Le magistère pontifical ordinaire au premier concile du Vatican Une déception ne peut manquer d’être réservée à celui qui souhaite trouver dans les textes votés par le premier concile du Vatican des lumières précises sur le magistère ordinaire du souverain pontife. Ni dans la constitution Dei Filius \ sur la foi, ni dans la Constitutio prima de Ecclesia qui commence par les mots Pastor aeternus12, il n’est expressément fait mention de ce magistère. Le terme de « magistère ordinaire » est sans doute inscrit dans la constitution de Eide, mais aucune mention n’y est faite du souverain pontife. De la primauté du pontife romain, comme de l’infaillibilité de ses jugements solennels, il est traité ex -professo dans la constitution Pastor aeternus, mais le terme de « magistère ordinaire » ne pevt s’y lire. Comment interpréter un tel silence? Comme une exclusion, un refus de reconnaître au magistère ordinaire du pape une autorité normative pour la foi ; ou bien comme l’indice d’une « tranquille possession », qui ne réclame en faveur de la doctrine qui en bénéficie aucune intervention du magistère solennel3? Seule pourrait apporter la réponse, avec un examen attentif du texte des définitions, l’étude des débats conciliaires, où les Pères ont eu l’occasion d’exprimer leur pensée sur les textes soumis à leur vote. Ces débats, on le sait, n’ont été recueillis que longtemps après la clôture du concile4, et, jusqu’à ces derniers temps, les auteurs ne semblaient pas leur avoir donné toute l’attention qu’ils méritent5. 1. H. Denzinger, Enchiridion symbolorum... quod denuo edidit C. Rahner, 310 éd., Herder, i960, nn. 1781-1820. Nous citerons : Denz. 2. Denz., nn. 1821-1840. 3. Cf. le rapport de Mgr Simor, le 13 mars 1870, dans J.-D. Mansi, Sacrorum Conciliorum nova et amplissima collectio, tome LI, colonne 45 BC [nous citerons désormais : Mansi, tome (en capitales romaines), colonne (en chiffres arabes)] : « Scitis quod Ecclesia catholica nunquam dogmata vel in conciliis definiat, nisi sit necessa­ rium. Quousque dogmata in pacifica possessione sunt, illo usque ecclesia nihil definit ; sufficit modus ordinarius credendi, profitendi, custodiendi, conservandi illibate doctri­ nam catholicam. » 4. Le tome VII des Acta et decreta sacrorum conciliorum recentiorum, Collectio Lacensis, publié en 1890, était encore bien incomplet. Ce n’est qu’en 1927 que parut, dans la collection de Mansi, qu’il continue (t. XLIX-LIII), le dossier recueilli par Mgr Petit, auquel nous nous référerons ici. 5. La rédaction du texte de notre article était déjà achevée quand nous avons pu prendre connaissance de l’ouvrage de J.-P· Torrell, O. P., La Théologie de V épiscopat au premier concile du Vatican, « Unam sanctam, 37 », Paris, éd. du Cerf, 1961. Bien que l’objet de cette étude soit distinct du nôtre, nous la rencontrerons sur plus d’un point. De toutes celles que nous avons pu consulter c’est elle qui témoigne de la connaissance la plus exacte des discussions préparatoires au vote de la constitution Pastor aeternus. REVUE THOMISTE 342 A la suite d’une étude récente1, nous voudrions ici, après avoir examiné les textes des définitions, demander à ces dossiers de nous révéler la pensée des Pères. 11 sera possible ensuite d’établir un rapide bilan des données fournies par le Ier concile du Vatican sur le magistère pontifical ordinaire. I. - LES TEXTES DES DÉFINITIONS. Parmi les théologiens, de plus en plus nombreuxa, qui défendent l’infaillibilité d’un magistère pontifical ordinaire, quelques auteurs ont cru pouvoir appuyer leurs conclusions à partir des seuls textes des définitions portées par le Ier concile du Vatican. i. La constitution « Pastor aeternus » La constitution Pastor aeternus définit l’infaillibilité du pape, mais ne parle pas de son magistère ordinaire : Dei Filius ne parle pas du pape, mais établit l’équivalence, pour la règle de foi, entre les juge­ ments solennels et le magistère ordinaire de l'Église. Pourquoi ne pas conclure à la même équivalence, en ce qui concerne l’enseignement pontifical ? Les termes mêmes choisis par Pastor aeternus pour définir l’infaillibilité du pape semblent suggérer ce rapprochement. Ils la présentent justement comme équivalente à celle de l'Église : Ea infallibilitate gaudere qua Ecclesia 1 23... Sans doute une telle parité est-elle pleinement conforme à l’ana­ logie de la foi, et en particulier à la plénitude reconnue par la con­ stitution Pastor aeternus à l’autorité du souverain pontife4. Mais l’argument sur lequel on pense l’appuyer ici paraît reposer sur des bases fragiles. Tout d’abord l’équivalence affirmée entre l’infaillibilité du pape et celle de l’Église ne concerne pas ici le mode d’enseignement, mais uniquement la nature de Yobjet enseigné. En présentant le texte de la définition aux Pères du concile, Mgr Gasser le souligne par deux 1. Cf. Marc Caudron, Magistère ordinaire et infaillibilité pontificale d'après la constitution « Dei Filius », dans ETL XXXVI, i960, pp. 393-431. Cette étude traduit en français, en le résumant, le mémoire présenté par ΓΑ. a Louvain, en 1958, pour le doctorat en théologie : Magisterium ordinarium volgens het Vatikaans Concilie en de pauselijke onfeilbaarheid. Nous suivrons l’article, de deux ans postérieur, et où l’auteur a pu tenir compte des observations faites lors de sa soutenance de thèse. 2. Cf. A. Michel, Études d’ecclésiologie, dans l’Ami du Clergé, 1961, p. 522. On en pourra trouver une longue liste dans Si. Caudron, art. cit., p. 393, n. 1. Cette liste n’est pourtant pas exhaustive. Cf. note suivante. 3. Cf. A. Michel, Chronique de théologie, dans l'Ami du Clergé, 1957, pp. 455-463 (p· s’agit de définir le m (p. 462) : ·« Quand il s'agit magistère extraordinaire du pape, le concile s exprime par comparaison à l’infaillibilité de l’Église : le pape jouit de l’infaillibilité qua divinus Redemptor Ecclesiam suam... instructam esse voluit. Il est logique que la comparaison s’étende aussi au magistère ordinaire. > — Cf. E. Dublanchy, art. Infaillibilité du pape, dans DTC VII-2, 1638-1717. 4. Denz., 1831 ; cf. Mansi, LU, 1109-1110. LE MAGISTÈRE PONTIFICAL ORDINAIRE 343 fois1. Que le domaine de l'infaillibilité pontificale soit celui de la foi et des mœurs, cela est expressément affirmé dans le texte luimême. Mais, à l’intérieur môme de ce domaine, il est des zones diverses : des vérités formellement révélées, d’une part ; de l’autre, celles qui, sans avoir été proprement l’objet d’une révélation, sont si intimement liées aux premières que leur affirmation s’avère indispensable à la conservation intacte du dépôt même de la foi. Nul doute que l'autorité infaillible du souverain pontife, comme celle de l’Église, s’étende aussi à ces dernières ; mais quelle note théologique accorder à cette certitude? Est-elle de foi ou seulement théologique? En termes négatifs, se refuser à l’admettre serait-ce une hérésie ou seulement une erreur? Décider entre ces deux positions théologiques à propos de l’infailli­ bilité du souverain pontife, aurait risqué de prolonger des débats dont on sôuhaitait une conclusion prochaine. On le remit à d’autres temps et on se contenta de définir que l’infaillibilité du souverain pontife était, quant à son objet, la même que celle de l’Église1 2. Mais ce n’était pas là prendre parti sur les modes de proposition de la vérité révélée que cette infaillibilité peut recouvrir. Utiliser la formule de la définition dans ce sens serait certainement forcer la portée que les Pères ont entendu donner à ce texte 3. D’ailleurs une telle extension serait exclue par les termes mêmes de la péricope qui définit l’infaillibilité des jugements solennels. Si elle affirme l’équivalence entre l’infaillibilité du pape et celle de l’Église : ea infallibilitaie qua ecclesia, c’est avec une restriction formelle: romanus pontifex... quando ex cathedra... definit,... ea INFALLIBILITATE POLLERE QUA DIVINUS REDEMPTOR ECCLESIAM suam in definienda doctrina de fide vel moribus instructam ESSE VOLUIT 4. 1. Cf. Mansi, LII, 1225-1226 et 1316 CD. 2. Telle est aussi notre position dans la présente étude. Nous ne traitons directe­ ment du magistère pontifical ordinaire que dans la proposition des vérités révélées. 3. Une confusion du même genre semble avoir été faite récemment, mais pour aboutir à une conclusion assez différente. Cf. Roger Aubert, L'eccldsiologie au concile du Vatican, dans Le Concile cl les conciles, Paris, éd. du Cerf, i960, pp. 245-284 (p. 282) : <0n ne peut que trouver très heureuse l’idée qu’ont eue les rédacteurs du texte final du chapitre iv en définissant l’infaillibilité du pape par rapport à celle de l’Église : ea infallibilitaie pollere, qua divinus Redemptor Ecclesiam suam in definienda doctrina de fide vel moribus instructam esse voluit. Cette façon de procéder montre que l’infaillibilité de l’Église y est première et que le souverain pontife n’est que l’organe — ou plutôt l’un des organes — de l’Église. Tout au plus peut-on se demander s’il n’aurait pas été souhaitable, dans cette même perspective, d’ajouter que le charisme d’infailli­ bilité réside de façon endémique et permanente dans l’Église, tandis que le pape n’en jouit que de façon transitoire et exceptionnelle. » — C’était dans une perspective tout opposée que Mgr d’Avanzo (Mansi, LU, 766 B), au nom de la Députation de la foi, demandait la définition de l’infaillibilité personnelle, comme devant chaque jour faire face aux erreurs chaque jour renaissantes : « Cum igitur hodie obstetricante progressu, quem dicunt, sicut linguae centum sint oraque centum, per quae singulis diebus errores novis formis propagantur ubique, necessarium omnino est, ut singulis diebus etiam sit quoque supremus judex infallibilis, qua infallibilis, qui illos damnet rejiciatque, et scriptores errantes ac devios, qui in superbia sua infallibili ta tem sibi decernunt in diem, vera ac divina infallibilitate retundet etiam in diem. » 4. Denz., n. 1839. 344 REVUE THOMISTE Cette restriction a été plusieurs fois soulignée par Mgr Gasscr, dans son rapport sur le texte proposé au vote des Pères1. La portée de la définition est restreinte, non seulement en raison de l’objet de 1 infaillibilité, la foi et les mœurs, non seulement en raison de son sujet, le souverain pontife agissant comme pasteur et docteur de tous les chrétiens, mais encore de son acte : « Quand il définit ce qui est à croire ou à rejeter par tous les fidèles a. » De telles précisions interdisent toute application directe de la formule où elles sont insérées au cas du magistère ordinaire. 2. La constitution «Dei Filius » Une difficulté semblable surgit à propos de l’appui que voudrait prendre sur la constitution Dei Filius l’opinion ici analysée. On connaît la péricope où se lit le terme de « magistère ordinaire ». Elle est inscrite dans la constitution, en son chapitre troisième, de Fide, où après avoir rappelé le fondement de l’obligation de croire3 et le motif formel de la foi4, la constitution s’applique à déterminer l’étendue de son objet matériel5 : Porro fide divina et catholica ea omnia credenda sunt, quae in verbo Dei scripto vel tradito continentur et ab Ecclesia sive solemni judicio sive ordinario et universali magisterio tanquam divinitus revelata credenda proponunture. A un ensemble de vérités, ea omnia, déterminé par ses sources: quae verbo Dei scrifitovel tradito continentur,par le canal qui l’apporte : ab Ecclesia, par ses modes de présentation : sive solemni judicio sive ordinario et universali magisterio, est attribué un prédicat : fide divina et catholica credenda. Si ce texte présente le magistère ordinaire comme une règle de foi équivalente au jugement solennel7 (et par suite garantissant contre toute possibilité d’erreur les vérités qu’il propose), on y a introduit une précision qui interdit d’invoquer 1. Le h juillet 1870, Mansi, LU, 1214 C : « Reapse infallibili tas Romani pontificis restricta est ratione subjecti, quando papa loquitur tanquam doctor universalis et judex supremus in cathedra Petri, id est, in centro, constitutus ; restricta est ratione objecti, quando agitur de rebus fidei et morum ; et ratione actus, quando definit quid sit credendum vel rejiciendum ab omnibus Christi fidelibus. » Cf. ib., 1213 A ; 1213 C ; 1225 BC. 2. Ib.t 1214 C : « Quando definit quid sit credendum vel rejiciendum ab omnibus Christi fidelibus. > 3· Cf. Denz., n. 1789 ; cf. rapport du 6 avril de Mgr Conrad Martin (Mansi, LI, 3*3 B) · «Fundamentalis ratio obligationis humanae Deo revelanti fidem praestandi. > 4. Cf. Denz., n. 1789. 5· Tel est le but explicitement affirmé par Mgr Martin, 6 avril (Manst, LI, 322 D) : < Totum objectum materiale fidei pressius determinatur·, et le but unique de la voluit exPlicare» Quae credenda essent respectu objecti materialis fidei », Mgr Martin, 31 mars, ib., 224 D J 6. Denz., n. 1792. 7. Ib. : «Sive solemni judicio sive ordinario et universali magisterio. » LE MAGISTÈRE PONTIFICAL ORDINAIRE 1 1 ( . ’ i 1 1 1 345 son affirmation en faveur du magistère ordinaire du seul souverain pontife. Pour qualifier le magistère, un terme en effet a été ajouté à « ordinaire », celui d’« universel », et cela dans l'intention, claire­ ment avouée par le rapporteur, de réserver à des débats ultérieurs la question alors brûlante de l'infaillibilité pontificale1. Nous aurons bientôt à revenir sur cette insertion et sur la pensée des Pères à son propos. Il suffira ici, avant de quitter le texte des définitions, de remarquer que s’ils ne peuvent fournir d’argument positif en faveur de l’infaillibilité du magistère ordinaire pontifical, ils ne sauraient être invoqués pour l’exclure. Ces textes, en effet, restreignent bien la portée de leurs affirmations à des sujets expressément limités : le magistère ordinaire et universel, dans un cas ; l’acte précis de la définition solennelle, dans l’autre. Mais s’ils restreignent leurs affirmations, ils n'affirment pas la restriction à ces seuls sujets des qualificatifs qu’ils leur attribuent. Leur forme en effet est positive. Or on sait que dans une proposition de ce genre, l’attribution est particulière et le prédicat peut n’y être affirmé du sujet que selon une partie seulement de son extension : Pierre est homme, c’est-à-dire : Pierre est quelque homme. Homme est plus étendu que Pierre, il est d’autres hommes que lui. Au contraire une proposition négative où l’attribution est universelle, exclut le sujet de toute l’extens’on du prédicat. Pierre n’est pas une table. L’opposition existe entre Pierre et toute table ; aucune table n’est Pierre. S’il est dès lors affirmé que les vérités proposées comme révélées par le magistère ordinaire font partie des vérités à croire, des credenda, que le jugement solennel prononcé ex cathedra par le pape bénéficie de l’infaillibilité, les textes ne nous disent pas, à eux seuls, si l’in­ faillibilité se vérifie ou non en d’autres cas, si des vérités sont aussi à croire qui seraient présentées d’une autre manière. Ils laissent la question ouverte. Si nous voulons connaître la pensée des Pères, il faut la demander à l’étude des débats qui ont préparé la rédaction et le vote de ces textes. i. Cf. Rapport de Mgr Martin, 6 avril 1870 (Manst, LI, 322 B) : « Ratio enim quare optamus, ut haec vox universali apponatur voci ‘magisterio’ textus nostri, haec est, ut scilicet ne quis putet, nos loqui hoc loco de magisterio infallibili sanctae sedis apostolicae, hoc magisterium opponendo scilicet conciliis generalibus. Nam nuper honorem habui vobis ex hoc loco declarare, quod nullatenus ea fuit intentio Deputationis, hanc quaestionem de infallibilitate summi pontificis sive directe sive indirecte tangere; et hoc igitur verbum universale idem fere significat quod illud verbum quod sanctissimus pater in suis litteris apostolicis ipse adhibuit, nempe magisterium totius ecclesiae per orbem dispersae. » L’évêque de Paderborn renvoie à son discours du 31 mars (Manst, LU, 224 D) et à la Lettre de Pie IX, Tuas libenter, du 21 décembre 1863, à l’archevêque de Munich (Denz., n. 1683). La Députation de la foi, dans sa réunion du 9 mars, renonça dans ce but à présenter un canon ainsi conçu (cf. Mansi, LUI, 192 C) : « Si quis dixerit, quidquid ecclesiae judicio tanquam fidei articulus sive dogma declaratum non sit, a fideli catholico humana tantum fide vel opinioni posse aut debere ; anathema sit. » Elle donne la raison de la suppression (16. 102 D) : < Discussio tamen de additamento pro summo rei momento dilata est, opportuniori tempore, ubi de ecclesiae infallibilitate agetur instituenda. » 34& REVUE THOMISTE II. - LA PENSÉE DES PÈRES DU CONCILE. Cette étude, l’auteur d’une récente thèse a bien voulu l’entre­ prendre, en étudiant la constitution Dei Filius et les débats prépara­ toires à son vote, dans la perspective du magistère ordinaire et de l'infaillibilité pontificale1. La tâche était d’autant plus méritoire que l’auteur a choisi comme terrain de son enquête celle des deux constitutions qui semblait devoir apporter le moins de lumières sur l’autorité du magistère pontifical. Laissant en effet à d’autres l’étude de la constitution Pastor aeternus, qui a précisé les pouvoirs attachés à la primauté romaine2, M. Caudron a méthodiquement circonscrit ses recherches à la constitution de Fide 3, qui ne parle qu’incidemment du magistère ordinaire, dans un paragraphe destiné à préciser l’objet matériel de la foi4. Quel que soit le soin avec lequel elle aura été conduite, une pareille enquête ne pourra donc prétendre qu’à des résultats limités. Elle ne saurait surtout aboutir à des conclusions définitives avant une confrontation avec le dossier où sont réunis les débats auxquels les Pères ont renvoyé chaque fois que la question du magistère ntifical se trouvait en cause, et où ils ont eu l’occasion sur ce sujet d’expliciter, directement cette fois, leur pensée. De l’examen des discussions qui or.t précédé le vote de la constitu­ tion Dei Filius, M. Caudron ne conclut pas seulement qu’on ne saurait y puiser aucun argument décisif en faveur de l’infaillibilité du magistère pontifical ordinaire5 ; il croit pouvoir appuyer sur cette étude l’exclusion de la possibilité même d’un tel magistère, en tous cas celle de son infaillibilité. Le magistère ordinaire serait de sa nature même universel ®. Dès lors, « le sens donné par les Pères aux deux formes d’enseignement est donc tel qu’il paraît exclure dans leur intention l’exercice par le souverain pontife d’un magistère ordinaire infaillible qui lui serait personnel7 ». Avant d’examiner pour elles-mêmes les conclusions de l’auteur, il nous faut le suivre dans le déroulement de son argumentation. Elle prend appui sur la pensée des Pères, telle qu’elle se serait manix. Cf. M. Caudron, art. cit., subra, p. 342, n. 1. 2. Sess. iv, 18 juillet 1870, Constitutio dogmatica I de Ecclesia Christi, Denz., un. 1821-1840. On sait que le premier schema de ecclesia comprenait quinze chapitres. L’actuelle Constitute prima de ecclesia est composée du seul chapitre xi®, auquel on ût quelques additions. On fit préparer en meme temps par le P. Kleutgen un schema pour une Constüutio secunda de ecclesia qui ne put être discuté ni voté. On peut le lire dans Mansi, LUI, 308 ss. 3. Sess. ni, 24 avril 1870, Constüutio dogmatica de Eide catholica, Denz., nn. 17811820. Elle commence par les mots Dei Filius. 4. Cf. supra, p. 344, n. 5. 5. M. Caudron, art. cü., p. 431 : < C’est donc sur d’autres arguments que les théoloKæ’is qm ProPoscnt..cctte doctrine doivent étayer leurs affirmations. > ‘ J/ 424 ’ * S1 lcs °.nt utile d’y ajouter universale, ils n’ont voulu cet adjectif que comme un éclaircissement non indispensable, quoique précieux, de la formule magisterium ordinarium. · 1 1 piuituA, ut m 7. Ib.t p. 431. LE MAGISTÈRE PONTIFICAL ORDINAIRE 347 testée relativement aux sujets du magistère et au mode d’exercice de ces deux formes d’enseignement doctrinal : jugement solennel ou magistère ordinaire. Chemin faisant nous demanderons aux débats de la constitution sur l’Église, auxquels ont renvoyé les Pères1, les précisions qu’ils n’ont pas eu l'occasion de donner en discutant les textes de la constitution Dei Filius. A. Le sujet du magistère ordinaire i. Église « réunie » et Église « dispersée » Selon M. Caudron, les Pères du concile, en définissant les modes de présentation par l’Église des vérités révélées, auraient précisé en même temps « les sujets respectifs qui les exercent », Y Ecclesia coadunata, pour le jugement solennel, VEcclesia dispersa, pour le magistère ordinaire : ... Lorsque la Députation de la foi ou les évêques parlent du sujet des deux formes d’enseignement, leur alternative est toujours la suivante : les conciles œcuméniques (et éventuelle­ ment aussi le souverain pontife) d’une part, et de l’autre, l’Église dispersée. Les deux formes représentent l’autorité doctrinale infaillible de l’Église, tantôt réunie, et donc se vérifiant dans un sujet unique, du moins unifié, et tantôt dispersée, et donc se vérifiant dans une pluralité de sujets. Reprenant l'expression suggestive de Monzon y Martins, nous pouvons donc parler de \'Ecclesia coadunata et de VEccle-sia dispersa *2. Nous ne suivrons pas l’auteur dans l’inventaire minutieux des discussions et projets successifs qui aboutirent au texte de la con­ stitution Dei Filius. Aussi bien lui accorderions-nous volontiers que c’était comme exercé par l’Église « dispersée » que les Pères du concile se représen­ taient le plus généralement le magistère ordinaire ; que ce fut même ce caractère de « dispersion » que les rapporteurs choisirent à plusieurs reprises pour le décrire et le distinguer plus nettement des juge­ ments solennels 3. Mais partir de ce fait pour conclure que, dans la pensée des Pères, le magistère personnel du pape ne saurait à lui seul établir la règle de foi, c’est s’appuyer sur l’argument du silence, dont on sait assez combien le maniement est délicat. Pour qu'il puisse apporter une certitude, il faudrait pouvoir montrer que la réserve des membres ï. Cf. suf>ra, p. 345, n. 1 in fine. 2. M. Caudron, art. cit., p. 425· ττ r·. ·»« » 3. Cf. par exemple: Mgr Simor, le 18 mars, Mansi, LI, 47 C ; Mgr Martin, le 6 ami, io., 322 B. 34$ REVUE THOMISTE du concile n’a pas d’autre explication que celle qu’en donne l’auteur, et que, dans le cas contraire, les Pères auraient eu le devoir dé s’exprimer plus clairement. 