Anno XV n. 3 - Aprile 1999 - Sped. a. p. - art. 2 - comma 20/c, Legge 662/96 - Filiale di Torino - Organo ufficiale del Centro Librario Sodalitium - Loc. Carbignano, 36. 10020 VERRUA SAVOIA (TO) Tel. +39.0161.839.335 - Fax +39.0161.839.334 - IN CASO DI MANCATA CONSEGNA SI PREGA DI RINVIARE AL MITTENTE CHE SI IMPEGNA A PAGARE LA RELATIVA TARIFFA PRESSO CMP Torino Nord Tassa Riscossa - Taxe Perçue. TORINO CPM N° 4 8 Edition française - Avril 1999 2 “Sodalitium” Périodique n° 48, Anno XV n. 3-1999 Editeur: Centro Librario Sodalitium Loc. Carbignano, 36. 10020 VERRUA SAVOIA TO Italie Tel.: +39.0161.839.335 Fax: +39.0161.839.334 INTERNET: www.plion.it/sodali email: sodalitium@plion.it ✍ Sur la couverture: Saint Pierre Martyr (Peinture du Guerchin - 1647 - Pinacothèque Municipale de Cento, province de Ferrare). Sommaire Editorial La Papauté Matérielle (seconde partie) Les Toledoth Jeshu: l’anti-évangile juif Le tombeau de Pierre et le primat de Rome L’enfant prodigue L’apocalypse selon Corsini Karol, Adam, Jacob Recensions Vie de l’Institut Editorial L Directeur de la publication: M. l'abbé Francesco Ricossa Autorisation du Tribunal d’Ivrea n. 116 du 24-2-1984 Imprimerie: Teca - Torino a Sainte fête de Pâques sera passée lorsque vous recevrez ce numéro. Souvenons-nous du grand devoir de la confession et de la communion pascale: si quelqu’un parmi vous ne s’était pas encore réconcilié avec Dieu, si le Corps et le Sang du Seigneur mort et ressuscité pour nous n’était pas encore devenu aliment et breuvage pour son âme, qu’il s’empresse de le faire; hodie si vocem ejus audieritis, nolite obdurare corda vestra (si aujourd’hui vous écoutez sa voix, n’endurcissez pas vos cœurs). Pour vous, pour votre famille, les prêtres et tous les membres de l’Institut Mater Boni Consilii prient de tout cœur! C’est avec une réelle angoisse que nous constatons, autour de nous, l’état de nombreuses âmes - la plupart d’entre elles - désormais éloignées de Dieu et de la vie de la grâce. Et plus encore que l’immoralité déferlante, épouvantable même, la principale ennemie des âmes est aujourd’hui la perte de la foi. Depuis le début Sodalitium s’est fixé comme tâche principale la lutte contre les erreurs et les hérésies qui - à pleines mains sont répandues partout, procurant doutes, confusion et même corruption ou négation p. 2 p. 4 p. 17 p. 27 p. 39 p. 45 p. 61 p. 73 p. 75 de la foi. Dans cette lutte, comme dans toutes les batailles, l’ennemi le plus dangereux n’est pas l’ennemi déclaré, mais l’ennemi caché. Unum nomen est persecutionis écrivait Saint Léon-le-Grand - sed non una est causa certaminis: et plus plerumque periculi est in insidiatore occulto, quam in hoste manifesto [“Il n’y a qu’un terme pour dire persécution, mais il n’y a pas qu’une seule cause de combat; et la plupart du temps, il y a plus à craindre de quelqu’un qui tend des pièges en secret que d’un ennemi déclaré”]. Souvent, donc, nous avons dénoncé les dangers qui viennent, pour employer l’expression de Saint Paul, des faux frères (II Corinth. XI, 26), qu’ils soient “aînés” ou “cadets”. Les frères “cadets” des frères “aînés” sont - sans aucun doute - les francs-maçons. Déjà en 1910, l’abbé Emmanuel Barbier, grand ennemi de l’hérésie moderniste, dévoilait dans son livre très documenté, les “Infiltrations maçonniques dans l’Eglise”. En 1962, sous le pseudonyme de Maurice Pinay, un groupe de catholiques mexicains distribua aux Pères du Concile Vatican II un livre (qui obtint, en 1968, l’imprimatur de l’évêque de Hermosillo) qui dénonçait un “Complot contre l’Eglise”. Toujours en 1968, Delamare, de Poncins, Bordiot, de Couessin et Virebeau (Coston) publièrent “Infiltrations ennemies dans l’Eglise”. 3 Une analyse de la très grave situation de à jeter le discrédit sur ce genre de publical’Eglise aujourd’hui peut être d’ordre théo- tions ridiculisées en tant que “complotlogique ou d’ordre historique. Les deux mé- tistes”. L’on peut ainsi éliminer, sans exathodes s’éclairent réciproquement et ne doi- men, les études sérieuses et documentées sur vent pas être artificieusement opposées. ce sujet. De la même manière, on doit être Quant au premier point de vue, ce numéro prudent pour ce qui concerne les “prophéde Sodalitium publie l’avant-dernière partie ties”, révélations privées, apparitions... Un de l’étude de l’abbé Sanborn sur la Thèse manque de discernement, pas assez de fidélidite de Cassiciacum, l’unique position, à té à la prudence proverbiale de l’Eglise, peunotre avis, qui examine la situation actuelle vent jeter injustement le discrédit sur l’aude l’Autorité dans l’Eglise sans compro- thentique surnaturel et obtenir facilement le mettre, d’une manière ou d’une autre, ces même effet que les études peu sérieuses sur vérités de foi. Mais les erreurs doctrinales des choses sérieuses, terriblement sérieuses sont toujours l’œuvre des hommes en chair comme la maçonnerie ou le gnosticisme. L’exégèse de l’Apocalypse que nous et en os. Le théologien ne doit donc pas oublier que les erreurs qu’il étudie sont sou- présentons dans ce numéro confirme, d’envent répandues exprès par qui veut - si cela haut, ce que nous venons de dire. Le cométait possible - détruire l’Eglise et, avec bat entre la Jérusalem céleste et la JéElle, toute l’œuvre de Jésus-Christ. L’article rusalem terrestre, entre l’Eglise catholique sur Adam Mickiewicz et celui qui paraîtra et la Prostituée de Babylone, homicide dedans le prochain numéro sur Joseph de puis le commencement (et ensuite au cours Maistre et la Franc-Maçonnerie, ne sont de l’histoire), n’est pas un événement accialors pas un inutile étalage d’érudition ou dentel et fortuit mais est une partie de ce une recherche maniaque du pou dans la Mystère d’Iniquité qui est enseigné par la paille. Ils sont un exemple, préoccupant, Révélation Divine. “Babylone” n’est pas d’infiltration de l’ésotérisme maçonnique Rome - explique le Professeur Corsini parmi les catholiques. Derrière l’ésotérisme mais la Jérusalem terrestre et déicide qui a (maçonnique ou non, c’est la même chose), rejeté le Sauveur et a été rejetée par Lui. se retrouve toujours la même source infec- Elle est la mère de toutes les hérésies; la tée: la Cabale. C’est ce que démontre le Très Sainte Vierge au contraire, nous le sachef-d’œuvre du prêtre argentin Julio vons, est l’exterminatrice de toutes les héréMeinvielle, De la Cabale au progressisme sies: gaude, Maria Virgo, cunctas hæreses (de 1970, réimpression de Buenos Aires de sola interemisti in universo mundo (“réjouis1994), que chacun de vous devrait lire; c’est sez-vous, Vierge Marie, vous seule avez déce que démontrent aussi ces deux articles de truit toutes les hérésies du monde entier” office de la Sodalitium dont Pâques: Le Christ ressuscité apparaît à ses Apôtres: B.V.M., ant. 7 nous venons de Incrédulité de Saint Thomas (Le Caravage 1601-1602, des Matines). parler. Bildergalerie, Postdam - Allemagne). Par Elle, MéQuand on diatrice de touévoque la Mates les grâces çonnerie, l’Esoauprès de Son térisme, la CaFils Unique, bale, il est facile seul Médiateur de manquer de auprès du Père, sérieux et de rinous attendons gueur, de faire aussi le secours des affirmations nécessaire pour gratuites; malla énième vicheureusement, toire de l’Eglise beaucoup de contre les porparutions de ce tes de l’Enfer et genre n’ont pas contre ses supévité l’obstacle, pôts volontaicontribuant, inres. volontairement, 4 PREMIERE SECTION Doctrine Récapitulation de l’article précédent ans le numéro 46 de Sodalitium nous avons publié la première partie de l’article de l’abbé Sanborn sur la “Thèse de Cassiciacum”. Dans ce numéro vous lirez les deux premières sections de la seconde partie, dédiée à l’illustration de la Thèse. Dans le prochain, s’il plaît à Dieu, nous publierons la troisième section avec l’exposition et la preuve de la Thèse et les réponses aux objections. D LA PAPAUTE MATERIELLE SECONDE PARTIE: ILLUSTRATION DE LA THESE Par M. l’abbé Donald J. Sanborn Introduction Dans le premier article sur ce sujet nous avons exposé la distinction que les théologiens font entre succession apostolique formelle et succession apostolique matérielle et nous en avons conclu que la notion de succession apostolique purement matérielle n’est pas une notion construite artificieusement mais bien une vraie réalité; nous avons vu aussi que l’Eglise est constituée de deux parties: 1) un seul et unique corps moral, c’est-à-dire la hiérarchie légalement constituée avec les membres qui lui sont connexes; 2) une seule et unique autorité, qui est à proprement parler l’autorité du Christ communiquée directement par le Christ à celui qui est élu à la papauté; enfin que ces deux parties doivent toujours exister dans l’Eglise depuis le temps des Apôtres jusqu’à la fin du monde, parce que si l’une ou l’autre venait à faire défaut l’Eglise aussi ferait défaut. Dans la seconde partie nous exposerons les raisons de cette distinction des parties surtout concernant la personne du pape, qui découle de l’union de ces deux, c’est-à-dire de l’élément matériel qui est l’œuvre de l’Eglise et de l’élément formel qui est l’œuvre de Dieu. A la fin, nous conclurons que ces deux éléments peuvent être séparés et qu’ils sont effectivement séparés dans l’élu qui habituellement et objectivement ne se propose pas de faire le bien de l’Eglise. Dans l’article précédent sur ce sujet (Sodalitium n° 46, pp. 60-69) nous avons vu la distinction que les théologiens font entre succession formelle et succession matérielle. La succession formelle est la succession sur le siège apostolique avec l’autorité apostolique, la succession matérielle est la nue possession du siège, c’est-à-dire sans l’autorité. Nous avons aussi vu qu’il est nécessaire que l’Eglise Catholique ait une continuité apostolique tant formelle que matérielle pour maintenir de manière adéquate l’apostolicité. Seul un sujet qui détient légitimement le siège apostolique peut recevoir en soi l’autorité apostolique. En outre, l’Eglise, pour être seule et unique, doit jouir d’une unité non seulement formelle, par exemple dans les choses se rapportant à la doctrine et à la mission divine reçue du Christ, mais aussi d’une unité matérielle, pour être un seul et unique corps moral depuis le temps de Saint Pierre jusqu’au Second Avènement de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Cette unité matérielle exige qu’il y ait une ligne ininterrompue de successeurs légalement désignés à recevoir la suprême autorité. Donc, pour que l’apostolicité et l’unité de l’Eglise soient maintenues, il est nécessaire que ne soit jamais interrompue la continuité matérielle des successeurs, c’est-à-dire, la succession de ceux qui légitimement et légalement à travers une désignation légale détiennent la possession des sièges de l’autorité. Par conséquent, il faut distinguer entre une succession apostolique matérielle légitime ou légale et une succession apostolique illégitime ou illégale. La première s’obtient uniquement au moyen de la désignation légale de la part de celui qui a le droit de nomination; la seconde s’obtient uniquement au moyen d’une intrusion, comme par exemple dans le cas des schismatiques qui après avoir répudié l’autorité du Pontife Romain occupent des sièges épiscopaux de manière absolument illégitime. Ils succèdent en vérité sur les sièges apostoliques mais illégitimement et illégalement, et en conséquence ne peuvent recevoir l’autorité (1). Cela dit, je présente ici un schéma de la succession apostolique: 5 stantiel. La matière première est le premier sujet et substrat dont toute réalité physique est substanMATERIELLE: Possession du siège tiellement constituée, sans l’autorité et dans lequel elle se résout si elle est délégitime = nue possession du siège avec élection canonique SUCCESSION truite. La forme sub(situation de la hiérarchie du Novus Ordo) APOSTOLIQUE SUCCESSION stantielle est l’acte APOSTOLIQUE LEGITIME premier qui constitue FORMELLE: un unum per se Possession du siège avec l’autorité quand il est uni à la matière première ou ce par quoi quelque chose est constitué Dans cet article je me propose de dé- dans un mode déterminé d’être. La cause matérielle est ce par quoi une montrer la Thèse selon laquelle les “papes” pendant et après le Concile Vatican II ne chose est faite. La cause formelle est ce qui détermine la sont pas papes formellement, mais ne sont papes que matériellement. J’ai déjà exposé matière et la perfection dans un mode déterla distinction entre succession matérielle et miné. La forme accidentelle est analogue à la succession formelle, je commencerai donc maintenant par traiter certaines notions pré- forme substantielle puisque la substance inhérente à l’accident devient matérielle quant liminaires. à la forme accidentelle qui la perfectionne. I. L’autorité considérée dans le concret La forme substantielle donne l’être simII. La partie formelle de l’autorité pliciter, la forme accidentelle au contraire ne III. La partie matérielle de l’autorité donne pas l’être simpliciter mais être ceci ou IV. L’union des deux éléments V. La possibilité de séparer les deux élé- cela. Pour que l’on ait un composite (dans ce ments VI. Les causes qui empêchent l’union des cas un roi ou un pape) il est nécessaire que la forme soit reçue dans une matière adaptée deux éléments Au terme de cet examen j’exposerai la et disposée à la recevoir. La raison de cela tient au fait que les parties ne peuvent être Thèse et je répondrai aux objections. unies et former un composite s’il n’y a pas une juste proportion entre elles. Saint DEUXIEME SECTION Thomas dit: “le rapport dû entre matière et forme est double: par ordre naturel entre NOTIONS PRELIMINAIRES matière et forme, et par suppression de quelque empêchement” (In libro IV Sent., I. L’autorité considérée dans le concret, Dist. XVII q. I, a. II, sol. 2.c). c’est-à-dire dans un pape ou un roi Il ressort de tout cela qu’il est évident que 1. L’autorité peut être considérée ou l’autorité considérée en concret (par exemple un roi ou un pape) est constituée par la matièdans son concept formel ou dans le concret Pour ne pas confondre les termes il faut re (qui est un homme) et par la forme qui d’abord distinguer l’autorité considérée en consiste dans la faculté de légiférer, par laquelelle-même, par exemple l’autorité papale ou le quelqu’un devient supérieur de ses sujets. Mais ce n’est pas n’importe quel homme royale et l’autorité considérée dans le qui est préparé à recevoir cette forme acciconcret, par exemple un pape ou un roi. dentelle, l’est seulement celui qui possède 2. L’autorité considérée dans le concret toutes les perfections requises pour recevoir consiste en un composite résultant de la forme accidentelle de l’autorité. Que l’union de deux parties, c’est-à-dire la forme manque l’ordre naturel entre matière et et la matière, par analogie avec un être sub- forme ou qu’il y ait un empêchement, la maillégitime = nue possession du siège sans élection canonique (situation des schismatiques orientaux) 6 tière et la forme ne peuvent être unies. Par exemple, un enfant ou un fou, bien qu’étant homme et par conséquent prédisposé à l’autorité par l’ordre naturel, n’est pas prédisposé à recevoir l’autorité à cause d’un empêchement, du fait que lui manque la disposition intellectuelle adaptée pour promouvoir le bien commun. Pareillement, celui qui n’a pas la citoyenneté d’un pays déterminé, ne peut en devenir le chef parce qu’il n’est pas possible que quelqu’un qui n’est pas membre d’un corps en devienne la tête. Pareillement, si un laïc ou un simple prêtre élu à la papauté refuse la consécration épiscopale, il ne peut recevoir l’autorité parce qu’il n’a pas la perfection nécessaire pour promouvoir le bien commun de l’Eglise. Il est donc évident que certaines dispositions ou formes accidentelles qui perfectionnent l’homme, sont nécessaires pour qu’un homme devienne matière prochaine pour recevoir en soi la forme de l’autorité. II. L’autorité considérée formellement 3. Généralement, les théologiens et les philosophes pour définir l’autorité recourent à la notion de loi. La définition commune de l’autorité est donc: “la faculté de légiférer”. Celui qui jouit de l’autorité a le droit d’obliger les sujets à faire ou à ne pas faire quelque chose. La notion d’autorité doit donc être tirée de la notion de loi puisque la faculté tire sa propre spécificité de son acte et de son objet. 4. Notion de loi selon Saint Thomas: Saint Thomas définit la loi une ordonnance (“ordinatio”) de raison en vue du bien commun établie et promulguée par celui qui a charge de la communauté. «La loi relève de ce qui est le principe des actes humains, puisqu’elle en est la règle et la mesure. Mais de même que la raison est le principe des actes humains, il y a en elle quelque chose qui est principe de tout ce qu’elle peut comprendre: c’est à ce quelque chose que la loi doit se rattacher tout d’abord et par-dessus tout. - Or, en ce qui regarde l’action, domaine propre de la raison pratique, le premier principe est la fin ultime; et la fin ultime de la vie humaine, c’est la félicité ou la béatitude. Il faut par conséquent que la loi traite principalement de ce qui est ordonné à la béa- titude. Par ailleurs, toute partie est ordonnée au tout, comme l’imparfait est ordonné au parfait; mais l’individu humain n’est-il pas une partie de la communauté parfaite?... Il est donc nécessaire que la loi envisage directement ce qui est ordonné à la félicité commune. C’est pourquoi le Philosophe [Aristote], dans la définition déjà indiquée des choses légales, fait mention de la félicité et de la solidarité politique. Il dit, en effet, (au Vème livre de l’Ethique ch. 1, l. 2) que nous appelons justes les dispositions légales qui réalisent et conservent la félicité ainsi que ce qui en fait partie, par l’entremise de la solidarité politique. Il faut se souvenir que, pour lui, la société parfaite, c’est la cité (1 Politique, ch. 1, l. 1). En un genre quelconque le terme le plus parfait est le principe de tous les autres, et ces autres ne rentrent dans le genre que d’après leurs rapports avec ce terme premier. Ainsi le feu qui réalise la chaleur à sa perfection est cause de la chaleur dans les corps composés qui ne sont appelés chauds que dans la mesure où ils participent du feu. En conséquence, il est nécessaire puisque la loi ne prend sa pleine signification que par son orientation vers le bien commun, tout autre précepte visant un acte particulier ne prend valeur de loi que selon son orientation vers ce bien commun. C’est pourquoi toute loi vise l’ordre en vue du bien commun» (I-II, q. 90, a. 2, corpus). Le but de la loi est le bien commun (I-II q. 96 art. 1,c). La loi vise le bien commun (I-II q. 96 art. 3,c). Les lois peuvent être injustes de deux façons. D’une part, par leur opposition au bien général… Des lois de cette sorte sont plutôt des violences que des lois... D’une autre manière, les lois peuvent être injustes par leur opposition au bien divin… (I-II q. 96 art. 4,c). C’est pourquoi selon Saint Thomas et les scolastiques en général, la loi a un ordre essentiel tourné vers le bien commun, de telle sorte que, si cet ordre vient à manquer, vient à manquer aussi la force du caractère obligatoire de la loi, et vient à manquer le nom même de loi. 5. Définition de l’autorité: L’autorité est cette faculté morale se trouvant dans une personne, tant individuelle que collective qui a la charge de la communauté, d’émaner, de promulguer et d’appliquer des ordonnances particulières qui sont ou nécessaires ou utiles pour 7 promouvoir le bien commun. Cette définition concorde avec la définition de presque tous les scolastiques. Zigliara définit ainsi l’autorité: le pouvoir ou la faculté ou le droit de gouverner la chose publique. Billot: nous appelons pouvoir politique celui par qui un peuple est gouverné dans un but de paix et de prospérité. Meyer: le droit de diriger la société civile vers sa fin. Liberatore: le droit de gouverner la chose publique. Taparelli: j’appelle autorité un droit de rendre obligatoire ce qui serait purement honnête. Schiffini: le droit d’obliger les membres d’un état dans le but d’atteindre la fin de cet état. Cathrein: le droit d’obliger les membres de la société pour qu’avec leurs actes ils coopèrent au bien commun. De ce que j’ai dit il s’ensuit que l’autorité ainsi définie doit être placée dans le genre des habitus agissants. C’est pourquoi, en tant qu’elle est un habitus (2) (ou disposition), elle tire son espèce et sa définition de l’objet formel. Or l’objet formel et primaire de l’habitus de l’autorité est de faire des lois, de les promulguer et de les faire appliquer. L’objet formel d’une loi est de promouvoir le bien commun. Donc, par le moyen de la loi nécessairement, intrinsèquement et essentiellement, l’autorité est ordonnée à promouvoir le bien commun. Il s’ensuit que celui qui jouit de l’autorité doit avoir l’intention habituelle de promouvoir le bien commun, autrement il ne peut avoir l’autorité. Il doit avoir l’intention habituelle puisque par nature propre l’autorité civile ou ecclésiastique est un droit permanent et non seulement transitoire ou “per modum actus” comme par exemple on a chez un prêtre qui bien que sans juridiction habituelle absout un moribond. De plus, l’intention de promouvoir le bien commun doit avoir un caractère objectif et non seulement subjectif. En d’autres termes, il n’est pas suffisant que celui qui jouit de l’autorité entende à sa manière le bien commun de la communauté, mais il faut aussi que le bien tel qu’il le conçoit soit le bien commun véritable et objectif. La raison est que la loi est définie: ordonnance de raison en vue du bien commun. Donc, afin que la volonté du supérieur oblige en conscience il est nécessaire qu’elle entende objectivement le bien commun. Autrement la définition de la loi n’est pas satisfaite. Pour cette raison, une loi qui contredit une loi supérieure n’oblige pas en conscience; c’est une loi perverse, à laquelle tous doivent s’opposer et en ce cas le supérieur n’a ni le droit ni l’autorité de faire cette loi. 6. L’autorité est ordonnée essentiellement au bien commun. Pour fonder une société, les hommes se réunissent dans le but de faire quelque chose de un en commun (3). Ce “un à réaliser” n’est rien d’autre que le bien commun de la société. Et puisque le bien est un, il s’ensuit qu’il est naturel et nécessaire que la multitude des hommes qui se réunissent en une société désigne une seule personne physique ou morale, qui ait la charge de toute la communauté pour conduire toute la communauté à des fins qui lui sont propres, c’est-à-dire au bien commun. La puissance royale - et donc aussi le roi - sont définis par la faculté de légiférer, qui à son tour est définie par l’être ordonné en vue du bien commun. L’autorité est donc essentiellement ordonnée en vue du bien commun au moyen de la loi et le fait de légiférer est l’objet formel de l’autorité. 7. Toute autorité vient de Dieu. Toute autorité a son fondement dans l’autorité de Dieu, dans la providence même de Dieu par laquelle Il ordonne infailliblement et promeut toutes les choses vers leur fin. Cette faculté de légiférer chez le roi est participation à la providence même de Dieu et à la loi éternelle qui règle toutes les choses. Le fait de légiférer de la part du roi n’est rien d’autre que le fait de participer à l’action divine elle-même d’établir la loi éternelle de laquelle la loi humaine tire sa force de caractère obligatoire. L’obéissance prêtée et due à la loi humaine est indirectement obéissance à Dieu même de qui la loi reçoit son caractère obligatoire. Par conséquent, le fondement principal du rapport roi-sujet est la providence même de Dieu à qui l’on doit l’obéissance absolue en tant qu’il est le Créateur, le Souverain Bien et la fin dernière de toutes les créatures. Ce rapport roi-sujet provient de Dieu et non de la communauté. Malgré cela il exige que la communauté désigne légalement, c’est-à-dire au nom de la communauté entière, une personne qui reçoive en elle la puissance royale. 8. Le pouvoir royal engendre des relations mutuelles. Le pouvoir de légiférer, qui est un pouvoir actif, est ce pourquoi quelqu’un est constitué roi. Réciproquement, l’obligation d’obéir à la loi est ce par quoi quelqu’un est constitué sujet. Le roi ou le 8 détenteur du pouvoir royal est uni avec l’ensemble de la communauté en tant qu’il est le promoteur du bien commun. A son tour, l’ensemble de la communauté est unie au promoteur du bien commun en tant qu’elle est mûe au bien commun. Le roi a le droit de légiférer puisque Dieu infuse en lui le droit de promouvoir la communauté vers le bien commun. Les sujets ont l’obligation d’obéir puisque Dieu infuse en eux le devoir d’obéir au législateur. C’est pourquoi le fondement de la relation roi-sujet est 1) en premier lieu la Toute-Puissance et la Providence même de Dieu et, 2) en second lieu le fait d’infuser dans le roi la puissance royale et dans les sujets le devoir correspondant. En conséquence: devient roi celui qui 1) reçoit la désignation légale de l’ensemble de la communauté pour promouvoir le bien commun et 2) reçoit l’autorité de Dieu. Donc, du fait que la société “engendre” le roi en tant qu’elle désigne quelqu’un à promouvoir le bien commun de l’ensemble de la communauté, naissent deux relations mutuelles, comme il arrive dans la génération naturelle: d’un côté est fait roi celui qui est constitué roi par la relation d’autorité envers ses sujets, de l’autre sont faits sujets ceux qui sont constitués sujets par la relation de sujétion qu’ils ont avec le roi. Puisque le roi est “engendré” seulement en ordre au bien commun, en conséquence les relations d’autorité et sujétion demeurent seulement tant que demeure l’ordre au bien commun, de sorte que l’ordre au bien commun étant supprimé, la relation est également supprimée. Donc, celui qui se propose de promulguer une erreur ou des lois disciplinaires mauvaises ne peut être vrai pape puisque le bien de la vérité dans la Foi et dans les mœurs est essentiel à la mission conférée par le Christ à l’Eglise. 9. Conditions pour recevoir l’autorité royale. Rappelons-nous les paroles de Saint Thomas concernant la nécessité de proportion entre matière et forme qui doivent être présentes en un seul composite: la proportion due entre matière et forme est double: par ordre naturel entre matière et forme et par suppression d’un empêchement. C’est pourquoi ne peut pas non plus recevoir la puissance royale celui qui a été légalement désigné s’il n’y a pas ordre naturel entre matière et forme et s’il existe un empêchement quelconque. Certaines disproportions ne peuvent être supprimées, et précisément celles dues à des empêchements physiques, d’autres peuvent être supprimées et précisément celles dues à des empêchements moraux. Donc, par disproportion d’ordre physique les fous et les femmes ne peuvent recevoir en soi le pouvoir papal puisqu’ils sont physiquement empêchés de recevoir ce pouvoir. Dans ces cas il y a une disproportion permanente, et ils ne sont pas non plus aptes à être désignés validement. En cas d’empêchement d’ordre moral ensuite, ne peuvent recevoir le pouvoir papal ceux qui mettent un quelconque obstacle moral volontaire et amovible, par exemple le refus de la consécration épiscopale ou l’intention d’enseigner des erreurs ou de promulguer des lois disciplinaires en général mauvaises, ou le refus du baptême en cas d’élection d’un catéchumène: par exemple, Saint Ambroise élu au siège épiscopal de Milan (4). Ceux qui sont aptes à être désignés validement parce que l’empêchement est amovible mais l’autorité ne peut être infusée par Dieu tant que l’empêchement n’a pas été supprimé. La raison est que ceux-ci ne sont pas capables de promouvoir le bien commun tant qu’ils n’ont pas supprimé l’obstacle. Et, puisque l’empêchement est moral et volontaire, cet obstacle peut être ramené à une absence d’intention de promouvoir le bien commun. Donc, Dieu qui est bien subsistant, ne peut infuser l’autorité en celui qui met un empêchement volontaire à la promotion du bien commun. 10. Récapitulation. L’autorité considérée en concret, par analogie avec l’objet substantiel se compose de l’union de deux parties: matière et forme. L’élément matériel de l’autorité est la désignation légale d’une personne à recevoir la puissance royale, exécutée par l’ensemble de la communauté. L’élément formel de l’autorité est la faculté de légiférer. Cette faculté, ou droit, est essentiellement ordonnée au bien commun au moyen de la loi par laquelle il est mesuré quant à son objet formel, de sorte que si l’ordre au bien commun est supprimé, la faculté est supprimée. Toute autorité provient de Dieu, dont la Toute-Puissance et la Providence sont le fondement primaire du rapport roi-sujet. L’autorité est infusée immédiatement par Dieu en celui qui possède la désignation légale, pourvu que soit présent un ordre naturel à rece- 9 voir la forme de l’autorité et qu’il n’y ait pas d’empêchement. Donc, la condition sine qua non, pour recevoir de Dieu la forme de l’autorité, est l’intention de promouvoir le bien commun en celui qui est désigné à recevoir la charge de la communauté entière. III. L’autorité considérée matériellement (materialiter) ou la désignation légale à recevoir le pouvoir royal 11. Qui gouverne légitimement et qui gouverne illégitimement? L’autorité en tant que pouvoir ou faculté active est un habitus et par conséquent un accident prédicamental qui ne peut pas exister s’il n’est pas reçu chez un sujet. Mais dans quel sujet? En d’autres termes, la question maintenant est: qui gouverne légitimement et qui gouverne illégitimement? La réponse est que gouverne légitimement celui qui a été légitimement élu par la société pour recevoir l’autorité et qui en plus n’a aucun empêchement à recevoir l’autorité. Gouverne illégitimement celui qui a pris l’autorité illégitimement, c’est-à-dire sans désignation légale ou bien même quand ayant été validement désigné il a un empêchement à recevoir l’autorité. Dans la société civile, la sélection du sujet d’autorité, selon l’opinion commune appartient à l’ensemble de la communauté. Selon les thomistes en général, la communauté tout entière a le droit d’instituer ou de choisir la forme de gouvernement tout comme le sujet qui recevra l’autorité, mais la communauté ne transmet pas l’autorité ellemême, comme l’ont soutenu certains, en particulier Suarez. La communauté simplement propose un sujet d’autorité. Mais c’est Dieu qui donne l’autorité. L’union de ces deux éléments génère l’autorité en concret, c’est-à-dire le roi. La communauté en tant que telle ne peut être sujet d’autorité; l’autorité provient de Dieu. Cependant la désignation du sujet d’autorité provient de l’ensemble de la communauté, au moins implicitement. Même dans le cas de monarchie héréditaire, selon les auteurs, pour que le roi reçoive légitimement l’autorité, il faut que le peuple, au moins implicitement accepte le système monarchique et héréditaire. Cependant ces questions qui regardent la constitution du gouvernement civil ne nous intéressent pas directement, puisque la constitution de l’Eglise provient du Christ Lui-même immuablement et ne dépend absolument pas du consentement ou de l’approbation des fidèles. En outre, les éléments essentiels du gouvernement civil proviennent de la loi naturelle, c’est-à-dire la fin de la société, la forme de gouvernement, le mode de choisir les sujets d’autorité; au contraire les éléments essentiels de la constitution de l’Eglise ont été établis par disposition divine. Le Christ institua l’Eglise; il appela les Apôtres et les ordonna hiérarchiquement. Le Christ a donné à l’Eglise sa fin, comme il a donné les moyens surnaturels pour l’atteindre. Le Christ a institué une forme monarchique de gouvernement de sorte que la constitution de l’Eglise ne provienne en aucune manière de ceux qui sont inférieurs mais provienne de l’autorité même du Christ. Le pape non plus, qui comme vicaire jouit de la même autorité que le Christ, ne peut changer la divine constitution de l’Eglise. 12. La matière de l’autorité. Le lecteur peut facilement voir à partir de ce qui est exposé que l’autorité considérée concrètement est constituée d’un élément formel et d’un élément matériel. L’élément formel de l’autorité est l’habitus même ou faculté morale ou droit de légiférer. En d’autres termes c’est le pape luimême. L’élément matériel ou potentiel de l’autorité est l’homme lui-même qui reçoit ce droit de légiférer. L’autorité en concret, c’est-à-dire le pape ou le roi, naît de l’union de ces deux éléments. Pour qu’un roi ou un supérieur gouverne légitimement, il est nécessaire que celui qui reçoit l’autorité soit désigné légalement à recevoir ce pouvoir, conformément aux lois civiles ou aux lois ecclésiastiques. Autrement, celui qui se sera proclamé pape ou roi ne gouvernera pas légitimement mais au moyen d’un acte de force puisque la communauté n’est pas tenue d’accepter comme légitime sujet d’autorité quiconque n’a pas été légalement élu comme sujet légitime d’autorité. Donc, celui qui occupe le siège de l’autorité par un acte de violence, ne reçoit pas vraiment en lui l’autorité parce qu’il n’est pas vraiment disposé à recevoir l’acte ou la forme de l’autorité. L’élection ou la désignation légale - même dans le cas de naissance légitime dans la monarchie hérédi- 10 taire - perfectionne le sujet pour qu’il devienne matière ultime de l’autorité, c’est-à-dire, le met dans l’ultime disposition de recevoir la perfection de l’autorité. De manière analogue cela arrive dans le cas de la génération naturelle où les parents ne donnent pas la forme humaine, c’est-à-dire l’âme, mais donnent l’ultime disposition de la matière. Dieu donne l’âme et l’union de la matière et de la forme réalise un être simpliciter un, c’est-àdire un homme. Si au contraire la matière en quelque manière n’est pas disposée, la forme n’est pas infusée en elle, ou si elle est infusée pour un laps de temps, le fœtus meurt parce que la matière n’est pas en mesure de rester unie à l’âme à cause d’une imperfection. Pareillement, l’autorité en acte ne peut être reçue sinon d’un sujet légalement désigné. Dans le gouvernement civil, du moment qu’il dépend de la loi naturelle, il est facile qu’un roi qui est entré par la force sur le siège de l’autorité puisse devenir vrai et légitime roi par approbation implicite de la part du peuple. Mais ce principe ne peut trouver application dans l’Eglise puisque les fidèles ne possèdent pas par loi naturelle le droit de désigner le sujet de l’autorité papale. Il est donc nécessaire que la personne qui reçoit la papauté soit désignée selon les normes en vigueur en temps de vacance du Siège Apostolique, c’est-à-dire doit être désignée par les électeurs qui ont le droit légal d’élire le pape. 13. La durée de la désignation à recevoir la juridiction papale. La désignation à la charge dure 1) jusqu’à la mort du sujet; 2) jusqu’au refus ou à la renonciation volontaire du sujet ou 3) jusqu’à la privation de la désignation du sujet accomplie par qui a le droit de le faire. Il n’y a pas d’autre manière pour priver de la désignation (5). Bien qu’il n’existe pas d’autorité qui ait le pouvoir de juger le pape, cependant le corps des électeurs peut lui enlever la désignation. En effet la désignation provient de Dieu seulement de manière médiate, de manière immédiate elle provient des électeurs. Pour cette raison, le fait de constater chez un pape élu la perte de juridiction ou même l’absence de la disposition à recevoir l’autorité papale ne dépasse pas le droit des électeurs du pape. Par exemple: les électeurs doivent constater la mort d’un pape avant de pouvoir procéder à l’élection d’un nouveau pape. Pareillement, si le pape devenait fou, les électeurs devraient constater sa folie et donc sa perte du pouvoir papal et après avoir constaté ce fait pourraient procéder à une nouvelle élection. Pareillement, si un laïc était élu mais refusait la consécration épiscopale, les électeurs devraient constater son indisposition à recevoir le pouvoir et après avoir constaté ce fait, ils pourraient procéder à une nouvelle élection. De même dans le cas d’une personne élue à la papauté ou de même de quelqu’un qui a déjà accepté la juridiction papale et tombe dans l’hérésie ou, pire, de quelqu’un qui au nom de l’Eglise a promulgué des hérésies et des lois disciplinaires hérétiques et sacrilèges, les électeurs devront et pourront constater ce fait de l’absence, dans la personne élue, de la disposition à recevoir l’autorité ou à maintenir l’autorité, et après avoir constaté ce fait procéder à une nouvelle élection. 14. La durée du droit de désigner. La durée du droit de désigner est semblable à la durée de la désignation elle-même, c’est-àdire on peut la perdre seulement par mort, renonciation ou privation légale. Dans le cas des électeurs du pape, seul celui qui a le droit de nommer les électeurs (c’est-à-dire seulement celui qui est pape au moins matériellement) a le droit de les priver légalement. Mais ici on se demande, comment un individu non-pape ou pape seulement matériellement, peut-il priver ou nommer légalement les électeurs du pontife romain? Autrement dit, de quelle manière après le Concile Vatican II les conclaves peuvent-ils être considérés comme légitimes, quand les électeurs eux-mêmes sont hérétiques, dépouillés de la juridiction ou nommés par des hérétiques eux aussi dépouillés de juridiction? La réponse est que l’autorité a une double fin: l’une, est de légiférer et l’autre de nommer les sujets pour qu’ils reçoivent l’autorité. Comme la même autorité a “un corps” et “une âme” c’est-à-dire une matière et une forme, la première étant la désignation à recevoir la juridiction et la seconde la juridiction elle-même, ainsi l’objet de l’autorité est double: le premier et principal objet ou fin de l’autorité est de diriger la communauté vers le bien au moyen des lois, et ceci regarde “l’âme” de l’autorité, le second et secondaire objet de l’autorité (parce qu’ordonné au premier) est de nommer les sujets 11 de l’autorité, et ceci regarde le corps de l’autorité, afin que la communauté ait continuité dans le temps. Par exemple, si Saint Pierre avait conduit l’Eglise mais n’avait pas pourvu à sa succession légitime, il aurait lésé gravement et même mortellement le bien de l’Eglise, parce qu’il n’est pas suffisant pour un bon gouvernement que quelqu’un simplement légifère, mais il est nécessaire qu’il pourvoie à créer une succession légitime sur le siège de l’autorité. Ces deux objets de l’autorité sont réellement distincts. La raison est que l’acte de la désignation à recevoir une charge n’est pas de faire une loi. Désigner quelqu’un à une charge est simplement lui transférer un droit ou un titre. Cela ne concerne pas la fin de la société. Aucune obéissance n’est due à la désignation, comme au contraire elle est due à la loi, seule la reconnaissance est due. Or si les objets sont réellement distincts, alors les facultés ordonnées aux objets sont elles aussi réellement distinctes. Donc, la faculté de désigner est réellement distincte de la faculté de légiférer. Il peut arriver qu’une personne, même si elle ne jouit pas de la faculté de légiférer (ou de l’autorité considérée au sens propre et formel) puisse cependant jouir de la faculté de désigner, dans la mesure où elle veut le bien objectif de la succession légale sur le siège de l’autorité. En outre, comme nous l’avons dit auparavant, la faculté de désigner provient de l’Eglise, la faculté de légiférer provient de Dieu. L’Eglise peut donner la faculté de désigner, sans qu’en même temps Dieu accorde la faculté de légiférer, et ce à cause d’un empêchement. Mais les électeurs du pape, même ceux qui adhèrent au Concile Vatican II, ont l’intention de désigner légalement une personne à recevoir la papauté. Ainsi Paul VI et Jean-Paul II, bien qu’ils soient papes seulement matériellement (6), quand ils nomment les “cardinaux” ont l’intention de nommer des sujets qui ont la faculté ou le droit de désigner le pape. Donc, les conclaves, même ceux après le Concile Vatican II, veulent objectivement le bien de la succession au siège pontifical et ceux qui sont élus à ce siège objectivement se proposent ce bien consistant dans le fait de nommer les électeurs du pape. Cette continuité purement matérielle de l’autorité peut continuer pour un temps indéfini, dans la mesure où les conclaves ont l’intention d’élire un pape et où ceux qui sont élus ont l’intention de nommer les électeurs. La désignation n’est pas non plus rendue nulle par hérésie des électeurs ou de la personne élue. La raison est que la désignation en elle-même ne concerne pas la disposition ou non-disposition du sujet. Les exigences de l’autorité, c’est-à-dire du droit de légiférer, concernent la disposition ou la non-disposition du sujet. En d’autres termes, la matière devient inadaptée à recevoir l’autorité à cause des exigences de la forme, c’est-à-dire de l’autorité, non à cause des exigences de l’acte de désignation. Par exemple, un laïc élu à la papauté, pour recevoir validement l’autorité doit avoir l’intention de recevoir la consécration épiscopale; s’il n’a pas cette intention, il demeure désigné validement mais n’est pas apte à recevoir l’autorité à cause de la nondisposition pour ce qui regarde les exigences de la forme, mais non pour ce qui regarde les exigences de la désignation. Celui-ci serait pape matériellement dès le moment où il a l’intention de recevoir la consécration épiscopale. La désignation est valide; l’exigence de l’autorité rend le sujet invalide tant qu’il ne devient pas matière prochainement disposée à recevoir l’autorité. Donc, celui qui est désigné à la papauté, même s’il ne peut recevoir l’autorité à cause de l’obstacle d’hérésie ou parce qu’il refuse la consécration épiscopale ou pour n’importe quelle autre raison, malgré cela peut nommer d’autres personnes à recevoir l’autorité (comme les évêques) et même les électeurs du pape, en tant que tous ces actes concernent seulement la continuation de la partie matérielle de l’autorité et ne concernent pas la juridiction, puisque dans la nomination aucune loi n’est faite. La nomination ou désignation est une simple préparation, vraiment éloignée, au fait de légiférer. Celui qui est désigné à l’autorité, dans la mesure où il maintient l’intention de continuer la partie matérielle de la hiérarchie, reçoit en soi validement ce pouvoir non législatif. Les électeurs qui sont désignés par une personne qui est pape seulement materialiter procèdent à une élection légale quand ils élisent quelqu’un à recevoir la papauté, parce qu’aucune loi n’est faite dans l’accomplissement de cet acte et donc les électeurs n’ont pas besoin de juridiction, c’est-à-dire du droit de légiférer; ils doivent seulement jouir d’un droit de voix active pour procéder à une dé- 12 signation validement et légalement. On peut établir une analogie avec le cas de l’âme humaine. L’âme est ordonnée à des actes spécifiquement différents, par exemple des actes de la vie végétative, de la vie sensitive et de la vie rationnelle. Il peut arriver que, par inaptitude ou par indisposition de la matière (par exemple une blessure grave à la tête) l’âme accomplisse seulement des actes de la vie végétative de telle sorte que le corps reste vivant et potentiellement en mesure de réaliser des actes supérieurs quand la matière devient apte. Si toutefois la matière devient tout à fait inapte à maintenir la vie même uniquement végétative, la mort survient. De la même manière, analogiquement l’Eglise peut conserver la “vie végétative” de la hiérarchie et en même temps ne pas conserver la “vie législative” ou la vie qui poursuit les fins de l’Eglise (au moins de la part de la hiérarchie). Cet état de choses provient non d’un manquement de la part du Christ, mais d’un défaut de la part d’hommes défectibles tels ceux qui sont désignés à recevoir l’autorité. Ceci est permis par le Christ, Chef de l’Eglise et c’est “admirable à nos yeux”. Cependant, tout le mal permis par Dieu porte au bien. Les fins de l’Eglise continuent à être poursuivies par des prêtres et des évêques qui ne tombèrent pas dans l’hérésie, avec une juridiction qui n’est pas habituelle mais simplement transitoire quand ils accomplissent des actes sacramentaux. 