la réplique de Joseph de Maistre, 1234. KIERKEGAARD, Soeren, c’est contre la notion d’un christia­ nisme sans martyrs que portent ses attaques, *545 ; gran­ deurs et déviations, 1891-1892. Kossak, Mmc, 2027. 2180 TABLE ALPHABÉTIQUE Labourdette et Nicolas, 1314, 1991. LaBRIOLLE, Pierre de, *152. LaCTANCE, s’exclure de l’Église, c’est s’exclure du salut, 1762. LAGRANGE, M.-J., les Macchabées se battaient à la fois pour Dieu et leur patrie, Jésus se préoccupe uniquement de l’idée religieuse, "130 ; il a fallu la révélation de Jésus pour com­ prendre ΓAncien Testament, *425 ; Pascal et les prophéties messianiques, 2061-2062, 2073; la vision béatifique du Christ, 1045 ; « noli me tangere», *516-517 ; « l’Esprit n’avait pas encore été donné », "766 ; « le royaume de Dieu est audedans de vous», *90-91 ; pourquoi l’Ascension devait pré­ céder Pentecôte, *518 ; « encore un peu de temps et vous me reverrez», *520; «je suis la vigne, vous êtes les sarments», "242-243 ; « celui qui croit en moi fera de plus grandes œuvres que moi», *505 ; l’envoyé de Dieu « ne donne pas l’Esprit avec mesure», 1032; «l’Église sans tache ni ride», *156; les États pontificaux étaient devenus une tunique de Nessus, 1257. Laïques, le laïcat est un état de vie, 1637, sa définition, 1641, explication de cette définition, 1652-1669, définition défec­ tueuse de Hugues de Saint-Victor, *602, 1638 ; si un laïque peut être sujet de juridiction, 1653. Lallemant, Louis, nous faisons en un jour plus de cent actes d’orgueil, *300. LATIN, emploi du latin en liturgie, 1254-1255. Lebbe, Vincent, 1988, 1999, 2001, 2009. Lebreton, Jules, le Christ est premier-né de toute la création, c’est-à-dire né avant toute la création, *230 ; l’Esprit du Fils est un Esprit d’adoption, *481 ; rapport de la filiation natu­ relle et de notre filiation adoptive, *483-484. LEDRUS, Michel, 1331. LEENHARDT, Franz-J., son opinion sur la doctrine catholique de la bonne et de la mauvaise foi, 1400-1412. LÉON LE Grand, S., le Christ devait être Dieu pour nous sau­ ver, *354 ; il est un et le même non seulement dans son corps individuel mais dans tous ses membres, *266 ; nous TABLE ALPHABÉTIQUE 2181 avons reçu par lui de plus grands biens que ceux que nous avions perdus, *390 ; l’Esprit vient à Pentecôte, non pour inaugurer ses dons, mais pour les parfaire, *886, *925, 1175 ; le texte où il affirme que toute la juridiction vient de Pierre est attaqué par Luther, *594-595 ; pagana perfidia, 1341. LÉON XIII, l’Esprit saint, âme de l’Église, *569, *701-702; l’Esprit saint qui habitait dans les justes avant le Christ, vient plus abondamment à Pentecôte, *886, *924-925, 1175; Marie nous enfante à Dieu avec son Fils sur le Calvaire, *569, *701-702 ; la lettre Praeclara aux Orientaux, 1257 ; réplique de Duchesne à la réponse du patriarche Anthime, 1235 ; autorité civile et autorité ecclésiastique, 1535, 1920-1921. LEROY, Olivier, miracles contemporains, 1464-1465. LESSING, les trois anneaux, 1260. Levaux, Léopold, 1988. LiALINE, Dom Clément, 1254, 1257. LIMBES DES JUSTES, les justes entrent dans la vision béatifique après la Descente du Christ aux enfers, mais le ciel ne leur est ouvert qu’à l’Ascension, *735-736. LIMBES DES ENFANTS morts sans le baptême ou sans le rite qui l’annonçait, soit dans la loi de nature, soit dans la loi mosaïque, 1267-1287; erreur des théologiens qui veulent ouvrir ces limbes aux adultes normaux, 1288-1289. LoiSY, Alfred, Jésus annonçait le royaume et c’est l’Église qui est venue, *194-197 ; l’Église dépasse l’Évangile, *505 ; il y aurait une contradiction dans la première épître de Jean, 1485. LORTZ, Joseph, la cause profonde de l’insuffisante compréhen­ sion que Luther eut de l’Église est à chercher dans son sub­ jectivisme radical, *597 ; thèse singulière suivant laquelle la splendeur de l’Église, en tant que note historiquement reconnaissable, avait au temps de Luther cessé de paraître, *598, 1512-1514. 2182 TABLE ALPHABÉTIQUE LOSSKY, Vladimir» il nie la grâce créée, ’938-939 ; depuis la chute jusqu'à Pentecôte, la déification, l’union à Dieu par la grâce serait impossible, *767 ; la Vierge serait la suprême hypostase de l’Église, *816. LOU TsiENG TSIANG, Célestin, 1988. Lubac, Henri de, les opinions sur les âges du monde, *488 ; la loi ancienne meilleure que la loi de nature, ’492 ; le natio­ nalisme juif symbolisait le salut social du christianisme, H30; saint Paul dit «corps du Christ», non «corps des chrétiens », ’249, *500 ; la conception stoïcienne de l’être universel serait utilisée par Paul et les Pères, *226 ; études sur le corps mystique, 1124-1129; le désir de voir Dieu, 1283 ; missiologie, 1979. Luther, Martin, sa doctrine erronée sur la justification suffit à dynamiter toute la doctrine de l’Église, *587, ’593-594; comment le Christ est devenu pécheur pour nous sauver, *365 ; il est impossible à Luther de passer du plan de la soli­ darité juridique à celui d’une solidarité réelle fondée sur la grâce intrinsèque, *387-396 ; il lui est impossible d’entendre que nos mérites sont les mérites du Christ en nous, ’397405, *583, *604; «la foi est la meilleure des œuvres», 1881 ; il professe quant à l’Église un spiritualisme de la sépa­ ration de l’esprit et de la matière, *593 ; sophisme sur l’invi­ sibilité du Christ, *600 ; ses variations sur la doctrine de la visibilité de l’Église, *81 ; il est influencé par Wicleff, et Hus, *81, *589-593 ; il pense que l’Église ne peut pas être montrée puisqu’elle est crue, *98 ; l’Église est un hôpital, *586 ; les saints sont des saints pécheurs, *586 ; ses attaques contre le pape et la hiérarchie, *584-605 ; la doctrine du Christ tête de l’Église exploitée contre la papauté, *589, *592, *601, malgré les réponses qu’avait déjà présentées Gabriel Biel, ’597 ; l’altération de la doctrine du corps mystique chez Luther, *581-610. Maidenov, G., statistique et catholicité, 2038. MAISTRE, Joseph de, il attend l’âge de l’Esprit saint, *769 ; ses jugements sur l'Église orthodoxe, 1232-1234. TABLE ALPHABÉTIQUE 2183 Maklakov, G., si l’Église orthodoxe a été de nos jours persé­ cutée, 1213. Male, Émile, le rétable des van Eyck, *342-343 ; le portail de Vézelay, *512-513, *519-520, 1954. Léopold, le désir naturel de voir Dieu, 1282-1283 ; la transformation de l’homme nouveau selon Karl Barth, 1837. Malvy, Antoine, les dissidents de bonne foi sont-ils membres de l’Église, 1216. MALEVEZ, MANICHÉISME, Mani pensait être le Paraclet promis par Jésus, 1328. MANNING, Cardinal, il définit insuffisamment l’âge de l’Esprit saint, *504. Marcy, Cardinal H. de, serviteurs, fils, amis de Dieu, *562. MARÉCHAL, Joseph, distinction de la prophétie et de la sain­ teté en Islam, *421. Marguerite d’Arbouze, *330. MARIAGE et ORDRE, ces deux sacrements sont sociaux à un titre particulier, car ils fondent l’Église sur l’écoulement du temps, 1116-1117, 2004. MARIE, est la digne Mère d’un Dieu Sauveur, voilà le fonde­ ment unique de la mariologie, *653-664 ; par elle le Christ est notre frère, *654 ; l’enfantement est une action qui se termine à une nature, la maternité est une relation qui se termine à une personne, *655 ; Théotokos, *656, elle est prédestinée Mère de Dieu dans le décret même de l’incarnation, *657, *729-731 ; affinité de la Vierge avec Dieu, *661 ; le culte d’hyperdulie, *660 ; elle est la première des rachetés : la loi de pureté ou d’exemption du péché s’applique différemment : aux chré­ tiens, dont nul n’est toujours et tout entier sans péché, *669-671, à l’Église, qui est collectivement toujours et tout entière sans péché, *671-672, à la Vierge qui est personnel­ lement toujours et tout entière sans péché, *673-675 ; impeccabilité morale de la Vierge, *675 ; 2184 TABLE ALPHABÉTIQUE elle est la première dans l'ordre de la corédemption : la médiation corédemptrice individuelle des chrétiens est limi­ tée, *550-558, *675-689; la médiation corédemptrice col­ lective de l’Église n’est universelle que relativement, *690692 ; la médiation corédemptrice de la Vierge est première et absolument universelle, *568-571, *692-705 ; elle est la première dans l'ordre de la corésurrection et de la conglorification dans le Christ ; voyons d'abord ce qui se passe pour les personnes humaines : aucune n’est l’épouse sans tache ni ride ; le don de la justice originelle et de l’im­ mortalité a été perdu collectivement, et cette privation affecte, au moment de sa naissance, chaque personne humaine, en sorte que le péché originel avec ses consé­ quences remonte de la nature humaine à la personne humaine ; la rédemption du Christ procède inversement : au baptême la personne humaine est délivrée de la tache du péché originel et de la peine qui serait la carence de la vision divine, mais les peines de la vie présente, qui résultent intrinsèquement de notre nature destituée de la justice ori­ ginelle, ne disparaîtront qu’à la fin, quand la nature humaine entière sera réparée ; d’ici-là, la loi de corésurrec­ tion et de conglorification dans le Christ est suspendue pour toute personne touchée par le péché, *751 ; comme tout collectif, l’Église est l’épouse sans tache ni ride, c’est donc comme tout collectif que la loi de corésurrection et de conglorification la concerne ; aussi, quand elle aura atteint sa pleine mesure, à la fin du temps, elle ressuscitera et sera glorifiée dans tous ses membres à la fois, *753 ; comme per­ sonne individuelle la Vierge est l’épouse sans tache ni ride, et c’est pourquoi sa résurrection et son assomption peuvent anticiper sur le rythme collectif de l’Église et se régler sur le rythme personnel de la destinée du Christ, *753 ; toute la sainteté collective de l’Église dans l’âge de l’at­ tente du Christ ou dans l’âge de l’Esprit saint, est conden­ sée, à l’âge de la présence du Christ, de l’Annonciation à l’Ascension, dans la Vierge, *733-738 ; tout entière cachée dans les grandeurs de sainteté, *711-712, *739, *763, elle domine l’économie sacramentelle, *738-741 ; pour elle TABLE ALPHABÉTIQUE 2185 Pentecôte est un terme, non un départ, *740, *763-764 ; elle est la forme et le prototype de l’Église, *713-729 ; voir âges du monde, annonciation, corédemption, immaculée conception, rédemption, résurrection. Marie DE L’INCARNATION, ursuline, elle postule du Père, au nom des mérites infinis du Fils, la venue du royaume, *377378, *689 ; l’esprit missionnaire est l’esprit de l’Évangile, *541-542 ; sa prière apostolique, *565-566 ; le mariage spi­ rituel, *573-575 ; les missions invisibles du Verbe et de l’Esprit, *778 ; les paroles intérieures, 1849 ; il faut ramener certaines de ses expressions à la doctrine de l’appropriation, *573-574, *638. Marie de Sainte-Thérèse, *727. MARIN-SOLA, E, le point de départ du progrès dogmatique, 1072; l’évolution homogène du dogme, 1955 ; les progrès de la mariologie, *726. Maritain, Jacques, l’incarnation est par rapport à la culture un but métahistorique et surordonné, *306, 1940 ; critique de la thèse de Loisy: «Jésus attendait le royaume et c’est l’Église qui est venue », *195-197 ; chaque pierre est pour la Cité et la Cité est pour chaque pierre, 1370-1372 ; le diable a sa part dans le monde chrétien, mais non dans le corps mystique, *310-312, 1505 ; l’Église seule joue ici-bas exac­ tement le rôle de son personnage, *813, 1968; les catho­ liques ne sont pas le catholicisme, la grande gloire de l’Église, c’est d’être sainte avec des membres pécheurs, 1504; les divers styles de sainteté, 1959 ; le catholicisme se réjouit de tout bien, même produit hors de ses frontières, 1509; la dialectique du premier acte de liberté et la justification de l’enfant, 1274, 1308-1316 ; l’emploi des moyens pauvres et des moyens riches, 1445, 1550, 1683-1685 ; Israël et l’Église, *560-561 ; la réintégration des Juifs pourra s’accompagner d’une floraison du temporel chrétien, *199 ; du rapproche­ ment entre membres de diverses familles religieuses et de l’œcuménisme, 1259-1262 ; l’athéisme contemporain est un antithéisme, 1337 ; le sens de l’histoire profane pour l’éter­ 2186 TABLE ALPHABÉTIQUE nité, *313, 1865 ; le don de prophétie chez saint Thomas, *431-432; rapports du spirituel et du temporel, 1530-1538, 16291637, 1666-1668 ; la distinction du spirituel et du temporel a toujours été affirmée par l’Eglise, *303 ; la négation de cette distinction a été une tentation pour certains, *303 ; Tordre culturel relève des vertus acquises, *310, 1533-1534; l’esprit de l’Église ne détruit pas l’esprit des diverses civilisa­ tions, *73 ; sur le plan du spirituel, Tunion est le mot d’ordre, sur le plan du temporel, la diversité est de règle, et l’unité reste celle de l’inspiration, 1635-1636 ; le christianisme sti­ mule la culture par un mouvement à partir d’en haut et par un mouvement à partir d’en bas, *435-436, 1630-1634; comment des artistes peu dévots ont pu produire des oeuvres religieuses, 1170-1171 ; exister avec le peuple, 1652 ; grandeurs et déviations chez Kierkegaard, 1891-1892; réponse à André Gide, 1506 ; le drame de Karl Barth, 1849 ; insuffisance de la doctrine de Barth sur l’ordre cultu­ rel, 1870 ; Dieu a des adversaires dans l’ordre de la moralité, 1964; les jugements de valeur, 2026; aspirations connaturelles et transnaturelles, 1284 ; la vie de l’âme séparée dans la condition naturelle, 1273 ; personnalité métaphysique et personnalité psychologique, *802. Maritain, Raïssa, *90, 1504. MARSTON, Roger, le salut des enfants des schismatiques, 1184. MARTIN, Claude, deux manières dont Dieu épouse l’âme, *573-574 ; il explique la doctrine de Marie de l’incarnation par l’appropriation, *573-574. MARTINEZ Gomez, J. C., il s’étonne de la doctrine de saint Thomas sur les rapports de la grâce et de l’inhabitation, *855. MARTYRE, la grâce christique imprime dans le corps mystique une inclination au martyre, *543-544 ; le martyre d’Étienne continue celui du Christ, 1102 ; la place du mar­ tyre dans l’Église, *543-550 ; le baptême du sang chez Cyrille de Jérusalem, 1061 ; le martyre est possible dans les dissidences, 2025 ; comment, au temps de Cyprien, les mar­ tyrs rachetaient les pénitents publics, *587. TABLE ALPHABÉTIQUE 2187 Marx, Karl, 1841-1842, 1880. MaSSIGNON, Louis, distinction du prophète et du saint dans l’islam, *421 ; texte de Hallaj sur l’amour, 1335. Mattiussi, Guido, 1043. MaurlaC, François, réponse à André Gide, 1506. MAXIME LE Confesseur, S., son explication du Pater : le nom du Père, c’est le Verbe, le règne du Père, c’est l’Esprit, *160. MÉDIATION, « unique est le médiateur de Dieu et des hommes, l’homme Christ Jésus, qui s’est donné lui-même en rançon pour tous », *685, seul, en effet, le Christ, parce qu’il est vrai Dieu et vrai homme, pouvait nous racheter, *357 ; c’est comme homme qu’il est médiateur, *223, *367-406, *830831, il est médiateur substantiellement, en raison de l’incarnation, *220-276, et fonctionnellement, en raison de la rédemption, *216-220, *321-326, *349-354; la média­ tion ascendante du Christ, ou médiation d’intercession, relève des actions théandriques non instrumentales, *359360, leur valeur est infinie, *367, *406-408, dans cette ligne, le Christ est cause morale principale de notre salut, *360-361, *408; la médiation descendante du Christ, ou médiation de dérivation, relève des actions théandriques ins­ trumentales, *360-361, elle s’exerce par le moyen de la pas­ sion et de la résurrection du Christ, *330-340, elle éternise de la sorte les actes temporaires de la vie du Christ, *322324, *539-540, dans cette ligne, le Christ est cause physique instrumentale de notre salut, *361-362, *409 ; le protestan­ tisme altère gravement la notion de la médiation morale du Christ, et méconnaît la notion de sa médiation physique, *364-365 ; la médiation rédemptrice du Christ, qui est la tête, demande à se continuer dans la médiation corédemptrice de l’Église, qui est le corps, *554-558, *679-687 ; la médiation corédemptrice individuelle des chrétiens, *559-568, *687689 ; la médiation corédemptrice collective de l’Église, *550-554, *690-692 ; la médiation corédemptrice univer­ selle de la Vierge, *568-571, *692-705 ; distinction entre la médiation méritoire de la terre, relative à l’acquisition des 2188 TABLE ALPHABÉTIQUE grâces, et la médiation non méritoire du ciel, relative à la distribution des grâces, *706-710 ; le rôle de la Vierge dans l’ordre de la médiation descendante, *711-713 ; voir Christ, corédemption. incarnation, rédemption. Membres du Christ et de l’Église, il ne faut pas diviser cette notion, *185-186, 1718-1719, 1753-1754, il faut reje­ ter la distinction entre membres de l’Église et membres du corps mystique, entre membres de l’Église et membres du Christ, *948, danger de cette séparation, 1741-1744 ; la notion de membre est analogique, *48, *603, 1715-1717, les justes et les pécheurs ne sont pas membres ex aequo, 1493, les justes sont le jardin fermé, *167-170, *947, membres rachetés et membres corédempteurs, *559-568, *687-689, membres principaux dans les grandeurs de hié­ rarchie et dans les grandeurs de sainteté, 1744-1747, les chrétiens imparfaits agissent tantôt in persona Ecclesiae, tantôt en leur propre nom, 1484, « membres charnels» peut désigner ou les justes commençants, ou les pécheurs, 17451746, il y a des membres pécheurs dans l’Église, *946-947, 1153, 1482-1486, hésitations des anciens théologiens, *936, *943-945, 1156, 1811-1812, 1816, 1824-1826; l’âme créée de l’Église à savoir la charité sacramentelle et orientée, est présente dans les pécheurs par son influx, 1557, 17371740, 1748, une Église du Christ faite uniquement de pécheurs, est impossible, *28, *891, les pécheurs sont membres de l’Église partiellement, proprement, analogique­ ment, 1744, 1786-1787 ; parallèle entre le juste qui n’est pas encore pleinement de l’Église, et le membre pécheur de l’Église, 1132-1133, 1737-1740, 1763, tous les prédestinés ne sont pas actuellement membres de l’Église, mais tous les prédestinés auront appartenu à l’Église, *167, 1591-1592, la division des membres de l’Église en justes et en pécheurs se change, chez Calvin, en celle de justifiés et d’hypocrites, 1603 ; voir acatholiques, appartenance au Christ, foi (bonne), ignorance invincible, jardin fermé, prédestinés. MENASCE, Pierre-Jean de, « l’islam est à ranger parmi les héré­ sies », 1335 ; ses études missiologiques, 1979-2016. TABLE ALPHABÉTIQUE 2189 MERCIER, cardinal, les conversations de Malines, 1404-1405. MÉRITE, il diffère de la satisfaction, *378-380, *386 ; le Christ mérite pour nous tous, *372 ; dans le plan actuel de la pro­ vidence, le mérite du Christ compense tous les péchés des hommes, *376 ; c’est le seul mérite qui puisse être rédemp­ teur, *355-358, *367-368, *681-682 ; notre mérite ne peut être que corédempteur, *682-685, il ne vaut qu’en se suspendant au mérite rédempteur du Christ, *351, *385, *398-406, *685-687, nos mérites sont des dons de Dieu, *382, ils sont les mérites du Christ en nous, *383, en quel sens iis sont du Christ et pas de nous, *583-584, l’erreur de Séripand était de juxtaposer nos mérites à ceux du Christ, *383, entre l’homme et Dieu, il n’y a mérite que d’une manière relative, *381-382, il faut éviter, à propos de l’homme, de parler de mérite « en rigueur de terme», et «en stricte justice», *381-382, différence du mérite «de condigno» et du mérite «de congruo», *381, *682-684, mérite corédempteur des chrétiens, *687-689, de l’Église, *690-692, de la Vierge, *692-696 ; les protestants, pour se scandaliser de la doctrine du mérite, ont besoin de nous prêter la notion pélagienne d’un mérite que nous aurions par nous seuls, comme fait Luther, *398-406, *583-584, *604 ; voir corédemption, médiation, rédemption. Merkelbach, B.