CATHEDRA SANCTI THOMAE PONTIFICIAE UNIVERSITATIS LATERANENSIS R. P. MICHEL GUÉRARD DES LAURIERS Ο. P. Professeur à l’Université Pontificale du Latran, et aux Facultés du Saulchoir LA PREUVE DE DIEU ET LES CINQ VOIES ROMA 1966 LIBRERIA EDITRICE DELLA PONTIFICIA UNIVERSITA* LATERANENSE Γό - ϋ J IMPRIMATUR E Civitate Vaticana die 7 m. Febr. a. D. 1966 * Reikvs Canisius Van u™ Episcopus Vicanus Generalis Summi Pontificis pro Civitate Vatican 5? /λ AVANT - PROPOS Invisibilia enim ipsius, a creatura mundi, per ea quae facta sunt, intellecta, conspiciuntur (Rom. 1. 20). La créature, saisie comme telle, manifeste le Créateur present en elle. En sorte que Dieu, jusqu'en son propre Secret, S’offre a l’esprit spon­ tanément incliné vers Lui. Le cheminement qui conduit des choses visibles au Mystère invisible est, par sa nature même, le premier lieu de rencontre entre Dieu et l’homme. De ce cheminement, Dieu par Sa Parole Se porte garant; et l’homme, de tout son coeur, de tout son esprit, de tout son verbe, trace laborieusement ce chemin, en étrei­ gnant ce que Dieu produit dans Son Verbe. C’est d’ailleurs toute la création qui est voie, voie rénovée et exhaussée en Celui qui, daignant assumer quelque chose de créé, devint Lui-Même la Voie. Telle est donc l’économie fondée en Sagesse: Dieu S’incline vers l'homme, en sorte que l’homme tende vers Dieu. Cela est vrai toujours; cela est vrai, déjà, de la voie. Aussi l’homme a-t-il cherché à préciser, conformément à l’humaine raison, en quoi consiste cette voie fondée en la Révélation. Ce que chantent les Psaumes, ce que S. Paul exprime intelligiblement, comment convient-il de le qualifier, eu égard à l’am­ plitude connaturelle de l’esprit créé? La création n’est-elle que l’occasion, à la faveur de laquelle la créature intelligente rejoint le Créateur? La création n’est-elle pas si parfaitement l’image de son Auteur, que Celui-ci ne pourrait être Lui-Même s’il était par impossible séparé de Son oeuvre? N'a-t-on pas soutenu ces extrêmes... et tout l'entre-deux? Les excès, que condamne la lumière de la foi, constituent du moins un vivant témoignage en faveur d’une importante vérité, laquelle demeure du présent comme elle fut du passé: retracer sans cesse la même voie conduisant du créé à Γ In créé, c'est le plus précieux du patrimoine commis à l’humanité. La déclaration de Vatican I, reprenant l’affirmation de S. Paul, ne fait donc que normer d’une manière autorisée le jeu spontané de l’intelligence humaine confrontée avec la plus haute de ses taches. Le certo cognosci du texte conciliaire serait d’ailleurs vain, si, devant résulter de la lumière naturelle naturali lumine, il ne se trouvait étayé de preuves effectivement données. Affirmer infailliblement le carac- 6 LA PREUVE ni DIEU ΕΓ LES CINQ VOIES tère certain d’une conclusion, implique nécessairement l'existence d’une inférence prouvant cette conclusion. L’existence d'une preuve de Dieu est donc révélée, implicitement mais immédiatement: en ce sens qu'elle n’a pas à être déduite par raisonnement; la négation d'une telle preuve soutiendrait l’opposition de contradiction avec l'affirmation du texte « ut littera sonat ». Dieu révèle qu'une preuve peut L'atteindre avec certitude. Cette Révélation concernant 1’« exister » est, en l’occurrence, la borne fixée par la Sagesse. Dieu, qui S’est (ait Voie, respecte l’homme recherchant la voie. Dieu, en révélant l’existence de la preuve, invite l’homme à forger cette preuve; la Révélation s’efface en faveur de la raison, après l’avoir stimulée, et sans cesser de la porter. La preuve certaine doit donc prendre une forme humaine, mais c’est en raison de la Sagesse qu’elle le doit. En sorte que cette forme humaine, c’est-à-dire les cinq voies, bien qu'elle ne soit pas divinement révélée comme l’est l'exis­ tence de la preuve, ne laisse pas d'être le fruit de la Sagesse en même temps qu’elle procède de la raison. Le rapport entre la preuve et les cinq voies est donc, simultané­ ment, oeuvre de Dieu créant la nature raison, et oeuvre de l’homme exerçant sa propre raison. Analyser la nature de ce rapport, tel est l'objet de la présente étude. Nous nous proposons de montrer que les cinq voies sont simplement les formes que prend nécessairement la preuve, étant donné d’une part le statut humain de l'intelligibilité, étant donnée d'autre part la transcendance de l’objet avec lequel l’intel­ ligence « in via » se trouve confrontée. Le lecteur voudra donc bien avoir présent à l’esprit le « point de vue formel » qui a présidé à notre rédaction. Celle-ci, visant à mettre en évidence le rapport entre la preuve et les voies, n'accorde que peu à des aspects auxquels beaucoup réservent tout leur intérêt, ou à des données qui l'emportent au moins de soi et sur la preuve et sur les voies. La signification précise de Vatican 1 d’une part, le lien si délicat entre la preuve et la foi d'autre part, eussent mérité d'amples développements, en étroite continuité avec ceux que nous croyons opportun de présenter dès maintenant. L’analyse du rapport entre la preuve et les cinq voies suscitera, nous l’espérons, d’utiles réactions: principalement de la part des thomistes qui ont enrobé de divertissants enjolivements la robuste structure qui seule se rit de l’usure. LA PREUVE DE DIEU ET LES CINQ VOIES. Si quis dixerit Deum naturali lumine certo cognosci non posse: anathema sit. « Durus est hic sermo » (’). Dur, certes, pour les esprits mous! Est-ce vrai, ou non: « est, non » (12) voilà la question. Avant peu, grâce à Dieu, les hommes ne s’affronteront plus sur les slogans et les rites: il n’y aura plus ni oecumènes charitables ni charité interplanétaire. Les hommes s’affronteront sur la question: * dixit insipiens in corde suo: non est deus» (3) - «EGO SUM QUI SUM » (■*). C’est de cette question qu’il importe de faire, en admettant Vatican I, la triangu­ lation, si l’on veut comprendre comment, en saine raison, et, partant, pourquoi en vertu de la révélation: «Si quis dixerit... anathema sit». La réflexion critique n’est pas née avec Descartes. Cependant, la rigueur de son inspiration, l’ampleur de son propos, la perfection de ses instruments, en font une caractéristique de la mentalité moderne: voire même l’ultime « premier principe » de la pensée contemporaine. L’entreprise critique est-elle, en fait, conforme à ses propres normes? C’est cela qu’il faudrait discuter si, fort logiquement, on entendait juger de ses résultats en fonction de ses propres postulats. « Destructio destructionum », plus onéreuse que fructueuse. Il est sage de ne pas s’y attarder, plus sage de retrouver la « ratio » de la critique en deçà des déformations que lui valent ses propres indiscrétions. (1) (2) (3) (<) Jo. 6. 61. Mat 5. 37. Ps. 13. 1: 52. 1. Ex. 3. 14. s LA PREUVE DE ΠΙΕΙ ΕΓ LES CINQ MUES L'intelligence se connaît elle-même, clans l’acte qui la rend con­ naissante de la réalité. Cette réflexion concomitante, originellement consciente, rend possible à l’intelligence de prendre pour objet l’acte qui est sien et qui lui est ontologiquement présent. Tel est le fonde­ ment de la critique, si mystérieusement connaturelle à l'esprit, bien quelle puisse devenir si exclusivement analytique et abstraite; l'un est aussi préjudiciable que l'autre indéniable. Ce contraste, au premier abord déroutant, est cependant fort commun. On observe, dans les conséquences, les aberrations dont l’explication doit être recherchée dès l’origine, à partir des principes. La critique qui prétend n'être que critique pour être autonome se détruit elle-même en aliénant Γ* objet » jusqu’en sa « raison » même. Voila ce que découvre aisément a posteriori la critique de la critique. Or cela montre deux choses. Premièrement, a contrario mais en droit, l’acte exercé par l’esprit créé requiert un « objet » auquel il est relatif, et dont il se distingue pour subsister. Deuxièmement, in directo en fait, la critique devient aberrante si elle méconnaît son propre objet. Or la critique ne peut avoir d’autre objet que celui dont elle procède nécessairement, et dont elle exprime la nature. Cet objet, c’est l'acte de l'intelligence auquel la réflexion est originellement concomitante. La critique doit donc considérer cet acte comme un donné dont il lui incombe d'analyser la « comment >, loin de chercher à se donner son objet en le créant. Un choix originel sépare donc la critique saine de la critique aberrante: ces deux formes s'opposant l une à l'autre comme deux contraires, par leurs visées, par leurs résultats, par leurs critères. Nous avons rappelé ces choses, parce que « la preuve de Dieu et les cinq voies » relèvent formellement de l'intellection critique. On a fort abusé de la distinction, à juste litre demeurée célèbre: « Dieu d’Abraham, Dieu d’isaac, Dieu de lacob (Exode 3. 6: Mat. 22. 32), non des philosophes et des savants » ('·). Dieu est ineffable, Dieu ne se prouve pas! Le prétendre est absurde, absolument, inconditionnelle­ ment. Voila ce que l'on a prétendu, ce que même certains théologiens ont soutenu. On concédera sans peine que, même selon la lumière naturelle, Dieu n’est ni seulement ni principalement objet de preuve: puisqu’en effet 11 est atteint par l intelligence plutôt que par la raison. Mais, en retour, l'immolation du Dieu des philosophes sur l’autel du Dieu (5) Pascal. Memorial. Id.: Pensée 556 dans l’éd. Brunschwicg. PROUVER OH' IM OUVRE Il’lN I Fl MGENCE 9 d’Abraham, an lieu d’apaiscr la raison, l’enivre et la rend folle; et la voici maintenant récusant Abraham et son Dieu, pièce de musée ou divertissante idole. On connaît l'arbre à ses fruits. La critique qui condamne le Dieu des philosophes s’avère aberrante en ses conséquen­ ces, mais cela tient à ce qu’elle l’est d’abord en son principe. Si en effet l’intellection critique prétend se donner à elle-même son objet, elle se rend incapable de prouver Dieu: cela est évident a priori, puisqu’un tel objet ne peut qu’être un produit de l’esprit. Or c’est là en fail un mépris de Dieu, de Dieu «tout court», de quel­ que façon que l’homme Le désigne en sorte que le Dieu d’Abraham déserte l'homme qui, sciemment, décrie le Dieu des philosophes. C'est ce qui se passe en fait. L’athéisme sévit à l’état endémique dans une philosophie où la critique hypertrophiée vise orgueilleusement à être autonome; cela montre, a contrario, quelle est l’intellection critique saine, et qu’elle seule rend possible de prouver que Dieu EST. Concluons. Il y a, grâce à Dieu Lui-Même, des moyens pour L’at­ teindre qui l’emportent de beaucoup sur « la preuve et les cinq voies ». Il n’est est pas moins sacrilège de mépriser l’instrument à taille humaine que Dieu a donné à l’homme pour remonter jusqu’à Lui. L’homme est « capax entis », « capax Dei », parce qu'il est esprit; l’homme saisit l’être et il atteint Dieu, en vertu de l’acte de l’esprit: à la condition cependant que cet acte soit exercé conformément à la nature de l’es­ prit. Connaître la réalité; se connaître connaissant, humblement et non soi-disant en e recréant: ces trois choses appartiennent à l’esprit par nature. Aussi doivent-elles se retrouver, plus impérieusement que dans tout autre cas, lorsque l'esprit se porte vers Celui qui est l’Auteur de sa propre nature. C’est la structure du connaître qui norme celle de la preuve de Dieu. L’organisation d’une étude consacrée au cheminement de l’homme qui est esprit vers Dieu qui est Esprit découle quasi nécessairement de ce qui vient d’être dit. Le fondement de la démarche, c’est la nature de l’esprit: puisque celui-ci en porte en lui con naturellement l'exigence: le fondement, c’est le sens de l’être et de son intelligibilité, et pour autant l'intuition de la causalité. L’ordre de preuve est donc celui du connaître normé par la vérité. L’expliquer constitue l’objet de notre première partie. La démarche comporte une preuve, parce que le terme en est à la fois transcendant et réel. Connaître, c’est toujours connaître la réalité, même lorsque celle-ci est inévidente. Or une preuve n’a comme telle de portée réelle que si elle est nécessairement la réponse à une question objectivement posée dans la réalité. Inventorier, en fonction de la ΙΟ IV PREUVE ni DIEU El I I > CINQ VOIES causalité, ces questions inscrites dans la réalité détermine les « voies » selon lesquelles la pieuse est explicitée. Tel est l’objet de noue deuxième partie. Enfin, connaître parfaitement implique de se connaître connais­ sant. L’esprit, en acte de la preuve île Dieu, se connaît exerçant cet acte, et il en juge la valeur. La preuve prouve: quelles en sont, quant à l’enchaînement, les implications? La preuve prouve quelque chose: quelle en est la portée, quant à la conclusion? Et telles sont les ques­ tions posées par la preuve de Dieu, au point de vue de l’épistémologie: c’est à quoi est consacrée notre troisième partie. I. - LES FONDEMENTS DF LA PREUVE DE DIEU « Il est possible de prouver, par la seule lumière naturelle, que Dieu EST». Donc une preuve existe: et il incombe à la raison d’élaborer l’argument dont l’existence constitue pour elle un donné a priori. Les cinq voies constituent, épistémologiquement, un fait: c’est-à-dire qu’une preuve de Dieu, découverte par la raison naturelle, existe. Donc il est possible de prouver, par la seule lumière naturelle, que Dieu EST. Ces deux consécutions — ces deux « donc » —, se trouvent immé­ diatement impliquées, dès là qu’on veut examiner, concernant le che­ minement intelligible de l’homme vers Dieu, ce qui en toute occur­ rence est primordial, savoir I’« exister». Un chemin, d’ailleurs, joint deux extrêmes: il doit donc, normalement, être considéré en fonction de l’un et en fonction de l’autre également. Les deux «donc», cependant, paraissent s’opposer. Le premier contrevient, semble-t-il, au droit de la raison affirmé par le second. Autrement dit, si le second « donc » est adéquat à la réalité, il rend le premier inutile. En sorte que, maintenir le premier c’est mettre en question la vérité du second. La difficulté serait évidemment résolue par l’éviction de l’un des deux « donc ». Mais cela est impossible. En effet, le premier « donc » procède de Dieu, par la révélation; le second « donc » est un « propre » de l’homme, en vertu de la raison. Supprimer l’un ou l’autre, ce serait supprimer la question. Ainsi, les deux « donc » doivent être conservés: et, partant, ils doivent ne pas s’opposer. L’unité entre les deux « donc » résultera de deux arguments ciaprès développés. Il convient, dès maintenant sommairement, de les indiquer. En fait, la raison est mal assurée de son droit. Le second « donc » cherche en quelque sorte une prémisse qui sc dérobe. Il n’est pas auto-consistant; et par suite, loin de pouvoir s’opposer au premier, il le requiert plutôt comme un indispensable complément. En droit, le droit qu’exprime catégoriquement le second « donc » est le propre de l’intelligence rationnelle: c’est-à-dire qu’il appartient à la raison en vertu de sa nature; formellement, ce n’est pas le droit 12 Ι Α PfcECVI 01 OIEI' rr US C.IXQ volts d’une personne, niais celui d’une créature. Cela d'ailleurs rend compte du fait que tant d’humains négligent de l’exercer. Mais cela aussi rap­ pelle que la nature « raison » ne peut exercer en regard de Dieu son droit relatif, qu’en demeurant relative dans son acte à Celui qui lui confère ce droit en même temps que la nature et l’être. En droit, le second « donc » ne jx?ut s'opf ser au premier, car il en découle comme la créature procède du Créateur: en vertu de l'ordination fondée en la Sagesse de Dieu. L’unité entre les deux « donc » se trouve, depuis le péché, imposée par la précarité du second; elle rayonne, en vérité, la spendeur du premier. L'homme, en devenant replié sur soi et obscurci, n’a pas cessé d'être la créature intelligente du Dieu qui est Esprit. Les deux « donc » demeurent, comme ils le furent dès le principe, ordonnés l’un à l’autre; il demeure possible, parce qu'il le faut, de les conserver l’un et l'autre. L’unité entre les deux « donc > est confirmée par une sorte de complémentarité. Le premier fait connaître la preuve seulement quant à l’< exister»; le second en suppose la nature également déterminée. D'où la division de cette première partie. D’une part, l’existence de la preuve de Dieu est fondée sur la révélation et sur la raison. D'autre part, l’ordre constituant cette preuve est normé par les principes im­ manents à l’acte d’intellection. La preuve de dieu est, quant a son existence, FONDÉE d’une PART SUR L* AUTORITÉ: DE LA RÉVÉLATION, 1. - FONDÉE D’AUTRE PART SIR l’\LTORlTÉ DF. LA RAISON. a. L’existence de la preuve de Dieu est fondée sur l’autorité de la révélation. La plus explicite des affirmations dogmatiques est celle de Vati­ can I. Nous en avons rappelé le texte en exergue p. 7. L’exégèse cle ce texte n’est plus à faire, au moins pour l’essentiel; nous ne nous y attarderons pas. La vérité qu’il propose |>eut être présentée en fonction de la préoccupation qui l'inspira, préoccupation qui fut de tous les temps et qui le demeurera. La foi et la raison. La science et la foi. La cosmogénèsc et la chrislogénè e, cl la teilhardogénése..., et tant d’autres choses; et, toujours, la même chose. Retenons seulement ce qui est sérieux. Les « synthèses » éphémères et hallucinantes ne submergent pas l’immuable expérience priante: < Dieu d’Abraham, Dieu d Isaac, Dieu de lacob (Exode 3. 6; Mat. prouver diel fsi i-ossirle. nœu l’affirme 13 22. 32), non des philosophes et des savants » ('·). Voila la distinction exprimée, rudement. Observons toutefois que la Sagesse écarte le mépris et l’amertume, fût-ce en les dissolvant dans l’humour, humble­ ment. La lumière naturelle, sous tendue de raison, n’atteint pas Dieu de la même manière que la lumière de la foi gratuitement proportion­ née à la Révélation. Or on exprime au mieux la différence et la res­ semblance entre ces deux lumières en considérant une vérité à laquelle elles donnent accès l’une et l’autre: savoir l’existence de Dieu. En retour, observer concrètement dans la vie de l’esprit cette dif­ férence et cette ressemblance reconduit fort naturellement à affirmer l’existence d’une preuve de Dieu, conformément à la doctrine de Vatican I. 1. La différence comporte deux aspects corrélatifs. Ex parle subjecti, le verbe mental qui fonde l’affirmation de Dieu, est, considéré en lui-même, identique pour le « philosophe » et pour le «croyant». Mais la situation de ce verbe en regard de la Res, et partant l’appréhensipn in tell igibi le de la Res, est différente pour celui-ci et pour celui-là. Considérons d’abord, le «philosophe». Pour lui, l’affirmation de Dieu termine l’inférence dont elle demeure nécessairement solidaire; et cette affirmation est saisie intelligiblement comme l'exigence d’une relation à... Cette relation est affirmée comme ne pouvant pas ne pas être; mais elle n’est pas j>erçue comme telle, comme relation. Il en résulte deux conséquences. D’une part, Dieu en Lui-Même, Terme de cette relation que soutient avec Lui l’affirmation faite par l’esprit, est pour ainsi dire co-affirmé en même temps que celte relation et que cette affirmation. D’autre part, cette affirmation hiérarchisée est, dans le verbe même qui la conçoit, médiatisée par la perception de réalités effectivement obser­ vées. « Dieu est » signifie, pour le « philosophe » : telle réalité, actuel­ lement perçue, renvoie nécessairement à autre chose qu’elle-même; ou bien: il est impossible qu’une relation n’existe pas, de cette réalité observée à autre chose qu’elle-même. Mais cette relation, dont l’exis­ tence est conclue comme nécessaire, n’est aucunement perçue comme relation. Le verbe du « croyant » est, en lui-même, identique à celui du « philo­ sophe». Mais ce verbe, au lieu de terminer une inférence dont il ne peut être séparé, est formé directement dans la Vérité première Se révélant. L’affirmation « Dieu est » n’est donc pas seulement, pour le «croyant», V origine de la relation dont elle constitue l’exigence et partant la preuve: cette affirmation est, pour le croyant, le principe gratuitement donné, en vertu duquel l’intelligence tend vers la Réa- H ia l'RiivF. nr tutu u us cinq voies lité (e). Le « croyant » ne perçoit pas le Terme auquel est objective­ ment et divinement ordonnée la relation dont sa propre affirmation est le principe; mais le « croyant » perçoit, intelligiblement et d’une manière évidente, cette relation comme relation. Tandis que le « phi­ losophe », nous le répétons, ne fait que conclure, sans la percevoir, l'existence de cette même relation, dont l’origine nécessitante est sa propre affirmation. Ex parte objecti, la différence entre le « philosophe » et le « croyant » est parfaitement claire s’il s’agit de Réalités qui passent la raison, qui sont surnaturelles « quoad substantiam » : ainsi en estil, éminemment, du Mystère de la très Sainte Trinité. Mais il faut ajouter que, concrètement, la distinction « ex pane subjecti - ex parte Objecti » n’est pas parfaitement adéquate. La Simplicité de Dieu est conclue par le philosophe, et elle est crue par le croyant: se retrouve, « ex parte subjecti », la différence déjà expliquée à propos de l’exis­ tence de Dieu. Cependant, la simplicité « conclue » consiste en l’éviction de toutes les formes de complexité observables dans le monde créé; la Simplicité « crue » comporte en outre, et primordialement, l’ouverture positive et pour le moins implicite à l'ineffable < Distinct » immanent à l’Eire lucréé. Les attribues divins sont contins par le philosophe, comme ne pouvant pas faire nombre, ni entre eux ni avec la simpli­ cité; ils sont perçus, par le croyant, comme intégrant l’Ordre de la Simplicité. L’« objet », dès lors, est-il le même? Oui, si on l’entend de 1« énoncé » qui exprime le verbe mental; en ce qui concerne « Dieu est», «Dieu est simple», ...le «croyant» ne peut ni expliciter ni communiquer autre chose que ce qu’explique et communique le « phi­ losophe». D'autre part, et semblablement, la certitude qu’a le «cro­ yant» de ces mêmes choses n'est pas «plus grande» que la certitude obtenue par preuve (’). Et cependant, le « croyant », qui « voit avec l’oeil de Dieu », perçoit la Réalité dans la relationalité dont Elle investit l'énoncé, et pas seulement l’énoncé comme impliquant relation (e) S. Thomas 2-2, ql, a2, 2m. Non enim formamus enuntiabilia, nisi ut per ea ile rebus cognitionem habeamus, sicut in scientia, ita et in fide. Actus autem credentis non terminatur ad enuntiabile, sed ad rem (ibid.). De Veritate, ql4, a!2. Fides non est de enuntiabili sed de re. (’) Ιλ même vérité ne peut être simultanément vue et crue. C’est la doctrine de S. Thomas, constante au moins lorsqu’il l’expose ex professo. 3S, d24, a2; de V. qli, a9; 2-2. ql, a4, aâ. Cf. Gr.vbma.nn, Utrum aliquid possit esse simul creditum et scitum. In: Acta Hebdomadae auguuinianae-thomisticac (Turin .Marietti, 1931). Cependant S. Thomas tient également que « fidelis qui jam percipit aliquem intellectum credibilium, et quodammodo jam eam videt, habet simpliciter nobi­ liorem fidem eo qui minus cognoscit » (de V. ql2, a!2). PROUVER DIEU ISI POSSIRI I . DIEU I.'afURME 15 à la Réalité. Et cependant le mens du croyant, investi du Verbe Se communiquant, est enté dans une fermeté qui l’emporte infiniment sur toute certitude démontrée. Bornons là ces remarques: elles recouvrent au vrai un profond mystère. Le « philosophe » et le « croyant » sont différents, même quant à la détermination affectant respectivement leur intellect, lors­ que celui-ci est actué par la même réalité transcendante, nécessaire­ ment identique pour l’un et pour l’autre eu égard au statut humain de l'intellection. Et concluons, en ce qui concerne notre propos, que l’affirmation Dieu EST peut être crue en vertu de la Révélation et peut être prouvée par argument de raison. L’un et l’autre est fondé sur la même convenance: manifester, entre Dieu et sa création, un rapport qui atteint par la créature-esprit sa plus haute perfection. A cette créature, semblable à Lui, Dieu révèle son Etre. De cette créature, capable de Lui, Dieu attend qu’elle découvre son Etre. 2. La ressemblance entre le « philosophe » et le « croyant » n’est pas moins radicale que la différence. Celle-ci existe, nous venons de le voir, même à parité d’objet: c’est-à-dire lorsque la même assertion est prouvée d'une part, et crue d’autre part. En retour, l’écart peut être infini, ex parte Objecti, entre l’acte du « philosophe » et l’acte du «croyant»; et, cependant, demeure entre eux, hors de toute attein­ te, la similitude radicale qui tient à la nature de l’esprit créé. L’intellect créé n’est pas lui-même sa mesure: car il n’est pas le Vrai. Le vouloir créé n’est pas lui-même sa règle: car il n’est pas le Bien. Le libre arbitre créé n’est pas lui-même son option: car il n’est pas l’Amour. En bref, le sujet spirituel créé n’est pas sa norme; il requiert, par nature, d’être normé: parce qu’il est créé; il requiert, par nature, d’être normé du dedans: parce qu’il est esprit; il requiert donc d’être normé par ce qui est immanent à l’esprit; or, ce à quoi l’esprit est relatif par nature, c’est cela seulement qui, nécessairement, est immanent à l’esprit: et, cela, c’est la Vérité. Le sujet spirituel créé est, en droit, absolument, inconditionnellement, normé par la Vérité: parce qu’il est créé et parce qu’il est esprit. Le sujet spirituel créé, en droit, absolument, inconditionnellement, n’est normé que par la Vé­ rité. Si il cherche une autre norme, il se renie comme esprit. Si il rejette ou même néglige cette norme, il s’affirme en fait comme auto­ normé; et, alors, il s’épuise en contradiction, en se heurtant au fait qu’il est «créé». Etre normé par la seule Vérité, telle est donc la condition étrangère à toute acception, pour tout esprit créé. 16 LA PRII VI DE DIEU ΕΊ LES CINQ VOIES Saisir Dieu par la lumière naturelle, cela est conforme à la nature de l'esprit: cela requiert donc seulement, mais nécessairement, que l'esprit reconnaisse cette condition inhérente à sa nature: il est normé par la Vérité. Saisir Dieu par la foi, cela devient par grâce co-essentiel à l’esprit; cela requiert donc que l’esprit reconnaisse primordialenient comme lui étant essentielle la condition dont la substance de la foi est la merveilleuse promotion: l'intellect créé est normé par la Vérité, seulement par la Vérité, adéquatement par la Vérité. Ainsi, l’ordre surnaturel assume en structure et transpose en excellence l’ordre naturel; quiconque, partant, refuse celui-ci s’interdit par le fait même d’accéder à celui-là. « Comment celui qui n'aime pas son frère qu’il voit, peut-il aimer Dieu qu'il ne voit pas? » ('). Comment celui qui refuse de reconnaître dans la Vérité, la nonne unique et suffisante, nécessaire et nécessitante pour l'intellect créé, dans l’ordre qui lui est con-naturel cl dont il a l’expérience immédiate, comment celui-là prétendrait-il reconnaître la Vérité comme normant absolu­ ment l’intellect créé, lorsque cette Vérité Se communique seulement gratuitement et seulement dans l'obscurité de la foi? Celui qui prétend cela, « c’est un menteur » (■*). «Si quis dixerit Deum naturali lumine certo cognosci non posse: anathema sit > (9). Oui, il est anathème — sans même qu’il soit requis de le déclarer! — celui qui prétend impossible d’affirmer « Dieu est » par la seule lumière naturelle: car celui-là, en réalité, refuse que l’intellect créé soit normé adéquatement par la Vérité; il refuse, par le fait même, fût dérisoires pour l’homme « adulte »; alors vous accéderez à Dieu, « vous serez comme Dieu » (n). Le « savant », lui. argumente autrement (13 *1S). Il y a, déclare-t-il, deux types de raisonnement: la déduction et l’induction. La preuve île Dieu n’étant pas une déduction — sur quoi, faut-il le noter, tout le monde est d’accord — elle est une induction. Or, poursuit le même «savant», l’induction est toujours revisible: non seulement au stade primitif de la colligation des faits, mais sous la forme achevée du raisonnement dit inductif. La preuve de Dieu étant une inférence de ce type, il n’y a donc pas de preuve de Dieu, au sens où l’entend le théologien « classique » : preuve rigoureuse, échappant à toute révision, et partant définitive (ie). Le « savant » « typique » dont nous parlons oublie simplement que la dichotomie dont il part n’est pas adéquate: la déduction, telle que l'humaine raison l’a toujours pratiquée, et l’induction telle que la met en oeuvre la science moderne, présupposent l'une et l’autre une inférence d’un autre type: laquelle n’est pas sans ressemblance avec l’induction, et sur laquelle Aristote fonde à bon droit toute science (,:). Autrement dit, l’induction au sens d’Aristote est nécessairement re­ quise, au titre de fondement, pour l’induction au sens moderne. Et il est aisé de le voir. On admet en effet, en fait et unanimement, que les lois établies par induction ont à être modifiées ou retouchées dans (13) Gen. 3. 6. (H) Gen. 3-6 - La piomesse est au futur: cela est vrai, maintenant comme depuis toujours. La promesse de Dieu est pour l'Eternité. Outre cette différence, spécifiée au point de vue de la durée, il en est une autre concernant le signe. La Providence de Dieu s’accompagne toujours d’un signe: signe réel, parce qu’il est signe de la Réalité qui constitue la substance de la Promesse. Au contraire, la promesse qui n'est que séduction ne s’accompagne jamais de signe réel: car, ne contenant aucune réalité, elle se réduit à un apparaître; elle est donc «pseudos», même comme signe, car elle induit à estimer quelle introduit à quelque chose, alors qu'elle est vide, vaine. (i’) Nous ne parlons pas des savants qui. cherchant humblement la vérité dans leur domaine, demeurent spontanément ouverts à toute vérité; ils pressen­ tent généralement avec acuité que la vérité dont ils n’ont pas l’expérience immé­ diate a ties nonnes qui lui sont propres. Aussi sont-ils modestes; et c’est un critère décisif de l’authenticité de leur savoir. (ΐβ) Le « savant » dont nous parlons n’est pas seulement un personnage « typi­ que». Nous taisons, par discrétion, le nom du personnage réel auquel il cor­ respond. (IT) Second Analytiques. Livre IL ch 19; 99bl5-100bl8. - Induction qu’il faut se garder de confondre avec l’induction dialectique dont il est question au Livre des Topiques. PROUVER DIEU RÉPOND À I.'iNCI INA ΓΙΟΝ DE LA RAISON 19 le sens d'une approximation convergente. Toute recherche serait vaine si on ne croyait à cette convergence, puisque, sans elle, la notion même île progrès serait dénuée de sens pour la science. Or, sur quoi se fondet-on pour affirmer, en principe, a priori et efficacement, quoique impli­ citement, cette convergence dont on ne saurait se passer? Le seul fon­ dement possible est celui qu'assignait déjà Aristote: savoir la connaturalité de l’esprit avec la réalité, en définitive la connaturalité de l’esprit avec l’être. Ou bien, équivalemment, ce fondement consiste en ce que l'esprit est normé par la Vérité; en vertu de quoi, on admet en fait unanimement comme fondement du progrès de la science, que les principes qui norment le jeu spontané de l’esprit sont tout uniment les normes de la réalité. La science moderne elle-même reconnaît d’ailleurs, sous le nom d’« expérience cruciale » une induction qui implique, à partir d’un seul cas, une conclusion tenue pour définitivement établie. Il résulte de là que la dichotomie: « déduction ayant valeur défini­ tive — induction sujette par essence à révision » ne divise pas adéqua­ tement le savoir. Elle ne saurait être invoquée au titre de principe a priori. Si donc on concède sans peine au « savant » que la preuve de Dieu n’est pas une déduction, il doit de son côté reconnaître que cette preuve ne peut être appelée une inférence de type inductif qu’en un sens originel et propre. Sens « originel », puisque sous-jacent à l’induction au sens usuel; sens « propre » : car, si l’on ose dire, et le « savant » lui-même ne le nie pas, le « cas Dieu » ne peut relever que d’un argu­ ment propre. Le procès de la «preuve de Dieu» vient en fait d’une ignoratio elenchi: il est intenté par certains esprits qui ont une notoriété parfois justifiée en tel domaine particulier, mais qui payent patente à l’opinion qui les étaye en décriant, en présence d’auditoires ignorants, des argu­ ments dont ils n’ont pas même saisi les rudiments. Une expérience relativement récente a montré, en tout domaine, l’opportunité voire même la nécessité, d’une propédeutique. Qu’un cours de calcul intégral ne puisse pas être suivi avec fruit sans une familiarité préalablement acquise avec le propos et l’algorithme de l’algèbre, cela ne signifie pour aucun esprit sensé que le calcul intégral n’était « valable » qu’au temps de Cauchy ou d’Hermite, de Weierstrass ou de Picard...; non, cela signifie tout autre chose qu’il est parfaite­ ment inutile d’expliciter! Eh bien, il faudrait actuellement une propédeutique aux preuves de Dieu: propédeutique s’adressant aussi bien au «philosophe» historicisant ou dialoguant» qu’au «savant» «empiriste ou hermétique». Ajoutons d’ailleurs que si cette nécessité prend actuellement une forme nouvelle — et tragiquement urgente — elle a été et elle 20 LA PREUVE DE DIEU ET LES CINQ VOIES demeurera de tous les temps. La difficulté et le risque d’erreur con­ cernant la preuve de Dieu fondent, selon S. Thomas (ls), la convenance de la Révélation: « EGO SUM Qi I SUM » («). Pascal fit une obser­ vation équivalente (ie). Que «les preuves ne prouvent pas», tout le monde l’a dit: c’est-à-dire que les preuves prouvent, pour ceux qui les comprennent: c’est — dit-on! — le sort commun de toutes les preuves. Le phénomène nouveau, c’est qu’il y ait actuellement, à l’inté­ rieur même de l’Eglise, un clan de théologiens en mal de génie ou de prophétisme qui, déplorant « discrètement et avec l’infini respect qui s’impose » les relents de dictature mentale imputables au Magistère « naguère si utile », propagent et imposent comme nonne assurée de la croyance «adulte», et comme principe infaillible de l’osmose oecu­ ménique, la rigoureuse carence de toute pensée consistante. C’est pour ceux-là surtout, eux qui séduisent et égarent en flattant chaque pen­ chant, alors qu’ils ont grâce et mission pour éclairer sans faire accep­ tion, eux qui devraient expliquer la « preuve » il est vrai difficile à qui désire la comprendre, tandis qu'ils colportent le facilisme corrup­ teur en ricanant « il n'y a pas de preuve » : c’est pour ceux-là, d’abord, qu’il faudrait une propédeutique... à l’hygiène mentale. Ce n’est pas le lieu de développer cette propédeutique. Bornons-nous à une seule observation. 2. Une «conversion» n'est pas une «preuve». La «preuve», par nature, s’adresse à l’esprit: elle suppose seulement l’exercice normal de l’esprit: l’exercice d’autres facultés n'est pas séparable, concrètement, (>«) 3S, <124, a2, sol2; a3. sol 1: CG. 1.4; de V. q!4, alO; 1. ql, al; 2-2. q2, a4 etc. - Le risque d’erreur dont parle S. Thomas concerne le «philosophe». Pour le baptisé, dont l'intelligence est gratuitement rectifiée, la preuve ne présente pas de difficulté. Le croyant perçoit que la preuve de Dieu l'induit à mieux croire (Cf. S. Thomas: de V. 12, a 12; cité note 7), et il en parcourt aisément l'en­ chaînement. (ie) * Les preuves de Dieu métaphysiques sont si éloignées du raisonnement des hommes, et si impliquées, qu'elles frappent peu: et quand cela servirait Λ quelques uns. cela ne servirait que pendant l'instant qu'ils voient cette démoni­ tration, mais une heure après ils craignent de s'être trompés». (Pensée 543. Edi­ tion Brunschwicg. Cf. Pensée 242). Ce pessimisme manque de sérénité, et pour autant de vérité. En substance cependant. Pascal dit la même chose que S. Thomas. La difficulté de la preuve de Dieu tient, nous le verrons en terminant cette note, à ce que. pour saisir cette preuve comme probante, il faut tenir, simultanément dans le même acte et dans le même regard de l'esprit, deux affirmations qui ressortissent respectivement à deux degrés hétérogènes de visualisation intelligible. Pour prouver Dieu, l'esprit humain doit poser un acte dans lequel il récapitule intégralement toute sa possi­ bilité. Il n’est donc pas surprenant que la preuve soit difficile, autant d’ailleurs quelle est simple: parce que l'intelligence rationnelle n’est pas simple. Cf. note 39. PROUVER PIEU RÉPOND À 1.'INCLINATION DE LA RAISON 21 de celui de l'esprit, mais il n’intervient pas « organiquement » dans la démarche et dans l'acte par lesquels l'intelligence saisit l'enchaînement et affirme la conclusion d’une preuve. La « conversion » (-’°), au contraire, résulte en général, pour l’être humain, d’actes successifs, dont chacun commande en fait tout le processus ultérieur; actes qui sont respectivement produits par des facultés différentes, l’intelligence et la volonté notamment. La con­ version qui, du côté de l’homme et non sans la motion de Dieu, ache­ mine à la grâce de la foi a été minutieusement décrite par le Concile de Trente, lequel a repris et sanctionné la doctrine de S. Thomas. « Lorsque Dieu touche le coeur de l’homme par Y illumination du Saint Esprit, il n’est pas vrai que l’homme ne fasse rien en recevant cette inspiration qu’il pourrait rejeter; mais il n’est pas vrai non plus que l’homme puisse de par sa libre volonté, sans la grâce de Dieu et sous son regard, tendre vers la justification » (* 21). S. Thomas donne à la distinction « illuminatio-inspiratio » la forme équivalente: « illustrando-inspirando » (22). Ce qui importe à notre propos, c’est l’enchaînement organique en­ tre ces deux motions spécifiquement différentes. L’« illumination », né­ cessairement, est reçue: l’esprit étant éclairé, il voit ce qu’il voit. Tandis que !’« inspiration », par laquelle Dieu visite la volonté, en même temps que l’intelligence par 1’« illumination », peut-être refusée. L’homme peut, en suivant l’inspiration, conformer son comportement à la lumière qu’il a reçue. Il peut également, parce qu’il demeure libre sous la motion divine, ne pas suivre l’inspiration, et ne pas conformer son comportement à la lumière reçue. Dans le premier cas, le processus de conversion se poursuit et tend vers son achèvement qui. surnaturellement, est le don de la foi. Dans le second cas, le processus est interrompu. Une autre conversion pourra avoir lieu: mais ce ne sera qu’en vertu d’une nouvelle et miséricordieuse initiative de Dieu. (2°) Pour plus de clarté, nous désignerons dans ce qui suit immédiatement par conversion (en italiques) le processus de justification que couronne normale­ ment la grâce de la foi; et par « conversion » (entre guillemets) l’itinéraire que doit parcourir un esprit unilatéralement adonné aux techniques pour recouvrer la perception connaturelle de l’être. (21) Declarat praeterea [sancta Synodus] ipsius justificationis exordium in adul­ tis a Dei per Christum Jesum praeveniente gratia sumendum esse.... ita ut tan­ gente Deo cor hominis per Spiritus Sancti illuminationem neque homo ipse nihil omnino agat, inspirationem illam recipiens, quippe qui illam abiccre potest/, neque tamen sine gratia Dei movere se ad justitiam coram illo libera sua volun­ tate possit. (Concile de Trente. Sess. VI. Decretum de justificatione Cap. 5. Denz 797). (22) De V. q27, a3, 12™. [Deus] autem causât fidem in credente inclinando voluntatem et illustrando intellectum... oo LA PREUVE DE DIEI Π LFS CINQ VOIES On voit donc que, si on considère la conversion seulement du côté de l’homme, il semble qu’il revienne à la volonté de proposer à l’intelligence les objets qui jalonnent le chemin à parcourir: un en­ chaînement d’options volontaires est en fait requis pour que l’homme soit conduit à la lumière. L'homme est libre, à chaque étajx?, de poursuivre ou de s’arrêter: en sorte que, dans la recherche de la Vé­ rité, l’intelligence et la volonté sont en lærmanente et mutuelle inter­ férence. Ce qui, au point de vue propre de l'homme, est vrai de la conversion par excellence, l’est également de toute autre conversion, envisagée au même point de vue. Cela est vrai, en particulier, de cette < conversion » (*°) d’une nouvelle sorte sous-jacente à la propédeutique dont nous avons parlé. L’esprit humain, exclusivement adonné aux techniques, finit par se concevoir comme étant lui-même semblable à ces objets sans les­ quels, en fait, il ne peut plus penser. Pour redécouvrir, en ce fond qui est comme l'antipode de l’ex travers! on, sa propre connaturalité avec l’être, pour recouvrer la spontanéité, quant à l’exercice de cette connaturalité, l’esprit de l'homme moderne a besoin d’une « conver­ sion ». Cette «conversion» requiert-elle la grâce? En un sens large, certainement: car nul ne peut «se tourner vers» Celui qui EST, ce qui est en propre l’origine de toute conversion, si il a aliéné en soi le sens de l’être, sens qu’il a reçu en même temps que l'être lui-même. Le secours de Dieu est déjà requis pour cette « conversion natu­ relle » : parce qu'elle constitue l’origine, nécessaire en fait, de la con­ version au sens propre que couronne la grâce de la justification. Dieu, certes, peut accorder cette « conversion naturelle », non pas avant la grâce de la justification, mais en même temps: tout comme II a con­ verti S. Paul en un instant (33). Mais tel n'est pas 1’« ordinaire » ; au contraire, l’expérience actuelle ne le montre que trop, le sens de la foi, le sens de ce que c’est que la foi, et pas seulement la foi elle-même, se perd en même temps que le sens de l’être. C’est fort compréhensible: foi, vérité, être sont convertibles; il est des conséquences qu'il est sujjerflu de « déduire », les faits s’en chargent! Prolonger ces observations serait nous écarter de notre propos. La «conversion naturelle», requise en fait pour que l'homme contem­ porain recouvre le «sens natif de l’être», est une conversion, au sens propre, sens dont nous avons ci-dessus rappelé l’essentiel: voilà ce que nous voulons dégager. L'intellect technicisé ne peut pas, en fait, à lui (-3) Et ideo conversio Pauli tamquam miraculosa in Ecclesia com memoratur (1-2. qll3, alO Un). PROUVER DIEU RÉPOND λ L'iNCLINATJON DE LA RAISON 23 seul retrouver l’«être»; l’inspiration volontaire, sous la motion d’une inspiration divine dont nous ne considérons pas le mystère, est en fait nécessaire. En droit, l’intellect en quelque état qu’il soit, peut et doit, par soi seul, retrouver ce sens de l’être, en meme temps que de soi-même; car l’intellect demeure toujours, en fait comme en droit, capax entis. Mais, en fait, la plus sommaire observation l’impose si elle est lucide, l’intellect de nos contemporains se trouve si desservi, et si asservi, par un « progrès » qui aboutit et parfois consiste à déshumaniser l’homme, qu’il ne peut plus, — en fait, et seulement par ses ressources propres, nous y insistons —, se savoir capax entis, ni par conséquent et tragi­ quement se découvrir capax Dei. Nous ne disons pas que cette redé­ couverte est impossible; mais nous disons qu’elle exige une « con­ version»; nous ne disons pas, et nul chrétien ne pourrait tenir, que cette « conversion » soit, même actuellement, impossible. Mais nous affirmons deux choses qui sont, entre les chrétiens, objet de libre dis­ cussion ou de libre option. Premièrement, cette « conversion » est nécessaire: parce qu’elle est, selon l’ordination, divinement établie, de la « nature » à la « sur­ nature », la condition de la conversion. Et, selon cette première affirmation, nous nous opposons aux apologètes auxquels nous avons déjà fait allusion un peu plus haut: les­ quels prophétisent, pour accéder à Dieu, une voie « large » (24), complè­ tement étrangère aux données de l’Ecriture (25) et de la Tradition. Deuxièmement, cette « conversion » de l’esprit à lui-même est une conversion, au sens propre dont nous avons ci-dessus rappelé l’es­ sentiel. Cette « conversion » est un processus dans lequel l’intelligence et la volonté interfèrent intimement. Celui qui n’a pas encore recouvré la perception de l’être peut, librement, tout comme celui qui n’a pas encore reçu la grâce de la foi, s’arrêter en chemin, ou bien poursuivre; il peut se donner à lui-même les objets dont la considération le con­ duira au but, ou bien il peut s’en détourner: il est libre* il use de tout, librement: et d’abord de son intelligence, souvent tragiquement. (24) Mat 7. 13. Voie large, en ce sens qu’elle est conforme à ce qui est le plus facile pour l’homme. Non que la science soit « facile ». Elle requiert même une ascèse. Mais tout cet effort n’est rien, comparé à la rectification intime. - C’est pourquoi « la voie large conduit à la perdition ». (25) Rom 1. 20. Les perfections invisibles [de Dieu] sont rendues visibles à l’intelligence par le moyen de ses oeuvres. Ils sont donc inexcusable» puisque ayant connu Dieu, ils ne l’ont pas glorifié... Vatican I fonde sur ce texte la définition citée note 9. « Inexcusables » montre bien qu’il s'agit d’une preuve «de raison», puisqu’elle s'impose sans excuse. 24 ΙΛ PREUVE DE DIEU ET LFS CINQ VOIES Or, pour un esprit en qui le sens de l’être est aliéné, la « preuve » de Dieu n’a aucune portée. Et, selon cette seconde affirmation, nous nous séparons des tho­ mistes « thomistifiés », lesquels estimeraient que, actuellement, la « preuve » de Dieu suffit, même pratiquement. Toujours, elle a été difficile (1S), (ie), surtout pour les humains que leur occupation n orien­ tait pas vers la réflexion. Maintenant, l’obstruction quasi unanime faite à la «preuve» vient de l’activisme cérébral auquel l’humanité collec­ tivisée voue la partie d’elle-même réputée privilégiée. Et cela, pour deux raisons qui d’ailleurs s’enchaînent. D’une part, cette sorte d’activisme constitue la plus subversive des extraversions: par le jeu de la raison, il fait en effet prendre pour l’être lui-même ce qui en concerne seulement les spécifications, en sorte qu’il atrophie radicalement le «sens de l’être». D’autre part, l’homme qui, ne sachant plus l'«être», ne peut plus adorer « Dieu qui EST », et qui perd ainsi le principe même de sa grandeur et de sa fierté, cet homme-là n’a plus qu’une intelligence rampante: il la ploie paresseusement devant les cerveaux efficaces qui forgent le destin de Γ« Humanité » et qui dictent au troupeau un credo inconditionné. Obnubilant en elle-même le principe de sa force, l’intelligence devient serve. Elle refuse la «preuve», pour n’avoir à reconnaître ni sa démission ni son péché. 3. Récapitulons ces observations. La « preuve » de Dieu s’adresse à l'homme qui a conservé saine sa nature de créature intelligente. La plupart de nos contemporains ne sont plus dans cet état. 11 serait par suite chimérique de leur proposer sans préparation la « preuve » de Dieu: ce serait les traiter comme s’ils étaient « en santé » : or, donné à un malade, le meilleur des vins ne réussira pas même à l’énivrer! En retour, c'est pécher contre l'Esprit(2e) que déclarer santé confirmée et vie renouvelée l’intoxication prodrome de mort lente. Contre les protagonistes « chrétiens » d'un néo-scientisme marxisant et supputé auto suffi ant, nous estimons donc que la « preuve » classique de Dieu est, inviscérée par le Créateur Lui-Même dans Sa création, le fondement nécessaire au moins en droit de toute véritable conversion. Et nous croyons, en conséquence, qu’une propédeutique doit être élaborée, en vue d’aider nos contemporains à réaliser la « con­ version » sans laquelle la « preuve » de Dieu ne peut avoir prise sur eux. (-«) Mat 12. 32. Car c’est pécher contre l’Esprit que de détourner autrui du chemin qui conduit à la foi - C’est être anathème (cf. note 9). UNE PREUVE. CINQ VOIES · TROIS OBSESSIONS 25 Il n'est certes pas nécessaire, jamais il n’a été nécessaire, que la « preuve » soit parfaitement accessible au plus grand nombre; mais que la « preuve » devienne en fait inaccessible à la quasi totalité des humains parce qu’un clan de chrétiens « éclairés » en met en doute la valeur, c’est un alarmant symptôme de l’affaissement de la foi. Il faut, au rebours de cette critique, dénoncer et détruire les préjugés; il faut remettre en honneur et reforger une formation philosophique. Celle-ci doit être indéfiniment appropriée: au «savant», au «philo­ sophe», au «technicien». Chacun, selon sa fonction propre, cherche une vérité fragmentaire, mais du moins loyalement; et chacun cherche la Vérité, mais confusément, et de si loin! Il faut les aider à retrouver, sans rien abdiquer de l’exigente rigueur dont ils font profession, le sens de l’être, don naturel et primordial à la faveur duquel Dieu opérera en eux la conversion. Voilà, en bref, la triangulation épistémologique de la question « Dieu », telle qu’elle nous paraît se poser pour l’ensemble de nos contemporains. Revenons maintenant à S. Thomas; tout comme l’Ecriture (“), tout comme le Concile, il s’adresse aux esprits sains. 2. - La preuve de dieu est, quant a sa nature, ADÉQUATEMENT FONDEE SUR L*« ESSE » ET SUR LA CAUSALITÉ. Si quis dixerit Deum naturali lumine certo cognosci non posse, anathema sit (9). Dieu, lorsqu’il révèle, affirme; Il daigne même, lorsqu’il ordonne, indiquer parfois le « pourquoi » (27). Mais Dieu honore l’homme, en lui laissant en général le soin de mettre en question (28) ou d’élaborer le « comment » : c’est tout le propos de la science, c’est donc aussi celui de la théologie. « Dieu peut être connu avec certitude, par la lumière naturelle de la raison, à partir des choses qu’il a faites » (0). La connaissance certaine s’appelle, pour le moins, une preuve; comment procède cette preuve? « Les choses qui ont été faites (ea quae factae sunt) », ce sont tout simplement les choses qui sont; car si, de ces choses « qui ont été faites », on sous-entendait qu’elles ont été faites « par Dieu », (27) Tu ne mangeras pas de l’arbre de la connaissance du bien et du mal. car le jour où tu en mangeras tu mourras certainement (Gen. 2. 17). (28) Comment cela se fera-t-il, puisque je ne connais point d’homme, (Luc I. 34). 26 IA PREUVE DI. DlF.l ET LES CINQ VOIES l’existence de Dieu serait donnée en même temps que ces choses, elle n'aurait pas à être connue à partir d'elles. La preuve concernant « Dieu qui EST», procède donc de «ce qui est»: la chose n’est-elle pas évidente? a. La manière de concevoir les cinq « voies » depuis un demi-siècle, a réfléchi des tendances différentes, tour à tour dominantes. L’expérience montre cependant qu’il n’est pas aisé de mettre en oeuvre cette évidence, lorsqu’il s'agit d’élaborer effectivement la preuve. Comment «ce qui est» prouve-t-il que «Dieu EST»? Les «cinq voies» ont fait l'objet de multiples commentaires: ceux-ci, certes utiles, avaient masqué la simplicité de la question ori­ ginelle. Redécouvrir cette simplicité n’est pas préoccupation nouvelle. Cette préoccupation s’est traduite, depuis un demi siècle, en de pro­ fondes et vigoureuses inspirations. Mais, chose aussi inhérente à toute « rénovation » qu’étrangère à la sagesse de S. Thomas, ces efforts, ordonnés à reposer la question, ont en fait consisté à remettre en valeur seulement l’un de ses aspects: en sorte que chacun de ces aspects, successivement, a joui d’une vogue « univoque », laquelle, collecti­ vement, a quelque peu dégénéré en obsession. 1. L’« obsession d'universalité» domina au début de ce siècle. Plusieurs inférences permettent, avec certitude, de conclure « Dieu EST » à partir de « ce qui est »; mais, puisque, quelle que soit l’infé­ rence, les deux termes extrêmes sont les mêmes, le processus qui les relie doit également être en substance le même. Il doit y avoir un seul principe, dont les différentes preuves sont seulement des applications différentes. Et comme ce principe doit fonder une preuve certaine, il doit lui-même nécessairement découler de ce qui est évident pour l’es­ prit, c’est-à-dire des premiers principes. D’où un premier schéma de la « preuve », lequel comporte deux étapes: 1. Réduire analytiquement le principe de causalité au principe d’i­ dentité; 2. Ramener chacune des « cinq voies » à une application circonstanciée du principe de causalité. Ainsi, la « preuve » est bien, comme il se doit, aussi simple qu'il est possible qu’elle le soit. Mais l’écueil, que dominait l’intuition inspiratrice, apparut im­ manquablement avec 1’« inconvénient d'avoir des disciples». L'univer­ salité, qui vise à faire ressortir la simplicité, est adéquatement justifiée si elle est ce qu’elle doit être en intellection humaine: savoir la forme qui est normalement inhérente à l'expression de la nécessité. Mais UNE PREUVE. CINQ VOIES · fROls OBSESSIONS 27 l'universalité a pour rançon l’abstraction. Et comme les « universalis­ tes > ont jugé inutile de rappeler le statut de l’abstraction, estimant à bon droit (pic celui-ci pouvait être supposé parfaitement connu en thomisme, une réaction se produisit. 2. L' « obsession de l’esse » est née principalement d’une convic­ tion, mais également d’une phobie de l'abstraction. Le mot abstraction désigne originellement une opération de l’es­ prit, laquelle exprime immédiatement une relation. Or, la relation étant chose difficile à concevoir, on a tendance à attribuer aux « abs­ tracta » une qualité intrinsèque, alors qu’une réalité ne doit être ap­ pelée un « abstrait » que pour ainsi dire «fonctionnellement», c’està-dire en fonction d'une opération de l’esprit (2e). On a également oublié qu’il y a un type d’abstraction selon lequel l’esprit retient non seulement ce sur quoi porte l’opération abstractive, mais également la réalité dont cette opération consiste à abstraire (29 30). Et, par suite, l’abs­ traction, qui est toujours la condition de l’universel, n’a plus été com­ prise comme il est nécessaire qu’elle le soit, lorsqu’elle constitue l’instrument propre qui permet d’atteindre l’esse. On n’a plus compris, au moins en fait, que l’esse peut être et qu’il est le terme atteint en vertu d’un certain type d’abstraction: et le glissement sémantique de la relation vers la qualité à conduit à estimer que l’esse ainsi obtenu était en lui-même un abstrait, qu’il avait en lui-même cette qualité d’être abstrait et non pas concret. Il fallut dès lors redécouvrir l’esse « concret », le véritable « esse thomiste ». Mais, l’abstraction — mal comprise — étant proscrite de la métaphysique, et l’analogie se réduisant en conséquence à un instru­ ment logique, 1’« esse thomiste » ne pouvait plus que descendre du ciel: il eût pour origine la « participation », et puis « Exode 3. 14 ». Et la « preuve » de Dieu fut, inévitablement dans ces conditions, ré­ duite à la seule « quarta via », les autres voies étant — Kant ne l’a-t-il pas dit? — cosmologiques et donc sans prise possible sur « Dieu qui EST ». Mais la non consistance de cette thèse commence d’apparaître. La participation, si on la considère elle seule, nous voulons dire sans faire état du principe de causalité, pourrait être caractérisée, avec humour sans doute mais plus encore avec exactitude, comme étant « ce qui, (29) Le signe en est que Vabstractio peut s’appliquer aux separata; tandis que la separatio ne s'applique pas aux abstracta. L’état des abstracta n’est jamais un état purement objectif. (□ο) Par exemple, 1. q40, a3. In Boet de Tr., passim. 28 LA PREL’VE DE DIEV ET LES CINQ VOIES en propre, rend impossible toute preuve de Dieu ». Qu'une hiérarchie de degrés requiert un « Premier », dont ils participent, comment Ictablit-on? Nous ne voyons pas que ce soit évident; dans ce cas d'ailleurs, c’est l’existence même de Dieu qui serait évidente: affirmation fausse comme on sait. Peut-on prouver le principe par induction? Mais l'exem­ ple que S. Thomas allègue généralement constitue un cas dans lequel, justement, le principe ne s’applique pas: condition assez fâcheuse pour induire une loi à partir des faits (31). Et, équivalemment d'ailleurs, (3i) 1 - La locution < principe de participation » est chargée d’ambiguïté: cela ne tient pas seulement à ce qu'elle est fort usitée. Le mot principe désigne, selon l’acception commune, une vérité en elle-même non démontrable, estimée comme suffisamment fondée, et comme étant apte par conséquent à jouer le rôle de « principe » dans une démonstration. D’autre part, le mot participation, parce qu’il concerne formellement un rapport, peut être référé soit à l’un soit à l’autre des deux termes de ce rapport, soit, au rapport lui-même: celui-ci pouvant d’ailleurs être envisagé selon deux sens opposés, du premier extrême vers le second, ou inversement. Le mot « partici­ pation » a donc en fait, dans les locutions usuelles, cinq sens différents: 1. La participation (d’une première réalité par une se de) consiste en ce qu’il y a quelque chose de commun entre ces deux réalités: et tel est le sens originel. Le rapport de participation est alors désigné comme rapport, mais sans faire acception entre ses extrêmes. 2. La participation (de la réalité participée) consiste en ce que quelque chose, appartenant à cette réalité, se retrouve dans une seconde réalité dite participante. 3. La participation (dans la réalité participante) consiste en ce que quelque chose sc trouve, dans cette réalité participante, et qui appartient premièrement et primordialcment à une autre réalité (dite participée). 4. La participation est le rapport entre la réalité participée et la réalité partici­ pante. ce rapport étant considéré comme efférent à partir de la réalité participante. 5. La participation est le rapport entre la réalité participée et la réalité partici­ pante, ce rapport étant considéré comme afférent à la réalité participée. La locution « principe de participation » superpose une nouvelle ambiguïté à celles qui précèdent. Cette ambiguïté est pour ainsi dire de nature fonctionnelle, en ce sens quelle concerne le rôle joué par le «principe*. Le « principe de participation » est un principe (comme il y en a d’autres), et à partir duquel on peut démontrer une vérité inévidentc (P). Le « principe de participation » est le principe qui constitue la norme intrinsèque de la partici­ pation (N). Cette norme est bien connue: sous le rapport où il y a participation (au sens l). le participé est simple, le participant est composé et pour autant limité; il s’en suit que ce qui est participant ne peut pas être, à son tour, par­ ticipé: en rigueur formelle, le Premier et Lui Seul est participé. ··)· 2 - C’est cette dernière confusion qui. à notre point de vue, est la plus grave: le « principe de participation » est pris comme origine de preuve (P); alors que le « principe de participation » est la norme de la participation (N). Le «principe de participation » est un véritable principe au sens N: il expli­ cite une évidence qui a raison de « principe » au sens de ce mot premièrement UNE PREUVE. CINQ VOIES · TROIS OBSESSIONS 29 jamais on n'assigne la raison pour laquelle le principe vaut si la hiérarchie de degrés concerne un transcendental, tandis qu’il ne vaut expliqué, et cela en fonction des deux termes supposés donnés entre lesquels existe le rapport de participation. Or, confondant à la faveur de l’homonymie « principe de participation», les deux sens N et P, on attribue au «principe» d'être un véritable principe au sens P [alors, nous le répétons, qu’il est un véritable prin­ cipe seulement au sens N], et on lui confère la valeur d’un principe de démons­ tration. L’usage s’est ainsi répandu de dire que la preuve de Dieu appelée « quarta via » découle du principe de participation. Cet usage véhicule malheureusement une erreur en même temps qu’une confusion. Le « principe de participation » ne pourrait avoir la « valence » P que si, premièrement, il avait un sens. Or quel sens a-t-il? Le sens P n’est que fonc­ tionnel; il désigne le principe en tant que celui-ci est supputé être l’origine pos­ sible d’une démonstration. Le seul sens que l’on puisse donner au principe, séman­ tiquement, si on ose dire, c’est le sens N. Mais si on lui donne le sens N, le principe suppose donnés les deux extrêmes, c’est-â-dire le participant et le parti­ cipé; comment, dans ces conditions, pourrait-il servir à prouver l’existence du second à partir du premier? Et si le principe n’a pas le sens N, a-t-il un sens? Parmi les cinq acceptions du mot « participation », lesquelles suffit-il de considérer, singulièrement ou globalement, pour en faire surgir un « principe »? En réalité, il n’y a aucun principe; et la prétendue résolution de la « quarta via » dans le « principe de participation » n’est qu’un mythe. 3 - Concluons. Il serait souhaitable, voire nécessaire, qu’on désignât le prin­ cipe qui fonde la « quarta via » d’une manière mieux conforme à la mise en oeuvre que fait S. Thomas de ce principe, dans les cas où S. Thomas entend effectivement prouver, et non pas dans les cas où S. Thomas rappelle le « principe de participation » au sens N en vue de préciser la conclusion d’une preuve une fois faite. Considérons par exemple la formulation de la Somme: « Magis et minus dicuntur de diversis, secundum quod appropinquant diversimode ad aliquid quod maxime est ». Observons que cette affirmation n’est ni évidente ni démontrée (démontrable?), et que S. Thomas en fait effectivement le « principe » sur lequel il fonde la preuve. L’affirmation est donc bien un « principe » au sens que nous avons pre­ mièrement défini. On pourrait lui donner deux désignations: principe des degrés, car c’est essentiellement la différenciation des degrés (le « plus » ou « moins ») qui est l’origine du principe. principe de l’ordre, car les « degrés » constituent, conjointement au « premier » (ou maximum) dont ils sont censés prouver l’existence. « un ordre ». La seconde locution évoque plus de richesse, et elle est mieux susceptible de transposition analogique; mais elle soulève la difficile question du rapport qui existe entre «tel ordre* et le principe de cet «ordre». En l’occurrence en par­ ticulier, le « Premier » est transcendant à tous les degrés; bien qu’il soit, comme eux. analogiquement, « esse ». La discussion de ces questions dépassant le cadre de cette étude, nous retiendrons la locution « principe des degrés ». L’énoncé de ce principe est celui que nous avons rappelé quelques lignes plus haut, en citant S. Thomas. Et nous faisons observer que le « principe des degrés » et le « principe SO LA PREUVE DE DIEU ΕΓ 1XS CUVQ VOIES pas si cette hiérarchie concerne un mode de l'être. Pas n’est besoin de beaucoup d’esprit critique pour poser ces questions; mais la mode de participation » (au sens qui est. nous 1 avons vu, le seul sens assignable séman­ tiquement), sont radicalement différents, et cela à trois point de vue. Le « principe des degrés » a pour base d’observation une pluralité de degrés: deux au moins. Ce qui donc intervient comme prémisse du principe, si l’on peut dire, c’est une distinction (la pluralité) dans l’unité (il s’agit des « degrés » d’une même réalité). Tandis que le « principe de participation · n’exige la considération que d’un seul participant. La prémisse du principe est constituée par un existant, non par le rapport entre plusieurs réalités qui sont « un » spécifiquement. Le « principe des degrés » permet de procéder, nous aurons à le rappeler, d’un jugement à un autre jugement; il est formellement un principe de raisonnement; il doit d’ailleurs être lui-même établi, en ce sens qu’il ne dérive immédiatement, ni d’une perception de l’esse comme tel. ni d’une confrontation circonscrite à des existants individuels. Tandis que le < principe de participation > est l’expression immédiate d’un juge­ ment. Ce jugement doit, selon nous, être rationnellement fondé sur la preuve de l’existence de Dieu; mais, objectivement, il procède immédiatement de la per­ ception de Fesse, lequel est analogiquement * un » dans la créature participante et dans le Créateur participé. Autrement dit, l’intellect humain, n’ayant pas la puissance requise pour saisir d'emblée l’existence de Dieu, a encore moins celle de saisir d’emblée le rapport entre {’Existant par .Soi et l’existant créé, Mais, supposé prouvé « Dieu EST », alors le «principe du participation» est tout simplement •— nous l’avons rappelé ci-dessus η. 1 — la norme de l’esse; il n’est rendu acces­ sible au νο5ς que par la raison, mais il est bien en lui-même objet de jugement et non de démonstration. Le < principe des degrés » — supposé lui-même établi — permet de prouver l’existence d’un rapport: rapport entre un premier terme connu donné immédia­ tement, et un second Terme dont l’existence est prouvée en même temps que celle de ce rapport. Tandis que le « principe de participation » concerne la nature de ce même rapport. Et nous ne croyons pas inutile — malheureusement — de répéter ce truisme: il est vain de chercher à déterminer la nature d’une chose qui n’est pas objet d’évidence, si. d'abord, on n’a pas, de cette chose, démontré l’existence. L’erreur du « participationisme », concomitante à F « obsession de l’esse», a consisté à résorber le « principe des degrés » dans le « principe de participa­ tion », à confondre l’expression d'un jugement il est vrai éminemment intelligible avec l’instrument du preuve sans lequel ce jugement est impossible: parce que ce jugement est. pour l’intellect humain, inévident. Mais, encore une fois, notre propos n’est pas de nous ctendre sur ces critiques. Les considérations qui précèdent visent à éviter toute ambiguïté: le principe que S. Thomas met en oeuvre dans la «quarta via» n’est pas le «principe de participation»; c’est le «principe des degrés». Et nous pouvons maintenant formuler clairement la question, qu’implique directement notre enquête: le « principe des degrés · n’étant pas évident, com­ ment peut-on le prouver? 4 - Nous verrons (pp. 126-128) que le «principe des degrés» est réductible au principe du causalité [pLp2] (cf. p. 37). El, partant, la « quarta via » est l’une des formes de « la preuve » de Dieu. Mais la « quarta via » n’est-elle que cela? UNE PREUVE. CINQ VOUS - TROIS OBSESSIONS 31 est puissante, même dans le domaine mental. Aussi l'« obsession de l'esse » n’est-elle pas à son déclin; elle n’est cependant plus à son apogée. Le penser serait, croyons nous, retomber dans l’< obsession d’universalité ». Nous citerons d’ailleurs quelques auteurs parmi les plus récents, dont le sérieux est hors de doute, et dont l’avis demeure pour le moins indécis (Cf. notes 42, 43). Cela nous paraît signifier que la « quarta via » pose une question particulière: qui jamais en a douté! Mais cela signifie également que les méthodes exégétiques et historiques, puissamment et unilatéralement florissantes depuis plusieurs déca­ des, s’avèrent en fait impuissantes à poser la question véritable. Cette question, la voici: le «principe des degrés» peut-il être établi «directement», c'est-à-dire sans utiliser le principe de causalité; ou bien le « principe des degrés » n’est-il que la manifestation, sous une forme particulière, du principe de causalité? Nous allons montrer que le « principe des degrés » peut être établi directe­ ment par induction; mais non sans présupposer certaines conditions. 