Anno XIV n. 5 - Dicembre 1998 - Sped. a. p. - art. 2 - comma 20/c, Legge 662/96 - Filiale di Torino - Organo ufficiale del Centro Librario Sodalitium - Loc. Carbignano, 36. 10020 VERRUA SAVOIA (TO) Tel. +39.0161.839.335 - Fax +39.0161.839.334 - IN CASO DI MANCATA CONSEGNA SI PREGA DI RINVIARE AL MITTENTE CHE SI IMPEGNA A PAGARE LA RELATIVA TARIFFA PRESSO CMP Torino Nord Tassa Riscossa - Taxe Perçue. TORINO CPM N° 47 Edition française - Décembre 1998 2 “Sodalitium” Périodique - Bulletin Officiel de l'Institut Mater Boni Consilii - Loc. Carbignano, 36 - 10020 VERRUA SAVOIA (TO) - Italie - Téléphone: +.39. 0161.839.335; Fax +.39. 0161- 839.334 - C/CP 24681108 - Directeur de la publication: M. l'abbé Francesco Ricossa - Aut. Trib. n. 116 du 24-2-84 - Imprimé en Italie par le Centro Librario Sodalitium. INTERNET: www.plion.it/sodali - email: sodalitium@plion.it ✍ Sommaire Editorial La voix du Pape Le grand Kahal: un terrible secret Un grand initié: René Guénon “Le Pape du Concile”. XXIIème partie “Si tu savais le don de Dieu” (Jn IV, 10). Réflexions sur le Sacré-Cœur de Jésus Mgr Williamson contre le Concile Vatican... I! L’Osservatore Romano RECENSIONS Brèves nouvelles de la Fraternité Saint Pie X Vie de l’Institut Editorial C e numéro de Sodalitium est dédié à la mémoire du Pape Pie XII. Il y a 40 ans, le 9 octobre, Dieu rappelait à Lui ce grand Pontife. On ne le savait pas, alors, mais commençait à ce moment, avec la disparition du Pape, cette crise tragique que nous traversons, sans encore réussir à en voir la fin. Précisément ces temps-ci, on a voulu à nouveau mettre Pie XII sur le banc des accusés, pour les événements de la dernière guerre. Ceci confirme combien Sodalitium a eu raison de donner tant de place à la question juive, avec les magnifiques articles de l’abbé Nitoglia, question qui est toujours plus d’actualité, même en ayant ses racines dans l’Ecriture Sainte elle-même. Mais que Pie XII soit condamné par les juifs, passe encore; ce qui est inacceptable c’est que son Magistère, qui est celui de l’Eglise, ait été et soit encore rejeté par les partisans de Vatican II. La biographie de Jean XXIII montre comment, déjà dans les Commissions préparatoires au Concile, les p. 2 p. 3 p. 4 p. 11 p. 23 p. 35 p. 48 p. 64 p. 79 p. 82 p. 86 progressistes qui finirent par triompher, voulaient éliminer les encycliques du Pape Pacelli: nous pensons à Mystici Corporis ou à Humani generis. Aujourd’hui encore, Jean-Paul II contredit explicitement ce qu’écrivit Pie XII dans Mystici Corporis (cf. n° 46 p. 57) et le cardinal Sodano fait du Père Congar, à qui, sous Pie XII, fut interdit l’enseignement, le maître de la réforme conciliaire (idem, p. 59). Tout cela a été possible parce qu’on a relativisé et diminué la valeur du magistère du Pape, qu’il s’agisse du magistère solennel comme du magistère ordinaire: encore une fois, l’abbé Murro met en garde les “traditionalistes” de ne pas suivre les “progressistes” dans la même erreur (p. 48). Dans le naufrage général de notre époque, il ne reste qu’à se réfugier dans le Sacré-Cœur: pas dans le faux inventé par l’ésotérisme (qui reste l’un des principaux ennemis de Sodalitium, comme le démontre l’article de la p. 11), mais dans le vrai et très saint Cœur de Jésus, que Pie XII désigna admirablement dans l’encyclique Haurietis aquas et que l’abbé Giugni représente à la dévotion de nos lecteurs (p. 35). Dans un Sur la couverture: Hommage de Sodalitium au Pape Pie XII pour le quarantième anniversaire de sa mort 3 prochain numéro, nous compléterons l’hommage à Pie XII avec un article sur la Tombe de Pierre, retrouvée grâce à la volonté de son successeur, comme pour nous rappeler que les portes de l’enfer, malgré toutes les apparences, ne réussiront pas à prévaloir contre l’Eglise fondée sur cette pierre inébranlable. Que le Seigneur ressuscité et Sa très Sainte Mère, avec les Saints Apôtres Pierre et Paul, vous encouragent à persévérer dans la bataille de la Foi, laquelle, à la fin, ne pourra qu’être victorieuse. La voix du Pape LA NÉCESSITÉ DU CULTE DU SACRÉ-CŒUR POUR LES BESOINS ACTUELS DE L’EGLISE O n doit malheureusement voir que le nombre des ennemis de Dieu croît en certains pays, que les erreurs du matérialisme se répandent dans l’opinion, que la licence effrénée des plaisirs augmente ça et là; pourquoi s’étonnerait-on si dans les âmes de beaucoup diminue la charité qui est la loi suprême de la religion chrétienne, le fondement solide de la vraie et parfaite justice, la principale source de la paix et des chastes délices? Comme nous en avertit, en effet, notre Sauveur: “A cause des progrès croissants de l’iniquité, la charité d’un grand nombre se refroidira” (St Ambroise, Exposit. in Evang. sec. Lucam, liv. 10, n° 175; ML 15. 1942). Le culte du Sacré-Cœur, salut du monde moderne. Devant le spectacle de tant de maux qui, aujourd’hui plus que jamais, atteignent si vivement les individus, les familles, les nations et le monde entier, où devons-nous, Vénérables Frères, chercher le remède? Peut-on trouver une forme de piété supérieure au culte du Cœur de Jésus, qui réponde mieux au caractère propre de la foi catholique, qui subvienne mieux aux besoins actuels de l’Eglise et du genre humain? Quel culte est plus noble, plus doux, plus salutaire que celui-là, tout entier dirigé vers l’amour même de Dieu? (Pie XI, Lett. enc. Miserentissimus Redemptor noster, 8 mai 1928). Enfin quel stimulant plus efficace que l’amour du Christ avivé et augmenté sans cesse par la dévotion au Cœur très sacré de Jésus - pour amener les fidèles à mettre en pratique, dans leur vie, la loi évangélique sans laquelle - comme nous en avertissent les paroles du Saint-Esprit: Le Pape Pie XII en prière “l’œuvre de la justice sera la paix” (Is. 32, 17) il ne peut pas y avoir entre les hommes de paix digne de ce nom? C’est pourquoi, suivant l’exemple de Notre Prédécesseur immédiat, il Nous plaît d’adresser de nouveau à tous nos fils dans le Christ ces paroles d’avertissement que Léon XIII, d’immortelle mémoire, adressait à la fin du siècle dernier à tous les fidèles et à tous ceux qui se préoccupent sincèrement de leur salut et de celui de la société civile : “Aujourd’hui un autre symbole divin, présage très heureux, apparaît à nos yeux : c’est le Cœur très sacré de Jésus... resplendissant d’un éclat incomparable au milieu des flammes. Nous devons placer en lui toutes nos espérances; c’est à lui que nous devons demander le salut des hommes, et c’est de lui qu’il faut l’espérer” (Léon XIII, Lett. enc. Annum Sacrum, 25 mai 1899). Pie XII, Enc. Haurietis aquas, du 15 mai 1956 4 La question juive LE GRAND KAHAL: UN TERRIBLE SECRET Par M. l’abbé Curzio Nitoglia INTRODUCTION E n étudiant le problème juif, je suis tombé encore une fois sur un secret: celui du Kahal. Peu d’auteurs en ont traité et tous en restent à l’œuvre fondamentale d’un juif converti, Jacob Brafmann, qui est presque totalement introuvable. Après de longues et difficiles recherches, j’ai réussi à en trouver la traduction (manuscrite) en langue française (l’original existe aussi en russe, au British Museum, de même qu’une version en polonais et une en allemand). Jacob Brafmann, un russe d’origine juive, se convertit au Christianisme à trentequatre ans et fut nommé professeur d’hébreu au Séminaire théologique gouvernemental de Minsk. En 1870 il publia en langue russe, à Vilnius, son œuvre Le Livre du Kahal. Les juifs achetèrent pratiquement tous les exemplaires et les détruisirent. Cependant un exemplaire fut sauvé et il y eut aussi une traduction française de l’ouvrage qui parut en 1873, intitulée: Livre du Kahal. Matériaux pour étudier le Judaïsme en Russie et son Influence sur les populations parmi lesquelles il existe. L’Encyclopaedia Judaica écrit à ce sujet: «Brafmann attaqua l’organisation juive (Kahal) dans différents périodiques russes, en la décrivant... comme un Etat dans l’Etat et affirma qu’elle faisait partie d’une conspiration internationale juive. En 1869, Brafmann... publia le Livre du Kahal, une traduction en russe des minutes de la Kehillah de Minsk... Bien que Brafmann ait été accusé de faux, en réalité son livre était une traduction très consciencieuse de documents, il a servi à de nombreux chercheurs comme source historique pour la connaissance de la vie interne du Judaïsme russe au XIXème siècle» (1). Le Livre du Kahal n’est donc pas un faux comme le seraient les Protocoles des Sages de Sion (même s’ils disent la vérité), ainsi que l’a affirmé récemment Norma Cohn (2), mais plutôt “une source historique”, d’après l’avis de l’autorisée Encyclopédie Juive! Et est étudié comme telle. Il existe ensuite un autre ouvrage très sérieux, qui est comme la reproduction du livre de Brafmann; il s’agit de l’étude de Kalixt de Wolski, La Russie juive (3). Cette œuvre aussi connut le même sort que celle de Brafmann; heureusement j’ai réussi à m’en procurer une copie. Enfin Vial, s’inspirant du livre de Wolski, écrivit en 1889 un intéressant ouvrage intitulé Le Juif sectaire ou la Tolérance talmudique, (4) qui constitue un excellent résumé de la question. Ce sont les trois sources principales auxquelles j’ai puisé; je citerai au cours de l’article d’autres études sur ce sujet publiées par la suite. Dans le présent article donc, j’essayerai de jeter un peu de lumière sur le mystère du Kahal, en me prévalant de l’œuvre de Brafmann et d’autres livres ou articles (en vérité rares, mais sérieux) écrits sur ce thème brûlant et de grande importance et actualité. EXISTE-T-IL ENCORE UN TRIBUNAL JUIF? Chaque peuple, religion et société a ses lois et ses tribunaux. Le peuple juif ne fait pas exception; dans l’Ancien Testament il était gouverné par le Sanhédrin. Après la destruction de Jérusalem et la dispersion, privé qu’il était d’une organisation étatique, a-t-il maintenu, sous une forme secrète, des Serguei Nilus, auteur des Protocoles des Sages de Sion 5 tribunaux héritiers de l’ancien Sanhédrin? Nous verrons comment d’après différentes sources on peut répondre affirmativement. Je citerai avant tout des auteurs connus et sérieux tels que Monseigneur Jouin, Léon de Poncins, Hugo Wast (pseudonyme de G. Martinez Zuviria) et Henry Ford. L’existence du Kahal sera ensuite confirmée par les auteurs juifs Simon Schwarzfuchs et Israël Shahak. Léon de Poncins (3 novembre 1897-18 décembre 1975) MONSEIGNEUR JOUIN Dans la très célèbre et prestigieuse Revue Internationale des Sociétés Secrètes (5) on peut lire un intéressant article sur le Kahal, qui ouvre de vastes horizons et incite à aller aux sources. Dans cet article on apprend que pour les juifs le Talmud est la loi, mais pour ce qui concerne son application, il faut qu’existe un pouvoir exécutif et judiciaire, et ceci appartient à un groupe restreint de magistrats. Le collège souverain de ces juges est le Kahal, qui signifie: assemblée, réunion, communauté. Le Kahal est donc l’assemblée des représentants d’Israël. Cette institution remonte aux temps les plus anciens, par exemple au temps de Moïse (6). Malgré la Dispersion (130 après J.-C.) le Kahal ne perdit ni son influence ni son autorité, mais ne fonctionna plus au grand jour et resta confiné à l’ombre des ghettos et des synagogues. Aujourd’hui comme hier, le Kahal est le régulateur de la vie juive. «Il représente le gouvernement d’une nation sans territoire [au moins jusqu’en 1948, n.d.a.], mais néanmoins réelle et agissante. Il est un Etat qui se superpose, et souvent s’oppose, aux Etats dans lesquels vivent les juifs» (7). Son but est de maintenir intact et isolé le peuple juif dispersé dans le monde, afin que d’un côté il ne soit pas discriminé et de l’autre qu’il ne perde pas son identité par l’assimilation; jusqu’au jour où le peuple d’Israël aura la domination absolue sur le monde entier. Comme l’écrivait en 1925 Albrecht, ce jour d’après les cabalistes devrait commencer en 1966! (Un an après Nostra Ætate). LÉON DE PONCINS ET LE KAHAL Le célèbre auteur français écrit: «Il n’est pas douteux que les Juifs aient une organisation très disciplinée. Il est presque impossible à un non-Juif d’en pénétrer les détails secrets, mais ses manifestations extérieures montrent une autorité et un pouvoir occulte indéniables» ( 8). L’auteur parle aussi «de l’existence de la direction centrale d’une puissance considérable» (9), qu’est le Kahal. HUGO WAST ET LE KAHAL Gustavo Martinez Zuviria, Directeur de la Bibliothèque Nationale d’Argentine, et Ministre de la Justice et de l’Instruction Publique, a écrit en 1954 un intéressant livre sur le Kahal (10). Il écrit dans ce livre: «Peu de problèmes sont aussi difficiles à résoudre que celui du gouvernement interne du peuple juif. Il n’y a pas de mystère tenu plus tenacement secret... Le gouvernement du peuple juif est une véritable société secrète. Et comme dans toutes les sociétés secrètes il y a des initiés qui... ne parviennent jamais aux premiers rangs... Ainsi dans le Judaïsme il y a des circoncis de totale bonne foi qui ignorent la constitution et l’existence même du Kahal, c’est-à-dire de l’autorité qui gouverne dans l’ombre le peuple juif» (11). Etre juif ne signifie pas tant professer la religion juive post-templière ou post-biblique, mais surtout faire partie du peuple juif (12); le juif appartient donc à une nation différente de celle par qui il est accueilli et dans laquelle il vit et prospère. Le Kahal est un “Tribunal mystérieux, une sorte de Charbonnerie” (13). Les Tribunaux régionaux sont appelés Kehillah. Le Kahal est le Tribunal suprême qui dirige tous les Kehillah. Le grand Kahal, d’après notre auteur, résiderait à New York “vrai Vatican juif” (14). Le Kahal est l’expression concrète du Talmud, c’est-à-dire: le tribunal qui juge si les pratiques talmudiques sont observées ou non. C’est le “magistère vivant” de la Synagogue post-biblique puis- 6 qu’il applique la doctrine talmudique aux cas concrets. Avec le Kahal, qui commande et juge, il y a, subordonné à lui, le Bet-Dine, vrai tribunal secret: il évoque à soi toute cause et détient le pouvoir exécutif, conformément au Talmud, c’est-à-dire exécute les sentences émises par le Kahal. Donc le Talmud est le pouvoir législatif, le Kahal est le pouvoir judiciaire, et le Bet-Dine le pouvoir exécutif. Les trois pouvoirs agissent au sein de la Synagogue post-templière qui se sert de ces deux Tribunaux pour gouverner le peuple juif, disséminé sur la terre ou rassemblé dans l’Etat d’Israël à partir de 1948. pourront avoir les plaisirs à condition de demander l’or au juif qui seul le possède! «La force des juifs consiste dans le fait de savoir cacher leurs intentions propres. Le peuple juif vit encore uniquement parce qu’il a su maintenir un secret durant vingt siècles de persécutions» (17). Ce secret est l’esprit talmudique de haine du Christ et des chrétiens et de désir de domination mondiale. La foi talmudique n’est pas dans l’audelà; mais dans la domination en ce monde; son “paradis” est la terre. NATURE ET ORGANISATION DU KAHAL Les informations sur le Grand Kahal aujourd’hui sont très rares: les plus récentes remontent à 1954, avec Hugo Wast et à 1996 avec Israël Shahak qui explique que les Juifs en Occident ayant acquis en 1780 l’égalité juridique et s’étant peu à peu émancipés, le pouvoir judiciaire que la Communauté juive détenait alla en diminuant (18), surtout en Occident; alors qu’en Orient l’émancipation a été très faible et que le Kahal a maintenu sa force. Cependant en Occident il y a eu des poches de résistance à l’assimilation, et avec le mouvement sioniste et la fondation du B’naï B’rith (1843), le courant anti-assimilationiste (et philo-Kahaliste) a repris l’avantage. C’est pourquoi le Kahal a maintenu un certain pouvoir même après l’émancipation des juifs et l’a recouvré complètement à partir de la montée du Sionisme, et surtout après la seconde guerre mondiale avec le mythe de l’“Holocauste”. Shahak écrit toujours: «Depuis le Bas-Empire, les communautés juives possédaient des pouvoirs juridiques considérables sur leurs membres... même un pouvoir de pure coercition: la flagellation, l’emprisonnement, le bannissement, toutes sortes de peines pouvaient être infligées, en toute légalité, par les tribunaux rabbiniques... même la sentence capitale» (19). Et il continue: «Beaucoup de juifs d’aujourd’hui ont la nostalgie de ce monde juif [précédant l’assimilation], ce paradis perdu... Une part importante du mouvement sioniste a toujours voulu le rétablir, et cette part l’a emporté» (20). L’Etat d’Israël et le Sionisme semblent marquer le retour du pouvoir absolu du Kahal (21). En 1986 Simon Schwarzfuchs a écrit un intéressant livre (pour la collection “Présence et mémoire juive”) concernant le Kahal dans l’Europe médiévale (22). Il y soutient que la Communauté juive du Moyen Age, appelée Le secret du Kahal Le mystère entoure les actes pratiques du Kahal: ils doivent rester secrets; malheur à qui ose les révéler: on condamne à l’anathème et souvent même à la mort. Jacob Brafmann eut cette audace, mais perdit la vite. D’après Hugo Wast, le secret du Kahal serait ceci: pour conquérir le monde l’épée n’est pas nécessaire, mais un livre suffit: le Talmud! (15). Au moyen de l’esprit talmudique le Judaïsme se propose d’écraser le Christianisme, unique vrai bastion qui s’oppose à la domination universelle d’Israël. Les sentiments principaux qui animent l’esprit talmudique seraient au nombre de quatre: 1°) Une ambition démesurée de dominer le monde. 2°) Une avidité insatiable de posséder toutes les richesses des non juifs. 3°) La rancœur contre le non juif, et spécialement contre le chrétien. 4°) La haine de Jésus-Christ. Or, pour satisfaire ces quatre passions, il faut s’approprier la richesse du monde, par laquelle on pourra tout. C’est ainsi qu’au moyen de l’or la Synagogue s’emparera de toute chose, et rendra les non juifs ses esclaves. Ou du moins cela serait son plan secret (qui arrivera à sa quasi réalisation avec le Règne de l’Antéchrist) (16). Mais pour pouvoir arriver à cela il est nécessaire de corrompre les chrétiens, en fomentant en eux l’amour des plaisirs, du luxe et d’eux-mêmes. Etant donné que l’unique patron de l’or qui permette d’avoir plaisirs, luxe et honneur du monde sera (selon le plan du Kahal) le Judaïsme, les non juifs une fois corrompus Le Kahal aujourd’hui 7 Kahal, apparaît en Europe au Xème siècle. «Elle est la continuation de la communauté juive de l’antiquité» (23). Les origines de la Communauté juive en Europe sont très anciennes; il y en avait une à Rome antérieure au Christianisme. «Pendant plusieurs siècles, sans doute jusqu’au début du Vème siècle, les groupements juifs d’Europe restèrent en contact avec le patriarche de Terre Sainte et continuèrent à lui verser leur tribut» (24). Le Kahal régissait et dirigeait tout. Le numéro 566 de l’hebdomadaire de la communauté juive de France “Actualité Juive”, du 28 mai 1998 nous parle du Kahal et du Beth Din dans 4 longues pages. Elles sont très intéressantes et surtout actuelles. Nous allons les citer: “Avoir recours à un Beth Din (tribunal religieux) pour qu’il prononce un Din Torah (jugement) lorsqu’on est en conflit avec un autre juif, c’est une procédure à laquelle peu de gens pensent (...) Pourquoi faire appel à un tribunal rabbinique? (...) Le Rav [rabbin] Ouziel Amar tente de comprendre pourquoi la halakha affirme la nécessité de recourir à un tribunal rabbinique quand un litige entre deux membres de la communauté juive se présente. (...) La halakha interdit en cas de litiges entre deux membres de la communauté juive, le recours aux tribunaux civils” (p. 2). Donc l’hebdomadaire de la communauté juive de France admet qu’il y a un tribunal religieux qui doit prononcer un jugement quand il y a un conflit entre deux juifs, même aujourd’hui! Cependant c’est “un choix souvent difficile (...) pour que le Din Torah (jugement) fonctionne (...), il faut que les juifs respectent les décisions des instances religieuses. Sinon l’une des parties se retrouvera toujours flouée” (...) [il faut donc] “s’engager à accepter la décision du Beth Din (tribunal rabbinique) et s’y tenir” (p. 3). Rav Mardoché Amaz affirme: “Première démarche: présenter le problème à un Beth Din. La Torah interdit formellement à un juif de soumettre un différend qui l’oppose à un autre juif à un tribunal civil. Celui qui agit ainsi en dépit de ce commandement cause (...) une profanation du nom de Dieu. (...) ce qui concerne toute la question qu’un juif peut se poser dans sa vie civile ou religieuse, où qu’il se trouve face à un problème, il doit alors soumettre ce problème à son Rabbin (...) afin que celui-ci puisse trouver un compromis ou une solution. (...) Un juif n’a pas le droit de traîner un autre juif devant un tribunal non rabbinique” (p. 4). Mais on s’interroge encore “Quelle peut être la validité d’un Din Thora Le serpent symbolique qui représente le progrès de la conspiration juive (jugement) au regard du droit français? Les décisions - répond Katia Szleper, avocat - docteur en droit - du tribunal rabbinique, pour avoir une valeur au regard du Droit français, doivent être rendues dans le respect d’un certain formalisme. (...) [c’est-à-dire] doivent pouvoir être assimilées à une sentence arbitrale, (...) chacune des parties doit accepter librement de confier la résolution du litige au Beth Din (...) L’acceptation du recours au Beth Din doit être formalisée par un écrit précisant notamment l’objet du litige et le nom des rabbins saisis (...) Une position prise par le Beth Din, lorsqu’elle en respecte les formes a donc autant de valeur qu’un jugement rendu par un tribunal étatique” (p. 4). Voilà ce que nous révèle “Actualité Juive”. Il y a donc encore aujourd’hui (1998) un tribunal rabbinique qui doit se prononcer sur un jugement rendu par un tribunal de l’Etat. On voit donc comment le pouvoir du Kahal grâce au Beth Din a pu perdurer jusqu’à nos jours. La Synagogue talmudique légifère grâce au Talmud, juge et fait exécuter ses jugements au moyen du Kahal et du Beth Din et gouverne ainsi encore aujourd’hui le peuple juif. Et tout cela nous est révélé par un hebdomadaire juif français et non par des antisémites ou comploteurs maniaques. Le Kahal: sa nature Le Kahal représente la source de la cohésion que les juifs ont réussi à maintenir pendant deux mille ans, bien que dispersés dans le monde, sans temple ni sacrifice. Aux grands maux qu’il a dû affronter au cours de son histoire, le peuple juif a su opposer un grand remède: le Kahal. Les juifs, dispersés dans le monde entier, après le déi- 8 cide, se sont constitués comme un Etat dans chaque Etat qui les a accueillis. Aussi K. de Wolski est-il de l’avis que pour maintenir leur unité et leur cohésion et pour ne pas perdre leur identité propre, les juifs obéissent à une sorte de gouvernement occulte, tant judiciaire, le Kahal, qu’exécutif, le BetDine. On peut parler, dit l’auteur, d’une sorte de corporation qui représente tout Israël et qui, même étant disséminée de corps, est unie spirituellement, par le but et par les moyens (25). L’Eglise catholique est le principal ennemi du Kahal, lequel s’efforce donc d’en diminuer l’influence en mettant dans les intelligences des chrétiens les idées de libre pensée, de scepticisme, de schisme, et en provoquant ainsi les disputes religieuses, fertiles en divisions. Dans leur programme il faut avant tout commencer à discréditer les prêtres, en provoquant des soupçons sur leur dévotion, sur leur conduite privée, puis il faut gagner l’estime des jeunes, en infiltrant les écoles par des idées antichrétiennes. La Moreine La Moreine est la hiérarchie des charges chez les juifs. Elle commence tout de suite après la destruction du Royaume d’Israël, et a pour objectif la préservation et la conservation de la nationalité perdue, jusqu’au jour où le Messie restituera au peuple d’Israël sa gloire et son pays [ce qui n’est pas arrivé en 1948, puisque l’entité sioniste a été reconstituée de main d’homme et non par le Messie, qui est déjà venu il y a deux mille ans, n.d.a.]. Durant le long pèlerinage du peuple juif dispersé dans le monde entier, la Moreine est restée toujours la même mais s’est développée et a acquis une grande puissance, en se constituant peu à peu en société secrète, pour pouvoir affronter les difficultés de l’exil et en arrivant ainsi presque intacte jusqu’à nos jours. Les membres du Kahal ou la Moreine Le Kahal comprend deux catégories de membres: les dignitaires d’une part et les subalternes de l’autre. Kahal enseignant et disciple. 1°) Les dignitaires constituent le Grand Conseil et jouissent d’une autorité souveraine sur la Communauté juive. 2°) Les subalternes sont les secrétaires et les scribes. Parmi eux est choisi le Persécuteur secret, qui est l’exécuteur des sentences du Kahal (26). Il paraît qu’il s’engage par serment à n’épargner personne. Il y a ensuite les facteurs, qui sont une sorte d’informateurs et de factotum. “LE JUIF SECTAIRE” DANS SA CONDUITE PRATIQUE Vial, dans son précieux livre, soutient que le gouvernement secret des juifs s’appelle Kahal et est universel et absolu. «Il réunit dans ses mains le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif [le Bet-Dine, branche du Kahal, a, à proprement parler, le pouvoir exécutif, n.d.a.]. Il a le droit de vie et de mort... Il a, à ses ordres... une magistrature pour les imposer, une police pour en surveiller l’exécution, un budget pour alimenter sa police et ses fonctionnaires, et un impôt pour alimenter son budget... Les décisions du Kahal ne sont susceptibles d’aucun contrôle et n’ont besoin d’approbation de qui que ce soit... Ce gouvernement secret, vieux souvenir du tout-puissant Sanhédrin, ...a toujours fonctionné, depuis la dispersion d’Israël à travers le monde, dans la mesure où le lui permettait, ce qu’il appelle aujourd’hui “l’intolérance moyenâgeuse”» (27). Son code est le Talmud, qui est véritablement la Constitution fondamentale du peuple juif, dont il résume la suprême aspiration: la conquête du monde entier. Mais cette Constitution doit être, dans la pratique, interprétée par le Kahal au moyen de ses lois. Brafmann, dans son Livre du Kahal rapporte plus de mille prescriptions du Kahal, qui représentent ainsi le droit d’Israël, son code de jurisprudence (28). LES AGENTS DU KAHAL Brafmann dans son ouvrage nous dit que les agents du Kahal sont employés par les juifs, non seulement dans le commerce, mais dans tous les secteurs des affaires. La fin principale de tout agent est de prendre note, scrupuleusement, des moyens par lesquels il est arrivé à corrompre l’employé de police, en faveur de son coreligionnaire. Toutes ces informations recueillies avec soin, doivent être déposées auprès du Kahal, qui se trouve ainsi en possession des moyens d’action sur l’employé 9 corrompu, au cas où il voudrait intenter quelque action contre le Judaïsme, ou prendre une décision qui ne lui serait pas favorable (29). LE KASHER La loi sur la cuisine Kasher est d’une importance capitale pour maintenir séparée la vie des juifs du reste du monde. Elle doit donc être maintenue intacte; cette charge appartient au Kahal, interprète fidèle du Talmud. LES CONFRERIES JUIVES En recourant à un exemple l’on peut dire que les confréries sont les artères de la Société juive, alors que le Kahal en est le cœur. Quel est le fil mystérieux qui enchaîne et lie entre eux tous les juifs disséminés sur la face de la terre, comme une invisible et toute-puissante corporation? Les confréries! Chacune d’elles a son chef et très souvent sa maison de prière (succursale de la synagogue principale); toute confrérie est un Kahal secondaire. La plupart des membres appartient à l’élite traditionnelle de la Société juive, qui forme ainsi presque une légion de combattants qui entourent et défendent l’étendard du Talmud, au service du Kahal. Blâmable couverture antisémite d’une édition française des Protocoles LA COUR DE LA SYNAGOGUE Elle consiste en une surface de terrain, située dans le quartier habité par la population juive, où doivent se trouver: 1°) Le Bet-Haknest (la synagogue principale). 2°) Le Bet-Gamidrasch (la maison de prière et l’école). 3°) Le Bet-Hamerhatz (les bains à vapeur). 4°) Le Bet-Hakahal (la chambre du Kahal). 5°) Le Bet-Dine (tribunal judiciaire). 6°) Le Hek-Dech (refuge pour les pauvres). De tous ces lieux celui qui nous intéresse le plus est la chambre du Kahal, dont nous avons déjà parlé, et le Bet-Dine: un Conseil analogue à l’ancien Sanhédrin, qui se perpétue jusqu’à maintenant sous la tutelle du Kahal et qui forme sa section de justice exécutive. «...la chambre du Kahal... règle la vie publique et privée de ses coreligionnaires despotiquement et presque sans aucun contrôle, n’admettant aucun recours à une autre autorité. Cette domination... s’étend ...à la vie religieuse, intérieure et privée des Juifs... Mais lorsqu’il s’agit de prononcer un jugement dans un procès entre deux Juifs, ou entre un Juif et le Kahal, c’est le Bet-Dine (le saint tribunal) qui est chargé de juger. Le Bet-Dine, quoique appelé le saint, est cependant sous la haute protection du Kahal, et ne forme, pour ainsi dire, que la section judiciaire de cette autorité suprême, à laquelle tout Juif doit être aveuglément soumis» (30). LE SIEGE DU KAHAL SELON HENRY FORD Où se trouverait le siège central du Kahal? On ne sait pas. Cependant dans un article du Dearborn Independent, écrit dans les années vingt (31) on lit que: «Le Kahal a établi ses tribunaux dans la ville de New York... Les juifs s’en remettent au Kahal parce qu’ils préfèrent la justice juive à celle des pays qui les accueillent». Henry Ford en 1920 a écrit: «L’organisation juive la plus importante... vit aux EtatsUnis d’Amérique. (...) Des loges juives existent en Amérique... Mais... il est nécessaire de savoir que dedans et derrière elles fonctionne un centre dominant, avec son administration et son gouvernement. Ses dispositions ont force légale... Deux de ces organisations, toutes deux intéressantes tant par leur caractère secret que par leur pouvoir, sont la Keillha [H. Ford l’écrit de cette maniè- 10 Schéma récapitulatif sur le pouvoir du grand Kahal La Synagogue par l’intermétalmudique diaire du Talmud: légifère (pouvoir législatif) Kahal: juge (pouvoir judiciaire) et ainsi régit et gouverne le peuple juif Bet-Dine [branche du Kahal]: fait exécuter les jugements (pouvoir exécutif) * Kahal et Bet-Dine (branche du Kahal) sont le “Talmud vivant”, c’est-à-dire mis en pratique au cours de l’histoire, par la Synagogue talmudique re] new-yorkaise et le Comité judéo-américain. (...) La Keillha représente le plus important facteur politique de la vie officielle de New York. Le mot Keillha est identique au mot Kahal et signifie quelque chose comme communauté ou réunion ou administration. Le Kahal représente la forme authentiquement juive de gouvernement et d’administration du peuple dispersé. Cela veut dire qu’après leur dispersion à travers le monde, les juifs ont créé partout leur gouvernement propre... A New York le Kahal possède ses propres tribunaux, décrète les lois, prononce officiellement des jugements et les fait exécuter, et les juifs préfèrent leur justice à celle de l’Etat. (...) La Keillha new-yorkaise est la principale et la plus puissante organisation juive du monde entier. A New York, ...prend [naissance] le centre vital et potentiel du Judaïsme moderne. New York représente pour le juif moderne ce que représente Rome pour le catholique... L’actuelle New York est une réponse vive, latente, à la question: est-il possible qu’un groupe de personnes numériquement inférieur puisse dicter des lois à toute une population? Tout à New York répond affirmativement» (32). Cependant après 1948, avec la constitution de l’Etat d’Israël, on doit se poser la question de savoir si le siège central du Grand Kahal n’a pas été transféré à Jérusalem. CONCLUSION «Après tout ce qui a été dit sur la vie intime et secrète des Juifs, - écrit de Wolski ...il est facile de s’expliquer les persécutions qui, en tous pays et à toutes les époques, ont été dirigées contre ce peuple incorrigible, orgueilleux et fanatique» (33). La concession des droits civils accordés au peuple juif, avec l’espoir de l’assimiler, a été, comme reconnaissait Napoléon Ier, “une illusion”; en effet ce peuple a refusé obstinément le droit commun, et a voulu continuer à vivre isolé, pour ne pas perdre son identité, aidé en cela par le Kahal! La cause de cette persévérante obstination est dans le Judaïsme même, c’est-à-dire dans toutes ces institutions prescrites par le Talmud et protégées par le Kahal et par le Bet-Dine, qui dureront jusqu’à ce que Israël se convertisse à Jésus-Christ. Les pays chrétiens qui donnent l’hospitalité à ce peuple seront toujours considérés par lui comme “un lac ouvert où tout juif peut pêcher librement” (comme dit le Talmud), autrement dit: exploiter et dépouiller le chrétien. En effet l’esprit du Kahal est un esprit exclusif, jaloux et fanatique. Le Kahal se préoccupe de maintenir l’esprit talmudique et en même temps protège les intérêts temporels du peuple d’Israël: il est l’âme et la conscience de ce monde à part, et d’après les auteurs examinés, prédominerait même sur le rabbinat. La force d’Israël réside dans le Kahal; elle a asservi le monde entier, en agissant dans le secret et j’espère avec cet article avoir fait un peu de lumière, qui puisse éclairer les goyim et particulièrement les chrétiens, sur le danger qui les menace. Si quelqu’un parmi les lecteurs avait des informations plus récentes (mais sérieuses et documentées) à me fournir, je serai heureux de pouvoir approfondir le problème. 11 NOTES 1) Encyclopaedia Judaica, Jérusalem 1971, vol. IV, col. 1287-1288. 2) N. COHN, Histoire d’un mythe, Gallimard, Paris 1967, pp. 58-59. 3) KALIXT DE WOLSKI, De la Russie juive, Savine Editeur, Paris 1887. 4) L. VIAL, Le Juif sectaire ou la Tolérance talmudique, Fleury, Paris 1899. 5) E. JOUIN, R. I. S. S., 5ème, Le péril judéo-maçonnique, deuxième partie, Les actes de la Contre-Eglise I, Discipline de l’Impérialisme Juif, IV, QAHAL, édité par A. ALBRECHT, Paris 1925, pp. 89-122. 6) Josué, XXIII, 2 - XXIV, 1. 7) A. ALBRECHT, op. cit., p. 90. 8) L. DE P ONCINS , Les Forces Secrètes de la Révolution, éd. Bossard, Paris 1928, p. 254. 9) Ibid., p. 255. 10) H. WAST, El Kahal, editorial Aldecoa, Burgos 1954. 11) Ibid., p. 24. 12) A. ELKANN-E. TOAFF, Essere ebreo, Bompiani, Milano 1994, p. 13. 13) H. Wast, op. cit., p. 43. 14) Ibid., p. 44. 15) Ibid., p. 72. 16) Ibid. 17) Ibid., p. 111. 18) I. SHAHAK, Histoire juive - Religion juive. Le poids de trois millénaires, La Vieille Taupe, Paris 1996, p. 42. 19) Ibid., p. 42. 20) Ibid., p. 50. 21) Ibid., p. 203. 22) S. S CHWARZFUCHS , Kahal. La communauté juive de l’Europe médiévale, Maisonneuve et Larose, Paris 1986. 23) Ibid., p. 11. 24) Ibid., p. 17. 25) K. D E W OLSKI , La Russie juive, Savine éd., Paris 1887, p. 2. 26) Cf. J. BRAFMANN, Le livre du Kahal, fiche n° 148, citée par L. VIAL, op. cit., p. 91. 27) L. VIAL, op. cit., pp. 79-80. 28) J. BRAFMANN, Le livre du Kahal, fiches nn° 134, 170, 146, 148, 149, 177, 57, 261, 239, 260, 284, 21, 33, 37, 4, 156, 159, 17, 280, 281, 282, 285. 29) L. VIAL., op. cit., p. 116. 30) K. D E W OLSKI , op. cit., p. 172. Cf. J. BRAFMANN, Le livre du Kahal, nn° 24, 78, 120, 132, 146, 177, 203, 204, 239, 256. 31) Dearborn Independent du 26-02-1921. 32) H. FORD, L’ebreo internazionale, L’altra biblioteca ed., sine loco et data, pp. 225-231. 33) K. DE WOLSKI, op. cit., p. 303. Esotérisme UN GRAND INITIÉ: RENÉ GUÉNON Par M. l’abbé Curzio Nitoglia Introduction L a personne et l’œuvre de René Guénon ne peuvent être indifférentes à quiconque s’occupe de vraie et fausse Tradition. Un vieil adepte de l’école guénonienne, Jacques-Albert Cuttat a défini la doctrine guénonienne: «Un néo-traditionalisme... comme si Guénon avait repris et mis à l’échelle d’une connaissance plus vaste... de l’Orient les trois thèses fondamentales du traditionalisme du début du XIXème siècle (notamment de Joseph de Maistre et de Lamennais), à savoir: l’Anti-rationalisme, l’Unanimité traditionnelle comme critère de la vérité et surtout la Primauté spirituelle de l’Orient» (1). Il est notoire que Guénon relativise et réduit la Mystique chrétienne (qui d’ailleurs n’est pas seulement occidentale) au niveau de sentimentalisme ou ‘dévotionalisme’ (qui n’a rien à voir avec la vraie Mystique, alors qu’elle a des points de contact avec le faux mysticisme). Et ceci démontre la connaissance insuffisante de la Théologie ascétique et mystique catholique de la part de Guénon lui-même ou son esprit antichrétien. En effet dans l’œuvre guénonienne les dogmes principaux de la Religion catholique sont mal compris et vidés de leur vraie signification. Guénon, imbu d’ésotérisme cabaliste et maçonnique, a essayé d’infiltrer dans les milieux catholiques traditionnels la fausse idée d’une Tradition primordiale universelle et fondamentale qui englobe toutes les différentes religions, en maintenant secrète son affiliation au soufisme moniste et à la maçonnerie écossaise. Avec «le Concile Vatican II, il s’avère que l’intelligentsia catholique... est orientée dans le sens d’une perspective qui tient compte de l’intention d’unité des nouvelles générations. (...) de privilégier les points de rencontre... avec les religions non-chrétiennes... Le ton n’est plus à réfuter et à exclure mais plutôt à assumer la diversité du potentiel humain et du patrimoine religieux universel» (2). Et c’est ainsi que le Traditionalisme maçonnico-ésotérique a embrassé le Modernisme ésotérico-maçonnique (3). 12 La personnalité de Guénon La plus grande spécialiste de Guénon, Marie-France James affirme que son tempérament était caractérisé par la «nervosité et la sensibilité auxquelles viennent s’ajouter l’instabilité, l’impulsivité et l’irritabilité... [nervosité] tempérée par le puissant apport intellectuel (...) prédisposant aux études philosophiques et religieuses. A tout cela il faut ajouter une susceptibilité exacerbée et une forte sensualité» (4). L’enfance René Guénon naît à Blois, le 15 novembre 1886. De santé fragile il effectue ses premières études dans une école catholique où, malgré ses nombreuses absences, il devient vite un élève brillant. A l’automne de 1901 se produit un incident banal en soi, mais très significatif au regard de sa personnalité: René est le premier de la classe mais le professeur Simon Davancourt le classe second dans un devoir de français. René en fait un drame et doit s’aliter avec une forte fièvre; son père le retire de l’école et l’inscrit au collège Augustin-Thierry (5). M.-F. James commente: «Nous voyons donc déjà en Seconde le besoin, obsessif chez Guénon, d’être le premier... Au retour des grandes vacances... notre jeune perfectionniste est aux prises avec la même obsession, devrions-nous dire la même culpabilité, le même anéantissement... de n’être que quatrième... Irrité, le jeune René réagit avec une grande susceptibilité... une scène s’ensuit, scène qui connaîtra, aux yeux de certains, son dénouement définitif quelque trente ans plus tard avec le départ irréversible de Guénon vers les terres de l’Islam» (6). Il apparaît évident que le désir, le besoin même d’arriver au zénith, est une tendance profonde de la personnalité de Guénon. «C’est quelqu’un qui non seulement veut mais doit gagner sur tous les terrains...» (7). Etre dans la moyenne pour lui signifierait échouer; être condamné à l’imperfection le déprimerait. René Guénon, désormais jeune bachelier, connut le chanoine Ferdinand Gombault, docteur en philosophie scolastique; durant plus de trente ans, jusqu’au départ de Guénon pour Le Caire, les deux intellectuels maintinrent des contacts réguliers bien qu’en agissant dans deux camps différents, opposés même: le chanoine, thomiste strict, se voua à René Guénon le jour de son mariage l’apologie du catholicisme; Guénon, influencé par les courants maçonnico-occultistes, se tourna vers la Gnose. D’après M.-F. James le chanoine, comme tous les amis catholiques de Guénon, ignora au moins jusqu’à la fin des années 30 son choix. Les maîtres de René Guénon Vers les vingt ans Guénon est introduit à l’Ecole Hermétique dirigée par Papus (pseudonyme du docteur Encausse) et suit les cours qui y sont dispensés. Il est reçu dans l’ordre Martiniste et dans diverses organisations maçonnico-occultistes annexes. En 1908 il collabore à la préparation du Congrès spiritualiste et maçonnique, cependant il tend à s’éloigner de la ligne générale (qualifiée par lui de matérialiste) des milieux occultistes de son temps; il prend donc position contre certaines idées de Papus. L’hypothèse la plus probable, sans preuves déterminantes, est que Guénon, au plus tard en 1909 (époque de son élévation à l’épiscopat gnostique sous le nom de Palingenius) ait bénéficié de contacts hindous du courant vêdantiste décisifs; toujours cette année-là il s’affilie à la Loge maçonnique Thebah (Grande Loge 13 de France). En 1912 il est initié au Soufisme et se marie... dans le rite catholique! La même année toujours il confirme son affiliation maçonnique à la Loge Thebah, filiale de la Grande Loge de France de Rite écossais ancien et accepté. De 1913 à 1914 il collabore à La France chrétienne anti-maçonnique, sous le pseudonyme de Le Sphinx, précisément dans les pages de cette revue il entretiendra (comme un vrai “sphinx”) une polémique avec Charles Nicoullaud et Gustave Bord, collaborateurs de la Revue Internationale des Sociétés Secrètes, concernant la question des Supérieurs Inconnus. En 1915 Guénon fait la connaissance d’une jeune étudiante thomiste: Noële Maurice-Denis, qui en 1916 le présente à Jacques Maritain. En 1916 il suspend la participation active aux travaux de sa Loge, auxquels il avait continué d’assister même durant sa collaboration à La France chrétienne antimaçonnique! Cette suspension ne fut pas une rupture, mais seulement une “mise en sommeil” tactique, en vue d’«amener le catholicisme à cautionner une élite appelée à retrouver, à partir d’une perspective ...syncrétique, la source unique perdue... la véritable Connaissance métaphysique, d’essence gnostique. C’est ainsi que, jusqu’au début des années 30, Guénon s’abstiendra de traiter de manière directe et ouverte de la Franc-maçonnerie, se limitant à en déplorer la “dégénérescence” et à dénoncer les “influences anti-traditionnelles” dont elle est victime en son sein même» (8). Pour Guénon le Catholicisme n’est rien d’autre qu’une des formes partielles et voilées à travers lesquelles la tradition primordiale et fondamentale se manifeste dans sa plénitude. Le Christianisme, pour lui en effet, a eu aux origines un caractère ésotérico-initiatique dont on sait peu de choses puisque les origines du Christianisme seraient entourées d’une obscurité presque impénétrable. Obscurité voulue par ceux qui ont conduit la transformation de l’Eglise d’une organisation obscure et réservée à une organisation ouverte à tous, purement exotérique. Cependant cette transformation du Christianisme en Religion exotérique, a été providentielle, puisque le monde occidental serait resté sans aucune tradition s’il n’y avait pas eu la Religion chrétienne, la tradition gréco-romaine alors prédominante ayant atteint une grande dégénérescence. Le Christianisme redressa le monde occidental, mais à condition de perdre son caractère ésotérique. Il semble que l’on puisse constater, dans ce refus de la dimension publique, l’attitude d’aristocratisme intellectuel typique des différents courants gnostiques. En 1921 Guénon signe un article dans la Revue de philosophie d’inspiration néo-thomiste. En 1922 il reprend l’enseignement de philosophie auprès d’un institut des Frères des Ecoles chrétiennes. En 1925 il commence à collaborer à la Revue universelle du Sacré-Cœur, Regnabit, mais en 1927 la collaboration cesse, et il reprend au contraire la polémique avec la R.I.S.S. (9). Les milieux catholiques après une brève hésitation, due au caractère de “cinquième colonne” de l’œuvre guénonienne de ces années-là, en réfutent les théories et Guénon, voyant échouer son projet d’infiltration, émigre au Caire. Mais il poursuit sa charge de former une élite traditionnelle occidentale par la tentative de faire converger la métaphysique orientale dite “universelle” (ou Gnose ésotérique) et le Catholicisme, selon lui identiques dans leur substance. Pour Guénon la Gnose doit s’appuyer sur la Tradition fondamentale, qui en substance est partout la même, malgré les formes différentes qu’elle revêt quand elle s’abaisse à devenir une religion, pour s’adapter à chaque race et à chaque époque. Le but ésotérique de Guénon est donc de réinterpréter, d’abaisser, de minimiser et de ramener le Christianisme à un fond commun “traditionnel” d’inspiration gnostique. Il aurait eu à ses origines un caractère essentiellement ésotérique et initiatique, mais à partir de l’époque constantinienne et du Concile de Nicée il l’aurait perdu en devenant une religion au sens propre du terme, avec ses dogmes, sa morale universelle et ses rites publics. Guénon nie donc la divinité et l’indéfectibilité de l’Eglise, sa transcendance par rapport aux autres cultures, la valeur universelle de l’Evangile, la compréhension inaltérée de la doctrine évangélique telle qu’elle a été révélée par le Christ. Mais comme a écrit N. Maurice-Denis: «Certainement son ignorance, son incompréhension du Christianisme étaient totales» (10). Mais s’agissait-il vraiment d’ignorance? Nous le verrons plus loin. Guénon et la “Revue Internationale des Sociétés Secrètes” Monseigneur Ernest Jouin Monseigneur Jouin, dernier de cinq enfants, naît le 21 décembre 1844 à Angers. 