- P. Edouard HUGON, 0. P * TBÉOÎ-OGIK, PROFteeUJB Dr. DOGME AUX FACULTÉS DE « ÙWUIGO » DE ROME MUTRE g. MEMBHK DE I-ACADÉM1E KQMAINK DE SAINT THOMAS DAQUlN 11 Hors de l’Eglise point de salut Tenele omnes unanimiter Dewn Patrem et Matrem Ecclesiam. (S. Augustin. Enarrat, in Ps. 88, ' serra, n, n. 14.) è < QUATRIÈME ÉDITION REVUE ET AUGMENTÉE f d PARIS VIe PIERRE TEQUI, LIBRAIRE-EDITEUR RUE BONAPARTE, 1927 À. * *· 4k >· · ■ ►* i · * ■ • .*· . ■ . * .APPROBATIONES Opus theologicum ah Adm. R. Paire Fr. Eduardo Hugox, 0. P., concinnatum, cui titulus est : Hors 'de VEglise point de salut, de superiorum mandato examinavimus, neenon ulpote sana elegantiqu.e doc­ trina refertum judicavimus typothetarum curae committi posse, ut, servatis de jure servandis, in communem utilitatem edatur. Datum Ryckliolti, ad Mosae-Trajectum, in Bata­ via, die 17» Martii, anno Domini 1927, in festo SS- Nominis Jesu. Fr. Maria-Joseph Belon, Ο. P S. Theol. Magister. Fr. Barnabas Aügier, Ο. P S. Theol. Magister. IMPRIMATUR Parisiis, die i5a marlii 1907. H. Odelin, Vicaire général. Novam, editionem approbamus : Romae, e Collegio Angelico, die 7a januarii 1926. Fr. Leonardus Lehu, Ο. P., S. Theol. Magister. Fr. Geslaus, Paban-Segond, 0. P., S. Theol. Magister. Fr B0''aventura Garcia de Paredes. 0 P Mag. Gen. Ord. Praed. Imprimatur : Serapios Tamayo 0. P_, Vic Gén Ord. Praed. ÿhM 'W, ' UBRARV . ··.·· • M if. Imprimatur : Parisiis, die & junii 1914. H. Odelin, v> g. 960.? APR 12 i ; AVANT-PROPOS « • ; * 4· Tonte la doctrine de Jésus-Christ aboutil à cette conclusion : Travaillez à votre salut, pensez à votre éternité;.que sert à l’homme de gagner tout l’univers s’il vient àperdre son âme? L’Incarnation n’a point de sens en dehors de cet enseignement. Pourquoi donc ces anéantissements du Verbe, si le salut n’est pas l’affaire capi­ tale de l’humanité? Afin de nous en mon«w trer l’importance, le Fils de Dieu a voulu sortir de son éternité, faire un grand voyage, marcher longtemps, et il s’est, en quelque sorte, fatigué dans cette course: quœrens me sedisti lassus. Nous avons les sueurs d’un Dieu. Les hommes ne com- ÔT Hz prennent point encore la valeur du salut Il nous donnera ses larmes, cum lacrymis offerens(1). Ce n’est point assez : les hommes ne voient point encore la nécessite du salut 11 va verser tout son sang, goutte à goutte, dans l’agonie, par torrents, dans la flagellation et sur 1 arbre de la croix. Sueurs d un Dieu, larmes d’un Dieu, sang d’un Dieu, est-ce assez? Faut-il autre chose, pour convaincre les volages mortels, que ces deux éloquences irrésistibles, du sang et de 1 amour? Le Christ laissera après lui une Eglise sur­ naturelle, dont toute la mission sera de répéter jusqu’à la fin des siècles la même parole: Hommes, travaillez à votre salut! L Eglise, en effet, avec son dogme, son culte, sa morale, son ascétisme, qu’est­ elle autre chose, sinon une prédication incessante de la vie future? Pourquoi le ministère de ses prêtres, les travaux et les courses de ses missionnaires, la pureté de ses vierges, la perfection de ses religieux, les souffrances de ses martyrs, s’il n’y a point d’éternité?...Nos chaires chrétiennes Vi) Heb.t v, 7. | | I I ·· · ' — VII ont toujours retenti du lugubre refrain : Que sert à l’homme de gagner tout l’uni­ vers, s’il vient à perdre son âme? Et cependant cette vérité ne sera jamais banale et la répétition n’en sera jamais su­ perflue, parce que les imprévoyants hu­ mains ne consentent pas à se mettre en face de la réalité. On voit des hommes * de politique qui ne s’accordent point un ins­ tant de repos, dans leur âpre poursuite du pouvoir; des hommes d’Etat qui veil­ lent bien tard, la nuit, pour inventer une combinaison ou déjouer un complot; des hommes de lettres qui se consument dans les veilles; des hommes de guerre qui se donnent à peine le temps «de boire entre deux batailles un verre d’eau tout san­ glant ». Tous ceux-là se sont lassés dans le che­ min de la vie, et ils ont oublié peut-être de se réserver un quart d’heure pour l’af­ faire de leur âme !... Est-ce là une existence inutile? Je ne le prétends pas, mais que v.àut-elle vraiment, si elle ne compte pas pour l’éternité? — Serai-je sauvé? serai-je damné? voilà l’eflrayante question qui doit être résolue ? . "J i t r- · / ι/«" -λ·22μ — Tin — en premier lieu. Il y a sans doute d’autres problèmes qui peuvent nous intéresser et même nous passionner : questions poli­ II tiques, sociales, militaires. Mais elles sont du temps, et le temps leur apportera une réponse : celle qui les domine toutes, qui a fait trembler les saints, c’est la question de l’éternité : serai-je sauvé? serai-je damné? Négliger cette affaire, .c’est s’exposer au sort de ces infortunés dont l’Ecriture nous dit qu’ils meurent sans avoir vécu. Ils ont bien reçu Λ 7 la naissance, mais leur ame ne s’est point épanouie au soleil de Dieu ; et, parce qu’ils ont ignoré la vraie sagesse, ils n’ont point connu la lumière: leur existence, placée comme entre deux tombeaux, n’a été qu’un sommeil, et l’on peut affirmer qu’ils n’ont point vécu, qu’ils sont nés comme s’ils n’étaient pas nés : Perierunt quasi qui non fuerint, et nati sunt quasi non nati(l). Ces hommes seraient-ils le rebut du genre humain? Hélas! il en est qui furent les grands d’ici-bas, principes gentium; (i) Eccli.,, XLiv 9. T les habiles, qui avaient i féniedes affaires, les jouisseurs, qui s’amusaient ou amuI saien Lia foule, negotiatores et fabulatores; les intellectuels, les savants, les philo­ sophes, ceux qui vendaient la sagesse de I ce siècle, exquisitores prudentiœ et intelligentiœ; les géants de l’humanité, gi­ santes nominati. Ceux-là, dit le prophète, ont péri comme des insensés, ils ont été exterminés, et ils sont descendus aux enfers: Exterminati sunt et ad inferos descenderunt (1). Ce que le monde appelle les affaires, les entreprises, dont l’argent est le prini cipe et le mobile, ne dépendent point de I nous, et plus d’une fois de loyaux efforts aboutissent à une de ces catastrophes où ; sombrent les fortunes, sinon l’honneur. Le dix-neuvième siècle fut un peu le siècle des banqueroutes : banqueroutes finan­ cières, politiques, sociales; 011 a même proclamé la banqueroute de la science! Quand il s’agit de l’éternité, le succès nous est toujours possible avec la grâce divine, et pour notre âme il n’y aura (1) Baruch, hi. 1 l.rt? * I f I I I 1« « I *I 4 V .Ci?? point delà catastrophe finale, la banqilèjamais de banqueroiite malgré notre vo­ route est éternelle : parce que nous n’avons lonté. C’est donc bien notre affaire! qu’une âme..., parce que nous ne mou­ De tout le reste nous disons : Je laisse! Y a-t-il * un témoignage plus éloquent et | rons qu’une fois..., parce qu’une sentence irrévocable suit la mort... Il est donc plus tragique de la vanité humaine qu’un testament? Etre obligé, après une vie J absolument inconcevable que des hommes passionnée, tourmentée, de dire à son litj puissent vivre ou reposer tranquilles tant de mort : Je laisse ! — Je laisse ma fortune, | que cette question n’est pas réglée. Si l’éternité est notre unique destinée, je laisse ma demeure, je laisse mes amis, | je laisse mes enfants, je laisse mon corps!, si la préparation de l’éternité est notre laisse! Je laisse! — Et qu’emporlez-j unique affaire, notre première étude doit vous donc, malheureux? C’était bien laj être d’acquérir la science du salut, notre peine de vous fatiguer, de vous épuiser, j premier devoir est de sortir de l’indiffé­ rence religieuse (1), de chercher où se pour arriver à cette cruelle conclusion trouve le salut, et quels sont les moyens Je laisse! Vous avez fait l’affaire de du salut. autres, vous n’avez pas fait votre affaire... On est revenu tant de fois sur les pro­ Mais votre arne, vous ne la laisserez pas; blèmes de la démonstration évangélique vos mérites ou vos fautes vous accompa­ gneront, vous les emporterez ! Le salut de et de la démonstration catholique qu’il votre âme, voilà donc bien votre unique, est superflu de les reprendre. Mais il est affaire! une vérité capitale dont l’ignorance com­ Les autres ne sont point désespérées.. promet le salut des âmes et qui est cepen­ Après une banqueroute on peut de nou­ dant méconnue volontairement ou niée veau tenter le jeu de la fortune, et le ca­ avec opiniâtreté : Ecetra Ecclesiam nulla price du sort peut nous rendre en un salus. L’incrédulité et le faux libéralisme jour la richesse et la grandeur évanouies.. (i) Cf. L'Indiflérence religieuse, par l'abbé H. Hu­ Dans l’affaire du salut, on ne se relève gos, Paris, Maison de la Bonne Presse. ; Li J . — xn — XIII — Γ nous reprochent cet axiome comme une cruauté; certains catholiques trouvent, la formule inopportune et nous demandent de ne plus rappeler aux consciences mo­ dernes ce dogme intransigeant, ou, du moins, d’en atténuer la portée. L’Eglise ne se laisse pas émouvoir par ces vains attendrissements, elle répète avec douceur et fermeté le principe immuable : Il n’y a de salut que dans le Christ, le ; Christ ne se trouve que dans l’Ëglise : hors de l’Ëglise point de salut. Elle disait dès les premiers siècles, par la bouche de ses martyrs : « Hors de l’arche,7 le déluge i V O et la mort; hors de l’Ëglise, la damna­ tion (1) ; » elle écrivait, par la plume de ses | docteurs : « Quiconque est séparé de l’Ëglise catholique est voué à la colère divine (2); d elle définit par ses conciles : < Hors de l’Ëglise, personne, absolument personne ne peut être sauvé (3). » Quand se produit lagrande révolte de la Réforme, ■ -D· z J (i) S. Cyprie.n, De Unitate Ecclesiœ, vi, P. L., IV. 5o3. . (2) S. Augustin, Epist. CXLI, n° 5, P. L., XXXIII, 579. (3) Conc.Later, cap. iv, Firmiter; Conc. Florent. Decretum pro Jacobitis, Cf. De.n/.ingerBannwart, 43o, 714, 1647, 1677. l’Ëglise oblige ses enfants à déclarer, dans leur profession de foi, qu’il n’y a point de vie hors de son sein. Et sa pratique actuelle n’a pas varié. En face des préten­ tions du libéralisme, elle exige que ses dignitaires, cardinaux, évêques, et tous ceux qui ont la charge des âmes ou le ministère de renseignement, curés, pro­ fesseurs, prononcent publiquement la for­ mule : Hors de cette foi point de salut. D’autre part, s’il est vrai que Dieu veut sincèrement la rédemption de tous les hommes, si l’Ëglise (1) nous défend de prononcer sur les païens, les hérétiques, les schismatiques, une sentence de dam­ nation, ne faut-il pas trouver une explica­ tion qui, sans atténuer la portée de l’axiome, concilie la miséricorde avec la justice? La solution, dit M. Bainvel (2)‘, est dans le double mode d’appartenir à l’Ëglise, visiblement ou invisiblement. Combien d’âmes vivent dans l’Ëglise sans le savoir! Elles appartiennent à l’Ëglise ... * i: ET** - U'< < ;:ΓΛ1 ®· (r) Cf. Pie IX, Alloc., 9 déc. 1854, Denzinôkr, ι647> ιθ48· ^2) J. V. Bainvel, Hors de VEglise pas de salut, un vol. iu-12 de 62 pages, Paris, Bfeauchesne, 191^· * s.-* ,«,.,Τ· î , ·» ■ . 14 — XIV — par le cœur, par un désir implicite que Dieu veut bien tenir pour la réalité. L’Eglise dont chacun doit faire partie, en dehors de laquelle il n’y a pas de salut, c'est l’unique Eglise que connaissent les Pères et les conciles, l’Eglise au sens strict, l’Eglise du Nouveau Testament, avec cette organisation merveilleuse qui en fait une société visible parfaite. Les documents du magistère infaillible doivent évidemment s’entendre de l’appartenance à cet organisme vivant, et ici la distinc­ tion entre lame et le corps n’aurait pas sa raison d’être. 11 y a donc nécessité de moyen d’appartenir de quelque manière au corps de l’Eglise (1). Mais de quelle appartenance parle-t-on? Distinguons maintenant l’appartenance réelle, effective, in re, et l’appartenance par le cœur, par le désir, in voto. L’appartenance réelle est toujours de nécessité de moyen quand il est question de l’élément intérieur qui anime l’orga­ nisme surnaturel et qu’on appelle l’âme (i) Cf. E DuHLAffCUY : De axiomate : Extra ecclesiam nulla salas, p. 3;3, sa.; Bar-le-Duc, i8cg>; et l’urt. Eglise, col. 2163, 38., du Dictionnaire de Théologie catholique. de l’Eglise. Enest il ainsi quand il s’agit de tout l’organisme lui-même? C’est désormais que devient utile et s’impose même jusqu’à un certain point la distinction connue entre l’âme et le corps de l’Eglise. Dès lors, trois conclusions qui déri­ vent des documents ecclésiastiques et sur lesquelles aucun doute n’est possible : 1° Nécessité de moyen d’appartenir à l’âme de l’Eglise, non seulement par le désir, mais en réalité : le vœu ou le désir de la foi, le vœu ou le désir de la grâce, ne suffiront jamais par eux-mêmes à jus­ tifier. 2° Nécessité de moyen d’appartenir au moins par le désir au corps de l’Eglise. La société, visible instituée par Notre-Seigneurétantl’économie unique du surnatu­ rel, à laquelle ont été confiés tous les ins­ truments du salut, désirer efficacement le salut, c’est vouloir implicitement et né­ cessairement s'unir à elle comme à la source de la vie. 3° Nécessité de moyen d’appartenir réellement au corps de l’Eglise dans la mesure où l’on connaît et où l’on peut id *7 ï ' ‘ ■ I V.·. — XVII — XVI — remplir ce devoir. Le vœu qui est de nécessité de moyen, n’aurait aucune fermeté, ne serait pas sincère et, dès lors, manquerait de tonte efficacité pour le salut, si on négligeait de l’exécuter quand cette exécution est possible. On voit par là ce qu’il faut penser de la distinction entre la nécessité de moyen et la nécessité de précepte. II L’appartenance réelle à l’âme de ΓEglise est une nécessité de moyen, que rien ne peut suppléer, pas même le vœu explicite. ί L’appartenance au moins par le désir au corps de l’Eglise est toujours une nécessité de moyen : l’appartenance réelle au coips de l’Eglise peut n’être qu’une nécessité de précepte, dont pourront H excuser la bonne foi ou l’impossibilité d’y satisfaire. Ces explications auront suffi à mon­ trer quet notre héorie ne diffère pas, au fond, du système commun des théolo­ giens (1); elle vise seulement à mettre en (i) Cf. Dajblanchy, Baïnvel, op. cit.; Capéran, Le ΐ ι o ierne du salut des infideles, essai théologique, ρμ. δυ, ss. plus vif relief la distinction si importante entre l’appartenance à l’élément intérieur, qui doit être toujours effective, et l’appartenance au corps, qui peut n’être pas toujours réelle et se faire par le désir. Encore une fois, il n’y a qu’une Eglise, œuvre du Christ, et il faut entrer de quelque manière dans cette société visible, qui comporte deux éléments, de même que notre nature exige une âme et un corps. L’appartenance à ces deux principes est toujours nécessaire et dans toute hypo­ thèse; mais, comme elle ne se fait pas tou­ jours de la même manière pour tous les deux, ce sera s’inspirer d’une bonne méthode que de considérer attentivement l’un après l’autre les deux éléments. Une telle méthode nous permettra de sérier les questions, de les étudier avec plus de clarté, de précision, de plénitude. De là deux divisions fondamentales de ce livre : L'appartenance à Γάμε de ΓEglise; E appartenance au corps de Γ Eglise. L’étude de la première partie, qui est la plus importante, remettra sous nos HORS DE L’ÉGLISE · > ■J I · *I JS ■ î xvin — ’■ - ■ yeux les principales doctrines de la grâce et nous fournira l’occasion de rappeler certaines vérités quelque peu oubliées, par suite de ce naturalisme nouveau qui inspire le langage et les tendances du jour. La seconde partie n’est point un traité de l’Eglise. Nous supposons achevée l’œuvre de la démonstration catholique, et, une fois admis que Jésus-Christ a ins­ titué une société surnaturelle, nous expli­ quons ce qu’on entend par le corps de l’Eglise, l’obligation d’appartenir à cet organisme par le caractère baptismal et par les liens des trois unités visibles : de foi, de culte, de gouvernement; nous prouvons l’axiome parla Tradition; pas­ sant ensuite à l’explication immédiate des principes, nous examinons quels sont les hommes qui restent hors du corps mystique et ce qu’il faut penser de leur bonne foi. Pour la méthode, nous demeurerons fidèle au procédé thomiste, qui est d’harmoniser la révélation avec la raison. Nous laisserons parler avant tout les docu­ ments : l’Ecriture; les Pères, les conciles, les papes, les docteurs, puis nous ferons valoir les arguments rationnels et les convenances. Tout en nous gardant d’un apparatus scientifique quelque peu com­ plique, nous aurons à utiliser rapidement la patristique, l’histoire des dogmes, la théologie positive et la théologie spécula­ tive, le tout, pour faire simplement de la théologie (1). Daigne Noire-Seigneur Jé­ sus-Christ nous assister, pour que nous puissions exposer, sans exagération, comme sans atténuation, les droits de sa grâce et de son Eglise (2) ! F* £λ· ι < (i) Nous citons les Pères d’après Migne. L’édition à consulter, pour les Pères apostoliques, est celle de Funk, mais les quelques textes que nous leur empruntons se trouvant aussi dans Migne, nous renvoyons uniformément à cette édition. (a) Nous n’avons pas eu à modifier nos doctrines dans cette nouvelle édition, mais nous avons ajouté des développements assez importants sur la néces­ sité de la foi, le nombre des vérités à croire, le salut des païens, et sur les diverses questions qu’il fallait fliT 141 éclaircir pou ' ' 1 " de l’axiome. 4Λ . i PREMIÈRE PARTIE l’Êglise CHAPITRE PREMIER CE QUEST LAME DE L’ÉGLISE Dans son acception la plus générale, l’Église désigne la vaste société de toils deux qui sont appelés au royaume des ciétix, la grande armée qui a be^u le signe du surna­ turel, formée dë toutes les créatures libres, anges ou hommes, qui ont adhéré à Dieu par la foi et l’amour : soldats qui luttent ici-bas pour la vie du salut, débiteurs qui expient en purgatoire, bienheureux qui triomphent en paradis avec le Roi. C’est une seule famille, car ils ont tous un même Père, qui est leur principe et leur fin ; ils sont tous destinés à la même félicité, la vision béatifîquë * et Ils ten­ dent tous vers ce terme unique de la gloire, parle même moyen, la grâce, qui est sem­ blable en tous. La grâce, en effet, peut être plus ou II mais elle est de la même espèce et du même ordre pour les anges et pour les hommes, parce qu’elle est chez tous un épanchement de la même nature divine et les fait participer tous de la même manière à la vie propre et intime de Dieu. Cette cité immense, cette multitude innom­ brable, a pour chef le Christ Jésus. Il exerce, à l’égard des anges et des hommes, le triple rôle de la tète. Ce que nous considérons, en II premier lieu, dans la tète, c’est son ordre, sa place, son élévation, car elle occupe le som­ II met ; de même le Christ a la primauté : il est l’apogée des œuvres divines; sa grâce est plus haute que celle de toutes les créatures prises même collectivement. Ensuite, la per­ fection, parce que dans la tête sont réunis tous les sens, soit internes, soit externes, tandis que le seul toucher est répandu dans II les autres membres : ainsi le Christ possède la plénitude. Les grâces et les dons sont mul­ tipliés, divisés, amoindris, chez les anges et chez les hommes, mais Jésus réunit toutes ces richesses à un degré que la puissance ordi­ naire de Dieu ne dépassera jamais : il est plein de grâce et de vérité. Enfin, de la tète II viennent l’énergie, le mouvement de tous les membres, la direction de leurs actes, à cause de la vertu motrice qui réside chez elle ; du Christ aussi procède toute influence vitale. Tout bien surnaturel octroyé aux humains est une aumône de l’incarnation: c’est de cette plénitude que nous devons être enrichis; il n’y a de salut pour nous que dans le Verbe incarné : Non est in alio aliquo salus ‘.Quant aux anges, s’ils n’ont pas reçu de son Huma­ nité la justification et la persévérance, ils lui doivent au moins ces grâces et ces gloires accidentelles qui achèvent leur perfection et complètent leur bonheur2. Ainsi, Jésus-Christ est le chef de tous les appelés, de tous les sanctifiés, de tous les glorifiés ; il est la tète de toute Eglise, et dans ce siècle et dans l’autre : Ipsum dedit caput super omnem Ecclesiam3. Dans un sens moins large, l’Eglise est la société des rachetés, et elle ne comprend que les hommes, les anges étant incapables de rédemption parce qu’ils sont incapables de repentir. Nous autres humains, nous pouvons modifier nos résolutions ; notre libre arbitre, pendant cette vie, n’étant jamais immuable, nous pouvons réparer des chutes, dont la malice, d’ailleurs, n’est pas la seule cause. Nos fautes s’expliquent par l’ignorance, les — 1 Act., IV, 11-12. 8 Cf. III. P., q. 8, aa. i et 4· ’ Ephes I, 22. / passions, les influences extérieures. Quand la concupiscence est moins vive, quand l’habi­ tude est moins tyrannique, quand l’intelli­ gence voit mieux le devoir, nous revenons sur nos décisions, nous rétractons nos déter­ minations funestes, nous arrivons à la péni­ tence. L’ange, affranchi entièrement des en­ traves sensibles, n’a point de penchants qui l’entrainent ; son esprit, qui lit jusqu’au fond de la vérité, n'a pas à être éclairé davantage, il n’aperçoit aucun motif nouveau de changer II d’avis : dès lors son jugement et sa volonté demeurent irrévocablement fixés dans le bien ou dans le mal une fois choisi, comme notre âme aussitôt après la mort1. Puisque les anges sont, par nature, incon­ vertibles, Dieu n’avait pas à les réparer, et, c’est d’ailleurs un point de renseignement catholique que les esprits rebelles n'ont point eu de rédemption : Angelis peccantibus non pepercit*. L’Église société des rachetés commence donc avec Adam et Ève, pardonnes et justifiés en prévision des mérites de ce nouvel Homme qui viendra, un jour, briser la tète du ser­ pent, rétablir le genre humain dans la jus­ tice, la sainteté etla vérité. Elle traverse l’ère 1 Cf. I. P., q. 64, a. a. ’ II Pet., ii, 4« patriarcale sans avoir aucune forme bien défi­ nie ; elle évolue vers Dieu par une connais­ sance et un amour surnaturels, traduit sa foi par certains actes, rites extérieurs, âacrements encore vagues, qui sont cependant les signes de la grâce et un hommage au futur Rédempteur. Les théologiens enseignent communément qu’il y eut dans cette économie au moins un sacrement, le remède de nature ♦ contre le péché originel. Dieu voulait sincè­ it rement le salut de tout le monde, même des enfants; ceux-ci, d’autre part, étaient dans l’impuissance d’arriver, par eux-mêmes, à la justification : il fallait que le péché fût effacé par le ministère des parents ou d’autres per­ sonnes. Mais une action humaine qui ne reste H pas dans le sanctuaire de l’âme, qui doit s'exercer sur un sujet étranger, est nécessai­ rement sensible; et un acte sensible, exté­ rieur, qui peut laver la souillure dans une âme encore endormie et incapable de toute coopération, ne saurait être qu’un sacrement, puisqu’il signifie, porte et donne la grâce1. ΐ& J rJ ΓΪ7?'· A - ,· rj; jc/f’ ■ 1 Saint Augustin reconnaît que « Dieu avant la circoncision, avait donné à ses serviteurs un sacre­ ment pour assurer le salut de leurs enfants, quoique l’Ecriture, pour une cause mystérieuse, n’ait pas voulu nous révéler en quoi consistait ce rite». (Contra Julianum, lib. V, e. xi, n. 45. P. L., XL1V>8oq-8îo. Cf. de Nuptiis et Concupisc., lib. II. c. xi, n. ; XtlV, 45o.) .~>- • · r es adultes étaient-ils prives tout secours? Comme il est bien difficile aux pécheurs de retrouver, par eux-mêmes, la sainteté perdue, il semble que le Dieu de miséricorde devait les aider par un rite puri­ ficateur, et c’est pourquoi saint Thomas admet, pour cette époque, un sacrement de pénitence : In veteri lege et in lege naturali erat aliqualiter sacramentum pœnitentiœ L Enfin, puisque la conservation de la grâce est une œuvre si ardue qui requiert une assis­ tance divine continuellement prolongée, n’y aurait-il pas eu un sacrement préservateur, emblème de notre Eucharistie, par exemple les oblations? Le Docteur angélique pense que celle de Melchisédech était un sacre­ ment : Sacramentum Melchisedech 5. L’Eglise arrive à la loi écrite. Il ne faut pas, sans doute, s’imaginer une Synagogue trop idéale, avec tous les attributs de la sain­ teté et de l’infaillibilité parfaites, mais elle a déjà son organisation extérieure et ses sacre­ ments déterminés. Saint Thomas ramène à quatre les sacrements mosaïques : la circon­ cision, remède contre le péché originel et ligure de notre Baptême* ; les diverses céré- monies du culte qui représentaient notre Eucharistie : pour le peuple le festin de l’Agneau pascal, auquel ne pouvait prendre part aucun incirconcis ; pour les prêtres, l’oblation des victimes et la manducation des pains de proposition ; les nombreuses purifi­ cations qui présageaient la Pénitence ; enfin, la consécration des prêtres, image de notre Ordination1. Pas encore de Confirmation, parce que le don de l’Esprit-Saint, le sacre­ ment de la plénitude, n’appartient pas à une économie imparfaite; pas d’Extrême-Onction, car ce rite est la préparation définitive à la gloire, et le ciel n’est pas encore ouvert ; pas de sacrement de Mariage, puisque l'union du Christ avec l’Eglise n’est pas encore faite. Le plan miséricordieux de la Providence n'est point limité à la Synagogue. Job, dans la terre de Hus, reçoit avec abondance les dons surnaturels ; les fruits de la Rédemption Cyprien avait vu dans la circoncision un sacrement, une ombre, une figure, une image du baptême. (Cf. Epist. 5g ad Fidum.. P. L., III, io53.) — Saint Augus­ tin dit de même : « La circoncision fut le sacrement de cette époque, figure de notre baptême. » {De Animajet ejus origine, lib., II, c. xi, n° i5. P. L., XL1V, 5o^.j — « Que le sacrement de la circoncision ait été la ligure du baptême, qui donc, même de ceux qui sont médiocrement versés dans les saintes Lettres, qui don lib., VI, c. vu, i 1 Cf. S. Thom 102 . - · · s’étendent par avance à toute tribu et à toute nation, car nous croyons que Dieu se réserva même au sein de la ge utilité quelques fidèles qui ne fléchirent jamais le genou devant les idoles. Enfin, l’Eglise, dans son acception stricte, est la société des rachetés telle qu’elle a été instituée par Notre-Seigneur, avec cette forme achevée et définitive qui doit durer jusqu’à la consommation des siècles. Ainsi entendue, elle est la plénitude du Christ1, le prolongement de l’incarnation, comme l’image et la ressemblance du Verbe fait chair. Il faudra retrouver en elle, pour ainsi dire, la physionomie et les traits de Jésus. Le Christ est Dieu et homme; elle sera divine et humaine à la fois : humaine, formée d’éléments infirmes, persécutée, luttant parmi les difficultés d’ici-bas ; divine, participant à If la puissance et à l’immortalité de son Fonda­ teur, capable, comme lui, de survivre à toutes les haines et à toutes les attaques, une, sainte, indéfectible et infaillible, com­ muniquant aux hommes la vie qui descend de l’éternité et y remonte. Le Christ est l’auteur de la foi, le principe du surnaturel, dont le rôle est de sauver, et * Ephes., i, iX c’est pourquoi il porte ce nom qui est audessus de tout nom : Jésus. L’Église sera la société surnaturelle, c’est-à-dire qui a pour finie surnaturel, qui possède les moyens du surnaturel, qui réalise en elle toute l’écono ie du surnaturel. Le Verbe a voulu que son Incarnation fût en harmonie parfaite avec notre humanité. L’homme n’est ni un esprit ni un corps, mais essentiellement l’un et l’autre : les deux élé­ ments s’enlacent dans une étreinte si forte qu’il en résulte une seule personne; de même, en Jésus-Christ, l’humanité sensible et l’invi­ sible divinité s’embrassent dans l’unité d’une seule hypostase. L’Eglise devra être co H iposée aussi d’un principe interne qui lui donnera l’énergie, la fécondité, la sainteté, et d’un élément extérieur qui sera comme l’organe et la manifestation de la vie, et s’unira au premier de telle manière que les deux ne soient qu’un tout. En Notre-Seigneur, la divi­ nité a saisi et oint l'humanité ; elle l’embaume tout entière, en fait son instrument conjoint, en sorte que les actions deviennent théandriques, du Dieu et de l’homme tout ensem­ ble. Ainsi, le principe surnaturel, l’âme, envahit et compénètre le corps de l’Eglise, le rend son associé et s’en approprie les opé­ rations. Nier la nature divine ou la nature * / humaine dans le Christ, c’est détruire l’incar­ nation ; dans la société fondée par Jésus, nier la vertu spirituelle ou l’élément exté­ rieur, c ’ est pervertir la notion de la véritable g Eglise. Quelle est cette force divine qui est l’âme du corps mystique ? Saint Thomas nous répond que c’est d’abord le Saint-Esprit: voilà pourquoi, après avoir dit, dans notre profession de foi : « Je croisà l’Esprit-Saint », le Symbole nous fait ajouter aussitôt : « Je crois à la sainte Église catholique b » — Ail­ leurs, le Docteur angélique appelle le SaintEsprit le cœur de l’Eglise : le rôle de la tète appartient au Christ à raison de son huma­ nité visible ; l’influence du cœur, au contraire, étant intérieure et cachée, est bien appropriée au divin Paraclet, qui vivifie l’Eglise et l’unit au chef par une opération secrète et mystérieuse’.1 *3 1 « Anima autem quæ hoc corpus vivificat est Spi­ ritus Sanctus. Et ideo post fidem de Spiritu Sancto jubemur credere sanciam Ecclesiam catholicam : unde additur in Symbolo : « Sanctam Ecclesiam catholicam. » (Opusc. vn, Exposit.in Symb., c, xn.) 3 « Caput habet manifestam eminentiam respectu membrorum: sed cor habet quamdam influentiam occultam. Et ideo cordi comparatur Spiritus Sanctus, qui invisibiliter Ecclesiam vivificat et unit; capiti autem comparatur ipse Christus secundum visibi­ lem naturam secundum quam homo hominibus præfertur. » (ΠΙ. P., q. 8. a. i, ad. 3.) sspri Ce· n’est point cependant que d’amour soit lui-même la forme de notre vie, mais il infuse dans l’Eglise les dons surna­ turels qui la font vivre. La vie est une énergie intrinsèque au vivant, et c’est, d’ailleurs, une loi de la Providence d’insérer dans tous les êtres des principes intérieurs de leurs opé­ rations. Or, le Saint-Esprit, bien qu’il opère au plus intime des créatures, reste un agent extrinsèque. Il faut donc, en outre, une àme infusée parlai, une qualité intérieure, inhé­ rente à l’Eglise, et qui soit la forme même de notre vie spirituelle1. Aussi bien le concile de Trente a-t-il déclaré que la justice est pro­ duite par la grâce et la charité, œuvre du Saint-Esprit et inhérentes aux justes : Quæ per Spiritum Sanctum diffundatur atque Λ ILLIS INHÆREAT ’. C’est l’ensemble de ces dons surnaturels et créés qui est l’âme de l’Eglise : voilà ce qui entretient sa vigueur et sa jeunesse et ce qui lui assure l’immortalité. Appartenir à l’âme de l’Eglise, c'est parti­ ciper à quelques-unes de ces grâces. Lesquel­ les? Expliquons-nous. L’âme n’est pas un simple mouvement, une touche passagère, mais un principe habituel et permanent. Les 1 Cf. P llae, q. no, a. □. 1 Sess. VI, can. ιϊ, <■·;/^··· grâces actuelles nous mettent bien en contact avec Dieu, mais sans nous faire encore vivre de sa vie; ce sont des éclairs qui traversent un instant les ténèbres, mais sans dissiper la nuit ; ce sont des impulsions, souvent effica­ ces, qui réveillent les consciences, parfois des coups de foudre qui terrassent les volontés rebelles ; elles ne sont pas encore le salut. Elles nous font sentir Dieu qui passe, elles ne nous donnent pas Dieu qui demeure. Elles sont impuissantes à nous introduire dans l’âme. Les infidèles, les renégats, sont, de temps en temps, sollicités par elles, et, cependant, ils restent dehors. Nous ne pensons pas qu’il y ait un seul homme, même le plus impie ou le plus dégradé, qui n’ait reçu, une fois ou l’autre, la visite de la grâce actuelle ; il y a, hélas! beaucoup d’infortunés qui n’appartin­ rent et n’appartiendront jamais à l’àme de Γ Eglise. La touche passagère de l’EspritSaint ne suffit donc point: il nous faut Dieu qui demeure. Or, le Seigneur n'habite par­ faitement en nous que par la grâce sancti­ fiante. Il commence, il est vrai, à s'implanter en nous par la vertu de foi, car celle-ci est déjà le germe opulent et splendide du surnaturel, le commencement de l’éternité - KÆ4 quœdam vitœ œternœ 1 ; elle fait que biens futurs reposent dans notre esprit comme sur une base inébranlabié : Sperandarum substantia rerarn*. Elle est déjà une source de vie, car elle est le principe permanent d’opérations vraiment vitales et divines ; elle produit celte paix mentale, ces adhésions calmes et cependant très fortes, qui fixent immuablement notre intelligence sur Dieu. Celui qui a la foi n’est pas totalement sous­ trait à l’àme de Γ Église. Cependant tendement; elle éclaire notre sommet, elle ne réchauffe elle n’anime pas notre être tout entier. On peut biei dire qu’il ne fait plus nuit dès qu’elle est dans notre sanc­ tuaire; hélas! il y fait encore froid. On reste sans chaleur, et les œuvres sont mortes, tant que la charité est absente. La vie complète, qui fait agir et prospérer, qui esl la joie parce quelle est l’amitié de Dieu, c’est la grâce quon appartient définitivement et complè­ tement à lame vivifiante. « 11 entre bien dans la salle des noces, dit le pape saint Grégoire le Grand, mais sans la robe nuptiale, celui qui se trouve dans la sainte Eglise avec la lu1 ‘ Qq. Dixpp. de VeriÎate, q. i4, a. 2. ’ Heb., xi. i sans la charité... Quiconque d’entre vous, mes frères, adhère à Dieu par la foi, est déjà entré dans la salle du festin, mais il est privé de la robe nuptiale s’il ne garde point la grâce de la charité L » Telle est, en peu de mots, cette notion de l ame de l’Église : les grâces actuelles, bien qu elles soient une préparation, ne nous intro, duisent pas toutes seules dans cet intérieur; la foi nous ouvre l’entrée mais ce sont la grâce sanctifiante et la charité qui nous permettent d’y habiter et d’y vivre. Les fidèles qui restent dans le péché mortel ne sont pas entièrement exclus de ce sanc­ tuaire ; tous les justes et les seuls justes, dans l’ancienne loi comme dans la nouvelle, qu’ils se soient sanctifiés dans la Synagogue ou au milieu de la genlilité, dans le catholicisme ou au sein de l’erreur invinciblement ignorée, sont, à proprement parler, dans l’âme de l’Eglise. Elle embrasse ainsi toute la société des rachetés, depuis Adam jusqu’au dernier juste de la fin des temps. 1 « Intrat enim ad nuptias, sed cum nuptiali veste non intrat qui in sancta Ecclesia assistens fidem habet, sed caritatem non habet... Omnis ergo ves­ trum qui in Ecclesia positus Deo credidit, jam ad nuptias intravit: sed cum nuptiali veste non venit, si caritatis gratiam non custodit. » (S. S. Gregor. M., M Hnrnil. in Evang.> lib. II homil. 38, n. 9. P. 4 LXXVI, 1287.) Mais, au sens strict, l’âme dit plus que la société universelle des rachetés. Il ne faut pas effet, Vârne de l’Eglise avec confondre l’Église invisible. Une Eglise entièrement invi­ sible exclut toute idée de corps, tandis que lame de l’Église implique une relation avec lecorps qu’elle doit animer et qui la manifeste. Lame peut se prendre, enfin, dans un autre sens, pour le principe formel qui donne à l’Église l’être social et l’unité sociale ; mais, ainsi entendue, elle est comprise dans la notion du corps que nous étudierons dans <4 notre seconde partie. De la sorte, prouver la nécessité d’appar­ tenir à l’âme de l’Église, c’est démontrer la nécessité de la foi surnaturelle et de la grâce sanctifiante. Tous les enseignements de notre première partie se ramèneront à ce double objet (i). (i) Voir nos Tractatus dogmatici, de Gratia, Pans Lelhielleux. — tp — I k. CHAPITRE II NÉCESSITÉ D APPARTENIR PAR LA FOI LAME DE L’ÉGLISE POUR ETRE SAUVE Nécessité d’une foi surnaturelle L’obligation de croire n’cst logiquement révoquée en doute que par ceux qui nient l’existence de Dieu ou son souverain domaine sur les intelligences. S’il est vrai que Dieu existe, s’il est prouvé que Dieu a parlé à l’humanité, le premier devoir de l’homme est de croire. Quelqu’un osa bien s’écrier un jour, à la Chambre fran­ çaise : « Si Dieu se montrait, il faudrait lui résister! » Mais c’était pour faire du bruit H dans le inonde qu’il blasphéma, semblable à r ce fou Érostrate des temps anciens, qui, pour laisser son nom à la postérité, mit le feu au temple d’Éphèse. Si Dieu se montrait, vous iriez vous cacher sous terre 1 !... Quoi donc! il nous serait loisible de dés­ obéir à Celui qui est la cause de tous nos droits, qui nous soutient par une création gratuitement continuée, qui nous fait, à chaque instant, l’aumône de tout ce que nous avons de vie, car il n’y a pas, dans toute notre nature, un atome de bien qui ne vienne de lui ! Cette prétendue liberté de penser est un véritable attentat., Si l’objet fragile que nous portons dans nos mains essayait de se révolter contre nous, non seulement nous lui retirerions notre secours, mais nous le brise­ rions dans notre colère. Le Tout-Puissant, lui, dans sa sereine immortalité, ne brise pas les blasphémateurs ; il maintient toujours celle aumône même dont on se sert pour l’outrager, mais il y a, au dedans de l’homme, comme une voix qui s’élève contre lui ; il semble que chacune de ses puissances, que chaque parcelle de son être, protestent et l’accusent. Ipse fecit nos. Dieu nous a créés, et nous n’avons pas le droit d’user de nous pour lui résister. C’est une contrainte, une ‘Abbé H. Hugon, L'Indifférence p. 43. Paris, maison de la Bonne Presse. il •H ?<’ I » I i- de .4 · r 20 violation que l’incrédule impose à ses facultés lorsqu’il refuse d’obéir à Dieu ou de croire à la parole divine. Il est deux iniquités que la théologie range au nombre des plus grands crimes : l’infi­ délité et le blasphème. L’infidélité est une aversion totale, un éloignement complet de la Vérité première ; le blasphème aggrave la faute et y ajoute l’outrage extérieurl. L’incré­ dulité moderne a toute la malice de l’infi­ délité, plus énorme que celle du païen, car c’est par un acte positif que l'intelligence s’est détachée du vrai ; toute la malice du blasphème, puisqu’elle s’affiche publiquement par la parole, les écrits et les actes. Ce péché de lèse-divinité, que notre société semble approuver, que certains chrétiens n’osent pas dénoncer, est l'un des plus grands forfaits qui doivent faire frémir d’indignation la terre et le ciel. L’incroyant s’est mis, d’emblée, hors la loi ; son infidélité est, par elle-même, une sentence de condamnation : il est déjà jugé. Saint Grégoire le Grand fait remarquer, à ce propos, que la cause de ceux (pii ont rejeté la foi n’aura pas besoin d’etre discutée au jugement dernier : ils ressusciteront, non pour être jugés, c’est déjà fait, leur infidélité est déjà une sentence de condamnation ; mais pour souffrir1. Qui non credit jam judicatus est Une fois donc que l’œuvre complexe et parfois dramatique de la démonstration chré­ tienne est terminée, un acte d’adhésion inébranlable s’impose ; mais est-ce là un moyen tellement essentiel que rien ne puisse y suppléer? Quand un homme sincère obéit à sa raison, n’est-il pas dispensé du surnaturel qu'il ignore, et l’observance de la loi natu­ relle ne serait-elle pas un désir implicite de la foi,comme la charité et la contrition renfer­ ment le vœu du baptême? N’est-ce pas avoir suffisamment la foi que de la désirer ? Ce fut l’hérésie de Pélage de nier la néces­ sité de la foi, comme d’ailleurs de toute grâce. Un renouveau de cette erreur envahit notre société, et il n’est pas rare de rencon­ trer des chrétiens convaincus qui pensent faire de bonne apologétique en déclarant que ces vagues aspirations et une tendance vers le bien suffisent. On les entend dire que les philosophes ont pu se sauver avec leurs connaissances et leurs vertus naturelles, que nos modernes rationalistes sont excusables r *- 1 S. Gregor. Magnus, Moral., lib. XXVI, c. xxvu, n.5o,P. L., LXXV1,.3™. 1 Evang. Joan., hi, i8. » Cf. S. Thom., IIs 11«, q. 10, a. 3, et q. i3, a. 3. • F i rtc' · · IbT 1 I I 222 23 — de ne pas arriver à la lumière, qu’il n’est pas requis de trouver, pourvu qu’on ait cherché, que Dieu n’exigera pas une antre chose, pour le salut, que le désir et les efforts d’une âme en quête d’idéal. Un théologien de marque, André Véga J, avait déjà essayé, mais vainement, de faire accepter une théorie analogue. Il concevait l’hypothèse d’un païen qui, ignorant invinci­ blement la révélation, arriverait au salut sans la foi, par la pratique seule des commande­ ments. — Mais c’est du pélagianisme. — Non, réplique Véga, car, dans ce cas, Dieu inter­ viendrait par sa grâce et inspirerait à cet homme vertueux un amour surnaturel qui suppléerait à la foi et la contiendrait impli­ citement. Cette opinion, aussitôt combattue, ne survécut guère à son auteur. Ripalda expose une autre conception. La foi stricte ne serait pas nécessaire en réalité, mais seulement en désir, in voto, non in re; il suffirait à un barbare, pour la justifi­ cation, de la foi que fait naître le spectacle des créatures. Cet assentiment n’est point fondé sur la révélation, il n’a point pour motif l’attestation de l’autorité divine, mais il est surnaturel et salutaire, parce que Dieu donne une grâce à l’intelligence et élève à la hauteur d’une connaissance surnaturelle la connais­ sance même que le païen a pu acquérir du Créateur par la contemplation de l’uni vers. La théorie que la foi naturelle peut suffire, en cas de nécessité, reparut, et aggravée encore, au xvme siècle dans l’ouvrage du P. Berruyer : « L’histoire du peuple de Dieu », condamné à maintes reprises par l’autorité ecclésiastique. « Non satisfait de discerner des âmes innocentes parmi les infidèles, le P. Berruyer a laissé entendre que Dieu pour­ rait se contenter, en certains cas, de la simple religion naturelle. Par des formules spé­ cieuses, il a au moins jeté le doute sur la nécessité delà révélation et celle d’une foi surnaturelle appuyée sur cette révélation. Le doute suggéré s’insinue et s’exprime de telle sorte que le lecteur, séduit, est entraîné à une affirmation que l’auteur a craint d’énoncer ouvertement : à savoir que, même depuis la venue de Jésus-Christ, les hommes aux yeux desquels la révélation ne brille pas, et qui, à son défaut, sont privés de la foi, peuvent sans celle révélation et celte foi, en prati­ quant, avec le secours de la grâce, la religion naturelle, parvenir à la justification. Pour ces motifs, la Surbon ne frappe les propositions du P. Berruyer de la note de captieuses. Elles 1 In Trident., lib. VI, c. xvi el xx. I ■ »· ET 76i H? inspirent, ajoute la Censure, un doute bérétique1. » — Les déistes allèrent encore plus loin avec Jean-Jacques Rousseau et Marmon· tel. Pour Rousseau, on peut se sauver dans toute religion et même en dehors de toute croyance. Marmontel ne se contente pas d’affirmer avec assurance le salut d’Aristide, de Marc-Aurèle et de Caton, il prétend encore que la révélation n’est que le supplé­ ment de la conscience et donne à entendre qu’une fois accompli ce devoir essentiel : « Aimer Dieu, aimer ses semblables », la foi à des mystères inconcevables n’est pas absolument indispensable *. Saint Paul a prononcé un axiome inflexible qui déjoue d’avance toutes ces tentatives et confond toutes ces fausses pitiés : Sine fide impossibile est placere Deo3: sans la foi, il est impossible de plaire à Dieu. Il est bien ques­ tion ici de la foi surnaturelle, qui est la subs­ tance, l'immuable fondement, des choses qu’on espère, la démonstration de celles qu’on ne voit pas, qui a justifié Abel, Enoch, Noé, Abraham, les patriarches et les prophètes: dans laquelle ils sont morts consolés, en 1 Capéban, Le Problème du salut des infidèles, Essai historique, pp. 5g· -3g3 2 Ibid., pp. Jip-zjog. — Voir tout le chapitre ix, IP· -S‘j 3 iieb attendant la promesse: qui a enfanté les miracles, conquis les royaumes, ressuscité les morts; qui a poussé les martyrs à subir tous les supplices pour trouver la résurrection dans un monde meilleur. Donc, sans cette foi divine, aucune espé rance de pardon, point de sainteté, point de vie : c'est elle seule qui fait vivre le juste : Justus ex fide vivit ‘. L’Apôtre ne se contredit pas dans son épitre aux Romains : « Lorsque les païens, qui n’ont pas la loi, font naturellement ce que prescrit la loi, ils se tiennent à euxmêmes lieu de loi2. » Le mot natur ali­ ter, ούσ6(, n’est pas opposé au surnaturel, mais à la loi; il ne signifie point : par les seules forces humaines, mais : sans la loi mosaïque. Les gentils ont pu, sans cette législation, non sans la grâce, observer ce que prescrivait la loi. Leur cas est analogue à celui des patriarches de l’ère primitive. On sait que la Providence a voulu, avant de réa­ liser tout le plan de la Rédemption, suivre H cette marche lente et progressive qui est le signe de sa sagesse, et faire passer le genre humain par une triple phase : celle de la loi de nature, celle de ia législation mosaïque, 1 Gai., ni, 11 Bù »· ΐ’Λ. : • - - · Μ·» ♦ΆΛ · C ES celle de la plénitude évangélique. La période initiale est appelée loi de nature, non pas que les forces naturelles soient capables de donner la juslitication, mais parce qu’il n’y a pas encore d’institution positive, les sugges­ tions mystérieuses de 1 Esprit-Saint, les direc­ tions intérieures de la grdce, intervenant à point pour guider les âmes de bonne volonté. « Dans cet état, dit saint Thomas, la connais­ sance naturelle ne suffisait point pour le salut; il a toujours été nécessaire de croire certaines vérités qui dépassent la raison. A une époque plus tardive il a fallu même la foi au Répa­ rateur qui devait apporter le remède efficace aux plaies du genre humain. C’est pourquoi, dans cette économie primitive, on ne devait pas se contenter des œuvres qui sont dictées par la seule raison, il en fallait d’autres, pro­ testations et signes d’une croyance à la répa­ ration du genre humain; et c’étaient les sacrements de cette époque *. » Ainsi, soit les antiques patriarches, soit les gentils dont parle saint Paul, n’ont pas eu besoin d’une législation écrite pour se sauver, mais il leur a été tout à fait impossible d’arriver à la juslitication sans la foi sur­ naturelle. L’axiome est absolu, la règle ini * » IV Sent., dist. i, q. r, a. □, q. 3. ί ! ( I J * ( ί j |; muab’e : Sinefi 'e impossibile est placere Deo, C’est pour affirmer la nécessité de la foi que les martyrs sont morts et que les docteurs ont écrit. Saint Clément de Rome déclare avec énergie que jamais personne n’a été justifié sans elle Saint Ignace la prêche aux Éphésiens : « Deux grandes vertus sont nécessaires pour le salut, la foi et la charité; la foi, qui est le commencement de la vie; la charité, qui en est la fin. Il faut persévérer jusqu’au bout dans la foi pour être admis au royaume de Dieu; ceux qui corrompent la foi seront livrés au feu inextinguible1. » — « Il n’y a qu’une seule foi pour justitier les hommes, ajoute saint Irénée : celle d’Abraham et des patriarches était la même que la nôtre 3. » — «Ce que Dieu demande de nous, dit saint Cyprien, ce n’est pas notre sang, c’est notre foi; Abraham, Isaac et Jacob n’ont pas été a mis à mort; c’est à cause du mérite de leur loi et de leur justice qu’ils sont honorés comme les premiers des patriarches. Tous ceux qui auront eu comme eux la foi et la justice prendront part avec eux au festin 1 S. Clement, Epist. I ad Cor., c. xxxn, P. G., J, 272· 2 S. Ignat., Epist. ad Ephes., χιν, xvi, P G., V, 656-65;. J S. Iren., Adv. ïlœres., lib. IV, c. xx, P, G., vil, 1044. éternel » — « La première condition pour plaire à Dieu, répète saint Ambroise, c’est la foi: elle est avant toutes les autres disposn lions : ante omnia fides nos commendare Deo *. debeat Elle est le fondement et la racine de toutes les vertus1*3. » Sans elle donc le salut ne peut germer, pas plus que la plante et l’arbre ne sauraient croître ou s’épanouir s’ils n’ont point de racine. A toutes les époques et pour tous les hom­ mes, la foi a été la maîtresse du salut, remar­ que saint Jean Chrysostome. Aussi bien, l’Apôtre nous révèle un grand mystère en parlant d'un meme esprit de foi : Habentes eumdem spiritum fidei, c’est-à-dire que, dans les deux Testaments, tous ceux qui ont été sauvés ont dû posséder la même foi surnatu­ relle, don du même Esprit-éaint ♦. — « Cette foi, poursuit saint Cyrille d'Alexandrie, est le chemin et la porte pour entrer dans la vie5. » C’est par elle donc que nous avons accès au royaume du salut; le ciel est inexorablement fermé à quiconque elle ne l’a pas ouvert. — 1 S. Cypiuav., de Mortalitate, xvn, P. L,, jy, 5^. a S. A muros., de Cain et Abel, lib. II c. 11, P. L., XIV, 3j3. 