2. Les raisons du silence des Pères sur le magistère pontifical Or le dossier des débats publié par Mgr Petit1 nous apprend au contraire que les Pères ont eu de bonnes raisons de ne pas mêler la question des pouvoirs du souverain pontife à celle de l’objet de foi. Les confusions en effet étaient alors nombreuses autour de cette expression de « magistère ordinaire » que quelques-uns allaient jusqu’à qualifier de subobscura 1 2, alors que d’autres la comprenaient comme désignant, par opposition aux jugements solennels des conciles, les définitions prononcées personnellement par le pape3. Dans l’état où étaient à ce moment les esprits, parler d’un magistère ordinaire du pontife romain eût semblé mettre directement en ques­ tion le problème de l’infaillibilité pontificale, que la Députation de la foi entendait, nous l’avons vu, écarter au contraire à tout prix. Pour éviter toute confusion, et pour ne pas empiéter sur un sujet réservé, il fut meme question, à plusieurs reprises, d’éviter l’ex­ pression et de supprimer tout le passage où elle se lit aujourd'hui4. On remettrait toute la question de l’autorité des divers modes d’enseignement à la constitution sur l’Église, et on éviterait d’em­ piéter sur son domaine. Si le texte fut finalement maintenu, c’est que les Pères ne virent pas comment, sans le conserver, ils pourraient s’opposer à l'erreur qu’ils voulaient proscrire 5. Du moins importait-il d’être prudent. La description du magistère ordinaire, comme étant l’enseignement courant de la doctrine, tel qu’il est donné dans toute l’Église, était la plus propre à éviter les confusions ; c'est à elle que s’en tinrent les Pères. Mais tirer de ce silence des conclusions restrictives serait certainement se méprendre sur le sens d’une réserve qui s’explique assez par les circonstances. 1. Cf. Mansi, Sacrorum Conciliorum nova cl amplissima collectio, mine autem conti­ nuata... curantibus DD. Ludovico Petit, archiepiscopo Athenarum et Joanne Baptista Martin, tt. XLIX-LIII, Arnhem et Leipzig, 1926-1927. 2. Cf. Mansi, LI, 225 B. 3. Cf. Mgr Martin, 6 avril 1870, Mansi, LI, 322 B : « Ratio quia optamus ut haec vox universali apponatur voci ‘magisterio* textus nostri, haec est, ut scilicet ne quis putet, nos loqui hoc loco de magisterio infallibili sanctae sedis apostolicae, hoc ma­ gisterium infallibile opponendo nempe conciliis generalibus. » — Fello sera encore la position de Mgr Mermillod (Mansi, LU, 1186 D-1187 A), lors de la discussion de Pastor aeternus. — La confusion vient de l’ambiguïté du mot «ordinaire ». Il peut être opposé â la solennité du jugement. Il peut l’être aussi au recours au concile, recours qui ne peut être qu’exceptionnel. C’est cette dernière opposition qu’envisa­ geait La Tour d’Auvergne (Mansi, LI, 815). D’Avanzo (Mansi, LU, 766 B), an nom de la Députation de la foi. demandera la définition de l’infaillibilité personnelle en si· basant sur la nécessité d’une autorité * chaque jour présente » pour réprimer les erreurs. r r 4· Cf. supra, p. 345, 0. i ni fine. na'TU J87?’ LI, 322 D: «Nam ad hos excludendos oractMinitti paragraphu’· ut reverendissimi patres voluerunt, non potuit bene LE MAGISTÈRE PONTIFICAL ORDINAIRE 349 Cette manière de s’exprimer était d’ailleurs suffisante pour répondre au but que se proposaient les Pères en introduisant la mention du magistère ordinaire dans le passage destiné à déclarer l’étendue de l'objet matériel de la foi. Si cette incise a été insérée, ce fut en effet pour écarter l'erreur, alors partagée par quelques théologiens, qui prétendaient réduire l'obligation de croire au minimum en la limitant aux seuls dogmes formellement définis par un jugement solennel1, et allaient jusqu’à refuser leur adhésion aux vérités même unanimement prêchées et enseignées dans l’Église entière2. Ceux que les Pères avaient à réfuter c’étaient ceux qui ne considéraient comme impératif pour la foi qu’un seul mode de présen­ tation des vérités révélées : le jugement solennel. On peut s’en remettre sur ce point à la conclusion de Mgr Martin, quand, exprimant la pensée de la Députation, il explique que ce dont il faut affirmer le caractère obligatoire pour la foi, c’est « ce que Dieu a révélé et que l’Église, de quelque manière que ce soit (quomo­ documque), nous propose à croire. Le motif de la foi, en effet, à savoir l’autorité de Dieu qui parle, ainsi que l’obligation pour l’homme dele croire, s’étend à tout ce que le magistère de l’Église, de quelque manière que ce soit (quomodocumque), nous fait constater avec certitude avoir été révélé par Dieu3 ». Ce quomodocumque répété par deux fois oblige à reconnaître que si les Pères ont souvent présenté l’opposition Ecclesia coadunata - Ecclesia dispersa comme parallèle à celle de jugement solennel — magistère ordinaire, ce serait forcer leur pensée que d’affirmer qu’ils ont considéré la multiplicité des sujets enseignants comme un carac­ tère essentiel de cette dernière forme de magistère. De ces sujets ils n’ont rien dit, non seulement parce qu’il eût été imprudent d'en parler, mais surtout parce qu’ils n’avaient rien à en dire. Pour conclure de ce seul silence, il faudrait du moins qu’il soit complet. Or les Pères ne se sont pas toujours crus tenus à la réserve que leur avaient imposée, dans la discussion de cet alinéa, les sus­ ceptibilités relatives à l’infaillibilité personnelle. En expliquant une incise où le préambule de la constitution affirme que les papes n’ont jamais failli à leur tâche d’enseignement, Mgr Simor avait donné en 1. lb., 314 A : « Qua doctrina excluditur error eorum, qui articulos fidei formaliter definitos tantummodo divina fide credendos esse volunt, itaque summam creden­ dorum quasi ad minimum reducere student. » 2. Cf. Mgr Simor, 18 mars 1870, ib., 47 C : · Quae sequitur paragraphes Porro fide divina, dirigitur contra illos qui dicunt illud solum credendum esse quod concilium definivit, et non etiam illud quod ecclesia docens dispersa unanimi consensu tanquam divinitus revelatum praedicat ac docet. » . 3. Mgr Martin, 6 avril 1870, ib., 3x4 A : « Omnia credenda esse quae Deus revelavit et per Ecclesiam quomodocumque nobis credenda proponit. Nam... motivum fidei, scilicet auctoritas Dei loquentis, et obligatio hominis Deo credendi sese extendit ad omnia quae a Deo revelata esse, quomodocumque per magisterium ecclesiae nobis certo constiterit. » 35° LE MAGISTÈRE PONTIFICAL ORDINAIRE REVUE THOMISTE exemple les nombreuses encycliques de Pie IX1, encycliques qui sont considérées généralement comme le type même de magistère ordinaire. Ce magistère ordinaire, les Pères y feront encore appel avant de mettre le point final à leur œuvre. Conscients du caractère partiel de leurs affirmations, de l’impuissance où se trouve le concile de faire face à toutes les erreurs, ils s’en remettent explicitement aux constitutions et décrets du Saint-Siège, toujours sur la brèche, alors que les membres du concile auront regagné leurs sièges respectifs1. Des allusions de ce genre ne manquent pas d’être révélatrices d’une pensée. Si les Pères, à propos de l’objet matériel de la foi, ont cru prudent de ne s’occuper que du mode de présentation de la doctrine, et non du sujet de l’autorité enseignante, les raisons de cette réserve, comme les indices positifs de leur pensée, relevés par ailleurs, semblent interdire d’interpréter leur silence comme un argument décisif contre l’existence d’un magistère ordinaire, exercé personnellement par le souverain pontife. 3. Les sens de la sainte Ecriture La rédaction de ce passage, il est vrai, a été effectuée en étroit parallèle avec celle d’un autre, relatif à l’interprétation des Livres saints : « Leur vrai sens est celui que tient l’Église, seul com­ pétent en la matière ; aussi n’est-il permis à personne d’interpréter l’Écriture contrairement à ce sens ou en opposition avec le consente­ ment unanime des Pères 123. » M. Caudron a consacré de longues pages à souligner comment, dans cette péricope, comme dans celle que nous venons d’étudier, le concile s’est révélé en parfaite cohérence avec lui-même4. Pour l’interprétation de la sainte Écriture, comme pour la détermination des credenda, les sujets infaillibles de l’Église sont présentés en une alternative : ou le jugement de plusieurs ou d’un seul, ou le consen­ tement unanime de la pluralité. Quelle que soit la portée de ce rapprochement, une remarque s’impose qui nous dispensera de nous arrêter plus longuement: dans les deux cas, comme on l’a noté déjà à propos du texte de la constitution, seule l’extension du sujet est en cause, nullement celle 1. Cf. Mansi, LI, 129 D ; cf. 128 D. 2. Cf. Denz., n. 1820 : < Quoniam vero satis non est haereticam pravitatem devitare, nisi ii quoque errores diligenter fugiantur qui ad illam plus minusve accedunt, omnes officii monemus servandi etiam Constitutiones et Decreta quibus pravae ejusmodi opiniones quae isthic diserte non enumerantur, ab hac Sancta Sede proscriptae et prohibitae sunt. » r 1788 : *,Nos— declaramus... is pro vero sensu sacrae Scripturae habendus sit, quem tenuit ac tenet sancta mater Ecclesia, cujus est judicare de ww h^c ïns^aut\Ütiam^P^^ “nCt^m ; at^e ideo i 1X ”” consensum Patrum Ipsam Scriptui 4. Art. cil., pp. 412 ss. | ; ( | j 351 du prédicat. Il est interdit d’interpréter l’Écriture en un sens con­ traire à celui que les Pères ont toujours tenu d’un consentement unanime : que cela soit vrai, n’implique nullement que d’autres interprétations ne soient également interdites, que d’autres critères n’existent qui ne sont pas nommés ici. Qu'il soit interdit d’interpréter l'Écriture contrairement à ce consentement unanime, n’implique nullement, par exemple, qu’il soit permis de lui attribuer un sens opposé à celui qu'a toujours tenu pour vrai le Siège de Rome. Si ce judicieux parallèle confirme pleinement la valeur de règle de foi reconnue à l’enseignement unanime des évêques, il ne peut apporter lui non plus aucun argument en faveur de l’exclusivité de cette règle de foi. I 4. La « consensio ecclesiarum » dans le discours de Mgr Gasser ( Les lacunes laissées sur ce point, lors des discussions préparatoires au vote de la constitution Dei Filius, seront en partie comblées au cours des débats relatifs à l’infaillibilité des définitions ex cathedra. Une définition, on le sait, n’implique pas une révélation nouvelleL Ce qu’ils vont définir, les papes doivent le puiser aux sources de la révélation, l’Écriture et la Tradition. Avant de porter leur jugement, ils doivent s'assurer que la vérité dont ils vont faire un dogme appar­ tient bien à la vérité catholique, est bien du nombre des revelata et tes credenda Quelques membres de la minorité s’appuyaient juste­ ment sur ce principe, reconnu par tous, pour introduire, dans le texte de la définition, une clause exigeant du souverain pontife, préalablement à toute définition, une consultation de tous les évê­ ques, afin de s’assurer de leur consensus 3. Nous retrouvons dans cette exigence la position même que M. Caudron a cru pouvoir attribuer aux rédacteurs de Dei Filius : en dehors du jugement solennel, seul le consentement universel pourrait présenter infailliblement les credenda. Mais nous avons également ici la réponse que fit à cette exigence le rapporteur de la Députation de la foi. Dans un discours prononcé « avec l’appro­ bation unanime de l’assemblée »4, Mgr Gasser repousse pareille prétention, et par l’argument même que nous avons utilisé ici à deux reprises. Il reconnaît que « le pape a, pour ses définitions, les mêmes sources que l’Église elle-même, l’Écriture et la Tradition » ; 1. Cf. Denz., n. 1836 : « Neque enim Petri successoribus Spiritus sanctus promissus est, ut eo revelante novam doctrinam patefacerent, sed ut, eo assistente, traditam per Apostolos revelationem seu fidei depositum sancte custodirent et fideliter expo­ nerent. · — Cf. Gasser, ii juillet 1870, Mansi, LII, 1213 D · · Infallibilitas pontificis romani non per modum inspirationis vel revelationis, sed per modum divinae assisten­ ALL dae ipsi obvenit. > 2. Cf. ci-dessous, p. 352, n. 1. 3. Ci. par exemple V emendatio 36, proposée par Mgr Hefele, év. de Rottenbourg, Mansi, LII, 1183-1184 ; Maret, ife., 987 ; Gasser, >0., 1215 B ss. 4. R. Aubert, art. cit., p. 282. 35- REVUE THOMISTE il reconnaît que « la convergence de la prédication actuelle du magistère de 1 Église unie à son chef est une règle de foi, même pour les définitions pontificales»1, mais, s’empresse-t-il d’ajouter: ds/ exinde, nullo modo potest deduci stricta et absoluta necessitas illam exquirendi a rectoribus ecclesiarum seu ab episcopis-. Sur cette impossibilité d’exiger le consensus des évêques pour connaître la règle de foi, le rapporteur reviendra par trois fois123. Si un pareil critère a sa valeur en effet, il n’en manque pourtant pasd’autres qui peuvent tout aussi bien permettre de reconnaître les credenda. Après en avoir énuméré plusieurs4, Mgr Gasser s’arrête com­ plaisamment à l’un d’eux, toujours à portée du Saint-Père : Demum nunquam praetermittendum est, quod papae praesto sit illa traditio ecclesiae romanae, id est, illius ecclesiae ad quam perfidia non habet accessum, et ad quam propter potentiorem illius principalitatem omnem oportet convenire ecclesiam56 . C’est que, remarque le rapporteur : ... Tous savent que cette règle [de foi, tirée] du consentement des Églises dans leur prédication actuelle vaut dans le sens positif, nullement dans le sens négatif ; c’est-à-dire que tout ce que l’Église, dans sa prédication actuelle, accueille et vénère comme révélé, est vrai et catholique®. 1. Mgr Gasser, Mansi, LU, 1216 D : « Verum est quod papa in suis definitionibus ex cathedra eosdem habet fontes quales habet ecclesia, Scripturam et traditionem. Verum est quod consensio praedicationis praesentis totius magisterii ecclesiae uritae cum capite sit regula fidei etiam pro definitionibus pontificis. » 2. Ibidem. 3. Ib., 1217 A : » Proinde stricta illa necessitas, qualis requiritur ad constitutionem dogmaticam, nullo modo potest demonstrari. » Mgr Gasser le reconnaît pourtant: « potest accidere casus aliquis ita difficilis, ut papa necessarium putet pro sua infor­ matione... quaerere ex episcopis, tanquam medio ordinario, quid sentiant ecclesiae · ; Mais un tel cas ne saurait être posé pour règle : « sed talis casus non potest statui pro regula ». — Devant une pareille insistance on s’étonne qu’un historien ait pu résumer en ces seuls mots mis par lui entre guillemets, mais dont il ne donne pas la référence exacte, le discours de Mgr Gasser : « Pour savoir ce qu’il a à définir et pour le définir le mieux possible, le pape a besoin du concours de toute l’Église », Roger Aubert, art. cit., p. 282. — Sans doute le rapporteur avait-il pris soin de remarquer que, l’infailli­ bilité n’étant pas assurée au souverain pontife par mode de révélation ou d’inspiration, mai»; de simple assistance, elle n’exclut pas la coopération de l’Église. Aussi ajoutait-il (Mansi, LU, 1213 D) : » Hine papa pro officio suo et rei gravitate tenetur media apta adhibere ad veritatem rite indagandam et apte enuntiandam ; et ejusmodi media sunt concilia vel etiam consilia episcoporum, cardinalium, theologorum, etc. » C’est à ce passage que semble s’être référé M. Aubert. Il ne paraît pas avoir aperçu la différence entre l’obligation morale, exprimée par le verbe tenetur, et la nécessité qu’exprime le mot « besoin ». C’est à sou’;gner la différence capitale entre ces deux positions qu’est justement consacrée toute la suite du discours de Mçr Gasser et le passage que nous analysons. C'était au contraire Mgr Maret, ib., 987 C, a qui répondait le rapporteur, qui avait parlé de nécessité: « Hanc necessariam diligentiam adhibet, quando convocat concilium generale et quando utitur consilio et requirit adjutorium ecclesiae universalis. » 4. Cf. ib., 1216 D-1217 A: < Nam haec consensio potest saepissime deduci ex claris et manifestis testimoniis sacrae Scripturae, ex consensione antiquitatis, id est, sanctorum patrum, ex sententia doctorum vel aliis modis privatis quae omnia ad plenam informationem sufficiunt. » 5. Ib., 1217 A. 6. Ib., 1217 AB : « Insuper, quod bene notandum est, omnes sciunt regnlam illam de consensione ecclesiarum in praedicatione praesente valere solummodo in sensu LE MAGISTÈRE PONTIFICAL ORDINAIRE 1 ' , 353 Mais comme nous l’avons reconnu plus haut, une affirmation positive n’exclut pas d’autres réalisations. Heureusement d’ailleurs. Si ce critère était le seul, « qu’adviendrait-il dans le cas de dissensions entre les Églises particulières, dans l’hypothèse de controverses sur la foi1? » Or, c’est justement dans de pareils cas que le pape a le plus souvent à intervenir. Pour porter ses définitions, c'est donc à d'autres sources qu’il doit puiser la lumière, surtout, le rapporteur y insiste (vel maxime) : Pontifex ergo illas definire debet... vel maxime ex traditione Ecclesiae romanae, quae quod Petrus tradidit, fideliter et sancte custodivit2. 5. Le double sujet du magistère ordinaire, selon Mgr d’Avanzo ’ Cet appel à la tradition de l’Église romaine comme à un critère certain des credenda, ce n’était pas la première fois qu’y avaient recours les représentants de la Députation de la foi. Nous aurions pu déjà la rencontrer sur les lèvres de l’évêque de Calvi, Mgr d'Avanzo. Dès le 20 juin, il avait en effet remarqué que : l'assistance divine ne consistant pas en une révélation nouvelle, mais dans une manifestation de la vérité déjà contenue dans le dépôt de la Révélation, l’action de l’Esprit-Saint consiste à aider le pape dans la recherche de cette vérité, à partir des sources de la révélation divine, contenue dans les saintes Écritures et dans la Tradition. C’est pourquoi le pape ne peut omettre ni la diligence ni les démarches nécessairement prérequises à la connaissance de cette vérité3. ( . 1 ' > ! • I I positivo, nullatenus vero in sensu negativo ; id est, omne quod universalis ecclesia consentiens, praedicatione praesente tanquam revelatum suscipit et veneratur, certe est verum et catholicum. » — On supprima même rm texte de saint Augustin, inséré dans le premier schéma et qui aurait pu être mal interprété ; Mgr Gasser, 16 juillet 1870, ib., 1315 D : « Ast negari nequit quod verba [sancti Augustini] omnino possint in sensu sinistro accipi, ac si his verbis sanctus Augustinus dicere voluisset, sacram apostolicam sedem nihil posse definire, nisi quod in manifesta praedicatione ecclesiae, et quidem in praesenti manifesta praedicatione ecclesiae est ; et hoc sensu utique falsa essent: nihil aliud essent, nisi peccare contra regulam Vincentii Lirinensis, de qua regula jam nuper dixi, et multocies jam dictum est illam regulam veram esse in sensu affir­ mativo, sed falsam in sensu negativo. » — Nous retrouvons ici les observations que nous avons cru devoir faire ci-dessus (cf. supra, p. 345), à propos du texte des constitutions. 1. Jb., 1217 B: « Jam notum est, quod judicia dogmatica pontificis romani vel maxime versentur circa controversias fidei, in quibus fit recursus ad sacram sedem. » 2. Ibidem. 