ants et t s e t o r p , s n s, anglica n e i r é h t u l : s te Messe n i a S a Il y a 30 an l t n e s abolis moder nistes N° 49 Edition française - Novembre 1999 Tassa Riscossa - Taxe Perçue. TORINO CMP Anno XV n. 5 - Novembre 1999 - Sped. a. p. - art. 2 - comma 20/c, Legge 662/96 - Filiale di Torino - Organo ufficiale del Centro Librario Sodalitium - Loc. Carbignano, 36. 10020 VERRUA SAVOIA (TO) Tel. +39.0161.839.335 - Fax +39.0161.839.334 - IN CASO DI MANCATA CONSEGNA SI PREGA DI RINVIARE AL MITTENTE CHE SI IMPEGNA A PAGARE LA RELATIVA TARIFFA PRESSO CMP Torino Nord 2 “Sodalitium” Périodique n° 49, Anno XV n. 5/99 Editeur: Centro Librario Sodalitium Loc. Carbignano, 36. 10020 VERRUA SAVOIA TO Italie Tel.: +39.0161.839.335 Fax: +39.0161.839.334 INTERNET: www.plion.it/sodali email: sodalitium@plion.it ✍ Sur la couverture: les observateurs non catholiques ayant participé à la dernière réunion du “Consilium” de liturgie, avec Paul VI le 10-04-1970: le Dr Georges, le chanoine Jasper, les Drs Sephard, Konneth, Smith et le Frère Max Thurian, qui représentaient le Conseil œcuménique des églises, les communautés anglicane et luthérienne et la communauté de Taizé. Sommaire Editorial Encore sur l’homicide rituel Joseph de Maistre ésotérique? La Papauté Matérielle (3ème partie) L’Osservatore Romano Réflexions sur la Providence de Dieu “Le Pape du Concile”. XXIIIème partie Conseils de lecture Vie de l’Institut Editorial T Directeur de la publication: M. l'abbé Francesco Ricossa Autorisation du Tribunal d’Ivrea n. 116 du 24-2-1984 Imprimerie: Ages - Torino rente ans! Trente ans déjà qu’en ce premier dimanche d’Avent 1969, dans presque toutes les églises catholiques du monde, entrait en vigueur le nouveau missel voulu par Paul VI. Les dommages causés à l’Eglise et aux âmes par la réforme liturgique sont incalculables. En effet, si nous pensons que le Sacrifice de la Messe est l’acte le plus élevé de la vertu de religion, on peut bien dire qu’avec la destruction de la Messe c’est la religion qu’on détruit par la même occasion; et avec la religion, on annéantit aussi la société civile qui trouve dans la religion son premier fondement et sa fin ultime. Nous pensons que le nouveau missel est invalide. Cela signifie que, chaque fois que la Messe est célébrée avec le nouveau missel de Paul VI, quel que soit le prêtre célébrant, quelle que soit sa foi ou sa vertu, Notre-Seigneur Jésus-Christ n’est pas présent sur l’autel, il ne s’offre pas pour nous au Père et il ne vient pas sacramentellement en ceux qui désirent le recevoir dans la Sainte communion. Il s’agit là, évidemment, d’une affirmation gravissime qui va bien au-delà des positions mêmes de Mgr Lefebvre. Mais il est extrêmement grave aussi que le missel de l’Eglise catholique ait p. 2 p. 4 p. 11 p. 32 p. 42 p. 52 p. 55 p. 66 p. 67 été recomposé ex novo en 1969, qu’on ait fait table rase de presque deux mille ans de tradition liturgique, et ce avec la collaboration d’un grand nombre de pasteurs protestants pour lesquels, comme pour Luther, la Messe catholique est une abomination pire que tous les adultères et les prostitutions du monde. La liturgie de l’Eglise est sainte et ne peut être que sainte. Une liturgie inventée par des “experts” modernistes et des hérétiques protestants ne peut pas être sainte et ne peut donc être en aucune façon la liturgie de l’Eglise. Les 30 années passées depuis son imposition ne rendent pas légitime ce qui était illégitime, ni orthodoxe ce qui était hétérodoxe, ni valide ce qui était invalide. En effet, seuls les rites de l’Eglise approuvés par Elle apportent aux chrétiens la garantie de leur orthodoxie et de leur validité. Le nouveau missel n’est pas un rite de l’Eglise: nous n’avons donc, a priori, aucune garantie ni de son orthodoxie, ni de sa validité. Le fait qu’une génération de baptisés ait grandi sans même connaître le missel romain de saint Léon, saint Grégoire, saint Pie V, de don Bosco ou du Padre Pio, n’est pas une garantie de l’acceptabilité de ce nouveau missel, mais seulement du dommage spirituel infligé par Paul VI au troupeau qu’il aurait dû paître; et ne serait-ce que pour ce fait, Paul VI ne pouvait pas jouir de l’autorité pontificale. 3 Après ces trente ans, où en est la situation? Les humbles héros qui conservèrent le missel de leur ordination en cet Avent 1969, ont quitté l’un après l’autre cette terre pour la récompense du Ciel; nous pensons particulièrement au Père Guérard des Lauriers et au Père Vinson, auxquels notre Institut doit tant. Et pourtant, 30 ans après, l’ancien Missale Romanum est encore célébré dans le monde entier, même si le plus souvent c’est dans des conditions faisant penser aux catacombes. La réforme de Paul VI, autorisant sa célébration uniquement aux prêtres âgés et sans assistance du peuple, en prévoyait la disparition pour notre époque: il n’en a pas été ainsi. Dès 1981 des consécrations épiscopales ont assuré la survivance providentielle du Saint Sacrifice: sans Messe et sans sacrements l’Eglise n’existe plus. D’autres ont pensé plus sûr et plus orthodoxe d’en confier la conservation à l’Indult accordé par JeanPaul II. Pour ce qui est de l’orthodoxie de cette solution, que l’on pense seulement que l’indult implique la reconnaissance de la pleine légitimité et catholicité du nouveau missel. Et alors, dans quel but conserver l’ancien? Et ceci pour ceux qui pensent être plus en sécurité avec cette solution. Les faits ont démenti les illusions. L’abbé du monastère bénédictin du Barroux, Dom Gérard Calvet, a dû en effet concélébrer avec JeanPaul II en suivant le nouveau rite (le 27 avril 1995). Au Congrès romain des communautés liées à la Commission Ecclesia Dei, en octobre, il a reconnu la validité et l’orthodoxie du nouveau missel. Peu après, on est passé à un accord entre le Barroux et les bénédictins de France, autorisant la (con)célébration du novus ordo dans le monastère de Dom Gérard. Ce que ce dernier a fait sponte et libenter, la Fraternité Saint Pierre devra le faire bon gré mal gré. Une révolte menée par 16 prêtres de cette société (accusée d’être encore trop lefebvriste) a provoqué, entre autres effets immédiats, une réponse officielle de la Congrégation pour le Culte Divin (3 juillet 1999, n° 1411/99) concernant les diverses sociétés religieuses qui, en 1988, avaient accepté l’Indult. Les trois réponses établissent: 1) que les prêtres de cette société ont le droit de célébrer avec le nouveau missel, 2) que leurs supérieurs ne peuvent pas le leur interdire, 3) que ces prêtres ont également le droit concélébrer. Les “indultistes” espéraient obtenir de nouvelles per- missions en faveur de la liturgie pré-conciliaire; ils ont obtenu exactement le contraire. Ce décret sonne le glas de la Fraternité Saint Pierre, de l’Institut du Christ-Roi et Souverain Prêtre de Gricigliano, de la Fraternité Saint Vincent Ferrier etc. et objectivement bien qu’involontairement, apporte de l’eau au moulin de la Fraternité Saint Pie X, au moment précis où certains de ses sectateurs étaient en train d’étudier une possibilité de reddition conditionnée. Ecône peut se vanter - reprenant le voile de l’intransigeance et citant l’exemple de la triste fin des catholiques d’“Ecclesia Dei” - d’avoir fait le bon choix avec les consécrations de 1988. Mais Ecône ne devrait pas oublier que la coresponsabilité du “piège” de l’Indult retombe en premier sur elle-même, que ce piège a été fortement voulu: depuis la Lettre aux amis et bienfaiteurs n° 16 du 19 mars 1979 (par laquelle Mgr Lefebvre rendait publique la missive qu’il avait envoyée à Jean-Paul II la veille de Noël 1978, pour demander la coexistence des deux rites dans l’Eglise et dans les églises elles-mêmes) jusqu’au protocole d’accord du 5 mai 1988, signé par Mgr Lefebvre et jamais désavoué dans ses principes (mais seulement dans son opportunité), protocole qui est le fondement de cette même Ecclesia Dei. Le Décret du 3 juillet 1999 confirme ce qu’on savait déjà (ou qu’on aurait dû savoir): rester vraiment catholique et exercer un ministère catholique en restant en communion avec Jean-Paul II est impossible. Ce n’est pas d’un compromis pratique, mais seulement d’un retour doctrinal à l’orthodoxie que pourra venir la solution de la situation actuelle de l’Eglise. La conservation de la liturgie sans la défense des vérités de foi niées par les néo-modernistes est une bataille insuffisante et perdue d’avance. A 30 ans de l’introduction du Novus Ordo Missæ, renouvelons donc notre propos de faire tout ce qui dépend de nous pour qu’avec l’aide de Dieu il soit totalement et définitivement banni de toutes les églises catholiques du monde. Qu’il retourne à Wittenberg, d’où il est venu. 4 La question juive ENCORE SUR L’HOMICIDE RITUEL Par M. l’abbé Curzio Nitoglia D es représentants du Judaïsme anglais, par l’intermédiaire de l’archevêque de Westminster, s’adressèrent à Léon XIII, vers la fin de 1899, pour obtenir une déclaration du Saint-Siège qui condamnerait comme fausse l’accusation d’homicide rituel juif (1). Pie IX en 1867 avait autorisé le culte du Bienheureux Lorenzino de Marostica, dont l’homicide rituel remontait au Vendredi Saint de 1485 (2). En 1894, au Congrès Eucharistique de Turin, Rocca D’Adria, en présence des seize évêques du Piémont, avait illustré la nature de l’homicide rituel dans une relation intitulée: L’Eucharistie et le rite pascal juif moderne, qui se trouve dans les Atti del Congresso Eucaristico tenutosi in Torino nei giorni 2-6 settembre 1894, Torino 1895, vol. II, pp. 79-95 (3). D’après Rocca D’Adria, écrit le professeur Miccoli, “L’idée... selon laquelle le meurtre des enfants chrétiens aurait lieu en haine du Christ, pour profaner de cette manière la fête de Pâques... ne correspondrait pas au vrai motif. Le crime en réalité était étroitement imposé par la religion talmudique, était un acte de dévotion religieuse, un “crime national et légal”. Les rabbins... savent et reconnaissent que le Messie est déjà venu dans la personne du Christ. Par son sang il a sauvé et sauve les chrétiens. S’emparer du sang chrétien innocent: voilà le moyen imaginé par les rabbins pour rendre leur peuple participant de cette voie de salut. Une goutte de ce sang devait être mélangée aux azymes prescrits pour la Pâque juive... Les rabbins et les chefs de famille, qui à leur tour le transmettaient à leur fils aîné ou à leur fils de confiance étaient les dépositaires du terrible secret. Le caractère superstitieux et... formaliste, extérieur, de la religion talmudique était ainsi confirmé. Mais pas seulement: puisqu’une religion fondée sur un tel rite ne pouvait pas ne pas être une religion complètement dépravée, tout le peuple, ou au moins tous les juifs observants étaient impliqués. Le même refus persistant du Christ et de l’Eglise de la part des juifs changeait complètement le caractère: en effet ce refus ne venait pas de l’ignorance et de la cécité, mais de la volonté positive de rester dans l’erreur. Le geste de Satan trouvait dans la religion juive sa parfaite analogie: c’était donc une religion satanique qui avait rompu tout pont avec l’antique mosaïsme” (4). Le P. Giuseppe Oreglia concluait sur La Civiltà Cattolica: “Reste pour seule défense des peuples spécialement chrétiens que l’on fasse avec ces juifs comme précisément l’on fait avec la peste: si l’on ne peut les détruire, on peut les circonscrire” (5). Henri Desportes, en 1899, en envoyant à Léon XIII une copie de son livre Le mystère du sang chez les juifs de tous les temps, avait écrit: “N’est-ce pas une honte que ceux qui martyrisent ainsi nos enfants en haine de la foi chrétienne, soient honorés partout, et que les peuples chrétiens baisent ces mains rouges du sang de leurs frères? J’ai voulu faire cesser cette infamie” (6). Le Catholicisme anglais et l’homicide rituel Certains catholiques, et de très nombreux juifs, étaient opposés à la thèse de l’homicide rituel juif, spécialement “Un catholicisme minoritaire comme le catholicisme anglais... manifesta à travers sa propre presse toute sa perplexité en voyant des théologiens et des prêtres... impliquer l’Eglise (...). Les accusations d’intolérance et d’antisémitisme formulées aux catholiques et à l’Eglise par des organes de la presse conservatrice et libérale anglaise faisant autoritéconstituèrent pour la minorité catholique un autre stimulant à prendre ouvertement position. C’était un halte-là à l’antisémitisme... Mais seul le Pape pouvait le prononcer avec une pleine autorité” (7). Lord Russel dans une longue lettre du 28 novembre 1899 à Léon XIII l’invitait à déclarer le caractère infondé de la thèse de l’homicide rituel juif. Mais L’Osservatore Romano publiait précisément au même moment un article qui semblait soutenir le bien-fondé de la thèse de l’homicide rituel, dans lequel on lit: “Croyez-vous que dans ce cas il y ait un homicide rituel? Sans le moindre doute... Mais alors pourquoi avezvous libéré l’assassin? (...) Parce qu’au len- 5 Le Pape Innocent IV demain de la condamnation, le peuple aurait probablement tué vingt mille juifs, et alors qui voulez-vous qui nous donne l’argent, si nous n’avons plus les juifs?” (8). Même dès 1892 L’Osservatore avait publié deux articles sur l’homicide rituel: dans le premier: Bushoff e gli omicidi rituali, il écrivait “autour de la possibilité des sacrifices humains, ou des assassinats rituels d’enfants commis par les juifs. (...) Nonobstant cela on continue à recueillir de l’argent pour l’envoyer à Bushoff, [accusé d’homicide rituel, n.d.a.] comme s’il fut exempt de tout soupçon dans l’atroce affaire (...) Il faut prendre garde qu’à force de nier justice pour de semblables crimes, ne s’élève pas par la suite la terrible et désordonnée vengeance populaire” (9). Dans le second article: “A proposito di Bushoff”, L’Osservatore écrivait “l’absolution du boucher christianicide [Bushoff], à qui l’Allemagne oppose le fait de trois meurtres rituels d’enfants faits par des juifs” (10). Et comme L’Osservatore Romano n’est pas l’organe officiel du Vatican, mais seulement un journal sur lequel les communiqués du Vatican sont officiellement publiés... il devenait intolérable à Lord Russel que le nom du Pape et du Saint-Siège puisse être mêlé à de telles affaires! A travers la condamnation de la thèse de la véridicité de l’homicide rituel juif, on tendait à frapper la polémique antijuive. Le duc de Norfolk et le cardinal Vaughan, archevêque de Westminster intervinrent aussi. «En réalité de nombreux signes laissent clairement entendre que le Saint-Siège non seulement n’était pas du tout enclin à intervenir sur la question, mais que son jugement sur ces accusations était très différent de celui de ses interlocuteurs anglais. En recevant les volumes de Desportes Léon XIII avait invariablement répondu en lui manifestant sa “reconnaissance” pour “le filial hommage” et en lui donnant “du fond du cœur la bénédiction apostolique”» (11). Les articles de L’Osservatore Romano avaient indigné Lord Russel, mais la pensée du Saint-Siège et de la Secrétairie d’Etat était très loin de celle du Lord anglais. Il suffit de penser aux 26 articles que, entre les années 80 et 90, La Civiltà Cattolica avait dédiés à l’homicide rituel juif, en soutenant et en démontrant le bien-fondé de la thèse “exterminationniste” du Judaïsme talmudique envers les Chrétiens. Le dossier est confié au Saint-Office “Cependant l’autorité des personnes qui s’étaient adressés à Léon XIII pour solliciter son intervention ne permettait certainement pas rester sans réponse.... Tout le dossier fut donc adressé au Saint-Office, depuis longtemps député à traiter les questions concernant les juifs qui auraient une relation avec la foi” (12). Il faut savoir que déjà dans la seconde moitié du XVIIIème le Saint-Office s’était occupé de la question et que le Père franciscain Lorenzo Ganganelli (qui ensuite devint Pape) exprima une opinion personnelle apparemment opposée à la thèse de l’homicide rituel (13). Beaucoup d’adversaires de la thèse se basaient sur ce fait, en omettant de dire que l’opinion exprimée par Ganganelli est celle d’un simple docteur privé et non celle du Pape et en attribuant un sens différent au document susdit comme il est démontré en note, pour affirmer que le Saint-Siège était opposé à la véridicité historique de l’homicide rituel. Le dossier, commencé sous le Pontificat de Léon XIII, fut envoyé au Saint-Office le 4 décembre 1900 et confié à Monseigneur Merry del Val. “La note interne, qui signale l’arrivée du dossier et illustre le choix de Merry del Val, est hautement expressive de l’esprit avec lequel les responsables du Saint-Office se préparaient à affronter la question: Le Cardinal Archevêque de Westminster a cru dénoncer au Saint-Siège l’antisémitisme 6 d’aujourd’hui, spécialement sur la question de l’assassinat rituel. Il est aisé de comprendre combien est grave la chose, si l’on considère la hardiesse des juifs puissants de Londres, qui dans leur domination incontestée en Europe poussent l’orgueilleuse démence jusqu’à prétendre être défendus par le Saint-Siège. Réfléchissant à tout cela, le Commissaire a pensé proposer à Mgr l’Assesseur de confier le dossier du Cardinal Vaughan... à Mgr Merry del Val... Merry del Val, qui parmi ses aïeux a un enfant crucifié par les Juifs maintenant vénéré sur les autels, [il s’agit du Bienheureux Domenichino del Val, crucifié à Saragosse à Pâques 1250] est l’homme de la situation. L’ennui relativement à l’initiative de l’archevêque de Westminster - continue Miccoli - considéré implicitement presque comme un pion entre les mains juives, se révèle évident... la suggestion de choisir Merry del Val... montre clairement en quels termes on espère et on veut que cette proposition soit rédigée” (14). L’affaire ne fut pas résolue rapidement par Rome et les anglais revinrent à la charge. Le 26 mars 1900 le cardinal Vaughan transmit une pétition demandant une intervention de Rome, au cardinal Rampolla qui, après avoir informé le Pape, la transmit, sur son ordre, au Saint-Office. Pour les auteurs de la pétition “l’accusation du sang” est “une légende antique, cruelle, et tout à fait discréditée”. Le professeur Miccoli commente: «Je n’ai pas trouvé de commentaires directs de la Secrétairie d’Etat ou du Saint-Office sur les remarques et les arguments exposés dans la pétition. Il n’y a pas de doute que la prémisse dont elle partait, c’est-à-dire d’être l’accusation d’“homicide rituel” “une antique... légende”, n’était en aucun cas partagée ni par les milieux romains, ni par la grande majorité de la presse d’actualité et de la presse catholique européenne (...). En réalité... il était évident que le SaintOffice avait accueilli leur initiative avec embarras. Mais c’était tout le catholicisme anglais... qui ne bénéficiait pas d’une bonne presse à Rome (...) de Rome on regardait avec méfiance et ironie les campagnes “philosémites” de ces catholiques. En octobre 1899 La Civiltà Cattolica, réagissant aux accusations adressées à l’Eglise d’être corespon- sable de la campagne antisémite... ne cacha pas sa réprobation pour les catholiques anglais... en les jugeant “un peu ombrageux et timides par rapport à chaque accusation que l’on répand, même sans fondement, contre l’Eglise romaine et le catholicisme”» (15). “Petitam declarationem dari non posse” La Congrégation du Saint-Office se réunit enfin le 25 juillet 1900. “Le procès-verbal manque... La demande cependant était claire: déclarer infondée l’accusation d’homicide rituel formulée contre les juifs. La résolution dit: “Respondeatur per Secretarium Status, petitam declarationem dari non posse”. Le 27 juillet elle fut approuvée par le Pape et le 31 juillet l’assesseur du SaintOffice en communiqua la teneur au cardinal Rampolla. Celui-ci... par l’intermédiaire du cardinal Vaughan, la fit parvenir au duc de Norfolk et à Lord Russel: leur tentative avait donc complètement échoué” (16). Dans un court texte manuscrit par le Saint-Siège en date du 25 juillet 1900 on lit: “Le meurtre rituel est historiquement certain, et Benoît XIV en parle; et le Saint-Siège l’a canonisé en mettant sur les autels un enfant [Andrea de Rinn] tué par eux [les juifs] en haine de la foi (...). Ceci étant le Saint-Siège ne peut donner la déclaration demandée” (17). En résumé le Saint-Siège répond: “La déclaration demandée ne peut être donnée, Le cardinal Merry del Val, secrétaire d’Etat de St Pie X 7 (...) parce que les homicides rituels que l’on voudrait nier ont au contraire réellement eu lieu” (18). Objections et réponses La Civiltà Cattolica, déjà en 1881, avait mis en évidence que la Lettre du Pape Innocent IV en défense des juifs, non seulement ne démontre rien à l’égard de l’homicide rituel, mais n’en parle absolument pas de manière spécifique; en effet l’influente revue des Jésuites écrit: “Certains pensent... que... l’argument inéluctable contre les preuves légales et historiques de la loi et de la pratique talmudico-hébraïque d’assassiner les chrétiens par esprit de piété et de dévotion juive, spécialement à l’occasion des fêtes pascales, peut être tiré de la lettre que... Innocent IV... écrivit de Lyon le 3 juillet 1274, pour défendre, selon l’usage de tant d’autres de ses prédécesseurs et successeurs, les juifs de ces pays des calomnies et des persécutions dont ils étaient accablés avec véhémence (...). Mais aucun argument ne peut être tiré de la susmentionnée lettre d’Innocent IV contre la, non seulement fondée, mais très certaine loi talmudique, souvent mise en pratique... par la race juive, en assassinant... les chrétiens enfants et non enfants par esprit de piété, de dévotion et d’observance légale (...). Personne... n’a jamais accusé... les juifs de communier, lors de la fête de Pâques, avec le cœur d’un enfant tué... qui est la calomnie dont Innocent IV les innocente. Mais ils furent toujours accusés et souvent convaincus de toute autre chose: c’est-à-dire ... d’utiliser le sang des chrétiens enfants ou non enfants pour faire lever leur pain azyme; ce dont Innocent IV ne dit mot” (19). Le Père P. Silva, environ quinze ans après, dans La Civiltà Cattolica répondit aux objections contre le bien-fondé historique de l’accusation du sang (de la part de Lord Rothschild) dans deux articles intitulés Raggiri ebraici e documenti papali (“CC”, 65 [1914], II, pp. 196-215 et 330-344). “Parmi les autorités interpellées... pour attester l’inexistence du crime rituel, il y en a une au témoignage de laquelle la synagogue attribuait plus de valeur... et qui mérite aussi de notre part une attention particulière: c’est l’autorité du Saint-Siège” (20). La revue des Jésuites cite une lettre de Lord Rothschild au cardinal Merry del Val (7 octobre 1913), dans laquelle le Lord juif se réfère à l’opinion exprimée par le P. Ganganelli consulteur du Saint-Office (qui deviendra par la suite le Pape Clément XIV) apparemment opposée à la thèse de l’homicide rituel juif. Et il cite ensuite une lettre du Pape Innocent IV, dans laquelle le Pontife déclarerait infondée l’accusation d’homicide rituel. Mais, poursuit le Lord juif, Justinus Elisejevitch Pranaitis, maître en Théologie et prêtre catholique romain de la province du Turkestan, soutient que ces textes auraient été manipulés, et demande au Cardinal Merry del Val d’authentifier le texte publié de la lettre d’Innocent IV et de la relation de Ganganelli. La Civiltà Cattolica répond: “Que demande le Lord juif? Il veut savoir... si une lettre d’Innocent IV et une dissertation d’un consulteur du Saint-Office sont authentiques ou non. Or il fut justement observé que pour cette vérification il n’était absolument pas nécessaire de recourir au cardinal secrétaire d’Etat ni de le charger d’une mission qui ne lui appartienne pas... et même pour le document d’Innocent IV il suffisait que le Lord banquier consultât dans une bibliothèque publique les éditions critiques des regestes de ce Pontife... dans lesquels sans faire perdre de temps aux autres, il aurait pu s’informer de la vérité (...). Quant à la lettre d’Innocent IV... en étant le refrain obligé que la synagogue rechante chaque fois qu’on lui reproche la honte du crime rituel... le docteur Pranaitis n’aura jamais douté que le texte d’Innocent IV soit authentique, mais aura nié que soit authentique le sens que lui donnent les défenseurs de la synagogue et que suppose le même Lord: et en cela Pranaitis avait mille fois raison, puisque la lettre de ce Pontife dit bien autre chose que ce que ceux-ci lui font dire” (21). La revue des Jésuites cite la lettre d’Innocent IV et en donne la vraie signification, dissipant “les machinations juives”. La première partie de la lettre - écrit La Civiltà Cattolica - est seulement l’exposition des raisons présentées par les appelants (les juifs); la seconde partie contient le dispositif, c’est-à-dire la volonté du Pape et ce qu’il ordonne. “Or en tout cela il est manifeste qu’il n’y a rien de ce que Rothschild et ses coreligionnaires prétendent trouver. Le Pontife..., alors que d’un côté il recevait ces... plaintes, de l’autre il connaissait 8 très bien ces gens et déjà quelques années avant, en 1244, il avait pressé le saint roi Louis IX de leur enlever des mains l’impie Talmud pour en jeter toutes les copies au feu... ce sage Pontife n’aurait pas pu juger avec prudence de loin, et sans entendre les adversaires, jusqu’à quel point on pouvait croire ou ne pas croire aux plaintes présentées dans le recours: c’est pourquoi il ne discute pas les faits, et se contente de donner des ordres dont l’application ne pouvait pas être soumise à erreur, puisqu’ils étaient les simples règles de justice qui constituent un devoir fondamental pour l’homme. Que les évêques fassent réparer les torts commis par les despotes... le Pontife... n’affirme ou ne définit rien, mais, étant donné l’hypothèse qu’existent les torts déplorés, en commande la réparation. C’est tout. Cette lettre n’est donc pas une sentence judiciaire, et ne contient pas le moins du monde “la déclaration spécifique que la faute de l’assassinat rituel attribuée au judaïsme est une invention perfide et infondée”. Comment le Lord banquier osa-t-il donc l’affirmer aussi solennellement?” (22). Le Cardinal Merry del Val répondit à Rothschild le 18 octobre 1913, par une simple et froide authentification de la lettre d’Innocent IV et de la relation de Ganganelli aux consulteurs du Saint-Office. Cela ne signifiait absolument pas (comme il était déjà arrivé environ quinze ans auparavant) que le Saint-Siège affirmait le manque de fondement de l’accusation du sang. Au contraire, des textes cités on en déduit exactement le contraire! Monseigneur Umberto Benigni et l’homicide rituel En 1922, Mgr Umberto Benigni, dans sa Storia Sociale della Chiesa, était arrivé aux mêmes conclusions, bien que sans avoir pu consulter la documentation Sul sacrificio di sangue attribuito agli ebrei, conservée aux Archives Secrètes du Vatican, à la lecture de laquelle a été admis Miccoli, il y a quelques années bien que Benigni aurait pu étudier les articles de ‘La Civiltà Cattolica’. Il me plaît de rapporter les conclusions du très célèbre historien catholique, pour pouvoir pénétrer encore mieux dans ce “Mystère du Sang”, sans tomber dans deux erreurs opposées, par défaut: le scepticisme Le Pape Ganganelli, Clément XIV négateur et par excès: la crédulité superstitieuse et fanatique, qui pour vouloir affirmer trop, risque de compromettre ce qu’il y a de sérieux et historiquement fondé dans la thèse de l’homicide rituel juif. Benigni observe, préliminairement, que pour pouvoir affirmer qu’un crime soit rituel, il doit être produit par une intention religieuse (la haine contre les fidèles d’une autre religion) et en outre doit avoir la forme d’un rite. Par exemple, un crime sera implicitement rituel si un chrétien est tué par des juifs, durant la Semaine Sainte, pour commémorer, avec haine, la Passion de Jésus, au moyen d’actes qui reproduisent la flagellation, le couronnement d’épines, la crucifixion. Le crime, sera au contraire explicitement ou pleinement rituel si un chrétien est martyrisé comme il est dit ci-dessus (en haine de la foi catholique) et qu’en plus on utilise le sang de la victime pour l’usage des cérémonies juives officielles ou superstitieuses, c’est-à-dire dans un but de propitiation religieuse ou mieux encore superstitieuse. Ne serait pas un crime parfaitement ou pleinement rituel celui dans lequel on extrairait le sang chrétien pour en faire un remède ou une espèce de sacramental, sans le mobile de la haine religieuse (23). 9 Benigni, sagement, admet que parmi tous les crimes dénoncés comme rituels, au cours de l’histoire, plusieurs n’ont pas été prouvés historiquement comme tels, mais ceci n’autorise pas à affirmer que tous les crimes considérés comme rituels et dénoncés comme tels, soient tous faux (abusus non tollit usum)! A l’objection juive selon laquelle des Papes auraient nié l’historicité du crime rituel, Benigni répond que: 1°) Innocent IV, dans la bulle du 28 mai 1287 à l’Archevêque de Vienne, Giovanni di Bernin, expose d’abord le recours des juifs qui déploraient avoir été opprimés injustement, à cause de l’accusation d’avoir crucifié une petite fille. Puis le Pape ordonne à l’Archevêque que si les accusations sont fausses, il empêche la persécution des innocents, mais que si au contraire le crime est vrai, il doit être puni. Le Pape, dans la bulle du 5 juillet 1247, à l’Episcopat de France et d’Allemagne, soutient que les juifs d’Allemagne disent qu’ils sont accusés faussement de manger un cœur d’enfant chrétien pour leur pâque, et que désormais il ne veut pas que l’on commette des injustices contre eux, et qu’au cas où il y en aurait eu, on arrête de les tourmenter injustement. Dans la bulle du 25 septembre 1253, il affirme ne pas croire que les juifs mangent de la chair chrétienne, c’est-à-dire qu’il ne croit pas à une spécifique fin du crime rituel: l’anthropophagie. Il considère même que certains nobles chrétiens abusent de ces accusations, pour s’emparer des biens des juifs, et l’interdit, mais ne nie pas l’existence du crime rituel en soi. 2°) Martin V, dans la bulle du 13 février 1429, interdit aux prédicateurs d’abuser de la prédication contre les juifs. Dans la bulle du 2 novembre 1447, il nie que les juifs célébreraient leurs fêtes en mangeant le foie ou le cœur d’un chrétien. Mgr Benigni écrit que “des notables juifs, en 1913, à l’occasion du procès Beylis, demandèrent... par de grandes formalités au Saint-Siège si la bulle d’Innocent IV et la relation du cardinal Ganganelli étaient authentiques... Le Saint-Siège répondit - pour la bulle d’Innocent IV, en s’en remettant au jugement des historiens compétents, - et pour le rapport Ganganelli, qu’ayant consulté les archives, on avait pu vérifier l’authenticité de celui-ci (...). Quant au rapport Ganganelli, il est l’exposition du jugement personnel d’un pourpré (et non déjà d’un Pape) qui niant qu’étaient prouvés de nombreux crimes rituels, convenait de la réalité historique de ceux des deux bienheureux Andrea de Rinn et Simonino de Trente” (24). En bref, l’Eglise sage, prudente et maternelle, essaye de rasséréner les esprits, en empêchant qu’ils tombent dans les deux erreurs opposées, et par conséquent dément l’accusation spécifique selon laquelle les juifs mangent le cœur d’un enfant chrétien, pour éviter l’erreur par excès ou le fanatisme crédule et exalté; alors qu’elle affirme l’existence historique de l’homicide rituel, pour éviter l’erreur par défaut, c’est-à-dire le scepticisme. Aujourd’hui aussi, par exemple, il y a des exaltés qui affirment que les jeunes qui meurent le samedi soir, d’accident de voiture, en sortant des discothèques, sont victimes d’homicides rituels juifs! Naturellement ceci est faux et même insensé, mais n’autorise pas à nier la réalité historique de l’homicide rituel, “l’abus - disaient les latins - n’enlève pas l’usage”. C’est ainsi que dans le passé il y a eu des exaltés, malheureusement poussés par des personnes intéressées, qui en cas de famine ou d’épidémie accusaient les juifs d’avoir infesté l’air, les champs ou l’eau, pour ensuite - hélas - s’emparer de leurs biens. L’Eglise procède lentement et, comme on a coutume de le dire, avec la plus grande Le martyr Rodolphe de Berne 10 prudence, puisque “la hâte est mauvaise conseillère”: dans le cas de Simonino de Trente - pour donner un exemple - elle intervint à plusieurs reprises. Sixte IV le 10 octobre 1475 suspendit le culte populaire déjà prêté à Simonino, comme martyr des juifs, puisque selon le Pape rien n’avait encore été définitivement constaté à ce propos. L’évêque de Trente, Giovanni Hinterbach, institua un procès, et se prononça en faveur de l’homicide rituel de Simonino, de la main des juifs, mais le commissaire pontifical institua un second procès, affirmant que l’évêque de Trente avait commis des irrégularités juridiques. Alors le Pape institua un troisième procès à Rome, après lequel il affirma que le premier procès, de l’évêque de Trente, avait été fait “rite et recte”, mais n’approuva pas encore le culte public de Simonino. En 1584 Grégoire XIII, dans le Martyrologium Romanum, promulgua que le 24 mars 1475, à Trente avait eu lieu la “passio sancti Simeonis pueri a judeis sævissime trucidati, qui multis postea miraculis coruscavit”. Le 8 juin 1588, plus de cent ans après le martyre du Bienheureux Simonino, Sixte V, ratifia pour le diocèse de Trente, le culte public rendu au Bienheureux Simonino (Cf. L’homicide rituel in Sodalitium n° 29, pp. 20-38). L’Eglise a accordé le culte public et a également béatifié Andrea de Rinn sous le pontificat de Benoît XIV, 15 décembre 1753 et 22 février 1755; et puis encore Dominguito del Val (sous Pie VII, 24 novembre 1805, 12 mai 1807 et 7 août de la même année), Cristoforo de La Guardia, près de Tolède (toujours sous Pie VII) et Lorenzino de Marostica (sous Pie IX, en 1867). Rappelons encore que d’après l’opinion du cardinal Ganganelli, relateur du StOffice, homme étranger à tout fanatisme ou extrémisme, de tant de crimes rituels attribués aux juifs au cours de l’histoire, sont à retenir pour certains et vrais ceux de Simonino de Trente et Andrea de Rinn, tués “en haine de la Foi chrétienne”. C’est pourquoi, conclut Mgr Benigni, “même Benoît XIV et le cardinal Ganganelli [que les juifs essayent de citer en leur faveur et contre la thèse du ‘Mystère du Sang’], ont cru historique le martyre des Bienheureux de Rinn et de Trente” (25). Il me semble donc, que l’on puisse affirmer, sans peur de se tromper, la véridicité historique de la thèse de l’homicide rituel Le Pape Martin V juif, sans tomber dans des excès de fanatisme, qui le voient où il n’est pas, mais sans non plus tomber dans l’erreur de scepticisme qui s’obstine à le nier, après des preuves historiques et magistérielles aussi probantes. Notes 1) La documentation de cette intervention est conservée in ASV (Archivio Segreto Vaticano), SS (Segreteria di Stato), 1900, rubr. 66, fasc. unique; et in ASU (Archivio Sant’Uffizio), Rerum variarum 1901, n° 7 bis (Sul sacrifizio di sangue attribuito agli ebrei). Le professeur Giovanni Miccoli, de l’Université de Trieste, a été admis à la consultation de ces documents, et a écrit à ce propos in Storia d’Italia, Annali 11a, Santa Sede, questione ebraica e antisemitismo, Einaudi, Torino 1997, pp. 1525-1544. Dans cet article je m’appuie sur les recherches du professeur Miccoli. (Je précise que mon point de vue est essentiellement différent de celui de Miccoli). 2) Pour ce qui concerne le problème de l’homicide rituel juif voir Sodalitium n° 29, pp. 20-38. 3) Cf. Sodalitium n° 43, pp. 4-19. 4) G. MICCOLI, op. cit., pp. 1527-1528. 5) Uso fatto dagli ebrei nei riti del sangue cristiano, in “CC”, 32 (1881), II, p. 602. 6) In ASV, SS, 1895, rubr. 66, fasc. unique, f. 20r, lettre du 26 juillet 1889. 7) G. MICCOLI, op. cit., p. 1529. 8) “OR”, 23 novembre 1899. L’omicidio rituale giudaico. 9) “OR” 26 juillet 1892. Bushoff e gli omicidi rituali. 10) “OR” 5 août 1892. A proposito di Bushoff. 11) Cit. in G. Miccoli, p. 1531. 12) G. MICCOLI, op. cit., p. 1532. 13) A Jampol, en Pologne, dans le fleuve Oregna, qui se jette dans le Dniestr, en 1756, fut trouvé un cadavre. Les juifs furent accusés d’homicide rituel et recoururent à Rome; le Pape Benoît XIV chargea le P. Lorenzo Ganganelli, qui devint par la suite cardinal et Pape, d’examiner la question, en qualité de consulteur du Saint-Office. “... Ganganelli émet l’avis que ladite accusation est tout à fait semblable à celles qui, au temps du Pape Innocent IV (1243-1254), s’étaient élevées contre les juifs en Allemagne” (V. MANZINI, Sacrifici umani e omicidi rituali, ristampa, Genova, Melita, 1988, p. 133). Le Pape Innocent IV niait seulement que les juifs “se 11 corde pueri comunicant interfecti” et non la véridicité de l’homicide rituel. Ganganelli présenta la relation à la Congrégation des Grâces le 2 mars 1758. Après un sérieux examen, bien qu’elle “considérât comme vrais les faits de Trente et de Rinn” (V. MANZINI, op. cit., p. 230), elle conclut que l’accusation contre les juifs de Jampol, qui auraient mangé en guise de communion le cœur du chrétien trouvé mort dans le fleuve, était fausse et que dans ce cas spécifique des preuves sérieuses manquaient quant à leur culpabilité. Dans sa relation le P. Ganganelli écrivait: “J’admets donc pour vrai le fait du Bienheureux Simon, enfant de trois ans, tué par les juifs, en haine de la Foi de JésusChrist, à Trente, en l’an 1475... J’admets aussi pour vrai un autre fait arrivé en l’an 1462 dans le village de Rinn [dans le Tyrol, n.d.a.], diocèse de Bressanone, sur la personne du Bienheureux Andrea, enfant trucidé de manière barbare par les juifs en haine de la Foi de JésusChrist” (V. MANZINI, op. cit., p. 244). L’opinion de Ganganelli, donc, indépendamment d’être celle d’un simple docteur privé, ne niait pas la vé- rité de l’accusation du sang, (il admettait même explicitement le Martyre du Bienheureux Simonino de Trente et du Bienheureux Andrea de Rinn, par les juifs); mais il niait seulement, comme Innocent IV au XIIIè siècle, que les juifs auraient “communié” avec le cœur d’un chrétien à l’occasion de leur festivité pascale. 14) G. MICCOLI, op. cit., pp. 1534-1535. 15) G. MICCOLI, op. cit., pp. 1536-1537. 16) Ibid., p. 1539. 17) ASU, SS, D 2-i, pp. 76-87. 18) cit. in G. MICCOLI, p. 1543. 19) “CC”, Série 11, vol. VII, 7 juillet 1881, pp. 230235. 20) “CC”, 32 (1881), II, p. 330. 21) “CC”, op. cit., p. 333. 22) “CC”, op. cit., p. 334. 23) Cf. U. B ENIGNI , Storia Sociale della Chiesa, Vallardi, Milano, 1922, vol. IV, tome I, p. 370. 24) Op. cit., p. 381. 