TROISIÈME PARTIE LE SENS COMMUN ET L’INTELLIGENCE DES FORMULES DOGMATIQUES POSITION DU PROBLÈME Cette étude s’efforce de reprendre le problème de la valeur des formules dogmatiques, au point où l’ont laissé en 1907 les discussions provoquées par M. Le Roy et les modernistes. Les formules de la foi, nous dit-on, doivent être interprétées comme écrites en langage de sens commun, non dans la langue technique d’aucune philosophie ; « ce point, lisonsnous dans laTtevz/e du Clergé français-, paraît définitivement acquis après les savantes discussions du P. B. Allô et de M. Sertillanges ; et M. Lebreton l’admet sans réserve lorsqu’il écrit : « Nous sommes parvenus ensemble à cette conclusion que le dogme était indépendant des systèmes humains et que la formule positive qui l’énonce ne doit point s’interpréter comme écrite en langage philosophique, mais en langue vulgaire... Cette indépendance des systèmes humains est requise par les caractères les plus essentiels de la vérité dogmatique : elle est immuable et ne peut lier son sort à celui des philosophies humaines ; elle est universelle et ne peut être réservée à une école de penseurs ; elle est pénétrée plus profondément par ceux dont l’âme est plus pure, plus détachée du monde, plus unie au Christ, non par ceux dont l’esprit est plus pénétrant et plus cultivé2. » « En réalité, lisons-nous plus loin, les théologiens de nos jours, en accordant que la formule dogmatique, même exprimée en langage scientifique ou plilosophique, n 'a d’autre signilication que celle que le sens commun peut lui donner, nous avertissent par là qu’il faut ne pas trop presser le sens, technique ou scientifique, des termes employés et qu’il faut ne voir que le sens réel, accessible au vulgaire, qui seul demeure invariable-, » Nous avons déjà rapporté au début de cet ouvrage la réponse faite par M. Le Roy du point de vue bergsonien : « En d’autres termes, a-t-il dit, il faut entendre les formules de la foi au sens obvie et non pas au sens savant. Nous sommes d’accord sur tout cela, et certes ce n’est point chose négligeable. Mais tout cela, cependant, à certains égards, -voilà ce qu’il convient de remarquer, - constitue peut-être moins encore une solution que l’énoncé d’un problème. En effet, quelle est la portée précise du langage vulgaire ? A quel plan de pensée appartient-il ? En quoi et par où les affirmations du sens commun peuvent-elles être dites indépendantes de toute philosophie théorique ?... C’est là un problème fondamental dont la solution n’est pas si simple qu’on pourrait le croire au premier abord... Chacun sera naturellement porté à prendre pour fond primaire du sens commun celle de ses tendances théoriques avec laquelle sans effort il sympathise... Faudra-t-il donc remettre aux esprits non critiques, aux ignorants incapables de démêler les influences qu ’ils subissent, le soin de définir le « système » de sens commun »- ? Nous savons déjà comment, selon la doctrine bergsonienne, M. Le Roy s’est efforcé de définir le sens commun. Il lui est apparu, dit-il, « comme une organisation utilitaire de la pensée en vue de la vie pratique... Le langage propre du sens commun, peut-on dire, c’est le langage de la perception usuelle, donc un langage relatif à l’action, fait pour exprimer l’action, modelé sur l’action..., action qui implique la pensée bien évidemment, puisqu’il s’agit de l’action d’un être raisonnable, mais qui n’enveloppe ainsi qu’une pensée toute pratique elle-même. » Donc, « la réalité qui constitue l’objet de la foi nous est notifiée à titre de fait sous les espèces de la réaction vitale qui lui correspond en nous ; elle nous est définie par l’attitude et la conduite qu’elle exige de nous-, » Et il est assez malaisé de voir ce qui distingue cette conclusion de M. Le Roy de la vingt-sixième proposition condamnée par le décret Lamentabili du 3 juillet 1907 : « Dogmata fidei retinenda sunt tantummodo juxta sensum practicum, id est tanquam norma praeceptiva agendi, non vero tanquam norma credendi. » Le Saint-Office vise un pragmatisme existant, et non pas un pragmatisme chimérique qui ne ferait aucune part à l’intelligence dans ce « sensum practicum » règle d’action. Au début de la première partie de cet ouvrage, l’examen de cette théorie pragmatiste du sens commun nous a montré en elle une application assez peu nouvelle du nominalisme empirique le plus radical. Ce nominalisme, nous l’avons fait voir, réduit en fin de compte la connaissance intellectuelle à la connaissance sensible, et doit aboutir fatalement à la négation de la valeur ontologique des dogmes. Il nous dit : il faut se comporter à l’égard de Jésus comme à l’égard de Dieu, sans oser affirmer que Jésus est réellement Dieu : On voit ainsi quels problèmes nous restent à résoudre : La formule dogmatique, même exprimée en langage scientifique ou philosophique, n’a-telle d’autre signification que celle que le sens commun peut lui donner ? Montrons d’abord comment de fait la formule dogmatique, exprimée à l’origine en termes de sens commun, se précise souvent en termes philosophiques. Nous verrons en second lieu que, ainsi précisée, la formule dogmatique reste accessible, dans une mesure, au sens commun, si ce dernier est à l’état rudimentaire la philosophie de l’être, comme nous l’avons établi. Nous montrerons enfin, que cette formule ainsi précisée dépasse les limites strictes du sens commun, mais qu’elle reste dans son prolongement et n’inféode le dogme à aucun « système » proprement dit. Au préalable, il n’est pas inutile de prévenir une méprise. Certains nous reprocheront peut-être de nous être trop peu soucié dans la partie théologique de ce travail des besoins réels des âmes contemporaines, d’avoir été moins préoccupé de sauver ces âmes que de sauver la vérité révélée pour elles. On nous a déjà reproché de ne répondre que par une fin de non recevoir à l’objection tirée du principe moderne de l’autonomie de l’esprit. Pour savoir ce qu’est le dogme ce ne sont pas les besoins actuels des âmes qu’il faut étudier, c’est le dogme lui-même, et son étude nous permettra de découvrir et de susciter dans les âmes des aspirations autrement profondes et intéressantes que les besoins actuels dont on nous parle. Au milieu des complications qui l’encombrent, certain immanentisme paraît oublier parfois la première ligne du catéchisme qui résume tous nos devoirs : les âmes d’aujourd’hui comme celles d’autrefois sont créées et mises au monde pour connaître et aimer plus qu’elles-mêmes et par-dessus tout cette divine Vérité qui est l’objet de la foi avant d’être celui de la Vision, pour se subordonner à Elle et non pour la subordonner à leurs besoins réels ou factices. Nous devons « servir Dieu » et non pas nous servir de Dieu. - William James trouve aujourd’hui tout naturel d’écrire : « l’aséité de Dieu, sa nécessité, son immatérialité, sa simplicité, son individualité, son indétermination logique, son infinité, sa personnalité métaphysique, son rapport avec le mal qu’il permet sans le créer, sa suffisance, son amour de lui-même et son absolue félicité : franchement qu’importent tous ces attributs pour la vie de l’homme ? S’ils ne peuvent rien changer à notre conduite, qu’importe à la pensée religieuse qu’ils soient vrais ou faux- . » Sans aller si loin évidemment, M. Le Roy2 nous dit : si comme l’admettent communément la plupart des catholiques- les dogmes ont d’abord un sens intellectuel et ensuite seulement un sens pratique et moral, « le moindre reproche qu’on leur puisse faire est de sembler sans usage, d’être inutiles et inféconds, reproche bien grave à une époque où l’on aperçoit de plus en plus nettement que la valeur d’une vérité se mesure avant tout aux services qu’elle rend, aux résultats nouveaux qu’elle suggère, aux conséquences dont elle est grosse, bref à l’influence vivifiante qu’elle exerce sur le corps entier du savoir-, » Cette objection suppose que Dieu ne mérite pas d’être connu pour lui-même indépendamment des conséquences qu’on peut déduire de son existence, de sa nature, de son action. Elle suppose en outre que si la Vérité divine est révélée à nos intelligences, c’est bien plus pour être assimilée par elles que pour se les assimiler. C’est appliquer aux choses divines qui nous sont infiniment supérieures ce qui n’est vrai que des choses matérielles. C’est affirmer de ce qui est fin en soi et fin ultime ce qui n’est vrai que de moyens dont l’unique valeur est d’être utiles en vue d’autre chose. Infiniment au-dessus de l’utile, mais féconde comme une cause et une fin suprême, la Vérité première ne cesse de nous dire comme autrefois à saint Augustin : « Je suis le pain des forts, grandis et tu me mangeras. Et tu ne me changeras pas en toi, comme l’aliment de ta chair, mais c’est toi qui seras changé en moi »—. Dieu nous demande de grandir. Lorsqu’il se révèle à nous, Il cherche à nous diviniser en quelque sorte et non pas à s’anéantir en nous. Lorsqu’il se donne, Il ne se contente pas de pourvoir à nos besoins : assurer notre vie morale, satisfaire notre sentiment religieux, suggérer à notre intelligence des résultats nouveaux, nous aider à développer notre propre personnalité ; Il nous aime au delà de tout ce que nous pouvons concevoir et désirer, jusqu’à vouloir nous associer à sa vie intime, nous amener peu à peu à Le voir comme II se voit et à L’aimer, comme II s’aime. Son but n’est pas d’exercer une influence vivifiante sur le corps entier du savoir, ses vues sont infiniment plus hautes. Ne pas se placer à ce point de vue surnaturel de Dieu, s’arrêter aux besoins actuels de nombre d’âmes c’est vouloir ne rien comprendre au sens et à la portée de la Révélation. Si au contraire nous voulons chercher à connaître Dieu comme II le mérite, comme II l’ordonne, pour lui-même, alors cette connaissance nous apparaîtra féconde, non pas à la manière des moyens utiles mais à la manière d’une cause et d’une fin suprêmes. Les œuvres d’un saint Augustin et d’un saint Thomas nous disent assez à quel point le dogme peut être intellectuellement fécond. Il suffit de parcourir la Somme Théologique pour voir quelle influence il a exercée sur toutes les parties de la philosophie : sur la métaphysique générale par l’affirmation de la création et de la création dans le temps ; sur la théodicée par ce qu’il nous dit de la connaissance naturelle de Dieu et de tous les attributs divins ; sur la psychologie rationnelle par la doctrine de la création de l’âme, de sa spiritualité, sa liberté, son immortalité. Il suffit d’examiner le progrès de ces sciences d’Aristote à saint Thomas, sa principale cause est incontestablement le dogme révélé qui oriente et finalise les recherches. L’influence n’est pas moindre en morale : traités de la béatitude suprême, de la loi divine et naturelle, de la conscience, des actes humains, des vertus, du péché, de la grâce. - Les dogmes de la Trinité et de l’incarnation nous ont permis d’approfondir comme on ne l’aurait jamais pu faire la notion de personnalité, et celui de la transsubstantiation la notion de substance. - Cette influence du dogme sur le corps entier du savoir paraît même avoir été trop profonde, selon M. Le Roy, puisqu’il est si malaisé aujourd’hui de le séparer de la philosophie traditionnelle. - A qui la faute si la philosophie moderne se désintéresse de ces problèmes, si avec les notions de Création, de Providence, d’immortalité, elle perd tous les jours davantage, celles de fin ultime, d’obligation, de péché, de peine, de pénitence, de repentir, d’humilité, d’amour de Dieu ? Platon dans le Gorgias était infiniment en avance sur la philosophie de notre époque, et de Platon à la théologie catholique il y a un autre infini à parcourir. Cette théologie est méconnue comme le sens profond et surnaturel de l’Evangile ; des simples, des âmes contemplatives en vivent, mais les sages devenus trop prudents n’en vivent plus. « Je te rends grâce, ô Père, de ce que tu as caché ces choses aux prudents et aux sages, et de ce que tu les as révélées aux petits. Oui, Père, je te rends grâce de ce que tel a été ton bon plaisir. » Ces paroles de Jésus exprimaient son amour de Dieu, et se retournant vers les âmes, aussitôt il ajoutait : « Venez à moi, vous tous, qui êtes fatigués et chargés, et moi, je vous referai ». Math, XI, 25-28). Nous devions donc autant que possible étudier le dogme en lui-même et non pas en fonction des besoins actuels. Si d’ailleurs ces besoins devenaient la norme de nos affirmations, que resterait-il de la Vérité révélée ? On demande aujourd’hui à l’Eglise d’enlever à la parole de Dieu ce qu’elle a de trop intransigeant dans le ton sur lequel elle affirme, de trop sublime dans l’excès d’amour qu’elle exprime (les besoins de l’âme moderne ne vont pas si haut), de trop tragique dans les justices qu’elle annonce. On voudrait la rendre accessible à nombre d’âmes moins éprises de vérité que de liberté intellectuelle, de perfection surnaturelle que d’idéal humain, des droits de Dieu que de leurs propres droits. L’Eglise sera toujours d’une infinie charité à l’égard des faibles, elle n’oublie pas le mot de Notre-Seigneur à ses disciples : « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez pas les porter maintenant » (Jean XVI, 12). Elle recommande à ses ministres de n’aborder l’explication des plus profonds mystères que devant « ceux qui sont assez avancés dans la connaissance des Vérités saintes ; car, pour ceux qui sont encore faibles dans la foi, il serait à craindre qu’ils ne fussent accablés sous le poids d’une Vérité si haute—, » A cette école surnaturelle de la Charité les Boanerges comme saint Jean deviennent des doux et ne savent plus dire qu’une chose : « Aimezvous les uns les autres. » - Rien de plus vrai, mais cependant cet amour des âmes, par cela seul qu’il est essentiellement fondé sur l’amour de Dieu, ne peut jamais porter l’Eglise à commettre cette faute dont le monde ne peut toujours s’apercevoir et qui pourtant offense Dieu très gravement, elle consiste à diminuer sa Gloire, de façon plus ou moins consciente à subordonner ses idées aux nôtres, sa Volonté infiniment sainte à nos caprices d’un instant. Quant au principe d’autonomie, sous la forme absolue qu’on lui a donnée, nous ne pouvions, cela va sans dire, que l’écarter. - « S’il faut tenir, nous dit-on, pour second et dérivé le sens pratique et moral du dogme, et placer au premier plan son sens intellectuel — . ., un dogme quelconque apparaît comme un asservissement, comme une limite aux droits de la pensée, comme une menace de tyrannie intellectuelle, comme une entrave et une restriction imposée du dehors à la liberté de la recherche : toutes choses radicalement contraires à la vie même de l’esprit, à son besoin d’autonomie et de sincérité, à son principe générateur et fondamental qui est le principe d’immanence— » « Le premier principe de la méthode n’est-il pas sans conteste, depuis Descartes, qu’il ne faut tenir pour vrai que ce que l’on voit clairement être tel— ?» A l’objection ainsi formulée nous ne pouvions répondre que par une fin de non recevoir : A supposer que le sens premier du dogme soit intellectuel, le refus d’adhérer intellectuellement à un dogme ainsi révélé par Dieu constitue, pour tous les théologiens et tout catholique, non point la revendication légitime d’un droit mais le péché formel d’infidélité. Le premier devoir de toute pensée créée est de se soumettre à la Pensée première. « Cum homo a Deo tanquam Creatore et Domino suo totus dependeat et ratio creata increatae Veritati penitus subjecta sit, plenum revelanti Deo intellectus et voluntatis obsequium fide praestare tenemur... (credentes supematuraliter) non propter intrinsecam rerum veritatem..., sed propter auctoritatem ipsius Dei revelantis... » - « Si quis dixerit rationem humanam ita independentem esse, ut fides ei a Deo imperari non possit : an. s. » (Concile du Vatican, Denzinger, 10° éd., 1789 et 1810.) Le principe d’autonomie sous cette forme radicale a été étudié par les théologiens à propos de sa réalisation exemplaire : le péché de l’ange « L’ange (déchu) a voulu d’une façon perverse imiter de Dieu, en désirant comme fin ultime ou béatitude, ce qu 'il pouvait atteindre par les seulesforces de sa nature, et en se détournant de la béatitude surnaturelle, qu’il ne pouvait obtenir que par \& grâce de Dieu.— » - Ce que l’âme moderne ne sait plus assez, ce qu’elle est gravement coupable de ne plus savoir, c’est que Dieu est Dieu et que nous par nous-mêmes ne sommes que néant. Comme par le passé, Dieu reste toujours Celui qui est et nous ceux qui sans Lui ne sommes rien. Si dans la revendication de nos droits, nous oublions la Gloire de Dieu, Il ne cesse pas d’y penser et de vouloir la faire nôtre en nous assimilant à Lui. Parce qu’il nous veut à Lui à sa manière et non pas à la nôtre, il veille sur sa Parole sacrée, l’Eglise ne peut pas en voiler le ton, elle ne peut y changer un iota, « le ciel et la terre passeront, mais cette parole ne passera pas— », « folie pour ceux qui se perdent, force divine pour ceux qui se sauvent— ». - Pour la même raison, Dieu veille sur sa science, la théologie, lui interdit d’être trop humaine, lui défend à l’égard des idées en vogue certain respect qui ne serait au sens scripturaire du mot que « stultitia » ou respect humain. Il la ramène toujours à ses principes dont Lui seul a naturellement l’évidence et dont l’intuition fera notre vie de l’éternité. Devant les altérations du dogme le théologien d’aujourd’hui doit conserver l’absolue franchise des Pères et des anciens théologiens ; dans l’ardeur avec laquelle on proclame le principe d’autonomie il est obligé de voir ce qui s’appelle, de son vrai nom, non pas toujours l’orgueil intellectuel mais la peur du surnaturel. Nous avons peur de ne plus nous appartenir si Dieu devient tout à fait le maître chez nous. Nous ne parvenons pas à comprendre que nous ne serons vraiment délivrés que dans la mesure où Dieu sera en nous et y régnera. Seul le saint qui abdique toute autonomie à l’égard de Dieu est pleinement libre. De même que la grâce intrinsèquement efficace loin de nous violenter nous fait libres, au sens où l’entend saint Thomas (I q. 83, a. 1, ad3) ainsi la Révélation dans l’intellect spéculatif lui-même dissipe les obscurités et les doutes, si nous voulons la recevoir non pas à demi, mais toute, avec cette passion ardente de la Vérité qui nous arrache à nous-mêmes pour nous perdre en Dieu. Alors seulement nous saisissons les rapports multiples des choses et nous pouvons, sans leur faire violence, unir entre elles les vérités. - La contre-partie le fait mieux entendre : « L’homme séparé de la Vérité, parce qu’il a peur d’elle, compose une parodie satanique de l’unité - n’ayant pas voulu unir ce qui est uni, concilier ce qui est conciliable, il tâche d’unir ce qui est nécessèrement et éternellement contradictoire..., il tombe insensiblement dans cette indifférence glacée, placide et tolérante, qui ne s’indigne de rien, parce qu’elle n’aime rien, et qui se croit douce parce qu’elle est morte. Devenu neutre entre la vérité et l’erreur, il croit qu’il les domine toutes les deux—, » C’est à l’antipode de la liberté intellectuelle des saints, des grands contemplatifs, l’absolue autonomie qui prépare, comme celle de l’enfant prodigue, les pires servitudes et les dernières déchéances ; elle a pour formule suprême : « La Vérité immuable n’est pas, elle serait contraire à la liberté de l’esprit. Rien n’est, tout devient, et dans le devenir s’identifient les contradictoires, l’être et le non-être, le bien et le mal—, » Cette philosophie sage, cette tolérance douce, reproduisent à leur manière le calme de la charité ; elles sympathisent avec toutes les religions— ; mais lorsque le Christ vient dire - « Je suis venu dans le monde, pour rendre témoignage à la Vérité \ quiconque est de la vérité écoute ma voix », elles ne trouvent, comme Pilate, qu’un mot à répondre : « Qu 'est-ce que la vérité ? » (JOAN., XVIN, 38.) Arrivé là, l’homme ne sait plus même le sens du verbe impliqué dans tout jugement « est est, non non » (MATTH., V, 37), il ne voit plus en quoi s’opposent l’affirmation et la négation. « Il est écrit, dit saint Paul : le Seigneur connaît les pensées des sages, il sait qu’elles sont vaines. Il les prendra dans leurs propres ruses. » (I. Cor., IN, 19.) - Sans nier toujours le caractère absolu de la Vérité, certains nous disent : « L’important n’est plus de savoir si Dieu est, mais si l’examen du problème de Dieu est vraiment libre ; pour cela, il faut être aussi sincèrement disposé à se passer de Dieu s’il ne se rencontre pas, qu’à l’accepter s’il se rencontre. » Il en doit être de même évidemment pour l’examen de l’existence du devoir. Nous savons ce qu’est en réalité cette indépendance : « Qui n 'est pas avec moi, est contre moi. » (MATTH, XII, 30.) - Sans aller si loin, il nous arrive de préférer la recherche de la vérité à la vérité elle-même. Comme le remarque Pascal, « on aime à voir, dans les disputes, le combat des opinions ; mais de contempler la vérité trouvée, point du tout... (comme ceux) qui passent tout le jour à courir un lièvre qu’ils ne voudraient pas avoir acheté — ». Cette frivolité nous fait dire parfois que la Vérité divine est inutile et sans intérêt, si Dieu nous la donne « toute faite », nous voudrions la trouver nous-mêmes. C’est particulièrement le vice du subjectivisme, radicalement incapable de s’élever à l’objectivité de la charité, à l’amour de Dieu pour lui-même et non pas pour nous. Telle est la raison de notre fin de non recevoir, on trouvera peut-être qu’elle n’est pas scientifique au sens moderne du mot, elle est réelle et théologique, et cela suffit. Pour la partie de l’objection qui mérite considération nous y avons, croyons-nous, amplement répondu. L’autonomie de l’esprit dans la mesure où elle est légitime est même autrement sauvegardée dans la philosophie traditionnelle que dans le pragmatisme qu’on nous proposait. Ce qui est absolument contraire à l’autonomie de l’esprit c’est dans Tordre naturel de faire dépendre ses affirmations les plus essentielles des commodités de la vie pratique, et non de l’évidence objective de la vérité. Nous allons même sur ce point plus loin que Descartes qui se contentait de l’évidence subjective. Pour qu’il soit vraiment autonome il faut à l’esprit l’évidence objective, ou l’être évident. Alors seulement il peut affirmer en pleine connaissance de cause, car il n’affirme que ce qu’il perçoit dans l’être même. - S’il en est ainsi, Dieu, pour se révéler à nous, s’est surtout servi des notions premières de notre intelligence spéculative spontanée, il a réuni ces notions en une proposition non évidente. Il nous a demandé d’y croire surnaturellement parce qu’elle venait de Lui, et nous a donné la grâce à cet effet. Dans la suite cette foi surnaturelle s’est explicitée conformément aux lois de l’autonomie de l’esprit par la précision des notions premières, précision dirigée par Dieu et sanctionnée par Lui qui est tout à la fois son œuvre et la nôtre. Ainsi seulement la parole de Dieu conserve sa portée objective, toute autre explication, nous allons le voir, l’appauvrit et la dénature. Ce n’est pas en appauvrissant la parole de Dieu qu’on sauvent les âmes ; qu’on le veuille ou non, on ne fera ainsi que les affadir et les perdre. « Quod si sal evanuerit, in quo salietur ? Ad nihilum valet