15. Le droit d’élire n’est ni juridiction ni autorité. Le droit d’élire une personne à recevoir l’autorité n’est ni autorité ni juridiction parce que ceux qui possèdent ce droit ne possèdent pas nécessairement le droit de légiférer. Par exemple, dans un état les citoyens ont le droit d’élire mais n’ont pas le droit de légiférer; ils peuvent seulement élire celui qui doit recevoir l’autorité. L’objet du droit d’élire n’est pas de faire une loi mais plutôt de désigner seulement une personne. C’est pourquoi le droit d’élire perdure tant qu’existe l’intention habituelle de désigner une personne à recevoir l’autorité ou tant que ce droit n’est pas supprimé par l’autorité. Le droit d’élire est ordonné à un acte spécifiquement distinct de celui auquel sont ordonnées la juridiction ou l’autorité. L’autorité est ordonnée à formuler des lois qui sont des ordres pour promouvoir les fins propres de la société même. Le droit d’élire au contraire n’est pas ordonné directement à promouvoir les fins propres de la société mais seulement à procurer un sujet capable de recevoir cette autorité. L’objet de l’un est simpliciter différent de celui de l’autre et le droit d’élire n’implique absolument pas dans son concept formel la possession du droit de légiférer, comme l’élection en soi n’implique pas en son concept formel la possession de l’autorité. Il est vrai que dans le concret ces deux droits souvent se retrouvent dans la même personne, par exemple chez un cardinal ou chez un pape. Mais ces deux accidents (le droit d’élire et le droit de promulguer une loi ou l’élection et la possession de l’autorité) ne se trouvent pas nécessairement réunis dans la même personne parce que leur objet est différent. Comme il est dit plus haut, l’objet du droit d’élire est la désignation de la personne qui doit recevoir l’autorité et l’objet du droit de légiférer est la loi ellemême, ou l’ordre de la raison dans le but de promouvoir le bien commun. L’acte ou exercice du droit d’élire est l’élection; l’acte ou exercice du droit de légiférer est le fait de faire des lois. Puisque ces droits ont des objets simpliciter différents, il existe deux facultés morales simpliciter différentes. Cette distinction résout la difficulté que certains objectent: il est impossible qu’un conclave composé de cardinaux hérétiques, et par conséquent privés de la juridiction puisse élire celui qui est ordonné à recevoir la plénitude de la juridiction (7). 16. Le droit de légiférer provient de manière immédiate de Dieu, le droit de désigner provient de Dieu seulement de manière médiate, il provient de manière immédiate de l’Eglise. Le droit de légiférer, c’est-à-dire d’enseigner, gouverner et sanctifier l’Eglise, provient de Dieu. C’est l’autorité proprement dite, l’autorité du Christ, de laquelle le pape participe en tant que vicaire. Au contraire le droit de désigner celui qui doit recevoir l’autorité provient de Dieu de manière médiate et de manière immédiate de l’Eglise. Ceci est évident: quand un pape meurt le droit de désigner le successeur ne meurt pas avec lui! Le possesseur légal de ce droit de désigner est le corps des électeurs ou conclave. Pour cette raison le conclave ou corps des électeurs peut transmettre le droit de désignation même à un pape matériel, 13 c’est-à-dire désigné à la papauté sans avoir l’autorité papale, de telle sorte que ce pape matériel puisse nommer d’autres électeurs légalement et ainsi maintenir à perpétuité le corps légal des électeurs. En d’autres termes, toutes ces considérations se trouvent sur la ligne matérielle. Ce principe est d’une extrême importance puisque ceux qui critiquent la Thèse ne comprennent pas comment celui qui n’a pas l’autorité papale peut nommer des cardinaux ou des électeurs capables d’élire légalement et légitimement celui qui doit recevoir l’autorité. Ils pensent à tort que le droit de désigner les électeurs est aussi le droit de légiférer et ils unissent donc ce qui doit être tenu séparé. Ce droit de désigner qui se trouve en Paul VI ou en JeanPaul II ne les rend pas papes, puisqu’en eux manque l’autorité ou droit de légiférer. Ils ne sont donc pas papes, sinon materialiter. Ils peuvent cependant désigner les électeurs et même les évêques dans le but de succéder sur les sièges de l’autorité et ils peuvent aussi changer validement les règles de l’élection surtout si ces changements sont acceptés par le conclave. IV. L’union des deux éléments de l’autorité 17. Vacantis Apostolicæ sedis de Pie XII. Ce document déclare: «Après l’élection canoniquement faite, le dernier cardinaldiacre convoque dans la salle du Conclave le secrétaire du Sacré-Collège, le préfet des cérémonies apostoliques et deux maîtres des cérémonies. Alors le consentement de l’élu doit être demandé par le cardinal doyen, au nom du Sacré-Collège, en ces termes: “Acceptes-tu l’élection qui vient d’être faite canoniquement de ta personne comme Souverain Pontife?”. Ce consentement ayant été donné dans un espace de temps qui, dans la mesure où il est nécessaire, doit être déterminé par le sage jugement des cardinaux à la majorité des votes, l’élu est immédiatement vrai pape, et il acquiert par le fait même et peut exercer une pleine et absolue juridiction sur l’univers entier» (§ 100 et 101). Il est donc clair qu’une fois exprimé son consentement à l’élection, l’élu devient pape. C’est pourquoi l’union de la matière et de la forme de la papauté est immédiate. Mais alors, comment quelqu’un peut-il demeurer pape seulement matériellement après qu’il ait exprimé son propre consentement à La Tiare (sur la photo, celle de Pie IX) est le symbole de la plénitude du pouvoir papal l’élection? Réponse: parce que la matière et la forme ne peuvent être unies si la matière n’a pas les proportions voulues avec la forme, et ceci se produit de deux manières: c’est-àdire par ordre naturel entre matière et forme, et par suppression de tout empêchement. Donc, celui qui a été élu légalement à la papauté reçoit la part de l’autorité qu’il est apte à recevoir, c’est-à-dire cette part pour laquelle il ne présente pas d’empêchement. Il est donc possible qu’une personne puisse recevoir le droit de désignation qui regarde la succession légitime et la permanence de la vie corporelle de l’Eglise et en même temps ne puisse recevoir l’autorité proprement dite, c’est-à-dire le droit de légiférer, qui regarde la législation et le gouvernement de l’Eglise. Or, comme nous l’avons dit avant, l’intention de promulguer des erreurs ou des lois disciplinaires mauvaises, met dans l’élu un empêchement à recevoir la forme de l’autorité et ce, même s’il a donné son consentement à l’élection il restera seulement élu tant qu’il n’aura pas supprimé l’empêchement. V. La possibilité de séparer matière et forme de l’autorité 18. Dans les êtres per accidens matière et 14 forme peuvent être séparées. Dans les êtres per se, par exemple un homme, il est impossible que la personne survive si matière et forme sont séparées. La matière ne peut exister en acte sans la forme substantielle. Dans les êtres per accidens, c’est-à-dire dans les êtres qui naissent de l’union d’une forme accidentelle avec une substance (qui devient analogiquement matière par rapport à l’accident), matière et forme peuvent être séparées sans qu’il y ait corruption du suppositum, comme, un homme blanc, ou philologue ou musicien. Or le pape, en tant qu’il est pape, est un être “per accidens” parce qu’il est une agrégation de plusieurs êtres, c’est-à-dire d’un homme d’un côté et de plusieurs accidents de l’autre. De ces nombreux accidents, certains sont purement dispositifs, comme l’ordination sacerdotale, la consécration épiscopale, etc., mais un seul est formel et pour lequel un homme déterminé est nommé pape simpliciter, et cet accident est le droit de légiférer ou autorité ou juridiction. L’homme qui a la disposition à recevoir l’autorité est une substance qui possède toutes les perfections nécessaires pour recevoir la forme de l’autorité, de ces perfections l’ultime et en vérité la perfection sine qua non, est la désignation légale à recevoir l’autorité. La personne ainsi désignée peut recevoir en elle l’autorité aussitôt ou bien après un certain laps de temps. Si elle ne reçoit pas tout de suite l’autorité, elle reste matière ultime de l’autorité, homme élu ou désigné, mais elle n’a pas la juridiction, elle n’a pas le droit de légiférer ou de diriger la communauté vers les fins qui lui sont propres. Un exemple insigne est donné par le président des Etats Unis d’Amérique. Il est désigné légalement au mois de novembre mais ne reçoit pas l’autorité avant le 20 janvier de l’année suivante. Dans le laps de temps qui court entre l’élection et l’acquisition de l’autorité, il n’est pas président parce qu’il n’a pas le pouvoir, mais il n’est pas simpliciter non-président, parce qu’il a reçu la désignation légale. Il est président matériellement (materialiter). Si cette personne élue ne devait jamais aller à Washington recevoir l’autorité, elle resterait président matériellement tant que le Congrès ne supprimerait pas la désignation. Il est difficile d’imaginer la même situation dans le cas du Pontife romain puisque la coutume et la loi établissent qu’il reçoit immédiatement la juridiction papale dans l’acte même d’acceptation de la désignation. Mais il peut aussi arriver qu’une personne déterminée, même si elle est légalement désignée et après avoir accepté la désignation, ne reçoive toutefois pas la juridiction parce que fait défaut une disposition nécessaire, par exemple l’intention de recevoir la consécration épiscopale si elle n’est pas encore évêque, ou bien l’usage de la raison si elle est folle. Dans ce cas, l’homme élu serait désigné à la papauté mais ne serait pas vrai pape, il serait pape seulement matériellement jusqu’à ce qu’il consente à la consécration épiscopale ou qu’il guérisse de sa folie. La désignation à recevoir l’autorité et l’autorité elle-même sont donc deux accidents qui peuvent se trouver en un seul sujet et puisqu’ils font partie de l’ordre accidentel ils sont seulement par analogie respectivement accident matériel et accident formel par rapport au pape (8). Un homme qui a en lui le premier accident, c’est-à-dire la désignation, devient automatiquement matière prochaine d’autorité ou est autorité (au sens concret) materialiter. Donc, si un laïc était désigné à la papauté mais refusait la consécration épiscopale, il serait pape matériellement jusqu’à ce qu’un conclave lui enlève la désignation. Puisque la désignation à l’autorité est réellement distincte de l’autorité même (considérée formellement) la désignation peut exister dans un sujet déterminé sans l’autorité, comme il est dit plus haut. De la même manière, les parents engendrent la matière prochaine à recevoir une forme humaine mais ce ne sont pas eux qui infusent la forme même. Pareillement, les électeurs procurent la matière prochaine de la papauté ou d’un chef de la société mais ne fournissent pas l’autorité. Si la matière générée par les parents, n’a pas pour une raison ou pour une autre la disposition à recevoir la forme humaine, elle ne devient pas un homme mais est expulsée du corps de la femme. Ainsi si les électeurs fournissent une matière d’autorité mais qui pour une raison ou pour une autre n’a pas la disposition à recevoir la forme de l’autorité, elle ne devient pas un pape mais est expulsée, c’est-à-dire, les électeurs lui enlèvent la désignation. En outre, par analogie, comme la femme qui n’expulse pas le fœtus non disposé à la forme humaine 15 est frappée d’infection, ainsi l’Eglise ou la société qui n’expulsent pas la matière qui n’est pas disposée à l’autorité sont infectées par le mal de la confusion à cause de l’absence d’autorité. De plus, si la cause de la non disposition à l’autorité est la volonté de promulguer l’hérésie, alors les institutions de l’Eglise croupissent dans l’humeur fétide de l’hérésie à cause de l’apparence d’autorité chez celui qui a été élu. VI. Les causes qui empêchent l’union entre matière et forme de l’autorité 19. Comme il est dit plus haut, la matière de l’autorité, c’est-à-dire la personne désignée, ne peut recevoir l’autorité à laquelle elle est désignée si elle met des obstacles volontaires. Quels sont ces obstacles volontaires? Réponse: toute chose qui empêche à celui qui a été désigné de promouvoir habituellement le bien commun. Le cas du Pontife romain est tout à fait particulier parce que le bien qu’il doit promouvoir est beaucoup plus élevé que le bien de la société civile. Le bien de l’Eglise consiste à poursuivre les fins que le Christ Luimême lui a imposées et continue à vouloir pour elle. Ces fins sont au nombre de trois et correspondent aux trois fonctions du Christ: 1) répandre la vérité de manière indéfectible et infaillible en tant que le Christ est Prophète. 2) Offrir le vrai et unique sacrifice au vrai et unique Dieu et administrer les vrais sacrements en tant que le Christ est Souverain Prêtre. 3) Etablir de manière indéfectible des lois qui conduisent infailliblement à la vie éternelle en tant que le Christ est Roi. Donc, celui qui a ou met un empêchement même à une seule de ces trois fonctions essentielles du Christ et de l’Eglise ne peut recevoir l’autorité du Christ ou de l’Eglise, puisque l’autorité, comme on l’a vu avant, est nécessairement et essentiellement ordonnée au bien commun, à la poursuite des fins propres de la société. Donc celui qui aurait l’intention: 1) de promulguer l’erreur 2) de promulguer l’usage d’un faux culte ou le culte d’un faux Dieu ou le non-usage du vrai culte, ou 3) de promulguer des lois mauvaises, bien que désigné validement, ne pourrait recevoir l’autorité. Avoir l’intention d’accomplir ces choses est vouloir la ruine de l’Eglise et son complet anéantissement. En effet l’Eglise est colonne de la vérité par institution du Christ et quiconque a l’intention de promulguer l’erreur en son nom, tant dans les questions théoriques que dans les questions pratiques, viole sa nature. Le Christ est le chef suprême de l’Eglise et l’autorité du pape est l’autorité du Christ. Donc: l’intention de promulguer l’erreur détruit complètement la proportion entre l’autorité du Christ et le désigné. Cependant, l’intention de bouleverser l’Eglise au moyen de la diffusion de l’erreur n’est pas la seule raison pour laquelle une personne ne peut recevoir l’autorité papale. Dans l’exemple ci-dessus rapporté, Pie XII a affirmé qu’un laïc qui a été élu au pontificat ne peut accepter l’élection tant qu’il n’a pas consenti à recevoir l’ordination. La raison est évidente: celui qui ne veut pas être prêtre, implicitement ne veut pas, et donc ne peut pas, recevoir l’autorité sacerdotale; ni ne peut être image du Christ, Souverain Prêtre et donc ne peut accomplir la fonction essentielle de la papauté. La même chose se produit pour les autres fonctions: celui qui a l’intention de répandre la fausse doctrine ne peut accomplir l’office du Christ, Vérité Suprême; celui qui a l’intention d’établir un faux culte ne peut accomplir la charge du Christ Souverain Prêtre; celui qui a l’intention de promulguer des lois mauvaises ne peut remplir l’office du Christ Roi. Comme le Christ son Maître, l’Eglise doit être pour tous les hommes chemin, vérité et vie en tant qu’elle gouverne, enseigne et sanctifie, et ce infailliblement. Mais si l’autorité de l’Eglise promulgue l’erreur, l’Eglise ne peut être pour personne ni chemin, ni vérité, ni vie (9). APPENDICE I. La distinction entre un fait réel et la reconnaissance légale d’un fait réel 20. Avant de pouvoir procéder à l’exposition de la Thèse, il est nécessaire d’expliquer une autre distinction de grande importance, c’est-à-dire la distinction entre un fait réel et la reconnaissance légale d’un fait réel. Toute société est une personne morale et, par analogie avec la personne physique, la société a une intelligence propre et une volonté propre. Donc, il peut arriver, et il ar- 16 rive souvent, qu’un fait puisse être vrai dans l’ordre réel et même absolument évident, mais que malgré tout il ne soit pas reconnu comme tel par la société. Par exemple, quelqu’un peut commettre un homicide en présence de nombreux témoins. Même si les témoins savent qu’il est un assassin, cependant pour la loi il est réputé innocent tant qu’il n’a pas été condamné par un tribunal. Autrement dit: aux yeux de la société un individu n’est pas un assassin tant qu’il n’a pas été condamné, même s’il est absolument certain pour les témoins qu’il est un assassin et qu’il l’est en réalité. Autre exemple: dans un mariage l’un des époux simule le consentement. Dans ce cas face à Dieu et dans la réalité le lien matrimonial n’existe pas, mais face à l’Eglise le mariage est valide tant que n’aura pas été prouvé que le consentement était simulé. Si un prêtre par l’aveu de l’un des époux vient à savoir que le consentement était simulé, il doit interdire aux époux l’usage du mariage puisque face à Dieu le lien n’existe pas, même si face à l’Eglise le lien existe tant qu’il n’est pas déclaré nul par déclaration légale. Un autre exemple: un prêtre pendant l’ordination retire secrètement son intention de recevoir le sacrement de l’ordre. Légalement face à l’Eglise il sort de l’ordination comme s’il était prêtre même si face à Dieu et dans la réalité il n’est pas prêtre. S’il veut démontrer par la suite la nullité du sacrement, il demeure légalement prêtre tant que la nullité n’aura pas été prouvée dans la forme requise. A cause de cette distinction entre un “fait réel” et un “fait légal”, l’Eglise et toute autre société se distinguent d’une masse d’hommes. En outre cette distinction est confirmée dans le cas de Nestorius où, après qu’il eût exprimé son hérésie dans sa cathédrale en 428, le clergé et le peuple rompirent la communion et refusèrent de lui obéir, malgré cela il continua à occuper le siège puisque désigné légalement, tant qu’il ne fut pas légalement déposé par le Concile d’Ephèse en 431. Si la reconnaissance légale de son crime n’était pas nécessaire, le pape aurait nommé un autre élu à sa place avant le jugement du Concile. Notre problème actuel - qui est vraiment terrible - consiste dans le fait que tous les sièges d’autorité, au moins apparemment, enseignent comme magistère les erreurs du Concile Vatican II et tous les électeurs du pape partagent les erreurs de Vatican II, de telle sorte qu’il n’y a personne qui puisse de manière légale reconnaître ou constater le fait de l’erreur dans le magistère et en conséquence l’absence d’autorité en ceux qui le promulguent. Face à cet état de choses, qui ne s’est jamais vérifié avant dans l’histoire de l’Eglise, les fidèles doivent, d’un côté se protéger eux-mêmes, tout comme les fidèles de Constantinople devaient se protéger de Nestorius, en rompant la communion avec ceux qui promulguent l’erreur et en refusant de reconnaître qu’ils possèdent l’autorité, mais d’autre part ils doivent observer la qualité légale de l’Eglise par laquelle quelqu’un continue à rester sur le siège et dans la charge tant qu’il n’est pas supprimé par la loi. Pour ces raisons, la Thèse que je suis en train de démontrer offre une explication parfaite du problème actuel et une position vraiment catholique puisque d’un côté elle maintient l’indéfectibilité de l’Eglise et l’infaillibilité de son magistère en refusant de reconnaître l’autorité du Christ en ceux qui répandent des erreurs, mais de l’autre elle maintient l’apostolicité et l’unité de l’Eglise en tant que seul et unique corps moral, reconnaissant la désignation légale en ceux qui sont désignés légalement à des charges ecclésiastiques tant qu’elle ne leur est pas enlevée par l’autorité compétente. (A suivre). Notes 1) Dans le cas où les évêques schismatiques se repentent et demandent de se réconcilier avec Rome, ils sont accueillis généralement par l’Eglise comme des évêques, c’est-à-dire qu’ils maintiennent leurs diocèses unis au clergé, aux religieux et aux fidèles. 2) Dans la philosophie scolastique on entend par habitus une qualité stable qui dispose le sujet à être ou à opérer le bien ou le mal (note de Sodalitium). 3) La société ne semble pas être autre chose qu’une réunion d’hommes dans le but d’accomplir ensemble une seule chose (Saint Thomas Contra impugnantes Dei Cultum ac Religionem). 4) Pie XII a prévu le cas dans lequel un laïc élu au Saint-Siège ne peut recevoir l’élection s’il refuse l’ordination sacerdotale: “Si un laïc était élu Pape, il ne pourrait accepter l’élection qu’à condition d’être apte à recevoir l’ordination et disposé à se faire ordonner” (Discours au Second Congrès Mondial pour l’apostolat des laïcs, 5 octobre 1957). 5) Le Canon 183 §1 énumère les causes de perte des charges ecclésiastiques, qui sont: renonciation, privation, déplacement à un autre office, translation, 17 échéance du laps de temps indiqué. Mais dans notre cas on ne peut appliquer ni la privation, ni le déplacement à un autre office ni l’échéance du laps de temps indiqué. 6) En d’autres termes les papes seulement “secundum quid” (en un certain sens) mais non “simpliciter” (en absolu) c’est-à-dire formellement. 7) Dans ce n° 15 de son étude, comme dans le n° 16 suivant, l’auteur démontre, avec des arguments directs, comment un “pape” seulement materialiter (et donc privé d’autorité) peut désigner validement les électeurs du Conclave (les cardinaux), les occupants des sièges épiscopaux, et changer les règles de l’élection. Les arguments adoptés par l’abbé Sanborn nous semblent probants, clairs, définitifs, et confortent la position déjà exprimée par le Père Guérard des Lauriers et par l’abbé Bernard Lucien sur la “permanence matérielle de la hiérarchie” (cf. B. L UCIEN , La situation actuelle de l’Autorité dans l’Église. La Thèse de Cassiciacum, Documents de Catholicité, 1985, c. X, pp. 97-103). Cependant, si le lecteur n’était pas encore convaincu, on pourrait fournir d’autres preuves, même si elles sont moins profondes, puisqu’indirectes. En effet, si l’on n’admet pas cette possibilité, il faut conclure qu’actuellement l’Eglise hiérarchique est complètement détruite, et qu’il n’existe plus aucune possibilité d’élire un pape dans le futur, ce qui est contraire à l’indéfectibilité de l’Eglise. A supposer donc que le “pape” materialiter ne soit pas de lui-même apte à désigner légalement les électeurs du Conclave et les occupants des sièges épiscopaux, il faudrait admettre alors que cette capacité lui viendrait d’une suppléance de la part du Christ. L’hypothèse d’une suppléance de la part du Christ n’est pas privée de fondement, même chez les auteurs. C.R. Billuart o.p., par exemple, la suppose dans le cas hypothétique du “pape hérétique”. “C’est une sentence commune - écrit Billuart - que le Christ, pour le bien commun et la tranquillité de l’Eglise, avec une spéciale dispense, accorde la juridiction au pape manifestement hérétique, tant qu’il n’a pas été déclaré tel par l’Eglise” (Summa Sancti Thomæ..., t. IX, Tractatus de fide et regulis fidei, obj. 2°) [ici Billuart soutient même une suppléance de l’autorité de juridiction, que l’on ne peut admettre dans notre cas]. Timoteo Zapelena s.j. émet aussi l’hypothèse d’une suppléance de juridiction, bien que limitée, accordée par le Christ pour assurer la continuité de l’Eglise. En examinant le cas du Grand Schisme d’Occident, après avoir expliqué que le pape légitime était le pape romain, le théologien jésuite prend en considération ce qui serait arrivé si les trois “papes” du Grand Schisme avaient été “douteux” et, par conséquent, “nuls”. Les cardinaux et les évêques désignés par eux n’auraient-ils pas tous été invalides? Selon Zapelena, dans cette hypothèse, “on devrait admettre une suppléance de la juridiction (fondée sur le titre ‘coloré’), non de la part de l’Eglise, qui n’a pas la suprême autorité, mais de la part du Christ Lui-même, qui aurait accordé la juridiction à chacun des antipapes dans la mesure où c’était nécessaire”, c’est-à-dire seulement dans la désignation de cardinaux (et évêques) aptes à l’élection du pape (De Ecclesia Christi, pars altera apologetico dogmatica, Università Gregoriana, Roma 1954, p. 115). Le cas analysé par Zapelena est très semblable au nôtre. Si Billuart émet l’hypothèse d’une suppléance de juridiction pour un pape manifestement hérétique, et Zapelena émet l’hypothèse même pour un antipape, on ne voit pas pourquoi cette suppléance n’est pas théologiquement possible même pour un “pape” materialiter, avec modération, bien entendu, à ces actes nécessaires pour procurer la continuité de la structure hiérarchique de l’Eglise, qui est postulée par la foi dans les promesses de Notre-Seigneur (note de Sodalitium). 8) Puisque la matière est une puissance qui reçoit la forme et l’imparfait ou potentiel est ce par quoi vient le parfait, se ramènent à la cause matérielle: a) les accidents qui disposent le sujet à recevoir une forme: cause matérielle dispositive déterminée; b) les parties, tant les essentielles (matière et forme) que les intégrales, qui composent le tout; c) n’importe quel sujet potentiel qui reçoit un acte. Par exemple, la substance spirituelle en relation à ses accidents, l’essence en relation à l’existence, un accident en relation à un autre, sont dits causes matérielles au sens le plus vaste. (Gredt, Elementa Philosophiæ Aristotelico-Thomisticæ Friburgi Brisgroviæ: Herder, 1932 n° 751). 9) Un autre empêchement, qui ne nous concerne pas, est la folie: en effet celui qui est fou n’est apte à aucun office. Toutefois, s’il est désigné, un fou restera désigné tant que l’autorité compétente ne lui aura pas enlevé la désignation. La question juive LES TOLEDOTH JESHU: L’ANTI-EVANGILE JUIF Par M. l’abbé Curzio Nitoglia Introduction L e Judaïsme refusa le Messie Jésus-Christ et persécuta les Chrétiens. Au fil du temps le Christianisme se développa et devint la religion officielle des peuples jadis païens: le Judaïsme religion fut alors isolé pour éviter qu’il ne contaminât les Nations désormais chrétiennes. En réaction le Judaïsme talmudique s’inspira de la dispute violente, née en même temps que la prédication des Apôtres, contre le Christianisme et la personne de son fondateur Jésus. «C’est par ce type de rapport que s’est développée, à partir de bases éloignées dans le temps, une littérature polémique... qui a eu pour objet l’histoire de Jésus et les origines du christianisme» (1). Toledoth est un terme qui apparaît dans l’hébreu biblique avec la double signification de “descendance” ou “histoire”, soit au singulier soit au pluriel. Toledoth Jeshu représente donc l’histoire ou les histoires de Jésus: une série de récits juifs sur et contre 18 Jésus et les origines du Christianisme. «Différentes rédactions, même très dissemblables entre elles par le contenu et l’étendue existent de ces récits. La production des Toledoth est un processus qui dure depuis des siècles... une interprétation polémique des événements de Jésus aurait déjà commencé durant sa vie (Mc IV, 22 et 30) et tout de suite après sa mort (Matth. XXVIII, 15). L’élaboration de narrations alternatives et polémiques s’est poursuivie jusqu’aux dernières décennies du siècle dernier» (2). La première édition imprimée des Toledoth est celle de Wagenseil (1681); en 1705 Huldreich publia un autre texte, très différent, dont on ne possède pas le manuscrit original. A partir de ce moment les éditions ont été nombreuses, huit précisément, jusqu’à celle de 1902 publiée par Samuel Krauss, qui est l’étude la plus importante sur le sujet et reste aujourd’hui encore la référence principale de toute recherche scientifique. «Les Toledoth Jeshu jouissent d’une réputation négative et sinistre. Les histoires qu’elles racontent sont si démystifiantes, et la forme si polémique que le monde chrétien les a toujours repoussées avec de vives critiques et anathèmes» (3). Wagenseil les définissait comme: “nefandum et abominabilem libellum”, “cacatus a Satana”; de Rossi les appelait “nefandum ac pestilentissimum opuscolum”. En 1958 le Dictionnaire Ecclésiastique, paraphrasant l’abbé Giuseppe Ricciotti, écrivait: “Libelle blasphématoire et calomnieux, circulant avec des rédactions différentes depuis les VIIIème-IXème siècles, résumés fantastiques et calomnies obscènes manipulées par les milieux juifs de l’époque et que l’on fait passer pour être les sources authentiques de la vie de Jésus”. «A la condamnation du monde chrétien a fait pendant du côté juif l’embarras pour une œuvre qui à différents moments de l’histoire est apparue peu sérieuse et précise, incommode et inopportune» ( 4). Di Segni, dans son livre dont nous nous sommes inspirés, poursuit: «Cet embarras explique les résistances à répandre l’œuvre... On a même tenté... d’attribuer certaines versions de l’ouvrage à des antisémites [qui s’ils n’existaient pas devraient être inventés, comme les auteurs des Protocoles, n.d.a.], qui s’en seraient servis pour attiser la haine chrétienne envers les juifs» (5). D’après les Actes des Apôtres, les syna- gogues furent le premier siège de la prédication des Apôtres, lesquels provoquèrent dès le commencement les objections des Juifs (Actes XIII, 45-50) et même une opposition organisée et souvent violente. «Il est difficile de ne pas admettre que n’ait pas été mise aussi en discussion la vie même de Jésus. (...) De ces faits on déduit l’existence d’une polémique vivace déjà dans les premières décennies de la mort de Jésus, dans laquelle ont été placées les lointaines origines de la littérature des Toledoth» (6). Pour ce qui concerne les sources juives, il existe différents passages du Talmud qui parlent de Jésus (7). «Jésus est appelé Notzri (Nazaréen), d’autres fois Pandera ou Ben Pandera, avec une liaison évidente aux données païennes sur sa paternité... appelé ben Stada et fils d’une relation adultère... on parle de la lapidation de Jésus à la vigile de Pâques, sous l’accusation de sorcellerie et de corruption... Ces faits n’attestent pas l’existence des Toledoth, au moins dans la forme dans laquelle nous les connaissons, mais ordonnés... ils peuvent constituer la base pour une histoire alternative sur Jésus. Ils attesFrontispice de la première édition imprimée des Toledoth 19 tent de toute façon l’existence d’une littérature vivace à ce propos. Tout ce groupe d’informations est déjà complet à la fin du quatrième siècle» (8). Les Pères de l’Eglise parlent d’une série de croyances juives et aussi païennes. Le Talmud accuse Jésus d’être magicien et corrupteur du peuple, comme écrit St Justin martyr. St Pione martyr dit que, selon les Juifs, le Christ avait pratiqué la nécromancie, et que c’est par elle qu’il était ressuscité après sa mort. Le païen Celse apprend d’un juif la leçon contre Jésus: la mère de Jésus aurait été chassée par son mari parce que suspectée d’adultère avec un soldat romain du nom de Panthera. Tertullien, soutient que les ennemis de Jésus le qualifient de fils d’un forgeron et d’une prostituée. Toutes ces données se retrouvent dans les Toledoth. «Il y en a suffisamment pour supposer l’existence d’histoires alternatives aux Evangiles circulant parmi les opposants au christianisme» (9). Il faut cependant arriver au IXème siècle pour avoir une information précise d’une histoire complète sur Jésus, racontée par les Juifs. Le premier à en parler explicitement est St Agobard, archevêque de Lyon (778-840). Dans le De Judaicis superstitionibus, St Agobard écrit: «Les Juifs disent que Jésus avait été un jeune honorable chez eux... et qui avait eu de nombreux disciples; à l’un d’eux, à cause de sa dureté et de sa torpeur mentale il avait donné le nom de Céphas, c’est-à-dire Pierre. (...) Enfin, accusé de nombreux mensonges, il fut incarcéré par décision de Tibère, parce qu’il avait fait grandir dans le sein de la fille de celui-ci... un fœtus de pierre. Il fut donc pendu à une potence comme un méprisable magicien, et là, frappé avec une pierre à la tête il fut tué; il fut enseveli à côté d’un aqueduc... mais la nuit il fut submergé par un débordement imprévisible des aqueducs; par ordre de Pilate il fut recherché pendant douze mois et ne fut pas trouvé. Alors Pilate promulgua une loi de ce type: “Il est évident qu’il est ressuscité comme il avait promis, celui que vous avez été tué par envie...”. Mais toutes ces choses furent inventées par les scribes... dans le but d’annuler l’entière vérité de la valeur de la passion du Christ» (10). «Les découvertes de ce siècle - commente Di Segni - ont donné une nouvelle importance à la note d’Agobard; celui-ci est, par exemple, le seul à parler d’un fœtus de pierre dans le sein de la fille de César; la circons- tance est confirmée et amplement expliquée dans le fragment araméen publié par Ginzberg en 1928. Par le successeur d’Agobard, Amolon (archevêque de Lyon de 841 à 852), nous apprenons d’autres détails. Le texte est l’Epistola (ou le Liber) contra Judeos, attribué de manière erronée par certains auteurs à Raban Maure. L’auteur cite en général les accusations blasphématoires que les Juifs adressent à la religion chrétienne, parmi lesquelles certaines revêtent un intérêt pour notre analyse: «Nous appelons les saints Apôtres ‘apostats’... Ils ne savent pas que Jésus fut suspendu à la croix avec des clous... mais disent de façon infamante, qu’il fut puni de la même manière que les brigands qui étaient pendus en même temps; et... il fut déposé du bois et jeté dans le sépulcre dans un jardin rempli de choux, afin que la terre ne soit pas contaminée. Ils appellent NotreSeigneur Jésus-Christ Lui-même... dans leur langue Dissipator Ægyptius... Le culte que dans le monde entier lui prêtent les fidèles, ils l’appellent culte de Baal et religion d’un dieu étranger... Ils reconnaissent qu’il fut impie et fils d’impie, c’est-à-dire d’un certain païen qu’ils appellent Pandera, par qui ils disent que la mère du Seigneur fut corrompue et dont naquit celui auquel nous croyons» (11). Le témoignage de Raban Maure, archevêque de Mayence en 847, date de la même époque. Dans son ouvrage Contra Judeos, il rapporte les mêmes informations qui nous ont été transmises par Amolon: naissance d’un adultère avec un païen appelé Pandera, la punition comme brigand, la sépulture dans le jardin des choux, etc. Le témoignage suivant remonte à la fin du XIIIème siècle. Raimondo Martini, dominicain, fut l’auteur de plusieurs écrits contre les Musulmans et les Juifs. Dans le Pugio Fidei (le poignard de la foi) l’auteur rapportait une histoire que les Juifs racontaient sur Jésus, en la faisant précéder de cette introduction: «Puisque Notre-Seigneur Jésus-Christ accomplit d’innombrables miracles possibles qu’à Dieu seul, la perfidie juive, à qui ne manque jamais la ruse du renard, essaya de dégrader par des blasphèmes tout cela. Ils composèrent donc contre le Christ un livre dans lequel ils inventèrent cette fable» (12). Suit, dans l’ordre chronologique, un précieux témoignage juif. Il s’agit de l’Even Bochan (pierre de vérification) écrite en 20 Espagne en 1385 par Shem Tov ibn Shaprut. «Un chapitre de ce livre est dédié à la réfutation des thèses antijuives... Shem Tov fournit des informations fondamentales sur les Toledoth» (13). Les Toledoth furent condamnées par l’antipape Benoît XIII, le 11 mai 1415. Le confesseur de l’antipape était St Vincent Ferrier, très zélé dans la lutte contre le Judaïsme talmudique. LA TRADITION TEXTUELLE 1) Classification Il est nécessaire de procéder à une classification de la production des Toledoth Jeshu à partir de leurs sources, qui consistent tant en manuscrits qu’en éditions imprimées de textes dont on a perdu la source originale. Aujourd’hui on compte plus de cent compositions de Toledoth. La langue utilisée dans la plupart d’entre eux est l’hébreu, mais il existe des versions en araméen, judéo-allemand, judéo-espagnol, judéo-arabe. L’extrême variété des versions requiert une classification du matériel. La première distinction à faire est entre trois groupes principaux, qui ont été appelés du nom de ceux qui, dans le texte, jugent Jésus: Pilate (P), Hélène (E), Hérode (H). Le premier groupe est le plus ancien, le second est le plus vaste et est caractérisé par la présence de la reine Hélène. Le dernier groupe est celui de l’édition imprimée par Huldricus en 1705. 2) Le groupe «Pilate» (P): les Toledoth en araméen A la fin du XIXème siècle, l’existence des Toledoth en araméen était connue uniquement grâce au témoignage d’un juif converti Avner Alfonso, rapporté par Shem Tov ibn Shaprut à la fin du XIVème siècle. «Mais de ce texte on ne possédait que les quelques lignes récapitulatives de Shem Tov. La réouverture, à la fin du dix-neuvième siècle, de la Ghenizah, la salle de dépôt des livres usagés de la synagogue du Caire, permit finalement la première connaissance directe des textes araméens des Toledoth» (14). 3) Le groupe «Hélène» Le groupe «Hélène» est le plus vaste et le plus développé des Toledoth. On note la présence constante d’une reine Hélène, juge de Jésus. Le contenu nous est connu, depuis le XIIIème siècle, grâce au témoignage de Raimondo Martini. «Dans l’ensemble du groupe “Hélène” on peut identifier un type particulier que nous avons défini comme “italien”. Ce nom vient d’une série d’indices qui indiquent l’Italie comme le lieu où ce type particulier a été, sinon précisément écrit à l’origine, du moins conservé et transmis avec des caractères particuliers. Les manuscrits sont presque tous en caractères hébreux italiens; dans le texte apparaissent même des mots italiens... en transcription juive» (15). 4) La première édition imprimée des Toledoth La première édition imprimée des Toledoth fut publiée en 1681. «Le texte apparut dans un recueil d’écrits juifs de polémique antichrétienne, accompagnés d’une traduction latine et de longues et savantes réfutations. Le titre de l’ouvrage était Tela ignea Satanæ (les traits de feu de Satan); l’auteur Johann Christof Wagenseil, savant orientaliste, né à Nuremberg le 23 novembre 1633... Le livre fut imprimé à Altdorf en Bavière près de Nuremberg... Wagenseil... fit preuve de courage en diffusant un ouvrage dont on connaissait l’existence, mais qui par sa seule nature ne pouvait pas ne pas être regardé comme un texte dangereux. (...) En 1704 il publia en allemand une dénonciation “à tous les magistrats chrétiens pour les amener à empêcher les blasphèmes des Juifs contre Jésus-Christ et la religion chrétienne”. (...) Après la publication ce texte a eu une large diffusion parmi les chrétiens et les juifs... Considéré par les critiques comme l’un des meilleurs textes des Toledoth» (16). 5) Le groupe «Hélène». Le type «Slave» Ce type représente la version la plus récente des Toledoth. En effet la production des Toledoth a continué jusqu’à la fin du siècle dernier. Le nom de «Slave» a été conféré par Krauss et par Bischoff en considération des nombreux indices qui indiquent cette provenance, comme la transcription de noms slaves. Ce groupe est caractérisé par de notables aspects particuliers: l’extrême 21 prolixité du récit, d’abondantes idées satyriques et fortement polémiques, des citations bibliques et talmudiques. 6) Le groupe «Hérode»: l’édition de Huldricus des Toledoth En 1705, était publié en Hollande, à Leyde, un texte des Toledoth complètement différent. Le responsable de l’édition était Huldreich, théologien d’origine suisse qui avait effectué des études d’hébreu d’abord à Brême, puis en Hollande. Il eut la chance d’avoir entre les mains un texte jusqu’alors inconnu du public, dans lequel les idées polémiques sont particulièrement enflammées; il semble que l’origine de cette œuvre doive être recherchée en Allemagne. LES TEXTES DES TOLEDOTH: 1) Les Toledoth en araméen Pour donner au lecteur une idée plus précise je rapporterai les passages les plus intéressants des textes des Toledoth, renvoyant le lecteur désireux d’approfondir le sujet au livre de Riccardo Di Segni. L’interrogatoire de Jean-Baptiste Le Baptiste avait été enfermé en prison «parce qu’il avait corrompu beaucoup de personnes du peuple de Judée» (17). Il lui fut demandé: «Si, sur ces livres de sorcellerie trouvés entre les mains de Jeshu ton disciple, tu nous disais la vérité, nous te libérerions, sinon toi et Jeshu serez passés au fil de l’épée» ( 18). Jean-Baptiste répondit: «Ces livres ont été écrits par Jeshu... c’est lui et les onze disciples qui les ont écrits et avec eux séduisent le peuple» (19). Le Baptiste et Jésus furent amenés à Tibériade et Jean fut crucifié et enseveli, «après lui ils portèrent Jeshu et tentèrent de le crucifier; mais quand il vit qu’il y avait une croix prête pour lui il dit une formule magique et s’envola de leurs mains, en l’air, comme un oiseau» ( 20). Un jardinier vola derrière lui, mais «quand Jeshu le mauvais le vit, il alla se cacher dans la grotte de Elihau, dit une formule magique et ferma la porte de la grotte» (21). Le jardinier alors alla à la porte de la grotte et par une formule réussit à l’ouvrir, «Jeshu le mauvais transforma sa personne en un volatile, un coq, et alla se poser sur le mont Carmel; jusqu’à ce qu’arriva R. Jehudah le jardinier qui le saisit par la crête et le porta à R. Jehoshua’ ben Perachiah; il l’éleva et le crucifia sur le tronc d’un cyprès. Avant qu’il le suspende à la croix, Jeshu, (...) demanda d’appeler les personnes qu’il avait induites en erreur et leur dit: “Si vous veniez demain et que vous ne trouviez ni moi ni mon corps sans vie sur la croix, c’est parce que je serai monté au firmament du ciel et vous ne pourrez pas me voir”. Ils le suspendirent vivant à la croix et le lapidèrent et il mourut sur la croix... Ils le descendirent de la croix et l’ensevelirent dans un cours d’eau dans le jardin de R. Jehudah le jardinier. Quand ensuite arrivèrent les hommes que Jeshu avait induits en erreur et qu’ils ne le trouvèrent pas sur la croix, ils furent frappés de frayeur; ils prirent les juifs et leur dirent: “C’est vrai ce que nous a dit notre seigneur Jeshu que les juifs sont des menteurs; si vous l’avez mis sur la croix, où est son corps? C’est donc vrai qu’il est allé au ciel”. Immédiatement Pilate appela... le jardinier et lui demanda: “Qu’as-tu fait du corps de Jésus?”. R. Jehudàh répondit: (...) si le seigneur veut je le porterai et montrerai son corps à ces personnes, afin qu’elles sachent que Jeshu est malfaisant”. R. Jehudàh le jardinier partit donc et le tira hors de la tombe; il attacha une corde aux jambes et le traîna à travers toutes les rues de Tibériade (...). Ils le portèrent à Pilate, qui fit appeler tous ses disciples qu’il avait induits en erreur, et il y en eut qui crurent et qui ne crurent pas (...). Que celui qui a fait un jugement avec le mauvais Jeshu juge rapidement et punisse ceux qui haïssent son peuple et tous ceux qui... sont allés rendre un culte au mauvais Jeshu» (22). 