-H., le principe fondamental unique de toute la mariologie, *700 ; l’impeccabilité morale de la Vierge, *674 ; la Vierge considérée par les anciens comme épouse du Christ, non de l’Esprit, *718 ; la mort de la Vierge est certaine, *748 ; le culte d’hyperdulie, *660-661. MERSCH, Émile, l’incarnation terminée à la nature particulière du Christ, a des effets sur toute la nature humaine, *225226 ; l’œuvre commencée à l’incarnation se continue dans la rédemption, *579 ; la Vierge supérieure à l’économie sacra­ mentelle, *739 ; il a le mérite de voir la parenté de l’Église et du corps mystique, mais le tort de ne pas voir qu’ils s’identi­ fient, *144-145, *186 ; y a-t-il deux traditions, l’une orien­ tale, l’autre occidentale sur le corps mystique ? *879 ; le 2190 TABLE ALPHABÉTIQUE culte de l’Église est messianique, 1452 ; l'unité de l’Église est la charité, 1938; la sainteté de l’Église est plus grande que celle de chacun de ses enfants, 1476. Messe, elle est la permanence dans le temps de l’acte tempo­ raire de la passion rédemptrice du Christ, *321-340, *408410, *540, c’est le rite non sanglant de la cène qui est renou­ velé, non l'unique sacrifice sanglant qu’il véhicule jusqu’à nous, 1450 ; elle est au cœur de l’Église, *438-439, 1036, 1095, 1446-1453, 2047, elle était prophétisée, 2070, l’Église s’offre par le Christ, *406, *965, *968-969, les bap­ tisés peuvent s'unir liturgiquement à l'offrande du prêtre, 1448, toutes les messes demandent le salut du monde, *691, application des fruits de la messe, 1389. MEYENDORFF, Jean, *939. MICHEL, A., ses définitions de l'hérésie, 1190; sa traduction d’un passage de Suarez sur la bonne foi, 1409-1412. Michel de Saint-Augustin, *727. MlCKIEWICZ, Adam, il voit dans le don prophétique de Jeanne d’Arc le présage d’une politique chrétienne, *430 ; l’attitude de Grégoire XVI, 1455. MILLÉNARISME, la réintégration des Juifs dans l’Église n’inau­ gurera pas une ère millénariste, *199. MlLNER, Joseph, les effusions de l’Esprit sur l’Église, *772. MiLTON, la miséricorde prévaut sur la justice, *215 ; le Christ est la racine sur laquelle refleurit la création, *232-233 ; l’âge de la rédemption meilleur que l’âge de l’innocence, *282-283. MIRACLE, il tombe sous la prise non pas du regard empirique, mais du regard par lequel la raison discerne les valeurs méta­ physiques et morales, 1439-1440, 2021-2022, il est un des moyens par lesquels l’Esprit vient au secours de son Église, *836 ; à la ressemblance de Jésus, l’Église est un mystère par son essence et un miracle moral par son éclat, 1927-1928, les notes miraculeuses de l’Église, 1928-1933, le miracle de son unité catholique, 2026-2074 ; les miracles physiques accompagnent l’Église, 1459, ils sont l’ombre de sa sainteté TABLE ALPHABÉTIQUE 2191 transcendante, 1462, ils font une suite aux miracles évangé­ liques, 1463-1464, profusion des miracles aux temps apos­ toliques, 1460, les miracles en temps ordinaire, 1462, la hié­ rarchie ne peut commander des miracles, 1462, la significa­ tion messianique et eschatologique des miracles, 1463-1464 ; ils aiment à se cacher, 1464, ils sont possibles chez ceux qui n’appartiennent pas encore pleinement à l’Église, 15081509, le miracle de la vestale, 2024. MISSIONS DIVINES, l’Église, comme collectivité, atteint sa plé­ nitude avec les missions visibles du Fils et de l’Esprit, *759764, les trois personnes lui sont alors pleinement présentes, le Père comme venant ou se donnant, les deux autres per­ sonnes comme envoyées par lui, *773 ; définition d’une mission visible, *769 ; *777, *782-783, il n’y avait jamais eu de missions visibles avant celle de l’incarnation, *764, il n’y avait eu que des apparitions, *765-766, *782, et il n’y aura plus de mission visible après celle de Pentecôte, *767-768, elle ouvre le dernier âge du monde, *767-769 ; c’est mécon­ naître le mystère de Pentecôte que d’attendre encore une mission visible de l’Esprit saint, *768-769 ; la mission visible du Fils se termine au Christ, qui est la tête, "496498, "760, "767 ; le divin mouvement du Père produisant le Fils est l’origine de l’incarnation, *526 ; les quatre missions visibles de l’Esprit sont ordonnées à l’Église, qui est le corps, "761, "783-784 ; parallèle entre la mission visible du Verbe à l’incarnation et la mission visible de l’Esprit à Pentecôte, *505-507, *510-512, *769 ; après l’incarnation et Pentecôte, l’Église tête et corps est achevée, la glorification du Christ à l’Ascension, et la glorification de l’Église à la fin du monde, ne sont que l’ultime conséquence de ces deux mis­ sions visibles, *767-769 ; les missions invisibles viennent attiser le feu déposé dans l’Église par les missions visibles, "770, *782-784 ; en venant lui-même et en se donnant sans cesse invisiblement à son Église, le Père lui envoie en même temps sans cesse, invisi­ blement et simultanément, le Fils et l’Esprit, *773 ; elles existaient avant le Christ, mais ont reçu depuis une perfec­ tion inouïe, *770 ; définition des missions invisibles, *526, 2192 TABLE ALPHABÉTIQUE *774, *775-776 ; elles sont toujours simultanées, versant dans les cœurs lumière et amour, *776-777, mais selon que la dominante est lumière ou amour, on parlera de missions invisibles du Fils ou de l’Esprit, *778 ; le rythme des mis­ sions invisibles et des renouvellements de l’Église, *771”86 ; au moment de l’Annonciation, la mission visible du Fils dans le Christ s’accompagne de deux missions invisibles, l’une au Christ, l’autre à la Vierge, *764, *783-784 ; mission visible faite à la Vierge au jour de Pentecôte, ’763-764. Missions ÉTRANGÈRES, les missions visibles de l’incarnation et de Pentecôte sont le principe suprême de l’activité mission­ naire qui porte l’Église à la rencontre de la parousie, *525527, 1949-1950; immédiatement le dynamisme mission­ naire procède de la structure même de l’Église et peut être rattaché soit à son apostolicité, soit à son unité catholique, soit à sa sainteté, 1946, 1951-1952; l'expansion de l’Eglise la révèle à elle-même, 1955 ; dans ce grand mouvement d’ex­ pansion, le domaine des missions étrangères peut être isolé, pour des raisons non point formelles, mais seulement maté­ rielles, 1975 ; examen du principe, du but, du milieu de l’activité missionnaire, 1975-2016; définition des missions, 2016-2017. MOEHLER, J.-A., il « redécouvre » le concept paulinien et mys­ tique de l’Église, *153 ; « Verbum caro » n’a jamais été clair pour Luther, *601 ; la force de cohésion miraculeuse de l’Église, 2043-2045 ; en s’unissant aux dissidences, elle accueillerait en elle, non pas des contrastes, mais des contra­ dictions, 2044-2045 ; les causes du succès de l’arianisme, 2037-2038 ; recevoir demande parfois plus de force que donner, 1144. MONCHANIN, Jules, comment l’idée de l’Inde pourrait s’ac­ complir dans le christianisme, 1795, 2051. MONDE CHRÉTIEN, le Prince de ce monde a sa part dans le monde chrétien, il n’a pas de part dans l’Église, les catho­ liques ne sont pas le catholicisme, 1505. More, Thomas, S., 1665, 1856. TABLE ALPHABÉTIQUE 2193 MOSCOU, conférence ecclésiastique de 1948: ses résolutions, 1419-1421, 1736, 2053. Mura, Ernest, *206. NACLANTUS, Jacques, nous sommes insérés dans le Verbe jus­ qu’à participer en quelque sorte à sa divine personne, *261, *476 ; texte audacieux suivant lequel nous serions en quelque sorte fils naturels de Dieu, *478 ; notre adoption sera communiquée aux anges, *485. Nautin, Pierre, « je crois en l’Esprit saint », *926. Naz, R., biens ecclésiastiques, 1541-1543 ; les clercs exemptés du service militaire selon le concordat italien, 1650. NaZARIUS, Jean Paul, avec lui les théologiens n’oublient pas le caractère mystique de l’Église, *154 ; le Christ, en son corps mystique, est mystiquement un seul suppôt, qui subsiste directement en lui-même, et mystiquement dans les fidèles, *261, *476, il a deux manières de subsister, l’une propre, en lui-même, l’autre mystique, en nous, *405-406, c’est lui qui mérite et satisfait en nous, *403-406 ; la grâce donnée par le Christ est meilleure que la grâce donnée sans médiation, *473 ; il distingue en chacune des trois personnes divines deux subsistences, l’une essentielle, l’autre personnelle, *412-413. NEWMAN, John Henri, l’Évangile est prêché pour faire des élus, non pour changer la face du monde, 1056; les effu­ sions de l’Esprit sur l’Église, *771, *838 ; la profusion des miracles aux temps apostoliques, 1461-1462 ; le carac­ tère prophétique de l’Église de Rome, 1456 ; c’est bien la découverte de l’apostolicité de cette Église qui est le motif décisif de sa conversion, 2042 ; une conversion est toujours chose positive, non négative, 1210 ; sa souffrance au moment de quitter l’Église anglicane pour l’Église romaine, 1961 ; son jugement final sur l’Église d’Angleterre, 1203-1205. NlCÉTAS DE Remesiana, dans l’unique Église catholique tu obtiendras la communion des saints, 1108-1109. 2194 TABLE ALPHABÉTIQUE NICOLAS Ier, S., condamne la torture, 1523; l’affaire de Photius, 1422-1424. Nicolas de Flue, S., 1818, 1874. NICOLAS, M.-J., la Vierge corédemptrice, *695, *708-709, *745-746. NOTES de l’Église, les quatre propriétés mystérieuses de l’Église sont objet de foi divine, ses quatre notes sont objet de constatation, 1929 ; la définition des notes, 1929, 20232024 ; elles relèvent de ce regard de la raison qui sait discer­ ner les valeurs morales et métaphysiques, 2021-2022, 2026 ; la connexion nécessaire des quatre notes entre elles, 2022-2025 ; leur présence est mutilée dans les dissidences, *79, 1932-1933, 2025; de l’unité catholique comme note miraculeuse de l’Église, 2020-2074 ; pour Calvin, unité, catholicité, sainteté relèvent de l’Église invisible, seule l’apostolicité, qui relève de l’Église visible, mais dont la définition est désormais faussée, est une note, 1605, 1608 ; voir Lortz, miracles, propriétés, regards, visibilité de l’Église. NUNO, Didacus, le caractère sacramentel est une participation au pouvoir d’excellence du Christ, *437 ; il nous configure­ rait au Christ, qui est prêtre, plus qu’au Père et à l’Esprit, *448. la royauté du Christ se continue dans les pou­ voirs juridictionnels de l’Église, qui sont royaux et prophé­ tiques, 1032-1033 ; si la hiérarchie peut, en dernier ressort, juger de la prophétie non hiérarchique, c’est quelle est elle-même la forme supérieure de la prophétie, *433-435 ; la raison de l’économie par laquelle le Christ continue de nous parler extérieurement par les pouvoirs hiérarchiques et de nous demander l’obéissance à ces pouvoirs, tient à l’écono­ mie profonde de l’incarnation, 1066-1068, 1070-1071, 1077 ; pensées de saint Jean de la Croix et de saint François de Sales sur ce sujet, *838-839, 1068-1069, 1211 ; les directives juridictionnelles, en tant qu’assistées, relè­ vent de l’ordre prophétique, en tant qu’acceptées amoureu­ sement par la charité, elles relèvent de l’ordre mystique et OBÉISSANCE, TABLE ALPHABÉTIQUE 2195 sanctifiant, 1144, 1366, qui est meilleur, 1075, 1083-1084, 1745-1747; cette acceptation amoureuse constitue l’obéis­ sance à l’Évangile, 1075 ; elle est d’ordre théologal, quand elle se réfère aux directives des pouvoirs déclaratifs, et d’ordre moral, quand elle se réfère aux directives des pou­ voirs canoniques, 1074, 1076-1077 ; qu’elle soit théologale ou morale, l’obéissance chrétienne doit toujours être pru­ dente, jamais aveugle, mais le rôle de la prudence diffère dans les deux cas, 1525-1528 ; la charité christique sacramentelle, qui fait l’Église une d’une unité de connexion, demande à intérioriser en elle les directives christiques juridictionnelles, qui font l’Église une d’une unité d’orientation, 1137-1144 ; le propre du schisme est de détruire cette double unité, qui compose l’unité de communion, 1362 ; il faut plus que la désobéissance, il faut la rébellion pour qu’il y ait schisme, 1375 ; la charité sacra­ mentelle, en tant qu’orientée par les directives juridiction­ nelles, constitue l’âme créée de l’Église, 1078-1079, 11351153 ; voir enseignement, foi, juridiction, pape, révélation. ŒCUMÉNISME, il y a place pour un œcuménisme catholique, disons plutôt, afin de souligner d’emblée le principe de l’unité organique de l’Église divino-humaine du Christ, et de l’opposer au principe protestant de l’invisibilité de l’Église divine et de l’unité fédérative des Églises visibles, pour un unionisme catholique, 1253-1258, 1413-1419; manières erronées de chercher ou de ne pas chercher l’union avec les non-catholiques, 1259-1262; la charité divine est toujours suprasubjective, jamais supradogmatique, 1261 ; les dernières profondeurs du traité théologique de l’Église sont les plus capables d’orienter sûrement les démarches d’un unionisme catholique ; signalons au hasard quelques thèmes qui s’y réfèrent plus immédiatement : les Églises dis­ sidentes ne sont ni hérétiques ni schismatiques, 1194-1215, le bien qui se fait en elles ne manque d’aucune manière à l’Église romaine, mais, encore qu’il soit entravé, il enrichit la catholicité de son agir, 1970-1974, en s’unissant aux dissi­ dences, l’Église, loin de composer avec elles une unité plus riche, introduirait en soi le principe de dissidence, 2043-2045, 2196 TABLE ALPHABÉTIQUE son unité est organique, non fédérative, 1203, 2052-2055, qui est membre du Christ et de l’Église? 1715-1752, la maxime: hors de l’Église pas de salut, 1752-1802, l’Église romaine plus pure et plus vaste que nous ne savons, 1803, l'héritage chrétien des dissidences les rapproche de l’Église, le principe de dissidence les en éloigne, 1201, les quatre réa­ lisations de la prière du Sauveur pour l’unité, 2075-2087, dispositions canoniques relatives aux dissidents et à ceux qui participent à leur culte, 1215-1222; conseil œcuménique protestant de 1948 à Amsterdam, 1839, 1856-1860, 1889; opinion de la conférence ecclésiastique de Moscou 1948 sur l'oecuménisme protestant, 1419; voir anglicans, catholicité, dissidences, orthodoxes, protestantisme, unité catholique, visibi­ lité de rÉglise. OESTERREICHER, John M., perfidia judaica, 1318, 1344-1345. ORDRE et MARIAGE, ces deux sacrements sont sociaux à un titre particulier, car ils fondent l’Église sur l’écoulement du temps, 1116-1117, 2004. Orientation âme de rÉglise, charité, enseignement, grâce christique, juridiction, unité de commu­ nion. JURIDICTIONNELLE, voir ORIGÈNE, le royaume, c’est le Christ, *160; le Christ est au cœur de la communion des saints, 1110; hors de l’Église, pas de salut, 1760; son erreur sur les anges damnés qui pourraient être rachetés par le Christ, *277. Orthodoxes dissidentes (Églises), comment les nommer: Églises de rit byzantin, 1148-1149, Églises gréco-russes, 1148-1149, Églises pravoslaves, 1149, 1228, Églises dissidentes orientales, 1208-1209, Églises orthodoxes, 12271229; «l’Église des sept conciles œcuméniques», 1235; starovières ou raskolniks ? 1251-1252 ; aux origines de la dissidence, 1222-1226, 1231-1232, 1421-1430; ce sont aujourd’hui non pas des Églises héré­ tiques ou schismatiques, mais des Églises dissidentes, 12061208, 1216, 1222-1226, 1229 ; cela est vrai soit de l’Église orthodoxe grecque, soit de l’Église orthodoxe russe, 12291231 ; elles sont, de ce fait, déchirées dans leur profondeur TABLE ALPHABÉTIQUE 2197 par le conflit entre l’héritage chrétien et le principe de dissi­ dence, 1151-1153, 1203; leur enseignement est en partie conciliaire, en partie extraconciliaire, 1234-1239; fluctua­ tions doctrinales : la primauté de Pierre, longtemps reçue, 1150, a été remplacée par la doctrine de la conciliarité, 1146, la doctrine des caractères sacramentels, 1097, les livres deutérocanoniques, 1236-1237, sur la possibilité d’un nouveau concile qui serait regardé comme œcuménique par les Églises orthodoxes, 1152, 1237-1238, la plaie du natio­ nalisme, 1247, 1252, 1575, 1736; leur fidélité dans la per­ sécution, 1212-1213 ; une grande part de leurs institutions pourraient être intégrées telles quelles dans l’Église et rece­ vraient de ce simple fait le coefficient de catholicité qui leur manque encore, 1960; la visibilité de l’Église y est plus apparente que dans le protestantisme, *114; les justes qui vivent en elles tendent à s’identifier avec l’Église romaine, 1214-1215; dispositions canoniques concernant les catho­ liques qui participent à leur culte, 1217-1222 ; les voies de l’union selon le Père Tyszkiewicz, 1413-1419; faute de voir dans l’Église orthodoxe une Église dissi­ dente, Soloviev la considère comme une juxtaposition de deux Églises, l’une toute divine, l’autre toute humaine, 1239-1251 ; opinion du Père Jugie sur la position respective de l’orthodoxie et du catholicisme, 1239 ; voir dissidences, Moscou, pape, Photius, Soloviev, unité de communion. Othon DE Freysing, la cité du diable s’identifiait à l’empire romain et a disparu avec lui, *111-112. PALAMAS, Grégoire, il nie la grâce créée, *578, *939. PAPE, la primauté romaine annoncée prophétiquement dans l’Évangile, 2061 ; la soumission au pontife romain est de nécessité de salut, 1774; cette primauté romaine est reçue implicitement, obscurément, tendanciellement par tous ceux qui sont dans la charité du Christ, même si, par igno­ rance invincible, ils la nient et la combattent : beaucoup de brebis du Christ ne connaissent ni le pasteur que le Christ a choisi pour ses brebis, ni même le Christ, elles ne sont pas 2198 TABLE ALPHABÉTIQUE connues nommément de ce pasteur, mais le Christ les connaît nommément, 1148-1149, 1481, 1775, 1784-1785, 1803, 1970-1971, 2029; la primauté romaine est reçue explicitement, ouvertement, consciemment partout où la révélation évangélique est plénière : témoignages d’Ambroise et de Jérôme, 1762, elle a été longtemps reçue en Orient, 1150, elle est redécouverte par Soloviev, 1150, 1249, 2061 ; c’est de la primauté romaine que dépend l’unité d’orienta­ tion de l'Église, sans laquelle la charité, même sacramen­ telle, ne saurait être pleinement orientée, ni l’Église du Christ exister en acte achevé, 1139-1145, 1148-1153; au temps de la fondation de l'Église, le sujet suprême de la juri­ diction du Christ est la collectivité des apôtres, tous égaux dans le charisme de l’apostolat, 1146; au temps de la conservation de l’Église, le sujet suprême de la juridiction du Christ est, non pas la conciliarité, 1146, mais le vicaire du Christ, 1147 ; le Christ et le pape ne sont pas juxtaposables, ils ne font pas deux têtes à l'Église : cette absurdité, condamnée déjà par Boniface VIII, *249, *592, réfutée chez Gabriel Biel, *597, est reprise et exploitée par Hus et par Luther, *589, *592, *596 ; le pape n’est tête de l’Église que d’une manière subordonnée et vicaire, dans la seule ligne de la juridiction permanente, et pour un temps restreint, *252 ; en tant que personne privée, il est fils de l’Église comme tous les autres fidèles, 1076, en tant que pape, son pou­ voir juridictionnel suprême est au service de l'Église, meilleure que le pape, comme la fin est meilleure que ce qui est pour elle, 1083-1084; l'Église est le corps du Christ, non de Pierre, *252, *589 ; on peut commencer le schisme soit en brisant l’unité de connexion avec les membres de l’Église, soit en refusant l’obéissance au pape comme tel, 13741375 ; de la possibilité d’un pape schismatique, 1379-1382. PARAGUAY, réductions du, 2002, 2015. Parole de Dieu, ses analogués, 1838, 1849-1850. PASCAL, Biaise, l’Église est évidente, mais à ceux qui aiment Dieu, ’78, *92 ; les deux aspects complémentaires de la vérité, *94, *100 ; il est juste que la raison se soumette, *98 ; TABLE ALPHABÉTIQUE 2199 ce qui est arrivé à Jésus-Christ doit se passer dans le chré­ tien, *334 ; les choses corporelles deviennent depuis le Christ les images de notre libération, 1049 ; Paul-Émile et Persée, deux symboles de la nature blessée, 1270 ; les faux miracles prouvent les vrais, 1329 ; les choses sont des voiles qui cou­ vrent Dieu, 1610 ; Dieu nous communique la dignité de la causalité, 1830 ; son principe d’interprétation des prophé­ ties est celui de saint Augustin, *134 ; les prophéties messia­ niques, 2061-2062, 2074. PASCAL, Pierre, ni l’Église nikonienne, ni celle des vieux croyants ne présentent tous les traits de l’Église du Christ, 1252. Passerini, P. M., les états de vie, 1671-1703, 1746. PATERNITÉ DIVINE, de deux significations suranalogiques du nom de Père, *615 ; il convient d’abord à la première per­ sonne par rapport à la seconde, puis, analogiquement, à la Trinité tout entière ; par rapport aux créatures, *464-468, *484 ; le Christ n’est pas, comme nous, Fils de la Trinité tout entière, *461 ; « je monte vers mon Père et votre Père », *466, *616, *635-636, *642 ; il faut adorer le Père en esprit et en vérité, *89-90 ; voir adoption, appropriation, filiation adoptive. PaulV, 1999. PAULIN d’AquilÉE, S., le principe de réfutation de l’adoptia­ nisme, *454. PÉCHÉ, le premier péché n’est permis qu’en vue de la rédemp­ tion, *209-216; le péché, fini comme souillure, est infini comme offense, *347-352 ; l’infinité de l’offense nous est manifestée dans l’infinité de la rédemption, *352-357, *367-368, *681-682; le péché originel infecte la nature et remonte jusqu’à la personne, la rédemption au contraire répare d’abord la personne, et seulement à la fin du monde la nature, *750-751, dont les misères sont illuminées, non éliminées, *677-679 ; la révélation du péché originel, 1267 ; la blessure du péché originel affecte l’enfant par rapport à la vie présente, non par rapport à la vie des limbes, 1268-1277, 1286-1287 ; l’exemption du péché dans les 2200 TABLE ALPHABÉTIQUE chrétiens, dans l’Église, dans la Vierge, *669-675 ; un sacre­ ment spécial a été préparé pour les membres pécheurs du Christ et de l’Église, 1133, 1761 ; en quel sens le Christ s’est fait péché pour nous, *273-274, *365, *395-396 ; voir âme de lÉglise, appartenance au Christ, charité, membres du Christ. PÉGUY, Charles, les cités charnelles sont-elles le corps de la cité de Dieu? *130; la prière de Jésus s’incorpore la nôtre, *370 ; Dieu prie pour nous, *377 ; le pécheur donne la main au saint, *705 ; l’humanité disparaît d’une civilisation, 1178-1179. Penido, M. T.