ultra, nisi ut mittaturforas et conculcetur ab hominibus. » CHAPITRE PREMIER COMMENT LES FORMULES DOGMATIQUES SE SONT PRÉCISÉES EN TERMES PINLOSOPHIQUES 1- La précision progressive des formules dogmatiques. Il reste donc à examiner s’il est vrai de dire que les formules dogmatiques, alors même qu’elles sont exprimées en langage philosophique, doivent être interprétées comme écrites en langage vulgaire. Nous ne ferons pas de difficulté à admettre que la foi peut s’exprimer en termes de sens commun (la formule de foi des premiers fidèles ne contenait aucun terme technique) : si les notions de sens commun, définitions nominales, (ce à quoi tout le monde pense quand on prononce tel mot), contiennent confusément une définition réelle vraie, quid rei, elles peuvent traduire analogiquement la réalité divine. Mais précisément pour cette raison, tout système philosophique qui rompt avec le sens commun, comme le phénoménisme ou la philosophie du devenir, tout système qui refuse une portée ontologique aux notions premières d’être, de substance, de chose, etc..., ne pourra servir à préciser la fomule dogmatique primitive, à formuler ou à penser philosophiquement le dogme. - Et si, pour une raison ou pour une autre, la formule primitive de sens commun a besoin d’être précisée, ce ne saurait être que par un recours à cette philosophie de l’être que M. Bergson appelle « la métaphysique naturelle de l’intelligence humaine », et qui n’est, en réalité, que le prolongement naturel de l’intelligence spontanée. Pourquoi ne serait-ce pas là la métaphysique des Conciles ? Ce problème revient à celui de l’évolution du dogme après la mort du Christ et des Apôtres. Tous les théologiens catholiques définissent cette évolution en disant qu’elle n’est pas dans la réalité connue, ni dans la révélation qui nous en est faite par Dieu, mais dans la connaissance que nous en avons ; et le progrès de notre connaissance consiste, disent-ils, dans un passage de l’implicite à l’explicite. Les théologiens catholiques ne disent pas : passage de la puissance à l’acte, ni même du virtuel à l’actuel, mais de l’actuel implicite à l’actuel explicite. La foi de l’Eglise primitive n’avait pas une extension moindre que la nôtre, nous ne connaissons pas plus de choses, mais les mêmes choses d’une façon plus précise. On a donné diverses analogies de ce progrès : celle du germe qui fait plutôt penser à un passage de la puissance à l’acte ; celle du ferment moins grossière à certains égards. Des analogies prises de Tordre de la connaissance conviendraient davantage. On pourrait donner comme exemple la même philosophie préparée par Socrate, développée par Platon, systématisée par Aristote, reprise plus tard par saint Thomas. Mais c’est là encore une analogie insuffisante, il y a là passage du virtuel à l’actuel, comme il arrive dans le développement non plus du dogme, mais de la théologie ; la théologie déduit des conclusion nouvelles, qui n’étaient que virtuellement contenues dans les articles de foi. La véritable analogie du développement du dogme est le progrès que nous avons constaté dans la connaissance des premiers principes rationnels ou encore dans la connaissance des notions de liberté, de spiritualité... Tout le monde possède les premiers principes, ils sont comme la structure même de la raison, mais le vulgaire ne saurait les formuler ; il a fallu l’effort des philosophes pour trouver cette formule précise, pour déterminer les rapports de dépendance de ces différents principes à l’égard du principe suprême, le principe d’identité. Il y a un réel progrès depuis la simple adhésion du sens commun au IVeme livre des Métaphysiques consacré par Aristote au principe de contradiction ; mais ce progrès réel n’est qu’un passage de l’actuel implicite à l’actuel explicite. Ce sont les mêmes principes explicités. - De même, tout homme a conscience de son libre arbitre, il se sent maître de ses actes, maître d’agir ou de ne pas agir. Il a une idée non pas obscure mais claire de la liberté, en ce sens qu’elle suffit pour lui faire reconnaître ce qui est libre et ce qui ne l’est pas. Mais cette idée claire reste cependant confuse en elle-même, elle ne sera distincte que lorsque la raison philosophique en déterminera la compréhension et la définira en la rattachant à l’être. La maîtrise de soi, que tout le monde affirme, deviendra alors de l’indifférence domitratrice de la volonté à l’égard du bien partiel, indifférence fondée sur la connaissance du bien universel et de l’hiatus infini qui le sépare d’un bien limité. C’est ainsi que nous devons concevoir l’évolution dogmatique au moins pour les dogmes fondamentaux qui, comme la Trinité et l’incarnation, ont été, dès les premiers temps, objet de/oz explicite et exprimés en termes de sens commun. L’explicitation de leur formule déjà claire n’a été qu’un passage du confus au distinct—. Dès lors, il est à penser que cette précision est faite par un recours naturel à cette philosophie de l’être qui est le prolongement naturel du sens commun. De ce point de vue, pourquoi les termes de certaines propositions définies sur la distinction réelle des personnes divines ou sur l’union hypostatique devraient-ils se tenir dans les strictes limites où se meut l’intelligence spontanée ? Au reste, qui fixera exactement ces limites, qui dira où finit exactement le sens commun et où commence cette « métaphysique naturelle » qui en est le prolongement et la justification ? Si l’on veut se faire une idée exacte de la nature du progrès du dogme, on peut comparer la formule primitive des dogmes de la Trinité et de l’incarnation aux formules subséquentes destinées à en éclaircir le sens et à le développer en face des altérations de l’hérésie. La définition du Concile de Vienne sur l’âme, forme du corps, et celle de Trente sur la transsubstantiation nous donneront aussi quelque lumière. 2. - Les formules dogmatiques de la Trinité. La confession de foi en la Trinité dans sa simplicité primitive est ainsi conçue : « Credo in unum Deum Patrem omnipotentem, et in Jesum Christum Filium ejus unicum Dominum nostrum, et in Spiritum Sanctum. » C’était le noyau du symbole qu’on exigeait dans la réception du baptême et la simple reproduction de la formule baptismale donnée par Notre-Seigneur Jésus-Christ à ses apôtres. Les hérésies des trois premiers siècles se sont écartées du vrai sens de cette formule. Elles ont pris trois directions : - Les uns, insistant trop exclusivement sur l’unité de Dieu, niaient la distinction réelle entre le Père, le Fils et le Saint-Esprit ; ce fut l’hérésie de Sabellius. - D’autres insistaient, au contraire, sur la distinction du Père, du Fils et du Saint-Esprit au point de faire du Fils et du SaintEsprit des êtres inférieurs au vrai Dieu ; ce fut l’hérésie d’Arius et celle de Macédonius. D’autres, enfin, venus plus tard, les trithéistes, maintenaient la distinction et l’égalité du Père, du Fils et du Saint-Esprit, mais en y voyant trois dieux. - Le Concile de Nicée précisa le dogme contre les ariens, non pas seulement d’une façon négative, par un anathème, mais d’une façon positive, en agrandissant le symbole apostolique par le développement de l’idée de filiation ou de génération. Le symbole de Nicée est ainsi conçu : « Et in unum Dominum, Jesum Christum Filium Dei, qui ex Patre unigenitus generatus, hoc est ex substantia Patris, Deum ex Deo, lumen ex lumine, Deum verum ex Deo vero, genitum, non factum, consubstantialem (ομονσιον) Patri, per quem omnia facta sunt, et quae in coelo et quae in terra. » Vient ensuite l’anathème qui rejette la différence de substance et l’origine temporelle du Fils. - Le Ier Concile de Constantinople précisa le dogme contre les macédoniens relativement au Saint-Esprit. - La doctrine avait déjà été fixée contre les trithéistes par la lettre dogmatique du pape Denis et par les anathèmes du pape Damase. Le 11° Concile de Constantinople (553), dans son premier canon, exclut les trois hérésies précédentes : « Si quis non confitetur Patris et Filii, et Spiritus Sancti unam naturam sive substantiam, et unam virtutem et potestatem, et trinitatem consubstantialem, unam deitatem in tribus subsistentis sive personis adorandam, talis anathema sit. » (Denzinger, 10° édi., 213.) Il est à remarquer que cet anathème ne détermine pas seulement le sens négatif du dogme par exclusion des hérésies ; il détermine ce qu’il faut positivement croire. La formule dogmatique comporte désormais les noms abstraits de nature ou substance (μιανφυσιν ήτοι ουσίαν) et les noms concrets trois subsistences ou personnes (εν τρισιν υποστασεοιν ηγουν πρόσωποισ). Le symbole dit de saint Athanase (probablement du V° siècle) résume toute la doctrine de la Trinité en enseignant qu’il ne faut ni confondre les personnes neque confundentes personas, ni séparer la substance, neque substantiam separantes. Les attributs de l’essence conviennent à chaque personne, mais ne doivent pas plus être multipliés que la substance même. - Dans l’ère patristique le symbole le plus complet du dogme de la Trinité est celui du XIeme concile célébré à Tolède en 675. « Il reflète, dit Scheeben—, toute la partie technique du dogme tel qu’il s’est développé dans la lutte contre les hérésies. » Nous n’avons plus seulement ici les noms abstraits de « nature » ou « substance » et les noms concrets de « personne » ou « subsistence » ; mais ce qui distingue les personnes les unes des autres ce sont des relations—. Il est de foi qu’il y a en Dieu des relations réelles. Le symbole de Tolède dit expressément : « In relativis vero personarum nominibus Pater ad Filium, Filius ad Patrem, Sanctus Spiritus ad utrosque refertur ; quae cum relative tres personae dicantur, una tamen natura vel substantia creditur. Nec sicut tres personas, ita tres substantias praedicamus, sed unam substantiam, tres autem personas. Quod enim Pater est, non ad se, sed ad Filium est ; et quod Filius est, non ad se, sed ad Patrem ; est similiter et Spiritus Sanctus non ad se, sed ad Patrem et Filium relative refertur : in eo quod Spiritus Patris et Filii praedicatur. Item cum dicimus « Deus », non ad aliquid dicitur, sicut Pater ad Filium, vel Filius ad Patrem, vel Spiritus Sanctus ad Patrem et Filium, sed ad se specialiter dicitur Deus... In relatione enim personarum numerus cernitur ; in divinitatis vero substantia, quid numeratum non comprehenditur. Ergo in hoc solum numero insinuant, quod ad invincem sunt ; et in hoc numero carent, quod ad se sunt. » (Denzinger, 278-280). Cette doctrine qui sera reproduite par le Concile de Florence est incontestablement l’ expression d’un point de foi défini. - Dans la suite, le IV° Concile de Latran apporte encore une nouvelle précision. Dans sa définition contra abbatem Joachim, jointe à son symbole, il affirme l’identité réelle de la substance divine avec chacune des personnes, ce qui exclut une division de la substance dans les diverses personnes : « Quaelibet trium personarum est illa res, videlicet substantia, essentia seu natura divina... et illa res non est generans, neque genita, nec procedens, sed est Pater, qui generat, et Filius qui gignitur, et Spiritus Sanctus qui procedit : ut distinctiones sint in personis ; et unitas in natura. » (Denz., 432 ) - Enfin, le Filioque est défini aux Conciles de Lyon et de Florence ; et le Décret pour les Jacobites donne un exposé général de toute la doctrine de la Trinité, qui peut être considéré comme la dernière expression du progrès dogmatique : 1° il précise la distinction réelle et indestructible des personnes en se fondant sur leur origine ; 2° leur unité absolue, excepté en ce qui regarde les relations (Hae très personae sunt unus Deus et non tres Dii, quia trium est una substantia, una natura, una divinitas, una immensitas, una aeternitas, omniaque sunt, ubi non obviat relationis oppositio) ; de cette unité découle la circuminsession des personnes et leur égalité ; 3° les trois personnes sont un seul Dieu et un seul principe de toutes choses. Ce Décret (Denz., 703) est une définition solennelle, comme l’indiquent les premiers mots. « Sacrosancta romana Ecclesia... firmiter credit profitetur et praedicat, etc... » La formule dogmatique développée comporte donc désormais les concepts de nature, de subsistence, de relation. Dans l’époque moderne, il n’y a guère à citer que les déclarations de l’Eglise contre Günther. Günther reconnaissa it l’origine divine du Christianisme et l’infaillibilité de l’Eglise ; mais, selon lui, « tant que le progrès de l’esprit humain n’avait point permis d’arriver à la pleine intelligence du Christianisme, cette infaillibilité n’avait pu servir qu’à faire le meilleur choix possible, parmi les interprétations régnantes. Les interprétations proposées infailliblement par l’Eglise avaient donc été celles qui s’harmonisaient le mieux avec la civilisation et les besoins de l’époque. Toutes les définitions des Conciles contenaient ainsi un peu de vérité ; mais à mesure que l’exigeait la marche du progrès, elles devaient être remplacées par d’autres plus proches de la vérité absolue et plus conformes à la raison25 ». Moderniste avant la lettre, Günther tenait pour périmée la philosophie des Pères et des théologiens. Ils n’ont pas su établir, disait-il, la théorie de la connaissance qui doit chercher ses bases dans la conscience du moi. C’est Descartes qui a ouvert la véritable voie. De ce point de vue moderne, la personnalité ne peut consister que dans la conscience du moi. Dès lors, une modification dans la conception du dogme s’impose. Si Dieu a conscience de lui-même par son essence, il n’y a en lui qu’une seule personne. Si Dieu se connaît, c’est donc, selon Günther, par les trois personnes qui sont en lui ; c’est en s’opposant lui-même comme sujet, à lui-même comme objet, et en affirmant en même temps l’égalité de ce sujet et de cet objet. Ainsi s’expliquerait le mystère de la sainte Trinité. Le sujet ayant conscience de lui-même serait la première personne. L’objet ayant conscience de lui-même serait la seconde personne. Enfin, la conscience de Légalité de ce sujet et de cet objet constituerait la troisième personne. L’acte de conscience de soi ou l’intellection est ainsi triplé, pour qu’il y ait trois personnes, mais par là la nature divine elle même est triplée, car elle s’identifie avec l’intellection. Il n’y a plus ainsi, selon Günther, une unité numérique de nature et d’intellection pour les trois personnes divines, mais seulement une unité formelle dynamique ; la nature divine est triplée. « Deus se in seipso ut substantiam realem opponit, seu per emationem duplicat— . » S’agit-il d’expliquer la préface de la Sainte Trinité « non in unius singularitate personae, sed in unius Trinitate substantiae », Günther a recours à cette exégèse : « Vox unius secundo loco non eodem sensu accipienda est sicut priori loco, sed euphoniae causa dicitur unius substantiae pro ejusdem substantiae, nam hic de ternaria seu triplicata substantia sermo est—. » C’est au sujet de cette erreur que Pie IX écrivit dans sa lettre du 15 Juin 1857 à l’archevêque de Cologne : « Noscimus in iisdem libris (Güntherianis) non pauca legi, quae a catholica fide sinceraque explicatione de unitate divinae substantiae in tribus distinctis sempitemisque Personis non minimum aberrant. » (Denz., 1655.) - C’est aussi contre ce néo-trithéisme qu’ont été formulés les trois canons qui se trouvent dans le schema du Concile du Vatican sur le dogme de la Trinité—, § 3. - Lesformules dogmatiques du mystère du 1'Incarnation. On peut suivre un progrès analogue et parallèle en comparant les formules successives du dogme de l’incarnation. - La formule dogmatique primitive relative à la personne du Sauveur est la suivante dans le symbole apostolique reçu en Occident : « Credo... in Jesum Christum Filium ejus (Patris) unicum, Dominum nostrum, qui natus est de Spiritu Sancto et Maria Virgine » ; dans la forme occidentale postérieure, on lit : « Qui conceptus est de Spiritu Sancto, natus ex Maria Virgine. » -Quatre hérésies successives s’écartèrent du vrai sens de cette formule. Arius dit : « L’unité de Dieu nous oblige à admettre que le Logos est créé ; ce Logos préexistant n’a pu prendre dans le sein de Marie et élever à lui une nature humaine complète, mais seulement un corps humain ; il paraît absurde de songer a unir en une seule personne deux esprits crées. » Saint Athanase répond : « Nous n’eussions pas été rachetés, divinisés, si le Logos qui est devenu chair n’avait pas été dans sa nature le vrai Logos de Dieu. » Et le Concile de Nicée agrandit alors le symbole et après y avoir affrimé que le Fils est consubstantiel au Père, il ajoute : « Qui propter nostram salutem descendit, incarnatus est et homo factus est. » - Apollinaire, qui prit part aux luttes contre les ariens, ne voulut reconnaître rien de créé dans la nature spirituelle du Christ : « Si le Christ, disait-il, avait eu une âme raisonnable comme la nôtre, il n’aurait pas été impeccable et ses mérites n’auraient pas eu une valeur suffisante pour nous racheter. Au reste, ajoutait-il, le Logos divin et une âme raisonnable ne peuvent former un être unique » ; restait donc à affirmer qu’en Jésus le Logos divin remplaçait l’âme raisonnable. Le sens du symbole de Nicée fut alors parfaitement expliqué dans un long symbole reproduit par l’Ancorat de saint Epiphane et répandu en Orient vers 374 : « Credimus in Filium Dei... qui... et homo factus est, hoc est assumpsit perfectum hominem (hoc est), animam et corpus et mentem et omne quidquid est homo, excepto peccato, non ex semine viri, nec ita ut in homine dumtaxat inesset, sed in seipsum effectam illam carnem transtulit, et in unam ac sanctam singularitatem conjunxit... homo perfectus esse voluit. » (Denzinger, n° 13.) - Nestorius, par réaction contre Apollinaire, ne se contenta pas de soutenir l’intégrité de la nature humaine du Christ, il en fit même une personne particulière à côté de celle du Logos. « Si le Christ, disait-il, est né de Marie, c’est qu’il n’est pas de nature divine ; le Logos-Dieu n’a pu naître d’une femme, il habite seulement en celui qui est né de Marie. » L’Incarnation n’était plus qu’une simple union morale de Dieu et de l’homme Jésus. Le Concile d’Ephèse approuva les douze anathématismes de saint Cyrille d’Alexandrie contre Nestorius. Le second de ces anathématismes est ainsi conçu : « Si quis non confitetur, carni secundum subsistentiam ( καθ’ υποστασιν) unitum Dei Patris Verbum, unumque esse Christum cum propria came, eumdem scilicet Deum simul et hominem, A. S. » Remarquons encore que cet anathématisme ne constitue pas seulement le sens négatif du dogme en excluant l’erreur de Nestorius ; il en détermine le sens positif. Il faut croire (« si quis non confitetur... ») positivement désormais à l’union hypostatique des deux natures. - Eutychès, adversaire de Nestorius, se donna comme défenseur de la théologie de saint Cyrille et insista tellement sur l’union (ενωσιξ καθ’ υποστασιν) qu’il en vint à perdre de vue la dualité des natures divine et humaine ; il n’y avait selon lui après l’union qu’une seule nature divino-humaine. Le Concile de Chalcédoine définit alors la distinction des deux natures et précisa l’unité de personne ou hypostatique : « Unum eumdemque Christum Filium Dominum unigenitum, in duabus naturis inconfuse. . . , salva proprietate utriusque naturae et in unam personam atque subsistentiam concurrente, non in duas personas partitum aut divisum... » - Le quatrième canon du Concile de Constantinople (653) reproduit ces expressions. - Le Concile de Latran (649) condamne le monothélites en définissant qu’il y a dans le Christ deux volontés comme il y a deux natures. -Désormais, le progrès dogmatique peut être considéré comme achevé. Le symbole dit de saint Athanase éclaire l’union hypostatique par l’analogie très éloignée de l’union de l’âme et du corps.