3 S. A.mbros., de Caïn et Abel, P. L., 355, 4 S. Chhysost,, in Psalm. n5, P. G., LV, 3ai-3robLeme da “du* des païens, Essai historique, 1 * 1 88. * Revue Thomiste, sept.-octob. 1913, pp. 5ÿ2, ss. lla Uaô, q. 2, a. 8, ad 3. Cf. Revue Auffiislinienne, 15 juillet 1907, pp. Lehaikhül, 11e édition, U I, n. 39. ·- · — 5o ■ I Il n’est pas douteux que le Saint-Siège ait manifesté ses préférences pour la thèse tho­ miste. Le Saint-Office déclare, le a5 janvier 1703, que le missionnaire, même en face d’un moribond (si celui-ci n’est pas absolument incapable de le comprendre), est tenu de lui expliquer les mystères de la foi qui sont nécessaires d'une nécessité de moyen, comme I.E SONT PRINCIPALEMENT LES MYSTÈRES DE ·,< >. » la Trinité et de l’Incarnation1. — « Il ne s’agit là, dit M. Capéran, que de règles de conduite. Tout le monde sait qu’en pratique, lorsque le salut d’une âme est en jeu, il faut suivre toujours le parti le plus *. sûr » — Fort bien: mais le Saint-Office, en donnant cette règle de conduite, prend à son II compte la théorie elle-même. 11 ne dit pas : les mystères que l’on présente comme étant de nécessité de moyen, mais absolument : qui sont de nécessité de moyen. Nous ne prétendons pas, certes, que la ques1 « Missionarium teneri adulto etiam moribundo, qui incapax non sit, explicare mysteria fidei quae SUNT NECESSARIA NECESSITATE MEDII, UT SUNT PRÆciPUE mysteria Trinitatis et Incarnationis. » Anaiect. Juris Pontificii, ser. n, col. i8o5 et Collect. S. C. P. F., Romae 1893, n. c$g, p. 320. * Essai théoloÿiqùe,p. ft. I tion ait été tranchée définitivement parcette déclaration; mais, sans attacher une impor­ tance exagérée à ce décret, pouvons-nous laisser dire qu’il soit sans aucune portée en faveur de l’opinion thomiste? Tout en visant un cas pratique, le SainlOflice a bel et bien dit : la Trinité et l’incar­ nation sont parmi les mystères qui sont néces­ saires d’une nécessité de moyen : Mysteria fidei quæ sunt necessaria necessitate medii, ut sum prœcipue mysteria Trinitatis et Incar­ nationis. Il faut donc n’être pas très exigeant sur les conditions de la certitude pour déclarer que l’autre sentiment est moralement certain. Ce que le Saint-Office croyait vrai en 1708 n est pas devenu faux comme par enchante­ ment au xixe ou au xxe■ siècle. Nous sommes loin, assurément, de con­ damner l’opinion moderne, nous concevons qu’elle attire davantage les apologistes; mais la solution la plus facile en apologétique n’est pas toujours la plus vraie en théologie, et, si nous évitons de proposer avec rigidité la théorie thomiste, nous persistons à croire qu’elle n’a rien perdu de sa probabilité, nous lui restons résolument fidèle, comme le P. Martin, O. P., dans son vaillant écrit : De necessitate credendi et credendorum. Nous es· n. · · ·· : ■; ■ I 53 — timons que la pitié dont on voudrait accabler une telle doctrine ne suffit pas à la réfuter. Nous expliquerons plus loin, à propos du salut des païens, comment il est possible d’arriver à la connaissance des mystères; voici, en attendant, une réponse suffisante pour montrer que les difficultés dont l’autre école semble faire un épouvantail n’existent pas en réalité. « Le a surcroît d’obligation », 1’ « im­ possibilité» pour les païens d’opérer leur salut sont quasi des chimères. Car l’Ange de l’École établit avec la même sérénité d’esprit et la même tranquillité d’âme que Dieu ne faudra pas aux devoirs de sa miséricorde. L’homme de bonne foi et docile aux impulsions du Saint-Esprit recevra infailliblement les grâces de connaissance nécessaires. Il a déjà tant besoin du secours de Dieu pour arriver à la vision suffisante de l'existence de Dieu et de la rémunération éternelle, qu’il importe peu que ce secours lui soit continué jusqu’à l’appréhension requise des deux autres vérités essentielles au christianisme : la Trinité et l’Incaination... Comment Dieu s’y prendrat-il pour instruire ces pauvres délaissés? Nous ne le savons pas. Saint Thomas parle d une révélation privée, de l’envoi d’un prédi­ cateur ou d un auge. Dieu se doit de pourvoir au salut de chaque âme selon ses besoins par- I ticuliers. S’il en est qui ne puisse sortir de son état que par une illumination d’en haut, elle l’aura. Et ce moyen, qui, par rapport à nous, parait miraculeux, ne l’est point dans la si­ tuation de celte âme : il est de l’ordre habituel de la Providence, dont la mission constante est de sauver tous les hommes. « On voit à quelle hauteur de vue s’élève la thèse de l’angélique Docteur; quel air de II majesté elle emprunte! On saisit aussi, une fois de plus, la caractéristique-de cet incom­ parable génie. Suarez et d’autres sont souvent trop préoccupés de l’humain et du terrestre et perdent un peu de la claire vision des cieux dans la discussion des problèmes théologi­ ques. Saint Thomas, comme jadis saint Augus­ tin, s’abreuve d’abord de lumière céleste et de divin. Son regard y gagne en pureté et en puissance. Sa devise semble être : Dieu d’abord, l’homme ensuite. Il fait toujours la plus belle, part à Dieu. « La thèse dite plus facile est probable... Vacant lui prédit à tort la faveur de l’avenir. Celle du Docteur Angélique paraît mieux établie, mieux raisonnable; elle est plus belle, plus grandiose, en tous cas plus digne de Dieu h » 1 Aurelius Unterleidner, Revue Aug us Unie une, i5 juillet 190;, pp. 69-70. Quoi qu’il eu soit de la question spéculative, tous les théologiens conviennent qu’il faut exi­ ger, en pratique, la connaissance expresse des trois mystères et regarder comme indigne et incapable de l’absolution sacramentelle le chrétien qui les ignore. Innocent XI, en efTet, a proscrit celte proposition : « On est en état de recevoir l’absolution lors même qu’on ne saurait point les vérités du salut et qu’on aurait négligé par sa faute d’apprendre les mystères de la Trinité et de l’incarnation *. » Le précepte va plus loin : il oblige tout fidèle à connaître, au moins en substance, le Symbole des Apôtres, l’Oraison dominicale et la Salutation angélique, les commande­ ments de Dieu et ceux de l’Église, les sacre­ ments qu’on est tenu de savoir, comme le Baptême, l’Eucharistie, la Pénitence. L’acte de foi, qui est déjà de nécessité de moyen, est aussi l’objet d'un précepte spécial, qu’il faut observer en temps voulu; un seul acte pendant une vie entière ne suffit certai­ nement pas, quoi qu’en aient dit certains laxistes condamnés par Innocent XI Ce deProposit 6i, damn, ab Innoc. XI, a mart. 1679, Denzinger, 1214. 2 « Eides non censetur cadere sub praeceptum spe­ ciale et secundum se. » — « Satis est actum fidei semel in vita elicere. » (Propos. 16 et 17. Dhaziwger, 1166, 1167.) · .< voir oblige directement cl par lui-même à l’originede la vie surnaturelle, quand l’homme suffisamment éclairé doit choisir Dieu pour salin dernière; lorsque l’Église définit un dogme quelle propose à la croyance de ses enfants; à l’heure de la mort, où le voyageur de l’éternité doit s’attacher définitivement, par l’intelligence et la volonté, au Vrai su­ prême et au souverain Bien; assez souvent durant la vie, au moins tous les ans, d’après l’enseignement commun, et même tous les mois, selon de graves théologiens.On conçoit difficilement que notre esprit puisse rester bien longtemps sans avoir besoin de s’orienter vers Dieu, de se fixer et de se reposer dans la Vérité première. D’ailleurs, en pratique, le chrétien qui est fidèle aux devoirs de la prière, de la messe, de la communion, satis­ fait infailliblement à ce précepte, car la trame d’une vie véritablement catholique est faite Il d’actes de foi constamment répétés. Ce commandement oblige d’une manière indirecte {per accidens), en face d’une tenta­ tion grave contre la foi et qui ne peut être vaincue que par un acte positif de cette vertu ; lorsqu’on doit remplir une obligation qui implique la foi, comme la confession, le devoir pascal; quand on a péché contre sa croyance ou rougi de la religion : le seul moyen de - 56 — réparer l’injure faite à la Vérité est un acte d’adhésion explicite et formelle. Pour ces détails et pour tout ce qui * con­ cerne la profession extérieure et publique de la foi, nous renvoyons aux moralistes et aux casuistes, car nous n’abordons ici que le point de vue dogmatique et doctrinal. 11 reste dé­ montré que, pour nous, croire est un besoin et un devoir, en même temps que le repos de notre intelligence en Celui qui est ici-bas notre voie et qui, dans la gloire, sera notre béatitude au sein de la lumière (r). (i) Au sujet de la révélation et pour l’analyse de 1 acte de foi, \oir le P. Garrigou-Lagrange, 0. P., de Revelatione et nos Tractatus dogmatici, de Gia- -7 d CHAPITRE III NÉCESSITÉ D’APPARTENIR PAR LA FOI lame de l’église pour faire le bien La foi nous est absolument indispensable pour arrivera la justification, c’est un dogme. Serait-elle aussi requise pour faire le bien, et tout ce qui ne procède pointd’elle est-il fata­ lement frappé de mort? Distinguons d’abord deux genres d'œuvres: l'œuvre honnête et l’œuvre salutaire. La pre­ mière n’est viciée ni du coté de son objet et de salin propre ni par les circonstances, mais elle reste dans le cercle de la morale natu­ relle; la seconde doit orienter l’homme vers Dieu et l’amener au salut. Gesactes salutaires sont aussi de deux sortes. Les uns préparent, commencent le travail de la conversion, comme les illuminations et les inspirations, bonnes pensées, pieuxmouveinents, qui nous si Vî7 58 réveillent, nous sollicitent, nous poussent vers notre Libérateur: ou bien ils disposent immédiatement à la justification, tels les actes qui concourent à l'infusion de la grâce. D au­ tres procèdent de la charité : ce sont les opé­ rations propres des enfants deDieu, qui nous donnent droit à une augmentation de grâce et de gloire et à cette gloire elle-même; elles ne sont pas seulement salutaires, on les appelle aussi méritoires. Quelle est donc la nécessité de la foi divine, soit pour l’œuvre salutaire, soit pour l’œuvre honnête? Pour répondre avec une entière exactitude, nous devons élargir un peu le sujet et exposer aussi la nécessité du surnaturel dans la condition présente du genre humain. Il nous faut procéder ici avec beaucoup de soin, bien préciser les notions et les questions, car des erreurs très graves se sont produites sur ce point et par excès et par défaut. Les erreur® du faux surnaturalisme Les exagérations prirent la forme la phis outrée sous la plume des prédestinatiens. 59 Ces hérétiquessoutenaient que l’homme, pour faire le bien, a besoin non seulement de la foi, mais encore de la prédestination divine. Quiconque n’est pas choisi pour la vie éter­ nelle est nécessité au mal ; les élus, au con­ traire, se sauvent fatalement : plus de liberté poumons après la chute originelle. On attri bue cette doctrine à Lucidus, prêtre gaulois du cinquième siècle. Quoi qu’il en soit de Luci­ dus, qui d’ailleurs s’est rétracté dans une lettre adressée aux évêques de la Gaule1, ces théories monstrueuses furent condamnées au concile tenu à Arles sous la présidence de Léonce, au concile de Lyon, 4?5, et au con­ cile d’Orange, 529. Gottescalk, moine de labbaye d’Orbais, les reprit et les condensa en un système plus précis, qui est à proprementparlerleprédestinatianisme. Il admettait une double prédestination, gemina prœdestinatio : l’une des élus au repos de la gloire, II l’autre des réprouvés à la mort éternelle’· Combattu par Raban Maur, Hincmar de Reims, Scot Erigène, soutenu plus ou moins parRatramne de Corbie, Loup de Ferrières, Prudence de Troyes, Rémi de Lyon, il fut 1 Cette rétractation est reproduite dans la Bibl Max., vin, 525. r _vvV *Ci Hincmar, De Praedert, c. v, P. L., CXX>, MMMM do — condamné à Kiersy, 853, à \Talence, 855, à Savonnières, 85p, à Toucy, 8Go’. Wiclelf, Jean Hus renouvelèrent ces er­ reurs, qui furent proscrites une fois encore au concile de Constance Le protestantisme ne pouvait manquer de réveiller l’hérésie éteinte. La foi, dit-il, est tellement indispensable que tout ce qui est fait sans elle est péché. Celte foi qui justifie, c’est une confiance invincible, une persuasion inébranlable, que nous sommes prédestinés et que les mérites du Christnous sont imputés. Quiconque jouit de cette assurance est un juste, quiconque en est privé est nécessaire­ ment prévaricateur: par conséquent, tousles actes des infidèles, des pécheurs, même des justes non prédestinés, sont de nouvelles fau­ tes; etainsi s’accroît à chaque instant lasomme des crimesde l’humanité. Le concile de Trente fait justice de ces blasphèmes3. B fias s’efforça de faire accepter un luthé­ ranisme mitigé : non seulement la foi, mais encore la charité et la grâce sanctifiante sont nécessaires pour accomplir Je bien; dès lors les vertus des philosophes sont autant de vices ’ Sur toute cette question et sur le rôle joué par Himcmar, Ratramnr, Rémi, voir Histoire des Dogmes, par Schwake. trad. Degert, t. V ch iv. * Cf-Dexzinger,69u,63i ’ ’ » Sess. V et sess. VI. —— 6ι —— et les actions des pécheurs autant de fautes, l’Église vengea la nature méconnue et mé­ prisée : ^propositions furent condamnées par saint Pie V, le ier octobre 1567, condamnation renouvelée par Grégoire XIII, le 29 janvier 1079 et par Urbain VIII, le 6 mars 164rJansénius, Quesnel f , les novateurs de Pistoie, sans imposer absolument l’état de grâce comme condition de l’œuvre honnête, deman­ dent an moins la vertu de foi : donc tous les actes des infidèles sont des péchés. Enfin certains théologiens, qui se réclament à tort du nom et de l’autorité de sain! Augus­ tin (les augusti niens), prétendent que toute œuvre honnête exige la grâce actuelle. Telle est, en peu de mots, l'histoire de ces exagé­ rations : le prédestinianisme requiert pour toute œuvre bonne la foi, la justice, la prédes­ tination:• le baianisme,F la foi et la charité:J le jansénisme, au moins la foi; le faux auguslinianisme, au moins une grâce actuelle1. Voici maintenant le résumé de la doctrine catholique : Il est de foi que la prédestination n’est pas nécessaire pour pratiquer des œuvres même excellentes, puisqu’il est défini que les justes peuvent perdre la grâce et se damner, et cependant leurs actions sont agréables à ’ Poor les développements historiques, voir CapéRan, Essai historique, cb. vin. Dieu, salutaires, méritoires, tant qu’ils restent dans l’état de justice1. Inutile d’insister sur ces dogmes élémentaires. Il est de foi que l’état de grâce et de >cha·I rité n’est point requis pour faire certaines œuvres bonnes. Le concile de Trente définit que les actes préparatoires à la justification, produits par conséquent sans l’impulsion de la grâce sanctifiante, ne sont point despéchés et ne nous méritent point la haine de Dieu’-. Les papes condamnèrentces doctrines déses­ pérantes : Tout ce que fait le pécheur ou le serviteur du péché est péché3. — Que restet-il à l’âme qui a commis la faute, sinon une impuissance générale pour toute œuvre bonne? — Sans la grâce du Libérateur le pécheur n’est libre que pour le mal; sans elle nous ne pouvons rien aimer, sinon pour notre condamnation parle à Dieu et que Dieu récompense. — La prière des impies est un nouveau péché4. — Donc sans la charité, déclare l’Église, on garde la liberté de produire des actes qui ne sont pas coupables, que Dieu écoute et 1 Cf. Conc. Trident., sess. VI, can. it, a3 sq. 2 Sess. VI. can. 7. ' 1 3 Propos. 35, damn, in Baio, i oct. 1067. DenzinG Eli, IOJO. * 54’ * * da’“· “ récompense même d’une certaine manière; on peut avoir des affections légitimes. Le bon sens, d’ailleurs, proteste contre ces énormités et suffit à les réfuter. Le péché, tout en diminuant nos énergies, ne supprime pas nos puissances, pas plus qu’il ne nous enlève l’obligation d’observer les commande­ ments, de payer nos dettes, d’honorer nos parents; les actions qui sortent d’une faculté naturelle ne peuvent pas être empoisonnées dans leur source, surtout lorsque Dieu nous prescrit de les produire et s’engage à les couronner. Or le Seigne ppelle les pécheurs à la prière la pénitence, et il promet le pardon à ces actes il justifie le publicain à cause desessupplications, deson huinilité, de sa contrition ardente2. Il n’est pas possible que tout le bien soit anéanti dans le pécheur. De même que le juste, sans perdre l’état de grâce, se laisse aller presque infailliblement à des fautes vénielles, ainsi la vie de l’homme le plus per­ vers ne peut manquer de cerlaines bonnes œuvres qui sont le fruit facile et spontané d’une honnêteté native, et qui, avec l’amour du bonheur et une propension naturelle pour 1 Isal, i, 16-18 Eccli., xxi, i. ’Luc, xviii, i3. utar le bien, restent en nous comme les derniers H 0 traits de l’image de Dieu1. Par là se trouve condamnée-la théorie des deux cupidités dominantes, inventées par le jansénisme : ou l’amour de soi, qui corrompt tous nos actes, ou l’amour de Dieu, qui rend fécond tout ce qui germe sous son inspiration2. La doctrine catholique va plus loin, elle ment nécessaire pour tout acte bon. Dieu luimême se plaît à exciter les infidèles à des actions dont il les loue; il félicite Cyrusparla bouche du prophète : « Tu es mon pasteur, tu accompliras toutes mes volontés3. » 11 accorde aux Romains l’empire du monde, dit l’auteur de la Cité de Dieu, pour les récom­ penser de leurs vertus naturelles, mêlées pourtant à de nombreux défauts4. Mèmè dans les hommes qui n’ont pas encore reçu la lumière du Christ et qui sont au nombre des impies, saint Augustin reconnaît certaines actions que la justice nous défend de blâmer et nous commande de louer, bien que le motif qui les inspire échappe rarement à toute criti1 S. Augustin, De Spiritu et Littera, c. xxvni, P. L., XLIV, 23 o. 2 Cf. Propos.44-48,damn, in Ques.xel., et propos. a3, synod Pistor. *3 IsAi.. XLIV, 28. 4 De Civitate Dei, lib. V,c. xn, P. L.. XLL i5zî-i58. 1W *■ . 1 w ■— 9 7 ’ V; ÏJ que*. Sans doute, le saint docteur soutient fortement, contre le pélagien Julien d’Éclane, que les païens n’étaient pas de vrais justes, que leurs vertus n’étaient point complètes, que leurs actes, manquant de la perfection dernière, pouvaient être appelés défectueux. peccata ais il ne conteste pas leurs œuvres honnêtes, qui étaient, d’ailleurs, un don de Dieu, le Seigneur ne refusant pas son con­ cours aux infidèles et se servant pour le bien même de ceux qui sont mauvais2. Il est manifeste que l’infidélité n’a pas éteint les facultés naturelles, qu’elles font éclore d’elles-mêmes certains actes faciles, leur fruit et leur couronne. Ces opérations sont tellement spontanées que les circons­ tances ne peuvent pas universellement les vicier; la fin est de soi honnête et se rapporte à Dieu : c’est l’infaillible hommage de la nature à son Créateur. Comment tant de puissants esprits dudix-seplième siècle n’ontils pas vu la monstruosité de leurs assertions lorsqu’ils ont prétendu que le païen en saluant sesamis et en vénérant ses parents co met tait autant de péchés mortels! 1 De Spiritu et Littera, c. xxv 22?23o. 'Cf. Contra Julianum, lib. IV, Λ, sq. — 66 C'était un outrage au bon sens que l’Eglise ne manqua point de réprimer. Elle proscri­ vit donc les propositions suivantes : Toutes les œuvres des infidèles sont des péchés, les vertus des philosophes sont autantde vices1. — C’est une fatale nécessité pour l’iiiüdèle de pécher dans tous ses actes; tout ce qui ne procède point de la foi surnaturelle qui opère par la charité est un péché2. —Sans la lumière de la foi, sans le Christ, sans la charité, que pouvons-nous être sinon ténèbres, aberration et péché8? Le Saint-Siège n’ayant frappé que d’une condamnation globale les diverses proposi­ tions de Baïus et des jansénistes sans attacher à chacune d'elles la censure d’hérésie, la doc­ trine opposée que nous rappelons ici n’est pas absolument de foi, mais elle est indiscu­ table, et il y aurait témérité grave à la con­ tester. EnÛn, c’est le sentiment aujourd’hui com­ mun des théologiens —conclusion vraie, bien qu’elle n’oblige pas la croyance catholique — que l’homme peut sans aucune assistance surnaturelle, avec le concours ordinaire de la 1 Propos. a5, damn, in Baio. Denzinger, io-à5. = Propos. 8 et u, damn, ab Alex. Vlll, ; déc. 1690. Denzi.sgeh, 1298, i3o4· 3 Propos. damn, in Quesxel. Denzinger, i3o& '•’ÿç/’.r. I I 1 I , Providence, faire quelque bien. Sans doute la Cause première doit intervenir dans tous nos actes libres, nous aider de son influence immédiate : c’est sous une motion spéciale, physique, efficace, que se produit toute acti­ vité louable1. Ce secours peut être appelé grâce dans un sens large, puisqu’il est gratuit et qu’il n’est pas accordé à tous, et c’est ainsi qu'on expliquera les expressions de quelques anciens thomistes qui requièrent unegràce, c’est-à-dire une intervention de Dieu pour toute œuvre bonne’. Ce que nous sou­ tenons, c’est qu’il n’est pas besoin d’une grâce de l’ordre surnaturel. Nous avons signalé déjà des actions très faciles, dont l’objet, les circonstances, la fin sont de soi honnêtes, que rien ne semble devoir vicier, qui montent d’elles-mèmes vers Dieu, car elles sont l’hommage spontané de notre être au Créateur. Nos facultés restent évidemment capables de ce petit effort si elles ne sont pas complètement éteintes. Ici encore l’Eglise a manifesté son senti­ ment, en condamnant les propositions suivantes: Le libre arbitre, sans la grâce, n’est capable que de pécher; c’est être pélagien ‘Cf. S. Τπομ.,Ι* IIa% q- mi)» a. 2. s Cf Em. Neveu, Divas Thomas, mai 190b, p. 259, : *1· » — 68 que de reconnaître un bien naturel, c’est à-dire, qui tire son origine des seules forces de la nature1. — Sans la grâce nous ne pouvons aime.-que pour notre condamnation’. —Donc il est vrai que sans aucune grâce et avec les seules énergies naturelles notre libre arbitre est capable d’actes qui ne sont point des fautes etd’un amourqui n’est point blâmable. — Pie VI, en condamnant comme fausse la vingt-quatrième proposition du synode dePis­ toie, déclare qu’entre la cupidité dominante mauvaise et la charité il existe des affections intermédiaires qui sortent de la nature toute seule, louables parelles-mêmes, traits authen­ tiques de l’image de Dieu en nous. C’est ce qu’avait déjà enseigné saint Augustin : « Entre la charité divine, quinousconduitauroyaume céleste, et l’amour humain coupable il y a place pour un amour humain licite que nous ne pouvons pas condamner3. » Enfin le concile de Cologne de i860 (approuvé par le Saint-Siège)confesse que l’homme déchu peut avec les seules forces de la nature accomplir certaines œuvres bonnes. Voilà donc résolue la première question 1 Propos. 27 et 3;, damn, in Baio. Denzinger, n. 1027, io37· ’ Propos. 40, damn.inQuesnel. Denzinger,n. i3qo. ’ Serni. 349, L., XXXIX, i53o. Pour faire quelque bien, s’élever jusqu’à quelques actions honnêtes, il n est pas néces­ saire d’appartenir à l’âme de l’Église par la foi, ni même d’avoir la grâce actuelle. Quant aux œuvres salutaires, nous avons à signaler encore une erreur janséniste : Les païens, les juifs, les hérétiques, ne reçoivent aucune influence surnaturelle de Notre-Sei*. gneur Au dire de Quesnel et de ses disciples de Pistoie, quiconque n’a pas la vertu de foi est incapable de ressentir un mouvement surnaturel ou de recevoir la moindre grâce. La condamnation de l’Église ne se fit pas atten­ dre : fausses, les propositions de Quesnel : Aucune grâce n’est donnée que par la foi ; c’est la foi qui est la première grâce et la source de toutes les autres4; fausse, suspecte d’hérésie, la doctrine du synode de Pistoie : La vertu de foi commence la série de toutes les grâces, elle est la première voix qui nous appelle au salutet à l’Église. —Au contraire, il y a, dit Pie VI, après saint Augustin, une grâce préalable qui prévient la foi aussi bien que la volonté3. Ainsi, le païen, avant de posséder l’excel1 Propos, damn., ab Alex. VIII. Denzinger, 1295. ’ Propos. 26 et 27, damn, in Quesnel. Denzinger, i3;6, ι3;;. I 3 Bull. Auctorem Fidei, propos. 22. Denzinger, *?*»*>£ U · lente vertu qui lui donnera un jour le titre et la qualité de fidèle, est favorisé, à l’occasion, de grâces actuelles, bonnes pensées, pieux mouvements, à l’aide desquelles il peut s’ache­ miner de loin vers le salut. La vertu de foi, en effet, n’est pas infusée au hasard, ni subite­ ment. elle suppose un long travail intérieur qui l’a préparée : dans l’intelligence des éclairs surnaturels,des illuminations qui arra­ chent l’esprit à sa torpeur; dans la volonté des excitations, des sollicitations pour ame­ ner la faculté du commandement à donner son impulsion efficace. Il n’est pas croyable que Dieu ait laissé pendant tant de siècles et laisse encore tant de nations idolâtres dans les ténèbres com­ plètes : il visite ces infortunés, les appelle, les provoque, les attire par les touches misé­ ricordieuses, des grâces actuelles, il n’est pas admissible, d’autre part, que ces invitations soient toujours etuniversellcment repoussées: elles doivent amener parfois des actes salu­ taires. Mais, si l’on peut accomplir des œuvres honnêtes, et mêmeuliles ausalut, sans appar­ tenir à l’âme de l’Ëglise, il nous est absolu­ ment impossible de rien tenter pour notre céleste destinée à moins d un secours surna­ turel. Loa erreurs du naturalisme Aucun des sages de l'antiquité païenne n’a reconnu ni même soupçonné la nécessité ou l’existence de la grâce. Tout ce qu’ils atten­ dent de Dieu c’est la fortune, la prospérité, une longue vie; quant à la vertu, ils ne la demandent qu’à leur volonté. « Personne, dit Cicéron, n’ajamais songé à rapporter à Dieu ses vertus et ses bonnes actions1. » — « Avoir confiance en soi-même, ajoute Sénèque, voilà •ce qui fait lavie bienheureuse2. » Le sage n’a rien à solliciter de Dieu, dont il est l’égal non le suppliant, socius, non supplex, et auquel il pourra dire fièrement quand il mourra : Je te rends mon âme meilleure que tu ne me l’avais donnée3. Ce naturalisme refleurit à notre époque. La science athée repousse même la notion de Créateur; les déistes, tout en confessant l’existence de Dieu, rejettent la Providence; les théistes, qui admettent la Providence, nient la grâce et la révélation. Les Juifs, bien qu ils lussent comme enlacés d’un réseau divin, n ont pascompris la portée du surnaturel : leur seule qualité d’enfants d’Abraham leur valait, croyaient-ils, l’amitié de Dieu: avant toujours fait consister la jus tice et la sainteté dans l’observation maté II rielle des cérémonies legales, ils ont méconnu la grâce intérieure. Les disciples d’Origène, et plus tard ceux de Theodore de Mopsueste, enseignèrent de pernicieuses erreurs sur le peche originel et la nécessité de la grâce. Mais c’est le pélagia­ nisme qui a été sur ce point la grande herésie, résumé et synthèse de toutes les autres. Après avoir nié le pèche originel, Pelage écarta toute idée de grâce divine. Dieu nous donne le pouvoir, nous tenons de nous seuls le vouloir et le faire. Presse par l’argumen­ tation victorieuse des catholiques, qui lui prouvaient par l’Écrilure et la raison que la grâce et le christianisme sont inséparables, il admit l’expression, tout en excluant la réa­ lité, car il entendait par là le libre arbitre, les facultés, les biens naturels. Poussé tou­ jours plus vivement par les champions de la vérité d déclara que la grâce divine désignait l’Evangile la prédication apostolique, etc. < Condamné enfin par le pape Zozirrie C[iS), il reconnut une certaine grâce actuelle inté­ II rieure; mais il prétendit que ce secours ou bien était dû à nos mérites, ou bien n était requis que pour agir avec plus de promptitude et d’aisance, ou bien n’etait donne que pour lesœuvres exquises qui font les géants de la sainteté. C’était affirmer la possibilité absolue pour 1 homme de produire des œuvres salutaires et méritoires sans une grâce et une foi surnatu­ relles : aucune nécessité d’appartenir à une Eglise divine. Saint Augustin combattit ces erreurs avec une vigueur et une sûreté de doctrine qui lui ont valu le titre immortel de Docteur de la grâce. La. perfide hérésie fut condamnée aux conciles de Carthage (412 et 41Û), de Diospolis, (4i5), deMilève (417), et au concile œcu­ ménique d’Ephèse (43i). Lessemi-pélagiens, avec Cassien,Gennade, rauste de Pliez, admettaient l’ordre surna­ turel et la nécessite d’un secours divin pour les actes méritoires, mais ils soutenaient deux erreurs fondamentales : i° le commencement de la foi et du salut vient de 1 homme : à force de désirer, de demander, de frapper, la nature obtient que Dieu l’écoute et lui ouvre; elle se prepare effectivement au surnaturel. ■■■■ S‘• - f. • -·:Α-Ί •>'A·- - ■: I Sfc· .Ê· '· 2° la persévérance finale est clue à nos mé­ rites. Il suit de là que la prédestination à la grâce n’est pas gratuite et que la grâce ne l’est point davantage : puisque l’homme se prépare au salut par ses seules énergies et acquiert un vrai droit à la première grâce, toute la série des grâces n’est que la conséquence de nos œuvres, que la récompense de nos mérites. 11 faut bien appartenir à l’âme de l’Eglise pour être sauvé, la grâce est bien nécessaire pour arriver au terme définitif, mais nous pou­ vons commencer par nous-mêmes l’œuvre surnaturelle et tirer de nos seules forces des actes véritablement salutaires. Ces théories furent réfutées par saint Augus· tin, saint Prosper, saint Hilaire d’Arles, saint Fnlgcnce, et condamnées par les papes Célestin Ier, dans sa lettre aux évêques des Gaules, (432), et Gélase (4g4). La condamnation défi­ nitive eut lieu au second concile d’Orange (52g), dont les actes furent approuvés officiel­ lement parle pape Boniface IL Quel est donc l’enseignement de l’Eglise sur le sujet ipii nous occupe? Nous ne parlons que des œuvres salutaires, car nous expose­ rons plus tard la nécessité de la gn\ce sancti­ fiante pour l’observation intégrale de la loi et pour le mérite. · · 0 » Il est de foi que nous avons besoin d’une grâce surnaturelle pour tous et chacun de nos actes salutaires. Au dire de l’Evangile1, l’inter­ vention continuelle et immédiate de NotreSeigneur nous est aussi indispensable dans l’ordre surnaturel que l’action de la vigne à la fécondité des sarments : ceux-ci ne peuvent porter de fruit ni vivre qu’à la condition de rester unis au cep et de puiser eu lui une sève toujours renouvelée; l’âme aussi est frappée de stérilité et de mort si elle ne demeure en contact avec Notre-Seigneur et ne reçoit cons­ tamment de lui l’influence divine. Or cette énergiecommuniquée par le Christ n’est point le concours ordinaire du Créateur, car le Verbe envoyé et incarné pour nous est l’au­ teur du salut :1a sève qui dérive de lui désigne donc la grâce. Ainsi, sans l’assistance surna­ turelle il nous est absolument impossible de fructifier pour le ciel : Sine me nihil potestis facere; de nous avancer vers Dieu par un mouvement du cceur ou de l’esprit : Nemo potest venire ad me nisi Pater qui misit me traxerit eanf-, d’avoir une pensée (pii nous compte pour l’éternité3 : Nonquodsufficient.es simus cogitare aliquid a nobis quasi ex 1 Joan., 2 Joan., 3 II Cor ni. a. ■■■ '■ η GvW . ·Ύ*· ' . nobis, sed sufficientia nostra ex Deo est. Dieu vient tout ce que nous pouvons faire1. » C’est donc bien Dieu qui opère en nous le — « Nous ne pouvons nous glorifier de rien, vouloir et le faire, velle et perficere', et la car nous n’avons rien de nous-mêmes . * » — résolution de la volonté et le désir efficace et A ceux qui prétendent ne rien devoir à Dieu, l’exécution définitive. saint Grégoire deNazianze réplique avec saint La Tradition catholique a toujours proclamé Paul : « L’œuvre du salut dépend non de II l’impuissance de l'homme et la nécessité du celui qui veut ni de celui qui court, mais de secours d’en haut. « C’est par la grâce, Dieu qui fait miséricorde3. » — « Pour que répète saint Polycarpe après saint Paul, non personne ne fùl tenté de croire qu’il pouvait par nos œuvres, que nous sommes sau­ produire par lui-même au moins quelque peu *. vés de fruit, Notre-Seigneur déclare : Sans moi Saint Justin témoigne que les chrétiens vous ne pouvez absolument rien faire. Que ce adressent à Dieu des prières pour qu’ils soit peu, que ce soit beaucoup, nous ne pou­ II deviennent capables d’observer les comman ­ vons absolument rien qu’avec Celui sans dements et d’arriver au salut éternel : donc lequel rien ne peut se faire *. » il leur faut l’aide divine.1 *3. Les définitions de l’Eglise sont formelles. « La terre desséchée, dit saint Irénée, Non seulement le progrès dans la foi, définit demeure entièrement stérile si elle n’est pas le deuxième concile d ’ Orange, mais l ’ ori ­ r arrosée; ainsi nos âmes ne peuvent fructifier gine, le germe, le commencement de cette foi pour la vie éternelle si elles ne reçoivent la sont l’œuvre de la grâce, le don de l’Espritpluiecéleste, don gratuit deDieu4. » — « C’était Saint, qui corrige notre volonté6. Ce n’est l’erreur humaine qui nous faisait pécher, point par nos propres forces que nous pou­ ajoute saint Cyprien, c’est le don delà foi qui vons croire, vouloir, désirer, essayer, tranous préserve du péché. De Dieu, oui, de 1 Philipp., u, i3. ’ S. Polycarp., Epist. ad Philipp., c. i V, iooô . 3 g. Justin, Apolog.. i, 65, P. Ο., VI, 4a8. 4 S. Ihbn., Adv. Haeres., Ub. IH, c. τχπ, n. 1 S. Cyprian., Ad Donatum, iv, P. L., IV, 201-202. 1 Idem., De Testimon., lib,. III, c. iv, P. L., IV, 734. J S. Gregor. Nazianz., Orat. 37, P. G., XXXVI, 297. ♦S. Augustin., Tract. 81 in Joan.,'n. 3, j XXXV. 1841. * Conc. Abausic., Π, can. 5, Denzinger, 178. Γι — ? — — 79 Seigneur’. — Anathème, prononce le concile deTrente, à quiconque prétend que les œuvres de la nature ou de la loi peuvent nous justi­ fier sans la grâce divine qui vient par JésusChrist: ou que la grâce est seulement néces­ saire pour faire les œuvres surnaturelles avec plus d’aisance, comme si l’homme tout seul par son libre arbitre, quoique avec peine et difficulté, pouvait vivre justement et mériter la vie éternelle; anathème à quiconque affirme que sans l’inspiration et le secours prévenants de l’Esprit-Saint nous pouvons croire,espérer, aimer et nous repentir comme il faut, pour que la grâce de la justification nous soit conférée1. La raison de tout cet enseignement est bien manifeste. C’est un axiome, aussi incontes­ table qu’il est célèbre, que le principe et la fia s’ajustent, pour ainsi dire, se . mesurent, s'appellent l’un l’autre : dès lors ils sont nécessairement dans la même sphère et le même ordre. Le terme des actes salutaires est surnaturel intrinsèquement, puisque c’est la vie propre de Dieu possédée ou commencée en nous : le principe est donc surnaturel au même degré. vailler, prier, chercher, frapper et par là I mériter la divine miséricorde : tout cela est produit en nous par l’infusion et l’inspiration du Saint-Esprit1. — Par les seules énergies de notre nature nous ne pouvons absolument rien faire de ce qui appartient au salut éter­ * nel, ni avoir une pensée utile, ni accorder notre adhésion à la prédication évangélique; il faut pour cela l’illuininâtion et l’inspiration de l’Esprit-Saint, lequel donne à chacun la suavité pour consentir et croire à la vérité1. — Chaque fois que nous faisons le bien, Dieu est en nous et avec nous poumons le faire accom­ plir3. Dieu produit en nous bien des effetsoù nous ne coopérons en rien ; niais nous ne réalisons aucune bonne œuvre sans que Dieu ne soit là pour nous la faire faire4. — Quand il s’agit du bien, ce n’est pas nous qui commen­ çons et Dieu qui vient ensuite pour nous aider par sa miséricorde : c’est lui qui le pre­ mier et sans aucun mérite de notre part nous inspire la foi et l’amour, afin que nous cher­ chions le sacrement de baptême et que nous puissions ensuite, toujours avec le secours ! divin, pratiquerce qui est agréable aux yeux du 4 2 ’ * Conc. Arausic., h, can. G, Denzlnger, 170 Ibid., can. 7, Denzikger, 180. Ibid., can. 9, Denzinger, 182. Ibid., can. 20, Benzinger, iq3. ‘ ’Cong. Araustc., it. can. 25. Df.nztnger, 200. ’Conc. Trid., sess. VI, can. 1, 2. 3. DE L’ÉGLISE Ί — 8o ■ I —- Si —- Ce n’est pas et ce ne peut être un secours naturel, quoique gratuit, c’est la grâce essen­ tiellement surnaturelle, comme l'éternité d’où elle part et où elle remonte. Nous pouvons conclure parces paroles d’un pape : « Y a-t-il dans notre vie chrétienne un temps où nous puissions nous passer de l’assistance divine? Pour tous nos actes, toutes nos pensées, tous nos mouvements nous devons implorer Celui qui est notre aide et notre protec­ teur1. » Tel est le résumé de la doctrine catholique. Pour faire quelque chose de bon il n’est pas besoin de la prédestination, ni de la charité, ni de la foi, ni même de la grâce actuelle, mais pour toute œuvre qui a trait au salut il faut un secours divin. Quoiqu’il puisse y avoir avant la foi cer­ tains actes surnaturels, les œuvres cependant qui sont une préparation immédiate à lajustiücalion, l’espérance, la pénitence, l’amour, sont toujours précédées de la foi. Nous avons montré, enelfet, au chapitre second, que l’acte de foi est la première disposition et que rien ne peut ni le remplacer ni le suppléer. De même, il fautla foi pourcesœuvresexcellentes qui font la vie du juste. La vie requiert un 1 ZozimusPapa, Epist.dogrn. Tractatoria, Frag. 11, P. L., XX, 6y3. 1 1 principe permanent : donc, cette foi qui fait le saint, Justus meus ex fide vivit', n’est pas un éclair qui passe, mais un état, une habitude, une vertu. Appartenons donc par la foi à l’âme de l’Eglise, si nous voulons produire des œuvres durables pour l’éternité. La foi assurera à notre vie la fécondité, et elle sera notre suprême ressource à l’heure de la mort. L Eglise déploie uneéloquence incomparable pour nous défendre devant notre Juge : elle plaide les circonstances atténuantes, rejette la faute sur l’ignorance, l’impétuosité de la jeunesse et des passions ; si elle ne peut tout innocenter, elle fera des aveux, mais elle tient en réserve un dernier argument qui lui parait décisif. Oui, mon Dieu, je l’avoue, cet enfant que je vous recommande est coupable; il a péché, c’est vrai, mais il a eu la foi; et à ce litre je demande grâce pour lui I Licet euini peccaverit,... sed credidit . * Puisse le chrétien / ne pas donner un démenti à l’Eglise, puisset-il plutôt répéter avec elle ; Mon Dieu, j’ai cru,je crois encore, j’espère le pardon, je ne serai pas confondu éternellement! / 1 Habacuc., n, 4î G(d> ni, n, * Rituel, Prières de la recommandation de J’ftme 83 que même après la chute originelle la miséri II cordieuse Providence veut sincèrement le salut du genre humain. Il est de foi, contre les jansénistes, que les prédestinés ne sont pas les seuls pour lesquels Jésus-Christ ait versé son sang. Saint Paul enseigne que le il Christ est mort pour des chrétiens qui peu­ II vent se damner : le scandale, dit-il, peut faire tomber et périr éternellement « un frère pour lequel le Christ est mort1 ». C’est une assertion impie, blasphématoire, injurieuse envers la miséricorde divine, hérétique, déclare le s pape Innocent X en condamnant la 5® propo­ sition de Jansénius, de prétendre que le Sau­ veur n’est mort que pour le salut des seuls prédestines. Il est de foi, disent communé­ ment les théologiens, que le Christ est venu II en ce monde pour le salut de tous les fidèles, puisque tous sont tenus de croire la parole II du Symbole : Qui propter nos homines et propter nostram salutem descendit de cœlis. C’est une doctrine voisine de la foi que Dieu II veut le salut de tous les adultes, même infi­ dèles. Saint Paul, en recommandant de faire des prières pour tous les hommes, signale CHAPITRE IV LE SALUT DES PAÏENS i Si la nécessité d’appartenir par la foi à l’àme de l’Église est aussi rigoureuse que nous venons de l’expliquer, ne faisons-nous point aux païens un sort lamentable et déses­ péré? Résumons tout d'abord, en peu de mots, la doctrine catholique touchant la volonté salviiiquede Dieu. L’Eglise1 a défini, contre les prédestinatiens, que Dieu ne voue personne II à la damnation, que personne n’est livré à l’éternel supplice qu’à cause de ses fautes, 1 Voiries déclarations de l’Église dans Denztnger, n. 3iG-325. Voir aussi le concile de Trente, sess. VI, can. 6. — Le deuxième concile dOrange avait déjà dit. « Aliquos vero ad malum divina potestate prae­ destinatos esse non solurn non credimus, sed etiam, si sunt qui tantum malum credere velint, cum omni detestatione illis anathema dicimus. » (Can. sa. Dknzinger, n. 200.) i 1 a Noli cibo tuo illum perdere pro quo Christus uortuus est. » (Rom, xiv, i5..) « Et peribit infir­ mas in tua scientia frater pro quo Christus mor­ tuus est. » (/ Cor.t vin, i.) •Σ i *’ ** ▼ -4 toutes les catégories de la société, rois, empe­ reurs, juges, parce que Dieu, notre Sauveur, veut que tous les hommes soient sauvés et arrivent à la connaissance de son saint nom'. Il est manifestement question des païens, qui sont encore privés de la connaissance du vrai Dieu. L’Apôtre ajoute que le Dieu vivant est le Sauveur de tous les hommes, et prim eipalement des fidèles1 2. Les faveurs divines tombent en premier lieu sur les chrétiens, mais elles s’étendent cependant à tous les hommes : Salvator omnium hominum3» C’est aussi un genre d’apologie, croyonsnous, que d’exposer les enseignements delà théologie sur cette grave et toujours actuelle question, Dieu veut le salut des païens La sainte Ecriture signale en maint? endroits les admirables inventions du Sel· 1 7 Tim., ii, 1-6. 2 Ibid., iv, ίο. 3 Alexandre VIII, le 7 décembre 16,0, a condamne celte proposition : « bedil semetipsurn (Christus) pro nobis oblationem Deo. non pro solis cleclis, sed ÏT pro omnibus el solis fidelibus. » (DbnziNghr, n, i™{.) I I ( 1 ' > ■ - ' %‘ — 85 — i gneur pour ramener les âmes au salut. 'Les chapitres xi et xn du livre de la Sagesse sont à ce sujet particulièrement remarqua­ bles et touchants. Les Egyptiens sont frappés pour qu’ils apprennent à connaître le vrai Dieu: Verum Deum agnoverunt' ; le Seigneur multiplie ses industries miséricordieuses pour appeler les Ghananéens à la pénitence : aver­ tissements, sollicitations, invitations d’une délicatesse infinie, tout est mis en œuvre dans le dessein surnaturel de tirer ces nations perverses de leurs crimes et de leur aveu­ glement12. Les appels de la grâce ne restent pas tou­ jours vains. Dieu admet dans les rangs du peuple choisi Rahab, la courtisane, Ruth, la Moabite ; ilaccordele don de la foiàNaaman, le Syrien ; il envoie miraculeusement un missionnaire à la cité corrompue de Ninive. Ce livre de Jonas est une des preuves les plus dramatiques et les plus émouvantes de la bonté divine et de son désir sincère de sauver tous les hommes. Les Pères ont célébré les sollicitudes du 1 Sap., xn, 27. 2« O quam bonus et suavis est, Domine, spiritus Unis in omnibus! Ideoque eôs qui exerrant partibus ■< iripis; et de quibus peccant admones et alloqueisi nt, relicta malitia, credant in te, Uornme. » i&ip., XII, 1-2.) 86 — Seigneur à l’égard des peuples anciens, ils déclarent que les mérites du Christ se sont étendus par avance à tous les hommes qui, sans soupçonner même l’incarnation, appelaient implicitement un Rédempteur. « Le Sauveur, dit saint Irénée, n’est pas venu seu­ lement pour les fidèles qui crurent en lui à l'époque de l’empereur Tibère, ni seulement pour ceux qui vivent,de nos jours, mais pour • il tous les hommes sans exception (omnes omnino homines) qui ont existé depuis l’ori­ gine et qui, pratiquant la vertu, craignant et tl aimant Dieu, observant la justice et la piété envers leurs semblables, ont désiré voir le Christ et entendre sa voix... C’est un seul et meme Dieu qui a dirigé les patriarches dans leurs voies diverses et qui a justifié par la foi les circoncis et les incirconcis (les Juifs et les gentils) ‘. » Saint Chrysoslome explique com­ ment Dieu a toujours été miséricordieux, comment il a toujours justifié sa conduite envers les hommes, à l’époque du déluge, II envers Sodome, envers Ninive, etc. *. Saint Augustin signale trois catégories de personnes qui ont été sauvées par la grâce du Rédemp­ teur : les enfants délivrés de la loi du péché et du trépas avec laquelle nous sommes nés ; ' {dversus Hœrese», lib. IV, c. xxii,P.G.,VII, ιοΖί. 2 llonul. XLII1 (al. 44), in Matth.» P. G., LVII, 45o. 5 » l les adultes qui, abusant du libre arbitre, avaient prévariqué contre la loi naturelle de la raison (c’est-à-dire les gentils) ; enfin ceux qui, ayant reçu la loi de Moïse, en avaient violé les préceptes et s’étaient laissé tuer par la lettre (c’est-à-dire les Juifs1). Le puissant génie qui est resté inconnu en s’abritant sous le nom de Denis l’Aréopagite enseigne que Dieu, soit avant, soit après la loi, s’est servi du ministère des anges pour instruire les hommes, les retirer de l’erreur, les faire sortir de leurs voies profanes et les amener à la vérité *. La sollicitude divine est plus admirable encore dans l’économie évangélique. Ici, la connaissance explicite du Rédempteur est nécessaire, mais la Providence a des voies • Il non moins efficaces que mystérieuses pour la donner. L'Esprit-Saint envoie Philippe prê­ cher aux Samaritains et à l’eunuque, officier de Candace, reine d’Éthiopie3. Le centurion Corneille voit clairement dans une vision l'ange de Dieu qui entre chez lui pour l’insIruire ; une révélation analogue avertit Pierre * des desseins miséricordieux du Seigneur touII 1 Episl. i57 (al. 89), P. L., XXVIII, 681. !Cœ/«si. Hierarc., c. iv, P. G., Ill, 179. 1 Act., vin. k Ibid., x. ■ — Ht) chant le salut des gentils. « Saint Paul, étant descendu à Troas, eut une vision pendant la nuit : un homme de Macédoine se tenait debout et le priait en disant : « Passe en Macédoine et Viens nous secourir. » Dès qu'il eut vu cette vision, nous cherchâmes aussitôt à partir pour la Macédoine, ctantcertainsque Dieu nous appelait à y prêcher l’Évangile *. » La tradition chrétienne abonde en témoi­ gnages très explicites qui mettent en relief les industries de la volonté salvitique. « Il n’y a pas à en douter, dit saint Augustin, Dieu procurera la connaissance de l’Evftn * gile à ceux que sa miséricorde a résolu d'ar­ racher à la damnation, et ils croiront après avoir entendu la bonne nouvelle *. » « Si quelqu’un, déclare saint Thomas3, mit point d’obstacle à Faction divine par sa faute, il serait éclairé d’en haut * et Dieu 1 Act., XVI, rj-tOi 2 « Quicuinque ab illa originali damnatione ista divin® gratiæ iatgitate discreti stitit, ηόή eat du­ bium quod et procuratur Evangelium audiendum, et, cum audiunt, credunt. » (be Correptione et Gratia, c. vu, P. L., XLIV, 924.) 