14 Orphelin de père en bas âge et de santé fragile, en 1862 il rejoint son frère Amédée au noviciat des Dominicains de Saint-Maximin, transféré par la suite à Flavigny. En août 1866 des troubles de santé l’obligent à renoncer à l’austérité de la vie dominicaine; il rejoint pour cette raison le séminaire d’Angers, où il sera ordonné prêtre en février 1868. «Ses premières années de vie sacerdotale sont traversées par la tristesse, le découragement, le doute et les scrupules» (11). En juillet 1882 il est nommé curé à Joinville-le-Pont (Seine) où il subit l’assaut des milieux anticléricaux, et commence ainsi à connaître les premières luttes antimaçonniques. En 1910 il acquiert une importante bibliothèque maçonnico-occultiste d’environ 30 000 volumes et en janvier 1912 fonde la Revue Internationale des Sociétés Secrètes, composée d’une partie judéo-maçonnique (partie grise) et d’une partie occultiste (partie rose). «L’abbé Jouin croyait à une volonté juive de domination universelle résumée comme suit: “Israël est le roi, le Maçon est son chambellan et le bolcheviste son bourreau”. Sa thèse était... que la juiverie et le protestantisme sont derrière la franc-maçonnerie; que tous trois poursuivent un même but: la destruction de l’Eglise catholique» (12). Elevé à la prélature par Benoît XV et fait protonotaire apostolique par Pie XI, il meurt en 1932 avec la bénédiction et l’approbation pontificale de sa revue qui continuera à paraître jusqu’en 1939; sa cause de béatification a été introduite à Rome par “les amis Américains de Monseigneur Jouin” (13). Mgr Jouin n’est pas le premier à soutenir la thèse de l’inspiration juive de la Maçonnerie. Il avait été précédé au XIXème siècle par l’abbé Barruel, Mgr Deschamps, Crétineau-Joly, Gougenot des Mousseaux, Mgr Delassus, Mgr Meurin. Partisan d’un Catholicisme intégral, il était convaincu que «les groupes nationalistes et fascistes sont impuissants par eux-mêmes à guérir le mal. La guerre est religieuse. Notre conversion est l’unique remède» (14). Lui-même avait écrit: «Lorsque les catholiques ne reculeront plus, lorsqu’ils puiseront leur courage dans la pratique de la vertu, ...lorsqu’ils reprendront la voie du sacrifice pour suivre leur Messie de misère, jusqu’au Golgotha, lorsqu’il ne mendieront plus leur salut à droite ou à gauche, mais formeront à la demande de sa Sainteté Pie X le parti de Dieu, la question juive sera solutionnée. (...) Mais que les catholiques se rendent bien compte qu’en donnant la main aux Juifs, en vivant au fond comme eux... ils préparent... le règne despotique d’un Qahal universel!» (15). La R. I. S. S. (1912-1939) La R.I.S.S., dans la partie grise (judéomaçonnique) traitait des aspects extérieurs de la secte infernale et dans la partie rose (partie occultiste) des aspects intérieurs. Elle était connue dans le monde entier et alimentée par les informations de Mgr Umberto Benigni fondateur du Sodalitium Pianum. Si dans l’ordre chronologique Mgr Jouin mettait au premier plan la critique de l’œuvre politique et extérieure des sectes secrètes, dans l’ordre d’importance il préférait étudier leur comportement intérieur, ésotérique, secret. Il était convaincu, à raison, que seul un motif religieux et souvent préternaturel pouvait expliquer la frénésie de démolition de toutes les choses bonnes, qui caractérise le processus révolutionnaire, mis en avant par les sociétés secrètes. Et que à l’origine de ces dernières il y eut le Judaïsme post-templier [c’est-à-dire d’après la destruction du Temple de Jérusalem], dont le père, comme l’a révélé Jésus, est le diable (16). Ce fut précisément contre la R.I.S.S. de Mgr Jouin que Guénon soutint une longue controverse, en polémiquant en particulier sur l’occultisme, en tentant d’en discréditer les collaborateurs et en se posant comme unique personne compétente en la matière. Divergences au sein du mouvement antimaçonnique Il faut faire remarquer qu’il y avait une division même entre ceux qui s’opposaient à la Maçonnerie. D’une part il y avait les antimaçons nationalistes (Copin-Albancelli et Clarin de la Rive), qui voulaient combattre la secte uniquement pour défendre les valeurs nationales et patriotiques; la lutte antimaçonnique pour eux devait être essentiellement politique ou nationale. D’autre part il y avait les antimaçons religieux (Nicoullaud, Jouin, Benigni) pour qui la Maçonnerie est une “contre-église”, qui cherche à ridiculiser les recherches sur l’élément préternaturel dans les arrièresloges [voir la manœuvre Taxil (17)]. D’après Mgr Jouin pour être antimaçons il faut avant tout être chrétiens: il s’affrontera donc à Copin-Albancelli et Clarin de la Rive, qui pour lui n’étaient pas des adversaires sincères 15 de l’ennemi. La substance de la divergence résidait dans le fait que les anti-maçons nationaux refusaient d’étudier l’influence satanique dans la direction occulte de la Maçonnerie. Ce fut ainsi que le projet d’une fédération antimaçonnique échoua et que les polémiques entre antimaçons alimentées par un nouveau venu... le franc-maçon René Guénon, alias le Sphinx, continuèrent causant un grave dommage pour la bonne cause. La collaboration du franc-maçon Guénon à “La France antimaçonnique” En 1896 Clarin de la Rive devient directeur de La France chrétienne antimaçonnique, succédant à Léo Taxil. A partir de 1913 jusqu’à 1914 le franc-maçon Guénon collabore à cette revue! «A supposer que Clarin de la Rive n’ait pas eu l’occasion de consulter les registres de la Grande Loge de France pour l’année 1912, en revanche il n’a pu ignorer... la conférence du Maçon Guénon sur L’Enseignement initiatique publiée dans Le Symbolisme de janvier 1913. La R.I.S.S. a même pris soin d’en inclure une pertinente critique dans son Index documentaire (février 1913, p. 561)» (18). Alors comment expliquer la collaboration de Guénon avec Clarin de la Rive, sur le terrain antimaçonnique précisément? Comment donc Guénon pourra-t-il consulter avec la permission de Clarin de la Rive le dossier sur le cas Taxil (ex-directeur de La France antimaçonnique), à partir duquel il conclura que soutenir l’influence du Satanisme sur la Maçonnerie c’est faire de la contre-initiation?; que si des groupes lucifériens et satanistes existent ils sont bien loin de l’appartenance à la Maçonnerie, qui est une organisation traditionnelle que l’on veut dénigrer à tout prix. Il semblerait que Clarin de la Rive et les amis catholiques de Guénon aient sous-évalué son initiation à la secte, comme si Guénon avait complètement rompu avec la Maçonnerie. Comme beaucoup d’autres Guénon a utilisé la campagne anti-taxilienne, en se présentant comme l’homme de la Tradition qui veut rendre à la Maçonnerie son vrai visage, défiguré par Taxil. Il prétend combattre les maçons contemporains pour leur “modernisme”, infidèles à la vraie vocation initiatique, afin que la Maçonnerie puisse redevenir ce qu’elle n’a jamais cessé d’être virtuellement. Ce travail sournois fut entrepris dans La France antimaçonnique, avec la complicité (ou la stupidité) de ses amis catholiques. Guénon astucieusement voulait changer de l’intérieur la pensée antimaçonnique, et inspirer un courant catholique favorable à la Maçonnerie traditionnelle, revue et corrigée à la lumière de la métaphysique orientale. «D’une part, il affirme, qu’il faut ramener les maçons à la compréhension de leurs principes et à la conscience de leurs fonctions et de l’autre faire admettre aux catholiques qu’ils ont tort de combattre la Maçonnerie en elle-même et qu’ils doivent, tout en luttant contre les maçons dégénérés, souhaiter la restauration d’une Maçonnerie authentique» (19). Et «après avoir rappelé l’opinion déjà exprimée par Joseph de Maistre il affirmait que: “Tout annonce que la Maçonnerie vulgaire est une branche séparée et peut-être corrompue d’un tronc ancien et respectable”, et que la Maçonnerie moderne n’est que le produit d’une déviation» (20). Le coup lui réussit avec Clarin de la Rive, mais Mgr Jouin lui barra la route. Les Supérieurs Inconnus En 1913 il y eut une longue polémique entre Guénon, alias le Sphinx, pour La France antimaçonnique et Charles Nicoullaud avec Gustave Bord pour la R.I.S.S. concernant la question mystérieuse des Supérieurs Inconnus, dont Bord niait l’existence en tant que simples hommes en chair et en os. Les Cahiers Romains, organe de l’Agence internationale Roma, de Mgr Umberto Benigni, répondirent (14 et 28 septembre 1913) que le jugement de Bord était un peu hâtif et qu’aucun argument probant Schuon, Burckhardt et Cuttat à Bâle dans les années 30 16 n’avait été présenté contre le pouvoir central occulte et humain de la secte. Peut-être, ajoutaient les Cahiers Romains, consistait-il aussi en une constante entente entre les chefs pour diriger la masse des différentes sectes, dont la plus connue et la plus répandue est la Maçonnerie. Charles Nicoullaud répondit sur la R.I.S.S. du 20 octobre 1913, que si le rédacteur des Cahiers Romains entendait désigner comme chefs, des hommes ordinaires en chair et en os il se trompait. Les Supérieurs Inconnus, pour les vrais initiés, existent, mais vivent dans l’Astral (ce sont des Anges déchus ou suppôts de Satan, c’est-à-dire des hommes qui se sont voués corps et âme au diable et qui sont donc son instrument privilégié). Et c’est de là que, au moyen de la magie, ils dirigent les chefs des sectes, en constituant une espèce d’entente continuelle entre les chefs humains des différentes sectes. Pour Gustave Bord au contraire, puisqu’il y a rivalité entre les différents rites maçonniques, il n’y a aucun pouvoir central humain (ce qui n’exclut pas une direction préternaturelle). A ce point Guénon, alias le Sphinx, descendit dans l’arène et soutint que Nicoullaud et Bord étaient deux antimaçons bien étranges, et il attaqua la thèse de la “mystique” diabolique comme racine de la Maçonnerie. Guénon réhabilite les Supérieurs Inconnus comme les inspirateurs et les gardiens de l’initiation et de la Tradition ésotérique. En 1914 Bord répondit par les pages de la R.I.S.S. que les antimaçons sont divisés en deux camps: ceux qui croient au pouvoir central de la FrancMaçonnerie représentée par des chefs en chair et en os appelés Supérieurs Inconnus ou membres des arrières-loges; et ceux qui croient que la Franc-Maçonnerie est conduite par une idée néfaste et que les Supérieurs Inconnus sont le diable ou ses suppôts. Il se rallie à ces derniers. Bord ajoute qu’il n’a jamais trouvé trace de directeurs humains suprêmes et connus de toute la FrancMaçonnerie, mais bien mieux, il a constaté l’existence du contraire: obédiences maçonniques en lutte entre elles, fondées par des personnes connues. Guénon répond que cette question ne peut être résolue par des historiens qui prétendent se baser uniquement sur des faits positifs, prouvés par des documents écrits, que les Supérieurs Inconnus ont laissé des traces très précises de leur action en pareilles circonstances. Ils seraient des êtres libérés dès cette vie, af- franchis de toutes limitations extérieures, établis dans l’état inconditionné et absolu, en prise directe avec le Principe primordial de l’univers. Des êtres en chair et en os qui auraient atteint les plus hauts sommets de réalisation spirituelle, doués, selon la tradition extrême-orientale, de longévité, postérité, grand savoir et parfaite solitude! Les Supérieurs Inconnus sont les vrais maîtres du monde et non des hommes banals. En résumé alors que Nicoullaud voit une influence préternaturelle et diabolique sur la Maçonnerie, Guénon y voit au contraire l’action d’un Principe transcendant qui concourt à la pleine réalisation spirituelle. Pour Nicoullaud, Satan résume le Pouvoir occulte sectaire, alors que Guénon, au moyen de la théorie des “états multiples de l’être” (une sorte d’intermédiaires astraux de dérivation cabaliste) complique tout, en relativisant la notion d’individu et surtout les catégories du bien et du mal, et en fournissant un masque au diable (21). Face à cette énorme masse d’arguments le pauvre lecteur de La France antimaçonnique ne savait plus où donner de la tête... Le Sphinx avait obtenu son résultat, avait embrouillé les choses, semé la zizanie entre les antimaçons (se servant même des Cahiers romains et essayant de les opposer à la R.I.S.S.); en résumé il avait fait œuvre de dépistage. Guénon et l’Institut catholique de Paris En 1915 Guénon obtient la licence de lettres à la Sorbonne et à l’automne il s’inscrit, avec son ami intime Pierre Germain (affilié lui aussi à l’église gnostique), au cours de philosophie des sciences du Professeur Milhaud. Là, comme je l’ai déjà dit, il fait la connaissance d’une jeune thomiste de dix-neuf ans, formée par le Père Sertillanges et par Maritain. Noële MauriceDenis (plus tard Boulet), qui introduit Guénon auprès de Maritain en 1916. Durant l’été l’ami Germain, qui avait retrouvé la Foi à Lourdes, informe Noële MauriceDenis du passé de Guénon et lui fournit la collection complète de La Gnose. N. Maurice-Denis, même si elle ne partage pas les idées de Guénon, admire sa clarté d’exposition et le sérieux de sa pensée. Le fait qu’il ait été consacré évêque gnostique à vingt-trois ans ne la surprend pas: elle y voit seulement une erreur de jeunesse! La jeune thomiste ignore, comme du reste Germain, 17 la “confirmation” maçonnique de Guénon à la Grande Loge de France et son initiation au Soufisme de 1912. Elle sait que Guénon n’utilise plus l’opium et le haschich comme aide à la... “contemplation” et cela lui suffit! En décembre 1916, Noële Maurice-Denis tente de faire publier dans la Revue de philosophie la thèse de Guénon. Le Père Peillaube, directeur de la revue, se montrait favorable, mais Maritain s’opposa: il connaissait Guénon depuis six mois et avait déjà compris quelle était son orientation philosophique. Tout cela ne décourageait pas le moins du monde la jeune et naïve Maurice-Denis. Introduction à l’étude des doctrines hindoues En juin 1920 Guénon termine la rédaction de l’Introduction Générale à l’Etude des Doctrines Hindoues et se met à la recherche d’un éditeur; à cet effet, il se met en contact avec le juif Levy-Brühl et par la suite il apporte le manuscrit à Marcel Rivière qui accepte de le publier. En février 1921 Noële Maurice-Denis publie un article sur la nature de la Mystique, alors que dans une lettre du 27 mars Guénon réaffirme sa position selon laquelle la “métaphysique” est quelque chose de plus surnaturel que la mystique. N. Maurice-Denis attribue la position guénonienne à une ignorance substantielle de la doctrine catholique, malgré l’éducation religieuse que Guénon avait reçue, minimisant encore une fois la portée de son erreur. Comme Henry de Lubac le soutint aussi plus tard (22), la position de Guénon n’était pas attribuable à la simple ignorance du Christianisme, mais plutôt à l’hostilité envers l’Evangile et l’esprit chrétien; Noële Maurice-Denis répondit à la lettre du 27 mars dans deux articles parus dans la Revue universelle (le 15 juillet 1921) sous le titre Les Doctrines Hindoues; Maritain y prit part puisqu’il désirait que l’auteur soutienne que la “métaphysique” guénonienne est radicalement inconciliable avec la Foi catholique. Il écrivit donc lui-même la dernière phrase de la conclusion du premier article de N. Denis: «R. Guénon voudrait que l’Occident dégénéré allât demander à l’Orient des leçons de métaphysique et d’intellectualité. C’est seulement au contraire dans sa propre tradition et dans la religion du Christ, que l’Occident trouvera la force de se réformer...» (23). «Si Guénon, malgré toutes ses critiques conserve à la Grèce une certaine réputation, au contraire Rome ne lui inspire que du mépris» ( 24). La réaction de Guénon, étant donné son caractère, fut très irritée. Mais essayons de voir le contenu de l’article de Guénon. La “métaphysique” hindoue est pour lui un Gnosticisme parfait et absolu puisqu’elle aboutit au Panthéisme (même si Guénon ne cite jamais le mot Gnose, il emploie cependant le terme sanscrit jnâna qui en est l’équivalent et préfère se servir du terme “métaphysique” qui “guénoniennement” signifie “connaissance” ou... Gnose). Pour Guénon la morale est exclue de la philosophie, alors que pour la métaphysique aristotélicienne la morale naturelle ou philosophique existe et c’est d’elle que dérive l’éthique. En outre la contemplation peut se faire par des techniques humaines sans le secours de la Grâce (chose qui pour un chrétien est inadmissible); enfin la Religion est une tendance “sentimentale” ou de “dévotionalisme” à laquelle se rattache la morale, tandis que pour la théologie catholique la Religion n’est pas une pure émotion de la sensibilité mais une disposition de la volonté et de l’intelligence, par laquelle l’homme, connaissant qu’il existe un Principe premier, s’incline à vouloir lui rendre le culte qui lui est dû à cause de son excellence. A l’automne 1922 Guénon avait perdu tout espoir d’initier sa jeune amie, parce qu’il la jugeait incapable de recevoir la philosophie éternelle en dehors de la forme spécifiquement chrétienne. Collaboration de Guénon à la revue Regnabit En 1925 (août-septembre) Guénon publie un article intitulé Le Sacré-Cœur et la légende du Saint Graal, paru dans la revue Regnabit, dans le but de montrer le parfait accord de la Tradition catholique avec les autres formes de la Tradition universelle, c’est-à-dire l’unité transcendante et fondamentale de toutes les religions, sur la base homogène de la Tradition primitive. En 1925-26 dans trois articles successifs il formule l’hypothèse que les documents maçonniques antérieurs à 1717 (détruits par Anderson et Désaguliers) contenaient la formule de fidélité à Dieu, à l’Eglise et au Roi, et invite pour cette raison les lecteurs de Regnabit à voir l’origine catholique de la Maçonnerie originaire (!) et à combattre les tendances de la Maçonnerie actuelle religieuse mais philo-protestante dans les pays anglophones, et carrément antireli- 18 gieuse dans les pays latins. L’hostilité de certains milieux néo-scolastiques en 1927, empêche que Guénon continue d’écrire dans la revue Regnabit. Le Roi du Monde Au même moment où Regnabit publie son dernier article, Guénon écrit Le Christ, prêtre et roi, dans la revue Christ-Roi (maijuin 1927) et Le Roi du Monde, où «il développe le sujet en s’inspirant de la théorie des “états multiples de l’être”, elle-même apparentée à la théorie cabalistique des “intermédiaires célestes”» (25). Guénon y présente sa version du mystérieux centre initiatique “Agartha”, centre du monde à la fois réel et symbolique, souterrain et invisible où trônait le “Roi du Monde”. La théologie catholique voit dans le “Roi du Monde” guénonien le “Prince de ce Monde” dont nous parle l’Evangile et qui n’est autre que le diable. La Crise du Monde Moderne En 1927 Guénon publie La Crise du Monde Moderne, dans lequel il reprend le procès de la civilisation occidentale et réitère l’appel pour la constitution d’une “élite traditionnelle” sensibilisée à la véritable intellectualité toujours conservée en Orient qui, seul, pourra restituer à l’Occident sa tradition spécifique, une sorte de “Christianisme” revu et corrigé. L’erreur et la dégénérescence ont commencé en Occident, c’est pourquoi il est précisément obligé de se régénérer à la source des doctrines “métaphysiques” orientales. Autorité spirituelle et pouvoir temporel Dans ce livre Guénon affirme, en partie avec justesse (l’erreur absolue n’existe pas), que l’Autorité spirituelle (ou sacerdotale) est supérieure à l’Autorité temporelle (ou royale). Mais dans toute la Tradition catholique on considère Jésus-Christ comme le Seigneur de l’Univers, alors que Guénon «n’a jamais considéré la conception médiévale qui fait du Pape le Vicaire du Christ, et le titulaire du pouvoir temporel de manière directe ou indirecte» ( 26 ). Pie XI dans l’Encyclique Quas Primas affirme qu’il y a espérance de paix durable seulement si les individus et les Nations reconnaissent la Royauté sociale de Jésus-Christ. Lui seul, en tant que vrai Dieu et vrai homme, est notre suprême Roi et Seigneur, tant dans les choses spirituelles que dans les choses temporelles; cependant Il n’a pas voulu exercer le pouvoir dans ces dernières, les laissant à l’autorité temporelle, tandis qu’il a exercé le pouvoir spirituel. Avec son Ascension au Ciel Il a laissé sur cette terre un Vicaire qui Le remplacerait, le Pape, qui a le pouvoir dans les choses spirituelles et l’exerce; alors que dans les choses temporelles, comme le Christ, il ne veut pas l’exercer (sauf dans certains cas et lieux particuliers) et le laisse à l’Autorité temporelle. Mais cette dernière doit l’exercer pour le bien commun et de manière subordonnée à l’obtention de la fin dernière surnaturelle de l’homme. Au cas où l’Autorité temporelle abuse de son pouvoir, le Pape peut intervenir pour la rappeler à l’ordre et si elle ne se corrige pas il peut la destituer. Mais ce n’est pas du tout la conception de Guénon. «Pour l’Eglise catholique le Roi du monde est toujours et seulement le Christ. (...) Donc, nous sommes très loin de la conception de Guénon qui reconnaît dans le Roi du monde celui qui incarne le législateur primordial, et est le dépositaire de la Tradition primordiale. Guénon ramène à lui par une filiation symbolique l’orthodoxie traditionnelle du Catholicisme, et voit, plutôt, en lui une tradition légitime, mais toujours une parmi les nombreuses issues de la tradition primordiale toujours vivante. (...) Les visions de Guénon et de l’Eglise catholique sur le roi du monde sont nettement séparées» (27). En résumé, pour Guénon l’Autorité spirituelle est celle de Satan, supérieure à celle des rois temporels. Pour l’Eglise catholique l’Autorité spirituelle est le Christ et son Vicaire sur la terre, le Pontife Romain. Le livre de Guénon Autorité spirituelle et pouvoir temporel doit donc être vu à la lumière de ce qui a été dit sur le Roi du Monde et ses Supérieurs Inconnus. La triple épreuve de 1928, le départ pour Le Caire et la mort En janvier 1928 son épouse meurt de la méningite, et neuf mois après sa tante, Madame Duru, qui vivait avec eux. Guénon reste seul avec sa nièce de quatorze ans, Françoise Bélile, dont la mère, veuve et avec plusieurs enfants à charge, en réclame cependant le retour à la maison. «L’attachement profond à sa nièce et l’impossibilité où 19 Guénon se trouvait d’assumer seul sa vie matérielle eurent pour effet de déclencher chez lui les plus vives réactions» (28). En 1928 il traverse une série d’épreuves qui le secouent; il fait transmettre par ses amis une demande en mariage qui n’est pas reçue et suite à ce refus, il noue une relation avec Madame Dina, née Marie W. Shillito, fille du roi des chemins de fer canadiens et veuve du richissime Hassan Farid Dina, ingénieur égyptien, qui portait un certain intérêt aux questions occultes. Admiratrice enthousiaste de Guénon, elle offre de mettre sa fortune au service de la cause de l’ésotérisme “traditionnel”. Entre les Pyramides et la Mecque Le 5 mars 1930, Guénon part pour Le Caire avec Madame Dina, mais après seulement trois mois sa mécène revient en France et peu après épouse l’occultiste Ernest Britt, membre d’un groupe qui lui est hostile. En Egypte, Guénon, qui déjà depuis 1912 se fait appeler par les initiés Sheik Abdel Wâhed Yahia, mène une vie modeste et discrète et passe même exotériquement à l’Islam: sa conversion se rattache à une intention secrète dont il n’a jamais laissé de trace écrite; d’autre part donnant une grande importance aux rites de la “tradition” exotérique, il respectera toujours scrupuleusement son exotérisme islamique. Son apostasie s’explique plutôt par une raison de convenance spirituelle que comme une véritable conversion, puisque pour lui toutes les formes traditionnelles sont équivalentes. L’Islam lui apparaît comme une charnière entre Orient et Occident; il a le mérite de paraître (superficiellement) conciliable avec le Christianisme, puisqu’il respecte Jésus-Christ comme un prophète (mais en nie la divinité). C’est la raison pour laquelle pour le guénonien on peut devenir musulman et prétendre rester chrétien. Pour Guénon, l’Islam au XXème siècle aurait dû jouer le rôle que la Maçonnerie avait joué au XVIIIème: être le refuge des chrétiens qui voulaient se soustraire à la discipline hiérarchique de l’Eglise, tout en maintenant quelque lien avec un vague (et faux) mysticisme et avec une “tradition” impure et “primordiale”. Pendant ce temps Guénon apprend la langue arabe et dès 1931 publie une série d’articles en arabe et fréquente les réunions du Sheikh Salâma Radi. En juillet 1934 il épouse la jeune Fatma Hanem Ibrahim, qui lui don- nera quatre enfants, dont le dernier naîtra en 1951 après sa mort. En 1939 «un richissime juif anglais passé à l’Islam, son admirateur, lui offrit une villa bourgeoisement meublée» (29). Le 7 janvier 1951 en dépit des soins prodigués par son ami juif, le docteur Katz, il meurt en prononçant deux fois le nom de Allah. Peut-on être guénoniens et catholiques? (30) Guénon exerce une influence indéniable et, hélas parfois très profonde, même dans les milieux liés à la Tradition catholique (31). Au cours de l’article on a vu que la question s’est posée déjà durant sa vie puisqu’il collabora à des revues catholiques et monarchistes de tendance antimaçonnique et traditionnelle. Il y eut cependant très vite la réaction de catholiques intégraux (la R.I.S.S.) qui obligèrent Guénon à battre en retraite en Egypte (non sans avoir fait auparavant différents dégâts). Aujourd’hui beaucoup de guénoniens, comme l’admet également la revue Le sel de la terre des Dominicains d’Avrillé, se sont infiltrés dans les milieux de la Fraternité Saint Pie X de Mgr Lefebvre (32), et dans un prochain article je compte aborder ce sujet que j’ai pu constater en personne. Cependant il y a une radicale inconciliabilité entre guénonisme (et toute forme d’ésotérisme en général) et Catholicisme; ce n’est pas pour rien que Guénon se présente comme un auteur “spirituel”, apporteur d’une sagesse orientale supérieure même à celle de l’Eglise catholique! Il méprise l’idée de salut ou de damnation éternelle, propre au Catholicisme et se fait le champion d’une Gnose ou “métaphysique” qui conduit à l’identification suprême avec l’Absolu indifférencié (que le lecteur remarque comment les initiés doivent cacher par des grands mots, comme derrière un rideau de fumée, la nullité de leur spiritualité!). La nature de la spiritualité guénonienne Pour voir de plus près en quoi consiste la spiritualité guénonienne je me fonde sur l’intéressant article d’Antoine de Motreff, un ex-guénonien converti au Catholicisme (33), d’après qui la voie spirituelle proposée par Guénon, comprend trois conditions qui forment comme trois étapes. Pour Guénon: «l’initiation implique trois conditions en mode successif...: 1°) la qualification, constituée par certaines possibilités inhérentes à la chose extérieure... elle est une aspiration de l’être vers l’Universel, afin d’obtenir... une illumination intérieure... Le but final à atteindre est toujours la réalisation en soi de l’“Homme Universel”» (35). «Un des buts avoués de René Guénon est de permettre aux francs-maçons (qui transmettent encore l’initiation virtuelle) de parvenir à l’initiation effective» (36). Nécessité d’être liés à une organisation initiatique Guénon entre Cuttat et Burckhardt au Caire vers la fin de 1940 nature propre de l’individu, et qui sont la materia prima sur laquelle le travail initiatique devra s’effectuer; 2°) la transmission, par le moyen du rattachement à une organisation traditionnelle, d’une influence spirituelle donnant à l’être l’“illumination” qui lui permettra d’ordonner et de développer ces possibilités qu’il porte en lui; 3°) le travail intérieur par lequel, avec le secours d’“adjuvants” ou de “supports” extérieurs..., ce développement sera réalisé graduellement, faisant passer l’être... pour le conduire au but final de la “Délivrance” ou de l’“Identité Suprême”» (34). En résumé, dans la première étape il y a une différence profonde entre la Mystique chrétienne, qui est passive et l’Initiation qui est active et dans la seconde, qui est la plus importante, on reçoit l’influence spirituelle lors de l’initiation. Il pourrait arriver que les organisations initiatiques, par suite d’une dégénérescence, ne puissent plus conférer qu’une initiation virtuelle, toutefois elles continueront d’être le support de cette influence spirituelle et le travail initiatique pourra toujours être accompli. L’important est que la chaîne ne soit pas interrompue. Dans l’initiation il y a aussi transmission d’un enseignement, mais la transmission de l’influence spirituelle reste l’élément principal. En troisième lieu vient l’initiation effective et pour y arriver il faut la méditation des symboles. Un autre moyen pour progresser vers l’initiation effective est l’incantation, bien distincte de la prière: en effet elle «n’est point une demande, et même elle ne suppose l’existence d’aucune «L’initiation proprement dite consiste essentiellement en la transmission d’une influence spirituelle, transmission qui ne peut s’effectuer que par le moyen d’une organisation traditionnelle régulière, de telle sorte qu’on ne saurait parler d’initiation en dehors du rattachement à une telle organisation» (37). Mais quelles sont les organisations initiatiques encore valables en Europe aujourd’hui? Selon Guénon il en reste deux: la franc-maçonnerie et le compagnonnage: «De toutes les organisations à prétentions initiatiques qui sont répandues actuellement dans le monde occidental, il n’en est que deux qui, ...peuvent revendiquer une origine traditionnelle authentique et une transmission initiatique réelle; ces deux organisations... n’en furent primitivement qu’une seule, ce sont le Compagnonnage et la Maçonnerie» (38). Par l’intermédiaire de la chaîne initiatique, l’initié reçoit une influence spirituelle dont l’origine est “non humaine”. «L’individu qui confère l’initiation... est uniquement un anneau de la “chaîne” dont le point de départ est en dehors et au-delà de l’humanité» (39). L’influence spirituelle n’a rien de magique, dans la mesure où pour Guénon l’initiation se réalise à un niveau spirituel supérieur à celui de la magie, qui au contraire se réalise au niveau animal ou psychique. C’est pourquoi Guénon méprise ceux qui recherchent des pouvoirs magiques, défaut des Occidentaux trop attachés aux phénomènes. La magie nous laisse à l’état individuel, tandis que l’initiation nous fait passer de l’individualité à l’Universel. Mais l’initié doit prendre peu à peu conscience de cette influence spirituelle, et en cela la voie initiatique est différente de la voie religieuse: «Dans le domaine exotérique, il n’y a aucun inconvénient à ce que l’influence reçue ne soit jamais perçue consciemment..., puisqu’il ne s’agit pas là d’obtenir un déve- 21 loppement spirituel effectif; par contre, il devrait en être tout autrement quand il s’agit de l’initiation, et, par suite du travail intérieur accompli par l’initié, les effets de cette influence devraient être ressentis ultérieurement, ce qui constitue le passage à l’initiation effective» (40). La Religion, pour Guénon, vise à nous assurer le Salut éternel et donc nous maintient dans l’état individuel humain; tandis que l’initiation est absolument supérieure, puisqu’elle tend à nous faire atteindre l’Identité Suprême avec l’Absolu inconditionné ou la Réalisation, ce qui suppose le dépassement de l’état individuel et la prise de possession des états supérieurs à l’état humain. Et il ne s’agit pas seulement d’entrer en communication avec ces états supérieurs, mais carrément d’en prendre possession (41). Ainsi, même l’union transformante de la troisième voie des parfaits (la Mystique) est inférieure à la Délivrance qui est le but de l’initiation (42). C’est pourquoi la finalité de la voie ésotérique est bien supérieure à celle de la voie religieuse ou exotérique, et le Paradis chrétien pour l’initié apparaît comme trop étroit, presque comme une prison (43). Il n’est pas possible de suivre la voie initiatique sans se rattacher à un Exotérisme «Ce point est très important et il est souvent peu connu. Pour René Guénon il n’est pas question de s’en tenir purement et simplement à la voie initiatique. Il faut en même temps pratiquer un exotérisme, ce qui se traduira... par une pratique religieuse. Guénon lui-même pratiqua dans les dernières années de sa vie la religion musulmane» (44). Il affirme en effet: «Il est admissible qu’un exotériste ignore l’ésotérisme... mais, par contre, il ne l’est pas que quiconque a des prétentions à l’ésotérisme veuille ignorer l’exotérisme, car le “plus” doit forcément comprendre le “moins”» (45). Et c’est pourquoi les guénoniens s’infiltrent même dans les milieux catholiques traditionalistes. L’influence spirituelle n’est pas une grâce gratuite qui vient de Dieu Si l’influence spirituelle n’est pas une grâce qui vient de Dieu, ou bien elle est le produit de l’auto-suggestion, ou bien elle est une influence qui vient d’un Ange. En effet au-dessus de l’homme il n’y a que Dieu ou les Anges. «La première solution est toujours possible en théorie, et on peut souhaiter en effet que beaucoup de ceux qui se soumettent à la cérémonie de l’initiation ne reçoivent rien du tout. Mais il est quand même beaucoup plus probable que, ...le récipiendaire reçoive effectivement une “influence spirituelle d’origine non humaine”. C’est l’avis des meilleurs connaisseurs de la franc-maçonnerie, comme Charles Nicoullaud, auteur de L’initiation maçonnique, (Perrin, Paris 1931), préfacé par Mgr Jouin: “Ces faits extraordinaires [la présence sentie de Satan] sont le triste privilège de quelques-uns. Et ceux-là sont les supérieurs inconnus, comme on disait au dix-huitième siècle, de la secte. Agents directs de Satan, ils demeurent ses instruments, et c’est par eux qu’il pénètre et influe ses volontés mauvaises et destructrices dans le sein des sociétés secrètes. Ce sont les prêtres de la ContreEglise. L’Eglise de Jésus-Christ a ses saints, Satan... le singe de Dieu, a ses initiés” (p. 145)... On objectera que cette influence spirituelle pourrait provenir d’un bon ange... Mais les bons anges sont les ministres de Dieu... S’ils agissent sur les hommes, c’est pour les conduire à Notre-Seigneur et à son Eglise. Or la lutte contre l’Eglise est une constante de la franc-maçonnerie... et le cas de Guénon nous a montré que l’initiation, loin de le conduire à mieux connaître la sainte Trinité, Notre-Seigneur Jésus-Christ et son Eglise, l’avait conduit à une sorte d’hébétude intellectuelle à leur égard [et à l’Apostasie, n.d.a.]» (46). La cause de l’Apostasie de Guénon St Thomas enseigne que «L’infidélité tire son origine de l’orgueil» (47). C’est le plus grave des péchés après la haine de Dieu. La vraie raison d’un choix erroné par rapport à la fin dernière, doit donc être recherchée dans les œuvres mauvaises, dans la vie, dans l’acte de la volonté qui peut être même seulement intérieur, par exemple l’orgueil intellectuel. Les œuvres mauvaises ne sont pas uniquement l’immoralité grossière, mais même l’immoralité subtile: l’exaltation de son propre “Moi”, la recherche de la gloire humaine et de l’honneur du monde. Comme le voleur fuit la lumière et aime les ténèbres pour pouvoir agir sans être dérangé, ainsi l’orgueilleux hait la lumière, la doctrine pu- 22 blique et aime les ténèbres, la doctrine et la pratique ésotérique. Les ténèbres servent à couvrir sa doctrine infernale et sa conduite perverse; il hait la lumière parce qu’elle démasquerait sa perversité intérieure et cachée! On peut donc conclure que la vie mauvaise est la cause de toute incrédulité et surtout de celle des hérésiarques et des “grands initiés”, ce que fut certainement René Guénon. Comme le diable est devenu un Ange déchu par sa mauvaise volonté (avec laquelle il a préféré s’affirmer lui-même, bien qu’en se damnant, que de se soumettre à la volonté de Dieu qui lui demandait un acte d’obéissance et d’humilité), de même le “grand initié” a préféré refuser la doctrine publique de Jésus, pour pouvoir se complaire dans son obscure et confuse “tradition primordiale et commune qui se perd dans la nuit des temps...” et qui gratifie tellement son orgueil qu’il peut être appelé: Maître! Alors que Jésus nous a avertis: “Ne veuillez pas être appelés maîtres; car un un seul est votre Maître... votre Père lequel est dans les cieux” (Matth. XXIII, 8-9). Le démon peut-il influer sur l’homme? Selon St Thomas et les théologiens catholiques le démon ne peut agir directement sur l’intelligence et la volonté de l’homme, mais seulement sur les sens extérieurs et intérieurs (mémoire et imagination) et au moyen des sens il peut chercher à influer indirectement sur l’intelligence et la volonté (48). La cérémonie de l’initiation pourrait très bien être le point de départ de cette action diabolique. «Dieu laisse au démon une certaine liberté d’agir dans ces cérémonies à cause de leur caractère superstitieux: il y a une invocation au moins implicite du démon chaque fois qu’on attend un effet spirituel d’une cause qui en soi ne peut la produire... Ces cérémonies n’agissent que dans la mesure où Dieu le permet, en punition du péché de superstition. (...) Le fait de se rattacher à une organisation initiatique régulière rend le péché de superstition encore plus caractéristique... Mais rien n’empêche le démon d’agir aussi en l’absence de cette chaîne [initiatique, n.d.a.]... l’initiation, procure une “ambiance” favorable à l’activité du démon» (49). Concluons cet article par les mots d’Antoine de Motreff qui expliquent bien les dangers qui font que: «L’analyse que René Guénon fait de l’initiation est en partie exacte: l’initiation peut bien conférer une influen- ce spirituelle d’origine non humaine, car elle constitue un pacte (au moins implicite) avec le démon. Cette influence s’exerce sur l’imagination... Il y a donc une sorte d’illumination démoniaque... qui peut permettre à l’initié de connaître certaines choses qu’il ne pourrait connaître naturellement. Toutefois cette connaissance aura pour effet de l’éloigner de Dieu, de Notre-Seigneur JésusChrist et de son Eglise... D’un point de vue moral, une telle initiation constitue un péché mortel contre la vertu de religion» (50). Notes 1) J.-A. CUTTAT, in Annuaire de l’E.P.H.E., (Vème Section: Sciences religieuses), 1958-1959, p. 68. 2) M.-F. JAMES, Esotérisme et Christianisme autour de René Guénon, Nouvelles Editions Latines, Paris 1981, p. 17. Dans le présent article je me base substantiellement sur le très bon livre de Mme James (auquel je renvoie le lecteur désireux d’approfondir le sujet) et je le complète par différentes autres études et par la lecture des principales œuvres de Guénon. 3) Le rapport qui unit Guénon à une penseuse juive que l’on essaye de présenter comme très près de la conversion au Catholicisme, Simone Weil, est symptomatique. En réalité dans sa pensée on retrouve plusieurs éléments de la Cabale impure et du système talmudique. «Elle n’a probablement pas connu Guénon, à qui elle ne fait jamais référence, mais certaines de ses notes, réflexions et méditations se rattachent singulièrement à la pensée de Guénon, et un livre comme Lettre à un religieux prouve que la jeune philosophe considérait au moins comme probables beaucoup de choses que Guénon considérait comme certaines» (P. Sérant, René Guénon. La vita e l’opera di un grande iniziato, Convivio, Firenze 1990, p. 29). Le religieux qui répondit à la lettre de S. Weil fut le Père Guérard des Lauriers o.p., qui écrivit qu’étant donné les affirmations de S. Weil on n’aurait pu lui accorder ni le Baptême ni l’absolution! 4) M.-F. JAMES, op. cit., p. 29. 5) P. CHACORNAC, La vie simple de René Guénon, éd. traditionnelles, Paris 1958, p. 24. 6) M.-F. JAMES, op. cit., pp. 44-45. 7) Ibid., p. 46. 8) Ibid., p. 100. 9) Cf. A. BAGGIO, René Guénon e il Cristianesimo, in «Nuova Realtà», 1987, p. 39. 10) N. MAURICE-DENIS BOULET, L’ésotériste René Guénon, in “La Pensée Catholique”, 77, 1962, p. 23. 11) M.-F. JAMES, Esotérisme, Occultisme, Francmaçonnerie et Christianisme aux XIXè et XXè siècles, Nouvelles Editions Latines, Paris 1981, pp. 156-157. 12) Ibid., p. 158. 13) Cf. S AUVETRE , Un bon serviteur de l’Eglise. Monseigneur Jouin, Casterman, Paris 1936. 14) Ivi. 15) E. JOUIN, Les fidèles de la Contre-Eglise: Juifs et Maçons, p. 139. 16) Jn VIII, 32. 17) A la fin du XIXème siècle, durant le pontificat de Léon XIII, un certain Léo Taxil sortit de la FrancMaçonnerie et en révéla les rites secrets et les cérémonies sataniques dans un livre qui fit beaucoup de bruit et 23 fut souvent cité dans les milieux catholiques antimaçons. Par la suite, ou parce qu’il avait effectivement menti ou à cause des menaces reçues, Léo Taxil rétracta tout, jetant ainsi le discrédit sur les milieux catholiques qui l’avaient cru. Il faut cependant ajouter que des auteurs sérieux comme Mgr Antonino Romeo et le Professeur Giovanni Vannoni affirment que Taxil s’était réellement converti, mais qu’à cause des menaces de mort de la part des francs-maçons, il avait dû rétracter ses révélations; le cas Taxil prête encore à discussions. 18) M.-F. JAMES, Esotérisme et Christianisme, p. 127. 19) P. SÉRANT, René Guénon. La vita e le opere di un grande iniziato, Convivio, Firenze 1990, p. 14. 20) Ivi, p. 198. 21) Pour les références des articles cités cf. M.-F. James, op. cit. pp. 132-162. 22) Lettre de H. de Lubac à N. Maurice-Denis Boulet, 31 déc. 1962. Inédite. 23) N. MAURICE-DENIS, “Les Doctrines Hindoues”, La Revue universelle, 15 juillet 1921, p. 246. 24) P. SÉRANT, René Guénon. La vita e le opere di un grande iniziato, Convivio, Firenze 1990, p. 100. 25) M.-F. JAMES, op. cit., p. 277. 26) P. DI VONA, Evola Guénon De Giorgio, SeaR, Borzano (RE) 1993, p. 191. 27) Ibid., pp. 195-196. 28) M.-F. JAMES, Esotérisme et Christianisme, p. 295. 29) Ibid., p. 303. 30) L. MÉROZ, René Guénon ou la sagesse initiatique, Plon, 1962. 31) E. VATRÉ, La droite du Père. Enquête sur la Tradition catholique aujourd’hui, Guy Trédaniel, 1994. 32) Le sel de la terre, n° 13, été 1995, pp. 34-35. 33) A NTOINE DE M OTREFF , Qui a inspiré René Guénon? in Le sel de la terre, n° 13, été 1995, pp. 33-64. 34) R. GUÉNON, Aperçus sur l’initiation, Villain et Belhomme-éd. traditionnelles, Paris 1973, p. 34. 35) Ibid., p. 169. 36) A. DE MOTREFF, op. cit., p. 42. 37) R. Guénon, op. cit., p. 53. 38) Ibid., p. 41. 39) Ibid., p. 58. 40) R. Guénon, Initiation et réalisation spirituelle, Villain et Belhomme-éd. traditionnelles, Paris 1974, pp. 48-49. 41) Cf. Aperçus sur l’Initiation, pp. 27-28. 42) Cf. Initiation et réalisation spirituelle, pp. 81-82. 43) Ibid., pp. 78-79. 44) A. DE MOTREFF, op. cit., p. 48. 45) Cf. Initiation et réalisation spirituelle, p. 71. 46) A. DE MOTREFF, op. cit., pp. 55-58. 47) S. T. II-II, q. 10, a. 1, ad 3um. 48) S. T. II-II, q. 10, a. 3 in corpore. II-II q. 96, a. 1. II-II q. 97, a. 1. I q. 114. II-II q. 165 a. 1. 49) A. DE MOTREFF, op. cit., p. 61. 50) Ibid., p. 63. “Le Pape du Concile” XXIIEME PARTIE: “LA LUTTE POUR LE CONCILE DURANT LA PRÉPARATION”; JEAN XXIII ENTRE BEA ET OTTAVIANI Par M. l’abbé Francesco Ricossa D ans cette XXIIème partie, nous poursuivrons la relation de la “lutte pour le concile durant la préparation”, lutte entre “les théologiens romains”, groupés symboliquement derrière le cardinal Ottaviani (de la Commission théologique), et les “théologiens œcuménistes” représentés par le cardinal Bea (du Secrétariat pour l’Unité des Chrétiens). Nous avions analysé les documents “de moindre importance”; venons-en maintenant aux principaux schémas préparés par la Commission théologique et combattus par le Secrétariat pour l’Unité des Chrétiens. Voici comment Joseph Komonchak (1) expose l’état de la question: “Quoiqu’il en soit, ce rapport généralement glacé [entre la Commission théologique et le Secrétariat] se fit plus froid encore à propos de deux sujets centraux pour la détermination du but du concile, et sur lesquels les deux organismes entrèrent en un conflit ouvert préfigurant le drame de la première période du concile. Le premier concernait la réception et la communication de la parole de Dieu, le second la nature et la mission de l’Eglise. Sur ces importantes questions les deux organismes préparèrent des textes complètement différents par des procédés différents; avec, au fond, des prémisses complètement différentes sur la nature et le but du concile. Jamais à aucun autre moment il ne fut aussi clair que l’histoire de la phase préparatoire n’était pas seulement une partie de bras de fer institutionnelle, mais également une lutte sur la définition de la nature et de la mission de l’église dans le monde moderne”. Premier conflit: le schéma sur les “sources de la Révélation” (2) De notoriété publique, c’est surtout dans les domaines biblique et exégétique que naquit et que se déchaîna le modernisme du début de ce siècle. Le néo-modernisme suivit le même cheminement. La Commission 24 théologique devait lui barrer la route. Le schéma fut confié à Mgr Garofalo. “Les deux principaux centres d’études bibliques [progressistes] de l’époque, l’Institut Biblique Pontifical et l’École biblique de Jérusalem n’étaient pas représentés à la Commisssion théologique et il ne s’y trouvait pas d’exégètes allemands. La sous-commission allait commencer son travail, lorsque Garofalo demanda que E. Vogt et le Père Benoît y soient admis (...) en tant que consulteurs, mais Ottaviani déclara à Tromp que c’était aux cardinaux du Saint-Office à prendre la décision (...). La nomination de Vogt ne parvint que le 1er mars [1961; les travaux ayant commencé, eux, en octobre 1960] comme un signe de la confiance du pape dans l’Institut Biblique; quant à Benoît, il ne fut jamais nommé du fait de l’hostilité du Saint-Office à son endroit (...)” (p. 293, n. 400). Le schéma s’orienta donc sur des bases solidement traditionnelles, se fondant sur les vota des évêques, sur celui de la Congrégation pour les Séminaires (qui “dénonçait l’abus fait par les catholiques de l’idée de genre littéraire, abus indubitablement influencé par les études protestantes et par la Formgeschichte; ces catholiques mettaient en discussion l’historicité des Evangiles au point de faire craindre un retour au modernisme”) (p. 292, n. 397) et sur le votum du Saint-Office (qui revenait sur “la nécessité de la tradition comme seconde source indispensable à la connaissance des vérités qui ne se trouvent pas dans les écritures”, p. 292). C’est sur ces deux points (historicité des Evangiles et nécessité de la tradition) qu’eurent lieu les principaux conflits entre la Commission théologique d’Ottaviani et le Secrétariat de Bea. A) Ecriture et Tradition. “Dans la dernière moitié des années 50, un débat avait éclaté entre théologiens catholiques sur la question, délicate d’un point de vue œcuménique, de la suffisance matérielle de l’écriture sainte; autrement dit il s’agissait de savoir si toute la révélation est en quelque manière contenue dans l’Ecriture Sainte ou si certaines vérités révélées se trouvent seulement dans la tradition. Ce point tournait en partie autour de l’interprétation du décret du Concile de Trente relatif à cette question (3); selon certains théologiens, le concile avait mis fin une fois pour toutes à cette question, tandis que pour d’autres il l’avait laissée ouverte [Geiselmann, Beumer, Congar]” (pp. 293-294). Le schéma de la Commission théologique condamnait ouvertement la thèse de Congar: “L’Ecriture sainte n’est pas la seule source de la Révélation contenue dans le Dépôt de la Foi. En effet, outre la Tradition divine expliquant la Sainte Ecriture, on a aussi la Tradition divine des vérités qui ne sont pas contenues dans l’Ecriture sainte” (p. 294). A ce texte, le Secrétariat de Bea réagit avec huit vota élaborés par J. Feiner (une seule dissension, celle de C. Boyer); ces vota “représentent une répudiation formelle de l’esprit et des positions du schéma De fontibus de la Commission Théologique” (p. 296). Selon Bea “la question était encore controversée” en dépit du décret du Concile de Trente. Vatican II devait par conséquent éviter de condamner l’opinion selon laquelle toutes les vérités révélées sont contenues dans la seule Ecriture sainte. La Tradition ne devait pas être présentée comme une source indépendante de la Sainte Ecriture, mais “comme un processus vivant par lequel l’Esprit guide l’Eglise” (p. 296). Comment le Secrétariat put-il s’occuper d’un texte déjà élaboré par une autre Commission? C’est évident: il avait, de par son but institutionnel, à “traiter le sujet d’un point de vue œcuménique” (p. 295), et il ne devait pas heurter les protestants pour lesquels existe seulement l’Ecriture sainte. Dût-il aller jusqu’à démentir le concile de Trente! B) L’interprétation biblique et les genres littéraires. La Commission théologique avait aussi pour but la condamnation des “opinions erronées ou imprudentes” sur l’historicité des Evangiles, théories “qui étaient diffusées” dans les écoles catholiques (p. 297). De qui il s’agissait, la polémique extrêmement violente qui avait éclaté suite à un article de Mgr Antonino Romeo (4) dans la revue Divinitas, le montrait de façon évidente. J’ai déjà parlé de cet épisode symbolique dans un précédent article (5); j’y reviens maintenant pour ajouter aux témoignages déjà cités de Spadafora et de Schmidt, la présentation des faits par Komonchak, qui les insère dans le cadre de la préparation à Vatican II. Selon Komonchak, Romeo “prit à parti l’Institut Biblique luimême l’accusant d’avoir abandonné les positions du magistère et de participer pratiquement à ce que l’intransigeance de Romeo voyait comme une vaste campagne pour substituer à la foi de l’Eglise une nouvelle conception du christianisme inspirée de Teilhard de Chardin et imbue de maçonnerie” (pp. 297298). En réalité, l’intervention de Romeo ne 25 Le cardinal Ottaviani tombait pas comme un coup de tonnerre dans un ciel serein... Elle entendait répondre - je le rappelle - à un article du père jésuite Alonso Schöchel de l’Institut Biblique (Dove va l’esegesi cattolica? [Où va l’exégèse catholique?] paru dans La Civiltà Cattolica le 3 septembre 1960), et elle réagissait aux erreurs diffusées à pleines mains par des exégètes de cette institution tels que les Pères Lyonnet et Zerwick. “La réponse du Biblique fut immédiate et énergique”, avec un article de réplique intitulé Pontificium Institutum Biblicum et recens libellus R.mi D.ni A. Romeo. Face aux graves accusations et contre-accusations réciproques entre le Biblique et Mgr Romeo (dont la personne mettait en cause l’Université du Latran de Mgr Piolanti et la Congrégation des Séminaires de Mgr Pizzardo), comment réagirent les autorités de l’Eglise? Très différemment - il faut le dire - selon qu’on considère le SaintOffice ou Jean XXIII. Pour ce qui est du Saint-Office, il commença par interdire la diffusion des deux articles (celui de Romeo et la réponse du Biblique). La décision, apparemment impartiale, du Saint-Office, était en réalité favorable à Romeo, comme l’observa amèrement le Père Vogt, recteur du Biblique, “L’article de Mgr Romeo a été largement diffusé dès sa publication, sept semaines durant, et en toute liberté. Mais à peine une simple rectification était-elle publiée par nous que la vente des extraits respectifs fut interdite (c’est vrai, pour les deux partis). Mais par la suite d’autres violents articles furent publiés contre nous, et ce sans aucun empêchement. Nous n’avons pas répondu, pour ne pas descendre au même niveau (sic), pour éviter une controverse formelle, pour ne pas nous exposer à une nouvelle interdiction” (p. 298, n. 416). Peu après, “le Saint-Office publiait un texte généralement interprété comme une réponse à la controverse: le monitum, du 20 juin 1961; ce texte critiquait ceux qui mettent en discussion l’historicité des Saintes Ecritures et rappelait que, dans l’interprétation de la Bible, les catholiques doivent suivre le magistère. Cinq jours plus tard était annoncée la mise à l’Index du livre de Jean Steinmann, La vie de Jésus. La campagne se poursuivit les mois suivants. [Le Cardinal] Ruffini entra publiquement en lice avec un article dans L’Osservatore Romano [du 24 août 1961: Genere letterari e ipotesi di lavoro nei recenti studi biblici ; Genres littéraires et hypothèses de travail dans les études bibliques récentes], critiquant, d’une manière qui semblait répudier Divino afflante Spiritu [dans l’interprétation arbitraire qu’en donnaient les néo-modernistes], la référence aux genres littéraires dans l’interprétation de la Bible...” (p. 299). Les défenseurs de l’orthodoxie cherchèrent aussi à éloigner de l’enseignement les exégètes néo-modernistes dénoncés par Romeo; en 1962 fut obtenue la destitution des jésuites Lyonnet et Zerwick, mais c’est en vain que le cardinal Ottaviani demanda au cardinal Spellman celle d’un autre exégète dénoncé par Romeo, Myles M. Bourke, du séminaire de New York. Quel fut le comportement de Jean XXIII face au débat ouvert par l’article de Mgr Romeo? Nous avons déjà rapporté dans la XIIème partie, les dures paroles de Roncalli contre Romeo et Spadafora. Jean XXIII “avait téléphoné au directeur de La Civiltà Cattolica pour l’informer lui et le recteur du Biblique qu’il avait lu l’article de Romeo ‘avec déplaisir et dégoût’. Le 2 mars L’Osservatore Romano annonçait qu’E. Vogt, recteur de l’Institut Biblique Pontifical, était nommé à la commission théologique”; “le même Vogt interpréta le geste du pape comme ‘showing that His confidence in the Biblical was unshaken’ [une preuve 26 que Sa confiance dans le Biblique demeurait inchangée], (lettre à R. Murphy du 25 mars 1961). Tromp nota dans son journal (1-2 février 1961) que ni Ottaviani ni lui ne savaient rien de la nomination et que Felici lui avait expliqué que Vogt avait été nommé par désir exprès du pape” (p. 299 et n. 419). Même comportement pour le protégé du cardinal Spellman: “un an après [la demande de destitution par le cardinal Ottaviani] nonobstant les objections du délégué apostolique, de la congrégation pour les séminaires et les universités et du Saint-Office, Bourke fut nommé camérier secret du pape” (p. 300, n. 425). Pourtant, même un personnage proche de Jean XXIII, Mgr Dell’Acqua, admit que ça n’est “pas à tort” que ceux du Biblique étaient accusés de déviationnisme et d’être à moitié hérétiques (quoique seulement “sous certains aspects”) (n. 426). Mais en 1961 Jean XXIII ne désavouait pas le Roncalli de sa jeunesse: rappelons l’épisode de 1911, lorsque, pour le compte de l’Evêque de Bergame, don Roncalli avait dû faire une relation de la conférence du Père Mattiussi sur la lutte contre le modernisme (6). Si pour Romeo, en 1961, il éprouva “du dégoût”, pour Mattiussi, en 1911, il avait éprouvé de la “répugnance”; la défense de la foi, la dénonciation de l’erreur, la condamnation de ceux qui errent a toujours donné du dégoût et répugné à Angelo Giuseppe Roncalli! Et pourtant, l’objet du litige était d’importance: la véridicité même de l’Ecriture sainte! Le schéma préparé par la Commission théologique, qui “avait ouvertement pris fait et cause pour un parti dans la controverse publique” (p. 302), autrement dit s’était rangé du côté de Mgr Romeo, “condamne nettement les erreurs qui quovis de modo et quovis de causa, nient ou affaiblissent la vérité objective des événement de la vie du Christ (...). A propos de l’enseignement du Christ, le texte condamne les opinions selon lesquelles les paroles attribuées par les évangiles à Jésus-Christ (...) ne seraient pas de lui ou reflèteraient plus la conscience de l’église primitive que l’esprit et les paroles du Christ même” (p. 301) (7). Pourtant, face à la gravité de la situation, non seulement Jean XXIII ne soutint pas les initiatives de la Commission théologique, mais il permit que le Secrétariat pour l’Unité des Chrétiens présente, dans cette matière également, un “contre-schéma”. “... le secré- tariat pour l’unité des chrétiens, une fois devenu conscient de l’absence totale de sensibilité œcuménique de la commission théologique, se sentit finalement obligé de réaliser des textes qui représentent un défi clair et explicite aux prétentions de la commission théologique à l’exclusivité de compétence sur la doctrine” (p. 304-305). En effet, “la commission théologique considérait que le secrétariat pour l’unité des chrétiens de Bea n’avait aucun droit de rédiger des schémas” (p. 291); par les faits, le Secrétariat démontrait qu’il pensait tout autrement. Second conflit: le schéma sur l’Eglise (8) L’un des buts principaux de Vatican II devait être “l’achèvement de la constitution De ecclesia de Vatican I” (p. 305). “Tout comme le De fontibus, le texte sur l’Eglise affrontait des problèmes de grand intérêt œcuménique, mais cette fois encore la commission théologique manœuvra avec une souveraine indépendance vis-à-vis du Secrétariat pour l’Unité des Chrétiens. Toutes les requêtes du Secrétariat pour l’Unité des Chrétiens en vue de la formation d’une commission mixte furent repoussées par Ottaviani et Tromp parce que le Secrétariat pour l’Unité des Chrétiens n’était pas une commission et qu’une commission mixte aurait compromis l’indépendance de la commission théologique” (p. 307). Voyons ensemble les points de plus grande divergence. A) Nature de l’Eglise. Ses membres. Le schéma de la Commission théologique reprenait le magistère de Pie XII contre les erreurs contemporaines: “tout dans les premiers paragraphes est orienté de façon à préparer la conclusion du chapitre: l’identification de l’église catholique avec le corps mystique enseignée par Pie XII dans Mystici Corporis et Humani generis”; “seule ‘l’Eglise’ catholique romaine était à bon droit appelée l’Eglise” (pp. 308-309). Cependant, comme si l’enseignement de Pie XII n’était pas contraignant, mais constituait seulement une opinion personnelle et dépassée, le secrétariat de Bea avait confié à Mgr Jaeger (9) un “contre-schéma” qui insistait sur le concept de peuple de Dieu et sur les “dimensions invisibles de l’Eglise qui, selon les protestants, sont négligées par les catholiques” (p. 310). De la diversité du concept d’Eglise dépend la diversité de position sur qui est et qui n’est pas membre de 27 l’Eglise (10). “Ce thème faisait l’objet d’une grande attention dans les deux organismes préparatoires. Tromp l’inclut dans son schema compendiosum sur les fausses interprétations de Mystici Corporis, ‘in primis in septentrionalibus’ [lui-même était hollandais, et ‘connaissait son monde’]. Dans le même temps le Secrétariat pour l’Unité des Chrétiens institua une sous-commission pour discuter la question du rapport des baptisés non-catholiques avec l’église: ‘membra Ecclesiæ: quo sensu?’