3. Ib., 764 CD: «Pro rei gravitate inspectis omnibus circumstantiis, ex Spiritus sancti assistentia agit papa sicut oportet ; nimirum, quoniam assistentia non est nova revelatio, sed manifestatio veritatis quae in deposito revelationis jam con­ tinetur, sanctus Spiritus agit et adjuvat papam ad veritatis conquisitionem ex fonti­ bus divinae revelationis, quae in sacris Scripturis et traditione continetur. Quare neque diligentiam neque curas potest omittere, quae necessario ad cognoscendam veritatem praerequiruntur... » RT2 354 REVUE THOMISTE Et le rapporteur d’indiquer aussitôt les critères qui permettront au Saint-Père d’opérer ce discernement : Aussi, le pape instruit son enquête soit avec le clergé et les théo­ logiens de l’Église de Rome, soit en un synode romain en bonne et due forme, afin de rechercher quelle est, sur la matière doctri­ nale ou morale en question, la position de l’Église où la doctrine apostolique a toujours été conservée sans souillure, celle de Rome, qui, à cause de cela est appelée, comme elle l’est en fait, la mère et la maîtresse de toutes. Parfois le pape fait de plus une enquête, en commun avec les évêques, soit à part, soit réunis en des conciles provinciaux, et, chaque fois qu’il le jugera opportun devant le Seigneur, il insti­ tuera une enquête plus solennelle, en convoquant ensemble les évêques de tout l’univers, pour donner à la définition qu’ils porteront en siégeant et jugeant avec le pape, une solennité plus étenduex. On aura remarqué la cohérence parfaite dans l’argumentation des deux rapporteurs de la Députation. Leur conclusion aussi est la même : Si le pape peut et doit parfois recourir à une consultation des évêques, cette consultation ne saurait être posée comme condition de l’exercice infaillible du souverain magistère. Un critère suffit, toujours à la disposition du pape, a rappelé Mgr Gasser, et que Mgr d’Avanzo place en tout premier lieu : la seule tradition de l’Église de Rome. Nous aurions pu tout aussi bien présenter ensemble ces deux rapports. Si nous avons tenu à réserver jusqu’ici celui de l’évêque de Calvi, c’est qu’avant d’aborder le fond du problème, il a voulu le replacer dans la perspective générale de tout le magistère infaillible de l’Église i. 2. C’est par la lecture de cette page qu’il nous faut terminer cette étude sur les sujets du magistère ordinaire. Le porte-parole de la Députation commence par rappeler les deux textes scripturaires sur lesquels s’appuie la doctrine de l’infaillibi­ lité3. Puis il reconnaît à l’exercice de cette infaillibilité un double mode, magistère ordinaire et jugement solennel. De celui-ci, il ne i. Ib., 764 D-765 A : < Idcirco papa inquisitionem instituit sive cum clero et theo­ logis ecclesiae romanae, sive cum formali synodo romana, ut inquirat quid in sub­ jecta fidei et morum materia teneat ecclesia romana, in qua immaculata semper est servata apostolica doctrina ; unde mater et magistra omnium vocatur et est. Addit etiam aliquando inquisitionem cum episcopis sive seorsum, sive in conciliis provin­ cialibus, et quoties opportunum in Domino judicaverit, solemniorem etiam inquisi­ tionem instituit, convocatis simul totius orbis episcopis, ut, ipsis secum sedentibus et judicantibus, solemnior etiam extensive definitio habeatur. > 2. Cf. ib.t 763 D : « Et ut aliquid de ipso statu quaestionis declaretur magis magis­ que, sinite... ut ego... mihimetipsi recorder quo pacto in ecclesia infallibilitas exer­ ceatur. » 3. Ib.f 763 D-764 A : « Equidem de infallibilitate in ecclesia Christi duo habemus eX i- rip1.?1*?» I-ucae, xx : Ego rogavi pro te, etc. quae verba respiciunt Petrum sine aliis ; aliud est Matthaei ultimo : Euntes decete... etc., quae verba dicta ° rT Petr?· ut verbo utar Innocent» III, unde in alia relatione ·Γλ rappOTtprtoidcnt“q“'‘Mgrd'Av“" LE MAGISTÈRE PONTIFICAL ORDINAIRE 355 parlera qu’en dernier lieu, pour s’y arrêter plus longuement1. C’est celui justement que la constitution se propose de définir. Avant d y arriver — et c’est là ce qui importe à notre propos — il a bien voulu préciser la pensée de la députation relativement aux sujets de l’enseignement ordinaire. Il faut citer tout le passage : Il y a dans l’Église un double mode d'infaillibilité ; le premier s’exerce par le magistère ordinaire de l’Église : Allez, enseignez... C’est pourquoi, de même que le Saint-Esprit, l’Esprit de vérité, demeure tous les jours dans l’Église, l’Église aussi enseigne tous les jours les vérités de la foi, avec l'assistance du SaintEsprit. Elle enseigne toutes les vérités (ea omnia), soit déjà définies, soit explicitement contenues dans le dépôt de la révéla­ tion, mais non définies encore, soit enfin celles qui font l'objet d'une foi implicite. Ces vérités, l’Église les enseigne quotidienne­ ment, tant principalement par le pape que par chacun des évêques en communion avec lui. Tous, et le -pape et les évêques, dans cet enseignement ordinaire, sont infaillibles de l’infaillibi­ lité même de l’Église. Ils diffèrent seulement en ceci : les évêques ne sont pas infaillibles par eux-mêmes, mais ont besoin de la CO If If I union avec le pape, qui les confirme ; le pape, lui, n’a besoin de rien d’autre que de l’assistance du Saint-Esprit qui lui a été promise. Ainsi il enseigne et n’est pas enseigné, il con­ firme et n’est pas confirmé12. I ; . i I 1 ' Sur les sujets du magistère, nous avons, en ces quelques lignes, toutes les précisions désirables. Il s’agit bien de l’enseignement ordinaire, de celui qui est dispensé chaque jour dans l’Église, et que ce passage oppose, comme la constitution Dei Filius, au jugement solennel. Il s’agit bien du magistère ordinaire infaillible, et capable, par suite, d’imposer les credenda. A ce magistère Mgr d’Avanzo reconnaît deux sujets distincts : les évêques dispersés (ils le distribuent chacun de son côté) en communion avec le pape, mais aussi le pape seul, à l'enseignement duquel n’est posée d’autre condition que l’assistance du Saint-Esprit. Que ces deux sujets soient distincts 3, 1. Cf. ib.t 764 C: < Itaque posito isto ordinario magisterio, aliquando contingit ut quae in magisterio ordinario ecclesiae edocentur vel jam definita impugnentur et ad haeresim retorqueantur, vel nondum definita, sed implicite vel explicite servata debeant definiri, tunc occurrit casus dogmaticae definitionis, de qua in praesentiarum agitur. » 2. Ib.t 764 AB : < Duplex ergo est modus infallibili tatis in ecclesia ; primus exercetur per magisterium ordinarium ecclesiae : Euntes docete. Itaque sicut Spiritus sanctus, spiritus veritatis, manet in ecclesia omnibus diebus ; ita omnibus diebus ecclesia veritates fidei docet assistente Spiritu sancto. Docet autem ea omnia quae sive jam definita sunt, sive in thesauro revelationis explicite continentur, sed nondum sunt definita, sive tandem quae implicite creduntur : ista docet quotidie ecclesia, tum per papam principaliter, tum per singulos episcopos papae adhaerentes. Omnes et papa et episcopi in isto ordinario magisterio sunt infallibiles ex ipsius ecclesiae infallibili ta te : in hoc tantummodo differunt, quod episcopi per se non sunt infallibiles, sed indigent communione cum papa, a quo confirmentur ; papa vero non indigeat nisi assistentia sancti Spiritus illi promissa ; ideo docet et non docetur, confirmat et non confirmatur. » _ Λ % ... , . 3. En rigueur de termes, comme le R. P. Gagnebet a eu 1 obligeance de nous le faire remarquer, il faudrait écrire « inadéquatement distincts >. Les deux membres de l’opposition sont en effet d’une part le pape, de 1 autre les évêques unis au pape. REVUE THOMISTE l'acte du magistère solennel y est bien présenté en effet, non seulement par son caractère de sentence définitive, le seul retenu par M. Caudron, mais par sa nature spécifique qui est celle d’un juge­ ment, du prononcé d'une sentence: Solummodo... cum munere supremi judicis... reipsa et actu jungitur1. Solummodo... quando... judicat et definit1 2. Quando definit34. Requiritur intentio manifestata definiendi doctrinam... dando definitivam sententiam1. Une pareille insistance nous est une invitation à demander aux théologiens quelques précisions sur la nature de cet acte: Le jugement, affirme saint Thomas, « n’est rien d’autre qu’une définition ou détermination de ce qui est juste »56; sens qui doit être étendu « à toute détermination tant spéculative que pratique »e. Démarche spéculative, le jugement s’opère par une resolutio ou remontée au principe de la connaissance 7. En matière de foi c’est la confrontation d’une doctrine avec son principe, la révélation, confrontation qui s’achève dans une affirmation de convenance ou de disconvenance. Si le jugement suppose normalement une infor­ mation8, comporte des attendus, il s’achève formellement en un seul acte, le prononcé de la sentence 9. Acte unique, il ne saurait par suite procéder que d’un juge unique ou d’un tribunal prononçant in solidum. Démarche pratique, la sentence du juge constitue une inter­ prétation authentique de la loi10 et doit comme celle-ci diriger l’action des sujets. En matière de foi elle détermine les limites (definit) de l’objet à croire. Elle suppose donc chez le juge qui la | l ' I La nature du jugement 1. Mansi, LII, 1213 A. 2. Ib., 1213 C. 3. Ib., 1214 C. 4. Ib., 1225 C. — Pour le concile, voir le Proœmium de la constitution Dei Filius, Mansi, LI, 430 C : « Nunc autern sedentibus nobiscum et judicantibus universi orbis episcopis... » ; et l’explication de Mgr Simor, ib., 130 B : « Hic nos non consiliarii tantum sumus... sed veri judices : hic verum actum judicii exercemus. » 5. q. 60, a. 5 : < Judicium nihil est aliud nisi quaedam definitio vel deter­ minatio ejus quod justum est » ; cf. ib., q. 60, a. 1 : · Et ideo judicium importat secundum primam nominis impositionem, definitionem vel determinationem justi vel juris. » 6. Ib., q. 60, a. 1, ad iam : « ... ampliatum est ad significandum rectam determina­ tionem in quibuscumque rebus, tam in speculativis, quam in practicis. » 7. Cf. I*, q. 79, a. 8 : « In via judicii [intellectus] resolvendo redit ad prima princi­ pia... » ; cf. P-IIir, q. 112, a. 5 ; II*-II*e, q. 173, a. 3 ; tn IV Sent., d. 9, a. 4, q1· 1. — • Certitudo judicii, quae per resolutionem habetur», In Post. Anal., proœmium, éd. Marietti, Turin, 1955, p. 147, η. 6. 8. Cf. Mansi, LII, 1217 A : « Potest accidere casus aliquis ita difficilis, ut papa necessarium putet, pro sua informatione... quaerere ex episcopis. » Ib., 1213 D : « Hinc papa pro officio suo et rei gravitate tenetur media apta adhibere ad veritatem rite indagandam et apte enuntiandam. » 9. Cf. S. Thomas, in II Sent., d. 24, q. r, a. 1, ad 3um : « Judicium, proprie loquendo, non nominat potentiam nec habitum, sed actum · ; cf. ZZ»-ZZ»« q. 67 obj. 234 /’r-f' VP. )r°j.r Yasser, ci-dessus, η. 1-4: < dando definitivam sententiam.» ■ q· 6°, a. 6 : « Ille qui judicium fert, legis dictum quodammodo m it·rprc LUT· * , LE MAGISTÈRE PONTIFICAL ORDINAIRE 359 porte une autorité s’étendant aussi loin que la loi elle-même1. En matière de foi, loi unique et universelle de l’Église, elle ne pourra être prononcée que par l’autorité suprême : le souverain pontife prononçant seul ou avec les évêques réunis en concile 12. On compren­ dra par cette analyse qu’il n’était nul besoin, pour prouver l’unicité du jugement solennel, de recourir au caractère « rassemblé » de l’autorité qui le porte. Cette unicité ressort de la nature même de l’acte. C’est la nature encore du jugement qui exige et l’unicité du juge et l’autorité que requiert son prononcé. Alors même que les conclusions auxquelles aboutit un tel raisonne­ ment seraient identiques à celles de M. Caudron, il n’était pas indifférent de prendre l’un ou l’autre point de départ. On le vena par l’analyse des imprécisions de vocabulaire et des con­ fusions auxquelles le choix de ses prémisses a entraîné notre auteur. Autorité « complète » ou Là en effet où, à la suite de Mgr Gasser3, autorité « suprême »? nous avons parlé d’autorité « suprême » de l’Église, M. Caudron, partant de Y Ecclesia coadunata, a été amené à employer le terme d’autorité « complète ». Ce mot, pris en son sens propre, évoque la totalité de parties matériel­ les ou intégrantes, non la pleine réalisation d’une forme. C’est celle-ci pourtant qui peut seule spécifier le degré d’une autorité. On voit à quelles conséquences conduit un tel langage. Pour ne parler que du concile, auquel pensait Mgr Monzon y Martins en parlant d’Eccle­ sia coadunata, le terme « d’autorité complète » tendrait à insinuer qu’aucun des membres n’est absent de ceux qui sont appelés à y prendre part. On sait combien cette manière de voir est étrangère à la notion de concile œcuménique telle que nous la présentent la théologie et le droit canon. Ce qui donne à l’Assemblée des évêques son caractère d’œcuménicité, ce qui la constitue en suprême tribunal de la foi, ce n’est pas le nombre de ses participants, qui peut, comme en certaines sessions du concile de Trente, être parfois très réduit4 : c’est sa confirmation par le souverain pontife 5. 1. Cf. ib. : « Cum autem ejusdem auctoritatis sit legem interpretari et legem condere, sicut lex condi non potest nisi publica auctoritate, ita nec judicium ferri potest nisi publica auctoritate, quae quidem se extendit ad eos qui communitati subduntur. » 2. Cf. ib., q. i, a. io : «Ad illius... ergo auctoritatem pertinet editio symboli ad cujus auctoritatem pertinet sententialiter determinare ea quae sunt fidei, ut ab omnibus inconcussa fide teneantur... Et hujus ratio est quia una fides debet esse totius Ecclesiae... Quod servari non posset nisi quaestio fidei de fide exorta deter­ minaretur per eum qui toti Ecclesiae praeest, ut sic ejus sententia a tota Ecclesia firmiter teneatur. · ...... 3. Cf. Mansi, LII, 1213 A : « Cum munere supremi judicis » ; »&., 1214 C : « judex supremus ». . . 4. On sait qu’à certaines séances du concile de Trente, il n y eut pas plus de cin­ quante-quatre évêques à prendre part au vote. 5. Cf. Codex Juris canonici, can. 222, 227. 36ο REVUE THOMISTE Si l’expression « autorité complète » est déjà mal choisie pour désigner le concile, l’am­ biguïté augmente quand on veut la garder pour désigner l'autorité suprême du souverain pontife. Dans une telle perspective, si le pape peut lui aussi prononcer des définitions, ce ne pourrait plus être qu’« au titre de représentant de l’Église réunie»1. L’auteur y revient à plusieurs reprises : Rapport du pape et du concile Face au magistère ordinaire, c’est-à-dire au magistère de l’Église dispersée, ces évêques [les Pères du concile] affirment l’existence d’un magistère infaillible représenté, non seulement par les conciles, mais aussi par le souverain pontife. Celui-ci est donc déjà considéré par ces orateurs comme capable de repré­ senter seul l’Église réunie, organe des définitions dogmatiques*. Sans doute n’est-il pas interdit de parler du souverain pontife comme du « représentant » et de 1’« organe» de l’Église. Nous trouvons ces deux termes consignés dans le dossier de la constitution Pastor aeternus. Nous les recueillons, l’un sur les lèvres de Mgr Pie, dans le discours prononcé le 13 mai 1870 au nom de la Députation de la foi, l’autre sur celles de Mgr Gasser, dans le rapport du 11 juillet auquel nous avons déjà fait de larges emprunts. Mais le contexte où ils s’y présentent est à coup sûr assez différent de celui où nous venons de les lire. Après avoir attribué au pape la qualité d’organe de l’Église, l’évêque de Poitiers précise aussitôt : Non quidem organum ministeriale, a corpore deputatum, sed organum magistrale, divinitus et immediate constitutum1 23. Et quand Mgr Gasser à son tour présentera le souverain pontife comme «représentant l’Église universelle », ce sera dans un paragraphe justement destiné à revendiquer pour l’infaillibilité pontificale le privilège d’être immédiatement fondée sur une promesse et une assistance spéciales, distinctes de celles dont bénéficie le concile. [Infallibilitas] dici potest separata, seu potius distincta, quia fundata est in speciali promissione Christi ; et proinde etiam in speciali assistentia Spiritus sancti, quae non est una eademque cum illa qua gaudet totum corpus ecclesiae docentis junctum cum suo capite. Nam cum Petrus ejusque successor sit centrum unitatis ecclesiasticae, ...conditio ejus et relatio ejus ad ecclesiam est prorsus specialis ; et huic conditioni speciali et distinctae respondet privilegium speciale et distinctum. [...] Sed ideo non separamus pontificem ab ordinatissima conjunctione cum 1. M. Caudron, art. cit., p. 431. 2. Ib., p. 424. 3. Mansi LII, 36 D. Le pape est ici présenté comme l’organe de l’Église · immtdxaU constitutus », et non comme » le rpnr«pntmf pù 1 v x ’immc organe des définitions dogmatis. representant de 1 £?hse ré™ie », elle-meme LE MAGISTÈRE PONTIFICAL ORDINAIRE 361 ecclesia. Papa enim solummodo tunc est infallibilis, quando omnium Christianorum doctoris munere fungens, ergo univer­ salem ecclesiam repraesentans, judicat et definit quid ab omnibus credendum vel rejiciendum *. S’il est possible d’entendre dans ce sens, le seul légitime12, l’ex­ pression « représentant de l’Église », on ne voit plus comment, si on ajoute « représentant de l’Église réunie », lui conserver la même signification. Nous n’avons pas à nous arrêter davantage à cette terminologie, qui ne concerne pas directement notre propos. Par contre il nous faudra prêter attention à une autre divergence, plus importante, entre la thèse que nous analysons et l’argumentation de l’évêque de Brixen. Elle concerne l’origine et les conditions de l'infaillibilité. PourM. Caudron, le privilège d’immunité de l’erreur semble s’ensuivre du seul fait que ceux qui posent un acte doctrinal « réunissent en eux l’autorité plénière de l’Église »3. Mgr Gasser ne pensait pas pouvoir conclure aussi rapidement. Pour lui, l’infaillibilité peut bien être annexée à l’exercice du pouvoir suprême de l’Église, mais c’est un privilège d’institution positive qui ne découle pas nécessairement de ce seul pouvoir et dont il faut par ailleurs faire la preuve. Seule en effet, à proprement parler, est absolue l’infaillibilité de Dieu, Vérité première4. Toute autre infaillibilité ne saurait être communiquée que pour une fin déterminée et, par suite, nécessairement circon­ scrite à certaines limites et liée à des conditions précises5. Ces limites, ces conditions ne peuvent être déduites à priori. Elles doivent être demandées aux promesses du Christ, aux sources positives où se L'origine de l'infaillibilité 1. Mansi, LU, 1213 BC. 2. Le chapitre i de la constitution Pastor aeternus se termine par ces lignes : « Huic tam manifestae sacrarum Scripturarum doctrinae, ut ab Ecclesia catholica semper intellecta est, aperte opponuntur pravae eorum sententiae qui [...] affirmant, eundem primatum non immediate directeque ipsi beato Petro, sed ecclesiae et per hanc illi ut ipsius ecclesiae ministro delatum fuisse >, Denz., n. 1822. — A ce propos Y. M.-J. Congar, Conclusion, dans Le Concile et les conciles, pp. 285-334 (p. 308), a très heureu­ sement remarqué : « Le P. G. Dejaifve... a rappelé opportunément l’idée ancienne de représentation du corps dans son chef. Cette idée n’a pas grand-chose à voir avec l’idée démocratique et parlementaire moderne de représentation, héritée de Locke et de l’individualisme du xvme siècle, qui consiste à faire, du ‘représentant’, un mandaté d’un groupe d’individus. La notion ancienne était tout autre. S’inscrivant à l’inté­ rieur d’une conception organique, elle ne portait aucun ombrage au caractère hiérarchi­ que du chef qui représentait sa communauté. Il la représentait, non comme le délégué d’individus souverains, mais comme la personnification et le r&umé du corps dont il était la tête. Tenant son pouvoir du Seigneur, qui a fait le corps ainsi, organisé et com­ muniant, il incorporait en sa personne — non privée, mais officielle — les membres dont il avait été institué le chef. > 3. M. Caudron, art. oit., p. 426. Mgr Maret demandait runanirmté morale pour le vote du concile ; cf. Mansi, LU, 438-439· , . 4. Cf. Mansi, LU, 1214 A : « Infallibilitas absoluta competit soli Deo, prunae et essentiali Veritati, qui nullibi et nunquam fallere et falli potest. » 5. Cf. ib.t 1214 AB : « Omnis alia infallibilitas utpote communicata ad certum finem babet suos limites et suas conditiones, sub quibus adesse censetur. » 302 REVUE THOMISTE trouve consignée sa volonté L Or d’après ces promesses la garantie n’est pas promise inconditionnellement à l’autorité suprême, mais seulement à celle-ci dans sa relation à l’Église universelle, seule bénéficiaire des promesses divines 1 2. Le détenteur du pouvoir est assuré de l’infaillibilité dans le prononcé d’une définition, non pas seulement parce qu'il y exerce son pouvoir suprême, mais bien parce que, dans cet exercice de son pouvoir, déterminant le contenu exact de la révélation, il prononce sur l’objet de la foi qu’il impose comme un dogme à tous les fidèles: judicat et definit quid ab omnibus credendum vel rejiciendum3. Si une série d’actes, même constamment répétés, ne peut, à elle seule, donner à une doctrine le caractère de dogme, ce n’est pas parce que « le sujet enseignant [y] devrait ‘disperser’ son autorité... pour ‘rassembler’ par après l’autorité partielle de chacun de ces actes »4, c’est parce qu’en aucun de ceux qui constituent cette série, l’autorité suprême ne s’engage au point d’affirmer par une sentence définitive le caractère révélé d’une doctrine et d’obliger tous les fidèles à la croire. Nous retrouvons ici l’idée d’universalité qui faisait parler M. Cau­ dron d’autorité « complète ». Intuition juste à coup sûr, mais à condition de la situer à sa vraie place, qui n’est pas au point de départ de l’infaillibilité, dans le caractère « complet » du sujet enseignant, mais au terme, dans l’universalité de l’Église. Car c'est pour maintenir celle-ci dans l’unité et dans l’indéfectibilité de la foi, et pour cela seulement, que l’assistance du Saint-Esprit a été promise à l’autorité enseignante 5. 