- Le symbole de Tolède (675) détermine plus exactement les rapports du Christ à la Trinité. Le Concile de Florence, dans son Décret pour les Jacobites, résume toutes les définitions précédentes avec un coup d’œil rétrospectif sur les principales hérésies. Dans l’époque moderne, au XIX° siècle, Günther estime que la doctrine du Concile d’Ephèse contre Nestorius répond à une philosophie désormais ruinée sous les coups du criticisme kantien. La philosophie moderne qui fait consister la personnalité dans la conscience du moi nous oblige aujourd’hui, selon Günther, à reconnaître dans le Christ deux personnes comme il y a en lui deux consciences, l’une divine et l’autre humaine, mais deux personnes très intimement unies. Il n’y a pas unité de personne, mais union dynamique des personnes ; le Christ comme homme a conscience d’être subordonné au Verbe et de lui appartenir, et le Verbe a conscience d’agir en Jésus. - Cette doctrine de Günther fut regardée par les théologiens comme un retour au nestorianisme ; Pie IX déclara qu’elle n’était pas moins fausse que sa doctrine sur la Trinité : « In compertis pariter habemus, neque meliora, neque accuratiora esse, quae traduntur de unitate divinae Verbi personae in duabus naturis divina et humana. » (Denzinger, 1655.) On trouve aussi dans les schemata du Concile du Vatican trois canons contre cette erreur —. §4. La définition du Concile de Vienne sur l’âme forme du corps. Citons enfin une dernière définition que Günther crut inconciliable avec la philosophie moderne, la définition du Concile de Vienne sur l’âme raisonnable forme du corps : « Definientes, ut cunctis nota sit fidei sincerae veritas ac praecludatur universis erroribus aditus, ne subintrent, quod quisquis deinceps asserere, defendere seu tenere pertinaciter praesumpserit, quod anima rationalis seu intellectiva non sit forma corporis humani per se el essentialiter, tanquam haereticus sit concendus. » (Denzinger, 481.) Le IV° Concile de Constantinople (869) avait déjà défini que l’homme n’a d’autre âme que son âme raisonnable et condamné les apollinaristes qui distinguaient dans l’homme le corps, l’âme animale, et l’âme raisonnable. Cet enseignement sur l’unité de l’âme de l’homme n’était qu’un corollaire des principes relatifs à l’incarnation proclamés par le Concile d’Ephèse et le second Concile de Constantinople, d’après lesquels le Verbe avait pris une chair animée par une âme raisonnable. Aussi Pie IX déclara-t-il contre Günther et Baltzer que la doctrine qui fait de / ’âme raisonnable le principe de notre vie corporelle « ne peut être niée sans erreur dans la foi ». (Denzinger, 1655, note 1.) - « Cette vérité, dit M. Vacant, a été niée par deux catégories d’adversaires : ceux qui estiment qu’il y a plusieurs âmes dans l’homme (gnostiques, manichéens, Apollinaire, Günther) et ceux qui expliquent la vie végétative ou sensitive de l’homme autrement que par l’âme raisonnable (les mécanistes, Malebranche, Leibnitz)— » - Mais le Concile de Vienne ne se contente pas de dire que l’âme raisonnable est principe de notre vie corporelle ; il affirme, en outre, que « l’âme est per se et essentiali1er forme du corps humain ». Et dans le passage qui précède immédiatement celui que nous venons de citer, il dit même : « substantia animae rationalis vere ac per se humani corporis forma ». Le V° Concile de Latran répète la même formule (Denzinger, 738) « vere per se et essentialiter humani corporis forma » et Pie IX la précise encore, s’il est possible, en la qualifiant de doctrine catholique « vera, per se atque immediata corporis forma ». (Denzinger, 1655.) On a beaucoup discuté, il y a une quarantaine d’années, sur le sens exact du motforme dans cette définition du Coticile de Vienne. Liberatore, dans son livre Du composé humain 1865 (p. 306), dit : « L’Eglise, dans ses décrets, ne définit point le sens vague d’un mot pour laisser à chacun la liberté d’y attacher le sens qu’il lui plaira. Elle ne tombe pas dans ce ridicule, et le lui prêter ne serait-ce pas outrager la maîtresse suprême de vérité ? L’Eglise définit les choses par des termes et elle emploie les termes dans le sens communément reçu parmi ceux à qui elle parle. Par conséquent, quand il s’agit de termes scientifiques, l’Eglise les emploie dans le sens admis par les docteurs contemporains, et elle veut que la chose définie en ce sens reste immuable. » - Zigliara, en 1878, publia son De mente Concilii Viennensis. Comme Liberatore, il concluait (n° 136) : « Patres Concilii Viennensis vocabulum forma usurparunt in sensu stricte scholastico11. » Il ajoutait cependant que le Concile a pris le mot forme en un sens commun à saint Thomas et à Scot. (Saint Thomas soutient que l’âme raisonnable donne au corps humain non seulement d’être un corps humain et vivant, mais encore d’être un corps et une substance déterminée, et regarde l’âme raisonnable comme la seule forme du corps. - Scot, au contraire, admet une forme subordonnée, dite forme de corporéitél) - Le P. Palmieri— soutint que la définition étant conciliable avec le thomisme et le scotisme pouvait l’être encore avec un certain atomisme qui fait de l’âme raisonnable le principe de la vie corporelle. « Le Concile de Vienne, disait Palmieri, a entendu définir le fait que c’est l’âme raisonnable qui donne la vie au corps et non pas la manière dont l’âme donne la vie au corps ; il a indiqué la manièrecommunément admise au commencement du XIV° siècle (par information), mais ce n’est pas ce qu’il avait principalement en vue. » L’Eglise respecta les ouvrages nombreux où le sentiment du P. Palmieri était exposé. Ces ouvrages n’ont point été mis à l’index, et une lettre que Pie IX fit écrire le 5 Juin 1877 au recteur de TUniversité de Lille dit même que « les écoles catholiques peuvent suivre sur ce point des sentiments différents, et que l’autorité suprême de l’Eglise n’a jamais porté de jugement qui favorisât l’un de ces sentiments en excluant l’autre ». ( « Quoniam suprema Ecclesiae auctoritas nunquam pro altera judicium tulit, quod alteram excluderet—. ») L’Eglise, dit cette même lettre, impose seulement de reconnaître le principe théologique de « l’unité substantielle de la nature humaine, qui est composée de deux substances partielles, le corps et l’âme raisonnable », et elle a toujours condamné les auteurs qui soutenaient, comme Ta fait Günther, qu’il y a dans l’homme un autre principe de vie que l’âme raisonnable. Ces trois exemples de formules dogmatiques suffisent. La formule développée du dogme de la sainte Trinité comporte les concepts de nature ou essence ou substance, de personne ou subsistence— et de relation (chaque personne divine est une relation subsistante). - La formule développée du dogme de l’incarnation comporte aussi les concepts de nature ou essence ou substance, de personne ou subsistence, d’union hypostatique ou union des deux natures dans une seule et même personne ou subsistence. - La définition du Concile de Vienne sur l’âme raisonnable affirme enfin, à tout le moins, que l’âme raisonnable est principe de la vie du corps humain. La notion de substance, pour ce qui est de la substance corporelle, sera précisée encore par les définitions des Conciles de Florence et de Trente sur la transsubstantiation. « Si quis dixerit in sacrosancto Eucharistiae sacramento remanere substantiam panis et vini una cum Corpore et Sanguine Domini nostri Jesu Christi, negaveritque mirabilem illam et singularem conversionem totius substantiae panis in Corpus et totius substantiae vini in sanguinem, manentibus duntaxat speciebus panis et vini, quam quidem conversionem catholica Ecclesia aptissime transubstantiationem appellat : A. S. » (Trid. Denz., 884.) Cette dernière définition suppose que la substance corporelle est distincte de sa quantité, de son étendue, et de la loi des ses phénomènes, puisqu’après la consécration la substance du pain n’existe plus, tandis que sa quantité reste comme aussi ses qualités avec leurs propriétés naturelles—. CHAPITRE II LES FORMULES DOGMATIQUES AINSI PRÉCISÉES RESTENT-ELLES ACCESSIBLES AU SENS COMMUN ? Ces formules dogmatiques ainsi précisées sont-elles accessibles au sens commun ? Oui, en une certaine mesure, si le sens commun est bien ce que nous avons dit : la philosophie de l’être à l’état rudimentaire. Non, s’il est seulement « une organisation utilitaire de la pensée en vue de la vie pratique ». § L - Les formules dogmatiques ainsi précisées sont inaccessibles au sens commun s’il n ’est qu ’une organisation utilitaire de la pensée en vue de la vie pratique. Si, comme le veut M. Le Roy, « les notions de substance, de cause, de rapport, de sujet » ne sont que des « réifications et des symboles— » de l’intelligence spontanée en vue de l’action, si la substance ou la chose n’est qu’une entité verbale par laquelle le sens commun réifie et immobilise le flux universel des phénomènes ou des images qualitatives, il va sans dire que les formules dogmatiques qui contiennent ces notions ne nous font pas connaître directement la réalité divine, mais « nous la notifient seulement sous les espèces de la réaction vitale qui lui correspond en nous— ». « Dieu est personnel veut dire : comportez-vous dans vos relations avec Dieu comme dans vos relations avec une personne humaine—, » « La formule dogmatique n’enveloppe qu’une pensée toute pratique, et la réalité divine contient seulement, sous une forme ou sous une autre, de quoi justifier comme raisonnable et salutaire la conduite prescrite—, » Le sens positif du dogme n’a qu’une valeur pratique fixée dans son fond par l’attitude qu’il peut permettre à l’égard de Dieu, au lieu d’être fixée par la réalité divine elle-même. Or, tel n’est pas le sens que l’Eglise donne aux formules de ses dogmes. A ceux qui en doutaient, elle vient de le rappeler en condamnant par le décret Lamentabili du 3 juillet 1907 cette vingt-sixième proposition : « Dogmata fidei retinenda sunt tantummodo juxta sensum practicum, id est tanquam norma praeceptiva agendi, non vero tanquam norma credendi. » Le Saint-Office ne peut viser un pragmatisme chimérique qui n’admettrait aucune correspondance entre ce « sensus practicus » et la réalité divine ; il vise un pragmatisme existant qui, s’efforçait de ne donner qu’un sens pratique aux dogmes les plus spéculatifs. Pour l’Eglise, Jésus EST Dieu ; le verbe être ici comme ailleurs a une portée objective. Si l’Eglise n’avait pas cru à la valeur ontologique des termes de la Révélation, comment aurait-elle eu recours pour les préciser à des termes métaphysiques ; comment « pour ces termes métaphysiques aurait-elle résisté jusqu’au sang, se serait-elle résignée aux schismes les plus douloureux, aurait-elle été jusqu’à anathématiser la mémoire d’un de ses pontifes—, coupable seulement de ne s’être pas assez nettement prononcé sur un point de spéculation christologique qui paraîtrait bien secondaire à des symbolistes de nos jours— ?» Il y avait assez d’opportunistes parmi ses enfants pour lui conseiller le silence sur la doctrine de Sabellius, sur celles des semi-ariens, d’Eutychès ou de Sergius. Sabellius, comme plus tard Kant, ne voulant admettre qu’une distinction de raison entre les personnes divines et ne voir en elles que trois fonctions ou trois rôles de Dieu à l’égard de l’humanité. A quoi bon définir la distiction réelle si le dogme ne nous fait pas connaître la réalité divine ? Pourquoi tant de traités des Pères et des Docteurs qui ont pour but unique d’établir que cette distinction réelle ne pose aucune imperfection en Dieu Ί Pourquoi tant de travaux semblables sur l’union hypostatique ? A quoi bon recourir au concept de relation et définir qu’il y a en Dieu des relations réelles pour écarter l’évidente contradiction à laquelle Sabellius voulait acculer les orthodoxes ? Pourquoi tous les théologiens scolastiques ont-ils traité du fondement métaphysique de l’analogie des noms divins ? Pourquoi ces longs travaux sur la similitude et la dissimilitude qui existent entre les relations divines et les relations accidentelles des créatures ? Pourquoi le Concile de Reims aurait-il condamné Gilbert de la Porrée qui admettait une distinction réelle entre l’essence divine et les relations ? Pourquoi plus tard condamner Günther ? Pourquoi enfin le Concile du Vatican, ayant à définir l’objet de la foi, aurait-il écrit : « Hoc quoque perpetuus Ecclesiae catholicae consensus tenuit et tonet duplicem esse ordinem cognitionis, non solumn principio, sed objecto etiam distinctum : pincipio quidem, quia in altero naturali ratione et altero fide divina cognoscimus ; objecto autem, quia praeter ea, ad que naturalis ratio pertingere potest, credenda nobis proponuntur mysteria in Deo abscondita, quae nisi revelata divinitus, innotescere non possunt ? » L’objet de notre foi, ce sont les vérités cachées en Dieu, qui ne peuvent être connues que si Dieu les révèle et que le Saint-Esprit nous a révélées. « Spiritus enim omnia scrutatur, etiam profunda Dei », rappelle le Concile. C’est cette même vérité, dit-il encore, dont nous aurons au ciel la vision intuitive, « quam praedestinavit Deus ante saecula in gloriam nostram » ; elle reste enveloppée comme dans une sorte de nuage tant que nous sommes éloignés de Dieu par cette vie mortelle, « quasi caligine obvoluta, quamdiu in hac mortali vita peregrinamur a Domino : per fidem enim ambulamus et non per speciem » (C. Vat. Denz., 1796). Si le dogme n’a qu’un sens pratique, comment le même Concile a-t-il pu dire que « la raison éclairée par la foi acquiert par le don de Dieu quelque intelligence trèsfructueuse des mystères, tant par l’analogie des choses qu’elle connaît naturellement que par la liaison des mystères entre eux et avec la fin dernière de l’homme ? » Rappelons-nous que le Christ, pendant sa vie mortelle, avait la vision béatifique, il serait au moins téméraire de le nier ; comment prétendre que la vérité qu’il nous enseignait était dépourvue de valeur ontologique ? N’oublions pas non plus les phénomènes les plus élevés de la contemplation mystique, les visions intellectuelles de la sainte Trinité dont parle à plusieurs reprises sainte Thérèse, visions qui font saisir la distinction réelle des personnes divines et leur circuminsession de façon autrement profonde que ne le peut faire la théologie spéculative -. « Le jour de saint Augustin, au moment où je venais de communier, dit la sainte, je compris, je pourrais presque dire je vis - je ne pourrais expliquer de quelle manière, je sais seulement que ce fut quelque chose d’intellectuel et de très rapide - comment les trois personnes de la sainte Trinité, que je porte gravées dans mon âme, sont une même chose... Le Seigneur me fit comprendre comment les trois personnes n’étant qu’une même chose, elles sont cependant distinctes—, » 2. - Pourquoi les objections de M. Le Roy contre la doctrine thomiste de l'analogie ne portent pas- Le fondement de cette doctrine. A ces arguments d’autorité contre la conception pragmatiste, nominaliste ou empiriste du dogme s’ajoute l’argument rationnel qui fonde la valeur analogique des noms divins ou des concepts qui expriment les perfections simpliciter simplices, dont la raison formelle n’implique aucune trace d’imperfection. - M. Le Roy conteste la valeur de cette preuve dans les pages qu’il a écrites sur la notion thomiste de l’analogie (Dogme et critique, pp. 96-99, 138-147), mais les objections qu’il soulève montrent qu’il s’est contenté de lire très rapidement la question XIN de la Somme théologique, quelques passages correspondants du C. Gentes, et qu’il ignore le fondement de cette doctrine de saint Thomas-, Ce fondement, comme l’a établi le P. Gardeil44 c’est le conceptualisme réaliste. Avant de se demander si nos concepts d’ordre métaphysique et moral (3° degré d’abstraction) ont une valeur analogique à l’égard de Dieu, il faut évidemment savoir quelle est leur valeur à l’égard de l’être qu’ils représentent immédiatement. Or, il se trouve que pour le fervent nominaliste qu’est M. Le Roy, le concept n’est qu’une « moyenne »—, une image commune, résidu appauvri de l’expérience ; il ne traduit pas l’être foncier des choses qui, pour un conceptual!ste réaliste, constitue l’objet de l’intuition abstractive de l’intellect. Dès lors, le recours aux concepts dans la connaissance religieuse ne peut être pour M. Le Roy, comme il ne cesse de le dire, qu’un recours à l’imagination, un naïf anthropomorphisme. - Nominaliste, M. Le Roy est en désaccord avec nous sur l’objet propre de l’intelligence humaine, l’objet qui lui convient en tant qu 'humaine (l’essence des choses sensibles), à plus forte raison ne voit-il pas ce que nous entendons par l’objet formel et adéquat de l’intelligence humaine, celui qui lui convient en tant qu’elle est intelligence. Cet objet, c’est l’être dans toute son universalité. C’est là précisément ce qui fonde la possibilité (la non répugnance) de notre élévation à Tordre surnaturel ou de la vision béatifique (I.q. 12 a. 4) ; c’est aussi ce qui fonde dès icibas la possibilité d’une connaissance analogique qui atteigne vraiment l’être de Dieu. La doctrine aristotélicienne et thomiste de l’analogie n 'est autre, en effet, que celle de l’être conçu comme un transcendental et non pas comme un genre. On a plusieurs fois exposé le détail de cette doctrine de l’analogie sans en indiquer suffisamment l’essentiel qui est déjà chez Aristote. « L’être et l’unté, disait le stagire, ne sont pas des genres auxquels s’ajoutent des différences spécifiques extrinsèques (comme à l’animalité s’ajoute la rationabilité), il faut, en effet, de toute nécessité que la différence soit et qu’elle soit une— . » L’être et l’unité imbibent donc cela même qui différencie les êtres, et conviennent aux différents êtres κατ’ αναλογίαν, secundum proportionem—. Chacun participe l’être à sa manière. Il en va de même du bien—, du vrai, propriétés transcendantales de l’être qui l’accompagnent dans toutes les catégories. L’être, l’unité, la vérité, la bonté s’attribuent à la substance, à la quantité, à la qualité, à l’action, etc. ; on dit un bon fruit, un bon citoyen, une bonne taille, une bonne qualité, une bonne action, etc. L’être n’est donc pas un noyau commun auquel s’ajouteraient la différence propre à la substance et celle propre à l’accident ; ces différences étant encore de l’être, le mot être, dans la substance et dans l’accident, ne désigne pas absolument la même chose, mais des choses proportionnellement semblables ; la substance est à son être comme l’accident est à son être, chacun est à sa manière. Telle est l’analogie de l’être dans les choses finies. - Or, la loi fondamentale de l’être et de notre pensée, le principe d'identité, nous oblige à affirmer que la réalité fondamentale qui se suffit à elle-même n’est pas le monde multiple et changeant, mais une réalité en tout et pour tout identique à elle-même, qui soit à l’être comme A est A, Ipsum esse, pur être ou pur acte. Le concept d’être par le premier principe qu’il implique postule lui-même T Ipsum esse et s’applique donc analogiquement à lui. Il y a une similitude de proportion entre Tipsum esse et son existence d’une part, la créature et son existence d’autre part, chacun est à sa manière. Dans la créature, l’existence est l’acte d’une puissance ou essence susceptible d’exister (mode créé) ; en Dieu, l’existence est acte pur irreçu (mode incréé). Il est clair que la raison formelle d’existence n’implique nullement de soi le mode créé, le mélange de potentialité ou d’imperfection. Loin d’être inconnaissable T Ipsum esse est donc comme le dit Aristote le premier intelligible το πρώτον νομτον (Met., XII, c. 7). Il est souverainement bon ( το αγαθόν και το αριστον) parce qu’étant la plénitude de l’être il est le premier désirable ( το πρώτον ορεκτον) capable d’attirer tout à lui (la, q. 5). Il est infini, parce que pur être sans limite d’essence (la, q.7, a. 1). Al’Ipsum esse doivent être attribuées analogiquement toutes les perfections dont la raison formelle n’implique aucune imperfection. Ces perfections sont, en effet, celles qui se définisent par un rapport immédiat à l'être ou à l’un des transcendentaux (l’intelligence par rapport à l’être, la volonté par rapport au bien, de même les attributs de l’intelligence et ceux de la volonté), elles doivent donc être transcendentales ou analogique, comme l’être même, susceptibles comme lui d’être purifiées de toute potentialité et de s’appliquer formellement (formaliter eminenter), à Dieu. Bien plus, comme l’être, elles ne sont à l’état pur qu’en Dieu ; c’est dans la créature qu’elles sont comme souillées par le mélange de potentialité ou d’imperfection. L’Ipsum esse doit être intelligent à sa manière, comme l’homme Test à la sienne. L’homme est intelligent dans la mesure où il est immatériel, dans la mesure où sa forme dominant la matière, l’espace et le temps, lui permet de connaître non pas seulement tel être particulier et contingent, mais Vêtre. Et comme l’homme n’est pas l’être, l’intelligence n’est en lui qu’une puissance relative à l’être, intentionnelle ; elle est un accident de la catégorie qualité et l’intellection humaine n’est qu’un acte accidentel de cette puissance. - L’Ipsum esse est intelligent lui aussi dans la mesure où il est immatériel et comme par définition il est indépendant non seulement de toute limite matérielle et spatiale, mais encore de toute limite d’essence, non seulement il est souverainement intelligent mais son intelligence est l’intellection même, c’est-à-dire l’être même à l’état de suprême intelligibilité, toujours actuellement connu, un pur éclair intellectuel éternellement subsistant. Ne cherchons pas ici la dualité du sujet et de l’objet ; elle ne provient, dit saint Thomas, que de la potentialité de l’un et de l’autre— . Déjà dans notre intellection actuelle s’identifient notre intelligence et son objet en tant que connu—, dans notre acte de réflexion s’identifient l’intelligence connaissante et l’intelligence connue, en Dieu s’identifient la pure intellection et le pur être qu’elle pense. - Cela n’est pas moins évident si nous partons de l’Ipsum esse comme premier intelligible, et non plus comme premier intelligent. Pour être acte pur à tous points de vue il doit être dès toujours intelligible non seulement en puissance mais en acte et même intelligé en acte (intellectum in actu) ; or l’intelligible toujours actuel n’est autre que l’étemelle intellection. « Εστιν η νοησοιζ νοησεωζ νοησοιζ » (Met., XII, c. 9). - Tout cela est autrement certain que les plus absolues certitudes des sciences positives, pour cette excellente raison que notre intelligence le perçoit immédiatement dans l’être, son objet formel. C’est de la pure lumière intellectuelle. Cette attribution analogique de l’intelligence à Dieu a la plus absolue rigueur : de même que la raison formelle d’existence est indépendante du mode créé (limite d’essence, mélange de potentialité) de même la raison formelle d’intellection est indépendante du mode créé qui fait de l’intellection l’acte accidentel d’une puissance et la situe dans une catégorie, la catégorie « qualité » distincte de la catégorie « substance ». En Dieu l’intellection est la nature même de Dieu, c’est-à-dire l’être même. (la, q. 14, a.2 et 4). Cette identification de l’être et de l’intellection n’est donc pas seulement requise par une preuve ex communibus (parce qu’il ne peut y avoir de dualité, de multiplicité, dans l’Absolu) mais elle est requise ex propriis, par la raison formelle de chacune des deux perfections ; l’être pur doit être dès toujours intelligible en acte et la pensée pure doit être l’être pur actuellement connu—, L'Ipsum esse est souverainement vivant, parce qu’il possède l’action de toutes la plus z 'immanente et conséquemment la plus vivante, l’intellection. Et cette action procède si bien de lui et de lui seul qu’elle est lui-même. Elle n’est pas l’adhésion à une vérité extérieure, elle est la vérité même à l’état de pensée toujours actuelle, toujours vivante. Dieu donc n’est pas seulement vivant, mais il est la Vie. (la, q. 18, a.2) « Dieu jouit de cette félicité que nous ne connaissons que par instants. La vie est en lui, car l’action de l’intelligence est une vie, et Dieu est l’actualité même de l’intelligence ; cette actualité prise en soi telle est sa vie parfaite et éternelle. Aussi appelons-nous Dieu un vivant éternel parfait ζωον arôrov αριστον. La vie étemelle appartient donc à Dieu, car elle est Dieu même. » (Met., XII, c. 7). Al’Ipsum esse doit s’attribuer la volonté spécifiée par ce transcendental qu’est le bien. La volonté a pour objet le bien en tant qu’il est connu, elle suit donc l’intelligence, comme l’inclination naturelle inconsciente suit la forme même, la nature même des êtres inconscients. En Dieu la volonté n’est pas plus puissance que l’intelligence, elle est l’Acte même d’amour du Bien ou le Bien même toujours actuellement aimé. (la, q. 19, a. 1). Chacun de ces concepts est analogue comme le bien qui est une propriété de l’être. L’Ipsum esse est libre à l’égard de tout le créé, car, étant par lui-même et par lui seul la plénitude de l’être, la création n’ajoute rien à sa perfection ; il convient cependant que le Souverain Bien se communique avec la plus absolue liberté. (la, q. 19, a. 3). L’Ipsum esse est provident parce que son action extérieure qui s’étend à tous les êtres et à toutes les fibrilles des êtres créés est essentiellement celle d’un agent intelligent. Or l’agent intelligent agit pour une fin connue qui est la raison d’être de tous les moyens qu’il emploie. Dieu donc ordonne toutes choses à une fin suprême qui est lui-même. La providence, ratio ordinis rerum in finem, est encore une perfection pure qui se définit par une relation à la raison d’être. (I, q. 22, a. 1). L’Ipsum esse est juste parce qu’intelligent et bon il se doit à lui-même de donner à chaque être tout ce qui lui est nécessaire pour atteindre la fin à laquelle il l’appelle. (la, q. 21, a. 1). Aimant nécessairement le Bien par­ dessus tout, il se doit aussi d’en faire respecter les imprescriptibles droits, et d’en réprimer la violation. (I-II q. 87, a. 1 et 3). L ’Ipsum esse est miséricordieux, car c’est le propre de l’être tout-puissant et infiniment bon de donner aux autres, de venir à leur secours, de les relever de leur misère, de faire non seulement quelque chose de rien, mais de tirer le bien du mal, du péché le repentir et l’amour et un amour d’autant plus intense que le péché était plus profond. C’est là le triomphe de Dieu, et la raison qui attire « la suprême richesse vers la suprême pauvreté ». « Pertinet ad misericordiam, quod aliis effundat et quod plus est, quod defectus aliorum sublevet. Et hoc maxime superioris est. Unde et misereri ponitur proprium Deo ». (Ia, q. 21, a. 3.