3 « Et si aliquis instructorem non haberet, Deus ti revelaret, nisi ex sua culpa remaneret. » (Ill Sent.. •!isl. 25. q.2, a. 2, sol. 2.) Dans ce passage, ad 3. saint Timinas admet que dans ΓAncien Testament des révélations furent faites aux gentils par le ministère des anges. même lui ferait la révélation des mystères. » ail appartient à la divine Providence de pourvoir à chacun pour toutee qui est néces­ saire au salut, à moins que l’homme n’y mette obstacle. Si donc quelqu’un, élevé dans les forêts, loin de toute communication, suit la guide de sa raison dans l’amour du bien et la fuite du mal, il faut tenir pour très certain ou que Dieu lui-même par une inspi­ ration intérieure lui révélera ce qu’il est nécessaire de croire, ou bien qu’il lui amè­ nera un prédicateur de la foi, comme il envoya Pierre à Corneille b » On a coutume de faire dire à saint Thomas (pie Dieu enverrait un ange plutôt que de laisser mourir sans la foi le païen qui ne s’est pas rendu indigne de cette grâce. C’est une glose; mais, si les paroles ne sont pas du saint Docteur, elles expriment assez légiti­ mement sa pensée. Ce fut, en effet, par l’in­ termédiaire d’un ange aperçu en vision que saint Pierre fut envoyé vers Corneille ; ailleurs’, le Maître nous assure que les anges dans l’ancienne loi instruisirent les gentils sur le mystère de l’incarnation ; or la divine Il iséricorde n’est pas moins clémente pour II les modernes païens. 1 Qq. Dispp. De Veritate, q. i4> a- ir» a£i ί· 3 111 Sent., loc. cil. ■ ■ mode d’évangélisation, si extraordileseutier de la grande forêt. Il avait marché naire qu’il nous paraisse, n’est cependant environ une heure, n’apercevant que de loin pas un miracle : c’est une loi que la Provien Iol. une petite culture. Tout à coup, il cence intervienne selon l’état et les condi­ entend, à une certaine distance, comme les tions de chaque personne et que les anges, gémissements étouffés d’un homme qui se qui sont par office messagers entre Dieu et débat dans les transes de l’agonie. Après de nous, se fassent les ministres du salut ; cette multiples recherches, il découvre un vieil­ mission, bien loin de violer les règles éta­ lard qui semble être sans connaissance et sur blies, est tout à fait conforme à l’économie II le point de mourir. Il l’interroge, se fait com­ du surnaturel prendre de lui*, l’instruit, le baptise. C’était Dieu sait aussi ménager la visite du mis­ à onze heures du matin ; à trois heures de sionnaire en temps opportun. Les exemples l’après-midi le coolie avait rendu le dernier sont de chaque jour ; voici un trait qui con soupir. « Sans doute, les dispositions de ce firme, bien mieux que tous les arguments, la pauvre coolie étaient bien le strict nécessaire, consolante doctrine de saint Thomas. Un mais j’ai cru devoir le baptiser, et j’aime à apôtre de la Trinidad, le P. Cothonay, O. P., croire que le bon Dieu a voulu sauver cette s’était essayé, un matin après la messe, à âme. Car je considère comme une chose tout composer un sermon qu’il devait prêcher le à fait extraordinaire que je me sois trouvé à soir à la cathédrale de Port-d’Espagne. Et passer par cet endroit à pareil jour et quel­ voilà qu’il éprouve une résistance dont il n’a­ ques heures avant sa mort. De plus, je me II vait pas du tout l’habitude ; non seulement II demande comment j’ai pu entendre ces les idées ne viennent pas, mais il se trouve gémissements à une pareille distance. Le impatient à la même place et se sent poussé, pauvre homme était couché dans sa cabane, II comme malgré lui, à faire une promenade à située à cinquante mètres environ du chemin travers les bois. Après avoir résisté quelque que je suivais, et tout le temps que je restai temps, il selle sa monture et s’enfonce dans 1 « A la grande admiration de son fils, qui depuis * « Nonne omnes sunt administratorii spiritus, in H jours n’avait pu lui arracher une parole, cet ministerium missi propter eos qui hæreditatem homme me parla, dit le missionnaire, il répéta plu ­ capient salutis? » (£L6/·., i, ' * sieurs fois : Oui, oui, moi content, monsieur. » i * «SM* près de lui il ne poussa pas un seul de forts gémissements1. » Que de faits analogues, que de pages au livre d’or des éternelles miséricordes doit fournir la vie de chaque missionnaire! Pie IX, tout en proclamant l'obligation pour tous les hommes d’appartenir à l’Ëglise du Christ, déclare aussi bien haut que les païens ne seront pas condamnés pour leur ignorance si elle est invincible. « Or, qui oserait déter­ miner exactement les limites de cette igno^ rance, en tenant compte de la condition et de l’esprit de chacun, de la difference des peu­ ples et des pays, et d’une foule d’autres cau­ ses? Lorsque, délivrés des liens corporels, nous verrons Dieu tel qu’il est nous coin· prendrons combien étroite et agnifique est l’alliance qui unit la miséricorde et la justice divines ; mais, tant que nous portons sur la terre le poids de cette chair qui alourditl’ânie, il faut tenir fermement qu’il y a un seul Dieu, une seule foi, un seul baptême : scruter plus à fond n’est point permis. La charité cepen­ dant nous fait un devoir de prier pour ces âmes La main de Dieu n’est pas raccour· cie les dons de la grâce céleste ne manqué­ rout jamais aux hom es qui d’une volonté 1 Cf. Trinidad, Journal d'un missionnaire duminicain, p. u;3-a;6, Paris, Téqui sincère désirent et demandent la lumière1. » — «Tous ceux qui ignorent invinciblement notre sainte religion, qui observent avec fidé­ lité la loi naturelle et les préceptes gravés par Dieu mes, qui sont prêts à obéir au Seigneur, qui mènent une vie honnête, peuvent avec le secours de la lumière et de la grâce divines arriver à la vie éternelle ; car Dieu, qui voit, scrute et connaît les esprits, les cœurs, les pensées, les habitudes de tous les humains, ne saurait permettre, dans sa bonté et sa clé­ mence, que quelqu’un sans avoir de faute volontaire soit livré au supplice éternel. Mais il ne faut pas oublier non plus le dogme catho­ lique que personne ne peut être sauvé en dehors de l’Ëglise : les contumaces qui résis­ tent à l’autorité et aux définitions de l’Ëglise et se séparent par leur mauvaise volonté de l’unité visible et du Pontife romain, auquel le Sauveur a confié la garde de sa vigne, seront exclus du royaume des cieux *. » Le salut est donc possible aux païens . mais il est certain d’autre part que personne ne peut être justifié sans une foi vraiment * Allocut. consistor. Singulari quadam, 9 déc. ι854· Dbxzinger, η. ι648 * Encyclica ad Cardinales, Archiepiscopos e i863. i8ü3 Dexnzlvger Epixcopog Italiæ io august n. 1677. —— — 95 divine : Sine qua nulli unquam contigit jus­ tificatio1. Par quel procédé acquerront-ils cette connaissance surnaturelle? X · ■I Comment les païens peuvent arriver à la foi. — Expli- | cation de l’axiome : Facienti quod in se est Deus non denegat gratiam. — Les trois modes possibles. 1 La foi n’est pas la première des grâces, et l les infidèles eux-mêmes reçoivent en temps opportun des secours surnaturels, illumina­ tions et inspirations qui les orientent vers leur éternelle destinée. Nous avons prouvé, au chapitre précédent, l’existence de cette « grâce préalable qui prévient la foi aussi bien que la volonté » ; nous avons expliqué comment Dieu visite les nations idolâtres, les appelle et les provoque par ses touches misé­ ricordieuses ’ ; que ces invitations ne peu- r ,1 * Conc. Trid., sess. VI, c. vu. Cf. c vniet can. 3; Conj Vatic., c. hi, de Fide. 1 C’est ce qui résulte de la condamnation portée par Alexandre Mil, le 7 décembre 1690, contre la proposition suivante : « Pagani, Judæi, hærelici aliique hujusmodi nullum omnino accipiunt a Jesn Christo inllnxnm. » (Drnzinger, tp.q5A vent pas être universellement repoussées et qu’elles doivent faire jaillir, parfois, des actes salutaires. •·f Ceux-ci sont encore bien imparfaits, bien loin de la justification, mais ils semblent l’an­ noncer, ils préparent et commencent en quelque manière l’œuvre du salut.· La Provi­ dence ménage libéralement ces secours surnaturels à toutes les âmes de bonne volonté, et, si l’infidèle sait en user, s’il sait se servir de ces grâces actuelles, Dieu ira plus loin, il le conduira miséricordieusement jusqu’à la foi et à la justification : Facienti quod in se est Deus non denegat gratiam. A ceux qui font ce qui est en leur pouvoir avec la grâce actuelle mise à leur disposition Dieu ne refuse pas la grâce sanctifiante. C’est ainsi que saint Thomas et son école ont toujours compris le célèbre axiome : «Lorsqu’on dit que Dieu accorde la grâce à celui qui fait tout ce qui est en son pouvoir, il faut l’expliquer du pouvoir que possède l'homme quand il est mû par Dieu \ » — « Il y adeux manières d’entendre le principe ; faire cequi est en notre pouvoir, ou nous préparer i la grâce : d’abord avec les ressources du libre arbitre, et. dans ce sens il n’y a aucune ï * ■ I I j i MB 1111IM, q. T09, a. 6. ad. a. HORS DS L’ÉGLISE ·< 9*9 t ■■■ : -«·. - 1 a· 5· 5 Cf. Réponses théologiques, pp. 117, ssi 1 « Si facit quod in se est, Deus illuminabit eutu per I I .· « — ιο4 — La prédication est le moyen normal, et le Dieu Rédempteur a d’inépuisables industries d’amour, nous l’avons vu, pour la procurer II en temps voulu. Quant au ministère angéli­ que, on nous objecte que c’est là un grand miracle. Mais comment prouvera-t-on que l’apparition d’un ange est un de ces faits gigantesques qui dépassent toutes les forces, toutes les énergies, toutes les capacités de la nature créée? C’est par sa vertu naturelle que l’ange peut se révéler sous une forme exté­ II rieure et proposer la vérité à l’homme par des signes sensibles aussi bien que le ferait un missionnaire. Que ces interventions sortent du mode nor­ II mal, d’accord; mais le théologien a le droit de les prévoir, et parce que l’action angéli­ que sur l'intelligence humaine concourt à II l’exécution du gouvernement divin, et parce que les infidèles eux-mêmes sont confiés cha­ cun à un ange gardien1. Le ministère des an­ ges auprès des infidèles est signalé, non seulement par les thomistes, mais Il encore par les autres docteurs du moyen âge, comme III nous l’avons dit d’Alexandre de Halès : preuve occultam inspirationem, aut per angelum, aut per ho minem. Alrxand. Halensis., Summ. Theol., P 11, q. jo'3, mem. 8, cas. i. 1 Cf. S. Thomas, I. P., α. tit. a. τ, σ. ιτ3. a. i. — TOO — que les scolastiques n’étaient guère impres sionnés par l’objection courante à laquelle certains théologiens modernes ont voulu attacher tant d’importance. L’inspiration intérieure est le moyen le plus efficace et qui peut remplacer tous les autres1 : il n’est pas difficile au premier Mai tre des âmes d’exercer au plus intime des III intelligences un magistère secret, tout-puis­ sant, irrésistible. Comme il ne fait jamais rien d’inutile, il peut se servir — en les corri­ geant et en les complétant — des connais­ sances religieuses du païen. Nos apologistes signalent, en effet, comme un moyen ordinaire dont se sert la Provi­ dence, soit l’évangélisation oubliée mais qui aurait laissé des traces, soit la tradition pri­ mitive ’. De nombreuses contrées de l’Asie ont dû 111 recevoir les premiers missionnaires de l’Évangile; de même « l’Amérique, les côtes afri­ caines, les Indes orientales, le Japon, la Chine furent évangélisés par les Domini­ cains, les Franciscains et les Jésuites. L’œu­ vre de tous ces missionnaires n’a pas péri avec eux, et toute trace de la vraie religion n’a 1 Cf. Réponses théologiques, pp. 122, ss. 1 Cf.Mgrd’HuLST, Conf.de 1892, pp. 441»e0· » Capéraw, Essai théologique, pp. 91, ss. ■ · pas disparu, même dans les pays qui ont plus lard oublié ou rejeté l’Évangile. Aussi long; temps donc qu’il y aura, parmi les légendes et les un thés du paganisme, des Survivances de la vérité entendue autrefois, des crovances chrétiennes, défor nées, mais non cotiiplètentent dénaturées, ou encore d’antiques croyances que l’évangélisation a marquées dé christianisme et revivifiées, le païen aura chance d trouver la matière d’un acte de On fait remarquer de même que la disper­ sion des Juifs, la version des Septante, ayant contribué à répandre parmi les gentils la révélation mosaïque, celle-ci peut devenir directement oü indirectement une source de salut transmettant lés vérités nécessaires. Enfin, la révélation primitive, qui est Uti fait incontestable en théologie, peut n’èire pas entièrement dénaturée et rester encore dans les contrées païennes un des instruments du salut Ces hypothèses pourront êtie » Ibid. - Ibid., pp. 91-95. — Au sujet de la religion primi­ tive, on pourra consulter : P. LàgrangË, Ο. P.,/ftrfipions sémitiques, Introduction; P. Phat, S. J., La Science de ta religion et la Science du langage; P. Lemon νύεη, O. P., La Révélation primitive et les données actuelles de la Science ; Bricout, Où en est l histoire des religions? Huby, Manuel cl'his· taire des religions. acceptables pour le théologien comme pour l’apologiste, à la condition que l’on fasse tou­ jours appel à l’action surnaturelle d’une Pro­ vidence infiniment miséricordieuse qui, vou­ lant d’une volonté sincère le salut de tous les hommes, se doit à elle-même de les éclai­ rer chacun selon sa condition. N'essayons pas de résoudre le problème par des réponses trop satisfaisantes aux yeux des rationalistes ; c’est toujours du côté de Dieu que regarde saint Thomas, n’acceptant jamais que des solutions dignes de Dieu et de sa grâce. Puisque la foi requise pour le salut est essentiellement surnaturelle, il faut, dans toute hypothèse, que la révélation sur la­ quelle on l’appuie soit surnaturelle dans son objet, que le motif soit surnaturel, que le principe de l’assentiment soit surnature). Dieu saura bien intervenir, à sa sublime manière*, pour ménager à propos les grâces d’illumination et d’inspiration, prendre, s'il le faut, corriger, transformer, les élément» utilisables du paganisme, les faire servir à ‘Nous expliquerons plus loin, II. P.. ch.v, com­ ment la foi peut être divine sans qu’il y ait propo•ition de l’objet par l’Eglise et comment les ignorants peuvent croire pour un motif surnaturel et admettre i'autorité de Dieu révélateur. 108 — — log doctrine de l’Eglise, V évangélisation des infidèles trépassés; l’autre parmi certains apologistes catholiques, rejetée par l’ensei­ gnement commun des théologiens, Y admis­ sion des païens aux limbes'. Tandis que les premiers réformateurs, hostiles à toute conception d’un purgatoire après la mort, enseignaient la félicité im­ médiate de lame au ciel ou son châtiment * immédiat en enfer, nombre de théologiens protestants au xixe siècle ont admis une pré­ dication de l’Evangile aux morts et la possi­ bilité de la conversion dans la vie d’outre­ tombe. «...La prédication du salut se continue dans les enfers, dans l’intervalle de la pre­ mière et de la seconde venue, auprès des fractions de l’humanité qui n’ont pas été III mises en demeure de se décider pour ou Systèmes à rejeter touchant le sort final des païens , contre le Christ durant l'existence terrestre \ » I On prétend fonder ces fantaisies sur le texte de S. Matthieu (xn, 3a), duquel on Après avoir exposé les solutions catholi­ essaie de conclure que Notre-Seigneur proques, il nous reste à réfuter deux théories qui 1 Pour l’exposé historique et la réfutation de ces H ont eu une certaine vogue : l’une parmi les deux théories, nous résumons et nous recomman­ protestants, absolument incompatible avec la dons particulièrement M. Gapéran : Essai histori- la conception des vérités surnaturelles nécessaires pour le salut *. L’Église catholique, qui s’occupe, avec tant de zèle, à procurer l’évangélisation du monde entier, même au prix du sang de ses mission­ H naires, ne semble pas compter outre mesure sur la valeur des croyances primitives qui seraient conservées dans les con trées païennes; ce qu’elle affirme bien haut, c’est que les dif­ ficultés doivent s’évanouir quand on regarde, avec saint Thomas, du côté de Dieu : « Les dons de la grâce céleste ne manqueront jamais aux hommes qui d'une volonté sincère désirent et demandent la lumière s. » a. Λ 1 Réponses théologiqu.es, pp. 124-iirô. Voir aussi & Dublancuy, De axiomate extra Ecclesiam nulla sains, Bar-le-Duc, i8g5, pp. 273-281. ’ Pic IX, allocut. consist., 9 dec. ι854; Denzinrer, que, pp. 478> ss., 4<β, ss.; Essai théologique, pre­ mière partie. 1 A. Grétillat, Exposé de théol. systém., t. IV, p. 549, Paris, 1890. — Voir dans Gapéran, op. cil., les théories de Bonifas, Bovon, Decoffet, Godet, lùubs, etc. . ^_r. 7i* .· : . ·■■ i Ill — — ÏTO met encore la conversion et le pardon dans l’autre siècle à l’homme qui n’a pas commis le blasphème contre le Caint-Esprit; et sur l’épîlre de S. Pierre (I Pet., m, 19 et iv, 6), de laquelle on veut inférer que le Christ remplit aux enfers, parmi les hommes qui furent incrédules jadis, un ministère d’évan­ gélisation en vue de leur salut. Or, si le Christ évangélisa les anciens infidèles après leur mort, il doit agir de même à l’égard des païens modernes qui ignorent l’Évangile et dont la condition est identique. — Le texte de saint Matthieu indique seu lement que le péché contre le Saint-Esprit œuvre de pure malice et défiobstinéàramour ne mérite aucune indulgence, aucun pardon ni pour le temps ni pour l’éternité. « La con­ clusion théologique qui se dégage la pre· miere, c’est l’idee, non pas d’une nou velle épreuve se prolongeant après la vie terrestre, mais d’une expiation, d’une puri lication possibles pour les péchés de cette vie terrestre autres que le blasphème contre ' j ι ‘ Η le Saint-Esprit1. » Quant à l’épitre de saint Pierre, « rien n’indique, dans les termes employés, que le Christ, au moment de sa visite aux enfers, II ait entrepris une œuvre de conversion, On ne voit pas qu’il adresse un appel suprême, dont l’acceptation ou le rejet fixe définitive­ ment une destinée encore incertaine ; on constate qu’il apporte aux hommes « l’heu­ reux message Η » de la rédemption accomplie, l’annonce de la délivrance, et rien de plus1. » Et la tradition patristique? — Si quelques représentants de l’école d’Alexandrie sont favorables à l’idée d’une évangélisation de la prison souterraine après la mort du Sauveur, ils n’ont jamais enseigné que la prédication de l'Evangile s’y continuât encore et dut s’y poursuivre jusqu’au jugement dernier. Leur interprétation, d’ailleurs, est restée isolée : les autres Pères ontprotesté dans le sens contraire, a Saint Augustin a déclaré hérétique l’opinion de la conversion des incrédules et de la libé­ ration universelle des habitants de l’enfer; le pape saint Grégoire, enfin, a condamné cette assertion que, à la descente du Christ aux enfers, il avait suffi d’un acte de foi en sa divinité pour être sauvé’. » L’Eglisecatholique ne permet pas lamoindre hésitation à ce sujet. Elle nous affirme que lame, en sortant de son corps, paraît à la barre de Dieu, qu’il y a un jugement parti- : V. * Capéran, Essai théologique, p. 7. 1 1d., p. 8. 1 Capbran, Essai théologique, p 6. HORS DE L’ÉGLISE I I ? culier aussitôt après la mort, que ce juge· ment est irréformable, que les âmes de ceux qui meurent dans le péché mortel vont toutde suite en enfer, où elles subissent une peine qui n’aura pas de fin *. Un des schémas du concile du Vatican, bien qu’il n’ait pas de valeur juridique, traduit lidèlement la croyance certaine et infaillible de l’Eglise : « Après la mort, qui est le terme de notre vie, l’âme parait aussitôt au tribunal de Dieu pour rendre compte de ce qu’elle a fait dans le corps, soit le bien soit le mal, et après cette vie mortelle il ne reste plus de place pour le repentir et le retour à la jus­ tification’. » La théorie de l’admission aux limbes ou d’un bonheur naturel pour les infidèles, est un héritage du xviu * siècle Déjà cependant, au début du xvi® siècle, Jean de Heindenberg, plus connu sous le nom d’abbé Trilhème, et Claude Seyssel, archevêque de Turin, avaient soutenu que la place des païens vertueux ne 1 Cf. Réponses théologiques, pp. 192, ss. 1 Apud Graxdbaath, Acta et Decreta Concilii Vaticani, FriburgvBrisgoviæ, 1892, p. 564, col. 2· 8 Ici encore, voir Gapékan, Essai historique, pp. 220, ss., 429, SS.; Essai théologique, L P., ch. 11. 4 sera ni le ciel ni l’enfer, mais un séjour inter­ médiaire. Bergieret Feller expliqueront que les sau­ vages vivant sans religion peuvent être assi­ milés aux inconscients et aux irresponsables •I et que Dieu les traitera comme les enfants morts sans le baptême. L’abbé Malleville croit suffisamment réfuter Ropsseau en décla­ rant que les païens vertueux, s’ils sont privés de la félicité surnaturelle, restent cependant à l’abri des supplices de l’enfer. François de Partz de Pressy, évêque de Boulogne, semble émettre l’opinion que les infidèles dont la vie fut pure jouiront d’un bonheur naturel. L'idée est reprise par les apologistes des débuts du xixe siècle. De la Luzerne, en son Instruction pastorale sur la Révélation, Duvoisin en son Essai sur la Tolérance, éten­ dent aux païens vertueux ce que les théolo­ giens enseignent du sort des enfants morts sans le baptême. M. Emery ne blâme pas l’hypothèse, qui est de.endue aussi par Muzzarelli et Frayssinous. L’opinion du limbe des adultes passe dans la Révision des démonstrations évangéliques, publiées sous la direction de l'abbé Migne; l’abbé Doncy, dans ses annotations du Catéchisme du -.ile de Trente, s’y montre favorable; l’abbé Actorie, dans son livre de ΓOrigine et de la Réparation damai, estime que les infidèles, à cause de leur intelligence bornée, ne sont point capables de fautes graves et ne méritent point l’enfer. Pareille solution ne déplaît pas à Balmès. Saint-George Mivart soutient que des nations entières d’infidèles se trouvent, au point de vue religieux et moral dans un état de véri­ III table enfance . * L’abbé de Broglie admet et rejette tour à tour la solution du bonheur naturel. Le docteur Béseau, en ce qui concerne le plus grand nombre des infidèles, substitue sans équivoque à la fin surnaturelle, qu’ils ont manquée par la faute d’Adam, une fin natu­ relle, qui reste toujours due à la créature rai­ sonnable ’. π Mgr d’Hulst, sans embrasser l’hypothèse de l’admission des païens adultes aux limbes, ne if la condamne pas. Un théologien récent l’a proposée avec quelque ampleur dans une brochure intitulée : De la Prédestination et du sort final des païens *. 1 Capéran, Essai historique, pp. 483-48$. * Idem, pp. 486, 489· — Le P. Belon, O. P., réfuta excellemment le Dr Béseau, La Controverse, déc. i883. * Paris, 1900, collect, a Science et Religion b. ·. ς ■Μ I I ! I Ce tiavail étant comme le résumé et synthèse des précédentes opinions, nous H devons en faire plus longuement l’exposé et la réfutation. Nous relevons trois propositions fondamen­ tales : ï° Le salut est impossible aux païens, parce quïls ne peuvent pas arriver à la foi, condition indispensable du salut; d’où il suit « que, de fait, ils demeurent dans l’ordre naturel1». 2° Beaucoup de païens sont dans une ignorance invincible, non seulement de la révélation, mais encore de Dieu 3° Après leur mort, ces païens de bonne foi ne seront placés ni en paradis, puisqu’ils n’ont pas eu la grâce, ni en enfer, puisqu’ils n’ont pas violé gravement la loi naturelle, mais dans les limbes, où ils jouiront d’un bonheur naturel plus ou moins grand, proportionné aux mérites qu’ils auront acquis sur la terre3. Cette doctrine est aussi celle de Mgr Bonomelli, évêque de Crémone . * La réfutation complète de ces assertions demanderait de longs développements : qu’il nous suffise de quelques remarques. i° Nous nions catégoriquement que le salut 1 3 ’ ♦ Pp. i5-2;. Pp. ss. p· 59Cf. La Vérité française, □ décembre 1905. MiÉMÉl ·~ ·4 S3 ΜΓΛΖΤΆ 0 <> 4M t'fii ■·' . * *n j * ’. ’. <><· - V- ’ .· ' · ■ - ' *·$·. ’» V’ y t> * - PT · >β 1 · .'?Wt wwr · ■ D * .■#· It B ■ 1 .· g '■ I ·' ·.* eoit impossible aux païens. Dieu veut sincè­ rement le salut de tous les hommes et il donne à tous la grâce suffisante pour arriver à la connaissance de son saint nom. Nous avons montré comment les adultes, s’ils veu­ lent profiter des secoure surnaturels mis à leur disposition, peuvent s’orienter vers Dieu et obtenir le don de la foi. Quoique l’axiome Facienti quod in se est ne soit pas expliqué de la même manière par tous les théologiens, il n’a pas été sérieusement contesté; il est communément admis que tous les hommes de bonne volonté, pécheurs ou infidèles, ont le pouvoir de se préparer au salut et que Dieu ne refuse pas la grâce définitive de la justification à ceux qui ont fait tout ce qui dépend de leur coopération. L’enseignement traditionnel est résumé dans la célèbre phrase de saint Thomas que nous avons com­ mentée : Si l’homme n’y met point obstacle par sa résistance, Dieu lui procurera le don de la foi ou par une illumination intérieure ou par le ministère des créatures. Nous avons ex­ pliqué aussi que cette intervention n’est pas à proprement parler un miracle, qu’elle ren­ tre dans le plan du gouvernement divin. La doctrine de la brochure est en contra­ diction non seulement avec saint Thomas et les théologiens, mais encore avec les décla- ·· · · * i « * · 1B I I rations de Pie IX: le Pape affirme, nous l’avons vu, que les infidèles peuvent rece­ voir la grâce divine et avec ce secours obtenir la vie éternelle, œternam consequi vitam'. Nous nions que les païens demeurent dans l’ordre naturel. Il est de foi qu’ils encourent et qu’ils gardent le péché originel tant qu’ils ne sont pas réparés par la grâce sanctifiante : or, ce péché ne se conçoit pas sans l’ordre surnaturel. L’humanité qui vient d’Adam a été élevée avec notre premier père ; tous ceux qui en font partie sont appelés avec elle et par elle au surnaturel; et Dieu, en décré­ tant la rédemption, a préparé pour tous les membres de la nature humaine les moyens d’atteindre leur sublime destinée. Puisque les païens sont fils d’Adam, ils ont une voca­ tion surnaturelle comme le chef de l’humanilé; par là même, ils relèvent du nouvel Adam, le Christ Jésus, ils sont soumis à son empire, ils paraîtront à son tribunal. Le Sau­ veur est mort aussi pour eux, et il ne leur est point loisible de se soustraire à ce surnaturel qui est l'unique lin dernière de l’humanité présente. Rien, dit NL Capéran, n'est plus étranger 1 Cf. Denzinger, n. 152p. ■ IT9 H* à l’Ecriture et aux Pères que l’idée d’un lieu intermédiaire entre le ciel et l’enfer, destiné à la récompense des païens vertueux. NotreSeigneur dans l’Évangile ne montre que •T deux états pour les hommes après la mort: II le royaume du bonheur et les ténèbres extérieures où régnent les pleurs et les grincements de dents; et, quand il trace le tableau du jugement dernier, Jésus, le Juge de l’humanité, nous montre la multitude de toutes les nations divisée en deux fractions II seulement : à droite, les bons, qui l’ont II secouru dans la personne des malheureux, et qu’il appelle au bonheur; à gauche, les méchants, qui l’ont délaissé et qu’il envoie, chargés de sa malédiction, au feu éternel... Ce moyen terme est aussi inconnu à toute la Tradition. Interrogés sur le sort éternel des païens morts avant le Christ, les premiers chrétiens ne s’avisent pas de prêter une réalité aux Champs-Elysées de II la mythologie, mais ils s’efforcent de faire comprendre que la Providence n'a jamais manqué de ressources pour le salut des hommes1. a° Quant à la bonne foi et à l’ignorance invincible, il ne nous appartient pas, nous * Essai théologique, pp. ’Q-20. t ) II l’avons remarqué avec Pie IX, d’en dé terII miner les limites ; nous l’admettons sans peine par rapport à certains attributs de Dieu, sa spiritualité, sa science, son immutabilité, son rôle complet de Créateur, etc. ; par rapport aussi à certaines pratiques cultuelles dont l’absurdité est loin d’être manifeste. Mais lïgnorance totale de Dieu ? Les témoi­ gnages qu’apporte le docte professeur prou­ vent que beaucoup de païens modernes n’ont pas l’idée complète du vrai Dieu, mais non point qu’ils soient entièrement athées, ni sur­ tout que cette ignorance soit excusable. Bien des peuples de l’antiquité ont ignoré aussi le Souverain Seigneur, et ils sont cependant condamnés.— « Bouddha, nous dit-on,comme II nos positivistes modernes, laisse Dieu de côté. » — D’accord, mais est-ce là une erreur invincible ? Est-ce que l’ignorance de nos positivistes est pardonnable ? Considérons les divers états d’âme de ceux qui ignorent Dieu. Nous ne concevons que ! trois hypothèses : ou bien ces hommes sont des athées proprement dits, des libres pen: seurs qui refusent de croire à un être suprême; ou ce sont des indifférents qui, sans nier Dieu, se passent tout à fait de lui : ou bien des polythéistes, des idolâtres, qui rendent des adorations à la créature mate- ■ — 120 — I /7 I! ΛΙΖ Z 1 I2Ï rielle ou aux esprits supérieurs. Notre auteur , en voulant le trouver. En effet, ils le cheroserait-il innocenter la première catégorie? ! client par l’examen de ses œuvres, et ils sont L’indifférence absolue par rapport à Dieu I séduits par la beauté des choses qu’ils voient. est-elle admissible? Si le plus grand de tous Mais ils ne méritent eux-mêmes aucun par­ les devoirs est celui de l’amour de Dieu, si don. Iterum autem nec his debet, ig nosci. Car, le premier cri, le premier regard de Paine ■ s'ils ont eu assez de science pour apprécier humaine, est une aspiration vers son Créa· ]’uni vers, comment n'ont-ils pas plus facile, * telir soutiendra-t-on qu’un homme puisse ment. découvert ^ . celui . · qui· en est. le 1 Maître nr ^. .*. » impunément passer sa vie entière sans s’oc· I D’ailleurs, quand bien même l’auteul· arri­ cuper de Dieu? Et l’idolâtrie, qui voudra verait à prouver que les infidèles sont excu­ l’absoudre ? * sables d’ignorer Dieu, ou qu’ils ont observé Il est curieux de comparer ces modernes «ans aucune grâce et. sans aucune connaisthéories sur la bonne foi des païens avec le ( since de Dieu toute la loi naturelle ’, il n’aujugement que Dieu en a porté lui-même. ' fait pas démontré sa thèse sur le sort final « Tous les hommes en qui riest pas la cor- des païens. On aurait seulement le droit de naissance de Dieu sont vains, insensés. Ils conclure : donc ils ont fait ce qui était en leur n’ont pas su par les biens visibles com­ pouvoir, donc Dieu leur accordera sa grâce prendre Celui qui est, et ils n’ont pas connu pour les conduire plus loin. Faciunt quod le Créateur par la contemplation de ses œu­ in se est; facienti quod in se est Deus non vres. S’ils ont admiré le pouvoir et les effets denegat gratiam. des créatures, qu’ils comprennent par là com­ 3° Au sujet des limbes où ceux qui meurent bien Celui qui les a produites est plus puis- avec le seul péché originel subissent la damsant; car par la grandeur et la beauté delà nation sans la peine du feu, il faut admettre créature on peut connaître et voir le Créa· " avec Pie VI8 que ce n’est point là une fable teur . Et cependant ces hommes méritent . pélagienne. Ce lieu est destiné aux enfants moins ns de reproches, car, car. s’ils tombent dans I 1 Sap., xii, i-io. 1 erreur, c est peut-être en cherchant Dieu d ‘Nous laissons de côté, pour le moment, cette * Cf. Tbrtull., A poloe « Cf. S. Thom., 11» me ijwtion de la loi naturelle, car nous l’étudierons lu chapitre sixième, I. ’ Bull. Auctorem Fidei, propos. 26, synod. Pistor. •y Ί'ί I I X. .'7 —— 12 3 —- sans seul dans l ’ homme avec le péché véniel qui n’ont pas été justifiés. Il faut ranger dans Il la même catégorie les adultes non baptisés ( le péché mortel h » D autre part, il est impossible que l ’ adulte, païen ou chrétien, passe chez lesquels les facultés mentales n’ont pas [ une vie entière sans commettre quelque faute eu un développement suffisant et qui sont ' incapables de pécher, et nous ne nions pas i vénielle, ainsi que l’a défini le concile de que le nombre de ces grands enfants soit très Trente1. Donc chimérique, d’après saint Tho­ considérable *. Mais pour les adultes qui jouis­ mas, le cas d’un païen adulte qui mourrait sent de Dusage plénier de la raison, l’hypo­ I avec le seul péché originel sans le péché thèse des limbes n’est pas admissible. Le I mortel. Mill Voici la raison de cette doctrine. L ’ ho texte de saint Grégoire de Nazianze cité page 4° est trop obscur pour être probant es^ ienl1 se f°urner vers Dieu à 1 origine et trop isolé pour prévaloir contre la tra- [ sa væ raisonnable, de le choisir pour fin dition augustinienne. Les paroles de saint ( dernière, au moins d une manière implicite Jérôme : « Ceux qui auront observé les lois < en se ProP°sant de pratiquer le bien et II «« naturelles en seront récompensés » sont 1 débiter le mal. L obligation deviendra plus naturelles en seront récompensés » sont susceptibles de l’interprétation commune i:* Plf^se à mesure que les facultés morales se Facienti quod in se est. Innocent III, en dis- développeront. Il n’est pas concevable qu’on tinguant la peine du péché originel et celle Pn’sse négliger indéfiniment, sans faute du péché actuel, ne suppose pas le cas d’un grave, ce précepte fondamental. Ou bien donc adulte qui 111 eurt avec le seul péché originel. ; 1βΡ^η choisil Dieu de cette manière encore Les théologiens ignorent cette théorie, et un peu vague, et alors il fait ce qui est en son notre professeur avoue lui-mème qu’il veut pouvoir, il est agréable à Dieu, il reçoit des réagir contre le sentiment commun. SaintTlifr grâces plus parfaites qui l’amèneront tôt ou mas, qui a enseigné la doctrine consolante sur tard à la justification : son péché originel sera le sort des enfants morts sans baptême, effacé et ild aura droit à la béatitude surnaturejette la présente hypothèse : a Impossible.1 déclare-t-il, que le péché originel se trouve î 1 1* 11“, q. 89, a. 6. Sur cet article, voir le P. HugüKîy, ‘ Hü0US!,t> °' P·· pp. 528-029. O. P., Revue Thomiste, novembre 19°·^, jan­ Thomiste, t.XIU,| vier 1906. ’ -| ’ Sess. VI can. o3. ■ ·■■■ · , ■ ï'ib I'.’· ·*>·. relie. Ou bien il ne satisfait jamais au pre· mier et au plus grave de tous les commande· ’ ments, et dans ce cas qui peut l’excuser de péché mortel? Donc pour les adultes point de milieu entre le ciel et l’enfer. Ni saint Thomas ni Pie IX, pour résoudre If du sort final des païens, ne recou­ le problème rent à la supposition de notre apologiste; ils déclarent que Dieu ne refuse la lumière céleste à personne et que quiconque le veut sincèrement peut obtenir la vie éternelle. La thèse du professeur de théologie ne tient pas debout devant les déclarations du concile de Florence. Celte célèbre assemblée n’admet pas que les païens soient dispensés du surnaturel, ni qu’ils puissent manquer le ciel tout en évitant l’enfer : elle enseigne que les païens, aussi bien que les Juifs, les héré­ tiques et les schismatiques, sont tenus d’a­ voir la foi de l’Église catholique et que, s’ils n’y arrivent pas avant la fin de leur vie, non seulement ils ne jouissent pas de la béatitude céleste, mais ils seront jetés dans le feu éter­ nel : Firmiter credit, profitetur et prœdicul nullos intra catholicam Ecclesiam non existentes, non solam paganos, sed nec Judœos aut hcereticos atque schismaticos, æternœ vitœ fieri posse participes ; sed in ignem ÆTERNUM ITUROS, QUI PARATUS KST DIABOLO ET ANGELIS EJUS, NISI ANTE FINEM VITÆ EIDEM . Qu’on ne prétende pas que le concile parle seulement pour les païens plus instruits, la déclaration est universelle et s’applique à tous les païens, à tous les Juifs, à tous les hérétiques, à tous les schismatiques : tous ceux lib- v> c· «b que les interventions divines ne sont pas si rares et que ces grâces ne restent pas toujours stériles. L’illumination intérieure du Saint-Esprit peut se faire si vite et de tant de maniè­ res, soit pendant la vie, soit à la mort. A ce moment suprême où l’homme est suspendu entre le temps et l’éternité, où l’âme est comme abstraite du corps, la lumière infuse pénètre plus facilement dans les profondeurs les plus cachées; un éclair d’en haut peut dissiper en un clin d’œil bien des ténèbres : le travail de l’intelligence, le mouvement de la volonté, peuvent s’accomplir en un instant et changer la destinée du mourant. Qui peut affirmer avec certitude que dans telles circonstances le drame de l’agonie ne s’est pas terminé en des actes de foi et de contri­ tion, qui ont amené la grâce sancti liante et introduit l’heureux converti dans l’âme de [Église? La saine et traditionnelle théologie est en­ core celle qui exalte le mieux la bonté de Dieu et qui nous fait le mieux comprendre comment l’histoire humaine, même au sein du pagananisme, peut être dans bien des cas, nous tenons à le redire, l’histoire des divines miséricordes. II HORS DE L ÉGLISE CHAPITRE V NÉCESSITÉ D’APPARTENIR PAR LA GRACE SANC· TIFIANTE A LAME DE LEGLISE POUR ÊTRE SA U VÉ La notion de la grâce sanctifiante Il nous faut pénétrer plus avant dans les saintes profondeurs de l’àme de l’Église. La foi n’est que le commencement de notre exis­ tence divine; la vie pleine, intense, s’appelle la grâce sanctifiante. L’Écriture multiplie les expressions, les comparaisons pour nous en donner une idée. C’est un être nouveau, une transformation de nous-mêmes, une vie qui nous rajeunit au souffle de l’Espiit-Saint: in novitate vitœ, renovamini spiritu mentit T 2ί ) 1 *;çestrœ une seconde création par laquelle Dieu nous établit dans le bien: nova creatura, creati in Christo Jesu in operibus bonis une seconde naissance, immaculée, incorrup­ tible, qui nous donne des opérations divines, le titre et la qualité d’enfants de Dieu : ex Deo nati sunt, renati non ex semine corrup­ tibili sed incorruptibili ; ut filii Dei nomine­ mur et simus3, ’ Les pélagiens et, plus tard, les protestants, ont dù fermer les yeux devant ces textes, quand ils ont soutenu que la grâce est une simple fiction légale par laquelle Dieu nous impute extérieurement les mérites de son Fils sans guérir notre corruption, jetant de loin un voile sur nos fautes sans en effacer la laideur. Les termes de l’Écriture désignent très clairement un changement profond dans lame: création, naissance, nouveauté de vie, impliquent un principe surnaturel et perma­ nent qui réside en nous et surélève nos facultés. D’ailleurs, puisque la grâce nous rend l’objet de la faveur de Dieu, elle doit déposer en nous une réalité divine. L’amour du Sei 1 Rom., vi, 4î Ephes,, iv, a3. 2 Gai., vi, i5; Ephes., n, io. s Evang. Joan., i. 13; I Pi Joan., ni, n α3; — I jl) —- gneur, en effet, est créateur toujours efilcace : il produit dans les êtres ce qu’il y ché­ rit. Nos affections supposent un bien qui les attire : notre cœur est indigent, et, s’il se com­ pluit dans une créature, c’est que nous avons aperçu en elle un charme qui peut le satis­ faire et le rassasier, au moins en partie : il est provoqué par la bonté et la beauté, ces deux séductions, qui résument l’histoire de toutes les tendresses; il ne les fait pas. Oui, pour nous, c’est l’objet qui ravit l’amour, pour Dieu, c’est l’amour qui produit son objet. Quand le souverain Principe agit, ce n'est point pour acquérir une perfection, c’est pour nous communiquer la sienne; quand il nous aime, ce n’est point pour se procurer une jouissance qu’il ne trouverait pas dans son éternelle béatitude : heureux en lui seul et de lui seul, in se et ex se beatissimus,il ne se retourne vers nous que pour nous faire du bien1. Dans l’ordre naturel, son amour cause ces réalités innombrables qui constituent l’univers; dans l’ordre surnaturel, il produit ce monde infiniment plus beau, qui est la seconde création, la génération incorruptible, la vie nouvelle destinée à fructifier pour l’éternité * 1 Cf. S. Thom., I. P., q. 20, a. 4, q. a. p pa·, q. 110, a. 1 ·, Conc. Vatic., Const. Dei Filius, cap. I. — ι3ι Aussi bien le concile de Trente a-t-il défini, contre les protestants, que la justification ne consiste point dans cette imputation fictive, que la grâce n’est point une simple faveur extérieure, mais une réalité infusée en nous par l’Esprit-Saint et inhérente à nos âmes: Quœ in cordibus eorum per Spiritum Sanc­ tum diffundatur atque illis inhœreat . * Saint Paul, d’ailleurs, dont les protestants invo­ quent bien à tort le témoignage, avait déclaré que la grâce du baptême, bien loin d’êtte un simple voile, est, au contraire, un renouvel­ lement foncier, qui lave, purifie et sanctifie: 'Sed abluti estis, sed sanctificati estis1. Cette perfection intérieure n’est évidem­ ment pas une substance, autrement elle ne serait plus gratuite. Tout ce qui est substance ou attribut substantiel est un postulat de la nature, entre dans la constitution nécessaire de Vôtre et exclut l’idée de don surajouté. Voilà pourquoi les théologiens — contre. Du­ rand, Molina, Ripalda — enseignent que Dieu, même de sa puissance absolue, ne saurait créer une substance surnaturelle. C’est donc un accident illustre, une qualité splendide, que la nature tout entière ne pourra ni repro­ duire ni imiter. I Sess. VI, can. n. II Cor,f vi, ii, ht if» Que fait-elle en renouvelant notre âme, elle nous rend participants de la vie intime de Dieu. Le propre de la généra­ tion, en effet, est de communiquer un être physique semblable au principe qui engendre: naître, c’est recevoir d’un vivant quelque chose de lui qui passe en nous et qui reste toujours comme son miroir et son image; en un mot, une nature nouvelle qui s’épanouit au soleil d’une nouvelle vie1. En naissant de l’homme, nous recevons une nature humaine et nous reproduisons la figure de nos parents ; pour naître de Dieu, il nous faut participer à la nature divine et refléter le visage divin. C’est bien ce que nous apprend l’Écriture. Après avoir dit que la grâce est une seconde création, une seconde naissance, nova créa· tara, renali; elle l'appelle une communion à l’être de Dieu, une participation de sa nature : divinœ consortes natures'1. Or, quand le Sei­ gneur parle de ses dons, il n’exagère pas: It le langage, même inspiré, est toujours audessous de la réalité, lorsqu’il s’agit d’exalter les bienfaits du Tout-Puissant. Si Dieu nous assure que nous avons une communication de sa vie, cette expression n’est pas une bril» On délimita generation : Origo viventis a vivente, principio conjuncto, in similitudinem naturœ 3 11 Pe γη ··. .*.·*■> — ι33 — [ ! J 1 , I tante et riche métaphore, il faut la prendre à la lettre ; et même, ainsi interprétée, elle ne traduira l’idée que d’une manière très lointaine et très imparfaite. C’est donc bien II vrai, la grâce est un écoulement très réel de l’essence incréée. La nature est la source des propriétés et le principe des opérations. Les propriétés de Dieu, c’est d’être lumière et charité, Deus lux est', Deus charîtas est *', les opérations de Dieu, c’est de se connaître, de s’aimer, de se procurer sa gloire. C’est donc participer à la nature divine que d’avoir ces propriétés et ces opérations. La grâce nous les donne : elle nous rend lumière comme Dieu, car elle nous communique une intelligence surnatu­ relle pour le connaître dans sa vie intime, un regard nouveau, le regard de l’aigle pour II fixer le soleil de la Vérité première; elle nous rend charité corn e Dieu, car elle nous infuse une faculté d’amour, qui nous élève au niveau du souverain Bien, nous permet d’atteindre Dieu en lui-même, de le chérir et II d’agir pour sa gloire. La gloire divine ! c’est la fin la plus sublime qui se puisse concevoir, puisque le Tout-Puissant lui-même ne peut pas en avoir une autre. H H i W I ’ 1 Joan., i, 5. H Joan., iv, i6. L· h S- Or, tout acte qui procède de la grâce sancti­ fiante monte droit vers le ciel et se rattacheàla gloire de Dieu. Ainsi, par la grâce nous fai­ sons ce que Dieu fait dans sa bienheureuse éternité, c’est-à-dire se voir et s’aimer; nous nous proposons ce que Dieu se propose sans cesse, sa gloire... Gomme l’or plongé dans la fournaise devient feu sans perdre sa nature, nous aussi, tout en restant hommes, nous sommes flamme, lumière et amour comme Dieu; et, de même que les corps transparents éclairent à leur tour et transmettent l’éclat du soleil, nous versons sur les autres la splen­ deur de la divinité’. Saint Pierre n’a pas exa­ géré, il y a bien dans les justes une participa­ tion, accidentelle sans doute, mais réelle et physique, de la nature divine: Dioinæ cousortes natarœ. Celui qui reçoit par génération la nature d’un autre est son Fils. Nous voilà donc en­ fants de Dieu, véritablement de sa race, ayant le droit de porter avec fierté la parti­ cule de noblesse:de Dieu! Genus sumus Dei. Oui, nous sommes de Dieu5. Si autem filii ! et hœredes *. L’enfant a droit par sa nais· 1 Cf. S. Baril., De Spiritu Sancto, ix, 23, XXXII, 109. 2 Act., xvii, 28-29. ’ Hom., vin, 17. G sance à tous les biens de son Père. Nous sommes donc admis au patrimoine éternel. Fils et héritiers avec Jésus, nous voilà riches comme Dieu, associés à sa gloire et à sa béa­ titude. Les Pères n’ont pas ignoré ces excellences du don incomparable. L’écrit connu de l’an­ tiquité sous le nom d’épitre de saint Barnabé représente la rémission des péchés comme un changement radical par lequel « nous sommes renouvelés, intégralement créés derechef. C’est pourquoi Dieu habite vraiment en nous, dans notre sanctuaire1. » Hermas considère aussi la grâce comme une réalité positive, qui attire en nous l’EspritSaint : « Gardez votre chair pure et imma­ culée, afin que l’Esprit qui réside en elle vous rende témoignage... Si vous souillez votre corps, vous souillez aussi le SaintEsprit4. » " ■ ' Saint Ignace voit dans la justification une excellence qui nous déifie, en sorte que le Seigneur est Dieu en nous, habitant en nous, et que nous sommes ses temples1 *3. De là ces titres donnés aux chrétiens 4 : ils portent en 1 Epist. S. Barnab.. c. xvi, P. G., Il, 773-77$· ’Hermas, Pastor. Simii, v, c. 7, P\f., U, ’S. Ignat., Æp/irs., xv, P. G·, V, 657. 4 Ephes., ix, P. G., 652. ί eux-mêmes le. temple divin, ils portent le Christ, ils portent la sainteté. La grâce est, aux yeux des Pères, une qua­ lité si merveilleuse qu’ils se servent de cette notion pour prouver la divinité du SaintEsprit. Voici l’argumentation de saint Athanase : «L’Esprit-Saint,en produisant la grâce, pénètre l’homme et le divinise tout entier. Mais celui qui divinise doit avoir la nature divinejaucundouteàcet égard. Donc,l’EspritSaint est Dieu1. » Même raisonnement chez saint Basile : « La grâce, qui nous donne la qualité de dieux, prouve la divinité de son auteur, le Saint-Esprit : il est nécessaire, en effet, que celui qui fait des dieux soit Dieu par essence, comme ce qui rend les corps brû­ lants est brûlant par nature’. » — « La grâce, ajoute saint Grégoire de Nysse, est la ressem­ blance de Dieu, l’empreinte de son image3. » « C’est une vraie déification, déclare saint Cyrille d Alexandrie, qui nous permet de porter le titre de dieux et nous rend partici­ pants de la nature divine4. » Saint Augustin vtvi AX^an^s·’ EP^· I ad Serapion., n. 24, P. G., XX> I, 585,587. 2 S. Basilics., Contra Eunomum, Jib. V. P. G . XXIX, 772. ’ S. Gregor. Nyssenus, Orat. I tn Verba : Facia· mua nominem, etc. P. G., XLIV o->‘i * - - LXXni,i57;LXXIv’a^.’ *-· SK I la juge tellement admirable que, d’après lui, donner la grâce à une âme est une œuvre plus grande, en un sens, que la création du ciel et de la terre *. Puisque la grâce nous fait communier à la vie propre et intime de Dieu et que la plus lointaine participation de cette existence sur­ naturelle surpasse toutes les perfections des créatures, nous conclurons avec saint Thomas: « Le bien d’une seule grâce vaut plus que tout le bien de la nature entière4. » « O pa­ roles d’or, s’écrie à ce propos Cajétan, paroles n qu’il faudrait méditer jour et nuit! Une seule ' grâce vaut plus que tout l’univers! Consi­ dérez donc sans cesse quelle est la perte immense dont sont menacés ceux qui ne savent pas apprécier un tel trésor3. » Enfin,après nous avoir rendus participants delà nature divine, la grâce nous donne la Μ personne même de Dieu. « C’est le suave mys! 1ère que la théologie appelle l’habitation des i trois Personnes dans les âmes justes. La grâce consacre notre âme de son invisible onction et en fait un temple qui appelle l’Hôte divin : elle établit, au moyen de la charité, une 1 Tract. lxxxii in Joan., 1813. ; I111M, q. n3, a. 9, ad. 2. 3Cajetan., Comm. in. h. I. XXXV, “— 138 — 76 amitié parfaite avec Dieu. Or, l’amitié veut jouir, et il n’y a pas jouissance entière par· 1 tout où il y a séparation. Voilà pourquoi i l’amitié tend de toutes ses forces au rappro· ' chôment et, si elle ne l’obtient pas, c’est par une impuissance qui la désole. Du moins,oq < cherche à la réaliser en pensée, cette réunion, et plus d’une fois on charge l’esprit de faire ' un voyage à la place du cœur prisonnier. Si j l’amitié humaine doit gémir de son infirmité, l’amitié divine, elle, tient à son service une puissance infinie. L’union est aussitôt faite j que désirée ; Dieu est à l’âme, l’âme est à ( Dieu. Par la grâce, la Trinité est plus réelle· .· ment présente au juste que le juste n’est pré- I sent a lui-même ’. » voilà une idée de la grâce ; telle est cette forme permanente de la vie spirituelle qui constitue, à proprement parler, l’àme de l’Eglise. il reste à montrer qu’elle nous est j absolument indispensable pour arriver au . royaume éternel ou même à la justification. I Η 1 La Mère de Grâce, pp. 79-80. — Pour une étude plus coinplète voir le P. Fkoget: De ΓHabitation da Suint-Esprit, et le P. Teiuuen .· La Grâce et la Gloire. —- — II Nécessité absolue de la grâce sanctifiante pour le salut %- La révélation nous assure que la foi toute seule ne justifie point sans la grâce et la cha­ rité, quoi qu’aient prétendu Luther et Calvin. On aurait beau opérer les plus gigantesques miracles, transporter les montagnes, livrer son corps aux flamines : sans la grâce qui nous rend les amis de Dieu, tout est vanité1. Que sert d’avoir la foi, si l’on n’a pas les œuvres dont la grâce est le principe? La foi qui n’est point établie sur l’état de grâce est frappée de mort3. La foi ne peut opérer le salut que par la charité, per caritatem opera­ tur', Si quelqu’un, définit le concile de Trente, soutient que la foi toute seule justifie et que les hommes peuvent être sanctifiés sans la grâce et la charité, qu’il soit anathème . * Bien longtemps avant les attaques des protestants et la définition du concile de Trente, * I Cor., xiii. * Jac., π, 24-26. Gai., v, 6. 1 Sess. VL can. 9 et can. 11« — Voir aussi cap. 7. les Pères avaient proclamé cette insuffisance de la foi. S I | il faut la charité et les bonnes œuvres pour le salut, dit saint Clément de Rome1. Saint . Ignace d’Antioche requiert de même et la foi. ’ qui est le commencement de la vie, et la cha· i rité, qui en est la fin*. Saint Polycarpe de < Smyrue enseigne la nécessité des trois vertus: la foi,suivie de l’espérance,précédée delà cha- | cité envers Dieu, JésusrChrist et le prochain3. I « Ce n’est point assez, déclare saint Justin, de professer de bouche la doctrine de Jésus- ( Christ: il faut vivre comme il l’a enseigné. 1 Ceux qui se contentent de croire et de parler, i sans obéir aux préceptes, ne sont chrétiens que de nom, et ils doivent être châtiés*. »11 faut donc, outre la foi, un principe qui soit la source des bonnes œuvres et nous rende agréables à Dieu. Or, ce principe doit être ( intérieur et durable, car, au dire de l’Àpolo- I giste6, le salut que le Christ a procuré aux i ’ a. ELEMENT, 1 Gor., c. XXXIII, r, il y fait froid ! Il y a plus cpie des ténèbres, il y a la bonté. En se livrant tout entière aux séductions de la volupté, l’âme est devenue ignoble comme l’objet de ses amours * : cette adhésion désordonnée, cet attachement au bien corrup­ tible ont produit une souillure dont rien icibas ne peut nous donner une idée. Si l’on pouvait réunir dans un seul tableau tout ce qu’il y a eu d’affreux dans l’humanité : les laideurs les plus repoussantes, les maladies les plus horribles, les agonies les plus angois­ santes, les morts les plus épouvantables, on n’aurait pas dans ce spectacle une image de lame en état de péché mortel. Tout cela n’est que le désordre physique et n’a qu’une vague analogie avec la corruption morale d’un esprit et d’une volonté qui se sont détournés de leur véritable objet; ils sont tachés, déshonorés, privés de leur splendeur: c’est le reatus maculœ. De Là provient aussi une infirmité générale dans notre nature. Ce qui fait notre force, c’est l’intensité du désir avec lequel nous nous portons vers notre fin dernière. Lorsqu’on s’est détaché totalement de celle-ci, qu’on ne garde pour elle aucun amour, 1 « Facti sunt abominabiles sicut ea quæ dilexerunt. » (Osée, ix, io.) HORS DE L’ÉGLISE -- Æ λ 75 *4 I — on est désorienté, désemparé: plus d’ardeur, plus d’aspiration généreuse. Ce n’est pas l’impuissance absolue, on reste capable en­ core de certaines actions louables, comme nous l’avons prouvé précédemment contre les jansénistes ; maison traîne, avec la laideur de sa déchéance, une langueur, une disposi­ tion maladive qui proclament l’immensité de la catastrophe. Un abîme est jeté entre lame et Dieu. En se séparant brusquement de lui, on a violé l’ordre, et il faut, pour le rétablir, un châti­ ment proportionné à l’offense; en sortant de l’économie de la bonté, on est tombé dans celle d’une justice infinie, qui a pour se satis­ faire une puissance infinie. Dès lors, obliga­ tion de subir une peine qui, ne pouvant être infinie en intensité, devra l’être au moins en durée, c’est-à-dire, éternelle : Culpa, quæ est irreparabilis, de se habet quod perpetuo du­ ret; et ideo debetur ei pœna œterna1. Tels sont les principaux ravages du péché: corruption et infirmité dans la nature, souil­ lure dans l’âme, violation de l’ordre qui réclame un châtiment effroyable’. Seule, la grâce habituelle peut réparer ces q.Jj, a. ad. 3 'I**’ De corruptione boni natarœ; q. 86, De macula peccati; ck 87^ De reatu pœnœ· ‘ LC i - ruines. Un cadavre n’est pas ranimé par quel­ ques mouvements communiqués du dehors: il faut que le principe vital et permanent soit de nouveau infusé au dedans. Notre âme, pour revivre, a besoin de retrouver son âme à elle, qui est la grâce sanctifiante. La tache, qui est immense, qui est universelle, qui est au fond, ne disparaîtra que si l’intérieur est renouvelé; autrement, L’océan passerait sans laver la souillure. Cette laideur, qui est précisément la priva­ tion de la grâce, doit être chassée par celle-ci, comme les ténèbres disparaissent au retour de la lumière. La souillure, l’infirmité, le désordre dont nous venons de parler, proviennent de l’aban­ don de Dieu et de l’attachement déréglé aux créatures. Donc, pour enlever la tache,guérir la corruption, il faut une force qui arrache Pâme à ses affections criminelles, la ramène à sa fin dernière; et une telle conversion sup­ pose et requjert un principe stable, qui nous fixe habituellement dans l’amour du souverain Bien : c’est la grâce sanctifiante. Enfin, Dieu ne peut remettre la peine éter­ nelle tant qu’il reste offensé. Quand on par­ donne, on a fait taire la colère, on s’est laissé i apaiser, on rend ses faveurs aux coupables, Mais, si Dieu nous restitue sa bienveillance, il nous fait agréables à ses yeux, il dépose en nous un don gratuit, qui nous rend dignes de son amitié. Pour Dieu, nous l’avons expliqué, H aimer, c’est faire du bien ; aimer, dans l’ordre surnaturel, c’est produire la grâce. Ainsi, il reste établi que les désastres du péché mortel ne sont entièrement réparés que par la grâce sanctifiante; c’est elle qui produit cette résurrection spirituelle plus merveilleuse que la création du ciel et de la *. terre Il suit de là que c’est elle aussi qui est la forme propre du salut et que, sans elle, il n’y a point de justification, pas plus qu’il n’y a de personne belle sans la beauté. Vasquez, tout en reconnaissant qu’il en est ainsi tou­ jours en fait, prétend que les actes de contri­ tion et de charité pourraient, à la rigueur, II sanctifier par eux-mêmes sans l’infusion de la grâce. Opinion singulière et insoutenable. Les mouvements pieux de contrition et de charité sont bien une préparation prochaine à la rémission des péchés : Contritionis motus... prœparat ad remissionem peccatorum ', * ils a ΤηθΜ., I* 11“, q. IOg? a 5 Conc. Trident., sess. XJV, c. ώ etq, ΙΊ^ a xet V* l’entraînent même infailliblement. Une fois •r jusqu’à ces actes que Dieu a conduit l’homme généreux et définitifs, il se doit à lui-même d’achever son œuvre et, comme son intention est souverainement efficace, que sa motion ne peut manquer son effet, l’àme arrivera sûrement à la justificationt. Mais, si ces dis­ positions sont connexes avec la rémission du péché, elles rie sont pas ce qui nous constitue justes, amis de Dieu, elles ne sont pas la forme de notre sainteté. Un acte même très parfait ne suffit point pour ressusciter un mort, la vie implique un principe radical de mouvement, une âme; pour effacer la souil­ lure, guérir la corruption, il faut une régéné­ ration, une seconde création, et tout cela re­ quiert une énergie permanente, une nature surajoutée, la grâce habituelle. La rémission de la peine suppose aussi, nous venons de le voir, l’amitié divine, et celle-ci met en nous une beauté durable qui II nous rend agréables au premier Amour. L’opinion de Vasquez est inconciliable avec les affirmations de la sainte Écriture. La jus­ tification est appelée une seconde création, une seconde naissance qui nous fait enfants et héritiers de Dieu : tous ces effets supposent * i.·-■ ï-4* > Λ i 1» faut-il donc pour le délivrer de cet esclavage? Il en appelle à Dieu, et il proclame que ce triomphe ne peut nous être assuré que parla grâce divine Ii Saint Augustin revient fréquemment sur celte douloureuse constatation. Ses livres De Spiritu et Littera, De Gratia Christi, De Libero Arbitrio ont pour objet de prouver aux pélagiens qu’on ne saurait être entièrement honnête homme sans la grâce de Jésus-Christ, « Il y a dix commandements, répète-t-il ailleurs, et personne par ses seules forces, sans la grâce de Jésus-Christ, ne parvient àles . * observer » Le concile de Carthage, en condamne les pélagiens pour avoir dit « que l’homme peut par sa volonté seule accomplir la loi de 1 Qu’il faille adopter pour le verset 25 la ïeçoh de la Vulgate : La grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre Seigneur, ou la leçon grecque : Je rend grâces à Dieu, par Jésus-Christ Notre-Seigneur, ou encore .· Grdceà Dieu par Jésus-Christ Notre Seigneur, le sens est, au fond, le même : tout le passage démontre qu’il faut, pour nous permettre de faire le bien, la grAce méritée et conférée par Jésus-Christ. « Sensus tamen trium lectionum idem est. Gratias enim Deo per Jesum Christum agens Judæos per solam gratiam divinam a Christo promeritam et colla tam a cor­ pore mortis hujus et a captivitate, in quam a pec­ cato per legem suscitato deducti erant, liberari posse aut jam liberatos osse docet, id quod solum latina lectio enuntiat. » Cornelt, in h. 1. » Sernu υ/,8. c. ix et v, p. Λ., XXXVIII, I j6o. Dieu, soit celle qui est gravee naturellement dans nos cœurs soit celle qui est écrite dans les saintes Lettres1». Le concile plénier de4i8, approuvé par le pape Zozime, frappe d’ana­ thème tous ceux qui soutiennent « que la grâce de la justification nous estdonnéeseuleIl II ment pour observer les commandements avec plus d’aisance., comme si le libre arbitre seul et sans lagrâce pouvait lesaccomplir, quoique avec peine et difficulté’». Le terme comman­ dements de Dieu, dans le langage de la Tradi­ tion, ne désigne pas uniquementla loi révélée, niais encore le Décalogue, c’est-à-dire selon l’expression de la précédente assemblée, la loisoit naturelle, soit écrite. C’est donc aussi pour l’observation du Décalogue que ces deux conciles requièrent la grâce de Jésus-Christ. Et en effet la raison d« cette nécessité est tirée non pas de la notion du surnaturel, mais de la déchéance originelle, dont s’occupent surtout les évêques dans ces célèbres réunions synodales. Ledeuxième concile d’Orange3 et le concile deTrente4 répètent que par suite delà chute primitive notre libre arbitre est incliné vers 1 Λ L, XX, 565-566. ’Denzinger, n. io5. ’Can. 23, Dexzinger, n. 199* 1 Sess» VI, c. i. — ιο8 le mal et amoindri dans ses énergies pour le bien, inclinatum et attenuatum. Noussommes des infirmes et des blessés, infirmatum et lœsum1; la prévarication d’Adam a produit une tare dans l’humanité et pour l’àme et pour le corps : Secundum corpus et animam in deterius commutatum fuisse . * Un blessé, un infirme peuvent bien faire quelques pas, exécuter certains mouvements qui exigent peu d’efforts, mais fournir la coursede l’homme vigoureux, ils n’y réussiront jamais, ils n’y aspirent même pas. La pratique intégrale de la loi naturelle, voilà bien 1’œuvre parfaite, la course suprême, qui récla­ ment toutes lesforcesde l’âme saine; l’homme déchu, avec les blessures que porte son libre arbitre, avec sa démarche débile, n?atteindra jamais à ce terme élevé3. Il faut bien se rendre ici à l’évidence et proclamer avec l’ensemble des théologiens la nécessité de la grâce. La triste expérience de chaque jour est plus élo­ quente que toutes nos preuves ; si nos chré­ tiens, malgré les nombreux secours mis à leur disposition, ont tantde peine à se préserver de lamentables chutes, que sera l’homme laissé à toutes ses tendances et avec ses seules T · Γ 7ί*’ J 1 Conc. Arausic. II, can. 8, Denzinger, n. 181. 1 Conc. Irid., sess. V, can. i. « Cf. S. Thomas, P U-, q I0(J> r ressources? 11 suffit de lire l’histoire du paga­ nisme : nous voyons la pauvre humanité dévoyée, haletante et obligée cependant de poursuivre sa course vers la mort. Il lui faut un remède. De quel nom désignerons-nouscette grâce? En soi, et à ne considérer que l'objet des pré­ ceptes, il suffirait d’une intervention natu­ relle : les œuvres étant naturelles, le secours qui nous donne de les accomplir pourrait être du même ordre. Aussi certains théologiens, entre autres Suarez, Mazzella, Hurter, se contentent d’unegrâce médicinalequi estbien gratuite, mais non point surnaturelle. Les tbomistesenvisagent la question sous un angle moins étroit et ils recourent pour la résoudre àdes principes plus profonds. Nous n'avons pas que l’objet des préceptes à examiner, il y aici une foule d’éléments dont nous devons lenircomple : l’état dans lequel se trouve l’homme appelé au surnaturel, le changement intérieur, la conversion radicale et durable qui doit s’opérer en lui pour qu’il soit capable d’observer longtemps toute la loi. Cette réno­ vation universelle qui nous guérit, cette recti­ tude généraleet permanente, ne se conçoivent pas sans la grâce sanctifiante. Que réclame, en effet, saint Paul pour nous délivrer de la tvrannie des membres et noua HORS DE l’église 12 1^1· w permettre de suivre la règle de l’esprit? La grâce médicinale et naturelle de l’autre école ne semblerait-elle pas insuffisante au grand Apôtre,pour ne pas dire un peu mesquine? Il lui faut une grâce vraiment divine, qui vient par Jésus-Christ, qui nous réforme entièrement selon l’image du nouvel Adam et nous rend les enfants de Dieu, en un mot la grâce de la justification. C’est bien celle-là que demandent, pour l’observation de la loi soit naturelle, soit écrite, les concilesa fricainsprécédemment cités : Gratiam justificationis. Saint Thomas ne s’y est pas trompé : la grâce médicinale, principe de notre guérison et de notre santé, c’est la grâce sanctifiante, et sans elle il est impossible à l’homme de se préserver de tout péché : In statu naturœ corruptæ indiget homo gratta habituali sanante naturam ad hoc quod omnino a peccato abstineat'. Pour pratiquer sans défaillance la loi natu­ relle, il faut être habituelle: H ent bien disposé, avoir une orientation stable vers le bien, jouir d’une santé morale qui soit vigoureuse et permanente. Si notre bon vouloir n’est que passager, si notre état ordinaire est l’infirmité, 1 I* IIM, q. 109, a. 8. — Voir aussi a. 7 ad 2. — M. Eni. Neveu, dans le Divas Thomast mai igoâ, fait bien ressortir la différence qui existe entre la doctrine de saint Ihomas et celle de Hurter et des théologiens modernes, f comment ferons-nous longtemps l’œuvre des loris, l’observance totale des commande­ ments? La grâcemédicinale qu’on nous vante, n’étant qu’un secours transitoire, ne suffît point pour régler toute une vie; elle impri­ mera bien un élan, mais sans empêcher la nature de revenir à elle-même; elle produira bien une excitation dans nos facultés malades, mais sans les guérir et sans leur conférer des énergies durables. Oui, le secours qui nous rend capables de pratiquer la loi, toute la loi, doit être un don permanent, opérer en nous une sorte de résurrection, de régénération, de rénovation intérieure, par conséquent, la grâce sanctifiante. lue autre considération nous conduit à la même conclusion. L’homme qui estfidèleaux dix commandements est parfait au point de vue naturel, et l’on ne voit pas que le Créateur puisse exiger de lui davantage dans cette sphère ; le serviteur, ayant exécuté toutes les volontés du Maître, doit lui être souveraine­ ment agréable, Dieu doit le chérir et lerécompenser. Mais, puisque dans l’état présent de notre élévation divine l’ordre naturel et l’or­ dre surnaturel sont inséparables quoique dis­ tincts, ilestinconcevable que l’on soit en même II temps ami de Dieu dans un ordre et ennemi dans l’autre, à la fois converti et pervers; que i* · · *- · ->·-. * - . _ J — ■ 162 le Seigneur doive nousaimer, nous cmironnep comme auteur de la nature et nous détester, nous condamner comme auteur de la grâce. L’honnête homme qui obéit à toutes les pres­ criptions du Décalogue, qui est entièrement tourné vers son Créateur, n’a pas pu vivre toujours loin de son Rédempteur : il est orienté vers sa double destinée, et cette recti­ tude est l'œuvre de la justification. Nécessité do cette môme grâce pour éviter longtemps le péché mortel et résister aux tentations violentes : tels sont le corollaire et /le complément nécessaires de la thèse, i L’Ecriture nous exhorte à prier sans cesse afin de ne pas succomber à la tentation; or, la prière serait superflue si le succès ne dépendaitque de nous. LepapesaintGéleatiBj dans sa lettre aux évêques des Gaules, déclare expressément que cette victoire requiert l’assistance continuelle de Dieu : Nisi per auotidianum adjutorium. Del'. Dans la lutte avec la chair, le monde et le démon, ajoute le concile de Trente, nous ne pouvons triom­ pher quepar lagràcede Dieu, in qua victores esse non possunt nisi cum Dei gratia . * Nousprécisons ce langage et nous soutenons aveclesthomistes qu’il faut la grâce habituelle. 1 Denztngrr, n. j3i * Sess. VI, c. ΧΙΠ. I f k Quand on est assez fort pour éviter longtemps le péché mortel et terrasser la tenta‘ion, on a le cœur et la volonté si haut, si efïj acement attachés à Dieu qu’on préfère souffrir tout plutôt que de se séparer du souverain Bien; que rien n’est capable de nous ébranler, ni l’appât des avantages les plus séduisants, ni la crainte des plus grands dommages, ni les menaces des tyrans, ni la ruine même de l’uni» vers. Une âme ainsi fixée dans le devoir adhère habituellement à sa lin surnaturelle, et cette adhésion si étroite et si durable n’est que l’état de grâce et de charité. Le pécheur, au contraire, habituellement détourné de Dieu, repose ses affections sur les créatures et met son idéal supreme dans •I le bien corruptible. C’est un axiome, prouvé d’ailleurs par l’expérience, que l’homme, surtout quand il est pris à l’improviste, agit presque infailliblement d’après la fin ordi­ naire qu’il s’est choisie, d’après scs inclina­ tions, ses penchants, ses dispositions, ses habitudes, qui sont devenues une seconde nature, comme un navire laissé à lui-mème s’en va où l’entraînent les vents et sa propre orien­ tation’. L’âme en état de péché mortel, qui π 1 « In repentinis homo operatur secundum finem præconceptum et secundum habitum præcxislenlem. «Ακιετ. Π1. Eltiic.i c. viu -· J : J estpousséevers le mal, sera tresfr^Quemmenl H emporté à la dérive, surtout si la tempête II est viole te. Pour la mettre en état d’éviter habituellement les fautes graves, il faut chan­ ger sa direction, et c’est la grâce sanctifiante qui tourne l’âme vers sa véritable destinée. Saint Thomas éclaire cette doctrine parune Intéressante analogie1. Quand l’appétit infé­ rieur n’est pas entièrement assujetti à la raison, il nous est moralement impossible de supprimer tous les mouvements désordonnés de la concupiscence : le juste peut bien une II fois ou l’autre se mettre en garde contre ces surprises, mais, comme ilnereste pastoujours en éveil, il subira bien des fois ces révoltes, suite lamentable de la déchéance originelle. L’exemption de tout péché véniel pendant une vie entière ne se conçoit pas sans un privilège insigne, comme celui qui fut accordé •11 à la bienheureuse Vierge5. De même, quand l’esprit et la volonté ne sont pas sous le joug de Dieu, des désordres graves se produiront fréquemment; le pécheur pourra bien parfois se raisonner, éviter quelques chutes, mais il n’arrivera pas à remonter le courant de sa nature, il suivra les habitudes qui le tyran­ nisent : de là, encore une fois, la nécessité 1 Ia Π *®, q. 109, a. 8. * Cf. Conc. Trîde^., sess. VI, can. α3. | delà grâce réparatrice, qui est la grâce sanc­ tifiante : Reparetur per gratiam justifi­ cantem. Les moralistes ont essayé de préciser le temps que peut passer le pécheur sans tomber dans de nouvelles fautes graves; les uns fixent un an, d’autres, quelques mois, d’au­ Il tres, un mois ou plusieurs semaines. Nous n’avons pas à les suivre dans ces détails. Il n’est guère possible d’établir une détermi­ nation rigoureuse dans une matière si com­ plexe et si variable, où il faut tenir compte des circonstances, des occasions, des tempé­ raments; mais nous pensons avec les saints1 que cette période ne sera jamais bien longue. Dans les conditions ordinaires de la vie et avec la corruption de notre humanité, les tentations sont inévitables : que fera donc au sein de la tempête une âme qui est déjà incli­ née versl’abime? Il lui sera bien difficile de ne pas renouveler ses fausses manœuvres, comme un vaisseau désemparé et qui n’a point d’apere pour le retenir, ne reste pas longtemps sans être emporté à la dérive. Aussi bien, au dire de saint Grégoire le Grand, la faute qui n’est pas tout desuite effacée par 1 Cf. S. Alphons., Theol. Moral., lib. VI, tract. 4, c. i, dub. 2, quaer.ni, et Homo A post olicus, tract, ib, η. 10. — 166 9 la pénitence entraine pas son propre poids à d’autres chutes: elle est ou péché, ou cause du péché, ou peine du péché, ou ces trois choses à la fois *. ils sont donc souverainement à plaindre les infortunés qui passent de longues années, pour ne pas dire presque toute leur vie, en état de péché mortel, sans sacrements, sans confession, sans contrition! On essaie vaine­ ment de se parer des perfections morales, on prétend bien à tort qu’on reste honnête homme tout en se passant du surnaturel; non, il ne mérite pas le nom de vertueux, quicon­ que est infidèle à quelque prescription du Décalogue. Puisque l’observance intégrale des commandements suppose la justification, il faut appartenir par la grâce sanctifiante à l’âme de l’Eglise pour être honnête homme dans le sens complet que réclame ce noble titre. i Super Ezechiel, lib. 1, bornil. xi i i — 167 — Nécessité dô la grâce pour l’observation du premier commandement de la loi naturelle, l’amour de Dieu par-dessus toutes choses Nous avons établi deux principes fondamentaux : contre les pélagiens, l’incapacité morale pour l’homme d’observer tous les commandements sans l’assistance divine: contre Baïus et les jansénistes, la possibilité pour le pécheur et le païen de pràtiquer certains points de la loi, honorer les parents, respecter la vie et la bourse du prochain, etc. Mais nos forces vont-elles bien loin et pou­ vons-nous sans la grâce accomplir le premier et le plus grand de tous les préceptes, qui est celui de l’amour? Il est clair d’abord qu’il ne s’agit point de la charité, essentiellement sur­ naturelle. 11 va de soi aussi que l’homme dans l’état d’intégrité aurait pu aimer Dieu souve­ rainement sans un secours extraordinaire : sa nature vierge se portant d’elle-même vers le pariait, ses facultés saines et vigoureuses eussent produit avec aisance et suavité les actes exquis. Il est cet tain encore que l'homme même déchu peut avoir pour son Créateur un amour vague et inefficace, élans sincères, (pii ne se traduisent point cependant par la pratique et qui ne vont pas jusqu’à faire en tout les volontés du Maître. Ce sentiment est un besoin du cœur et un hommage spontané de la nature à son Auteur. Si Ton a pu dire après Tertullien1 que le cri d’une âme natu­ rellement chrétienne est cette exclamation : Mon Dieu! on peut répéter avec autant de vérité que le premier mouvement d’une âme faite par Dieu et pour Dieu, son premier regard, est une aspiration vers son Créateur, un acte d’amour. Il est admis également que l’amour parfait effectif, qui consiste dans l’observation inté­ grale de la loi divine, n’est point possible sans n li que nous venons la grâce : c’est la thèse même de démontrer. Il s’agit donede l’amour parfait effectif,^ est dans le cœur et la volonté : c’est une dis­ position intérieure de bienveillance et de complaisance, non point une simple velléité, 1 « Deum nominat, hoc solo nomine, quia proprio Dei veri : Deus Magnus, Deus bonus, et quod Deus dederit, omnium vox est. Judicem quoque contes­ tatur ilium, Deus videt, et Deo commendo. et Deus mihi reddet. O testimoninm animæ naturaliter christianæ! » Apol., c. xvn, P. L., I, 3;;. Cf. lib De Testi­ monio animæ. P. L., 1, 610-611. - idç) — non point un désir vague et conditionnel. mais un attachement si sincère que l’on pré­ fère le Créateur à toutes choses, avec le ferme et absolu propos de lui plaire en tout et toujours et d’éviter comme le plus grand mal tout ce qui pourrait nous séparer de lui. Cet acte excellent peut-il être le produit de nos énergies naturelles? Les théologiens ici ne sont plus d'accord comme sur la question précédente : Scot, Durand, Cajetan, Molina, Mazella, Hurter adoptent l’opinion affirma­ tive, et chacun expose sa théorie avec des nuances que nous ne pourrions guère signa­ ler ici; Suarez, Bellarmin admettent bien un secours gratuit, mais d’ordre naturel; la plu­ ni part des thomistes requièrent une grâce surna­ H turelle et même la grâce sanctifiante. Ce dernier sentiment sera le nôtre, parce qu’il est celui des grands docteurs de lagràce, saint Augustin et saint Thomas. « L’énormité du péché originel, dit l’évêque d’Hippone, a fait perdre à notre libre arbitre la puissance d’aimer Dieu1. » Il n’est point question ici de la charité divine, car notre libre arbitre avant la chute n'avait point en son pouvoir propre cet amour essentiellement surnaturel : ce 1 a Liberum arbitrium ad diligendum Deum primi jeccati granditate perdidimus. vEpist. 217 ad Vitaem. c. iv, P. L,, XXX111, 983. . s qu’il avail, et donc ce qu’il a perdu, ce sont ! les forces naturelles d’aimer Dieu par-dessus 1 tout; par conséquent, tant que le péché originel n’estpas effacépar la justification, notre liberté reste impuissante. 1 Écoutons maintenant le témoignage de saint ( Thomas : « Dans l’état de nature intègre l’homme n’avait pas besoin du don de la grâce pour aimer Dieu naturellement par­ dessus tout; il lui fallait cependant la motion | divine pour passer en acte. Dans l’état de f déchéance l’homme pour aimer Dieu a besoin de la grâce réparatrice qui guérit la nature1. » ' Or pour saint Thomas la grâce qui guérit, c’est la grâce sanctifiante : Gratia habituali sanante naturam1. On a répliqué que le Docteur angélique parle ici de l’amour efficace, c’est-à-dire de la pratique intégrale des commandements, laquelle requiert, en effet, le secours de là grace médicinale. Vaine objection :· saint Thomas examine dans l’article suivant cette question de l’amour effectif; donc, à moins d'imputer au prince des théologiens une répé­ tition et une tautologie, il faut reconnaître que l’article 3 s’occupe uniquement de l’amour affectif. 1 b llae, q. 109, a. 3. 2 Jbid., a. 8. : De bonnes raisons, d’ailleurs, nous foui adopter cette doctrine. Nous avons déjà rap pelé ce principe fondamental qu’une faculté malade et blessée n’arrivera jamais à l’acte parfait de la nature saine : le prétendre ce serait nier l’hypothèse même de la maladie. L'acte le plus noble d’une volonté généreuse, c’est l’amour de Dieu par-dessus tout. Gomme dans l’ordre surnaturel il n’est rien de plus excellent que la charité, cette divine perfec­ tion qui est le résumé de la loi, le premier et le dernier mot de tous les commandements, prùnum mandai uni *, finis præcepti est cha*; ritqs ainsi dans l’ordre naturel l’acte exquis, le suprême et sublime produit de notre cœur et de notre volonté, c’est l’amour de Dieu par­ dessus toutes choses. Qn’on n’objecte pas : Vœuvre achevée et parfaite, c’est l’observation de toute la loi. La pratique des commandements n’est pas un acte, mais une série d'actes, qui dérivent tous de l’amour divin : dans chacun des préceptes l’amour est renouvelé, dans tonies nos entre­ prises vertueuses l’amour est répété, en sorte qu’il les inspire toutes, qu’il les engendre toutes et qu’il leur assure à toutes leur effica­ cité et leur fécondité. Principe et terme de ‘ Matth., xxii, 38. * 1 Iim.f i, 5. tontes nos bonnes œuvres, il est donc même le produit exquis et dernierdela faculté saine. Qu’on ne l’attende pas de l’homme déchu. On peut même dire, avec saint Basile, que ce grand commandement, bien qu’il paraisse unique, contient en soi la vertu de tousles autres : ejus vi et efficacia mandatum quodvis perfici ac comprehendit Quiconque arrive à faire l’acte d’amour parfait dans l’ordre affec­ tif doit avoir la volonté bien arrètéed’observer toute la loi; avec le ferme propos très réel d’éviter toute faute grave. Or la sincérité d’un désir se mesure à la possibilité de l’exécution, et nos résolutions ne sont point véritables si l’objet est au-dessus de notre portée. Quand on a pris une décision bien nette, quand on a voulu ardemment, on peut passer et on passe quelquefois à la pratique. Si l’homme ne réalise jamais et ne peut même pas réali­ ser sans la grâce son intention de plaire tou­ jours à Dieu et de ne jamais l’olfenser, c'est une preuve que ce ferme propos n’existe pas sans la grâce. Oui, cet amour naturel même II affectif, mais sincère et complet, est un don de Dieu. On serait tout d’abord tenté de croire que ‘ Κ<ψ,ιΙ'ε fusius tractatœ, interrog. XaXj lyon. •<Α· ce secours gratuit pourrait être d’ordre natu­ rel, comme l’objel du précepte lui-même, et ici encore plusieurs théologiens se contentent, avons-nous dit, de la grâce médicinale; mais, si l’on tient compte des diverses considéra­ tions que nous avons fait valoir à propos des commandements, on reconnaîtra la nécessité de la grâce sanctifiante. En produisant l’acte d’amour souverain, l’âme s’est donnée tout entière à Dieu, elle l’a préféré à toutes choses, elle s’est engagée à tout souffrir plutôt que de se séparer delui. Ces dispositions supposent quelle est désormais détachée de toute affec­ tion coupable et, par suite, entièrement tournée vers Dieu. En faut-il davantage pour la conversion et la justification? Tout cela est incompatible avec le péché mortel. Quelle est, en effet, la condition d’une âme en état de péché? Une orientation générale et perma­ nente vers le bien corruptible, en sorte que la créature est préférée à Dieu. Quelle est la disposition de l’âme quand elle fait jaillir de sa volonté l’acte, même naturel, de l’amour parfait? Une orientation définitive vers Dieu, I en sorte que Dieu est préféré à toutes choses. I Encore une fois, que veut-on déplus pour une conversion généreuse? Nous avons déjà expliqué comment, dans l’état présentde notre humanité, un lienindis- solubleunit l’ordre naturel à l'ordre surnaturel et comment il répugne que l’homme soitcon· ! verti dans l’un et pervers dans l’autre : dès lors, incompatibilité entre l’amour naturel parfait, qui préfère Dieu à toutes choses, et le péché mortel, par lequel l'homme préfère quelque chose à Dieu. Il faut nécessairement appartenir ou à la cité des justes, qui a pour devise : L’amour de Dieu jusqu’au mépris de soi-même, ou à la cité des impies, qui écrit sur son étendard : L’amour de soi-même jusqu’au mépris de Dieu1. Sans doute, nous devons reconnaître dans le pécheur des actes honnêtes, qui ne sont ni l’amour divin ni le péché, et c'est dans ce sens qu’il faut rejeter la théorie janséniste des deux cupidités domi' nantes; mais il n’y a pas de milieu entre cet état d’âme où Dieu est préféré à touteschoses et Véiat où quelque chose est préféré à Dieu. L’homme qui a fait l’acte d’amour souverain n'est plus dans l’esclavage où la créature est 1 « Fecerunt itaque civitates duas amores duo: ter­ renam scilicet a ruor sui uaque ad contemptum Dei. cœleslcm vero amor Dei usque ad contemptum sui. S. Augustinus, De Civitate Dei, lib'. XIV, c. xxvm. P. L. XL1, 436. « Profecto ista est magna differentia qua civitas unde loquimur utraque discernitur :una scilicet civitas piorum hominum, altera impiorum, sin­ gula quæque cum angelis ad se pertinentibus, in quibus præcessit hac amor Dei, hac amor sui. » g. Aogustinos. De Civitate Dei, lib. XIV, c. xm, P. L., XL1, 421. ’ préférée à son Créateur; ilestdonc entre dans le royaume des justes, il vit de lagràce sancti­ fiante. I Pour douter de cette conclusion, il faut «I n’avoir pas considéré l’éloignement, l’oppo­ sition, l’abîme qu’il y a entre le pécheur et le Bien suprême. L’homme coupable sent trop vivement qu’il ne convient pas à Dieu et que Dieu ne lui convient pas. De là cette crainte, cette terreur profonde qui le pousse à fuir et à se cacher devant son Juge, comme Adam après î sa désobéissance : Timui, et abscondi me. A mesure que cet état se prolonge, l’effroi i augmente et amène une sorte d’horreur invinI cible de Dieu. Et l’on croira que la volonté, sans corriger sa perversité générale, se rappro­ chera tout à coup du Créateur comme de l’obi jet le plus agréable et le plus désiré, par l’acte d’amour parfait? Non, non, cela n’est point admissible. Si la terreur a disparu, si Dieu est devenu si cher, c’est une preuve que fêtai de l’âme est changé, que le péché mor­ tel a été effacé parla justification. Mais voici une grave objection qui semble renverser notre thèse. Lorsqu’un enfant né de parents infidèles et élevé loin de toutecommunication avec le christianisme arrive à l’âge de raison, il est dans l’obligation, et donc il a le pouvoir, de faire un acte d’amour envers HORS DE L’EGLISE i 13 B! Dieu, son principe et sa tin dernière. Or, à ce premier moment de sa vie raisonnable, il n’a pas pu recevoir la grâce sanctifiante, car la justification d'après les thomistes suppose la foi explicite aux mystères de la Trinité et de l’incarnation, connaissance qui n’est encore donc avoir lieu sans la grâce sanctifiante. —Ce n’est point un instant physique quiesl assi ne à l’enfant pour l'accomplissement de ce devoir mais une période plus ou moins longue, qui embrasse toute une série d’actes1. Le précepte de l’amour parlait n’oblige point au premier moment parce qu’il n’est point possible. L'amour se mesure à la connais­ sance. et, comme à l’origine l’enfant ne peut connaître Dieu (pie d’une manière vague, il ne lui est demandé qu’un amour implicite et général; et dans la résolution même qu’il forme de pratiquer le bien et d’éviter le mal, il choisit Dieu implicitement. Cet acte ne suffit pas pour le justifier, mais bien pour satisfaire au commandement fondamental · I I — i83 — I l’homme justifié ne méritent pas vérilable( nient l’augmentation de la grâce, la vie éter; nelle, etc., qu’il soit anathème » Par contre, pouvons-nousconclure, les actionsde l’homme ·· pécheur ne sont point méritoires. L’Église a manifesté encore sa pensée, en condamnant les propositions suivantes de Baïus :« Comme l’œuvre mauvaise est de sa i nature méritoire de la mort éternelle, l’œuvre bonne est de sa nature méritoire de la vie éternelle: les bonnes œuvres des enfants adoptifs tirent leur mérite non pas de ce quelles sont faites par l’Esprit d’adoption qui habite dans leur cœur, mais de ce qu’elles sont conformes à la loi; la raison du mérite • 1 * ne vient pas de ce que ceux qui agissent bien possèdent la grâce et jouissent de l’habitation du Saint-Esprit, mais uniquement de ce qu'ils obéissent à la loi divine2. » Le mérite vrai, de condignité, exige une certaine égalité entre l’œuvre et son paiement, de sorte que tous les deux se mesurent et se correspondent. La récompense étant la gloire, l'œuvre ne lui est proportionnée que si elle procède d’un principe divin comme elle et H qui soit déjà la racine, le germe de la vie éter­ nelle. Cette semence féconde de la gloire, 1 Scss. VI, can. 3s. 1 Cf. De.nzinger. 1002, ioi3, ioi5. — 184 c’est la grâce habituelle : sans elle donc point de proportion entre nos œuvres et leur couronne, point de mérite véritable. 11 faut, d’ailleurs, outre la valeur des actions, considérer la dignité de la personne, car l’œuvre ne sera acceptée du Juge que si le sujet lui est agréable et digne de lui. Qu’est-ce qui peut nous rendre dignes du suprême Rémunérateur, sinon cette qualité sanctifiante qui est une participation de son être, une communication de sa vie intime, cl qui nous élève, en quelque sorte, à son niveau? Enfin, puisque la récompense est l’héritage même de Dieu, la personne capable de méri­ ter est celle qui a le droit d’hériter de Dieu, c’est-à-dire, celle qui est son enfant; car c’estle fils qui est héritier de droit: Si fila et *. hœredes Seule, la grâce peut nous infuser cette filiation ineffable, faire de nous des dieux et nous permettre de porter cette parti­ cule de la plus sublime noblesse : « De Diev, Genus sumus Dei5. » Elle est donc le principe premier et indispensable de tout mérite: une vie qu’elle n’a point fécondée est perdue pour le ciel!... Mais, une fois que nous sommes justifiés, il s’établit une sorte d’égalité entre nos 1 lïom., vin, 17. F [J œuvres et leur récompense, entre leur prin­ cipe et leur terme. La récompense est intrin­ sèquement surnaturelle, nos actes le sont aussi, car ils procèdent à la fois d’une forme divine et d’un moteur divin. La forme, la qua­ lité dont ils sortent, c’est la grâce sanctifiante, II germe et commencement de là gloire, parti­ cipation réelle, physique, permanente, de l’être et de la vie de Dieu, par conséquent intrinsèquement divine. Le moteur, c’est l’Esprit-Saint : s’il demeure avec nous, son habitation n’est pas oisive, il nous donne l’opération des enfants adoptifs et nous corn njunique des mouvements dignes de lui; l’impulsion, l’élan imprimés par un agent si eflicace,sont assez vigoureux pour faire mon­ ter nos œuvres jusqu’à la hauteur de Dieu. Leur lin est la vie éternelle ; mais le principe, la grâce, est partie aussi de l’éternité, où elle doit retourner par un mystérieux rejaillisse­ ment \Fons aquœ salieniis in vitcun œternamv. Il y a dqnc bien proportion réelle entre les deux, et nous avons ainsi les condi­ tions du mérite véritable, tel que le proclame le concile de Trente : Vere mereri . * La touche du céleste moteur nous est prêtée non seulement pour le terme suprême, mais 1 Joan., iv, 14. JSess. VI, can. 3a. « 2 11 V tI — 186 — pour toute la marche et tout le progrès du mouvement: le ternie, c’est la gloire; la mar­ che et le progrès, c’est l’augmentation de la grâce. C’est dire que le mérite donne droit et à la gloire et à l’accroissement de la gloire pour la patrie, et à la grâce et à l’augmenta­ tion de la grâce même ici-bas1. Aussi bienle concile de Trente a-t-il défini que le mérite de l’homme juste s’étend à tout cela:«L’aug­ mentation de la grâce, la vie éternelle, la possession de cette félicité si l’on meurt dans l’amitié divine, enfin, l’augmentation de la gloire2. » La grâce sanctifiante, âme de Γ Église, s’épa­ nouit en une foule d’habitudes infuses, comme notre àme agit par ses facultés ; et, de même que la volonté est la puissance maîtresse qui commande à toutes les autres, la charité est la reine qui impose ses ordres à toutes les vertus; elle est aussi l’organe de vie par lequel la grâce fait arriver le mérite aux divers actes, comme le cœur lance le sang dans toutes les parties de notre corps. Sans doute, il n’y a pas que les actes de la charité qui soient méritoires, elle n’est pas la seule que Dieu couronne: d’autres vertus aussi ont droit à la récompense; mais c’est elle qui les * Cf. μ 11«, q. 114, a. 8. ’ Sess. VI, can. ______________ 9 dirige, qui les informe, qui leur donne d être ügréables à Dieu1. L’Écriture signale avant tout le motif de la charité dans les œuvres que le Seigneur bénit : c’est parce qu’elles sont faites par amour, au nom de Jésus, pour la gloire de Dieu : In nomine meo, quia Christi estis... ; omnia in gloriam Dei facite . * Saint Paul déclare que les actes même exquis delà foi la plus convaincue, transporter les montagnes, souffrir les tortures du bûcher, n’ont de valeur pour la vie éternelle que s’ils sont inspirés par la charité1 23. Nos œuvres, en effet, pour être méritoires, doivent être dignes de Dieu, se rapporter à notre tin dernière ; or, c’est la charité qui les oriente vers cette destinée. Parce qu’elle est. la vertu souveraine, elle gouverne toutes les vertus; parce quelle a pour objet la fin uni­ verselle, elle doit commander aux fins parti­ culières, diriger toutes les habitudes avec leurs actesvers le terme unique et suprême. Comme 111 aucun moyen n’est mis en œuvre que par le désir de la fin dernière, aucune œuvre ne monte efficacement à Dieu que par la cha­ rité4. 1 Cf. Conc. Tkid., sess. VI, < pûs. 55 et 56 damn, in Quesnel. 2 Marc, ix, 4o; I Cor,, xi ; Coloss ’ / Cor., xiii, 1-3. 188 — L’influence habituelle est insuffisante, car personne n’opère, dit saint Thomas', tant que ses énergies restent à l’état habituel:il faut au moins une influence virtuelle, un ébranlement efficace qui se continue après même que l’ordre a cessé. En pratique, cette impression se produira toujours dans ceux qui vivent en état de grâce. La charité, qui est essentiellement agissante, qui a besoin de passer aux actes, ne peut manquer de renou­ veler fréquemment son impulsion et, de la sorte, son empire s’étendra sur toute notre 1 vie: nos actions seront saisies par cet élan général, emportées dans ce courant surna­ turel, il n’y aura plus d’acte indifférent; I toutes les œuvres qui ne sont point des fautes I deviendront méritoires, iront droit à Dieu et I auront pour mesure l’éternité2. I (0 H Serti., chsl. 60, q r, a 5, ad, (2) Cf Qq. Luapp de malo, a. ύ, ad άο. q !. a. 5. .Nous avons exposé cet le nos /ructatus· dogmatici, de Gratia, q. r ·, · .· 6. g ; et II disL doctrine dan: vit ' IV Nécsssité des grâces actuelles ajoutées à la grâce sanctifiante Après avoir montré qu’il faut appartenir à lame de l’Églisc, par la grâce et la charité, pour faire le bien, l’œuvre honnête ou l’œuvre méritoire, il nous reste à expliquer comment celte âme a besoin d ’ être excitée, actionnée I d’en haut pour agir efficacement. Une fois que l’homme est régénéré, renouvêlé foncièrement par la justification, que toutes ses facultés sont assainies, élevées ou fortifiées par les vertus infuses et les dons du Saint-Esprit, il est assuré du secours surna­ turel, il recevra les grâces suffisantes. C’est un dogme catholique que le chrétien justifié possède tout ce qu’il faut pour rester fidèle à la loi de Dieu et que l’observation des pré­ ceptes n’est pas au-dessus de ses forces. Le concile de Trente frappe d’anathème quiconqueose soutenir que les commandements ne sont point possibles à l’homme justifié1; et ( 1 Sess. VI, can. 18. >· ■ ■ · ** le Saint-Siège, à plusieurs reprises,condamna comme hérétique cette proposition de Jansé· nius :« Certains commandements de Dieu sont impossibles aux hommes justes, malgré leur bonne volonté et leurs efforts : il leur manque la grâce qui les rendrait possibles1. » En déclarant que le secours divin ne fera pas défaut aux justes, ΓEglise donne à enten­ dre qu’il est nécessaire. La grâce habituelle est comme statique; nous allons voir qu’il faut une motion nouvelle pour chacune de nos actions surnaturelles, et surtout quand il s’agit de résister aux tentations, un don spé­ cial pour persévérer, un privilège insigne pour éviter tout péché véniel. La plupart des théologiens ont reconnu la nécessil · d’une grâce actuelle même dans les justes pour toutes et chacune des œuvres salutaires et méritoires. N’est-ce pas ce que Notre-Seigneur a voulu signifier dans l’allégo­ rie si expressive de la vigne et des sarments2? C'est trop peu pour les branches de rester attachées au cep, elles ont besoin, pour leur développement normal, de recevoir de la vigne une sève toujours renaissante. Ainsi de nous: c’est beaucoup, sansdoute, de H vivre habituellement avec le Christ par la 1 Propos, i Ja.xsenu. 2 Joan., xv, 4, 5. grâce sanctifiante, ce n’est point assez pour porter des fruits qui demeurent, il faut puiser sans cesse en Notre-Seigneur l’énergie, la sève, le mouvement. Donc, nécessité de la •Jgrâce actuelle. Selon le langage de saint Paul, Dieu opère en nous le vouloir et le faire, c’est-à-dire qu’il intervient par une touche spéciale chaque fois que nous avons à agir, soit pour la réso­ lution de notre volonté, soit pour le désir efficace,soit pour l’exécution définitive : velle et perficere1. La Tradition catholique a eu à parler souventsurcesujet.Le pape Innocent Ier, écrivant aux évêques du concile de Carthage, confesse aveceuxque nous ne pouvons rien faire sans une assistance divine quotidiennement renou­ velée ‘.Adjutorio quotidiano nos egere negare non possumus ; cette aide est nécessaire à tous, même aux justes, qui ont, comme David, à implorer le Seigneur2. Le pape Zozime est encore plus explicite : « Il nous ‘faut le secours et la protection de Dieu pout1 chacun de nos actes, chacune de nos pensées, cha­ cun de nos mouvements. » Ce texte ne s’ap­ plique pas uniquement à l’homme déchu, il ne vise pas non plus spécialement la persé- ?( b 1 Philipp., π, i3. HORS DE l'église 1 ““ I()2 — vérance finale, il est absolu et universel pour tous les actes et pour toujours. Quod ergo tempus intervenit quo ejus non egeamus auxilio? In omnibus igitur actibus, causis, cogitationibus, motibus adjutor et protector orandus est'. Le second concile d’Orange codifie cet enseignement en un canon célèbre: a Chaque fois que nous faisons le bien, Dieu est en nous et avec nous pour nous le faire faire. » Ce n’est pas une fois pour toutes, eu nous infusant la grâce sanctifiante, ce n’est pas seulement pour l’œuvre exquise de la persévérance que Dieu intervient, c’est pour tout acte, toujours, chaque fois : Quoties bona agimus, Deus in nobis atque nobiscum ut operemur operatur9-. Le concile de Trente3 requiert aussi dans les justes, in ipsos justifi· catos, une influence qui dérive du Christ, comme le fluide nourricier va du cep au sar­ IlWil ment, par conséquent, une grâce actuelle: elle précède, accompagne, suit toutes nos œuvres, et sans elle nos actes ne peuvent être méritoires. 