1. Ib.9 1214 B : « ... Quaenam vero sint eae conditiones, non a priori, sed ex ipsa promissione sive manifestatione voluntatis Christi debet deduci. » 2. /&., 1214 B: «Quid jam ex Christi promissione, Petro et successori ejusdem facta, quoad has conditiones consequitur ? Promisit Petro donum inerrantiae in ipsius relatione ad ecclesiam universalem... Petrus extra hanc relationem ad ecclesiam universalem positus in suis successoribus hoc veritatis charismate ex certa illa promis­ sione Christi non gaudet. > 3. Ib., 1213 C. Cf. ib. 1225 C : « Non sufficit quivis modus proponendi doctrinam, etiam dum pontifex fungitur munere supremi pastoris et doctoris, sed requiritur intentio manifestata definiendi doctrinam, seu fluctuationi finem imponendi circa doctrinam quamdam seu rem definiendam, dando definitivam sententiam, et doctri­ nam illam proponendo tenendam ab ecclesia universali. ». 4. M. Caudron, art. cit., p. 427. 5. Cf. Mansi, LII, 1213 C : < Finis ejusdem [infallibilitatis] est conservatio veritatis in ecclesia. » Ib., 1225 D : « Infallibilitas promissa est ad custodiendum et evolven­ dum integrum depositum fidei. » Ib., 1214 B : «extra hanc relationem ad ecclesiam universalem... hoc veritatis charismate... non gaudet. » — Voir aussi, ib., 1220 BC. — C’est encore ce qui ressort du schema de la Constitution II de Ecclesia, préparé, d’après les remarques des évêques, par le P. Kleutgen (cf. Mansi, LUI, 308 ss.). Monsieur A. Chavasse, L'ecclesiologie au concile du Vatican, dans RevSR, i960, nn. 124-126, pp. 233-245 (p. 245) en résume très heureusement la pensée : « Le premier schéma de la constitution De ecclesia et celui de la Constitutio dogmatica secunda se sont placés, à juste titre, au point de vue de l’Église, et de l’Église universelle, sans autre distinction. C’est en effet l’Église tout entière qui est l’objet de la Promesse indéfectible et le bénéficiaire de l’assistance du Dieu fidèle. L’infaillibilité de l’Église n est pas autre chose que le fruit de cette fidélité divine et de cette assistance efficace, comPronættre La faillibilité propre de la créature. Chacun des membres de l Eglise croyante. ou enseignante peut faillir, quand on le considère comme personne privée . Mais lorsque l’Église, croyante ou enseignante, s’engage universelle· LE MAGISTÈRE PONTIFICAL ORDINAIRE 363 2. Le magistère ordinaire Nous aurions à nous excuser de ces précisions, qui pourraient paraître étrangères à notre propos, si elles ne devaient contribuer à éclairer l'objet même de notre étude, le mode d’exercice du magis­ tère ordinaire et la nature de la garantie de vérité assurée à la doctrine qu'il propose. Pour caractériser les actes attribués au magistère ordinaire, les Pères, remarque l’étude que nous suivons, « ont suggéré des ex­ pressions toujours assez générales : -propositio, professio et praedicatio, doctrina, praedicat et docet, dont le sens générique aurait très bien convenu aussi d’ailleurs aux definitiones et aux judicia. Aussi les Pères se contentaient-ils souvent d’une description négative, c’està-dire par opposition à la definitio. [...] Les définitions ont en propre leur caractère absolu et définitif : c’est donc par un certain aspect provisoire que les actes du magistère ordinaire peuvent s’en distin­ guer. Il s’agit donc d’un acte doctrinal 'faillible’, revêtu d’une auto­ rité incomplète. C'est une première conclusion1 ». « Non définitif », comment l’acte du magistère ordinaire pourra-t-il orienter définitivement la foi du croyant ; « faillible », comment pourra-t-il être porteur de la règle de foi infaillible ? Nous sommes ici au cœur du problème. Lisons la solution proposée par M. Caudron : S’il n’est pas définitif, [l’acte singulier du magistère ordinaire] fait quand même partie d’un consensus infaillible. C’est dire que sa nature doit se prêter à la participation à ce consensus. Plus précisément... l’autorité manifestée doit être susceptible d’être unie à celle dont les autres actes du consensus sont doués. Disons donc que c'est l’acte propre au pasteur de l’Église dispersée... Ainsi ce caractère non définitif de l’acte du magistère ordinaire se spécifie de plus près ; il s’agit notamment de la participation partielle [sic] de cet acte à l’autorité doctrinale dispersée 2. Ces vues, fondées sur la nature de l’acte du magistère ordinaire, rejoignent celles que l’auteur avait cru pouvoir déduire à priori du caractère « dispersé » de l’autorité enseignante : E’Ecclesia dispersa... devra se servir... d’un consensus d’actes multiples. Étant donné que l’autorité doctrinale de l’Église n’est ment dans la profession de sa foi ou dans l’enseignement de cette même foi, nous ne sommes plus en présence de personnes privées, mais de l’Eglise même du Christ, que le Seigneur tient fermement sur le chemin de la vérité. C’est pourquoi la pro­ fession de foi de l’Église universelle, aussi bien que l’enseignement de l’Église uni­ verselle, sont garantis tous deux de l’erreur. Le critère de 1 infaillibilité est donc, dans chaque cas, l’universalité, comme le soulignait opportunément la Constitutio secunda, et cette universalité se réalise lors meme qu intervient le pape seip, car il enseigne alors comme le « pasteur et le docteur de tous les chrétiens », ainsi que 1 a défini la Constitutio dogmatica prima. » 1. M. Caudron, art. cit., p. 428. 2. Ib., p. 429· 364 REVUE THOMISTE participée que de façon incomplète dans chacun de ses sujets dispersés enseignants en particulier, il ne peut être question d’un seul acte doctrinal qui suffirait à faire d’une doctrine un dogme. C’est à l'ensemble des évêques dispersés que l’autorité plénière de l’Église appartient ; c’est donc par un enseignement concordant de ces évêques en particulier, par un consensus d’actes multiples qu’elle se manifeste1. Ces réflexions soulèvent un double problème : celui de la nature du magistère ou de l’enseignement ordinaire ; celui de la garantie de vérité qui peut lui être assurée. Nous devrons les envisager l’un après l’autre. Que l’acte du magistère ordinaire se présen­ te comme distinct de la définition, le texte même de la constitution Dei Filins le montre assez clairement. C’est en effet comme opposés l’un à l’autre qu’il introduit ces deux modes de présentation doc­ trinale : Sive solemni judicio, sive ordinario et universali magisterio. Mais les Pères ne se sont pas contentés de cette présentation négative. Parmi les nombreuses expressions employées par eux pour désigner les diverses formes que peut revêtir ce magistère2, deux termes reviennent surtout dans la bouche des orateurs : Praedicatio et doctrina ; praedicat et docet. M. Caudron pense qu’en leur sens générique, ils auraient aussi bien convenu aux définitions et aux jugements. Quoi qu’il en soit de ce sens générique, ces expressions semblent bien employées ici dans le sens spécifique qu’elles ont toujours eu dans la tradition scolastique. De même que le judicium est l’acte propre du juge 3* , de l’autorité qui prononce une sentence, la doctrina est l’acte spécifique du maître, de celui qui enseigne, docet*, qui exerce la fonction, spécifique elle aussi, du magisterium*. C’est par comparaison avec le jugement que se pourra le plus facilement comprendre sa nature. Le jugement, nous venons de le voir, s’opère par confrontation d’une conclusion avec son principe. Mais, avant de pouvoir être ainsi confrontée et déclarée cohérente ou non avec la source de sa connaissance, il faut que cette conclusion y ait été puisée, par un premier inventaire6. Cette opération de La nature de Γ enseignement ordinaire 1. Ib., p. 427. 2. Cf. Discours de Mgr Monzon y Martins, 31 mars 1870, Mansi, LI, 225 C : « Quid intelligitur per ordinarium magisterium ecclesiae ? .Absque dubio praedicatio quoti­ diana, oratio liturgica, ratio expediendi et definiendi negotia in curis episcopalibus, et praesertim in congregationibus sacrae romanae ecclesiae, magistrae et matris omnium ecclesiarum. · 3. Cf. S. Thomas, q. 60, a. i : « Judicium proprie nominat actum judicis in quantum est judex : judex autem dicitur quasi jus dicens. » aiîlmMI» lect· x> éd. c*t*> Ρ· χ5θ» η. 9 · < Doctrina est actio ejus qui aliquia cognoscere facit. > ? q. 5IISiUnt Thomas a 1111 double traité de Magistro : /», q. r 17, a. r et 2 ; et de Veritate, . θ' 1 - · **■ Ratiocinatio humana secundum viam inouisitioni^ wl mventioms procedrt a quibusdam simpliciter intellectis, qS s^priS^pSpiZ; LE MAGISTÈRE PONTIFICAL ORDINAIRE découverte (inventio) peut consister parfois en une démarche toute personnelle1. Celui pourtant qui désire s’instruire, gagnera géné­ ralement du temps à se mettre à l’école d’un maître, à lui demander h doctrina en se faisant lui-même son disciple 2. Dans le cas de la foi, dont l'objet ne peut être connu que par révélation, l’attitude qu’est la disciplina3 n’est pas seulement un procédé abrégé, elle est de nécessité rigoureuse4 : Fides ex auditu 5. Faites-vous des disciples8 : telle a été la consigne du Seigneur à ses Apôtres qu’il envoyait annon­ cer l’Évangile. On comprendra dès lors la différence qui sépare le jugement, d'une part, le simple enseignement, de l’autre. Démarche analytique7, comme Y inventio8, l’enseignement a pour but de faire connaître ce qui est contenu dans le principe d’une connaissance9, dans la révélation pour la connaissance de foi, de 1’« ex-poser », de 1’« ex­ pliquer » pour le faire saisir à l’intelligence du disciple10. Depuis des siècles, les prédicateurs apprenaient aux fidèles, comme une vérité contenue dans la Révélation, que Notre-Dame est montée au ciel. Cette vérité, les théologiens la déduisaient de l’article de foi11 à l’incarnation et à la maternité divine. I 1 et rursus in via judicii, resolvendo redit ad prima principia ad quae inventa examinat » — Voir aussi ZZa-ZZûe, q. 9, a. i : < Cum autem homo per naturalem rationem assenti t secundum intellectum alicui veritati, dupliciter perficitur circa veritatem illam : primo quidem quia capit eam ; secundo quia de ea certum judicium habet. » Saint Thomas continue en montrant que ces deux étapes se retrouvent dans la con­ naissance de foi : « Et ideo ad hoc quod intellectus humanus perfecte assentiat veritati fidei, duo requiruntur. Quorum unum est quod sane capiat ea quae proponuntur... Aliud autem est ut habeat certum et rectum judicium de eis : discernendo scilicet credenda a non credendis. » Pour tout ceci, voir J. Isaac, La notion de dialectique chez saint Thomas, dans RSPT XXXIV, 1950, pp. 481 ss. 1. Cf. de Ver., q. 11, a. 1, éd. Marietti, Turin, 1953, p. 226: «Quando naturalis ratio per seipsam devenit in cognitionem ignotorum : et hic modus dicitur inventio. » 2. Cf. q. 49, a. 4 : « Recta... aestimatio sive opinio acquiritur in operativis sicut et in speculativis, dupliciter : uno quidem modo per se inveniendo, alio modo ab aliis addiscendo · ; cf. Za, q. 117, a. 1 ; de Ver., q. 11, a. 1. 3. Cf. in Post. Analyt., I, lect. 1, p. 150, n. 9 : «Nomen autem doctrinae et disci­ plinae ad cognitionis acquisitionem pertinet. Nam doctrina est actio ejus qui aliquid cognoscere facit ; disciplina autem est receptio cognitionis ab alio. » 4. Cf. ZZa-ZZae, q. i, a. 9 : «Credere... non potest aliquis, nisi ei veritas quam credat proponatur » ; cf. q. 6, a. 1 ; q. 8, a. 6. 5. Rom. x, 14. 6. Matih. xxvin, 20, traduction de la Bible de Jérusalem. 7. Cf. L.-M. Régis, O. P., Analyse et synthèse dans l'œuvre de saint Thomas, dans Studia Mediaevalia, in hon. A.R.P.R.J. Martin, Bruges, 1948, pp. 303-330. 8. Cf. de Ver., q. 11, a. 1, p. 226: « ... eodem modo docens alium ad scientiam ignotorum deducit sicuti aliquis inveniendo deducit seipsum ad cognitionem ignoti. » 9. Cf. in Boet, de Trin., q. 6, a. 1, ad 3am quaest., éd. Marietti, Turin, 1954» P· 3®5 · «Intellectus... per prius unam et simplicem veritatem considerat et in illa totius multitudinis cognitionem capit. > 10. Cf. de Ver., q. 11, a. 1, p. 226 : « Processus autem rationis pervenientis ad cognitionem ignoti in inveniendo est ut principia communia per se nota applicet ad deter­ minatas materias et inde procedat in aliquas particulares conclusiones et ex his in alias ; unde et secundum hoc unus alium docere dicitur, quod istum discursum ratio­ nis, quem in se facit ratione naturali, alteri exponit per signa, et sic ratio naturalis discipuli, per hujusmodi sibi proposita, sicut per quaedam instrumenta, pervenit in cognitionem ignotorum. » . . . . n. Cf. ZZa-ZZae, q. i, a. 7: « ... ita se habent in doctrina fidei articuli fidei, sicut principia per se nota in doctrina quae per rationem naturalem habetur. > 366 REVUE THOMISTE Opération de synthèse au contraire x, affirmant qu’une doctrine est réellement contenue dans son principe2, le jugement achève la connaissance3 ou la proposition doctrinale par cette affirmation décisive : le Ier novembre 1950, Pie XII, revenant sur la doctrine couramment enseignée de l’Assomption de Notre-Dame, la confron­ tait avec son principe, la Révélation, pour définir que «c’est un dogme divinement révélé que Marie... a été élevée en âme et en corps à la gloire céleste » *. Du fait même qu’il est ainsi défini, le dogme de l’Assomption s’impose à toute l’Église, comme la foi dont il détermine le contenu. Le jugement en effet a une portée aussi étendue que la vérité même sur laquelle il prononce et qui est sa seule matière. L’enseignement, au contraire, comme le montre le double accusatif que commande le verbe docere, en a deux : le disciple enseigné et la connaissance transmise5. Enseigner, nous dit saint Thomas, c'est causer la science dans un autre e. L’enseignement par suite peut être dispensé à un nombre plus ou moins grand de fidèles. Une prédica­ tion pourra ne s’adresser qu’aux quelques auditeurs réunis au pied de la chaire du maître. Elle pourra, comme dans le cas des radiomessages du Saint-Père, avoir pour destinataires, non seulement l’universalité des fidèles, mais celle même du monde. Au contraire du jugement, - qui s’achève dans un seul acte: l'affirmation ou la sentence, - l’enseignement, s’il veut faire saisir la doctrine qu’il propose, doit tenir compte du caractère discursif des intelligences auxquelles il s’adresse7, et employer tout un pro­ cessus 8, tout un ensemble de procédés et de démarches9. Ce qui 1. Cf. in Boet. de Trin., loc. cit., p. 382 : « Sic igitur patet quod rationalis consideratio ad intellectualem terminatur secundum viam resolutionis, in quantum ratio ex multis colligit unam et simplicem veritatem. » 2. Cf. in Peri Herm., I, lect. 3, n. 31, éd. Marietti, Turin, 1955, p. 16 : < Judicium, si consonat rebus, erit verum, puta cum intellectus judicat rem esse quod est... » — L’être affirmé dans le jugement dogmatique n’est pas celui de la vérité exprimée par l’énoncé (et garantie par la Vérité première), mais Γ < être révélé ». Par exemple, définition de l’Assomption : < Definimus revelatum dogma esse », cf. ci-dessous, n. 4. 3. Cf. II*-II™, q. 173, a. 2: «Judicium est completivum cognitionis»; in Post. Analyt., I, p. 148, n. 6 : « De his quae inventa sunt, judicium requiritur ad hoc quod certitudo habeatur. » 4. Const, apost. Munificentissimus, dans Λ/IS XLII, 1950, p. 770 : « Definimusdivinitus revelatum dogma esse : Immaculatam Deiparam semper Virginem Mariam, ex­ pleto terrestris vitae cursu, fuisse corpore et anima ad coelestem gloriam assumptam. » 5. Cf. de Ver., q. n, a. 4, p. 233 : « In actu... docendi invenimus duplicem mate­ riam... Est siquidem una ejus materia ipsa res quae docetur, alia vero ille cui scientia traditur. » Cf. ZZB-ZZBe, q. 181, a. 3 : « duplicem objectum ». 6. De Ver., q. 11, a. 1, obj. 4, p. 223 : « Docere nihil est aliud quam scientiam in alio aliquo causare » ; cf. Z·, q. 117, a. 1. 7. Cf. ZZ*-ZZ*e, q. 2, a. 3 : « ... non statim sed successive, secundum modum suae naturae. » 8. Le mot est de saint Thomas, de Ver., q. 11, a. 2. — Voir aussi, en faisant les transpositions nécessaires, in Boet. de Trin., q. 6, a. 1, ad i»m quaest., p. 380 : < Ultimus enim terminus ad quem rationis inquisitio perducere debet est intellectus prin­ cipiorum, in quae resolvendo judicamus ; quod quidem quando fit, non dicitur processus vel probatio naturalis sed demonstratio. Quandoque autem inquisitio rationis tcrminum non Perducit (—1 sic rationalis processus dividitur contra : 9* SLI/ q’ noster discipulum ex praecognitis in cognitionem ignotorum... proponendo ei aliqua auxilia vel instrumenta [...] ex quibus intellectus LE MAGISTÈRE PONTIFICAL ORDINAIRE i » l ( \ I ! » ( ’ ! 1 j ! J l ! 367 représente l’enseignement d'un maître, ce n’est pas ce qu’il affirme une fois ou l'autre en passant, mais bien la doctrine qui rend raison de ses conclusions et sur laquelle il revient avec fermeté et constance. De la seule affirmation qui constitue le jugement, on dira, à parler formellement, qu’elle est vraie ou fausse1. De l’exposé, qui fait con­ naître le contenu de la Révélation, on s'exprimera plus rigoureuse­ ment en le déclarant fidèle : c’est l’expression qu’a retenue la con­ stitution Pastor aeternus : Ut fideliter exponerent2. Dès lors, au contraire du jugement qui détermine pour lui-même l’objet de la foi, qui engage pleinement dans cette affirmation l’autorité enseignante, l’exposé, correspondant au premier stade de la connaissance, ne saurait engager à tout jamais l’autorité du magistère. C’est, par nature, comme on nous l'a fait remarquer, un acte « non définitif ». La praedicatio et la doctrina présentent bien les objets qu’elles proposent, comme contenus dans la révélation ; elles ne reviennent pas sur les vérités ainsi exposées, pour achever la proposition complète de la foi par l’affirmation formelle qu’elles sont bien contenues dans leur source 3. On voit quelles conséquences s’ensuivent de ces différences par rapport aux sujets enseignants et à la nature du charisme de vérité4 dont peuvent bénéficier les deux modes de présentation doctrinale 5. L’enseignement, ne prononçant pas formellement sur le fait de la conformité de la doctrine avec la révélation, ne déterminant pas la loi de la foi, universelle de sa nature, n’exigera pas nécessairement chez le maître l’autorité suprême, exigée du juge de la foi qui doit imposer sa sentence à toute l’Église®. Simple transmission de la addiscentis manuducitur in cognitionem veritatis ignotae. » Suit l’énumération de quelques-uns des procédés employés : < proponit ei aliqua sensibilia exempla, vel aliqua hujusmodi. > L’exemple est un des procédés types de la rhétorique : cf. in Post. Analyt. I, lect. i, n. 12, p. 151. 1. Cf. in Peri Herm. I, lect. 3, n. 31, p. 16 : «Cognoscere... praedictam conformitatis habitudinem nihil est aliud quam judicare ita esse in re vel non esse : quod est componere et dividere ; et ideo intellectus non cognoscit veritatem, nisi componendo vel dividendo per suum judicium. Quod quidem judicium, si consonet rebus, erit verum [...] ; falsum autem quando dissonat a re » ; cf. Za, q. 16, a. 2 : « [Intellectus] quando judicat rem ita se habere sicut est forma quam de re apprehendit, tunc primo cognoscit et dicit verum ; et hoc facit componendo et dividendo. > 2. Denz., n. 1836. Voir également le prooemium de la constitution Dei Filius, Mansi, LI, 430 C : « Innixi Dei verbo scripto et tradito, prout ab ecclesia catholica sancte custoditum et genuine expositum accepimus. » 3. Cf. in Peri Herm. I, lect. 3, n. 28, p. 15 : « Veritas in aliquo invenitur dupliciter : uno modo, sicut in eo quod est verum ; alio modo, sicut in dicente vel cognoscente verum. Invenitur autem veritas sicut in eo quod est verum, tam in simplicibus quam in compositis. · 4. «Veritatis et fidei nunquam deficientis charisma»; c’est encore l’expression même de la constitution Pastor aeternus, Denz., n. 18375. C’est ce qu’avait fait remarquer le P. Kleutgen, Mansi, LUI, 259 B : « Quoniam infallibili tas ecclesiae non videatur revera sub omni respectu eadem esse, cum alia sit infallibi litas activa, alia passiva, alia quae exerceatur modo solemni sive ab ecclesia in concilio oecumenico congregata, sive a pontifice e cathedra loquente, alia quae exerceatur a magisterio ecclesiae ordinario. » . . . . 