-L, *419, *624, *628. PENTECÔTE, les quatre missions visibles de l’Esprit saint sont ordonnées à celle de Pentecôte, qui consacre et manifeste l’Église, *762-763, *783-784, *792-793 ; elle ouvre l’âge de l’Esprit saint, où le trop-plein de la grâce capitale du Christ, qui est tête, déborde sur l’Église, qui est son corps collectif, *504, *521-523 ; c’est le dernier âge du monde, *767-768 ; à ce moment s’accomplit la prophétie de l’Ancien Testament annonçant la fondation du royaume messianique, dont la gloire éclatera à la fin des temps, 2068 ; l’Esprit saint est donné, non pour innover ses dons, mais pour les parfaire, *886, *924-925, 1175; la mission visible du Verbe à l'incarnation devait précéder celle de l’Esprit à Pentecôte, *505, *510-512 ; différence de ces deux missions, *506 ; de quoi est faite la mission de Pentecôte, *507-508 ; pourquoi l’Ascension devait précéder Pentecôte, *514-519 ; le Christ de Pentecôte et le portail de Vézelay, *512-514, *517, *519, 1064, 1954; les deux significations de Pentecôte : pour la Vierge, elle est un terme, pour les apôtres, un départ, *711, *740, "763 ; c’est le point d’où part l’élan missionnaire qui portera l’Église de Jérusalem aux confins du monde et de sa pleine naissance à sa parousie, 1949-1950 ; dès Pentecôte, l’Église est catholique, non seulement en droit, mais déjà en fait, 1947-1948, 2032; par le souffle de Pentecôte, l’Église est plus sainte que chacun de ses membres, 1475; le foyer TABLE ALPHABÉTIQUE 2201 quelle recèle en son cœur est constamment attisé, *771784 ; l’offensive des forces du mal contre la prédication de Pentecôte, 1797-1799; l’erreur palamite suivant laquelle il n’y aurait pas eu, avant Pentecôte, d’union à Dieu par la grâce, *767 ; voir âges du monde, Christ, Esprit saint, incar­ nation, missions divines. Perbal, Alb., 1979. PERFIDIA, signifie le péché d’infidélité avec ses trois espèces : pagana perfidia, judaica perfidia, heretica perfidia, 1318, 1327, 1341-1345 ; voir infidélité. PERMANENCE des mystères de la vie transitoire du Christ, *321-339, *538-541, *752. PERRONE, Jean, l’âme de l’Église est faite de la grâce sancti­ fiante, de la foi, de l’espérance, de la charité, *930-931 ; au lieu de définir l’unité de communion par l’unité théologale de la charité, il la définit par l’unité canonique du compor­ tement, 1143, 1160-1166, 1361, 1373, 2046. PERSÉVÉRANCE FINALE, se définit la conjonction de l’état de grâce et de la mort, *174; en quel sens elle demande un secours spécial, *174-175. Personnalité de l’Église, l’Église est une personne réelle surnaturelle : non fictive mais réelle, non individuelle mais collective, non imparfaite mais parfaite, non naturelle mais surnaturelle, *799-817 ; le mot personne ne convient pas à l’Église comme à une personne humaine, ni au Christ indi­ viduel comme au Christ total, *264-265 ; dans la ligne ascendante de la supplication, c’est le Christ, à l’exclusion des deux autres personnes divines, qui est comme homme la personnalité mystique rédemptrice de l’Église, *205, *370 ; il est comme homme la cause princi­ pale de notre salut, *361-362; l’Église forme avec lui comme une personne unique, *205, *260, *368-370, *374, une seule personne mystique, *242, *255-258, *259-266 ; le Christ est mystiquement le suppôt et l’hypostase de l’Église : Cajetan, Bellarmin, Nazarius, Pie XII, *257, *261, *403405, *959 ; le Christ total, tête et corps, est une seule per­ sonne, personnalisée substantiellement par la Filiation natu- 2202 TABLE ALPHABÉTIQUE relie, pour ce qui est du Christ, qui est tête, et accidentelle­ ment ou mystiquement par la filiation adoptive, pour ce qui est de l’Église, qui est corps, *265 ; selon Nazarius, le Christ a deux manières de subsister, l’une propre en lui-même, par laquelle il est personne singulière, et la valeur de son mérite est infinie, l’autre mystique dans les fidèles, par laquelle il tient le rôle de toutes les personnes qui sont devenues ses membres, en sorte quelles peuvent dire : je mérite, non pas moi, mais le Christ en moi, *404, *405-406 ; dans la ligne de la supplication, le Verbe personnalise immédiatement le Christ rédempteur, en raison de l'union hypostatique, qui est substantielle et infinie, et extensivement l’Eglise coré­ demptrice, en raison de l’union de charité, qui est acciden­ telle et finie, *814-815 ; dans la ligne descendante de l’efficience, qui prime la ligne précédente, la personnalité efficiente suprême de l’Église, la Cause première qui la meut par une providence spéciale, qui la conserve sans tache ni ride, et qui est en ce sens le suprême sujet d’attribution de ses démarches, c’est la Trinité tout entière, disons par appropriation, après les Actes des Apôtres, l’Apocalypse, les Symboles de la foi : l’Esprit saint, *207-208, *414-416; dans cette même ligne descendante de l’efficience, la sainte humanité du Christ, qui est la cause instrumentale, merveilleusement intelligente et libre, de toutes les grâces de l’Église, peut être appelée la personnalité mys­ tique efficiente instrumentale de l’Église, le mot personna­ lité revêtant alors non plus un sens métaphysique pour dési­ gner le Verbe, mais un sens psychologique pour désigner le foyer d’intelligence et d’amour du Christ qui conforme à lui son Église, *360-362, *417-420, *802 ; après avoir dit que le Christ et l’Église sont une « seule » personne mystique, on pourra ajouter que l’Église est ici-bas comme « un autre » Christ, une « autre » personne du Christ, mais alors on aura quitté la comparaison biologique pour la comparaison nuptiale, *265, *959-961 ; voir Christ, Esprit saint, incarnation, Trinité. PETAU, Denis, on ne doit pas rapporter au Fils toutes les appa­ ritions de l’Ancien Testament, *765 ; il parle de « conjunctio TABLE ALPHABÉTIQUE 2203 substantialis » à propos de la présence d’efficience et de la présence d’inhabitation, *851 ; Dieu est forme de l’intelli­ gence des bienheureux, *869 ; son opinion sur notre parenté avec les personnes divines, *467, *478. PETERSON, Erik, comment les Pères opposent « ecclesia » et «synagoga», *137-138 ; perfidia judaica, 1318 ; Ponce Pilate figure dans le Symbole l’opposition des royaumes de ce monde au royaume qui n’est pas de ce monde, *366 ; le temps eschatologique est celui qui va de la première à la seconde venue du Christ, *155; la place du martyre dans l’Eglise, *544-547 ; exposé critique de la thèse de « Pilgernde Kirche » qu’il écrivit étant encore protestant, *194-197. PEUPLE DE Dieu, en hébreu « qehal lahveh », et en grec « ekklesia », a pour équivalent le mot Eglise du Nouveau Testament, *141, 1898; par opposition, l’hébreu « edah », et son équivalent grec « sunagogè », ne sont pas réservés aux hommes et peuvent se dire des animaux, 1898. PHOTIUS, schisme, condamnation, réintégration de Photius, 1201, 1421-1430; où placer vraisemblablement la catas­ trophe intérieure de Photius, 1223-1224, 1423-1427. PlE IX, l’incarnation décrétée de toute éternité en prévision de la chute, ’731 ; c’est en raison des mérites futurs du Christ que la Vierge est immaculée dès sa conception, ’662 ; tous les fidèles doivent prier pour le salut du monde, *562 ; per­ sonne ne peut avoir la présomption de tracer les limites de l’ignorance invincible, 1405-1407, 1591, 1776-1780; on regrette que cette grande doctrine n’ait pas été résumée dans le Syllabus, 1778; conversation avec le Père Spencer au sujet des anglicans, 1193. PlE X, la Vierge, médiatrice du monde entier, nous mérite « de congruo » ce que le Christ nous a mérité « de condigno », *568, *702-703 ; l’âme de l’Église consiste dans les dons de la grâce et de l’Esprit saint, *933. PlE XI, la prière de consécration du genre humain au Sacré-Cœur, 1344; Marie réparatrice par son union au Christ en croix, *703; Action catholique, 1656-1665 ; les missions étrangères, 1982-2011. 2204 TABLE ALPHABÉTIQUE PlE XII, toute l’œuvre divine «ad extra» est commune aux trois personnes divines, *882, *889, *973 ; sur les explica­ tions théologiques de la doctrine de l’inhabitation des per­ sonnes divines, *888 ; mise en garde contre un faux mysti­ cisme, *888 ; l’Église est le corps mystique du Christ, *145, *186; dif­ férence entre corps moral et corps mystique, *808, *974 ; l’Église est le Christ, *255 ; le Christ et l’Église font une seule personne mystique, qui est le Christ total, *257 ; selon Bellarmin, le Christ est suppôt et hypostase de l'Église, on peut dire aussi de l’Église quelle est « comme un autre Christ », « comme une autre personne » du Christ, *265, *960 ; le Christ est tête de l’Église dès le jour de l’incarnation, *498, *735, 1048, 1615; Marie devient notre mère à un nouveau titre au pied de la croix, *703-704 ; l’Assomption de la Vierge, *752, *755757 ; le Christ et l’Esprit opèrent en nous, *972 ; comment le Christ meut l'Église, 1173 ; les baptisés s’unissent liturgiquement à l’offrande du prêtre, 1448 ; l’état de vie parfaite, 1645, 1671, 1687, 1698, 1702 ; les pécheurs sont membres de l’Église, *946-947, 1483, mais elle est sans tache et immaculée, 1827 ; les missions étrangères, 1990-2012; dif­ férence entre la mission et la croisade, 1997 ; appel aux frères dissidents orientaux, 1209, et à tous les non-catho­ liques de bonne volonté, 1406, 1780-1782. POLYCARPE, S., le mot d’Église catholique, au sens d’Église universelle, dans le récit de son martyre, 1934. PORTALIÉ, E., adoptianisme, *454-455. Poupon, R. P., *728. PRADO, Norbert del, *214, 1879. PRAT, E, Γ« homme parfait» est le Christ mystique, *254; la formule « in Christo Jesu », *254 ; les divers sens suivant les­ quels le Christ a récapitulé le monde, *276 ; nous vivons de l’Esprit envoyé par le Fils, *521 ; son opinion erronée sui­ vant laquelle la grâce nous unit à la Trinité sans distinction des personnes divines, *467. TABLE ALPHABÉTIQUE 2205 PRÉDESTINÉS, prédestination éternelle du Christ, de la Vierge, de l’Église, *657, *729-731 ; l’Église sait quelle est prédesti­ née, *102, mais notre prédestination personnelle nous reste cachée, *102-103, *590; condamnation des thèses réfor­ mées sur la certitude que nous aurions de notre prédestina­ tion, *102 ; nécessité de craindre avec confiance, *103 ; tous les prédestinés auront, ici-bas, avant de mourir, appartenu à l’Église, soit visiblement et spirituellement, soit au moins spirituellement, *167, 1591, mais les prédestinés ne sont pas tous membres actuels de l’Église, ni les membres actuels de l’Église tous prédestinés, *171-172; les prédesti­ nés qui ne sont pas en acte de l’Église, en sont en puissance, qui sera actualisée, *172 ; selon la prescience divine, certains seront demain membres de l’Église, qui sont aujourd’hui hérétiques, 1585 ; on peut appeler «jardin fermé», l’Église considérée dans ceux de ses enfants, manifestes ou cachés, qui meurent dans la charité, *167, mais cette vue, qui est légitime, reste limitée, *167-170 ; l’Église d’ici-bas, avec ses membres manifestes ou cachés, aura été, au cours du temps, plus vaste que l’assemblée des prédestinés, *167 ; c’est en pervertissant la pensée de saint Augustin, que Wicleff et Hus ont pu définir l’Église l’assemblée des prédestinés, *81, *170-178, *590 ; voir jardin fermé. PRÉSENCES de Dieu au monde, voir Trinité. Primauté romaine, voir pape. PROPHÉTIE, le Christ, qui continue d’être roi, n’est prophète que pendant le temps de sa vie mortelle, *421, 1034, 1067, 1453 ; le don prophétique, naturel et permanent chez le Christ, survenait dans les anciens prophètes par manière de rapt et de violence, 1455 ; il passe à l’Église sous cette double forme, l’une en quelque sorte naturelle et perma­ nente, voilà la prophétie hiérarchique, destinée d’abord à fonder l’Église, puis à la conserver, *427, 1073-1074, 1454-1456, l’autre miraculeuse et sporadique, voilà la pro­ phétie privée, *430-431, 1456-1458, 1621 ; le caractère pro­ phétique permanent de l’Église romaine frappe Newman, 1456, mais échappe à Soloviev, qui ne songe qu’à la prophétie 2206 TABLE ALPHABÉTIQUE privée, *428-430, 1456; c’est parce que la hiérarchie est assistée prophétiquement qu’il lui appartient de juger de la prophétie privée, *433-435, *838 ; la lumière prophétique de révélation chez les apôtres, et d’assistance chez leurs successeurs, *427, 1073-1074; les degrés de l’assistance prophétique, *433-435, 1454, 15151529 ; la prophétie du Nouveau Testament est messianique et eschatologique, 1459, elle sort de celle de l’Ancien Testament comme le soleil sort du crépuscule, *425 ; mani­ festations de la prophétie juridictionnelle, *427, 1066-1068, 1070-1073, 1081, 1454, et de la prophétie privée, *430433, *836-837, 1456-1458, 1618-1620 ; un don surnaturel de prophétie peut être donné pour une mission temporelle, comme chez Jeanne d’Arc, *432 ; différence entre la lumière prophétique et la lumière sanc­ tifiante ou mystique, 1074-1076, 1366-1367, 1457-1458, 1619, 1850-1851 ; cette différence est reconnue en islam, *420-421 ; l’orientation juridictionnelle, en tant que dis­ pensée par les pouvoirs juridictionnels, est une lumière pro­ phétique, en tant que reçue par la charité des fidèles, elle est une lumière sanctifiante, 1144; la catholicité de l’Église prophétisée, soit dans l’Ancien, soit dans le Nouveau Testament, 2059-2073 ; analogués naturels de la prophétie, *430, *435 ; voir assistance, hiérarchie, juridiction, révélation. PROPRIÉTÉS de l’Église, les quatre propriétés de l’Église sont les quatre manières d’être qui découlent immédiatement et nécessairement de ses quatre causes, 1929 ; elles sont mysté­ rieuses et objet de foi divine comme l’essence même de l’Église, 1929 ; l’apostolicité se rattache à la Cause efficiente, l’unité catholique aux causes formelle et matérielle, la sain­ teté à la cause finale, 1916-1918, 1930-1932; les quatre propriétés sont métaphysiquement inséparables, 2022-2024 ; le dynamisme missionnaire de l’Église peut se rattacher à chacune des quatre propriétés, 1951-1952 ; de l’unité catho­ lique comme propriété mystérieuse de l’Église, 1932-2020 ; les quatre notes sont l’éclat miraculeux et constatable par la raison des quatre propriétés mystérieuses et objet de foi divine, 1930-1932, 2023-2024 ; on se trompe en faisant de TABLE ALPHABÉTIQUE 2207 la visibilité de l’Église une cinquième propriété, et plus encore en la disjoignant de sa spiritualité: la visibilité, qui signifie le corps, et la spiritualité qui signifie l’âme, consti­ tuent l’essence même de l’Église, *79-80 ; voir notes de l’Église, regards, visibilité de lÉglise. PROTESTANTISME, est aujourd’hui non pas une hérésie, mais une dissidence, *31, 1192-1194, 1200, 1203, 1207; hanté par la notion de l’invisibilité de l’Église divine, *79-94 ; les vraies origines de la thèse de l’invisibilité, *85-87 ; la thèse de l’invisibilité de l’Église divine chez les réformateurs et chez les modernes, *80-94, chez Luther, *587, etc., chez Calvin, 1594, etc., chez Karl Barth, 1838-1839, 1861 ; les diverses Églises, organisations, formations visibles, étant humaines, il reste à choisir entre l’anarchie, *92, et la thèse de l’unité fédérative ou oecuménisme, *93-94, 1839, 18561859, inconciliable avec la doctrine catholique de l’unité organique d’une Église divino-humaine, 1203, 2043-2045, 2052-2055 ; pour avoir insisté sur la visibilité de l’Église sans souligner en même temps sa spiritualité, les catholiques se sont vus accusés par les protestants de réduire l’Église à des réalités purement extérieures, *94-97, *143 ; principe erroné de la justice imputative, *587-588, *593594, 1880-1881 ; méconnaissance de la causalité instru­ mentale du Christ, *364 ; les sacrements deviennent pour Luther de purs signes, *605 ; la causalité sacramentelle « ex opere operato » apparaît à la plupart des protestants comme une magie, 1886; grave altération de la doctrine de la médiation morale du Christ, *364-366, *390-396 ; la doc­ trine traditionnelle de la satisfaction est remplacée par la théorie de la substitution, *365, *579 ; absence de l’idée missionnaire chez les réformateurs, *527, *600 ; insuffisante analyse de la notion de schisme, 1379 ; altération de la doctrine du corps mystique chez Luther, *581-610 ; conception calvinienne de la visibilité de l’Église, 1594-1609; l’ecclésiologie de Karl Barth, 1828-1896; parallélisme de l’erreur protestante sur l’eucharistie et de l’erreur sur la nature de l’Église, 1128, de l’erreur sur la Vierge et de 1’erreur sur l’Église, *665-667 ; les trois grandes 2208 TABLE ALPHABÉTIQUE étapes de l'exégèse protestante touchant l’ecclésiologie durant ces dernières années, *180-181 ; le nouveau consen­ sus de l’exégèse protestante, d’après lequel l’Église n’est pas le royaume, mais l’annonciatrice du royaume, *190; voir Amsterdam, anglicans, Barth, Calvin, confessions protestantes, dissidences, Luther, œcuménisme, visibilité de l'Église. PROVIDENCE, PLAN DE, on peut imaginer d’autres plans de providence possibles, mais si l'on se place dans le plan de providence choisi par Dieu, il est infaillible et l’on ne peut en faire varier les divers éléments : par exemple, on ne peut pas demander ce qui serait arrivé si les Juifs n’avaient pas été incrédules, *194-197 ; d’autres plans de salut eussent été possibles, mais dans le plan actuel de providence le Christ est venu à cause du péché de l’homme et si l’homme n’avait pas péché le Fils de l’homme ne serait pas venu, *209-211, *214, *657-658 ; le concept concret et évangélique de l’incarnation dans le plan actuel du monde précontient la rédemption, *659 ; la chute est permise pour la rédemption du monde et celle-ci pour la gloire du rédempteur, *290291 ; dans le plan actuel de providence, l’offense infinie du péché devait être compensée par un Dieu fait homme, *352-354, *468, *470, plus précisément par le Fils de Dieu fait homme, *480, *483 ; dans un autre plan de providence Dieu aurait pu confier à un pur homme la tâche de mériter notre salut, *373, nous aurions alors été délivrés, mais nous n’aurions pas été rachetés, *355-357 ; dans le plan actuel de providence, la grâce de l’innocence ne pouvait égaler la richesse de la grâce christique, *473 ; l’hypothèse d’une humanité abandonnée de Dieu, ou même d’une seule âme privée de la grâce de la persévérance finale, en raison du seul péché originel, que certains théologiens n’ont pas crue incompatible avec la justice divine, doit être rejetée, *212214, 1292-1294 ; le concept évangélique concret de Marie, digne mère d’un Dieu Sauveur, précontient toutes les grâces concédées à la Vierge, *660-664. PRUCHE, Benoît, en quel sens, selon saint Basile, l’Esprit saint est forme des fidèles, *875. TABLE ALPHABÉTIQUE 2209 PRÜMMER, Dominique M., 1642. PRZYWARA, Erik, les catholiques allemands imparfaitement orientés vers la notion de corps mystique, *152-153, *183 ; où est la solution, * 186-187. PUECH, Henri Charles, Mani prétendait être le Paraclet pro­ mis par Jésus, 1328. QUESNEL, Paschase, sept propositions sur l’Église condamnées, car elles excluent les pécheurs de l’Église, *170-171, *588, 1825. Quilliet, H., l’adoptianisme, *454. Rabussier, l’intercession de l’Église du ciel, *710. Ramirez, J.-M., en quel sens il y a eu espérance dans le Christ, *297 ; critique de la thèse du Père Dorsaz, *479. RÉCAPITULATION des personnes divines dans la première d’entre elles, *645-646 ; récapitulation de l’univers dans le Christ, en raison de la médiation substantielle de l’incarna­ tion, *215-216, en raison ici-bas de la médiation fonction­ nelle de la rédemption, *276-287, *321-344, *535, en rai­ son au ciel de la gloire finale du Christ, *287-299, *784786, 2018; voir Christ, incarnation, médiation, personnalité de l’Eglise, rédemption, Trinité. RÉDEMPTION, l’incarnation et la rédemption sont les deux moments du drame unique de notre salut, *216-220, *575580 ; les Pères, qui insistent sur le moment de l’incarnation, rappellent expressément le moment de la rédemption, qui sera pleinement scruté par les théologiens médiévaux, *218219, *696; hardiesse de la rédemption qui tire le second Adam du premier, *653 ; on peut bloquer sous le nom de rédemption ce qui a trait à la fois au mérite et à la satisfac­ tion, *386 ; pourquoi les souffrances de la rédemption, *CT7679 ; l’infinité de la rédemption nous découvre l’infinité de l’offense du péché, *352 ; la rédemption est plus qu’une déli­ vrance, *346 ; la rédemption n’est pas la fin de l’incarnation, *215 ; elle est ordonnée à la gloire du Christ, non l’inverse, 2210 TABLE ALPHABÉTIQUE *215-216, *290-291, *325-326 ; le Christ est plus précieux que l’Église, *582-583, *605, *658-659 ; le monde récapi­ tulé dans l’acte de la rédemption sanglante, *321-340, divers sens de cette expression, *276-277 ; la rédemption du Christ, faite en une fois, nous obtient des biens éternels, *707 ; elle est véhiculée tout entière jusqu'à nous dans le rite non sanglant de la messe, *408-410, *539-540, 1450 ; la rédemption du Christ est théandrique, infinie, *351, *359 ; le paradoxe de la rédemption : Dieu tenu en justice de faire miséricorde, *375 ; la rédemption mérite en condignité toutes les grâces données aux hommes, *681-682; il ne manque rien intensivement aux souffrances rédemptrices du Christ dont le mérite est infini, mais elles exigent exten­ sivement de se communiquer aux fidèles, pour que le corps soit homogène à la tête, *679-681 ; nul des chrétiens rache­ tés n’est toujours et tout entier sans péché, l’Église est rache­ tée de telle sorte quelle est collectivement toujours et tout entière sans péché, et la Vierge de telle sorte quelle est per­ sonnellement toujours et tout entière sans péché, *669-675 ; à la différence des effets du péché originel qui remontent de la nature à la personne, les effets de la rédemption réparent d’abord la personne de chaque chrétien et ne vaincront les misères de la nature humaine destituée de la justice origi­ nelle qu’à la fin du temps, mais ils s’appliqueront à l’Église, collectivement sans péché, dès que s’achèvera sa vie collec­ tive, et ils s’appliquent à la Vierge, personnellement sans péché, dès que s’achève sa vie personnelle, *750-753 ; voir corédemption, immaculée conception, incarnation, médiation, messe, univers de rédemption. REGARDS, on peut lever sur le Christ et sur l’Église trois regards qui correspondent à trois plans de visibilité : le pre­ mier regard, celui de la raison empirique, correspond au plan de visibilité des descriptions et apparences phénomé­ nales : le Christ apparaît comme un homme parmi d’autres hommes, l'Église, comme une société humaine parmi d’autres sociétés humaines ; le second regard, celui de la rai­ son profonde, correspond au plan de visibilité des valeurs morales et métaphysiques : il discerne l’éclat exceptionnel TABLE ALPHABÉTIQUE 2211 dont s’entoure la vie du Christ comparée aux autres vies humaines, la vie de l’Eglise comparée aux autres sociétés humaines, et peut saisir le miracle du Christ, le miracle de son Eglise ; le troisième regard, celui de la foi surnaturelle, correspond au plan de visibilité des mystères divinement révélés, tout à fait inaccessible à la raison : dans la nuit translumineuse de la foi, il saisit dans le Christ le mystère du Verbe fait chair, et dans son Eglise le mystère de son corps mystique, *37, 1439-1441, 1494-1495, 1510-1514, 1862, 2020-2022, 2026. RÉGIMES DIVINS de l’Église, sous les régimes divins de la loi de nature et de la loi mosaïque, l’Église est très engagée dans le temporel, *128-130, la loi transfiguratrice de l’incarnation la touche sans révéler toute sa nature, *129-130 ; la loi nou­ velle est entre la loi ancienne et la loi de gloire, *131-132, elle inaugure le dernier âge ou dernière économie du monde, *132, *155, *161, *761-768; les guerres de Moïse et la douceur du Christ répondent à deux époques de la même révélation, et les victoires charnelles de l’Ancien Testament figurent les victoires spirituelles du Nouveau, "133-134 ; en gardant l’identité de son régime divin, l’Église de la loi nouvelle traverse des états historiques qualitative­ ment distincts, qu’on peut appeler des chrétientés, ce sont divers états de la même Église, 1959-1960; voir âges du monde, missions divines. REGNON, Th. de, il ne voit qu’analogie métaphorique là où saint Thomas voit analogie métaphysique, *623-624 ; il tend à créer des oppositions imaginaires entre les latins et les grecs et à s’en autoriser pour préférer ceux-ci, par exemple pour ce qui est de la circuminsession, *613-614, des mis­ sions divines, *645-647, des rapports de l’unité et de la trinité divine, *647. RÉSURRECTION DU Christ, la résurrection du Christ est cause efficiente de la résurrection de nos corps, par une vertu divine qui traverse le temps et l’espace, *332 ; c’est dans le Christ que ressuscitent même les enfants non baptisés et les pécheurs, *224-225, *332, 1284-1285; pourquoi nous ne 2212 TABLE ALPHABÉTIQUE ressusciterons qu’à la fin du monde, *750-752, *754 ; com­ ment la loi de corésurrection dans le Christ se réalise diffé­ remment dans les chrétiens individuels, dans l’Eglise, dans la \fierge, *750-757 ; il faut ranger les résurrections contem­ poraines de la passion du Christ parmi les résurrections temporaires comme celle de Lazare, non parmi les résurrec­ tions glorieuses, *751-752 ; le désir de ressusciter répond à une aspiration transnaturelle de la personne humaine, qui de soi pourrait être frustrée, 1284. RÉVÉLATION, pourquoi, à la voie de la révélation intérieure, le Christ lui-même a voulu ajouter la voie de l'enseignement extérieur, 1066-1068 ; la révélation proposée par voie d’en­ seignement est dite « médiate en raison de la personne », 1296 ; les vérités nécessaires au salut ne nous sont proposées normalement et plénièrement, depuis la mort des apôtres, que par voie de révélation médiate, à savoir par l’enseigne­ ment divinement assisté des pouvoirs juridictionnels, 1295-1298 ; leur présentation anormale et incomplète dans les Églises dissidentes, 1298 ; anormalement et incomplète­ ment, elles peuvent, encore aujourd’hui, être proposées par voie de révélation immédiate, soit d’une manière concep­ tuelle, 1300-1304, soit d’une manière préconceptuelle, 1307-1317 ; voir assistance, credibilia, enseignement, foi, juri­ diction, prophétie. RÉVERSIBILITÉ, en un premier sens, très strict, elle s’entend du transfert à autrui de souffrances satisfactoires, destinées à éteindre la peine temporelle due à des péchés déjà pardonnés ; ce transfert est fondé sur une double intercommunica­ tion : celle qui résulte spontanément de la vie commune dans la charité, et celle qui résulte expressément d’une direc­ tion de l’intention, *587, 1111, 1391-1393; c’est le trans­ fert par direction de l’intention qui est à la base de la doc­ trine des indulgences et qui est nié par Luther, *587 ; en un sens plus large, elle désigne tous les bienfaits que la prière chrétienne, surtout lorsque, faite dans la charité, elle peut mériter « de congruo », obtient de Dieu, pour les chré­ tiens justes ou pécheurs, et pour les non-chrétiens, TABLE ALPHABÉTIQUE 2213 1111-1114, 1388-1389; il faut penser ici à la médiation corédemptrice des chrétiens individuels, *687-689, surtout des saints, *385, *569-570, *689-691, 1113-1115, à la médiation corédemptrice de l’Église comme telle, plus sainte que chacun de ses enfants, *690, à la médiation coré­ demptrice universelle de la Vierge, *692, à la médiation rédemptrice théandrique unique du Sauveur, *681, à toute la médiation du ciel, *707-708, 1111 ; en un sens encore plus large, la réversibilité désignera non seulement la médiation d’intercession, mais toute commu­ nication de biens surnaturels, qu’on pense ici tout d’abord au mystère profond de Γinterdiffusion de la charité, à ce que nous avons appelé son informativité et son absorptivité, *119-121, *911-922, qu’on pense à la manière très secrète dont l’âme créée de l’Église, à savoir la charité sacramentelle et orientée, est tout entière présente par son influx dans les membres pécheurs, 1166-1171, qu’on pense à toute l’acti­ vité missionnaire de ΓÉglise dans le monde, de Pentecôte à la Parousie, 1948-1952, 1975-1987, à son rayonnement sur les cultures, 1536, 1943 ; si la réversibilité est la loi de l’amour, elle doit être la loi universelle de l’Église, qui apparaît ainsi comme étant la communion des saints, *149-151, 1108-1115 ; voir charité, indulgences, médiation, rédemption, satisfaction. RIVIÈRE, Jean, on ne peut dans l’œuvre du salut séparer l’in­ carnation de la rédemption, *217 ; les doctrines protestantes de la rédemption se présentent comme une altération des vues traditionnelles, *220 ; les déformations protestantes de la doctrine de la rédemption, *365 ; la théorie impérialiste de Dante sur la rédemption, *366 ; insuffisance de la thèse de Rivière sur le pouvoir directif, 1772. ROEY, Cardinal van, 1666. ROLLE, Richard, la confirmation en grâce, *859 ; l’amour par­ fait tend à être ininterrompu, *861. ROUSSEAU, Jean-Jacques, le christianisme rend impossible toute bonne « politic », 1920. 