5 - Le « principe des degrés » peut être établi directement par induction. Argument de type synthétique. Nous entendrons d’abord le mol « induction » au sens moderne. Le « prin­ cipe » devrait alors être plutôt considéré comme étant le « principe de l’ordre » (cf. n. 3). Etant considéré un certain « ordre » de choses: ensemble ordonné de propositions; société constituée organiquement, en vue d’une fin spécifiée avec précision; techniques visant la réalisation d'un même but... dans tous ces cas il existe des principes abstraits ou des éléments principaux dont l'existence est re­ quise par celle de l’ordre considéré, et donc prouvée par l’existence même de cet «ordre». Peut-on inférer de cette observation un principe métaphysique, Trois observations s’imposent immédiatement. La « base » de l’observation est assez large pour autoriser à conclure: elle se retrouve en effet concrètement en tout domaine de l’être. Le caractère général de cette observation a pour rançon une imprécision qu’il serait nécessaire de rectifier, pour que l'inférence dont elle est la base pût être assimilée à l’induction au sens moderne de ce mot. La véritable difficulté, si on veut effectuer cette rectification, est de définir avec précision ce que l’on entend par «un ordre», «un certain ordre de choses ». Cette locution a un contenu minimal qui suffit pour éviter l’équivoque, si se trouve donné un certain contexte sémantique. Mais, si on veut assigner à cette locution un sens précis, nous ne voyons que deux voies. L'une consiste à élaborer la métaphysique de l’ordre; nous y reviendrons au paragraphe suivant. L’autre voie est le recours à l'induction au sens aristotélicien (cf. note 17): dont nous avons déjà observé qu’elle est en fait piésupposée à toute démarche intellectuelle. L'esprit a une perception connaturellc et spontanée, irréductible à quoi que ce soit autre, des données transcendentales. Primo in intellectu cadit ens. Mais cela est vrai également de l’essence: car c’est bien l’ens-esse concret qui, primordialemcnt, investit le mens; or l’ens-esse concret intègre en soi son propre prin­ cipe de mesure, savoir l’essence concrète avec laquelle il est en rapport de mutuel conditionnement. Or l’essence concrète inclut 1’« ordre», au titre de catégorie on­ tologique: parce que, précisément, l'essence concrète mesure l'esse en déterminant son « ordre * à l'Esse. En fait, et en réservant à l’esse la primordiali té, pour des raisons qu’il ne convient pas ici de développer, « in intellectu primo cadit ens, 32 LA PREUVE DE DIEU ET LES CINQ VOIES 3. L’ < obsession du positivisme » commence de supplanter celle de l’esse. On s’est en ellet demandé — la question n’est pas toute sed etiam cadit ordo ». Il y a une perception primordiale et originale de l’ordre. Et l’on pourrait alors raisonner à parité. Tout de même que les premiers prin­ cipes nous sont connus statim ad occursum rei sensatae (In Lib. de An. Lib. II, I^ect 13 fin; éd. Piiotta, N396). parce qu'ils sont connaturels et immanents à l'esprit (de V. qll, al. P14; de V. qll, a3, P3; Méta N599; etc.); ainsi» le «prin­ cipe de l’ordre » est connu immédiatement à la faveur d’une induction, et bien que celle-ci soit déficiente; parce que ce principe est connaturel et immanent à l'esprit. Admettra-t-on cette preuve? A chacun d’en juger. Pour notre part, nous lui reconnaissons une haute vrai-scmblance: elle induit au vrai. Mais cette preuve ne peut, selon nous, être dite «certaine»: elle n’établit pas le «principe de l’ordre » (qui en l’espèce équivaut au « principe des degrés »), comme l’inférence semblable fonde avec certitude le principe d’identité ou le principe de causalité. 6 · Le « principe des degrés » peut être établi directement par induction. Argument de type analytique. Cet argument repose sur la métaphysique de l’ordre; nous nous bornons à en indiquer l'essentiel. Nous devons tout d abord préciser deux définitions. L’hypothèse est l’existence, observée, de réalités de même nature, puisqu’elles comportent le «plus» et le «moins»; autrement dit. elles constituent des «de­ grés » différents. Pour simplifier l’exposé qui va suivre, nous désignerons par le mot unique différenciation l’ensemble de ces deux propriétés, qui constituent les prémisses du « principe des degrés » : 1. 11 y a un «plus» et «moins»; ou. autrement dit. il y a des «degrés». 2. Le fait même de l’existence de ces « degrés » implique l’existence d’une réalité qui soit la mémo, et qui soit pareillement immanente à ces degrés: faute de quoi, parler de « degré » ou de « plus » et « moins » n aurait aucun sens. Les notions d’ordre et de « principe d’ordre » jouant dans ce qui suit un rôle important, il convient d’en préciser l’acception. « Ordre » peut signifier « ordina­ tion à»: sens convertible avec la notion de relation définie comme «ad». Cette acception primitive ne peut jamais être exclue; elle est pour le moins implicite, du seul fait que l’on emploie les mots «ordre» ou «relation». Nous donnons cependant à « ordre » la signification dont la base inductive a déjà été indiquée au paragraphe 5 de cette note: «un certain ordre de choses». Nous supp ns cependant, en outie, que, à partir de cette base inductive, est dégagée, comme ayant valeur concrète, la définition « formelle » de l’ordre, savoir: « Un ordre est un ensemble d’éléments qui sont, respectivement, les origines de relations dont le terme commun est un élément distingué, appelé le principe de l’ordre ». C’est la nature du rapport entre le principe de l’ordre et ses différents éléments qui spécifie la nature de l’ordre considéré. Autrement dit, nous considérons 1’« ordre » comme une « natura secundum se»: ouverte sur l’ensemble de ses cas concrets, sans cependant faire acception d’aucun d’entre eux. Voici maintenant une suite de propositions qui s’enchaînent. Une brève expli­ cation suffira pour chacune d’entre elles. / L’ordre implique différenciation (entre ses éléments). Précisions que. par «impliquer», nous entendons «avoir pour conséquence»; «a implique b», signifie que a entraîne b comme conséquence. UNE PREUVE. CINQ VOIES IROIS OBSESSIONS 33 neuve! — est-il vraiment requis de dire d'un chat qu’il est de l’être pour affirmer que ce chat existe? Ne convient-il pas, primordial ement, La justification de l’affirmation J est que l’ordre, par essence, exclut la répétition. S. Thomas l’observe souvent. 2 Le fait que l’ordre implique différenciation (entre ses éléments), ce fait implique que l’ordre implique relation (entre scs éléments). Car la « différenciation · entraîne l’ordination du degré « moindre » au degré «plus élevé». Or cette ordination, réelle comme l'ordre dans lequel elle s’insère, est, par définition même, une relation réelle. Des affirmations 1 et 2 résulte que: 3 L’ordre implique relation (entre ses éléments). Le mot « relation » est pris ici selon l’acception qui a déjà été définie: celle de la « natura secundum se » : notion ouverte à chacun des cas concrets qui la réalisent, sans faire cependant acception d’aucun d’entre eux. 4 La relation prédicamcntale implique l’ordre. Les deux extrêmes de la relation ont en effet une détermination concrète qui leur est commune: celle précisément en vertu de laquelle ils sont les extrêmes de la même relation. Ils ne sont d’ailleurs pas constitués intrinsèquement par cette détermination,; celle-ci est donc réellement distincte de l’un et de l’autre. Enfin, en vertu de l’ordination intrinsèque qui est constitutive de la relation, chacun des extrêmes soutient des rapports différents avec la détermination qui leur est com­ mune. Cette détermination constitue par conséquent le principe d’un ordre dont les deux extrêmes de la relation sont les éléments. Les propositions réciproques 3 et 4 montrent l’intime connexion qui existe entre l'ordre et la relation; elles concourent, ensemble, à affermir l’esprit dans l’acte difficile que requiert la perception concrète de ces notions. Ces deux mêmes propositions réciproques 3 et 4 permettent également de montrer que, dans toute relation véritable et réelle, le degré de réalité du terme n’est pas inférieur à celui de l’origine. Seule la proposition 4 est véritablement requise pour notre objet; mais il nous a paru nécessaire, pour en faire comprendre la portée, de la pré­ senter conjointement à celles qui la précèdent. Nous allons maintenant montrer que le « principe des degrés » est la consé­ quence d’une hypothèse, nouvelle par rapport à tout ce qui précède, et qui est la suivante: 5 La différenciation implique relation. Si, en effet, il en est ainsi, il résulte de 4, et de cette hypothèse 5, que: 6 La différenciation implique l'ordre. Et comme, de plus, la différenciation a, par définition même, pour contenu positif, la réalité commune qui est immanente à ces degrés, c’est cette réalité immanente qui, par la médiation de la relation dont il est question en 3, 4, 5, est le principe de l’ordre dont l’existence est affirmée en 6. La proposition 6 est donc très exacte­ ment le «principe des degrés». La question n’est donc pas ainsi résolue; elle est «reportée», mais cependant circonscrite: la proposition 5 est-elle vraie? Est-il vrai que toute différenciation implique relation [cette relation devant évidemment être considérée entre les mêmes éléments qui interviennent dans cette différenciation]? 34 LA PREUVE DE DIEU ΕΓ LE-S CINQ VOLES dobserver, d’analyser, de mesurer, en prolongeant nos sens par des instruments appropriés? Tel est le procédé de la science; or, pense-t-on Nous répétons ce que nous avons dit à la fin du paragraphe 5: à chacun d’en juger. Mais nous ajoutons que, pour notre part, nous tenons la proposition 5 comme étant vraie. Nous ne la croyons pas démontrable, mais nous l’estimons fondée pour la raison suivante. L’univers se manifeste toujours à l’observation comme une réalité ordonnée. Cette observation est assez banale au niveau du < sens commun»; mais, en outre et surtout, il n’y a pas de domaine de la science où elle ne se trouve mieux confirmée par chaque nouveau progrès de l’analyse critique. Or, pour que les « degrés » différents d’une même réalité — supposée meme, puisque justement on en considère des degrés — puissent constituer quelque chose d’« ordonné», il est nécessaire que ces degrés soient en mutuelle relation. Si ils étaient seulement juxtaposés, leur similitude, voire leur identité spécifique, suffirait à expliquer qu’il y ait un ordre pour l’esprit; cela ne rendrait pas compte du caractère ordonné dont l’expérience prouve qu’il appartient à la réalité objective. L'attente ontolo­ gique et la perception connaturclle de l’ordre, qui sont inhérentes à l'esprit, se trouvant en cohérence affine avec l’observation critique, il en résulte que la pro­ position 5 est vraie. C’est au titre d'hypothèse que nous l’avons d’abord énoncée et présentée. Nous affirmons maintenant quelle exprime une norme de la réalité. L’inférence développée dans le paragraphe 6 se trouve donc ainsi complétée, et rendue partant autonome en son apodicticilé. Nous concluons donc que le « principe des degrés » peut être établi, sans faire explicitement état du principe de causalité, à partir des notions d’ordre et de relation. Nous concluons en conséquence que la « quarta via » est susceptible d’une position autonome, c’est-à-dire non réductible au schéma général de preuve que nous proposons ci-après dans le texte. Nous ajoutons cependant que la démarche, d’ailleurs laborieuse, requise en vue de fonder de manière autonome le «principe des degrés», et donc la < quarta via», n’a pas la rigueur apodictique dont jouissent et ce même principe et la «quaria via», en tant qu’ils dérivent directement, comme nous le verrons en son lieu, du principe de causalité. Nous observerons d’ailleurs que réduire au seul principe de causalité 1’apodicticité, soit totale soit pour le moins maximale, de « la preuve » — donc de toutes les preuves —, nOte aucunement que chaque preuve a un caractère irréductiblement original, lequel se retrouve aussi bien dans la base [b2] que dans la conclusion [C2]. 7 - Nous croyons devoir présenter une dernière remarque, d’ordre épistémolo­ gique; cette remarque concerne la comparaison des deux derniers paragraphes, 5 et 6. Fonder d’une manière autonome le « principe des degrés » repose, en défi­ nitive. sur la perception [nous évitons le mot «intuition», afin de ne susciter, sans utilité, aucune question] de l’ordre et de la relation. Et c’est œtte même perception qui est explicitée et mise en oeuvre aux paragraphes 5 et 6: mais analytiquement (6), ou synthétiquement (5). Il faut, croyons-nous, reconnaître loyalement que chaque esprit a son humeur. La même vérité peut très souvent être présentée conformément à l’un et à l’autre aspect de celte dichotomie fondamentale: analytique — synthétique. Elle paraîtra UNE PREUVE. CINQ VOIES - TROIS OBSESSIONS S3 si on ne l’ajoute, elle seule prouve. Et comme la science ne rencontre jamais ni l’esse ni les modes de l’esse tels que les conçoit une mentalité métaphysicienne, il suit que les « preuves » ne prouvent pas. La « preuve » de Dieu n’existe pas. mieux évidente à chacun selon celle de ces deux présentations qui est en harmonie avec sa tendance mentale. Le « principe des degrés » nous paraît établi d'une manière autonome par les considérations du paragraphe 6, non par celles du paragraphe 5. Nous admettons qu’on puisse partager l’avis contraire. Nous admet­ tons même que certains puissent n’être induits à l’évidence, ni par le paragraphe 5, ni par le paragraphe 6. Et nous nous abstiendrons de discuter la question de savoir si l’ordre et la relation sont, quant à leur perception, « les choses les moins bien partagées du monde ». Ce qui est inadmissible, parce que directement contraire, pour tout homme «valable», à la raison, c'est de confondre le «principe des degrés» avec le «prin­ cipe de participation ». Cela permet de fonder une inférence sur le terme dont elle est censée prouver l’existence. Le procédé est fort économique pour les men­ talement faibles; faudrait-il maintenant un effort collectif pour estimer préférable de ne pas le prendre au sérieux? Les considérations qui précèdent suffiront, nous l’espérons, à montrer que nous ne méconnaissons pas le caractère original de la « quarta via ». Elle est in­ trinsèquement liée à la métaphysique de l’ordre et partant à celle de la relation. Cependant, nous ferons complètement abstraction de ce point de vue dans ce qui suit. Parce que nous considérons formellement et comme telle « la preuve » de Dieu. La « quarta via » est, à cet égard, une « voie » semblable aux autres. Elle prouve l’existence de la Cause à partir de l'effet propre de cette Cause, tel que, effectivement, elle le fait observer; et, semblable également en cela aux autres voies, elle manifeste la Cause d’une manière propre. Car cet effet, qui est l’effet propre de la Cause « ex parte Causae » comme nous le démontrerons a poste­ riori, effet qui constitue donc nécessairement le point de départ de « la preuve * et partant l’origine commune de toutes les «voies», cet effet propre de la Cause ne laisse pas d’être considéré selon chaque « voie »d'une manière qui est propre à cette *voie»·. d’où résulte justement que, d’une part, toutes les voies con­ duisent à la même Cause, en vertu du caractère propre de l’effet en tant que celui-ci est référé à la Cause; d’où résulte, d’autre part, que chaque voie désigne cette même Cause d’une manière propre, en vertu de ce que chacune fait envi­ sager d’une manière propre à elle cet effet qui, nécessairement, est leur commun fondement. Les « voies » envisagées à ce point de vue, ont donc toutes, nécessairement et a priori, le même statut épistémologique. C’est ce statut que nous nous proposons de mettre en évidence. Nous ne ferons donc plus acception entre les «voies». Il leur est commun, nous montrerons comment, que quelque chose leur soit propre à chacune; mais nous laisserons de côté les questions, si importantes soientelles, qui sont respectivement en connexité avec telle ou telle voie considérée en particulier. Cette observation vaut pour la «quarta via», au même titre que pour les autres « voies ». 36 M PREUVE DE DIEU ET IFS CINQ VOIES Ce procès a été longuement et minutieusement développé Nous l’estimons dénué de toute portée: car il repose sur la confusion permanente sinon systématique entre deux points de vue différents. Et cette confusion revient, au fond, à résorber l’être dans ses modes: c’est-à-dire à admettre, arbitrairement et sans aucune justification, que le seul moyen d’accéder à la réalité est l’analyse quantitative circonscrite aux modes de l’être, à l’exclusion de toute perception de l’« esse ». La critique, là également, serait aisée; mais notre dessein n’est pas d'y entrer. Nous observons seulement que quelques années de recul sup­ pléent à ce qu’une réflexion sereine devrait ajrercevoir immédiatement. La « vogue » dégénère, parce qu’elle ne remet en valeur qu’un seul aspect: une obsession en évacue une autre. b. L’économie de la preuve de Dieu est déterminée par les conditions auxquelles cette preuve doit satisfaire. Les « rénovations » dont il vient d’être question ont, chacune à leur origine respectivement, un juste discernement. La « preuve » de Dieu, ramifiée en « cinq voies », requiert absolument, c’est-à-dire quelle qu'en soit la formulation, les trois constituants dont nous venons d’observer la manifestation: l’universalité quant au principe de la preuve, l’esse quant au medium réel de la preuve, l’observation critique quant à la base de la preuve. Le meilleur moyen de le montrer est (le présenter le schéma de la preuve, en l’accompagnant de quelques explications concernant les « articulations » qui nous paraissent n’avoir pas été suffisamment explicitées. 1. La structure de la preuve de Dieu est imposée en droit et a prio­ ri, si on considère comme donné le derme auquel elle doit conduire: tel serait le point de vue d’un croyant faisant état de sa foi pour analyser l’épistémologie de la preuve. Nous ne nous plaçons pas à ce point de Mie; nous indiquons la structure de la preuve, telle qu’elle s’impose en fait. (33) De la connaissance de Dieu. Recherches de philosophie III-1V, Desclée 1959; pp. 35-112. M. le Chanoine Van Steenbfrc.hen estime, de son côté, que le statut « scientifique » de la démarche aboutissant â l’existence de Dieu exige que l'on pose tout d'abord une * définition nominale » de Dieu. La chose étant évi­ demment impossible, les preuves ne prouvent plus... au moins «scientifiquement». Est-il besoin d’ajouter que S. Thomas a répondu à cette difficulté: CG. 1. 12. P8; 1. 92 1. q2. a2. 2æ; 1. ql, a7. I™. L’oRDRl Base de la preuve UE IA PREUVE, El CE QU’lE DOIT COORDONNER 37 L'observation critique montre que telle réalité ne peut pas être « par soi », [bl] selon la détermination (le mode de l’esse) qui en spécifie l’observation. [b2] Or ce qui n’est pas « par soi » selon une déter­ mination (un mode) de l’esse [ml] n’est pas « par soi » selon l'esse, que d'ailleurs mesure cette détermination (ou ce mode) [m2] Principe de la preuve Conclusion de la preuve I Or ce qui n'est pas « par soi » est par un autre [pi] [Or ce qui n'est pas par un autre est « par soi »] [P2] Donc il existe une Réalité qui est « par soi ». [Cl] Cette Réalité exclut ce en raison de quoi la « base de la preuve » n’est pas « par soi » [C2] Chacune des étapes présente deux aspects inséparables. C’est la nature de leur rapport, différente dans chacun des quatre cas, qui conditionne à la fois l’intelligibilité et la spécification de la preuve. Nous allons suivre l’ordre qui est le plus clair pour l’exposé: com­ mencer par le principal, c’est-à-dire procéder à partir de ce qui est «le principe». 2. Le principe de causalité s’énonce sous les deux formes [pl] et [p2], convertibles par contraposition. La forme [pl] est plus primitive, ob­ jectivement: et c’est elle qui intervient effectivement dans la preuve. La forme [p2] est plus immédiate, quoad nos; c’est elle qui est la plus proche de la perception de l’esse (33), bien qu’elle ne soit pas, selon nous, analytiquement réductible au principe d’identité. Le principe de causalité peut être justifié par induction, selon les différentes acceptions de ce mot (17). Nous laissons de côté cette justification. Nous nous contentons d’ajouter, en ce qui concerne le « principe de la preuve», que le principe dit de « non régression à l’infini n’est (33) Cela lient radicalement à ce que l’esprit créé n’a pas la perception adé­ quate du «ce qui est par soi»; car, absolument parlant, Dieu Seul est «par soi», «a Se ». Les définitions de la substance et de l’accident sont, quoad nos. corré­ latives: être tel que, en vertu de sa nature, on a l’être dans un autre; ou bien, au contraire, être tel que, en vertu de sa nature, on n’a pas l’être dans un autre (de Pot. q7, a3, 4m; 1. q3. a5, lm; 3. q77, al, 2m). On observera le caractère indi­ rect de ces définitions: elles circonscrivent le « par soi », sans l’aifinncr directe­ ment. — Et c’est bien, d’autre part, sous la forme [p2] (la plus immédiate « quoad nos ») que S. Thomas admet comme allant de soi le principe de causalité: CG. 2. 8, P6 (P = paragraphe); CG. 2. 15, P2, P7. 38 LA mVVE DE DIEU LT I ES CINQ VOIES qu’une béquille rationnelle pour le voûç claudicant (34). Il est vain de passer d'un premier « non par soi », à un second « non par soi » homogène au premier: car ce passage est, de par sa nature même, étranger à la justification du « non par soi >: il est donc inutile d'effec­ tuer ce premier passage, et donc, par la meme raison, d'en effectuer un second: il serait par conséquent inutile de réitérer ce passage, fût-ce indéfiniment. Le principe de non régression à l’infini se réduit au fond à ceci: zéro (3i), même multiplié par l’infini, égal zéro. Mieux vaut conserver à la « preuve » la limpidité inhérente à son apodicticité. Le medium est, dans toute preuve, l'élément décisif, et c'est la situation singulière du medium de la preuve de Dieu qui a donné lieu aux «redécouvertes», et aux dégénérescences auxquelles nous avons fait allusion. Nous avons donné, de ce medium, les deux formes [ml] et [m2]; elles ne sont pas convertibles comme le sont [pl] et [p2] : c’est-à-dire que [m2] est la conséquence de [ml], tandis que l’inverse n’est pas vrai. L'ordre de preuve est donc bien correct, selon la consecution indiquée: [ml] entraîne [m2]. Et nous verrons ci-dessous une consé­ quence indirecte mais ion importante du fait que [m2] n’entraîne pas nécessairement [ml]. La justification de ce medium [ml-m2] est double. Puisqu’en effet il consiste en une unité d’ordre, il faut premièrement en fonder l’unité, et deuxièmement en démontrer l’ordre. L’unité entre [ml] et [m2] découle de la donnée la plus pri­ mitive de la métaphysique réaliste: l’esse est perçu seulement dans les réalités qui sont spécifiées selon ses modes: ou bien, équivalemment : si on entend saisir adéquatement une réalité, la forme qui la spécifie et qui constitue l’objet immédiat de l’expérience soit triviale soit scien­ tifique, doit également être considérée comme le principe mesurant l’esse de cette réalité. Cette donnée primitive concerne évidemment, en même temps que l'être lui-même, non seulement les transcendentaux, mais également les catégories transprédicamen taies, la causalité en particulier. De même que l’esse est perçu seulement dans les réalités qui sont spécifiées selon ses modes, ainsi la causalité est perçue seulement dans les relations qui sont spécifiées selon les modes de la causalité; la causalité concerne l’esse, mais elle est perçue dans les relations qui sont observables entre les déterminations de l’esse. (sq Le R. P. Philippe de la Trinité l’a montre accc bonheur. « Les cinq voies ». Divinitas, tome IL 1958, pp. 268-338 (pp. 335-336). (»s) Nous disons bien «zéro», et non pas une quantité qui tendrait vers zéro. l'ordre de la preuve, et ce qu’il doit coordonner 39 Et, en retour, si on entend saisir adéquatement la causalité telle que la science elle-même en fait état, les rapports qui constituent l’objet immédiat de l’expérience qualitative ou quantitative doivent également être considérés selon leur être de rapports, c'est-à-dire en tant que la causalité dont ils constituent la manifestation concerne l’esse; tout de même que, nous l’avons rappelé, la forme selon laquelle telle réalité est observable doit également être considérée comme la mesure de l’esse qui appartient à cette réalité. Sous-jacente à cette unité entre l’esse et ses modes, entre la causalité qui absolument concerne l’esse et les relations mesurables qui rendent la causalité observable, il y a la question de l’abstraction; il doit y avoir l’élaboration, faite humblement à partir de V observation humaine, humblement et scientifiquement, des différents types d’uni­ versel. C’est, nous paraît-il, la prétérition de cette démarche essentielle qui a entraîné les excès contraires que nous avons mentionnés. D’une part, Γ« esse thomiste » doit être si pur qu’il est contraint d’être désessencié; mais cet esse survolté, déserté de ses modes parce qu’il les déserte, n’a plus d’autre titre de créance qu’un dogmatisme intransi­ geant, parfois arrogant. D’autre part, le criticisme scientifique, inquiet à juste titre d’une si haute assurance, tourne en fait à un scientisme désabusé qui ne proscrit même plus l’esse, parce qu’il l’ignore. Cette disjonction entre l’être et le phénomène, assez surprenante chez des auteurs qui se réclament également de S. Thomas, rend impos­ sible la preuve de Dieu, parce qu’elle en annihile le medium. Le medium de la « preuve » intègre et implique en effet, comme nous l’avons dit et comme il nous reste à l’expliquer, que [ml] entraîne [m2]. Or cette implication serait impossible si [ml] et [m2] étaient étrangers l’un à l’autre; pour que [ml] puisse impliquer [m2], il faut que ce qui concerne l'esse, en concerne ipso fado les modes, et réci­ proquement. Et, puisque le medium de la preuve doit être mis en oeuvre en fonction du principe de causalité [pl-p2], il faut que ce qui concerne la causalité considérée selon l’esse, concerne ipso facto les rapports selon lesquels la causalité est observable, et réciproquement. Nous supposons donc acquise cette donnée primitive. Nous faisons observer qu’il est impossible de la fonder sur l'intervention de la Cause première (30): parce que, premièrement, l’existence de la Cause pre(3e) Il est donc egalement impossible de la fonder sur la participation: laquelle, à elle seule, n’est pas même susceptible de prouver l'existence de la Cause pre­ mière (Cf note 31, P3). Et il est bien typique que les synthèses du thomisme centrées sur la parti­ cipation présentent en fait deux lacunes nécessairement corrélatives, parce que ces synthèses prétendent réduire la causalité à la participation. Or, d’une part cela rend impossible de rendre compte de la création: car. à la 40 la preuve nr. diu n us cinq voies mière, au point où nous sommes, n’est pas encore prouvée: parce que, deuxièmement, le mode d'action île la Cause première ne peut être inféré qu'à partir de l’observation, à moins d’admettre qu’il pourrait être assigné a priori en vertu d’insondables décrets divins. L’ordre inhérent au medium [ml-m2], c’est-à-dire le fait que [m2] est conséquence de [ml], n’est pas plus démontrable que [pl] ou [p2]. Mais la perception de cet ordre dérixe immédiatement, tout comme le principe de causalité, de celle de l'esse. Expliquons com­ ment. Le « par soi » ou χαθ’αύτο (3Î) se traduit d’ordinaire, en langage moderne et au point de vue de l’esprit, par le mot «évident ». Mais l’ordre de l'intelligibilité éclaire celui de la réalité, avec lequel il est convertible. Est évident ce en deçà de quoi il serait vain de remon­ ter, car il est saisi « par soi »: est donc évident ce qui est primitif. Est évident ce qui, étant saisi « par soi », est connu sans intermédiaire, ce qui par conséquent est immédiat. L’évidence parfaite identifie la pri­ mitivité et l’immédiation, mais elle est trans-créée. Les différents types humains de l’évidence sont respectivement caractérisés par le rapport, propre à chacun, entre la primitivité et l’immédiation. L’immédiation est dominante dans la saisie de réalités qui sont proches de l’esprit, voire créées par lui; la primitivité l’emporte au contraire d’autant plus que l’esprit s’objective mieux adéquatement dans une réalité à laquelle il ne contribue aucunement à conférer raison d'objet. A cet égard, le contraste est fort éclairant entre les deux modes que revêt l’intellection, en métaphysique d’une part, en science d'autre part. Si donc il en est ainsi pour 1'« évident », c’est-à-dire pour le χαθ’αύτο de l’ordre intel­ ligible, il suit que, dans le χαθ’αύτο concernant l’ordre de la réalité, l’élément dominant c’est la primitivité (’*). Ce qui est « par soi · a, en tant qu’il est « par soi », d’être primitif. 11 est maintenant aisé de comprendre comment [ml] implique [m2]. Si on affirme d’une réalité qu’elle est « par soi », l’affirmation porte différence de l’esse, le suppôt ne participe pas (In Boetii de Hebdomadibus. Leçon II, N 24 fin); en sorte que le rapport du suppôt à Dieu, ne pouvant être un rapport de participation, est nécessairement un rapport de causalité. Et, d’autre part, cela rend impossible d’élaborer une preuve de Dieu: car les modes de l’être sont conçus comme une participation de celui-ci (et du Premier); ils ne sont plus considérés comme constituant objectivement la prise que l’expé­ rience donne sur l’existant concret. Or on ne prouve Dieu qu’en partant d’un existant; et la prise que l’expérience donne sur l'existant, c’est la doctrine de l’abstraction et elle seule qui est susceptible d'en préciser les différentes modalités. (3’) Seconds Analytiques. Livre 1 chl; 73 a 33-b 26. Com. de S. Thomas, leçon 10, N84-88. (se) Une intuition le confirme, mais dont il ne convient pas de faire état dans une démarche proprement philosophique. Le καθ'αύτο, absolument, c’est Dieu. Or II est « le Principe », la Réalité qui est primitive par essence. 1,'ORDRI HI I Λ I’RUIVI, II CE QUÏI. DOIT COORDONNER 11 sur la réalité telle qu'elle existe concrètement, complexe par consé­ quent puisqu’on la suppose créée. Le « par soi » appartient donc à cette réalité selon l’unité de sa totalité, mais également selon l’ordre de cette totalité. El puisque le « par soi » a, en tant que tel, d’être primitif, le « par soi » appartient à la réalité considérée primordialeinent selon ce qui, en elle, est le plus primitif, c'est-à-dire selon l’esse. Autrement dit: Ce qui est « par soi » A est « par soi » primordialement selon l'esse lui-même qui lui appartient B est « par soi » par dérivation selon les déterminations ou les modes de cet esse. C (Nous appelons « détermination » tout ce qui, appartenant à la réalité considérée en vertu de l’esse, n’est cependant pas l’esse lui-même. Les «modes», au sens classique, sont donc, dans cette terminologie, des déterminations particulières de l'esse). On voit donc que, sous la condition A, B entraîne C. D’où résulte que, la négation de C entraîne la négation de B: la négation de A se trouvant ainsi co-impliquée. D’où résulte l’implication qu’il fallait établir comme inhérente au medium de la preuve: Ce qui n’est pas « par soi » selon une détermination (ou un mode) de l’esse, n’est pas «par soi» selon l’esse, esse que mesure cette détermination (ou mode). 1 ’> négation de C — [ml] ) ) > négation de B = [m2] ] 3. L·’unité d’ordre, constitutive du medium de la preuve, étant ainsi établie, il convient d’insister sur le rôle organique joué dans la preuve par cette unité d’ordre. Le medium est, par essence, dans une preuve, ce qui assure l’unité médiate entre les extrêmes, et fonde par consé­ quent 1’apodictici té de la preuve. Et cette unité médiate repose sur le fait que le medium est lui-même « un », respectivement et immé­ diatement, avec chacun des deux extrêmes. Cette circonstance se pré­ sente évidemment dans la preuve de Dieu comme dans toute autre preuve, mais elle prend une forme particulière en raison de l’unité d’ordre qui est propre au medium. Il revient à [ml] d’être « un » avec la base de la preuve: et cet « un » est: « quelque chose qui n’est pas « par soi » selon une détermination (ou un mode) de l’esse». [b] - [ml] 42 l_\ PREUVE DE DIEU ET IIS CINQ VOIES Le module de Γ« un » entre la base et le medium [ml], c’est-à-dire la formalité selon laquelle, objectivement, cet « un » est réalisé, est une détermination de l’esse, non pas l’esse lui-tnéme; et il le faut expres­ sément. C'est qu’en effet, dans la base, cet « un » doit être, directement et immédiatement, objet de l'exjx^rience par laquelle l’observation, soit triviale soit scientifique, a prise sur l’existant concret: car la preuve de « Dieu qui EST » ne peut procéder que de « ce qui est >; or, en quelque réalité que ce soit, l’esse lui-même ne tombe pas sous l’expérience immédiate. C'est donc bien [ml] qui seul peut être « un » avec la base; et il est impossible que ce soit [m2]. Montrons maintenant, en retour, qu’il revient à [m2] d’être « un > avec le principe de la preuve, et partant avec sa conclusion. Le principe de causalité [pl] - [p2] concerne en effet formelle­ ment l’esse, et non pas telle détermination particulière de l’esse. La preuve en est que la justification du principe, laquelle doit être faite sous la forme [p2] qui est comme nous l’avons vu (33) plus immédiate «quoad nos», procède de la perception de l’esse lui-même. Si telle réalité, considérée premièrement en tant qu’elle est subsistante, est également considérée comme distinguée de tout ce qui n’est pas elle (c’est-à-dire de tout ce que n’intègre pas concrètement sa définition), alors il devient évident sous le regard de l’esprit que l’esse selon lequel cette réalité subsiste, elle l’a par elle-même: ce qu’elle est, elle l’est « par soi ». L’affirmation [p2] [« ce qui n'est pas par un autre est ’ par soi’»] exprime la concentration objective d’esse qui s’effectue sous le regard de l’esprit, lorsque celui-ci considère telle réalité selon sa sin­ gularité. Mais cette concentration objective, qui est à notre sens la seule justification du principe [p2], ne se produit que selon ce qui, du singulier en sa singularité, est simple, c’est-à-dire selon l’esse. Toute analyse, parce qu’inévitablement réflexive, composante et divisante, exclut cette perception à la fois simple et objectivante qui impose le principe comme évident. En sorte que les déterminations de l’esse ne peuvent être perçues que d'une manière implicite au sein de l’acte intelligible qui seul fonde le principe [p2], et partant sa forme équivalente [pl]. Dans ces conditions, 1« un », requis nous l’avons dit, entre le medium de la preuve et le principe de la preuve, ne peut être que: « quelque chose qui n’est pas « par soi » selon l'esse ». [m2-p] 11 s’agit donc du medium sous la forme [m2], et non du medium sous la forme [ml]. Convient-il, pour plus de clarté, de répéter, en les contraposant, les considérations proposées quelques lignes plus haut? Le module de l'ORDKl DE I Λ PREUVE, II I ,’oRDRl DE SON «MEDIUM» 43 Γ« un » entre le medium [m2] et le principe de la preuve, c’est-à-dire la formalité selon laquelle, objectivement, cet « un » est réalisé, ce ne peut pas être une détermination de l’esse, c’est nécessairement l’esse lui-même; et il le faut expressément, car le principe de la preuve n’est fondé est annulée: c’est-à-dire qu'elle est originellement rectifiée. Corriger cette dispersion a posteriori, c’est-à-dire montrer par des chaînons appropriés que les cinq Termes des cinq voies sont en mutuelle implication, n’est pas sans fruit (’°). Il est cependant mieux conforme à la dignité d’une preuve, qui est, de droit, la plus noble démarche de l’esprit humain, de réflé­ chir en sa propre structure la Nature du Terme auquel elle doit conduire. L’origine de la preuve étant une réalité observable, il lui con­ vient d’être multiple, conformément à la nature de l’être créé: mais le Terme de la preuve étant unique parce qu'il est le Simple, 11 doit être atteint selon la formalité en vertu de laquelle II est unique parce que Simple; or cette formalité, c’est l’esse: car c’est précisément en ce qui concerne l’esse que l’unité, dont le parfait achèvement est la simplicité, implique nécessairement l’unicité. La question posée par la dispersion des < cinq voies » a pour seul principe adéquat de résolu­ tion la condition nécessaire et suffisante de leur convergence: et cette condition est, nous venons de le voir, que la raison formelle selon laquelle le Terme est atteint soit l’esse. Or c’est bien ce résultat qui se trouve assuré pour la preuve de Dieu, organiquement et du dedans, puisqu’en vertu de son medium: à la condition de discerner et de mettre en oeuvre, de celui-ci, la véri­ table nature. Ce medium, en un sens, est composé; mais, semblable à celle de tout existant créé, sa réalité est l’unité même de cette com­ position: il s’agit d’ailleurs de la composition, si on ose dire, la plus simple, puisque c’est celle de l’être et de ses modes; et il s’agit de l’unité qui est la plus parfaite, puisque c’est l’unité dont le type est propre à l’ordre. (30) et. Recherches de philosophie III-IV. Desclée 1959: pp. 365-395. («ο) M. Gilson a rendu, sur ce point, un fort bel éloge à Banez. Trois leçons sur ^existence de Dieu. Divinitas tome V, 1961, pp. 23-87 (p. 40. note 1). ■ ! l'ordre de LA I'UEUVE, I r I 'ordre de son « MEDIUM » L’unité d’ordre du medium de la preuve assure, radicalement, nécessairement et absolument, entre toutes les formes possibles de la «preuve», l’unité du côté du Terme: 11 est effectivement atteint, et 11 ne peut l’être, que comme étant 1’« Etant pas soi >. Nous examinerons en terminant (pp. 211-218) la question posée par le rapport entre l’unicité du Terme tel qu’il est effectivement atteint par la preuve, et donc par chacune des cinq voies, d’une part; et, d’autre part, le fait que ce même Terme est désigné de cinq manières différentes, eu égard respectivement aux cinq voies. Répondre à cette question requiert l’analyse critique de la démarche en quoi consiste la preuve; et cette analyse critique ne peut être faite avec fruit qu’après examen complet de la preuve elle-même. Le lecteur ne sera donc pas surpris de l’ordre qu’impose la nature des choses. Nous nous contenterons pour le moment d’observer que cette ques­ tion, posée par le rapport entre l’unique Terme et le quinquenaire de ses noms, a paru si difficile que le rapport lui-méme a été mis en question. Comment, a-t-on demandé, cinq réalités, qui sont différentes puisqu’elles sont désignées de manières différentes, peuvent-elles s’iden­ tifier « in re»? Ne faudrait-il pas, puisqu’il s’agit de preuve, au moins le prouver? Cette manière de poser la question néglige, il sera aisé de le montrer a posteriori, une clause essentielle: à savoir que la preuve, et que par conséquent chaque voie, est une «démonstration quia». Or, dans une telle démonstration, ce dont on entend montrer seule­ ment l’exister ne peut pas être désigné par sa quiddité; il est désigné par l’un de ses effets. Le quinquenaire concerne les désignations du Terme par ses effets; ces désignations se retrouvent inéluctablement dans les conclusions qui ne peuvent, de ce Terme, affirmer que l’Exister. Mais ni ces effets, ni les désignations qu’ils fondent, n’impliquent de soi quoi que ce soit concernant la nature du Terme. La conclusion de chaque voie, c’est d’affirmer un «exister»; et ce n’est, en aucune façon, tie caractériser intrinsèquement cet « exister ». Le quinquenaire concerne les effets et ne multiplie pas la cause; il est, en vertu même de sa position dans l’ordre de preuve, positivement compatible avec l’unicité du Terme. Nous le montrerons, en nous plaçant au point de vue épistémologique, après avoir examiné la preuve quant à sa portée métaphysique. 2. Nous pouvons et devons maintenant recueillir ce que contiennent d’authentique vérité les « obsessions » auxquelles nous avons fait allu­ sion; lesquelles, d’ailleurs, ne sont devenues telles que par le jeu facile d’un instinct grégaire qui est la cause la plus commune de dégénére­ scence pour l’humaine raison. Nous confirmerons ainsi les conclusions qui viennent d’être dégagées, la dernière en particulier: ce qui s’im- 46 LA PREUVE DE DIEU ET LES CINQ VOIES pose à l’esprit, c'est l’unité des « cinq voies», et ce n’est pas la question de leur dispersion. On reconnaîtra tout d’abord, dans l’économie véritable du medium lui-même, le rôle organique de deux intuitions qui deviennent antino­ miques si elles sont anarchiques, c’est-à-dire insuffisamment soucieuses de docilité à la Sagesse qui ne peut être que révélée. « Si quis dixerit Deum naturali lumine certo cognosci non posse, anathema sit » (9). Premièrement, il est bien vrai que, pour prouver Dieu, il faut partir d'une réalité concrète, observable et observée: il est bien vrai que toute science, si exigeante soit-elle, a, dans ce point de départ, pleinement droit de cité. Mais il est erroné, absolument autant qu'en vertu de la Sagesse révélée, de conférer dans l’ordre mental à la méthode dite « scientifi­ que » une hégémonie, ou plus exactement un pouvoir dictatorial, dont la conséquence inéluctable est de réduire à l’univocité [ml] le medium de la preuve, d’en détruire l’unité et partant la réalité, de rendre enfin impossible en droit — en vertu du faux droit d’une fausse « Science » — une preuve que Dieu, Lui, affirme comme possible en droit comme en fait. Deuxièment, il est également vrai que, pour atteindre de quel­ que façon que ce soit Dieu qui EST, la seule médiation dont une preuve puisse faire état est l'esse. « Les preuves de l’existence de Dieu ne concluent qu’au moment où, atteignant la fin du discours rationnel, elles se reposent dans la lumière du principe » (”); et cette lumière, c’est celle de l’être. Cet aspect essentiel de la vérité a repris, sous l'inspiration puissante de M. Gilson, toute sa juste importance. Mais, en retour, le processus mental que nul ne peut évincer dès qu'il faut rendre compte de l’esse, ce processus ne doit pas être tel que, en vertu même de l’«esse>, il rende impossible structuralement l'élaboration de la < preuve » dont 1’« esse » doit être l’instrument. L’esse est, nous le retrouverons, Veffet propre de Dieu: c’est justement cet effet-là, et lui seul, qui montre la Cause: « les oeuvres de Dieu manifestent visiblement ses perfections invisibles » (2i). Mais si on prétend que, dans l’authentique philosophie de S. Thomas, enfin puri­ fiée des pernicieuses effluves wolfiennes, la seule charte de naissance que puisse avoir métaphysiquement l’esse consiste à participer l’Esse, alors on exerce — sous le couvert d’un réalisme candide — un théocratisme aussi dictatorial que le scientisme, et pareillement néfaste. Le medium de la preuve est derechef réduit à l’univocité [m2]; il perd («>) E. Gilson, op. cit. note 40: p. 87. l'ordre DE ΙΛ PREUVE, h l’ordre de SON «medium» •17 donc sa réalité en même temps que son unité; et c’est la preuve ellemême qui est annihilée. La preuve requiert l'exigence critique de la science, et elle requiert la perception simple propre au métaphysicien. Le medium de la preuve est, indissociablement, telle détermination observable d’un existant, et l’esse que mesure cette détermination actuellement: voilà ce qu’en lait confirme l’oscillation que nous avons observée entre deux courants de pensée; le medium manifeste, dans l’intelligibilité de la preuve, celle-là même qui, primordialement, lui est intrinsèque. En sorte que, si l’unité d’ordre propre au medium n’est plus comprise, la preuve elle-même perd son intelligibilité. Troisièmement, il est vrai que, la preuve reposant sur un principe unique, elle n’a de portée qu’en vertu de l’unité de son medium. C’est cela qu’avait vivement perçu 1’« universalisme », et à quoi reconduit le déroulement ultérieur. La difficulté que présentent la structure et la mise en oeuvre du medium «ordonné» [ml] - [m2] se trouve en effet gravement ac­ crue par la tension qui existe actuellement entre science et philosophie; or cette difficulté, elle aussi, confirme quelque chose: précisément ce que nous venons de rappeler et qu’avait perçu 1’« universalisme » : la preuve exige, parce que le principe en est un, un medium qui soit un. En sorte qu’une même rupture met simultanément en question l’exis­ tence de la preuve et l’existence du medium. Telle est la situation actuelle; elle est exactement contraire à celle que nous avons évoquée à propos de 1’« obsession d’universalité». Pour lors, la preuve était maîtresse; et l’unité d’ordre du medium ,au lieu d’éclater en dualité, était considérée à un point de vue si exclusivement fonctionnel, qu’elle se trouvait en fait ramenée à l’univocité d’un principe posé a priori comme universel. L’écueil, nous l’avons déjà dit, vint de cet « a priori ». Le carac­ tère universel est la manifestation du «nécessaire», si il est la con­ dition concomitante d’une appréhension réelle; tandis qu’élaboré seu­ lement par l’esprit, il a pour rançon l’abstraction. En sorte que la preuve elle-même s’est trouvée graduellement et communément estimée comme étant, dans son ensemble, une abstraction, en raison d’un gau­ chissement originel de son interprétation. Le principe de causalité a été tenu pour abstrait parce que la formulation en est universelle, alors que la formulation en est universelle parce que ce principe est nécessaire. Il faut donc, pour autant qu’on sc trouve lié à la conjoncture de la modernité, effectuer une sorte de conversion sémantique, et restituer au principe de la preuve [pl] - [p2] sa portée véritable — celle d’une 48 LA PREUVE DF. DIEU ET LES CINQ VOIES nécessité concrète et universelle — si on vent retrouver le contenu positif de l’inspiration qui fut dominante au début de ce siècle. « Dieu EST» est conclu par < la preuve», et donc par toute preuve quelle elle soit, en vertu du principe de causalité [pi], et du medium ordonné [ml-m2]. Cela également est directement révélé: «e rebus creatis», « per ea quae facta surit » (a). Si la raison doit conclure: « Dieu EST », avec certitude, par la seule lumière naturelle, le fondement n'en est pas seulement une similitude [voire même une dissimilitude] variable d’ailleurs avec les preuves: le fondement en est radicalement le même pour toutes les preuves, parce qu’il est le fondement de « la preuve » : et c’est la causalité. Il ne faut certes pas résorber dans l’ordre de la cause efficiente la causalité comme telle, ce qui reviendrait à méconnaître le caractère propre de l’ordre de la cause formelle (31); mais, en retour, le rôle joué par la similitude dans la participation ne doit pas induire à confondre celle-ci avec la causalité proprement dite ('*). C’est cette valeur, comme instrument de preuve, de la causalité et du principe de causalité qu’avait perçu si fortement l’inspiration du premier < néo-thomisme » (,2): la­ quelle, se dégradant en « obsession d’universalité », a été ensuite en général négligée. Non sans dommage: car. à partir d’un présupposé implicite inexact, on a fort logiquement estimé que la preuve décisive, et d’ailleurs seule possible, est adéquatement fondée sur celui des effets de Dieu qui Lui est le plus semblable, ou le moins dissemblable! Mais, en omettant d’intégrer dans la preuve elle-même le fait que l’esse, tel qu'il est observable, doit être causé ("), on a détruit la preuve ellemême en l’isolant du principe clc son apodicticité. P2) Cette inspiration est d’ailleurs toujours très vivante: signe, s’il en faut, qu'elle est essentielle à la preuve. Parce que précisément l’intérêt porté à d’autres aspects avait eu pour conséquence de laisser dans l’ombre la causalité, l'importance primordiale en a été rappelée avec vigueur par plusieurs auteurs. Citons parmi les plus récents: T. C. O'Brien, o.p.; F. Van Steenberchen; F. R. Harrison; M. Silva Tarouca. Nous nous permettons de renvoyer à Bulletin thomiste, tome XI, fasc. 2, pp. 369-468; notamment NN 1312 à 1317. Enfin, nous noterons avec M. Gli-SON: « De l’avis de Kant lui-même, le concept de causalité n’est pas donné dans l’expérience sensible. D’où vient-il? » (E. Gilson. Trois leçons sur le problème de l’existence de Dieu. Divinitas tome V, 1961; p. 84). Kant devrait donc: ou refuser toute causalité ou admettre la notion de Cause des causes. C’est donc sur la causalité que M. Gilson fonde la reductio ad absurdum qu’il fait des critiques kantiennes de la preuve de Dieu. Cela équivaut à reconnaître la causalité comme constituant l’instrument de la preuve. (<3) Nous avons expliqué (note 31) en quoi peut et doit, selon nous, consister l’originalité de la · quarta via » (note 31, P5. PG). Et nous avons convenu de laisser ce point de vue de côté (note 31, P7). Considérant donc la «quarta via» en tant l'ordre de i a preuve, et l’ordre df son «medium» 49 Nous ne nous étendrons pas davantage sur ces observations criti­ ques. Nous aurons à les situer au point de vue épistémologique qui ne cesse de nous guider. Ce même point de vue indique à quelle démar­ che nous devons maintenant procéder. Ayant montré comment le qu’elle est semblable aux autres, nous affirmons que la réalité observée [bl], [b2] doit être intégrée à la preuve, formellement en tant qu'elle est causée, et non pas éventuellement en tant qu’elle est semblable à la Cause. Et nous verrons que le texte de la Somme fait état, expressément, quoique implicitement, de cette clause essentielle. Nous ne ferons que schématiser ce que nous avons expliqué note 31 en disant que la « quarta via » pcul être considérée à deux points de vue qui, formellement, s’excluent mutuellement: a. La « quarta via » est semblable aux autres. Elle relève, comme les autres, du principe de causalité [pl] - [p2]; elle manifeste, comme les autres, la Cause d’une manière propre. b. La « quarta via » est spécifiquement différente de toutes les autres. Elle relève d’un principe qu’elle seule met en oeuvre: savoir le principe des degrés. Elle mani­ feste la Cause par mode d’image, d’éminence et de négation: mais cela d’une manière propre, irréductible au mode de manifestation inhérent aux autres «voies». Nous avons esquissé, dans la note 31, les considérations qui ressortissent au point de vue b. Nous avons dit, et nous répétons, que nous nous plaçons dans l’ensemble de cette étude au point de vue a. Il est regrettable que, faute probablement de discerner assez nettement ces deux points de vue, de minutieuses études aboutissent à des conclusions indécises, voire déconcertantes. T. C. O’Bbrien o. p. Reflexion on the question of God's existence in Comremporary Thomistic Metaphysycs. The Thomist, t. 23, I960. « As is apparent from the text of the ways themselves, efficient causality is involved in each of them» (p. 414). - On souhaiterait quelque précision concernant «involved»: que pense l’auteur du rôle joué formellement par 1’« efficient causality » dans la « quar­ ta via »? A. Fossati s. j. Dialeltica dei gradi seconda la filosofia di S. Tommaso; dans: Scritti Filosofici, Serie IV, I. Milano, Mazzorati, pp. 137-212. « Etant donné un ordre, en existe-t-il nécessairement un principe? A cette question, S. Thomas répond de préférence en observant que la perfection hiérarchisée, en tant qu’elle est li­ mitée, est essentiellement produite et appelle par conséquent une cause efficiente, laquelle en derniere analyse doit être infiniment parfaite (CG. 2. 15) ». (p. 173). Cette observation du R. P. Fossati est d’autant plus significative que l’auteur cherche à montrer que la dialectique des degrés constitue une « voie » propre, indépendante de la considération de refficiencc; il met d’ailleurs à profit avec beaucoup de soin les nombreuses enquêtes positives qui concernent l’exégèse de la «quarta via». Dans ces conditions, nous réitérons la même question: que pense l’auteur du rôle joué formellement par la « cause efficience infiniment parfaite » dans la « quarta via »? Recourir à cette cause efficience est-il pour S. Thomas une « préférence »... ou une nécessité? Quoi qu’il en soit d’ailleurs, c’est-à-dire dans un cas comme dans l’autre, le R.P. Fossati ne réussit pas à montrer comment la thèse qu’il soutient est rationnellement fondée, soit avec l’appui de S. Thomas, soit sans cet appui. Nous ne critiquons θ0 Μ PREUVE DE DIEL' ET I FS CINQ VOIES schéma de «la preuve», de toute preuve, doit co-ordonner les trois grandes intuitions qu’il intègre nécessairement, nous allons indiquer comment l’esprit humain doit procéder île « ce qui est » à « Celui qui EST », organiquement. d. La preuve de Dieu, en vertu de l’unité d'ordre qui lui est propre en même temps qu’à chacun de ses éléments, exige ΓEtant par Soi, nécessairement au titre de Cause, quoique non pas nécessairement au titre d’Archétype. «Si quis dixerit Deum, per ea quae facta sunt, naturali rationis humanae lumine, certo cognosci non posse: anathema sit » (’*). 1. La conclusion d’une preuve dépend des prémisses; et c’est la question d’existence qui, en tout domaine, est première: la conclusion n’existe que si les prémisses s’enchaînent. Cependant, cette dépendance concerne également la nature; en l’occurrence, l’uni té d'ordre qui est propre au medium de la preuve entraîne, pour la conclusion, deux conséquences différentes, du fait qu’en vertu de cette unité d’ordre, pas cette thèse: nous nous sommes efforcés d'expliciter, note 31, en quel sens nous la croyons juste. Mais le RP. Fossati rendrait service en expliquant deux choses: 1. comment lui-même justifie le « principe des degrés » ou le « principe de l'or­ dre», sur lequel repose la thèse qu'il soutient; 2. comment lui-même, étant fidèle à S. Thomas, explique-t-il cette » préférence » qu'il attribue — à juste litre croyons-nous — â S. Thomas, préférence qui va directement à l’encontre de la thèse soutenue par le RP. Fossati. Nous ferons enfin observer un rapprochement, qui n'implique certainement pas confusion, mais qui ne contribue pas à préciser la position de la question. « efficient causality is involved » «appelle par conséquent une cause efficiente*. La «causalité» se trouve en fait liée à 1’« efficience», dans ces conclusions que nous nous permettons de trouver indécises. Il est certain que l'ordre de la cause efficiente joue un rôle privilégié dès là qu'il s’agit du rapport entre le créé et l’incréé. Cependant, le principe de causalité [pl-p2], parce qu'il concerne en propre l'esse, ne fait pas acception de la spécification respective des différents modes de la causalité. La causalité est une norme de l'esse, avant d’être efficience, ...ou finalité. La science moderne avait lié et pratiquement confondu « causalité » et « détermi­ nisme»; cette erreur porte actuellement sa conséquence: les savants contemporains rejettent la causalité, parce que l’observation montre l’existence de lois stochas­ tiques qui mettent en question celle d’un déterminisme rigoureux. L’exemple est éclairant. 11 ne faudrait pas que le théologien de « la preuve de Dieu » liât en telle manière la causalité et l’efficience, qu’il se voit contraint de recourir toujouis à l'efficience, parce qu’il estime à bon droit qu’aucune preuve ne peut exister qui ne soit expressément fondée sur la causalité. Nous nous permettons de de renvoyer à Bulletin thomiste, tome XI. fasc. 2. p. 400. l'ordre de la preuve fondi i.’uniiî DF. la conclusion 51 le medium est lui-même coordonné de deux manières différentes, d'une part avec le principe de la preuve, d’autre part avec la base de la preuve. Le principe [pi] - [p2] est le principe de causalité; il est universel parce qu’il est nécessaire: nous l’avons rappelé. Et il est nécessaire parce qu’il est d’ordre ontologique; il ne fait qu’exprimer intelligi­ blement une norme de l'être. D’autre part, le medium de la preuve comportant, selon son unité d’ordre, la formalité [m2], il enchaîne effectivement avec le principe [pl-p2] entendu, comme il se doit, ontologiquement. 11 résulte de là que la conclusion de la preuve, conclusion qui résulte immédiatement du rapprochement entre [m2] et [pl-p2] relève également de l’ordre ontologique. Cela confirme organiquement, c’està-dire du dedans de la preuve, la portée de [Cl]. Le χαθ’αύτο concer­ ne par essence, nous l'avons montré (p. 41, et note 37), ce qui est primitif, c’est-à-dire l’esse. Si donc on affirme, en vertu de [pl-p2], que « quelque chose qui n’est pas ’ par soi ’ (selon l'esse) » [m2] requiert nécessairement « une Réalité qui est ’ par soi ’ » [Cl], ce qui se trouve, ipso facto et primordialement, affirmé de cette Réalité, c’est qu’elle est. C’est bien l’opposition de contradiction « ’ non par soi ’ — ’ par soi’», qui constitue le module formel et réel de preuve; mais cette opposition n’aurait ni portée réelle ni par conséquent force apodictique, si elle ne concernait l’e^se. La conclusion [Cl] affirme donc une Réalité qui, avant toute autre détermination possible, est «étant par sois. Cette Réalité, parce qu elle est la Cause de « quelque chose qui est, et qui n’est pas ’par soi’», elle «est en étant ’par soi’»; elle est V Etant par Soi. Nous excuserons-nous d’insister? On s’est assez gaussé de « Dieupremier Moteur », pour qu’il soit nécessaire de dénoncer une étrange méprise. On la comprendra mieux, après avoir examiné la seconde des conséquences qu’implique pour la conclusion de la preuve la nature de son medium. La base de la preuve est constituée par une modalité de l’esse, en laquelle est donné un « non par soi ». D'autre part, le medium de la preuve comportant, selon son unité d’ordre, la formalité [ml], il enchaîne effectivement avec la base [bl] - [b-2] saisie comme il se doit selon la détermination dans laquelle est donné ce « non par soi ». Maintenant, le module à la fois formel et réel de la preuve con­ siste, comme nous l’avons rappelé quelques lignes plus haut, en l’op­ position de contradiction «’non par soi’ - ’par soi’»; le premier requiert nécessairement le second, et c’est sur quoi nous avons insisté 52 LA PREUVE I)E dieu ft les cinq voies en premier lieu; mais, en retour, le second exclut le premier: le « par soi » simpliciter, et selon l’esse, exclut simpliciter d'être « non par soi » sous quelque rapport que ce soit: aussi bien selon l’esse lui-même que selon une détermination de l’esse. Le « par soi > simpliciter exclut donc toute détermination de l’esse qui, en tant que telle, inclurait nécessairement de comporter un « non par soi ». Et, par conséquent, la Réalité qui constitue l’objet de la conclusion [Cl] jouit nécessairement de la propriété [C2]. .Autrement dit, la conclusion concrète de la preuve, c'est l'ensemble des deux affirmations [Cl] et [C2], entre lesquelles se re­ trouve l’ordre qui est propre au medium de preuve [ml-m2]. Il faut cependant, en l’occurrence, distinguer avec soin deux ordres différents: d'une part celui de l'enchaînement de la preuve comme preuve; et, d’autre part, l’ordre objectif entre les réalités dont les per­ ceptions sont enchaînée» par la preuve. [C2] découle de [Cl], tout comme [m2] découle de [ml]: voilà l’ordre d’apodicticité. Mais, la perception de l’esse étant primitive par rapport à celle de ses détermi­ nations, la même unité d’ordre, qui se retrouve comme il se doit dans toutes les étapes de la preuve, a pour principe [m2] dans le medium de la preuve; et elle a pour principe [Cl] dans la conclusion de la preuve. On ne sera pas surpris de cette sorte d’inversion. La conclusion affirme la Réalité telle qu’elle est en elle-même; le medium énonce un principe concernant la réalité telle que celle-ci se présente à nous. La conclusion rétablit donc l’ordre véritable dont l’intellect rationnel doit remonter le cours si il veut s’en saisir avec sécurité. 2. Nous pouvons maintenant situer le gauchissement qui s’est intro­ duit depuis quelques décades dans l'interprétation de la preuve de Dieu. Les deux modalités qu’intègre le medium de la preuve n’ayant pas été distinguées avec assez de netteté, elles ont en fait été confon­ dues. Leur unité d’ordre a été méconnue; et comme celle-ci commande, nous venons de le voir, celle de la conclusion, la conclusion de la preuve s’est elle-même trouvée réduite à une affirmation univoque dé­ rivant d’un principe supputé abstrait, alors qu'elle est en réalité un jugement certain co-ordonnant deux affirmations dont l’unité réfléchit organiquement la permanente tension de 1'« immédiat » vers le « pri­ mitif » qui se retrouve en chacune des étapes de la preuve. Et enfin, comme la spontanéité vers le plus facile est favorisée par le collectivisme mental qui est a-critique, la conclusion de la preuve a été réduite à sa modalité phénoménologique [C2], et coupée de son ancre métaphysique [Cl]. I.'ORDIU. OF. LA PREUVE FONDE L'UNITÉ. DE LA CONCLUSION 5.3 Telle paraît être la charte de naissance, glorieuse en vérité, pour le dernier né des néo-thomismes, de celle des « définitions » de Dieu qui est — à bon droit (!) — la plus chère aux existentialistes (biblistes ou non): «Dieu, c’est le premier Moteur immobile». Puisqu’en effet, le mobile ne peut pas être « par soi » [bl], selon le mouvement [b2], alors la pseudo preuve dont on vient de décrire la genèse aboutit tout directement, selon une pseudo « logique » révoltée contre « une » métaphysique qu’elle condamne et étrangère à la logi­ que qu’elle ignore, à la conclusion [C2] : Dieu, c’est ce qui exclut le mouvement, c’est 1’« immobile». Et comme on n’est arrivé à cette notion d’« immobilité » que par négation, à partir du couple « mû-moteur », il n’est pas possible de se dégager de ce couple. L’« immobile » est bien contraint d’être un « moteur », pour pouvoir n'être pas un « mû ». Et le Moteur immobile « aristotélicien » se trouve de la sorte piteusement enfariné dans le Cosmos, tout comme l’Oméga teilhardien l'est dans l’Evolution. La différence est cependant radicale entre les deux situations. L’une con­ siste à gonfler de consistance une caricature pour la faire croire réalité; l’autre vient de ce que, incurvé par l’usure, l’intellect ne saisit plus de la réalité qu’une caricature. L’ordre de « ce qui est » à « Dieu qui EST » ne peut être démon­ tré qu’en vertu de l’unité d’ordre entre les modes de l’être et l’être, que par la mise en oeuvre du principe de causalité (H) saisi intelligi­ blement comme norme de l’être. Restituer à la « preuve » l’assise à la fois ontologique et intelligible qui découle de l’unité d’ordre propre à son medium constitue évidemment la seule résolution véritable des difficultés que fait surgir un principe d’interprétation partiel. Rien ne sert, par exemple, de remplacer, dans la base [bl] [b2], le « mû » par les « degrés d’être », voire par le « limité », si on laisse s’introduire dans l’enchaînement de la preuve une univocisation semblable à celle que nous venons de critiquer. Cette univocisation se produit alors il est vrai en faveur de l’esse, non en faveur de ses déterminations (ou modes). Mais le résultat, concernant l’épistémologie de la preuve, est le même: l’unité d’ordre du medium de la preuve, et partant son existence, sont supprimées. Et il en va de meme pour la conclusion. En sorte que, selon cette interprétation simplifiée, et n’intégrant pas à la preuve elle-même le principe de causalité méta­ physiquement entendu, la « quarta via » débouche sur la même anti­ nomie que la « prima via ». Une brève observation suffit à le montrer. (44^ Réserve faite de ce que nous avons expliqué note 31. 