2) Le groupe «Hélène». Le manuscrit de Strasbourg «Sa mère Miriam était juive et avait un mari qui était d’origine royale, de la maison de David; il s’appelait Jochannan... Il y avait près de la porte de sa maison, (...) un homme de bel aspect, ...Josef ben Pandera. Il l’avait regardée, et une nuit... il passa ivre devant sa porte; il entra chez elle et elle pensa que c’était son mari... Il l’embrassa, tandis quelle lui disait: “Ne me touche pas, j’ai mes règles”; il... ne se préoccupa pas de ses paroles et coucha avec elle et elle tomba enceinte de lui. A 22 minuit arriva son mari... elle lui dit: “Qu’estce que c’est que ça? Ce n’était pas ton habitude depuis que tu m’as épousée, de venir à moi deux fois en une nuit”. Il répondit: “C’est la première fois que je viens à toi cette nuit”. Elle dit: “Tu es venu à moi et je t’ai dit que j’avais mes règles et tu ne t’en est pas préoccupé et tu as fait ce que tu voulais et tu t’es en allé”. Dès qu’elle eût entendu cela, elle reconnut tout de suite que Josef ben Pandera l’avait regardée et que c’était lui qui avait fait cette action. (...) Après quelques jours la rumeur se répandit que Miriam était enceinte. Son mari dit: “Elle n’est pas enceinte de moi; dois-je rester là à avoir honte continuellement devant tout le monde?” Il partit et s’en alla en Babylonie. Après [quelques temps] Miriam [engendra] un fils qui fut appelé Jehoshua’ [Josué]... mais après que l’on découvrît son irrégularité ils l’appelèrent Jeshu [Jésus]» (23). De plus les Toledoth poursuivent en racontant que Jésus «est un bâtard et fils de femme qui a ses règles» (24) et que «quand Miriam fut enceinte il [le mari] pour sa grande honte, partit en Babylonie et ne revint plus; et que Miriam avait accouché de Jeshu mais n’était pas pour cela passible de mort, puisqu’elle ne l’avait pas fait consciemment; puisque Josef ben Pandera était un habitué des prostituées... Et après que la chose sur Jésus fut connue, qu’il était bâtard et fils de femme ayant ses règles et qu’ils l’avaient condamné à mort [comme rebelle à la tradition depuis les origines], il sortit et s’enfuit à Jérusalem» (25). Les histoires de Jésus continuent soutenant que: «Dans le Sanctuaire [de Jérusalem c’est-à-dire dans le Temple détruit par les Romains, n.d.a.] il y avait la “pierre de fondement”... et sur elle étaient écrites les lettres du nom divin et quiconque les apprenait pouvait y faire tout ce qu’il désirait. Les docteurs craignaient que les jeunes juifs les apprennent et avec elles détruisent le monde, et ils avaient élaboré un système pour l’empêcher: des chiens de bronze suspendus sur deux colonnes de fer vers la porte du flambeau. Si quelqu’un entrait et apprenait ces lettres, à la sortie les chiens aboyaient contre lui, et en les voyant il oubliait les lettres. Jeshu vint et les apprit et les écrivit sur un parchemin; il s’incisa la cuisse et y mit le parchemin avec ces lettres; afin que l’entaille de sa chair ne lui cause pas de douleur il remit donc la peau à sa place; et quand il sortit les chiens de bronze aboyè- rent contre lui; les lettres s’effacèrent de son esprit; mais il alla chez lui, coupa avec un couteau sa chair, prit l’écrit et apprit les lettres; et il partit et rassembla 310 jeunes d’Israël» (26). Toujours d’après les Toledoth Jésus dit à ses disciples que les Scribes et les Docteurs de la Loi disaient de lui qu’il était bâtard et fils de femme ayant ses règles. «Considérez au contraire que tous les Prophètes ont prophétisé sur l’Oint du Seigneur et je suis cet Oint... Il [le Seigneur ] m’a engendré sans rapport sexuel avec ma mère, alors qu’il m’appellent bâtard. (...) Ils apportèrent un estropié... je prononçai sur lui les lettres (divines) et il se mit sur pieds. Alors tous s’inclinèrent et dirent: “C’est le Messie”. (...) Quand les docteurs virent qu’ils croyaient tant en lui, ils le prirent et l’amenèrent à la reine Hélène, dans les mains de qui était la terre d’Israël. Ils lui dirent: “Cet homme connaît les arts et induit en erreur le peuple”» (27). «Les anciens... continuent les Toledoth - allèrent prendre un homme du nom de Jehuda [Judas] Iscariote, et l’introduisirent dans le Saint des Saints; il apprit les lettres du nom divin qui étaient gravées sur la “pierre de fondement” et les écrivit sur un petit parchemin et il s’incisa la cuisse en prononçant le nom divin pour qu’il il ne lui fît pas mal, comme Jeshu l’avait fait avant. Quand Jeshu s’assit avec sa compagnie près de la reine, celle-ci fit appeler les docteurs. (...) Quand les docteurs entrèrent avec Jehuda Iscariote, ils présentèrent leurs arguments contre lui... jusqu’à... ce qu’il élevât les bras comme les ailes de l’aigle et s’envolât... Les anciens d’Israël dirent à Jehuda Iscariote: “Prononce toi aussi les lettres sacrées et monte derrière lui”. Il fit aussitôt ainsi et vola au ciel. (...) Iscariote l’embrassa pendant qu’il volait; aucun des deux ne pouvait vaincre l’autre en le faisant tomber à terre avec le nom sacré, puisque le nom sacré était possédé par tous les deux. Quand Jehuda vit que les choses restaient ainsi, il fit une mauvaise action et urina sur Jésus qui devint impur et tomba à terre et Jehuda aussi avec lui » (28). Enfin il fut tué le Vendredi de la veille de Pâques et ils l’ensevelirent. «Les fous pensèrent alors à le chercher dans la tombe et ne le trouvèrent pas. Les séditieux allèrent alors dire à la reine Hélène: “La personne qu’ils ont tuée était le messie... or après sa mort ils l’ont enseveli, mais il n’est plus dans la tombe, parce qu’il est déjà monté au ciel... Les sages 23 toire de Josef Pandera, époux de Miriam, et du voisin Jochannan le mauvais, qui par un stratagème coucha avec Miriam quand elle avait ses règles et la mit enceinte. Le mari Josef décida d’abandonner sa femme, puisque «on savait qu’avec lui elle était stérile et n’avait pas eu d’enfants depuis longtemps... A la fin se répandit par toute la ville la nouvelle que Miriam l’épouse de Josef attendait un enfant... et qu’elle appela Jehoshua’... Jochannan... révéla la chose et dit à tout le monde que cet enfant était son fils... Quand le garçon grandit il le mit à l’école pour étudier la Torah et ce bâtard était intelligent et en une journée il apprenait ce que les autres n’apprenaient pas en une année» (30). 4) Les Toledoth slaves Le récit de la mort de Marie dans l’édition Huldricus; à côté du texte hébreu la traduction latine et le commentaire étaient épouvantés et ne savaient que répondre. Ceci parce qu’une personne l’avait sorti de la tombe et l’avait porté dans son jardin; il avait barré le cours d’eau qui y passait, avait creusé dans le sable et l’avait enseveli; après il avait fait rentrer les eaux dans leur cours, sur la tombe. (...) Les juifs étaient tous affligés... Les séditieux saisirent l’occasion pour dire: “Vous avez tué l’Oint du seigneur”. (...) Le maître du jardin dit: “Aujourd’hui il y aura en Israël soulagement et joie, puisque je l’ai enlevé, pour empêcher que les séditieux ne se le prennent pour avoir un prétexte dans les générations futures”. (...) Ils lièrent des cordes aux pieds de la dépouille et la traînèrent par les rues de Jérusalem, jusqu’à la reine; ils lui dirent: “Celui-ci est le même qui est monté au ciel”. Ils la quittèrent avec joie, alors qu’elle raillait les séditieux et louait les docteurs» (29). 3) Les textes italiens La naissance de Jésus Dans les textes italiens on retrouve l’his- Naissance, enfance et adolescence de Jésus On parle toujours de Miriam, de son mari Jochannan et de Josef Pandera. Cette fois intervient la mère de Josef et elle invite chez elle Miriam, pour un repas. Durant le banquet les invités mangèrent et burent, et après le repas s’éloignèrent de la salle. Ainsi Josef et Miriam restèrent seuls, Miriam comprit les mauvaises intentions de Josef et réussit à s’enfuir. Alors Josef chercha de devenir ami avec Jochannan, y réussit, et put ainsi se rapprocher de Miriam, qui essaya de mettre en garde son mari contre le pervers Josef mais n’y réussit pas. Un samedi Josef invita Jochannan à dîner et lui fit boire beaucoup de vin. Quand Josef vit que Jochannan dormait désormais profondément il alla frapper à la porte de Miriam et lui dit à voix basse, pour ne pas être reconnu: Je suis Jochannan ton époux, j’étais à table avec Josef et maintenant à cause de la forte pluie je ne peux aller chez moi, faismoi entrer. «Miriam alla ouvrir la pièce, en pensant que c’était Jochannàn; quand Josef entra dans la pièce il fit semblant de réciter le Shema, [que l’on récite avec une main sur le visage] jusqu’à ce qu’il fût arrivé à son lit, l’embrassa... Miriam eut peur et dit: “Que fais-tu! Je ne suis pas pure!”... Josef lui répondit doucement, afin qu’elle ne reconnaisse pas la voix: “Mais non, une nouvelle règle a été donnée à l’école aujourd’hui par mon maître, selon laquelle le fiancé peut avoir des rapports avec sa fiancée, même si elle a ses règles”. Et puisque les femmes se laissent facilement séduire, ce malfaisant s’unit 24 à elle et coucha avec elle, qui pensait qu’il était son fiancé Jochannan» ( 31). Le lundi Miriam rencontra son fiancé et lui demanda une explication, mais Jochannan ne savait rien et commença à soupçonner Josef. Après trois mois toute la ville de Jérusalem sursauta: Miriam était enceinte de son fiancé Jochannan. Jochannan s’enfuit en Babylonie. Après que Jochannan s’enfuit de Jérusalem, Josef le mauvais «alla chaque jour chez Miriam, jusqu’à ce qu’il réussît à la séduire et elle se donna à lui comme une prostituée; après neuf mois elle accoucha d’un bâtard fils de femme ayant ses règles [Jeoshua’]... Après que celui-ci eût agi de manière incorrecte les sages du Sanhédrin l’appelèrent Jeshu, comme marque que “soit effacé son nom et son souvenir”. Ce bâtard grandit et sa mère le mit à l’école de R. Jehoshua’ ben Perachiah, en disant qu’il était le fils de Jochannan, et il y resta jusqu’à ce qu’il se ruinât; et ce mauvais était complètement adonné à l’étude, exceptionnellement doué et expert dans les doctrines ésotériques» (32). 5) La version Huldricus Dans cette version il n’y a rien de nouveau concernant la conception de Jésus, excepté le nom du mari de Miriam, qui ici est Pappos ben Jehudah, alors que le corrupteur est toujours Josef Pandera. Par contre dans cette version, on parle de la fuite en Egypte et du massacre des innocents. Un nouveau détail est introduit: Jésus extorque la vérité sur sa conception irrégulière de Miriam, lui Manuscrit d’Amsterdam écrasant les seins entre les gonds de la porte et pris de colère tue son père Josef Pandera. Jésus est enfin mis à mort et suspendu à un bois hors de Jérusalem. Le soir même Judas s’approprie le corps et le met dans son jardin, sur un tas d’ordures. Les adeptes de Jésus racontent que leur maître était ressuscité et monté au ciel trois jours après sa mort. Enfin le chiffre de la bête 666 correspond à Jésus le Nazaréen. «C’est une des plus subtiles méchancetés des Toledoth; elle veut retourner dans le sens antichrétien une... prophétie de l’Apocalypse» (33). Enfin Miriam meurt et elle est ensevelie sous le bois où Jésus avait été suspendu. L’HISTOIRE DANS LES TOLEDOTH Introduction Après avoir rapporté certains passages des Toledoth, passons maintenant à l’examen critique de leur contenu. D’un point de vue historique on remarque tout de suite dans tous ces récits une grande confusion de dates, de personnes et de lieux. Les faits contrastent avec les informations qui nous sont fournies par la littérature chrétienne et en outre on relève plusieurs contradictions entre les différentes versions des Toledoth elles-mêmes. Ces discordances ne sont pas dues au hasard, mais proviennent de la superposition dans un même texte de traditions différentes. La raison principale de l’anachronisme qui caractérise toutes les Toledoth est l’existence de certaines traditions talmudiques qui parlent de Jésus et placent le début de son activité à une époque beaucoup plus ancienne que l’époque réelle. La source principale à ce propos est un enseignement rabbinique en langue hébraïque antérieur à 200 après J.-C., complété par des traditions successives en langue araméenne. «La substance des traditions talmudiques à propos de Jésus est celle-ci: Jésus appartenait au groupe restreint de disciples qui suivit l’un des maîtres contraint à l’exil égyptien par les Asmonéens. Au moment du retour, entre le maître et l’élève il y eut une rupture pour des motifs futiles; le maître excommunia... le disciple parce qu’il... avait fait trop attention à l’aspect physique, et aux défauts de la patronne de l’auberge qui les accueillait. Jésus... accepta la punition et se 25 mit à demander pardon plusieurs fois à son maître. Quand à la fin celui-ci estima qu’était arrivée l’heure de le pardonner, par une banale méprise le disciple ne comprit pas le geste de salut du maître, et en tira la conviction que désormais pour lui il n’y avait pas de pardon; ce fut ce qui le poussa à une rébellion définitive contre les maîtres et contre la foi» (34). Quant au personnage de la reine Hélène, il faut se demander à qui se réfère exactement le texte et il semblerait s’agir de la mère de Constantin. Selon une légende Hélène aurait été attirée d’abord par le Judaïsme, alors que son fils Constantin, influencé par le Pape St Sylvestre, fut attiré par le Christianisme. Pour résoudre la question, le Pape organisa une dispute avec douze rabbins, en présence de l’empereur. Durant le débat le rabbin, appelé Zamberi, tua un bœuf en murmurant le nom de Dieu, mais St Sylvestre démontra sa supériorité en ressuscitant l’animal, avec la simple invocation du nom de Jésus; alors les rabbins et les païens se convertirent au Christianisme. Différentes versions de la naissance de Jésus Jusqu’aux premiers siècles de l’ère chrétienne, le dogme de l’Incarnation du Verbe et de la naissance virginale de Jésus suscita des réactions malveillantes et des calomnies haineuses de la partie adverse. Il y eut une énorme diffusion d’histoires alternatives à la Tradition chrétienne. Celse lui-même (auteur païen) reprit de sources juives la version selon laquelle Jésus était né d’un adultère consommé par sa mère, femme d’un artisan, avec un soldat du nom de Panthera. Selon une autre calomnie, rapportée par Tertullien, Jésus aurait été le fils d’une prostituée (quæstuaria). Selon St Jérôme la généalogie de Jésus était très discutée parmi les juifs romains. Le Talmud, dans différents passages (Tosefta Chul. 2:22-23, TP Shab. 14: 4) appelle Jésus ben (fils de) Pantera ou simplement Pantera, et c’est le même Jésus qui dans des passages parallèles est appelé hanotzrì (Nazaréen). Le terme Pantera semble être «un anagramme du terme grec Partenos qui indique la vierge; c’est pourquoi à qui appelait Jésus fils de la vierge on opposait de manière polémique un nom qui cachait une accusation infamante: celle d’adultère avec quelqu’un qui portait un nom étranger... le nom veut contester l’hypothèse de la naissance virginale par une accusation infamante» (35). «Parmi les autres interprétations... Pantera signifie pratiquement prostituée» (36). Un autre point à approfondir est la question du mamzer qui peut être traduit comme “bâtard”. Au bâtard est interdit le mariage avec une juive, pour en empêcher la perpétuation. L’accusation adressée à Jésus d’être bâtard «doit être lue de manière polémique contre le dogme de la virginité, de la naissance sans péché, et du fait d’être fils de Dieu» (37). Toutefois d’après la loi juive, pour qu’un adultère donne lieu à un enfant bâtard, il est nécessaire que les deux parents soient juifs (Shulchan ‘Arukh, Even ha’ ezer 4: 19). Donc si Jésus pour les Toledoth doit être considéré comme un bâtard, même le père physique doit être juif. Or les sources non juives, qui rapportent les calomnies païennes et juives, sont d’accord pour préciser que Pantera (le père physique de Jésus) n’était pas juif, mais était un soldat romain. Les sources juives des Toledoth, ont réussi à faire convertir au Judaïsme le séducteur, c’est pourquoi Jésus serait un bâtard dans tout le sens du terme. Le nom de Jésus Le nom juif Jeshu, doit être expliqué comme une forme péjorative dérivée du nom d’origine de Jehoshua’: Josué. «Le nom trilitère serait un sigle de l’expression d’origine biblique qui en italien signifie “que soit effacé son nom et son souvenir”. Et c’est justement pour ce motif que le nom Jeshu dans plusieurs textes est écrit avec des guillemets additionnels, pour souligner qu’il s’agit d’un sigle» (38). 4) Jésus et la magie Les Toledoth ne nient pas les miracles faits par Jésus et rapportés par la Tradition chrétienne. Mais ils essayent d’en démontrer la nature maléfique en les présentant comme de la magie et de la sorcellerie. «Jésus par ses miracles est attaqué précisément à cause de l’usage et de la présentation qu’en font les textes chrétiens: pour ces derniers les miracles sont la démonstration de la nature divine de Jésus, alors que c’est inconcevable pour le juif orthodoxe... du point de vue de l’orthodoxie [juive] les miracles sont considérés comme 26 une œuvre diabolique. (...) Du côté juif, dans les sources talmudiques disponibles, la magie est le premier des délits contestés à Jésus. Déjà dans les premières Toledoth, d’après ce qu’en rapporte Agobard, Jésus est considéré comme “magum detestabilem”» (39). Dans la tradition juive on admet communément que les pouvoirs magiques peuvent arriver à l’homme de différentes sources: par l’exploitation des forces occultes, maléfiques et démoniaques; ou par l’usage de la force particulière qui découle du nom divin. THEORIES SUR LES ORIGINES DES TOLEDOTH «Les critiques ont longtemps discuté du problème des origines des Toledoth (...) après des recherches philologiques approfondies, des hypothèses plutôt fantastiques ou tout au moins pas soutenues par la même rigueur qui avait accompagné l’étude des détails du texte, ont été avancées » (40). Les hypothèses les plus communes sont substantiellement au nombre de deux: la première fut avancée par Krauss en conclusion de son livre de 1902. D’après lui les Toledoth proviennent des récits sur Jésus contenus dans le livre du Josippon (petit Joseph), une chronique juive qui raconte l’histoire juive et romaine de manière comparative, et qui se présente comme une sorte de condensé de l’œuvre historique de Joseph Flavius (à qui elle est aussi attribuée par une tradition bien établie). «Puisque dans le Josippon que nous connaissons maintenant, les passages relatifs à Jésus... sont plutôt limités, Krauss émit l’hypothèse de la dépendance des Toledoth non de l’actuel Josippon, mais de l’épreuve initiale (UrJosippon), qui aurait consacré plus de place au sujet. On a tout de suite vu que cette histoire n’avait pas de motifs solides pour résister à une critique. Avant tout pour la datation du Josippon: un accord général existe parmi les critiques dans la datation de l’œuvre, même dans sa forme initiale, pas avant le Xème siècle; tandis que nous savons bien que les Toledoth, au moins sur la base de ce que dit Agobard, existaient depuis longtemps... Toute la théorie de Krauss s’effondre. Il est vrai... qu’il y a eu des contacts entre les Toledoth et cette œuvre... mais tout fait penser que l’auteur de l’interpolation a copié à partir des Toledoth et non vice-versa» (41). La seconde hypothèse importante sur les origines des Toledoth, considère le rapport probable avec la littérature apocryphe chrétienne. «Le problème a été posé par des critiques de façon trop schématique, et c’est ce qui ôte toute crédibilité aux thèses soutenues... aussi le problème reste-t-il ouvert en substance » (42). Voulant tirer une conclusion à partir de tous les éléments que l’excellent travail de Di Segni a mis en évidence nous pouvons dire que la production des Toledoth «est un processus continu d’accumulation de matériel et de nouvelle élaboration systématique» (43). Parler d’un noyau unique et initial du récit (Ur-Toledoth), comme fait Krauss, paraît absurde. Le noyau, à supposer qu’il existe, n’est pas seul; il y a tant de noyaux de provenances diverses qu’ils convergent en une narration en continuelle évolution et qui sont réadaptés librement. Donc - pour Di Segni - cela n’a aucun sens de parler d’une unique source apocryphe qui aurait été le modèle sur lequel l’auteur présumé des Ur-Toledoth aurait bâti son œuvre. Il n’y a pas un seul auteur des Toledoth, mais plusieurs auteurs et plusieurs sources. Tout ceci ne signifie pas que les Toledoth n’ont aucun rapport avec les Apocryphes chrétiens; le contact avec eux est même très étroit et n’est pas limité à une source unique. Les Toledoth sont le lieu de confluence, entre autres, d’une quantité de traditions chrétiennes apocryphes, souvent complètement hétérodoxes; les auteurs des Toledoth les ont connues, reprises et transmises. Quant à la datation des différents noyaux des Toledoth, chacun d’eux est de provenance et de date différentes, «il est certain que beaucoup de noyaux initiaux sont d’époque lointaine, des premiers siècles... puis on arrive au minimum au Xème siècle pour certaines sources de la légende de Simon Pierre, et au moins au XIIIème siècle pour le “roman” de la naissance de Jésus. (...) La réalité est que les Toledoth sont un processus de très longue évolution» (44). Epilogue Di Segni écrit “Il est difficile de dire, étant donné que chez les juifs il n’existe pas de dogmes ou de doctrines canoniques, ce qu’est Jésus pour les juifs; il est plus facile de spécifier ce qu’il n’est pas... Il ne peut être ni Dieu, ni Fils de Dieu dans le sens où on l’entend dans le dogme de la Trinité. Une telle 27 conception est pour les juifs non seulement un sacrilège et un blasphème, mais une chose incompréhensible. Il n’est même pas un Messie... il ne peut pas être non plus considéré comme un Prophète» (45). Le refus de la divinité de Jésus de la part d’un grand nombre de Juifs a donné lieu à une littérature polémique de contre-information calomnieuse à l’égard du Fondateur du Christianisme. “Le judaïsme a vis-à-vis du christianisme une haine viscérale, doublée d’ignorance” (46). Les Toledoth représentent une sorte d’Anti-évangile juif; malheureusement nous remarquons que les mêmes histoires calomnieuses sur Jésus sont contenues dans le Talmud et dans la “littérature post-talmudique, qui est ensuite l’unique chose en laquelle les juifs aient cru pendant tout le XIXème siècle et que beaucoup, spécialement en Israël, croient encore aujourd’hui. Ces récits eurent un poids déterminant dans la formation de l’attitude négative des juifs par rapport au christianisme”. “Cette attitude... provient de la haine envers Jésus et des épithètes injurieuses accumulées au cours des siècles pour le définir” (46). 21) Ivi. 22) Ibid., pp. 49-50. 23) Ibid., pp. 51-52. 24) Ibid., p. 53. 25) Ibid., pp. 53-54. 26) Ibid., p. 54. 27) Ibid., pp. 54-55. 28) Ibid., p. 57. Dans la note 40 on lit: «La formule qui apparaît ici n’explique pas ce qui serait effectivement arrivé. En réalité l’impureté ne vient pas de l’urine, mais de l’émission de sperme... Dans le texte cité par Petrus Niger, en 1475, il y aurait eu aussi un acte de sodomie. Il semble que la brutalité de la légende ait embarrassé même les copistes». 29) Ibid., pp. 61-62. 30) Ibid., pp. 69-70. 31) Ibid., pp. 77-78. 32) Ibid., pp. 79-80. 33) Ibid., pp. 93, 96; note n° 43. 34) Ibid., p. 102. 35) Ibid., p. 114. 36) Ibid., note n° 5, p. 114. 37) Ibid., p. 119. 38) Ibid., p. 132. 39) Ibid., p. 145. 40) Ibid., p. 216. 41) Ivi. 42) Ibid., p. 217. 43) Ivi. 44) Ibid., p. 219. 45) Ibid., p. 223. 46) ISRAEL SHAHAK. Histoire juive - Religion juive. Le poids de trois millénaires. La Vieille Taupe, Paris 1996, p. 199. Notes 1) R. D I S EGNI , Il Vangelo del Ghetto, Newton Compton Editori, Roma 1985, p. 9. Cf. aussi: J. MAIER, Gesù Cristo e il cristianesimo nella tradizione giudaica, Paideia ed., Brescia 1994. R. DI SEGNI, La traduzione testuale delle Toledoth Jeshu, in «La Rassegna Mensile d’Israel», n° 50, 1984, pp. 84-100. Cf. également G. STEMBERGER, Il Talmùd. Introduzione, testi, commenti, E. D. B., Bologna 1997. 2) Ibid., p. 10. Riccardo Di Segni, rabbin romain, conseiller de l’Institut Supérieur des Etudes Juives, est l’auteur de la première traduction italienne des Toledoth, sur laquelle je m’appuie pour le présent article. De nombreux indices indiquent l’Italie comme le pays où les Toledoth se seraient développées. 3) Ibid., p. 11. 4) Ivi. 5) Ivi. 6) Ibid., pp. 14 et 16. 7) Cf. Sodalitium, n° 36, pp. 4-11. 8) R. DI SEGNI, op. cit., p. 17. 9) Ibid., p. 18. 10) P. L. 104: 87-88. 11) R. DI SEGNI, op. cit., p. 20, P. L. 116: 141, 184. 12) Pugio Fidei, II partie, ch. 8. 13) R. DI SEGNI, op. cit., p. 21. 14) Ibid., p. 30. 15) Ibid., p. 35. 16) Ibid., p. 37. 17) Ibid., p. 45. 18) Ivi. 19) Ivi. 20) Ibid., p. 49. Archéologie LE TOMBEAU DE PIERRE ET LE PRIMAT DE ROME Par M. l’abbé Curzio Nitoglia Le tombeau de Pierre L a tradition de l’Eglise veut que Pierre, choisi par Jésus pour être son Vicaire sur la terre, vînt à Rome et y mourût martyr, durant la persécution de Néron, crucifié la tête en bas, et qu’il fût enseveli au Vatican, près du lieu de son glorieux martyre. Sur sa tombe, devenue très vite objet de vénération, au IVème siècle s’éleva de par la volonté de Constantin, la première Basilique vaticane. Cette tradition s’offre aux recherches de la science. Le Professeur Margherita Guarducci (autrefois titulaire de la chaire d’Epigraphie et d’Antiquité grecque à l’Université “La Sapienza” de Rome, membre nationale de l’Académie Nationale des 28 Lincei, membre ordinaire de l’Académie Romaine Pontificale d’Archéologie, membre de plusieurs autres académies italiennes et étrangères, parmi lesquelles la British Academy en Angleterre et la Mainzer Akademie en Allemagne, Présidente de la Commission pour les Inscriptiones Italiæ, et en outre l’auteur de plus de quatre cents écrits, publiés en Italie et à l’étranger) a étudié scientifiquement la question, en travaillant à partir de 1952 dans les souterrains de la Basilique Vaticane, réussissant à déchiffrer les graffiti antiques sous l’Autel de la Confession (1958) et enfin à identifier les reliques de St Pierre (1964). Dans le présent article je me base sur certains de ses livres, que je cite abondamment, et auxquels je renvoie le lecteur qui voudrait approfondir la question (1). «Le Magistère des Papes (...) ne serait pas concevable s’il n’était pas fondé à Rome, sur la tombe de l’Apôtre à qui le Rédempteur confia les clefs du Royaume des Cieux. Cette pensée fut à plusieurs reprises exprimée par Pie XII. Il était convaincu que ce n’était pas sans une volonté providentielle que Rome était devenue le centre de l’Empire d’Auguste, pour se transformer ensuite en “centre spirituel du monde chrétien”. Mais si Rome était le centre de l’Eglise universelle, le point central de ce centre était la tombe de Pierre» (2). Informations antiques sur le martyre et sur la tombe de Pierre au Vatican Deux sources, très autorisées et très proches des faits racontés, prouvent clairement que St Pierre subit le martyre au Vatican. Ce sont: St Clément de Rome et Tacite. 1) St Clément de Rome A la fin du Ier siècle le pape St Clément, un des Pères de l’Eglise, parlant de la persécution de Néron (64 ap. J.-C.), atteste que les chrétiens se rassemblèrent à cette occasion autour des Apôtres Pierre et Paul pour en obtenir la force nécessaire pour surmonter l’épreuve (Epître aux Corinthiens, I, 5-6). «Or puisque la très tenace tradition successive lie (...) Pierre au Vatican et puisque nous savons (...) avec certitude que Pierre mourut crucifié, il en résulte qu’au moins Pierre fut victime du massacre advenu en 64 au Vatican» (3). 2) Tacite Le grand historien romain, vers la fin du IIème siècle, atteste que Néron, après l’incendie de Rome (64 ap. J.-C.), inculpé par la voix populaire de l’avoir provoqué, voulut en faire endosser la faute aux Chrétiens et déchaîna contre eux une féroce persécution. Elle eut son épilogue, toujours selon Tacite (Annales, XV, 44), à l’intérieur du Cirque dans les horti [jardins] de Néron au Vatican, qui était l’unique lieu de spectacles subsistant à Rome après l’incendie de 64. C’est là que de nombreux chrétiens périrent. Les quatre principales sources littéraires sur la tombe de Pierre 1) Gaius A Rome, durant le pontificat du pape Zéphyrin (199-217), un savant fidèle romain du nom de Gaius polémiqua avec Proclus, chef des Montanistes romains. Comme Proclus vantait la présence en Asie mineure de plusieurs tombes célèbres de l’époque apostolique, Gaius opposa à ces tombes les “trophées” ou tombes glorieuses des Apôtres Pierre et Paul, existant respectivement au Vatican et sur la Voie d’Ostie. Les paroles de Gaius sont rapportées par Eusèbe (Storia ecclesiastica, II, 25, 7), le célèbre historien de l’Eglise, qui écrivait dans la première moitié du IVème siècle; il apparaît donc clairement qu’à l’époque de Gaius (IIIème siècle) et d’Eusèbe on savait que la tombe de Pierre était au Vatican. 2) Les Actes apocryphes des Apôtres attribués au sénateur Marcellus Le sénateur Marcellus, selon la tradition, aurait été l’ami de St Pierre et converti par lui. Les Actes apocryphes remontent au IVème siècle. D’après ce texte Pierre fut enseveli «dans le lieu appelé Vatican». 3) St Jérôme Dans le De viris illustribus, composé en 392, St Jérôme affirme que Pierre fut enseveli au Vatican où il est vénéré par les fidèles du monde entier. 4) Le “Liber Pontificalis” dans la “Vita” du pape Sylvestre La composition du Liber Pontificalis fut commencée au VIème siècle; or d’après cette œuvre Pierre «fut enseveli sur la via 29 “Trophée de Gaius” du IVème siècle érigé sur la tombe de l’Apôtre St Pierre Aurelia (...) près du lieu où il fut crucifié (...) au Vatican». L’existence de la tombe de St Pierre au Vatican ressort avec certitude de ces quatre témoignages. Les fouilles sous la Basilique Le 2 mars 1939 le cardinal Eugenio Pacelli fut élu Pape et prit le nom de Pie XII. Il fut le Pape qui après tant de siècles déchira le voile de mystère qui entourait la tombe de Pierre, en permettant à la science de se confronter avec la tradition et de la confirmer. Le 28 juin 1939, Pie XII donna l’ordre d’abaisser le dallage des Grottes vaticanes. C’était le commencement d’une extraordinaire entreprise. Les fouilles durèrent une dizaine d’années (1940-1949) et se conclurent à la veille de l’Année Sainte. Leur relation officielle parut en novembre 1951. Les travaux furent confiés à la responsabilité de Mgr Ludwig Kaas, secrétaire-économe de la Fabrique de Saint-Pierre, homme honnête, mais privé de préparation dans le domaine de l’archéologie; la direction qui lui était confiée était de caractère non pas scientifique mais surtout administrativo-morale. Les chercheurs qui participèrent aux travaux furent: le Professeur Enrico Josi; deux Pères Jésuites: Antonio Ferrua et Engelbert Kirschbaum; l’architecte Bruno Maria Apollonj Ghetti. Anormalité des fouilles «Il est permis de penser [commente le Professeur Guarducci] qu’il manquât parfois, entre les quatre chercheurs chargés des travaux, une complète harmonie d’inten- tions et de décisions (...) l’insuffisante cohésion entre les quatre (...) continua (...) pendant toute la durée des travaux (...). On utilisa - pour fouiller - des systèmes incroyablement primitifs et très dangereux. (...) Je crois que l’on peut affirmer que les fouilles de la période 1940-1949 ne furent pas exécutées dans les règles de l’art ou, pour le moins, selon les règles communes en vigueur dans les fouilles archéologiques. (...) Pie XII (...) me dit (...): “Si vous saviez combien cela m’a donné de la peine”. C’est une phrase très éloquente. Il en ressort (...) que, au moins à la fin, les relations entre le Pape et les personnes effectuant les fouilles ne devaient pas être des plus cordiales. Même après l’annonce faite par le Pape en 1950, il devait subsister dans l’esprit du (...) P. Ferrua, un certain ressentiment (...)» (4). Les fouilles amenèrent à la découverte, sous la Basilique vaticane, d’une vaste nécropole d’époque païenne comportant des éléments chrétiens intervenus par la suite. L’extrême zone Ouest de la nécropole se trouve sous la coupole de Michel-Ange, c’est-à-dire sous l’Autel de la Confession. Sous cet autel, les fouilles révélèrent l’existence d’une série de monuments superposés. En commençant de l’autel actuel (de Clément VIII, 1594) et en s’avançant vers le bas, on trouve: l’autel de Calixte II (1123); l’autel de Grégoire le Grand (590-604), qui resta inclus par la suite dans l’autel de Calixte; le monument que fit construire Constantin encore avant la Basilique (environ 321-326); à l’intérieur du monument constantinien un édicule funéraire (fin du IIème - début du IIIème siècle): le “trophée de Gaius” (5). L’extrémité Ouest de la nécropole comprend une aire assez vaste, appelée par les archéologues “Champ P”. Elle est délimitée par un mur, dit “Mur rouge” de la couleur du crépi qui le recouvrait. Au centre du “Mur rouge” se trouve une niche semi-circulaire et un peu plus haut un petit mur, appelé “Mur g”, recouvert sur le côté nord d’une forêt de graffiti. Le “Mur rouge” avec la niche semi-circulaire sert de fond au “Trophée de Gaius”: la table votive que les Chrétiens élevèrent, au IIème siècle, sur la tombe creusée dans la terre dans laquelle avait été enseveli le corps de St Pierre en 64. Ce “Trophée” est dit de Gaius, du nom de l’écrivain chrétien (dont nous avons déjà parlé plus haut) du IIIème siècle, lequel sou- 30 Le Professeur Guarducci identifie les reliques de St Pierre Le graffito “Petros eni” tient que la tombe de Pierre est à Rome au Vatican. Sous le “Trophée de Gaius”, les archéologues de Pie XII retrouvèrent le lieu de la sépulture primitive (tombe en pleine terre), mais le trouvèrent vide; comment se fait-il? Ceci s’explique en pensant que dans les débuts du IVème siècle Constantin fit construire, sur le lieu de l’antique “Trophée de Gaius”, une grande Basilique à cinq nefs, dont l’autel majeur était situé exactement sur la tombe de l’Apôtre. Le même empereur avait fait recueillir les ossements de St Pierre de l’humide tombe creusée dans la terre, et - une fois enveloppés dans une précieuse étoffe de pourpre et d’or - les avait fait déposer dans un loculus [niche funéraire] de marbre situé dans un mur (le “Mur g”) qui déjà se trouvait à côté de la sépulture primitive. Le côté nord du “Mur g” était couvert d’une “forêt sauvage” de graffiti, parmi lesquels se détachaient même les noms du Christ, de Marie et de Pierre, mais les auteurs des fouilles ne réussirent pas à déchiffrer cet enchevêtrement de signes! Au terme des travaux, les chercheurs arrivèrent à établir que les différents monuments construits sur l’Autel de la Confession, à l’initiative de certains Papes s’appuyaient tous, en se superposant, sur l’ancien monument de Constantin. En résumé les fouilles ordonnées par Pie XII confirmèrent de manière archéologique ce que déjà la tradition enseignait: la tombe de St Pierre existe encore aujourd’hui sous l’Autel papal. Dans le message de Noël de 1950, le Pontife annonça au monde: «La question essentielle est la suivante: a-t-on vraiment retrouvé la tombe de St Pierre? (...) La conclusion... répond très clairement par l’affirmative: oui, la tombe du Prince des Apôtres a été retrouvée. Une seconde question, subordonnée à la première, regarde les reliques du Saint. Ont-elles été retrouvées? Au bord du sépulcre on a retrouvé des restes d’ossements humains (...) mais il n’est pas possible de prouver avec certitude qu’ils ont appartenu à la dépouille mortelle de l’Apôtre». On avait donc retrouvé avec certitude la tombe de Pierre, mais les ossements du Saint semblaient avoir disparu. Le mérite de leur invention est attribué principalement à Margherita Guarducci. En commençant à s’intéresser aux fouilles vaticanes, elle y apporta la méthode qu’elle avait depuis longtemps adoptée et affinée: celle de la recherche scientifique rigoureuse, étant depuis de nombreuses années chercheur de profession et titulaire d’une chaire universitaire. L’histoire de la découverte tient du roman policier. Pourquoi les reliques du Prince des Apôtres ne furent-elles pas retrouvées dans le loculus de marbre du “Mur g” (à droite du “Trophée de Gaius”, élevé au IIème siècle sur la sépulture primitive ou tombe en pleine terre, où St Pierre fut enseveli en 64 ap. J.-C.) où Constantin les avait fait replacer au IVème siècle? Pour le comprendre il faut remonter à 1941, quand Mgr Kaas, pour contrôler personnellement l’avancement des travaux, vers le soir (la Basilique étant fermée) faisait un tour d’inspection dans la zone des fouilles, accompagné du “sampietrino” [ouvrier du Vatican] Giovanni Segoni. Un soir, durant l’inspection, Mgr Kaas remarqua qu’à l’intérieur du “Mur g”, au milieu de toutes sortes de décombres, affleuraient des ossements humains. Leur présence avait échappé aux quatre chercheurs qui travaillaient aux fouilles durant la journée. Mais ils n’échappèrent pas à l’œil vigilant et attentif de l’évêque allemand. Par un sens de respect envers les restes des défunts, Mgr Kaas décida de séparer les ossements des décombres, et de les faire mettre par Segoni dans une caissette de bois que Segoni et Mgr Kaas déposèrent dans un magasin des grottes vaticanes. «De cette manière [écrit M. Guarducci] Mgr Kaas avait sauvé, sans le savoir, les reliques de Pierre» (6). En 1952 le Professeur Guarducci demanda de pouvoir visiter les fouilles. Son désir était de voir de ses propres yeux une épigraphe que l’on pouvait voir dans un dessin publié par A. Ferrua le 5 janvier 1952 dans la revue “La Civiltà Cattolica” et le 16 janvier dans le quotidien de Rome “Il Messaggero”. Il s’agissait d’un dessin reconstituant l’édicule érigé en l’honneur de St Pierre au IIème siècle. A droite, était dessi- 31 née sur le mur une inscription grecque: PETR / ENI. M. Guarducci pensa que ENI pouvait être une forme contractée de ENESTI (“est dedans”), d’où la phrase “Pierre est ici, dedans”. Mais il était nécessaire de vérifier si la phrase pouvait continuer vers la droite, auquel cas le sens pouvait être différent. Mais quand, le Professeur, conduite par l’ingénieur Vacchini, put visiter la zone des fouilles, elle resta profondément déçue: là où l’inscription si intéressante aurait dû se trouver, il y avait au contraire une large trouée dans le crépi. Le fragment fut trouvé par le Père Ferrua qui pour des motifs obscurs l’emporta chez lui, jusqu’à ce que - quand en 1952 la chose fut connue - il dut, en 1955, le restituer au Vatican par ordre de Pie XII et M. Guarducci put l’étudier. Elle vit ainsi que la Le Professeur Margherita Guarducci ligne supérieure de l’inscription inclinait vers le bas, empêchant la continuation de la seconde ligne. Par conséquent la lecture ENI et l’interprétation logique du Professeur étaient confirmées. L’épigraphe acquérait ainsi une très grande valeur (7). Pendant ce temps, en 1953, M. Guarducci avait commencé d’étudier de très nombreux graffiti existant sur le “Mur g”, que les chercheurs précédents avaient réussi à déchiffrer seulement partiellement. Le résultat de son déchiffrement furent les trois volumes édités en 1958 par l’imprimerie du Vatican: I graffiti sotto la Confessione di San Pietro in Vaticano. M. Guarducci raconte elle-même ainsi l’affaire: «Alors que je me creusais la tête pour trouver une voie dans cette forêt sauvage [de graffiti] il me vint à l’esprit que peut-être il me serait utile de savoir si quelque autre chose avait été trouvée dans le loculus d’en-dessous, en plus des petits restes décrits par les fouilleurs dans la relation officielle. Par hasard, se trouvait à côté de moi Giovanni Segoni, depuis peu promu au grade de “chef” des sampietrini. Je lui adressai (...) ma demande, et il me répondit sans hésiter: “Oui, il devait y avoir une autre chose, puisque je me souviens de l’avoir recueillie avec mes mains. Allons voir si nous la trouvons”. Il me conduisit alors vers le dépôt des ossements (...). J’entrai donc derrière Segoni, pour la première fois, dans cet environnement. Là, parmi des caisses et des corbeilles pleines d’ossements et de choses diverses et variées, gisait encore au sol la caissette que plus de dix ans avant Segoni lui-même et Mgr Kaas y avaient déposée (...). Un billet, glissé entre la caissette et le couvercle, très humide mais encore parfaitement lisible, déclarait que ce matériel provenait du “Mur g”. Segoni me dit l’avoir écrit lui-même (...). Je crus opportun et de mon devoir de porter immédiatement la caissette dans le bureau de l’ingénieur Vacchini et là (...) la caissette fut ouverte et nous en retirâmes le contenu. Nous y trouvâmes une certaine quantité d’ossements, de couleur très claire, incrustés de terre (...) des fragments de crépi rouge, de très petits fragments d’étoffe rougeâtre tissée de fils d’or (...). Je dois dire (...) [poursuit M. Guarducci] que l’idée, évidente du reste, que le loculus du “Mur g” était destiné à l’origine à recevoir les reliques de Pierre (...) m’avait déjà traversé l’esprit. Mais alors, devant ces restes récupérés, je me sentis fortement sceptique (...)» (8). L’éminent chercheur voulait que l’étude de ces ossements fût menée avec une extrême rigueur scientifique et par différents spécialistes des sciences expérimentales et surtout anthropologiques. C’est le célèbre Professeur Venerando Correnti qui fut choisi comme anthropologue pour étudier les ossements contenus dans la caissette. Voici le résultat de ses études. Les os appartenaient à un seul individu, de sexe masculin et de constitution robuste, dont l’âge oscillait entre soixante et soixante-dix ans; ils constituaient environ la moitié du squelette et représentaient toutes les parties du corps, à l’exception des pieds; certains os présentaient des traces de couleur rougeâtre qui faisaient penser à un tissu qui les aurait enveloppés. Or tous ces éléments s’adaptaient à la perfection à St Pierre. Entre-temps, en 1958, Pie XII ayant malheureusement disparu, Jean XXIII prit en mains la question de la tombe et des reliques de Pierre, mais le Professeur Guarducci note que: «Mais il lui [Jean XXIII] manquait cet élan inné d’amour envers Rome et la vision 32 de ce très vaste horizon culturel qui avait allumé en Pie XII un extraordinaire intérêt pour les souterrains de la Basilique Vaticane» (9). Les recherches n’en continuèrent pas moins. Toutes les données scientifiques rassemblées jusqu’alors, en même temps que l’épigraphe “Pierre est ici, dedans” (du “Mur rouge”), firent en sorte que M. Guarducci put annoncer à Paul VI le 25 novembre 1963 que, avec grande probabilité, les reliques de St Pierre avaient été finalement retrouvées. Pendant ce temps d’autres recherches scientifiques étaient étendues aux domaines de la technologie commerciale et de la chimie (conduites par le Professeur Maria Luisa Stein et par le Professeur Paolo Malatesta de l’Université “La Sapienza” de Rome) et apportèrent, pour ce qui concernait les tissus, aux résultats suivants. Il s’agissait d’une étoffe très fine teinte d’une authentique et coûteuse pourpre de murex; l’or était authentique et très fin: le même type de tissu pourpre entrelacé d’or dans lequel étaient enveloppés les corps des Empereurs! Tout ceci confirmait que le corps enseveli dans la tombe creusée dans la terre et ensuite enveloppé de pourpre et d’or dans le loculus constantinien était celui du Prince des Apôtres: St Pierre! Même la terre incrustée aux ossements fut soumise à l’examen pétrographique par les Professeurs Carlo Lauro et Giancarlo Negretti: il s’agissait de sable marneux tout à fait semblable à la terre du “Champ P”, ce qui confirmait la provenance de ces ossements du loculus enterré ou tombe en pleine terre qui se trouvait sous le “Trophée de Gaius” du IIème siècle. En conclusion de ces vérifications et d’autres encore, accomplies au cours des années suivantes par d’autres scientifiques, Paul VI, le 26 juin 1968, annonça aux fidèles que les ossements de St Pierre avaient été retrouvés et identifiés. Cependant dans le discours de Paul VI, M. Guarducci trouva des réticences, inexactitudes et contradictions, dues au vieux préjugé anti-romain. En effet le texte dit ceci: « Les recherches, les vérifications, les discussions, les polémiques n’en seront pas terminées pour autant (...) nous avons des motifs de considérer comme identifiés les quelques (...) restes mortels du Prince des Apôtres». Et le Professeur Guarducci commente: «La phrase (...) adhère peu au vrai. En juin 1968, les recherches et les vérifications étaient désormais pratiquement ter- minées. Tout avait été clair (...). En outre il n’était pas exact de définir les reliques de l’Apôtre comme “quelques... restes” (...) elles étaient, au contraire, relativement très abondantes: en tout environ la moitié du squelette. Telle (...) fut l’annonce de Paul VI: une annonce sinon parfaite, tout au moins en ce moment suffisante, providentielle même » (10). Le 27 juin 1968 les reliques de St Pierre furent solennellement rapportées avec un acte notarié dans le loculus du “Mur g”, où Constantin les avait fait déposer au IVème siècle et d’où vingt-sept ans avant Mgr Kaas les avait inconsciemment enlevées, les sauvant de la très probable dispersion. «Paul VI ne fut pas présent à cette mémorable cérémonie. Ceci est sans aucun doute étrange. Sa présence en effet dans une semblable occasion était presque indispensable. (...) Quel motif le conduisit à ne pas paraître? Je renonce à émettre des hypothèses. Je me limite à constater que son étrange absence déprécia un peu (...) la solennité de l’annonce qu’il avait faite» (11). Mais le plus beau devait encore venir... En effet «La mort de Paul VI [écrit M. Guarducci] aggrava ma condition par rapport à la Fabrique de St-Pierre et en même temps (...) ouvrit largement aux adversaires les souterrains de la Basilique. Un des premiers signes (...) fut la décision (...) de mettre fin à mes visites guidées dans ces souterrains (...) Mais mon étonnement s’accrut encore quand Mgr Zanini me déclara que même à moi personnellement ne me serait plus accordé, à partir de ce moment, de retourner devant ces graffiti et ce loculus qui m’avaient coûté tant d’années de pénible travail» ( 12 ). Et le Professeur continue: «Je suis forcée de dire (...) cette parole sur l’attitude prise (...) par (...) Jean-Paul II. (...) Du moment où (...) il s’assit sur le trône pontifical, je n’ai jamais pu avoir un contact direct avec lui. Peu après son élection, je lui ai envoyé (...) quelquesuns de mes écrits sur St Pierre, mais je n’ai jamais su s’il les a eus, ou au moins, acceptés. Deux fois je lui ai demandé, par voies normales, audience, mais en vain» (13). Conclusion Avec l’invention du tombeau et des ossements de St Pierre, la tradition historique de la venue de Pierre à Rome, de sa permanence dans la Ville immortelle en tant que son 33 Evêque, de son martyre et de sa sépulture, reçoit une confirmation scientifique irréfutable et très consolante pour le Catholicisme. Par ailleurs cette invention conforte ce que le Magistère de l’Eglise a toujours soutenu: le primat sur les autres Apôtres que le Christ a conféré à Pierre se transmet aux Evêques de Rome, en vertu de la succession sur la chaire de Pierre, à Rome, jusqu’à la fin du monde. Et c’est pourquoi les adversaires de l’Eglise romaine ont à plusieurs reprises nié la présence de la tombe de Pierre à Rome. Le primat spirituel de Rome Le Professeur Guarducci, dans ses écrits, a examiné la question du primat de l’Eglise romaine non du point de vue théologique, mais sur la base de plusieurs disciplines: la littérature chrétienne et païenne, la philologie, l’histoire antique et médiévale, l’archéologie et l’épigraphie. LE PRIMAT DE ROME DANS LE CHRISTIANISME PRIMITIF Rome but des pèlerins «Le primat de Rome dans l’antique âge chrétien fut très vite démontré par les voyages Le “Mur g” avec le loculus dans lequel se trouvaient les ossements de St Pierre (...) que les représentants des différentes Eglises entreprirent vers Rome. Que pouvaitil donc les attirer sur les rives du Tibre (...) sinon l’Eglise romaine, dont ils reconnaissaient le prestige de la renommée et d’une réelle et prééminente autorité? Et en effet (...) ils venaient à Rome pour exposer aux chefs de l’Eglise romaine leurs problèmes, pour demander des conseils et des secours» (14). Fondée par St Pierre et St Paul, qui avaient été martyrisés et ensevelis à Rome, l’Eglise romaine commença très vite à attirer à elle les fidèles des autres Eglises chrétiennes, mais ce fut surtout durant le IIème siècle que cet attrait devint évident. Vers 154 St Polycarpe, évêque de Smyrne, disciple de l’Apôtre Jean, vint à Rome pour demander conseil directement au pape Anicet, sur la date à laquelle on devait célébrer Pâques (question alors débattue et sur laquelle les Eglises d’Asie étaient en désaccord avec Rome). En 178 St Irénée de Lyon, qui avait eu comme maître St Polycarpe, vint à Rome pour s’entretenir avec le pape Eleuthère. «Ces voyages (...) démontrent (...) qu’à l’époque la plus ancienne l’Eglise de Rome l’emportait sur les autres et que les autres en ressentaient l’attrait et en reconnaissaient l’autorité» (15). Les causes du primat La puissance politique de Rome, qui à cette époque était capitale de l’Empire, contribua à donner du lustre à l’Eglise romaine. Mais il s’agit seulement d’une contribution et non de la cause principale du primat spirituel exercé par Rome. Il y eut en effet d’autres motifs de caractère spirituel. St Irénée de Lyon St Irénée, dans l’Adversus hæreses (III 12), œuvre composée entre 175 et 189, se demande comment il est possible de reconnaître la vraie Tradition catholique. La réponse est qu’il faut étudier l’enseignement que les Apôtres transmirent à chacune des Eglises locales qu’ils fondèrent. Pour ce faire il est nécessaire de remonter la série des évêques qui dans chaque Eglise locale se succédèrent l’un à l’autre, jusqu’à atteindre le commencement de chaque série. Mais puisque l’entreprise serait trop longue, il est préférable de limiter 34 l’examen à la seule Eglise de Rome, qui est celle qui est, «très grande et la plus importante et connue de tous, que les deux très glorieux Apôtres Pierre et Paul fondèrent et établirent à Rome (...) Avec cette Eglise, en raison de son origine plus excellente et de sa plus forte prééminence [potentior principalitas] doit nécessairement s’accorder toute Eglise, c’est-àdire les fidèles de partout, - elle en qui toujours, (...) a été conservée la Tradition qui vient des Apôtres». St Irénée continue en disant qu’à travers la série ininterrompue des évêques, la Tradition divino-apostolique est arrivée jusqu’à nous. Mais pourquoi, pourrions-nous nous demander, l’Eglise de Rome est-elle la plus importante? Nous trouvons les motifs résumés déjà chez St Irénée: 1°) Elle est la plus grande et la plus importante. 