2214 TABLE ALPHABÉTIQUE ROUSSELOT, Pierre, dans saint Jean la chair est véhicule de l’es­ prit, *89 ; les temps apostoliques ont conscience de la pré­ sence du Christ dans son Église pour la vivifier, *203-204 ; les agneaux vivront au milieu des loups, *319-320 ; un mot résume tout le christianisme : le Seigneur est proche, *320 ; la parousie en tant qu'intériorisée unifie les deux aspects du christianisme, l'eschatologique et le moral, *320. ROYAUME DE Dieu, il est identique réellement à l’Église, *148-151 ; texte de saint Thomas, *148, 1624 ; il est eschatologique, mais au sens où l’eschatologie est déjà présente dans le temps, *149, *155, 1624; ses deux états, l’un pré­ sent, l’autre futur, correspondent aux deux états de l’Église, l’un présent, l’autre futur, *159-160; c’est donc une erreur d’opposer l’Église au royaume comme l’en-deçà à l’au-delà, *200 ; c’est une autre erreur d'identifier l’Église en tant que présente et crucifiée, au royaume en tant que futur et glori­ fié, *200-201 ; l’opposition que de nombreux protestants instituent entre l’Église et le royaume résulte surtout de leur doctrine de la justice imputée, qui vide l’Église de son contenu, la réduit à un pur signe, à une substructure occasionnelle de l’Église invisible, 1624, et peut-être pour une part de ce qu’ils ima­ ginent qu'en tenant l’Église pour le royaume, nous la confondons avec les royaumes de ce monde et la politique, *527 ; exégèse du texte : « Ne craignez pas, petit troupeau, car il a plu à votre Père de vous donner le royaume », *189193 ; le nouveau consensus de l’exégèse protestante tient, lui aussi, que l’Église n’est pas le royaume, mais l’annonciatrice du royaume, *190; la thèse de Loisy : Jésus annonçait le royaume, et c’est l’Église qui est venue, *194, *197, une reprise de la thèse suivant laquelle la prophétie de l’Ancien Testament visait, non pas l’Église des Gentils, qui est venue, mais le royaume messianique des Juifs, qui n’est pas venu, *195-197; l’Église est un royaume qui n’est pas de ce monde, mais qui est dans ce monde, 1938-1946, voilà le principe qui régit la possession ecclésiale, 1546, et l’attitude du mission­ naire à l’égard des peuples qu’il évangélise, 2012-2016; les TABLE ALPHABÉTIQUE 2215 citoyens peuvent défendre par les armes leur droit à la liberté religieuse, mais l’Église comme telle ne se défend pas par les armes, * 133 ; le Christ en croix est le centre du royaume pérégrinal et crucifié du temps présent, *296-304 ; c’est ce royaume qu’il remettra à son Père, *278-279 ; le Christ en gloire est le centre du royaume de l’au-delà, *296-299 ; voir cité de Dieu, peuple de Dieu. ROYAUTÉ, est, avec le sacerdoce et la sainteté, l’un des trois privilèges majeurs de la grâce capitale du Christ, 1032-1034 ; pendant toute la durée de la vie voyagère du Christ, cette royauté est prophétique, *421, 1033-1034, 1067, 1453-1459, la royauté prophétique du Christ s’imprime sur son Église, *420-433, corps du Christ Roi, *963-964, avant tout et d’une manière permanente dans les pouvoirs juridictionnels divinement assistés, 1066-1079, secondairement et sporadi­ quement par la prophétie privée, *430-433, 1456, 1621 ; l’Eglise du Christ, en raison des degrés d’assistance des pou­ voirs juridictionnels, qui varie selon l’importance et la nature des choses, 1073-1074, 1515-1529, est ainsi tout entière divinement orientée, *810-815, 1078-1079, 15281529; cette orientation, qui est lumière prophétique, en tant qu elle émane des pouvoirs juridictionnels, demande à être intériorisée par la charité sacramentelle, et à devenir lumière sanctifiante : alors apparaît la plénitude de la charité sacramentelle et orientée, qui est l’âme créée de l’Église, et la plénitude de son effet, qui est l’unité de communion, 1074-1080, 1135-1145, 1366-1367, 1613-1616, 1621-1626, 2050-2058, 2071-2073 ; voir âme de l'Église, charité, ensei­ gnement, grâce capitale, grâce christique, hiérarchie, juridiction, obéissance, prophétie, unité de communion. RUFIN, T., proscrit la formule : « credo in Ecclesiam », *976. Rupert de Deutz, les âges du monde, *488. RUYSBROECK, Jean van, comment les saints intercèdent pour le monde, *385 ; le Christ nous a achetés à son service, et nous lui appartenons pour le ciel ou l’enfer, *393 ; la transforma­ tion d’amour en Dieu, *876-877. 2216 TABLE ALPHABÉTIQUE SACERDOCE DU Christ, est celui des trois privilèges majeurs de la grace capitale, 1029-1030, en vertu duquel le Christ fonde le culte de la loi nouvelle, *436-437, 1026-1030, 1446-1447 ; les caractères sacramentels impriment dans l’Église une participation au sacerdoce du Christ en vue de la continuation valide du culte chrétien, *436-444, 10351040, 1448-1453 ; l’Église est ainsi tout entière le corps du Christ prêtre, *964-967 ; caractère miraculeux de son unité de culte, 2047-2050 ; cette unité était prophétisée, 2070-2071. Sacrements DE la LOI NOUVELLE, dès l’instant de l’incar­ nation, où le Christ est tête de l’Église, *498, *735, 1048, 1614, toutes les grâces données au monde sont christiques par dérivation, *206, *450, 1796; cette dérivation se fait parfaitement et par contact au point précis du monde où le Christ forme son Église en acte achevé, *502-503, 1802, elle se fait imparfaitement et à distance partout ailleurs sur la terre, où l’Église n’existera dans les meilleurs cas, qu’en acte tendanciel, 1047-1049, 1796-1797; avant l’Ascension, le Christ laisse parmi nous les sacrements et le plus grand d’entre eux l’eucharistie, par lesquels il conti­ nuera désormais de toucher son Église, pour la remplir de la grâce pleinement christique et christoconformante, ils sont comme les mains du Christ étendues dans l’espace et le temps, *519-523, 1050-1060, 1796-1797, ils confèrent la grâce « ex opere operato », c’est-à-dire dépendamment des dispositions du sujet, au-delà de ces dispositions, propor­ tionnellement à ces dispositions, *835, 1886; division des sacrements et leur ordination à l’eucharistie, qui est le sacre­ ment de la consommation de la charité et de l’unité suprême du corps mystique, 1115-1129 ; voir âme de l’Église, baptême, caractères sacramentels, culte, eucharistie, grâce chris­ tique, mariage et ordre. SAINTETÉ, est le privilège suprême de la grâce capitale du Christ, *449-450, 1030-1032; elle est participée normale­ ment, dans l’âge de l’Esprit saint, par la grâce pleinement christique et christoconforme, qui nous est donnée par les TABLE ALPHABÉTIQUE 2217 sacrements de la loi nouvelle, *454-575, 1038-1066, 1473-1476 ; par elle, l’Église est le corps du Christ Sauveur, *967-969 ; les trois principales lignes de force suivant les­ quelles s’extériorise la sainteté de l’Église : confession de la grandeur de Dieu, soif de le joindre, zèle à le donner, 1476-1482 ; l’Église est collectivement ce que la Vierge est personnellement, sans tache ni ride, *668-675, 1482-1507, 1804-1827 ; à la différence de la sainteté instrumentale de son message, qui peut présenter des défaillances dans le domaine des décisions particulières, la sainteté formelle et terminale de l’Église est sans souillure, 1515-1529 ; toute la sainteté du monde est centrée autour de l’Église en acte achevé, et commence de constituer l’Église en acte tendan­ ciel, 1508-1509, 1785, 1970-1974; le caractère miraculeux de l’unité de charité de l’Église, 2056-2058. Salaville, S., l’épiclèse, 1255. SalmanticenSES, le péché de l’homme est prévu en vue de l’incarnation rédemptrice, *212-215 ; ils ne regardent pas comme incompatible avec la justice divine la thèse d’une humanité abandonnée de Dieu en raison du seul péché ori­ ginel, mais affirment que Dieu confère en fait à chaque homme particulier les grâces suffisantes au salut, *214, 1292 ; la grâce des anges, qui devait durer, est ordonnée au Christ, plus que la grâce d’Adam, qui devait se perdre, *291, le péché est infini comme offense, *348 ; c’est comme Dieu et comme homme que le Christ a satisfait, *367-368 ; dans l’ordre de la causalité ascendante et morale le Christ est cause principale de notre salut, dans l’ordre de la causalité descendante et physique, il est cause instrumentale, *409 ; ils limitent trop la compréhension du concept du Christ-tête, *436-437 ; l’âge de la rédemption meilleur que l’âge de l’innocence, *215, *285 ; la grâce est une participation formelle immédiate de la nature divine en tant que nature, une participation formelle médiate de certains attributs divins, une participation vir­ tuelle d’autres attributs, *456, *458 ; la grâce fonde l’adop­ tion divine, mais en est séparable, *468 ; la blessure du 2218 TABLE ALPHABÉTIQUE péché originel chez lenfant, 1271-1272, 1275-1277 ; défi­ nition de l’infidélité, 1188; ils admettent qu’on pourrait rejeter Γ« initium fidei » sans pécher contre la foi, 1306; les trois espèces de l’infidélité, 1321-1328 ; ils donnent un sens générique au mot hérésie, 1325 ; l’enfant baptisé qui dans son premier acte refuserait de croire pécherait par infidélité, non par hérésie, 1321. Samarine, G., *96-97. SATISFACTION, n’est pas une punition, *365, ni la substitution du juste au pécheur, *365, *579 ; la satisfaction du Christ exigeait la souffrance, *386 ; en quel sens elle est équivalente à l’offense, et en quel sens surabondante, *387-392 ; le Christ satisfait d’une manière juridique pour l’humanité tout entière, et d’une manière réelle pour l’Église, *392; notre satisfaction est suspendue à celle du Christ, *351, *385, *397-406 ; comment notre satisfaction peut égaler notre offense, et parfois même surabonder, *399 ; la double manière dont les satisfactions sont réversibles : par inter­ communication dans la charité et par direction d’intention, *587, 1390-1393; voir corédemption, indulgences, rédemp­ tion, réversibilité. SAVONAROLE, Jérôme, *434. SCHEEBEN, Matthias Joseph, le plan de providence de notre univers, *290-291 ; le Christ est médiateur d’abord substan­ tiellement, en raison de l’incarnation, puis fonctionnelle­ ment, en raison de la rédemption, *252, *340 ; le Christ, tête supersubstantielle de l’Église, *252 ; le sens du mot pon­ tife, *223 ; le Verbe a habité par l’incarnation à l’intérieur même de toute l’humanité, *226 ; l’univers participe à la dignité divine, *220 ; le Christ a récapitulé le monde en le rendant à son principe créateur, *277 ; la grâce des anges est consommée par le Christ, *289, le caractère méritoire du sacrifice de la croix, *379 ; la satisfaction du Christ exigeait la souffrance, *386 ; la Vierge comparée au cœur de l’Église, *941 ; sa doctrine sur la médiation corédemptrice de la Vierge, *709, *745 ; redécouverte du concept mystique de l’Église, *153-154 ; comment il explique la définition bellar- TABLE ALPHABÉTIQUE 2219 minienne, *97 ; rapport de l’eucharistie et de l’Église, 11291130; l’Église est visible non seulement matériellement, mais formellement, non seulement accidentellement, mais essentiellement, *77 ; la mort des chrétiens peut devenir un sacrifice, *387. SCHELER, Max, *152. SCHISxME, pour les anciens est toujours un péché contre la cha­ rité, 1179-1184, 1355; c’est la terminologie moderne qui introduit la notion jusque-là inouïe de schisme et de schis­ matiques de bonne foi, 1188-1193; une Église schisma­ tique est celle qui exerce actuellement le péché de schisme, 1195-1196 ; la dialectique d’une telle Église tend à la trans­ former en Église dissidente, 1197-1200; les Églises ortho­ doxes séparées ne sont pas comme telles schismatiques, mais dissidentes, 1206-1207 ; il est difficile qu’il n’y ait pas à l’origine des dissidences péché de schisme ou d’hérésie, 1223, 1226; où se place vraisemblablement le péché de schisme de Photius, 1223-1224 et de Cérulaire, 12241226 ; mais ce que les dissidences transmettent est un patri­ moine de schisme ou d’hérésie, non un péché de schisme ou d’hérésie, 1199-1200; le schisme est un péché contre la charité en tant que, rési­ dant premièrement dans les justes, elle fait l’unité de com­ munion de toute l’Église, composée de justes et de pécheurs, 1091 ; il brise directement l’unité de communion qui résulte de la charité sacramentelle et orientée, et non pas simplement l’unité canonique du comportement ecclésias­ tique, 1358-1364, 1368-1369; le chrétien qui a perdu la charité ne deviendra schismatique qu’au moment où il offensera en outre la charité en tant quelle fait l’unité de l’Église, 1163, 1362-1364; il faut plus qu’une désobéis­ sance, il faut la rébellion pour qu’il y ait schisme, 1375; l’unité de communion résulte à la fois de l’unité mystique de connexion et de l’unité prophétique d’orientation, d’où les deux manières de commencer le schisme, 1366, 1374; texte de saint Thomas, 1372 ; les critères du schisme, 1376 ; 2220 TABLE ALPHABÉTIQUE voir charité, dissidences, obéissance, pape, Photius, unité de communion. SCHLEIERMACHER, son axiome trop cité sur la difference entre le catholicisme et le protestantisme, 1626. SCHWALM, M.-B., la société est une personne réelle, non fic­ tive, *807-808. SERGE, patriarche de Moscou, 1213, 2055. SÉRIPAND, Jérôme, sa thèse sur la double justice et le double mérite, *383 ; son interprétation erronée de Cajetan, *402. SeumoiS, André, missiologie, 1980-2010. SIGILLATION DE L’ESPRIT, la double sigillation créée du carac­ tère sacramentel et de la grâce sacramentelle conditionne la pleine sigillation incréée de l’inhabitation, *856, 10381040, 1064-1066, 1095-1096. SOLOVIEV, Vladimir, le drame de sa position ecclésiologique et de sa conversion au catholicisme, 1239-1251 ; la primauté romaine prophétisée, 2061 ; en l’absence d’un prêtre catho­ lique, il demande les derniers sacrements d’un prêtre ortho­ doxe, comme l’Église l’y autorisait, 1222, 1250-1251 ; il signale le péril du nationalisme qui menace l’Église ortho­ doxe, 1245-1248, 1736; sa division entre sacrements des droits de l’homme et sacrements des devoirs de l’homme, 1117-1119; critique de sa trilogie prêtre, roi, prophète, *429-430 ; il ne songe qu’à la prophétie privée et oublie la prophétie hiérarchique, 1456. SOTO, Dominique, toute la vie du Christ culmine dans sa pas­ sion, *326-328; l’exemption des clercs, 1650-1651 ; les excommunications injustes, 1395. SPENCER, Ignace, les anglicans ne sont pas des hérétiques, 1192-1193. SPIRITUALISME, il y a le spiritualisme naturel de la culture et le spiritualisme surnaturel de la grâce et du royaume de Dieu, *72-73 ; spiritualisme catholique de la transfiguration de la matière par l’esprit, et spiritualisme aberrant de la sépara­ tion de la matière et de l’esprit, *10, *88-91, 1569-1570; il faut adorer en esprit et en vérité, *89-90. TABLE ALPHABÉTIQUE 2221 SPIRITUEL et TEMPOREL, l’ordre temporel ou naturel relève de la cité de l’homme, *104-105, *107-109, 1530, 1633, 1666, et des vertus acquises, 1533, il est constitué par la loi de création et se rattache au premier article du credo, 1632, 1647, 1868, 1939 ; l’ordre spirituel ou surnaturel relève de la grâce et des vertus infuses, 1532, c’est l’ordre de la cité mystique du Christ, et de la cité antagoniste de l’Antéchrist, *105-106, *107, 1530, 1633, 1647, 1666, il est constitué par la loi de rédemption, et relève du second article du Symbole, 1632, 1647, 1868, 1939 ; l’ordre temporel est sol­ licité d’une part par la cité du mal, qui cherche à l’hypertrophier pour le faire éclater, *106, *107-109, 1969, d’autre part par la cité de Dieu, qui sans l’arracher à son plan, cherche à le purifier et à l’illuminer, 1536-1539, 19421944, 1969; les rapports entre le royaume qui n’est pas de ce monde et les royaumes culturels sont régis par la loi de distinction et de subordination, *306, 1530-1533, 1635-1636, 19191921 ; l’homme doit s’engager tout entier, à la fois sur le plan du spirituel, par certaines de ses activités, et sur le plan du temporel, par d’autres de ses activités, *69-76, 1648 ; la loi de dualité, qui durera autant que le temps historique, est provisoire, et sera résorbée dans la loi d’unité, 1918, elle est reconnue expressément même dans la chrétienté sacrale, 1772-1773, elle ne cesse de contrarier les totalitarismes et les instincts de la volonté de puissance, *107-108, *301302, 1920, 1941, 1945, 1969, 2053-2055; la subordina­ tion dont il s’agit n’est pas celle du moyen à la fin, mais celle de la fin intermédiaire et infravalente à la fin dernière et supravalente, *105-106, 1531-1532, 1533-1535 ; le royaume qui n’est pas de ce monde est seul messianique et suprana­ tional, 1573-1575, 2068-2069, il demande à toucher tous les hommes sans exception, mais de deux manières bien dif­ férentes : pour s’incorporer la part de leurs activités qui regarde immédiatement Dieu et les choses de l’éternité, et simplement pour illuminer la part de leurs activités qui regarde immédiatement César et les choses du temps, 2222 TABLE ALPHABÉTIQUE 1536-1539, 1572-1573, 1939-1942 ; l’attitude du mission­ naire à l'égard des cultures, 2012-2016 ; définitions de l’Église par rapport à la société politique, 1918-1922 ; la notion de société parfaite s’applique analogi­ quement au spirituel et au temporel, 1918-1922, de même la notion de propriété, 1545, 1551-1552; du spirituel, qui ne se défend pas par les armes, relève la mission, du tempo­ rel, qui peut se défendre par les armes, relève la croisade, *527, 1571, 1997 ; sur le plan du spirituel la loi est l’unité, sur le plan du temporel, la loi est la diversité des cultures, des patries, des partis, avec l’unité d'inspiration, 1635 ; voir action catholique, Barth, catholicité, cité de Dieu, cité poli­ tique, croisade, Dostoïevski, Maritain. SUAREZ, François, pensait que le Christ serait fils de Dieu à double titre, *455 ; que nous serions touchés par l’efficience, non de la passion et de la résurrection du Christ, mais du Christ qui autrefois a souffert et est ressuscité, *330-336 ; qu’il faudrait compter cinq missions visibles de l’Esprit saint, *762, *777 ; que l’Église est un corps moral, *809, *974 ; que la foi informe seule suffit à constituer l’unité sub­ stantielle de l’Église, 1359, 1364 ; que les schismatiques non hérétiques seraient encore membres de l’Église, 1359; la juridiction peut-elle avoir des laïques comme sujets, 1653; le pape pourrait-il devenir schismatique, 1380-1381 ; quel est le minimum de connaissance de l’Église requis, pour qu’il y ait hérésie à ne pas la croire, 1410 ; il s’accorde avec Cajetan pour expliquer qu’on ne devient pas schismatique du seul fait de perdre la chanté, 1364 ; il regarde comme de foi que les pécheurs sont membres de l’Église, 1 154, 1165. SYLLABUS, ne rappelle malheureusement pas le grand enseigne­ ment de Pie IX sur l’ignorance invincible, 1778. SYLVESTRE DE Ferrare, désir naturel de voir Dieu, 1281. Symbole de foi, voir credo. SYNAGOGUE, définition nominale, *137-139, 1898. TAULER, Jean, les braves gens et les amis de Dieu, *561-563; le rôle suprême de la charité dans l’Église, *120-121 ; l’in- TABLE ALPHABÉTIQUE 2223 tercommunication de la charité, *119-120; l’identification spirituelle avec Dieu par l’amour, *877, *907-908. TEMPOREL, voir Spirituel et temporel. TERMIER, Pierre, les phénomènes n’ont pas « l’air chrétien », mais dans le monde de la pensée tout a l’air chrétien, *306. TERMINOLOGIE, conflit de deux terminologies sur les notions d’infidélité, de schisme, d’hérésie, 1179-1194, 1354; la solution par l’analyse du concept de dissidence, 1194-1222 ; la terminologie concernant les trois formes de l’infidélité, 1319-1328; comment employer les mots: gentils, errants, infidèles, païens, juifs, schismatiques, hérétiques, 13281346 ; le sens des mots : païens, Juifs, infidèles, hérétiques, dans les oraisons du Vendredi saint, 1345 ; comment nom­ mer les Églises orientales dissidentes, 1148-1149, 1209; voir définitions. TERTULLIEN, la catholicité, 2031. THÉANDRIQUES, actions théandriques ou divino-humaines du Christ : les unes sont théandriques instrumentales, les autres théandriques non instrumentales, *359-360 ; dans les actions théandriques instrumentales, qui relèvent de la causalité descendante et de l’efficience, le Christ comme homme est cause physique instrumentale de notre salut, la Divinité tout entière étant ici Cause première ; dans les actions théandriques non instrumentales, qui relèvent de la causalité ascendante et de la supplication, le Christ est cause morale principale de notre salut, *361-362, *408 ; la valeur de la supplication théandrique du Christ est infi­ nie, *357-358, *406, *411 ; cette valeur infinie vient non d’une convention divine, mais de la relation réelle et intrin­ sèque du Christ au Verbe, *407 ; le Verbe confère une valeur infinie aux actions du Christ, non en leur envoyant quelque influx, mais simplement en terminant la nature humaine du Christ comme principe qui agit, *411 ; l’ultime sujet d’attri­ bution des actions théandriques non instrumentales est le Verbe, *411; la valeur théandrique surabondante de la rédemption du Christ, *388, *681-682; voir Christ, incar­ nation, médiation, personnalité de l’Église, rédemption. 