1 Epist. Tractatoria, P. L., XX, 6T peut disparaître, et elle avait disparu, nous assure-t-on, quand Dieu suscita Luther. L’Église vraie, celle des promesses, à laquelle sont réservés l’immortalité, l’infaillibilité et les autres privilèges surnaturels, est purement intérieure; c’est le royaume des justes et des prédestinés, dans lequel habitent les réfor­ mateurs. « Invention narquoise, par laquelle le protestantisme semblait dire à ses adver * saires : Vous cherchez à me prendre en défaut vis-à-vis des institutions du Christ et à Z m’exclure de la véritable Eglise, allez-y voir1. » La doctrine vraie, très certaine, très évi­ dente, c’est que d’après l’institution de JésusGhrist, l’Église est essentiellement visible, en sorte que les croyants puissent toujours la discerner, se la montrer, pour ainsi dire, du doigt, comme nous pouvons indiquer telle société humaine, tel royaume, telle confédé­ ration. Les promesses de l’Ancien Testament, qui annoncent l’Égliseimmortelle, lareprésentent avec ce caractère de visibilité. C’est une mai­ son placée sur les hauteurs, élevée au-dessus de toutes les collines, portée par de gigan­ tesques montagnes, qu’on aperçoit de loin et 1 R. P. Monsabkô^ 5i® conférence; ■ vers laquelle les peuples accourent enfouie. C’est la Jérusalem toute brillante de clarté, la cité sainte qui se fait voir de tout l’univers: les nations marchent à sa lumière et les rois à la splendeur de son lever1. C'est le royaume nouveau, visible comme les anciens auxquels il doit succéder . * Notre-Seigneur nous déclare que les élé­ ments essentiels de son Eglise sont visibles : elle est bâtie sur des hommes, fondements visibles8; elle est placée sur la montagne, et il est impossible qu’elle demeure cachée4; elle a des membres visibles, les bons et les méchants, mêlés ensemble jusqu’à l’époque de la moisson5; un magistère visible, qui est chargé d’enseigner toutes les nations et avec 11111 lequel Jésus demeure jusqu’à la consoir_~i tion des siècles’; une autorité visible, à laquelle il faut dénoncer les coupables, die Ecclesiœ, qui a le droit d'excommunier, de lier et de délier et dont Dieu ratifie les juge­ ments dans le ciel7; un chef suprême visible, qui doit paître les agneaux et les brebis8, un 1 ISAI., II, LX. * Daniel, ii, 44. 3 Matth., XVI, 18. ♦ Matth., v, 14/ 6 Matth., xni. • Matth., xxvin, 7 Matth.. xviii, 17-18. • Joan., xx. Ui ’ ministère visible, des sacrements sensibles, un baptême d’eau au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, une Eucharistie sans cesse renouvelée, un sacerdoce pour la perpétuer jusqu’à la tin des temps : Hoc Jacite in meam commemorationem. Les Actes nous font assister à l’organisation et au fonctionnement extérieur de cette société visible : des inférieurs se soumettent à la direction des Apôtres, se font instruire et baptiser; des chefs se réunissent en concile, délibèrent ensemble, promulguent de concert des décrets, qu’ils communiquent officielle­ ment aux fidèles1. Saint Paul nous expliquera cette haute théo­ logie. Il nous décrit l’Eglise sous l’image d’un vivant édifice dont le Christ est la pierre angu­ laire, les Apôtres les assises manifestes : posée sur un tel fondement la construction s’élève, s’accroît avec ordre dans des proportions justes et harmonieuses. Et, pour faire mieux comprendre cette économie, il ajoute que Dieu a établi une hiérarchie dans son Eglise, un ministère visible : des apôtres, des pro­ phètes, des évangélistes, des docteurs. Tous ces divers ordres ont pour objet d’achever l’œuvre de la sanctification, de parfaire ce ‘ Act R> l·. * DP· « t 7ï ÎX* · ■ * -T corps dont Jésus est la tête. C’est grâce au Christ que tout le corps, uni et lié dans ses différentes parties par des énergies qui servent à les joindre et à les entretenir, en vertu d’une opération proportionnée à chaque membre, reçoit son accroissement et s’édifie dans la charité1. Ailleurs, saint Paul instruit son disciple sur la conduite qu’il doit tenir dans la maison de Dieu, qui est l’Eglise5. C’est donc une institution tangible dans laquelle on voit se mouvoir et agir les pas­ teurs. Ainsi l’expliqueront les Pères. Saint Clément de Rome nous montre une hiérarchie consti­ tuée : des évêques et des diacres envoyés par les Apôtres en vertu d’un mandat officiel, comme les Apôtres sont envoyés par le Christ3. Hermas, qui a dépeint l’Eglise sous diverses allégories, suppose bien qu’elle est une société visible, car elle a des chefs visi­ bles, des presbytres avec lesquels notre écri­ vain doit lire son livre; une organisation extérieure, des apôtres, des évêques, des docteurs, des ministres, des diacres4. ’ 1 Cor., xm, 28; Ephes., 11, 20-22, iv, 12-16; Coloss., iî, ig. 2 I Tim., in, i5. M 2 1 Cor., xlii-xliv, P. G., I, 292-300. 4 Hermas, Pastor, vis. II, c. iv vis III c v Γ. G., Il, 898, 899, 903. ’ ’ V1S- 1U’ c· T’ -Λ4 . ' Atriy·? 210 Saint Ignace d’Antioche découvre dans [Église une trinité hiérarchique visible : évê * que,presbyterium, diacres: une société faite pour tous les hommes, car Jésus-Christ par sa résurrection a élevé l’étendard pour les saints et pour ses fidèles, et parmi les Juifs et parmi les Gentils, dans l’unique corps de son Eglise1. SaintIrénée professe que l’Eglise visible est l’Eglise des promesses : l’Eglise assistée d’en haut c’est celle qui a sa hiérarchie organisée, son ministère extérieur d’apôtres et d’évèques; et, peur prouver cette assistance divine, il invoque le passage de saint Paul : « Dieu a placé dans l’Eglise des apôtres, des prophètes et des/ docteurs3. L’Eglise du Christ, au dire de saint Athanase, est nécessairement extérieure, car elle illumine le monde entier, brillante comme le soleil et la lune3. Le soleil, ajoute saint Chrysostome, n’a pas autant de splendeur, la lumière n’est pas aussi manifeste que l’Eglise l’est à nos yeux, puisqu’elle est élevée au-dessus desplus hautes *. montagnes 1 S. Ignat., Magn. VI, Trail. Ill, Smyrn. I, VIII, P. G., V, 667, 677, 707, 713. ’S. Iren., Adv. Hœres., Ill, P. G., MI, 966. 3 S. Athanas., 83, 88, v. Homil. in Ps. P. G., XXVIL n n r xrr ♦ S. Gurysost., In Is ai., c. H, n. a, P· G. LVI, ay. «> * r'W ■ H w1 ' 217 — 2IÔ — Saint Optat de Milève, expliquant la parole évangélique de l’ivraie, reconnaît que l’Eglise est une société visible et humaine, dans laquelle les méchants seront mêlés aux bons jusqu’à la fin du monde1. a II vous est facile, observe saint Augustin, de voir la cité placée sur la montagne, scion la parole de Notre-Seigneur : c’est l’Eglise catholique. Il n’est permis à personne de U l’ignorer : nécessairement visible, elle ne peut être cachée . * » — a Quand on veut voir la nouvelle lune, on dit: Voici où-elle est. Et, si quelqu’un n’a pas la vue assez perçante et qu’il demande : Où donc est-elle? on la lui indique du doigt. Parfois, certains, ayant honte de passer pour aveugles, déclarent voir II ce qu’ils ne voient pas. Est-il nécessaire, mes frères, de montrer ainsi l’Eglise9 N’est-elle pas évidente? n’est-elle pas manifeste? Elle II estla montagne qui remplit toute la terre, elle est la cité placée sur les hauteurs et qui ne peut être cachée3; » Nier cette visibilité c’est ne rien compren­ dre à la divine institution de Notre-Seigneur. Voilà pourquoi les saints docteurs et les sou1 S. Optat., De schismate, iv, vu, P. L., XI, 1039. ’ S. Augustin, Epist. 52, P. L., XXXIII, 194. 8 S. Augustin, Tract. 1 in Epist. Joan, ad Parthos, ! verains pontifes ont combattu avec tant de / vigueur les donatistes, les partisans dé Wiclef, les protestants, enfin les jansénistes qui prétendaient avec Quesncl que l’Eglise est l’assemblée invisible des enfants de Dieu, n’ayant pas d’autres membres que les saints, ' composés seulement des élus et des justes de I tous les siècles1. Le triple rôle qui constitue la mission de l’Eglise au sein de l’humanité, c’est-à-dire, enseigner, sanctifier et gouverner, est néces( sairement extérieur et ne peut s’accomplir • que par des moyens sensibles. Ladoctrine, si magnifique et si divine qu’on la suppose, doit passer par les sens avant d’arriver à notre esprit, et le maître, même en s’adressant à des disciples très avancés, est forcé de recourir à des signes extérieurs qui sont le véhicule de la pensée et l’instrument de la science. Si les anges se communiquent la vérité par des illuminations purement II intellectuelles2, tout enseignement parmi les hommes requiert le commerce du sensible avec le spirituel. Dès lors, la sanctification de l’humanité se fera aussi par des cites corporels. Notre reli- ( M- 1 Propos. 72-76, damn, a Clem. XI. Denzinger, Φ24426. ' Cf. S. Thom U· νοθ· w ■ * s» gion et notre culte ayant besoin d’un aliment extérieur, Jésus-Christ, qui est un sage méde­ cin, a voulu par l’attrait des symboles sacra­ mentels, exciter notre piété sans la violenter, la soutenir sans la fatiguer. lia ainsi adapté le surnaturel à notre manière naturelle de comprendre et d’agir : des signes sensibles proposés par des hommes nous ont conduits à l’intelligence des dogmes révélés, des rites sensibles, instruments de la puis­ sance infinie et administrés aussi par des hommes, porteront aux âmes la vie, la sain­ teté, la fécondité, la grâce1. Le gouvernement parmi les anges s’exerce selon un procédé mental, conforme au mode particulier dont ils reçoivent de Dieu leur connaissance : de là les hiérarchies et les chœurs invisibles2. Mais toute société humaine a besoin de certaines communications extérieures; le lien qui rattache les hommes entre eux doit être tangible comme leur nature : nécessité d’une autoritévisible pour maintenir l’ordre et l’har­ monie. « Il est manifeste, dit Léon XIII8, que . les hommes ne peuvent communier entre I I eux qtie Par La notion complète du corps de l’Eglise Ainsi l’Eglise est un corps à travers lequel rayonne l’âme spirituelle. Il a des nerfs pour imprimeriemou vement, contenir les membres dansl’unité; c’est l’autorité, la hiérarchie de juridiction; des vaisseaux pour alimenter la vie, infuser dans les diverses parties ce sang surnaturel qui fait la beauté et entretient la jeunesse :ce sont les sacrements, le ministère sacré. Trois éléments constituent donc le corps de l’Eglise : un magistère visible et la profession d’une même foi par tous les croyants: un ministère visible et la communion de tous les fidèles au même culte; un gouvernement visible et l’obéissance de tous les sujets aux mêmes pasteurs. Le corps humain est un organisme, un ’ Cf. III. P., q. 60. ■ 2 Cf. L P., q. 107. . vivant, dans lequel les parties, bien loin de 3 « Perspicuum est nihil inter homines commnnirester isolées ou juxtaposées, s’unissent et cari, nisi per externas res quae sensibus percipian­ s’enlacent entre elles, grâce à un principe tur, posse. » Encyclic. Satis cognitum. 20 Jun. 1806. 220 commun qui les régit, les coordonne, les fait conspirer vers le bien du tout. Dans l’Église du Christ le corps n’est pas un assemblage d’éléments disparates et sans cohésion, mais un tout harmonique et vivant. Comme c’est le corps des fidèles, il lui faut l’unité de foi, profession des mêmes dogmes; puisque c’est le corps des saints, de tous ceux qui sont appelés à la vie de la grâce, unité de commu­ nion et de culte, participation au même sacri­ fice, aux mêmes sacrements, ces vaisseaux divins, qui constituent en quelque sorte l’appareil de la circulation spirituelle; enfin, puisque c’est un organisme social, unité de direction, de gouvernement, d’autorité. On voit que la notion du corps de l’Église, telle que nous venons de l’analyser, inclut aussi l’idée d’une âme de laquelle procèdent I Hi le mouvement et l’activité. Mais l’âme se j H prend ici dans un sens bien différent de celui que nous avons exposé dans notre première partie. Nous envisagions alors le principe permanent qui fait vivre les individus de la vie surnaturelle, c’est-à-dire la grâce sancti­ fiante avec ses annexes. Ici, l’âme désigne l’elé- ! ment formelquidonne à l’Église d’êtreunorga- , nisme social et qui lui imprime la triple unité déjà expliquée ; elle n’est pas opposée au corps, puisque le corps ne se conçoit pas sans elle, I Quand on distingue rigoureusement l’âme / et le corps de l’Église, on entend par l’âme le principe qui sanctifie, foi et grâce, et par le corps l’organisme animé, la société extérieure complète, avec tout ce qui la constitue, soit l’élément matériel, soit l’élément formel qui la rend vivante, active, une dans la foi, le ( culte,le gouvernement. Poursuivons notre analyse. L’idée de corps Hi implique la multitude et l’inégalité des mem­ bres : Quod si essent omnia unum membrum, ubi corpus? L’Eglise du Christ ne pouvait I manquer de cette variété nécessaire au fonc* bonnement de l’organisme et de laquelle Hl résulte la perfection. C’est la doctrine que saint Paul1 a exposée avec tant d’éloquence et que les théologiens ont défendue contre les erreurs de Marsile de Padoue et des nova­ teurs. Oui, il faut dans l’Église uneobéissance et une autorité, des inférieurs et des supé1 rieurs, des gouvernés et des gouvernants, des enseignes et des enseignants, des sanctifiés et des sanctificateurs. Le corps de l’Eglise ne se comprend point sans un sacerdoce visible. Le Souverain Pontife Pie X eut soin de rap­ peler ce dogme aux catholiques de France : « Cette Eglise est par essence une société II 'j) / Cor., χπ. K F 222 inégale, c’est-à-dire une société comprenant deux catégories de personnes, les pasteurs et le troupeau, ceux qui occupent un rang dans les différents degrés de la hiérarchie et la multitude des fidèles. Et ces catégories sont tellement distinctes entre elles, que dans le corps pastoral seul résident le droit et l’auto­ rité nécessaires pour promouvoir et diriger tous les membres vers la fin de la société; quant à la multitude, elle n’a pas d’autre devoir que celui de se laisser conduire, et, troupeau docile, de suivre ses pasteurs1. » Avec la diversité des offices et des minis· . tères il y aura la diversité des vocations; outre l’observation des commandements il faudra la pratique des conseils, car la société des saints doit avoir son école officielle delà sainteté : d’où nous déduisons la nécessité d’un état religieux. C’est celte double écono· . mie du sacerdoce et de l’état monastique qu’il, nous faut maintenant étudier pour arrivera ■ Ιΐ la notion complète du corps de l’Église. Elle est trop souvent passée sous silence dans les traités De Ecclesia. 1 Encyclique de S. S. Pie X condamnant la loi dî separation en France, n février 1906. I Ill Le sacerdoce visible est de l’essenoe de l’Église. L’état religieux visible appartient à l’intégrité de l’Église I Lasociété fondée par Jésus-Christ avec ce corps et cet organisme que nous venons d’expliquer exige d’abord un sacerdoce visible, car au sacerdoce est dévolu le triple η rôle qui manifeste la visibilité de l’Église : il le magistère, le ministère, le gouvernement. II Même dans l’économie antique, le minis­ tère, les fonctions du culte, les rites divers qui doivent honorer Dieu et sanctifier l’homme, furent exclusivement confiés à des prêtres. Le pouvoir royal le plus absolu dut respecter cette loi, et le Ciel plus d’une fois intervint miraculeusement pour châtier les usurpa­ teurs. Saül, après avoir attendu Samuel pen­ dant sept jours, se croit autorisé à offrir luimême l’holocauste; il est réprouvé à jamais par le Seigneurl. Le roi Ozias entre dans le • temple et veut offrir de l’encens sur l’autel des parfums; le pontife Azarias et les prêtres lui résistent avec énergie J le monarque, - F. · ί ·: • «1 i ■ * e t 4 11 Reg., xiii. ίΛ ■■Μ - tenant l'encensoir à la main, les menace et sacrées n’était pas, comme lepouvoir d’ordre, persiste dans son sacrilège. Aussitôt la lèpre le privilège exclusif du corps sacerdotal. parut sur son front en présence des prêtres Ainsi, David joua un rôle très actif dans dans le temple du Seigneur, et il fut lépreux l’organisation du service divin, il répartit les jusqu’au jour de sa mort1. lévites et les prêtres d’après les différentes Quant au magistère, il n’a pas toujours été fonctions du culte; et ce zèle est loué par réservé au sacerdoce, Dieu ayant voulu se l’Écriture1>. servirde toutes les classes de l’humanité pour Dans l’Eglise du Christ ce triple pouvoir communiquer au monde le bienfait de la révé­ appartient en propre à la hiérarchie spiri­ lation. Les prophètes, qui furent les prédi­ tuelle, qui est formée des évêques, des prêtres cateurs et les docteurs du surnaturel, n’ap­ et des ministres. partenaient pas tous à la race sacerdotale. Il est, sans doute, un enseignement des L’enseignement sous la première alliance se vérités surnaturelles qui, bien loin d’être lit non seulement multifariam multisque interdit aux laïcs, peut devenir grâce à eux un apostolat très fécond et très méritoire, modis* — - à bien des reprises et de bien des surtout dans les conditions actuelles de la manières — mais encore par toutes sortes de personnes. Cependant, même à cette époque société, à une époque où la croisade contre depréparation, le prêtre était particulièrement l’homme de la vérité : c’est de ses lèvres qu’on tous les chevaliers de la parole et de la attendait la science sacrée et l’interprétation plume. Mais l’Église appelée proprement de la loi3; et les peuples venaient consulter enseignante est l’Église sacerdotale : la prédi­ son regard pour y lire des pensées véné­ cation ordinaire est donnée par le prêtre, rables4. sacerdotem oportet prœclicare*; le magistère La puissance de juridiction sur les choses authentique, officiel et solennel, se fait par le corps des pasteurs3, les évêques, les con1 1Γ Parai., xxvi, 16-21. 2 Heb., i, i. 3 «Labia sacerdotis custodient scientiam, et legem ’ Parai., xxin. 1 Pontifie. De OT'dinat. presbyteri. ’ II y eut à l’origine de l’Eglise divers ordres de personnes chargées de l’enseignement : la Didachè, Doctrine des douze Apôtres (découverte en ‘•ORS DE L ÉGLISE ■ ciles, dans lesquels le sacerdoce seul a le droit de définir. La puissance auguste de sanctifier n’a été donnée qu’aux Apôtres et à leurs successeurs •Τι dans le ministère : à eux seuls il appartient de consacrer, d’offrir, de distribuer le Corps et le Sang du Sauveur, de remettre les péchés. imi Ce sacerdoce est extérieur et visible comme notre religion : ce n’est point là un simple office de prédication ni une fiction inventée par les hommes, c’est une institution de droit divin. L’élection humaine ne suffit point pour faire les sanctificateurs de l’humanité : il faut un sacrement qui vient de Notre-Seigneur lui-même •I 1. Rien donc ne peut remplacer les prêtres dans leur œuvre de sainteté : leur ministère est aussi nécessaire à l’Église que le sacrifice elle culte perpétuel. Le gouvernement du troupeau de Jésus· Christ est aussi leur apanage. Il est vrai que le pouvoir d’ordre est distinct et séparable du par le métropolite grec Philothée Bryennios), en signale cinq : Yapôtre, missionnaire ambulant, qui porte partout la bonne nouvelle; le prophète, qui f»arle et enseigne en Esprit; le docteur, qui instruit es üdèles, mais sans être inspiré; eniin, Vévêque et le diacre. Les trois premiers étaient des ministres extraordinaires de l’Evangile, et ils devaient dispa­ raître : le magistère fut donc réservé au corps per­ manent des pasteurs, évêques ou prêtres. 1 Conc. Irid., sess. XX111, c. i, can. i, can. 3. ci··. < i » pouvoir de juridiction : l’ordre une fois conféré est inamissible, éternel, la juridiction peut cesser pour des causes multiples; l’ordre n’admet ni degrés ni variations : tous les prêtres sont sur le même niveau, comme tousles pontifes sont égaux entre eux, et le caractère n’a pas plus d’intensité dans le pape que dans l’évêque missionnaire; la juridic­ tion, soit dans les différents sujets, soit dans le même, peut subir des fluctuations : tantôt plus vaste, tantôt restreinte, tantôt ordinaire, tantôt déléguée ; il peut même arriver qu’un ecclésiastique exerce validement et licite­ ment la juridiction épiscopale avant d’avoir reçu l’onction des évêques. Il reste certain cependant que dans le plan de Jésus-Christ la juridiction est faite pour l’ordre et repose sur lui. Elle n’appartient jamais en propre au pouvoir laïc, et, si parfois elle est déléguée à un séculier pour des raisons particulières et à un degré inférieur, il faut toujours une dispense du Souverain Pontife. Même dans cescasexceptionnels, elle descend du sacer­ doce et elle retourne vers lui. Il y a ainsi une juridiction de droit divin comme l’ordre, dont elle doit aider l’exercice. L’Église dirigeante est donc encore l’Eglise sacerdotale : ceux que le Saint-Esprit a chargés de conduire la société surnaturelle sont ceux-là êmes nui 2Λ • ·Λ 'Tl < - su8 - ont reçu la plénitude de l’ordination : Posuit episcopos regere Ecclesiam Dei1. D’ailleurs, ces trois fonctions, du magistère, du ministère, de la juridiction, sont conte­ nues dans un seul pouvoir, qui est le gouver­ nement spirituel. Du fait que la hiérarchie a reçu la mission de paître le troupeau du Christ, elle doit avoir les moyens de le mener et de le maintenir dans les vrais pâturages par des préceptes et des lois, et de soumettre les brebis rebelles à des châtiments et à des peines spirituelles : voilà l’autorité de juridic­ tion. Mais la nourriture des chrétiens, c’est la grâce et la vérité : la vérité, qui rassasie l’intelligence, la grâce, qui alimente l’âme tout entière. La mission de paître les fidèles comporte donc aussi le pouvoir de donner la doctrine divine, c’est le magistère, et le pouvoir de sanctifier en versant la grâce, c’est le minis­ tère sacré. Ainsi, d’après l’institution de Notre-Seigneur, une même hiérarchie gou­ verne, illumine, purifie, fait circuler la sain­ teté dans toute l’Eglise, comme une sève féconde qui descend et remonte tour â tour *· ' Act., xx, 28. « Dans le corps pastoral seul résident le droit et l’autorité nécessaires pour pro­ mouvoir et diriger tous les membres vers la ün de la société. » S. S. Pie X, encyclique condamnant la foi de séparation en France, 11 février ζθαός 1 ce sont les mêmes hommes qui doivent être à la Ibis pasteurs, sanctilicateurs et docteurs. Telle est la raison d’être du sacerdoce. Puisque c’est lui qui est chargé d’enseigner, de sanctifier et de régir, il est essentiel au christianisme comme ce triple pouvoir, il entre dans l’organisme et la constitution intrinsèque de l’Eglise ; sans lui le corps mystique ne fonctionnerait plus. Si l’Eglise est indéfectible, le sacerdoce l’est aussi. Aucune puissance ici-bas n'est capable de supprimer cette hiérarchie visible et de droit divin, qui est composée des évêques, des prêtres et des ministres1. Les degrés infé­ rieurs sont subordonnés au sacerdoce, et le sacerdoce est subordonné à l’épiscopat, e L’économie de l’épiscopat et la constitu­ tion de l’Eglise, dit saint Cyprien, se dérou­ lent à travers les âges de telle sorte que l’Eglise repose sur les évêques et que toute sa vie active est gouvernée par eux’. » Enfin tous les évêques reposent sur un seul fonde­ ment, qui est Pierre et le successeur de Pierre. « C’est à un seul que Jésus-Christ a Il commandé de paître les brebis1 23; il a voulu que 1 Conc. Trid.,scss. XXIII, can. i. 2 S. Cyprian., Epist. XXVII ad Lapsos, i, P. L.t IV, 298. ’ Cyprian., De Unit, Eccles., iv, P. L.t IV, 4&1, : 230 — le commencement fût fondé sur l’unité, montrer que l’Église doit être une. » - · · V ·. .L * L’état religieux simple, en tant qu’il est distinct et séparé du sacerdoce, n’est pas indispensable au même degré; l’organisation fondamentale pourrait se comprendre sans lui, elles trois fonctions essentielles seraient encore sauvegardées. Mais, s’il n’est pas de l’essence, il l’accompagne comme une partie intégrante, sans laquelle le corps de l’Église n’aurait ni sa couronne, ni sa perfection, ni sa plénitude. Il La marque éclatante du catholicisme, c’est II la sainteté. L’Église du Christ, vierge immor­ telle et toujours belle, sans tache ni ride, est la sainteté rendue visible et, pour ainsi dire, incarnée. Sa doctrine, incorruptible et intran­ If sigeante, prêche la vertu par tousles moyens; sa morale, qui ne sait point pactiser avec les passions des hommes ni avec les caprices des époques, poursuit jusqu’à l’ombre du mal ; son ascétisme proscrit la plus légère imperfection; sa mystique fait aspirer au suprême idéal; sa liturgie et ses sacrements sont institués pour la consommation des saints, c’est-à-dire la sanctification des fidèles. Cette sainteté active ne suffit point, il faut qu’elle soit réalisée en If If pratique dans les membres visibles : ce au! distinguera la véritable Eglise de toutes les sectes, c’est la sainteté de ses enfants. Beau­ coup, hélas! ne répondent pas aux influences de la vie surnaturelle, mais, malgré les défec­ tions et les scandales, il y aura toujours des exemples de l’héroïsme et une école officielle de la perfection. Si l’Église était une société invisible, la vertu intérieure lui suffirait; mais, puisqu’elle est un corps vivant, la sain­ teté doit rayonner à travers l’organisme et se manifester au dehors, en sorte qu’on puisse indiquer par un signe sensible l’Église sainte, comme on se montre l’Église une, catho­ lique et apostolique. Ily a d’abord une sainteté préliminaire, qui consiste dans l’observation des commande­ ments et qui est imposée à quiconque veut suivre le Seigneur. Mais ce qui est ordinaire ne brille pas, ne distingue pas : l’auréole qui fait resplendir l’Église entre les sectes n’est pas la sainteté commune, bien qu'elle la suppose ; c’est une sainteté d’éclat, parfaite, qui ajoute à la pratique des préceptes celle des conseils. Il Or la sphère des conseils est immense. Cer­ tains exercices d'humilité, de pénitence, de prière, de libéralité, sont surérogatoires et pourront constituer un degré de perfection. Il peut y avoir dans chacune de nos bonnes 5· y·1· te actions un mode exquis, œuvre de noire pleine liberté, et ainsi le champ des conseils devient vaste et indéfini comme celui de la vertu. Mais, pour réaliser la perfection com­ plète, c’est-à-dire, pour rendre la charité entièrement triomphante, il faut la pratique de ces conseils qui ont une plénitude abso­ lue, qui sont universels et écartent tous les H empêchements de l’amour divin. Ces obsta­ cles sont les trois grandes concupiscences stigmatisées par saint Jean1 :1a triple puis­ sance des richesses, des plaisirs, des honneurs. Tels sont les véritables rois de l’humanité; rien ne s’accomplit dans le monde que sous leur inspiration et avec leur concours, et leur histoire se confond, pour ainsi dire, avec celle du genre humain. Puis­ que leur empire est souverain, puisque tout subit leur influence, les conseils qui seront capables de les dompter doivent avoir aussi une efficacité universelle. Oui, pour renver­ ser tous les obstacles à la charité et consti­ tuer la perfection proprement dite, il faut trois renoncements sans restriction : la pau­ vreté, l’abandon de tous les biens terrestres, terrasse la concupiscence des yeux; la chas­ teté, le sacrifice des plaisirs du corps et des i I Episl. Joan., h, 16. — 9.33 - affections trop vives du cœur, crucifie la concupiscence de la chair ; l’obéissance, l’immolation de la volonté propre, ce grand domaine qui reste même aux plus pauvres d’ici-bas, flagelle l’orgueil de la vie. Tout l’ensemble harmonieux de la sainteté est renfermé dans cette triple mort : pour rester détaché, chaste, obéissant, malgré les amor­ ces de la tentation, malgré les séductions du monde, malgré l’épreuve du temps, il faut des énergies persévérantes qui mettent en jeu le multiple organisme de la vertu. Si la pratique rigoureuse et constante de ces conseils suffit pour faire des parfaits, elle ne réalise pas encore l’état de perfection. L’état désigne un genre de vie stable, perma­ nent, et ce qui assure cette stabilité, ce sont des obligations perpétuelles. Celui qui ne s’est pas engagé pour toujours aux œuvres des parfaits n’est pas dans l’état des parfaits. Voilà donc ce qu’il faut pour obtenir cet idéal, l’obligation irrévocable de pratiquer la pauvreté, la chasteté, l’obéissance. Or qu’estce que l’obligation d’observer un conseil sinon le vœu? Pour l’œuvre surérogatoire, en effet, l’obligation naît tout entière de notre promesse et s’appelle vœu. Ainsi, les trois engagements perpétuels aux trois conseils universels sont les trois vœux de religion. : ..j'r:- • ·λ1.. - : ‘ «r»- ____ r Et, puisque l’Eglise est une organisation visible, un corps social, il ne suffît pointpour fonder en elle l’état de perfection de certains vœux individuels ou privés, il faut des vœux publics, contractés avec une certaine solen­ nité extérieure devant des représentants offîciels qui acceptent la promesse au nomII de Dieu. L’état de perfection, ou l’école de la sainteté, se confond donc en réalité avec les trois vœux essentiels qui constituent la vie religieuse. Les vœux, sans doute, ne sont point la perfection par eux-mêmes, c’est la charité qui est la perfection ; mais, comme ils écartent les plus violents des obstacles, on peut dire qu’ils réalisent l’état des parfaits. II Les préceptes excluent ce qui est incompa ­ tible avec la charité elle-même; les conseils objets des trois vœux doivent éloigner de plus ce qui entrave Y acte de charité sans nuire à la charité habituelle. Il n’y a au-dessus que l’épiscopat, cet état de la perfection acquise, qui doit être l’exercice continuel de la cha- I cité, le dévouement aux àmesjusqu’àlamort. H Tel est l’enseignement commun des Pères1, l*i f I ■ 1 Cf. S. Thomas, Ila 1IM, q. 184 à 189; Opusc. I, Contra impugnantes Dei cultum et religionem', O pusc. II, De Perfectione vitee spirit ualis ; Opusc. Ill, Contra pestiferam doctrinam retrahentium homines a religionis ingressu; Suarez, De Religione; Βουπ, des théologiens, des canonistes, que Léon Xllï s sst plu à rappeler. « Les Ordres religieux tirent, chacun le sait, leur origine et leur raison d’être de ces sublimes conseils évan­ géliques que notre divin Rédempteur adresse pour tout le cours des siècles à ceux qui veulent conquérir la perfection chrétienne... Ils travaillent sous la direction du Siège apos­ tolique à réaliser l'idéal de perfection tracé par Notre-Seigneur1... Eux qui par l’obser­ vation des conseils évangéliques tendent à porter les vertus chrétiennes au comble delà perfection5. ». Ces considérations auront fait comprendre comment l’état religieux appartient à l’inté­ grité de l’Eglise. La note de la sainteté exige qu’ily ait non seulement des parfaits, mais ΐ encore un état visible de la perfection, une école authentique où la vertu s'enseigne, s’apprend et s’acquiert. Cet état et cette école, au dire/ de toute la tradition, c’est la vie religieuse. L’Eglise donc sans les instituts reli­ gieux manquerait de son auréole et de son Il I complément nécessaire. Notre-Seigneur, qui ne pouvait vouloir une Eglise mutilée, devait instituer à la fois le sacerdoce visible et l’étal12* 1 Lettre à l’archevêque de Paris, a3 décembre 1900. 2 Lettre aux. Supérieurs des Ordres et Instituts religieux, 29 juin içjor. b 4 t. 'AV religieux visible. Il a donc établi une double école officielle chargée de reproduire, l’une son rôle de sanctificateur, l’autre sa sainteté personnelle. Être sanctificateur comme Jésus, c’est l'ineffable dignité du prêtre; se destiner par état à la sainteté comme Jésus, c’est la noble vocation du religieux. Ces deux rôles d’ailleurs, quoique distincts, ne sont pas néces­ sairement séparés, et alors se trouve réalisé ce suprême idéal du même homme voué à la sainteté par lui-même et à la sanctification pour les autres, saint et sanctificateur, reli­ gieux et prêtre. Sa vie religieuse est une excel­ lente préparation à tous les exercices de son sacerdoce : à l’office de la prière, au rôle de sanctificateur, de sacrificateur et de coré­ 111 dempteur, au ministère II de l’enseignemenl sacré, et même au gouvernement des âmes1, Inséparable de Γ Église, l’état religieux a toujours existé avec elle. On peut voir dans l’opuscule du P. Dora Besse : D'où viennent les moines'? comment la vie monastique, préparée par l'ascèse juive, est la véritable institution de Notre-Seigneur et comment elle s’est développée durant les trois premiers 1 Ces idées sont exposées dans nos brochures: Les Vœux de religion contre les attaques actuelles, La Fraternité du sacerdoce et de l'état religieux. Paris, Lethielleux. ’ Collection Science et Religion, Paris. Βίοπφ k J· ÿj » r 1 / J I ■ j I I I ’ I I siècles. Nous avons montré nous-même ailleurs1 que la vie régulière et la cléricature ont toujours été unies dans l’histoire du catholicisme, qu’il y a eu à toutes les époques des religieux prêtres, comme le fut NotreSeigneur lui-même, comme l’ont été de nom­ breux Pères et les principaux docteurs de l’Église. Si de nos jours encore tant de jeunes gens répondent avec ardeur à l’attrait victorieux qui les pousse vers le cloître, ce n’est point pour céder à un préjugé ou pour suivre un rêve enchanté, comme 9 l’écrivent certains publicistes dont on attendait une doctrine plus théologique : c’est pour obéir à l’appel du Maître, qui ne veut pas laisser son institution incomplète et se doit à lui-même de conserver dans son Église l’école de la perfection. Absoluinent parlant, l’état séculier, qui n’est certes point de droit divin, pourrait disparaitre dans le clergé. Cette hypothèse, sans doute, est chimérique, et nous n’en souhaitons pas la réalisation; mais enfin, si tous les clercs devenaient moines, l’Église ne serait atteinte ni dans son essence ni dans son intégrité : des évoques religieux, des prêtres reli­ gieux, pourraient exercer encore le triple ' Fraternité du sacerdoce^ ch. iv. ; rfy office du magistère, du ministère, du gouver­ nement. Si, au contraire, la vie religieuse disparaissait entièrement et sous toutes ses formes, le corps mystique, privé de sa cou­ ronne et de son intégrité, serait douloureu­ sement amputé. Il pourrait y avoirdes saints et des parfaits, il n’y aurait pas l’état de perfec­ tion ni l’école officielle de la sainteté. Suspendre pour un temps la vie religieuse dans un pays, s’opposer au recrutement des vocations nouvelles, pousser tous les profès actuels à la sécularisation, ce serait vouloir la mutilation d’une Eglise. Nos évêques de France ont vu ce danger lorsqu’ils ont pro­ testé dans une pétition célèbre au chef de l’État1. Sans doute, FÉglise universelledemeurerait intacte lors même que l’élément intcgrantd’uneÉgliselocaleviendraitàdisparaitre, mais celte amputation partielle serait-elle conforme aux désirs de Notre-Seigneur? II Μ I £7. JB % : * 1 On sait aussi que S. S. Pie X, dans une lettre au supérieur d’une congrégation enseignante, a mani­ festé clairement sa pensée au sujet des sécularisa­ tions. II ne veut à aucun prix qu’on fasse passer le devoir de l’enseignement avant les obligations de l’état religieux, comme si l’éducation venait en première ligne et la profession en second lieu seule­ ment. La vie religieuse l’emporte de beaucoup sur la vie commune, et, si le devoir de l’enseignement est très grave, plus sacrés sont les liens des vœux qui nous enchaînent au Seigneur. « Omnino nolu­ mus apud vos cæterosque vestri similes, quorum 1 Écoutons à ce propos sainte Thérèse1 : « Un II jour, au moment où je venais de communier, Notre-Seigneur me commanda expressément de m’employer de toutes mes forces à réta­ blissement de ce monastère, me donnant la formelle assurance qu’il réussirait, et que la ferveur avec laquelle il y serait servi lui procurerait beaucoup de gloire... Quoiqueles Ordres religieux n’eussent point leur ferveur première, je ne devais pas croire qu’il en tirât peu de gloire ni peu de service. Et que devien­ drait le monde, s’il n’y avait point de reli­ gieux ? » 11 ne nous appartient pas de préjuger l’avenir, mais nous savons que, en dépit de toutes les menaces et à travers toutes les vicissitudes, le sacerdoce et l’état religieux resteront indéfectibles; malgré les troubles profonds que pourra créer en France la dénonciation du Concordat, Notre-Seigneur saura donner des prêtres aux diocèses; I religiosum munus est erudire adolescentulos. ea quara pervulgari audimus, quidquam valeat opinio, II institutioni puerili primas vobis dandas esse, religiosæ professioni secundas, idque ætalis hujus ingenio et necessitatibus postulari. Itaque in vestra causa illud maneat rcligiosæ vitæ genus longe com­ muni vitæ præstare; atque, si magno obstricti estis erga proximos officio docendi, multo majora esse vincula quibus Deo obligamini. » Cf. Etudes fondées [>ar les PP. de la Compagnie de Jésus, 5 nov. ιθο5. * Vie écrite par elle-même, ch. xxxir. ·;Ί ■ V malgré toute l’habileté des lois de persécu tion, il suscitera des vocations généreuses, ii aura toujours ses vierges et ses moines. Ses institutions demeurent immortelles avec lui: il conservera donc aussi longtemps que son Eglise l’école officielle qui reproduit sa sain­ teté et l’école officielle qui sanctifie; il aura toujours des disciples et des ministres qui seront saints et sanctificateurs comme lui. Cet aperçu sur le sacerdoce et l’état reli­ gieux n’est point une digression ni un horsd’œuvre : la notion même de l’Eglise, corps social, visible et parfait, réclame, avec l’iné­ Il galité et la multiplicité des membres, un ministère extérieur pour enseigner, sanctifier et gouverner, et un état de sainteté visible pour reproduire la sainteté personnelle de Jésus-Christ (i). (i) Précieuse confirma!ion de notre doctrine . J‘ie XI, dans son Encyclique sur la Fête de JésnsChrisl-Roi, n décembre 1920. déclare que l’Etat doit accorder la liberté aux Ordres et Congrégations de religieux et de religieuses, qui, par l’observation «les saints vœux, combattent la triple concupiscence du inonde et par leur profession d’une vie plus par­ faite fait resplendir la sainteté que le Christ a don­ née comme note ou caractère à son Eglise. CHAPITRE II LA TRIP! JE UNITÉ DU CORPS DE L EG LISE La visibilité, l’inégalité des membres, la I diversité des offices, des ministères, des vocaI lions, sacerdoce, état religieux : voilà ce que nous avons découvert dans l’idée complète du corps mystique institué parNotre-Seigneur. I Aucun de ces éléments ne peut vivre en j dehors du tout : à quelque degré qu’on soit placé, laïques, prêtres, moines, tous doivent I entrer dans l’organisme surnaturel etconcouj rir à sa perfection. Nul corps ne peut se maintenir sans l’unité, principe de conserva­ tion et d’activité ; au corps des fidèles, au i corps des saints qui servent Dieu soit dans I le monde, soit dans la royauté du sacerdoce, soit dans l’ascèse de la vie monastique, il faut nne triple unité : de foi, de gouvernement, de culte. Examinons le suj et avec quelques détails. HORS DE L’ÉGLISE 1 4' /.Λ- ’ A·-.. dÆ’. AVr>: L’unité de foi Noire foi est appelée une à bien des litres: j à raison de son motif, nécessairement le même pour tous les croyants: l’autorité de Dieu révélateur, qui ne peut ni se tromper ni nous tromper; à raison de son objet prin­ cipal, la Vérité première, une et immuable; à raison de l’habitude ou vertu de foi, qui est, pour tous les hommes, de la même nature et du même ordre. Mais, comme il s’agit d’un corps tangible, l’unité dont nous parlons doit être visible ' aussi ; et elle consiste en ce que tous les fidèles répandus dans le monde entier profes­ sent extérieurement tous et chacun des artides que l’Eglise leur propose de croire. Elle ne peut évidemment pas reposer sur l’auto­ rité d’un livre que chacun explique à sa ma­ nière et aufjuel l’interprétation privée donne une foule de sens différents et parfois contra­ dictoires. Les protestants auront beau crier: La Bible 1 La Bible ! — La Bible ne peut pa« être leur unité, puisqu’elle est la cause de 1Z··?/.·. ■ i i ' I ) leurs divisions'. —*■ D’autres, avec Jurieü, recourent à la théorie des articles fondamen­ taux, sur lesquels doivent s’accorder toutes les sectes chrétiennes, et des articles d’impor­ tance moindre, qu i! est loisible à chacun d’admettre ou de rejeter. — Distinction arbi­ traire: ce qui semble fondamental à cette société est accessoire pour celle-là ; et d’au­ tres réduisent les articles « à une si simple expression qu’il n’y en a plus du tout4 ». — Distinction souverainement injurieuse envers Dieu. Par le seul fait que le Créateur et le Maître daigne parler à l'humanité, il exige qu'on ajoute foi à toutes ses assertions : que les objets proposés soient essentiels ou secon­ daires, nous n’avons ni à les discuter ni à faire un choix, le motif est le même pour tous, l’autorité du Révélateur qui sait tout et qui ne trompe jamais. Qui donc peut s’ar­ roger le droit de dire à la Vérité infaillible : Tu n’iras pas plus loin, je te croirai sur ce point seulement et non sur cet autre ? — Dis­ tinction condamnée par Notre-Seigneur. Il n’a pas dit: Vous pourrez opérer un triage entre les articles, mais bien : Allez et ensei­ gnez toutes les nations, et imposez à leur croyance tout ce que je vous ai appris etcomP. Monsabré, 5a® conférence. Î 1 Idem, Ibidem, □44 mandé pas d’exception, c est mon Évangile tout entier, c’est tout mon enseignement : 111 Evan odium, omnia quægumqüe mandavi νο· II bis. Quiconque les rejettera sera condamné 1. Ainsi, l’unité de foi exigée par Notre-Seigneur embrasse toutes les vérités proposées parle magistère visible des Apôtres et de leurs successeurs. Fidèles aux recommandations du Sauveur, les Apôtres ont eu à cœur de prêcher et de faire respecter l’unité de doctrine. Saint Hi Pierre lance l’anathème aux faux prophètes, aux maîtres de mensonge, qui corrompent if l’intégrité de la foi et introduisent des sectes de perdition *. Saint Jude supplie les chré­ tiens de combattre sans défaillance pour la •I foi qu’ils ont reçue du magistère ofiiciel, et il II dénonce, en termes d’une vigueur inouïe, les novateurs, que la justice divine a déjà voués à des châtiments II effroyables8. Saint Paul s’est fait l’intrépide champion de l’unité. « Si quelqu’un, fùt-ce même un ange du ciel, ose enseigner autre chose que ce que vous avez II 4. appris de notre bouche, qu’il soit anathème — Après un ou deux avertissements, il faut ·· 1 ’ xxvin» 30ί Marc, 2 II Pet., h, i. 3 Jud., 3, sq. 4 I Cor., i, io-ia. xvi, i5-i6. ·' cesser toute relation avec les hérétiques, qui détruisent l’unité de nos croyances. Ceux-là (sont condamnés par leur propre jugement *. » -Il n’y a qu’une foi2, etlegrandprécepte con­ siste à la maintenir intacte3. ! L’anathème est jeté à tous ceux qui résis­ tent à la vérité4 ; il est recommandé de n’em­ ployer que les expressions de la saine doc­ trine, d’éviter même jusqu’aux nouveautés de langage et aux questions oiseuses qui I pourraient compromettre cette précieuse [ intégrité et engendrer des discordes5. L’Église est elle-même, par toute son his­ toire, le témoignage irrécusable et la preuve tangible de cette unité. Ses travaux, ses lut­ tes, ses conciles, sont pour maintenir le dépôt I de sa foi ; elle préfère subir la persécution, être martyre et verser son sang, plutôt que de sacrifier un seul de ses dogmes. Qu’il soit .capital ou secondaire, elle ne distingue pas ; du moment qu’il appartient au trésor de la révélation, elle est inébranlable, intransi­ geante. Ainsi, au premier concile de Cons­ tantinople, elle condamne les Quartodécimans, qui cependant n’avaient jamais con1 Tit., in, ίο. 1 Ephes., iv, 5. 1I Tim., i, 18, sq. kII Tim., ni. »2 Tim., vi, 20-21; IT Tim., i, i3, n, s3. Λ i- ÇÎÆ1 testé les vérités fondamentales du christianisme. Elle retranche impitoyablement de son sein quiconque nie avec opiniâtreté un seul point de son enseignement : elle consent à laisser diminuer le nombre de ses sujets, à voir même des nations entières se détacher d’elle, plutôt que de ibrfaire à la vérité et de renoncer à un seul article de son Credo. Cette sévérité pleine de miséricorde, cette sage intransigeance, qui sauvegardent son unité, sont aussi la raison de sa force, de sa . Par là, elle se dis· prospérité inépuisa ises séparées, où les tingue de toutes ces symboles varient avec les sectes, où l’on ne se multiplie qu’en se divisant. L’unité, cause de vie, signe de vérité, est visible et tangible, puisqu’elle implique la profession extérieure des mêmes articles par tout le monde, et qu’elle requiert un magis· tère public et authentique auquel tous sont ! tenus de se soumettre. Sans cette autorité souveraine et infaillible, les controverses seraient interminables comme elles le sont dans le protestantisme, ainsi que le remarque I le savant Grotius1. De là celle parole de saint , Augustin : « Je ne croirais pas à l’Evangile si je n’y étais contraint par l’autorité de l’Église 4 Gkotics, Via ad pacem Eccles., tit. VH, - r- I catholique ; enlevez ce magistère, je n’ai plus de règle certaine pour croire à l’Évangile » II L’unité de gouvernement La société fondée par Jésus-Christ n’est pas une vaste confédération d’Eglises particu­ lières, indépendantes dans leur doctrine, leur organisation, leur fonctionnement ; elle est unique, avec un seul corps et une seule tète. L’Écriture ne la désigne qu’au singu­ lier : « Sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les portes de l'enfer ne prévaudront pas contre elle . * » — « Si quelqu’un ne veut pas obéir à V Eglise, qu'il soit regardé comme un païen· et un publicain8. » — « L’Eglise du Dieu vivant est la colonne de la vérité ♦. » — «L’homme est le chef de la femme comme le Christ est le chef de Y Église. Les maris doivent aimer leurs épouses comme le Christ aime ΓEglise ; et les femmes doivent se sou1 Contra epistolam Fundamenti, c. v, P. Τλ,ΧΙΛΓ, 7i6. 2 Μλττη., xvi, i8. 3 Μλττη., xviii, 17. ♦ I Tim.f m. 1$. 4 mettre à leurs maris comme VÉgTise est sou­ mise au Christ » — L’Église est une maison une cité placée sur la montagne1*3, une bergerie des âmes45 *: or, la maison est une II multitude gouvernée par un même père de famille, la cité obéit à un seul magistrat, le II troupeau à un seul pasteur. Pour signifier cette unité, Dieu a voulu que le mariage fût l'union d’un seul avec une seule, et voilà pourquoi ce mystère est si grand par rapport au Christ et à l’Église '°. Notre-Seigneur a institué Tui-mème l’unité de gouvernement. D’abord, parce qu’il a décrété que le fondement visible de son Église serait unique : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église. » — « C’est sur un seul; dit à ce propos saint Cyprien, que le Sauveur a édifié l’Église et c’est à un seul qu’il a commandé de paître les brebis. Et, quoique après la résurrection il ait investi les Apôtres de semblables pouvoirs, il a voulu que le commencement fût fondé sur Tunité, pour montrer que l’Eglise doit être une8.» En second lieu, parce qu’il a établi que l’au1 Ephes., v, 28-27. 3 I Tim., in, 15. 3 Matth., v, 14. 4 Joan., x, 16, xi, 52. 