25) Op. cit., p. 383. JOSEPH DE MAISTRE ESOTERIQUE? plus grande œuvre philosophique de Maistre, divisée en onze entretiens entre trois personnages: le comte, le sénateur et le chevalier) (1), le comte dit à ses interlocuteurs: «Vous voyez d’ici ces volumes immenses couchés sur mon bureau. C’est là que depuis plus de trente ans j’écris tout ce que mes lectures me présentent de plus frappant. (...) Souvent je les accompagne de quelques notes, et souvent aussi, j’y place ces pensées du moment, ces “illuminations soudaines”(...). Jamais ces recueils ne m’ont abandonné; et maintenant vous ne sauriez croire avec quel plaisir je parcours cette immense collection...» ( 2). Maistre fait allusion ici à certains de ses manuscrits qui existent encore. Le chercheur Emile Dermenghem (1892-1971), archivistepaléographe et érudit, né à Paris le 3 janvier 1892, auteur d’une intéressante étude historique sur de Maistre (3), a pu se servir (en les citant abondamment, après les avoir consultés) des manuscrits en question, conservés dans les archives familiales de Maistre. Selon Dermenghem, ces manuscrits sont très précieux, puisqu’ils nous présentent la pensée maistrienne de manière plus spontanée qu’elle n’apparaît pas dans les œuvres destinées au public. «Nous y avons trouvé - écrit Dermenghem - les indications les plus précieuses quant au sujet... religieux et ésotérique qui fait l’objet de notre travail» (4). Par M. l’abbé Curzio Nitoglia e comte Joseph de Maistre (1753-1821) est L universellement connu comme auteur catholique et contre-révolutionnaire. Moins connue, en revanche, son initiation à la franc-maçonnerie (en 1774 à la loge Aux trois Mortiers de Chambéry, et, en 1776 à la loge La Sincérité de la même ville). Quand on parle de son passé maçonnique on tend à le minimiser comme une erreur de jeunesse qui n’a laissé aucune influence dans la suite de la pensée du penseur contre-révolutionnaire, erreur d’autant plus justifiable - dit-on - dans la mesure où l’on pouvait facilement adhérer de bonne foi à la maçonnerie, avant la révolution. Cette thèse est absolument insoutenable après les études de Dermenghem (1923) et de Rebotton (1983) qui ont mis en lumière la profonde influence de l'ésotérisme sur Joseph de Maistre jusqu’à la fin de sa vie. Avec cette étude l’abbé Nitoglia met en garde ceux qui ou déjà ont été trompés, de bonne foi, ou risquent de l’être dans le futur, en les invitant à la prudence à l’égard d’un faux maître. Sodalitium Introduction Presque au début du neuvième entretien de Les soirées de Saint-Pétersbourg (1809) (la 12 Les archives familiales de Cependant on se demande Maistre contiennent, outre les spontanément dès maintenant, manuscrits des livres publiés, si l’on peut concilier catholicertains travaux alors inécisme et ésotérisme, sans dits: le Journal intime du nuire à l’orthodoxie et à Savoyard, un dossier l’intégrité de la doctridit Illuminés, et surne catholique. tout le Mémoire au Vittorio Messori duc Ferdinand de écrit à ce sujet: «“Il Brunswick-Lun'y a rien de ...senebourg, grand cret qui ne doive maître de la Maêtre manifesté. Ce çonnerie écossaise que je vous dis de la Stricte Obdans les ténèbres, servance (publicadites-le à la lumiètion posthume en re; et ce que vous 1925, par Derécoutez à l’oreille menghem lui-mêprêchez-le sur les me), qui est celui toits” (Matth. X, qui fait le plus la lu26 s.). Ceci... est le mière sur la pensée manifeste de la du comte savoyard. transparence chréEn faisant référence tienne. Le secret de au mémoire dédié au duc cette foi est de ne pas de Brunswick, le célèbre avoir de secrets: tout ce qui ésotériste italien Attilio est occulte, ésotérique, caché, Mordini, (qui a essayé de cathofermé, n’a rien à voir avec elle. liciser Evola, en le rendant ainsi Ses églises sont ouvertes à tous; encore plus dangereux et nocif ses sacrements sont administrés en Joseph de Maistre même pour les chrétiens), écrivait public; ses prêtres et ses fidèles se en 1963: «Dernier grand maçon catholique, le déclarent comme tels, sans se cacher; toute comte Joseph de Maistre, écrivait au duc de sa doctrine est annoncée du haut des chaires Brunswick, rappelant les passées origines ca- ou expliquée dans des livres que tout le tholiques de la maçonnerie et en en pré- monde peut se procurer. Il n’y a pas un nivoyant le rapide déclin si elle ne retournait veau “supérieur” réservé aux élus... tant le pas tout de suite dans le giron de l’Eglise de judaïsme que l’islamisme ont un courant Rome. Les prévisions de Maistre se sont avé- “gnostique”, secret, réservé à “celui qui rées jusqu’à l’exactitude. Déracinée de sait”... Dans le christianisme, l’ésotérisme, l’Eglise, la maçonnerie a perdu tout sens s’il existe, est abusif: il est cultivé par des d’unité, non seulement en tombant dans le “franges lunatiques”, par des visionnaires, syncrétisme, mais aussi dans la séparation de peut-être même par des groupes d’un soi-dila spéculation de l’œuvre, de la pratique de la sant “traditionalisme”, souvent avec des apthéorie comprise dans son vrai sens de puis politiques: la “droite” est tentée par l’occontemplation de la vérité» (5). culte, considéré comme “aristocratique”» (8). Le but de l’œuvre de Dermenghem est de «montrer l’influence sur la pensée mais- Les “écrits maçonniques” de J. de Maistre trienne de la doctrine ésotérique, de l’“illuminisme”, de la “théosophie”, de l’occultisEn 1923, comme nous l’avons vu, Emile me contemporains» ( 6). D’après Dermen- Dermenghem avait déjà étudié le problème ghem ces doctrines n’auraient pas nui à l’or- du maçonnisme maistrien; en 1983 Jean thodoxie du catholicisme du Savoyard, mais Rebotton a présenté une édition critique soià partir de ces deux colonnes: ésotérisme et gnée, riche en notes, des écrits maçonniques catholicisme orthodoxe, de Maistre aurait de Maistre, avec une intéressante introducatteint «une synthèse extrêmement originale tion d’Antoine Faivre, Ecrits maçonniques de et féconde» (7)... Joseph de Maistre et de quelques-uns de ses 13 amis francs-maçons, (Centre d’Etudes Franco-Italien. Universités de Turin et de Savoie, éd. Slatkine, Genève 1983). J’exposerai brièvement la pensée à ce sujet d’Antoine Faivre. Il soutient, par exemple, que Maistre avait une passion «pour la métaphysique des nombres [cabale], et [considérait que] l’idée que la prophétie, loin de devoir être close ou confisquée par une institution, reste possible parmi les hommes et permet au christianisme de s’épanouir toujours davantage, autrement dit de rester fidèle à sa propre tradition. Eléments qui, mis ensemble, constituent... la théosophie chrétienne» (9). Grâce à l’édition critique de Rebotton, on comprend aussi mieux pourquoi Maistre, dans le traité Du Pape, choisit de réformer le gouvernement de la maçonnerie en s’inspirant de celui de l’Eglise. Il faut selon de Maistre «surmonter l’opposition apparente des confessions par une réflexion fondée sur une activité symbolique cohérente et recréatrice à laquelle nul ne saurait accéder sans la médiation de la... connaissance - au sens de vraie gnose - ou de l’initiation. Là réside le caractère irremplaçable..., d’une Maçonnerie conçue comme médiation entre l’Eglise et le pouvoir politique, capable comme telle de pallier les insuffisances de l’une et de l’autre, de les assister tous deux dans leur mission temporelle et spirituelle sans se substituer jamais pour autant à l’une ou à l’autre» (10). Maistre écrit: «Il faut qu’il y ait un point de réunion... et pour marcher droit entre les dangers de la tyrannie et ceux de l’anarchie, il paraît tout à fait convenable de se déterminer pour le gouvernement d’un seul modifié par d’autres pouvoirs (...). Si l’on voulait un excellent modèle d’un régime de cette espèce, on le trouverait dans l’autorité que le pape exerce sur les églises catholiques... Bien entendu qu’on n’entend parler que des pays où cette puissance (papale) est resserrée dans de justes bornes, tels que la France, l’Autriche, depuis peu de temps, et le pays où ceci est écrit [les Etats de la Maison de Savoie]» (11). Jean Rebotton, commente en note: «François Vermale argue de ce passage pour dire que Maistre professait alors un “gallicanisme outrancier” et qu’il se faisait l’avocat du joséphisme. Est-ce bien sûr? Certes, entre sa 20ème et sa 30ème année, Maistre inclinait, semble-t-il, vers les thèses de Fra Paolo Sarpi (1552-1626), défenseur des droits civils et politiques contre les interventions de la papauté, mais, sans doute, en raison de son amitié pour les Jésuites, il ne devint jamais un “ultra-gallican”... ni un partisan du joséphisme virulent» (12). Maistre, d’après Faivre, oscilla, déjà depuis sa jeunesse, entre l’orthodoxie catholique et un certain éclectisme, toutefois cette double orientation ou appartenance, ne nuit pas au Savoyard: elle ne le paralysa pas dans l’hésitation et ne le poussa pas non plus à l’immolation d’un des deux éléments. Mais ceci revient à dire que Maistre, d’un point de vue religieux, n’était pas orthodoxe, n’ayant pas renoncé à immoler l’élément ésotérico-initiatique de sa pensée. Antoine Faivre explique aussi pourquoi le côté ésotérique de Maistre a toujours été moins connu: son premier biographe en effet, c’est-à-dire son fils Rodolphe de Maistre parla, en 1851 de l’appartenance à la maçonnerie de son père comme d’une aventure passagère (13). «Par la suite, dès 1921, la collaboration éclairée de la famille de Maistre, détentrice des archives de l’écrivain, et de chercheurs, tels Georges Goyau, Emile Dermenghem, François Vermale [Lettre inédite de Maistre à Vignet des Etoles sur la Franc-Maçonnerie, in Annales historiques de la Révolution française, 1934], permit de mettre au jour toute la vérité décelable à partir des inédits retrouvés. Il était désormais établi que, durant une vingtaine d’années, la Maçonnerie fut mêlée à son existence... et qu’elle exerça... une influence importante sur sa pensée» (14). Maistre, d’après Faivre, fut poussé vers la maçonnerie, paradoxalement, par sa religiosité, «en un siècle où le libertinage, l’incrédulité, voire l’athéisme, gagnaient en audace..., où la religion se tenait sur la défensive et donnait des signes de fatigue, la Maçonnerie anglaise pouvait lui apparaître au vu de ces périls comme un contre-feu salutaire, une force auxiliaire toute neuve du christianisme» (15). Etant donné que les traces des vérités les plus sublimes, se retrouvent, selon Maistre, chez les sages de toutes les traditions, de tous les temps, il fallait donc, d’après le Savoyard, «transcender les différences confessionnelles, et déboucher sur un œcuménisme grandiose... Voilà bien... de quoi appâter le jeune [Maistre], inquiet devant le 14 flot montant de l’irréligion... et quoique solidement amarré à l’Eglise, pas toujours satisfait de son enseignement, dans l’attente de connaissances plus hautes, capables de mieux nourrir sa ferveur» (16). Tendances, idées, faits: Maistre, Fénelon et Ramsay, entre quiétisme et maçonnerie Continuons dans l’analyse de l’étude d’Antoine Faivre pour voir certains des auteurs qui influencèrent de Maistre durant sa période maçonnique. Jusqu’à présent peu de gens avaient rattaché de Maistre à deux personnages qui sont l’évêque de Cambrai François Fénelon et le fondateur de la maçonnerie de rite écossais, le chevalier de Ramsay. «Fénelon fut l’un des auteurs préférés de Maistre qui le nommait “Mon ami François de Cambrai”. Ramsay, quant à lui, écrivit une Histoire de la vie et des ouvrages de Fénelon (1723); l’influence du prélat sur son œuvre de philosophe et de romancier est incontestable. Ramsay, écossais, protestant converti au catholicisme [par Fénelon], fut aussi “un des patriarches de la Maçonnerie” (P. CHEVALLIER, Histoire de la Franc-Maçonnerie française, Fayard, Paris 1974, p. 77)» (17). Mais qui étaient-ils? Fénelon, alias François de Salignac de la Mothe (1615-1715), séminariste à St Sulpice, fut ordonné prêtre en 1674, resta une année à St Sulpice et en 1695 fut nommé archevêque de Cambrai, où il mourut. Défenseur des thèses quiétistes de Madame Guyon, il fut condamné par le pape Innocent XII (12 mars 1697), comme étant proche de l’hérésie, pour la doctrine de l’Amour pur. Le quiétisme de Fénelon n’arrivait cependant pas aux extrêmes de Molinos. «Il soutint, dans un opuscule sur la gnose de Clément d’Alexandrie, l’existence, dans l’Eglise primitive, de la doctrine ésotérique du Pur Amour (P. DUDON, Le gnostique de Clément d’Alexandrie. Opuscule inédit de Fénelon, Paris 1930)... Son quiétisme [plaît] à la mythologie d’une religion sans enfers ni paradis, passée à travers son disciple Ramsay, dans l’humanitarisme philanthropico-maçonnique» (18). Le quiétisme est «une tendance pseudohédoniste... qui place la perfection spirituelle dans la prière et dans la “contemplation”, conçue passivement... en renonçant... au contrôle de la chair et des passions, jusqu’au point de concilier le plus bas sensualisme avec l’adhésion mystique à Dieu... en France il y eut un double courant quiétiste: un tempéré, réduit seulement à la méthode de la prière contemplative et de l’abandon en Dieu [Fénelon]...; un autre plus vivace et compromettant, qui se réfère à Madame Guyon, [laquelle fut cependant défendue par Fénelon], une exaltée qui au mysticisme contemplatif unissait le mysticisme sensuel avec la théorie de la passivité de l’âme dans les tentations et dans les péchés de luxure (...). Mais plus qu’ailleurs le quiétisme morbide sévit en Italie par les œuvres principalement de l’espagnol Miguel de Molinos ...personne n’a développé la théorie quiétiste jusqu’aux extrêmes conséquences comme Molinos dans sa célèbre Conduite spirituelle» (19). Après l’archevêque, passons à son biographe de Ramsay. André-Michel de Ramsay, naquit à Ayr en Ecosse vers 1686 et fut l’«inventeur de l’‘écossisme’ et des hauts grades maçonniques (...). En 1709, à Cambrai, il rencontre le vieux Fénelon et ce sera l’événement fondamental de sa vie. Il en devint le disciple de prédilection et ensuite le secrétaire; après sa mort, l’héritier spirituel et le biographe. De déiste (...) il se convertit au catholicisme, mais à ce catholicisme quiétiste particulier, professé par Madame Guyon et par Fénelon, qui souhaitaient une réforme totale de l’Eglise romaine (...). En 1714, peu avant sa mort, Fénelon envoya Ramsay à Madame Guyon dont à son tour il devint secrétaire» ( 20 ). Alec Mellor écrit que Ramsay fut «initié, selon le London Evening Post du 17 mars 1730, à la Loge Horn...» (21). Ramsay annonçait que «“les vestiges des plus sublimes vérités” - d’essence chrétienne “se retrouvent chez les sages de toutes les nations, de tous les temps et de toutes les religions”, et que “ces vestiges sont une émanation de la tradition antédiluvienne et noachique, plus ou moins voilés ou dégénérés”» (22). Selon Antoine Faivre (op. cit. p. 15), Maistre, bien qu’en ne parlant pas explicitement de Ramsay, en avait lu les œuvres. La religion ésotérique de Maistre: Martinès de Pasqually, Willermoz et de Saint-Martin Bien plus que Fénelon et Ramsay trois initiés ont eu une influence prépondérante 15 Louis-Claude de Saint-Martin sur de Maistre: Martinès de Pasqually, Willermoz et de Saint-Martin. «Jean-Baptiste Willermoz, l’illustre représentant du mysticisme et de la libre maçonnerie lyonnaise, destiné à jouer un rôle de protagoniste dans la Stricte Observance et dans la maçonnerie européenne... était un ardent partisan des doctrines et de l’organisation fondée par Martinès de Pasqually, dont la vie est entourée de mystère, même s’il semble qu’il fût un juif de famille portugaise, mais né à Grenoble vers 1715. Pasqually avait créé la secte occultiste des Elus Coens (...). Seulement grâce au moyen extérieur des grades des Elus Coens et grâce au moyen intérieur de la “voie active”, l’homme déchu pourra tenter la réintégration dans l’état primitif du grand Adam. La “voie active” consistait en un rite occultiste basé sur la magie, qui comportait un relâchement physique, semblable à celui du yoga et qui... devait causer un état d’“extase”, durant lequel l’adepte pouvait se mettre en contact avec l’au-delà... après cette série de pratiques cultuelles complexes qui parfois pouvaient même être dangereuses, provoquant dans certains cas l’intervention des esprits malins, capables d’écraser l’évocateur. Si l’expérience réussissait, l’initié entrait en contact direct avec “Dieu”, qui se manifestait par l’apparition de lumières... ou carrément par la vision d’une présence angélique. Certains de ses adeptes, parmi lesquels Willermoz, avaient assisté à ces expériences et en avaient été tellement édifiés qu’ils restèrent fidèles à leur maître, même après son départ définitif pour les Antilles en 1773. Mais personne - pas même Willermoz - n’avait à ce moment atteint le dernier grade de la dernière classe, celui qui assure la réalisation finale des pratiques magiques. Néanmoins les Elus Coens restèrent en contact entre eux, en se communiquant les résultats des tentatives faites pour la réussite finale des expériences théurgiques. La théurgie est une sorte de magie, dans laquelle on présume établir un contact (apparemment) avec le “divin” ou (réellement) avec les forces démoniaques, et pouvoir accomplir des prodiges, au moyen de ce contact. Mais après une année l’école de Martinès de Pasqually se divisa en deux branches principales. Celle dont le chef était Claude de Saint Martin et celle qui se rassembla autour de Willermoz. Claude de Saint Martin... l’élève le plus élevé sous le profil intellectuel et spirituel, donna aux Elus Coens, un contenu différent, en refusant l’aspect magique et la théurgie de Pasqually, pour y substituer l’élévation “mystique” et purement intérieure de l’homme. De là la distinction entre martinésisme [de Martinès] et martinisme [de Saint Martin], dont le dernier conserve encore maintenant des adeptes dans plusieurs parties du monde. Alors que Willermoz, à l’esprit d’organisation éminent et initié aux différents systèmes maçonniques, visait à trouver un point d’accord et un terrain de rencontre entre les différentes sectes ésotériques, en voyant dans la libre maçonnerie l’organisation la plus adaptée à ce but» (23). Or, Maistre était justement affilié au martinésisme, ce groupe occultiste qui est issu de Martinès de Pasqually. Willermoz, disciple de Pasqually, était l’âme de l’écossisme français et des cohen de Lyon; il incarnait l’aspect extérieur, pratique et maçonnique du martininésisme. Saint-Martin était un théosophe pur, un haut initié, beaucoup plus au courant des “secrètes choses” que les deux autres. Il «représentait une conception plus pure et plus élevée de l’ésotérisme... Maistre le trouvait “infiniment aimable”... C’est à Saint-Martin surtout que pense Maistre quand il parle des “mystiques” de son temps... Nous retrouverons souvent l’influence de ses idées sur celles de Maistre dont le rôle semble parfois avoir été de les vulgariser, de “les catholiciser” et de les vivifier grâce à la force de synthèse de 16 son génie et au prestige de son style» (24) Dermenghem écrit: «Nous croyons qu’on ne peut bien comprendre de Maistre si l’on n’insiste pas sur le caractère très original de son orthodoxie catholique et sur la mysticité (25) profonde de sa pensée» (26). «La sincérité... et l’orthodoxie du catholicisme de Maistre s’accompagnent d’une connaissance approfondie des doctrines dites ésotériques... Nous voudrions essayer de définir quelle fut exactement l’influence de ces doctrines sur la pensée maistrienne et montrer comment elles contribuèrent à donner à celle-ci une originalité, une ampleur et une fécondité dont nous pourrions nousmêmes faire encore notre profit» (27). Dermenghem est très franc et dit que si certains ont douté de la pureté du christianisme maistrien, voyant en lui une espèce de Machiavel ou de Maurras, qui veut se servir de l’Eglise et non la servir, il y en a d’autres qui pour défendre la pureté de son orthodoxie «ont négligé ou nié ses rapports avec des doctrines suspectes, ou renoncent à comprendre comment un homme sérieux a pu avoir un tel penchant pour le mystère et d’aussi mauvaises fréquentations» (28). Selon Dermenghem, on ne peut, toutefois, accuser Maistre d’avoir copié aveuglément le maçon Saint-Martin. «Certes - poursuit Dermenghem - la relation entre la philosophie maistrienne et les doctrines ésotériques de son temps, et spécialement le martinisme, est incontestable… Mais l’auteur des Soirées de Saint-Pétersbourg n’avait pas besoin de plagier Saint-Martin pour soutenir les théories de la chute, de la Providence, du rôle providentiel de la Révolution… ces idées sont communes à, pour ainsi dire, tous les penseurs chrétiens» (29). Certes, Maistre a son originalité: penseur génial et profond, il ne fut certainement pas un obscur disciple de Saint-Martin; mais l’influence de ce dernier est cependant incontestable. Maistre, Maçonnerie, Révolution française L’affection de Maistre pour Saint-Martin se révèle aussi dans la question des responsabilités de la maçonnerie dans la Révolution française. De Maistre n’accepte pas la thèse de l’abbé Barruel, l’auteur des Mémoires pour servir à l’histoire du jacobinisme (17971799), et défend les martinistes de la critique barruellienne qui les accuse de manichéisme. Naturellement la société secrète à laquelle Maistre était affilié n’avait pas le caractère anticatholique et athée qu’elle prit ensuite, spécialement en France, à la différence de la maçonnerie anglo-américaine; et n’avait non plus rien de subversif comme la secte des Illuminés de Bavière, fondée en 1776 par Weishaupt, nettement matérialiste et antireligieuse, et férocement contrecarrée par Maistre. D’après Dermenghem «l’opinion personnelle de Maistre est très nette: l’initiation maçonnique, la science occulte moderne sont d’essence absolument religieuse et chrétienne... Il semble même qu’à son avis la véritable source de l’initiation doive être cherchée dans le christianisme primitif, épuration et épanouissement d’une tradition plus ancienne, en un mot dans la kabbale judéochrétienne» (30). Le but de la maçonnerie, pour notre auteur, a trois degrés: 1°) la philanthropie, 2°) la réunion des églises chrétiennes, 3°) le christianisme transcendant. Maistre (comme plus tard le cardinal Daniélou) se réfère à Origène et soutient que le christianisme primitif était une véritable société initiatique (là aussi que d’analogies avec Guénon!) pourvue de sa magie divine. Selon Dermenghem la tendance œcuméniste et panchristique de Maistre, qui professait ouvertement le catholicisme et en même temps entreprenait la carrière maçonnique, ne prouverait absolument pas le moindre relâchement de son orthodoxie, même si cela avait été un moyen pour servir plus efficacement la religion, «mais - ajoute Dermenghem - sans aucune espèce d’exclusivisme» (31), c’est-à-dire: maçonniquement...! En effet c’est précisément le rôle de la maçonnerie de travailler efficacement, et sans esprit d’exclusivisme, à la réunion des différentes églises et même, pourquoi pas, de toutes les religions. «Mais comment arriver à ce but sans soulever l’orgueil théologique... [quelqu’un dirait: le cléricalisme]? Il conviendrait, selon Maistre, de ne pas entreprendre publiquement “le Grand Œuvre”, mais au contraire de marcher lentement pour marcher sûrement, de se garder “de mettre le feu à la mine avant d’être sûr de l’effet” (...). La franc-maçonnerie n’est-elle pas, de par sa constitution même, l’instrument idéal d’une telle entreprise» (32). Même Dermenghem est obligé d’admettre que la maçonnerie n’a pas pris le che- 17 min que de Maistre lui avait indiqué, mais «la chose était-elle possible encore à la fin du XVIIIème siècle, une dizaine d’années avant la grande révolution?» (33). Dommage que pour le Magistère ecclésiastique, qui est le seul garant de l’orthodoxie et de la pureté de la foi, les choses ne soient pas du tout ainsi! En effet Clément XII et Benoît XIV avaient respectivement condamné la secte en 1738 et en 1751. «Maistre ne considérait pourtant pas les sociétés secrètes comme néfastes, mais au contraire comme pouvant rendre des services importants à la religion [transcendante]» (34). Son “orthodoxie” catholique est vraiment peu orthodoxe! Francovich explique aussi que: «nous ne pouvons moins faire de remarquer... l’indépendance idéologique à l’égard de l’Eglise catholique du futur auteur Du Pape. Et ceci se voit surtout quand il soutient la validité du serment maçonnique. Nonobstant la condamnation renouvelée de Benoît XIV, Maistre soutient que... le libre maçon peut tranquillement prêter son serment, sans désobéir au Pape» (35). En résumé, Maistre était “désobéissant par obéissance”! Goyau aussi, l’autre historien qui a pu consulter les archives familiales de Maistre, écrit: «Il ne semble pas qu’à aucun moment de sa vie les bulles de Clément XII et de Benoît XIV contre les sociétés secrètes aient inquiété Maistre... En 1811... Maistre maintiendra que “la franc-maçonnerie pure et simple, telle qu’elle existe encore en Angleterre, n’a rien de mauvais en soi” (...) Les loges dites martinistes… furent pour Maistre... une école. (...) Dans les loges martinistes, Maistre entendait parler d’un christianisme ascendant, qui était une véritable initiation... qui était accessible, encore, aux adeptes de bonne volonté... qui unifierait les diverses communions sous un chef qui résiderait à Jérusalem...» (36). On observe en outre que cette théorie n’est pas celle de Maistre jeune, immature pas encore “contre-révolutionnaire”! «Maistre avait plus de soixante ans quand il écrivit les réflexions qui précèdent; il était, pour ainsi dire, dans la période la plus “réactionnaire” de sa vie... On remarquera néanmoins la bienveillance avec laquelle il parle des ‘mystiques’ et des francs-maçons... On peut donc dire que cette opinion... est l’une de celles auxquelles Maistre tenait le plus et qu’elle fut sienne pendant toute sa vie» (37). Si la carrière maçonnique de Maistre s’interrompit avec la Révolution française, il continua cependant à correspondre avec des initiés, et surtout à étudier à fond la littérature ésotérique, comme l’admet également Dermenghem. Il faut cependant reconnaître que si jusqu’à quarante ans Maistre fut totalement favorable à la maçonnerie et à l’occultisme, la Révolution, l’influence des Jésuites à Saint-Pétersbourg, modifièrent son opinion, mais uniquement sur certains points et non radicalement. La maçonnerie anglaise n’avait rien de mauvais pour le Savoyard mûr, et n’aurait pu nuire ni à la religion ni à l’Etat. Maistre est le grand ennemi des Illuminés de Bavière, les disciples de Weishaupt, puisqu’il les reconnaît coupables d’avoir comploté contre le Trône et l’Autel, d’être des subversifs, des “gauchistes”, des révolutionnaires; c’est seulement cet Illuminisme que Maistre critique férocement. Il est l’union entre philosophisme moderne et calvinisme, il est progressiste, révolutionnaire, de gauche, ne va pas bien pour les élites traditionnelles. Au contraire, concernant le martinisme, le Maistre mûr, n’approuve pas son antipathie, peut-être trop spontanée ou manifestée, pour la hiérarchie et le clergé catholique, qui perdrait la “parole d’ordre”; mais il assure que ses adeptes ne sont jamais tombés dans des excès déplorables. Ils peuvent être nuisibles, mais seulement relativement, au cas où ils contrarient radicalement et ouvertement le principe d’Autorité. Mais après tout les grandes idées sont toujours dangereuses, et comme le sénateur des Soirées, dans le onzième entretien, Maistre prend la défense du “disciple vertueux de Saint-Martin, qui ne professe pas seulement le Christianisme, mais qui ne travaille qu’à s’élever aux plus sublimes hauteurs de cette loi divine”. Il est donc abusif pour le Savoyard d’appeler illuminés au sens strict les maçons ordinaires et les martinistes, qui ne sont pas dangereux pour l’Etat, ou s’ils le sont, le sont très peu. Cette distinction faite, on ne peut pas lancer contre l’ésotérique ou le “mystique”, la condamnation que Maistre lance contre la Charbonnerie ou les nihilistes de son époque. Quant aux rapports maçonnerie-Révolution française, Maistre comme nous l’avons vu nie la thèse de Barruel, pour qui la maçonnerie a préparé la Révolution, et 18 rejette toute la faute sur les seuls Illuminés de Bavière, qui ont corrompu et infesté la vraie maçonnerie qui est surtout la maçonnerie anglaise. La maçonnerie n’est pas intrinsèquement mauvaise pour Maistre, la dégénérescence qui s’est produite en elle est comparable à un régiment de soldats, vicié par la propagande subversive de rebelles. Un grand nombre de maçons sont de bonne foi et donc innocents et seul un petit nombre connaît la vraie fin de la maçonnerie; par conséquent la secte en elle-même est tout à fait innocente, même s’il y a dans ses rangs des criminels. «Dès 1801, Maistre ne nie pas la culpabilité d’un petit nombre de maçons... Mais il nie formellement que la F.-M. en général ait eu une attitude [politiquement] révolutionnaire» (38). Il existe une certaine analogie entre la pensée maistrienne et celle d’Augustin Cochin; pour le Savoyard il est probable que la maçonnerie française ait, sinon comploté, au moins servi la Révolution, mais si cela s’est produit, ce n’est pas à cause de la nature de la maçonnerie, mais de l’esprit clubiste; la Révolution n’est pas la conséquence du complot de la maçonnerie mais de la déformation des esprits, grâce aux sociétés de pensée ou aux clubs. La plupart des clubistes était révolutionnaire, la majeure partie des maçons, même français, non. Les loges françaises se sont transformées en clubs et ce sont les clubs qui ont fait la Révolution, non la vraie maçonnerie, qu’elle soit anglaise ou française! Ceux qui ont préparé la Révolution ce ne sont pas les vrais maçons ou initiés, mais les encyclopédistes et les philosophes du XVIIIème siècle. «En résumé - écrit Dermenghem Maistre a fini par admettre la réalité du complot révolutionnaire et anticlérical des Illuminés Bavarois de Weishaupt, ainsi... que de certaines sectes anarchistes, avec lesquelles la vraie franc-maçonnerie en son essence n’avait rien de commun. Quant aux martinistes, Maistre ne les confondit jamais avec les conjurés libres penseurs. Même à l’époque où il est le plus détaché d’eux, il les défend contre toute accusation grave... Cependant, à mesure que le temps avance, que Maistre subit l’influence... des Jésuites de Russie qui confondent peut-être trop à son gré le légitime et le mauvais illuminisme, mais qui ont la supériorité de bien connaître les sociétés secrètes allemandes, il devient un peu plus sévère pour ses anciens maîtres» (39). Nonobstant ceci Maistre continue à considérer les sociétés secrètes, imbues de ‘mysticisme’, comme utiles au catholicisme, dans les pays luthériens, dans la mesure où elles maintiennent l’esprit éveillé contre le danger protestant; mais elles sont aussi très utiles, dans le monde entier, dans une période d’impiété où toutes les nations sont séparées de la véritable Eglise (40). Il n’y a plus de religion authentique sur la terre, alors comment peut-on blâmer les “mystiques”, les illuminés, les initiés ou ésotéristes, qui essayent de faire resurgir l’esprit religieux, et qui luttent contre le matérialisme? En somme il y a des évolutions homogènes dans la pensée maistrienne, par rapport au mysticisme ésotérique, divisibles en deux périodes, séparées entre elles par les années 1793-1798: «Sans doute serait-il pittoresque... de représenter l’écrivain comme ayant subi une véritable conversion, s’étant aperçu que tout ce qu’il a adoré doit être brûlé et adoré tout ce qu’il a brûlé! Ne serait-il pas séduisant de croire que Maistre s’est, à quarante ans, aperçu que toute sa vie jusqu’alors avait été vouée au mauvais principe, qu’il n’y avait qu’erreur et péché dans les recherches audacieuses auxquelles il s’était consacré, et que l’“ordre” au sein duquel il travaillait avec zèle n’était qu’un instrument hypocrite et subtil de Satan?... Il serait sorti [de son expérience passée] complètement transformé, repentant. Il n’y aurait pourtant rien de vrai dans cette thèse. La vérité est infiniment plus nuancée et plus complexe. Il n’y a, à notre avis, dans la vie intérieure de Maistre, pas de conversion complète, mais une simple évolution logique... Le Maistre de Russie ne contredit pas celui de Chambéry. Le Maistre de 1810 ne renie pas mais explique et continue celui de 1780. (...) Le premier est peut-être plus audacieux, le second... est plus prudent et plus soucieux des droits de l’autorité légitime, [ou peut-être savait-il désormais être moins spontané?]» (41). Je ne pense pas que l’on puisse nier le caractère ésotérique, “illuminé”, initiatique, de Maistre (42), mais je ne pense pas non plus que l’on puisse affirmer, comme fait Dermenghem, que cet ésotérisme n’ait entamé en rien la pureté de l’orthodoxie et de la foi du Savoyard. Il faut savoir distinguer: Maistre n’est pas seulement et uniquement 19 un pur martiniste ou un “illuminé”, mais on ne peut pas non plus nier qu’il ait cherché d’interpréter le dogme catholique à la lumière, non du Magistère ecclésiastique et de la bonne philosophie scolastique, mais de la tradition “théosophique” de son temps. «Joseph de Maistre - écrit Dermenghem est peut-être le seul penseur catholique qui ait réussi une pareille synthèse» (43). Je pense que c’est vrai, mais il faut préciser que la réelle portée de cette synthèse est négative et qu’elle est restée inconnue du plus grand nombre. Le Savoyard a réussi à la masquer mieux que quiconque (même que Guénon!) grâce à sa critique radicale et captivante de la Révolution française “satanique dans son essence”. Maistre a réussi à cacher le côté ésotérique de sa pensée, également grâce à ses détracteurs qui voyaient en lui un pur réactionnaire ou contre-révolutionnaire, et également grâce à ses “amateurs” qui ont présenté, au contraire, uniquement l’autre aspect de Maistre, par ignorance ou par malice ésotérique, celui du catholique fidèle au Pape, ennemi de la Révolution et du Gallicanisme, sans évoquer l’élément initiatique de sa pensée. Alors que par amour de la vérité et de l’objectivité il faut prendre les deux aspects de Maistre, celui du critique lucide et impitoyable de la révolution socio-politique, mais aussi celui de l’initié qui prétend découvrir un christianisme ésotérique et transcendant, que l’Eglise aurait commencé à oublier à partir des premiers siècles. Dermenghem lui-même dit que l’élément ésotérique représente le ferment de la pensée maistrienne, tandis que l’élément romain serait une sorte de contrepoids ou de régulateur. Mais ésotérisme et catholicisme romain sont inconciliables; la “double appartenance” n’est pas permise, c’est la raison pour laquelle cette synthèse maistrienne n’est valable que dans une optique hégélienne (dans laquelle la synthèse vient de deux propositions contradictoires, la thèse et l’antithèse) et non dans l’optique romaine, qui synthétise ce qui n’est pas contradictoire, mais uniquement ce qui est harmonieux et complémentaire: c’est-àdire une théorie ou une réalité qui s’harmonise et est perfectionnée et complétée par une autre théorie ou réalité. Aristote et St Thomas, par exemple, ont synthétisé les concepts de “rien” et d’“acte” grâce à celui de “puissance”; entre le rien et l’être en acte, il y a l’être en puissance, et ces concepts ne sont pas contradictoires mais complémentaires, et ce n’est qu’ainsi qu’ils ont pu donner lieu à une synthèse véritable (la philosophie aristotélico-thomiste), et non à une contradiction latente et masquée (la pensée maistrienne), qui est bien plus dangereuse que l’erreur manifeste. Prenons par exemple le matérialisme: il ne peut pas être combattu par un spiritualisme exagéré, de type platonique ou pis encore martiniste, (une erreur ne se corrige pas par une autre erreur, tout excès est un défaut) ou par le faux mysticisme, qui n’a rien à voir avec la vraie mystique, comme a prétendu faire Maistre, fourvoyé peut-être par la présomption de quiconque prétend connaître ce que l’Eglise du Christ à l’inverse ignorerait ou aurait oublié. En réalité le matérialisme peut être vaincu seulement par la saine raison et la Révélation que Dieu a voulu nous confier par l’intermédiaire du Magistère ecclésiastique et non par celui d’un quelconque “initié”, prophète, croisé du XXème siècle, docteur ou professeur pour ainsi dire, même s’il apparaît comme un contre-révolutionnaire! La phrase de Maistre, citée par Dermenghem: «J’en suis demeuré à l’Eglise catholique romaine, non cependant sans avoir acquis dans la fréquentation des illuminés martinistes… une foule d’idées dont j’ai fait mon profit» (44) résume très bien tout ce qui a été dit. De Maistre et l’“illuminisme” «Saint-Martin a inspiré à Joseph de Maistre, non pas telle ou telle théorie en particulier… mais une attitude générale [et Emmanuel Swedenborg 20 un état d’esprit] antimatérialiste et antimoderniste… de protestation contre le XVIIIème siècle [l’analogie avec Guénon est surprenante] (...). Puisant aux mêmes sources (christianisme et ésotérisme), SaintMartin et Maistre ne pouvaient faire autrement que de se rencontrer... Joseph de Maistre lui-même n’a d’ailleurs pas fait mystère de ses relations personnelles avec les Illuminés de son temps» (45). Mais quand on parle d’illuminés et d’illuminisme à propos de Maistre il faut éviter une méprise possible. Dans l’Europe du XVIIIème siècle dominait effectivement l’illuminisme philosophique caractérisé par la “foi” dans le progrès de la civilisation et dans l’émancipation de l’homme sous la conduite des lumières de la raison. Né en Angleterre, il se diffuse très vite en France, en Allemagne et en Italie. Ce courant philosophique, rassemble l’esprit de l’Humanisme et de la Pseudoréforme protestante, et affirme l’autonomie de la raison émancipée de toute autorité et tradition, et l’autonomie de la volonté dans le domaine moral: seule la conscience individuelle est source de moralité et non la Loi divine. L’illuminisme ‘modéré’ anglais, passa en France et y dégénéra en une forme ‘radicale’: l’Encyclopédisme matérialiste et athée (Diderot et Voltaire). Maistre plus qu’un illuministe est un illuminé, adepte d’un illuminisme spirituel ou mystique: “On considère illuministes les tendances qui dans le processus de... divinisation de l’homme inclinent... vers la passivité... de l’âme [alumbrados espagnols du XVIèmeXVIIème siècles, quiétistes du XVIèmeXVIIème siècles diffusés en Italie avec Miguel de Molinos et en France avec Fénelon, “maître de... Maistre”, et Madame Guyon]. Ils accentuent... l'influence divine au moyen d’interventions (illuminations, inspirations) directes de Dieu. En conséquence l’âme doit se laisser porter par elles, plutôt que se laisser guider par des principes de la raison et de la vérité de la foi” (46). Cet illuminisme, qui est une déviation de la mystique chrétienne, a de nombreux points de contact avec l'illuminisme ésotérique, précisément de Martinès, de Pasqually et de Saint Martin, il se vantait d’être inspiré directement par le Saint-Esprit et de pouvoir atteindre par lui-même, d’icibas à la vision de l’Essence de Dieu. Enfin il y avait les Illuminés de Bavière, eux aussi maçons mais plus proches de l’illuminisme rationaliste. Nous ne devons pas nous étonner de voir, au XVIIIème siècle comme aujourd’hui, illuministes et illuminés, rationalistes et antirationalistes fréquenter les loges: il s’agit en effet, très souvent, de deux faces de la même médaille: le Luciférisme. L’“illuminisme” de l’époque maistrienne: Luciférisme et Satanisme En parlant du Luciférisme il faut préciser en quoi il se différencie du plus connu Satanisme. Pour les lucifériens, Lucifer est l’Ange porteur de lumière déchu, mais injustement condamné. Il est le “dieu” bon, réprouvé par le Dieu “mauvais” Adonaï, et ne s’identifie pas à Satan. Alors que le Satanisme n’accepte pas cette distinction. Pour lui Lucifer et Satan sont la même chose. Les satanistes sont ceux qui opèrent, consciemment, le mal au moyen de pratiques impies et obscènes. Tandis que les lucifériens se donnent des airs et une apparence de respectabilité, les satanistes admettent, sans hypocrisie, leur caractère mauvais, et par conséquent sont moins mauvais et dangereux que les lucifériens, et également moins orgueilleux. Pour la théologie catholique Satan et Lucifer sont la même réalité: le Diable ou l’Ange mauvais, alors que le Satanisme est le culte rendu à Satan. «Celui qui ne croit pas à Satan - écrit Mgr Antonino Romeo n’admet pas... le Satanisme. ... La superstition… la croyance indisciplinée... altèrent le concept de Satan... pour en faire une divinité mauvaise à servir ou avec qui s’entendre... De là... les sacrifices pour lui plaire, et les mille pratiques... toujours existantes (...). Chez les gnostiques... Satan... est exalté pour avoir revendiqué les droits de l’homme en révélant à Adam la “gnose” du bien et du mal, en enseignant la rébellion au commandement tyrannique du Créateur. Marcion se rangea à cette doctrine. (...) Les Caïnites... exaltaient comme libérateurs les grands rebelles à Dieu: Caïn, Esaü, Sodome, Coré, surtout Judas qui mérite un culte divin, pour avoir affranchi l’humanité de Jésus (...). Le culte de Satan se concentre dans les “messes noires” (...). La maçonnerie qui hérita des croyances et coutumes du gnosticisme caïni- 21 te constitue certainement le nid secret du Satanisme (...). Le spiritisme-occultisme et la théosophie… sont la religion… reçue de la maçonnerie (...). La rébellion satanique est le défi sacrilège à Dieu, ou affirmation héroïque du moi qui défend son absolue intégrité» (47). Comme on le voit, la bonne théologie, à la différence de l’ésotérisme, ne fait pas de distinctions substantielles entre lucifériens et satanistes. En effet l’ésotérisme consiste, essentiellement, dans l’effort de l’homme pour découvrir la divinité latente en lui-même. Mais celle-ci est l’essence du Luciférisme. Lucifer en effet, comme l’enseigne St Thomas, ne devint pas un démon (d’Ange qu’il était), parce qu’il «désira être égal à Dieu, car il savait, de connaissance naturelle, que c’était impossible. Tout individu, en effet, désire naturellement la conservation de son être, et cette conservation n’aurait pas lieu s’il se trouvait transformé en une autre nature. L’âne, par exemple, ne désire pas devenir cheval, car il cesserait d’être lui-même. Lucifer a voulu ressembler à Dieu en désirant comme fin ultime de sa béatitude ce à quoi il pouvait parvenir par ses forces naturelles, et en détournant son désir de la béatitude surnaturelle qu’il ne pouvait recevoir que de la grâce de Dieu» (48). Les initiés au contraire, véritables ânes qui prétendent devenir chevaux, et qui n’étant pas de purs esprits sont de purs… stupides, veulent se faire Dieu par eux-mêmes, en tombant dans la tentation de Satan; ils se jettent ainsi à corps perdu dans les brumes de l’ésotérisme pour se jeter ensuite, à Dieu ne plaise, en enfer pour toujours! Si quelqu’un les qualifie de “satanistes”, comme fit la RISS avec Evola, ils s’offusquent, peut-être parce qu’ils méprisent une forme vulgaire d’occultisme, qui est un certain type de Satanisme vulgaire qui répugne à nos initiés raffinés, lesquels ne méprisent certes pas le Luciférisme, à cela près qu’étant donné la limitation humaine, ils tombent dans l’erreur que Lucifer n’aurait jamais commise: vouloir se faire Dieu par luimême. Ainsi peut-être ne seront-ils pas des satanistes, mais des lucifériens. Pour l’ésotérisme l’homme est un “Deus absconditus”, mais tout le monde ne le sait pas. C’est la tâche de la gnose de faire arriver l’homme imparfait, exotérique ou non initié, à la connaissance ou prise de conscience de sa divinité latente et potentielle. L’illumina- tion devra libérer, ou faire passer de la puissance à l’acte, la parcelle de divinité, innée et cachée en tout homme. Pour arriver à cela, il y aurait, selon les initiés, certaines techniques secrètes, connues uniquement de quelques élus, et transmises de (grand)maître à (grand)maître, dans la chaîne des sociétés secrètes, par tradition orale. «A la fin du XVIIIème siècle… l’illuminisme ou, disait-on encore, mais dans un sens différent de celui d’aujourd’hui, la théosophie ( 49) avait assez d’importance pour qu’un Joseph de Maistre jugeât bon de consacrer à son étude la moitié de sa vie, essayant de hausser la “science de l’homme” jusqu’à un “christianisme transcendant” dépouillé de certaines exagérations. A côté de praticiens comme Mesmer, d’aventuriers comme Cagliostro, il y avait des mystiques fervents comme Saint-Martin» (50). De ce dernier Maistre parlera dans Les Soirées de Saint-Pétersbourg. “Un cours complet d’illuminisme”, c’est-àdire: le onzième entretien des Soirées de Saint-Pétersbourg (1809) Le onzième est le dernier entretien des Soirées, d’aucuns ont voulu le lire de manière à démontrer l’absolue orthodoxie de Maistre mûr, nonobstant son passé maçonnique. Maistre le définit, au contraire, en 1820, un an avant sa mort, “un cours complet d’illuminisme” (51); il me semble donc de mon devoir de le citer amplement. «On donne ce nom - dit le sénateur d’“illuminés” à ces hommes coupables [les Illuminés de Bavière] qui osèrent... organiser en Allemagne... l’affreux projet d’éteindre en Europe le Christianisme et la souveraineté. On donne ce même nom au disciple vertueux de Saint-Martin, qui ne professe pas seulement le Christianisme, mais qui ne travaille qu’à s’élever aux plus sublimes hauteurs de cette loi divine... il n’est jamais arrivé... de tomber dans une plus grande confusion d’idées. (...) Je ne puis entendre de sangfroid des étourdis... crier à l’illuminisme, au moindre mot qui passe leur intelligence... Plus que jamais nous devons nous occuper de ces hautes spéculations, car il faut nous tenir prêts pour un événement immense dans l’ordre divin [ce n’est pas par hasard que Guénon conclut Le roi du monde par cette même citation de Maistre et Julius Evola la 22 rapporte au commencement de Révolte contre le monde moderne, n.d.a.], vers lequel nous marchons avec une vitesse accélérée qui doit frapper tous les observateurs. Il n’y a plus de religion sur la terre: le genre humain ne peut demeurer dans cet état… “les temps sont arrivés”… croyez-vous que cet accord de tous les hommes puisse être méprisé?