. La discussion du thème s’ouvrit publiquement lorsque, peu après la création du Secrétariat pour l’Unité des Chrétiens, Bea commença à soutenir qu’en vertu de leur baptême les non-catholiques étaient membres du corps mystique. Dans son journal [à partir du 1er octobre 1960] Tromp prit note des discours dans lesquels Bea avait exposé cette thèse et discuta du problème avec Ottaviani et Parente; ces deux derniers recommandèrent la prudence, parce que l’on disait que les observations de Bea étaient proches des opinions du pape Jean. La question fut chaudement débattue par les deux organismes préparatoires aux sessions plénières de février 1961. (...) Bea fit observer que Mystici Corporis était trop générique dans l’expression de sa position et que le langage biblique et patristique aurait été plus utile” (p. 311)... pour contourner et ensevelir l’encyclique du Pape Pacelli! “Lorsqu’après les réunions de février, Willebrands renouvela à Tromp la requête du secrétariat pour l’unité des chrétiens en vue de l’institution d’une commission mixte avec la commission théologique afin de discuter de ce sujet, Tromp exprima son ‘désappointement’ pour la ‘propagande’ que faisait Bea à sa ‘théorie extrêmement discutable’ tout en sachant que ni Ottaviani ni Tromp ne pouvaient affronter publiquement le sujet avec lui” (p. 312). En mai, “Tromp prit directement parti contre la position de Bea et il expliqua qu’admettre que 45% des chrétiens sont réellement membres de l’église aurait rendu difficile la défense du caractère œcuménique des Conciles de Trente et de Vatican I, que cela aurait impliqué une invitation des évêques hérétiques et schismatiques à Vatican II, que cela serait revenu à nier l’unité de l’église et à annuller sa revendication d’infaillibilité. Pour Tromp, enfin, le point clé en jeu dans la question des membres était l’identification du corps mystique avec l’église catholique romaine” (p. 312), identification affirmée par Pie XII. C’est précisément la préoccupation qu’exprimait le cardinal Ottaviani, répondant au cardinal Bea lors de la réunion de la commission centrale dont Jean XXIII était président: “On ne doit pas retenir tout ce qui est exposé par le cardinal Bea, car certaines de ses affirmations sont quelque peu dangereuses. Je comprends son zèle, le grand zèle qui le caractérise, du fait qu’on [Jean XXIII!] lui a confié le Secrétariat pour les non-catholiques, et aujourd’hui certainement il fera en sorte que dans le concile la porte leur soit plus ouverte, mais nous ne devons pas exagérer, non ne devons pas dire, comme cela a été fait dans une certaine Conférence [de Bea] - et c’est avec stupeur qu’on l’a remarqué - que quiconque vient d’être baptisé, tout en n’étant pas membre de l’Eglise, devient membre du Corps Mystique sans autre forme de procès. Cette affirmation est dangereuse (...). L’Eglise catholique et le Corps Mystique s’identifient” (p. 313). Bea, de son côté, contournait l’obstacle constitué par les encycliques de Pie XII en présentant l’Eglise comme “l’ensemble des moyens pour obtenir la grâce”; étant donné qu’en dehors de l’Eglise catholique il existe aussi des moyens de la grâce (par exemple, les sacrements), Bea en concluait que les chrétiens non-catholiques étaient “membres du corps du Christ” et en communion, bien qu’imparfaite, avec l’Eglise catholique (pp. 312-313). Le discours d’Ottaviani, que nous venons de citer, soulignait que le fait même de créer un organisme comme le Secrétariat, dont le but était d’aller à la rencontre des non-catholiques (hérétiques, schismatiques...) ne pouvait pas ne pas se heurter aux exigences de la défense de la doctrine, exigences qui constituaient la raison d’être de la Commission théologique, du Saint-Office... et de l’Eglise même! B) Episcopat et primat romain. Si le Concile Vatican I avait été réuni pour définir les questions concernant la papauté, celui de Vatican II aurait dû l’être pour poursuivre les travaux de Vatican I, c’est-à-dire pour définir la doctrine sur l’épiscopat. S’accorder sur la sacramentalité de l’épiscopat ne présenta aucune difficulté (p. 316). “Les problèmes surgirent tant au sein de la commission théologique qu’entre la commission théologique et le Secrétariat pour l’Unité des Chrétiens à propos de la question du rôle des 28 évêques dans l’église” et plus exactement lorsqu’il s’agit d’établir “si le pouvoir de juridiction tirait lui aussi son origine de l’ordination ou s’il dérivait au contraire de la délégation papale (...) Tandis que Congar et d’autres proposaient que le concile ne cherche pas à définir le sujet, qui, selon eux, devait encore faire l’objet d’un légitime débat théologique, le chapitre de Schauf [dans le schéma de la commission théologique] défendait la doctrine, soutenue avec force par Pie XII, selon laquelle les évêques reçoivent leur autorité juridictionnelle du pape” (p. 314). Tromp, qui avait collaboré avec Pie XII à la rédaction de l’encyclique Mystici Corporis, rappelait que c’est Pie XII en personne qui avait voulu que cette doctrine sur l’origine de la juridiction des évêques fut insérée dans l’encyclique. Sur ce point nous assistons aussi à un affrontement: d’un côté la majorité de la Commission théologique (et un membre du secrétariat, Maccarrone) défendent le magistère ordinaire de l’Eglise rappelé par Pie XII; de l’autre, la minorité progressiste de la Commission théologique et le Secrétariat de Bea s’opposent à Pie XII et prétendent rediscuter ce que celui-ci avait établi clairement. En phase préparatoire, les progressistes se limitèrent, en cette occasion, à tenter d’éviter une définition dogmatique de la thèse à laquelle ils s’opposaient (cf. p. 315); durant le Concile ils réussiront à renverser les positions, en sorte que, sur ce thème également, Lumen Gentium affirmera exactement le contraire de ce que Pie XII avait enseigné et que le schéma de Schauf voulait confirmer. Je n’en dirai pas plus sur la question, à laquelle Sodalitium a déjà dédié une étude exhaustive ( 11). Je ferai seulement remarquer que la question est liée à celle de la collégialité, qui deviendra une des plus grandes nouveautés du Concile. En phase préparatoire, c’est le contraire de la collégialité qu’enseigne la Commission théologique, autrement dit que le corps épiscopal “ne pouvait exercer cette [pleine et suprême] autorité que de façon extraordinaire et avec la permission du pape” (pp. 315-316); les seules et timides voix en faveur d’un plus grand pouvoir des évêques étant celles d’Hermaniuk et de Betti. C) Eglise et Etat. La liberté religieuse. C’est sur ce thème surtout que s’alluma un très vif débat avant, pendant et après le Concile. Comme nous l’avons vu de manière plus détaillée (12), “la question [de la liberté religieuse] avait été sollicitée par le Conseil œcuménique des églises, qui voyait dans l’enseignement officiel de l’Eglise un sérieux empêchement au dialogue et à la coopération œcuménique” (p. 316). Bea se proposait donc de présenter un schéma pour renverser “l’enseignement officiel de l’église” selon les desiderata du Conseil œcuménique des églises. La Commission théologique se proposait le but contraire. “La tâche consistant à rédiger le texte de la commission théologique fut assignée à R. Gagnebet. Ce choix fut probablement motivé par le fait que seulement deux années auparavant Gagnebet avait été le principal auteur d’un document préparé par le Saint-Office pour condamner comme erronées une série de propositions qui voulaient résumer les opinions de divers auteurs catholiques - entre autres Jacques Maritain et John Courtney Murray - engagés dans une révision de la doctrine moderne classique sur église et état. Il semble que seule la mort de Pie XII ait empêché sa publication” (p. 316; voir aussi note 460). Après avoir décrit les thèses du schéma préparatoire (p. 317), Komonchak conclut: “le chapitre de la commission théologique sur église et état était donc une réaffirmation de la doctrine classique que de nombreux catholiques avaient critiquée dès la fin de la seconde guerre mondiale. Il repoussait les arguments communs à un grand nombre d’entre eux : que la ‘thèse’ classique reflétait un moment du développement politique dépassé par la montée des démocraties pluralistes modernes, lesquelles avaient besoin d’une autre articulation des principes fondamentaux de la liberté et de l’indépendance de l’église. Ce chapitre du schéma De Ecclesia aurait réalisé la répudiation de ces opinions, répudiation mise en échec en 1958” (p. 318). De son côté au contraire, le cardinal Bea confia à Mgr De Smedt la tâche de préparer un schéma sur la liberté religieuse: “toute personne avait droit à la liberté religieuse qui gouvernait les actes publics ou privés, et que l’état avait le devoir de reconnaître et de défendre” (p. 319). La nouveauté de la doctrine, en opposition avec le magistère de l’Eglise, fit qu’à l’intérieur même du Secrétariat des voix de dissension et de condamnation s’élevèrent: celles de Charles Boyer s.j. et d’E. Hanahoe, “qui défendaient la position classique” (p. 318). “Mais le 1er février 1962, le pape Jean déclarait à Bea que ce schéma et celui sur les juifs pouvaient être envoyés par le secrétariat pour l’unité des 29 chrétiens directement à la commission centrale préparatoire, nulla alia commissione interveniente” (p. 318, n. 464), contournant ainsi la Commission théologique. Les conflits se poursuivent à la Commission centrale (13) Jusqu’ici j’ai examiné les points les plus importants (et les plus discutés) des divers schémas élaborés par les Commissions préparatoires à la seule exception de la Commission liturgique, au travail de laquelle je consacrerai la prochaine partie. Les divers schémas devaient cependant être soumis à l’appréciation de la Commission centrale, présidée par Jean XXIII en personne, qui devait les approuver, les revoir, faire les amendements. A la Commission centrale, la polémique à distance va se transformer en face à face. “Les procès-verbaux des réunions de la commission centrale révèlent que les discussions en son sein furent caractérisées par une grande liberté”, ce qui veut dire, pour Komonchak, “que ses membres n’hésitèrent pas le moins du monde à critiquer ouvertement (...) les textes préparés par les commissions préparatoires. (...)” (K., p. 324). Pratiquement deux groupes se formèrent dans la commission: le progressiste (Bea, “Alfrink, Döpfner, Frings, Hurley, König, Léger, Liénart, Maximos IV, Montini et Suenens”), qui critiquait les schémas “pour leur caractère négatif et défensif” et “pour la tentative de clore des questions encore légitimement discutées”, et le groupe fidèle au magistère romain (“Browne, Lefebvre, Ottaviani, Ruffini, Siri”). Directement confrontés l’un à l’autre, les cardinaux Bea et Ottaviani ne manquèrent pas de manifester publiquement leurs divergences. Sur le schéma De fontibus revelationis “Bea critiqua le caractère défensif du schéma et sa position restrictive vis-à-vis du travail des exégètes catholiques”; il convenait de le refaire avec la collaboration du Biblique et des exégètes... que le schéma voulait condamner! “Ce schéma de constitution satisfera peu les exégètes d’aujourd’hui...”, déclara Bea (S., p. 390). Ottaviani interrompit trois fois l’intervention de Bea: le schéma était “une réponse nécessaire aux exégètes catholiques qui étaient en train de mettre la foi en péril” (K., p. 327). Il en sortit une révision du texte, qui demeurait cependant encore voisin du texte primitif. En mai-juin 1962, lors- qu’il fut question du schéma De ecclesia, la Commission théologique montra encore plus de fermeté à défendre son texte. Les points mis en discussion (identité entre Corps Mystique et Eglise catholique, question des membres de l’Eglise, de sa structure monarchique, juridiction de l’évêque tenue non de sa consécration mais du pape, etc.) ne pouvaient être mis en doute: “la commission théologique, après de continuelles discussions, est arrivée à des conclusions sur lesquelles elle ne peut en aucune façon revenir” (p. 334) (14). Mais Bea n’entendait pas non plus revenir sur ses propres positions, car “dès lors il apparaissait clairement qu’un document sur l’Eglise aurait occupé une position centrale au Concile. Et il faut dire que le Cardinal soutint à partir de ce moment trois idées qui caractérisent de façon particulière la constitution conciliaire sur l’Eglise [Lumen gentium]: l’importance fondamentale du thème Eglise, Peuple de Dieu; l’appartenance substantielle à l’Eglise de tous ceux qui sont baptisés validement; le concept de Collège Apostolique auquel succède le Collège Episcopal” (S., p. 384). Sur le premier point, Bea insistait pour contrecarrer une présentation trop “hiérarchique” de l’Eglise. Pour ce qui est du second, le schéma de la Commission théologique avait prévu un chapitre intitulé: “Des membres de l’église militante et de sa nécessité pour le salut”. “Dans ce schéma était soutenue la doctrine selon laquelle seuls sont ‘véritablement’ membres de l’Eglise ceux qui, régénérés par le baptême, professent l’authentique foi catholique, reconnaissent l’autorité de l’Eglise et ne sont pas séparés du fait d’hérésie, schisme ou graves délits de l’organisme du Corps Mystique du Christ. Tous les autres (et pas seulement les catéchumènes) sont ‘ordonnés’ à l’Eglise par un ‘désir d’appartenir à l’Eglise’ conscient ou inconscient, c’est-à-dire qu’ils sont mus par un désir conscient d’appartenir à l’Eglise, ou bien, ne connaissant pas le Christ et l’Eglise, ils sont diposés de manière générique à accomplir la volonté de Dieu, leur Créateur” (S., p. 385). C’était la doctrine de Pie XII dans Mystici Corporis et Humani generis. De ces encycliques, Bea refusait la conséquence “c’est-à-dire que les autres chrétiens n’appartiennent à l’Eglise que ‘in voto’. Il attaque à fond cette dernière affirmation. (...) Une telle doctrine offense gravement les autres chrétiens. Et ici le cardinal cite, sans en donner le nom [c’était Peter Brunner], la 30 conférence d’un professeur luthérien de théologie dogmatique; selon ce dernier aucun chrétien ne peut comprendre comment, avec la doctrine sur les limites de l’Eglise en tant que Corps Mystique du Christ, Pie XII peut laisser de côté l’efficacité salutaire d’un baptême validement conféré, le considérant pratiquement comme n’existant pas du tout. Il est impossible de comprendre comment le baptême peut être à la fois valide, et en même temps inefficace quant à l’incorporation salutaire au Christ (15). Et le professeur conclut: ‘N’est-ce pas, dogmatiquement parlant, mépriser un sacrement institué par le Christ?” (S., p. 385). Au lieu d’adhérer à ce qu’avait dit Pie XII, Bea préféra suivre la doctrine du luthérien Brunner, qui devint ainsi doctrine “conciliaire” dans deux documents au moins: Lumen gentium et Unitatis redintegratio! c’est en contournant l’obstacle, comme nous l’avons dit, que Bea y parvint: il était “plus prudent - déclara-t-il d’éviter le terme de ‘membres’ de l’Eglise” et “on ne doit pas se limiter au concept de ‘Corps Mystique du Christ’”. D’autre part, “les éléments pour lesquels l’homme est constitué au sens plein membre de l’Eglise visible, ne constituent pas un apanage exclusif des catholiques. En effet, beaucoup de non-catholiques, baptisés eux aussi, professent la vrai foi, bien qu’incomplètement. Ils se soumettent à leurs propres pasteurs selon le ministère qui leur semble légitime ...” (S., p. 386) (16). Bea en déduit, à l’encontre des paroles explicites de Pie XII, qu’ils “demeurent unis à l’Esprit même qui est l’âme du Corps Mystique du Christ. C’est donc avec raison qu’ils sont appelés nos frères, bien que séparés, et fils de l’Eglise, comme les appelle le Saint-Père [Jean XXIII] dans la constitution [de convocation à Vatican II] Humanæ salutis.” (ibidem). Voilà pour ce qui concerne la démolition du schéma sur l’Eglise élaboré par la Commission théologique. Mais Bea avait aussi préparé un schéma sur l’œcuménisme où était traitée la même question de l’appartenance à l’Eglise des non-catholiques. Si ceux-ci sont unis à l’Esprit-Saint, alors “l’Esprit du Christ ne refuse pas de se servir des communautés séparées comme moyen de salut” (S., p. 387): extra Ecclesia... salus! Venons-en pour finir au troisième point ecclésiologique proposé par Bea à la Commission centrale: la collégialité. Le schéma de la profession de foi proposé par la Commission théologique disait: “Il (JésusChrist) a donné [l’Eglise] à paître à saint Pierre, prince des apôtres, et à ses successeurs, les Pontifes Romains”. Bea proposa de modifier la formulation de la façon suivante: “...aux Pontifes Romains et aux évêques, successeurs des apôtres” (S., p. 387). Chaque fois que se présentait, dans le schéma sur l’Eglise, l’expression “à saint Pierre et à ses successeurs”, il proposait de lui substituer “à saint Pierre avec les apôtres” (S., p. 388). Naturellement, dans la question connexe “de l’origine de la juridiction des évêques”, il s’opposa, pour des motifs œcuméniques, à une définition de la doctrine de Pie XII (p. 392). Par rapport aux schémas proposés par d’autres Commissions, il fut “la conscience œcuménique de la Commission centrale préparatoire” (ibidem), s’opposant à la doctrine de saint Thomas (S., pp. 390-392), proposant la communicatio in sacris avec les “orthodoxes” (S., p. 394), facilitant les mariages mixtes (S., p. 395-96), etc. Des schémas préparés par le Secrétariat, cinq arrivèrent à la Commission centrale: liberté religieuse, œcuménisme, prière pour l’unité, Parole de Dieu, juifs. Ce dernier, nous l’avons déjà dit, fut (provisoirement) repoussé, tandis que les deux précédents passèrent facilement. Celui sur l’œcuménisme, qui se trouvait “‘en concurrence’ avec celui de la Commission doctrinale” et avec un autre de la Commission sur les Eglises orientales, obtint 30 oui et 14 oui sous réserve (plus ou moins les mêmes voix que celles obtenues par la “théologique”) (S., p. 399). Nous arrivons enfin au schéma sur la liberté religieuse, que le Secrétariat opposait au chapitre sur la “tolérance religieuse” (17). “A l’une des dernières séances de la Commission centrale, en juin 1962, un nouveau conflit eut lieu, plus grave, et même un affrontement direct à propos” des deux schémas (S., p. 397). En effet, “les textes de la commission théologique et du secrétariat pour l’unité des chrétiens arrivèrent ensemble à la commission centrale, et provoquèrent la plus dramatique confrontation qu’ait jamais vécue cet organisme. (...) Ottaviani attaqua le schéma du secrétariat pour l’unité des chrétiens utpote quæ sapit fortissime influxum contactuum cum acatholicis [en tant que fortement influencé par les contacts avec les non-catholiques]. Après avoir illustré cette malheureuse tendance, Ottaviani demanda que seul son texte fut examiné par la commission centrale, ajoutant en observation finale qu’il ne voyait pas comment le secrétariat pour l’unité des chrétiens pouvait avoir la compétence pour proposer un texte sur église et état. Bea, de son côté, 31 nia catégoriquement que le secrétariat ait outrepassé les compétences que lui avait assignées le pape (...). Le texte (...) était une réplique aux critiques fondées de la position de l’église catholique (...)” (K., pp. 319-320) mises en avant par les non catholiques (cf. S., p. 398). Le débat s’ouvrit: “il est facile d’imaginer le climat de tension dans lequel se déroula la longue discussion” (les Actes qui y sont relatifs couvrent 54 pages in folio ) (S., ibidem). Soumis aux voix, le schéma d’Ottaviani obtint 19 oui, 14 non, 28 oui sous réserve; celui de Bea, 16 oui, 11 non, 22 oui sous réserve: les membres de la commission étaient divisés tout comme les deux organismes préparatoires”. C’est alors que le cardinal Confalonieri, refusant la thèse d’Ottaviani sur la supériorité de la commission théologique (cf. K., n. 468) décida de renvoyer la question à Jean XXIII lequel, suivant les desiderata de Bea (cf. K., p. 319), décida en juillet de créer une Commission mixte spéciale présidée par Ciriaci et comprenant Ottaviani, Bea, Tromp et Willebrands. Mais “la commission papale spéciale ne se réunit jamais” (K., p. 320): les “différences fondamentales” étaient trop profondes entre qui acceptait pleinement le magistère des Papes contraire au “nouveau droit” instauré par l’Illuminisme et les Révolutions, et qui, au contraire, à la suite de Maritain et de Courtney Murrey, voulait que le Concile baptise le libéralisme. Après ce ‘match nul’ au Concile on n’avait pas à revenir sur ce thème (cf. S., p. 399): il revint pourtant en scène, et ce fut le triomphe des libéraux, consacré par Dignitatis humanæ. L’enjeu: le magistère de l’Eglise Komonchak cherche à présenter la Commission théologique comme un organisme tenacement attaché à ses propres opinions théologiques et ce jusqu’au mépris total du point de vue d’autrui. La réalité est tout autre. Plusieurs fois, des abondantes citations que j’ai faites du même Komonchak, est émergé le point central de la discussion entre les deux “partis” dont Ottaviani et Bea étaient en fait les chefs. Pour Ottaviani, la doctrine proposée était indiscutable, parce qu’elle ne faisait que reprendre le magistère de l’Eglise, spécialement celui des deux derniers Conciles (Trente et Vatican I) et celui du dernier Pape, Pie XII. Il était inconcevable de mettre en discussion le magistère ordinaire du Pape. Et c’était jus- tement ce que voulait le front adverse: nier toute valeur obligatoire au magistère ordinaire (18): prétendre le contraire signifiait, nous l’avons vu, vouloir “mettre fin à des questions encore légitimement discutées”. Et pourtant, douze ans seulement auparavant, dans l’encyclique Humani generis, Pie XII écrivait: “il est vrai que les papes laissent généralement aux théologiens la liberté sur les questions disputées entre les docteurs les plus renommés, mais l’histoire enseigne que bien des choses qui furent d’abord laissées à la libre discussion ne peuvent plus désormais supporter aucune discussion. Il ne faut pas estimer non plus que ce qui est proposé dans les encycliques ne demandent pas de soi l’assentiment, puisque les papes n’y exercent pas le pouvoir suprême de leur magistère. A ce qui est enseigné par le magistère ordinaire, s’applique aussi la parole: Qui vous écoute m’écoute (Lc 10, 16); et la plupart du temps, ce qui est exposé dans les encycliques appartient déjà d’autre part à la doctrine catholique. Si les papes portent expressément dans leurs actes un jugement sur une matière qui était jusque-là controversée, tout le monde comprend que cette matière, dans la pensée et la volonté des Souverains Pontifes, n’est plus désormais à considérer comme question libre entre les théologiens” (Doc. Cath. tome 47, 10 sept. 1950, p. 1159, n° 1077; DZ, 3885). Les supérieurs ecclésiastiques devaient donc imposer à leurs sujets la doctrine de cette encyclique de Pie XII sous peine de péché mortel (“leur en faisant une grave obligation de conscience” Doc. Cath., ibidem, p. 1167)! Comment Bea et compagnie pouvaient-ils remettre en question ce que Pie XII venait de déclarer soustrait à la libre discussion, et soutenir encore des doctrines que ce même Pontife avait condamnées? “La lutte durant la préparation” du Concile ne fut donc pas une lutte légitime entre deux écoles théologiques différentes, mais une lutte terrible entre l’orthodoxie catholique des uns, et le néo-modernisme des autres. Et Jean XXIII? (19) Le lecteur se demandera peut-être si j’ai oublié Jean XXIII en chemin? Ne suis-je pas en train d’écrire une biographie du “Pape du Concile”? Justement. L’analyse du Concile (en l’occurrence de la première session, l’unique qu’ait dirigée Roncalli) et de sa préparation tiennent le rôle central dans une vie 32 de Jean XXIII. Un petit chapitre est dédié par Komonchak au rôle de Jean XXIII dans la préparation du Concile. Le jugement de notre auteur est très nuancé. Selon lui, ce n’est qu’avec le discours d’ouverture du Concile, que Jean XXIII prit ouvertement position en faveur du courant innovateur (20). Avant ce moment précis, la position de Jean XXIII était, pour Komonchak, obscure et ambigüe. Obscure, car “dans quelle mesure le pape avait suivi de près le travail de la préparation en cours, cela n’est pas clair”; ambigüe parce que (21), selon notre auteur, il avait accordé encore trop de place à la Curie et aux théologiens conservateurs, avec pour résultat final un travail préparatoire au Concile, somme toute, encore fidèle à la tradition: “seuls, la commission liturgique et le secrétariat pour l’unité des chrétiens semblent avoir été réellement à la hauteur de la vision du pape”, tandis que, dans les autres commissions, il y eut “contraste entre la vision du pape et la réalisation effective” (K., p. 374). Komonchak rappelle que “le pape était entouré de personnes qui ou bien ne comprenaient pas ses intentions ou bien s’y opposèrent activement” (p. 375); mais cela n’explique pas non plus l’acquiescement de Jean XXIII aux schémas préparatoires conservateurs (mis à part le De ordine morali de la Commission théologique, qu’il “trouLe livre de Schmidt sur le cardinal Bea va trop rigoureux et négatif”, K., p. 376, n. 629). “Il semble qu’il n’ait commencé à prêter une oreille bienveillante aux plaintes et aux craintes [des cardinaux et évêques progressistes] qu’au printemps 1962 lorsqu’il demanda à Suenens de rédiger un plan organique pour une intégration des matériaux de la préparation” (p. 379). Comment expliquer le “mystère” (K., p. 378) des actions apparemment conservatrices de Roncalli? Il y a deux réponses possibles, et il n’est pas dit qu’elles s’excluent totalement l’une l’autre. La première est que Jean XXIII ait été moins progressiste que les Suenens, Liénart, Frings, etc. (il n’avait pas de peine!) et qu’il se serait laissé entraîner par ce courant non contre son gré certes, mais plus par ambition, désir de louanges de la part du monde, que par forte conviction doctrinale. L’autre est qu’il était plus dégourdi, malin, prudent et, en définive, plus efficace, que les modernistes transalpins: la forteresse que représente la Curie (et l’Eglise) ne pouvait pas être prise de l’extérieur, il fallait la trahir de l’intérieur. Quoiqu’il en soit de ces hypothèses, les faits demeurent, et ils sont à la charge de Jean XXIII, déjà dans cette partie embryonnaire de Concile. J’ai déjà signalé la façon dont il “insista sur la distinction entre préparation conciliaire et Curie” (K., p. 375). Mais la responsabilité la plus grave réside dans la création du Secrétariat pour l’Unité des Chrétiens, et dans l’aval donné à ses schémas: “il créa le Secrétariat pour l’Unité des Chrétiens avec l’idée de réaliser ses espérances œcuméniques conservées jalousement et il soutint l’effort de Bea pour doter cet organisme de grandes responsabilités” (K., p. 375). Institutionnellement, le Secrétariat poursuivait des finalités contraires à celles du Saint-Office (et de l’Eglise); le conflit était donc inévitable. La Curie, qui avait dû subir l’institution du Secrétariat, chercha à désamorcer le danger virtuel en soutenant que le Secrétariat n’était pas habilité à rédiger des schémas préparatoires au Concile: il s’agissait d’un “Secrétariat”, non d’une “Commission”: l’organisme de Bea était vu seulement comme un “bureau de relations publiques” avec les non-catholiques, sans poids, sans rôle ni portée doctrinale. Cette interprétation qui minimisait les compétences du Secrétariat n’était pas arbitraire comme l’admettent tant Komonchak que le secrétaire de Bea, le Père Schmidt. Voyons ce qu’affirme ce dernier. Je le rappelle, dans un premier temps 33 (13 mars 1960), le nouvel organisme de Bea devait être une “Commission” (comme les autres); pourtant deux semaines plus tard Jean XXIII décidait de le nommer “Secrétariat”. Les conservateurs, je le répète, pensèrent à un déclassement; mais Bea savait qu’il s’agissait d’une ruse de Jean XXIII pour lui donner une plus grande liberté d’action (22). Lorsque, le 5 juin 1960, avec le Motu Proprio Superno Dei nutu, Jean XXIII institua les Commissions préparatoires, on commença à discuter du rôle de ce “Secrétariat” anomal. Dans le Motu Proprio “la description est très succincte et plutôt générique, et créera plus tard quelque ambiguïté en ce qui concerne la compétence du Secrétariat à préparer des schémas pour le Concile” (S., p. 349). Ceux de la Commission théologique n’avaient pas de doute à cet égard: le Père Tromp (de la théologique) déclara au P. Willebrands (du Secrétariat): “Que voulezvous? Vous n’êtes qu’un bureau d’informations” (S., p. 362, n. 18). Bea qui était d’un autre avis, allait démentir Tromp dès le début des travaux préparatoires, au mois de novembre (cf. S., p. 362). En juin 1961, le “bureau d’informations” avait déjà préparé 11 travaux (23). Mais, ajoute Schmidt: “Ce travail si important se heurte à un grave problème avec lequel le secrétariat sera constamment confronté durant toute la période préparatoire et qui ne trouvera de solution qu’au début du Concile. Le problème est celui-ci: le Secrétariat est-il habilité à préparer des schémas à présenter au Concile? La question se corse lorsqu’il ne s’agit pas de schémas d’ordre purement pastoral et pratique, mais de schémas de nature doctrinale. Le problème vient de la manière dont cet organisme est présenté dans le Motu Proprio Superno Dei nutu qui assigne au Secrétariat comme première tâche d’aider les autres chrétiens à suivre les travaux du Concile. Il est vrai que le document y ajoute une finalité plus générale: celle d’aider les autres chrétiens à trouver plus facilement la voie pour parvenir à l’unité ‘que Jésus-Christ a implorée la veille de sa passion’. Il est cependant facile de voir qu’il y a là une base plutôt fragile pour le plan d’importance que le Secrétariat s’était fixé” (S., p. 364). Ainsi, les objections des conservateurs étaient donc fondées, le P. Schmidt lui-même l’admet ... Mais Bea bénéficiait, en cachette, de l’appui de Jean XXIII. C’est ce qu’affirme le futur cardinal Willebrands: Bea informait Jean XXIII du détail des plans du Secrétariat, et en il recevait l’approbation “sans se laisser embarrasser par les aspects juridiques” (ivi). Que le fait de n’être qu’un Secrétariat ne fut pas un déclassement, Jean XXIII l’avait répété à Bea lors des audiences des 16 et 17 décembre 1961: “Le Cardinal Président du Secrétariat - lui avait-il dit - a toutes les facultés que requiert son office, comme n’importe quel autre Préfet de la S. Congrégation, et il ne dépend d’aucun autre Dicastère romain” (pp. 364-365). Lorsque “le 8 mars 1962, Jean XXIII rendit visite au Secrétariat réuni en session plénière” (S., p. 372) Bea soumit à Roncalli les “relations et schémas des décrets qui avaient été préparés” (p. 373): “ceci suppose clairement en Bea l’assurance que, de l’avis du Pape, le Secrétariat a la compétence pour préparer des schémas en vue du Concile” (S., p. 365). Mais c’est plus tard seulement que fut franchi le pas décisif, je l’ai déjà écrit: “à l’audience accordée au Cardinal [Bea] le 1er février 1962, le Pape décida que le Secrétariat proposerait les schémas sur la liberté religieuse et sur ce qui concerne les juifs directement à la Commission centrale préparatoire, sans l’intervention d’aucune autre Commission [en l’occurrence, la théologique]” (S., p. 374). Cette décision du 1er février 1962 est extrêmement grave: non seulement Jean XXIII allait contre la lettre de la loi pour favoriser le Secrétariat (ce qui entre dans le cadre des pouvoirs du Pape) mais il approuvait deux schémas directement opposés à l’enseignement de l’Eglise. C’est donc en vain que le cardinal Ottaviani protesta en séance de commission centrale préparatoire contestant “sèchement” à Bea le droit de présenter un schéma sur la liberté religieuse (cf. pp. 365, 397-398). A la fin de la période préparatoire, les résultats des novateurs “sont donc fortement positifs et dépassent les espoirs les plus audacieux”; face aux difficultés, “le soutien permanent apporté par le pape Jean au travail du Secrétariat est un motif d’espérance. (...) “Le Pape [observait son secrétaire, Mgr Capovilla] lisait attentivement les nombreuses et fréquents ‘billets de travail’ envoyés par le Cardinal [Bea] et il y trouvait une entière conformité avec sa ligne magistérielle et pastorale, dans l’esprit et dans la lettre, pour l’exécution du projet conciliaire. (...) Et voici pour finir un témoignage de Bea lui-même (...): ‘Tout ce que nous avons fait jusqu’à maintenant, n’aurait certainement pas pu être réalisé sans la bénédiction, le soutien constant, l’aide efficace et les prières de Votre Sainteté’ [Bea à Jean XXIII, mars 1962]. Ce n’est pas là une formule d’usage, nous en avons eu plusieurs preuves, ne serait-ce qu’au cours de ce cha- 34 pitre. C’est un signe d’espérance pour le futur” (S., p. 403). Mais ce qui est espérance pour les novateurs est angoisse pour tous les bons catholiques ... Avec le prochain article qui traitera des travaux de la Commission liturgique nous ne sortirons pas du triste cadre de la situation. Notes 1) J. KOMONCHAK, La lotta per il concilio durante la preparazione, dans Storia del concilio Vaticano II dirigée par Giuseppe Alberigo, Peeters/Il Mulino, Leuven/ Bologna 1995, vol. I, p. 291. A l’occasion de la sortie du second volume de la Storia del concilio Vaticano II dirigée par Alberigo, L’Osservatore Romano du 13 nov. a publié un article très critique, accusant en substance l’œuvre de l’Institut pour les Sciences religieuses de Bologne de partialité en faveur du parti progressiste et de peu de respect pour la curie romaine. Sans aucun doute, et ça n’est pas une nouveauté, l’Institut dirigé par Alberigo, qui partage les positions de Dossetti, présente une histoire du concile d’un point de vue “progressiste”. Mais cela n’enlève rien à la valeur historique et documentaire des volumes en question; il suffit de savoir distinguer entre les idées personnelles des auteurs et l’objectivité des faits qu’ils présentent. 2) Ibidem, pp. 291-305. Les références aux pages à l’intérieur du paragraphe concernent toutes l’article de Komonchak. 3) “Et comme le synode sait que cette vérité et discipline [du Christ] est contenue dans les livres écrits et dans les traditions non écrites - qui recueillies par les apôtres de la bouche même de Jésus-Christ et des apôtres, sous l’inspiration du Saint-Esprit, transmises pour ainsi dire de la main à la main, sont parvenues jusqu’à nous - suivant l’exemple des pères orthodoxes, avec une égale piété et révérence, il admet et vénère tous les livres, tant de l’ancien que du nouveau Testament (car Dieu est l’auteur de l’un et de l’autre) ainsi que les traditions elles-mêmes concernant la foi et les mœurs, parce qu’il les considère comme dictées oralement par le Christ lui-même ou par le Saint-Esprit, et conservées sans interruption dans l’Eglise catholique” (Conc. de Trente, 8 avril 1546, session IV, Denz. 783). 4) Sur Mgr Romeo (1902-1979), cf. la commémoration qu’en a fait Mgr Francesco Spadafora (disciple de Romeo) dans La Palestra del Clero, Rovigo, n° 21, année 1979. A propos de la polémique entre Mgr Romeo et l’Institut Biblique Pontifical, Mgr Spadafora écrit: “Elle eut, en 1960, un épilogue favorable: les fauteurs de la nouveauté furent désavoués et éloignés de l’enseignement; mais en 1962, avec le début du pontificat de Jean-Baptiste Montini, elle refit surface et ce fut pire encore”. [Noter le lapsus calami de Spadafora: Paolo VI fut élu en 1963]. Enfin, il est intéressant de remarquer que Mgr Romeo était un admirateur de Mgr Benigni et de sa Storia sociale della Chiesa, comme il ressort de la rubrique Antisemitismo de l’Enciclopedia Cattolica, qui est justement de Mgr Romeo. 5) Sodalitium, n° 35, pp. 14 à 16 (“Le Pape du Concile”, XIIème partie: Le “Bon Pape” prépare le Concile). 6) Cf. “Le Pape du Concile”, IIème partie: Roncalli et le modernisme in Sodalitium, n° 23, pp. 10 à 15. 7) C’est précisément cette thèse, que le schéma de la Commission théologique condamnait sans demi-mesures, qui fut par contre soutenue par la Commission pour les rapports religieux avec le Judaïsme dans le document intitulé Sussidi per una corretta presentazione degli ebrei e dell’ebraismo nella predicazione e nella catechesi della Chiesa cattolica [Matériel pour une présentation correcte des juifs et du judaïsme dans la prédication et la catéchèse de l’Eglise catholique] (24/6/1985) au point IV, 1, a, document loué par Jean-Paul II dans le discours du 31 octobre 1997 (cf. Sodalitium, n° 45, p. 61). 8) KOMONCHAK, op. cit., pp. 305-321. 9) Sur Mgr Jaeger, cf. “Le Pape du Concile”, 15ème partie: “Les œcuménistes préparent eux aussi le Concile”, in Sodalitium, n° 38, pp. 60 et 62-63; et 16ème partie: Le Secrétariat pour l’union des chrétiens, in Sodalitium, n° 39, p. 22-23. 10) Sur la question cf. “Le Pape du Concile”, 16ème partie “Le Secrétariat pour l’unité des chrétiens”, in Sodalitium, n° 39, pp. 24 à 26, et Commentaire sur l’encyclique Ut unum sint, in Sodalitium, n° 41, pp. 33-39. 11) ABBÉ FRANCESCO RICOSSA, Les consécrations épiscopales dans la situation actuelle de l’Eglise, Sodalitium, numéro spécial (44), 1997, Verrua Savoia. 12) Cf. “Le Pape du Concile”, 20ème partie: Jean XXIII inaugure l’œcuménisme in Sodalitium, n° 43, p. 27. 13) KOMONCHAK, op. cit., pp. 321-335. à partir de ce chapitre je me baserai également sur l’œuvre du secrétaire du cardinal Bea, Stjepan Schmidt, Agostino Bea, il cardinale dell’unità, Città Nuova, Roma 1987, pp. 382 à 403 (Cette biographie du cardinal Bea a récemment été rééditée par une autre maison d’édition). Dans le texte, les citations extraites de Komonchak seront indiquées avec la lettre K., celles extraites de Schmidt, avec la lettre S. 14) En une autre occasion (schéma sur le dépôt de la foi) elle alla jusqu’à déclarer: “Il est clair que la Commission théologique ne peut pas être le moins du monde d’accord avec la majorité de la Commission centrale, et qu’elle laisse la grave responsabilité de cela à la Commission même et aux pères réunis en Synode” (Komonchak, p. 332). 15) Il est facile de répondre au luthérien Brunner et à l’indéfinissable Bea, que ce n’est pas Pie XII qui déprécie le baptême, mais les protestants en le rendant inefficace quant à l’incorporation au Christ. En effet, de même que l’attachement au péché mortel rend inefficace le baptême quant à son effet de justification et d’infusion de la grâce, l’attachement au schisme et à l’hérésie rend inefficace l’incorporation au Christ et à l’Eglise dans les adultes. Seul demeure le caractère baptismal: mais ce caractère indélébile est présent aussi dans les damnés que personne n’imagine incorporés au Christ et à l’Eglise! 16) Bea remplace les critères objectifs exprimés par Pie XII pour être membres de l’Eglise (professer la vraie foi, être soumis aux pasteurs légitimes) par des critères subjectifs (professer une foi quelconque, être soumis à leurs pasteurs) qui constituent exactement les motifs pour lesquels ils ne peuvent appartenir à l’Eglise (une profession de foi erronée, une soumission à des pasteurs illégitimes). 17) Sur cette question j’ai déjà publié le témoignage de Mgr Lefebvre, membre de la Commission centrale préparatoire; cf. “Le Pape du Concile”, 16ème partie: Le Secrétariat pour l’union des chrétiens in Sodalitium, n° 39, p. 29. 18) Dans la présentation du schéma De deposito fidei, la Commission théologique attaquait l’épiscopat hollandais, pour lequel “l’ultime et absolue certitude que nous avons concernant la vérité de la foi est la définition extraordinaire de l’Eglise”. “Ces affirmations ne peuvent être vraies”, répétait la Commission théologique (Komonchak, op. cit., p. 331). 35 19) Komonchak, op. cit., pp. 373-379. 20) En déclarant une fois de plus son désaccord avec les prophètes de malheur, il autorisait par avance la sévère critique des textes préparatoires qui allait être formulée de façon dramatique par les pères conciliaires dans la première période. Tout doute sur la position du pape s’évanouit lorsqu’il intervint à l’encontre du règlement conciliaire pour retirer de l’ordre du jour conciliaire le schéma De fontibus revelationis, l’une des pierres d’angle de la vision de la commission théologique sur le concile” (Komonchak, op. cit., p. 374). 21) “...certaines ambiguïtés demeurent dans les actions du pape lui-même” (ibidem, p. 375). 22) “Le Pape du Concile”, 16ème partie: Le Secrétariat pour l’union des chrétiens, in Sodalitium, n° 39, p. 9; cf. Schmidt, op. cit., p. 348. 23) Les thèmes de ces travaux étaient les suivants: “les relations des baptisés non-catholiques avec l’Eglise catholique; comment promouvoir d’une part les conversions d’individus et de l’autre l’unité avec les communautés [non-catholiques]; la structure hiérarchique de l’Eglise; le sacerdoce commun des fidèles et la position des laïcs dans l’Eglise; la Parole de Dieu et son importance pour la liturgie; la doctrine et la vie de l’Eglise; les problèmes liturgiques; le problème des mariages mixtes; comment prier pour l’union des chrétiens; le problème œcuménique général et son importance pour l’Eglise (avec référence particulière au Conseil œcuménique des Eglises); et pour finir, les questions concernant les juifs” (Schmidt, p. 363). “S’y ajoutait le document sur la question de l’invitation d’observateurs au Concile. Il y avait donc, en tout, 11 Sous-commissions. Plus tard il viendra s’en ajouter une Vie Spirituelle pour le thème Tradition et Ecriture sainte. “Si tu savais le don de Dieu” (Jn IV, 10). Réflexions sur le Sacré-Cœur de Jésus Par M. l’abbé Ugolino Giugni P ourquoi parler du Sacré-Cœur de Jésus dans les pages de Sodalitium? Pour mieux connaître “le don que Dieu” nous a fait en nous révélant la dévotion à son SacréCœur. Et parce qu’il est juste de rendre à ce Cœur “qui a tant aimé les hommes” notre tribut d’amour et de dévotion, spécialement pendant le mois de juin qui Lui est consacré. Cet article n’a pas d’autre intention que celle de faire connaître un peu plus et de répandre cette dévotion si belle et si consolante afin que le divin Cœur soit davantage aimé des hommes; en effet on peut aussi dire du Sacré-Cœur ce que St Bernard appliquait à la Très Sainte Vierge: “Numquam satis”. L’auteur ne se propose donc pas d’écrire quelque chose de nouveau sur le sujet (car il n’en serait pas capable), mais de mettre à la portée des lecteurs ce qui a déjà été abondamment écrit, en se référant particulièrement aux écrits de Ste Marguerite-Marie Alacoque, la confidente du Cœur de Jésus. Qu’est-ce que la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus? On pourrait dire simplement que c’est la dévotion envers Jésus. Le Sacré-Cœur n’est rien d’autre que Jésus Notre-Seigneur mieux compris et mieux aimé; le Sauveur plus proche de ses créatures; son amour qui se révèle à nous. La Sacrée Congrégation des Rites déclara, en instituant la fête du SacréCœur, qu’elle n’a pas comme fin de commémorer un mystère en particulier de la vie de Notre-Seigneur mais de condenser toutes les fêtes en son honneur. Elle ne nous rappelle pas une grâce déterminée, mais la source même de toutes les grâces; non pas un mystère en particulier mais le principe même et la raison intime de tous les mystères. Le motif de ce culte réside dans le fait que toute la Rédemption, avant d’être réalisée extérieurement durant la vie sur terre de l’Homme-Dieu, s’était déjà accomplie intérieurement et invisiblement dans le sanctuaire de son Cœur. Si toutes les autres fêtes en l’honneur du Sauveur ont comme objet dans une certaine mesure la charité du Christ, aucune autre que celle du SacréCœur veut honorer la charité totale en ellemême, principe de tous les mystères de l’Homme-Dieu. « Dieu est amour, Deus caritas est (I Jn IV, 16). [Et on ne pourrait pas trouver une meilleure définition de Dieu, n.d.a.]. Son Cœur éternel a toujours aimé; chercher dans cet amour éternel de Dieu le pourquoi de toute la succession des mystères révélés, c’est la théologie du Sacré-Cœur. Dieu aime, et aimer veut dire se donner. Il nous a tout donné, voilà la création. Aimer, c’est parler, pour se faire comprendre à celui qu’on aime: Dieu a parlé et voilà la Révélation. Aimer, c’est se rendre 36 semblable à celui qu’on aime, et voilà l’Incarnation. Aimer, c’est souffrir pour celui qu’on aime: voilà la Rédemption. Aimer, c’est vivre à côté de celui qu’on aime: voilà l’Eucharistie. - Aimer, c’est s’unir et ne faire qu’un avec celui qu’on aime: voilà la communion. - Aimer, c’est jouir toujours avec l’être aimé: voilà le Paradis. Sic Deus dilexit. Et comme la personne de Jésus est une personne divine, son Cœur créé synthétise toutes les amours du Cœur incréé de Dieu et en résume toutes les manifestations... Il est l’expression vivante et palpitante de tous les mystères catholiques » (1). Mais en quel sens est compris le mot Cœur? Ou mieux, en quel sens l’Eglise l’entendelle quand elle nous invite à honorer le Cœur de Jésus? L’objet de la dévotion comprend deux éléments: l’élément matériel, sensible, immédiat qui est le Cœur physique de Jésus en tant qu’il est uni hypostatiquement (2) à la personne du Verbe; ce Cœur s’il est considéré comme symbole de l’amour est l’élément formel ou spirituel. L’amour de Jésus est l’objet principal de cette dévotion, mais étant donné que l’amour est absolument spirituel, il a été nécessaire de lui trouver un symbole qui naturellement ne peut être que son Cœur. Puisque l’homme est composé d’âme et de corps ces deux éléments se reflètent nécessairement dans toute son activité (même le fait d’aimer); quand l’homme aime raisonnablement, cette activité qui procède de la volonté détermine autant de mouvements analogues et corrélatifs dans 1’appétit inférieur, et donc dans le Cœur. Or le Seigneur Jésus était parfaitement homme, et plus qu’en tout autre homme son Cœur et ses sentiments étaient en complète harmonie. Jésus disait à Ste Marguerite “Je te ferai lire dans le livre d’amour” (c’est-à-dire son Cœur) “lis-y mon amour souffrant... les impressions de dégoût, de terreur, de tristesse de ma vie mortelle...”. Ce Cœur divin est maintenant soustrait aux émotions violentes et aux affections de douleur incompatibles avec son état de gloire, mais reste sensible à tous les sentiments qui ne peuvent troubler la parfaite béatitude du ciel; c’est pour nous une douce consolation de penser que nos sacrifices, notre amour, notre affection peuvent agir sur le Cœur de Jésus pour le faire palpiter d’une amoureuse jouissance. L’élément spirituel, l’Amour, qui a porté le Fils de Dieu à accepter la mort et à se donner à nous dans le Saint-Sacrement de l’Autel, est incomparablement plus important que l’élément matériel, tout comme dans l’homme l’âme est plus importante que le corps. Mais les deux éléments sont corrélatifs, ils constituent donc un unique objet de la dévotion. Si nous considérons en premier lieu le Cœur physique de Jésus, par la loi du symbolisme il nous conduira directement à l’Amour de Jésus. Ste Marguerite-Marie décrivait ainsi l’objet de ce culte: “Mon divin Sauveur m’a assuré qu’Il éprouve un très grand plaisir à être honoré sous la figure de son Cœur de chair, pour toucher au moyen de cet objet le cœur insensible des hommes”. C’est donc au Cœur de Jésus vivant et véritable, qui fait partie de sa sacro-sainte humanité, qui fut transpercé sur la Croix et qui vit dans l’Eucharistie, auquel l’Eglise, Ste Marguerite-Marie et les fidèles pensent quand ils accomplissent une pratique en son honneur. D’autre part le Cœur de Jésus est honoré en tant qu’il est hypostatiquement uni à sa Personne Divine: le terme de ce culte est toujours la personne de Jésus avec sa dignité infinie, incréée et divine; et son Cœur comme partie de sa très sainte humanité. “Le Sacré- 37 Cœur, présenté par l’Eglise, au culte public, est donc Jésus qui montre son Cœur”. En face de nous est placé le Cœur de l’HommeDieu qui du haut du crucifix avec la poitrine déchirée attire à Lui tous les cœurs (Quand je serai élevé de terre j’attirerai à moi tous les hommes, Jn XII, 32), avec une force qui fait mépriser le martyre, qui exulte face à la mort, qui ne connaît pour limites ni le temps ni l’espace ni la haine des méchants. Pie XII résume ainsi la légitimité du culte qui est rendu au Sacré-Cœur: « Rien par conséquent ne s’oppose à ce que nous adorions le Cœur très sacré de Jésus-Christ en tant que participation et symbole naturel et très expressif de cet amour inépuisable que notre divin Rédempteur ne cesse d’éprouver à l’égard du genre humain. Bien qu’il ne soit plus soumis aux vicissitudes de cette vie mortelle, il n’en continue pas moins de vivre et de battre, il est uni de façon indissoluble à la Personne du Verbe divin, et, en elle et par elle, à la volonté divine. C’est pourquoi, puisque le Cœur du Christ déborde d’amour divin et humain, et qu’il est rempli des trésors de toutes les grâces que notre Rédempteur a acquis durant sa vie par ses souffrances et par sa mort, il est la source éternelle de cet amour que son Esprit répand dans tous les membres de son Corps mystique. Le Cœur de notre Sauveur reflète donc d’une certaine façon l’image de la divine Personne du Verbe et de sa double nature humaine et divine, et en lui nous pouvons considérer non seulement le symbole, mais comme la somme de tout le mystère de notre Rédemption. Lorsque nous adorons le Cœur très sacré de Jésus-Christ, nous adorons par lui et en lui tant l’amour incréé du Verbe divin que son amour humain, ses autres sentiments et ses autres vertus, puisque c’est l’un et l’autre amours qui ont poussé notre Rédempteur à s’immoler pour nous et pour toute l’Eglise son épouse, selon les paroles de l’Apôtre: “Le Christ a aimé l’Eglise et s’est livré lui-même pour elle, afin de la sanctifier, après l’avoir purifiée dans l’eau baptismale, avec la parole, pour la faire paraître devant lui, cette Eglise, glorieuse, sans tache, sans ride ni rien de semblable, mais sainte et immaculée” (Eph. V, 25-27) » (3). Le Sacré-Cœur de Jésus dans l’Evangile Où trouver sinon dans l’Evangile le fondement de cette dévotion? Et verbum caro factum est. Et vidimus et credimus... (Le Verbe s’est fait chair... nous l’avons vu et puisque nous l’avons vu nous avons cru, Jn I, 14; cf. I Jn I, 1-2) nous dit l’Apôtre bien-aimé St Jean l’Evangéliste, qui a appuyé sa tête sur le Cœur de Jésus durant la dernière Cène. Jésus a dit à ses disciples (et donc aussi à nous) “apprenez de moi que je suis doux et humble de Cœur” (Matth. II, 28-30) pour attirer notre attention sur les dispositions intérieures de son âme très sainte symbolisée par son Cœur. Ouvrons donc quelques pages de l’Evangile pour découvrir le Cœur de Dieu qui voulut attirer les hommes à lui avec sa bonté et sa miséricorde. Marie-Madeleine. Jésus passa par les chemins de la Galilée et de la Judée en faisant du bien (transiit benefaciendo...) et en cherchant des âmes à pardonner et à racheter. Certaines vinrent à Lui spontanément pour être pardonnées: l’une d’elles fut Marie-Madeleine, la pécheresse de Magdala. La fatigue du péché s’était emparée d’elle, une grâce intime avait sollicité son cœur de retourner au bien, une parole de Jésus, entendue peut-être par hasard, avait fait le reste vainquant les dernières résistances. Prosternée aux pieds du Maître et pleurant à chaudes larmes, elle avait fait l’humiliante confession de ses fautes en implorant le pardon de son Seigneur. Ce pardon ne se fit pas attendre; après avoir expliqué au pharisien qui la recevait que justement celui auquel la dette a été remise aime encore plus, il se retourna avec douceur vers Madeleine: “Femme tes péchés te sont pardonnés” (Luc VII, 48). En effet “Il lui a été beaucoup pardonné parce qu’elle avait beaucoup aimé” (ibidem, 46). Le Maître adorable avait reconnu en elle une âme ardente et choisie, que le plaisir peut fasciner l’espace d’un instant mais pas satisfaire, et en avait fait une conquête de son amour infini. D’une fille pécheresse et perdue d’Israël, méprisée par les pharisiens orgueilleux, Jésus avait fait une sainte, une perle pour son Paradis, un miracle d’amour, la bienaimée de son Cœur, au point que c’est d’abord à elle (après la très Sainte Vierge) que Jésus apparaîtra après sa Résurrection. La Madeleine est l’œuvre du pardon miséricordieux du Sauveur. Zachée. Il avait péché, en suivant la voie large et facile, en s’enrichissant par des moyens plus ou moins licites, et jouissait de 38 Jésus dit: “Zachée hâtetoi de descendre, car je veux aujourd’hui loger dans ta maison” (Lc XIX, 5) la vie sans souci et sans remords. Mais un jour une grâce secrète avait répandu dans son âme comme un vague désir d’une vie meilleure. Le bruit des miracles de Jésus avait dû arriver jusqu’à lui, uni au désir de voir le Maître. Pour ce faire, puisque Jésus arrivait dans sa ville, insouciant du respect humain, il était monté sur un sycomore, car il était de petite taille. « Une touche bienfaisante de la grâce le pousse à désirer de voir le Christ. Il ne tient pas à lui parler; il n’a rien à lui dire, ce lui semble; il veut seulement le voir... Tandis qu’il le considère, s’avançant lentement accompagné par la foule, il sent tout à coup le regard de Jésus fixé sur lui. Ce regard profond et doux, au rayonnement lumineux, qui pénètre jusqu’au fond des âmes, le remue étrangement; et voilà qu’il s’entend appeler par son nom: “Zachée - dit Jésus avec une douceur infinie - hâte-toi de descendre, car je veux aujourd’hui loger dans ta maison” (Lc XIX, 5). Dans sa maison... bouleversé jusqu’au plus intime de son âme par cette attention du Maître, il ne peux rien répondre. Il court à son logis... il fait tout préparer... Jésus entre... que ce passe-t-il il alors dans l’âme de Zachée? Une vive lumière lui montre l’injustice de sa vie. La bonté de Jésus qui a daigné le choisir pour son hôte, malgré le mépris général dont il est l’objet de la part des Juifs, lui apparaît si miséricordieuse et si douce, que son cœur en est profondément touché. A la vue du Christ pauvrement vêtu, vivant d’aumônes, passant, en faisant le bien, en répandant la lumière et la paix, le front serein, le regard tout rempli de miséricorde, et la main toujours levée pour bénir, faux biens dans lesquels, jusqu’alors, il avait placé son bonheur. Il comprend que son âme est faite pour quelque chose de plus grand, de plus utile et de meilleur. Debout devant le Maître, avec un cœur large, une volonté entièrement déterminée au bien: “Voici, dit-il, que je donne la moitié de mes biens aux pauvres, et si j’ai fait tort à quelqu’un en quoi que ce soit, je lui en rends quatre fois autant” (Lc XIX, 8) (...). Quelle n’est pas la joie de Jésus lorsqu’il voit Zachée répondre si fidèlement à la grâce! Ses regards miséricordieux ne se seront donc pas en vain fixés sur cette âme; ses avances toutes pleines d’amour n’auront pas été, cette fois, repoussées! Considérant l’œuvre sublime opérée par sa miséricorde, le divin Maître s’écrie: “Le salut est vraiment entré aujourd’hui dans cette maison... Celuilà est bien aussi un fils d’Abraham”. Puis il ajoute ces belles paroles, splendide et divin sommaire de sa propre vie: “Le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu” (ibidem 10) » (4). La Samaritaine. Jésus ne trouvait pas toujours des âmes aussi promptes à correspondre comme celle de Zachée, parfois il devait combattre pour les conquérir, comme dans le cas de la samaritaine. Dans la ville de Sichar il y avait beaucoup d’âmes à sauver; dans sa miséricorde Jésus avait vu une femme pécheresse, et Il voulait non seulement la retirer du mal mais en faire l’apôtre de ses concitoyens. Jésus fatigué par le voyage avait laissé ses apôtres continuer leur chemin et s’était assis près du puits de Jacob. Faiblesse divine, lassitude mystérieuse qui le faisait faiblir sous le poids des péchés du monde; Il attendait l’âme pour laquelle Il s’était déjà tant fatigué mais qui jusqu’alors avait résisté à sa miséricorde. La femme s’approche pour puiser de l’eau; disciple des doctrines erronées en tant que samaritaine, un caractère tenace et porté à la raillerie, une nature sensuelle, ennemie du travail, étaient autant d’obstacles à son retour au bien. Mais Jésus médecin des âmes, qui est venu non pour celles qui se portent bien mais pour les malades, est là pour la sauver. « Le Maître divin commence donc, avec la pécheresse, ce sublime colloque que nous a transmis