-IIa Ha, q.30, a. 4). Il faudrait autant d’articles spéciaux pour établir nettement la valeur analogique de chacun de ces concepts, par réduction à l’être. - Ce que nous venons de dire suffit à montrer que ces perfections absolument simples de par leur rapport immédiat à l’être pur, n’impliquent dans leur raison formelle rien de potentiel, et font abstraction du mode créé. A la limite, elles se réalisent pures de toute potentialité et s’identifient ex propriis et non pas seulement ex communibus avec l’acte pur. Dans les discussions récentes on parlait sans cesse de la transposition de nos catégories en Dieu. En réalité ce qui se transpose en Dieu ce ne sont pas les catégories ou genres suprêmes, qui sont univoques, mais les transcendentaux ou analogues qui dominent tous les genres. C’est clair pour l’être, l’un, le vrai, le bien, c’est non moins clair pour l’intelligence, la volonté, la liberté, les perfections intellectuelles et volontaires, dont la raison formelle n’est pas dans une catégorie (substance ou qualité) mais se définit par relation immédiate à l’être— -« Dieu, dit saint Thomas, n’est pas dans le genre substance, car le nom de substance ne signifie pas seulement ce qui est par soi, mais l’essence qui demande à exister par soi et non dans une autre, sans être cependant l’existence même. » (la, q. 3, a. 6, ad 1.) Quant à la relation elle n’est pas en Dieu un accident et les plus difficiles instances contre le mystère de la sainte Trinité se résolvent en montrant que l’esse in de la relation en Dieu est substantiel. Nous ne concevons pas Dieu comme un homme dont les proportions seraient portées à l’infini, mais comme l’Etre même et nous ne lui reconnaissons que les attributs qui découlent nécessairement de ce concept d’ipsum esse. Il n’y a pas là d’anthropomorphisme. Nous ne concevons pas Dieu à l’image de l’homme. C’est l’homme qui est à l’image de Dieu en tant qu’il a reçu une intelligence qui a pour objet l’être et ses lois absolues : « signatum est super nos lumen vultus tui Domine ». (Ps. IV, 7.) M. Le Roy objecte que la proportion établie par l’analogie n’éclaire pas la réalité divine, car une proportion n’est éclairante et définissable que si trois des quatre termes sont connus indépendament d’elle, et ici il y a deux inconnues : Dieu et son attribut. De plus, ces deux inconnues n’en font qu’une objectivement, puisqu’en Dieu tout se confond. La vraie formule de la proportion serait donc, par exemple, celle-ci : « Dieu est à Dieu ce que la personnalité est à l’homme. » Une fois encore la prétention de saisir Dieu tel qu’il est en soi conduirait à l’agnosticisme. (Dogme et Critique, p. 146.) Sans faire connaître la déité telle qu’elle est en soi, comme la voient les bienheureux, l’analogie de proportionnalité : « Dieu est personnel (c’est-à-dire subsistant, intelligent et libre) à sa manière, comme l’homme l’est à la sienne » nous exprime quelque chose de la réalité divine. Il est faux qu’il y ait dans les proportions établies deux termes absolument inconnus. Lorsqu’en vertu du principe d’identité et du principe de raison d’être nous affirmons l’existence de l’ipsum esse, Dieu est connu pour autant que ce qui est sans être par soi ne se suffit pas pour être, pour autant que ce qui est sans être par soi doit avoir une similitude avec ce qui est par soi, pour autant que nous corrigeons la dissimilitude en affirmant nécessairement que l’existence en Dieu est pure existence, irreçue. Toutes ces affirmations ont une valeur ontologique, puisqu’elles sont toutes posées pour rendre le réel intelligible en fonction de l’être, puisqu’elles sont toutes exigées par le concept même d’être. Lorsque, dans la suite, nous établissons la proportion : l’ipsum esse est X à sa manière, comme l’homme est intelligent à sa manière ; sur les quatre membres de la proportion, il y en a deux connus immédiatement (homme et intelligence), un connu analogiquement (Ipsum esse) et le droit d’affirmer la similitude des proportions repose sur l’évidence du rapport immédiat que soutient la raison formelle d’intelligence avec la raison formelle d’être ; ce dernier rapport, nous le saisissons non pas seulement a posteriori dans l’expérience, comme le dit M. Le Roy, mais a priori dans l’être même ; et comme l’être est forcément analogue, l’intelligence doit l’être aussi. Ensuite, l’intelligence divine analogiquement connue, on passe à la volonté, etc. On objecte que ces différentes raisons formelles, dépouillées du mode créé, s’identifient dans l’éminence de la déité. Mais cela, bien loin d’infirmer la valeur analogique des cencepts, est affirmé ex propriis par ces mêmes concepts en tant précisément qu’ils sont analogues et purifiés de toute potentialité : l’être pur doit être l’intellection pure et non pas intelligible en puissance ; de même l’intellection pure doit être l’être pur et non pas une reproduction intentionnelle et par là potentielle de l’être pur. M. Le Roy ne comprend pas le passage à la limite parce qu’il ne voit pas que les perfections absolument simples ont un rapport immédiat à l’être, et qu’à la limite l’être est / Ipsum esse irreçu ; cela en vertu du principe d’identité. Mais si au lieu d’admettre le conceptualisme-réaliste, on s’en tient au sensualismenominaliste, si de l’instabilité des apparences sensibles devenues le seul réel, on infère que le principe d’identité et de non-contradiction est une loi de la logique pure et non de la réalité, le réel fondamental n’est plus qu’un devenir, et une contradiction réalisée. A ce compte évidemment, la connaissance conceptuelle analogique de Dieu est vaine. -Le principe d’identité admis au contraire comme loi foncière du réel, on dira avec saint Thomas (la q. XIN, a. 6) : « haec omnia (ens, bonitas, sapientia...) quantum ad rem significatam per nomen, per prius dicuntur de Deo, quam de creaturis, quia a Deo hujusmodi perfectiones manant. Sed quantum ad impositionem nominis, per prius a nobis imponuntur creaturis, quas prius cognoscimus ». Maimonide niait cette priorité ontologique, pour lui « Dieu est bon » signifiait seulement « Dieu est cause de la bonté des créatures ». Pourquoi, répond saint Thomas ( art. 2) ne pas dire aussi bien « Dieu est animal » en tant qu’il est cause de l’animalité, « corporel » en tant qu’il est cause de la corporéité ? Maimonide ne comprenait pas en quoi la bonté qui est un transcendantal diffère d’un genre. Il n’y a qu’une manière d’être corps, d’être animal, ce sont des genres auxquels s’ajoutent des différences extrinsèques. Mais il y a plusieurs manières d’être bon, d’être vrai, d’être un, d’être être. Car ces transcendantaux imbibent cela même qui différencie les êtres. Il est vrai de dire : ce fruit est bon à sa manière (physiquement, au point de vue du goût), cet homme vertueux est bon à sa manière (moralement), Dieu est bon à sa manière (c’est-à-dire absolument). C’est là, pour toute l’Ecole, une dénomination non point extrinsèque, mais intrinsèque. L’attribution est formelle, c’est seulement le mode de l’attribution qui est humain du fait qu’il implique l’opposition du sujet et du prédicat. Cela est si vrai que Notre Seigneur va jusqu’à dire : « Nemo bonus nisi solus Deus » que, XVIN, 19). Dieu est bon par lui-même et sans limite, tandis que nous, par nous-mêmes, nous sommes ce qui n’est pas, ce qui se refuse au lieu de se donner, ce qui faiblit et retourne au néant. - De même, comme le note ici saint Thomas, saint Paul dit de Dieu le Père « ex quo omnis paternitas in coelis et in terra nominatur ». (Ephes., IN, 15.) Il ne nous est pas possible d’admettre que le sentiment de saint Thomas et celui de Maimonide diffèrent « uniquement quant à la façon de parler-1 ». L’Ecole y a toujours vu une opposition absolue—. Il suffit de citer la conclusion de l’article II de cette question XIN de la la Pars : « Cum igitur dicitur Deus est bonus, non est sensus, Deus est causa bonitatis, vel Deus non est malus, sed est sensus : id quod bonitatem dicimus in creaturis praeexistit in Deo : et hoc quidem secundum modum altiorem. Unde ex hoc non sequitur, quod Deus competat esse bonum, in quantum causât bonitatem ; sed potius e converso, quia est bonus, bonitatem rebus diffundit. » - Eckard tomba plus tard dans une erreur très voisine de celle de Maimonide comme le prouve la proposition condamnée : « Quod Deus non est bonus, neque melior, neque optimus ; ita male dico, quandocumque voco Deum bonum, ac si ego album vocarem nigrum. » (Denz., 528.) On ne saurait trop le redire en ce temps d’agnosticisme, en un sens nous connaissons Dieu beaucoup mieux que nous ne connaissons les hommes avec lesquels nous vivons le plus intimement. L’homme qui me tend la main se décide peut-être au même instant à me trahir, son geste est peut-être un mensonge, je puis douter de sa parole, de sa vertu, de sa bonté. Je sais au contraire de science absolument certaine, même par ma seule raison, que Dieu ne peut pas mentir, qu’il est infiniment bon, infiniment juste, infiniment saint. De tous les êtres c’est lui en un sens que je connais le mieux, lorsque je récite en le méditant \e Pater, comme c’est de Lui que je suis le mieux connu. Nous sommes plus sûrs de la rectitude de ses intentions que de la droiture de notre cœur. Bien plus, en un sens, nous connaissons mieux la nature divine que la nature humaine, et surtout que les natures animales ou végétales : un thomiste qui a commenté une ou deux fois le traité de Deo uno de saint Thomas doit pouvoir rattacher à l’ipsum esse tous les attributs divins et montrer la solidarité de toutes les thèses avec cette proposition fondamentale « in solo Deo essentia et esse sunt idem ». Il est certainement plus difficile de rattacher tout le traité de l’homme à la définition de la raison. - Aristote ne disait-il pas que « les choses divines sont plus connaissables, plus intelligibles en elles-mêmes que toutes les autres (maxime scibilia sunt ipsa prima et causae) mais relativement à nous elles sont difficiles à connaître (quia a sensibus sunt remotissima ». (Met. 1.1, Comm, de S. Th., leç. II.) S’agit-il des concepts qui expriment la Trinité, comme le concept de relation, la raison ne pourrait établir leur valeur analogique ; mais Dieu s’en est servi pour se révéler à nous, il suffit que la théologie établisse que la relation ne pose pas en Dieu une évidente imperfection. Telle est la réfutation rationnelle de la conception pragmatiste du dogme. Dans ce système, le critérium de la vérité n’est plus l’être évident, c’est le rapport d’une action commandée ou conseillée avec nos innéités, nos besoins profonds. Mais que valent ces innéités dans un système qui ne peut admettre l’immutabilité de notre nature et son rapport ontologique et fixe avec Dieu ; ce sont des remous de l’inconscient. § 3. - Les formules dogmatiques exprimées en langage philosophique restent accessibles dans une cetaine mesure au sens commun, s'il est une ontologie rudimentaire. Il nous paraît donc évident que la formule dogmatique est inaccessible au sens commun, si Ton ne veut voir en lui qu’une « organisation utilitaire de la pensée en vue de la pratique ». Il en va tout autrement si le sens commun est, comme nous l’avons défini, la philosophie de l’être à l’état rudimentaire. Ce que nous venons de dire suffirait à l’établir de façon générale, mais il importe de préciser notre thèse par un exemple et de la prouver négativement en montrant l’incompatibilité de toute autre philosophie avec le dogme. En dehors de la philosophie de l’être, on ne conçoit, en métaphysique générale, qu’une philosophie du phénomène et une philosophie du devenir. L’encyclique Pascendi condamne le phénoménisme sous le nom d’agnosticisme, et la philosophie du devenir sous le nom d’évolutionnisme. Le Concile du Vatican avait déjà condamné l’évolutionnisme hégélien et toutes les formes du panthéisme (Denz., 1804)—. Quant au phénoménisme, il était déjà atteint, selon M. Vacant—, par le même Concile qui a défini, en reprenant la formule du IV° Concile de Latran, que trois classes de créatures (matérielle, spirituelle, humaine), ont été produites par Dieu ex nihilo, secundum totam substantiam (Denz., 1783 et 1805). Malebranche avait compris qu’il devait admettre l’existence des substances corporelles parce que la révélation nous dit que Dieu les a créées. Le phénoménisme est inconciliable encore avec le dogme de la transsubstantiation. Entre autres arguments en faveur de ce système, Renouvier disait à qui voulait l’entendre : « Si vous admettez la substance, on vous y mettra la Trinité, l’Union hypostatique et le reste. » Pour prendre un exemple dans les formules dogmatiques dont nous avons indiqué le développement, voyons la notion de personnalité que nous présente le phénoménisme empiriste, celle que nous donne le phénoménisme rationnel, celle, enfin, qui s’impose à la philosophie du devenir—. Ces trois notions, bien loin de nous permettre de penser philosophiquement l’Union hypostatique, la détruisent ; au contraire, ce dogme est accessible à l’ontologie rudimentaire du sens commun. A. - Les notions phénoménistes ou purement dynamistes de la personnalité sont inconciliables avec le dogme de l’Incarnation. Pour les phénoménistes empiristes (Hume, St. Mill, Taine), nous n’atteignons que des états de conscience et nullement un moi-substance ; la personnalité est une série ou un agrégat de phénomènes conscients réunis par les lois de l’association des idées. Comme tout composé mental ou organique, le moi a sa forme normale ; mais si les éléments sont altérés ou le travail de composition dérangé, la forme dévie et l’œuvre finale est monstrueuse ; c’est ainsi que se produisent les dédoublements de la personnalité ; parfois même, dans la folie une personne se croit devenue complètement une autre et agit conformément à sa croyance. (Taine, De l’intelligence, t. II, p. 231.) Pour les phénoménistes rationalistes (Renouvier) la personnalité est une forme a priori de notre pensée, la plus élevée des catégories. Elle contient toutes les autres puisque c’est dans l’activité représentative qui lui est propre que les autres catégories trouvent leur centre et leur application. Les personnes ne sont pas des choses en soi, il n’y a de réel que les phénomènes ; la personnalité est un phénomène général, complexe, durable, qui est la synthèse, la loi d’autres phénomènes, une représentation embrassant les autres. Notre existence n’est rien qu’en tant que représentée ; en dehors de nos représentations réelles ou possibles il n’y a rien pour nous—. Pour un partisan de la philosophie du devenir, la personne, le moi n’est ni un agrégat de phénomène, ni une catégorie, c’est un élan vital et libre qui revêt successivement les formes diverses que nous appelons états de conscience. C’est la thèse longuement développée et défendue aujourd’hui par M. Bergson. Pour la philosophie de l’être, « métaphysique naturelle de l’intelligence humaine », la personnalité est quelque chose de plus profond que les phénomènes et leurs lois empiriques ou a priori, plus profond que le devenir sous-jacent, c’est une entité métaphysique. Il y a une personnalité ontologique (la subsistence intrinsèquement indépendante de la matière), fondement de ce qu’on pourrait appeler la personnalité psychologique (conscience de soi) et la personnalité morale (liberté et maîtrise de soi). Nous allons le voir, cette conception classique de la personnalité n’est que l’explicitation de la notion de sens commun. Montrons d’abord que les notions phénoménistes ou purement dynamistes de la personnalité ne peuvent en aucune façon se concilier avec la définition de l’Union hypostatique. D’après cette définition, la nature humaine et la nature divine en Jésus-Christ sont unies dans la personnalité divine du Verbe, de telle sorte qu’il n’y a pas de personnalité humaine. Or, on ne peut dire manifestement que la personne du Verbe est une, collection de phénomènes groupés par une loi empirique ou par une forme a priori. Ces conceptions phénoménistes de la personnalité n’expriment évidemment pas une perfection simpliciter simplex \ il n’y a aucune analogie possible puisque, d’après les Conciles, cette, personnalité divine du Verbe n’est pas réellement distincte de l’Absolu, de la nature divine, et ne peut donc, en aucune façon, être phénomène ou loi de phénomènes. On ne peut dire non plus que la personne divine du Verbe est un devenir, élan vital et libre, et non pas une chose, car cette personne est Dieu même et il est défini par le Concile du Vatican contre Hégel (Denz., 1782 et 1804) que Dieu est une substance spirituelle absolument simple et immuable, réellement et essentiellement distincte du monde qui, lui, est composé et changeant. « Deus cum sit una singularis, simplex omnino et incommutabilis substantia spiritualis, praedicandus est re et essentia a mundo distinctus. » Veut-on essayer de préciser la nature de ce devenir et définir la personnalité du point de vue psychologique en la faisant consister formellement dans la conscience de soi ? On tombe alors dans l’erreur de Günther et l’on revient fatalement àNestorius : on doit admettre dans le Christ, avec les deux natures divine et humaine, deux consciences, conséquemment deux personnes. - On tombe dans la même hérésie si l’on définit la personnalité du point de vue moral par la liberté \ il y a dans le Christ deux volontés libres, comme il y a deux natures. Si l’on veut échapper au nestorianisme et sauver l’unicité de personne en n’admettant qu’une volonté libre on tombe dans l’hérésie monothélite et, conséquemment, dans le monophysisme d’Eutychès. B. -Le sens commun possède une notion ontologique de la personnalité, fondement de la personnalité psychologique et de lapersonalité morale. Mais il est une notion de la personnalité beaucoup plus profonde, notion non plus seulement psychologique ou morale, mais ontologique ; c’est celle du sens commun, précisée par la philosophie de l’être, c’est aussi celle des Conciles. Le sens commun donne le nom de personne à certains êtres qu’il distingue de ceux qu’il appelle simplement des choses. La personne, c’est l’être raisonnable et libre, maître de ses actes, indépendant, sui juris, par opposition à l’animal, à la plante, au minéral. Le droit romain distinguait même la personne de l’esclave : l’esclave juridiquement n’est pas une personne, « non est sui juris ». Ce qui caractérise donc la personne, aux yeux du sens commun, c’est bien la liberté, la maîtrise de soi ; mais la liberté, pour ce même sens commun, suppose l’intelligence qui délibère et la conscience de soi ; et la conscience du moi suppose à son tour précisément le moi, qui est à proprement parler la personne. Cela est clair. La personne ou le moi est donc conçu par tout le monde, au même titre que les choses, comme une substance, car antérieurement aux phénomènes et au devenir, il y a l’être qui apparaît et change d’apparence. Mais c’est une substance d’un ordre plus élevé que les autres, une substance douée de raison et conséquemment de liberté. La définition de la personne donnée par Boèce ne fait que traduire cette notion de sens commun : « persona est rationalis naturae individua substantia » ; nul, remarque Boèce, n’a jamais dit : la personne d’une pierre ou d’un boeuf. Mais le sens commun va plus loin, il distingue d’une certaine manière la personne et la nature. Chacun dit : mon bras, mon corps, mon âme, mon intelligence, ma volonté, ma résolution ; ce qui signifie : le bras qui est à moi, l’âme et le corps qui sont à moi. Chacun dit encore .je cours, je pense. Nous opposons ainsi au moi, à un seul et même moi, tout ce que nous lui attribuons : notre nature spirituelle et corporelle, notre existence, nos facultés, nos actes. Le moi est déjà pour le sens commun le sujet premier d’attribution qui ne peut pas lui-même être attribué. On dit que la nature raisonnable (âme et corps) lui convient, mais on ne dit pas qu’il convient à cette nature, il la possède à titre de partie essentielle, comme il possède ses opérations à titre de parties accidentelles transitoires. La personne est donc un tout composé d’éléments essentiels et permanents et d’éléments passagers, et c’est à ce tout et non pas à ses parties qu’on attribue l’existence et l’action. Ce qui existe c’est Pierre et non pas sa nature humaine, de même c’est Pierre qui agit, qui veut par sa volonté, ce n’est pas sa volonté qui veut. Cette vue du sens commun est traduite dans la formule : « persona est totum per se separatim existens, id quod existit et operatur, dum e contra natura est id quo aliquid est tale, vg. est homo ; intelligentia est id quo intelligit ; existentia est id quo existit— ». La personne est un tout existant ou subsistant séparément, ce qui existe, ce qui agit ; tandis que la nature est ce par quoi ce tout est essentiellement constitué, l’intelligence ce par quoi il émet des actes de connaissance, etc. A la vérité, une « chose » est déjà un tout existant ou subsistant séparément, mais la personne a une subsistence à part qui lui vaut un nom spécial, subsistence intrinsèquement indépendante de la matière (ou spirituelle) dira la philosophie de l’être, subsistence qui précisément pour cela fonde la raison (principe de connaissance universelle qui domine la matière, l’espace et le temps) et la possibilité de la réflexion ou conscience de soi ; connaissance qui fonde à son tour la liberté. Les propriétés de l’homme se déduiront de son âme raisonnable conçue comme forme subsistante. La philosophie de l’être étudiera aussi ce qui est requis dans la réalité pour vérifier les jugements du sens commun et l’opposition qu’il fait dans ces jugements de la personne et de la nature, du sujet premier d’attribution et de ses attributs. Elle se demandera qu’est-ce qui peut constituer le sujet comme sujet (id quo aliquid est quod) ce qui peut constituer ce tout comme tout. C’est alors que se précisera le concept métaphysique de subsistence υποστασιξ qu’il faudra étudier dans ses rapports avec les deux premières divisions de l’être : essence (puissance) et existence (acte), pour le rattacher lui-même à l’être, premier concept de l’intelligence, objet formel de la métaphysique. Mais ce travail d’analyse n’est nullement nécessaire pour donner aux mots personne et nature un sens clair (nous ne disons pas distinct). Le sens commun admet sans difficulté qu’une même personne, un même moi peut avoir et a de fait une nature spirituelle et une nature corporelle, une âme et un corps, des actes spirituels et des actes corporels. C. Cette notion ontologique de la personnalité permet au sens commun d’entendre les mystère de l'Union hypostatique et de la Trinité. Voici un homme, Jésus, qui s’attribue des actions corporelles, des actions spirituelles humaines et en outre des opérations proprement divines ; il dit : « Ego qui loquor vobis... Ego et Pater unum sumus— . Il se déclare plus grand que David—, plus grand que Moïse et Elie^, supérieur aux anges, qui sont ses anges, ses ministres—. Il demande vis-à-vis de sa propre personne la foi, l’obéissance, l’amour poussé jusqu’au renoncement à toute affection créée qui lui serait contraire, jusqu’au sacrifice de sa vie : « Qui aime son père et sa mère plus que moi n’est pas digne de moi—, » Il se fait l’égal du législateur divin du Sinaï : « Il a été dit aux anciens : tu ne tueras point, mais moi je vous dis que quiconque se met en colère contre son frère—,.. » Il s’attribue le pouvoir de « refaire » les âmes, de