… Le matérialisme qui souille la philosophie de notre siècle, l’empêche de voir que la doctrine des esprits, et en particulier celle de l’esprit prophétique... est la mieux soutenue par la tradition la plus universelle. (...) Il sera démontré que les traditions antiques sont toutes vraies; que le Paganisme entier n’est qu’un système de vérités corrompues et déplacées; qu’il suffit… de les nettoyer et de les remettre à leur place pour les voir briller de tous leurs rayons. (...) Vous verrez si les “illuminés” ont tort d’envisager comme plus ou moins prochaine une troisième explosion de la toute-puissante bonté en faveur du genre humain… Ne blâmez pas les gens… qui voient, dans la révélation même, des raisons de prévoir une révélation de la révélation. Appelez, si vous voulez, ces hommes “illuminés”; je serai tout à fait d’accord avec vous, pourvu que vous prononciez le nom sérieusement. (...) Tout annonce “je ne sais quelle grande unité vers laquelle nous marchons à grands pas”. (...) Mais savons-nous ce qui nous attend nous-mêmes? Dieu sera avec nous “jusqu’à la fin des siècles”, “Les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre l’Eglise”… Fort bien! en résulte-t-il, je vous prie, que Dieu s’est interdit toute manifestation nouvelle, et qu’il ne lui est plus permis de nous apprendre rien au-delà de ce que nous savons? (...) Une nouvelle effusion du Saint-Esprit est désormais au rang des choses les plus raisonnablement attendues (...). Le comte répond: En premier lieu, je ne dis pas que tout “illuminé” soit francmaçon... leur dogme fondamental est que le Christianisme, tel que nous le connaissons aujourd’hui, n’est qu’une véritable “Loge bleue” faite pour le vulgaire; mais qu’il dépend de l’“homme de désir” de s’élever de grade en grade jusqu’aux connaissances sublimes, telles que les possédaient les premiers Chrétiens, qui étaient de véritables initiés. C’est ce que certains Allemands ont appelé le “Christianisme transcendental”. Cette doctrine est un mélange de platonisme, d’origénianisme et de philosophie her- Le duc de Brunswick métique, sur une base chrétienne. J’ai eu l’occasion de me convaincre… qu’une certaine classe de ces “illuminés” avait des grades supérieurs inconnus… qu’ils avaient même un culte et des prêtres qu’ils nommaient… cohen. Ce n’est pas… qu’il n’y ait réellement dans leurs ouvrages des choses vraies, raisonnables et touchantes, mais qui sont trop rachetées par ce qu’ils y ont mêlé de faux et de dangereux, surtout à cause de leur aversion pour toute autorité et hiérarchie sacerdotale. ...Le plus instruit, le plus sage et le plus élégant des théosophes modernes, Saint-Martin, dont les ouvrages furent le code des hommes dont je parle, participait cependant à ce caractère général. Il est mort sans avoir voulu recevoir un prêtre… il ne croyait point à la légitimité du sacerdoce chrétien… Je les ai beaucoup vus; j’ai copié leurs écrits de ma propre main. Ces hommes, parmi lesquels j’ai eu des amis, m’ont souvent édifié … Cette secte peut être utile dans les pays séparés de l’Eglise, parce qu’elle maintient le sentiment religieux… et le prépare pour la réunion» (52). Cet entretien résume et confirme l’interprétation d’un Maistre catholico-ésotérique; ses maîtres sont Platon, Fénelon, Origène. L’éditeur de la dernière édition des Soirées de Saint-Pétersbourg écrivit: «Attiré par des mystiques et des écrivains ésotériques, il ne 23 pouvait pas ne pas subir l’influence de ce… complexe “illuminisme” qui avait parmi ses maîtres Böhme, Swedenborg et Martinès de Pasqually, le maître et fondateur de cette école qui fut appelée martinésisme et dont fit partie un des auteurs que... Maistre cite souvent... Claude de Saint-Martin, “le philosophe inconnu” …qui exerça une influence notable sur la maçonnerie russe. Ce courant, toujours opérant est le martinisme. (...) La maçonnerie avait été jugée sévèrement en 1738 par Clément XII et en 1751 par Benoît XIV. Mais le comte savoyard… n’estimait pas dangereuses les sociétés secrètes. Il pensait au contraire [non sentire cum Ecclesia] qu’elles pourraient rendre à la religion catholique d’importants services, en contribuant à réunir les différentes Eglises chrétiennes grâce à l’approfondissement ésotérique des dogmes. (...) Son expérience maçonnique dura dix-sept ans: en 1791 la Loge de la Parfaite Sincérité… fut dissoute… A partir de ce moment Maistre, tout en continuant à fréquenter les milieux d’inspiration martiniste ou ésotérique, n’acceptera plus de rentrer dans la maçonnerie... Pour saisir la profonde et complexe personnalité de Joseph de Maistre, qui n’est pas réductible à la pure dimension politique, il est opportun de comprendre sa juvénile expérience maçonnique et sa réflexion religieuse… En effet il n’est pas seulement un des fondateurs de la pensée [politique] contre-révolutionnaire mais il est aussi et surtout un des maîtres du romantisme religieux et un des inspirateurs du mysticisme russe du dix-neuvième siècle. Le comte de Maistre a cru sérieusement à la fonction religieuse de la maçonnerie… Il soutient… que l’initiation maçonnique est essentiellement chrétienne et que la véritable origine de l’initiation doit être cherchée dans le christianisme des premiers temps, qui a restauré et étendu la tradition primitive. A la publication des Mémoires… de Barruel (1796-1799), où était dénoncé le “complot maçonnique”, Maistre réagit en écrivant que la maçonnerie n’était pas dangereuse en elle-même, et que seules quelques Loges, comme celle des Illuminés de Bavière, avaient pris une attitude [politiquement] révolutionnaire. En 1801 son jugement se modifia légèrement: bien que niant que la maçonnerie ait eu une fonction révolutionnaire, il admit la culpabilité de nombreux maçons… Mais la responsabilité… ne pouvait être im- putée à la maçonnerie en tant que telle. Quelques années après, en 1809, ...en écrivant le onzième entretien des Soirées de SaintPétersbourg, Maistre accepta la thèse du complot, en expliquant toutefois que la responsabilité en revenait aux Illuminés de Bavière qui s’étaient servis des Loges pour réaliser leur dessein révolutionnaire. Anticipant les thèses d’Augustin Cochin, il arriva enfin à écrire que peut-être la structure des Loges... avait permis aux clubs révolutionnaires de les transformer en centres d’organisation subversive. Cependant il voulut toujours distinguer entre maçonnerie en général et martinésistes et martinistes à qui il aurait reproché certaines vaines complaisances, en les défendant toutefois toujours de l’accusation d’être révolutionnaires… En lisant le dixième et le onzième entretien des Soirées de Saint-Pétersbourg… il apparaîtrait que Maistre ait changé d’opinion sur le “Christianisme transcendantal”… Le comte… dit: “tandis que les pieux disciples de Saint-Martin, dirigés, suivant la doctrine de leur maître… entreprennent de traverser les flots à la nage, je dormirai en paix dans cette barque [l’Eglise romaine]”… Mais le comte ne reflète pas complètement la pensée de l’auteur; le comte exprime au sénateur (incarnation de Maistre ésotérique) les objections qu’un catholique trop prudent pourrait faire aux théories du sénateur martiniste. Cependant à la fin de la discussion il admet la possibilité d’approfondir de manière ésotérique les dogmes à condition que les systèmes théosophiques... ne conduisent pas… au mépris (trop spontané) de l’autorité ecclésiastique. Il serait illégitime de soutenir que Joseph de Maistre ait été un martiniste pur. Il est cependant évident que son expérience juvénile ésotérique lui a offert la possibilité de reméditer la révélation chrétienne en une dimension féconde… Même après avoir fui la Savoie, envahie par les troupes françaises, il continua à fréquenter les milieux ésotériques, d’abord à Lausanne… puis en Russie. (...) En 1790... il lut les Reflections on the Revolution d’Edmund Burke... livre qui devint en peu de temps un des textes fondamentaux de la pensée conservatrice et qui contribuerait de manière déterminante à la formation de la pensée politique maistrienne. Burke critiquait la thèse selon laquelle la Révolution française était semblable à la révolution anglaise du siècle précédent. 24 D’après l’auteur anglais, au contraire, la seconde avait été une restauration des droits traditionnels et historiques, alors que la première refusait tout lien avec l’histoire nationale pour construire une société abstraite, basée sur le mythe de la raison pure» (53). De Maistre et Joachim de Flore Le moine cistercien médiéval Joachim de Flore a laissé derrière lui de nombreux disciples directs et indirects. On peut définir comme “joachimites” tous les auteurs qui annoncent, après cette époque [Nouvelle Alliance] de l’Eglise, une nouvelle époque caractérisée par une effusion plus abondante du Saint-Esprit et par une complète régénération des choses. Les dernières années du XVIIIème siècle et les premières du XIXème, pullulent de “mystiques-prophètes” qui annoncent un grand événement œcuménique, qui rénovera le Christianisme. En 1779 les “Illuminés d’Avignon”, annoncent le très proche avènement d’“un nouveau règne” (54). En 1791, Gombault prédit une “régénération universelle” (55). En 1797, les “Frères de St Jean évangéliste” publient un manifeste qui est un amalgame de Cabale et de tradition chrétienne. Saint-Georges de Marsais, annonce comme imminent l’avènement du “règne de l’Esprit”. Le christianisme serait une ombre, une figure préparatoire de la réalité, comme le fut l’Ancienne Alliance; le rôle du christianisme serait d’arriver à une Eglise œcuménique ou prophétique, une sorte de ‘Très nouvelle Alliance’ [ou ère du Saint-Esprit]. Parmi cette pléthore de faux mystiques, mérite d’être mentionné Karl von Eckartshausen (1752-1803), catholique qui professe un grand attachement à l’Eglise romaine, mais en même temps son traditionalisme ésotérique lui permet de croire aussi à une Eglise pneumatique, qui préparée par l’Eglise romaine, comme celle-ci fut préparée par l’ancienne Synagogue mosaïque, devra réunir tous les hommes. Dans son œuvre principale Die Wolke über dem Heiligthum (1802), il reprend la théorie des trois âges de Joachim de Flore, en restant dans l’ambiguïté: le troisième âge est-il dans le temps ou viendra-t-il seulement après la fin du monde? Joseph de Maistre est la figure la plus lucide et la plus intéressante de ce courant de pensée. D’aucuns veulent le présenter, de manière partisane, exclusivement comme le champion de la contre-révolution, celui qui a défini la révolution comme “satanique par essence”, mais ils occultent le fait qu’il avait aussi écrit: “L’Europe entière est dans une fermentation qui nous conduit à une révolution religieuse à jamais mémorable, et dont la révolution politique... ne fut que l’épouvantable préface. Pour nettoyer la place, il fallait des furieux; vous allez maintenant voir arriver l’architecte” (56). Quelques auteurs, ont vu dans le nom maçonnique Josephus a Floribus, que le jeune Maistre avait reçu dans la Loge de la Sincérité en 1778, une référence du Savoyard à Joachim de Flore, mais on ne peut en être certain, étant donné qu’est plus probable une allusion au blason de sa famille. Ce qui est sûr c’est que Maistre prophétise un “Grand Œuvre” c’est-à-dire “la révélation de la révélation” (expression typiquement joachimite), autrement dit le “christianisme transcendant” ou une époque œcuménique (57). Dès sa première œuvre véritable, les Considérations sur la France (1796), Maistre écrit: “Ou il va se former une nouvelle religion, ou le christianisme sera rajeuni de quelque manière extraordinaire” ( 58). Il penche pour la seconde hypothèse, mais l’optique dans laquelle il voit le “rajeunissement” du christianisme est originale pour un contrerévolutionnaire pur; en effet Maistre écrit: “Comment savons-nous qu’une grande révolution morale n’est pas commencée?” (59). En résumé à la Révolution progressiste et politique, “satanique dans son essence”, Maistre oppose une révolution morale ou spirituelle ou mystique, essentiellement bonne. Un “contre-révolutionnaire… révolutionnaire”... Chose étrange: un ‘contre-révolutionnaire... révolutionnaire’, semblerait impossible. Pas du tout! Puisque Maistre l’est sous deux aspects différents: contre-révolutionnaire politiquement et socialement et révolutionnaire religieusement ou mystiquement! Chose encore plus surprenante et éclairante, pour Maistre la révolution religieuse partira de l’Angleterre, vers laquelle il faut regarder avec confiance (60)! Il semble vraiment que Maistre soit le défenseur d’une évolution hétérogène du dogme et de l’Eglise catholique, c’est-à-dire 25 du passage de l’Eglise romaine à un Ordre Nouveau, infiniment supérieur, et désormais aux portes (on remarque que Maistre est mort en 1821, mais… “mille ans pour Dieu, sont comme un jour”...). Maistre écrit en effet à l’abbé de La Mennais, le 1er mai 1820, un an avant de mourir: “La société sera restaurée par l’Eglise. Mais sera-ce la même Eglise que celle que nous voyons aujourd’hui? Je me mets à genoux, plein d’espérance et de résignation...” (61). Résignation du conservateur politique, face à la révolution sociale qui avance, et espérance de l’ésotérique face à la révolution spirituelle désormais aux portes, qui devra restaurer le désordre causé par la première? Maistre est-il une sorte de Janus bicéphale, qui réussit à conjuguer traditionalisme et prophétisme, et qui regarde, avec une face remplie d’horreur vers les bouleversements socio-économico-politiques, tandis qu’avec l’autre face il contemple, “plein de confiance”, la nouvelle ère de l’Esprit? L’affinité entre Joachim de Flore et Josephus a Floribus (alias de Maistre) apparaît clairement dans le 11ème Entretien des Soirées de Saint-Pétersbourg, défini par Maistre lui-même comme «un cours complet d’‘illuminisme’» (62) dont j’ai déjà longuement traité. L’eschatologie maistrienne Nous avons vu que Maistre annonce une grande révolution religieuse, une nouvelle Révélation, une troisième ère, un rajeunissement du christianisme, grâce à l’ésotérisme, une nouvelle effusion du Saint-Esprit, une “révélation de la Révélation” de type joachimite. Puisque tout évolue, la religion aussi devra évoluer, mais quel sera le terme de cette évolution? «Dans le clergé, même régénéré par les épreuves de la persécution, Maistre trouvait du zèle et un certain esprit de conservation, mais non point la flamme créatrice [possédée seulement par les initiés ou par les prophètes, n.d.a.]» (63). Au milieu de la catastrophe révolutionnaire, «Maistre ne voit place que pour deux hypothèses: ou bien il va se former une religion nouvelle, ou bien le christianisme sera rajeuni de quelque manière extraordinaire... Il se prononce pour la seconde. Mais... il ne s’agit pas seulement d’une modernisation de l’Eglise… mais d’une nouvelle effusion de l’Esprit-Saint... Il ne s’agissait pas à son avis d’une religion à proprement parler nouvelle, mais d’une nouvelle forme de la religion éternelle» ( 64). L’humanité retournera à l’état de justice originelle «le monde sera purifié par le feu... sur la Terre nouvelle, l’humanité régénérée revivra dans l’unité et dans la paix, et alors commencera le règne éternel de Dieu sur la Terre, dans la sainteté primitive, avec Jérusalem comme métropole… et le retour d’Israël en Palestine» (65). Il apparaît vraiment que le Savoyard dans ses manuscrits, cités scrupuleusement par Dermenghem, défende une eschatologie millénariste. Le millénarisme est une «erreur eschatologique, selon laquelle Jésus... doit régner visiblement mille ans sur cette terre, à la fin du monde. On l’appela aussi chiliasme… Le point capital, sur lequel les millénaristes se divisent, est constitué par les plaisirs, qui d’après certains seraient de nature sensuelle (millénarisme charnel), d’après d’autres d’ordre spirituel (millénarisme spirituel). Le millénarisme charnel est d’origine juive. Selon une antique tradition rabbinique l’histoire du monde doit se terminer dans sept mille ans, dont les six premiers représenteraient la première partie de la semaine mosaïque (l’âge pre-messianique), la dernière le samedi, le millénaire du repos et de la fête, dans lequel se serait instauré le règne messianique, dans la jouissance pacifique de tous les biens temporels (richesses, soumission de tous les peuples, triomphe d’Israël)… le millénarisme spirituel [parle] d’un règne plein de joies spirituelles même si riche de biens temporels. (...) Au moyen-âge se vérifia un retour fanatique à cette idéologie chez Joachim de Flore… Le millénarisme charnel, étant diamétralement opposé à l’esprit chrétien... fut rejeté dès sa naissance comme une hérésie... Même le millénarisme spirituel, qui fascina tant d’intelligences, n’a pas de fondement; au contraire, il est directement opposé à l’enseignement des symboles de la foi... dans lesquels on ne parle que de deux venues du Christ, celle in humilitate et celle in gloria, dans le but de procéder au jugement universel, auquel fera suite immédiatement la rétribution pour chacun… Dans cette perspective le millénarisme ne peut avoir lieu. Tant et tant d’arguments bibliques et patristiques ont amené les plus sérieux théologiens (St 26 Thomas, St Robert Bellarmin) à considérer le millénarisme mitigé comme téméraire, même erroné. Récemment le Saint-Office (21 juillet 1944) a déclaré: “Le système du millénarisme mitigé ne peut être enseigné avec sûreté”… En rapport avec le millénarisme est la théorie de l’âge d’or de l’Eglise... dans lequel... la Papauté et l’autoritarisme des gouvernements dictatoriaux étant détruits, une démocratie universelle civile-religieuse sera établie, dans laquelle les citoyens jouiront d’une paix durable qui ne sera troublée par aucun mal physique et moral... au XIXème siècle elle fut largement diffusée en Angleterre... Quelque peu différent est le système... défendu par le chanoine E. A. Chaubaty... A la fin du monde les hommes présents aux cataclysmes prévus par la Sainte Ecriture survivront à la conflagration universelle et donneront naissance à une descendance pure, sans péché originel, destinée à construire la nouvelle Jérusalem, où régnera visiblement Jésus-Christ, aidé de son Vicaire, le Pape. Ces conceptions sont fondamentalement erronées puisque contraires au concept évangélique du règne de Dieu sur terre, dans lequel il y aura toujours des souffrances... et des imperfections» (66). Maistre, Marie des Vallées et le millénarisme joachimite Dans ce chapitre je voudrais mettre en lumière le développement qui a été donné récemment au côté joachimite de la pensée maistrienne, lue à la lumière des messages Marie des Vallées assiste à la Messe de St Jean Eudes d’une voyante qui parlait elle aussi d’une troisième ère: Marie des Vallées. Sa pensée n’est pas ouvertement joachimite, mais peut être lue de ce point de vue. Ce n’est pas un hasard si l’auteur de Joseph de Maistre mystique Emile Dermenghem a également écrit un autre livre intéressant: La vie admirable et les révélations de Marie des Vallées (Plon, Paris 1926). Ceci est significatif puisque certains mouvements catholico-ésotérico-traditionalistes (présents aussi en Italie et au-delà de l’Océan, comme la TFP, Alleanza Cattolica, etc...), philo anglo-américains, conservateurs anti-communistes et latifundistes, se fondent aujourd’hui sur Marie des Vallées ( 67), sur Maistre et sur le message de Fatima, lu d’un point de vue temporel, pour exposer une troisième époque millénariste, en masquant le tout sous l’autorité d’un grand Saint, Louis-Marie Grignion de Montfort, qui connut et se servit des révélations de Marie des Vallées, mais sans aucune interprétation millénariste. Quand Montfort, dans le Traité de la vraie dévotion à la Sainte Vierge (VD), dans le Secret de Marie, et dans la Prière embrasée, nous parle des derniers temps, comme époque où croîtra l’influence de Marie et du Saint-Esprit, il parle aussi d’une seconde venue de Dieu qui sera préparée par Marie. Or, il faut savoir qu’«à l’époque de la béatification de Grignion de Montfort, le premier censeur de ses écrits avança des réserves à propos du second avènement de JésusChrist: “… Jésus-Christ - écrivait le censeur d’après le Symbole de notre Foi, viendra de nouveau, non pour être connu, aimé et servi, mais pour juger les vivants et les morts. Je ne comprends pas bien de quelle manière Marie sera la future voie par laquelle Jésus viendra la seconde fois...”. En ce cas le censeur interprète très clairement que le second avènement de Jésus-Christ sera la Parousie du Juge suprême selon ce que dit le Credo: Et iterum venturus est judicare vivos et mortuos. Et puisque la venue finale du Christ sera imprévue (Act. I, 11), il ne comprend pas comment Marie pourra la préparer. La réponse que J. Rosatini et F. Mercurelli donnent au premier censeur (et, en substance, aussi au troisième) déplace l’attention de l’eschatologie au temps de l’Eglise, en présentant la seconde venue du Christ en un sens spirituel. Il n’est pas difficile alors de faire des considéra- 27 tions sur le rôle que peut avoir Marie: “L’auteur parle du règne du Christ en ce monde, celui que nous aurons dans nos cœurs par la Foi... quand “il y aura un seul troupeau sous un seul pasteur”. Or il nous semble que Dieu a décrété que ceci adviendrait par l’intermédiaire de Marie; elle seule “écrasera toutes les hérésies dans le monde entier”. Sans insister sur le fait que les deux auteurs passent sur l’évidence que Marie devra préparer le Règne du Christ, nous considérons que leur interprétation identifie la seconde venue du Christ avec son règne spirituel, qui se réalise en ce monde, et parfaitement dans l’Autre… [après la fin du monde, au Paradis, n.d.a.]» (68). En 1918, dans un large commentaire du Traité, le père monfortain Hubert-Marie Gebhard exclut que la seconde venue de Jésus dont parle Montfort doive se placer au Jugement final. Non, dit-il, il s’agit pour Montfort de la venue de Jésus au milieu des hommes au moyen de la grâce, dont Marie est la dispensatrice et la trésorière. Cette seconde venue, commence tout de suite après l’Avènement du Christ en ce monde, avec son Incarnation et sa Naissance, et durera jusqu’à la fin du monde où Jésus reviendra physiquement et corporellement sur ce monde pour juger les vivants et les morts. En 1853, le troisième censeur des écrits de Montfort, repousse l’idée que le second avènement de Jésus indique un ‘très heureux état futur de l’Eglise’, comme l’entendaient certains défenseurs de la cause monfortaine, qui se référaient à Gaudence, en qui à l’inverse le censeur voit l’erreur du millénarisme, erreur que le troisième censeur n’attribue cependant pas à Montfort mais à certains de ses commentateurs. «Rosatini et Mercurelli assument la charge de libérer Montfort du soupçon de millénarisme; ils soutiennent que tant St Gaudence que Montfort sont loin de parler de “ce règne corporel et temporel du Christ auquel se réfèrent les Chiliastes”, et admettent, avant le jugement universel, seulement un règne (ou venue) du Christ d’ordre spirituel. En 1966 entre en lice... Louis Pérouas (...) [qui met] en comparaison Montfort avec des groupes hétérodoxes dans lesquels se retrouvent “divers éléments que la sociologie religieuse appelle millénarisme marial: assurance du renouveau de l’Eglise au moyen d’un salut terrestre, total, magique, imminent, qui serait donnée par la Vierge Marie”» (69). Un sociologue, J. Séguy, veut voir en St Louis de Montfort une ombre de millénarisme, mais le célèbre mariologue René Laurentin, dans son livre Dieu seul est ma tendresse (Œil, Paris 1984), «rejette de manière décisive l’étiquette de millénariste que Séguy attribue à Montfort... [et] ne considère pas en outre que Montfort puisse être situé dans le sillage joachimite» (70). Il faut préciser en effet que le saint écrit: “Dieu viendra une seconde fois... pour régner partout” (Secret de Marie, 58). Il dit ‘Dieu’ et non ‘Jésus’: ce qui fait entendre que le Saint ne fait pas référence à la Parousie, mais à la venue spirituelle de Dieu en ce monde et dans les âmes des justes et dans la société, grâce à l’intercession de Marie! Montfort n’a rien de commun avec le joachimisme. «La particularité de Joachim de Flore est la conception de la Troisième ère comme perfectionnement remplaçant [sans détruire] Jésus-Christ et l’Eglise» (71). Pour Joachim la troisième ère est constituée de trois ordres “hiérarchiques”, l’Ordo coniugalis, clericalis et spiritualis; le troisième étant supérieur au sacerdoce de la Nouvelle et Eternelle Alliance (en bref: ni prêtres, ni époux, mais croisés du XXème siècle, comme certains répètent encore aujourd’hui!). Le très célèbre historien de l’Eglise, Mgr Umberto Benigni, parle aussi du millénarisme mystique, qui est caractérisé par la ‘foi’ dans “l’Evangile éternel... ou super-évangile” que serait le “Très nouveau Testament” de la troisième ère du Saint-Esprit. Alors que la première ère (Ancien Testament) est celle du Père et la seconde (Nouveau Testament) est celle du Fils. Selon Mgr Benigni, Joachim de Flore est un millénariste mystique. Le Joachimisme porterait au “Libre Esprit” (très différent de la Libre Pensée) ou “Illumination” qui ne serait rien d’autre qu’une “vieille escroquerie tentée dès les premiers temps contre la Hiérarchie” (cf. U. BENIGNI, Storia sociale della Eglise, Vallardi, Milano 1922, vol. V, pp. 497 et 554). Concernant Montfort, «on constate avec surprise que les éditeurs des Œuvres complètes de Montfort, avares d’informations dans l’indication des sources auxquelles le Saint a puisé pour parler des derniers temps, se contentent d’en identifier trois (celles auxquelles renvoie le texte de Montfort): la vie de Marie des Vallées écrite par M. de Renty (Traité de la Vraie Dévotion à la Sainte Vierge, 28 47), le Tractatus de vita spirituali de St Vincent Ferrier (VD 48) et la vie du père Rigoleuc (VD 217) (...). La principale inspiratrice de Montfort par rapport à cette perspective particulière reste la «“Sainte de Coutances”, Marie des Vallées (1590-1656), dont il a lu la vie écrite par M. de Renty (VD 47)... Montfort certainement emprunta à Marie des Vallées le scénario des derniers temps, qui inclut le passage du règne du péché... au règne de la grâce au moyen … de Jésus-Christ avant sa venue pour juger le monde» (72). Il y a certainement des dépendances et des ressemblances entre le Saint et la voyante de Coutances, mais il y a aussi beaucoup de différences. «On se rend compte que Montfort respire un air très différent - certainement plus théologique - que celui de Marie des Vallées... En conclusion, Montfort se révèle un homme ouvert aux grands horizons de l’histoire du salut ...Sur les bases - non également solides des révélations privées, de la Bible et de son charisme théologico-prophétique, il voit les derniers temps comme “règne de l’Esprit, du Père et du Fils”...» (73). Montfort prédit seulement un accroissement de sainteté dans la phase finale de l’histoire, c’est pourquoi l’on peut affirmer avec certitude (qui nous vient aussi de la canonisation de Montfort, qui en garantit, infailliblement la parfaite orthodoxie), que «Montfort n’est ni millénariste ni joachimite» (74). Ce qu’il n’est pas possible de concéder à certains courants de type fondamentalistemaistrien-ésotérique, est de s’appuyer sur Montfort pour promouvoir une attitude de millénarisme déguisé et protégé par l’autorité du Saint. Mais voyons, rapidement, quel est le message eschatologique de Marie des Vallées. «L’attente d’une rénovation collective qui est l’un des thèmes principaux des visions de Marie des Vallées... Son idéal était... la destruction du Péché… l’anéantissement du mal moral, la conversion générale... du temps auquel le Saint-Esprit mettra le feu de l’Amour divin par toute la terre, et qu’il fera son déluge... Le premier déluge est celui du Père éternel, qui a été un déluge d’eau; le second est celui du Fils, qui a été un déluge de sang; le troisième est celui du Saint-Esprit qui sera un déluge de feu. (...) Notre-Seigneur dit à Marie des Vallées qu’en la Conversion Générale les âmes ne pécheraient plus. (...) La grande désolation anéantira tous les Péchés de la Terre... c’est la destruction du Péché et la conversion générale des âmes que Dieu opère en sœur Marie (...). Le 21 novembre 1645 Marie fut appelée à devenir l’instrument de la destruction totale du Péché (...). La Grande Tribulation sera suivie d’une effusion de grâces. Le Péché détruit, tout le monde se convertira (...). La terre sera peuplée de saints... Il n’y aura plus de péchés mortels. Les vertus auront vaincu tous les vices» (75). Le lecteur comprendra facilement que ce type de révélations privées est susceptible lui aussi d’une interprétation millénariste, mais cela ne signifie pas que la voyante ellemême le fut. En effet St Jean Eudes (16101680), canonisé par Pie XI en 1925, qui fut son directeur spirituel pendant quinze ans jusqu’à sa mort, l’estimait profondément et St Louis de Montfort (comme nous l’avons déjà vu) se fondit sur ses révélations pour annoncer l’ère de Marie, d’un point de vue catholique et absolument pas millénariste. Cependant, les révélations de la Voyante de Coutances, lues dans une optique maistrienne, joachimite ou ésotérique, peuvent être interprétées de manière millénariste et ésotérique, comme de nos jours, en se cachant derrière la sainteté canonisée de Montfort, font certaines associations dont j’ai déjà parlé. Conclusion Tous les traités sérieux sur Maistre, y compris les plus récents (par exemple l’Enciclopedia Cattolica, la Treccani, la Grande Antologia Filosofica della Marzorati, le Dizionario Enciclopedico di Filosofia dell’Istituto filosofico di Gallarate et même Domenico Fisichella) citent Dermenghem comme chercheur faisant autorité. Il m’a semblé de mon devoir, par conséquent, de prendre en considération ses pages, de les étudier attentivement et de manière critique, et de ne pas les liquider en deux lignes, comme il a été fait par ceux qui ont intérêt à occulter le côté ésotérique de Maistre. Je veux parler de ces mouvements de la droite catholique viscéralement anti-communiste et élitiste, qui présentent comme maîtres de la contre-révolution deux francs-maçons tels que Burke et Maistre, sympathisants des révolutions anglaise et américaine, et qui atten- 29 dent une “ère de Marie” lue de façon millénariste. Des personnages représentatifs de ces mouvements sont issus des expériences guénoniennes, évoliennes, zolliennes, mordiniennes, ou ont répandu la pensée de Servier et Schuon; et on ne peut exclure que - de manière plus occulte que par le passé - ces influences persistent encore aujourd’hui. Pour ce qui me concerne, je veux m’en tenir à ce qui est sûr, et je me fonde sur le jugement que les théologiens catholiques approuvés et sérieux ont porté sur Maistre, qui est le plus masqué de ces auteurs, qui au contraire sont ouvertement ésotériques et ne peuvent mordre que celui qui veut bien l’être. Latrare potest, mordere non potest, nisi volentem, disait St Augustin (Sermon 192) du diable, qui est comme un chien attaché à une chaîne, qui peut aboyer mais ne peut pas mordre, à moins que l’on ne s’approche trop pour vouloir être mordu. Maistre ressemble plutôt à un chat qu’à un chien: si l’on s’approche de lui sans les précautions qui s’imposent on risque d’être mordu ou griffé. L’Enciclopedia Cattolica, par exemple, est assez sévère sur le Savoyard: «J. de Maistre ressentit... profondément l’influence de la pensée contemporaine. Illuministe... est aussi la curiosité qui le pousse vers le monde maçonnique... Mais audelà de l’enfantillage des loges bleues, il parvient à tisser des liens avec le groupe des “illuminés” de Lyon, qui, à travers Willermoz, aboutit à Martinès de Pasqually. (...) Dans le Mémoire au duc de Brunswick, de 1782, Maistre déclare son idéal d’“illuminé”: arriver à l’unification des Eglises chrétiennes, à travers une sorte de diplomatie secrète maçonnique; il accepte l’idée gnostico-martiniste d’une révélation primitive... Les thèses pessimistes sur la dégénérescence irréparable, auxquelles s’allie la nécessité de l’ésotérisme, de la “tradition secrète” (idée teintée pourtant d’aristocratisme mystico-intellectualiste) n’excluent pas le rêve... d’un renouveau imminent de l’unité catholique, vainqueur de l’incrédulité du siècle, mais également de l’intolérance et de l’“orgueil théologique” (...). Il accorde beaucoup de confiance aux adversaires, spécialement aux saint-simoniens et à Comte» (76). Même le célèbre théologien dominicain Reginald Garrigou-Lagrange, qui cite JeanMichel-Alfred Vacant (Etudes sur le Concile du Vatican I), écrit: «Joseph de Maistre est communément regardé comme le précurseur du traditionalisme. Ses ouvrages le contiennent en effet en germe... Mais le véritable père du traditionalisme est le vicomte de Bonald» (77). Roma locuta est, causa finita est! Quant à moi, je préfère voyager en sûreté, en suivant la doctrine catholique publique ou “exotérique”, laissant à d’autres la doctrine prophético-initiatique. Notes 1) Dans Les Soirées de Saint-Pétersbourg de Maistre expose les vérités fondamentales sur la Providence et le christianisme en général, avec des termes et des concepts qui se fondent sur la tradition platonico-chrétienne, mais en même temps il se sert aussi de la réflexion ésotérique, surtout de Louis-Claude de Saint-Martin. «Saint-Martin (1743-1803), [est] un de ces mystiques que ne condamne pas la raison, mais qui leur reconnaît la capacité de pouvoir collaborer, profitablement à la recherche de la Vérité. Pour lui Dieu peut être connu aussi rationnellement. Il y a deux Portes pour réaliser cela: celle du cœur et celle de l’esprit et les deux, présupposent que Dieu se trouve dans l’homme» (Dizionario dell’esoterismo e delle religioni, ConvivioNardini, Firenze 1992, p. 221). «Saint Martin, disciple de Martinès..., fondateur du Martinisme, cherche une initiation à travers laquelle nous pouvons entrer dans le cœur de Dieu et faire en sorte que Dieu entre dans notre cœur... Saint-Martin transmit à quelques disciples choisis le grade de Supérieur Inconnu qu’il avait reçu de son maître Martinès» (L. TROISI, Dizionario massonico, Bastogi, Foggia, s. d., p. 244). Il existe un autre personnage à qui de Maistre doit beaucoup: Jean-Baptiste Willermoz (1730-1824) «assoiffé d’expériences plutôt que de connaissances maçonniques, il avait rencontré en 1767 Martinès de Pasqually, ...il fut un fervent des loges régulières françaises, des chapitres templiers allemands de la Stricte Observance, des Philalèthes, et la personnalité dominante des Elus Coens» (A. MELLOR, Dictionnaire de la Franc-Maçonnerie et des Francs-Maçons, Belfond, Paris 1979, p. 316). Je parlerai ensuite, de manière plus approfondie, de ces trois personnages. 2) J. DE MAISTRE, Les soirées de Saint-Pétersbourg, Librairie Vitte et Perrussel, Lyon 1886, tome II, p. 119. 3) E. DERMENGHEM, Joseph de Maistre, mystique, La Connaissance, Paris 1923; 2° éd., La Colombe, Paris 1946. (Il y a encore un autre ouvrage, sur le maçonnisme de Maistre, mais de moindre valeur, P. V ULLIAUD , Joseph de Maistre franc-maçon, 1926). 4) E. DERMENGHEM, op. cit., p. 8. 5) A. MORDINI, Il Tempio del Cristianesimo, 2° éd., Edizioni Settecolori, Vibo Valenzia 1979, p. 142. 6) E. DERMENGHEM, op. cit., p. 9. 7) Ibidem. 8) V. M ESSORI , Qualche ragione per credere, Mondadori, Milano 1997, pp. 39-40. 9) A. FAIVRE, Ecrits maçonniques de J. de Maistre..., p. 9. 10) A. FAIVRE, op. cit., p. 11. 11) J. DE MAISTRE, Mémoire au duc de Brunswick, cit. in Ecrits maçonniques de Joseph de Maistre, éd. Slatkine, Genève 1983, p. 113. Le chevalier André-Michel de Ramsay 12) Ibidem, note 69, pp. 113-114. 13) Cf. Notice biographique du comte J. de Maistre, in introduction aux Lettres et opuscules inédits du comte J. de Maistre, Paris, Vaton, 1851. 14) A. FAIVRE, op. cit., p. 14. 15) A. FAIVRE, op. cit., p. 18. 16) A. FAIVRE, op. cit., p. 20. 17) A. FAIVRE, in Ecrits maçonniques de Joseph de Maistre, éd. Slatkine, Genève 1983, p. 15. 18) Rubrique ‘Fénelon’, in Enciclopedia Cattolica, Città del Vaticano 1950, Vol. V, col. 1148-49. 19) P. P ARENTE - A. P IOLANTI - S. G AROFALO , Dizionario di Teologia dommatica, Studium, Roma 1957 (4ème éd.), pp. 342-344. 20) C. F RANCOVICH , Storia della maçonnerie in Italia. Dalle origini alla Rivoluzione francese, La Nuova Italia Scandicci (Firenze) 1989, pp. 24-25. 21) A. MELLOR, Dictionnaire de la Franc-Maçonnerie et des Francs-Maçons, Belfond, Paris 1989, p. 303. 22) P. CHEVALLIER, Histoire de la Franc-Maçonnerie française, Fayard, Paris 1974, p. 80. Les lois noachiques auxquelles faisait référence Ramsay sont «les sept lois que les gentils doivent observer, basées sur l'interprétation rabbinique du commandement donné à Adam et du pacte avec Noé après le déluge. (...) Les descendants de Noé ne doivent pas pratiquer l’idolâtrie (...). Si les gentils transgressent ces lois, ils pourraient en théorie être punis de la peine de mort. Les autres lois de la Torah lient uniquement les juifs et non les gentils (...). L’observance du shabbat et l’étude de la Torah [sont] toutes deux interdites aux non juifs (...). En général les musulmans sont considérés comme disciples des lois noachiques, alors que des doutes ont été exprimés sur le culte chrétien de Jésus, considéré comme une pratique idolâtrique [et donc passible de la mort]» (A. UNTERMAN, Dizionario di usi e leggende ebraiche, Laterza, Bari 1994, pp. 211-212). Dans la deuxième édition des Constitutions de la maçonnerie d’Anderson (1738) il est écrit que “le maçon est tenu d’observer la loi morale comme un vrai noachique” (A. MELLOR, Dictionnaire de la Franc-Maçonnerie et des Francs-Maçons, Belfond, Paris 1989, p. 174). 23) C. FRANCOVICH, op. cit.,, pp. 244-246. 24) E. DERMENGHEM, op. cit., pp. 44-45. 25) Dermenghem, utilise le mot “mystique” et “mys- ticisme” dans un sens impropre. Pour lui, “mystique” équivaut à “initiation ésotérique”, alors que pour la théologie catholique la mystique est la troisième étape de la vie spirituelle, qui présuppose l'ascétique, laquelle se subdivise en deux voies: la voie purgative (élimination du péché mortel et méditation discursive dans laquelle prédominent les considérations de la raison) et la voie illuminative (imitation des vertus du Christ et méditation affective, dans laquelle prédominent les actes de la volonté aidée par la grâce). Grâce à l’actuation habituelle et prédominante des Dons de l’Esprit-Saint, qui perfectionnent les Vertus infuses quant au mode d’agir: c’est-àdire en leur donnant l’héroïcité ou la surhumanité aussi quant au mode de les vivre, la vraie mystique nous fait parvenir, par pur don gratuit de Dieu, auquel il faut correspondre, à l’union avec Dieu Lui-même tout en restant essentiellement distincts de Lui. Il ne faut pas la confondre avec les charismes ou les phénomènes extraordinaires de la vie spirituelle, les grâces ‘gratis datæ’ ou phénomènes mystiques extraordinaires; elle est seulement le développement de la vie de la grâce habituelle, à laquelle tous sont appelés, même si tous n’y parviennent pas parce qu’ils ne correspondent pas aux dons de Dieu. 26) E. DERMENGHEM, op. cit., p. 22. Dermenghem réfute la thèse d’un de Maistre maurrassien ante litteram, qui verrait dans le catholicisme un instrumentum regni pour la grandeur de la France et de la monarchie, pour souligner plutôt son mysticisme. Mais, comme nous l’avons vu à la note précédente, le “mysticisme” de Maistre est, en réalité, “ésotérisme”. 27) E. DERMENGHEM, op. cit., p. 35. 28) Ibidem, p. 36. 29) Ibidem. 30) Ibidem, p. 63. 31) Ibidem, p. 66. 32) Ibidem, p. 67. 33) Ibidem, p. 68. 34) Ibidem, p. 76. 35) C. FRANCOVICH, Storia della maçonnerie in Italia. La Nuova Italia, Scandicci (FI), 1989, pp. 341-342. 36) G. GOYAU, La pensée religieuse de Joseph de Maistre. D’après des documents inédits, Perrin, Paris 1921, pp. 13-14; et 56-57. 37) E. DERMENGHEM, op. cit., p. 71. 38) Ibidem, p. 87. 39) Ibidem, pp. 90-91. Cf. Lettre du 4 (16) mai 1817, Œuvres compl., t. 14, p. 97. 40) Lettre au comte de Bray, 1814, Œuvres compl., t. 13; pp. 28-29. 41) E. DERMENGHEM, op. cit., pp. 94-95. 42) Comme Roberto De Mattei le fait en écrivant: «Une lecture “martiniste” arbitraire de Maistre a été encouragée par les études d’Emile Dermenghem, Joseph de Maistre mystique... Sur ce modèle plus que discutable se range l’édition critique de l’Essai, par Triomphe pour l’Université de Strasbourg..., par la même perspective est détériorée l’introduction à la bonne traduction italienne des Soirées de SaintPétersbourg, Rusconi, Milano 1971» R. DE MATTEI, Saggio sul principio generatore delle costituzioni politiche e delle altre istituzioni umane, Scheiwiller, Milano 1975, pp. 13-14. 43) E. DERMENGHEM, op. cit. p. 96. 44) Lettre inédite du 28 novembre/10 décembre 1816, citée par Amédée de Margerie, Le comte Joseph de Maistre, 1882, p. 431. 31 Cf. Œuvres complètes..., Vitte et Perrussel, Lyon 1884-1886, t. 8, pp. 325-336 et 344. 45) E. DERMENGHEM, op. cit., p. 38. 46) AA. VV., Dizionario enciclopedico di spiritualità, Città Nuova, Roma 1990, vol. II, p. 1263. 47) Enciclopedia Cattolica, rubrique Satanismo, Città del Vaticano 1953, vol. X , col. 1953-1960. 48) S. T. , I, q. 63, a. 3. 49) «Théosophie: terme grec qui signifie “Sagesse de Dieu” et indique une doctrine caractérisée par un mysticisme accentué et également par la pratique des phénomènes de divination et de télépathie... Pour les théosophes... il n’est possible d’acquérir la Vérité qu’aux seuls aux initiés, pour ensuite la transmettre aux profanes. (...) Prend aussi le nom de Théosophie [moderne] une doctrine... qui a beaucoup d’adeptes surtout aux USA. Elena Blavatsky (1831-1891) en fut la fondatrice» (L. TROISI, Dizionario massonico, Bastogi, Foggia s. d., pp. 393-394). 50) E. DERMENGHEM, op. cit., p. 40. 51) Cf. note 62. 52) J. DE MAISTRE, Les soirées de Saint-Pétersbourg, op. cit., pp. 227-249. 53) A. C ATTABIANI , Introduzione a Le serate di Pietroburgo, Rusconi, Milano 1971, pp. XVIII-XXXVIII. 54) Cahiers des Illuminés d’Avignon, 22 mai 1779. 55) Lettre à Reuterhom, 7 juin 1791. 56) Au comte de Bray, 16 janvier 1815; in Œuvres complètes, Vitte et Russel (14 vol.), Lyon 1886, t. 13, p. 27. 57) Cf. Mémoire au Duc de Brunswick, pp. 84, 102105, 111. 58) Considérations, ch. 5, in Œuvres complètes, t. 1, Lyon 1884, p. 61. 59) Ibidem. 60) Considérations, ch. 2, p. 23. 61) Œuvres..., t. 14, p. 229. 62) Lettre à J. Deplace, 11 décembre 1820, publiée par M. LATREILLE, Revue Bleue, mars 1912, p. 396. 63) E. DERMENGHEM, op. cit., p. 284. Cf. Lettre au comte de Vallaise, octobre 1815, Œuvres compl., t. 13, p. 163. 64) Ibidem, pp. 284-285. Cf. Soirées, 11ème Entretien. 65) E. DERMENGHEM, op. cit., pp. 288-289. 66) A. P IOLANTI , rubrique Millenarismo, in “Enciclopedia Cattolica”, Città del Vaticano 1952, vol. VIII, col. 1007-1010. 67) Le professeur Plinio Corrêa De Oliveira a écrit un article sur Montfort, rapporté par Cristianità (organe officiel de Alleanza Cattolica), dans lequel il écrit: «A cette époque [le Règne de Marie, n.d.a.]... la très Sainte Vierge règnera sur l’humanité à travers les institutions [non à travers l’Eglise romaine? n.d.a.] dans le but qu’elle aura choisi. A propos de cette perspective... nous trouvons dans l’œuvre de saint Louis-Marie Grignion de Montfort certaines allusions (...) le Règne du Saint-Esprit qu’il identifie au Règne de Marie... Nous pouvons donc dire que... Montfort... surtout avec son autorité de saint canonisé... donne poids, autorité, consistance aux espérances qui brillent dans de nombreuses révélations privées [voir Marie des Vallées, n.d.a.]». (Cf. Plinio Corrêa De Oliveira, La devozione mariana e l'apostolato contro-rivoluzionario, in Cristianità, n° 8, nov.-déc. 1974, p. 6). Moi-même, ayant fréquenté la T.F.P., étant jeune, ai entendu parler de l’ère de Marie lue à la lumière des visions de Marie des Vallées, considérée comme un “précurseur” de la troisième ère. 68) S. DE FIORES, Lo Spirito Santo e Maria negli ultimi tempi secondo Grignion de Montfort, in AA. VV., Maria e la fine dei tempi, Città Nuova, Roma 1994, pp. 180-182. 69) Ibidem, p. 185. 70) Ibidem, p. 188. 71) Ibidem, p. 192. 72) Ibidem, p. 197. 73) Ibidem, pp. 198-199. 74) Ibidem, p. 212. 75) E. DERMENGHEM, La vie admirable et les révélations de Marie des Vallées, Plon, Paris 1926, pp. 210-238. Dermenghem se fonde sur le manuscrit de M. DE RENTY, Mémoire d’une admirable conduite de Dieu sur une âme particulière appelée Marie de Coutances, Manuscrit de la Bibliothèque Mazarine, n° 3177. Actuellement on peut trouver dans le commerce une brève vie de la voyante: I. H AUSMANN , M arie des Vallées. Ame expiatrice pour le temps de la conversion générale, Résiac, Montsûrs 1992. 76) Enciclopedia Cattolica, rubrique Maistre, Città del Vaticano 1951, vol VII, col. 1871-1872. 77) R. GARRIGOU-LAGRANGE, De Revelatione, Roma-Parigi, Ferrari-Gabalda, 1921, 2ème éd., vol. I, p. 405. Il faut faire une distinction: LA TRADITION est la Parole de Dieu, concernant la foi et la morale, non écrite, dans les Livres inspirés et canoniques, mais transmise de vive voix par le Christ aux Apôtres et par ceux-ci à leurs successeurs jusqu’à nous et jusqu’à la fin du monde. Les protestants considèrent que la Sainte Ecriture (les Livres inspirés), contient toute la Révélation faite par Dieu, par conséquent nient l’existence de la Tradition orale et s’en tiennent à la seule Ecriture. Le Concile de Trente au contraire a défini que la doctrine concernant la foi et la morale “est contenue tant dans les livres écrits, que dans les traditions non écrites” (sess. 4), et déclara recevoir avec “un pareil respect et une égale piété” tant l’Ecriture que la Tradition, étant toutes deux sources de la Révélation. Toute l’antiquité chrétienne vénère comme canal qui transmet la Parole de Dieu, tant l’Ecriture que la Tradition orale. En d’autres termes, la Parole de Dieu nous parvient au moyen de la Sainte Ecriture et de la Tradition. Jésus, en effet, prêcha, n’écrivit rien et confia à ses Apôtres la mission de prêcher oralement et non d’écrire ce qu’ils avaient entendu de Lui (Tradition divine) ou ce qu’ils apprendraient des suggestions du SaintEsprit (Tradition divino-apostolique). Tandis que le TRADITIONALISME est un «système philosophico-religieux qui dévalue la raison humaine et établit comme critère de certitude la tradition du genre humain, qui est liée à la genèse du langage... D’après une première forme rigide de Traditionalisme, l’homme n’aurait pu connaître aucune vérité sans la divine Révélation faite à Adam et transmise jusqu’à nous. Dans une forme mitigée les Traditionalistes nient à la raison humaine seulement la capacité d’atteindre les vérités d’ordre éthico-religieux. L’Eglise a condamné cette erreur... [qui] en abaissant la force et la dignité de la raison humaine, aboutit au Fidéisme» (P. P ARENTE , Dizionario di Teologia dommatica, Studium, Roma 1957, p. 411). Sur le sujet développé dans cet article, voir aussi BERNARD FAŸ: “La Franc-maçonnerie et la Révolution intellectuelle du XVIIIème siècle”, Editions de Cluny, Paris 1935; La Librairie Française, Paris 1961. A propos de Joachim de Flore, voir également JULIO MEINVIELLE: “De la Cabale au Progressisme”, éd. Saint-Rémi, pp. 152-156. 