2224 TABLE ALPHABÉTIQUE THÉODORET DE CyR, le Christ est le premier-né comme engendré avant toute la création, *231. THÉRÈSE D’Avila, Sainte, comment elle décrit la présence d’inhabitation, *848, l'union transformante, *903-904. THÉRÈSE DE Lisieux, Sainte, le désir du martyre, *547; l'amour est le cœur de l’Église, 1712, 1977. Thomas d’Aquin, S., le mystère de la vie trinitaire, *611- 650; les relations subsistantes, *618-619; la circuminsession, *613 ; l'appropriation, *789 ; comment les processions des personnes divines sont à l’origine de la création, *626627 ; vestiges et images de la Trinité, *622 ; Dieu est partout par sa présence, sa puissance, son essence, *817-818; l’Esprit saint meut et remplit l’Église, *832 ; son rôle dans l’Église est comparé à celui du cœur, *793-794 ; présence d’efficience et présence d’inhabitation, *883 ; l’Esprit saint lui-même est donné dans ses dons, *846-848 ; ils sont l’ul­ time disposition qui prépare à sa venue, et en même temps l’effet de cette venue, *854-855, 1176 ; l’essence divine est forme de l’intelligence des bienheureux, *639, *649-650, *868, *892-893 ; il n’y avait pas de missions visibles des per­ sonnes divines dans l’Ancien Testament, mais seulement des apparitions, *764-767 ; « l’Esprit n’avait pas encore été donné » avec la plénitude de Pentecôte, *767-769 ; l’union de l’incarnation se situe sur le plan de l’être, non simplement sur le plan de l’agir, *658 ; difference entre la mission visible de l’incarnation et la mission visible de Pentecôte, *506 ; le Verbe ne peut être fils adoptif de Dieu, il n’est pas, comme nous, fils de la Trinité tout entière, *461 ; « je monte vers mon Père et votre Père », *466, *616 ; en quel sens la grâce sanctifiante du Christ découle de l’union hypostatique, 1044 ; le Christ, principe universel de toute grâce, *661 ; il était à la fois voyageur et compréhenseur, 1045; c’est en tant qu’homme qu’il est médiateur, *223, et tête de l’Église, *831 ; il est cause de notre salut par son mérite et son efficience, *205 ; c’est en tant que confor­ més au Christ par leur nature que les méchants et les enfants non baptisés ressuscitent, *224-225 ; nous sommes TABLE ALPHABÉTIQUE 2225 touchés par la passion et la résurrection même du Christ, *330-336 ; si l’homme n’avait pas péché, le Christ ne serait pas venu, *211 ; un pur homme aurait pu nous délivrer, non nous racheter, *356-357 ; précision du « cur Deus homo », *354 ; la satisfaction du Christ est surabondante, *389 ; c’est d’elle que les sacrifices sanglants de la loi de nature emprun­ taient leur valeur, *369 ; la moindre douleur du Christ eût suffi au salut du genre humain, *406-407 ; la rédemption du Christ accomplie dans le temps, nous obtient des biens éternels, *707 ; toute satisfaction d’un pur homme est sus­ pendue à la satisfaction du Christ, *351, *384, *400; l’Église, dans cette ligne, est comme une seule personne avec le Christ, *205, *260, *374, *476; «je complète en moi ce qui manque aux souffrances du Christ», *678-680 ; satisfaction n’est pas punition, *365 ; le consentement de la Vierge à l’Annonciation était attendu au nom de toute l’humanité, *743-744 ; plénitude de grâce en Marie, *660 ; l’enfantement est une action qui a pour terme une nature, la maternité est une relation qui a pour terme une personne, *655-656 ; Marie est Mère de Dieu, *656; affinité de la Vierge avec Dieu, *661 ; c’est parce que nous sommes touchés par le péché originel que nous ne ressusciterons qu’à la fin du monde, et que la loi de corésurrection dans le Christ est pour nous différée, *750751 ; . la loi nouvelle est une étape entre la loi ancienne et la gloire, *90 ; elle est principalement spiritualité et charité et secondairement visibilité, *116-123; elle signifie anagogiquement la vie future, *155 ; grand texte sur l’Église, qui est dès ici-bas le royaume de Dieu, *148 ; quatre sens du mot royaume des cieux, *160; l’Église peut désigner l’épouse seule, ou l’époux et l’épouse, *235 ; le sens de la formule « credo in Ecclesiam », *976 ; c’est métaphoriquement que le corps désigne une multitude ordonnée, *248 ; l’Esprit saint est l’âme de l’Église, la charité est la vie inhérente de l’Église comme l’âme est la vie du corps, *934-940 ; l’âme est cause efficiente, formelle, finale, *795, *862, *949, *973 ; la grâce sanctifiante est donnée pour ordonner immé- 2226 TABLE ALPHABÉTIQUE diatement à Dieu, les charismes sont donnés en vue de l’ordre ecclésial, *837 ; la grâce sanctifiante est de même espèce dans les anges et dans les hommes, 1043 ; l'adoption divine est plus parfaite que l’adoption humaine, *456 ; les anges ont reçu l'adoption les premiers, *469 ; comparaison de la grâce de la rédemption et de la grâce de l’innocence, *281-286, 1054; la grâce du Nouveau Testament est une grâce de plénitude, 2007 ; la charité ne peut pas pécher, 1053; l'Église sans tache ni ride, 1815-1816; nous n’avons qu'une connaissance conjecturale de la présence en nous de la charité, 1473; intercommunication de la charité, *150; les sacrements font l’Église, *705 ; les deux sigillations de l’Esprit en nous, l’une de la grâce, l’autre des caractères sacramentels, 1065 ; la grâce sacramentelle, 1102 ; effet des caractères du baptême et de la confirmation, 1449-1450; l'eucharistie fin des autres sacrements, 1120 ; la signification eschatologique de l’eucharistie, *181-182 ; la soumission au pape est de nécessité de salut, 1775 ; rôle de la prophétie privée, *431-432, 1456-1457 ; les états de vie, 1669-1710; la meilleure pauvreté est celle qui nous rend le plus libres, 1550; les conditions d’existence de l’Église changent, mais non l’Église, I960 ; triple manière d’appartenir au Christ et à l'Église : visible­ ment seulement, visiblement et spirituellement, spirituelle­ ment seulement, *169, *172-173 ; l’incorporation au Christ peut être corporelle ou spirituelle, 1482; comment les pécheurs sont membres de l’Église, *945-946, 1816; membres en acte et membres en puissance, *172; le péché originel et ses effets chez les enfants, 1267-1281 ; présenta­ tion médiate du message chrétien par voie d’enseignement, 1295-1297 ; sur la présentation immédiate des premiers cre­ dibilia par voie de révélation, 1300-1303 ; les premiers cre­ dibilia doivent être crus de nécessité de salut, 1290; ils contiennent implicitement tous les articles du credo, 1265 ; sens des textes sur l’existence d’adultes capables de pécher et dans l’ignorance invincible de la foi, 1290-1294; le Verbe illumine tout homme, on ne l’ignore que par sa faute, *495 ; « le corps du Christ, ce sont tous les justes », *680 ; TABLE ALPHABÉTIQUE 2227 l’hérésie, 1347-1352; les hérétiques sont chrétiens non en vérité, mais selon l’apparence, 1722 ; beaucoup de proposi­ tions apparaissent aujourd’hui hérétiques, qui ne l’étaient pas jadis, 1185; le schisme, 1355-1382; l’excommunica­ tion, 1383-1396; miracle possible en faveur d’une vestale, 2024; tout ce qu’est l’homme doit être rapporté à Dieu, l’homme entier est ordonné à la société politique, mais non selon tout ce qu'il est, *70. ThOMASSIN, Louis, son opinion suivant laquelle l’incorpora­ tion au Christ pourrait nous unir aux personnes divines plus que la grâce ne peut le faire, *478 ; notre adoption divine serait une certaine génération, *456-457 ; la filiation natu­ relle serait participée par nous en propre, *484-485 ; son grand ouvrage sur l’histoire de la possession ecclésiastique, 1546-1548. Tdœront, J., on ne peut pas séparer, dans l’œuvre du salut, l’incarnation de la rédemption, *217. TOLSTOÏ, Léon, toutes les Églises sont des institutions anti­ chrétiennes, *93, 1684 ; il oppose le peuple russe à l’Église russe, 1247. TONQUÉDEC, Joseph, discernibilité du miracle, 2028. Totalitarisme, en promulguant la loi de dualité entre le spi­ rituel et le temporel, les choses de Dieu et les choses de César, l’Église irrite tous les totalitarismes, *69-73, *107108, *301-302, *305, 1635, 1920, 1941, 1945-1946, 1970, 2053-2055. Tournay, R., *272. TRADITION, les trois sens de ce mot qu’il faut soigneusement distinguer, 1073-1074 ; la catholicité de la tradition aposto­ lique chez Irénée, 2030. Transfiguration, peut être pris au sens large comme syno­ nyme de sanctification, *88, *127 ; au sens strict, elle signi­ fie d’une part la transfiguration du paradis terrestre, *530531 ; d’autre part la transfiguration de la gloire céleste, 2228 TABLE ALPHABÉTIQUE *530-532 ; spiritualisme catholique de la transfiguration de la matière par l'esprit, *88-91, 1569-1570. TRANSPARENCE du corporel dans le Christ et dans l’Église, est la qualité du corporel qui réussit à exprimer sans équivoque une clarté qui le transcende, 1580 ; transparence des divers moments de la vie du Christ et de son Église, 1581-1590; les divers éléments du corps de l’Église ne sont pas égale­ ment transparents, 1444-1445, 1539-1550. TRINITÉ, présence de la Trinité à elle-même et circuminsession des personnes divines, *612-617 ; en Dieu tout est un sauf où paraît l’opposition de relation, *618; le Père et le Fils, identiques à la même essence divine, ne sont cependant pas identiques entre eux, *618-619; le Père et le Fils sont un principe unique de l’Esprit, *619-620, 1428-1429 ; présence de la Trinité dans le monde par son efficience et son immensité, *618-630; présence de connaissance, de puissance, d’essence, *817-819 ; ombres, vestiges, images de la Trinité, *622-630 ; les processions divines sont causes de la création, *627 ; présence d’efficience dans l’Église, *808841, *862, *886; Dieu est présent substantiellement à l’Église, mais l’unité qui rattache l’Église à lui est seulement accidentelle, *817-825; les philosophes ont connu l’unité, la vérité, la bonté divines en tant qu’attributs, mais non en tant qu’appropriées aux trois personnes, *629 ; présence objective d’inhabitation de la Trinité dans les justes par la grâce et par la gloire, *630-641, *844-857, *862-875, *887-901, *922-927 ; ici encore Dieu est présent substantiellement à son Église, mais l’unité qui rattache l’Église à lui reste, dans la ligne entitative, accidentelle, *844-852 ; la formule « dans l’Esprit, par le Fils, jusqu’au Père », *520, *637, *645-646 ; en propre c’est la Trinité qui est Principe, Hôte, Âme incréée de l’Église, *828-830, *861-862, *889-890; la formule « qu’ils soient un comme nous sommes un » ne rabaisse pas l’unité divine au rang d’une unité morale, *821 ; la présence du Verbe dans le Christ, *641-644 ; c’est une union entitativement substantielle qui se fait non plus seule- TABLE ALPHABÉTIQUE 2229 mène dans la ligne de l’agir, mais dans la ligne de l’être, ’851-852; voir âme de l’Église, Christ, habitation de la Trinité, incarnation, missions divines, personnalité de l’Église. TURRECREMATA, cardinal Jean de, la cause efficiente de l’Église est en propre la Trinité tout entière, et par appropriation l’une des trois personnes divines, Père, Fils, Esprit, ’791 ; pourquoi l’Église est appelée corps mystique, *249 ; le mot personne peut s’entendre naturellement ou mystiquement, *264 ; c’est au sens mystique que le Christ et l’Église sont un seul homme, *256-257 ; critique de la thèse d’Augustin de Rome suivant laquelle le Christ pèche chaque jour en ses membres, 1498 ; plutôt que d’opposer avec lui personnalité au sens mystique, à personnalité au sens propre, il vaudrait mieux opposer personnalité impropre ou fictive, à personna­ lité propre ou réelle, celle-ci étant ou naturelle ou mystique, *815-816, *825-827 ; l’unité de connexion des membres de l’Église est plus qu’une unité de ressemblance, 1104; la manière dont les justes et les pécheurs sont dans l’Église, 1818-1821 ; le cardinalat considéré comme condition de vie, 1710 ; le quatrième livre de sa Somme sur l’Église traite du schisme et de l’hérésie, 1178 ; sa définition de l’hérésie, 1184; le cas des hérétiques occultes, 1724; l’éventualité d’un pape hérétique, 1725 ; la « respublica christiana » com­ prend l’Église et la cité, 1638. Tyconius, le Christ total comprend le Christ et l’Église, *235 ; certaines paroles de l’Écriture concernant le Christ, s’appliquent les unes à lui-même, d’autres à son corps, qui est l’Église, *271 ; il a dégagé la signification des deux cités spirituelles, celle de Dieu et celle du mal, *152. Tyszkiewicz, S., l’Église est christoconforme, 1063; il parle de deux âmes de l’Église : l’âme sociale, vivifiée elle-même par l’Âme-Esprit, *951-952 ; il désigne les orthodoxes dissi­ dents par le nom de pravoslaves, 1148-1149, 1228 ; le prin­ cipe orthodoxe de la conciliarité, 1146 ; sur quel plan catho­ liques et pravoslaves peuvent se rejoindre, 1413-1419. 2230 TABLE ALPHABÉTIQUE UNIONISME» voir œcuménisme. UNITÉ CATHOLIQUE, elle est une propriété mystérieuse de l’Église, 1929-1930 ; sa définition, 1933-1937 ; elle est dans ce monde sans être de ce monde, 1938-1946; elle est déjà réalisée et toujours en devenir, 1946-1961 ; elle fonde l’élan missionnaire, 1948-1960; lui manque-t-il quelque chose? 1961-1974; elle est en outre une note miraculeuse de l’Église, 19291930, 2020-2045 ; unité de culte, d’orientation, de commu­ nion dans la charité, 2045-2058 ; l’unité catholique était prophétisée, 2059-2073 ; elle est l’exaucement de la prière suprême du Christ pour l'unité : unité sans nulle déchirure dans la patrie du ciel ; unité déchirante dans ce temps de l’exil, mais non déchirée partout où l’Église est en acte achevé ; unité elle-même déchirée partout où l’Église n’est encore qu’en acte tendan­ ciel, 2075-2087. UNITÉ DE COMMUNION, c’est le nom structurel de l’unité catholique ; l’unité de communion comprend : l’unité de connexion (ou de communion au sens strict), qui résulte de l’Esprit saint agissant secrètement dans son Église par le Christ et les sacrements de la loi nouvelle, c’est une unité intrin­ sèque et d’ordre mystique ; et l’unité d’orientation, qui résulte de l’Esprit saint enseignant du dehors son Église par le Christ et les pouvoirs juridictionnels, c’est une unité extrinsèque et d’ordre prophétique, mais qui demande à être intériorisée amoureusement par la charité, 1137-1138, 1366-1367 ; par l’unité de connexion, l’Église est «una», par l’unité d’orientation, elle est « sub uno » ; mais elle n’est pleinement «una» qu’en étant pleinement « sub uno», et réciproquement ; l’unité de connexion et l’unité d'orienta­ tion font indissociablement l’unité de communion, *790791, *977, 1139-1142 ; porter la main sur l’une de ces deux unités, c’est inévitablement porter la main sur l’autre, 1142-1143; à l’intérieur de l’unité de communion chaque pierre est pour la cité et la cité est pour chaque pierre, 1370-1372; TABLE ALPHABÉTIQUE 2231 l imité de communion, aussi mystérieuse que l’essence même de l’Église, est, comme elle, d’ordre théologal ; elle est détruite radicalement par le péché d’infidélité, notamment d’hérésie, qui renverse la foi théologale, 1356, et formelle­ ment par le péché de schisme, qui renverse la charité théolo­ gale, en tant même que, résidant dans les justes, elle fait l’unité de communion de l’Église entière, composée de justes et de pécheurs, 1356-1357 ; le schisme peut détruire l'unité de communion en rompant d’abord et directement l’unité de connexion, ou d’abord et directement l’unité d’orientation, 1372-1376 ; l’unité divine de communion, déchirée par le schisme, est distincte de l’unité canonique de comportement social, déchirée par l’excommunication, 1358-1362, 1383-1384. UNIVERS de RÉDEMPTION et univers de création : l’univers de création (1er article du credo), comprenait, outre leur struc­ ture constitutive, pour les anges la grâce, et pour le premier homme la justice originelle ; l’univers de rédemption (2e article du credo), postérieur à la chute, c’est l’Église, qui relève tout entière du Christ, 1632, 1647-1648, 1868, 1939-1940; la grâce des anges fidèles passe de l’univers de la création dans l’univers de rédemption, *289-290 ; elle était préor­ donnée au Christ comme les points de circonférence au centre, *293-294 ; en outre, dès l’instant de l’incarnation, le Christ devient la cause efficiente instrumentale de toute la grâce des anges, *289-292, qui participent à notre grâce d’adoption, *485 ; dans le premier homme, la grâce de la justice originelle est détruite, *291 ; ce qui passe de l’univers de création dans l’univers de rédemption n’est que l’ensemble des structures naturelles, de leurs lois, de leurs besoins, *302, *306, *490 ; la grâce de la rédemption l’utilise pour fonder dans le monde un royaume qui n’est pas de ce monde, qui est séparé des royaumes de ce monde par une loi de dualité irré­ ductible ici-bas mais qui, au jour de la parousie, résorbera en lui tout ce qu’il y aura eu de valable dans les royaumes de ce monde, *300-302, *313, 1864-1865 ; 2232 TABLE ALPHABÉTIQUE par la venue du Sauveur, l’univers n’est pas seulement ramené à son état initial, il est hiérarchisé et récapitulé sous un principe meilleur, *212-216, *222, *275-278, *786, et élevé en quelque sorte jusqu'à la personne divine, *260261 ; la grâce du Christ est plus profondément enracinée que la grâce du premier Adam, 1054-1055, 1944-1945; l’univers de rédemption qui se déploie au sein de la tragédie de l'histoire, est au total meilleur que l’univers de création, *212-216, *220, *279-286, *390, *499, *521-522; dans l’univers de rédemption, qui est l’Eglise, l’état de la vie commune, ou de la plus grande utilisation possible des choses de ce monde, se rapproche de la loi unique de l’uni­ vers de création ; l’état de la vie parfaite, ou de la moindre utilisation possible des choses de ce monde, se rapproche de la pure loi de la croix, 1675-1698. VALENTIN, imaginait que le corps du Christ était venu du ciel et n’était pas né de la Vierge, *652. VALERY, Paul, toutes les religions ont leurs livres sacrés, 1329. VASQUEZ, Gabriel, il pensait que la rédemption était la fin de l’incarnation, *215; ne distinguait pas, dans le péché, la souillure et l’offense, ce qui troublait toute sa doctrine de la rédemption, *350 ; croyait le Christ fils naturel de Dieu à double titre, *455. VENDREDI-SAINT, sens des mots païens, Juifs infidèles, héré­ tiques dans les oraisons liturgiques, 1318, 1345. VERDIER, cardinal, rôle du laïcat dans l’Action catholique, 1661. Vézelay, *512. VISIBILITÉ de l’Église, l’Église est visible absolument, essen­ tiellement, formellement, non sous un aspect particulier, par accident, matériellement, *74-77, 1566-1579 ; sa visibi­ lité ne doit sous aucun prétexte être séparée de sa spiritua­ lité, *79, *122-123 ; quand on dit qu elle est mystérieuse et visible, c’est de la visibilité du caractère divin de son mystère et de sa spiritualité qu’on veut parler, *94-136, 1785 ; visibi­ TABLE ALPHABÉTIQUE 2233 lité et spiritualité, l’une signifiant le corps, l’autre l’âme, ne font pas une cinquième propriété et une cinquième note de l’Église, *79-80 ; la visibilité de l’Église est fonction de sa spiritualité, elles croissent ensemble, *128-136 ; de la visibi­ lité et de la spiritualité de l’Église, il faut parler comme on parle de la visibilité et de la spiritualité de l’homme et de celles du Christ, *125-127; avant tout l’Église est spiri­ tuelle, et secondairement elle est visible, *115-123 ; le problème de la visibilité du Christ comme Dieu et de l’Église comme divine est le problème de la transparence de l’enveloppe corporelle de la vie du Christ et de la vie de l’Église, 1579-1593; on peut lever sur le Christ et sur l’Église trois regards, qui correspondent à trois visibilités : l’un empirique, qui s’arrête aux phénomènes et aux statis­ tiques, l’autre métaphysique, qui discerne les valeurs morales et ontologiques et reconnaît le caractère exceptionnel et miraculeux de la vie du Christ et de la vie de l’Église, le troi­ sième surnaturel, qui croit, dans la nuit translumineuse de la foi, le mystère de la vie du Christ et de la vie de l’Église, 1439-1441, 1494-1495, 1509-1512, 1862, 2020-2021, 2026 ; thèse irrecevable de Lortz, suivant laquelle la splen­ deur de l’Église, en tant que note historiquement reconnais­ sable, était offusquée au temps de Luther, *598, 15121514 ; avant le Christ, la visibilité de l’Église est peu percep­ tible, *128-130, *133, *135-136; ce qu’on dit de la visibilité de l’Église du Christ convient aux Églises dissi­ dentes, à proportion de ce quelles ont pu garder d’elle, *79 ; à la notion catholique de l’unité organique de l’Église, laquelle est, à la ressemblance du Christ, divine et corpo­ relle, le protestantisme oppose dès le début la notion d’une Église invisible, qui est divine, et des Églises visibles, qui en sont séparables, qu’on finit par considérer comme humaines, et qui ne peuvent aspirer qu’à une unité fédérative : forme ancienne et formes récentes de cette thèse, *80-94 ; ses ori­ gines sont à chercher dans les doctrines hussites et dans la thèse luthérienne de la justice imputative, *81, *87-88, *589-591 ; la visibilité et l’invisibilité chez Luther, *593601, chez Calvin, 1594-1609, chez Barth, 1834-1840 ; trois 2234 TABLE ALPHABÉTIQUE doctrines de la visibilité de l’Église: saint Thomas, Calvin, Barth, 1860-1863 ; voir corps de ΓÉglise, spiritualisme. VlTORIA, François de, si les Indiens sont de mauvaise foi, 1407 ; les clercs sont soumis aux lois civiles, 1649. Vladimir, S., 1246. VONIER, Dom Ansgar, semble identifier l’Église militante avec le royaume, non pas crucifié, mais glorifié, *201, *337. WAGNER, Wilhelm, son étude sur l’altération de la doctrine du corps mystique chez Luther, *581-610 ; c’est à tort qu’il distingue deux notions du corps mystique, l’une hiérar­ chique, l’autre répondant à la communion des saints, *141142, *584-585. Walz, P. A., 1279, 1281. WARNECK, Gustave, le temps de mission comprend tout l’éon présent, *526-527 ; absence de l’idée missionnaire chez les réformateurs, *527, *600. WENDLAND, H. D., Jésus n’est pas au-dessous de la parole prophétique, mais dans et au-dessus d’elle, 1456. Wernz et Vidal, 1643. WlCLEFF, l’Église est l’assemblée des prédestinés, *81 ; le pécheur n’est plus prélat, 1521, 1549. Wilmart, Dom A., *358, 1227. WlTTE, Dom de, les réductions du Paraguay, 2002. ZlGLIARA, cardinal Th. M., propriétés et notes de l’Église, 2024. INDEX DES NOMS N. B. : Les noms marqués d'un astérisque figurent dans la table alphabé­ tique qui précède. A Abel, 1769 Abraham*, 1108, 1347, 1401, 1694, 1696, 1734, 1735, 1765, 1793, 1891, 1892, 2057, 2084,2105. Actorie, 1288. Adam*, 1025, 1041, 1054, 1267, 1275, 1278, 1281, 1294, 1309, 1614, 1679, 1692, 2067. Adrien II, 1425. Agamemnon, 1892. Albert le Grand (saint)*, 1458. Alexandre, 1755. Alexandre VI, 1495. Alexandre VII*, 1353. 