leur remettre leurs péchés « Venez à moi vous tous... et moi je vous referai— » Il revendique le droit non moins exorbitant d’être un jour le juge des vivants et des morts— ; il déclare qu’il enverra le Saint-Esprit : « Je ferai venir sur vous le Promis de mon Père^. » Il donne la vie éternelle : « Mes brebis entendent ma voix, je les connais et je leur donne une vie éternelle... » « Le Père et moi nous sommes un —. » « Personne ne connaît le Fils, si ce n’est le Père. Personne non plus ne connaît le Père, si ce n’est le Fils et celui à qui le Fils veut le révéler—, » Ses disciples disent de lui : « Nous savons que le Fils de Dieu est venu et qu’il nous a donné l’intelligence pour connaître le vrai Dieu, et nous sommes en ce vrai Dieu, étant en son Fils Jésus-Christ. C’est lui qui est le Dieu véritable et la vie éternelle. Hic est verus Deus et vita aeterna.. » (I Jean., V. 20.) Ce moi colossal est à la fois divin et humain ; à ce même sujet il faut attribuer ce qui convient à Dieu et ce qui convient à l’homme. C’est une personne qui ne possède pas seulement un corps et une âme, mais encore une nature humaine et une nature divine, conséquemment une intelligence divine et une intelligence humaine, une liberté divine et une liberté humaine. Tout cela le sens commun, éclairé par la lumière de la foi, suffit à l’affirmer, après les déclarations de Jésus. Comme l’a montré le P. de Regnon—, cette simple notion de sens commun a même suffi pour réfuter les principales hérésies. - On prouve contre Sabellius que Dieu n’est pas une seule et même personne, jouant trois rôles différents, mais qu’il y a en Lui trois personnes, parce que l’Ecriture affirme troie sujet d’attribution distincts, trois « moi ». Il est dit du Fils qu’il est engendré par son Père, envoyé par son Père, qu’il s’est incarné. Il est dit du Saint-Esprit qu’il procède du Père, qu’il est envoyé par le Père et le Fils. Contre Arius, on montre qu’un fils est de même nature que son père, que d’ailleurs le Fils est déclaré créateur, éternel, tout- puissant. - Contre Nestorius, on établit que, d’après l’Evangile, c’est bien au même moi que conviennent les attributs divins et les actes humains du Christ. - Contre Eutychès et les monothélites, on invoque les textes où s’opposent nettement les deux natures et les deux volontés. - Contre les trithéistes, il suffit de rappeler le dogme de l’unité de Dieu qui s’impose à la raison naturelle. A la vérité, les Conciles ont opposé les deux natures du Christ à son unique personne beaucoup mieux que n’aurait pu le faire le seul sens commun éclairé par la foi ; mais les formules dogmatiques les plus développées restent accessibles en une certaine mesure à l’intelligence dépourvue de culture philosophique. Le Concile de Chalcédoine définit que « le Christ est un seul et même être, parce que bien qu’il y ait en lui deux natures distinctes, chacune avec ses propriétés, il n’y a cependant qu’une subsistence ou personne, celle du Verbe ». Le terme subsistentia qui, dans les Conciles, traduit υποστασις, est l’équivalent du terme concret personne, plus tard, dans le langage théologique, il deviendra l’équivalent du terme abstrait personnalité—. Même en ce dernier sens, ce terme n’est pas inaccessible au sens commun. Si pour tout le monde une personne est déjà un tout qui subsiste séparément, il est aisé de voir que ce qui constitue la personne, c’est-à-dire la personnalité, peut se traduire par le mot abstrait « subsistence ». Si le Christ, Homme-Dieu, est un seul et même être subsistant, il ne doit y avoir en lui qu’une subsistence—. Le sens commun ne se rend pas compte que cette notion abstraite est nécessaire pour rendre intelligible la personnalité en fonction de l’être, il ne saisit pas les rapports métaphysiques de la subsistence avec la nature ou essence d’une part, et avec l’existence d’autre part, mais cela n’est nullement nécessaire. L’union hypostatique, telle qu’elle est explicitement définie, n’est pas dépourvue de sens pour lui, bien qu’il n’en ait pas la pleine intelligence. Il en va de même des formules développées de la Trinité. Le sens commun comprend pourquoi on peut appliquer à Dieu le nom de personne ; il suffit de lui dire avec saint Thomas : « Le nom de personne désigne un être subsistant doué d’intelligence et de liberté. Or, la subsistence, l’intelligence et la liberté sont des perfections absolument simples qui n’impliquent aucune imperfection. Il faut donc les attribuer à Dieu qui est par définition la perfection suprême. A Dieu convient la personnalité, mais, cela va sans dire, à un degré suréminent. » (Cf. I, q. 29, a. 3, utrum nomen personae sit ponendum in divinis.) Comme l’Ecriture affirme l’existence en Dieu de trois « moi » distincts, de trois sujets d’attribution, le sens commun comprend la formule : « Trois personnes » ; celle même des « trois subsistences » courante dans le langage théologique n’est pas inintelligible à ses yeux. D. - Par « des élévations » le sens profond des mystères de l'incarnation et de la Trinité peut être rendu accessible au sens commun. Il n’est pas impossible de mettre à la portée d’un auditoire ordinaire, à n’importe quelle époque, la même élévation sur le mystère de l’union hypostatique. Elle se composera aisément avec trois articles de saint Thomas I, q. 29, a. \,de definitione personae ; a. 2, utrum nomen personae sit ponendum in divinis, et IN, q. 2, a. 2, utrum unio Verbi incarnati facta sit in persona. La subsistence et conséquemment la personnalité, y apparaîtra de plus en plus parfaite en remontant l’échelle des êtres ; à la limite on aura la personnalité divine. Indiquons brièvement les degrés de cette ascension. Ce qui fait, dit saint Thomas, la dignité de la personne c’est d’exister par soi séparément, per se separatim existere, d’être indépendante dans son existence et conséquemment de ne relever que de soi dans Tordre de l’action, per se agere sequitur ad per se esse. Sans doute, un individu d’une espèce quelconque, animale, végétale ou même minérale, est déjà un tout subsistant, indivis en soi et distinct de tout autre, mais combien cette subsistence et cette indépendance sont imparfaites : la pierre de soi ne peut que tomber, elle ne peut même pas s’arrêter dans sa chute ; la plante de soi ne peut que se nourrir, s’accroître, se reproduire, et tout cela fatalement, dans une dépendance telle d’un milieu approprié, que si ce milieu fait défaut la plante cesse de subsister. L’animal lui aussi est conduit fatalement par son instinct, il ne peut pas ne pas réagir sous l’attrait du bien sensible qui convient à sa nature. Tous ces êtres sont aussi peu subsistants et indépendants que possible ; emprisonnés dans le déterminisme qui régit le monde des corps, ils sont comme des pièces de ce monde, des automates ; ils ne sont pas à proprement parler source d’action, ils sont plutôt agis qu’ils n’agissent, et se contentent de transmettre l’action. - L’homme, au contraire, parce qu’il est doué d’une raison qui s’élève au-dessus des phénomènes sensibles pour atteindre l’être et dépasser le monde matériel, peut revenir sur ses propres actes, sur son jugement, juger ce jugement même, se dégager des suggestions de la sensibilité, découvrir des motifs supérieurs et introduire dans le monde une série de faits qui ne résultent pas nécessairement des antécédents posés. L’homme, s’il sait vouloir, peut jouer un rôle dans le monde, il est une personne—. Sa liberté puise dans la connaissance du bien universel une indifférence dominatrice à l’égard de tous les biens particuliers, elle domine toutes les influences du monde physique et reste maîtresse de ses actes, sui juris. Cette indépendance de la matière dans Tordre du vouloir suppose une indépendance de la matière dans Tordre de la connaissance, et cette dernière à son tour suppose une indépendance de la matière dans l’être même, oparari sequitur esse ; c’est là la vraie subsistence, celle qui n’est pas atteinte par la corruption du corps, celle qui fonde métaphysiquement notre désir naturel de vivre toujours. Mais l’homme ne sera pleinement une personne, un per se subsistens et un per se operans que dans la mesure où la vie de la raison et de la liberté dominera en lui celle des sens et des passions ; sans cela, il demeurera comme l’animal, un simple individu esclave des événements, des circonstances, toujours à la remorque de quelque autre chose, incapable de se diriger lui-même ; il ne sera qu’une partie, sans pouvoir prétendre être un tout. L 'individualité qui nous distingue des êtres de même espèce vient du corps, de la matière qui occupe telle portion d’espace distincte de celle occupée par un autre homme. Par notre individualité, nous sommes essentiellement dépendants de tel milieu, de tel climat, de telle hérédité, grecs, latins ou saxons. Le Christ était juif. La personnalité, au contraire, vient de l’âme, c’est même la subsistence de l’âme indépendamment du corps. Développer son individualité, c’est vivre de la vie égoïste des passions, se faire le centre de tout et aboutir finalement à être esclave des mille biens passagers qui nous apportent une misérable joie d’un moment. La personnalité, au contraire, grandit dans la mesure où l’âme s’élevant au-dessus du monde sensible, s’attache plus étroitement par l’intelligence et la volonté à ce qui fait la vie de l’esprit. Les philosophes ont entrevu, mais les saints surtout ont compris que le plein développement de notre pauvre personnalité consiste à la perdre en quelque sorte en celle de Dieu, qui seul possède la personnalité au sens parfait de ce mot, car seul il est absolument indépendant dans son être et dans son action. Celuilà seul qui est l’être même a une existence non seulement indépendante de la matière, mais indépendante de tout ce qui n’est pas elle ; son intelligence des choses est omnisciente, sa liberté c’est l’indifférence dominatrice la plus absolue à l’égard de tout le créé. Les éléments, qui constituent la personnalité (subsistence, intelligence, liberté), désignent autant de perfections dont la raison formelle n’implique aucune imperfection ; il faut donc affirmer qu’ils se réalisent éminemment dans Celui qui est la perfection suprême, que Dieu est par conséquent l’exemplaire et la source de toute personnalité digne de ce nom—. C’est pourquoi, dans l’ordre de la connaissance et de l’amour, les saints se sont efforcé de substituer en quelque sorte à leur propre personnalité celle de Dieu, de « mourir à euxmêmes » pour que Dieu règne en eux. Ils se sont armés d’une sainte haine contre leur propre moi. Ils ont cherché à mettre Dieu au principe de tous leurs actes, en agissant non plus d’après les maximes du monde ou d’après leur jugement propre, mais d’après les idées et les maximes de Dieu reçues par la foi. Ils ont cherché à substituer à leur volonté propre la volonté de Dieu, à agir non pas pour eux-mêmes mais pour Dieu, à aimer ce Dieu non pas seulement comme un autre moi, mais infiniment plus qu’eux-mêmes et par­ dessus tout. Ils ont compris que Dieu devait leur devenir un autre moi plus intime à euxmêmes que leur propre moi, que Dieu était plus eux-mêmes qu’eux-mêmes parce qu’il l’est éminemment ; ils ont alors cherché à abdiquer toute personnalité ou indépendance à l’égard de Dieu, ils ont cherché à se faire quelque chose de Dieu, quid Del. Ils ont acquis ainsi la plus puissante personnalité qui se puisse concevoir, ils ont acquis en un sens ce que Dieu possède par nature : l’indépendance à l’égard de tout le créé, non plus seulement l’indépendance à l’égard du monde des corps, mais même celle à l’égard des intelligences. Comme l’a dit si admirablement Pascal, « les saints ont leur empire, leur éclat, leur victoire, leur lustre, et n’ont nul besoin de grandeurs charnelles ou spirituelles, où elles n’ont nul rapport, car elles n’y ajoutent ni ôtent : ils sont vus de Dieu et des anges et non des corps, ni des esprits curieux : Dieu leur suffit » (Pensées). Le saint, parvenu à substituer à sa propre personnalité la personnalité de Dieu, peut s’écrier avec saint Paul : « Christo confixus sum cruci. Vivo autem jam non ego, vivit vero in me Christus » (Gal., II, 20). Est-ce bien lui qui vit ou Dieu qui vit en lui ? Dans l’ordre de l'opération, de la connaissance et de l’amour, le saint a bien pour ainsi dire substitué le moi divin à son propre moi, mais dans l’ordre de l’être il reste un moi distinct de Dieu. Le Christ, lui, Homme-Dieu, apparaît comme le terme vers lequel s’efforce en vain de tendre la sainteté. A la limite, ce n’est plus seulement dans l’ordre d’opération que le moi humain fait place à une personne divine, c’est dans l’ordre même de l’être, racine de l’opération, de telle sorte qu’à la lettre il est vrai de dire que la personnalité de Jésus est la personnalité même du Verbe et qu’il subsiste de par la subsistence du Verbe, avec lequel il ne fait qu’un seul et même être. Telle est la raison dernière de cette personnalité prodigieuse dont l’histoire n’avait jamais eu et n’aura jamais plus d’exemple. Telle est la raison dernière de la majesté infinie de cet Ego qui ne convient qu’au Christ, « Ego sum via, veritas et vita—. Venite ad me omnes et Ego reficiam vos—. Qui sitit veniat ad me et bibat—. Qui credit in me, flumina de ventre ejus fluent aquae vivae— ; fiet in eo fons salientis in vitam aeternam— . Et ego ressuscitabo eum in novissimo die— ». C’est déjà la personnalité terrible du Dieu juste juge : « Quis ex vobis arguet me de peccato— . Vae vobis, scribae et Pharisaei, vae vobis duces caeci, vae vobis qui saturati estis, vae vobis qui ridetis nunc—. » C’est notre fin ultime en personne qui nous parle - « Qui non est mecum contrat me est—, » Il est une catégorie d’hommes pour laquelle une personnalité si colossale est un scandale au même titre qu’un monstre d’égoïsme ; « la caste puissante des médiocrités a peur et horreur des saints et des hommes de génie, elle les trouve exagérés. Féroce ennemie de tout ce qui est grand — » elle prend plaisir à confondre les deux extrêmes, l’individu et la personne, les excès les plus coupables de l’individualisme et le développement suprême de la personnalité : elle crucifie le Christ entre deux larrons. - Mais le Christ ressuscite et ses disciples se rappellent ce qu’il avait dit avant de mourir : « Confidite, ego vici mundum » (Joan., xvi, 33). Un seul de ses actes puisait dans sa personnalité divine une valeur méritoire et satisfactoire infinie. Tel est le sens profond de l’union hypostatique ; il est compris par les grands contemplatifs et les grands théologiens, par un saint Augustin, un saint Anselme, un saint Thomas d’Aquin, et aussi par les petits que Dieu se plaît à éclairer. Le sens commun, avec sa métaphysique rudimentaire, peut l’entendre. Entre les hommes de génie dont l’esprit a une parenté profonde avec l’absolu et les humbles, il est certaine « bourgeoisie intellectuelle » qui cherche aujourd’hui un milieu entre Kant et A. Comte, qui a goûté Renan, qui lit Harnack ; son regard ne supporte que ce qui est moyen comme elle ; elle, est essentiellement modeste, il n’y a pas encore bien longtemps « elle se croyait inférieure aux plus plats imbéciles du xvin° siècle, mais se moquait de sainte Thérèse— ». « Le démesuré lui fait peur », les vertus théologales l’inquiètent, les vertus morales lui suffisent ; « elle a des yeux pour ne pas voir, des oreilles pour ne pas entendre » ; elle s’enferme volontairement dans le monde des phénomènes ; prisonnière du temps et du devenir, l’immobilité de la vie éternelle lui paraît une mort. Elle s’en va répétant son dogme de l’autonomie de l’esprit qui interdit à Dieu de lui rien révéler ; elle appelle cela fierté, comme elle appelle humilité l’agnosticisme sensualiste qui la ravale au niveau de l’animal. La théologie répond : en fait d’autonomie, de toutes les intelligences, l’intelligence humaine est la dernière : pure puissance, elle ne demande qu’à recevoir, c’est là son humilité. Mais pure puissance d’un ordre infiniment supérieur aux sens, elle est en nous une participation de la lumière incréée de Dieu ; « Signatum est super nos lumen vultus tui Domine » (Ps. IV, 7). C’est là ce qui fait toute sa grandeur. « Confiteor tibi Pater, Domini caeli et terrae quia abscondisti haec a sapientibus et prudentibus et revelasti ea parvulis » (Matth.,XI, 25). Ce que nous venons de dire des formules développées du dogme de l’incarnation s’applique aussi à celles du dogme de la Trinité. Le sens commun, nous l’avons vu, comprend qu’on puisse appliquer à Dieu le nom de personne. Comme l’Ecriture affirme l’existence en Dieu de trois « moi » distincts, de trois sujets d’attribution, le sens commun entend la formule « trois personnes » et même « trois subsistences ». - Le Concile de Florence affirme-t-il qu’« en Dieu tout est absolument un et identique, là où il n’y a pas d’opposition de relation », ce qui se traduit généralement dans l’Ecole— en disant que les trois personnalités divines distinctes sont des relations subsistantes ou des subsistences relatives, la formule n’est plus guère accessible qu’aux théologiens ; cependant, le sens commun saisit vaguement que le nom de Père comme celui de Fils expriment des relations opposées, que la nature divine ne peut être triplée sans qu’il y ait trois dieux, conséquemment que le Père ne doit avoir d’incommunicable que sa paternité, le Fils que sa fdiation, que toute la personnalité du Père consiste dans sa paternité, toute celle du Fils dans sa filiation. Pour suivre une élévation sur le mystère de la sainte Trinité, il n’est pas besoin de philosophie technique. Il est aisé de faire voir, en remontant l’échelle des êtres, que le bien est essentiellement diffusif de soi, que dans la mesure où un être est plus élevé il se communique lui-même plus parfaitement et ce qui procède de lui lui reste plus intimement uni—, La plante et l’animal engendrent en dehors d’euxmêmes un nouvel être distinct d’eux, qui peut les quitter. Le docteur communique sa science au dehors à ses disciples ; s’il est vraiment maître, cause dans l’ordre intellectuel, il leur communique quelque chose de plus foncier, son esprit ; et par cette action profonde et intime ses disciples lui restent unis. L’ami voudrait donner à son ami tout ce qu’il possède, mettre à son service tout ce qu’il a, se donner lui-même, ne plus rien retenir à soi pour ne plus faire avec son ami qu’un seul et même être, une seule et même intelligence, un seul vouloir. A la limite, celui qui est le Souverain Bien se communique aussi pleinement et aussi intimement qu ’il est possible \ il ne donne pas seulement ses idées, sa volonté, son amour, il donne sa nature même dans le mystère ineffable de sa divine paternité : « Filius meus es tu, ego hodie genui te » (Ps. II, 7). Dieu engendre, mais il n’engendre pas comme l’homme en produisant hors de lui un nouvel être distinct de lui, il n’engendre pas en multipliant sa nature comme il arrive dans la génération matérielle (qui multiplie la forme). Dieu est pur esprit, et dans l’ordre de l’Esprit il communique sa nature sans la perdre, sans la diviser, sans la multiplier ; ce qu’il donne à son Fils c’est bien tout lui-même en ne réservant pour lui que sa relation de paternité. C’est la plus absolue diffusion de soi dans la plus intime communion. Plus un être est parfait, plus il se communique pleinement, et plus ce qui procède de lui lui reste intimement uni. Il est aussi aisé de suivre les comparaisons augustiniennes qui nous montrent dans les relations des divines personnes le type suprême de la vie de l’intelligence et de la vie de la charité, l’exemplaire de toute vie surnaturelle : Trois « moi » vivant de la même vérité par un seul et même acte d’intellection, du même bien par un seul et même acte d’amour. Ainsi, il est donné à toute âme d’entendre que toute la personnalité du Père, « tout l’égoïsme du Père consiste à se rapporter à son Fils, en lui communiquant sa nature ; tout l’égoïsme de ce Fils est de se rapporter à son Père— » ; tout l’égoïsme du Saint-Esprit est de rendre aux deux premières personnes tout ce que d’elles il a reçu. Par cela même qui les distingue, les divines personnes se rapportent aux autres en s’opposant : « In Deo omnia sunt unum et idem ubi non obviat relationis oppositio. » Le Christ l’avait dit en termes très simples : « Et mea omnia tua sunt, et tua mea sunt » (Joan., xvin, 40). Il n’est pas jusqu’à la doctrine définie sur l’âme raisonnable, principe de la vie corporelle, qui ne puisse être rendue accessible au sens commun. Tout le monde distingue dans l’homme trois degrés de vie : vie végétative qui existe déjà dans la plante, vie sensitive qui existe dans l’animal, vie raisonnable. Faut-il détruire l’unité naturelle du composé humain en admettant en lui trois âmes— ? L’homme, du reste, n’a-t-il pas conscience qu’il y a en lui un même principe radical de 1’intellection et de la sensation (idem homo experitur et percipit se intelligere et se sentire^- ). Si l’âme raisonnable et l’âme sensitive étaient réellement distinctes, un moi percevrait ses sensations et un autre moi ses pensées. Mais la sensation étant un acte d’un organe animé, de l’oeil, de l’oreille, doit procéder d’un principe radical qui détermine ou informe, anime le corps. L’âme raisonnable doit donc donner au corps la vie sensitive. Elle doit lui donner aussi la vie végétative, l’unité du composé l’exige, et de fait les fonctions de sensibilité étant intrinsèquement inhérentes à des organes vivants, le principe qui anime le corps et lui donne de sentir doit lui donner aussi de vivre. Pour exposer aux fidèles le mode de la Présence réelle on dira avec le Catéchisme du Concile de Trente : « N.