2°) Elle est universellement connue. 3°) Elle fut fondée par les Apôtres Pierre et Paul. 4°) Elle jouit dans le monde entier de la réputation d’une foi solide. «Tout cela [commente M. Guarducci] correspond à la vérité. L’Eglise romaine était sans aucun doute, en ce temps-là, la plus grande et universellement connue. Elle avait de plus l’exceptionnel privilège d’avoir été fondée par les deux Apôtres qui, après avoir apporté à Rome le message du Christ, y avaient subi le martyre et y avaient été ensevelis dans des tombeaux encore visibles et vénérés. Pour ce qui est ensuite de la valeur de la Foi universellement connue, Irénée ne fait qu’évoquer la phrase écrite par Paul dans son Epître aux Romains: “Votre Foi est annoncée dans tout l’univers” (I, 8). Pour ces motifs Irénée reconnaît à l’Eglise de Rome une “plus forte prééminence”, c’est-àdire une autorité supérieure à celle de tout autre Eglise. [Et puisque] l’Eglise de Rome surpasse en autorité toutes les autres, il est nécessaire (...) que toutes les autres Eglises la mettent à leur tête. Irénée en somme voit idéalement l’Eglise de Rome comme centre de l’Eglise universelle» (16). AUTRES DOCUMENTS, ENTRE LA FIN DU IER ET LA MOITIE DU IIIEME SIECLE 1) L’Epître de St Clément romain aux Corinthiens En 96 ap. J.-C. des jeunes gens de l’Eglise de Corinthe, s’étant révoltés contre les anciens prêtres de cette communauté, les avaient déposés. St Clément écrit aux Corinthiens sa fameuse lettre pour ramener la concorde entre eux. Il cite l’exemple de la parfaite discipline de l’armée romaine et soutient que l’envie et la jalousie ont été la cause de la discorde. L’épître clémentine fut accueillie à Corinthe avec une grande vénération. Nous savons en effet par la Storia ecclesiastica d’Eusèbe qu’aux environs de 170 elle était encore lue durant la Messe dominicale. «Dans sa célèbre épître (...) Clément ne fait pas allusion explicitement au primat de l’Eglise de Rome, mais son initiative même de s’adresser à l’Eglise de Corinthe en qualité de réprobateur et de médiateur démontre qu’il ressentait fortement la suprématie spirituelle de son Eglise» (17). 2) L’Epître de St Ignace d’Antioche aux Romains «Passées les limites du Ier siècle, on rencontra tout de suite une affirmation explicite du primat spirituel de l’Eglise de Rome. Je veux dire celle d’Ignace, évêque d’Antioche en Syrie» (18). L’Eglise d’Antioche avait été fondée par St Pierre lui-même et était guidée au début du IIème siècle par St Ignace, qui avait connu personnellement St Pierre et St Paul. En 107 St Ignace fut emprisonné, condamné à mort et dirigé vers Rome ad bestias, au Colisée. «Selon Ignace, l’Eglise romaine présidait, c’est-à-dire était prééminente, par rapport aux autres Eglises du monde chrétien» (19). 3) L’épigraphe d’Abercius Abercius, évêque de Hiérapolis, écrit entre 170 et 200 ap. J.-C. et évoque le souvenir d’un voyage effectué à Rome durant le règne de Marc Aurèle (161-180). En ce temps-là le grand empire Romain existait et Rome en était la capitale. Rome elle-même était considérée comme une reine d’or. Abercius écrit: « (...) C’est lui [le Christ] qui m’envoya à Rome contempler la majesté souveraine et voir une reine aux vêtements d’or et aux chaussures d’or. Je vis là un peuple qui porte un sceau brillant». Il est clair que la majesté souveraine et la reine sont Rome, le peuple est le peuple romain dominateur du monde, sa puissance était conçue comme un sceau splendide imprimé sur lui. «Mais si l’on réfléchit un peu [écrit M. Guarducci] il est inconcevable que le Christ Lui-même ait envoyé à Rome son 35 2) Clément d’Alexandrie Il définit Pierre comme l’élu du Christ, le premier des Apôtres. Il commente ensuite le passage de Matthieu (XVII, 26) dans lequel le Christ ordonne à Pierre de payer le tribut pour lui et pour le Maître, avec le statère trouvé dans la bouche du poisson qui le premier mordrait à l’hameçon, comme signe d’un lien très étroit et très spécial entre le Christ et Pierre. Les cassettes de plexiglas avec les ossements de St Pierre évêque exprès pour connaître de près le royaume de Marc Aurèle, pour contempler les beautés de la ville reine et pour constater la puissance du peuple romain. Sous l’interprétation évidente il doit y avoir un sens plus profond que seul (...) le Chrétien est en mesure de saisir. La “majesté souveraine” peut être celle du Christ sur la terre et la “reine aux vêtements d’or” (...) peut être conçue comme l’Eglise universelle qui à Rome possède son centre visible» (20). En cherchant à Rome la majesté souveraine et la reine vêtue d’or, Abercius démontre concevoir l’Eglise de Rome comme la première parmi les autres. En outre en écrivant que le Christ Lui-même l’a envoyé à Rome, Abercius démontre ne pas croire que le primat de l’Eglise de Rome dépend de la puissance politique des Romains, mais qu’il est un primat spirituel de par la volonté de Jésus-Christ. LA PREMIERE MOITIE DU IIIEME SIECLE 1) Tertullien Né à la moitié du IIème siècle environ d’une famille païenne, il se convertit au Christianisme. Par la suite il se rapprocha de l’hérésie des Montanistes vers 213. Dans une de ses premières œuvres (De præscriptione hæreticorum) remontant à 200 environ, quand il était encore catholique, c’est-à-dire lié et soumis au Pape et à l’Eglise universelle de Rome, il évoque le primat de l’Eglise romaine: il parle de Pierre comme de la pierre sur laquelle le Christ fondera son Eglise, celui à qui le Christ en personne confiera les clefs du Royaume des Cieux, par ailleurs il déclare que précisément “de Rome émane aussi pour nous [Chrétiens] l’autorité”. 3) Origène Pour Origène aussi Pierre est “le grand fondement”, la “pierre très solide” sur laquelle le Christ a fondé son Eglise. Conclusion Nous avons constaté qu’entre la fin du Ier et la moitié du IIIème siècle, le primat spirituel de l’Eglise romaine était généralement reconnu dans tout le monde chrétien. A la reconnaissance du primat s’associait ensuite celui de l’universalité. «L’Eglise de Rome, et elle seule, était l’Eglise universelle, l’Eglise du Christ» (21). AUTRES PRIMATS DE L’EGLISE DE ROME La plus ancienne Basilique chrétienne “officielle”: la Basilique du Latran Rome a, parmi les autres, la primauté de posséder la plus antique Basilique chrétienne reconnue comme telle même par l’autorité civile, et même construite par elle: SaintJean-de-Latran. Elle est liée au nom de l’Empereur Constantin et au souvenir de la victoire remportée par lui, contre l’impie Maxence, près du Pont Milvius, aux portes de Rome, le 28 octobre 312. On sait que le culte chrétien se déroulait dans les tout premiers temps dans les maisons des Chrétiens, et qu’ensuite on ressentit le besoin d’avoir des édifices spéciaux destinés expressément au culte divin. Des édifices de ce genre durent s’élever très vite, probablement dès le IIIème siècle, dans les intervalles entre les différentes persécutions. D’après ce qu’écrit Eusèbe de Césarée, en Asie les édifices destinés au culte, encore plus anciens que la Basilique du Latran, furent nombreux. «Mais parmi ces édifices et la Basilique du Latran existe (...) une différence substantielle. Alors que ceux-là furent 36 construits à l’initiative d’évêques zélés (...) la Basilique du Latran fut érigée de par la volonté de la plus haute autorité civile de l’empereur et naturellement aussi à ses frais. Constantin (...) prit sur lui le coût total de l’œuvre» ( 22). La Basilique du Latran fut donc le premier édifice chrétien reconnu comme tel. A cette prérogative s’en ajouta une autre, celle d’être l’unique Basilique chrétienne restée après tant de siècles encore en vie et viable. Il est fort probable que la décision d’ériger une grande Basilique comme ex voto au Christ Sauveur, fut prise par l’Empereur tout de suite après la victoire sur Maxence près du Pont Milvius. La zone du Latran appartenait, au temps de Constantin, au patrimoine impérial. Le Professeur Guarducci explique que probablement quand Constantin entra victorieux à Rome, il demeura dans la maison du Latran. Quand ensuite, à la fin de janvier 313, il partit de Rome il laissa avec plaisir la maison du Latran au pape Miltiade. Ce n’est donc pas étrange que l’Empereur voulût faire construire la future cathédrale de Rome au même endroit, très proche de l’ancienne maison de l’Empereur, désormais maison du Pape. La Basilique fut dédicacée - selon une antique tradition - le 9 novembre. Or, puisque la dédicace des églises avait lieu habituellement le dimanche, en considérant l’âge de Constantin et du pape Sylvestre (qui succéda en 314 à Miltiade), et durant le pontificat duquel la Basilique fut en grande partie construite, s’offre à nous le choix entre le 9 novembre 312 et le 9 novembre 318. Mais il est physiquement impossible que la dédicace ait eu lieu le 9 novembre 312, c’est-à-dire environ dix jours après la bataille du Pont Milvius. Reste alors 318. Annexé à la Basilique fut érigé, par volonté de l’Empereur, le Baptistère dédié à St Jean-Baptiste. Ces deux édifices furent construits avec les matériaux les plus précieux des plus beaux temples païens de Rome, et furent ornés sans regarder à l’économie avec le faste assorti à l’ancienne maison impériale, dans laquelle, le pape Miltiade et ses successeurs habiteraient. A la Basilique fut assignée la rente annuelle de 4.390 solidi, au Baptistère celle bien plus importante de 10.234 solidi. Mais pour quel motif la rente destinée au Baptistère était-elle bien plus importante que celle accordée à la Basilique? Parce que les 10.234 solidi devaient comprendre l’apanage du Pape qui alors avait le droit exclusif d’administrer le Baptême dans cet édifice. Dans la seconde moitié du XIIème siècle la Basilique n’était encore dédiée qu’au Christ Sauveur, mais plus tard elle prit aussi le nom de St Jean, du nom des deux oratoires annexes au Baptistère. Après la période de l’exil avignonnais (1305-1377) les Pontifes abandonnèrent définitivement leur antique demeure du Latran, mais la Basilique du Latran resta toujours la Cathédrale de Rome et c’est toujours uniquement à elle qu’appartint le titre d’“Archibasilique”. Elle est aussi appelée Caput ecclesiarum, Mater ecclesiarum, Magistra ecclesiarum, Papalis sacrosanta Archibasilica Lateranensis Cathedralis Romæ, «parce que tous reçoivent d’elle impulsion et Magistère» (Giovanni Diaconno). Si le lecteur désire approfondir ces sujets il peut consulter l’ouvrage de M. Guarducci Il primato della Chiesa di Roma (pp. 81-102). Rome ville prédestinée Les Actes des Apôtres (XXIII, 11) racontent que le Christ Lui-même se présenta en songe à St Paul pour lui annoncer que, de même qu’il avait témoigné de lui à Jérusalem, il devrait témoigner pareillement à Rome. Et les Actes encore, parlant de la tempête qui frappa St Paul durant le voyage de Crète en Italie, font intervenir un Ange pour rassurer l’Apôtre qu’il sortirait indemne du danger, puisqu’il était nécessaire que St Paul “comparaisse devant César”, c’est-àdire arrive à Rome (XXVII, 23). Au VIème siècle Jacques de Sarùg, qui vécut en Mésopotamie, en parlant des Apôtres qui confiaient au sort le choix du pays dans lequel chacun d’eux devrait prêL’ouverture du “Mur g” après l’introduction des cassettes de plexiglas 37 cher l’Evangile, considère comme un «divinum (...) opus» le sort qui assigna Rome à Pierre. C’était en effet, d’après lui, la volonté de Dieu que «le premier-né des frères», c’est-à-dire le Prince des Apôtres, portât le message du Christ à la «mère des cités», c’est-à-dire Rome. Rome a reçu du Christianisme un privilège unique: celui d’une vitalité éternelle. «D’autres villes célèbres du monde antique étaient mortes, l’une après l’autre, (...) Rome au contraire demeura, et demeure, grâce (...) au Christianisme. En son sein, en effet à l’Empire caduc fondé par Auguste, succéda l’empire éternel de l’Eglise universelle, c’est-à-dire “catholique”» (23). Le motif et la garantie de l’universalité et de la vitalité éternelle de Rome doit être recherché, - comme le fait remarquer le Professeur Guarducci - dans la présence à Rome du tombeau et des reliques de St Pierre, l’Apôtre sur lequel le Christ Luimême déclara vouloir fonder son Eglise, promettant que les forces du mal ne prévaudraient pas contre elle. La confirmation de la Théologie et du Magistère Le Pape est par droit divin successeur de St Pierre dans le Primat qui est le suprême pouvoir monarchique sur toute l’Eglise, que Jésus institua et confia à Pierre et qui durera jusqu’à la fin du monde en la personne des Papes. L’élection et l’acceptation étant accomplies, le Pontife romain a par droit divin le même pouvoir suprême de juridiction que Jésus donna à Pierre, comme son Vicaire et Chef visible de toute l’Eglise. Telle est la foi de l’Eglise. On dispute pour savoir si Rome est le siège de Pierre par droit divin ou par droit ecclésiastique: c’est-à-dire si Jésus a choisi Rome comme Siège de son Eglise, ou bien si le choix fut fait par Pierre. La première thèse est soutenue par St Robert Bellarmin, qui se fonde sur St Marcel Ier et St Ambroise. Mgr Piolanti écrit: «On se demande quel lien existe entre le siège de Rome et le primat du gouvernement dans l’Eglise. On ne peut pas soutenir que ce lien soit dû à un simple fait historique et dépende de la volonté de l’Eglise, qui pourrait le délier, en reconnaissant le primat à un autre évêque, même contre la volonté du Pontife Romain. (...) L’affirmation de Melchior Cano, Grégoire de Valence et sur- tout de St Robert Bellarmin, pour qui le choix du siège de Rome ait été indiqué explicitement par le Christ semble exagérée. Avec une moindre probabilité (...) on a pensé (Paludano, Soto, Bañez) que St Pierre avait choisi Rome comme siège définitif par une pure délibération personnelle, et que, avec la même liberté, son successeur pourrait s’établir sur un autre siège. On considère communément que le choix de Rome ne fut pas sans une providence divine spéciale (...) (Franzelin, Palmieri, Billot...). Par conséquent personne ne peut changer ce choix, pas même le Pape; en quelque lieu qu’il réside (par ex. en Avignon) il est toujours l’Evêque de Rome» (24). En résumé, Pierre inspiré par JésusChrist, choisit Rome comme siège de la Papauté (telle est la thèse la plus commune). Ultimes réflexions Le primat spirituel de Rome comme on l’a vu avant, fut très vite reconnu par les premiers Chrétiens. Dans la reconnaissance de cette primauté ont eu une grande importance tant la constatation de l’universalité de l’Eglise de Rome que la certitude qu’à Rome avait été la prédication des Apôtres Pierre et Paul, qui précisément avaient subi à Rome le martyre et y avaient été ensevelis. L’Eglise aux premières Vêpres du 29 juin chante: «O Roma felix, quæ duòrum Prìncipum Es consecràta gloriòso sànguine! Horum cruòre purpuràta cèteras Excèllis orbis una pulchritùdines ». (O heureuse Rome, qui fut consacrée par le glorieux sang de ces deux princes! Empourprée de leur sang, tu l’emportes en beauté sur toutes les autres villes du monde). Le fait ensuite qu’à Rome existât la tombe de Pierre, l’Apôtre sur lequel Jésus avait déclaré vouloir fonder son Eglise, était d’une importance capitale pour la reconnaissance de ce primat. L’Eglise du Christ est celle fondée sur Pierre; or le tombeau et les reliques de Pierre sont à Rome, au Vatican; la véritable Eglise du Christ est donc l’Eglise Romaine. M. Guarducci conclue: «Il serait (...) dangereux, d’oublier (...) qu’entre la doctrine unique du Christianisme et les doctrines des deux autres monothéismes existent aussi de profondes oppositions, sur lesquelles il n’est pas permis de passer avec indifférence. Qu’on pense en effet que le dogme fondamental de la Religion chrétienne est celui de 38 la Trinité divine (...) Or rien de semblable ne se retrouve dans les deux autres religions monothéistes. Qu’on réfléchisse que, alors que pour le Christianisme le fondement essentiel est l’Incarnation du Fils de Dieu (...) cette Incarnation est niée par les Juifs (...). Pour ce qui est ensuite de l’Islam, qu’on se souvienne que les Musulmans ont horreur (...) de l’idée que Dieu ait un “fils” et que ce “fils” ait pu subir le supplice infamant de la crucifixion. La perspective du Christianisme à l’égard du futur reste celle indiquée par le Christ. En parlant de Lui-même, dans le quatrième Evangile (Jn X, 11) comme du Bon Pasteur (...), le Rédempteur affirme qu’Il a d’autres brebis qui ne sont pas encore de sa bergerie, mais qui le deviendront. Il pense naturellement aux futurs disciples, (...) qui viendront (...) au cours des siècles, grossir le troupeau rassemblé par Lui en Palestine. A la fin il devra y avoir - affirmet-Il - “un seul troupeau et un seul Pasteur” (Jn X, 16). Et comment arrivera cette heureuse union? (...) Elle se fera grâce à l’œuvre des Apôtres, auxquels (...) feront suite les missionnaires. Et où aura son siège (...) l’unique bercail béni qui accueillera jusqu’à la consommation des siècles le troupeau du Christ? La réponse est facile, aujourd’hui encore plus facile que dans le passé: il l’aura à Rome. Il est en effet vérifié (...) qu’à Rome (...) l’Eglise catholique (...) est - par une miraculeuse exception - matériellement fondée sur les authentiques reliques de Pierre. Vers Rome, donc, doivent se tourner les regards de quiconque pense au futur du monde chrétien et travaille honnêtement pour lui» (25). «On peut être désormais certains - écrit encore M. Guarducci - que l’Eglise de Rome est fondée (...) sur les authentiques reliques de Pierre. On ne peut pas ne pas repenser aux célèbres paroles que le Christ lui adressa, en déclarant que c’est sur Lui qu’Il édifierait son Eglise (...). Tout ceci (...) est la garantie que l’Eglise de Rome, jour après jour, gouvernée par Pierre et par ses successeurs, vivra, même avec des vicissitudes d’ombres et de lumières, jusqu’à la consommation des siècles. Et alors on devra aussi penser à l’Eglise de Rome dans le célèbre passage de l’Evangile de Jean (X, 16) dans lequel le Christ (...) annonce que dans sa bergerie devront entrer les brebis qui n’en font pas encore partie et qu’il y aura (...) un seul trou- “Niche des Pallii”. On remarque l’asymétrie des parois latérales: derrière la paroi la plus grande (à droite sur la photo) se trouvent les ossements de Pierre peau et un seul pasteur. Et où sera le siège de ce bercail béni auquel fait allusion la parole prophétique du Rédempteur? Evidemmement à Rome et non ailleurs» (26). Pour résumer, la Basilique de St Pierre (symbole de l’Eglise romaine) est construite sur les reliques de Céphas ou Pierre, qui signifie roc. Or «dans la Bible Dieu est souvent appelé “pierre” ou “roc” (Deut. 32, 4-15, 18; II Sam. 22, 32; Sal. 18, 3; Is. 44, 8) (...). Les Juifs s’abreuvaient d’une “pierre” spirituelle “qui les accompagnait” (...). Il ne s’agissait pas d’une pierre matérielle mais uniquement du Christ qui accompagnait toujours son peuple (St Jean Chrysostome)» (27). St Paul écrit: «Ils buvaient au rocher spirituel qui les accompagnait, et ce rocher était le Christ» (28). L’Eglise romaine est donc fondée sur Pierre, construite matériellement (comme Basilique-symbole) sur ses reliques et Pierre spirituellement est le Christ. Par conséquent l’Eglise du Christ est l’Eglise romaine et pas une autre! Le Professeur Guarducci termine ainsi: «Sur ces [reliques de Pierre] est matériellement fondée l’Eglise de Rome (...). Le Christ, en déclarant à Pierre vouloir fonder sur lui son Eglise (...) [a] voulu de manière prophétique faire allusion précisément à l’Eglise de Rome, et à sa continuité au cours des siècles jusqu’au dernier jour (...). Sous 39 l’autel de la Basilique [vaticane] se trouvent encore, ayant résisté miraculeusement, les restes mortels de ce Pierre qui, de par la volonté du Christ, a été, est et sera le fondement de son Eglise» (29). Notes 1) M. GUARDUCCI, La tomba di Pietro. Una straordinaria vicenda, Rusconi, Milano 1989; Le reliquie di Pietro in Vaticano, Istituto Poligrafico e Zecca dello Stato, Roma 1995; Le chiavi sulla pietra, Piemme Casale Monferrato 1995; Il primato della Chiesa romana, Rusconi, Milano 1991. 2) M. GUARDUCCI, La tomba di Pietro... op. cit., p. 10. 3) Ibid., p. 13. 4) Ibid., pp. 29-40. 5) M. GUARDUCCI, Le reliquie di Pietro... op. cit., pp. 15s. 6) M. GUARDUCCI, La tomba di Pietro… op. cit., p. 84. 7) M. GUARDUCCI, Le reliquie..., op. cit., pp. 46-50; Le chiavi sulla Pietra, op. cit., pp. 28-32. 8) Ibid., pp. 85-87. 9) Ibid., p. 73. 10) Ibid., p. 118. 11) Ibid., p. 120. 12) Ibid., pp. 133-134. 13) Ibid., p. 139. 14) M. GUARDUCCI, Il primato della Chiesa di Roma Rusconi, Milano 1991, p. 9. 15) Ibid., p. 14. 16) Ibid., p. 18. 17) Ibid., p. 24. 18) Ivi. 19) Ibid., p. 26. 20) Ibid., p. 38. 21) Ibid., p. 43. 22) Ibid., pp. 71-72. 23) Ibid., p. 141. 24) A. PIOLANTI, Primato di S. Pietro e del Romano Pontefice, in “Enciclopedia Cattolica”, Città del Vaticano 1953, vol X, coll. 17-18. 25) M. GUARDUCCI, Le chiavi sulla Pietra, Piemme, Casale Monferrato 1995, pp. 58-59. 26) M. GUARDUCCI, Guida ai sotterranei della Basilica vaticana, Piemme, Casale Monferrato 1996, pp. 82-83. 27) ST CYPRIEN, Le Lettere di S. Paolo, Cittadella Editrice, Città di Castello 1965, pp. 177-178. 28) I Cor. X, 4. 29) M. GUARDUCCI, Le reliquie di Pietro in Vaticano, op. cit., p. 133. * Les lecteurs français comprenant l’italien pourront utiliser aussi la vidéocassette: La tomba di san Pietro a Roma, Mimep-Docete, via Papa Giovanni XXIII, 2 20060 Pessano (MI) Tel. et Fax: 02-950 40 75; 957 41 935 (L. 15.000). Cet article a été revu et corrigé par Mme le Professeur Guarducci et ses assistants. Vie Spirituelle L’ENFANT PRODIGUE Une des plus belles paraboles de l’Evangile de Saint Luc Par M. l’abbé Ugolino Giugni L a parabole de l’enfant prodigue est peutêtre l’une des plus belles de l’Evangile. Si cette “perle précieuse” n’a pas été perdue, c’est à l’évangéliste St Luc, qui plus que les autres nous montre la miséricorde du Seigneur, que nous le devons. Mon intention est d’en proposer aux lecteurs un petit commentaire inspiré des Pères de l’Eglise en empruntant surtout à St Ambroise de Milan. Cette parabole décrit admirablement l’histoire du péché et du retour à Dieu. En la commentant je transcrirai au fur et à mesure certains versets pour en expliquer ensuite la signification spirituelle. La parabole dans l’Evangile Un jour Jésus parlant en paraboles à ses disciples dit: «Un homme avait deux fils. Or le plus jeune des deux dit à son père: “Mon père, donnez-moi la portion de votre bien qui doit me revenir”. Et le père leur partagea son bien. Peu de jours après, le plus jeune fils ayant rassemblé tout ce qu’il avait, partit pour une région étrangère et lointaine, et il y dissipa son bien, en vivant dans la débauche. Après qu’il eut tout consumé, il survint une grande famine dans ce pays, et il commença à se trouver dans l’indigence. Il alla donc, et il s’attacha à un habitant de ce pays. Or celui-ci l’envoya à sa maison des champs pour paître les pourceaux. Il désirait se rassasier des cosses que mangeaient les pourceaux, mais personne ne lui en donnait. Rentrant alors en lui-même il dit: Combien de mercenaires, dans la maison de mon père, ont du pain en abondance, et moi ici je meurs de faim! Je me lèverai, et j’irai à mon père, et je lui dirai: “Mon père, j’ai péché contre le Ciel et à vos yeux; je ne suis plus digne d’être appelé votre fils; traitez-moi comme l’un de vos mercenaires”. Et se levant, il vint à son père, l’aperçut, s’attendrit, et accourant, tomba sur son cou et le baisa. Et le fils lui dit: “Mon père, j’ai péché contre le Ciel et à vos yeux, je ne suis 40 plus digne d’être appelé votre fils”. Mais le père dit à ses serviteurs: “Apportez vite sa robe première, et l’en revêtez; mettez un anneau à sa main et une chaussure à ses pieds; amenez aussi le veau gras, et tuez-le; mangeons et réjouissons-nous: car mon fils que voici était mort, et il revit; il était perdu, et il est retrouvé”. Et ils commencèrent à faire grande chère. Cependant son fils aîné était dans les champs; et comme il revenait et approchait de la maison, il entendit une symphonie et des danses. Il appela donc un des serviteurs, et lui demanda ce que c’était. Le serviteur lui répondit: Votre frère est revenu, et votre père a tué le veau gras, parce qu’il a recouvré son fils sain et sauf. Il s’indigna, et il ne voulait pas entrer. Son père donc étant sorti se mit à le prier. Mais lui, répondant, dit à son père: “Voilà tant d’années que je vous sers, et jamais je n’ai manqué à vos commandements, et jamais vous ne m’avez donné un chevreau pour faire bonne chère avec mes amis; mais après que cet autre fils, qui a dévoré son bien avec des femmes perdues, est revenu, vous avez tué pour lui le veau gras”. Alors le père lui dit: “Mon fils, toi, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi; mais il fallait faire un festin et se réjouir, parce que ton frère était mort, et il revit; il était perdu, et il est retrouvé”» (Luc XV, 11-32). Commentaire Un homme avait deux fils… Un jour, deux ermites, parlaient ensemble du début de cette parabole. “Mon père, dit le plus jeune, j’admire cette parabole, mais il me semble y voir une lacune”. “Laquelle, mon fils?” - “Il y manque la Mère…” “La mère devait être morte, mon fils - reprit le plus âgé - Si elle avait été en vie, peut-être que le pauvre garçon ne serait pas parti…”. Oui probablement ce fils devait être orphelin de mère, parce qu’autrement son affection envers elle l’aurait retenu de partir, puisqu’en général une mère du fait de sa bonté et de sa tendresse, a toujours une entrée particulière dans le cœur de son fils. Le père est, indubitablement, la figure de Dieu qui a deux peuples; le fils aîné est celui qui demeure dans le culte du Dieu unique (le peuple juif), l’autre le plus jeune est celui qui quitte la maison du Père et Dieu pour aller adorer les idoles (les gentils). Le plus jeune… Donc le moins expérimenté; il n’est pas satisfait du bien qu’il possède et ne sait pas l’apprécier parce qu’à ses yeux tout lui semble dû. Nous aussi souvent, dans la vie spirituelle, nous ne savons pas apprécier les grâces que Dieu nous donne de manière habituelle, parce que cela nous semble quelque chose de “normal, de dû” et nous n’en comprenons la valeur que quand… nous les avons perdues. “Mon père, donnez-moi la portion de votre bien qui doit me revenir”. Il demande au père le tiers des biens, selon la loi mosaïque (Deut. XXI, 17), mais pour l’exiger il fallait normalement que le père fût mort. Ce jeune homme, en un certain sens, signe un effet ‘à se payer après avoir hérité de son père’, comme font beaucoup aujourd’hui… Et le père leur partagea son bien. Le père représente Dieu, lequel met le libre-arbitre entre les mains de tout homme arrivé à l’âge de raison. Dieu fait-Il mal de nous faire libres? Non! Il veut ennoblir notre obéissance avec la possibilité de notre révolte. “Dieu a mis devant toi l’eau et le feu: étends la main vers ce que tu voudras. Devant l’homme sont la vie et la mort” (Eccli. XV, 17-18). St Ambroise dit: «Vous voyez que le patrimoine divin se donne à ceux qui demandent. Et ne croyez pas que le père soit en faute pour avoir donné au plus jeune: il n’y a pas de bas-âge pour le Royaume de Dieu, et la foi ne sent pas le poids des ans. En tout cas celui qui a demandé s’est jugé capable; et plût à Dieu qu’il ne se fût pas éloigné de son père! il n’aurait pas éprouvé les inconvénients de son âge». Peu de jours après, le plus jeune fils ayant rassemblé tout ce qu’il avait, partit pour une région étrangère et lointaine. Quelle hâte! Le sol paternel lui brûlait sous les pieds. Il partit pour un pays lointain parce qu’il avait honte de faire le mal sous les yeux de son père. St Jean Chrysostome commente: “il ne s’éloigna point de Dieu, qui est partout, par la distance des lieux, mais par le cœur; car le pécheur fuit Dieu et se tient loin de lui”. Pour St Augustin la région lointaine est l’oubli de Dieu de la part du pécheur. St Ambroise: «Qu’y a-t-il de plus éloigné que de se quitter soi-même, que d’être séparé non par les espaces, mais par les mœurs, de différer par les goûts, non par les pays, et, les excès du monde interposant leurs flots, d’être distant par la conduite… Car qui- 41 Saint Ambroise, évêque de Milan conque se sépare du Christ s’exile de la patrie, est citoyen du monde. (…) Donc celuilà, vivant dans la débauche, a gaspillé tous les ornements de sa nature: alors vous qui avez reçu l’image de Dieu, qui portez sa ressemblance, gardez-vous de la détruire par une difformité déraisonnable. Vous êtes l’ouvrage de Dieu, ne dites pas au bois [ou à toute autre créature…]: Mon père, c’est toi; ne prenez pas la ressemblance du bois, puisqu’il est écrit: “Que ceux qui font les (idoles) leur deviennent semblables”». Nous pouvons actualiser cette scène terrible. Voici un jeune homme, fils de famille aisée qui habite dans une petite localité de campagne. Là il a tout; mais au lieu de distractions saines il pense à des paradis artificiels, les drogues, les plaisirs… Ça ne lui suffit pas de jouer au foot ou au tennis. Il ne veut pas rester à moisir dans le sauvage bourg natal… Non, non! Il a besoin de voir les grandes villes avec leurs palais, leurs théâtres, leurs bars, leurs lèvres peintes, leurs orchestres sauvages et leur bals plus sauvages encore. Le pain de la maison, sous les yeux de Dieu et des parents, est trop sain et trop bon… Le jeune fils est un heureux (rien ne lui manque!) mais un heureux qui s’ennuie et veut renouveler l’expérience de tous les dévoyés; ivresse qui passe comme un éclair et dégoût qui dure et tourmente. Et il y dissipa son bien, en vivant dans la débauche. Cet argent qu’il a en poche il le considère comme étant à lui, il pense ne pas devoir en rendre compte à personne, ses dépenses ne sont pas bonnes, ne sont pas pures. Il vécut de manière luxurieuse dit le texte latin, c’est-à-dire en brûlant la chandelle par les deux bouts en dépensant en plaisirs malhonnêtes et en vivant paresseusement au-dessus de ses moyens: une vie “pleine à l’extérieur”, mais absolument “vide à l’intérieur”, riche extérieurement donc, mais pauvre intérieurement. Les amis qu’il trouve ne sont pas ses amis à lui, mais les amis de son argent et de ses vices; ils lui tourneront le dos quand il n’aura plus d’argent et ne pourra plus leur payer de réjouissances. Ainsi fait le pécheur: il gaspille les biens de Dieu et sa grâce, le diable qui le tente n’est pas un véritable ami… mais un exploiteur indigne et ingrat. Après qu’il eût tout consumé, il survint une grande famine dans ce pays, et il commença à se trouver dans l’indigence. Le symbolisme est profond! Après la faute, arrive le vide du cœur avec le vide des poches. Il faut que l’épreuve, l’indigence et la douleur labourent son cœur pour que dans ces sillons profonds puisse naître et porter du fruit le germe du repentir. La faim est l’absence des paroles de vérité dit St Thomas. Et St Ambroise commente: «Qui s’écarte de la Parole de Dieu est affamé, puisque l’on ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole de Dieu (Lc IV, 4). S’écartant de la source on a soif, s’écartant du trésor on est pauvre, s’écartant de la sagesse on est stupide, s’écartant de la vertu on se détruit. Il était donc juste qu’il vînt à manquer, ayant délaissé les trésors de la sagesse et de la science de Dieu et la profondeur des richesses célestes. Il en vint donc à manquer et à sentir la faim, parce que rien ne suffit à la volupté prodigue. On éprouve toujours la faim quand on ne sait se combler des aliments éternels». Il alla donc, et il s’attacha à un habitant de ce pays. Or celui-ci l’envoya à sa maison des champs pour paître les pourceaux. Selon St Ambroise cet “habitant de ce pays” (éloigné du royaume du Père, et où l’on vit dans la débauche) n’est autre que le prince de ce monde (le diable) au service duquel se met le pécheur. Il s’agit d’un maître cruel et mauvais qui l’envoie faire paître les porcs, c’est-à-dire tous les esprits immondes et de péché qui obéissent au diable. Pour reprendre l’exemple précédent du jeune homme de la campagne, voici que celui qui désirait une vie indépendante se retrouve serviteur d’un mauvais maître. Il désirait la grande ville et détestait la maison paternelle dans le petit centre rural et le voilà envoyé à nouveau dans les champs (non plus les siens, maintenant), pour faire un métier humiliant, spécialement pour un juif qui considère les porcs comme des animaux immondes dont il n’est pas permis de manger la viande. Comme finit mal et dans l’ombre 42 l’aventure rêvée… Partir vers les plaisirs et les folies pour finir gardien de porcs…! Hélas ce passage de la parabole est vérité de tous les jours pour beaucoup d’hommes. Qui vit sans se connaître est la proie d’illusions. Il rêve à l’ivresse et trouve le vide infini. Il désirait se rassasier des cosses que mangeaient les pourceaux, mais personne ne lui en donnait. Il ne désire donc plus les aliments exquis des banquets, que son argent pouvait lui procurer peu de temps avant… mais il éprouve la nécessité de “se rassasier” avec un aliment qui en Orient ne se donne qu’aux animaux et qui n’est destiné aux hommes qu’en cas de disette. St Ambroise: « Les débauchés n’ont d’autre souci que de se garnir le ventre; “leur ventre étant leur Dieu” (Phil. III, 19). Et quelle nourriture convient mieux à de tels hommes que celle qui est, comme le gland, creuse au-dedans, molle au-dehors, faite non pour alimenter, mais pour gaver le corps, plus pesante qu’utile? Il en est qui voient dans les porcs les troupes des démons, dans les glands la chétive vertu des hommes vains et le verbiage de leurs discours qui ne peuvent être d’aucun profit: par une vaine séduction de philosophie et par le tintamarre sonore de leur faconde ils font montre de plus de brillant que d’utilité quelconque. Mais de tels agréments ne sauraient durer: aussi personne ne les lui donnait ». Personne ne lui en donnait. Et alors il vole, touchant ainsi le fond de la misère… de fils de son père à …voleur; même si c’est par nécessité. “Il chercha à être heureux et finit avec la faim; il chercha à briller et finit porcher; il chercha ce qui n’était pas à lui et finit par voler la nourriture des bêtes, puisque les hommes affamés eux-aussi ne lui en donnaient pas. Oh maison paternelle…”. Quand le diable s’empare de quelqu’un il ne lui procure plus l’abondance parce qu’il sait que désormais il est mort (spirituellement)… Rentrant alors en lui-même il dit: Combien de mercenaires, dans la maison de mon père, ont du pain en abondance, et moi ici je meurs de faim! Là se produit la conversion et nous en voyons toute la psychologie. Celui qui s’éloigne de Dieu, s’éloigne de lui-même; et retourner à Dieu signifie donc rentrer en soimême. Comment ai-je pu faire ce que j’ai fait? Pourquoi la passion en moi a-t-elle été plus forte que la raison? Les plus simples parmi les fidèles à Dieu (les mercenaires dans la maison de mon père) ont en abondance le pain de la paix, le pain de la foi, le pain de l’Eucharistie, et moi au contraire je meurs de faim! J’ai cherché à rassasier tous mes désirs… et j’ai fini par avoir faim, par n’avoir même plus le nécessaire! Comme j’allais mieux, quand je croyais aller plus mal… La paix du cœur, la conscience du devoir bien fait est quelque chose qui n’a pas de prix… St Ambroise: “Il existe aussi des mercenaires qui sont engagés pour la vigne (…) à qui l’on dit: Venez, je ferai de vous des pêcheurs d’hommes (Matth. IV, 19). Ceux-là ont en abondance non les glands, mais les pains. O Seigneur Jésus, si vous nous ôtiez les glands et nous donniez les pains! car vous êtes l’économe dans la maison du Père; oh! si vous daigniez nous engager comme mercenaires, même si nous venons sur le tard! car vous engagez même à la onzième heure, et vous daignez payer le même salaire: même salaire de vie, non de gloire; car ce n’est pas à tous qu’est réservée la couronne de justice, mais à celui qui peut dire: J’ai combattu le bon combat (II Tim. IV, 7), comme dit St Paul. “Je n’ai pas cru - poursuit le saint évêque de Milan - devoir me taire sur ce point, parce que certains, je le sais, disent qu’ils réservent jusqu’à leur mort la grâce… ou la pénitence. D’abord comment savez-vous si c’est la nuit prochaine qu’on vous demandera votre âme? Et puis, pourquoi penser que n’ayant rien fait tout vous sera donné?”. Je me lèverai, et j’irai à mon père, et je lui dirai: “Mon père, j’ai péché contre le Ciel et à vos yeux; je ne suis plus digne d’être appelé votre fils; traitez-moi comme l’un de vos mercenaires”. Et se levant, il vint à son père. Cet état ne peut plus durer davantage: je ne suis pas fait pour le métier de porcher. Je changerai et j’irai vers mon père, lequel, après tout, reste toujours mon père. St Augustin: “Je me lèverai, car il était couché (à cause du péché)…; j’irai, car il était loin; à mon Père, car il était au service du maître des pourceaux”. Et se levant, il vint à son père. Voilà un propos effectif qui est suivi de l’exécution loyale. La pire tentation est celle de remettre à demain la conversion. St Augustin (qui s’y entendait!), dit que le “demain, demain, cras cras, est la parole des corbeaux qui se nourrissent des charognes”. Si en lisant ces mots vous vous sentez être un fils dévoyé, rentrez en vous-même et revenez aussitôt à Dieu avec les moyens que je vous ai indiqués. Ce sera le meilleur fruit de la lecture de ces pages. 