54 LA PREUVE DL DIEU LT Ils CINQ VOIES Le texte de la Somme présente quatre paragraphes: a) Inve­ nitur: b) Sed magis; c) Est igitur: d) Quod autem. La causalité n’est explicitement mentionnée qu’en d). D’autre part, l’ensemble de la dé­ marche a, dans l’esprit de S. Thomas, une unité propre. Quel est le type de cette unité, là est la question. Exposons d’abord ce qui nous paraît être la vérité: en fonction de quoi nous pourrons situer l’antinomie à laquelle nous venons de faire allusion. Nous disons qu'il s’agit d’une unité par inclusion vir­ tuelle (virtus) : c’est-à-dire que la causalité, mentionnée en d) expli­ citement, est déjà impliquée en a) virtuellement: c’est-à-dire selon la vimis qui constitue pour toute la preuve le principe même de l’apodicticité. Le discours humain étant nécessairement successif, S. Thomas choisit d’exprimer en premier lieu la spécification de la base de la preuve, savoir: [bl] en a). [b2] en b): il exprime ensuite (ordre d'exposition) le medium de la preuve en c); et, enfin, il énonce le principe de la preuve en d). en liant d’ailleurs ce principe à la conclusion de la preuve. Mais la démarche de S. Thomas n’a d’unité et n'est une preuve que si le principe enchaîne sur la base. C’est ce que nous entendons signifier en disant que l'imité de l’inférence proposée par S. Thomas est «par mode d’inclusion virtuelle»: la causalité n’est mentionnée qu’à la fin, parce qu’un discours ne peut être que successif: mais la causalité est intégrée organiquement à la preuve: nous l’expliciterons ci-après d’une manière plus précise (*>). L’enchaînement proposé par S. Thomas peut au contraire être conçu comme une « unité par addition ». On estimera alors que la preuve proprement dite s’achève avec le paragraphe c); dès lors, la «quarta via» ne fait pas état du principe de causalité: elle repose sur le « principe des degrés», tel qu'il est énoncé en a), b), c). Or cette formulation, supposée disjointe, nous v insistons, du « principe des degrés » d’une part et du principe de causalité d’autre part, implique difficulté. Il existe, observable dans la réalité, du « plus » et du «moins»: a). Ce «plus» et ce «moins», ou ces degrés, sont donc considérés en a) comme résultant d’une observation directe: la preuve part effectivement du « concret », comme il se doit. En b), l'existence du même « plus » et « moins » est derechef considérée comme donnée: mais la définition, formellement, en est modifiée. Le « plus » et le « moins » existent comme tels, non plus en vertu du fait que, selon la spécificité qui leur est commune, l’un est plus que l’autre: mais en (<’) Cf. note 71, p. 128. L'ordre ΙΊ- I A PRï UVI FONDE L UNfTÉ h» H CONCLUSION ·» □a vertu du fait que, selon cette meme spécificité, l'un approche plus que l'autre d'un maximum qui a, lui aussi, la meme spécification. Ce changement de définition, qui constitue le passage de a) à b), est parfaitement correct formellement. L'est-il réellement? Oui. si ce maxi­ mum, dont la spécification est identique à celle des degrés, existe réel­ lement. Mais il est bien clair que le passage, légitime au point de vue formel qui est celui d’une définition, de la définition a) à la définition b), ne prouve en aucune façon l’existence réelle du maximum que présuppose la définition b). Et, supposé que ce maximum existe, le cheminement qui y conduit le lie intrinsèquement aux degrés qui sont observés. Us se définissent formellement par rapport à lui: b); mais, en retour et primordialemenl, parce que lui ne se définit que par rapport à eux, réel­ lement. Or la définition b) exclut que le maximum soit infini, si on emprunte le modus significandi propre à la quantité; elle exclut par conséquent que le maximum soit transcendant, si on emprunte le modus significandi propre à la métaphysique. Le maximum est lié aux « degrés » : de telle manière que, sans cette connexion, il n'est plus possible d’assigner un sens à sa définition. L’interprétation du paragraphe c) devient dans ces conditions... difficile, soit dit par euphémisme. « Est igitur... ». Si le « maximum » auquel conclut le paragraphe c) est prouvé à partir du paragraphe b), il est impossible qu’il soit transcendant. Le mot « ens » ne saurait, au point de vue formel qui est celui d’une preuve, être considéré comme un « deus ex machina » qui suffirait à ingérer une opportune trans­ cendance dans un terme dont l’ordre d'apodicticité exclut qu’il puisse être transcendant. Et si on tient que le «maxime ens», conclu en c), est transcendant aux « degrés » de l’esse, observés en a) et b), alors le « Est igitur... » n'est qu'une figure de rhétorique. On voit donc que, si on prétendait interpréter la « quarta via » sans faire état du principe de causalité (4‘), 011 aboutirait à un « maxi­ me Ens» qui n’est pas plus glorieux que le «Moteur immobile». Celui-ci n’esquive d’être un « mû », qu’en étant un moteur; celui-là n’évite l'humiliation d’avoir un « degré » au-dessus de lui, qu’en étant un maximum. Mais ce ne sont là que subterfuges dialectiques, et mé­ taphysique de contrebande. En réalité, seul le principe de causalité(“) démontre comme transcendant, le Terme dont l’existence est conclue par « la preuve »: à défaut de la mise en oeuvre effective de ce prin­ cipe, l’immobile (inévitablement « moteur ») est inséparable tie l'en­ chaînement des mûs et des moteurs .tout comme l’Ens (inévitablement « maximum ») est intrinsèquement solidaire des réalités ayant « plus » et « moins » de valeur. Des observations analogues pourraient être 56 LA PREUVE DI DIEU El LFS CINQ VOIES développées concernant les autres « voies ». Cela est inutile. Ces ré­ flexions critiques visent seulement la manifestation a posteriori d’une vérité évidente que nous rappelons en terminant. 3. La valeur d’une preuve comporte deux aspects essentiels: Yapodicticité, qui tient aux connexions entre les chaînons, base, mediumprincipe, conclusion; la portée, qui tient au rapport de chacun des chaînons avec la réalité. La preuve de Dieu est soumise aux mêmes normes que toute autre preuve en ce qui concerne l’apodicticité. 11 n'est certes pas indispen­ sable de s'exprimer en syllogismes; mais une inférence dans laquelle, par exemple, «est igitur» n'arrive pas à signifier « donc », n’est évi­ demment pas une preuve». La preuve de Dieu doit, quant à la portée, être méta-physique. Cela, un croyant du moins, peut l'affirmer a priori. La « base » doit en être un existant réel. Le principe, également, doit être d’ordre mé­ taphysique; il doit ressortir immédiatement à l'esse lui-même. Ce prin­ cipe ne peut être que le principe de causalité (4<). C’est cela surtout qu’il importait de manifester, même par réduction à l’absurde, en vue de confirmer le schéma de preuve présenté p. 37. Il reste maintenant à montrer comment ce même schéma est mis en oeuvre par chacune des «cinq voies». Nous avons vu que l’unité d’ordre propre au « medium de la preuve > fonde l’unité des « cinq voies » et assure l’unicité du Terme dont chacune démontre l’existence: ce Terme est YEtant par Soi; c’est la portée [Cl] de la conclusion. 11 convient, en retour, de mettre en évidence que chaque preuve respecti­ vement envisage la base selon une formalité propre [b2], en sorte que, corrélativement, elle conduit à découvrir, de YEtant par Soi, une déter­ mination propre [A] dont l'affirmation constitue la seconde partie [C2] de la conclusion. II. L’EXPLICITATION DE LA PREUVE DE DIEU. LES CINQ VOIES. 1. - La preuve de dieu, manifestant l’ordre de la causalité, ELLE SE RAMIFIE EN CINQ VOIES. Nous pourrions considérer comme un « donné » allant de soi, ce qu’une certaine tradition peimettrait d’appeler « le fait des cinq voies ». Leur nombre ayant été, comme tout ce qui les concerne, objet de discussion, indiquons cependant brièvement le principe de sa détermi­ nation. Nous rappelerons, à titre cle préambule, qu’il y a quatre types de causes: ce nombre, trop connu materialiter, venant, on l'oublie trop souvent, de ce que la causalité constitue un ordre. Nous montrerons ensuite que, en vertu de l’ordre de la causalité, la preuve de Dieu se ramifie nécessairement en cinq voies et en cinq seulement. a. La causalité constitue un ordre qui comprend quatre types de causes. 1. La notion de forme, type, nature, modèle, structure..., désignée dans le vocabulaire classique sous le nom de « cause formelle », com­ porte généralement, au sein de telle réalité concrète dont l’unité est bien déterminée, une dualité relative, ou autrement dit deux aspects qui s’impliquent relationnellement. Par exemple il y a, pour l'embryon, deux processus de for­ mation de l’oeil, que l’analyse révèle comme spécifiquement différents (gradient d'énergie, densité en mitocondries), selon que l’on opère ou non (en temps voulu) l’ablation du point de la cellule-oeuf où converge la focalisation maximum associée à la formation de l’oeil. Il y a un processus normal de formation de l'oeil, si il n’y a pas ablation: et il y a un autre processus de formation du même oeil, si il y a ablation. Les deux processus sont observables, analysables, objectivemejit déter­ minés. Ils prouvent donc l’existence, intrinsèquement à une réalité nu­ mériquement une, de deux types de déterminismes, à la fois spécifi­ quement différents et relatifs l’un à l’autre. Ce rapport fonde, dans la réalité, celui, qu’il est classique de désigner par ses deux extrêmes: cause formelle, cause finale; l’analogie est claire et probante, nous ne nous attardons pas à la développer. Une inférence semblable conduit à la même conclusion, à partir d’un tout autre domaine du savoir. La théorie de la relativité 58 i \ piuuvi ni mit ri us cinq voies générale vise à assigner, pour représenter l'univers physique, une forme unitaire: c’est-à-dire une forme unique, susceptible d'exprimet en tout point de l’espace-temps, tous les phénomènes physiques en tant qu'ils sont mesurables et même quantifies. Quoi qu’il en soit du succès d'une entreprise qui sera toujours en progrès, la forme d’univers, unitaire et quantifiée, présente inévitablement deux caractères d'ailleurs con­ nexes. D’une part, elle est de type «différentiel », non de type « fini »: car une description adéquate, même au seul point de vue de la mesure, de l’univers physique pris dans son ensemble, serait indéfinie: elle n'est donc possible que par la médiation du « différentiel » : celui-ci enclôt en effet, dans du fini effectivement exprimé, l’indéfini de la réalité, lequel est inexprimable. D'autre part, la forme unitaire est normative « au second degré ». Cela est possible parce qu’elle est du type « différentiel » : c’est-à-dire qu'elle vaut (ou s’applique) d’une manière propre pour chaque point de l’espace-temps: mais à la condition que ce point soit choisi. Autre­ ment dit, celte forme ne vaut pas pour tous les points de l’espacetemps (totum), ce qui exigerait qu'elle fût du type «fini »; elle peut valoir et elle vaut |>our tout point de l’espace-temps (omne), parce qu’elle est du type «différentiel». De là résulte, disons-nous donc, qu'elle est normative « au second de­ gré». C’est-à-dire qu'une expérience à laquelle est associée une mesure effective n'est directement ni inscriptible ni prévisible dans la forme d’univers. Entre le résultat de telle expérience concrète, réalisée en tel point de l’espace-temps, et la forme d’univers telle qu’elle vaut loca­ lement en ce même jwvint de l’espace-temps, s’interposent un ensemble de lois, de structures, de formes qui sont du type « fini ». On le comprend aisément. Le «déterminé» est, « quoad nos», fini: l’universel ne peut être, «quoad nos», que du type «différentiel ·: il en résulte inéluctablement que les déterminations issues de l’ex|>éricnce ne peuvent être en connexion avec la forme d’univers, qui est du type «différentiel», que par la médiation de structures qui sont du type «fini». Les structures de type «fini» sont particulières, res­ pectis ement pour chaque type de phénomène: gravifique, électrique, magnétique, etc... La forme d’univers, parce qu'elle est du type « diffé­ rentiel », récapitule, localement d’abord, et ensuite universellement, l’ensemble des structures de type « fini » qui sont valables, chacune seulement à un point de vue, et cela seulement localement. Ces considérations, à la fois trop longues ou trop brèves, étaient nécessaires pour présenter, enfin, l’observation qui intéresse notre objet. I ’OMORI ΟΙ I A CAUvM.uL I Eh QUAIKI IYPFA HF. (.AUSES 59 Les .structures du type « fini » sont le moyen d’élaborer la forme d’uni­ vers, et telle est l’oeuvre du théoricien constructeur; elles .sont égale­ ment l'expression de nonnes qui valent localement pour le physicien expérimentateur. Et, aussi bien du côté de la réalité ex pane objecti, et du côté de l'esprit ex parte subjecti, il y a entre ces deux points de vue une permanente tension: l’expérience le prouve assez pour qu'il soit inutile d’insister. Or cette tension ne durerait pas — c’est-à-dire qu'elle eût été résolue soit dans un sens soit dans l'autre — si elle ne recouvrait une réalité. La «norme», ou la loi, de quelque nom qu’on l’appelle, que d’autre part elle soit du type « absolu » ou qu'elle soit du type «stochastique », elle n’est pas univoque, de l'infiniment petit à l’infiniment grand, de­ là partie au tout. Nous dirions, si il était opportun de reprendre le vocabulaire ci-dessus employé à propos de la cellule-oeuf, qu’il existe en fait deux déterminismes, l’un local, l'autre total. Ces deux déterminismes, ou ces deux types de norme, sont objecti­ vement déterminés; ils sont à la fois « un » et « distinct », différents par leur nature, analytiquement, mai# n’ayant chacun leur portée que relationnellement. Ils soutiennent donc entre eux un rapport qui, derechef, fonde, dans la réalité du cosmos lui-même, la relation qu’il est classique de désigner par ses deux extrêmes: d’une part la « forme », en tant qu’elle est, dans l’être de nature, le principe immédiat de cet être de nature, le principe immédiat de l’être et partant de l’opéra­ tion; d’autre part la «forme», en tant qu’elle constitue, intrinsèque­ ment à l’être de nature, la norme de l’ultime perfection. 11 est d’ailleurs bien connu que le « catalogue des quatre causes» n’est qu’une caricature triviale de 1'« ordre de la causalité»; et que, au sein de cet ordre, le rapport entre la « forme » et la « fin » se réfléchit ontologiquement en celui qui existe entre les deux aspects de la forme, entre la nature (morph c) et l’archétype (eidos). Les deux exemples (pie nous avons rappelés, empruntés respecti­ vement à la biologie et à la physique, reconduisent donc, par deux voies bien différentes et par là manifestement convergentes, à la con­ clusion qu’Aristote avait fondée sur de toutes autres considérations: il existe deux modes de la causalité qui sont organiquement liés; il convient, pour cette raison, de les appeler « ordre de la cause finale » et «ordre de la cause formelle». 2. Les dénominations abstraites que nous croyons devoir conserver, parce qu’elles sont précises, ne doivent donc pas faire illusion: jamais ne se rencontrent, à l'état séparé, les réalités qui correspondent aux définitions formelles sans lesquelles aucune science n’est possible. La 60 IA PREUVE DE DIEI· ET I E.j» CINQ VOIES « cause finale » et la « cause formelle » demeurent, nous venons de le voir, selon la science moderne comme selon la philosophie ancienne, deux aspects spécifiquement distincts qu'intègre nécessairement l’« or­ dre de la causalité». Avons-nous ainsi rendu compte adéquatement de toute la réalité de cet ordre? La « tension », ou !'« un-distinct » manifesté, différemment mais également, par les deux exemples que nous avons rappelés, voilà la réalité objective: et c’est la réalité d'un rapport. Nous avons carac­ térisé ce rapport par ses extrêmes: c’est là une nécessité qui tient à la fois à la réalité, et à la nature de l’esprit créé. Mais il n’est pas moins nécessaire de manifester également la nature de ce même rap­ port concrètement existant, en tant qu'il est un rapport. Or l'expérien­ ce montre directement deux choses. D’une part, ce rapport consiste en une opération, genèse, transfor­ mation réversible ou irréversible... D’autre part, l’existence de ces transformations requiert celle de la permanence sans laquelle elles n’auraient pas de sens. Il serait non cohérent d’attribuer une portée réelle à l’analyse du processus selon lequel l’oeil se forme dans la cellule-oeuf, si on ne supposait que ce processus, considéré dans son ensemble, concerne la même cellule-oeuf. Et, pareillement, le caractère mutuellement normatif du rapport entre la structure « locale » de type « fini » et la « structure d’univers » de type « différentiel » serait seulement intelligible et ne correspondrait à rien de réel, si on ne supposait que, dans l'univers, il existe une certaine permanence des parties: car seule cette permanence rend pos­ sible des cx]x*riences dont on suppose qu’elles sont les mêmes en leur réitération, et à partir desquelles on peut donc élaborer les structures locales de ty|>c « fini ». En un mot. quelle que soit la notion qu’inspire la science de « ce qu'est une loi », il n’y a pas de loi sans permanence. On reconnaît aisément, dans tes transformations et dans cette |>ermanence observées par la science contemporaine, les notions d’effi­ cience et de matière-sujet. L'analyse aristotélicienne dégage ces même', données: elle est, métaphysiquement, extrêmement précise et poussée: parce qu’elle part du mouvement comme tel. Nous nous bornons à évoquer cette détermination formelle: notre propos était de faire obser­ ver qu'elle trouve, dans les disciplines mod ernes les plus diverses, la base qui non seulement la justifie, mais qui continue de l'exiger. Il faut clone, pour rendre compte des rapports qui font l’objet de la science, adjoindre l'« ordre de la cause efficiente» et 1'« ordre de la cause matérielle » aux deux aspects de la causalité dont on a déjà établi l’existence. I,'ORDRE DE IA CAU8ALUÏ-. Ils QUATRE TYPES DE CAUSES 61 3. Nous ferons observer, en achevant d’exposer cet argument — ou ce rappel —, que la manière même selon laquelle nous avons procédé montre, de surcroît, que les aspects de la causalité sont donnés objec­ tivement comme s’impliquant mutuellement. Cela est vrai, aussi bien entre les deux couples que nous avons successivement considérés, qu’à l'intérieur de chacun d’entre eux. On sait que l’analyse d’Aristote, sans méconnaître les con­ nexions que nous avons mises en évidence, manifeste comme étant primordiales d’autres connexions entre les quatre mêmes types de cau­ salité. Cela tient à ce qu’Aristote considère formellement les deux grands problèmes du changement et de la multiplicité. Cela confirme d’autre part que, comme nous avons tenu à l’expliciter, la causalité constitue un ordre. Et c’est pourquoi également, chacun des aspects de la cau­ salité ne doit pas être considéré comme une catégorie abstraite qui serait la définition commune d’un ensemble de sujets existant d’ailleurs concrètement, et envisagés à un point de vue formel déterminé. Chaque aspect de la causalité n’a de sens qu’en s’intégrant à l’ordre total de la causalité. Et, qui plus est, nous employons le mot «ordre» pour dési­ gner même chacun de ces aspects. Cela, pour deux raisons. Synthétiquement, une manière semblable d’envisager différentes réalités conduit à assigner en elles des principes qui ressortissent à la fois à la réalité et à l’intelligibilité, et qui dans leur ensemble cons­ tituent un ordre; cela, parce qu’ils relèvent de la même formalité au point de vue « intelligible » sans laisser d’être par rapport les uns aux autres hiérarchisés au point de vue de la «réalité». La «matière» n’est pas univoquement matière, partout où on la rencontre, bien qu’elle ressortisse toujours à 1’« ordre de la cause matérielle»; et pareillement pour les autres cas. Analytiquement, c’est-à-dire si on considère tel existant concret in­ dividuellement, il se peut que telle même partie doive en être rangée sous des catégories différentes de la causalité, suivant que l’on assigne un principe différent pour l'ordre total de la causalité selon lequel on cherche à rendre compte de cet existant. Telle « partie » de l’exis­ tant n’y est pas nécessairement «cause matérielle»; elle peut ressortir à 1’« ordre de la cause matérielle », ou bien à 1« ordre de la cause formelle», selon (pic l’on fait choix de tel ou tel principe en vue de placer cet existant sous la mouvance de l’ordre la causalité. Concluons donc que la causalité, expression intelligible des normes de la réalité, constitue un ordre. Et le fait d’être un ordre est tellement inhérent à la causalité que celle-ci conserve ce caractère en chacune de ses spécifications. L'ordre de la cause finale, l’ordre de la cause formelle, l’ordre de la cause efficiente, l’ordre de la cause maté­ rielle intègrent ensemble un même ordre qui est celui de la causalité. rwar· 62 U PREUVE DE DIEU ET LES CINQ VOIES On pourrait objecter que l'argument développé a établi qu'il existe quatre ordres de cause, non pas qu’il en existe seulement quatre. Nous répondons deux choses. Premièrement, dans tout domaine où la déduction est impossible, le fait que des méthodes différentes conduisent au même résultat est communément admis comme constituant une preuve de la vérité de ce • résultat. Or, l’existence de quatre causes et de quatre seulement, et qui beaucoup plus est l'interconnexion qui fait de ces types de causes un ordre, cela est montré par deux voies relevant de visualisations intelligibles spécifiquement différentes: l'argument d'Aristote est d'es­ sence métaphysique, celui que nous avons esquissé est de nature cosmologique. Deuxièmement, on pourrait dire que l’axiome premier de la méta­ physique est: « il y a ce qu’il y a >. Il est impossible de démontrer a priori quel doit être le nombre des corps simples, ou des nébuleuses, ou des espèces, ou des hommes ou des .-\nges... Il est impossible de démontrer quoi que ce soit, absolument et a priori, concernant l'être qui par nature est contingent. La démonstration rigoureuse ne peut être, en métaphysique, que sub-ordonnée; elle est rigoureuse, positis ponendis, à partir de données qui, elles, sont indémontrables. Ces ob­ servations valent pour la causalité, puisque celle-ci est constituée par la lecture intelligible des normes de l'être. Il est donc impossible île démontrer absolument et a priori: il ne peut y avoir que quatre types de causes. Nous nous permettons donc de conclure, la seconde observa­ tion donnant plus de force à la première, qu’il n'existe pas de type de cause non inclus dans le catalogue à la fois si connu et si mal compris. L’ordre de la causalité, c'est l’ordre des normes de l’être en tant que celui-ci est le terme de la relation de mesure que l'intelligence soutient avec lui. Cet ordre de la causalité, un en vertu de l’unité même de l’être, intègre lui-même, adéquatement et partant exclusive­ ment, l’ordre de la cause finale, l’ordre de la cause formelle, l'ordre de la cause efficiente, l’ordre de la cause matérielle. b. I.es quatre types de causes requièrent, du fait qu’ils constituent un ordre, la ramification en cinq * voies» de l’unique preuve de Dieu. Nous pouvons maintenant procéder à la détermination du nombre des voies selon lesquelles doit normalement s'expliciter la « preuve de Dieu ». Cette « preuve » repose en effet, nous l'avons vu, sur le principe de causalité, norme de l’être, nous y avons insisté; et elle procède à LA CAUSAI ITÉ RAMIIII IA PREUVE PE DIEU EN CINQ VOIES 65 partir d’un existant concret. Elle doit donc avoir pour principe interne de différentiation, cela meme (pii, au concret, est pour l’ordre de la causalité principe de spécification. L’évidence de cette observation jus­ tifiera, dans ce qui va suivre, le mode abrégé de l’exposition. 1. La preuve de Dieu ne peut pas être, tout le monde l’accorde, une déduction; elle procède, à partir d’un fait, par induction (”). Ce fait ne peut être un point de départ que si il « renvoie à » autre chose que lui; que si par conséquent, considéré en lui-même, il fait ques­ tion. Et comme, nous venons de le rappeler, la cause est par essence l’expression des normes de l’être, assigner la cause suppose que l’esprit cherche à discerner les normes de l’être. La causalité est liée originel­ lement quant à sa notion, à ce qui est le plus primitif pour l’esprit créé, savoir le sens de la question (’°). Si donc on cherche quel est le principe de la numération, concernant les formes que doit prendre la preuve de Dieu, on est ramené à examiner en combien de manières un existant immédiatement observable « fait question ». On retrouve alors la dualité si connue, qu’il est cependant pré­ férable de rappeler pour plus de clarté: l’ordre de découverte remonte le cours de l’ordre des objets; mais c’est l’ordre des objets qui rend compte de celui de la découverte. Pourquoi la notion de cause et les catégories de la causalité existent-elles? La question, et la réponse qu’elle commande, peuvent s’entendre de deux manières. Pourquoi, génétiquement? Parce que l’esprit créé a le sens du pourquoi, et parce qu’il pose spontanément tel et tel pourquoi. Pourquoi, objectivement? Parce que l’être est normé, et parce que l’esprit créé ne peut saisir l’être que mesuré par ces normes. Cette dualité entre l’ordre de la découverte et l’ordre des objets, rend compte de la difficulté à laquelle s’est heurtée la détermination du nombre des «voies». La «preuve», devant partir d’un existant en tant que celui-ci « fait question », il semblerait que le principe du nombre des « voies » soit tout directement le nombre des types de question, et non pas le nombre des types de cause. Or ici s'emmêlent pour ainsi dire les deux ordinations, inverses l’une de l’autre, dont nous venons de rappeler l’existence. Objectivement', d’une part, Dieu EST. en sorte que «prouver» Dieu est vain; et, d’autre part, ce sont les normes de l’être (pii sont constituantes de la causalité et qui fondent ρβ) C’est pourquoi Aristote a pu donner, de la cause, cette définition « per accidens», qui est seulement a posteriori: «On dit qu’il y a cause chaque fois qu'il y a réponse à la question pourquoi ». Phys. II. 7: 198 a 14-15; Rhétoriques 1394 a 30. 64 LA PREUVE DE DIEU ET LES CINQ VOIES les types de question. Relativement à l'homme: d’une part, il est né­ cessaire de prouver «Dieu EST», parce qu’il est impossible de Le saisir immédiatement: d’autre part, ce sont les types de questions qui induisent per accidens (,e) la détermination des types de causes. Or, c’est la rigueur de l’analyse qui exige un compromis entre ces deux points de vue. C’est bien évidemment « quoad nos » qu’il existe une « preuve de Dieu », dont l’origine est nécessairement un exis­ tant en tant que celui-ci «fait question». Et, cependant, la détermi­ nation rigoureuse du nombre des «voies» doit avoir formellement pour principe le nombre des types de causes, et non pas le nombre des types de question. Cela, pratiquement et empiriquement (,0). re­ vient au même: mais il nous paraît que, surtout en matière difficile, on ne saurait être trop rigoureux. Et c’est pourquoi nous avons indiqué, au paragraphe précédent, l'argument qui montre l’existence et la nature de l’ordre de la cau­ salité. Comment l’existant concret fait-il question? Il fait question selon les types de la causalité concrètement envisagés. La détermination du nombre des « voies » est dès lors aisée (,T). 2. L’ordre de la cause matérielle comme telle, est impliqué dans la « preuve de Dieu » comme telle. L'ordre de la cause matérielle est donc étranger au dénombrement des «voies». Expliquons pourquoi. L’existant qui constitue la base de la preuve [bl] - [b2] est en effet composé. La « preuve » une fois faite, on peut démontrer que cet existant, créé, est composé selon l’essence et l’esse. Mais cette composition est déjà montrée par l'observation: montrée quant à sa réalité, quoique non pas quant à sa nature: et le caractère réel de cette composition est, pour la base de la preuve, condition nécessaire et suffisante, puisqu’elle manifeste que cette base est, comme il se doit, un existant réel. « Matière » signifie, en l’occurrence, analogiquement, une réalité composant avec une autre réalité, à laquelle elle est rela­ tive. Et la composition, en retour, est signifiée comme réelle, du fait que le même existant concret ressortit simultanément à l’ordre de la cause matérielle et à un autre ordre de cause distingué du premier. L'ordre de la cause matérielle est donc impliqué, également, en toute « voie », par la base de celle-ci. Et, d’autre part, ce même ordre ne peut fonder à lui seul séparément aucune preuve; car la matière, sépa­ rément, se trouverait privée de la seule réalité qu’elle puisse avoir: (*q Nous renvoyons à l'analyse plus complète: Bulletin thomiste, tome XI, fasc. 2, pp. 407-417. LA CAUSALITÉ RAMIFIE LA PREUVE DE DIEU EN CINQ VOIES savoir d'être « relative à ». Il convient donc, en vue de déterminer le nombre des « voies » à partir des types de causes, de laisser de côté l'ordre de la cause matérielle: celui-ci étant non pas exclu mais partout sous-entendu. Restent donc trois types de causes. Nous allons voir effecti­ vement, et fort simplement, qu’ils exigent et fondent l’existence des « cinq voies » et de celles-là seulement. Et c’est, évidemment, considérés au point de vue de la réalité concrète, tout comme d’ailleurs l’ordre de la cause matérielle, que l’ordre de la cause finale, l’ordre de la cause efficiente et l’ordre de la cause formelle induisent les « cinq voies ». 3. Le « ce en vue de quoi », qui constitue l'essence de la cause finale, est par nature ultime; eu égard à la totalité en fonction de laquelle il a une portée concrète, il est par conséquent unique: il fonde donc une «voie» et une seule: la « quinta via». 4. L’ordre de la cause efficiente est lié au mouvement. Le mouvement est, concrètement, l’acte commun du movens et du motum. La « ratio motus» «fait question», parce qu’elle est la «ratio» d’un «actus imperfectus »; or «ratio» implique, de soi, détermination et partant achèvement. D’autre par t, ni le mouvement ni la « ratio motus » ne font accep­ tion en regard des deux termes qui en constituent l’unité: le « mo­ vens», le «motum». Ce qui donc, eu égard à la «question» et à 1’« ordre de cause », liés au mouvement, est observé, nféré conclu, affirmé, concernant l’un des deux constituants « movens-motum », doit également être observé, inféré, conclu, affirmé, concernant l’autre cons­ tituant. Il suit que la « preuve de Dieu » donne lieu nécessairement, selon l’ordre de la cause efficiente, à deux «voies»: la a prima via», et la « secunda via ». Elles sont deux enchaînements de raisons, manifes­ tant à l’intelligence, par la raison, la même perception. // serait non cohérent que l’une existât, et non l'autre. 5. L’ordre de la cause formelle, considéré concrètement, concerne, dans l’existant, l’esse, et partant l’unité. Forma dat esse (4S); esse est (’**) C. Fabro. Participation en causalité selon S. Thomas d’Aquin. Paris 1961; pp. 344-348. L’importance primordiale de l’esse, sa perfection au titre de « constitutif fonda­ mental de l’être substantiel » ont été également mises en vive et heureuse lumière par Mgr A. Piolantl Dio Uomo. Rome, Dcsclée, 1964; pp. 150 sv. 66 I.\ PREUVE DE DIFl El lis CINQ VOIES forma formarum (·*’). Si l'ordre de la cause formelle existe, ou équivalemmcnt si 1'« esse » fait question, ce n’est pas en tant que Γ< esse » est. C’est en tant qu’il pounait ne pas être: contingence non certes abstraite, mais inhérente à l'expérience immédiate: et cela de deux manières qui sont, en fait comme en droit, nécessairement corrélatives. Les existants observables sont liés, coordonnés. Or cet ordre peut être, en certains cas, modifie, ses composantes demeurant sensi­ blement les mêmes; mais, en d’autres cas, détruire l’ordre existant, et créer un autre ordre, modifie intrinsèquement les éléments constituants. Ce qui existe en fait pourrait être autre, puisqu’il est en fait modi­ fiable, artificiellement par exemple; donc ce qui existe en fait, consi­ déré en lui-même, pourrait ne pas être et cela aussi bien analytiquement quant aux sujets constituants, que synthétiquement quant à l’ordre dont ceux-ci subissent le conditionnement. Ce qui est, et qui est obser­ vable, pounait ne pas être: voilà pour le fait. D’autre part, l’unité, étant convertible avec l'être, est, formelle­ ment, le principe de l’intelligibilité. Ce qui n’est pas « un >, c’est donc cela qui fait question. Or 1’« ordre de la cause formelle » existe con­ crètement selon la multitude et la multiplicité des formes; lesquelles d'ailleurs sont hiérarchisées, chacune composant pour le moins avec l’esse. Et comme le simple exclut la multitude, il suit que cet < ordre de la cause formelle » enclôt, conjointement à la multitude, le caractère non simple des éléments qui la composent. Et enfin, puisque le simple inclut l'unité, et que, nous l'observions, ce qui n'est pas « un » c’est cela qui fait question, il suit que ce qui fait question selon l’ordre de la cause formelle, c’est simultanément la multitude ordonnée des existants et l’imité de chaque existant, Cet ordre existe, et il pourrait ne pas exister: cette unité existe et elle jjourraît ne pas exister. Ce qui est, et qui est observable, pourrait ne pas être. L’ordre de la cause formelle induit donc de deux manières différentes cette même question; celle-ci est exprimée en termes d'être quant au < fait », en termes d'unité quant au « droit » : car l'imité est, pour l'être, la manifestation première de l'intelligibilité. Mais cette même question, épistémologiquement une ex parte subjecti, a nous venons de le voir, ex parte objecti, deux formalités différentes: elle concerne en effet: l’existant d’une part, l'ordre des existants d’autre part. Tel existant est, et par conséquent est un; cependant il pourrait ne pas être, ou ce qui revient au même ne pas être < un ». Or il est, et il est un. Comment en est-il ainsi. Telle est la « tertia via ». p“) En ce sens qu’il est l’acte ultime: de Pot. q7. a2. 9m; de Spirit. Creat. aS. 3ni; 1. q. 4. a. 2; q. 8. a. I. IA CAUSALITÉ RAMIFIE IA PREUVE !>E DlFU EN CINQ VOIES 67 Les existants constituent un ordre: cet ordre est une unité; telle qu’elle est, cette unité pourrait ne pas être: et cependant, elle est. Comment en est-il ainsi? Telle est la « quarta via». 11 suit que la « preuve de Dieu » donne lieu nécessairement, selon l’ordre de la cause formelle, à deux «voies». Ces deux voies, la troisième et la quatrième, ne sont pas rigoureusement corrélatives comme le sont entre elles les deux premières « voies ». La « tertia via » et la « quarta via » ont en commun, épistémologiquement, de procéder de la même question: celle de la qualification au point de vue du nécessaire d’une certaine unité qui existe en fait et non en droit. Mais chacune est originale; et elles sont irréductibles à un argument commun. L’une a pour base l’existant en sa singularité, l’autre les existants en tant qu’ils sont hiérarchisés. 6. Nous pensons avoir ainsi établi que la « preuve de Dieu » doit se ramifier et s’ordonner en cinq voies, conformément à Yordre de la causalité, lequel est lui-même l’expression intelligible des normes de l'être. Deux remarques peuvent être utiles en vue de préciser la portée de cette conclusion. Elles procèdent l’une et l’autre du caractère « formel » de la précédente détermination. D'une part, nous axons considéré la base de la preuve, c’est-à-dire tel existant concret en tant qu’il « fait question », « formellement », et conformément à chaque «ordre de cause». «Formellement» ne s’oppose pas à « réellement », mais signifie que tel existant concret est envisagé selon telle formalité déterminée, quel que soit le mode dont cette formalité se trouve affectée, à raison du type de l’existant dans lequel elle est réalisée. Par exemple le mouvement est la base de la «prima via», qu'il soit saisi, d’ailleurs toujours le même ana­ logiquement, dans le cosmos physique ou dans tel esprit angélique. Faute de cette précision « formelle », le nombre de « cas » de la seule « prima via » serait indéfini. D’autre paît, nous avons considéré les modalités qu’induisent pour la preuve de Dieu les « ordres de causes », en supposant ceux-ci « for­ mellement » déterminés. 11 est clair que, dans tel cas concret et effec­ tivement observé de causalité, les différents « ordres de causes » interfèrent simultanément. 11 est alors loisible d’envisager un seul d’entre eux distinctement, et donc « formellement », ou bien de saisir soit plusieurs d’entre eux soit même tous ensemble globalement. Dans le second cas, la preuve de Dieu prendra comme moyen d’expression des voies qui ne sont pas les cinq « voies classiques » dont nous avons établi l’existence en droit. La détermination que nous avons faite sup­ pose que l’on considère l'ordre de la causalité « formellement ». Faute de cette précision « formelle », le nombre des « voies » est indéfini. 68 LA preuve de DIEU FF les cinq voies En un mot la « preuve de Dieu » s’ordonne en cinq « voies », et en cinq seulement, mais c’est à la condition de considérer formellement chacun des constituants de la preuve: la base, le medium selon son unité d'ordre, et partant le principe et l’ordre de la causalité. Si on abandonnait la rigueur que seul assure le fait de se placer au point de vue formel, la question même du nombre des « voies » n’aurait pas de sens: car l’indéfini est, par nature, inassignable. Nous supposons donc, dans la dernière partie de cette étude, le type de précision « for­ melle » requise à sa portée. 2. - L’UNITÉ ET LA SPÉCIFICITÉ DES CINQ VOIES DOIVENT ÊTRE ENVISAGÉES EN FONCTION DE L’ÉTANT PAR SOI. a. Les cinq voies ont le même medium primitif, qui est Γ* esse ». Elles prouvent uniformément l’Etant par Soi en tant qu’il est Cause: à partir de ce qui, par le fait même, doit être appelé un effet. La preuve de Dieu conduit, uniformément en vertu de l’unité d’ordre de son medium nous l’avon montré (pp. 50 sv.), à affirmer V Etant par Soi [Cl]. Car telle réalité, observée comme n’étant pas « par soi» [bl], nécessairement est «par un autre» [pl]. Ce schéma, un et fondamental de «la preuve», donne lieu à cinq «voies», parce que, conformément à l’ordre de la causalité, le « ce qui n’est pas * par soi ’ » peut être observé selon cinq modalités différentes [b2], auxquel­ les correspondent respectivement des désignations objectives et propres [A] de « l’Etant par Soi ». Nous devons, pour compléter l’enquête qui précède, préciser d’une part quelles sont ces formalités [b2] : visibilia quae facta sunt (-’): nous devons, d’autre part, préciser ce que chacune d’entre elles induit, négativement ou positivement, mais toujours né­ cessairement: invisibilia quae propyie Dei sunt Notre propos n’est pas ici, faut-il le dire, de faire une étude complète des cinq « voies »; nous croyons simplement opportun de mettre en évidence aussi nette­ ment que possible, le caractère propre que revêt pour chacune des voies, la structure fondamentale qui est commune à toutes, parce qu’el­ le découle nécessairement de l’être de « la preuve » considérée pour ainsi dire ontologiquement: comme cheminement de l’étant à l’Etant. Nous laisserons donc habituellement de côté, dans ce qui suit, une conclusion évidente et commune à toutes les voies, concernant l’Etant par Soi. La preuve consistant à découvrir, dans un existant créé, l’exigence d’une Réalité autre que lui, cette Réalité se trouve, par le fait même, posée comme étant la Cause de cet existant. CHAQUE VOIE PROUVE l’iXIMIR PU MÊME ETANI l’AR SOI 69 La signification du mot « Cause » doit en l’occurrence se prendre du principe de la preuve: le principe de causalité [pl] - [p2] (p. 37), tel que nous l’avons énoncé avec S. Thomas. Ce qui nest pas « par soi» est «par un autre». «Etre par un autre» signifie «être dépen­ dant, ou mieux être sub ordonné à cet autre selon l’être ». La « Cause », telle qu’elle est atteinte par la preuve est donc une position absolue dans l’être, à laquelle tel être observé est subordonné. La « Cause » doit être dite première, pour la même raison qu’elle est dite « Cause » : elle ne peut être « ordonnée à » autre chose qu’elle, puisqu’elle est posée comme terminant 1’« ordination à » dont l’être créé observé est le sujet. Un même terme ne peut en effet, simulta­ nément et selon le même point de vue formel, « terminer » d’une part, « être ordonné à » d’autre part. Or c’est au point de vue de 1’« esse » que la « Cause » est posée comme ayant raison de terme; et comme l’esse est tdtime, il n’existe pas d’autre point de vue formel selon lequel la « Cause » pourrait être référée à autre chose qu’elle. La « Cause » est donc la Cause première. L’existant créé qui constitue la base de la preuve doit dès lors être appelé un effet. Le mot « effet » a la signification, large, qui est corrélative de celle du mot «cause». «Effet» signifie «subordonné selon l’être». b. Chacune des cinq voies explicite la preuve de Dieu à partir d’une base propre, et découvre, de l’Etant par Soi, un Attribut propre. Le lien entre la Cause et l’effet donne lieu à deux observations. La nature de l’effet étant connue puisqu’elle est observable, il est pos­ sible d’en inférer une qualification intrinsèque de la Cause. Nous désignerons par [A] une telle qualification, car elle porte en général le nom d’« Attribut ». La Nature de la Cause étant inconnaissable, il n’est pas possible de déterminer quoi que ce soit du rapport entre la Cause et l’effet, si ce rapport est considéré en tant qu’il a la Cause pour origine. L’At­ tribut [A] lui-même, assigné en fonction de l’effet, ne peut être le point de départ d’une inférence visant à déterminer le mode de produc­ tion de cet effet. Car une telle inférence aurait en réalité pour medium la nature de la Cause. Ainsi le rapport entre la Cause et l’effet peut être connu jusque dans la Cause, mais expressément à partir de l’effet; et cette connais­ sance atteint sa plus haute expression en l’attribution de [A] à l’Etant par Soi. Mais, en retour, le même rapport entre la Cause et l’effet n’est aucu­ nement connu à partir de la Cause. En particulier, si on ne fait état 70 ΙΛ PREUVI Di DIEU H 1ES CINQ 'OIES que de h preuve, il est im|x>ssible de qualifier ce rapport: production, émanation, création... Ni ta pretne ni aucune des votes ne donnent, de soi, prise sur cet asjiect de la réalité. Nous retrouverons ces questions, diversement d ailleurs, pour cha­ cune des voies. Procédons à les examiner. I - La preuve, selon la « PRIMA via quae sumitur ex parte motus », DÉMONTRE L’ÉTANT PAR SOI COMME ÉTANT NÉCESSAIREMENT: ACTE PUR. Le quelque chose existant réellement, et dont il est impossible qu’il soit «.par soi», c’est le mobile [bl], en tant qu’il est en mouvement [b2]. Car le « mû par soi » est contradictoire. Cela, c’est-à-dire nous le répétons, le fait que la notion même de « mû par soi » implique con­ tradiction, doit être, selon l’ordre qu’exige la «preuve», démontré. Cela effectivement a été démontré par Aristote. Nous le supposons acquis (50). Dés lors, la preuve, dont le schéma a été explicité p. 37, vaut. Elle démontre simultanément [Cl] et [C2]. C’est-à-dire que: Premièrement, l’Etant par Soi est; et nous répétons que cette même affirmation, selon cette même formulation, est commune à toutes les «voies», et qu’elle en assure par conséquent l’unité: nous le répé­ tons, bien que ce soit en marge de l’objet propre de ce paragraphe, parce que ce point essentiel nous paraît avoir été assez curieusement laissé dans l’ombre. Deuxièmement, l’Etant par Soi exclut la formalité [b2] selon laquelle la base de la preuve est observée comme une réalité dont il est impos­ sible qu’elle soit « par soi ». Et cette formalité est, en définitive, celle d’« actus imperfectus » (50). Nous avons d’ailleurs déjà rappelé un peu plus haut que la ratio d’actus imperfectus implique en elle-même contradiction. Il suit que la « prima via » exige pour l’Etant par Soi Γ At tribut [A]: Acte parfait. La preuve, selon la « prima via quae sumitur ex parte mo­ tus», démontre l’Etant par Soi comme étant nécessairement Γ \ c t e pur. (50) Nous nous permettons de renvoyer à notre article « Ce qui est mû est mû par un autre*. Revue des Sciences philosophiques et théologiques, t. 34. 1950; pp. 9-29. En particulier pp. 11-16. II - La preuve, selon la « secunda via QUAE EST EX RATIONE CAUSAE EFFICIENTIS », DÉMONTRE L’ÉTANT PAR SOI COMME ÉTANT NECESSAIREMENT: COMMUNICATION SUBSISTANT EN ACTE. Le « quelque chose* existant réellement, et dont il est impossible qu’il soit < par soi », c’est tel * moteur », telle cause [bl], en tant qu e ce 11 e cause reçoit e 11 e - m ê m e la «mo­ tion» ou causalité [b2] dont elle est le principe prochain. Il suit que, selon la «secunda via», la preuve démontre l’Etant par Soi comme exerçant la causalité, mais en excluant d'être Lui-Même le terme d’aucune causalité: l’Etant par Soi est démontré comme in­ cluant nécessairement d’être, absolument, la Cause, la Cause première. Il faut cependant prendre garde, particulièrement en matière déli­ cate, à tout glissement sémantique dérivant subrepticement d’un voca­ bulaire a-critique. a. La dénomination « Cause première » est ambiguë, si on l’attribue au Terme démontré par la preuve, tel qu'il est atteint par la « secunda via ». La locution « Cause première » est passée dans l'usage, et nous venons de l’employer. Elle ne suggère rien d’inexact, au moins absolu­ ment parlant: c’est-à-dire que, la portée analogique et réelle du mot « cause » étant supposée acquise, il est non seulement légitime mais nécessaire d’affirmer: Dieu est Cause des causes, Cause première par conséquent. Autrement dit, que Dieu soit Cause première est vrai «simpliciter»: à la condition de faire abstraction de tout contexte sémantique en fonction duquel cette affirmation peut acquérir une por­ tée précisive qu’il faut évidemment examiner en fonction du contexte lui-même. I. Ces observations sont d'ordre général, et certes bien banales. Il est cependant «opportun», pour le moins, d'en faire état à propos de la « secunda via ». L’inférence en quoi consiste cette « voie » désigne en effet, comme il se doit dans la démonstration «quia », le Terme atteint c’est-à-dire l’Etant par Soi. par la même dénomination que la base immédiatement observée. La base est un effet, cet effet dénomme la Cause dont on ne peut atteindre que l’Exister. « Secunda via est ex ratione causae efficientis» (1. q2, a3). «Ergo est necesse ponere aliquam causam efficientem primam » (ibid.). Le fondement objectif, a parte rei, de l’inférence, est donc «causa efficiens». La CHAQUE VOIE MOMRE, ΓΜ4 NÉC.AIIoN, UN ATIRIBUT DE DIEU 73 signification de cette expression ne présente, au concret, aucune am­ biguïté, car la « causa efficiens » est acte exercé. Mais, à l’abstrait, une dualité inévitablement apparaît: «causa efficiens», * causa efficiens»; l’accent peut être mis différemment. Dès lors apparaît également, en même temps qu’une précision heureuse, la possibilité d’une erreur ayant la meme portée que cette précision elle-même. C’est en vue de prévenir, ou de rectifier, cette erreur que nous nous sommes attardés à rappeler ce (pii précède. Dieu est la «Cause première»: oui, cela est vrai «simpliciter». Mais « Cause première » précise, en mettant l’accent sur « cause » qui est retenu unilatéralement, la portée de «causa efficiens». Et cette précision, en fait, exclut «efficiens»; en fait, c’est-à-dire en vertu des plis mentaux qu’entraîne pratiquement l’usage du « modus signifi­ candi ». Or cette précision, en l'occurrence, implique une erreur. Car si la « secunda via » constitue une forme propre de la preuve, c’est parce qu’elle prend pour base l’efficience, la communication exercée. Au concret, il est vrai, il n'y a pas d’efficience sans sujet: l’efficience n’est réelle que dans la «causa efficiens». Mais ce réalisme ne doit pas être l’occasion d’une confusion: laquelle se traduirait par la subs­ titution de « causa efficiens» à «causa efficiens». Cela changerait la « ratio formalis sub qua » qui commande la preuve en son principe même, et cela entraînerait pour le moins inéquation quant à la portée réelle de la conclusion. 2. 11 reste à expliquer en quoi consiste cette inéquation; il convien­ dra ensuite d’y obvier en proposant une désignation appropriée du Terme de la preuve, en tant que Celui-ci est atteint par la « secunda via ». L’erreur par inéquation qu’entraîne en l’occurrence l’emploi du mot « cause » vient du caractère relationnel de la signification de ce mot: «cause» renvoie à «effet», et réciproquement. Or il est exclu, nous l’allons montrer, (pie la qualification intrinsèque, résultant pour le Terme de la seconde partie [C2] de la conclusion, implique une consignification relationnelle. Cette qualification intrinsèque s’appelle ordinairement un attribut, aussi la désignerons-nous par [A]. Notre propos est donc de montrer que [A] ne peut avoir, en vertu de la preuve et particulièrement en vertu de [C2], aucune consignification relationnelle. L’Etant par Soi étant atteint exclusivement selon son Exister, (ce qui constitue la première partie [Cl] de la conclusion), on doit nier de Lui la formalité (pii précisément en exige lExister, laquelle est concrètement observée en tel étant créé: et c’est cette négation qui constitue formellement la seconde partie [C2] de la conclusion. De cette négation résulte, a contrario, une qualification 74 IA J'RfVVK DI DIU' Il IA «SECUNDA VIA» |>ositive, soil [A], de l’Etant par Soi. La déteiinitiation de [A] doit évidemment être faite positis jxmcndis; la qualification [A] étant posi­ tive, elle repose en effet sur ce qu’enclôt île positif l'analogie entre l’étant créé et l’Etant par Soi: cela doit être examiné ex propriis, pour chacune des cinq voies. Mais ce qui importe à notre présent point de vue. et qui est com­ mun à toutes les voies, c’est la situation, par rapjxnt à la preuve et à sa conclusion [Cl], de cette inférence qui, par [C2], aboutit à [A]. Or, nous venons de le rappeler et nous y insistons, [A] n’est relié à la preuve de l’Etant par Soi quant à l'Exister [Cl] que par la négation exprimée en [C2]: négation du « |xir soi » en tant que celui-ci appar­ tiendrait à la base [bl] concrètement observée selon le point de vue formel [b2]. Rien donc ne permet d’affirmer a priori l’identité formelle entre [b2] et [A]; et nous entendons par «formelle» l’identité qui, à l’abstrait, répond à l'imité réelle d'une même ratio considérée ana­ logiquement. L'impossibilité d’affirmer a priori cette identité formelle entre [b2] et [A] résulte de l'ordre de preuve, pour deux raisons connexes. Explidtons-les à nouveau. D’une part, concernant l’hypothétique « nexus » entre [b2] et [A], une négation est expressément requise préalablement à la mise en oeu­ vre positive de l’analogie conduisant de l'étant créé à l’Etant par Soi. D’autre pan, concernant la qualification fonctionnelle de [b2] et de [A], c’est-à-dire au point de vue de l’ordre de preuve, [b2] est expressément considéré comme relationnel, comme étant l'origine d’une relation qui renvoie à, puisque c'est en propre [b2] qui est le support réel intrinsèquement affecté de la détermination « non par soi ». [A], au contraire, est posé comme étant absolument irrelationnel, en regard de l'existant créé qui est la base de la preuve: car [A] ne peut être caractérisé qu'en fonction de l’Etant par Soi Lui-Même, et intrinsè­ quement à son Exister: or cet Exister étant atteint en tant qu’il est le Terme d'une relation, se trouve jrar le fait même posé et considéré comme ne pouvant impliquer aucun rapport à ce qui est relatif à Lui. L’existence d’un tel rapport, et plus précisément celle du rapport d’identité formelle entre [b2] et [A] n'est pas de soi impossible; mais prouver que cette non impossibilité est effectivement, en tel cas par­ ticulier, une réalité, relève d'une détermination ultérieure, parce que l'ordre suivi par la preuve entraîne que l’Etant par Soi est posé comme séparé selon son Exister. Ainsi, il ne va pas de soi que [b2] et [A] sont identiques formel­ lement. Si une telle identité a lieu, il faut, pour l’affirmer, la démon­ trer; c’est ce dont la « quinta via » offre, nous le verrons, un exemple: l’Etant par Soi n'est pas seulement cause productrice (efficiente) de IA HAS! ni ΙΑ « SFC.UNDA VIA» RIASORTfl ,k l.'« FSSE » ! · toute finalité, 11 est Lui-Même la lin «le l’ordre créé. La « secunda via », dont nous nous occupons maintenant, constitue un exemple en quelque sorte contraire. Elle montre qu'il peut cire faux d’identifier, ne fût-ce que formellement, p\) à [b2], [A] n’est pas désigné adéquatement par < Cause première», non plus d’ailleurs que par «Cause efficiente pre­ mière». C’est ce qui résultera de la détermination positive de [A], lorsqu’elle aura été effectuée. Cette détermination dépend de celle de [b2], à laquelle nous allons procéder. b. La base [b2] de la « secunda via » est déterminée négativement, en fonction de ce qu’elle ne peut pas être. La négation [C2], prémisse prochaine de l’affirmation de [A], porte sur ce [b2] qui est «non par soi» dans l’existant [bl]. Ce qui n’est pas par soi dans une cause efficiente en acte, voilà donc ce qu’il faut assigner avec précision. Le « modus significandi » a évidemment en l’oc­ currence une extreme importance. Nous allons, en nous plaçant à ce point de vue, éliminer les dénominations qui impliqueraient inadé­ quation; nous serons ainsi acheminés vers la conclusion positive. 1. Les deux mots « cause » d’une part, « efficiente » d’autre part, ne signifient pas adéquatement, dans telle cause efficiente en acte, ce qui « n’est pas par soi ». Le mot « cause » désigne, en telle cause efficiente en acte, le sujet, le suppôt complet; l’exercice de l’acte est évidemment consignifié, mais il n’est pas visé « in directo ». Or le sujet, comme tel, est « par soi » (3Î); tout ce qui est «du sujet», considéré au concret, appartient au sujet « par soi » (no). On ne peut donc dire, en rigueur de termes, que la cause efficiente en acte n’exerce pas la causalité « par soi ». Cela im­ pliquerait sous-estimation, sinon prétérit ion, de la réalité propre de la cause seconde, considérée en l’acte de causer. Le mol « efficience», pris au concret, ne désigne pas formellement un rapport; il renvoie à un terme: soit à la cause, soil à l’effet, active­ ment ou passivement respectivement. « Cause » et « effet » s’impliquent d’ailleurs mutuellement, en vertu du « modus significandi ». Le mot « efficience » concerne donc le rapport entre la cause et l'effet, ce rap­ port étant considéré en fonction de scs termes. Or le cas privilégié, premier au point de vue même de la réalité de la causalité, est celui dans lequel cette causalité est «propre». Et, sans qu'il soit besoin d’entrer dans une analyse qui serait ici hors tic propos, on pressent d’emblée l'impossibilité d’affirmer: telle connexion « propre», en vertu de laquelle deux extrêmes s'impliquent mutuellement, n’appartient pas « par soi », soit à l'un soit à l’autre de ces extrêmes. 76 LA PREUVE DE DIEU II LA «SECUNDA VIA» 2. En vue d’assigner positivement ce qui « n’est pas par soi > dans telle cause efficiente en acte, il faut donc dépasser les « formalités » respectivement et concrètement désignées par les mots « cause » et «efficience»; il faut au fond se placer au point de vue de l'être. C’est il est vrai en vertu de l’expérience que l'on doit affirmer: telle cause efficiente en acte ne peut pas exercer « par soi » la causalité. Si la base de la preuve n’était pas saisie, soit immédiatement par mode d’évidence soit médiatement par inférence nécessaire, dans la réalité connaturelle à l'intellect rationnel, il n’y aurait pas de preuve, Le < mû par soi » est contradictoire: on le démontre: la cause efficiente en acte ne peut pas être « par soi » : on l'observe et on l’induit. Ainsi l’affir­ mation d'un « non par soi » est fondée dans la réalité, rigoureusement mais négativement. Il est impossible que le mouvement, la causation... soient « par soi ». Mais cela n’indique pas positivement l’aspect à la fois formel et réel selon lequel le mû ou la causation ne sont pas « par soi ». C’est pour le discerner qu’il faut « transposer », c’est-à-dire se placer au point de vue de l’être. Cela est d’ailleurs parfaitement cohérent avec l’ordre de la preuve; car cette transposition trouve la portée qui la justifie, seulement dans le «passage» de [b2] à [A]. Or, d’une part, ce passage est postérieur à la preuve, et donc à la mise en oeuvre du principe et du medium; et comme ceux-ci requièrent d’être saisis selon 1’« esse », ils induisent le même type de visualisation en ce qui concerne le passage de [b2] à [A]. D’autre part, et en retour, la difficulté de ce même passage se trouve située épistémologiquement; elle tient à ce que l’analogie entre chaque mode de l’être et l’être doit retrouver, jx>ur atteindre [A], non le mode dont elle part en [b2], mais une détermination apparentée à ce mode. Le passage de [b2] à [A] requiert donc l’approfondissement de l’ana­ logie à l’intime de l’être lui-même; ce même passage étant rendu pos­ sible par la transposition qui fait discerner l'être en chacun de ses mo­ des et qui est immanente à l’ordre de preuve. Nous pouvons maintenant assigner positivement le « ce qui n’est pas par soi» enclos dans la base de la «secunda via». c. La base [b2] de la « secunda via» est déterminée positivement, comme étant la communication dont le type est propre à l’être. 1. La première preuve de cette affirmation est directe; elle en­ chaîne une induction et une réduction à l’impossible. Telle cause efficiente en acte de causer ne peut pas être « par soi » : car elle n’exerce cette causalité que moyennant le concours d'au- I.A BASE DF. t.A · SECUNDA VIA » EST I A COMMUNICATION DE L*« ESSE » 77 très causes... Voilà l’induction, dont la critique soulève d’ailleurs de difficiles questions. Bornons-nous à le signaler. Le fait étant supposé établi, il convient d’examiner le « comment ». Le « non par soi » inhérent à telle cause efficiente en acte de causer, ne concerne formellement nous l’avons vu ni la « cause » ni 1’« effi­ cience». Le «non par soi» ne peut donc concerner que le rapport entre ces deux choses, entre la « cause » comme sujet et 1’« efficience » selon laquelle ce sujet est en acte de causer. Ce rapport est donc l’actua­ tion inhérente à la cause comme cause, actuation en vertu de laquelle la cause est actuante. L'acte actuant, qui procède de la cause, en est l’acte propre; il appar­ tient donc à la cause « par soi », « secundum essentiam » (37). Mais cet aspect de la vérité, au point de vue ontologique, est dérivé. Car cet acte actuant, que désigne plus abstraitement le mot «efficience», n’est pas la cause efficiente en acte; il requiert donc, au titre de subs­ trat permanent inhérent à la cause, l’actuation de celle-ci comme cause. Et c’est cette actuation qui n’appartient pas « par soi » selon 1’« esse », au sujet-cause (66). Cela résulte de l’argument qui précède: le « non par soi » concerne l’actuation, puisqu’il ne peut pas concerner autre chose dans la cause efficiente en acte de causer. Cela résulte également, et réciproquement, de ce que l’appartenance « par soi », à la cause, de l’actuation qui lui est en fait inhérente, ferait de cette cause un absolu indépendant dans l’exercice même de la causation: or cela est contraire à l’hypothèse. Observons maintenant que l’actuation, comme telle, transcende les mo­ des de l’être; elle concerne l’être lui-même. Elle consiste en la con­ version même de la puissance en acte; l’un et l’autre ont la même spécification, en sorte que le « plus » qui apparaît avec l’acte concerne l’être et lui seul. L’actuation est donc, positivement, constituée par une communication d’être: ou, mieux, par une communication dont le type est propre à l’être. L’actuation, comme telle, manifeste adéqua­ tement la communicabilité que l’être possède par nature: car elle consiste, pour un sujet-cause, à être le support d’une communication ayant qualitativement l'être lui-même pour mesure. Réunissons maintenant les conclusions des deux derniers sous-paragra­ phes précédents. « Ce qui n’est pas par soi », dans telle cause efficiente en acte de causer, c’est l’actuation. Or l’actuation consiste, positive­ ment, dans un sujet-cause, en une communication dont le type est propre à l’être. Donc [la « majeure » étant convertible, puisqu'elle af­ firme une identité], la communication dont le type est propre à l’être constitue en propre le « ce qui n’est pas par soi » dans telle cause efficiente en acte de causer. 78 ΙΛ PREUVE DE DU f tT LA «SFCUNDA VIA» 2. La seconde preuve de la même conclusion est indirecte; elle ne diffère pas substantiellement de la première preuve, quant à la seconde partie; mais elle procède autrement pour montrer que l’ac­ tuation n’appartient pas « par soi » selon 1'« esse » (fll) à telle cause efficiente en acte de causer. L’argument est fondé sur la nature du mouvement telle qu’elle est observée: le mouvement est l'acte commun du moteur et du mû. Il importe d’ailleurs de noter que cette définition à base inductive cesse d’être vraie dans un cas éminent qui précisément édiappe à l'induc­ tion. Ce cas est celui dans lequel la motion est exercée par l'Acte pur; lequel est, en l’occurrence, communément désigné par la locution «Moteur immobile». Cette locution est, nous le répétons, exclusive­ ment une désignation: elle est, de soi, étrangère à toute question con­ cernant la « nature » de l'Acte pur. L’observation étant, pour la base de la preuve, condition même d’existence, nous devons laisser de côté les cas qui lui sont inaccessibles; il est donc légitime de jxjser que le mouvement est l'acte commun du moteur et du mû. L’acte commun du moteur et du mû a, en tant qu'acte, les mêmes caractères dans le moteur et dans le mû: puisque précisément il est commun à l’un et à l’autre. L’acte en quoi consiste le mouvement est en effet d'un type singulier. 11 est, en permanence dans la durée, et en chaque instant qui est la différentielle du temps, à la fois acte imparfait et actuation renou­ velée. Ces deux locutions signifient la même réalité, savoir celle du mouvement envisagée analytiquement; mais, le même instant étant con­ sidéré selon l’épaisseur virtuelle que lui vaut d'être un passage, « ac­ tuation renouvelée » et « acte imparfait > caractérisent la réalité du mouvement, respectivement en fonction du « terminus a quo » et du « terminus ad quem » de cet instant. Or ces deux caractères appartiennent l'un et l’autre, simultanément au moteur actuant en au mû actué. Cela montre que si, d’une part, le mouvement visualisé et défini en excluant toute extension est l'acte commun du moteur et du mû, 1« esse » original propre au mouvement est d’autre part le même dans le moteur et dans le mû. 11 s’en suit que 1’« essence » inséparable de cet «esse», c'est-à-dire la nature de cette réalité originale en quoi consiste le mouvement, peut être considérée soit dans le mû soit dans le moteur. Par suite, la nature du mouvement, telle qu elle est déterminée à partir du mû se retrouve dans le moteur. On peut alors raisonner de deux façons. Premièrement, par comparaison. Si le « mû par soi » est impossible, c'est en définitive et quels que soient les « media » de l'explication, ΙΑ BASF DE IA «SECUNDA VIA» ISI IA COM M UNICA’HON DE 1?« ESSE » 79 parce qu’un acte imparfait ne peut pas appartenir « par soi » selon l'« esse » (00) à un sujet. Ce qui appartient « par soi » selon T< esse » à un sujet concret et subsistant, est parfaitement en acte clans Tunique acte d’être de ce sujet. « Parfaitement », conformément à la mesure assignée par l’essence concrète; mais cette mesure n'altère en rien le caractère parfait de l’acte qui d’ailleurs la rend réelle. Un acte impar­ fait ne peut être intégré intrinsèquement dans un sujet en tant que celui-ci subsiste selon la perfection simple de son propre « actus entis»; un tel acte imparfait ne peut pas appartenir « per se » selon T« esse » à un tel sujet. Or cet argument vaut identiquement, pour le moteur comme pour le mû. Car il repose exclusivement sur deux données qui sont communes au moteur et au mû: d’une part, le fait d’être Tun et l’autre des sujets subsistants; d’autre part, la nature de Pacte en quoi consiste le mouvement. Il suit donc que T« acte imparfait », ou « actua­ tion renouvelée », ne peut pas appartenir « par soi » selon T« esse » au moteur c’est-à-dire à la cause efficiente en acte de causer. Deuxièmement, on peut raisonner directement. Si T« actuation renou­ velée » ou « acte imparfait », appartenait au moteur « par soi » selon l’« esse » (on), cette connexion « par soi » concernerait, inclusivement à T« esse » c’est-à-dire à l’acte d'être du moteur, la formalité propre selon laquelle il est moteur en acte. Or cette hypothèse implique, majo­ rée toutefois, la contradiction déjà mise en évidence en raisonnant de la première façon. Le moteur en tant que moteur est actuant; il ne |>eut pas être imparfait au point de vue qui spécifie la communication exercée par lui. Autrement dit, le principe, supposé autonome d’une communication, doit posséder « par soi » comme sujet subsistant, et donc d’une manière parfaitement actuée, cela même qu’il communique actuellement. La seconde preuve s’achève alors comme la première: car elle requiert seulement d’ajouter que l’actuation est la communication dont le type est propre à l’«esse». Nous ne revenons pas sur cette vérité considérée en elle-même; il importe cependant de la situer, respecti­ vement en fonction des deux manières de raisonner pour établir la première partie de la seconde preuve, ou équivalemment en fonction des deux preuves elles-mêmes. 3. L’unité entre le moteur et le mû, dans l’acte du mouvement, entraîne nous l’avons vu (p. 65) que la « prima via » et la « secunda via » s’impliquent mutuellement. Si l’enchaînement des « mus » fait question, l'enchaînement des moteurs fait lui aussi question: et réci­ proquement. Nous retrouvons la même réciprocité dans T« actuation », mais analytiquement. Les deux enchaînements, objectivement ne font qu’un, parce que l'acte imparfait en quoi consiste le mouvement intè- 80 LA PREUVE DE DIEI’ ET I A « SECUNDA VIA » grc, eu égard au mû et au moteur, une dualité relative quant à l’ac­ tuation. Dualité dans l’unité, Aristote l'a observé. De là vient d’ailleurs que l'actuation respective et l’acte commun, simultanément sont im­ parfaits. De là vient également que l'unité et la dualité ne soutiennent pas entre elles le même rapport, selon qu'on les envisage au concret ou à l'abstrait. L’unité doit être attribuée à l'acte, et la dualité à l’actuation, eu égard au « modus significandi ». 