5 Ephes., x, 32. • Ee Unit. Eccles, iv, P. L. IV, 499. - toritédu chef visible serait universelle, s’éten­ drait à toutes choses : Tout ce que tu lieras ou délieras sur la terre sera lié ou délié dans leciel1 ; et à tous les fidèles sans exception, à tout le troupeau du Christ, agneaux et brebis, I sujets et chefss. « Tout est soumis à ses clefs : II I tout, mes frères, rois et peuples, pasteurs et troupeaux : nous le publions avec joie, car nous aimons l’unité et nous tenons à gloire notre obéissance. C’est à Pierre qu’il est ordonné premièrement « d’aimer plus que tous les autres apôtres » et ensuite « de paître et gouverner tout », et les agneaux et les brebis, et les petits et les mères, et les pasleurs mêmes : pasteurs à l’égard des peuples et brebis à l’égard de Pierre, ils honorent en lui Jésus-Christ3. » Saint Paul est, par excellence, le théolo­ gien de cette unité 4: un Seigneur, une foi, un II II baptême, un seul corps animé d’un seul esprit. Sans doute, les ministères sont multi­ ples, le Sauveur a institué des apôtres, des II prophètes, des pasteurs, des docteurs ; mais, comme il y a un seul chef, tous les membres s'unissent et s’ajustent pour former un seul ‘Matth., xvi, 19. ’Joan., xk, 10-17. ’Bossuet, Scrnion sur Vanité de l'Eglise, édit. Lebarq, t. VI, p. 99 4 Ephes., iv, 3-16. -- r * .· -*» ». 230 corps. Ainsi, selon l’Apôtre, le gouverne· J ce commerce surnaturel qui s appelle la com ­ ment de 1 Église est analogue à celuidu corps munion des saints. vivant. Nous remarquons d’abord, dans notre Enfin, les membres sont régis par toutes les organisme, la distinction et la multitude des • jointures de l’administration : Per omnem membres; ensuite leur connexion et leur ’ juncturam subministrationis. « C’est-à-dire communication entre eux, avec la récipro­ ■ que les différents ministères de la hiérarchie cité des secours et des services ; enfin leur I sont comme lesjointures visiblespar lesquelles direction sous une seule tète, en sorte qu’il ! les membres de l’Eglise s’ajustent, s’unissent, n’y ait point de schisme dans le corps, mais Il s’emboîtent, pour ainsi dire, les uns dans les l’harmonie1. / SJ ■: |. ■ I autres; et ils sont encore les ligaments qui De même, dans l’Eglise, multitude de les resserrent : Compactum et connexum. membres inégaux, avec des offices différents, I Ainsi, le fidèle est uni au prêtre, le prêtre uni mais tous à leur place, tous utiles, ayant cha- I à l’évêque, l’évêque uni au pape, le pape cun un rôle à exercer et concourant, chacun uni à Jésus-Christ. Or, Jésus-Christ, qui est à sa manière, au fonctionnement de l’en­ le chef, dispense la vie à tout le corps ; et le semble. La connexion et la vie de relation corps, par l'opération intime du chef, par la s’établit de diverses manières : par des ser­ vertu intérieure que lui communique II la tête, vices mutuels, par l’échange des mérites, des 1 croît et se développe dans la mesure II propor­ souffrances et des prières. Le mérite de 1 tionnée à chaque membre » condignitc est la propriété inaliénable de j Comme ni le corps est visible, il faut aussi chaque juste, iuste, mais le mérite de convenance ii une tête visible ; et, comme le chef invisible s’étend presque à l’infini. Les satisfactions est unique, ainsi faut-il que le chef visible, peuvent être cédées à d’autres, être mises en son vicaire et son image, soit unique et com­ commun et former, avec celles de Notre-Sei- mande à tous les membres. gneur, le vaste trésor des indulgences, La Celte unité de gouvernement est réclamée prière est faite pour tous dans toute la chié· par la fin que se proposait Notre-Seigneur lienlé, elle a une portée universelle. Tel es! dans sa mission parmi nous. Il est venu pour i 1 Cor., xn. » Maunoury, Comment, sur VEpître aux Ephés.. ch. iv, v. i6, rétablir la concorde, taire la paix, constituer un seul troupeau sous un seul pasteur1, rame­ ner à l’union les enfants de Dieu qui étaient divisés et dispersés . * Son vœu suprême, au moment de terminer son grand œuvre, sa dernière et sublime prière, est pour l’unité de son Eglise : « Qu’ils soient un, ô Père,comme vous et moi nous sommes un. » Ce n’est pas une vague fraternité que je demande, mais l’unité parfaite, consommée : Sint consum­ mati in unum. Voilà le signe, la marque authentique de ma divine mission. La nature, le monde, le génie, sont incapables de réa­ liser cet idéal; ce sera bien la preuve que vous m’avez envoyé3. — Les prières de JésusChrist sont toujours exaucées ; efficaces coi me son amour, elles obtiennent infailli· blement ce quelles sollicitent. L’unité ne peut donc pas manquer à l’Eglise. Et puis, l’esprit du christianisme est la charité, ce commandement nouveau * que l’antiquité n’a point soupçonné, que la phi­ lanthropie moderne essaie en vain de contre­ faire ; c’est la paix, cette paix qui surpasse tout sentiment et que le monde ne peut don1 2 3 * JOAN., JOAN., JOAN., JOAN., X, ï6. XI, 52. XVI, 21-23 XIII, 34. ! nerTout cela est incompatible avec 1’esprit départi, de secte, de division : paix, charité et unité s’enchaînent, s’appellent et s’engen­ drentJ mutuellement. L’Eglise du Christ devait être féconde, d’une fécondité universelle, capable de régé­ nérer toute la nature humaine, individus, familles, sociétés ; d’une fécondité perpé­ tuelle qui peut défier les siècles et produire à travers tous les âges la sainteté parfaite et même héroïque : divine auréole qui, malgré les iniquités des temps, brillera sans cesse H sur le front de l’Épouse immaculée. Or, l’u­ nité, signe de l’excellence, est aussi la cause delà fécondité : plus on est un, plus on est élevé dans la hiérarchie des perfections, plus on est puissant et actif. La multiplicité et la division entravent les tendances de l’être vers sa fin, et, en brisant le faisceau des énergies, amènent la faiblesse et la stérilité. Notre-Seigneur l’a dit : tout royaume qui est soumis aux dissensions intestines est con­ damné à l’instabilité, à la désolation, à la raine’. Le Christ, qui n’est pas divisé en luimême, ne doit pas être divisé dans son corps mystique3; il faut que l’Église soit indivi‘ Joan., xlv, 27. lLuc, xi, 17. ’ I Cor., i, 10-12. ·. > ♦* « • t - 7ί . y'■***■. *^ * ^7 .A (Vît · si de son ; jR- b le. comme la robe sans couture __ Epoux. Voilà pourquoi les Apôtres ont tant supplié les tidèles d'éviter les schismes1, pourquoi ils traitent d’antéchrists et excommunient : les fauteurs de divisions, qui sont sortis de j chez nous mais qui n’étaient pas des nôtres *. Ici encore, la vie de l’Eglise est la plus i éloquente des preuves. Les évêques se réu­ nissent en conciles sous la présidence du Pontife romain ou de ses légats pour affirmer que l’Eglise est une dans son gouvernement comme dans sa foi, et ils chantent tousd’une voix unanime : Credo Ecclesiam unam. L’Eglise lutte, avec une persévérance que rien n’a lassée, contre les intrigues et lesambilions du dedans où pourrait germer le schisme, contre les prétentions et les menaces des empereurs lorsqu’ils attentent à ses droits ; elle frappe de ses plus rigoureux anathèmes tous ceux qui suscitent des divi­ sions. Et, comme elle l’a fait pour son dogme, plutôt que de sacrifier son unité de gouverne­ ment, elle préférera qu’une partie du monde se détache de sa communion. Elle compte parmi les jours les plus néfastes de ses annales ceux où elle a été déchirée par les schismes. 19. —* -ai ·■ • — On sait avec quel héroïsme elle a lutté en France pour ce principe sacré : fidèles, prêtres, évêques, conduits par l’intrépide Pie X, ont déjoué de perfides manœuvres, préparées avec art pour introduire chez nous la division. C’est une page splendide qui vient de s’ajouter au livre d’or de l’unité ecclésias­ tique.Il L’unité de culte Il n'y a dans l’Eglise qu’un seul sacrifice, qu’un seul sacerdoce, avec les mêmes sacre­ ments. Jésus-Christ a imposé à tous les hom­ mes le même baptême : Docete omnes gentes baptisantes eos1. Saint Paul a proclamé cette unité du sacrement de régénération, unum baptisma', que les conciles ont affirmée ensuite avec tant de solennité : Confiteor unum baptisma. L’unité du sacrifice et du sacerdoce, déjà annoncée par le prophète Malachie lorsqu’il entrevoyait cette oblation pure offerte au Seigneur sur toute la terre, 1 Matth., * Ephes., xxviu, iv, &. 19 de Faurore au couchant1, a été voulue et éta­ blie par le commandement du Christ : Faites ceci en mémoire de mois. Le Pontife de notre foi instituait par ces paroles et l’Eucharistie et le sacerdoce qui devait la perpétuer3, et il décrétait que tous les deux seraient inva­ riables. Ce n’est pas un autre rite, vous n’avez ni à compléter ni à retrancher: c’est ceci que vous devez reproduire en souvenir de moi. Saint Paul exprime, avec sa vigueur ordi­ naire, celle unité d’autel et de sacerdoce, et il la trouve si manifeste et si éclatante qu’il démontre l’unité de l’Église par l’unité même de l’Eucharistie : « Bien que nous soyons un grand nombre, nous ne formons qu’un seul corps, nous tous qui communions à un même pain \ « Qu’il n’y ait qu’une seule Eucha­ ristie, dit saint Ignace d’Antioche, parce que la chair du Seigneur est une, et un le calice dans l’unité de son sang; qu’il y ait un seul autel, comme il y a un seul évêque avec le presbytérium et les diacres6. » 1 Malach., π, io. Cf. Conc. Trident., sess. XXII, c. i, Denzinger, 939. 2 Luc, ΧΠ, 19. 5 Conc. Trident., sess. XXII, c. n, Denzinger, 94o· 4 I Cor., xi, 24. — Cf. S. Augustin, Tract, xxvi in Joan., P. L., XXXV, 1614; S. Thom., Ill P., q. 6 S. Ignat., Ad Philadelph. iv, p, G,f V, ;oo. Quant aux autres sacrements, l’argument de prescription établit que l’Église a toujours été en possession du nombre septénaire, pos­ session si antique et si universelle qu’il est impossible d’assigner l’auteur humain, le lieu, l’époque de cette institution et qu'il faut remonter jusqu’à Jésus-Christ lui-même. « Ce qui est observé partout, déclare Tertullien, n’est pas une invention erronée, mais une tradition divine » — « Ce qui est admis partout, toujours et chez tous, ajoute saint Vincent de Lérins, est le signe de la vérité catholique1 2. » — « Non, non, s’écrie saint Cyprien, il n’est pas possible d’établir un autel nouveau et un sacerdoce nouveau en dehors de Tunique autel et de l’unique sacer­ doce3. » — « Malheur à qui retranche de l’auguste et invariable septénaire un seul H sacrement! L’Église catholique l’abhorre et n’en veut plus, tant elle lient à préserver l’unité de la vie chrétienne de toute mutila­ tion4. » L’unité de culte est d’ailleurs contenue dans l’unité de foi et l’unité de gouverne1 Tertull., De Praescript., c. xxvm, I ■ίο. 1 S. Vincent. Lirin., I Commonit., π, P, 6do. 3 S. Cyprian., Epist. 4<>, v, P. L., IV, 33G. 4 P. Monsabhb, Ôiie conférence. VüHû b£ L’ÉGUbi -J* 258 — ment. Le culte est l’expression sensible et sacrée de la croyance, en même temps qu’un moyen de sanctification ; le dogme et la prière ont une même loi. Partout où la foi est une il y a un seul autel, et partout où est unique le pouvoir de juridiction, unique aussi est le magistère, unique le ministère. « Oui, dit saint Jérôme, un seul autel, une seule foi, un seul baptême ; c’est pour avoir renoncé à cette unité que les hérétiques se sont fabriqué de nombreux autels h » Les sacrements, canaux toujours pleins qui alimentent la vie et réunissent les fidèles entre eux, sont les instruments et les signes de la même communion, et ils relèvent du même gouvernement : c’est une seule et même hiérarchie, qui est chargée de régir, d’enseigner et de sanctifier. Puisque le gou­ vernement est un, il y a un seul culte et un seul sacerdoce. « L’Église étant une par la volonté du Christ, quoique divisée en membres nombreux répandus dans tout l’univers, l’épiscopat aussi est un, bien qu’il soit participé en une multitude d’évê. * ques » V ?.·" i * S· Hieron-> Oseef c. vin. v. 12. P. L., XXV, ooo. 2 S. Cypiuas., Epist. 10 ad Antonianum^ xxiv. P. L., III, 790. • - · *. · * * « -ZBfe· 209 — Telle est la notion complète du corps de l’Eglise : une société essentiellement visible, dont tous les membres, laïques, prêtres, relr 1 gieux, sont reliés entre eux par l’unité de foi, de gouvernement et de culte. Si nous avions à faire un traité complet de la véritable Eglise, nous montrerions que tous ces caractères conviennent à la seule Eglise catholique, qui professe et réalise les trois unités et retranche inexorable­ ment de son sein quiconque s’attaque à l’une d’elles. Ils ne se retrouvent point dans le protestantisme, dont les sectes ne s’entendent ni sur le dogme, ni sur les sacrements et le culte, ni sur le gouverne­ ment spirituel. Les Eglises photiennes n’ont rien de cette unité active qui est le propre de l’organisme vivant; elles ressemblent plutôt « à des cadavres gelés, dont le froid a con­ servé les formes1 », et « sont conservées au milieu du mahométisme comme l’insecte est conservé dans l’ambre... L’Eglise russe, en particulier, porte dans son sein plus d’enne­ mis que toute autre; le protestantisme la pénètre de toutes parts. Le rascolnismc, qu’on pourrait appeler l’illuminisme des cam­ pagnes, se renforce chaque jour. Il y a cer•Joseph de Maistre, Du Pape, liv. IV, ch. ir. uô'o 261 aÎ î··*%Τ- T * tainement de grandes diüérences entre les ' sectes anglaises et les sectes russes, II ais le principe est le même. C’est la religion natio­ I IV nale qui laisse échapper la vie, et les insectes s’en emparent1. » La doctrine traditionnelle touchant le corps Des études récentes ont prouvé que les de l’Église sectes orientales s’éloignent de plus en plus II de l’unité: le dogme s’obscurcit et les héré­ Saint Paul est le grand théologien de l’Église, sies augmentent’; le culte varie et s’altère *, les Églises s’affirment indépendantes les unes corps mystique dont le Christ est la tête. « Le II corps mystique du Christ est, au point de vue des autres. Nous supposons cette démonstration ache­ paulinien, la notion la plus exacte et la plus vée, et il nous reste à exposer l’obligation complète de l’Eglise. Les autres sociétés pour tout le monde d’appartenir à l’Eglise peuvent bien prendre par métaphore le nom de corps, parce que la tendance à une même visible par les liens de la véritable unité. fin, les liens d’autorité et de dépendance, les 1 Joseph de Maistre, Du Pape, ch. ni. 2 Les divergences qui séparent l’i^glise russe de droits et les devoirs mutuels, leur donnent ” * Eglise romaine ne orient pas seulement sur la une unité morale u qui les assimile à un orga­ primauté du Pape et la procession du Saint-Esprit. mais sur une foule d’autres points. On trouvera une nisme vivant. Mais l’union du corps mystique liste de ces erreurs dans VAmi du Clergé, 8 fé­ est d’une nature plus excellente. Si on l’ap­ vrier i1906, p. n3. 3 Au sujet de ces altérations dans l’Eglise russe, pelle mystique, ce n’est pas pour lui dénier par exemple, touchant la messe, la confession, voir les propriétés réelles, c’est pour le distinguer Revue Augustinienne, 1904-1900. — Voir, par ailleurs, le grand ouvrage du P. A. Palmieri, O. S. A., Theo­ du corps physique pris par le Verbe au sein logia orthodoxa dogmatica, et le travail du P. D. de Marie, pour marquer son rapport avec ce Placide de Meester, O. S. B-, B., Éludes Études sur la Théologit II que Paul nomme le mystère, et surtout parce orthodoxe, première série, Maredsous, 1911. qu’il engendre des propriétés de l’ordre sur­ naturel qui, pour échapper à la vérification de l’expérience sensible, n’en sont pas moins des réalités. Il y a dans ce composé merveilleux action réelle de la tête sur tous et sur chacun H IT 111 • *■ - I I — 2oa « des membres, réaction des membres les uns H sur les autres par la communion des saints, compénétration réelle du Saint-Esprit qui vivifie tout le corps et y forme le plus parfait des liens, la charité. Ce qui distingue essenliellementlegorps mystique des entités morales qu’on décore par abus du nom de corps, c’est qu’il est doué de vie et que sa vie lui vient du dedans1. » Cette vie est dans le Christ, Tète de laquelle partent toutes les influences, toutes les énergies; elle est dans l’Esprit, qui meut et vivifie l’Eglise, comme l’âme meut et vivifie le corps, et il y a identité d’opération du Christ et de l’Esprit dans la vie des fidèles. II Les Pères ont fait écho à cet enseignement. Tertullien considère tous les fidèles co mu les membres d’un corps, expliquant que II l’Eglise est dans tous ses membres et que l’Eglise c’est Jésus-Christ . * Saint Ambroise rappelle que nous ne for­ mons tous qu’un seul corps dont Jésus est le chef8. /Saint Augustin, · non content d’affirmer que l’Eglise est un corps, montre que le Saint· 1 P. Pra.t, La Théologie de saint Pauly t. Il, pp. Voir tout ce chapitre, pp. 4°3-43i, ett. I. pp· 417-431· 3 Tertull., de Pœnit., X; P. L., I, 1245. | 3 S. Ambros.,F.pist. lxxvt, n. 12, P. L., XVf, 1262. Esprit estl’âme de ce corps, exerçant à l’égard ; des membres mystiques ce que notre âme fait dans le composé humain *. Saint Grégoire le Grand, commentant, avec son sens pratique si avisé, la doctrine de saint Paul, enseigne que Jésus-Christ et 1 l’Eglise forment une seule personne morale, au point que les actions et les souffrances de l’Eglise peuvent être attribuées à JésusChrist lui-même *. I Saint Thomas nous a déjà dit comment IB l’Eglise est un organisme dont le Christ est la Tête et le Saint-Esprit, l’Ame et le Cœur3. « A partir du xvie siècle, les théologiens catholiques expriment plus nettement la doctrine théologique de , la distinction entre le corps et l’âme de l’Eglise, dans cette formule dès lors communément admise : le corps comprend l’élément visible ou la société visible, à laquelle on appartient par la profession extérieure de la foi catholique, par la participation aux sacrements et par la soumission aux pasteurs légitimes, et l’âme comprend l’élément invisible ou la société invisible, à laquelle on appartient par le III II 1 S. Augustin, Serm. cclxvii et cclviii, P. L., XXXVIII, ia3i, 1232. 1 Gkegoh. Magn., Moral., præf., c. vi, n. 14 et lib. III, c. xin, n. 25; P.L., LXXV, 525. 612. 1 Voir plus haut, pp. 12, ss. -. · - fait que Ton possède les dons intérieurs de la grâce. a Cette distinction, complètement conte­ nue dans l’enseignement de saint Paul, et déjà clairement indiquée par saint Augustin, comparant Faction du Saint-Esprit sur l’Église à celle de Fâme sur le corps hu­ main, et par les théologiens subséquents adoptant le même langage, est formelle­ il ment exprimée par Bellarmin dans son étude sur les membres de l’Église. S’appuyant sur l’autorité au moins implicite de saint Augustin, il attribue au corps de l’Église la profession extérieure de la foi et la partici­ pation aux sacrements, et à Fâme de l’Église les dons intérieurs du Saint-Esprit, la foi, l’espérance, la charité... « Cet enseignement thcologique se ren­ contre explicitement dans pluiseurs docurnents ecclésiastiques. L’encyclique Satis cognitum de Léon XIII du 29 juin après avoir montré comment l’Église est à la fois visible et spirituelle, est un corps vivant et animé, supposant conséquemment un principe de vie surnaturelle informant ce corps, et que l’union de ces deux éléments est absolument nécessaire à la véritable g Eglise, à peu près comme l’intime union de l'âme et du cor est nécessaire à la 2Î)·*) —* nature humaine : complexio copulati o q tie i eurum duarum velut partium prorsus est Îad veram Ecclesiam necessaria, sic fere ut ad naturam humanam intima animœ corI porisque conjunctio, I «De même, l’encyclique Divinum illud ! munus de Léon XIII du 9 mai 1897 affirme expressément que Jésus-Christ étant le chef de l’Église, le Saint-Esprit en est l’âme : Atque hoc affirmare sufficiat quod, quum [ Christus caput sit Ecclesiœ, Spiritus Sanctus sit ejus anima, ce que l’encyclique confirme par l’autorité précédemment citée de saint Augustin : Quod est in corpore nostro anima, id est Spiritus Sanctus in corpore Christi I quod est in Ecclesia. Serm, gclvii, c. vi; Λ L, XXXVIII, I23iL •12 *? ' (1) E. Dublanchy, art. Église, dans le Diction, de i ïhéol. catholique, col. 2i54-2i55. — Cf. P. CaI THALA. 0. P., La Vie de l’Eglise, dans la Revue ThoÎnüste 1912 et igi3. Voirie remarquable volume du P. Schultes, 0. P., de Ecclesia Catholica, Paris, Lethielleux. i CHAPITRE ΙΠ OBLIGATION D’APPARTENIR AU CORPS DE L’ÉGLISE PAR LE CARACTÈRE BAPTISMAL ET PAR LES LIENS DES TROIS UNITES .* DE FOI, DE GOUVERNEMENT, DE CULTE Qu’il soit nécessaire, pour le salut, d’ap partenir de quelque manière au corps de l’Église, en réalité ou par le désir, c’est un dogme fondamental de notre foi. Pour le mettre en parfaite évidence, il nous suffira d’exposer ce principe : Le baptême est indispensable au salut. Or, si le baptême est reçu utilement, il nous introduit dans le corps mystique et il réclame les trois unités. Obligation d’appartenir au corps de l’Eglise par le caractère baptismal ·· · . · Si La tradition la plus ancienne a toujours enseigné la nécessité absolue du baptême et I interprété dans ce sens les déclarations de I Xotre-Seigneur : Si quelqu’un ne renaît de l’eau et de l’Esprit-Saint, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu1 ; celui qui croira et sera baptisé aura le salut, quiconque ne ; croira pas sera condamné4. Telle était la doc­ trine commune même avant le concile de Nicée, et l’usage de baptiser les enfants était le témoignage authentique de la croyance universelle. « Impossible d’éviter l’éternel supplice et d’entrer dans le palais royal de Dieu, déclarait déjà la seconde épître dite de saint Clément, si l’on ne conserve pur et im­ maculé le sceau du baptême1 23. » Pelage, en s’attaquant aux dogmes de la grâce et du péché originel, nia aussi la néces1 Joan., in, 5. 2 Marc., xvi, i6. 3 MsL II. ad Cor., c. vi, et c. vm, P. G., I, 33;, Iii. .’•ill P* Λτ •i ·- 268 site du sacrement ; mais, ne pouvant con­ tester la pratique de l’Eglise et poussé à bout par les catholiques, qui lui objectaient les paroles de Jésus-Christ, il recourut au sub­ terfuge d’une distinction arbitraire : Le bap­ tême est nécessaire seulement pour parvenir à cet état supérieur qui est le royaume des deux, non pas pour être sauvé ou obtenir la vie éternelle. Saint Augustin n’eut pas de peine à démontrer que, la vie éternelle étant identique au royaume des cieux, le baptême est également nécessaire pour tous les deux *. Les erreurs de Pélage· furent condamnées par les Souverains Pontifes et par divers conciles, entre autres le second concile de Milève et le concile plénier de Carthage *. Les partisans de Wiclef reprirent, sous une autre forme, ces théories ; les protestants nièrent que le baptême fût nécessaire d’une nécessité de moyen ; au dire de Calvin, les enfants des fidèles et des prédestinés sont exempts de la tache originelle et n’ontbesoin d’aucun rite sacramentel pour les purifier. La plupart des luthériens modernes pensent que le baptême n’est pas la cause unique de « Cf. S. Augustin., Serin. 294, P. L., XXXVIII, 13;, De Peccato orig. p. l XL1V, 388, 3o5, De Peccat, merit., ibid, 123-140. * Cf. DeNZINGEK, 102. 126g — la régénération spirituelle, que Dieu en dispense ou y supplée par d’autres moyens. La foi catholique est que tout le monde contracte la souillure primitive et que, sans le baptême ou le vœu du baptême, il n’y a point de salut possible. L’Église, qui avait toujours professé cette croyance avant Pélage, la défendit énergiquement contre les atta­ Il ques du moine hérétique, la renouvela offi­ II ciellement au concile de Florence en décla­ rant que le baptême est la porte de la vie spirituelle1 et l’unique remède du salut ; * la définit une fois encore à Trente : « Ana­ thème à quiconque prétend que le baptême est libre, c’est-à-dire qu’il n’est pas nécessaire au salut3. » Toute l'économie de la rédemption se ramène à cette idée fondamentale : Dans l’état présent de l’humanité il n’y a de salut pour les enfants d’Adam qu’à la condition d’être régénérés dans le Christ ; l’unique moyen de la régénération c’est le baptême ou le vœu du baptême : Sine lavacro regenera­ tionis aut eJas voto fieri non potest*. Chez les adultes le désir, en cas de néces· — ... ■ 1 Decretum pro A rmenis, Denzinger, 696. 1 Decretum pro Jacobitis, Denzinger, 712. ‘ 3 Cf. Scss. V, Decretum, de peccato origin, et sess VII, De Baptism.,.., can. 5. sité, peut remplacer le sacrement. De là ces Il trois baptêmes si célèbres en théologie: d’eau, de désir et de sang. L’Église a toujours rendu les honneurs de la sainteté aux martyrs, qu’ils fussent baptisés ou simples catéchu­ mènes. Les Pères, depuis Tertullien jusqu’à saint Augustin, répètent que l’effusion du sang pour la cause du Christ peut suppléer au bain de l’eau sacramentelle *. Quelquesuns attribuent une valeur analogue au bap­ IT de désir, qui est la contrition et la cha­ tême rité parfaite. Saint Grégoire de Nazianze vante l’efficacité de cette pénitence qu'il ii appelle un baptême de larmes *. On connaît le consolant discours de saint II Ambroise sur la mort de Valentinien. Le •eune empereur a rendu l’âme avant d’avoir reçu le sacrement de l'eau, mais le désir a sulïi : celui qui a demandé la grâce l’a sûre­ ment obtenue. Certe quia poposcit accepit\ fi L’Eglise ajouta sa ratification solennelle à cet II enseignement lorsqu’elle déclara, au concile de Trente, que la justification nous est con1 Tertull., De Baptismo, c. xvi, P. L., I, 121/’ S. Augustin, De Civit. Dei, lib. XIII, c. vu, P. L., XLI, 38i. 2 Gregor. Nazianz., Orat. 3θ, 17, P. G., XXXVI, 356. „3r?· ^BROS·, Be Obitu Valentiniani, 5i, P. L., XVI, 1374. ' — 271 — j I I I î férée par le bain sacré de la régénération ou parle vœu du baptême : Lavacro regenera­ I tionis AUT EJUS VOTO. Le martyre et la contrition sont les actes exquis de la charité, et l’amour parfait, bien qu’il ne soit pas lui-même la forme de notre ■· justification, appelle infailliblement la grâce sanctifiante1. La charité équivaut à elle seule au désir du baptême: elle est, en effet, la plénitude de la loi, elle inclut le ferme et sincère propos d’observer tous les comman­ dements de Dieu et, par conséquent, celui de se faire baptiser au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Ces deux baptêmes de sang et de désir peuvent bien donner la grâce, qui n’est pas nécessairement liée au signe sensible, mais ils ne sauraient produire ce qui est l’effet propre du rite sacramentel, à savoir le carac­ tère.Quelques anciens scolastiques, Alexandre de Halès, saint Bonaventure, de la Palu, ont pensé que, dans le cas où la malice et la mauvaise intention, du ministre rendent le baptême invalide, Dieu, pour récompenser la bonne volonté du sujet, supplée lui-même et imprime le caractère en infusant la justifica­ tion. Opinion insoutenable et depuis long1 Voir Ire partie, ch. v, § n. I :3 I temps abandonnée ; le caractère dépend du écrivains les fondements theologiques de leur X sacrement et n’est gravé dans l’âme que par opinion. On nous dit que l’Eglise ne l’a lui. Character nunquam imprimitur nisi per jamais condamnée. Nous observerons tout sacramentum d'abord que saint Pie V fit enlever des Com ­ Quant aux enfants qui n’ont pas l’usage de mentaires de Cajétan le passage qui expose la raison, il est certain que le martyre lave cette singulière doctrine. Quant à la thèse de leur souillure et les rend héritiers du royaume Perrone, on serait mal venu à prétendre des cieux. Le sentiment de l’Église est ici qu ’ elle est soutenable de ce fait que le Saintla meilleure des preuves, et le témoignage Siège n’a pas élevé la voix pour la proscrire irrécusable de cette croyance, c’est la fête si officiellement, si elle heurte par ailleurs les antique et si populaire des Innocents, qui ont enseignements très clairs de la Tradition Il confessé le Christ non par leurs paroles, mais catholique. Personne n’a le droit d’intro­ par leur mort : Non loquendo, sed moriendo duire des dérogations et des dispenses quand confessi sunt. La liturgie résume sur ce point le langage des Pères et des conciles est le plus la Tradition. universel et le plus absolu. Saint Augustin II En dehors du martyre, le baptême d’eau est absolument indispensable. Cajétan a en­ suppose-t-il une exception lorsqu'il affirme, avec tant de vigueur, la nécessité du bap­ seigné que, à la rigueur, la foi, les désirs, les tême pour les enfants? Il n’ignorait cepen­ prières des parents, pourraient suffire pour le salut des enfants; d’autres auteurs esti­ dant pas qu’il existait de vastes régions où l’Evangile n’avait point pénétré. ment que le remède denature subsiste encore Le concile de Milève1, le concile de Flo­ dans les pays où l’Évangile n’a pas été pro­ mulgué. Tel est l’avis de Perrone ; certains rence’, le concile de Trente3, n’oublient pas se sont montrés trop favorables à ce senti­ qu’il y a encore des contrées idolâtres, et ils ment, qu’ils croient plus conforme à la misé­ proclament néanmoins, sans aucune distinc­ tion, la nécessité absolue du sacrement. Les ricorde divine. Nous avons cherché, vainement, dans ces Pères de Trente ne reconnaissent que ce * S. T»OM., ΠΙ. P., q. 64, a. 8. ncj 3) 1 Can. 2, Denzinger, 102. 1 Decretum pro Jacobitis. Denzinger, 712. * Sess. \ can. 419 HORS DE L’ÉGUSÜ il· I i « - ί···5 vj ο *74 double moyen de salut : le baptême ou le vœu du baptême1; or les enfants ne sont pas capables de ce désir. Mais c’est surtout le concile de Florence qui exclut toute exception : Il faut se hâter de baptiser les enfants, parce qu’il n’y a pas d’autre remède pour eux que le sacrement de baptême : Cum ipsis non possit alio remedio SUBVENIRI NISI PER SACRAMENTUM BAPTISMI. Le concile, en parlant ainsi aux Jacobites, savait, aussi bien qu’eux, que des peuples entiers vivent en dehors de l’Evangile, et I pourtant il choisit des termes qui ne souf­ frent aucune restriction : Non alio remedio. / Est-il prudent, est-il permis d'ajouter des I atténuations quand la règle est énoncée d’une manière si rigoureuse? D’ailleurs, il faudrait prouver que le remède de nature tel qu’il fut en usage dans l’écono- I mie primitive s’est conservé comme moyen i surnaturel parmi les infidèles modernes. ( Voudrait-on admettre que la justification est j possible sans aucun acte de foi surnaturelle, | ou de la part du sujet qui reçoit le rite, ou de la part des parents qui le donnent, ou de h part de la société au nom de laquelle il est conféré? Le baptême, assurément, produit h / 1 Sees. VI, c. κν. 1 *270 — grâce, lors même que le ministre ou les parents ne croiraient pas, mais il est donné H au nom de l’Eglise, qui croit; de même, dans l’Ancien Testament, ceux qui administraient le remède de nature ou la circoncision pou! valent manquer de foi, mais la société ellemême avait la foi et ces rites étaient une protestation extérieure de cette foi commune. I Faudra-t-il donc en venir à dire ou que le groupement païen qui userait encore du remède de nature a déjà la foi surnaturelle et divine, ou que la justification des enfants peut avoir lieu sans cette foi? Qui voudrait prendre à son compte de pareilles conséquences? Non, l’Eglise ne croit pas au remède de nature, et voilà pourquoi elle s’impose toutes sortes de sacrifices pour envoyer ses mission­ naires sur tous les point du globe et pro­ curer à tant d’enfants le bienfait de la régé­ nération. Un théologien avisé s’en tiendra donc aux déclarations du magistère infail­ lible : 11 n’y a pas d’autre moyen de salut pour les enfants que le baptême, non alio remedio. La miséricorde ne supprime pas les autres lois du gouvernement divin. Nous savons, par ailleurs, que le sort de ces enfants n’est pas intolérable. Ils n’ont pas à souffrir de la f I I 276 — i <■ g peine du feu, car celle-ci suppose une faute personnelle et un attachement désordonné II dont ils ne furent jamais capables *. Ils sont privés éternellement de la vision béatilique, exclus du royaume des cieux, mais cette sorte de damnation n’est pas un supplice, car nul ne s’afflige Η de manquer d’un bien qu’il n’était pas en son pouvoir d’ob­ tenir, pas plus qu’un saint ne s’attriste de n’avoir pas reçu les grâces qui furent accor­ dées à d’autres’. Ils ne sont pas entièrement séparés de Dieu : ils tiennent de lui toutes leurs perfections, et la connaissance et l’amour naturels qu’ils ont de leur Créateur sont pour eux la source de véritables joies : De ipso gaudere poterunt naturali cogni­ tione et dilectione3, La nécessité du baptême démontrée, nous avons établi l’obligation d’appartenir à la société visible instituée par Notre-Seigneur. Par ce sacrement, disent les Pères de Flo­ rence, nous devenons les membres de JésusChrist, et nous entrons dans le corps de l’Église : Per ipsum (baptisma) membra 1 CL S. Thom., Supplem., q. 71, a. 1; Pu VI, Bull. Auctorem Fidei, propos. 2G. synod. Pistor4 Denzinger, i5a6. 2 Supplem. em, a « I ' Christi, ac de corpore efficimur Ecclesiœ1. Le baptême, en effet, est le signe extérieur (et l’instrument sensible de notre incorpora­ tion dans la religion chrétienne; il imprime en nous une puissance surnaturelle qui est noire initiation, notre consécration authen­ tique, qui nous députe au service divin dans la seule économie véritable établie par le Christ. Le caractère nous est donné pour nous introduire dans l’Eglise, nous rendre capablés de recevoir les influences vitales de la hiérarchie, nous faire participer à la commu ­ II nion des saints. Cette faculté est indélébile, f éternelle; elle est la relique sacrée que 1 apostasie et l’infidélité sont incapables de détruire ou de souiller. Il faut, pour entrer en fait dans l’Eglise, que le sceau divin soit réellement imprimé dans l’âme. Si le sacrement est nul, l’initia­ tion est nulle aussi : l’incorporation dans une société n’est produite que par un litre valide. Le simple vœu de lui appartenir ne confère pas le droit d’en faire actuellement partie. Sans caractère baptismal point de consécra­ tion : incapacité radicale de recevoir l’action de l’Eglise et de recueillir les fruits de sa communion. On n’est donc point membre, I Decretum pro Arrnenis, Denzinger, Û96. •* - 278 • i ■ ,‘ί · ; puisque le membre social profile et jouit des biens de la communauté et vit de la vie du corps *. Quand le caractère est validement reçu, il dépose eh nous des énergies qui demandent à se développer, et leur complet épanouisse­ ment sufiit à nous donner tout ce qui cons­ titue la perfection de l’organisme vigoureux. Si rien n’entrave les inclinations, les aspira­ tions, les propriétés du caractère, le chrétien est pleinement dans le corps de l’Eglise. Rien de plus n’est exigé des enfants, qui ne mettent aucun obstacle aux effets du sacre­ ment; en recevant le sceau baptismal, ils ont satisfait à l’obligation d’appartenir au corps mystique. Mais dans les adultes le caractère a d’autres tendances, qui peuvent être con­ trariées par la mauvaise volonté, lorsque celle-ci viole l’une des trois unités fonda­ mentales. * π > Obligation d’appartenir au corps de l’Eglise par l’unité de foi Puisque Nolte-Sêignetir nous a imposé le commandement dé croire tout ce qu’il a en· 1 Tel est le sentiment commun des théologiens, contre Suarez. Gf. Card. Billot, De Ecclesia, q. 7. 0'1 seigné, sans nous permettre aucune distinc­ tion entre les articles importants et les arti(cles secondaires, puisque le motif de notre foi est le même pour tous les dogmes, c’est outrager Dieu gravement que de rejeter un seul point de la révélation. Toute défection dans la foi est un désas­ tre, une catastrophe, un naufrage : Circa fij deni naufragaverant L Un seul acted’inûdélité I suttit f pour nous mettre hors du vaisseau de i l’Eglise; désormais, plus de planche de salut, c’est la mort inévitable au sein des îlots. Quand un homme a brisé l’unité du dogme, il faut, par charité, l’avertir une ou deux fois, mais, s’il persiste, on doit l’éviter totale­ ment : il n’est plus du troupeau béni, nul besoin de lancer contre lui l’anathème, il est déjà condamné par son propre jugement, son hérésie est, à elle seule, un arrêt de mort éternelle : Cum sit proprio judicio condem­ *. natus Tous ceux qui ont corrompu la foi sont des antéchrists : ils ont passé comme des transfuges au camp de l’ennemi, ils n’appar­ tiennent plus à la société du Sauveur, mais à la cité de Satan : Antichristimultifacti sunt . * Les Pères ont prêché énenriauement cette :■ ( ‘ Tim., I, 19. ’ Tit., 111, ίο. ’ lEpisl., Joan., ii, 18-19. Îïîl * A< i » · * 'I : ■ ■ !l’" t' ■ — 200 — vérité. Pour être enfant de Dieu, dit saint Ignace d’Antioche, il faut revenir à l’unité de l’Eglise, et malheur à qui suit une doctrine étrangère1! Saint Irénée regarde comme Il séparé du Christ et voué à la damnation quiconque s’éloigne, même en un seul point, de la doctrine révélée. Son grand ouvrage n’a pas d’autre objet que de dénoncer chacune des erreurs de son temps : Adversus hœreses *. Saint Cyprien expose le même enseignement dans son traité De Unitate Ecclesiœ -, * il dit ailleurs : « Tous les hérétiques sont les adver­ saires de Notre-Seigneur, des païens, des publicains, des rebelles, des ennemis, dont les autels sont faux, le sacerdoce illicite, les sacrifices impurs et sacrilèges \ » — « J’ex­ II primerai clairement ma pensée, dit saint Jérôme : il faut demeurer dans cette Eglise qui est fondée sur les Apôtres et qui dure jusqu’à ce jour. Si quelques-uns osent se dire H II : Mardu Christ mais portent un autre nom cionites, Valentiniens, ceux-là, sachez-le bien, ne sont pas l’Eglise du Christ mais la synagogue de l’Antéchrist5. » Saint Épiphane, H après saint Irénée, a composé un livre im1 Ad Philadelph., in, P. G., V, 669. * Epist. ad Magnum, P. L III, u38-n3o 1 Dialog, contra iuci/. a8, ~ P. ~ L - ----y ,81-182. xxui L· I Π S? ■r f . mortel pour énumérer et réfuter chacune des hérésies qui s’étaient produites à son époque et dont il avertit les fidèles de se garder s’ils veulent arriver au salut1. — « Les hérétiques, déclare saint Augustin, n’appartiennent pas à l’Eglise, parce quelle aime Dieu, ni les schismatiques, parce qu’elle aime le pro­ *. chain » « Tous ceux, dit l’auteur de Unitate Ecolesiœ, qui pensent du Christ autrement que la sainte Ecriture sont hors de l’Eglise ; et ceux / qui pensent de lui comme l’Ecriture, mais qui ne veulent pas communier à l’unité de l’Eglise sont hors de l’Eglise3. » Cassien compare les hérétiques aux monstres les plus dangereux4. Saint Vincent de Lérins taxe d’impiété l’abandon d’un seul article. Si l’on rejette une partie du dogme catholique, on voudra le faire pour celle-ci et pour cette autre, et ainsi de suite, et notre religion sera peu à peu anéantie5. Saint Thomas condamne sans pitié ceux qui violent l’unité de la foi : ‘P. G., XLI-XLIL ’De Fide et Symbolo, x, P. L., içfi. Saint Augus­ tin veut dire que l'hérésie est un péché contre Dieu etqu’elle est opposée directement à la charité que nous devons au Seigneur lui-même ; le schisme est opposé à la charité que nous devons au prochain. 1 De Unitate Ecclesiæ, iv, P. L., XL111, 3q5-396. k De Incarnatione, lib. I, P. L., L, i3, sq. BT r··· ·<■. :.3 fc ■ jUv V L· ‘Zi? ·■ . .'«'SJ L—*** ♦ * k ’· * r i ■ 11* Il« 1 n *34 η a Ils ont mérité non seulement d’être séparés de l’Église par l’excommuniealion, mais encore d’être exclus de ce monde par la oeine de mort *. » Ce langage ne paraîtra exagéré qu’à ceux qui ne comprennent rien au surnaturel. Pour quiconque admet que le salut est notre unique affaire, que la perte de notre âme est le seul grand malheur, il est manifeste que c’est un forfait énorme d’introduire dans la société toute cause qui compromet le salutet entraine la ruine de l’âme. Si les empoisonneurs peuvent être regardés comme homi­ cides et passibles de la peine capitale, quel doit être le châtiment de ceux qui corrompent les sources de notre vie spirituelle, la foi, et produisent dans les esprits des ravages incomparablement plus désastreux que ceux du poison? Assassins du corps, assassins des âmes, ne sont-ils pas les uns et les autres des malfaiteurs publics, ne méritent-ils pas, de ce chef, d’être mis au ban de la société et exclus de ce monde? Meruerunt non sohun ab Ecclesia per excommunicationem separari, sed etiam per mortem a mundo excludi. Si les sociétés modernes ne reconnaissent plus ce crime, si l’Église elle-même n’exige pas i { i ’ 1 ! de celte sentence, il reste vrai que la peine est méritée aux yeux de la justice divine et que la faute doit être expiée par un supplice éternel. Quand le chrétien viole en secret cètte unité, il n’est pas soumis, il est vrai, au châtiment public, mais il insulte Dieu dans π son cœur. Repousser l’ensemble de la révé­ lation par l’apostasie, c’est dire à Dieu qu’il n’a pas le droit de parler ou qu’il est men­ teur : blasphème! Rejeter un seul article par l’hérésie, c’est révoquer en doute l’autorité du révélateur. Le motif de croire étant le même pour toutes les vérités surnaturelles, il n’est pas possible qu’on le conteste sur un point tout en l’acceptant sur les autres; la négation d’un seul dogme est un défi, à la science et à la véracité du Créateur i crime de lèse-di vinité ! S'il est démontré que Jésus-Christ a établi sur la terre un magistère infaillible, qui parle aux hommes au nom de Dieu, le refus de croire ne s’adresse pas seulement à cette institution, mais à Notre-Seigneur lui-même, comme l’injure faite au légat ou à l’ambas­ sadeur rejaillit sur le pouvoir supérieur qu’ils représentent. Désobéissance, blasphème, tel est le péché de ceux qui brisent sciemment l’unité de la croyance et refusent de se sou­ mettre au magistère visible. l’exécution Nous aurons à revenir plus loin sur cette question des apostats et des hérétiques, et nous examinerons si la bonne foi leur est tl possible, s’ils peuvent vivre de l’âme sans être dans le corps. ITT Obligation d’appa.i. le au corps de l’Eglise par l’unité de gouvernement évite les divisions et qu’on s’efforce de mainI tenir parmi les frères la paix, la charité, la : concorde; et lui-même, de peur de travailler I en vain, veut être en communion avec Pierre ' elles Apôtres4. Le concile de Jérusalem est Îaneautre preuve de cette unité : on délibère ensemble, on agit de concert, témoignant ainsi qu’il y a une seule hiérarchie et un seul gouvernement. • Les Pères affirment aussi et illustrent cette • doctrine. Hennas2 nous représente l’Eglise I comme une grande tour faite d'une seule \ pierre, pour signifier que tous les fidèles du Seigneur sont un seul esprit, un seul corps, ■ et portent tous un habit de même couleur. Saint Ignace ajoute : « Si quelqu’un suit un J artisan de schisme, il ne possédera point • Ihéritage du royaume divin s. » — « Ce n’est j pasun moindre crime, dit saint Chrysostome, 1 de diviser PÉglise par le schisme que de toin(’■ ber dans l’hérésie... Ne mérite-t-il pas l’enfer celui qui égorge le Christ et déchire ses membres *? » Dans la pensée des Pères l’unité de commu- Une fois établi que l’Eglise est par la volonté de Jésus-Christ un seul bercail gou­ verné par un seul pasteur, qu’il y a une seule hiérarchie avec un Souverain Pontife, il est manifeste que rejeter ce gouvernement c’est résister à l’autorité de Dieu. Le schisme est, aussi bien que l’hérésie, un outrage à NotreSeigneur; et ici encore se vérifie la terrible parole : Qui vous méprise me méprise. C’est pourquoi saint Paul énumère au nombre des péchés très graves qui excluent du royaume éternel dissensiones, seclœ1, c’est-à-dire tout ce qui rompt l’unité de la foi et brise leS lien de la hiérarchie. Toute la vie de saint Paul, 1 Gai., i, 18; n, □. d’ailleurs, son apostolat, ses travaux, ses ’Hermas, Pastor, Simii. IX, c. χιπ, P. G., II, épîtres, sont la prédication continuelle de ce ' ’ S. Ignat., Ad Philadelp., ni, P. G., V, 699. dogme : il demande que, à tout prix, on |.