43 Qu’afin de vous décider au grand pas l’accueil du Père au prodigue qui revient vous stimule. Et se levant, il vint à son père, l’aperçut, s’attendrit, et accourant, tomba sur son cou et le baisa. Et le fils lui dit: “Mon père, j’ai péché contre le Ciel et à vos yeux, je ne suis plus digne d’être appelé votre fils”. Mais le père dit à ses serviteurs: “Apportez vite sa robe première, et l’en revêtez; mettez un anneau à sa main et une chaussure à ses pieds; amenez aussi le veau gras, et tuez-le; mangeons et réjouissonsnous: car mon fils que voici était mort, et il revit; il était perdu, et il est retrouvé”. St Ambroise: « Le Père se réconcilie volontiers, lorsqu’on l’implore avec instance. Alors apprenons avec quelle supplication il faut aborder le Père! Père - dit le fils: quelle miséricorde, quelle tendresse, chez celui qui, même offensé, ne refuse pas de s’entendre donner le nom de Père! Père, dit-il, j’ai péché contre le ciel et à votre face. Tel est le premier aveu, à l’auteur de la nature, au maître de la miséricorde, au juge de la faute. Mais bien qu’Il connaisse tout, Dieu cependant attend l’expression de notre aveu; car c’est par la bouche que se fait la confession en vue du salut (Rom. X, 10), attendu qu’on allège le poids de son égarement quand on se charge soi-même; et c’est couper court à l’animosité de l’accusation que prévenir l’accusateur en avouant: car le juste, dès le début de son discours, est son propre accusateur. D’autre part, il serait vain de vouloir dissimuler à Celui que vous ne tromperez sur rien; et vous ne risquez rien à dénoncer ce que vous savez être déjà connu. Avouez plutôt, afin que pour vous intervienne le Christ, que nous avons pour avocat auprès du Père; [afin] que l’Eglise prie pour vous (…). Croyez, car Il est vérité; soyez en repos, car Il est force. Il a sujet d’intervenir pour vous, afin de n’être pas inutilement mort pour vous. Le Père aussi a sujet de pardonner, car ce que veut le Fils, le Père le veut. J’ai péché contre le Ciel et à votre face. Ce n’est assurément pas pour mentionner un élément, mais pour signifier que le péché de l’âme diminue les dons célestes de l’Esprit, ou qu’il n’eût pas fallu se détourner du sein de cette mère, Jérusalem, qui est au ciel. Je ne suis plus digne d’être appelé votre fils: car le déchu ne doit pas s’exalter, afin de pouvoir être relevé grâce à son humilité. Traitez-moi comme un de vos mercenaires: il sait qu’il y a une différence entre les fils, les amis, les mercenaires, les es- claves: on est fils par le baptême, ami par la vertu, mercenaire par le travail, esclave par la crainte. Mais les esclaves mêmes et les mercenaires deviennent amis, ainsi qu’il est écrit: Vous êtes mes amis, si vous faites ce que je vous commande; je ne vous appelle plus serviteurs (Jn XV, 14). Ainsi se parlait-il; mais ce n’est pas assez de parler, si vous ne venez au Père. Où le chercher, où le trouver? Levez-vous d’abord: j’entends vous qui jusqu’ici étiez assis et endormis; aussi l’Apôtre dit-il: Debout, vous qui dormez, et levez-vous d’entre les morts (Eph. V, 14). L’iniquité est assise sur un talent de plomb; mais il est dit à Moïse: Pour toi, sois debout ici (Deut. V, 13): le Christ a choisi ceux qui sont debout. Debout donc, courez à l’Eglise: là est le Père, là est le Fils, là est l’Esprit Saint. A votre rencontre vient Celui qui vous entend converser dans le secret de votre âme; et quand vous êtes encore loin, Il vous voit et accourt. Il voit dans votre cœur; Il accourt, pour que nul ne vous retarde; Il embrasse aussi. Sa rencontre, c’est sa prescience; son embrassement, c’est sa clémence, et les démonstrations de son amour paternel. Il se jette à votre cou pour vous relever gisant, et, chargé de péchés et tourné vers la terre, vous retourner vers le ciel pour y chercher votre auteur. Le Christ se jette à votre cou, pour dégager votre nuque du joug de l’esclavage et suspendre à votre cou son joug suave. Ne vous semble-t-il pas s’être jeté au cou de Jean, lorsque Jean reposait sur la poitrine de Jésus, la tête renversée en arrière? Aussi a-til vu le Verbe chez Dieu, étant dressé vers les hauteurs. Il se jette à votre cou, lorsqu’Il dit: Venez à moi, vous qui peinez, et je vous réconforterai; prenez mon joug sur vous (Matth. XI, 28). Telle est la manière dont Il vous étreint, si vous vous convertissez. Et Il fait apporter robe, anneau, chaussures. La robe est le vêtement de la sagesse: les Apôtres en couvrent la nudité du corps; chacun s’en enveloppe. Et ils reçoivent la robe pour revêtir la faiblesse de leur corps de la force de la sagesse spirituelle. De la sagesse en effet il est dit: elle lavera dans le vin sa robe (Gen. XLIX, 11). La robe donc est l’habillement spirituel et le vêtement des noces. L’anneau est-il autre chose que le sceau d’une foi sincère et l’empreinte de la vérité? Quant à la chaussure, c’est la prédication de l’Evangile. (…) La préparation de 44 l’Evangile, qui envoie à la course aux biens célestes ceux qu’il a préparés, c’est de ne pas marcher selon la chair, mais selon l’Esprit. On tue encore le veau gras: ainsi, rendu par la grâce du sacrement à la communion aux mystères, on pourra se nourrir de la chair du Seigneur, riche de vertu spirituelle. Nul ne peut en effet, s’il ne craint Dieu, ce qui est le commencement de la sagesse, s’il n’a gardé ou recouvré le sceau de l’Esprit, s’il n’a confessé, le Seigneur, prendre part aux mystères célestes. Quant à l’anneau, l’avoir c’est avoir et le Père et le Fils et l’Esprit Saint, car Dieu a mis sa marque, Lui dont le Christ est l’image, et Il a déposé comme gage l’Esprit dans nos cœurs, pour nous faire savoir que telle est l’empreinte de cet anneau qui est mis à la main, par qui sont marqués l’intime de nos cœurs et le ministère de nos actions ». La morale de la parabole Jésus Lui-même fait l’application de la parabole par ces mots: mangeons et réjouissons-nous: car mon fils que voici était mort, et il revit; il était perdu, et il est retrouvé. - En Le retour de l’enfant prodigue (peinture du Guerchin) vérité je vous le dis, il y aura plus de joie dans le ciel pour un pécheur faisant pénitence que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n’ont pas besoin de pénitence. Le Père se réjouit parce qu’il a retrouvé son fils qui était perdu; Dieu ne cesse jamais d’aimer ses créatures, Il les attend avec une infinie miséricorde jusqu’à ce que, contrites, elles reviennent à Lui. St Ambroise commente: “le Père prend sa joie au retour du pécheur; plus haut le Fils prend sa joie à la brebis retrouvée: vous reconnaissez ainsi que le Père et le Fils n’ont qu’une même joie, qu’une même activité pour fonder l’Eglise (…). Mais cela est aussi utile pour nous encourager au bien, si chacun de nous croit que sa conversion fera plaisir aux armées des Anges, dont on doit ou désirer ardemment la protection ou craindre la disgrâce. Toi aussi alors sois motif de joie pour les Anges, et qu’ils se réjouissent pour ton retour”. Enfin écoutons St Grégoire le Grand: « Je vous dis de même qu’il y aura plus de joie dans le ciel pour un pécheur faisant pénitence que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n’ont pas besoin de pénitence (Lc XV, 7). Nous devons considérer, mes frères, pourquoi le Seigneur proclame que dans le ciel il y a plus de joie pour les pécheurs convertis que pour les justes qui le sont toujours restés. N’est-ce peut-être pas ce que nous-mêmes voyons et expérimentons chaque jour? Qui plus est ceux qui savent ne pas être accablés de péchés, restent certainement dans la voie de la justice, ne commettent rien qui ne soit pas permis, mais n’aspirent pas avec désir à la patrie céleste et s’adonnent sans frein à l’usage des choses permises, se souvenant de n’avoir rien commis qui ne soit pas permis. Et qui plus est ils sont paresseux dans l’exercice du bien, trop certains qu’ils sont de n’avoir jamais commis le mal. Au contraire, souvent ceux qui se souviennent avoir commis quelque chose de grave, aiguillonnés par leur douleur brûlent d’amour de Dieu, s’exercent à de grandes vertus, ambitionnent les âpretés de la sainte bataille, abandonnent tout ce qui est mondain, fuient les honneurs, se réjouissent des mépris, brûlent de désir en aspirant à la patrie céleste. Se souvenant de s’être éloignés de Dieu, ils cherchent à compenser les dommages précédents par des gains suivants. Donc, la joie est plus grande au ciel pour un pécheur converti, que pour un juste qui l’est toujours resté, parce que de la même façon 45 le général à la bataille aime davantage le soldat qui, revenu après la fuite, attaque avec courage l’ennemi, plutôt que celui qui n’a jamais tourné le dos, mais n’a jamais agi en brave. Ainsi l’agriculteur aime plus la terre qui, libérée des épines, produit des moissons abondantes, que celle qui ne fut jamais recouverte d’épines, mais ne fut jamais vraiment fertile. (…) On peut en déduire quelle joie cause à Dieu le juste qui pleure ses faiblesses humblement, si donne tant de joie au ciel l’injuste ou le pécheur qui a commis le mal et le condamne par sa pénitence ». Cette parabole est précisément l’histoire de chacun de nous. Probablement nous avons tous été à un moment de notre vie le “fils prodigue” qui s’est éloigné de Dieu par le péché. Mais Dieu le Père n’a pas cessé de nous aimer, Il a attendu avec patience le moment de pouvoir exercer son infinie miséricorde (son Cœur d’une bonté infinie se penche sur notre misère naturelle) quand, touchés par sa grâce et rentrés en nousmêmes, est arrivé le moment du pardon. Par le sacrement de la confession Dieu nous a donné son pardon absolu, complet, sans réserve, quand nous sommes tombés à genoux devant le ministre de Dieu, comme le fils devant son Père, et nous avons proféré notre “peccavi”! Il nous a relevés, il ne nous a pas traités de serviteurs ou d’esclaves comme nous le méritions (seul le diable est un mauvais maître…) mais nous a rétablis dans la possession complète de tous les biens qui par droit nous revenaient, en tant que fils d’un tel Père. Ô bonté infinie de Dieu. Misericordias Domini in æternum cantabo (Je chanterai éternellement les miséricordes du Seigneur) (Ps. 88)! Merci Seigneur Jésus de nous avoir tant aimés, de nous avoir tant pardonné! Ô Dieu le Père qui attendez et accueillez l’enfant prodigue faites “que le Christ habite par la foi dans nos cœurs, et qu’enracinés et fondés dans la charité, nous puissions comprendre avec tous les saints, quelle est la largeur et la longueur, la hauteur et la profondeur, et connaître aussi la charité du Christ [qui est le Sacré-Cœur], qui surpasse toute science, afin que nous soyons remplis de toute la plénitude de Dieu” (cf. Eph. III, 17-19). Bibliographie: - S AINT A MBROISE DE MILAN , Traité sur l’Evangile de S. Luc, II, livres VII-X, Sources Chrétiennes N° 52, Ed. du Cerf, Paris 1958. - SAINT THOMAS D’AQUIN, La Chaîne d’Or, tome 6, Paris 1855. - S AINT G REGOIRE LE G RAND , Omelia XXXIV, 4, 5, III dom. Dopo la Pentecoste. In Omilie sui Vangeli, UTET, Torino 1968. - D OMENICO B ERTETTO , Il mistero della Colpa, secondo S. Tommaso, Pia Soc. S. Paolo, Alba CN 1952. L’APOCALYPSE SELON CORSINI Par M. l’abbé Francesco Ricossa “J ésus annonçait le royaume, et c’est l’Eglise qui est venue”. Il suffit d’entendre prononcer le nom de Loisy, le malheureux chef de file du modernisme, pour que cette célèbre phrase nous revienne en mémoire. Elle est extraite de son livre L’Evangile et l’Eglise. Saint Pie X l’avait à l’esprit, lorsque dans le décret Lamentabili il condamna entre autres cette proposition (n. 52): “Il n’a pas été dans la pensée du Christ de constituer l’Eglise comme une société destinée à durer sur la terre une longue série de siècles; au contraire, dans la pensée du Christ, le royaume du ciel et la fin du monde était également imminents” ( DS 3452; Ecrits Doctrinaux de Saint Pie X, éd. Téqui, p. 143). Pour détruire en effet d’un seul coup tout le christianisme, il n’est pas de meilleur moyen: car si Jésus s’est trompé en annonçant l’imminence de la fin du monde, c’est qu’Il était un visionnaire, un faux prophète, une pure créature faillible et exaltée, et ses disciples étaient des mystificateurs qui ont substitué l’Eglise au royaume des Cieux si longtemps et vainement attendu. Loisy n’inventait rien. Il reprenait les divagations de Weiss (1892), vulgarisées par Renan. Peu de gens savent que l’eschatologisme (système selon lequel Jésus aurait prêché essentiellement la fin imminente du monde) est depuis longtemps disqualifié parmi les exégètes, pour n’être plus en vogue que chez les Témoins de Jéhovah et autres Adventistes... Mais, hélas, même parmi les personnes cultivées en sciences profanes, on trouve ce préjugé considéré 46 comme vérité évidente: que Jésus a prêché l’imminente fin du monde et que ses disciples l’ont attendue anxieusement. Mgr Spadafora A cette objection les exégètes catholiques ont amplement répondu, entre autres le regretté Mgr Francesco Spadafora, ancien professeur à l’Université Pontificale du Latran, qui fut l’ennemi le plus radical de l’eschatologisme. La réfutation de cette erreur revient dans presque toutes ses œuvres: rappelons Gesù e la fine di Gerusalemme (1950) [Jésus et la fin de Jérusalem], pour ce qui concerne le discours dit eschatologique de Jésus dans les Evangiles synoptiques (Lc, 17, Mt. 24, Mc 13, Lc 21, qui n’annoncent pas la fin du monde, mais la destruction de Jérusalem et du Temple), et L’escatologia in san Paolo (1957) [L’eschatologie dans saint Paul], pour ce qui concerne surtout les deux épîtres aux Thessaloniciens. La Parousie, ou venue du Seigneur, indique, dans l’Evangile comme dans le texte paulinien, l’intervention du Seigneur pour secourir l’Eglise persécutée par la Synagogue: “la fin de la nation juive sera la libération pour l’Eglise” (Spadafora, Dizionario Biblico, rubrique Escatologia). En ce qui concerne l’Apocalypse (cf. Dizionario Biblico) Mgr Spadafora se rallie, comme son maître Mgr Antonino Romeo (cf. rubrique Apocalisse de l’Enciclopedia Cattolica, rédigée par Romeo) à la position du P. Allo en réfutant l’exégèse “eschatologique” (selon laquelle avec l’Apocalypse “nous aurions la prédiction des événements qui précéderont immédiatement et accompagneront l’apparition de l’Antéchrist, sa lutte, sa défaite définitive, avec le jugement dernier. Beaucoup tomberont dans l’erreur du millénarisme littéral...”) ainsi que celle qui voit dans l’Apocalypse la description des époques ou ères de l’histoire de l’Eglise (très diffusée autrefois par Joachim de Flore). Et pourtant, qui peut affirmer n’avoir jamais pensé de toute sa vie, et spécialement dans les périodes de crise de l’histoire et de crise pour l’Eglise, que ce dont parlent les derniers livres de la sainte Ecriture, avec des expressions mystérieuses et terrifiantes, est justement ce qui doit arriver à la fin du monde et de l’Eglise? Voici ce qu’a écrit à ce propos le cardinal Billot: “Parmi les préjugés concernant les livres de la sainte Ecriture, il n’en est pas de plus généralement répandu que celui qui tient l’Apocalypse pour être, ou exclusivement, ou du moins dans sa partie principale, la prophétie de la fin des temps, de ses signes avantcoureurs, des événements qui la précéderont, des catastrophes qui l’annonceront. Interrogez, en effet, à ce sujet la plupart de ceux qui s’intéressent aux choses de la religion, et y ont quelque culture: immanquablement, et à bien peu d’exceptions près, ils vous répondront que d’abord l’Apocalypse est un livre sibyllin qu’il ne faut pas même tenter de déchiffrer, vu que tous ceux qui en ont voulu faire l’essai y ont misérablement échoué; qu’au surplus, si l’intelligence en est peut-être réservée à l’avenir, pour le moment du moins on n’en sait vaguement qu’une seule chose: c’est que ce sont des prédictions regardant l’Antéchrist, les derniers combats de l’Eglise, la persécution suprême, la venue d’Enoch et d’Elie, l’apparition du juge des vivants et des morts, les assises générales de l’humanité avec ce qui s’ensuivra dans les éternels châtiments et les éternelles récompenses. Mais combien étrange, combien incroyable, combien paradoxale surtout leur paraîtrait l’opinion de celui qui, même appuyé sur la grande autorité de Bossuet, essayerait timidement de soutenir que la partie de l’Apocalypse visant directement et immédiatement les derniers jours, tient tout juste dans le livre la place d’une dizaine de versets (...)” ; de cette thèse, de ce préjugé bien enraciné, Billot dit encore, “nous répondons sans hésiter par une dénégation absolue” (L. Billot, La Parousie, Beauchesne, 1920, pp. 267-271). Tout en demeurant soumis au jugement de l’Eglise, seule compétente en matière d’interprétation authentique de la Sainte Ecriture (Dz 1788), le soussigné se range en cela à l’opinion d’un Billot, d’un Spadafora, d’un Romeo ou d’un Allo: ce n’est pas du futur que parle l’Apocalypse, mais bien plutôt du passé. Sur ce, voilà que m’est tombé entre les mains le livre d’Eugenio Corsini. Je veux le présenter au lecteur. Petite note autobiographique Eugenio Corsini est né en 1924. Après avoir étudié la littérature chrétienne avec Mgr Pellegrino et s’être diplômé, il poursuit ses études à Paris (Sorbonne, Ecole pratique des Hautes Etudes) et à Rome (Institut Biblique). 47 Je l’ai eu un an (1976-77) comme professeur de littérature chrétienne antique à l’Université de Turin; il y a terminé sa carrière sur la chaire de littérature grecque. Que le lecteur ne s’y trompe pas: le fait d’avoir suivi ses cours, qui portaient justement à l’époque sur l’Apocalypse, ne m’a pas influencé au point de me pousser à suivre dès lors son exégèse. Le jeune étudiant de 17 ans que j’étais à l’époque n’y comprit goutte, tout simplement: il lui manquait la maturité, et aussi la prédisposition: car le Professeur Corsini n’était et n’est toujours pas un catholique “traditionnel” (contrairement à Mgr Spadafora) mais un “progressiste” comme son “maître” Pellegrino. Lorsqu’en 1980 le fruit de ses études fut publié sous le titre Apocalisse prima e dopo (éd. SEI, Torino) avec une préface d’un autre “progressiste”, Mgr Rossano, j’achetai le livre, geste qui n’eut pas de suite car le livre resta sur une étagère de ma bibliothèque (ce livre a été traduit en français par les Editions du Seuil, Paris, en 1984, sous le titre L’Apocalypse maintenant, avec préface du non moins progressiste Xavier LéonDufour). Ces années-là je fréquentais le séminaire d’Ecône et le professeur d’Ecriture Sainte disait souvent “ne pas avoir la clef de l’Apocalypse”... Les séminaristes plaisantaient volontiers sur le refrain du bon Père, mais au fond il n’y avait pas lieu de le lui reprocher, puisque même le grand exégète que fut l’abbé Giuseppe Ricciotti confessait ouvertement son ignorance sur ce thème, lorsqu’il écrivait: “on peut interpréter certains passages de ce livre mystérieux avec une précision et une certitude approximative; mais l’ensemble, et spécialement les références chronologiques, demeurent aussi obscures aujourd’hui que pour les Pères et les écrivains chrétiens anciens, qui en ont donné des interprétations différentes” in La Sacra Bibbia annotée de G. Ricciotti, Salani, 1940, p. 1761, éd. de 1976). L’idée que je me faisais de l’Apocalypse était donc celle de la grande majorité des lecteurs: un écrit mystérieux et obscur sur l’Antéchrist et la fin du monde, dont ne me paraissaient clairs (parce qu’utilisés de façon adaptée par la Liturgie!), que quelques tableaux tout à fait isolés de l’ensemble du texte inspiré. Et ce, jusqu’au jour où je repris en main le livre de Corsini. A mesure que j’avançais dans la lecture, ma méfiance allait se dissipant tandis que, contemporainement, les versets du dernier livre de la Sainte Ecriture se faisaient clairs et lumineux. Finie la lecture, je me trouvai tout content: c’était la première fois de ma vie que je lisais un commentaire donnant de l’Apocalypse une vision non seulement pleinement orthodoxe, mais aussi cohérente, homogène, unitaire, claire dans toutes ses parties strictement liées entre elles par un unique critère interprétatif, une vision à la fois moderne et conforme, comme je l’ai dit, à la règle la plus exigeante de la foi... Ça n’est pas sans préoccupation que j’ai été témoin, ces dernières années, de l’emploi impropre fait de l’Apocalypse jusque dans les rangs des opposants à Vatican II. Comme en tout temps de crise (et Dieu sait si nous y sommes!), on a cherché à voir dans les événements contemporains la réalisation des antiques et obscures prophéties: nos propres adversaires devenant immanquablement la Bête ou la Prostituée de Babylone, nos propres “idoles” devenant par contre les “deux Témoins”, sans parler de l’attente du retour imminent d’Enoch et d’Elie en personne. On est pris d’une terrible angoisse à voir de bons catholiques identifier l’Eglise et la Prostituée comme l’a fait un jour Luther, ou bien tomber dans le millénarisme judaïque en invoquant - à tort - l’Apocalypse, ou encore emboîter le pas aux Joachimites en annonçant la fin d’une Eglise corrompue et la naissance d’une nouvelle réalité spirituelle... Après avoir profité toutes ces années du livre de Corsini auquel je dois d’avoir évité de me fourvoyer dans beaucoup de bévues, il m’a semblé que je me devais à mon tour, en toute justice, de le faire connaître à “notre” public. Mon intention est de présenter le plus fidèlement possible la thèse de l’auteur, tout en laissant à chacun (en attendant un éventuel jugement de l’Eglise) la tâche de se faire une opinion personnelle après une éventuelle lecture de l’œuvre recensée. La méthode interprétative Dans l’introduction (pp. 11-89; pp. 15-63 éd. fr.) C. expose sa théorie et les principes exégétiques qui l’ont guidé. Pour ce qui est de la première, voici comment elle est résumée à la p. 18 (pp. 23-24 fr.): l’Apocalypse, comme l’indique son nom signifie “révélation”, “est bien la description d’une venue, de la venue de Jésus-Christ: mais il ne s’agit pas de celle qui viendra à la fin des temps, mais de celle qui s’est réalisée au cours de toute 48 l’histoire, depuis la création du monde, et qui a eu son point culminant dans le grand ‘événement’ (gr. kairós) de la venue historique de Jésus-Christ, surtout dans sa mort et sa résurrection”. Pour parvenir à cette conclusion, C. part du principe, qui devrait être évident, de l’unité de l’œuvre: nous ne devons pas nous permettre d’interpréter l’Ap. comme si chacune de ses parties, chacun de ses symboles étaient indépendants l’un de l’autre; l’Apocalypse est un tout articulé en quatre septénaires (7 lettres, 7 sceaux, 7 trompettes, 7 coupes). Quel est le lien entre ces quatre septénaires? C. suit donc en cela la méthode “récapitulative”, “l’unique, avec l’eschatologique, qui puisse être considérée comme traditionnelle. L’Apocalypse n’expose pas des événements futurs se suivant chronologiquement, mais offre en divers tableaux, qui souvent reprennent et développent les précédents, une vision prophétique de la lutte perpétuelle entre le Christ et Satan, avec la victoire du Royaume de Dieu militant et triomphant” (Spadafora); victoire, préciserait C., déjà essentiellement remportée et réalisée avec la mort et la résurrection de l’“Agneau debout et comme égorgé” (= le Christ mort et ressuscité) qui domine toute l’Apocalypse. Reste le problème des symboles utilisés par l’auteur inspiré (que C. identifie, conformément à la tradition, avec Jean, Apôtre et Evangéliste). L’Apocalypse s’explique avec l’Apocalypse, soutient C., en ce sens que souvent à un endroit du livre est expliqué un symbole qui se retrouvera ensuite autre part: au lecteur de se rappeler l’explication déjà donnée et de l’appliquer sans hésiter dans les passages les plus obscurs. Une autre “clef” de l’Ap. est constituée par l’Ancien Testament. Il n’existe probablement aucun écrit néotestamentaire aussi lié à l’Ancien Testament que l’Ap. (raison pour laquelle elle a été rejetée par les gnostiques: cf. pp. 54-55, pp. 40-41 éd. fr.), Jean considérant pourtant l’A.T. comme un “type”, une figure du Nouveau. C’est sur la base de ces deux critères que C. expliquera les symboles employés par Jean, symboles qui devaient être bien connus de ses lecteurs. Ainsi, les “êtres vivants” de Jean (Ap. 4) sont les Chérubins d’Ezéchiel (Ez. 1); le Dragon de l’Ap. 12 est le Serpent tentateur de la Genèse; les cheveaux aux couleurs variées renvoient à Zacharie (chap. 1 et 6); le Vieillard (Yahweh) renvoie à Daniel (ch. 7) St Jean avalant le livre: “puis la voix céleste que j’avais entendue me parla de nouveau, disant: va, prends le petit livre … et avale-le! il sera amer à tes entrailles, mais dans ta bouche il sera doux comme le miel” (Apoc. X, 8-9). Tapisseries de l’Apocalypse d’Angers. et le livre mangé à Ezéchiel (ch. 3). La signification des symboles vétéro-testamentaires repris par Jean reste la même, sauf modifications insérées explicitement par Jean luimême pour faire comprendre au lecteur le nouveau message apporté par le Nouveau Testament (cf. pp. 49-53; 36-39 fr.). D’autre part, un même symbole de base (qui devra être interprété à la lumière de l’Ancien Testament) pourra exprimer des choses différentes selon l’autre symbole auquel il est joint, tout en conservant cependant son sens fondamental: ainsi, la “femme” du chap. XII sera “prostituée” (autrement dit femme infidèle) au chap. XVIII ou “l’épouse, la femme de l’Agneau” (c’est-à-dire la femme fidèle) au chap. XXI. Même chose pour le symbole du “livre” (la révélation), parfois scellé, parfois ouvert, et dans les mains d’un ange ou dans celles de l’Agneau. Quant aux anges, omniprésents dans l’Ap., parfois clairement, parfois symbolisés par les “étoiles” (cf. Ap. 1, 20), ils signifient, pour C., l’économie de l’Ancien Testament supplantée par celle du Nouveau. Intuition fondamentale que cette 49 dernière, d’ailleurs très claire dans les écrits de saint Paul: la loi ancienne, Dieu nous l’a donnée par l’intermédiaire des anges, la Nouvelle nous a été donnée directement par le Fils infiniment supérieur aux anges (pp. 6971; 49-51 fr.)! Le même critère doit être adopté pour les symboles numéraux si importants dans l’Ap. (pp. 62-65; 46-47), et seuls les Témoins de Jéhovah vont jusqu’à les prendre dans leur sens littéral: ici aussi, la signification que nous révèle l’A.T. doit être conservée et scrupuleusement appliquée dans toutes les visions de l’Ap. [pour les curieux: 3 indique Dieu, 4 la terre, 6 l’homme, 7 la plénitude, 10, 20, etc., indiquent un chiffre indéfini, les numéros pairs indiquant généralement l’imperfection, les impairs la perfection...]. Pour certains l’interprétation de C. représentera une déception: je parle de ceux qui se sont efforcés de lire dans l’Ap. non pas la pensée de l’Apôtre que Jésus aimait et le message qu’il voulait transmettre aux premiers chrétiens, mais leurs propres préoccupations relatives à des temps et époques bien postérieurs. Grâce au commentaire de C. on découvre, au contraire, une remarquable harmonie entre l’Ap., les autres écrits de saint Jean, les lettres de saint Paul et les Evangiles synoptiques. Dans l’Ap. et le IVème Evangile, saint Jean dirait substantiellement la même chose, quoique dans des “genres littéraires” différents: l’Ap. même est une manifestation claire de la divinité du Christ, du Logos, comme l’appelle le IVème Evangile. Même harmonie entre saint Paul et saint Jean, pour ce qui est de combattre l’angélologie gnosticisante des judaïsants (cf. les Epîtres aux Hébreux, aux Ephésiens, aux Colossiens). Et si l’on adopte l’exégèse de Spadafora à propos des deux Epîtres aux Thessaloniciens, la concordance est parfaite non seulement avec les dernières, mais aussi avec les premières Epîtres de saint Paul (celles aux Thessaloniciens, justement), où, pas plus que dans l’Ap., il n’y aurait trace de parousie eschatologique (c’est-à-dire d’un retour imminent du Christ avec la fin du monde). C., se basant sur les Epîtres aux Thessaloniciens, pense que saint Paul espéra effectivement, dans un premier temps, le prochain retour du Christ. Spadafora, lui, interprète ces textes avec une clef complètement différente: la “venue” du Christ annoncée serait celle réalisée plus tard avec la destruction du Temple en l’an 70, qui blessa à mort le premier et perpétuel persécuteur du Christianisme, le Judaïsme. Par contre, dans l’interprétation des Evangiles synoptiques en ce qui concerne le “discours eschatologique” de Jésus, il existe une concordance substantielle entre C. et Spadafora: ce n’est pas la fin du monde que Jésus annonce, mais la fin d’un monde: celui du Judaïsme, du Temple, de Jérusalem, profanés par les excès qu’y commettront les zélotes durant le siège de Jérusalem (pour Spadafora) et, plus encore, par la condamnation à mort de Jésus que prononceront les princes des prêtres dans le Temple même (pour C., pp. 71-72; 51-56 fr.). Il y aurait là aussi une concordance admirable entre Evangiles et Apocalypse. La “trame” de l’Apocalypse De quoi parle donc l’Ap., si elle ne parle pas des derniers temps? Elle est, nous l’avons vu, une explication de toute la révélation sur Jésus-Christ, depuis la création jusqu’à la fondation de l’Eglise. Dans cette “histoire sacrée”, ou “histoire du salut”, ce qui fixe l’attention de Jean est la révolte et la chute des anges, le péché d’Adam et la chute de l’humanité, les conséquences du péché originel: peste, famine, guerre, péché, mort temporelle et spirituelle. Mais Dieu n’abandonne pas l’humanité, lui offrant une nouvelle fois le salut. L’Ap. a une vision positive de l’Ancien Testament, mais elle en souligne aussi le caractère imparfait, limité, tout orienté vers la plénitude du salut en Jésus-Christ, plénitude qui n’est plus réservée à quelques-uns, mais à tous. De la loi ancienne, Jean souligne le caractère de témoignage en faveur de Jésus, témoignage donné justement par la Loi et par les Prophètes (les deux Témoins qui dans l’Evangile sont représentés par Moïse et Elie aux côtés de Jésus dans la transfiguration). Mais les Prophètes sont aussi témoins de Jésus par le sang du martyre, puisqu’ils ont été tués par ces juifs “charnels”, tout comme le sera le Messie. Ces derniers n’attendent du Messie qu’un royaume terrestre; loin d’enseigner le millénarisme, l’Ap. le combat, rappelant que le “règne millénaire” du Messie est essentiellement spirituel. La mort et la résurrection du Christ constituent la victoire définitive sur la mort, Satan et le péché: le règne de Dieu, c’est l’Eglise, l’épouse immaculée de l’Agneau, le nouvel Israël, qui dès lors et 50 pour toujours dorénavant opère le salut des baptisés, tandis que s’est effectuée l’horrible transformation de la synagogue déicide en la prostituée de Babylone. Tel est en résumé, pour C., le thème de l’Apocalypse. Apocalypse, Judaïsme et Christianisme: l’Eglise, nouvel Israël A la lecture du bref résumé que nous venons de faire, le lecteur aura remarqué la vision négative de Jean au regard du Judaïsme qui a refusé le Christ. Ce point, continuellement souligné par C., ne peut pas ne pas soulever de discussion; il n’a pas échappé non plus à l’auteur de la préface de l’édition française (1), Léon-Dufour: “ le lecteur pourrait, au premier abord, être surpris par la dureté de certaines déclarations sur Israël, par exemple quand Corsini ne craint pas de voir dans la ‘Bête de la terre’ Israël qui s’est livré au pouvoir politique et a ainsi dévié de son orientation spirituelle primordiale. Il sera tenté d’accuser d’‘antisémitisme’ un auteur qui voit dans la Prostituée la Synagogue, et dans Babylone la Jérusalem terrestre. Mais ce serait injustice. Comme Corsini le montre avec insistance dans son ouvrage, l’Apocalypse non seulement n’est d’aucune manière un pamphlet contre le Judaïsme, mais elle expose magnifiquement en quoi consiste l’Israël spirituel (...) l’Israël de l’Ancien Testament. L’on y retrouve dans un autre langage, ce que dit le IVème Evangile: ce dernier affirme que ‘le salut vient des Juifs’ et à la fois, il désigne par ‘les Juifs’ ceux qui rejettent Jésus” (p. 12). En somme il suffit de s’entendre sur les termes “judaïsme” et “juifs”. Et l’Ap. signale précisément l’équivoque possible, par ces paroles de Jésus à l’Ange de l’Eglise de Smyrne: “je connais (...) les blasphèmes de ceux qui se disent Juifs et ne le sont pas, mais bien une synagogue de Satan” (Ap. 2, 9; cf. aussi 3, 9). Il y a donc un vrai judaïs1) En recherchant la concordance de pages des deux éditions italienne et française de l’ouvrage de C., quelle n’a pas été ma stupéfaction de constater que l’édition française, en fait de traduction, est plutôt un résumé et que ce sont justement les passages les plus “brûlants” cités dans cet article qui ont été systématiquement taillés, censurés, et édulcorés par le traducteur. Et ce, sans que le lecteur français en ait le moins du monde été averti! Dans l’édition française de Sodalitium nous rétablissons par conséquent le texte original en intégrant la version française des Editions du Seuil dans l’édition italienne de la SEI (qui a reçu l’imprimatur de la Curie de Turin). me, que l’Ap. adopte, et un faux qu’elle rejette radicalement. “Aucun écrit du Nouveau Testament n’affirme la continuité vitale entre le judaïsme et le christianisme avec autant de force et de conviction que l’Ap... Dans la vision de Patmos (...) Jésus-Christ apparaît à Jean au milieu de sept chandeliers d’or (cfr. 1, 13) et peu après il se définit luimême comme ‘Celui qui... marche parmi les sept chandeliers d’or’ (cfr. 2, 1). Le sens de cette vision est clair: Jésus-Christ vient du judaïsme. (...) Quand Il nie aux Juifs le droit de continuer à s’appeler ainsi, Il sous-entend que ce nom appartient maintenant aux chrétiens, devenus les vrais héritiers du judaïsme spirituel qui, selon Jean, avait été gardé et transmis par les saints et les prophètes, c’est-à-dire par les anciens ‘témoins’. (...) C’est dans la nouvelle communauté ecclésiale, que vit et se continue le judaïsme spirituel: les sept chandeliers, comme l’annonce solennellement Jésus-Christ à Jean, sont devenus les sept églises (cfr. 1, 20)” (C., pp. 57-58; 42-43 fr.). L’Eglise en tant que “Nouvel Israël”, vérité de foi rejetée de nos jours comme “théorie de la substitution” [de l’Eglise à Israël] est donc l’objet de l’Ap.: “dire que les chandeliers ‘sont les sept églises’, c’est dire qu’avec la venue de Jésus-Christ et l’achèvement de son œuvre messianique, le judaïsme s’est transformé pour devenir les ‘sept églises’, c’est-à-dire la totalité de l’Eglise. Tel est le sommet de la ‘révélation de Jésus-Christ’, l’accomplissement du ‘mystère’, le sens de tout le livre de l’Apocalypse” (p. 141; p. 92 fr.). La lettre à Laodicée, condamnation et réprobation du judaïsme Le premier des quatre septénaires est celui des lettres adressées aux sept églises d’Asie Mineure. Il s’agit pour certains de véritables lettres, réellement adressées respectivement aux communautés primitives: C. n’exclue pas lui non plus cette possibilité. Pour d’autres ce sont des lettres fictives. Quoiqu’il en soit, il ne s’agit pas de la prophétie des sept époques futures de l’Eglise, mais bien de sept périodes de l’histoire de l’humanité, depuis la chute d’Adam jusqu’au rejet du Messie de la part des Juifs. Ce rejet est le sujet de la dernière et terrible lettre, adressée à Laodicée: “elle exprime le jugement de condamnation contre le judaïsme qui, dans son aveuglement et son obstination, n’a pas reconnu en Jésus-Christ le Messie an- 51 noncé par les Ecritures. Il est reproché en effet à la communauté de n’être ‘ni froide ni chaude’ mais ‘tiède’ (cfr 3, 15-16): ce qui ne peut pas être interprété, à la moderne, comme une allusion à un manque de ferveur spirituelle; c’est tout simplement la définition du légalisme judaïque, où l’honneur est rendu à Dieu des lèvres et non du cœur, par des signes extérieurs et non en esprit et en vérité. (...) L’Avertissement ne sera d’ailleurs pas écouté. Quand, pour instruire et édifier indirectement ses fidèles de Laodicée, Jean met par écrit les paroles du Christ au peuple juif, la menace divine contre ce dernier (‘Je vais te vomir de ma bouche’: cfr 3, 16) s’est déjà réalisée: les Juifs ont déjà été condamnés et répudiés pour leur orgueil, leur obstination, leur aveuglement. Alors que tout leur manquait de ce qui était indispensable à leur salut, ils se vantaient de tout posséder: ‘Je suis riche, j’ai atteint le sommet de la richesse, je n’ai besoin de rien’ (3, 17). Telles sont, à peu de choses près, les paroles que Jean mettra à la bouche de Babylone avant sa ruine (cfr 18, 7). Comme nous l’avons déjà répété plusieurs fois, dans la destruction de Babylone ce n’est pas une prophétie sur la fin matérielle de Rome que nous croyons découvrir, mais une allégorie de la fin spirituelle du judaïsme: la Jérusalem terrestre disparaît pour faire place à la Jérusalem céleste. Telle est la thèse centrale du livre que Jean reprend et développe à travers la série des quatre grands cycles septénaires des lettres, des sceaux, des trompettes et des coupes, qui tous se terminent par une allusion à une interruption, à une fin. C’est dans ce sens qu’il convient de lire aussi la septième lettre, qui est une conclusion dramatique ayant comporté le jugement et la répudiation de ceux qui continuent à s’appeler Juifs mais ne le sont plus (cfr 2, 9; 3, 9)” (pp. 157-159; pp. 101-103 fr.). Le septième sceau Au septénaire des lettres succède celui des sceaux. Les quatre premiers symbolisent pour C. la chute de l’homme, les trois derniers l’intervention salvatrice de Dieu. Le livre est la révélation qui donne la vie; les sceaux sont le péché, ils ferment à l’homme cette vie divine. Seul l’Agneau égorgé (mort) et debout (ressuscité) peut ouvrir les sceaux, parce que l’histoire du salut est toute dans le sacrement (mystère) du Christ. Jean (Ap. V) se réfère à la vision de Daniel sur le Messie (Dn. VII), mais il introduit la figure de l’Agneau pour souligner la nature du règne messianique: “le symbole de l’Agneau (...) ne laisse aucun doute sur le moyen par lequel ce Messie obtiendra la victoire sur ses ennemis: il sera tué par eux, égorgé. Mais il vaincra la mort par la résurrection...” (p. 202; p. 128 fr.). Dans le septénaire des sceaux, l’Ap. introduit le lecteur à la vision de la liturgie céleste (pour comprendre cette dernière il faut avoir présentes à l’esprit les cérémonies de la liturgie terrestre dans le temple de Jérusalem). Dans le sixième sceau Jean voit les 144.000 marqués (= sauvés) sous la loi ancienne: tous les juifs ne se sont pas sauvés, mais seulement ceux qui appartenaient au “judaïsme spirituel” (cf. p. 234). Ce n’est que dans le Nouveau Testament qu’on a le salut définitivement ouvert à une foule immense issue de tout peuple, de toute langue et de toute tribu, grâce à la mort du Christ. Le silence qui se fait dans le Ciel à l’ouverture du septième sceau indique la cessation du culte judaïque (les Evangiles synoptiques expriment le même concept en racontant la lacération du voile du Temple à la mort du Christ: Mt. 27, 51; Mc 15, 38; Luc 23, 45) et l’attente du nouveau culte qui commence avec la résurrection du Christ. Quant à l’Ancien culte, il est profané par l’Abomination de la désolation prédite par Daniel: c’est en effet la mort du Christ “due à l’instigation des princes des prêtres juifs, qui aurait profané définitivement le temple, provoquant la fin du culte judaïque” (p. 238; p. 145 fr.). Les sept trompettes Le septénaire des trompettes rappelle lui aussi l’Ancienne Alliance (les trompettes font référence aux anges et à l’Alliance du Sinaï). L’Ap. présente quatre “trompettes” qui se rapportent à la chute des anges et trois “calamités” avec leurs trois “trompettes” correspondantes, qui transportent la scène sur la terre, avec la chute de l’homme et ses conséquences; la dernière trompette symbolise, par ailleurs, la mort du Christ. Les deux Témoins font ici leur apparition; ce ne sont pas Enoch et Elie attendus pour la fin du monde, mais Moïse et Elie, autrement dit la Loi et les Prophètes, qui rendent témoignage à Jésus (cf. Jn 5, 31; 8, 54) dans l’Ecriture Sainte comme dans l’épisode évangélique de la Transfiguration. Ceci pour le 52 rôle positif de l’Ancien Testament: car la Loi, après la venue du Christ n’est plus salvatrice, mais mortifère. Jean reprend la fameuse vision dans laquelle Ezéchiel mange le livre (l’A.T.) et la modifie: l’amertume provoquée dans les viscères par la manducation du livre “est synonyme de mort spirituelle” (p. 278). Après la venue du Christ, le culte hébreu est lui aussi désormais réprouvé. L’Ange qui jette le feu de l’encensoir sur la terre (Ap. 8, 5) symbolise, par son geste “la fin du culte judaïque que les premiers chrétiens ont associée à la mort du Christ” (p. 255; p. 154 fr.), ainsi que “l’expulsion de Satan et des siens hors du Ciel” (p. 256), qui sera décrite dans les quatre premières trompettes. Par ailleurs la septième trompette, qui comporte l’ouverture du Temple, la fin du culte judaïque et de la médiation angélique... fait encore référence à la mort du Christ. Le septénaire des coupes: les deux Bêtes Le symbole de la coupe évoque encore plus explicitement le sacrifice du Christ. Ce septénaire comporte des scènes fameuses: la Femme et le Dragon au chap. XII, la Bête de la terre et celle de la mer au chap. XIII, la Prostituée de Babylone et sa destruction (chap. XII-XIX), la bataille d’Harmaguédon, si chère aux Témoins de Jéhovah, etc. Comme d’habitude, pour C., Jean commence le septénaire par l’exposition de la chute des anges (lutte dans le Ciel entre Saint Michel et le Dragon) et de l’homme (représentée par la Femme qui du Ciel se retrouve dans le désert, sur la terre, poursuivie par le Dragon). Entre autres conséquences du mal, saint Jean entrevoit la corruption des pouvoirs politique et religieux, pouvoirs pourtant bons en soi (p. 333 svt; p. 192 svt fr.) mais désormais pervertis, figurés par les deux Bêtes qui aident le Dragon. La Bête de la mer, reprise de Daniel (7, 2 svt), figure la corruption du pouvoir politique, autrement dit l’Etat lorsqu’il prétend prendre la place de Dieu. Elle n’incarne pas nécessairement l’empire romain: “certes, l’attitude de Jean vis-à vis-de l’empire romain n’est plus celle de Paul [qui dans la seconde épître aux Thessaloniciens y voyait “l’obstacle” à l’homme d’iniquité, autrement dit au judaïsme], et n’en partage pas les illusions. Mais elle n’est pas non plus marquée de cette fureur subversive aveugle et fanatique qu’ont voulu y voir beaucoup” (p. 333; 192 fr.). Quand saint Jean écrivait l’Ap., “la persécution n’était encore ni généralisée ni sytématique et surtout n’était pas encore considérée par les chrétiens comme œuvre exclusive du pouvoir impérial, mais plutôt comme le résultat d’un courant satanique favorisé par la collusion entre pouvoir politique et judaïsme au détriment des disciples du Christ”; elle reproduisait en cela le modèle de la passion où, Pilate, malgré sa réticence, servit de bras séculier à la synagogue (pp. 345-346; supprimé dans le fr.). Par contre la Bête de la terre décrite par Jean comme corruption du pouvoir religieux n’a aucun précédent vétérotestamentaire direct. Certains commentateurs y ont vu la description du culte idolâtrique païen (cfr. pp. 355 svt; pp. 202 svt fr.), mais C. repousse cette hypothèse. Les caractéristiques de ce monstre sont en effet “la duplicité et l’ambiguïté” (p. 358), car “elle avait deux cornes semblables à celles de l’Agneau et parlait comme le dragon” (Ap. 13, 11): la figure de cette Bête de la terre sera reprise avec le faux prophète (chap. 16, 19 et 20) et la prostituée (chap. 17 svt). Quant à la Bête de la mer, pour C., elle n’est autre que le Judaïsme corrompu, ce judaïsme qui a mis à mort tous les Justes, les Saints et les Prophètes (cf. Mt. 23, 29 svt; Actes 7, 51 svt) et finalement le Messie même, en se servant du pouvoir politique: “la violence brutale et aveugle du pouvoir politique est manœuvrée et conseillée par une force qui se cache derrière son ombre” (p. 360; p. 204 fr.), à l’occasion par exemple du procès et de la condamnation du Christ et des premiers martyrs. Le Judaïsme, réalité bonne en soi au point d’avoir la même nature que l’Agneau divin (tous les deux sont représentés par le symbole de l’agneau), s’est mondanisé: “il croit être encore judaïsme, c’est-à-dire témoin et héritier de la promesse divine, mais il ne l’est plus, il est