11 y a deux actuations, parce qu’il y a deux sujets, le moteur et le mû. 11 n’y a qu’un seul acte; car l'acte, si imparfait soit-il, exclut par essence la dualité. Le mouvement n’aurait d’ailleurs pas d’autre réalité que celle de cet acte selon son unité. Les mêmes choses, considérées au concret, ne peuvent plus être exprimées de la même façon. C’est-à-dire que l’unité et la dualité ne doivent plus alors être attribuées respectivement et disjonctivement à l'acte et à l'actuation; l'unité et la dualité appartiennent l'une et l'au­ tre à l'acte et à l'actuation: et cela à deux points de vue différents qu’il convient de préciser. L’unité de l'acte en quoi consiste le mouvement est imparfaite comme il l’est lui-même. Bornons-nous à indiquer une comparaison. Le moteur et le mû sont un, en l'acte du mouvement. L'intellect et la réalité qu’il appréhende sont «la même chose», en l'acte de l'intellection. Celle-ci est il est vrai, comme telle, d’ordre intentionnel; et le mouve­ ment, d’ordre réel. Mais l’acte (l’intellection, formellement réalise l'identité, l’acte du mouvement seulement l'unité. On comprend par là en quel sens cette unité est imparfaite: elle est intrinsèquement composée, elle enclôt une intime dualité. L’actuation inhérente au moteur et l’actuation inhérente au mû font nombre, comme les deux sujets que sont le moteur et le mû. C'est là un aspect de la vérité; mais cet aspect est seulement dérivé si on con­ sidère le mouvement en sa réalité. Car la réalité du mouvement est, nous l’avons vu, la même dans le moteur et dans le mû. Il convient donc, à ce point de vue qui est primitif, d’assigner pour l’actuation elle-même ce qui est premier et non pas dérivé. C'est d’ailleurs en vue de cette ultime précision que nous avons développé le présent paragraphe. L’actuation inhérente au moteur et l’actuation inhérente au mû sont «deux», eu égard aux sujets; elles sont «un», eu égard à l’acte. Mais qu’en est-il de l’actuation elle-même? L'actuation n'est en effet, nous l'avons observé, ni le sujet dans lequel et duquel elle est, ni l’acte qui la termine: il ne suffit donc pas de considérer l'actua­ tion en fonction des extrêmes qu'elle relie, il faut la caractériser comme I A HASE DE I Λ «SECUNDA VIA» ISI IA COMMUNICATION DE L*« ESSE » 81 telle au point de vue de la dualité et de l'unité. On y réussit en faisant état de la nature de l’actuation; la détermination qui en a été faite reçoit donc, de ce chef, confirmation. L’actuation est la communication dont le type est propre à l’être: voilà ce qui a été établi. Cette communication, parce qu’elle est propre à l’être, en transcende les modes; elle est la même dans le moteur et dans le mû, dans la cause efficiente en acte de causer et dans l’effet dont l’être est inclus dans cet acte. Considérer la nature de l’actuation permet donc effectivement d’ajouter la précision qui faisait défaut. L'actuation ne peut pas ne pas avoir, modo suo, l’unité qui appartient à l’acte commun du moteur et du mû. Comment? L’actuation est la communication qui est propre à l’être; elle est donc, au titre de « propre » de l’être, la même, soit qu’elle inhère dans le moteur, soit qu’elle inhère dans le mû. Il convient en retour de rendre également compte de la dualité qui affecte l’actuation. Or la chose est possible, en vertu de la même don­ née, savoir: l’actuation consiste en une communication de type onto­ logique. Si, en effet, telle est l’actuation, elle est quant à la nature cette sorte de communicabilité qui est propre à l’être; elle est donc, tout comme l’être, la même en des réalités qui, concrètement, à la fois sont un parce qu’elles se requièrent mutuellement, et se distinguent réellement mais selon les modes de l’être seulement. L’actuation n’est donc pas altérée en son unité, tout en étant affectée de deux modes différents, respectivement dans le mû qui la reçoit et clans le moteur qui en est le support. L’unité et la dualité appartiennent bien à l’actua­ tion en vertu de ce que celle-ci est une communication dont le type est propre à l’être. On pourrait il est vrai alléguer une difficulté, concernant la dua­ lité dont on vient d’assigner le principe prochain. Le point de vue auquel nous nous plaçons exclut en effet que le moteur dont il est question soit la Cause première. Dans ces conditions, un tel moteur ne reçoit il pas l’actuation qu’il communique au mû? Comment dès lors se distingue-t-il du mû, lequel est caractérisé par cette même réception? Nous répondons que les conclusions d’une analyse doivent évidemment être exprimées en fonction des conditions qui la rendent possible; nous avons considéré le moteur et le mû simultanément en acte, selon les formalité» respectives qui en fondent simultanément l’unité et la dualité. Cela exclut de considérer les connexions du moteur et du mû avec d’autres éléments appartenant en même temps qu’eux à la même chaîne causale. Or, si le moteur reçoit l’actuation, cette réception ne provient ni du moteur lui-même ni du mû. Notre présent point de vue exclut donc de considérer une telle réception. Et, par 82 LA PREUVE OK niEU IT LA * SECUNDA VIA» conséquent, le moteur tel qu’il intéresse notre analyse doit effective­ ment être caractérisé comme étant le support d’une actuation, et non comme recevant cette actuation en tant qu'il est un suppôt. L'actuation consiste donc en cette communication dont le type est propre à l’être: cela se trotne confirmé par le fait qu'en le posant en principe, on rend compte simultanément de l’unité et de la dualité qui affectent l'actuation au sein de la réalité du mouvement. Nous avons ainsi déterminé positivement la base de la « se­ cunda via». L'induction suffit à montrer que telle cause efficiente en acte de causer n'est pas « par soi ». Il convenait d'élaborer l'importante précision que nous énonçons à nouveau: La communication dont le type est propre à l'être constitue en propre le « ce qui n’est pas par soi » dans telle cause efficiente en acte de causer. L'inférence qui fonde cette conclusion a épistémologiquement une très grande jxjrtée. Car, étant radicalement une et double, elle ré­ fléchit exactement en son économie l'unité et simultanément la dualité des deux premières voies. Cela, rétrospectivement, est évident. 11 y a en effet deux preuves de la conclusion énoncée, chacune de ces preuves comporte deux parties. Or, d'une part, la seconde partie est commune aux deux preuves; et, d’autre part, quant à la première paitie, la seconde preuve est à la première comme la « prima via » à la « se­ cunda via ». De plus, la première partie île la seconde preuve peut être établie de deux manières: et il y a derechef, de la première à la seconde, exactement le rapport qui existe entre le medium de la «prima via» et celui de la secunda via». On voit ainsi, du dedans, le « comment » de ce qui s'est imposé d'emblée: l'ordre des causes efficientes donne lieu nécessairement et conjointement à deux voies. Et on pressent que l’attribut [A] de l'Etant par Soi qui correspond à la « prima via » doit être corrélatif, quant au « modus significandi », de celui auquel va nous conduire la « secun­ da via ». d. L’Attribut [A], démontre en propre par la preuve spécifiée selon la « secunda viat, est la » Communication subsistant en Acte*. I. Le démontrer est maintenant aisé, et c’est par quoi il con­ vient de commencer. La seconde partie [C2] de la preuve est, rappelons-le (p. 37): l'Etant par Soi exclut ce en raison de quoi la base de la preuve n'est pas ■ par soi ». La réalité concrète qui constitue la base de la preuve n’est pas « par soi » selon [b2]. Cela est vrai de toutes les voies. Mais ΙΑ «SECUNDA VIA» AIWlIHII λ IA COMMUNICATION IN ACTE 83 ce « non par soi » peut être, soit en droit et en fait, soit seulement en fait. Nous retrouverons cette distinction sous une forme plus difficile à propos de la «ténia via»; aussi est-il bon de l'expliciter à propos des deux premières voies. C’est en raison de la nature du mouvement, et pas seulement en fait, que le mû n’est pas mû « par soi ». Le « non par soi » est de droit: c’est pourquoi la «prima via» est «la plus manifeste de tou­ tes». Et elle implique immédiatement que l’Etant par Soi est atteint comme excluant d’être « actus imperfectus». Il est donc, nous l’avons vu, Acte pur. La communication dont le type est propre à l’être, tel est le « ce qui n’est pas par soi » dans la base de la « secunda via », dans la cause efficiente en acte de causer. Or ce « non par soi » ne lient évidemment pas à la nature de cette communication; il tient au rapport que celle-ci soutient avec son pro­ pre sujet, rapport dont l’existence est montrée par l’observation, et montrée comme non auto-suffisante. Il n’y a donc pas à nier, de l’Etant par Soi, la « raison » de communi­ cation; il faut, au contraire, l’affirmer: car, en vertu même des analyses précédentes, la communication qui est ontologiquement constitutive de l’actuation appartient primordialement à la cause actuante. La com­ munication observée dans l’ordre créé procède de la Cause: elle doit être attribuée à la Cause nécessairement en fait. Autrement dit, la locu­ tion « Cause première » désigne une formalité selon laquelle l’Etant par Soi est réellement atteint par la «secunda via». Nous avons criti­ qué celte expression au début de ces réflexions, parce qu’elle n’expli­ cite pas tout ce que permet d’inférer la «secunda via»; mais il faut la conserver au titre d’expression minimale. Ce qu’il faut nier de l’Etant par Soi, ce n’est donc pas la « raison » de communication — tandis qu’on devait en nier la « raison » de mou­ vement c’est-à-dire d’acte imparfait —, mais c’est ce en vertu de quoi la communication observée dans telle cause efficiente en acte de causer n’est pas «par soi ». Ce qu’il faut nier de l’Etant par Soi, c’est donc que la communication Lui appartienne en étant inhérente dans un sujet. Et comme la communication observée dans l’actuation est patnature médiatrice entre le sujet et l’acte, on doit affirmer de l’Etant par Soi que la communication a en Lui « raison » de sujet et « rai­ son » d'acte. L’Etant par Soi est donc simultanément Communication subsistante et Communication-Acte. L’un d’ailleurs implique l’autre: cela résulte de l’analogie qui fonde conjointement l’un et l’autre; nous ne nous attardons pas à l’expliciter. 84 LA PREUVE DE DIEU FT LA « SECUNDA VIA » 2. Nous devons maintenant examiner, en fonction de l’ordre de preuve, l’inférence qui précède et sa conclusion. Cela nous ramène à l’observation critique qui est à l'origine de ces réflexions. Nous avons vu, et nous venons de le rapj>eler, que la locution « Cause première » est vraie, quoique inadéquate, pour désigner l’Etant par Soi, en tant qu’il est Terme de la « secunda via ». « Cause premiè­ re » ou même « Cause efficiente première » est lié à une saisie, seule­ ment négative, de la base [b2] : il est impossible que telle cause effi­ ciente créée soit « par soi » en acte de causer. L’élaboration positive de la même base [b2] y fait découvrir l’actuation-communication: d’où il suit que l’Etant par Soi est également Communication. Ainsi, la base de la preuve en commande la conclusion. Le « non par soi », en tant qu’il s'impose nécessairement, démontre l’Exister île de l’Etant par Soi comme Cause: et, pareillement, la nature de la réalité [b2] qui est en propre le « non pas soi » montre un aspect [A] de l’Etant par Soi quant à sa nature. Cependant la connexion entre [b2] et [A] est en structure toujours la meme, quel que soit le degré de précision avec lequel sont déterminés se> deux extrêmes. Nous rap­ pellerons d'abord en quoi consiste cette connexion: nous en déduirons ensuite d'opportunes précisions concernant l’exacte portée de l'Attribut « Communication ». e. Le rapport entre la communication créée [b2] d’une part, et la Communication [A] attribuée à l’Etant par Soi d'autre part, est connu exclusivement en fonction de la réalité créée. 1. Le rapport entre [b2] et [A] peut être envisagé soit formelle­ ment comme rapport, soit respectivement selon ses termes. L’implication nécessaire de [A] par [b2] est fondée positivement sur l’analogie de l’être; mais elle requiert la médiation de la seconde partie [C2] de la conclusion. L’implication est en réalité par double négation, sur le fond positif constitué par l’« esse». Cette double néga­ tion rend impossible, nous l’avons vu (p. 73), d’affirmer a priori l'iden­ tité formelle entre [b2] et [A]. Les termes [b2] et [A] sont affirmés, en vertu de l'observation et en vertu de la déduction resjjectnement; et, de plus, l'affirmation ellemême emprunte ici et là deux « modus significandi » différents. [b2] est posé, dans l’ordre de preuve, comme relationnel, comme étant l'origine d’une relation qui renvoie à l’Etant par Soi, et ultimement à [A]. D’où il suit que [A] est, eu égard au même ordre de preuve, signifié et affirmé comme irrelationnel, comme ayant exclusivement raison de terme: c'est-à-dire que, en vertu du type d’inférence mis en ΙΑ « SECUNDA VIA. NF. PROUVE I'A.·» QUE DIEU CAUSE NÉCESSAIREMENT R5 oeuvre par la preuve, il est impossible de montrer de [Λ] qu’il est l’origine de quoi que ce soit. En particulier, la preuve ne permet pas d’affirmer que [A] est formel­ lement l'origine de [b2], même si cela est vrai en fait. Et cette impos sibilité achève de montrer, à un autre point de vue, qu’on ne peut pas affirmer a priori l’identité formelle entre [b2] et [A]. Explicitons, en fonction de ces données, ce qu’on pourrait appeler, pour la preuve, le champ de son apodicticité. La preuve permet donc d’affirmer que: 1. L’Etant par Soi EST [Cl]; 2. L’Etant par Soi a nécessairement, et donc EST [A]; 3. L’Etant par Soi cause [b2], l’Etant par Soi est la Cause efficiente de l’effet [b2]. Mais la preuve ne permet pas d’affirmer que l’Etant par Soi cause [b2] en tant qu’il est [A]. Autrement dit, la preuve ne permet pas d’affirmer que la « raison » formelle, originellement saisie en [b2] et ultimément transposée selon [A], spécifie le produire même de [b21 par l’Etant par Soi. [A] est signifié et affirmé, comme appartenant intrins­ èquement à l’Etant par Soi; et il est exclu d’affirmer en vertu de la preuve, même si cela est vrai en fait, que [A] se tienne du côté de l'origine dans un rapport de l’Etant par Soi à quoi que ce soit autre. Ce que nous venons de rappeler est vrai pour toutes les voies, parce que cela décotde de l’ordre de la preuve. Il convient maintenant d’en faire l’application au cas de la « secunda via » qui est particu­ lièrement délicat. 2. Nous avons vu (p. 52) qu’en appellant l’Etant par Soi « Moteur immobile >, on suggérerait une erreur si on ne précisait pas que cette dénomination est seulement une désignation par l’effet. L’erreur con­ siste radicalement à solidariser l’Etant par Soi avec l’effet dont II est la Cause. Toutes les voies peuvent, nous l’avons vu (pp. 53 sv.), donner lieu à cette interprétation erronée. La première forme de cette erreur est celle que nous venons de rappeler: la subordination de l’Etant par Soi à tel existant créé est affirmée, au moins implicitement comme réelle, alors qu’une telle subor­ dination existe seulement selon l’ordre de la preuve dont l’esprit doit parcourir les étapes. La même erreur revêt, comme il est ordinaire, une autre forme contraire à la première. Cette seconde forme de la même erreur consi­ ste à affirmer comme étant necessaire en droit, un rapport réel qui est seulement observé en fait. Wi tl HtH'VI HI mil II ft «micmh via» La genèse de celle errem esi fori simple. 1/1 tant par Soi cm démontré quant à son Existei par une inference necessaire: et 11 est toujours désigné comme étant la Cause puisque l’inférence procède à partir d’un effet. L’erreur consiste à attribuer à l’Etant par Soi Lui-Même un caractère qui, au vrai, appartient seulement à l’inférence dont 11 est le Terme. Mais la première forme de cette erreur est d'attribuer à l’Etant par Soi selon son Exister la subordination que toute preuve implique pour sa conclusion: tandis que la seconde forme de la même erreur est d’attribuer à l’Etant par Soi en tant qu'il est Cause le carac­ tère nécessaire qui appartient à la preuve de son Exister. Et on affir­ me: l’Etant par Soi cause nécessairement. En sorte que la Cause pre­ mière est captive de son acte, comme le Moteur immobile l’est dans son être. Cette seconde forme de l’erreur est écartée par le dogme de la création libre. Mais il est évidemment impossible de rectifier une preuve par un dogme: ou bien la preuve serait détruite comme preuve, ou bien le dogme serait démontré faux. C’est par elle-même que la preuve doit éviter toute erreur, même si elle ne peut atteindre toute la vérité. L’usage, en fait, évite l'erreur en ce qui concerne la désigna­ tion de l’Etant par Soi par le mot «Cause ». Le « modus significandi » impéré par l'ordre de la preuve est. en l’occurrence, respecté: conven­ tion unanime, à la lois tacite et qxÿntanée... « Cause » est une dési­ gnation de l’Etant par Soi. parce que Celui-ci est atteint à partir d’un effet: «Cause» ne signifie pas un attribut appartenant intrinsè­ quement à l’Etant par Soi; « Cause » ne consign i fie donc pas que l’Etant par Soi cause nécessairement. Il pourrait paraître vain d’avoir déterminé en quoi consiste une erreur qui en fait est évitée. Cela cependant était nécessaire, pour si­ tuer la difficulté que soulève la «secunda via » comme cas propre de la preuve. 8. La «secunda via» est une soie distincte des autres; intimement liée à la « prima via », elle ne laisse pis d’être autonome. Elle doit donc manifester d’une manière propre quelque (hose de l’Etant par Soi, c’est-à-dire un Attribut Lui appartenant intrinsèquement. La base de la « secunda via» est «telle cause efficiente en acte de causer ». El. comme la cause elite tente est. de tomes, telle qui manifeste au mieux la causalité, il peut paraître (pie la base |b2] qui commande immédiatement l’inférence de la «secunda via» est spécifiée comme étant la causalité D’où résulte que l'attribut | A] cor­ respondant à la « secunda via · serait « Cause première ». Mais « Cause première» est une désignation qui convient à l’Etant par Soi en vertu ΙΑ · HjCUNDA VIA· NF. PROUVE PAS QI IF DJI 'I C.AUBF. NÎi I 'SSAIRF.MFNT H7 de loiiles les voies; cat, la preuve consistant à découvrir, dans un exis­ tant créé, l'exigence d'une Réalité autre que lui, cette Réalité se trouve par le fait même posée comme étant la Cause de cet existant. Dés lors se pose le dilemme suivant: «Cause première», tel qu’il est obtenu au terme et en vertu fie la «secunda via», ou bien est seulement la désignation de l’Etant par Soi qui est commune à toutes les voies, ou bien signifie également un attribut [A] appartenant in­ trinsèquement à l’Etant par Soi. La première partie de l’alternative est exclue par l’économie générale de la preuve; et l’analyse critique qui précède a établi positivement la vérité de la seconde partie. Mais cette analyse a pour origine le fait de discerner dans la cause en acte de causer, une communication d'être; et elle conduit à affirmer, de l’Etant par Soi, qu’il est Communication subsistante et Communication-Acte. La désignation « Cause efficiente première » est évidemment compatible avec Yattribul «Communication subsistant en Acte». Mais le «modus significandi» est différent; et c’est en vue d’éclaircir ce point délicat que nous avons développé ce qui précède immédiatement. Le mot « Cause » est en fait consacré par l’usage selon un sens correct; il est, nous l’avons souvent redit, une désignation par l’effet, il ne signifie pas que l’Etant par Soi cause nécessairement. La « Com­ munication subsistant en Acte», au contraire, est l’Etant par Soi LuiMême: voilà ce que démontre en propre la « secunda via ». Or, cette affirmation n’induit-elle pas l'erreur qu’évite en fait l’emploi du mot « Cause »? Si, en effet, on rapproche a posteriori l’origine et le terme de la «seconda via», à savoir: d'une part l’observation d’une communi­ cation d'être en [b2], et d’autre part 1'identificati on de l’Etant par Soi à une Communication subsistante et en /\cte, ce rapprochement n'in­ duit-il pas à conclure, en vertu de la nature de la « communication », ssibile esse et non esse». Pareillement, une chose qui est corruptible est quand elle n'est pas corrompue, et elle n’est pas quand elle est corrompue; donc, en tant qu'elle est corruptible, elle est « pos­ sibile esse et non esse ». « Generabilia » et « corruptibilia », ou équivalemment «generari» et «corrumpi», ont donc, en l’occurrence, exac­ tement la même portée sémantique: celle à laquelle nous avons déjà fait allusion. Ce ne sont pas de simples «exemples»; ce sont les fon­ dements réels, observables et observés, de l’induction (1T) en vertu de laquelle le « possibile esse et non esse » a premièrement une portée réelle, et par conséquent une signification intelligible. Et ces deux fon­ dements, d’ailleurs corrélatifs, sont parfaitement équipollents. Il n’est *·· TERTIA VIA EST SUMPTA EX POSSIR1U ET NECESSARIO 93 aucunement question de la « nature > de la génération ou de la « na­ ture » de la corruption. Les « generabilia » constituent, inductivement, un premier fondement, à lui seul suffisant, du possibile esse et non esse. Les « corruptibilia » constituent, inductivement, un second fondement, à lui seul suffisant, du possibile esse et non esse. Il est normal de mentionner simultanément ces deux fondements; mais ils sont de soi indépendants l’un de l’autre, quant au rôle qu’ils jouent dans la preuve et qui est d’ailleurs identiquement le même. Ils confèrent au mot possibile un sens qui n’est pas exclusivement le sens logique. En retour, ce possibile n’est pas non plus assimilable à l’être en puis­ sance, c’est-à-dire à une prédétermination existant dans la réalité, pré­ détermination si potentielle soit-elle, et qui serait en faveur soit de l’un soit de l’autre des deux contraires. Ce possible réfléchit, en sa parfaite équipollence, celle que nous venons d’observer entre « gene­ rari > et «corrumpi». Rappelons encore une fois l’expression de S. Thomas: « cum de se [possibile] aequaliter se habet ad duo, scilicet esse et non esse (CG. 1, 15) ». Nous soulignons aequaliter. Ce possibile, qui, nous l’avons vu, n’est pas un abstrait, ne fait donc pas non plus acception entre l’esse et le non esse. Statut singulier? Nous nous contenterons de faire observer que S. Tho­ mas connaît, définit et met en oeuvre quand il le faut, la notion de « natura secundum se ». S’en souvenir paraît, en l’occurrence, opportun et même indispensable. La « natura secundum se » (M), c’est telle na­ ture considérée en laissant ouverte la question de savoir quel en est le rapport à la réalité; c’est telle nature considérée, si l’on peut dire, en faisant abstraction de savoir si on l’envisage comme concrète ou comme abstraite. Ce possibile esse et non esse, c’est du « possibile secundum se » : à la fois égal en regard de « esse » et de « non esse », et égale­ ment fondé sur les «generabilia» et sur les «corruptibilia». La nature de ce possibile, la position qu’il occupe à l’origine de la « tertia via », le fait qu’il commande l’épistémologie de la preuve: tout cela trouve confirmation dans le mode d’expression dont use S. Thomas. Observons avec soin la formule: « quaedam quae sunt possibilia esse et non esse». Le et que nous soulignons est certainement intentionnel puisque la même formule se retrouve dans les deux exposés (51). Et, et non pas vel. La génération et la corruption n’interviennent pas « for­ maliter » dans cette affirmation liminaire, mais seulement pour fonder l’affirmation de ces « quaedam quae sunt possibilia esse et non esse » : p4) De Pot. q5. a9, 16^; q9, a2. ltn; quod 8, al. 94 U l’RFUVK DE DIEU ET LA < TFRHA MA > ou bien, autrement dit, l'affirmation du «possibile esse et non esse». D’autre part, on dit de la chose corruptible qu elle peut ou bien être, ou bien ne pas être: et, si on use de cette alternative (yel et non pas et), le mot «chose» a deux « suppositions », respectivement différen­ tes, dans les deux membres de cette alternative. « Chose » signifie la res concrètement, si la chose corruptible est. « Chose » signifie l’essence abstraitement, si la chose corruptible n'est pas. Autrement dit, en li­ guer sémantique, l’alternative ne devrait pas porter seulement sur le verbe: « être-nc pas être»; elle devrait également porter sur le sujet. C’est-à-dire que l’attribution au même sujet grammatical «chose», tie l’alternative concernant le verbe et lui seulement, est inexacte séman­ tiquement. Cette observation achève de préciser la |>ortée du mot possibile dans le libellé de la « tertia via ». Et cela, à deux |x>ints de vue diffé­ rents: celui du «modus significandi », celui de la portée réelle. Le point de vue du « mothts significandi » est déterminant. Ce sont les mêmes possibilia [le même possibile], auxquelles [auquel] sont attribués simultanément l'« esse » d’une part, le « non esse » d’au­ tre part: possibile esse et non esse. C’est au même sujet que sont attribués, en vertu du même jugement, deux déterminations antinomi­ ques: «esse», «non esse». — Tandis qu'une telle attribution, une «in actu », est impossible, si on prend pour «sujet» par exemple le corruptible («corruptibilia», «generabilia»). D’une part en effet, on ne peut attribuer simultanément au corruptible: « esse » et « non esse»; et d’autre part, l’alternative «Le corruptible peut ou bien être, ou bien ne pas être » est, nous l’avons observé, sémantiquement erronée. On se heurterait donc immédiatement à une contradiction, au point de vue du « modus significandi », si on prétendait réduire les « possi­ bilia » à être le genre commun des « corruptibilia » et des « genera­ bilia ». Or cette précision, négative mais inéluctable, au point de vue du « modus significandi », induit la confirmation, à deux points de vue différents, de ce qui déjà a été dit concernant le rapport du possibile à la réalité. Premièrement, le possibile dont il est question dans la « tertia via » est le terme d’une induction (,:) dont le generabile et le corruptibile constituent la base d’observation. En conséquence, le possibile ressortit à un niveau ontologique autre que celui de sa base. 11 est le possibile « secundum se ». Et, nous le répétons, il est propre au possibile d’avoir cette sorte de réalité singulière: il est également ouvert, aussi bien à l’« esse » qu’au «non esse». TERTIA VIA EST SUMITA ΓΧ l'OSSIHII.l ET NECESSARIO 95 Deuxièmement, et en conséquence de ce que nous venons de rappeler, se trouve confirmee l'observation qui est à l’origine de ce paragraphe. Le glissement verbal et sémantique « possible-contingent » a introduit, dans l’interprétation de la « tertia via », de fausses et inextricables questions. Car les réalités observables manifestent éminemment leur caractère contingent par la génération et par la corruption. Les « ge­ nerabilia » et les « corruptibilia » se présentent donc comme les espèces majeures des «contingentia». En sorte que, si on assimile — fût-ce implicitement — les « possibilia » aux « contingentia » [le « possible » au « contingent »], on introduit dans la prémisse même de la « terlia via », une univocité qui rend inintelligible la démarche de S. Thomas, parce que cette univocité est formellement et originellement en con­ tradiction avec la perception de laquelle découle tout l’argument. Il reste que le statut épistémologique de ce possible, tel que S. Thomas le met en oeuvre effectivement dans la « terlia via », paraîtra de prime abord aussi difficile à l’« essentialisme » qu’à 1'« existentialis­ me». Mais serait-ce là une difficulté réelle? Quoi qu'il en soit, ce possibile esse et non esse concerne exclusivement l’exister, et non du tout la nature ou les causes de l’exister. Il exprime la conclusion d’une induction (17) dont la base est l’observation. Il est, selon notre schéma de preuve, au niveau [bl]. Mais n’anticipons pas. Indiquons plutôt, en terminant, en quoi consiste formellement, le glissement sémantique que nous venons d’analyser. Le mot « contingent » peut avoir, notamment dans le langage mo­ derne, tout comme le mot «possibile», une acception purement exis­ tentielle. L’univocisation, que véhicule avec elle la quantification, a été accélérée en l’espèce par le calcul des probabilités. «Aléatoire», «contingent». « ]>ossible » tendent à devenir pratiquement synonymes. En dépit de cette usure, regrettable, d'autant plus qu'elle concerne l’intelligibilité véritable, « contingent » conserve cependant une signifi­ cation propre. C’est par nature que tel phénomène est contingent ou non; il est aléatoire ou possible dans le premier cas, certain ou impos­ sible dans le second. Le « possible » ressortit à l’événementiel: telle chose peut se produire, ou bien ne pas se produire: en un mot, elle est aléatoire. Le «contingent», distingué du «possible» (33), désigne « ce en vertu de quoi » celui-ci est de caractère aléatoire. Le fait de désigner l’argument de la « tertia via » par le couple « contingentnécessaire » a donc eu pour conséquence d’orienter l’attention, dès l’origine, vers une question de nature: alors que, à l’origine de la preuve ps) En Aristote, la distinction est parfaitement claire, mais autre. 96 LA PREUVE DE DIEU ET LA « TERTIA VIA » et partant à l’origine de toute « voie », il faut primordial ement obser­ ver un existant réel, un fait concret. Dès lors, cette confusion originelle, latente et permanente, embrume et rend même impossible l’interpré­ tation de la « tertia via ». 3. Nous ferons mieux comprendre combien le glissement que nous venons de signaler détruit l'économie même de la preuve, en le pré­ sentant sous sa forme extrême. En l'espèce, cette forme extrême ne ressortit à aucune des trois « obsessions » que nous avons mentionnées plus haut; bien qu’elle s’ap­ parente, mais pour ainsi dire par symétrie, à l’intuition « indis­ crète » de l’esse La perception, supputée immédiate, — et là est l’er­ reur —, porterait sur le caractère radicalement contingent de l’existant créé. Et, par « contingent », on entend le fait d’être composé, on entend en définitive la composition entre l’essence et l’esse. On entend donc, et sous-entend comme prémisse de la preuve: l’existant créé est contin­ gent par essence, puisque précisément ce n’e^t pas par essence qu’il possède l'esse. Or le contingent incausé est impossible...; or l’union inconditionnée du divers est impossible... Donc-Telle serait l'interpré­ tation de la «tertia via», selon le métaphysicisme outrecuidant qui a efficacement inspiré aux historiens inquiets de rechercher, tractés par Maimonide, une voie de garage... exaltante. L’intuition du contingent n'est cependant ni plus ni moins inquiétante que celle de l’esse. C'est d'ailleurs, en substance, la même intuition, mais prenant respectivement appui sur l’un ou sur l’autre des deux extrêmes que précisément elle relie. int de vue, est de déterminer La seule question, à notre présent avec rigueur l’ordination qui existe en droit et objectivement entre, d'une part, ce qui ressortit à la preuve, et, d’autre part, ce qui est supputé, à tort ou à raison, constituer une donnée immédiate. Or on observe, en l’occurrence, deux formes symétriques d’une erreur iden­ tique. La première de ces formes consiste, nous l’avons vu, à prétendre fonder la « quarta via » sur le principe de participation et sur lui seul. La seconde forme de la même erreur consiste à prétendre fonder la « tertia via » sur la perception supposée immédiate de la contingence inhérente à l’existant créé. Dans l’un et l’autre cas, on assigne en fait comme principe de la preuve une vérité qui n’est pas évidente, qui est il est vrai éminem­ ment objet de perception intelligible, mais dont la perception requiert expressément d’être sous-tendue par la preuve une fois faite. Que l’esse soit participation de « Dieu qui EST », c’est la plus haute des vérités qui ressortissent proprement à la métaphysique; mais cette NI I.Λ CONTINGENCE NI LA LIMITATION NE FONDENT LA PREUVE vérité, que la foi montre d’ailleurs en meilleure lumière, il faut pour l’affirmer en lumière naturelle, avoir préalablement démontré. Dieu EST. (.lue l’étant créé soit radicalement contingent, c’est la plus profonde des vérités concernant toute réalité avec laquelle nous sommes en connaturalité; mais il est impossible d’affirmer cette contingence telle qu’el­ le est, — et c’est seulement sous cette condition qu’elle pourrait être le principe de la preuve —, sans téférer l’étant créé à l’Etant par Soi; et cela, derechef, suppose démontré: Dieu EST. Le rapprochement de deux erreurs ayant la même origine est toujours éclairant. Il manifeste, a contrario, un aspect de la vérité: en l'espèce le caractère primordialement existentiel de la base [bl] de la preuve; ou bien, équivalemment, le fait que, à l’origine de toute « voie », il doit y avoir l’observation d’un existant concret; l’affirmation d’un principe métaphysique, d’ailleurs indubitablement vrai, est com­ plètement hors propos, si on omet d’en montrer que, précisément, cette affirmation peut être fondée indépendamment de la preuve elle-même. Mais bornons-nous à la « tertia via » dont nous traitons présente­ ment. Si, altérant en fait la formule de S. Thomas, on pus·'. au moins implicitement: «Tertia via est sumpta ex contingenti ei nccess:>t io » ; et si on donne d’emblée au mot « contingent » une acception qualita­ tive et non purement existentielle, lui faisant signifier « la nature de ce qui n’a pas l’être par essence », alors la preuve est détruite comme preuve: parce qu’elle inclut, en fait, un cercle vicieux. N'insistons pas davantage sur ce qui est parfaitement clair. Tirons-en la conclusion. Le gauchissement qui, poussé à l’extrême, aboutit, comme nous venons de l’observer, à annihiler la « tertia via » llill e preuve, ce gauchissement se trouve irrémédiablement amorcé si on cherche à assigner le contenu significatif du « possibile esse et non esse », directement en fonction de la nature de la génération et de la corruption. Gauchissement, disons-nous, parce que ce point de dé­ part inclinera, qu’on le veuille ou non, à fonder la démarche sur une perception immédiate, censée adéquate à telle réalité du fait qu’elle paraît en saisir intuitivement la nature; alors que la preuve ne peut être fondée (4I) que sur un constat d’exister et sur le principe de causalité. Les observations critiques qui précèdent seraient vaines, si elles n’induisaient le principe d’une rectification. Ce principe, M. Gil­ son l’a rappelé en substance, et en termes fort simples. S. Thomas a en­ tendu donner cinq preuves; S. Thomas estime que chaque preuve prouve (5e); et que, de plus, son propos doit être « aisément accessi-56 (56) op. cit. note 42, pp. 65-66 98 LA PREUVE DE DIEU ET U « TERTIA VIA » ble » (i7). Or, précisément, la difficulté à laquelle s’est heurtée l’inter­ prétation de la « tertia via », due en très grande partie au glissement sémantique du «possible» vers le «contingent», peut être évitée, «materialiter», et qui beaucoup mieux est « fonnaliter », si on s'en tient à l'expression de S. Thomas et à l’interprétation qu elle requiert. b. La base de la « tertia via » est, selon S. Thomas, le « possibile esse et non esse » [bl], en tant qu’il n’est pas nécessaire « par soi » [b2J. Examinons successivement ces deux aspects de la base. 1. L’interprétation de l'expression de S. Thomas, en ce qui concerne [bl],résulte déjà de ce qui précède. Achevons de la confirmer pat analogie. Le possibile esse et non esse, « quod invenimus in rebus (1. q2, a3) », « quod videmus in mundo (CG. I, 15) », est, à la « tertia via » ce qu'est pour la « prima via » : « Certum est enim et sensu constat, ali­ qua moveri in hoc mundo (1. q2, a3) ». L’analogie comporte bien entendu différence et ressemblance. L’observation des « aliqua moveri » est certes plus aisée que l’af­ firmation du possibile esse et non esse. Car, d'une part, cette affirma­ tion est, nous l’avons vu, le terme d’une induction (17); en ce sens, elle n’est pas aussi immédiate que l’observation de choses en mouve­ ment. Et, d’autre part, saisir le statut épistémologique de ce « possi­ bile » requiert la mise en oeuvre d’une acuité mentale dont l’appré­ hension du mouvement comme « sensible commun » peut faire l’éco­ nomie. En retour, il y a, entre le point de départ de la « tertia via » et celui de la «prima via», ...et celui de toutes les «voies», la simili­ tude foncière qui déjà a été exprimée, mais sur laquelle on ne saurait trop insister. Ce point de départ est un constat d’exister. Bien entendu, ce constat est « spécifié » : parce que tout existant réel est mesuré par l'essence concrète qui subsiste en lui. Mais cette spécification, en fait nécessai­ rement impliquée en toute observation, n'est pas intégrée « formaliter » au donné existentiel qui est à l'origine de la preuve. «Constat aliqua moveri»: cela, d’abord. «Quid sit motus», viendra après. Bien que, évidemment, on ne puisse affirmer: «Constat aliqua (aî) Ibid: pp. 45-46; p. 25. — M. Gilson insiste sur l'opportunité de considérer la lettre de S. Thomas lui-même: « 11 ne faut pas que l’histoire de la philosophie élimine la philosophie. Il ne faut pas quelle dévore son objet » (p. 39) - Il ne faut pas dissoudre le possibile de S. Thomas dans l’histoire de la notion de contingence. I .A BASF DE IΛ « Π.ΚΤΙΛ VIA» SF.UIN SAINT THOMAS 99 moveri », sans avoir une notion confuse du mouvement et partant du repos. Eh bien, semblablement, « quaedam sunt possibilia esse et non esse » : cela d'abord; cela, dont l’affirmation repose immédiatement sur l’induction (n), et qui implique immédiatement cette autre affirma­ tion: la réalité, telle quelle est, inclut le possibile esse et non esse: cela, d’abord. Ensuite, mais ensuite seulement, viendra la détermination du point de vue formel selon lequel 1’« ordre de cau.se » qui spécifie la « voie » considérée exige d’envisager le « donné » existentiel originel. L’aspect positif de l’analogie entre toutes les « voies », quant au caractère existentiel de leur point de départ, peut être encore précisé. 11 paraît opportun de l’indiquer, étant donné l’importance et la difficulté du point débattu, bien qu’il s’agisse en fait d’une tri­ vialité. Entre la perception brute de « quelque chose qui bouge», et l’af­ firmation « [certum est enim] et sensu constat aliqua moveri », il y a un certain passage en réalité fort complexe. L'usage du « sens com­ mun », l’exercice de Γ« abstraction du premier degré», pour le moins..., y sont impliqués; n’entrons pas dans cette question, mais retenons ce qui nous importe. Si on entend traiter formellement de la preuve et des « voies », il faut, nous l'avons déjà observé, considérer formellement chacun des éléments. L’existant concret, qui est à l’ori­ gine de la « prima via », ce n’est pas « ce quelque chose qui bouge >; mais c’est «sensu constat aliqua moveri». C’est bien entendu le pre­ mier qui fonde le second, justement par induction (17); mais si l’on assignait le premier comme origine de la « prima via », celle-ci, au lieu d’être une « voie », comporterait un nombre de cas indéfini. C’est à son point de départ même qu’une démarche, si concrète doive-t-elle être, exige la « formalisation » minimale sans laquelle aucune science n’est possible. Nous nous excusons de rappeler ces banalités. Mais il y a des cas dans lesquels, fort curieusement, l’évidence reconnue à un principe n’arrive pas à dominer la difficulté suscitée par son application. Ce qui est évident pour la « prima via » l’est également pour la «tertia via». C’est exactement la même évidence, à la condition de considérer les principes qu’implique formellement toute «voie» com­ me «voie», et non pas la particularité, d’ailleurs toujours problé­ matique, de la «problématique». Entre la perception brute des «ge­ nerabilia» ou des «corruptibilia», d’une part; et puis, d’autre part, l’affirmation: « Invenimus in rebus [Videmus in mundo] quaedam quae sunt possibilia esse et non esse » (S1), il y a exactement le même pas­ sage, en réalité fort complexe, que dans le cas de la « prima via ». Et il y a exactement la même et impérieuse raison dans les deux cas — à savoir la nonne minimale du discours « formel » — pour assigner coin- 100 ΙΛ PREUVE DE DIEI’ ET LA «TERTIA VIA» me origine de la démarche l'affirmation qu'induit (*■) la perception brute et non cette perception elle-même. L’analogie que nous venons de développer implique donc la conclusion suivante. Tout de même que S. Thomas part, dans la « prima via », de « sensu constat aliqua moveri », et non pas de «quelque chose qui bouge»; ainsi le constat existentiel qui est pour S. Thomas à l’origine de la « tertia via » n’est pas celui des « generabilia » ou des « corrupti­ bilia ». Ce constat existentiel est, nous, le répétons: « Invenimus in rebus [Videmus in mundo] quaedam quae sunt possibilia esse et non esse » (”). Nous avons, croyons-nous, écarté, au point de vue formel de la preuve comme preuve, les difficultés qu'a soulevées l’interprétation de la « tertia via », en ce qui concerne la base [b 1]. Examinons mainte­ nant la base [b2], en reprenant d’ailleurs le processus d’exposition que nous avons suivi pour les deux premières «voies». 2. Nous nous proposons de montrer que, selon S. Thomas, et confor­ mément à ce que nous avons énoncé p. 90, le « quelque chose » existant réellement, et dont il est impossible qu’il soit « par soi», c’est « l’fêtre] nécessaire [en fait] [bl], en tant qu’il a une cause [extérieure à lui-même] de sa propre nécessité [b2] » (51). Rappelons tout d’abord, mais pour l’écarter, un pseudo-argu­ ment déjà indiqué. Si on admettait, au titre d'évidence, la per­ ception du contingent comme tel, la base [bl] - [b2] de la « tertia via », ce serait bien l’existant, nécessaire « en fait » en ce sens que juste­ ment il existe, et exigeant donc l’existence d’un Nécessaire « en droit ». Mais nous avons vu que cette interprétation détruit la preuve, «com­ me preuve», parce quelle suppose auto-suffisante, et pose comme prémisse de la preuve, une perception qui, précisément, requiert d’être fondée sur la preuve. Venons en maintenant à l’autorité de S. Thomas. L'interprétation du texte de S. Thomas est, quant au point précis qui nous occupe, parfaitement claire: « Non est autem procedere in infi­ nitum in necessariis quae habent causam suae necessitatis aliunde » (CG, 1, 15); « Non est autem possibile quod procedatur in infinitum in ne­ cessariis quae habent causam suae necessitatis» (1, q2, a3). El, dans les deux cas, l’impossibilité de la régression à l’infini est référée à l’affirmation qui déjà en a été faite à propos des deux premières «voies»: « sicut nec in causis efficientibus». Nous n’entendons pas revenir sur la valeur du «principe de non ré­ gression», dont nous avons déjà dit ce que nous pensons (p. 38, note LA BASI DE LA « IIRIIA VIA · SE1.ON SAINT THOMAS 101 34). Mais ce principe joue, dans le libellé des trois premières «\oies », un rôle qui, d'un point de vue indicatif, est identique et décisif. D’un point de vue indicatif, disons-nous: c'est-à-dire que la non régression jx>rte évidemment sur ce que nous avons appelé (p. 37) la base [bl] [b2] de la preuve: c’est-à-dire sur telle réalité existante [bl], en tant qu’il est impossible qu’elle soit « par soi », sous le rapport où on l'ob­ serve [b2]. Cela, c’est nécessaire et évident, en vertu de la structure même de la preuve: et c'est d’ailleurs observable immédiatement dans le libellé des deux premières «voies». « Hic autem non est procedere in infinitum ». Hic, de la « prima via», désigne le fait que «le mû est mû par un autre»; c’est-à-dire le fait que, «le mû 'par soi’ étant contradictoire ($0), le mû, en tant que mû, n’est pas « par soi » - « Non autem est possibile quod in causis efficientibus procedatur in infinitum quia in omnibus causis efficien­ tibus ordinatis primum est causa medii, et medium est causa ultimi... ». Dans la « secunda via », la non régression porte sur les agents qui reçoivent l’efficience qu’ils exercent: c’est-à-dire, formellement, sur la cause efficiente qui, en tant qu’efficiente, n’est pas « par soi ». Il ressort de là que, à moins d’attribuer à S. Thomas un prodigieux illogisme, aussi bien intelligiblement que rédactionnellement, ce sur quoi porte la non régression dans la «tertia via», c’est, justement, tout comme dans les deux premières « voies », ce qui constitue la base de cette «tertia via»; ce sont les «[necessaria] quae habent causam suae necessitatis (aliunde) » (5e). C’est très exactement ce que nous avons exprimé, analytiquement, et conformément au schéma organique de la preuve (p. 37). Le «quelque chose » existant réellement, et dont il est impossible qu'il soit « par soi », c’est « l’fêtre] nécessaire [en fait] [bl], en tant qu’il a une cause [extérieure à lui-même] de sa propre nécessité [b2] ». (58) Et ce ne sont pas les « generabilia » ou les « corruptibilia ». Il y a là, à la fois, une explication et une confirmation du glissement séman­ tique que nous avons observé et critiqué. Car les « necessaria » dont il est ques­ tion doivent, pour constituer l'origine d’une preuve, être des réalités. Et comme ces « necessaria » ont — paradoxalement dans notre langage moderne — une cause, on les a rapprochées des «generabilia» et des «corruptibilia»: lesquelles, autant que dure leur existence, sont necessaires, quoique seulement en fait, parce quelles sont causées. Le caractère existentiel et observable des « necessaria » causées, caractère que S. Thomas exprime expressément par la médiation des possibilia, « [quae] inveni­ mus in rebus», «quod videmus in mundo»: ce caractère existentiel, on a cru pouvoir le traduire, et on l'a traduit en fait, en substituant le couple « contingentnécessaire » au couple «possible-nécessaire». C’est, nous l'avons montré, annihiler la preuve: c’est, nous le voyons maintenant, altérer complètement la pensée de S. Thomas, dans son fond comme dans son expression. 102 LA PRIIVF ni niri·· n i\ « TEKTIA via» Laissons donc de côté ces deux arguments: le premier seule­ ment apparent, le second seulement fondé sur 1*« autorité ». Nous pou­ vons — enfin — examiner, dégagé de toute subversive difficulté, l'ordre de la preuve, sous la forme propre qu’il revêt dans la « tertia via ». c. La base de la « tertia via > est identique, telle que la pose S. Tho­ mas d’une part, telle que la requiert l’ordre de preuve d’autre part. L’ordre de la preuve exige, en l’occurrence, l’identité, quant à leur certée objective, des deux affirmations: 1 La réalité telle qu’elle est, observable et observée, / comporte du possibile esse et non esse La réalité telle qu’elle est, observable et observée, comporte de l’être nécessaire (en fait), dont il est impossible qu’il soit « par soi » en tant qu’il est nécessaire. I pal] [b2] Nous avons examiné respectivement chacune de ces deux affirma­ tions, aussi bien en elles-mêmes qu’au point de vue de S. Thomas: d’où nous avons conclu ce que nous rappelons pour plus de précision. L’affirmation A exprime le constat existentiel qui, nécessairement, est à l’origine de la preuve, et par conséquent de chacune des «voies». L’affirmation B est l’expression précise de la base de la preuve, con­ formément à la manière selon laquelle S. Thomas lui-même développe la « tertia via », et conformément au schéma organique de la preuve (P- 37). Démontrer l'identité, quant à leur portée objective, des deux af­ firmations A et B, c’est donc montrer que la « tertia via » est bien une forme de la preuve. Ou bien, c’est montrer, réciproquement, que la preuve comporte la « tertia via » tomme l’une de ses formes: et cela, d’ailleurs, nécessairement, en vertu de ce qui a été exposé au paragraphe précédent. La preuve se trouve en effet «ramifiée», con­ formément à l'ordre de la causalité; or, c’est la « tertia via » qui corres­ pond à l'ordre de la cause formelle, analytiquement envisagé. Est-il besoin d’ajouter que S. Thomas lui-même n’a pas ignoré la question que nous posons. Et c'est même l’argument sur lequel S. Tho­ mas fonde l’identité entre les affirmations A et B, qui a, en fait, paru le plus déroutant dans son exposé. Mais cela tient aux difficultés que nous nous sommes efforcés d’écarter. Aussi est-ce tout simplement en suivant S. Thomas, que nous allons réaliser notre propos. 1. Nous simplifierons la démonstration de Γ identité entre les affirmations A et B, sans altérer faut-il le dire si peu que ce soit la EE < POSSIBILE · NE PEUT ÊTRE NÉCESSAIRE PAR SOI 103 rigueur de cette démonstration, en nr considérant, de « la réalité telle quelle est, observable et observée » que ce qui en est en l'occurrence affirmé, savoir le possibile esse et non esse. Autrement dit, dans l’affir­ mation A, nous remplaçons le mot « comporte » par le mot «est». La réalité « comporte » en fait bien autre chose, soit « materiali­ ter » soit « formaliter », que du « possibile esse et non esse»: mais la démarche appelée «tertia via» présente précisément ceci d’original: ce dont elle fait état, au titre de constat existentiel, c'est ce « possibile esse et non esse ». Dès lors, au point de vue si l’on peut dire « forma­ lissime » de la « tertia via » et de l’identité entre A et B, on peut faire la substitution indiquée: A’ La réalité telle qu’elle est, observable et observée, est du possibile esse et non esse. B’ La réalité telle qu’elle est, observable et observée, est de l’être nécessaire (en fait), dont il est impossible qu’il soit « par soi » en tant qu’il est nécessaire. [b’I] [b’2] Le contenu, à la fois intelligible ex parte subjecti et objectif ex parte rei, de A’ n’est pas, «simpliciter», le même que celui de A. Et, cependant, il est le même, au point de vue auquel nous nous plaçons. Et pareillement en ce qui concerne les autres couples: B, B’; [bl], [b’I]: [b2], [b’2]. Démontrer l’identité entre A et B, quant à leur portée objective, équivaut donc à démontrer, sous le même rapport, l’identité entre A’ et B’; et réciproquement, évidemment. L’identité des deux affirmations A’ et B’ est démontrée par S. Thomas en toute rigueur. Il suffit de lire son texte « formaliter », en tenant compte de ce qui a été ci-dessus précisé, concernant le statut épistémologique et la portée réelle du « possibile » (54). Nous procéde­ rons en deux étapes. 2. Premièrement. Le « possibile esse et non esse*, qu’il faut, nous le rappelons, considérer conjunctim (et, et non vel) ne peut pas, n’a jamais pu, être objectivement [actué], exclusivement selon le « non esse ». Tel est le sens qu’il faut, selon nous, donner à l’affirmation de S. Thomas «Impossibile est autem omnia quae sunt talia semper esse». Ces «talia», ce sont en effet les «quaedam quae sunt possibilia esse et non esse», dont la mention précède immédiatement le mot «Im­ possibile». Et, nous l’avons posé par convention, notre locution « pos­ sibile esse et non esse », exprime sous une forme plus abstraite mais 104 LA PREUVE DE nili' FI II < TERTI V VIA» plus maniable la même res que la locution de S. Thomas « quaedam quae sunt possibilia esse et non esse». Nous croyons devoir faire observer, derechef et en \ insistant vigoureusement, que ces « possibilia » ne sont pas du concret immêd’at, objet de perception brûle: ces « possibilia » (esse et non esse) ne sont pas les «generabilia» ou les «corruptibilia», auxquelles elles sont cependant nécessairement associées. Ces « possibilia » sont une certaine réalité; et l’existence de cette réalité est prouvée par l’induction (1T), à partir soit des «generabilia» soit des «corruptibilia» qui, elles, sont l’objet immédiat de l’observation. La substitution que nous nous |>ermettons de faire — celle de « possibile » à « possibilia » — ne recouvre donc aucun passage objectif du concret à l’abstrait: elle est, au sein île l’abstrait lui-même, une simple convention justifiée par la commodité de l’expression. L’affirmation précédente est quasi évidente; il suffit d’expli­ citer que la contradictoire en est impossible. Si en effet le * possibile esse et non esse » avait été, à un seul moment, [actué] objectivement, exclusivement selon le « non esse » (59), autrement dit, si ce que désigne objectivement le « possibile esse et non esse» avait [par impossible] été, à un seul moment, objectivement et exclusivement selon le «non esse» (S9): alors, rien n’existerait. Car, selon l’affirmation A', qui exprime, équivalemment à l’affirmation A, un constat existentiel, la réalité telle qu’elle est, est du « possibile (59) La locution [actuee] selon le < non esse > paraît être contradictoire dans les termes. Cette contradiction, cependant, n’est qu’apparente. Elle est la rançon de la simplification que nous avons introduite en substituant l'affirmation A’ à l’affirmation A. Selon l’affirmation A. la réalité comporte du « possible esse et non esse», mais elle comporte également autre chose, nous lavons observé. Le possibile esse et non esse», [actué] selon le < non esse», signifie alors tout simple­ ment cette autre chose. La locution a bien une portée concrète, réelle. Cette portée se trouve évidemment supprimée, si on réduit l’affirmation A à l’affirmation A’. Nous maintenons cependant simultanément: 1) cette réduction de A à A’, parce quelle rend plus clair l’exposé d’une démon trastion délicate; 2) la locution [aclué] selon le < non esse·: car. malgré l’antinomie verbale quelle présente, cette expression a la portée réelle que nous venons d’expliciter. En d’autres termes, nous raisonnerons « formellement » en considérant A’, mais sans perdre de vue que le domaine de validité de A’ ne peut être séparé du domaine de validité de A, dans lequel il est inscrit. Nous rappellerons l’ensemble de ces considerations en plaçant le mot « actué » entre crochets dans la locution [ar/ur] selon le « non esse ». Les memes considérations s’appliquent évidemment aux locutions: le « pos­ sibile esse et non esse » est (ou a etc) selon le « non esse ». En vue d’éviter toute ambiguïté, nous renverrons, dans le texte, par le n. 59, aux différentes observa­ tions indiquées dans la présente note. LE « POSSIBILE » NE l’EÜT ÊTRE NÉCESSAIRE PAR SOI 105 esse et non esse»; elle est ce «possibile esse et non esse» qui doit être considéré conjunctim et totaliter. En retour, par conséquent, ce même « possibile esse et non esse » est toute la réalité (0o). Si donc, à un seul moment, ce « possibile esse et non esse » avait été objectivement, exclusivement selon le « non esse » (·’’*), il n’y aurait aucune réalité. Or la réalité est; son existence est rendue certaine par l'observation : c’est cela qui, précisément, est le contenu de l’affirmation A’, au même titre que de l’affirmation A (fll). Donc l'hypothèse alléguée (si donc, à un setd moment...), est fausse. Et, parconséquent, la contradictoire en est vraie. L’argument que nous venons d’expliciter, d’une manière laborieuse nous en convenons mais aussi précise que possible on le reconnaîtra, nous paraît manifester la portée véritable, parce que le contenu intel­ ligible assignable à l’inférence que propose S. Thomas: « Quod pos­ sibile est non esse, quandoque non est. Si igitur omnia sunt possibilia non esse, aliquando nihil luit in rebus». La formulation de S. Thomas est déconcertante, ce n’est pas nouveauté que de l’observer. La conclusion ne serait effectivement établie que si la prémisse était énoncée sous le mode «nécessaire». «Ce qui peut ne pas être, cela, à un certain moment, nécessairement n’est pas » : voilà le « prin­ cipe » que requiert l’argument de la « tertia via », tel que le présente la lettre de S. Thomas. Or ce principe est lui-même privé de tout fondement, si on donne, dans son énoncé, au mot « possible » la portée sémantique d’un abstrait immédiat; et nous entendons par « abstrait immédiat», ou «abstrait du premier degré», la «nature», que l’es­ prit discerne spontanément comme étant commune à tel ensemble de réalités observées. C’est bien d’ailleurs cette acception qui s’est trouvée en fait consacrée par le glissement dont nous avons parlé. « Possible » a été remplacé par «contingent »; et ce dernier mot conserve, pour le moins résidu ellemen-t, la signification: * nature d’un phénomène dont la réalisation est observée comme étant aléatoire». Or il n’est pas pos­ sible de conclure: « il y a certainement des cas dans lesquels tel fait (fl0) Ce ne serait pas vrai selon A; c’est vrai selon A’. Mais nous avons montré qu’au point de vue « formalissime » auquel nous nous plaçons, A et A’ sont équi­ valentes. Et on comprend maintenant la raison de cette substitution: elle rend claii l’exposé d’un argument qui est délicat. (θ1) Il faut bien entendu tenir que l'affirmation A’ exprime un constat de réalité, au même titre que l'affirmation A. Ce que. de la réalité totale, on se borne à considérer lorsqu’on réduit A à A', cela dans A', demeure réalité. 106 IA PREUVl DF Dill ET LA cette chose nécessairement. Or tel n’est pas le sens de la conclusion, établie en vertu de A’, et affirmée en B’ [b'I]. Le caractère réel et propre du « possibile esse et non esse » exige de conclure: il y a néces­ sairement actuation de ce «possibile» selon l’«esse», il y a néces­ sairement l'é/re en acte. Le « nécessairement » s'oppose à la potentialité qui est inhérente au « possible »; il ne signifie pas que cet être en acte (existant nécessairement) a l’être par essence. Nous avons donc ajouté « en fait » pour éviter celte équivoque. « Etre nécessaire en fait » signifie par conséquent, dans la con­ clusion comme dans l'inférence dont cette conclusion est le terme: « le fait d’être»; mais il n’est signifié aucune qualification, intrinsèque au point de vue de l’être, de l'étant dont on affirme l’exister. D’autre part, l’ordre de la preuve exjxjsé p. 37 conclut l’Etant par Soi selon [Cl], pour ainsi dire existentiellement. Ce qui n’est pas « par soi » est par un autre [pi]- Cet autre ne peut pas ne pas être « par soi». Mais comment est-il «par soi»? La conclusion [Cl] n’en dit rien; c’est seulement [C2] qui le précise: et cela, d’une manière propre, conformément à chaque « voie ». Toute cela est évident, en ce qui concerne chacune des deux premières « voies »: parce que la base dont elles partent, formellement, est autre que l’être. Tandis que la « tertia via », et également la « quar­ ta via», présentent cette perfection — nous le verrons —, mais aussi cette difficulté: leur base n’est pas distinctement spécifiée comme n’étant pas l’être. Cette base est l'être, mais envisagé « à un certain point de vue ». Et comme, de surcroît, l'être est la plus primitive de toutes les notions, distinguer d'une manière précise ces différents «points de vue » selon lesquels l'être intervient respectivement dans chacun des éléments de la preuve, [bl-b2], [ml-m2], [pl-p2], [C1-C2], est beaucoup plus délicat. C’est pourquoi nous avons cru opportun d'expliciter, en vue d'interpréter la conclusion de la « tertia via », ce qui va de soi concernant les deux premières « voies ». Nous pouvons maintenant analyser la conclusion ci - dessus énoncée, et en découvrir toute la portée. Rappelons cette conclusion. Selon la «tertia via», la preuve dé­ montre l’Etant par Soi comme excluant le fait que « d'être nécessaire en fait » ne lui appartienne pas « par soi ». Rapprochons les significations que nous venons de déterminer, pour les différents termes de cet énoncé. « Démontrer l’Etant par Soi », signifie: Il y a un Etant dont il est impossible qu’il ne soit « par soi » [Cl] LA «TERTIA VIA· CONDUIT λ I'lire QUI EST SON ESSENCE 113 mais rien n’est affirmé positivement de la nature de cet Etant; Il ne peut pas être comme les étants qui sont base de la preuve, en tant que ceux-ci ne sont pas « par soi » : bien (pie, analogiquement, Il exis­ te comme ces étants existent. «Etre nécessaire en fait», signifie: L’étant est; l’étant, a d’être nécessaire en fait, du seul fait que, parce qu’il est, il s’impose. b Mais rien n’est affirmé concernant la manière d’être de cet étant, con­ cernant sa simplicité ou son caractère composé. Il est «nécessaire», comme il est « primitif » : par antonomase, pour ainsi dire, en vertu de la nature de 1’« esse »; mais ces qualifications en quelque sorte géné­ riques ne concernent pas l’ontologie propre de cet étant qui est considéré. « Exclure de l’Etant par Soi que la détermination b ne lui appartienne pas ' par soi ’ », signifie: La propriété b appartient à l’Etant par Soi, « par soi ». c Et, dans cette affirmation c, « appartenir par soi » a, analogiquement mais positivement, le sens qu’a cette locution dans l’ordre des choses observables. Une propriété est dite appartenir à une chose « par soi », c’est-à-dire en vertu de cette chose, si cette propriété est l’un des élé­ ments qu’intègre la définition de la chose, si elle fait partie de l’es­ sence de cette chose (cf. p. 120, note 66). La coordination de [Cl], b, c montre donc le sens propre de la conclusion [Cl]: L’Etant par Soi a d’Etre, en vertu de son Essence [C2] Ce qu’ajoute cette conclusion [C2] à [Cl], c’est l’affirmation d’une con­ nexion qui ressortit intrinsèquement et positivement à la nature de la réalité considérée. Qu’un Etant existe, qui est Etant par Soi en ce sens qu’il ne peut pas être, comme tel étant observé qui, lui, ne peut pas être « par soi » : voilà ce qu’affirme [Cl]. Quelle est la ma­ nière propre selon laquelle cet Etant par Soi a d’Etre, voilà ce que précise [C2]. 2. Une ultime et importante précision peut encore être ajoutée. Montrons d’abord que « avoir l’être par essence » exclut que l’on ait « par essence » quoi que ce soit qui différerait de l’être. D’une part en effet, il n’y a rien en dehors de l’être. D’autre part, et surtout, avoir par essence une ou plusieurs déterminations de l’être au sens propre du mot détermination, entraînerait d’avoir l’être mesuré par ces déterminations; l’essence inclurait donc, en tant qu’elle est le principe intime et concret de mesure dans l’existant, la composition qui existe nécessairement entre les déterminations de l’être; dès lors, l’essence ne 114 IA PREUVE DE DIEU El L\ «TERTIA VIA» jxîurrait pas être «ce en vertu de quoi l'existant considéré a l’être»; car l'être, par nature, est simple: or, ce qui est composé (en l'espèce, l’essence concrète telle que nous venons, hypothétiquement, de la con­ sidérer), ne peut sous quelque rapport que ce soit, être au principe de ce qui est simple. Avoir l’être par essence entraîne donc, pour l’existant qui jouit de cette propriété, que l’essence ne comporte rien d'autre que l'être: autrement dit, pour un tel existant, c’est l'être qui est l’essence. D'où la formulation topique de la conclusion [C2] : La preuve, selon la « tertia via est sumpta ex possibili et necessario », démontre l’Etant par Soi comme étant nécessairement cet Etant, pour qui, «Etre», c'est cela qui est 1'«Essence». IV - La preuve, selon la « quarta via QUAE SUMITUR EX GRADIBUS QUI IN REBUS INVENIUNTOR », DÉMONTRE l/ÉTANT PAR SOI COMME ÉTANT NÉCESSAIREMENT'. CET ÉTANT DONT L'ESSENCE EST D’ÊTRE. Le « quelque chose » existant réellement et dont il est impossible qu’il soit « par soi », c’est un différencié [bl], dans lequel la différenciation concerne nécessairement soit Γ ê t r e lui-même soit un transcendental convertible avec l'ètre [b2]. Cette affirmation, qui constitue la base de la preuve, n’est pas évidente. Nous devons donc la démontrer. a. La définition des mots: « différenciation », •différencié». 1. La différenciation d'une réalité consiste en deux choses, simulta­ nément réalisées. Premièrement, cette réalité se retrouve formellement la même, c’està-dire selon son essence et conformément à sa définition, en plusieurs existants. Et, dans cette première partie de la définition, nous donnons au mot « réalité » toute l’amplitude analogique de sa signification; mais nous entendons cette analogie au concret: ce n’est pas une notion qui est le sujet de la différenciation, mais ce qu’affecte la différencia­ tion, c’est bien une réalité. Et nous entendons par « existant » quelque chose qui subsiste distinctement, qui comporte un suppôt par con­ séquent. Deuxièmement, cette réalité dont nous disons qu’il y a différenciation est affectée de mesures différentes dans les différents existants où elle est réalisée. Le différencié, c’est tel sujet, dans lequel subsiste la réalité de laquelle il y a différenciation. C’est la nature du rapport entre le différencié et la réalité différenciée qui constitue le point le plus dé­ licat, et autant que nous sachions, le moins exploré de la « quarta via ». Le sujet que nous désignons sous le nom de « différencié » n’estil qu’un support de la réalité dont il y a différenciation, ou bien est-il affecté intrinsèquement, nous voulons dire dans sa réalité même par la différenciation? Là est, nous le verrons, le « nerf » de la preuve con­ sidérée selon la «quarta via». Ces deux définitions appellent, chacune respectivement, quelques précisions. Justifiions tout d’abord le mot « différencié » pris substanti­ vement, et donc l’usage du mot « différenciation », corrélativement. 116 M i'hh’vj or out; ιι ia «quarta via. Les vocables paraîtront nouveaux; ils désignent cependant une chose ion connue: « Invenitur enim in rebus aliquid magis et minus bonum... ». Cette formule, et d’autres semblables, sont, à l'ordinaire, traduites des deux laçons: « il y a du plus ou moins dans le bien, dans l'être...»; «il y a différents degrés d'être, de bien...». Or, c'est cette même constatation objective que nous exprimons, mais en considérant d’abord l’unité, plutôt que la multiplicité. Si il y a «aliquid magis bonum » et [aliquid] « minus bonum », le bien est, par le fait même, une réalité qui comporte différenciation: en ce sens que celte réalité subsiste toujours la meme quant à son essence, mais affectée de mesures différentes en des existants différents: ceux-ci sont par con­ séquent des «différenciés» sous le rapport du bien: «une chose est meilleure, une autre moins bonne». Ou bien, selon un autre vocabu­ laire également classique, il y a différents « degrés » de bien, diffé­ rents « degrés » d’être, etc. La substitution verbale que nous proposons concerne donc Vordre selon lequel on exprime l’observation de la réalité, non pas la réalité elle-même, ni même la considération que l'on en fait. Nous devons maintenant justifier cete substitution. Le vocabulaire des «degrés», du «plus ou moins», a certes l’avantage de bien mar­ quer le caractère concret de chacun des existants clans lesquels se trouve, respectivement, l’un de ces «degrés». La base de la preuve doit être, nous l’avons assez répété, une réalité [bl]. Mais ce meme vocabulaire a, en retour, le grave inconvénient de ne pas manifester avec précision l'aspect formel [b2] selon lequel il faut considérer la réalité pour en découvrir que, comme réalité, elle n’est pas « par soi » : observation cpii est tout a fait essentielle à l’ordre de preuve (p. 87). Ce qui en effet intervient formellement clans la preuve, ce n'est pas chacun des degrés (Λ*), c’est leur pluralité objective dans l’unité objec­ tive; ce qui intervient formellement, c’est le « magis et minus », mais à la condition expresse que le «magis» d’une part et le «minus» d’autre paît affectent la même réalité. Il faut insister it la fois sur « même», et stu « réalité ». 11 ne saurait s’agir d’une comparaison faite par l'esprit entre des existants considérés sous la même formalité. Car, encore une fois, c'est dans la réalité que doit s’enraciner la preuve; faute de quoi, elle ne saurait conclure « Dieu EST ». («·) S. Thomas ne présente jamais la « quarta via » comme fneuue .