-S. Jésus-Christ n’est point dans l’Eucharistie comme dans un lieu. Les choses ne sont dans un lieu qu’autant qu’elles ont quelque étendue. Or quand nous disons que Jésus-Christ est dans l’Eucharistie, nous ne faisons pas attention à l’étendue plus ou moins grande de son Corps, mais à la substance elle-même, considérée indépendamment de l’étendue. Car la substance du pain est changée en la substance et non pas en la quantité, ni en la grandeur du Corps de Jésus-Christ. Or personne ne doute qu’une substance ne puisse être également renfermée dans un petit espace aussi bien que dans un grand. Ainsi la substance de l’air est aussi entière dans une petite partie d’air que dans une grande ; la nature (ou la substance) de l’eau n’est pas moins entière dans un petit vase que dans un grand. Et comme le Corps de Notre-Seigneur remplace la substance du pain dans l’Eucharistie, on est obligé de convenir qu’il est dans le Sacrement de la même manière que la substance du pain y était avant la consécration. Or la substance du pain était aussi bien et aussi entière dans la plus petite partie que dans le tout. Cela ne se discute même pas. » CHAPITRE IN LES FORMULES DOGMATIQUES EXPRIMÉES EN LANGAGE PHILOSOPHIQUE DÉPASSENT PAR LEUR PRÉCISION LE SENS COMMUN, MAIS N’INFÉODENT LE DOGME A AUCUN SYSTÈME. Les formules dogmatiques développées et exprimées en langage philosophique restent donc accessibles en une mesure au sens commun. Faut-il en conclure qu’elles ne dépassent pas ses limites strictes ? Nous ne le pensons pas. Tout ce qu’il faut affirmer, c’est qu’elles restent dans le prolongement normal du sens commun et n’inféodent le dogme à aucun système proprement dit. C’est ce qui nous reste à établir. § 1. - Ces formules dépasse! par leur précision le sens commun. La notion de subsistence, employée dans les définitions dogmatiques comme équivalent de celle de personne, est opposée dans ces mêmes définitions à la notion de nature ou de substance beaucoup mieux que ne pourrait le faire le simple sens commun éclairé par la foi. Le sens commun ne distingue qu’implicitement ces notions en formulant des propositions où s’opposent un sujet et des attributs ; ici, au contraire, subsistence et nature sont déjà très explicitement distinguées. Il suffit de relire attentivement les douze anathématismes de saint Cyrille d’Alexandrie contre Nestorius, approuvés par le Concile d’Ephèse, « Si quis non confitetur, carni secundum subsistentiam (καθ’ υποστασιν) unitum Dei Patris verbum... » (Denzinger, 114), la définition du Concile de Chalcédoine contre Eutychès, « in duabus naturis inconfuse... et in unam personam atque subsistentiam... » (Denz., 148), les quatorze canons du 11° Concile de Constantinople qui reproduisent et expliquent cette expression (Denz., 213 à 228), les vingt canons du Concile de Latran contre les monothélites (Denz., 254-274), le Symbole de Tolède (Denz., 283) et le Décret pour les Jacobites porté par le Concile de Florence (Denz., 708). Les termes de la définition du 11° Concile de Constantinople sont si explicites que saint Thomas ne craint pas de taxer d’hérétiques deux opinions nées dans la suite, dont l’une admet dans le Christ une seule personne et deux hypostases, et dont l’autre n’admet qu’une union accidentelle des deux natures, « non sunt dicendae opiniones, sed haereses in Conciliis ab Ecclesia damnatae » (IN, q. 2, a. 6). Comme l’indique suffisamment saint Thomas dans ce même article, de par les définitions conciliaires, sous peine d’errer dans la foi et de tomber dans l’hérésie de Nestorius ou dans celle d’Eutychès, il faut admettre la valeur objective de la notion métaphysique de subsistence, désignant la personnalité ontologique, fondement de ce qu’on peut appeler la personnalité psychologique (conscience de soi) et de la personnalité morale (liberté). Comme nous l’avons dit, vouloir avec Günther se contenter d’une définition psychologique ou morale de la personnalité, c’est être amené à soutenir avec Nestorius qu’il y a dans le Christ deux personnes, puisqu’il y a en lui deux consciences et deux libertés, à moins qu’on soutienne l’unité de conscience et de liberté, ce qui est l’hérésie d’Eutychès et des monothélites. Cette notion de subsistence ainsi précisée est manifestement déjà une explicitation de la métaphysique rudimentaire que professe (in actu exercito), sans y réfléchir, le sens commun. Le sens commun se sert de sujets et d'attributs, sans remarquer (in actu signato) ce qui constitue le sujet comme sujet ; il emploie le verbe subsister, l’applique aux personnes et aux choses et non pas à leurs parties, mais il ne se demande pas pourquoi. Il faudra qu’un Aristote vienne, écrive son V° livre de la Métaphysique, ch. 8, pour dégager la métaphysique de la substance première implicitement contenue dans la moindre phrase composée d’un sujet concret, du verbe être et d’un attribut. Tout le monde se sert du principe de contradiction, mais il a fallu qu’Aristote écrivît le IV° livre de la Métaphysique pour en avoir une formule abstraite et rigoureuse, susceptible de s’appliquer à tous les êtres. - Il en a été de même pour la notion le subsistence : explicitation d’une donnée confuse du sens commun, dans une mesure elle est accessible à ce dernier, mais dans une mesure elle le dépasse par sa rigueur et sa précision. N’a-t-il pas fallu de très longs débats entre Grecs et Latins, entre saint Basile et le pape saint Damase, avant que la formule des « trois personnes » soit admise par les Grecs et celle des « trois subsistences » par les Latins. Nier que les termes philosophiques employés par les définitions dogmatiques développées dépassent les limites strictes du sens commun, n’est-ce pas vouloir nier le progrès dans notre connaissance du dogme tel qu’il est universellement défini par les théologiens catholiques ? Entre la notion de pur sens commun que l'Église primitive se fait de l’Homme-Dieu et la définition du 11° Concile de Constantinople sur l’union hypostatique, il y a trop évidemment passage de l’implicite à l’explicite. De même la notion de relation appliquée à la Trinité, telle qu’elle se trouve dans la définition du Concile de Florence dépasse elle aussi les limites de ce que nous avons appelé le sens commun. Pour exposer cette définition en termes vulgaires, sans faire huit ou dix hérésies par sermon, il faut s’être élevé au-dessus des simples données du sens commun. Bossuet n’aurait évidemment jamais pu écrire ses Elévations sur les Mystères s’il n’avait, pendant des années, approfondi la théologie. C’est même parce qu’il la possédait à fond qu’il parvenait à la faire entendre sans se servir des termes d’école, à la replonger sans l’altérer aux sources vives de la foi et de l’intuition intellectuelle primitive. De même, Aristote allait confronter sa métaphysique avec les intuitions spontanées du paysan, la réflexion avec la nature. Il en est de la pensée spéculative comme de l’art. Molière ne lisait-il pas ses pièces à sa servante ? Même remarque pour la définition du Concile de Vienne sur l’âme forme du corps, et celle de Trente sur la transsubstantiation ; la substance doit être conçue comme distincte de la quantité et de la loi des phénomènes, puisque pour le pain consacré ces dernières seules demeurent. Cette précision dépasse évidemment le sens commun. §2. - La formule dogmatique expirimée en langage philosophique reste dans le prolongement du sens commun et n 'inféode le dogme à aucun système propremement dit. - Les systèmes théologiques. Cependant, la formule dogmatique ainsi précisée n 'inféode le dogme à aucun système philosophique, proprement dit. Qu’est-ce qu’un système philosophique ? C’est un corps de doctrine dans lequel toutes les vérités s’ordonnent sous un principe fondamental ou tout au moins sous un petit nombre de principes généraux qu’on ne désespère pas de réduire à l’unité. C’est ainsi qu’en métaphysique générale on a : le phénoménisme (empirique ou rationnel) ou l’idéalisme qui ramène tout le réel à la représentation ou à l’idée ; la philosophie du devenir (empirique ou rationnelle) qui ramère tout le réel à un mouvement évolutif, sous-jacent aux phénomènes ; le substantialisme qui se divise en matérialisme, spiritualisme et dualisme, suivant qu’il réduit tout à la matière, ou à l’esprit ou qu’il admet les deux. Ces mêmes systèmes prennent des noms plus précis lorsqu’on considère leur retentissement en théodicée, en cosmologie, en psychologie, en morale. En théodicée, on a : le panthéisme, l’athéisme, le dualisme, le déisme, le théisme, le pessimisme, l’optimisme absolu et l’optimisme relatif. En cosmologie : le dynamisme, le mécanisme, l’hylémorphisme. En psychologie : l’empirisme et le rationalisme ; le déterminisme et la liberté. En morale : l’hédonisme, l’utilitarisme et les morales rationnelles. - Il est clair que le dogme, comme d’ailleurs le sens commun, est en opposition radicale avec bon nombre de ces systèmes très explicitement condamnés. Il est non moins clair que plusieurs autres sont l’ expression de ce que l’Eglise appelle les praeambulafidei : existence d’un Dieu, cause première créatrice, distincte du monde, Providence ; spiritualité et immortalité de l’âme, devoir, liberté, Nous avons même dit que des trois systèmes qui se puissent concevoir en métaphysique générale deux sont inconciliables avec le dogme. - Mais lorsque, pour s’exprimer de façon plus explicite, le dogme emprunte à un système métaphysique une notion comme celle de subsistance, de relation, il n’est pas nécessaire qu’il la prenne avec sa valeur systématique qui naît des rapports qu’elle soutient avec les autres parties du système et particulièrement avec les premiers principes ou le premier principe du corps de doctrine. Il est aisé de le montrer pour la notion de subsistence ; elle n’arrive au degré d’explicitation nécessaire à la science que si l’on peut la rattacher à l’être et aux premières divisions de l’être : essence et existence ou puissance et acte. Et il se trouve que dans ce travail d’analyse et de réduction à l’être les théologiens catholiques ne sont pas tous d’accord, il est au moins trois théories de la subsistence - celle des thomistes, celle de Scot, celle de Suarez. De même, la notion suarezienne de la relation dans le traité de la Trinité diffère notablement, on le sait, de la notion thomiste. Pour savoir ce qu’est la personnalité ou la subsistence, saint Thomas étudie ce qui est requis a parte rei— pour vérifier les jugements de sens commun qui opposent le moi qui est homme à la nature par laquelle il est homme, le moi qui existe à l’existence par laquelle il existe, le moi qui agit à la faculté par laquelle il agit et aux actes qui lui conviennent. Saint Thomas, dans cette analyse, ne se contente pas, comme le prétend M. Bergson, de « réduire en système les dissociations effectuées sur le réel par la pensée commune et le langage— », mais il cherche à rendre les jugements du sens commun intelligibles en fonction de l’être. Suivant la méthode d’Aristote, le langage l’aide à distinguer les concepts exprimés par les mots— et aux concepts irréductibles entre eux et à un troisième, en vertu de l’objectivité de l’intellect, doivent répondre des irréductibilités réelles—. Le critérium de ces irréductibilités conceptuelles et réelles n’est nullement le langage, c’est l'être objet formel de l’intelligence, c’est le rapport des divers concepts avec le premier de tous. - Appliquons cette méthode pour savoir ce qu’est la personnalité ou la subsistence. Tout le monde dit : cet homme est bon, cet homme est raisonnable, mais on ne dit pas : cet homme est la bonté, cet homme est la rationabilité. Pourquoi ? Parce que le verbe être prétend exprimer l'identité non pas logique mais réelle du sujet et du prédicat ; or, la bonté ou la ralionabilité de cet homme n’est qu’un de ses caractères, ce n’est pas lui-même. D’autre part, sous prétexte que le verbe être doit exprimer une identité réelle, on ne peut se refuser avec les Sophistes à admettre la vérité de cette proposition « cet homme est bon » ; on ne peut se contenter de dire « l’homme est l’homme », « le bon est le bon », ou avec Parménide « l’être est, le non-être n’est pas ». On ne peut nier, disait Platon, la possibilité du jugement. Il faut seulement expliquer ce qui en fonde la vérité a parte rei. D’où vient qu’on peut dire : cet homme est bon, cet homme est existant, cet homme est agissant, etc ? C’est que, sous des formalités multiples, la bonté, l’existence, l’action, il y a un seul et même sujet qui est bon, qui existe, qui agit. En effet, dire : cet homme est bon, c’est dire : cet être qui est homme est (le même qui est) bon ; cet être qui est homme est (le même qui est) agissant. Sous ces formalités multiples (id quo est bonus, id quo est homo, id quo existit, id quo operatur), il faut qu’il y ait une identité réelle (id quo est quod, seu id quo est subjectum) qui constitue le sujet comme sujet, le tout comme tout. Si nos jugements sont vérifiés par le réel, de même qu’il y a au point de vue logique un sujet d’attribution qui lui-même ne peut s’attribuer à rien (cet homme), il doit y avoir au point de vue métaphysique, a parle rei, un sujet auquel appartient tout ce qui est en lui (nature, existence, opération), et qui luimême n’appartient qu’à lui, un même sujet qui est homme par sa forme spécifique, qui existe par l’acte d’exister, conscient de lui-même par sa réflexion, agissant par sa volonté, mais qui est un seul et même sujet par quelque chose de distinct de la nature, de l’existence, des opérations. - Tel est le sens profond du jugement affirmatif et du verbe être qui est l’âme de ce jugement ; par cette seconde opération de l’esprit, nous restituons au réel ce que nous en avons tiré par l’abstraction, après avoir abstrait d’un même être deux notions, en les réunissant (componendo) nous affirmons qu’elles expriment sous deux aspects un seul et même être. C’est là ce que Kant n’a pas compris, avons-nous dit plus haut ; il n’a vu d’identité que dans les jugements analytiques, pures tautologies à ses yeux ; tandis que tout jugement affirmatif, nécessaire ou contingent, exprime par le verbe être une identité non pas logique, mais réelle. - C’est là le fondement de la théorie thomiste du suppôt ou de la personne, de la subsistence ou de la personnalité ; on peut s’en rendre compte en méditant, avec les articles précités de la et de la INa pars, l’article où saint Thomas se demande : Utrum haec sit vera « Deus est homo » (INa, q. 16, a. 1) ; on y verra nettement exprimé que la vérité de tout jugement affirmatif suppose l’identité de suppôt sous la diversité logique du prédicat et du sujet ; par là se vérifie dans le Christ le jugement : Deus est homo. » Mais nous n’avons pas encore ainsi une notion métaphysique distincte de la subsistence. Ce par quoi le sujet reste un seul et même sujet sous la multiplicité des formalités qui lui sont attribuables (essence, existence, action), soutient des rapports ontologiques avec l’essence et l’existence qui représentent les premières divisions de l’être. Ces rapports quels sont-ils ? La solution de ce problème dépend de celle donnée au problème des rapports de l’essence et de l’existence, comme on peut s’en rendre compte par l’article où saint Thomas examine : Utrum sit unum esse in Christo (INa, q. 17, a. 2) et par les commentaires classiques de cet article. Saint Thomas admet la distinction réelle de l’essence et de l’existence dans les créatures. (Summa Theol., la, q. 3, a. 4 ; q. 7, a. 1 ; q. 54, a. 2 ; - C. Gentes, 1. II, c. 52 ; - de Ente et Essentia, c. 5.) La preuve fondamentale revient à ceci : Un acte ne peut être multiplié et limité que par une puissance réelle, réellement distincte de l’acte. Or, l’existence dans les créatures est un acte ultime multiplié et limité de fait par l’essence de ces différentes créatures (pierres, plantes, animaux, hommes, anges). Donc, l’essence dans les créatures est puissance réelle réellement distincte de l’acte d’exister. - La mineure de cet argument contient la définition de l’existence et l’affirmation d’un fait. L’existence ne se conçoit que comme l’ultime détermination de ce qui existe, celle par laquelle tout ce qui est susceptible d’exister est posé en dehors de l’état de possibilité, en dehors du néant et de ses causes ; pour chaque chose, pour chaque opération, pour tout ce qui peut être, exister est le dernier achèvement ; s’il manque une perfection à un être, c’est que quelque chose en lui n’est pas arrivé à l’existence. De plus, de fait, l’existence n’est pas unique, il y a celle des pierres, des plantes, des hommes, etc. Comment expliquer la multiplicité des existences ? La majeure de notre preuve fournit la réponse à ce problème que Parménide a nié parce qu’il n’a pas pu le résoudre. Parménide niait la multiplicité comme le mouvement. Et sa négation de la multiplicité a posé aussi nettement qu’il est possible le problème métaphysique fondamental, celui des rapports de l’essence et de l’existence. « Ce qui diffère de l’être est non-être, disait Parménide, et le non-être n’est pas. Or, deux êtres ne pourraient se distinguer que par autre chose que l’être, c’est-à-dire par le nonêtre, qui n’est pas. Donc, la multiplicité des êtres est impossible, leur distinction est illusoire. » (LMet., c. V, Comm. de saint Thomas, leç. 9). Il avait dit de même : « Tout ce qui n’est pas l’être est néant. Mais de l’être rien ne peut venir, car l’être est déjà ; d’autre part du néant rien ne peut sortir ; donc, le devenir n’est pas. » Aristote répondit à ce dernier argument en distinguant la puissance et l’acte : « de l’être déterminé rien ne peut venir, car l’être déterminé est déjà. Mais entre cet être déterminé et le pur néant, il y a place pour un milieu, la puissance réelle, un non-être relatif qui est. » Saint Thomas a compris que la même division de l’être suffit à résoudre l’argument de Parménide contre le multiple : ce qui diffère de l’être déterminé n’est pas être déterminé (ens simpliciter), mais peut être être indéterminé ou puissance (ens secundum quid). Or, deux êtres distincts ne peuvent se distinguer ni par l’existence déterminée qui leur est commune, ni par le néant ; ils sont donc distincts par l’être indéterminé et potentiel, par l’essence réelle sous l’existence, comme la matière est réelle sous la forme qui la détermine, Et ce n’est pas là une distinction purement conceptuelle ; ces deux concepts de puissance et acte sont irréductibles entre eux puisqu’ils s’opposent ; ils sont irréductibles à un même troisième,ce troisième ne pourrait être que l'être et c’est précisément la division de l'être en puissance et acte qui s’impose a parte rei pour rendre intelligible la multiplicité et le devenir qui existent a parte rei. Si l’intelligence a une valeur objective, à cette irréductibilité conceptuelle doit donc répondre une irréductibilité réelle. L’essence et l’existence dans la créature sont réellement ou ontologiquement distinctes. Nier cette distinction, c’est supprimer celle de l’incréé et du créé et revenir avec Parménide à l’acosmisme, en niant le multiple, ou bien c’est nier la valeur objective du principe d’identité en affirmant que les êtres se différencient réellement sans qu’il y ait en eux aucun principe de différentiation réelle, qui explique que l’existence soit multipliée. S’il en est ainsi, que sera la subsistence ? Ce qui constitue un tout subsistant séparé comme tout, un sujet qui existe comme sujet doit être un élément qui « termine » en les unissant la nature ou essence et les autres parties de ce tout. Par ailleurs, cet élément est présupposé à l’existence (ultime actualité), puisque ce qui existe c’est le tout ; c’est à ce tout supposé déjà constitue comme tel que nous attribuons l’existence. La subsistence apparaît dès lors comme intermédiaire entre la nature individuée et l’existence, elle est ce par quoi le tout est constitué sujet immédiat de l’existence. « Esse sequitur naturam non sicut habentem esse, sed sicut qua aliquid est, hypostasim autem aut personam tanquam habentem esse. » (Summ. theol., III, q. 17, a. 2)—. C’est là ce que nous appelons : rattacher à l’être cette notion confuse de sens commun que possèdent tous ceux qui donnent un sens au mot susbister, et qui, dans le langage courant, opposent le moi à tout ce qui lui est attribuable. - Cette analyse achevée, saint Thomas conclut que dans le Christ le moi unique est constitué par une subsistence unique, celle du Verbe, que la nature humaine du Christ est dépourvue de la subsistence créée qui naturellement aurait dû la terminer. (III. q.4, a. 2.) Enfin, à l’unité de subsistence suit l’unité d’existence, la nature humaine du Christ existe par l’existence même du Verbe, et l’Union hypostatique est la plus intime des unions. (III, q. 17, a. 2.) De là encore on déduit qu’il convient hautement que le Christ ait eu sur la terre la vision béatifique pour avoir, par son intelligence humaine comme par son intelligence divine, clairement conscience de soi, conscience de son moi divin. Lui refuser cette vision, c’est ne lui accorder que la foi en sa propre personnalité. De là se déduisent enfin et l’impeccabilité du Christ et la valeur infinie de ses mérites, puisque la personnalité ontologique qui est principe (quod) de la liberté humaine de Jésus, est une personnalité divine. C’est le Verbe même de Dieu fait homme, qui par sa liberté humaine, s’est offert, a mérité, et satisfait pour nous. Cette notion de subsistence ainsi analysée et rattachée à l’être par la première division de l’être en puissance et acte nous permet de concevoir analogiquement le sens profond du dogme de l’Union hypostatique. Mais il n’est nullement nécessaire de préciser à ce point cette notion pour adhérer aux formules les plus développées de ce dogme. Dans ce travail d’analyse, il est même des divergences parmi les théologiens. Suarez, qui ne parvient pas à concevoir la puissance réelle, intermédiaire entre l’acte et le pur néant, ne voit pas la nécessité d’admettre une distinction réelle ou ontologique dans les créatures entre l’essence et l’existence ; dès lors, il conçoit la subsistence comme postérieure à l’existence et est amené à admettre deux existences dans le Christ. Aux yeux des thomistes (Billuart, t. III, p. 45), Suarez commet ici une erreur en métaphysique et compromet en théologie l’intimité de l’union des deux natures dans le Christ. Quant à la conception scotiste qui réduit la personnalité à une simple négation ( sous prétexte que l’indépendance est un mode négatif—) et qui admet aussi dans le Christ deux existences, elle semble si peu sauvegarder l’intimité de l’union hypostatique que Scheeben, après plusieurs théologiens, a pu écrire : « Le rapport des deux natures y apparaît plutôt comme une juxtaposition artificielle que comme une existence organique... ; de là les propositions insoutenables ou en partie malsonnantes de la théologie scotico-nominaliste sur la sainteté formelle de l’humanité du Christ, sur la valeur amoindrie de ses mérites, sur une certaine possibilité de péché. » (SCHEEBEN, La Dogmatique, t. IV, § 416.) Quoi qu’il en soit des dangers de ces deux dernières théories, une certaine latitude est permise dans la façon de concevoir la subsistence, et il n’a jamais été défini qu’il n’y a qu’une existence dans le Christ. Le terme subsistence n’entre donc pas dans la formule dogmatique développée avec sa valeur proprement systématique qui implique des rapports déterminés avec les autres notions métaphysiques—. Comme l’a montré la condamnation de Günther, ce qu’il est absolument nécessaire d’admettre pour éviter l’hérésie de Nestorius ou celle d’Eutychès, c’est une notion, non pas seulement psychologique et morale, mais ontologique de la personnalité. Les termes des formules dogmatiques développées dépassent donc les limites strictes du sens commun, mais ils restent dans son prolongement, lui demeurent accessibles dans une mesure et n’inféodent le dogme à aucun système proprement dit. §3- Loin de s'inféoder à nos concepts la Révélation les juge et les utilise. On ne manquera pas d’objecter : « Si les termes de ces formules dépassent les limites du sens commun, qui nous garantit leur valeur immuable ? » -L’Eglise elle-même, organe du Christ, qui, dans son infaillibilité, a jugé de la valeur analogique des concepts exprimés par ces termes. Loin de 5 'inféoder à ces concepts, la Révélation se sert d’eux, elle les utilise comme dans tous les ordres le supérieur utilise l’inférieur, au sens philosophique du mot, c’est-à-dire l’ordonne à sa fin. La surnature utilise la nature. Avant de se servir de ces concepts et de ces termes, le Christ, par l’Eglise, les a jugés et approuvés dans une lumière toute divine qui n’a pas pour mesure le temps, mais l’immobile éternité. Ces concepts, évidemment inadéquats, pourront toujours être précisés, ils ne seront jamais périmés. Le dogme ainsi défini ne peut se laisser assimiler par une pensée humaine en perpétuelle évolution, cette assimilation ne serait qu’une corruption ; c’est lui, au contraire, qui veut 5 'assimiler cette pensée humaine qui ne change sans cesse que parce qu’elle meurt tous les jours ; il veut se l’assimiler pour lui communiquer dès ici-bas quelque chose de la vie immuable de Dieu. Le grand croyant est celui dont l’intelligence est plus foucièrement passive à l’égard de Dieu, qui le vivifie—, Franzelin a développé cette idée dans son traité de Verbo incarnato. Thesis XXVI. - De notione hypostaseos et essentiae seu naturae expolienda ex veritatibus revelatis. « Ex veritatibus quibusdam revelatis et fide cognitis atque ex historia dogmatum conficitur, philosophiam non posse sine errore sibi vindicare plenam autonomiam et independentiam a theologia in constituenda notione hypostaseos ac personae et in determinanda ejusdem habitudine ad naturam ac substantiam, saltem si notio non sit restricta solum ad connaturalem modum existendi creaturarum, sed debeat esse absoluta et ita universalis ut sub se comprehendat rationes analogas, divinae ac creatae hypostaseos et naturae, atque ad creatae substantiae non solum connaturalem sed etiam supernaturalem subsistendi modum extendatur. » § 4. - Le principe de l'autonomie de l'esprit. Mais que devient alors le principe moderne de l’autonomie de l’esprit si nous devons recevoir du Christ une vérité toute faite ? « Le dogme apparaît ainsi comme un asservissement, comme une limite aux droits de la pensée, comme une menace de tyrannie intellectuelle, comme une entrave et une restriction imposée du dehors à la liberté de la recherche. Toutes choses radicalement contraires a la vie même de l’esprit, à son besoin d’autonomie et de sincérité, à son principe générateur et fondamental qui est le principe d’immanence... Le premier principe de la méthode n’est-il pas sans conteste depuis Descartes, qu’il ne faut tenir pour vrai que ce que l’on voit clairement être tel 100?» A cette objection déjà formulée par Günther— et des milliers d’autres avant lui on pourrait répondre en rappelant la valeur des motifs de crédibilité, les grandes convenances des dogmes, leur harmonie entre eux et avec les besoins les plus fonciers de notre nature. Cette apologétique profonde, précise, nullement extrinséciste n’est autre que la théologie spéculative de chacun des grands mystères révélés, théologie de la Trinité, de l’incarnation, des Sacrements, de la grâce, des vertus théologales. Cette apologétique montre toujours davantage au théologien qu’il est bon, moralement bon et obligatoire de croire surnaturellement par l’intelligence spéculative à un témoignage si divinement garanti (motifs de crédibilité) qui se donne comme témoignage de la Vérité première (motif formel de la foi) et parole d’éternelle vie (attrait de la fin ultime). Croire par l’intelligence spéculative c’est croire que ce qui est révélé est, que Dieu est trine et un, que Jésus est Dieu, et cet acte d’intelligence ne petit procéder que de cet habitus intellectuel surnaturel qui est la foi même. Mais puisque l’objection est dans son fond naturaliste, et nous ramène au critère de l’évidence (dont Descartes d’ailleurs n’a fait que ruiner l’autorité en concevant l’évidence comme subjective) et puisque le fond de la réalité n’est pas un premier principe immanent mais le Dieu transcendant et surnaturel, il suffit de répondre à ceux que cette révélation extérieure scandalise : l’agent doit s’assimiler le patient et non pas se laisser assimiler par lui. - La plante s’assimile le minéral, l’animal s’assimile la plante, l’homme s’assimile l’animal, Dieu s’assimile l’homme et ce par quoi l’homme est l’homme, l’intelligence. « Omnia enim vestra sunt, vos autem Christi, Christus autem Dei. » (I Cor., III, 22-23) C’est ce que saint Thomas a montré dans un des plus beaux articles du traité de la foi— où il distingue dans tous les êtres créés un double mouvement, l’un qui leur est naturel et un autre qui leur est communiqué par un agent supérieur ; l’eau de la mer par elle-même tend vers le centre de la terre, mais elle est aussi mue par les astres qui produisent en elle le flux et le reflux. Ainsi l’intelligence humaine autonome dans son mouvement naturel, par un mouvement surnaturel doit obéir, à Dieu qui veut l’instruire des choses surnaturelles. (Le premier mouvement procède d’une puissance naturelle, le second de la puissance obédientielle.) L’animal dressé par l’homme participe en un sens à l’intelligence humaine, l’homme instruit par Dieu participe à l’intelligence divine. Asservissement, si vous voulez, mais, à la manière des vœux de religion, asservissement qui délivre de tous les autres, de tous ceux du monde, de ses préjugés et de ses maximes, de ses théories, de celui des maîtres humains si souvent insupportable par sa vanité et sa prétention. Ici encore il est vrai de dire « servire Deo regnare est ». Asservissement glorieux qui surtout nous délivre de nous-même, de cette prétendue autonomie du moi qui est, aux yeux des saints, la pire des servitudes, la plus difficile à détruire, que Dieu seul parvient à anéantir dans les terribles purifications passives de l’esprit qui préparent à la contemplation la plus haute. Cette prétendue autonomie de l’esprit est servitude, parce qu’elle nous porte à juger naturellement des choses surnaturelles, elle nous porte ainsi à détruire Dieu autant qu’il est en nous et à nous détruire nous-mêmes en nous privant de la vraie vie. Lorsque nous oublions la vie de la grâce, nous sommes comme des esclaves enchaînés par les limites mêmes de notre nature créée -, Dieu par sa révélation vient briser ces chaînes et nous, préparer dès ici-bas à la vision intuitive de l’infini, à la connaissance ineffable que Lui seul peut avoir naturellement de Lui-même. - Limite aux droits de la pensée, si vous voulez ; saint Thomas dit expressément : « intellectus credentis dicitur esse captivatus quia tenetur terminis alienis, et non propriis » (de Veritate, q. 14, a. 1)— -, mais limite qui nous empêche de divaguer sur les questions de toutes les plus importantes, limite qui nous empêche de retomber dans ce que Pascal appelle l’ordre des esprits et celui des corps et qui nous oblige à nous élever toujours plus haut dans l’ordre spécifiquement divin. Menace de tyrannie intellectuelle ? Peut-être en apparence à certains moments que connaissent les grands contemplatifs lorsque Dieu purifie leur foi de tout alliage naturel. La vérité première agit alors à de telles profondeurs dans l’intelligence créée, dit saint Jean de la Croix, « que les sens et l’esprit souffrent comme s’ils étaient oppressés d’un poids immense et invisible, et ils tombent dans une agonie si cruelle que, s’ils avaient à choisir, ils préféreraient la mort et l’accueilleraient comme un véritable soulagement... La source des tourments que l’âme souffre en cet état vient de son infirmité naturelle et spirituelle. Cette contemplation divine lui est communiquée d’une manière si forte et si impétueuse, à dessein de la fortifier en la domptant, que sa faiblesse ne peut la supporter et qu’elle semble défaillir, lorsque la véhémence de la lumière s’exerce avec le plus d’intensité. Chose vraiment merveilleuse et digne de compassion, l’âme a tant de faiblesse et d’imperfection en cet état, que la main de Dieu, si douce et si légère par ellemême, lui paraît dure et pesante. Cependant Dieu ne touche l’âme que très délicatement, puisqu’il ne la traite de la sorte que pour l’enrichir de ses dons, et non pour la châtier— ». Plus la lumière naturelle est vive, plus elle éblouit et aveugle le hibou ; plus on regarde fixement le soleil, plus ses splendeurs fatiguent le regard ; plus la lumière divine est intense, plus l’âme encore impuissante à la supporter est plongée dans les ténèbres spirituelles. - Terrible et doux mystère que celui de l’action divine sur l’intelligence et la liberté créées. Nous prenons ces cas limites pour montrer la part de vérité qu’il y a dans ce mot « asservissement » dont M. Le Roy se scandalise. Le mot d’ailleurs est de saint Paul « in captivitatem redigentes omnem intellectum in obsequium Christi ». (II Cor., X, 5.) L’Apôtre parle au nom de Dieu, tanquam potestatem habens : « Les armes avec lesquelles nous combattons ne sont pas chamelles ; elles sont puissantes devant Dieu pour renverser des forteresses. Nous renversons les raisonnements et toute hauteur qui s’élève contre la science de Dieu, et nous assujettissons toute pensée à l’obéissance du Christ. » Voudrions-nous un Dieu qui fût comme n’existant pas, qui se contentât de poser des problèmes au lieu de les résoudre ? L’intelligence humaine doit obéir à l’intelligence et à la Vérité première, au Christ qui nous a révélé cette vérité. L’obéissance doit être raisonnable (motifs de crédibilité), mais elle ne doit pas cesser d’être une obéissance, rationabile obsequium. (Rom.,XII, 1 ; Phil., II, 17.) Grâce à Kant et à M. Bergson, certains philosophes se figurent en savoir spéculativement aujourd’hui sur le dernier fond des choses plus que le Christ qui n’aurait eu du réel qu’une connaissance pratique. Leur spéculation dépasserait Celui qui il y a vingt siècles était constitué maître de l’humanité ès choses de la vie éternelle, jusqu’à la fin des temps, Celui qui, lorsqu’il nous parlait, avait la vision immédiate de l’Essence divine. Comment le Verbe se serait-il incarné pour nous prêcher une religiosité vague qui se puisse accommoder de tous les systèmes sur les rapports fonciers de l’âme et de Dieu ? Pauvre philosophie à la mode qui, grâce au progrès moderne, croit avoir dépassé le Verbe de Dieu prononçant devant les siens son oraison sacerdotale. Ce ridicule échappe à l’attention par sa profondeur même ; il passe inaperçu. - Quant a nous, théologiens, chargés de conserver pure et exempte de toute erreur la vérité révélée au monde, puisse le Christ n’avoir pas à nous reprocher cette faute qui consiste à appauvrir la parole de Dieu sous prétexte de la défendre et de la répandre. On demande à l’Eglise de voiler ou d’estomper les dogmes, pour les rendre accessibles à un grand nombre d’âmes éprises de liberté. En fait d’amour des âmes, l’Eglise ne peut connaître que celui qui se fonde sur l’amour de Dieu, sur la passion ardente, surnaturelle de la Vérité. Le reste est misère : « Ratio diligendi proximum Deus est : hoc enim debemus in proximo diligere, ut in Deo sit. » (Π-Π, q. 25, a. 1.) La diminution de la vérité ne servira jamais les âmes ; elle ne peut que les affadir au lieu de les assimiler à Dieu. Il est des conciliations impossibles que seul un hégélien ou un bergsonien peut rêver, celle du faux et du vrai, celle du démon et de Dieu. C’est de ce genre qu’est la conciliation du surnaturel avec le principe naturaliste de l’autonomie de l’esprit ; car il se pourrait en fin de compte qu’on trouvât le sens profond de ce principe en cette phrase de saint Thomas : « in hoc (angelus) appetiit indebite esse similis Deo, quia appetiit ut finem ultimum beatitudinis, id ad quod virtute suae naturae poterat pervenire, avertans suum appetitum a beatitudine supematuralei quae est ex gratia Dei »—. Mais comment parler d’orgueil intellectuel ; le nominaliste qui concilie les contradictoires dans le devenir n’est-il pas le plus modeste des philosophes ? Nous ne prétendons pas, dira-t-il, amoindrir la science ou l’enseignement du Christ ; nous refusons seulement de reconnaître à la raison humaine la valeur d’immutabilité que la théologie lui accorde. Le Christ et l’Eglise, bon gré mal gré, ont dû se servir de concepts humains, et ces concepts parce qu’ils sont humains, un jour ou l’autre seront dépassés. - Nous avons suffisamment répondu d’avance à cette ob iection en montrant l’immutabilité de ce que M. Bergson appelle « la métaphysique naturelle de l’intelligence humaine », prolongement naturel et justification du sens commun. Pour nous, théologiens, et il ne faut pas craindre de dire pour l’Eglise, l’intelligence humaine, vivante relation à l’être, est déjà, dans Tordre naturel, une participation de l’intelligence immuable de Dieu. « Signatum est super nos mumen vultus tui Domine \ ipsum enim lumen intellectuale, quod est in nobis, nihil est aliud, quam qaedam participata similitudo luminis increati, in quo continentur rationes aeternae. » (S. Thomas, II, q. 84, a. 5.) Nos concepts sont humains par le mode selon lequel ils nous font connaître la réalité (parce qu’ils sont abstraits des choses sensibles qui constituent l’objet de l’intelligence humaine en tant qu ’humaine). Mais, malgré ce mode humain, nos concepts transcendantaux et analogiques (d’être, d’unité, de vérité, de bonté, d’intelligence, de volonté,etc.) nous représentent une raison formelle pure de toute imperfection, qui constitue l’objet de l’intelligence humaine non plus en tant qu’humaine, mais en tant qu ’intelligence. Enfin l’histoire nous montre que, contrairement aux sciences positives, la métaphysique, surtout la métaphysique générale, évolue assez peu ; il n’y a, au fond, que deux positions possibles : celle de ceux qui affirment l’objectivité de l’idée d’être et du principe d’identité (philosophie de l’être) et celle de ceux qui la nient (philosophie du devenir et phénoménisme). En philosophie, nous possédons un grand nombre de vérités partielles ; il reste seulement à montrer, comme le disait Spir—, que toutes ces vérités s’ordonnent sous un principe unique, le principe d’identité ; alors elles formeront un tout, prendront leur véritable signification et toute leur valeur. 5. - Le dogme est connu plus explicitement dans l'Eglise par les « majores » chargés d’enseigner les autres, mais il est pénétré plus profondément par ceux dont l'âme est plus pure. Il est une dernière objection qu’on pourrait faire à notre thèse : le sens des termes employés dans les formules dogmatiques développées ne semble pas devoir dépasser les limites du sens commun ; la vérité dogmatique est « pénétrée plus profondément par ceux dont l’âme est plus pure, plus détachée du monde, plus unie au Christ, non par ceux dont l’esprit est plus pénétrant et plus cultivé ». A cette objection, il est facile de répondre : autre chose est « pénétrer plus profondément » et autre chose « connaître plus explicitement ». Pour me servir d’un exemple cité par M. Lebreton, les généraux de Napoléon qui vivaient de sa vie le connaissaient plus profondément que tel de ses historiens, qui, à cent ans de distance, accumule des milliers de faits dont bon nombre ont échappé aux amis intimes du grand homme. Tel théologien de foi très médiocre, de vie intérieure à peu près nulle, n’ignore aucun des décrets de l’Eglise touchant le Christ ; il a sa foi dans son Denzinger ou dans une case de sa mémoire, comme il a la physique dans une autre case, son intelligence n’en vit pas ; on ne sent pas en lui ce que saint Anselme appelle « fides quaerens intellectum » ; quand il traite de l’incarnation, il ne semble pas parler de quelque chose de réel -, il aligne des textes et des syllogismes sur ce sujet aussi bien que sur un autre ; il connaît très explicitement toutes les formules, mais il n’a guère l'esprit des concepts, l’esprit des mots et des formules, ici l’esprit surnaturel, « cet élément irréductible à l’analyse et qu’on est en droit d’appeler synthétique..., ce quelque chose de mystérieux, d’imperceptible aux sens et à l’intelligence qui analyse, d’impalpable comme l’esprit, flottant comme des choses comme leur double, principe de vie par excellence, sans lequel on n’a dans les mots parlés que des squelettes et des osselets— ». Ce même théologien se trouve au confessionnal en présence d’une pauvre femme tombée dans la plus navrante détresse, obligé de sortir pour un instant de sa banalité habituelle, il finit par trouver le mot qui console et qui fortifie : « Notre-Seigneur a souffert encore plus que vous pour vous » ; la chrétienne qui aime son Christ de toute son âme, plus qu’elle-même et par­ dessus tout, lui répond avec une conviction que le théologien n’a jamais eue : « C’est là la plus exacte vérité. » Elle croit plus profondément que lui en l’incarnation rédemptrice Est-ce à dire que la connaissance que le théologien a du dogme ne sert de rien et que les termes employés pour définir la vérité dogmatique ne doivent en rien dépasser le sens commun ? Saint Thomas répond à cetté objection lorsqu’il enseigne que les membres de l’Eglise ne sont pas tous tenus d’avoir une foi également explicite, « majores ad quos pertinet alios erudire tenentur habere pleniorem notitiam de credendis et magis explicite credere ». (Π-Π, q. 2, a. 6.) Ces majores pour avoir une foi plus explicite, n’ont pas une foi plus profonde que tel ou tel des minores plus détaché du monde et plus uni à Dieu. La théologie n’est pas nécessaire à tel individu, elle est nécessaire à l'espèce, à la société qu’est l’Eglise . Les saints dont la connaissance expérimentale penserait pouvoir se passer de la théologie l’ont expressément reconnu : « Mon opinion, dit sainte Thérèse, est et sera toujours que tout chrétien doit, lorsqu’il le peut, communiquer avec des hommes doctes, et plus ils le seront, mieux cela vaudra. Ceux qui marchent par les voies de l’oraison en ont plus besoin que les autres, et cela à proportion qu’ils seront plus spirituels. Ce serait se tromper que de dire : les théologiens étrangers à l’oraison ne sauraient convenir aux per sonnes qui s’y adonnent. J’ai été en relation avec beaucoup de théologiens et mes besoins ayant été plus grands ces dernières années, je les ai recherchés davantage : toujours, du reste, je leur ai été très affectionnée. Quelques-uns, évidemment, n’ont pas l’expérience des voies spirituelles, mais ils ne les ont pas pour cela en aversion, ils ne les ignorent pas, et dans l’Ecriture sainte qu’ils étudient sans cesse, ils rencontrent les véritables marques du bon esprit. Ce dont je suis persuadée, c’est que le démon ne séduira point par ses artifices une personne d’oraison qui consulte des théologiens, à moins qu’elle ne veuille se tromper elle-même. Selon moi, il redoute extrêmement la science humble et vertueuse ; il sait qu’il sera démasqué par elle et qu’il se retirera avec perte. J’ai dit ceci, parce que certaines personnes se figurent que les hommes de doctrine non adonnés à la vie intérieure ne sont pas faits pour diriger les âmes d’oraison... Plutôt que de se faire une spiritualité mal établie, je préférerais qu’on renonçât à l’oraison. La doctrine est une grande chose ; elle instruit, elle éclaire les ignorants comme nous. Une fois appuyés sur les vérités de la sainte Ecriture, nous sommes sûrs de marcher droit. Quant aux dévotions niaises, Dieu nous en délivre—, » Sainte Thérèse pouvait vivre plus profondément qu’un Bagnez des mystères de la Trinité et de l’incarnation, mais elle ne négligeait pas pour cela les lumières que pouvait lui apporter ce théologien spéculatif ; elle voulait être jugée par lui, elle a rédigé sa vie pour faire connaître à trois théologiens thomistes, ses confesseurs, les grâces dont Dieu la favorisait et la voie qu’elle suivait dans l’oraison—. Sainte Thérèse savait que le Christianisme n’est pas seulement une vie, mais qu’il est aussi une doctrine, et que la doctrine sacrée est le fondement et la règle de la vie intérieure (nihil volitum nisi praecognitum). Telle a été évidemment dès l’origine et toujours la pensée de l'Église. Il suffit de voir avec quelle insistance saint Paul exhorte Tite et Timothée à bien connaître la vraie doctrine, à la défendre avec fermeté malgré la persécution, à la prêcher, à la conserver intacte comme un « dépôt », « en évitant tout ce qu’oppose une science qui n’en mérite pas le nom ». (I Tim., VI, 20.) « L’évêque doit être fermement attaché à la doctrine qui lui a été enseignée, afin d’être en état d’exhorter selon la saine doctrine et de réfuter ceux qui la contredisent. » (Tit., I, 9.) - Saint Augustin résume toute la tradition lorsque dans une définition classique de la science sacrée, il nous la présente comme source de vie religieuse par excellence : « Huic scientae attribuitur illud quo fides saluberrima gignitur, nutritur, defenditur et roboratur » (de Trin., 1. 14, c. 1). Tous les mystiques orthodoxes qui ont le plus vécu de cette expérience religieuse, que certains veulent confondre aujourd’hui avec la foi, distinguaient, comme saint Thomas et toute la théologie, deux sagesses qui doivent s’aider mutuellement : la sagesse spéculative (la théologie) et la sagesse expérimentale (le don de sagesse). « Sapientia, dit saint Thomas, importat quamdam rectitudinem judicii secundum rationes divinas. Rectitudo atem judicii potest contingere dupliciter. Uno modo secundum perfectum usum rationis ; alio modo propter connaturalitatem quamdam ad ea, de quibus judicandum est. Sicut de his, quae ad castitatem pertinent, per rationis inquisitionem recte judicat ille, qui didicit scientiam moralem ; sed per quamdam connaturalitatem ad ipsam recte judicat de eis ille qui habet habitum castitatis. - Sic ergo circa res divinas ex rationis inquisitione rectum judicium habere pertinet ad sapientiam, quae est virtus intellectualis ; sed rectum judicium habere de eis secundum quandam connaturalitatem ad ipsas, pertinet ad sapientiam, secundum quod est donum Spiritus Sancti ; sicut Dionysius dicit, in II c. de Div. nom., leç. 4, quod Hierotheus est perfectus in divinis, non solum discens sed et patiens divina. - Hujusmodi autem compassio, sive connaturalitas ad res divinas fit per charitatem, quae quidem nos unit Deo, see. illud I. ad Cor., 6. Qui adhaeret Deo, unus spiritus est. » (II-II, q. 45, a. 2 et q. 51, a. 3, ad 1.) - Tel est le vrai pragmatisme qui se moque du pragmatisme. Non seulement la volonté applique l’intelligence à considérer les choses divines de préférence à toutes les autres (ordre d’exercice), mais du fait que cette volonté est foncièrement et divinement rectifiée, ces choses divines apparaissent à l’intelligence comme conformes au sujet, bonnes pour lui et d’autant meilleures que la charité est plus intense, vraies puisqu’elles répondent pleinement aux désirs les plus foncièrement rectifiés, par la lumière divine de la foi. « Amor transit in conditionem objecti—. » §6. -Ily a en un sens une philosophie de l'Eglise. Le Christianisme est une vie plus particulièrement vécue par ceux dont l’âme est plus pure et plus détachée du monde ; mais la racine de la vivante volonté qui se porte vers le bien est l’intelligence qui connaît et juge ce bien ; pour être une vie, le Christianisme doit être une doctrine. Cette doctrine est plus explicitement connue par ceux dont l’esprit est plus pénétrant et plus cultivé. Exprimée d’abord en termes de sens commun, elle s’explicite, se précise peu à peu en des formules dogmatiques qui montrent plus clairement les rapports des dogmes entre eux et avec les grandes vérités de Tordre naturel. Par là se constitue ce qu’on peut appeler en un sens la philosophie de l’Eglise, ou la philosophie chrétienne ; élaboration du sens commun dans la lumière de la foi, cette philosophie n’est pas un système proprement dit, elle n’en a pas moins sa solution sur les principaux problèmes philosophiques, sur la connaissance sensible et intellectuelle, sur Dieu, sur l’âme humaine, sur la substance corporelle. - Pour l’Eglise, la connaissance sensible a une valeur objective : les accidents eucharistiques sont réels et existent même lorsqu’ils ne sont pas objets actuels de sensation dans un tabernacle fermé ; négation du esse est percipi— . La connaissance intellectuelle qui seule atteint directement la substance au delà des données des sens est aussi objective, la substance existe réellement distincte des accidents sensibles, celle du pain a été convertie en celle du corps du Christ. - Cette connaissance intellectuelle naturelle nous permet d’affirmer avec certitude l’existence de Dieu (Cone. Vatic.). - Ce Dieu est essentiellement distinct du monde, absolument simple, immuable, éternel, infiniment parfait, omniscient, souverainement bon, absolument libre, provident, juste et miséricordieux. Il a créé librement de rien, dans le temps—, des substances spirituelles, des substances corporelles et l’homme composé d’esprit et de corps. Il peut agir en dehors de Tordre des lois naturelles qu’il a établies. - Dans l’homme l’âme raisonnable est aussi principe de vie sensitive et végétative. Cette âme est spécialement créée par Dieu, et non pas engendrée par les parents. Elle est immortelle, elle reprendra son corps après avoir été séparée de lui. Elle sera éternellement récompensée ou punie. Elle est libre, la liberté nécessaire, pour mériter n’est pas seulement spontanéité (Denz., 1904). Il y a une personnalité ontologique racine de la conscience de soi et de la liberté. - Telles sont les principales assertions de la philosophie chrétienne, elles proviennent en grande partie de la précision du donné révélé. Le dogme, en évoluant, condamne des systèmes. Faut-il se plaindre que l’erreur soit jugée ce qu’elle est et que le domaine éclairé par la lumière divine grandisse ? Mgr Duchesne a très bien exprimé cette vérité en comparant le développement du dogme catholique au voyage d’un navire parti sur lest et qui se charge peu à peu de marchandises. « La ligne de flottaison s’élève le long de la coque ; autrement dit, il s’enfonce dans la mer. Telle déchirure qui d’abord n’eût pas atteint les œuvres vives les atteindrait maintenant que le niveau s’est élevé, et le navire serait mis en danger par une avarie qui au commencement du voyage eût été sans conséquence... Dans son long voyage, le vaisseau de la tradition a pris une possession plus ample de l’océan ; la surface immergée est devenue plus large qu’à l’origine, bien que ce soit toujours la même doctrine, le même navire. Au second, au troisième siècle on pouvait impunément l’atteindre à certains endroits qui maintenant sont sous les eaux et doivent être respectés sous peine de tout compromettre— » C’est pourquoi nous ne devons pas nous étonner de lire dans l’Encyclique Pascendi, après la condamnation de l’agnosticisme, de l’immanentisme et de l’évolutionnisme : « Magistros autem monemus ut rite hoc teneant, Aquinatem deserere, praesertim in re metaphysica, non sine magno detrimento esse. » De même qu’il y a « une métaphysique naturelle de l’intelligence humaine— », il y a, au sens où nous l’avons dit, une philosophie de l’Eglise. 