‘S. Chrysost., Homit. VI in Epist. ad Epfies., 5, V, 20. \ 4 . ‘Λ· * ’ G.JAI!, 8 ri té. a Lors même (pie l’on se ferait immoler pour confesser la foi du Christ, si l’on est hors de son Eglise, la tache n’est pas lavée par le sang. C’est une faute inexpiable que cette séparation, et la passion qu’on subit n’est pas capable de l’effacer. Il ne peut pas être martyr celui qui n’est point dans l’Eglise; il ne peut parvenir au royaume celui qui a quitté l’Épouse à laquelle le royaume est réservé. Non, il ne peut passe donner comme martyr celui qui n’a pas gardé la charité fraternelle... Ils ne peuvent pas demeurer avec Dieu ceux qui n’ont pas voulu rester dans la paix de l’Église. Qu’ils livrent leurs corps aux flammes, qu’ils exposent leur vie aux bêtes féroces, leur trépas ne sera point | celui de la gloire, mais celui du désespoir. Ils ? peuvent souffrir la ort, ils ne peuvent pas « Déserter Punite c’est être couronnés ‘. » violer la charité, et, si quelqu’un viole la cha­ rité, quelque grands et éclatants que soient les biens dont il est orné, il n’est rien, abso­ lument rien. Embrassons la charité, en nous efforçant de garder l’unité d’esprit dans le lien de la paix *. » — « Il n'y a rien de plus 1 S. Cyprian. De Unitate Ecclesiœ, xiv, P. L,t IV, 5io-5u. 3 S. Augustin Serm. 88, n. ai. P. L.. XXXVUL grave que le sacrilège du schisme, parce qu’il ne peut jamais y avoir une cause juste qui nous oblige à violer l’unité sainte *. » — «Quelle serait cette nécessité? Le besoin de se conserver pur? Il faut bien, dites-vous, que vous répond Voilà que le fils mauvais s’appelle juste lui-même « S’il y a des nous séparer ■ d’eux par le cœur et par notre conduite, c’est-à-dire, ne pas imiter leur vie mauvaise, mais non sortir de l’Église, qui les tolère, comme le père de famille laisse l’ivraie et le bon grain dans le même champ jusqu’à la moisson3. » « Le schisme, explique saint Thomas, est on péché spécial, parce qu’il tend à détacher de l’unité spirituelle qui est produite par la charité. Celle-ci ne se contente pas de resserrer plusieurs personnes entre elles par leJ lien de la dilection, elle maintient toute l’Eglise dans l’unité de l’esprit. C’est pour­ quoi on appelle proprement schismatiques ceux qui, de plein gré, et avec intention, se — 2tS8 — F I I ■ séparent de l’unité de l’Eglise qui est l’unité principale : l’unité des particuliers entre eux estF secondaire et se ramène à l’unité de l’Eglise, comme la composition des divers membres se réduit à l’unité de tout le corps. Or l’unité de l’Église implique deux choses : d’abord la connexion des membres, ou la communication mutuelle ; ensuite l’ordre de mn H tous les membres avec la tête. Ce chef, c’est le Christ, dont le Souverain Pontife est le vicaire ici-bas. lJ « Les schismatiques sont donc ceux qui refusent de reconnaître le Pape et de rester en communion avec les membres de l’Églisç1 qui lui obéissent. » — « L'hérésie est direc­ tement opposée à la foi, le schisme directe­ ment contraire à l’unité de la charité de l’Église. Et, comme la foi et la charité sont π des vertus distinctes, quoique en perdant la foi on perde aussi la charité, l’hérérie et le schisme sont également des vices distincts, bien que l’hérétique soit aussi schismatique, Η mais non réciproquement. Cependant, comme la perte de la charité est un acheminement à la perte de la foi, le schisme aussi conduit à l’hérésie ’. » Η λ oilà le lamentable état de ceux qui ont 1 S. Tuom., q. 39, a. i. ‘S. Thom.,1? Il-, ad 3 violé la double unité. U fait froid dans 1 âme de l’hérétique, car la charité qui réchauffe, qui féconde, qui fait éclore joie et bonheur, a disparu; il y fait nuit, car un seul acte * d’incrédulité a sulïi pour éteindre cette foi divine, le premier flambeau, la première ! lampe dans la maison de Dieu, l’étoile du matin qui annonce le jour de la grâce. Dans i fâme du schismatique aussi il fait froid, 1 puisqu’en brisant l’unité il a frappé à mort la I charité, qui lui donnait le mouvement; il fait nuit, puisque la perte de la charité prépare celle de la foi. D’ailleurs, de nos jours, après les définitions des conciles, quiconque refuse de reconnaître le pouvoir suprême du Pape rejette un dogme proposé par le magistère infaillible et devient hérétique. Le schisme n’est pas une simple révolte de fait, on s’insurge plus d’une fois contre des H supérieurs qu’on tient pour légitimes; c’est uue désobéissance à la fois pratique et doc­ trinale, parce que l’on conteste même théoriquement l’autorité du chef unique de l’Église. L’hérétique et le schismatique sont donc, l'un et l’autre, bien loin du Dieu qui éclaire et réjouit, et ils restent voués à sa colère, s’ils ne reviennent par la pénitence à l'unité du corps et à la vie de la tète. HOP.S DE L’ÉGLISE •·τ ··** •Tï + è* -,- — 2go — IV Obligation d’appartenir au corps de l’Église par Tunité de culte C'est une conclusion déjà manifeste, puis­ que l’unité de foi et l’unité de gouvernement II entraînent l’unité de culte. Si les hérétiques et les schismatiques sont des ennemis de Dieu, des sacrilèges, il n’est point permis de leur demander la vie surnaturelle que NoireSeigneur est venu apporter au monde. Toute communion volontaire avec eux dans les choses saintes serait une approbation de leurs erreurs et un démenti donné au Sauveur et à son Épouse : quiconque favorise les adversaires du Christ agit contre le Christ luimême. Il n’y a d’exception que pour le cas d’extrême nécessité. Comme l’Église veut II II avant tout le salut éternel des âmes, elle per­ met à ses enfants de recevoir même de la main des ministres apostats les sacrements les plus indispensables, tels que le baptême et la pénitence. Il semble même, II pensent des théologiens, qu’elle n’interdit pas absoII lument le viatique quand il est impossible de I i I j : -.STS — agi recourir aux prêtres orthodoxes, ni l’extrême onction dans l’hypothèse où le moribond serait privé de tous les autres secours. Mais, outre cette question, d’ailleurs facile, de la licéité, il en est une autre plus impor­ tante et plus célèbre touchant la validité des rites surnaturels, sacrements et sacrifice, et qu’il nous faut exposer à grands traits. Agrippin, prédécesseur de saint Cyprien sur le siège de Carthage, avait soulevé des doutes sur la valeur du baptême conféré par les hérétiques. Saint Cyprien, approuvé par trente et un évêques, se prononça contre la validité; mais le pape saint Etienne soutint énergiquement la doctrine de la tradition et défendit de renouveler le baptême, effecti­ vement reçu *. L’erreur du clergé africain fut plus tard reprise et même aggravée par les donatistes : ils prétendaient que les sacreΗ ents conférés en dehors de l’Église (laquelle d’après eux est formée des seuls justes) sont stériles et nuis, que les ministres en état de péché sont incapables de poser un rite surna­ turel. Les Vaudois, les Albigeois, les fratricelles, les partisans de Wicleif, les anabap­ tistes, ressuscitèrent une hérésie tant de fois condamnée. Le Maître des Sentences, sans ■ ■ .r'h · . ·* aller si loin, estime cependant que l’Eucha· ristié n’est pas validenient confectionnée par les hérétiques ni par les excommuniés qui sont frappés d’une sentence nominale. Il est de foi que le baptême des hérétiques et des schismatiques est valide si rien ne manque par ailleurs. Nous avons tout d’abord le décret se saint Étienne Ier contre les rebap­ tisants. On ne doit pas réitérer le rite, on n’a pas à se demander qui l’a conféré, le sujet a pu recevoir la grâce du fait qu’on lui a donné le sacrement au nom de la Trinité, Père, Fils et Saint-Esprit *. Le concile d’Arles, de 3i4> prescrit d’inter­ roger si l’on a baptisé au nom du Père, du Fils, et du Saint-Esprit; dès que cette consta­ tation est faite, plus de doute sur la valeur du sacrement’. Mêmes * décisions du concile de Nicée1 23, du pape saint Innocent Ier dans sa lettre à saint Victrice de Rouen4, de Nico­ las Ier dans sa réponse aux Bulgares5. Les Pères de Florence expliquent que, en cas de nécessité, tout le monde peut baptiser, même les hérétiques et les païens ; * le concile de 1 Cf. Denzinger, 46. 2 Cf. ~~ D ~ enzinger, 3 Can. 8. Denzinger, ο4· i Ibid., 335. Denzinger, 6^: Trente dot par une solennelle definition la série de ces témoignages L Au sujet de l’ordre, il faut citer la décla­ ration de Pascal II au concile de Latran, in6: le Pontife reconnaît valides les ordinations faites par les schismatiques et les héréti­ ques Quant aux autres sacrements, bien que l’Eglise n’ait pas eu à se prononcer sur chacun d’eux, la doctrine est la même, les théologiens la regardent comme absolument certaine et voisine de la loi, proxima fidei. Une remarque pourtant au sujet delà péni­ tence. Ici la juridiction est nécessaire, et 1 Eglise la refuse ou la retire à tous ceux qui ont violé ouvertement l’unité de foi ou l’unité decommunion : milles donc leurs absolutions sacramentelles. IMais la Mère des âmes se montre entièrement généreuse en face de la mort : alors toute réserve cesse, et la juri­ diction est libéralement accordée sans excep­ tion ni restriction: tout prêtre peut absoudre tout pénitent de tout péché et de toute cen­ sure. Ainsi parlent le concile de Trente et le Rituel romain3. 1 Sess. VIL De baptismo, can. 4· 1 Denzinger, 3oo. Voir à ce sujet le livre de M. Saltet, Les B éor dînai ions, ’ Conc Trip., sess. XIV, c. vu; Ritual, Roman., de sacram. Pœnit, — Nous n’avons pas à exposer i 1 •η* f. - ■ . ■ I ■ d Le magistère authentique a déclaré pareilleeut que la sainteté du ministre n’est pas nécessaire à la validité du rite. Innocent III, dans la profession de foi qu’il prescrit aux Vaudois de son temps, affirme que les prêtres pécheurs peuvent confectionner de vrais sacrements1; le concile de Constance con­ damne la4e proposition de Wicleff2 : «L’évê­ que ou le prêtre en état de péché mortel n’ordonne pas, ne consacre pas, ne baptise pas »; le concile de Trente définit que le prêtre malgré l’état de péché mortel conserve le pouvoir d’absoudre3, et il explique, à pro­ pos de l’Eucharislie, que ni l’indignité ni la malice du célébrant ne peuvent souiller l’Hostie immaculée offerte sur l’autel . * La raison de tout cela c’est que le ministre n’agit que comme instrument ; qu'importe la valeur de l’outil quand l’artiste est si parfait? Celui qui baptise, qui consacre, qui absout, c’est le Saint des saints, le Christ, pontife de notre religion. ici, on le comprend, la manière dont les Eglises sépa­ rées pratiquent la confession. On peut consulter, pour ce qui concerne l’Eglise russe, la Revue Agustniienne, 1904-1905, et Y Ami du Clergé, 8 févnei 1906, p. io5,elsuiv. 1 Dejîzinger, 42Z .* 2 75id.,584. 3 Sess. XVI, can. 10. *Sess.XXH, c. i. 1 Les Pères ont éclairé cette doctrine par des comparaisons expressives. La lumière tra­ verse la fange sans perdre sa pureté, l’eau est amenée par un conduit de plomb aussi bien que par un tube d’argent, l’image du roi est aussi ressemblante imprimée sur l’anneau de It fer que sur la bague d’or. Du moment que le prêtre est revêtu du caractère, il porte la vertu de Dieu : qu’il soit Judas ou Pierre, son action est élevée et sanctifiée par le Christ L En cela éclate l’admirable miséricorde de iXotre-Seigneur, qui ne veut pas déshériter les pécheurs, les apostats, les hérétiques et les •T schismatiques, qui permet à ses sacrements découler à grands flots même en dehors de la véritable Eglise. Cependant, pour qu’il soit bien manifeste que les sources de la vie surnaturelle ont été confiées à cette Eglise unique, il faut que ces rites administrés en dehors d’elle soient faits et donnés en son nom. Le ministre, malgré son indignité personnelle, agira valideraient, pourvu qu’il ait l’intention de faire ce que fait l’Église ’. Les protestants, qui ne reconnaissent aux 1 Cf. S. Augustin, Tract. V, in Joan., P. 1422-1420; S. Gregor. Nazianz., Orat. 40, in *5· B'JP~ tisma, P. G., XXXVI, 396. 2 Pour l’historique de cette question, voir Pourrat, La Théologie sacramentaire, ch. vu. ; r·· F i I I I — WJ sacrements pas d autre efficacité que celle de provoquer et de nourrir la piété, ont nié encore ce point de la doctrine chré­ tienne. H Inutile, l'intention du ministre : lors même qu’il se proposerait une simple comédie et qu’il se rirait extérieurement du baptême, celui-ci est effectivement conféré, parce que la cérémonie est de sa nature capable d’exci­ ter la foi. Cette explication est hérétique. InnocentlII affirme la nécessité de l’intention dans le prêtre pour consacrer validement l’Eucharistie \ Martin V, dans sa bulle du 22 fé­ vrier 1418, requiert pour la validité du sacre­ ment que le ministre emploie la vraie matière et la vraie forme avec l'intention de faire ce que fait ΓEglise Le concile de Florence réclame trois conditions pour la confection du sacrement : « La matière, la forme, la personne du ministre avec l'inten­ tion de faire ce que fait Γ Eglise : si l’un de ccs éléments vient à manquer, le rite est nul5. » — « Anathème, ajoute le concile de Trente, à quiconque prétend que les minis­ tres, lorsqu’ils confectionnent ou confèrent les 1 Drnzingbr, 424. 2 Denzinger, 672. Decret, pro Armenie., Denzinger, i sacrements, ne doivent pas avoir au moins l’intention de faire ce que fait l’Eglise ’. » Le ministre est un instrument raisonnable et surnaturel, qui opère, non par sa vertu H propre, mais au nom de Notre-Seigneur ; parce que raisonnable, il doit agir d’une manière délibérée, se former une intention ; parce que surnaturel, il doit avoir la volonté de se servir de la puissance divine que le Maître lui a confiée : autrement il ne restera plus un délégué, il interviendra en son nom personnel, et son action n’aura qu’une valeur humaine. Mais, puisque le Christestcontinué dans l’Eglise, puisqu’il a remis à son Epouse toute l’économie du surnaturel, l’intention du Christ est interprétée authentiquement par l’Eglise et se confond en réalité avec celle de / l’Eglise. Le prêtre donc, qui exclut extérieu­ rement l’intention d’agir contre l’Eglise ne posera que des actes sacrilèges et invalides. Voilà déjà un point de foi : l’intention au il oins externe est requise; faut-il encore l’in­ tention interne? Des théologiens célèbres, Catharin, Salmeron, Serry, Drouin, ne le pensent pas. Il suffit, d’après eux, d’accom­ plir le rite sans plaisanterie extérieure, d’une manière digne ; le sacrement sera efficace, 1 Scss. VII, can. ■· U* ■KM· il I I 1 g I ■ — 299 dans l'hypothèse même où le ministre se dirait au fond du ceur : Je ne veux pas faire 9 blement ne saurait désigner autre chose ce qu’on a coutume de faire dans l’Église. qu’une intention formelle et intérieure. C’est, prétendent-ils, la seule théorie qui Au sujet du baptême, Alexandre VIII, le puisse tranquilliser les consciences; autre­ ; décembre 1690, condamna la proposition ment, quelle angoisse à la seule pensée qu’un suivante : « Est valide le baptême conféré hypocrite peut par une intention perverse se par un ministre qui observe tout le rite exté­ jouer des âmes ! rieur et la forme du sacrement, mais qui dit Qui ne voit l’inanité de cette objection? dans son for interne : Je n’ai pas l’intention : Les fidèles, qui connaissent leurs prêtres, de faire ce que fait l’Eglise1. » On répond que n’ont aucune inquiétude à ce sujet, pas plus cette expression : tout le rite extérieur est il que les convives invités par leurs amis à un très générale et peut viser l’erreur des protes­ festin ne redoutent d’être empoisonnés. tants. La condamnation va plus loin, et elle II ­ La doctrine contraire, aujourd'hui com a discrédité l’opinion de Catharin ; aussi bien mune et dont il n’est pas permis de s’écarter cette théorie doit-elle être considérée comme en pratique, est l’interprétation obvie des gravement atteinte par le décret de 1690, déclarations multiples du magistère officiel. même en admettant quelle n’a pas été direc­ Le doute ne semble point possible au sujet tement condamnée. de la pénitence. Le concile de Trente exige Pour toup les sacrements les conciles pour la validité de l’absolution que le con­ requièrent trois éléments distincts : la fesseur ait le désir d’agir sérieusement et matière, la forme, l’intention de faire ce que d’absoudre véritablement : animus serio fait l’Église. Si l’intention externe suffit, nul agendi et vere absolvendi'. N’est-ce pas besoin de la signaler à part puisqu’elle se réclamer l’intention interne? On peut agir confond avec l’application régulière de la sérieusement au dehors sans avoir de volonté matière et de la forme. Croira-t-on que les réelle au dedans, mais la volonté (animus) conciles n’ont voulu dire que cela en men­ d agir sérieusement et d'absoudre véritationnant avec tant Λde* soin cette intention de faire ce que fait l’Eglise? Est-ce que l’Eglise 1 Sees. XIV, c. vi. 1 Denzinger, i3i8. La conversion des religieuses de Sainte Bride et des moines de Caldey, dont s’est oc­ ne fait qne cela? N’a-t-elle en vue que le rite cupée la presse du monde entier, est un des exemples les plus frappants du soin que D’autre part, le ministre, avons-nous dit, 1 prend la Providence d’éclairer les personnes ne peut produire un effet divin qu’en se ser­ de bonne volonté. vant de son pouvoir divin : il est clair que, H Ces âmes avaient reçu déjà des grâces s'il n’agit que par sa vertu humaine, sa causa­ éminentes, mais, une fois que le travail préli­ lité restera dans le même ordre et son action minaire est accompli, Dieu les introduit dans sacramentelle sera nulle. Or, se sert-il vrai­ lecatholicisme, coinmepour donner à entendre ment de sa puissance ministérielle, met-il que, si la préparation peut se faire au dehors, réellement en jeu son autorité surnaturelle, le couronnement définitif doit avoir lieu dans s’il n’a pas l’intention interne? Déclarer l’unique et véritable Eglise. dans son cœur : Je ne veux pas faire ce que L’ensemble des circonstances qui ont fait l’Eglise, n'est-ce pas conclure équivaamené ce retour nous porte à redire ce que lemment : Je ne veux pas user de mes pouvoirs II nous avons remarqué plusieurs fois, que de délégué, je ne veux pas agir comme prêtre, l’histoire des âmes rachetées par le sang d’un je veux poser un acte purement naturel? Dieu est avant tout l’histoire des divines L’intention interne est donc requise, bien ■ miséricordes (i). qu’il ne soit pas nécessaire de la formuler, ni de se demander quelle est la véritable (i) L’encyclique de Pie XI sur la Fête de JésusChrist-Roi, h décembre 1925, confirme cette doc­ Église. Un hérétique, un apostat, un païen, trine en montrant que les individus et les sociétés ont implicitement cette volonté du moment doivent soumettre au Christ les intelligences et les qu'ils se proposent d'accomplir ce qui se fait volontés et la vie tout entière. communément dans la religion chrétienne, lors même qu’ils ne croiraient pas à l’effica­ cité du rite, fl Nous aboutissons donc à cette conclusion que tous les sacrements sont la propriété de 1 Eglise et que c’est vouloir tarir les sources Îe la vie que de les jeter hors de son sein. — 000 — * λ; 1: — 3o3 ~~ des siècles. Quiconque vit de la foi est mem­ bre de cette Église, même les catéchumènes; et rester en dehors d’elle c’est se mettre en dehors de la foi surnaturel!^, sans laquelle CHAPITRE IV ilnepeuty avoir ni de salut, ni devie parl’àme. Bellarmin et Suarez1 répondent que depuis AXIOME « HORS DEL EGLISE POINT DE SALUTï la venue de Jésus-Christ il n'y a pas TROUVÉ PAR LES TEMOIGNAGES DE LA TRA­ d’autre véritable Église quel’Églisechrétienne, DITION et que dès lors les conciles, en définissant l’impossibilité du salut en dehors de l’Eglise, parlent certainement de la société établie par Notre-Seigneur. Notre thèse, corollaire immédiat desprécé· I La solution consiste à distinguer l ’ appar ­ dentes considérations, serait déjà suffîsam- tenance réelle et l ’ appartenance par le désir. ment démontrée. S’il y a obligation grave de L’axiome signifie donc : pas de salut pour garder les trois unités de foi, de gouverne­ ceux qui n ’ appartiennent à l ’ Eglise du Christ ment, de communion, il est manifeste que se j ni en réalité ni par le cœur, neque reipsa nemettre hors de l’Eglise par la rupture de ce ' que desiderio. triple lien, c’est se vouer à l’éternelle dam- , C’est l’explication que donneront équivanation. Mais il est utile de revenir sur cette lemment les autres théologiens, Sylvius 1 , vérité capitale et de l’étudier d’une manière Henno3, Billuart4, jusqu’aux plus récents, plus directe à la lumière des documents ecclé­ siastiques. : j ■ Dublanchy6, Bainvele, Capéran7. Comment les théologiens font-ils entendu? i 1 Bell a km., De Ecclesia milit., lib. III, c. ni; Melchior Cano 1 l’interprète de l’Eglise dans Suarez, De Fide. disp, xn. sect, iv, n. 22. • Sylvius Conirov., lib. 111. q. 1, a. 3. le sens large, qui comprend tous les appelés, 1 * Henno, De virtut., disp. 11, a. concl. 2. tous les fidèles, depuis Adam jusqu’à la fin 4 Billuart, De regulis fidei, diss, ni, a; 2. Melchior Can., De Locis theol., lib, IV,c.u. I 1 Dublanchy, Diction, théol. caih., art. Eglise, col. 2i63-2i65. 6 Bainvel, Hors de l'Église pas de salut. Ί Capéran, Essai théologique, pp. 80-S3. i » Lors donc qu’il s’agit d’affirmer la vérité fondamentale proclamée parles Pères et les j conciles, c’est-à-dire la nécessité d’apparle nir à l’Église société visible constituée par J Jésus-Christ, il n’y a pas à recourir à la dis­ tinction entre l’àme et le corps; mais quand i on voudra préciser le mode d’appartenance, en réalité ou par le désir, cette distinction ’ s’imposera comme aussi la distinction entre | la nécessité de moyen et la nécessité de pré- , ceple. Nous restons en parfait accord avec les I théologiens que nous venons de cher, mais 1 nous visons à compléter ce qui pourrait demeurer encore vague ou imprécis en dehors de ces distinctions. · Reprenons donc ce qui a été dit dans l’avant-propos, pour mieux déterminer le sens de l’axiome. i° Nécessité de moyen d’appartenir à l’àme · de l’Église, non seulement par le désir, mais en réalité : le vœu ne suffit point : rien ne peut remplacer ni la foi ni la grâce sanctifiante et, sans elles, point de justification possible. II Quiconque en est privé perd tout; mais quiconque fait tout ce qui est en son pouvoir, avec les secours que Dieu ne refuse jamais aux bonnes volontés, arrivera sûrement à la foi et au salut. Notre première partie a Ar jT η - 3o5 —* été l’exposé et la preuve de cette doctrine. 2°Nécessité de moyen, rigoureuse, absolue, universelle, d’appartenir, au moins par le dé­ sir, au corps de l’Église : celui qui habite dans fàme par la grâce sanctifiante possède la charité, et celle-ci, qui est la plénitude de la loi, embrasse tous les préceptes et contient, au moins implicitement, le vœu de satisfaire à l’obligation imposée par Notre-Seigneur d’entrer dans la société spirituelle et visible qu il a fondée. Nous avons justifié cette asser­ tion en établissant la nécessité du baptême. 3° Nécessité de moyen aussi, non moins certaine, manifeste, d’appartenir en réalité au corps de l’Église dans la mesure où l’on con­ naît et où l’on peut remplir ce devoir. Le vœu Iqui est inclus dans la charité deviendrait dé­ risoire, si l’on négligeait de l’exécuter, comme le désir du baptême est incapable de suppléer au sacrement quand on refuse celui-ci. Il est manifeste, d’autre part, que le degré d’obli­ gation dépend du degré de connaissance; l'ignorance involontaire excuse, de même que l’ignorance voulue ou affectée aggrave la condamnation. Ainsi entendue, la question I se ramène à celle de l’ignorance vincible et de l’ignorance invincible. Enfin, c’est un I principe d’équité naturelle que l’impuis­ sance de satisfaire à une obligation est la HORS DE L’ÉGLISE ■ 3o6 r< » >· * · appliquer les anathèmes que le disciple bienpins valable des dispenses : ainsi, les caté­ aimé lançait contre les antéchrists. Il ne peut chumènes, ou les convertis auxquels l’Égiise jamais y avoir une cause juste qui nous oblige impose un temps de probation avant de les à sortir de l’unité sainte1. recevoir définitivement dans son sein, pourAinsi expliqué, l’axiome est le résumé au­ root, s’ils sont surpris par la mort, être thentique des enseignements de Noire-Sei­ admis à l’héritage des enfants sans avoir gneur, des Apôtres et des Pères. appartenu au corps visible. Au témoignage de Jésus-Christ, quiconque Le redoutable axiome atteint dans toute se met hors de l’Eglise est perdu, puisque sa rigueur trois catégories d’hommes. D’abord, c’est un païen et un publicain’. Au dire des ceux dont le siège est fait d’avance, qui Apôtres, c’est un homme condamné par son ferment les yeux à la lumière et refusent de propre jugement3, un naufragé , * un antéchercher la vraie religion ; Dieu les sollicite christ5 un tils de perdition voué à des châti­ par ses grâces prévenantes, qui parlent tour ments effroyables ®. à tour à l’imagination, à l’esprit, au cœur; Il faudrait répéter ici tous les textes que mais ils repoussent ces invites et se laissent • * nous avons faitZ valoir, en étudiant la notion endormir dans l’indifférence. Ils sont inexcu­ du corps de l’Eglise et en exposant la docsables de n’avoir pas trouvé, puisqu’ils n ont trine des trois unités. Ecoulons les divers pas essayé la moindre enquête. En second échos de la tradition à travers les âges. lieu, ceux qui, ayant reconnu la véritable * Voici d’abord les Pères apostoliques. Saint Église, refusent de se donner à elle : ce qui ’ Clement de Rome exhorte les séditieux, les les arrête c’est Γidole1 : concupiscence de la révoltés, à déposer leur orgueil, à rentrer chair ou des yeux, orgueil de la vie, préjugés, dans l’unité, à se soumettre à la hiérarchie égoïsme, amour-propre, etc... Ceux-là aussi sont blâmables, puisque, après avoir trouvé, ils négligent d’entrer. En troisième lieu, ceux 1 S. Augustin., P. L., XLIII, Vatic., c. ni, De Fide. qui abandonnent l’Eglise dans laquelle ils ont 2 Mattii., xviii, 17. été élevés : transfuges et traîtres, on doit 1er? ’ TU., n, ίο, 1 Cf. Réponses théologiques, p. 6l. ♦ Tirn., i, 19. 1 I Episl Joan., 11, 18-19. » 11 Pet., 11; Jud., 3, ss. IM····· ’t * A 3o8 - · F visible dans l’humilité el la pénitence; vaut mieux vivre dans le troupeau du Christ, humble, petit, jouissant d’une bonne renom­ mée, que de se jeter hors de lui par l’orgueil et un excès d’espérance1. C’est déclarer que, en sortant de l’unique bercail de Notre-Seigneur, qui est T lise, on s’engage fatalement dans la voie de la perdition. Hermas nous représente le Christ coe2~: la porte unique pour aller au Père : point d’accès dans la maison de Dieu, si Tonne vient pas par cette entrée, et ceux-là seuls passent par elle qui ont adopté le nom du Fils de Dieu. Mais, pour porter utilement ce nom, il faut être dans l’Eglise; et c’est pour­ quoi, après avoir considéré la pierre et la porte, c’est-à-dire le Christ, Hermas parle de la tour monolithe, image de l’Église unique, qui a un seul esprit et un seul corps’. Saint Ignace d’Antioche est encore plus sévère à condamner les hérétiques et les schismatiques. Quiconque jette le trouble dans les familles est exclu du royaume de Dieu. S’il en est ainsi dans l’ordre naturel, quel doit être le châtiment de ceux qui cor­ rompent, par des doctrines mensongères, la llllll J * Clemens Rom., 1 ad Cor., c. lvh, P. G., I. 3 «Hermas, Pastor, lib. Ill, simii. IX, cc xn, x T7** * L - ** ■hr'- <1 ■ Z3 I foi divine, pour laquelle Jésus-Christ a été crucifié! Ces perturbateurs et tous leurs adhérents seront livrés au feu inextin­ *. guible Si quelqu’un veut agir en dehors de l’Église. c’est-à-dire en dehors de la hiérarchie que forment l’évêque, les prêtres et les diacres, celui-là ne sera pas saint, il n’aura pas la conscience puce *. Ne vous y trompez pas, mes frères, celui qui fait un schisme n’obtiendra pas l'héritage du royaume divin, et celui qui suit une doctrine étrangère est l’adversaire de la passion3. Il est manifeste que les Pères apostoliques ont en vue l’Eglise visible, puisqu’ils parlent de la hiérarchie, évêques, prêtres, diacres, de la famille qu’on ose troubler par le schisme ou l’apostasie. Quoi qu’ils adressent leurs recommanda­ tions à des communautés particulières, ils reconnaissent qu’il faut appartenir à Vanité de l’Église universelle, dont ils disent qu’elle est catholique, qu’elle est un seul corps formé des Juifs et des gentils4; ils professent que les diverses Eglises forment un seul tout, 1 S. Ignat., Ad Ephes., xvi, P. G., V, 65;. 1 Idem, Ad Trail., c. vu, P. G., V, 680-681. 3 Idem. Ad Philadelph., P. G., V, 700. 4 S. Ignat., Ad Smyrn., cc. 1, vin, P. G., V, 708713. 3io as V l’Eglise catholique dans le monde entier1, Saint Irénée ajoute que l’Eglise visible, dans laquelle Dieu a établi des prophètes et des docteurs, est Tunique dispensatrice des grâces et que nul, en dehors d’elle, ne peut participer à l’Esprit-Saint. « Où est l’Eglise, là aussi est l’esprit de Dieu, et où est l’esprit de Dieu, là aussi est l’Eglise, car l’Esprit est H ­ vérité. Ceux qui se sont soustraits à celte com munion nepeuventprendresurle seindeTuni­ que mère la nourriture de vie, ni boire à la source très pure qui jaillit du corps de JésusChrist. Ils se creusent des citernes impuis­ santes et ils se désaltèrent à des eaux bour­ beuses, empoisonnées, en désertant la foi de TÉglise et en méprisant l’Esprit-Saint'5. » — « Le disciple spirituel jugera tous ceux qui sont hors de la vérité, c est-à-dire hors de l'Église, et lui ne sera jugé par personne8. » Les conclusions du saint évêque de Lyon se résument donc en celles-ci : Hors de l’Eglise point de nourriture, point de breuvage sain, point de vérité, point de grâce, point de salut. I ■< I? 4 1 Vartyrium S. Polycarpi, subscript., ce. vin, xu, P. G., V, 1029. 1044. 2 S. IrexN., Adv. Ilœres., lib. Ill, c. xxiv, P. G., VH, 900-967. 1 P-L, ' XXXVII, 1140-1141. ♦»· 1 De Baptismo, lib. IV, c. xvii, P. L., XL1II. 2 S. Prosper, * psalm cxxxi, v. 8, 1 . i'Iη psalm, cxr.vii, v. i3, P. L., LI, 420. î'A 3ι6 «e trouver dans l’arche pour échapper au sectes hérétiques. « La sainte Eglise univer· ! déluge!. selle, dit-il, enseigne que Dieu n’est honoré Le concile de Florence le redit avec dignement que chez elle et (pie ceux qui , l pins d’énergie encore, dans son. décret restent hors de son sein ne seront point sau- Γ I pour les jacobites : « Tous ceux qui ne sont vés1. » I point dans l’Église catholique, non seulement Maintenant que les docteurs ont expliqué 1 les païens, mais et les juifs et les hérétiques et vulgarisé ce dogme, le magistère authen­ ' et les schismatiques, s’ils ne reviennent à tique n’a qu’à le proclamer. Le quatrièmes celle unité avant la tin de leur vie, doivent concile de Latran, sous Innocent III, le fait 1 s’attendre non seulement à ne pas jouir de la en termes très nets : « Elle est unique, : béatitude éternelle, mais à être précipités l’Eglise universelle des fidèles, et en dehors : dans le feu inextinguible qui a été préparé d’elle personne absolument ne peut être pour le diable et pour ses anges. Telle est sauvé’. » Quelques années auparavant le l'importance de cette unité dans le corps de même Innocent III avait introduit l’axiome l ’ Eglise que ceux-là seuls qui l ’ observent dans la profession de foi imposée aux Vaupeuvent profiter des sacrements d ’ une ma ­ dois qui désiraient rentrer dans le bercail. nière utile au salut; c ’ est à cette condition « Nous croyons de cœur et nous professons seulement que les jeûnes, les aumônes, les de bouche qu’il n’y a qu’une Eglise, non pas autres devoirs de piété et les exercices de la celle des hérétiques, mais la sainte Église milice chrétienne peuvent mériter la récom ­ romaine, catholique et apostolique, et nous pense céleste. Personne, quelles que soient reconnaissons que personne ne se sauve hors les aumônes qu ’ il ait distribuées, et lors de son sein 3. » même qu ’ il aurait versé son sang pour le Boniface VIII, dans la célèbre bulle Unam nom de Jésus-Christ, ne pourra être sauvé sanctam, déclare que pour éviter la damna­ ί s’il n’est resté dans le giron et l’unité de tion il faut être dans l’Église, comme on dut l’Eglise catholique *. )) La profession de foi de Pie IV rappelle * Mora/ lib. XIV, c. v, P. L.f LXXV, 1043. I * Gap. Firmiter. ’ Dbnzingek, n. 4^3. ’ Dknzinger, 4θ8· ’ Denzingek, ji4· ■■ u« cette nécessité : Hanc verant catholicam fident, extra, quam nemo salvus esse potest. Grégoire XIII et Benoit XIV ont soin de faire insérer l’axiome dans la formule qu’ils donnent aux Grecs et aux Orientaux : «Telle est la foi de l’Eglise catholique, en dehors de laquelle personne ne peut être sauvé *. » Le faux libéralisme du dix-neuvième siè­ cle s’étant attaqué, plus spécialement, à celle vérité, les Souverains Pontifes l’ont pro­ clamée avec une particulière insistance : « Vous n’ignorez pas, vénérables frères, dit Grégoire XVI, avec quel zèle persévérant nos pères ont inculqué cet article capital, qu’on ose nier aujourd'hui, c’est-à-dire la nécessité de la foi et de l’unité catholique C’est le domine très saintde pour le salut notre religion que personnenepeutètresauvé hors de la vraie foi catholique3, jo — « Nous apprenons avec douleur, ajoute Pie IX, qu’une erreur pernicieuse pénètre même dans l'esprit des croyants : on prétend qu’il faut espérer facilement le salut éternel des hommes qui se trouvent hors de la véritable Église de Jésus-Christ. 11 ne nous appartient pas de scruter les jugements de Dieu, qui sont Denzjnger, 1000. Ad Episc. Bavar., 27 mai i83a Ad Episc. Bavar., 12 sept. i83 un abîme insondable, mais c est une vente de foi que personne ne peut être sauvé hors de l’Eglise apostolique et romaine elle est l’arche unique du salut et qui n’entre pas en elle périra dans le déluge L » Le même pape explique ailleurs que la bonne foi et l’ignorance peuvent excuser certaines âmes et que la lumière et la grâce divines ne manqueront pas à qui les demande avec sincérité : nous avons rappelé ce document dans notre pre­ mière partie. « Mais il ne faut pas oublier, poursuit-il, le dogme catholique que personne ne peut être sauvé hors de TÉglise, les contu­ maces qui résistent à l’autorité et aux défini­ tions de l’Eglise et se séparent par leur mau­ vaise volonté de l’unité visible et du Pontife romain, auquel le Sauveur a confié la garde de sa vigne, seront exclus du royaume éter­ nel’. » — « Le salut dans l’Eglise et rien que dans l’Eglise, voilà la loi. Ce ne sont point d’un rigorisme outré elle émane de Celui qui, nous ayant rachetés’ par son sang et sa mort, avait le droit de dicter les conditions auxquelles nous devions jouir du bénélice de la Rédemption ’. » ’Alloc., 9 déc. i854, i6Z|G, 1647- ’ Ad Episc. llaliœ., 10 aug. 1863, Denz., 1677. 3 P. Moasahré, 5ie confer. * ■ 3ίο — t Concluons avec Léon XIII : « C’est l’ordre de Dieu qu'il ne faut chercher le salut que dans l’Église, qu’il ne faut chercher l’instru­ ment du salut, vraiment fort et toujours utile, que dans le pontiticat romain1. » Mais rappelons une fois encore qu’il n’est impossible à personne d’entrer dans cette Eglise. « Avant même d’être répandu sur le Calvaire, le précieux sang du Rédempteur sauvait, depuis l’origine de l’humanité, toutes les âmes dociles à la grâce; il les sauve encore, pareillement, jusque dans les régions qui n’ont jamais été soumises aux lois de son Église. Les brumes épaisses que nous voyons aujourd’hui s’étendre sur tant de peuples nous apparaissent comme d’obscures ténèbres, parce que, dans l’Église, la splendeur de la religion révélée nous inonde; dans ces ténèbres, pourtant, la lu­ mière du Verbe, qui éclaire tout homme, se diffuse, et les âmes fidèles peuvent, sinon se reconnaître entre elles, du moins reconnaître le vrai Dieu et, dans l’acceptation de sa volonté sainte et de ses desseins de salut, s’attacher à l’Eglise, en se donnant virtuellement au seul Sauveur Jésus5. » ·· ‘Allocution au Sacré-Collège, 20 février igo3. Voir pour une élude plus complète, E. Doblanchy, krL hglise, dans le Dictionnaire de Théologie, col. 2155-2175. s Capéran, tissai thcologique, p. no. F CHAPITRE V K B CEUX QUI N'APPARTIENNENT PAS AU CORPS DE L’ÉGLISE Tous les principes ont été exposés : les applications maintenant sont manifestes et se font d’elles-mêmes. La première condition pour appartenir au corps de l’Église est la réception effective du caractère baptismal. Nous avons montré la nécessité de ce sacre­ ment, porte de tous les autres, instrument de notreincorporation dans la religion du Christ1. Donc, les païens qui restent dans les ténèbres de l’infidélité ne sont point du corps; ils n’ap­ partiennent même pas à l’âme, bien qu’ils soient visités de temps en temps par les grâces actuelles. Si quelques privilégiés, au sein des nations idolâtres, arrivent à la foi 1 IIe Partie, ch. ni, I * r:s ΠΕ J.’EGLJStt — 3^3 !i et à la justification, selon les lois providen­ Ils gardent, il est vrai, quelque chose de tielles expliquées dans notre première partie1, > l’Église qu’ils ne pourront jamais effacer, le ils sont bien dans l’àine et ils vivent avec le . caractère sacramentel. Malgré eux, ils porteChrist, mais ils n’entrent pas encore dans ? ront dans leur âme la marque indélébile du l’organisme visible, qui requiert le baptême. I Christ : ils ont beau essayer de se laïciser et Les catéchumènes, quoique déjà mêlés, en de se profaner, ils conservent toujours la quelque manière, à la vie extérieure de relique divine, ils sont consacrés! A travers l’Église, ne seront point ses membres, tant toutes les ignominies, tous les parjures, toutes qu’ils n’auront point reçu le sceau de la régé­ j les apostasies, on les reconnaîtra, on se les nération : Per baptisma membra Christi, ac montrera. Oui, éternellement, ils auront la de corpore efficimur EcclesiaP. Les baptisés, relique, le caractère ! dans lesquels le sacrement a été invalide, Ils restent donc toujours la chose de pour une cause ignorée, peuvent se sauver, £ l’Eglise, et l’Église peut les soumettre à sa s’élever à une sainteté éminente, pénétrer r législation, les frapper de ses censures; elle dans l’intimité de Jésus-Christ, être ses bien- p ne perdra jamais aucun de ses droits sur eux. aimés, mais ils n'appartiennent pas à son ÎJIais cela ne suffît point pour qu’ils soient ses corps mystique, puisqu’il leur manque le membres : le lien extérieur de la foi, par le­ caractère, moyen indispensable de cette in­ quel ils se rattachaient au corps et commu111 Hl corporation. niaient aux énergies vitales, est violemment La seconde condition, c’est la profession i rompu, ils sont fatalement séparés. extérieure d’une même foi. Violer cette unité, Pourront-ils prétendre au moins qu’ils rejeter le magistère authentique, c’est se i appartiennent à l’âme? La bonne foi est-elle détacher de la société visible qui a reçu la possible? Non, certainement non, quand'il mission d’enseigner et de définir. Les apos­ s’agit des apostats. tats et les hérétiques formels sont donc S’il est prouvé qu’on arrive à la foi par la retranchés du corps. lumière, il est plus manifeste encore que , jamais l’évidence ne nous persuadera d’aban1 lre Partie, ch. iv. ’ donner notre foi ou d’en suspendre l’assenti­ - Conc. Florent., Decret, pro Armenis, Denzîx gbr, 696. ment. C’est ici le lieu de dénoncer une erreur / ί Vf· <<; ; Saint-Siège) dénonça le dangeren termes plus trop commune dont certains catholiques n’ont explicites encore : « Ils sont très loin de la pas su toujours se délier. On les entend excuser les défections de nombreux incré­ vérité ceux qui revendiquent pour l’homme la liberté de rejeter la foi divine ou d’en sus­ dules qui ont renoncé aux croyances de leur première communion et qui essaient mainte­ pendre l’assentiment, tandis qu’il examinera nant de reconstruire l'édifice anéanti. On les motifs qui Font amené à croire. L’obliga­ prétend que ces penseurs ont pu être de tion de croire est perpétuelle, et il n’est pas bonne foi. Non, la lumière ne s’est pas ca- permis de s’y soustraire un seul instant; chée d’elle-mème, Dieu n’a pas abandonné Dieu aussi nous pousse à croire et nous y le premier. Nous plaignons les égarés qui aide constamment par sa grâce, et nous sont nés dans l'erreur, l’hérésie ou le schisme: n’avons pas le droit de lui résister. Les leurs retards, leurs hésitations se compren­ motifs qui conduisent à la foi sont tels quô nent, et il ne nous appartient pas de les con­ plus on les étudie, plus ils apparaissent clairs damner. Mais l’Eglise juge très sévèrement et imposants. Il i/est donc pas possible de les catholiques qui font le triste naufrage de trouver une cause qui nous autorise à susleur foi. Grégoire XVI avait déjà proscrit pendre notre foi, comme si tant de preuves l’erreur de Hermès, qui mettait le doute ne suffisaient pas. C’est pourquoi nous con­ positif à la base de la recherche théolo­ damnons de nouveau le sentiment déjà con-1 gique1. damné qui met le doute positif à la base de Le concile de Cologne1 (approuvé par le toute recherche théologique* ». Le concile du Vatican1 a ajouté à ces dé1 Bref du 26 sept. ι835. * « Longissime a vero aberrant qui hanc homini âdem suspendat exislere non posse. Itaque senten­ vindicant libertatem, ut fidem abjiciat aut suspendat, tiam quæ dubium positivum basim statuit omnis scrutaturus interim argumenta quibus inductus sit Iheologicæ inquisitionis, jam proscriptam, denuo ad credendum. Etenim credendi obligatio perpetua proscribimus. »Conc. CoLONîE.vsE,-an. i860, c. vi. est. nec ullo unquam tempore ei se homo subducere 1 « Etenim benignissimus Dominus et errantes debet; perpetuo etiam gratia sua Deus ut credamus jratia sua excitat atque adjuvat, ut ad agnitionem nos movet et adjuvat, cui unquam resistere nefas est. reritatis venire possint; et eos quos de tenebris Argumenta demum quibus ad credendum homo transtulit in admirabile lumen suum in hoc eodem inductus est hujusmodi sunt, ut quo magis perpen· hmine ut perseverent gratia.suaconlirmat, non dese* dantur eo clariora et graviora appareant; unde con- rui* nisi deseratur. Quocirca minime par est corp sequitur causa.n cur homo, quasi ibanon sufficiant ditio eorum qui per caelet te fidei donum catholico; '··■ ,; -V* — 3·2; clarations l’autorité de son magistère infaillible : « Le Dieu miséricordieux excite et aide par son secours les égarés, afin qu’ils puissent arriver à la connaissance de la vérité; et une fois qu’il les a trans­ portés des ténèbres dans son admirable lumière, il les confirme par sa grâce pour qu'ils persévèrent dans cette splendeur: il n’abandonne pas, à moins d’être aban· donné. Il n’y a donc point parité de condi­ tion entre ceux qui, par le don céleste de la foi. ont donné leur adhésion à la vérité catholique et ceux qui, séduits par des opinions humaines, suivent une fausse religion. Les premiers, ceux qui ont reçu la foi sous le magistère de l’Église, ne peuvent jamais avoir une cause légitime de changer cette foi ou de la révoquer en doute. » Nous ne nions pas, et l’Église ne nie pas, que quelqu’un, par suite de ses préjugés et d’une ignorance invincible, puisse rejeter de bonne foi des vérités définies: son hérésie ne sera (pie matérielle, il ne cessera pas d’etre catholique. Ce cas peut se rencontrer plus veritati adhæserunt, atque eorum qui, ducti opinio­ nibus humanis, falsam religionem sectantur; illi enim qui iidem sub Ecclesiæ magisterio susceperunt nullam habere possunt justam causam mutandi aut in dubium Udem eamdem revocandi. » Conc. Vatica­ num, c. in, De Fide. Voir aussi, can. 6, De Fide. ■' • I | | j 1 ’ d’une fois dans l’immense agglomération de nos villes modernes, où tant d’hommes, trom­ pés, aigris, exaspérés par leur entourage et par les journaux, ne connaissent l’Église, ses prêtres, ses dogmes, qu’à travers le mensonge et le blasphème. Ils seront traités avec misé­ ricorde par le Rédempteur et Sauveur des âmes. Mais il est impossible qu’on rejette tout le surnaturel et qu’on devienne incré­ dule autrement que par sa faute. La perte totale de la foi est un crime de lèse-majesté divine, et l’on ne peut condamner trop sévèrement le faux libéralisme qui ose innocenter des apostats1. Quant aux hérétiques matériels, ils n’ap­ partiennent pas non plus au corps, puisqu’ils sont soustraits à l’élément social, qui est la profession visible d’une même foi. Aussi bien l’Église, dans sa pratique du for extérieur, ne distingue pas entre hérétiques formels et hérétiques matériels, elle les considère tous comme des étrangers; et, si elle les reçoit dans son sein, elle impose à tous la même rétractation publique. Mais, au for interne, elle sait tenir compte des circonstances, de ‘On connaît la phrase énergique de Sherlock : « Never a mart was reason'd out of his religion. Jamais le raisonnement n’a mis un homme hors de sa religion. » » ■ —— 329 3^8 l’Église de contre préjugés traditionnels, l’éducation, des préjugés; et elle porte avec Rome1. » amour dans son âme les innocents dont les i Nous nous abstenons de juger ces âmes, erreurs sont involontaires, ou qui, tourmentés mais, avec le P. Faber, nous plaignons leur par le doute, cherchent avec ardeur la vérité destinée : « Être si près de Jésus, et cepen­ et appellent de tous leurs vœux la lumière. dant ne pas appartenir à son troupeau béni, On aura pour eux des trésors d’indul­ être à la portée des trésors inépuisables de gence, si l’on a suivi le long travail intérieur ses richesses, et cependant ne pas en pro­ qui s’est fait dans un Faber, un Newman, un filer 1... La faveur d ’ appartenir à la véritable Manning et dans ces autres personnages J}' ' . - ■ Eglise est le plus grand de tous les dons de illustres, dont AI. Thureau-Dangin notis^reDieu. Nous ne pouvons en exagérer la trace les progrès spirituels en son beau livre, valeur : c’est la perle précieuse dont parle sur la Renaissance catholique en Angle­ l’Evangile. Aussi il n’est pas possible d’expri­ terre' : « Je ne suis pas homme à être jaloux mer l’étendue du malheur de ceux qui sont de ces faits », disait Newman. « Mon expé­ hors de l’Église. Je doute même que notre rience personnelle de ceux (pii sont hors de pensée puisse se la figurer. Eh quoi donc ! si l’Église, ajoute Manning, confirme tout ce nous avions perdu Jésus de telle manière que que j’ai écrit à propos des doctrines de la nous soyons hors de son Église? Nous ne grâce. J’ai connu intimement parmi eux des pouvons supporter cette pensée. Cependant âmes vivant par la foi, l’espérance, la charité elle n'est pas sans une certaine douceur, car et la grâce sanctifiante avec les sept dons du elle nous fait sentir d'autant plus vivement Saint-Esprit, dans l’humilité, la pureté abso * combien Jésus nous est indispensable, et lue et de vie et de cœur. » — C'est que, comme II combien est grande sa miséricorde dans les l’explique le cardinal Vaughan, « ils se faveurs qu’il nous distribue!. » trouvent hors de l’unité de l’Église, sans Mais comment ces hérétiques matériels et qu’il y ait aucune faute de leur part. Ils sont les infidèles pourront-ils avoir la foi divine là où ils sont, parce qu’ils ont été déshérités. sans être dans le corps de l’Église, puisque 19 Ils ont été élevés dans une atmosphère de n'. f < 1 T. 11, pp. 10Ô, S3, * « ‘‘ÎSf’;- ’ ·-, 1 Pp. 108 et 109. a p. Fabkh, Le Précieux Sang, pp. 69-60 ·: C ^4. «< « *» — 3 3o —— la foi doit être réglée par la proposition offi­ cielle faite par l’Eglise avec une autorité sou­ veraine et infaillible? La proposition de l’Eglise est le moyen ordinaire et la règle commune, parce que Dieu a confié exclusivement toute sa révélation à l’Eglise infaillible, qui, seule, a reçu la mis­ sion d’enseigner jusqu’à la consommation des siècles. Mais il n’est pas de l’essence de la foi surnaturelle que l’objet révélé soit proposé parmi magistère extérieur1, les anges et les premiers sujets de la révélation n’ayant pas eu besoin de ce moyen. Les hérétiques matériels et les païens qui profitent des grâces surnaturelles mises à leur disposition peuvent avoir une foi qui sera vraiment divine sans être catholique, c’est-àdire sans que la vérité révélée leur soit pré­ sentée par l’Eglise. Cette foi sera de la même espèce que la nôtre, parce qu’elle aura le même principe, la grâce, le même objet formel, Dieu, vérité pre­ mière, le même motif, l’autorité de Dieu révé­ lateur. La règle de la croyance sera différente: ce ne sera point la proposition de l’Eglise, mais la lumière intérieure et divine par * Cf. Réponses théologiques, pp. 84, ss. - laquelle ccs âmes connaissent que Dieu leur révèle les mystèresh « C’est certainement la pensée qui a dirigé le concile du Vatican dans l’adoption du texte actuel de la sess. Ill, c. in. Après le passage qui affirme nettement toute l’obligation qui in­ combe aux catholiques de croire tout ce que l’Eglise, parses définitions solennelles ou par son magistère ordinaire etuniversel, propose comme divinement révélé et comme obligatoi­ rement imposé à notre foi, le concile a adopté, àdessein et après discussion, des expressions très générales pour désigner la foi absolument nécessaire au salut : Quoniam vero sine fuie impossibile estplacere Deo(Hebr. n., 6), et ad filiorum ejus consortium pervenire, ideo ne­ mini unquam sine illa contigit justificatio. Ces expressions très générales substituées à dessein à la rédaction primitive, hœc est ilia fides sine qua impossibile est placere Deo, visant apparemment la seule foi catholique, montrent manifestement la volonté formelle du concile de ne point affirmer la nécessité 1 « In quo casu ille liaberet fidem ejusdem speciei cum nostra, quando quidem idem objectum formale haberet; tamen propositio Ecclesiæ non esset ipsi regula credendorum, sed lumen illud interius sibi divinitus datum, que Deum mysteria sibi reve­ lare cognosceret. » Gonet, De Fide, disp. I, art. n, —- 33'2 —' absolue de la foi catholique pour le salut1. » c Le motif de croire, également, pourra être surnaturel dans les ignorants non coupables, lors même qu’ils ne se rendraient pas compte expressément qu’ils croient à cause de l’auto­ rité de Dieu révélateur. Il leur suffira de vouloir croire de la manière que Dieu prescrit et d'admettre que ce qu’ils croient a été dit par Dieu, enseigné par Dieu, vient de Dieu, selon les voies qu’il lui plait de choisir. Pas n’est besoin non plus d’avoir le concept théo­ logique du surnaturel : l’autorité de Dieu révé­ lateur et surnaturel est impliquée dans la croyance des vérités transcendantes qui la contiennent virtuellement. Si l’on croit, non pas à cause de l’évidence naturelle, mais pour un motif supérieur, on a la foi salutaire et divine. C’est la remarque de Billuart : a Si enim respondeant aliquid ista virtiialiter et implicite continens.... videntur habere fidem divinam’. » Et puis, la grâce divine, dont il ne faut ja­ mais faire abstraction, comblera, par ses sup­ pléances intérieures, ce qui pourrait manquer12 1 E. Dublanchy, art. Église, dans Ip Diction* de Théal cathol., col. 2169. Cf. A. Vacant, Études théo· logiques sur les constitutions du concile du Vatican, t. Il, p. 344, ss. 2 De Fide, diss. I, art. 11. — Cf. Oublanchy, Extra Ecclesiam nulla salus, pp. 157-109. ifautrepart : « Adde qiiodDeus possit supple­ re per lumen interius quœdam quœ desunt ex parte Ecclesiœ proponentis, ut contingit apud infideles, qui credunt missionariis, quamvis non videant motiva credibilitatis sicut nos1. » Les hérétiques occultes restent-ils membres de l’Eglise? Il n’y a plus sur ce point unani­ mité parmi les théologiens. La divergence n’est peut-être que dans les mots. Ces égarés ne sont plus des membres animés, ils ne sont plus informés par l’âme, et le lien qui les rat­ tache au corps n’est qu’extérieur. Cependant ils conservent la place et la situation acquises, ils continuent à jouer leur rôle dans le fonc­ tionnement visible, ils peuvent concourir au gouvernement du corps mystique ; ils restent toujours des instruments dont l’Eglise se sert pour exercer les actes de la juridiction sur les fidèles. En tout cas, ils ne sont plus de l’âme, et la colère du ciel demeure sur eux. La troisième condition, c’est l’unité de gou­ vernement, telle que nous l’avons exposée dans nos précédents chapitres. Ceux qui rompent ce 'ien de l’autorité et de la charité s'appellent schismatiques et ils sont, de ce chef, retranchés du corps vivant; ils se déta­ chent par ailleurs de 1 unité de la foi. en * < Rivluart. ibidenb d refusant de reconnaître la primauté du Sou­ verain Pontife, laquelle est maintenant un dogme défini. On peut distinguer ici diverses catégories : schislna tiques matériels, formels, publics, occultes, et on appliquera à chacun d’eux ce que nous venons de dire au sujet des hérétiques. Nous observerons en passant que, pour les âmes de bonne volonté, le salut est plus fa­ cile dans les sectes orientales que dans l’héré sie protestante : elles ont de vrais prêtres, de vrais sacrements et, à l’heure de la mort, l’absolution elle-même est valide. Le fleuve de vie peut couler avec abondance parmi ces hommes, qui sont déshérités, mais non tous coupables. Le Dieu de l’Eucharistie ne refuse pas de rester avec eux, et le Dieu de la grâce les visite fréquemment. Et cependant leur sort est à plaindre. « Etre si près de Jésus et ne pas appartenir à son troupeau béni! » La dernière condition, c’est l’unité de com­ munion. La notion de corps implique la con­ nexion des membres entre eux, et, quand il s’agit d’un organisme moral et divin, la par­ ticipation aux mêmes biens surnaturels, c’est être séparé du corps que d’être retranché de cette communauté sociale. Voilà ce que pro­ duit l’excommunication solennelle qui s’exé­ cute dans toute sa sévérité, qui met un homme au ban de la société chrétienne et prescrit aux autres fidèles de n’avoir aucun commerce avec lui dans les choses saintes. « Par l’autorité de Dieu et le jugement de l’Esprit-Saint, dit l’antique formule employée déjà au conci le d'Orange ' ,nouslesretranchons du sein de notre Mère la sainte Eglise et de la communion de toute la chrétienté, jusqu’à ce qu’ils viennent à résipiscence et donnent satisfaction à l’Eglise de Dieu. » C’est ce qui ressort également de la condamnation d’une proposition de Quesnel : « La crainte de l’ex­ communication injuste ne doit jamais nous ' empêcher d’accomplir notre devoir ; nous ne sortons jamais de l’Église, même quand il semble que nous en soyons exclus par l’ini■ quité des hommes, tant que nous restons attachés à Notre-Seigneur et à l’Église ellemême par la charité1. » Donc, faut-il con■ dure, l’excommunication nous fait sortir de l’Église. Il est bien manifeste que, si la sentence est injuste, le chrétien ne sera pas séparé de l’amour de Jésus-Christ ni de lame immorI telle; et si, parfois, Dieu permet que ses I 1 « Autoritate Dei et judicio Spiritus Sancti eos a i gremio sanctæ Matris Ecclesiæ et consortio totius christianitatis eliminamus, quousque resipiscant et Ecclesiæ Dei satisfaciant. » » Propos. 