même devenu ‘synagogue de Satan’ (cfr 2, 9; 3, 9), ‘Sodome et Egypte’ et (cfr 11, 8), ‘il parle [c’est-à-dire agit] comme le dragon’ (cfr 13, 11)” (p. 363; p. 206). Le septénaire des coupes: la grande prostituée de Babylone Les chapitres XVII et XVIII de l’Ap. nous présentent le symbole de la grande prostituée et de la chute de Babylone. La prostituée est assise sur une bête écarlate. Presque tous les commentateurs identifient la prosti- 53 tuée avec la bête et l’une et l’autre avec Rome: la Rome impériale et païenne pour les uns (les catholiques), la Rome papale pour les autres (les protestants). C. démontre de façon irréfutable que cette double identification n’est pas possible: la prostituée n’est pas la bête (p. 442 svt) et n’est pas non plus Rome. La bête et la prostituée ne sont pas une même chose, et c’est d’autant plus vrai que leur alliance sera rompue, débouchant sur une guerre (Ap. 17, 16) où la prostituée aura le dessous (Ap. 11, 12) et sera détruite. “Ici, la cité qui est détruite n’est plus la ‘cité sainte’: c’est une ‘prostituée’, et même, ‘la prostituée, la grande’, ‘Babylone, la grande, la mère des prostituées et des abominations de la terre’ (cfr. 17, 1 et 5). Mais il n’y a pas là non plus de quoi nous étonner, puisque cette terrible métamorphose a déjà été anticipée elle aussi au chapitre XI, où Jean nous dit que les cadavres des deux ‘témoins’ tués par la ‘bête qui monte de l’abîme’ gisent sans sépulture ‘sur la place de la cité, la grande, celle qui s’appelle spirituellement Sodome et Egypte, à l’endroit même où leur Seigneur fut crucifié’ (11, 8). Par conséquent, si la destruction évoquée dans le passage que nous examinons doit être entendue dans un sens littéral et matériel, elle ne peut que se référer à celle accomplie par les Romains en 70 après J-C: car c’est seulement après l’accomplissement du déicide qu’aux yeux de Jean et des premiers chrétiens, Jérusalem était devenue de manière complète et définitive, la ‘prostituée’, par opposition à ce qu’elle était précédemment, la ‘cité sainte’” (p. 451; p. 247 fr.). C. identifie donc la Jérusalem terrestre avec la grande prostituée: “une conclusion - écrit-il qui suscitera certainement l’étonnement par son caractère apparemment paradoxal. Et du reste, bien avant nous, Jean lui-même fut saisi de stupeur et de désarroi devant ce mystère, qu’il fut le premier à contempler, les yeux illuminés par l’Esprit (cfr. 17, 6)” (pp. 451-452; pp. 247-248 fr.). Et pourtant, observe C., tout le livre de l’Ap. préparait à ce mystère: il suffit de voir ce qu’il dit sur la septième lettre, sur les sixième et septième sceaux, sur les sixième et septième trompettes, sur la septième coupe. De plus: “dans la sixième trompette, à la conclusion de l’épisode des deux ‘témoins’, un tremblement de terre frappe la ‘cité’ (cfr 11, 13). Le nom de cette cité, appelée peu auparavant ‘la cité, la grande’ (cfr 11, 8), n’est pas donné, mais il est clair par le contexte qu’il s’agit de Jérusalem [il est dit en effet qu’il s’agit de la cité où fut crucifié le Seigneur]. Au chapitre XVI, suite au versement de la dernière coupe, un tremblement de terre frappe ‘la cité, la grande’ qui est cette fois-ci Babylone” (p. 452). La Jérusalem terrestre est devenue par conséquent ‘Babylone’. Et prostituée. Le terme ne doit pas étonner: “comme on le sait, la métaphore de la prostitution est tirée par Jean de l’Ancien Testament, des prophètes surtout; elle y est synonyme d’idolâtrie et elle est appliquée aussi bien aux villes et aux peuples païens, qu’à Jérusalem et au peuple juif, mais surtout à ces derniers, étant donné le lien spécial qui les liait à Yahvé, ce pour quoi l’infidélité d’Israël prend l’allure d’un véritable adultère (cfr. Is. 1, 21; Ez. 16, 15 svt; Os. 2, 1 svt; 5, 3 etc.)” (p. 454). Israël qui n’a pas cédé à la “basse” idolâtrie des divinités païennes, a adoré Satan lui-même en adorant sa première incarnation, le pouvoir politique dévié: “elle ne craint plus son vieil adversaire, et elle s’est tellement familiarisée avec lui qu’elle a cru pouvoir le dominer et l’assujettir à ses volontés. Conviction illusoire, que mettra en évidence la conclusion dramatique de cette monstrueuse union: la destruction de la prostituée par la bête” (pp. 453-454). “Le judaïsme était devenu idolâtre, car il adorait la bête et sa statue, c’est-à-dire le pouvoir politique. Et cela non pas tellement parce qu’il avait accepté de bon gré la domination politique des Romains, à laquelle en fait il était fièrement hostile ayant tendance à voir en elle une présence démoniaque. Mais malgré son opposition aux dominateurs, le judaïsme en adoptait la mentalité, les fins et les moyens. Car il rêvait de l’avènement d’un règne messianique qui soit le renversement complet de la situation existante où les dominés seraient devenus les dominateurs et les opprimés à leur tour oppresseurs”, plan diabolique pour le service duquel il mettait à contribution de façon impie la Loi et les Prophètes (p. 456). C. ne le rappelle pas explicitement, mais Israël semble succomber à la tentation diabolique que Jésus repoussa dans le désert: “Le diable de nouveau le transporta sur une montagne très élevée et lui montrant tous les royaumes du monde et leur gloire, il lui dit: je vous donnerai toutes ces choses si, vous prosternant devant moi, vous m’adorez” (Mt. 4, 8-9). Jésus, vrai Messie, refuse la proposition de Satan, proposition acceptée au contraire par le faux messianisme judaïque. Voilà comment la Femme qui au chap. XII de l’Apocalypse se réfugie dans le désert pour- 54 suivie par le Dragon, devient, au chap. XVII la prostituée qui, toujours dans le désert, est assise sur la bête: “le fait que la femme [Israël] soit ici représentée sous l’aspect d’une prostituée tend à montrer que, de toute évidence, son comportement spirituel a changé” (p. 453), elle est devenue épouse infidèle. Infidèle et homicide. La prostituée tient en effet dans la main une coupe “remplie d’abominations” (17, 4). Le terme “fait assez explicitement référence à la prophétie de Daniel sur l’‘abomination de la désolation’ (Dn. 9, 27), c’est-à-dire la profanation du temple” qui est pour C. “en rapport avec le meurtre de Jésus projeté et obtenu par les Princes des Prêtres juifs. (...) De toutes façons, que les ‘abominations’ dont est remplie la coupe tenue en main par la prostituée consistent essentiellement à verser le sang d’hommes innocents et justes apparaît clairement dans ce qui suit: ‘Et je vis la femme ivre du sang des saints et du sang des témoins de Jésus’ (17, 6). Et là encore pour l’explication de ces paroles on a pensé à Rome et à ses cruelles persécutions contre les chrétiens. Mais les chrétiens à l’époque où fut écrite l’Apocalypse, ne voyaient absolument pas les choses de cette façon, spécialement aux endroits où la persécution prit naissance. Il suffit de lire un document comme le Martyre de Polycarpe, évêque de Smyrne, mis à mort vers l’an 156, pour se rendre compte qu’aux yeux des chrétiens d’alors, c’est encore essentiellement aux Juifs qu’incombait la responsabilité des persécutions contre eux; or Jean écrivait bien avant l’auteur du Martyre de Polycarpe; aussi semble-t-il bien difficile que son avis ait divergé de façon aussi radicale. Mais ce genre de considérations mises à part, les ‘saints’ et les ‘témoins de Jésus’ qui sont tués par la prostituée ne sont pas les disciples de Jésus, mais les justes et les prophètes de l’Ancien Testament (...). A tout ceci nous étions préparés par les dures paroles de Jésus contre Jérusalem coupable d’avoir tué les prophètes et lapidé les envoyés de Dieu (cfr. Mt. 23, 37; Luc 13, 34). Dans sa violente invective contre le judaïsme officiel, Jésus va jusqu’à le déclarer responsable de tous les homicides commis sur la terre depuis l’origine de la création (cfr. Mt. 23, 35). Une accusation que seule peut justifier la grandeur de la responsabilité incombant au judaïsme pour le fait d’avoir été choisi par Dieu comme dépositaire et gardien de sa parole et de sa promesse. Et la seule pensée de cette responsabilité, nous permet de comprendre dans toute leur portée les paroles terribles qui, au chapitre XVIII, concluent la célébration de la destruction de Babylone: ‘Et dans cette ville a été trouvé le sang des prophètes et des saints et de tous ceux qui ont été tués sur la terre’ (18, 24). La coupe que la prostituée tient à la main est donc elle aussi, tout comme celle que Jésus a dû boire, symbole de versement de sang, de sacrifice sanglant. Mais le sang que la prostituée verse n’est pas le sien propre, il n’est pas versé pour une cause juste et sainte: au contraire, c’est le sang des autres, un sang innocent, versé dans un déchaînement de violence en vue de l’obtention du pouvoir et de la domination. Lorsque Jean évoque le sang versé, sa pensée va certainement, en tout premier lieu, à celui de Jésus par lequel a été obtenue la rédemption de toute l’humanité (cfr. 1, 5; 5, 9; 7, 14; etc.) Mais à ces biens la prostituée n’aura pas de part car Babylone la grande prostituée. Tapisseries de l’Apocalypse d’Angers. 55 sa perspective est complètement à l’opposé. Les biens auxquels elle aspire sont tout autres: ‘Car elle dit en son cœur: - Je suis reine assise sur le trône, je ne suis pas veuve et je ne verrai pas le deuil - C’est pourquoi, en un seul jour, fondront sur elle ses fléaux: mort, deuil et famine! et elle sera brûlée par le feu: (...) (18, 78)” (pp. 459-461). La destruction de Babylone décrite au chap. XVIII a contribué à la légende d’un christianisme subversif, sombre, fanatique, en attente frénétique de la destruction de la civilisation classique (cf. pp. 462-463). En réalité Jean entendait décrire symboliquement la fin de la Jérusalem terrestre, de l’ancienne loi et de l’ancien culte, fin survenue avec la mort du Christ (chap. XIX), et symbolisée par la bataille d’Harmaguédon, qui reprend dans un sens typologique la bataille de Mageddo où, avec le pieux Roi Josias, périt l’ancien royaume de Juda. C’est donc en la transformation de Jérusalem en Sodome, Egypte et Babylone que consiste le “Mystère” [d’iniquité] que nous révèle l’Ap. “...Que nous nous trouvions devant une réalité sacrée qui s’est pervertie - écrit C. - le nom énigmatique que la prostituée porte inscrit sur le front semble le prouver. Ce nom est ‘mystère’ (cfr 17, 15), et c’est là le vrai nom de la prostituée. L’autre nom, c’est-à-dire ‘Babylone, la grande, la mère des prostituées et des abominations de la terre’ semble plutôt une explication du premier, selon ce que l’ange dit à Jean; ‘Pourquoi t’étonnes-tu? C’est moi qui te dirai le mystère de la femme et de la bête qui la porte’ (17, 7). Or, le mot ‘mystère’ dans le langage du Nouveau Testament ne se contente pas d’indiquer simplement une quelconque réalité énigmatique et d’interprétation difficile: il est, en général, associé au plan divin du salut, au Royaume de Dieu, à la mort de Jésus-Christ. (...) Par conséquent si la prostituée s’appelle ‘mystère’, cela veut dire que, même au moment où elle est jugée et condamnée, elle fait partie intégrante et importante du plan divin du salut. Ce qui ne peut être dit de Rome (...) mais ne peut l’être que de Jérusalem. Car c’est elle, pas une autre, qui sera rénovée et descendra du ciel sur le mont Sion, pour célébrer les noces mystiques avec l’Agneau (...). Le ‘mystère de Dieu’ qui s’accomplit dans la septième trompette est, comme nous le savons, la mort du Christ: celle-ci signe le jugement et la fin de l’économie ancienne, du judaïsme, de la Jérusalem terrestre et du même coup l’inaugu- ration de la nouvelle économie, de la Jérusalem céleste, du judaïsme spirituel, de l’Eglise” (pp. 456-458, pp. 250-251 fr.). C’est ainsi que, dans l’interprétation de C., l’Ap. de saint Jean rejoint admirablement ce qui nous a été déjà révélé dans l’Epître de saint Paul aux Galates (4, 21-31) où l’Apôtre distingue la “Jérusalem d’à présent”, dont les fils sont dans l’esclavage, et la “Jérusalem céleste” qui est libre; l’Apôtre annonce en outre la persécution continuelle que les fils de la Jérusalem terrestre feront subir aux fils de la Jérusalem céleste (v. 29). L’Epouse de l’Agneau Le chap. XXI et le début du chap. XXII (le dernier) nous présentent cette fameuse Jérusalem céleste, l’Epouse de l’Agneau. Il n’y a, à ma connaissance, que les Mormons à attendre une cité qui tombera du ciel comme le dit - symboliquement - l’Ap. En réalité, la femme figurée par l’Epouse de l’Agneau (qui est le Christ) est l’épouse fidèle du Messie, exactement comme la prostituée en est l’épouse infidèle: la première est l’Eglise, la seconde la synagogue. Et la “nouvelle Jérusalem” présuppose “la destruction de la précédente (devenue Babylone)” (p. 519). “La dernière partie de l’Apocalypse représente donc symboliquement la conclusion glorieuse, la réalisation pleine et parfaite du plan salvifique divin. La nouvelle Jérusalem est le symbole de la réconciliation qui a eu lieu entre l’humanité et Dieu, elle est le symbole de la nouvelle alliance éternelle et définitive, du nouveau peuple élu que Dieu s’est choisi, peuple constitué non plus d’une nation unique mais ‘de toutes les nations, de toutes les tribus, de tous les peuples et de toutes les langues’ (cfr. 7, 9). En ce sens elle est la figure de l’Eglise qui est elle-même, d’un côté, la reprise et la continuation de l’ancien Israël (cfr. 1, 20), mais qui de l’autre accueille et sauve tous les gentils (cfr. 21, 25 s; 22, 2)” (pp. 520-521). Elle est déjà “nouvelle création”, “ciel et terre nouvelle” (cf. pp. 521522), arbre de la vie. “A la lumière de l’Esprit on peut voir ce que les Juifs, aveuglés par l’orgueil, ne parviennent pas à voir: la Jérusalem céleste, prédite par les Ecritures, a été apportée du Ciel sur la terre par le Christ, mais ils ne l’ont ni reconnue ni acceptée, ils sont demeurés au-dehors devenant ‘synagogue de Satan’ (cfr; 2, 9; 3, 9)” (p. 543). 56 Le Règne millénaire... est déjà arrivé (et même terminé depuis longtemps)! Si, comme nous l’avons déjà vu, l’Eglise est, selon l’Apocalypse, la nouvelle et éternelle alliance, l’économie ultime et définitive du salut, où placer alors le fameux “règne millénaire du Christ” sur la terre, annoncé justement par l’Ap. au chapitre XX? Car ce chapitre XX n’a jamais cessé de prendre toujours plus d’importance, au point que déjà en son temps saint Augustin avait dédié un volume entier de la Cité de Dieu au seul chapitre XX de l’Ap., “comme si le reste de l’œuvre n’avait pas existé” (p. 31). Nombreux sont ceux qui pensent que le Millénarisme (ou Chiliasme) [défini par l’Enciclopedia Cattolica comme: “erreur eschatologique, selon laquelle JésusChrist doit régner visiblement pendant mille ans sur la terre à la fin du monde”] trouve son origine dans l’Ap. ou, du moins, dans une interprétation erronée de l’Ap. En réalité, le Millénarisme est antérieur et étranger à l’Ap.! Il est d’origine juive, non pas qu’il se trouve dans l’Ancien Testament, mais parce qu’inventé par les rabbins (cf. Enc. Catt., rubrique Millenarismo, vol. VIII, col. 1009; C., p. 28). Que dire du Chiliasme? Voici ce que dit à la rubrique Gnosticisme l’Enciclopedia Cattolica qui rattache explicitement Chiliasme et Gnosticisme:“La gnose - écrit Erik Peterson est antérieure au christianisme; mais le respect [de l’Eglise] pour les traditions du peuple juif, dont l’Eglise avait hérité le livre sacré, porta à l’infiltration d’idées gnostiques et chiliastiques judaïques dans le milieu chrétien. Tout en demeurant fidèle à la lettre et à l’esprit de l’Ancien Testament, l’Eglise réfléchissant sur les faits réels de la vie de Jésus (...) réussit à se libérer de ceux qui ‘n’avaient pas été plantés par le Père’ (...) Mais la perspicacité à découvrir l’erreur ne fut pas égale partout...” (Enc. Catt., vol. VI, col. 881). Selon C., l’Ap. de saint Jean n’est pas un texte millénariste, c’est même au contraire un texte de réaction au millénarisme et qui le condamne; ce millénarisme n’étant autre que la vision déformée, toute terrestre, que les juifs, et certains judéo-chrétiens, avaient du règne messianique (cf. p. 496). Généralement, pour les auteurs catholiques qui, avec saint Augustin entre autres, repoussent le Millénarisme, le règne millénaire est celui de l’Eglise, règne qui s’étend de la première à la seconde venue du Christ. Selon notre auteur par contre, le règne millénaire fait allusion au salut encore imparfait, limité et provisoire offert aux justes de l’Ancien Testament: il est par conséquent déjà passé, et même terminé depuis bien longtemps. C’est donc là une position radicalement opposée au Millénarisme qui a fait tant de mal à l’Eglise... Il suffit de penser aux hérésies nouvelles et anciennes qui s’en sont inspirées: Ebionites (Cérinthe), Montanistes, Spirituels et Joachimites, Anabaptistes, Mormons, Adventistes, Témoins de Jehovah... Même mitigé (et qui n’implique pas la fin de l’Eglise) le millénarisme ne peut être enseigné sans danger, comme on peut le déduire de la réponse du Saint-Office à l’Archevêque de Santiago du Chili (21/6/1944) et de la mise à l’Index des œuvres de Lacunza, Ughi et Chaubaty. Pour une réfutation de toute forme de millénarisme, nous renvoyons donc sans hésitation à l’exégèse de Corsini (pp. 487-515; 265-278 fr.). L’Apocalypse dans la situation actuelle de l’Eglise Si, comme je le crois, l’exégèse de C. est correcte, en quel sens peut-elle influencer l’attitude de ceux qui entendent défendre la foi orthodoxe contre l’hérésie envahissante de nos jours? Si nous devons renoncer à voir dans l’Ap. une prophétie de l’avenir de l’Eglise, et surtout une prophétie des “derniers temps”, on se demande quelle peut bien être l’actualité de l’Ap.: de nombreux lecteurs vont être déçus, après avoir pensé trouver dans ces antiques pages l’annonce détaillée des tribulations que traverse aujourd’hui l’Eglise. Pourtant non, l’Ap. ne nous dit rien - directement - sur notre époque, et encore moins sur de futures interventions miraculeuses d’Enoch ou d’Elie, ou du Christ en personne. Et c’est bien justement pour cette raison que je considère cette exégèse (simple confirmation de ce que l’on savait déjà par d’autres livres de l’Ecriture Sainte) comme tout à fait bénéfique pour le catholique fidèle de cette fin de millénaire. D’une part, l’Ap. représente une confirmation importante de toute la doctrine révélée, et en particulier de celle sur les rapports entre Ancien et Nouveau Testament, entre Eglise et Synagogue, entre Christianisme et Judaïsme. Elle évite l’écueil gnostique marcionite qui rejette l’Ancien Testament, et en même temps elle attaque de front le judaïs- 57 me qui a refusé le Messie. L’exégèse de C., dépassant certainement les intentions de son auteur, confirme donc le bien-fondé de notre attitude de ferme refus face à la déclaration conciliaire Nostra Ætate et aux documents subséquents visant à la judaïsation de l’Eglise. D’autre part, cette exégèse, qui met en relief l’Eglise en tant qu’économie ultime et définitive de salut, évite au catholique en plein désarroi de notre époque de tomber dans la tentation de déclarer “morte” l’Eglise indéfectible, et de vouloir trouver quelque chose pour la remplacer. Prenons garde à ne pas identifier l’Eglise Romaine avec la Prostituée, ou le faux Prophète, ou l’Antéchrist (dont il n’y a pas trace dans l’Ap.); gardons-nous d’opposer une Eglise “fidèle” à une Eglise “officielle”; gardonsnous d’imaginer une époque future où l’Eglise hiérarchique instituée par le Christ n’existerait plus ou bien serait changée dans son essence; gardons-nous de suivre un faux mysticisme qui au lieu de pousser à la défense de la foi ne fait que nous ramener aux vieilles hérésies. Le devoir du catholique d’aujourd’hui n’est pas d’inventer une nouvelle Eglise traditionnelle, mais d’aimer et de défendre l’éternelle Eglise catholique; il n’est pas de suivre d’étranges “révélations”, mais de demeurer fidèle à l’unique Révélation (ou “Apocalypse”) de Jésus-Christ, définitivement close à la mort du dernier Apôtre, l’Evangéliste Jean, le Voyant de Patmos. APPENDICE A PROPOS DE CERTAINES PROPHÉTIES ET RÉVÉLATIONS PRIVÉES C’est sur la fidélité à l’Ecriture Sainte, à la Tradition et au Magistère de l’Eglise, unique interprète authentique et infaillible de la Révélation qu’est fondé notre refus du Concile Vatican II. Or dans les milieux “traditionalistes”, il ne manque pas de gens pour s’appuyer aussi (bien que non principalement) sur des prophéties et des révélations privées qui confirmeraient notre position. Dans cette petite note Sodalitium entend dire quelques mots à propos de deux de ces prophéties, dont l’une est bien connue et mise en avant de longue date par tous les “traditionalistes” (quelle que soit leur position doctrinale), tandis que la seconde est de “découverte” et de diffusion récente surtout dans les milieux “sédévacantistes”. Il s’agit du Secret de La Salette et d’une Prédiction du Bienheureux Père François sur la survenue d’un grand schisme dans l’Eglise et d’une tribulation future. Dans les deux prophéties on trouve des expressions qui ne sont pas sans impressionner, étant donnée la situation actuelle de l’Eglise. On lit par exemple dans le Secret de La Salette: “la vraie foi s’est éteinte et la fausse lumière éclaire le monde”, “l’Eglise traversera une crise affreuse”, “Rome perdra la foi et deviendra le siège de l’Antéchrist”, “l’Eglise sera éclipsée et le monde sera dans la consternation”. Et dans la prophétie attribuée à saint François, il est dit: “le pouvoir des démons sera délié plus que d’ordinaire, la pureté de notre ordre religieux et des autres sera tachée, déformée à tel point que très peu de chrétiens obéiront d’un cœur sincère et avec une charité parfaite au vrai Souverain Pontife et à l’Eglise Romaine. Au moment décisif de cette tribulation, quelqu’un de non canoniquement élu, élevé au Pontificat suprême, s’efforcera par tous les moyens de communiquer à beaucoup le venin mortel de son erreur. (...) La sainteté de vie sera tournée en dérision par ceux précisément qui ne la professeront qu’extérieurement, aussi Notre-Seigneur Jésus-Christ leur enverra-t-il non pas un digne pasteur, mais un exterminateur”. Que penser de ces prophéties et de leur rapport avec l’actualité? I. Le Secret de La Salette A propos de La Salette et avant toute chose, il faut faire une distinction entre l’Apparition proprement dite, le Secret, et les interprétations du Secret. Ensuite, pour porter un jugement prudent, le catholique devra s’en tenir à ce que pense l’Eglise:“ayant déposé tout jugement propre, nous devons avoir l’âme prête et prompte à obéir en tout à la véritable épouse du Christ NotreSeigneur qu’est la sainte Eglise hiérarchique, notre Mère” (Saint Ignace, Exercices spirituels, Règles pour sentir avec l’Eglise, première règle, n° 353). a) Le fait de l’Appparition et le message public Le 19 septembre 1846, sur la montagne de La Salette, diocèse de Grenoble, la sainte Vierge apparaissait à deux petits bergers, Mélanie Mathieu ou Calvat (1831-1904), et Maximin Giraud (1835-1875). Durant l’Apparition, la sainte Vierge, en pleurs, donnait 58 aux enfants un message à faire passer à tout son peuple et confiait à chacun d’entre eux un secret. Après enquête canonique, l’évêque du lieu, Mgr de Bruillard, publiait un mandement déclarant solennellement que: “l’Apparition de la sainte Vierge à deux bergers (...) porte en elle-même tous les caractères de la vérité, et que les fidèles sont fondés à la croire véritable et certaine” (ce document du 19 septembre 1851 ne fut rendu public qu’en novembre, après avoir été préalablement soumis à la révision du Secrétaire d’Etat et Préfet de la Congrégation des Rites, le cardinal Lambruschini). Le caractère surnaturel du fait fut ensuite corroboré par les successeurs de Mgr de Bruillard, à commencer par Mgr Ginoulhiac, son successeur immédiat, qui publia le mandement du 4 nov. 1854, suite à la lettre Aliquot ante menses de Pie IX du 30 août de la même année). Dès 1852 la Sacrée Congrégation des Rites et la Sacrée Congrégation des Indulgences avaient approuvé la dévotion ainsi que le culte liturgique à la Vierge de La Salette; plus tard (1879), un Bref de Léon XIII et un décret de Mgr Fava, érigeaient l’église de La Salette en Basilique mineure et l’image de la Vierge était couronnée. Les Souverains Pontifes Pie XI (1927), Pie XII (1943, 1944, 1945, 1946), Jean XXIII (1961), ont diversement confirmé le culte à la B.V. Marie de la Réconciliation de La Salette. b) Le Secret Dans le fait même de l’Apparition (approuvé par l’Eglise), est incluse l’existence de deux “secrets” confiés aux bergers de La Salette, mais restés longtemps... secrets. C’est seulement le 5 juillet 1851 qu’ils furent écrits par les enfants, et le 18 juillet suivant qu’ils furent remis à Pie IX. Ces textes sont restés inédits. Pourtant du “secret” confié à Mélanie il existe plusieurs autres versions: une postérieure (inédite) datée du 14 août 1853, d’autres publiées par les soins de l’abbé Bliard de 1870 à 1873 (la dernière avec l’imprimatur de l’archevêque de Naples, Sisto Riario Sforza) et enfin une dernière, que Mélanie elle-même fit publier en 1879 avec l’imprimatur de l’évêque de Lecce, Luigi Zola. C’est cette dernière version (non identique aux précédentes) qui est communément dénommée “le secret de La Salette”. Cette version a été réimprimée telle quelle par l’éditeur catholique Société Saint-Augustin (Paris-Rome-Bruges) en 1922, sous le titre L’Apparition de la T.S. Vierge sur la sainte montagne de La Salette le samedi 19 septembre 1846, avec l’imprimatur du Père Lepidi, Maître du Sacré Palais, du 6 juin 1922. c) Les interprétations du Secret Le texte de Mélanie publié en 1879, suscita les réactions les plus vives et disparates, donnant lieu aux interprétations les plus variées. Parmi celles-ci beaucoup ont été réprouvées par l’Eglise. C’est ainsi que plusieurs livres concernant le Secret ont été mis à l’Index: deux de l’abbé Combe, curé de Diou, respectivement les 7/6/1901 et 12/4/1907, et un du docteur H. Mariavé (pseudonyme du docteur Grémillon) le 12/4/1916. Un grand nombre de prêtres divulgateurs du Secret soutinrent des théories extravagantes et furent frappés de sanctions canoniques; citons par exemple: le Père Parent (suspendu par l’évêque de Nantes en 1903), l’abbé Sicard (censuré par le SaintOffice en 1910), l’abbé Rigaud (suspendu par l’évêque de Limoges en 1911), l’abbé Althoffer (interdit comme partisan de l’antipape Michel Collin en 1960). Mais le plus fameux à avoir diffusé le Secret et la Vie de Mélanie fut l’écrivain Léon Bloy (Celle qui pleure, en 1908, Vie de Mélanie, en 1912), suivi, en cela, par son filleul et disciple Jacques Maritain. Sur les erreurs gravissimes de Léon Bloy, et celles d’autres personnages se réclamant de La Salette, comme l’ex-abbé Boullan et la secte des Mariavites, il faut lire le livre de Mgr L. Cristiani, Présence de Satan dans le monde moderne (éd. FranceEmpire, 1959, pp. 282-296). On ne peut déduire cependant de ce qui précède que tous les défenseurs du Secret aient été des personnages de vie et de doctrine douteuses (rappelons par exemple Mgr Zola, le chanoine Annibale Di Francia, etc.); simplement le Secret peut se prêter et s’est prêté à de mauvaises interprétations. d) Interventions de l’Eglise sur le Secret Pourtant l’Eglise s’est aussi prononcée sur le Secret lui-même, du moins pour ce qui regarde sa divulgation. Le 14 août 1880 (l’année suivant la publication du Secret avec l’imprimatur de la Curie de Lecce) le cardinal 59 Caterini, préfet de la S.C. de l’Inquisition, écrivait à l’Evêque de Troyes, Mgr Cortet: “...cette publication n’a pas plu du tout au Saint-Siège, aussi sa volonté est-elle que les exemplaires de ladite brochure - partout où ils ont été mis en circulation - soient retirés des mains des fidèles”. Ce qui n’empêcha pas le Secret d’être diffusé ultérieurement, avec la circonstance aggravante ci-dessus; d’où la promulgation, le 21 décembre 1915, par la S.C. du Saint-Office du Décret concernant ce qu’on appelle vulgairement “Le Secret de La Salette” (A.A.S. 7 [1915], p. 594): “Il est parvenu à la connaissance de cette Suprême Congrégation qu’il ne manque pas de gens, même appartenant à l’ordre ecclésiastique, qui, en dépit des réponses et des décisions de la Sacrée Congrégation elle-même, continuent - par des livres, brochures et articles publiés dans des revues périodiques, soit signés soit anonymes - à traiter et discuter la question dite du ‘Secret de La Salette’, de ses différents textes et de ses adaptations aux temps présents ou aux temps à venir; et cela non seulement sans l’autorisation des Ordinaires, mais même contrairement à leur défense. Pour que ces abus, qui nuisent à la vraie piété et portent une grave atteinte à l’autorité ecclésiastique, soient réprimés, la même Sacrée Congrégation ordonne à tous les fidèles, à quelque pays qu’ils appartiennent de s’abstenir de traiter et de discuter le sujet dont il s’agit, sous quelque prétexte et sous quelque forme que ce soit, tels que livres, brochures ou articles signés ou anonymes, ou de toute autre manière. Que tous ceux qui viendraient à transgresser cet ordre du Saint-Office soient privés, s’ils sont prêtres, de toute dignité qu’ils pourraient avoir, et frappés de suspens par l’Ordinaire du lieu, soit pour entendre les confessions, soit pour célébrer la messe; et s’ils sont laïcs, qu’il ne soient pas admis aux sacrements avant d’être venus à résipiscence. En outre, que les uns et les autres se soumettent aux sanctions portées soit par Léon XIII dans la constitution ‘Officiorum ac munerum’ contre ceux qui publient, sans l’autorisation régulière des supérieurs, des livres traitant de choses religieuses, soit par Urbain VIII dans le décret ‘Sanctissimus Dominus Deus noster’, rendu le 13 mars 1625, contre ceux qui répandent dans le public, sans la permission de l’Ordinaire, ce qui est présenté comme révélations. Au reste, ce décret n’est pas contraire à la dévotion à la Très Sainte Vierge, invoquée et connue sous le titre de ‘Réconciliatrice de La Salette’. Donné à Rome, au Palais du Saint-Office, le 21 Décembre 1915”. Le 7 février 1916, le cardinal Merry del Val précisait, au nom du SaintOffice, que l’ultime clause ne comportait pas une approbation romaine de l’Apparition de La Salette (qui demeurait approuvée par l’autorité diocésaine compétente en la matière). Malgré le décret, la Société Saint-Augustin (aujourd’hui Desclée De Brouwer) publiait en 1922, comme je l’ai déjà rappelé, une réédition du Secret, simple reprise de l’édition de Lecce de 1879; elle s’autorisait de l’opinion du Père Lepidi o.p., maître du Sacré Palais (théologien du Pape), qui en 1912 déjà, le 16 décembre, avait écrit au cardinal Luçon, archevêque de Reims: “le secret de La Salette n’a jamais été condamné de manière directe et formelle par les Sacrées Congrégations”. Evidemment, en concédant son imprimatur il pensait pouvoir maintenir ce jugement même après le décret de 1915. Mais la réédition du Secret de 1922, simple réédition pourtant de celle de 1879, fut mise à l’Index des livres interdits par un décret du Saint-Office du 9 mai 1923. Les défenseurs du Secret déclarèrent alors que ça n’était pas l’édition pure et simple du Secret qui était mise à l’Index, mais une autre comportant un commentaire du docteur Mariavé. C’est ainsi qu’on arrive à la dernière intervention du Saint-Office, celle du 8 janvier 1957; elle consiste en une lettre du cardinal Pizzardo au Père Francesco Molinari, procureur général de la Congrégation des Missionnaires de La Salette, lettre qui mettait fin au doute: “en conséquence, je me fais un devoir de vous faire connaître que cette Suprême Congrégation a examiné et condamné, par le Décret cité, l’opuscule susdit édité et diffusé par la Société Saint-Augustin, même sans la lettre du docteur Mariavé”. De tout ce qui précède on peut tirer la conclusion suivante: le texte du Secret n’a pas été approuvé par l’Eglise comme l’a été l’apparition de 1846; qui plus est, le SaintOffice en a interdit la diffusion sous peine de lourdes sanctions (1915), il en a interdit la possession et la lecture (1922) et il en a condamné le contenu (1957). Certes, les décrets de la Sacrée Congrégation ne sont pas irréformables; cependant, ceux qui ne tiennent aucun compte des condamnations émanant de la Sacrée Congrégation de l’Index ou d’autres congrégations romaines se rendent coupables de faute (cf. proposition 8 des modernistes condamnée par le décret Lamentabili, DS 3408). 60 La plaie de la sixième coupe “Alors je vis sortir de la bouche de la bête et de la bouche du faux prophète, trois esprits impurs semblables à des grenouilles; ce sont des esprits démoniaques, qui font des prodiges…” Apoc. XVI, 13-14. Tapisseries de l’Apocalypse d’Angers. II. La prédiction “de saint François” La source d’où a été tirée la prédiction attribuée à saint François est la suivante: Sancti Francisci Assisiatis seraphici minorum patriarcæ opera omnia, col. 429-430, éd. Imprimerie de la Bibliothèque Ecclésiastique, Paris 1880. Malheureusement je n’ai pas pu consulter le volume en question, aussi dois-je me limiter à faire des hypothèses. Et tout d’abord à mon avis cette “prédiction” de saint François est apocryphe, le Saint n’en est pas l’auteur, mais elle lui a été attribuée. Aux raisons de critique interne, j’ajoute le fait que je ne l’ai retrouvée dans aucun des deux recueils d’œuvres complètes en ma possession contenant chacun les œuvres bien peu nombreuses à dire vrai de saint François, et qui sont: Les opuscules de Saint François (éditions franciscaines, Paris 1956) et Fonti francescane (ed. Messaggero, Padova, IV ed. 1990). Si, comme il semblerait, la “prédiction” est un apocryphe, reste à savoir à qui l’attribuer. Qui connaît l’histoire de l’ordre franciscain n’éprouvera pas de difficulté à trouver la réponse. Tous savent que, du vivant même de saint François, il y eut division entre les frères à propos de la pratique de la pauvreté. Les uns, appelés d’abord “spirituels” et ensuite “fraticelles”, dépassèrent souvent les limites de l’orthodoxie et furent condamnés pour schisme et hérésie. Certains d’entre eux, comme Ubertin de Casale, protestèrent en 1294 “contre l’abdication de Célestin V, ‘procurée par fraude’ et contre ‘l’usurpation’ de son successeur” Boniface VIII (H. de Lubac, La postérité spirituelle de Joachim de Flore, Lethielleux, Paris 1978, vol. I, p. 105), considéré donc comme Pape illégitime et non canoniquement élu. Plus tard, les “fraticelles de l’opinion” soutinrent qu’en promulgant les Bulles Quorundam exigit et Sancta Romana de 1317, Gloriosam Ecclesia de 1318 et Cum inter nonnullos de 1323 condamnant les “spirituels” et déclarant hérétique quiconque soutenait que le Christ et ses disciples ne possédaient rien, pas même en commun, le Pape Jean XXII était tombé dans l’hérésie: “les plus hostiles refusaient de le reconnaître comme pape; ils le dénonçaient comme l’Antichrist mystique” (DE LUBAC, op. cit., p. 115; Enc. Cattolica, rubrique: Fraticelli; DS 912, Bolla Gloriosam Ecclesiam). Ils ne s’en tinrent pas là: en 1328, ils s’alliaient avec l’empereur Louis de Bavière et élisaient “pape” un frère franciscain, Pierre de Corbière, sous le nom de Nicolas V. “Le 19 février [1329], à la cathédrale [de Pise] Nicolas présida une étrange célébration durant laquelle un fantoche de paille vêtu d’habits pontificaux, figurant Jean XXII, fut formellement condamné, dégradé et livré au bras séculier” (J. Kelly, Vite dei papi, Piemme, Casale M. 1995, p. 367). Du parti de Louis de Bavière et de son antipape se rangèrent Guillaume d’Occam, le général franciscain déposé, Michel de Cesene, Marsilio de Padoue (condamné en 1327). La canonisation de saint Thomas (considérée comme Caïn par certains d’entre eux, cf. de Lubac, p. 116) prononcée par Jean XXII, fit accroître leur indignation. Un grand nombre d’entre eux furent incarcérés, certains furent livrés au bras séculier et brûlés sur le bûcher, tandis que l’Antipape se soumettait en 1330. A la lumière de ce contexte, les paroles de la soi-disant prophétie de Saint François s’éclairent: “la pureté de notre ordre religieux et des autres sera altérée, au point que peu de Chrétiens voudront obéir au vrai Souverain Pontife [Célestin V ou Nicolas V] et à l’Eglise Romaine (...). Au moment décisif de cette tribulation quelqu’un de non canoniquement élu, élevé au Pontificat Suprême [Boniface VIII ou Jean XXII] s’efforcera par tous les moyens de communiquer à beaucoup le venin mortel de son erreur. (...) Notre ordre sera divisé [allusion aux luttes entre ‘spirituels’ et ‘conventuels’] (...) notre Règle et notre manière de vivre seront attaquées très violemment par certains [allusion aux mitigations de la règle faites par les Papes et au 61 débat sur la pauvreté et l’usage pauvre des biens] (...). Ceux qui auront été très éprouvés en bien recevront la couronne de vie. Ceux qui dans la ferveur de l’esprit s’attacheront à la piété avec charité et le zèle de la vérité recevront des persécutions et des injures comme désobéissants et schismatiques [c’est dans ces catégories qu’ils furent classés par Boniface VIII et Jean XXII]. Car leurs persécuteurs, aiguillonnés par les esprits mauvais, diront que c’est faire un grand hommage à Dieu de tuer et de faire disparaître de la terre des hommes si mauvais” etc., etc. En somme, la “prophétie de saint François” est bien un texte “sédévacantiste”, mais forgé par des “sédévacantistes” du XIVème siècle qui, par dessus le marché, avaient tort! III. Précisions et conclusions Il n’a jamais été dans mes intentions, d’attaquer par le présent article, les personnes qui, dans la lutte actuelle contre le modernisme, ont fait usage du “Secret de La Salette” ou de la “Prédiction de Saint François”. De fait il en est beaucoup parmi elles que je vénère et estime très sincèrement. J’ai moi-même été du nombre de ceux-là en ce qui concerne le “Secret”, et je profite de l’occasion pour rétracter ce que j’ai écrit dans le numéro 12 de Sodalitium, aux pages 14 à 17, dans la mesure où cela est contraire aux décrets du Saint-Siège cités ci-dessus. A supposer même que le Secret publié par Mélanie en 1879 ait été mot à mot ce qui lui fut révélé par la Sainte Vierge, nous ne pouvons pas nous en prévaloir comme d’une preuve pour soutenir notre plus que légitime position contre Vatican II, étant donné que le moins que l’on puisse dire est que l’Eglise ne l’a pas approuvé. A ce propos, il est KAROL, ADAM, JACOB Par M. l’abbé Francesco Ricossa our des raisons de temps et d’espace, ce nuP méro de Sodalitium ne comporte pas la rubrique habituelle sur ‘L’Osservatore Romano’ dans laquelle sont examinés certains documents officiels de Jean-Paul II ou de ses Congrégations. En compensation nous présentons à nos lecteurs une étude susceptible de faire un peu de lumière justement sur la pensée de Jean-Paul II, et plus particulièrement sur l’intérêt et la sympathie qu’il manifeste pour le monde juif, intérêt qui l’a un avertissement pouvant nous être utile dans ce qu’écrivait saint Thomas d’Aquin avec tant de sagesse et de prudence, contre ceux qui prétendaient démontrer le Dogme de la Sainte Trinité avec les seuls arguments de la raison naturelle: “si pour induire à croire on donne des raisons qui ne sont pas péremptoires on s’expose à la dérision de ceux qui ne croient pas: car ceux-ci penseront que c’est sur ces arguments que nous nous appuyons pour croire” (I, q. 32, a. 1). Aussi pour démontrer que Vatican II s’éloigne de la bonne doctrine et ne peut avoir été promulgué par l’autorité de l’Eglise on fera bien de se prévaloir d’arguments tirés uniquement de la Révélation telle qu’elle a été interprétée par le magistère de l’Eglise, et non de révélations privées, à plus forte raison si elles n’ont jamais été approuvées par l’Eglise. IV. Post scriptum Le présent article a été achevé le 5 janvier dernier. Entre-temps, la revue Le sel de la terre (n° 28, printemps 1999) publiait une étude d’un certain Frère Jean O.F.M. Cap. sur le même sujet (A propos d’une ‘prédiction de saint François d’Assise’, pp. 178-184), étude à laquelle je renvoie le lecteur. L’auteur confirme, documentation irréfutable à l’appui, que la “prophétie” attribuée à saint François trouve son origine dans les milieux des “Spirituels” et pense, comme moi, qu’elle se réfère à Boniface VIII et Jean XXII. L’article en question me semble toutefois un peu trop généreux envers les Spirituels et par contre trop sévère pour Jean XXII. Quoiqu’il en soit, en ce qui regarde l’authenticité de la “prophétie”, la question me paraît définitivement close. mené à cette rencontre historique avec le grand rabbin Toaff à la Synagogue de Rome le 13 avril 1986. Pour ce faire nous suggérons ici au lecteur de suivre avec nous, entre autres fils conducteurs, celui qui relie Karol Wojtyla à Adam Mickiewicz, et ce dernier à Jacob Frank, en prenant pour point de départ de notre recherche deux témoins insoupçonnables de préjugé en ce qui concerne Jean-Paul II: le Père de Lubac, théologien, créé ‘cardinal’ par Jean-Paul II lui-même, et le philosophe et politicien démocrate-chrétien Rocco Buttiglione. Sodalitium 62 Le 16 octobre 1978... “Au soir de son élection, le 16 octobre 1978, du balcon de Saint-Pierre de Rome, le cardinal Karol Wojtyla, devenu Jean-Paul II, saluait Mickiewicz, témoin de la foi catholique et de la liberté. Et dans la lointaine Cracovie, que le poète exilé n’avait jamais pu voir, cette nuit même, ‘les cortèges qui fêtaient l’élection pontificale en honorant les héros de l’histoire polonaise nous signifiaient que d’Adam Mickiewicz à Karol Wojtyla s’est poursuivie la continuité d’une même espérance à laquelle paraît enfin répondre un sourire de l’histoire’ (La Croix, 27/10/1978)” (1). Voilà ce qu’écrit le père de Lubac, pour rappeler l’affinité existant entre les deux poètes polonais, Karol Wojtyla et Adam Mickiewicz. Buttiglione observe pour sa part: “Il peut être intéressant de remarquer que, immédiatement après son élection au Pontificat Suprême, le premier lieu où Jean-Paul II s’est rendu en pèlerinage, a été le sanctuaire de la Mentorella, près de Rome, tenu par les Pères Résurrectionistes” (2) Or, la “légende raconte qu’après l’échec de la révolte [des polonais contre le Tsar] de 1831, quelques-uns des chefs du soulèvement se seraient retrouvés à Paris, en exil. Au cours d’une rencontre le jour de la Pentecôte de 1836, après avoir analysé une fois de plus la situation politique et l’avoir jugée désespérée Mickiewicz conclut qu’il faut fonder un ordre religieux, pour sauver l’âme de la Nation. ‘Nous avons besoin d’un nouvel ordre, il n’y a pas d’autre salut. Mais qui peut le fonder? Moi je suis trop orgueilleux’. Et c’est alors que le grand poète désigne Bogdan Janski qui, peu de temps après, effectivement, fondera l’ordre des Résurrectionistes avec Piotr Semenenko et Hieronim Kajsiewicz” (3). Le jeune Wojtyla a donc été influencé par Adam Mickiewicz, comme le soutient Buttiglione même (p. 36), et Jean-Paul II l’a solennellement confirmé par les deux premiers gestes significatifs accomplis immédiatement après son élection (4). Mais qui était Mickiewicz? Seulement un Mazzini polonais? Edgar Quinet, Jules Michelet, Adam Mickiewicz: “les trois anabaptistes du Collège de France” (Daniel Halévy), “triade sacrée qui prépara l’explosion de 1848” (Giovanni Scovazzi, discours pour le couronnement du buste de Mickiewicz au Capitole, à Rome, le 26 novembre 1879). Et pourtant, de Lubac souligne les différences entre les trois amis et collègues au Collège de France: “Mickiewicz, qui avait admiré Voltaire dans sa première jeunesse, le détestait; Michelet et Quinet seront membres du comité formé pour lui faire ériger une statue” (5), Mickiewicz était catholique et bonapartiste, ses amis athées et républicains. Mickiewicz était un révolutionnaire, certes, mais un révolutionnaire particulier: un “mystique”. Né en Lituanie le 24 décembre 