1 Revue du Clergé français, 15 août 1907, p. 317. Chronique de M. Danois. 2 Revue pratique d’Apologélique, 15 mai 1907, p. 197. 3 F. DUBOIS, Revue du Clergé français, 15 oct. 1907, p. 222. C’est moi qui souligne. 4 Revue du Clergé français, oct. 1907, p. 212-213. 5 Revue du Clergé français, oct. 1907, pp. 212-214. C'est moi qui souligne. 6 Expérience religieuse, trad. ABAUZIT, Alcan, 1906, p. 376 7 En rapportant cette objection et la suivante nous ne visons nullement la pensée personnelle de M. Le Roy ; il nous a prévenu qu’en les formulant il voulait seulement nous faire connaître l’état d’esprit qui s’oppose chez les philosophes contemporains à l’intelligence de la vérité chrétienne... dire avec franchise, avec brutalité même (s’il le faut pour se faire pleinement entendre)... pour quelles raisons précises les philosophes incroyants d’aujourd’hui repoussent la vérité qu’on leur apporte, et pour quelles causes légitimes (d'accord en cela avec les philosophes croyants eux-mêmes) ils ne sont pas satisfaits des explications qu'on leur fournit ». Dogme et critique, 4eme édit., p. 2. 8 Dogme et critique, « Qu’est-ce qu’un dogme ? » (4, édit., p. 15). 9 Ibid., p. 12. 111 Confessions 1. VII, c.x. : « Cibus sum grandium ; cresce et manducabis me. Nec tu me in te mutabis, sicut cibum camis tuae, sed tu mutaberis in me. » 11 Cathéchisme du Concile de Trente, à propos du mode selon lequel s’opère la transsubstantiation. 12 E. LE ROY, Dogme et critique, p. 15. 13 Ibid., p. 9. 14 Ibid., p. 7. 15 S. THOMAS Iq. 63, a. 3. 16 MATH., XXIV, 35. 171, COR., I, 18. 18 HELLO, L’Homme, chapitre sur « l’Unité ». Paris, Perrin, 1894. 19 N’est-ce pas l’incessant leitmotiv de la « philosophie nouvelle », qui veut substituer à l’Etre le devenir ?M. Bergson, comme avant lui Hégel, n’est d'ailleurs qu'un exécutant. Il y a longtemps que la partition est écrite ; et il faut avoir ou avoir eu la foi surnaturelle pour en saisir toute la profondeur. 20 Encyclique Pascendi. (Denzinger, 2082.) 21 Pensées, 2eme édition. L. Brunschwicg, p. 389 et 392. 22 Pour d’autres dogmes, comme l’infaillibilité du Pape ou l’Immaculée-Conception, qui n’ont pas été objet de foi explicite dès les premiers temps, il y a eu passage non pas du confus au distinct, mais de l’obscur au distinct. L’infaillibilité du Pape était contenue obscurément dans le dogme de l’infaillibilité de l’Eglise et dans celui de la primauté des successeurs de saint Pierre. De même l’Immaculée-Conception était contenue dans la plénitude de grâce attribuée par l’archange Gabriel à Marie. Ainsi, dans l’ordre naturel, la certitude de l’objectivité de nos connaissances contient la certitude que l’objet formel de l’intelligence est l’être, cette dernière proposition n’est pas connue clairement, mais seulement de façon obscure par le vulgaire, tandis qu’il connaît clairement la liberté. De même encore, comme le dit Leibnitz (Nouv. Ess., l.II, c. 29), le vulgaire a une connaissance obscure des diverses espèces de plantes, le jardinier en a une connaissance claire, le botaniste une connaissance distincte. - On a d’autres exemples de ce développement dans les sacrements ; c’est ainsi que le dogme des trois caractères sacramentels est une explicitation de la pratique de la non-réitération de trois sacrements. Rien de plus complexe qu’un fait comme l’administration d’un sacrement : on peut considérer le sacrement en lui-même, comme signe, dans ses éléments, dans ses effets, dans son rapport avec Dieu et avec le Christ, par rapport enfin au ministre et au sujet et aux conditions requises dans l’un et dans l’autre. On pourra ainsi, par explicitation du contenu de ce fait très complexe, tirer une foule de définitions. Nous avons plus longuement traité cette question de l’évolution du dogme ailleurs, de Revelatione, 1. I, p. 18-20, p. 185-190. 23 La Dogmatique, t. II, § 106 ; les formules dogmatiques de la Trinité. 24 Saint Grégoire de Nazianze, saint Grégoire de Nysse, saint Augustin, avaient déjà montré que l’unité de nature n’était conciliable avec la distinction réelle des personnes qu’en réduisant les personnes à des relations subsistantes. Cf. JANSENS, De Deo Trino, p. 221. 25 VACANT Études théol. sur les Const, du Concile du Vatican, t. II, p. 283. 26 Version du C. FRANZELIN. Cf. De Deo Trino, th. XVIN, p. 289. 27 GÜNTHER, Propaed., II, p. 539. FRANZELIN op. cit., p. 297. 28 Collectio Lacensis t. VII, p. 1637. 1. « Si quis dixerit, sicut tres personas, ita et tres essentias seu substantias in Deo esse. a. s. - 2. Si quis dixerit, divinam substantiam non numero, sed specie seu qualitate unam eamdemque esse, a. s. -3. Si quis dixerit, Trinitatem unum Deum esse non propter unius substantiae singularitatem, sed propter trium substantiarum aequalitatem et personarum ad se invicem relationem ; a.s. » 29 « Si quis negaverit, humanam Christi naturam ita Deo Verbo esse unitam, ut Verbum in ea tanquam sibi propria facta subsistat, as.»- « Si quis unam personam Jesu Christi tanquam plures complectentem intelligat, duasque in mysterio Christi personas introducat, divinam et humanam, quae nexu indissolubili inde a conceptione conjunctae unam personam compositam efficiant, a. s. » - « Si quis tot necessario esse personas, quot sunt intellectus et voluntates, aut negata duplici in Christo persona negari humanae naturae perfectionem, a. s. » Collect. Lacens., t. VII, p. 1637. 30 Etudes théologiques sur les Constitutions du Concile du Vatican, t. 1, p. 246. 31 « Hanc thesim existimo evidentissime probatam : - 1 ° ex tempore quo lata est praedicta définitio conciliaris ; 2° ex scholasticorum unanimi auctoritate ; - 3° ex scopo Concilii in tuenda véritate unitatis substantialis in homine, et in refutando errore dualismi in homine ipso. » ZIGLIARA, op. cit., n° 134. 32 Institutiones philosophicae, t. II. 33 VACANT, op. cit., p. 261. Cette lettre est aussi citée dans ZIGLIARA, op. cit. n° 251. 34 Le terme subsistentia, qui dans les Conciles traduit υποστασιξ est l’équivalent du terme concret personne. Ce n’est que plus tard, dans le langage théologique, qu’il deviendra l’équivalent du terme abstrait personnalité. Cf. DE RA GNON, Etudes sur la Sainte Trinité, t. 1, pp. 243 et 265. 35 C’est l’enseignement commun des théologiens contre certains cartésiens : « Physica accidentium realitas ad minus theologice certa est, imo adfidem pertinere videlur. » 36 Revue de Métaphysique et de Morale, juillet 1899, p. 392. 3/ Revue du Clergé français, oct. 1907, pp. 212-214. 38 Quinzaine, 1905 : Qu’est-ce qu’un dogme ? 39 Revue du Clergé français, art. cité. 40 Le IN° Concile oecuménique de Constantinople condamna le défunt pape Honorius Ier pour avoir favorisé l’hérésie monothélite ; le pape saint Léon II, les septième et huitième conciles oecuméniques répétèrent cette condamnation. L’auteur de l’hérésie monothélite, Sergius, patriarche de Constantinople, avait écrit à Honorius qu’il serait dur de réduire à l’apostasie des millions de chrétiens à propos d’un mot unique « une seule opération dans le Christ » ; il ajoutait que ce qu'il y avait de mieux à faire c’était de ne parler ni d’une ni de deux opérations ». Le pape Honorius céda à ce conseil, il ne vit dans l’opposition faite à Sergius, au nom de la tradition, qu’une inutile dispute de mots, et interdit de parler soit d’une, soit de deux opérations. Cet acte du pape Honorius eût le fâcheux résultat de favoriser le monothélisme. L’hérésie de Sergius n’allait pas jusqu’à confondre les deux natures dans le Christ, à n’admettre qu'une opération divino-humaine, mais il subordonnait tellement la volonté humaine du Christ à sa volonté divine que la première ne conservait plus aucune activité particulière ; ce qui était contraire à la parole même du Clirist : « Non sicut ego volo, sed sicut tu. » Matth., xxvi, 39. 41 P. ALLO, « Lrois conceptions philosophiques du dogme », Revue Thomiste, 1905, p. 263. 42 Œuvres complètes de sainte Thérèse, nouv. édit, des Carmélites de Paris, 1907 (Relations à ses confesseurs), t. II, p. 262, p. 235. En un autre passage (p. 304) sainte Thérèse décrivant cette vision intellectuelle dit : « Je vois une distinction entre les Personnes divines, et cela aussi clairement que j’en voyais une hier entre vous, mon père et le provincial quand vous lui adressiez la parole ; sauf pourtant que je ne vois ni n’entends rien, ainsi que je vous l’ai déjà dit. Cf. aussi p. 312. 43 De même M. DESBUTS, dans son article « La notion d'analogie d’après saint Thomas d’Aquin », Annales de Phil, chret., janvier 1906. 44 « La Relativité des formules dogmatiques », Revue Thomiste, 1904, p. 62. 45 BERGSON, Évolulion créatrice, p. 327. 46 Métaph., 1. X, c. I (S. Th., leç. I, m fine) ; 1. IV (S. Th., leç. I) ; 1. XII, c. 4 (S. Th., leÇ· 4λ etc 47 Post. Anal., 1. II, c. 13 et 14. 48 Ethiq. à Nie., 1.1, c. 6 (S. Th., leç. 6 et 7). 49 « Secundum hoc tantum sensus, vel intellectus aliud est a sensibili vel intelligibili, quia utrumque est m potentia. » II, q. 14, a. 2. 50 L ’intelligence en effet ne connaît l’objet qu’en tant qu’elle devient intentionnellement cet objet, « fit aliud in quantum aliud ». Saint Thomas et Cajetan rappellent souvent le mot d’Averroes « ex intellectu et intelligibili fit aliquid magis unum quam ex materia et forma » ; la matière ne devient pas la forme, mais seulement la reçoit. « Anima, ut Averroes optime dixit in IN de Anima, comm. V, non sic recipit cognoscibile ut ex cis fiat compositum cognoscens ; sed ipsa anima eiiicitur ipsum cognoscibile, et sic facta in actu, agit. » CAJETAN, in la, q. 79, a. 2, n° XIX. 51 Partout ailleurs l’intellection a quelque chose d’imparfait qui s'accompagne d’une certaine insatisfaction : l’intelligence voudrait toucher l’être immédiatement sans avoir à s’interroger sur la valeur de la représentation par laquelle elle l’atteint. Cette insatisfaction commune à toute intelligence créée ne disparaîtra que dans la rdsion béatifique (I, q. 12, a. 2) ; elle n’a jamais existé pour Dieu, parce que en lui seul l’intelligence est à l’état pur. 52 Si notre intelligence et notre volonté sont dans la catégorie qualité, c’est en tant que facultés, de par leur mode créé, et non pas en tant qu’intelligence et volonté. 53 SERTILLANGES, Revue de Philosophie, févr. 1906, p. 164. 54 Cf. CHOSSAT, Dictionnaire Apologétique de la foi catholique, 4°éd., article Agnosticisme, p. 41. 55 Nous avons déjà montré comment le panthéisme de la philosophie nouvelle de MM. Borgson et Le Roy tombe sous ces condamnations. Cf. Deuxième partie, ch. IN, § 1 et 2. 76 Op. cit., t. I, p. 223. 57 Cf. Ch. JEANMAIRE, L’Idée de personnalité dans la psychologie moderne. Paris, Alcan. 58 RENOUVIER, Logique, t. Il, p. 493. 79 Voir 1 exposé de cette métaphysique naturelle dans la Somme théologique de saint Thomas, la, q. 29, a. 1, De definitione personae, et INa, q. 2, a.2, Ltrum unio Verbi incarnati sit facta in persona. 60 Joan., x 30 61 Marc, xii, 36 ; Math., x.xn. 44; Luc, xx, 42. 6- Matth., xvii, 1... ; Marc, ix, 1... ; Luc, ix, 28. 63 Marc, I, 13 ; xln, 27 ; Matth., IV, 11 ; XIN, 41 ; XVI, 27; XIV, 31. 64 Marc, vin, 34., Matth., x, 32 ; xvi, 24, Luc, ix, 23, xiv, 26... xvin, 29. 65 Matth., v, 22, 28, 32, 34, 39, 44. 66 Matth., xl, 28. 67 Marc, vin, 38 ; xin, 26 ; xiv, 6,2 ; Matth., xiv, 27 ; Luc, ix, 26 ; XII, 9. 68 Luc, xxiv, 49; Joan., xv, 26. 69 Joan., x, 27, 30. 70 Matth., XI, 27. 71 Etudes sur la Sainte Trinité, t.I, P· 64. 12 Ibid. A. Lpp. 243,265. 73 Cf. S. THOMAS. Summa Theol., I, q· 29, a. 2, Utrum persona sit idem ac hypostasis et subsistentia. 74 Telle est précisément l’étymologie du mot personne : « Ce mot, dit Boèce, signifiait d’abord le masque dont se servaient les acteurs dans les comédies et les tragédies. Persona vient de personare, dont on a rendu grave l’antépénultième, parce que le son, en roulant dans la concavité du masque, devient plus fort. Mais comme ces masques représentaient les individus dont les acteurs jouaient le rôle, Médée, Simon, Chrémès, on prit l’habitude d’appeler aussi personnes les autres hommes qui se reconnaissent et se distinguent par leur aspect particulier » et agissent dans le monde comme le personnage du théâtre sur la scène. (De persona et duabus naturis, ch. IN.) 75 Cf. S. Thomas, Summa Theol., q. 29, a. .3. 76 Joan., xiv, 6. 77 Matth., xi, 28. 78 Joan., vii, 37. 79 Joan., vii, 38. 80 Joan., iv, 14. 81 Joan., vi, 44. 82 Joan., vin, 46. 83 Matth.,xxin, 13... ; Luc, xi, 42. 84 Matth., xii, 30. 85 HELLO, L ’Homme, chap. sur « l’homme médiocre ». 86 Ibid 87 BILLUART, Cursus Theol., t. II, p. 96. - S. THOMAS, Summa Theol., I, q. 29 a. 2 : Utrum nomen personae in divinis significat relationem vel substantiam. - I, q. 40, a. 1 : Utrum relatio sit idem ac persona. 88 « Quando aliqua natura est altior, tanto id quod ex ea emanat est ei magis intimum. » S. Thomas, C. Gentes, l.IV,c. XI. 89 DE RENON, Etudes sur la Sainte Trinité, t. 1, p. 69. 90 « Ex actu et actu non fit unum per se » répète souvent Aristote. 91 S. THOMAS, Summa Theol., I-, q. 76, a. 1 Utrum intellectivum principium uniatur corpori ut forma. 92 C’est-à-dire du côté de la chose en dehors de l’esprit, dans la réalité extramentale. 93 Evolution créatrice, p. 353. 94 « Secundum Philosophum (I Periherm, c. I) voces sunt signa intellectuum, et intellectus sunt rerum similitudines. » I, q. XIN, a. 1. 95II Quodlibet, q. II, a. 4, ad. 1. 96 Suivant en cela les plus grands théologiens thomistes, nous ne saurions admettre que selon saint Thomas la personnalilé ou la subsistence soit formellement constituée par l’existence même. Il dit très nettement dans le texte que nous venons de citer, III q. 17,a. 2 : « Esse consequitur suppositum, tanquam habetem esse », l’existence (esse) n’est donc pas ce qui constitue formellement le suppôt comme tel. Si elle le constituait formellement, le suppôt ou la personne créée au heu d’avoir l’existence, serait son existence, comme Dieu, et la distinction réelle du quod est et quo est, de l’essence créée et de l’existence disparaîrait. Saint Thomas dit formellement : Quodt. II, a. 4, ad. 2 « ipsum esse (l’existence) non est de ratione suppositi » l’existence n’est pas de la définition de l’homme, ni de celle de Pierre, ou de Paul, si on pouvait les définir, tandis que la personnalité est bien ce qui fait que Pierre est, distinct de Paul, et qu’il peut exister séparément de lui. De plus saint Thomas, I, q. 17, a.2, ad 3, dit qu’il n’y a dans la Trinité qu’une seule existence, et il affirme ailleurs, I, q. 29, a. 2, ad 2, qu’il y a en elle trois subsistences. On ne peut donc prétendre que selon lui la subsistence est l’existence même. Enfin dans le traité de l’incarnation, c’est seulement après avoir déterminé ce qu’est la Personnalité du Christ et l’Union hypostatique, qu’il aborde la question (I q. 17, a.2) : y a-t-il une seule existence dans le Christ. Il la traite parmis les conséquences de l’union hypostatique : l’unité de personne entraîne l’unité d’existence. Voir sur cette question Cajetan, Jean de Saint-Thomas, les théologiens de Salamanque, Gonet, Billuart. 97 C’est en réalité une perfection positive exprimée négativement, comme l’infinité. Si la dépendance est quelque chose de positif, a fortiori l’indépendance, c’est-à-dire ce qui constitue l’inconditionné ou l’absolu comme tel, ce qui fait qu’il est ratio sui. 98 On pourrait en dire de même du concept de relation dans la Trinité. Les divergences de saint Thomas et de Suarez sur la notion de relation ont été très bien mises en relief par M. A. Martin, dans la Science catholique, août 1899 : « Suarez théologien. » Suarez accorde à chaque relation une existence propre et semble ne pouvoir donner aucune réponse satisfaisante à l’objection classique contre la Trinité. (Cf. SUAREZ, de Trinitate, 1. IV, c. III, n. 7.) 99 Dans la contemplation infuse, l’âme est plus passive qu’active, sous l’action du Saint Esprit en elle. 100 LE ROY, Qu’est-ce qu’un dogme ? (Dogme et critique, p. 9 et 7.) 101 Pie IX répondait à cette objection, le 21 décembre 1863 (litt. ad Archiep. Monac. DENZINGER,167981), en avertissant les semi-rationalistes günthériens : « ne in asserenda fallaci et minime sincera scientiae libertate abriperentur ultra limites, quos praetergredi non sinit obedientia debita erga magisterium Ecclosiae ad totius revelatae veritatis integritatem servandam divinitus institutum. » Au sujet de la philosophie et des sciences, le Pape ajoutait « Quamvis enim naturales illae disciplinae suis propriis ratione cognitis principiis nitantur, catholici tamen earum cultores divinam revelationem veluti rectricem stellam prae oculis habeant oportet, qua praelucente sibi a syrtibus et erroribus caveant, ubi in suis investigationibus et commentationibus animadvertant posse se illis adduci, ut saepissime accidit, ad ea proferenda, quae plus minusve adversentur infallibili rerum veritati, quae a Deo revelatae fuere. » 102II- II, q. 2, a. 3. 103 In fide est assensus et cogitatio quasi ex aequo. Non enim assensus ex cogitatione causatur sed ex voluntate ut dictum est. Sed quia intellectus, non hoc modo terminatur ad unum ut ad proprium terminum perducatur, qui est visio alicujus intelligibilis, inde est quod ejus motus nondum est quietatus, sed adhuc habet cogitationem et inquisitionem de his quae credit ; quamvis firmissime eis assentiat : quantum enim est ex se ipso, non est ei satisfactum, nec est terminatus ad unum ; sed terminatur tantum ex extrinseco. Et inde est quod intellectus credentis dicitur esse captivatus, quia tenetur terminis alienis et non propriis, see. illud II Cor., x, 5, « In captivitatem redigentes omnem intellectum ». Quant au mouvement de volonté qui commande l’acte de foi, il est commandé lui-même par ce jugement : il est bon, moralement bon et obligatoire de croire par l’intelligence spéculative à un témoignage si divinement garanti (motifs de crédibilité) qui se donne comme témoignage de la Vérité première (motif formel de la foi) et parole d’étemelle vie (attrait de la fin ultime). 104 La Nuit obscure, 1. 2, c. 5. - Seuls ces tourments spirituels peuvent nous aider à soupçonner ce que dut éprouver le Christ lorsqu’il s’écria : « Mon Dieu, Mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné ? ». 105 L’ange déchu désira d’une façon perverse être semblable à Dieu, car il choisit comme fin ultime ce à quoi il pouvait parvenir par les seules forces de sa nature, en détournant sa volonté de la béatitude surnaturelle, qui vient de la grâce de Dieu » II, q. 63, a. 4. 106 Cf. A. Spin, Pensée et Réalité. Traduit de l’allemand par A. Penjon, 1896. Paris, Alcan. 107 P. B. LACOME, 0. P.- Questions de principes concernant l’exégèse catholique contemporaine, p. 153. 108 Vie de sainte Thérèse par elle-même (traduction nouvelle par les Carmélites de Paris), ch. XIII, p. 174 et 175, ch. V, p. 78, ch. XXVIII, p. 366. Les mots que nous avons soulignés montrent que sainte Thérèse admet entre la théologie et la mystique les mêmes rapports que les théologiens les plus attachés à leur science. W9 Ibid. ,L I, p. 3. 110 La nature de ce jugement per modum inclinationis connatuaralis a été longuement étudiée par Jean de Saint-Thomas dans ses belles dissertations sur le don de sagesse : in I-II, q. 58, disp. 18, a. 4. - On y trouve très exactement exprimé le pragmatisme vrai, celui qui naît de la charité surnaturelle, laquelle suppose la foi : « Affectus transit in conditionem objecti, quatenus ex tali experientia affectiva redditur objectum magis conforme et proportionatum et unitum personae, ei que magis conveniens, et sic fertur intellectus in illud ut expertum et contactum sibi, et hoc modo non se habet amor ut praecise movens in genere causae effectivae, sed ut movens in genere causae objectivae, quatenus per tale experimentum diversimode proportionatur et conveniens redditur objectum. Unde dicitur Joan., 7, « si quis voluerit voluntatem ejus facere, cognoscet de doctrina utrum a Deo sit. » 111 Cf. chez les théologiens, par exemple BILLUART, t. IX, p. 79, la réfutation de l'opinion cartésienne d’après laquelle les accidents eucharistiques ne sont que des impressions subjectives produites par Dieu dans nos sens. 112 Cf. DENZINGER, n° 501-503, la condamnation des propositions d'Eckard où est affirmée la création ab aetemo. Voir aussi n° 391, 428, 1783. 113 Mgr DUCHESNE, Les Témoins anténicéens du dogme de la Trinité (Revue des sciences eccl., V°série, t. VI, déc. 1882). 114 BERGSON, Evolution créatrice, p. 352.