32 Doctrine ous concluons, avec cette troisième partie, la N publication de l’étude de l’abbé Sanborn “De papatu materiali” traitée par Sacerdotium n° XVI pars verna 1996. Pour la compréhension de cette partie, nous prions les lecteurs de se référer aux deux premières, publiées in Sodalitium n° 46, p. 60 et n° 48, p. 4. LA PAPAUTE MATERIELLE Par M. l’abbé Donald J. Sanborn TROISIEME SECTION: EXPOSITION ET DEMONSTRATION DE LA THESE REPONSE AUX OBJECTIONS 21. EXPOSITION ET DEMONSTRATION DE LA THESE THESE: Celui qui a été élu à la papauté par un conclave convoqué légalement et dans la forme requise, mais qui a l’intention d’enseigner l’erreur ou de promulguer des lois mauvaises ne peut recevoir l’autorité papale tant qu’il ne se repent pas et qu’il ne rejette pas l’erreur ou les lois mauvaises. En d’autres termes il n’est pas Pape formellement; mais il reste désigné validement à recevoir le pouvoir papal, c’est-à-dire qu’il est Pape matériellement jusqu’à sa mort ou jusqu’à ce qu’il renonce ou encore jusqu’à ce qu’un conclave légal ou une autre autorité compétente ait vérifié que le siège est vacant. Preuve de la première partie: Majeure: L’autorité papale n’est pas conférée par Dieu à une personne qui, même si elle est désignée validement, met un empêchement à recevoir l’autorité papale. Mineure: Or, celui qui a l’intention d’enseigner l’erreur ou de promulguer des lois mauvaises met un empêchement à recevoir l’autorité papale. Conclusion: Donc l’autorité papale n’est pas conférée par Dieu chez une personne désignée validement mais qui a l’intention d’enseigner l’erreur ou de promulguer des lois mauvaises. Preuve de la majeure: De ce qui est dit plus haut. L’autorité considérée dans le concret est composée de l’union de deux parties, l’une matérielle et l’autre formelle. Cette union ne peut s’accomplir s’il y a un empêchement, par analogie avec les éléments naturels. Preuve de la mineure: La condition sine qua non pour recevoir l’autorité est que celui qui la reçoit ait l’intention de promouvoir le bien commun de la communauté dont il est le chef. Or le bien commun de l’Eglise est d’enseigner la vérité aux hommes, de les conduire au ciel par la bonne route et de les sanctifier par des sacrements véritables et valides. L’autorité de l’Eglise est donc ordonnée essentiellement à enseigner aux hommes la vérité, à les conduire au ciel par la bonne voie, à les sanctifier par des sacrements véritables et valides. Donc, ceux qui ne tendent pas à ces fins mettent un empêchement à recevoir l’autorité. Preuve de la seconde partie: Majeure: La désignation légale à la papauté ne peut se perdre que de trois manières: 1) par la mort du sujet; 2) par le refus ou la renonciation volontaire du sujet ou 3) par la privation de la désignation du sujet de la part de l’autorité compétente. Mineure: Or celui qui est élu par un conclave convoqué légalement selon les formes requises mais qui a l’intention d’enseigner l’erreur ou de promulguer des lois mauvaises (comme Jean-Paul II), n’est pas mort, n’a pas volontairement refusé ou renoncé à la désignation, n’a pas été privé [de la désignation] par l’autorité compétente. Conclusion: Donc, celui qui a été élu par un conclave convoqué légalement selon les formes requises mais qui a l’intention d’enseigner l’erreur ou de promulguer des lois mauvaises (comme Jean-Paul II) n’a pas perdu sa désignation légale à la papauté. Preuve de la majeure: Du Droit Canonique (Canon 183 § 1): Ne s’appliquent pas 33 à la papauté ni la translation ni l’échéance du délai fixé par l’acte de provision. Preuve de la mineure: Des faits. JeanPaul II 1) est vivant, 2) a accepté la désignation du Conclave et n’y a jamais renoncé, 3) n’a pas été privé [de la désignation] par l’autorité compétente. 22. REPONSE AUX OBJECTIONS Objections à la première partie de la Thèse I. Est erronée la thèse qui attribue aux fidèles le droit d’accuser celui qui a été élu à la papauté de ne pas vouloir le bien de l’Eglise, puisque ce droit revient seulement à l’autorité compétente. Or, la Thèse attribue aux fidèles le droit d’accuser celui qui a été élu à la papauté de ne pas avoir l’intention de faire le bien de l’Eglise. Donc la thèse est erronée. Réponse: Je distingue la majeure: Il n’appartient pas aux fidèles mais à l’autorité compétente d’accuser légalement celui qui a été élu à la papauté de ne pas avoir l’intention de faire le bien de l’Eglise. Je concède. Il n’appartient pas aux fidèles mais à l’autorité compétente d’accuser en tant que personne privée celui qui a été élu à la papauté de ne pas vouloir faire le bien de l’Eglise. Je nie. Et je contre-distingue la mineure: la Thèse prétend que les fidèles accusent légalement celui qui a été élu à la papauté de ne pas vouloir faire le bien de l’Eglise, je nie; en tant que personne privée, je concède. Et je nie la conclusion. Les fidèles n’ont pas le droit de condamner légalement un élu à la papauté, ils ont seulement la possibilité de donner un jugement privé en comparant les innovations du Concile Vatican II avec le magistère et la praxis précédente. La raison en est que les fidèles ne peuvent donner leur assentiment à des principes contradictoires. Puisque le magistère du Concile Vatican II contredit le magistère précédent, les fidèles ne peuvent pas ne pas accuser, par jugement privé, celui qui promulgue ce “magistère” comme les fidèles de Constantinople accusèrent Nestorius. II. Est erronée, et même a un caractère protestant, la thèse qui attribue aux fidèles le droit d’examiner par jugement privé les actes et le magistère d’un concile général ou du pape. Or dans la Thèse que vous soutenez, les fidèles examinent par jugement privé les actes et le magistère d’un concile général ou du pape. Donc la Thèse est erronée, et a un caractère protestant. Réponse: Je distingue la majeure: les fidèles n’ont pas le droit d’examiner par jugement privé les actes et le magistère d’un concile général ou du Pape en tant qu’eux (les fidèles) peuvent ne pas donner leur assentiment au magistère de l’Eglise. Je concède. En tant qu’ils ne peuvent pas comparer le magistère avec le magistère précédent, je nie. Et je contre-distingue la mineure et je nie la conclusion. Les fidèles, de fait, doivent faire la comparaison, parce que la Foi Catholique est une seule et toutes ses vérités sont cohérentes entre elles. La vérité naturelle ne peut pas non plus supporter la contradiction parce que ce n’est pas concevable; et plus encore la contradiction répugne à la vérité surnaturelle et à l’habitus surnaturel avec lequel on donne son assentiment à ces vérités. III. S’il y a contradiction entre le magistère de Vatican II et le magistère précédent les fidèles doivent présumer que la contradiction est seulement apparente et non réelle. Or d’après votre Thèse les fidèles n’ont pas cette présomption. Donc la Thèse est erronée. Réponse: Je nie la majeure parce qu’elle est absurde. Il est métaphysiquement impossible de donner son assentiment à deux normes dogmatiques contradictoires entre elles. Donc les fidèles ne peuvent pas donner leur assentiment au magistère du Concile Vatican II et en même temps approuver le magistère précédent parce qu’ils se contredisent. Donc, pour que les fidèles donnent leur assentiment en même temps aux deux magistères il faudrait qu’ils interprètent avec leur jugement privé l’un ou l’autre acte de magistère afin qu’ils deviennent cohérents. Mais de cette manière la notion même de magistère est détruite puisque les fidèles en se basant sur leur jugement propre perdent le motif surnaturel d’adhésion au magistère. En outre, chacun des fidèles donnerait son interprétation et tomberait facilement dans l’erreur. Et même, les fidèles ne peuvent pas établir avec leur juge- 34 ment personnel si une contradiction dans le magistère est apparente ou réelle, mais ils ont un seul devoir à propos de la contradiction: adhérer au magistère antécédent et repousser la doctrine qui le contredit. Interpréter le magistère revient seulement au magistère et non aux fidèles. IV. Ceux qui acceptent la Thèse et les sédévacantistes en général, sont semblables aux “Vieux Catholiques” qui accusaient le Concile Vatican I de se détacher de la tradition de l’Eglise en promulguant la doctrine de l’infaillibilité pontificale. Réponse: Il n’y a aucune analogie entre les Vieux Catholiques et les catholiques d’aujourd’hui qui refusent les erreurs du Concile Vatican II. La raison en est que personne ne peut trouver dans le magistère de l’Eglise la condamnation de l’infaillibilité pontificale. Si les Vieux Catholiques avaient pu trouver dans le magistère précédent que la doctrine de l’infaillibilité du Pontife est appelés “délire” ou condamnée comme “doctrine perverse” ou “réprouvée, proscrite et condamnée” par l’autorité apostolique du Pape précédent, alors à raison ils auraient refusé cette doctrine nouvelle et contradictoire. C’est en effet avec ces mots que Pie IX a condamné la doctrine de la liberté religieuse. Il est évident que ces mots n’ont jamais été prononcés avec référence au dogme de l’infaillibilité pontificale. Donc la comparaison ne vaut pas. V. Ceux qui acceptent la Thèse et les sédévacantistes en général, sont semblables aux partisans du Père Feeney qui interprétait à sa façon la doctrine selon laquelle il n’y a pas de salut en dehors de l’Eglise. Réponse: Ce sont plutôt ceux qui donnent une interprétation bienveillante au Concile Vatican II qui sont semblables au Père Feeney: ils n’essayent pas d’interpréter le Concile Vatican II selon le magistère de ceux qui l’ont promulgué mais donnent à ce Concile une interprétation propre qui diffère de celle qui lui a été donnée par le “magistère” de Paul VI et de Jean-Paul II. Interpréter, en effet, n’est rien d’autre que découvrir la pensée ou l’intention de l’auteur. Mais l’auteur du magistère est celui qui enseigne. Donc Jean-Paul II est l’authentique interprète du magistère du Concile Vatican II. Autrement quand l’Eglise promulgue un document les fidèles tomberaient dans une interprétation personnelle du magistère et chacun adopterait une interprétation propre suivant son opinion personnelle. Au contraire seul le magistère est l’authentique interprète du magistère et l’Eglise enseignée n’a pas le droit de l’interpréter de manière personnelle. En outre l’interprétation que Jean-Paul II donne du magistère du Concile Vatican II est hétérodoxe non seulement dans les mots mais aussi dans les faits. Donc c’est justement que les Catholiques repoussent ce magistère. Objections à la seconde partie de la Thèse VI. Le Canon 188 § 4 dit que celui qui publiquement s’est détaché de la Foi catholique renonce tacitement à son office. Or les “papes conciliaires” se sont détachés publiquement de la foi catholique. Donc ils ont renoncé tacitement à leur office. Donc ils ne sont papes ni formellement ni matériellement. Réponse: Je distingue la majeure: le Canon 188 § 4 dit que celui qui publiquement s’est détaché de la Foi catholique renonce tacitement à son office, si son imputabilité est publique, je concède; cependant si elle est occulte je nie. La raison en est que la défection de la Foi doit être constatée légalement, ce qui arrive ou par une déclaration ou par notoriété. Mais la notoriété exige que non seulement le fait du délit soit connu publiquement, mais que le soit aussi son imputabilité (Canon 2197). Or, dans le cas de défection de la Foi catholique ou par hérésie ou par schisme, il est nécessaire pour qu’elle soit imputable que la défection soit pertinace. Autrement la loi deviendrait absurde: n’importe quel prêtre qui par inadvertance dans une homélie exprimerait une hérésie serait coupable d’hérésie notoire, avec toutes les peines connexes et renoncerait tacitement à son office. Or la défection de la Foi catholique de la part des “papes conciliaires”, bien qu’elle soit publique par rapport au fait, n’est pas publique par rapport à l’imputabilité. Donc il n’y a pas de renonciation tacite. Ce qui est publique, c’est l’intention de ces “papes” de promulguer les erreurs condamnées par le magistère ecclésiastique et une praxis sacramentelle qui est hérétique et 35 blasphématoire. Etant donné que la situation est celle-ci, on doit conclure que nécessairement ils ne possèdent pas l’autorité apostolique, ni plus ni moins. Ni plus, puisque seule l’autorité compétente peut vérifier et déclarer légalement la réalité de leur défection de la Foi catholique; ni moins, puisqu’il est impossible que l’autorité apostolique, à cause de l’infaillibilité et de l’indéfectibilité de l’Eglise, promulguent des erreurs qui ont été condamnées par le magistère ecclésiastique, et une praxis sacramentelle qui est hérétique et blasphématoire. Instance: Mais le Canon 188 dit que la renonciation ne requiert pas de déclaration. Réponse: Elle ne requiert pas de déclaration de vacance de l’office, si la défection imputable est notoire ou déclarée par la loi, je concède; si la défection n’est pas notoirement imputable ou déclarée, je nie. En d’autres termes, il est nécessaire que la défection publique de la Foi catholique ait une certaine reconnaissance juridique ou par notoriété de l’imputabilité ou par déclaration légale. Instance: Mais l’imputabilité de la défection de ces “papes” est notoire. Réponse: je nie. Pour que l’imputabilité soit notoire, il est nécessaire que 1) celui qui a exprimé l’hérésie reconnaisse publique- ment professer une doctrine contraire au magistère de l’Eglise, comme fit Luther; ou bien que 2) après avoir été admonesté par l’autorité ecclésiastique il refuse publiquement ladite autorité. Or chez les “papes conciliaires” ni l’une ni l’autre de ces conditions ne sont satisfaites. Donc l’imputabilité de la défection n’est pas notoire. Instance: Mais le Canon 2200 présume l’imputabilité si le fait du délit a été prouvé. Réponse: je distingue: il présume l’imputabilité, quand il y a eu violation extérieure de la loi, je concède; il présume l’imputabilité quand il n’y a pas eu violation extérieure de la loi, je nie. Dans le cas de défection de la Foi catholique, la violation de la loi sous-entend la pertinacité, si celle-ci manque, la loi n’est pas violée. Donc, où la pertinacité n’est ni notoire ni déclarée par la loi, on ne peut appliquer le Canon 2200. Je pense cependant qu’il n’y a pas une vraie contradiction entre ceux qui soutiennent le Canon 188 et les partisans de la Thèse: tous s’accordent sur le fait que Jean-Paul II ne possède pas l’office de la papauté puisque posséder l’office est la même chose que jouir de l’autorité ou juridiction. La Thèse enseigne que JeanPaul II maintient le droit à la papauté (jus in papatu) c’est-à-dire maintient une désignation légale à la papauté. Or la désignation à l’office n’est pas possession de l’office. Donc DEUX COLONNES POUR COMPRENDRE FACILEMENT LA THESE Jean-Paul II LIGNE FORMELLE 1) Il n’est pas pape formellement 2) Il ne possède pas l’autorité papale 3) Il n’est pas pape simpliciter 4) Il ne peut légiférer 5) Il est hérétique formellement en réalité et devant Dieu (s’il est pertinace) 6) Il n’est pas membre de l’Eglise en réalité et devant Dieu (s’il est pertinace) 7) Il a renoncé tacitement à l’office en réalité et devant Dieu (s’il est pertinace) LIGNE MATERIELLE 1) Il est pape matériellement 2) Il possède le droit à la papauté 3) Il est pape secundum quid 4) Il peut désigner d’autres personnes aux offices 5) Il est hérétique matériellement (puisque l’imputabilité n’est ni notoire ni déclarée) 6) Il est membre de l’Eglise devant la loi de l’Eglise (puisque l’imputabilité n’est ni notoire ni déclarée) 7) Il n’a pas renoncé tacitement à l’office (puisque l’imputabilité n’est ni notoire ni déclarée) 36 il n’y a pas incompatibilité entre les deux argumentations. Toutefois, que fassent attention les partisans du Canon 188 puisque logiquement leur argumentation implique que 1) Jean-Paul II a été élu légalement à la papauté; 2) qu’au moins pour une période il a eu la possession de la papauté légitimement et avec plénitude [!], puisque personne ne peut renoncer à un office s’il ne l’a pas eu avant; 3) que Jean-Paul II en tant que plein possesseur de la papauté est au-dessus du droit canonique et par conséquent ce Canon ne peut lui être appliqué. La Thèse en vérité va au-delà du droit canonique et repose sur des notions philosophiques de l’autorité qui peuvent être appliquées y compris à la suprême autorité du Pontife Romain. VII. Il est impossible que la matière existe sans la forme. Or dans la Thèse, la matière du pape existe sans la forme du pape. Donc la Thèse est erronée. Réponse: Je distingue la majeure. Il est impossible que la matière existe sans la forme c’est-à-dire que la matière première existe en acte sans la forme substantielle, je concède; qu’un être par soi [pas accidentel] ne puisse exister sans ses propres accidents, je nie. La substance est matérielle seulement par analogie par rapport aux accidents qui lui sont propres, qui à leur tour sont formels seulement par analogie quant à la substance, en tant qu’ils en sont les perfections. De la définition d’accident on peut déduire avec évidence que la substance peut subsister sans accident. Comme il a été dit avant, un pape en tant que pape est un simple être per accidens; donc composé de matière et de forme seulement lato sensu et seulement par analogie à un être per se. La désignation à la charge de la papauté génère un droit en celui qui possède cette désignation, de plus l’autorité elle-même est un droit et tout cela ce ne sont pas des accidents. Il est absolument clair qu’un homme peut exister sans ces accidents et peut posséder la désignation sans cependant posséder aussi l’autorité. VIII. Si les électeurs n’ont pas le droit d’élire un pape, alors la personne élue par eux n’est pas vraiment désignée à la papauté. Or les électeurs des “papes du concile” n’ont pas le droit d’élire puisqu’ils sont hérétiques. Donc celui qui est élu par eux n’est pas vraiment désigné à la papauté. Réponse: Je concède la majeure. Je nie la mineure et la conclusion. Les électeurs des “papes” du concile c’est-à-dire Paul VI, Jean-Paul Ier et Jean-Paul II ont le droit d’élire puisqu’ils n’ont pas perdu ce droit pour cause d’hérésie pour plusieurs raisons: 1) leur défection de la Foi catholique n’est ni déclarée ni notoire pour la raison dite plus haut (Objection VI). Donc il n’y a ni renonciation tacite ni censure; 2) le droit d’élire n’est pas juridiction. Ce n’est pas un droit de légiférer. Ce n’est pas un office. C’est une pure faculté morale de désigner légalement celui qui doit recevoir l’autorité suprême. Donc pour posséder et pour exercer ce droit on ne requiert rien d’autre sinon que quelqu’un soit légalement désigné par quiconque a le droit légal de désigner les électeurs du pape. La possession de l’autorité, c’est-àdire le droit de légiférer exige que le possesseur ait l’intention de diriger l’Eglise aux fins qui lui sont propres, au contraire la possession du droit de désignation requiert seulement que le possesseur veuille le bien de la continuité de la hiérarchie de l’Eglise. Or les électeurs actuels, même s’ils sont en général favorables au Concile Vatican II et au Novus Ordo, veulent objectivement le bien de la continuité de la hiérarchie ecclésiastique. Donc, ils possèdent validement et légalement le droit de désigner, et celui qui a été élu a été élu validement et légalement et possède un droit légal à la papauté. IX. Celui qui reçoit le droit d’élire d’un non-pape n’a pas un droit valide et légal à élire un vrai pape. Or les électeurs des “papes du concile” sont désignés électeurs par un non-pape. Donc, ils n’ont pas un droit valide et légal à élire un vrai pape. Réponse: Je distingue la majeure. Celui qui reçoit le droit d’élire le pape de celui qui n’est pas non plus pape matériellement, je concède; de celui qui n’est pas pape seulement formellement, je nie. Je contre-distingue la mineure et je nie la conclusion. La raison en est que, comme je l’ai dit avant, l’autorité a un double objet: l’un, qui regarde le fait de légiférer, l’autre qui regarde la continuité du corps de l’Eglise. A propre- 37 ment parler, l’autorité, qui est le droit de légiférer, concerne le premier objet et provient directement de Dieu; au contraire le droit de désigner qui à proprement parler n’est pas l’autorité, concerne l’autre objet et provient de l’Eglise. Or celui qui a été élu à la papauté reçoit en lui l’autorité tout de suite après qu’il ait accepté l’élection, pourvu qu’il ne mette aucun obstacle à recevoir l’autorité, comme je l’ai dit avant. Donc, il peut arriver que celui qui a été élu à la papauté reçoive en soi le droit de désigner, qui concerne la continuité du corps de l’Eglise, mais ne reçoive pas l’autorité qui concerne la promulgation des lois; en ce cas le pape élu (c’est-àdire pape seulement matériellement) désignera validement et légalement les électeurs des papes, mais ne pourra validement et légalement légiférer. C’est le cas des “papes du concile”, qui désignent donc validement et légalement les électeurs des papes, même des papes du Novus Ordo. X. Celui qui n’est pas membre de l’Eglise ne peut en être le chef. Or “les papes du concile” ne sont pas membres de l’Eglise. Donc ils ne peuvent en être le chef. Réponse: Je distingue la majeure. Celui qui n’est pas membre de l’Eglise ne peut en être le chef formellement, je concède, il ne peut en être le chef matériellement, je nie. La raison en est qu’être chef matériellement, comme il est dit avant, implique seulement la désignation à recevoir la papauté; mais la forme, qui est l’autorité, exige que le désigné soit membre de l’Eglise. Par exemple, Saint Ambroise a été désigné à l’épiscopat de Milan quand il était encore catéchumène (donc, il n’était pas baptisé et était hors de l’Eglise). S’il avait refusé le baptême, il n’aurait pas pu recevoir l’autorité, mais serait également resté évêque-élu tant que cette désignation ne lui aurait pas été ôtée. Mais même au cas où quelqu’un veuille rejeter cet argument, il sera nécessaire de distinguer la mineure: les “papes du concile” ne sont pas membres de l’Eglise face à Dieu et en réalité, je le concède comme étant seulement probable puisque seulement probablement ils sont obstinés dans l’hérésie; ils ne sont pas membres de l’Eglise face à la loi, je nie: en tant que leur pertinacité dans l’hérésie n’est ni prouvée ni présumée par la loi. Toute la force de l’objection dépend de la possibilité de démontrer leur pertinacité et, sans une déclaration de l’Eglise, c’est extrêmement difficile. En outre, au cas où existerait un doute concernant leur pertinacité ou leur imputabilité, la présomption de droit serait en faveur de l’accusé et la preuve tomberait. Instance: Même les hérétiques qui errent de bonne foi ne sont pas membres de l’Eglise. Réponse: Je distingue: les hérétiques qui sont nés dans des sectes non-catholiques, qui errent de bonne Foi, ne sont pas membres de l’Eglise, je concède; mais les hérétiques qui ont été baptisés dans l’Eglise Catholique, qui errent de bonne Foi, ne sont pas membres de l’Eglise, je nie. Cette distinction est de la plus grande importance et ceux qui ne la font pas tombent dans une grande confusion. La raison en est que ceux qui ont reçu le baptême sont légalement membres de l’Eglise tant qu’ils ne cessent pas de l’être 1) par hérésie notoire et pertinace; 2) par schisme pertinace et notoire; 3) par apostasie pertinace et notoire; 4) par excommunication. Les trois premières raisons impliquent la pertinacité, c’est pourquoi elles n’ont pas de valeur pour cet argument. L’excommunication peut être ou latæ sententiæ ou déclaratoire. Dans la première, l’argument ne vaut pas puisque les censures contre l’hérésie requièrent l’imputabilité (c’est-àdire pertinacité) notoire. Si au contraire l’excommunication a été déclarée l’argument est valide. Si au contraire l’excommunication n’a pas été déclarée, l’argument n’est pas valide. Or l’excommunication n’a pas été déclarée, donc l’argument n’est pas valide. Ceux qui sont nés dans des sectes non catholiques, même s’ils ont erré de bonne Foi, légalement on présume qu’ils se sont obstinés dans l’erreur, donc ils sont légalement en dehors de l’Eglise même s’ils peuvent être membres de l’Eglise par désir. Instance: Le Canon 2200 § 2 présume l’imputabilité quand il y a violation extérieure de la loi. Réponse: C’est une petitio principii. Invoquer le Canon 2200 est un cercle vicieux puisque la violation de la loi dans le cas d’hérésie requiert la pertinacité. Qu’on lise la loi (Canon 1325 § 2): si quelqu’un, après réception 38 du baptême, retenant le nom de Chrétien, nie avec pertinacité l’une des vérités à croire de Foi divine et catholique ou la met en doute, il est hérétique; s’il abandonne complètement la Foi catholique, il est apostat; si enfin il nie la soumission au Souverain Pontife ou refuse la communion avec les membres de l’Eglise à lui sujets, il est schismatique. Donc, il n’y a pas de violation extérieure de la loi là où il n’y a pas pertinacité externe. Mais même si l’on veut appliquer le Canon 2200 § 2, la présomption d’imputabilité dans la violation de la loi contre l’hérésie n’a aucune valeur sans une déclaration de l’Eglise, puisque la présomption doit céder devant les faits. De facto cependant, il n’est pas certain que ces “papes” soient hérétiques obstinés, ni qu’il y ait une autorité compétente ou un tribunal en mesure de déclarer le fait de la pertinacité. Toute l’argumentation vacille du fait de la difficulté de prouver ou même de présumer la pertinacité. En d’autres termes quand l’autorité manque ou quand elle cesse d’opérer une grande confusion naît et la certitude dans les questions légales devient extrêmement difficile sinon impossible. Ce discours finit toujours par un discours sur la pertinacité de ces “papes” ce qui est, à mon avis, une question sans issue. XI. La Thèse est absurde parce qu’elle affirme que quelqu’un peut en même temps être et ne pas être pape. Réponse: ceux qui expriment cette objection ne comprennent pas la distinction réelle existante entre acte et puissance ni la distinction entre non-être simpliciter et être en puissance. Nous leur conseillons de consulter des manuels de philosophie aristotélico-thomiste. XII. La Thèse n’a aucun fondement dans le Droit Canonique. Réponse: je nie. Si vous cherchez dans les questions concernant la vacance des offices ecclésiastiques vous trouverez la distinction entre offices qui sont vacants 1) de jure et de facto; 2) de jure mais non de facto; 3) de facto mais non de jure. La Thèse soutient que l’office de la papauté est vacant de facto mais non de jure en ce sens: Jean-Paul II de facto ne possède pas l’office de la papauté mais possède un droit à la papauté du moment qu’il n’y a eu aucune déclaration contraire de la part d’une autorité compétente (1). En d’autres termes, Jean-Paul II est titulaire légal de la papauté mais il n’a pas la possession de la papauté puisqu’il met un obstacle à recevoir l’autorité. APPENDICE II: CONFIRMATION DE LA THESE PAR LES ECRITS DE THOMAS DE VIO CARDINAL CAJETAN De Comparatione Auctoritatis Papæ et Concilii, c. XX (2). Etant présupposée la certitude des trois points suivants, à savoir que le Pape par le fait qu’il est devenu hérétique n’est pas automatiquement déposé par droit humain ou divin, et que le Pape n’a pas de supérieur sur terre et que le Pape s’il dévie de la Foi doit être déposé, comme il est dit dans le chap. Si Papa, XL D., une grande incertitude demeure quant au comment et par qui le Pape à déposer doit être jugé pour être effectivement déposé, puisqu’un juge en tant que juge est supérieur à celui qui est jugé. C’est pourquoi l’Apôtre dans la lettre aux Romains XIV, 4 dit: “Qui es-tu, toi qui juges le serviteur d’autrui? C’est pour son maître qu’il demeure ferme ou qu’il tombe” 1) “Est dit vacant l’office dépourvu de titulaire ou de possesseur. Le Canon 183 § 1 énumère les causes de vacance: décès, renonciation, privation, amotion, translation, échéance du délai fixé par l’acte de provision. La diversité même de ces causes permet de distinguer plusieurs sortes de vacances. L’office peut être vacant plene, c’est-à-dire de jure et de facto, ce qui arrive quand il n’a ni titulaire, ni possesseur actuel par suite de décès. Il peut être vacant “minus plene”, ou de jure tantum, non en fait, quand il n’a pas de titulaire légitime, mais se trouve aux mains d’un possesseur actuel dépourvu de titre; il peut enfin être vacant improprie, c’est-à-dire en fait, non en droit, lorsqu’il a un titulaire régulier, mais qui n’est pas en possession, soit qu’il l’ait perdue, soit qu’il n’ait pu encore prendre ladite possession. Tel serait le cas du curé non encore mis en possession. La provision d’un office vacant de droit seulement ne peut être faite que moyennant la réalisation des conditions suivantes: la vacance doit être signifiée dans une déclaration conforme aux prescriptions du droit, et qui montre que le possesseur actuel de l’office est dépourvu de titre légitime. Mention de cette déclaration doit être faite dans l’acte de provision du nouvel officier” (Can. 151) [R. Naz: art. “Offices Ecclésiastiques” in Dictionnaire de Droit Canonique, Paris: Letouzey et Ané, 1957, Tome VI, col. 1086 & 1087]. Très probablement le canon 151 ne concerne pas la provision de la papauté, mais ce canon démontre le principe général selon lequel l’autorité compétente doit reconnaître légalement que l’office est vacant. 2) Confronto tra Autorità del Papa e Autorità del Concilio, Ediz. Istituto Angelicum, Romæ 1936. 39 L’Apôtre St Pierre et Saint Thomas dans la IIa IIae, q 67 déclare que le juge peut juger seulement le sujet et comme il est dit aussi dans les Décrétales D. XXI, chap. Inferior. Si en effet le Pape doit être jugé et déposé par un Concile Universel, il s’ensuit immédiatement que, restant Pape il a au-dessus de lui le Concile Universel, au moins en cas d’hérésie. Si au contraire ni le Concile, ni l’Eglise ne sont au-dessus du Pape, il s’ensuit immédiatement qu’un Pape qui dévie de la Foi doit être jugé et déposé et cependant personne ne peut le juger et le déposer. Et ceci est absurde. Que dirons-nous donc pour éviter ces deux extrêmes? Nous ne pouvons rien faire d’autre que nous tourner vers la voie médiane, à laquelle on arrive difficilement: dans la réalisation de laquelle consiste cette vertu qui normalement résout beaucoup de questions. Nous disons donc qu’existent deux voies extrêmes, toutes les deux fausses. L’une est celle selon laquelle le Pape devenu hérétique est déposé ipso facto par droit divin, sans jugement humain: l’autre est celle selon laquelle le Pape, restant Pape, sur terre a audessus de lui un pouvoir supérieur par lequel il peut être déposé. Mais la voie médiane se divise encore en deux: l’une dit que le Pape n’a absolument pas de supérieurs sur terre, mais qu’en cas d’hérésie il a comme supérieur sur terre l’Eglise universelle, l’autre dit que le Pape ni simpliciter ni pour un cas particulier n’a un supérieur sur terre mais est soumis au pouvoir ministériel de l’Eglise universelle seulement pour ce qui concerne la destitution. La première voie est fondée sur la force coercitive et judiciaire de l’Eglise sur Pierre Pape en cas d’hérésie: en effet pour être jugés il faut être sujets et contraints. Telle est la voie communément suivie à ce que j’ai vu jusqu’à présent. Il faut opposer à cette voie le fait que, comme nous l’avons vu, le Pape par droit divin est au-dessus du Concile et de l’Eglise; il s’ensuit que si en quelque cas particulier il en est sujet, il faudrait que cette exception soit établie par le droit divin. En effet il est évident qu’aucun autre droit inférieur ne peut établir cette exception. Or dans le droit divin quand on établit l’exception du cas d’hérésie on ne parle pas de soumission mais bien de séparation, comme il apparaît clairement en chacun des textes de la Sainte Ecriture allégués: Nom. XVI, 26 il est dit: “Eloignez-vous”; ad Gal. I, 8: “Qu’il soit anathème”, c’est-à-dire: “qu’il soit séparé”; ad Thess. III, 6: “Tenez-vous à l’écart”; 2 ad Cor. VI, 14: “Ne traînez point le même joug”; 2 Jn XI: “Ne le recevez pas et ne le saluez pas”; ad Tit. III, 10: “Rejette”. En résumé, nulle part je ne trouve que le droit divin parle de supériorité ou infériorité en cas d’hérésie, mais seulement de séparation. En effet il est connu que l’Eglise peut se séparer du Pape uniquement au moyen de cette puissance ministérielle avec laquelle elle peut l’élire. Donc, du fait que par droit divin a été sanctionné que l’hérétique soit évité et soit étranger à l’Eglise, il n’est pas nécessaire qu’il y ait une puissance plus grande que la puissance ministérielle: c’est pourquoi elle est suffisante et se trouve dans l’Eglise. Pour confirmation de ceci, que l’on remarque que l’on ne doit pas attribuer au droit divin ce qui ne se trouve pas en lui ou ne découle pas nécessairement de ce qui y est exprimé. Or dans le droit divin on ne parle pas au sens strict d’un pouvoir au-dessus du Pape en cas d’hérésie, et on ne peut pas non plus le déduire comme conséquence nécessaire du droit divin. Donc on prouve la mineure: qu’il n’en n’existe pas, je pense que c’est évident pour celui qui lit. Je dis “je pense” parce qu’un schisme imminent m’a conduit de façon inattendue à écrire ce court essai en deux mois. Et qu’en vérité l’on ne puisse non plus le déduire [du droit divin], cela apparaît évident du fait que, puisqu’il ne convient pas de multiplier les êtres sans nécessité, il est préférable d’établir un prin- 40 cipe que d’en établir plusieurs. Puisque la puissance ministérielle est suffisante, point n’est besoin d’une autre. Ce sera donc la voie médiane la vraie voie, puisqu’un Pape devenu hérétique et qui persévère dans l’hérésie, sur terre n’a pas une puissance qui lui soit supérieure, mais seulement une puissance ministérielle pour sa destitution. Donc, pour prouver ceci, remontant un peu en arrière, il faut d’abord exprimer trois points. En premier lieu: dans le pape existent trois éléments, la papauté, la personne qui est pape, par exemple Pierre, et l’union de ces deux éléments, c’est-à-dire la Papauté en Pierre et de cette union résulte Pierre Pape. En second lieu: en reconnaissant et en appliquant chaque cause à l’effet qui lui est propre, nous trouvons que la papauté provient immédiatement de Dieu, Pierre provient de son père, etc.; mais l’union de la Papauté en Pierre, après que le premier Pierre ait été institué de manière immédiate par le Christ, ne vient pas de Dieu mais d’un homme, comme cela apparaît évident, parce qu’elle se produit par l’intermédiaire d’une élection de la part des hommes. Deux consentements humains concourent à cet effet, à savoir celui des électeurs et celui de l’élu: il est en effet nécessaire que les électeurs élisent volontairement et que la personne élue accepte volontairement l’élection, autrement il ne se produit rien. Donc, l’union de la Papauté en Pierre ne provient pas de Dieu de manière immédiate mais d’un ministère humain, soit de la part des électeurs, soit de la part de l’élu. Le ministère humain pour produire cette union n’agit pas comme quand on unit l’actif au passif ou le feu aux chaumes ou la vertu de la passion du Christ au sujet, comme fait celui qui baptise et administre les sacrements, parce que dans notre cas on unit aucun actif mais la seule volonté humaine des électeurs et de l’élu: il ne serait pas facile d’imaginer quelque chose d’autre d’actif. Mais du fait que l’union de la papauté avec Pierre est un effet de la volonté humaine, quand la même constitue Pierre Pape il s’ensuit que bien que le Pape dépende seulement de Dieu in esse et in fieri, cependant Pierre Pape dépend aussi de l’homme in fieri. En effet Pierre est fait Pape par l’homme quand, élu par des hommes, l’homme élu accepte, et ainsi la papauté est unie à Pierre. En troisième lieu: puisque assurément rien n’est aussi naturel que le fait que tout arrive au moyen de causes déterminées, inversement (il est naturel que) par la même cause [tout] soit annulé, comme il est dit dans le chap. Omnis, de regulis juris; donc Pierre-Pape, qui a sa propre cause dans son consentement et dans celui de ses électeurs, en sens contraire peut être annulé par la même cause. Et ceci a été établi par Célestin V, et par la Décrétale de Boniface VIII, in VI°, de renunciatione, chap. I. De ces trois prémisses en premier lieu il apparaît certain et sans l’ombre d’un doute que Pierre-Pape, soit en devenant tel, soit en étant déposé, dépend d’une puissance humaine non supérieure ou égale à la puissance du Pape, mais moindre parce que ni pour faire passer de Pierre-pas Pape à PierrePape, ni en sens inverse, de Pierre-Pape à Pierre-pas Pape, n’est nécessaire une autre faculté sinon la faculté de la volonté humaine, c’est-à-dire de l’élu et des électeurs. Et dans la question dont nous nous occupons il ne faut pas regarder la bonne ou mauvaise conscience, ou s’ils sont animés de bonne ou mauvaise intention ou raison; dans cette question il faut s’en tenir aux faits pour qu’en vérité Pierre soit ou ne soit pas Pape. Qu’aussi cette puissance soit inférieure à la puissance du Pape est évident même sans autre preuve du fait que, un Pape étant mort, même sans décision de droit positif cette puissance se trouve dans l’Eglise et ne s’étend pas aux choses auxquelles s’étend l’autorité du Souverain Pontife: autrement il y aurait dans l’Eglise deux puissances suprêmes et le Christ n’aurait pas institué un régime ecclésiastique monarchique. Et comme l’égal n’a pas pouvoir sur son propre égal, les Pontifes n’auraient pas pu imposer à cette puissance le mode d’exécution: c’est-àdire par qui, par combien et comment doit avoir lieu l’élection et l’invalidité de l’acte si elle était faite différemment. Tout ceci démontre que cette puissance n’est ni inférieure ni égale mais inférieure à la puissance du Pape; en effet c’est le propre d’une vertu supérieure de disposer avec autorité à l’égard d’un acte d’un inférieur de telle sorte que, si on l’accomplit différemment, il ne soit pas valide, comme c’est le cas dans la question qui nous occupe. En second lieu il est très certain qu’une chose est d’avoir pouvoir sur la conjonction 41 à établir ou à annuler entre Pierre et la Papauté, et autre chose est d’avoir un pouvoir sur le Pape. Du fait que la puissance inférieure à la papauté, c’est-à-dire la simple volonté de l’élu et des électeurs, peut faire ou défaire cette union et qu’une puissance de ce genre étant inférieure à la papauté n’a pas pouvoir sur le Pape, on démontre clairement qu’une chose est d’avoir pouvoir sur cette union et autre chose est d’avoir pouvoir sur le Pape. Donc il ne se trouve pas de puissance sur le Pape sinon en NotreSeigneur Jésus-Christ, au contraire la puissance sur l’union de la papauté et de Pierre se trouve sur terre et à raison, parce que la papauté est œuvre de Dieu immédiatement alors que l’union de la papauté et de Pierre est notre œuvre. Toi qui fais profession de philosophe tu ne t’étonnerais pas non plus du fait que se trouve une puissance au-dessus de l’union de la forme avec la matière, qui n’est pas audessus de la forme, puisque l’union de la forme avec la matière vient après. Ton étonnement cesserait si tu avais considéré que l’union de la forme et de la matière peut être considérée de deux points de vue, de la part de la matière et de la part de la forme et que ce qui a pouvoir sur l’union de la forme et de la matière de la part de toutes les deux ou de la part de la forme a aussi pouvoir sur la forme, mais ce qui a pouvoir sur cette union de la part de la matière point n’est nécessaire qu’il ait pouvoir sur la forme, comme cela est évident dans la génération de l’homme. “Le soleil et l’homme engendrent l’homme” ( 3) qui consiste en l’union du corps et de l’âme intellectuelle ou est issu de cette union et l’on sait que le soleil et l’homme n’ont pas pouvoir sur l’âme intellectuelle qui vient de l’extérieur, mais ils ont pouvoir sur cette union de la part du corps, qui est matière. C’est ce qui se passe dans la question qui nous intéresse: en effet la papauté et Pierre sont comme matière et forme et seul JésusChrist a pouvoir sur leur union de la part de la papauté et en conséquence des deux parties, et pour cette raison lui seul peut mettre des limites et établir la puissance du Pape; l’Eglise a pouvoir sur leur union uniquement de la part de Pierre et pour cette raison ne peut rien sur le Pape, mais seulement sur l’union. 3) Aristote, Phys., II, 2. Et puisque l’amotion du Pape tant par renonciation, que par destitution, que par expulsion n’est pas dissolution de la papauté ni de Pierre mais de l’union de la papauté et de Pierre, il faut pour cela qu’avec la plus grande diligence et prudence quand il s’agit de l’amotion d’un Pape on ait toujours à l’esprit que ceci ne nécessite pas une puissance supérieure au pape, mais supérieure à l’union entre Pierre et la papauté. Pour être plus clairs: il faut savoir qu’il est certain que Pierre-Pape vivant peut être privé de la papauté de trois manières: premièrement, par expulsion de la part de Notre-Seigneur Jésus-Christ; deuxièmement par renonciation spontanée de sa part; troisièmement par destitution non voulue pour hérésie incorrigible, de la part de l’Eglise. Mais dans tous ces cas la papauté et Pierre ne cessent pas d’exister; seule l’union des deux fait défaut, mais de manière différente pour chaque cas. Dans le premier, autrement dit par expulsion de la part de NotreSeigneur Jésus-Christ cette union est dissoute par une puissance supérieure non seulement par rapport à l’union, mais aussi par rapport à la papauté: en effet l’autorité du Seigneur reste au-dessus de cette union de la part de la forme. Et puisque, comme il a été dit, il n’y a pas d’autre puissance au-dessus du Pape et que pour cela aucune autre puissance ne peut toucher cette union de la part de la forme, il s’ensuit qu’aucune autre puissance ne peut destituer le Pape comme puissance supérieure au Pape, mais c’est le propre de notre Sauveur. Et c’est précisément de cette manière que doit être interprété ce que dit le Pape Anaclet D. LXXIX, Eiectionem qui affirme: “Le Seigneur se réserva à Lui-même l’expulsion des Souverains Pontifes”. En effet la différence entre le Pape et les autres Pontifes se trouve en cela, que les autres Pontifes peuvent être expulsés par une puissance supérieure à la puissance des Pontifes euxmêmes, le Pape au contraire non; parce que dans l’Eglise terrestre se trouve une puissance supérieure à la puissance juridictionnelle de l’évêque, mais ne se trouve pas une puissance supérieure à la puissance du Pape. Il découle de cela que le Seigneur a accordé au Pape leur expulsion en lui attribuant une puissance supérieure, mais s’est réservé pour Lui l’expulsion du Pape en n’accordant à personne d’autre une puissance supérieure à 42 celle de la papauté. Donc, si le Pape Jean expulsait un évêque par la plénitude de sa puissance, cet évêque serait expulsé et n’aurait plus puissance de juridiction, mais dans l’Eglise le Seigneur n’a laissé aucune puissance qui puisse agir de la même manière contre Pierre-Pape. Dans la seconde manière, c’est-à-dire par renonciation et dans la troisième, par destitution, cette union est dissoute non par une puissance qui est au-dessus de la papauté mais par une puissance qui est au-dessus seulement de l’union, puisque ni la volonté de Pierre ni la volonté de l’Eglise ne sont au-dessus de la papauté et c’est justement de ces volontés que cette union provient et est dissoute, comme cela semble évident. Puisqu’il est donc certain qu’un Pape qui est devenu hérétique incorrigible n’est pas automatiquement destitué et doit être destitué par l’Eglise et que l’Eglise n’a pas puissance sur la Papauté, et que l’Eglise a puissance au-dessus de l’union de Pierre avec la Papauté, en tant qu’elle est son œuvre, il faut dire que, quand Pierre, devenu hérétique incorrigible est déposé par l’Eglise, il est jugé et déposé par une puissance supérieure non à la papauté mais à l’union entre la papauté et Pierre. Note: cet écrit du Cardinal Cajetan, remontant à 1511, confirme notre thèse dans la mesure où il expose clairement la distinction, dans la Papauté, d’un élément formel d’un élément matériel et de la possibilité de séparer les deux. La Thèse cependant, n’épouse ni la position de Cajetan (Papa Hæreticus deponendus est) ni celle de Bellarmin (Papa Hæreticus depositus est), puisqu’elle fait totalement abstraction du cas du “Pape hérétique”. Sodalitium L’OSSERVATORE ROMANO LES FINS DERNIERES D’APRES JEAN-PAUL II “I n omnibus operibus tuis, memorare novissima tua, et in æternum non peccabis” (Ecc., 7, 40): dans toutes tes œuvres souviens-toi de ta fin et tu ne pécheras jamais. Si le Grand Catéchisme de Saint Pie X place les quatre fins dernières (Mort, Jugement, Enfer et Paradis) - auxquelles nous pourrions ajouter le Purgatoire - parmi les “vérités principales de la foi chrétienne”, la tradition catholique toute entière, se fondant elle aussi sur la citation scripturaire cidessus, a toujours donné à la méditation des “fins dernières” la place principale dans la voie purgative de l’ascétique chrétienne. De nos jours, le déferlement du péché et en conséquence la damnation des âmes en nombre incalculable sont certainement à attribuer - entre autres raisons - à l’omission de la prédication des fins dernières, inhérente à l’“optimisme” du Concile Vatican II (cf. par exemple R. Amerio, Iota unum, Ricciardi, Milano-Napoli 1985, pp. 581-590, en ce qui concerne l’enfer). Aussi, cet été, la prédication de JeanPaul II sur ces thèmes (préparée par un article de La Civiltà Cattolica sur l’enfer) a-telle fait du bruit. Retour à la doctrine et à l’ascétique traditionnelle? Hélas la réponse est négative, comme nous le verrons. Et cette conclusion est basée sur un examen attentif des trois discours tenus par Jean-Paul II dans le contexte de sa catéchèse du mercredi, durant l’audience générale: celui sur le Paradis (O.R., 22/7/99, p. 4, que nous désignerons par un “I”), celui sur l’Enfer (O.R., 29/7/1999, p. 4, que nous désignerons par “II”) et celui sur le Purgatoire (O.R., 5/8/99, p. 4, que nous désignerons par “III”), discours qui ont été publiés en français dans la D.C. n° 2210 du 5 et 19 sept. 1999. Pour ce qui est des commentaires de la presse, nous renvoyons à la Revue de Presse de Sodalitium. Cet article est une analyse critique justifiée par notre position selon laquelle Jean-Paul II n’est pas formellement Pape. C’est pourquoi nous nous limiterons aux points qui posent des problèmes plus ou moins importants à la foi des catholiques. 