Ί partir d’un seul degré. Cela supposerait que l’on considère, soit la distinction réelle entre l’esse et l’essence. Comme évidente, soit le principe de participation comme admis a priori. Nous ne revenons pas sur les observations critiques que nous avons pré­ sentées Λ cet égard, d’une part pp. 53 sv., d'autre part note 31. I>l» HKI NC l(. IHI I ÉfU NCJATION MES! RE 117 Or le mot «différenciation» n'a de sens que si il signifie la différenciation de quelque chose, d’une réalité; que si les degrés entre lesquels existe cette « différenciation » sont les degrés de la même réalité. Les deux caractères, absolument requis jxrur la base de la preuve, sont donc immédiatement impliqués et donc nécessairement signifiés par le mot «différenciation». C’est pourquoi nous l’emplo­ yons. Et. corrélativement, se trouve justifié l’usage du mot «différen­ cié» pris substantivement. Le «différencié», objectivement, c'est le «degré»; mais le vocable «différencié» désigne le «degré» organi­ quement, c’est-à-dire en fonction du rôle que joue celui-ci dans l’ordre de preuve. 2. La définition que nous avons donnée de la « différenciât ion » inclut le mot «mesure». 11 est opportun de rappeler quelles sont les trois acceptions principales de la « mesure ». La mesure concerne d’abord la quantité: tel est le sens premier, au moins « quoad nos». La quantité, par nature, est univoque, c’est-àdire qu’elle exclut le « plus ou moins » dans l’ordre ontologique; au­ trement dit, toutes les quantités telles qu’elles se trouvent effectivement dans le cosmos, réalisent d’une manière égale la nature de la quantité. C’est cette univocité ontologique qui rend si aisée l’appréhension — non critiquel — de la quantité. Et c’est en vertu de cette meme uni­ vocité que la quantité est le sujet propre de l'augmentation et de la diminution. Génétiquement, on peut définir la mesure, en ce premier sens, comme étant l’expression du rapport, réel et saisi comme tel, rapport lui-même consécutif à l’augmentation et à la diminution. La mesure ajoute donc quelque chose à la quantité. Elle requiert no­ tamment le choix d’une unité, la permanence de cette unité, la possi­ bilité de la répétition pure... Nous n’avons pas à entrer dans ces questions, dont l’expérience triviale ignore l’existence même. Retenons cependant que, si la quantité fonde par nature un type propre de mésure, la mesure, même considérée selon ce type, ne fait pas partie intrinsèquement de l’essence île la quantité. En d’autres termes, l’es­ sence de la quantité est, pour la mesure selon l'augmentation et la diminution, un fondement nécessaire, mais non nécessitant. La mesure concerne en second lieu la qualité, Celle-ci, à l’inverse de la quantité, n'est pas ontologiquement univoque. C’est-à-dire que les qualités observables dans le cosmos réalisent l’essence de la qualité d'une manière plus ou moins parfaite. Cela tient à ce que la qualité est la «différence propre» de la substante. La hiérarchie qui existe entre les substances quant à leur perfection se réfléchit dès lots dans 118 I\ 1’RHVF. nF D1FU FT I. \ «QUARTA VIA» la manière plus ou moins parfaite selon laquelle les qualités réalisent respectivement l'essence de la qualité comme telle. De là vient que la « mesure», telle quelle ressortit à la quantité, n'est pas adéquatement applicable à la qualité. Par exemple, la mesure d’une perception sonore n’est pas réductible à l’ensemble des mesures du type quantitatif qui concernent respectivement chacun îles éléments en les­ quels cette perception est décomposable, \ compris les éléments subjec­ tifs. Analyser détruit, lorsque la réalité dont il s’agit est, par essence, l’ensemble. Avec la qualité s’introduit donc un nouveau type de mesu­ re. Les scolastiques en ont admis l’existence, intuitivement; l’existence d’un type propre de mesure pour la qualité est confirmée par l’impos­ sibilité de résoudre analytiquement le continu dans le discontinu: cela signifie que, même au sein de la quantité dès là qu’elle est concrè­ tement envisagée, existe un aspect qualitatif qui est irréductible. Appelons, comme il est classique de le faire, mesure intensive, cette mesure dont le type est propre à la qualité. La mesure intensive est légitimement appelée * mesure*, par analogie avec la mesure selon l’augmentation et la diminution qui convient à la quantité: car, dans l’un et l’autre cas, une comparaison, dont le résultat est exprimable par « plus » et « moins », est possible entre des réalités de même natu­ re. Mais, dans le cas de la qualité, le < plus » ne consiste pas « formaliter » en la répétition portant sur l'identique: il est lié au « tout com­ me tout », à la qualité originale du tout, en tant que celui-ci se dis­ tingue de la somme de ses parties. Le mot mesure est enfin appliqué à l’être lui-même: son sens, alors, récapitule les deux premières acceptions qui ont été indiquées: tout de même que l’être récapitidc, « eminenter », tous ses modes. Cela du moins est aisé à voir. L’être qui est dit plus * parfait » (qua­ litativement), également a plus d’être (quantitativement): ce (pie l’on peut confirmer, par exemple par induction, au point de vue opéra­ tionnel. Voilà donc une base, à partir de laquelle on peut caractériser ce troisiè­ me sens du mot mesure: mais, à vrai dire, ce sens est aussi difficile à expliquer et aussi impossible à définir (pie l’être lui-même. Cependant, c’est cette acception du mot mesure, ressortissant à l’ordre ontologique, qui est immédiatement impliquée dans le < matériau » de la « quarta via»; et cela, de quelque manière qu’on exprime celui-ci: «plus et moins », « degré », « différenciation », « différencié ». Préciser est donc, en l’occurrence, une nécessité; on peut y parvenir de deux manières, équivalentes d’ailleurs, abstraitement ou concrètement. Une relation, d’ailleurs véritable et réelle, est dite « de mesure » en tant qu’on la considère comme afférente à son terme. Celui-ci a, néces- AUCUNE RÉALITÉ N*A « PAR SOI » I)'fTRE DIFFÉRENCIÉE 119 sa i renient dans les conditions indiquées, et selon le point de vue formel qui spécifie la relation, « plus » d’être que le sujet de cette même relation. La « mesure » consiste donc, en l’occurrence, à référer « ce qui dépend » à « ce dont il dépend ». En sorte que le principe de la mesure, ce qui par conséquent joue analogiquement le rôle joué par l’unité dans l’opération de mesure quantitative, ce principe, c’est le maximum. Ce maximum-mesure est, dans une autre perspective, appelé archétype. La même acception du mot mesure se retrouve, impliquée concrètement, dans l’expression forma dat esse (”*). Dans l’être composé, c’est la forme qui donne l’être; et, d’autre part, la matière lui est relative (ei). On retrouve donc, au sein du composé concret, la relation de mesure entendue ontologiquement. Le terme de cette relation, savoir la forme, est à la fois principe d’unité et principe d’esse. Si donc on compare la matière à la forme, celle-ci d’une part est maximum quant à l’esse puisqu’elle en est la source prochaine; et, d’autre part, elle joue le rôle de l’unité puisque c’est à elle qu’une autre réalité est comparée. La mesure, considérée selon l’être, consiste donc bien, conformément au sens usuel et primitif du mot mesure, en une comparaison. Mais cette comparaison se fait en fonction d’un maximum; en sorte que ce qui est « le plus », c’est ce qui est « le plus proche » de ce maximum. L’induction fonde suffisamment cette définition. D’autre part, cette même définition pourrait être justifiée par le caractère simple de l’esse: on retrouverait d’ailleurs ainsi pourquoi on attribue aux êtres plus « parfails » d'avoir également « plus » d’être. Nous ne pouvons nous étendre davantage. Nous observons seulement, en terminant celte brève mise en place, que l’intuition de la « mesu­ re » selon cette acception ontologique équivaudrait à celle de 1’« esse » lui-même. C’est précisément parce que la perception quasi simultanée de l’un et de l’autre ne peut être qu’inadéquate, c’est pour cela que la « quarta via » est une voie, une forme de la preuve, non l’expression d’une évidence. Et c’est, en retour, parce que ces mêmes données — l’es­ se et le type propre de sa mesure — sont si proches de l’esprit, que S. Thomas paraît poser comme allant de soi: « Sed magis et minus dicuntur de diversis, secundum quod appropinquant diversi mode ad aliquid quod maxime est». b. La « différenciation » d’une réalité n’appartient pas à cette réalité « par soi », c’est-à-dire en vertu de la nature de cette réalité. Cela résulte, par induction, immédiatement, des trois sens du mot mesure que l’on vient de rappeler. («■·) Phys. L. II, ch 2. 194 b 9. 120 is MtRUVi nt nin >i n « quakta via» !_.< quantité discontinue est non différentiable, .1 fortiori indiffércnciablc. La quantité continue n’a d’etre « terminée», et pour autant différenciée, qu'en vertu d’élément* distingué·». lesquels sont par le fait même extrinsèques à son essence. Et si le* différents continus se distinguent par les type» dot die qu’ils incluent, ils ne sont pas respec­ tivement réductibles à ces types d’ordre. Il* sont donc non différen­ ciés les uns des autres selon leur homogénéité; bien que les types d'ordre' qu’ils incluent soient, pour la même raison epic le discontinu, mutuellement indifférentiable. La qualité comme telle, |x>ut laquelle le « plus ou moins » est « intensif », autrement dit de nature holonome, e*f, par le fait môme, différenciée par le sujet clans lequel elle inhère, non par elle-même. Enfin, r«csse», est ce dont la nature exclut, qu’il ail, ni vertu dr sa nature, une différenciation. Car si l’esse, comme tel, avait par nature une différenciation, sa nature serait celle de l’un de scs modes. L'« esse · est différentiable; mais, par lui-même, il est indifférencié: car il est, par lui-même, un transcendental. c. Le « différencié », comme tel, est un existant réel, si cl seulement si la réalité dont la différenciation le constitue formellement comme • différencie », est un trascendental, primordialement l\esse». 1. Ici est, selon nous, le point crucial de la « quarta via» comme preuve: car de là dépend la formulation précise de sa base [bl-b2]. Démontrer cette assertion est fort simple. Il convient toutefois, en l'occurrence, de distinguer deux sens différents du « par soi », con­ formément d’ailleurs à Aristote. Nous avons mis en oeuvre, dans tout l’ordre de· preuve (p. 37), un · par soi » que l’on pourrait appeler » quoad substantiam » P7); et nous avons observe'· que l’ordre propre du medium de pleuve [ml-m2] découle nécessairement du lait que le: « par soi » est par nature pri­ mitif. Ce qui est «par soi», c'est le suppôt, primordialement selon 1*«cmc·, et par dérivation selon les « modes de l’esse». Le second sens du « par soi · pourrait être désigné comme étant « quoad essentiam ». 1st «par soi» |x>ur une chose ce qui lui appar­ tient intrinsèquement, ce qui a pom sujet prochain, quant à l'attri­ bution et clone quant à la réalité, l'essence· de la chose. Etre « par soi», plis en ce sens, s’oppose à être «par accident», c'est-à-dire à la coïncidence fortuite dans le même sujet de deux accidents (Mi. (nn) Mrtaph. Δ. 101/ .1 22: χαΟ αύΐά ds «’va» Xiytrat · Il s’agit des signi­ fications du mot être, la première est celle de l'étrc < par accident»; viennent ensuite les χαΟ* αύτά. les significations χαΟ’ sont an«i nom Incuses que les catégories de I7trc: substance, qualité... Il ne s'agit donc pas, en l’occurrence, de la Il · Ull lifUN/.d. · M IOS I '· I .si · |s| SI I I uln. 121 2. Nous pouvons maintenant procéder à la dénions!ration. Le différencié, comme tel, c'est loin sujet auquel appartient · pat soi » //uoad essentiam la réalité dont il y a différenciation. ('.elle table est un différencié comme· ici au point de vue de la quantité, en tant cpie la quantité, considérée comme la réalité une dont il y a différen­ ciation, appartient à /elle quantité singulière qui est pour ci dans celte labié le pi incipe prochain de l'individuation. I/appartenance est évidemment « pci se » //»/o//d essentiam, au sens qui, immédiatement, vient d'ôtrc précisé. Pour que· le différencié comme tel soit un existant réel, il faut que cela même qui le constitue comme différencié, simultanément ci ipso facto le constitue comme Alant. Cela exige deux choses. Premièrement, la réalité dont il y a différenciation doit être· 1’« esse » : car c’est l'«esse * cl lui seul qui constitue formellement l’étant comme étant. Deuxièmement, l’attribution, et partant l’appartenance de cette réalité (l’« esse ») au «différencié étant », doit être le mode d'attribution et d'appartenance qui précisément est requis pour constituer en propre le différencié: ce mode d’attribution et d’appartenance, c'est le « par soi » quoad essentiam. Pour donc cpie le différencié comme tel soit un existant réel, il faut, récapitulant ces deux conditions, que 1’« esse » soit attribué à ce « clifférencié-existant », « par se » quoad essentiam. C'est-à-dire que 1’« esse » doit être attribué dans et à ce « différenciéexistant», à un sujet prochain auquel P· esse » convient en propre; l’attribution en question ne peut pas être.· «per accidens», c’est-à-dire par coïncidence loi tuile (fl0): même supposé que cela fût possible, l’« esse * attribué ainsi «per accidens» au «différencié», ne lui ap­ partiendrait pas intrinsèquement, et ne le constituerait donc pas corn me existant. Que Γ· esse » soit attribué, dans et au « différent ié-existant », à un sujet prochain auquel il convient en propre, cela est possible, Ce· sujet prochain, c'est l’essence: essence qui est le pi incipe réel mesurant l’esse, et réellement distinct de lui. Selon l’ordre de notre démarche, qui pro­ cède à partir de la réalité dont il y a différenciation c’est-à-dire de l’«essc», l'essence se trouve assignée comme «le sujet prochain iertée de l’apparente répétition: être, Eue; elle recou­ vre une inférence, d’ailleurs quasi immédiate. Si on demande quelle sorte d’être est l’Etant par Soi, quelle en est la «nature», il faut répondre que cette nature c'est l’être, c’est 1’« es­ se». De la résulte, nous l’allons voir, que son Essence est d’Etre, parce qu'il est l’Etant par Soi. Cette inférence est, quant au type, identique à celle que nous avons rencontrée à propos de la «tertia via»: elle consiste à passer d’une question de fait à une question de nature. Etant donné que l’Etant par Soi est démontré comme étant nécessairement la Cause de « quel­ que chose» dont il est impossible qu'il soit «par soi», l’Etant par Soi ne peut pas ne pas être «par soi ». Mais comment est-il par Soi? La conclusion [Cl] n’en dit rien. Voici maintenant l'inférence, quasi immédiate nous l’avons dit. L’Etant par Soi ne peut avoir aucun principe de mesure extrinsèque à LuiMême, puisqu’il est « par Soi ». Ce principe tie mesure est donc, ana­ logiquement pour l’Etant par Soi, ce qu’est l'essence concrète pour une substance parfaite. Or, si cette «essence» est l'«esse», il suit que le seul principe de mesure pour l’Etant par Soi, c'est l'esse. Que l’Etant par Soi soit par Soi, entraîne donc que, en Lui, l’esse n’a pas d’autre mesure que lui-même. Donc, dans l'Etant par Soi, l'esse est absolu: l'esse est l’Etre. Le fait que l’Etant par Soi est par Soi, entraîne que son essence est l’Etre. La preuve de l’affirmation dont nous venons de préciser la signi­ fication repose sur l’ordre de la preuve. L'Etant par Soi, conclu en [Cl], exclut la formalité [b2] selon laquelle l’existant qui est la base [bl] de la preuve, ne peut pas être « par soi ». Un existant dont il est impossible qu'il soit « par soi » requiert une Cause dont il est impossible qu'elle inclut la formalité entraînant né­ cessairement que l’existant considéré ne peut être « par soi ». En l’occurrence, l’Etant par Soi est démontré comme étant la Cause de l’étant dont il est impossible qu'il soit « par soi », parce qu’il est un différencié. L’Etant par Soi exclut donc, par nature, « ce en vertu de quoi » tout existant concret, simultanément, est formellement un étant, et e t formellement un différencié: c est-à-dire que l’Etant par Soi exclut par nature la differentiation de l’esse (Ts). Or il inclurait cette (’-) L'Etant par Soi exclut donc, corrélativement, d’être un « différencié » ou un «degré ». Il est, en ce sens, en dehors de l’ensemble des degrés. Telle est, radi- 1A «QUARIA VIA» CONDI II À l'fTRf PAR ESSENCE 131 différenciation ipso facto si il avait pour nature soit un mode de l’esse, soit même l’ensemble de tous les modes considéré comme « omne ». La nature de l’Etant par Soi, tel que le conclut la «quarta via», ne peut donc être que l'«esse». La preuve, selon la « quarta via [quae] sumitur ex gradibus qui in rebus inveniuntur », démontre l’Etant par Soi comme étant nécessairement cet Etant dont Γ E s s e n c e est d’E l r e . Cette détermination est en quelque sorte symétrique de celle qui est propre à la «tertia via », La même Identité objective, concernant intrinsèquement l’Etant par Soi, est exprimée selon deux ordinations inverses par la conclusion [C2] de la « tertia via » et par la conclusion [C2] de la «quarta via». calement, la difficulté à laquelle se heurte la démaiche que nous avons esquissée note 31. Peut-on fonder l’apodicticité de la « quarta via » exclusivement sur le « principe des degrés » ou équivalemment sur le « principe de l’ordre »? La réponse affirmative correspond au point de vue tout juste contraire à celui auquel nous nous plaçons dans le texte, et dont nous avons montré, note 71, qu’il est très vrai­ semblablement celui de S. Thomas. La difficulté qu’il y a à fonder la [veuve exclusivement sur le « principe de l’ordre » tient simultanément au fondement de ce principe et à son point d’ap­ plication. D’une part en effet, Dieu fait partie de l’ensemble des «étants», en ce sens que, analogiquement, 11 est; Il est. Lui également, un Etant. D’autre part, Il est transcendant... «séparé»; Il n’est ni un «cas», si éminent soit-il, de l’«esse», ni un «degré» faisant nombre avec les autres «degrés». A la question: «Dieu fait-il partie de l’ordre des étants?», il n’est donc pas possible de répondre « simpliciter » : oui ou non. Il est indispensable d’introduire des dis­ tinctions; et telle est la difficulté du côté « du point d’application ». En ce qui concerne 1’« origine», si on veut, premièrement déterminer la structure de l'ordre, deuxièmement en préciser la portée au point de vue métaphysique, ce qu’il convient primordialement d’examiner est ceci: le principe de l’ordre fait-il ou non partie de l’ordre; est-il, dans l’ordre considéré, un élément distingui par le degré propre de sa réalité; ou bien a-t-il une nature différente de celle des éléments dont l’ensemble compose l’ordre? Or la réponse à ces questions exige de distinguer différents types d’ordre; et, d’autre part, il n’y a aucun ordre observable, dont la structure soit assignable, et auquel soit comparable l’ordre fondé sur la relation du type créature-Créateur. L'analogie, inéluctablement, s'introduit ici au titre de medium. Or il est fort malaisé de faire porter l'analogie sur la « structure » comme telle. Nous n'entendons pas infirmer, par ces observations, ce que nous avons établi note 31. Nous voulons seulement souligner la difficulté d’une entreprise d’ailleurs grandiose. Car si le « principe de l’ordre » peut, à lui seul (?), conduire, par la lumière naturelle, du créé à l’Incréé, il est le seul qui, dans la lumière de la foi, permette quelque humble pénétration intelligible de l’Incréé. 152 f. IK PRU'VF Dt Mfl' n It «QUARTA via· La preuve, selon la « quarta via », démontre l’Etant par Soi comme étant simultanément immanent et transcendant à tout existant. La « quarta via » montre également d’une manière originale l’un des aspects du rapport entre l’Etant par Soi et chacun îles existants qui en démontrent l’existence. Nous le découvrirons en considérant analytiquement, en (onction de chaque existant, l’argument que nous avons développé, et en mettant en oeuvre autrement le principe de causalité. La différenciation consiste, rappelons-le, dans le fait qu’il existe plusieurs degrés d’une même réalité: éminemment, l’être, ou. par exemple, la vérité. Ce sont ces degrés que nous avons appelés les «différenciés». Lorsque la réalité dont il y a différenciation est un transcendental, le même qui l’affecte est réel à deux points de vue différents. 11 importe de distinguer ces deux points de vue; car, de la simul­ tanéité des réalisations qu’ils spécifient respectivement, résulte une jus­ tification du principe des degrés par le principe de causalité. Le «même» est réel, au sein de la réalité, disons au sein de 1'« esse », dont il y a différenciation; c’est-à-dire que la même réalité se retrouve en tous ces degrés. Et comme ces degrés sont différents, cette réalité qui se retrouve en eux tous, leur est nécessairement transcendante. On reconnaît là, d’ailleurs, une propriété de l’universel métaphysique. D'autre part, le « même » est réel en ce sens que, concrètement, c’est la même réalité qui est constitutive de chaque degré, constitutive formellement de chaque différencié: en sorte que cette réalité est im­ manente à chaque degré. Eu égard à la réalité concrète de chaque degré, transcendance et immanence sont donc également constitutives; et comme elles sont, par essence, antinomiques, chaque degré inclut essentiellement, en sa réalité, une dualité. 11 ne peut donc être par soi (T3). En vertu du prin­ cipe de causalité [pl-p2], chaque degré est donc par un « autre ». Cet « autre » exclut le type de composition en vertu duquel chacun des degrés en requiert l’existence; en lui, par conséquent, trans­ cendance et immanence s’identifient: il est donc unique. Ainsi, chaque existant, en tant qu'il est un «degré», un différencié selon l’«esse», exige une Cause, la même pour tous les degrés, à la fois immanente et transcendante à chacun d’eux. (73) Nous admettons que: «L’union inconditionnée du divers est impossible». Il est indubitable que ce principe est vrai. Mais nous ne pensons pas qu'il soit analytiquement réductible au principe d’identité. I,Λ « QUARIA VIA» .MANII LS IL DU .U IRAXSCf M»ANOL H IMMANENT 133 Ce rapport d'immanence et de transcendance peut être désigné, heureusement, par le mot participation, (/est lui que met en évidence cette seconde manière, moins rigoureuse toutefois parce qu’au fond plus abstraite (n)< de présenter la < quarta via >. (74) Nous disons que cette seconde manière de présenter la « quarta via » est plus abstraite, parce que, implicitement ou explicitement, elle fait état du prin­ cipe rappelé note 73. Or ce principe est énoncé en termes si universels, qu’il ne nous paraît pas soutenir, avec la perception des réalités concrètes, un rapport assez immédiat pour le fonder adéquatement. C’est en ce sens que nous l’estimons plus abstrait, en son universalité, que le principe de causalité: lequel rend apodictique la preuve, partant chacune des «voies», la «quarta via» en particulier. V - La preuve, selon la « quinta via QUAE SUMITUR EX GUBERNATIONE RERUM », DÉMONTRE L’ÉTANT PAR SÔI COMME ÉTANT NÉCESSAIREMENT.* ACTE SIMPLE, JOIE D’ÊTRE, FRUITION SUBSISTANTE, BÉ ATITU DE S U BS I STANTE. Le « quelque chose » existant réellement, et dont il est impos­ sible qu’il soit « par soi », c’est 1’ ê t r e de nature en tant que lui est inhérente une inclination-finalité [bl], i n trinsè quement non consistante [b2]. Nous devons établir cette base de la preuve, «pii constitue la condition nécessaire et suffisante de la validité de l’ordre de preuve exposé p. 37. Nous pourrons alors indiquer, conformément au même ordre, la teneur propre que revêt la conclusion [C2] dans la «quinta via». a. La définition et la réalité de l'inclination-finalité. 1. Les mots « inclination », « finalité », sont en fait chargés par nos contemporains d'un métaphysicisme qui les rend suspects, voire inacceptables. Nous les employons cependant, pour deux raisons. Premièrement, il ne convient jamais, et moins que jamais si on cherche à faire une détermination rigoureuse, de tenir compte de pré­ jugés dont seules rendent compte l’ignorance et la négligence. Que l’usage du mot finalité ait véhiculé beaucoup d’anthropomorphisme, c’est indubitable. Mais si l’on proscrivait du discours, meme scienti­ fique, tous les termes dont on a abusé, quel \ocable demeurerait « va­ lable»; car, enfin, si l’on applique ce critère, le mot «valable» luimême est-il encore valable...? 11 est nécessaire de créer des mots nouveaux pour désigner des réalités nouvelles (,s). Mais on introduit seulement de la confusion en chan(75) Les deux choses sont par nature, cl doivent en fait demeurer étroitement liées. Mais, évidemment, leur connexion ne peut exister que si on en respecte la distinction. L'homme ne crée aucune réalité: il découvre, implicitement ou expli­ citement, dans le Verbe, la réalité qu’il exprime en son propre verbe. « Au Com­ mencement était le Verbe ». «au commencement était le signe·. Ce n’est pas coïncidence fortuite que l’on doive ranger parmi les «signes du temps», et simul­ tanément. l’oubli du Verbe de Dieu et l’aliénation de la métaphysique du signe, lx* signe est hypostasié et adulé lorsqu’il flatte, il est bafoué et éliminé lorsqu’il gene; dans l’un et l’autre cas. il est détruit comme signe. Quant au Verbe de Dieu, les chrétiens eux-mêmes Le relèguent au Désert de la Divinité. Ils le remplacent par la « parole de Dieu ». dont le sens est en fait décrété par l’exégèse « savante » toujours changeante, et non par la continuité divinement garantie de la tradition vivante. L'UNIIÉ ANALOGIQUE l»l IX HNAIHÎ. EX MONTRE LA RÉALnfc f O* I.M géant la dénomination de données demeurées inchangées. 11 est, dans ce cas, préférable — et de beaucoup, tant au niveau de la science qu'à celui du sens commun — de rectifier le sens des mots, de maintenir par un constant labeur l’équation qui doit exister entre le signe men­ tal et verbal d’une part, la réalité mieux connue parce que mieux ob­ servée d’autre part. Deuxièmement, nous déterminons présentement la base de la preuve: c’est-à-dire que nous assignons telle réalité [bl] qu’il faut considérer sous tel point de vue formel [b2]. Les termes qui désignent cette réalité ont nécessairement, dans ces conditions, deux acceptions. L’une correspond à l’observation, l'autre à son interprétation. Mais c’est évidemment un sens concret et relevant de l’expérience qui, primordialement, se trouve exigé par l’ordre de preuve lui-même pour les mots « inclination », « finalité». 11 serait incohérent, au point où nous sommes, de partir d’une acception métaphysique et d’une définition a priori de ces mots. Quelle qu’en soit, pratiquement, la signification actuelle, notre première tâche est de montrer qu’il leur correspond en fait un contenu réel. Il est cependant indispensable, en toute occurrence, de préciser ce dont on part. La définition nominale de la finalité, répondant d’ail­ leurs à une perception spontanée, est si connue qu’il suffit de la rappeler. La « fin » est, d’une part, ce en vertu de quoi on agit: d’autre part, le résultat effectivement obtenu par Γeffectuation de l’action (7e). En ce second sens, la « fin » désigne formellement ce que l’être consi­ déré acquiert en vertu de son opération: mais il arrive également que le mot «fin» soit pris au sens de «achèvement»: il désigne alors concrètement l’état dans lequel se trouve cet être, au terme de cette opération, et en vertu du résultat produit par cette opération. Deux différences, relevant respectivement de points de vue diffé­ rents, sont à noter entre ces deux acceptions du mot « fin » : fin-moti­ vation, ou fin-inclination d'une part; fin-résultat, ou fin-achèvement d’autre part. La première différence tient au niveau abstractif. Le motif, le projet, l’inclination ne ressortissent pas au même degré ontologique que le résultat ou terme de l’opération. La seconde différence provient de la nature de l’être matériel: et mê­ me, radicalement, de la contingence propre à l’être créé. Inde; cn70) Nous reprenons la distinction classique, niais qui n'a pas cessé d'être con­ forme à l'expérience la plus triviale: finis cujus gratia, finis cui. Nous laissons de côté l’étude de cette question. 136 ΙΛ Htll'U PI PIH II I' «QUINTA VIA· damment de l'écart qui, toujours, sépare le plus concret de ce qui, par rapport à lui, est abstrait, le « résultat » ne répond jamais adé­ quatement au « projet ». Le signe en est que le même projet, paraissant être rigoureusement le même, aboutit en fait « toutes choses égales d’ailleurs »... ou supposées telles, à des résultats qui sont différents. En d’autres termes, abstraction faite du degré de concrétude, la « finprojet » et la «fin-résultat » devraient être identiques formellement (J1); elles devraient présenter, intégralement, les mêmes déterminations. Or en fait, il n’en est jamais ainsi: la «forme» du résultat effectivement atteint, n’est jamais la « forme » du projet qui lui correspondait. Nous admettons donc comme données les définitions nominales que nous venons de rappeler. Elles sont suffisamment précises au titre de point de départ. Elles concernent premièrement le mot «fin»; elles visent également les mots qui lui sont naturellement associés et que nous avons d'ailleurs mentionnés: projet, motivation, inclination... Ces mots ressortissent à des contextes sémantiques différents: les réalités qu’ils désignent respectivement, également, sont différentes: cependant, ces mêmes réalités sont « un », analogiquement: c’est ce que nous al­ lons observer maintenant. 2. La portée réelle de la « finalité-inclination », ou le fait qu’un existant réel puisse être envisage réellement sous cet aspect, cela doit être établi par l’observation. C’est toute une philosophie de la nature qui se trouve ici impliquée. Nous devons nous contenter de marquer, aussi solidement que possible, quelques jalons. Nous admettons que, pour l’homme, les notions dont il vient d’être question ont une portée réelle: pour cette raison évidente qu’el­ les sont extraites tic l’expérience humaine. Cette expérience « vie sens commun» peut paraîne insuffisante, au regard d’une «science» qui s’efforce de réduire l’homme à une machine cybernétique perfectionnée. Nous n'entrons pas dans cette discussion. Nous admettons d’une part que l’homme est esprit, d'autre part la transcendance de l’esprit. Dans ces conditions la finalité s’im]>ose comme une donnée inhérente à la nature de l’homme, et d'ailleurs comme le fondement de la moralité. Tous les humains poursuivent une lin, le bonheur: ils se distinguent par l’estimation différente qu’ils font de la nature du bonheur; et, également, par le choix qu'ils font des moyens supputés aptes à l’ob­ tention de cette fin qui, pour chacun, spécifie le bonheur. Ces choses, nous n'avons pas à’es analyser en elles-mêmes. En retour, il importe de (Π) C'est ce qu'Aristote exprimait en disant: la forme et la fin son une même chose. L'UNITÉ ANALOGIQUE DK ΙΛ FINALITÉ IN MONTRE LA RÉALITÉ 137 leur donner, en vue de leur mise en oeuvre dans la présente étude, une expression différente de celle, classique d’ailleurs, que nous venons de rappeler. L'homme poursuit une fin. Chaque homme poursuit telle fin. Kt, encore une lois, nous ne discutons pas ici la question de savoir quelle est, pour l'homme, la Fin véritable. Nous enregistrons un fait, observable et incontestable: chaque être humain poursuit une fin. Le caractère à la fois spirituel et incarné de l’homme rend compte de­ là première des deux différences (pic nous avons mentionnées ci-dessus. Le projet, qui est dans l’esprit, n’est pas de meme nature (pie le ré­ sultat, auquel cependant il correspond, en droit du moins, adéqua­ tement. L’esprit, par nature, saisit l’être·, «par nature», cela donne ipso facto une portée réelle aux notions de « projet », « motivation », « inclination » etc. C’est par ce biais d’ailleurs que la finalité s’est trouvée hypothéquée d’anthropomorphisme. On a, plus ou moins ex­ plicitement, projeté et inséré en des réalités infrahumaines un caractère qui, en propre, est humain. Erreur explicable, non pas cependant excusable: car, ce faisant, on a méconnu en fait la nature essentielle­ ment analogique de la métaphysique classique. Mais nous pouvons laisser ce point de côté: car ce n’est pas lui qui nous intéresse for­ mellement. L’homme poursuit une fin; la « fin-résultat », qui est concrètement « ce en vue de quoi » l’homme agit, est, dans l'esprit de l’homme, la « finprojet ». Or ce fait peut être observé et exprimé de telle manière que la similitude en apparaisse avec d’autres faits également observables. Que tel homme choisisse et poursuive telle fin, voilà un premier déterminisme que nous appelons déterminisme de finalité. Nous entendons par là que le fait de poursuivre telle fin entraîne, la mise en oeuvre de certains moyens: «entraîne», nécessairement, ou relativement. // est impossible d'assigner à cet égard une norme uni­ voque: là est le point essentiel, caractéristique, en vertu duquel nous nous permettons d’appeler « déterminisme de finalité » cette sorte d'im­ plication des moyens par la fin. Nous écartons donc une autre signification, que l’on pourrait donner à celte même locution. Chaque homme est libre, en ce qui concerne son acquiescement à la Fin; dans quelle mesure est-il prédéterminé concernant le choix des fins secondaires, elles-mêmes ordonnées à la Fin? Voilà un second sens de la locution «déterminisme de finalité». Nous laissons ce sens de côté. Chacun des moyens, impérés en fail par le «déterminisme de finalité», comporte lui-même, quant à sa mise en oeuvre, des lois qui tiennent à sa nature. User de tel moyen au titre d’« instrument » implique la 13« ΙΑ CRUM l»l nil υ II IA . QI IM A VIA. connaissance de ces lois; cela implique également la possibilité de faire en sorte que les unes s'appliquent effectivement, tandis que d'au très ne s'appliquent pas dans les conditions où on opère. Cependant, celle possibilité est limitée, l'ont instrument a un champ d'efficacité; pour large que celui-ci puisse être, il est spécifié. En un mot, il \ a un déterminisme propre à chaque moyen, déterminisme plus strict et d'une autre nature que le «déterminisme de finalité» qui inqàüe le choix de ce moyen. Ce déterminisme, propre à la nature de chaque moyen, ressortit à 1« ordre des causes formelles et efficientes». Nous l’appellerons, en abrégé, déterminisme d'efficience. Nous concluons donc que l'observation de l’homme, comme «eue de nature», et quoi qu’il en soit de sa destinée proprement spirituelle et par dessus tout surnaturelle, montre l'existence, dans le même sujet, de deux types de déterminisme, à la fois spécifiquement distincts et nécessairement coordonnés. En effet, d’une part, l'un impère l’autre·, et, d'autre part, ils n’ont respectivement île sens que mutuellement l’un par l'autre. Le déterminisme de finalité et le déterminisme d'efficience constituent, pour l’homme, deux parties intégrantes, mutuellement nécessitantes, et intrinsèquement ordonnées, de l’inclinât ion-finalité. 3. La même observation peut être faite, à propos du vivant non humain. Nous renvoyons à ce (pie nous avons rappelé, p. 57, concernant la formation de l’oeil dans l’embryon. La virtualité de la cellule-oeuf inclut deux processus de natures différentes. Lorsque l’oeil se forme selon le processus normal, c'est-à-dire sans l’ablation du point où la focalisation est maximum en faveur de sa genèse, il y a déterminisme d’efficience. Lorsque l'oeil se forme, malgré cette ablation, joue un processus « de suppléance». Ce processus, d'une part aboutit au meme résultat (pic le processus normal: d'autre part, il repose sur la réorganisation appro­ priée des virtualités (pie présente la cellule-oeuf à un certain point de vue, savoir celui de la réalisation de ce meme résultat. One l’oeil soit formé, voilà donc « ce en vue de quoi » a lieu ce processus de suppléancc, lorsqu’il se réalise. Nous disons, dans ces conditions, (pic ce processus de suppléance cons­ titue un «déterminisme de finalité». 11 ne lain évidemment pas don­ ner, en l’occurrence, au mot « fin » la signification qu'il a dans le cas humain. 11 reste cependant (pie, analogiquement, se retrouvent pour le vivant non intelligent les deux composantes qu’intègre pour l'hom­ me le déterminisme de finalité: d'une part, l'ordination à l’obtention Γυ.Νΐιί ANAiiK.iQur m i\ iisuui in mwiri. i\ réaiiif 139 d'un résultat, ordination rendue manifeste, lorsque les conditions nor­ males de (elle obtention sont supprimées; d’autre pan, l’existence d’un déterminisme d'efficience, impéré et mis en oeuvre en fonction de celte ordination, puisque précisément ce déterminisme d’efficience, réalisé ci observable, est différent dans le processus de suppléance d'une pan, dans le processus normal d'autre part. Enfin, observons que ce processus de suppléance, même lorsqu’il ne se produit pas, est inclus en fuit et objectivement, « secundum vir­ tutem » c'est-à-dire «virtuellement», dans l'embryon vivant. 11 existe, clans la cellule-oeuf une inclination objective à la formation de l’oeil: puisque, d'une manière ou de l'autre, l'oeil se forme. Sous certaines conditions, bien entendu; mais il n’y a aucune expérience qui ne suppose des conditions. Nous devons donc répéter, et partant confir­ mer, les conclusions du paragraphe précédent. Le déterminisme de finalité et le déterminisme d’efficience cons­ tituent, pour le vivant, deux parties intégrantes, mutuellement néces­ sitantes et intrinsèquement ordonnées, de l’inclination-finalité. Ces deux derniers mots doivent évidemment être entendus au sens analogique qui convient au vivant non intelligent. 4. La meme conclusion résulte de la considération du cosmos au niveau physique. Le déterminisme dit stochastique s’impose comme un fait: aux extrêmes, c’est-à-dire dans l'infiniment petit comme clans l’infinimcnt grand; mais également à l'échelle humaine, clans le jeu de pile ou face par exemple. Ce type de* détermination tient à la répétition supposée pure: c’est-àdire à la répétition, fondée en définitive exclusivement sur la matière, d’un phénomène supposé· identique à lui-même en chacun de ses cas. Nous n’avons pas à développer ici la philosophie du calcul des pro­ babilités (ΤΛ). Nous devons d'abord enregistrer le fait: cent jets de la même pièce se partageront toujours approximativement d’une manière égale: cinquante fois «pile», cinquante fois «face». Il est très facile de démontrer qu’il existe une expression .analytique, et rigoureusement équivalente du même fait, à savoir: tous les cas, a priori également possibles eu égard aux conditions de l’expérience, se réalisent effecti veinent le même nombre de fois. Donc, nous le répé­ tons, démontrer que les deux manières d'exprimer ce même fait s’im­ pliquent mutuellement, déterminer les écarts probables par rapport à ce fait etc... tout cela relève du calcul des probabilités. PH) Nous renvoyons à: 1. Revue des Sciences philosophiques cl théologiques tome 35, 1951. pp. 282-302; 2. Bulletin thomiste, tome X, η. 1; supplément, pp. 10·-22·. 140 t\ riuvvi üe mi υ m i\ «quinta via > Niais, an point de vue auquel nous nous plaçons, qui est celui de la preuve, ce qui importe c’est le fait, et son intelligibilité, et ce ne sont pas ses conséquences. Deux attitudes extrêmes, et également inacceptables, circonscrivent, à cet égard, ce que l’on peut entrevoir de l’interprétation juste. On ne saurait attribuer à une «intention de la nature», semblable à celle de l’homme ou à celle du vivant, l’équipartition observée pour la fréquence, ou équivalemment la portée réelle de l’équiprobabilité élémentaire. Niais, en retour, trop de philosophes des sciences, trop peu savants, donnent à entendre, par la manière dont ils s’expriment, que la « loi des grands nombres » est démontrée mathématiquement. Oui, elle est démontrée quant au calcul abstrait, ou même si l’on veut pour les pièces ou les dés qui sont encore «en l’air»; mais pour les dés tom­ bés. cette loi est exclusivement empirique: elle se réduit à la constata­ tion du fait que nous avons rappelé. 11 y a une correspondance appro­ ximative et constante entre ce fait, d’une part, et le calcul abstrait d’autre part: mais le calcul n’explique rien ni de ce fait ni de cette correspondance. Dans ces conditions, le plus facile serait de renoncer à comprendre. Il y a un fait, dont ne rendent compte ni le calcul qui est réellement dans l’esprit ni l'intention que l’on serait tenté de prêter à la nature. Tirons les conséquences de ce fait, n’en recherchons pas les causes: voilà tout. Niais cela, qui est légitime pour le savant, serait empirisme inacceptable pour le philosophe, sacrilège peut-être pour le théologien. La réalité qu’exprime la loi des grands nombres est créée par Dieu: elle doit conduire jusqu’à son .Mystère. Or le fait qu’existent, à ce niveau du cosmos physique, deux détermi­ nismes s|»écifiquement différents et mutuellement connexes est certes plus obscur que dans le cas de l'homme ou dans le cas du vivant: mais il n’est pas moins certain. Appelons encore, compte tenu de l’analogie, «déterminisme de finalité», le lait que nous venons de rappeler: équipartition de la fréquence observée ou portée réelle de l’équiprobabilité. Les choses se passent toujours ainsi; donc, tout se passe comme si le cosmos est tel qu elles doivent se passer ainsi; le fait observé se présente comme un résultat qui doit être obtenu: c’est en ce sens tout objectif, n’impliquant certes pour le cosmos aucune « intention » consciente, que l’on peut parler, analogiquement, de fi­ nalité. Niais comment (:o) en est-il ainsi? Telle est la question. (î») Nous ne disons pas « pourquoi » : car nous en sommes à déterminer la base de la preuve; nous devons donc faire état de la science, non de la Sagesse. iJuNITÉ ANALOGIQl'l f>l. I \ FINALITÉ: FN MONTRE LA RÉALITÉ 141 Nous préciserons les sens de cette question en observant qu’elle ne serait pas résolue, même si on supposait possible de déterminer adéquatement toutes les conditions qui sont à l’origine de chacun des jets de la même pièce cent lois de suite. Cette détermination, supposée parfaite, du complexe causal permettrait de dire: cette fois-ci, pour ce jet présentement exécuté, la pièce va présenter, une fois tombée, tel de ses côtés. Cette prévision reposerait, supposé qu’elle fût possible, sur un déterminisme d’efficience analytique, c’est-à-dire considéré pour tel jet déterminé. Mais cela ne ferait que reporter, du côté de la cause, la question que pose le fait observé comme effet. Comment se fait-il que le complexe causal, déterminant rigoureusement pour chaque jet la position de la pièce tombée, et variable en fait pour chaque jet, se réalise cent fois de suite différemment, de telle manière cependant que l’équipartition de la fréquence soit réalisée? Comment cela se faitil? Et observons, en passant mais utilement, que l’existence — discu­ tée — des « paramètres cachés » pose et laisse en suspens exactement la même question. Et cette question revient à ceci: le déterminisme analytique rigou­ reux, supposé qu’il existe, c’est-à-dire dans notre exemple pour chaque jet, ce déterminisme analytique ne rend pas compte du déterminisme stochastique. Autrement dit, il est erroné de concevoir le déterminisme stochastique comme étant la forme prise par le déterminisme analy­ tique en raison de notre ignorance. Le déterminisme stochastique joue en effet ce rôle: il recouvre notre ignorance d’une rigueur que l’expé­ rience prouve être suffisante. Mais le déterminisme stochastique ne peut se réduire à ce rôle: parce que précisément cette rigueur suffisante observée, a son fondement dans les choses et non dans la pensée. Comment, donc, le déterminisme stochastique est-il fondé dans la réalité? On est contraint d’affirmer, au minimum, que les évènements successifs, constitués par la répétition du même phénomène, ne sont pas indépendants les uns des autres: ce que l'expérience montre dans l’effet, nécessairement est vrai dans la cause. Si les complexes causais respectivement associés à chacun des différents évènements étaient divers et sans rapports mutuels, les évènements eux-mêmes seraient divers et sans lien mutuel. Or, précisément, ils sont observés comme solidaires. En quoi consiste ce lien du côté causal? Suffit-il de le faire consister dans 1« égal » qui lient radicalement à l’indétermination île la matiè­ re? Nous le pensons en effet (rs): non pas que nous l’estimions vrai­ ment suffisant, mais nous ne voyons pas comment aller plus avant. Quoi qu’il en soit, un lien existe au sein de l’univers physique comme tel, lien qui est pour le moins l’un des fondements du déterminisme stochastique, qui s'en distingue donc puisqu’il se tient par rapport à celui-ci du côté de la cause; lien enfin qui est lui-même déterminisme. 142 1A I’RKXF DE Dll V ET lA «QUINTA VIA» parce qu'il constitue en (ait la seule cause nécessitante assignable pour le déterminisme stochastique observé. Ce lien, radicalement intrinsè­ que au cosmos physique, en chacune de ^es parties en vertu de sa tota­ lité, se manifeste donc dans un certain déterminisme requis pour fonder le déterminisme stochastique. L'expérience montre donc encore, à ce niveau élémentaire, l’exis­ tence de deux déterminismes spécifiquement distincts et mutuellement solidaires: le cosmos manifeste par le déterminisme stochastique, ob­ servable en certaines de ses parties actuées, le « déterminisme d'indéter­ mination » qui est immanent à sa totalité. Et, tout de même que nous avons rapproché, analogiquement, du déterminisme de finalité, le déterminisme stochastique qui « doit aboutir » à tel résultat; ainsi, selon la même analogie pouvons-nous rapprocher le déterminisme d’indifférence du déterminisme d’efficience: car ils sont l'un comme l’autre, à la fois le principe et la norme des éléments sous-jacents aux déterminismes de finalité qui leur sont respectivement associés. Le déterminisme de finalité et le déterminisme d’efficience cons­ tituent donc, pour le cosmos, deux parties intégrantes, mutuellement nécessitantes et instrinsèquement ordonnées, de ce qui constitue, pour le cosmos, l’analogue de l’inclination-fînalité: savoir l’ordre qui existe entre les deux tv|>es de normes qui lui sont essentielles: type analy­ tique d’une part, type stochastique d'autre part. 5. Nous avons ainsi établi, brièvement mais aussi solidement que possible, la base [bl] de la « quinta via >. Les êtres de nature pré­ sentent une dualité ordonnée, au |x>int île vue de la finalité, ou équivalemment au point île vue du déterminisme. Nous devons maintenant achever d’établir la base selon son aspect [b2]: c’est-à-dire montrer comment, envisagé sous le rapport de la finalité, l’être de nature est une réalité dont il est impossible qu’elle soit « par soi ». 11 y a deux manières de le manifester, car la finalité peut être considérée soit exclusivement comme une réalité objective, soit comme une catégorie de la causalité. Nous nous placerons successivement à l'un et à l’autre de ces points de vue. b. Les êtres de nature, considérés sous le rapport de la finalité, cons­ tituent des réalités non consistantes, dont il est par conséquent impossible qu’elles soient < par soi*. [La finalité est considérée présentement, comme une réalité objective exclusivement]. Nous avons rappelé ci-dessus l’écart, en un sens trop connu, entre la fin visée et la fin atteinte: entre la « finis cujus gratia » telle qu’elle I.’f.l RI DF NATURE n'a PAS « PAR SOI · Ι Α FINALITÉ 143 est motivation dans la réalité, et la « finis cui » telle qu’en définitive elle est possédée. Cet écart, nous l’avons exprimé autrement, de façon à assurer à la base de la preuve une amplitude incluant au moins en droit toute la réalité. Le déterminisme de finalité et le déterminisme d’efficience sont, où qu’on les observe, spécifiquement distincts, mu­ tuellement nécessitants, intrinsèquement ordonnés. Nous devons maintenant ajouter que ces deux aspects de la finalité, ou ces deux types de déterminisme sont disjoints, et cela objectivement, dans la réalité. Le déterminisme d’efficience est effectivement ordonné au déter­ minisme de finalité, il en est objectivement l’instrument; mais jamais, en fait, l’instrument n’est adéquat, jamais l’« ordination à > ne se termine adéquatement dans ce terme auquel elle correspond cepen­ dant. Nous ne nous attarderons pas à le montrer: il suffit de reprendre chacun des exemples ci-dessus indiqués. Partout s’introduit un hiatus, une rupture: la fin, c’est, en fait, ce qui arrive en dernier, et qui n’est pas le but primitivement visé. L’observation manifeste ce qu’on pourrait appeler une super-contin­ gence: la contingence à l’état pur, que nous avons assignée comme fon­ dant radicalement le déterminisme d’efficience pour le cosmos, n’est pas, elle-même, l’instrument adéquat du déterminisme stochastique: dans ce cas, celui-ci serait rigoureux, c’est-à-dire qu’il ne comporterait pas d’écart. 11 y a donc, en fait, en chacun des cas que nous avons examinés, un hiatus entre les deux formes que revêt le déterminisme: c’est-à-dire une rupture de l’ordination en quoi consiste essentiellement la finalité. Cela induit à conclure, en vertu d’une induction suffisamment fondée puisqu’elle va du cosmos jusqu’à l’homme, que l'être de nature consi­ déré selon la finalité, n’est pas un. Nous pouvons dès lors invoquer, avec assurance cette fois, le prin­ cipe que nous avons ci-dessus rappelé (TS). L’union inconditionnée du divers est impossible. L’être de nature, en tant qu’il ressortit à la fina­ lité, est non consistant, et il ne peut être « par soi ». C’est qu’en effet, il ne s’agit pas, en l’occurrence, du « divers » pris en général; il s’agit de l’imité qui concerne un existant réel. Car la finalité, au sens analogique où nous l’avons entendue, n’est pas un accident; elle est une catégorie ontologique: elle affecte l’être même, en sa réalité, en chacun des cas que nous avons envisagés. L’aliéna­ tion d’unité concerne donc l’être de nature en même temps que sa propre finalité. Or, l'unité étant convertible avec l’être, ce qui n’est pas un, pour autant, n’est pas. La finalité, dans tous les cas où nous l’avons observée. — et donc, 144 la PREUVE DF. DIEU ET LA « QUINTA VIA» est-il à présumer, dans tous les cas où elle est réelle —, est non con­ sistante, en raison de la dualité et même de la rupture qu'elle inclut. L'être de nature, considéré sons le rapport de la finalité qui lui est inhérente, ne peut pas être «par soi»: car il inclut à cet égard une dualité qui affecte l’être lui-même: tandis que ce qui est « par soi » nécessairement est un dans son être, comme il l est, par définition, dans le suppôt qui est le principe même de son être. c. Les êtres de nature, considérés sous le rapport de la finalité, cons­ tituent des réalités non consistantes, dont il est parconséquent impossible qu'elles soient « par soi ». [La finalité est présentement considérée, comme une catégorie de la causalité]. Nous rappelons que la causalité n’est rien autre que l'appréhen­ sion faite, des normes de l’être, par l’esprit qui est «capax entis». La finalité est, comme on sait, l’aspect primordial de la causalité. Elle concerne, au moins relativement, le « pour quoi » et pas seulement le « comment ». c 1. La finalité est affectée d’une dualité, réelle comme elle l'est elle-même. 1. La dualité que nous avons observée, l’analogie qui existe objec­ tivement entre les différents cas où elle se réalise: tout cela, à ce second point de vue, demeure, mais s’exprime alors autrement. Voici, récapi­ tulée autant qu’il se j>eut en son principe, la dualité qui affecte la finalité, en tant que celle-ci est une catégorie de la causalité. La finalité comprend deux choses. D'une part, l’appréhension qui est faite de la fin « sub ratione finis», en tant que celle-ci joue effectivement le rôle de fin. D'autre part, la conformation progressive, et plus ou moins adéquate, de tel sujet existant à ce qui pour lui, objectivement est la fin, con­ formation pour laquelle ce sujet inet en oeuvre la relation — ontolo­ gique ou intelligible — qu'il soutient avec ce qui, objectivement, est la fin. 2. 11 convient de préciser la nature de cette dualité. Car, dans l’un et l’autre de ses membres, figure une certaine appréhension, par un sujet, de ce qui, objectivement, est pour lui. la fin. .Appréhender la fin « sub ratione finis », c'est-à-dire quant à son rôle, appartient seulement à l'être intelligent. Cependant, la fin n’est pas seulement motivation abs­ traite à l’origine de l’action, elle est également inspiration permanente tout au long de l'exécution. Or, ce second aspect de l’appréhension de I.'trRE Of NATURF N*A PAs «PAR SOI» LA FINALITÉ 145 la fin doit être attribue également aux êtres non intelligents, bien que d’une autre manière évidemment. On le comprendra mieux en analysant d’une manière plus précise ce qui a lieu pour l’homme lui-même. Nous sommes donc amenés à examiner en quoi consiste, pour l’homme, la dualité inhérente à la finalité considérée comme catégorie de la causalité. Le désir et la joie de connaître sont inhérents à la nature intel­ lectuelle. Toute démarche ordonnée au savoir est donc, pour l’homme, impérée par une inclination de nature. Savoir est un bien, pour qui en est capable; c’est donc spontanément que l’homme exerce, en vue d’acquérir le savoir, l’acte de connaître: et cela, conformément à la nature et aux nonnes du connaître. La première de ces normes est le caractère auto-conscient de l’acte de connaissance. Connaître impli­ que en acte, implicitement mais nécessairement, que l’on se sache con­ naissant. L’homme qui pose un acte de connaissance en vue de savoir, réalise donc simultanément deux choses: premièrement, il se porte vers sa fin (au moins vers ce qui mesure cette fin dans l’ordre naturel): deuxièmement, il est conscient de connaître. Et cependant, il ne résulte pas de là que l’homme ait, ce faisant, conscience de se porter vers ce qui est sa fin. Il se peut très bien, répétons-le, que l’homme cherche à connaître, parce qu’il estime spontanément et connaturellement que savoir est son bien, et que par le fait même l’homme se sache connaissant conformément au caractère auto-conscient de l’acte de connaître: et, cependant, bien que réalisant simultanément l’un et l’autre dans le même acte, l’homme peut ignorer que, en exerçant cet acte, il tend vers sa fin. Dans de telles conditions, l’homme appréhende le savoir, à la fois adéquatement c’est-à-dire d’une manière conforme aux normes du savoir ex parte objecti, et connaturellement c’est-à-dire comme constituant son bien ex parte subjecti. Et cependant, dans ces mêmes conditions, l’homme n’ap­ préhende pas sub ratione finis le savoir qui, objectivement est son bien et sa fin. Pour qu’il en soit ainsi, pour que le savoir soit appréhendé par le sujet en acte de connaître sub ratione finis, il faut que l’acte de connaître soit conscient non seulement en vertu de sa nature, et pour ainsi dire objectivement, mais également en tant qu’il est un acte du sujet. Or autre chose est, pour le sujet intelligent, de poser un acte d’intel­ ligence, acte auto-conscient par nature: autre chose de rapporter cet acte à lui-même comme personne. Que tel acte soit de moi, de moi en tant que je suis une personne libre et que je poursuis librement ma fin, cela n’est pas inclus formellement dans la spécification de ce liti LA PREUVE ΟΕ DtFV FT L\ « QUINTA VIA » même acte en tant qu’il assure, de soi aussi bien qu’actnullement, l’ap­ préhension de son objet propre. On voit donc que saisir la fin « sub ratione finis » ne requiert pas seulement de connaître en elle-même et objectivement cette réalité qui est la fin, ni même seulement d’avoir, de cette connaissance, une conscience appropriée: il faut, en outre, la conscience concomitante à l’acte qui est, en propre, expressif de la personne comme personne. Cet acte implique en fait, dans son exercice, deux choses: première­ ment, que la personne réfère à elle-même l’acte qu’elle pose: deuxiè­ mement, quelle réfère à ce qu’elle sait être sa fin, cette réalité qui est «elle-même posant son acte». « Connaître la fin » inclut donc, pour la créature intelli­ gente — ange ou homme — une dualité radicale lorsque la fin est envisagée comme une catégorie de la causalité. Connaître la fin adé­ quatement quant à son rôle fonctionnel, c’est-à-dire en tant qu’elle doit constituer, en Sagesse, l’achèvement d’un être de nature, ce n'est pas connaître celte même fin objectivement, c'est-à-dire en elle-même comme réalité et comme constituant un bien pour ce même être de nature. Cette différence, l'homme la }>erçoit en ce qui le concerne luimême: il la perçoit également en ce qui concerne les êtres non intel­ ligents. Comme ceux-ci ne saisissent la fin que de la seconde manière, nous exprimerons la différence entre les deux modes d’appréhension de la fin, par la convention de langage suivante. Connaître la fin « sub ratione finis » signifiera que tel sujet connaît sa fin fonctionnellement, c’est-à-dire en tant que cette fin constitue son achèvement. Saisir la fin « sub ratione objecti · signifiera que tel sujet est référé objectivement à sa fin, c’est-à-dire en tant que cette fin est connaturellement son bien. La dichotomie qu’inclut la finalité comme catégorie de la causa­ lité est ainsi précisée. 3. Nous achèverons de fonder cette dichotomie, en revenant brièvement sur la portée réelle de chacun de ses deux membres res­ pectivement. Connaître la fin « sub ratione finis > appartient, nous l’avons ex­ pliqué, à l’être intelligent, mais à lui seul exclusivement. Saisir la fin « sub ratione objecti», au sens très général et ana­ logique que nous avons donné à cette expression, est le fait de tout être de nature en tant qu’il est en mouvement. On peut d’ailleurs démontrer que l’efficience inhérente à tout motive- L’tlRE DE NATURE Ν’λ PAS « PAR SOI » LA FINALITÉ 147 ment inclut nécessairement, et pour ainsi dire par réciprocité, une finalité. Mais nous n'avons pas à faire étal de ces considérations, puis­ que notre présent point de vue est celui d’un constat existentiel. Nous nous contenterons d’observer que « saisir la fin ' sub ratione objecti ’ » se trouve effectivement réalisé darts chacun des trois cas ci-dessus observés. L’homme saisit, « sub ratione objecti », la fin qu’il a d’ailleurs la liberté de sous-déterminer : Dieu, la volonté de puissance, la jouis­ sance... Le vivant saisit, « sub ratione objecti », sa fin, laquelle consiste en la réalisation intégrale de sa nature; le vivant de telle espèce doit avoir un oeil: la cellule-oeuf de ce vivant inclut en elle la virtualité («virtus») effective, efficacement apte à la genèse de l’oeil. Saisir la fin « sub ratione objecti » n’inclut pas, faut-il le dire, dans ce cas, une connaissance ou une conscience semblables à celles de l’homme; mais la fin est saisie objectivement, en ce sens qu’elle est présente dans l’embryon génétiquement. Enfin le déterminisme stochastique est « saisi comme fin 'sub ratione objecti ’ » par le déterminisme d’efficience, en ce sens que celui-ci con­ tient « virtuellement » celui-là; le « déterminisme d’indifférence », te­ nant à 1’« égal » qui est propre à la contingence, s’actualise dans le déterminisme stochastique tel qu’il est observé. Il n’y a évidemment, ni individuellement ni collectivement, dans l’ensemble des photons dont on observe l’équipartition après leur passage au travers d’un écran perforé de deux trous identiques, une « inclination de nature » compa­ rable à celle qu’enclôt la cellule-oeuf concernant la genèse de l’oeil. Mais il y a ordination objective, effective puisque toujours observée, d’un déterminisme à un autre déterminisme, de quelques noms qu’on les appelle: «efficience-finalité», selon la désignation générique que nous avons adoptée; « contingence-équipartition », selon la spécifica­ tion impérée par le calcul des probabilités. Saisir la fin « sub ratione objecti » recouvre donc bien une réalité, différente selon les différents «degrés» d’etre. II y a, entre ces diffé­ rentes réalisations, analogie de proportionalité. Et nous ferons observer en passant que ce type d’analogie est le seul instrument sémantique susceptible d’exprimer le mystère de la réalité, en évitant trois erreurs également manifestes: le [inalisme, qui consiste à attribuer, plus ou moins implicitement, aux degrés inférieurs, ce (pii appartient exclusivement aux degrés su­ périeurs; V évolutionnisme, qui est en un sens le contraire du finalisme; il est d’ailleurs parfaitement « du meme genre », car, tout comme le finalis- I IS L\ PREUVE DE DIEV ET IK · QUINTA VIA » me, l'évolutionnisme admet sans aucune preuve un principe a priori, savoir: ce qui est observable aux degrés supérieurs existe déjà dans les degrés intérieurs quoique invisiblement, et en procède géné­ tiquement; l'empirisme, scientifique et même métaphysique, qui refuse toute portée ontologique à des rapprochements qu’il estime purement logiques. Observons enfin que l'opposition au moins relative entre le « dé­ terminisme de finalité » et le « déterminisme d’efficience », opjx>sition sur laquelle repose l’argument développé au paragraphe a, constitue, au point de vue ontologique, le répondant de la dualité qu'inclut ellemême, nous venons de le voir, la « saisie de la fin sub ratione objecti » : dualité entre le déterminisme d'indifférence et le déterminisme sto­ chastique. Les deux séries d’observations se corroborent par consé­ quent, celles qui précèdent immédiatement relevant de l’ordre épisté­ mologique, celles du paragraphe « de l’ordre métaphysique. Cela même nous ramène à l’objet propre de ce paragraphe c. c2. La finalité, catégorie objective de la causalité, est, en tant qu'im­ manente aux êtres de nature, une réalité, non consistante « par soi ». Notre propos est d’établir la base [b2] de la « quinta via » à partir de la finalité considérée comme catégorie de la causalité. L’argument repose sur la dichotomie dont nous venons de déter­ miner la signification et d’établir la portée: d’une part, connaître la fin « sub ratione finis »; d’autre part, saisir la fin « sub ratione objecti ». Le caractère non consistant de la finalité vient de ce que ces deux modes de l’appréhension de la fin sont à la fois antinomiques en fait et « un » en droit. Examinons succesivement l’un et l’autre. Nous énoncerons ensuite la conclusion qui résulte immédiatement du rap­ prochement de l'un et de l'autre. 1. Connaître la fin « sub ratione finis» et saisir la fin « sub ra­ tione objecti » sont « en raison inverse » (*·) l’un de l’autre, quant à leurs réalisations respectives. 11 est inutile d’insister sur ce qui est évident. Nous nous bornerons à deux observations précises concernant les cas extrêmes. (60) Il faut évidemment entendre «positis ponendis», celte expression. Son sens primitif ressortit à la quantité. Nous l’entendrons ici de deux « plus ou moins», qui varient en sens inverses l'un de l’autre, et qui concernent respecti­ vement les deux modes d’appréhension de la fin. l.’P lRE DE NATURE N’A PAS « PAR SOI · LA FINALITÉ 149 Le domaine humain est, concernam la finalité, à la fois le plus précis « ex parte objecti », et le mieux cxpérimentable « ex parte sub­ jecti ». Or l’opposition relative dont nous parlons est manifeste pour l'homme, si on considère l’amplitude hiérarchisée de sa fin. Nous ne pouvons, une fois de plus, qu’évoquer des choses fort connues, bien cjue la mise au point en demeure fort délicate. L’homme connaît « sub ratione finis», absolument, ce qui est sa Fin, absolument: Dieu. Or, cette vérité peut être explicitée en deux sens opposés. Qui, en effet, est Dieu? II est ce qu’il nous révèle de Lui-Même, Il est Trinité, et à cet égard, Il est Mystère. Dieu, également, est la Fin qui mesure notre achèvement: Fin qui donne « raison de fin » à des fins subordon­ nées nécessaires en fait, et par la médiation desquelles nous est en fait manifeste quelque chose de la Fin; il en va ainsi pour tout être hu­ main, quelle que soit d’ailleurs la forme propre et indéfiniment variable de la vocation de chacun. La conclusion de ces observations triviales est manifeste. Ce qui, par excellence, est connu sub ratione Finis, c’est ce qui, par excellence, est la Fin : et c’est Dieu en tant que Mystère. Or, selon le vocabulaire que nous avons convenu d’employer, Dieu en tant que Mystère n’est aucunement connu « sub ratione objecti». Autrement dit, ce qui de Dieu est, si l’on j>eut dire, au maximum notre Fin, ce qui Seul a raison de Fin et communique raison de fin à toute autre chose: de cela, donc, nous ignorons la Nature: nous en adorons le Mystère, en vertu de la foi (81). Si, au contraire, l’homme saisit Dieu par et dans la médiation des fins subordonnées qui conduisent jusqu’à Lui, la Perfection de Dieu, ré­ fléchie dans celle de ces fins, y est pour autant (S2) saisie: mais la « ratio finis » n’est pas appréhendée, dans ces fins qui seulement la participent, comme elle l’est, absolument, en Celui qui selon son Mystère est la Fin. (81) Bornons-nous à signaler que l'observation dont nous posons le principe pourrait être approfondie et piécisée. Il est bien connu que l'obscurité et la certi­ tude de la foi croissent simultanément. La raison en est évidente: la foi procède de Dieu, et elle a Dieu pour Objet; or le croyant perçoit les deux choses simul­ tanément. et au même degré. Et donc, corrélativement. « saisir que Dieu est la Fin. Lui Seul » (certitude de la foi), et « saisir que Dieu en Lui-Même est le Mystère » (obscurité de la foi): ces deux choses vont de pair, elles sont appréhen­ dées au même degré. Mieux on connaît Dieu sub ratione Finis, mieux aussi on sait qu’on ignore Sa Nature. (82) La Perfection de Dieu n’est pas alors saisie plus adéquatement, telle qu'elle est en elle-même; mais elle est mieux saisie «quoad nos», c'est-à-dire conformément au mode humain de la connaissance. 150 LA l'RLl VI ΠΕ ntFU Μ LA · QÜIM V VIA» La situation de l’homme en regard de sa Fin suffit donc à mon­ trer que les deux manières d’appréhender la fin, « sub ratione finis » d’une part, « sub ratione objecti » d’autre part, sont en raison inverse l’une de l’autre. Considérons maintenant l’autre extrême, dans l’échelle ontologi­ que: le cosmos physique. Dans l’ensemble de particules élémentaires soumises au déterminisme stochastique, il n’y a, ni individuellement ni collectivement, saisie de la « fin » (c’est-à-dire du résultat) « sub ratione finis » : cela n’appar­ tient qu’à l’homme: il n’y a pas même d’inclination de nature com­ parable à celle qu’on observe dans le vivant. Nous répétons ces choses déjà dites, et d’ailleurs évidentes; car, à notre présent point de vue, elles signifient l’annulation complète de quoi que ce soit pouvant correspondre au premier mode de connaissance de la fin, savoi · « sub ratione finis ». En retour, le déterminisme stochastique est. selon son type, parfaite­ ment déterminé: bien qu’il soit différent par nature du déterminisme de type classique. 