1798 (200 ans avant l’élection de K. Wojtyla), sous la domination tzariste, il fonde à l’Université de Vilna, en 1815, la Société des Philomathes (puis Philarèthes, puis Rayonnants) “à des fins apparemment littéraires (...) en réalité politiques” (6), motif pour lequel il est arrêté et exilé en Russie, d’où il est expulsé en 1829. Il se rend alors à Rome: “il avait eu une formation spirituelle illuministe et voltairienne; à Rome il retrouvait la conscience de la puissance créatrice supérieure de la foi face à la seule raison; et c’est de ce concept que devait désormais s’inspirer toute sa poésie”. “En 1831, après avoir tenté en vain de rejoindre sa patrie insurgée, M. partit pour Paris”. Là il fréquente les milieux de l’émigration polonaise et pour eux l’encyclique de Grégoire XVI Cum primum du 9 juin 1832, apportant son appui à la répression russe contre les polonais (7) sera une grande déception. En 1839 il enseigne à l’Université de Lausanne, et l’année suivante, au Collège de France à Paris, comme nous l’avons vu. “En 1848, lors de la révolte des peuples, M., qui avait suivi toute sa vie les mouvements nationaux et était ami de Mazzini [ce dernier avait traduit quelques-unes de ses poésies] ami aussi d’autres patriotes, fonda une légion qui combattit dans la première guerre d’indépendance italienne”. Il revient à Paris après la nouvelle défaite, puis en repart pour une mission politique à Constantinople où il mourra en 1855. De ces quelques traits biographiques tirés de l’Enciclopedia Cattolica, émerge la figure d’un M. catholique libéral, vaguement mazzinien. Et ce serait déjà pas mal; mais y a-t-il plus? Mickiewicz et Lamennais Le Père de Lubac n’hésite pas à classer M. dans la “postérité spirituelle de Joachim de Flore”, même si par ailleurs il prend la défense de l’orthodoxie de notre personnage 63 Adam Mickiewicz comme il le fit pour le Père Teilhard de Chardin, auquel, explicitement il l’associe (8). Entreprise désespérée dans les deux cas. Avec de Lubac donc, approfondissons nos connaissances sur M. Tout d’abord, c’est la lecture de l’Essai sur l’indifférence de Lamennais qui, durant sa déportation à Saint-Pétersbourg, rapproche M. du “catholicisme” (p. 242). En 1831, M. fait personnellement connaissance avec le “prophète de La Chesnaie” à Paris, et ils font amitié: on les a surnommés, à raison, “les Pèlerins de l’avenir” (9). “Lamennais, écrivaitil à Lelewel le 23 mai 1832, ‘est le seul français qui ait sincèrement pleuré sur nous” (p. 240). L’œuvre de M., Les livres de la nation polonaise et de son pèlerinage (1832), fut traduite en français par Janski (le futur fondateur des Résurrectionistes) et par le comte de Montalembert. Le nom de ce dernier y figure pour que “le livre se répande parmi les catholiques libéraux”. Ce sont Montalembert et Lamennais qui choisirent le titre de l’édition française, Livre des pèlerins polonais (1833); Montalembert en écrivit la préface, Lamennais y ajouta un “hymne à la Pologne” de sa composition. Je rappelle que les idées de Lamennais, exprimées dans son journal L’Avenir, avaient déjà été condamnées par Grégoire XVI dans l’encyclique Mirari vos du 15 août 1832, mais le Pape, espérant un repentir, avait omis de nommer le malheureux prêtre. Cependant l’occasion de se précipiter dans l’abîme qui le conduisit à l’apostasie, ce fut justement l’opuscule de M. qui la lui fournit. Lamennais “avait aussitôt admiré le livret de M.: ‘Une si pure expression de la Foi et de la Liberté tout ensemble est une merveille en notre siècle de servitude et d’incroyance’ (...) Lui-même avait alors commencé, dira-t-il, la rédaction d’un petit livre ‘d’un genre fort analogue, mais sans attrait bien ferme, et il hésitait à la poursuivre. La lecture en manuscrit des Pèlerins fut ‘l’étincelle’ qui le galvanisa. Il en imita ‘le style biblique et visionnaire’ et en emprunta la manière parabolique dans ‘Les Paroles d’un croyant’. On connaît la lettre que Maurice de Guérin écrivait à son ami Hippolyte de la Morvonnais le 10 mai 1834, à propos des trois écrits de M., de Lamennais et de Silvio Pellico (Mes prisons) parus à peu de distance: ‘terrible trilogie..., trois coups de massue, coup sur coup, et portés par des hommes catholiques, des hommes purs, des hommes saints’” (pp. 241-242). Mais le Pape, n’apprécia pas de la même manière; “l’épreuve fut rude, à la fois pour le polonais et pour le breton. Si la condamnation romaine de juin 1834 [encyclique Singulari nos de Grégoire XVI] visait avant tout Lamennais, elle n’épargnait pas M., dont l’attitude avait été elle aussi durement réprouvée” dans la lettre à l’Evêque de Rennes du 15 octobre 1833. C’est alors que les routes de Lamennais et de M. se séparèrent: le premier apostasia, le second se soumit (?) et fonda en 1834 “l’Association des Frères unis”, à laquelle s’affilia l’ex-carbonaro Janski (p. 244). Enfin en 1836, nous l’avons vu, ils fondaient ensemble l’ordre religieux des Résurrectionistes. Mickiewicz et le messianisme M. n’a pas plutôt abandonné la fréquentation d’un hérétique (Lamennais), qu’il se met à en fréquenter un autre, pire peut-être: Andrzej Towianski (1799-1871), ancien camarade d’études à Vilna. Ce dernier débarque à Paris en 1841, “il guérit à distance” la femme de M. hospitalisée dans un asile d’aliénés, devenant ainsi pour M. comme “l’envoyé de Dieu”. “Pendant trois ans de suite, dont les deux dernières années de son enseignement [au Collège de France], M. va se faire le héraut du towianisme” (pp. 253-25). Towianski était un adepte du “messianisme”, 64 courant inauguré par Hoëné-Wronski (17781853) “qui avait fini par se croire le Paraclet chargé d’annoncer le ‘christianisme accompli’” (p. 251). Etaient également messianistes deux grands hommes de lettres polonais: Zygmunt Krasinski (1812-1859) et Auguste Cieszkovski (1814-1894): le premier “annonçait que l’Eglise de Pierre touchait à sa fin, comme toute l’ancienne société”, le second “annoncera l’ouverture du troisième et dernier âge de l’histoire: après l’antiquité qui fut l’âge du Père et le christianisme qui fut l’âge du Fils, ce serait bientôt l’âge de l’Esprit-Saint qui, en réalisant l’accord de la volonté humaine et de la volonté divine, instaurerait sur terre le royaume de Dieu: alors serait réalisée la ‘plénitude des nations’ annoncée par saint Paul” (pp. 250-251). Quant à Towianski, dans son humilité, il croit être, après Napoléon (10), la troisième épiphanie du Christ, le chef prédestiné qui devait naître d’une nation, la Pologne, martyre et rédemptrice comme le Christ. Il était “grisé de littérature mystique et occultiste: peut-être était-il initié à plusieurs sociétés secrètes” (p. 252). “Son système métaphysique et moral, antirationaliste et anti-autoritaire, subit l’influence d’un Saint-Martin, d’un Swedenborg, d’un T. Grabianka” (11), mais également d’un certain Jacob Frank, dont je reparlerai. Il est intéressant de remarquer que, pour T., à la fin des temps l’enfer n’existera plus (8). De nombreux auteurs ont été influencés par T.: ainsi le poète polonais Juliusz Slowaki (1803-1849), qui prédira l’élection d’un Pape slave ( 12 ), notre Mickiewicz, l’écrivain moderniste Fogazzaro (13). Or, Mickziewicz, Slowaki, Krasinski, sont donnés pour “maîtres” de Karol Wojtyla par Buttiglione (p. 32). Towianski a exposé sa pensée dans un livre de 1841 (mis à l’Index en 1858) intitulé Biesiada, le Banquet. M. s’en fait le propagateur au prestigieux Collège de France. “En décembre 1843, il prend pour objet de son cours ‘la Cène’ (= ‘le Banquet’) dont il respecte l’anonymat et qu’il évite de citer directement. C’est - déclare-t-il - ‘le fruit le plus précieux et le plus mûr qui tombe de l’arbre de vie de la race slave’, c’est ‘une proclamation de guerre contre toute doctrine, contre tout système rationaliste’” (p. 254).”Je me sens appuyé par une force qui ne vient pas de l’homme - disait M. durant son cours le 19 mars 1844 - (...) je me proclame à la face du ciel le témoin vivant de la révélation nouvelle” (p. 254). Rien d’étonnant à ce que M. et les siens aient été pris pour des “nouveaux Montanistes” (14). L’Etat (Louis-Philippe) et l’Eglise s’inquiètent, chacun de son côté et pour des motifs différents. Le premier oblige discrètement M. à quitter sa chaire en 1844 et, le 15 avril 1848, la seconde met à l’Index les deux derniers tomes de ses cours parisiens: L’Eglise et le Messie et L’Eglise officielle et le messianisme. Mickiewicz et l’“Eglise officielle” Si un nouveau Messie, un nouveau Sauveur, une nouvelle Révélation sont annonçés, qu’en est-il de l’Eglise (l’ancienne)? Naturellement elle doit ou disparaître pour céder la place à la nouvelle (c’est ce que pense Krasinski) ou bien se transformer (c’est ce que pense M.). En attendant, elle est “l’Eglise officielle” par opposition à l’“Eglise de l’avenir” (p. 270) qui sortira de la précédente “comme le papillon de la chrysalide” (15). “Les leçons du Collège de France en 1842-1844 sont dures pour ‘l’Eglise officielle’. Elles repoussent toute idée ‘d’insulter les hommes qui la représentent mais constatent qu’elle ‘a perdu l’esprit de prophétie’. La ‘vieille théologie cléricale’ ne suffit plus à nous guider: elle nous apprend bien encore à connaître Dieu, mais elle ne nous le fait pas ‘sentir’” (p. 260). M., lui, se prend pour “un prophète” (p. 246), “un illuminé” (p. 250), quand il parle il devient extatique (p. 249) et il est considéré comme un saint et un mystique (p. 239). “Un pressentiment universel - affirme M. - nous avertit de l’imminence d’une crise nouvelle... Les esprits les plus attachés à l’ancienne tradition, comme celui de Joseph de Maistre (16), la pressentaient” (p. 260). L’Eglise “officielle” est devenue rationaliste: “cette Eglise, dont l’existence est miracle, évite de parler des miracles”, elle “ne sait plus que repousser et condamner”, mais “elle sera sauvée malgré (les prêtres) et contre eux” (p. 269) (17). “Depuis la Réforme” “du côté du catholicisme commence la pétrification et, du côté du protestantisme, la putréfaction” (p. 269); pour remédier à ce processus on a besoin d’un œcuménisme catholique à la de Maistre (ibidem). L’épisode qui suit résume bien l’idée de M. sur l’Eglise: “C’était le 16 janvier 1844. Jamais depuis sa fondation, venant d’aucune de ses chaires, les auditeurs du Collège de France n’avaient sans doute rien entendu de pareil. (...) En ce jour-là, l’historien des littératures slaves [M.] a livré la synthèse de 65 sa vision catholique”. M. raconte alors aux élèves la légende écrite par Krasinski quatre ans auparavant (18): “Nuit de Noël. A SaintPierre de Rome, le pape achève la messe entouré de vieillards fatigués. Survient au milieu d’eux un jeune homme vêtu de pourpre: c’est l’Eglise de l’avenir, en la personne de Jean (19). Il annonce à la foule des pèlerins que les temps sont accomplis, puis, allant au tombeau du chef des Apôtres, il l’appelle par son nom et lui ordonne de sortir. Le cadavre se lève et s’écrie: ‘Malheur!’. Alors, la coupole de la basilique craque et se lézarde. Le jeune cardinal demande: ‘Pierre, me reconnais-tu?’. Le cadavre répond: ‘Ta tête a reposé sur le sein du Sauveur, et tu n’as pas connu la mort; je te connais”. Pierre retombe dans le tombeau, après avoir cédé la place à Jean. Les pèlerins polonais, par fidélité, meurent sous les ruines de la Basilique Saint-Pierre. “Pierre est mort pour toujours. L’Eglise romaine est finie, ses derniers fidèles sont morts. La rupture est consommée”. M. reprend l’allégorie de Krasinski, mais il en change la fin. Les pèlerins polonais qui “cherchent l’Eglise de l’avenir” ne périssent pas sous les ruines, mais sauvent l’Eglise. “Ils - et ce sont là les paroles mêmes de M. - ouvriront cette coupole à la lumière du ciel, pour qu’elle ressemble à ce panthéon dont elle est la copie (20); pour qu’elle soit de nouveau la basilique de l’univers, le panthéon, le pancosme et le pandème, le temple de tous les esprits; pour qu’elle nous donne la clé de toutes les traditions et de toutes les philosophies...” (p. 271). De Lubac pense que M. corrige Krasinski dans un sens orthodoxe; pour Journet, par contre, il en “accentue le caractère hérétique”. Pour M., il est vrai, l’Eglise de Jean ne détruit pas celle de Pierre, mais naît d’elle comme le papillon de la chrysalide; quant à moi je dirais que Mickiewicz est hérétique autant que Krasinski, mais plus dangereux: “Gardez-vous des faux prophètes. Ils viennent à vous sous des vêtements de brebis” (Mt., 7, 15). Et lorsque, le 5 avril 1848, à la tête de sa légion polonaise M. pénétra en procession dans la Basilique Saint-Pierre, il crut toute proche la réalisation du songe de la ‘Nuit de Noël’ (cf. p. 458). Mais le 29 avril Pie IX refusait de déclarer la guerre à l’Autriche. La République romaine guidée par Mazzini ami de M. - déposait le Pape, mais s’acheminait aussi vers la défaite. La réalisation d’une Eglise “spirituelle” objet de ses rêves était renvoyée à plus tard. M. s’était séparé de Towianski en 1845. Pourtant il interviendra en sa faveur auprès du gouvernement français en 1848 et en 1851 (p. 275, n. 4) et , comme nous le verrons, n’abandonnera pas pour si peu son faux mysticisme. Mickiewicz maçon martiniste En effet, les relations avec Towianski étaient aussi de type occulte, autrement dit maçonniques. M. appartint-il à la maçonnerie? Dès le début, en 1817, nous le voyons fonder la société secrète des Philomathes (Towarzystwo filomatow). En 1820, il fait partie d’une autre société secrète, celle des Philarèthes, dont il parlera dans la troisième partie de son livre Dziady (Les ancêtres), de 1833. Je ne sais pas, hélas, si les Philarèthes ont quelque chose à voir avec les loges maçonniques dites des Philalèthes (21). Quoiqu’il en soit, ces sociétés secrètes polonaises étaient la réplique (et souvent l’alliée) des sociétés secrètes russes - sorte de Carbonarisme slave - qui donnèrent naissance au complot des décabristes. Dans le complot décabriste de 1825, le gouvernement tzariste avait reconnu la main de la maçonnerie, et c’est précisément en cette circonstance qu’elle fut mise hors-la-loi en Russie (22). A supposer même que les sociétés secrètes auxquelles adhérait alors le jeune M. n’aient pas été maçonniques, une rencontre le mènera au Martinisme: la rencontre avec Oleszkiewick. “Personne n’aura sur lui une influence aussi forte que le polonais Josef Oleszkiewick, peintre, mystique, disciple de Saint-Martin, et qui sera le premier à initier M. à des expériences de vie plus profondément religieuses” (23). C’est ainsi que M. de voltairien devient martiniste, de rationaliste devient “mystique”; il publiera en 1836 Zdania i uwagi (Sentences et observations), recueil de citations des œuvres de Böhme (24), Silesius et Saint-Martin (25). Or, avec Saint-Martin nous sommes en pleine maçonnerie, et même en plein cabalisme judaïque! C’est dans ce milieu ésotérique, bien avant l’affiliation au mouvement de Towianski, qu’est enlisée la pensée de M. “fortement touché dans sa jeunesse par la mystique des sociétés secrètes, - doit admettre de Lubac - par Böhme ensuite dont il s’éprit à Dresde en 1832 ( 26 ), par les visions de Frédérique Wanner, par Swedenborg (27) par Baader et par Saint-Martin qu’il lut à Paris en 1833, mais aussi par Catherine Emmerich (...) et par les 66 grands mystiques de la tradition chrétienne, surtout Denys (qu’il projette de traduire en polonais), il ressemble à un Joseph de Maistre qui serait plus proche des sources d’inspiration populaires, à un Lamennais qui serait demeuré fidèle” (p. 245). Vraiment, plus de Lubac cherche à excuser M., plus il en aggrave - involontairement - la situation, tellement il fait paraître claire la place qu’occupe M. parmi les penseurs les plus dangereux de l’ésotérisme “maçonnique- chrétien”. Mickiewicz et les Juifs “Il y a deux cents ans, le 24 décembre 1798, naissait à Nowogrodok en Biélorussie, non loin de Vilnius, la ‘Jérusalem de Lituanie’, Adam Mickiewicz, le plus grand poète polonais de tous les temps. (...) Ce fut un Européen et un homme très proche du judaïsme. (...) On dit qu’il avait des origines juives. En tout cas, il fut un philosémite sincère. Un jour, il protesta violemment, dans un salon littéraire parisien, en compagnie de Gautier, Musset et Hugo, contre l’antisémitisme ambiant en déclarant ‘S’il y a la moindre allusion contre les Juifs, je vous quitte immédiatement’. C’était un humaniste du XIXème siècle que les Juifs originaires de Pologne n’ont jamais oublié”. Ces lignes sont extraites d’un “hommage” à Mickiewicz qu’Actualité Juive (l’hebdomadaire de la Communauté juive française) a dédié à M. (n. 592, 31/12/1998, p. 25). Y a-t-il de quoi nous étonner? Maçon martiniste, M. remonte inévitablement, par l’intermédiaire de Saint-Martin, à Martinez et à Böhme, et par ces derniers, à la Cabale. Mais, comme nous l’avons vu, l’influence du Judaïsme sur M. n’est pas seulement indirecte. Le philosémitisme de M. n’est pas ignoré non plus de de Lubac: “Le privilège unique de la révélation faite au peuple hébreu fut qu’elle préparait la révélation définitive [et jusque là, rien de plus catholique]. Mais une empreinte en est demeurée dans ce peuple, qui lui assigne encore un rôle pour l’avenir [et voilà la nouveauté, qui anticipe Vatican II et Jean-Paul II!]”. M. écrit: “L’homme du passé cherche... une vérité commode, une vérité facile, une vérité courtisane. Mais dans les contrées habitées par notre race [la Pologne] les parcelles de vérité qui nous arrivent ont été conquises à la sueur de l’esprit. Là demeurent des millions d’hommes appartenant à un peuple bien connu, à un peuple qui est l’aîné de l’Europe, l’aîné de tous les peuples civilisés, le peuple juif qui, du fond de ses synagogues, ne cesse depuis des siècles de pousser des cris auxquels rien dans le monde ne ressemble, de ces cris dont l’humanité a perdu la tradition. Or, s’il y a quelque chose qui puisse ramener sur la terre la vérité du ciel, ne serait-ce pas ces cris dans lesquels l’homme concentre et exhale toute sa vie?” (p. 263). La “tradition” (28) a été perdue par tous (même par l’Eglise, si je comprends bien); il n’y a que la Synagogue à la reproduire sur la terre! En 1848 M. qui a levé à Rome une “légion polonaise” pour combattre l’Autriche dans la première guerre d’indépendance italienne, compose pour elle un “Symbole politique polonais” en quinze brefs articles. Le dixième dit textuellement: “A Israël, notre frère aîné, respect, fraternité; aide sur la voie vers son bien éternel et terrestre; complète égalité de droits politiques et civils” (29). L’Encyclopedia Judaica ajoute d’autres éléments d’appréciation: “En cela [dans son philosémitisme] il subit l’influence du philosophe mystique Andrzej Towianski pour qui Juifs, Français et Polonais, forment ensemble une “nation choisie” et dont le nationalisme messianique s’inspirait de Mesmer, Swedenborg et la Kabbalah. C’est ainsi que dans le grand poème épique Pan Tadeusz (1834), œuvre maîtresse de M., le Juif idéalisé, Jankiel, est un ardent patriote polonais. Dans ses cours de langues et de littératures slaves alors qu’il était professeur au Collège de France à Paris (18401844), M. s’efforçait de louer les Juifs et de les défendre contre leurs détracteurs. Dans un sermon fait à la synagogue de Paris à l’occasion du Jeûne du Neuvième de l’Av en 1845, il exprima sa sympathie pour les souffrances des Juifs et pour leurs aspirations concernant le pays d’Israël. Bien qu’il ait rêvé depuis des années de la conversion des Juifs au Christianisme, il fut très désappointé par les tendances à l’assimilation des Juifs français”. Après avoir rappelé l’épisode de 1848, l’Encyclopedia Judaica poursuit: “Lorsqu’éclata la guerre de Crimée en 1853, M. partit pour Constantinople afin d’aider à la formation d’un régiment polonais de combat contre les Russes. Il espérait y inclure des unités juives et s’était disposé à leur assurer le droit d’observer le Sabbath ainsi que toutes leurs autres obligations religieuses. Son second, Armand Levy, médecin-officier français, était un natio- 67 naliste juif, et il n’est pas à exclure qu’avec la création d’unités juives, les deux chefs aient pensé réaliser un premier pas vers la restauration de la nation juive sur sa propre terre. M. mourut subitement avant d’avoir pu accomplir sa mission à Constantinople”. Un catholique polonais qui bien avant Herzl et Vatican II prêche dans une Synagogue, appelle les Juifs “frères aînés” et prépare la création de l’Etat juif en Palestine (30)! N’y a-t-il pas là de quoi laisser perplexe? Mais il y a une explication... Mickiewicz et le Frankisme C’est encore Rocco Buttiglione qui nous la suggère - bien involontairement - en parlant de l’influence qu’eut sur Towianski, Slowacki et Mickiewicz un obscur “messie du judaïsme polonais du XVIIIème”, un certain Jacob Frank ( 31 ). L’Encyclopedia Judaica, à laquelle se réfère Buttiglione, est encore plus explicite: dans le drame intitulé Dziady (1832), M. “trace un portrait du futur sauveur de la Pologne, personnage en qui l’interprétation a cru voir l’auteur lui-même. Selon la vision de l’un des personnages, ce sauveur serait “un fils d’une femme étrangère; son sang serait celui d’anciens héros; et son nom serait Quarante-quatre. La mère de M., descendante d’une famille frankiste convertie, était une “étrangère”; et son nom à lui, Adam, ( ) si l’on omet le “A” non prononcé ( ) a la valeur numérique 44. Ces notions cabalistes avaient été glanées dans les écrits du mystique français, Louis-Claude de Saint-Martin”. La même Encyclopédie, mais à la rubrique ‘Frank’, ajoute ce qui suit: “...Le poète lui-même témoigne clairement de cette affiliation [frankiste] (du côté de sa mère) (...) Les origines frankistes de M. étaient bien connues de la communauté juive de Varsovie dès 1838 (en témoigne le AZDJ de cette même année). Les parents de la femme du poète [Céline Szymanowska qu’il épousa en 1834] provenaient également de familles frankistes”. La mère et la femme de M. étaient donc issues de familles juives frankistes, comme nous le confirme le biographe de Jacob Frank, Arthur Mandel: “la fille de Maria [Szymanowska] ( 32), Céline, était l’épouse du grand enfant de la Pologne, le poète Adam Mickiewicz, lui aussi de descendance frankiste. Dans son œuvre Dziady (La fête des Ancêtres), un drame mystique entremêlé de motifs frankistes, Mickiewicz, par des allusions voilées, laisse entendre qu’il serait le Messie qui, à la tête de la Pologne et ‘de son frère aîné, le peuple juif, devrait mener l’humanité à la liberté, idée qui rappelle beaucoup Frank” (33). Ce qui est particulièrement significatif est le fait que Mickiewicz, de mère frankiste, mais né et baptisé dans la religion catholique, ait épousé en 1834 Céline Szymanowska, elle aussi catholique, mais fille de deux frankistes. Or l’endogamie est justement l’un des principes essentiels des frankistes: “Nous devons accepter pro forma cette religion nazaréenne disait Jacob Frank - et l’observer méticuleusement pour paraître meilleurs Chrétiens que les Chrétiens eux-mêmes... Nous ne devons cependant épouser aucun des leurs (...) et en aucune façon nous mêler aux autres nations” (34). Soixante-dix-huit ans après le baptême de Frank et de leurs propres ancêtres, Adam Mickiewicz et Céline Szymanowska s’unissaient par les liens du mariage, respectant, de ce fait, les règles frankistes: pur hasard? Jacob Frank. Sa vie Mais qui était Jacob Frank? Notre histoire commence en 1665, lorsque toute la diaspora juive crut avoir trouvé en la personne de Sabbatai Zevi (1616-1676), un cabaliste de Smyrne, le Messie tant attendu (35). La déception fut grande lorsque l’année suivante, Jacob Frank 68 mis par le Sultan dans l’obligation de choisir entre la mort et l’apostasie, Sabbatai Zevi préféra apostasier et devenir musulman (septembre 1666). Pourtant nombreux sont ceux qui virent dans cette apostasie la confirmation paradoxale du caractère messianique de Sabbatai: c’était au moyen du péché que le Messie devait sauver le monde! Pour imiter le “Messie”, de nombreux juifs apostasièrent à leur tour, tout en demeurant juifs en leur for intérieur comme Zevi. Ils sont à l’origine de la secte dite des Dunmeh (apostats): “le général Kemal Atatürk, père de la Turquie moderne, était des leurs” ( 36). Un certain Lieb, aubergiste de Korolowska (Galicie, Pologne), quoique demeuré extérieurement juif, était lui aussi “sabbatien”. En 1726 devait lui naître un fils, le petit Jacob qui ne prit le nom de Frank que plus tard, à Salonique, siège des sabbatiens. C’est là qu’à son tour Jacob se proclamait Messie. En 1755 il repartait pour la Pologne. Les rabbins le déclarèrent alors hérétique et demandèrent à l’Eglise de le poursuivre comme tel: Frank repartit pour la Turquie, se fit (extérieurement) musulman, confirmant ainsi qu’il était la réincarnation de Sabbatai Zevi. De retour en Pologne il fit miroiter la possibilité d’une conversion au christianisme de lui-même et de 30.000 de ses disciples. Et en effet à la Cathédrale de Lvov, l’été 1759, puis en divers endroits de la Pologne, 20.000 frankistes se faisaient baptiser accédant ainsi au rang de la noblesse; les autres, le plus grand nombre, restèrent juifs, tout en professant la doctrine de Frank. Le 18 novembre 1759, à Varsovie, Frank recevait lui aussi le baptême sous le nom de Joseph; son parrain était le Roi en personne. Aux siens, Frank demanda le plus grand secret sur leurs vraies croyances, au Roi il demanda la permission de constituer une armée ainsi que l’attribution d’un territoire pour la fondation d’un état juif. Mais quelque chose transpira, et Frank fut relégué par l’Inquisition, dans une prison dorée, à Czenstokhova, qui “devint ainsi centre de pèlerinage pour les frankistes” (37). Treize ans plus tard, il était libéré par les russes. Entre-temps, “il commençait à préparer le terrain pour son successeur, EveAvatcha, sa fille, immortelle comme lui. C’est ainsi qu’Eve Frank devint une sorte de contrepartie de la Vierge noire de Czenstokhova, et à côté du culte de Marie s’institua un culte d’Eve, auquel Frank lui-même se soumettait” ( 38 ). Après sa libération, il se rendit en Moravie (Autriche), à Brünn, où habitait sa cousine Schöndl Hirschel (1735-1791), femme du riche monopoleur du tabac et fournisseur de l’armée, Salomon Dobrouschka (1715-1774). La cousine et dix de ses douze enfants se firent baptiser, adoptant des prénoms chrétiens et le nom de von Schönfeld; mais ils n’étaient pas chrétiens: ils étaient frankistes! En 1778 ils furent anoblis. Rebaptisé Franz Thomas von Schönfeld, Moïse Dobrouschka, l’un des fils de Salomon fut conseiller et banquier des empereurs Joseph II et Léopold II (au couronnement duquel assistait, dans les rangs des nobles, le “baron Joseph Frank-Dobrouschki”, Jacob Frank si l’on préfère). Mais ce Schönfeld (Moïse) était aussi à la fois membre de la secte des “Illuminés de Bavière” (qui préparaient une révolution égalitaire) et l’un des fondateurs de l’ordre maçonnique des “Frères asiatiques” (39) dont le Grand Maître était le fameux Prince Charles de HesseCassel (1744-1836), beau-père du Roi de Danemark, et auquel adhéra le futur Roi de Prusse, Frédéric-Guillaume II. Jacob et Eve Frank avaient eux aussi leurs entrées auprès des Rois: en 1775 ils étaient à la Cour de Marie-Thérèse et de Joseph II à Vienne, en 1783 et en 1813 ce sera les Romanov (Paul Ier et Alexandre Ier) qui rendront visite à Eve Frank. Enfin, J. Frank transféra sa cour à Offenbach, en Allemagne, au château du duc d’Isembourg (maçon et illuminé), où il vécut de 1788 jusqu’à sa mort en 1791. La Révolution française avait déjà éclaté, et Jacob Frank avait dit: “je suis venu libérer le monde de toutes les lois et de tous les commandements. Toute chose doit être détruite afin que le bon Dieu se révèle” (40). Le frankisme et la révolution Le frankisme survécut à Jacob Frank. Avant d’en résumer les croyances, voyonsen les conséquences. Mandel démontre que les frankistes ont donné leur appui, avec cohérence, à toutes les révolutions. Le cas du cousin et héritier de Frank est tout à fait symbolique: à la fois Moïse Dobrouschka pour les juifs, Franz Thomas von Schönfeld pour les chrétiens, Isaac ben Joseph pour les Maçons (41) et enfin Junius Brutus Frey pour les jacobins. Arrivé en 1792 en pleine France révolutionnaire qu’il qualifiait de “paradis 69 sur terre”, blessé lors de l’assaut des Tuileries le 10 août, il finit guillotiné en compagnie de son plus jeune frère, de son beau-frère (l’ex-frère Chabot, “premier révolutionnaire d’Europe”) et de Danton en 1794, à Paris. Dans la liste du bourreau c’est encore sous un autre nom qu’il figure (un de plus, un de moins...): Junius Eschine Portock. Aléas de la Révolution! (42). Ce qui n’empêcha pas les frankistes de continuer à donner leur appui aux révolutions suivantes: on les trouve parmi les chefs des jacobins polonais dans la révolte de 1793-1795; on en trouve aussi un bon nombre parmi les généraux de Napoléon dont ils espéraient qu’il fonde l’état juif en Palestine (43); ils animent les révoltes polonaises de 1830 et de 1863 contre le Tzar (44). Le soutien juif et frankiste aux révoltes polonaises est particulièrement intéressant pour notre sujet, parce que Mickiewicz y fut personnellement impliqué, et le patriotisme polonais de Wojtyla en fut notablement influencé. Jacob Frank. Sa pensée. Elle se situe dans le contexte de la Cabale (spécialement Zohar et Isaac Luria) et celui, moins éloigné, de l’interprétation qu’en donnait Sabbatai Zevi. Je résume le système de Zevi et Frank en suivant Gershom Scholem (45). “Selon Frank, le cosmos (tevel) (...) n’a pas été créé par le ‘Dieu vivant et bon’ (p. 200) lequel est le Dieu caché et impersonnel de la Cabale”. Le péché primordial d’Adam a fait tomber les étincelles divines (nitzotzot) dans la matière=le mal (kelipot) qui est particulièrement présent chez les gentils (p. 158) La mission du Messie Rédempteur, envoyé par le Dieu bon, consiste à délivrer les nitzotzot des kelipot. Pour ce faire, il doit descendre dans le domaine impur des kelipot pour les détruire. Plus il va loin dans l’impureté, mieux c’est; pour ce faire il doit commettre les “actes étranges” (ma’ asim zarim). La Rédemption cosmique (tikkun) se réalise au moyen du péché: “c’est en violant la Tora qu’on l’accomplit” (bittulah shel Torah zehu kiyyumah) (p. 146); “Tu es béni, Seigneur notre Dieu, roi de l’univers, Toi qui permets ce qui est interdit” (p. 180). Les “pneumatiques”, les “spirituels”, les “extravagants”, les “maîtres de l’âme sainte” (p. 152) ne pèchent pas en commettant le mal, mais accélèrent paradoxalement la Rédemption. Les péchés préférés sont: la vio- lation de la Tora de beriah (la loi de Moïse) pour la remplacer par la Tora de atzilut qui est son exact contraire; les excès sexuels en tout genre, à l’image de l’union qui a lieu en Dieu entre la partie masculine et la partie féminine (p. 181-182); et enfin, l’apostasie. L’apostasie et le marranisme (du moins pour le Messie) sont nécessaires (p. 176), avec l’obligation conséquente du secret sur la vraie foi juive que le faux converti a conservée. “Se rappelant Sabbatai Zevi, ils pouvaient tolérer sa [de Frank] conversion à l’Islam, mais ils ne pouvaient pas avaler le baptême chrétien”. Mais Frank expliqua à ses disciples: “le baptême était un mal nécessaire, le point le plus bas de la descente dans l’abîme après lequel commençait l’ascension. (...) Le baptême devait être le commencement de la fin de l’Eglise et de la société et eux, les Frankistes, avaient été choisis pour en réaliser la destruction de l’intérieur ‘comme des soldats qui prennent d’assaut une ville en passant par les égouts’. Pour le moment le secret le plus absolu et la discipline la plus stricte étaient de rigueur, de même qu’une conformité méticuleuse aux préceptes et aux pratiques de l’Eglise afin de ne pas éveiller les soupçons. Mais tout en observant extérieurement les préceptes de l’Eglise catholique ils ne devaient jamais perdre de vue leur véritable but, ni oublier qu’ils étaient liés les uns aux autres” (46). Souvent le Messie-marrane est vu comme une incarnation du Dieu bon (pp. 194-195). Dans les différentes émanations de ce dernier, Zevi était l’incarnation du “Saint des anciens jours”, Frank était celle du “Saint Roi”, la fille de Frank, Eve, était l’incarnation de la Shekhina. S’il y a un élément féminin en Dieu, il doit en être de même dans le Messie: “car elle [Eve Frank] est le vrai Messie! C’est elle qui sauvera le monde” (Mandel, p. 107). La divine Sophia, la Gnose, est le “serpent sacré” du jardin de l’Eden (pp. 204-205) que l’on retrouve en commettant, comme nous l’avons vu, le “péché sacré”. Scholem lui-même, qui pourtant en est comme fasciné, qualifie cette doctrine de “satanique”. Cette doctrine est tout à la fois nihilisme (puisque tout doit être détruit), anoméisme (puisque ennemie de toute loi, de toute morale, de tout commandement et religion), ésotérisme (puisqu’il s’agit d’une doctrine “mystique” et secrète) et, enfin, elle est gnosticisme. La ressemblance avec les pires gnostiques (tels que Carpocrate) est impressionnante (p. 205- 70 206). Cette ressemblance s’explique par l’origine juive et cabalistique de la gnose (47). Sur le plan social, le Frankisme envisageait un Sionisme sans Sion, c’est-à-dire la création d’un état juif, mais pas en Israël, (“territorialisme”), la destruction de la Religion, de l’Eglise et de l’Etat, et bien sûr la destruction de toute morale. Conclusion Parvenus au terme de notre étude, une conclusion s’impose. Et là il nous faut éviter de tomber, me semble-t-il, dans deux excès inverses. D’un côté, notre conclusion dépasserait les prémisses, si l’on affirmait une identité de pensée entre Adam Mickiewicz et Jacob Frank, et donc, a fortiori, entre celui-ci et Karol Wojtyla. Mais, de l’autre, nier toute influence de Frank sur Mickiewicz et de celui-ci sur Wojtyla serait encore moins réaliste, l’importance de ces influences réciproques demeurant une question ouverte. Après avoir rappelé les rapports plus qu’amicaux de sa jeunesse avec la communauté juive de Wadowice ( 48 ), et ceux, entretenus plus tard alors qu’il était évêque avec la communauté juive de Cracovie, Jean-Paul II déclare à Vittorio Messori: “Elu au Siège de Pierre, je conserve au fond de l’âme ce qui a des racines très profondes dans ma vie. A l’occasion de mes voyages apostoliques dans le monde, je cherche toujours à rencontrer les représentants des communautés juives. Mais la visite à la synagogue de Rome a été pour moi sans aucun doute une expérience tout à fait exceptionnelle. (...) Lors de cette visite mémorable, j’ai défini les juifs comme frères aînés dans la foi. Ces mots résument ce qu’a dit le Concile et ce qui ne peut pas ne pas être une conviction profonde de l’Eglise. (...) Ce peuple extraordinaire porte toujours en lui les signes de l’élection divine. (...) Il est vrai qu’Israël a payé bien cher son ‘élection’. C’est peut-être grâce à cela qu’il est devenu plus semblable au Fils de l’homme...” (49). Pour tous ceux qui, comme nos lecteurs, connaissent la pensée de Mickiewicz sur le peuple juif, l’influence de celle-ci sur Jean-Paul II est évidente, de même que l’influence sur Mickiewicz de ses propres origines juives. C’est ainsi que la ‘piste’ Mickiewicz nous a menés à l’ésotérisme, à la maçonnerie, à la cabale. Elle n’est pas l’unique piste. Il en est d’autres que nous aurions pu suivre.... Celle par exemple de Mieczyslaw Kotlarczyk (un des maîtres directs de Wojtyla), qui nous amène à la Théosophie de Madame Blatvasky et à la tradition juive d’Ismar Elbogen, si l’on en croit le témoignage de M. Buttiglione (op. cit., p. 35, n. 3). On pourrait également parler de Husserl et de Scheler, de Soloviev et de Boulgakov (qui nous ramènent à la Sophia présente en Dieu), de Buber et de Levinas... et je me réserve de revenir sur ces thèmes. Mais il me semble avoir fait suffisamment de lumière sur l’origine historique et culturelle, peut-être même familiale, d’une des plus célèbres expressions de JeanPaul II; celle qui, pour reprendre le titre d’un livre du grand rabbin Toaff, fait des “juifs perfides” nos “frères aînés”. Notes 1) H. DE LUBAC, La postérité spirituelle de Joachim de Flore. II. De Saint-Simon à nos jours. Lethielleux, Paris 1981, p. 281. 2) C’est le 29 octobre 1978 que Jean-Paul II s’est rendu au sanctuaire de la Mentorella, cf. La Documentation Catholique, 1978, pp. 958-959. 3) R. BUTTIGLIONE, Il pensiero di Karol Wojtyla, Jaka Book, Milano 1982, pp. 33 et 34 n. 2.; en fr.: “La pensée de Karol Wojtyla”, Communio, Fayard, p. 37 et 38 note 2 “Dans un premier temps sous l’influence de leur milieu, tous les trois avaient quasiment perdu la foi; Jean-Paul II et le grand rabbin Toaf 71 Janski était même l’un des membres directeurs de l’école philosophique et sociale des saint-simoniens. Demeuré insatisfait dans sa recherche de la ‘vérité’ il abandonna la secte et à l’instigation du poète Adam Mickiewicz il fonda avec les deux autres la nouvelle société religieuse dont le propos était de soutenir la foi vacillante des émigrés et de réformer grâce à eux la nation toute entière” (Enciclopedia Cattolica, Città del Vaticano 1953, vol. X, col. 818, rubrique Resurrezionisti). 4) Pour nous limiter aux premiers temps du pontificat, Jean-Paul II a cité Mickiewicz dans le “Message aux polonais” du 23 octobre 1978 (DC n. 1752 du 19/11/78, p. 954), et deux fois lors de son premier pèlerinage en Pologne: le 3 juin 1979 à Gniezno (“Allocution aux jeunes”, DC n. 1767 (13) du 1/7/79, p. 613) et le lendemain à Jasna Gora (ibidem, p. 614). 5) DE LUBAC, op. cit., pp. 237-238, n. 5. 6) Ces notices biographiques, et les suivantes, sont extraites de l’Enciclopedia Cattolica, op. cit., VIII, coll. 964-965, rubrique Mickiewicz. 7) Cf. BUTTIGLIONE, op. cit., p. 38. Pour le texte de l’Encyclique, voir Enchiridion delle Encicliche, Dehoniane, Bologne 1996, vol. II, nn. 16-23. 8) H. DE LUBAC, op. cit., p. 265, n. 2, où M. est comparé à Maurice Blondel, Pierre Teilhard de Chardin et Hans Urs von Balthasar. 9) W. G ODLEWSKI , Les Pèlerins de l’avenir, Mickiewski et Lamennais. Revue des sciences humaines, 1955; cf. H. de Lubac, op. cit., p. 240. 10) Sur Napoléon en tant que Messie des Juifs, voir A. Balleti, Gli Ebrei e gli Esrensi, Forin [1930] 1827, p. 241. Sur le mythe de Napoléon, qui reprend celui, plus ancien, du “grand empereur”, cf. DE LUBAC, op. cit., pp. 255-257, et aussi G. V ANNONI , Le società segrete, Sansoni, Firenze 1985, pp. 165-170. Pour les révolutionnaires polonais existait un motif supplémentaire de vénérer Napoléon: ils voyaient en lui celui qui avait (provisoirement) “libéré” la Pologne des russes. 11) Enciclopedia Cattolica, op. cit., vol. XII, col. 394, rubrique Towianski. 12) “Au fort de la lutte Dieu fait résonner/ une immense cloche / Pour un Pape slave/ Il a préparé un trône.../ Attention, le Pape slave vient/ Un frère du peuple” (cité par BUTTIGLIONE, op. cit., p. 38). 13) E. ROSA, Une source ignorée du modernisme d’Antonio Fogazzaro, in Civiltà Cattolica, 1912, III, pp. 3-18; 1913, IV, p. 557 sv. Towianski eut des disciples en Italie, spécialement à Turin. Sur ces disciples, cf. ANNAMARIA SANI, Tra modernismo e pacifismo. Il carteggio Favero-Colombo, in Contributi e documenti di storia religiosa - Quaderni del Centro Studi ‘C. Trabucco’, n. 19/1993, Turin, pp. 39-68. Il y a même eu un évêque towianskiste, Mgr Luigi Puecher Passavalli (1820-1897) (et un sympathisant, Mgr Bonomelli), et tous les towianskistes étaient œcuménistes, collaborant même avec le pasteur vaudois et maçon Ugo Ianni (1865-1938), qui emprunta à Towianski la théorie de la métempsycose (cf. C. MILANESCHI, Ugo Ianni, pioniere dell’ecumenismo, Claudiana, Turin 1979, p. 113 et M. MORAMARCO, Nuova enciclopedia massonica, Bastogi, Foggia 1997, II, pp. 30-33). Entre autres disciples de Towianski il y eut aussi le patriote mazzinien Scovazzi, qui inaugura le buste de Mickiewicz au Capitole en 1879. Sur Towianski il existe aussi en Italie un livre que je n’ai pas pu consulter: A. Z USSINI , Andrey (sic) Towianski. Un riformatore polacco in Italia, Dehoniane, Bologne 1970. 14) cf. DE L UBAC , op. cit., p. 254. Entre autres “nouveaux Montanistes” il y eut aussi Louis XVII, autrement dit Charles-Guillaume Naundorff (+ 1845); il avait fondé une église “catholique et évangélique”, ce pour quoi il fut condamné par Grégoire XVI. 15) M. écrit: “Il ne s’agit pourtant, qu’on le sache bien, ni de réformes, ni d’innovations, ni de révolutions religieuses, mais on s’attend à une nouvelle manifestation de l’esprit chrétien. Le papillon qui, au lever d’un soleil printanier, s’élève sous le ciel, n’est pas une chrysalide réformée, révolue ou innovée; c’est toujours le même être, mais élevé à une seconde puissance de vie; c’est une chrysalide transfigurée. L’esprit chrétien est prêt à sortir de l’Eglise catholique: seulement le clergé officiel n’a pas assez de lumière et de chaleur pour le faire éclore...” (cit. de DE LUBAC, pp. 268-269). Vatican II ne fut-il pas “le printemps de l’Eglise” et sa “nouvelle Pentecôte”? 16) M. n’est pas le seul révolutionnaire à magnifier l’esprit prophétique du contre-révolutionnaire de Maistre ou à avoir été influencé par lui: pour ne citer que ceux-là, rappelons Saint-Simon et Enfantin (de Lubac, pp. 26-27 et 33), Comte (p. 32), Lamennais (p. 51), Buchez (p. 114), Laverdant (p. 300), l’occultiste abbé Constant alias Eliphas Levi (p. 325), Vintras, autre occultiste (p. 330), Ciezszkowski, déjà cité, ami de M., et pour lequel de Maistre est “le dernier des grands docteurs de l’Eglise” (p. 387), Tchaadaev (p. 397). Et on reste perplexe devant l’admiration que lui portait Baudelaire, l’auteur des Fleurs du mal. Certes, un écrivain n’est pas responsable des erreurs de qui l’admire, mais le fondement de cette étrange admiration, le lecteur le trouvera dans l’article de l’Abbé Nitoglia publié dans le prochain numéro. 17) La longue citation, qu’il m’a fallu tronquer, est du pur Péguy, comme le fait remarquer de Lubac. Péguy était un admirateur de M. 18) De Lubac en transcrit les parties essentielles aux pp. 458-463. Je résume à mon tour ce qu’en donne de Lubac à la p. 270. 19) On sait la vénération dont fait l’objet, dans les loges maçonniques, saint Jean - par opposition à saint Pierre - comme modèle d’Eglise mystique et spirituelle. “Joachim de Flore mettait au-dessus de tous les autres saints l’Apôtre bien-aimé de Jésus. Il lui appliquait la parole du psalmiste: ‘tu ne laisseras pas ton saint subir la corruption’. Pas plus que celui de la mère de Jésus, le corps de Jean n’avait été mis en terre (...) Sans retenir habituellement ce trait, la postérité de Joachim de Flore fit, on l’a vu, constamment appel à saint Jean. C’est ainsi que Krasinski recourt encore à lui, dans sa ‘Nuit de Noël’, pour lui confier l’héritage de Pierre, et l’on aura remarqué que dans son récit ‘le vieillard des vieillards’ est Pierre, tandis que Jean, ‘l’homme vêtu de pourpre’, apparaît comme un jeune chef, maître de l’avenir. Dans la Franc-Maçonnerie, à laquelle appartinrent beaucoup de personnages qui forment depuis le XVIIIème siècle la trame de notre histoire, saint Jean tient fréquemment aussi une place d’honneur” (DE LUBAC, op. cit., pp. 283-284, expose dans les pages suivantes le rôle que la maçonnerie attribue à saint Jean). Il existe un courant analogue chez certains “traditionalistes” actuels, qui attendent le retour de saint Jean, toujours vivant selon eux, pour résoudre la “crise de l’Eglise”! 20) La confrontation de cette citation de M. avec les dernières paroles de l’œuvre de Joseph de Maistre, Du Pape, peut être utile. 