43 Terminologie et nouvelles définitions. Un au-delà personnaliste... Comme dans tout bon traité, commençons par les définitions (nominales et réelles). Les termes classiques et désormais consacrés par un long usage de la part du Magistère (sinon de l’Ecriture Sainte) sont considérés avec méfiance et admis seulement entre guillemets: c’est ainsi que JeanPaul II parle de “Ciel” et de “béatitude” (et jamais de Paradis), qu’il parle de “purgatoire”. Seul l’enfer, avec une minuscule, n’est pas mis entre guillemets, mais voisine avec le terme de damnation comme s’il s’agissait de synonymes. Et ça n’est pas un hasard, comme nous le verrons. Passant du terme utilisé aux définitions, nous remarquons immédiatement un changement de perspective par rapport aux concepts courants de Paradis, d’Enfer et de Purgatoire. Le “Ciel” serait, en effet, “plénitude de communion avec Dieu” (I, 1). Pour plus de détails, Jean-Paul II cite le Catéchisme de l’Eglise Catholique: “cette vie parfaite avec la Très Sainte Trinité, cette communion de vie et d’amour avec elle, avec la Vierge Marie, les anges et tous les bienheureux est appelée ‘le ciel’. Le ciel est la fin ultime et la réalisation des aspirations les plus profondes de l’homme, l’état de bonheur suprême et définitif (n° 1204)” (I, 1) Dans cette définition on remarque non seulement l’absence du concept de Ciel comme lieu (nous le verrons plus loin), mais également et surtout le fait qu’est passé sous silence ce qui constitue pourtant l’élément essentiel de la vie éternelle: la vision béatifique de Dieu. D’ailleurs, de cette vision béatifique, il n’est fait aucune allusion dans tout le discours de Jean-Paul II sur le Paradis, qui est, de temps à autre, décrit comme “participation à la complète intimité avec le Père”, “rapport vivant et personnel avec la Sainte Trinité”, “rencontre avec le Père”, “possession en plénitude des fruits de la Rédemption”, “communauté bienheureuse de tous ceux qui sont parfaitement incorporés à Lui (Christ)”, “joie” et “paix” (I, 4-5). Et pourtant, tant la Révélation (1 Cor, 13, 12; 1 Jn, 3, 2; Jn, 17, 3), que la théologie (St Thomas, I-II, q. 3, a. 4), que le catéchisme (Catéchisme ad parochos du Concile de Trente, I, chap. XIII, 7) ( 1 ), font consister essentiellement la Béatitude dans la vision face à face de Dieu. Cette omission n’est pas un hasard. Comme Jean-Paul II lui-même le souligne, le nouveau concept de Paradis provient de “sa” propre philosophie, le personnalisme: “aujourd’hui le langage personnaliste réussit à dire moins improprement la situation de bonheur et de paix dans laquelle nous établira la communion définitive avec Dieu” (I, 4). Dans la thèse de théologie soutenue à l’Angelicum de Rome par le jeune Wojtyla (La doctrine de la foi chez saint Jean de la Croix) apparaissait déjà l’influence de cette pensée personnaliste et phénoménologique, influence critiquée à l’époque par son professeur, le Père dominicain GarrigouLagrange. Comme l’explique le philosophe Rocco Buttiglone, Wojtyla refuse de voir en Dieu un objet de connaissance: “Dieu luimême n’est pas objectivable”. “Dieu ne doit pas être pensé comme un objet, mais comme une personne, qui ne peut être connue que dans une relation de don réciproque”. “En fait dans cette thèse [de Wojtyla] est mise en évidence la tendance à ne pas transformer le langage de l’expérience, qui pour Saint Jean de la Croix part du sujet, [entendu à la manière des phénoménologues] en un langage métaphysique qui part de l’objet”. En effet, “il ne peut y avoir de la part de l’homme aucune connaissance de Dieu comme objet” (2). Le “paradis” de Karol Wojtyla n’est donc plus celui de la tradition théologique catholique systématisée par saint Thomas, mais de celle d’Emmanuel Lévinas et de Martin Buber (3). Les nouveaux concepts d’enfer et de purgatoire, eux aussi, seront donc l’expression du personnalisme et de la phénoménologie. Aller en enfer consiste à se retrancher “de la joyeuse communion avec Dieu” (II, 1), c’est l’“auto-exclusion définitive de la communion avec Dieu et avec les bienheureux” (II, 3; Catéchisme de l’Eglise catholique, n° 1033) et non la privation de la vision de Dieu; et le purgatoire serait une communion imparfaite (comme entre les “églises” chrétiennes du post-concile!) avec Dieu, pour ceux qui “se trouvent dans une condition d’ouverture à Dieu, mais d’une manière imparfaite” (III, 1) et non, encore une fois, la privation - bien que temporaire - de la vue de Dieu. De ce concept personnaliste et subjectiviste de l’au-delà découlent immédiatement certaines conséquences. 44 Où sont le Paradis, l’Enfer et le Purgatoire? Nulle part. Paradis, Enfer et Purgatoire expriment, même éthymologiquement, l’idée d’un lieu, et seulement par voie de conséquence l’idée de la condition et de l’état de qui s’y trouve. En effet, seul ce qui n’existe pas ne se trouve pas en un lieu. Là où il y a un corps, il y a aussi un lieu; et même les esprits, comme l’âme séparée du corps, les anges et Dieu lui-même, sont dans le lieu où ils agissent (ce pour quoi Dieu est “au ciel, sur la terre et en tout lieu”). Etant donné qu’au Paradis se trouvent Notre-Seigneur Jésus-Christ et la Très Sainte Vierge avec leur corps (glorifié évidemment) et comme après la résurrection de la chair tous nous ressusciterons avec notre corps, il est impossible de nier que le Paradis et l’Enfer soient un lieu (et analogiquement aussi le Purgatoire, mais avec la manière d’être en un lieu des esprits), sans nier, ne serait-ce qu’implicitement, l’existence de bienheureux et de damnés, le Christ et Notre-Dame inclus (4). Or, c’est ce que fait Jean-Paul II. En ce qui concerne le Paradis: “...le ‘ciel’ ou la ‘béatitude’ dans lesquels nous nous trouverons ne sont pas une abstraction, ni un lieu physique dans les nuages...” (I, 4). En ce qui concerne l’Enfer: “Plus qu’un lieu, l’enfer nous indique la situation dans laquelle se trouve celui qui, librement et définitivement, s’éloigne de Dieu, source de vie et de joie” (II, 3). Pour le Purgatoire: “ce mot n’indique pas un lieu, mais une condition de vie” (III, 5). Bien sûr, les Bienheureux ne se trouvent pas au milieu des nuages du Paradis de la Lavazza, ou à portée du vaisseau spatial de Gagarine, ni les damnés dans l’enfer de Renzo Arbore... On ne peut pas non plus imposer comme vérité de foi les hypothèses des scholastiques, saint Thomas compris sur le lieu du Paradis et de l’Enfer. Mais ignorer avec certitude la localisation ne signifie pas la nier! Si j’ignore où se trouve une personne, je ne peux pas en déduire qu’elle ne se trouve nulle part... à moins de nier l’existence de cette personne, transformée en un magma de sensations et d’expériences de communion ou non-communion avec un Dieu non-objet-de-connaissance! Pourtant aussi bien l’Ecriture Sainte que les définitions de l’Eglise, que la doctrine des théologiens traitant de ce sujet, tous parlent clairement de “lieu”. Judas qui s’est suicidé est allé “en son lieu” (Actes, 1, 25), les démons ont prié Jésus “de ne pas leur commander d’aller dans l’abîme” (Luc, 8, 31) où Dieu les avait précipités après le premier péché (2 Pierre, 2, 4), le mauvais riche “enseveli dans l’Enfer” se trouve en un “lieu de tourment” (Luc, 16, 22-28), il faut qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse “dans le ciel, sur la terre et dans les Enfers” (Phil, 2, 10), Pour l’Eglise l’Enfer est un lieu (“par contre les âmes de ceux qui meurent en état de péché mortel, ou avec le seul péché originel, descendent immédiatement en enfer pour être toutefois punies par des peines différentes et en des lieux différentes” Jean XXII, D.B. 493a, DS 926); le purgatoire est un lieu (Innocent IV parle du “lieu de ....purification” D.B. 456, D.S. 838, et Trente parle à propos du purgatoire d’“âmes qui y sont retenues”, D.B. 983, D.S. 1820, terme repris dans la profession de foi tridentine) et le Canon de la Messe définit le Ciel comme“lieu du rafraîchissement de la lumière et de la paix” [le terme même de “paradis” (Lc, 23, 43) indique un lieu]. Pour Suarez, la localisation de l’enfer est même une doctrine de foi catholique (D.T.C., rubrique Enfer, col. 101). L’erreur de Jean-Paul II se situe à l’opposé de celle du luthérien Brentz: alors que pour ce dernier l’Enfer est partout, pour Karol Wojtyla il n’est nulle part (cf. D.T.C., cit., col. 90). L’Enfer est-il une peine? Question oiseuse en apparence, mais qui ne l’est pas si l’on doit commenter Jean-Paul II. Le propre d’une peine selon saint Thomas est d’être “afflictive, contraire à la volonté, et infligée pour une faute” (I-II, q. 46, a. 6, ad 2). Or, Jean-Paul II écrit, à propos de l’Enfer: “il ne s’agit pas d’un châtiment que Dieu inflige de l’extérieur...” (II, 1); “c’est cet état d’auto-exclusion définitive de la communion avec Dieu et avec les bienheureux qu’on désigne par le mot ‘enfer’ (N. 1033, du Catéchisme de l’Eglise catholique)” (II, 3); “on ne doit donc pas attribuer la ‘damnation’ à l’initiative de Dieu, car dans son amour miséricordieux il ne peut que vouloir le salut des êtres humains qu’il a créés. La ‘damnation’ consiste précisément en l’éloignement définitif de Dieu librement choisi par l’homme et confirmé par la mort qui scelle ce choix à jamais. La sentence de Dieu ratifie cet état” (II, 3). 45 Certes, ce n’est pas qu’il existe une prédestination à la damnation calviniste, précédant toute prévision des mérites. Certes, Dieu, juge équitable, condamne seulement qui le mérite pour ses propres péchés. Certes, celui qui meurt en état de péché mortel ne peut jouir de la vision de Dieu, étant privé de la grâce sanctifiante (argument passé entièrement sous silence par Jean-Paul II), pas plus qu’il ne peut aimer Dieu puisque le péché en fait son ennemi. Cependant, Dieu (et Jésus-Christ) n’est plus le juge qu’Il est, s’Il ne prononce pas une condamnation et s’il ne fait pas suivre celleci d’un châtiment qui vient de l’extérieur, comme l’affirme par ailleurs clairement Jésus dans l’Evangile: “loin de moi, maudits, allez au feu éternel qui a été préparé au diable et à ses anges” (Mt, 25, 41). Il ne s’est pas auto-exclu cet homme entré dans la salle du banquet sans habit de noces, mais il est jeté dehors par le Roi: “liez-lui les mains et les pieds et jetez-le dans les ténèbres extérieures: c’est là qu’il y aura des pleurs et des grincements de dents” (Mt, 22, 13), tout comme le serviteur inutile de la parabole des talents (Mt, 25, 30). Elles ne sont pas autoexclues les vierges folles, et même elles frappent à la porte appelant: “Seigneur, Seigneur, ouvrez-nous!”, mais l’Epoux répond: “Je ne vous connaîs pas” (Mt, 25, 12). Il ne s’est pas auto-écartelé le serviteur infidèle: c’est le maître, de retour à l’improviste, qui “le fera écarteler et lui assignera le sort des hypocrites; c’est là qu’il y aura des pleurs et des grincements de dents” (Mt, 24, 51). Ce Dieu, qui selon Jean-Paul II ne châtie pas, selon Jésus doit être craint, car “après avoir ôté la vie, [il] a le pouvoir d’envoyer dans la Géhenne” (Luc, 12, 4). A quoi bon continuer? Ce que nous voulons démontrer est tellement évident! Dans la justice humaine aussi, le criminel se condamne en un certain sens lui-même en commettant le crime qui lui vaut la punition; mais à cette punition il aimerait échapper s’il le pouvait (sauf cas de vrai repentir, à exclure chez les damnés), et la peine, à raison, c’est le juge qui la lui inflige, elle n’est pas auto-infligée. Mais pour les motifs exposés ci-dessus, et s’il n’existait qu’une peine du dam c’est-à-dire perte de Dieu, on pourrait à la rigueur interprêter comme il convient ce qui est soutenu par Jean-Paul II: car cette perte dans le damné est en effet “la conséquence ultime du péché L’Enfer dans une fresque de la fin du moyen-âge lui-même, qui se retourne contre qui l’a commis” (II, 1). Mais pour ce qui regarde la peine du sens cette position est indéfendable... La peine du sens Pour Jean-Paul II existe-t-il en enfer la peine du sens, c’est-à-dire une peine venant de l’extérieur du damné, provenant d’une cause sensible par volonté positive de Dieu (cf. St Thomas, 2, d. 37, q. 3, a.1)? Dans tout le discours de Jean-Paul II il n’en est pas fait la moindre allusion, et qui plus est, on en peut trouver même la négation implicite:“il ne s’agit pas d’un châtiment que Dieu inflige de l’extérieur” (II, 1)... Toute la peine du damné (pardon: la “complète frustration et vacuité”, dont il parle en II, 3) lui vient de l’intérieur de lui-même, de son insatisfaction et absence de bonheur pour s’être fermé à l’amour (cf. II, 3). Et pourtant l’existence d’une peine du sens distincte de la peine du dam (ou damnation) est à croire de foi divine 46 (Cardinal Gasparri, Catéchisme catholique pour adultes, questions débattues, VII) et aussi de foi catholique explicitement définie par l’Eglise (Sacræ Theologiæ Summæ, de novissimis, n. 149, B.A.C., Madrid 1951); en nier l’existence serait une véritable hérésie (cf. Benoît XII, D.B. 531, D.S. 1002; IIème Concile de Lyon II, D.B. 464, D.S. 858). “Au feu éternel...”. Jean-Paul II pourrait-il être absout au confessionnal? Encore une question extravagante, sinon provocatrice, dira notre lecteur! Et pourtant, elle n’est pas sans fondement. En effet, le 30 avril 1890, le Saint-Siège (Car la Sacrée Pénitencerie est un organe du Saint-Siège), interrogé sur le point suivant: “doit-on donner l’absolution aux pénitents qui n’admettent en Enfer qu’un feu métaphorique, et non un feu réel”?, répondait: “il faut instruire avec soin ces pénitents et, s’ils s’obstinent, ne pas les absoudre” (5). Or, Jean-Paul II enseigne justement que ce feu, dont ne cesse de parler l’Ecriture Sainte - et particulièrement les Evangiles - doit être entendu symboliquement. “Pour décrire cette réalité [de l’enfer] l’Ecriture Sainte se sert d’un langage symbolique (...) En recourant à des images, le Nouveau Testament présente le feu destiné aux artisans d’iniquité comme une fournaise ardente, où il y a ‘des pleurs et des grincements de dents’ (Mt 13, 42; cf. 25, 30.41), ou bien comme la Géhenne ‘au feu inextinguible’ (Mc, 9, 43) (...) Les images qu’emploie l’Ecriture Sainte pour nous présenter l’enfer doivent être interprétées correctement” (II, 2-3). Et quelle en est l’interprétation ‘authentique’? “Elles montrent [indiquent] la complète frustration et vacuité d’une vie sans Dieu” (ibidem). Pour Jean-Paul II, par conséquent, le feu de l’Enfer (la principale des peines du sens, nous dit l’Ecriture Sainte) n’est qu’une image et un symbole de la peine du ‘dam’, ce qui revient - encore une fois - à nier de fait toute distinction entre les deux peines. Et même: plus que de la peine du dam (privation de la vision de Dieu), Jean-Paul II semble parler simplement d’un échec existentiel relevant d’un traitement psychanalytique (“complète frustration et vacuité d’une vie sans Dieu”), ce qui est assurément un bel exemple de langage personnaliste (mais peu théologique) (6). Le Dictionnaire de Théologie Catholique (rubrique: Feu de l’Enfer) expose longuement la question de la réalité du feu de l’Enfer dans l’Ecriture, dans les Pères et dans les théologiens. La conclusion (coll. 217-219) est que la doctrine de la réalité du feu de l’enfer est enseignée par le magistère ordinaire universel en sorte qu’il ne s’agit plus d’une question libre. Nier cette réalité (ce qui nous placerait aux côtés d’Origène et de Calvin) comporte au moins un péché mortel de témérité (en tant que négation de la doctrine commune). Si l’on veut aller plus avant, le D.T.C. affirme que cette doctrine est théologiquement certaine, proche de la foi et par conséquent définissable (cf. également Gasparri, l.c.; Hugon, Lépicier, Billot, etc.). Y a-t-il des damnés en Enfer? Mais Karol Wojtyla ne s’arrête pas là, allant même jusqu’à émettre l’hypothèse - qui n’est d’ailleurs pas une nouveauté dans sa pensée - selon laquelle, en définitive personne ne serait damné. “La damnation demeure une possibilité réelle, mais il ne nous est pas donné de connaître, sans une révélation divine spéciale, si des êtres humains, et lesquels, sont effectivement concernés” (II, 4). Inutile de chercher dans les manuels de théologie pré-conciliaires la réfutation de cette erreur, ou hérésie si vous voulez, car personne n’a jamais été assez fou pour émettre une telle hypothèse. La question débattue concernait le relativement petit ou grand nombre des élus par rapport à celui des réprouvés, mais personne, pas même les auteurs les plus bénins et optimistes, n’a jamais envisagé la solution extrême: le salut effectif de tous les hommes. En effet dire que, sans une révélation spéciale, comme dans le cas de Judas (Actes, 1, 25; Jn 17, 12; Mt 26, 24; D.T.C., Enfer, col. 99), nous ne pouvons pas savoir concrètement qui s’est damné est une chose, autre chose est soutenir que (peutêtre) personne ne se damne. Dans Entrer dans l’espérance (p. 201-202 éd. it.), Wojtyla explique plus longuement sa pensée: “Dans le Christ, Dieu a révélé au monde de vouloir (7) que ‘tous les hommes soient sauvés et viennent à la connaissance de la vérité’ (I Thim, 2, 4). Cette phrase [la seule?] de la Première Lettre à Thimothée a une importance fondamentale pour la vision et l’annonce des choses ultimes. Si Dieu le désire ainsi, si Dieu donne 47 son Fils pour cette cause (..) l’homme peut-il être damné, peut-il être rejeté par Dieu?”. La façon de poser la question laisse déjà présager la réponse négative... En effet: “depuis toujours le problème de l’enfer a troublé les grands penseurs de l’Eglise, depuis le tout début, depuis Origène, jusqu’à notre époque, avec Michel Bulgakov et Hans Urs von Balthasar”. Mais Bulgakov n’est-il pas un hérétique gnostique? Balthasar un tenant de la “nouvelle théologie”, condamnée par Pie XII, qui espérait le salut universel suite aux ‘visions’ d’une femme pour laquelle il avait quitté la Compagnie de Jésus? Et Origène ne fut-il pas lui aussi condamné? “En vérité doit admettre Wojtyla - les anciens conciles avaient repoussé la théorie de ladite apocatastase finale, d’après laquelle le monde doit être régénéré après la destruction et toutes les créatures sauvées; une théorie qui abolissait indirectement l’enfer”. L’Eglise a donc parlé: Origène est condamné, ses troubles et ceux de ses épigones sont hétérodoxes, la question est réglée! Eh bien non, “le problème demeure. Dieu qui a tant aimé l’homme peut-il permettre que celui-ci puisse le rejeter au point de devoir être condamné aux éternels tourments?” C’est à Dieu lui-même qu’il faut le demander! En effet, admet Jean-Paul II, “les paroles du Christ sont univoques. Dans Matthieu Il parle clairement de ceux qui iront au supplice éternel (cf. 25, 46)”. Alors JeanPaul II devrait dire de façon explicite que certains se damnent! Au lieu de le faire, il brouille de nouveau les cartes: “Ceux-ci qui seront-ils? L’Eglise ne s’est pas prononcée à ce sujet. C’est un mystère, vraiment inscrutable, entre la sainteté de Dieu et la conscience de l’homme. Le silence de l’Eglise est donc l’unique position opportune du chrétien. Même lorsque Jésus dit de Judas, le traître, ‘il vaudrait mieux pour cet homme qu’il ne fût pas né!’ (Mt 26, 24), la déclaration ne peut être comprise avec certitude dans le sens de l’éternelle damnation”, d’où les lecteurs concluront que si Judas, le ‘fils de la perdition’, ne s’est pas perdu, encore moins nous damneronsnous. Et pourtant, le Concile de Quiercy a défini: “Dieu tout-puissant ‘veut que tous les hommes’ sans exception ‘soient sauvés’ (1 Thim 2, 4); mais tous ne sont pas sauvés” (D.S. 623; D.B. 318). Cette espérance de salut universel va à l’encontre du sens évident de tout l’Evangile (“les paroles du Christ sont univoques”, admet lui-même Jean-Paul II), elle ne tient pas compte de ceux qui meurent avec le seul péché originel (8), elle va à l’encontre du dogme selon lequel “hors de l’Eglise, point de salut” (9) et se heurte enfin à l’évidence de l’expérience quotidienne selon laquelle la plupart des hommes et même des catholiques vivent en état de péché mortel. Et à la demande des apôtres “sont-ils nombreux ceux qui se sauvent?” Jésus n’a pas répondu qu’il se peut que tous se sauvent, il a dit au contraire: “entrez par la porte étroite, parce que large est la porte et spacieuse la voie qui conduit à la perdition, et nombreux sont ceux qui entrent par elle; combien est étroite la porte et resserrée la voie qui conduit à la Vie, et combien peu la trouvent” (Mt 7, 13-14). Qui va au Ciel, en Enfer, au Purgatoire? Nous l’avons vu, - pour Karol Wojtyla - il est probable que tout le monde va au Paradis et personne en enfer. Mais ici nous voulons parler du critère de jugement. Dans sa catéchèse sur le Ciel, par exemple, Jean-Paul II ne fait jamais mention de la grâce et de la nécessité de mourir dans la grâce de Dieu. Ses expressions sont, encore une fois, vagues et “personnalistes”: “ceux qui auront accueilli Dieu dans leur vie et qui se seront sincèrement ouverts à son amour au moins au moment de la mort, pourront jouir de cette plénitude de communion avec Dieu, qui constitue le but de l’existence humaine” (I, 1). Même chose pour le Purgatoire, aucune allusion au péché véniel ou au péché mortel pardonné mais insuffisamment expié; vont au Purgatoire “ceux qui se trouvent dans une condition d’ouverture à Dieu, mais d’un manière imparfaite” (III, 1). En Enfer, on y va pour un seul péché mortel; ici Jean-Paul II mentionne le péché mortel mais seulement une fois et cela dans une citation du Catéchisme; manifestement il préfère expliquer que peut se damner celui qui “repousse la miséricorde du Père même au dernier instant de sa vie” (I, 1). Voilà qui est vrai, indubitable, mais les auditeurs de Jean-Paul II - les hommes modernes avaient certainement besoin de se faire expliquer ce que signifie exactement repousser la miséricorde du Père ou s’obstiner à “ne pas s’ouvrir à l’Evangile” (I, 2). A-t-il repoussé la miséricorde du Père celui qui dit aimer Dieu mais meurt en état de péché? Il serait opportun de le préciser. 48 Les fins dernières et l’Ecriture Sainte Examinons maintenant brièvement l’interprétation que donne Jean-Paul II de l’Ecriture Sainte. Comment il réduit à l’état de symbole et d’image ce que Jésus dit du Ciel et de l’Enfer, nous l’avons déjà vu. Passons à d’autres erreurs. A propos de l’Enfer, Jean-Paul II exclut que la Révélation en ait parlé clairement dans l’Ancien Testament (cf II, 2). En admettant que ce soit vrai pour ce qui est du Pentateuque, il n’en est pas de même pour les Prophètes: Isaïe, Ezéchiel, Daniel (cf. D.T.C., rubrique enfer, coll. 35-36). Quant à la doctrine du Purgatoire, elle ne serait pas “énoncée de manière formelle” dans l’Ecriture Sainte (III, 2) toujours selon Jean-Paul II, alors que le Concile de Trente soutient que “l’Eglise catholique (...) a enseigné selon les saintes Lettres (...) qu’il y a un purgatoire” (D.S. 1820, F.C. 970) et que Luther a été conLa Résurrection des morts et le Jugement dans une fresque de la fin du moyen-âge damné pour avoir soutenu qu’“on ne peut pas prouver le Purgatoire par un texte de la Sainte l’Ecriture qui soit dans le canon” (Léon X, D.S. 1487, F.C. 968, D.B. 777). Mais, des passages invoqués par l’Eglise en faveur de la doctrine du Purgatoire, ne sont cités ni Mt 12, 32, ni le livre des Macchabées, mais seulement 1 Cor, 3, 14-15. Dans le discours que nous commentons cette doctrine est d’ailleurs réduite à sa plus simple expression: ni trace des peines du Purgatoire, ni trace des âmes du Purgatoire. Au Purgatoire on est même “en chemin vers la pleine béatitude” (III, 1). Plus qu’un “enfer” transitoire, le Purgatoire serait donc une béatitude à moitié pleine. Nequaquam moriemini (vous ne mourrez pas du tout) Telles sont les paroles du serpent tentateur pour inciter Eve à pécher alors qu’elle hésitait par crainte du châtiment divin: “Il n’est pas vrai que vous mourrez”! (Gn. 3, 4). Depuis lors, c’est ainsi que se comportent le démon et les mondains, ils rassurent le pécheur (cf. St Ignace, Exercices spirituels, n° 314). “Les mondains... pour s’animer à persévérer dans leur malice sans scrupule, crient tous les jours: ‘La vie, la vie! La paix, la paix! La joie, la joie! ... Dieu est bon. Dieu ne nous a pas faits pour nous damner; Dieu ne défend pas de se divertir; nous ne serons pas damnés pour cela; point de scrupule! Non moriemini [vous ne mourrez pas], etc.” (St Louis Marie Grignion de Montfort, Lettre circulaire aux amis de la croix, n° 10). Pie XII enseigne que “la prédication des premières vérités de la foi et des fins dernières non seulement n’a rien perdu en nos jours de son opportunité, elle est même devenue plus que jamais nécessaire et urgente. Même la prédication sur l’enfer. Sans doute il faut traiter ce sujet avec dignité et sagesse. Mais quant à la substance de cette vérité, l’Eglise a, devant Dieu et devant les hommes, le devoir sacré de l’annoncer, de l’enseigner sans aucune atténuation, telle que le Christ l’a révélée, et il n’y a aucune circonstance de temps qui puisse diminuer la rigueur de cete obligation. Elle lie en conscience chaque prêtre auquel, dans le ministère ordinaire ou extraordinaire, est confié le soin d’instruire, d’avertir et de guider les fidèles. Il est vrai que le désir du ciel est un motif en soi plus parfait que la crainte des 49 peines éternelles; mais il ne s’ensuit pas que ce soit pour tous les hommes aussi le motif le plus efficace pour les retenir éloignés du péché et pour les convertir à Dieu” (10). JeanPaul II a-t-il prêché les fins dernières et l’enfer “sans aucune atténuation”? Pas du tout. Jean-Paul II cultive l’espérance que tous effectivement se sauvent, et que même Judas s’est sauvé. Tout le contraire de saint Alphonse de Liguori, docteur de l’Eglise, qui prêchait au peuple: “Tous vont-ils au Paradis? Oh, combien peu y vont!” (11). Vatican II s’est présenté comme un Concile pastoral, c’est-à-dire particulièrement attentif aux besoins concrets des âmes. Karol Wojtyla lui-même a admis, avec Vittorio Messori, l’efficacité pastorale de la ‘vieille’ prédication des fins dernières: “combien de personnes furent amenées à la conversion et à la confession par ces prédications et réflexions sur les fins dernières! (...) On peut dire que ces prédications, en correspondance parfaite avec le contenu de la Révélation dans l’Ancien et dans le Nouveau Testament, pénétraient profondément dans le monde intime de l’homme. Elles secouaient sa conscience, le jetaient à genoux, le conduisaient à la grille du confessional, elles avaient en elles-mêmes une profonde action salvifique” (Entrez dans l’espérance, éd. it., pp. 197-198). C’est un éloge, certes, mais un éloge funèbre: le Concile a inauguré un “changement de la perspective eschatologique” (p. 200, cf. pp. 198-200). On a à faire à un changement non seulement doctrinalement erroné - nous l’avons vu - mais aussi pastoralement nuisible. La nouvelle prédication des fins dernières édulcore le Paradis, fait du Purgatoire un Paradis incomplet (et dans son discours Jean-Paul II n’a pas invité à prier pour les âmes du Purgatoire, sinon très vaguement au n° 6) et de l’Enfer un état de tristesse de l’âme sans personne qui l’expérimente. Le néo-origénisme de Karol Wojtyla s’insère dans la lignée de ces hérétiques du passé, les soi-disant “miséricordieux”, qui voulaient indirectement abolir l’enfer et ses souffrances. Mais y a-t-il une miséricorde plus cruelle et injuste que celle qui laisse les pécheurs dormir sur leurs deux oreilles, sans les avertir de l’imminence du châtiment de Dieu, car “désormais la cognée est mise à la racine des arbres; tout arbre qui ne donne pas de bon fruit sera taillé et jeté au feu” (Mt 3, 10). EN BREF Ne pouvant pas, pour des motifs d’espace et de temps, commenter les autres documents, nous signalons aux lecteurs certains points méritant d’être approfondis. * Divorcés remariés. A propos de la pastorale des divorcés remariés. La Libreria Editrice Vaticana a publié en un volume les documents du “magistère” sur cette question, avec une introduction du cardinal Ratzinger (texte français dans la D.C. n° 2201, 4 avril 1999, pp. 316-325). Le cardinal n’accepte pas les nouvelles théories admettant la possibilité d’accorder le mariage ou les sacrements aux divorcés remariés, mais il montre aussi l’évolution apportée par le Concile (cf. chap. I: vision personnaliste, suppression des canons 2356 et 855 § 1, etc.). En particulier, Ratzinger propose deux échappatoires, dont l’une est déjà entrée en application, et l’autre à étudier. La première déjà en acte consiste en la possibilité, exprimée par le nouveau code (cann. 1536 § 2 et 1679) de déclarer la nullité du mariage en se basant uniquement sur les déclarations des époux! (II, 7; III, 3 b). L’autre envisageable dans le futur est la possibilité de ne plus considérer le mariage entre deux baptisés comme un sacrement, si, au moment du mariage, ceux-ci ne sont pas croyants (cf. III, 4). Quoiqu’il en soit, les “divorcés remariés” sont passés de l’état de pécheurs publics (I, 2) à celui de témoins, à certaines conditions et “à leur façon, de l’indissolubilité du mariage et de leur fidélité à l’Eglise” (II, 4). * Les “péchés” de l’Eglise. Le discours de Jean-Paul II au cours de l’audience générale du 1er septembre 1999 (D.C. 2211, pp. 834-835, O.R. 2 sept. ) reprend les thèmes de Tertio Millennio Adveniente, préparant la grande abjuration prévue pour le mercredi des Cendres de l’an 2000. * Accord avec les luthériens sur la justification (D.C. n° 2209, pp. 720-722). Le 31 octobre à Augsbourg (ville de la fameuse profession de foi protestante) “à l’occasion de la fête de la Réforme” (le 31 octobre est le jour de la révolte de Luther) sera signé un document commun catholico-luthérien sur la justification. Il s’agit d’une annexe à la Déclaration commune catholique et luthérienne sur la doctrine de la justification”, déclarée jusqu’alors en partie contraire à la foi 50 catholique, par ses auteurs eux-mêmes! (cf. Sodalitium n° 47, p.77-78). “L’Eglise catholique et la Fédération luthérienne mondiale ont entamé le dialogue et l’ont poursuivi en partenaires dotés de droits égaux (‘par cum pari’)” (D.C. 4). La déclaration commune garde un silence quasi total pour les points sur lesquels les doctrines catholique et protestante sur la justification se contredisent et donne ainsi un sens luthérien aux points sur lesquels les deux doctrines seraient, à la rigueur, conciliables. * Sacerdoce féminin. Chassez-le par la porte, il reviendra par la fenêtre? Paul VI (Inter insigniores) et Jean-Paul II (Ordinatio sacerdotalis) avaient fermé la porte au sacerdoce féminin (en taisant toutefois les arguments intrinsèques et décisifs), mais ils l’ont laissée ouverte au diaconat. Un article de P. Piersandro Vanzan publié sur La Civiltà Cattolica (n ° 3562, 6 mars 1999) - et les articles de la C.C. sont approuvés en haut lieu admet la possibilité du diaconat féminin [la DC (n° 2203, pp. 440-446) reprend l’article, traduit en français]. Etant donné que le diaconat fait partie du sacrement de l’Ordre, l’incompatibilité entre Ordre et sexe féminin tomberait. Et voilà comment se rouvrirait la discussion sur le sacerdoce... * Salut universel? “Le mystère du ‘retour-à-la-maison [du ‘fils prodigue’] exprime admirablement la rencontre entre le Père et l’humanité, (...) dans un cercle d’amour qui ne concerne pas seulement le fils perdu, mais qui s’étend à tous” (Audience générale du 8 sept., D.C. n° 2212, p. 879 n° 5). * Judaïsme. “Dans l’après-midi du vendredi 11 juin, le Pape Jean-Paul II est allé se recueillir au monument des victimes de l’Holocauste, édifié en 1988 (...). Le Pape, entouré de membres de la communauté juive, est longuement resté en silence avant de prononcer une prière au ‘Dieu d’Abraham, Dieu des Prophètes...’. A l’initiative de Steven Goldstein, le Pape a écrit une prière qui a été imprimée sur une image diffusée à un million d’exemplaires en Pologne. Elle reproduit la photo de la rencontre du Pape et du grand rabbin Elio Toaff, à Rome, le 13 avril 1986. Le Pape a lu cette prière à haute voix sur cet emplacement du ghetto de Varsovie. En voici le texte intégal: ‘Dieu d’Abraham, Dieu des Prophètes, Dieu de Jésus-Christ, en toi tout est contenu; vers toi tout se dirige; tu es le terme de tout. Exauce notre prière à l’intention du peuple juif, qu’en raison de ses Pères, Tu continues de chérir. Suscite en lui le désir toujours plus vif de pénétrer profondément ta vérité et ton amour. Assiste-le pour que, dans ses efforts pour la paix et la justice, il soit soutenu dans sa grande mission de révélation au monde de ta bénédiction. Qu’il rencontre respect et amour chez ceux qui ne comprennent pas encore ses souffrances, comme chez ceux qui compatissent aux blessures profondes qui lui ont été infligées, avec le sentiment du respect mutuel des uns envers les autres. Souviens-toi des générations nouvelles, des jeunes et des enfants: qu’ils persistent dans la fidélité envers toi, dans ce qui constituent l’exceptionnel mystère de leur vocation. Inspire-les, pour que l’humanité comprenne que tous les peuples ont une seule origine et une seule fin: Dieu, dont le dessein de Salut s’étend à tous les hommes. Amen.’”. (Texte français dans D.C. n° 2208, p. 678. L’O.R. du 13 juin, p. 4 rapporte le fait mais ne trancrit pas la prière). Notes 1) Le nouveau Catéchisme de l’Eglise catholique mentionne la vision béatifique aux nn° 954 et 1028. Jean-Paul II omet la citation de ces références traditionnelles, pour faire siens au contraire seulement les passages qui expriment une vision personnaliste du Paradis. D’une façon générale, les trois discours de Jean-Paul II aggravent systématiquement les erreurs ou les ambiguïtés du Catéchisme qui, étant écrit par plusieurs, exprime des points de vue différents sur la foi catholique. 2) R. Buttiglione, Il pensiero di Karol Wojtyla, Jaca Book, Milano 1982, pp. 60-69; éd. française: La pensée de Karol Wojtyla, Fayard, 1984, pp. 70-82. 3)“A cette expérience (anthropologique) ont beaucoup contribué les philosophes du dialogue, comme Martin Buber ou Emmanuel Lévinas cité plus haut. Et nous nous trouvons désormais très proches de saint Thomas, mais la route passe non pas tant à travers l’être et l’existence, qu’à travers les personnes et leur rencontre à travers le ‘je’ et le ‘tu’. (...) Où donc les philosophes du dialogue ont-ils appris cela? Ils l’ont appris avant tout par l’expérience de la Bible” (interprétée naturellement à la lumière de la ‘tradition’ de Lévinas et Buber!, n.d.r.) (Giovanni Paolo II, Varcare la soglia della speranza, Mondadori, Milano 1994, p. 37; fr. Entrez dans l’espérance). 4 ) C’est cette même difficulté que nous avons soumise - en vain - à Mgr Caffara et au Père Grelot à propos de leurs théories sur l’Ascension de Notre-Seigneur et l’Assomption de la Sainte Vierge: si leurs corps ne sont pas au Ciel (où que soit ce Ciel) où se trouvent-ils actuellement? (cf. Revue de Presse n° 4, mai-oct. 98, pp. 3-4). On retrouve la même conception dans la pensée de Joseph Ratzinger. “Le discours qui nous parle de l’ascension au ciel, avec celui qui lui fait pendant sur la descente aux enfers, met devant les yeux de notre génération, désabusée par la critique de Bultman, l’expression 51 de cette triple stratification du monde que nous appelons mytique, et que nous considérons comme désormais dépassée (...) en substance on ne peut plus désormais parler de ‘au-dessus’ et de ‘au-dessous’ (...) le cosmos ne présente plus de direction fixe. Une disposition du monde sur trois plans localement échelonnés n’existe plus pour de vrai”. Par conséquent Jésus n’est pas vraiment descendu aux enfers, ni monté au ciel, même si les Apôtres l’ont vu monter dans les nuages. Pour Ratzinger l’enfer signifie “le vouloir-être seulement-soi-même; chose qui advient lorsque l’homme se barricade dans son ‘je’. Vice-versa, l’essence de cet au-dessus que nous appelons ciel a la caractéristique de ne pouvoir être que reçu, alors que l’enfer, on ne peut se l’infliger que soimême. (...) Le ciel, en tant qu’amour parfait, peut toujours et seulement être accordé à l’homme; son enfer, par contre, est la solitude dans laquelle se précipite qui ne veut pas recevoir, qui refuse la condition de mendiant se renfermant en soi-même. (...) [le ciel] n’est pas entendu comme un lieu éternel d’outre-monde (...). Nous devons même répéter que les réalités ‘ciel’ et ‘ascension du Christ au ciel’ sont connexes et indissociables (...) le ciel n’est pas un lieu barricadé par un décret positiviste de Dieu avant l’ascension du Christ (...) le ciel se définit par la prise de contact entre la nature de l’homme et la nature de Dieu; or cette fusion entre Dieu et l’homme s’est définitivement réalisée dans le Christ, lorsque dépassant l’état biologique il est passé à travers la mort pour parvenir à la nouvelle vie” (traduit de l’éd. it. Introduzione al cristianesimo, Queriniana, Brescia 1986 - 8ème éd. - pp. 254-256). Avec sa descente aux enfers le Christ aurait donc expérimenté la solitude de la mort, avec sa Résurrection se serait manifestée la victoire de l’amour sur la mort et avec l’Ascension au ciel, son union avec Dieu. Tout cela est bien beau. Mais à Ratzinger aussi posons très impoliment cette question: “où est donc maintenant le corps du Christ? Si le ‘ciel’ n’existe pas et si le Christ n’est jamais monté physiquement, qu’ont donc vu, ce jour-là, les Apôtres? Où donc un nouveau Thomas aurait-il bien pu mettre son doigt et sa main? 5) Cf. D.T.C. rubrique “Feu de l’Enfer” col. 22182219. 6) La réduction de l’enfer à une dimension purement naturelle est proposée aussi dans ces paroles: “On peut comprendre la dimension de malheur que comporte cette condition à la lumière de certaines de nos terribles expériences qui font de la vie, comme on a coutume de le dire, un ‘enfer’” (I, 1). L’enfer, c’est les autres... 7) Etant donné que la volonté de Dieu s’accomplit toujours, tous les hommes devraient effectivement être sauvés. C’est l’objection que pose saint Thomas dans la Somme Théologique (I, q. 19, a. 6: la volonté de Dieu s’accomplit-elle toujours?): “l’Apôtre dit que ‘Dieu veut que tous les hommes soient sauvés et arrivent à reconnaître la vérité’. Ne sait-on pas que les choses ne se passent point ainsi? (...) La volonté de Dieu n’est donc pas toujours accomplie”. A cette objection, le Docteur commun répond: “(...) [la parole de saint Paul] s’entend de la volonté antécédente de Dieu, non de sa volonté conséquente. (...) Pour la comprendre il faut se souvenir qu’une chose est voulue de Dieu pour autant qu’elle est bonne. Or une chose qui à première vue, considérée strictement en elle-même, est jugée bonne ou mauvaise, peut ensuite, si on l’envisage en y ajoutant quelque particularité ou circonstance - et c’est une considération conséquente - être jugée tout à rebours. Ainsi il est bon qu’un homme vive et qu’on tue un homme c’est un mal, à regarder les choses en elles-mêmes: mais si l’on ajoute, en parlant d’un certain homme, que c’est un homicide, que sa vie est un péril public, alors il est bon que cet homme meure, et c’est qu’il vive qui est un mal. On pourra dire en conséquence, d’un juge équitable: a priori, d’une volonté antécédente, il veut que tout homme vive; mais tout considéré, d’une volonté conséquente, il veut que l’homicide soit pendu. De même Dieu, antécédemment, veut que tout homme soit sauvé; mais conséquemment, c’est-à-dire en conséquence de ce qui se passe, il veut que certains soient damnés selon que l’exige sa justice”. Saint Thomas précise que pourtant la volonté de Dieu de sauver tous les hommes est sincère et vraie, mais seulement secundum quid: “le juge équitable veut simplement (simpliciter) la pendaison de l’homicide, mais (...) sous un certain rapport (secundum quid) il voudrait le voir vivre, en tant qu’il est homme. Cela se nommerait mieux une velléité qu’une volonté proprement dite”. Et voilà comment, de façon claire et condensée, saint Thomas réduit à néant toutes les insinuations et ambiguïtés de Jean-Paul II. 8) L’Eglise a donné cette définition: “la peine du péché originel est la privation de la vision de Dieu [peine du dam]; mais la peine du péché actuel est le supplice de l’enfer éternel [peine du dam et peine du sens]” (D.S.780; F.C. 685); “Pour les âmes de ceux qui meurent en état de péché mortel, actuel ou avec le seul péché originel, elles descendent immédiatement en enfer, où elles reçoivent cependant des peines inégales” (D.S. 858, cf. 1306; F.C. 967), et l’Eglise a condamné “la doctrine qui rejette comme une fable pélagienne ce lieu des enfers (que partout les fidèles nomment limbes des enfants) où les âmes de ceux qui sont morts avec le seul péché originel sont punies par la peine du dam sans la peine du feu” (D.S. 2626). Par conséquent, les enfants qui meurent sans baptême, avec le seul péché originel, ne sont pas sauvés; ils subissent la peine du dam (privation de la vision de Dieu) mais non la peine du sens (feu de l’enfer). Cette doctrine est de nos jours habituellement niée ou, comme dans le Catéchisme de l’Eglise catholique, totalement passée sous silence. 9) Entre autres doctrines, l’Eglise a condamné les suivantes: “Les hommes peuvent trouver la voie du salut éternel, et obtenir le salut éternel dans le culte de n’importe quelle religion” (D.S. 2916; F.C. 448), “On peut au moins bien espérer du salut éternel de tous ceux qui ne sont en aucune façon de la véritable Eglise du Christ” (D.S. 2917; F.C. 449). Ad hominem, j’ajoute que même dans Vatican II cette doctrine se trouve encore en substance énoncée (LG 14). 10) Allocution aux curés et prédicateurs de carême de Rome, 23 mars 1949. 