6. Mgr Dupanloup, Mansi, LI, 229 D-230 A, en désignait ainsi les sujets : « Magiste­ rium quo fideles edocentur, magisterium ordinarium exercetur in ecclesia catholica sub universali summi pontificis auctoritate per pastores et doctores, per episcopos et 368 REVUE THOMISTE révélation, l’enseignement suppose seulement, pour pouvoir exiger l'audience des disciples, une mission authentique chez le maître1. Cette mission, comme l’enseignement quelle garantit, pourra être plus ou moins étendue, viser l’Église entière ou seulement l’un ou l’autre diocèse. On comprend dès lors pourquoi l’enseignement sera le mode de présentation doctrinale propre aux pasteurs dispersés, chacun s’adressant à la portion du troupeau qui lui est confiée. On comprend aussi pourquoi aucun de ces actes d’enseignement en particulier ne bénéficie du charisme d’infaillibilité, puisqu’en aucun d’eux ne s’achève définitivement cette présentation de la doctrine. C’est ici que surgit la difficulté à laquelle s’efforce de répondre M. Caudron. On peut en effet légitimement se demander comment cette garantie, qui ne se trouve liée à aucun des actes du magistère ordinaire en particulier, « actes faillibles », pourrait être fournie par leur ensemble. M. Caudron a cru trouver la réponse en parlant de l’infaillibilité du consensus. En ce consensus en effet se trouverait «réunie» l’autorité complète de l’Église, par le rassemblement de toutes les « participations partielles » à cette autorité que sont les actes dispersés du magistère ordinaire *12. Il sera permis de se demander si l’auteur de cette explication ne s’est pas laissé abuser par l’ambiguïté d’une brillante image verbale. Le terme latin de consensus peut en effet signifier soit un consentement positif, l’acte même de consentir, soit un simple accord de fait, runanimité de tous les évêques dans l’enseignement d’une même doctrine 3. Le sens d’« acte de consentir » paraîtrait demandé par l’épithète d’« infaillible » dont il est qualifié ici. Cet adjectif en effet s’applique en propre soit à un sujet enseignant, comme dans la définition qui termine le chapitre iv de la constitution Pastor aeternus, soit à l’acte même d’enseigner, comme dans le titre du même chapitre 4. Au cours L’infaillibilité du « consensus »? parochos, per verbi divini praedicatores, per theologos orthodoxos, per probatos libros, maxime vero per libros liturgicos et catecheticos. » — Ces vues seront reprises et résumées par le P. Klevtgen, dans son schema de Constitutio II de Ecclesia, Mansi, LUI, 313 AB : ■ Quaecumque... in rebus fidei et morum ubique locorum sub episcopis apostolicae sedi adhaerentibus tanquam indubitata tenentur vel traduntur... ea pro infallibiliter veris habenda sunt. » 1. « Quomodo praedicabunt, nisi mittantur », Rom. x, 15 ; cf. S. Thomas, QuodL XII, a. 27, p. 235 : « Nullus, quantumcumque scientiae magnae, vel quantumcumque sancti­ tatis, nisi missus a Deo vel a praelato, praedicare potest, quia nullum agens natum est agere nisi supra debitam materiam » ; S. Albert le Grand, in Lucam, ιν, 17, éd. Borgnet, XXII, p. 366 : < Missio confert auctoritatem. » 2. M. Caudron, art. cit., p. 429. 3* ^ans.Je discours de Mgr Gasser, deux termes sont employés : « consensio » pour désigner 1 accord de fait, « consensus » pour l’acte de consentir ; cf. Mansi. LU, 1216-1217. 4. Pour la définition, D enz ., n. DEî t?-». n· 1839 i839 :: · ··· definimus : Romanum pontificem... ea ht qut Redemptor Ecclesiam suam... instructam esse voluit. » titre du chapitre : De romani pontificis infallibili magisterio, Denz., n. 1832. LE MAGISTÈRE PONTIFICAL ORDINAIRE 369 des discussions qui précédèrent l'adoption de ces textes, les rappor­ teurs firent en effet remarquer qu'on ne pourrait, sans pécher contre la grammaire, l'appliquer à la doctrine elle-même qui fait l'objet de l'enseignement1. A fortiori ne pourrait-on, sans manquer à ces règles, l’utiliser pour qualifier le simple fait d’un accord. Ce ne sont là que chicanes de vocabulaire. Elles se trouvent pourtant ici corroborées par les conditions mêmes que notre auteur pose à l’infaillibilité. Celle-ci se réaliserait du seul fait que se manifes­ terait dans l’exercice d'un magistère doctrinal 1’« autorité complète de l’Église ». Mais l’autorité s'exerce par des actes (actes d’autorité). Y'Ecclesia coadunata l’exerce par l'acte infaillible du jugement solennel. Dans le cas de YEcclesia dispersa, on pourrait concevoir que les évêques réunissent leurs parts d’autorité en accordant leur consentement à une proposition doctrinale. Si tous les évêques accordaient ce consentement, ce serait le consensus unanimis, qui serait vraiment la manifestation de l’autorité complète. C’était justement ce consentement que les gallicans exigeaient pour donner leur caractère irréformable aux définitions pontificales i. 2. Dans leur perspective le consentement avait un objet précis. Dans le cas du consensus infaillible, donné ici comme le constitutif du magistère ordinaire, on peut se demander quel serait son objet. Sera-ce un jugement? Les évêques, en y apportant par un acte positif de consentement le poids de leur autorité, y totaliseraient l’autorité de l’Église. Si ce jugement était un jugement définitif, on ne voit pas alors ce qui le distinguerait de l’acte propre du magis­ tère solennel3, ce consentement équivalant alors au vote conciliaire des évêques. Sera-ce un simple exposé doctrinal? C’est en effet ce que nous devons supposer, puisque ce consensus est opposé au jugement comme l’autre forme de présentation infaillible. Dans ce cas, alors même qu'un consentement unanime « rassemblerait » 1’« autorité complète » de l’Église, celle-ci cependant ne serait pas pleinement i. Dans sa réponse à Mgr Th. Connolly, évêque de Halifax, qui demandait que le terme d’infaillibilité soit appliqué non au sujet enseignant mais à la doctrine ensei­ gnée, Mgr d’Avanzo (Mansi, LU, 762 C) répond en se demandant dans une paren­ thèse si ce ne serait pas pécher contre la grammaire que d’appliquer ce terme à un décret: «(ne litem cum grammaticis instituam, utrum scilicet grammatice dici possit decretum infallibile, definitio infallibilis), his omissis, si decretum a papa egressum est irreformabile... » — J.-P. Torrell, L'infaillibilité pontificale est-elle un privilège personnel ?dans RSPT XLV, 1961, pp. 229-245 (p. 240, n. 22), remarque ; «Une proposition est simplement vraie ou fausse.» Si elle a été prononcée par une autorité infaillible, elle sera irréformable. Telle est la terminologie proposée par d’Avanzo et que la définition a retenue, Denz., n. 1839 : ideoque ejusmodi romani Pontificis definitiones... irreformabiles esse. . . 2. C’est pour rejeter plus explicitement cette exigence que fut introduite l’incise «exsese, non autem ex consensu ecclesiae » dans la définition de l’infaillibilité. 3. Cf. M.-R. Gagnebet, L'origine de la juridiction collégiale du corps épiscopal au concilet selon Bolgeni, dans Divinitas V, 1961, PP· 431’493 (Ρ· 49θ)> remarque: < 11 semble que si le pape consultait tout l’épiscopat sur un point de doctrine et obtenait son consentement sans le réunir, il pourrait prononcer une définition au nom de tout le corps épiscopal. Cette définition serait, semble-t-il, une definition conciliaire puisqu’elle émanerait de tout le corps uni au pape. » 37° REVUE THOMISTE engagée. C’est dans le seul jugement en effet, nous l’avons vu, que s’achève définitivement la proposition des dogmes, comme la con­ naissance elle-même, mais non dans le premier stade de l’enseigne­ ment, dans le simple exposé, dont par hypothèse il est question ici, et sur lequel porterait le consentement universel. M. Caudron l’a bien compris en ce qui regarde Y ecclesia coadunata : Un seul sujet enseignant peut bien répéter les mêmes enseigne­ ments ; mais pour revêtir la même doctrine d'une autorité croissante, il devrait intensifier dans la même mesure la qualité de l’exercice de son autorité dans chacun de ces actes particuliers ; le simple consensus avec soi-même n’y apporte rien1. L’auteur aurait pu supprimer les deux mots «avec soi-même». Comment le caractère « dispersé » de l’autorité pourrait-il modifier « la qualité de l’exercice de cette autorité »? Il est difficile de le voir. La dispersion des sujets qui consentent ne saurait changer la nature de l’objet sur lequel porte leur consensus. Si le terme consensus doit être pris dans le sens d'un acte d’autorité par consentement positif, ce consentement n’engagera pleinement l’autorité de l’Église que s’il porte sur la sentence définitive d’un jugement doctrinal. Aussi bien n’avons-nous voulu examiner cette acception possible du terme de consensus que comme une hypothèse que nous ne croyons pas pouvoir attribuer à M. Caudron, mais qui aurait pu être à l’origine d’un glissement de sens. Il faut donc en venir à l’autre acception du terme : accord de fait, «enseignement concordant des évêques en particulier»2. Dans le dossier de la constitution Dei Filius, le terme de consensus a été employé dans ce sens par Mgr Simor 3, mais au cas indirect qui dissi­ pait l’ambiguïté : « unanimi consensu ». Le rapporteur de Pastor aeternus, qui avait à répondre à l’exigence gallicane d’un consensus positif, préférera le mot consensio pour désigner l’accord de fait4. Quoi qu’il en soit du choix du terme, il faut se demander d’où viendra l’infaillibilité d’un tel accord. Car il ne peut s’agir ici de la seule certitude morale que peut fournir une convergence de probabilités5. La foi ne saurait s’en contentere. Il lui faut l’assurance absolue contre l’erreur, que seule peut apporter l’assistance divine. 1. M. Caudron, art. cil., p. 427. 2. 1b., p. 427. 3. Cf. Mansi, LI, 47 C. ccciesiae^»AN81’ LH’ 1216 D: * Consensio praedicationis praesentis totius magisterii ne5D^t°foumTrHnn-»S’ q’ T’ a* 8\ad 2Ura· Renseignement d’un Père en particulier nicS^Xaeuti^rM^men\prObable :. ‘iSacra doctrina] auctoritatibus... cano- . Assensus Mei innilita à congSÏ'pSiESSS'” De!,z- *»5: LE MAGISTÈRE PONTIFICAL ORDINAIRE 371 M. Caudron paraît l’attribuer au fait que l’autorité partielle manifestée dans chacun de ces actes serait « susceptible d’être unie à celle dont les autres actes du consensus sont doués1 », et par suite de réaliser ainsi avec eux 1’« autorité complète » de l’Église. Ici se « rassemblent » aussi les difficultés. Tout d’abord, il ne peut s’agir d'un exercice plénier de l’autorité : comme dans l'hypothèse précédente, la nature même des actes « non définitifs » s’y oppose. Mais, de plus, il ne peut même être question d’autorité « complète », réalisée par addition d’actes d’autorité partielle. En proposant sa solution, M. Caudron semble n'avoir pas aperçu la différence entre action collective et addition des actes accomplis par chacun des membres d’une collectivité. Dans le premier cas, l’acte ou les actes émanant du sujet collectif réaliseront en eux l’autorité totale du collège. Dans le second cas, même additionnés, les actes ne pourront jouir d’une autorité plus grande que celle de l'autorité partielle de chacun des membres qui les aura élicités. Si les membres d’un sujet collectif peuvent unir leurs parts d’auto­ rité à celle des autres membres du collège pour l’exercice d’une action commune, l’autorité manifestée en cet acte sera celle même du collège entier. Les actes, au contraire, accomplis séparément par chacun de ces sujets ne pourront jamais, même en s’additionnant, manifester une autorité plus grande que celle qui appartient en particulier à chacun de leurs auteurs. S’il fallait, pour s’assurer de l’assistance divine accordée au magistère ordinaire, y rechercher l’exercice de l’autorité « complète » ou suprême de l’Église, nous serions au rouet. * • ! i, La condition du charisme de vérité i Faut-il pour autant renoncer à demander au magistère ordinaire cette garantie de vérité qu’on doit pourtant légitimement attendre de la règle de foi? - Nullement. Ce serait en premier lieu aller contre la constitution Dei Filius qui affirme que les vérités proposées par le magistère ordinaire sont à croire de cette foi qui ne peut adhérer qu’à des vérités garanties contre tout risque d’erreur. Ce serait aussi s’inscrire en faux contre les affirmations du rapporteur de Pastor aeternus, qui reconnaît dans la prédication universelle de l’Église un critère assuré de révélation. Il s’agit seulement de ne pas confondre les genres : au lieu de nous renfermer dans un parallèle trop étroit avec l’infaillibilité du magis­ tère extraordinaire, de remonter, à la suite de Mgr Gasser, jusqu’au principe, et de raisonner par analogie, en tenant compte des diffé­ rences irréductibles que nous avons reconnues entre les deux modes de présentation doctrinale 2. i. M. Caudron, art. oit., p. 429. 2. Cf. suj>ra, pp. 365-366. I I 372 REVUE THOMISTE Le principe, selon l’intuition de M. Caudron dont nous avons déjà reconnu la justesse \ est bien celui de la totalité. Seulement cette totalité, au lieu de la demander au sujet de l’Église enseignante, il la faut chercher, le rapporteur de la Députation nous l’a rappelé, dans la totalité de l’Église enseignée123. C’est dans sa relation à l’Église universelle, dont elle a pour raison d'être de conserver la foi, que l’autorité suprême est infaillibles. C’est parce que le jugement solennel oblige tous les fidèles à croire les vérités qu’il déclare révélées4, qu’il ne peut émaner que de l’autorité suprême de l’Église56 ; c’est pour cela aussi qu’il doit nécessairement bénéficier du charisme qui le préserve de toute erreure. Dans le magistère ordinaire, la totalité ne sera pas rejointe par cette voie. Le simple exposé qui le constitue ne prononce pas définiti­ vement sur la doctrine ; il ne fait que la faire connaître aux fidèles7. Dès lors l’autorité du sujet enseignant pourra être plus ou moins grande, la mission qui l’accrédite plus ou moins étendue. Elle peut embrasser la totalité de l’Église, ou se limiter à une communauté particulière. Dans ce dernier cas, elle ne saurait se prévaloir des promesses divines. Celles-ci n’ont été faites qu’au bénéfice de l’universalité du troupeau 89 . Il n’en peut être ainsi d’un enseignement proposé à toute l’Église. Si une erreur en effet se glissait dans une proposition faite à un groupe restreint, elle n’égarerait pas nécessairement la foi du fidèle’. L’objet formel de celle-ci n’est pas la proposition particulière, mais 1. Cf. supra, pp. 363-364. . , 2. Cf. supra, p. 362, n. 2 et 3. — Voir aussi le schema de la Constitutio II de ecclesia, préparé par le P. Kleutgen, Mansi, LUI, 313 A : « Jamvero praecelsum hoc donum, quo ecclesia Dei vivi columna et firmamentum veritatis est (I Tim. 111, 15), ineo positum esse definimus, ut neque fideles universi credendo, nec ii, qui potestate docendi totam ecclesiam praediti sunt, cum hoc munere funguntur, in errorem labi possint. » 3. Cf. supra, p. 362, n. 5. 4. Cf. /7*-/Zae, q. i, a. 10 : < ... ut ab omnibus inconcussa fide teneantur » ; « quando judicat et definit quid ab omnibus credendum vel rejiciendum », Mansi, LII, 1213 C; • doctrinam illam proponendo tenendam ab ecclesia universali », ib., 1225 C. 5. Cf. supra, p. 359, n. 2. 6. Cf. supra, p. 362, n. 2. 7. Mgr Place, évêque de Marseille, avait nettement distingué, Mansi, LI, 927 C: «... privilegium per quod in doctrinis tradendis, seu in quaestionibus fidei ac morum definiendis, nec falli ipsa [ecclesia] possit, nec alios fallere. » 8. Mgr Place, ib., avait également proposé ce texte de définition : « Haec autem infallibili tas, quae passiva dicitur, in eo sita ut ecclesiae corpus, prout fideles omnes complectitur, ad errorem trahi non possit. Ex qua infallibilitate passiva, infallibilitas etiam activa in ecclesia eruitur, siquidem illa permanere integra nequit, nisi sacro magisterio illud datum esset privilegium per quod in doctrinis tradendis... nec falli ipsa possit, nec alios fallere. » 9. S. Thomas, //»-//*«, q. 2, a. 6, ad 3um, remarquait déjà que la foi ne saurait rT1^. py ^c,erreur Partielle, tant que demeure possible la référence non nra^hidie<^tefiae · :. * A qua iveritate divina] si aliqui majorum deficiant, "°'\.Ρ^ θ7 d 1 fid>el s*mPbcium. qui eos rectam fidem habere credunt, nisi pertimme non^tâ7d^fi^rln F2ftlcula£ adhaereant contra universalis Ecclesiae fidem, THad 3”"· : Ee° <”° “ ** LE MAGISTÈRE PONTIFICAL ORDINAIRE ' ' 373 2. Cf. supra, p. 362, n. 5. j. Pas nécessairement coadunati. L’action collégiale peut exister sans cela. Cf. wpra, p. 369, n. 3. . . 4. S. Thomas, Quodl. XII, a. 27, p. 235, après avoir montré la nécessite de la mission pour la prédication, en donne la raison : « quia nullum agens natum est agere nisi supra debitam materiam. » 6. Mansi, LU, 1216 D : < Verum est quod consensio praedicationis praesentis totius magisterii ecclesiae unitae cum capite sit regula fidei... » 374 REVUE THOMISTE des év êques que 1 assistance divine lui a été promise. Du moins est-ce sous cette forme que le P. Kleutgen, témoin autorisé et écho fidèle entre tous de la pensée des Pères du concile, présente, dans ses annotations sur le schéma de la IIe constitution sur l’Église, la garan­ tie de vérité promise à l’enseignement concordant de l’Eccksia dispersa : Si par corps épiscopal nous entendons non les évêques réunis en concile mais les évêques dispersés sur la surface de la terre, jamais il ne pourra se faire que le corps épiscopal soit d’un senti­ ment opposé à celui du pape, en ces choses dans lesquelles l’Église ne peut errer ni faire défection1. Cette présentation d’ailleurs se trouve en parfaite cohérence avec la doctrine rappelée dans le préambule de la constitution Pastor aeternus. Elle définit que Pierre a été placé par le Christ comme le « fondement et le principe visible de l’imité de la foi dans l’Église Λ « Principe » et non seulement « centre » de cette unité. Mgr Leahy, au nom de la Députation, a expliqué longuement pourquoi : Principe signifie au sens propre le principe de l’unité, signifie ce qui a été posé dans la constitution même de l’Église, signifie la relation du souverain pontife à l’Église ; tandis que centre de l’unité désigne la relation des membres de l’Église au pontife. Le principe est quelque chose d’intrinsèquement lié à la primauté sur l’Église ; présupposée la constitution de l’Église, présupposé lllll ce principe, il s’ensuit comme une conséquence naturelle qu’avec ce principe doivent se trouver d’accord tous les évêques, toutes les Églises, tous les fidèles1 23. Dès lors, on ne voit pas comment la relation à l’Église universelle, qui se trouve réalisée dans l’unanimité de l’enseignement donné à toutes les Églises particulières, ne se vérifierait pas également dans un enseignement donné directement à toute l’Église, par le principe 1. Mansi, LUI, 322 A : < Si per corpus episcoporum non intelligantur episcopi in concilio congregati, sed omnes per orbem terrarum dispersi, accidere nunquam posse, in iis quidem rebus in quibus ecclesia errare et deficere nequit, ut corpus episcoporum hoc est omnes aut fere omnes episcopi a papa dissentiant. » Cf. J. Hamer, Le corps épiscopal uni au pape, son autorité dans TÉglise, d'après les documents du ItT concile du Vatican, dans RS PT XLV, 1961, pp. 21-31 (surtout, pp. 26-27). 2. Cf. Denz., n. 1821 : « Ut vero episcopatus ipse un us et indivisus esset, et per cohaerentes sibi invicem sacerdotes credentium multitudo universa in fidei et commu­ nionis unitate conservaretur, beatum Petrum ceteris Apostolis praeponens, in ipso instituit perpetuum utriusque unitatis principium ac visibile fundamentum, super cujus fortitudinem aeternum exstrueretur templum, et Ecclesiae coelo inferenda sublimitas in hujus fidei firmitate consurgeret. > 3· Mansi Lll, 639 BC : «Principium proprie significat principium unitatis, signi* c?nstiitione ecclesiae, significat relationem summi b?orim ;Ddum. “ηΐΓ1ιηι unitatis significat relationem memr Principium est quid intrinsecum primatui ecclesiae ; P'ineipio tunc sequitur tamquat» omnes ecclesiae, omnes fi dries. . h pnnc,p10 convenire debeant omnes episcopi, LE MAGISTÈRE PONTIFICAL ORDINAIRE 375 même d’où procède tout accord, par celui dont la mission s’étend à l’universalité elle-même1. C'est justement le cas du souverain pontife, dont la constitution Pastor aeternus a également défini que son pouvoir était vraiment épiscopal, c’est-à-dire comportant, vis-à-vis de l’Église universelle, ce pouvoir ordinaire d’enseigner et de gouverner que chaque évêque possède sur son propre diocèse2. Seulement, là surtout, dans la manière de reconnaître l’assistance donnée à un tel enseignement, sera-t-il indispensable de tenir compte des distinctions imposées par les natures différentes du jugement et du simple exposé : — Dans le jugement solennel, la relation à l’Église universelle est impliquée dans Yacte même qui prononce définitivement sur le contenu de la Révélation imposant à tous les vérités à croire. — Dans le simple enseignement, pour comporter une relation nécessaire à la foi de l’Église, il ne peut plus être question d’un seul acte isolé. La garantie de fidélité ne pourra être assurée qu’à l’ensemble du processus par lequel s’opère ici la communication de la doctrine3, et qui implique proposition ferme et constante des mêmes vérités4. N’est-ce pas à cet enseignement constant des successeurs de Pierre que se référait Mgr Gasser, quand il invoquait comme garante de la foi cette tradition de l’Église romaine qui « a gardé fidèlement et religieusement ce que Pierre lui a confié »5 ? On le voit, ces manières différentes pour le jugement solennel et le magistère ordinaire de bénéficier du « charisme de vérité et de foi jamais déficiente »6 ne viennent pas de la condition, réunie ou dis­ persée, des sujets qui les exercent (et qui n’en est après tout qu’une modalité accidentelle), mais de la nature même spécifiquement différente de ces deux modes de proposition doctrinale. Cette manière de procéder ne se trouve pas seulement en accord complet avec les affirmations des rapporteurs de la constitution Pastor aeternus ; elle permet une interprétation plus rigoureuse de la pensée des 1. Voir le rapport sur ce passage de Mgr Zinelli (5 juillet), Mansi, LU, 1104 B : «Consideremus autem quaenam Jesus Christus attribuit apostolo Petro et ejus succes­ soribus. Nonne in praemium triplicis declarationis amoris dedit illi munus pascendi gregem, scilicet agnos et oves ? Cum hoc discrimine, quod episcopis datum est tantum pascere qui in eis est gregem, scilicet determinatas partes gregis illis commissas ; Petro autem et successoribus ejus datum est pascere omnem gregem, agnos et oves, simplices fideles nempe et episcopos, in suo regimine independenter ab aliis ; dum contra episcopi pascunt semper, ut diximus, dependenter a Petro et Petri succes­ sore. » Mgr Leahy avait montré dans son précédent rapport que « paître » comportait le pouvoir du magistère, cf. J.