le Saint Evangile. Le respect de Jésus pour les âmes, la rare prudence qui accompagne toutes ses paroles et tous ses actes, sa douceur, sa patience, son humilité n’y paraissent pas moins que sa profonde connaissance des cœurs. Il demande d’abord à la Samaritaine un léger service. Il supporte, sans en rien témoigner, ses impertinentes saillies. Il entre peu à peu dans son esprit, excitant, avec une sainte habileté, sa curiosité naturelle. Il l’amène ainsi à déclarer l’irrégularité de sa position. C’est seulement lorsque, d’elle-même, elle a dit: “Je n’ai point de mari” (Jn IV, I7), que Jésus lui fait voir qu’il connaît l’état de péché dans lequel elle vit. Mais il le fait simplement, sans lui adresser de reproches, sachant bien qu’elle n’est pas capable de les recevoir; sans la frapper de son mépris, sans même l’humilier par un terme dur. Cette douceur admirable, ce regard divin qui lit dans son âme, donnent à cette pauvre femme la confiance d’interroger Jésus. Et Lui, avec une incomparable bonté, répond à ses questions, dissipe ses doutes, éclaire son intelligence. Quand Il s’est ainsi rendu maître de son esprit, Il lui déclare sa divine mission. Elle, en proie à la plus vive agitation, retourne en hâte vers la ville. Un trouble étrange s’est emparé de son âme; des pensées qu’elle n’a jamais eues viennent l’assaillir. Sous l’influence de la grâce, un changement, dont elle n’a pas encore conscience, s’opère en elle. Quand elle rentre à Sichar, elle se sent pressée de dire à tous ceux qu’elle rencontre: “Venez, venez voir un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait: ne serait-ce pas le Christ?” (Jn IV, 29). Elle ne sait encore si elle doit croire; mais elle comprend que cet homme si pur, si grave et si doux qui lui a parlé dans le chemin, n’est point une créature vulgaire. Elle veut que les autres en jugent. Le soir de ce même jour, quand, appelé par les habitants, Jésus entra dans Sichar, Il retrouva la pécheresse: la grâce toute-puissante l’avait transformée. Elle vint alors d’elle-même à son charitable Sauveur, non pour avouer des crimes qu’Il connaissait déjà, mais pour recevoir un pardon que sa foi et sa contrition réclamaient, et que le Cœur infiniment bon de Jésus avait hâte de lui donner. La miséricorde avait encore une fois triomphé. Elle avait fait, d’une créature misérable en qui tout semblait impur et vicié, une âme enrichie par la grâce, un apôtre de la vérité, un trophée glorieux pour le Christ. Elle avait opéré un miracle nouveau. Et lorsque, deux jours plus tard, Jésus s’éloigna de la ville, ceux qu’Il avait attirés à son amour, illuminés de sa vérité et sauvés Jésus et la Samaritaine: “Si tu savais le don de Dieu” par sa miséricorde, lui donnèrent pour la première fois, d’une voix unanime, ce nom si doux de “Sauveur”. Dix-neuf siècles déjà ont répété cette parole des heureux Samaritains: “Il est vraiment le Sauveur du monde” (ibidem, 42). Bien d’autres siècles, peut-être, la répéteront encore: les échos de l’éternité la répercuteront sans fin! Oui, Jésus est le Sauveur du monde, parce qu’Il est la Miséricorde: le monde a tant besoin de miséricordieux pardons! » (5). C’est justement en parlant avec la Samaritaine que Jésus prononça ces admirables paroles qui peuvent si bien se rapporter à son Sacré-Cœur: “Si tu savais le don de Dieu, et qui est Celui qui te dis - donne-moi à boire - peut-être lui en eus-tu demandé toimême, et il t’aurait donné d’une eau vive (...). Qui boira de l’eau que je lui donnerai, n’aura jamais soif; mais l’eau que je lui donnerai deviendra une fontaine d’eau jaillissante jusque dans la vie éternelle”(Jn IV, 10-14). Nombreux sont les autres passages des Evangiles dans lesquels plus qu’ailleurs on voit la bonté et la miséricorde du SacréCœur de Jésus. Les paraboles du bon samaritain, du bon pasteur, de la femme adultère et tant d’autres endroits de l’Evangile en sont un exemple; je ne citerai pour finir que le cas du bon larron. C’est un criminel condamné à mort justement pour ses crimes et qui est supplicié avec le Seigneur. Dismas 40 (c’était son nom) est frappé de la mansuétude de Jésus, qui au lieu de maudire pardonne ses ennemis: “Père, pardonnez-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font” (Lc XXIII, 34). Ces paroles de Jésus opèrent la conversion du délinquant parce que rien de semblable n’avait jamais été vu ni entendu sur la terre jusqu’alors. Touché par l’émotion, le bon larron reprend d’abord son compagnon: “Ne crains-tu point Dieu, quand tu subis la même condamnation? Encore pour nous, c’est avec justice; car nous recevons ce que nos actions méritent; mais celui-ci n’a rien fait de mal” (ibidem 40-41); et il dit à Jésus: “Seigneur, souvenez-vous de moi quand vous serez arrivé dans votre royaume”. Ce sont des paroles remplies d’une grande humilité (il demande seulement de se souvenir de lui, il ne s’estime pas digne de lui demander autre chose), espérance (il parle du royaume de Jésus qu’il ne voit pas avec les yeux du corps; en effet quel royaume peut avoir sur terre quelqu’un qui meurt nu sur une croix...) et foi (il appelle “Seigneur” et croit en son royaume dans lequel Il ira après la mort). La réponse du Sacré-Cœur est comme toujours au-dessus des attentes du demandeur. A celui qui lui demande de se souvenir seulement de lui, Jésus donne son royaume: “En vérité je te le dis, aujourd’huimême tu seras avec moi au Paradis”. Ainsi pardonne l’Agneau de Dieu qui est venu enlever les péchés du monde. Tant est grande sa miséricorde et sa bonté qu’il permet au bon larron son dernier... vol, celui du ciel. Mais il s’agit d’un vol...qui enrichit le volé, et rend le Sauveur plein de joie pour cette première âme que sa Croix a sauvée en la faisant le premier membre de sa Sainte Eglise, après la très Sainte Vierge Marie. Les dons de Jésus: manifestation de son Cœur très sacré La bonté et la miséricorde du Seigneur se manifestent aussi dans les dons qu’il nous a laissés avant de monter au ciel. Pie XII, à qui le Sacré-Cœur apparut en 1954 pour le guérir d’une grave maladie écrivit (6), deux ans après, l’encyclique “Haurietis Aquas” peut-être même comme remerciement pour cette grâce. On y lit: « Lorsqu’il fut suspendu à la croix, notre divin Rédempteur sentit son Cœur bouillonner de sentiments divers et impétueux, d’un amour intense, d’épouvante, de miséricorde, de violent désir et de paix sereine, sentiments qui sont exprimés d’une façon significative par ces paroles: “Père, pardonnez-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font” (Lc XXIII, 34); “Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné?” (Matth. XXVII, 46); “Je te le dis en vérité, aujourd’hui tu seras avec moi dans le Paradis” (Lc 23, 43); “J’ai soif” (Jn XIX, 28); “Père, je remets mon esprit entre vos mains” (Lc XXIII, 46). Qui pourrait décrire dignement les sentiments dont était imprégné le Cœur divin, indices de son amour infini, aux moments où il se donnait lui-même aux hommes dans le sacrement de l’Eucharistie, où il leur donnait sa Mère très Sainte et nous faisait participer à la charge sacerdotale? Avant de partager la dernière Cène avec ses disciples, le Christ Notre-Seigneur, qui savait qu’Il devait instituer le sacrement de son Corps et de son Sang, par l’effusion duquel une Nouvelle Alliance devait être scellée, sentit son Cœur s’animer de sentiments ardents, qu’Il exprima à ses Apôtres par ces paroles: “J’ai ardemment désiré manger cette Pâque avec vous avant de souffrir” (Lc XXII, 15); ces sentiments ont, sans aucun doute, été plus ardents lorsque “Il prit du pain et, après avoir rendu grâces, Il le rompit et le leur donna, en disant ‘Ceci est mon corps, donné pour vous. Faites ceci en mémoire de moi’. Et pareillement pour la coupe, après qu’ils eurent soupé, en disant: ‘Cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang, répandu pour vous”’ (Lc XXII, 19-20). On peut donc affirmer que la divine Eucharistie, en tant que sacrement par lequel Il se donne aux hommes, et sacrifice par lequel Il s’immole perpétuellement “du lever jusqu’au coucher du soleil” (St Augustin, De sancta virginitate, 6 - ML 40. 399), ainsi que le sacerdoce ( 7), sont des dons du Cœur très sacré de Jésus. Un don très précieux également de ce Cœur très sacré est... Marie, la Mère de Dieu et aussi notre Mère très aimante à tous. Elle a été la Mère de notre Rédempteur selon la chair et son Associée pour ramener les fils d’Eve à la vie de la grâce, ce qui lui valut d’être appelée [par Jésus Lui-même] la Mère spirituelle de tout le genre humain » (8). Origines de cette dévotion La dévotion au Cœur de Jésus comme de nombreux dogmes et cultes de l’Eglise a eu au cours des siècles un développement ho- 41 mogène, pour arriver à sa véritable révélation au XVIIème siècle. Peut-être le premier “dévot” au Sacré-Cœur fut-il St Jean qui posa sa tête sur le côté du Sauveur durant la dernière Cène; c’est lui en effet qui nous rapporte dans son évangile le coup de lance qui ouvrit et blessa la poitrine du Seigneur Jésus (Jn XIX, 31s). La plupart des Pères de l’Eglise dans leurs commentaires de ce passage évangélique ne se réfèrent pas au Cœur véritable de Jésus « mais au sein, à la poitrine, à la blessure du côté. Le passage était facile et spontané; cependant il ne semble pas que les Pères l’aient accompli. Ils ont entrevu le Cœur, à travers la poitrine déchirée, mais se sont arrêtés sur le seuil du “Temple de Dieu”. Même ceux qui parlèrent expressément du “Cœur”, ne le considérèrent cependant pas comme symbole ou emblème d’amour, mais comme figure, image, métaphore des affections de l’âme et donc aussi de l’amour. (...) Dans la blessure du côté les Pères virent la source de l’Eglise et des sacrements... De leurs considérations théologiques et mystiques naîtra la dévotion aux cinq plaies, à partir de laquelle plus tard se développera la dévotion au Sacré Côté: c’est précisément cette dévotion qui petit à petit révélera aux âmes le Cœur de Jésus et son amour. Historiquement, la blessure du Côté nous apparaît comme la providentielle et logique préparation du culte du Sacré-Cœur » (9). C’est le Moyen Age qui marque le début et la constitution de cette dévotion. « Le christianisme désormais victorieux se renforce dans la possession pacifique de son credo et de son culte. C’est le temps des grands théologiens et des grands mystiques médiévaux. Le centre de leurs méditations est encore le Christ Rédempteur, mais ce n’est plus la Divinité qui frappe davantage leur intelligence et leur cœur, mais l’humanité de Jésus Sauveur, spécialement dans ses mystères les plus humains: l’Incarnation et la Passion: “pourquoi Dieu s’est-il fait homme?” » (10). Par amour... répondra le dévot du Sacré-Cœur dans les siècles suivants! Un exemple de cette période nous est donné par St Anselme († 1109) qui dit: “Le doux Jésus... dans l’ouverture de sa poitrine; cette ouverture en effet nous révéla les richesses de sa bonté, c’est-à-dire l’amour de son Cœur pour nous” (11). St Bonaventure ensuite († 1274) nous offre une idée la plus exacte et la plus complète possible de cette dévotion; il en donne le double objet, la fin, l’esprit, l’acte propre et plusieurs actes de dévotion, c’est pourquoi il peut être placé parmi les premiers dévots du Sacré-Cœur (l’Eglise prend chez lui certaines leçons pour l’office de la fête). Ensuite deux mystiques bénédictines Ste Gertrude († 1298) et Ste Mathilde († 1303) rendirent plus chaude cette dévotion au SacréCœur, en y ajoutant une multitude d’exercices pratiques. « Fréquents et très divers sont les actes d’hommage qu’elles adressaient au Cœur de Jésus: innombrables les faveurs très spéciales qu’elles en recevaient: échange du Cœur, repos sur le Cœur divin, enseignements spirituels, et surtout les révélations qui constituent la première “théologie du SacréCœur” » (12). Un vrai précurseur de Ste Marguerite-Marie fut certainement St Jean Eudes (1601-1680) que l’Eglise a déclaré “auteur du culte liturgique des Saints Cœurs de Jésus et de Marie, le Père, le docteur, l’apôtre de ce même culte”. Mais la vraie institutrice, celle qui par mission divine devait répandre dans le monde l’amour pour le Sacré-Cœur, a certainement été Ste Marguerite-Marie Alacoque. La dévotion au Sacré-Cœur ne fut donc pas découverte ou inventée par Ste Marguerite-Marie, la voyante de Paray-leMonial; elle existait déjà avant elle, mais n’avait pas encore une large et vive influence sur la masse des fidèles et manquait d’un contenu bien déterminé. Ce fut précisément la charge et la mission spéciale que Dieu confia à Ste Marguerite-Marie: c’est à elle que fut réservé de faire fleurir cette dévotion d’une manière plus manifeste, de l’accréditer avec une quantité de merveilles, de donner lieu à un culte public et universel. Si la dévotion au Sacré-Cœur existait déjà avant Ste Marguerite-Marie, il est toutefois difficile de dire quelle fut l’influence des “précurseurs” sur elle. Avec une grande probabilité, d’après les spécialistes de sa vie, elle n’en lut pas les œuvres et n’en subit aucune influence, c’est pourquoi l’on peut conclure que “la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus-Christ a pour auteur Jésus-Christ même. C’est Lui qui l’a révélée; qui en a commandé l’institution; qui en a expliqué la nature; qui en a enseigné la pratique; qui en a prescrit la forme” ( 13). Ste MargueriteMarie fut donc l’apôtre officielle choisie par Jésus pour faire connaître à tous les hommes les abîmes de son amour infini et pour la diffusion de ce culte. Dans la vie autobiographique de Ste Marguerite-Marie, qu’elle écrivit par obéissance, nous lisons: « Une fois, donc, étant 42 devant le saint Sacrement [le 27 décembre 1673, n.d.a.] me trouvant un peu plus de loisir, car les occupations que l’on me donnait ne m’en laissaient guère, me trouvant toute investie de cette divine présence, mais si fortement, que je m’en oubliai de moi-même et du lieu où j’étais, et je m’abandonnai à ce divin Esprit, livrant mon cœur à la force de son amour. Il me fit reposer fort longtemps sur sa divine poitrine, où il me découvrit les merveilles de son amour, et les secrets inexplicables de son sacré Cœur, qu’il m’avait toujours tenus cachés, jusqu’alors qu’il me l’ouvrit pour la première fois, mais d’une manière si effective et sensible qu’il ne me laissa aucun lieu d’en douter, par les effets que cette grâce produisit en moi (...). Et voici comme il me semble la chose s’être passée. Il me dit: “Mon divin Cœur est si passionné d’amour pour les hommes, et pour toi en particulier, que ne pouvant plus contenir en lui-même les flammes de son ardente charité, il faut qu’il les répande par ton moyen, et qu’il se manifeste à eux pour les enrichir de ses précieux trésors que je te découvre, et qui contiennent les grâces sanctifiantes et salutaires nécessaires pour les retirer de l’abîme de perdition; et je t’ai choisie comme un abîme d’indignité et d’ignorance pour l’accomplissement de ce grand dessein, afin que tout soit fait par moi”. Après il me demanda mon cœur, lequel je le suppliai de prendre, ce qu’il fit, et le mit dans le sien adorable, dans lequel il me le fit voir comme un petit atome qui se consommait dans cette ardente fournaise, d’où en le retirant comme une flamme ardente en forme de cœur, il le remit dans le lieu où il l’avait pris, en me disant: “Voilà, ma bien aimée, un précieux gage de mon amour, qui renferme dans ton côté une petite étincelle de ses plus vives flammes, pour te servir de cœur et te consommer jusqu’au dernier moment, et dont l’ardeur ne s’éteindra, ni ne pourra trouver de rafraîchissement que quelque peu dans la saignée, dont je marquerai tellement le sang de ma croix, qu’elle t’apportera plus d’humiliation et de souffrance que de soulagement. C’est pourquoi je veux que tu la demandes simplement, tant pour pratiquer ce qui vous est ordonné, que pour te donner la consolation de répandre ton sang sur la croix des humiliations. Et pour marque de la grande grâce que je viens de te faire n’est point une imagination, et qu’elle est le fondement de toutes celles que j’ai encore à te faire, Sainte MargueriteMarie Alacoque quoique j’aie refermé la plaie de ton côté, la douleur t’en restera pour toujours, et si jusqu’à présent tu n’as pris que le nom de mon esclave, je te donne celui de la disciple bien-aimée de mon sacré Cœur”. Après une faveur si grande, et qui dura un si long espace de temps, pendant lequel je ne savais si j’étais au ciel ou en terre, je demeurai plusieurs jours comme toute embrasée et enivrée, et tellement hors de moi que je ne pouvais en revenir pour dire une parole qu’avec violence, et m’en fallait faire une si grande pour me récréer et pour manger, que je me trouvais au bout de mes forces pour surmonter ma peine; ce qui me causait une extrême humiliation. Et je ne pouvais dormir, car cette plaie, dont la douleur m’est si précieuse, me cause de si vives ardeurs qu’elle me consomme et me fait brûler toute vive. Et je me sentais une si grande plénitude de Dieu, que je ne pouvais m’exprimer à ma supérieure comme je l’aurais souhaité et fait, quelque peine et confusion que ces grâces me fassent ressentir en les disant, pour ma grande indignité, laquelle m’aurait fait choisir mille fois plutôt de dire mes péchés à tout le monde; et ce me serait été une grande consolation, si l’on m’avait permis de le faire et de lire tout haut ma confession générale au réfectoire, pour faire voir le grand fonds de corruption qui est en moi, afin que l’on ne m’attribuât rien des grâces que je recevais. Celle dont je viens de parler au sujet de ma douleur de côté m’était renouvelée les premiers vendredis du mois en cette manière: ce sacré Cœur m’était représenté comme un soleil brillant d’une éclatante lumière, dont les rayons tout ardents donnaient à plomb sur mon cœur, qui se sentait d’abord embrasé d’un feu si ardent, qu’il me semblait 43 m’aller réduire en cendres, et c’était particulièrement en ce temps-là que ce divin Maître m’enseignait ce qu’il voulait de moi, et me découvrait les secrets de cet aimable Cœur. Et une fois, entre les autres, que le saint Sacrement était exposé, après m’être sentie retirée toute au dedans de moi-même par un recueillement extraordinaire de tous mes sens et puissances, Jésus-Christ, mon doux Maître, se présenta à moi, tout éclatant de gloire avec ses cinq plaies, brillantes comme cinq soleils, et de cette sacrée Humanité sortaient des flammes de toute part, mais surtout de son adorable poitrine, qui ressemblait une fournaise; et s’étant ouverte, me découvrit son tout aimant et tout aimable Cœur, qui était la vive source de ces flammes. Ce fut alors qu’il me découvrit les merveilles inexplicables de son pur amour, et jusqu’à quel excès il l’avait porté d’aimer les hommes, dont il ne recevait que des ingratitudes et méconnaissances. “Ce qui m’est beaucoup plus sensible”, me dit-il, “que tout ce que j’ai souffert en ma Passion; d’autant que s’ils me rendaient quelque retour d’amour j’estimerai peu tout ce que j’ai fait pour eux, et voudrais, s’il se pouvait, en faire encore davantage; mais ils n’ont que des froideurs et du rebut pour tous mes empressements à leur faire du bien. Mais, du moins, donne-moi ce plaisir de suppléer à leurs ingratitudes autant que tu en pourras être capable”. Et lui remontrant mon impuissance, il me répondit: “Tiens, voilà de quoi suppléer à tout ce qui te manque”. Et en même temps, ce divin Cœur s’étant ouvert, il en sortit une flamme si ardente que je pensai en être consommée, car j’en fus toute pénétrée, et ne pouvais plus la soutenir, lorsque je lui demandai d’avoir pitié de ma faiblesse. “Je serai ta force”, me dit-il, “ne crains rien, mais sois attentive à ma voix et à ce que je te demande pour te disposer à l’accomplissement de mes desseins. Premièrement, tu me recevras dans le saint Sacrement autant que l’obéissance te le voudra permettre, quelque mortification et humiliation qui t’en doivent arriver, lesquelles tu dois recevoir comme des gages de mon amour. Tu communieras de plus tous les premiers vendredis de chaque mois. Et, toutes les nuits du jeudi au vendredi, je te ferai participer à cette mortelle tristesse que j’ai bien voulu sentir au jardin des Olives, et laquelle tristesse te réduira, sans que tu la puisses comprendre, à une espèce d’agonie plus rude à supporter que la mort. Et pour m’accompagner dans cette humble prière que je présentai alors à mon Père parmi toutes mes angoisses, tu te lèveras entre onze heures et minuit, pour te prosterner pendant une heure avec moi, la face contre terre, tant pour apaiser la divine colère, en demandant miséricorde pour les pécheurs, que pour adoucir en quelque façon l’amertume que je sentais de l’abandon de mes apôtres, qui m’obligea à leur reprocher qu’ils n’avaient pu veiller une heure avec moi, et pendant cette heure tu feras ce que je t’enseignerai. Mais, écoute, ma fille, ne crois pas légèrement à tout esprit et ne t’y fie pas; car Satan enrage de te décevoir; c’est pourquoi ne fais rien sans l’approbation de ceux qui te conduisent, afin qu’ayant l’autorité de l’obéissance, il ne te puisse tromper, car il n’a point de pouvoir sur les obéissants” » (14). Dans une autre apparition Jésus dit: “Dans l’excès de ma miséricorde, j’ai voulu dans ces derniers temps, manifester aux hommes, les trésors infinis de mon sacré Cœur”. La révélation du SacréCœur a donc pour origine, d’après les paroles mêmes du Seigneur, l’excès de sa miséricorde pour les hommes. Caractère et fin de la dévotion au Sacré-Cœur Après avoir lu les consolantes paroles de la révélation du Sacré-Cœur, voyons-en maintenant le caractère. La dévotion au Sacré-Cœur est essentiellement, comme nous l’avons vu, une dévotion d’amour, un culte à l’amour de Dieu. L’amour veut l’amour “celui qui n’aime pas demeure dans la mort” (I Jn III, 14). Seul celui qui aime donne vraiment tout, parce qu’en aimant il se donne lui même, et le Cœur de Jésus est un cœur humain qui ne demande que de l’amour. Il l’a révélé Lui-même à Ste Mathilde “il ne me manque que le Cœur de l’homme”. En effet étant Dieu Il a tout, rien ne lui manque, rien ne peut lui manquer, il n’y a que le cœur de l’homme qui ayant été créé libre, peut résister à l’amour de Jésus. La dévotion au Sacré-Cœur est la révélation de l’Amour infini de Dieu pour amener l’homme à un échange d’amour. Les Papes en encourageant ce culte au Sacré-Cœur de Jésus ont enseigné cette vérité. Léon XIII disait: « Jésus n’a pas de désir plus ardent que de voir allumé dans les âmes le feu d’amour dont son Cœur est consumé. Allons donc à Celui qui, comme prix de sa charité, ne nous demande rien d’autre qu’une cor- 44 respondance d’amour » (15). Pie IX dans le bref de béatification de Ste MargueriteMarie dit: « L’auteur et le consommateur de notre foi, Jésus, n’a rien eu plus en vue que d’exciter dans les âmes des hommes les flammes dont son Cœur brûlait, ainsi que nous le voyons dans l’Evangile en donner l’assurance à ses disciples: “Je suis venu jeter le feu sur la terre, et quelle est ma volonté sinon qu’il s’allume?” (Lc XII, 49). Or comme moyen d’exciter davantage ce feu de la charité, il a voulu qu’on établît dans son Eglise la vénération et le culte de son très sacré Cœur, et qu’on le propageât ». Enfin Pie XII dit: « Ce lien très étroit que les Saintes Ecritures (“L’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné”, Rm. V, 5) affirment intervenir entre la divine charité, qui doit brûler dans les cœurs des chrétiens, et l’Esprit-Saint, qui est essentiellement Amour, nous dévoile à tous ... la nature intime elle-même de ce culte au très saint Cœur de Jésus-Christ. Car, s’il est manifeste que ce culte... requiert de notre part une volonté de nous consacrer à l’amour du divin Rédempteur... de même il est également manifeste, et dans un sens encore plus profond, que ce même culte suppose avant tout que nous rendions amour pour amour à ce divin Amour. En effet, du fait seul de la chaLe Sacré-Cœur de Jésus apparaissant à Ste Marguerite-Marie rité découle cette conséquence que les cœurs des hommes se soumettent pleinement et parfaitement à l’autorité suprême du Seigneur, puisque, en réalité, le sentiment de notre amour s’attache à la volonté divine au point de ne faire qu’un en quelque sorte, selon ce qui est dit: “Celui qui s’unit au Seigneur n’est avec lui qu’un esprit” (I Cor. VI, 17) » (16). Le Sacré-Cœur veut régner dans le cœur de l’homme parce qu’en en possédant le centre, le moteur de toute activité, il possède tout l’homme. « Mais l’amour ne se conquiert que par l’amour! En profond connaisseur du cœur humain, Dieu a voulu se conformer à une loi admirable et universelle de psychologie: “Si tu veux être aimé, aime!” Il pouvait nous imposer de l’aimer: c’était son droit. Mais on ne commande pas à l’amour! Et alors Dieu a préféré choisir une autre voie, une voie plus conforme à la nature même de l’amour: “Il nous a aimés le premier” (I Jn IV, 10), “afin que - explique St Augustin - si nous avions de la difficulté à l’aimer, au moins nous n’hésitions pas à échanger son amour puisqu’Il nous aime”, parce que de tous les motifs qui poussent à aimer, le plus efficace est celui d’être prévenu dans l’amour. Certainement a le cœur trop dur celui qui ne voulant pas accorder son amour comme don, refuse encore de le donner comme paiement d’une dette. Quand Dieu a voulu rallumer dans le cœur de l’homme, glacé par l’hérésie janséniste, son amour pour lui, il a eu recours à nouveau au moyen le plus abordable et le plus persuasif: lui révéler, une autre fois l’immense amour de son Cœur pour lui. On ne résiste pas à l’amour “l’amour supporte tout” (cf. I Cor. XIII, 7). La dévotion au Sacré-Cœur (...) est une admirable chaîne d’or qui lie et serre ensemble le Cœur de Dieu et celui de l’homme. S’il est vrai que la religion est la rencontre de deux cœurs... alors avec raison Pie XI appelle la nôtre “synthèse de toute la religion”... réservée par la Providence pour donner lumière et chaleur à tout le dogme, à toute la morale chrétienne » (17). Si cet amour “méconnu” et outragé de Dieu est la note dominante de la dévotion au Sacré-Cœur, l’amour de la part de l’homme ne peut être qu’un amour réparateur. L’homme déchu après Adam doit tenir compte de sa condition de pécheur et donc dans une certaine manière, en aimant il entend le dédommager du tort à lui fait, alors 45 que Dieu continue d’aimer l’homme d’un amour de miséricorde. La miséricorde en effet est un mot latin qui signifie un cœur (le Cœur divin) qui se penche sur une misère naturelle (celle de l’homme pécheur). Dans la révélation du Sacré-Cœur à Ste Marguerite-Marie et dans les demandes qu’Il lui fait, la réparation semble se présenter comme le premier et le plus essentiel acte de dévotion. La dévotion au Sacré-Cœur est donc l’Amour de Dieu, qui demande et cherche l’amour réparateur de l’homme. Pratique de cette dévotion Comment peut-on pratiquer cette dévotion sans la connaître? Il est nécessaire de sortir de notre torpeur et de nous approcher de Jésus dans la méditation et la prière, pour avoir “les sentiments qu’avait en lui le Christ Jésus” (Phil. II, 5) et donc de son Sacré-Cœur. Autrement nous mériterions le reproche que le Seigneur Lui-même faisait à la Samaritaine: “vous adorez ce que vous ne connaissez point...” (Jn IV, 22). Ce sera dans le recueillement de la prière et dans l’assistance (ou célébration, pour les prêtres) à la sainte Messe que nous trouverons le SacréCœur. Disce Cor Dei in verbis Dei (apprends le Cœur de Dieu dans la parole de Dieu) dit St Bernard. Et après l’avoir connu nous pourrons nous conformer à lui, puisque c’est justement à cette conformité que doit tendre la dévotion au Sacré-Cœur. Si Dieu “nous a prédestinés à être conformes à l’image de son Fils” (Rom. VIII, 29) comme dit St Paul, quelle est l’image du Fils à laquelle tous ceux qui veulent parvenir au salut éternel doivent se conformer, sinon le Sacré-Cœur de Jésus? En effet le Seigneur Jésus parle ainsi au dévot: « Tous ne peuvent pas imiter mes actions extérieures, faire les miracles que j’ai fait. La diversité des vocations ne permet pas même à tous de suivre mon genre de vie extérieure: mais tous, grands et petits, savants et ignorants, peuvent et doivent imiter les sentiments de mon Cœur, quelle que soit leur condition. Si donc vous voulez vous sauver, il faut que vous deveniez conformes à mon Cœur; il faut que votre cœur éprouve les mêmes sentiments que le mien. Vous auriez distribué tous vos biens aux pauvres, voué votre corps aux plus rudes austérités, connu tous les mystères, fait des miracles éclatants, si votre cœur ne ressemblait pas au mien, vous ne seriez rien encore, La première image du Sacré-Cœur, dessinée sur indication de Ste Marguerite-Marie, vénérée de son temps à la Visitation de Paray-le-Monial et conservée à la Visitation de Turin et tout cela vous serait inutile pour l’éternité. C’est sur votre ressemblance avec mon Cœur que vous serez jugé; c’est elle qui fixera votre sort éternel.(...) Ainsi, tout ce que vous faites ne vous servira de rien, si vous ne le faites pas selon mon Cœur. (...) Plus vous conformerez votre cœur à mon Cœur, plus vous assurerez votre salut » (18) . En outre ce serait une grave illusion de laisser cette connaissance du Cœur de Jésus qui s’acquiert en se conformant à Lui, à un niveau purement théorique. St Jacques (II, 26) en effet nous avertit “que la foi sans les œuvres est morte”. La vraie dévotion au Sacré-Cœur exige une réforme de l’intelligence et une transformation morale. « Etre dévoué au Sacré-Cœur signifie le connaître et le faire connaître, en défendre les droits, en promouvoir le culte, en prêcher les gloires. Etre dévoué au Sacré-Cœur, c’est chercher dans le Cœur physique de Jésus l’amour qui a donné au monde l’Eucharistie; c’est étudier au pied du tabernacle cette divine charité qui a révélé aux hommes le Sacré-Cœur. Ce n’est pas tout. Etre dévoué au SacréCœur, c’est pratiquer cette dévotion avec l’enthousiasme de l’amour; si on se contente de la subir avec une sorte de résignation, elle ne produira pas ses fruits; elle n’est point un feu qui végète sous la cendre, elle est la flamme qui s’élève ardente et joyeuse. Etre dévoué au Sacré-Cœur, c’est vivre sa dévotion. Il ne suffit pas d’aimer le SacréCœur, il est indispensable de vivre avec lui d’une vie intime, dans une douce familiarité, de ne pas faire un pas sans le consulter, de 46 nous cacher en lui, nous, nos talents, nos désirs, afin qu’il soit glorifié dans toutes nos œuvres “il faut qu’il croisse et que je diminue” (Jn III, 30). Il faut en outre étudier ses vertus, celles de sa vie mortelle, celles de sa vie eucharistique, les saisir, les aimer, les pratiquer pour son amour et pour sa gloire, professer pour toutes les paroles sorties de ses lèvres divines le même respect qui nous fait adorer les moindres parcelles de l’Hostie sainte. Etre dévoué au Sacré-Cœur signifie compatir à ses peines et s’adonner au devoir de la réparation d’une manière affective et effective, efficace et constante, intelligente et généreuse, afin d’expier les crimes monstrueux par lesquels ses ennemis insultent son nom, violent ses commandements, profanent son sacrement d’amour et persécutent son Eglise; c’est lui offrir des compensations pour les fautes, matériellement moins graves, mais en fait plus douloureuses, commises par tous ceux qui devraient être ses amis. Etre dévoué au Sacré-Cœur signifie accepter les sacrifices les plus pénibles avec visage souriant, conserver la paix et la joie même quand le cœur saigne, chercher en tout et malgré tout sa plus grande gloire. “Celui qui dit le connaître...” - a écrit l’Apôtre de l’amour - et “ne garde pas ses commandements est un menteur...” (I Jn II, 4). Etre dévoué au Cœur de Jésus veut dire partager son agonie et ses joies, brûler du désir de le faire connaître et d’étendre son règne, de glorifier son nom, de faire sa volonté, de sauver les âmes (...). Etre dévoué au Sacré-Cœur veut dire aimer passionnément la sainte Eglise, fleur virginale germée dans son sang, et s’unir à elle par l’adhésion parfaite à ses enseignements et la soumission à son chef. C’est aimer la vie intérieure, la vie cachée, le silence, le recueillement, la mortification. C’est aimer les âmes... les aimer toujours dans l’immolation continue, perpétuelle et totale de nos goûts, de nos idées et de notre bien-être » (19). De ce qui est exposé jusque-là nous pouvons conclure qu’être dévoué au Sacré-Cœur veut dire surtout pratiquer une dévotion réparatrice qu’on peut exprimer par certains actes principaux: dédommager Jésus du déshonneur qui lui est causé et le consoler de la tristesse que lui cause le péché [réparation affective], faire renaître dans le prochain la vie de la grâce par le zèle pour la gloire de Dieu et pour le salut des âmes [réparation ef- fective]. Enfin il faudra expier nos propres péchés et ceux d’autrui, en nous soumettant volontairement à la peine et à la douleur [réparation afflictive]. Le passage de l’un à l’autre degré est facile et spontané. Ce sont les trois anneaux de l’unique chaîne de l’amour, qui d’affective devient efficace et afflictive, c’està-dire qui du cœur passe aux œuvres, jusqu’à se consumer dans l’immolation, puisque la foi sans les œuvres serait morte. Les promesses du Sacré-Cœur. Conclusion Dans la pratique de la dévotion au Sacré-Cœur les “promesses” que Jésus fit à Ste Marguerite-Marie et à tous les dévots du Sacré-Cœur méritent un propos particulier. Elles constituent un fait singulier et le Seigneur les a certainement voulues pour attirer davantage encore les hommes à son amour infini. Le Sacré-Cœur en se révélant à Ste Marguerite-Marie ne s’est pas limité à évoquer en général les bienfaits et les fruits merveilleux que la nouvelle dévotion porterait mais voulut les spécifier d’après les besoins des âmes et le fit par les désormais célèbres et consolantes “douze promesses”. La Sainte resta confuse et ravie de tant de bonté et tous les hommes doivent faire comme elle. Je me limiterai ici à rapporter les douze “promesses” du Seigneur, qui feront ensuite l’objet d’une étude et d’un commentaire dans un autre article avec la pratique des neuf premiers vendredis du mois. Si cet article (qui n’a certainement pas pu traiter de manière exhaustive le sujet) a allumé dans le cœur des lecteurs une étincelle d’ardente charité pour l’amour infini de Dieu, l’auteur s’estimera heureux d’avoir atteint le but qu’il s’était proposé, puisque s’accompliront les paroles de Jésus: “Je suis venu jeter le feu sur la terre, et quelle est ma volonté sinon qu’il s’allume?” Aimons un peu plus ce Cœur très aimant et faisons-le aimer aux autres; il sera notre consolation dans cette vie et notre récompense dans l’autre... Sacré-Cœur de Jésus j’ai confiance en vous! Sacré-Cœur de Jésus, fournaise ardente de charité, rendez mon cœur semblable au vôtre! Notes 1) Manete in Dilectione mea, Paray-le-Monial 1925, pp. 16-17. 2) Hypostatiquement du grec upostasis = substance = suppositum, sujet existant, donc personne. Union hy- 47 LES DOUZE PROMESSES DU SACRE-CŒUR DE JESUS en faveur des personnes dévouées à son divin Cœur 1. Je leur donnerai toutes les grâces nécessaires dans leur état. 2. Je mettrai la paix dans leur famille. 3. Je les consolerai dans toutes leurs peines. 4. Je serai leur refuge assuré pendant la vie et surtout à la mort. 5. Je répandrai d’abondantes bénédictions sur toutes leurs entreprises. 6. Les pécheurs trouveront dans mon Cœur la source et l’océan infini de la miséricorde. 7. Les âmes tièdes deviendront ferventes. 8. Les âmes ferventes s’élèveront rapidement à une grande perfection. 9. Je bénirai moi-même les maisons où l’image de mon Sacré-Cœur sera exposée et honorée. 10. Je donnerai aux Prêtres le talent de toucher les cœurs les plus endurcis. 11. Les personnes qui propageront cette dévotion auront leur nom écrit dans mon Cœur, et il n’en sera jamais effacé. 12. Je te promets, dans l’excès de la miséricorde de mon Cœur, que Son amour tout-puissant accordera à tous ceux qui communieront les premiers vendredis, neuf fois de suite, la grâce de la pénitence finale, qu’ils ne mourront point dans ma disgrâce, ni sans recevoir leurs sacrements, et qu’il se rendra leur asile assuré à cette heure dernière. postatique indique donc l’union dans la personne de Jésus de la nature divine avec la nature humaine au moyen de l’Incarnation. 3) PIE XII, lettre encyclique Haurietis aquas, du 15 mai 1956, in La Documentation Catholique, Maison de la Bonne Presse, Paris 1956 - Toujours sur le SacréCœur on peut consulter la très belle encyclique de Pie XI Miserentissimus Redemptor noster du 8 mai 1928. 4) LOUISE M. CLARET DE LA TOUCHE, Le SacréCœur et le sacerdoce, Gabriel Beauchesne, Paris 1930, pp. 35-39. Il s’agit d’un livre très beau dont on peut conseiller la lecture même aux laïcs. Les idées pour la méditation quotidienne y sont très nombreuses. On voit qu’il a été écrit par une vraie disciple de l’amour infini. 5) Ibidem, pp. 40-44. 6) Cette apparition eut lieu probablement dans les premiers jours de décembre 1954 quand le Pape était gravement malade, les médecins n’avaient plus laissé d’espoir, et tout le monde catholique priait et offrait des sacrifices pour sa guérison. Alors que Pie XII se trouvait au lit seul dans sa chambre et récitait comme il avait coutume de le faire la belle prière de St Ignace “Anima Christi” arrivé aux mots “et jube me venire ad Te” il vit le Sacré-Cœur debout à côté de son lit. Le Seigneur le réconforta en lui faisant comprendre que son heure n’était pas encore venue; en effet la santé de Pie XII à partir de ce moment commença à s’améliorer, et il put reprendre peu à peu toutes ses activités. Le Pape lui-même confia la vision à Mgr Tardini et à Sœur Pascalina. La nouvelle fut révélée au monde entier par l’hebdomadaire “Oggi” en 1955, et ne fut jamais démentie par la salle de presse du Vatican. (Cf. ROBERT SERROU, “Pie XII le pape roi”, Perrin, Paris 1992). 7) M. de la Touche appelle l’Eucharistie et le sacerdoce “création de l’amour infini” et don de la miséricorde du Sacré-Cœur qui “un jour sentit l’Amour Infini déborder de son Cœur; et, voulant créer un être qui pût continuer son œuvre, subvenir à tous les besoins de l’homme; un être qui pût aider cet homme, le soutenir, l’éclairer, le rapprocher de Dieu, Il créa le prêtre!” (op. cit., p. 4). 8) PIE XII, Haurietis aquas, op. cit. 9) P. AGOSTINI S.C.J. “Il Cuore di Gesù - Storia Teologia pratiche promesse”. Studentato delle Missioni, Bologna 1950, pp. 25-26. 10) P. AGOSTINI S.C.J., op. cit., p. 27. 11) 10ème méditation in Migne P. L. 158 Col. 762 A.B. 12) P. AGOSTINI S.C.J., op. cit., p. 31. 13) P. DE GALLIFET JOSEPH, L’Excellence de la dévotion au Cœur adorable de Jésus-Christ, Veuve Baltasard, Nancy 1745, p. 4. Cité in P. AGOSTINI S.C.J., op. cit. 14) “Vie de Sainte Marguerite-Marie Alacoque écrite par elle-même” in “Vie et œuvres de Sainte Marguerite-Marie Alacoque”, Ancienne Librairie Poussielgue, J. de Gigord, Paris 1920, tome II pp. 69-73. 15) LÉON XIII encyclique du 28 juin 1889. 16) PIE XII, Haurietis aquas, op. cit. 17) P. AGOSTINI S.C.J., op. cit, pp. 158-159. Pour la citation de St Augustin la référence est la suivante: de catechizandis rudibus, c. 4 n. 7 in R.J. 1589. 18) P. ARNOLD S.J., Imitation du Sacré-Cœur de Jésus, Pellion et Marchet Frères Dijon 1883, livre I, chapitre IV. 19) Manete in Dilectione mea, op. cit., pp. 26-28. “Je régnerai malgré Satan et ses suppôts” (Notre-Seigneur à Ste Marguerite-Marie) 48 Exposition de la thèse de W Polémique Mgr Williamson contre le Concile Vatican... I! Par M. l’abbé Giuseppe Murro «Majeure: le Pape est infaillible. Mineure: or ces derniers papes sont libéraux. Conclusion: • (libérale) donc il faut se faire libéral • (sédévacantiste) donc ces “papes” ne sont pas de vrais papes». S i nous demandions à un catholique ce qu’il pense de ce syllogisme, les avis seraient différents. Après brève réflexion, les discussions porteront sur l’étrange mineure qui est le “moteur” du syllogisme: il y aura ceux qui l’acceptent, ceux qui la réfutent, ceux qui feront des distinctions. Mais à aucun catholique normal ne peut venir à l’esprit de déplacer la discussion sur la majeure et mettre en doute l’infaillibilité du Pape, en exhumant le gallicanisme enterré par le Concile Vatican I. Voici au contraire ce qu’écrit, à propos de ce syllogisme inventé par lui, Mgr Williamson (que nous indiquerons pour des raisons de commodité tout au long de l’article par l’abréviation W) dans un écrit du 9 août 1997, intitulé Considérations libératrices sur l’infaillibilité traduit en français par la revue Le sel de la terre (1) (pour qui ne le saurait pas, W est l’un des quatre évêques de la Fraternité St Pie X et le Directeur du Séminaire des Etats-Unis): “Ici, la logique est bonne et la mineure aussi; donc, si les conclusions laissent à désirer, le problème est à chercher dans la majeure, racine commune des deux conclusions opposées” (p. 21). W veut démontrer que ceux qui ont suivi le Concile Vatican II (indiqués par le terme “libéraux”) et ceux qui refusent l’autorité de Jean-Paul II (indiqués par le terme “sédévacantistes”) sont dans l’erreur: et la “racine commune” de cette erreur serait rien moins que de croire à l’infaillibilité du Pape! “Les libéraux - dit W - partagent avec les sédévacantistes une notion de l’infaillibilité très répandue depuis 1870 (Concile de Vatican I), notion pourtant fausse” (2). Pour W le problème serait donc constitué par la définition de l’infaillibilité du Pape de 1870. D’après lui cette définition serait mal interprétée (“notion fausse”), et même si elle était bien interprétée “elle a contribué beaucoup [per accidens] à une dévalorisation de la Tradition…”. Les “libéraux”, adversaires de la définition, auraient changé de stratégie: ne plus nier l’infaillibilité des définitions solennelles, mais affirmer que tout ce qui n’est pas solennellement défini peut être mis en doute. Contre cette nouvelle erreur, les théologiens catholiques, au lieu de rappeler que “ce n’est pas la définition qui fait la vérité”, en seraient arrivés à inventer une fausse infaillibilité du Magistère ordinaire: “les manuels de théologie écrits entre 1870 et 1950, qui, pour établir une vérité non solennellement définie, se sentent - visiblement - dans le besoin de construire un magistère ordinaire infaillible a priori, calqué sur le magistère extraordinaire infaillible a priori...”. Ces “‘bons’ auteurs des manuels ont d’une certaine façon joué le jeu des libéraux, inconsciemment sans doute, en éclipsant la vérité objective derrière la certitude subjective, et ils ont ainsi contribué à préparer la catastrophe de Vatican II, et de ce ‘magistère ordinaire suprême’ de Paul VI grâce auquel, de fait, il a mis par terre l’Eglise!”. W étend sa critique même à ceux qui croient à l’infaillibilité [négative] d’un rite liturgique promulgué par le Pape, comme Michael Davies (3). Au contraire, toujours selon W, pour répondre aux libéraux, il eût été suffisant alors et il l’est encore aujourd’hui, d’en appeler à la vérité objective, contenue dans la Tradition, comme a fait Mgr Lefebvre. Liste des erreurs de W Pour faciliter la lecture de cet article, notons tout de suite les erreurs présentes dans le texte de W. a) Négation de l’infaillibilité du Magistère ordinaire du Pape avec l’adjonction alléguée comme prétexte de conditions. La même chose vaut pour le Magistère Ordinaire Universel (4). b) Négation de la règle prochaine de notre foi (le Pape), confondue avec la règle éloignée (la Révélation). c) Affirmation du fait qu’un rite liturgique promulgué par le Pape peut être “intrinsèquement nocif”. 49 d) Affirmation du fait qu’une définition dogmatique peut être bonne en elle-même mais mauvaise per accidens, c’est-à-dire à cause des circonstances. e) Affirmation du fait que les définitions de l’Eglise sont dues uniquement à la diminution de la charité chez les fidèles. J’examinerai une à une ces thèse de W. Mais, d’abord, puisqu’on discute de la définition de 1870, j’en donne les termes. La définition dogmatique du Concile Vatican I Dans la session du 18 juillet 1870, après beaucoup de discussions dues aux objections des anti-infaillibilistes tendant à éviter la définition, les Pères du Concile (quand nous disons Concile dans cet article, il s’agit du Concile Vatican I) proclamèrent solennellement: “Nous attachant fidèlement à la tradition recueillie dès le commencement de la foi chrétienne, pour la gloire de Dieu notre Sauveur, pour l’exaltation de la religion catholique et le salut des peuples chrétiens, avec l’approbation du saint Concile, Nous enseignons et Nous définissons comme dogme divinement révélé: Que lorsque le Pontife Romain parle ex cathedra, c’est-à-dire, lorsque remplissant sa charge de Pasteur et de Docteur de tous les chrétiens, il définit, en vertu de sa suprême autorité Apostolique, la doctrine sur la foi ou sur les mœurs qui doit être tenue par l’Eglise universelle, il est doué, par l’assistance divine promise dans la personne du bienheureux Pierre, de cette infaillibilité dont le divin Rédempteur a voulu que son Eglise fût pourvue en définissant une doctrine sur la foi ou sur les mœurs; et par conséquent, que de telles définitions du Pontife Romain sont irréformables par elles-mêmes et non en vertu du consentement de l’Eglise. Que si quelqu’un, ce qu’à Dieu ne plaise, avait la témérité de contredire notre définition, qu’il soit anathème” (DS 3074-5) (5). Selon ce qu’affirme le texte dogmatique, le Pape dans l’exercice de sa fonction de Pape (et non comme personne privée) est infaillible. En d’autres termes, quand, comme pasteur et docteur universel, le Pape donne un jugement définitif sur une doctrine (relative à la foi ou à la morale), il a le privilège de l’infaillibilité, c’est-à-dire de jouir d’une assistance spéciale du Saint-Esprit pour enseigner la vérité révélée sans la moindre erreur. En cela le Pape se distingue de tous les autres hommes, catholiques ou non, lesquels n’ont pas cette assistan- ce promise par Notre-Seigneur à St Pierre et à ses successeurs (Matth. XVI, 19) (6). Structure de l’article Puisque W conteste l’autorité en la matière à tous les théologiens des 128 dernières années, je me limiterai à citer les textes du Concile Vatican I, comme on les trouve dans le recueil édité par Mansi. En lisant les actes et l’histoire du Concile, on s’aperçoit comment W (et beaucoup de traditionalistes) reprennent les arguments qui étaient le “cheval de bataille” de la minorité libérale et anti-infaillibiliste à Vatican I, cherchant, avant la définition, à augmenter démesurément les conditions de l’infaillibilité du Pape et, après la définition, à en diminuer la portée de telle manière que le Pape ne serait infaillible que très rarement. Après la crise advenue avec le Concile Vatican II et l’introduction du nouveau missel, les “traditionalistes” ont commencé justement à résister à l’“aggiornamento” (qui contredit beaucoup de vérités de la doctrine catholique), en refusant les réformes. Mais quand on leur fit observer que les nouveaux enseignements et les réformes étaient promulgués par Paul VI (et ensuite par Jean-Paul II), et que par conséquent - comme tous les décrets du Souverain Pontife - ils devaient être acceptés puisque garantis par l’infaillibilité, de nombreux “traditionalistes” ne trouvèrent rien de mieux que de reprendre les arguments des libéraux. Ils ont soutenu que le Pape est infaillible seulement à certaines conditions tout à fait extraordinaires qui ne sont pas toutes présentes dans ces réformes; et puisqu’elles ne sont pas garanties par l’infaillibilité nous ne sommes pas tenus d’obéir. Beaucoup n’ont pas compris, ou ont craint de comprendre, que le refus des réformes mettait en discussion l’autorité qui les avait promulguées. W suit ce courant de pensée qui à notre avis est contraire à la définition du Concile, tant dans les termes que dans le sens. Analysons maintenant les points niés par W, en nous étendant plus particulièrement sur le premier. a) Première erreur de W sur le Magistère ordinaire et sur les conditions pour l’infaillibilité Les théologiens distinguent en général un Magistère ordinaire du Pape (seul) et un Magistère ordinaire de l’Eglise (“ordinaire et 50 universel”). Le second a été défini comme infaillible par Vatican I (DS 3011): j’en parlerai à la fin de ce point a). Quant au Magistère ordinaire du Pape, en général on affirme qu’il est théologiquement certain qu’il est infaillible. En effet, le Pape jouit de la même infaillibilité que l’Eglise (DS 3074). Or, l’Eglise est infaillible dans son Magistère ordinaire (DS 3011). Donc, le Pape aussi est infaillible dans son Magistère ordinaire (7). Cette argumentation, serait suffisante pour prouver combien W se trompe gravement. Mais en lisant les textes du Magistère et les actes de Vatican I, je me suis aperçu qu’en réalité la même définition de l’infaillibilité du Pape quand il parle ex cathedra (DS 3074) ne fait aucune distinction entre Magistère ordinaire ou solennel du Pape. Chaque fois que le Pape parle non en tant que personne privée, mais en tant que Pape, il enseigne authentiquement (avec autorité) (8), et donc il peut enseigner ex cathedra. Cet enseignement n’est pas rare et extraordinaire, comme dans les définitions dogmatiques solennelles (Immaculée Conception, 1854; Assomption, 1950) mais c’est tous les jours que le Pape peut enseigner, de manière définitive, à l’Eglise universelle, sur des sujets qui se réfèrent à la foi ou à la morale; évidemment toute l’Eglise est obligée d’embrasser, au for externe et interne, l’enseignement de l’autorité suprême. Le Pape chaque fois qu’il parle de cette manière, n’est pas tenu d’employer un mode déterminé, ou la forme solennelle: s’il parle comme Pape, il suffit qu’on comprenne, d’une manière ou d’une autre, qu’il veut donner un jugement définitif sur un sujet lié même seulement indirectement à la foi ou à la morale. En conclusion: nous affirmons que le terme ex cathedra indique seulement l’infaillibilité du Pape tant dans le Magistère ordinaire que solennel (8 bis). W soutient que le terme ex cathedra indique le Magistère solennel, en en exagérant les quatre conditions, et en niant toute infaillibilité au Magistère ordinaire. J’en viens maintenant à prouver ma thèse, avec les textes du Magistère et les actes de Vatican I. Enseignement de l’Eglise sur le Magistère Ordinaire du Pape Clément VI en 1351 demanda au patriarche des Arméniens de signer une formule de foi, dans laquelle on disait aussi: “Si tu a cru et crois encore maintenant que seul le Pontife Romain peut mettre fin aux doutes qui surgissent autour de la foi catholique, par une délibération authentique à laquelle on doit adhérer de façon irrévocable, et que tout ce que lui-même déclare être vrai, en vertu de l’autorité des clefs à lui remise par le Christ, doit être considéré comme vrai et catholique, et ce qu’il déclare être faux et hérétique, doit être considéré comme tel” (9). Pie XI enseigne: “Le magistère de l’Eglise, établi ici-bas d’après le dessein de Dieu pour garder perpétuellement intact le dépôt des vérités révélées et en assurer la connaissance aux hommes, s’exerce chaque jour par le Pontife Romain et les évêques en communion avec lui; mais il comporte encore, toutes les fois qu’il est nécessaire pour s’opposer plus efficacement aux erreurs et aux attaques des hérétiques ou développer avec plus de clarté ou de détails certains points de la doctrine sacrée, afin de les mieux faire pénétrer dans l’esprit des fidèles, la mission de procéder par décrets à des définitions opportunes et solennelles” (10). Encore Pie XI: “Rien ne convient moins à un chrétien… de regarder l’Eglise, envoyée par Dieu cependant, pour enseigner et régir toutes les nations, comme médiocrement informée des choses présentes et de leurs aspects actuels ou même [de] n’accorder son assentiment et son obéissance qu’aux définitions plus solennelles dont Nous avons parlé, comme si l’on pouvait prudemment penser que les autres décisions de l’Eglise sont entachées d’erreur ou qu’elles n’ont pas un fondement suffisant de vérité et d’honnêteté” (11). Pie XII: «Il ne faut pas estimer non plus que ce qui est proposé dans les encycliques ne demande pas de soi l’assentiment, les Papes n’y exerçant pas le pouvoir suprême de leur Magistère. Cet enseignement est celui du Magistère ordinaire auquel s’applique aussi la parole: “Qui vous écoute, m’écoute” (Lc X, 16); et le plus souvent ce qui est proposé et rappelé dans les encycliques appartient déjà par ailleurs à la doctrine catholique. Que si les Souverains Pontifes portent expressément dans leurs actes un jugement sur une matière jusqu’alors controversée, il est évident pour tous que cette matière, cesse par là même, suivant la pensée et la volonté de ces mêmes Pontifes, d’appartenir au domaine des questions librement discutées entre théologiens» (12). Encore Pie XII: «Le Magistère n’est-il pas… la première charge de notre Siège apostolique? (…) Sur la Chaire de Pierre, 51 Nous prenons place uniquement comme Vicaire du Christ, Nous sommes son représentant sur terre; Nous sommes l’organe par l’intermédiaire duquel fait entendre sa voix Celui qui est le seul Maître de tous (Ecce dedi verba mea in ore tuo, Jér. I, 9)» (13). Il résulte de ces textes que l’Eglise a enseigné que le Magistère infaillible peut être soit ordinaire (exercé tous les jours) soit solennel. définition conciliaire, voyons quelle signification en a donné le Concile. Rappelons ce qu’elles sont. Le Pape: 1) en vertu de sa suprême autorité; 2) définit; 3) une doctrine sur la foi ou les mœurs; 4) en affirmant que cette doctrine doit être tenue par toute l’Eglise. Enseignement du Concile Vatican I sur le Magistère du Pape Différentes objections étaient apparues contre la définition de l’infaillibilité du Pape, parmi lesquelles certaines portant sur la doctrine, d’autres sur l’opportunité de la définition, d’autres sur l’objet qu’il serait difficile de délimiter, d’autres sur le terme même qui pouvait être mal interprété. La Députation de la Foi par l’intermédiaire de Mgr Gasser, évêque de Bressanone (15) répondit aux objections et donna l’explication du texte, qui fut ensuite défini. “Le sujet de l’infaillibilité est le Romain Pontife, en tant que Pontife, ou bien en tant que personne publique en relation à l’Eglise universelle” (16). “Or, quelques Pères du Concile, dit Gasser, ne se contentent pas de ces conditions; ils veulent encore introduire dans cette constitution dogmatique certaines conditions ultérieures qui de différentes manières se trouvent dans plusieurs traités de théologie et qui se rapportent à la bonne volonté et au zèle du Pape pour la recherche de la vérité”. Gasser répondit que peu importaient les motivations et les intentions du Pontife, qui regardaient sa conscience, mais que seul comptait le fait qu’il parlait à l’Eglise: “Notre-Seigneur Jésus-Christ (...) a voulu faire dépendre le charisme de la vérité de ses [du Pontife] rapports publics avec toute l’Eglise; autrement, le don de l’Infaillibilité ne serait pas un moyen efficace pour le maintien et le rétablissement de l’unité chrétienne. C’est pourquoi il n’est pas à craindre que l’Eglise puisse jamais être induite en erreur par la mauvaise volonté ou par la négligence d’un Pape. La protection de Jésus-Christ et l’assistance promise à Pierre sont si puissantes, qu’elles empêcheraient le jugement du Pape s’il était erroné ou nuisible à l’Eglise, et que, si, de fait, le Pape rend un décret, ce décret sera infailliblement vrai” (17). La première condition indique donc que le Pape parle comme Pape et non en tant que personne privée: cela sera encore mieux montré dans le paragraphe traitant de la formule ex cathedra. La matière traitée par le Concile fut préparée par des commissions qui s’étaient réunies avant le Concile lui-même et elle fut présentée aux Pères sous forme de schémas. Ces derniers étaient discutés par les Pères qui, s’ils l’estimaient nécessaire, proposaient des amendements, examinés ensuite par les membres de la Députation de la Foi (14). La Députation joua donc un rôle central, en répondant aussi aux objections de ce qui était contraire aux schémas proposés. Pour notre question les interventions des membres de la Députation de la Foi sont donc de grande importance ainsi que leurs réponses aux objections: ce sont en effet ces prélats qui expliquèrent le sens exact de la définition conciliaire, en corrigeant les fausses interprétations. Pour une bonne interprétation du Concile, les schémas proposés aident également, même ceux qui ne furent pas discutés du fait de l’interruption du Concile; normalement les schémas qui furent traités, reçurent peu de modifications, au moins pas dans la substance. Enfin sont également utiles certaines interventions des Pères favorables à la définition dans laquelle on peut trouver des preuves incontestables sur l’infaillibilité du Pape: le Concile leur donna raison en définissant le dogme. En m’appuyant sur ces témoignages, j’examinerai successivement les célèbres “quatre conditions” qui, en réalité, ne sont que l’explication du terme ex cathedra, expression que je commenterai à la fin. Suivra un appendice sur le Magistère ordinaire du Pape et sur le Magistère ordinaire et universel. Je conclurai ainsi l’analyse de la première erreur de W [point a)]. Les quatre conditions Selon la thèse de W le Pape est infaillible “à quatre conditions”, et non “à trois et demi”. Etant donné que W n’a pas inventé ces conditions, mais qu’elles sont tirées de la 1ère condition: Le Pape utilise sa suprême autorité 52 2ème condition: Il définit. 