1757, 2040, 1114, 1287, 1683, 1126, Alexandre de Halés*, ALEXIS (patriarche), 2056. Allo (E.-B.)*, 1071, 1681, 1745, 1964. Amann (E.)*, 1225. Ambroise (saint)*, 1112, 1387, 1428, 1429, 1762, 1767, 1805, 1806, 1827, 1923, 1987. Ananias, 1765. Ananie, 1068. Anne (AT), 1735. Anne (NT), 1565. Anne de Penalosa, 1654. Anthime*, 1235. Antoine l’Ermite, 1458. Antoine Marie Zaccaria (saint), 1514. Aristote, 1445. Arius, 1183, 1186. ATHANASE (saint)*, 1249, 1458, 2038. ATLAS (le géant), 1872. Augustin (saint)*, 1031, 1049, 1099, 1100, 1126, 1129, 11961197, 1209, 1270, 1290, 1291, 1292, 1294, 1331, 1339, 1343, 1355, 1357, 1378, 1383, 1394, 1395, 1402, 1429, 1438, 1458, 1460, 1462, 1489, 1498, 1519, 1522, 1548,1562-1563, 1585, 1596, 1597, 1647, 1669, 1673, 1674, 1686, 1693, 1694, 1705, 1711, 1720, 1734, 1735, 1741, 1763, 1768, 1781, 1798, 1791, 1808-1812, 1827, 1878, 1879, 1899, 1900, 1902, 1906, 1911, 1912, 1978, 2006, 2024, 20332043, 2082, 2092. Augustin de Rome*, 1497-1498, 1743. Awakum, 1251, 2029. Azarias, 1765. 2236 INDEX DES NOMS B Baillet, 1099. Bainvel, 1302. Baïus, 1264. Balmès, 1288. Banez*, 1106, 1107, 1112, 1139, 1141,1154-1156, 1159, 1163, 1165-1166, 1291, 1379. Barnabé (saint), 1471 Barth (Karl)*, 1172,1828-1896. Basile (saint), 1110. Basile 1er, 1425, 1427, 1428. Batiffol (Pierre)*, 1383, 1755, 2034. BAUHOFER (Oscar), 1608. Beckenried, 1981, 1987. BEDE (saint)*, 1812-1813, 1827. Bellarmin (Robert, saint)*, 1127, 1158,1270, 1514, 1734, 18211822, 1907, 1909-1914, 1999, 2091,2092. Benoît (saint), 1959. Benoît Labre (saint), 1542, 1572,1654, 1663, 1940. Benoît XII, 1266. Benoît XIV, 1427. Benoît XV, 1148, 1221, 1229, 1463, 1981, 1988, 1989, 1995, 1999, 2002. Benson (H.)*, 1710. Berdiaev (Nicolas)*, 1884, 2053. Bergier, 1288. Bergson (Henri), 1055, 1056, 1511, 1956, 2021,2028, 2058, 2082. Bernard (P.), 1109. Bernard (saint)*, 1122, 18131814. Bernardin de Sienne (saint), 1542. Bertram (cardinal), 1662,1665. Bérulle*, 1040, 1063. BESSON (Marins Mgr)*, 14001412. Bielaïev (M. S. A.), 1251. Billot (cardinal)*, 1289. Billuart (René)*, 1045, 1051, 1057, 1188, 1271-1272, 1277, 1292, 1293, 1294, 1302,1304, 1306, 1408, 1731, 1900. Bloy (Léon)*, 1114, 1864. Boccace, 1171. Bonaventure (saint)*, 1115. Boniface VIII*, 1361, 17721776. Borgnet, 1126. Bossens (L.), 1984. BOSSUET (Jacques Bénigne)*, 1297, 1346, 1349,1594-1595, 1598, 1602, 1608, 1681-1682, 1823-1824, 1912. BOULGAKOV (Serge)*, 1212, 1250, 1575. Braun (E-M.)*, 1257, 1456, 1898. Broussaleux, Burnham (James)*, 1512. C Cabasilas (Nicolas)*, 1061, 1062, 1118, 1119, 1122. CaIphe, 1910, 2067. CAJETAN (Tommaso de Vio, dit)*, 1027, 1080, 1084, 1092, 1105, 1107, 1135, 1137, 1139, 1141, 1142, 1162, 1166, 1167, 1168, 1181, 1182, 1188-1189, 1219, 1294, 1298, 1318, 1328, INDEX DES NOMS 1334, 1364, 1365, 1369, 1370, 1374, 1375, 1379, 1380, 1381, 1396, 1446, 1549, 1558, 1564, 1614, 1637, 1672, 1673, 1702, 1703, 1706, 1711, 1712, 1719, 1721-1723, 1725, 1727, 1820, 1907, 1912, 1992. Calvin (Jean Cauvin dit)*, 1128, 1590-1609, 1825, 1829, 18321836, 1840, 1854, 1860-1863, 1878, 1879-1881, 1883, 1888, 1896. Camelot (Th.)*, 1428. Camille de Lellis (saint), 1514. Cano (Melchior)*, 1180-1181, 1182, 1183, 1184, 1185, 1327, 1353, 1354, 1725, 1821. CAPÉRAN (Louis)*, 1217, 1288. Cassiodore, 1711. Catherine de Gênes (sainte)*, 1514. Catherine de Sienne (sainte)*, 1458, 1708, 1887, 1958, 1959, 2058. Caussade (J.-P. de)*, 1481. Cerfaux (Louis)*, 1624, 1898, 1900. Cérulaire (Michel)*, 1223-1224, 1225, 1226, 1232, 1242. CervantèS (Miguel de)*, 1650. César, 1533, 1648, 1867, 1920, 1970. Chaîne (Joseph)*, 1485. Chardon (Louis)*, 1063,1262. Charles (Pierre)*, 1979, 1980, 1990, 2006, 2010. Charles Borromée (saint), 1514. ChaRRIÊRE (François), 1192. Chatov, 1573, 1575. 2237 Chavasse (A.), 1558. CHRIST (Jésus)*, son nom appa­ raît sur plus de 600 pages dans ce livre. CHRYSOSTOME (saint Jean)*, 1110, 1249, 1255, 1487, 1696, 1804-1805, 2006. Claeys-Bouart (F.)*, 1639. Claude (M.)*, 1128, 1823,1910. Claudel (Paul)*, 1387, 1506, 1588, 1660, 1683, 1946, 1958, 2018,2054. Clément (saint), 1771 Clément d’Alexandrie*, 17641767. Clément VI*, 1390,1392. Clément XI, 1825. Cocteau, 1632. Confusius, 1340. Congar (Yves, M.-J.)*, 1131, 1158, 1161, 1184, 1210, 1228, 1253, 1257, 1357, 1360, 1364, 1365, 1378, 1379, 1380, 1421, 1559, 1624,1956, 1957, 1973. Constantin, 1773. Corneille (le centurion), 1062, 1393, 1301, 1302, 1764, 1769, 2068. Cornélius a Lapide*, 1822. Costantini (Celso)*, 2000, 2002, 2004, 2006. Cottolengo, 1458, 1550. Cras (M.-A.), 2013. Crescentia (sainte), 1492. CRESPIN (Jean), 2025. Cullmann (Oscar)*, 1452, 1854. Cushing (Mgr) 2089. Cyprien (saint)*, 1204, 17601761, 1762,1763,1767. 2238 Cyrille INDEX DES NOMS d’Alexandrie (saint)*, 1062, 1175, 1249. Cyrille de Jérusalem (saint), 1039,1061. D Dabin (Paul)*, 1624, 1666. DAMASE (pape), 1762 Damien (Père), 1480, 1572. Daniel (A.T.), 2040. DaNIÉLOU (Jean)*, 1876. Danilevski, 1241. Dante*, 1394, 1445, 1453, 1709, 1856. Danzas (J.)’, 1246, 1252. David (le roi), 1445, 1784. DECHAMPS (cardinal)*, 1780. Del Bene, 1379. Del Prado (Norbert), 1879. Denis (Maurice), 1171. DENYS (le pseudo-aéropagite), 1986. Denys le Grand (saint), 1249. DeréLY (Victor), 1573. Dewailly (L.-M.)*, 2011, 1951. Dollïnger, 1365. Dominique (saint), 1458, 1709, 1708, 1959. Donat, 1598. Dostoïevski*, 1573,1575,2053. Dublanchy (E.)*, 1406. Duchesne (L.), 1235. DUHR (Joseph), 1651. Dumont (C-J)*, 1213, 1230, 1419. Durand de Osca, 1771. Dvornik (François), 1224, 14211430. Dyovouniotès (K. I.)*, 1237. E ÉL1E, 1464, 1765. Élisabeth, 1805,1895. Élisée, 1464. ÉSAÜ, Estius*, 1820. Étienne, 1889, 1898. Euthyme, 1428. Ève, 1820. F Fausta, 2018. Fedotov (G. R), 1417 Feeney (Père), 2089, 2095. Feuerbach, 1880. Fisher (John), 1665. Flandin, 1667. Flavien (saint), 1249. Foerster (F. W.)*, 1946. François Ier, 1595 François Borgia (saint), 1514. François d’Assise (saint)*, 1458, 1528, 1681, 1682, 1708, 1940, 1958, 1959, 1997,2058. François de Sales (saint)*, 1309, 1958. François Xavier (saint), 1458, 1461,1514,1982. G Gaétan (saint), 1514. Gandhi*, 1789, 1790. Gardeil*, 1302. Garrigou-Lagrange (Reginald)*, 1272, 1691,2028. Gaspari (cardinal)*, 1079, 1649, 1658, 1665. Gauvain (Jean)*, 1212, 1250, 1417. INDEX DES NOMS Gélase, 1426. Gertrude (sainte), 1958. Gide (André)*, 1506, 1872. Glorieux (chanoine)*, 1994. Godin (abbé)*, 1990. GOGUEL (Maurice), 1881. GONET*, 1447. Gonzalez, 1291. Gratien, 1379. Grégoire le Grand (saint)*, 1396, 1460, 1524, 1598. Grégoire VII, 1772. Grégoire XIII, 1706. Grégoire XVI, 1455. Grentrup (Th.)*, 1995, 2006, 2010. Grignion de Montfort (LouisMarie, saint)*, 1461. Grumel(V), 1775. Grünewald (Matthias), 1890. Guérard des Lauriers (L. B.)*, 1428. Guerry (E.)*, 1666. H Halifax (lord), 1405 Hallâj*, 1335 Hamer (Jérôme)*, 1832, 1838. Harnack, 1767. Héfélé-Leclercq, 1427. HEGEL (Georg Wilhelm Friedrich) 1478. Héraclite, 1765. Herbigny (Mgr d’)*, 1240, 1241, 1242, 1246-1248, 1251. Hergenrother, 1422. Herrmann, 1828. Hilaire*, 1429. HlonD (cardinal), 1429. 2239 Hitler, 1666. Homère, 1445. HOSIUS (cardinal)*, 1513. Hugues Saint-Victor*, de 1554,1638, 1916. Hurtaud (J.), 1708, 1809. HURTER (Frédéric)*, 1496. HUS (Jean)*, 1521, 1592. Hyménée, 1592, 1755. I Ignace (évêque), 1204, 1249, 1422, 1427, 1428. Ignace d’Antioche (saint)*, 1377-1378, 1759, 1763, 1934. Ignace de Loyola (saint), 1514, 1688, 1958. Innocent (saint), Innocent III*, 1266, 1268, 1415,1521, 1771, 1772. Innocent IV, 1523. Innocent X, 1353. Innocent XI, 1300. IRÉNÉE (saint)*, 1082, 1249, 1561-1562, 1596, 1923, 20302033, 2097. Isaac, 1108, 1347, 1401, 1890, 1892, 2084. Isidore de Kiev*, 1229. J Jacob, 1108, 1401, 1890, 2064, 2085. Jacques (saint), 1466. Jacques de Viterbe*, 1170, 1716. JAMMES (Francis), 1506. JANIN (Raymond)*, 1228. Jansénius*, 1183, 1186, 1201, 1353, 1687. 2240 INDEX DES NOMS Jean-Baptiste (saint)*, 1023, 1565, 1693, 1719, 1735. Jean Bosco (saint), 1458. Jean Damascene (saint)*, 1123, 1255. Jean de Dieu (saint), 1479,1514. Jean de la Croix (saint)*, 1069, 1173, 1211, 1368, 1443, 1514, 1519, 1552, 1654, 1746, 1782, 1849, 1945, 1958, 1986, 2018, 2078, 2085. Jean de Montecorvino (saint), Jean de Saint-Thomas*, 1024, 1027, 1030, 1051, 1052, 1087, 1090, 1264, 1291, 1447,1450, 1042, 1043, 1044, 1057, 1058, 1063, 1103, 1116, 1177, 1304, 1306, 1436, 1720, 1725, 1886. Jean l’Évangéliste (saint), 1050, 1161,1449,1465, 1623, 1625, 1694, 1755,1774, 1812, 1849. Jean VIII*, 1425 à 1428. Jeanne d’Arc (sainte), 1466, 1519, 1521, 1522, 1572, 1958, 2058. JÉRÔME (saint)*, 1182, 1382, 1383,1548, 1648, 1694, 1762, 1807-1808, 1822. Job, 1299, 1331, 1565, 1734, 1769, 1805, 1900. Jonas, 2057, 2065. Joseph (A.T.), 2057. Josué, 1760. Jovinien*, 1673, 1687, 1735, 1863. Joyce, 1667. Jubaianus, 1761. Juda, 2064. Judas, 1546. JUGIE (Martin)*, 1097, 1148, 1150, 1152, 1193, 1206, 1207, 1223, 1225, 1228-1230, 1232, 1236, 1237, 1238-1239, 1427. Julien l’Apostat*, 1689. Justin (saint), 1764-1767,1856. K Kant (Emmanuel), 1536. Khomiakov (Alexis Stepanovitch)’, 1238. 1146, 1159, 1234, Kierkegaard (Soren)*, 1891. KOPPERS (Wilhelm), 1342. Kossak (Zofia)*, 2027. Kraemer (M), 1335,1981. L LaBOURDETTE (Marie-Michel)*, 1314,1991. LaBRIOLLE (Pierre de)’, 1689. LaCORDAIRE (Henri), 1229. Lactance*, 1762. Lagrange (Albert, M.-J.)*, 1032, 1045, 1075, 1256,2061,2073. Lamennais (Félicité Robert de), Laurent (saint), 1684. Laval, 1667. LAVIGERIE (cardinal), 2015. Lazare, 1568. Le Bachelet (X.), 1039. Lebbe*, 1988, 1999, 2001,2009. Leclef, 1666. Ledrus (Michel)*, 1331. Leenhardt (Franz)*, 1400-1412. Leibniz (Wilhelm Gottfried), 1286. Lénine, 1864. Lenoir, 1288. 2241 INDEX DES NOMS Léon Le Grand (saint)*, 1175, 1341, 1565. Léon VI, 1428. LéonX, 1390. Léon XIII*, 1147, 1175, 1257, 1341, 1346, 1526, 1534, 1537,1565, 1920-1921,20 5 5. Leroy (Olivier)*, 1464-1466. Levaux (Léopold)*, 1988, 1999, 2002, 2009. Lessing*, 1260. LlALlNE (Dom Clément)*, 1254, 1257. Lilienfeld (A. de), 1144, 2043. LlPPl, 1170. LoiSY (Alfred), 1485. Lombard (Pierre), 1711. LOU TSIENG-TSIANG (PierreCélestin)*, 1988, 2000. Louis (saint), 1572, 1634, 1997. Louis-Philippe, 2054. Lubac (Henri de)*, 1224 à 1227, 1283, 1979. Lucien Marie de Saint-Joseph, 1069, 1174, 1211, 1782, 2078, 2085. Lugo, 1297. Luther (Martin)*, 1609, 1848, 1881, 1888, 1896. Lydie, 1067. M 1328. Maidenov (G.)*, 2038. Maistre Joseph de)*, 1234. Maklakov (G.)*, 1213. Malachie, 2070. Mâle (Émile)*, 1954. Mahomet, 1232, Malevez (Léopold)*, 1282-1283, 1837. Malvy (Antoine)*, 1216-1217, 1222. Mani, 1328, 1896. Manfred, 1394. Mansi, 1427, 1498-1499, 1743. MaRCHETTI-SeLVAGGIANI (cardi­ nal), 2095. Marie (sainte Vierge)*, figure de l’Église, son nom apparaît sur plus de 500 pages dans ce livre. Marie de l’Incarnation*, 1443, 1849, 1945. Marie-Madeleine (sainte), 1040, 1041, 1954. MARIN-SOLA (François)*, 1072, 1183, 1297, 1298, 1347, 1443, 1879, 1955. Maritain (Jacques)*, 1090, 1099, 1171, 1259, 1273, 1274, 1281, 1283, 1287, 1297, 1308, 1311, 1314, 1315, 1337, 1370, 13711372, 1445, 1504, 1509, 1525, 1530, 1533, 1534, 1537, 1538, 1550, 1630, 1634, 1635, 1636, 1637, 1652, 1660, 1664, 1667, 1668, 1683, 1685, 1709, 1830, 1849, 1865, 1870, 1877, 1880, 1892, 1919, 1940, 1944, 1959, 1965, 1968, 1986, 2018, 2026, 2082. Maritain (Raïssa)*, 1504. Marshall, 1874, 1894. Marsile de Padoue, 1651. Marston (Roger)*, 1184. Marx (Karl)*, 1841, 1842, 1880. Massignon (Louis)*, 1335. Matthieu Ricci (saint), 1458. Mattiussi (Guido), 1043. 2242 INDEX DES NOMS MAURIAC (François)*, 1506. Maxime le Confesseur (saint)*, 1249, 1775. Medina, 1044. Melchisédech, 1028, 1900. MenaSCE (Pierre Jean de)*, 1332, 1335, 1979, 1980, 1982, 1984, 1997,2000, 2004,2014, 2015. Mercier (cardinal)*, 1405. MERSCH (Émile)*, 1452, 1476, 2092. Michel (abbé)*, 1189, 1190, 1404, 1409 à 1412. MICHEL III (empereur), 1422, 1425. Mickiewicz (Adam)*, 1455. Milner (Joseph)*, 1461. Misaêl, 1765. Modeste (saint), 1492 Moehler (Jean-Adam)*, 1136, 1144, 1159, 1382, 2037, 20432045. Moïse, 1032, 1343, 1468, 1643, 1890, 1891, 1898,2064. Monchanin (Jules)*, 1790, 1795, 2051. Mondésert, 1766. Morozova (dame et Eudoxie), 1251. MOZART (Wolfgang .Amadeus), 1445. N Naaman, 1806. Nabuchodonosor, 1946. Napoléon, 2054. Naz (Raoul)*, 1541, 1650. Newman (John Henry)*, 1056, 1023-1025, 1203-1205, 1210, 1214, 1251, 1256, 1406, 1432, 1456,1461,1462,1776,1961, 2042. Nicétas de Remesiana*, 1108. Nicolaï (L. P. de), 1244. NICOLAS (Marie-Joseph), 1314, 1991. Nicolas de Flue (saint)*, 1442, 1463, 1572, 1818, 1874. Nicolas Ier (pape)*, 1183,1422, 1423,1523. Nicolas le Mystique, 1428. Nietzsche (Friederich), 1876, 1880. Nikon, 1251, 2029. Noé, 1762, 1774. O Oesterreicher (John M.)*, 1318,1344, 1345. Origène*, 1110, 1760-1761. Osiander, 1835. Ottaviani (A.), 2095. P Pallu (Mgr), 1999. Pascal (Biaise)*, 1049, 1270, 1329, 1463, 1610, 1660,1782, 1830, 1856, 1886, 2062, 2073, 2074, 2082. Pascal (Pierre)*, 1251-1252. Passerini*, 1671, 1672, 1691, 1698, 1699, 1702, 1746. Paul (saint), 1051, 1067, 1071, 1082, 1112, 1115, 1124, 1127, 1136, 1161, 1172, 1267, 1275, 1301, 1337, 1355, 1437, 1452, 1457, 1468, 1471, 1474, 1544, 1592, 1596, 1617, 1672, 1693, 1712, 1713, 1714, 1745, 1754, 1755, 1757, 1779, 1791, 1804, 2243 INDEX DES NOMS 1805, 1812, 1814, 1819, 1822, 1827, 1845, 1849, 1850, 1852, 1858, 1879, 1883, 1889, 1891, 1899, 1904, 1923, 1954, 1978, 2058,2069, 2079, 2083, 2086. Paul III, 1513. PaulV*, 1999. Pauline, 1243. PÉGUY (Charles)*, 1055, 1178, 1660,2108. Pélage, 1829, 1896. PERBAL (Albert)*, 1979. Perrone (Jean)*, 1143, 11541156, 1158, 1159, 1160, 1163, 1361, 1373, 2046. Pérugin, 1170. Peterson (Erik)*, 1318. Philète, 1592. Philippe (saint), 1464 Philippe Néri (saint), 1514,1959. Photius*, 1201, 1223-1224, 1231, 1234, 1242, 1421-1430. Pie V, 1264. Pie VI, 1268, 1390. Pie IX, 1076, 1192, 1202, 1405, 1407, 1455, 1591, 1726, 1776-1780, 1782,2053,2093. PieX*, 1255. Pie XI*, 1203, 1259, 1338, 1341, 1344, 1345, 1537, 1653, 1656, 1657, 1674, 1982, 1988, 1989, 1994, 1995, 2000, 2002, 2005, 2011. Pie XII*, 1048, 11209, 214, 1255, 1256, 1406, 1420, 1448, 1614, 1615, 1645, 1668, 1671, 1687, 1697, 1698, 1702, 1707, 1736, 1745, 1780-1782, 1995, 1997, 2012, 2092,2101. Pierre (saint), 1150, 1062, 1083, 1235, 1237, 1249, 1293, 1301, 1302, 1418, 1448, 1446, 1625, 1644, 1694, 1774, 1775, 1776, 1931, 1954, 1990, 2068, 2072. Pierre Canisius (saint), 1514. PlGHI (Albert), 1106 Platon, 1445, 1845. Polycarpe (saint), 1934. Polyeucte, 1243. Ponce Pilate, 1765, 1910. Possidius, 1547. Prümmer (D. M.)*, 1642, 1706. PUECH (Henri-Charles)*, 1328. 1204, 1258, 1315, 1515, 1762, 1803, 2032, 1206, 1392, 1342, 1623, 1763, 1863, 2058, QUESNEL (Paschase)*, 1825. Quirinius, 1765. R Rahab, 1760. Ramsay, 1875. Raphaël, 1565. Reitzenstein, 1328. Rembrandt 1445. Reynaud (Mgr), 2001. Rimbaud (Arthur), 1667. Ripalda, 1297. Ritschl, 1828. Rivière (Jacques), 1684, 2053, 2054. Rivière (Jean)*, 1772. Roannez (Melle de), 1610. Robert de Nobili (saint), 1458. Roey (cardinal van)*, 1657, 1666. ROUSSEAU (Jean-Jacques)*, 1896, 1920. 2244 INDEX DES NOMS S Saint-Georges Mivart, 1288. Salaville (S.)*, 1061, 1119, 1255. Saleilles (R.), 1056. Salmanticenses*, 1188, 1272, 1276, 1277, 1292, 12711275-1277, 1299, 1305, 1321-1328, 1325, 1390, 1678. Salomon, 1528, 1814. Sara, 1735. Satie (Erik), Saul, 1068. Schall (Adam), 1651. Scheeben (M-J)*, 1129. SCHELER (Max), SCHLEIERMACHER (Frédéric)*, 1626, 1828, 1896. Schmidt (Karl Ludwig), 1898. Sedulius, 1941. Secure y Saenz (cardinal), 1659, 1662. SERGE (patriarche de Moscou)*, 1213, 2055. SEUMOIS (André)*, 1980, 1987, 1994,1995,2005, 2010,2011. SEYSSEL (Claude de), 1288. SFONDRATE (cardinal), 1288. Siméon, 1565, 1755. Simon le magicien, 1769. Simon-Pierre, 1435, 1977, 2029, 2072, 2073. Skwireckas (Mgr), 1658. Socrate, 1765, 1892. Soloviev (Vladimir)*, 11171119, 1223, 1230, 1231, 12391251, 1256, 1414, 1456, 1736, 1776, 2061,2086. 1275, 1272, 1306, 1407, SosthèNE, 1899. SOTO (Dominique)*, 1395, 1651, 1725. SOTO (Pierre), 1821. Spencer (Ignace)*, 1192-1193. Stéphane de Perm (saint), 1417. Strosswager, 1240, 1242. SUAREZ (Francisco)*, 1154-1156, 1158-1160, 1163, 1165, 1166, 1297, 1359, 1360, 1364, 1380, 1407, 1410, 1653. Surin (père), 1444. Suzane, 1735. Sylvestre de Ferrare*, 1281. Taube (Michel de), 1246. Tertullien*, 1428-1429, 2031. ThÉODORA (impératrice), 1422. Théodore de Bèze, 1594. Théodore le Studite (saint), 1249. THÉODORET (bienheureux), 1249. Thérèse d’Avila (sainte)*, 1443, 1458, 1514, 1958,2058. Thérèse de Lisieux (sainte)*, 1110, 1466, 1712, 1747, 1827, 1977. Thomas Becket (saint), 1684. Thomas d’Aquin (saint)*, 1019, 1021 à 1033, 1037, 1043, 1044, 1045, 1049, 1053, 1054, 1059, 1062, 1064, 1065, 1067, 1070, 1080, 1083, 1085, 1089, 1091, 1092, 1093, 1096, 1097, 1098, 1101, 1102, 1104, 1111, 1112, 1116, 1118, 1119, 1120, 1123, 1125, 1126, 1127, 1130, 1135, 1137, 1138, 1149, 11551159, 1163, 1164, 1167, 1169, INDEX DES NOMS 2245 TONQUEDEC (Joseph de)*, 2028. 1176, 1181, 1182, 1184, 1185, 1188, 1189, 1194, 1197, 1199, TRJTHÈME, 1288. 1207, 1264, 1265, 1268 à TROUBETZKOÏ (prince), 1251. 1273, 1279 à 1283, 1289 à Turrecramata (Jean de)*, 1104, 1297, 1300 à 1303, 1306, 1178, 1184, 1379, 1498, 1638, 1307, 1309, 11312,313, 1320, 1710, 1724, 1725, 1816-1819, 1321, 1322, 1327, 1341, 1346, 1821. 1348, 1350, 1351, 1352, 1355, Tyszkiewicz (S.)*, 1063, 1146, 1356, 1358, 1361, 1362, 1366, 1148, 1228, 1413, 1414, 1418, 1372 à 1375, 1382, 1383, 1956. 1384, 1388 à 1392, 1395, 1396, 1408, 1424, 1431, 1443, U 1445, 1447, 1448, 1450, 1455, Ubald d’Alençon (Père), 1528. 1456, 1458, 1459, 1473, 1474, 1482, 1487, 1488, 1493, 1494, V 1524, 1526, 1536, 1549, 1550, Vacant (Alfred), 1324, 13251551, 1555, 1556, 1557, 1558, Valentinien II, 1767. 1564, 1565, 1580, 1592, 1593, Valéry (Paul)*, 1329. 1611, 1614 à 1616, 1619, VASQUEZ (Gabriel)*, 1297. 1624, 1670 à 1673, 1678, Verdier (cardinal)*, 1259, 1661. 1686, 1687, 1688, 1691, 1692, 1694, 1699, 1701, 1703, 1704, Victor-Emmanuel, 2054. 1707, 1711, 1718 à 1722, Vidal (P), 1643. 1724, 1727, 1731, 1733, 1741, VlERNEISEL (Joseph-Émile), 1382. 1773, 1775, 1794, 1813, 1814Vigilance, 1687. 1815, 1818, 1828, 1830, 1835, Vincent de Paul (saint), 1479. 1849, 1851, 1860, 1872, 1884, Vitoria (François de)*, 1407, 1905, 1906, 1949, 1958, 1960, 1649. 1961, 1965, 1971, 1977, 1979, Vite (saint), 1492. 1980, 1986, 2004 à 2007, VrvÈS, 1436, 1653. 2023, 2024, 2046, 2056, 2091, V olkonsky (Élisabeth), 1244. 2096, 2098,2102,2107. Thomas More (saint)*, 1660, W 1665, 1856, 1958. Walz (P.-A.)*, 1279, 1281. Thomassin (Louis)*, 1546. Wendland (H. D.)*, 1456. Timothée, 2072. Wernz (F.-X.)*, 1643. Tirésias, 1766. WlCLEFF (John)*, 1521, 1549, TlSSERANT (cardinal), 1256-1257. 1651. TOBIE, 1569. Wilmart (Dom A.)*, 1227. TOLSTOÏ (Léon Nicolaïevitch)*, 1247, 1250, 1684, 1863. 2246 INDEX DES NOMS Wilson, 1864. ΧΧΪΓΤΕ (Dom de)*, 2002. Z Zacharie, 1565, 1805. Zadonsky (Tikhon), 1414. Zataornik (Theophane), 1414. Zigliara (cardinal)*, 2024 Zwingli, 1414. TABLE DES MATIÈRES Avertissement de l’éditeur............................................. Sommaire....................................................................... V V DEUXIÈME PARTIE LES PARTIES COMPOSANTES DE L’ÉGLISE : L’ÂME CRÉÉE ET LE CORPS DE L’ÉGLISE CHAPITRE VI L’ÂME CRÉÉE DE L’ÉGLISE SECTION I DÉFINITIONS DE L’ÂME CRÉÉE DE L’ÉGLISE I DÉFINITION CAUSALE ET ANALYTIQUE I. L’âme créée de l’Église considérée dans son foyer................................................................ 1021 1. Elle est identique à la grâce capitale du Christ 2. Qu’est-ce que la grâce capitale du Christ ?...... 3. Les trois privilèges de la grâce capitale : sacer­ doce, sainteté, royauté...................................... a) Le sacerdoce du Christ..................................... b) La sainteté du Christ........................... ............ c) La royauté et la prophétie du Christ ............... 1021 1022 1026 1026 1030 1032 2248 TABLE DES MATIÈRES 4. Définition de l’âme créée de l'Église considérée 1034 dans son foyer..................... IL L’âme créée de l’Église considérée dans TOUTE SON EXTENSION ............................................ 1. La dérivation du sacerdoce du Christ dans les caractères sacramentels............................... a) Le culte du Christ répandu et communiqué... b) Sacerdoce principal et sacerdoce ministériel...... c) Les trois caractères sacramentels....................... d) La sigillation cultuelle de l’Esprit saint.......... 2. La dérivation de la sainteté du Christ dans les grâces sacramentelles ............... ................. a) La grâce de la loi nouvelle............................... b) Similitude de la grâce du Christ et de la grâce de ΓÉglise.......................... .............................. c) Les trois perfections de la grâce habituelle dans le Christ : connaturalité, plénitude, tendance d) Le mystère de l’inégale dispensation de la grâce christique.... _................................................ . e) Les trois privilèges de la grâce sacramentelle pleinement christique et christoconformante : connaturalité, plénitude, tendance............. f) La doctrine de la grâce christoconformante est traditionnelle..................... g) La sigillation sanctifiante de l’Esprit............. 3. La dérivation de la royauté du Christ dans les pouvoirs juridictionnels.................................. . a) La nécessité évangélique d’une instruction exté­ rieure pour le salut du monde............... „.... . b) Le pouvoir royal d’enseigner est transmis du Christ à son Église par délégation, non par consécration ou par infusion . ......................... 1035 1035 1036 1036 1037 1038 1040 1040 1042 1043 1047 1050 1060 1064 1066 1066 1069 TABLE DES MATIÈRES c) Trois notions connexes : juridiction, assistance, docilité.............................................................. d) La juridiction : quelle doit être elle-même enseignée du dehors pour être enseignante au-dehors......................................................... e) La lumière d'assistance...................................... f) L'obéissance à TÉvangile, ou l'orientation juri­ dictionnelle en tant qu'intériorisée................ g) L'influence rectrice de I'Esprit saint................ h) Le troisième élément de l'âme crééede l’Église 2249 1069 1070 1073 1074 1078 1079 III. La définition de l’âme créée de l’Église vue sous divers angles ............................... 1080 II. DÉFINITION SYNTHÉTIQUE I. La charité en tant que pleinement chris­ tique, C’EST-À-DIRE « EN TANT QUE CULTUELLE, SACRAMENTELLE, ORIENTÉE», CONSTITUE L’ÂME CRÉÉE DE L’ÉGLISE ............................................. 1085 1. Unité, complexité, indivisibilité de l’âme créée de l’Église........................................................... a) Définition descriptive et analytique par les trois éléments principaux ....................................... b) Passage de la définition analytique à la défi­ nition formelle ............................................... c) Bien qu'accidentelle et complexe, l'âme créée de l'Église est indivisible ........................... d) L'unité numérique interne de l'âme créée de l’Église........................... e) Résumé............................................................... 2. L’âme créée de l’Église est la charité en tant que « cultuelle »................................................. a) Rapports du culte et de la charité.................... 1086 1086 1088 1088 1090 1092 1094 1094 2250 TABLE DES MATIÈRES b) La charité en tant que cultuelle...................... 1095 c) Les valeurs cultuelles présupposées par la cha­ rité cultuelle .................................................... 1095 d) Dune appartenance initiale à l’Eglise en raison de ces valeurs .................................................. 1096 3. Lime créée de l’Église est la charité en tant que « sacramentelle » ou pleinement christo­ conformante ...................................................... 1101 a) La charité en tant que sacramentelle ............. 1101 b) Un aspect de la charité sacramentelle : l'unité de communion ou d'interdépendance des chrétiens . ... ...... ... ....... ...... —_ ____ 1103 c) Digression sur la communion des saints......... 1108 d) Division des grâces sacramentelles .................. 1115 e) La grâce sacramentelle de l'eucharistie............ 1119 f) Les valeurs sanctifiantes présupposées par la charité sacramentelle ..................... ................. 1130 g) D'une appartenance initiale à I'Église en rai­ son de ces valeurs sanctifiantes....................... 1130 h) La charité, quand elle est jointe aux carac­ tères sacramentels, est à la fois cultuelle et sacramentelle ................................................... 1134 4. L’âme créée de l’Église est la charité en tant qu’« orientée » ................ 1135 a) La charité chrétienne est comme telle « docile » à la voix du Christ.......................................... 1135 b) L'unité de l'Église comporte l'unité de com­ munion et l'unité d'orientation .................... 1137 c) Rapports de l'unité de communion et de l'unité d'orientation .................................... H39 d) Les valeurs juridictionnelles présupposées par la charité orientée........................................... 1145 e) D'une appartenance initiale à l’Église catho­ lique du groupe des Églises orthodoxes......... 1148 TABLE DES MATIÈRES 2251 II. La charité de l’Église est présente dans les membres pécheurs par son influx.................... 1153 1. Un faux dilemme : une Église sans pécheurs ? ou l’unité de l’Église définie indépendam­ ment de la charité ?.................... 2. Les solutions de Banez, de Suarez et de Perrone : l’unité essentielle de l’Église défi­ nie indépendamment de la charité théo­ logale ................................................................... 3. Le principe de solution de Cajetan : l’unité de l’Église est procurée formellement par les justes et matériellement par les pécheurs .... 4. La charité de l’Église exerce son influence formatrice jusque sur les membres pécheurs 1154 1154 1162 1166 III. L’âme de l’Église considérée au repos ou en exercice........................................................... 1171 section II DÉCHIRURES DE L’ÉGLISE I. UN CONFLIT DE DEUX TERMINOLOGIES, SA SOLUTION PAR L'ANALYSE DU CONCEPT DE DISSIDENCE L Le conflit de deux terminologies.................... 1179 1. La terminologie des anciens scolastiques rela­ tive à 1’hérésie, au schisme, à l’infidélité....... 1179 a) L'hérésie et le schisme........................................ 1180 b) L'infidélité....................... .................................. 1187 2. La terminologie récente relative à l’hérésie, au schisme, à l’infidélité ............................... 1188 a) L'hérésie et le schisme........................................ 1188 b) L'infidélité......................................................... 1193 2252 TABLE DES MATIÈRES IL Le concept d’Église dissidente ....................... 1194 1. Le concept d’Église hérétique........................... 2. La dialectique interne d’une Église hérétique tend à la transformer en Église dissidente.... 3. La forme d’une Église dissidente...................... 4. Les membres d’une Église dissidente.............. 5. De quelques dispositions canoniques concer­ nant les dissidents ............................................ a) Dispositions concernant les dissidents eux-mêmes b) Dispositions concernant les catholiques qui participent à leur culte................................... 1195 1197 1200 1209 1215 1215 1217 III. Les Églises orthodoxes dissidentes.............. 1222 1. Examen de quelques désignations et de quelques distinctions proposées par des écrivains catholiques........................................ 2. L’enseignement magistériel orthodoxe actuel est en partie conciliaire et en partie extra-conciliaire ................................................ 3. La position ecclésiologique de Vladimir Soloviev .............................................................. 4. Starovières ou raskolniks ?.................................. 5. Unionisme ou oecuménisme ............................. 6. Aux sources de l’unionisme............................... 1227 1234 1239 1251 1253 1259 IL DE L'IGNORANCE DE LA FOI AU DILEMME : FOI OU INFIDÉLITÉ I. L’IGNORANCE EN MATIÈRE DE FOI............................. 1263 1. L’ignorance invincible des données de la foi et l’infidélité........................................................ 1264 2. L’ignorance invincible est soit absolue ou totale, soit relative ou partielle ........... .......... 1264 TABLE DES MATIÈRES 3. Les petits enfants et les anormaux : l’igno­ rance invincible absolue est leur partage. Le cas des enfants baptisés.................................... 4. Le sort des enfants non baptisés ...................... a) La révélation du péché originel....................... b) La signification analogique des mots : péché, privation de la grâce ou de la vision divine, damnation, enfer........................................... c) Comment la nature humaine est-elle blessée par le péché originel ? .................................... d) Les solutions écartées......................................... e) La solution adoptée: la nature humaine est blessée par rapport à l'univers présent........... fi) Le point d'insertion de la grâce dans la nature g) Parallèle entre l'enfant des limbes et l'enfant de la nature pure : la carence de la grâce et de la vision divine.......................................... h) Le désir de voir Dieu........................................ i) Le désir de ressusciter......................................... j) La signification des limbes................................. 5. Les adultes normaux : selon certains théolo­ giens, ils pourraient être dans l’ignorance invincible absolue............................................. a) L'hypothèse de la nature pure et des limbes des adultes............................................................. b) L'hypothèse des peuples qui seraient adultes culturellement sans l'être spirituellement...... c) L'hypothèse d'adultes qui seraient dans une ignorance invincible absolue de la foi, mais capables pourtant de péchés mortels.............. 6. Les adultes normaux sont fidèles ou infidèles : l’ignorance invincible absolue est impossible pour eux ............................................................ 7. Conclusions......................................................... 2253 1266 1267 1267 1268 1269 1271 1274 1278 1278 1281 1284 1286 1288 1288 1288 1290 1292 1294 2254 TABLE DES MADÈRES IL La PREMIÈRE PRÉSENTATION DES DONNÉES DE LA FOI.................. 1. Le message chrétien nous est présenté médiatement par voie d'enseignement................... 2. Les premiers « credibilia »................................... a) Ils peuvent être présentés médiatement par voie d'enseignement........................................ b) Ils peuvent être présentés immédiatement par voie de révélation : « les hommes élevés dans les forêts».......................................................... c) On ne peut refuser la première invitation divine sans pécher contre la foi...................... 3. D’une connaissance préconceptuelle des pre­ miers « credibilia »............................................ 4. Conclusions.......................................................... 1295 1295 1298 1299 1300 1304 1307 1312 III. LA PREMIÈRE RENCONTRE PERSONNELLE AVEC L’ÉGLISE...................... ................................................ 1313 1. La profondeur dupremier acte de liberté........ 2. C’est en lui que se fait la première rencontre personnelle avec l’Église .................................. 3. Il est secouru ou contrarié du dehors.............. 4. Conclusion............................................................ 1313 1314 1315 1317 III. L'INFIDÉLITÉ LLe péché d’infidélité et SES TROIS ESPÈCES MAJEURES ........................... 1319 1. L’infidélité par simple refus ou inhibition ...... 1320 2. L’infidélité par régression................................... 1321 3. L’infidélité par désertion.................................... 1323 IL Les grandes déviations religieuses ou les patrimoines d’infidélité ............................ 1328 TABLE DES MATIÈRES 2255 1. Les déviations religieuses d’origine préchré­ tienne .................................................................. 1330 2. La déviation religieuse du judaïsme ................ 1331 3. Les déviations religieuses postchrétiennes : les dissidences, l’islam, les formations athées ... 1333 III. Encore la terminologie : la prière pour les « ERRANTS » ET LA PRIÈRE POUR LES INFIDÈLES..... 1338 1. La prière pour les Gentils................................... 1338 2. La prière pour les Juifs ...................................... 1342 3. La prière pour les dissidents .............................. 1345 IV L'HÉRÉSIE 1. Les trois notes constitutives de l’hérésie......... 2. L’hérétique ne rejette souvent qu’une partie du dépôt révélé ................................................. 3. L’hérésie s’attaque immédiatement à la foi divine et conséquemment à la communion ecclésiastique .................................................... 4. L’apostasie, ou hérésie qui rejette la totalité du dépôt révélé ................................................ 5. L’hérésie saccage l’âme créée de l’Église........... 6. Même occulte, l’hérésie exclut de l’apparte­ nance à l’Église ................................................. 7. Les critères de l’héréticité................................... 1347 1348 1349 1350 1351 1352 1352 V LE SCHISME 1. Le péché de schisme .......................................... 1355 2. L’unité de l’Église est détruite radicalement par l’hérésie et formellement par le schisme.. 1356 3. Haine de Dieu, infidélité, schisme.................. 1357 2256 TABLE DES MATIÈRES 4. Deux conceptions de l’unité de l’Église et du schisme : la conception empirique............... 5. La conception traditionnelle ............................ 6. Schisme direct et schisme indirect .................. 7. La haine de l’Église............................................. 1358 1362 1364 1365 8. L’unité de connexion et l’unité d’orientation composent l’unité de communion ................ 1366 9. L’unité de communion résulte d’une motion divine à la fois informatrice, vivificatrice et progressante ...................... 1367 10. Le texte de Cajetan sur l’unité....................... 1368 1L Le schismatique refuse d’être une partie dans l’Église pour être un tout séparé.......... 1369 12. «Chaque pierre est pour la Cité et la Cité est pour chaque pierre » .................................. 1370 13. Commentaire de l’article de saint Thomas .... 1372 14. De deux façons de faire le schisme ..... .......... 1374 15. Le schisme est séparable de l’hérésie ............. 1376 16. Les critères du schisme .................................... 1376 a) Deux sortes de critères.......................................... 1376 b) La rupture avec une Église particulière n’est pas la raison formelle du schisme, mais peut en être le signe............................................ .... 1377 17. De la possibilité d’un pape schismatique..... 1379 18. Le passage du schisme à l’hérésie .................. 1382 VI L’EXCOMMUNICATION 1. Déchirures d’ordre divin et déchirures d’ordre canonique .......................................................... 2. Raison de l’excommunication .......................... 3. Définition de l’excommunication .................... 4. Les effets de l’excommunication ...................... 1383 1384 1385 1386 TABLE DES MATIÈRES 5. 6. 7. 8. Les suffrages publics de l’Église ....................... La participation aux indulgences ..................... Situation des excommuniés .............................. Une excommunication injuste est-elle valide ? 2257 1387 1390 1393 1394 VIL CONCLUSIONS EXCURSUS IV. — Quand la foi est-elle sujfsamment proposée ? Controverse entre un évêque et un pas­ teur protestant....................................................... 1400 EXCURSUS V — Sur le rapprochement entre catho­ liques et orthodoxes............................................. 1413 L Les voies de l’union, 1413. - IL Le point de vue de la Conférence ecclésiastique de Moscou, 1948, 1419.- III. Schisme, condamnation, réintégration de Photius, d’après l’ouvrage de François Dvornik, 1421. CHAPITRE VII LE CORPS DE L’ÉGLISE SECTION I NATURE DU CORPS DE L’ÉGLISE L PASSAGE DE LÉTUDE DE L’ÂME DE L’ÉGLISE À L’ÉTUDE DE SON CORPS L Maison de Dieu .................................................. 1434 2. Le corps de l’Eglise est défini dans toute son ampleur ............................................................. 1435 3. Les définitions de l’âme et du corps s’impli­ quent mutuellement........................................ 1436 2258 TABLE DES MATIÈRES 4. Corps du Christ et corps de l’Église ............... 1437 5. La chair du Christ et le corps de l’Église........ 1438 IL COMMENT NOUS CONNAISSONS LE CORPS DE L'ÉGLISE 1. Trois regards sur le Christ et sur l’Église: phénoménal, métaphysique, surnaturel ....... 1439 2. Avec quelle certitude théologique pouvonsnous dénoncer le corps de l’Église ? ............. 1441 3. Les divers éléments du corps de l’Église ne sont pas également transparents .................... 1444 III. LES ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS DU CORPS DE LÉGLISE A. L’aspect culte ou rite............... ........................... 1446 1. Les manifestations du pouvoir cultuel de 1 Eglise...... ..................... ........... ............... ........... 1448 2. Le culte de l’Église apparaît comme messia­ nique et comme eschatologique .................... 1452 B. L’aspect royauté, magistère, prophétie et l’aspect miracles................................................. 1453 I. L'aspect royal, magistériel, prophétique............ 1454 1. Les manifestations de la prophétie juridic­ tionnelle et de la prophétie privée................. 1454 2. La prophétie chrétienne apparaît comme messianique et comme eschatologique ........ 1459 IL L'aspect thaumaturgique.................................... 1459 1. Les miracles aux temps apostoliques................ 1460 2. Les miracles en temps ordinaire........................ 1462 3. Rapport de la hiérarchie et des miracles........... 1462 TABLE DES MATIÈRES 2259 4. Signification messianique et eschatologique des miracles ....................................................... 1463 5. Les miracles aiment à se cacher ....................... 1464 C. L’aspect sainteté................................................... I. Trois modes 1466 d'extériorisation de la sainteté MYSTÉRIEUSE DU CHRIST ET DE CELLE DE SON ÉGLISE : PAS DE MIRACLE, MIRACLE MORAL, MIRACLE PHYSIQUE 1467 1. La sainteté du Christ et ses modes d’extério­ risation ............................................................... 1467 2. La sainteté de l’Eglise et ses modes d’extério­ risation ............................................................... 1469 3. Absolument sûr de la charité de l’Église, le fidèle n’en peut que conjecturer la présence en lui et dans les autres fidèles....................... 1471 II. Les manifestations de la sainteté de lÉglise 1. L’Église est sainte formellement......................„. 2. L’Église est sainte en tant que tout personnel 3. Principales lignes de force de la sainteté de l’Église................................................................ 1473 1473 1474 1476 III. Deux axiomes destinés à mettre la sainteté de lÉglise en pleine lumière. Premier axiome déga­ geant l'église des péchés de ceux qui lui appar­ tiennent corporellement ................................... 1482 1. L’Église, qui n’est pas sans pécheurs, est néan­ moins sans péché.............................................. 2. Elle s’inquiète du péché..................................... 3. Elle ne pèche pas, mais se repent et se convertit ............................................................ 4. Elle demande chaque jour de ne pas pécher .... 5. L’Église peut-elle se purifier ? ........................... 1482 1482 1486 1491 1492 2260 TABLE DES MATIÈRES 6. Appartenance salutaire des justes malgré leurs fautes vénielles et appartenance non salu­ taire des pécheurs . ............................................ 7. Deux définitions théologiques incompatibles : l’une matérielle, où l’Église inclut beaucoup de péchés ; l’autre formelle, où l’Église est sans péchés.................................................................. a) Le point de vue des historiens.......................... b) La question théologique ................................... 8. Église maculée ou Église immaculée ? ............. a) L'Eglise est sainte non seulement indirecte­ ment, mais encore directement...................... b) Dun choix entre deux contradictoires ... ........ c) Deux situations apologétiques.......................... 1493 1494 1495 1496 1500 1500 1501 1504 IV Deuxième axiome rattachant A l’Église la sain­ teté DE CEUX QUI NE LUI APPARTIENNENT QUE SPIRI­ TUELLEMENT ................................................................................ 1507 1. Tout ce qu’il y a de vraie sainteté dans le monde relève déjà de l’Église de Pierre........ 1508 2. Rappel méthodologique .................................... 1509 3. Résumé.................................... ............................. 1512 V Sainteté instrumentale et sainteté formelle.. 1. La sainteté instrumentale du message juridic­ tionnel est ordonnée à la sainteté formelle de l’Église... ........................................................ 2. La sainteté instrumentale du message juridic­ tionnel se mesure selon les degrés de l’assis­ tance divine... .................................................... 3. Pourquoi le secteur des directives particu­ lières n’est-il assisté que d’une manière faillible?.............................................................. 1515 1515 151b 1518 TABLE DES MATIÈRES 4. L’assistance faillible et les défaillances en matière de directives particulières ................. 5. La sainteté instrumentale et tendancielle du message juridictionnel n’est pas substantiel­ lement renversée par les défaillances parti­ culières et les scandales.................................... 6. L’enseignement catholique sur l’obéissance et la prudence chrétiennes................................... 7. La sainteté formelle et terminale de l’Eglise est sans tache ni ride ........................................ 2261 1521 1522 1525 1528 IV. LES ÉLÉMENTS ADJACENTS DU CORPS DE LÉGLISE L Royaume de Dieu et royaumes de ce monde .. a) Distinction du spirituel et du temporel ......... b) Subordination du temporel.............................. c) Autonomie du temporel dans son ordre propre d) Incidences du spirituel dans le temporel......... 2. Des choses ou vêtements de l’Eglise ................ a) Les biens extérieurs............................................ b) Les choses d’art.................................................. c) Les biens consacrés............................................. d) Les trésors littéraires ......................................... e) Les livres saints et les espèces eucharistiques.... 