11 en résulte que, dans l’expérience déjà mentionnée, celle de l’équipartition d’un flux de photons, il y a un rapport rigou­ reusement déterminé et constant entre le déterminisme stochastique qui concerne le résultat observé et le « déterminisme d’indifférence » qui régit l’émission du flux. L’existence de ce rapport, déterminé et constant, doit être exprimée, conformément à l’analogie que nous avons développée, en disant que, dans ce cas, la fin est saisie « sub ratione objecti > d’une manière parfaite. En ce sens qu’il y a, du principe de l’opération au résultat de la même opération, une conformation par­ faite quant à la rigueur et quant à la permanence: et cela au cours même de l’effectuation de l’opération. Or il est clair qu’une exactitude semblable n’existe ni dans la connaissance qu’a l’homme, « sub ratione objecti », des réalités qu’il prend pour fin, ni dans la virtualité inhé­ rente à la cellule-oeuf concernant la formation de l’oeil; car, E. Boutroux l’a pertinemment fait observer, l’accroissement de la perfection clans l’ordre ontologique implique, simultanément, l’apparition de nouveaux degrés de contingence et la réalisation d’une plus haute unité. Le cosmos physique montre donc la même loi que l’homme, mais en un sens réciproque. Etant considérées analogiquement comme deux facteurs les deux manières d’appréhender la < fin », « sub ratione finis » d’une part, « sub ratione objecti » d’autre part: en de telles conditions donc, à l’évanouissement du premier facteur correspond la ]>erfection du second. Nous laissons de côté la considération des cas intermédiaires; et, L'ÊTRE DE NATURE N*A PAS « PAR SOI · LA FINALITÉ 151 estimant suffisante l’induction fondée sur les extrêmes, nous tenons jjour établie par l’expérience la conclusion annoncée. Connaître la fin « sub ratione finis » et saisir la fin « sub ratione objecti » sont en raison inverse quand à leurs réalisations respectives. 2. Il importe maintenant, de « rappeler » que ces deux modes d’appréhension de la fin, dont nous venons de montrer qu’ils sont antinomiques en fait, en droit sont · un », parce qu’ils intègrent ensemble une seule et même réalité originale, savoir la finalité en tant que celle-ci est une catégorie de la causalité. Nous disons «rappeler», car la vérité que nous venons d’énon­ cer présuppose la vue du monde qu’explicite la métaphysique réaliste. Cette vue peut être, en bref, récapitulée en un « postulat » qui com­ porte deux formes équivalentes. D’une part, la causalité est une lec­ ture intelligible des normes de l’être; d’autre part, il y a conformité entre les lois de la pensée et les lois de la réalité, conformité qui n’est pas identité, il est fort important de le préciser. Ce que nous appelons « postulat », en empruntant le langage moder­ ne, est susceptible d’une justification critique rigoureuse: ce n’est pas le lieu de nous y attarder. En retour, on ne doit évidemment pas attendre que cette «justification » soit une «démonstration», au sens précis mais restreint que donne présentement à ce mot la prolifé­ ration de disciplines qui, toutes, sont régies par l’univocité. Nous retrouvons, à propos de la « quinta via », ce que nous avons signalé, au début de cette étude, comme affectant en commun toutes les « voies » : savoir la difficulté que présente leur compréhension pour nos contemporains. Les arguments sont en eux-mêmes fort simples, mais ils supposent une « prémisse » métaphysique, laquelle est étran­ gère à la mentalité moderne; tandis que, pour S. Thomas, cette pré­ misse va tellement de soi qu’il ne l’énonce même pas. La notion d’ordre pourrait être, en l’occurrence, médiatrice. Car l’ordre, en tant que structure, se trouve pour ainsi dire inviscéré, dans tout le champ du savoir contemporain, en chacune de ses par­ ties distinctement, et en tout son ensemble, intégralement. Et, d’autre part, nul ne met en question que ces structures soient, pour le moins. « en correspondance » avec la réalité. Or Yordre, en tant qu’il est à la fois réalité et structure, celle-ci cons­ tituant la détermination que revêt formellement dans l’esprit l’intel­ ligibilité qui est objectivement inhérente à celle-là; Yordre, donc, ainsi adéquatement ]>erçu selon l’intégralité de son essence, voilà le fondement sous-jacent, à la fois requis et suffisant, pour la vérité que nous avons rappelée sous des aspects ou sous des Tonnes diffé­ 152 ΙΑ FRI. UVE DE DIEU H IA «QUINTA VIA» rentes: la causalité, c'est la saisie intelligible, et ayant une portée réelle, îles normes de l'être; les lois de l’esprit correspondent aux lois de la réalité. C'est qu’en effet, ces affirmations, qui paraissent être des principes a priori, ne font au vrai que manifester, sous des aspects partiels, une réalité plus haute et plus simple; l'être et l'esprit constituent un ordre. La preuve en est que l’esprit est, par essence, relatif à l'être: étant donné que, primordialement, c'est au sein de la saisie de l’être, que l'esprit porte immanente à lui-même l'intuition de la rela­ tion (”). De là vient que, d’une part, les déterminations de l’être informent intimement l’esprit; et que, d’autre part et réciproque­ ment, les normes que l'esprit perçoit comme immanentes à lui-même réfléchissent celles de la réalité elle-même. C’est donc l’ordre de l'esprit à l'être, l’ordre constitué par l'être et par l’esprit mutuellement coordonnés, c’est cet ordre qui constitue la condition nécessaire et nécessitante de la vérité dont nous répétons l’énoncé: les deux modes d’appréhension de la fin « sub ratione finis » d’une part, « sub ratione objecti» d’autre part, — en droit sont « un », parce qu’ils intègrent ensemble une seule et meme réalité originale, savoir la finalité en tant que celle-ci intègre une catégorie de la causalité. 3. La conclusion qui fait l'objet du présent paragraphe c 2 est maintenant évidente. 11 suffit de rapprocher l’une de l’autre les con­ clusions des deux sous-paragraphes précédents. Les deux modes d'appréhension de la causalité sont antinomiques en fait: et ils sont « un » en droit. Mais il faut insister sur la portée réelle de chacune de ces locutions. Car chacune concerne chacun des trois cas concrets que nous avons, au moins sommairement, analysés; chacune a donc pour champ, en vertu du rôle-témoin de ces trois cas, toute la réalité: évidemment au point de vue formel sous lequel elle est considérée, mais également selon toute l’amplitude de l’analogie objective qui est propre à l’être. P3) Cet argument, approfondi et développé, suffit pour prouver que l’être et l’esprit constituent un ordre; c’est-à-dire que l’argument démontre qu’il ne peut pas en être autrement. Le « comment » est donné positivement, au sein même du fondement de cette vérité. El ce fondement, c'est que « Dieu est Esprit » (Jean 4. 24). Exercer l’intelligence est, pour la créature spirituelle, une manière d'être. Etre Acte d’Intellcction, pour Dieu, c'est Etre (cf. note 85). La linalité, comme catégorie de la causalité, est en définitive fondée dans la Cause en qui s’identifient l’Etre et l’intelligibilité·, par le fait même, cette Cause exclut d’ailleurs, à l’intime d’ElleMème, toute finalité. L'frlRt l>l NATURI N'A PAS « P\R sol » Ι.Λ FINALITÉ 153 Les « modes d’appréhension » ne sont pas abstraction; ils sont des rapports réels: toujours, ils comportent le «support réel » qu’est le rapport du déterminisme d’efficience au déterminisme de finalité. L’« antinomie de lait » est un constat d'expérience; le déterminisme d’efficience ne produit jamais adéquatement le résultat en fonction duquel il est objectivement référé au déterminisme de finalité: « ob­ jectivement référé » consignifiant toujours efficience dirigée. Et nous disons que l’efficience est dirigée, parce que, d’une part, elle com­ porte toujours des normes permanentes et observables; parce que, d’autre part, elle est parfois manifestement impérée. « L’unité en droit » de la finalité comme catégorie de la causalité est une unité réelle; plus exactement, cette unité est convertible avec la réalité même de l’ordre constitué par « tout ce qui est » pris dans son ensemble. Cet ordre inclut l’esprit; lequel, en tant que sujet, est par essence relationnel à tout ce qui est, à lui-même primordiale­ ment, en tant qu’il réalise par excellence la nature de l’« étant » (w). La finalité, considérée comme catégorie de la causalité, est donc une réalité en vertu de ce qu’elle a, dans les étants où elle inhère, une unité de droit qui est réelle; elle est cependant non consistante, parce qu’elle présente également, dans ces mêmes conditions, une solu­ tion de continuité qui également est réelle. Donc, en vertu de l’infé­ rence qui a constitué l’achèvement du paragraphe précédent b (p. 142), et que nous ne répétons pas, la finalité considérée comme une caté­ gorie de la causalité, l’être de nature considéré sous le rapport ainsi spécifié, ne peuvent pas être « par soi *. Autrement dit: c 3. Le quelque chose existant réellement, et dont il est impossible qu’il soit « par soi », c’est, au regard de la « quinta via », l’être de nature en tant qu'une finalité lui est inhérente [bl], laquelle est intrinsèquement non consistante [b2]. La base de la « quinta via » est ainsi complètement établie. La démonstration de non consistance a été faite cle deux maniè­ res différentes et convergentes: la finalité étant envisagée, toujours (’*·’) Nous retrouvons, par une autre voie, ce que nous rappelions à la lin de la note précédente (83). L’Identité, en Dieu, de l’Esse et de l’Intelligere se présente également comme ultime achèvement, eu égard â deux points de départ différents: d’une part, l’ordination radicale de l’esprit à l’être; d’autre part, la nature propre de l’esprit. L’ordination radicale de l’esprit à l’être devient parfaite dans l’identité propre à l’Esse-Intelligere. D’autre part, l’intelligence est relationnelle par nature; si donc tel Intellect comprend par lui-même. Il inclut en lui-même l’être auquel par nature l’intellect est relatif: c’est-à-dire que cet Intellect est subsistant. 154 U PREUVE DF. DIEU El LA < QU1MA VIA» objectivement dans la réalité, mais soit en elle-même exclusivement, soit comme catégorie de la causalité. d. La base de la « quinta via » selon S. Thomas. 1. S. Thomas a établi, comme il se doit, la base de la « quinta via ». 11 s'est placé, pour le faire, au second des points de vue que nous venons de distinguer. De plus, il a choisi le mode de présentation apparemment fort aisé qui convient aux débutants: nous l’avons déjà observé à propos des autres « voies » (e:). Il paraît y avoir un abîme entre, d'une part, la flèche parcourant la trajectoire, et référant ainsi objectivement le point tie départ au but atteint... approximativement; et puis, d'autre part, le flux de photons réalisant la référence objective du « déterminisme d’indiffé­ rence » au déterminisme stochastique. Cependant, si on fait abstrac­ tion du « sagittaire » dont parle S. Thomas. les deux phénomènes physiques d’une part sont semblables, et d'autre par jouent « en prin­ cipe » le même rôle dans la preuve. Ils sont semblables, en ce sens qu’ils incluent l’un et l’autre la dualité dont nous avons montré l'existence au paragraphe b, entre le déter­ minisme d’efficience et le déterminisme de finalité. Ils jouent « en principe » le même rôle dans la preuve, parce que S. Thomas ne fait pas état de la dualité dont nous venons de parler: il se place au point de vue que nous avons adopté au paragraphe c, celui de la finalité comme catégorie de la causalité. Et cela requiert d’être explicité. La saisie de la fin « sub ratione finis » est manifestement aussi étrangère à la flèche en mouvement qu’au flux de photons traversant l’écran. Gagner la partie, c’est-à-dire convaincre, semble donc fort aisé. Cependant, S. Thomas ne considère pas seulement la flèche: oseronsnous rapprocher l’opportun sagittaire du fameux Horloger auquel songea Voltaire... Ces personnages n’ont-ils pas la même fonction: celui du « deus ex machina», que l'anthropomorphisme baptise Dieu pour de bon. Soyons rassurés: Voltaire ne croyait pas à son dieu, parce qu'il ne le priait pas. Il reste cependant à expliquer comment tel n’est pas le cas de S. Thomas. 2. Nous n’avons pas à le faire; car c'est précisément cela que déjà nous avons fait dans la seconde partie du paragraphe c (p. 148). Prendre comme base de la « quinta via » un phénomène concernant le degré inférieur de l'échelle ontologique [bl], considéré au point de vue de la finalité en tant que catégorie de la causalité [b2], c’est se donner au départ les conditions assurant le maximum de facilité. Car 1\ base df. i\ « QUINIA ma· selon sum i homas t * ·* hi dualité, inhérente à ht finalité, et sur la quelle rejx>se la preuve, est alors évidente: le phénomène d’une pari, l'intelligibilité d’autre part se présentent en effet, dans ces conditions, comme disjoints, com­ me apparemment étrangers l’un à l'autre. En retour, bien entendu, car il y a une sorte de loi de conserva­ tion de l'énergie mentale, la prémisse qui est alors implicitement présupposée, n’est rien moins que la métaphysique réaliste, récapitulée en celui de ses principes dont la justification critique est la plus difficile. L’esprit est ordonné à l’être; l'esprit et l’être se justifient mutuellement parce qu’ils intègrent un seul et même ordre (S3). Alors, mais alors seulement, il est nécessaire que si un sujet en mou­ vement atteint effectivement une fin qu’il ne saisit pas « sub ratione finis », il existe un être qui supplée à cette carence, et qui par consé­ quent saisisse cette même fin « sub ratione finis». Cela est nécessaire en vertu de ce que la finalité est une réalité ontologiquement et intel­ ligiblement « un », parce qu'elle est la « cause des causes» et que ces mêmes caractères appartiennent par essence à la causalité. e. La preuve, selon la « quinta via », démontre l’Etant par Soi comme étant nécessairement Acte Simple, Joie d’Etre, Fruition subsistante, Béatitude subsistante. Rappelons tout d’abord, sans nous lasser, que la première partie [Cl] de la conclusion de la « quinta via » est la meme que pour toutes les « voies ». Cela résulte de ce que la base de la «quinta via» a été déterminée, conformément à l’ordre de preuve exposé p. 37, selon la double incidence, matérielle et formelle pourrait-on dire [bl-b2]. Dès lors, la « quinta via » est simplement l’une des forme de la preuve. Et, formellement, la preuve conclut primordialement: l’« Etant par Soi EST ». La «quinta via» achève l’ensemble qui ramifie la preuve. nécessairement nous l’avons démontré, en fonction des catégories de la causalité. 1. La seconde partie [C2] de la conclusion s’établit, pour la «quinta via» comme pour toutes les «voies», en vertu de l’ordre de preuve lui-même. L’Etant par Soi, conclu en [Cl], exclut la for­ malité [b2] selon laquelle l'existant qui est la base [bl] de la preuve, ne peut pas être « par soi ». La formalité [b2] est en l’occurrence la finalité. Mais la démons­ tration du fait que telle réalité ne peut pas être « par soi » selon la finalité, a été faite de lieux manières. Nous avons en effet considéré la finalité: d’une part, en elle-même objectivement et exclusivement (paragraphe b); d’autie part, comme catégorie de la causalité (para­ 156 IA PREUVE t»E NEU ET L\ «QUINTA VIA» graphe r). D’où résultent, respectivement, pour l’Etant par Soi, deux caractères: ou, plus précisément, deux Attributs [A]. 2. L’Etant par Soi exclut la dualité dont nous avons observé l’exis­ tence, analogiquement, aux différents « degrés » de la hiérarchie onto­ logique: dualité entre le déterminisme d’efficience et le déterminisme de finalité, entre la « finis cui » et la « finis cujus gratia ». Cela revient à dire que l'Opération de l’Etant par Soi se termine néces­ sairement d’une manière adéquate. En d’autres termes, en l’Etant par Soi, le Principe de l’Opération et le Tonne de l’Opération sont nécessairement en mutuelle et parfaite Equation. Cela est vrai de toute Opération divine, quelle qu’en soit la spécifi­ cation, dans la mesure où assigner cette spécification est possible pour nous. Et comme l'opération est pour nous associée à la vie, on pourrait exprimer cette vérité en disant: «l’Etant par Soi est Vie». Rappe­ lons d'autre part l’admirable formule de S. Thomas: « En Dieu, l’intellect, la Forme de l’intellect, l'Acte de l’intellect, l’Objet de l’intellect sont identiques » (*'·). Voilà, parfaitement exprimée, l’Equation entre le Principe de l’Opération et le Terme de l’Opération; Equation qui s’étend évidemment aux intermédiaires « virtuels » entre ce Principe et ce Terme. Nous retiendrons, pour exprimer cette Identité, propre à Dieu, en ce qui concerne l’Opération, la formule: l’Etant par Soi est Acte Simple tandis que tout autre «étant», si simple en soit la nature, et meme considéré en acte, est composé: la perfection qu’acquiert la puissance elle-même intrinsèquement en produisant l’acte, n’est pas l’acte luimême; et cette perfection, à son tour, n’est pas la puissance elle-même. Un vestige demeure, jusqu’en l’ultime achèvement de l’être spirituel, entre ce que nous avons appelé déterminisme d’efficience et détermi­ nisme de finalité; ou bien, équivalemment, entre la forme-morphê principe de l’opération, et la forme-eidos archétype concret de la perfection. 3. L’Etant par Soi exclut la dualité dont nous avons observé l’exis­ tence entre la perception de la fin « sub ratione finis » et la perception de la fin « sub ratione objecti». Cette seconde perception concerne, analogiquement, |x>ur les êtres de nature, les deux déterminismes différents, l’un d’efficience, l’autre de finalité. Nous venons de voir que l’Etant par Soi exclut de son Ορο­ ί") 1. ql l. a4 - S. Thomas récapitule, à la fin de cet article, les assertions qu’il a établies « per partes » dans les articles précédents. LA « QUINTA VIA » CONDUIT λ l\ BÉAT Π UDE SUBSISTANTE J 57 ration-Acte ce qui serait l'analogue (le cette dernière différence: l’Etant par Soi est Acte Simple. Ce que nous devons ajouter maintenant, c’est donc que l’Etant par Soi exclut également ce qui serait l’analogue de la dualité entre deux manières de percevoir la fin: « sub ratione finis» d’une part, « sub ratione objecti » d’autre part. Mais cette seconde partie de la déter­ mination ne saurait être juxtaposée à la première: elle en est l’achè­ vement, et aussi elle la requiert. « Percevoir la fin » n’est en effet transposable dans l’Etant par Soi qu'en Lui assignant une fin. Ce serait évidemment impossible si cette fin n’était Lui-Même. Or, que l’Etant par Soi soit Lui-Même sa propre Fin, c’est cela qui précisé­ ment est posé, en vertu de la première partie de la détermination: l’Etant par Soi est Acte Simple, Il est l’Equation entre le Principe et le Terme de sa propre Opération. La seconde partie de la détermination consiste donc, compte tenu de la première, en ceci: «Se percevoir sub ratione finis» et «Se per­ cevoir sub ratione objecti », pour l’Acte Simple s’identifient. Il est aisé de préciser positivement cette dernière identité, en considérant chacun des éléments qui contribuent à l’intégrer: « Se percevoir », « sub ratione objecti», «sub ratione finis». «Se percevoir», c’est pour l’Etant par Soi percevoir l’Etre qu’il est. C'est donc, analogiquement, avoir «conscience d’être». Et comme, mé­ taphysiquement, la joie est conscience d’être, il suit que l’Etant par Soi est Joie, Joie d’Etre. « Sub ratione objecti » signifie que le sujet saisit la réalité vers laquelle il tend comme étant l’objet de son désir. Cette saisie consiste donc formellement en un «frui ». D’où il suit que, analogiquement, l’Etant par Soi, Acte Simple, est Frui ou Fruition subsistante. * Sub ratione finis » signifie que le sujet saisit la réalité vers laquelle il tend, comme constituant son propre achèvement. Cette saisie im­ plique donc formellement la béatitude. D’où il suit que, analogique­ ment, l’Etant par Soi, Acte Simple, est Béatitude subsistante. La preuve, selon la « quinta via pyt/rtc] sumitur ex guber­ natione rerum » démontre l’Etant par Soi comme étant nécessairement Acte Simple, Joie d' E t r e, Fruition subsistante, Béatitude subsistante. 4. Aristote, déjà l’avait dit. On mesurera mieux la portée de la «quinta via » en comparant les conclusions qu’elle implique avec le magnifique cheminement du livre A, des Métaphysiques. La similitude, et même l’identité « matérielle » des deux con­ clusions, rappelle opportunément au métaphysicien croyant qu’il ne 158 LA PREUVE DE PHU CT IA «QUINTA VIA» peut, en partant seulement du créé, franchir le seuil du Mystère incréé. Les Attributs [A], tels que les atteignent les cinq voies, se trou­ vent, si Ion peut dire, sous le même régime épistémologique que l'Etant par Soi Lui-Même. Ils sont assignés quant à l’exister, ils ne sont pas positivement caractérisés quant à la nature. Nous reviendrons sur ce point en examinant la preuve d'un |x>int tie vue critique (··). La Pensée pensante Se complaisant en Elle-Même, l’Etant par Soi Béatitude subsistante, tel est le sommet atteint par l’esprit humain en chemin vers la Déité. Le croyant peut même se demander si affir­ mer ces choses n'est pas trop affirmer: n'est-ce pas déjà découvrir quelque chose de la Sainte Trinité? Aristote non croyant est, en l’occurrence, rassurant. Dieu est Vie, Béatitude subsistante. Mais, de cela, il faudrait connaître le « com­ ment », pour qu'il fût |x>ssible d’en faire le point de départ d’une inférence, si modeste soit-elle, concluant positivement. Or ce « com­ ment », on l'ignore; parce que ces Attributs [A] sont seulement con­ clus à partir de la réalité observée [b2], et par la médiation d'une double négation. La « quinta via » n'implique donc positivement quoi que ce soit de la Sainte Trinité : pas plus que la « secunda via » n'implique positivement quoi que ce soit de la Création active. La possibilité de telles affirmations doit cependant rester «ouverte». A cet égard, S. Thomas se sépare d’Aristote. On le comprendra mieux par ce qui suit. Dieu est Béatitude subsistante, selon Aristote comme en vertu de la «quinta via». Les deux démarches montrent le même Terme, c’est ce que noirs venons de rappeler; elles L'atteignent différemment, il convient maintenant d’v insister. Dieu n’est pas, pour Aristote, Qui II est i>our un chrétien: c’est quasi un lieu commun. On précise, fort opportunément, que le che­ minement suivi par Aristote aboutit inéluctablement à enfermer la Pensée pensante dans l'isolement; tandis que Dieu Etre Vérité r\mour crée librement. La différence est ainsi montrée dans sa Cause: au mieux par conséquent, mais aussi « ex parte Dei » et « sub ratione fidei » seulement. Nous disons «seulement », car la preuve ne permet pas d’accéder à ce qui formellement est révélé. La preuve laisse en son dehors, nous l'avons observé (p. 74), toute détermination du rapport entre l’Etant par Soi et l'étant créé, si ce rapport est considéré à partir de son origine incréée. La création libre ne peut donc constituer, « ex propriis » en fonction de la preuve, la raison de la différence entre la « quinta via » et Métaphysiques A. La création libre est certes la raison « en Sagesse » ; elle ne peut constituer la raison « en raison ». i a «quinta via» démontre que dieu est «la fin. 159 On ne montrera donc pas sans fruit que la « quinta via » se distingue, par l’une de ses implications et indépendamment de la révélation, de la démarche d’Aristote. f. L’Etant par Soi, Béatitude subsistante, est, pour toute réalité créée, Fin immanente. La Pensée pensante est, selon Aristote, objet de désir; en sorte qu’elle est bien motrice à la manière d’une fin. Mais ce désir est hiérarchisé; chaque être de nature en concrétise l’objet pour l’être du degré immédiatement inférieur. En sorte cpie la Pensée pensante n’est atteinte elle-même qu’intelligiblement; elle demeure isolée ontolo­ giquement. Le réalisme de la finalité, sous-jacent à la «quinta via», com­ mande la portée de l’assertion énoncée: l’Etant par Soi est Fin im­ manente. C’est-à-dire que, si l’Etant par Soi a raison de fin, Il est nécessairement Fin immanente. Cela est possible, car l’Etant par Soi est Acte Simple: or le «simple» est, par nature, compatible avec le «distinct». Cela, d’ailleurs, est impliqué par la nature de la finalité telle qu’elle est observée. Il suffit donc de montrer que l’Etant par Soi a raison de fin. Observons, avant de le faire, que cela est requis. On a en effet établi: d’une part, que l’Etant par Soi EST, parce qu’il est exigé au titre de Cause j>our cette réalité qu'est la finalité; d’autre part, que l’Etant par Soi exclut, à l’intime de Lui-Même, la distinction inhé­ rente à toute réalisation créée de la finalité, entre la « finis cui » et la «finis cujus gratia*. Mais on n’a pas encore montré que la Cause de la finalité est égale­ ment la Fin. L'argument développé par S. Thomas ne l’établit d’ail­ leurs pas directement. Prenant comme base le cas de prime abord le plus facile, dans lequel la « finis cui » est non seulement distincte mais séparée de la «ratio finis», S. Thomas raisonne sur celle-ci en tant qu’elle implique un principe d’« ordination à ». Et S. Thomas conclut logiquement: « Ergo est aliquid intelligens, a quo omnes res naturales ordinantur ad finem». Cet «intelligens» n’est pas désigné «sub ratione finis», bien qu'il soit intégré à l'ordre de la finalité. L’Etant par Soi est la Fin. L’Etant par Soi cause la finalité. Il ne peut assigner aux réalités dans lesquelles cette finalité est observée une fin qui serait supérieure à Lui. Cela, a posteriori, n’a pas de sens. Et cela est d’ailleurs impos­ sible en vertu de la preuve, considérée soit en elle-même (p. 87). soir selon la «quinta via». Si en effet l’Etant par Soi, en causant la fina­ l(>0 ΙΛ PRHM ηε mm U Ι.Λ · QI IMA VII» lité, ordonnait à une fin supérieure à Lui, Il aurait Lui-Même une fin. Il ne serait donc pas « par soi » selon la finalité. Or, c'est comme étant «par soi» sous ce rapport [ml] qu’on en a établi l'exister. Donc, supposé que l’Etant par Soi ne soit pas la fin, il devrait assigner comme terme de la finalité qu'il cause une réalité inférieure à Lui. Cette réalité sciait donc limitée puisque distincte de Lui. Or, même spécifiée par la nature, l’opération de l’être de nature est ex­ pressive de son être, elle manifeste l’éminente perfection que constitue la communicabilité de l’être. Et comme la communicabilité lient à l'être en tant qu’être, et non du tout à la limitation de l’être, il est impossible que l’opération expressive de la communicabilité ait pour terme ultime un être limité. La communicabilité ne peut être finalisée que par ce qui est la Communicabilité, c'est-à-dire par l’Etant par Soi en tant qu’il est Acte Simple. L’Etant par Soi étant la Fin, Il est Fin immanente. Nous avons déjà observé que cette conclusion résulte de la nature de la finalité. Il convient toutefois de rappeler les deux caractères tpii ont été reconnus à la finalité: elle est prouvée par l’expérience, elle présente une structure permanente en des réalités différentes. Ces deux conditions sont requises jx>ur que la nature de la finalité montre, de l’Etant par Soi, qu’il e-u immanent en tant qu’il est Fin. L’Etant par Soi n’est pas Fin de la même manière pour tous les « étams ». Il est «Finis cujus gratia» universellement et absolument: Il est « Finis cui », conformément à la nature, pour chaque sujet opé­ rant. Quoi qu’il en soit de cette diversité, la « quinta via » ne j>eut rien déterminer du «comment» concernant l’exercice de la finalité, si celui-ci est considéré du côté de l’Etant par Soi. Nous retrouvons ici ce que l'analyse critique de la « secunda via » avait déjà mis en évidence (p. 85): à savoir l’impossibilité d'affirmer a priori une identité formelle entre [b2] et [A]. Cette impossibilité s’étend à tout ce qui relève de la preuve. La « quinta via » démontre, de l’Etant par Soi, non seulement certains Attributs, mais en outre qu’il est la Fin: l’un et l’autre à partit de [b2], et par deux inférences dont la structure est la même. La « quinta via » ne permet cependant pas de déterminer, ni « comment » l’Etant par Soi est en Lui-Même Béatitude subsistante, ni « comment » Il exerce la spiration propre à la Fin immanente. L’attribution à l’Etant par Soi de deux formalités différentes distingue la «quinta via» de Métaphysique A. La Pensée pensante meut en vertu du désir hiérarchisé dont elle est l'ultime objet. L’Etant par Soi, atteint comme Cause de la finalité, est Acte Simple et Béati­ tude subsistante. Il est simultanément l'achèvement et le Transcendant. IIS CINQ VOll S < ONVI KCI \ I. 1.'EXISTER DE Dll IJ 161 VJ - La preuve fonde radicalement LA CONVERGENCE DES CINQ VOIES QUI LA -SPECIFIENT DISTINCTEMENT. Récapitulons celle enquête consacrée aux cinq «voies», considé­ rée chacune distinctement. a. La convergence des cinq voies, comme cheminement de l'étant créé à [‘Etant par Soi. Le caractère ordonné du medium de preuve [ml-m2] (p. 37), entraîne deux choses équivalentes. Premièrement, les voies sont seulement des formes différentes, d’ailleurs nécessairement différenciées, en vertu du principe de cau­ salité, selon le célèbre quinquenaire malheureusement trop peu expli­ qué, de la preuve, de l’unique et seule preuve possible (H), reposant sur le principe de causalité. Deuxièmement, la conclusion de chacune des «voies» comporte une première partie [Cl]. Cette première partie, qui est d’ailleurs l’essentiel de la conclusion, est la même pour toutes les « voies »: l’Etant par Soi EST. El comme l’Etant par Soi est unique, puisque l’identité métaphysique implique l’unité numérique, il suit que les cinq « voies » aboutissent toutes au même Terme qui fait l’objet de la conclusion [Cl]: l’Etant par Soi. La question dite de la « convergence » des « voies » est donc un mythe. Ou, si l’on veut, elle est typiquement une question mal posée; elle est donc fausse comme question: c’est-à-dire qu’elle n’existe pas, pas plus que le faux n’a d’être. b. La convergence des cinq voies, comme dé-mou Irani certains Attri­ buts de l’Etant par Soi. Le fait que l’Etant par Soi exclut la formalité [b2], selon laquelle il est impossible que l’existant réel [bl] soit « par soi », en­ traîne (pie l’Etant par Soi est démontré, par chacune des « voies » respectivement, comme affecté intrinsèquement d’une Détermination (pii correspond à la formalité [b2] ou à sa négation, 1. Rappelons quelles sont ces Déterminations. On peut les appeler Attribuis [Λ], à la condition cependant, expiasse en l'occurrence, d’ajouter (pie l’Etant par Soi est chacune de ces Déterminations. Cai chacune est démontrée de Lui, non a posteriori comme une qualité Lui appartenant, mais intrinsèquement en vertu de l’ordre de preuve lui-même. Parce (pie chaque « voie » est une modalité de la preuve, 162 IA PREUVE nF DIEU II IFS CINQ VOIES chaque «voie» montre simultanément [Cl] et [C2]: chaque « voie », du fait même qu elle démontre l’Etant par Soi, Le démontre comme étant intrinsèquement telle Détermination ou tel Attribut. Cela ré­ sulte radicalement et nécessairement du caractère intrinsèquement ordonné de chacun des éléments de la preuve', la base [bl-b2], le me­ dium [ml-m2J, et par conséquent la conclusion [C1-C2J. Voici donc ces Déterminations-Attributs [A], démontrés en vertu de [C2], comme étant intrinsèques à l’Etant par Soi dont l’Exister est conclu en [Cl]: Prima via. L’Etant par Soi est démontré comme étant Acte parlait, Acte pur (p. 71). Secunda via. L’Etant par Soi est démontré comme étant Communica­ tion subsistante et Communication en Acte, ou Communication subsistant en Acte (p. 72). Terlia via. L’Etant par Soi est démontré comme étant cet Etant, pour qui, « Etre », c’est cela qui est Γ* Essence » (p. 90). Quarta via. L’Etant par Soi e t démontré comme étant cet Etant, pour qui, W Essence », c’est d’*Etre» (p. 115). Quinta via. L’Etant par Soi est démontré tomme étant Acte Simple: Joie, Fruition, Béatitude Subsistantes (p. 134). La « convergence » des cinq « voies » est radicalement assurée, nous l’avons dit, parce que, chacune étant une forme de la preuve, toutes concluent, par le meme medium qui est l’esse [m2] et par le même principe qui est le principe de causalité, l'existence de l’Etant par Soi: existence qui constitue formellement l’objet de la preuve et la partie principale [Cl] de sa conclusion. 2. La « convergence » des cinq « voies » peut être confirmée a posteriori, c’est-à-dire en montrant la convertibilité des Attributs [A] dont nous venons de rappeler la nomenclature. La chose a déjà été faite, nous l’avons rappelé (,0). Nous nous contenterons de deux observations. La convergence concerne les Attributs [A] eux-mêmes. La preuve, et en même temps qu’elle toutes les voies, induisent, pour l’Etant par Soi, la désignation: Cause première. Cette désignation est une dénomination relationnelle: elle signifie que l’Exister affirmé en vertu de la preuve est atteint à partir d’une réalité observée, laquelle reçoit le nom d’eifet une fois la preuve faite. La dénomi­ nation « Cause première » n’est pas un Attribut [A] de l’Etant par I.FS CINQ VOtFS CONVIIU.INI. IIS VURlBUTS OF- OIFU 1Γ0 Soi. La question d’une convertibilité réelle ne se jx>se pas pour ce qui est simplement un commun dénominateur. L’étude critique de la « secunda via » a cependant décelé, pour «Cause première», la possibilité d'une autre acception. L’Etant par Soi, est, en fait, en Acte de Communication à l’égard des réalités créées observées. La « quinta via » montre d’autre part que l’Etant par Soi est Fin immanente. il y a en l'ait convertibilité, en chaque existant, entre la Communi­ cation en lui reçue et la Fin en tant qu'elle lui est immanente. Cette convertibilité exprime simplement que le même existant est référé à l’Etant par Soi sous deux « formalités » différentes. Elle exprime, dans l’existant, l'identité entre la «procession» et le «retour». Etant donné que ces «formalités» sont découvertes conformément à deux voies et postérieurement à leur conclusion, on peut dire que la convertibilité est elle-même subordonnée à la preuve considérée selon ces deux mêmes voies. Mais, absolument parlant, cette sorte de convertibilité est en dehors du champ île la preuve. La convertibilité entre les Attributs [A] proprement dits peut être démontrée de deux manières. Premièrement, « Etre par Soi » implique chacun des cinq Attributs; et, réciproquement, chacun des cinq Attributs implique « Etre p;u* Soi ». Deuxièmement, les cinq Attributs, considérés deux à deux, s’impliquent mutuellement. En d’autres tenues, il y a identité dans l’ordre ontologique, et converti­ bilité dans le champ sémiologique, entre toutes les manières de carac­ tériser l’Etant par Soi. La démonstration, d’ailleurs, est aisée. Elle requiert seulement la mise en oeuvre du type de rigueur propre à la métaphysique; la seule difficulté en est qu’elle n’est pas iormalisable. Mais, en retour, cette démonstration est sous-tendue par l'intuition du « simple » ; bien que cette intuition soit inévitablement imparfaite, c’est en effet la Sim­ plicité qui est le Fondement de toute Identité concernant la Déité, et même au Sein de la Trinité. Tel est le canevas de la convergence des «voies»; ou du moins de la confirmation de cette convergence par la convertibilité des im­ plications dont le principe est l.i seconde partie de la conclusion [C2]. La convergence elle-même résulte, répétons-le en terminant, de ce que la conclusion [Cl] est la même pour toutes les «voies», parcequ’elle est en propre celle de « la preuve ». III. L'ÉPISTÉMOLOGIE DE LA PREUVE DE DIEU. La preuve de Dieu peut, une fois faite, être considérée, comme toute démarche de l’esprit, d’un point de vue critique. Il est possible d'assigner a priori quelle peut et quelle doit être la structure de la preuve; il faut, pour cela, considérer comme un donné, ce que seule la foi peut apporter. Cependant, nous ne nous placerons pas à ce point de vue. Nous nous contenterons de déceler, inhérente au medium de la preuve en vertu de son rôle de medium, une importante implica­ tion métaphysique; nous préciserons d’autre part le statut de la con­ clusion [Cl] au point de vue épistémologique. 1. - La réflexion critique, PRENANT POUR OBJET L’ARGUMENT EN QUOI CONSISTE LA PREUVE DE DIEU, DÉCOUVRE UNE DOUBLE IMPLICATION METAPHYSIQUE DU MEDIUM DE LA PREUVE. Les principes sont en fait trop souvent confondus avec les rudi­ ments. Ceux-ci, en pratique, incluent ceux-là. Considéré ainsi en gé­ néral, le mot « rudiment » désigne confusément l’objet du savoir com­ mençant, le principe certes mais aussi la définition nominale. Mais celle-ci doit être proprement écartée, celui-là indéfiniment creusé. Or il se fait que, survolant les rudiments, on oublie les principes. Que 1’« esse » soit un effet propre de Dieu constitue, en thomisme, l’un de ces principes qu’il était opportun de rappeler. Le R. P. Fabro s’en est heureusement chargé (*°). Cependant, ce principe certes fondé en S. Thomas, ne serait-il pas établi plus solidement encore si il était dé­ montré? El, d'autre part, ne comporte-t-il pas deux sens différents qu’il convient par conséquent de distinguer: 1’« esse » est-il un effet que Dieu Seul puisse produire, mais n’est-il pas également le seul effet que Dieu Seul puisse produire? Nous répondrons à la première question, celle de la démonstration —, conformément à la division qu'impère la seconde, celle de savoir si l’ est un effet propre de Dieu, ou bien s’il est également l’effet propre de Dieu? a. L’* esse » est un effet propre de Γ Etant par Soi. L’« esse » est un effet propre de Dieu, en ce sens que Dieu cl Lui Seul produit l’«es.se». Autrement dit, Dieu est la Cause prolre de Γ* esse ». (O) O]>. cit., note 48; passim; pp. 363-374 notamment. 166 iv pRivvt: nr diu; n i es cinq voies Cette affirmation a un sens parfaitement clair. Nous le rappelons cependant, à cause de l'erreur aussi étrange que nocive, dans laquelle tombent de nombreux théologiens contemporains. « Dieu Seul pro­ duit l'Esse » signifie que Dieu est. Lui Seul, Cause de tout existant, si on considère celui-ci sous le rapport de l’*essc*. En ce qui concerne les déterminations que présente l’esse dans tout existant, Dieu peut les produire soit Lui-Même immédiatement, soit par la médiation îles causes secondes. Dans ce second cas, c’est Dieu évidemment qui est la Cause de ces causes, dites «secondes» justement parce que causées. Et Dieu est leur Cause, immédiatement quant à l’«esse», médiatement ou non quant à l’opération, quant à l’application de cette opération à son acte propre, etc... Sont-ce là des principes ou des rudiments? Toujours est-il que leur mise en oeuvre par nombre de théologiens aboutit en fait à cette surprenante conséquence: puisque Dieu cause tout, on porterait pré­ judice à la Causalité divine en donnant le nom de cause aux créatures dont Lui qui est la Cause se sert à titre d’instrument (8ï). Revenons donc à l’affirmation: Dieu Seul produit l'«esse». Cette vérité peut être, heureusement, exprimée en tenues de par­ ticipation (He). Mais la participation est, à elle seule, incapable de l’établir: il faudrait en effet pour cela que, d’abord, la participation pût, à elle seule démontrer l’existence de l’Etant par Soi: or, nous l’avons vu 3e), cela est impossible. Comment, dès lors, établir que Dieu Seul produit 1’« esse »? La réponse, au moins implicitement, est déjà donnée. Elle résulte de la preuve, et plus précisément du fait que, dans l'ordre de preuve, le medium intègre une unité ordonnée. L’argument est d’ailleurs fort simple: le mettre «en forme» en montrera mieux la rigueur: La preuve, (chacune des cinq * voies »), prouve l’existence de l’Etant par Soi sub ratione Causae, à partir d’un existant qui l’exige. Or une preuve de cette nature, c’est-à-dire une preuve qui prouve l’existence d’un «étant» en tant qu'il est «cause», prouve si et seu­ lement si cet « étant » est atteint à partir d’un effet qui lui est pro­ pre comme cause: c’est-à-dire à partir d’un effet que lui et lui seul produit en tant qu’il est cause, Donc la preuve (chacune des cinq « voies ») prouve l’existence de ΓΕtant par Soi, et L'atteint à partir d’un effet que Lui Seul produit en tant qu’il est Cause. (”) C’est à ce niveau mental que se situent les controverses concernant la « médiation » mariale. Elles sont la honte oecuménique de la chrétienté. Γ. } SSE » ESI UN fEFEl PROPRl DE L’EIANT PAR SOI 167 Or la preuve (chacune des cinq «voies») atteint et prouve l’existence de l’Etant par Soi à partir de l’esse [m2], [pl-p2], Donc 1’« esse » est un effet que l’Etant par Soi et Lui Seul produit en tant qu’il est Cause. En d’autres tenues, l’Etant par Soi et Lui Seul produit l'«esse». Ce qui est explicite dans la conclusion [C2] de la « secunda via » se trouve impliqué, implicitement seulement mais nécessairement, dans toutes les « voies » : parce qu’on le découvre, en examinant a posteriori l'épistémologie de la preiive, comme constituant la condition néces­ saire et suffisante pour que la preuve prouve. En bref, puisque la preuve, qui est une preuve par l’effet, prou­ ve; et parce qu’elle prouve par l’«esse», l’esse est nécessairement un effet propre de la Cause dont l’existence est prouvée: Dieu Seul produit 1’« esse ». Dieu est la Cause propre de 1’« esse ». b. L’« esse » est-il un effet propre de Dieu, en ce sens qu’il constitue la seule réalité dont Dieu est la Cause propre? L’« ordre » n’est-il pas également une réalité dont Dieu est la Cause propre? L’i esse » est-il l’effet propre de Dieu, en ce sens qu’il constitue la seule réalité dont Dieu est la Cause propre? Nous préférons laisser « ouverte » cette aporie. Nous ne disons pas qu’une réponse catégorique, soit affirmative, soit négative, est impos­ sible; nous reconnaissons simplement être incapable de donner la dé­ monstration absolument contraignante d’une réponse de cette nature. Nous allons du moins tenter de poser la question avec le maximum de précision; et nous montrerons, sans pouvoir le démontrer en toute rigueur, quel en est selon nous le principe de résolution. 1. La réponse à l'aporie proposée serait catégorique et affirma­ tive si la seule preuve possible île l’existence de Dieu était adéquate­ ment constituée par l'ordre de preuve exposé p. 37, lequel comporte le medium ordonné [ml-m2]. Que la preiive ne puisse en effet être qu'une preuve par l'elfet, reposant par conséquent sur le principe île causalité, cela est évident et d’ailleurs révélé. Mais comment 1’« esse » s’est-il introduit dans l’or­ dre de preuve, là est la question. Or, c’est le medium ordonné [ml-m2], qui est medium entre F« esse » tel qu'il intervient formellement dans le principe de causalité d'une part, et d'autre part l’existant [bl] dans lequel 1’« esse » est saisi parce qu'il y est observable sous la formalité [b2]. Nous avons admis que cette formalité [b2] est un mode de l'« esse ». Au point de vue propre 168 LA PREUVE DE DIEU ET LES CINQ VOIES de l'ordre de preuve, nous avons donc fait deux < hypothèses » : pre­ mièrement, le principe de causalité ne peut jouer que sur 1’« esse », ou sur un transcendental rigoureusement convertible avec lui: deuxiè­ mement, Γ« esse » ne |>eut être saisi que selon l’un de scs modes. Ces « hypothèses » sont d’ailleurs rendues légitimes a priori et res­ pectivement, par la manière dont on peut justifier le principe de cau­ salité d’une part, par le mode propre de l'appréhension humaine d’au­ tre pan. Ces memes « hypothèses » sont d'ailleurs confirmées a pos­ teriori, parce qu elles permettent, nous l’avons mi, de déterminer quels sont les cinq types de «voies»; or, en cette sorte de matière, l'argu­ ment de tradition a une valeur non négligeable: c’est-à-dire que, me­ me abstraction faite de l’autorité de S. Thomas, on jæut admettre avec une haute vraisemblance que, si il y avait un autre type de «voie», il eût été déjà découvert. Or, si l’on admet ces «hypothèses», puissamment fondées, quoi­ que par nature indémontrables et partant indémontrées, l’ordre de preuve exposé p. 37 est le seul jxjs ible; et comme tout effet dont Dieu est la Cause constitue, pour la preuve de son existence, une pré­ misse nécessitante, il suit, conformément au sous-paragraphe précé­ dent, que Γ« esse » est le seul effet dont Dieu est la Cause propre. Et il suit, corrélativement, qu’il ne peut exister un effet autre que 1'« esse » et jouissant de cette même propriété, que s’il existe un ordre de preuve autre que celui dont nous avons fait l’exposé. Un tel ordre de preuve existe-t-il: voilà notre ajrorie non certes résolue, mais dé­ placée et précisée. Il existe une preuve de l’existence de Dieu fondée formel­ lement sur le « principe des degrés», que l'on peut également appeler « principe de l’ordre ». Mais il faut préciser, d’une part le sens de cette affirmation, ou ce qui revient au meme la manière dont on entend la « quarta via»; il faut préciser, corrélativement, d’autre part, le lien de cette affirma­ tion avec ce qui précède immédiatement, f oute preuve de Dieu doit en effet reposer sur l’«esse», en ce sens que la base en est nécessai­ rement un existant concret. Mais la question est de savoir si c’est 1’« esse » qui constitue formellement le medium selon lequel le prin­ cipe de causalité a immédiatement prise sur l’existant observé. Ne se pourrait-il que, formellement, ce medium fût autre que l’«esse»? Cette question revient à chercher si il existe une « certaine réa­ lité » répondant simultanément aux trois conditions suivantes: 1. Elle est immédiatement observable; 2. Elle n’est ni un existant concret, ni d'ailleurs 1« esse » ou un trans­ cendental; I .'« OKDHI · ISI IN IHU I’ROl’Rf. I>l l.'f.lANT PAR SOI 169 3. Elle requiert l'existence dun Principe transcendant; cette exigence pouvant d'ailleurs s’exprimer soit sous la forme du principe de cau­ salité, soit autrement. Si une telle réalité existe, elle fonde une preuve de Dieu, savoir la «quarta via» selon sa «forme autonome»; elle est par conséquent une réalité dont Dieu est la Cause propre, et qui cependant n'est pas l'«esse». Si donc une telle réalité existe, la réponse à l’aporie pro­ posée est catégorique et négative. 2. La réalité que nous venons de caractériser existe-t-elle? Oui, cette réalité existe: et c’est Y ordre. Ordre constitué par tel en­ semble hiérarchisé, et en definitive par tout l’ensemble hiérarchisé des existants concrets. Mais cet ensemble doit alors être considéré comme un ensemble intrinsèquement ordonné, comme « un ordre»; et non plus en tant qu'il inclut des « degrés », des « différenciés » selon 1’« esse» : ce qui constitue le point de \ue propre de la «quarta via» telle que nous l’avons exposée, conformément à l’ordre de preuve (P- 37). La réalité de l'ordre, au sens que nous venons de préciser, réalité intrinsèquement inhérente au « tout », et conditionnant quant à l’acte même d'être chacun des éléments intégrant le « tout », peut-elle être démontrée? Est-elle bien une réalité objective, qui n’est pas seulement dans l’esprit, bien qu’elle ne soit d’ailleurs ni au sens propre un transcendental, ni réductible à aucun mode préclicamental? L’ordre est-il une certaine réalité in re? Telle est la forme sous laquelle, en définitive, se présente notre aporie. La résolution que nous en proposons, nous l’avons exposée note 31, notamment au paragraphe 6 de cette note. Nous avons établi que démontrer la réalité de l’ordre est possible, si on admet que: « La différenciation implique relation » (loc. cil., proposition 5). Nous avons ensuite donné, de cette affirmation, une justification en vertu de laquelle nous la tenons pour certaine; mais nous avons reconnu, et nous répétons, que cette justification n’est pas une démonstration proprement dite: elle ne jouit pas d’une apodicticité suffisante pour la rendre contraignante. La réponse que nous faisons à la question de savoir si 1’« es­ se » constitue la seule réalité dont Dieu est la Cause propre est donc, on devait le pressentir, celle-là même que nous avons faite à la ques­ tion concernant l’autonomie de la «quarta via». La « quarta via » est conforme à l'ordre de preuve commun à toutes les « voies », si on y considère le « principe tics degrés » comme fondé sur le fait que la différenciation de 1« esse » est saisie dans les 170 l V PREUVE DE DIEU El l ES CINQ VOIES différenciés que sont les «chants». Alors, la «quarta via» jouit de l’ajxxlicticité rigoureuse qui est commune à toutes les « voies », et qui est celle de la preuve. .Mais la «quarta via» est également susceptible d’une position auto­ nome (’s), c’est-à-dire non réductible à l’ordre général de preuve ex­ posé p. 37. Elle repose alors sur le « principe des degrés », mais enten­ du au sens de « principe de l’ordre». Et cela requiert que l’ordre soit réalité, ou que « toute différenciation implique relation ». Dans ces conditions, l'inférence que nous avons faite, par réflexion sur la structure de la preuve, sur la structure de chacune des « voies » en tant que celles-ci sont respectivement con-formes à l’ordre de la preuve, cette même inférence vaut, à parité, concernant la « quarta via » selon sa position autonome. La preuve prouve: doue Dieu est la Cause propre de ce en vertu de quoi 11 est atteint par la preuve, c’est-à-dire que Dieu est la Cause propre de !’« esse ». De même, la « quarta via », posée et entendue d’une manière auto­ nome, prouve; donc Dieu est la Cause propre de ce en vertu de quoi Il est atteint par la « quarta via » jxjsée de cette manière, c’est-à-dire que Dieu est la Cause propre de l’ordre; ou bien, équivalemment, Dieu est la Cause propre de ce que toute différenciation implique relation. Et nous rappelons que, en vertu de l’acception même selon laquelle nous avons pris le mot « ordre », ordre signifie une réalité intrinsè­ quement inhérente au «tout», à tout l’ensemble des existants con­ crets, et conditionnant chacun des éléments de cet ensemble quant à son propre acte d'être. 3. Dieu, donc, est la Cause propre de 1’« esse » : Lui Seul produit 1’« esse ». Cela, en vertu du statut de la preuve, est démontré. Dieu, également, est la Cause propre de 1’« ordre»; Lui Seul produit Vordre, lequel est organiquement, si l’on ose dire, l’essence du « tout » comme « tout », la hiérarchie informante et efficacement déterminante de la totalité holonome de tout ce qui est. Cela, nous l’estimons quoad nos (id est quoad me), non pas seule­ ment démontré mais évident. Et si il convient de donner, de cette évidence, une justification, nous croyons suffisante l’observation suivante. (es) Note 31, fin du paragraphe 6 de celte note. 1’« ORIiRf · 1SI I'N inn PROPRE Dh I.’ETANT PAR SOI 171 Le « (out » peut être considéré, soil comme la totalité des parties, soit en tant qu’il est, comme lout, conditionnant pour chaque partie. Or, .si Dieu peut agir et agit en fait sur le « tout-totalité » par la média­ tion des parties; Dieu, en retour, ne peut agir sur le « tout-conditionnant», par la médiation de ce qui est conditionné. Dieu ne peut agir qu’immédiat ement sur le « lout en tant que tout », c'est-à-dire sur l’ordre qui précisément est, en propre, constitutif du « tout comme tout ». Donc, Dieu Seul produit l'ordre. Dieu est la Cause propre de l’ordre. Nous confirmerons enfin, en recourant à la Sagesse, ce qui paraî­ tra à certains trop peu fondé en raison. L’Acte de création étant gratuit, il n’est certes pas nécessaire que le rapport de la créature au Créateur réfléchisse ce qui est intime à Dieu Lui-Même. Cependant, s'il convient éminemment, pour la Gloire de Dieu, que la créature constituée en elle-même, disons la créature créée, montre par similitude quelque chose de la Perfection de Dieu, cette convenance s’impose plus impérieusement, voire même nécessai­ rement, s’il s’agit, non de la créature créée et posée « hors » sa Cause, mais de l'Opération immanente à Dieu, en vertu de laquelle la créature est «en train d’être créée». Or S. Thomas n’hésite pas à assigner les Processions Elles-Mêmes, Processions intimes à la très Sainte Trinité, comme constituant « ratio et causa exitus creaturarum a Deo: et, pariter, ratio et causa reditus creaturarum ad Deum » (80); c’est dire que l’Ordre intime de Dieu se manifeste dans le rapport que la créature «en train d'être créée» soutient avec Lui. La même chose va évidemment de soi, concernant l’Etre: puisque la relation de l’être à l’Etre est constituante, quoique non pas constitutive de l’étant créé. Ainsi l’Etre et l’Ordre intimes à la Déité se manifestent eux-mêmes dans l’Acte Créateur; eux-mêmes, c’est-à-dire tels qu’ils sont. Le moins qu’on en doive conclure est qu’il y a non pas seulement analogie de proportionalité mais identité, entre deux rapports, lorsque les deux termes du premier rapport concernent la Déité en Elle-même, les deux termes du second rapport, respectivement correspondants à ceux du premier, concernant l’Acte Créateur en tant qu’Acte. Or, ce qui correspond, dans l’Acte Créateur en tant qu’Acte, à l’Etre intime de Dieu, c’est le mode de la production de l'être; tout comme ce tpii correspond, dans l’Acte créateur, en tant qu’Acte, à l’Ordre (8») IS, à Dieu (He). La preuve, el en même temps qu’elle chacune des « cinq voies > qui la ramifient, démontrent que l’Etant par Soi EST. Elles démon­ trent, par le fait meme, que Dieu est la Cause propre de Γ «esse* . La i quarta via », selon son statut autonome, démontre que le Principe de l’ensemble holonome constitué par les « étants » EST. Elle démontre, par le fait même, que Dieu est la Cause propre de Γ « ordre » . 2. - La réflexion PRENANT POUR OBJET critique, LA CONCLUSION EN LAQUELLE S’ACHÈVE LA PREUVE DE DIEU, DÉCOUVRE QUE L’EXISTER DE L’ÉTANT PAR SOI EST CONNU EN VERTU DE LA PREUVE, SEULEMENT EN TANT QU’iL CONSTITUE OBJECTIVEMENT LE TERME D’UNE RELATION. La seconde partie de l’examen critique dont la preuve et les « cinq voies » doivent être l’objet, concerne le statut épistémologique de la conclusion [Cl]. La locution, consacrée par l’usage, « preuve de l’existence de Dieu », induit à exprimer la conclusion [Cl] sous la forme: l’Etant par Soi existe. Nous avons écrit, en général: l’Etant par Soi EST. Convient-il, en l’occurrence, de distinguer plusieurs acceptions, poul­ ie verbe dont la coordination avec le sujet « Etant par Soi » exprime la conclusion de la preuve? Nous l’éluciderons dans ce qui suit. Cette question est primordiale, puisqu’elle équivaut à celle de la signi­ fication même île la preuve: il eût donc été opportun d'en traiter, conjointement à l'ordre de preuve (p. 37). Mais ce qui concerne la méthodologie, en fait devient clair, ou au moins beaucoup plus clair, a posteriori (°2). (9?) Cela tient radicalement à ce que l’esprit créé n’est pas capable de se donner à lui-même son objet; il est par conséquent encore moins capable de déterminer a priori les normes de cet objet. C’est pourquoi nous traitons, seule­ ment en terminant, un aspect de la question qui, logiquement, eût été mieux à sa place plus avant. L’expérience montre d’ailleurs que l'initiation à une discipline doit commencer par ce que celle-ci présente de plus concret: par les faits, ou par les théorèmes. La réflexion critique n’est fructueuse que si elle porte sur un donné. Il en va de même, a fortiori, en ce qui concerne la preuve de Dieu. 171 I Λ PREUVE DE DIFU H 1 ES CINQ VOIES Est-il besoin d’ajouter que cette question a été soulevée par tous les auteurs qui ont traité de la preuve. En Dieu, ΓEssence et l’Etre, objectivement, s’identifient. Atteindre l’un, c’est donc atteindre l'au­ tre. Or, atteindre l'Essence est impossible puisque, par essence pour­ rait-on dire, atteindre une essence c’est la connaître; alors que Dieu est l'inconnaissable. Donc, il est pareillement impossible d’atteindre Dieu selon son Etre; par suite, il est impossible de démontrer que Dieu existe. S. Thomas connaît l’objection. Il y répond par une dis­ tinction qui, en substance, revient a ceci: démontrer que Dieu existe, ce n’est pas atteindre Dieu, pas plus selon son Etre que selon son Essence. Les formules qu’emploie S. Thomas à ce sujet (°3) ont donné lieu à des discussions serrées; nous ne pouvons, ici, que les évoquer (°* 1). Nous observerons ensuite que, selon l'économie fondée en Sagesse, ce principe se trouve justifié par le rapport qu’il soutient avec la foi d'une paît, avec la métaphysique d’autre part (paragraphe b). La signi­ (®3) CG. I, 12, P7. Sic enim esse Deum sub demonstratione cadit, dum ex rationibus demonstrativis mens nostra inducitur hujusmodi propositionem de Deo formare qua exprimat Deum esse. 1. q3, a4, 2m. Scimus enim quod haec propositio quam formamus de Deo, cum dicimus Deus esi, vera est: et hoc scimus ex ejus effectibus. La conclusion de la preuve de Dieu n’est donc pas, directement: Dieu EST. Cette conclusion est une assertion qui jouit des deux caractères suivants: 1. Elle est affirmée comme vraie; 2. Elle signifie que Dieu est, et cela à partir de ses effets. Rappelons, en passant, une autre forme de la même difficulté. Une démons­ tration d’existence requiert, non la «définition réelle», mais du moins une défi­ nition nominale de ce dont on veut démontrer l’existence. Or, Dieu étant l’incon­ naissable, Il n'est pas même «nommable». Il est curieux que certains thomistes tel M. le Chanoine Van Stcenberghcn - reprennent à leur compte au nom de la «science» cette objection à laquelle S. Thomas a répondu: « Loco quidditatis accipitur pro medio effectus: sicut accidit in demonstratione quia » (CG. I. 12, P8). Autrement dit, en toute démonstration d'existence, la définition nominale, re­ quise à cette démonstration, peut être tout simplement une désignation par l’effet. (”■*) M. Maritain a récapitulé, dans son ouvrage « Les degrés du savoir», la controverse qu’il eut avec le P. Sertillanges. Les deux auteurs, thomistes, admettent l’analogie; mais le P. S. insiste sur le « simpliciter diversa », Μ. Μ. sur le « sec. quid eadem ». Il nous paraît que, en l’occunence, un certain glissement de point de vue s’est produit. En ce qui concerne la conclusion de la preuve de Dieu, 1’« objet for­ mel » dont il s’agit « in directo », ce n’est pas le rapport objectif entre l'être créé et l’Etre Incréé, mais c’est la manière de signifier ce rapport. L’un, évidemment, implique l’autre. La manière de signifier une réalité en ellemême inconnaissable ne peut pas être indépendante du rapport que soutiennent avec cet inconnaissable les réalités immédiatement connues. En retour, en ces ma­ tières fort délicates, il est nécessaire de préciser aussi parfaitement que possible le point de vue auquel on se place. LA CONNAISSANCE RELATIONS! I.I.E A POUR OBJET UN EXISTER 17* fication de la preuve étant ainsi précisée quant aux prémisses, nous montrerons, quant à la conclusion, (pie la formulation de S. Thomas se trouve justifiée par le même principe d’explication (paragraphe r). a. La connaissance relationnelle considérée en elle-même. La connaissance d'une réalité dont on ignore la nature se borne à affirmer (ou à nier) un « exister ». Le jugement qui exprime la con­ naissance de ce type présente donc une anomalie. Si en effet, comme tout jugement, il associe nécessairement signification et affirmation, celle-ci est exprimée in directo, celle-là seulement impliquée in obli­ quo: alors (pie, dans un jugement adéquatement expressif de l’acte de l’esprit, l’affirmation porte sur ce dont il y a signification, la signifi­ cation se trouvant donc intégrée à l’affirmation, et par suite séman­ tiquement à égal niveau avec elle. Le jugement qui exprime en définitive l’acte de la connaissance est, de prime abord, plus simple lorsque celle-ci a pour objet exclusivement un «exister»; en réalité, c’est cette éventualité qui présente le plus de difficulté. Et cette difficulté est évidemment maximum, lorsque 1’« exister » dont il y a affirmation exclut en droit et pas seulement en fait la connaissance positive de ses propres déterminations. Or tel est bien le cas lorsque l’intelligence cherche à connaître, par la seule lumière naturelle, Dieu qui, en vertu de Sa Nature à Lui, est l’incon­ naissable pour tout autre que Lui. On doit donc s’attendre à ce que le modus significandi inéluctablement mis en oeuvre par la pieuse de Dieu soulève des difficultés propres, au moins par le degré sinon et par le fait même quant à l’espèce. Situer ces difficultés avec exactitude, en vue de les résoudre s’il se peut, requiert évidemment de se placer au point de Mie qui en com­ mande la genèse. La connaissance usuelle pour l’homme, celle dans laquelle affirmation et signification sont, en regard de la res, en même situation, ne peut être d’un grand secours pour éclairer un cas qui ressortit expressément à une connaissance d’un autre type, celle qui concerne exclusivement un exister ». L instrument propre à élaborer tout ce qui concerne l’épistémologie de la preuve de Dieu, ce ne peut être que ce type de connaissance spécifié par 1’« exister ». Et si, ne faire qu’affirmer sans rien signifier, absolument parlant est impossible, cela cependant ne laisse pas d’entraîner, pour l’esprit créé (pii y tend, cer­ taines conditions auxquelles se trouve inéluctablement soumise l’affir­ mation Dieu EST. Et comme il est habituel de penser et de dire que les conséquences décou­ lent d’un principe, la connaissance dont le type est spécifié exclusive­ 176 LA PREUVE Dl OIEU ET LFS CINQ VOIES ment par 1’« exister » constitue le principe propre de résolution de la preuve de Dieu envi âgée au point de sue épistémologique C’est donc ce principe qu’il comient d’examiner en lui-même, avant de procéder à sa mise en oeuvre. Nous ne ferons d’ailleurs, dans cette seconde partie de l’examen critique, que rappeler îles choses fort connues. Elles sont cependant, en fait, oubliées: non sans grand dommage pour l’intelligence de la preuve. Il convient donc simplement de remettre en valeur ce qui, de ces données, intéresse notre propos. Nous rappellerons tout d’abord qu'il existe en droit une connaissance spécifiée par le fait d’avoir pour objet exclusivement un « exister », et normée par le fait même en son exercice selon une certaine structure. Nous verrons ensuite, à un point de vue métaphysique, que, pour la connaissance de ce type, 1’« exister » ne fonde pas seulement la spéci­ fication par la fin; il exprime également la nature du connaître en chacun de ses éléments. Enfin nous analyserons, au point de vue de l’ontologie du connaître, la structure de l’acte qui est en propre celui de la connaissance spécifiée exclusivement par 1’« exister». C’est d’ailleurs cette structure qu’en définitive nous retenons, en vue île définir et de nommer ce type de connaissance qui intéresse notre question. a 1. La connaissance relationnelle est, par définition, celle dont l'objet est exclusivement un « exister». 1. Celte définition se réfère, comme il se doit, à ce qui est le plus immédiat «quoad nos», c'est-à-dire à la forme ou structure île l’acte de la connaissance dont il est question: non à ce qui cependant est primitif métaphysiquement, savoir la spécification. Il comient de pro­ céder de cette manière, dans tous les cas où il faut définir une chose dont la réalisation parfaite ne peut être observée. Il est cependant nécessaire de rappeler que la définition proposée ne laisse pas d’être primordialement fondée sur la spécification. Toute réalité créé présente deux aspects à la fois distincts et insé­ parables: d’une part, «être»; d’autre part, «être d’une certaine façon», ou «être selon une certaine nature». Ces deux choses, qui conditionnent l’étant créé comme tel, en ce sens que, ensemble et objectivement, elles en caractérisent la condition propre, condition­ nent également la connaissance exercée par l’esprit créé. « Etre » et « être tel » spécifient respectivement deux types de ques­ tions, deux types de réponses, deux types d’« instruments». Ces deux «types», quant à leur mise en oeuvre concrète, interfèrent constam- IA connaissance remiionnh.ee a pour objet un exister 177 ment (°·). On ne peut cependant les analyser avec précision qu’en les distinguant formellement. Cela, seul, justifierait de les considérer chacun séparément. Mais, de plus, en ce qui concerne la connaissance naturelle de Dieu, il se fait que la distinction objective entre « être » et « être tel » est rigoureuse, non seu­ lement comme dans tous les cas en tant que « formelle », mais également quant à sa portée réelle. Dieu étant, par Nature, l’inconnaissable, toute question Le concernant ressortit, nous l’avons vu, en lumière naturelle, à ce type de connaissance dont l'objet est exclusivement un «exister» (9e). Les caractères qui appartiennent à ce type de connaissance appartien­ nent donc éminement à la démarche appelée « preuve de l’existence de Dieu»; mais ils n’en sont cependant pas des particularités. Ces caractères, ce sont les « propres » d'un certain type de question, lorsque ce type se réalise dans toute sa pureté: type de question concernant 1« exister»; il suffit, pour les dégager, d’observer l’intelligence en son jeu spontané. Les deux principaux de ces caractères se conditionnent mutuellement: rappelons leur évidente connexion, avant de les envi­ sager chacun respectivement. 2. La connaissance d’une réalité en elle-même inaccessible, n’est pos­ sible qu’en vertu de la médiation d’une autre réalité elle-même directe­ ment connue. 