3ème condition: Une doctrine sur la foi ou les mœurs. gistère). Cette infaillibilité du Pape est de foi, celui qui la nie est hérétique. Le Pape, cependant, est infaillible également quand il traite de tout ce qui a une relation même inMgr Gasser explique ce point: “On dedirecte avec la foi et la morale (objet seconmande l’intention manifeste de définir une daire du Magistère): cette infaillibilité du doctrine, veut dire mettre fin à la fluctuation Pape est au moins théologiquement certaine sur une doctrine ou sur une chose à définir, (22), celui qui la nie commet un péché très en donnant un sentence définitive, et en grave contre la foi (23). Pour rendre explicite proposant cette doctrine comme devant être l’infaillibilité du Pape y compris sur l’objet tenue par l’Eglise universelle” (18). secondaire, certains Pères conciliaires En d’autres termes, le Pape fait comavaient proposé d’ajouter au mot “définit”, prendre, d’une certaine manière, qu’une docle mot “décrète” (decernit). Mgr Gasser rétrine ne peut être librement discutée dans pondit ainsi: «La Députation de la foi n’a pas l’Eglise. Si au contraire il ne veut pas rél’intention de donner à ce verbe [définit] le soudre la quessens juridique, tion, alors elle pour lequel il sireste ouverte, il gnifie seulement n’y a pas de défique l’on met fin nition, mais une à des controorientation praverses qui surgitique qui peut rent en matière être revue. Par d’hérésie ou e x e m p l e , d’une doctrine, Grégoire XVI se qui appartient à prononça de maproprement parnière définitive ler à la foi. Mais sur la liberté relile mot “définit” gieuse dans une signifie que le simple encyPape, directeclique ( 19 ), et ment et de façon à Une session du Concile Vatican I puisque certains clore la question, croyaient qu’il n’avait pas porté un jugement prononce son jugement sur une doctrine qui définitif - il le répéta dans une autre encyconcerne les choses de la foi et de la morale, clique (20). Léon XIII a donné un jugement de telle sorte que désormais chaque fidèle définitif sur la validité des ordinations anglipuisse être certain de la pensée du Siège canes; Pie XII sur le caractère licite des “méApostolique, de la pensée du Pontife Romain; thodes naturelles” ou sur la matière et la de telle manière que chacun sache avec certiforme du Sacrement de l’Ordre. Pie XII toutude que telle ou telle doctrine est considérée jours confirma dans l’encyclique Humani gepar le Pontife Romain comme hérétique, neris que la doctrine exposée dans Mystici proche de l’hérésie, certaine ou erronée, etc. Corporis était définitive (21) et, dans la même Tel est le sens du terme “definit” (...) En apencyclique, il clarifia comment, alors que sur pliquant cette infaillibilité aux seuls décrets du certains points de la théorie évolutionniste il Pontife Romain, il faut faire une distinction: y a encore liberté de recherche et discussion de telle manière que quelques-uns (et la même (donc il ne définit pas) sur d’autres points au chose vaut pour les définitions dogmatiques contraire (comme la création directe de l’âme des conciles) sont certains de foi: c’est pourhumaine de la part de Dieu, ou la condamnaquoi celui qui nierait que le Pontife dans ce tion du polygénisme) il n’y a pas cette liberté décret serait infaillible, déjà, par le fait même (DS 3896-7). (…) serait hérétique; d’autres décrets du Pour ce qui regarde la troisième condiPontife Romain sont eux aussi certains quant tion (l’objet de la définition) personne ne à l’infaillibilité, mais cette certitude n’est pas met en doute que le Pape soit infaillible la même (...) en sorte que cette certitude sera quand il définit un dogme concernant direcseulement une certitude théologique en ce tement la foi ou la morale, et/ou condamne sens, que celui qui nierait que l’Eglise ou de la l’hérésie opposée (objet primaire du Mamême façon le Pontife dans ce décret serait 53 infaillible, ne serait pas ouvertement hérétique en tant que tel, mais commettrait une erreur très grave et, en se trompant de cette manière, un péché très grave» (24). En résumant: la 2ème condition, définir, signifie enseigner de manière définitive; la 3ème (sur la foi et les mœurs) inclut non seulement les choses révélées, mais aussi bien que différemment - les choses connexes à la révélation. 4ème condition: Il affirme que cette doctrine doit être tenue par toute l’Eglise L’expression “doit être tenue” est liée à ce qui vient d’être dit, c’est-à-dire indique l’assentiment qu’il faut donner y compris aux vérités non contenues formellement dans le dépôt de la révélation, qui ne sont pas strictement “de foi” (ces dernières doivent être “crues” et non seulement “tenues”). Le Concile a fait cette distinction pour mettre en évidence que l’objet de l’infaillibilité est double, contre les libéraux qui voulaient le restreindre uniquement aux vérités de foi. Salaverri expose largement cette distinction faite au Concile (25). En outre si le Pape parle comme Pape, et définit une doctrine concernant la foi et la morale, il est évident que tous les fidèles sont tenus de l’embrasser, même si cela n’est pas dit explicitement. W, au contraire, semble vouloir dire que le Pape, pour être infaillible, devrait spécifier explicitement que toute l’Eglise est tenue d’adhérer à cette doctrine, comme si un chrétien pouvait ne pas adhérer à la Révélation! Cette interprétation est fausse. Durant le Concile, l’évêque de Burgos, Mgr Anastasio Yusto, pensa qu’il était nécessaire d’ajouter, précisément dans ce point de la définition, la phrase suivante, pour rendre plus explicite le devoir des fidèles d’embrasser la doctrine proposée: “L’obligation restant ferme, à laquelle tous les catholiques sont tenus de se soumettre au Magistère suprême du Pontife Romain quant aux autres doctrines, qui ne sont pas proposées comme de foi…” ( 26). Mgr Gasser, au nom de la Députation de la Foi, jugea cette phrase inopportune, en ajoutant que cela avait déjà été fait dans la Constitution dogmatique approuvée par le Concile (27). Le Concile en effet avait défini: “L’Eglise, qui avec la charge apostolique d’enseigner, a reçu le mandat de garder le dépôt de la foi, a aussi, par Dieu, le droit et le devoir de proscrire la fausse science, pour que personne ne soit trompé par la philosophie et par des manœuvres vaines. C’est pourquoi les fidèles chrétiens non seulement n’ont pas le droit de défendre comme légitimes conclusions de la science les opinions reconnues contraires à la doctrine de la foi, spécialement si elles sont condamnées par l’Eglise, mais sont strictement tenus de les considérer plutôt comme des erreurs, qui n’ont qu’une trompeuse apparence de vérité” (28). Il ressort de cela qu’il est évident que les fidèles sont toujours tenus d’adhérer aux jugements de l’Eglise: il n’est pas nécessaire que l’Eglise spécifie cette obligation. Cette question, n’est pas non plus nouvelle, et a déjà été résolue depuis longtemps (29). Nous rapportons un texte du P. Kleutgen, au Concile: “On doit la soumission de l’esprit à l’Eglise qui définit, même si elle n’ajoute aucun précepte. Puisqu’en effet Dieu nous a donné l’Eglise comme mère et maîtresse pour tout ce qui concerne la religion et la piété, nous sommes tenus de l’écouter quand elle enseigne. C’est pourquoi, si la pensée et la doctrine de toute l’Eglise apparaît, nous sommes tenus d’y adhérer, même s’il n’y a pas de définition: combien plus donc si cette pensée et cette doctrine nous apparaissent par une définition publique?” (30). Mais, certains, croient que quand le Pape s’adresse à une ou à quelques personnes, même s’il définit une doctrine qui vaut pour toute l’Eglise, il ne serait pas infaillible. Il s’agit d’une erreur (31). Le Pape peut s’adresser à quiconque, même à une seule personne, mais s’il parle comme Pape, comme personne publique, comme Chef de toute l’Eglise (et ce qu’il dit a rapport au dépôt révélé, avec la volonté de clore une question) toutes les “conditions” sont réalisées. Ainsi Pie XII, dans un discours adressé aux sages-femmes italiennes (29-10-1951) - donc un groupe particulier de personnes - résolut la discussion sur l’usage des “méthodes naturelles”. Les erreurs de Marsile de Padoue furent condamnées dans un document adressé à l’évêque de Worcester (DS 941); Benoît XIV résolut le problème de l’incorporation des hérétiques à l’Eglise en vertu du Baptême, dans une lettre à l’évêque d’York (DS 2566 et ss.). C’est pourquoi Grégoire XVI, en s’adressant à l’évêque de Fribourg, enseigna: “[Ce que nous venons de dire] est conforme aux enseignements et avertissements que vous savez déjà formulés, vénérable frère, soit dans nos Lettres ou Instructions aux divers archevêques et évêques, 54 soit dans celles de notre prédécesseur Pie VIII, édictées par ses ordres ou par les nôtres. Il importe peu que ces instructions aient été données seulement à quelques évêques qui avaient consulté le Siège Apostolique, comme si la liberté était accordée aux autres de ne pas suivre cette décision!” (32). Conclusion: toutes les fois que le Pape parle comme Pape, et définit une doctrine qui concerne la foi ou la morale, il est infaillible et tous les catholiques sont obligés de tenir ou de croire la doctrine définie. Ex cathedra Cette expression, qui renferme en ellemême la signification des soi-disant “quatre conditions”, a été expliquée de manière explicite par le Concile. Mgr Gasser: «Le pontife est dit infaillible quand il parle “ex cathedra”. Cette expression a dans l’école un sens tout à fait déterminé, reçu dans la définition même, savoir: lorsque le Pape parle ex cathedra: premièrement il ne décide rien comme personne privée, ni simplement comme évêque, ou chef d’un diocèse ou d’une province de l’Eglise, mais il parle comme pasteur et docteur de toute la chrétienté; deuxièmement, il ne suffit pas de présenter la doctrine d’une manière quelconque; on requiert encore l’intention manifestée de mettre fin, par une décision définitive, aux fluctuations d’une doctrine, et d’obliger toute l’Eglise à accepter cette décision. Ce dernier est quelque chose d’intrinsèque à toute définition dogmatique sur la foi ou la morale, qui est enseignée par le suprême pasteur et docteur de l’Eglise universelle et qui doit être tenue par toute l’Eglise universelle: [le Pape] doit aussi exprimer cette même propriété et cette note de définition proprement dite en quelque manière, quand il définit la doctrine qui doit être tenue par toute l’Eglise» (33). Le P. Kleutgen expliquait dans la relation au schéma réformé: «Ce que l’on voit par la charge de l’Eglise, on le connaît aussi par les paroles par lesquelles Jésus-Christ a promis l’assistance de l’Esprit divin: “Il vous enseignera toutes choses” (Jn XIV, 26); “Il vous enseignera toute la vérité” (Jn XVI, 13). Ces mots certes ne doivent pas être pressés, selon nous, [de manière à comprendre] que l’Eglise serait instruite par le Saint-Esprit même dans les choses qui n’ont rien à voir avec le salut éternel; mais il ne faut pas non plus les prendre d’une manière si restrictive, qu’on pense que l’Eglise n’est guidée que dans les affirmations révélées. Une promesse si ample ne comprend-elle donc pas toutes les choses dont la connaissance est nécessaire pour comprendre avec fruit la doctrine du Christ, et la suivre dans toute notre vie? Et il n’est pas requis, pour que les jugements de l’Eglise sur ces choses soient très certains, que l’EspritSaint lui fasse de nouvelle révélations, mais seulement qu’il la dirige, et dans la compréhension de la parole de Dieu, et dans l’usage de la raison. Est-ce que nous-mêmes nous ne jugeons pas chaque jour beaucoup de choses non révélées à partir des vérités révélées, et est-ce que nous ne devons pas faire ainsi? Ce que donc nous faisons chacun avec risque d’erreur, l’Eglise le fait dans ses jugements publics, en étant protégée contre ce risque par l’assistance du Saint-Esprit (…). Dans d’autres livres publiés on lit, d’après une sentence commune des théologiens, que le Pontife Romain alors seulement parle “e cathedra”, quand il propose à croire des dogmes de foi divine. Il est vrai que, si l’on considère seulement les mots, on lit cela chez plusieurs théologiens plus récents; mais cette sentence est loin d’être commune parmi les théologiens. Tous les anciens et beaucoup parmi les récents rendent ces paroles “parlare e cathedra” avec ces ou semblables: “iudicialiter”, ou “in iudicio determinare”, “pro potestate decernere”, “cum auctoritate apostolica”, “ut papam loqui” (34) etc. de telle sorte que la locution e cathedra se distingue de l’autre par la manière avec laquelle enseigne le pontife, non par la chose qu’il transmet, ni par la censure qu’il émet. Il semble que même les plus récents (…) n’en donnent pas une signification différente. En effet puisque, comme il arrive parfois, ils expliquent la chose au moyen des contraires, ils ne disent pas: il n’y a pas de locution e cathedra, si le Pontife Romain condamne une opinion par une censure mineure; mais si ce qu’il lui semble, il l’exprime ou le conseille, sans toutefois décréter quelque chose avec autorité. Donc ces théologiens parlent de dogme de foi, lorsqu’ils distinguent la sentence définie avec autorité apostolique par la sentence du docteur privé, et non lorsqu’ils distinguent la sentence définie avec la note d’hérésie de celle définie avec une censure mineure» (35). Il ressort clairement de ces explications que le terme ex cathedra s’oppose au terme “docteur privé”, et indique le Pape quand, comme personne publique, il définit 55 quelque chose qui fait partie de l’objet primaire ou secondaire du Magistère. De manière claire et populaire Mgr de Ségur, dans un ouvrage approuvé par Pie IX, confirme cette conclusion: “Il faut distinguer ici: dans le Chef de l’Eglise, il y a le Pape et l’homme. L’homme est faillible, comme tous les autres hommes. Lorsque le Pape parle comme homme, comme personne privée, il peut parfaitement se tromper, même quand il parle des choses saintes. Comme homme, le Pape n’est pas plus infaillible que vous et moi. Mais quand il parle comme Pape, comme Chef de l’Eglise et comme Vicaire de JésusChrist, c’est une autre affaire. Alors il est infaillible: ce n’est plus l’homme qui parle, c’est Jésus-Christ qui parle, qui enseigne, qui juge par la bouche de son Vicaire” (36). Magistère ordinaire et conditions Dans certains textes du Concile il ressort clairement que les Pères, quand ils parlent d’infaillibilité, ne font pas de distinction entre le magistère ordinaire, qui s’exerce continuellement, et le magistère solennel. Et ils n’affirment pas non plus que l’infaillibilité n’existe que dans des canons, des formes solennelles ou dans des conditions particulières. Mgr Gasser, au nom de la Députation de la foi, dans l’intervention susmentionnée, s’exprimait ainsi: “Dans l’Eglise de JésusChrist (...) le centre de l’unité doit agir sans interruption, avec une certitude constante et sans exception” (37). “Les Pontifes romains se sont toujours levés comme témoins, docteurs et juges de l’Eglise entière, pour la défense de la vérité chrétienne, parce qu’ils savaient qu’en vertu de la promesse divine ils étaient protégés contre l’erreur. Qu’on ne dise pas que les Papes, en affirmant ainsi l’autorité du Siège romain, ont parlé dans leur propre cause, et que pour cette raison leur autorité n’a point de valeur. S’il en était ainsi, si pour cette raison il fallait récuser le témoignage des Papes de Rome, c’en serait fait de toute la hiérarchie de l’Eglise: car l’autorité de l’Eglise enseignante ne peut se prouver que par l’Eglise enseignante elle-même” (38). Le même rapporteur de la Députation trouve une autre preuve de l’infaillibilité du Pape dans la nécessité pour les catholiques de la communion avec la chaire de Pierre (39): «Cette foi des Papes en leur Infaillibilité personnelle, l’Eglise l’a affirmée (...) quand elle regardait l’union avec le Saint-Siège comme entièrement et absolument nécessaire. Car l’union avec la Chaire de Pierre était et valait l’union avec l’Eglise et avec Pierre lui-même, et par conséquent avec la vérité révélée par JésusChrist. Saint Jérôme écrit ainsi: “Je ne connais pas Vitalis, je rejette Mélétius, Paulinus m’est inconnu. Celui qui ne recueille pas avec toi (c’est-à-dire avec le Pape Damase), disperse; en d’autres termes, celui qui n’est pas avec Jésus-Christ est avec l’Antéchrist ( 40) (...) “L’Eglise a fait connaître son assentiment à la foi des Papes, en ce que tous les chrétiens, véritablement croyants, rejetaient toute doctrine comme erronée dès qu’elle avait été condamnée et rejetée par un Pape. “Comment l’Italie admettrait-elle, dit saint Jérôme (41), ce que Rome a rejeté? Comment les évêques admettraient-ils ce que Rome a condamné?”. Enfin, nous pouvons encore prouver cet assentiment par ce fait que, dans toutes les questions de foi, on avait recours au Siège apostolique, comme à Pierre et à l’autorité de Pierre, et que jamais il n’a été permis d’en appeler du Siège romain et de ses décisions dogmatiques». Mgr Gasser répondait encore ainsi à quelqu’un qui soutenait que le Pontife, en donnant des définitions, devait observer une certaine forme: “Ceci ne peut être fait, en effet il ne s’agit pas d’une chose nouvelle. Déjà des milliers et des milliers de jugements dogmatiques furent promulgués par le Siège apostolique; mais où est donc le canon qui prescrit la forme à observer dans ces jugements?” (42). Mgr de Ségur disait la même chose: «[Le Pape] est infaillible quand il parle comme Pape (...) mais non pas quand il parle comme homme. Et il parle comme Pape, lorsqu’il enseigne publiquement et officiellement des vérités qui intéressent toute l’Eglise, au moyen de ce qu’on appelle une Bulle, ou une Encyclique, ou quelque autre acte de ce genre» (43). Une confirmation de ce que nous avons exposé se trouve dans différentes interventions des Pères du Concile du Vatican, parmi lesquels Mgr de la Tour d’Auvergne, évêque de Bourges (44), Mgr Maupas, évêque de Zara (45), Mgr Freppel, évêque d’Angers (46). Pour eux le Pape est infaillible avec son Magistère ordinaire, qui s’exerce continuellement, sans nécessité d’en exagérer les conditions. Magistère ordinaire universel et conditions Jusqu’à maintenant on a parlé uniquement du magistère du Pape. Les dominicains d’Avrillé, qui ont publié le texte de W, affir- 56 ment, dans une note, qu’il faut également des conditions dans le magistère ordinaire et universel des évêques (unis au Pape). Et, dulcis in fundo, on ne sait pas quelles sont ces conditions! Le Concile du Vatican ne l’aurait pas dit. Il aurait défini que ce magistère est infaillible, mais n’en ayant pas précisé les conditions il resterait complètement obscur, nous ignorerions quand il existe. En pratique le Concile aurait défini… rien du tout! Lisez plutôt: “Le concile Vatican I a aussi exposé que les catholiques devaient croire, en plus des jugements solennels, l’enseignement du magistère ordinaire universel (DS 3011). Mais il n’a pas précisé à quelles conditions ce magistère ordinaire est infaillible” (47). Or l’affirmation, dite de cette manière, contredit la définition du Concile du Vatican, qui expose clairement quand ce Magistère est infaillible, en définissant que tout enseignement du M.O.U. est de foi: “Est à croire de foi divine et catholique tout ce qui est contenu dans la parole de Dieu ou écrite ou transmise, et que l’Eglise, soit par un jugement solennel, soit par son magistère ordinaire et universel, propose à croire comme divinement révélé” (DS 3011). La définition a été reprise également par le Code pie-bénédictin (can. 1323, §1). Pie IX déjà dans Tuas libenter avait enseigné que l’acte de foi ne doit pas être limité aux vérités définies, mais doit s’étendre à “ce qui est transmis comme divinement révélé par le magistère ordinaire de toute l’Eglise dispersée sur la terre” (48). Complètement obscur? Pour qui ne l’aurait pas encore compris (mais il n’est pire aveugle…), tout cela veut dire que chaque fois que l’Eglise, c’est-à-dire l’union morale de tous les évêques unis au Pape, enseigne une vérité comme appartenant au dépôt révélé, elle doit être crue de foi divine. Les fameuses conditions? Elles y sont toutes: 1ère: tous les évêques avec le Pape constituent l’Eglise enseignante, la suprême autorité; 2ème: propose à croire; 3ème et 4ème: une vérité contenue dans la Révélation, qui requiert d’elle-même l’assentiment à cause de l’autorité de Dieu qui révèle (49). Ce que l’on peut dire tout au plus c’est que le fidèle a une plus grande facilité à connaître une vérité enseignée par le magistère solennel que par le magistère ordinaire et universel. Nous avons déjà parlé longuement dans Sodalitium de tout ce qui regarde le Magistère Ordinaire et Universel et nous invitons les lecteurs à se reporter aux articles publiés (50). b) Deuxième erreur de W: négation de la Règle prochaine de notre foi, confondue avec la règle éloignée W affirme d’abord une chose juste: la définition de l’Eglise ne “fait” pas les vérités, elles nous ont été révélées par Dieu, elles existent avant la définition de l’Eglise, laquelle les porte à la connaissance des fidèles. Pour s’en convaincre, il suffit de relire précisément Vatican I, là où il est écrit: “Ce n’est pas, en effet, pour publier, sous sa révélation, une doctrine nouvelle, que le Saint-Esprit a été promis aux successeurs de Pierre, mais pour garder saintement et exposer fidèlement, avec son assistance, le dépôt de la foi ou la révélation transmise par les Apôtres” (Pastor Æternus, ch. IV, DS 3070). L’objet de notre foi, donc, est la divine révélation (contenue dans la Tradition et dans l’Ecriture) et le motif de la foi est l’autorité de Dieu qui se révèle, comme l’enseignent tous les manuels tant méprisés par W. Mais W poursuit: “Dire que (…) là où il n’y a pas de définition à quatre conditions, il n’y a pas de vérité certaine, c’est perdre tout sens de la vérité, c’est la maladie du subjectivisme qui ne peut concevoir de vérité objective sans certitude subjective” (51). Ici il démontre ne pas comprendre pleinement le rôle important du magistère de l’Eglise. En effet, comment un fidèle peut-il tout seul connaître la vérité “objective”? St Augustin écrivait: “Je ne croirais pas aux Evangiles, si l’autorité de l’Eglise catholique ne me le disait” (52). De la même manière, paraphrasant St Augustin, on peut dire: “Je ne croirais pas à la Tradition, si l’autorité de l’Eglise catholique ne me le disait”. Un fidèle, comment peut-il savoir, par exemple, que l’Evangile de St Jean est intégral, que les quatorze Epîtres de St Paul ou les livres des Macchabées sont révélés, que certaines œuvres de Tertullien sont bonnes et d’autres non, que le Concile de Nicée est œcuménique, qu’il faut interpréter rigoureusement certains écrits de St Augustin…? Il devrait se fier à sa perspicacité, se donnant à un libre examen de l’Ecriture ou de la Tradition, comme soutiennent les anglicans et les orthodoxes? Ne serait-ce pas tomber dans un autre subjectivisme? C’est justement ce qu’affirment les protestants pour la Sainte Ecriture: chacun la lit et est capable de lui-même d’en comprendre le sens. Même chose pour les modernistes: étant donné que nombre d’entre eux avaient ac- 57 compli des études approfondies d’exégèse, ils estimaient pouvoir interpréter les Saintes Ecritures tout seuls, sans devoir se soumettre au Magistère de l’Eglise, et St Pie X condamna leur théorie (DS 3401-8). Et voilà que W soutient la même chose à propos de la Tradition: chacun peut de lui-même chercher dans la Tradition les vérités à croire, la Tradition serait la règle prochaine de la foi, indépendamment du Magistère de l’Eglise (53). A part l’énorme difficulté pratique (on ne voit pas comment un fidèle peut consulter Migne, Mansi, la Patristique…), comment fera-t-on pour choisir et interpréter le texte d’un ou de plusieurs Pères? Comment fera-t-on pour juger si telle tradition est bonne ou mauvaise? La discipline de l’Eglise a changé à travers les siècles; par exemple: la communion sous les deux espèces est-elle plus “traditionnelle” que celle sous une seule espèce? Même parmi les plus grands Pères de l’Eglise il peut y avoir des discordances, ou des interprétations douteuses. Ce fut exactement cela l’erreur des jansénistes: prendre St Augustin comme règle prochaine de la foi, prétendre savoir lui donner la juste interprétation, indépendamment du Magistère de l’Eglise. La Tradition ne peut être règle prochaine: si un doute surgit entre les catholiques, qui pourra le résoudre? La Tradition est muette, le Magistère au contraire parle, peut résoudre les questions. Dieu Lui-même, en nous donnant la Révélation, a voulu nous donner l’instrument, objectif et non subjectif, afin qu’infailliblement nous puissions connaître quelles sont les vérités que nous devons croire pour notre salut. Cet instrument est le Magistère de l’Eglise, qui puise dans la Révélation (contenue dans l’Ecriture et la Tradition) et, assisté par le Saint-Esprit, propose à croire aux fidèles les vérités révélées ou connexes au révélé. La définition infaillible sur le Magistère ordinaire et universel, considérée ci-dessus (DS 3011), justement illustre ceci: tout fidèle doit croire de foi le révélé que l’Eglise lui propose de croire. C’est pourquoi l’on dit: Ecriture et Tradition constituent la Règle éloignée de la Foi; le Magistère est la Règle prochaine de notre foi, c’est-à-dire qu’elle est plus proche du fidèle. Sodalitium a déjà traité de ce sujet (54). Si la règle prochaine de la Foi était la Tradition, alors tout progrès du dogme serait impossible: la charge de l’Eglise serait uniquement de conserver les dogmes, comme affirment les “orthodoxes”. En effet, selon cette manière de voir, si l’on voulait étudier le dépôt révélé pour le connaître plus profondément et pour expliciter les vérités contenues de manière implicite, on se trouverait devant un problème insoluble: les vérités découvertes grâce à cette étude, étant “nouvelles” à notre connaissance, contrediraient la règle prochaine, la Tradition, et l’Eglise ne pourrait jamais les définir. Au contraire, pour la doctrine catholique, la Tradition est la règle éloignée, alors que le Magistère vivant est la règle prochaine de notre foi. C’est le Magistère qui donne la bonne interprétation de l’Ecriture et de la Tradition, et ce n’est pas à nous de le faire. Nous prouverons notre assertion par l’autorité du Magistère et du Concile Vatican lui-même. Enseignement de l’Eglise sur la Règle prochaine de la foi Pie XII ( 55) enseigne: «Et bien que ce Magistère sacré doive être pour tout théologien, en matière de foi et de mœurs, la règle prochaine et universelle de vérité, - puisque c’est à lui que le Christ Notre-Seigneur a confié tout le dépôt de la foi, Ecriture Sainte et Tradition, à garder, à défendre et à interpréter - toutefois le devoir qu’ont les fidèles d’éviter aussi les erreurs qui voisinent plus ou moins avec l’hérésie, et par conséquent d’“observer aussi les constitutions et décrets par lesquels le Saint-Siège proscrit et prohibe de telles opinions mauvaises” (56), est parfois aussi ignoré d’eux que s’il n’existait pas. Ce qui est exposé dans les encycliques des Souverains Pontifes sur le caractère et la constitution de l’Eglise est, par certains, délibérément et habituellement, négligé dans le but de faire prévaloir une notion vague qu’ils disent prise aux anciens Pères, spécialement aux Grecs. Les Papes, en effet, répètent-ils, n’entendent pas se prononcer sur les questions qui sont matière à discussion entre les théologiens; c’est pourquoi il faut retourner aux sources et expliquer par les écrits des anciens les constitutions et décrets récents du magistère. C’est peut-être bien dit, mais ce n’est pas exempt de sophisme. De fait, il est vrai que les Papes laissent généralement aux théologiens la liberté sur les questions disputées entre les docteurs les plus renommés, mais l’histoire enseigne que bien des choses qui furent d’abord laissées à la libre discussion ne peuvent plus désormais supporter aucune discussion». 58 Léon XIII: «Quant à déterminer quelles sont les doctrines révélées de Dieu, c’est la mission de l’Eglise enseignante, à laquelle Dieu a confié la garde et l’interprétation de ses paroles. Dans l’Eglise, le docteur suprême est le Pontife Romain. (…) [Il faut l’obéissance au Magistère de l’Eglise et du Pape]. L’obéissance doit être parfaite, parce qu’elle est exigée par la foi elle-même, et elle a cela de commun qu’elle ne peut pas être partielle… C’est ce que St Thomas d’Aquin explique d’une manière admirable dans le passage suivant: “(…) Or, il est manifeste que celui qui adhère à la doctrine de l’Eglise comme à une règle infaillible donne son assentiment à tout ce que l’Eglise enseigne; autrement, si, parmi les choses que l’Eglise enseigne, il admet ce qu’il veut et n’admet pas ce qu’il ne veut pas, il adhère non plus à la doctrine de l’Eglise comme à une règle infaillible, mais à sa propre volonté… L’unité [de l’Eglise] ne saurait être sauvegardée que si toute question soulevée en matière de foi est résolue par celui qui est le chef de l’Eglise entière, de sorte que sa sentence soit fermement acceptée par toute l’Eglise. C’est pourquoi de l’autorité du Souverain Pontife seul relève une nouvelle édition du Symbole comme toutes les autres choses qui regardent l’Eglise universelle” (57)… C’est pourquoi le Souverain Pontife doit pouvoir déclarer avec autorité ce que contient la parole divine, quelles doctrines concordent avec elle et quelles doctrines s’en écartent: pour la même raison, il doit pouvoir montrer ce qui est bien et ce qui est mal, ce qu’il faut faire et ce qu’il faut éviter pour faire son salut; autrement, il ne pourrait être ni l’interprète infaillible de la parole de Dieu, ni le guide sûr de le vie humaine» (58). St Pie X place également dans la règle de la foi les lois de l’Eglise et tout ce que le Pape commande: “C’est dans cette obéissance à la suprême autorité de l’Eglise et du Souverain Pontife, autorité qui nous propose les vérités de la foi, nous impose les lois de l’Eglise et nous commande tout ce qui est nécessaire à son bon gouvernement, c’est dans cette autorité que se trouve la règle de notre foi” (59). Enseignement du Concile du Vatican sur la Règle prochaine de la foi Mgr Gasser, dans sa mémorable intervention, prouve que le Pape est infaillible puisque son Magistère constitue la règle de la foi (60): “Un témoignage indirect [de l’in- faillibilité provient de] la règle de foi que les premiers Pères ont composée (...). St Irénée, qui montre la règle de la foi dans l’accord des Eglises fondées par les Apôtres, propose en même temps, comme vous le savez, une autre règle plus courte et plus sûre: la tradition de l’Eglise romaine, avec laquelle tous les fidèles de la terre doivent être d’accord, à cause de sa prééminence, et dans laquelle ils conservent tous, par leur union avec le centre de l’unité, la tradition apostolique. Ainsi donc, selon St Irénée (60 bis), la foi de l’Eglise romaine est en même temps, à cause de sa primauté, la ligne de conduite pour toutes les autres Eglises, et à cause de sa dignité, comme point central, le principe conservateur de l’unité (...). Cette même règle de foi, St Augustin l’expose en ces termes (...) Il suffit donc [pour lui], pour condamner l’erreur des Donatistes, qu’aucun Pape romain n’ait été donatiste, et cette règle, il la déclare, à cause de l’autorité de Pierre, plus certaine et plus indubitable”. En conclusion: nous avons prouvé tant par le Magistère de l’Eglise que par les documents explicatifs du Concile du Vatican, que la proposition de l’Eglise est nécessaire pour la Foi de tout catholique. Même en ne faisant pas partie du motif de la foi (“objet formel quo”), elle est cependant une condition sine qua non pour que l’assentiment de notre intelligence soit un acte de foi divine (61). St Thomas n’a pas attendu Vatican I pour enseigner: “Ce qu’il y a de formel en l’objet de la foi c’est la Vérité première telle qu’elle est révélée dans les saintes Ecritures et dans l’enseignement de l’Eglise. Dès lors, quiconque n’adhère pas, comme à une règle infaillible et divine, à l’enseignement de l’Eglise qui découle, lui, de la Vérité première révélée dans les saintes Ecritures, celui-là n’a pas l’habitude de la foi. S’il soutient des choses qui sont de foi, c’est autrement que par la foi. (...) Si [quelqu’un], de ce que l’Eglise enseigne il retient ce qu’il veut, et ce qu’il ne veut pas retenir, ne le retient pas, à partir de ce moment-là il n’adhère plus à l’enseignement de l’Eglise comme à une règle infaillible, mais à sa propre volonté [et ainsi il devient hérétique]” (II-II, q. 5, a. 3). Par conséquent, je crois aux Evangiles et à la Tradition parce que l’Eglise me le dit et de la manière dont elle me le dit; de cette façon la Foi comporte la soumission de l’intelligence. Si au contraire je crois pour un autre motif, alors je préfère à l’Eglise un autre critère: mes convictions, un saint, un 59 Père de l’Eglise, un évêque, un prince…, mais tout cela n’est pas la règle prochaine de la Foi, c’est la ruine de la Foi. c) Troisième erreur de W: un rite liturgique promulgué par le Pape peut être intrinsèquement mauvais W attaque Michael Davies car il «refuse toute nocivité intrinsèque au missel de la nouvelle messe, parce que celui-ci a été “solennellement” promulgué par le suprême législateur» (p. 22). W soutient, avec raison, que le nouveau missel est mauvais. Mais il soutient aussi, à tort, que celui qui l’a promulgué était la légitime autorité de l’Eglise et donc que la légitime autorité peut promulguer un rite mauvais. W ne réussit donc pas à répondre à M. Davies sans nier l’enseignement de l’Eglise selon lequel ses lois, sa discipline, son culte, ne peuvent être nocifs. Pie XII écrit: «Tout au long de son existence séculaire, l’Eglise est réellement régie et gardée par le Saint-Esprit, non seulement dans l’enseignement et la définition de la foi, mais aussi dans le culte, dans les exercices de piété et de dévotion des fidèles. Ce même Esprit la “dirige infailliblement pour la connaissance des vérités révélées” (Const. Ap. Munificentissimus Deus, 1/11/1950, définition dogmatique de l’Assomption)» (62). De nombreux autres arguments d’autorité, déjà rapportés par l’abbé Ricossa (63), existent: «A ceux qui niaient que les enfants avaient le péché originel St Augustin répondait que l’Eglise les baptisait, et “qui pourra jamais alléguer un argument quelconque contre une Mère aussi sublime?” (Serm. 293, n° 10). St Thomas, en se demandant si le rit de la Confirmation est convenable, après avoir présenté toutes les objections possibles, répond simplement: “Cependant, tel est l’usage de l’Eglise, qui est dirigée par le Saint-Esprit”; de fait il ajoute : “Appuyés sur cette promesse du Seigneur à ses fidèles: ‘là où deux ou trois sont assemblés en mon nom, je suis au milieu d’eux’ (Matth. XVIII, 20), nous devons tenir fermement que les décisions de l’Eglise sont dirigées par la sagesse du Christ, et que, par conséquent, les rits observés par l’Eglise dans ce sacrement [la confirmation] comme dans les autres sont ce qu’ils doivent être” (III, q. 72, a. 12). Telle est, en substance, la réponse que l’Eglise a toujours donnée à tous les hérétiques qui critiquaient l’un ou l’autre de ses rites, ou leur ensemble. Ainsi, furent condamnés les hussites, par le concile de Constance et par le Pape Martin V, lesquels refusaient l’usage de la communion sous une seule espèce (D. 626 et 668) et méprisaient les rites de l’Eglise (D. 665); ainsi, le concile de Trente condamna les luthériens, qui méprisaient le rit catholique du baptême (D. 856), la coutume de conserver le SaintSacrement au tabernacle (D. 879 et 889), le canon de la Messe (D. 942 et 953), et toutes les cérémonies du missel, les ornements, l’encens, les paroles prononcées à voix basse, etc. (D. 943 et 954), la communion sous une seule espèce (D. 935)... De la même manière, les jansénistes réunis au synode de Pistoia furent condamnés par Pie VI pour avoir amené à penser que “l’Eglise, qui est dirigée par l’Esprit de Dieu, puisse constituer une discipline non seulement inutile (...) mais même dangereuse ou nocive...” (D. 1578, 1533, 1573). En somme, pour faire court, il est impossible que l’Eglise donne du poison à ses fils (D. 1837, Vatican I). Il s’agit d’une vérité “si certaine théologiquement, que la nier serait une erreur très grave ou même, d’après l’opinion de la plupart, une hérésie” (cardinal Franzelin)». Même sur ce point, donc, pour sauvegarder la légitimité de Paul VI et Jean-Paul II, W doit contredire la doctrine de l’Eglise. d) Quatrième erreur de W: une définition dogmatique peut être bonne en elle-même mais mauvaise per accidens, c’est-à-dire à cause des circonstances Voici ce que soutient W: “Non pas que la définition du magistère solennel ou extraordinaire infaillible du pape fût une mauvaise chose per se, au contraire, mais per accidens (64), par la méchanceté des hommes, elle a contribué beaucoup à une dévalorisation de la Tradition” (65). Cette affirmation est très grave, mais révélatrice de l’embarras que la définition de l’infaillibilité crée chez les représentants de la Fraternité. Si une définition infaillible (qui plus est faite solennellement par un Concile Œcuménique) peut causer chez celui qui y croira un mal, même seulement “accidentel”, cela veut dire que le Saint-Esprit, cause de cette définition, est cause du mal chez les bons catholiques! Autre chose serait de dire: chez celui qui n’a pas cru, la définition a été occasion d’achoppement. Cela est vrai non seulement pour le Concile du Vatican, mais pour tous les autres Conciles; c’est vrai pour la mort de Jésus sur la Croix, pierre d’achoppement, 60 scandale pour les juifs, folie pour les païens ( 66); pour la Loi de l’Ancien Testament, comme l’explique bien St Paul, qui a été occasion de chute (67). Mais ni les définitions, ni Notre-Seigneur, ni la Loi n’ont été cause per accidens du mal; la cause fut seulement la mauvaise volonté de celui qui agit mal, de celui qui ne voulut pas croire. Mais W pourrait répondre en alléguant la phrase par laquelle il précise sa pensée: «La définition de 1870 a été bonne per se, parce qu’elle a permis d’ancrer les esprits catholiques là où les libéraux faisaient tout pour que tout flotte. Mais dès que la définition fut chose faite, les méchants libéraux ont tout de suite changé de tactique: “Oui d’accord, bien sûr, nous avons toujours cru (hypocrites!!) qu’il y a un magistère a priori infaillible au sommet de l’enseignement de l’Eglise, mais en-dessous de ce sommet qui ne voit pas maintenant que rien n’est absolument sûr?” Et les libéraux de s’en donner à cœur joie pour mettre en doute toute vérité au-dessous de ce sommet constitué par le corps de vérités définies infailliblement selon les quatre conditions de la nouvelle définition de 1870» (68). Pour W (j’ai déjà cité ailleurs ce qu’il dit) les catholiques répondirent à cette tactique libérale en construisant “un magistère ordinaire infaillible a priori, calqué sur le magistère extraordinaire infaillible a priori, avec seulement trois conditions, ou trois conditions et demie, au lieu de quatre (69). Mais non, justement! Il faut quatre conditions et pas seulement trois et demie pour qu’il y ait a priori infaillibilité. Mais ce magistère à trois conditions et demie, était comme nécessaire pour asseoir une vérité catholique dans ces esprits faussement éblouis par le magistère solennel à quatre conditions” (pp. 21-22). En effet, les “libéraux”, qui, comme W et avant lui, avaient contesté l’opportunité de la définition de l’infaillibilité du Pape, avancèrent un argument semblable à celui auquel se réfère W... Lisons Léon XIII, dans sa condamnation de l’américanisme: “Il importe davantage de signaler une opinion dont on fait un argument en faveur de cette liberté qu’ils proposent aux catholiques. Ils disent à propos du magistère du Pontife romain, que, après la définition solennelle qui a été faite au Concile du Vatican, il n’y a plus d’inquiétude à avoir de ce côté; c’est pourquoi, ce magistère sauvegardé, chacun peut maintenant avoir plus libre champ pour penser et agir” (évidemment puisque, les américanistes, comme W, pensaient que tout le magistère qui n’était pas ultra-solennel, n’était pas infaillible) (70). Si W et Léon XIII signalent le même danger, ils ne donnent toutefois pas le même remède! Pour W il se trouve dans la “Tradition” interprétée sans le magistère. Pour Léon XIII au contraire il n’en est pas ainsi: “Etrange manière en vérité de raisonner; s’il est en effet une conclusion à tirer du magistère de l’Eglise, c’est, à coup sûr, que nul ne doit chercher à s’en écarter et que, au contraire, tous doivent s’appliquer à s’en inspirer toujours et à s’y soumettre de manière à se préserver plus facilement de toute erreur de leur sens propre” (ibidem)! Sans motif, donc, W critique l’opportunité de la définition de 1870, en suivant les traces de Döllinger. L’Eglise a jugé bien différemment sur l’opportunité du Concile Vatican I. Le même Pie IX en parle explicitement (71): “Certes, les vicissitudes de notre époque… attestent avec quelle opportunité la divine Providence a permis que la définition de l’Infaillibilité pontificale fût proclamée alors que la règle droite des croyances et de la conduite allait, au milieu de difficultés si multipliées, être privée de tout appui”. Pie XI en donne le même jugement (72): “L’Eglise ne demande rien d’autre que d’être écoutée avant d’être condamnée: d’autant plus facilement est parvenue à tous, au moins aux chercheurs, la connaissance des Actes du dernier Concile, d’autant plus clairement apparaîtra cette ignorance, témérité et audace qu’eurent les ennemis de l’Eglise, quand ils jugèrent comme un crime la décision et les effets de la décision de Notre prédécesseur de sainte mémoire Pie IX. Quiconque considère attentivement l’ensemble des documents, qui concernent et relatent la longue préparation du Concile et les travaux de cette importante et célèbre assemblée des évêques, doit nécessairement - à moins qu’il ne haïsse la religion et ne soit aveuglé par des préjugés - reconnaître et proclamer que ce n’est pas sans l’inspiration et la protection divine qu’eut lieu la préparation, la convocation et la session du Concile œcuménique du Vatican; et doit reconnaître que ce Pontife, qui pour tant de mérites est voué à l’éternité et à l’immortalité, ne visait pas tellement l’opportunité contingente - qui était niée par les critiques faibles d’esprit - mais prévoyait et pressentait plutôt les nécessités des temps futurs”. La définition de l’infaillibilité, opportune en 1870, est encore plus opportune et provi- 61 dentielle pour notre temps, per se et per accidens, même si elle ne l’est pas pour W! e) Cinquième erreur de W: les définitions de l’Eglise seraient dues seulement à la diminution de la charité Nous nous arrêtons rapidement sur ce point. W dit que “au fur et à mesure que la charité se refroidit” les vérités définies augmentent toujours plus (73): ici il veut presque diminuer la nécessité du magistère, qui ne se révèle plus être une règle stable de notre foi, toujours nécessaire, mais un remède exceptionnel et contingent dû à la méchanceté des hommes. Au contraire, l’histoire nous enseigne que les occasions de définitions de l’Eglise sont multiples: la charité qui se refroidit, des erreurs nouvelles qui voient le jour, l’approfondissement de problèmes théologiques, une plus grande ferveur. Si Léon XIII se prononça sur la validité des ordinations anglicanes, Pie XII sur la matière et la forme de l’Ordre, on comprend bien que la charité n’a rien à y voir. Si Pie IX définit le dogme de l’Immaculée et Pie XII celui de l’Assomption, ce ne fut certes pas à cause d’une moindre dévotion envers la Bienheureuse Vierge Marie! Et on ne peut pas non plus dire qu’avant la définition il y avait plus de ferveur envers ces dogmes, quand justement beaucoup de catholiques les niaient! L’Eglise en effet a l’assistance du Saint-Esprit non seulement pour conserver le dépôt révélé, mais encore pour l’expliquer et l’exposer (DS 3070). Même là, en somme, notons que W a des idées préconçues, et que pour cette raison il a un jugement erroné sur beaucoup de choses. Conclusion Beaucoup de “traditionalistes” croient qu’embrasser la vraie Foi dans les matières exposées ci-dessus signifie risquer d’accepter tout le Concile Vatican II avec ses réformes. C’est ce qui semble être l’obstacle le plus grave, qui leur empêche de prendre au sérieux la doctrine de l’Eglise comme nous l’avons examinée dans les paragraphes précédents. La solution de ce nœud a été exposée par la Thèse de Cassiciacum: Il est impossible d’accepter ces réformes, parce que l’acte de Foi à leur égard est métaphysiquement impossible. Si nous croyons par exemple, de foi, que la liberté religieuse est une erreur, comment pouvons-nous croire qu’elle est en même temps une vérité révélée? Si nous croyons que l’œcuménisme est mauvais, comment mon intelligence peutelle croire qu’il est une bonne pratique pour l’Eglise? Il y a une impossibilité réelle pour mon intelligence d’adhérer à deux propositions contradictoires, toutes les deux proposées à croire par le Magistère: les premières, par celui des Pontifes du passé, les secondes, par celui des “pontifes” du post-concile (Vatican II). Or le Magistère ne peut pas se contredire ni la Foi non plus. Donc l’un des deux est dans l’erreur. Mais si l’un des deux est dans l’erreur, alors cela veut dire, ipso facto, que l’“autorité” qui avait promulgué ce “magistère” erroné n’était pas assistée par le Saint-Esprit. Elle n’était pas formellement l’Autorité (74). Nous avons montré avec surabondance de documents que le Pape est infaillible avec le Magistère ordinaire; que ce Magistère traite tant des vérités révélées que des vérités connexes au révélé; que par ce Magistère infaillible le Pape est la règle prochaine de notre foi. Etant donné que W n’accepte pas l’autorité des “bons auteurs des manuels [de théologie]”, parce qu’ils “ont d’une certaine façon joué le jeu des libéraux” ( 75), nous n’avons pas voulu les prendre en considération, mais nous nous sommes limités aux documents du Magistère, du Concile du Vatican et de son explication. Il est possible que W réfute aussi l’autorité de ceux-ci: alors n’y aura-t-il plus aucune autorité intermédiaire entre le fidèle et la Tradition? Chacun sera-t-il pour lui-même la règle de sa propre foi (76)? Dans ce cas nous voudrions poser à W quelques questions. S’il avait vécu au temps où l’on discutait sur la validité du Baptême donné par les hérétiques, ou en quel jour il faudrait célébrer Pâques, comment se serait-il comporté? Aurait-il suivi la “tradition” ou les décisions du Pape? S’il avait vécu au temps où les jansénistes contestaient l’infaillibilité du Pape sur les faits dogmatiques, à qui aurait-il donné raison? Interpréter seul la Tradition, parce que cela nous semble évident ou dans le sens où nous la comprenons, n’est-ce pas cela un subjectivisme dans l’acte de foi, l’acte le plus important pour notre salut? «On ne peut pas - dit Pie XII - scruter et expliquer les documents de la “Tradition”, en négligeant ou en minimisant le magistère sacré» (77). 62 Notes 1) Le sel de la terre, Couvent de la Haye-aux-Bonshommes, F - 49240 Avrillé, n° 23, Hiver 1997-8, pp. 20-22. 2) Ibidem, p. 20. 3) En note les Dominicains d’Avrillé expliquent: «Michael Davies est un auteur anglais qui a écrit plusieurs livres pour défendre la Tradition et en particulier Mgr Lefebvre. Pourtant il ne suit pas complètement les positions de Mgr Lefebvre, notamment sur la nouvelle messe. Il est président d’Una Voce». 4) Pour le Magistère Ordinaire Universel, cf. Sodalitium n° 40 pp. 36 et ss.; n° 43 pp. 38 et ss. 5) Conc. Vat. I, Const. dogm. Pastor Æternus, ch. IV, 18-7-1870. 6) Sodalitium n° 40 p. 37. 7) Sodalitium n° 43 p. 47. Voir aussi la citation de Mgr d’Avanzo, pp. 42 et 49. SALAVERRI, Sacræ Theologiæ Summa, Theologia Fundamentalis, T. III De Ecclesia Christi, B.A.C., Madrid 1962. Livre 2, c. 2 a. 2, n° 647-8. 8) Sodalitium n° 40 p. 37. 