11) Saint Alphonse, Discorsi sacri morali..., Remondini, Bassano, 1829, p. 136. Sermon XLIV pour le XVème dimanche après la Pentecôte, Della morte pratica, point III. 52 Vie Spirituelle REFLEXIONS SUR LA PROVIDENCE DE DIEU Par M. l’abbé Ugolino Giugni D ans l’Evangile Jésus invite les hommes à avoir confiance en Dieu et à se confier en sa Providence. Lisons-le et commentons-le avec les Pères de l’Eglise. Le texte de l’Evangile Nul ne peut servir deux maîtres: car ou bien il haïra l’un et aimera l’autre, ou bien il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez servir Dieu et l’Argent. C’est pourquoi je vous dis: Ne vous inquiétez pas pour votre existence de ce que vous mangerez ou de ce que vous aurez à boire, ni pour votre corps de ce que vous aurez comme vêtement. La vie n’est-elle pas plus que la nourriture et le corps plus que le vêtement? Regardez les oiseaux du ciel, qui ne sèment ni ne moissonnent et qui n’entassent pas dans des granges, mais que nourrit votre Père céleste: ne valez-vous pas beaucoup plus qu’eux? Qui de vous, d’ailleurs, pourrait à force de soucis, augmenter d’une seule coudée la longueur de sa vie? Et pourquoi vous inquiéter pour le vêtement? Observez comment croissent les lis des champs: ils ne travaillent ni ne filent; or, je vous le dis, Salomon lui-même, dans toute sa gloire, n’a jamais été vêtu comme l’un d’eux. Si donc Dieu revêt ainsi la plante des champs, qui existe aujourd’hui, mais qui demain sera jetée dans le four, est-ce qu’il ne le fera pas bien plus pour vous, gens de peu de foi! Ne vous inquiétez donc pas et ne dites pas: Que mangerons-nous, ou que boirons-nous, ou de quoi nous vêtirons-nous? De tout cela, en effet, les païens sont en quête, alors que votre Père céleste sait que vous avez besoin de tout cela. Cherchez premièrement le royaume de Dieu et sa justice, et tout cela vous sera donné en plus. Ne vous inquiétez donc point pour le lendemain, car le lendemain aura à s’inquiéter de lui-même: à chaque jour suffit sa misère (Matth. VI 24-34). Commentaire Nul ne peut servir deux maîtres: nous ne devons pas nous imaginer pouvoir concilier l’amour des biens temporels et l’amour des biens éternels. Ils sont inconciliables et conduisent à des directions opposées, entre lesquelles il faut nécessairement choisir, puisque ou bien il haïra l’un et aimera l’autre, ou bien il s’attachera à l’un et méprisera l’autre; donc conclut Jésus, vous ne pouvez servir Dieu et Mammon. Mammon est un mot syriaque qui signifie richesse; il est ici personnifié pour indiquer le démon, dieu des richesses. Dieu est jaloux de l’amour de l’homme et veut notre cœur tout entier à lui; nous devons donc choisir, ou l’amour de Dieu ou l’amour des richesses. “La soumission à deux maîtres – dit St Hilaire de Poitiers – est déloyale et le même homme ne peut avoir un souci égal pour le siècle et pour Dieu. Il faut qu’il ait de la haine pour l’un et de l’amour pour l’autre, parce que les mêmes œuvres ne sauraient convenir à des maîtres aux volontés divergentes [et il est certain que Dieu et le diable ont des volontés et des fins différentes…], et que les pauvres en esprit, agréables à Dieu, ne sauraient s’adapter à l’ostentation ambitieuse de ce monde”. La confiance en Dieu ne doit pas se borner aux moments de prière mais doit imprégner chaque instant de notre vie, tant matérielle que spirituelle. L’Evangile n’a peutêtre pas de pages plus belles et plus savoureuses que celles que l’on vient de citer dans lesquelles le Seigneur nous enseigne le confiant abandon. Pour nous persuader de cette vérité et nous inviter à nous confier en la Divine Providence le Seigneur donne quatre arguments. Jésus veut que les hommes soient libérés de toute préoccupation excessive pour ce qui concerne le côté matériel de la vie, afin que nous ayons l’âme plus ouverte du côté du ciel. La vie n’est-elle pas plus que la nourriture et le corps plus que le vêtement?… C’est la première raison ou premier fondement de notre confiance: Celui qui donne le plus, donne le moins. Or si Dieu nous a donné ce qui est le plus: la vie, sans que nous lui demandions, comment pouvons-nous penser qu’Il ne pourvoit pas au moins, c’est-à-dire à la nourriture, sans laquelle nous ne pouvons conserver la vie? S’Il nous a donné un corps, 53 comment pourra-t-Il nous refuser le vêtement, qui doit le recouvrir et le défendre des intempéries? St Ambroise commente: “Rien en réalité n’est mieux fait pour donner confiance à ceux qui croient que Dieu peut tout accorder, que ce souffle d’air faisant durer l’union vitale de l’âme et du corps associés et conjoints, sans travail de notre part, et la ressource des aliments salutaires ne venant à manquer que lorsqu’est arrivé le jour suprême de la mort. Puis donc que l’âme est revêtue de l’enveloppe du corps, et le corps animé par l’énergie de l’âme, il est absurde de croire que les moyens de vivre nous manqueront, quand nous avons la réalité permanente de la vie”. Seconde raison Regardez les oiseaux du ciel, qui ne sèment ni ne moissonnent et qui n’entassent pas dans des granges, mais que nourrit votre Père céleste; ne valez-vous pas beaucoup plus qu’eux? Dieu procure toute la nourriture aux bêtes des champs et des bois, et aux oiseaux de l’air, qui sans lui périraient; encore plus donc prendra-t-Il soin de nous, pauvres humains mais créés à son image et à sa ressemblance. Si les oiseaux du ciel vivent sans soucis du lendemain (ils ne sèment ni ne moissonnent) et attendent leur subsistance journalière de la Divine Providence (votre Père céleste les nourrit) pourquoi ne devraitIl pas faire la même chose pour nous, qui sommes ses enfants, étant donné que nous valons beaucoup plus qu’eux? St Ambroise: “Grand exemple, à coup sûr, et digne d’être imité par la foi. Car si les oiseaux du ciel, qui n’exercent en aucune façon l’agriculture, qui ne récoltent pas les moissons copieuses, reçoivent cependant sans faute de la providence divine leur nourriture, il faut vraiment voir dans l’avarice la cause de notre indigence. Car s’ils ont en abondance les ressources d’une pâture qui ne vient pas de leur travail, c’est qu’ils ne savent pas revendiquer comme propriété particulière les fruits à eux donnés pour la nourriture de tous, au lieu que nous avons perdu les biens communs en revendiquant des propriétés (…). Pourquoi considérer les richesses comme à vous, quand Dieu a voulu que le vivre même vous fût commun avec les autres animaux? Les oiseaux du ciel ne revendiquent rien pour eux spécialement, et c’est pourquoi ils ignorent la disette de nourriture, ne sachant envier les autres”. Troisième raison Qui de vous, d’ailleurs, pourrait, à force de soucis, augmenter d’une seule coudée la longueur de sa vie? Et St Luc ajoute: Qui de vous, en s’inquiétant ainsi, peut ajouter à sa taille une seule coudée? Il s’agit ici de la longueur de la vie dans le temps, ou de la hauteur du corps, ce qui serait donc de toute façon un agrandissement notable. Toutes nos sollicitudes seraient vaines sans Dieu, que pouvons-nous faire sans lui (sans moi vous ne pouvez rien faire… Jn XV, 5), qui peut allonger sa taille ou changer son aspect extérieur, même en le désirant fortement? Et qui peut allonger d’une seule minute la durée de son existence, aller au-delà du temps établi par Dieu? St Hilaire dit: “Combien, en étant incertains au sujet du vêtement, c’est-à-dire de l’aspect des corps, nous outrageons celui qui doit augmenter assez la taille des corps humains pour rendre tous les hommes égaux et uniformes!” Quatrième raison Elle confirme la deuxième; déjà avec l’exemple des oiseaux Il nous a montré que nous ne devons pas nous inquiéter plus de la nourriture que du vêtement: Et pourquoi vous inquiéter pour le vêtement? Observez comment croissent les lis des champs: ils ne travaillent ni ne filent; or, je vous le dis, Salomon lui-même, dans toute sa gloire, n’a jamais été vêtu comme l’un d’eux. Si donc Dieu revêt ainsi la plante des champs, qui existe aujourd’hui, mais qui demain sera jetée dans le four, est-ce qu’il ne le fera pas bien plus pour vous, gens de peu de foi! Dieu fera certainement beaucoup plus pour l’homme, pour le chrétien, pour l’héritier de sa gloire, que ce qu’Il fait non seulement pour les fleurs mais pour un ténu brin d’herbe. Une fleur aussi belle que le lis blanc est plus belle que la splendeur d’un roi comme Salomon, mais cette fleur dure un jour, ou avec la chaleur de l’Orient se fane en quelques heures; pourquoi nous préoccupons-nous pour le vêtement si donc Dieu use de tant de bonté et de miséricorde pour une fragile fleur? Le Saint évêque de Milan commente: “Bonne parole et bien humaine: par la comparaison de la fleur et de l’herbe, le discours du Seigneur nous a invités à la confiance que Dieu nous accordera sa miséricorde: soit, selon la lettre, parce que nous ne pouvons rien ajouter à la taille de notre corps, soit, au sens spirituel, parce que nous ne pouvons dé- 54 passer la mesure de notre taille sans la faveur de Dieu. Qu’y a-t-il en effet d’aussi propre à persuader que de voir même les êtres sans raison si bien vêtus par la providence de Dieu qu’il ne leur manque rien de ce qui peut les embellir et orner? A plus forte raison devezvous croire que l’homme raisonnable, s’il s’en remet à Dieu de tous ses besoins et n’abandonne pas la confiance en s’avisant de douter, ne saurait jamais manquer, comptant à bon droit sur la faveur divine. Il faut cependant examiner tout ceci plus à fond: car il ne semble pas indifférent que la fleur soit comparée à l’homme même, voire placée presque au-dessus des hommes personnifiés par Salomon, qui eut ce privilège soit de construire à Dieu un temple au Seigneur selon les apparences, soit, selon le mystère, de figurer l’Eglise du Christ. Il ne paraît donc pas hors de propos de penser que le brillant coloris représente la gloire des anges du Ciel; ils sont réellement les fleurs de ce monde, parce que le monde est orné de leurs clartés, et qu’ils répandent la bonne odeur de la sanctification. Munis de leurs secours, nous pouvons dire: “Nous sommes la bonne odeur du Christ parmi ceux qui sont sauvés” (II Cor. II, 15). N’étant entravés par aucune sollicitude, n’étant agités par aucune nécessité de travailler, ils gardent en eux le bienfait de la libéralité divine et les dons de la nature céleste. Aussi est-ce à bon droit que Salomon vous est montré, ici revêtu de sa gloire, ailleurs couvert, parce qu’il couvrait en quelque sorte la faiblesse de sa nature corporelle par la force de l’âme, et la revêtait de la splendeur de ses ouvrages: au lieu que les anges, dont la nature plus proche de Dieu demeure exempte de toute souffrance corporelle, si grand que soit un homme, lui sont justement préférés à raison de notre infirmité. Puis donc que par la résurrection les hommes seront comme les anges dans le Ciel, le Seigneur, en citant l’exemple des anges, nous a commandé d’espérer l’enrichissement de la gloire céleste, Lui qui l’a accordée à eux également, jusqu’à ce que cette mortalité soit absorbée par la vie; car ce corps corruptible doit revêtir l’incorruptibilité et ce corps mortel revêtir l’immortalité. Beaucoup jugent cette comparaison particulièrement heureuse, eu égard à la nature de la fleur et aux mœurs de la plante dont il est question. Les lis n’ont pas besoin d’être Jésus prêchant: “Observez comment croissent les lis des champs...” soignés et cultivés chaque année; il n’y a pas de similitude entre la récolte des autres fruits et la production de cette fleur: le travail ne revient pas s’imposer chaque saison au souci des agriculteurs. Quelle que soit la sécheresse de la campagne, tout ce qui se développe est poussé à fleurir par la vertu native d’une sève qui vient d’eux et demeure toujours en eux. Ainsi quand vous voyez desséchée la tige des feuilles adultes, la nature de la fleur est pourtant vivace: sa verdeur est cachée, non morte; mais dès qu’elle est réveillée par les caresses du printemps, elle reprend le vêtement des bourgeons, la chevelure de la fleur ou la parure du lis”. Ne vous inquiétez donc pas et ne dites pas: Que mangerons-nous, ou que boirons-nous, ou de quoi nous vêtirons-nous? De tout cela, en effet, les païens sont en quête, alors que votre Père céleste sait que vous avez besoin de tout cela. C’est un peu la conclusion du raisonnement du Seigneur. La préoccupation fébrile pour les choses nécessaires à la vie est indigne d’un vrai chrétien, elle convient seulement aux païens, l’homme de foi doit avoir des pensées plus élevées. Si Dieu est notre Père Il connaît nos vraies nécessités et Il ne nous fera manquer de rien de ce dont nous avons besoin. Le regard aimant de sa Providence ne nous abandonne jamais. Ne vous inquiétez pas… «Le père Jean l’Eunuque, dans sa jeunesse, interrogea un 55 vieillard: “Comment avez-vous pu accomplir l’œuvre de Dieu dans le repos? Nous, nous ne le pouvons pas, même avec peine!”. Et le vieillard dit: “Nous, nous l’avons pu parce que nous considérions comme capitale l’œuvre de Dieu, et comme très inférieures, les nécessités corporelles; mais vous, vous tenez comme capitales les nécessités corporelles, et comme moins nécessaire l’œuvre de Dieu, c’est pourquoi vous peinez, et c’est pourquoi le Sauveur dit aux disciples: Oh hommes de peu de foi, cherchez premièrement le royaume de Dieu et le reste vous sera donné en plus”». Cherchez premièrement le royaume de Dieu et sa justice, et tout cela vous sera donné en plus. “Il montre - dit St Ambroise - que la grâce ne manquera aux croyants ni pour le présent ni pour la suite, pourvu que, désirant le divin, ils ne cherchent pas le terrestre. Se mettre en peine de la nourriture sied vraiment peu à des hommes qui sont au service du Royaume. Le Roi sait comment nourrir, alimenter, vêtir sa maison; aussi a-t-Il dit: Déposez vos soins dans le sein du Seigneur, et lui-même vous nourrira (Ps. LIV, 23)”. Dieu veut que tout d’abord nous cherchions son royaume c’està-dire sa justice, la vertu, la sainteté, l’observance de sa loi qui est la seule qui puisse nous donner droit à jouir de la béatitude éternelle, et Il pensera à tout le reste. Si nous faisions ainsi, semble nous dire le Seigneur, nous recevrions même les biens terrestres (et tout cela vous sera donné en plus…), c’est-à-dire de quoi manger, de quoi s’habiller, et tout le reste qu’Il nous a montré plus haut. Nous ne devons pas être des hommes de peu de foi pour ne pas mériter le reproche du Seigneur. “O Jésus! redites souvent au fond de mon âme vos paroles si encourageantes. Enseignez-moi là, dans le silence de toutes choses, le sens profond et caché de vos divins enseignements. Aidez-moi à affranchir mon âme de toutes les préoccupations de ma vie matérielle, de tous les soucis intempestifs de ma vie spirituelle. Ce sont comme autant de filets qui retiennent mon âme captive. Que votre confiance, une confiance toujours plus pleine et plus absolue, la délivre et lui permette de prendre son essor vers les régions des célestes clartés, pour s’y griser de lumière et d’amour sous l’éclat de vos divines perfections” (JAEGHER, op.cit). Bibliographie: S T A MBROISE DE M ILAN , Traité sur l’Evangile de St Luc, tome II, livres VII-X, Sources Chrétiennes, éd. du Cerf, Paris 1958. ST HILAIRE DE POITIERS, Sur Matthieu, tome I, Sources Chrétiennes, éd. du Cerf, Paris 1978. P AUL DE J AEGHER S.J., Confiance, Méditations, tome I, Desclée de Brouwer, Paris 1939. Les Apophtegmes des Pères du Désert, Textes de Spiritualité Orientale, n° 1, 1966. DEHAUT, L’Evangile expliqué, défendu, médité…, tome II, Lethielleux, Paris 1878. “Le Pape du Concile” XXIIIEME PARTIE: “LA LUTTE POUR LE CONCILE DURANT LA PRÉPARATION”: LA RÉFORME LITURGIQUE EN VUE Par M. l’abbé Francesco Ricossa D ans la dernière partie (Sodalitium n° 47) j’avais rapporté le jugement de l’historien Komonchak sur les Commissions préparatoires du Concile Vatican II: “seule la commission liturgique et le secrétariat pour l’unité des chrétiens semblent avoir été réellement à la hauteur de la vision du pape”, Jean XXIII pour être clair, vision profondément innovatrice (cf. p. 37). Sur le secrétariat du card. Bea je me suis déjà longuement étendu: créé par Jean XXIII pour réaliser l’œcuménisme, il se heurtait institutionnellement aux finalités du Saint-Office. Avant de retracer le rôle de la commission liturgique dans la préparation du Concile, il nous reste à comprendre le pourquoi de cette autre anomalie d’une commission ‘révolutionnaire’ dans le cadre d’une préparation conciliaire encore substantiellement traditionnelle. L’origine de cette anomalie doit être recherchée dans une autre commission, celle pour la réforme liturgique, instituée par Pie XII longtemps auparavant, le 28 mai 1948, à côté de la sacrée Congrégation des Rites, à laquelle institutionnellement aurait dû revenir de s’occuper de liturgie. Entre les deux commissions, celle de 1948 et celle de 1960, existe un lien et c’est le nom du Secrétaire de 56 chacune d’elles: le Père Annibal Bugnini, tristement fameux comme “père” du nouveau missel de 1969 (30 ans déjà!). Aussi, pour comprendre comment le Père Bugnini a dirigé la réforme liturgique depuis 1948, nous faut-il dire quelques mots sur ledit “mouvement liturgique”... Un préambule un peu long, il est vrai, mais indispensable à la compréhension de ce qui est arrivé durant le Concile et le post-Concile. Le mouvement liturgique et ses déviations J’ai déjà parlé du mouvement liturgique dans un article publié antérieurement dans Sodalitium; le considérant toujours comme substantiellement valide, j’y renvoie le lecteur (1). Sur les traces de Gamber (2) et de Bonneterre (3), j’en avais illustré l’histoire et les déviations. Au XVIIIème siècle, le domaine liturgique avait subi lui aussi l’influence néfaste de l’Illuminisme et du Jansénisme. Après la Révolution française, c’est l’Abbé de Solesmes, Dom Prosper Guéranger (1805-1875), restaurateur de l’ordre bénédictin en France, qui restaura également la liturgie romaine dans ce pays; il peut donc être considéreé - selon l’expression de Paul VI lui-même- comme le précurseur du Mouvement liturgique ( 4). Les deux ouvrages les plus fameux de Guéranger résument parfaitement l’ensemble de son œuvre. Avec les trois volumes des Institutions liturgiques (1840), il entendait ramener le clergé français à la connaissance et à l’amour de la liturgie romaine, s’attaquant dans le même temps aux principes liturgiques des gallicans et des jansénistes. Avec l’Année liturgique, commencée l’année suivante, il découvrait aux fidèles les trésors de la liturgie, leur permettant ainsi de la mieux suivre et d’y participer davantage. C’est durant le Pontificat de saint Pie X (1903-1914), que, parti de la France, ce mouvement de redécouverte de la liturgie devait donner ses meilleurs fruits; de Saint Pie X rappelons le motu proprio sur la restauration du chant liturgique ‘grégorien’ (Tra le sollecitudini 1903), l’invitation à la communion fréquente (décret Sacra Tridentina Synodus de 1905) et la communion des petits enfants dès l’âge de raison (décret Quam singulari de 1910), et enfin la réforme du Bréviaire (bulle Divino afflatu de 1911) (5). A en croire l’Institutio generalis du nouveau missel de Paul VI, la réforme de Vatican II n’aurait fait que mener à terme l’œuvre entreprise par saint Pie X. Un bref examen suffit à démontrer irréfutablement le contraire: les réformes liturgiques conciliaires sont plutôt débitrices des principes liturgiques de l’Illuminisme et du Jansénisme, de Pasquier Quesnel (condamné par Innocent XI) et de Scipion de Ricci (condamné par Pie VI). Dans son développement historique le ‘mouvement liturgique’ a donc dévié de son parcours original pour rejoindre paradoxalement le camp ennemi. Ces déviations, apparues déjà dans les années 20, s’étaient accentuées au cours des vingt années suivantes, au point que l’archevêque de Fribourg en Brisgau, Conrad Gröber, en 1943, puis Pie XII lui-même dans l’encyclique Mediator Dei de 1947, furent amenés à les condamner et à les dénoncer. Ces déviations - très nombreuses - peuvent se résumer à trois: prévalence de l’aspect pastoral et didactique de la liturgie (tout orienté vers le peuple par conséquent) sur celui de l’adoration et du sacrifice orienté vers Dieu, avec une insistance sur l’attention à porter aux besoins de l’homme moderne; archéologisme, consistant en un pseudo-retour aux sources antiques, qui permettait d’éliminer de la liturgie les apports médiévaux et contre-réformistes, pour ‘revenir’ à une liturgie présumée primitive; instance œcuménique, par laquelle, avec Dom Lambert Beauduin déjà, (pourtant frappé en 1929 par l’encyclique Mortalium animos de Pie XI) on tendait à adapter la liturgie catholique aux principes des schismatiques orientaux et, plus encore, des protestants. La subversion liturgique, qui se développa ainsi entre les deux guerres spécialement loin de Rome, tenta après la seconde guerre d’obtenir pleine victoire. Au début, les conditions de cette victoire furent nécessairement la fausseté, la fourberie et l’hypocrisie. Les réformateurs devaient feindre l’obéissance aux condamnations de Pie XII, pour continuer dans la pratique comme si ces condamnations n’existaient pas et obtenir par ailleurs des petites réformes en soi légitimes, mais ouvrant la porte à la réforme générale de la liturgie dont ils rêvaient. Pour obtenir ce résultat, il fallait présenter les réformes comme une adaptation disciplinaire désormais inéluctable si l’on voulait ramener à l’Eglise les masses qui s’en éloignaient peu à peu, et les présenter aussi comme un 57 complément des réformes mises en chantier par saint Pie X. Dans le proche entourage de Pie XII, deux hommes profitaient de la confiance du Pape pour pousser les choses dans ce sens: Mgr Montini et le Père Bea; et derrière eux, le Père Bugnini. La Commission pour la Réforme liturgique (1948) “Lorsque, le 12 août 1950, Bea fut nommé conseiller” de la Sacrée Congrégation des Rites, “nombreux sont ceux qui se demandèrent ce qu’avait à voir un exégète dans ce domaine. On chercha une explication en faisant un lien entre cette nomination et l’œuvre de Bea pour le nouveau Psautier latin ( 6), mais cela n’apparaissait pas convainquant. En fait il y avait une raison beaucoup plus profonde: Bea, depuis trois ans déjà, était membre de la ‘Commission des huit’ pour la réforme liturgique qui avait commencé son travail ‘dans les catacombes’, comme disait alors le secrétaire de cette Commission, Mgr Annibal Bugnini. Ceci dit, la question demeure: comment se fait-il que Bea ait été mêlé à ce type de travail?”. A ce propos le Père Schmidt, secrétaire de Bea, parle d’un secret qu’il pense pouvoir désormais révéler: “C’est en effet Bea qui présenta au Pape un exposé rédigé par lui dans lequel il expliquait qu’après les études scientifiques faites dans les dernières décennies, les conditions nécessaires à la mise en route d’une réforme de la sacrée liturgie existaient. Au Pape, l’exposé avait semblé convainquant, aussi l’avait-il transmis au préfet de la Congrégation des Rites, le card. Clemente Micara. Tout cela avait incité le Cardinal à se rendre en persone à l’Institut Biblique Pontifical pour discuter avec le p. Bea sur ce qu’il convenait de faire. C’est ainsi que Bea, tout en n’étant pas liturgiste de profession, se trouve, de fait, à l’origine de l’actuelle réforme liturgique” (7). Voilà comment fut constitué ce que le P. Schmidt nomme, du nombre originel de ses membres, la Commission des huit (8), autrement dit et plus officiellement, la Commission pour la réforme liturgique. D’après Schmidt les travaux commencèrent en 1947, mais la nomination officielle date du 28 mai 1948. La Commission des huit dura jusqu’au 8 juillet 1960, date à laquelle lui fut substituée la Commission préparatoire au Concile Vatican II, instituée le 6 juin précédent (9). Dans cette commission réduite, l’apport du Père Bea fut, d’après le témoignage de Bugnini, “extrêmement important” (Schmidt, p. 149). Et nous savons dans quel sens il travaillait, et de quelle habileté et de quelle prudence il fit preuve jusqu’au moment où, ayant gagné la confiance du Pape Pacelli, il en devint le confesseur, en mars 1945 (10). Ce dernier facteur eut une importance énorme: “la commission - écrit encore Bugnini (p. 22) - jouissait de la pleine confiance du Pape, tenu au courant par Mgr Montini et, plus encore, chaque semaine, par le P. Bea, confesseur de Pie XII. Grâce à quoi on put parvenir à des résultats remarquables même durant les périodes où la maladie du Pape empêchait quiconque de l’approcher”. “Il faut reconnaître honnêtement que le travail accompli fut énorme - écrit Bugnini (p. 22) - “furent révisés pratiquement tous les livres liturgiques”. Voici comment Schmidt résume et commente “énorme travail”, “résultats remarquables” (p. 150):“Dans les années 194750 la Commission avait élaboré ‘tout le plan de la réforme des Calendrier, Missel, Bréviaire, Pontifical, Rituel et Martyrologe” [Bugnini]. C’est ainsi qu’avaient vu le jour petit à petit, en 1951, sous forme facultative, la liturgie rénovée de la Veillée Pascale en 1951 (11) puis en 1955 la réforme de toute la Semaine Sainte (12), et finalement un ‘décret général’ sur la simplification des rubriques ( 13 ). D’autre part, avec la Constitution Christus Dominus, Pie XII, outre la réforme du jeûne eucharistique, avait fait à l’Eglise le grand cadeau de la messe du soir (14)”. Pie XII une fois décédé, Jean XXIII promulgua un nouveau code des rubriques en 1960 dont je ferai mention dans le prochain numéro de Sodalitium. “Aujourd’hui évidemment - commente Schmidt -, nous nous sommes habitués, et après les grandes réformes apportées par le Concile Vatican II en matière de liturgie, nous ne nous rendons plus compte de ce qu’a signifié ce pas dans la situation concrète de l’époque. Mais il faut se mettre dans la situation de ce temps”. Ce serait trop m’étendre, avec le risque d’appesantir ces lignes et de m’écarter du sujet, que de commenter longuement ces réformes de la Commission promulguées sous Pie XII et Jean XXIII; je me borne donc à renvoyer d’une part à ce qui a déjà été écrit sur le sujet dans Sodalitium (15) et d’autre part aux longues notes de cet article. Et je m’en tien- 58 drai à mon thème, m’interrogeant sur les intentions des membres de la Commission, et sur la signification des réformes. Bugnini lui-même explique clairement (p. 22 et note 10) qu’au sein même de la Commission, pourtant ultra-restreinte et secrète (16), les membres avaient une conception bien différente de ses fonctions et de ses buts: “tous ne comprirent pas l’importance de la mise en jeu (...) Parmi les membres de la commission seuls les trois ‘initiés’ [Bugnini, Löw, Bea?] désiraient vraiment la réforme (...) les autres participaient aux réunions plus par devoir que par conviction (...)”. Parmi ces derniers il faut compter le président même de la commission: “le cardinal président pensait que [le travail] devait durer quelques mois, tout au plus un an. La désillusion commença lorsque le P. Bea, exprimant son avis sur ce point, déclara que (...) il faudrait au moins cinq ans (...); une fois évanoui l’espoir d’une réforme-éclair certains s’en désintéressèrent”. Cette citation montre de façon évidente que certains (Bea, Bugnini) voulaient une révolution liturgique radicale qui aurait demandé des années de travail; d’autres, au contraire, pensaient seulement à une réforme de détail rapide qui aurait achevé celle commencée par saint Pie X. Ainsi l’aventure de la Commission pour la réforme liturgique apparaît-elle en partie semblable à celle du Secrétariat pour l’unité des chrétiens et en partie différente. Dans les deux cas, les commissions semblent avoir été créées comme pour doubler les congrégations romaines correspondantes: la Commission s’occupera de liturgie comme la Congégation des Rites, le Secrétariat s’occupera de doctrine comme le Saint-Office. Commission et Secrétariat doivent réformer respectivement la liturgie et la doctrine. Mais formellement, la Commission dépend de la Congrégation des Rites (dont le préfet est président de la Commission), alors que le Secrétariat de Bea sera indépendant du card. Ottaviani. Cependant, il est évident que les présidents des diverses commissions liturgiques (cardinaux Micara, Cicognani, Larraona) tout d’abord ignorants de l’activité volcanique du secrétaire Bugnini, ne la soutiendront pas par la suite; c’est Bugnini l’âme des réformes, “au point que la publication de l’“Ordo Sabbati sancti instaurati” aux premiers jours de mars 1951, frappa de surprise les membres de la Congrégation des Rites eux-mêmes” (Bugnini, p. 22). Ceci explique comment, lorsque sera convoqué le Concile, les seules Commissions préparatoires novatrices seront la Commission liturgique et le Secrétariat... Mais sous Pie XII le Concile était encore à venir et les novateurs devaient user de prudence pour éviter que le Pape ne découvre leurs véritables buts... Le Congrès d’Assise (1956) Les novateurs étaient poussés par deux exigences pouvant s’opposer entre elles: d’un côté ne pas éveiller les soupçons du Pape et de la Curie, nous l’avons dit; de l’autre préparer les mentalités et le terrain... le Père Bea réussit - nous le verrons - à concilier les deux exigences. La préparation du terrain et des mentalités s’était faite au moyen d’une propagande efficace. Bugnini (p. 23) cite la série d’articles apparus sur la revue romaine Ephemerides liturgicæ dès 1948, créant artificiellement le problème d’une “réforme liturgique générale”. Le thème était désormais lieu commun à l’étranger, mais il fallait ‘le faire passer’ à Rome, en profitant du fait que la revue était “considérée comme la voix officieuse des milieux liturgiques romains”. On avait donc cru que l’initiative “inouïe” venait “d’en haut”, alors qu’en fait il s’agissait d’une “audace” et d’une “initiative risquée du jeune directeur du périodique” (Bugnini en personne, me semble-il!). “Il était impensable... à cette époque, ne serait-ce que de toucher à une rubrique [n’exagérons rien!] ou de parler de ‘réforme’”. Les choses n’en étaient plus là en 1956, lors du Congrès d’Assise: toutes les réformes pacelliennes avaient déjà eu lieu. Restait à savoir si ces réformes étaient un point d’arrivée ou un point de départ? Nous laissons la tâche de répondre à la plume de Bugnini (pp. 24-25), qui se fait lyrique à l’évocation de ce souvenir:“c’est à Assise que mûrit le second facteur déterminant pour le démarrage de la réforme liturgique. Ce fut (...) l’aurore annonçant le jour resplendissant qui ne connaîtra pas de déclin. Qui aurait dit que trois ans plus tard serait annoncé le plus grand événement ecclésial du siècle, le Concile Vatican II, et qu’alors les instances d’Assise, et grâce aux hommes mêmes d’Assise, devaient se trouver pleinement réalisées? Le premier Congrès international de Pastorale liturgique se déroula dans la ville de saint François du 18 au 21 septembre 1956, pour se conclure à Rome par une 59 audience pontificale, le 22 septembre”. Participaient au congrès, sous la présidence du card. Cicognani (S.C. des Rites), 5 cardinaux, 80 évêques ou abbés et 1400 prêtres. Le thème même du congrès orientait la liturgie vers l’aspect pastoral... “Il y eut en faveur de cette orientation deux conférences fondamentales: celle du P. Andrea Jungmann, ‘La pastorale, clef de l’histoire liturgique’ et celle du P. Agostino Bea, ‘La valeur pastorale de la parole de Dieu dans la liturgie’. Les principes exposés se retrouveront ensuite dans la Constitution liturgique” de Vatican II, Sacrosantum Concilium. Cependant, à en croire Komonchak, outre un thème officiel, il en existait un occulte: “le thème prévu pour le congrès était la pastorale liturgique, mais le thème occulte, qui dirigea sa préparation et le contenu de nombreuses relations, fut l’introduction de la langue vulgaire” (17) dans la liturgie, contrevenant nous le verrons - à la dernière encyclique de Pie XII sur cette matière, qui datait seulement de l’année précédente! Le Saint-Siège ne l’ignorait pas: “conscient que ces mouvements [contraires au latin] étaient partout, le cardinal Cicognani [qui était, rappelons-le, Préfet de la S.C. des Rites, président de la Commission pour la réforme et président du Congrès d’Assise], tenta à la séance d’ouverture du congrès, de limiter les discussions sur la réalisation des directives papales déjà données sur la liturgie. Sur une page, apparemment ajoutée au dernier moment, il rappela aux participants que dans ‘Mediator Dei’, Pie XII avait parlé de l’emploi du latin comme d’un ‘clair et noble signe d’unité et une réelle sauvegarde efficace contre la corruption de la vraie doctrine’” (17). Prenant pour motivation (ou excuse) que la page sur la défense du latin écrite par le card. Cicognani avait été préparée au dernier moment, les traducteurs la “passèrent sous silence” (Bugnini, p. 25) et, le second jour du congrès, à l’improviste, le cardinal quittait Assise sans saluer, laissant la présidence au card. Lercaro. Quelle que soit l’explication de la “fuite” du cardinal (18), il est certain que les congressistes n’étaient d’accord ni avec lui, ni avec le Pape, et ils le firent savoir: “à propos du congrès - écrit Schmidt à la p. 150 - Joseph Jungmann rapporte un détail significatif. A un certain moment s’était créée une tension entre le cardinal-préfet de la Congrégation des Rites, Son Eminence Gaetano Cicognani, défenseur acharné du latin dans la liturgie, et les orateurs suivants, au point que l’assemblée souligna for- tement de ses applaudissements les passages parlant de réformes possibles en la matière. Or, Jungmann déclare avoir su de Johannes Wagner [liturgiste allemand ami de Bea] que Bea au dernier moment avait omis tous les passages de sa propre conférence qui auraient pu provoquer des applaudissements et accentuer ultérieurement cette tension. Personnellement, je me rappelle que Bea m’avait parlé des passages en question, par ex. dans la conférence du P. Jungmann, et qu’il n’en était pas content. Il savait trop bien par expérience qu’en de telles circonstances la tension nuit à la cause et que des obstacles de ce genre ne se surmontent que par un travail de persuasion tranquille et graduel”. Ce passage que nous venons de citer est hautement significatif: Bea identifiait sa propre “cause” avec celle des autres ennemis du latin (ennemis donc aussi du magistère de l’Eglise en la matière, dont deux des encycliques du Pape régnant, Pie XII), mais il était plus prudent: les provocations des liturgistes progressistes auraient nui à la “cause”, en mettant en lumière à Rome leur but “occulte”, leur sectarisme, leur désobéissance. Il fallait au contraire user de persuasion peu à peu... Tel était le rôle de Bea: c’est lui - selon Martimort - qui “avait élaboré le projet de ce congrès”, et c’est lui qui obtint pour lui le privilège de l’audience pontificale et du discours conclusif d’un Pie XII malade, discours que Bea savait d’avance être satisfaisant pour les réformateurs: “vous en serez contents”, avait déclaré par avance le cardinal... (19). “Pie XII - écrit Bugnini (p. 25) - fit un très beau discours qu’étant malade, il ne lut qu’en partie et qui comporte cette exhortation devenue historique: ‘le mouvement liturgique est apparu comme un Mgr Annibale Bugnini 60 signe des dispositions providentielles de Dieu concernant le temps présent, comme un passage de l’Esprit Saint dans son Eglise”. Forts de cet éloge, les réformateurs poursuivirent leur travail révolutionnaire. En réalité, la lecture du texte complet du discours (20) nous donne une image bien différente de l’idée que le Pape Pacelli avait du mouvement liturgique. En effet, après l’éloge du mouvement liturgique rapporté par Bugnini, tout le reste du discours est dédié à la condamnation des erreurs et des déviations du mouvement en question! Enumérons ces erreurs: le mépris des dévotions non liturgiques (21); la volonté d’“orienter l’enseignement religieux et la pastorale dans un sens exclusivement liturgique” (22); “l’erreur sur l’équivalence entre la célébration de cent messes par cent prêtres et celle d’une messe à laquelle assistent dévotement cent prêtres” (23); les erreurs sur la Présence Réelle (24) concrétisées entre autres par la suppression du tabernacle sur l’autel (25) et de façon générale “par une estime moindre pour la présence et l’action du Christ dans le tabernacle” (26); enfin la mise en sourdine de la divinité du Christ (27)... Comme on le voit, il ne s’agit pas là de détails. Quant à la question de la langue liturgique,“les participants reçurent un avertissement qui n’encourageait pas les défenseurs de la langue vulgaire: ‘(...) Il serait néanmoins superflu de rappeler encore une fois que l’Eglise a de graves motifs de maintenir fermement dans le rite latin l’obligation inconditionnée pour le prêtre célébrant d’employer la langue latine (...)’ (28). Encore une fois les défenseurs du latin pensèrent que dès lors ils avaient un autre texte du pape qui arrangeait définitivement les points discutés”. “Si sur certains points de la législation ecclésiastique - écrivait par exemple Noirot - on peut admettre qu’une condamnation ne soit pas nécessairement définitive, dans ce cas précis les adjectifs et les adverbes utilisés par le Saint-Père, et qu’un canoniste avait l’obligation de souligner ex professo, montrent nettement que le Saint-Siège, en pleine connaissance de cause et en vue du bien de l’Eglise, ne peut pas faire de concessions sur ce point”. Et pourtant, “malgré ces interventions romaines, la discussion ne s’en tint pas là” (29). Le latin en question (30) Ce n’était pas les défenseurs du latin dans la liturgie de rite latin, mais bien les propagateurs de la langue vulgaire qui déso- béissaient aux lois de l’Eglise, qui étaient rebelles à Son magistère ordinaire. En effet l’Eglise s’était maintes fois et solennellement prononcée: en 1562 avec le Concile de Trente (Denz.-Sch. 1749, 1759) contre les Protestants, en 1713 avec Clément XI (DS 2486) et en 1794 avec Pie VI (DS 2633 et 2666) contre les Jansénistes; en 1833 avec Grégoire XVI (EP 136), en 1903 avec saint Pie X (EP 229), le “père” du mouvement liturgique. Pie XII lui-même s’était prononçé à plusieurs reprises. Il l’avait fait solennellement en 1947 dans l’encyclique Mediator Dei (31), dont le mouvement liturgique faisait sa magna charta. “Alors que les tenants de l’introduction du vulgaire multipliaient leurs efforts, débuta ce que l’on a appelé un ‘véritable barrage que l’Eglise entend opposer à toute velléité de liturgie solennelle en langue vulgaire’ [J. Claire]. Le 29 avril 1955, le Saint-Office promulguait un décret restrictif rappelant quelles étaient les exceptions à la loi générale sur le latin dans la liturgie. A la fin de la même année l’encyclique Musicæ sacræ [EP 764-766] confirmait le principe du latin comme langue liturgique (...). On pensait que cette déclaration aurait résolu le problème. En réalité elle ne mit pas le point final à la discussion...” (32), et nous avons vu ce qui se passa à Assises et comment l’énième mise en garde de Pie XII n’eut, en cette occasion, aucun effet. Neuf ans plus tard, le 7 mars 1965, Paul VI célébrait la messe en langue vulgaire, ce qui devint la règle générale. Le livre du P. Schmidt raconte par le menu les appréhensions et les manœuvres de Bea en faveur de la langue vulgaire dans la liturgie (et en faveur des autres réformes), depuis son poste privilégié de confesseur du Pape. “Maintenant que nous sommes habitués à la liturgie rénovée après Vatican II - explique Schmidt - se rendre compte de ce qu’était alors la situation dans le rite romain, en ce qui concerne la langue liturgique n’est pas facile. C’est encore plus difficile pour ceux qui n’ont connu rien d’autre que l’actuelle liturgie telle qu’elle est depuis sa rénovation. Des concession étaient accordées, il est vrai. Celle par exemple de faire des lectures en langue vulgaire, après toutefois qu’elles aient été récitées en latin. Il y avait aussi des concessions concernant l’usage des chants populaires, mais pour le reste, la messe était célébrée entièrement en latin, du début à la fin”. En 61 1949, un évêque français, un “pionnier” en la matière, avait obtenu justement la permission, pour son diocèse, de faire lire les lectures en français après la lecture en latin; mais, alors que l’autorisation était accordée sans conditions par le Saint-Office (où était Bea), la S.C. des Rites l’avait limitée à trois ans. “Par la suite, peu à peu, tous les évêques français obtinrent la même faculté, en sorte que fut décidée la publication pour toute la France d’un lectionnaire bilingue. Et, Martimort recommanda à l’évêque de Rouen un moyen sûr et certain pour obtenir l’approbation: ne pas s’adresser à la Congrégation des Rites mais au Saint-Office, utilisant pour ce faire les ‘bons offices de Bea’. Voilà où en étaient les choses...” (p. 235). Il fallait donc procéder “avec une extrême prudence”. Aussi Bea choisit-il de travailler là où la situation s’y prêtait le mieux: en Allemagne (où existait un indult) et dans les pays de mission (33). En Allemagne, divers abus avaient cours: la Gemeinschaftmese (messe dite en latin à voix basse par le prêtre, et lue en allemand à voix haute par un lecteur), la Betsingmesse (chants populaires en allemand durant la messe), la Deutsches Hochamt (Gloria, Credo, Sanctus et Agnus Dei chantés - paraphrasés en allemand et non en latin) et le Deutsche Gregorianik (grégorien en allemand). Schmidt lui-même ne fait aucune difficulté à reconnaître l’origine de ces pratiques: “il faut tenir compte du fait qu’en Allemagne le luthéranisme avait beaucoup favorisé la liturgie et les chants populaires en langue vulgaire” (p. 237). Mais les directives de saint Pie X en cette matière étaient claires: elles interdisaient de telles pratiques: c’est pourquoi certains “en Allemagne soutenaient que cet abus devait être supprimé” (34). Le Card. Beltram eut recours à Rome, et obtint un “indult” (24/12/1943) du cardinal secrétaire d’Etat, Maglione, autorisant les évêques à concéder les deux premiers types de messe, et à déclarer “toléré” le troisième (35). La majorité des évêques allemands profita de la brèche ainsi ouverte, pour l’élargir toujours davantage (cf. le Directoire pour la messe chantée allemande - de 1950 - de la Conférence Episcopale), mais les réactions ne manquèrent pas, réactions qui s’appuyaient sur les paroles de Mediator Dei condamnant les “abus téméraires” (1947). En fait, nous explique Schmidt, “dans certains milieux liturgistes (...) ces usages étaient considérés comme contraires à l’esprit authentique de l’Eglise et de la liturgie. Ces personnes se croyaient obligées de soutenir avec zèle l’emploi exclusif de la langue latine et du chant grégorien. Non contentes de cela, elles s’employèrent à faire abolir cet indult par le Saint-Siège, faisant courir le bruit qu’une mesure de ce genre était en préparation”. “Une abolition de l’indult (...) aurait porté gravement ombrage à l’autorité des Evêques” et aurait causé quelque dommage au mouvement liturgique (p. 237). Ces tendances abolitionnistes se manifestèrent spécialement au congrès de Musique Sacrée tenu à Vienne en octobre 1954 (Ellard, p. 194). “Derrière les deux façons de voir le problème de la langue et du chant - explique Schmidt (p. 237) - existaient d’ailleurs deux conceptions différentes de la liturgie. Pour les ‘professionnels’ de la musique sacrée, celle-ci était en elle-même un culte de Dieu; les autres, par contre parlaient de ‘pastorale liturgique’ et voyaient la liturgie en fonction de la pastorale et du soin des âmes” (36). “Le Congrès d’Assises - poursuit Schmidt - était justement l’expression de cette seconde conception. Aussi les liturgistes allemands ne furent-ils pas les seuls évidemment à se sentir menacés par les ‘musiciens’: les responsables du ‘Centre de pastorale liturgique’ [CPL] de Paris se trouvaient dans la même situation”. Or, c’est justement à Paris qu’en 1957 devait avoir lieu le nouveau Congrès de musique sacrée. “On craignait que ne surgissent des inconvénients analogues à ceux qui s’étaient vérifiés au Congrès tenu précédemment à Vienne et que le Congrès soit utilisé contre le mouvement de liturgie pastorale. Bea était continuellement tenu au courant, on lui demandait conseil et aide. Il était d’avis que le danger n’était pas à exclure et insistait par conséquent pour que l’épiscopat français fasse valoir sa propre autorité. Il suggéra à plusieurs reprises que le délégué de l’épiscopat pour la liturgie vienne à Rome pour traiter du problème avec les responsables du Saint-Office et de la Congrégation des Rites. Martimort nous fait savoir qu’en effet le danger fut conjuré. Les organisateurs du Congrès avaient obtenu des directives précises à ce sujet, et une lettre de mise en garde de la Secrétairerie d’Etat - obtenue selon Martimort par l’intercession de Bea - demandait qu’au Congrès soient évitées les discussions préjudiciables au mouvement liturgique” (pp. 237-238). 