11 en résulte que, pour la connaissance de ce type, et pareillement pour la question qui est à l’origine de cette sorte de connaissance; d’une part, tout est objectivement relationnel; d’autre part, tout concerne objectivement 1’« exister». «Tout», c’est-à-dire: la question, l'instrument de preuve ou «me­ dium », la réponse. « Objectivement », c’est-à-dire que le caractère relationnel et 1’« exister » dont il s’agit concernent l’un et l’autre la réalité objective. C’est cette interférence qui donne naissance aux difficultés inhérentes au mode de penser humain. Que la connaissance soit triviale ou scientifique, « tradi­ tionnelle » ou contemporaine, ne change rien à cet égard (cf. fin de la note 93). (oe) Cela est vrai, même des attributs divins « connus » par analogie. Savoir que Dieu est Intelligence, c’est bien, en un sens, connaître quelque chose de sa nature. Mais la lumière naturelle ne nous permet pas de connaître la nature de l’intelligence subsistante. Comment cet « Intclligere » s’exerce-t-il in Verbo, sans laisser d’être propre à Chacune des Trois Personnes? de cela, nous ne pouvons rien découvrir par la lumière naturelle. Connaître certains attributs divins, c’est bien avoir une certaine connaissance de la nature divine: mais il faut ajouter que nous connaissons 1’« exister » de ces attributs, non pas leur Nature. 178 η i**>t'VF ni nut >i tFs < ixq volts D’ime part en effet, toute connaissance est relationnelle en t e eus qu'elle consiste en une relation de l'intelligence à la réalité connue. Mais il s’agit, en l'occurrence, d’une autre relut tonalité: telle que constitue la relation de T« exister » qui lait question à un autre « exister» directe­ ment connu; or celte relation, si elle est clans la pensée, est d'abord dans la réalité: elle est objective par conséquent. D’autre part, et en conséquence, T« exister » dont il s'agit en ce type de question concerne lui aussi la réalité objective. Cela va de soi pour les deux extrêmes, c’est-à-dire pour Γ« exister » directement connu et pour l'« exister » qui fait question; mais cela est également vrai du medium: lequel consiste, on vient de le rappeler, en une relation. Existe-t-il une relation réelle entre ces deux «exister», l'un certain, l’autre hypothétique? C’est a Γ« exister » d une telle relation objective que se ramène nécessairement toute question de ce lyjH.·. L'homme, cherchant à savoir, doit, lorsqu'il est contraint de n’af­ firmer qu’un « exister », user d’un type de connaissance qui est objecti­ vement relationnel, car le medium en est l’< exister » d’une relation objective. Ce type de connaissance se distingue par conséquent du type direct qu'il présuppose expressément. Aristote, S. Thomas à sa suite, ont exprimé avec toute· la précision désirable ce lait épistémologique aisément observable (e:). a 2. La connaissance de type relationnel a pour objet exclusivement l'· exister » : aussi bien en vertu de l'affirmation cjiu la spécifie ultimement, que distinctement selon chacun de scs éléments. 1. La connaissance relationnelle constitue, nous venons de le voir, le principe de résolution requis par toute affirmation dont l’objet est exclusivement un «exister». (UT) La distinction de deux «types», concernant Γ· exister · d’une part, la « nature » d'autre part, est étudiée par Aristote: pour la question, Post. Analyt., Livre 11, ch I : 89b 20-32; pour le medium Post. Analyt.. Livre II, ch 2 : 89b 3ô90 a 35. Chacun de ces deux · types · comporte lui-même deux modalités,l'une complexe, l'autre note. Aristote emploie, à ce propos, la formule célèbre: àptOpôv θ*ντ«ς (89 b 25). Nous croyons que cette formule a une portée très générale. L’esprit humain, dès qu’il cherche ù connaître, « pose dans le nombre ». Cela est vrai, même du type de connaissance concernant l*. exister», même lorsque cette connaissance est considérée selon sa modalité incomplcxe; cette connaissance est. toujours, parce que par nature, relationnelle. En sorte que, même dans ce cas qui est le plus simple de tous, l'esprit, en vue de connaître. « pose dans le nombre ». I A (XlNNAHSANC I RI I AIIONNII I j- A I’Ol U « MI’DIUM » UNF. RFI.ATION 179 La connaissance de re type peut jouer le tôle de principe résolvant, précisément en vertu de ce qui lui est propre: savoir coordonner deux nippons qui soul de natures différentes. Expliquons comment. Connaître, c’est « ad tier » le rapj>ort que soutient l'esprit, qui est par nature «capable de connaître», avec telle réalité connue, radi­ calement avec l'être. Tel est du moins l'acte de la connaissance, selon la vue réaliste qui est celle de S. Thomas. Cet acte inclut donc toujours, quel qu’en soit l’objet, un premier rapport: rapport de l'esprit actuel­ lement connaissant à la réalité actuellement connue. (Jette connais­ sance exclut donc toute médiation, autre que celle du « verbe-concept », lequel est ime condit ion nécessaire· pour le connaître créé et humain. Nous disons donc que la connaissance, ainsi considérée en ce qu’elle a de fondamental, est du type « direct ». Autrement dit, la connais­ sance de tyjrc « direc t », c’est, pour l'homme cela va de soi, la con­ naissance «simpliciter». La connaissance de type «direct» inclut, pat définition, tout ce sans quoi il ne pourrait pas y avoir connaissance, et cela seulement. La connaissance de type « relationnel * se distingue de la connais­ sance de tyj>e « direct », primordialcment parce que l’objet de la con­ naissance inclut, lui aussi, un rapport: rapport bien entendu diffé­ rent de celui qui est constitutif de l’acte de connaissance comme acte d'un «sujet» saisissant un «objet». (Je second rapport, cpii donc se tient «ex parte objecti », consiste en ceci: une chose non directement connue, est cependant connue réellement, mais en vertu de la relation qu'elle soutient avec une autre chose qui est connue selon le type «direct» de la connaissance. La difficulté cpii, fondamentalement, af­ fecte ce type de connaissance, c’est qu'elle doit prendre à rebours l’or­ dre que suit spontanément l’esprit créé. Au lieu de saisir une relation en fonction de ses extrêmes, il s’agit en effet de connaître l’un des extrêmes par la médiation simultanée de l’autre extrême et de la relation elle-même. Nous disons donc cpie celle seconde manière de connaître est du tyjre « relationnel ». L’acte de connaissance relationnelle inclut donc concrètement un acte de connaissance· directe. La relation est en cl let, en tant qu'objet de connaissance, semblable à tout autre «objet»: elle requiert parconséquent, pour être saisie comme « objet », le même acte que requiert la saisie de tout «objet ». Cei acte, cpii est donc un acte de connais­ sance directe, se trouve intrinsèquement différencié du fait que la relation, «objet» au même titre que tout «objet», se distingue de toute réalité subsistante singulière. La relation implique en effet onto­ logiquement deux sujets subsistant distinctement, savoir ses deux extrêmes. Connaître la relation formellement comme medium entre ces deux extrêmes e>t le propre de la connaissance relationnelle. L’acte 180 i a pRTiJVF nr m> i’ n 11 s cinq voifs de cette connaissance ne fait donc que spécifier, en fonction de l'onto­ logie propre de la relation, l’acte de connaissance directe dont la rela­ tion est primordialement le terme en tant qu'elle est un «objet». On peut donc, en l’acte de la connaissance relationnelle concrètement exercée, distinguer pour la précision de l'analyse deux actes différents, à la condition toutefois d'entendre cette dualité d'un point de vue formel. C’est à ce point de vue que nous nous placerons: il y a deux actes de types différents, en ce sens que l'objet singulier constitué par la relation se distingue de l’« objet » envisagé en général en regard de l’acte de connaissance, fonctionnellement. Notre enquête nous conduit à examiner le premier de ces deux actes, en y considérant la relation en tant que celle-ci joue le rôle de medium objectif et réel. 2. L’acte de la connaissance dont le type et spécifié par 1« exister » repose sur la médiation d’une relation. Cela, déjà, résulte de ce cpie nous venons d’observer, et même de définir, en comparant la con­ naissance relationnelle et la connaissance directe. Nous allons le pré­ ciser, en considérant derechef l’élément-clé de toute inférence, savoir le medium. Nous avons remarqué, touchant le tyj>e de question qui concerne 1’« exister», que d’une part, tout est objectis ement relationnel, que d’autre part tout concerne 1’« exister » (a 1). Les deux assertions sont évidentes en ce qui concerne les extrêmes. Car les deux «exister», dont l’un qui est certain rend connaissable celui qui est hypothétique, sont considérés, par le lait même, en fonction de cette relation, c’està-dire relationnellement. Quant au medium de preuve, il est lui aussi «relationnel», puisqu’il est constitué par la relation elle-même qui lie les deux « exister ». Mais doit-on affirmer que ce medium intervient, formellement comme instrument de résolution de la question, exclusivement selon le point de vue que spécifie le type de cette question? C’est-à-dire cpie le me­ dium interviendrait exclusivement selon son « exister », dans le type de question qui concerne 1« exister»; et il interviendrait également selon sa «nature», seulement dans le tyj>e de question qui concerne la « nature » (°")? C'est en déterminant cette situation organique du (U’) Aristote affirme, indistinctement, la nécessité du medium dans l’un et l’autre type de preuve 90 a 12. S. Thomas précise la distinction que nous pré­ sentons dans le texte sous forme de question. Et il répond à cette question affir­ mativement (Commentaire de ce passage d’Aristote. N. 412, P3 et P6 respec­ tivement). ΙΛ CONNAIS,ANCt RIIAIIONMI.il. A POUR «MEDIUM» UNr RELATION 181 medium que Γοη découvre au mieux la véritable nature de la con­ naissance relationnelle (ü0). L’affirmation de Γ« exister » hypothétique a pour condition nécessaire et suffisante, dans la conjoncture envisagée, Y existence d’une relation à cet « exister » hypothétique d’un « exister » observé. Il sem­ ble donc que le type de question concernant 1’« exister» n’exige de considérer son instrument de résolution qu’au point de vue de 1’« exis­ ta·». Cela en effet seul importe au point de vue du rapport entre l'instrument de preuve et la réponse à la question. Cependant, assigner a priori quelles sont les conditions minimales requises pour le medium en fonction de la réponse à telle question ne suffit pas. Il faut également examiner comment, effectivement, on construira ce medium. En l'occurrence, comment établira-t-on l'exis­ tence d’une relation devant référer tel « exister » observé à 1’« exister » en question? On ne peut évidemment pas démontrer comme étant nécessaire une relation, en fonction de celui de ses extrêmes qui justement fait question; établir comme étant nécessaire un « exister », en l’occurence celui d’une relation, ce ne ]>eut être, exclusivement, qu’à partir de 1« exister » qui est objet d’observation. Or, il est impossible d’établir l'existence d’une connexion nécessaire en droit, et d’ailleurs réelle, exclusivement à partir d’un constat exis­ tentiel; tout autant d’ailleurs qu’il est impossible d’affirmer qu’une implication vaut dans la réalité, si les prémisses d'où procède cette implication n'ont aucun fondement réel. La « nature » et 1’« exister » sont, nous l’avons déjà rappelé, à la fois distincts et inséparables. La portée de ces observations banales est, en l'occurrence, mani­ feste. Si on veut établir que tel « exister » observé implique nécessai­ rement relation à, et si cette connexion entre cet «exister» et cette relation ne peut être démontrée comme nécessaire qu’à partir de cet « exister », la démonstration ne peut pas être fondée, formellement en tant que démonstration, sur 1’« exister » considéré formellement comme « exister ». La démonstration, en tant que démonstration, requiert de considérer cet « exister » formellement selon sa nature. (0») La connaissance est relationnelle par essence: en ce sens que l'esprit en acte est relatif à la réalité qu'il connaît. C’est même au sein de l'acte de con­ naissance que nous est donnée originellement la perception de la relation. La distinction que nous avons faite entre les deux types de connaissance, l’un direct, l’autre relationnel, est donc, nous le répétons, relative à notre étude; et il faut expressément l’entendre « ex parte objecti ». 182 LA PRLl \ L DI DILI1 II l ES CINQ VOIES Ce que fonde 1’« exister » observé, en tant qu’« exister », c'est la por­ tée réelle de la démonstration et de scs conséquences, c’est-à-dire le caractère réel de la relation à qu’implique Γ« exister » observé. Ces observations confirment et précisent ce qu'induisait déjà à conclure le paragraphe a 1. L’acte de la connaissance dont le type est spécifié par 1’« exister» repose sur la médiation d'une relation: relation d’un «exister» ob­ serve à un «exister» hypothétique. Et ce qui intervient, dans ce tspe de connaissance, désigné classiquement sous le nom de « démonstra­ tion quia », c’est cette relation à considérée selon son « exister ». Telle est d'ailleurs la thèse de S. Thomas: le medium de la « démons­ tration quia» requiert d'être connu quant au « quia est», non quant au « quid est » (es). La démonstration de 1'« exister», pour cette relation à, exige cependant la considération de l'« exister » observé, non pas seulement et formellement «en tant qu’exister», mais également selon la nature de l’existant concret dans lequel cet « exister » est observé. L’« être » et 1’« essence » sont en effet tout à la fois distingués et connexés en telle manière qu'ils se retrouvent en tout ce qui est, fût-ce une « dé­ monstration » d’« exister»: ce sont, dans ce cas, l'apodicticité et la réalité qui sont à la fois distinctes et connexes: car, précisément, elles se réfèrent respectivement à la nature et à l’être de l'existant directe­ ment observé. 3. La relation à, en laquelle repose l’acte eler, de cette doctrine, que ce qui concerne notre propos, à savoir la spécification de la relation. La relation est spécifiée par son terme. C’est l’une de ces vérités «usées», dont le sens primitif s'est trouvé par là même aliéné. La I A CONNAISSANCE RELATIONNEL! I A POUR « MEDIUM · UNE RELATION 183 ténuité ontologique de la relation, le caractère médiateur par quoi elle se trouve assimilable à une opération, ont fait que la «spécifi­ cation» a été comprise comme ce qui peut distinguer une relation d'une autre relation, et non comme ce (pii caractérise en propre l'êZrr de la relation. 11 convient donc de distinguer, pour toute rela­ tion en tant que relation, deux types de spécification. La relation est spécifiée par son terme, en ce sens que sa propre terminatio est dans son terme. Et nous entendons par «terminatio» d’une réalité le fait (pie l’être de cette réalité est terminé, c’est-à-dire achevé, par-fait, conformément à son type ontologique. La « terminatio » de la substance lui appartient en vertu de son pro­ pre acte d’être. Les accidents ont l’être dans le sujet, être propre cependant parce que mesuré par une forme distincte de celle du sujet. Les accidents autres que la relation ont pour « terminatio » celle mê­ me du sujet dans lequel ils ont l’être. La relation, et elle seule, a sa « terminatio » dans son terme, c'est-àdire dans un sujet différent de celui où elle subsiste comme accident. Que la relation soit « spécifiée par son terme » doit donc d’abord s’en­ tendre ontologiquement: cet achèvement dans un autre sujet dis­ tingue en effet formellement le type d’être, ténu mais réel, propre à la relation, des types d’être qui ressortissent respectivement à cha­ cun des autres accidents. La relation est spécifiée par son terme, en ce sens que l’espèce de la relation correspond à la qualification de son terme: encore faut-il préciser qu'il s’agit du terme en tant qu'il termine, non pas du terme en tant qu'il est ou qu’il implique un sujet. Mais, prise en ce sens, la spécification de la relation sc trouve aussi bien dans son fondement que dans son terme. La raison en est évi­ dente. Si, en effet, telle relation a une qualification qui la distingue de toute autre relation, cette qualification appartient à son être même en tant qu’elle est une relation: et, comme il est essentiel à la relation d’être médiatrice entre deux extrêmes, toute qualification qui appar­ tient à une relation comme telle sc retrouve nécessairement identique dans l’extrême d'où elle est efférente et dans l'extrême auquel elle e^t afférente. La spécification de la relation au point de vue formel sc retrouve donc également dans le terme « formel » et dans le fonde­ ment « formel ». Ces considerations suffisent |x>ur précise!, sinon pour résoudre, la question posée: quant un «exister» observe requiert relation à, con­ naît-on la nature de cette relation à, par le fait même qu’on en dé­ montre 1’« exister»? La réponse doit évidemment tenir compte de l’acception que l'on donne au mot «nature». 181 L\ HUI VL L»l OUI II I ES CINQ VOIES La « nature » de la relation peut être entendue au sens de «spécification formelle». C'est le second des deux sens que nous ve­ nons de préciser jx>ur la « spécification de la relation». La réponse à la question }>osce est alors affirmative. Si tel sujet exige une relation à, il l'exige évidemment en tant que cette rela­ tion a, en ce sujet, son fondement. La spécification formelle de la relation se trouve donc nécessairement assignée, par le fait même que son fondement à la fois réel et formel subsiste dans le sujet qui l'exige. Cette conséquence, qui résulte en général de la métaphysique de la relation, se vérifie effectivement dans le cas présent. L’« exister » qui requiert relation à. dans la «démonstration quia», et très parti­ culièrement dans la preuve de Dieu qui est une « démonstration quia » à l’état pur, c’est telle réalité [bl] (cf. p. 37), considérée en définitive en tant qu’elle n'est « pas par soi » selon l'esse [m2]. Le fondement formel, et par conséquent la spécification formelle de la relation à, c’est donc l’esse: «esse» qui est «non par soi», qui par conséquent ne réalise pas adéquatement la nature de l’« esse », mais qui cependant spécifie positivement cette relation à. Nous pouvons maintenant introduire opportunément, pour la clarté de l’exposé, la distinction que nous avons laissée en suspens (p. 173): convient-il de dire: «Dieu existe»; ou bien, convient-il de dire: « Dieu EST »? L’« exister » observé, qui permet de répondre à la question dont le type est spécifié par Γ« exister», appartient nécessairement à un exis­ tant créé, existant dans lequel l’«esse» est imparfait, c’est-à-dire non «par soi». Convenons d’appeler «exister» ce mode d'être qui est imparfait; « Etre » ou « EST » désigneront le mode d’être parfait, c’est-à-dire réalisant parfaitement la nature de l’esse: « Etre», « EST » conviennent donc, par définition, à Celui dont la nature est l’esse, à Dieu; enfin «esse», «être», «est», auront indéterminément. ou plus précisément analogiquement (non génériquement) l’une ou l’autre acception. Cela posé, nous pouvons exprimer d’une manière plus précise la conclusion qu’entraîne la métaphysique de la relation, concernant la « démonstration quia », et particulièrement la preuve de Dieu. La relation à, qu’exige l’< exister » observé, est effectivement connue selon sa spécification formelle, du fait même qu’elle est démontrée quant à son «exister». Cette spécification formelle, c’est justement 1’« esse non par soi», c’est-à-dire 1’« exister». En un mot, on con­ naît la nature en même temps que l’exister de la relation à, « nature » étant prise au sens de spécification formelle, puisque précisément la spécification ainsi entendue, c’est 1’« exister». L’assertion de S. Thomas est ainsi parfaitement justifiée. Concernant 1Λ CONNAISSANCE RF LAI 1ONNELLE A POUR «MEDIUM» UNE RELATION 1H3 le type de question spécifié |xn F « exista », le medium de preuve n’a à être connu que selon 1 « exister » (' )· Ft la laison en est, nous le répétons, que 1« exister » constitue la specification foimclle de la iela­ tion en quoi précisément consiste ce medium. La « nature » de la relation peut être entendue au sens de spécification ontologique. C’est le premier des deux sens que nous avons précisés pour la « spécification de la relation ». La réponse à la question posée est alors négative. On le comprend aisément, en fonction de la métaphysique de la relation, compte tenu également de ce qui précède immédiatement. Saisir une relation dans son sujet, et partant selon son fondement réel et formel, c’est bien la connaître, comme nous venons de le voir, selon sa «spécification formelle», ce n’est pas cependant en connaître la nature adéquatement. Car la relation, comme toute autre chose d’ailleurs, n’a de réalité que «terminée». Or la « terminatio » de la relation lui appartient, non dans son sujet, mais en vertu de son terme. On ne peut donc pas connaître la nature de cette « terminatio», c’està-dire la spécification ontologique de la relation, si on ignore la natu­ re du terme, du moins en tant qu’il termine: a fortiori, si on ignore tout de la nature du terme. Or c’est bien cela qui se produit en toute réponse à une question du type «exister». Dans ce cas en effet, on ignore par hypothèse; la nature de ce dont on veut prouver 1’« exister». 11 résulte donc de la métaphysique de la relation que le medium de la « démonstration quia », savoir la relation à qu’exige un « exister » observé, ne peut pas être connu adéquatement selon sa nature, c’est-à-dire selon sa spéci­ fication ontologique. Cela précise encore, et corrobore, l’assertion de S. Thomas (°’). D’autre part, nous l'avons déjà observé, le type de question spé­ cifié par F« exister » sc trouve réalisé à l'état pur dans le cas de la preuve de Dieu. La conclusion que nous venons d’énoncer doit donc valoir, dans ce cas, éminemment. Et, effectivement, elle est évidente. Le Terme, c’est Dieu. La relation à exigée par l’« exister » observé et spécifiée formellement par 1’« esse non par soi» ou «exister», elle a pour Terme 1’« esse » «par soi», l’Etant par Soi, Dieu qui EST: l’inconnaissable. La « terminatio » de cette relation à est donc ellemême inconnaissable. Et, partant, celte relation à ne peut pas être adéquatement connue selon sa nature. L’existence, pour la relation, de deux types de spécification, l’un formel, l'autre ontologique, rend donc compte de la conclusion annon­ cée au début de ce sous-paragraphe. 186 LA PREVU DE OUI El LES CINQ VOIES La relation à, en laquelle repose l’acte de connaissance dont le type est spécifié par Γ« exister», est connue: quant à son «exister» absolument, quant à sa nature inehoativement. Et nous pouvons préciser que cette conclusion vaut éminemment dans le cas de la preuve de Dieu: parce que 1'« exister » est seulement inehoativement la nature de la mystérieuse relation dont le terme est l'Esse. •1. La preuve de Dieu, qui réalise à l’état pur la connaissance dont le type est spécifié par Γ« exister», a pour conclusion la proposition par laquelle l'esprit créé affirme: Dieu EST: et non l’affirmation «Dieu existe». Cette affirmation n’a de sens qu’en fonction des conventions tic langage exposées p. 185. La portée, cependant, n’en est pas limitée à celle d’une précision verbale. Nous pourrions tout d'abord renvoyer aux textes de S. Thomas. En faire admirer la prudente concision, pourrait être le fruit de notre laborieuse enquête... du moins nous l’espérons. «Que Dieu soit, cela est objet de démonstration, en tant que, par rai­ sons démonstratives, notre esprit est induit à former, concernant Dieu, une proposition qui est telle que, par cette proposition, notre esprit affirme que Dieu est [Deum esse] » (”); « Nous savons être vraie cette proposition (pie nous formons concer­ nant Dieu, lorsque nous disons Dieu est [Deux est]: et, que cette pro­ position soit vraie, nous le savons à partir des effets de Dieu » (:‘3). On observera, en ces deux textes et autres similaires (,n’‘), le meme modus significandi. La conclusion de la démonstration, ce n'est pas, « in directo », l’affir­ mation de Dieu. Car, c’est justement celte manière de concevoir qui donne prise à l’objection: il est impossible d’affirmer de Dieu, même seulement 1’« exister»; la nature de Dieu est en effet inconnaissable: or, en Lui, la nature et l’être s'identifient. La conclusion de la dé­ monstration est donc, selon S. Thomas, une proposition qui jouit des peui pas être « pat soi » selon la formalité [62], en définitive n'est pas par soi selon 1'« esse » [m2]. (kl «esse non par soi», que nous avons convenu d’appeler Γ« exister», voilà le fonde­ ment réel et formel de la relation à. d'une paît, voilà parconséq tient la signification de la meme relation à d’autre part. Ce qui n’est pas « par soi » est pur un autre [pl]. Le « par un autre », que nous venons de signaler, constitue l'alfirmation de l’existence tic la relation à, laquelle est le « medium de preuve ». Cette alfirin.ition est faite, comme il convient eu égard à ce qui précède, uniquement quant à 1’« exister», non quant à la nature. D’une part en effet, 1’« autre» qui figure dans le «par un autre» en [pl], est désigné exclusivement comme sujet; cela n'implique aucune détermination quant au «par un autre» qui signifie la relation à. D'autre part, ce «par un autre», en relation à, n’est positivement déterminé en [pl] que par «n'est pas par soi», c'est-à-dire par l’« exister». Ainsi, l’ordre de preuve proposé p. 37 est-il l’archétype de la « démon­ stration quia », puisqu'il en est, en sa première partie, la mise en oeu­ vre rigoureuse, dans le « cas » éminent par excellence. La conclusion [Cl] est, si on l’analyse, la « proposition vraie » dont parle S. Thomas. Elle affirme en effet l’exister de la Réalité qui est «par soi »; mais, si on suit avec rigueur l’ordre de preuve, « Réalité (pii est ' par soi ' » signifie «Réalité dont il est impossible qu’elle soit «par un autre». Or, dans la seconde expression, le « soit » se réfère à ce qui le pré­ cède dans l’ordre de preuve, et il a la signification de «exister». Dans la première expression au contraire, savoir « Réalité (pii est ' par soi ’ », est signifie EST: la « Réalité (pii est ' par soi ' », c’est « Dieu qui EST » (Dcum esse). Ce (pii est démontré formellement, et pai conséquent signifié « in directo », c’est la formulation négative: c'est l’existence de la Réalité dont il est impossible qu’elle soit 'par un autre’» [«soit», ayant la valence «exister»]. Mais la forme primitive [p2] du principe de cau­ salité, forme (pii équivaut nous l’avons montré à la |>erception spon­ tanée de l'existant concret (p. 37, note 33), cette forme primitive fp2], dont on mesure maintenant toute l’importance, entraîne nécessaire­ ment l’identité objective des deux formulations: la Réalité dont il est impossible qu’elle soit [existe] «par un autre», c'est la Réalité qui est [ESI] «par soi». La proposition [Cl] devrait être exprimée, en venu de [pl] selon la formulation négative: mais, en vertu de [p2] qui est plus primitif que [pl], [Cl] est exprimée, comme il se doit, selon la formulation positive. « Scimus enim quod haec propo­ sitio [Cl], quam formamus de Deo cum dicimus Deus est, vera est; et IA CONNAISSANCE RI I VIΙΟΝΝΙ I I f COORDONNE 1*1 (iX RAPPORTS 189 hoc scimus ex ejus effectibus» : id est, en vertu de l'ordre de preuve. Cet ordre de preuve assume donc bien, rigoureusement parce qu’analytiquement, le « modus significandi » qui est celui-là même de S. Thomas. Nous pouvons maintenant rendre compte de la conclusion énoncée au début de ce sous-paragraphe. La preuve de Dieu a pour conclusion la proposition par laquelle l’esprit créé affirme: Dieu EST; et non l’affirmation «Dieu existe». L’argument, en bref, se récapitule comme suit. Tel existant n’a l’esse que selon 1’« exister». Donc il a une Cause. Cette Cause, pour le moins existe; mais elle exclut d’avoir l’esse de telle manière qu’elle serait elle-même causée. Elle a mieux que d’« exister ». Elle EST. Le type de connaissance que spécifie l’« exister », le principe de la connaissance relationnelle qui lui est associé, justifient donc l’ordre de preuve proposé p. 37, conformément à chacun de ses éléments: notamment la nature du medium et la portée de la conclusion, en fonction de la primitivité du principe. Tout cela est aussi clair, que d’ailleurs chargé de Mystère. C’est probablement pour le rendre plus clair encore que S. Tho­ mas a usé de comparaisons dans ses exposés. Celles-ci ont donné lieu à discussion, parce que leur exacte portée, nous semble-t-il, n'a pas été bien discernée. Préciser cette portée constitue l’objet du paragra­ phe suivant, a a 3. La connaissance de type relationnel n’est une en ses différents cas analogiquement, que selon l’ordination des deux rapports qui eu sont les constituants. Nous avons observe, au début du précédent paragraphe a 2 (p. 179), que la connaissance dont le type est spécifié par 1’« exister » inclut deux rapports. Le premier, inhérent à toute connaissance, est celui de l’esprit actuellement connaissant à la réalité actuellement connue; le second, propre à la connaissance que nous avons appelée relationnelle (°9), est celui de 1’« exister » observé à l’autre « exister » : celui-ci étant, ainsi, démontré. Le premier rapport étant constitutif de l’acte de la connaissance «directe», nous avons dit également que l’acte de la connaissance relationnelle est un acte de connaissance directe, ayant pour objet une réalité considérée non en elle-même mais en tant qu’elle est médiatrice. Tout cela vaut pour la preuve de Dieu. Ce cas, difficile, ne peut-il pas être éclairé par comparaison avec des situations semblables, et aisément observables. Le mal et la cécité font ici leur apparition, certes inopinée, dans le champ de la preuve de Dieu. 190 l\ run VF DF. DIFU 11 Ils CINQ VOIES 1. Le champ de la connaissance du type relationnel. Nous entendons pai «champ», l’ensemble des réalités auxquelles s’étend en droit ce type de connaissance. Et nous entendons par « con­ naissance relationnelle» celle dont nous venons de rappeler la struc­ ture: celle dans laquelle l’acte direct porte sur un rapport en tant que celui-ci est médiateur. Il est clair, d'après ces conventions de langage, que la connais­ sance relationnelle s’étend à toute réalité «diminuée» (” j. Une telle réalité n'est en effet connue formellement qu'en fonction de ce dont elle est la «diminution ». L'« exister » se présente d’ailleurs comme une réalité diminuée lorsque, la « nature » étant inconnaissable, il est en fait dissocié de ce dont il est objectivement inséparable. Dans tous ces aïs, l’acte de connaissance directe porte, pour atteindre la réalité « diminuée », sur le rapport que celle-ci soutient avec la réalité « par­ faite » supposée parfaitement connaissable: tous ces cas sont donccomparables. De là à conclure que ces mêmes cas sont analogues, il n’y a qu’un pas. 11 faut cependant se garder de le poser sans précautions, du moins si on veut éviter la confusion. 2. L’ordre propre de la connaissance du type relationnel. Il inclut l’analogie. Il peut également comporter, et il coin porte en général l’équivocité. L’acte de la connaissance relationnelle inclut l’actuation simul­ tanée de deux rapports. Ce sont ces deux rapports qu’il faut distin­ guer avec précision. Nous venons d’en rappeler respecti venient les définitions·, nous pouvons, pour plus de clarté, leur donner deux noms. Nous appellerons rapport subjectif, celui qui est actué par l’acte de connaissance directe. Nous appellerons rapport objectif, la relation qui existe entre les deux réalités qu’englobe tout acte de connaissance relationnelle, l’une de ces réalités étant directement connue, l'autre connue par et dans la médiation que constitue la relation existant entre ces deux réalités. L’acte de connaissance relationnelle consiste donc en l’ordination du rapport subjectif au rapport objectif. La complexité de cet acte vient précisément de ce qu’il est, quant à la structure, un rapport de rapports. La comparaison entre les différents « cas » de connaissance rela­ tionnelle peut être exprimée schématiquement de la manière suivante. Univocité quant au rapport subjectif, équivocité au moins possible quant au rapport objectif, analogie quant à l’ordination du rapport subjectif au rapport objectif. |\ œNNMSSANGl ΚΗ ΑΠΟΝΝΓΙ Π < iW>RIX>S\r PEUX RAPPORTS 191 L’acte de connaissance, en tant qu'il procède de l’esprit, est toujours identique à lui-même. En rigueur, cela n’est pas vrai; mais, comme nous n'avons pas à envisager cette question, nous nous contentons d’une approximation, et nous disons qu’il y a, pour le rapport subjec­ tif, univocité. L'ordination du rapport subjectif au rapport objectif existe, lui aussi, en tout acte de connaissance relationnelle, puisqu'il en est d’ailleurs constitutif. H pourrait être dit univoque, eu égard à l'univocité du rapport .subjectif. Cependant, nous disons qu’il est ana­ logue parce qu'il est intrinsèquement conditionné par le rapport objec­ tif: lequel requiert un examen attentif. S. Thomas compare la connaissance de Dieu à celle que nous avons de la cécité (*°”), indirectement à celle que nous avons du mal (’01). S. Thomas exprime la conclusion positive de cette compa­ raison en employant la formule que nous avons déjà signalée (p. 186 et note 93): nous n’y revenons pas. Ce que nous examinons présen­ tement, c’est le rapport objectif qu'intègre tout acte de connaissance relationnelle. 1. Rapport entre 1’« Etant par Soi » et tout «existant non par soi >. Sur ce rapport est fondé l'ordre de preuve indiqué p. 37. Désignons ce rapport par R. 2. Rapport entre la cécité et la vue, entre le mal et le bien, entre le néant et l'être; en général, rapport entre l’être « diminué » et l'être « parfait » auquel il correspond. Désignons ce rapport par r. Nous disons qu’il y a équivocité, nous pourrions dire également contrariété, entre R et r. Ce sont les rapports objectifs respecti vernent intégrés à deux actes de connaissance relationnelle; et c’est évidem­ ment a ce point de vue que nous les comparons, en précisant une clause qui va de soi: il s’agit de la connaissance exercée par un hom­ me, non -de celle que Dieu a des choses. En effet, selon R, l’Etre est inféré à partir de l’être: le « plus » est connu par le « moins»; «clou r, la cécité est définie comme privation en fonction de la vue, le mal en fonction du bien, etc...: le «moins» est connu par le « plus». En R, 1’« intelligible » remonte le cours de l'« ontologique » ; en r, 1’« intelligible » suit le cours de l'ontologique. En sorte que, «objectivement», R et r sont contraires l’un à l'autre: en ce sens (pie l'« ontologique » et 1« intelligible » soutiennent, en R et en r, des ordinations qui sont contraires l’une de l’autre. Episté­ mologiquement, au point de vue propre de la connaissance, R et r (ioi) s. Thomas fonde en effet sur le même principe, ou sur la même distinc­ tion, la possibilité de connaître le mal et celle de connaître la cécité. Nous y reviendrons ci-après: paragraphe b2, pp. 20(5-207. 192 (A PRHVF DE DIU' ΓΓ LFS CINQ VOIES sont «équivoques»; ils n’ont, entre eux, rien de commun: ils com­ mandent respectivement deux types de connaissance qui sont divers, étrangers l’un à l’autre. R fonde une démarche inférentielle, r s’expri­ me en une sorte de subalternation notionnelle. Une certaine analogie existerait entre R et r pour l’aveugle; lui ne peut saisir la vue qu'en fonction de la cécité, c’est-à-dire le « plus » à partir du «moins». 11 n'y a cependant là analogie qu’à un point de vue purement formel, logique. « Il est vrai, comme l’observe S. Thomas, que tel homme est aveugle » (in0); il est même vrai que cet homme ressent réellement la cécité comme une privation, comme une chose qui appartient à sa nature et dont la non possession entraîne pour lui diminution. Cette diminution est d’ailleurs observée indirec­ tement, soit par comparaison avec d’autres humains, soit en vertu de la solidarité propre à l’organisme sensoriel. Cependant, malgré une similitude qui vaut seulement à l’abstrait, le rapport r, de la cécité à la vue, même considéré par un aveugie, est divers par rapport au rapport R de l’existant observé à l’Etant par Soi. Et cela, à trois points île vue. Premièrement, la cécité n’est perçue qu’indirectement, comme un manque; tandis que tel existant doit d’abord être perçu positivement comme possédant Γ* exister », avant qu'on en puisse démontrer qu’il ne peut pas être « par soi ». Deuxièmement, l’Etant par Soi est la Cause de l’existant; tandis que la vue n'est pas la cause de la cécité, bien qu’elle en soit évidemment la condition nécessaire. Troisièmement, et en conséquence, il ne serait pas possible à l’aveugle de démontrer l’existence de la vue à partir de la cécité; tandis qu’il est en soit nécessaire et en fait inéluctable d’affirmer Di e u EST, en vertu du constat de tout «exister». L'instance que nous venons de présenter, et d'écarter, concernant la «cécité», ne fait donc que confirmer la conclusion annoncée. Nous la reproduisons sous sa forme schématique. 3. L’acte de la connaissance relationnelle consiste en l’ordina­ tion du rapport subjectif au rapport objectif. Si l’on compare entre eux différents cas de connaissance relationnelle, il y a: univocité quant au rapport subjectif; équivocité, au moins dans le cas qui nous occupe, quant au rapport objectif; analogie quant à l’ordination du rapport subjectif au rapport objectif. Nous n’avons rappelé ces distinctions, nous l’avons dit et nous le ré]K‘tons, que pour évincer toute confusion. I.e risque, malheureu­ sement, s’en est avéré réel. La preuve de Dieu relevant, tout le monde I A CONNAISSANT RM.A I IONNEl.i l COORDONNE DEUX R APPORTS 193 en convient, du type relationnel de connaissance, il est arrivé qu'on fasse porter l’analogie entre la saisie inférentielle de Dieu et d’autres saisies de meme nature, sur le rapport objectif lui-même, alors que cette analogie ne porte que sur l'ordination à ce rapport objectif de l’acte de connaissance directe: sur cette ordination strictement, et sur elle seulement. Si donc on prétend résumer le texte de S. Thomas (,0°) en disant que nous connaissons Dieu « comme » nous connaissons la cécité, il est indispensable de préciser avec rigueur le point d’application de ce « comme » : lequel a, en vertu du mode même de signifier, une valence positive. Le « comme » porte sur ce qui esi spécifique de la connais­ sance relationnelle, sur l’ordination du rapport subjectif au rapport objectif. 11 ne porte, en aucune façon nous le répétons, sur le rapport objectif lui-même. Il n’y a aucune analogie, ni métaphysiquement, ni épistémologiquement, entre les deux rapports « vue-cécité » d’une part, « Etant par Soi — existant créé » d’autre part. Mais, de même que nous connaissons la cécité en vertu d’un rapport, de même nous con­ naissons Dieu en vertu d’un rapport. Le « de même » implique l’exwter de ces deux rapports, il ne présume rien de leurs natures; à la dif­ férence du « comme » que nous venons de critiquer, parce qu’il signi­ fie, « ex vi ipsius modi significandi », une similitude de nature entre ces deux mêmes rapports. Ces précisions étant explicitées, concernant la mise en oeuvre du principe de la connaissance relationnelle, nous ne saurions mieux clore ces réflexions critiques le concernant, qu’en rappelant l’interprétation donnée par S. Thomas (ü3) de l’ordre de preuve et de sa conclusion: Scimus enim quod haec propositio quam formamus de Deo, cum dicimus Deus EST, vera est; et hoc scimus ex ejus effectibus. b. La connaissance relationnelle est justifiée selon son type propre, en intégrant l’économie du savoir humain, conformément à l'ordi­ nation de la Sagesse divine. O La réflexion critique sur la preuve de Dieu a manifesté le rôle joué par la connaissance relationnelle. Celle-ci, d'une part assigne le medium de l’inférence qui constitue la preuve comme telle, d’autre part permet la formulation sans laquelle la preuve ne conclurait rien de reél. La même réflexion critique conduit dès lors, en vertu du jeu spontané de l’intelligence, à examiner la valeur de ce dont elle a décelé l’existence. Cette recherche pourra il est vrai paraître un luxe superflu. La con­ naissance relationnelle s’avère en effet, en l’occurrence, le seul instru­ ment possible: quelle quelle soit, elle s’impose: force est donc d’en 194 LC l’Rt.l'lt' nt DIEU IT Iis CINQ VOUS user, voilà le fait. Dans la vue de Γ« utile», il n’y a effectivement pas à chercher au delà. L’esprit, cependant, demeure en attente, insatisfait: pourquoi l’affirma­ tion Dieu EST, si importante à tous égards, ne peut elle être atteinte qu’au moyen d’un instrument si imparfait? Inutile du point de vue de 1’« utile», la juste estimation de cet instrument est justifiée parce qu’elle concourt, de soi, à une monstration de l’ordre. C’est à ce point de vue que nous allons nous placer. Prouver Dieu requiert, nous l’avons vu (p. 43), pour l’esprit hu­ main, la mise en oeuvre simultanée de toutes les ressources spécifi­ quement différentes dont il dispose (’·): c'est la tâche la plus noble, mais aussi la plus difficile. Or celle difficulté, si aisément observable « ex parte subjecti », correspond, « ex parte objecti », à celle qu’impli­ que la connaissance relationnelle: car il faut simultanément la raison l’intelligence et l’intuition, pour remonter, à partir de son origine créée, la relation qui conduit de l’étant à l’Etant. 11 y a donc là, entre les deux aspects subjectif et objectif de la démarche intelligible impliquée par la preuve de Dieu, une cohérence qui con­ tribue à résoudre l’aporie proposée. Que, d’une part, la connaissance de type relationnel constitue l’instrument propre de la preuve de Dieu: cl que, d’autre part, cette preuve ne puisse être le fruit que d’un acte plénier de l’esprit: ce sont deux choses qui s’impliquent mutuellement. En sorte que, au sein de la totale unité de la démarche accomplie par l’esprit en vue de prouver Dieu, la piécaiité de l’instrument, la gran­ deur du propos, et la transcendance de l’Objet, se répondent mutuelle­ ment et se justifient réciproquement. La connaissance relationnelle est donc fondée en valeur, en vertu de la cohérence de la preuve; elle l'est également, et plus ample­ ment, du fait qu’elle se retrouve, accompagnée de la même cohérence, dans les deux domaines en quelque sorte contigus à celui de lu preuve de Dieu, et clans lesquels l’intelligence peut trouver la mesure de sa perfection: domaine de la foi d'une part, domaine de la métaphysique d’autre part. L’acte d'intelligence en quoi consiste l’exercice de la foi ne saisit la Réalité divine que comme le Terme d’une relation: et ce même acte, s’il est principalement de l’intelligence, présuppose le discours de la raison, et s’achève normalement dans l’actuation gratuite des dons. Les mêmes normes se retrouvent pour l'intelligence, lorsque celle-ci exerce son acte en métaphysique. L’objet de la métaphysique n’est en effet atteint que par la connaissance de type relationnel: car l’être en tant qu’être n'est consistant qu’immanent aux «étants». Or, d’autre part, cette saisie de l’être qui s’achève heureusement en une certaine LA ΙΟΙ s'exerce SEULS I A CONN AISSANCE RI LA i IO.NNELLF. 195 intuition, consiste formellement en un jugement, et requiert au titre de fondement nécessaire l’analogie élaborée par la raison. On voit donc que la cohérence entre les deux aspects objectif et subjectif de la même démarche mentale, entre la connaissance de type relationnel et la plénitude de l’acte intellectuel, appartient à la foi aussi bien qu’à la métaphysique, se réalise également selon la lumière surnaturelle et selon la lumière naturelle. Cette même cohérence, nous l’avons premièrement discernée dans la démarche de l’esprit, lorsque celui-ci est en acte de la preuve de Dieu. Elle se trouve i>ai conséquent inductivement mieux fondée par la convergence de trois observations semblables. La réflexion critique sur la preuve de Dieu nous amène donc à exa­ miner cette convergence. Mai·, comme nous nous sommes placés au point de vue objectif, en laissant de côté ce qui concerne en propre la psychologie de l’intelligence, nous comparerons la structure de la preuve de Dieu à celle de la connaissance de foi d’une part, à celle de la connaissance métaphysique d’autre part, en nous bornant à con­ sidérer chacun de ces trois cas, en tant qu'il ressortit au type relation­ nel du connaître. b 1. L'acte d’intelligence, en quoi consiste formellement l’exercice de la foi, fonde, dans l’ordre surnaturel, l’achèvement de la connais­ sance dont le type est relationnel. La réflexion critique sur la preuve nous amène, nous venons de le voir, à comparer le type de connaissance qu’elle met et oeuvre avec celui de la connaissance de foi. La comparaison se présente d’ailleurs dans les meilleures conditions. Le rapport entre deux types de connaissance ne jreut en effet être examiné avec précision, que si 1’« objet » connu est le même. En l’occurrence, la conclusion [Cl] de la preuve·. «l'Etant par Soi EST», d’une part: et, d’autre part, l’affirmation révélée: « EGO SUM QUI SUM » (’) désignent la même Réalité. La conjoncture est donc, si 1 on peut dire, idéale, pour examiner le rapport entre l’épistémologie de la preuve et celle de la foi. La lumière naturelle et la lumière surnaturelle sont de natures différentes: nous le supposons donné. Comment interfèrent-elles, con­ vergent-elles ou s’excluent-elles, lorsque les deux actes qu’elles spéci­ fient respectivement se présentent comme devant avoir le maximum de similitude: ex parte objecti, la Res est l’Etant par Soi, elle ne peut donc être que la même; ex parte subjecti; il y a dans les deux cas certitude: l’état du sujet est donc le même. 196 LA PREUVE DE DIEU ET LES CINQ VOIES Cette question ressortit, pour le moins indirectement, à l'étude critique de la preuve; nous ne pouvons donc pas ne pas la mentionner ici. La question, toutefois, est classique. Comment croire encore, si on prouve? A quoi sert de prouver si on croit, ou de croire si on prouve (19)? Tout cela a été examiné, discuté; et déjà nous y avons fait allusion au début de cette étude (pp. 12-20). Nous laisserons donc de côté discussions et conclusions (,M). Nous nous bornerons à préci­ ser les principes qui commandent cette question; ils sont d’ailleurs en quelque sorte immanents à la connaissance relationnelle, dont l'ana­ lyse a fait l'objet du paragraphe précédent. Ces principes nous paraissent être au nombre de deux. Le pre­ mier est celui de la spécification de la foi, en tant qu’elle est un type original de connaissance relationnelle. Le second principe est un corol­ laire du premier: d’une part, démontrer et croire s’excluent, eu égard au sujet connaissant, considéré intrinsèquement; d'autre part, la preu­ ve faite de Dieu par l’homme, et la révélation que Dieu fait de LuiMême à l’homme se corroborent mutuellement, elles intègrent l’ordre de la connaissance relationnelle en son parfait achèvement. 1. L’acte de la foi constitue un cas éminement original de connais­ sance relationnelle. L’acte de la foi est un acte de connaissance du tyj>e relationnel, car il consiste formellement en l’ordination qui spécifie ce type de connaissance: ordination du rapport subjectif, auquel correspond un acte de connaissance directe, au rapport objectif dont le Terme est la Réalité ultimément connue. Le rapport objectif, voilà ce qui distingue les différentes espèces de connaissance relationnelle. Nous l’avons déjà observé, en comparant la connaissance sous-jacente à la preuve de Dieu, à celle du rapport entre la cécité et la vue. Le rapport objectif propre à la connaissance de foi est plus complexe; au point de vue de la struc­ ture, il emprunte, assez curieusement, à l’un et à l’autre cas. L’affirmation que Dieu fait de Lui-Même « Je suis, Celui qui suis » (*) n’aurait aucun sens, sans une référence à l'être. La foi a, à cet égard, la même base [bl] que la preuve; cette base est un « exis­ ter», lequel ne peut primordialement être perçu que selon un mode de l'esse. Le rapport objet tif de cet «exister» [bl] à l’Etant par Soi est donc sous-jacent à la foi, tout comme il est le champ dans lequel se développe la preuve. (’°·) Nous renvoyons à l’article Foi, du Dictionnaire de théologie. Et égale­ ment à notre ouvrage: Dimensions de la Foi Ch IV. N 26; pp. 161-173. H KH S'EXERCE silos l \ CONNAISSANCE R> I VHONNF.I I E 197 C'est la manière de considérer ce rapport objectif qui distingue la foi de la preuve; et (pii, en retour, rapproche quant à la structure l'acte de la foi et l’acte par lequel on saisit la privation. L’inférence que fonde le rapport objectif va, dans la preuve, du moins vers le plus: cette inférence consiste au contraire, lorsque le rapport objectif est la privation, à caractériser le moins en fonction du plus. Voilà ce que déjà nous avons observé. Or, dans l’acte de la foi, le croyant ne remonte pas, par inférence comme dans la preuve, du « moins » c’est-à-dire [bl], au « plus » c’est-à-dire à Dieu; mais le croyant interprète ce même * moins * [bl] en fonction d’un «plus», savoir l’affirmation de Dieu Se révélant. La vision, et elle seule, fait saisir l'être créé comme une sorte de « privation », de « limitation », relativement à l’Etant par Soi. Mais la foi est un substitut de la vision (103). Et, si la foi ne fait pas voir dans le Verbe de Dieu, la singularité de sa Lumière consiste en ce qu’elle fait voir comme Dieu voit (10‘); elle fait saisir à partir d’en Haut, non encore quant à l’Etre, mais bien quant à la Lumière. La foi a la même base [bl] que la preuve: mais elle suspend le mode inférentiel de la preuve. La foi, donnant en effet gratuitement, dans la Lumière de Dieu, la signification de cette base [bl], celle-ci, sans laisser de demeurer indispensable, devient, par le fait même, le fon­ dement seulement sous-jacent à la connaissance de foi; tandis que le fondement prochain est, dans l’acte de foi, la parole révélée en fonc­ tion de laquelle l’intellect du croyant tend vers la Réalité (e). Ce caractère original de la connaissance de foi, quant à son type relationnel, rend d’ailleurs compte du fait que le croyant, si il veut expliquer et communiquer ce qu’il perçoit, se trouve dans la même situation que le philosophe non croyant et concluant Dieu EST. Car, pour expliciter le contenu de cette affirmation (’°5), il est inéluc­ table de partir d’un « exister » observé. Et comme la lumière de la foi n’est ni exprimable ni communicable par un verbe humain, expri­ mer et communiquer requièrent de recourir à une inférence: laquelle, en substance, est celle de la preuve (lne). (103) Fidcs est habitus mentis qua inchoatur vita aeterna in nobis, faciens intellectus assentire non apparentibus (2.2. q4, al; Heb. II. 1. P4™). (101) cf. op. cit. note 102; pp. 376-378. (ios) Nous laissons évidemment de côté d'autres affirmations révélées, concer­ nant par exemple le Mystère de la Sainte Trinité. Nous nous bornons â cette affirmation: Dieu EST. (’«·) 1. q 13. alO, 5m Ipsam naturam Dei, prout in se est, neque catholicus, neque paganus cognoscit; sed uterque cognoscit eam secundum aliquam rationem causalitatis, vel excellentiae, vel remotionis. Les voies d'« excellence » et de « rémotion » présupposent une similitude. Quand 198 ΙΑ PREUVE DE PIEU H US CINQ VOIES Nous avons insisté un peu plus haut sur la diversité qui existe entre le rapport objectif qui fonde la preuve d’une part, et le rapport objectif que désigne la privation d’autre part. Le rapport objectif propre à la connaissance de foi se situe d’une manière origi­ nale en fonction des deux précédents. Il a, avec chacun d’eux, quelque chose de semblable; et cependant, en rigueur de termes, rien de commun. Dans la foi, le rapport objettif ne fonde pas, comme dans la preuve, une inférence relationnelle: en sorte que la base jbl] est seu­ lement sous-jacente à la foi, tandis qu elle est pour la preuve la pré­ misse existentielle. Dans la foi, le nippon objectif fonde une perception qui procède de l’en Haut vers l’en bas, tout comme ce rapport montre le < moins » à partir du « plus » dans la privation. Mais cet en Haut, qui constitue le principe secret de la connaissance de foi et qui en polarise le rap­ port objectif, c’est le Don d’une Lumière, lequel n’est perçu ni com­ me la Réalité Objet de la vision, ni comme la réalité origine de la privation. 11 faut donc bien conclure que l’acte de la foi constitue un cas original de connaissance relationnelle: l’originalité consistant, en l’occurrence, en ceci que ce cas est positivement éclairé par chacun des autres, sans avoir rien de commun avec aucun. Le type de connaissance que nous avons appelé « relationnel » se manifeste donc, dans la foi elle-même, comme étant en parfaite con formité avec Γ« analogie de la foi». 2. Démontrer et croire s’excluent, eu égard au sujet connaissant considéré intrinsèquement. La preuve et la révélation se corroborent mutuellement, elles intègrent l’ordre de la connaissance relationnelle en son parfait achèvement. Tel est, nous l'avons dit, le second des principes qui commandent le rapport entre la connaissance naturelle et la connaissance surnatu­ relle, touchant l’Etant par Soi quant à l’Esse. Nous en examinerons successivement les deux parties. Démontrer et croire s'excluent, au moins dans le même sujet et dans le même acte: c'est la thèse habituellement tenue par S. Tho­ mas (7). C’est d’ailleurs une évidence, si du moins on s’en tient à la considération des définitions formelles. la connaissance concerne l'être, l’esse, l’Etre. c’est toujours la causalité qui cons tituc le fondement. i\ mi s'exerce selon t\ conn mssancf rh.ationnellf 199 Un utile complément d’explication procède toutefois de l’analyse que nous avons faite de la connaissance relationnelle. Le rapport ob­ jectif fonde, dans la preuve, une inférence qui procède du «moins» vers le «plus»; le rapport objectif assure au contraire, dans la foi, la perception du même, «moins» (la base [bl]) à partir du «plus». Les deux rapports sont contraires. Ils ne peuvent donc pas être, si­ multanément, les termes respectifs de deux ordinations que soutien­ drait avec eux le même acte de connaissance directe. Et comme c’est cette ordination à qui constitue en propre le type relationnel de la connaissance, on voit que comparer à ce point de vue la preuve d’une part, lu foi d’autre part montre clairement leur incompatibilité, dans un même acte du même sujet, touchant le même Objet. La coordination, c’est-à-dire l’intégration dans un même ordre, de la foi et de la preuve, semble tout d’abord faire difficulté: surtout en raison de ce qui vient d’être observé. Cependant, la structure de la connaissance relationnelle en rend compte également. La Lumière de la foi assume en effet deux situations diffé­ rentes, en regard du rapport objectif qui constitue le champ de la preuve, savoir la relation de tel « exister » observé à l’Etant par Soi. La Lumière de la foi, d’une part, induit positivement le croyant à ne pas considérer « formaliter » ce rapport objectif: car cette Lu­ mière, montrant en cet « exister » observé le support de l’affirmation que Dieu fait de Lui-Même, prévient de le considérer comme la pré­ misse existentielle d’une inférence. Mais, en retour, la Lumière de la foi n’incline évidemment pas à nier ce qu’elle fait ne pas considérer. Il n’est donc pas contraire, il est même éminemment conforme à cette Lumière de la foi, d’impérer au croyant, du dedans, l’affirmation de ce rapport objectif que soutient tel « exister » observé avec l’Etant par Soi. On dira qu’affirmer ce rapjrort constitue, pour le croyant, un se­ cond acte de foi, postérieur ou pour le moins subordonné à l’acte primordial, par lequel le croyant adhère à Dieu EST. Toute la question revient précisément à examiner cette subordination. Il y a effectivement deux actes, en ce sens qu’ils sont spécifiés distinctement: Dieu EST, d’une part: et, d’autre part, 1’« exister » observé est tout relatif à «Dieu qui EST»: mais, en retour, la pre­ mière affirmation est inséparable de la seconde: et cela, aussi bien dans la foi que dans la preuve (’"°), bien que la manière tie percevoir soit ici et là radicalement différente, ex parte subjecti. Il faut d’abord réaffirmer, en termes appropriés, l’incompatibilité dont il a été question. Démontrer et croire s’excluent. Faire « ne pas considérer ' formaliter ' la relation de tel ’exister’ observé à l’Etant 200 M PRI I'VE. DE DIEU ET I ES CINQ VOIES par Soi», et d’autre part « impérer d’affirmer cette même relation»; ces deux choses, qui ressortissent l’une et l’autre à la Lumière de la foi, s’excluent mutuellement: tout comme la démonstration exclut l’adhésion non fondée en raison. Il y a donc bien deux actes de loi, spécifiquement distincts: et cela est possible, car 1’« exister » observé que circonscrit explicitement le second acte n'est requis qu’implicitement, nécessairement mais seule­ ment par concomitance dans l'objet du premier acte. Formellement, les deux actes s'excluent; le croyant ne peut les poser l'un et l’autre, simultanément et explicitement. Nous devons cependant considérer également ces mêmes cho­ ses à un autre point de vue. Il ne s’agit pas de substituer à la rigueur tonnelle qu'exige la métaphysique la fluence indécise que permet la phénoménologie. I.e point de vue nouveau dont nous parlons est tout simplement celui de la nature de l’intelligence: l'acte en est auto-conscient. Or, l'intelligence est améliorée par la Lumière de la foi, et plus encore par les dons du Saint Esprit. C’est en croyant que l'intelligence pose l’acte qui est parfaitement conforme à sa nature; car alors, mais alors seulement, l’Objet qui constitue le véritable Terme de l'acte est immanent. L'intellect du croyant en acte de sa foi, surtout si il est mû par le don d'intelligence, perçoit donc, en exerçant cet acte distinc­ tement spécifié, les possibilités qui lui sont immanentes, et que cepen­ dant cet acte ne met pas en oeuvre. Le croyant qui adhère à « Dieu EST » en vertu de la Révélation et de la Lumière de foi, qui par conséquent ne considère pas « formaliter » la relation de tel « exister » observé à l’Etant par Soi, ce croyant donc exerçant cet acte, sait ac­ tuellement qu’il pourrait affirmer cette relation, bien cpie cet acte en prévienne la considération. Le croyant sait même davantage, de la même manière implicite mais concomitante à l'acte, si par ailleurs il connaît la prenne et en a fait une analyse rigoureuse. Celte connaissance rigoureuse étant sup­ posée «habituelle», le croyant sait, en l'acte même dont le Terme est « Dieu EST » que, demeurant capable en cet acte même d'affirmer le rapport objectif qu’il doit ne pas considérer « formaliter », il de­ meure par le fait même capable, tel qu’il est en cet acte, de démontrer «Dieu EST». Selon ce point de vue. supérieur puisqu’il est celui de la Sagesse et de ses dons, l’affirmation première demeure, mais la portée en est modifiée. Démontrer, disions-nous, exclut de croire. 11 faut tenir, avec plus de vérité: croire empêche de démontrer: et, ainsi, la première assertion est assumée. Mais il faut ajouter: plus l'acte de foi est parfait, mieux Ι\ FOI s'» XI RCF SI LON LA CONNAISSANCE RELATIONNELLE 201 il est inspiré par la Lumière d’en liant, mieux ainsi il enclôt en luimême l’évidence que l’on pourrait actuellement démontrer, bien que l’on soit actuellement prévenu de le faire. Ainsi, nous le répétons, avoir l'évidence cpie l'on pourrait actuellement démontrer, et ne pas pouvoir le faire à cause de l’acte même qui porte immanente à luimême l’évidence qu’on pourrait le faire, cela est possible. Comment cela est-il possible? Nous ne revenons pas sur l’in­ compatibilité, dont la raison a été suffisamment expliquée. Ce dont il convient de rendre compte, c’est de cette immanence de la démonstrabilité, que porte en elle la Lumière de la foi, à la mesure de sa perfection, immanence évidente au croyant en acte, selon cette évidence toute primitive mais non immédiate qui est pro­ pre à la Lumière de foi. Voici, de cette évidence et de son immanence, deux raisons aisément observables. D’une part, ex parte objecti, nous l’avons déjà dit, 1’« exister » [bl] qui est la prémisse ontologique de la preuve est implicitement endos, seulement par concomitance mais nécessairement, dans l’objet formel de l’acte du croyant, savoir DIEU LUI-MÊME révélant « JE SUIS». L’« exister», prémisse de la preuve, est donc bien immanent à l’acte du croyant; et cette prémisse est évidente dans la Lumière de la foi, parce que cette Lumière est substantiellement celle de l’Etrc. Il faut ajouter (pie ce qui est vrai de la prémisse «matérielle», savoir 1’« exister » [bl], l’est également et a fortiori de la prémisse « for­ melle » [b2]. Que tel « exister» observé ne puisse pas être « par soi », cela, dans la preuve, il faut le démontrer: c’est une étape essentielle de l’ordre de preuve (p. 37). Or ce caractère « non par .soi » de l’exis­ tant créé, il est évident, pour qui saisit « Dieu qui EST » dans la Lumière de la foi, et plus particulièrement sous la motion du don de Science. L’acte de la foi porte donc bien, immanente à lui-même en raison de sa relation à l’Objet, l'évidence de la prémisse de la preuve, pré­ misse considérée adéquatement en son intégralité. D’autre part, ex parte subjecti, la raison et l'intelligence sont des facultés différentes, en ce sens qu’elles sont respectivement spécifiées par l’enchaînement du discours, et par la pénétration de la vérité (*"7); elles sont cependant, dans l’homme, la même puissance ("IH). La foi est principalement dans l’intelligence, et c’est à la raison que ressortit formellement la démonstration. Mais l’intelligence croyante accueille avec faveur les raisons susceptibles de la rendre « spontané· (107) 2-2. q49. tâ, 3m. (to«) De Ver. q!5, al, Pi; 1. q48, a4. 202 It PRE U VI [H nil l' El lis CINQ VOIES ment consentante» (’*”*); et si la raison s’attache, laborieusement, à établir l’existence os. L’acte de la foi en « Dieu qui EST » porte donc, immanente à luimême, pane qu’il est l’acte d’un sujet intelligent humain, l’attente actuelle et partant la possibilité positive de la preuve de Dieu. On comprend ainsi la position de S. Thomas. Après avoir montre, en rigueur formelle, que démontrer et croire s'excluent, après avoir rappelé que l’objet de foi, éminemment intel ligible, a cependant |x>ur caractère propre le « non vu », S. Thomas ajoute: « Le croyant qui perçoit intelligiblement quelque chose des objets de la foi, et qui en un sens les voit déjà, ce croyant a une foi plus noble que celui dont la connaissance est moindre » (’). La foi est rendue plus noble par le fait de porter, immanente à son acte, l’évidence de la dénionstrabilité de son Objet. Car, ainsi, elle récapitule en elle, au maximum du possible, toutes les virtualités attachées à la connaissance relationnelle telle que Dieu l'a établie, et telle qu'elle Le concerne. Puisque démontrer et croire sont, s’il s’agit de Dieu, deux modes de la connaissance relationnelle; puisque, dans l’ordre théologal, la foi l’emporte sur la démonstration; puisqu’enfin croire empêche, dans le même acte, de démontrer: dans ces conditions, l’acte de la foi théologale qui porte en lui-même, comme acte, l'évi­ dence de la dénionstrabilité tie Dieu, et même les prémisses de cette démonstration, cet acte constitue l’achèvement de l’ordre de la con­ naissance de type relationnel. Si, du côté de l'homme même croyant, démontrer exclut de croire, la preuve faite de Dieu par l'homme trouve une pierre d'attente en la Révélation que Dieu fait de Lui-Même à l'homme; en sorte que, dans l’acte théologal du croyant-savant, croire et démontrer intègrent ensemble l’ordre de la connaissance relationnelle en son parfait achè­ vement. b 2. L'acte en vertu duquel l'intelligence se constitue toute relative à la réalité a pour expression concomitante un jugement vrai, • rus ut verum »; lequel est irréductible aux concepts qu’il associe, en tant que ceux-ci sont seulement dans l’esprit, « en s rationis ». Nous nous bornons encore, dans ce paragraphe, à rappeler quel­ ques rudiments: principes de soi fort connus, mais dont l'oubli ou la prétérition a contribué pour beaucoup à rendre inintelligible la preuve de Dieu. (»0») Vatican I Const, de Eide catholica, cap 3 - Denz 1790. • INS ΗΛΙΙΟΝΙΗ CONCI CIUS · SON ESI · F.Ns VIRUM JUDICII» 203 Le principe de la connaissance relationnelle consiste en l’or­ dination d'un premier rapport, que nous avons appelé « subjectif » parce qu’il est impliqué en tout acte de connaissance, à un second rapport dit «objectif ». Ce rapport objectif est entre deux «choses»; il a, dans la connaissance relationnelle, un rôle médiateur, parce qu’il fait connaître l'un de ses extremes par l’autre; enfin, au point de vue métaphysique, il appartient au «genre» relation. Celle-ci est «ens debilissimum », quoi qu’il en soit des termes relatifs, lesquels en l’oc­ currence sont fort divers; Dieu... le mal. Dans tous les cas où la relation s’avère un instrument indispen­ sable, sa ténuité ontologique a toujours été, l’expérience le prouve, l’occasion de graves difficultés. C’est bien ce qui se passe en fait dans le cas de la connaissance relationnelle et de la preuve de Dieu. Parce que l’objet spécificateur immédiat, quoique non pas ultime, de l’acte de connaissance directe est un rapport, n’est qu’un rapport, la réalité propre de celui-ci a été méconnue; et cela selon deux tendances appa­ remment complémentaires, mais au vrai solidaires dans l’erreur. Si en effet on veut ne retenir, en fait de réalité, que Celui des deux termes du rapport qui « éclipse » pour ainsi dire toute autre entité, puisque c'est 1’« Etant par Soi », Lui-Même: alors, on est conduit inéluctable­ ment à résorber l’être propre du rapport, ténu mais réel, en quelque chose qui parait être un «abstrait», puisqu’il n’est pas 1’« Etant par Soi ». En sorte que la conclusion de la preuve, proposition atteinte par la médiation de ce rapport « abstrait », est supputée être elle-même une abstraction. Dieu « conclu » s’est trouvé, par le fait même, réduit à un « ens rationis », étranger au vrai Dieu, le Dieu de l'Exodc, le Dieu d’Abra­ ham d’Isaac et de Jacob. L’« obsession de l’esse», ci-dessus évoquée (pp. 27 sv.), a été, au moins chez les épigones, la principale cause de cotte méprise; et cette méprise entraîne inéluctablement, nous l’avons déjà observé, que la preuve perd simultanément toute signi­ fication intelligible et toute portée réelle. Les principes qu’il est, en l’occurrence, indispensable de rap­ peler sont: d’une part, le caractère réel de la relation comme telle: d’autre part, le réalisme de la connaissance, le fait que la connais­ sance et le jugement portent sur l’être, si ténu soit celui-ci, même si cet être est celui d'une relation. Nous laisserons de côté le premier point: la relation est une categorie ontologique; nous ne pourrions, de cette importante vérité, dire ici que trop ou trop peu. Quant au réalisme de la connaissance, nous n’avons évidemment à l’envisager qu’en fonction de notre propos: 204 IA PREUVE PE DIEU El ILS CINQ VOIES La preuve, de Dieu, son intelligibilité, sa portée, requièrent de dislin· suer l’*ens verum » de ï*ens rationis·. Voilà ce dont la conjoncture présente exige la remise en valeur. Nous rappellerons d'abord que la distinction est classique; nous en indiquerons ensuite la justification métaphysique; nous en verrons enfin, au paragraphe suivant (c.), la conséquence épistémologique. 