91. — 33; 336 - · j I amis soient ainsi frappes, il les couronnera en secret, lui qui voit tous les secrets1. Mais il reste acquis que l’excommunication est toujours terrible et que, quand elle tombe sur des coupables, elle les fait sortir totale­ ment de l’Église, les retranche du même coup et de l’âme et du corps. Ceci doit s’entendre des excommuniés qui sont nommément désignés et que les fidèles ont l’obligation d’éviter. Les autres, par le fait (ju’ils sont tolérés, restent encore dans l’organisme surnaturel, membres coupables et malades, même morts et desséchés comme les hérétiques occultes, mais toujours attachés au corps. Ils auraient tort cependant de croire que leur sort n’est pas lamentable. L’excommuni­ cation qui pèse sur eux est un lourd ana­ thème. Les journalistes et les orateurs par­ lementaires qui ont fait tant d’indignes plaisanteries sur les censures ecclésiasti­ ques n’ont jamais considéré combien est re­ doutable la malédiction d’une mère. Elle déracine les demeures jusque dans leurs fon­ dements : Maledicito matris eradicat Jim· (lamenta1. Saint Augustin raconte un fait y 5?^· y\ÜGUSTIN» ^e Vera Religione, n. n, P. L, 1 îfccit, m, u. terrifiant, connu à son époque de tous les habitants d’Hippone. Une mère, dans un moment de désespoir, avait maudit ses enfanls rebelles : saisis aussitôt d’un horrible tremblement nerveux, ils se dispersent, ils s’en vont, fugitifs, à travers le monde romain, porter leur châtiment, et l’on s’éloignait à leur approche comme devant un spectacle d’effroiL Que doit donc produire dans les H âmes la malédiction de l’Eglise, cette mère très tendre, dont les anathèmes sont d’autant plus redoutables que son amour a été plus méprisé! On lit le trait suivant, dans la vie du bienheureux Gonzalve d’Amaranthe, de l’or­ dre des Frères Prêcheurs : « Ayant appris que plusieurs se moquaient de l’excommunicalion, il voulut leur en expliquer la nature et la force. Comme il avait affaire à des pay­ sans grossiers, il prononça, de la part de Dieu et de l’Eglise, les paroles de l’excommu­ nication surdes pains blancs, qu’une femme, qui passait par hasard, portait dans une cor­ beille : ces pains devinrent, au même instant, noirs comme du charbon. Et pour faire com­ prendre que la même Eglise, qui rejette de son sein un chrétien impénitent, peut l’y ramener 1 S. Augustin, De Civit, Dei, lib. XXII, c. vin. P. L.^ XLL 769-771. HORS DE LÉGUSS i 338 — 339 quand il reconnaît sa faute avec humilité, il Nous avons mis en lumière cette vérité lors­ leva l’excommunication; et les pains noirs que nous avons prouvé la visibilité de reprirent leur première blancheur1. » Ce l’Église. Clément XI a condamné les proposi­ tions où Quesnel soutient que l’Église n’a pas iracle est célèbre et la liturgie l’a estimé assez authentique pour y faire allusion dans d’autres enfants que les saints, qu’elle est la vie du bienheureux *. D’ailleurs, serait-il composée exclusivement des élus et des contesté, et ne le citerions-nous que comme justes de tous les siècles1 ; Pie VI a proscrit, une parabole, le sens catholique nous assu­ comme hérétique, l’assertion du synode de rerait que tous ces faits, ces comparaisons, Pistoie, qui exclut du corps de l’Église tous ces images, ne sont pas encore assez expres­ les pécheurs et ne reconnaît commes membres sifs pour nous donner une idée des effets réels que les justes, les parfaits adorateurs terribles produits par la malédiction d’une j en esprit et en vérité 8. mère comme l’Égljse, quand elle est outra­ ; Mais, si les pécheurs demeurent encore gée. S’il est horrible de tomber entre les dans le troupeau de Jésus-Christ et peuvent mains du Dieu vivant, il est effrayant/ aussi se dire les frères des saints, ils sont néande tomber sous les anathèmes de son Epouse I moins des üls de colère, voués à une ven­ irritée. geance infinie. Point de vie pour eux, tant Bien qu’ils demeurent dans le corps, les qu’ils ne se relèveront point de leur état. Si excommuniés tolérés sont exclus de 1 âme, I le salut est possible, en certaines circonsmaudits ! Qu’ils se hâtent donc, par une péni­ . tances, hors du corps de l’Église, il est inexotence salutaire, de sortir de leur tombeau, et ’ rablement fermé à tous ceux qui se sont qu’ils viennent puiser sur le sein de l’unique I jetés hors de l’âme. Qu’ils ne se contentent donc point d’adhérer à l’organisme extérieur, mère le salut et la vie 1 qu’ils se laissent animer par la vertu sancti­ Les pécheurs, même les endurcis et les fiante; et, une fois régénérés, qu’ils pénètrent obstinés, restent membres tant qu’ils gardent l imité d’obéissance, de foi et de communion. 1 Propos. 72-78. Année Dominicaine, Vie des Saints et Bienheureux O- S. D., 10 janvier. 1 Hreyiar. O. P., X janv., led. vl . 2 Propos. 15. Pour les controverses des scolasti· j ques touchant les membres de l’Eglise, voir Particle s Eglise du P. Dublanchy dans le Diction, de ThéoL. 1 CaJi., col. 2160, ss. C • T A » .·* i ▼ de plus en plus dans ccs profondeurs lumi neuses. Unis ainsi à Dieu par la charité, il habiteront dans un asile serein que les tem pètes du inonde atteindront point seront avec Jésus aux sources de la sainteté et de ce véritable bonheur qui est la vie du salut (i). (i) Nous avons exposé plus haut comment les païens peuvent arriver à cette vie du salut. Nous n’admettons pas que la plupart des hommes privés de la révélation ne soient que des adultes d'âge, sans dire des adultes de raison. Nous reconnaissons bien que le nombre des hommes qui restent de grands enfants, — sans avoir atteint le plein épa­ nouissement des facultés mentales — est considéra­ ble : mais dire que la plupart sont des anormaux, des êtres manqués, et alors comment expliquerat-on que la Providei ce les a pourvus des moyens suffisants même dans l’ordre naturel? — Notre doctrine sur le salut des païens (I. P., ch. v) fait plus large la voie du salut, plus généreux le gouverne ment divin, plus belle Thistoire des éternelles mi séricordes. CHAPITRE CONCLUSION Dieu ne nous a imposé l’obligation d’en■ trer dans l’Eglise qu’en vue du salut. Il reste 1 bien établi que c’est là notre unique affaire : . [Incarnation, l’Eglise, le temps l’éternité, f lout nous prêche le salut, qui est la vie de J l’Eglise. Il y a d’abord une vie infime, dont se conI tentent certains hommes aux préoccupations ! terre à terre et égoïstes. Ne leur parlez point ■d’idéal; ils semblent même être incapables de sentiment * existence à celle de ces plantes sans beauté, sans élégance, sans distinction, mais qui sont luxuriantes, vigoureuses, superbes. Quelle Hélas ! j vie prospère ! semble dire le monde jce n’est que la prospérité du végétal, ils ne pavent que se nourrir! Nous voudrions croire ‘^3 pour l’honneur du genre humain, que c’est I la vie d’un petit nombre. Du moins, ce n’est pas celle du chrétien. Le juste ne vit point de cela, mais de la foi divine : Justus meus ex fide vivit ‘. 11 y a ensuite la vie des sensations. Bien des existences mondaines et brillantes se rédui­ sent à cela, et l’on dirait que certaines indus­ tries n’ont point d’autre but que de se faire les pourvoyeuses de sensations toujours va­ riées : le journal compte ses succès d’après les sensations qu’il excite ou qu’il entretient, le roman et le théâtre travaillent trop souvent à créer, provoquer des sensations, ou à ser­ vir des passions. On ose donner à ce paga­ nisme des noms pompeux; c’est, parait-il, la I vie élégante et de bon ton. L’Écriture la lié· I trit justement en l’appelant concupiscence 1 ! Ce n'est point là cette vie du salut à laquelle aspirent les enfants de l’Église : Justus meus ex fide vivit. Au-dessus de ces préoccupations, règne la vie des affaires : entreprises commerciales, intrigues politiques, expéditions militaires, conquêtes diplomatiques. Il semble que cc soit la vie intense, pressée, pleine, active, qui accomplit des prodiges. Nous n’aurons garde, certes, de la condamner; le catholique, bien loin de s’en désintéresser, doit en recon­ naître pour lui-même la nécessité et la fécon­ dité. Mais là aussi nous trouvons la vanité et le néant : tout cela passe, plus haut la vie qui demeure ! Cette habileté, ces succès ne nous distinguent point des enfants du siècle : le juif et le païen sont ici plus prudents et plus exerces que nous, et nous leur laissons volon­ tiers cette royauté de la bourse. Ce n’est point cela que Jésus-Christ est venu nous apprendre, mais l’idéal supérieur qui enfante les saints : Justus meus ex fide vivit. Il y a la vie intellectuelle, qui fait les hommes de lettres : philosophes, poètes, écri­ vains. Elle est assurément digne de Γhuma­ nité, et le christianisme a souci de l’utiliser et de l’ennoblir, car tout ce qui est le beau ou une manifestation du beau est déjà un auxiliaire de lÉvangile. Ce n’est point encore la vie du juste; le Christ exige moins que cela et plus que cela. Moins que cela : nulleconnaissancede lalitté rature ou des arts n’est demandée à qui veut devenir membre de l’Eglise ; la foi du char­ bonnier est assez solide sans la dialectique d’Aristote, et la sainteté de l’humble paysan peut dépasser en sublimité celle du philo­ sophe. Plus que cela : ni les artistes, ni les ' » kE — poètes, ni les savants ne sont capables par eux-mêmes de nous donner la science de notre éternelle destinée; si l’humanité ne consulte que ces sages, elle restera dans les ténèbres et s’en ira vers la mort. La lumière, le repos, la vie, sont plus haut : Justus meus ex fide vivit. Il y a enfin la vie morale. Le monde se vante de son honnêteté, de son culte du devoir. Nous prêchons, nous aussi, la néces­ sité de ces vertus naturelles que le Christ a daigné élever et glorifier et dont il nous a rendu par sa grâce l’exercice possible et même facile. Mais, aux aspirations créées en nous par notre vocation divine il faut plus que la philanthropie, plus que les maximes du rationalisme. Cette vie peut faire le juste selon le monde, non pas le saint, non pas le juste selon Dieu : Justus meus ex fide vivit. Elle est donc, cette vie du salut, au-dessus des appétits matériels, des sensations et des sentiments, plus haut que l’intérêt des affai­ res, plus haut que l’idéal du penseur ou de l'honnête homme : oui, plus haut, au niveau même de Dieu, car elle nous donne les pen­ sées de Dieu, les volontés de Dieu. Les pensées de Dieu. La foi, qui est le prin­ cipe de celte vie, est comme un regard nou- rea η. une intelligence surajoutée, pour con/ lempler la Vérité première. Cet œil surnaturel I nous fait voir tous les événements d’ici-bas J sous un angle divin et avec les couleurs de ’l’éternité; cette intelligence nous permet .’de former des jugements dignes de Dieu, j d’estimer les hommes et les choses à leur valeur réelle, de penser de l’existence pré­ sente, comme en a pensé Noire-Seigneur luiI même. , Tandis que le mondain ne comprend rien au 1 sacrifice et considère la mortification comme ’ une folie, qu’il se hâte de cueillir les roses ‘ avant qu’elles soient flétries et de promener ses affections sur les créatures à leur prin­ temps, l’homme de foi saisit dïnstinct les maximes de l’Evangile : « Bienheureux les I pauvres, bienheureux ceux qui souffrent ! 1 Malheur à vous, riches, parce que vous avez I votre consolation ! Malheur à vous qui êtes ( rassasiés et qui riez maintenant! Heureux, j vous tous qui êtes haïs, calomniés, perséI entés, à cause de moi! Réjouissez-vous, tres­ saillez d’allégresse, parce que votre récom­ pense est grande dans le ciel ! » ‘ Les volontés et les sentiments de Dieu. En Imême temps qu’elle nous prête un regard nouveau pour apercevoir le divin, la foi nous communique un goût surnaturel pour 3 <6 • v - Λ- sentir et savourer Dieu en toutes eirconâ lances, en sorte que nos désirs et nos vou­ loirs se conforment toujours aux décisions de la Providence. Bien loin de murmurer en face de la douleur, le juste trouve dans tout ce qui lui arrive comme la saveur de l’éternité. Le Seigneur est avec moi, il ne m'arrivera que ce qu’a voulu ou permis sa bonté. Voilà ce qui s’appelle goûter Dieu. En dehors de cette vie du salut, on ne peut avoir qu’une existence vaine, gaspillée per­ due, car les actions faites sans la foi, bien qu’elles ne soient pas nécessairement frap­ pées de mort, restent pourtant stériles, sem­ blables à ces inutiles fruits qui naissent tard et ne mûrissent jamais. Puisqu’elles ne ser­ vent de rien pour notre unique affaire, elles ne sont pas la vie. Quelle lamentable desti­ née que de mourir ainsi sans avoir vécu, de n’être jeté à la lumière que pour descendre ensuite dans la nuit! La foi et la grâce, au contraire, en orien­ tant tous nos actes vers la fin dernière, leur confèrent à tous une admirable fécondité. L’illustre philosophe incrédule a perdu sa journée, et le pauvre paysan, fidèle à sa pre­ mière communion, a une existence remplie : il a gagné une éternité! C est la condition de la joie et de la paix de Pâme. L’homme de foi vit dans la sércnité, calme et confiant, dans l’épreuve comme dans la grande fortune. La prospérité lui est accordée, il lui dit : Merci! mais sans se laisser éblouir. Ces biens qui remplissent mon existence me sont prêtés, je m’en sers et je leur dis : œuvres du Seigneur, bénissez le Seigneur! Le ciel lui prolonge la vie et la santé; il sait que tout cela lui est donné à crédit, que ses facultés sont des talents destinés à fructifier. Son existence sera belle, fortunée, si elle est consacrée à Dieu. Santé, intelli­ gence, volonté, vous êtes l’œuvre du Seigneur, bénissez le Seigneur! La maladie l’a cloué sur un lit de douleur, sa paix n’est pas altérée : Je sais, déclare-il, que Dieu est là, et je me console. La mala­ die est la visite du souverain Maître, la bonne souffrance est l’œuvre divine : œuvres du Seigneur, bénissez le Seigneur! Telle est la vraie manière de vivre dans le ? corps et dans l’âme de l’Eglise. C’est ce qui adoucit l’amertume de toutes les espérances trompées, même l'amertume du trépas. Nous accueillons la mort comme la céleste messagère qui remplit son rôle providentiel, et on lui dit ainsi qu’à tout le reste : œuvres du Seigneur, bénissez le Seigneur! 1 HH 1 * 348 Tandis que le corps s’endort Joyeux du léger sommeil qui attend l’aurore, l’esprit s’en va jouir, aux sources du salut, dans le sein de Dieu. C est la vie de l’Église trioi ni TABLE DES MATIERES Avant-propos . . PREMIERE PARTIE L’appartenance à l’âme de l’Eglise CHAPITRE PREMIER f ce qu’est l’ame de l’église Dans son acception la plus générale, l’Eglise est la société de tous ceux qui sont appelés au salul éternel, anges et hommes, avec Jésus-Christ pour chef. — Dans un sens moins large, elle est la société des rachetés, et elle ne comprend que les hommes, les anges étant incapables de repentir. — L’Eglise sous l’ère patriarcale : les sacrements de cette époque. — L’Eglise et les sacrements sous l’ère mosaïque. — L’Eglise dans son acception stricte. — Elle est divine et humaine à la fois, comme le Christ est Dieu et homme tout ensem­ ble, — Comme notre nature est formée d’un âme spirituelle et d’un corps sensible, comme l’Incar * 1 H ·. a * t · · 351 35ο nation est l’union de l’invisible divinité avec Thuinanité visible, ainsi l’Eglise est composée d’un principe interne, qui lui donne la vie, et d’un élément extérieur, qui manifeste cette vie. — Nier l'un ou l’autre de ces éléments, c’est pervertir la notion de l’Eglise. — Le Saint-Esprit est dans un sens l’âme et le cœur de l’Eglise. — Mais il faut, en outre, un principe intérieur infusé par lui, inhérent à l’Eglise, et qui soit la forme même de la vie surnaturelle. — L’âme de l’Eglise désigne l’ensemble des dons surnaturels et créés. — Les grâces actuelles cependant ne suffisent point pour nous faire appartenir à l’âme de l’Eglise, car elles ne sont point un principe permanent et ne nous donnent point Dieu qui demeure. — Dieu, il est vrai, commence à s’implanter en nous par la foi. — La vertu de foi, qui est le principe permanent d’opérations vitales et divines, nous ouvre déjà l’entrée. — Mais c’est par la grâce sanctiliante et par la charité qu’on appartient définitivement et complètement à l’âme de l’Eglise. — Nous avons donc à exposer la nécessité de la foi et de la grâce sanctifiante..................................................................... 3 ff CHAPITRE II NÉCESSITÉ D’APPARTENIR PAR LA FOI A L’AME DE l’église pour être sauvé obligation 1. Nécessité d'ane foi surnaturelle. de croire est évidente pour quiconque admet l'existence de Dieu. — Si Dieu se montrait... —La liberté de penser est un attentat contre Dieu. — L’incrédule impose une véritable contrainte à ses taenhes. — Ipse fecit nos. — Les deux grandes Iniquités : l’infidélité et le blasphème —- Si la foi est un précepte, est-elle aussi un mcyer. tellement essentiel que rien ne puisse y suppléer? — L’hér/z■ sie de Pélage : renouveau de cette erreur à notre opinion de époque.— L’opinion d’André Véga. Les déistes du Ripalda. — Le P. Bcrruyer. xvine siècle. — L’axiome inflexible de saint Paul : « Sans la foi, impossible de plaire à Dieu. » — Portée de ce principe. — Les gentils et les justes de l’ère patriarcale : la loi de nature. — Il a toujours été nécessaire de croire certaines vérités surnaturelles. —Témoignagesdes martyrs et des docteurs : saint Clément de Rome, saint Ignace d’Antioche, saint Irénée, saint Cyprien, saint Ambroise, saint Jean Chrysostome, saint Cyrille d’Alexandrie, saint Augustin, saint Gré­ goire le Grand, saint Thomas. — Les déclarations de l’Eglise : le concile d’Orange, le concile de Trente, Innocent XI, Grégoire XVI, Pie IX, le concile du Vatican. — L’argument théologique. — La théorie de Gulberlet : exposé et réfutation. — 11. Les vérités fondamentales qu'on est tenu de croire. — Il faut connaître notre point de départ et notre point d’arrivée. Dieu principe et fin. — Texte de I · saint Paul. — D’abord, connaissance du vrai Dieu. — La foi surnaturelle est incompatible avec le polythéisme. — En second lieu, foi expli­ cite en un Dieu rémunérateur. — La notion d’une Providence. — Faut-il aussi la connaissance d’un Rédempteur? — Toute âme en quête du salut désire implicitement Jésus-Christ, qui est vérita­ blement le sommet du monde, qui domine les deux versants de l’histoire; tout acte de foi est un hom­ mage au Verbe incarné, un acte de confiance au . · it I flu*-#·· Rédempteur. — La foi explicite à Hncarnation ft pu cire accordée à une élite dans l’ancienne loi; elle n’était pas demandée au commun des fidèles. — Témoignages de saint Thomas et de saint Antonin. —Une fois que l’Evangile a été suffisam­ ment promulgué, la connaissance explicite est-elle devenue une nécessité de moyen? — Deux opinions. — Textes de saint Augustin et de saint Thomas. — Raisons théologiques. — Une opinion intermédiaire. — Les préférences du Saint-Siège : réponse du Saint-Office. — Règle pratique touchant l’absolution. — L’acte de foi est aussi l’objet d’un précepte spécial. — Quand et comment ce précepte ι8 oblige-t-il ? CHAPITRE III NÉCESSITÉ d'aPPARTENIR PAR LA FOI A DE L’ÉGLISE POUR FAIRE LE BIEN Deux genres d'œuvres : l’œuvre honnête et l’œuvre salutaire. — Deux sortes d’œuvres salutaires. — 1. Les erreurs du faux surnaturalisme. — Les prédestinations, Wicleff et les protestants requiè­ rent pour toute œuvre bonne la foi, la justice, la prédestination ; le baïanisme, la foi et la charité;le jansénisme, au moins la foi: Je faux augustinianisme, au moins une grâce actuelle. — La doctrine catholique : il est de foi que la prédestination n’est pas nécessaire pour accomplir des actions même excellentes. — Il est de foi que l’état de grâce n’est point requis pour faire une œuvre bonne. — Les enseignements du concile de Trente, des Souverains Pontifes, les preuves de raison La théorie des deux cupidités dominantes. est certain que la foi non pins n est pas requise : témoignages de l’Ecriture, de saint Augwstin, évi­ dence naturelle; condamnation de l’erreur con­ traire par le Saint-Siège. — Enfin, c’est une doctrine aujourd’hui commune et incontestée que la grâce actuelle n’est pas indispensable : preuves île raison et preuves d’autorité. — Les œuvres salutaires. — La vertu de foi n’est pas la première des grâces. — Les païens sont visités par la grâce actuelle et peuvent avec ce secours faire certains actes salutaires. —II. Les erreurs du naturalisme. ÏT — L’antiquité païenne n’a pas même soupçonné la nécessité ou l’existence de la grâce. — Les Juifs ont méconnu la grâce intérieure. — Les disciples dOrigène et ceux de Théodore de Mopsueste. — Pelage : trois phases dans l’évolution de sa doc­ trine. — Les semi-pélagiens. — Les défenseurs de la grâce. — Il est de foi que nous avons besoin d’une grâce surnaturelle pour tons et chacun de nos actes salutaires. — Témoignages de l’Ecriture; témoignages de la Tradition : saint Polycarpe, saint Irénée, saint Cyprien, saint Grégoire de Nazianze, saint Augustin. — Définitions de l’Eglise: le second concile d’Orange et le concile de Trente. — Raison théologique. — Résumé de la doctrine catholique. — Appartenons par la foi à l’âme de l’Eglise. — La foi sera notre suprême ressource à l’heure de la mort. — L’argument que l’Eglise fait valoir pour nous défendre devant notre Juge : Credidit, il a eu la loi! ··.····» ^7 HORS ΙΈ I ÉGLISE — 3d4 CHAPITRE IV LE SALUT DES PAÏENS La doctrine catholique touchant la volonté salvifique de Dieu. — L Dieu veut le salut des païens. — Témoignages de l’Ecriture dans l’Ancien Testa­ ment.— Témoignages des Pères:saint Irénée,saint Chrysostome, saint Augustin, le puissant génie qui s’est caché sous le nom de Denis l’Aréopagite. — La sollicitude divine est plus admirable encore éans l’économie évangélique. — Trails des Actes. — Citations de saint Augustin et de saint Thomas. — Est-il vrai que Dieu enverrait un ange? et ce mode d’évangélisation serait-il miraculeux? — Trait consolant raconté par le P. Cothonay, O. P., apôtre de la Trinidad. — Déclarations de Pie IX. — II. Comment les païens peuvent arriver à la foi. — Explication de l'axiome : « Facienti quod in se est Deus non denegat gratiam. » — Dieu ménage aux païens des grâces actuelles : s'ils savent en profiter, sa bonté ira plus loin, elle les conduira miséricordieusement jusqu’à la foi et à la justification. — A ceux qui font ce qui est en leur pouvoir avec la grâce actuelle mise à leur dis­ position Dieu ne refuse pas la grâce sanctifiante. — Telle est l’interprétation thomiste de l’axiome. — Explication des molinistes : la théorie des pactes. — Combien elle est peu scientifique. — L’Ecriture et la Tradition sont ici complètement muettes. — Ce pacte semble en contradiction avec la notion de la grâce. — Ce qu’il faut penser de la préparation négative. — Le seul fait de ne point mettre d’obstacle à la grâce est déjà 1’œuvre de la grâce. — L’explication thomiste est celle qui fait le mieux ressortir la miséricorde infinie : preuve de cette assertion. — Les trois modes possibles selon saint Thomas. — III. Systèmes à rejeter tou­ chant le sort final des païens. — La théorie de l’évangélisation des infidèles trépassés. — Réfu­ tation. — La théorie du bonheur naturel et l’ad­ mission des païens aux limbes. — Historique. — Un théologien récent. — Trois propositions fonda­ mentales à relever : i° Nous nions que le salut soit impossible aux païens et que les païens demeurent dans 1’ordre naturel. — a0 Ce qu’il faut penser de l’ignorance invinsible. — Trois états d’àrne : athéisme, indifférentisme, idolâtrie. — La bonne foi des païens et le jugement que Dieu en a porté lui-même au livre de la Sagesse. — La bonne ÏT supposée, que peut-on conclure?— 3° Les foi même païens vont-ils aux limbes? — Pour les adultes qui ont eu l’usage plénier de leur raison l’hypo­ thèse des limbes n’est pas admissible. — Preuves de raison et d’autorité : les théologiens, saint Thomas, Pie IX. — La nouvelle théoriene saurait tenir debout devant les déclarations du concile de Florence. — Objections et réponses ... 82 CHAPITRE V NECESSITE D’APPARTENIR PAR LAGRACE SANCTIFIANTE A L AME DE L’ÉGLISE POUR ÊTRE SAUVÉ .La notion de la grâce sanctifiante. — L’Ecriture appelle la grâce un être nouveau, une nouvelle v.e, une seconde création, une seconde naissance. — Erreur des pélagiens et des protestants. — La grâce est un principe intérieur et permanent. — Pusqu’elle nous rend l’objet dr» H fnverr dp Pieu, t I I Ï56‘ — . elle doit déposer eu nous une réalité divine; l’amour de Dieu est créateur. — Le concile de Trente, saint Paul. — La grâce n’est pas une sub­ stance, mais un accident illustre que la nature tout entière ne pourra ui produire ni imiter. — Elle nous fait naître de Dieu et nous donne une seconde nature. — Elle est, d’après saint Pierre, une participation de la nature divine. — Elle nous communique les propriétés et les opérations de Dieu. — Nous sommes ainsi de la race de Dieu, héritiers avec Jésus-Christ. — Textes des Pères : l’épitre attribué à saint Barnabe, Hermas, saint Ignace d’Antioche, saint Athanase, saint Basile, saint Cyrille d’Alexandrie, saint Augustin. — Le bien d’une seule grâce, dit saint Thomas, vaut plus que tout le bien de la nature entière. — Enfin la grâce fait habiter la sainte Trinité en nous. — IL Nécessité absolue de la grâce sanctifiante pour le salut. — La révélation nous assure que la foi toute seule ne justifie point. — L’Ecriture, le con­ ni cile de Trente, les Pères : saint Clément de Rome saint Ignace d’Antioche, saint Polycarpe, saint Justin, saint Augustin. — Il faut la grâce sanctihante pour effacer le péché mortel. — Les consé­ quences du péché : souillure dans l’âme, infirmité et corruption dans toute nature, offense infinie envers Dieu. — Seule, la grâce habituelle peut réparer ces ruines. — La grâce est la forme propre du salut. — Les actes de contrition et de charité sont incapables de justifier par eux-mèmes. — Réfutation de l’opinion de Vasquez : par 1’Ecriture, par les Pères, par le concile de Trente. — La grâce sanctifiante est donc indispensable : Dieu a des industries admirables pour là procurer. —Les sollicitations du Sauveur à l’heure de ia mort. la grâce du dernier instant . . . . 128 CHAPITRE VI NÉCESSITÉ D’APPARTENIR PAR LA GRACE SANCTIFIANTE 9 a l’ame de l’église pour faire le bien Etat delà question. — Les dangers du pélagianisme. — I. Nécessité de la grâce pour l'observation inté­ grale de la loi naturelle. — C’est une doctrine certaine que l’homme déchu est incapable sans la grâce d’observer tous les commandements. — Cette impuissance a été décrite par saint Paul. — Témoignages de saint Augustin et des conciles africains; le second concile d’Orange et le concile de Γrente.— Raisons théologiqnes.— Suffit-il d’une grâce naturelle et médicinale? — Nous requérons la grâce sanctifiante. — Preuves multiples. — Nécessité de cette même grâce pour éviter long­ temps le péché mortel et résister aux tentations violentes. — Preuves d’autorité et preuves de rai­ J son. — Combien de temps peut passer le pécheur sans commettre de nouvelles fautes? — Le mal­ heur de ceux qui vivent sans la grâce sanctifiante. — II. Nécessité de la grâce pour l'observation du premier commandement de la loi naturelle, l'amour de Dieu par-dessus toutes choses. — Deux principes fondamentaux déjà établis. — Il s’agit ici de l’amour effectif parfait.— Opinions des théologions. — Textes de saint Augustin et de saint Thomas. — Comme ces grands docteurs, nous i requérons une grâce surnaturelle. — Preuves. — Il faut même là grâce sanctifiante. —Il y a incomI patibilité entre l’amour parfait même naturel et j i ■ 358 • r· ·■ V état de péché mortel. — Preuves de cette asser­ tion. — Objection. — L’acte d’amour qui est demandé à l'enfant au début de la vie rationnelle. — Conclusion : la restauration de l'humanité ne se fera que par Notre-Seigneur Jésus-Christ. — HL Nécessité de la grâce sanctifiante pour let œuvres méritoires. — Deux écueils à éviter : l’hé­ résie de Pelage et l’erreur de Baïus. — Il faut la grâce sanctifiante pour mériter. — Preuves par l’Ecriture, les conciles, les déclarations des Sou­ argument théologique. — verains Pontifes. Une fois que nous sommes justifiés, il s’établit une sorte d’égalité entre nos œuvres et leur récom­ pense: notre mérite est de condigno. — Les actes de toutes les vertus peuvent être méritoires, il n’y a pas que la charité qui soit couronnée, mais son influence est nécessaire pour qu’il y ait mérite. — L’influence virtuelle est requise. — En pratique, H tous les actes bons dans les justes sont méritoires. — IV. Nécessité des grâces actuelles ajoutées à la grâce sanctifiante. — Le juste est assuré de rece­ voir les grâces suffisantes, mais il lui faut, outre la grâce habituelle, un secours actuel pour toutes et chacune des œuvres surnaturelles. — Preuves par l’Écriture, par la Tradition : les papes Inno­ cent 1er et Zozime, le second concile d’Orange, le concile de Trente. — Argument métaphysique. — Cette doctrine devient encore plus certaine quand il s'agit de la résistance permanente aux tentations. — Les preuves. — La persévérance finale surtout requiert une grâce spéciale. —Gom­ ment elle est le don unique de Dieu et pour les en· fants et pour les adultes. Texte de saint Bernard. — Privilège tout à fait singulier pour *— 3<ορ éviter tous les péchés véniels durant, une vie entière. — Le concile de Trente, portée de sa dé­ finition. — Deux conditions de l’impeccabilité : Marie les a possédées toutes deux. — Que penser des grands saints? — Conclusion : vivant de l’âme de l’Eglise, nous devons adhérer à la tète, le Christ, et appartenir à son corps · . · 153 SECONDE PARTIE L’appartenance au corps de l’Egliso CHAPITRE PREMIER ce qu’est le coups de l'église L’Église doit montrer sa foi et sa grâce, et pour cela il faut un organisme extérieur. La visibilité est la première notion (nie suggère le corps de l’Église. — I. la visibilité. — Erreur des nova­ tions, des donatistes, des partisans de WicIefT, des protestants. — D’après l'institution de JésusChrist, l’Église est essentiellement visible. — Les promesses de l’Ancien Testament la repré­ sentent avec ce caractère de visibilité. — NotreSeigneur nous dé lare que les éléments essen­ tiels de son Église sont visibles : fondements visibles, membres visibles, magistère visible, autorité visible, ministère visible. — Témoigna­ ges de saint Paul. — Témoignages des Pères ; II saint Clément do Rome, Hermas, saint Ignace •D d Antioche, sumt filial .kmanasc, saint Chrysostome, saint Optat de Milèvo, saint Au­ gustin. — Enseignements des Souverains Pontifes. — Le triple rôle de l’Eglise au sein de l’humanité. — Le magistère, le ministère, le gouvernement doivent être visibles. — II. La notion complète du corps de l'Église. Les trois éléments constitutifs de cet organisme surnaturel. à me sociale de l’Eglise. — L’idée de corps implique dans l’Église la multitude, l’inégalité des membres, la diversité des offices, des ministères et des vocatiois. — Donc, sacerdoce et état religieux. — III. Le sacerdoce visible est de l'essence de VÉglise ; l'état religieux visible appartient à l'intégrité de V Eglise. — Le ministère a toujours été réservé au sacerdoce même dans l’ancienne loi. — Si le magistère n’était pas l’apanage exclusif du sacerdoce, il lui était spécialement confié.—La puissance de juridiction sur les choses sacrées n’était pas le privilège du corps sacerdotal. — Dans l’Église du Christ, le triple pouvoir d’enseigner, de sanctifier, de gouverner, appartient en propre au sacerdoce. —Sans le sacer­ doce le corps de l’Église ne fonctionnerait plus.— L’état religieux est nécessaire pour faire resplen­ dir la note de la sainteté, qui distingue la véritable Église de toutes les sectes. — La sainteté parfaite. — Les trois grands obstacles à la charité et les trois renoncements universels. —La pratique des trois conseils ne suffit pas, il faut l’obligation so­ lennelle de les observer, il faut les trois vœux qui constituent l’état religieux. — La vie religieuse réalise l’état de perfection ; elle est l’école offi­ cielle où la sainteté s’enseiane. s'annrend et Λ - K , _________ 361 I ^2- _■ irA s’acquiert. — L’Eglise sans l’état religieux man­ querait de son auréole et de son complément II nécessaire ; elle serait un corps mutilé. — L’er­ reur de ceux qui voudraient suspendre pour un temps la vie religieuse et pousser tous les profès à la sécularisation. — Jésus-Christ aura toujours des disciples et des ministres qui se­ ront saints et sanctidcateurs comme lui. . 209 CHAPITRE II LA TRIPLE UNITÉ DU CORPS DE L’ÉGLISE Les éléments multiples du corps de l’Eglise doivent concourir à l’unité. — Triple unité. I. J/unité de foi. — 11 s’agit de l’unité visible. — Elle ne peut reposer sur la Bible ni sur la théorie des articles fondamentaux. — L’unité de foi telle que l’a recommandée Notre-Seigneur et que l’ont* préchée les Apôtres. — L’intransigeance de l’Eglise pour conserver l’unité de sa foi.—IL L1 unité de gouvernement. — L’Église est unique. — Notre-Sei­ gneur a institué l'unité de gouvernement en décré­ tant que le fondement visible serait unique et que l’autorité du chef visible serait universelle, s’étendant à toutes choses et à tous. — Saint Paul est, par excellence, le théologien de cette unité. — L’unité de gouvernement est réclamée par la fin que se proposait Notre-Seigneur dans sa mission parmi nous. — Autres raisons : l’esprit du christianisme, qui est la charité; la fécondité, la sainteté de l’Eglise. — La vie et la pratique de i’i glise sont la plus éloquente des preuves.— Ill. L'unité de culte. — Un seul sacrifice, un seul H — L’unité sacerdoce avec les mêmes sacrements. I* i TO de culte est d’ailleurs contenue dans l’unité de foi et l’ui ilé de gouvernement. —Il n’y a qu’une seule hiérarchie. — Ces trois unités ne se rencontré!.t que dans l’Église catholique. — IV. Za doctrine tra­ ditionnelle touchant le corps de ΓÉglise. —Saint Paul. — Les Pères. — Saint Thomas. — Les théo­ logiens à partir du seizième siècle. — Les docu­ ments ecclésiastiques.......................................... CILAPiTRE III OBLIGATION D’APPARTENIR AU CORPS DE PAR LE CARACTÈRE BAPTISMAL ET PAR DES TROIS UNITES .’ DE DE CULTE I I I I I FOI, DE L’ÉGLISE LES LIENS GOUVERNEMENT, I. Obligation d'appartenir au corps de VÉglise par le caractère baptismal. — La nécessité absolue du baptême proclamée par la Tradition. — L’er­ reur de Pélage, de Wiclelf et des protestants. — La doctrine catholique. — Le désir chez les adul­ tes peut remplacer le sacrement : les trois baptê­ mes. — Les baptêmes de sang et de désir n’impriment point le caractère : la théorie de quelques anciens scolastiques. — Le salut des enfants.·— Le remède de nature subsiste-t-il encore dans les pays où l’Évangile n’a pas été promulgué ? — L’opi­ nion de quelques théologiens.—Nous la croyons insoutenable. — La nécessité du baptême démon­ trée. nous avons prouvé la nécessité d’appartenir au corps de l’Eglise. — Le baptême valide seul nous fait entrer dans l’Église. — II. Obligation d'ap­ partenir au corps de l’Église par l'unité de foi. — Témoignages de l’Ecriture. des Pères : saint Igna­ ce, saint Cyprien, saint Jérome, saint Augustin, II I I j Gassien, saint Vincent de Lérins, saint Thomas. — Raisons théologiques. — Le châtiment que mé­ ritent les corrupteurs de la foi. — III. Obligation d’appartenir au corps de V Eglise par l'aniléde gou­ vernement. — La gravité du schisme. — Témoi­ gnages des Pères : Hermas, saint Ignace, saint Chrysostoine. — L’unité de communion est aussi nécessaire au salut que la charité elle-même. — Textes de saint Cyprien, de saint Augustin, de saint Thomas. — Le lamentable état de ceux qui ont violé l’unité de foi et l’unité de gouvernement. — IV. Obligation d'appartenir au corps de VÉglise par l'unité de culte. — Corollaire des précédentes conclusions. — Question de licéité. — Question de validité. — La théorie de saint Cyprien et des évê­ ques africains, reprise et aggravée plus tard. — La doctrine catholique. — Validité du baptême conféré par les hérétiques ou les schismatiques. — Les autres sacrements. — Remarque au sujet de la pénitence. — La sainteté du ministre n’est point nécessaire. — Cependant, pour qu’il soit Il bien manifeste que les sources de la vie surnatu­ relle ont été confiées à l’Eglise, il faut que les sa­ crements soient donnés en son nom: il faut l’inten­ tion de faire ce que fait l’Eglise. —Il est de foi que l’intention externe au moins est requise. — C’est le sentiment aujourd’hui commun qu’il faut aussi Fintention interne. — Les sacrements sont donc la propriété de l’Eglise. — Les religieuses de Sainte-Bride et les moines de Caldey · , . 266 ■—.-’-Γ--'. — * -·»»·-■ * Γ *; 365 CHAPITRE IV l’axiome « UORS DE PROUVÉ PAR LES L’ÉGLISE POINT DE SALUT » TÉMOIGNAGES DE LA TRADITION. — COMMENT L’ONT ENTENDU LES THÉOLOGIENS Sens de l’axiome : i° Nécessité de moyen d’appart-.'î.ir à l’àme de l’Eglise non seulement par le U désir mais en réalité ; a0 d’appartenir au moins par le désir au corps de l’Eglise; 3° d’appartenir en réalité au corps de l’Eglise dans la mesure où l’on connaît et où Ton peut remplir ce devoir. — L’axiome atteint dans toute sa rigueur trois caté­ gories de personnes. — Preuves de l’axiome par PEcritttre : Notre-Seigneur, les Apôtres ; par la Tradition : saint Clément de Rome, Hermas, saint Ignace d’Antioche, saint 1 rénée, Origène, saint Cyprien, Lactance, saint Optât de Milèye, saint [’asile, saint Jérôme, saint Augustin, saint Prosper, les statuts ajoutés aux œuvres de saint Léon, saint Grégoire le Grand, Innocent III,.le quatrième concile de Latran, Boniface VIII, le concile de Flo­ rence, la profession de foi de Pie IV, Grégoire XIII, Benoit XIV, Grégoire XVI, Pie IX. — Conclu­ sion du P. Monsabré. — Parole de Léon XIII. 3oa — Les hérétiques matériels.—Leur bonne foi. — Comment ils peuvent avoir une croyance divine II et croire à cause de l’autorité de Dieu révélateur. — Les hérétiques occultes. — Les schismatiques. — Les excommuniés : ceux qu’il faut éviter, ceux qui sont tolérés. — Combien redoutable est l’ex­ communication. — Les pécheurs. — Vivre avec Jésus 321 CHAPITRE VI CONCLUSION : LA VIE DU SALUT Le salut,J vie de l’Eglise. — La vie infime. — La vie des sensations. —La vie des affaires. — La vie intellectuelle. — La vie morale. — La vie de la foi, vie du juste. — Cette vie nous donne les pensées de Dieu, les volontés et les sentiments de Dieu. — Elle assure à notre vie la fécondité, la paix, la joie. — Œuvres du Seigneur, bénissez le Sei­ gneur !.......................................... CHAPITRE V ceux qui n’appartiennent pas au corps DE L’ÉGLISE Trois conditions pour être du corps de l’Eglise. L s païens. — Les catéchumènes. — Les apostats et 1< s hérétiques formels. — La bonne foi ici estelle possible ? — Ce que pense l’Eglise : Grégoire XVI, le concile de Cologne, le concile du Vatican. IMP. P. TtQL’I, 92, BCE WC VAUOIHABD, PAKla A Notre Cher Fils, Edouard HUGON DE L'ORDRE DM FRtRM PRtCHfURS PU XI, PAPt CHER FILB, Salut et Bénédiction Apostolique, I Nous avons recu les volumes dont vous Nous avez récemJeent fait hommage, intitulés : Tractatus dogmatici » prolait vraiment remarquable de votre esprit; et. à mesure que •Nous le parcourions, autant que Nos occupations Nous l’ont permis, Nous avons constaté que, si vos écrits ont été honorés par Nos Prédécesseurs d’une Insigne recommandation, ils ré­ tament aussi un témoignage d’éloges de Notre part. Lorsque vous avez publié votre CURSUS PHILOSOPHIAE fiiOMISTICAE, Pie X de sainte mémoire y louait fortement jet la sincère doctrine de Saint Thomas, et la richesse et l’or­ be des matières et la limpidité de l’exposition. Nous n’igno­ rons pas que Notre Prédécesseur Immédiat vous félicitait d'avoir exposé en un style facile les mystères du salut en les gnieltant à la portée des fidèles et en faisant très à propos ■ urvir les sciences sacrées au progrès de la piété. Sachez que Nous aussi, Cher fils, Nous approuvons pleineJjnent vos traités en forme de commentaire sur les principales Ifuestions de la SOMME de SAINT THOMAS dans lesquels tous expliquez la théologie pour l’utilité des étudiants. Cela Nous agrée d’autant plus que vous avez déjà mis en J pratique les règles que Nous prescrivions Nous-mème dans Notre Lettre Apostolique au Cardinal Préfet de la Sacrée Congrégation des Séminaires et Universités. Vous y suives lïlïl comme Nous le recommandions, non seulement la méthode mais encore la doctrine et les principes de Saint Thomas; et en faisant une véritable part à la théologie dite positive, vous avez mis cette dernière au service de la scolastique, de telle sorte que celle-ci comme 11 convenait, occupât le premier rang. Votre ouvrage n’est donc pas une stérile recension des dogmes, c’est un vrai corps de doctrine, formé des principes et des conclusions. II Nous est agréable d’y louer encore la clarté du fond et de l’exposition et le soin que vous prenez de suggérer, à l’occa­ sion, les considérations opportunes qui peuvent exciter dans l’esprit du lecteur les flammes de la piété. Continuez donc vaillamment à exposer par la parole et par la ijjume selon l'esprit de Saint Thomas, les doctrines sacrées aux jeunes gens qui se destinent au sacerdoce, et afin que vous puissiez pendant longtemps et avec succès remplir ce e msslon, comme gage des bienfaits de la céleste sagesse e c témoignage de Notre Paternelle Charité. Nous v°us ’’ Cher Fils, très affectueusement dans le Seigneur la Bénédiction ipostollque. ' Donné à Rome, auprès de Saint Pierre. Je février ΜΌΜΧΧΠ1, de Notre pontificat U deuxième année. PJl XI, PAF·· Lettre de fi. E. le Cardinal BÏSLETÎ au H. P. Edouard Ilugan, pour recommander son cour» de théologie (i) Sac ree Congrégation des Séminaires et Universités Rome, le 5 Juillet 1922 TRES R8\ EREND PÈRE, i Le gracieux hommage que vous nvavez fait de vos traités dogmatiques m< fournit une nouvelle et agréable occasion de vous exprimer ma vive gratitude et de vous présenter mes plus sincères félicitations. Fils dévoué et fidèle du grand Patriarche qui, selon l’heu reuse expression du Dante, fut une splendeur de la lumlért des chérubins, vous employez toutes vos forces et tous les dons que le Seigneur vous a largement départis à la diffusion de la vérité, de cette vérité dont Jésus a dit : « La vérité vous rendra libres ■ (Jead, vin, 32). •Xl Après nous avoir donné un magnifique Cours de philosophé scolastique si hautement loué par le Souverain Pontife Ple X et si tort apprécié des savants, vous nous présentez maintenant quatre volumes de traités théologiques, qui sont un commen­ taire des principales questions dogmatiques contenues dans la Somme de l’Ange de l'Ecole. C’est un commentaire clair, profond, précis; et c’est aussi un complément, parce que vous avez uni harmonieusement la partie scolastique des questions avec la partie positive, que supposait saint Thomas mais que ne supposent pas nos étu­ diants, et vous avez réalisé cet accord d’après le critère indi­ qué par Pie X. lorsqu’il a dit : « Il faut donner à la théolo­ gie positive plus d’importance que par le passé, mais de telle manière que la scolastique n’en souffre aucun détriment » (Encycl. Pascendi]. on a de la sorte un tout parfait et les esprits de tous les temps trouvent pleine satisfaction à leurs légitimes exigences. En même temps que Je prie le Seigneur de vous ajouter d? nouvelles grâces et de nouvelles forces, pour que vous les employiez au bien des âmes, Je forme le vœu que vos livres concourent efficacement â la diffusion de la doctrine de l’An­ gélique Maître, doctrine que l'Eglise a faite sienne eî qui a servi et servira toujours à la défense de La vérité et à la destruction de l’erreur. ί est avec une particulière estime, mon très Révérend Père, que Je me dis une fois de plus votre dévoué serviteur. Préfet Gaétan, Card BISLETI, Au T. R. P. Edouard HUGON. O. P. Vice-Rugent du Collège Angélique, Rome. Tractatus dogmatici ad modum commentarii tn praedr quaestiones dogmaticae Summae Theologicae Divi Thomat .; * idU Quatre-Ruines LIBRARY · Pana Letnieli^ux.