21) Sur les Philalèthes, maçonnerie de tendance occulto-martiniste, cf. A. BARRUEL, Mémoires pour servir à 72 l’histoire du jacobinisme (1818), D.P.F., Chiré 1973, vol. II, pp. 314, 318, 414; A. M ACKEY , Encyclopedia of Freemasonry, éd. revue et corrigée de 1953, Masonic History Company, Chicago, vol. II, p. 771; L. TROISI, Dizionario Massonico, Bastogi, pp. 166-167; A. MELLOR, Dictionnaire de la Franc-maçonnerie et des francs-maçons, Belfond, 1971-1979, p. 184; MOROMARCO, op. cit., vol. I p. 373 , selon lequel les loges dissoutes de Martinez de Pasqually se fondirent dans les Philalèthes; N. BERBEROVA, Les Francs-maçons russes du XXème siècle, Noir sur blanc/Actes sud, 1990, p. 24 qui nous dit comme pour les Philalèthes russes “les manifestations de l’au-delà étaient leur principale occupation”: point commun avec Towianski et Mickiewicz essentiellement occupés à dialoguer avec les Esprits (cf. par ex. de Lubac, pp. 262, 250, etc. Pour ce qui concerne M. ce trait se trouve déjà dans son œuvre maîtresse Dziady [Les Aïeux] de 1821-1822). 22) BERBEROVA, op. cit., p. 15. MACKEY (op. cit., vol. 2, pp. 893-894), qui reconnaît l’affiliation maçonnique des décabristes, écrit que déjà le 1er août 1922, Alexandre Ier, préoccupé par la situation polonaise, avait dissout toutes les sociétés secrètes. 23) Enciclopedia Italiana (Treccani), rubrique Mickiewicz. 24) Jacob Böhme (1575-1624), l’un des plus grands cabbalistes “chrétiens” (il était protestant). A cheval sur le XVIIIème et le XIXème siècle, ses écrits devinrent la principale source d’inspiration de la maçonnerie “mystique” et romantique. Sur lui, cf. P. J ULIO MEINVIELLE, De la Kabale au progressisme, 1970; et DE LUBAC, op. cit., vol. I, pp. 218-225. Böhme est un partisan de la théorie de l’élément féminin dans la divinité, comme le seront plus tard Soloviev et... Jean-Paul II. 25) Sur Louis-Claude de Saint-Martin (1743-1803), le ‘philosophe inconnu”, je ne m’étendrai pas puisque l’Abbé Nitoglia en traitera exhaustivement dans son article sur Joseph de Maistre ésotérique? Les deux “maîtres” de Saint-Martin, Martinez de Pasqually et Böhme (lequel fut initié par Madame Boeklin) nous conduisent tous deux à la Cabale. 26) De Lubac écrit en note: “Le Voile d’Isis [la revue dans laquelle écrivait René Guénon] a publié en avril 1930, n. 124, pp. 269-286, divers passages de M. sous ce titre: ‘Le système de Jacob Böhme’”. A Dresde, M. séjourna vers les années 1829-30, et ensuite en 1832. A l’occasion de son premier séjour, M. passa aussi à Weimar, où il se lia d’amitié avec le poète (Rose-croix et exIlluminé de Bavière!) Goethe (cf. de Lubac, p. 248). 27) Emmanuel Swedenborg, dit “le mage du nord” (1668-1722). Comme Towianski et M., et plus qu’eux, Swedenborg “parlait” quotidiennement avec les “anges”, esprits et “défunts”. “Dès le lendemain de sa mort, nombre de Loges l’adoptèrent, telles, à Paris, la loge des ‘Amis réunis’, puis le ‘Régime des Philalèthes’ ou Chercheurs de la vérité. Sa doctrine y était mélangée avec celles de Böhme, de Martinez de Pasqually et d’autres” (DE LUBAC, vol. I, p. 263). 28) Naturellement M. accorde une grande valeur à la “tradition”: “Il n’y a pas de religion sans une institution qui la maintienne; il n’y a pas d’institution vraiment vivante sans la tradition: c’est-à-dire sans une série d’hommes qui ‘tradunt’, qui transmettent de main en main la vérité”. “L’Esprit fait vivre l’Eglise et agit par la tradition” (cité par DE LUBAC, pp. 263 et 265). Mais de quelle “tradition” parle-t-il? 29) Cf. DE LUBAC, op. cit., p. 280. Cf. Encyclopedia Judaica, Macmillan, New-York-Jérusalem 1971, vol. VII, col.1501, rubrique M. En plein milieu des événements convulsifs de la révolution de 1848, le “Symbole” de M. obtint même l’autorisation de la censure ecclésiatique, et ce, grâce au Père Ventura (1792-1861), lui aussi traditionaliste disciple de Lamennais, qui la même année vit son nom finir à l’Index en compagnie de celui de M.. Par la suite, en 1849, Ventura adhéra à la République romaine de Mazzini, passant ainsi de la “Contre-révolution” de de Maistre et de Bonald, ses premiers maîtres, à la “Révolution” libérale et démocratique de Lamennais. 30) N’oublions pas en effet qu’Israël était alors sous la domination turque. L’intervention de la brigade judéo-polonaise aux côtés de la Turquie contre la Russie aurait pu faire obtenir aux juifs de la part des turcs une certaine forme de cession de la Palestine. 31) R. BUTTIGLIONE, op. cit., p. 45, note 8. 32) Célèbre pianiste, chantée par Goethe, qui était tombé amoureux d’elle et de sa sœur Casimire. Les deux sœurs s’appelaient Wolowski, et étaient petites filles de Shlomo Schorr, Wolowski de son nom de baptême (‘bœuf’ en hébreu se dit shor, et en polonais wol), assistant de Frank. Maria Wolowska épousa un autre frankiste, Joseph Szymanowski, général napoléonien (Mandel, p. 98); ils étaient les beaux-parents de M. (Mandel, p. 151). Les deux frères Schorr-Wolowski (Franz-Shlomo et Michael-Nuta) étaient les membres les plus anciens de la secte (Mandel, p. 160) et fils du rabbin Elisha Schorr. “Interrogés par un tribunal rabbinique, certains Frankistes admirent avoir eu des rapports sexuels avec des femmes mariées en présence et avec la permission de leurs maris tandis que d’autres confessèrent des rapports incestueux. Un exemple probant en est donné, bien avant l’arrivée de Frank, par la famille du rabbin de Rohatyn, Elisha Schorr, dont la fille Hanna, une espèce de prêtresse frankiste, articula en état d’exaltation sexuelle des passages entiers du Zohar, la Bible cabalistique” (Mandel, p. 56). 33) A. MANDEL, Il Messia militante, Arché, Milano 1984, pp. 151-152. Les sources de Mandel sur les rapports de M. avec le frankisme sont: MIESES, PolacyChrzescijanie pochodzenia zydowskiego (Polonais chrétiens d’ascendance juive), vol. II, p. 119 s.; DUKER, Some cabbalistic and frankist elements in Mickiewicz’ Dziady, in Studies in Polish Civilsation, 1966, pp. 213 s.; SCHEPS, Adam Mickiewicz, ses affinités juives. 34) A. MANDEL, op. cit., p. 86. 35) Sabbatai Zevi eut beaucoup de succès chez les marranes hispano-portugais. Sur cette question cfr. YOSEF HAYIM YERUSHALMI, Dalla corte al ghetto. La vita, le opere, le peregrinazioni del marrano Cardoso nell’Europa del Seicento; Garzanti, Milano, 1991, chapitre VII. L’auteur voit aussi une corrélation entre Sabbatisme et Sébastianisme (pp. 273-276). Selon cette dernière forme de messianisme (Pessoa en était un adepte) le Roi portugais Sébastien, mort en 1578, devait revenir pour sauver son peuple de la domination de la couronne d’Espagne. Et c’était les marranes portugais qui entretenaient cette légende, soutenus en cela par l’”apôtre du Brésil”, le jésuite Antonio Vieira, qui en 1666 justement avait annoncé le retour de Sébastien pour l’année même (p. 273). Ami des marranes et ennemi de l’Inquisition, Vieira fut tenu incarcéré par cette dernière pendant trois ans (1665-1667) (cf. C. ROTH, Histoire des marranes, Liana Levi, 1992, pp. 271-275). La similitude entre le messianisme national portugais et le messianisme national polonais est frappante; les deux espèces de messianisme 73 venaient tous deux du judaïsme, qui eut au Portugal un rôle de première importance (rappelons que c’est aux complots des marranes que la dynastie des Bragances doit d’avoir obtenu pour le Portugal en 1640 l’indépendance vis-à-vis de l’Espagne (cf. Roth, op. cit., p. 86 et 269). 36) A. MANDEL, op. cit., p. 99. 37) A. MANDEL, op. cit., p. 103. 38) A. MANDEL, op. cit., p. 107. 39) A. M ANDEL , pp. 126-127. Sur l’ordre des “Frères Asiatiques” ou “Frères de saint Jean évangéliste d’Asie en Europe”, voir aussi: Jacob Katz, Juifs et franc-maçons en Europe, Cerf, Paris 1995, pp. 49-94. 40) A. MANDEL, op. cit., p. 156. 41) KATZ, op. cit., p. 63. 42) “Gershom Scholem considère Frey comme une personnalité hors du commun et comme un vrai frankiste: moitié juif et moitié chrétien; moitié cabaliste et moitié réformateur; moitié jacobin et moitié espion, il finit victi- me de ses propres machinations emportant son secret avec lui dans la tombe” (A. MANDEL, op. cit., p. 210). 43) A. MANDEL, op. cit., pp. 161-163. 44) A. MANDEL, op. cit., pp. 66 et 98-99. 45) G. SCHOLEM, Le messianisme juif, CalmannLévy, 1974. 46) A. MANDEL, op. cit., p. 85. 47) Cf MEINVIELLE, op. cit., ch. I; E. Peterson, origines de la gnose, dans l’Enciclopedia Cattolica, vol. VI, col. 879-882, rubrique Gnosi. 48) A ce propos, on peut consulter le livre de GIANFRANCO SVIDERCOSCHI, Lettera a un amico ebreo. La storia semplice e straordinaria dell’amico ebreo di Karol Wojtyla, Mondadori, Milano 1993. Le texte de Mickiewicz sur les juifs “frères aînés” est cité à la p. 32. 49) Jean-Paul II avec Vittorio Messori, Varcare la soglia della speranza, Mondadori, Milano, 1994, pp. 111-112. Recensions LES MIRACLES HISTORIQUES DU SAINT SACREMENT N otre-Seigneur Jésus-Christ durant Sa vie sur terre a prêché la Doctrine Evangélique et, pour montrer la vérité de Sa prédication - qu’elle provenait de Dieu - accomplissait des miracles. Ces signes sensibles, supérieurs aux forces de tout être créé, montraient d’une manière évidente que Dieu était présent et confirmaient de cette manière merveilleuse et transcendante la doctrine prêchée: les gens constataient avec admiration que “le doigt de Dieu est là” et croyaient à la doctrine prêchée. Déjà dans l’Ancien Testament Dieu avait agi ainsi, pour rassurer les Juifs sur la vérité de la Révélation mosaïque. Il agit ainsi aujourd’hui dans l’Eglise Catholique pour montrer qu’elle est la vraie Religion. Tous les catholiques croient à la Présence Réelle de Notre-Seigneur Jésus-Christ dans la Sainte Eucharistie: Jésus l’a révélé, l’Eglise nous l’enseigne. C’est l’une des vérités les plus hautes et le don le plus sublime que Dieu pouvait faire au genre humain, en laissant Sa présence parmi nous. “L’Eucharistie est en elle-même le plus grand miracle, dit le docteur Angélique, (…) car elle suppose une série de prodiges tels que la conversion d’une substance en une autre substance, - l’existence d’accidents sans leur substance dont ils conservent pourtant la vertu, - la présence de Jésus-Christ en plu- sieurs lieux à la fois, au ciel, sur la terre, sur tous les points du globe, dans toutes les parties des espèces sacramentelles”. Dieu n’a pas hésité à faire tous ces miracles pour rester avec nous dans ce Sacrement et pour se communiquer à nos âmes. Mais ces miracles ne sont pas visibles. Et alors il se peut, comme il est déjà arrivé, que des hommes, même des catholiques, doutent de la présence de Notre-Seigneur dans l’Eucharistie. Ayant commisération de la faiblesse humaine, Dieu a voulu à plusieurs reprises donner des signes sensibles témoignant de Sa présence: des miracles qui attestent “le plus grand miracle”. “L’histoire est pleine de ces manifestations merveilleuses destinées à réveiller la foi des peuples, à confondre l’impiété, à punir l’audace des sacrilèges, ou à récompenser la confiance et la ferveur des fidèles”. Les miracles historiques du Saint Sacrement est un recueil de ces “manifestations merveilleuses”: une centaine environ de miracles eucharistiques, de toutes les époques et de tous les parties du monde, avec citation des sources, table analytique et table chronologique. L’ouvrage du P. Eugène Couet de la Congrégation du Très Saint Sacrement fut publié en 1898: les Editions D.F.T. viennent de publier une réédition intégrale. Indispensable pour les catéchistes, utile pour les sermons, elle est aussi un bon livre de lecture pour les grands comme pour les petits. abbé Giuseppe Murro 74 P. EUGENE COUET Les miracles historiques du Saint Sacrement - 387 pages, 110 F. Editions D.F.T. - B.P. 28 - 35370 Argentré du Plessis. LE PAPE PIE VII PRÉCURSEUR DE VATICAN II ? D ans le dernier numéro de Sodalitium (n° 47, p. 84) j’écrivais: “dans la ‘Lettre des dominicains d’Avrillé’ (n° 7, sept. 1998, p. 11), on recommande la lecture du livre de Joël Morin et Emmanuel Vicart intitulé ‘Le pape Pie VII: précurseur de Vatican II’, à demander au Prieuré Sainte-Anne de Lanvallay, un prieuré de la Fraternité Saint Pie X. Je n’ai pas encore lu le livre, mais le titre est tout un programme: si Pie VII fut un précurseur de Vatican II, la ‘Petite Eglise’ fut un précurseur de la Fraternité Saint Pie X”. Malheureusement, j’ai commis - involontairement et innocemment - une déplorable erreur que je suis heureux de corriger dans la présente recension, après avoir lu le livre en question. Ce sont des choses qui arrivent quand l’imprimeur (en l’occurence celui des dominicains d’Avrillé) supprime un point d’interrogation: le titre exact de l’étude de Morin et Vicart est Le Pape Pie VII précurseur de Vatican II ? Le sous-titre, lui aussi omis par les dominicains, est encore plus explicite, exprimant l’intention des auteurs: Le concordat de 1801. Etude critique de l’ouvrage d’Adrien Loubier, intitulé ‘Démocratie cléricale’. “Les véhicules des fausses doctrines au cours du XIXème siècle et de la moitié du XXème siècle, ne sont pas les papes - écrit Mgr Lefebvre mais les catholiques libéraux et les modernistes...”; telle est aussi la thèse des auteurs. Sodalitium s’est opposé à l’anticléricalisme doctrinal d’Adrien Loubier (pseudonyme d’Adrien Bonnet de Viller, directeur de la revue Sous la bannière) depuis 1990 (cf. nn° 20 et 21), sur les rapports entre Eglise et Etat) et on ne peut que partager l’initiative des deux auteurs de défendre Pie VII injustement attaqué. Entreprise pas trop difficile, étant donné le style extrémiste et superficiel propre à l’auteur critiqué. Nous ne pouvons donc rien faire d’autre que de recommander la lecture de ce livre sur le Concordat entre Napoléon et le Saint-Siège, livre qui exprime des opinions que les rédacteurs de Sodalitium partagent pleinement. Expliquer aux lecteurs la licéité du Concordat de 1801 (c’était dans le droit et dans les compétences du Saint-Siège) et son opportunité (un Concordat n’est jamais l’idéal, mais est souvent tout ce que l’on peut obtenir d’un pouvoir temporel peu respectueux des droits de l’Eglise, pour le bien de la Religion et des âmes) est nécessaire aujourd’hui plus que jamais - et précisément dans nos milieux. Si j’ai pu croire sincèrement que la Fraternité Saint Pie X attaquait le Concordat c’est parce que plusieurs fois, tant par la parole que par les écrits, des membres de la Fraternité l’ont fait. Parmi les nombreux exemples que je pourrais citer, je me contenterai d’un seul, parce que c’est le plus impressionnant: Démocratie cléricale, le livre réfuté par Morin et Vicart, a eu une suite, écrite par le même auteur, pour démontrer la même thèse (attaquant cette fois Benoît XV): Echec au ralliement. Or, qui a écrit la préface à la suite de Démocratie cléricale? Rien moins que Mgr Williamson, l’un des quatre évêques de la Fraternité Saint Pie X. Avec un peu de malice, ceci pourrait expliquer la préface inattendue de Mgr Tissier de Mallerais au livre de Morin et Vicart écrit contre Démocratie Cléricale... Un évêque de la Fraternité soutient Adrien Loubier, un autre évêque de la Fraternité l’attaque... et, comme par hasard, depuis toujours il n’y a pas d’atomes crochus entre eux. Cette fois je suis vraiment désolé de devoir donner raison à Mgr Tissier de Mallerais, même si j’ai quelque doute, comme je l’ai dit, sur la pureté de ses intentions. De fait, dans la préface en question, Mgr Tissier, citant Mgr Lefebvre, ne peut s’empêcher de lancer une pointe finale (in cauda venenum) contre Léon XIII et Pie XI. Dans Sous la bannière (n° 61, p. 16), en présentant Echec au ralliement, on lit: “Dès 1926, le Père Le Floch, recteur du séminaire français de Rome, dénonçait cette ‘hérésie la plus dangereuse de toutes: l’exagération du respect dû au pape et l’extension de son infaillibilité’”. Ce n’est pas un hasard si le P. Le Floch a été le maître de Mgr Lefebvre... Ce n’est pas l’extension de l’infaillibilité du Pape mais sa diminution et sa négation pratique qui nous ont conduit à Vatican II; Morin et Vicart ont fait un bon travail, mais ont tout juste commencé: à vouloir réfuter toutes les erreurs anti-romaines qui pullulent dans nos 75 milieux (comme aussi - et plus encore - chez les ‘modernistes’) il y a de quoi y passer sa vie! abbé Francesco Ricossa J. MORIN, E. VICART Le Pape Pie VII précurseur de Vatican II? 120 pages, 55 F. A commander à M. Joël Morin, 14 chemin du Vau-Garni F-35400 Saint-Malo Vie de l’Institut B elgique. Au mois de décembre l’abbé Stuyver a signé l’acte de vente d’un immeuble, situé à Dendermonde, qui deviendra la résidence du prêtre et accueillera aussi une chapelle plus spacieuse pour réunir les fidèles. Aidé par Christ et Sven, qui vivent avec lui, et par d’autres volontaires, l’abbé Geert a déjà commencé les travaux de restauration. Les frais engagés pour l’achat ont été entièrement à la charge de l’abbé Stuyver, qui maintenant doit faire face aux dépenses nécessaires pour adapter le local à sa nouvelle destination. Les personnes qui voudraient l’aider, peuvent envoyer leurs dons au compte suivant: CCP: 000-1719640-24 - Anablepson VZW Sint-Christianastraat 7 B - 9200 Dendermonde. France. En France aussi on enregistre un pas en avant, mais qui comporte de nouvelles dépenses. Le 6 avril, mardi de Pâques, l’abbé Murro a signé le contrat de bail d’un local à Lyon, destiné à la célébration de la Sainte Messe. La célébration publique de la Messe “non una cum” est donc de retour à Lyon, qui en fut l’un des centres les plus importants aux temps de la célèbre chapelle du Quai Saint-Vincent, desservie à l’époque par Mgr Guérard des Lauriers, le P. Vinson, l’abbé Lucien, etc. Nous remercions la famille qui pendant longtemps a mis à notre disposition son appartement pour la célébration de la Messe; une solution qui nous a permis de commencer notre apostolat, mais qui aujourd’hui se révèle désormais inadaptée. Le 6 janvier trois jeunes filles ont reçu l’habit religieux et commencé leur noviciat à Serre-Nerpol chez les Sœurs du Christ-Roi, congrégation religieuse féminine fondée par le P. Vinson. Comme le montre la belle photo que nous publions, tirée de Simple Lettre, c’est M. l’abbé Murro qui représentait l’Institut. Italie. Dans ce numéro, les deux plus importantes nouvelles sont deux “non-nouvelles”. Expliquons-nous. Il s’agit d’événements concernant la Fraternité Sacerdotale saint Pie X, et qui intéressent l’Institut seulement indirectement dans la mesure où il n’y a pas été mêlé, même si cela aurait pu arriver. La première nouvelle est la Messe du 14 février au marché de Porta Palazzo, la seconde est la présence de la Fraternité sur la liste des “sectes” publiée par le Ministère de l’Intérieur à l’occasion du Jubilé. Or, notre Institut a courtoisement décliné l’invitation qui lui avait été faite par téléphone le 15 janvier de célébrer la Messe de Porta Palazzo, et ne fait pas partie (à ce qu’il paraît) de la liste du Ministère de l’Intérieur. Voyons ce qu’il faut penser de ces faits. Le 14 février 1999, le supérieur du district italien de la Fraternité saint Pie X, l’abbé Michel Simoulin, a célébré la Sainte Messe sur la place du marché turinois de Porta Palazzo, en ‘réparation’ de la cérémonie musulmane qui s’était déroulée à la fin du Ramadan. La Messe avait été organisée et “voulue par la Ligue du Nord” (La Padania, 16/2/99, p. 3), et se trouvaient en première file l’organisateur de la Messe, le député Borghezio, le maire d’Alexandrie, Mme Calvo, le représentant de la Ligue au conseil municipal, M. Molino. Les militants de la Ligue assistaient à la Messe avec le brassard (cf. La Stampa, 15/2/99, p. 5). Pour quel motif l’Institut a-t-il estimé devoir décliner une invitation qu’au contraire la Fraternité a pensé pouvoir accepter? Les positions de la Ligue du Nord pouvant être partagées et soutenues par un catholique ne manquent pas. Des prêtres de l’Institut ont tenu des conférences avec des parlementaires de la Ligue, ou à des sièges de la Ligue. Nous ne considérons pas comme immorale une collaboration épisodique et délimitée dans les choses profanes avec la Ligue ou d’autres partis. Cependant, le catholique ne peut pas oublier les positions de la Ligue en matière religieuse, si la collaboration concerne les choses sacrées. Nous rappelons donc aux prêtres de la Fraternité: 1) Les rites païens du culte au dieu Pô accomplis en public par le député Bossi (en présence du député Borghezio qui applaudissait). 2) Les mariages “celtiques” et païens célébrés publiquement par des dirigeants de la Ligue. 3) L’exaltation de Vatican II par Bossi (cf. La Padania, 18/8/97). 4) L’éloge du protestantisme fait souvent par des ligueurs. 5) Des déclarations de Bossi telles que: “La religion n’est certainement pas l’opium des peuples, mais son organisation et sa hiérarchie depuis Constantin certainement le sont”. “Ce n’est pas par hasard que depuis longtemps de nombreux padaniens, à leur mort, se font enterrer avec la bannière padanienne et celle de la Ligue pour les accompagner dans le long voyage: s’ils renaissent, ils renaîtront padaniens. Ceci montre aussi combien l’église romanocentrique est mal supportée en Padanie” (La Padania, 17/8/97). L’Eglise “est une ennemie adonnée à des pratiques 76 comme celles du pain et du vin...” (La Stampa, 7/10/97). 6) L’éloge des pires hérésies, comme l’hérésie cathare et de frère Dolcino, définies comme des “hérésies padaniennes qui ont toujours eu, comme constante, le retour à la pureté et à la pauvreté des origines, et la forte recherche de moralité et de nette distinction entre les affaires du monde et les affaires de l’esprit” (Quaderni padani, n° 18, juillet-août 1998, p. 1). 7) La haine contre Rome; la création d’une “Eglise” padanienne: “(...) notre Eglise a toujours fait preuve d’une constante et très significative aversion pour Rome (...) comme antique agent de destruction des cultures traditionnelles (pour les nonchrétiens) et de dépravation de la pureté de l’Eglise (pour les catholiques). Il y a une continuelle et subtile ligne d’antiromanité qui - c’est inutile de le cacher - a toujours pétri l’Eglise padanienne...” (ibidem). 8) Le catholicisme (padanien) vu comme moyen de survivance du paganisme: “on a beaucoup insisté sur la continuité non seulement formelle entre les druides et les prêtres (...) Il est vrai que l’Eglise dans le passé a trop de fois contribué à dévaster d’anciennes cultures et à éradiquer tout signe et racine considérée comme païenne, mais il est tout aussi vrai que ce qu’il y a de plus ancien dans notre culture est demeuré culture dans l’Eglise: changé, modifié et diminué mais encore présent. Le culte des Saints, de la Vierge, l’attention pour les éléments naturalistes et symboliques pour tant de signes de notre antique sacralité sont ce qui reste de nos racines” c’est-à-dire du paganisme (ibidem). 9) L’éloge maçonnique de la tolérance: “L’Eglise padanienne est une Eglise faite d’étroite NOUVELLES PARUTIONS Maçonnerie, mondialisme, sionisme, etc. pour en savoir plus, demandez notre Revue de Presse n° 5 Une mine d’informations qui paraît désormais dans un tiré à part qu’il vous est possible de vous procurer auprès de notre rédaction moyennant 20 F (frais de port compris). plaquette de l’abbé Nitoglia: DE LA SYNAGOGUE À L’EGLISE, Les conversions d’Edgardo Mortara, Giuseppe Stanislao Coen et Eugenio Zolli (36 pages, 30 F + port) A commander auprès de notre rédaction communion entre les prêtres et le peuple, de discussion civile et d’acceptation des idées, de tolérance: le monde celtique n’a pas fait de martyrs, les romains oui” (ibidem). 10) L’hérésie de l’Eglise populaire: “Si des hauts prélats trop philoromains abandonnent le peuple, la partie meilleure du clergé ne doit pas les suivre: l’Eglise c’est le peuple, elle fait partie du peuple et doit demeurer avec son peuple” (ibidem). De ces citations (parmi de nombreuses autres possibles) on déduit que, dernière venue d’une longue série, la Ligue aussi essaye de créer une “Eglise” schismatique, séparée de Rome. Les prêtres “lefebvristes” (ainsi les définit “La Padania” du 16 février, en opposition au “clergé romain”) sont utilisés comme instrument d’une campagne de la Ligue en ce sens, et ont donc objectivement donné leur contribution à ce projet qui n’a rien à voir avec l’Islam! Si les blasphèmes des musulmans demandent réparation, pourquoi la Fraternité n’a-t-elle pas fait réparation aussi pour les blasphèmes que nous venons de citer? Pourquoi ne s’emploie-t-elle pas à faire effacer l’écrit bien en vue à Alexandrie (autoroute Turin-Plaisance) qui dit: VIVA DIO BOSSI [vive le Dieu Bossi]? L’exploitation de la Messe célébrée par l’abbé Simoulin est encore plus évidente après l’épisode que vous allez lire... Mathi, 18 février: 4 jours après la Messe de Porta Palazzo. Le député Borghezio participe pendant trois heures, avec les “catholiques padaniens” aux rites de Mgr Milingo (un “exorcistecharismatique” africain), invité par le “ voyant” Giuseppe Raphael Bossio. La Stampa du 19 février publie la photo de Milingo imposant les mains à Borghezio. Le dieu Pô, l’abbé Simoulin, Mgr Milingo... On ne voit pas ce qu’il peut y avoir de commun dans tout cela. L’attitude de la Fraternité nous est apparue dans cet épisode peu prudente et peu sensible aux exigences de la pureté de l’orthodoxie. On peut dire la même chose à l’égard de la seconde “nouvelle”. En Italie comme à l’étranger la Fraternité a lancé une campagne de presse indignée contre le rapport du Ministère de l’Intérieur sur les sectes religieuses. En particulier elle a lancé un recueil de signatures de parlementaires et personnalités variées qui s’opposent à ce que la Fraternité figure parmi les “sectes” potentiellement dangereuses, et a tenu une conférence à ce sujet, le 25 mars, à la Salle du Cénacle du Palazzo Montecitorio à Rome. Que dire à ce propos? D’abord, que nous sommes solidaires de la Fraternité Saint Pie X: il paraît évident qu’il ne s’agit pas d’une “secte religieuse”, encore moins dangereuse. En second lieu, que nous partageons sa préoccupation: le fait que l’Institut ne figure pas dans la liste ne nous garantit pas pour le futur, d’autant plus que Massimo Introvigne se serait vanté, d’après ce qui est rapporté, à Tele-Montecarlo, d’être devenu conseiller du F.B.I. et du Mossad sur la question 77 des “sectes”/nouveaux mouvements religieux... Les lois répressives existent déjà: elles doivent seulement être appliquées. Cependant, il ne faut pas non plus exagérer - au moins pour le moment - les craintes d’une persécution judiciaire et/ou physique, uniquement à partir du rapport du Ministère, qui veut prévenir, à ce qu’il dit, des attentats à l’occasion du Jubilé. Or, s’il est vrai que la Fraternité Saint Pie X n’a aucune responsabilité (sinon celle de la négligence) dans l’attentat perpétré à l’époque à Fatima par un prêtre déséquilibré contre Jean-Paul II, il est vrai aussi que ce prêtre résidait dans un prieuré de la Fraternité. De même qu’il est permis et que c’est même un devoir de se défendre d’un jugement infondé du Ministère de l’Intérieur, c’est également un devoir de ne pas prêter le flanc à ces accusations injustes. Nous avons déjà parlé dans notre revue d’un groupe “apparitioniste” avec lequel nous avions collaboré n’ayant pas connaissance des doctrines inconcevables professées en secret. Dès que nous en avons eu connaissance, nous avons aussitôt interrompu toute collaboration. C’était un devoir de conscience (puisque l’on ne peut collaborer avec quiconque professe des hérésies) et c’était aussi un devoir de prudence, pour ne pas être impliqués dans les activités des groupes qui peuvent être facilement qualifiés de “sectaires”. Ce devoir d’orthodoxie et de prudence ne semble pas toucher les prêtres de la Fraternité qui collaborent maintenant avec le groupe en question tout en en connaissant parfaitement la nature. Dans ce cas-là aussi - comme dans celui de la collaboration in sacris avec la Ligue - l’intention de la Fraternité n’est certainement pas de partager les erreurs doctrinales des mouvements avec lesquels elle collabore, mais de pouvoir faire du bien aux âmes. Mais si la fin est bonne, les moyens utilisés ne nous semblent pas du même genre. Les catholiques fidèles à la tradition sont tous un peu dans le collimateur, c’est indéniable: un autre groupe “sectaire” avec lequel collabora autrefois la Fraternité devint “miraculeusement” orthodoxe dès qu’il se sépara de celle-ci pour obtenir l’Indult de l’évêque du lieu... Bientôt, si ce n’est même déjà maintenant, l’aversion s’accroît à l’égard de tous les catholiques, y compris à l’égard de ceux qui acceptent Vatican II. Voilà précisément pourquoi, notre prudence doit redoubler, éclairée toujours par une scrupuleuse fidélité à la doctrine catholique; dans ce cas-là quiconque voudra nous persécuter le fera sans pouvoir invoquer un prétexte plausible. Ces lignes n’ont pas été écrites pour attaquer la Fraternité saint Pie X, à un moment où il sera inévitable de nous aider réciproquement face aux ennemis communs, mais pour l’inviter à réfléchir, étant donné l’inutilité de ce que j’ai déjà dit in camera caritatis. Apostolat. Comme l’année dernière, l’abbé Ercoli a dirigé en Belgique, à l’occasion des vacances de Pâques, du 5 au 10 avril, un camp pendant lequel une quinzaine de garçons se sont retrouvés pour faire des visites de la région et des Le R.P. Vinson avec l’abbé Murro à Serre-Nerpol excursions; les activités comprenaient également des conférences spirituelles traitant d’apologétique, de morale, etc. Cette année la base du camp était située à Steffeshausen où les jeunes furent accueillis par M. l’abbé Paul Schoonbrodt, que nous remercions vivement. Exercices Spirituels. Il est prévu cette année aussi une session exceptionnelle en mai, pour hommes et femmes. L’abbé Giugni a prêché les Exercices avec le Père Vinson du 26 au 31 décembre 1998, à la Maison St Joseph, comme le relate Simple Lettre (n° 114, p. 4). Conférences. L’abbé Ricossa a tenu une conférence à Modène sur Constitution divine de l’Eglise. Primat de Pierre, schisme byzantin et hérésie protestante, le 27 février. L’abbé Nitoglia a parlé à Tivoli sur L’hindouisme le 7 février et, le 14 du même mois, à Rome, il a présenté le livre d’Emmanuel Ratier, Les guerriers d’Israël, édité par notre maison d’édition. Centro Librario Sodalitium. Nous signalons la parutions d’une nouvelle plaquette écrite par M. l’abbé Nitoglia, sur les célèbres conversions de trois juifs: Mortara, Coen et Zolli, intitulée “De la synagogue à l’Eglise”. Disponible auprès de notre rédaction. Ils parlent de nous. Simple Lettre (n° 114, janvier-février 1999, p. 3) publie un extrait de l’article de l’abbé Murro Mgr Williamson contre le Concile Vatican... I!, extrait du n° 47 de Sodalitium, alors que Le lys blanc (n° 57, automne 1998, p. 8), recense un article du n° 46 de notre revue. La Padania (5/3/99, p. 3), dans un article de Guido Colombo (Papalia, l’instancabile persecutore), est le premier quotidien à avoir le courage de parler de la lettre du sénateur Mancino à l’abbé Nitoglia concernant la loi qui a pris le nom du président du Sénat. Civitas Christiana (nn° 14-17/98, p. 89) recense le n° 47 de Sodalitium. Controrivoluzione (nn° 54-57/98, pp. 56-57, 65, 67) informe ses lecteurs de deux conférences tenues à Rome par des prêtres de l’Institut et recense les œuvres de St Jean Chrysostome, Israël Shahak et l’abbé Nitoglia éditées par notre Centro Librario. Storia ebraica e giudaismo, d’I. Shahak, a également été recensé par le quotidien napolitain Il Mattino du 78 30/4/98, avec un article de Marco Crisconio intitulé: Il fondamentalismo è anche ebraico. L’opuscule de l’abbé Nitoglia “De la Synagogue à l’Eglise” est signalé par Ex novo (nov. 1998, p. 31) et par Emmanuel Ratier (Faits & Documents, n° 64, 1-15 mars 1999, p. 11). Fabio Torriero évolue parmi les publications non conformistes, en faisant quelque confusion (Sodalitium serait un mensuel, et l’abbé Ricossa serait le directeur de Civitas Christiana, cf. Lo Stato pp. 19-20, dans Il Borghese, n° 3/99). Chiesa viva (n° 302, pp. 6-8) publie en avant-première la première partie de l’article de l’abbé Nitoglia Attualità israelitiche: dove va Israele? Le n° 127 de Fideliter (janv.-févr. 1999, pp. 77-78), mensuel de la Fraternité Saint Pie X en France, publie une recension d’Yves Chiron sur Arthur Preuss, Etudes sur la Franc-maçonnerie américaine, édité par notre Centro Librario. Deux articles contre Massimo Introvigne font référence aux études du Père Torquemada publiées, depuis des années, dans Sodalitium: le premier, publié dans Le sel de la terre (n° 27, pp. 191-193) recense de manière positive l’article Alleanza Cattolica, Alleanza massonica?, bien qu’en prenant ses distances par rapport à nos positions; le second, de l’abbé Pagliarani, dans La Tradizione Cattolica (n° 38/98) se réfère abondamment à nos études, nous citant en note à la p. 15. Cela fait plaisir de voir cité le Père Guérard des Lauriers (en l’occurence, son ouvrage de 1952, édité par les éditions du Cerf, Dimensions de la foi) dans la revue jésuite Homiletics & pastoral rewiew, dans un article du bénédictin Ansgar Santogrossi sur Ordinatio Sacerdotalis: A definition ex cathedra (février 1999, p. 14). Mériterait au contraire d’être insérée dans la rubrique suivante la recension que Révision (n° 89, mars 1999, pp. 23-24) fait du n° 47 de Sodalitium à propos du Kahal. Ils parlent mal de nous. La revue du district italien de la Fraternité Saint Pie X, La Tradizione cattolica (n° 38, p. 64) mérite sans aucun doute la première place dans cette rubrique. Dans La vita della Fraternità in Italia (équivalent de la Vie de l’Institut), sous la rubrique Segnalazioni della stampa (équivalent de Ils parlent de nous), les disciples de Mgr Lefebvre écrivent: “Nous rapportons certaines interventions apparues dans la presse nationale concernant mons. Lefèbvre (sic) et la Fraternité saint Pie X. Evidemment il est impossible de les signaler toutes, étant donné que régulièrement les organes de presse parlent de notre fondateur et de son œuvre; de plus nous voulons éviter un certain narcissisme qui porterait à se considérer le centre de l’univers, en divisant les communs des mortels en deux catégories, ‘ceux qui parlent bien de nous’ et ‘ceux qui parlent mal de nous’, risquant ensuite de descendre au niveau des illustrés pour dames, toujours à la chasse de ragots et de nouvelles sensationnelles”. Premier prix, donc, à la Tradizione cattolica, pour la gratuité et la fantaisie de l’insulte. Notre narcissisme, ensuite, nous fait croire que le Professeur Franco Cardini parlerait (mal) (aussi) de nous, en écrivant: “on en est arrivé à un délire pseudo-prophétique sur (...) des interprétations semi-démentielles de l’histoire récente de l’Eglise qui ont conduit quelqu’un à considérer que la chaire pontificale est juridiquement parlant vacante, nonobstant la succession des derniers pontifes”. L’illustre Professeur poursuit en attribuant à ces sedevacantistes non-nommés “des situations personnelles pathétiques et émouvantes” mais également leur attribue “le fait de contester les institutions au nom non du prophétisme, mais simplement d’une mécanique sectaire vide de contenus et totalement gratuite” (numéro spécial de Lo Stato dédié aux Ribelli, p. 24, dans Il Borghese, n° 2/99). Il nous déplaît que Cardini n’ait pas approfondi le sujet, en indiquant explicitement les pathétiques sectaires semi-démentiels qu’il met dans le collimateur. Toutes les fois que Sodalitium a critiqué Cardini il l’a nommé explicitement et, sans l’insulter, a motivé sa critique. A Franco Cardini, donc, va, à bonne raison, la seconde place de notre classement. Hors concours le déjà mentionné (dans d’autres numéros) Bulletin de l’Occident Chrétien (n° 50, février-mars 1999). P. Tailhades, en recensant de manière défavorable le livre “L’Eglise éclipsée”, écrit: “Qui bat la grosse caisse de la réclame en faveur de L’Eglise éclipsée? De science certaine: La Simple Lettre, du juif Vinson; Sodalitium, des juifs Ricossa et Murro (...) [etc., etc.]. Or, toutes ces publications ont parlé de cet ouvrage, au moins, avec le plus grand respect” (p. 23). Le lecteur attentif de Sodalitium se sera aperçu au contraire que notre revue n’a jamais parlé, avec ou sans égard, du livre L’Eglise éclipsée, et ce même pas dans la rubrique “Ils parlent de nous” (bien que dans le livre en question il y ait de nombreuses citations tirées de Sodalitium). Et pourtant, P. Tailhades sait “de science certaine” que Sodalitium a fait de la réclame pour ce livre, exactement comme il sait que Ricossa et Murro sont juifs [alors qu’il semble ignorer que l’inspirateur du livre de l’abbé Paladino (ce dernier étant défini “au physique typiquement judaïque”) est en réalité une personne qui fit partie du BOC comme ami intime et collaborateur]. En effet Ricossa et Murro sont juifs exactement comme Sodalitium a parlé de L’Eglise éclipsée, c’est-à-dire uniquement dans la fantaisie malade des Tailhades, lesquels sont invités à démontrer leurs affirmations gratuites. Le même bulletin publie (pp. 13-20) un bel écrit sur l’Enfer; nous rappelons aux rédacteurs que la calomnie est un péché mortel qui, si elle n’est pas retirée, conduit à l’Enfer. L’unique excuse pour les responsables du BOC est qu’une calomnie est d’autant plus grave qu’elle cause plus de préjudice à la réputation du calomnié, et que le préjudice est d’autant plus grave que le calomniateur fait autorité. En l’occurence, le préjudice de la calomnie est quasiment nul, puisqu’il est notoire que dans le langage du BOC tous ceux qui ne sont (plus) ap- 79 préciés par les rédacteurs sont définis comme “libéraux”, “maçons”, “gnostiques” et “juifs”. Le processus mental est allé tellement loin que devinrent “juifs” même les deux principaux collaborateurs de Tailhades, Rémy et Bonnet de Viller; c’est pourquoi - au moins pour le moment - seule la famille Tailhades et Mgr Lefebvre semblent être des français pur sang. A ce point il n’y a rien d’autre à ajouter: que cette observation suffise c’est au moins ce que nous espérons - pour les numéros du BOC passés et futurs... Démenti. Avec surprise nous avons lu dans le quotidien Roma une interview de l’abbé Nitoglia que l’abbé Nitoglia n’a jamais accordée (ni à ce quotidien, ni à l’auteur de l’article ni à d’autres) et qui ne reflète nullement sa pensée. Que ces lignes aient donc valeur de juste démenti. Baptêmes. L’abbé Cazalas a baptisé à Vendôme Virgile Thily, le 15 novembre, et à Cannes, le 28 du même mois, son neveu Louis (ainsi que nous l’avons déjà indiqué dans le dernier numéro). L’abbé Nitoglia a baptisé à Verrua, le 24 janvier, Marco Giuseppe Sangalli, fils d’Ezio et de Cristina Gustinelli, habitant la région de Brescia. Confirmations. Cette année il n’y a pas eu de visite d’évêques dans nos maisons. Quatre enfants de Dendermonde, préparés par l’abbé Stuyver, se sont rendus à Drogenbos (Bruxelles) le 17 mars et d’autres de Tours (préparés par l’abbé Cazalas) se sont rendus à Nantes le 14 mars pour y recevoir le sacrement de confirmation. Première Communion. Guilhem Lebourdier a reçu pour la première fois le Seigneur le 21 février, dans la chapelle St Michel de Tours. Mariage. L’abbé Cazalas a béni l’union de Louis-Marie Debet et de Marie Chavanon, à Tours, le 14 novembre. Défunts. Le 30 janvier, notre chère amie Laura Trenchi qui habitait près de Verrua, est décédée à l’hôpital de Biella après avoir reçu quelques jours avant tous les sacrements des mains de l’abbé Ricossa. Elle laisse seul son mari Viviano Milardi, gravement touché par cette perte inattendue et prématuée; l’Institut l’assure encore de toute son amitié et de ses prières pour Laura. Le 16 mars est mort à Cannes André Peront. Rentré des Etats-Unis pour visiter sa sœur, il s’est senti mal après avoir assisté à la messe dominicale à Cannes. L’abbé Nitoglia a célébré ses funérailles le 18 mars; nous adressons nos plus sincères condoléances à la famille Gaudin. Nous avons appris également le décès au Canada de M. Fernand Poulin; nous avons célébré la Messe de funérailles pour le repos de son âme avec absoute chantée dans notre chapelle de Verrua. Note de l’économe Comme chaque année, l’Association Mater Boni Consilii s’est employée à venir en aide aux familles et aux personnes dans le besoin. Les efforts, comme toujours, sont proportionnés à nos moyens qui ont des limites très étroites. Au cours de l’année 1998 l’Association a enregistré des entrées égales à la somme de 5.950 F; les sorties ont été de 21.200 F, avec un déficit de 15.250 F. Nous ne faisons pas entrer dans ce compte les dons en nature, tels que les vivres et les vêtements que nous avons distribués. Nous remercions tous ceux qui nous ont aidés dans notre œuvre: votre charité nous permet de venir en aide à de nombreuses personnes et familles, les soulageant dans leurs nécessités et parfois dans leur gêne. Que le Seigneur vous le rende au centuple. EXERCICES SPIRITUELS A Raveau (Nièvre) HOMMES ET JEUNES GENS: du lundi 9 août à 12 h au samedi 14 août à 12 h. DAMES ET JEUNES FILLES: du lundi 2 août à 12 h au samedi 7 août à 12 h. CROISADE EUCHARISTIQUE CAMP POUR GARÇONS A RAVEAU Enfants de 8 ans accomplis à 13 ans: du jeudi 8 juillet à 12 h au mercredi 21 juillet à 12 h. POUR TOUT RENSEIGNEMENT S’ADRESSER À L’INSTITUT MATER BONI CONSILII Tél. (de France): 00.39. 161. 83.93.35 - Fax (de France): 00.39. 161. 83.93.34 CENTRES DE MESSES RÉSIDENCES DES PRETRES DE L’INSTITUT ITALIE ITALIE: Verrua Savoia (TO) Maison-Mère. Istituto Mater Boni Consilii - Località Carbignano, 36. Tél. de l'Italie: (0161) 83.93.35 Ste Messe: en semaine à 7h30. Salut du SaintSacrement: tous les vendredis à 21h. Heure Sainte: le premier vendredi du mois à 21h. Ferrare: Chiesa S. Luigi, Via Pacchenia 37 Albarea. Ste Messe tous les dimanches à 17h30. Pour toute information, téléphoner à Verrua Savoia. Florence: via Ciuto Brandini 30, chez Mlle Liliana Balotta. Pour toute information, téléphoner à Verrua Savoia. Ste Messe le 1er et 3ème dimanche du mois à 18h15. Confessions à 17h30. Maranello (Modène): Villa Senni. Strada per Fogliano. Tél. de l'Italie: (0536) 94.12.52. Ste Messe tous les dimanches à 11h. Milan: Via Vivarini 3. Ste Messe tous les dimanches à 10h30. Pour toute information, téléphoner à Verrua Savoia. Rome: Via Pietro della Valle, 13/b. Ste Messe le 1er et 3ème dimanche du mois à 11h. Pour toute information, téléphoner à Verrua Savoia. Turin: Oratoire du Sacré-Cœur, via Thesauro 3/D. Dimanches: Confessions à 8h30. Messe chantée à 9h. Messe basse à 11h15. Tous les premiers vendredis du mois: Messe à 18h15. Confessions à 17h30. Valmadrera (Lecco): via Concordia, 21. Tél. de l’Italie (0341) 58.04.86. Ste Messe le 1er et 3ème dimanche du mois à 18h. Confessions à 17h30. FRANCE: Mouchy Raveau 58400 - La Charitésur-Loire. Tél. 03.86.70.11.14. Permanence assurée seulement pendant les mois d’été. Tours. Abbé Thomas Cazalas: auprès de l’association Forts dans la Foi. Chapelle St Michel, 29 rue d’Amboise. Ste Messe le dimanche à 10h30. Tél.: 02.47.64.14.30. ou 02.47.39.52.73. (R. P. Barbara). BELGIQUE: Dendermonde. Abbé Geert Stuyver: Kapel O.L.V. van Goede Raad SintChristianastraat 7 - 9200. Tél.: (0032) (0) 52/21 79 28. Ste Messe le dimanche à 8h30 et 10h. AUTRES CENTRES DE MESSES FRANCE Annecy: 11 avenue de la Mavéria. Tél.: 04.50.57.88.25. Ste Messe le 2ème et 4ème dimanche du mois à 10 h. Confessions à 9 h. Cannes: Chapelle N.D. des Victoires. 4 rue Fellegara. Tel.: 04.93.68.10.85. Ste Messe le 2ème et 4ème dimanche du mois à 10h15. Lyon: 17, cours Suchet. Tél.: 04.77.33.11.24. Ste Messe le 2ème et 4ème dimanche du mois à 17h. Confessions à partir de 16h30. COMMENT NOUS AIDER - Il n’y a pas d'abonnement à “Sodalitium”. Ce périodique est envoyé gratuitement à tous ceux qui désirent le recevoir. Nous demandons aux personnes qui, pour un motif quelconque, ne désirent pas le recevoir, de nous le faire savoir. - L’Institut Mater Boni Consilii et son périodique “Sodalitium” n’ont pas d’autres ressources que vos offrandes sans lesquelles ils ne peuvent vivre. Pour vos dons, libeller: • ASSOCIATION MATER BONI CONSILII - Mouchy - Raveau 58400 - LA CHARITE SUR LOIRE. 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