8 bis) Un prêtre qui a lu cet article dans l’édition italienne de Sodalitium a émis l’objection suivante: «D’après vous le Magistère et le Concile du Vatican ne font pas de distinction entre le magistère ordinaire et le magistère solennel du Pape. Ils ne distinguent certainement pas quand ils parlent de l’un en particulier et non de l’autre, mais c’est une errreur de penser que “ex cathedra” équivaut au magistère ordinaire et au magistère solennel en même temps. Il suffit de voir le canon du Code de Droit Canonique au n° 1323 § 2: “Prononcer les jugements solennels appartient en propre tant au Concile qu’au Pontife Romain quand il parle ex cathedra”. Du reste cela me semble clair dans les actes de Vatican I. On dirait que vous introduisez cette affirmation pour rappeler une vérité importante qui est que le Pape seul - sans l’Episcopat - peut parler infailliblement fréquemment, et non de manière aussi extraordinaire comme il arrive une fois par siècle ainsi que le croient les minimalistes contredisant le Saint Concile. Mais sur ce point W a raison (seulement sur ce point), en soutenant que ex cathedra est synonyme de “solennel”; mais il n’a pas raison de penser que cela n’arrive que rarement ou presque jamais. Le Pape est infaillible tous les jours comme premier et principal élément du M.O.U. et non en définissant ex cathedra; c’est pourquoi, ce type de magistère papal est appelé extraordinaire. En pratique le Pape définit ex cathedra chaque fois qu’il: définit un dogme de foi, mais aussi quand il définit une doctrine comme certaine, ou la condamne comme hérétique, favorable ou sentant l’hérésie, schismatique, contraire aux oreilles pies. Il définit aussi ex cathedra chaque fois qu’il canonise un saint ou (comme il est plus probable) le béatifie, quand il approuve définitivement un Institut de perfection, quand il promulgue des lois universelles disciplinaires ou liturgiques, etc. Dans toutes ces occasions le Pape régnant est infaillible parce qu’il définit ou détermine du haut de la chaire suprême. C’est pourquoi les définitions ex cathedra d’un Pape, qui règne même seulement deux ans, sont très nombreuses. Mais tout cela n’a rien à voir avec le Magistère ordinaire du Pape, qui par sa nature, comme le M.O.U. ne définit pas mais plutôt transmet. S’il y a une définition papale, il y a un jugement solennel, c’est-à-dire ex cathedra». Tout d’abord nous faisons remarquer que la divergence d’opinions entre Sodalitium et notre critique, pour importante qu’elle soit, ne touche pas le fond de la question: nous sommes tous les deux convaincus de la grande extension de l’infaillibilité du Magistère papal, et ce contre la Thèse de W et de la Fraternité. Quant à la Thèse qui nous critique, bien qu’étant respectable, elle est très loin d’être aussi sûre que nous la présente notre contradicteur. A ce propos il nous semble suffisant de citer l’abbé Bernard Lucien: «Précisons encore que parmi les partisans d’une “vision large” de l’infaillibilité pontificale, on peut découvrir (au moins) trois catégories: - les uns tiennent que la définition de Vatican I est effectivement très restreinte (c’est-à-dire que les cas d’infaillibilité qu’elle décrit sont rares), mais qu’elle n’est nullement restrictive (c’est-à-dire qu’elle n’exclut nullement qu’il y ait infaillibilité en d’autres cas); - d’autres admettent que la définition de Vatican I est restrictive, mais ils reconnaissent qu’en elle-même elle est large; - d’autres enfin - parmi lesquels nous nous insérons tiennent à la fois que la définition de Vatican I est large et qu’elle n’est pas restrictive» (Bernard Lucien, L’infaillibilité du Magistère Pontificale Ordinaire, in Sedes Sapientiæ, n° 63, p. 42). A ce qu’il nous semble notre contradicteur peut être classé dans la seconde catégorie, tandis que nous nous plaçons, avec l’abbé Lucien, dans la troisième. Quant à l’objection déduite du canon 1323 § 2 du Code de Droit canonique, il est facile de répondre, que le Code n’établit pas une identité entre jugement solennel et locution ex cathedra: tout jugement solennel, pour le Code, appartient au Pape qui parle ex cathedra ou au Concile œcuménique, d’accord; mais le Code ne dit pas que le Pape qui parle ex cathedra, le fait en s’exprimant seulement de manière solennelle. C’est pourquoi l’abbé Lucien peut, malgré le canon 1323 § 2 qu’il cite à la page 38, établir comme une caractéristique du courant minimaliste sur l’infaillibilité du Pape la position qui identifie jugements solennels et locutions ex cathedra (p. 45). 9) CLÉMENT VI, “Lettre Super quibusdam à Mekhithar, Catholicos des Arméniens”, 29-9-1351, DS 1064. 10) PIE XI, Mortalium animos, 6-1-1928. DS 3683. Le texte est rapporté in E. P. n° 871. 11) PIE XI, Casti Connubii, 31/1/1930, E. P. n° 905. 12) PIE XII, Humani Generis, 12-8-1950, E. P. n° 1280. 13) PIE XII, Commossi, 4-11-1950, E. P. n° 1295. 14) Les membres de la Députation de la Foi étaient vingt-quatre, choisis par les Pères, et le président, le Cardinal Bilio, avait été nommé par Pie IX. 15) 84ème Congrégation générale, 11-7-1870, Mansi 52, 1204-18. 16) MGR GASSER, ibidem, Mansi, 52, 1225. 17) MGR GASSER, ibidem, Mansi, 52, 1214. 18) Ibidem, Mansi 52, 1225. 19) GREGOIRE XVI, Mirari vos, 15-8-1832, DS 2730. 20) GREGOIRE XVI, Singulari quadam, 25-6-1834, E. P. “La paix intérieure des nations”, n° 29. 21) Humani Generis, 12-8-1950: “Certains sont d’avis qu’ils ne sont point liés par la doctrine que Nous exposions (...) en notre encyclique et qui s’appuie sur les sources de la révélation, à savoir que le Corps mystique du Christ et l’Eglise catholique romaine sont une seule et même chose”. E. P., L’Eglise, n° 1282. 22) L’objet de l’infaillibilité de l’Eglise et du Pape est double: ce qui est contenu formellement dans la Révélation, est appelé objet primaire; ce qui est connexe (lié) nécessairement à la Révélation, est appelé objet secondaire. Le sujet a été traité in Sodalitium n° 40, pp. 40-47. 63 23) MGR GASSER, ibidem, Mansi 52, 1226: “D’autres vérités (...) quoique non révélées, sont cependant nécessaires pour la conservation, l’explication et la confirmation des vérités révélées. De telles vérités, parmi lesquelles il faut compter les faits dogmatiques, en tant que sans eux le dépôt de la foi ne pourrait être ni conservé ni expliqué, n’appartienent pas, il est vrai, directement au dépôt de la foi, mais sont une condition nécessaire de la garde de ce dépôt. C’est pourquoi la doctrine unanime des théologiens catholiques est que l’Eglise est infaillible aussi dans la proclamation authentique de ces vérités, et que le rejet de cette Infaillibilité serait une très grave erreur. Les avis ne diffèrent que sur le degré de certitude avec lequel les théologiens soutiennent cette Infaillibilité: doit-elle être regardée comme un dogme de foi dont la négation serait une hérésie, ou bien est-elle une simple déduction d’une vérité révélée et n’est-elle pas, par suite, que théologiquement certaine? Puisqu’il en est de l’Infaillibilité pontificale comme de l’Infaillibilité de l’Eglise, cette même question se pose ici aussi; mais comme les membres de la Députation de la Foi ont unanimement décidé de ne pas résoudre maintenant cette question, il suit nécessairement qu’on ne définit maintenant qu’un seul point (…): l’obligation de croire sur l’objet de l’Infaillibilité pontificale la même chose que sur celui de l’Infaillibilité de l’Eglise”. Cf. T H . GRANDERATH S. J., Histoire du Concile du Vatican, depuis sa première annonce jusqu’à sa prorogation d’après les documents authentiques, T. 3, 2ème p., p. 114-115. 24) MGR GASSER, 86ème Congr. Générale, 16-71870, Mansi 52, 1316. 25) SALAVERRI, op. cit., Epilogue, n° 909-910. 26) Amendements proposés au ch. IV de la Constitution De Ecclesia, 7-7-1870, Mansi, 52, 1135. 27) M GR G ASSER , 84ème Congr. générale, 11-71870, Mansi 52, 1229. 28) Constitution dogmatique Dei Filius, définie le 24-4-1870, DS 3018. 29) A BBÉ B ERNARD L UCIEN , L’infaillibilité du Magistère ordinaire et universel de l’Eglise, Documents de Catholicité, Bruxelles 1984. Annexe, pp. 131-146. Sodalitium n° 40, pp. 49-50. 30) P. K LEUTGEN , dans l’exposé théologique du schéma sur l’Eglise, au Concile, Mansi 53, 330 B, cité par B. LUCIEN, op. cit., p. 135. 31) “Non videtur requiri, ut documentum quod definitionem continet, ad universam Ecclesiam immediate dirigatur; sufficit ut toti Ecclesiæ destinetur, licet proxime forsan dirigatur ad episcopos alicuius regionis in qua damnandus error grassatur” (Zapelena, De Ecclesia Christi, pars altera, Thèse 18, p. 195). 32) GREGOIRE XVI, Non sine gravi, à l’évêque de Fribourg, 23/5/1846, E. P., n° 190. 33) MGR GASSER, ibidem, Mansi 52, 1225. 34) “Avec jugement”, “déterminer avec jugement”, “discerner avec autorité”, “avec autorité apostolique”, “parler en tant que pape”. 35) Actes de la Députation de la Foi: Relation du P. Joseph Kleutgen sur le schéma réformé, Mansi, 53, 326-9. 36) MGR DE SEGUR, Le Pape est infaillible, Paris 1872, p. 192, ouvrage approuvé par Pie IX le 8-8-1870. 37) M GR G ASSER , ibidem, Mansi 52, 1206. Cf. GRANDERATH, op. cit., p. 94. 38) M GR G ASSER , ibidem, Mansi 52, 1207. Cf. GRANDERATH, op. cit., p. 96. 39) MGR GASSER, ibidem, Mansi 52, 1207. 40) ST JEROME, Ad Damasum Papam, Migne, P. L. XXII, 356, cité par Gasser. 41) ST JEROME, Enarrationes in Psalmos, XL, 30, Migne, P. L. XIV, 1082, cité par Gasser. 42) MGR GASSER, ibidem, Mansi 52, 1215. 43) MGR DE SEGUR, op. cit., p. 192. 44) Mgr de la Tour d’Auvergne, en demandant la condamnation du gallicanisme, cita une Lettre de Clément XI (Litt. apost. archiepiscopis et episcopis aliisque ecclesiasticis viris Parisiis congregatis, 15-11706) dans laquelle, puisque certains évêques considéraient que les décrets du Saint-Siège devaient être soumis à l’examen des évêques, le Pape le réprimanda ainsi: “Qui vous a constitués juges au-dessus de nous? Peut-être appartient-il aux inférieurs de discerner sur l’autorité du supérieur? Qu’il soit dit pour votre paix, vénérables frères, que cette chose ne peut en aucun cas être tolérée… Interrogez vos aînés, et ils vous diront qu’il n’appartient pas aux évêques particuliers de discuter sur les décrets du siège apostolique, mais de les accomplir”. 75ème Congr. générale, 20-6-1870, Mansi, 52, 820-1. 45) Mgr Maupas, évêque de Zara, en affirmant la nécessité de la définition dit: “Le caractère de notre temps et surtout le danger de corruption qui ne cesse de menacer les fidèles d’aujourd’hui exigent [la définition]: l’infaillible magistère de l’Eglise doit veiller sans cesse à condamner les erreurs qui, sous le faux nom de science, se multiplient de toute part et redressent la tête. Oui, la définition est nécessaire, car sans elle le magistère infaillible de l’Eglise n’existerait qu’in abstracto; en fait il ferait défaut, vu l’impossibilité de réunir continuellement tous les pasteurs de l’Eglise, ou même de les interroger tous”. Intervention à la 76ème Congr. générale, 23-6-1870, Mansi 52, 837. Voir aussi: TH. GRANDERATH, op. cit., p. 38. 46) L’intervention de Mgr Freppel est d’un relief particulier. Appelé à Rome comme consultant dans les commissions préparatoires, durant le Concile il fut consacré évêque. Les anti-infaillibilistes voulaient introduire, dans le texte de la définition, certaines conditions pour l’infaillibilité du Pape (parmi lesquelles la consultation des évêques, la recherche diligente, l’enquête sur les sources, etc.). Bien que les conditions dont parle W soient très différentes de celles réclamées à l’époque, la réponse de Mgr Freppel est éclairante puisqu’elle démontre que l’on ne doit pas introduire d’autres conditions, sinon “on ouvrirait le plus vaste champ aux subterfuges des hérétiques” qui mettraient toujours en doute si le Souverain Pontife a justement et suffisamment observé les conditions requises pour l’infaillibilité. 81ème Congr. générale 2-7-1870, Mansi 52, 1038-41. Cf. GRANDERATH, op. cit., p. 85. 47) Le sel de la terre, op. cit., p. 21, note 1. 48) PIE IX, Tuas libenter, 21/12/1863, à l’archevêque de Munich, DS 2875-80, in Sodalitium n° 40, L’infaillibilité de l’Eglise, pp. 48-49. 49) “Puisque l’homme dépend totalement de Dieu comme son créateur et Seigneur et que la raison créée est soumise complètement à la Vérité incréée, nous sommes tenus, quand Dieu se révèle, à lui prêter, avec la foi, la pleine soumission de notre intelligence et de notre volonté” Conc. Vatican, Const. dogm. Dei Filius, ch. 3 De fide, 24-4-1870, DS 3008. Voir aussi ce que j’ai dit à propos de la 4ème condition. 50) Sodalitium n° 43, pp. 40-47; n° 40, pp. 47-49. 51) Le sel de la terre, op. cit., p. 22. 52) ST AUGUSTIN, Contra epistulam manichei, 5, 6. R.J. 1581. 53) Newman avant de se convertir étudia la Tradition et se convertit en voyant que les Pères étaient soumis au jugement de l’Eglise de Rome. Le Pontife 64 Romain en effet n’est jugé par personne, pas même par la Tradition: au contraire, c’est lui qui juge la Tradition. 54) Sodalitium n° 43, pp. 31-34. 55) PIE XII, Humani Generis, 12-8-1950, DS 3884-5 et E. P. n° 1278-9. 56) C.J.C., can. 1324; Conc. Vat., De Fide cath., DS 3045. 57) ST THOMAS, Somme théologique, II II, q. 5, art. 3; q. 1, art. 10. 58) LEON XIII, Sapientiæ Christianæ, 10-1-1890, E. P. nn° 510, 511, 512, 513. 59) En italique dans le texte. S T P IE X, Grand Catéchisme, Petite Histoire de la Religion, Itinéraires Reprint: Dominique Martin Morin, Paris 1978, p. 354. 60) MGR GASSER, ibidem, Mansi 52, 1207. 60 bis) S T I RÉNÉE , Adv. haer. III, 3, 1. 2. T H . GRANDERATH, op. cit., pp. 96-97. 61) ZUBIZARRETA, Theologia dogmatico-scholastica, III, n° 366. A ce propos M ARIN S OLA O . P ., écrit (L’Evolution homogène du dogme catholique, n° 149 et ss.) commentant St Thomas, II, II, 5, 3, ad 2um: “Quiconque cherche à adhérer à la Vérité Première de l’Ecriture et de la Tradition par un autre chemin que l’Autorité de l’Eglise, n’a pas une vraie foi divine, mais une autre foi, une foi à lui, une foi créée, humaine: une foi scientifique ou acquise. (…) L’homme ne peut parvenir à l’assentiment de foi divine, que par un seul moyen: l’autorité de l’Eglise. Sans ce moyen, l’acte de notre foi divine est totalement impossible”. 62) P IE XII, Inter complures, 24/10/1954, E. P., L’Eglise, II, 1389. 63) F. RICOSSA, préface à A. V. XAVIER DA SILVEIRA, La nuova messa di Paolo VI, Ferrara, ed. pro manuscripto, pp. 4-6. 64) En note les dominicains d’Avrillé expliquent: «Les expressions per se et per accidens, signifient ici que, dans le premier cas, la conséquence suit l’essence de la chose, dans le deuxième cas, cette même conséquence arrive à cause de circonstances en soi indépendantes de la chose (ici, la circonstance déterminante est “la méchanceté des hommes” actuels)». 65) Le sel de la terre, op. cit., p. 20. 66) I Cor. I, 23 67) Rom. VII, 7 et ss. 68) Le sel de la terre, op. cit., p. 21. 69) Selon W, seul le magistère solennel est infaillible, et pour qu’il y ait magistère solennel il faut les quatre conditions. S’il en manque une seule (ou une demie, comme il dit), il n’y a plus magistère solennel ni infaillibilité. 70) LÉON XIII, Lettre au cardinal Gibbons, Testem benevolentiæ, du 22 janvier 1899, E. P., L’Eglise, I, 633. 71) PIE IX, Lettre à un évêque d’Allemagne, 6-111876, E. P. n° 437. 72) PIE XI, Epist. ad R. P. D. Ludovicum Petit, 5-XI1924, in A.A.S., Polyglottis Vaticanis 1924, Epistula VIII, p. 463. 73) Le sel de la terre, op. cit., p. 22. 74) H. BELMONT, L’exercice quotidien de la Foi dans la crise de l’Eglise. Bordeaux 1984, pp. 12-13 et Brimborions, Grâce et vérité, Bordeaux 1990, pp. 51-69. 75) Le sel de la terre, op. cit., p. 22. 76) Les définitions du Magistère solennel en effet sont rares et ne recouvrent pas tout le révélé, ni toute la doctrine catholique. 77) P IE XII, Inter complures, 24/10/1954, E. P., L’Eglise, II, 1389. L’OSSERVATORE ROMANO uand le fils de l’homme viendra, trouvera-t-il Q la foi sur la terre? (Lc 18, 8)”. C’est par cette question surprenante que débutait l’homélie de Jean-Paul II pour le XXème anniversaire de son élection, dimanche 18 octobre (O.R., éd. it., 1920/10/98, pp. 6-7). Et il poursuivait ainsi: “Tout au long des deux mille ans de l’ère chrétienne, cette demande faite un jour par le Christ à ses disciples, a bien souvent interpellé les hommes que la Divine Providence a appelés pour assumer le ministère de Pierre. Je pense en cet instant à tous mes lointains et proches Prédécesseurs. Je pense, tout spécialement à moi (...). (...) Combien de fois suisje revenu en pensée aux paroles de Jésus que Luc nous a conservées dans son Evangile. Peu avant d’affronter la passion, Jésus dit à Pierre: ‘Simon, Simon, voici que Satan vous a réclamés pour vous cribler comme le froment; mais j’ai prié pour toi afin que ta foi ne défaille point; et toi, quand tu seras converti, affermis tes frères’ (Lc 22, 31-32). ‘Affermir ses frères dans la foi’ est donc l’un des aspect essentiels du service pastoral confié à Pierre et à ses successeurs. Dans la liturgie de ce jour, Jésus pose la question: ‘Quand le fils de l’homme viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre?’. C’est une question qui s’adresse à tous, mais plus particulièrement aux successeurs de Pierre. ‘Quand il viendra, trouvera-t-il...? (...) Lors de sa venue, trouvera-t-il la foi sur la terre?” (n. 1). Face à l’optimisme post-conciliaire artificiel, Jean-Paul II semble angoissé par la perte de la foi, évidente de nos jours - une véritable apostasie - et par le souci (oublié depuis le Concile) de conserver intègre cette foi; mais aussi angoissé par la pensée de sa responsabilité: “Après vingt ans de service sur le Siège de Pierre, je ne peux pas, aujourd’hui, ne pas me poser des questions: As-tu maintenu tout cela? As-tu été un maître diligent et vigilant de la foi de l’Eglise?” (n. 2). A cette question capitale, JeanPaul II en a, hélas, ajouté une autre: “As-tu cherché à rendre proche des hommes d’aujourd’hui la grande œuvre du Concile Vatican II?”. Ce Concile que lui-même a encore appelé “printemps” destiné à devenir “été” dans le nouveau millénaire, c’est-à-dire “développement dans la maturité” (audience générale, Doc. n° 2190, p. 863). Quelle tragédie! Ne pas voir que c’est précisément Vatican II qui fait disparaître - si c’était possible - de la face de la terre la foi catholique, grâce au “bouleversement” du “chemin désormais consolidé et séculaire” de l’Eglise, selon 65 l’expression de Mgr Duprey, secrétaire du Conseil pontifical pour l’Unité des Chrétiens! (discours tenu au VIIème colloque international promu par l’Institut Paul VI sur Paul VI et l’œcuménisme, dans O.R., 19-20/10/98, éd. it., p. 4. Duprey parlait expressément du décret Unitatis redintegratio et des hésitations de Paul VI à le signer). Dans ce numéro de Sodalitium nous présentons à la fois des textes dans lesquels JeanPaul II poursuit la voie, qualifiée par lui d’“irréversible”, de l’hérésie œcuméniste, et d’autres textes dans lesquels il semble confirmer - partiellement - ses frères dans la foi. Ne fermons pas les yeux sur la réalité d’une Eglise sans Pasteur; mais, ne le nions pas non plus, “une fois repenti”, l’élu au Trône de Pierre - ou son successeur confirmera de nouveau ses frères, soutenant depuis la Chaire de vérité “le nouvel Israël, l’Eglise” qui “se trouve en plein combat contre les divers ‘Amalécites’” (O.R., 19-20/10/98, éd. it., p. 7). A cette intention et confiants dans les divines promesses sur l’indéfectibilité de Son Eglise, élevons au Seigneur notre prière. Sodalitium Les responsables de la mort du Christ Reprenant la tradition inaugurée par saint Léonard de Port Maurice, chaque année, le Vendredi saint, Jean-Paul II préside le Chemin de Croix au Colisée. Cette année encore les textes des méditations ont été rédigés par un hétérodoxe, un schismatique grec cette fois, Olivier Clément (considéré comme hétérodoxe même par de nombreux corréligionnaires). Le texte de la première station est celui-ci: “Oh non, ça n’est pas le peuple juif, peuple que nous avons si longtemps crucifié, (...) ce ne sont pas eux mais nous, nous tous et chacun d’entre nous, parce que nous sommes tous les assassins de l’amour” (O.R., 12/4/98, éd. it., p. 6). Voilà qui est une belle inversion de la perspective traditionnelle: non seulement les juifs infidèles n’ont pas crucifié le Christ, mais ils ont été crucifiés par les chrétiens, qui même ont crucifié le Christ. En somme, pour O. Clément et Jean-Paul II, c’est comme si, dans la tragédie de la Passion, “l’unique juif à être concerné fut le juif tué”, pour reprendre une expression de G. K. Chesterton (dans The Way of the Cross, 1935).! Et l’enseignement du nouveau Catéchisme de l’Eglise catholique va dans le même sens (n. 598). Il est vrai que, spécialement dans les écrits de dévotion, on a toujours insisté sur le fait que “tous les pécheurs furent les auteurs de la Passion du Christ”. Mais il faut distinguer entre la cause efficiente et la cause finale. Les pécheurs sont cause finale de la Passion (“c’est pour moi que Jésus souffre, pour mes péchés”, nous fait méditer saint Ignace); ceux qui voulurent et réalisèrent historiquement la condamnation à mort de Jésus en sont la cause efficiente. Or, parmi les causes efficientes de la mort du Christ, l’unique “chrétien” à figurer est Judas Iscariote, le traître. Quant aux autres coupables, il suffit de lire les Evangiles pour les connaître. Discours aux “United Jewish Appeal Federations of North America” Le 3 septembre 1998, à Castel Gandolfo, Jean-Paul II a reçu une délégation des United Jewish Appeal Federations of North America (texte anglais et traduction italienne dans O.R., 4/9/98, p. 5 éd. it.). Voici les passages les plus significatifs du discours: 1) “Votre présence met en évidence les liens étroits d’affinité spirituelle que les chrétiens partagent avec la grande tradition religieuse du Judaïsme et qui remonte à Moïse et à Abraham” 2) “Par des moyens divers, juifs et chrétiens suivent le chemin religieux du monothéisme éthique. Nous adorons l’unique vrai Dieu...” 3) “Nous y [livre de la Genèse] voyons que tout être humain possède une dignité absolue et inaliénable, parce que nous avons été tous créés à l’image et à la ressemblance de Dieu (cfr Gn 1, 26)” 4) “Je suis sûr que nous partageons la fervente espérance que le Seigneur de l’Histoire guide les efforts réalisés par les chrétiens et les juifs et tous les hommes et les femmes de bonne volonté pour œuvrer ensemble à l’instauration d’un monde d’authentique respect de la vie et de la dignité de tout être humain, sans discrimination d’aucune sorte”. Quelques observations: 1) Les juifs actuels ne sont pas les héritiers d’Abraham, de Moïse et de leur tradition, mais les héritiers de la tradition pharisaïque. 2) Les façons différentes de concevoir Dieu des juifs et des chrétiens ne sont pas chose indifférente! Les chrétiens croient en la Sainte Trinité et en la divinité du Christ; les juifs orthodoxes croient en un Dieu panthéiste et/ou gnostique aux nombreuses émanations (cf. I. SHAHAK, Histoire juive - Religion juive, ch. 3, éd. La Vieille Taupe, 1996). 3) La dignité humaine est inaliénable seulement à la racine (c’est-à-dire dans la na- 66 premiers discours et de notre commentaire est celui des relations entre l’Eglise et les religions non chrétiennes, thème déjà traité par Vatican II, principalement dans la Déclaration Nostra Ætate (NA) du 28 octobre 1965. Nous verrons comment Jean-Paul II non seulement fait siennes les principales innovations conciliaires dans ce domaine, mais comment il va bien au-delà du Concile même, sur la voie de l’indifférentisme, du modernisme et du traditionalisme. I. La doctrine de Jean-Paul II Jean-Paul II reçoit les représentants des “United Jewish Appeal Federations of North America” ture que l’on ne peut perdre), mais pas en acte: St Thomas écrit: “Par le péché l’homme (...) déchoit de la dignité humaine” (II-II q. 64, a. 2 ad. 3) et Léon XIII précise: “si l’intelligence adhère à des fausses opinions, si la volonté choisit et s’unit au mal (...), toutes deux déchoient de leur dignité native (...)” (Enc. Immortalæ Dei du 1er/11/1885). 4) Nier toute discrimination (= disparité de traitement ou de droits), “d’aucune sorte”, même celles en faveur des catholiques, est contraire à la doctrine sociale de l’Eglise. JEAN-PAUL II ET LE “DIALOGUE INTER-RELIGIEUX” Nous nous référons ici à deux interventions de Jean-Paul II qui sont: d’une part le Message au Cardinal Edward I. Cassidy, Président du Conseil pontifical pour la Promotion de l’Unité des Chrétiens du 26 août 1998, à l’occasion de la “XIIème rencontre de prière organisée par la Communauté de Saint Egide sur le thème: ‘Paix est le nom de Dieu’” (Doc. cath., n° 2190 du 18/10/98, p. 864 à 866; nous attribuerons à ce texte la lettre initiale M), d’autre part le discours aux fidèles à l’occasion de l’audience générale du 9 septembre 1998 (Doc. cath., ibidem, p. 859-860, U pour abréger). A ces deux documents s’ajoute le discours prononcé lors d’une autre audience générale (Osservatore Romano éd. it. du 17/9/98, p. 4; initiale U2); ce dernier discours est un développement de U et prépare le thème de l’“encyclique” de Jean-Paul II sur les rapports entre foi et raison. Le thème des deux a) Nouvelle évaluation des religions non chrétiennes: “estime, respect sincère, profonde sympathie, collaboration cordiale” Telle est la nouvelle approche du Concile et du post-Concile vis-à-vis des fausses religions existant dans le monde, sans exception (“L’Esprit de vérité et d’amour, dans la perspective du troisième Millénaire bien proche désormais, nous guide sur les voies de l’annonce de Jésus-Christ et du dialogue de paix et de fraternité avec les disciples de toutes les religions” U, 4). Vatican II s’était limité au respect: “Elle [l’Eglise] considère avec un respect sincère (1) ces manières d’agir et de vivre, ces règles et ces doctrines qui, quoiqu’elles diffèrent en beaucoup de points de ce qu’ellemême tient et propose, apportent cependant souvent un rayon de la vérité qui illumine tous les hommes” (NA, 2; U, 1). Jean-Paul II abonde en ce sens: “Pour les motifs que nous venons de rappeler l’attitude de l’Eglise et des simples chrétiens vis-à-vis des autres religions est empreinte de respect sincère, de sympathie profonde, et aussi, quand il est possible et opportun, de collaboration cordiale” (U, 4); “ils [les représentants des grandes Religions mondiales] savent avec quelle estime je considère leurs traditions religieuses” (M, 2ème col.). Aidons-nous du dictionnaire italien (le Nuovo Zingarelli, 1989) pour apprécier les termes à leur juste valeur: respect: “sentiment né de l’estime et de la considération envers les personnes considérées comme supérieures, envers principes ou institutions”; sympathie: “attraction et inclination instinctives pour des personnes ou des choses (du grec sympatheia, conformité dans le sentir); collaboration: “fait de travailler ensemble avec d’autres”; estime: “opinion bonne, favorable, des qualités, des mérites, de l’activité, etc d’autrui”. Une telle évaluation se porte 67 non pas tant sur les adeptes des religions non chrétiennes, mais sur les religions mêmes, sur leur ensemble (comportant des choses vraies et des choses qui diffèrent en de nombreux points de ce que croit l’Eglise), sur leur doctrine dogmatique et leurs préceptes moraux. Cette attitude nous paraît profondément innovatrice, et Jean-Paul II semble le confirmer lorsque, la résumant en ce terme de“vision” ou d’“esprit d’Assise” (M, 1ère col.; U, 2) il écrit: “Mon esprit se rappelle encore avec une vive émotion cette mémorable journée d’Assise où, pour la première fois dans l’histoire ( 2 ) des représentants des grandes religions du monde se sont réunis pour demander la paix à Celui qui est le seul à pouvoir la donner en plénitude” (M, 1ère col.) Aussi dans un article sur le dialogue inter-religieux publié dans la revue napolitaine Il Gesù nuovo (n. 3, mai-juin 1996, p. 143), le père jésuite Armando Gargiulo putil écrire sans craindre d’être démenti: “Le Concile Vatican II a été le premier dans l’histoire conciliaire de l’Eglise, à parler de façon positive des autres religions”. Affirmer qu’il aura fallu à l’Eglise 2000 ans pour découvrir une “vérité” aussi importante semble une énormité! Cette nouvelle attitude peut-elle se fonder toutefois sur l’autorité de la Révélation, de la Tradition ou du magistère ecclésiastique, du moins implicitement? Jean-Paul II pense que oui. b) Les “semences du Verbe” Jean-Paul II écrit:“Reprenant l’enseignement conciliaire, j’ai voulu, dès la première lettre encyclique de mon pontificat [Redemptor hominis] rappeler l’ancienne doctrine formulée par les Pères de l’Eglise, selon laquelle il est nécessaire de reconnaître ‘les semences du Verbe’ présentes et à l’œuvre dans les diverses religions (cfr Ad Gentes, 11; Lumen Gentium, 17). Cette doctrine nous pousse à affirmer que, bien que par des voies différentes, ‘cependant l’aspiration la plus profonde de l’esprit humain est tournée, malgré la diversité des chemins, vers une direction unique, en s’exprimant dans la recherche de Dieu et en même temps, par l’intermédiaire de la tension vers Dieu, dans la recherche de la dimension totale de l’humanité, c’est-à-dire du sens plénier de la condition humaine’ (Redemptor hominis, 11). Les ‘semences de vérité’ présentes et à l’œuvre dans les diverses traditions religieuses sont un reflet de l’unique Verbe de Dieu, qui ‘éclaire tout homme’ (cfr Jn 1, 9) et qui s’est fait chair dans le Christ Jésus (cfr Jn 1, 14). Elles sont également un ‘effet de l’Esprit de vérité qui est à l’œuvre au-delà des frontières visibles du Corps Mystique’, et qui ‘souffle où il veut’ (Jn 3, 8) (cfr Redemptor hominis, 6 et 12)” (U, 1). En ce qui concerne le magistère de l’Eglise, Jean-Paul II ne peut se référer qu’à lui-même et au Concile Vatican II. Mais dans le cas présent, il va bien au-delà du Concile: Ad Gentes se limitait à écrire que les missionaires “doivent bien connaître les traditions nationales et religieuses des autres, heureux de découvrir et prêts à respecter ces semences du Verbe qui se cachent en elles”, tandis que Lumen Gentium affirme que l’Eglise, après avoir tiré les non-chrétiens de “l’esclavage de l’erreur”, “n’a qu’un but: tout ce qu’il y a de germes de bien dans le cœur et la pensée des hommes ou dans leurs rites propres et leur culture, non seulement ne pas le laisser perdre mais le guérir, l’élever et l’achever pour la gloire de Dieu, la confusion du démon et le bonheur de l’homme.” Vatican II ne fait donc qu’une allusion rapide, à la doctrine sur les “semences du Verbe” de saint Justin (soulignant la nécessité de corriger et purifier les erreurs mêlées à certaines vérités) et sans même citer son auteur, saint Justin, apologiste et philosophe chrétien du IIème siècle, ce que fait au contraire explicitement Jean-Paul II (dans U2, 1). Celui-ci se réfère donc en dernière analyse à saint Justin; mais, est-ce à tort ou à raison qu’il le fait? Plus apologiste que philosophe et théologien, écrivain en tous cas non systématique, saint Justin tire l’expression logoi spermatikoi raisons séminales - de l’école stoïcienne (à laquelle il avait appartenu), pour expliquer le fait que l’on puisse trouver dans la philosophie grecque des vérités révélées par ailleurs dans l’Ancien Testament: “quant aux analogies qui rapprochent des autres religions le judaïsme, précurseur divinement autorisé du christianisme, il l’explique pour une part (et c’est là une solution très discutable) par des plagiats des livres sacrés des Juifs effectués par les philosophes et par une astucieuse imitation des démons (thèse du plagiat) et pour l’autre part (et c’est une solution plus perspicace) par une tolérance divine, tout à fait provisoire, d’éléments imparfaits, dans le but de faciliter l’acceptation de ce qui est essentiel (théorie de la condescendance, sugkatabasis) ou, enfin, en accommodant de façon superficielle la théorie stoïcienne des ‘raisons séminales’ (logoi spermatikoi) au moyen de ‘semences du verbe’ élargies aux âmes de bonne volonté” (Enciclopedia cattolica, rubrique Religioni, X, 68 707). C’est sur cette voie que s’engageront deux auteurs pas toujours orthodoxes comme Clément d’Alexandrie et Origène (remis en vogue par de Lubac). Etienne Gilson, dans L’Esprit de la philosophie médiévale (Vrin, Paris 1969, pp. 23-25) montre comment la pensée de saint Justin peut être développée dans un sens correct (il cite saint Ambroise - en réalité l’Ambrosiaster - et saint Thomas d’Aquin: omne verum, a quocumque dicatur, a Spiritu sancto est) et comment elle peut fonder une philosophie chrétienne, sans rejeter (comme c’est la tendance chez les protestants) ce qu’il y a dans la philosophie classique de vrai, de bon, c’est-à-dire de conforme à la réalité et à la loi naturelle. Mais saint Justin peut être aussi mal interprété, si on lui attribue ce qu’il n’a pas dit. C’est ce que fait Jean-Paul II. D’abord et avant tout, Justin se réfère surtout à la philosophie grecque pré-chrétienne; Jean-Paul II à toutes les religions (pré et post-chrétiennes). Justin admet une intervention des démons dans les traditions non chrétiennes; Jean-Paul II n’en parle pas. Enfin, une interprétation correcte de Justin réduit l’intervention divine (du Verbe, ou de l’Esprit Saint) à la lumière de la raison naturelle que Dieu imprime dans chaque homme; tandis que Jean-Paul II, qui souvent ne distingue pas (selon son “maître” de Lubac) entre ordre naturel et surnaturel, semble surnaturaliser la recherche de Dieu de la part des hommes (dans les diverses religions) et la connaissance naturelle de Dieu à laquelle ils parviennent (non sans un mélange d’erreurs) qui, si vrai soit-elle (et seulement dans cette mesure) n’en est pas moins une simple participation à la Vérité. Nous verrons ensuite la valeur salvatrice (et donc surnaturelle) que JeanPaul II donne à cette recherche et à cette connaissance (naturelle) de Dieu. c) “La lumière, la vraie, celle qui éclaire tout homme, venait dans le monde” (Jn 1, 9) Justin appuie sa doctrine (stoïcienne) des ‘semences du Verbe’ sur la phrase évangélique ci-dessus. Jean-Paul II la reprend et la fait sienne, à la suite de Nostra ætate: “Les ‘semences de vérité’ présentes et à l’œuvre dans les diverses traditions religeuses [sans exception! n.d.r.] sont un reflet de l’unique Verbe de Dieu ‘qui éclaire tout homme’ (cfr Jn 1, 9) et qui s’est fait chair dans le Christ Jésus (cfr Jn 1, 14)” (U, 1); “l’ouverture de l’esprit humain à la vérité et au bien se réalise toujours avec pour arrièreplan la vraie ‘Lumière qui éclaire tout homme’ (Jn 1, 9). Cette lumière est le Christ Seigneur lui-même, qui a éclairé depuis les origines les pas de l’homme et est entré dans son ‘cœur’” (U2, 2). Quel est donc le sens de cette expression évangélique? Puisque Jean-Paul II cite expressément saint Thomas dans son Commentaire de saint Jean, nous aurons recours au même écrit (Commentaire de l’Evangile de saint Jean l I-VI, Città Nuova, 1990) dans la lectio V, où il examine le verset en question. Or, le Docteur angélique commence par contredire immédiatement ce qu’affirme Jean-Paul II: “La nécessité de la venue du Verbe émerge bien du défaut de connaissance divine dans le monde” (n. 124); en effet, “avant la venue du Verbe il y eut dans le monde une certaine lumière, que les philosophes se vantaient de posséder; mais c’était une fausse lumière, parce que, comme le dit l’Epître aux Romains (1, 21 et suiv.) ‘ils sont devenus vains dans leurs pensées et leur cœur sans intelligence s’est enveloppé de ténèbres. Se vantant d’être sages, ils sont devenus fous’. (...) Il y eut aussi une autre lumière que les juifs se vantaient de posséder, et qui provenait de la doctrine de la Loi; mais c’était une lumière préfigurative (...)” (n. 125). Cependant, “que le défaut pour lequel les hommes ne connurent pas Dieu, et ne furent pas éclairés par le Verbe ne dépend pas d’un manquement de Dieu ou du Verbe, [Jean] le démontre (...) par l’efficacité de la lumière divine: ‘La lumière, la vraie, celle qui éclaire tout homme, venait dans le monde’ (...)” (n. 124). “L’efficacité du Verbe se révèle par le fait qu’elle ‘éclaire tout homme qui vient dans ce monde’. Tout ce qui est par participation, dérive en effet de ce qui est tel par essence (...) Or, puisque le Verbe est vraie lumière par sa nature, il est nécessaire que tout autre être lumineux soit éclairé par lui et participe de lui. Donc il ‘éclaire tout homme qui vient dans ce monde’” (n. 127). Mais de quelle façon? “L’illumination par le Verbe peut s’entendre de deux manières: ou relativement à la connaissance de la lumière naturelle (...) ou relativement à la lumière de la grâce (...)” (n. 129). “(...) Si (...) nous prenons le mot ‘monde’ dans le sens de réalité créée, et ‘illumination’ dans le sens de lumière naturelle de la raison, l’expression de l’Evangéliste ne contient rien de faux. En effet tous les hommes qui viennent en ce monde visible sont éclairés au moyen de la lumière de la connaissance naturelle qui participe de la vraie lumière de laquelle tous les hommes reçoivent par participation toute lumière de connaissance naturelle (...)” (n. 129). “Si au contraire l’illumination se réfère à la lumière de 69 la grâce, alors la phrase ‘éclaire tout homme...’ peut avoir trois explications: premièrement (...) ‘éclaire tout homme qui vient’ au moyen de la foi ‘en ce monde’ spirituel qui est l’Eglise, illuminée par la lumière de la grâce [Origène]. Deuxièmement, (...) ‘Le Verbe éclaire’ - pour ce qui dépend de lui; puisque pour sa part il ne se refuse à personne, et même ‘veut que tous se sauvent et parviennent à la connaissance de la vérité’ comme dit saint Paul (1 Tm 2, 4) - ‘tout homme qui vient...’ c’est à dire qui naît, ‘dans ce monde’ visible. Et si quelqu’un n’est pas éclairé, la faute vient de l’homme qui se soustrait à la lumière qui l’éclaire’ [Chrysostome]. Troisièmement, (...) en disant... ‘éclaire tout homme qui vient dans ce monde’ on ne veut pas indiquer dans l’absolu tous les hommes, mais chaque homme qui est éclairé; car personne n’est éclairé sinon par le Verbe (...) [Augustin]” (n. 130). En résumé: Dieu éclaire tous les hommes en leur donnant la lumière de la raison pour connaître des vérités naturelles; il offre à tous les hommes la lumière de la grâce (suffisante) pour se sauver; seuls sont effectivement éclairés par la grâce les hommes qui ont la foi (cf. Jn 1, 12) et sont dans l’Eglise, les autres ne sont pas illuminés, par leur faute, ayant repoussé la lumière (Jn 1, 10-11). Telle est la doctrine de saint Thomas, faussée et embrouillée par Jean-Paul II. De la même manière, la doctrine de saint Paul exprimée dans l’Epître aux Romains, attribue au monde seulement deux lumières avant la venue du Christ: la raison pour les Gentils et la Loi pour les Hébreux, condamnant par contre en bloc la religion des Gentils en tant qu’aberration de la raison, et montrant l’incapacité de sauver de la religion hébraïque; d’un rôle salvateur des fausses religions il n’y a pas trace, et même, il y a le contraire. d) L’Esprit de Vérité... auteur des fausses religions! Au contraire, après s’être bien gardé de distinguer entre lumière naturelle de la raison (donnée à tous) et lumière surnaturelle de la grâce (proposée à tous mais donnée seulement aux croyants), Jean-Paul II déduit du passage évangélique que toutes les religions (ou ‘traditions religieuses’) viennent du Verbe et de l’Esprit Saint. “Elles [les semences de vérité] sont ‘effet de l’Esprit de vérité qui est à l’œuvre au-delà des frontières visibles du Corps Mystique’ et qui ‘souffle où il veut’ (Jn 3, 8) (cfr Redemptor hominis, 6 et 12) (...) Dès maintenant, en cette année pneumatologique, il est op- portun que nous prenions le temps de nous demander en quel sens et par quelles voies l’Esprit-Saint est présent dans la recherche religieuse de l’humanité et dans les diverses expériences et traditions qui l’expriment. Il faut tout d’abord avoir conscience que toute recherche de l’esprit humain en direction de la vérité et du bien [objectif ou subjectif? n.d.a.], et en dernière analyse de Dieu, est suscitée par l’Esprit Saint” (U, 1 et 2). Cette bizarrerie, il la justifie avec la Tradition: “S’appuyant sur les Pères de l’Eglise, saint Thomas d’Aquin peut affirmer qu’aucun esprit n’est ‘tellement enténébré qu’il ne participe en rien à la lumière divine. En effet toute vérité connue de qui que se soit est due totalement à cette lumière qui brille dans les ténèbres; car toute vérité qui que soit celui qui l’énonce, vient de l’Esprit Saint’ (Super Joannem, 1, 5, lect. 3, n. 103)”. Mais l’appui de saint Thomas (et des Pères, en l’occurrence l’Ambrosiaster) vacille dès que l’on se donne la peine de contrôler: voici le texte dans son entier: “Mais même si certains esprits sont enténébrés, c’est-à-dire privés du goût et de la lumière de la sagesse, ils ne le sont jamais cependant au point de ne pas participer au moins un peu à la lumière divine. Puisque ce peu de vérité [naturelle, n.d.a.] que quiconque est en mesure de connaître [naturellement, n.d.a.] dérive tout entier d’une participation de ladite lumière qui brille dans les ténèbres, en effet - toute vérité quelle qu’elle soit et quelle que soit la personne qui l’énonce, vient de l’Esprit Saint - [Ambrosiaster, Comm. in ep. 1 ad Cor., c. 12, 3, PL 17, 258]. Mais les ténèbres, autrement dit les hommes dans les ténèbres, ne comprirent pas la lumière dans la totalité de sa vérité”. Saint Thomas affirme par conséquent qu’il y a des hommes qui sont dans les ténèbres simpliciter quant à la connaissance de la vérité: ils sont dans l’erreur; mais puisque l’erreur et le mal à l’état pur n’existent pas (pas même en satan) ce qu’il y a en eux de vrai et de bon vient de Dieu (de même en satan, en tant qu’il existe et qu’il possède des connaissances naturelles vraies). De cela on ne peut certes pas déduire que les traditions religieuses et le sentiment religieux de l’homme, dans leur ensemble, pour le seul fait d’avoir pour objet “Dieu”, est bon, et donc vient de l’Esprit Saint! Eh bien pourtant c’est ce que fait Jean-Paul II... Reprenons la citation où nous l’avons laissée (U, 2): “Il faut tout d’abord avoir conscience que toute recherche de l’esprit humain en direction de la vérité et du bien et en dernière analyse de Dieu, 70 est suscitée par l’Esprit Saint. C’est précisément de cette ouverture primordiale de l’homme à l’égard de Dieu que naissent les diverses religions. Bien souvent, nous trouvons à leur origine des fondateurs qui ont connu, avec l’aide de l’Esprit de Dieu, une très profonde expérience religieuse. Transmise aux autres, cette expérience a pris forme dans les doctrines, les rites et les préceptes des différentes religions”. Bouddha et Mahomet sont, indubitablement, fondateurs de grandes religions. Alors, l’expérience religieuse de ces deux hommes se serait accomplie avec l’aide de l’Esprit de Dieu, se transmettant ensuite aux autres et se structurant en religion. De cette façon l’Esprit de vérité serait l’auteur du bouddhisme (avec son athéisme) et de l’islam (avec son refus de la Trinité et de la divinité du Christ). Nous demeurons frappés de stupeur devant une telle conséquence! L’Esprit-Saint serait donc l’inspirateur de Bouddha et de Mahomet! Bien plus: il l’est de tout homme: “toute prière authentique est suscitée par l’Esprit Saint, qui est mystérieusement présent dans le cœur de tout homme” (U, 2 qui cite l’Allocution de JeanPaul II aux membres de la Curie romaine (22/12/86), allocution qui commente justement la réunion d’Assise). e) Digression: l’origine des religions selon le Modernisme Plus que dans saint Justin, saint Ambroise et saint Thomas, c’est dans l’encyclique Pascendi que nous trouvons une doctrine sinon identique, du moins ressemblant à celle de Jean-Paul II, là où Saint Pie X décrit la doctrine des modernistes sur l’origine des religions: “Il s’ensuit, puisque l’objet de la religion est Dieu, que la foi, principe et fondement de toute religion, réside dans un certain sentiment intime engendré lui-même par le besoin du divin” (n. 10) [serait-ce “l’ouverture primordiale de l’homme à l’égard de Dieu” dont parle Jean-Paul II, de laquelle “naissent les diverses religions”?]. Ce sentiment religieux, ou ouverture primordiale à Dieu, qui existe en tout homme, est, pour les modernistes, une Révélation: “ce sentiment qui apparaît dans la conscience, et Dieu qui dans ce sentiment, quoique confusément encore, se manifeste à l’âme, n’est-ce point là une révélation, ou tout au moins un commencement de révélation? Ils ajoutent même que, du moment que Dieu est tout ensemble cause et objet de la foi, dans la foi on trouve donc la révélation et comme venant de Dieu et comme portant sur Dieu (...) De là... cette doctrine absurde des mo- dernistes que toute religion est à la fois naturelle et surnaturelle, selon le point de vue” (n. 12). (Nous avons déjà vu que Jean-Paul II confond recherche naturelle de Dieu et révélation surnaturelle faite par Dieu). Comment passe-t-on chez les modernistes de ce vague sentiment religieux “révélé” aux diverses religions structurées? Dieu (“l’Inconnaissable”) se manifeste à nous relié à un “phénomène”: ce phénomène “sera un fait de la nature enveloppant quelque mystère, ce sera encore un homme [les fondateurs des grandes religions, nous y sommes!] dont le caractère, les actes, les paroles [bref: dont l’“expérience religieuse”] paraissent déconcerter les lois communes de l’histoire” (n° 12). Peu à peu, l’expérience religieuse du fondateur, dans lequel s’est manifestée la Révélation divine (autrement dit le sentiment religieux), est transfigurée et défigurée, pour devenir religion: “transmise aux autres - dit Jean-Paul II - cette expérience a pris forme dans les doctrines, les rites et les préceptes des différentes religions” (U, 2). La conséquence de cette doctrine moderniste est l’estime et le respect pour toutes les religions, et même leur “vérité” radicale! Exposant la pensée moderniste, saint Pie X écrit encore: “la doctrine de l’expérience jointe à celle du symbolisme consacre comme vraie toute religion, sans excepter la religion païenne. Est-ce qu’on ne rencontre pas dans toutes les religions des expériences de ce genre? Beaucoup le disent. Or de quel droit les modernistes dénieraient-ils la vérité aux expériences religieuses qui se font par exemple dans la religion mahométane? Et en vertu de quel principe attribueraient-ils aux seuls catholiques le monopole des expériences vraies? Ils s’en gardent bien: les uns de façon voilée, les autres ouvertement, ils tiennent pour vraies toutes les religions. Et c’est aussi bien une nécessité de leur système. Car, posés leurs principes, à quel chef pourraient-ils arguer une religion de fausseté? (...) Tout au plus, dans cette mêlée des religions, ce qu’ils pourraient revendiquer en faveur de la religion catholique, c’est qu’elle est plus vraie...” (nn. 22-23) ou, selon l’expression de Jean-Paul II, qu’elle est la “révélation plénière de Dieu dans le Christ” (U, 3). f) Conséquence de cette nouvelle doctrine. La première conséquence concerne le salut des non chrétiens. Il ne se réalise pas malgré mais grâce aux religions non chrétiennes: “Normalement, ‘c’est par la pratique de ce qui est bon dans leurs propres traditions religieuses et en suivant ce que leur dicte leur conscience, que les membres des autres reli- 71 gions répondent positivement [tous? n.d.a.] à l’invitation de Dieu et reçoivent le salut [encore une fois, tous? n.d.a.] en Jésus-Christ, même s’ils ne le reconnaissent pas [même explicitement? n.d.a.] comme leur Sauveur (cfr Ad gentes, 3, 9, 11)’ ( Instruction ‘Dialogue et annonce’ du Conseil pontifical pour le Dialogue inter-religieux et de la Congrégation pour l’Evangélisation des peuples, du 19 mai 1991, n° 29). En effet, comme l’enseigne le Concile Vatican II, ‘puisque le Christ est mort pour tous et que la vocation ultime de l’homme est réellement unique, à savoir divine, nous devons tenir que l’Esprit offre à tous, d’une façon que Dieu connaît, la possibilité d’être associés au mystère pascal’ (Gaudium et spes, 22). Cette possibilité se réalise par l’adhésion intime et sincère à la Vérité, le don généreux de soi-même au prochain, la recherche de l’Absolu suscitée par l’Esprit de Dieu. Un rayon de la Sagesse divine se manifeste également par la réalisation des préceptes et des pratiques conformes à la loi morale et au sens religieux authentique” (U, 3). Dans ce long passage que je viens de citer, Jean-Paul II ne mentionne ni la nécessité de la grâce (ni actuelle ni sanctifiante), ni la nécessité de croire explicitement au Christ suffisamment annoncé, ni la nécessité de croire - selon les paroles de l’Epître aux Hébreux - à l’existence d’un Dieu unique rémunérateur, ni la nécessité d’adhérer en tout à la loi naturelle, ni la nécessité de ne pas adhérer à la conscience vinciblement erronée... S’il l’avait fait, comment ne pas voir que les religions non-chrétiennes, plutôt qu’un moyen, sont un obstacle au salut, puisqu’elles manquent, s’opposent même à ces exigences. J’en reparlerai dans l’examen critique. Mais si toutes les religions sont un moyen de salut, sympathie, dialogue, collaboration sont alors une obligation. Il s’agit là de «la nécessaire reconnaissance des ‘germes du Verbe’ et des ‘gémissements de l’Esprit’» (U, 4). A fortiori, éviter non seulement la haine, mais aussi les conflits et les guerres religieuses est un devoir: «Qu’aucune haine, aucun conflit, aucune guerre ne soit allumé par les religions. La guerre ne peut jamais être motivée par la religion» (M, 4ème col.) (3). Jean-Paul II conclue (U, 4) que la doctrine qu’il vient d’exposer n’atténue en rien “la tension missionnaire” ou la foi en Jésus-Christ “unique Médiateur et Sauveur du genre humain”. Mais qu’il soit nécessaire de le rappeler est justement symptomatique! Excusatio non petita, accusatio manifesta, pourrait-on dire! Et en fait, si les religions non chrétiennes sont déjà un instrument de salut plutôt qu’un obstacle, la tension missionnaire est destinée à s’atténuer ou à se transformer en simple engagement social, cela ne peut échapper à personne et c’est ce qui est effectivement arrivé. Nous avons exposé honnêtement la doctrine de Jean-Paul II en en montrant les difficultés. Il est opportun maintenant de dédier une seconde partie de cet article à une réfutation plus explicite des arguments avancés dans les discours en question. II. Examen critique a) Sur le respect des autre religions. Respecter ou détester? Voici ce qu’écrit le grand théologien thomiste R. Garrigou-Lagrange (sous l’autorité duquel Karol Wojtyla a étudié et obtenu ses diplômes): “Le respect de toutes les religions, si fausses ou perverses soient-elles, n’est que l’orgueilleuse négation du respect dû à la Vérité. Pour aimer sincèrement le vrai et le bien, il faut n’avoir aucune sympathie pour l’erreur et le mal” (Dieu. Son existence et sa nature. XI éd., Beauchesne 1950, p. 757). Or, les religions non chrétiennes sont des opinions fausses et perverses. Donc, elles ne peuvent être respectées comme le font Vatican II et, surtout, Jean-Paul II. On objectera que le Concile et Jean-Paul II ne respectent dans les fausses religions que ce qu’il y a en elles de vrai et de bon, autrement dit ‘les semences du Verbe’ et ‘les gémissements de l’Esprit’. Ceci n’est pas vrai, car nous avons vu que ‘le respect’ a pour objet ‘préceptes et doctrines’ qui Dialogue inter-religieux: rencontre de Jean-Paul II avec les moines bouddhistes pendant son voyage en Thaïlande en 1984 72 en de nombreux points diffèrent de ce que l’Eglise croit et professe. L’objection, de toutes façons, même si elle est mieux structurée, peut et doit être repoussée. Voici comment le même Père Garrigou-Lagrange présente (en 1945!) cette objection devenue aujourd’hui l’expression mot pour mot de la doctrine conciliaire et qu’il qualifie d’“indifférentiste”: “Il faut admettre tout ce qui est vrai et honnête. Or, dans toutes les religions il y a quelque chose de vrai et d’honnête. Par conséquent, pour être juste, il faut admettre plus ou moins toutes les religions même si le christianisme est meilleur et plus vigoureux”. Et Garrigou-Lagrange répond, utilisant la méthode scolastique: “je distingue la majeure: ‘tout ce qui est absolument (simpliciter) vrai et bon, doit être admis’ je le concède (concedo); mais ‘ce qui est vrai et bon’ seulement en un certain sens - secundum quid tantum - (c’est-à-dire, sous l’un de ses aspects accidentels), mais est en soi (simpliciter) faux et mauvais, ne peut être admis. Et de la même façon je contredistingue la mineure. En effet, comme l’écrit Saint Thomas, ‘il est impossible de trouver une connaissance qui soit totalement fausse, sans aucun mélange de vérité. Saint Bède dit en effet qu’il n’y a pas de fausse doctrine qui n’insère quelque vérité dans le faux. C’est pourquoi même l’enseignement que les démons impartissent à leurs prophètes contient des vérités qui le rendent acceptable: voilà pourquoi l’intellect se laisse conduire à la fausseté par l’apparence de vérité, comme la volonté se laisse entraîner au mal par l’apparence de bien. D’où les paroles de Chrysostome: ‘Il a été concédé au démon de dire parfois des vérités, pour, avec ce peu de vérité, avaliser son mensonge’ (II-II, q. 172, a. 6) (4). Même dans la négation hégélienne du principe de non contradiction il y a une apparence de vérité, en ce sens que ce qui devient est en un certain sens et n’est pas en un autre sens. C’est pourquoi les choses qui sont fausses dans l’absolu peuvent, sous un certain aspect, être au moins apparemment vraies. Mais dans une doctrine fausse en soi, la vérité n’est pas présente comme âme de la doctrine, mais comme servante de l’erreur. Donc, pour conserver l’équité, nous ne devons pas considérer selon le même critère le catholicisme et le protestantisme; et qui plus est, pour connaître profondément ce qui est bien, il faut l’aimer, de même que pour connaître parfaitement un mal qui s’oppose à la sainteté, il faut le haïr, comme le font Dieu et les saints. Et ce, sans préjudice pour l’objectivité scientifique, puisqu’au contraire, la détestation du mal nous libère des passions désordonnées et des préjugés” (De Revelatione, vol. II, p. 408, traduction du latin par nos soins). La saine théologie nous apprend donc à haïr les fausses religions, et non certes à les respecter ou à les regarder avec sympathie. b-c-d) Les “semences du Verbe”- La “lumière qui éclaire tout homme”- Les “gémissements de l’Esprit”: Dieu, auteur de toutes les religions Dans notre exposé de la doctrine de JeanPaul II nous, avons déjà analysé les fondements “traditionnels” de la nouvelle doctrine sur les religions non chrétiennes. Ni la théorie de Saint Justin sur les “semences du Verbe” ni le commentaire de Saint Thomas au prologue de l’Evangile de Saint Jean, ne justifient la prétention de Jean-Paul II d’attribuer à Dieu, et particulièrement au Verbe ou à l’Esprit-Saint, l’origine de toutes les religions passées, présentes et futures. Au contraire, la Sainte Ecriture nous dit que “toutes les divinités des gentils sont des démons” (Ps. 95, 5); les païens “immolèrent aux démons, et non à Dieu” (Deut. 32, 17); “ce que les païens offrent en sacrifice, ils l’immolent à des démons, et non à Dieu; or je ne veux pas que vous soyez en communion avec les démons. Vous ne pouvez boire à la fois au calice du Seigneur et au calice du démon; vous ne pouvez prendre part à la table du Seigneur et à la table du démon” (I Cor 10, 20-21). Dans l’Epître aux Romains (Rm 1, 18-32), la condamnation des religions non chrétiennes est tout simplement radicale, comme l’est celle des juifs incrédules (Rm, 9 et 10). Les fausses religions tirent leur origine naturelle de la raison de l’homme aveuglée par les passions et blessée par le péché originel, et leur origine préternaturelle de l’esprit de Mensonge, de satan, de l’esprit qui souffle où il peut, et certes pas de Celui qui souffle où Il veut. Rien de tout cela dans les discours de Jean-Paul II cités plus haut; il n’y fait au contraire que répéter son propre enseignement, celui de Redemptor hominis, 6. Citons in extenso, le passage de cette ‘encyclique’ repris partiellement dans U, 1: “La fermeté de la croyance des membres des religions non-chrétiennes est parfois un effet de l’Esprit de vérité opérant au-delà des frontières visibles du Corps Mystique”. Cette proposition, “en tant que telle est captieuse, sentant l’hérésie, conduisant à une proposition déjà condamnée chez Baïus (D. B. 1063, D.S. 1963); en tant qu’elle 73 attribue à l’Esprit Saint la croyance à des vérités religieuses d’ordre naturel: [elle est] malsonnante, favorisant la confusion de l’ordre de la raison et de celui de la foi, conduisant à un système déjà condamné comme hérétique par le Concile Vatican I (D.S. 3032) (5); en tant qu’elle attribue à l’Esprit Saint l’appartenance à des communautés non chrétiennes: [elle est] erronée; en tant qu’elle attribue à l’Esprit Saint la croyance à l’ensemble de la doctrine professée par des membres des religions non-chrétiennes: [elle est] hérétique” (6). e) Digression: l’origine des religions selon le traditionalisme Au point (e) de la première partie nous avions comparé la pensée de Jean-Paul II et celle des modernistes sur l’origine des religions et sur leur valeur. Permettons-nous une autre digression, cette fois sur le traditionalisme. Ne nous étonnons pas de cet assemblage modernisme-traditionalisme, l’un exaltant la modernité et l’autre la tradition: le point de départ des deux systèmes est en effet commun: c’est le fidéisme. Né catholique et “contre-révolutionnaire” avec de Bonald et de Maistre, le traditionalisme est passé ensuite au libéralisme avec Ventura et de Lamennais; avec ce dernier même, il est passé ouvertement à l’indifférentisme. On ne peut exclure une influence du traditionalisme du XIXème siècle sur celui du XXème, qu’il soit “chrétien” (Panunzio, Mordini...) ou ésotérique (Guénon, Schuon...). Joseph de Maistre, “communément considéré comme un précurseur du traditionalisme” (7) est défini élogieusement par un catholique traditionaliste contemporain comme “le dernier grand maçon catholique” (8)! On trouvait déjà dans le traditionalisme du XIXème une appréciation positive des traditions (religieuses et culturelles) des peuples non chrétiens. Dans l’impossibilité où nous nous trouvons de connaître la vérité (vérité morale et religieuse surtout) par la raison, nous devons recourir à la révélation. Or il existe une révélation primitive de Dieu qui a été transmise à tous les peuples par le langage et les croyances communes à toute l’humanité. De là à l’indifférentisme il n’y a qu’un pas et au siècle dernier Lammenais le franchit (D. 1613). Mais déjà de Maistre, martiniste, soutenait un christianisme ésotérique et transcendantal unissant, au-delà des différentes confessions religieuses, tous les initiés. Les traditionalistes du XXème ayant abandonné le catholicisme, comme Guénon et Schuon parlent d’ “unité transcendante de toutes les religions”. La légende des trois anneaux que l’on trouve dans Boccace et Lessing et qui a été reprise par un traditionaliste catholique bien connu (9) expose un principe semblable: la vraie religion est une, mais toutes les religions sont filles du Père, et dans toutes (du moins dans les trois monothéistes) on peut plaire au Père. Nous ne pensons pas que cette idée soit loin de celle exprimée par Jean-Paul II dans les discours que nous venons de commenter, lorsqu’il écrit par exemple: “l’aspiration la plus profonde de l’esprit humain est tournée, malgré la diversité des chemins, vers une direction unique, en s’exprimant dans la recherche de Dieu”; et: “les semences de vérité présentes et à l’œuvre dans les diverses traditions religieuses sont un reflet de l’unique Verbe de Dieu”; et encore: les “fondateurs” des religions “ont connu, avec l’aide de l’Esprit de Dieu, une très profonde expérience religieuse...”