-P. Torrell, La Théologie de Γépiscopat.pp. 119-127. 2. Cf. Denz., n. 1827 : « Docemus proinde et declaramus... hanc romani pontificis jurisdictionis potestatem, quae vere episcopalis est, immediatam esse. > Voir sur ce sujet, J.-P. Torrell, La Théologie de Γ épiscopat..., pp. 119-127. 3. Cf. supra, p. 366, n. 8. 4. Il y aurait à préciser les conditions qui peuvent permettre de reconnaître dans un enseignement pontifical cette fermeté et cette constance, le distinguant d'obiter dicta ou de directives prudentielles. Nous avons essayé de déterminer ces conditions dans un article auquel nous nous permettons de renvoyer le lecteur: P. Nau, Le magistère pontifical ordinaire, lieu Inéologique, dans RT LVI, 1956, pp. 389-412. 5. Mansi, LU, 1217 B: « ... ex traditione ecclesiae romanae, quae quod Petrus tradidit, fideliter et sancte custodivit. » . . 6. Denz., n. 1837 : « ... veritatis et fidei nunquam deficientis charisma. » \ \ I 376 REVUE THOMISTE Pères qui ont discuté et voté la constitution de Fide catholica. Elle prend en effet pour point de départ non plus Y obiter dictum ou la simple description proposée par un interpellateur, mais les termes mêmes employés à dessein dans la constitution et la nature des démarches, traditionnellement familières, désignées par ces termes : «enseignement » et « jugement » (sive solemni judicio, sive ordinario et universali magisterio). C. Magistère pontifical et magistère des évêques Nous connaissons maintenant les arguments sur lesquels M. Cau­ dron a appuyé sa thèse. Il est temps d’examiner pour elles-mêmes les conclusions auxquelles il a cru pouvoir aboutir. Les affirmations qu’elles contiennent sur l’autorité enseignante du souverain pontife, sur les conditions de son infaillibilité, sont en effet trop voisines des matières directement abordées par la constitution Pastor aeternus pour ne pas imposer une confrontation. Seul un rapprochement avec les textes votés par les Pères, avec les débats où ils ont Evré explicite­ ment leur pensée, pourra permettre de confirmer ou d’infirmer ces conclusions. I. Magistère papal et magistère ordinaire C’est par un exposé des « relations entre le magistère papal et le magistère ordinaire, tel que celui-ci fut compris en fait par le concile du Vatican », que débutent les conclusions de M. Caudron : Le magistère ordinaire, dans la pensée des Pères du concile, est celui de l’Église universelle dispersée ; ceci nous permet de conclure que le souverain pontife, certes, participe au magistère ordinaire, car il occupe dans l’épiscopat dispersé une place privilégiée et primordiale, mais aussi qu’il n’exerce le magistère ordinaire, dont parle le concile précisément, que pour autant qu’il enseigne uni aux évêques de cette Église « dispersée » et non au titre de représentant de l’Église « réunie », ce qui fut d’ailleurs expressément mis hors de question par les Pères du concile1. Il n’y a pas à revenir sur la première affirmation de l’auteur : « Le magistère ordinaire... est celui de l’Église universelle dispersée. » Elle rappelle la position dont nous avons reconnu l’exactitude, mais à laquelle nous avons dû refuser un caractère exclusif. Nous savons aussi ce qu’il faut penser de la présentation du souverain pontife comme exerçant son magistère solennel « au titre de représentant de 1 Église réunie »12. Nous n’avons pas à nous y arrêter davantage. 1. M. Caudron, art. cit., p. 431. 2. Cf. supra, p. 360 s. LE MAGISTÈRE PONTIFICAL ORDINAIRE 377 Il reste deux énoncés qui apportent des vues nouvelles. L'un précise la place du souverain pontife dans le magistère ordinaire, l’autre les conditions qui lui sont posées pour l’exercice de ce magistère. » Le souverain pontife, certes», nous affirme-t-on, «participe au magistère ordinaire ». « Participer », avoir une part, s’oppose à posséder en totalité ou en plénitude. Le verbe suppose un partage de cette totalité1. Pour savoir la nature de cette participation, il importe de préciser l’objet du partage. L’auteur aurait-il voulu seulement rappeler qu’en aucun acte, pris à part, du magistère ordinaire, on ne peut rencontrer l’exercice plénier de l’autorité suprême, exercice réservé au seul jugement solennel? On voit mal la portée qu’aurait ici un pareil rappel. De la vérité sur laquelle il se fonde on ne saurait déduire qu’une chose, c’est qu’un enseignement, pour présenter efficacement une doctrine, doit comporter tout l’ensemble d’un processus. C’est là une conséquence qui dérive de la différence même de nature entre les deux modes de proposition que sont le jugement et l’enseignement, et elle vaut, on le sait déjà, tout aussi bien pour l’ensemble des évêques exerçant le magistère ordinaire, que pour le souverain pontife enseignant seul. Le partage porterait-il sur l’objet matériel de l’enseignement? On l’a vu, cet objet est double : le disciple enseigné et la doctrine transmise. Ni pour l’une, ni pour l’autre, il ne peut être question de n’en réserver qu’une part au souverain pontife. Le pape peut limiter la compétence des Congrégations qui l’assistent, la sienne s’étend sans exception aucune à tout le domaine de la foi et des mœurs. Si la mission particulière de chaque évêque est restreinte au territoire de son diocèse, celle du souverain pontife, docteur universel, s’étend à toute l’Église. Faudrait-il faire porter le partage sur l’autorité même dont la mission d’enseignement est revêtue : elle n’appartiendrait dans sa plénitude qu’au seul collège formé du pape et des évêques, et non au souverain pontife seul? Posée en ces termes, la question a fait, au cours de la discussion du me chapitre de Pastor aeternus, l’objet de débats explicites. Une opinion soutenue par plusieurs membres de la minorité1 2 prétendait que le pouvoir suprême de l’Église n’appar­ tient pas au pape pris à part, mais au seul collège formé du pape et des évêques. Dans cette perspective, ils concédaient au souverain pontife une part principale et primordiale, mais seulement une part, de ce suprême pouvoir. C’est pour couper court à une telle manière 1. « Participation partielle * avait écrit M. Caudron, art. cit., p. 429, en soulignant lui-même. ,, 2. Cf. les emendationes 35 et 36, présentées par Mgr 1 app-Szilâgyi, eveque de NagvVarad, et Mgr Guilbert, évêque de Gap (Mansi, LU, 604, 620, 1091 et 1092) ; cf· Maret, ib.t 438-439· 378 REVUE THOMISTE de voir1 qu’a été rédigé le canon qui termine le troisième chapitre de la constitution1 2. Pour le présenter aux Pères le rapporteur s’était appuyé, non sur des démarches spéculatives, mais sur les paroles mêmes du Christ conférant les pouvoirs à Pierre et aux Apôtres. Les textes évangéli­ ques en effet nous montrent le pouvoir suprême accordé au collège apostolique tout entier, mais uni à Pierre34. Sans lui, le collège n’est pas au complet, il ne saurait exister d’autorité collégiale « complète » : Episcopi congregati cum capite... aut dispersi, sed cum suo capite... vere plenam potestatem habent*. Mais les textes nous assurent aussi qu’avant d’avoir été accordés au collège, ces mêmes pleins pouvoirs avaient été remis à Pierre56, et indépendamment des Apôtres : Les paroles du Christ doivent être cohérentes. Si le fait qu'il a promis de demeurer avec ses Apôtres unis à Pierre et à ses successeurs, et qu’il leur a accordé d’autres privilèges, montre que ce plein et suprême pouvoir appartient à l’Église unie à son chef, le fait que de pareilles promesses ont été faites au seul Pierre et à ses successeurs oblige à conclure, exactement pour la même raison, que le plein et suprême pouvoir a été conféré à Pierre et à ses successeurs, même en dehors d’une action co UBII une avec les autres évêques’. Dès lors, s’il est vrai de dire des évêques qu’ils « participent seule­ ment au pouvoir suprême de l’Église », c’est sans fondement aucun 1. Cf. Mansi, LU, 1313 A : < Incisum quamvis sensus substantiam non mutet, ut ipse nomine Deputationis evidenter demonstravi : attamen clarius opponitur et errori et verbis ab ipsis errantibus adhibitis. > 2. Cf. Denz., n. 1831. Voir ci-dessous, p. 379, n. 3. 3. Cf. Mai. xviii, 18 ; cité par Zinelli, Mansi, LII, 1109 B. 4. Mansi, LII, 1109 C ; ib. mo B : < Nam cum vere plena et suprema potestas non sit in corpore separato a capite, episcopi singulares, quotquot essent, dum abest papa, nullo modo sine capite vere plenam et supremam potestatem exercere possent. » 5. Cf. Mai. xvi, 19 ; cité déjà par Mgr d’Avanzo, Mansi, LII, 714 A, se référant à Innocent III. 6. Ib., 1109 CD, 5 juillet 1870: < At verba Christi omnia consistere debent. Si ex eo quod cum apostolis cum Petro et successoribus futurum se esse promisit, aliaquc concessit, apparet hanc vere plenam et supremam potestatem esse in ecclesia cum suo capite conjuncta, eadem prorsus ratione, ex eo quod similes promissiones factae sunt Petro soli et ejus successoribus, concludendum est vere plenam et supre­ mam potestatem traditam esse Petro et ejus successoribus, etiam independenter ab actione communi cum aliis episcopis. » — Le 16 juillet le même rapporteur aura à reprendre cette argumentation, contre une demande de modification proposée par Mgr Landriot, ib., 1310 B : « At in significatu obvio illi qui asserunt regimen eccle­ siae esse monarchicum mixtum aristocratico, intelligunt potestatem pontificis limi­ tari potestati episcoporum, ita ut in eo non sit vere suprema et plena potestas, sed dumtaxat in corpore episcoporum cum ipso ; quae doctrina sic exclusive intellecta est omnino falsa. > — L’archevêque de Reims avait proposé, ib., 1271 D-1272 A : · Regi­ mini ecclesiae cum Christus non solum summi pontificis, sed et episcoporum potesta­ tem immediate praefecerit, ita ut illius potestas, quantumvis summa atque plenissima, non tamen sola sit, sed episcopos in partem sollicitudinis debeat agnoscere..., sequitur idcirco regimen ecclesiasticum, cui papa et episcopi praesident institutione divina, non esse mere monarchicum, sed esse regimen ex monarchico et aristocratico mix­ tum. ■ LE MAGISTÈRE PONTIFICAL ORDINAIRE 379 qu’on l’affirme du pape, dont on doit reconnaître qu’il Voici comment Mgr Zinelli, Mansi, LII, 1104 C, expliquera ce texte pour en demander le vote: < Eadem igitur quoad speciem est episcopalis potestas episcoporum in singulis suis dioecesibus, et in pontince summo quoad omnes dioeceses, cum hoc discrimine quod in pontifice summo est in sua plenitudine, in aliis restricta ; in summo pontifice independens, in episcopis dependens ; in episcopis coarctata ad suas dioeceses, in pontifice summo sine ulla limitatione loci, sed ad terminos terrae. » 2. Cf. ift., 1104 AB. — Denz., n. 1827 : « Declaramus Ecclesiam romanam... super omnes alias ordinariae potestatis obtinere principatum. » 3. Au lieu de coadunata, il parle de congregati, Mansi, LII, 1109 C : « Igitur episcopi congregati cum capite in concilio oecumenico, quo in casu totam ecclesiam repraesen­ tant, aut dispersi... quo casu sunt ipsa ecclesia, vere plenam potestatem habent. » — « Vel dispersis, vel congregatis », 10., mo B. 4. Ib. Ib.,9 1109 D ; supra, p. 378, n. 66. — Ib., 1109 C : « Nam sive in concilio congre­ gentur, sive sint dispersi per orbem, sive considerentur ut singuli, sive conjunctim, Itltl su summus pontifex eandem conservat super eos suam supremam, plenam et immediatam pôtestatem. . - ---------------- -----------“ “***“*’ 5. M. Caudron, art. cit., p. 431 6. Ibidem. esZou^d con^S^Snrre: Gasser’ " îuillel. Mansi, LII, 1216 D: «Verum SjÆÏt re^fide?rac,dlcaUonis Praesenta totius magisterii ecclesiae unitae cum LE MAGISTÈRE PONTIFICAL ORDINAIRE 381 Mgr d’Avanzo, présentant le chapitre iv de la constitution Pastor adtrnus, l'ont affirmé en termes exprès : Les évêques pris à part, si nombreux soient-ils, ne possèdent en aucune manière en l’absence du pape de vrais suprêmes et pleins pouvoirs1... Il ne peut faire aucun doute que l’union des évêques avec le souverain pontife, soit la condition sine qtia non de l’infaillibilité du corps épiscopal*. Les évêques ne sont pas infaillibles par eux-mêmes, mais ont besoin de la communion avec le pape, qui les confirme 1 23. Mais poser la même exigence pour l’enseignement du souverain pontife, c’est aller contre les affirmations les plus explicites des porte-parole de la Députation : Le souverain pontife, en sa qualité de chef, peut exercer son autorité suprême, même indépendamment du concours des évêques45. Le pape n’a besoin de rien d’autre que de l’assistance du Saint-Esprit qui lui a été promise 6. Ce que les promoteurs de la constitution se sont appliqués sans cesse à exclure, c’est toute dépendance par rapport aux évêques, des pouvoirs du pape ou de l’exercice de ces pouvoirs. Certes, ils n’entendaient pas par là « séparer » le pape des évêques e. Le corps ne peut vivre séparé de la tête ; celle-ci, quand elle agit, le fait comme tête et par suite comme résumant en elle tout le corps 7. Mais cette union qui ne manquera j amais ne peut en aucun cas être posée comme une condition qui limiterait tant soit peu le pouvoir de la tête ou comporterait une dépendance par rapport aux mem­ bres8. 1. Zinelli, 5 juillet, ib., mo B : « Cum vere plena et suprema potestas non sit in corpore separato a capite, episcopi singulares, quotquot essent, dum abest papa, nullo modo sine capite vere plenam et supremam potestatem exercere possunt. * 2. Le même, 16 juillet, ib., 1314 B : « Nulli dubium quod unio episcoporum cum summo pontifice sit conditio sine qua non infallibilitatis corporis episcopalis. » 3. D’Avanzo, 20 juin, ib., 764 B : « Episcopi per se non sunt infallibiles, sed indigent communione cum papa, a quo confirmentur. » Il s’agit ici du magistère ordinaire. 4. Zinelli, 5 juillet, Mansi, LII, mo B : « Summus pontifex, ut caput, etiam independenter a concursu episcoporum, supremam suam auctoritatem exercere potest. » 5. D’Avanzo, 20 juin, ib., 764 B : « Papa vero non indigeat nisi assistentia sancti Spiritus illi promissa. » 6. Gasser, ii juillet ; Mansi, LII, 1213 C : « ... ab ecclesia universali tam separari non potest, quam fundamentum ab aedificio cui portando destinatum est » ; cf. 1214 A ; Zinelli, ib., 1109-1110 ; discussions de la députation : Mansi, LUI, 247 C ; Kleutgen, LIII, 321-322. 7. D’Avanzo, 20 juin, Mansi, LII, 765 B : « In magisterio papae implicite manet magisterium episcoporum ipsi adhaerentium, et in magisterio episcoporum papae adhaerentium magisterium pontificis continetur ; ac proinde de separatione capitis a corpore ne cogitavimus quidem. » 8. Cf. Zinelli, 5 juillet, Mansi, LII, 1104 B : « Petro autem et successoribus ejus datum est pascere omnem gregem, agnos et oves, simplices fideles nempe et episcopos, in suo regimine independenter ab aliis ; dum contra episcopi pascunt semper, ut diximus, dependenter a Petro et Petri successore. » 382 REVUE THOMISTE Comme le faisait remarquer Mgr Zinelli, le successeur de Pierre peut toujours exercer ses pouvoirs en toute indépendance des évêques ou de leur concours : etiam independenter ab actione communi cum aliis episcopis1 ; independenter a concursu episcoporum12. z. Infaillibilité personnelle et « consentement » des évêques De ces «relations entre le magistère du pape et le magistère ordinaire », telles qu’il a cru les lire dans la pensée des Pères du concile, M. Caudron en arrive logiquement aux conclusions qu’elles entraînent relativement à l’infaillibilité : En ce qui concerne l'infaillibilité en particulier, le sens donné par les Pères aux deux formes d’enseignement est donc tel qu’il paraît exclure dans leur intention, l’exercice par le souverain pontife d’un magistère ordinaire infaillible qui lui serait « per­ sonnel » ; si du moins « personnel » doit signifier que l’infaillibilité de ce magistère ne résulterait pas du consensus de l’Église dis­ persée, mais formellement de l’acte personnel du pape. Au contraire, en effet, du moment où l’on parle d’un acte personnel, infaillible à lui seul, on envisage précisément l’autre forme d’enseignement, celle que le concile a toujours considérée comme non « ordinaire », disons pour la facilité, le magisterium coadu­ natum 3. N’était la dernière expression qui pourra paraître ambiguë4, nous serions heureux de nous rencontrer ici avec M. Caudron pour reconnaître que « du moment où l’on parle d’un acte personnel, infaillible à lui seul », on est dans la perspective du jugement solennel et non plus dans celle du magistère ordinaire. Par contre nous ne pouvons le suivre quand il attribue aux Pères du concile l’exclusion d’un magistère infaillible qui serait « personnel » au souverain pontife. Nous l’avons remarqué, en effet, les Pères, tant à l’occasion de la constitution Dei Filius ou de son texte même, que des débats préparatoires au vote de Pastor aeternus, ont, à plusieurs reprises, fait allusion, comme à une règle de foi, à un magis­ tère ordinaire exercé personnellement par le pape5. Il importe seulement de remarquer que le terme de « personnel » ne peut plus s'entendre au sens qu’il a eu lors des débats sur l’infaillibilité des définitions ex cathedra, comme opposant le sedens à la sedes*. Il ne 1. Mansi, LU, 1109 D ; cf. supra, p. 378, n. 6. 2. Ib., n 10 B ; cf. supra, p. 381, n. 4. 3. M. Caudron, art. cit., p. 431. 4. Elle semble en effet réserver le jugement solennel au concile ou à son « représen­ tant ». Nous retrouvons la problématique dont nous avons montré plus haut les diffi­ cultés. a rh/u»* s-u^r,a· P· ,35°. n. 1 et 2 ; Pastor aeternus, supra, pp. 352-356. rnicCnnn Λ’ιΐρ ’ a Ρ°*ηίοη gallicane qui admettait l'infaillibilité du Siège, mais non celle de la personne même du pape prononçant un jugement. LE MAGISTÈRE PONTIFICAL ORDINAIRE ’ ( , ( 383 peut ici que distinguer l’exercice du magistère ordinaire par le seul pontife romain, de ce même exercice par l’ensemble des pasteurs dispersés L L’infaillibilité du magistère ordinaire ainsi compris ne saurait donc « résulter » d’un acte personnel. Nous le reconnaissons encore volontiers. Non seulement, en effet, il ne peut s’agir ici d’un acte pris à part, mais c’est surtout s'exprimer bien peu rigoureusement que de faire « résulter » l’infaillibilité, serait-ce celle d’un jugement solennel, d’un acte ou d’une démarche quelconque. On peut dire, il est vrai, que l’irréformabilité ou le caractère définitif d’une sentence ou d’une définition « résulte » de l’infaillibilité de celui qui la pronon­ ce12. Mais l’infaillibilité elle-même dont jouit le sujet enseignant dans l'acte de juger ou dans le processus qui constitue l’enseigne­ ment, ne saurait être présentée comme la résultante d’un acte ou d’un accord. Mgr Gasser avait eu, au cours des débats, l’occasion de s’inscrire en faux contre une opinion du même ordre, selon laquelle l’infaillibilité du corps épiscopal lui serait « communiquée » par le souverain pontife. « On voit mal, remarquait-il, comment l’infaillibilité pourrait être communiquée3. » Elle est un privilège assuré directe­ ment à ceux qui en bénéficient, par une assistance divine qui les préserve contre toute erreur 4. Cette assistance est garantie au concile ou au pape dans le prononcé du jugement solennel. Dans le cas du magistère ordinaire, où elle ne couvre pas un acte isolé mais tout un ensemble, elle vient également de cette même assistance5. La question qui peut se poser est celle de savoir si ce charisme est accordé seulement à l’enseignement unanime du pape et des évêques, ou si elle assure également la fidélité de l’enseignement ferme et constant du pontife de Rome seul. Quelle que soit la réponse à donner, il est en tous cas impossible, si l’on veut demeurer fidèle à la pensée des Pères du Vatican 16, d’admettre une infaillibilité du pape, « communiquée » par les évêques, ou « résultant » de leur consensus. 1. Cf. d’Avanzo, supra, p. 355, n. 2 ; Gasser, p. 353, n. 1. 2. C’est ce qu’indique le terme proinde de la définition, Denz., n. 1839. 3. Mansi, LU, 1216 C : « Quomodo vero infallibilitas potest communicari ? hoc non intelligo. » — Zinelli, ib., 1314 C, sera plus réservé. 