62 En fait, ce n’est pas que les ‘affreux’ ‘musiciens’ aient répandu à dessein de faux bruits sur une intervention de Rome à propos de la langue liturgique et de l’Indult de 1943. Il y eut réellement trois documents, tous plus sévères les uns que les autres: une Communication du Saint-Office et de la Congrégation des Rites aux Evêques allemands du 29 avril 1955 interdisait l’application de l’Indult au Pontifical, à la Messe solennelle et aux messes conventuelles et capitulaires (37), l’Encyclique sur la musique sacrée du 25 décembre 1955 mettait des limites à la concession (38) et enfin l’Instruction de la S.C. des Rites du 1er octobre 1958 abolissait explicitement une partie de l’Indult de 1943. Ce n’est probablement pas un hasard si ce dernier texte est sorti en cette période où Bea était gravement malade (Schmidt, p. 240) et par conséquent dans l’incapacité d’intervenir. Quelques jours après l’Instruction en question, Pie XII mourait. Que la question ait été considérée comme importante et que l’Instruction ait représenté pour les progressistes un échec particulièrement cuisant, un fait en témoigne, c’est qu’il en fut question au cours du conclave qui élit Jean XXIII. Les cardinaux allemands Frings et Wendel en discutèrent avec le cardinal Ottaviani, pour en référer ensuite au père Bea. Ottavani se montrait disponible, et Bea avait déjà trouvé le stratagème pour enterrer l’Instruction: “la règle établie dans l’Instruction représente l’idéal, mais dans ce monde l’idéal n’est jamais réalisé”! (p. 240). L’Eglise à une bifurcation: la décision revient à Jean XXIII... Nous avons vu comment en 1958 la réaction contre le progressisme - dans le domaine liturgique compris - commençait à se faire sentir. Mais les novateurs ne voulaient pas céder pour si peu: poursuivre la réforme liturgique jusqu’à démolition du Rite romain, voilà quel était leur but.” Tout dépendra donc du successeur de Pie XII. “A la veille de l’élection du Pape Jean XXIII, Bea écrivait: ‘pour l’heure on ne peut rien dire sur la réforme. La première question est de savoir quelle position prendra le nouveau Pape à ce sujet’. En effet, les cardinaux n’étaient pas tous d’accord pour que la réforme se fasse” (Schmidt, p. 231). Quelques jours auparavant, au moment de la mort de Pie XII, Dom Lambert Beauduin, le chef de file du mouvement liturgique et œcuménique condamné autrefois par Pie XI avec l’encyclique Mortalium animos, confiait au Père Bouyer à l’abbaye de Chevetogne: “S’ils élisaient Roncalli tout serait sauvé: il serait capable de convoquer un Concile et de consacrer l’œcuménisme... (...) J’ai confiance, nous avons notre chance; les cardinaux, dans leur majorité, ne savent pas quoi faire. Ils sont bien capables de voter pour lui”. Personne ne le savait encore, mis à part quelques initiés, mais ce vote décida de la condamnation à mort de la liturgie romaine (39). Notes 1) L’hérésie antiliturgique des Jansénistes à Jean XXIII (1668-1960): trois siècles de gestation des réformes conciliaires, dans Sodalitium n° 20, mars 1990, pp. 34-53. 2) M GR K LAUS G AMBER , Die Reform der Römischer Liturgie. Vorgeschichte und Problematik. 3) ABBÉ DIDIER BONNETERRE, Le Mouvement liturgique, Fideliter, 1980. 4) Cf. Lettre de Paul VI à l’Abbé de Solesmes, du 20 janvier 1975: “Je constate la solidité et le rayonnement de l’œuvre de Dom Guéranger, en qui le ‘Mouvement liturgique’ contemporain salue son précurseur” (tiré de Bonneterre p. 15. Mon résumé sur l’histoire du mouvement liturgique se fondera essentiellement sur le travail de Bonneterre). 5) Ces réformes ne furent pas une petite chose, et eurent un grand impact dans la vie quotidienne du clergé et des fidèles. Dans la réforme du Bréviaire, saint Pie X visait à restaurer l’office du temps sans sacrifier celui des saints; pour ce faire il fallut hélas renoncer à l’ancienne répartition du psautier pour permettre la récitation hebdomadaire intégrale des psaumes. 6) Cf. In cotidianis precibus, du 24 mars 1945, AAS 37 (1945) 65-67. La nouvelle version du Psautier fut un échec parce qu’elle modifiait le texte de prières que tous connaissaient par cœur, et qu’elle posait des difficultés pour la récitation chorale et le chant de l’Office (les jésuites sont peu ferrés en la matière, c’est pourquoi on dit en latin de cuisine, “non cantant, non rubricant”). Nous avons déjà vu que Mgr Roncalli, alors Nonce à Paris, n’apprécia pas la réforme, que de fait il jeta aux oubliettes à peine devenu Jean XXIII. Ce qui n’empêcha pas Annibal Bugnini d’écrire: “Mediator Dei avait été précédée de deux années seulement d’un autre événement d’importance notable pour la réforme liturgique: la nouvelle version latine des psaumes, réalisée sur ordre de Pie XII par l’Institut Biblique Pontifical en 1945. Ce travail, mené à terme avec une volonté tenace par le recteur P. Agostino Bea, futur cardinal, fit mûrir dans l’esprit du Pape l’idée de la réforme de toute la liturgie, dont le psautier ne devait constituer que la première pierre” (ANNIBALE BUGNINI, La riforma liturgica (1948-1975), CLV Edizioni Liturgiche-Roma 1983, p. 19). 7) S TJEPAN S CHMIDT , Agostino Bea, il cardinale dell’unità, Città Nuova, Roma 1987, pp. 147-148. Schmidt n’exclue pas la possibilité que d’autres personnes aient inspiré la création de la Commission pour la réforme liturgique; Schmidt lui-même cite le P. 63 Antonelli OFM, et Bugnini (op. cit., p. 20) avance les noms du P. Alfonzo OSB et du P. Löw, rédemptoriste. 8) Les huit membres de la Commission étaient... sept: le Card. Micara (président), le P. Bugnini CM (secrétaire), Mgr Carinci, le P. Antonelli OFM, le P. Löw CSSR, le P. Albareda OSB et le P. Bea SJ. Le huitième était Mgr Dante, futur cardinal, qui y entra en 1951. En 1953, le card. Micara fut remplacé par le card. G. Cicognani, tant à la tête de la Congrégation des Rites qu’à la présidence de la Commission pour la réforme. En 1960 s’ajoutèrent Mgr Frutaz, don Rovigatti, Mgr D’Amato OSB et le P. Braga CM, intime collaborateur de Bugnini: ceux-ci participèrent seulement à quatre réunions, puisque l’année même la Commission de Pie XII cédait la place à la Commisssion Préparatoire au Concile. 9) Il existe une continuité institutionnelle et, en partie doctrinale, entre les diverses “commissions” qui élaborèrent la réforme liturgique de 1948 à 1975 (bien que la dernière réforme de la ‘vieille’ liturgie soit celle du rite des exorcismes réalisée en cette année 1999). La Commission de Pie XII dura de 1948 à 1960; elle fut remplacée par la Commission préparatoire au Concile, en fonction de 1960 à 1962; celle-ci se transforma, durant le Concile, en Commission Conciliaire pour la Liturgie; après le Concile, Paul VI créa le Consilium ad exequendam Constitutionem de sacra Liturgia qui, appliquant l’esprit et trahissant souvent la lettre de la Constitution Sacrosantum Concilium, réalisa la réforme post-conciliaire. Le 8 mai 1969 fut créée la Sacrée Congrégation pour le Culte divin, qui remplaça la Congrégation des Rites. On remarque un lien constant entre tous ces organismes: la présence d’Annibal Bugnini comme Secrétaire de tous, avec la seule exception de la Commission conciliaire pour la Liturgie, dont il fut temporairement exclu comme nous le verrons dans le prochain numéro, par le président, le card. Larraona qui réussit à le remplacer par le P. Antonelli. En vain, hélas... 10) Sur les circonstances du choix de Bea comme confesseur de Pie XII, cf. SCHMIDT, pp. 166-167. Sur le rôle discret de Bea dans le mouvement œcuménique jusqu’à la mort de Pie XII, cf. Sodalitium n° 38 (XVème partie), pp. 62-65. 11) Décret du 9 février 1951 Dominicæ Resurrectionis, A.A.S. 43 (1951) p. 128 sv, qui introduit ad experimentum la nouvelle Vigile pascale. Bugnini écrit à la p. 22: “Le premier fruit de la Commission fut la restauration de la vigile pascale (1951) (...) fut le signal que finalement la liturgie s’engageait dans la voie de la pastorale”. Mgr Schmidt ajoute (p. 248): “le fameux liturgiste allemand, Wagner, écrit: ‘Il m’est certainement permis de supposer que le grand public connaît les deux grands services dont il est redevable au P. Bea (et donc ses mérites) en ce qui concerne le renouvellement liturgique: son rôle de guide dans la préparation de la nouvelle traduction latine du Psautier, avec pour conséquence la mise en route de la discussion de la réforme du Bréviaire, et sa collaboration à la réforme de la Vigile pascale, qui fut le prélude de la réforme liturgique générale’”. La réforme de la Vigile pascale était même considérée par Bea comme ‘un pas plutôt audacieux’ (p. 225), mais faisait l’objet des vœux de tous les modernistes, comme en témoigne le Père Chenu (cité dans Sodalitium n° 20, p. 40-41). 12) Décret général Maxima redemptionis du 16 novembre 1955 dans A.A.S., 47 (1955), 838-847. “Le renouveau - a solennellement proclamé Paul VI dans la ‘promulgation’ du nouveau missel de 1969 - avait été commencé par Pie XII lui-même avec la restauration de la vigile pascale et de l’Ordo de la Semaine sainte qui constitua la première étape de l’adaptation du missel romain à notre temps”. La chose était prévue par les ‘initiés’ dès cette époque: la réforme de la Semaine sainte devait précéder la réforme définitive du missel romain” (Bea, cit. par SCHMIDT à la p. 226). En effet, avec la réforme de la Semaine sainte de 1951-1955, était créée une situation plutôt étrange, les rubriques de la Semaine sainte contrastant avec celles du reste du Missel: Ellard écrivait en 1956: “dans le rit annexe au décret ad experimentum, la forme de la Messe était différente de celle du Missel Romain, du fait de quelques nouveautés significatives. Un simple coup d’œil à ces innovations et l’on se rend compte que Rome est en train de méditer des modifications à la Messe (...)” (GERARD ELLARD S. J.: “La messa in trasformazione, 1956, éd. it.; Pont. Istituto Pastorale, éd. Romane-Mame, 1960, p. 39). Ellard et le Père Löw, membres de la commission des huit, relèvent dans la nouvelle Semaine sainte la suppression du psaume Judica me au début et du dernier évangile à la fin de la Messe (pp. 35 et 45) et ils remarquent comment, avec le renouvellement des vœux du baptême, “l’usage de la langue vulgaire a été tranquillement introduit dès le début de cette restauration liturgique et tout aussi tranquillement, bien qu’avec quelques restrictions, étendu ou autorisé à s’étendre” (p. 45). Deux principes guident ce “décret révolutionnaire” (l’allusion, à la p. 39, se rapporte au décret de 1951): “a) avoir soin que ‘le peuple puisse mieux suivre les cérémonies’ et b) que le célébrant ne répète pas ce que font les ministres inférieurs” (pp. 43-44). Bugnini et Beauduin devaient souligner ces points en 1951. “Le peuple, l’assemblée entière, plebs tua sancta, une sorte de ‘tiers-état’ pour ainsi dire, s’unit au célébrant et au chœur tout le temps activement. (...) Le célébrant ne répète pas ce que font les ministres inférieurs. Lorsque le lecteur lit, le célébrant est assis et écoute; lorsque le chœur chante, le célébrant est assis et écoute” (p. 45). Certains évêques, auxquels cela ne suffisait pas, se plaignant de la longueur des cérémonies et de l’emploi du latin, Bea répondait: “Il sera utile que Son Excellence expose les choses en détail et qu’en ce qui concerne le temps à assigner à la Vigile, il formule une demande précise... Il est tout aussi important de signaler les difficultés, y compris celles qui proviennent de l’emploi de la langue latine... Il sera bon de répéter qu’il convient que Rome fasse des concessions, à défaut de quoi, sous la pression des circonstances, le clergé procédera de lui-même à des abréviations et à l’emploi de la langue vulgaire” (SCHMIDT, p. 226). C’est la tactique habituelle de Bea (pressions sur Rome par les évêques auxquels il a fait la leçon) et pardessus le marché, chantage! 13) Décret de la S.C.R. Cum hac nostra ætate sacerdotes du 23 mars 1955 (en vigueur dès le 1er janvier 1956). “Selon le témoignage d’Annibale Bugnini, secrétaire de la Commission chargée de la réforme liturgique, cet organisme, avait, dès ses premières années d’existence 1947-1950 défini tout le plan de la réforme, Bréviaire inclu”, mais, d’après un témoignage de Bea remontant à 1950, dans son ensemble, la réforme aurait duré 20 ans” (SCHMIDT, pp. 230-231). Les nouvelles rubriques de 1955 étaient donc un fruit de la Commission, mais un fruit transitoire: “nous sommes dans une période de transition” écrivait Bea en 1957 (SCHMIDT p. 231). Le décret lui-même (qui attribuait la réforme à la “Commission spéciale qui s’occupe de la réforme liturgique générale”) établissait que les nouvelles 64 éditions du Bréviaire ne devaient pas être changées, évidemment parce que la réforme devait, sous bref délai, être à son tour réformée. Le Secrétariat de la S.C. des Rites, Mgr Carinci, expliqua en effet “que la réforme définitive du Missel et du Bréviaire (tant désirée et si longtemps attendue) n’était pas imminente et qu’il faudrait plusieurs années avant qu’elles ne soient complétées; aussi les éditions existantes ou futures de ces livres devaient-elles demeurer inchangées” (O.R., 4 mai 1955). Les motifs de la réforme avancés par le décret sont bien tristes, rien moins que l’activisme du prêtre moderne: “de nos jours les prêtres, spécialement ceux qui s’occupent des âmes, sont toujours plus chargés de formes nouvelles et variées d’apostolat, de sorte qu’il leur est très difficile de s’adonner à la récitation de l’Office Divin avec la tranquillité d’esprit nécessaire”. Pius Parsch et B. Capelle (tous deux en 1947) invoquaient la réforme du bréviaire, en donnant pour obstacle sa longueur et l’emploi de la langue latine (ELLARD, p. 25). La réforme du Bréviaire et de la Messe de 1955 était le premier pas dans une certaine direction, celle “de l’autodémolition [sic] de la liturgie romaine” (BONNETERRE, p. 111). En effet, en 1956 au Congrès d’Assises dont je parle un peu plus loin dans ce même article, le card. Lercaro, père avec Bugnini - du nouveau missel, tint une conférence très applaudie sur “la simplification des rubriques et la réforme du Bréviaire” où, aux dires mêmes de Bugnini, étaient déjà anticipés les choix qui devaient mener à la liturgie des heures de Paul VI (Bugnini, p. 25). 14) Le Catéchisme dit du concile de Trente (III, c. IV de Eucharistiæ sacramento, n. 6) affirme que le jeûne naturel avant la communion a été institué “salutaliter” par les Apôtres (usage attesté déjà par Tertullien: A ma femme, 2, 5). Saint Thomas explique la haute convenance de cette habitude (III, q. 80, a. 8). La célébration de la Messe le matin est naturellement liée à la loi du jeûne eucharistique de minuit. Durant la dernière guerre des indults furent accordés pour célébrer l’après-midi, après un jeûne de quatre heures, indults qui tombèrent dans l’après-guerre. “Dans cette situation intervint un laïc catholique allemand, Werner Maurenbrecher (...) lequel entreprit une campagne en faveur de la messe du soir (...) campagne qui gênait presque un certain nombre de curies diocésaines. (...) C’est en Bea que Maurenbrecher a trouvé ‘l’interlocuteur le plus important et le plus efficace’. Dès 1954 Maurenbrecher remercie Bea pour l’aide que ‘pendant des années’ il lui a prodiguée avec ses conseils, dans son travail en faveur de la messe du soir (...). En 1948 M. était parvenu à convaincre d’éminentes personnalités de la vie catholique en Allemagne d’adresser à Pie XII une supplique en faveur de la messe du soir. Il y était expliqué comment la situation, sous de nombreux aspects, était encore semblable à celle de la période de guerre (...) et on y parlait (...) des difficultés de l’“homme du soir’ contemporain. Ce pour quoi était demandée la permission générale de célébrer la messe le soir. A la date du 17 août 1948, la Congrégation du Saint-Office répondait par la négative. Peu après Bea qui, à l’époque de cette réponse négative, n’était pas encore conseiller du SaintOffice, intervenait dans cette question”, invitant M. à persévérer en se faisant appuyer par des évêques: “j’ai toujours souligné que l’initiative en question doit être promue par les épiscopats”. “En effet une décision positive ne se fit pas trop attendre: le 6 janvier 1953, Pie XII publiait la Constitution Christus Dominus [A.A.S. 45 (1953), pp. 15-32] par laquelle était consentie la célébration des messes du soir le dimanche, et les jours chômés, les premiers vendredis du mois et une fois par semaine. En ce qui concerne l’obligation du jeûne eucharistique, il était établi que l’eau ne ‘rompt’ pas le jeûne. Pour le reste, on devait s’abstenir d’aliment et de boisson trois heures avant la messe et la communion” (SCHMIDT, pp. 227229). Pie XII rappelait cependant que “la loi du jeûne eucharistique depuis minuit demeurait en vigueur pour tous ceux qui ne se trouvent pas dans des conditions particulières” (A.A.S., cit. p. 22) et le jeûne limité à trois heures ne valait que pour les messes de l’après-midi. En effet, déclara Bea “il s’agissait du retournement d’une tradition vieille d’un millénaire et demi, sinon plus. Vingt ans auparavant une telle concession aurait été impensable”. Deux instructions du Saint-Office en 1953 et en 1955 [A.A.S.,47 (1955), p. 218] rappelaient les strictes limites de la concession. Bea invitait à la patience: “l’essentiel est que la machine se soit mise en marche. Tout le reste est question de temps (...). Six mois n’étaient pas encore passés depuis cette dernière lettre que Pie XII publiait, le 19 mars 1957, le Motu Proprio Sacram Communionem [A.A.S. 49, (1957), pp. 117 et sv.] par lequel il autorisait les évêques à permettre la célébration de la messe du soir tous les jours, si un nombre important de fidèles le désiraient. Pour le jeûne eucharistique il établissait la règle des trois heures d’abstention avant la messe pour les aliments solides et d’une heure pour les liquides”, quoiqu’“exhortant vivement les prêtres et les fidèles qui sont en mesure de le faire, d’observer, avant la Messe et la sainte Communion, la forme antique et vénérée du jeûne eucharistique”, tandis que quiconque mettait à profit les nouvelles conditions se devait de “compenser le bénéfice reçu par des exemples éclatants de vie chrétienne et principalement par des œuvres de pénitence et de charité”! Des “nouvelles de difficultés et même de résistance de la part de certains évêques” ne manquèrent pas, mais Bea répondait: “La volonté du Saint-Père est claire maintenant. (...) Il faut laisser passer le temps nécessaire pour que les gens s’habituent et que les choses se développent” (SCHMIDT, pp. 229-230). Développement que l’on a vu avec Paul VI (21 novembre 1964) qui, à la demande des Pères conciliaires (A.A.S. 1965, p. 186), a réduit le temps de jeûne à une heure (et même au fameux quart d’heure). Fin d’une tradition apostolique... 15) F. R ICOSSA , L’hérésie antiliturgique des Jansénistes à Jean XXIII (1668-1960): trois siècles de gestation des réformes conciliaires, dans Sodalitium n° 20, mars 1990, pp. 34-53. 16) “En douze ans d’existence... la Commission tint 82 réunions et travailla dans le secret le plus absolu”. Bugnini, op. cit., p. 22. 17) J. KOMONCHAK, La lotta per il concilio durante la preparazione, dans Storia del Concilio Vaticano II, dirigée par Giuseppe Alberigo, Peeters-Il Mulino, Louvain-Bologne 1995, vol. 1, pp. 228-229. 18) Bugnini explique que “le bruit s’est répandu que le card. Cicognani n’aurait pas été très content de l’accueil fait à son intervention sur le latin, et qu’il serait allé en référer au Pape pour l’induire à inclure une observation sévère dans le discours qu’il devait faire aux congressistes le 22 septembre” alors qu’en fait le cardinal aurait été chassé par les poux infestant la chambre cardinalice de l’évéché d’Assise. Bien sûr, Bugnini rit dans ses moustaches... 19) S. SCHMIDT, op. cit., pp. 233-234. 20) Pie XII, discours Vous nous avez demandé du 22 septembre 1956, AAS 48 (1956), pp. 725; Enseignements Pontificaux, La Liturgie, nn° 793-824. La Doc. Cat. 1956, n° 1236, col. 1289-1290. 65 21) “Cette forme de culte [privé], non seulement l’Eglise la tolère, mais elle la reconnaît pleinement et la recommande, sans toutefois rien enlever à la prééminence du culte liturgique” (DC, 1956, n° 1236, col. 1289). 22) “Notre encyclique Mediator Dei avait déjà redressé certaines affirmations erronées, qui tendaient soit à orienter l’enseignement religieux et la pastorale dans un sens exclusivement liturgique, soit à susciter des entraves au mouvement liturgique qu’on ne comprenait pas” (EP, 801 ; DC 1956, n° 1236, col. 1289-1290). 23) cf. EP, 804. L’erreur, déjà condamnée dans l’allocution du 2 novembre 1954, suppose que le peuple concélèbre avec le prêtre; or elle se concrétisait justement lors des congrès liturgiques au cours desquels les prêtres présents ne célèbraient pas de messes privées, soutenant qu’il leur suffisait de s’unir à l’intention du célébrant pour consacrer avec lui (cf. EP 808). 24) “A leur avis le contenu essentiel actuel des espèces du pain et du vin est ‘le Seigneur au ciel’, avec lequel les espèces ont une relation soit-disant réelle et essentielle de contenance et de présence” (EP, 813; DC, année 1956, n° 1236, col. 1294). Dans la pratique, cette théorie menait et mène à la dépréciation de la présence réelle du Seigneur et à la dérision de toute la piété eucharistique post-tridentine, faisant “sortir, pour ainsi dire, le Christ de l’Eucharistie” et ne laissant “dans le tabernacle que des espèces eucharistiques...” (EP, 815. DC, id. col. 1295). En 1985 la question est revenue à l’actualité sous la forme d’une polémique entre les dits “traditionalistes”, avec Dom Gérard qui reprenait la position critiquée par Pie XII, et l’abbé de Nantes qui prenait une position diamétralement opposée. Pour une position correcte entre les deux excès, voir MGR . M.-L. GUÉRARD DES LAURIERS, La présence réelle du Verbe Incarné dans les Espèces consacrées, Editions Sainte Jeanne d’Arc, Villegenon 1987 (sur le discours de Pie XII, pp. 89 ss; sur la polémique Dom Gérard-abbé de Nantes, pp. 122 ss). 25) “Toutefois, plus importante que la concience d’une telle diversité [entre l’acte du sacrifice (‘l’autel’) et le culte d’adoration (‘le tabernacle’)] est celle de l’unité: c’est un seul et même Seigneur qui est immolé à l’autel et honoré au tabernacle, et qui de là répand ses bénédictions. Si on en était bien convaincu, on éviterait maintes difficultés, on se garderait d’exagérer la signification de l’un au détriment de l’autre et de s’opposer aux décisions du Saint-Siège” (EP, 816; DC, id., col.1296). “Qui adhère de cœur à cette doctrine [du Concile de Trente] ne pense pas à formuler des objections contre la présence du tabernacle sur l’autel” (EP, 816; DC id.). Avec la réforme de Vatican II, le tabernacle (et le Seigneur) ont été délogés de la table (ex-autel), selon les vœux du ‘mouvement liturgique’ dévié. 26) EP, 817; DC id.,. Pie XII invite le mouvement liturgique non seulement à “laisser approcher les fidèles du Seigneur au tabernacle” en cessant de mettre obstacle à la visite au Très Saint Sacrement, aux quarante heures, à l’adoration perpétuelle, à l’heure sainte, aux processions du Très Saint Sacrement, au transport solennel de la communion aux malades, mais également à s’efforcer de les “y attirer toujours davantage” (EP, 818; DC id., col. 1297). 27) “L’humanité du Christ a droit aussi au culte de latrie à cause de son union hypostatique avec le Verbe, mais sa divinité est la raison et la source de ce culte. Aussi la divinité du Christ ne peut-elle rester en quelque sorte à la périphérie de la pensée liturgique. Il est normal que l’on aille ‘ad Patrem per Christum’, puisque le Christ est Médiateur entre Dieu et les hommes. Mais Il n’est pas seulement Médiateur; Il est aussi, dans la Trinité, égal au Père et au Saint-Esprit” (EP, 819; DC id., col. 1296). 28) Cf EP, 821; DC id., col. 1298. 29) J. KOMONCHAK, op. cit., p. 229 et note 190. 30) Sur le latin dans la liturgie, cf. F. R ICOSSA Sodalitium n° 30-31, éd. fr., pp. 3 à 13. 31) “Or, Nous avons appris avec grande douleur, Vénérables Frères, que cela se produisait, et en des choses non seulement de faible mais aussi de très grave importance; il en est, en effet, qui, dans la célébration de l’auguste Sacrifice eucharistique, se servent de la langue vugaire (...). L’emploi de la langue latine en usage dans une grande partie de l’Eglise, est un signe d’unité manifeste et éclatant et une protection efficace contre toute corruption de la doctrine originale.” (enc. Mediator Dei, EP 547; DC 1948, n° 1010, col. 212). 32) KOMONCHAK, op. cit., p. 228. 33 ) Quel ne fut pas le malaise des progressistes dans les pays de mission après l’Instruction du 1er octobre 1958 sur le latin! “En Allemagne - écrit un correspondant de Bea - ils peuvent au moins faire appel à un indult. Dans les missions, par contre, nous n’en avons pas, et la règle rigide du latin nous pèse doublement. En outre, en Allemagne, ils vivent depuis trente ans déjà le mouvement liturgique (...). La chose est aggravée du fait que nos pasteurs d’âmes sont habitués à se comporter simplement selon le dicton Roma locuta- causa finita, au grand dam des âmes, c’est-à-dire avec pour conséquence que les fidèles assistent à la messe de façon mécanique (...). Or s’il ne nous est même pas laissé la possibilité d’initier à la pleine connaissance de la messe par une participation intelligente à la messe basse, nous sommes perdus”. Un schéma de messe dialoguée était sur le point d’être publié en Inde, et la chose fut bloquée par l’Instruction! “Vos plaintes ne m’étonnent pas - répondit Bea - et ce ne sont pas les premières que j’entends. Il est évident que les fidèles, surtout dans les pays de mission, doivent accompagner la messe basse avec des prières en langue vulgaire...” (SCHMIDT, p. 240). Les progressistes, qui nous reprochent de désobéir, ont été les premiers champions de la désobéissance, comme on peut le voir! 34) G. ELLARD, op. cit., p. 190. 35) Texte dans Eph. Lit. 62 (1948), p. 285-290, et dans ELLARD, p. 191. 36) Evidemment Schmidt expose les choses de son point de vue. Dans la liturgie, ses adversaires ne voient pas seulement le culte de Dieu, (niant complètement son rôle didactique), mais surtout le culte de Dieu. Par contre les progressistes se servaient de la pastorale pour mettre sous le boisseau l’aspect latreutique et sacrificiel de la liturgie, réduite à une assemblée de fidèles à la luthérienne. Pour une exposition détaillée des idées de Bea dans le domaine liturgique, cf. Schmidt, op. cit., pp. 243-249. 37) cf. ELLARD, op. cit., p 194. 38) “Nous n’ignorons pas que pour des raisons graves mais bien déterminées, des exceptions ont été accordées sur ce point par le Siège apostolique. Nous ne voulons cependant pas qu’elles soient étendues à d’autres cas et à d’autres régions sans une autorisation dûment accordée par le même Saint-Siège. Bien plus, là où l’usage de ces concessions est autorisé, les Ordinaires des lieux et les autres pasteurs veilleront avec soin à ce que dès l’enfance les fidèles utilisent davantage le chant grégorien et se familiarisent avec lui et à ce qu’ils sachent en faire usage dans les cérémonies liturgiques, de façon à ce 66 que par là également l’unité et l’universalité de l’Eglise resplendissent chaque jour davantage. Cependant là où une coutume séculaire ou immémoriale veut que dans la messe solennelle, après le chant en latin des saintes paroles liturgiques, on insère quelques cantiques populaires en langue vulgaire, les Ordinaires des lieux pourront y consentir” si en raison des circonstances de personnes et de lieu, ils estiment qu’il est imprudent de supprimer cette coutume” (Codex iuris canonici, can. 5), tout en observant la loi qui veut que les paroles liturgiques ellesmêmes ne soient pas chantées en langue vulgaire, comme il a déjà été dit” (cf. ELLARD, p. 195, et EP 766; D.C. an. 1956 n° 1217, 22/01/1956). 39) L. B OUYER , Dom Lambert Beauduin, un Homme d’Eglise, Castermann, 1964, pp. 180-181, cité par BONNETERRE, p. 112. CONSEILS DE LECTURE * MGR DELASSUS, La conjuration antichrétienne (III tomes) (360 F). * PERE DU PONT, Méditations sur les mystères de notre sainte foi avec la pratique de l’oraison mentale (VI tomes) (660 F). * MGR JOUIN, La R.I.S.S. Rose (les années 1928-1933 de la célèbre revue contre la “judéo-maçonnerie”) (700 F). * A BBÉ J. M EINVIELLE , De la Cabale au Progressisme (110 F). * M. LE CHANOINE S AUVETRE ,Vie de Mgr Jouin (80 F). * MGR DE SÉGUR, L’Enfer (40 F). A demander aux éditions Saint-Rémi Rééditions de livres anciens, B.P. 79, 33410 Cadillac. * R.P. B ARBARA , Catéchisme de persévérance sur l’Eglise (25 F). * R.P. BARBARA, Petit essai sur la nature de Dieu (12 F). Chez l’auteur: 16 rue des Oiseaux, 37000 Tours (tél.: 02.47.39.52.73. Fax: 02.47.38.90.57). D’autres ouvrages parus en italien sont signalés dans l’édition italienne de Sodalitium; les lecteurs intéressés peuvent se la procurer en nous écrivant. NOUVELLES PARUTIONS Maçonnerie, mondialisme, sionisme, etc. L’abbé Paladino et la Thèse pour en savoir plus, demandez notre de Cassiciacum Revue de Presse n° 6 - 7 Une réponse au livre “Petrus es Tu ?” dans lequel l’abbé Paladino expose sa thèse “sédévacantiste”. L’abbé Ricossa écrit une défense de la Thèse de Cassiciacum. Une mine d’informations qui paraît désormais dans un tiré à part qu’il vous est possible de vous procurer auprès de notre rédaction moyennant 20 F (frais de port compris). (36 pages. 30 F + port 5 F) RAPPEL DE LA SYNAGOGUE À L’EGLISE, Les conversions d’Edgardo Mortara, Giuseppe Stanislao Coen et Eugenio Zolli (36 pages. 30 F + port 5 F) A commander auprès de notre rédaction 67 Vie de l’Institut ‘S éminaire’ Saint Pierre Martyr. Après une ‘année sabbatique’ durant laquelle le “séminaire” avait fermé ses portes, avec l’année scolaire 1999-2000 cinq séminaristes, tous français, ont commencé leurs études chez nous depuis le 15 septembre. Un postulant (qui doit encore passer le bac) est avec eux ainsi qu’un familier. A tous nous souhaitons la persévérance dans leurs généreuses dispositions. Belgique. L’abbé Geert Stuyver est venu nous rendre visite à Verrua le 29 septembre, pour suivre avec ses autres confrères la retraite sacerdotale prêchée cette année aussi par l’abbé Schoonbroodt. Les travaux pour la nouvelle église (qui sera dédiée à NotreDame du Bon Conseil) et la nouvelle cure avancent mais ne sont pas encore terminés. Nous faisons appel à tous les lecteurs pour qu’ils viennent en aide à l’abbé Stuyver dont nous rappelons le compte courant postal: CCP: 000-1719640-24 Anablepson VZW Sint-Christianastraat 7 B- 9200 Dendermonde. De Belgique, l’abbé Stuyver se rend également une fois par mois à Lille pour assurer la messe dominicale. L’abbé Stuyver publie aussi un bulletin en flamand pour ses fidèles. France. Lyon: le dimanche 25 avril, veille de Notre-Dame du Bon Conseil, l’abbé Murro a célébré la Sainte Messe dans le nouveau local. A partir du mois de novembre il y donnera également une série de conférences. Tous nos remerciements aux personnes qui se sont dépensées pour trouver et aménager cette chapelle dans la capitale des Gaules. Tours: relève de la garde; l’abbé Thomas Cazalas, après trois années de ministère auprès du P. Barbara a été rappelé à la Maison mère. C’est l’abbé Giugni qui le remplace pour le moment. Suite à la maladie et à la mort du P. Vinson, les Sœurs du Christ-Roi (fondées par lui) nous ont demandé d’assurer la Sainte Messe tous les dimanches à leur congrégation et à l’école pour filles de la Maison Saint-Joseph. Nos prêtres assurent aussi la ‘prédication’ des Exercices Spirituels de Saint Ignace, toujours à Serre-Nerpol, chez les Sœurs du Christ-Roi. A cause de cet engagement nous avons dû déplacer à l’après-midi la Messe qui était habituellement célébrée à Cannes le dimanche matin. L’Institut exprime ici publiquement ses remerciements aux religieuses de Serre-Nerpol pour la confiance, qu’à la suite du P. Vinson, elle lui accordent. Apostolat estival. Cette année encore ont eu lieu les habituelles activités en faveur de la jeunesse. Du 8 au 21 juillet, au château de Raveau, les enfants italiens (peu nombreux), français (nombreux) et belges ont participé à la Croisade Eucharistique: Catéchisme, jeux, théâtre (N.-D. de l’Osier, du P. Vinson), promenades, visites d’églises ou de châteaux (la Cathédrale de Bourges)... le tout sous la direction paternelle de l’abbé Giugni. Une nouveauté, cette année, pour les fillettes. L’abbé Murro a décidé d’unir nos forces à celles des Sœurs du Christ-Roi; c’est pourquoi les fillettes italiennes ont participé au camp organisé par les Sœurs dans les montagnes du Dauphiné (à Chantelouve, exactement) du 9 au 29 juillet. Pour la première fois le chapelain était l’abbé Murro puisque le P. Vinson, qui jusqu’alors avait eu cette responsabilité, est décédé la veille du jour où le camp devait commencer. Un beau récit de ces journées a été publié sur Simple lettre (n° 117, sept.-oct. 1999, pp. 3-4). L’abbé Ercoli a dirigé quant à lui un camp pour adolescents du 2 au 11 août. Point de départ: les magnifiques montagnes provençales à Peira Cava; point d’arrivée: les tout aussi belles montagnes du Dauphiné à Villard-Laté. Signalons le retour parmi nous pour quelques jours de Joseph Selwey, venu exprès des Etats-Unis, avec un de ses frères, pour nous aider; il a été séminariste à Verrua et poursuit maintenant ses études avec l’abbé Sanborn. Exercices Spirituels. Autrefois les Exercices n’étaient donnés que l’été; désormais nous avons intensifié les sessions d’Exercices. En Italie, nous avons confirmé la session de printemps mixte (cette année elle a eu lieu à Verrua du 10 au 15 mai), qui s’ajoutent donc à ceux ‘traditionnels’ du mois d’août donnés par les abbés Nitoglia et Ricossa, en retard, cette année, d’une semaine (du 23 au 28 pour les hommes - 13 présents - et du 30 août au 4 septembre pour les dames - avec 8 présentes). En France aussi, la collaboration avec le P. Vinson (et ensuite la nécessité de le remplacer) nous a permis 68 La “veillée” à la fin du camp de Raveau de donner plus souvent les Exercices. L’abbé Ricossa a aidé le P. Vinson lors de la dernière session qu’il a donnée dans sa vie (du 12 au 17 avril) et l’a remplacé du 1er au 6 juillet, dans les derniers jours de sa maladie. Le P. Vinson a certainement offert ses souffrances pour la bonne réussite de ces Exercices. A Raveau ont eu lieu les deux habituelles sessions données par les abbés Giugni et Murro: du 2 au 7 août pour les dames et du 9 au 14 août pour les hommes. L’abbé Giugni et l’abbé Cazalas ont ensuite donné les Exercices pour les hommes à Serre-Nerpol du 23 au 28 août, en même temps que la session à Verrua. Enfin, comme chaque année, a eu lieu la retraite sacerdotale, prêchée par l’abbé Schoonbroodt du 4 au 9 octobre à Verrua. Les séminaristes (et un jeune français) en revanche, ont reçu les Exercices de l’abbé Nitoglia et de l’abbé Murro du 25 au 30 octobre. Les retraitants de langue française ont donc un grand choix de dates durant toute l’année, alors que ceux de langue italienne peuvent s’organiser pour obtenir des sessions supplémentaires sur demande. En Belgique, l’abbé Stuyver et l’abbé Schoonbroodt ont pour l’heure maintenu la formule des exercices de seulement trois jours, donnés en flamand à Steffeshausen durant le mois d’août. En tout, 65 personnes ont fait les Exercices de mai à octobre. Conférences. L’abbé Nitoglia est notre conférencier officiel! En espérant ne pas en oublier, je signale: le 28 mai à Fabriano “Réflexions sur la vraie nature du New Age”, le 31 mai à Rome (Palazzo Barberini) avec l’abbé Ennio Innocenti (“Gnose et Cabale chez Raymond Lulle”); le 10 juin, à Côme, à l’Unione Industriali, “Réflexions sur la vraie nature du New Age”; le 25 juin à Milan “Judéo-Maçonnerie et Vatican II”. Avec l’auteur, Mario Spataro (et, parfois, avec d’autres conférenciers), l’abbé Nitoglia a présenté le livre Dal caso Priebke al nazigold (Ed. Settimo Sigillo, Roma) dans plusieurs villes d’Italie: le 13 septembre à Tivoli, le 8 octobre à Côme, le 15 octobre à Varèse; le 5 novembre à Milan. Un compte rendu de la conférence de Tivoli a été publié dans le numéro du 5 octobre de Linea. Centro librario. Le CLS a déjà édité en italien, en 1997, Storia ebraica e giudaismo. Il peso di tre millenni, du professeur Israël Shahak. Complément indispensable à cet ouvrage récent, le ‘classique’ de Bernard Lazare: L’antisémitisme, son histoire et ses causes (1894), dont nous avons édité la première édition italienne. Lazare (1865-1903) fut, comme Shahak, un juif laïc et de gauche, mais qui dénonça avec sincérité les causes de l’antisémitisme, que l’on doit surtout rechercher dans le judaïsme lui-même, dans sa religion et sa mentalité. Défenseur, avec son ami intime Charles Péguy, du capitaine Dreyfus, adepte intransigeant de la cause sioniste, aujourd’hui encore vénéré par le B’naï B’rith qui lui a dédié certaines Loges, Bernard Lazare ne peut certainement pas être classé comme un auteur antisémite, et encore moins comme sympathisant du christianisme dont il est un farouche adversaire: c’est précisément pourquoi ses aveux sur les causes réelles de l’antisémitisme sont d’une importance exceptionnelle, que le lecteur ne sous-estimera certainement pas. Ils parlent de nous. Lectures Françaises (n° 504, avril 1999), dédie la p. 36 à une intéressante recension de Sodalitium n° 47 et du Bon Conseil en signalant les articles de l’abbé Nitoglia sur le Kahal et sur Guénon. La mention de Sodalitium, étant “religieusement incorrecte”, cela oblige les amis de LF (que nous remercions quand même sincèrement) à publier aussi une colonne contre le “sédévacantisme”... Patience. Réaction opposée, évidemment, dans les milieux guénoniens, qui ont dédié le chap. XV du livre de P. Nutrizio et d’autres auteurs, Réné Guénon e l’Occidente, à une réplique contre l’article de l’abbé Nitoglia “Un grand initié: Réné Guénon”. Le n° 48 a été au contraire recensé favorablement par Faits & Documents (n° 70, 1er juin 1999, p. 10) qui a également signalé la 69 Revue de Presse de Sodalitium: “toujours aussi remarquable Revue de Presse (véritable supplément de Faits & Documents) éditée en français par la revue italienne Sodalitium autour des thèmes maçonniques et juifs en Europe” (F&D n° 73, p. 10). La nouvelle revue La questione ebraica dédie son premier numéro (août 1998) au livre de I. Shahak, Storia ebraica e giudaismo (édité par notre Centro librario) avec d’intéressants développements sur le sujet, tirés, en général, d’auteurs catholiques; le lecteur attentif découvrira par lui-même, cependant, entre les lignes et les notes, le venin néo-païen instillé par les rédacteurs de la revue. Parle plutôt mal de nous Marco Dolcetta dans son livre (peu sérieux et peu rigoureux) Politica occulta (Castelvecchi, Roma 1999, p. 94). Bel exemple d’“Eglise johannique” (de Jean l’Evangéliste, non de Jean XXIII) dont nous parlons dans le dernier numéro de Sodalitium (articles sur/contre de Maistre et Mickiewicz), dans l’article de “Giovanni Servodio”, publié par Inter multiplices una vox (mars 1999, pp. 19-26). Puisque l’article sur Adam Mickiewicz a suscité beaucoup d’intérêt dans les milieux les plus disparates, nous signalons aux lecteurs l’étude de Laura Quercioli Mincer, La contesa sulle origini ebraiche di Mickiewicz, publiée sur le quadrimestriel de l’Unione delle comunità ebraiche italiane, La Rassegna mensile di Israel (janvier-avril 1999, n° 1, pp. 29-52), qui complète et confirme ce qui est écrit par Sodalitium sur le poète polonais. Le mensuel brescien Chiesa viva a publié un inédit de l’abbé Nitoglia (Lettera di Sergio Romano a un amico ebreo) sur le n° 304 (mars 1999) et, sur le n° 310 (octobre 1999) a commencé la publication de l’article de l’abbé Nitoglia, Joseph de Maistre ésotérique?, assurant ainsi une plus grande diffusion aux réserves qui s’imposent quant à la pensée de cet écrivain. La revue américaine The Reign of Mary (n° 97, pp. 4-5 et 26) publie un article de l’abbé Ricossa intitulé The Candid admission of Bishop Tissier de Mallerais. Il s’agit en réalité d’un petit chapitre d’un article paru dans Sodalitium (n° 47, pp. 82-83). Nous n’apprécions pas que le lecteur n’ait pas été averti que l’article n’était pas intégralement publié. Civitas Christiana (nn° 18-21, pp. 91-92) présente comme d’habitude le dernier numéro de Sodalitium et recense le livre de E. Ratier, I guerrieri di Israele. Rino Cammilleri écrit en plaisantant qu’il continuera “à chercher les poux dans la paille au clergé” même si “c’est l’abbé Ricossa qui règne au Vatican” et qu’il trouvera “quelque chose d’encore trop progressiste dans la messe dite en latin archaïque” (sur Percorsi, n° 20, juillet 1999, p. 38). Cher Cammilleri, nous vous prenons au mot! William Morgan, un écrivain sédévacantiste anglais, signale Sodalitium et l’Institut aux lecteurs de son opuscule Sedevacantism. Some questions and objections answered (p. 13). A la p. 5 il critique la position du P. Guérard, mais à la p. 4 il admet que “le réel problème est d’obtenir davantage d’évêques avec l’autorité hiérarchique, de telle sorte qu’ils puissent rassembler en urgence un Concile pour déclarer formellement la vacance du siège de Pierre, et pour organiser l’élection du prochain Pape valide”. Et alors, si tous les évêques sont publiquement compromis - comme les cardinaux - “par l’anti-catholique Réforme Conciliaire” (p. 5), comment avoir des successeurs perpétuels sur le Siège de Pierre, comme le veut Vatican Ier et le rappelle Morgan lui-même à la p. 4, sans admettre la subsistance de la hiérarchie “materialiter”? Signalons enfin un intéressant opuscule de P. Tailhades (édité par le Bulletin de l’Occident Chrétien) sur La Fraternité Saint Pie X et la Nouvelle Droite. L’auteur souligne comment, après un long silence sur la question, certaines revues ont décidé de dénoncer les infiltrations de l’ésotérisme “chrétien” parmi les catholiques “traditionalistes” (par ex. Le sel de la terre et De Rome et d’ailleurs). Nonobstant cela, certains milieux de la Fraternité Saint Pie X accordent une large place, sur des revues comme Fideliter ou Pacte, à des auteurs du courant ésotérique et/ou néo-païen. Ce faisant, il cite à l’appui de sa thèse la revue Sodalitium (pp. 79), non sans préciser son complet désaccord avec nous. En effet, chaque numéro du B.O.C. contient les habituelles attaques violentes et infondées contre ‘Verrua Savoia’, sur lesquelles nous ne revenons pas. L’opuscule de M. Tailhades est intéressant, même si le lecteur doit discerner le bon grain de l’ivraie; en général, il faut plus se fier aux citations qu’aux jugements personnels de l’auteur. Cependant nous sommes d’accord avec M. Tailhades pour reconnaître que même à l’intérieur de la Fraternité une réaction salutaire contre ces fléchissements en direction de l’ésotérisme fait son chemin, réaction que nous ne pouvons qu’encourager et soutenir, en espérant qu’elle arrive à prévaloir. 70 Réponse à des objections: I. M. Remy. L’article de l’abbé Ricossa “L’Apocalypse selon Corsini” et son appendice “à propos de certaines prophéties et révélations privées” (Sodalitium n° 48, pp. 45-61) a suscité la réaction négative de Les Amis du Christ Roi de France (A.C.R.F., B.P. 2, F - 44140 Aigrefeuille; mai 1999) et de son responsable, Louis-Hubert Remy. Citons les critiques: “On a été atterré de lire dernièrement dans une revue estimable une violente attaque contre le secret de La Salette. Nous croyions l’auteur plus savant et au courant des polémiques sur le secret. La reine de France n’est pas venue chez nous, chez elle, pour ne parler que de pommes de terre. Relire ‘Les Secrets de La Salette’ de Max Le Hidec, N.E.L., 1969, où l’auteur explique les condamnations qui ne se prononcèrent pas sur l’authenticité: ‘Il est possible que le SaintOffice ait voulu uniquement viser les commentaires du Secret et cette interprétation est d’autant plus vraisemblable que la première phase du décret semble faire allusion aux livres condamnés de l’abbé Combe’. Les éléments du secret sont bien réels puisque tous accomplis ou presque et renouvelés par le message de Fatima. Pourquoi cet article? L’auteur ne sait-il pas que tous ceux qui ont attaqué La Salette ont mal fini? Le dernier exemples est l’abbé de Nantes” (p. 4, n. 1). “Ainsi parlait le Cardinal Pie. Que ceux qui suivent des révélations privées, sérieuses, non condamnées, éprouvées, soient rassurés. Que ceux qui les rejettent systématiquement, n’imposent pas aux autres leur sectarisme. Ces derniers sont bien souvent de pseudo-théologiens, plus attachés à une formation universitaire sceptique, libérale et naturaliste que catholique” (p. 7). Sur la “prédiction de Saint François”: “On a l’impression qu’elle gêne. On se demande bien pourquoi. (...) On nous a objecté qu’elle devait s’appliquer à la période du grand schisme d’Occident. Et des articles apparemment fort savants, avec une ‘documentation irréfutable à l’appui’, nous assure (sic) qu’elle se réfère à Boniface VIII et Jean XXII. ‘Elle serait un texte ‘sedevacantiste’, mais forgé par des ‘sedevacantistes’ du XIVième siècle qui, par dessus le marché, avaient tort!’