3. Sur l’histoire de la possession ecclésiastique... a) Origine et nature de la possession ecclésiale ... b) Sens de son histoire .......................................... 4. Biens purs et biens avariés par un usage défectueux.......................................................... 5. La notion de propriété et de possession est applicable à l’Église en propre, mais analo­ giquement ......................................................... 1530 1530 1533 1535 1536 1539 1541 1542 1543 1543 1544 1545 1546 1548 1549 1551 2262 TABLE DES MATIÈRES SECTION II LES PROPRIÉTÉS DU CORPS DE L’ÉGLISE L COEXTENSIVITÉ DE L’ÂME ET DU CORPS DE L'ÉGLISE 1. Le principe de coextensivité.............................. 1553 a) Où est l’âme de l'Église, là est son corps......... 1555 b) Le mode de présence de l’âme détermine le mode de vivification du corps......................... 1555 c) Où paraît quelque chose de l’âme de l’Église, paraît quelque chose de son corps.................. 1557 d) L’Église en acte achevé et en acte virtuel......... 1558 2. Le principe de coextensivité et l’Âme incréée de l’Église................................. .......................... 1560 a) L’œuvre du Christ prépare la pleine venue de l’Esprit......... .................................................... 1560 b) Où est lÉglise, là est l Esprit ; où est l’Esprit, là est l’Église....................... 1561 c) L’influence animatrice de l’Esprit saint s’exerce sur les membres justes et sur les membres pécheurs de l’Église.......................................... 1564 d) L’influence animatrice de l’Esprit saint est entravée chez les justes du dehors.................. 1565 IL LE CORPS EST UNE PARTIE COMPOSANTE ESSENTIELLE DE L’ÉGLISE 1. L’union de l’âme aucorps................................... a) Union essentielle................................................ b) Union permanente ........................................... c) Union vivificatrice............................................ d) Spiritualisme de la séparation d’avec la matière et spiritualisme de la transfiguration de la matière............................................................. 1566 1566 1567 1568 1569 TABLE DES MATIÈRES 2263 2. L’Église a son corps propre et autonome........ 1570 a) L'Eglise a son corps propre, distinct du corps b) L'Église a son corps propre, distinct du corps des autres formations religieuses................... 1576 c) L'Eglise a son corps azitonome.......................... 1578 III. PAR SON CORPS TOUTE LEGLISE EST VISIBLE EN TRANSPARENCE 1. Le mystère du corps de Jésus............................ a) La transparence dans l'état de gloire.............. b) La transparence dans l'état de pèlerinage....... c) La transparence dans le « hic et nunc »........... 2. Le mystère du corps de l’Église........................ a) La transparence de l'Église de la gloire............ b) La transparence de l'Eglise du temps............ c) La transparence de l'Église au moment présent 3. De la visibilité ou transparence de l’Église .... a) Conception catholique de la visibilité............ b) Conception calvinienne de la visibilité........... c) « Toutes choses sont des voiles qui couvrent Dieu » ............................................................. 1581 1581 1581 1582 1583 1583 1584 1587 1589 1590 1594 1609 TV LE CORPS DE L’ÉGLISE EST ORGANIQUE ET DIFFÉRENCIÉ L Activités chrétiennes hiérarchiques et acti­ vités CHRÉTIENNES NON HIÉRARCHIQUES ....... 1612 1. Pourquoi la hiérarchie? Sans elle, pas d’Église en acte achevé................................................... 1613 2. L’Église participe au Christ diversement par les activités hiérarchiques et par les activités non hiérarchiques............................................. 1616 ' 2264 TABLE DES MATIÈRES 3. Tableau des activités hiérarchiques et non hiérarchiques ..................................................... 4. La primauté des activités sanctifiantes.......... 5. Comment l’Eglise est antérieure à chacun de ses membres ...................................................... 6. Faut-il opposer « Église enseignante » et « Église enseignée », « Église hiérarchique » et « Église non hiérarchique » ?......................................... 1620 1621 1626 1628 IL Clercs et laïques................................................... 1629 1. Activités chrétiennes spirituelles ou ecclé­ siales, et activités chrétiennes temporelles ou profanes ...................................... 1629 2. La cléricature et le laïcat sont des états de vie.. 1637 3. Définitions de la cléricature et du laïcat......... 1641 4. La cléricature ........................................................ 1642 a) Les clercs sont voués aux fonctions hiérar­ chiques ............................................................. 1642 b) Les clercs sont voués aux activités sanctifiantes à un titre nouveau .......................................... 1643 c) Les clercs sont exonérés le plus possible des activités chrétiennes profanes............................ 1647 d) Les clercs doivent « exister et souffrir avec le peuple» ................................................... „...... 1651 5. Le laïcat ................................................................. 1652 a) Les laïques sont exonérés des fonctions hiérar­ chiques ...................................................... 1652 b) Les laïques sont voués à toutes les activités ecclésiales non hiérarchiques. L'Action catho­ lique. L'Action civique catholique ................ 1654 c) Le poids principal des activités chrétiennes profanes retombe sur les laïques. Nouvelle manière d'« exister avec le peuple » ............ 1666 TABLE DES MATIÈRES 2265 III. Les autres états de vie....................................... 1669 1. Mariage et célibat ................................................ 2. Vie « commune » et vie « parfaite ».................. 3. Vie parfaite « religieuse » et vie parfaite « épiscopale»............................................................... 4. Conclusion sur les états de vie.......................... 5. Autres différenciations se rattachant aux états devie................................................................... 1669 1675 1698 1705 1709 IV Les « conditions variables » de la vie chré­ tienne ..................................................... 1710 section ni LES MEMBRES DU CHRIST ET DE L’ÉGLISE I. QUI EST MEMBRE DU CHRIST ET DE L’ÉGLISE 1. Organes et membres : membres « divisibles » et membres « indivisibles ».............................. 2. La notion de membre est analogique, non univoque............................................................ 3. Membres déjà « en acte » au moins d’une cer­ taine manière, et membres seulement « en puissance» ........................................................ 4. Appartenance « consentie » des fidèles, et appar­ tenance « reniée » des hérétiques, tant occultes que manifestes, et des schismatiques............. 5. L’appartenance consentie des fidèles comprend l’appartenance latente « en acte tendanciel », et l’appartenance manifeste « en acte achevé » 6. L’appartenance tendancielle peut être de « foi seule », ou déjà de « charité » .......................... 1715 1717 1718 1720 1728 1730 2266 TABLE DES MATIÈRES 7. Trois degrés de l'appartenance tendancielle de charité ................................................................. 8. L'appartenance en acte achevé comporte des « justes » et des « pécheurs » ........................... 9. Trois degrés de l’appartenance salutaire en acte achevé ............................... 10. De deux divisions réductibles aux précé­ dentes : les « catholiques » et les « a-catholiques » ; les « chrétiens catholiques » et les « chrétiens non catholiques »......................... 11. Tableau synoptique des membres du Christ et de l’Église ....................................................... 12. Conclusion......................................................... 1734 1737 1744 1747 1750 1752 IL « HORS DE L'ÉGLISE, PAS DE SALUT» I. Présence latente de l’axiome dans le Nouveau Testament...................................................... 1753 1. Le salut se fait par incorporation au Christ et à l’Église... ........................................................... 1753 2. Trois précisions évangéliques............................. 1755 3. Le mystère de l’axiome....................................... 1758 IL L’axiome chez les Pères....................................... 1759 L Se retrancher de l’Église, c’est se retrancher de la vie .......... 1759 2. La formule : « Extra Ecclesiam... » est chez Origène et Cyprien........................................... 1760 3. L’arche de Noé ..................................................... 1762 4. Le Christ illumine partiellement les Gentils selon Justin et Clément d’Alexandrie ........... 1764 5. Le désir du baptême selon saint Ambroise .... 1767 6. Quelques traits de la synthèse augustinienne .. 1768 TABLE DES MATIÈRES 2267 III. L’axiome dans le magistère ecclésiastique .... 1770 1. Rappels de la gravité du schisme et de l’hérésie 2. Innocent III : nul salut hors de l’Église où se perpétue le sacrifice eucharistique................. 3. Boniface VIII : nécessité de la soumission au pontife romain.................................................. 4. Pie IX : la part de l’ignorance invincible ........ 5. Pie XII ................................................................... 1770 1771 1772 1776 1780 IV. Les éléments de la synthèse théologique... 1783 1. Qu’est-ce que l’Église ?...................................... a) L'Eglise, nouée autour du Christ, est l'habita­ tion de la Trinité parmi les hommes ............„ b) Elle y est préparée par une grâce de contact c) Mystérieuse et visible, elle est le noyau solide de la nébuleuse du salut................................ 2. Comment les pécheurs peuvent-ils être membres de l’Église ?........................................ a) Les pécheurs sont membres de TEglise d'une manière partielle, donc sans la souiller........ b) Les pécheurs sont membres de TEglise d'une manière propre et véritable, en vertu d'une survivance en eux de la charité sacramen­ telle et orientée............................................... c) Les pécheurs sont membres de l'Église d'une manière analogique, donc non salutaire...... d) Les pécheurs sont dans TEglise corporellement, mais hors de TEglise spirituellement, et donc hors du salut................................................... e) Pourquoi l'Église est-elle mêlée de bons et de méchants?....................................................... 3. Le régime « normal » de l’appartenance latente « avant » le Christ............................................. 1783 1784 1784 1785 1786 1786 1786 1787 1788 1788 1792 2268 TABLE DES MATIÈRES a) L'Eglise du Christ avant le Christ .................. b) ha grâce christique par anticipation forme une Église non pleinement éclose.......................... c) Loi mosaïque et loi de nature .......................... d) La présentation des premiers « credibilia » ........ e) «Afin quïls ne parvinssent pas sans nous à la perfection»..................................... 4. Le régime « anormal » de l’appartenance latente « après » le Christ .............................................. a) Grâces christiques par voie de seid mérite, et grâces christiques aussi par voie d'efficience.... b) Dérivation par contact et dérivation à distance c) Depuis la venue du Christ, la dérivation par contact est le régime normal du salut pour le monde entier.................................................... d) La contre-offensive du Prince des ténèbres...... e) Le dessein immédiat de Dieu : le rôle anormal et supplétifde la dérivation à distance ......„ f) Tandis que l'ancienne appartenance tendan­ cielle était normale, l'actuelle appartenance tendancielle est anormale .............................. 1792 1792 1793 1793 1794 1795 1796 1796 1797 1797 1799 1801 V. Conclusion : l’Église romaine plus vaste et PLUS PURE QUE NOUS NE SAVONS .......................... 1803 EXCURSUS VI. — Sur l'Église sans tache ni ride ....... 1804 I. Saint Jean Chrysostome, 1804. - 2. Saint Ambroise, 1805. - 3 Saint Jérôme, 1807 4. Saint Augustin, 1808. - 5. Saint Bède, 1812. - 6. Saint Bernard, 1813. - 7. Saint Thomas d’Aquin, 1815. - 8. Turrecremata, 1816. — 9. Cajetan, 1820. — 10. Estius, 1820. II. Saint Bellarmin, 1821. - 12. Cornélius a Lapide, 1822. - 13- Bossuet, 1823. - 14. Con­ clusion, 1824. TABLE DES MATIÈRES 2269 EXCURSUS VII. — L’ecclésiologie de Karl Barth ........ 1828 1. Analogie ou univocité ? 1828. - 2. Le prin­ cipe de la subordination causale, et l’illusion d’une rivalité causale dans l’acte bon, 1829. 3. Le principe de rivalité gagne, en passant de l’ecclésiologie de Calvin à celle de Barth : une ecclésiologie de l’occasionalisme, 1833. — 4. Visibilité et invisibilité de l’Église : de Calvin à Barth, 1834. - 5. L’Église au banc des accusés : elle serait par essence contraire à l’Évangile, 1840. - 6. L’Église réhabilitée: elle est l’appareil ecclésiastique en tant que visité par l’éclair de l’Évangile, 1845. — 7. L’Égliseévénement, 1852. - 8. Amsterdam «démons­ tration d’Esprit et de puissance » ? Réponse barthienne et réponse catholique, 1856. — 9. Trois doctrines de la visibilité de l’Église : saint Thomas, Calvin, Barth, 1860. - 10. L’Église dans le monde, 1863. - 11. Le principe de riva­ lité et la dialectique barthienne de l’univocité, 1870. - 12. Que vaut le principe de rivalité et la dialectique de l’univocité? 1876. — 13. Le principe de subordination causale et l’ecclésiologie catholique, 1884. - 14. Le drame d’une théologie, 1888. CHAPITRE VIII DÉFINITIONS MINEURES DE L’ÉGLISE 1. Les origines vieux-testamentaires du mot «Ekklesia» ........................................................ 1898 2. Définitions générales de l’Église ...................... 1900 2270 TABLE DES MATIÈRES a) Les trois états simultanés de l'Église : triom­ phante, souffrante, militante.......................... b) Les trois régimes de l'Église du temps : loi de nature, loi mosaïque, loi nouvelle ................ 3. L'Église de la loi nouvelle................................... a) Définitions analytiques.................................... b) Critique de la définition bellarminienne....... c) Définitions synthétiques.................................... d) Définitions comparatives : l'Église et la cité politique ........................................... „............. 4. Conclusion............................................................ 1900 1902 1907 1907 1909 1914 1918 1922 TROISIÈME PARTIE PROPRIÉTÉS DE L’ÉGLISE EN TANT QUE COMPOSÉE D’ÂME ET DE CORPS CHAPITRE IX L'UNITÉ CATHOLIQUE L DE L’ÉGLISE COMME MYSTÈRE ET COMME MIRACLE 1. Le mystère en Jésus et en son Église; le miracle en Jésus et en son Église.................... 1927 2. Propriétés mystérieuses et notes miraculeuses de l’Église............................................................ 1929 IL DE L'UNITÉ CATHOLIQUE COMME PROPRIÉTÉ MYSTÉRIEUSE DE LÉGLISE L Rattachement aux quatre causes de l’Église, DE SES QUATRE PROPRIÉTÉS ET DE SES QUATRE notes .................................................................. 1930 FABLE DES MATIÈRES 2271 IL Solidarité de destinée des causes, des pro­ priétés, DES NOTES, DANS L’ÉGLISE, LES DISSI­ DENCES, LES FORMATIONS NON-CHRÉTIENNES ... 1932 III. Explication de l’unité catholique................ 1933 1. 2. 3. 4. Définition étymologique .................................... 1933 Définitions théologiques .................................... 1935 La base des définitions théologiques................ 1937 L’unité catholique est essentiellement une unité de charité................................................. 1937 IV. L’unité catholique est dans ce monde sans ÊTRE DE CE MONDE.................................................. 1938 1. L’unité catholique n’est pas « de » ce monde .... 1939 2. Les deux aspects de la catholicité surnaturelle de l’Eglise, relatifs l’un à sa constitution, l’autre à son rayonnement .............................. 1942 3. L’unité catholique est « dans » ce monde........ 1944 V. L’unité catholique est déjà réalisée spécifi­ quement PAR SA STRUCTURE, MAIS TOUJOURS EN DEVENIR EXTENSIVEMENT PAR SON DÉPLOIEMENT 1. Parallélisme entre la réalisation du mystère de l’incarnation et celle du mystère de l’Église .. 2. La catholicité fonde l’élan missionnaire ......... a) Le dynamisme missionnaire est adossé à la catholicité constitutive de l’Église ................. b) Le dynamisme missionnaire procède des mis­ sions divines.................................................... c) Le dynamisme missionnaire peut se rattacher à l’apostolicité, à l’unité catholique, à la sainteté 3. La catholicité extensive ou l’expansion de l’Église............ ........................................ u......... a) Le désir brûlant de l’Église .............................. 1946 1947 1948 1949 1949 1951 1952 1952 2272 TABLE DES MATIÈRES b) L'expansion de l'Église la révèle à elle-même .... 1955 c) Les multiples virtualités de la grâce ecclésiale... 1957 d) L'intégration d'éléments chrétiens préexistants peut exiger des renoncements........................ 1960 VI. Il ne manque rien dans l’Église. Il manque Λ l’Église tout ce que lui ravit la cité du mal. Le bien qui se fait chez les dissidents NE manque pas à l’Église ............................ 1961 1. Il ne manque rien dans l’Église ; la catholicité de son être est intacte....................................... 2. Il manque à l’Église tout ce que lui ravit la cité du mal, et cependant la catholicité de son agir est, elle aussi, intacte......................... a) La catholicité de l'agir du Christ et de l'Église n'est pas altérée par l'amplitude indéfinie de leur désir....................... .................................. b) La catholicité de l'agir du Christ et de l'Église nest pas altérée par les entraves que la cité du mal oppose à son extériorisation ............. c) L'affrontement des deux cités antagonistes ...... 3. Le bien qui se fait chez les dissidents ne manque pas à l’Église, il enrichit la catho­ licité de son agir............................................ 1961 1962 1962 1963 1969 1970 VIL Missiologie.......................................................... 1975 1. Le principe de l’activité missionnaire ............. a) La vertu d'apostolicité ...................................... b) La charité christique est auto-diffusive........... c) Toute l'Église est missionnaire.......................... d) L'état apostolique de la charité christique ...... e) Passer par Dieu pour toucher le monde. Un discours de Pie XI........................................... 2. Le but de l’activité missionnaire ...................... 1975 1976 1978 1979 1982 1985 1987 TABLE DES MATIÈRES a) Dans la nuit du monde, partout où l’Église nexiste encore qu’en puissance ou qu’en acte initial et entravé.............................................. b) ... l’établir on son acte achevé........................... c) ... selon les exigences de la charité catholique, c’est-à-dire sous des formes indigènes ............ d) La métaphore « planter l’Eglise »..................... 3. Le milieu de l’activité missionnaire ................. a) Les terres de missions ........................................ b) Le conditionnement culturel des missions....... 4. Définition des missions..................................... VIIL La catholicité finale 2273 1989 1991 1996 2004 2010 2010 2012 2016 2018 III. DE L'UNITÉ CATHOLIQUE COMME NOTE MIRACULEUSE DE LÉGLISE I. Rapports du miracle et de la visibilité............ 2020 1. Les trois visibilités de l’Église........................... 2021 2. La connexion des notes de l’Église.................. 2022 IL Le miracle de l’unité catholique.................... 2026 1. L’unité catholique est un fait collectif de caractère miraculeux ........................................ 2026 2. Le miracle de l’unité catholique chez les Pères 2030 a) Saint Irénée : la puissance de catholicité de la transmissio?! apostolique......................... 2030 b) Saint Augustin : le sens de la formule : « L’Église catholique est diffusée par toute la terre. » La supériorité numérique est-elle un signe de vérité?........................................................ 2033 3. La force de cohésion miraculeuse de l’Église catholique selon Jean Adam Moehler........... 2043 4. Les aspects de l’unité catholique...................... 2045 2274 TABLE DES MATIÈRES a) L'unité de culte.................................................. 2047 b) L'unité d'orientation ........................................ 2050 c) L'unité de communion dans la charité, ou la catholicité de la sainteté ................................ 2056 III. Là catholicité de l’Église était prophétisée.. 2059 1. La valeur de l’argument prophétique.............. a) L'argument mixte ..................................... „...... b) L'argument simple .......................... 2. La catholicité prophétisée dans l’Ancien Testament .......................................................... 3. La catholicité prophétisée dans le Nouveau Testament .......................................................... a) Le Christ, suivant le Nouveau Testament, est l'unique salut de tous les hommes................. b) L'Eglise du Christ sera transethnique et trans­ culturelle ................................................ ..... c) L'Eglise du Christ sera marquée par l'unité d'une charité dérivée du Christ..................... d) L'Eglise du Christ sera marquée par l'unité d'un culte dérivé du Christ........................... e) L'Église du Christ sera marquée par l'unité d'une orientation dérivée du Christ............. 2059 2059 2061 2063 2066 2067 2068 2069 2070 2071 IV. Conclusion........................................................... 2073 conclusion « POUR QUE TOUS SOIENT UN » : LES RÉALISATIONS DE LA PRIÈRE DU SAUVEUR POUR L’UNITÉ 1. L’unité sans ombre de déchirure...................... 2075 2. L’unité qui déchire, mais n’est pas déchirée... 2077 TABLE DES MATIÈRES 3. L unité mutilée ou déchirée 4. L’avenir...... 2275 ....... 2080 ....... 2082 ANNEXE L Lettre du Saint-Office au cardinal ______ Cushinç sur l’axiome : « Hors de l’Église, pas de salut » --- 2089 ANNEXE IL Qui est membre de l’Église ?............ 2096 TABLES ET INDEX Table alphabétique Index des noms Table des matières . .... 2113 ... 2235 ... 2247