4. Cf. définition de l’infaillibilité du jugement solennel, Denz., n. 1839 : « per assistentiam divinam ipsi in beato Petro promissam. » — Commentaire de Mgr Gasser, n juillet, Mansi, LU, 1225 D : * Principium seu causa efficax infallibilitatis est tutela Christi et assistentia Spiritus sancti. > Pour l’exposé du dépôt révélé, Denz., il 1836: «Neque enim Petri successoribus Spiritus sanctus promissus est ut..., sed ut, eo assistente, traditam per Apostolos revelationem seu fidei depositum sancte custodirent et fideliter exponerent. » 5. Cf. pour le magistère ordinaire, d’Avanzo, Mansi, LU, 764 A: «Omnibus diebus ecclesia veritates fidei docet assistente Spiritu Sancto. » — Ib., 765 A : « Causa igitur efficiens et formalis infallibilitatis est assistentia Spiritus sancti, sive papa agat cum clero ecclesiae romanae, sive cum episcopis vel conciliis provincialibus, sive in ipso concilio generali. » — Cf. Pie, ib., 36 ; Gasser, ib., 1208 C. b. Cf. J.-P Torrell, La Théologie de l’épiscopat p. 240 : « Ce refus d une déri­ vation’ de l’infaillibilité du corps vers sa tête semble bien etre l’expression certaine de la pensée de la Députation. » 384 REVUE THOMISTE En soulevant cette difficulté, nous ne songeons pas à l’incise introduite dans la définition de l’infaillibilité personnelle pour indiquer l’origine de l’irréformabilité du jugement solennel : ex sese, non autem ex consensu ecclesiae1. Elle ne vise que les prononcés ex cathedra, et ne saurait, sans sollicitation du texte, être invoquée à propos du magistère ordinaire. Mais, dans les discussions relatives au ive chapitre de Pastor aeternus, la question a été expressément envisagée d’un consensus de l’épiscopat à exiger, antérieurement à une définition, pour permettre au pape de s'assurer du caractère révélé d’une doctrine. Les rappor­ teurs de la Députation ont dù s’arrêter longuement à rejeter la prétention de ceux qui voulaient introduire cette exigence dans la définition, comme condition de l’infaillibilité. A chaque fois, avec une même fermeté, ils ont rejeté la nécessité d’un tel consensus12. A cette prétendue nécessité, ils ont opposé l’existence d’autres critères, de l’un d’eux surtout, qu’on ne saurait sous-estimer sans méconnaître par là même les promesses divines adressées à Pierre, la tradition de la seule Église de Rome 3. Si la tradition universelle, reflet de l’enseignement de tous les évêques45 , est un critère assuré pour la foi, celle de la seule Église de Rome ne l’est pas moins, puisqu’elle reflète l’enseignement du successeur de Pierre, dont la fermeté est garantie par la prière du Seigneur. En effet, a remarqué Mgr d’Avanzo : Tous, et le pape et les évêques, dans leur enseignement ordi­ naire, sont infaillibles de l’infaillibilité même de l’Église. Ils diffèrent seulement en ceci : les évêques ne sont pas infaillibles par eux-mêmes, mais ont besoin de la communion avec le pape qui les confirme ; le pape, lui, n’a besoin de rien d’autre que de l’assistance du Saint-Esprit qui lui a été promise®. Nous connaissions déjà l’essentiel de ces réponses. Mais nous n’avions pas rapporté la conclusion constante des rapporteurs. On comprendra sa sévérité : elle assimile à la position gallicane, exigeant pour l’irréformabilité des jugements ex cathedra6 le con­ 1. Denz., n. 1839. 2. Cf. Mansi, LU, 763-676 ; 1216-1218 ; 1314-1315 ; cf. supra, p. 352, n. 3. 3. Cf. supra, p. 352, n. 5 et p. 353, n. 2. 4. Tel est l’effet de l’assistance du Saint-Esprit en tant qu’elle est accordée aux fidèles· cf. d’Avanzo, Mansi, LU, 764 B: < Quaenani autem est pars fidelium in hac re [l’in faillibilité du magistère ordinaire] ? Idem Spiritus sanctus qui per charisma infallibili tatis adsistit papae et episcopis docentibus, idem dat fidelibus edoctis gratiam fidei, qua magisterio ecclesiae credunt. > 5. Ib., 764 AB ; supra, p. 355, n. 2. 6. D Avanzo, 5 juillet, Mansi, LII, 763 C: «Quarta propositio gallicana, quam dicunt, docet quod decreta romani pontificis non sunt irreformabilia, antequam consensus sive expressus sive tacitus ecclesiae accesserit; atqui novus iste canon pertendit quod consensus debeat praecedere, et quidem expressus ; dicit enim decre­ LE MAGISTÈRE PONTIFICAL ORDINAIRE 385 sentement subséquent des évêques, celle qui réclame pour l'infor­ mation du pape la vérification antérieure de leur accord : Quicumque ergo contendit quod papa, sive ad informationem, sive ad infallibile de fide et moribus judicium, omnino dependeat a manifesta consensione episcoporum, vel eorum auxilio, illi nihil reliquum est nisi statuere falsum illud principium, omnia judicia dogmatica romani pontificis in se et ex se esse infirma et reformabilia, nisi accedat consensus ecclesiae *. Bien que le terme de « magistère ordinaire » n’ait pas été prononcé, on ne pourrait souhaiter de déclarations plus explicites. De telles affirmations nous sont un témoignage indubitable de la pensée des Pères sur la prétendue dépendance où se trouverait l’infaillibilité du magistère pontifical ordinaire par rapport au consentement des évêques. Dans les passages que nous venons de citer, comme dans la con­ stitution Dei Filius, il s’agit bien en effet de la recherche d’une règle permettant de reconnaître les credenda que le pape pouira imposer à la foi de toute l'Église. C’est le principe même invoqué par les opposants et concédé par le rapporteur : c'est le supposé de toute son argumentation. Le pape ne peut définir que ce qu’il a reconnu appartenir à ces credenda. Il s'agit du seul magistère ordinaire : les vérités sur lesquelles on recherche la lumière ne sont pas des vérités définies, mais des doc­ trines qu’il s’agit justement de soumettre à une définition. Il s’agit enfin du seul magistère pontifical. C’était là le point sur lequel portait la controverse. A l’objection des gallicans qui deman­ daient comme condition préalable à la définition et comme critère nécessaire à la reconnaissance des credenda le consentement des évêques manifestant l’universalité de leur enseignement, Mgr Gasser répond en affirmant que cette nécessité ne s’impose nullement. Pour s’assurer du caractère révélé d’une doctrine, il suffit de recourir à la seule tradition de l'Église romaine, reflet de l’enseignement constant de son chef. tum fieri ex consilio episcoporum traditionem ecclesiae exhibentium : ergo plus exigit orator quam gallicani ipsi. » — Cf. Mgr Maret, ib., 433 A : « nisi accesserit episcopo­ rum concursus et assensus vel antecedens, vel concomitans, vel subsequens » ; Mgr Freppel, ib., 1262 B. i. Mansi, LII, 12x7 C. — Ces remarques ont dû échapper à l’attention du chanoine Aubert, L'ecckfsiologie au concile du Vatican, p. 281, qui ne parle, pour caractériser l’exigence gallicane, que d* » un acte concomitant ou subséquent de l’épiscopat·; et qui croit pouvoir s’autoriser en même temps de ce que « le danger gallican paraît bien désormais radicalement exclu au sein de l’Eglise catholique » pour exprimer le vœu que le nouveau concile précise que « pour savoir ce qu il a a définir et pour le défi­ nir le mieux possible, le pape a besoin du concours de toute 1 Eglise > (iô.. p. 282). Pour ce qui est de l’attribution de cette dernière phrase à Mgr Gasser, cf. supra, p. 352> n· 3· RT 4 386 REVUE THOMISTE Exiger un a consensus » serait livrer l'infaillibilité à l’arbitraire du nombre Faire dépendre du consentement des évêques l’infaillibilité du magistère ordinaire, rencontrerait d’ailleurs des difficultés toutes semblables à celles que le rapporteur opposait à l'exigence de ce consentement pour les jugements solennels. Difficulté de fait, tout d’abord. Faire dépendre l'infaillibilité de l’enseignement pontifical du consensus des membres de l’Église « dispersée », c’est la livrer à l’arbitraire du nombre1. Exigerait-on en effet l’unanimité12? Il suffirait alors pour tenir en échec l’ensemble de l’épiscopat et même son chef, d’une seule voix discordante ! Si une voix ne suffit pas, jusqu’où s’étendra la tolérance? Une pareille unanimité n’est pas même exigée pour les définitions du concile œcuménique dont le caractère de tribunal suprême ne dépend pas du nombre des participants ni même de leurs suffrages, mais de sa convocation et de l’appro­ bation de ses décrets par le souverain pontife3. Avec ce critère aucune ambiguïté n’est possible. Pour les vérités enseignées par le magistère universel, on l’a récemment fait remarquer 4, le discernement est déjà moins facile. Mais dans la perspective traditionnelle, où les théologiens avaient toujours envisagé ce magistère comme celui des évêques en union avec Rome, un critère demeure : « l’assentiment exprès ou tacite du pape »5. Le lien avec le centre est le meilleur garant de l'unité comme de l’apostolicité de la foi6. Mais quelle certitude demeurera si l’on renverse la perspective et si c’est le consentement des évêques qui est pris comme critère de l’authenticité d’un enseignement pontifical? 1. Cf. Mgr Gasser, ii juillet, Mansi, LU, 1217 C : « Est arbitrarium si requireretur majoris vel minoris partis episcoporum ^ssensus. Nam quis statuet illorum nume­ rum ? Quis faciet delectum, cum episcopi inter se sub hoc respectu sint omnino pares, et assensus quorumdam assensui et judicio aliorum non possit praejudicare ? Ex arbitrario hoc systemate... quot fluant anxietates, turbae et scandala, historia testis est. » — Cf. d’Avanzo, ib., 765 D-766 A. 2. C’était la position de Maret, ib., 439, qui demandait l’unanimité morale. 3. Cf. Codex Juris canonici, can. 222, 227. 4. Cf. J. Hamer, Le corps épiscopal uni au pape, son autorité dans V Église, d'après les documents du Ier concile du Vatican, dans RSPT XLV, 1961, p. 31 : « Le magistère ΐΐΤιι ordinaire et universel propose la foi avec autorité. Mais, indépendamment d’autres critères, il n’est pas facile de reconnaître avec certitude les points sur lesquels un consensus est obtenu dans une unanimité morale générale avec l’assentiment exprès ou tacite du pape. » 5· Ib, — Voir aussi d’Avanzo, Mansi, LU, 764 B : < [Dans le magistère ordinaire] episcopi per se non sunt infallibiles, sed indigent communione cum papa, a quo confirmentur.» I 6. Const. De Ecclesia Christi, De Ecclesiae institutione et fundamento, Denz., n. 1021 : < ut vero episcopatus ipse unus et indivisus esset, et per cohaerentes sibi invicem sacerdotes credentium multitudo universa in fidei et communionis unitate -^rapporteurs r"'iendr°"t SO“V™‘ ““e raison «te * LE MAGISTÈRE PONTIFICAL ORDINAIRE 387 Aussi bien, un tel renversement ne soulève pas seulement une difficulté de fait, il paraît bien mettre en question le droit divin constitutif de l’Église... C’est à la relation de Pierre à l’Église, nous avons déjà entendu Mgr Gasser nous le rappeler, que le Christ a attaché l'infaillibilité1. Or, il est indubitable que dans cette relation de Pierre à l’Église se trouve incluse une relation spéciale de Pierre aux Apôtres et par suite aux évêques 1 2. Le Christ en effet n’a-t-il pas dit à Pierre : J’ai prié pour toi afin que ta foi ne défaille pas, à ton tour confirme tes frères3. La relation du pape aux évêques est donc celle que contient la promesse du Christ. Mais ce qui ressort de cette promesse, c’est que les évêques, pour être fermes dans la foi4, ont besoin de l’aide et du conseil de Pierre et de ses successeurs, ce n’est pas l'inverse 5. Il s’agit bien, dans ce passage, de la constitution même de l’Église dont les relations internes sont irréversibles et ne sauraient être soumises à la fluctuation, suivant les divers modes d’exercice des pouvoirs hiérarchiques. Ce sont celles qui font porter l’édifice sur son fondement, qui assurent à la foi le principe de son unité. Bien avant qu’il n’ait été question de l’infaillibilité, alors qu’il s’agissait seulement du principe de la primauté, le sens de ces relations avait été reconnu par le vote des Pères et souligné avec force par le rapporteur du préambule de la constitution 6. On peut discuter sur l’étendue des privilèges nécessaires au sou­ verain pontife pour lui permettre d’accomplir convenablement sa mission ; on ne peut leur imposer des conditions qui mettraient en question cette mission elle-même. Faire « résulter » du consentement des évêques l’infaillibilité du pape, qu’il s’agisse du magistère ordinaire (si elle doit s’y réaliser) ou du jugement solennel, c’est Exiger le < consensus » serait renverser la relation de l’Église à son fondement ; j 1. Cf. Mansi, LU, 1214 BC ; supra, p. 362, n. 2. 2. Cf. Mansi, LU, 714 D-715 A : « Cum ergo ecclesia aedificanda sit super petram fundamentalem Petrum, sequitur quod relatio inter Petrum et Apostolos in hoc textu ■ifaï. xvi, 18] sit relatio inter fundamentum et aedificium. Fundamentum sustinet aedificium, non sustinetur, regit et non regitur ; uno verbo a fundamento aedificium absolute pendet, non viceversa. » 3. Luc. xxii, 32. 4. C’est-à-dire fidélité à la foi prêchée par les Apôtres. Tel serait pour saint Thomas, le sens de firmitas fidei. Cf. Y. M.-J. Congar, L'apostolicité de T Église selon saint Thomas d'Aquin, dans RSPT XLIV, i960, pp. 209-224. 5. Cf. Mansi, LU, 1215 BC : « Negari quidem non potest, quod in relatione Petri ad ecclesiam, cui Christus voluit infallibilitatem Petri annexam, contineatur specialis relatio Petri ad apostolos et proinde etiam ad episcopos, cum Christus ad Petrum dixerit: Ego rogavi pro te ut non deficiat fides tua, et tu aliquando conversus con­ firma fratres tuos [Luc. xxii, 32]. Haec est ergo relatio pontificis ad episcopos, quae inest promissioni Christi; ex his vero verbis Christi necessitate cogente, ut mihi videtur, debet concludi quod fratres quidem, id est, episcopi, ut sint firmi in fide, indigeant auxilio et consilio Petri et successorum ejus, non autem viceversa. > 6. Leahy, 13 juin, Mansi, LII, 639 BC : « Principium est quid intrinsecum primatui W-Iesiae ; praesupposita hac constitutione, praesupposi to hoc principio, tunc sequitur tamquam consectarium naturale quod cum hoc principio convenire debeant omnes episcopi, omnes ecclesiae, omnes fideles. » LE MAGISTÈRE PONTIFICAL ORDINAIRE 389 REVUE THOMISTE faire reposer le fondement sur l’édifice qu’il a pour mission de sou­ tenir, c’est substituer un autre principe d’unité et de fermeté à celui qui a été posé par le Fondateur de l’Église. Le lecteur pourra se reporter aux débats que nous n’avons pu que résumer ici. Ce que nous en avons rapporté suffira pour montrer le glissement qu’il faudrait supposer dans la pensée des Pères du Ier concile du Vatican pour leur prêter, à quelques semaines à peine d’intervalle1, des positions aussi différentes que celles qui sont inscrites dans les débats de Pastor aeternus et celles auxquelles ses démarches spéculatives ont conduit M. Caudron. Certes ses recherches ayant été volontairement circonscrites à la seule constitution Dei Filius, il n’était pas obligé de scruter les discours des rapporteurs de la constitution sur l’Église. On peut seulement regretter qu’avant de présenter ses propres conclusions comme expressives de la pensée des Pères, il n'ait pas pris la pré­ caution de nous avertir des difficultés qu’il pourrait y avoir pour les concilier avec les affirmations explicites du texte de Pastor aeternus ou des porte-parole de la Députation. III. - BILAN DES DONNÉES CONCILIAIRES. Jusqu’ici, nous n’avons retenu les données positives fournies par les débats du Vatican I sur le magistère pontifical ordinaire, qu’autant que le demandait l’examen de la thèse présentée à Louvain. Il est temps de reprendre ces données pour elles-mêmes afin d’en établir sommairement le bilan. Toutes sans doute n’ont pas la même importance. Les unes, empruntées au texte même des constitutions, sont normatives pour la foi. Les autres, reflétant seulement la pensée des Pères du concile, nous permettront pourtant de mieux saisir le sens des textes qu’ils ont votés et donneront, si on veut, un état de l’enseignement ordinaire du corps des évêques, en 1870. Le terme de magistère ordinaire se lit dans la seule constitution Dei Filius. Celle-ci a été d’ailleurs la première soumise à l’examen et au vote des Pères : c’est d’elle qu’il faut partir. Elle a défini que s’imposent également à la foi les vérités révélées, présentées comme telles par l’Église : que ce soit par un jugement solennel, que ce soit seulement par un enseignement ordinaire et universel12. Ces termes désignent directement les deux modes de présentation de l’objet de la foi ; non pas les sujets qui les utilisent. Pourtant, quand, au cours des débats, il s’est avéré nécessaire d’expliquer le terme de « magistère ordinaire », terme au sujet duquel régnaient Le charisme de vérité 1. La constitution Dei Filius fut votée le 24 avril. Dès le 13 mai, Mgr Pie présentait aux Pères 1 ensemble du projet de constitution sur l’Église. * il™ 2. Cf. Denz., n. 1792 ; tiipra, p. 344, n. 7. les plus étranges confusions, on l'a fait généralement en le présentant comme celui qui s’exerçait universellement dans l’Église par le corps des évêques dispersés...1. Cette présentation était en effet la plus propre et pratiquement la seule capable d'écarter l’interprétation qui entendait le terme « magistère ordinaire » des définitions pronon­ cées ex cathedra par le seul souverain pontife. Ces explications ne permettent pas de solliciter les termes de la définition en faveur de l’enseignement ordinaire du pape, considéré à part. Mais, nulle­ ment restrictives, elles laissent la question ouverte et n’interdiraient pas, sur le vu d’autres données positives, de reconnaître le bien fondé d'une telle extension2. Une doctrine présentée comme normative pour la foi ne peut sans doute être sujette à l’erreur. Il est à remarquer pourtant que, dans la péricope de Dei Filius qui affirme les conditions requises pour que ce caractère se rencontre, le tenue d’infaillibilité n'est pas prononcé. Les remarques pertinentes d’un rapporteur de la constitution Vaster aeternus nous apprendront même qu’il n’aurait pu l’être. A parler correctement, ce terme ne pouvait être utilisé pour qualifier une doctrine, mais bien l'acte qui la présente ou la personne qui la transmet3. La vérité révélée peut faire l’objet d’un jugement qui affirme, dans une sentence d’autorité souveraine, son appartenance au dépôt révélé. Elle peut être seulement présentée comme telle, dans un simple exposé qui la propose comme révélée sans affirmer formelle­ ment qu’elle est telle. L’affirmation peut être vraie ou fausse4. Elle est irréformable si elle est prononcée en dernier ressort et si sa vérité est garantie par l’infaillibilité de celui qui la prononce 5. Le simple enseignement ou exposé de la vérité révélée, s’il rapporte avec exactitude la vérité confiée aux Apôtres, sera déclaré « fidèle ». Telle est la terminologie employée par les Pères du Ier Vatican6. Pour désigner le privilège qui garantit, grâce à l’assistance divine, l’infaillibilité du jugement, la fidélité de l’exposé, ils ont également canonisé un terme, celui de « charisme de vérité et de foi jamais en défaut », veritatis et fidei nunquam deficientis charisma7. Cette assurance de vérité est bien en effet le fruit d’un charisme, privilège positif, dont les limites et les conditions doivent être demandées aux promesses du Christ et à l’expression formelle de sa Les bénéficiaires du charisme 1. Cf. supra, pp. 347 ss. 2. Cf. supra, pp. 348-349· , . 3. Cf. d’Avanzo, 20 juin, Mansi, LU, 762 A-C ; supra, p. 309, n. 1. 4. Cf. supra, ibid. 5. Cf. Denz., n. 1839. 6. Cf. Denz., n. 1836. 7. Denz., n. 1837. 39° REVUE THOMISTE volonté1. Les textes scripturaires qui nous témoignent de cette dernière, nous montrent ce privilège, non pas attaché à l’autorité suprême comme telle, mais à la relation de cette dernière à l’Église universelle12, dont il a pour but de conserver la foi dans son unité et son intégrité 3. Dans le prononcé du jugement solennel, le charisme est également assuré au pape comme au concile. Ce jugement, statuant sur le contenu du dépôt révélé, imposant à tous les fidèles l’obligation de croire, devient la norme de foi pour l’Église entière. Il est réservé par suite à l’autorité suprême45 . La célèbre définition qui termine la constitution Pastor aeternus a eu justement pour but d’affirmer que ce charisme est assuré au pape, lorsqu’il prononce ex cathedra6. Elle n’a pas directement défini que le concile en est, lui aussi, bénéficiaire. Elle l’a cependant déclaré indirectement, en définissant que l’infaillibilité du pape est celle-là même de l’Église dans ses définitions solennelles e. Le magistère ordinaire des évêques unis au pape Par contre, aucune définition conciliaire ne nous a précisé quels étaient les sujets dont l’enseignement ordinaire était, par le charisme de l’assistance divine, assuré d’être fidèle. Les indications indirectes ne manquent heureusement pas. Dans la constitution Dei Filius, tout d’abord, l’affirmation qu’« il faut croire les vérités présentées comme révélées par le magistère ordinaire et universel »7, nous est garante que cette fidélité ne peut faire défaut, tout au moins à l’enseignement unanime de la hiérarchie. Si la constitution Pastor aeternus est moins explicite, nous avons les affirmations les plus expresses de ses rapporteurs : « les évêques, en ce magistère ordinaire, sont infaillibles de l’infaillibilité même de l’Église » 8 ; « l’accord de la prédication unanime de tout le magistère de l’Église unie à son chef est une règle de foi » 9. En ces affirmations, ils ne faisaient que reprendre une règle bien connue, le quod ubique de saint Vincent de Lérins10. 