. Nos critiques commencent par parler d’hypothèses et finissent par une condamnation sans nuance. Procédé bizarre. Quoi qu’il en soit, plus on la médite, plus elle décrit bien notre époque. Et si ce qui est an- noncé dans les 19 premières lignes s’est réalisé, les persécutions prophétisées dans les huit dernières sont très probables” (p. 18). “Nous avons lu dernièrement dans une revue estimable une recension moderniste épouvantable qui n’honore pas son auteur. Qu’il lise la préface introductive de l’abbé Drach dans ‘La sainte Bible’ édition Lethielleux, 1879, tome 23, Apocalypse de saint Jean: il y a trois systèmes d’interprétation” (p. 19, n. 3). Nous avons demandé à l’abbé Ricossa, qui est l’auteur (non cité, mais bien reconnaissable) accusé de modernisme, naturalisme, libéralisme, scepticisme et sectarisme, une réponse à M. Remy. La voici. “Ma réponse sera double: elle portera d’une part sur les points controversés (et sera nécessairement brève), et elle portera d’autre part sur M. Remy en général. Quant à la controverse, je réponds ainsi: 1) A propos du Secret de La Salette: a) Mon attaque n’était pas violente: je n’ai fait que rapporter les prises de position de l’Eglise. b) Dans le message approuvé par l’Eglise, la Sainte Vierge ne parle pas seulement de “pommes de terre”. Elle parle des péchés des hommes (profanation du jeûne, blasphèmes, profanation de la fête), du châtiment du péché, de son rôle de médiatrice auprès de Jésus-Christ. Il est atterrant de constater l’ironie et le mépris de M. Remy pour ce que certainement la Sainte Vierge a dit à La Salette. c) Je suis bien au courant de la littérature en défense du secret. Moi-même je ne me suis pas prononcé sur l’authenticité de celui-ci (pp. 57-59, 61). Mais, c’est le texte même du secret, tel qu’il a été édité par Mélanie, qui a été “réprouvé et condamné” (dans le décret de 1923) et non ses interpolations (réponse de 1957) ou seulement ses commentaires. Donc la thèse de Le Hidec est insoutenable, parce qu’elle se heurte aux interprétations que le Saint-Siège a données de ses décrets. d) Le pourquoi de l’article est clairement exprimé dans l’éditorial (p. 3) et dans l’article même: pp. 57, 61. Défendre la vérité avec des arguments non probants détériore la vérité que l’on veut défendre (un bel exemple de cette attitude sont les articles de M. Remy et les livres de Delacroix). e) Il ne me semble pas que Léon XIII, saint Pie X, Pie XI et Pie XII aient mal fini. Si je finis mal (à Dieu ne plaise) ce ne sera certainement pas pour avoir cru et obéi à l’Eglise. 71 2) A propos du Cardinal Pie, sur les révélations privées: Le Cardinal Pie, cité par l’A.C.R.F., écrit textuellement: “L’Eglise, quand elle a formé sa conviction sur la valeur de la révélation, si elle en autorise la croyance, ainsi que les actes de piété qui s’y rattachent, ne fait pourtant de commandement et n’impose d’obligation à personne” (p. 7). Avec cette citation M. Remy se donne des verges pour se faire battre, puisque si l’Eglise n’oblige même pas à l’égard des révélations privées qu’Elle a sagement approuvées, encore moins peut-on imposer de croire à des ‘révélations’ qu’Elle a explicitement réprouvées (ou pas approuvées). Quant à moi, je crois et embrasse toutes les dévotions et révélations approuvées et recommandées par l’Eglise. 3) A propos de la “prédiction de Saint François”: a) Personne n’a parlé du Grand Schisme (à moins que M. Remy croie que Boniface VIII et Jean XXII aient régné à cette époque) b) “Cette prophétie est très étonnante par sa clarté”, écrit M. Remy (p. 18). Que nous dise alors le sedevacantiste Remy où donc est “ce vrai Souverain Pontife” auquel très peu de chrétiens voudront obéir, dont nous parle la “très claire” prophétie. 4) A propos de l’interprétation de l’Apocalypse: a) L’Eglise n’a pas imposé une exégèse particulière (M. Remy écrit: “il y a trois systèmes d’interprétation”). b) Je n’impose à personne a l’exégèse de Corsini. c) Mais je ne vois pas en quoi cette exégèse serait moderniste (M. Remy ne l’explique pas non plus). Peut-être considère-t-il comme modernistes même le cardinal Billot et Mgr Spadafora? d) M. Remy ne peut pas imposer non plus l’exégèse d’Holzauser. Quant aux positions de M. Remy, il me semble que l’on doive relever une dangereuse incohérence. Il impose un système moral et dogmatique extrêmement rigide (qui le pousse à déclarer à la p. 14 “pas digne d’un catholique” ce qui est autorisé par Pie XII), qui attire pour cette raison des âmes ferventes. Mais cette rigidité est souvent rigorisme, et même pharisaïque (“ils attachent des fardeaux pesants et qu’on ne peut porter, et ils les mettent sur les épaules des hommes; mais ils ne veulent pas même les remuer du doigt” Matth. XXIII, 4). En effet, il écrit à propos de l’“église conciliaire”: “l’église conciliaire estelle catholique? Ce ne peut être un oui, mais... Ce ne peut être un non, mais... De votre réponse dépend une attitude cohérente. Si c’est un oui, vous devez... Si c’est un non, vous devez... Pour nous, l’église conciliaire n’a plus rien de catholique (...). Nous qui passons notre vie à nous conformer à une pensée catholique, à une vie catholique, savons en croyant et faisant ce qui a toujours été cru et fait, ce qu’est être catholique. Et nous savons que l’église conciliaire n’est pas catholique. Un point, c’est tout” (p. 2). “On ne peut, sous peine d’apostasie, accepter telle ou telle partie de l’autre (église), aussi minime soit-elle. (...) On doit TOUT lui reprocher, TOUT refuser. Refuser ses ‘papes’, sa ‘hiérarchie’, ses ‘dogmes’, son ‘enseignement’, son ‘catéchisme’, ses ‘sacrements’, ses ‘rituels’, etc. etc.” (p. 6). Il faut TOUT refuser, même la MINIME partie, sous peine d’APOSTASIE... Sauf les messes célébrées en communion avec JeanPaul II, auxquelles M. Remy assiste tranquillement. Et sauf les déclarations de nullité matrimoniales prononcées au nom de Jean-Paul II par la Sacrée Rote: puisqu’alors dans ce cas l’“église conciliaire”, ses “papes” etc. sont à nouveau l’Eglise et le Pape, et ce, pour permettre à M. Remy un second mariage. Non seulement il faut refuser les sacrements aux femmes en pantalons (et ce n’est certes pas beau pour une femme qui n’est pas Jeanne d’Arc de porter des pantalons) mais les proches de ces “pécheresses publiques” ne devraient même plus les recevoir chez eux ou à leur table (p. 25): c’est M. Remy, qui a deux épouses, qui donne des leçons aux “pécheurs publics” et à leurs parents. Nous devons de la reconnaissance à Louis-Hubert Remy, puisqu’il est de ceux qui nous ont fait connaître le Père Guérard des Lauriers. Mais ce souvenir nous blesse particulièrement en le voyant publier et inspirer un livre, comme celui de l’abbé Paladino, Petrus es tu?, qui combat la Thèse du Père Guérard. Mais que voulez-vous: cette Thèse ne refuse pas TOUT (sauf les nullités de mariage et les messes de la Fraternité). La longue crise que nous traversons éprouve tant d’âmes généreuses et fidèles qui, en temps normal, auraient été admirables, sous la conduite de bons prêtres. L.-H. Remy aussi en fait partie. Tant d’exemples de chutes sacerdotales lui ont fait croire que plus qu’être 72 dirigé par un prêtres, il doit, de fait, diriger lui-même (plus ou moins en coulisses) les prêtres. Nous comprenons ses difficultés, nous admirons, parfois, son zèle. Mais il faudrait, à mon avis, un peu plus de prudence, d’humilité, de capacité de rester à sa place...”. II. L’abbé Paladino. Notre confrère, l’abbé Francesco Paladino, a publié un livre en français, intitulé Petrus es tu?, dans lequel il expose sa thèse “sédévacantiste”. Le chapitre V du livre est consacré à une tentative de réfutation de la Thèse de Cassiciacum, faisant aussi référence aux articles de l’abbé Sanborn à ce sujet publiés dans notre revue. Une réponse de l’abbé Ricossa à l’abbé Paladino, en défense de la Thèse de Cassiciacum a été récemment publiée par notre maison d’édition. Demandez à la rédaction L’abbé Paladino et la Thèse de Cassiciacum! Le sel de la terre et Mgr Guérard des Lauriers. Précisions. Nous avons déjà eu l’occasion de parler de la revue Le sel de la terre, éditée par les Pères dominicains d’Avrillé. Cette revue thomiste est certainement la plus intéressante parmi celles qui se situent “dans la ligne du combat pour la Tradition dans l’Eglise entrepris par S.Exc. Mgr Lefebvre” et nous partageons une bonne partie de ses positions. Nous devons - plus que critiquer préciser et compléter ce qu’elle affirme à propos du Père Guérard des Lauriers dans son numéro 30 (automne 1999). Nous faisons référence à la recension d’un livre des éditions (de la Fraternité) Clovis, intitulé La raison de notre combat: la messe catholique. A 30 ans du Novus ordo, la Fraternité saint Pie X a rassemblé en un seul volume plusieurs écrits sur ce sujet, parmi lesquels le célèbre Bref examen critique du Novus Ordo Missæ présenté à Paul VI par les cardinaux Ottaviani et Bacci. A ce propos, l’auteur de la recension écrit: “le ‘Bref examen critique’ a été rédigé par un groupe de théologiens, parmi lesquels le plus actif et le plus convaincu fut le père Guérard des Lauriers o.p.” (p. 209). “Le ‘Bref examen critique’ fut rédigé en italien et publié en octobre 1969. La traduction française fut diffusée par ‘Itinéraires’ à partir de mars 1970. Dans son numéro 112 de l’année 1969, ‘La Pensée catholique’ avait déjà publié un texte développant les considérants doctrinaux contenus dans le ‘Bref examen critique’, sous le titre: ‘L’Ordo missæ, par un groupe de théologiens’. Le père Guérard des Lauriers, dans sa ‘Déclaration’ de septembre-octobre 1970 (‘Itinéraires’ 146, p. 76), a reconnu avoir apporté ‘une collaboration décidée à la rédaction du ‘Bref examen critique’” et être l’auteur de l’étude publiée par la ‘Pensée catholique”, en accord avec d’autres théologiens. C’est l’honneur du père Guérard d’avoir écrit ces pages” (ibidem, note 28). La reconnaissance des mérites du P. Guérard est certainement due à l’honnêteté de l’auteur de la recension, mais aussi au fait que les dominicains d’Avrillé doivent beaucoup au P. Guérard qui, nous allons le voir, s’en occupa au début de leur fondation. Mais, puisque la revue, se place explicitement dans la ‘ligne de Mgr Lefebvre’, nos confrères se sentent obligés de préciser que le P. Guérard “malheureusement, se sépara de Mgr Lefebvre dix ans après, en 1978-1979” (fin de la note 28). Puisque nos confrères aiment l’histoire comme nous, il est utile de préciser brièvement aux nouvelles générations de lecteurs comment les choses se passèrent. Le P. Guérard était encore professeur au séminaire d’Ecône en septembre 1977. Au cours de l’été avait éclaté la ‘révolte’ des professeurs modérés fomentée par l’abbé Gottlieb et soutenue par le directeur même du séminaire le chanoine Berthod (maintenant inhumé dans l’église d’Ecône). Elle présageait l’expulsion des éléments intransigeants et même la mise à l’écart de Mgr Lefebvre dans un prieuré. Mgr Lefebvre n’apprécia pas (spécialement la seconde proposition!) et plusieurs professeurs et séminaristes, y compris le directeur du séminaire, quittèrent la Fraternité. Fut appelé alors pour prêcher la retraite de début d’année le point de référence de l’aile intransigeante, c’est-à-dire le P. Guérard des Lauriers (septembre 1977), précisément au moment où, jour après jour, se succédaient les abandons. La position du prédicateur - qui annonçait la future Thèse de Cassiciacum - ne fut cependant pas agréée, raison pour laquelle lui aussi fut exclu, de fait, de l’enseignement même si ce ne fut pas officiellement. De ce moment date, en réalité, l’éloignement du P. Guérard des Lauriers d’Ecône, qui perdait ainsi - sur sa ‘droite’ (avec Guérard) et sur sa ‘gauche’ (avec Berthod) - ses enseignants les plus compétents. De retour à Etiolles, le P. Guérard fut alors contacté par un groupe de jeunes du M.J.C.F. qui voulaient vivre la vie dominicaine. Il leur donna l’habit religieux le 8 décembre 1977 et, avec le P. de Blignières, 73 commença la formation intellectuelle de ces jeunes gens. Comme le travail était supérieur à ses forces, le P. Guérard pensa pouvoir s’appuyer - malgré tout - sur Ecône, qui en effet accepta en tant qu’étudiants pour l’année 1978-79, (lettre de Mgr Lefebvre au P. Guérard du 24 août 1978), les quatre jeunes dominicains sans qu’ils appartiennent à la Fraternité. Dans la lettre collective de vœux pour les 80 ans du Père (24 octobre), Mgr Lefebvre et les professeurs d’Ecône considéraient la fondation des dominicains comme une fondation du P. Guérard et attendaient une visite au séminaire. Mais, en novembre 1978, Frère Innocent-Marie Chassagne écrivait au P. Guérard que “Monseigneur, tout en vous aimant et estimant beaucoup est inquiet et troublé de vous voir venir ici” (lettre du P. Guérard à Mgr Lefebvre du 14 novembre 1978). Tout ceci arriva dans ce contexte: Paul VI était mort et Jean-Paul II devait recevoir en audience Mgr Lefebvre précisément le 18 novembre: Mgr Lefebvre déclara accepter le Concile à la lumière de la Tradition (comme Jean-Paul II lui-même avait dit qu’on devait faire). Suite à cela, Mgr Lefebvre, la veille de Noël 1978, écrivit une lettre à Jean-Paul II demandant simplement la liberté pour la “messe traditionnelle” à côté de la messe moderne: “les évêques décideraient des lieux, des heures réservés à cette Tradition. L’unité se retrouverait immédiatement au niveau de l’évêque du lieu”. Une anticipation, en somme, du “protocole d’accord” de 1988 et de l’Indult! Dans ce nouveau climat, Mgr Lefebvre écrivit au P. Guérard: sa position sur le ‘Pape et la Messe’ “jette le trouble et cause des divisions violentes, ce que je tiens à éviter”; lui, Mgr Lefebvre, a une conduite qui “tient davantage compte des réalités, aussi bien traditionalistes que progressistes”. C’était une invitation à ne plus se présenter à Ecône. Dans sa réponse du 7 février 1979, le P. Guérard des Lauriers précisa sa position (qui était déjà la Thèse): des extraits des deux lettres ont été publiées dans Sodalitium n° 18, pp. 16-18. Le 19 mars, Mgr Lefebvre publiait la lettre n° 16 aux amis et bienfaiteurs, contenant sa lettre de Noël à Jean-Paul II. Le P. Guérard des Lauriers réagit ouvertement contre cette reddition par un document intitulé: “Monseigneur, nous ne voulons pas de cette paix”. La publication de la Thèse dans les Cahiers de Cassiciacum, en mai 1979 (immédiate- ment violemment attaquée par Jean Madiran), ne fit que sceller une rupture déjà consommée. A tant d’années de distance, nous voudrions savoir des confrères du Sel de la terre s’ils souscriraient à la lettre n° 16 de Mgr Lefebvre ou non (le supérieur général de la Fraternité de l’époque, Schmidberger, répondant à nos perplexités par rapport à son initiative suite à l’Indult - la “pétition au Saint-Père” - nous dit que sa position était plus ferme que celle de Mgr Lefebvre dans la lettre n° 16, qu’il n’aurait jamais écrite). Ceci, pour l’histoire. Mais Le sel de la terre avance une autre objection au pourtant vénéré P. Guérard des Lauriers, à propos de la validité du nouveau missel. Il le fait en citant précisément le ‘Bref examen critique’ dans sa note 15: “Telles qu’elles figurent dans le nouvel Ordo, les paroles de la Consécration peuvent être valides en vertu de l’intention du prêtre. Mais elles peuvent aussi ne l’être pas, car elles ne le sont plus par la force même des paroles (‘ex vi verborum’); ou plus précisément: elles ne le sont plus en vertu de leur signification propre, du ‘modus significandi’ qu’elles ont dans le canon romain du Missel de saint Pie V. Les prêtres qui, dans un proche avenir, n’auront pas reçu la formation traditionnelle, et qui se fieront au nouvel Ordo pour ‘faire ce que fait l’Eglise’ consacreront-ils validement? Il est légitime d’en douter”. De ce texte Le sel de la terre déduit que Mgr Lefebvre a conservé la doctrine du Bref examen critique, alors que “en revanche, le père Guérard, qui approuva pourtant et, peut-être même, rédigea personnellement cette note, affirma, à partir de 1979, que la nouvelle messe était de soi invalide, quelle que soit l’intention du célébrant. C’était aller beaucoup plus loin que les autres ténors de la résistance qui qualifiaient cette messe de: mauvaise, équivoque, ambiguë, révolutionnaire, favorisant l’hérésie, etc. Dans la pratique, ces raisons sont d’ailleurs largement suffisantes pour imposer le devoir de ne pas y participer activement” (note 33, p. 210). Nous répondons aux observations de nos confrères... D’abord, la note du B.E.C. nous semble contradictoire. En effet on y affirme que dans le N.O.M. les paroles de la consécration n’ont plus en elles-mêmes le même sens. Or, les rubriques du missel romain sont très claires à ce propos: “si quelqu’un diminuait ou changeait quelque chose de la forme de la consécration du Corps et du Sang, et qu’avec ce changement de paroles, les paroles 74 ne signifieraient plus la même chose, il ne confectionnerait pas le Sacrement [la Messe serait invalide]. Si au contraire il ajoutait quelque chose, qui ne changerait pas le sens, il confectionnerait effectivement [le Sacrement], mais pécherait très gravement” (de defectibus in celebrazione missarum occurrentibus, cap. V: de defectibus formæ). Pour la validité il faut trois éléments: matière, forme et ministre avec l’intention de faire ce que fait l’Eglise; le B.E.C., comparé à la rubrique citée, affirme l’invalidité de la Messe pour un défaut de la forme; on ne voit pas comment la présence de l’intention dans le (bon) prêtre puisse suppléer à ce défaut. Cependant, le P. Guérard fonde son argumentation sur l’invalidité (au moins probable) du N.O.M. précisément sur l’intention du célébrant qui se manifeste dans le rite qu’il adopte, (suivant l’enseignement de Léon XIII in Apostolicæ curæ), et ce contre la doctrine exposée par le B.E.C. à ce propos dans sa note 15. Nous ne croyons pas probable qu’il se soit démenti lui-même (même si à tous il est permis et nécessaire de changer d’opinion, si on s’est trompé précédemment). S’il fut un important collaborateur du B.E.C., il ne fut pas le seul théologien qui y participa: y travaillèrent par exemple Mgr Renato Pozzi, expert conciliaire et membre de la S.C. des Etudes et Mgr Guerrino Milani, de la même Congrégation, et surtout fut actif, d’après le témoignage du P. Guérard lui-même (dans l’édition bilingue du B.E.C. de 1983 éditée à Villegenon par les Editions sainte Jeanne d’Arc avec une introduction, précisément, du P. Guérard) “un liturgiste extrêmement distingué, courageux auteur d’articles critiques qu’il fit paraître à cette époque dans les journaux romains” et que nous croyons pouvoir identifier sans l’ombre d’un doute comme étant Mgr Domenico Celada. Enfin, le texte italien “à partir de notes écrites en français” par le P. Guérard, “fut complété et minutieusement mis au point (...) notamment pour tout ce qui concerne la liturgie” (cit., p. 6) par Vittoria Cristina Guerrini, connue dans le domaine littéraire sous le pseudonyme de Cristina Campo [une personne qui fit beaucoup, donc, pour la Messe, dans le milieu de l’association Una Voce, obtenant entre autres, avec Emilia Pediconi, l’approbation du cardinal Ottaviani, mais qui n’est malheureusement pas exempte d’inquiétants contacts - et c’est peu dire - avec l’ésotériste Elémire Zolla]. La théorie de l’intention exprimée à la note 15 du B.E.C. peut donc aussi être de Mgr Pozzi, Mgr Milani, Landucci (?) etc. et même de Cristina Campo... Quant au P. Guérard, sa pensée sur l’intention est exprimée dans un volume inédit mais non inconnu de 400 pages environ. Le texte, intitulé Réflexions sur le nouvel Ordo Missæ est précédé d’une lettre... de Mgr Lefebvre que nous rapportons ici: “l’extension et la profondeur du changement apporté au Rite Romain du Saint Sacrifice de la Messe et sa similitude avec les modifications faites par Luther obligent les catholiques fidèles à leur foi de se poser la question de la validité de ce nouveau rite. Qui mieux que le révérend Père Guérard des Lauriers peut apporter une contribution avertie à la solution de ce problème? Qui toutefois demeure encore à l’état d’étude. Ces pages savamment rédigées, manifestent la gravité de ces changements qui touchent l’Eglise, ses prêtres et ses fidèles dans ce qu’ils ont de plus cher: l’effusion des grâces rédemptrices du Cœur Eucharistique de Jésus. Puissentelles décider de nombreux prêtres à revenir au Rite dont les prières remontent aux temps apostoliques et canonisé par le Concile de Trente et saint Pie V. Marcel Lefebvre, Ecône, le 2 février 1977”. De ce témoignage on déduit que le P. Guérard, bien avant 1979, avait formulé amplement sa position sur l’invalidité du N.O.M., et que - avec Paul VI encore vivant et l’audience avec Jean-Paul II encore à venir - Mgr Lefebvre soutenait que le P. Guérard était la personne la plus appropriée pour résoudre le problème de la validité du nouveau missel. Quant au fait de l’assistance à la nouvelle “messe”, le P. Guérard et le P. Vinson prirent une position (contraire) dès 1970; Mgr Lefebvre - s’opposant au directeur d’Ecône de l’époque, Bernard Tissier de Mallerais, qui suivait la position de l’abbé Cantoni - ne prit position contre l’assistance à la nouvelle messe qu’au cours de l’été 1981 (après avoir encore lui-même assisté activement à la nouvelle messe le 30 juin 1980). Et en cela, comme ils nous l’expliquèrent alors à Ecône, et comme cela était évident, Mgr Lefebvre changea certainement d’opinion (heureusement, en mieux). Baptêmes. Sont nés à la vie de la grâce: Stefano Tamagnini le 2 mai, à Milan, baptisé par l’abbé Giugni; le 16 mai, Imelda, premier enfant d’Alexis et Claire Bontemps, baptisée à Entraigues par l’abbé Cazalas; le 75 19 juin, Elsa, troisième enfant de Luca et Nadia Ricossa, baptisée à l’Oratoire du S. Cœur de Turin par l’abbé Ricossa; le 1er août à la Maison Saint-Joseph (SerreNerpol), baptême de Camille Prévost par l’abbé Murro, le 7 août les jumeaux Paolo et Giulia, huitième et neuvième enfants de Marco et Anna Durando, baptisés à Viotto par l’abbé Nitoglia, qui le 29 août a baptisé à Cannes Hugues, fils de Jérôme et AnneMarie Chioccanini; le 11 septembre, Domitille, fille de Bernard et Frédérique Doyon, baptisée par l’abbé Giugni dans la chapelle de la Maison Saint-Joseph à Serre-Nerpol. Premières Communions. Ont reçu pour la première fois Jésus: Joseph Langlet le 13 mai, des mains de l’abbé Murro, dans la chapelle des religieuses de Crézan; le 5 juin Elisabetta et Francesca Bichiri, Patrizia Chiodo et Teresa Fontan dans notre chapelle de Verrua des mains de l’abbé Giugni; de même que le 8 août à Raveau, Emeline Mendoza. Mariages. Le 11 juillet, dans l’église des SS. Pierre et Paul à Verrua Savoia, l’abbé Ricossa a béni l’union de Carlo Frangioni et Manuela D’Ambrosi. Tous deux, pour se préparer au mariage, avaient fait les Exercices à Verrua durant le mois de mai. Un autre mariage a été béni par l’abbé Stuyver à Dendermonde le 9 juillet. Défunts. Le 7 mai: Antonino Di Frisco, père de Mme Giuseppina Bichiri. L’abbé Nitoglia a célébré ses funérailles dans l’église de Tetti Rolle le 10, accompagnant ensuite le corps du défunt au cimetière de Nichelino. Le 27 juin, Angelo Lanzetta, père de Mme Rosa Giglio; trois jours avant il avait reçu les sacrements de l’abbé Nitoglia. Le même jour, chez lui à Entraigues, M. Gérard Grelou; l’abbé Cazalas qui l’avait administré a célébré ses funérailles le 30 juin. Le 21 juillet, à Turin, Roberto Rigoletti, depuis de nombreuses années notre tailleur ecclésiastique. Le 3 septembre, Jean Comet, qui ces dernières années de maladie recevait régulièrement les saints sacrements chez lui de nos prêtres. L’abbé Murro a célébré une Messe de Requiem dans la chapelle d’Annecy le 13 septembre. Le 26 septembre, Mme Caterina Ploy née Bonolis. La veille l’abbé Nitoglia lui avait donné les sacrements. Il a célébré ses funérailles à Cittiglio (Varèse) le 27 septembre. Nous recommandons ces défunts, et toutes les âmes du Purgatoire, aux prières de nos lecteurs, et présentons à leurs familles nos sincères condoléances. Dieu a rappelé à Lui l’abbé Petit et le Père Vinson. Pour eux c’est un “gain” (Phil. I, 21), mais pour nous, qui restons sans la conduite de ces bons pasteurs, c’est une dure perte. * Le 14 avril est décédé l’abbé Hubert Raymond Petit. Il naquit le 11-2-1909 à Laneuville-au-Rupt, en Lorraine, dans uns famille de paysans, profondément catholiques. Sa mère lui inspira la dévotion envers la Sainte Vierge, lui faisant remarquer qu’il était né le jour de l’apparition de Lourdes. Sa tante était directrice des cours de doctrine chrétienne, aimée et estimée de tous. Dès son plus jeune âge Hubert se montra particulièrement sérieux, tant en aidant ses parents aux travaux des champs qu’en étudiant, si bien que parfois, quand le temps manquait, il lisait ses cours pendant le repas. Il entra dans la Communauté des prêtres du Sacré-Cœur, fondée par le Père Dehon et, après le service militaire, partit à Amiens à l’Institut des vocations tardives de la même congrégation, où il était très estimé. Il suivit les cours à la faculté de Lille, où il eut comme professeur le P. Guérard des Lauriers; en même temps il aidait un prêtre âgé qui habitait les environs. L’abbé Hubert Petit avec Mgr Guérard des Lauriers, le jour de son ordination sacerdotale 76 Le Père Vinson en Argentine dans les années 50 écrivant pour la revue “Valor” A cause d’un surcroît de travail, il tomba malade et dut interrompre ses études. Après la guerre, il reprit ses études; mais suite à une seconde maladie, il décida de les interrompre définitivement, pour devenir frère chez les dehoniens. Quand les nouvelles réformes commençèrent il en ressentit l’influence néfaste, au point qu’il “ne trouvait plus dans sa Communauté ce qu’il était venu chercher quand il y était entré comme novice”, et c’est ainsi qu’il commença à fréquenter les réunions des Associations St Pie V. Ce fut le Père Vinson qui conseilla à Mademoiselle Docq, responsable de l’Association St Pie V - St Pie X de Lorraine, d’accueillir le frère Petit. Après deux années de réflexion, le 7 octobre 1981 il accepta l’invitation de Mlle Docq, qui généreusement mit à sa disposition le rez-de-chaussée de sa maison de Commercy. Il reprit alors contact avec Mgr Guérard des Lauriers, qui l’ordonna prêtre à Etiolles le 17-3-1984. Il célébra ainsi la Sainte Messe à Commercy et, grâce à l’entremise de M. Aloncle, à Bar-le-Duc, où par la suite il invita Mgr Guérard à donner les confirmations. De caractère très sensible et très fin, il fut toujours fidèle à l’esprit religieux: partout où il se rendit, il fut toujours estimé de tout le monde. Il maintint des liens d’amitié pendant de nombreuses années, y compris avec des personnes connues, comme le peintre du Creusot, Raymond Rochette. Ses dernières années furent un peu difficiles du fait de sa santé qui déclinait lentement; entré à l’hôpital fin janvier, il y décéda le 14 avril dernier. L’abbé Stuyver qui le visitait régulièrement lui avait donné tous les sacrements; c’est lui qui célébra ses funérailles le 17 avril dans la chapelle de Commercy où l’abbé Petit célébrait la sainte Messe. Que le Seigneur reçoive au Ciel sa belle âme de religieux et de prêtre fidèle. Mlle Docq s’est occupée de l’abbé Petit avec une grande générosité et de bon cœur, sans regarder aux sacrifices quand c’était nécessaire, spécialement dans les derniers temps où, bien qu’étant elle-même hospitalisée, elle ne cessait jamais de penser et de faire tout ce qu’elle pouvait pour lui. Nous lui adressons ainsi qu’à la famille de l’abbé Petit nos plus sincères condoléances. * Le 8 juillet, vers 3 heures du matin, entouré de ses religieuses du Christ-Roi, est sereinement décédé dans sa Maison SaintJoseph, à Serre-Nerpol, le P. Georges Vinson. Il était né à Valence en 1915 (paroisse SaintJean). A dix ans, en 1925, il entra au petit séminaire, en 1931 au grand séminaire. Sa vie change grâce à l’arrivée providentielle dans le diocèse du grand apôtre des Exercices Spirituels, le P. Vallet, qui avait reçu de l’évêque diocésain Mgr Pic la maison de Chabeuil en 1934. Le futur premier successeur du P. Vallet, le P. Terradas, faisait ses études dans le même séminaire que l’abbé Vinson, qui fit pour la première fois les Exercices avec le P. Vallet en 1935. En 1938, après le service militaire, il obtint de Mgr Pic de quitter le clergé diocésain pour entrer au noviciat des C.P.C.R. (les Coopérateurs Paroissiaux du Christ-Roi, fondés par le P. Vallet). Hélas la guerre éclata: l’abbé passa ainsi cinq ans dans le camp allemand de Sagan, en Basse Silésie, où il eut comme compagnon de prison l’abbé Barbara, qui deviendrait un jour son confrère à Chabeuil. Il rentra en France le 9 mai 1945, quelques jours avant le départ définitif du P. Vallet pour l’Espagne, occasionné par les menaces des maquisards. Il revint ainsi au noviciat de StJoseph des Mées, et fut ordonné prêtre par Mgr Pic, dans la cathédrale de Valence, le jour de Pâques 1946 (21 avril). C’était le premier prêtre ordonné dans l’œuvre des C.P.C.R. Les 28 et 29 septembre 1946, avec les Pères Barrielle et Romagnan, il participa à la réunion de Llivia avec le P. Vallet, qui voulait ainsi laisser aux Pères français ses ultimes directives et les points essentiels des Exercices et de la Congrégation. Le P. Vallet mourut le 13 août 1947; sur son mémento furent écrites 77 ces paroles significatives: “Nous avons un phare de vérité, c’est Rome! Soyons des passionnés de Rome. Ayons pour certain que celui qui est désaffectionné de Rome est déjà tombé dans l’erreur; et qu’on ne peut être dans une erreur (fondamentale, sérieuse) sans qu’il y ait une désaffection pour Rome. Demandons cet amour pour la Vérité et pour l’Eglise”. Le P. Vinson resta fidèle, pour toute la vie, à ce programme. La même année, en novembre, le P. Vinson rejoignit l’Espagne, où il travailla comme supérieur et maître des novices, agrandissant la maison de Pozuelo de Alarcon. En 1950 il est nommé supérieur en Uruguay, où le P. Vallet avait travaillé de 1929 à 1932; l’évêque de Salto, Mgr Viola, réclamait de nouveau la présence des C.P.C.R. De la Maison Saint Joseph de Salto se répandit ainsi l’œuvre des Exercices en Amérique Latine, jusqu’à ce que le P. Vinson, en 1954, passât dans la plus grande et prometteuse Argentine. C’est lui qui construisit la maison “Notre-Dame de Fatima” à Rosario: de 1951 à 1959, 234 sessions d’Exercices furent données à 6.715 retraitants. Des pages de Valor, la revue de l’œuvre qu’il dirigeait et qu’il avait fondée en 1954, le P. Vinson encourageait tout le monde à la vie spirituelle fervente au moyen de la pratique des Exercices, défendait la morale chrétienne contre le laxisme naissant, exposait la doctrine sociale chrétienne pour le Règne du Christ-Roi en combattant particulièrement le libéralisme, le laïcisme, le communisme, la Maçonnerie, le judaïsme et le néo-modernisme. Il se distingua de manière particulière en critiquant les “catholiques de littérature”, et leurs nombreuses erreurs dans le domaine de la foi et/ou de la morale: rappelons les attaques contre Léon Bloy, Charles Péguy, Maritain, Marcel, Guitton, Mauriac, Claudel, von Balthasar, Cesbron, Ortega y Gasset, Unamuno, Papini, Milton, Byron, Lamennais, Lanza del Vasto, Teilhard de Chardin... Il connut et traduisit en français les ouvrages du P. Julio Meinvielle. En 1957 commencèrent aussi les Exercices au Brésil, dans le diocèse de Mgr de Castro Mayer. Rappelé en Europe en novembre 1959, il fut nommé coadjuteur du directeur de l’Œuvre des Exercices pour la France et la Belgique (qui était alors le P. Barrielle); il contribua à la fondation de deux autres maisons: à Wissous, près de Paris et à Bieuzy-Lanvaux en Bretagne. A la mort de Pie XII, les ennemis des C.P.C.R. s’étaient déchaînés, spéciale- ment en France, en attaquant l’œuvre du P. Vallet (et la Cité Catholique de Jean Ousset). Le P. Vinson se défend et... contre-attaque. Mais le climat devient lourd et difficile, tant par les attaques de l’extérieur (la congrégation hésite entre la fidélité à la doctrine et le respect pour l’épiscopat) que par des divisions internes. Le P. Vinson fut ainsi “mis en quarantaine” (il avait vu plus loin que les autres) jusqu’à ce que, en 1963, il quitte la Congrégation. Mgr Lefebvre le fit incardiner et lui trouva un logement au séminaire des missions à Bourg-la-Reine, d’où il se déplaçait aux quatre coins de la France, de la Belgique et de la Suisse pour la prédication des Exercices. En 1969 il fut parmi les tout premiers à s’opposer au Novus Ordo Missæ (“nouvelle messe”) par les faits et par l’écrit, en célébrant la Messe partout, en collaborant aux écoles catholiques naissantes... S’opposer à la “nouvelle messe”, organiser la célébration de la vraie Messe, posait le problème de l’assistance à la “messe” réformée par Paul VI. Ce fut le P. Guérard des Lauriers o.p., avec l’article Assister à la Messe, du 20 novembre 1971, qui le premier (au moins en France) déclara qu’assister à la “nouvelle messe” constituait, en soi, un péché contre la Foi. Le P. Barbara, sur le conseil “d’amis théologiens, parmi lesquels un professeur à l’Institut Pontifical du Latran” (c’est-à-dire le P. Guérard des Lauriers) modifia en ce sens sa position précédente et mit le “feu aux poudres” en publiant l’article du P. Guérard sur Forts dans la Foi (n° 24, pp. 337-362). En même temps, le P. Vinson prenait position lui Le Père Vinson sur une photo de 1998 78 aussi avec l’opuscule La nouvelle Messe et la conscience catholique (du 28 novembre 1971), publié avec une préface du P. Guérard du 8 décembre, position défendue dans les opuscules successifs. Il faut à nouveau rappeler à cette occasion, pour se rendre compte du courage de ces prêtres que nous avons connus et aimés (les PP. Guérard, Vinson et - toujours vivant et vigoureux - Barbara), que Mgr Lefebvre et le séminaire d’Ecône ne modifièrent leur position qu’en 1981 avec la crise due à l’enseignement de l’abbé Cantoni, et qu’alors aussi (nous en fûmes témoins oculaires) Mgr Lefebvre condamnait la position “extrémiste” du P. Vinson... sans s’apercevoir qu’il l’avait adoptée complètement... avec 10 ans de retard! Dans cette seconde partie de la vie du P. Vinson (celle de la résistance aux réformes conciliaires) nous devons évoquer trois œuvres qui lui survivent: le bimestriel Simple Lettre - qui en quelques lignes faciles et piquantes signalait aux lecteurs les voies à prendre et les erreurs à éviter - la fondation avec Mère Monique Delmotte en 1980 à Serre-Nerpol de la congrégation religieuse des Sœurs du Christ-Roi - et l’école pour filles tenue par les mêmes Sœurs à la Maison SaintJoseph, ainsi que les camps d’été pour garçons et filles. En 1980, au début de la fondation religieuse, on craignit pour sa vie: vous pouvez lire sur le numéro spécial de Simple Lettre (n° 116, août 1999; dont nous avons extrait presque toutes les informations que nous publions ici, dues à la plume de Mère MarieMonique et de Maurice Muel) de très beaux extraits de son testament remontant à cette année-là. Le Seigneur lui accordait au contraire encore presque vingt ans de vie pour consolider ses œuvres et donner encore, à tant d’âmes, la grâce des Exercices de Saint Ignace. L’âge n’avait en rien diminué sa combativité, au contraire. Dans les dernières années, même, il a remis sur le tapis la question de l’autorité dans l’Eglise (c’est-à-dire la question de l’illégitimité de Jean-Paul II) et celle des consécrations épiscopales; la Fraternité saint Pie X ne lui a pas pardonné, et a été l’occasion pour le P. Vinson d’un nouvel acte de courage et d’amour de la Vérité. Puisque nous avons mentionné les consécrations, il ne nous semble pas hors de propos, après tout ce temps, de faire une réflexion sur les événements qui divisèrent, en 1982, le P. Barbara, le P. Vinson et le P. Guérard des Lauriers. Comme l’on sait, le 8 mai 1981, Mgr Ngo- Dhin-Thuc, archevêque de Hué, conféra la consécration épiscopale au P. Guérard des Lauriers. Le 8 janvier suivant, le P. Barbara dénonça cet acte (et la consécration des prêtres mexicains Carmona et Zamora qui suivit) comme “folie schismatique”(second supplément à Forts dans la Foi, n° 8). Quelques jours après, le 13 janvier, six prêtres “liés à des titres divers au R.P. Guérard des Lauriers” souscrirent un document “à propos de la consécration épiscopale du R.P. Guérard des Lauriers”, en la condamnant (bien qu’en ne la considérant pas comme schismatique). Le premier des signataires était justement le P. Vinson qui eut peut-être les heurts les plus violents avec le P. Guérard puisque tous deux célébraient à Lyon à la chapelle du Quai Saint-Vincent (de laquelle fut exclu le P. Guérard). Tels sont les faits douloureux d’alors. Aujourd’hui, tant le P. Barbara, que le P. Vinson, que l’abbé Guépin ont explicitement ou implicitement donné raison au P. Guérard des Lauriers, en acceptant les consécrations épiscopales de 1981. Si le P. Guérard des Lauriers eut raison, les Pères Vinson et Barbara, toutefois, n’eurent pas tous les torts. Dans ces années, l’infiltration de personnages vraiment schismatiques ou du moins indignes dans les rangs des évêques consacrés en état de nécessité, démontre comment l’on pouvait craindre et prévoir à juste titre, de la part de certains, l’abus des pouvoirs qui avaient été transmis licitement et à bon droit. Enfin audelà des excès qui malheureusement arrivèrent il y eut à notre avis un véritable souci de pourvoir au bien de l’Eglise, soit du côté de ceux qui étaient favorables aux sacres, soit du côté de certains de ceux qui s’y opposèrent; les uns voulaient garder le sacerdoce et le sacrifice, les autres éviter les infiltrations schismatiques. Je pense que c’est à cette ligne, heureusement réconciliée aujourd’hui, que nous devons nous conformer. Ce fut précisément à propos du problème des consécrations que l’abbé Ricossa et l’abbé Murro rencontrèrent le P. Vinson à la Maison St-Joseph, il y a plusieurs années. Depuis lors les visites s’intensifièrent (il est venu au moins deux fois lui-même à Verrua) jusqu’à arriver à l’étroite collaboration de ces derniers temps. Dieu a accordé au P. Vinson de vivre intensément sa vie sacerdotale et apostolique jusqu’à la fin. Jusqu’au bout, il a donné les Exercices Spirituels (la dernière session, 79 (l’abbé Giugni, très lié au P. Vinson ne put se déplacer puisqu’il dirigeait le camp pour garçons à Raveau), des prêtres et religieuses de Chabeuil, deux prêtres de la Fraternité saint Pie X, et l’abbé Guépin, qui a prêché. Le nom du P. Vinson restera certainement en bénédiction. Prions pour lui. Mise en garde La revue “Massoneria oggi” dans laquelle figure le nom de Cecilia Gatto Trocchi secondé par l’abbé Ricossa, se termina le 17 avril, quatre jours avant l’hémorragie cérébrale qui lui fut fatale), mourant, comme le P. Vallet, “sur la brèche”. Jusqu’au dernier moment, il fut au cœur des batailles pour la défense de la Foi, écrivant, publiant des livres, restant pour tous, amis et ennemis, un point de référence ou un redoutable adversaire. Jusqu’à la fin il fut présent à la vie de sa congrégation, pensant à son futur, à son expansion, se réjouissant des nouvelles vocations (justement le 18 avril avaient lieu des vœux perpétuels et une prise d’habit). Certes, il se préparait à la mort (durant les derniers Exercices il voulut faire lui aussi la confession générale dans ce but), mais en même temps il travaillait avec la lucidité et l’enthousiasme d’un jeune. Comme il a su vivre, il a su mourir, édifiant tout le monde durant ses presque trois mois de maladie. La nuit même de l’hémorragie cérébrale, l’abbé Giugni lui administra l’extrême-onction. Il a reçu plusieurs fois, ensuite, le viatique. Il est mort le 8 juillet entouré de ses religieuses et de quelques élèves, dans sa maison où, nuit et jour, on priait incessamment pour lui. L’abbé Ricossa a célébré ses funérailles dans la chapelle de la Maison St-Joseph et au cimetière de Serre-Nerpol. Etaient présents pour l’Institut l’abbé Murro et l’abbé Cazalas Dans le n° 47 de Sodalitium nous signalions le débat sur Tradition occidentale et New Age tenu à Rome le 9 juin 1998. Parmi les participants, outre l’abbé Nitoglia de l’Institut Mater Boni Consilii, et le sénateur Pedrizzi, d’Alleanza Nazionale, il y avait aussi l’anthropologue Cecilia Gatto Trocchi, de l’Université de Pérouse (également membre du GRIS). Récemment, la professeur Cecilia Gatto Trocchi était rapporteur au 7ème Colloque d’Etudes Catholiques (Rimini, 2931 octobre 1999), organisé par la Fraternité saint Pie X et par la revue La Tradizione Cattolica. Ce n’est que maintenant (octobrenovembre 1999) que nous avons appris que Cecilia Gatto Trocchi collabore à la revue du Grand Orient d’Italie, Massoneria Oggi, et a participé au Colloque “Giordano Bruno, Uomo Universale Martire del Libero Pensiero” (Rome, 18 mars 1999), organisé toujours par le Grand Orient. Suite à cela, nous avons rompu nos relations avec Cecilia Gatto Trocchi, et nous mettons publiquement en garde tous les catholiques à son égard. CENTRES DE MESSES RESIDENCES DES PRETRES DE L’INSTITUT ITALIE ITALIE: Verrua Savoia (TO) Maison-Mère. Istituto Mater Boni Consilii - Località Carbignano, 36. Tél. de l'Italie: (0161) 83.93.35 Ste Messe: en semaine à 7h30. Salut du SaintSacrement: tous les vendredis à 21h. Heure Sainte: le premier vendredi du mois à 21h. Ferrare: Chiesa S. Luigi, Via Pacchenia 47 Albarea. Ste Messe tous les dimanches à 17h30. Pour toute information, téléphoner à Verrua Savoia. Florence: via Ciuto Brandini 30, chez Mlle Liliana Balotta. Pour toute information, téléphoner à Verrua Savoia. Maranello (Modène): Villa Senni. Strada per Fogliano. Tél. de l'Italie: (0536) 94.12.52. Ste Messe tous les dimanches à 11h. Milan: Oratoire St Ambroise. Via Vivarini 3. Ste Messe tous les dimanches à 10h30. Pour toute information, téléphoner à Verrua Savoia. Rome: Oratoire St Grégoire VII. Via Pietro della Valle, 13/b. Ste Messe le 1er, 3ème et 5ème dimanche du mois à 11h. Pour toute information, téléphoner à Verrua Savoia. Turin: Oratoire du Sacré-Cœur, via Thesauro 3/D. Dimanches: Confessions à 8h30. Messe chantée à 9h. Messe basse à 11h15. Tous les premiers vendredis du mois: Messe à 18h15. Confessions à 17h30. Valmadrera (Lecco): via Concordia, 21. Tél. de l’Italie (0341) 58.04.86. Ste Messe le 1er et 3ème dimanche du mois à 18h. Confessions à 17h30. FRANCE: Mouchy Raveau 58400 - La Charitésur-Loire. Pour toute information, téléphoner au 03.86.70.11.14. Tours: auprès de l’association Forts dans la Foi. Chapelle St Michel, 29 rue d’Amboise. Ste Messe le dimanche à 10h30. Tél.: 02.47.64.14.30. ou 02.47.39.52.73. (R. P. Barbara). BELGIQUE: Dendermonde. Abbé Geert Stuyver: Kapel O.L.V. van Goede Raad, SintChristianastraat 7 - 9200. Tél.: (0032) (0) 52/21 79 28. Ste Messe le dimanche à 8h30 et 10h. AUTRES CENTRES DE MESSES FRANCE Annecy: 11 avenue de la Mavéria. Tél.: 04.56.72.44.85. Ste Messe le 2ème et 4ème dimanche du mois à 10 h. Confessions à 9 h. Cannes: Chapelle N.D. des Victoires. 4 rue Fellegara. Tel.: 04.93.68.10.85. Ste Messe le 2ème et 4ème dimanche du mois à 18h. Lyon: 17, cours Suchet. Tél.: 04.77.33.11.24. Ste Messe le 2ème et 4ème dimanche du mois à 17h. Confessions à partir de 16h30. COMMENT NOUS AIDER - Il n’y a pas d'abonnement à “Sodalitium”. Ce périodique est envoyé gratuitement à tous ceux qui désirent le recevoir. Nous demandons aux personnes qui, pour un motif quelconque, ne désirent pas le recevoir, de nous le faire savoir. - L’Institut Mater Boni Consilii et son périodique “Sodalitium” n’ont pas d’autres ressources que vos offrandes sans lesquelles ils ne peuvent vivre. Pour vos dons, libeller: • ASSOCIATION MATER BONI CONSILII - Mouchy - Raveau 58400 - LA CHARITE SUR LOIRE. CCP n° 2670 37 W DIJON • ASSOCIATION MATER BONI CONSILII - Mouchy - Raveau 58400 - LA CHARITE SUR LOIRE. Compte CREDIT LYONNAIS: Banque: 30002; Agence: 07531; N° du compte: 79074 U; Clé: 78. EN CAS DE NON-LIVRAISON, VEUILLEZ RENVOYER A L’EXPEDITEUR QUI S’ENGAGE A PAYER LE RETOUR A L’ENVOYEUR: SODALITIUM PERIODICO Loc. Carbignano, 36. 10020 VERRUA SAVOIA (TO) presso CMP TORINO NORD Tel. +39. 161.839.335 - Fax +39. 161.839.334 DESTINATARIO - Destinataire: SCONOSCIUTO - Inconnu TRASFERITO - Transféré DECEDUTO - Décédé INDIRIZZO - Adresse: INSUFFICENTE - Insuffisante INESATTO - Inexacte OGGETTO - Object: RIFIUTATO - Refusé