1. Aristote, S. Thomas à sa suite, distinguent quatre sens pour le mot être C’est le troisième qui, en l'occurrence, nous intéresse. «Etre* signifie que [le jugement auquel] ' e-t ’ [est intégré] est vrai » (”*)· * Etre» est alors pris au sens de « ens ut verurn », ou en abrégé selon la locution demeurée classique «ens verum». S. Thomas, au lieu indiqué, ne fait que commenter briève­ ment et fidèlement Aristote. Par contre, on retrouve, tout au long de son oeuvre la même distinction, apparemment stéréotypée mais prégnante de réalité, entre deux acceptions des mots ens ou esse. pio) Métaphysiques Δ 7. Ces quatre sens sont: 1. Etre par accident; 2. Etre par essence; καθ’ αδτό : dont nous avons déjà parlé notes 66 et 67; nous rap­ pelons qu'il doit ne pas être confondu avec le καθ’ αύτό (tertio modo) (Seconds Analytiques 73 b 5-10); le premier est «quoad essentiam», le second «quoad substantiam »; 3. Etre en tant qu'il constitue la portée d’un jugement vrai; 4. Etre comme puissance et acte. p*11) τό slvat σημαίνει. xà ϊσχιν δχι αληθές 1017 n 31. Le verbe est figure dans toute proposition, que celle-ci soit affirmation ou nega­ tion. que le verbe soit le verbe être lui-même, ou bien un autre verbe qui le consignee. Ce «est» est «de l’être», en ce sens qu’il signifie une chose comme vraie; il la signifie par là même comme étant telle qu’elle est signifiée. La négation «n’est pas», également est «de l’être»; en ce sens quelle signifie, d'une chose existante; qu’elle ne comporte pas la détermination qui en est niée. La même acception de slvat est reprise par Aristote Métaphysiques E 4. (i>2) Voici, par ordre chronologique, de 1254 à 1269. la liste des textes où cette distinction est mentionnée. Nous n'affirmons d'ailleurs pas que cette liste est exhaustive. 1. 1S. dl9. q5, al. 1«» 10. CG. III. 7. 8. 9. 6™ (in 8) 2. IS. d33, ql. al, 1™ 11. de Pot. q7. a2, lm, 2m 3. 2S. d34. ql. al 12. de Malo ql. al. 19m 4. 3S. d6, q2. a2 13. Méta. Δ Lect 9. N889, 895-896 5. Quod. 9. q2, a2. 14. Méta. Δ Lect 14. N971 6. de Ente, cap. 1, N2 15. Méta. I Lect 3. ΝΊ98Ι-1982 7. de Verit., ql, al, l«i 16. I. q3, a4. 2m 8. de Verit.. ql. alO, lm 17. 1. q48, a2. 2m 9. CG. I, 12, lm, N7 18. Quod. 2, q2, al. Nous pourrions adjoindre à cette liste quelques textes dans lesquels S. Thomas rappelle que la connaissance de toute réalité « diminuée » est nécessairement rela­ tionnelle. Cette connaissance consiste à affirmer la vérité d'une proposition (cf « I Ns RAI IONIS CONCUR us. NON EST « ENS VERUM JUDICII» 2(6 L’acception primordiale est bien entendu objective; « ens » ou « esse » signifie: actus eseendi, entitas rei, essentia rei, ens in rerum natura, natura decem generum... La seconde acception, celle qui nous intéresse, comporte elle-mê­ me des modalités connexes: composition faite par l’esprit, copule ver­ bale, proposition, vérité c’est-à-dire portée réelle de cette proposition... Les définitions les plus larges sont données, que nous sachions, en deux lieux (113, 1W). Dans la première seulement figure explicitement la locution ens verum; S. Thomas semble avoir, par la suite, renoncé à cette expres­ sion. Ce qui importe, c’est la permanence de la doctrine (n2); ces textes, extraits de contextes différents, s’éclairent mutuellement. Les caractères attribués, dans le de Ente (114), à 1’« ens per se... quod significat propositionis veritatem » n’appartiennent pas nécessai­ rement à cet ens verum. Si en effet 1’« ens verum, quoti significat pro­ positionis veritatem », se définissait comme étant Tens au sujet duquel on peut former une proposition affirmative, « bien qu’il ne pose rien dans les choses », alors il faudrait conclure que « haec propositio quam formamus de Deo, cum dicimus Deus est, [et quam] scimus [veram esse] ex ejus effectibus » (°3) désigne un « ens quod in re nihil ponat » (,1‘). Conséquence aussi inéluctable qu’inattendue. La vérité est que le texte du de Ente suggère, par une con­ séquence qu’il est aisé d’exprimer, un principe dont la compréhension requiert une attention déliée: « ut a facilioribus incipientes convenientior fiat disciplina » (U5). notes 93, 114) qui exprime le rapport objectif que soutient cette réalité «diminuée» avec une autre réalité: Connaissance du mal : 1. q48, al. Connaissance de la cécité, de la privation: Méta. A Lect 3, N566. Connaissance de la matière première: I Physic. Lect 13, N237. Connaissance de l’infini: III Physic. Lect 11, N752. Dans ces passages, et autres, la distinction entre les deux acceptions de ens n'est pas explicitée; mais elle est nécessairement impliquée. (n3) 1S. d!9, q5, al. lm. Esse dicitur dupliciter: uno modo secundum quod ens significat essentiam rerum prout dividitur per decem genera; alio modo secun­ dum quod esse significat compositionem quam anima facit: et istud ens Philo­ sophus appellat verum. Et similiter Augustinus cum dicit quod * verum est id quod est » [S. Thomas reprend cette définition: de Verit. ql, al, N12]... (in) De Ente, cap 1, N2. Ens per se dicitur dupliciter: uno modo quod dividitur per decem genera, alio modo quod significat propositionis veritatem. Horum autem differentia est quia secundo modo potest dici ens omne illud de quo affirmativa propositio formari potest, etiam si illud in re nihil ponat; per quem modum privationes et negationes entia dicuntur. (us) De Ente, cap 1. N L Cette déclaration précède immédiatement le texte cité note précédente 114. 206 l.\ PtF.UVF. DE DIEU ET LES CINQ VOIES Pour faire saisir la différence entre les deux acceptions de 1'« ens per se», on peut opposer d'une parc, la réalité que divisent les dix prédicaments, et dans laquelle ne figurent ni la privation ni la né­ gation; et, d'autre part, la vérité de l'affirmation, en vertu de laquelle on peut dire (dicuntur) que la privation et la négation sont des entia. Mais, en toute rigueur, même cela, on ne peut le dire que par dérivation. De ce qu'une proposition est vraie, on j>eut et on doit, au point de vue métaphysique, déduire premièrement que cette proposition expri­ me une relation réelle de l’esprit à la réalité, deuxièmement que la réalité est telle qu elle est signifiée par la proposition. Si on dit « la cécité est », on s'exprime d'une manière abrégée mais inexacte; la locution exacte, la voici; «sicut dicimus quod caecitas est, quia verum est hominem esse caecum » (,n0). La vérité de la proposition (“*), concerne effectivement îles choses qui, considérées disjonctivement, n’ont pas d'être; mais, dans une telle proposition, le est (dont on cherche à définir la nature) porte sur la composition «hominem esse caecum»; et il ne porte pas disjonctive­ ment sur chacun des éléments qu'intègre cette composition. 11 faut même ajouter que, toujours conformément à Aristote et à S. Thomas, le «es/», qui affirme comme vraie la composition propositionnelle qu'il constitue comme copule, affirme du même coup cette composition comme réelle, comme existant in rerum natura (ens et verum convertuntur...); mais ce même « est » ne signifie rien de la nature de cette composition. Dans ce cas en effet, il faudrait assimiler les « privationes » et les «negationes» (IH); c’est-à-dire qu'il faudrait confondre la priva­ tion et la contradiction; or les catégories de l’opposition constituent, comme on sait, pour une logique, le fondement le plus primitif. La rédaction suggestive (ni) du de Ente ne doit donc pas faire illusion. Elle est explicitée par les autres textes. L'cns ut verum, τό είναι δτι αληθές, c’est la vérité, et pour autant l'entité propre, d’une proposition énoncée par l'esprit comme constituant un juge­ ment portant sur la réalité signifiée par cette projxjsition. Nous pouvons rapprocher cette conclusion, exégétique, de l’ana­ lyse ci-dessus proposée de la connaissance relationnelle. Celle-ci con­ siste formellement en l'ordination d’un premier rapport, ou acte direct de connaissance, à un second rapport: que nous avons appelé objectif, parce qu'il existe entre deux « choses » qui sont autres que le sujet connaissant. L'ordination au rapport object il consiste à en affirmer la réalité, mais elle n'exprime rien de sa nature. L’ens ut verum, c'est très exactement la réalité et la vérité de cette ordination à, quelle que soit d’ailleurs la nature du rapport objectif * I SH RATIONIS CONCI ΙΊ US » NON ESI « INS VERUM JUDICII» 207 auquel se réfère cette ordination; ou, équivalemment, quelle que soit la nature (n“) du lien signifié par la proposition, dont parle S. Thomas: veritatem propositionis (Η,°), propositionis veritatem (1H). Le rapport objectif, comme proposition, ou équivalemment la pro­ position vraie dont parle S. Thomas, considérée en tant que propo­ sition, ne sont évidemment que dans l’esprit; elles sont purement eus rationis. Mais, précisément, Tens ut verum, ce n’est pas le rapport objectif, ce n’est pas la proposition en tant que proposition; l’e/ts ut verum, c’est Y ordination à, c’est la proposition ut vera (93). Concluons donc, comme nous l'annoncions, que si l’« ens ut \erum » est, dans l’esprit, « ens rationis » inéluctablement, si il peut inclure de T« ens rationis» objectivement dans son champ, Tens* 112 (110) Ce en quoi consiste formellement Vens ut verum, c'est que telle propo­ sition est affirmée vraie. Elle est référée par l'esprit au rapport que tout à la fois elle signifie, et affirme comme étant réel, comme étant objectif in rerum natura. L’« ens ut verum» est bien Γ« ordination à» qu’a mise en évidence l’ana­ lyse de la connaissance dont le type est relationnel. Nous croyons qu’une similitude plus profonde encore existe entre la con­ naissance relationnelle mise en oeuvre dans l’ordre de preuve proposé p. 37, et Γ« ens ut verum » dont parle S. Thomas. Le «rapport objectif», qui constitue le medium de preuve n’est connu selon sa nature qu’inchoativement: c’est-à-dire dans la base [blj qui en est le sujet, selon l’aspect [b2] qui en est le fondement. Considéré en lui-même, en tant que rap­ port, ce «rapport objectif» n’est connu que selon son «exister». Voila ce que nous avons montré (pp. 182 sv.), en nous inspirant d’ailleurs des principes de S. Thomas. Or, d'autre part, la comparaison des textes dont les références sont citées note ΓίΙΠ 112, montre que S. Thomas propose et fréquemment affirme un rapprochement dont on ne trouve nulle trace en Aristote. Le deuxième sens de είναι selon Aris­ tote, c’est-à-dire le καθ’ αύτά quoad essentiam, est rapproché par S. Thomas de la question «quid sit?»; et cela, fort naturellement: puisque cette sorte de καθ’ αυτό signifie un lien d’appartenance conforme à l'essence, dans chaque caté­ gorie de la réalité. (Cf notes 66, 67, 110). Le troisième sens de είναι selon Aristote, c’est-à-dire Tens ut verum, est très fréquemment invoqué par S. Thomas, dans les textes cités note 112, en vue de répondre à la question an sit?. C’est dire que la proposition vraie (notes 100 et 114), dont l’affirmation en tant que vraie constitue Cens verum, signifie simplement un < exister », non pas un lien de nature. Elle répond, en effet, en étant affirmée, à la question «an sit?», et non à la question «quid sit?». Cette observation confirme donc l'identité de nature entre ce que nous avons appelé « connaissance de type relationnel », et ce que S. Thomas désigne après Aristote par la locution «ens ut verum». Nous aurions donc pu, dès le commen­ cement du paragraphe a (p. 175), invoquer l’autorité de S. Thomas. Nous avons procédé plus analytiquement. estimant « demonstrandum » tout ce qui est « de­ monstrabile ». 208 ut verum el absolument (nî). IA PREUVE Tens DE DIEU ET LES rationis CINQ VOIES sont par nature différents, 2. La justification de 1« ens ut verum >, c’est tout simplement la métaphysique du vrai. Nous nous abstenons donc de tout développement. Nous nous contenions de rappeler un texte particulièrement typique, et d’ail­ leurs immuablement actuel (llb). C’est la réalité elle-même, c'est l’être qui inclut et exige par nature cette confonnabilité, que l'esprit res­ sent, recherche et enfin possède en découvrant la vérité. La vérité est « adaequatio... », mais on réduit cette « équation » à n’exprimer qu’une vérité diminuée, si on omet de dire ce que rappelle S. Thomas. L'équation, elle est le resplendissement de l’acte de l’intellect saisissant l’être; mais elle existe déjà, radicalement, entre la conformabilité à l'esprit qui est inhérente à l’être, et l'exigence de confor­ mation à l’être qui est inhérente à l’esprit. Or cette conformabilité et cette conformation, respectivement nécessaires parce que mutuelle­ ment réciproques, elles ne font pas acception des modes particuliers qui spécifient l’acte de l’esprit, un avec l’être qu’il saisit. Elles sont vraies, même d’une réalité qui inclut privation. Il faut même dire que, universellement en fait, cette confonnabilité et cette conformation ne s’observent que concernant des réalités affectées de privation. Le montrer est aisé. Nulle connaissance n’est exhaustive... truisme, estimera-t-on jus­ tement. Mais, au vrai, qu'est-ce que cela signifie, sinon ceci. Tout savoir acquis est comme une attente, sur un palier. Il contient en lui-même, intrinsèquement, à la fois comme un manque et comme un germe, l’exigence d’une recherche. Or la recherche véritable, celle qui conduit à la découverte, a pour secrète origine l’intuition d'une pri­ vation (,19). Le type de connaissance auquel ressortit cette intuition est donc nécesairement le iyj>e relationnel. (uî) Nous avons dit, et nous répétons que les confondre rend vaine toute preuve de Dieu. Et celte confusion, qui sévit en fait, est due en grande partie à Γ« obsession de l'esse». Celle-ci a eu en effet pour conséquence de détourner l’attention des thomistes de l’étude précise —. et difficile —. de l'abstraction. En sorte que tout ce qui n’est pas l’en s reale, dont seule la participation assure l‘« Exode » à partir de l'Esse, tout cela s’est trouvé relégué dans le même musée: celui de 1’« être de raison»·, les vitrines y abondent, mais on ne se pose plus, â leur sujet, qu’une seule question: celle de savoir pourquoi elles y sont. (,1H) 1. ql6, a5. Veritas invenitur in intellectu, secundum quod apprehendit rem ut est; et in re, secundum quod habet esse conformable intellectui. p19) Nous renvoyons, en ce qui concerne la nature du pneumatisme, ù notre article (pp. 95 à 111), dans: Epimelfiv. Die Sorge der Philosophie urn den Menscheit. München, Pustct 1964. l.'« ENS VIRUM» EST FONUÉ SUR IA Mfc IΛΡΙΠ SlQUF. l>Ü VRAI 209 On voit donc que l’état de question, propre à l’esprit de l’homme viator qui est incoerc iblement incliné à actualiser indéfinimment l’équation confonnabilité-conformation, cet état de question prouve par son existence le caractère essentiellement relationnel de la con­ naissance selon la lumière naturelle. L’intuition d’une privation se­ rait-elle, en effet: « ens rationis»? Il n'y aurait pour le penser, si ils pensent, que les esprits aliénés, oublieux de leur grandeur: être «capax entis». L’intuition d’une privation enclôt et donc exige Vordination à dont nous avons parlé, ordination de l’esprit en acte à un rapport objectif dont un seul terme est saisi comme étant juste­ ment en état de privation. Cette même intuition exige, équivalemment, Fens ut verum qui désigne, dans le langage classique, cette mê­ me ordination à. Telle est, en bref, la justification, péremptoire parce que fondée sur l’expérience universelle, du fait que l’« ens ut verum», l’ordination à, le type relationnel de la connaissance sont réels: ils sont la même réalité, manifestant en sa profondeur la nature de la vérité, telle que l’appréhende « in via » l’esprit créé. Nous ajoutons que le fondement de cette justification, savoir l’intuition d'une privation, se retrouve, à la fois identique dans sa forme et métaphysiquement transposé, dans la base de la preuve, savoir: il est impossible que tel « exister » observé soit « par soi ». Il n’est pas surprenant de retrouver, en substance, au terme de l’examen critique et de la justification analytique de la preuve, la donnée même qui en constitue l’origine. C’est simplement le signe, objectif et irrécusable, de ce que cette donnée est par essence pri­ mitive. Tout « exister » observable, et donc créé, est en état de privation. Qui le perçoit selon les modes de l’être découvre la vérité selon les modes de l’être. Qui le perçoit, également comme il se doit (’-°) selon (12°) Car l’être est primitif par rapport à ses modes. Nous l’avons observé pp. 38-41. L’esprit, que l’état de question et la recherche porte vers ce qui est primitif selon un mode de l’être, « devrait » donc être porté vers l’être lui-même. Ce n’est évidemment pas une nécessité: [ml] entraîne [m2], tandis que l’inverse n’est pas vrai (pp. 39, 41). Que l’inverse ne soit pas vrai, cela est confirmé par le fait que certains esprits tendent irrésistiblement vers la primitivité selon un mode de l’être, sans cepen­ dant découvrir l’être lui-meme. Ce fait équivaut à celui de la science athée. II ne laisse pas cependant d’être surprenant. Car l’esprit étant fait pour l’être, on serait tenté de penser que, à l’origine d’une science à la fois parfaitement vraie et parfaitement athée, il y a un péché contre l’esprit, qui déjà est également « le péché contre l’Esprit » (Mat. 12, 31). 210 LA PREUVE DF. DIEU ET LES CINQ VOIES 1’être, découvre la vérité selon l’être: il affirme, mais sans jamais pou­ voir «in via» s'évader hors du connaître dont le type est relationnel: Dieu EST. c. La connaissance dont le type est relationnel et dont le medium ' est Γ* esse », dè-montre la convergence des cinq voies, et rend compte de la formulation que S. Thomas donne à leurs conclusions. Nous venons d'examiner, au point de sue des principes, le rap­ port entre la preuve de Dieu et la métaphysique de la connaissance. Nous devons maintenant achever le meme examen, en nous plaçant au point de vue des conséquences. En un mot, si les preuves ne sont plus reçues, cela vient au moins pour partie de ce qu'on a prétendu en tirer ce quelles ne peuvent apporter, en sorte quelles ont déçu. 1. La légitime préoccupation de rechercher pour chaque «voie» une juste interprétation a fait oublier le principe qui nonne, abso­ lument, toutes les «voies» parce qu'il norme la preuve. Ce pi incipe, c’est précisément celui de la connaissance relationnelle, ou bien c'est la réalité propre de 1'« ens verum » en tant qu’il fonde la réponse à la question « an sil » (n0). Nous allons vérifier qu’il en est bien ainsi, en considérant les «conséquences», c’est-à-dire les conclusions des cinq «voies». Nous avons déjà observé que la question dite de leur convergence n’est qu’apparente (pp. 45, 68, 161): nous le com­ prendrons mieux maintenant. Rappelons ces conclusions. 1. Ergo necesse est devenire ad aliquod primum movens, quod a nullo movetur; et hoc omnes intelligunt Deum. 2. Ergo est necesse ponere aliquam causam efficientem primam, quam omnes Deum nominant. 3. Ergo necesse est jxmere aliquid quod sit per se necessarium, non habens causam necessitatis aliunde, sed quod est causa necessitatis aliis; quod omnes dicunt Deum. 4. Ergo est aliquid quod omnibus entibus est causa esse, et bonitatis, et cujuslibet perfectionis: et hoc dicimus Deum. 5. Ergo est aliquid intelligens, a quo omnes res naturales ordinantur ad finem: et hoc dicimus Deum. Est-ce effectivement à la même Réalité qu’aboutissent les cinq «voies»? Et S. Thomas, |x>ur le montrer, n’use-t-il pas d’un argument bien fragile: il en est ainsi, puisque tout le monde le dit: ou bien, ce qui ne vaut guère mieux: il est bien vrai que «causa prima effi­ ciens»...... « aliquid intelligens» sont Dieu, puisque nous convenons La question norme le sens de la réponse 211 de désigner chacune de ces choses par le même nom « Dieu ». S. Tho­ mas se permet-il de jouer sur les mots? Et, cependant « ce n’est pas un jeu d’enfant de transformer le Premier Moteur des sphères célestes en Cause créatrice de l'univers » (121). Certes, ce ne serait pas un jeu d’enfant, si effectivement il y avait à «transformer». C’est précisé­ ment cela qu’il faut examiner. Pour interpréter la conclusion, il faut, toujours, se reporter à la question. « Respondeo dicendum quod Deum esse quinque viis probari posse ». 11 n’est pas question de prouver que Dieu est Créateur; c'est d'ail­ leurs impossible, si on l’entend de l’Acte libre de Création: lequel ne nous est connu que par Révélation. 11 n'est pas non plus question de prouver quoi que ce soit de la nature de Dieu: cela, également, est inacessible à la lumière naturelle de la raison (00). S. Thomas le répète, passim; il en assigne la raison formelle dans l'article 1 : lequel justement précède l’article 2, et en précise encore, s’il était besoin, l'exacte portée « Deum esse probari potest ». S. Thomas est assez logique avec lui-même pour que l'on cherche, dans chaque conclusion, d’abord la réponse à la question. Or il s’agit de la question « an sit », à l’état pur; et S. Thomas explicite, d’une manière parfaitement précise, les normes qui concernent cette ques­ tion, aussi bien en général (ne) qu’en ce qui concerne l’Esse Dei (122). D’où résulte que, premièrement, on doit considérer comme constituant l’essentiel tie chacune des cinq affirmations introduites par « Ergo », ce qui y concerne un fait d’existence; et que, deuxièmement, ce fait d’existence se trouve impliqué par une proposition dont il est affirmé quelle est vraie. Enfin, rappelons que, dans toute démonstration con­ cernant 1’« exister » : « Loco quidditatis accipitur pro medio effectus: sicut accidit in demonstratione quia » (H3). 2. De ces principes, qui commandent en l'occurrence le « modus si­ gnificandi », résultent immédiatement trois conséquences. a - L'objet que. vise formellement chacune des cinq propositions, c’est d’affirmer un «quelque chose». L’objet «formel» de chaque «voie», parce que de la preuve, c’est d'affirmer ce « quelque chose » exclusivement comme ayant rai(i2’) F. λ'an Steenberghen. Nouvelles réflexions autour des * quinque viae » Revue philosophique de Louvain, tome 59. 1961. pp. 597-608. Texte cité, p. 604. (’22) Les textes cités note 93 précisent le modus significandi de la conclusion qui découle de 1. q2. a2. Puisqu’on ne peut atteindre Dieu que comme la Cause à partir de l’effet, on ne peut répondre à la question « Dieu est-II? » que par une proposition signifiant objectivement que Dieu EST, et affirmée comme vraie à partir des « effets ». 212 IA l’RFVVE DF OIFV ET I ES CINQ VOIFS sont de sujet, en ce sens que la propriété minimale du sujet c’est d'exister; et que, selon le mode humain de penser, affirmer exclusi vernent un exister et affirmer exclusivement un sujet sont convertibles. Vouloir faire l’un, c'est vouloir faire l'autre, et réciproquement. Le « formel » est donc constitué, respectivement clans les cinq conclusions par: 1. devenire ad aliquod; 2. ponere aliquam; 3. ponere aliquid; 4. est aliquid; 5. est aliquid. b - Cette affirmation d'un sujet, en tant qu’elle constitue la ré­ ponse à la question « an sit » à .''état pur, elle est faite dans une proposition. Cette proposition, d'une part est affirmée comme vraie, puisqu’elle est la conclusion, signifiée comme telle par «Ergo», d’un raisonne­ ment supposé correct. D’autre part, et primordialement, cette même proposition doit évidemment désigner distinctement son sujet. Or, en l'occurrence, cette désignation distincte du sujet est, de soi, étrangère à l'essence de celui-ci: « Loco quidditatis accipitur pro medio effectus». Dans la « prima via » par exemple, ce sujet aliquod, est donc dénommé: «primum movens», parce que 1’« exister » observé [bl] est le «motus», et parce que ce dont l'effet est «motus» se nomme « movens ». Mais cela n'entraîne de soi, en aucune manière, que «movens» constitue, de quelque façon que ce soit, la quiddité, ou l’essence île cet «aliquod ». Car cette dénomination à partir de l’effet, si elle joue dans la démonstration « quia » le rôle de medium, joué par la quid­ dité dans la démonstration « propter quid », elle n'est pas la quid­ dité: cette dénomination n’a de soi rien à voir avec la quiddité. Autrement dit, l'identité fonctionnelle entre, d’une part, la quiddité dans le type de démonstration « propter quid », et d’autre part la dénomination à partir de l’effet dans le type de démonstration « quia », cette identité fonctionnelle ne doit pas être indûment transformée en identité réelle. Ce « transformer » n'est pas un jeu, c’est une erreur. Et seule cette erreur permet de dire que la conclusion de la « pri­ ma via» est l’existence du «Premier Moteur des sphères célestes»... dont ensuite on observe que tout le momie l'estime être Dieu. La conclusion de la «prima via», c’est «est devenire ad aliquod pri­ mum» [le «devenire» impliquant évidemment le «primum»]: et cet «aliquod* s'appelle «movens», parce que la réalité observée dont on part pour parvenir [«devenire»] jusqu’à lui est le «motus». Ce qu’est cet «aliquod», la preuve n’en dit rien; a priori, elle doit n’en rien dire parce qu’elle répond à la question «an sit»; a IA RÉPONSE λ Μ QUESTION «AN SIT» A TROIS CARACTERES 213 posteriori, elle n’en peut rien dire, puisqu’elle procède selon la lumiè­ re naturelle et que cet « aliquod » est Dieu, l’ineffable. Les considérations qui viennent d’etre développées, concernant la «prima via», doivent être étendues à chacune des autres «voies» respectivement; et peut-être ne sera-t-il pas inutile de les répéter, qua­ tre fois, intégralement. Nous nous bornerons cependant à expliciter l’essentiel: une iden­ tité fonctionnelle n’est pas une identité réelle. La désignation distincte du sujet «aliquod» ou «aliquid», en fonction de l’effet à partir duquel on l’atteint en tant qu’« exister », est de soi étrangère à la quiddité ou essence de ce même sujet. La conclusion de la «secunda via», c’est «ponere aliquod primum». Et cet « aliquod primum» est dénommé «causa efficiens prima», parce que 1’« exister » observé [bl] est la «causa efficiens»; et parce que ce dont l’effet est «causa efficiens», est lui-même, en fonction de cet effet, « causa efficiens prima ». Mais cela n’entraîne de soi, en aucune manière, que « causa effi­ ciens prima » constitue, de quelque façon que ce soit, la quiddité ou l’essence de cet « aliquod ». La conclusion de la «tertia via», c’est «ponere aliquod». Et cet « aliquod » est dénommé « causa necessitatis aliis », parce que l’« exister » observé [bl] est tel «étant», en tant qu’existant néces­ sairement en fait: et parce que ce dont l’effet est « necessarium » est un « necessarium » qui ne peut avoir de cause extérieure à soi de sa nécessité, et qui par conséquent est necessarium « par soi ». Mais cela n’entraîne de soi, en aucune manière, que « necessa­ rium per se » constitue, de quelque façon que ce soit, la quiddité ou l’essence de cet « aliquid ». La conclusion de la « quarta via », c’est « est aliquid ». Et cet «aliquid» est dénommé «causa esse in omnibus», parce que Γ« exister » observé [b 1 ] est l’esse dans l’ensemble ordonné de.·» «étants»; et parce que ce dont l’effet est l'esse considéré en son inté­ gralité holonome est, par définition, « causa esse ». Mais cela n’entraîne de soi, en aucune manière, que « causa esse» constitue, de quelque façon que ce soit, la quiddité ou l’essence de cet «aliquid». Bien que, nous y reviendrons, «esse» — mais non pas « causa esse » — soit, en fait et en l'occurrence, l'essence de cet « aliquid ». La conclusion de la « quinta via », c’est « est aliquid ». Et cet « aliquid » est dénommé intelligens, parce que 1’« exister » observé [bl] est la «fin sub ratione finis»; et parce que, saisir la fin, non pas seulement « sub ratione objecti » vel etiam boni, mais également « sub 211 1\ PREUVE ΠΕ DIEU ET ILS CINQ VOIES ratione finis», est projMC à l’intelligence: parce que ce dont l’effet est de sai.ir la fin « sub ratione finis», c’est l’intelligence (Cf. p. 136; pp. 144 sv.). Mais cela n'entraîne de soi, en aucune manière, que « intelligens » constitue, de quelque façon que ce soit, la quiddité ou l’essence de cet « aliquid ». r - La proposition concernant Dieu, affirmée comme vraie, signi­ fiant ou consignifiant Dieu EST, constitue la conclusion de chacu­ ne des cinq «voies». Le modus significandi qu’il est inéluctable d’employer pour affir­ mer de Dieu qu’il EST, est clairement exposé par S. Thomas: « Sci­ mus enim quod haec propositio quam formamus de Deo, cum dicimus Deus est, vera est: et hoc scimus ex ejus effectibus» (°3). C’est-à-dire que, pour signifier et pour affirmer Dieu EST, l'es­ prit humain doit user d’une double médiation: d’une part, celle d’un effet, lequel est un « exister » observé; d’autre part, celle d'une pro­ position, qui est l’expression, dans un serbe, d'un concept d’ailleurs analogique. Ces caractères du «modus significandi», en l’occurrence, sont imposés a priori. Ils sont imjxjsés, au titre de conditions néces­ saires, par les extrêmes entre lesquels doit se réaliser l'unité: Dieu Ineffable, l’esprit créé. Il est vraisemblable, sinon certain, que, dans ces conditions, les formules apparemment triviales qui constituent uniformément, en chacune des cinq « voies », la dernière partie de la conclusion, ren­ voient aux clauses précises exigées par le « modus significandi». «Hoc omnes intelligunt Deum». C’est-à-dire que, pour signifier et affirmer Dieu EST, tout humain doit affirmer comme vraie une proposition coordonnant: 1. une affirmation d’« exister»; 2. une désignation de Dieu. Or, on retrouve bien ces deux choses dans la formule, annoncée par «Ergo», qui constitue la conclusion de la «prima via». « Devenire ad aliquod primum [« primum » étant impliqué par « de­ venire»]»: voilà l’affirmation d’« exister »... analogiquement l’affirma­ tion d’« esse » : « aliquod », à quoi renvoie « Hoc ». « Movens » : voilà la désignation de Dieu. Parce que, selon la «prima via», 1’« exister » observé [bl] est le «motus», et parce que ce dont l’effet est «motus» se nomme «movens». Nous l’avons suffisamment expliqué ci-dessus: « Loco quidditatis, accipitur pro medio effectus». Dieu est dénommé, désigné, en fonction de l’effet observé. Et « Hoc » renvoie à «movens» en même temps qu’à «aliquod». I\ RÎ.FONSI k I.Λ QI I Silos « AN Ml * \ TROIS CARACTERES 215 «Quam [causam efficientem primam] omnes Deum nominant». « Ponere aliquam»: voilà, dans la « secunda via», Γ affirmation d’< exister ». « Causam efficientem primam»: voilà la désignation de Dieu. Parce que, selon la «secunda via», 1« exister » observé [bl] est la cause efficiente, etc... Et « Guam » renvoie à « Ponere aliquam », en même temps qu'à « cau­ sam efficientem primam ». « Quod omnes dicunt Deum » « Ponere aliquid»: voilà, dans la «tertia via», l’affirmation d’« exister ». «...causa necessitatis aliis»: voilà la désignation de Dieu. Parce que, selon la «tertia via», 1’« exister » observé [bl] est l’existant, en tant que nécessaire en fait, etc... Et « Quod » renvoie à « Ponere aliquid », en meme temps qu'à «...causa necessitatis aliis». «Et hoc dicimus Deum». « Est aliquid » : voilà, dans la « quinta via », l’affirmation d’« exister ». « Quod omnibus entibus est causa esse » : voilà la désignation de Dieu. Parce que, selon la «quarta via», Γ« exister » observé [bl] est l’esse dans l’ensemble ordonné des «étants», etc... Et «hoc» renvoie à «aliquid», en même temps qu’à «quod... cau­ sa esse ». «Et hoc dicimus Deum». « Est aliquid »: voilà clans la «quinta via», l’affirmation d’« exister ». « intelligens a quo omnes res naturales ordinantur ad finem » : voilà la désignation de Dieu. Parce que, selon la «quinta via», 1’« exister » observé [bl] est la «fin sub ratione finis», etc... Et « hoc» renvoie à « aliquid », en même temps qu’à « intelligens... ». On voit donc que la formulation même des « quinque viae » s’explique simplement à partir des principes qu’impose, en l’occur­ rence inéluctablement, le « modus significandi » : principes rappelés par S. Thomas lui-même, fort clairement (°3). Et nous répétons encore une fois que, jxjur estimer la juste portée des formides employées par S. Thomas, faire état du « genre litté­ raire » serait fort opportun: la Somme récapitule l’essentiel: et, de plus, S. Thomas vise à être aisément accessible, même aux débutants(·’-), 3. Les considérations qui précèdent paraîtront reculer la difficulté, non la résoudre. L’affirmation et la signification sont en effet inséparables en tout acte d’intellcction créée. Or le « quelque chose » dont l’« exister » est 216 IA PREUVE m DIEI’ FT LES CINQ VOIES affirmé, est désigné de cinq manières différentes: diversité dont on rend aisément compte en soulignant que la désignation est faite à partir d’« effets » qui sont différents spécifiquement. Mais comment est-on assuré que ce «quelque chose», dont l'exister est affirmé, est le même «quelque chose», qu'il est la même Réalité, bien que diverscment désignée? C'est le principe de la connaissance relationnelle qui précisément achève d’éclairer le statut épistémologique de la preuxe de Dieu. L'origine des difficultés accumulées autour des « quinque viae» nous paraît consister en la prétérition de l'inspiration qui les commande toutes. Si on met au premier plan de la scène: Parménide et Hegel f1-’), Platon, Aristote, Maimonide, Avicenne... et même Exode 3.14; alors, S. Thomas s’éloigne dans la perspective, ou même se résorbe en la raison d’être d'un tombeau de mosaïques. Les « obsessions » dont nous avons parlé (pp. 26 sv.) ont d'ailleurs, fort heureusement, réagi: les «voies» forment un tout. Reste à mon­ trer comment. Chaque «voie» prouve: M. Gilson l’a rappelé avec force, et nous paraît-il fort heureusement. Y a-t-il pour autant cinq preuves, nous voulons dire cinq types de preuves? Nous ne le croxons pas. Il n’y a qu’une seule démonstration «quia»; et, très particuliè­ rement, il y a une seule manière de mettre en oeuvre ce genre de démonstration, s’il s’agit de Dieu; il n’y a, de parfaitement contrai­ gnante, qu’une seule preuve de Dieu (44), il y a la preuve. C’est cet ordre de preuve que nous avons exposé p. 37 : cet ordre, puisqu’il y a une seide preuve. Et nous avons observé que chacun des éléments essentiels à cet ordre de preuve se trouve, ou s’est trouvé,... ou se trouvera mis en lumière, respectivement par chaque « obses­ sion ». // faut partir d’un « exister » observé [bl]. Il faut considérer fesse; d'une manière plus précise, il faut obser­ ver [bl] de telle manière que. sous l’aspect considéré [b2], il soit im­ possible que [bl] soit «par soi »; d’où l’on conclut, de [bl], qu'il est impossible qu’il soit « par soi » selon l’esse [ml-m2]. Enfin, il faut appliquer la principe de causalité [pl-p2]: lequel concerne l'«esse», sur la perception duquel il est fondé. Les trois données fondamentales, dont nous venons de souligner les énoncés, ont été, même dans la période récente, fréquemment C1’*3) Nous pourrions donner des références précises. La plupart des phil phes ayant, évidemment, parlé de l’être, le véritable esse thomiste est retrouvé. enfin, par chaque génération conformément au type d’« authenticité » qui lui est contemporain. LES CINQ VOIES AFFIRMIN'! loi IIS II MIME ETANT PIR SOI 217 réaffirmées. Mais sans doute n’a-t-on pas suffisamment insisté, simul­ tanément sur leur distinction et sur leur unité. Or il faut l’un et l'autre pour faire un ordre: l’ordre de preuve. De tel «exister» obser­ vé à l’Etant par Soi, il faut tout l’enchaînement: [bl-b2], [ml-m2], [pl-p2], [C1-C2]. L’articulation essentielle est de [bl-b2] - [ml] d’une part, à [m2] - [pl-p2] - [Cl] d’autre part; elle est, analogiquement, de [ml] à [m2], explicitement d'un mode de l’être à l’être. Et ce rapport c’est l'aspect le plus primitif, le plus fondamental, de Vanalogie de l’être. On peut, a posteriori, dire qu’il y a analogie entre [bl] et [Cl], par­ ticipation de [Cl] par [bl]: mais tout l’édifice s’écroule, comme la statue aux pieds d'argile, si d’abord on n’a pas solidement établi, au niveau immédiatement accessible à 1’observation sensible et intelli­ gible, l’analogie. L’unité analogique, en [m2], de ce qui est multiple en [ml]: voilà, tout simplement, ce qui évite d’avoir à «transformer» le Premier Moteur en Dieu Créateur. Le Terme [CI] est atteint directement en vertu de l’enchaînement: [m2] - [pl-p2] - [Cl]: dont tous les termes concernent l’esse. Le I enne [Cl] se trouve donc ipso facto déterminé comme étant cet Etant dont il est impossible qu’il ne soit pas « par Soi ». En abrégé, la proposition dont parle S. Thomas (°3) est: « l’Etant par Soi (*24) est ». L’Etant par Soi est donc bien unique: cette unicité résulte de celle du medium qui l’atteint directement: l’exœ. Ce meme Etant par Soi est cependant désigné de cinq manières lifférentes, conformément aux cinq bases [bl-b2], qui se trouvent M eilleurs elles-mêmes déterminées par les catégories de la causalité. L’ensemble de tout l’enchaînement, de [bl] à [C1-C2], cons­ titue ce que nous avons appelé le « rapport objectif » intégré à l’acte de connaissance relationnelle. Le mot « medium » a un sens précis dans la théorie syllogistique de la démonstration: il est intermédiaire entre deux extrêmes, il fait passer du premier au second. Mais l’usage de ce mot, dans le cas de la preuve de Dieu, se trouve hypothéqué d’équivoque. Entre le sujet con­ naissant et le Terme [C1-C2(A)], tous les éléments du rapport objectif sont des media, à commencer par [bl]. S. Thomas, dans la locution que nous avons citée (p. 186, et note 93), renvoie à la théorie ana­ lytique île la démonstration «quia». Ce qui, alors, tient lieu de (124) Nous avons vu. p. 187, que la locution « Etant par Soi » ne définit pas positivement la Nature de Dieu, puisqu’elle n’est elle-même definie que par dou­ ble négation. L’IS IΛ PREVU DI. DIIV II ILS CINQ VOUS medium, c’est Γ« effet»; en l'espèce, c’est donc [bl]. Mais [bl] n'est que «la base», [bl] n’est que la partie en quelque sorte matérielle du medium de la preuve: lequel formellement est tou join's, nous vou­ lons dire dans toutes les «voies», l’«esse». Et comme, de surcroît, on a confondu la spécification de la base [bl], spécification évidemment antécédente à la preuve, avec la Déter­ mination [A] qui doit être attribuée, a posteriori et en vertu de la preuve, au Terme conclu en [Cl], on a pu croire que le Tenue de la «prima via» par exemple est «le Premier Moteur»; parce que •a hase [medium] [bl] est le mouvement, et parce que la Détermi­ nation [A] est, comme nous lavons vu (p. 71), l‘« Acte pur». Mais tout cela vient, si l’on peut dire, d’une coagulation de con­ fusions. Le Terme conclu en [Cl] est le même pour toutes les « voies », parce qu'il est le Terme de la preuve: et c’est l’Etant par Soi (t2·*). On découvre ensuite, à l’évidence d’ailleurs, que, démontré par la «prima via», l’Etant par Soi est nécessairement Acte pur. Si donc on analyse avec rigueur 1'« ordre de preuve», ordre que suit S. Thomas, puisque cet ordre est la trame solide sur laquelle est brodée distinctement chacune des « quinque viae » apparemment si aisées (e2), on voit que Yidentification de Dieu au Premier Moteur, tout simplement est une erreur. En l’occurrence, on a lu S. Thomas au travers d’Aristote. Celui-ci démontre que le « mu par soi » est impossible: c'est un élément indis­ pensable [b2] de la preuve: mais c'est seulement un élément, et l'arbre a caché la forêt. Des considérations analogues |x>urraient être développées, concer­ nant les autres «voies». Et, même en ce qui concerne la «quarta via», on observera que la désignation du Terme conclu en [Cl], « ali­ quid », comme étant « causa esse », et cela en fonction de la base [bl], ce n’est pas la Détermination [A], que la « quarta via » découvre a posteriori de l’Etant par Soi: Il est cet Etant dont l'Essence est d’Etre (p. 181). L’« ordre de preuve» est donc la trame des cinq voies, différen­ ciées conformément aux catégories de la causalité. Lui seul rend comp­ te simultanément: de l'unicité du Tenne conclu en [Cl], de la di­ versité de ses désignations selon les différentes bases [bl], de la spéci­ ficité de ses Déterminations [A], lesquelle?. répondent à ces désignations, bien qu'elles s’en distinguent radicalement. Cet « ordre de preuve » constitue, dans ce que nous avons appelé « connaissance relationnelle», le « rapport objectif». L’acte de la connaissance relationnelle consiste en ce que l’acte du sujet con­ i.ES CINQ VOIES AFFIRMEN1 TOUTES I.E MÊME ETANT PAR SOI 219 naissant s'ordonne à ce rapport objectif, et ainsi remonte le cours de l’ordre de preuve. Le fait de celte ordination à, la réalité de l’acte qu’elle spécifie, ce fait ou cette réalité, voilà l’« ens verum». Nous avons souligné la précarité de cet « ens verum», équivalent à Γ« ordination à » qui spécifie la connaissance relationnelle. Cette précarité rend compte de vicissitudes auxquelles nous avons déjà fait allusion (p. 201). On a résorbé 1’« ens verum» en « ens rationis»; et, en meme temps, inévitablement d ailleurs, on a survolé la médiation, cependant nécessaire en lumière naturelle, du rapport objectif. On a hypostasié — ou supprimé — 1'« esse - medium » [m2] - [pl-p2], en le faisant dériver de l’Etant par Soi: cela revient à estimer qu’on peut saisir l’« esse » comme Dieu Lui-Même le saisit; alors que, en lumière naturelle, c’est l’« esse » observé qui doit conduire jusqu’à Lui. L’Etant par Soi n’est certes pas «ens verum». Mais, en lumière naturelle, nous devons humblement reconnaître que c'est seulement par la connaissance relationnelle, par la médiation de 1’« ens verum », que nous atteignons l’Etant par Soi. Nous démontrons être vraie une proposition dont nous savons qu’elle signifie: « l’Etant, qui ne peut pas n’être pas par Soi, EST ». C’est une prise fort modeste, il faut l’avouer: et cependant c’est le fondement. Aussi Dieu est-il venu miséricordieusement au secours de l’hu­ maine raison. Devenue orgueilleusement consciente de son pouvoir, elle n’était plus assez magnanime pour reconnaître sa vraie grandeur, humble comme elle l’est elle-même. Devenue folle, accueillera-t-elle la Sagesse? Si quis dixerit Deum naturali lumine certo cognosci non posse: anathema sit. TABLE MATIÈRES DES AVANT - PROPOS 5 LA PREUVE DE DIEU ET LES CINQ VOIES 7 I. LES FONDEMENTS DE LA PREUVE DE DIEU de dieu est, quant a son existence, fondée d'une 1. - La preuve PART SUR L’AUTORITÉ DE LA RÉVÉLATION, FONDÉE D’AUTRE PART 12 SUR LA NATURE DE LA RAISON. a. L’existence de la preuve de Dieu est fondée sur l'autorité de la révélation. 1. Le fondement direct. L’affirmation de Vatican I. 2. Le fondement indirect. Aucune règle de foi ne serait possible, si l’esprit créé n’était normé par la Vérité. Or, si l’esprit créé est normé par la Vérité, nécessairement il peut prouver Dieu. b. L’existence de la preuve de Dieu est fondée sur l’inclination de la raison 1. Les procès faits aux preuves de Dieu dévoilent, immanente à l’intellection naturelle, l'inclination qui exige ces mêmes preuves. 2. La nature de cette inclination est manifestée par la conversion que peut requérir sa mise en oeuvre. 3. La preuve de Dieu, oeuvre de sagesse d’intelligence et de raison, devient étrangère à l’esprit humain, si celui-ci devient lui-même étranger à sa propre condition. 2. - La 12 12 15 17 20 24 preuve de dieu est, quant a sa nature, adéquatement FONDÉE SUR L'« ESSE » ET SUR CAUSALITÉ. LA a. La manière de concevoir les cinq « voies » depuis un demi-siècle, a réfléchi des tendances différentes, tour à tour dominantes. 1. L’enchaînement de la preuve, et le primat de l’apodicticité; l’obscssession d’uniformisation, et le principe d’identité. 2. La portée de la preuve, et le primat du réalisme; l’obsession de l’« esse », et le principe de participation. 3. La base de la preuve, et le primat du positivisme; l’obsession de la «science», et le principe de formalisation. b. L’économie de la preuve de Dieu est déterminée par les conditions auxquelles cette preuve doit satisfaire. 1. La forme de l’ordre de preuve, considéré synthétiquement. 2. Les fondements de l’ordre de preuve, considéré analytiquement: — le principe de la preuve, savoir le principe de causalité; — le medium de la preuve, savoir la « perséité » selon l’«esse». _ _ f 26 26 27 32 36 36 37 38 TABLE 222 DES MATIÈRES 3. L’unité de l’ordre de preuve, considéré en son enchaînement: — la base, le medium, le principe et la conclusion de la preuve s’articulent organiquement, car ils incluent la même unité d’ordre, chacun respectivement; — la connexion entre la base de la pieuse et le medium immédiat; — la connexion entre le medium primitif et la conclusion de la preuve. G L'ordre de la preuve est impliqué nécessairement et réalisé adéqua­ tement, en vertu de l’unité d'ordre propre au medium. 1. L’unité d’ordre, intrinsèque au medium, entraîne nécessairement, pour la preuve, une unité d’ordre. 2. La preuve assume, en vertu de son type d'unité, ce que chacune des manières de la concevoir contenait de vérité. d. La preuve de Dieu, en vertu de l'unité d’ordre qui lui est propre en même temps qu'à chacun de ses éléments, exige l’Etant par Soi, nécessairement au titre de Cause, quoique non pas nécessairement au titre d’Archétype. 1. La connexion, constitutive de la preuve, entre le medium et d’une part le principe d’autre part la base, dé montre l’unité d’ordre inhérente à la conclusion. 2. L’unité d’ordre inhérente à la conclusion de la preuve est confirmée a posteriori, par les difficultés auxquelles donne lieu le fait de confondre les deux parties qu’intègre en droit cette conclusion: notamment en ce qui concerne la « prima via » et la « quarta via ». 3. L’unité d’ordre propre à la preuve de Dieu entraîne nécessairement, pour chacun de ses éléments, de n’être à la fois signifiant et intégré, que selon le point de vue irapéré par la conclusion, savoir celui de l’< esse ». 41 41 42 43 43 45 50 50 52 56 IL L'EXPLICITATION DE LA PREUVE DE DIEU. LES CINQ VOIES. 1. - La preuve de dieu, manifestant l’ordre DE la causalité, El.LE SE RAMIFIE EN CINQ VOIES. a. La causalité constitue un ordre qui comprend quatre types de causes. 1. La causalité finale et la causalité formelle. L’existence en est prouvée conjointement, par l'induction que fondent la biologie et la phy­ sique, chacune respectivement. 2. La causalité efficiente et la causalité matérielle. L’existence en est prouvée conjointement, par le fait du changement. 3. Les quatre types de causes ne subsistent que mutuellement ordon­ nés. Ils constituent, chacun respectivement, un ordre: et ils intègrent ensemble exhaustivement l’ordre dé la causalité. b. Les quatre types de causes requièrent, du fait qu’ils constituent un ordre, la ramification en cinq « voies* de l’unique preuve de Dieu. 1. Le nombre des voies en lesquelles se ramifie la preuve de Dieu. doit être déterminé en fonction des tvpes de causes, et non en fonction des types de questions. 57 59 61 62 53 lABlE ors 223 MATIÈRES 2. L’ordre de la cause matérielle étant étranger au dénombrement des voies, celui-ci a pour principe seulement trois ordres de causes. 3. La preuve de Dieu donne lieu, selon l’ordre de la cause finale à une seule voie, la cinquième. 4. La preuve de Dieu donne lieu, selon l'ordre de la cause efficiente, à deux voies, la première et la deuxième: lesquelles sont rigou­ reusement corrélatives au point de vue de la «ratio motus». 5. La preuve de Dieu donne lieu, selon l’ordre de la cause formelle, ù deux voies, la troisième et la quatrième: lesquelles envisagent l’une et l’autre la même « ratio essendi », dans la singularité de l'existant d’une part, dans la hiérarchie des existants d’autre part. G. Le dénombrement des voies en concerne les types, formellement: et non pas la description, phénoménologiqucment. 2. - L’unité 64 65 65 65 67 et la spécificité des cinq voies doivent être envi­ sagées EN FONCTION DE L'ÉTANT PAR SOI. a. Les cinq voies ont le même medium primitif, qui est l’*esse». Elles prouvent uniformément l’Etant par Soi en tant qu'il est Cause: à partir de ce qui, par le fait même, doit être appelé un effet. b. Chacune des cinq voies explicite la preuve de Dieu à partir d’une hase propre, et découvre, de l’Etant par Soi, un Attribut propre. I - La preuve, selon la DÉMON IRE L'ÉTANT «prlma via quae sumfiur PAR SOI COMME ÉTANT ex parte motus La PREUVE, SELON LA 69 », NÉCESSAIREMENT: ACTE PUR. II - 68 71 «SECUNDA VIA QUAE EST EX RATIONE CAUSAE EFFICIENTIS», DÉMONTRE L'ÉTANT PAR SOI COMME ÉTANT NÉCESSAIREMENT: COMMUNICATION SUBSISTANT EN ACTE. a. La dénomination * Cause première » est ambigüe, si on l’attribue au Terme démontré par la preuve, tel qu'il est atteint par la » secunda via ». 1. L’ambiguité entre « causa efficiens » et * causa efficiens ». 2. L’attribut [A] (efficiens) n’est atteint que par négation, à partir de la formalité [b2] selon laquelle la base [bl] est niée comme étant « par soi ». b. La base [b2] de la « secunda via » est déterminée négativement, en fonction de ce qu'elle ne peut pas être. 1. Ce qui n’est pas «par soi », en telle cause efficiente en acte, n’est signifié adéquatement ni par le mot « cause », ni par le mot « efficiente ». 2. Ce qui n’est pas «par soi», en telle cause efficiente en acte, ne peut être assigné que du point de vue de 1’« esse ». c. La hase [b2] de la * secunda via » est déterminée positivement, comme étant la communication dont le type est propre à l’être. 1. Cette affirmation est prouvée directement, par induction et par réduction à l’impossible. 2. Cette affirmation résulte de ce que la réalité du mouvement est comme telle la même, eu égard au mû d’une part, au mobile d’autre part. 72 72 73 75 75 76 76 76 7g TABLE DES 224 MATIÈRES 3. Ces deux preuves confirmait que l'efficcnce-actuation, dont l'obser­ vation constitue la base de la « secunda via », consiste en la com­ munication dont le type est propre à l'«esse». 79 d. L’Attribut (AJ, démontré en propre par la preuve spécifiée selon la • secunda via*, est la · Communication subsistant en Acte*. 82 1. La démonstration de cette affirmation: il faut nier, de l'Etant par Soi, que la communication dont le type est propre à l'esse Lui appartienne en étant inhérente dans un sujet 2. Cette démonstration procède par réduction à l'impossible. 82 84 e. Le rapport entre la communication créée [b2] d'une part, et la Com­ munication [A] attribuée à l'Etant par Soi d'autre part, est connu exclusivement en fonction de la réalité créée. 1. L'Etant par Soi est «par Soi», selon la formalité qui caractérise l'étant créé comme n’étant pas « par soi ». Il n'en résulte pas que l'Etant par Soi exerce la causalité selon celte formalité dont la preuve démontre qu’elle Lui appartient « par Soi ». 2. La preuve, selon la « secunda via », démontre, nécessairement comme selon toutes les voies, que l'Etant par Soi est Cause; elle ne démontre pas que l'Etant par Soi cause nécessairement. 3. La preuve, selon la «secunda via», démontre nécessairement, de l'Etant par Soi, qu’il est Communication subsistant en Acte; elle ne démontre pas que cette Co unication subsistante est néces­ sairement le principe de la création active. 84 84 85 HIM III - La preuve selon la «tertia via quae est DÉMONTRE CET ÉTANT L’ÉTANT POUR QUI, PAR SOI «ÊTRE», COMME C'EST 86 sumpta ex possibili et necessario ÉTANT CELA », NÉCESSAIREMENT : QUI EST L’« ESSENCE ». a. Eviction de deux difficultés concernant l'interprétation de la « tertia via *. 1. La « tertia via » s'inspire d'Aristote, non de Maimonide: c’est le « verbum mentis», et non la similitude verbale, qu'il faut considérer pour en décider. 2. La «tertia via» est «prise» «ex possibili et necessario», non pas «ex contingenti et necessario». Un glissement d’abord verbal, et puis sémantique, a altéré la base de la preuve, ai y substituant une définition formelle à un constat existentiel. 3. La contingence de l'étant créé, le caractère participé de son «esse», constituent deux vérités éminentes mais inévidentes. Les prouver requiert l’Etant par Soi; les prendre comme prémisses, en vue de prouver l’Etant par Soi. détruit la preuve. 90 90 91 96 b. La base de la « tertia via * est, selon S. Thomas, le « possibile esse et non esse* [bl], entant qu’il n’est pas nécessaire « par soi* [b2].98 1. La base [bl] de la « tertia via » est, selon S. Thomas, le « possibile esse et non esse ». 98 2. I-a base [b2] de la« tertia via » est, selon S. Thomas, l'être néces­ saire en fait qui aune cause extérieure à lui-même desa propre nécessité. 100 J ΛΒΙ F UES 225 MATIÈRES c. La base de la « tertia via · est identique, telle que la pose S. Thomas d’une part, telle que la requiert l'ordre de preuve d’autre part. 1. La démonstration de celte identité peut être simplifiée: en ne retenant, de la réalité dans laquelle la base de la preuve est obser­ vée, que ce qui constitue celte base elle-même. 2. Le « possibile esse et non esse » subsiste selon l'« esse », nécessaire­ ment; car il n'a jamais pu être, selon le * non esse » intégralement. 3. Le « possibile esse et non esse », du fait qu'il subsiste selon l’« esse », est de l'être nécessaire en fait, dont il esi impossible qu’il soit « par soi » en tant qu'il est nécessaire. d. La preuve, selon la « tertia via », démontre l'Etant par Soi comme étant nécessairement cet Etant pour qui, »Etre», c'est cela qui est l’· Essence». 1. L’Etant par Soi a d'« Etre », en vertu de son «Essence». 2. L'Etant par Soi est l'Etant pour qui, « Etre », c'est cela qui est l’< Essence ». IV - La preuve, selon la « 102 102 103 108 111 111 113 quarta via QUAE SUMITUR EX GRADIBUS QUI IN REBUS INVENIUNTUR », DÉMONTRE L'ÉTANT FAR SOI COMME ÉTANT NÉCESSAIREMENT: CET ÉTANT DONT L'ESSENCE EST D’ÊTRE. a. La définition des mots: « différenciation », « différencié *. 1. « Différencié » et « différenciation » sont en fait respectivement convertibles avec «degré» et «plus ou moins»; mais ils signifient plus expressément l’unité de la réalité dont il y a « différenciation ». 2. La « différenciation » suppose la « mesure ». Celle-ci comporte trois acceptions, dont l’unité analogique suit à celle de l'être. b. La « différenciation » d'une réalité n’appartient pas à cette réalité • par soi», c’est-à-dire en vertu de la nature de cette réalité. c. Le •différencié », comme tel, est un existant réel, si et seulement si la réalité dont la différenciation le constitue formellement comme • différencié», est un transcendental, primordialement liesse». 1. Le « per se quoad substantiam », et le « per se quoad essentiam ». 2. La démonstration de l'affirmation c. 3. La portée de l’affirmation c est manifestée par les difficultés qu’elle permet d’éviter. 4. L’affirmation c se résoud intuitivement en la convertibilité objective de deux identités: l'une ressortit aux « rationes » considérés concrè­ tement, l'autre aux déterminations qui, conformément à ces « ratio­ nes », appartiennent à un sujet intrinsèquement. d. Tout existant concret, en tant qu'il est un différencié selon Γ· esse » [bl], ne peut pas être * par soi » en tant formellement qu'il est constitué comme différencié [b2]. e. La preuve, selon la « quarta via», démontre l'Etant par Soi comme étant nécessairement cet Etant dont l'Essencc c’est l’Etre, et parconséquent dont l'Essence est d'Etre. f. La preuve, selon la « quarta via », démontre l'Etant par Soi comme étant simultanément immanent et transcendant à tout existant. 116 116 117 119 120 120 121 122 124 126 130 132 TABLE 226 V - La preuve, DIS MATIÈRES selon la « quinta via QUAE SUMITUR EX GUBERNATIONE RERUM », DÉMONTRE L’ÉTANT PAR SOI COMME ÉTANT NÉCESSAIREMENT; ACTE SIMPLE, JOIE D’ÊTRE, FRUITION SUBSISTANTE, BÉATITUDE SUBSISTANTE. a. La définition et la réalité de l'inclination-finalité. 1. La définition nominale de l’inclination-finalité, et la justification de cette définition. 2. La réalité et la nature de l'inclination-finalité sont prouvées par le comportement humain: fin-motivation, et fin achevant l’action. 3. La réalité et la nature de l’inclination-finalité sont prouvées par certaines réactions du vivant non humain: déterminisme de finalité, et déterminisme d’efficience. 4. La réalité et la structure de l’inclination-finalité sont prouvées par l'observation du cosmos physique: déterminisme stochastique et déterminisme analytique. 5. L'inclination-finalité constitue, en tant qu’elle est une réalité analogiquement une, la base [bl] de la < quinta via». b. Les êtres de nature, considérés sous le rapport de la finalité, constituent des réalités non consistantes, dont il est parconséquent impossible qu'elles soient « par soi ». [La finalité est considérée présentement, comme une réalité objective exclusivement], c. Les êtres de nature, considérés sous le rapport de la finalité, constituent des réalités non consistantes, dont il est parconséquent impossible qu'elles soient « par soi ». [La finalité est présentement considérée comme une catégorie de la causalité], c 1. La finalité est affectée d'une dualité, réelle comme elle l'est elle-même. 1. La dualité inhérente à l’inclination-finalité, concerne universelle­ ment la finalité comme catégorie de la causalité. 2. La dualité qui affecte universellement la finalité en tout être de nature, est au mieux manifestée par l’être de nature intelligent: « connaître la fin sub ratione finis » d’une part, « saisir la fin sub ratione objecti » d’autre part, se distinguent réellement. 3. La même dualité se retrouve, analogiquement, dans les autres êtres de nature; elle est, pour autant, confirmée. c2. La finalité, catégorie objective de la causalité, est, en tant qu’imma­ nente aux êtres de nature, une réalité non consistante « par soi ». 1. « Connaître la fin sub ratione finis » et < saisir la fin sub ratione objecti » soin « en raison inverse » l’un de l’autre quant à leurs réalisations respectives. 2. Les deux modes d’appréhension de la fin sont un en droit, car ils intègrent ensemble la finalité en son unité. 3. La finalité, réalité immanente à l’être de nature, ne peut être « par soi »; car ce qui « par soi » est. nécessairement est un. D’où il suit que: c3. Le quelque chose existant réellement, et dont il est impossible qu’il soit « par soi », c’est, au regard de la « quinta via », l’être de nature en tant qu'une finalité lui est inhérente [bl], laquelle est intrinsèque­ ment non consistante [b2J. 134 134 136 138 139 142 142 144 144 144 144 146 148 148 151 152 I53 TABLE DES 227 MATIÈRES d. La base de la « quinta via » selon S. Thomas. 1. S. Thomas a établi l'affirmation c3, en considérant la finalité comme catégorie de la causalité, dans les êtres inanimés. 2. La présentation que propose S. Thomas de la « quinta via » pré­ suppose que les catégories élaborées par l’intelligence correspondent à celles de la réalité, et réciproquement. e. La preuve, selon la « quinta via », démontre l’Etant par Soi comme étant nécessairement Acte Simple, Joie d’Eire, Fruition subsistante, Béatitude subsistante. 1. L’Etant par Soi exclut la finalité, en tant que celle-ci est une réalité qui n'est pas « par soi », ni comme détermination objective, ni comme catégorie de la causalité. 2. L’Etant par Soi est Acte Simple, car 11 exclut la finalité en tant que celle-ci est une détermination objective. 3. L’Etant par Soi est: Joie d’Etre, Fruition subsistante, Béatitude subsistante, car 11 exclut la finalité en tant que celle-ci est une catégorie de la causalité. 4. Il y a à la fois similitude et irréductibilité, entre la « quinta via » et Métaphysiques A. f. L'Etant par Soi, Béatitude subsistante, est, pour toute réalité créée, Fin immanente. 154 154 154 155 155 156 156 157 159 VI - La preuve fonde radicalement Ι.Α convergence des cinq voies qui la spécifient distlnctement. a. La convergence des cinq voies, comme cheminement de l’étant créé à l’Etant par Soi. b. La convergence des cinq voies, comme dé-rnontrant certains Attributs de l’Etant par Soi. 1. La nomenclature des Attributs, tels que les cinq voies respecti­ vement les concluent. 2. La convergence ne concerne pas la désignation fonctionnelle « Cause première », mais les Attributs eux-mêmes: soit deux à deux mutuel­ lement, soit en vertu de leur caractère subsistant. 161 161 161 162 III. L’ÉPISTÉMOLOGIE DE LA PREUVE DE DIEU. 1. - La réflexion critique, PRENANT POUR OBJET L'ARGUMENT EN QUOI CONSISTE LA PREUVE DE DIEU, DÉCOUVRE UNE DOUBLE IMPLICATION MÉTAPHYSIQUE DU MEDIUM DE LA PREUVE. a. L’· esse » est un effet propre de l’Etant par Soi. b. L’« esse » est-il un effet propre de Dieu, en ce sens qu’il constitue la seule réalité dont Dieu est la Cause propre? L’< ordre » n’est-il pas également une réalité dont Dieu est la Cause propre? 1. La question posée est. au point de vue de la réflexion critique sur la preuve, convertible avec la suivante: existe-t-il une réalité, formellement distincte de l’«esse», et pouvant jouer le rôle de « medium » dans une preuve de Dieu? 2. L’ordre, considéré comme totalité holonome des étants, constitue le « medium » d'une preuve de Dieu; cette preuve, c’est la « quarta via», en tant que celle-ci est susceptible d’une position autonome. 165 167 167 169 228 TABI.E DES MATIÈRES 3. Dieu est donc la Cause propre de l’« ordre ». comme 11 est la Cause propre de 1’« esse ». La raison et la Sagesse confirment d’ailleurs l’une et l’autre cette vérité. 2. - La 170 réflexion critique, PRENANT POUR OBJET IA CONCLUSION EN LAQUFLIX S’ACHÈVE LA PREUVE DE DIEU, DÉCOUVRE QUE (.’EXISTER DE 1’ÉTANT PSR SOI EST CONNU EN VFRTU DF. LA PREUVE, SEULEMENT EN TANT QU’lI CONSTITUE OBJECTIVEMENT LE TERME D’UNE RELATION. a. La connaissance relationnelle considérée en elle-même. a 1. La connaissance relationnelle est, par définition, celle dont l’objet est exclusivement un · exister». 1. La connaissance de type relationnel doit, comme il est ordinaire, être caractérisée par la structure de son acte, bien qu'elle soit spécifiée par la nature de sa fin. 2. La connaissance de type relationnel implique, pour chacun des éléments qui en intègrent l’acte: d’une part, d’être relationnel: d’autre part, de concerner l’« exister ». a 2. La connaissance de type relationnel a pour objet exclusivement Γ* exister » : aussi bien en vertu de l'affirmation qui la spécifie ultime­ ment, que distinctement selon chacun de ses éléments. 1. la connaissance relationnelle se distingue, «ex parte objecti». de la connaissance directe. 2. La connaissance relationnelle, spécifiée par 1’« exister», a pour « medium » une relation, celle-ci étant considérée formellement quant à 1’« exister». 3. La relation à, en laquelle repose l’acte de connaissance dont le type est spécifié par « l’exister ». est connue: quant à son « exister » absolument, quant à sa nature inchoativemen t. 4. La preuve de Dieu, qui réalise à l’état pur la connaissance dont le type est spécifié par l’« exister ». a pour conclusion la proposition par laquelle l'esprit créé affirme: Dieu EST; et non l’affirmation «Dieu existe». a 3. La connaissance de type relationnel n’est une en ses différents cas analogiquement, que selon l’ordination des deux rapports qui en sont les constituants. 1. La connaissance de type relationnel porte en général sur tout rapport entre la connaissance d'une réalité en son état parfait. et la connaissance de la même réalité en son état « diminué ». 2. La connaissance de type relationnel comporte: d'une part l’uni­ vocité et éventuellement l’équivocité. respectivement quant aux deux rapports qui en sont les constituants; d’autre part, l’analogie quant à l’ordination entre ces deux rapports, ordination qui cons­ titue cette connaissance formellement. b. La connaissance relationnelle est justifiée selon son type propre, en intégrant l’économie du savoir humain, conformément à l’ordination de la Sagesse diidne. b 1. L’acte d’intelligence, en quoi consiste formellement l’exercice de la foi, fonde, dans l’ordre surnaturel, l’achévemeni de la connaissance dont le type est relationnel. 175 176 176 177 178 178 180 1R2 186 189 190 19Ω 193 jgy TABLE DES MATIÈRES 1. L’acte de la foi théologale constitue un cas éminement original de connaissance relationnelle. 2. Démontrer selon la preuve faite de Dieu par l’homme, et croire selon la révélation que Dieu fait de Lui-Même à l’homme, intègrent ensemble l'ordre de la connaissance relationnelle en son parfait achèvement. 1>2. L'acte en vertu duquel l’intelligence se constitue toute relative à la réalité a pour expression concomitante un jugement vrai, « ens ut verum »; lequel est irréductible aux concepts qu'il associe, en tant que ceux-ci sont seulement dans l’esprit, « ens rationis ». 1. L’« ens ut verum», tel qu’il est défini par Aristote, est, en droit comme en fait, distingué par S. Thomas de 1’« ens rationis», 2. L’« ens ut verum » est fondé, comme type propre d’« esse », sur la métaphysique de la Vérité. c. La connaisance dont le type est relationnel et dont le medium est Γ* esse », dé-montre la convergence des cinq voies, et rend compte de la formulation que S. Thomas donne à leurs conclusions. 1. Les conclusions des cinq voies doivent être interprétées en fonction de la question à la résolution de laquelle chacune de ces voies est ordonnée. 2. La conclusion de chacune des cinq voies, répondant à la question « an sit », possède trois caractères: — n’affirmer, exclusivement, que le sujet d’un «exister»; — désigner ce sujet par un effet dont il est nécessairement la cause, non pas nécessairement l’archétype; — coordonner cette affirmation et cette désignation dans une même proposition. 3. Les conclusions des cinq voies, résultant du même ordre de preuve et possédant les mêmes caractères, affirment toutes, en vertu de la même connaissance dont le type est relationnel, le même Etant par Soi. TABLE DES MATIÈRES 229 196 198 202 20-1 208 210 210 211 212 214 215 221