1. Cf. Mansi, LU, 1214 B. 2. Cf. ibidem. 3. Cf. Denz., n. 1837 : «... ut universus Christi grex per eos ab erroris venenosa esca aversus, coelestis doctrinae pabulo nutriretur, ut, sublata schismatis occasione, Ecclesia tota una conservaretur, atque suo fundamento innixa, firma adversus inferi portas consisteret. » — Gassf.r, ii juillet, Mansi, LII, 1225 D : « Infallibilitas promissa est ad custodiendum et evolvendum integrum depositum fidei * : cf. 1213 C, etc. ; supra, p. 362, n. 5. 4. Cf. S. Thomas, q. i, a. io ; supra, p. 359, n. 2. 5. Cf. Denz., n. 1819. 6. Cf. ibidem. 7. Denz., n. 1792. 8. Mansi, LII, 764 A ; supra, p. 355, n. 2. 9· D ■ suAra. P· 352, n. i. 10. Cf. sb., 1217 A, 1318 D ; supra, p. 352, n. 6. LE MAGISTÈRE PONTIFICAL ORDINAIRE 39T Sur ce point d’ailleurs il n’y a trace d’aucune controverse. Là où la difficulté commence, et précisément celle sur laquelle nous avons cherché ici quelque lumière, c’est quand il s’agit de savoir si le charisme accordé à l’enseignement concordant du corps épiscopal uni à sa tête, est assuré également à l’enseignement de la tête prise apart. Il est impossible pour l’affirmer de s'appuyer sur la définition qui termine Pastor aeternus, et qui présente l’infaillibilité du pape comme équivalente à celle de l’Église. Les termes in definienda, par deux fois répétés, interdisent d’en étendre l’application au magistère ordinaire1. Mais ce qui ne peut être conclu de la définition semble bien demandé par l’analogie de la foi, et peut être recueilli en d’autres sources. Les discussions qui ont précédé le vote de la constitution sur l’Église nous fournissent justement à ce sujet de précieuses indications. De ce qui a été défini ou remarqué relativement à l’institution de la primauté, ressort tout d’abord la relation unique de Pierre et de ses successeurs à l’Église. C’est celle du fondement de sa stabilité, du principe de son unité et indéfectibilité dans la foi12. Cette relation, qui tire son origine, non d’une délégation de l’Église, mais d’une institution positive et immédiate du Christ3, est irréversible4. Elle exclut tout ce qui impliquerait dépendance du souverain pontife par rapport aux autres évêques, soit pour l’origine de son autorité, soit pour l’exercice de ses pouvoirs 56. De ces pouvoirs, le texte du chapitre m (de vi et ratione -prima­ tus) e, et les commentaires qui en furent donnés pour le présenter au vote, précisent la nature et l’étendue. La primauté en inclut deux : le magistère et le gouvernement suprêmes7. Tout ce que peut chaque évêque dans son propre diocèse, le pape le peut dans l’universalité del’Église8 ; tout ce que peut l’ensemble des évêques unis au succes­ seur de Pierre, le successeur de Pierre le peut à lui seul9. C’est qu’en effet les pouvoirs qu’ont reçus les Apôtres, ils ne les ont reçus qu’avec Pierre parmi eux. Pierre par contre les avait tous reçus à lui seul, antérieurement et indépendamment de ses frères dans l’apostolat10. La primauté pontificale 1. Cf. Denz., n. 1839. 2. Cf. Denz., n. 1821 ; Mansi, LU, 639, supra, p. 374, n. 2 et 3. 3. Cf. Denz., n. 1822 ; supra, p. 362, n. 1. 4. Cf. Mansi, LU, 714-715 ; 1215 BC ; supra, p. 387, n. 2 et 5. 5. Cf. ib., 1109-1110 ; supra, p. 378, n. 6 ; p. 380, n. 1 ; p. 381, n. 5. 6. Denz., nn. 1826-1831. 7. Cf. Denz., n. 1822 ; supra, p. 375, n. 1 ; p. 379. n· 5· 8. Cf. ZiNELLi, 5 juillet, Mansi, LU, 1104 C : « Eadem igitur quoad speciem est episcopalis potestas episcoporum in singulis suis dioecesibus, et in pontifice summo quoad omnes dioeceses, cum hoc discrimine quod in pontifice summo est in sua pleni­ tudine, in aliis restricta ; in summo pontifice independens, in episcopis dependens ; in episcopis coarctata ad suas dioeceses, in pontifice summo sine ulla limitatione loci, sed ad terminos terrae. » k , L 9. Cf. ib., mo B : «Summus pontifex, ut caput, etiam independenter a concursu episcoporum supremam suam auctoritatem exercere potest. * 10. Cf. ib., 1109 CD ; pour le magistère : 714. 764 ; supra, p. 378, η. 6. REVUE THOMISTE 392 S’il est donc vrai de ne reconnaître de pouvoirs aux évêques que dans l’union et la subordination au successeur de Pierre, il serait faux d'affirmer que le pape ne peut user de ses prérogatives que dans une communauté d’action avec les autres évêques La netteté de cette doctrine a encore été soulignée par un canon anathématisant quiconque ne reconnaîtrait au souverain pontife qu'une part de choix dans les pouvoirs de l’Église et non leur totale plénitude *. La portée de ce canon ne peut être restreinte au seul magistère solennel. Les principes qui sont affirmés dans le chapitre qu’il résume, le sont dans toute leur portée générique et doivent, par suite, s’appliquer à tout exercice du gouvernement ou du magistère, relevant du chef suprême de l’Église* 23. Cette doctrine générale nous permettrait déjà de conclure à un enseignement ordinaire du souverain pontife exercé indépendamment des évêques. Mais nous avons des indications plus précises. Elles ont été rendues nécessaires par les adversaires mêmes de l’infaillibilité pontificale. Plusieurs d’entre eux entendaient poser comme condition de cette infaillibilité une consultation préalable de l’épiscopat. C’est pour réfuter cette position que les rapporteurs du chapitre iv ont eu à parler du magistère ordinaire pontifical. Ils l’ont fait avec toute la clarté désirable. Pour situer sa réponse aux orateurs de l’opposition, Mgr d’Avanzo a eu l’heureuse pensée de la replacer dans le contexte général des modes d’exercice du magistère infaillible de l’Église : magistère ordinaire et magistère solennel. C’est le premier qui nous intéresse ici. Le rapporteur le décrit comme celui qui s’exerce quotidienne­ ment dans l’Église, avec l’assistance du Saint-Esprit. Il en précise l’objet : vérités déjà définies, vérités non encore définies mais expli­ citement contenues dans le dépôt de la révélation, vérités faisant seulement l’objet d’une foi implicite 4. Puis il en vient à rappeler quels sont ceux par qui s’exerce ce magistère : c’est le pape, principalement ; ce sont aussi les évêques en communion avec le pape. Tous, et le pape et les évêques, sont, dans cet enseignement, infaillibles de l’infaillibilité même de l’Église5. Cet « état de la question » est doublement instructif. Et par ce qu’il nous affirme : double sujet du magistère ordinaire, infaillibilité de ce magistère ; plus encore par la manière dont il l’affirme. Il ne s’agit pas d’un enseignement dispensé en commun par le pape et les évêques. Le pape, les évêques adhérant au pape sont considérés Le magistère ordinaire du souverain pontife T. Cf. tf>., tiog D-iiio B. 2. Cf. Denz., n. 1831. 3· Cf. supra, p. 379, n. 6 et 7. 4. Cf Mansi, III, 764 A ; supra, p. 355, n. 2. 5. Cî. 10., 704 AB. LE MAGISTÈRE PONTIFICAL ORDINAIRE 393 à part. La répétition des particules « tum per papam... tum per singulos episcopos... et papa et episcopi », oblige déjà à cette inter­ prétation. De plus, dans l’opposition instituée ainsi entre le pape et les évêques, le second membre ne comprend pas les seuls évêques, mais « les évêques unis au pape » ; le premier membre ne peut donc comprendre que le pape seul. Il lui donne d’ailleurs une place à part (principaliter) 1. Enfin, tandis que les évêques ne sont infaillibles que moyennant leur union au pape, aucune condition n’est posée à l’infaillibilité du magistère ordinaire du souverain pontife, sinon la seule assistance de l’Esprit-Saint. Dans cet exposé si complet, les fidèles mêmes ne sont pas oubliés. Le Saint-Esprit aussi les assiste, mais c’est pour qu’ils adhèrent par leur foi à l'enseignement de leurs pasteurs 1 2. On ne pouvait souhaiter de déclaration plus précise sur le magistère ordinaire du souverain pontife et sur son infaillibilité. On pourrait objecter que cette vue d’ensemble sur le magistère ordinaire n’a été présentée ici que pour mémoire3 et pour rendre plus claire la suite de l’exposé. Mais elle est fondée explicitement sur les textes scripturaires4, et ne fait qu’appliquer au magistère ordinaire les principes généraux qui en ont déjà été déduits. Elle est surtout le point de départ de l’argumen­ tation qui va suivre et qui, sans ce supposé, serait inintelligible. Or cette argumentation n’est pas celle du seul Mgr d’Avanzo. Reprise à près d’un mois de distance, et presque dans les mêmes termes, par un autre rapporteur 5, elle exprime sûrement la pensée de la Députation. Elle reflète aussi sans aucun doute la manière de voir de l'ensemble du concile, puisque le vote de l’Assemblée fut emporté par ces discours. C’est pour débouter ceux des opposants qui prétendaient imposer le concours des évêques comme condition de l'infaillibilité pontificale que l’argument fut utilisé 6. L’exigence d’un consentement concomi­ tant ou subséquent des évêques était trop manifestement contraire à la doctrine de la primauté pour exiger une longue discussion. Celle d’une consultation antérieure de l’épiscopat était autrement captieuse. On laissait au souverain pontife le pouvoir de prononcer seul la sentence. On imposait des conditions à son information. La tradition deVÉglise de Rome 1. C’est aussi le mot employé par saint Thomas, ΙΙΛ-ΙΙΛ0, q. 1, a. 10. 2. Cf. ib., 764 B. . . . . 3. Cf. ib., 763 D : « Et ut aliquid de ipso statu quaestionis declaretur magis magisque, sinite EE ac RRmi Patres, ut ego... mihimetipsi recorder quo pacto in ecclesia infallibilitas exerceatur. » 4. Cf. ib., 714, 764 A. 5. Mgr Gasser, le ii juillet ; Mgr d’Avanzo avait parlé le 20 juin. 6. Cf Maret, Mansî, LU, 433: «concours antécédent, concomitant ou subsé­ quent » ; cf. Freppel, ib., 1262 B ; voir supra, p. 384, n. 0. 394 REVUE THOMISTE Le pape, disait-on, et avec raison, ne peut définir que ce qui est contenu dans le dépôt de la révélation, ce qui appartient déjà à la foi de l’Église. Il lui faut recourir au critère qui lui permettra de s’en assurer, la consultation des évêques qui lui apportera le témoignage de la prédication universelle x. Les rapporteurs concèdent le principe invoqué : l’assistance divine n’étant pas accordée pour une révélation nouvelle, mais pour la manifestation du dépôt confié aux Apôtres1 2, le pape ne peut définir que ce qui s’y trouve déjà contenu et doit s'informer3. Mais ils rejettent la conclusion : pour connaître ce contenu, le pape n’est nullement obligé de recourir à une consultation préalable de l’épiscopat4. Pour que cette obligation s’imposâ+, il faudrait que l’enseignement unanime des évêques fût le seul critère de révélation apportant une complète certitude. On objectait le quod ubique de saint Vincent de Lérins. Mais, répond Mgr Gasser, formulée en termes positifs, cette règle n’est nullement exclusive 5. Elle peut être vraie et elle l’est, sans pour cela infirmer ni exclure les autres. Les représentants de la Députation rappellent que d’autres critères ne manquent pas. Ils insistent surtout sur l’un d’eux, toujours à la disposition du souverain pontife6 et auquel celui-ci doit en premier lieu recourir7. Ce critère privilégié et sur lequel ils reviennent à trois fois, c’est « la tradition de l’Église romaine qui a gardé avec une inviolable fidélité le dépôt que Pierre lui a confié »8. La tradition de l’Église de Rome, c’est la doctrine reçue et pro­ fessée à Rome, tradition passive, mais c’est aussi la démarche par laquelle s’opère la transmission, tradition active. La première n’est assurée de fidélité absolue au dépôt révélé que par l’assistance du Saint-Esprit accordée à sa transmission elle-même. Dès lors, en matière non encore définie, présenter comme critère certain de révé­ lation la seule tradition de l’Église de Rome, c’est affirmer équi1. Cf. Mansi, LIT, 987 ; cf. 763 A, 1215 C. 2. D’Avanzo, ib., 764 C : « quoniam assistentia non est nova revelatio, sed mani­ festatio veritatis quae in deposito revelationis jam continetur » ; Gasser, ib., 1213 D : « infallibilitas pontificis romani, non per modum inspirationis vel revelationis, sed per modum divinae assistentiae ipsi obvenit » ; Const. Pastor aeternus, Denz., n. 1836 : « Neque enim Petri successoribus Spiritus sanctus promissus est, ut eo revelante novam doctrinam patefacerent, sed ut, eo assistente, traditam per Apostolos revela­ tionem seu fidei depositum sancte custodirent et fideliter exponerent. » 3. D’Avanzo, Mansi, LII, 764 D : < Quare neque diligentiam neque curas potest omittere, quae necessario ad cognoscendam veritatem praerequiruntur » ; Gasser, ib., 1213 D : « Papa pro officio suo et rei gravitate tenetur media apta adhibere ad veritatem rite indagandam et apte enuntiandam. » 4. Cf. Gasser, ib., 1216 D, 1217 A ·, cf. suf>ra, pp. 352, n. 3 et 6. 5. Gasser, 16 juillet, ib., 1315 D : « ... regulam Vincentii Lirinensis, de qua regula jam nuper dixi [1217 A], et multoties jam dictum est, illam regulam veram esse in sensu affirmativo, sed falsam in sensu negativo. » 6. Gasser, ib., 1217 A : « Demum nunquam praetermittendum est, quod papae praesto sit illa traditio ecclesiae romanae... » 7. D Avanzo. ib., 764 D: «Idcirco papa inquisitionem instituit... ut inquirat quid... teneat ecclesia romana... » ; subra. n isi n 1 8. Mansi, LII, 1217 B. H LE MAGISTÈRE PONTIFICAL ORDINAIRE 395 valemment que l’assistance divine assure renseignement qui la transmet de la même fidélité qu'elle garantit à la prédication uni­ verselle de tout le magistère. Nous retrouvons sous d’autres termes la même doctrine qu’avait rappelée Mgr d’Avanzo, dans son exposé d’ensemble de l'infaillibilité de l’Église. Les membres du concile ne se contentèrent pas d’applaudir aux paroles de l’évêque de Brixen. Ils lui donnèrent une plus significative approbation. Ce critère tiré du seul enseignement du Saint-Siège, de la seule tradition de l’Église de Rome, dont on venait de rappeler l’autorité décisive, ils l’utilisèrent eux-mêmes pour fonder leur définition. Au début de ce même chapitre iv qui venait de faire l’objet des débats, avant d’affirmer l’inclusion dans la primauté du suprême pouvoir de magistère, ils indiquent leurs sources. Elles se réduisent à trois : l'usage perpétuel de l’Église, les déclarations des conciles, mais aussi, et c'est celle qu’ils placent en premier lieu, la position tenue par le Siège de Rome : Haec Sancta Sedes semper tenuit, perpetuus Ecclesiae usus comprobat, ipsaque œcumenica concilia, ea imprimis in quibus Oriens cum Occidente in fidei caritatisque unionem conveniebant, declaraverunt L Invoquer à la fois ces divers témoins, n’était-ce pas affirmer équivalemment qu’on attendait d’eux tous une même certitude ? renseignement du Saint-Siège, critère utilisé par le concile On pourrait être tenté, il est vrai, d’opposer à cette conclusion une affirmation, plusieurs fois répétée, du même rapporteur : « Le pape n’est infaillible que dans l’acte de la définition 12. » N’est-ce pas exclure Acte unique ou « ensemble » 1. Denz., n. 1832. — La Bulle Ineffabilis, dans Pie IX, Acta, I, p. 599, définissant l’Immaculée-Conception, avait pris un semblable appui sur la tradition de l’Église romaine : « Quamvis autem haec omnia [les témoignages liturgiques que la consti­ tution vient de rappeler] penes fideles ubique prope recepta ostendant, quo studio ejusmodi de immaculata Virginis Conceptione doctrinam ipsa quoque romana Ecclesia, omnium ecclesiarum mater et magistra, fuerit prosecuta, tamen illustria hujus Ecclesiae facta digna plane sunt, quae nominatim recenseantur, cum tanta sit ejusdem Ecclesiae dignitas atque auctoritas, quanta illi omnino debetur, quae est catholicae veritatis et unitatis centrum, in qua solum inviolabiliter fuit custodita religio, et ex qua traducem fidei reliquae omnes ecclesiae mutuentur oportet. > Cf. Ia constitution Munificentissimus, dans AAS XLII, 1950, pp. 759-7^0, définissant i’Assomption : même appui sur la tradition romaine. 2. C’est ce qu’a encore fait remarquer récemment U. Betti, La Costituzione dommaliai « Pastor aeternus* del concilio Vaticano I, Rome, 1961, pp. 645-647, que nous n’avions pu consulter avant la mise en pages du présent article. L’A. souligne les trois conditions posées à l’acte infaillible, et qu’on a lues plus haut, p. 358, n. 1-4. (p. 647). Et il croit pouvoir aussitôt conclure : « Al precedente insegnamento che prevedeva due espressioni dei magistero ecclesiastico inr llibile, quello solenne e qurilo ordinario e universale, la definizione dell’infallibilità pontificia ha portato soltanto questo complemento e precisazione : il magistero solenne o straordmano, oltre che collegialmente da tutta la Chiesa docente, è esercitato anche personalmente 39θ revue thomiste du coup le magistère ordinaire du bénéfice du « charisme de vérité et de foi, jamais en défaut »? Raisonner ainsi serait pécher par une confusion des genres. Le jugement solennel, certes, est le seul acte isolé dans le prononcé duquel le juge suprême de la foi est nécessairement infaillible : il n’est pas le seul mode de présentation doctrinale où le souverain pontife soit assuré de l’assistance divine pour nous apporter la règle de foi. L’infaillibilité, Mgr Gasser l’a clairement rappelé, a été et n’a été promise à l’autorité enseignante que dans sa relation à l’Église. C’est au bénéfice de cette Eglise que l’assistance divine est accordée à la hiérarchie. Une présentation de la doctrine révélée sera donc assurée du charisme, et ne le sera, que dans la mesure et de la manière où elle est susceptible d’entraîner la foi de l’Église. Dans le prononcé du jugement solennel, le juge suprême affirme par sa sentence qu’une doctrine appartient ou n’appartient pas au dépôt révélé. Cette sentence s’impose à l’Église entière. Sous peine d’égarer la foi de celle-ci, elle ne saurait être sujette à l’erreur. Elle doit être garantie par l’assistance divine : en vertu de cette assistance, l’affirmation qui la constitue sera nécessairement vraie. Dans l’enseignement et la prédication, qui spécifient au contraire le magistère ordinaire, le docteur de la foi ne prononce pas sur l’appartenance de la doctrine au dépôt. Son rôle est de l’enseigner, de la faire connaître. Il ne saurait y réussir par un seul acte isolé. Seul un ensemble d’actes sera capable d’atteindre l’ensemble des fidèles, de leur faire saisir le sens de la doctrine. Non pas un seul mandement épiscopal, mais l’enseignement concordant de l'ensemble des évêques catholiques ; non pas un seul discours pontifical, mais l’enseignement constant du successeur de Pierre. Aucun mandement épiscopal n’est assuré de l’infaillibilité, aucun discours pontifical, pris à part, à moins qu’il ne proclame une définition ex cathedra, ne bénéficie de ce privilège : c’est tout ce qu’exprime la restriction de Mgr Gasser. Une telle restriction ne s’oppose nullement à ce que la même garantie de vérité soit assurée à l’enseignement continu de l’Église de Rome comme à la prédication de toutes les Églises. Infaillibilité du magistère ordinaire? Poser en ces termes la question, c’est donc introduire une problématique étrangère au Ier Vatican, et que les Pères ont réservée au jugement solennel; c’est attribuer à un ensemble, au « processus » complexe qui constitue dâl Papa da solo » (p. 647). La constitution Pastor aeternus n’a apporté qu’une seule precision complementaire : le magistère solennel infaillible peut être exercé par le pape, seul. Cette précision interdit sans doute d’invoquer la constitution en faveur „ η 1<ί · u ordinaire ; mais, uniquement affirmative et nullement restrictive elle laisse la question ouverte et n’enlève en rien leur valeur aux arguments £ diS?<£ Si ordinairc· 1“ "*>“ ^'ons -eeuX SS jcb discours ues membres de la Députation. LE MAGISTÈRE PONTIFICAL ORDINAIRE 397 un enseignement, un terme qui ne qualifie proprement qu’une affirmation vraie ou fausse. Pour parler formellement ce n’est pas infaillibilité, mais fidélité qu’il faudrait dire. Fidélité d’un enseignement à la révélation qu’il a la mission de faire connaître, fidélité d’une transmission au dépôt reçu et qu'elle a la charge de communiquer : ut fideliter exponerent. Mais fidélité garantie par le charisme, tout comme l’infaillibilité du jugement solennel. Une doctrine universellement enseignée comme révélée, alors même que n’est intervenue aucune définition, exprime nécessaire­ ment, grâce au bénéfice de cette assistance, la révélation confiée par le Christ aux Apôtres, elle est assurée de lui être fidèle ; elle est par suite la règle qui s’impose à la foi. C’est ce qu’a défini la constitution Dei Filius. Une doctrine est également assurée de la même fidélité, elle s’impose de même à la foi, du seul fait qu'elle est fermement tenue pour révélée par la tradition de l’Église de Rome, qu’elle est con­ stamment enseignée par le successeur de Pierre. Si les Pères du Vatican I n’ont pas jugé opportun d’étendre jusque-là la portée de leur définition, telle était bien pourtant - nous croyons du moins l’avoir montré - la pensée certaine de la Députation de la foi et de ses représentants, souvent implicitement approuvée par les votes mêmes de l’assemblée conciliaire. fr. Paul Nau moine de Solesmes.