. f) Les fausses religions: obstacle au salut ou moyen de salut? “Normalement, c’est à travers la pratique de ce qui est bon dans leurs propres traditions religieuses et en suivant ce que leur dicte leur conscience, que les membres des autres religions répondent positivement à l’appel de Dieu et reçoivent le salut en Jésus-Christ, même s’ils ne le reconnaissent pas comme leur Sauveur” (U, 3). Même si Jésus reste “unique Médiateur et Sauveur du genre humain” (U, 4), les fausses religions sont ici décrites comme un moyen - normal - de salut pour les non chrétiens [lesquels semblent soit dit en passant - se sauver tous, étant donné que le Saint-Esprit est “mystérieusement présent dans le cœur de tout homme” (U, 2)]. Cette phrase de Jean-Paul II est pleine d’ambiguïté et d’omissions coupables. Tout d’abord, les non chrétiens peuvent ne pas reconnaître Jésus comme leur Sauveur par infidélité positive ou par infidélité négative. Des premiers, Jean-Paul II ne fait pas mention. Dans leur cas, la foi chrétienne a été suffisamment proposée, et ils l’ont refusée et méprisée; ces infidèles ne peuvent absolument pas se sauver, selon les paroles du Seigneur: “qui ne croira pas sera condamné”. Bien différent est le cas de l’infidèle négatif, celui auquel la foi chrétienne n’a pas été suffisamment proposée: il l’ignore sans qu’il soit de sa faute (ignorance invincible). Leur infi- 74 Dialogue inter-religieux: Jean-Paul II avec les sorciers du Vaudou, à Cotonou en 1993 délité n’est pas péché (Jn XV; Rm X; D.B. 1068), ce pour quoi, selon saint Thomas, «ils sont damnés pour les autres péchés qui ne peuvent être remis sans la foi, mais ils ne sont pas damnés pour le péché d’infidélité» (II-II, q. 10). Certains d’entre eux peuvent-ils exceptionnellement se sauver? Oui, comme l’enseignait déjà Pie IX: “Vous et Nous savons et vous savez que ceux qui ignorent de façon invincible (= sans culpabilité de leur part) notre très-sainte religion et qui, observant avec soin la loi naturelle et ses préceptes, gravés par Dieu dans le cœurs de tous, et disposés à obéir à Dieu, mènent une vie honnête et droite, peuvent avec l’aide de la lumière et de la grâce divine, acquérir la vie éternelle” (D.S. 2866). Mais pour ce salut - exceptionnel - il y a des conditions: outre le devoir d’être non coupables de leur infidélité invincible, ils doivent non seulement admettre avec la raison l’existence d’un vrai Dieu unique, créateur et rémunérateur de l’homme (Hébr. XI), mais avoir aussi la foi surnaturelle (D.S. 375, D.S. 2123, D.S. 3008), la charité et l’état de grâce, qui incluent le désir, au moins implicite, du baptême et de l’eucharistie. Jean-Paul II, par contre, ne fait aucune distinction entre croyance naturelle et foi surnaturelle lorsqu’il parle de la possibilité de salut du non-chrétien, réalisée “par l’adhésion intime et sincère à la Vérité, le don généreux de soi-même au prochain, la recherche de l’Absolu suscitée par l’Esprit de Dieu” (U, 3), recherche qui se réalise également au moyen de “la réalisation des préceptes et des pratiques conformes à la loi morale et au sens religieux authentique” (U, 3) des diverses religions. Aussi qui ne voit que les religions non chrétiennes, avec leur ensemble de doctrines et de rites, sont plus des obstacles qu’une aide au salut? Toutes s’opposent plus ou moins à la connaissance naturelle de Dieu, (prêchant l’athéisme, le panthéisme, le polythéisme), et à la loi naturelle (admettant des pratiques morales plus ou moins contraires à la droite raison). Donc pour se sauver, ça n’est pas à leur religion que doivent regarder les infidèles, mais à la raison et à la droiture de leur conscience (encore que la conscience erronée ne justifie pas toujours du péché!). Inutile d’objecter que Jean-Paul II parle de pratiques “conformes à la morale et au sens religieux authentique”: soit parce qu’elles sont en elles-mêmes des œuvres bonnes seulement sur le plan naturel sans valeur salvatrice, soit parce que leur bonté ne vient pas tant du fait qu’il s’agit de pratiques de telle ou telle autre religion (en soi nuisible) mais de pratiques conformes à la morale naturelle. “Il faut rappeler encore et reprendre l’erreur gravissime dans laquelle se trouvent misérablement certains catholiques, lesquels pensent que parviennent à la vie éternelle les personnes vivant dans les erreurs et loin de la vraie foi et de l’unité catholique. Ceci est indubitablement contraire à la doctrine catholique” (Pie IX, D.S. 2865); les non-catholiques sont dans “cet état où nul ne peut être sûr de son salut éternel” (Pie XII, D.S. 3821; la Foi catholique, Dumeige, p. 270) ce pour quoi on ne doit pas réduire “à une vaine formule la nécessité d’appartenir à la vraie Eglise pour obtenir le salut éternel” (Pie XII, enc. Humani generis, D.B. 2319). Contre Lamennais, Grégoire XVI a condamné l’indifférentisme, c’est-à-dire“cette opinion perverse... que l’on peut quelle que soit la foi que l’on professe obtenir le salut éternel de l’âme, si les mœurs se conforment à la norme droite et honnête” (D.S. 2730) (10); et Pie IX a condamné dans le Syllabus les deux propositions: “16. Les hommes peuvent trouver le chemin du salut éternel dans le culte de n’importe quelle religion. 17. Tout au moins doiton avoir bonne confiance dans le salut éternel de tous ceux qui ne vivent pas dans le sein de la véritable Eglise du Christ” (D.S. 2916-2917). A cet enseignement de l’Eglise nous nous conformons fidèlement. A cet enseignement de l’Eglise doit préalablement se conformer quiconque voudrait nous condamner pour ce commentaire de la doctrine de Jean-Paul II. AD TUENDAM FIDEM La Lettre apostolique sous forme de Motu 75 Proprio, Ad tuendam fidem du 18 mai 1998 (texte latin dans l’O.R., 30 juin-1er juillet 1998, pp. 1, 4 et 5; traduction française DC, n° 2186, 10/07/98 n° 14, pp. 651 à 656) a surpris favorablement de nombreux commentateurs. L’incipit même du document de JeanPaul II (reprenant le pluriel de majesté jusque-là abandonné) rappelle que “le devoir principal” du Pape “est de confirmer les frères dans la foi (cfr Lc, 22, 32)” avec conséquemment le devoir pour lui de “défendre la foi de l’Eglise catholique contre les erreurs qui surgissent de la part de certains fidèles, surtout de ceux qui se consacrent expressément aux disciplines de la sacrée théologie”. Il faut reconnaître qu’un tel langage, abandonné avec le discours inaugural de Vatican II tenu par Jean XXIII, est bien fait pour réconforter le fidèle! La crise actuelle d’autorité de l’Eglise consiste en effet substantiellement en un refus pratique de l’“autorité” de condamner l’erreur et l’hérésie. Le document que nous allons commenter (n.b.: le pluriel que nous utiliserons ne sera pas celui de majesté, mais le pluriel rédactionnel!) est composé de deux parties: la Lettre apostolique de Jean-Paul II, et un document de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Il s’insère dans la ligne de réaffirmation de l’autorité du magistère de l’Eglise qui refleurit depuis une dizaine d’années, non sans tâtonnements et imprécisions (cf. B. Lucien, L’infaillibilité du magistère pontifical ordinaire. Une doctrine catholique en voie de développement, in Sedes Sapientiæ, n. 63, pp. 33-54, qui cite la Profession de foi et le Serment de fidélité du 9/1/89, l’Instruction sur la vocation ecclésiale du théologien du 24/5/90, l’Explicitation de la Réponse donnée par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi à un doute sur la doctrine de Ordinatio sacerdotalis, du 28/10/95, le Discours du 24/11/95 de Jean-Paul II, l’article de Mgr Bertone du 20/12/96). Dans ce contexte, on a voulu insérer dans le (nouveau) code de droit canon (de 1983) ce qui se trouve exprimé dans la (nouvelle) profession de foi (de 1989) (11). Cette profession de foi énumère trois catégories de vérités: les vérités révélées proposées par le magistère solennel ou par le magistère ordinaire et universel, à croire de foi ferme; celles concernant la foi et les mœurs proposées “de façon définitive”, à embrasser et tenir fermement; et enfin celles proposées par le magistère seulement authentique, par un acte non définitif, auxquelles il faut adhérer “avec une soumission religieuse de la vo- lonté et de l’intelligence”. La première catégorie a sa place dans le Code au can. 750, la troisième au can. 752; la seconde par contre ne se trouvait pas dans le Code. Ad tuendam fidem a pour but de l’y insérer, et elle le fait en ajoutant un second paragraphe au can. 750. La même chose a été faite pour le Code des Canons des Eglises Orientales; enfin, ont été adaptés à la nouvelle situation les canons concernant les peines pour les transgresseurs. Est particulièrement intéressante la Note doctrinale de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi illustrant la formule conclusive de la Professio fidei, souscrite par Ratzinger et Bertone de la Congrégation de la Doctrine de la foi, et faisant suite à la Lettre apostolique de Jean-Paul II. Cette note vise à mieux faire comprendre, par quelques exemples, les trois derniers alinéas de la Professio fidei, c’est-à-dire les trois ordres ou catégories de vérités. Au premier genre appartiennent “les doctrines de foi divine que l’Eglise propose comme divinement et formellement révélées, et, comme telles, irréformables. (...) Pour cette raison, qui les mettrait obstinément en doute ou les nierait se mettrait dans une situation d’hérésie...” (n. 5). Suivent les exemples de ce type de doctrine: “les articles du Credo, les divers dogmes christologiques, (DS 301-302) et mariaux (DS 2803, 3903); la doctrine de l’institution des sacrements par le Christ et leur efficacité à conférer la grâce (DS 1601, 1606); la doctrine de la présence réelle et substantielle du Christ dans l’Eucharistie (DS 1636) et la nature sacrificielle de la célébration eucharistique (DS 1740, 1743); la fondation de l’Eglise par la volonté du Christ (DS 3050); la doctrine sur le Primat et l’infallibilité du Pontife romain (DS 30593075); la doctrine sur l’existence du péché originel (DS 1510-1515); la doctrine sur l’immortalité de l’âme spirituelle et sur la rétribution immédiate après la mort (DS 1000-1002); l’absence d’erreur dans les textes sacrés inspirés (cf DS 3293, Dei Verbum n. 11); la doctrine sur la grave immoralité du meurtre direct et volontaire d’un être humain innocent (Evangelium Vitæ)” (n. 11). La seconde catégorie inclue des propositions que l’Eglise ne propose pas “comme formellement révélées” (à la différence du cas précédent), même si, dans le futur, certaines d’entre elles peuvent être proposées comme telles (par exemple l’ordination sacerdotale à réserver uniquement aux hommes ou l’illicéité de l’euthanasie). Il s’agit de vérités qui - sans être révélées - sont strictement 76 connexes avec la Révélation. Ces propositions sont enseignées infailliblement (n. 6) et irrévocablement (n. 9) par l’Eglise, que ce soit par le magistère solennel ou par le magistère ordinaire et universel (n. 6) et qui les refuserait “ne serait plus en pleine communion avec l’Eglise catholique” (n. 6); on ne leur doit pas un assentiment de foi divine, mais un assentiment qu’on appelait autrefois “de foi ecclésiastique” (n. 8). On est heureux de trouver parmi les exemples de doctrine infaillible “la déclaration de Léon XIII dans la Lettre Apostolique Apostolicæ Curæ sur l’invalidité des ordinations anglicanes (DS 3315-3319)” (n. 11). La troisième catégorie de doctrines regroupe celles qui n’ont pas été enseignées par un acte “définitif”. Le document ne le dit pas, mais fait comprendre qu’elles sont réformables et non infaillibles. A ce groupe appartiennent non seulement les déclarations d’ordre prudentiel (propositions téméraires ou dangereuses que tuto doceri non potest) mais également les doctrines qualifiées de vraies ou erronées (n. 10). La Congrégation pour la Doctrine de la Foi, au n. 11, est visiblement embarrassée à ce propos, évitant d’en donner des exemples concrets. Mais, à juste titre, elle rappelle l’obligation pour le fidèle d’observer pour ces doctrines aussi “une soumission religieuse de la volonté et de l’intelligence” (n. 10) (c’est la moindre des choses!). Le catholique, qui depuis plus de trente ans n’entend presque plus parler d’infaillibilité, de Concile de Trente, d’hérésie et de dogmes, ne peut que se réjouir et exulter (comme pour les nn. 49-56 de l’encyclique Fides et Ratio qui va même jusqu’à reprendre l’encyclique Pascendi de saint Pie X et Humani generis de Pie XII!). Mais il ne faut pas exagérer. Tout d’abord parce que bonum ex integra causa, malum ex quocumque defectu. Et puis ce ne sont pas les défauts qui manquent, non seulement dans les autres documents, mais aussi dans celui que nous sommes en train de commenter. Ce document reprend, par exemple, la collégialité, par laquelle les Evêques, de façon stable, “exercent avec le Pontife romain le pouvoir suprême et plénier sur toute l’Eglise” (n. 4). Ensuite pour ce qui est de la thèse sur la “foi ecclésiatique”, la meilleure théologie thomiste en a déjà démontré l’inanité, démontrant que même en ces cas est dû un assentiment de foi divine (admettons-le cependant, cette question était encore discutée parmi les théologiens). Enfin il semble que l’on veuille distinguer le magistère infaillible du magistère seulement authentique en se basant sur le fait que le premier enseigne une doctrine “de manière définitive” et l’autre non. Pour l’ambigüité des termes “définir” et “définitif” nous renvoyons aux excellentes (12) études de B. Lucien (déjà cité, in Sedes Sapientiæ n° 63, spécialement pp. 39-42, et au texte Le magistère pontifical, in Sedes Sapientiæ, n° 48, pp. 53-77, spécialement pp. 64-65). En bref, alors que le terme “définir” utilisé par Vatican I signifie “délimiter avec précision”, l’adjectif “définitif” (utilisé par Vatican II, dans Lumen gentium) signifie plutôt quelque chose d’“affirmé irrévocablement”. Or, ce second sens est à exclure: “les critères énumérés ont directement pour rôle de permettre de savoir quand le pape parle infailliblement et donc irrévocablement. Aussi, il y aurait un cercle vicieux à énumérer, parmi ces critères, l’irrévocabilité car elle n’est pas observable en elle-même et n’est connue que comme une conséquence de l’infaillibilité de l’acte. Cela reviendrait à dire: le pape est infaillible quand il parle infailliblement” (Lucien, op. cit., n° 63, p. 40). Alors ils ont beau jeu les “minimalistes” qui annulent pratiquement l’infaillibilité du Pape en disant qu’un enseignement du Pape est infaillible quand il est définitif; mais quand est-il définitif? Voilà qui est quasiment impossible à savoir (p. 40, et 41 n° 23). Le document que nous commentons utilise continuellement le critère de l’irrévocabilité pour discerner l’infaillibilité, alors qu’au contraire c’est à l’infaillibilité de décider de l’irrévocabilité. Il est donc à craindre que de cette façon on finisse par faire passer aussi dans la troisième catégorie des doctrines enseignées par l’Eglise (celles dites révocables et par conséquent faillibles) l’enseignement contredit par Vatican II (par exemple les condamnations de la liberté religieuse ou de l’œcuménisme). Où Mgr Ratzinger et Mgr Bertone classeraient-ils Quanta cura de Pie IX et Dignitatis humanæ? Enfin si la nature du magistère ordinaire universel semble bien clarifiée par le texte de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, on est surpris par la définition qu’en donne JeanPaul II reprenant le (nouveau) code de droit canon, can. 750. Le MOU serait le magistère “qui est manifesté par la commune ahésion des fidèles sous la conduite du magistère sacré”. Si l’ahésion des fidèles au magistère a son infaillibilité in credendo, il n’en reste pas moins que le magistère est toujours affaire de l’Eglise enseignante, et que c’est essentiellement en elle que l’on doit rechercher le MOU. Le consensus des fidèles est plutôt un confirmatur 77 ou un a fortiori. Pour conclure il reste encore à voir avec quel sérieux sera appliqué ce qu’il y a de bon dans Ad tuendam fidem, ou bien si la protection de la Foi demeurera dans la pratique ce qu’elle a été jusqu’ici, autrement dit lettre morte ou intention velléitaire. CATHOLIQUES ET LUTHÉRIENS. CASSIDY CONDAMNE CASSIDY La chimère: unir l’Eglise catholique et les “églises” luthériennes Le numéro de l’O.R., éd. it, qui publie Ad tuendam fidem, rapporte aussi un discours de Jean-Paul II qui va en sens opposé (28 juin 1998, O.R. du 30/06 - 1er/07 cit., p. 7). A cette occasion Jean-Paul II a claironné un succès de l’œcuménisme faisant augurer pour un très proche avenir “la pleine unité visible” (n. 2) (qui présuppose une unité invisible et une unité visible à moitié pleine déjà atteinte) entre Catholiques et Luthériens. Sur quoi se fonde cette “bonne nouvelle”? Ecoutons Jean-Paul II: “A l’issue d’un processus d’évaluation minutieux intéressant l’Eglise catholique et la Fédération luthérienne mondiale, nous pouvons maintenant nous réjouir d’une importante acquisition œcuménique. Je me réfère à la Déclaration commune de l’Eglise catholique et de la Fédération luthérienne mondiale sur la Doctrine de la Justification. Cette Déclaration affirme, comme il ressort de ce dialogue commencé immédiatement après le Concile Vatican II, que les églises appartenant à la Fédération luthérienne mondiale et l’Eglise catholique sont parvenus à un haut degré d’accord sur une question aussi controversée durant des siècles que celle de la justification. Même si la Déclaration ne résout pas toutes les questions relatives à l’enseignement de la Doctrine de la Justification, elle exprime un consensus, sur des vérités fondamentales de cette doctrine (voir Réponse de l’Eglise catholique à la Déclaration commune de l’Eglise catholique et de la Fédération luthérienne mondiale sur la doctrine de la justification)” (n. 2). Vingt ans qu’on nous l’annonce: l’accord est (quasiment) conclu... Suivons le conseil de Jean-Paul II, et lisons la fameuse réponse (cf. La Documentation Catholique, n° 2187, 2-16/8/98, pp. 713-715). Dans la présentation du document à la Salle de Presse vaticane le 25 juin (DC, pp. 716-718), son signataire, le cardinal Cassidy, (président du Conseil pontifical pour la Promotion de l’Unité des Chrétiens), en a également tracé l’histoire: une succession d’échecs retentissants travestis en succès éblouissants! Le dialogue commencé en 1967 et parvenu à sa “quatrième phase”, a enfanté jusqu’à sept documents (sans compter deux études théologiques): en 1972, en 1980, en 1981, en 1994, puis une première version de la Déclaration commune en 1994, une première révision en 1996 suivie d’une seconde, la définitive, en 1997. Dans tous ces documents, on claironne un succès imminent: le “consensus de vaste portée” dont parle déjà le Rapport de Malte (1972) (n. 4, p. 716), devient en 1980 “un large consensus” (ibidem) et en 1997 on peut annoncer qu’il “existe un consensus sur des vérités fondamentales de la doctrine de la justification” (n. 8, p. 717). En somme Cassidy, satisfait, peut déclarer qu’il “existe un haut degré de consensus” (DC nn. 6, p. 717) qui “résout virtuellement une question longuement débattue” (DC, n. 9, p. 718) aussi s’agit-il “d’un résultat exceptionnel du mouvement œcuménique” (n. 2, p. 716). Le but recherché consistait à priver de portée les anathèmes du Concile de Trente contre les Protestants et, chose incroyable mais vraie, ceux des Protestants contre l’Eglise catholique, en ouvrant la voie à l’union des 124 “églises” luthériennes avec l’Eglise catholique: but atteint “là où ce consensus est réalisé, les condamnations prononcées réciproquement au XVIème siècle ne s’appliquent plus au partenaire respectif aujourd’hui” (DC, n. 6, p. 717). En réalité la Réponse à la Déclaration commune, élaborée avec la collaboration de Cassidy et de Ratzinger, est un rejet solennel. Cassidy (dans la réponse) condamne pour hérésie Cassidy (dans la Déclaration commune) (13). “L’Eglise” (dans la réponse) condamne “l’Eglise” (dans la Déclaration commune). On a ainsi une union “virtuelle”, mais pas du tout “réelle”. La Déclaration commune catholique-luthérienne est hérétique: c’est celui-là même qui l’a écrite qui le dit Dans ce paragraphe nous n’examinerons pas les 44 affirmations communes de la Déclaration (DC 1997, n. 2168, pp. 875-885), mais la critique qu’en fait, dans la Réponse de l’Eglise catholique, le cardinal Cassidy luimême, nous limitant aux points essentiels. La doctrine du n. 29 de la Déclaration - nous dit- 78 il - “n’est pas acceptable. En effet cette affirmation [l’homme justifié est simultanément juste et pécheur] n’est pas compatible avec le renouvellement et la sanctification de l’homme intérieur dont parle le Concile de Trente (DS 1528, 1561)”. Cassidy, toujours, définit comme “équivoque” la doctrine exprimée aux numéros 28-30 et “ambiguë” celle du n. 22, pour conclure: “Pour toutes ces raisons, il est donc difficile de voir comment on peut affirmer que cette doctrine sur le ‘simul iustus et peccator’, dans l’état actuel de la présentation qu’on en fait dans la Déclaration commune, ne tombe pas sous les anathèmes des décrets de Trente sur le péché originel et la justification” (DC, n. 1, p. 714). La Réponse cite ensuite de nombreux autres cas dans lesquels la Déclaration parle, à tort, de consensus atteint entre catholiques et luthériens. Mais pour nous c’est assez d’une citation. Elle suffit à démontrer que la ‘Déclaration commune’ a produit un texte hérétique, passible de condamnation sur la base des canons du Concile de Trente, et ce selon le jugement du supérieur même des théologiens catholiques qui ont collaboré à l’élaboration du texte. Si pour Cassidy, en d’autres points, catholiques et luthériens se sont accordés réellement dans ladite Déclaration, cela n’améliore certes pas la situation: la Déclaration demeure hérétique, et même de manière encore plus ambiguë et par conséquent plus dangereuse. Comment peuton qualifier tout cela de “résultat exceptionnel du mouvement œcuménique”? Vingt années de dialogue œcuménique avec les luthériens sur un seul des points qui les sépare des catholiques pour un “résultat exceptionnel”: une ‘Déclaration commune’ faite au nom de l’Eglise catholique et qui n’échappe pas à la censure d’hérésie! Des catholiques sont donc devenus luthériens. Les luthériens ne sont pas pour autant devenus catholiques. N.B. Le lecteur trouvera dans la Revue de Presse de Sodalitium un commentaire des écrits du Cardinal Biffi (Bologne), de Mgr Caffara (Ferrare), du Père Galot, et d’autres nouvelles tirées de l’O.R. Par contre il ne trouvera rien sur l’encyclique Fides et ratio, publiée après la clôture de cette rubrique, mise à part la brève allusion ci-dessus. Notes 1) A propos du terme “sincère respect”, C. Barthe écrit (dans Trouvera-t-Il encore la Foi sur la terre? F.-X. de Guibert, Paris 1996, p. 129): “Sincera cum observantia considerat... illa præcepta et doctrina, dit le texte latin. Les traductions françaises habituelles rendent observantia, qui est plus qu’un simple respectus (lequel ferait déjà difficulté), par ‘respect sincère’, ce qui est trop faible. Il serait plus juste de traduire ce qu’a dit le Concile, dans le contexte, par ‘respect religieux’ (voir II Machabées 6, 11, dans le texte de la Vulgate, où des juifs se laissent brûler dans des cavernes en raison du respect sacré - ob religionem et observantiam - qu’ils portent au sabbat)”. 2) En réalité il y eut un précédent, le Parlement des Religions qui eut lieu à Chicago en 1893 lors d’une exposition internationale pour le 4ème centenaire de la découverte de l’Amérique. Ce “Parlement” était soutenu par le cardinal Gibbons. Le 22/01/1899, dans une lettre apostolique au cardinal Gibbons (Testem benevolentiæ), le Pape Léon XIII condamnait ce courant de pensée dénommé américanisme. 3) Cette affirmation est contredite par la Sainte Ecriture, par le Magistère de l’Eglise et par la praxis de l’Eglise, qui donnent l’exemple d’innombrables guerres entreprises légitimement “au nom de la religion”. 4) Il est symptomatique que précisément dans cet article saint Thomas présente, entre autres objections, l’argument de l’Ambrosiaster invoqué par Jean-Paul II, selon lequel “toute vérité quelle qu’elle soit, qui que soit celui qui la dit, vient de l’Esprit Saint”. Saint Thomas, dans l’ad. 1, n’en dément pas le principe, mais il en évite toute fausse interprétation. Parfois, écrit-il, les “prophètes des démons” (c’est-à-dire des religions non chrétiennes) disent la vérité poussés par Dieu (comme dans le cas de Balaam ou des Sybilles); d’autres fois poussés par le démon, avec un mauvais dessein; mais dans ce cas également la vérité - en tant que telle! - même si elle “est énoncée par le démon, vient de l’Esprit-Saint”. 5) “Si quelqu’un dit que la révélation divine n’est pas distincte de la connaissance naturelle de Dieu et de la morale et qu’en conséquence, il n’est pas nécessaire pour la foi divine que l’on croit la vérité révélée par l’autorité de Dieu qui la révèle, qu’il soit anathème” (Session III, can. 2). 6) Lettre à quelques évêques sur la situation de la Sainte Eglise et mémoire sur certaines erreurs actuelles... Paris 1983, pp. 37-38. 7) VACANT, Etudes sur le Concile du Vatican I, p. 142. 8) ATTILIO MORDINI, Il tempio del cristianesimo [Le temple du christianisme], Verità del CET, Torino 1963, p. 142. Ce n’est pas par hasard non plus que Mordini se réclame de la théorie du Verbe séminal ou spermatique de saint Justin dans Verità del linguaggio [Vérité du langage], Volpe, Rome 1974, pp. 74 et 88-89. 9) Nous parlons du Professeur Franco Cardini. 10) Et le Pape poursuit: “De cette source empoisonnée de l’indifférentisme découle cette maxime fausse et absurde ou plutôt ce délire: qu’on doit procurer et garantir à chacun la liberté de conscience” [Autrement dit de Nostra Ætate découle Dignitatis humanæ]. 11) La profession de foi et le serment de fidélité de 1989 remplacent la formule adoptée par Paul VI en 1967, formule qui elle-même abrogeait le serment antimoderniste et la profession de foi tridentine. La formule de Paul VI eut si peu de succès qu’elle ne fut même pas insérée dans la collection du Denzinger-Hünermann. 12) Même si nous n’approuvons pas - c’est évident le nouveau point de vue de l’auteur, qui reconnaît maintenant l’Autorité de Jean-Paul II. 13) En effet il faut garder présent à l’esprit que la “Déclaration commune” est faite au nom de l’“Eglise catholique” (et pas seulement des “églises” luthériennes), et que matériellement elle est aussi l’œuvre des théologiens du Conseil pontifical pour l’Unité des 79 Recensions Oui, j’ai une âme immortelle M ême si nous sommes persuadés d’avoir une âme spirituelle et immortelle, sommes-nous pour autant capables de prouver cette vérité de foi à ceux qui en doutent? Saint Pierre est pourtant formel: «Sanctifiez dans vos cœurs le Seigneur JésusChrist, étant toujours prêts à répondre pour votre défense à quiconque vous demandera compte de votre espérance» (I Pi, III, 15). C’est pour nous aider à remplir cette obligation que le Père Barbara a entrepris la publication d’une série d’études apologétiques. Dans ce premier tome, il établit l’existence, la spiritualité et l’immortalité de l’âme humaine; il en profite pour bien montrer l’objectivité, c’est-à-dire la vérité de nos connaissances intellectuelles, mise en doute, de nos jours, par la philosophie des marxistes. Une étude toute simple, qui donne des convictions. Oui, c’est évident, Dieu existe vraiment A u dire de la Bible qui contient la Parole de Dieu, seuls les insensés nient Son existence (cf. Ps. XIII); les gens normaux évidemment se rendent compte que l’existence d’un Dieu-Créateur s’impose à la réflexion, tant elle est comme évidente. Et pourtant, que de chrétiens sont embarrassés dès qu’il s’agit de justifier leur croyance en ce dogme! C’est à leur intention surtout, que le Père Barbara a composé le second tome de son apologétique. Dans cet ouvrage, après les preuves classiques qu’il rappelle rapidement, le Père s’est appliqué à faire observer les traces de son action créatrice, que Dieu s’est plu à laisser à profusion dans ses œuvres, pour que, par elles, les hommes découvrent facilement et plus rapidement Son existence personnelle. Pour faciliter l’observation de ces traces divines, qui exigent absolument l’existence d’un Dieu-Créateur, l’auteur a choisi très judicieusement de faire des comparaisons avec des réalisations humaines très expressives. Un opuscule très intéressant, qui se lit facilement et qui rend service. R. P. BARBARA Oui, j’ai une âme immortelle 91 pages, 60 F. Oui, c’est évident, Dieu existe vraiment 87 pages, 60 F. Forts dans la Foi, 16 rue des Oiseaux 37000 Tours “Allons enfants de la Patrie” U n livre courageux. Car il faut avoir du courage, pour un homme de tradition tel que le Professeur Jean de Viguerie, pour écrire une critique aussi radicale d’un certain “patriotisme”. Personne n’est épargné. Les anciens combattants. Barrès, Péguy, Psichari, Charlier, même Maurras... c’est le patriotisme nationaliste. Mais le patriotisme des catholiques y passe aussi: Claudel, d’accord, le Cardinal Mercier, même Veuillot. En vrai iconoclaste, de Viguerie dénonce l’existence d’une religion de la Patrie. Une religion idolâtrique. Une religion sanglante, funéraire, qui considère tous les citoyens comme autant de victimes qui doivent s’immoler joyeusement sur l’autel de la Patrie. Une religion haineuse qui prêche la haine de l’ennemi, de l’étranger et, à l’opposé, l’idolâtrie de la Nation. Cette religion n’est-elle pas “de droite”? Les pacifistes, les anti-militaristes, les gauches de tout genre l’ont dit, l’ont pensé. En réalité, nous rappelle l’auteur, ce culte qui veut prendre la place du culte de Dieu tire son origine prochaine de l’Illuminisme et de la Révolution française qui a leur tour reprennent (en la déformant) la conception païenne de la Patrie chez les anciens romains. Ce patriotisme ne s’oppose pas à l’internationalisme apatride, loin de là. Là encore les illuministes et les jacobins nous apprennent que ces deux “religions” apparement opposées ne sont que les deux faces de la même médaille, ou les deux phases d’un même processus. On est étonné d’apprendre alors qu’en français le mot “patrie” ne fait son entrée dans le langage qu’au seizième siècle. Et avant? Avant il y avait bien sûr l’attachement à la France, “fait de gratitude et de piété”, mais qui garde sa place, qui n’est pas la première, dans l’échelle des valeurs. Pour St Thomas, la patrie est le lieu de la naissan- 80 ce et de l’éducation, “à la patrie tout homme doit la ‘piété’ en vertu de la justice. Il s’agit de se reconnaître débiteur à cause des bienfaits reçus. Tout homme est débiteur d’abord visà-vis de Dieu, ensuite vis-à-vis de ses parents et de sa patrie”. Mais bientôt, déjà à la fin du Moyen Age, avec la décadence de la scolastique, la patrie va prendre de plus en plus de place, va demander de plus en plus de sacrifices, va se transformer et se personnifier. Le mérite de l’auteur est de ne pas se limiter à blâmer la Révolution de 1789, mais de dénicher le mal aux racines, qui sont toujours antérieures à la Révolution, et même à l’Illuminisme. Toutefois on ne peut pas tout approuver dans ces pages. Attaquer l’acceptation partielle du patriotisme révolutionnaire par les catholiques, d’accord. Mais il aurait fallu rappeler que le Saint-Siège n’est pas tombé dans ce piège-là (rappellons-nous de l’œuvre, pendant les deux guerres mondiales, de Benoît XV et de Pie XII). De même, l’éloge de “l’amitié politique au sens d’Aristote” pose des problèmes si l’on s’en sert pour approuver l’édit de Nantes (comme le Professeur le fait dans l’entretien réalisé avec l’abbé de Tanoüarn, cf. Pacte, n° 23, avril 1998, pp. 56) ou pour prôner (même si c’est pour attaquer de Gaulle!) l’entrée des musulmans algériens loyaux à la France au Parlement. Car alors “l’empirisme organisateur” de la “Tradition capétienne” (Pacte, p. 5), vous ne le trouverez ni dans la Somme de St Thomas pas plus que dans les actes du Magistère de l’Eglise. Sous ces réserves, un livre passionnant et passionné, à lire et à étudier. abbé Francesco Ricossa JEAN DE VIGUERIE Les deux patries. Essai historique sur l’idée de patrie en France. DMM, Bouère 1998. 279 pages. De Cranmer à Montini Une confrontation révélatrice du Père Morerod. L’ Académie Nationale des Lincei et la Congrégation pour la Doctrine de la Foi ont récemment publié les actes de la journée d’études dédiée à L’ouverture des archives du Saint-Office Romain (Rome, 22 janvier 1998), ouverture sollicitée par le professeur Carlo Ginzburg “par une courageuse lettre (ainsi s’exprime le cardinal Ratzinger) adressée au SaintPère, Jean-Paul II un an après son élection au siège de Pierre” (op. cit., p. 185). La requête a eu un résultat positif, et les archives du SaintOffice sont maintenant ouvertes aux étudiants, “sans distinction de pays ou de foi religieuse” (p. 97) (Le même Ginzburg se présentait dans sa lettre comme “juif de naissance et athée”, p. 185). Toujours avec l’intention de divulguer les documents des archives du Saint-Office, l’initiative a été prise de constituer “une Collection de publications de textes des Archives, du nom ‘Fontes Archivi Sancti Officii Romani’ éditée par la Casa Editrice Olschki de Florence, dont le premier volume, intitulé ‘La validité des ordinations anglicanes’ (...) est aujourd’hui à la disposition de tous” (Mgr Bertone, p. 100). Les actes de la journée d’études, proposent, de la p. 103 à la p. 127, la présentation du livre cidessus, du Père François von Gunten o.p., récemment décédé, faite par son disciple le Père Charles Morerod o.p. Dans les limites de cette brève recension, je me bornerai à traiter de l’intervention du Père Morerod, et en particulier des appréciations dudit Père concernant le nouveau rite du sacrement de l’Ordre promulgué par Paul VI. L’auteur, en parcourant à nouveau les arguments de Léon XIII et de ses théologiens qui amenèrent à la déclaration de l’invalidité des ordinations anglicanes (Apostolicæ curæ, 1896) examine le défaut de forme, matière et intention dans lesdites ordinations. A propos de la forme (pour ce qui concerne la tradition des instruments), il établit un parallèle inattendu entre l’ordinal anglican de 1552, et celui “promulgué” par Paul VI en 1968: “Même le rite d’ordination utilisé dans l’Eglise Catholique de 1969 à 1989 était peu explicite à propos de la dimension sacramentelle du ministère du prêtre. Le rite anglican de 1552, ne pourrait-il être qu’une adaptation pastorale de la liturgie, comme celui de Vatican II? Les mêmes archevêques [anglicans] de Canterbury et d’York le suggèrent dans leur réponse de 1897 à Léon XIII” (pp. 113-114). En note, le Père Morerod détaille la difficulté: “Dans le rite d’ordination utilisé par l’Eglise Catholique de 1968 à 1989, on ne dit pas explicitement que le prêtre est ordonné pour célébrer les sacrements (...)” (p. 114, n° 48). En 1662 les anglicans ajoutèrent à leur rite des mots qui allaient dans le sens catholique: “le 81 P. Franzelin, suivi par Léon XIII, verra dans cet ajout - bon en lui-même - une reconnaissance de l’insuffisance de la formule précédente” (p. 112). De la même manière, en 1989, on ressentit l’exigence de compléter le rite post-conciliaire: “le rite de 1989 développe notablement la prière d’ordination du prêtre pour introduire explicitement la dimension sacramentelle dans son ministère. (...) Mais la rénovation du rite n’a pas totalement supprimé une certaine ambiguïté, cf. Pierre Jounel (...): ‘D’une manière un peu surprenante, la prière insiste moins que le schéma d’homélie sur le caractère sacrificiel de la messe’” (p. 114, n° 48). L’auteur admet donc que le nouveau rite d’ordination, même après une correction dans le sens catholique, reste “ambigu”! Quelle est, alors, la différence entre l’ordinal anglican de 1552 et l’ordinal post-conciliaire de 1969? “C’est cela la différence entre le rite anglican de 1552 et le rite catholique (même seulement implicite) de 1969” écrit l’auteur, citant von Gunten: “(...) De fait, la forme de l’ordination des prêtres, telle qu’elle a été promulguée par Paul VI n’indique pas explicitement le rapport au sacrifice eucharistique. Cependant cette prière est l’expression d’une communauté qui enseigne que l’ordination sacramentelle confère le pouvoir d’offrir le sacrifice de la messe. Au contraire les paroles de l’ordinal anglican ne reflètent pas l’enseignement d’une Eglise qui croit que le sacerdoce est pouvoir d’offrir sacramentellement le sacrifice du Christ” (p. 116, n° 53). En soi, donc, Cranmer aurait modifié le rite catholique, en 1552, exactement dans la même direction que BugniniPaul VI en 1968, en créant deux rites qui n’affirment pas “le rapport au sacrifice eucharistique”. Mais l’ordinal de Cranmer est invalide. Comment celui de Paul VI peut-il être valide? L’auteur répond: au moyen de l’intention ecclésiale. Il écrit: “Le rite de 1552 a été utilisé pour l’ordination de Matthew Parker et de tous les évêques anglicans jusqu’en 1662. Il est impossible de connaître l’intention de tant de personnes. (...) Du point de vue de l’intention, il est important de connaître l’intention non seulement de quelques personnes, mais de la communauté dans laquelle se célèbrent les ordinations. L’intention personnelle est importante, mais est importante surtout l’intention ecclésiale qui se manifeste durant la liturgie comme contexte des actions personnelles. Dans le contexte d’une Eglise qui croit dans le sacrement de l’ordre et le célèbre dans sa liturgie, il n’y a donc pas besoin d’avoir peur d’un défaut inconnu d’intention personnelle, mais nous devons présupposer la validité du sacrement. Dans le cas des ordinations anglicanes, nous ne pouvons ni ne devons connaître l’intention intérieure ni d’une ni de tant de personnes individuellement (“Concernant le propos ou l’intention, étant en elle-même quelque chose d’intérieure, l’Eglise ne juge pas; mais du moment qu’elle se manifeste à l’extérieur l’Eglise doit la juger”, Léon XIII, Denz.-H. 3318). Nous devons voir comment la liturgie de l’ordination, donc le rite, manifeste à l’extérieur l’intention de la communauté ecclésiale elle-même” (p. 110). Dans ce passage l’auteur, avec une confusion à laquelle je ferai allusion, soutient la théologie de l’intention enseignée par Léon XIII et expliquée dans le détail et défendue par le Père M.L. Guérard des Lauriers o.p. (Réflexions sur le nouvel Ordo Missæ, dactylographié, 1977, 387 pp.) et non celle défendue par Mgr Lefebvre, selon laquelle la validité d’un sacrement dépendrait de la foi du ministre! L’intention du ministre se manifeste dans l’adoption du rite de l’Eglise, qui véhicule l’intention de l’autorité ayant promulgué ledit rite. Pour l’auteur la catholicité de Paul VI garantit la validité d’un rite ambigu; pour le P. Guérard des Lauriers, un rite ambigu ne peut venir d’une authentique autorité. L’auteur essaye ensuite de repousser la tentative néo-œcuménique (le “néo” est ajouté pour rappeler la première tentative catho-anglicane de soutenir la validité de l’ordinal de 1552, tentative brisée par Léon XIII) de reconsidérer la décision “irréformable” de Léon XIII sur l’invalidité des ordinations anglicanes. Mais comment pouvoir réformer une décision irréformable? La voie a été ouverte par le cardinal Willebrands en 1985 (p. 118, L’Osservatore Romano, 8/3/1986), alors Président du Secrétariat Pontifical pour l’unité des Chrétiens. Le collaborateur et successeur de Bea ne pouvait pas proposer (explicitement) de contredire Apostolicæ curæ (déjà les évêques catholiques anglais rappelèrent à l’époque à Léon XIII que le Saint-Siège s’était plusieurs fois prononcé contre la validité des ordres anglicans, en exprimant la crainte de voir “le Saint-Siège d’aujourd’hui en contradiction avec le Saint-Siège des siècles passés” p. 108); il essaya donc de la contourner. Les anglicans auraient pu maintenir leur rite, en changeant leur doctrine eucharistique: dans ce cas, la foi de la “communauté ecclésiale” 82 étant changée, “l’intention ecclésiale” du rite anglican changerait aussi, et par conséquent on assurerait, quoique sans effet rétroactif, sa validité. L’auteur ne nie pas la validité de cette hypothèse, reprise aussi par le successeur de Willebrands, Cassidy, également parce qu’admise par son maître von Gunten (p. 119 et n° 62); l’auteur se borne à démontrer que cette voie est à présent pratiquement impraticable, puisque les anglicans se sont à nouveau éloignés de la conception catholique du sacrement par l’ordination des femmes et l’acceptation des ordres luthériens. C’est la thèse même de Willebrands qui me semble au contraire erronée et devant être réfutée, et ce sur la base de ce que von Gunten même écrit ailleurs: “Remarquons que l’erreur doctrinale des anglicans sur le sacrement de l’ordre n’aurait pas entraîné l’invalidité de leurs ordinations, s’ils avaient continué à utiliser le rituel en usage jusqu’en 1550. Comme on le sait, l’Eglise a toujours considéré vrai le baptême donné au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, par les infidèles et les schismatiques. Mais au XVIème siècle, les anglicans ont modifié le rite ‘dans le but manifeste d’en introduire un autre non admis par l’Eglise, et de rejeter ce que fait l’Eglise’” (p. 113, n° 44). Pour Von Gunten, donc, la foi (ecclésiale) erronée n’invalide pas le sacrement si le rite utilisé reste le rite catholique; on ne voit pas pourquoi une supposée foi ecclésiale corrigée des anglicans pourrait changer la valeur d’un rite non catholique qui véhicule une autre foi! Si vraiment les anglicans arrivaient à abjurer leurs hérésies, ils devraient abjurer le rite qui les véhicule. Et il ne sert à rien d’avancer l’argument tiré de certains rites orientaux, ou de l’église antique, eux aussi plus ou moins explicites sur la doctrine eucharistique, comme justement rappelle l’auteur (p. 112), puisqu’ils ne furent pas introduits pour véhiculer l’hérésie; mais introduire aujourd’hui un rite archaïque insuffisant par rapport à l’évolution homogène du dogme, en supprimant exprès ce qui avait été adopté au cours des siècles pour expliciter la foi (comme on a en partie fait en 1969 avec le N.O.M.) n’estce pas suivre les traces de Cranmer? L’auteur oublie que la réforme liturgique postconciliaire est née dans un contexte non d’orthodoxie - comme il le prétend, en garantie de sa validité - mais ais de générale hétérodoxie et crise de la foi qui jette plus d’un doute sur un rite qu’en présence du cardinal Ratzinger et de Mgr Bertone, un enseignant de l’Université Pontificale Angelicum tel que le P. Morerod a dû définir “ambigu”. Cependant, les contradictions inhérentes à la Réforme des années 60 arrivent, même lentement, au grand jour, chose dont tous les bons catholiques ne peuvent que se réjouir. abbé Francesco Ricossa D’autres ouvrages parus en italien sont recensés dans l’édition italienne de Sodalitium; les lecteurs intéressés peuvent se la procurer en nous écrivant. Brèves nouvelles de la Fraternité Saint Pie X Par M. l’abbé Francesco Ricossa D ix ans désormais se sont écoulés depuis les consécrations épiscopales de juin 1988, et on ne parle plus beaucoup de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X. Nous présentons ici à nos lecteurs quelques brèves nouvelles de la société fondée par Mgr Lefebvre, pour les tenir au courant du groupe qui, qu’on le veuille ou non, rassemble la majeure partie des “traditionalistes” catholiques. Les aveux candides de Mgr Tissier de Mallerais Dans une “interview” accordée par Mgr Tissier (l’un des quatre évêques sacrés par Mgr Lefebvre et Mgr de Castro Mayer) à la revue française de la Fraternité, Fideliter (n° 123, pp. 25-29), on trouve des aveux candides et déconcertants. Mgr Tissier (T) affronte une première difficulté, celle de la (sa) juridiction. T. admet que son sacre fut “accompli contre la volonté du pape” et qu’il n’a reçu juridiction ni de Mgr Lefebvre (“il ne pouvait pas nous [la] donner”) ni du Pape (“le Pape a refusé de nous [la] donner). Il prétend alors l’avoir de l’Eglise (“c’est l’Eglise qui nous la donne”) comme si on pouvait opposer l’Eglise (qui accorde la juridiction) au Pape (qui la nie), ou comme si l’Eglise hiérarchique n’était pas, en dernière analyse, le Pape. Cependant, pour T. il y a un problème encore plus grave que celui de la juridiction. Laissons parler T.: “ces évêques, non reconnus par le 83 pape, seraient-ils légitimes? Jouiraient-ils de la ‘succession apostolique formelle’? Seraient-ils, en un mot, des évêques catholiques?” Ce problème, explique T., “touche aussi à la divine constitution de l’Eglise, telle que toute la tradition l’enseigne: il ne peut y avoir d’évêque légitime sans le pape, chef de droit divin du corps épiscopal. Alors la réponse est moins évidente, et même elle n’est pas du tout évidente...”. T., donc, à dix ans de son sacre, ne sait pas dire au nom de quoi sa consécration et son épiscopat, fut un acte légitime! L’espace d’un moment, il semble évoquer la “solution” sédévacantiste: “...à moins de supposer... (...) il faut reconnaître que si nous pouvions affirmer que, pour cause d’hérésie, de schisme ou de quelque vice d’élection secret, le pape ne serait pas réellement pape, si nous pouvions prononcer un tel jugement, la réponse à la question délicate de notre légitimité serait évidente...” (1). Si, pour T., le “sédévacantisme” est la seule explication évidente pour justifier sa propre consécration, on s’attendrait à une adhésion publique au sédévacantisme, ou à son refus motivé. Rien de tout cela. Le sédévacantisme est refusé (uniquement) parce que Mgr Lefebvre l’a refusé: “l’ennui, si je puis dire, est que ni Monseigneur Lefebvre, ni mes confrères, ni moi-même, n’étions et ne sommes sédévacantistes. (...) ...Mgr Lefebvre ne se sentait ni les éléments suffisants ni les pouvoirs requis pour porter un tel jugement. Ceci est capital à noter”. A ce point, même l’interviewer est un peu déconcerté: si l’on ne peut pas sacrer des évêques contre la volonté du pape et si Jean-Paul II est Pape, et si Jean-Paul II était opposé aux consécrations de Mgr Lefebvre, et s’il n’y a pas d’autres solutions “évidentes”... “alors, comment Monseigneur Lefebvre s’est-il sorti du dilemme? (...)”. T., qui n’a pas de réponses théologiques, doctrinales, déconcerte encore plus le lecteur par une réponse que nous pourrions définir comme “charismatique”: “(...) Notre fondateur a pris le problème de plus haut et l’a résolu en même temps de la façon la plus concrète qui soit. C’est la marque de l’intuition surnaturelle qui était la sienne, et de l’action en lui du don de sagesse, don du Saint-Esprit. (....) Seul Mgr Lefebvre pouvait porter un tel jugement [c’est-à-dire: que ‘le pape Jean-Paul II n’est plus catholique’]! Il était le seul aussi qui eût l’autorité morale pour décider: ‘Je sacre’. Il n’y en avait pas un autre. Aussi bien n’est-ce pas par mes propres lumières que j’ai accepté le sacre, mon sacre, comprenez-le bien! ‘seul Monseigneur Lefebvre a pu décider ce sacre, seul il a reçu la grâce pour le décider. Nous, nous avons eu la grâce pour le suivre’. C’est par ces mots très simples, très beaux, d’un des mes confrères de la Fraternité, que je dois conclure: ils représentent ma conviction la plus intime, mon assurance la plus solide, de ce que je suis dans le droit chemin”. T., dans sa sincère et émouvante affection pour Mgr Lefebvre, ne se rend pas compte combien sa pensée est aberrante. Il substitue comme critère de catholicité un évêque au pape. Il condamne quiconque se soumet aveuglément au Pape, qui a le charisme de l’infaillibilité, et par ailleurs il suit un évêque dans une décision contraire au Pape, sans trouver d’autre motif décisif que l’infaillibilité charismatique de cet évêque. De cette manière T. révolutionne totalement la constitution divine de l’Eglise, en opposant le charisme d’une (présumée) sainteté à celui de l’autorité papale. Mgr Fellay et le sédévacantisme Toujours dans Fideliter (n° 125, pp. 3-5), a été publiée une interview accordée au Figaro (du 3 juin 1998) par Mgr Fellay (F.), supérieur général de la Fraternité et une autre des 4 évêques sacrés en 1988. F. revient lui aussi sur le sédévacantisme. A la question: “le siège de Pierre est-il ou non vacant?” il répond: “Il est parfaitement occupé. Le Saint-Père, vicaire du Christ, a été légitimement élu, il est doué de tous les pouvoirs du souverain pontife (...)” et il poursuit: les sédévacantistes “prétendent résoudre un problème mais en créent un plus grave. En effet, le pape pose des actes qui ont été antérieurement condamnés par l’Eglise; dès lors, pour sauver l’infaillibilité pontificale, ils affirment qu’il n’y a plus de pape. Voilà une position facile qui, en réalité, dissout la visibilité de l’Eglise. Nous ne pouvons accepter”. F. essaye de donner un argument au refus du sédévacantisme: il comporterait la dissolution de la visibilité de l’Eglise. Nous pouvons être encore plus radicaux que lui: il crée un problème pour l’indéfectibilité de l’Eglise (2). Mais refuser la position sédévacantiste, ou la marginaliser ( 3) comme solution au problème de l’infaillibilité, laisse intact ce dernier problème. C’est aussi un problème d’indéfectibilité (si l’Eglise maintenant se trompe, elle a fait défection) et de visibilité (puisque la Fraternité ne suit pas en réalité le chef visible de l’Eglise, le “pape”, mais uniquement le chef invisible, le Christ: F. écrit: “... nous avons de la peine à entendre la voix du 84 Christ [en celle du Pape]. (...) sans choisir à notre guise, nous nous en tenons constamment à l’adhésion pleine et entière au Christ dont le souverain pontife est le vicaire”. Un catholique dirait: nous nous en tenons constamment à l’adhésion pleine et entière au Souverain Pontife, puisqu’il est le Vicaire du Christ). La Fraternité semble ignorer la solution apportée par la Thèse de Cassiciacum, qui résout tant le problème de l’infaillibilité (étant donné que Jean-Paul II n’est pas formellement Pape) que celui de la visibilité (puisque Jean-Paul II est matériellement pape). Mgr Tissier confirme cette ignorance. Dans l’article susmentionné, parlant des sédévacantistes, il écrit (p. 27): “la logique abrupte d’un père Guérard des Lauriers faisait conclure à ce dernier: ‘Le pape a promulgué une hérésie (avec la liberté religieuse), donc il est hérétique, donc il n’est pas pape formellement’”. Et T. conclut en disant que le P. Guérard n’avait pas l’autorité pour faire de telles affirmations. T. ignore (?) que le Père Guérard, à la différence des sédévacantistes, n’a jamais soutenu qu’un théologien comme lui avait l’autorité pour démontrer que Jean-Paul II (ou Paul VI) est formellement hérétique. Ou T. ne connaît pas la “logique abrupte” du Père Guérard (et alors qu’il évite d’en parler) ou bien il la connaît (et alors qu’il évite de la calomnier). En tout cas, il ferait bien d’en étudier la “logique abrupte”, pour éviter les illogismes d’un abbé de la Rocque... “Luther” écrit dans Fideliter Ce jeune prêtre a écrit un article intitulé Stabat mater dolorosa (Fideliter, n° 125, pp. 812) en reprenant à son compte l’audacieuse et un peu dangereuse similitude entre la Passion du Christ et de Marie, et celle de l’Eglise dans la crise actuelle, pour critiquer les tenants de l’indult sur sa “gauche” et les sédévacantistes sur sa “droite”. Trop logiques, ces positions! Le glaive qui transperça le cœur de Marie serait, selon l’auteur, les contradictions de la Passion. Et voilà que pour l’imiter, il faudrait adhérer aux thèses contradictoires de la Fraternité! “Dans cette Eglise crucifiée, des contradictions profondes se présentent à l’intelligence fidèle”, écrit de la Rocque, oubliant que l’intelligence, même fidèle, peut adhérer à des propositions mystérieuses ou apparemment contradictoires, mais jamais à des “contradictions profondes”. En voici une, à titre d’exemple: “Unique instrument de salut, cette même Eglise nous paraît par moment re- lever de la bête apocalyptique (Ap. 12, 3) qui entraîne les âmes sur le chemin de la perdition. N’est-ce pas saint Pierre lui-même qui, établi pour confirmer ses frères dans la foi (Lc 22, 32), la leur fait perdre par ce faux œcuménisme et cette liberté religieuse maintes fois condamnée par les papes?” (p. 10). Depuis Luther on n’avait plus entendu un prêtre identifier l’Eglise catholique à la Bête de l’Apocalypse. Mais au moins Luther ne se contredisait pas au point de dire que la Bête apocalyptique était l’unique moyen de salut! Une “Petite Eglise”.... Dans l’interview susmentionnée du Figaro à l’“évêque auxiliaire” (4) Mgr Fellay, le journaliste du quotidien parisien demande avec perspicacité: “risquez-vous de devenir une ‘petite Eglise’?” (5). Pas trop sûr de lui, Mgr Fellay répond: “J’espère que non. (...)” (p. 4). Mais de nombreux petits indices laissent croire que oui (à l’exception des sacres. Les évêques de la Petite Eglise, comme on le sait, ne sacrèrent pas de nouveaux évêques, et les fidèles encore existant se trouvent, désormais depuis très longtemps, sans prêtres). Dans la Lettre des dominicains d’Avrillé (n° 7, sept. 1998, p. 11), on recommande la lecture du livre de Joël Morin et Emmanuel Vicart intitulé Le Pape Pie VII: précurseur de Vatican II, à demander au Prieuré Sainte-Anne de Lanvallay, un prieuré de la Fraternité Saint Pie X. Je n’ai pas encore lu le livre, mais le titre est tout un programme: si Pie VII fut un précurseur de Vatican II, la Petite Eglise fut un précurseur de la Fraternité Saint Pie X. ...qui rêve de rentrer dans la “Grande Eglise”! Cependant, peut-être pour éviter la triste fin de la Petite Eglise, il y a actuellement dans la Fraternité un fort mouvement d’ouverture à l’égard de celle qui était appelée l’“Eglise conciliaire”, et à l’égard des explorateurs qui s’y sont déjà aventurés (les ex-ralliés) en adhérant à la Commission Ecclesia Dei. A la tête de ce mouvement, un prêtre de la Fraternité, l’abbé de Tanoüarn, à travers les colonnes des deux revues qu’il dirige, Pacte et Certitudes. Mais qu’on ne pense pas à une initiative en marge de la Fraternité: parmi les très fidèles de l’abbé de Tanoüarn il y a aussi des prêtres qui, à une époque, représentaient 85 l’aile la plus intransigeante de la société fondée par Mgr Lefebvre, à savoir les abbés Aulagnier, Ph. Laguérie, Celier, etc. L’association 496 (toujours dirigée par l’abbé de Tanoüarn) a aussi organisé une journée commémorative des sacres avec un congrès à la Mutualité de Paris, le 21 juin (La Tradition catholique, une arche pour l’Eglise). A notre surprise, parmi les conférenciers, Gérard Leclerc, éditorialiste de La France Catholique, Christophe Geffroy, rédacteur en chef de La Nef, Paul Airiau, directeur de Résurrection, revue du Sacré-Cœur de Montmartre et le Père Lelong, tous conservateurs, sans doute, mais tous fidèles, récents ou de vieille date, de Vatican II. “Nous avons démontré qu’il était possible de débattre en toute courtoisie avec des catholiques ‘conciliaires’ ou ‘ralliés’”, écrit l’abbé de Tanoüarn dans Pacte (n° 26, p. 1). L’abbé de Tanoüarn est-il ouvert et intelligent? Pourquoi alors n’a-t-il pas aussi invité à débattre “en toute courtoisie” des représentants du sédévacantisme ou de la Thèse de Cassiciacum? (6). Autrement, le soupçon d’“ouvertures honteuses” n’est pas seulement une mauvaise pensée... L’abbé de Tanoüarn prépare-t-il donc le “ralliement” (comme l’on dit en France) de la Fraternité à Vatican II? Peut-être. Ou mieux: le but est toujours le même: celui d’être reconnus par les “autorités” de Vatican II avec un spécial droit de fronde, ou, comme s’exprime l’abbé de Tanoüarn, comme “instance critique face aux débordements conciliaires”. Petite Eglise, oui, mais il faut avouer que critiquer de l’intérieur la Grande Eglise est un peu moins incommode que la critiquer de l’extérieur. Dernière heure… Du 24 au 26 octobre s’est tenu à Rome un pèlerinage organisé par la Fraternité Saint Pierre avec la collaboration de l’Association Internationale Una Voce, à l’occasion des 10 ans du Motu Proprio Ecclesia Dei qui institua la commission du même nom suite aux consécrations épiscopales et à l’excommunication de Mgr Lefebvre. Le pèlerinage s’est conclu par un congrès en présence des cardinaux Ratzinger, Mayer et Stickler; ce dernier ayant célébré une messe solennelle qui clôtura le pèlerinage. La présence de M. l’abbé Aulagnier, assistant du Supérieur Général de la Fra- Sur cette photo tirée de Présent du 5 novembre, vous pouvez voir de gauche à droite: le Père Argouarc’h, l’abbé Aulagnier, l’abbé Mora, Mgr Wach, Mgr Wladimir et le Père de Blignières ternité Saint Pie X, visiblement décontracté et tout heureux de ses nouveaux compagnons, en dit long sur la probable rentrée de “la Petite Eglise dans la Grande Eglise”... Notes 1) En réalité la chose serait moins évidente qu’elle ne le paraît à T.! Constater que Jean-Paul II n’est pas Pape est une condition nécessaire à la légitimité d’une consécration épiscopale, qui ne serait donc pas accomplie “contre le Pape”. Mais d’autres difficultés subsistent, comme en témoigne ma polémique avec l’abbé Belmont (cf. Sodalitium n° 44) qui, bien que ne reconnaissant pas l’Autorité de Jean-Paul II, n’admet pas la licéité des consécrations. Nous ne le suivons pas sur cette voie, mais nous soutenons que les évêques consacrés de cette manière sont des évêques “diminués”, qui exercent de manière licite le pouvoir d’ordre mais n’ont pas celui de juridiction, ni celui de magistère et, de ce point de vue, n’ont pas la succession apostolique formelle. 2) J’en reparlerai dans un prochain numéro de Sodalitium. 3) Mgr Fellay admet qu’il y a des sédévacantistes dans la Fraternité, mais précise qu’ils sont “en marge” de la Fraternité. 4) Ainsi sont définis les 4 évêques de la Fraternité in Fideliter, n° 123, p. 22, dans l’article: Un statut d’évêque auxiliaire. 5) Sous le nom de “Petite Eglise” on désigne l’église schismatique anti-concordataire, qui s’opposa - et s’oppose encore! - au concordat entre Pie VII et Napoléon. 6) Etaient présents, c’est vrai, l’abbé Schæffer et l’abbé Barthe, mais le premier était déguisé en “lefebvriste” et le second en “rallié”. AVIS AUX LECTEURS: Par manque de place nous sommes contraints de renvoyer au prochain numéro un nouvel article du Père Torquemada sur Massimo Introvigne: notre dossier sur lui se fait toujours plus volumineux et intéressant. Sodalitium. 86 Vie de l’Institut B elgique. L’abbé Stuyver est toujours à la recherche d’une maison et d’une église qui lui permette de développer son apostolat. Cet été, auxiliaire du curé de Steffeshausen, il a prêché pour la première fois les Exercices Spirituels de St Ignace en flamand, même si cette retraite ne s’est déroulée que pendant trois jours. Nous souhaitons que les fidèles belges, particulièrement de langue flamande, découvrent toujours plus nombreux les grâces particulières des Exercices. L’abbé Stuyver collabore aussi avec l’abbé Medina, et aide les religieuses de l’école de Drogenbos où il se rend tous les mardis. France. Travaux à la chapelle d’Annecy, qui possède maintenant une belle table de communion. Un pas de plus doit être franchi à Lyon, où nous espérons pouvoir rapidement ouvrir un oratoire. Italie. Depuis le 23 août, la Sainte Messe pour les fidèles de Ferrare est célébrée dans l’église dédiée à St Louis de Gonzague, près d’Albarea. Les travaux de restructuration ne sont pas finis, et nous pensons faire une inauguration officielle de la petite église au mois de juin, pour la fête de St Louis. Entre-temps le toit a été refait et le plafond de la sacristie, les chéneaux ont été remplacés, l’eau courante a été mise, nous avons acheté les bancs pour l’église, la cloche (de 1740) a été remise sur son campanile. D’autres frais à Milan, où pour le moment nous nous contentons d’un local en location. Là aussi il fallait franchir le pas, étant donné la bonne volonté des milanais, auxquels revient la médaille d’or pour la participation aux Exercices Spirituels (médaille noire, au contraire, aux turinois). Le nouvel oratoire est tout à installer, c’est pourquoi nous comptons sur votre aide. Une bienfaitrice, enfin, nous a permis de décorer de manière artistique les autels latéraux de l’église de Verrua. Apostolat estival. Cette année aussi nous avons pu assurer, grâce à Dieu, une œuvre de formation pour la jeunesse. A Raveau, du 9 au 23 juillet, des enfants belges, français et italiens, de 8 à 13 ans ont participé à la colonie St Louis de Gonzague de la Croisade Eucharistique, dirigée par l’abbé Giugni, aidé de l’abbé Ercoli. Les fillettes, sous la direction de l’abbé Murro, se sont retrouvées à Verrua du 9 au 18 juillet, pour faire plusieurs excursions dans le Parc du Grand Paradis et passer quelques jours dans le Canavese. L’abbé Ercoli a organisé et dirigé deux camps pour adolescents; l’un en Touraine du 16 au 23 avril et l’autre à Verrua (comme camp-base) avec des excursions dans les montagnes du Grand Paradis, lui aussi, du 28 juillet au 8 août. Là encore le camp était “international” (BelgiqueFrance-Italie). Pour ce faire, outre l’aide de Dieu, il faut celle des hommes. Que le Seigneur récompense donc tous ceux qui nous ont aidés. En plus des colonies, l’apostolat estival consiste surtout dans les Exercices Spirituels... Exercices Spirituels. La retraite supplémentaire du mois de mai a eu lieu (du 27 au 30) mais avec seulement trois personnes; de nombreuses défections s’étant malheureusement produites au dernier moment. Durant l’été ont eu lieu les quatre sessions habituelles d’exercices, deux à Raveau et deux à Verrua. Du 5 au 10 octobre, l’abbé Schoonbroodt a prêché à Verrua les Exercices aux prêtres de l’Institut. En tout, 58 personnes ont fait les Exercices de mai à octobre. Séminaire. A la rentrée des vacances, nous aurions dû, comme chaque année, depuis désormais le ‘lointain’ 14 janvier 1987, reprendre les cours pour les séminaristes. Il n’en a pas été ainsi cette année. Des 4 séminaristes qui restaient après l’ordination de l’abbé Ercoli, un est resté provisoirement chez lui pour des motifs de famille et de santé, alors que les trois autres sont retournés dans le monde (le dernier le 18 septembre). Puisque par ailleurs les quelques demandes d’entrée au ‘séminaire’ n’ont pas été reçues, cette année nous nous accordons une sorte d’‘année sabbatique’. Nous pouvons donc faire un premier bilan: en 11 ans, 25 séminaristes sont entrés au séminaire. Parmi eux, un est en congé provisoire, un autre poursuit ses études aux Etats-Unis, quatre ont été ordonnés prêtres dans l’Institut et quatre autres l’ont été ailleurs, s’étant séparés de nous; les autres ont abandonné la carrière ecclésiastique. L’Institut a l’intention (si Dieu veut) de poursuivre ce service qui a comme but de donner de bons prêtres à l’Eglise, sans toutefois abandonner les critères sévères établis par l’Eglise ellemême dans l’acceptation et dans l’examen des candidats au sacerdoce. Conférences (organisées par notre Centro Culturale e Librario, ou avec sa collaboration). 87 A Ferrare, le vendredi 17 avril, à la Ligue du Nord, l’abbé Ricossa a tenu une conférence sur la Franc-Maçonnerie. Chez les Filles de Jésus de Modène, il a parlé sur le thème Judaïsme et Islam, le samedi 23 mai. La conférence était organisée par le Movimento apostolico ciechi, et presentée par Ruggero Forlani. Parmi les présents, l’aumônier du mouvement et l’abbé Giorgio Maffei, de Ferrare. Dans la salle des conférences du Sénat, à Rome, a eu lieu le 9 juin, un débat sur Tradition occidentale et New Age, organisé par la revue Rivoluzione italiana. Avec l’abbé Nitoglia, sont intervenus le professeur Cecilia Gatto Trocchi et le sénateur Riccardo Pedrizzi (Alleanza Nazionale). Le sujet a été présenté par Carlo Marconi, rédacteur en chef de la revue R.I. Le débat a été annoncé sur Lo Stato et Il Secolo d’Italia (9/6/98, p. 16) et toujours Il Secolo d’Italia en a publié un compte rendu le 11 juin. Le 26 juin se sont tenues deux conférences. Dans la salle du conseil municipal de Ceriale (Savone), l’abbé Ricossa a parlé sur Mondialisme et République universelle. Qui se cache et qu’est-ce qui est caché dans le secret des loges maçonniques. A Riva del Garda, l’abbé Nitoglia a parlé pour présenter le livre de Israël Shahak, Histoire juive et judaïsme. Le poids de trois millénaires (éd. italienne du Centro librario Sodalitium). Le livre de Shahak a été présenté, toujours par l’abbé Nitoglia, à Vercelli, auprès du Cercle G. Guareschi, le 9 octobre et à Brescia, à l’Hôtel Master, le 23 octobre. Le 12 novembre, au Centre communal culturel de Valenza, l’abbé Ricossa a été l’un des conférenciers de la soirée dédiée au thème: Prélèvements Transplantations. La mort cérébrale n’est pas la mort. Enfin, le mercredi 18 novembre, l’abbé Nitoglia a présenté l’édition italienne du livre d’Emmanuel Ratier “Les guerriers d’Israël” (éd. Sodalitium) au Cercle Culturel de Gallarate (Varèse). Centro librario Sodalitium. Nous avons réédité en langue française la magnifique étude d’Arthur Preuss Etudes sur la francmaçonnerie américaine, un classique désormais introuvable (mais toujours actuel) édité en son temps par la R.I.S.S. L’édition a été signalée par le célèbre historien Emile Poulat dans la revue Politique Hermétique, par Emmanuel Ratier dans Faits et documents (n° 45, 1-15 avril 1998, p. 11), par Lectures Françaises n° 498 p. 59, par le catalogue Pour une croisade du livre Contre-révolutionnaire (n° 250, p. 7) et par les cata- logues des Editions D.F.T. (p. 18) et de la Librairie Roumaine Antitotalitaire (nov. 1998, p. 5). Une autre nouveauté: l’opuscule de l’abbé Nitoglia, Dalla sinagoga alla Chiesa: le conversioni di Edgardo Mortara, Giuseppe Stanislao Coen ed Eugenio Zolli. La revue de Brescia Chiesa viva (n° 295, mai 1998, p. 18) en a fait une belle recension. Enfin, depuis le mois de novembre la traduction italienne d’un autre livre-enquête d’Emmanuel Ratier sur les milices sionistes, intitulé I guerrieri di Israele est à la disposition des lecteurs. Le Centro librario a établi un appendice dédié au phénomène des milices sionistes (et organisations similaires) en Italie. Le Centro Librario a été présent avec un stand au salon du Livre de Turin (21-24 mai). Merci à ceux qui nous ont aidés, spécialement à Alberto, de Rome. De grande importance la recension du livre de Shahak, sous la signature de Giovanni Santambrogio, publiée dans le prestigieux supplément littéraire Domenica du Sole 24 Ore (n° 230, 23/8/98, p. 21). “Vade retro, Stato ebraico!”, est le titre de la recension qui se conclut ainsi: “Un livre qui est un mélange explosif”. Ils parlent de nous. Lo Stato du 22 octobre (supplément à Il Borghese, n° 41/98, p. 3) a interviewé l’abbé Nitoglia sur le sujet: Catholiques, êtes-vous disposés à partir au nom de la foi? Une croisade pour l’an deux mille. L’abbé Ricossa a été interviewé à la radio durant l’émission de Rai-Uno Senza rete, consacrée aux Catholiques et la politique (le 27 octobre). Le n° 5 de Avanguardia (mai 1998, pp. 8-11 et 12-17) publie une recension du livre de Shahak, par Manuel Negri, et l’article de l’abbé Nitoglia, tiré de Sodalitium, sur le Grand Kahal. Nous remercions la revue sicilienne, qui maintient cependant toujours une attitude de profond désaccord par rapport à notre position (cf. la rubrique “Ils parlent mal de nous”). Le n° 299 de Chiesa viva (octobre 1998) publie l’article de l’abbé Nitoglia: Le Grand Kahal: un terrible secret. Dans la Contre-Réforme catholique (n° 346, mai 1998, p. 33) a été publiée intégraleAnnée scolaire 1998-1999 ECOLE SAINT-JOSEPH 38470 Serre-Nerpol 04.76.64.24.11 Internat privé catholique pour filles (primaire et secondaire) tenu par les Sœurs du Christ-Roi. 88 ment la recension que Sodalitium (n° 46) avait faite des trois tomes de Pour l’Eglise. Quarante ans de Contre-Réforme Catholique, avec un commentaire de l’abbé de Nantes. Dans le numéro suivant l’abbé de Nantes est revenu sur la question (pp. 27-30, mais voir aussi p. 36) avec l’article Le traditionalisme en examen. “Quel gâchis!”. La CRC a aussi répondu par une cassette (20 francs) ou une vidéo-cassette (100 francs) intitulée: La Droite du Seigneur: réponse à Sodalitium: Quel gâchis! A la suite, vous trouverez notre réplique. Le Père Vinson, dans Simple lettre (n° 112, sept.-oct. 1998) expose notre position (p. 2) et signale nos centres de messes (p. 4); grand merci, mon Père! L’uomo qualunque (11 juin 1998, pp. 12-13) dédie deux grandes pages au “traditionalisme”. Gianandrea de Antonellis vient au secours du “traditionalisme catholique” enfermé dans les “nouveaux ghettos”; Marco Respinti au contraire (et nos lecteurs ne seront pas surpris) repousse avec haine et mépris tous les traditionalistes dans le ghetto ci-dessus, ci-dessus les liquidant en deux lignes comme hérétiques et/ou schismatiques, pour consacrer ensuite trois colonnes à de fantomatiques “traditionalistes” USA partisans de von Balthasar, Maritain ou von Hildebrand, et souhaitant la collaboration avec les protestants (lesquels, au contraire des abhorrés “traditionalistes”, paraît-il, ne sont pas hérétiques ou schismatiques comme les autres!). De Antonellis, au contraire, bien qu’avec une certaine ambiguïté et quelque confusion et franchissement des limites, présente effectivement au lecteur un panorama du “traditionalisme catholique” italien, en donnant une grande place à l’Institut Mater Boni Consilii, et en permettant au lecteur de s’adresser directement aux différentes organisations, s’il désire en savoir plus. Par ailleurs, Radio-Courtoisie a consacré une émission à Sodalitium en recommandant le lecture de la revue. Ils parlent mal de nous. Parle mal de nous, mais pas trop mal quand-même, la section de Chieti du GRIS, dans trois articles, deux dédiés aux “groupes traditionalistes” (19/10/97 et 26/10/97) et un à l’O.M.S.A. (Ordine missionario per la salvezza delle anime, maintenant Opera della Divina Provvidenza) du 10/5/98, p. 3, publiés dans Il nuovo amico del popolo (hebdomadaire de l’archidiocèse de Chieti-Vasto). Dans ce dernier article, on lit entre autres: “Nous savons bien que ce groupe, et nous l’avons aussi écrit sur ces colonnes, a eu des fréquentations avec des prêtres provenant de groupes ‘traditionalistes’ comme l’Institut Mater Boni Consilii, une association de prêtres sortis du mouvement lefebvriste qui considère ‘vacant’ le siège de Pierre. Ces prêtres, une fois constatées les étrangetés doctrinales de l’O.M.S.A., s’en sont éloignés. Le groupe a ensuite contacté les prêtres lefebvristes du Prieuré Madonna di Loreto de Spadarolo de Rimini qui donc, et nous serons heureux d’être démentis, paraîtraient accepter les mêmes déviations doctrinales rejetées avec fermeté par l’Institut Mater Boni Consilii” (cf. Sodalitium n° 45 p. 86). Parle mal de nous, bien que sans nous nommer expressément, Inter multiplices una vox (juin 1998) dans un article d’un certain Giovanni Servodio (un pseudonyme) contre la thèse du “complot judéomaçonnique” (pp. 16-21). L’auteur ne se limite pas à nier l’existence d’un tel complot, mais propose une exégèse de la Sainte Ecriture sur le problème juif tout à fait conforme à l’exégèse post-conciliaire. On peut lire une réponse partielle mais suffisante à Servodio, paradoxalement, dans la même revue (pp. 3-6), là où elle rapporte ce que, avec compétence et autorité, Mgr Spadafora écrivit à l’époque sur la question. La revue Avanguardia (n° 3, mars 1998, pp. 22-23) publie un article (Materialismo metafisico e politico nelle posizioni della rivista Sodalitium) de Gioacchino Grupposo qui rassemble tous les préjugés anti-chrétiens du néo-paganisme moderne. L’auteur prétend se référer, contre le “matérialisme” chrétien, à la “tradition hellénique”. Dommage que de la “tradition hellénique” Grupposo ne prenne, au fond, que le gnosticisme, qui, plus encore que le néo-platonisme, est héritier du judaïsme cabalistique (cf. les études d’Eric Peterson)). Grupposo considère comme “matérialiste” le christianisme, parce qu’il conçoit l’homme comme union d’âme et de corps, alors que déjà Aristote (qui fait bien partie de la “tradition hellénique”) avait corrigé l’idéalisme excessif de Platon; mais ensuite Grupposo, qui méprise tant le corps, accuse le christianisme de “haine viscérale contre le corps”, et ceci seulement parce qu’il prêche ascèse et chasteté (qui, évidemment, sont des choses trop élevées pour notre “spiritualiste”). Grupposo brouille les cartes pour confondre ses lecteurs: le panthéisme néognostique qu’il propose irait très bien aux cabalistes de tous les temps (quant à l’axiome 89 de Grupposo: “la divinité ne peut pas s’incarner”, Baruch Spinoza le soutenait depuis longtemps). L’article de l’abbé Nitoglia sur Guénon (qui avec Evola est défini par Avanguardia comme “points de repère politico-culturels du néo-fascisme”) a provoqué une nouvelle réaction de la part de cette revue qui a publié un article possibiliste de Francesco Ibba (n° 7/98, pp. 21-23) et une lettre ouverte de rupture de Roberto Vultaggio (n° 8/98, pp. 21-23), lequel, comme d’habitude, distingue entre une maçonnerie “bonne” et une maçonnerie “mauvaise”. A propos de franc-maçonnerie, National Hebdo (hebdomadaire du Front National) écrit (39/9/98, p. 7): “Etranges apparentements. Charlie-Hebdo a publié, sous la signature du franc-maçon émérite Xavier Pasquini, un dossier sur l’association traditionaliste Travail, [sic!] Famille, Propriété, née au Brésil. Nous ne voulons pas nous prononcer sur cette association controversée, mais le dossier publié par Charlie est directement recopié par un groupe traditionaliste ultra, Sodalitium, régulièrement cité en Italie comme le groupe catholique traditionaliste le plus extrémiste”. Nous ne lisons pas Charlie-Hebdo et nous ne connaissons pas Pasquini; nous ne pouvons certes pas interdire à qui que ce soit de reprendre des informations publiées par nous, pour des fins diamétralement opposées aux nôtres. Nous invitons les rédacteurs de National Hebdo à lire ce que nous avons déjà écrit et ce que nous écrirons encore sur la TFP et Introvigne, ce qui leur permettra de prendre position sur l’“association controversée”, en se rappelant que les francs-maçons peuvent se cacher à gauche comme à droite (et vice-versa)... En attendant, un site internet (qui n’a rien à voir avec nous) consacre une grande place à la question, reprenant même plusieurs articles de Sodalitium; nous le signalons pour les curieux: http://xenu.comit.net/cesnur/txt/avv1.htm. Il semblerait que le site du Cesnur (l’organisation de M. Introvigne) ait répondu en nous attaquant violemment. Changeant de sujet, même les légitimistes nous traitent d’extrémistes (“la revue Sodalitium est rédigée par des sédévacantistes... tout sauf modérés), au moins ceux de Légitimiste (n° 164, juin 98, p. 4), puisque nous aurions fait “une apologie de la Ligue qui confine à la furie furieuse”, en faisant allusion à l’assassinat de Henri III. Nous aimerions connaître l’avis du Légitimiste, qui, à raison, n’aime pas “les meurtriers”, sur l’as- Retraitants et prédicateurs à l’issue des Exercices à Raveau sassinat de Henri de Guise et de son frère cardinal... Enfin, le Bulletin de l’Occident Chrétien (n° 45) admet l’erreur commise dans le n° 39, signalée dans le dernier numéro de Sodalitium, mais cette erreur ne fait pas réfléchir les rédacteurs du BOC. Dommage. L’abbé de Nantes... ... comme nous l’avons vu, parle bien et mal de nous: il mérite donc une rubrique à part. Sodalitium est un “périodique des plus intelligents”, ses rédacteurs sont “si doués”. Le commentaire que l’abbé de Nantes fait de notre recension lui arrache pas mal de compliments: “Bravo”, “pulchre, recte, optime”, “éloge intelligent et courageux”. Ailleurs, ce même abbé de Nantes “trouve effrayant l’orgueil de ce prestolet [l’abbé Ricossa] qui s’invente une hérésie bétonnée, après la bataille, pour justifier son schisme depuis longtemps consommé”. On aurait de la peine à croire qu’il s’agit du même auteur que celui des lignes précédentes. Et pourtant... N. (lire: abbé de Nantes) “ne désespère pas voir” “réconcilié” le “‘Traditionalisme’ catholique français” [et aussi celui d’ailleurs, nous supposons], en commençant par une “réconciliation fraternelle” entre Sodalitium et la CRC: voilà pour les compliments. Mais nos positions sont inconciliables: d’où les critiques “d’une extrême sévérité”. Si on ne peut pas s’accorder, on peut, au moins, se comprendre, et commencer par bien connaître la position de l’adversaire. Or, il y a là des malentendus. C’est N. lui-même qui parle d’un “malentendu” (n° 346, p. 33). Je veux, dans ce contexte, me borner à les signaler (grands et petits) pour aider N. à mieux nous connaître, quitte à nous juger encore avec “une extrême sévérité”. Commençons par quatre malentendus de détail (au moins quant à notre sujet)... 90 1) Sur les intentions de Sodalitium. La recension faite par R. (lire: abbé Ricossa) dans Sodalitium, reprise et commentée par N. dans la CRC, n’avait pas pour but de “tirer au clair les diverses positions et doctrines qui se partagent le ‘traditionalisme’ catholique, en France et ailleurs”. C’était une recension, et rien de plus (une analyse de ce genre aurait demandé bien plus qu’une petite page). De même, pour en rester aux intentions de R., N. ne sert pas “d’instrument” “à un vieux règlement de comptes” entre R. et Mgr Lefebvre. Notre intérêt pour la position de N. (sur bien des questions, et surtout sur celle de l’Autorité dans l’Eglise) est sincère et désintéressée. De même que nous n’avions pas l’intention de “démolir” Mgr Lefebvre, de même nous n’avions pas celle de “juger” N., ni pour l’exalter avec un “éloge maximum”, ni pour le couvrir d’un “flot d’injures”. Le “je n’aime pas” (dont N. a “ras le bol”) de R. vis-à-vis “du style, des idées politiques, de la position sur l’Autorité dans l’Eglise et de la (fausse) mystique de N.” n’est pas “un caprice” ou du “sentimentalisme” ayant trait à la sympathie ou à l’antipathie... C’était une formule pour - justement - ne pas présenter les opinions de R. en dogmes infaillibles, pour ne pas sembler s’ériger en “notre juge à tous, avec une autorité supérieure, voire suprême”. Evidemment, il y a eu malentendu... 2) Sur la (fausse) mystique. C’est là, pour N., un “coup bas, pas très franc”. Et quand R. parle ensuite “de doctrines et comportements certainement sectaires”, eh bien, alors là ce “certainement est assassin”. Il y a encore, visiblement, malentendu. R. juge la mystique de N. “fausse”. Il ne parle que de ce qui a été publié dans la CRC. C’est exprès qu’il ne s’est pas prononcé sur les “horribles rumeurs”. Donc, Sodalitium n’accuse pas la CRC d’être sectaire, puisqu’il ne s’intéresse pas aux “horribles rumeurs” en question. Ce n’est pas tout le monde qui en a fait autant. 3) Sur une question de préséance. “Vous me dites ‘l’un des premiers et des plus courageux’. Excusez-moi, mais je fus le premier et le seul courageux en décembre 1965...” (CRC n° 347, p. 28). En France, oui. Mais R. pensait au Mexique, par exemple au Père Saenz. Donc, l’un des premiers et des plus courageux. 4) Sur le “Pape hérétique”, depositus vel deponendus. N. (CRC n° 347, p. 29, 2ème colonne, point 4), se plaint du fait que R. laisserait croire que pour lui, N., le Pape serait un hérétique déposé. Pas du tout. Avec la concision d’une recension, R. écrit bel et bien que pour N. le Pape est un hérétique à déposer (il aurait pu préciser, il est vrai, la position de N., qui propose une solution plus originale). N. ne veut pas franchir les barrières canoniques; la Thèse de Cassiciacum non plus, sans suivre pour autant aucune des positions sur le “Pape hérétique”. Sodalitium-CRC: où nos routes bifurquent (infaillibilité, magistère, thèse de Cassiciacum) Dans le point 5 de son analyse: (CRC n° 347, Une troisième voie) N. est d’abord heureux de voir que Sodalitium n’embrasse pas la solution de Mgr Lefebvre, ni celles des sédévacantistes (complets). “On aurait pu croire qu’emporté par un réel enthousiasme pour la méthode canonique du “frappe à la Tête”, l’abbé Ricossa pousserait tout ce monde-là vers notre ligue CRC! (...) Mais non! Un obstacle inattendu se dresse, et c’est là où nos routes bifurquent. (...) Et voici la ruine de toutes nos illusions, en dix lignes. Incompréhensibles, illisibles, mais d’autant plus catégoriques, infaillibles, irrévocables”. Et oui! Là vraiment il n’y a pas que des malentendus: les routes bifurquent effectivement. Nous ne voulons pas, ici, convaincre N. (il n’y a jamais eu, dans la recension de R., l’intention de donner une “démonstration” en dix lignes, même pas “pseudo”), mais souligner les points où il n’a pas compris notre position (“illisible”!). I) Sur la distinction “materialiter-formaliter”. C’est une “subtilité”, pour N. (p. 30, 1ère col.) que cette distinction (qui remonte pourtant au Cardinal Cajetan). Le fait est que N. ne la comprend pas. Les “papes materialiter”, selon notre Thèse exposée par N., sont “des intrus, peut-être corporellement, matériellement (materialiter) assis dans la Chaire de Vérité”, “l’occupant indignement, illégalement: matériellement”, “mais spirituellement dépourvus ou dépouillés de toute autorité”. Nous comprenons bien que si la Thèse de Cassiciacum disait cela, il n’y aurait aucune distinction réelle entre notre position et le sédévacantisme total. Or, avec les sédévacantistes, la Thèse dit que les occupants de la Chaire de Vérité sont “dépouillés de toute autorité”. Mais, à la différence des sédévacantistes, elle n’affirme pas qu’ils sont “des intrus” qui occupent cette 91 Chaire “illégalement” et seulement “corporellement”. Pour nous leur élection est légale et leur donne une puissance réelle et prochaine à la réception de l’Autorité. II) Sur le magistère. N. attribue à R. le fait de soutenir, pour le Pape, “une infaillibilité illimitée” (“pour mieux s’en affranchir”). Et dans la majeure du point 6 (p. 30) nous attribue un “syllogisme surprenant”, qui serait le “dogme nouveau” inventé par R contre N.: “l’infaillibilité du Pape et du Peuple, absolue et universelle dans toute l’étendue du magistère authentique...” (point 7). Ce syllogisme surprend effectivement, mais il surprend R. en premier, puisqu’il ne le soutient pas le moins du monde, de même que le “dogme” inventé... par N., pour l’attribuer à R., et mieux l’accabler! Ici, les points 6 et 7 sont à rejeter presque en bloc, car il serait trop long et complexe de discerner le peu de vrai d’une multitude d’erreurs ou imprécisions. Bornons-nous à préciser à N. que R. ne pense pas que tout le magistère authentique du Pape et de l’Eglise (le “Peuple” n’a rien à voir, puisqu’il n’enseigne pas, il croit ce qui est enseigné) est infaillible, même s’il faut accepter corde et ore ce magistère simplement authentique. Quant à notre position sur l’infaillibilité, nous renvoyons aux articles de l’abbé Lucien, et à ceux de l’abbé Murro dans Sodalitium, ainsi qu’à une réponse précédente à N., parue dans Sodalitium (n° 37, p. 68). III) Sur les “démocrates-chrétiens”. Dans la cassette dédiée à Sodalitium, N. nous accuse (car il s’agit bien d’une faute!) d’être (comme tous les catholiques italiens, à l’exception de St Pie X) des démocrateschrétiens. Accusation étonnante, puisque tout le monde connaît notre opposition radicale à la démocratie chrétienne de Sangnier, de Murri, de Sturzo, de De Gasperi, etc., notre position politique se référant plutôt au catholicisme intégral. Seule explication possible de cette accusation: entendre “démocrate-chrétien” pour “non maurrassien”. Tout en croyant, avec Pie VI et St Thomas, que la monarchie est en principe le meilleur des gouvernements, R., en effet, n’est pas maurrassien. Il est avec Léon XIII et Pie XI, comme avec St Pie X et Pie XII, sans être pour autant démocrate-chrétien. Cette question, qui en soi est secondaire, pourrait expliquer toutefois pourquoi N. et Mgr Lefebvre ne sont pas gênés de s’opposer à la doctrine et aux ordres de quelqu’un qu’ils considèrent toujours comme le Pape légiti- me étant donné l’attitude passée des catholiques d’Action Française envers Rome. En conclusion, nous partageons avec la CRC “cette attention passionnée, portée au ‘problème’ majeur ‘de l’Autorité dans l’Eglise’. Car de sa solution dépend la survie de la Chrétienté et le salut de nos âmes à tous” (p. 29). Nous partageons avec N. la tristesse et l’étonnement en constatant combien peu sont, parmi nos “fidèles” respectifs, ceux qui s’y intéressent (cf. p. 27 de la CRC, n° 347). Et aussi ce que N. écrit: “vita in motu, l’inertie intellectuelle, c’est la mort”: Voilà pourquoi on peut dialoguer avec N.! Pour le reste, nos routes pourront bien continuer à bifurquer; au moins, nous bifurquerons en connaissant mieux la route prise par l’interlocuteur. Petite réponse à Sub tuum præsidium. Une fois n’est pas coutume. C’est exceptionnellement que nous allons répondre brièvement à Sub tuum præsidium (n° 56, p. 44), que son directeur, M. l’abbé Zins, a bien voulu nous envoyer. Z. (abbé Zins) fait référence aux recensions des ouvrages de l’abbé Barthe et de Chiron parues dans Sodalitium n° 46, laissant croire que nous partageons substantiellement les opinions de ces auteurs (ce qui n’est pas). Ensuite, il prétend relever “un révélateur aveu de taille” là ou nous écrivions, à propos de l’ouvrage de l’abbé Barthe: «le livre se termine en espérant la solution de cette impasse, solution certaine, eu égard aux promesses divines, et solution qui peut venir seulement de l’Eglise, c’est-à-dire du “pape” et des “évêques” (ou, selon notre position, de la “hiérarchie” materialiter). En cela, nous sommes d’accord avec l’auteur...». Z. prétend voir dans ces lignes l’aveu suivant: pour nous «L’Eglise c’est la “hiérarchie materialiter”, et donc aussi, logiquement, la “hiérarchie materialiter” c’est l’Eglise”. Et de cet “aveu”, qu’il “faut lire à travers les lignes” même si c’est “écrit noir sur blanc”, c’est facile de faire découler logiquement les plus aberrantes hérésies, ce que Z. ne manque pas de faire à notre charge. Malheureusement, cet “aveu” n’en est pas un. La “hiérarchie” matérielle n’est pas l’Eglise (enseignante), et ceci tant qu’elle demeurera “matérielle”, de même qu’un être en puissance n’est pas l’être en acte, tant qu’il ne passe pas de la puissance à l’acte. De ce fait, les hérésies prononcées par les membres de la “hiérarchie” matérielle dépourvue de toute Autorité ne peuvent et ne doivent pas être imputées à l’Eglise. Mais les membres de la “hiérarchie” matérielle 92 peuvent devenir - demain, dans le futur - les membres de la hiérarchie aussi formellement, une fois revenus de leurs erreurs; et alors leurs paroles et actions pourront être attribuées à l’Eglise hiérarchique. Que cette conversion des membres matériels de la “hiérarchie” ne puisse se faire sans l’intervention de la grâce, nul n’en doute (puisque toute conversion est l’œuvre de Dieu); et, étant donné la situation actuelle, cette conversion sera un miracle au moins moral. Mais que ce miracle puisse se passer de la divine constitution de l’Eglise, qui par volonté de Dieu est fondée sur une succession ininterrompue de la hiérarchie constituée d’évêques et du Souverain Pontife jusqu’à la fin du monde, voilà ce que les sédévacantistes complets imaginent parfois, sans se rendre compte d’aller ainsi contre la foi. Si la thèse de Z. était vraie, le monde aurait dû finir en 1958 ou en 1965, avec l’extinction totale de la hiérarchie et, donc, de l’Eglise. Hénoch et Elie, que Z. attend de ses vœux, ne pourraient fonder qu’une nouvelle Eglise si la précédente, fondée par Jésus-Christ sur Pierre et ses successeurs, s’est éteinte voici trente ans. Mais la question est si importante, que nous y reviendrons, s’il plaît à Dieu. (P.S.: Z. déclare impossible tout retour à la légitimité pour les évêques qui, reconnaissant J.P. II, font partie de “l’église conciliaire” (c’est-à dire tous!). Toutefois nous lisons dans S.T.P. n° 11, avril 1988, un mois avant les sacres de Mgr Lefebvre: “Mais il est plus probable que Mgr L. se mettra au même rang schismatique que le P. Guérard en sacrant des Evêques sans autorisation et sans déclaration préalable de la vacance du Saint-Siège qui seule pourrait rendre légitime sa position” (p. 41). Si nous avons bien compris, Mgr L., en Les abbés Ercoli et Medina dans les Alpes avec les jeunes avril 1988, pendant ses pourparlers avec le Cardinal Gagnon, n’était pas encore schismatique et, s’il avait déclaré la vacance du Siège apostolique, sa position aurait été légitime. Pourquoi, étant una cum Joanne Paolo, Mgr Lefebvre était encore un évêque catholique, et pourquoi aurait-il pu “rendre légitime sa position” en déclarant le Siège vacant, alors que cette possibilité (après une semblable déclaration de vacance du Siège) est refusée aux autres évêques? Peut-être parce que c’est Mgr Lefebvre qui, en 1978, au cours d’une Messe una cum, ordonna diacre l’abbé Zins?). Ostension du Saint-Suaire. Résidant près de Turin, nous ne pouvions pas manquer le rendez-vous avec le Saint-Suaire, exposé à la Cathédrale de Turin aux mois d’avril, mai et juin. Le pèlerinage officiel de l’Institut s’est déroulé le 7 mai, mais plusieurs d’entre nous se sont rendus à maintes reprises pour prier devant cette extraordinaire relique. Nombreuses furent les visites de fidèles et amis à l’occasion de l’Ostension; parmi les prêtres: l’abbé Sanborn et l’abbé Neville, des EtatsUnis, le Père Vinson avec les Sœurs du Christ-Roi et l’abbé Milani avec les Sœurs du Clos-Nazareth (Crézan), l’abbé Guépin et l’abbé Roger, de France; parmi les fidèles, des pèlerins italiens, français et autrichiens. Ad multos annos. “Je ne pensais vraiment pas que vous étiez encore si nombreux à vous souvenir de moi”: c’est par ces paroles que le Père Barbara commence, pour les absents, le récit de la magnifique journée du 20 juin, où l’on a fêté les 60 ans de sacerdoce du Révérend Père (il fut ordonné le 26 juin 1938 en Algérie). “Quand on prend de l’âge et, plus encore quand la Providence vous met à la pointe du combat, les amis qui vous restent sont plutôt le petit nombre. Là encore, j’ai pu me rendre compte que j’étais très entouré. Ils étaient venus d’un peu partout; non seulement d’Italie, de Belgique et de Suisse, mais jusque d’Angleterre”. Les prêtres étaient au nombre de 9 (plusieurs autres ayant envoyé leurs vœux) dont trois de l’Institut: l’abbé Ricossa (diacre à la Messe et qui a prononcé l’homélie), l’abbé Stuyver (sous-diacre) et l’abbé Cazalas, desservant habituel de la chapelle Saint-Michel. Le célébrant (le Père Barbara n’a pas pu célébrer lui-même la Messe) était le curé de Steffeshausen, l’abbé Paul Schoonbroodt, qui a fêté ses 40 de sacerdoce cette année. “Parmi les amis - écrit encore le Père - il y avait une de mes anciennes paroissiennes de 93 Centro Librario Sodalitium Sodalitium “se met” en… trois Vous venez de lire le n° 47 de Sodalitium, mais... ous avez besoin des vérités simples du catéchisme, de conseils de vie spirituelle, de lectures faciles et brèves? Notre nouvelle publication V “Le Bon Conseil” vous apportera une bouffée d’air pur pour l’âme! Demandez-la à notre secrétariat Si cela ne vous suffit pas, lisez la Revue de Presse n° 4 Maçonnerie, mondialisme, sionisme, etc. pour en savoir plus, demandez notre REVUE DE PRESSE Une mine d’informations qui paraît désormais dans un tiré à part qu’il vous est possible de vous procurer auprès de notre rédaction moyennant 20 F (frais de port compris). N ou ve au té NOS PUBLICATIONS A COMMANDER AUPRES DE NOTRE REDACTION Bon de commande au verso Centro Librario Sodalitium Loc. Carbignano 36 - 10020 VERRUA SAVOIA (TO) ITALIE Tel. (de France): 00. 39. 0161. 83.93.35 - Fax (de France): 00. 39. 0161. 83.93.34 sodalitium@plion.it 94 Mahelma (Algérie); je l’avais laissée toute jeune-fille, je la retrouvais grand-mère”. Plus de 130 amis l’ont entouré pour le repas, agrémenté par un concert de harpe et hautbois, le tout, organisé en cachette par une inépuisable Sœur Marie-Bernadette. L’abbé Ricossa a profité de son séjour à Tours pour s’entretenir avec le Père Barbara sur sa longue vie au service de l’Eglise: nous allons publier tout cela dans un prochain numéro en l’honneur du Père Barbara. Bénédiction des maisons. Après les cérémonies de la Semaine Sainte (auxquelles ont assisté, comme de coutume, des hôtes extérieurs à Verrua), les prêtres de l’Institut ont visité (presque) tous les fidèles pour la bénédiction pascale des maisons. Rappelons aussi la bénédiction des locaux des établissements Meat (de Villastellone) et CR (de San Secondo de Pinerolo), ainsi que la Messe dans la chapelle de la famille Bichiri à Tetti Rolle di Moncalieri. Baptêmes. Trois en Belgique, administrés par l’abbé Stuyver, le 13 avril, le 17 mai (Jacinta Dachemans), le 31 mai (Stefanie Meskens). Cinq en France: le 9 mai, celui de Jean-Marie Sinniger à Mornant et le 11 octobre, à Annecy, celui de Hella Waizenegger administrés par l’abbé Murro. A Cannes le 11 juillet, celui de Mathilde Marie Chiocanini par l’abbé Nitoglia. Le 11 octobre, celui de Théophane Moreau et le 28 novembre celui de Louis Cazalas par l’abbé Cazalas. Premières communions. A Maranello, le dimanche de Pâques 11 avril: Alberto Cesari. A Crézan, le 19 avril: Bernard Langlet. A Gradizza (Ferrare), le 24 mai, Alessandro et Simone Moschetta. A Turin, le 31 mai, Maria Teresa Durando, Elena Sardi, Camilla Theodorou. A Sabbioncello San Pietro (Ferrare), le 14 juin, Beatrice Moschetta. A Annecy, le 26 juillet, Luca Radice. Mariages. Le 25 juillet, à Raveau, l’abbé Murro a béni le mariage d’Alexis Bontemps et de Claire Langlet. L’homélie a été prononcée par l’abbé Hervé Belmont. Ce dernier a béni à son tour le mariage de Gilbert Cort van der Linden et de Catherine Garot le 5 septembre à Tours, dans la chapelle SaintMichel. Enfin, dans l’église de Cantavenna, se Bon de commande TITRE On ne prie plus comme autrefois AUTEUR CEKADA PAGES (64 p.) PRIX 50 F Etude sur la Franc-Maçonnerie américaine ARTHUR PREUSS (330 p.) 120 F Le célibat des prêtres HENRI DEEN (64 p.) Revue de Presse de Sodalitium TOTAL 40 F 20 F + port: Frais de Port: + 25 F pour commande inférieure à 210 F + 33 F pour commande à partir de 211 F veuillez envoyer à l’adresse suivante: EX. Total: Nom Prénom Adresse Ville Code Tél.: A retourner à l’une des deux adresses suivantes: Centro Librario Sodalitium Loc. Carbignano 36 10020 VERRUA SAVOIA (TO) - ITALIE “Sodalitium” Mouchy 58400 RAVEAU - FRANCE Vous pouvez aussi téléphoner à: Tel. (de France): 00. 39. 0161. 83.93.35 Fax (de France): 00. 39. 0161. 83.93.34 INTERNET: www.plion.it/sodali/librif.html - email: sodalitium@plion.it 95 sont unis par le sacrement du mariage le 3 octobre Domenico Splendore et Cinzia Garancini, milanais, qui ont préparé le “grand pas” pas par les Exercices Spirituels de St Ignace, au mois d’août. A tous ces jeunes époux, les félicitations et les vœux de Sodalitium. Défunts. L’abbé Stuyver a administré l’extrême-onction à Maurice Moens (28 mars) et à Luc Laremans (26 mai), en Belgique. L’abbé Cazalas a célébré à Mérigny, le 11 mai, les funérailles de Madame Monique Rabany, décédée le 8 mai munie des sacrements. Elle était la veuve de Jacques Rabany, l’un des premiers et des plus décisifs défenseurs de la foi dans la crise actuelle, et l’un des plus fidèles collaborateurs du Père Barbara. Le 18 mai est mort subitement Angelo Arturo Castelli, l’ancien maire de Verrua Savoia. En reconnaissance des bienfaits reçus, les prêtres de l’Institut se sont rendus à son domicile pour la récitation du rosaire. L’Institut était très lié à Geneviève Pons, née Roffidal, que le Seigneur a rappelée à Lui, entourée de la prière et de l’affection des siens, le 9 juin. Née dans une famille depuis toujours en première ligne dans l’apostolat des Exercices de Saint Ignace, très unie aux C.P.C.R. de Chabeuil, notre amie avait consacré sa vie à l’éducation chrétienne de ses enfants, qui, tout en étant ouverte sur l’extérieur, porte l’empreinte de sa vie tout entière modelée par le célèbre Principe et Fondement ignatien. Elle a été parmi les premiers et les plus actifs défenseurs de la Messe et de la foi. Tous les ans, la famille Pons passait plusieurs jours auprès de nous à Verrua et à Raveau, faisant vraiment partie de notre “famille spirituelle”. Malade depuis longtemps, elle s’est préparée à faire une bonne mort en suivant une dernière fois les Exercices avec son mari (chez le Père Vinson), en recevant l’extrêmeonction le 23 avril à Crézan des mains de l’abbé Murro, en communiant souvent en viatique, la dernière fois le 7 juin. L’abbé Ricossa a célébré la Messe de Requiem dans l’église paroissiale d’Ollioules, le 12 juin, et l’abbé Giugni le rite des funérailles à Ollioules et au cimetière de Saint-Jeannet. Le même jour, à Cannes, l’abbé Giugni administrait l’extrême-onction à la mère de M. Chiocanini, qui a toujours fréquenté la chapelle de l’abbé Delmasure tant qu’elle le put (elle avait 102 ans). L’abbé Seuillot a célébré ses funérailles le 22 juin. Le 6 juillet est décédée, après avoir reçu tous les sacrements, Mme Marie-Thérèse Vigant; la messe de funérailles a été célébrée à la chapelle SaintMichel de Tours par l’abbé Cazalas. Le 21 juillet est morte à Tours, à 91 ans, Mme Angèle Barbara née Louvat, et l’abbé Ricossa a célébré ses funérailles à la chapelle Saint-Michel le 27. Belle-sœur du Père Barbara, elle sut, par sa discrétion, son tact et sa foi, ramener son mari à la pratique religieuse et même à la ferveur, devenant ensemble les deux “piliers” de la chapelle SaintMichel et deux précieux collaborateurs du Père Barbara, à qui nous adressons nos condoléances. Le 4 août, l’abbé Murro et l’abbé Giugni ont célébré les funérailles de Mlle Geneviève de Maubec, décédée à Crézan (elle logeait chez les Sœurs du ClosNazareth) le 1er août. L’abbé Ricossa lui avait administré l’extrême-onction le 8 juillet. Le 18 octobre est morte la maman de notre cher séminariste Christ, Godelive Vanderberghe. En 1994 elle était restée veuve de Christiaen Van Overbeke. Les parents de Christ étaient de fervents chrétiens, de grands travailleurs, des âmes apostoliques de grande foi et d’exemple pour tous. L’abbé Stuyver, qui lui avait administré tous les sacrements (l’extrême-onction le 3 et le viatique, pour la dernière fois, le 17), a célébré ses funérailles le 24 octobre, dans l’église paroissiale de Erpe (le 21 il avait remplacé l’abbé Medina pour un enterrement à Charleroi). Nous sommes tous particulièrement proches de Christ et des siens en ce douloureux moment. Rappelons enfin le Docteur Renato Carnaghi, mort le 7 mai. Il s’était éloigné depuis longtemps, mais nous n’oublions pas l’amitié et la générosité avec laquelle il nous suivit depuis la naissance de notre Institut. Que le Seigneur leur fasse miséricorde ainsi qu’à tous les fidèles défunts, que nous recommandons à vos prières. Sodalitium souhaite à ses lecteurs une sainte fête de Noël et leur présente ses meilleurs vœux de bonne et sainte année CENTRES DE MESSES RÉSIDENCES DES PRETRES DE L’INSTITUT ITALIE: Verrua Savoia (TO) Maison-Mère. Istituto Mater Boni Consilii - Località Carbignano, 36. Tél. de l'Italie: (0161) 83.93.35 Ste Messe: en semaine à 7h30. Salut du SaintSacrement: tous les vendredis à 21h. Heure Sainte: le premier vendredi du mois à 21h. FRANCE: Mouchy Raveau 58400 - La Charitésur-Loire. Tél. 03.86.70.11.14. Permanence assurée seulement pendant les mois d’été. Tours. Abbé Thomas Cazalas: auprès de l’association Forts dans la Foi. Chapelle St Michel, 29 rue d’Amboise. Ste Messe le dimanche à 10h30. Tél.: 02.47.64.14.30. ou 02.47.39.52.73. (R. P. Barbara). BELGIQUE: Dendermonde. Abbé Geert Stuyver: Kapel O.L.V. van Goede Raad SintChristianastraat 7 - 9200. Tél.: (0032) (0) 52/21 79 28. Ste Messe le dimanche à 8h30 et 10h. AUTRES CENTRES DE MESSES FRANCE Annecy: 11 avenue de la Mavéria. Tél.: 04.50.57.88.25. Ste Messe le 2ème et 4ème dimanche du mois à 10 h. Confessions à 9 h. Cannes: Chapelle N.D. des Victoires. 4 rue Fellegara. Tel.: 04.93.68.10.85. Ste Messe le 2ème et 4ème dimanche du mois à 10h15. Commercy: chez M. l’abbé Petit. 12 rue de Lisle. Tél.: 03.29.91.10.14. Ste Messe tous les dimanches à 11h. Lyon: 36 rue A. Comte. Tél.: 04.77.33.11.24. Ste Messe le 2ème et 4ème dimanche du mois, à 17h. Confessions à partir de 16h30. ITALIE Ferrare: Chiesa S. Luigi, Via Pacchenia 37 Albarea. Ste Messe tous les dimanches à 17h30. Pour toute information, téléphoner à Verrua Savoia. Florence: via Ciuto Brandini 30, chez Mlle Liliana Balotta. Pour toute information, téléphoner à Verrua Savoia. Ste Messe le 1er et 3ème dimanche du mois à 18h15. Confessions à 17h30. Maranello (Modène): Villa Senni. Strada per Fogliano. Tél. de l'Italie: (0536) 94.12.52. Ste Messe tous les dimanches à 11h. Milan: Via Vivarini 3. Ste Messe tous les dimanches à 10h30. Pour toute information, téléphoner à Verrua Savoia. Rome: Via Pietro della Valle, 13/b. Ste Messe le 1er et 3ème dimanche du mois à 11h. Pour toute information, téléphoner à Verrua Savoia. Turin: Oratoire du Sacré-Cœur, via Thesauro 3/D. Dimanches: Confessions à 8h30. Messe chantée à 9h. Messe basse à 11h15. Tous les premiers vendredis du mois: Messe à 18h15. Confessions à 17h30. Valmadrera (Lecco): via Concordia, 21. Tél. de l’Italie (0341) 58.04.86. Ste Messe le 1er et 3ème dimanche du mois à 18h. Confessions à 17h30. COMMENT NOUS AIDER - Il n’y a pas d'abonnement à “Sodalitium”. Ce périodique est envoyé gratuitement à tous ceux qui désirent le recevoir. Nous demandons aux personnes qui, pour un motif quelconque, ne désirent pas le recevoir, de nous le faire savoir. - L’Institut Mater Boni Consilii et son périodique “Sodalitium” n’ont pas d’autres ressources que vos offrandes sans lesquelles ils ne peuvent vivre. Pour vos dons, libeller: • ASSOCIATION MATER BONI CONSILII - Mouchy - Raveau 58400 - LA CHARITE SUR LOIRE. CCP n° 2670 37 W DIJON • ASSOCIATION MATER BONI CONSILII - Mouchy - Raveau 58400 - LA CHARITE SUR LOIRE. 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